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CE LIVRE A ÉTÉ DONNÉ
LIBERTÉ
BT
A LA BIBLIOTHÈQUE CANTONALE
PATRIE ET UNIVERSITAIRE
par

Mme Vve M. DISERENS


BCU Lausanne

* 1094419376 *

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R M E S
D E S
fi:
P .
TRAITÉ
DE L'ART

BOXE

& CANNE

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RUEDES GRANDS AINDSOR


TRAITÉ
DE

L'ART DES ARMES


Première position.
TRAITÉ
DE

L'ART DES ARMES


OU

LES PRINCIPES DE L'ESCRIME

MIS A LA PORTÉE DE TOUT LE MONDE

PAR

B. BONNEL
SUIVI

, DES PREMIERS PRINCIPES DE LA BOXE FRANÇAISE


ET DE LA CANNE

AA 1H
DEW
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PARIS
DELARUE , LIBRAIRE - ÉDITEUR
23, RUE DE SEINE
1
1

PRÉCIS HISTORIQUE
SUR .

LES ARMES ET LE DUEL

EN FRANCE

En France, l'art des armes ou l'escrime ne re


monte pas au delà de la seconde moitié du xvie siè
cle. Antérieurement , l'on ne faisait compte ou es
time que des grands coups d'épée. Les exploits de
Tancrède , de Godefroy de Bouillon , du duc de Nor
mandie , d’Albéric Clément , le premier maréchal
de France, et de tant d'autres pourfendeurs d'hom
mes du haut en bas, étaient tenus pour authenti
ques : on s'en extasiait à tout propos .
Tout consistait donc à frapper son adversaire à
tour de bras, à briser son heaume, son armure et à
le mettre ainsi hors de lutte . « L'honneur des com
bats , écrivait Montaigne, reside dans le courage et
6 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

non dans la science des armes ; » c'est pourquoi il


semble applaudir à la noblesse de son temps, qui
fuyait la réputation de bon escrimeur.
Les funestes conséquences de ce préjugé che
valeresque ne tardèrent pas à se faire sentir .
Alors Charles IX , pour y remédier, appela à sa
cour des maîtres d'armes italiens . De nombreuses
écoles , des Académics furent ouvertes. Les salles
basses du Louvre , les cours elles-mêmes , devinrent
une arène où les jeunes seigneurs venaient s'exer
cer à toute heure à manier le poignard et la rapière.
On y enseignait la garde italienne avec toutes ses
variantes, ses grands mouvements du corps et de
la pointe , et les parades qu'il fallait y opposer.
Quand un écolier était arrivé à une certaine force,
on le formait au maniement de l'épée avec la dague ,
puis de l'épée seule contre l'épée et la dague réunies .
Venaient ensuite la garde de l'épée et du man
teau contre l'épée et la lanterne ; l'attaque de celles
ci par l'épée et le manteau ; l'usage de la main
gauche comme parade , les saisissements d'épée
avec cette main , et le désarmement ; puis encore la
garde espagnole, qui consistait à porter à la tête un
coup d'estramaçon et à tirer aussitôt un coup de
pointe entre la gorge et les yeux .
Ce qu'étaient ces saisissements d'épée et le désar
mement, Philibert de la Touche , qui écrivait en
1670, a pris soin de nous l'apprendre :
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES, 7

« Quand l'ennemy vous pousse une estocade, il


faut parer et, en même temps, sans quitter la suite
de l'espée, avancer le pied gauche et saisir la garde
de l'espée de l'ennemy avec la main gauche en la
passant par-dessous votre espée, etc. , etc.
« En saisissant l'espée comme je viens de le dire ,
on peut oster l'espée à l'ennemy, ou le frapper s'il
ne veut pas se laisser désarmer, comme je l'ay ré
marqué. Mais parce qu'il est plus généreux de no
pas le tuer et qu'il arrive quelquefois qu'on le veut
épargner, il faut que j'ajoute encore la manière
avec laquelle on peut lui arracher l'espée, quoi qu'il
en aye .
« Il faut saisir la garde en passant les mains des.
sus votre espée , et ensuite presser et pousser en
bas la lame de son espée avec la vôtre et en tirer
fortement la garde avec la main gauche pour la luy
arracher. »
Les historiens et chroniqueurs de l'époque nous
disent avec quel acharnement les deux adversaires
cherchaient à se désarmer . Si l'un d'eux laissait
échapper son épée , tous deux s'élançaient pour la
ressaisir ; si celui qui était encore armé arrivait le
premier au but, il mettait le pied sur le fer de son
antagoniste et le frappait sans pitié.
Il était reçu aussi que, dans les luttes auxquelles
plusieurs duellistes se livraient ensemble , celui qui
s'était débarrassé de son ennemi pouvait se rabat
8 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

tre sur son voisin adverse , occupé à se défendre, et


le tuer par surprise .

En 1574 , parut le premier Traité sur l'escrime ,


écrit par un Français , Henri de Saint-Didier, qui
le dédia à Charles IX . Le roi lui ordonna de faire
des armes avec le duc de Guise et plusieurs autres
seigneurs de sa cour, réputés pour leur force et
leur adresse .
Charles IX s'occupait lui -même beaucoup d'es
crime. Brantôme raconte qu'il descendit en lice ,
dans un tournoi , avec son maître d'armes Pompée,
tandis que le duc d'Anjou croisait le fer avec son
professeur Silvie. Pompée et Silvie étaient Italiens .
Le duc d'Anjou qui régna sous le nom d'Henri III,
n'était pas moins que son frère passionné pour les
armes. Il y avait acquis une réputation hors ligne :
il passait pour la première lame du royaume .
L'élan une fois donné et partant de si haut, fit
des prosélytes ardents . Il y eut émulation d'adresse,
rivalité d'assaut entre les seigneurs de la cour. De
là des questions d'amour - propre , des jalousies qui
se traduisaient invariablement en rencontres san
glantes. Véritable frénésie, qui fit dire à Montaigne
que si l'on abandonnait trois Français au milieu
des déserts de la Lybie, ils ne resteraient pas un
mois sans se battre .
On se liait par des serments terribles ; on faisait
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 9

veu de ne s'abandonner jamais . Une querelle entre


deux individus devenait aussitôt une affaire com
mune à chacun de leurs amis personnels . Les rues
de Paris étaient continuellement le théâtre de com
bats à outrance , de trois contre trois , de quatre, de
cinq , contre quatre et cinq , de dix contre dix .
Citons un premier exemple :

Le 27 avril 1598 , par une de ces fraîches et ra


dieuses matinées de printemps , la rue des Tour
nelles, si paisible d'habitude, fut réveillée en sur
saut par le bruit retentissant de six cavaliers qui
la traversaient au galop.
Cinq heures venaient de sonner à la paroisse de
Saint-Paul , et c'est à peine si l'on voyait émerger cà
et là, de la porte Saint-Antoine , quelques têtes d'ou
vriers et de lavandières se rendant à leurs travaux .
Ces cavaliers firent halte à l'entrée de la rue , où

aboutissait un des côtés du parc , vis-à-vis de la


Bastilie. N'ayant ni pages ni varlets à leur suite ,
ils durent attacher eux-mêmes leurs montures aux
poteaux qui se trouvaient là.
C'était plaisir de voir tous ces frais visages ,
rayonnantde jeunesse et de beauté. Le plus âgé avait
à peine vingt-cinq ans, et le plus jeune dix -huit.
Maintenant quels pouvaient bien être ces gentils
damoiseaux ? car il n'y avait pas à se méprendre
sur leur position élevée. Leur allure noble et fière,
10 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

leurs feutres emplumés , leurs riches et élégants


pourpoints , indiquaient ostensiblement qu'ils ap
partenaient à la cour. C'étaient, pour les appeler
par leurs noms, Quélus , d'Entragues , Maugiron ,
Livarot, Ribérac et Schomberg, tous favoris du roi
de France et de Pologne , Henri III , tous amis
d'enfance et compagnons de plaisirs .
Que venaient-ils faire à pareil endroit et à une
heure si matinale ?
Ils venaient pour s'y battre à mort.
Quélus et d'Entragues étaient les principaux
combattants . Livarot et Maugiron tenaient pour
Quélus ; Ribérac et Schomberg pour d'Entragues.
A peine le groupe se fut- il partagé sur deux rangs
opposés , que l'on se mit en garde hors de portée et
sans engager le fer, ainsi que cela se pratiquait
alors. L'on ne se fendait pas , on se rapprochait par
des passes, qui consistaient à porter le pied gauche
en avant du pied droit, et à faire prendre au pied
droit une position plus avancée, et vice versâ pour
los retraites . On frappait d'estoc et de taille, car les
épées étaient pointues et tranchantes.

-Y sommes - nous ? tonna d'Entragues , impatient


d'en venir aux mains .
Les épées se joignirent et l'on s'attaqua de part
et d'autre avec furie : Quélus avec d'Entragues,
Ribérac avec Maugiron , Schomberg avec Livarot.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 11

Quélus reçut la première blessure, suivie bientot


d'une seconde. Son sang coula abondamment.
Tu as une dague , cria-t-il en recevant un coup
de cette arme , que d'Entragues tenait de la main
gauche , et moi je n'en ai pas ... '
Et d'Entragues de répondre :
Tu as donc commis une grande sottise de l'a
voir oubliée au logis . Ici , sommes-nous pas pour
nous battre, et non pour pointiller des armes (1 ) ?
Le malheureux Quélus redoublait d'efforts, mais
sans pouvoir atteindre son agile adversaire , qui
toujours se dérobait par quelque retraite.
Aucun des autres combattants n'avait encore été
touché ; ils luttaient d'adresse et de courage.
(1 ) « Quélus, dit Brantôme, Discours sur les Duels, –
se plaignit fort que d'Entragues avait la dague plus que lui,
qui n'avait que sa seule épée : aussi, en tâchant de parer et
de détourner les coups que d'Entragues lui portait, il avait
la main toute découpée de plaies .
« Il y en a aucuns qui disent que c'était quelque espèce de
supercherie d'avoir eu l'avantage à la dague, si l'on était
convenu de n'en point porter, mais la seule épée . Il y a à
discuter là-dessus ; d'Entragues prétendait qu'il n'en avait !

point été parlé ; d'autres disent que par gentillesse chevale 1

leresque il devait quitter la dague. C'est à savoir s'il le


devait . »
4

Cela n'était pas douteux et n'aurait jamais dû l'être. Une


pareille question de la part d'un esprit tel que Brantôme, ne
s'explique que par le caractère de l'époque, par la férocité
des moeurs. Le sens moral avait complètement sombré dans
les guerres civiles et religieuses . On ne répugnait pas à l'idée
du sang ; et tous les moyens , même les plus déloyaux, étaient
réputés bons, dès qu'il s'agissait de tuer un ennemi,
12 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Tout à coup un double cri se fit entendre : l'un


aigu , l'autre sourd et étouffé : c'était Ribérac qui
venait d'être traversé de part en part, tandis que
lui-même fendait d'un coup de taille le crâne à
Maugiron .
Les deux cadavres s'entre -choquèrent en tom
bant.

A cette vue, quelques gens du peuple parmi ceux


qui étaient les plus rapprochés accoururent pour
porter secours.
Arrière, manants ! exclama Quélus d'une voix
encore vibrante , malgré la perte de son sang. Ar
rière d'ici , allez porter ailleurs votre pitié.
Que pas un de vous n'approche ! reprit Liva
rot sur le même ton, autrement je le cloue de mon
épée au poteau de mon cheval .
Et tous rétrogadèrent en silence.
Mon Dieu ! me venez en aide, fit Quélus , en
resserrant son pourpoint trempé de sang, et en
plaçant sur sa plus large blessure l'un de ses gants
qu'il brida avec son mouchoir, comme eût pu
faire d'une compresse un chirurgien .

La lutte reprit de plus belle.


Quélus, qui en était à sa seixième blessure , apos
tropha de nouveau d'Entragues.
- Infâme, que tu es ! Voilà que tu frappes encore
des deux mains.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 13

Mamère ! Ma pauvre mère ! murmura une


voix expirante . C'était Schomberg qui s'affaissait
sur lui-mêrne. Il avait à son tour blessé très griève
ment Livarot à la tête .
Mais tu as donc le diable au corps , répétait
d'Entragues à Quélus ; tu ne crieras donc pas
merci. Tiens, arrêtons-nous : Je n'en puis plus.
- A mort ! A mort ! répondit Quélus d'une voix
presque éteinte , en fléchissant sur le genou droit
et en parant toujours, de sa main gauche toute
tailladée , les doubles coups que lui portait d'En.
tragues.
C'est alors que Livarot , malgré sa profonde
blessure , se traîna entre les deux champions, et
mit fin au combat.
Frappé de dix-neuf coups , Quélus respirait
encore, quand il fut relevé par un piquet de che
vau-légers qui arrivait au triple galop, et trans
porté à l'hôtel de Boissi .
On enleva aussi les cadavres de Maugiron et du
jeune Schomberg; Ribérac et Livarot furent placés
sur une civière et dirigés sur le Louvre. Ribérac
mourut le lendemain ; Livarot resta six semaines
1
1
alité.

Trois ans après , il succombait dans un nouveau


duel .

Quant à d'Entragues qui n'avait reçu qu'une


légère blessure , il remonta aussitôt à cheval pour
14 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

porter lui-même à ses compagnons d'armes le récit


de cette sanglante matinée.
Le roi avait été instruit de ce duel à outrance,
mais trop tard pour s'y opposer. Il accourut aussi
tôt à l'hôtel de Boissi , et ne quitta plus pour
ainsi dire le chevet du moribond. En le voyant
ainsi découpé de plaies sur tout le corps, il res
sentit une douleur inexprimable, lui prodigua ses
consolations les plus tendres , les plus affectueuses.
Il promit au chirurgien qui le soignait une somme
de cent mille livres , le jour où Quélus entrerait en
convalescence, et trois cent mille à celui-ci pour
l'encourager à se prêter au pansement de ses bles
sures .

- Sire, répétait souvent Quélus , pourquoi d'En


tragues avait-il en plus une dague, quand je n'avais
que la seule épée ? Voyez donc en quel état est ma
pauvre main : c'est le fait de sa dague.
Henri ne répondait à ces plaintes que par des
pleurs.
Enfin, le 29 mai , après trente-trois jours de souf
frances atroces , Quélus rendit le dernier soupir
entre les bras du roi .
Henri III , dans son amitié exagérée pour ses
favoris, leur fit faire des funérailles dignes de
princes du sang , et ériger, dans l'église de Saint
Paul , de fastueux mausolées en marbre noir, --- ce
qui donna naissance à cette singulière locution ,
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 15

fort à la mode pendant quelque temps : Je te ferai


tailler en marbre, pour dire : Je te tuerai en duel.

N'était - ce pas une faute énorme que ces honneurs


quasi-royaux rendus à des duellistes de profession ?
Et qu'allait-il résulter de cette violation flagrante
des lois du royaume ?
Il y eut dans toute la France une recrudescence
frénétique de combats singuliers. En une seule
province, ditun historien , centvingt gentilshommes
périrent dans l'espace de sept mois . On s'égorgeait
pour les plus futiles motifs. Un jour, deux nobles
de la Franche-Comté se prirent de querelle, dans
l'église, au milieu du service divin, pour savoir
qui des deux toucherait le premier à l'encensoir.
Ce sera moi.
Ce ne sera pas vous.
On dégaine. Les deux adversaires se précipitent
l'un sur l'autre avec rage. Ce fut l'affaire d'une
seconde . Le premier était tué ; le second , mortelle
ment atteint, alla rouler au milieu du choeur. Les
chantres n'avaient pas eu le temps d'interrompre
le Magnificat.
Des familles entières furent exterminées. La
loyauté ne présida pas toujours à ces rencontres
meurtrières ; des gens qu'on aurait dû châtier
comme des assassins, ne perdirent rien de leur
crédit. Ainsi le chevalier de Guise força le baron de
16 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Looz à mettre l'épée à la main, dans la rue Saint


Honoré, et le tua ; peu de temps après , il se battait
avec le fils et le tuait également.
Aucune poursuite ne fut dirigée contre l'auteur
de ce double meurtre .
C'est ce même chevalier de Guise qui planta son
épée dans la poitrine du comte de Saint-Pol, au
beau milieu des rues de Reims ; ce qui ne l'empê
cha pas d'être nommé gouverneur de la Provence .

Sous Henri IV, on abandonna à peu près complé


tement les coups de taille pour les coups de pointe.
C'est à coups de pointe, - le roi donnant lui-même
l'exemple, que les gros escadrons de lanciers de
l'armée de la ligue furent rompus, le comte d'Eg
mont renversé et tué, ses lansquenets taillés en
pièces.
Cette substitution de la pointe à la taille, rendit
l'issue des rencontres plus meurtrière. Sous le
règne du Béarnais , on compta plus de quatre mille
victimes, et il fut accordé au delà de quatorze
mille pardons . Jamais les rencontres ne furent plus
fréquentes qu'à cette époque. Vainement déclara
t-on qu'aucune grâce ne serait accordée aux duel
listes ; vainement les assimila -t -on aux criminels
de lèse -majesté, dont la peine consistait dans la
séquestration des corps et des biens des deux
adversaires, ces prescriptions n'eurent aucun effet.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 17

Etil en futainsi jusqu'à l'avènement de Louis XIII,


en 1610 .
Alors Richelieu résolut d'en finir, ou du moins
d'atténuer le mal autant que possible. Toute son
énergie fut employée à combattre cette fatale cou
tume qui tendait à l'extermination de la noblesse
française. Il n'hésita point à faire tomber les têtes
de plusieurs spadassins appartenant aux plus
grandes familles.
Les premiers frappés furent le comte François
de Bouteville Montmorency, et son cousin Ros
madec, comte des Chapelles , qui s'étaient rendus
redoutables par leur habileté dans les combats
singuliers.
Bouteville que Malingre, dans ses Annales,
appelle « le plus raffiné d'honneur et chercheur de
noises » , avait tué en duel le comte de Pontgibault,
et tout récemment, au mois de février 1626 , le
comte de Thorigny. Condamné à mort, en vertu
d'un arrêt rendu contre lui par défaut, il avait fait
abattre par ses valets, soutenus de quelques cava
liers , le poteau qui portait sa condamnation. Puis
il était parti pour Bruxelles , voyageant à petites
journées dans son carrosse , toutefois sous la protec
tion d'une escorte de deux cents hommes d'armes .
Bouteville comptait bien s'y rencontrer avec le
marquis de Beuvron . Mais l'archiduchesse des
Pays-Bas qui connaissait ses intentions , lui fit faire
TRAIT DE L'ART DES ARMES.

UNES
CANT
07

HEOL
1.

E
18 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

défense expresse de se battre sur son territoire .


Bouteville s'y engagea formellement, et la prin.
cesse, ravie de ce résultat, en écrivit elle- même à
Louis XIII, priant Sa Majesté d'octroyer au coupa
ble pardon et abolition avec la liberté de rentrer
en France .
Le roi répondit qu'il ne le pouvait, en raison de
la grave atteinte portée à son autorité par ce sujet
rebelle .
C'est alors que Bouteville, s'autorisant de ce
refus, eut le malheur de dire avec cette légèreté
qui le caractérisait, que puisque Sa Majesté n'avait
pas eu égard à la prière de l'archiduchesse, il
reviendrait à Paris et se battrait mesmement dans
la place Royale , sous les fenêtres du Pavillon
Louis XIII.
Le cardinal eut avis de ce propos , ce qui n'em
pêcha pas Bouteville de passer à travers toutes les
mailles de sa police et d'arriver à Paris . Il écrivit
aussitôt à Beuvron , et le rendez-vous fut pris pour
le lendemain , 26 juin 1626, à six heures du
matin ,

A l'heure précise, le comte de Bouteville , ayant


pour seconds le comte des Chapelles et le vicomte
de la Brethe , se rencontrait sur la place Royale avec
le marquis de Beuvron qu'accompagnaient le baron
de Bussy et le marquis de la Ferté -Senecterre.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 19

Bussy était retenu au lit par suite d'une luxation


à la jambe , lorsque Beuvron l'envoya prier de le
seconder. Comme il était aussi parent de Thorigny ,
et qu'il avait à coeur de venger sur Bouteville ou
l'un des siens, la mort de son cousin , il se fit lever ,
et, quo:que faible, demanda son carrosse pour se
rendre au lieu du combat.
Beuvron et Bouteville , des Chapelles et Bussy, la
Ferté et de la Brethe s'attaquèrent en même temps.
Les deux principaux champions , doués d'une
adresse incroyable, se passèrent plusieurs coups
d'épée sans arriver au corps .
Il n'en fut pas de même entre des Chapelles et
Bussy. Malgré toute son habileté, Bussy se trouvait
fort empêché dans ses mouvements par sa luxation
à la jambe. Une fausse retraite de des Chapelles
l'ayant trompé , il voulut se porter à la rencontre de
son adversaire , et alla donner en pleine poitrine
sur la pointe de son épée qui le traversa d'outre en
outre.
Il tomba mort et le combat cessa. Son corps fut
porté au couvent des Minimes.
Beuvron , La Ferté -Senecterre, le vicomte de la
Brethe , montèrent à cheval et s'enfuirent. Quant à
Bouteville et à des Chapelles que rien n'intimidait,
ils s'en allèrent au cabaret faire un excellent déjeu
ner, après lequel ils se décidèrent enfin à se diriger
sur Meaux .
20 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Mal en prit à ces têtes folles, car le cardinal mit


aussitôt à leur poursuite les gardes-du-corps et les
chevau-légers, qui rejoignirent nos deux fugitifs au
delà de Château-Thierry, et les ramenèrent prison
niers dans cette ville. On les plaça dans un bateau
sur la Marne, escorté par cinq autres batelets rem
plis d'hommes armés. Sur les deux côtés de la rivière
cheminait le reste des chevau -légers et des gardes.
C'était un spectacle pittoresque que cette escorte
sur terre et sur eau .

Les deux gentilshommes arrivèrent ainsi à Paris


et furent enfermés à la Bastille .
Le roi nomma sur-le-champ une commission au
Parlement chargée d'instruire le procès de Boute
ville , de des Chapelles, de Beuvron , de la Brethe , de
la Ferté et du corps de Bussy.
Ce fut alors que les parents et amis des prison
niers employèrent auprès du roi les prières et les
supplications. Le prince de Condé , les ducs d'An .
goulême et de Montmorency lui adressèrent les re
quêtes les plus pressantes . Tous leurs efforts vin
rent se briser contre l'inflexibilité de Richelieu . Les
princesses de Condé, les duchesses d'Angoulême
et de Ventadour , cette dernière surtout qui passait
pour porter une vive affection à Bouteville, allèrent
se jeter aux pieds du monarque , mais sans plus de
succès .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 21

La comtesse de Bouteville courut plusieurs fois


supplier les juges de solliciter eux-mêmes la misé .
ricorde du roi . Ses pleurs n'émurent pas plus la
magistrature que le trône.
Enfin , le 21 juin , la cour rendit un arrêt de mort
contre Bouteville et des Chapelles seulement.
Le lendemain, quatre compagnies des gardes
françaises et deux des Suisses se rendirent, dès le
matin , sur la place de Grève, où elles occupèrent
toutes les avenues , et tendirent les chaînes pour ne
laisser approcher personne .
L'hôtel -de - ville et toutes les maisons de la Grève
avaient été réservés aux gens de qualité, curieux
d'assister à cette exécution . Le port de Saint -Lan
dry et les bateaux de la Grève regorgeaient de peu
ple, non moins avide de contempler cet homme,
tant était grande la renommée des duels par luy
commis .
Bouteville en était à son vingt-deuxième ...
Sur les cinq heures du soir , les trois compagnies
des Gardes-du- Corps qui avaient couché au palais ,
commencèrent à défiler par la rue de la Vieille
Draperie , le long du port Notre-Dame jusqu'à la
Grève. Les picquiers , avec leurs corselets , mar
chaient tambour battant, en présentant la pointo
de leurs piques ; puis venaient les archers du guct
et du prévost de l'Isle.
Bouteville et des Chapelles sortirent de la Con
: 22 · TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

ciergerie et montèrent dans la charrette , ce qui,


pour un gentilhomme, était une punition ignomi
nieuse. L'évêque de Nantes , qui les avait toujours
assistés , y monta également avec trois docteurs en
théologie.
Les gardes se rangèrent autour de l'échafaud,
les autres sous l'hôtel - de-ville .
Arrivés au bas de la fatale machine , Bouteville
et des Chapelles franchirent les degrés d'un pas
ferme.Ils étaient attachés avec des liens, la tête
nue , le visage découvert. Bouteville tourna les
yeux vers une fenêtre, où une femme vêtue de noir
venait de s'évanouir en poussant un cri aigu .
Une pâleur subite couvrit ses traits , que l'aspect
de l'échafaud n'avait pu altérer.
Cousin , lui cria des Chapelles , n'allons pas
fléchir à notre dernier duel : il n'y a pas à parer le
couteau Cardinal !
Bouteville l'embrassa , et le bourreau fit tomber
ba tête, puis celle de des Chapelles.
Entourée d'un appareil aussi imposant, cette exé
jution eut une influence beaucoup plus efficace
que tous les édits et ordonnances rendus jusqu'à
ce jour. Elle avait ce double mérite d'être la sanc
tion de la loi , en même temps que la punition
exemplaire d'un défi insolent porté à l'autorité
royale .
On voit que les moeurs s'étaient sensiblement
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 23

améliorées. On n'en était plus à l'apothéose du


duel , au temps où Henri II disait : « Il est bien
singulier que l'on vienne me demander justice lors
qu'on porte à son côté l'épée à l'aide de laquelle on
peut se la faire , » et où Henri III comblait d'hon
neurs suprêmes les duellistes :
Louis XIII leur faisait trancher la tête...

L'e 30 juillet 1652 , autre rencontre : celle-ci de


cinq contre cinq.
Le duc de Beaufort, le roi des halles, et le duc de
Nemours, qui étaient beaux- frères, se battirent,
assistés chacun de quatre gentilshommes . Les se
conds de monsieur de Beaufort étaient MM . Buri ,
de Ris , Brillet et d'Héricourt ; le marquis de Villars ,
père du maréchal, le chevalier de la Chaise, Com
pans et d'Uzerches assistaient le duc de Nemours.
Celui-ci avait chargé lui-même les pistolets qu'il
avait apportés avec les épées. On prenait assez sou
vent cette double précaution , et c'est ce qu'on appe
lait gaîment avoir deux cordes à son arc.
Eh ! beau - frère, quelle honte ! dit M. de Beau
fort quand on fut en présence : oublions le passé
et soyons bons amis.
Ah ! coquin, il faut que je te tue ou que tu me
tues, répliqua le duc de Nemours.
Et il fit feu aussitôt. Ayant manqué son adver
saire, il voulut fondre sur lui l'épée à la main , mais
24 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

le duc de Beaufort tira son pistolet et le tua raide


de trois balles dans la poitrine. D'Héricourt suc
comba sous les coups de MM . de Villars et d’Uzer
ches ; les autres en furent quittes pour de légères
blessures .
Le corps du duc de Nemours avait été porté à
Saint-André des Arts, sa paroisse . L'archevêque
de Paris lui refusa les prières, refus parfaitement
conforme aux prescriptions de l'Église, mais qui ne
laissait pas que d'être assez bizarre dans la bouche
d'un prélat tel que Paul de Gondi , cardinal de Retz ,
qui lui-même s'était battu en duel plusieurs fois.
Nous verrons bientôt disparaître cet usage, aussi
absurde que barbare, des seconds intervenant pour
des faits qui ne leur étaient pas personnels , dans
des différends auxquels ils ne s'associaient que par
amitié , par pure confraternité d'armes.
Louis XIV n'était pas homme à subir un pareil
dévergondage d'épées. Cependant il avait à compter
avec l'opinion , avec les idées dominantes de l'épo
que. Un gentilhomme offensé aurait craint de ter
nir sa réputation de bravoure en appelant au se
cours de son honneur l'autorité des tribunaux.
Demander à la loi réparation d'une insulte ou de
ce qu'il regardait comme tel, constituait à ses yeux
une insulte de plus , tant il est vrai que les mours
sont plus puissantes que les lois, quand les lois ne
sont pas conformes aux mours.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 25

Louis XIV crut donc ne pouvoir mieux faire que


d'instituer un tribunal du point d'honneur, dont les
juges étaient choisis parmi les maréchaux de France.
Un édit fut rendu , dont voici la clause essentielle :
« Lorsque nosdits cousins les maréchaux de
France , les lieutenants-généraux en nos provinces
ou les gentilshommes commis, auront avis de quel
que différend entre les gentilshommes et entre ceux
qui font profession des armes en notre royaume et
pays de notre obéissance , lequel procédant de pa
role outrageuse ou autre cause touchant l'honneur
semblera devoir les porter à quelque ressentiment
extraordinaire , nosdits cousins les maréchaux de
France enverront aussitôt des défenses très expres
ses aux parties de se rien demander par les voies
de fait, directement ou indirectement, et les feront
assigner à comparoir incessamment par - devant
eux pour y être réglées.
« Que s'ils appréhendent que lesdites parties
soient tellement animées qu'elles n'apportent pas
tout le respect et la déférence qu'elles doivent à
leurs ordres , ils leur enverront incontinent des ar
chers des gardes de la Connétablie et maréchaussée
de France , pour se tenir près de leurs personnes,
aux frais et dépens desdites parties , jusqu'à ce
qu'elles se soient rendues par-devant eux , ce qui
sera aussi pratiqué par les gouverneurs ou lieute
nants-généraux en nos provinces, dans l'étendue de
26 TRAITÉ DE L'ART DES ARME

leurs gouvernements et chargés , en faisant assigner


par-devant eux ceux qui auront querelles , ou en
leur envoyant de leurs gardes ou quelques autres
personnes qui se tiendront près d'eux pour les em
pêcher d'en venir aux voies de fait.
Il serait trop long de rapporter les diverses clau
ses de cet acte important. Toutefois, nous signale
rons l'engagement pris de la façon la plus solen
nelle d'appliquer au duel commis hors du royaume
les mêmes peines qu'en France , de le frapper éga
lement de mort , sans avoir égard à aucune consi
dération ni circonstances particulières , telles que
le mariage ou la naissance d'un prince.

Tout en promulguant ces lois contre l'usage si


répréhensible que les duellistes faisaient de leur
épée , Louis XIV ne perdait pas de vue les avan
tages inhérents à la pratique de l'escrime, et voulut
se montrer le protecteur éclairé de la science des
armes ,

Il institua des Académies, leur donna par lettres


patentes des statuts et règlements , et fixa à vingt le
nombre des professeurs à Paris . Mais ce n'était là
que le côté matériel de l'institution . Louis XIV
comprit qu'il fallait l'entourer d'une juste considé
ration . Il octroya donc des lettres de noblesse aux
titulaires , autorisa les plus anciens d'entre eux à
porter une plaque avec deux épées en sautoir sur
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 27

fond d'azur et quatre fleurs de lys surmontées d'un


casque . Chacun de ces professeurs avait droit à
une place réservée dans les théâtres royaux ; de
plus, le privilège de suivre les chasses de la cour,
et de faire revêtir à ses gens la livrée du roi .
Assurément cela constituait une position très
sortable ; mais il fallait la conquérir – c'est le
cas de le dire - à la pointe de l'épée.
D'après les statuts et règlements, l'on ne pouvait
se mettre sur les rangs , sans attester au préalable
que l'on avait travaillé pendant six années consé
cutives chez le même maître. Puis venait l'épreuve
de l'assaut qui consistait dans le tir avec le fleuret
seul , ensuite avec le fleuret et le poignard. S'il
arrivait au candidat d'être touché trois fois de
suite , il était renvoyé à un autre examen dans un
délai fixé.
Cet assaut qui avait lieu en présence d'un nom
breux concours d'amateurs , était comme la pierre
de touche des connaissances que possédait le réci
piendaire. Il avait cet excellent résultat d'exciter
une noble émulation parmi les concurrents , et de
les faire participer ainsi à la perfection de leur
art.

Pour en revenir au duel , si les restrictions très


sévères que Louis XIV y apporta , ne parvinrent pas
à extirper le mal, elles en atténuerent du moins
28 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

les ravages dans une large proportion . Elles eurent


surtout ce résultat heureux de rendre à peu près
impossible l'assistance meurtrière des seconds, de
mettre fin désormais à ces combats de plusieurs
adversaires s'entre-tuant à outrance . La substitu
tion du témoin passif au second permit d'empêcher
bien des luttes, et souvent de les faire cesser, une
fois entamées .
Voici , à ce sujet, ce qu'un juge fort compétent,
le comte de Toulouse, écrivait en 1737 :
« Les lois sur le duel sont sages , mais jusqu'à
ce qu'on ait trouvé le moyen de sauver l'honneur
d'un homme, il faut en particulier compatir à ce
qu'il est obligé de faire. J'ai vu le feu roi bien
sévère sur les duels , mais en même temps si , dans
son régiment (1 ) , qu'il approfondissait plus que
les autres , un officier avait une querelle et ne s'en
tirait pas suivant l'honneur mondain , il approuvait
qu'on lui fît quitter le régiment . »
Et il en était de même dans tous les autres corps .
Une parole inconsidérée , une démarche irréfléchie ,
plaçaient leur auteur dans une fausse position d'où
son épée seule pouvait le sortir.
Le fait suivant en est une preuve irrécusable :

C'était en 1790 , la veille de la bataille que le


maréchal de Luxembourg se disposait à livrer,
( 1 ) Le Régiment du Roy.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 29

dans les plaines de Fleurus, au prince de Waldeck,


généralissime de la ligue d'Augsbourg. Voulant
s'assurer une dernière fois de l'esprit du soldat, le
maréchal parcourait les lignes, suivi d'un nom
breux état-major où brillaient au premier rang le
duc de Chartres , futur régent du royaume , le duc
de Bourbon , fils du grand Condé, le prince do
Conti , le duc de Vendôme , etc.
Arrivé devant Picardie , le maréchal ne se lassait
pas d'admirer ce beau régiment, lorsqu'un jeune
officier sortit des rangs, et, après le salut d'usage ,
lui demanda d'une voix tremblante l'autorisation
de quitter son corps, - rien que le temps néces
saire d'aller recevoir le dernier soupir de son père,
et de revenir aussitôt.
- Allez , Monsieur, répondit le maréchal ; que
Dieu conserve l'auteur de vos jours .
Puis se retournant vers sa 'suite, il ajouta en
souriant : « Tes père et mère honoreras , afin de
vivre longuement. »
Le mot courut comme une traînée de poudre
et donna lieu à des plaisanteries plus ou moins
piquantes , dont quelques-unes arrivèrent aux
oreilles du jeune officier de Picardie .
Dominé par sa douleur , la gravité de sa démarche
lui avait complètement échappé ; il ne s'était pas
souvenu qu'en présence de l'ennemi , nos relations
les plus chères , nos affections de famille, doivent
30 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

s'effacer et se taire ; qu'alors on ne doit plus avoir


qu'un seul sentiment celui de la Patrie en dan
ger. Il le sentait bien à présent, mais c'était trop
tard .
C'est dans ces dispositions d'esprit que vint le
surprendre la visite de son compagnon d'enfance,
de son meilleur ami , le comte de Nocé qui servait
aux Mousquetaires :
Il faut avouer, mon cher Machault , que tu
choisis bien mal ton temps pour t'éloigner . Puis
qu'il en est ainsi ,tu voudras bien , je l'espère , te
charger auprès de ma mère des bons et affectueux
souhaits que je forme à son intention . Il ne sera
pas dit que tu auras été le seul officier de notre pro .
vinceà observer religieusement les commandements
de Dieu .
Machault ne fit qu'un bond et jeta l'insolent à la
porte. Quelques instants après il lui administrait
un vigoureux coup d'épée.
- Dieu m'est témoin , s'écria-t-il en proie à la
plus vive émotion , et en aidant à relever son ami ,
que je voudrais racheter ce malheur au prix de mon
sang. Mais aussi pourquoi m'avoir cru capable
d'une faiblesse, toi qui me connais si bien ; il fallait
laisser ce rôle à d'autres . Adieu , mon cher Nocé , je
brise devant toi mon épée ... je renonce à jamais
à la carrière des armes ; mais quel que soit le sort
que me réserve l'avenir, rappelle- toi que je suis et
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 31

serai toujours ton ami : tu peux compter sur mon


dévouement le plus absolu.

Nous ne suivrons pas l'ancien officier du régi


ment de Picardie dans les diverses phases de sa
nouvelle existence ; il suffira de dire qu'après de
longues et laborieuses études , il se fit recevoir
avocat au parlement de Paris où ses talents et son
noble caractère ne tardèrent pas à lui assurer une
des premières places .
Quant à Nocé, il guérit de sa blessure et sut s'ou.
vrir une brillante carrière. Elégant et bien fait
de sa personne , brave comme pas un , cité en outre
pour son esprit, il s'attira les bonnes grâces du
duc de Chartres et devint l'un de ses intimes favo .
ris . De simple mousquetaire , il passa capitaine aux
grenadiers à cheval, fut nommé aide-de- camp du
duc , et bientôt après chevalier de Saint-Louis. La
fortune lui souriait donc à belles dents , lorsqu'il
eut le tort insigne de se compromettre dans une
triste équipée .

Il n'était bruit alors dans tout Paris que de la


rarissime beauté d'une jeune fille, dont le père
était marchand de galons dans la rue Saint
Denis .

La boutique ne désemplissait pas du matin au


32 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

soir. C'était à n'en plus finir une procession de


soupirants qui , sous prétexte d'achats , se faisaient
exhiber toute sorte d'échantillons , les scrutant de
l'oeil, les pesant de la main , tout cela dans l'uni.
que but de gagner au long et de pouvoir contem
pler à l'aise la séduisante jeune fille.
Thérèse c'était son nom avait à peine dix
sept ans , mais on lui en aurait donné vingt, à voir
la régularité accomplie de ses traits, le modele
parfait de sa taille et sa démarche assurée. Rien
de plus délicieux, de plus affriolant, de plus déli.
rant en un mot que l'ensemble de sa personne.
Nocé n'avait pas été un des derniers à ressentir
pour elle une violente passion, passion qui s'accrut
nécessairement en raison des obstacles insurmon.
tables qu'elle rencontrait. Peu habitué à une pa
reille résistance , gâté comme il l'était par ses
bonnes fortunes, il résolut d'emporter la place
de vive force, et dirigea toutes ses batteries en 7

conséquence.
Sachant que la jeune fille devait souper, le jeudi
suivant, chez une de ses tantes qui habitait égale
ment la rue Saint-Denis , il alla, au jour dit, s'em
busquer dans les encoignures des portes voisines ,
avec trois de ses intimes , âmes damnées comme
lui. Un large carrosse, attelé de deux robustes che.
vaux , était remisé tout près , pour recevoir la vic
time et l'emporter à toute vitesse .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 33

Le dernier coup de neuf heures retentissait


encore à l'horloge de Saint-Méry, quand Thérèse
parut, précédée d'une servante qui portait un falot,
et regagnant toutes deux à pas précipités leur de
meure . Saisie aussitôt par des bras vigoureux qui
cherchaient à l'enrouler dans une couverture , elle
oppose une résistance désespérée , crie , appelle à
son secours . Ses cris, joints à ceux de la domesti
que , sont heureusement entendus par une patrouille
du guet à cheval qui accourt aussitôt. L'éveil est
donné dans le quartier ; déjà plusieurs bourgeois
se montrent aux fenêtres avec des flambeaux, d'au
tres s'empressent de descendre dans la rue. Nocé
met l'épée à la main , blesse même un des gardes,
mais il est entouré et désarmé aussitôt .
Plus heureux que lui , ses complices s'échappent
à la faveur de la bagarre.
Thérèse le désigne comme l'auteur de cette ten
tative criminelle ; et, tandis qu'elle est reconduite
à son domicile, lui est emmené chez le lieute
nant général de police qui , après interrogatoire ,
l'envoie coucher à la Bastille.

L'aventure avait fait éclat .


On en parlait à la Cour , on en parlait à la ville.
Louis XIV qui s'était fait rendre un compte exact,
se montra très irrité de ce scandale à ciel ouvert.
En vain de hautes protections essayèrent-elles d'ob
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES, 3
34 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

tenir - non pas la grâce du coupable , mais un


allégement à sa punition , • le roi ne voulut
entendre à rien et demeura inflexible . Non seule
il maintint l'emprisonnement, mais il déclara en
outre que la famille de la jeune fille aurait le droit
de poursuivre le ravisseur devant le Parlement,
sans que lui , Grand Justicier de son royaume, chef
souverain de sa Noblesse, intervînt le moins du
monde en faveur d'un de ses membres indi.
gnes.
L'affaire prenait donc une tournure des plus
graves. Machault, en sa qualité d'avocat, avait été
instruit un des premiers de l'arrestation de Nocé .
Bien que l'ayant perdu de vue depuis assez long
temps, il se ressouvint aussitôt de la parole qu'il
lui avait donnée sur le terrain , et résolut instanta
nément de se consacrer tout entier à son accom
plissement.
Le voilà donc qui court et frappe à toutes les
portes , qui sollicite les plus hautes influences, sans
s'inquiéter des rebuffades. A force d'obsessions , il
obtient une lettre du maréchal de Villeroy pour le
gouverneur de la Bastille et se fait ouvrir la prison
de Nocé. Les deux amis se jettent dans les bras
l'un de l'autre. Machault lui prodigue toutes les
consolations, tous les encouragements possibles,
et lui jure de l'arracher à sa triste position , coûte
que coûte .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 35

- Prends patience, lui dit-il en le quittant , avant


peu je t'apporterai de bonnes nouvelles.

La première chose qu'il fit fut de se rendre chez


les parents de la jeune fille, démarche des plus
épineuses assurément , mais du succès de laquelle
dépendait le sort de son ami .
Il trouva ces bonnes gens encore sous le coup
de l'indignation qu'ils avaient si amèrement res
sentie. Au lieu de chercher à les calmer, il abonda
dans leur sens , s'appesantit sur la conduite infâme
du coupable ? il le déclarait indigne de toute pitié ,
ne doutait pas que le Parlement le lui fît bien voir,
en lui infligeant une punition exemplaire.
Mais , ajoutait-il, avant d'en venir là, il y aura
procès et procès scandaleux. La malignité publique
s'y attachera ; l'oisiveté bavarde des salons de la
ville, des antichambres de la Cour , en fera gorge
chaude . Et tout cela malheureusement rejaillira
sur votre chère enfant, dont l'honneur est sorti
pur et intact du guet - apens qu'on lui avait
tendu .
Donc tout bien pesé , et après mûre röflexion,
je crois qu'il vaudrait mieux , dans votre intérêt
propre, renoncer à toute poursuite . La réparation
que vous obtiendriez ne compenserait pas les con
séquences fâcheuses qui s'ensuivraient.
Ces raisons parurent concluantes à ces excel
36 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

lentes gens ; et, séance tenante , elles signèrent leur


désistement :
Le comte de Nocé était sauvé .
Cependant il resta plusieurs mois encore à la
Bastille , d'après les ordres de Louis XIV . Par une
coincidence des plus bizarres, il en sortit le jour
même du mariage de celle pour qui il avait été
arrêté.
Ce jour-là , une société aussi nombreuse que
choisie remplissait le choeur de l'église de Notre
Dame. Thérèse, la belle Thérèse de la rue Saint
Denis , rayonnante de joie et de bonheur, était con
duite à l'autel par le fils du comte palatin Stanislas
Lubomirski .
Sur ces entrefaites, Louis XIV vint à mourir. Le
comte d'Argenson ayant été appelé à faire partie
du Conseil des ministres , la charge de lieutenant
général de police devint vacante. Le comte de Nocó
qui n'attendait qu'une occasion favorable de s'ac
quitter envers son libérateur, sollicita pour celui-ci
le bénéfice de cette vacance , et le Régent s'em
pressa de lui octroyer sa demande : il n'avait rien
à refuser à Nocé, son plus intime compagnon do
plaisirs .
C'est ainsi que Machault d'Arnouville succéda aux
de la Reynie et aux Voyer d'Argenson, qu'il devint
le troisième titulaire de la lieutenance générale de
police du Royaume.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 37

• Maintenant, si nous supputons tous les résultats


de la rencontre qui eut lieu à Fleurus entre le
. brillant mousquetaire et le petit officier du régi
ment de Picardie , que voyons-nous ? Tout d'abord ,
elle sert à réparer la brèche faite à la réputation
de l'un des combattants ; en second lieu , elle vaut à
l'autre d'être retiré du plus mauvais pas possible,
et de sortir de la Bastille plus tôt qu'il ne devait
l'espérer ; troisièmement, d'une petite marchande
de la rue Saint-Denis, elle fait une comtesse pala
tine ; et enfin, d'un simple avocat au . Parle
ment de Paris, le premier magistrat de cette
cité .

Jamais duel n'eut des conséquences aussi


diverses et surtout aussi heureuses . Il n'y a vrai
ment que l'épée pour accomplir de pareils mi
racles .

Sous la Régence on ne cite, en fait de combats


singuliers un peu marquants , que la rencontre de
la marquise de Nesle et de la comtesse de Polignac ,
qui se disputèrent la conquête du duc de Richelieu
le pistolet au poing .
En 1723 , Louis XV rendit contre les duels un
édit qu'il confirma en 1729. Cet édit , le dernier que
l'ancienne monarchie ait publié à ce sujet, n'out
aucune influence. C'est ainsi que nous voyons ce
même duc de Richelieu tuer en duel le prince de
38 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Lixen , au siège de Philisbourg, sans encourir la


moindre sévérité .
On sait que le duc avait épousé en secondes noces
mademoiselle de Guise , alliée à la famille impériale
d'Allemagne, et cela contre le gré des princes de
Lixen et de Pont, cousins tous deux de mademoi
selle de Guise , et qui ne trouvaient pas que le duc
fût d'assez haute naissance pour prétendre à une
pareille union ( 1) .
Or donc il arriva qu'un beau matin M. de Riche
lieu , en revenant de la tranchée , tout couvert de
boue et de sang (il avait été blessé ) , aperçut sur la
chaussée les princes de Lixen et de Pont, et les sa
lua de loin .

M. de Lixen mit quelque temps à répondre au


salut , puis clignant de l'oeil comme s'il avait de la
peine à reconnaître M. de Richelieu :
- Ah ! bonjour, cousin , bonjour ! dit-il avec un
certain petit air. Comme vous voilà crotté ! ... un
peu moins , cependant, depuis que vous avez épousé
ma cousine .
Richelieu descend aussitôt de cheval et va droit à

(1 ) Le marquis de Richelieu , frère du Cardinal, ayant été


tué en duel, la Maison tomba en quenouille.
Le duc de Richelieu dont est question ici était le petit
fils d'une sœur du Cardinal, mariée à Vignerod, seigneur de
Pontcouslay, qui prit alors le nom et les armes de la famille
des Richelieu . De là le propos blessant tenu par le prince
de Lixen .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 39

M. de Lixen , qu'il aborde avec le plus gracieux


sourire :
Prince , lui dit-il à son tour, j'espère que vous
voudrez bien me rendre raison des paroles que
vous venez de prononcer .
- Comment donc ! mais avec le plus grand plai.
sir , et tout de suite.
Le fer croisé , ce fut l'affaire de deux ou trois
passes : M. de Lixen tombait frappé à mort dans les
bras de son frère le prince de Pont.
Quelques jours après, M. de Richelieu recevait
son brevet de mestre-de-camp . Il est vrai de dire
qu'il s'était fort distingué en montant un des pre
miers à l'assaut de Philisbourg.
Grâce à cette impunité, qui du reste était géné
rale, le duel devint à la mode ; il fut même un élé
ment de succès à la cour et à la ville.

Cela vous posait ; en conséquence l'on ne prit


même plus la peine de s'en cacher.
On adopta une sorte de règlement pour les af
faires d'honneur. Elles furent partagées en deux
classes : celles qui étaient réellement sérieuses , et
celles qui l'étant peu ou prou, ne réclamaient qu'une
répression anodine.
C'est de cette époque que date le duel au premier
sang, véritable progrès pour l'humanité . Quand on
se bat pour un mot, pour un regard, tout au moins
doit-on ne pas pousser les choses à l'extrême ,
40 TRAITÉ DE L'ART DES ARNES .

et même pouvoir les arrêter ' en temps voulu .


Souvent il suffisait du croisement des épées pour
que les témoins déclarassent l'honneur satisfait. En
outre , il était reçu et admis à peu près de tous ,
qu’un fort tireur devait ménager son adversaire
plus faible que lui et ne le toucher que légère
ment.
Un exemple que nous choisissons à l'appui.

Le jeune comte d'Egmont, au sortir d'un excel


lent repas fait en compagnie de plusieurs mous
quetaires, ses compagnons d'armes et de plaisirs,
crut ne pouvoir mieux finir la journée qu'en se ren
dant à l'Opéra .
C'était un jour de représentation extraordinaire ,
et la salle était comble quand il arriva. Après avoir
cherché bien longtemps , il finit par découvrir une
place , mais quelle place , mon Dieu ! entre deux
gros voisins qui le pressaient et l'oppressaient
comme un hareng dans une tonne. Quand on n'a
pas le choix, il faut savoir se résigner : le comte se
résigna .
Mais voici bien d'une autre affaire . A l'instant
même où la toile se levait, un vieux monsieur dont
le siège était retenu , vient se poser hermétique
ment devant lui . Ce n'est pas tout : ce monsieur,
pour surcroît de malheur, était agrémenté d'une
perruque immense , si étoffée, qu'elle interceptait
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 41

complètement la vue de la scène au jeunc mousque


taire . En vain celui-ci essaya-t-il de glisser un oeil
d'un côté , de lancer un regard de l'autre , la toison
était aussi impénétrable qu'une forêt vierge de l'A
mérique, Que faire alors ? Prendre son mal en pa
tience et attendre la fin de la première partie du
spectacle pour présenter sa requête . C'est ce que
fit le comte . Dès que le moment favorable fut venu ,
il s'empressa de soumettre sa prière au vieil
Tard.
Mon Dieu ! répondit celui-ci, je suis vraiment
désolé du désagrément que je vous cause , mais,
avec la meilleure volonté du monde , je ne saurais
m'enlever la tête de dessus les épaules et la tenir
sur mes genoux .
Aussi, monsieur , suis - je bien loin de vous
demander un pareil sacrifice, répliqua le comte . Ne
pourriez - vous pas vous pencher tant soit peu , tan
tôt à gauche , tantôt à droite, et m'ouvrir ainsi une
échappée, le moindre petit point de mire sur la
scène ?
Mais c'est tout bonnement un torticolis que
vous m'offrez là en perspective . Grand merci ! j'ai
beaucoup trop souffert du dernier pour m'exposer
à en attraper un autre... Vous me rappelez là , mon
sicur, un douloureux souvenir , qui me force bien à
regret de vous refuser tout net.
- Cependant, si monsieur voulait...
42 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

J'ai l'honneur de vous réitérer que cela m'est


impossible .
Le ton avec lequel ce dernier mot fut articulé ne
permettait pas d'insister. Le jeune mousquetaire
se rejeta en arrière fort mécontent de l'issue de sa
démarche .
Impossible ! impossible ! murmurait-il entre
ses dents. Ce monsieur y met de la malcomplai
sance . Cependant il ne sera pas dit que je m'en re
tournerai sans avoir même entrevu le bout du pied
d'une danseuse .
Et voilà sa tête folle qui travaille et fermente. Il
fouille dans ses poches , en tire un petit étui en
maroquin rouge contenant une paire de ciseaux et,
au beau milieu des bravos que provoquait une pi
rouette nouvelle, il se met bravement à émonder,
de droite et de gauche , le buisson pommadé et
poudré qui lui portait un ombrage si contrariant.
Cet expedient de l'officieux coiffeur eut pour con
séquence immédiate de lui permettre de voir tout
ce que ces aimables filles de la danse exposent aux
regards du public sur la scène. Notre étourdi n'en
demandait pas davantage. Il eût même bien volon
tiers étouffé les rires et les plaisanteries de ses voi
sins ; mais c'était de toute impossibilité.
Cependant le vieux monsieur, pendant l'opéra
tion , n'avait pas plus bougé qu'une statue . On au
rait pu croire que , tout entier à son admiration
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 43

pour l'art chorégraphique , il ne s'était aperçu de


rien . Erreur ! ... Il avait parfaitement ressenti l'ac
tion des ciseaux ; mais il eût fallu , pour s'y déro
ber , faire une esclandre en plein théâtre. Or, ce
n'était pas d'un homme de sa condition et encore
moins de son âge : il endura donc la chose , bien
résolu d'en punir plus tard l'auteur comme il le
méritait .

A peine la toile était-elle baissée que , se retour


nant aussitôt de son côté et le fixant dans les deux
yeux, il lui dit avec un grand sang - froid :
C'est très bien , monsieur, c'est parfait; vous
avez trouvé là un moyen fort ingénieux et qui , par
cela même, a droit à une juste récompense. Je me
fais fort de vous la donner ce soir même . J'espère
que vous voudrez bien ne pas partir sans moi .
- A vos ordres , monsieur, répondit le mousque
taire ,

Le spectacle terminé , ils sortirent ensemble,


traversèrent la place du Palais - Royal, prirent la
rue Saint-Thomaş du Louvre et se trouvèrent bien
tôt sous l'arcade , située alors à l'extrémité..
-Arrêtons-nous ici , s'écria le vicillard ; l'endroit
semble fait tout exprès .
Monsieur le comte d'Egmont , vous voyez que
vous n'êtes pas un inconnu pour moi , continua le
vieillard d'un ton sévère , je trouve que votre con
44 TRAITÉ DE L'ANT DES ARMES .

duite de ce soir est indigne d'un gentilhomme.


Quand on insulte comme vous l'avez fait un vieux
militaire, on doit savoir se battre. Voyons un peu
de quelle façon vous vous en acquittez..... En
garde !
Le mousquetaire , piqué au vif , porte coup sur
coup ; mais le vieux monsieur, impassible et fixo
comme une borne miliaire , déjoue toutes les atta
ques et , d'un battement vigoureux , fait sauter
l'arme de son adversaire , la ramasse et la lui pré
sente courtoisement par la poignée .
Reprenez votre épée , monsieur le comte , et
tâchez de la mieux tenir. Vous serrez beaucoup
trop les doigts et ne maintenez pas assez le corps :
vous sautez. Ce n'est pas en danseur de l'Opéra,
mais de pied ferme qu'un homme de votre nom
doit se battre . Monsieur votre père , avec qui j'ai cu
l'honneur de faire des armes , était infiniment plus
fort que vous... Votre bras ! votre bras ! Attention !
Et au même instant un coup de pointe traversait
ce bras qui n'était pas en ligne.
- Je vous avais cependant averti , ajouta l'in
connu , tout en appuyant le blessé contre la muraille
et en bandant sa plaie avec un mouchoir.
Puis il courut chercher un fiacre, y plaça le
comte d'Egmont, qu'il reconduisit à l'hôtel des
Mousquetaires, rue de Beaune.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 45

Le comte en eut pour six semaines , à l'expira


tion desquelles il reprit son train de vie accou
tumé .
Un soir qu'il entrait au café de la Régence , il se
sentit frapper familièrement sur l'épaule . Il se re
tourne et reconnaît son adversaire de l'arcade du
Louvre, le chef couvert d'une nouvelle perruque
encore plus volumineuse que celle de l'Opéra.
- Chut ! chut ! fit l'inconnu en portant l'index
sur ses lèvres et en entraînant le mousquetaire au
dehors.
- J'ai appris , ajouta - t-il, que vous vous êtes fort
égayé à mes dépens . Vous avez raconté, ébruité
partout notre aventure , en y joignant même des
broderies d'assez mauvais goût. Vous auriez dû , ce
me semble, vous montrer plus reconnaissant, car
Dieu sait combien je vous ai ménagé. Enfin c'est
votre affaire ; la mienne est de vous fournir matière
à un nouveau récit plus piquant encore.
Nous voici précisément arrivés à l'endroit de
notre première rencontre. Tâchez , si c'est possible,
de vous tirer plus heureusement de celle-ci .

Hélas ! la seconde leçon ressembla à la première .


Elle fut suivie d'une troisième , puis d'une qua
trième, à deux et trois mois d'intervalle, juste le
temps nécessaire à la victime de se remettre sur
pied pour recommencer à nouveau .
46 T'RAITÉ DE L'ART DES ARMES .

C'était vraiment pitié de voir à quel état de fai


blesse et de maigreur cette succession non inter
rompue de saignées avait réduit le jeune mousque
taire . Il n'osait plus sortir ni se montrer en aucun
lieu public, dans la crainte d'y rencontrer celui
qu'il appelait son bourreau. Quelque brave qu'on
soit , on ne saurait s'habituer à se faire tuer ainsi
en détail : mieux vaudrait cent fois en finir d'un
seul coup .
Le comte d'Egmont en était arrivé à des projets
de suicide , lorsqu'un beau matin il reçut une lettre
du maître du café de la Régence, qui l'informait de
la mort de monsieur Chut, c'était le seul nom
sous lequel on connût dans cet établissement le
vieux monsieur de l'Opéra .
Le comte tomba à genoux et remercia la Provi
dence de l'avoir délivré de son ennemi le plus
mortel .
Dieu veuille le recevoir en son giron , s'écria
t-il , et me léguer en même temps son poignet. C'est
tout ce que je peux lui souhaiter de mieux, - et à
moi aussi ( 1 ) ...

Une autre aventure de la même époque est celle


qui advint à Saint-Foix , beaucoup plus connu
( 1 ) M. Merville a écrit sur ce fait historique une comédie en
trois actes, intitulée : la Première Affaire, qui a obtenu un
certain succès à l'Odéon,
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 47

comme duelliste que comme écrivain . C'était , en


effet, un ferrailleur enragé , et qui aurait pu rendre
des points au raffiné le plus irritable et le plus om
brageux du dix -septième siècle.
Un soir qu'il se trouvait au foyer de l'Opéra, un
inconnu qui paraissait être et était en effet de la
province , lui ayant par mégarde marché sur le
pied , s'en excusa aussitôt avec une très grande
politesse.
Saint-Foix qui , depuis plusieurs semaines, n'avait
pas tiré l'épée , saisit avidement l'occasion que le
hasard lui offrait, pour se remettre en haleine.
Elevant la voix , il répondit sèchement :
Monsieur , je ne pardonne jamais une insulte.
-- Mais , Monsieur , quand elle est involontaire ?
Involontaire ou non , j'en châtie l'auteur.
-

- Et quand on vous fait des excuses ?


- Je ne les accepte pas .
En conséquence, c'est une réparation qu'il
vous faut.
- Précisément, Monsieur.
Et l'épée à la main sans doute ?
.

- Oui , Monsieur, l'épée à la main.


- A qui ai-je l'honneur de parler ?
Je suis Saint- Foix .
- Ci-devant mousquetaire, puis lieutenant de
cavalerie, présentement historien et auteur drama
tique ?
48 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

Comme vous le dites .


Je connais beaucoup votre nom et vos
ouvrages , Monsieur de Saint- Foix, et suis enchanté
qu'un accident involontaire m'ait procuré l'hon
neur de connaître votre personne .
Je désire vous la faire connaître très particu
-

lièrement et vous en laisser un souvenir.


Je vous en saurai très bon gré. Cependant jo
mets une condition à notre entrevue .
Quelle est-elle , Monsieur ?
C'est que vous prendrez la peine de vous
déranger. J'exige qu'on vienne me trouver quand
on a affaire à moi ; c'est mon habitude.
Monsieur, j'irai vous trouver.
Ce sera bien de la bonté de votre part. Je me
nomme M. de Perceval et demeure rue de Richelieu ,
hôtel de Nantes.
- Votre jour ?
Celui qu'il vous plaira, le plus rapproché que
vous voudrez .
- Votre heure ?
Comme j'ai l'habitude de me lever tard , je ne
pourrai guère être à votre disposition avant onze
heures .
Demain donc, Monsieur, à onze heures pré
cises , j'aurai l'honneur de me présenter chez
vous .

· Et moi , j'aurai celui de vous y recevoir.


TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 49

Là- dessus les deux adversaires se séparèrent , et


chacun alla finir la soirée à sa fantaisie .

Le lendemain , à l'heure dite , Saint - Foix arrivait


à l'hôtel de Nantes . M. de Perceval qui était en robe
de chambre et en pantouffles, l'accueillit avec la
plus exquise politesse .
- Merci de votre exactitude , M. de Saint-Foix,
lui dit - il , elle double le plaisir que me procure
votre visite. Voulez-vous me faire l'honneur d'ac
cepter à déjeuner ?
Monsieur, je vous remercie.
Pourquoi donc ? vous m'obligeriez ; j'aime
beaucoup à avoir un compagnon de table .
Je vous réitère mes remerciements. Avant de
sortir, j'ai fait mon premier repas .
Vraiment, j'en ai regret . Alors vous me per
mettrez de déjeuner seul , car j'ai pour habitude de
ne jamais sortir à jeun .
Et sans attendre de réponse,M.de Perceval sonna,
Un domestique mit le couvert et servit. M. de Per
ceval déploya lentement sa serviette , et commença
de manger avec le calme et l'air souriant d'un
homme qui se prépare à un rendez -vous dont il se
fait d'avance une véritable fête .
Après un moment de silence, il tourna la tête du
côté de son adversaire , et lui dit :
Monsieur de Saint-Foix, vous êtes un mili
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .
50 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

taire distingué, et de plus un homme d'esprit; vous


irez à la postérité , le front ceint d'une double au
réole .
· Monsieur !!
Oui , vos Lettres Turques , vos Essais sur Pa
ris , votre Histoire de l'ordre du Saint -Esprit, sont
des ouvrages qui vous font le plus grand hon
neur .

- Je suis flatté de votre suffrage.


Ils le méritent, je vous en parle avec connais
sance ; je les ai lus avec attention et j'en ai tiré pro
fit. Vous avez aussi composé plusieurs pièces de
théâtre que j'ai vu jouer avec un véritable
plaisir.
- Ce sont des bagatelles...
- Soit ! Mais des bagatelles pleines d'esprit et de
gaîté, dont quelques -unes méritent de rester au ré
pertoire . Vous jouissez aussi d'une grande réputa
tion de bravoure .
· Dans le monde, on veut bien me reconnaître
cette qualité .
Et c'est justice. Le sang -froid dont vous avez
fait preuve à la bataille de Guastalla, où vous rem
plissiez les fonctions d'aide- de -camp du maréchal
de Broglie, vous a valu les applaudissements de
l'armée .
- J'ai rempli mon devoir.
- D'une manière excessivement distinguée.Pour
TRAITÉ DE L'ART DES AKMES . 51

quoi donc avez-vous abandonné la carrière des ar


mes ? Vous étiez bien fait pour y réussir et arriver
aux grades les plus élevés .
- A la paix , j'ai sollicité pour prix de mes servi .
ces , un brevet de capitaine , et n'ayant pu l'obtenir
j'ai profité de la réforme de mon régiment pour
donner ma démission .
- Et vous avez acheté une charge de maître par
ticulier des Eaux et Forêts ; puis , vous vous êtes
fait homme de lettres . Je sais tout cela, Monsieur
de Saint-Foix , et ne puis y donner mon approba
tion , car vous avez privé le roi d'un excellent ser
viteur. On vous reconnaît encore une grande habi
leté dans le maniement des armes .
En effet, je suis d'assez belle force .
Assurément . Mais vous n'êtes pas toujours
heureux. Certaine bavaroise au lait ...
- M’a valu un coup d'épée, je m'en souviens.
Néanmoins je persiste dans mon opinion .
- Vous pensez toujours que c'est un triste sou•
per qu'une bavaroise au lait ?
Oui , Monsieur.
Eh bien ! Monsieur de Saint- Foix , je pense ab.
solument comme vous .
M. de Perceval passa ensuite à d'autres propos
avec la plus.grande politesse et la plus entière li
berté d'esprit, cherchant par tous les moyens pos
sibles à faire prendre patience à son adversaire qui
52 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

l'attendait. Son déjeuner fini, il sonna pour qu'on


vînt le desservir .
Vous me permettrez , n'est-ce pas , de m'habil.
ler ? car je ne peux sortir en cet état.
Saint-Foix répondit par un signe d'assentiment.
M. de Perceval se fit raser, coiffer, puis s'habilla
lentement, posément, en homme que rien ne pres
sait. Quand il eut ceint son épée , mis ses gants et
son chapeau , il se tourna vers Saint-Foix.
Maintenant, Monsieur, je suis tout à vous :
Saint-Foix respira .

Tous deux descendirent l'escalier, suivirent la


1
rue de Richelieu jusqu'à la rue Saint-Honoré, et
lorsqu'il furent parvenus vis -à -vis le café de la Ré
gence , M. de Perceval prit la parole :
Après mon déjeuner, je prends toujours une
tasse de café : c'est mon habitude . J'espère que
vous ne trouverez pas mauvais que je la satisfasse ;
d'ailleurs ce ne sera pas long.
Saint-Foix , déjà fortement impatienté , le fut bien
davantage à ces mots . Il se contint cependant et
suivit son adversaire. Entrés tous les deux , M. de
Perceval lui dit :
- Faites-moi l'honneur, M. de Saint-Foix , d'ac
cepter une tasse de café : ici , il est parfait.
- Je le sais , monsieur , mais je vous remercie.
- Pourquoi cela? vraiment, vous me désobligez.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 53

- Je le regrette, mais je ne puis accepter.


Comme il vous plaira. Je vois avec peine que
vous êtes un homme tout à fait inflexible . Puisqu'il
en est ainsi, je vais faire comme pour mon déjeu
ner, et prendre mon café tout seul,
Pendant que Saint -Foix, regardait çà et là, tout
en maugréant, M. de Perceval humait à petites gor.
gées son moka; il en savourait l'arome en gourmet
délicat et consommé. Quand il eut fini , il releva la
tête qu'il avait tenue jusque-là religieusement
courbée sur sa tasse , et, regardant Saint-Foix, lui
dit :
- Monsieur, jouez-vous aux échecs ?
- A cette question , Saint-Foix sentit les deux
bras lui tomber. Il jeta sans rien répondre, des
yeux effarés sur M. de Perceval , qui ne remarquant
pas, ou ne voulant pas remarquer sa stupéfaction ,
répéta la question :
- J'ai l'honneur de vous demander si vous jouez
aux échecs ?
-
- Non , Monsieur, répondit enfin Saint-Foix.
Et aux dames ?
- Pas davantage.
C'est réellement fâcheux pour moi. J'allais
vous proposer de vouloir bien faire une partie. C'est
que, voyez -vous, après mon café, je joue toujours
trois parties de dames ou d'échecs : C'est encore
mon habitude
54 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Saint-Foix n'y tenait plus, sa patience était à


bout .
1

Il me semble, Monsieur, fit-il , d’un ton très


sec , que vous avez bien des habitudes .
.

- A qui le dites-vous? J'en ai de toutes les espè


ces , et auxquelles il me faut de gré ou de force obéir,
car vous le savez , l'habitude est une seconde nature .
Tenez , j'aperçois un amateur à qui je dois une re
vanche , je vais la lui donner. Si vous avez une vi
site à rendre, vous pourrez disposer d'une heure,
mais pas davantage; j'ai l'habitude de ne pas jouer
plus longtemps .
Saint-Foix devint perplexe. Ce sac enfariné, cet
homme si confit en politesse, ne lui disait rien qui
vaille. Il se demandait parfois si cette enveloppe
fallacieuse ne cacherait pas un autre bourreau, un
vieux Monsieur en train de lui mitonner une leçon
dans le genre de celle que venait de recevoir son
ami , le comte d'Egmont. Dame ! tout est possible
en ce monde ! Voyons, attendons le dénouement de
cette comédie.
Et il ne quitta point le café.
Au bout d'une heure juste , M. de Perceval vint
lui dire :
- Monsieur de Saint-Foix, ma partie est ter
minée .
Allons-nous enfin commencer la nôtre ? ré.
pliqua avec vivacité ce dernier.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 55

- Cela va de soi ... Seulement je dois vous dire


encore que j'ai l'habitude, après avoir fait mes trois
parties , de me promener pendant une heure aux
Tuileries . En conséquence , si vous le trouvez bon ,
nous nous dirigerons de ce côté.
Saint- Foix accepta , pensant que son adversaire
avait choisi les Champs-Élysées, voisins des Tui
leries, et si déserts , si abandonnés en ce temps-là ,
qu'ils étaient le rendez-vous ordinaire des duellistes
aussi bien que des amoureux. Il eut encore la pa
tience de se promener pendant une heure, car M. de
Perceval ne lui fit pas grâce d'une minute . Mais
quand il l'entendit parler de rentrer à son hôtel, il
éclata :
Et notre affaire, s'écria-t-il ?
Quelle affaire ? répondit M. de Perceval.
Belle demande ? Avez - vous donc oublié que
nous devons nous battre ?
Nous battre ! Vous et moi ? Plaisantez-vous,
Monsieur de Saint-Foix ? Que vous vous battiez,
vous , qui en faites métier et qui avez été militaire,
cela se comprend. Mais me convient-il de me poser
en bretteur, en coupe-jarrets, en pourfendeur de
naseaux, moi , qui ai l'honneur d'être chef d'une
Cour souveraine, premier Président d'un parle
ment, et chevalier de l'Ordre ?
Saint-Foy resta tout abasourdi scus le coup de
ces paroles. C'était ce qui s'appelle une botte à
56 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

fond, et sans parade possible. Pourtant il se remit,


et, en homme du monde , salua très respectueuse
ment le magistrat, mais en l'envoyant in petto à
tous les diables .

Nous touchons à la grande époque où l'art des


armes a atteint à peu près son apogée . Après
Charles Bernard et Philibert Delatouche , dont nous
avons parlé précédemment, vinrent Le Perche,
Ducoudray, de Lyancourt, Girard , Danet, etc .; puis
La Boëssière père, l'inventeur des premiers mas
ques en laiton dont on se couvrit le visage.
La Boëssièrefut reçu , en 1759 , maître en fait d'ar
mes des Académies du roi , après un brillant assaut
avec les trois professeurs les plus en réputation
alors : MM . Vaucours , Delasalle et Donadieu , dont
l'auteur des Ermites a tracé un brillant portrait.
Il ouvrit bientôt une salle qui fut très fréquentée,
et d'où sont sortis les plus célèbres tireurs de
l'époque. Mais l'élève qui lui a fait, sans contredit,
le plus d'honneur, c'est l'inimitable Saint-Georges
que personne n'a'encore égalé. Écoutons ce qu'il en
dit :
« Saint-Georges était doué d'une force de corps
prodigieuse , d'une vigueur extraordinaire. Vif,
souple , mince, élancé, il étonnait par sa vivacité .
Jamais personne dans la leçon n'a déployé plus de
grâce, plus de régularité. Il avait un déploiement
57
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

superbe; sa main soutenue au plus haut, le rendait


toujours maître du faible de son adversaire ; son
pied gauche, solidement établi, ne variait jamais,
6
et sa jambe droite restait constamment perpendi
culaire. Cette réunion de moyens lui procurait cet
aplomb qui lui permettait de se relever d'un seul
temps et de repartir aussitôt avec la rapidité de
l'éclair .
« On l'admirait particulièrement dans sa manière
de tirer le mur à toucher ; il était si sûr de ses
moyens qu'il touchait indistinctement des deux
côtés et franchement, tout en observant les prin
cipes . Sa quarte sur les armes était surtout éton
nante . Il surprenait davantage lorsque, l'épée en
gagée en dedans , il se trouvait à bonne portée et
en garde d'assaut. I] recommandait de ne pas
s'ébranler, s'engageant lui-même à ne pas faire de
faux mouvements avant de partir. Si par hasard .
il eut fait le moindre temps , le coup ne comptait
pas. Il passait le coup de quarte sur les armes avec
une telle promptitude, touchait et repassait son
fleuret dans sa main gauche avec tant de vivacité ,
que le pareur n'avait pas eu le temps de rencontrer
le ſer pour la parade .
« Qu'on s'imagine ce que peut un tireur avec une
vitesse pareille ! qui tire à botte nommée, d'une
portée folle! qui tient toujours hors de mesure, avec
une garde des plus imposantes ! Voulait- on prendre
58 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

son fer, on ne trouvait rien . Sa pointe avait une


telle légèreté qu'on ne pouvait la sentir. Si malheu
reusement on voulait s'emporter , on était pris d'un
coup d'arrêt avant que le pied eût touché à terre ;
enfin on n'osait rien tenter. Les coups droits , les
dégagements se succédaient et vous accablaient.
« Ménageant bien sa vitesse, il ne l'employait
qu'à coup sûr. Contre un adversaire qui liait bien
la parade, il ne tirait qu'après avoir fait un temps ,
afin de passer un coup de légèreté au moment où
l'on joindrait le fer. On sait qu'en tirant sur un
liement, quelque prompt qu'on soit , on peut tirer
trop tard , et être paré ; en conséquence, il faut
K
tâcher de faire serrer le fer, et interrompre le
liement par un temps quelconque : c'est ce que
Saint-Georges exécutait avec une grande précision .
Il était impossible de lui faire des coups pour coups ,
quelque déterminé qu'on fût. Il avait l'esprit pré
sent à tout, et ne tirait jamais sans s'être assuré du
fer. S'il s'apercevait qu'on lui opposât un mauvais
jeu , le fer était dérangé par des croisements et des
battements si vigoureux et si élastiques, que les
bras en étaient brisés. Qu'on juge par là des déve
loppements hardis qui s'en suivaient, ainsi que des
coups de temps et des coups d'arrêt qui se succé
daient comme des coups de foudre .
« Il sauvait aux plus forts le coup d'arrêt et le
coup de temps, ne se réservant que la parade et la
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 59

riposte , et personne ne le pouvait toucher. Dans


cet excercice où il déployait toute la grâce et tous
les moyens que lui avait départis la nature, il sur
prenait les spectateurs » .

Comme on le voit , Saint-Georges était arrivé à


une perfection idéale, qui jusqu'à présent n'a en
core été atteinte par personne . L'on peut dire que
son époque fut l'apogée de l'art des armes . Maîtres
et élèves s'y distinguèrent tous par la même per
fection , quoiqu'à des degrés moindres.
On en était venu à une telle souplessse de mou
vements , on avait la main si légère , si contenue ,
que l'on ne donnait de son épée dans le corps de
l'adversaire , que ce que l'on en voulait donner.
C'était fort heureux assurément, en ces temps de
rencontres si fréquentes , amenées par lessujets les
plus futiles, par un froissement involontaire du
coude ou du pied. Deux individus venaient-ils à se
heurter au détour d'une rue , aussitôt ils mettaient
flamberge au vent, même par la nuit la plus
obscure . Ils allaient alors s'allonger, sous la pâle et
tremblante lueur d'un réverbère .
Cette Brettomanie a fourni au théâtre le portrait
d'un personnage très amusant. C'est un Monsieur
qui se bat une première fois avec un homme qui l'a
regardé de travers ; une autre fois, avec un officier
qui l'a regardé en face; et, en troisième lieu , avec
60 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

un Anglais qui est passé à côté de lui , sans daigner


le regarder. 1

Louis XVI comprit fort bien que , dans ces dis


positions d'esprit , toute nouvelle loi sur le duel
n'aurait absolument aucune influence . Il laissa
I
donc aller les choses , s'en remettant au temps et
au progrès de la civilisation du soin d'arrêter le
mal. D'ailleurs comment s'y serait- il pris , quand
les princes de la famille royale donnaient eux-mê
mes l'exemple de l'insubordination ? Le comte d'Ar
tois se battait avec le duc de Bourbon ; le prince de
Condé avec son capitaine des gardes , le comte
d'Agoult. 1

La première de ces rencontres eut lieu , en 1778,


à la suite d'une aventure de bal masqué qui fit très
grand bruit alors, et dont les gazetiers , les faiseurs
de nouvelles à la main, les coureurs de ruelles , en
un mot tous les pourvoyeurs de la malignité publi
que , vécurent pendant longtemps.
Mais prenons les choses à leur origine :
Le duc de Bourbon , depuis prince de Condé,
dont la mort violente a donné lieu à un procès si
scandaleux contre la royauté de juillet, avait épousé
Mademoiselle d'Orléans , soeur du père de Louis F

Philippe Ier. Le jeune duc , comme tous les princes


de sa famille, était un vert galant qui ne dédaignait
pas de chasser sur les terres d'autrui . Bien que sa
femme fût charmante et qu'il l'aimât beaucoup , il
1

TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 61

se plaisait à distribuer ses hommages parmi cette


petite cour d'adorables suivantes qui se pressaient
autour de la princesse.
En tête de ces dernières brillait, par son esprit et
ses grâces piquantes , la marquise de Canillac ,
véritable type de ces beautés que les peintres de
l'époque nous représentent avec des regards si
vifs et si provoquants , sous la poudre, le visage
couvert de mouches assassines , et les lèvres
rouges .
Mme de Canillac fut honorée des assiduités du
duc qui ne prit pas même le soin, à ce qu'il paraît,
de cacher cette fantaisie qu'il regardait comme in
nocente. Mais la duchesse vit autrement les choses,
et, se trouvant blessée dans sa dignité d'épouse, en
témoigna tout son mécontentement à sa rivale : de
telle sorte que celle-ci dut considérer ces reproches
comme un congé , et se retira.
Naturellement Mme de Canillac devait vouloir se
venger de la leçon qu'elle avait reçue : le hasard et
ses charmes la servirent à merveille. Sa mésaven .
ture avait fait quelque bruit, et le comte d'Artois
voulut connaître cette beauté qui excitait une si vive
jalousie. Il fit plus , il en devint amoureux et rem
plaça facilement le duc de Bourbon , qui d'ailleurs
ne pensait peut-être plus à la belle.
Dès que Mme de Canillac vit un pareil amant à ses
genoux , elle n'attendit plus qu'une occasion favo
62 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

rable d'exercer sa vengeance : cette occasion ne


tarda point à se présenter.

Il devait y avoir un grand bal masqué à


l'Opéra .
La marquise, qui avait apparemment conservé
des intelligences dans la place ennemie, apprit que
la duchesse irait à ce bal , et fut, en outre , parfaite
ment renseignée sur le costume qu'elle porterait :
dès lors son siège était fait.
Le soir venu , elle n'eut pas de peine à eng ger le
comte d'Artois à se déguiser et à l'accompagner. La
voilà donc au milieu de la cohue , et au bras du
comte , qui s'était affublé d'un domino fort simple
et dont rien ne trahissait l'incognito . Tout à coup ,
Mme de Canillac pousse un cri , et toute tremblante
se presse vivement contre son cavalier.
- Qu'avez -vous donc , ma charmante, lui dit le
prince ?
- Oh ! mon Dieu , Monseigneur, vous voyez bien
cette femme, ce masque rose ... 1

Eh bien !
Eh bien ! ce masque , c'est ... c'est Mme la du
chesse de Bourbon , votre cousine.
- En êtes vous sûre ?

– Si sûre , que je vous prie de m'emmener, à


moins pourtant que vous ne préfériez la lutiner un
peu , Monseigneur, ce qui serait fort plaisant, je
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 63

vous jure ; car jamais votre altesse ne retrouvera


une pareille occasion de faire valoir son esprit.
Elle avait à peine achevé ces mots , que déjà le
comte était sur les pas de la duchesse et de son ca
valier , qui n'était autre que le beau -frère de Mme de
Canillac .
Tout d'abord les saillies du comte d'Artois réa
jouirent fort la duchesse qui se prêta au jeu , et
renvoya spirituellement les épigrammes à son
agresseur inconnu . Mais à la fin , les anecdotes
devinrent si particulières et si piquantes , qu'elle
voulut savoir à qui elle avait affaire. Méconnaissant
les lois du bal , ou s'imaginant peut-être que sa qua
lité la plaçait au-dessus , elle souleva la barbe du
masque de son interlocuteur .
Ce mouvement le lui fit reconnaître . Alors elle
chercha à s'esquiver et à se perdre dans la foule;
mais le masque la poursuivit et l'eut bientôt re
jointe .
Furieux d'avoir vu trahir son incognito, le comte
oublia, à son tour, qu'il s'adressait à une femme de
son rang et, de plus , sa cousine : il poussa les choses
à l'extrême et déchira le masque de la princesse .
Tout cela s'était exécuté si promptement que
personne ne s'en était aperçu , ou du moins n'y
avait prêté attention , en sorte qu'il n'en résulta au
cun scandale pour le moment. Mais, dès le lende
main , l'anecdote circulait partout , avec force com
64 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

mentaires et enjolivements : c'était l'ouvre de la


marquise de Canillac qui parachevait ainsi sa ven
geance .
L'affaire fit un beau tapage . Toute la branche
des Condé s'en émut, et les princes de cette famille
allèrent trouver le roi pour lui demander satisfac
tion de l'insulte .
Sa Majesté répondit que son frère était un franc
étourdi ; qu'il ne fallait pas attribuer à sa conduite
plus d'importance qu'elle n'en méritait, et qu'enfin ,
le mieux était d'étouffer la chose.
Dès ce moment , la duchesse de Bourbon se con
fina chez elle, ne recevant personne , et chargeant
le suisse du palais de prendre par écrit les noms
de tous les visiteurs . Quant au duc , il se rendit chez
M. de Maurepas , et lui remit un Mémoire pour le roi ,
en ajoutant que si Sa Majesté ne jugeait pas à propos
de lui donner satisfaction , il regarderait ce reſus
comme une permission de se la rendre lui-mêmo .
Que l'on juge des commérages de toute sorte que
suscita, à la cour et à la ville , cette division de la
famille royale et des princes du sang. Celui qui
voyait avec le plus de peine ce fächeux événement,
c'était le débonnaire Louis XVI , ennemi juré de
tout scandale, et le seul homme de son royaume
qui montrât un visage sévère quand il entendait
raconter une histoire galante . Toutefois, les démar
ches et la menace faites par le duc de Bourbon lui
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 65

donnant lieu de craindre quelque coup de tête d'un


côté ou de l'autre , il ordonna au chevalier de Crus
sol , capitaine des gardes du comte d'Artois , de ne
pas le quitter. En même temps , il catéchisa son
frère, et exigea du prince qu'il fît à Mme la duchesse
de Bourbon une réparation convenable; qu'il lui
déclarât tout d'abord qu'il ne l'avait pas reconnue ,
et qu'ensuite il n'avait jamais eu l'intention de l'of
fenser.

Cette réparation eut lieu à Versailles, en pré


sence de la famille royale, d'une part, et des prin
ces du Sang , de l'autre . Mais cet acte de condescen
dance du comte d'Artois ne parut pas suffisant au
duc de Bourbon , et, dans l'entrevue même dont
nous venons de parler , il le lui fit comprendre par
un geste significatif.
Le comte d'Artois, qui n'avait plus aucun ména
gement à garder , informa aussitôt le duc de Bour
bon qu'il se tenait à sa disposition , et que tel jour,
dans la matinée , il se trouverait au Bois-de - Boulo
gne . Le duc s'y rendit à huit heures ; le comte n'ar
riva que deux heures après .
Avant de partir de Versailles , M. de Crussol avait
placé lui-même , en secret , sous un coussin de la
voiture , la meilleure épée du prince . Ils partirent
tête-à-tête. Pendant tout le trajet, le comte d'Artois
necessa de faire des plaisanteries et fut d'une ama
bilité charmante ,
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 5 I
66 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Arrivés à la porte des Princes , où l'on devait


monter à cheval , ils aperçurent M. le duc de Bour
bon avec une suite assez nombreuse , M. le comte
d'Artois sauta aussitôt à terre et, allant droit à sa
personne , lui dit en souriant :
- Monsieur, le public pense que nous nous cher
chons .
Le duc de Bourbon répondit en ôtant son cha
peau :
Monsieur , je suis ici pour recevoir vos ordres.
Pour exécuter les vôtres , répliqua le comte
d'Artois ; mais avant, permettez -moi d'aller jusqu'à
ma voiture .
Et, étant retourné à son carrosse , il y prit son
épée et rejoignit le duc de Bourbon . Ils entrèrent
ensuite dans le bois , où ils firent une vingtaine de
pas. Tous deux mirent l'épée à la main , et ils al
laient commencer le combat, quand le duc, s'adres
sant à son adversaire , lui dit :
- Vous ne prenez pas garde, Monsieur, que le
soleil vous donne dans les yeux.
C'est vrai , répondit le comte ; il n'y a pas en
core de feuilles aux arbres , et il nous faudra , pour
trouver de l'ombre , aller jusqu'au mur qui est as
sez loin d'ici ; n'importe, si vous le voulez, nous
irons .

Sur ce , chacun d'eux mit son épée nue sous le


brås , et les deux princes marchèrent côte à côte , en
TRAITE DE L'ART DES ARMES . 67

causant familièrement; M. de Crussol suivant le


comte d'Artois , et M. de Vibraye le duc de Bour
bon , dont il était capitaine des gardes . Tous les as.
sistants demeurèrent à la porte des Princes.
Arrivés au mur, M. de Vibraye leur représenta
qu'ils avaient gardé leurs éperons , ce qui pourrait
les gêner. M. de Crussol ôta ceux du comte d'Ar
tois, et M. de Vibraye ceux de M. de Bourbon , -
service qui faillit lui coûter cher, car en se relevant
il fut touché sous l'oeil par la pointe de l'épée du
duc , qui la tenait, comme nous venons de le dire,
sous son bras ; un peu plus haut, il aurait eu l'oeil
crevé .
Les éperons enlevés , le duc de Bourbon demanda
au comte la permission de mettre bas son habit,
qui le gênait. Le comte d'Artois déposa alors le
sien , et l'un et l'autre ayant la poitrine découverte,
commencèrent à ferrailler. Mais , bientôt, l'impa
tience gagnant le comte , il pressa le duc pour lui
faire rompre la mesure .
Dans cet instant , M. de Bourbon chancela, et
M. de Crussol perdit de vue la pointe de l'épée du
comte d'Artois qui était passée sous le bras du duc
de Bourbon . On le crut blessé . M. de Crussol s'a
vança aussitôt pour prier les princes de s'ar
rêter .

-- Un moment, messeigneurs, leur dit-il; si vous


n'approuvez pas la représentation que je vais vous
68 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

soumettre , vous serez les maîtres de recommencer;


mais , à mon avis , en voilà quatre fois plus qu'il
n'en faut pour le fond de la querelle, et je m'en
rapporte à M. de Vibraye , dont l'opinion doit avoir
du poids en pareille matière.
Je pense absolument comme M. de Crussol,
répondit M. de Vibraye ; il y en a bien assez pour
satisfaire la délicatesse la plus scrupuleuse.
- Ce n'est pas à moi d'avoir un avis , reprit le
comte d'Artois, mais à M. le duc de Bourbon ; je
suis ici à ses ordres .
Monsieur, répliqua le duc de Bourbon , je suis
très reconnaissant de vos bontés et me déclare sa
tisfait. Je n'oublierai jamais l'honneur que vous
avez bien voulu me faire.
Les deux princes s'embrassèrent, et tout fut dit.
Immédiatement après , le comte d'Artois alla ren
dre visite à la duchesse de Bourbon .

La nouvelle de cette rencontre se répandit aussi


tôt dans Paris . La duchesse de Bourbon sortit de sa
retraite et se montra le soir même , à la Comédie
Française, où tous les spectateurs l'applaudirent
avec enthousiasme . Les Parisiens qui , de tout temps ,
ont eu la marotte de l'opposition , avaient pris cha
jeureusement parti pour les princes . Ils s'exta
siaient devant la conduite de la duchesse , devant le
langage surtout qu'on lui prêtait dans son entrevue
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 69

avec le roi. On prétendait qu'elle avait demande


réparation à Sa Majesté, non pas en sa qualité de
princesse du sang, mais comme femme et citoyenne,
qui a le droit d'être respectée partout, et principa
lement sous le masque .
Or, il n'y avait pas un seul mot de vrai dans ce
roman . La duchesse se serait bien donné de garde
de s'exposer à s'entendre dire que c'était elle qui,
la première, avait manqué aux bienséances du bal.
Le duc de Bourbon et le prince de Condé arrive
rent à leur tour à la Comédie-Française, et furent
l'objet d'une ovation encore plus retentissante que
celle de la duchesse .
Le roi , pour punir les deux combattants de leur
infraction à la loi , exila le comte d'Artois à Choisy,
et le duc de Bourbon à Chantilly; mais cet exil pour
la forme, dura très peu de jours .
Ainsi se termina cette affaire qui mit en émoi la
cour, la noblesse et la bourgeoisie, et dont l'Europe
elle-même s'occupa.

Cette brettomanie , comme nous l'avons qualifiée


devait finir cependant par perdre de son intensité.
L'influence de J.-J. Rousseau et de plusieurs autres
moralistes contribua beaucoup à hâter ce résultat.
Ces écrivains répétèrent si souvent qu'il était in
convenant de marcher toujours armé , de traîner
après soi des instruments de mort jusque dans les
70 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

réunions, dans les lieux où l'on venait pour s'amu


ser, que l'opinion publique prit le dessus .
On convint donc d'abandonner l'épée ; les duels,
surtout ceux qu'amenaient les sujets les plus frivo
les , diminuèrent dans une proportion notable.
Les Parisiennes , ajoute l'auteur que nous citons ,
se distinguèrent dans cette lutte du présent contre
le passé. Elles proscrivirent l'uniforme qui n'est de
bon goût que dans les revues ou dans les camps , et
cessèrent de paraître accorder à l'habit des préfé
rences qu'on ne doit obtenir que par son amabilité
et son seul mérite . Les militaires ne parurent donc
plus dans les salons qu'en habit bourgeois. C'était
l'expression consacrée .
Cet état de choses dura jusqu'aux approches du
grand mouvement de 89. Alors , la politique s'en
mêlant, les duels reprirent avec une certaine inten
sité . Plusieurs membres de l'Assemblée contituante
allèrent sur le pré . Barnave se battit ; Alexandre de
Lameth reçut un coup d'épée du duc de Castries ;
Mirabeau , harcelé de provocations, répondit par la
circulaire suivante aux cartels qu'on lui adressait :
« Monsieur , je vous ai mis sur ma liste ; mais je
vous préviens qu'elle est longue , et je ne saurais
faire de passe-droits. »
A la vue du territoire envahi , cette effervescence
se reporta aussitôt à la frontière. On oubliamomen
tanément les luttes personnelles pour concentrer
71
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

toute son énergie , toutes ses forces, contre l'ennemi


du dehors .
Cependant l'Assemblée législative venait d'or
donner la mise en liberté de tous les détenus pour
cause de duel . Peu de temps après la Convention
déclarait qu'il n'y avait pas lieu à délibérer contre
les combats singuliers. C'était donner carte blan
che aux duellistes . Les Muscadins de la Révolution
et du Directoire en profiterent. Nos armées , si nom
breuses alors , eurent leurs bretteurs attitrés ,
prévôts aux bras tatoués , porteurs de demi- espadon
le chef orné du fameux bonnet de police , avec une
tête de mort sur deux os en sautoir . Ils se posaient
en bourreaux des crânes. Les vieilles brisques,
dans chaque régiment, furent chargées de tâter les
nouvelles recrues .
Le duel reparut donc aussi florissant que jamais.
Officiers et soldats, tous se battaient quand l'ennemi
voulait bien leur en laisser le temps . Les généraux
eux -mêmes ne s'en faisaient pas faute. En 1802 , le
général Reynier tua le général Destaing, à la suite
d'un différend qui datait de la campagne d'Egypte .
Que d'autres exemples on pourrait citer ! Bornons
nous au suivant qui se recommande par son excen
tricité et sa longue continuité .
L'origine de ce duel remonte à 1796 , alors que
Moreau , commandant en chef de l'armée du Rhin
et Moselle, avait son quartier général à Strasbourg.
72 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Des altercations avaient eu lieu , à diverses repri


ses , entre les jeunes gens de la ville , assez mauvai
ses têtes du reste , et les officiers de la garnison .
Parmi ces derniers se faisait remarquer un jeune
capitaine de hussards, appelé Fournier, que son
mérite et son courage devaient élever plus tard
au grade de général de division .
C'était un de ces duellistes féroces, comme il y en
avait beaucoup alors , toujours en quête d'un coup
d'épée ou d'un coup de pistolet. Les Strasbourgeois
lui reprochaient à juste raison la mort de plusieurs
compatriotes , entre autres d'un nommé Blumm,
unique soutien d'une nombreuse famille, qu'il avait
froidement, atrocement tué , pour le motif le plus
frivole.

Précisément, le jour des funérailles du pauvre


Blumm , le général Moreau donnait une grande soi
rée à laquelle devait assister toute la haute bour
geoisie . Les plus simples convenances comman
daient naturellement d'épargner aux invités , amis
de la victime , la présence du meurtrier. Le général
ordonna donc à son aide de camp de ne point laisser
pénétrer Fournier.
Or, cet aide de camp était le capitaine Dupont
que ses nombreuses actions d'éclat devaient par la
suite placer au premier rang des divisionnaires de
l'armée , ct qui se vit arrété tout à coup dans sa
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 73

brillante carrière par la capitulation de Baylen .


Dupont se planta en faction et, dès qu'il vit entrer
Fournier , il l'arrêta :
- Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
- Ah ! c'est toi Dupont ? Bonsoir . Parbleul tu le
vois bien , je viens au bal .
N'as-tu pas honte de te présenter, le jour de l'en
terrement de ce malheureux Blumm? Que vont dire
ses amis ?

- Ils diront ce qu'ils voudront. Ça m'est bien


égal... Mais , au fait, de quoi te mêles-tu ?
- De ce qui préoccupe les esprits .
Les esprits ont tort . Je n'aime pas que l'on
fourre son nez dans mes affaires. Et maintenant
laisse- moi passer .
- Tu n'entreras pas .
- Pourquoi donc !
- Parce qu'il le faut. Le général te fait donner
l'ordre de rentrer chez toi .
On me chasse ?
-- Non ; c'est par précaution , par convenance .
- Sais-tu bien à quoi cela peut conduire que
d'oser mettre Fournier à la porte ?
Fais - moi grâce de tes rodomontades , et
va - t - en .
- Ecoute, dit Fournier, rouge de colère, je ne
puis mo venger sur le général qui est mon supé
rieur; mais toi , qui es mon égal et qui as consenti
74 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

à te mettre de moitié dans l'injure , tu la paieras


tout entière : nous nous battrons .
- Ecoute à ton tour , réplique Dupont : il y a pas
mal de temps déjà que tu m'ennuies ; tes façons de
spadassin ne me vont pas du tout, et j'espère bien
te donner une leçon dont tu te souviendras long
temps .
Fournier s'en alla furieux et ne dormit pas de
toute la nuit. Une seule chose put lui en faire sup
porter la longueur : l'idée qu'il tuerait Dupont.
Mais l'issue de la rencontre fut tout autre
que ce qu'il en attendait, il reçut un beau coup
d'épée .
Tu tires très bien , fit-il en tombant. Cré co
quin !
Pas mal ! comme tu vois.
Oui... mais maintenant je connais ton jeu , et
tu ne m'y reprendras pas . Je te le prouverai aussi
tôt que je serai guéri.
Tu veux donc recommencer ?
- En voilà une question !
En effet, quelques semaines après , Fournier se
retrouvait sur pied en face de son adversaire , et lui
administrait à son tour un bon coup d'épée.
- Tu vois bien, lui dit-il, que tu tiens la main
trop basse pour arriver à la parade , et qu'après
avoir paré ton coupé , j'arrive par ce contre..... qui
te met trois pouces de fer dans les côtes.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 75

Seconde manche ! s'écria Dupont..., A bientôt


la belle .

! Fournier aurait bien voulu jouer la belle au pis


tolet ; mais Dupont revendiqua le privilège militaire
qui autorise les officiers à se battre avec leurs
armes . Bien lui en prit de maintenir son droit, car
l'habileté de Fournier , devenue légendaire, était
prodigieuse. Il avait habitué son domestique
à tenir entre ses doigts une pièce de monnaie, qu'il
enlevait à vingt-cinq pas , à l'aide d'une balle . Et
souvent les hussards de son régiment qui passaient
en fumant leur brûle-gueule se le sentaient briser
entre leurs lèvres , sans se douter que ce fût le
capitaine qui s'amusait ainsi, à leurs risque et
péril.
La belle , puisqu'il faut l'appeler par son nom ,
n'amena point de résultat . Sécisif. Nos deux cham
pions s'appliquèrent réciproquement un petit coup
d'épée .
Alors ces deux excellentes têtes convinrent de
recommencer la lutte jusqu'à ce que l'un d'eux
s'avouât vaincu et renonçât à la partie. En consé
quence , ils rédigèrent le traité suivant, dont nous
avons eu la bonne fortune de pouvoir prendre
copie :
« 1º Chaque fois que MM . Dupont et Fournier se
trouveront à trente lieues de distance l'un de l'au
76 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

tre , ils franchiront chacun la moitié du chemin


pour se rencontrer l'épée à la main ;
2° Si l'un des deux contractants se trouve eni
pêché par son service , celui qui sera libre devra
parcourir la distance entière , afin de concilier les
devoirs du service et les exigences du présent
traité ;
3º Aucune excuse autre que celles résultant des
obligations militaires ne sera admise ;
4° Le présent traité étant fait de bonne foi, il
pourra être dérogé aux conditions arrêtées du con
sentement des parties. »
Ce traité a reçu sa pleine exécution . Quand les
deux fous pouvaient se joindre , ils se battaient. Il
s'en suivit la correspondance la plus drôlatique.
« Je suis invité à déjeuner par le corps d'officiers
du régiment de chasseurs en garnison à Lunéville ,
écrivait l'un d'eux ; je compte faire le voyage pour
répondre à cette aimable invitation . Puisque tu es
en congé dans cette ville , nous profiterons, si tu le
veux , de mon court séjour pour nous donner un
coup d'épée . Tout à toi. »
Ou bien encore ;
« Cher ami , je passerai à Strasbourg le 5 novem
bre prochain , vers midi. Vous voudrez bien m'at
tendre à l'hôtel des Postes . Nous nous donnerons
un coup d'épée . »
Quelquefois l'avancement de l'un des deux en
77
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

travait momentanément le cours régulier de leurs


rencontres . L'article 3 du traité enjoignait le res
pect de la hiérarchie .
Voici encore une lettre de Fournier .
« Mon cher Dupont, j'apprends que l'empereur
rendant justice à ton mérite , vient de t'accorder le
grade de général de brigade . Reçois mes sincères
félicitations au sujet d'un avancement que ton ave
nir et ton courage justifient pleinement. Il y a pour
moi un double motif de joie dans ta nomination :
d'abord la satisfaction d'une circonstance heureuse
pour toi ; ensuite la faculté qui nous est rendue de
nous donner un coup d'épée à la première occa
sion , »

L'excentricité de cette affaire, qui dura plus


de dix ans , était bien connue de toute l'armée .
Dupont et Fournier observèrent rigoureusement
les clauses du traité. Ils portaient sur le corps de
nombreuses cicatrices et n'en continuaient pas
moins à s'entre-larder avec passion . Le général
Fournier disait parfois ;
- Il est bien surprenant que moi qui tue toujours
mon homme, je ne puisse parvenir à tuer ce diable
de Dupont.
Un jour, Dupont reçoit instantanément l'ordre
de se rendre à l'armée des Grisons . Comme on ne
l'attendait pas , aucun préparatif n'avait été fait pour
78 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

le recevoir ; d'autre part, il ne se trouvait point


d'auberge dans l'endroit que l'état-major occupait.
Le général cherchait vainement à se loger, quand
il aperçut devant lui un chalet dont les fenêtres lui
parurent réfléter l'éclat d'un bon feu . Il n'hésite
pas à aller demander l'hospitalité à l'heureux pos
sesseur de cet asile, frappe à la porte et entre. Un
homme était assis devant un bureau et paraissait
absorbé par son travail. Au bruit de la serrure , il
tourna la tête, et, sans plus se déranger , s'écria
- Ah ! c'est toi , Dupont... Nous allons nous flan .
quer un coup d'épée.
- Cela va de soi , répliqua celui-ci , qui avait re
connu Fournier.
Ils se mettent en garde et continuent la conversa
tion tout en ferraillant :
- Je te croyais employé à l'intérieur, dit Four
nier .
Le ministre m'envoie au 4me corps .
- Tiens , comme ça se trouve, j'y commande la
cavalerie ... Alors tu es arrivé depuis peu ?
Je descends à l'instant de voiture .
Et tu as tout de suite pensé à moi ; comme
c'est aimable de ta part !
Cependant l'épée du général Dupont, qui venait
de traverser la partie droite du cou de Fournier,
alla se ficher dans la muraille .
- Sacredieu ! grommela celui-ci.
79
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

- Tu ne t'attendais pas à celle-là ; qu'en


dis-tu ?
Si ..... du moment que j'ai lâché ma garde, je
me suis vu pincé. Mais c'est toi qui ne t'attends
pas à ce qui va t'arriver.
L'un des interlocuteurs , pendant ce petit dialo
gue, remplissait le rôle du naturaliste, et l'autre
celui du papillon .
Que diable veux -tu qu'il m'arrive ?
- Lorsque tu te retireras , je t'allongerai un coup
dans le bas-ventre et je te tuerai.
Je l'éviterai .
- Impossible.
· Alors je ne retire pas mon épée et te laisse
cloué jusqu'à ce que tu jettes la tienne.
Sais-tu que cette position est désagréable ? dit
Fournier .
Pour toi , oui..... Jette ton arme, et je te per
mettrai de la quitter aussitôt.
Non , je veux te tuer ...
Heureusement que le bruit de la conversation
avait été entendu ; des officiers de la suite accouru
rent et séparèrent les combattants .

Dupont, qui était de beaucoup le plus raisonna


ble des deux , réfléchissait parfois à l'absurdité de
cette lutte , vieille de plusieurs années déjà ; il en
était à se demander s'il ne ferait pas bien de tuer
80 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Fournier pour en finir , d'autant qu'il allait se


marier .
Il se rendit donc un beau matin chez Four
nier.
Tu viens prendre jour, dit ce dernier en le
voyant entrer .
Peut- être bien . Mais avant tout, causons. Je
suis à la veille de me marier, et tu conçois que dans
ma nouvelle position il me sera impossible de con
tinuer la partie que nous jouons. En conséquence
je viens te proposer, en vertu de l'article 4 de
notre traité , de changer notre mode de combat, et
d'amener une dernière rencontre qui sera déci
sive .
Parle... tu m'intéresses.
Nous nous battrons au pistolet .
-
Tu n'y penses pas , s'écria Fournier... au pis
tolet !
Je sais ta merveilleuse adresse; et voici ce que
j'ai imaginé pour égaliser les chances. Un de mes
amis possède à Neuilly un clos planté d'arbres, le
quel clos est entouré d'un mur . Il existe deux por
tes, une à chaque extrémité . Nous conviendrons , du
jour et de l'heure, et nous nous rendrons séparé.
ment au clos , armés de nos pistolets d'arçon . Nous
nous chercherons et ferons feu à volonté .
- Tiens , mais c'est drôle; c'est très drôle, j'ac
cepte.
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 81 .

- Et bien ! jeudi à dix heures du matin, si tu


veux ?
Parfaitement ! c'est convenu .

Au jour et à l'heure indiqués, les deux adversai


res entraient dans le parc, Ils commencèrent à se
chercher avec une extrême prudence , s'arrêtant à
chaque pas , retenant leur souffle, pour mieux
écouter .
Ils avançaient lentement, très lentement, tenant
leurs pistolets armés à la main , l'oeil au guet, l'o
reille attentive. Au détour d'une allée, ils s'aperçu.
rent et se jetèrent avec une grande agilité derrière
un tronc d'arbre. Ils étaient dans cette position de
puis quelque temps , lorsque Dupont se résolut à
agir. Il agita d'abord délicatement le pan de sa
redingote en dehors du cercle protecteur de l'arbre
qui le couvrait; puis il avança , en le retirant aus
sitôt, le gras de son bras . Bien lui en prit, car une
balle fit voler immédiatement un large fragment
d'écorce .
Fournier avait perdu un coup .
Au bout de quelques minutes , Dupont recom
mença la même manoeuvre du côté opposé, en mon
trant le canon de son pistolet, comme s'il guettait
à son tour l'occasion de faire feu . Saisissant alors
son chapeau entre le pouce et l'index de la main
aroite, il l'éleva de côté en dehors de l'arbre. Le
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 6
82 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

chapeau fut enlevé à l'instant... par bonheur , la tête


n'était pas dedans .
Dupont sortit de son fort et marcha droit à Four
nier, qui l'attendait dans l'attitude d'un brave tel
que lui . Arrivé à deux pas, il lui dit :
- Je pourrais te brûler la cervelle , c'est mon
droit; mais je ne sais pas tuer de sang - froid un
homme sans défense : je te fais grâce de la vie.
- Comme tu voudras .
- Je t'en fais grâce pour aujourd'hui, entendons
nous bien ... Je reste maître de ma propriété , dont
je te laisse l'usufruit. Mais si jamais tu me tour
mentes , si tu viens jamais me chercher querelle , !

je te rappellerai que je suis en possession très légi +

time de deux balles à ton adresse.


Et maintenant, si tu veux , nous irons déjeuner.

On aurait peine à se faire une idée aujourd'hui


de la multiplicité et - tranchons le mot de la

sauvagerie des rencontres qui , dans les premiers


temps de la Restauration , ensanglantèrent Paris et
certaines villes de la province .
Deux partis politiques se trouvaient en présence : |
l'un qui avait sa position conquise à défendre, l'au
tre qui avait à reprendre celle dont on l'avait dé
pouillé violemment. Que l'on juge alors de l'achar
nement d'une pareille lutte, où devaient entrer tant
de passions violentes, tant de vengeances et de re
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 83

présailles , anciennes et nouvelles , qu'avivaient en


core les injures de chaque jour. Cela ne dura qu'un
moment, mais ce moment fut terrible.
A chaque heure sa provocation .
Ici , c'étaient des officiers de l'empire, revenus de
Waterloo , tout noirs de poudre encore , après avoir
fait noblement leur devoir; en face se trouvaient des
gardes du corps, non moins braves , et qui ne de
mandaient qu'à le prouver. On se mesurait du re
gard et l'on sortait pour aller sur le terrain . On en
vint même à se battre , séance tenante, dans les cafés.
Un jour, un garde du corps qui n'était pas en
uniforme, vint s'asseoir à une table, voisine de cello
d'un capitaine d'infanterie, vrai chercheur de duels .
Quelques paroles netardèrentpas à s'échanger : gros
sières de la part du capitaine; spirituelles et pleines
d'une convenance dédaigneuse de la part de son
interlocuteur.
L'insolence du spadassin s'en accrut d'autant. Il
finit par prendre un bol de punch , et le campa vio
lemment sur la tête du garde du corps . Alors ce
lui-ci ne fait qu'un bond , demande à un officier qui
avait été témoin de l'insulte , de vouloir bien lui
prêter son épée , tombe en garde , et du premier
coup traverse la poitrine de son adversaire ; il était
mort, quand on le releva.

Le café Lemblin , situé au coin de la galerie , visó


84 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

à -vis Corcelet, était alors le rendez -vous des anciens


officiers de l'empire. On y rencontrait assidûment
le général Fournier, le colonel Sauzet de l'ex- garde
impériale, le colonel Dufay, et bien d'autres encore .
Un jour, les gardes du corps s'y présentèrent en
masse, et annoncèrent qu'ils viendraient le lende
main inaugurer, au-dessus du comptoir, le buste
de Louis XVIII . Dès le matin , le café était envahi ,
à ne pouvoir s'y remuer, par une troupe d'officiers
de l'empire. Un très grand nombre , qui n'avaient
pu trouver place , remplissaient la galerie et le jar
din , attendant avec une vive impatience l'arrivée
de leurs adversaires.
Mais l'autorité avait été avertie , et les gardes con
signés.
Le colonel Dufay, très brave soldat, mais d'une
écorce tout à fait sauvage , se distinguait entre tous
par sa haine fanatique. Il avait acheté , au temps de
la vente des biens nationaux , une terre apparte
nant au comte de Saint-Maurice, alors émigré , et y
avait établi une usine. En 1816 , le comte, qui était
alors lieutenant des gardes du corps de Louis XVIII
offrit au colonel de lui racheter cette terre. Dufay
s'y refusa d'une façon peu polie. Des mots bles
sants furent échangés et une provocation s'ensuivit.
M. de Saint-Maurice déclina le cartel , en objec
tant qu'il ne pouvait se commettre avec un spe
liateur .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 85

L'affaire arriva aux oreilles de Louis XVIII , et


l'auteur de la Charte , qui comprenait mieux son
époque que tout son entourage, fit dire officieuse
ment au comte d'avoir à demander réparation par
les armes de l'outrage qui lui avait été fait.
La rencontre eut lieu derrière le cimetière de
Montmartre . On était convenu de se battre d'abord
au pistolet, et si , après l'échange de quatre balles ,
les deux adversaires étaient encore de bout, ils tire
raient l'épée.
Les quatre coups ayant été échangés sans résul.
tat, les combattants mirent aussitôt l'épée à la
main . A la troisième passe , le colonel s'étant fendu
à fond, son arme entra jusqu'à la garde dans la poi
trine de M. de Saint-Maurice, qui poussa un cri
aigu et tomba mort.
Deux heures après , le colonel Dufay dînait au
café Hardy, et montrait en riant la manche gau
che de sa chemise brûlée par l'amorce des pisto
lets qu'il avait appuyés sur ce bras pour mieux
ajuster.
« Vous voyez, disait-il en manière d'esprit, quo
nous sommes manche à manche avec Saint-Mau
rice ; mais je ne crois pas que nous jouions la
belle . »
Et le corps du malheureux qu'il venait de tuer
n'était pas encore refroidi !
Une autre fois, il provoqua un tout jeune homme
>
86 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

qui venait d'entrer aux Gardes, et n'avait pas la


moindre notion des armes . Pour égaliser les chan
ces , on eut recours à un moyen terrible . On con
vint d'enfermer les deux combattants dans un fia
cre , liés l'un à l'autre par la ceinture , avec un seul
bras resté libre, et un poignard à la main. Puis , la
nuit venue, on choisit la place du Carrousel pour
champ. Le fiacre fit trois fois le tour de la place .
Au troisième tour, le garde du corps rendait le
dernier soupir ; le colonel Dufay était grièvement
blessé .
Et voilà à quel état d'exaspération sauvage en
étaient arrivées les haines politiques !

Il y eut bien d'autres rencontres, assurément


moins horribles dans leurs détails , mais non moins
tragiques.
Bordeaux et Toulouse , plus encore que Paris
peut-être, furent le théâtre de duels incessants,
presque toujours mortels . Un royaliste qui devait
plus tard devenir ministre, fut, à Bordeaux , un
des plus fameux duellistes d'alors . Chodruc -Duclos
qui n'annonçait guère , à cette époque, le Diogène
excentrique dont la légende s'est perpétuée au Pa
lais-Royal , était aussi une des bonnes lames , un
des tireurs les plus redoutés.
Il se battit un jour , ou plutôt une nuit, dans des
conditions on ne peut plus pitoresques . Il venait
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 87

d'avoir- ou de chercher une querelle – dans le


café le plus fréquenté de la ville, juste au moment
où le maître de l'établissement commençait à faire
mettre les volets . Son adversaire lui ayant donné
rendez-vous pour le lendemain matin :
- Pourquoi demain ? dit Chodruc-Duclos, pour
quoi pas tout de suite ?
- Où cela ?... hors la ville ? C'est bien loin . Il ne
fait pas de lune... De plus, il gèle.
Non , non , sans nous déranger, sans avoir froid,
et en y voyant parfaitement clair.
- Je ne comprends pas.
- Ici même. Comprenez -vous maintenant ?
Dans ce café ? Et un terrain ? Et de l'espace ?
Le terrain le voici .
Et Chodruc désigna le billard.
- Un duel sur un billard ?
Pourquoi pas ? Il vous faut donc le Champ
de- Mars pour vous battre ? Moi ça me suffit. Ça
vous empêchera de rompre devant l'épée , cher
Monsieur .

Le sang monta au visage de l'adversaire.


-
Soit ! dit -il. Allons .
On apporta des épées , et les combattants prirent
place. Au bout d'un quart d'heure d'un engage
ment acharné , l'adversaire de Chodruc-Duclos
tombait en arrière sur le parquet , frappé au
coeur ,
88 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Que conclure de tout ceci ?


C'est qu'il est de toute nécessité d'apprendre
l'escrime, pour savoir défendre sa vie à l'occasion .
Sans doute il n'existe plus , il ne saurait plus exis
ter de spadassins venant vous . provoquer de pro
pos délibéré. Celui qui s'y risquerait aujourd'hui .
s'exposerait infailliblement à se faire casser les
reins à coups de canne ; et pas un témoin de cet acte
de bonne justice, ne s'y opposerait, pas un jury no
se rencontrerait pour le condamner.
Mais il peut malheureusement surgir telle cir
constance dans la vie, qui nous force à nous battre.
Ecoutons ce que dit à ce sujet.un historien pro
fond et sincèrement religieux, M. Guizot. Nous
ne pouvons mieux finir qu'en citant ses paroles :
« Quand l'honneur d'un homme ou d'une femme
a été atteint, il faut une réparation ... Alors le duel
devient moral et nécessaire . En vain ferez-vous
une législation , les gens de coeur s'en moque
ront. »
TRAITÉ
DE

L'ART DES ARMES

L'ÉPÉE

CHAPITRE PREMIER

L'escrime de l'épée est l'art d'attaquer et de so


défendre avec cette arme .

La Tenue de l'épée.

La manière de tenir l'épée n'est pas arbitraire. Il


faut en saisir la poignée avec la main droite , le pouco
allongé en dessus , touchant presque la coquille ,
l'index en dessous, à même distance que le pouce ;
les trois autres doigts embrassant aussi la poi
gnée, sans jamais la quitter et sans la trop serrer :
ils ne doivent servir qu'à élever ou abaisser la
pointe , à l'exclusion du poignet.
90 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Garde et l'Engagement. 1

Le premier exercice consiste à se mettre en 1

garde , puis à se développer et à se fendre.

d
fee

Fig . 1 .

Pour se mettre en garde , on se place le corps


droit, la tête et les épaules bien effacées, les deux
L'ÉPÉE . 91

talons réunis en forme d'équerre, Le bras droit ,


tendu en avant, tient l'épée abaissée vers le sol , le
bras gauche tombe naturellement le long de la
cuisse.
Telle est la première position .
Pour prendre la seconde position , on élève lo

Barc
el

Fig . 2 .

bras droit devant le corps, le coude , demi-tendu,


est rentré en dedans , le poignet à la hauteur de la
poitrine, la pointe de l'épée en ligne vis-à-vis les
yeux de l'adversaire
11

92 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .


7

On fléchit alors sur les deux jarrets et l'on porte 2

1
le pied droit en avant, à la distance de quarante-cinq 1

ou cinquante centimètres environ ; en même temps


on lance le bras gauche en arrière, la main arrondie
avec grâce , à la hauteur de la tête. Le corps doit
être en équilibre , quoique légèrement appuyé sur
1
la partie gauche.
Ainsi placé, vous pouvez joindre le fer, en ayant .

soin de maintenir scrupuleusement votre position ,


afin de fermer la ligne droite aux coups de l'adver
saire .

Le Développement et la Fente .

Maintenant il s'agit de donner à la garde l'ex


tension voulue pour atteindre son antagoniste , en
se fendant.
On allonge complètement le bras droit, le poi
gnet à la hauteur de la tête, la pointe de l'épée en
face de la poitrine opposée ; puis on lance le pied
droit en avant, le genou perpendiculaire à la che
ville, la jambe gauche tendue , mais sans raideur,
le pied restant bien à plat afin de maintenir l'équi
libre. Le bras gauche retombe le long de la cuisse
sans y adhérer, la main est ouverte , les doigts réu
nis , à l'exception du pouce , ainsi qu'on le peut
voir :
Pour se relever , on rejette le haut du corps en
L'ÉPÉE . 93

arrière en s'appuyant vigoureusement sur les reins ,


sans bouger le pied gauche, et l'on reprend de tous
points les positions de la garde précédente. Ce mou
vement de retour doit être exécuté d'un seul temps
et avec toute la rapidité possible.

Fig, 3.

Les Appels .

Ne pas oublier, en se relevant, de frapper du pied


droit pour s'assurer de l'aplomb du corps :
Par de fréquents appels le sol interrogé,
Vous répond que le corps ne s'est pas dérangé.
Les appels ont encore un autre but, celui de dé
94 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

tourner l'attention de l'adversaire. Ils figurent dans


le salut des armes et de l'assaut.

Les Marches et les Retraites.

Les marches et les retraites sont une conséquence


de la garde offensive et de la garde défensive. On
se porte en avant ou en arrière , selon les exigences
de la situation .
Dans le premier cas , on avance le pied droit de
la longueur d'une semelle à chaque pas , et aussitôt
on fait suivre d'autant le pied gauche.
Dans le second cas , on ramène en arrière le pied
gauche, en le faisant suivre aussitôt du pied droit
et en observant toujours la distance des deux se
melles . Cette dernière prescription est de rigueur
pour conserver la tenue du corps et de l'épée.

Les Lignes.

On donne co nom aux diverses positions de l'épée


engagée.
Il y a la ligne de Droite ou du dehors ; la ligne de
Gauche ou du dedans . Ce sont les deux seules lignes
d'engagement .
Si la pointe est plus haute que la main , c'est la
ligne Haute ; si le contraire a lieu , c'est la ligne
Basse . Ces lignes sont celles dans lesquelles on tire.
L'ÉPÉE . 95

De l'Engagement et du Double engagement.

L'engagement est la jonction des deux fers.


Pour faire un engagement ou un changement
d'engagement, on baisse la pointe de l'épée et on la
passe le plus près possible dans l'arme de l'adver
saire. L'engagement et le changement d'engage
ment ont lieu de pied ferme (1) ou en marchant.
Ainsi que son nom l'indique, le double engage
ment consiste en deux engagements consécutifs, le :
premier commençant dans la ligne opposée à celle
où l'on se trouve , le second servant de parade au
premier.
Le double engagement a lieu aussi de pied ferme
ou en marchant ; mais , dans ce dernier cas,la mar
che doit être terminée au moment de l'exécution
du deuxième engagement.

Le Doigté .

Pour conduire finement son épée, on ne se ser


vira que des doigts seuls , sans recourir au poignet.
C'est ce qu'on appelle le Doigté.
( 1) Tirer de picd ferme, c'est tirer de sa place, sans marcher
ni rompre .
CHAPITRE II

L'ATTAQUE

L'attaque est l'action d'un ou de plusieurs mou


vements faits en vue d'atteindre son adversaire .
Le coup porté peut être : 1° Un coup simple, -
Coup droit, Dégagement, Coupé; 2° Un coup com
posé de plusieurs mouvements , dont la dénomina
tion dépend de la parade employée ; 3. Un coup
1

simple ou composé , précédé d'un battement, d'une


pression ou d'un liement.
L'attaque a lieu : 1 ° De pied ferme ou en mar
chant, après un ou deux engagements; 2º Après
une parade ; - alors elle prend le nom de Riposte.
Elle peut être faite : 1° Sur un ou deux engage
ments ; 2º Sur la marche directe ou précédée d'un
ou de deux engagements ; 3. Sur une absence d'épée
après la parade, -c'est ce qu'on appelle la Remise ;
4º Sur une parade sans riposte , - c'est la Reprise;
5 ° Sur une absence d'épée, sur une feinte trop large,
ou une attaque directe en ligne basse ; – dans ce
1
cas, on la nomme Temps.
Elle doit être exécutée dans la ligne haute , et
pourra l'être dans la ligne basse quand, par une
1
L'ÉPÉE . 97

ieinte, un battement ou une pression on aura d'a


bord ébranlé l'épée opposée dans la ligne haute.
La parade se fait par une opposition ou un
contre,

Les Feintes .

Les feintes jouent un grand rôle dans l'escrime.


Elles varient à l'infini, et leur nomenclature seule
remplirait un volume. Nous ne parlerons que des
principales .
En thèse générale, la feinte est un coup simulé
avec l'intention d'attirer l'épée de l'adversaire dans
une autre direction que celle où l'on veut frapper.
Elle doit donc être faite de manière à être prise
pour le coup lui-même, pour le coup réel.

Le Coup droit et sa Feinte.

Étant donné que la ligne droite est le plus court


chemin d'un point à un autre , il s'ensuit que le
coup droit constitue la meilleure des attaques.
Dès qu'on aperçoit un jour dans la ligne d'enga
gement, il faut laisser retomber le bras gauche et
se fendre, en ayant soin d'élever et de maintenir la
main droite dans la ligne afin de rester couvert.
La feinte du coup droit ou coulé s'exécute comme
le coup lui-même, mais sans se fendre .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMAS . 7
98 TRAITÉ DE L ART DES ARMES .

Dégagements et Coupés , Feintes.

Dégager, c'est passer l'épée, à l'aide des doigts ,


dans une ligne opposée à celle où l'on est. Ce mou
vement doit se faire avec promptitude , en serrant
de très près le fer adverse .
Le dégagement s'opère en dessous.
Le coupé, qui n'est qu'un dégagement, s'opère
en dessus .
Quant aux feintes , elles s'exécutent comme le
coup , sans se fendre .
Le coupé s'emploie plutôt en Riposte , et réussit
plus facilement s'il est exécuté de volée ( ou à la
mouche) , c'est-à-dire en profitant de la parade pour
ramener la main en arrière , passer par - dessus la
pointe et toucher dans la ligne opposée.

Le Battement et la Pression.

Le battement se fait en frappant à plat, avec le


fort ou le , faible ( 1 ) de sa lame, un coup plus ou
moins fort sur la lame opposée : c'est un moyen de
l'ébranler et de se faciliter un coup d'attaque ou
une riposte .

(1) Le fort est la partie la plus rapprochée de la monture,


le faible est celle qui s'en éloigne le plus.
L'ÉPÉE, 99

La pression consiste à peser sur l'épée ennemie,


afin de la faire dévier de la ligne qu'elle occupe.
Avoir soin de maintenir toujours sa pointe vis-à
vis de la figure de l'assaillant.

Le Liement et sa feinte .

Le liement s'exécute du fort au faible, en enve


loppant d'un cercle l'épée de l'opposant. On s'en
rend maître par cette pression continue, et l'on tire
au corps, sans abandonner le fer.
La feinte se fait comme le liement , sans se
fendre .

Le Dérobement et sa feinte .

Après une feinte, un battement ou une pression ,


baisser la pointe de l'épée pour dégager, fendez
vous et touchez dans la ligne basse du même côté
en élevant le poignet le plus possible.
La feinte s'exécute comme le dérobement, moins
la fente, et en se tenant en mesure de fermer la ligne
haute .
Se maintenir toujours du même côté ; l'attaque et
la parade ne nécessitant pas alors de déplacement
de poignet, se font avec plus de facilité.
100 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Remise et Reprise.

La remise, c'est quand on n'a pas touché ; re


mettre aussitôt son épée en ligne, sans se relever.
La reprise , c'est continuer l'attaque, étant fendu,
quand on ne voit pas venir la riposte.
Cela s'appelle aussi Redoubler.

Coup de Temps et coup d'Arrêt.

Le coup de temps , un des plus beaux des armes


quand il est bien exécuté, est un coup droit porté
à l'agresseur pour l'arrêter dans l'exécution de sa
feinte ou de son attaque réelle. Il se fait de pied
ferme ou en se fendant.
On le nomme coup d'Arrêt quand il est pris dans
la marche de l'adversaire.
CHAPITRE III

LES PARADES

C'est l'action de détourner de son corps le fer


ennemi. Elle peut être faite :
1° En opposition directe ou Opposition, lors
qu'elle chasse l'épée dans la même ligne où elle se
présente.
2° En opposition contraire ou Contre, lorsqu'elle
va chercher l'épée dans la ligne où elle se trouve
pour la pousser dans la ligne opposée.
L'Opposition se prend : 1 ° de la ligne haute à la
ligne haute ; 2º de la ligne basse à la ligne basse ;
3º de la ligne haute à la ligne basse du même côté,
et réciproquement.
Le Contre se prend :
1° De la ligne haute à la ligne haute; 2º de la ligne
basse à la ligne basse .
La parade s'exécute toujours du fort au faible et
chasse l'épée adverse :
1° En l'accompagnant, c'est- à -dire en la détour
nant du corps sans secousse et par l'action seule du
poignet, les trois derniers doigts venant ensuite ,
en agissant sur la pointe, aider à la déplacer com
102 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

plètement sans cesser de la maintenir : en propres


termes , c'est Opposer ;
2º Sans l'accompagner, c'est-à-dire en la de
tournant, pour faciliter la riposte, par un batte
ment sec fait à l'aide du doigté , le poignet et la
pointe de l'épée s'arrêtant avec fermeté, mais sans
raideur, à la position définie ci -dessus , pour être
rigoureusement couvert : proprement dit , c'est
Parer .
On oppose sur les feintes; on pare sur des finales
(coups portés).
Le contraire peut avoir lieu également, mais offre
plus de difficultés.
1
Il y a huit parades qui ont, chacune , son contre :
La Prime, la Seconde, la Tierce, la Quarte , la
Quinte, la Sixte, le Demi-cercle et l'Octave .

La Prime.

La parade de prime se fait en élevant la main


très haut, vis-à-vis le front de manière à voir l'ad
versaire dans la ligne au-dessous de celle qu'occupe
votre épée. La position de celle-ci doit être à peu
près horizontale .
La risposte a lieu de gauche à droite .
.4
Fig
104 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Seconde.

Pour prendre la parade de seconde, ayez les on


gles en dessous, le poignet placé plus bas que l'arme
adverse, la pointe tenue horizontalement, un peu
plus haute que le poignet , dans la direction du corps
et passant du dehors au dedans.

1
.5Fig
106 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Tierce.

Pour la tierce, vous portez la pointe haute en de


hors, à la hauteur de la tête de l'agresseur, la paume
de la main en dessous .
Evitez soigneusement le moindre écart de la
main , vu le peu de prise que présente l'adversaire
de ce côté ; au dedans des armes, on serait trop à
découvert.
6
.Fig
108 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Quarto .

La parade de quarte doit être prise, la main lé


gèrement inclinée vers le sol, les ongles en dessous,
la pointe vis-à-vis de l'oeil droit de l'adversaire. On
s'en sert contre tous les coups du dedans des armes;
c'est pourquoi l'on ne saurait maintenir avec trop
le fermeté son arme dans la ligne qu'elle occupe.
.
.7
Fig
110 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Quinte .

Dans la parade de quinte , tenez la main basse


fortement inclinée vers la terre, l'épée horizontale
et transversale au corps, et tirez dans la ligne , à la
hauteur indiquée par la position .
Cette parade s'emploie contre les mauvais jeux et
coups fourrés.

1
.8
FIG
112 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

La Sixte.

On pare la sixte en dehors , la main à droite, le


pouce de ce côté,les doigts légèrementen dessus, la
pointe de l'épée à hauteur et vis-à-vis l'oeil droit.
Cette position bien en ligne facilite les ripostes
Fig
9.

1712

TRAITÉ DE L'ART DES ARMES. 8


114 TRAITÉ DE L'ART DES ARNES .

Le Demi-Cercle .

Le demi -cercle s'effectue, la main tournée les


ongles en dessus, la pointe un peu haute, horizon
talement placée dans la direction du corps , le poi
gnet exécutant le mouvement de droite à gauche ,
tout en se maintenant à la même hauteur.
Cette parade est très usitée et offre de grandes
ressources. Combinée avec le contre de quarte, elle
parcourt toutes les lignes.
.10
.Fig
116 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

L'Octave .

L'octave est parée , le dos de la main en dessous ,


le poignet plus bas que l'épée opposée, la pointe
au corps un peu plus haute que le poignet. Au
moyen de cette parade , on détourne les coups qu'on
peut nous porter, en trompant le demi-cercle, aussi
bien que ceux qu'on lance en dehors et au-dessous
des armes .
Généralement c'est avec le fort de l'épée que l'on
exécute les parades, même celles de l'opposition.
1
1.Fig
ITRE
CHAPITRD IV

RIPOSTES ET CONTRE - RIPOSTES

La riposte est le coup qui suit la parade. Elle a


l'avantage d'être faite dans le moment le plus
favorable, c'est-à-dire quand l'adversaire, ayant
épuisé ses moyens d'attaque , s'inquiète de la re
traite .

Nous n'entrerons pas dans la nomenclature et


l'explication des coups de riposte et de contre-ri
poste, qui sont les mêmes . Ce serait un travailinu .
tile et fastidieux : fastidieux, pour les amateurs ,
pour ceux qui savent; inutile, pour les personnes
étrangères à l'art de l'escrime , qui n'y compren
draient rien .
CHAPITRE V

CONTRES ET DOUBLES -CONTRES

Le Contre est un cercle que la pointe de l'épée


parcourt dans tout son développement, en prenant
la garde comme point de départ. C'est une excel
lente parade à opposer aux coups, que l'on n'a pas
su prévoir, et qui viennent vous assaillir à l'im
proviste.
La double-contre, ainsi que l'indique son nom ,
est la répétition du contre; il défend des attaques
bien mieux encore que le contre ordinaire.
Tous deux ont cela d'avantageux que l'on rencon
tre l'épée ennemie dans plus de lignes, et qu'on
reprend l'attaque dans celle où l'adversaire est le
moins couvert.
On ne saurait trop recommander l'exercice des
contres et des doubles-contres comme moyen de
donner à la main lajustesse et la vitesse, deux qua
lités indispensables pour bien parer.
CHAPITRE VI

LE MUR ET LE SALUT

Le mur est un exercice qui dispose à l'assaut ; il


en est le prélude adopté par l'usage.
Le mur doit être tiré et composé strictement. Ja
mais Saint-Georges n'a manqué à cette règle. Quand
il se remettait aux armes , il tirait aussi lentement
que possible, pour bien rétablir l'ensemble des
mouvements et les bien sentir; voici en quoi ils
consistent :
On exécute quelques dégagements et parades
simples avec vitesse et précision , le plus près pos
sible de l'épée ennemie , en se couvrant et en allon
geant le bras. Le corps suit immédiatement.
L'adversaire pare , au moyen de tierce et de quarte ,
chaque dégagement qui , après son exécution , né
cessite une retraite. En se remettant en garde , il
doit attendre la pression de l'épée opposée pour re
partir dans la ligne contraire .
Lorsque celui qui tire le mur veut s'arrêter, il se
place en garde, fait deux appels et se découvre, en
portant la main en tierce . Son adversaire est ainsi
L'ÉPÉE . 121

prévenu de prendre à son tour sa mesure (1 ) et de


répéter l'exercice, que les deux tireurs terminent
par un dégagement réciproque dans les armes.
Quant aux saluts , marque de politesse et de dé
férence à l'égard du public et de chaque adversaire,
ils sont au nombre de trois . Leur cérémonial s'ap
prend à la salle d'armes.

( 1 ) La distance voulue pour alteindre son adversaire.


DU MUR A TOUCHER

La haute importance de l'exercice du mur à tou


cher , -importance reconnue par tous les maîtres ,
nous engage à consacrer à cet exercice un chapi
tre à part .
Le mur à toucher, comme nous l'avons déjà dit,
est ce qu'il y a de plus essentiel et de plus beau
dans les armes . Le bien tirer est le fini, la perfec
tion de l'art, auxquels on ne peut atteindre sans
connaître et suivre les principes qui y conduisent.
Quelques préceptes et conseils à ce sujet :
L'écolier arrivé au degré d'instruction voulue
pour tirer le mur à toucher , c'est - à - dire quand il
est bien assoupli , qu'il a la retenue du corps exigée,
que sa main passe bien la première, peut commen
cer à s'y exercer. La plus grande difficulté à sur
monter pour les tireurs , est le départ de la main la
première. Quand on voit un élève retirer son bras
dans l'exercice du mur, on peut se dire qu'il n'est
pas en état. Il faut l'exercer de nouveau en détail ,
à l'imitation des plus forts tireurs . Saint-Georges,
lui-même , quand il se remettait aux armes , tirait le
plus lentement possible pour bien rétablir l'ensem
ble des mouvements , et les bien sentir.
L'ÉPÉE . 123

Entrons maintenant dans le vif de la question :


Deux élèves sont en présence . Celui qui se met à
tirer commence par déployer quelques coups en
détail pour s'assouplir et mettre le juste ensemble
dans ses mouvements . A cet effet, il passe la main ,
la tourne, l'enlève , et prend l'opposition sans tirer.
Quand il sera juste en mesure et à portée de tou
cher , il se mettra en garde ; l'engagement en quarte
ou en tierce une fois posé , il ne doit plus remuer,
La garde doit être une garde d'assaut.
Il faut que le corps soit bien assis sur la partie
gauche, que les hanches soient effacées pour pro
duire la vitesse du développement. Plus le jarret
gauche est ployé , plus il fait ressort, et plus vite il
chasse le corps. Le bras , la main assouplis , doivent
être continuellement relâchés et placés demi-tierce.
La main dans cette position en a plus de tour et de
jet , eten conséquence l'action acquiert plus de vi
tesse. La pointe doit être légère et basse, afin de
n'avoir que le bouton à passer.
Si l'épée est engagée en quarte pour tirer dessus
les armes, le pareur doit prendre le fer du tireur
près du bouton avec son fort, mais doucement et
légèrement sans prendre de point d'appui . Il aura
l'attention de donner un peu de jour. Cependantil en
donnera plus ou moins , selon la force du tireur.
Comme c'est un jeu de convention , si l'on ne don
nait pas de jour, il ne serait pas possible de tou
124 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

cher : la ligne d'opposition y mettrait empêchement.


Le tireur doit attendre que son fer soit jointpour
ne pas surprendre. Aussitôt les fleurets croisés , le
tireur passe son bouton, en frisant très près du fer
et en y mettant autant de légèreté que de vitesse.
L'élévation de la main doit être au plus haut , en
tournant les ongles au plus vite ; le pied droit rasera
le sol , et à l'instant où il se détachera de terre , le
jarret gauche sera tendu et fera l'arc. Le pareur tour
nera la main tierce au plus vite , ce qui formera l'an
gle, et maîtrisera de son fort le faible de son adver
saire. La main seule doit agir.
Si le départ est précédé du moindre petit mouve
ment, ce n'est plus là tirer le mur franchement, cela
constitue une feinte . Il faut alors recomencer le
coup jusqu'à ce qu'il soit développé en toute fran
chise ; car le plus faible mouvement ébranlant un
pareur, il n'y aurait pas de mérite à le toucher, puis
qu'il y aurait surprise.
Après plusieurs coups tirés , comme la main
baisse et que les jambes perdent leur ensemble, il
faut revenir à tirer le mur en détail afin de regagner
la précision et l'harmonie de tous les mouvements.
A cet effet, passez la main en tournant bien les
ongles, enlevez, baissez le bras gauche, laissez la
pointe au corps, le tout sans tirer ; ne négligez pas
non plus d'assouplir et de faire jouer les bras pour
vous donner de la facilité dans le développement.
L'ÉPÉE . 125

Que le pied gauche surtout ne bouge pas, et ne


retarde pas ainsi la rapidité du développement. La
partie gauche ne peut faire deux choses à la fois :
tendre le jarret et lever le pied ou le tourner. Il
faut donc ne s'occuper uniquement que de cette
tension du jarret, puisque d'elle dépendent la chasse
du corps et l'élastique rapidité du développement,
après l'élévation de la main .
Le pareur n'est pas plus dispensé que le tireur de
faire preuve de régularité . Il doit être ferme sur ses
jambes , ne pas s'ébranler. S'il retire le corps en
parant, ou tourne l'épaule droite à droite , c'est ne
plus parer, mais s'esquiver ; alors il devient impos
sible de le toucher, attendu que le tireur n'a que
bien juste la mesure nécessaire pour l'atteindre , et
que lui , pareur, par ses faux mouvements et retrai
tes de corps , laisse l'agresseur à trente centimètres
au moins de distance .
Il faut donc avoir soin que le pareur soit lui
même placé régulièrement , pour trouver, en s'exer
çant aux parades du mur, les moyens de s'y affermir
et d'acquérir du coup d'oeil. En prenant le fer en
quarte sur les armes , qu'il pare la quarte en dedans
uniquement de la main ; que , pour parer tierce, il
ne fasse que la tourner au plus vite pour former
l'angle .
La tierce ou le coup sur les armes est plus diffi
cile à parer au mur à toucher , parce que le tourné
126 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

de la main la rend plus lente qu'à la parade do


quarte en dedans . Par cette raison , et parce que le
dessus offre plus de difficultés dans la défense con
tre une main légère , on tient plus communément
dans l'assaut le fer en dedans .
Celui qui devra parer quarte en dedans laisse
mettre le tireur en garde , l'épée en avant. Quant à
lui , il s'affermira sur ses jambes ; car, pour parer
comme pour tirer , la position est la même , le corps
plutôt un peu en avant qu'en arrière pour avoir
plus de solidité. Il prendra le fer en quarte sur les
armes , la main ni tierce ni quarte , mais les ongles
légèrement tournés en dessus , afin que la main ait
plus de tour et de jeu pour parer.
A peine le tireur, dont l'épée est tenue légèrement
et sans appui, en quarte sur les armes , passe le bou
ton pour développer quarte en dedans, que le pa
reur détermine sa parade en tournant les ongles
demi-tierce, et formant l'angle pour maîtriser le
fer de son fort. Dans cette parade, la main seule
agira. Le pareur comme le tireur doit s'occuper
d'assouplir son bras et sa main , et d'y apporter
beaucoup de liant.
Il faut plutôt se décider à être touché que recou
rir à des moyens contraires aux principes.
CHAPITRE VII

L'ASSAUT

L'assaut n'est que le résumé des leçons d'armes,


la mise à exécution des meilleurs moyens d'atta
que et de parade que l'on a appris à la salle. C'est
une haute école d'ensemble où viennent se mesurer
tour à tour les divers jeux. On apprend à les con
naître tous , à en saisir le fort et le faible , et l'on
arrive ainsi à redresser, à perfectionner son propre
jeu , surtout à le varier.
L'assaut est donc une étude sérieuse , un exercice
très utile. Quant à sa pratique matérielle, elle est
toute d'opportunité.L'on ne doit s'y livrer que quand
toutes les parties du corps y ont été bien dressées
et pour ainsi dire brisées ; en d'autres termes,
quand la main et les jambes ont acquis l'ensemble
et la précision indispensables à la bonne exécution.
Somme toute, la leçon et l'assaut ne se peuvent se
parer l'une de l'autre.
La leçon est l'étude de l'art; l'assaut en est l'expres.
sion plus ou moins exacte, plus ou moins régulière,
Aussi la leçon est-elle appelée à rectifier les défauts
pris à l'assaut, par suite de l'entrainement, de la
128 TRAITE DE L'ART DES ARMES .

grande vivacité que l'on y apporte. Elle vient res


serrer le jeu de la pointe, replacer le corps dans sa
position normale , remettre enfin de l'ensemble dans
tous les mouvements .

C'est par la leçon seule que l'on arrive à la per.


fection des armes : aussi ne faut-il jamais cesser de
plastronner, le seul moyen, au dire des maîtres les
plus illustres , de conserver la science déjà acquise
et de lui faire faire de nouveaux progrès.

Conseils et Aphorismes.

1º Avoir beaucoup de sang-froid , ne se laisser


jamais emporter.
2° Se mettre en garde hors de portée peur éviter
toute surprise, mais toujours en croisant le fer.
3º Marcher à petits pas, toujours prêt à la parade,
pour se mettre à portée et attaquer plus facilement.
Observer une grande retenue de corps.
4° Dans le doute de ce qui va se passer, se tenir
prêt à rompre en parant pour étudier l'adversaire.
5° Rompre pour fuir un danger réel, ou 'pour
exciter à marcher et attaquer à la marche.
6° Attaquer plutôt par des coups simples directs
ou précédés d'un battement ou d'une pression , et
autant que possible sur préparations, telles que :
Engagements, Marches, Remise en garde après
L'ÉPÉE . 129

l'attaque, Absence d'épée soit en attaque , soit en


parade.
N'attaquer par des coups composés que lorsque
des coups simples ou des feintes bien prononcés
auront obligé à la parade et, par ce fait, détruiront
la pensée d'un coup d'arrêt.
70 Ne jamais attaquer pour redoubler, à moins
que l'absence de la riposte ne motive la reprise de
l'attaque.
8° N'employer la fausse attaque que si l'on tend
l'épée , soit pour prendre le temps, soit pour gêner
par une attaque ou par une fausse attaque.
9° Faire craindre le côté opposé à celui où l'on
veut attaquer .
10 ° Dans tous les mouvements d'attaque comme
dans ceux de la parade , avoir toujours la pointe
fixée au corps , de préférence au visage.
11° Se relever vivement , que le coup ait touché ,
ou non , pour prendre plus facilement la défensive,
et surtout pour éviter le corps à corps.
12° Parer en variant souvent . Le simple est ce
qu'il y a de plus commode , mais il ébranle facile
ment la main; le contre donne plus de stabilité et
ramène si l'on s'est écarté .
13º Riposter toujours après la parade seulement,
et non quand on l'exécute. La riposte simple est la
meilleure; elle arrive le plus vite et empêche la
Remise et la Reprise .
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES , 9
130 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

14° Il ne faut jamais courir , ni sauter en avant


ou en arrière .

Règles à observer pendant l'assaut.

ARTICLE PREMIER .

Ne pas tirer sans avoir joint l'épée.

ARTICLE II .

Ne jamais appuyer sur le coup lorsqu'on a tou


ché, et ne jamais l'accentuer par des cris de mau
vais goût.

ARTICLE III.

Ne pas riposter si la parade a désarmé l'adver


saire, sauf le cas de la riposte du tac au tac, c'est-à
dire du coup droit.

ARTICLE IV .

Ne jamais demander si le coup porté a touché ;


chaque fois qu'on est frappé, le déclarer loyale
ment.
ARTICLE V.

Ne pas discuter en tirant ; laisser l'appréciation


et la décision des coups à la galerie.
L'ÉPÉE . 131

ARTICLE VI .

Ne pas se plaindre du jeu d'un adversaire ; s'il


fatigue ou ne convient pas , prendre un prétexte
honnête pour terminer l'assaut.

Voici , à titre de curiosité , la Regle établie au


XVII° siècle et qui faisait autorité dans toutes les
Académies du royaume .

RÈGLE
QUE L'ON DOIT OBSERVER DANS LES ACADÉMIES DE L'ESPÉE
SÇAVOIR :

Ne point jurer le saint nom de Dieu .


Ne point dire de paroles ni de chansons indé
centes .

Ne point badiner, attendu que les suites en sont


ordinairement fâcheuses .
Ne point railler personne sur le fait des armes.
Ne point tirer l'espée dans la salle d'armes.
Ne point tirer des armes sans être gantés.
Ne point tirer des armes l'espée au côté.
Ne point troubler ceux qui tirent des armes .
Ne point traîner le bouton du fleuret à terre .
Faire politesse aux personnes présentables qui
viennent dans la salle , et leur offrir des fleurets,
sous l'agrément du maître .
132 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES

Les fleurets cassés seront pour le compte des es


coliers qui les auront présentés aux étrangers pour
faire assaut .

Les fleurets qui seront cassés par les escoliers


d'une même salle seront payés par celui entre les
mains duquel le tronçon sera resté.
En tirant des armes , lorsqu'on fait tomber le
fleuret de son adversaire, il faut le ramasser promp
tement et le lui remettre en main avec politesse.
Si , malheureusement, en tirant des armes on se
frappait au visage , celui qui donne le coup doit faire
honnesteté à l'autre .
Il faut que l'escolier prenne sa leçon d'arme
sans interruption , attendu qu'elle ne dure à peu
près que le temps d'une affaire sérieuse.
L'escolier doit payer les fleurets qui se cassent,
lorsqu'il s'exerce contre le maître ou contre les pré
vôts de salle .
Et, enfin , il est de l'honneur de l'escolier de payer
régulièrement le prix convenu .

Exposé aux yeux de tous dans un cadre en per


manence , cet Avis , qu'on avait eu bien soin de
placer sous l'égide de l'honneur, rappelait sans
cesse les pauvres Escoliers à l'exécution de leurs
engagements . C'était un véritable coup de maître
qui frappait en pleine poitrine sur la poche du
gilet.
.

---

LE SABRE

CHAPITRE PREMIER

L'escrime du sabre est l'art de combattre avec la


pointe et le tranchant de l'arme .
Le jeu du sabre n'est pas aussi savant, aussi com
pliqué que le jeu de l'épée , qui compte huit posi
tions , tandis que lui n'en a que quatre . Sa garde
est bien moins difficile, ses poses et ses mouvements
moins gracieux, sa rapidité moins grande , puisque
l'exécution exige deux temps - lever et donner le
coup . Malgré cette infériorité, le contre-pointeur
peut cependant avoir un avantage sur le tireur d'é
pée , en lui portant fréquemment des coups de man
chette en retraite.

Manière de tenir le Sabre.

Saisir la poignée de la main droite , les ongles


en dessous , le pouce allongé sur le dos du sabre et
)
touchant presque la garde, les quatre autres doigts
réunis en -dessous et serrant légèrement la poignée ,
134 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

le tranchant à droite , le talon de l'arme en dehors


et sur le côté du poignet.
Dans cette position, on fait un demi-à -gauche,
en maintenant la tête directe , les pieds en équerre
et les talons unis , le bras droit allongé en avant et
détaché du corps , la pointe du sabre à huit centi .
mètres environ du sol , l'avant- bras gauche joint
au corps et ployé en arrière .

La Garde.

Pour se mettre en garde, on élève le sabre , le


bras allongé , la main à hauteur des yeux ; puis on
plie la saignée du bras droit, de manière que la
main soit à hauteur du sein droit, le poignet vis - à
vis l'épaule droite , le coude en dehors à droite et
un peu détaché du corps , la pointe du sabre à hau
teur des yeux. Ce mouvement doit être précédé de
deux brisés, dont le premier à gauche.
Maintenant on fléchit sur les jambes, on avance
le pied droit, et l'on exécute , d'après les principes
prescrits à l'enseignement de l'escrimeà l'épée :
1° La Marche ;
2° L'Appel ;
3° Le Rassemblement;
4° La Fente .

La marche, en combattant de l'épée , se fait du


LE SABRE . 13.5

pied droit ; au sabre, il est mieux de la commencer


du pied gauche.
La fente est toujours précédée du déploiement
du bras fait à l'aide d'un brisé, d'un moulinet ou
d'un enlevé .

Échapper la jambe.

Les coups portés sur la jambe ou la cuisse ne


sont pas parés avec le sabre, mais bien en échap
pant , c'est-à-dire en portant vivement la jambe
droite tendue en arrière , le pied à trente-trois cen
mètres environ , le talon en l'air.
Les coups portés directement à la tête peuvent
être parés de la même manière et en arrêtant l’a
vant-bras pour plus de sûreté , par un enlevé à
droite, tout en revenant à la parade de tête.

Les Brisés.

Les brisés sont, avec les moulinets et les enlevés,


un des exercices préliminaires de l'exercice du
sabre ; c'est une façon d'assouplir le bras et le poi.
gnet. Voici comment ils s'exécutent :
Vous étendez le bras droit en avant, la main à
hauteur de l'épaule , les ongles en dessous (ou en
dessus) , vous faites décrire au sabre un cercle en
136 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

arrière , à gauche (ou à droite) , de bas en haut, en


ouvrant légèrement les doigts , le poignet aidant au
mouvement , et vous replacez la main , le pouce en
dessus, le tranchant du sabre en dessous.

Les Moulinets .

Il faut, pour les moulinets comme pour les bri


sés , étendre le bras droit en avant, faire décrire au
sabre , horizontalement au-dessus de sa tête , un
cercle de gauche à droite (ou de droite à gauche),
en ouvrant légèrement les doigts , le poignet aidant
au mouvement , et replacer la main , les ongles en
dessus ( ou en dessous) , le tranchant du sabre à
gauche (ou à droite .

Les Enlevés .

De même que dans les brisés , on étend le bras


droit en avant ; on fait décrire au sabre un cercle
en arrière, à gauche (ou à droite) , de haut en bas ,
en ouvrant légèrement les doigts , le poignet aidant
au mouvement, et l'on replace la main le pouce en
dessous , le tranchant du sabre en dessus .
LE SABRE . 137

L'Engagement et les Lignes.

Joignez le fer, tranchant contre tranchant, en


portant le poignet à droite (ou à gauche) , la main
les ongles en dessous (ou en dessus) pour se cou
vrir .
Des deux engagements , celui de droite, par la
position de la main , facilitant l'attaque et surtout
la défense de la ligne basse, a le plus d'applica
tion .
Les coups et les parades sont démontrés en par
tant de l'engagement de droite.
Consulter, pour la définition des lignes, l'ensei
gnement de l'escrime à l'épée.
CHAPITRE II

L'ATTAQUE

L'attaque peut être faite par un coup simple ou


par un coup composé ne dépassant pas trois mou
vements .
Les coups simples sont portés :
Par un Brisé , pour les coups de tête ou de ban
derole ;
Par un Moulinet, pour les coups de figure à
droite et à gauche;
Par un Enlevé, pour les coups de flanc, de ven
tre, de manchette (avant-bras) et de pointe.
La feinte sert à former les coups composés ; elle
s'exécute comme le coup lui-même , mais sans se
fendre .

Le coup de Tête .

Exécutez un brisé en arrière à gauche, et dé


ployez le bras en arrêtant le sabre à hauteur du
sommet de la tête , le tranchant en avant.
LE SABRE, 139

Le coup de Banderole .

Exécutez un brisé en arrière à gauche, et dé


ployez le bras en arrêtant le sabre à hauteur de
l'épaule , le tranchant en avant de manière à diriger
le coup diagonalement de droite à gauche .

Le coup de Figure à droite.

Exécutez un moulinet de droite à gauche, et dé


ployez le bras en arrêtant le sabre à hauteur de la
figure, le tranchant à droite, la main les ongles en
dessous .

Le coup de Figure à gauche.

Exécutez un moulinet de gauche à droite , et dé


ployez le bras en arrêtant le sabre à hauteur de la
figure, le tranchant à gauche , la main les ongles
en dessus .

i
Le coup de Flanc .

Exécutez un enlevé en arrière à gauche, et dé


ployez le bras en arrêtant le sabre à hauteur du
flanc, le tranchant en dessus , la main ayant le pouce
légèrement à gauche .
140
O TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Le coup de Ventre.

Exécutez un enlevé en arrière à droite, déployez


le bras en arrêtant le sabre à hauteur du ventre, le
tranchant en dessus, la main ayant le pouce légè
rement à droite.

Le coup de Manchette.

Exécutez un enlevé en arrière à droite , et arrêtez


le sabre vis-à-vis le milieu du corps , le tranchant
en dessus , le pouce légèrement à droite ; dirigez
l'enlevé de manière à empêcher, en arrêtant l'avant
bras, l'exécution d'un coup de tête.

Le coup de pointe .

Baissez la pointe du sabre à hauteur de la poi .


trine et déployez le bras en tournant la main , le
pouce en dessous, le tranchant du sabre en dessus .
CHAPITRE III

LA PARADE

La parade est toujours faite par opposition du


tranchant au tranchant et laisse le sabre du côté
où il se présente, tout en le chassant du corps sans
l'accompagner .
Elle se divise :
1 ° En parade de tête (comprenant la tête et la
figure ) ;
2° En parade de corps (comprenant la bande
role, le ventre, le flanc et la pointe).
Pour la Tête , on élève le bras droit en tournant
la main , les ongles en avant, et l'on place le sabre
horizontalement un peu en avant et à hauteur du
sommet de la tête, le tranchant en dessus .
Pour la Figure à droite jou à gauche) , on porte
le poignet à droite (ou à gauche) vis-à-vis et à
dix centimètres du sein , la lame du sabre légère
ment inclinée en avant, le tranchant à droite (ou à
gauche) .
Pour la Banderole ou le Ventre, on élève le
bras droit, le coude en dehors , en ployant la sai
gnée et plaçant l'avant-bras horizontalement devant
142 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

le corps et à hauteur de l'épaule, la main les ongles


en avant et vis-à-vis le milieu du corps , la pointe
du sabre basse, la lame à dix centimètres environ
du corps , le tranchant à gauche.
Pour le Flanc , vous portez le poignet en dehors
et à droite en pliant légèrement la saignée, le coude
et la main à hauteur de l'épaule , la pointe du sabro
basse, la lame à trente-trois centimètres environ
du corps, le tranchant à droite.
Pour la Pointe, il faut baisser brusquement le
poignet de manière à croiser le sabre opposé et à le
chasser par un battement sec, sans l'accompagner,
vers la partie gauche et inférieure du corps.

1
CHAPITRE IV

LA RIPOSTE

La riposte peut se faire par les mêmes coups que


l'attaque.
Elle doit être dirigée sur côté du corps décou
vert, tout en garantissant le plus possible le côté
attaqué ; on l'exécute de la manière suivante :
A une attaque à la tête vous ripostez de la pointe
( ventre ou flanc) .
A une attaque à la figure à droite, vous ripostez
à la figure à gauche (ou flanc ).
A une attaque à la figure à gauche, vous ripos
tez à la figure à droite (ou ventre) .
A une attaque à la banderole (ou ventre ), vous
ripostez à la tête (ou à la banderole).
A une attaque au flanc, vous ripostez à la tête
(ou figure à droite ou ventre) .
A une attaque de la pointe, vous ripostez à la tête
à la figure à droite (ou tête) .
Nota . — Ces mêmes coups peuvent être portés
en contre -riposte.
Elle s'exécute aussi en tournant, après la parade,
le poignet sur place sans quitter le sabre opposé,
144 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

pour mettre de nouveau le tranchant en avant et


doubler le coup de sabre de la façon suivante :
A une attaque à la figure à gauche , on riposte à
la figure à droite et à la banderole.
A une attaque à la figure à droite , on riposte à
la figure à gauche et au flanc.
A une attaque au flanc, on riposte au ventre et à
la figure à droite.
A une attaque à la banderole, on riposte au flanc
et à la figure à gauche.
Nota . Ces mêmes coups peuvent être portés
en contre - riposte.
ws
i
CHAPITRE V
I
L'ASSAUT

Il faut s'attacher à donner les coups de sabre par


des mouvements rapprochés du corps , de manière
à déranger le moins possible le poignet de la ligne
et à porter le coup avec légèreté.
Après avoir touché, on doit retirer vivement le
sabre en arrière, en lui imprimant une direction
oblique dans le sens du tranchant, de manière à
scier.

Le Salut.

Voici l'ordre prescrit pour le Salut qui précède


l'Assaut :

1º Exécuter un enlevé à gauche en se fendant;


2º Revenir à la position du premier mouvement
de la garde ;
3° Se mettre en garde ;
4° Rassembler en avant en croisant les fers ;
5º Exécuter deux changements de garde ;
6 ° Echapper en arrière ;
7° Deux appels ;
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 10
146 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

8° Inviter à l'attaque par ces mots : A vous l'hon.


neur, et se laisser toucher, ou répondre : Par
obéissance , se fendre en portant un coup de flanc
( ou de pointe) et se relever en garde ;
11° Saluer à droite en rassemblant en arrière ;
12 ° Saluer devant soi .
LA CANNE

Ces deux exercices ont naturellement leur place


à la suite d'un Traité de l'Art des armes , le pre
mier surtout qui n'est qu'une dérivation de l'épée .
On sait l'utilité incontestable qu'exerce l'escrime
sur le développement des forces et l'entretien de la
santé ; il en est de même du Jeu de la Canne et de
la Boxe française.
Celui qui les pratique subit au bout de quelques
mois une transformation complète. Ses muscles ,
tous les ressorts de son être y participent ; les bras
et les jambes acquièrent une grande vigueur et
une souplesse égale , les reins une admirable élas 1

ticité . Les épaules se fortifient, la poitrine s'élargit ;


en un mot, toute l'économie du corps s'en ressent :
Son attitude , sa démarche, en deviennent plus
libres et plus élégantes.
Depuis que la canne s'est substituée au port de
l'épée , elle a pris une large place dans notre exis
tence . Elle nous accompagne partout, dans nos
promenades, dans nos excursions les plus lointai.
nes ; elle fait partie intégrante de notre costume,
148 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

et n'en est pas l'ornement le moins recherché.


Nous entrons avec elle dans les salons , et il n'y a

U N N I
M

Fig. 12.

pas bien longtemps que nous la portions avec nous


dans les théâtres
LA CANNE . 149

Son origine est des plus aristocratiques ; elle re


monte très haut .
Dans les premiers temps de la monarchie, on se
servait de la canne comme d'un instrument de
combat. La Constitution de Charlemagne , insérée
dans la loi des Lombards , nous apprend que le
duel avec la canne était le seul qui fut toléré
alors .
A l'époque des Croisades, on appelait Jeu de
cannes une sorte de tournoi où l'on employait, en
guise de lance, des bâtons légers ou des cannes de
jonc.
Les preux de la Féodalité ne tardèrent pas à y
substituer le fer ; ils se battirent entre eux avec
leurs armes respectives — l'épée ou la lance . Quant
aux Vilains , ce privilège leur étant interdit, ils
continuèrent à vider leurs querelles avec la canne.
Le jeu actuel n'est donc que la continuation per
fectionnée de l'ancien bâton d'armes . Cette escrime
dont les principes sont analogues à ceux de l'épée ,
est beaucoup plus savante qu'on ne le pense. Elle
se compose en presque totalité de mouvements
doubles , accompagnés de parades et de ripostes.
En voici les principaux :
Les Voltiges, ou coups portés en marchant, qui
forcent l'adversaire à la retraite ;
La Rose couverte, ou mouvement de rotation
imprimé à la canne autour de la tête, et exécuté
150 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

par une telle vitesse que cette partie du corps so


trouve comme abritée sous un bouclier impéné
trable ;
Les Fouettés, ou coups à l'aide desquels on se
forme une espèce de ceinture qui est également
impénétrable.
La vitesse du bâtonniste tient vraiment du pro.
dige ; il peut porter ou tirer plus de cent coups à
la minute . Aussi la canne est-elle sans contredit
l'arme la plus dangereuse , la plus redoutable qui
existe . Rien ne peut contre elle ? ni la taille la plus
avantageuse, ni la force physique la plus dévelop
pée , ni la baïonnette , ni le demi- espadon avec ses
nombreux moulinets , serrés et fouettés si vigou
reusement. Bien plus , un fort tireur se défendra
avec avantage contre trois et même contre quatre
adversaires à la fois . La balle seule peut avoir rai
son de la canne .
LA BOXE FRANÇAISE

La Boxe française n'a pas eu de commencements


bien nobles . On ne la voit figurer ni dans les Capi.
tulaires de Charlemagne, ni dans les Croisades.
Elle est née vers 1832 , de l'ignoble savate que pra
tiquaient les souteneurs de filles et les habitués des
cabarets et des bals de la barrière.
Voici en quoi consistait cet exercice de bas
étage :
La garde était très basse, les jambes écartées , les
mains en avant et ouvertes . Les savatiers n'usaient
guère que du pied , bas et du ramassement de la
jambe ; ils ne connaissaient pas les coups de pied
de poitrine et de flanc ; ils frappaient peu avec le
poing , tout au plus relevaient-ils parfois le nez de
leur adversaire avec la paume de la main , се

qui s'appelait : Donner une musette .


Tout cela laissait beaucoup à désirer ; ce n'était
pas de l'art.
Un maître ès-savate , Charles Lecour, qui débu
tait alors (en 1832) , eut le bon esprit de comprendre
ce qu'un pareil jeu avait de défectueux et d'incom
152 , TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

plet . Il résolut d'y apporter une réforme radicale et


s'en occupa sérieusement.

Fig . 13 .

Un jour, comme on lui parlait de la boxe anglaise,


après avoir écouté avec beaucoup d'attention , il se
LA BOXE FRANÇAISE . 153

dit que la solution du problème était peut- être là,


et il établit sur cette base ses calculs théoriques.
Alexandre Dumas, père , a raconté la chose dans un
de ses ouvrages ; nous ne pouvons mieux faire que
d'emprunter son récit :
« L'Anglais , dans la boxe - la boxe est la savate
de l'Angleterre - a perfectionné l'usage des bras
et des poings, tandis qu'il n'a considéré les jambes
et les pieds que comme des ressorts destinés à rap
procher le boxeur de son adversaire.
« Tout ou contraire, dans la savate, qui est la
boxe de la France, le parisien avait fait de la jambe
et du pied les agents principaux, ne considérant les
mains que comme armes défensives.
« Il en résulte que l'Anglais perd toute la res
source qu'il peut tirer des pieds, tandis que le
Français perdait toute l'aide qu'il pouvait espérer
des mains .
« Charles Lecour rêva cette grande entreprise ,
cette splendide utopie , ce suprême perfectionnement
de fondre ensemble la boxe et la savate .
« Il partit pour l'Angleterre , et, sans leur dire
qui il était, il prit, comme un élève ordinaire, des
leçons de Swift et d'Adams, les deux premiers
boxeurs de Londres .
« Puis, lorsque l'écolier se sentit maître , il revint
à Paris et mit sa théorie en pratique .
Charles Lecour ouvrit une salle qui fut très fré
154 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

quentée. D'autres professeurs l'imitèrent, et il se


forma un grand nombre de tireurs qui assurèrent
à la nouvelle Ecole une supériorité incontestable.
Sa période la plus éclatante se place entre 1845 et
1855 , lors des assauts publics organisés par les
deux frères Charles et Hubert Lecour, et aussi par
Leboucher , de Rouen .
Parmi les célébrités qui brillèrent au premier
rang , il faut citer - Charles Ducros , Rambaud dit
la Résistance, et Vigneron , bien connu sous le nom
de l'Homme-Canon.
Charles Ducros professe encore à l'heure qu'il est,
et tire parfois en public la boxe anglaise dont il
s'est fait une spécialité . C'est le seul de nos profes
seurs qui ait pu se mesurer avec les boxeurs anglais ;
il lui est même arrivé de faire jeu égal avec le
fameux Crible , de Londres .
Pour nous résumer, disons que la boxe française
présente un système complet de défense personnelle.
Elle ne se borne plus au seul travail des jambes ;
toute une partie de son art est consacrée aux exer
cices de la boxe anglaise , une autre aux prises de
corps et aux coups de lutte . Enfin , c'est la fusion
des deux systèmes anglo -français réalisée, après
de longues méditations , par Charles Lecour, avec
tous les perfectionnements que la pratique et une
expérience de plusieurs années ont pu y ap
porter.
LA BOXE FRANÇAISE . 155

A parité de forces physiques entre deux cham


pions, dont l'un ferait usage de la boxe anglaise, et
l'autre de la boxe française, nous n'hésiterions pas
un seul instant à nous engager pour celui-ci.
EXPLICATION
DE QUELQUES TERMES

Appel , Battement du pied droit dans la même place .


Aller à l'épée . C'est suivre l'épée adverse dans tous
ses mouvements , quels qu'ils soient.

Avoir de la main . Cela veut dire tromper les para


des finement et avec adresse .

Avoir de l'épaule. C'est faire tous les mouve


ments avec cette partie du corps . Ces mouve
ments sont larges , faciles à juger, et par consé
quent lents ; c'est un des plus grands défauts .
Avoir des jambes . Signifie étre toujours prêt à par
tir , étant bien ployé et sous soi ; être stable et
ferme sur le pied gauche qui ne doit pas bouger
dans le développement ni dans la garde.
Avoir de la tête . Offrir peu de prise , profiter des
moindres avantages, méditer une combinaison
ettromper son adversaire pour la faire réussir ;
juger le jeu de celui-ci et le combattre en consé
quence : tout cela s'appelle avoir de la tête .
158 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Avoir des doigts . Se dit du jeu que doivent avoir


les doigts à mesure que la main s'enlève en dé
ployant un coup , ou en se replaçant.
Le fleuret doit toujours jouer dans les doigts .
Lorsqu'on dit d'un tireur qu'il n'a pas de doigts,
on entend qu'il serre trop le fleuret dans l'éléva
tion de la main ; la pointe perd ainsi la direction
du corps .

Assaillant . Celui des deux tireurs qui commenco


l'attaque.
Assiette . Mauvaise locution qui signifie aplomb.
Attaque . C'est partir sur son adversaire , afin de
l'atteindre par un ou plusieurs mouvements, soit
de picd ferme, scit après la parade, ou étant
fendu .

Battement. On frappe à plat avec le fort ou le fai


ble de la lame , un coup plus ou moins fort sur
celle de l'adversaire .

Botte . C'est le coup touché. Alors pourquoi ne pa i


dire tout simplement le coup ? Botte est ridicule
Caver , ou tirer en cavant . C'est tirer sans opposi
tion pour faire gagner la pointe au corps indé
pendamment de la parade. Le tireur court risquc
de s'enferrer lui-même, faute d'avoir opposé .
Chaque coup doit avoir l'opposition du même
coup.
EXPLICATION DE QUELQUES TERMES . 159

Changement . On appelle changement une feinte de


dégagé qui se fait sans extension du bras , par
conséquent sans avancer la pointe de la lame .
Changer l'épée . N'est autre chose que changer l'en
gagement .
Chasser les mouches. S'entend des mouvements
irréguliers, lorsqu'au lieu de prendre des contro
ou toute autre parade double, on pare à l'aven .
ture à droite ou à gauche .
Coulé . C'est faire suivre l'épée tout le long de celle
de l'adversaire , sans battements ni froissements .

Coupě . Changement de ligne en passant l'épée par


dessus la pointe de celle de l'adversaire, en tirant
au corps .

Couronnement. Coupé qui passe par-dessus la têtc ,


et qui vient se fixer dans le haut de la ligne ou
dans le bas , par le coup de seconde.
Coup d'arrêt . C'est détourner le coup de son advcr.
saire, ou l'empêcher de marcher sur vous.

Coup de temps . Coup pris d'opposition sur un dé


veloppement : un des plus beaux coups d'armes

Coup sur le temps. Ce qu'il y a de plus vicieux


dans les armes, est de tirer dans tous les temps
100 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

qu'on peut faire sans s'occuper de l'opposition :


cela conduit au coup pour coup .
1

Coup droit. C'est faire parcourir la ligne occupée


du haut en bas d'un seul trait, soit de pied ferme ,
soit après la parade , ou , étant fendu , en tirant
au corps .

Coup pour coup. Se dit de deux tireurs qui tou


chent ensemble . Il n'y a pas de plus grand dé
faut dans les armes , dont le principe consiste à
toucher et à n'être pas touché .

Coup jugé. C'est quand on a deviné le coup de son


adversairo .

Coup passé . Quand on a mal dirigé sa pointe en ti.


rant au corps .

Se croiserou'être croisé . C'est ne pas être en ligne ,


ayant lo pied droit trop en dedans, ce qui fait
perdre l'aplomb du corps , et aussi la direction de
la pointe.

Découvert. "On est à découvert lorsqu'on offre un


1
jour plus ou moins grand à l'épée ennemie . C'est
donc une faute si elle résulte de la négligence,
maisc'est parfois aussi une ruse pour tromper
son adversaire et l'attirer dans le piège.
Dégagement. Changer de ligne en passant l'épée

1
EXPLICATION DE QUELQUES TERMES . 161

par dessous ou par dessus le poignet de l'adver


saire, en tirant au corps.

Donner l'épée . C'est placer franchement son épée


dans les bonnes lignes où l'adversaire puisse la
joindre sans s'écarter.

Ebranler. C'est forcer l'adversaire à rompre en dé


sordre et sans mesure , ou lui faire prendre des
parades incertaines.
S'ébranler. C'est ne pas maintenir les positions du
corps ou de la main ; c'est manquer de présence
d'esprit et chercher en désordre l'épée de son ad
versaire .

S'écraser. Se dit du tireur qui, après le coup porté,


pousse le genou droit en avant, laisse tomber le
corps et soulève le pied gauche. Ces mouve
ments font perdre du temps, ils exposent à la ri
poste avant qu'on ne soit remis en garde.
S'enferrer. Se jeter sur l'épée de son adversaire,
sans l'avoir détournée de la ligne. C'est le résul
tat de mauvais principes, ou de trop de fougue
et de précipitation .
Eperonner. Mouvement qui se fait comme si l'on
voulait donner un coup d'éperon ; c'est un temps
perdu et une faute grave.
Ferrailler. Se dit d'un tireur qui, manquant de
TRAITÉ DE L'ART DES ARMES . 11
162 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES.

principes, tire mal, qui agit sans discernement,


ne s'occupe qu'à toucher sans s'inquiéter de la
qualité des coups et des suites qu'ils peuvent
avoir .

Froissement. C'est parer en frappant le fer de l'en


nemi, et en glissant dessus, du faible au fort.
Jeu . On dit avoir un beau ou vilain jeu, selon
qu'on tire d'après les règles, ou contrairement
&ux principes de l'escrime.

Jeu simple de l'offensive. C'est quand on porte un


coup à son adversaire .

Jeu compliqué de l'offensive. Quand on l'attaque


par plusieurs feintes avant le coup .
Jeu simple de la défensive. C'est éviter l'épée par
parades simples.
Jeu compliqué de la défensive. Il consiste à pren
dre plusieurs parades à la fois, dans quelque
direction que ce soit.
Jeu léger de l'offensive. C'est tromper l'épée avec
finesse et légèreté, en opposant avec élévation la
main dans la ligne attaquée.
Jeu léger de la défensive. C'est éviter l'épée par des
oppositions .
Liement. C'est tourner l'épée tout autour de celle
de l'adversaire par une pression continuelle, pour
EXPLICATION DE QUELQUES TERMES . 163

reprendre la ligne de l'engagement dans le haut


ou dans le bas, en tirant au corps, sans abandon
ner l'épée .
Etre en ligne . S'entend de deux manières : 1° quand
, on est campé sur ses jambes selon les règles, l'é
pée menaçante pour l'adversaire; 2º de deux ti
reurs qui sont parfaitement vis- à - vis l'un de
l'autre .

Se loger. C'est gagner la mesure par finesse, ou en


d'autres termes, s'approcher de l'adversaire sans
qu'il s'en aperçoive.
Main dure. Quand on emploie trop de force.
Main légère. Se dit d'une pointe toujours près du
passage de l'épée, qui se sent à peine sur les en
gagements, et qui se dérobe à la moindre pres
sion ou au moindre mouvement de l'adversaire.
Marcher ou gagner la mesure. C'est porter en
avant le pied droit, et le faire suivre du gauche,
en observant d'un pied à l'autre la même distance
que dans la garde.
Trop marcher, trop serrer . Se dit des personnes
qui , ne sachant pas tirer de leur place, ni em
ployer les moyens de longueur dont elles sont
susceptibles, sans remuer le pied gauche , appro
chent l'adversaire de très près. Cette manière a
des inconvénients graves .
164 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES .

Mesure. La distance convenable que l'on prend


pour atteindre l'adversaire .

Parade . C'est empêcher, par une opposition quel


conque , que l'épée adverse ne vous atteigne au
corps.

Parer en tranchant le fer . C'est parer avec les on


gles tout à fait tournés en dessous pour écarter
le fer en formant un grand angle. Cette parade
est bonne contre tous ceux qui tirent bas , des
sous la main, surtout au mur à toucher. On l'em
ploie en parant le coup de tierce et de quarte en
dedans , maîtrisant ainsi le faible de l'adversaire
sous le fort.

Partir du corps. Défaut très général et compromet


tant. Il faut que la main précède toujours le dé
part du corps, autrement le bouton donne dans la
garde du pareur, ou bien le faible du tireur reste
dans le fort du pareur .
Plastronner. Prendre leçon d'armes , parer les coups
du maître, l'attaquer de coups simples et de coups
compliqués, tromper toutes les parades, etc.
Pression. C'est peser plus ou moins fort sur l'épée
adverse.

Redoubler . S'entend de celui qui tire plusieurs coups


de suite sans se relever. Cela pèche contre la grâce
et l'art des armes.
EXPLICATION DE QUELQUES TERMES . 165

Se relever. C'est reprendre la même position que


l'on avait avant de se fendre.

Retraite de corps. On feint de se relever en jetant


le haut du corps en arrière et l'on fait une se
conde attaque.
!
Riposter. C'est rendre le coup après la parade.
Riposte en temps perdu. Si après la parade il n'y
a pas d'écart, il faut attendre la retraite ; c'est ce
que l'on nomme perdre un temps. Il serait dan
gereux de riposter, l'adversaire pouvant remettre
l'épée au corps . On attend donc la retraite pour
tromper le fer.
Rompre , ou rompre la mesure. C'est reculer le pied
gauche, et ramener de suite le droit. Cela se fait
sans s'écarter de la ligne.
Sauter. Se disait autrefois des personnes qui , en le
vant le pied trop haut, au lieu de raser le sol , per
daient ainsi du temps , dérangeaient leur corps et
ralentissaient le développement. Aujourd'hui cer
tains tireurs font un véritable bond en s'enlevant
sur les deux pieds ,soit pour se porter en avant ou
en arrière. Dans le premiercas, on s'expose; dans le
second, on se prive presque toujours de la riposte.
Tac d'épée. C'est rendre la riposte aussitôt après la
parade, dans la même ligne, d'un seul trait et
sans changer de position .
166 TRAITÉ DE L'ART DES ARMES ,

Tacau tac. C'est la riposte après avoir paré celle de


l'adversaire toujours dans la même ligne, et étant
: fendu ,
Tirer dans le fer. C'est tirer dans la ligne où l'ad
versaire est couvert, au lieu de tirer dans le jour
qu'il présente. Faute commune aux commen
çants .
Tirer des feintes. C'est faire tout ce qui vient à
l'idée, et selon la possibilité.
Tour d'épée (Un) . C'est passer l'épée par-dessus la
pointe de celle de son adversaire, puis revenir
dans la ligne de l'engagement , en tirant au
corps .

Tours d'épée (Deux). C'est passer deux fois par-des


sus la pointe de l'épée de son adversaire, en tirant
au corps .
1
Tromper la parade. C'est éviter , en attaquant,
l'épée ennemie .
Volter. Les voltes sont excellentes dans l'escrime
1
du sabre, d'autant qu'elles n'empêchent pas de
continuer à sabrer après les avoir faites. Mais, à
l'épée on fera bien d'y renoncer.
TABLE

Précis historique. 5
L'épée . : 89
Le sabre . 133
La canne. 147
La boxe française. . 151
Vocabulaire . 157

>> RIS . - TP . V. GOUPY ET JOURDAN , RUE DE RENNES, 71


HE
QU
BLIOTH E
Q

17. III. 1932


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