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N CAL/S : 1190 xpf et A/ 2090 xpf – POL/A : 2290 xpf –

N° 637 Décembre 2022


BEL/LUX : 8.50 € - CH : 13.30 FS – CAN : 13.40 $cad –
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À l’assaut
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de l’Atlantique
L 19853 - 637 S - F: 7,80 € - RD

Archives secrètes Environnement De Marmier Fournier RF4

Un “Transall” Le vrai bilan As en 1914-1918, Une élégance


pour la guerre carbone Gaulliste de la rétro dans l’air
psychologique des meetings première heure du temps
SOMMAIRE N° 637/DÉCEMBRE 2022
Eco-responsable

E
t si l’aviation était éco-responsable ? Voilà
un ton bien provocateur me direz-vous.
Et pourtant, contrairement à ce que cer-
tains prétendent en vociférant ici et là, le grand
monde de l’aviation prend en compte les consi-
dérations écologiques actuelles. Attention,
pas de baguette magique pour tout transfor-
mer immédiatement, mais de réels efforts dont
les fruits arriveront à maturité dans des pers-
pectives proches. C’est un nouveau défi pour
Un duo de Fournier
Le Ha 139 Nordmeer catapulté l’aviation, pour laquelle l’innovation est au cœur dans l’air du temps…
au large de New York. même de son ADN. Le Fana se devait de contri-
B O
Composition de Julien Lepelletier. buer au débat avec un dossier circonstancié,
ASTIEN TELLI

chiffré, autour des meetings aériens. De quoi dépasser les polémiques stériles.
Que tout ceci ne vous fasse pas oublier de passer de bonnes fêtes de fin d’année.
Je vous souhaite une bonne lecture. Le Fana

Espace Clichy, immeuble SIRIUS


9, allée Jean-Prouvé. 92587 CLICHY CEDEX
E-mail : redac_fana@editions-lariviere.com
PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SURVEILLANCE
Patrick Casasnovas 4 Actualités 66
Guerre de l’information
PRÉSIDENTE DU DIRECTOIRE
Stéphanie Casasnovas
Un “Transall”
DIRECTEUR GÉNÉRAL
Frédéric de Watrigant 10 Courrier en opérations
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
ET RESPONSABLE DE LA RÉDACTION :
Patrick Casasnovas 12 Livres psychologiques
ÉDITEUR : Karim Khaldi
Présentation du projet secret
RÉDACTION
Tél. : 01 41 40 34 22
Rédacteur en chef : Alexis Rocher 13 Abonnements de transformation du “Transall”
pour mener la guerre de l’information.
Rédacteur en chef adjoint : Xavier Méal
Rédacteur graphiste : François Herbet,
Secrétaire de rédaction : Antoine Finck Les Blohm & Voss Ha 139
Secrétariat : Nadine Gayraud 18 70
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(réservé aux diffuseurs et dépositaires)
À la conquête Des canards
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Tél. : 01 41 40 56 95
de l’Atlantique nord pour le delta
IMPRESSION : Imprimerie Compiègne. La compétition fait rage pour la conquête Quel empennage canard adopter
Avenue Berthelot 60200 Compiègne.
Papier issu de forêts de l’Atlantique dans les années 1930. pour améliorer un “Mirage” III ?
gérées durablement. Les Allemands alignent le Ha 139.
Origine du papier : Présentation des recettes possibles.
Allemagne. Taux
de fibres recyclées :
Lionel de Marmier
63 %. Certification :
PEFC/EU ECO LABEL. 30 Un dessin, une histoire
Eutrophisation :
0,003 kg/tonne.
Un destin exceptionnel 78 Lanceur d’“Exocet”
As en 1914-1918, Lionel de Marmier Le “Super Frelon”
retrouve les combats en 1939
puis meurt pour la France en 1944. irakien Rejoignez
Le Fana
Les Irakiens trouvent avec sur Facebook
DIFFUSION : MLP La réalité des chiffres le “Super Frelon” le premier
Printed in France/Imprimé en France
40 lanceur de missiles “Exocet” pour
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La vérité sur attaquer le trafic maritime iranien.
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l’empreinte écologique
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ABONNEMENTS Quand est-il vraiment de l’empreinte Six boîtes à commander au père Noël.
ET VENTE PAR CORRESPONDANCE carbone des meetings, chiffres à l’appui ?
(ANCIENS NOS/DOCAVIA/MINIDOCAVIA)
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France : 1 an soit 12 nos + 2 HS : 93,50 €
Grâce et sobriété
Autres pays et par avion : nous consulter
Correspondance : Fana de l’Aviation, Un duo de Fournier RF4 voltigeur
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45, avenue du Général Leclerc
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12, rue Mozart, 92587 CLICHY CEDEX léger à l’USAF. Il prend du poids… au Fana de l’Aviation
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pour intégrer l’US Navy. ■ Pilote de “Sabre” 6
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des textes et illustrations publiés dans Le Fana ■ Le Roland irakien
de l’Aviation, est interdite sans accord préalable
de l’éditeur. La rédaction n’est pas responsable Présence d’un feuillet A5 sur le portefeuille abonnés ■ Les avions REP
des textes et illustrations qui lui sont envoyés
sous la seule initiative de leurs expéditeurs. XCXC
ACTUALITES

Tragédie au Wing over Dallas Airshow :


un P-63 percute un B-17 en vol
Le 12 novembre dernier, voltige sur Bell P-63 “Kingcobra”, P-51 le P-63F étaient la propriété de son
sur l’aérodrome Dallas “Mustang”, T-6 “Texan”/SNJ/“Harvard”, il American Airpower Heritage Museum.
Executive, à Dallas au Texas, était également qualifié sur P-39 et P-40, Le P-63F matricule 43-11719 était le seul
le Bell P-63F “Kingcobra” matricule entre autres. Ce pilote aux 35 000 heures survivant des deux P-63F construits ; il
43-11719, immatriculé N6763, a percuté de vol se préparait à prendre sa retraite de n’avait pas connu le feu des combats mais
en vol le Boeing B-17G “Flying Fortress” commandant de bord pour United Airlines. était demeuré comme avion d’essais chez
immatriculé N7227C et baptisé Texas Aux commandes du B-17 se trouvaient Bell Aircraft. Il était mis en œuvre par le
Raider, lors du Wings Over Dallas Len Root et Terry Barker, tous deux pilotes P-63 Sponsor Group de la CAF, depuis
Airshow. Deux formations – une de trois de lignes en retraite d’American Airlines. l’aéroport de Conroe, au nord de Houston.
bombardiers (B-17, B-24, B-25) et une de Terry Barker, 67 ans, était un ancien pilote Le B-17 était mis en œuvre par le Gulf
trois chasseurs (deux P-51 et le P-63) – militaire d’hélicoptère. Ils étaient assistés Coast Wing, également depuis l’aéroport
venaient d’effectuer une missing man durant la présentation en vol par Curtis J. de Conroe ; il prenait régulièrement part au
formation (patrouille en hommage aux Rowe, Kevin Michels et Dan Ragan. spectacle Tora Tora Tora de la CAF, un ballet
pilotes disparus au combat) regroupées La CAF tenait pour la septième fois savamment orchestré de près d’une dizaine
en une formation unique, puis s’étaient consécutive, sur cet aéroport de Dallas d’avions évoquant l’attaque japonaise
séparées pour revenir effectuer des Executive, son meeting annuel Wings sur Pearl Harbor du 7 décembre 1941.
passages parallèles à la ligne du public. over Dallas ; elle y a établi son quartier Le National Transport Safety Board
Le B-17 effectuait son passage quand il général en 2016. Elle est le plus important (NTSB, équivalent américain du Bureau Ci-dessous,
a été dépassé par sa gauche, à bonne opérateur au monde d’avions de collections, d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité le Bell P-63F
distance, par deux “Mustang” l’un derrière avec 180 machines, pour la plupart datant de l’aviation civile) a commencé une N6763
l’autre, suivis avec un peu de décalage, de la Deuxième Guerre mondiale, réparties enquête quelques heures après l’accident. avec Craig
Hutain aux
tant en temps qu’en trajectoire, du P-63. dans plusieurs dizaines de filiales, aux Le rapport préliminaire devrait être publié
commandes.
La trajectoire de ce dernier, décalée sur sa États-Unis mais aussi dans d’autres pays vers la fin de cette année, le rapport
En bas, le B-17
droite par rapport à celle des “Mustang”, dont la France. Le B-17 Texas Raider et définitif dans plusieurs mois.
Texas Raider.
l’a amené au-dessus du bombardier et il
a alors resserré son virage en descendant
légèrement. Le chasseur a percuté le flanc
gauche du B-17, à la jonction entre le bord
de fuite de l’aile et du fuselage. Alors que
le P-63 se désintégrait, le B-17 a été coupé
en deux et s’est écrasé en feu, comme
le P-63F. Ni l’équipage du B-17 ni le pilote
du P-63F n’ont survécu. Les deux avions
ont été totalement détruits. L’accident n’a
causé aucun blessé ni dégâts au sol.
Le pilote du P-63F était Craig Hutain,
63 ans, un vétéran du pilotage de warbirds,
notamment avec le groupe Tora Tora
Tora de la Commemorative Air Force
(CAF) au sein duquel il pilotait la réplique
de bombardier-torpilleur “Val”. Titulaire
d’une autorisation de présentation en DR

DR

4
En bref
Le KF Aerospace Center Catherine Maunoury de retour
aux commandes de l’AéCF
for Excellence inauguré Le 7 novembre dernier, le conseil d’administration de l’Aéro-

à Kelowna, le premier vol Club de France (AéCF) a élu son nouveau bureau, et a confié
le poste de présidente à Catherine Maunoury. Le président
sortant, Patrick Gandil, extrêmement occupé par son poste
de son “Tempest” très attendu au Conseil d’État, n’a pas souhaité se représenter après
seulement une année de présidence. Catherine Maunoury,
Le 30 août dernier, le KF Aerospace Center for Excellence dix fois championne de France et deux fois championne du
(Centre d’excellence de KF Aerospace) a été inauguré à monde de voltige, également ancienne directrice du musée
Kelowna, au sud de la province de la Colombie-Britannique au de l’Air et de l’Espace, a déjà occupé cette fonction de 2016
Canada. Le KF Aerospace Center for Excellence est un projet hérité à 2021. Lors de ses deux précédents mandats, elle avait
du fondateur et président de KF Aerospace, Barry Lapointe. Son engagé et encouragé plusieurs actions pour la conservation
bâtiment ultramoderne en bois massif de 5 600 m2 a été conçu pour du patrimoine ainsi que des projets tournés vers l’avenir
de l’aéronautique. Ses vice-présidents sont Odile Cherel,
Philippe Lacroute et Hugues Duval.

KF AEROSPACE
Le DC-3,
évoquer le fuselage et les ailes d’un avion ; il est à la fois un musée le “Tempest”
PHILIPPE CHETAIL
et un centre pédagogique, ainsi qu’un centre de conférence. et le
Le bâtiment est constitué de deux hangars (les ailes) présentant “Mosquito” Une hélice de la Deuxième Guerre
une collection d’avions, tandis que le corps du bâtiment dans leur
(le fuselage) abrite une exposition interactive qui raconte l’histoire hangar du mondiale exhumée du sol lors
de l’aviation dans la vallée de l’Okanagan (où est située Kelowna), KF Aerospace de travaux à Trouville-sur-Mer
une galerie d’observation de l’aérodrome et des salles de Center for
conférence-réception pour les entreprises et les événements. Excellence.
La collection est composée du De Havilland “Mosquito” B.35
matricule VR796, du Conair-Convair CV580 immatriculé C-FKFA
(code de fuselage T452), du DC-3C Odyssey 86 immatriculé C-FGXW,
et du très attendu Hawker “Tempest” Mk II matricule MW376.
Le Convair CV580 T452 de la société Conair est arrivé deux jours
avant l’inauguration, en vol. En 2000, KF Aerospace (alors Kelowna Le Hawker
Flightcraft) avait formé une coentreprise avec Conair pour modifier “Tempest”
dix Convair CV580 en bombardiers d’eau. MW376 a été
Quant au Hawker “Tempest” Mk II, il a un temps appartenu dévoilé lors de
l’inauguration
à feu le collectionneur français Philippe Denis et été entreposé
du
non loin de Valence jusqu’en 2012. Passé ensuite quelques mois
KC Aerospace
par la Nouvelle-Zélande, il est restauré par les mécaniciens
Center for
de la société KF Aerospace depuis huit ans. Aucune date n’a
Excellence le
encore été annoncée pour son nouveau premier vol. 30 août dernier.

DR

Le 27 octobre dernier, à Trouville-sur-Mer (Calvados),


en creusant pour effectuer des travaux sur le réseau
d’assainissement sur le quai Kennedy, qui longe le fleuve
côtier Touques au niveau de son embouchure, des ouvriers
sont tombés sur une hélice d’avion, dont il ne restait que
deux des quatre pales originales. Et rien d’autre autour.
Patrick Hélie, président de l’association Merville Dakota,
a émis l’hypothèse que cette hélice provienne d’un
Hawker “Typhoon” du Squadron 486 de la RAF abattu
par un Focke-Wulf 190 à 4 km au sud-est de Trouville-
sur-Mer le 24 septembre 1943, dont le pilote, Howard
Charles Saward, avait été fait prisonnier. Le “Typhoon”
du sergent Saward était un Mk IB dont certains exemplaires
furent équipés de quadripales. S’il s’agissait bien en effet
de cet avion, il resterait à expliquer la présence de cette
seule hélice à cet endroit-là.
KF AEROSPACE

5
ACTUALITES

GEORGE LAND

Un nouveau “Wildcat”
vole en Grande-Bretagne
Mardi 12 octobre, sur les années 1970 par Jack Lenhardt. à la Grèce étaient sur un cargo dans le port John
l’aérodrome de Duxford, près En 2011, un généreux mécène l’acheta de Suez au moment où Athènes capitula Romain aux
de Cambridge en Grande- aux États-Unis et en fit don à la Shuttleworh devant l’Allemagne nazie ; ils furent commandes du
Bretagne, John Romain, patron de l’Aircraft Collection, à Old Warden, en Grande- en conséquence “redirigés” vers la base FM-2 “Wildcat”
Restoration Company, a procédé au premier Bretagne, qui le fit immatriculer G-CHPN de Dekheila, près d’Alexandrie, au profit G-KINL
vol après restauration du Grumman FM-2 et l’exposa sans y toucher jusqu’en 2016. de la Royal Navy. Une douzaine fut le 12 octobre
“Wildcat” immatriculé G-KINL. Le chasseur Cette année-là, The Shuttleworth Collection attribuée au Naval Air Squadron 805 dernier
porte une inhabituelle livrée pour son type : ayant révisé sa politique de collection, elle de la Fleet Air Arm qui les mit en œuvre au-dessus
celle d’un Grumman “Martlet” (appellation le revendit au Britannique Thomas Harris qui depuis des bases terrestres pour protéger de Duxford, où
britannique du “Wildcat”) du Naval Air le fit ré-immatriculer G-KINL et en confia la les convois maritimes entre Alexandrie est également
Squadron 805 quand il était basé en Égypte restauration à l’Aircraft Restoration Company et Benghazi, avec les “Hurricane” basé
en 1941. Le “Martlet” Mk lll matricule (ARCo) dirigée par John Romain. Sa livrée des NAS 803 et 806 dans le cadre le “Wildcat”
AX733, codé “K noir”, était piloté par rend hommage à une unité peu connue. du Naval Fighter Squadron qui rassembla de The Fighter
le sub-lieutenant R. W. M. Walsh qui abattit En avril 1941, 30 “Wilcat” destinés les trois unités en août 1941. Collection.
un Fiat G.50 le 28 septembre 1941,
mais aussi par le Néo-zélandais Don Nairn.
Le chasseur est cependant bel et bien
un FM-2 “Wildcat” produit par la General
Motors Corporation Eastern Aircraft Division
avec le BuAer n° 86690 ; le FM-2 est
une version améliorée du F4F originel,
avec un moteur de 1 350 ch et un
empennage plus fin.
Démobilisé par l’US Navy en 1946, le 86690
fut vendu comme surplus et passa entre les
mains de plusieurs propriétaires américains, Le “Martlet”
dont un l’employa pour faire de l’épandage matricule AX733
agricole. Il fut successivement immatriculé de la Fleet Air
N20HA, N70637 et finalement N49JC. Il fut Arm en 1941
remis en configuration militaire dans ou 1942.
DR

6
En bref
Disparition Un “Twin Pioneer” pour l’HARS
de Daphné Desrosiers
Tu devais publier un grand article sur les Forces spéciales
dans Le Fana de décembre. Nous attendions avec impatience
le texte que tu préparais pour les fanas. Et puis tombe la nouvelle,
terrible, affreuse. Tu as décidé de nous quitter la veille de la Toussaint.
Nous restons interloqués, les bras ballants de stupéfaction. Ceux qui
te connaissaient un peu te savaient très affectée par cette erreur
médicale qui t’avait, au sens propre comme au sens figuré, coupé
les ailes. Prendre les commandes de ton Boeing 737 était important
et donnait un sens à ta vie. Passionnée, tu voulais partager le feu
sacré à travers des publications. Livres et articles s’écrivaient lors DR

de tes escales. Il a fallu cette tragique erreur médicale pour te ramener Le 30 juillet dernier, le Scottish Aviation “Twin Pioneer”
de force au sol. Le pire fut sans doute ne pas arriver à soigner les Daphné
Desrosiers immatriculé VH-SYS, le seul en état de vol dans le monde,
suites délétères de cette opération ratée qui affectaient ta santé. a rejoint la collection de l’Historical Aircraft Restoration
Tu disais vouloir tourner la page, passer à autre chose tout en se faisait
souvent Society (HARS) à Albion Park, en Australie. Le bimoteur,
restant dans l’aviation. Alors Le Fana t’avait proposé de rejoindre construit en 1962, est l’avant-dernier exemplaire d’une
ses auteurs, ce que tu fis avec ton enthousiasme coutumier. photographier
en train de lire série de 87. Il a d’abord volé avec la Royal Malaysian Air
Tu mettais un point d’honneur à partager cette grande passion Force avec le matricule FM1066, puis est devenu civil
Le Fana pour
qu’est l’aviation en proposant des sujets où le plus souvent flottait en 1972 lorsqu’il a été acquis par la société australienne
ensuite poster
le souffle épique des destins exceptionnels. Souvenez-vous de ce Aerial Agriculture. Il est resté entreposé à ciel ouvert
les photos sur
bel article sur Valérie André dans le n° 629 d’avril et du dossier jusqu’en janvier 1982 quand il a reçu son certificat
les réseaux
“Rafale” dans le n° 634 de septembre. Tu débordais d’idées. sociaux. de navigabilité et l’immatriculation VH-EVB pour les
Suivre les derniers opérations aériennes agricoles qu’il effectua jusqu’en
vols du “Transall” ? 2011. Après des travaux réalisés par une équipe de
Toujours sur le pont ! bénévoles, il s’était de nouveau envolé il y a quelques
Partir en reportage années, avec la nouvelle immatriculation en VH-SYS en
avec les Forces hommage à son ancien propriétaire Sy Allsep.
spéciales ? Paquetage
sur le dos pour vivre André Devambez au Petit Palais
leur quotidien et le
partager ensuite avec
les lecteurs. Nous
avions de grands
projets pour 2023.
Le destin en a décidé
autrement. Bon vol
à toi là-haut.
Alexis Rocher
DR/VIA DAPHNÉ DESROSIERS

Le pilote s’enfuit de Cuba


aux commandes d’un An-2 RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE D’ORSAY) /HERVÉ LEWANDOWSKI

Avec l’exposition André Devambez-Vertiges de l’imagination,


Le 21 octobre dernier, Rubén Martínez, jeune pilote de ligne présentée jusqu’au 31 décembre, le Petit Palais, à Paris,
au sein d’une compagnie domestique cubaine, s’est posé propose de redécouvrir un peintre, graveur et illustrateur
sur l’aéroport Dade-Collier, 60 km à l’ouest de Miami, au milieu célèbre à la Belle Époque. Près de 250 œuvres sont présentées
des Everglades. Âgé de 29 ans, Rubén Martínez a “emprunté” à cette occasion, des tableaux mettant en scène sa famille
l’antique Antonov 2 une société d’épandage agricole à Cuba. et la capitale aux illustrations teintées d’humour, qui sont
Il s’est posé pratiquement en panne d’essence, après avoir indiqué parues dans Le Figaro Illustré et L’Illustration. Parmi celles-ci,
sa situation aux contrôleurs américains. certaines dépeignent l’aviation de l’époque car Devambez se
DR
passionna, entre autres, pour les inventions modernes comme
La première
chose qu’a faite
l’automobile, les dirigeables et surtout les avions.
Rubén Martínez
après s’être posé L’AéCF a remis ses prix littéraires
sur l’aéroport Le 14 novembre, l’Aéro-Club de France a remis son Grand
Dade-Collier : Prix littéraire 2022 à Étienne Kern, pour Les envolés
se faire prendre (Gallimard) ; son Prix de l’Aéro-Club de France à Claire
en photo devant Andrieu, pour Tombés du ciel (Tallandier) ; son Prix Charles
son avion. Dollfus à Thierry Le Roy, pour Marc Pourpe. L’aviateur de
l’Orient : fils de Liane de Pougy (Bretagne Aviation Éditions) ;
son Prix Alphonse Malfanti à Air France et le Breguet Deux-
Ponts, ouvrage collectif aux éditions Musée Air France.

7
ACTUALITES
Les gagnants du concours photo de la
à l’École militaire

Cette photo
de l’A400M
Tactical Display
par Maxime
Dziedzik
a remporté
la catégorie
“Cercle parfait”.

MAXIME DZIEDZIK

La fondation des œuvres Dziedzik (un kit Nikon Zfc), Antoine Ryckeboer
sociales de l’Air (Fosa) a remis (un Sony RX10 Mk 4) et Sébastien François
les prix de son concours photo (un objectif Sigma 150/600).
2022 le 2 novembre dernier au sein du Cette action de communication au profit
Centre d’études stratégiques aérospatiales de la Fosa a permis de faire connaître
(Cesa) à l’École militaire, à Paris. la fondation et de récompenser des
À l’occasion du meeting de l’Air de Cognac photographes qui réalisent des clichés de
2022, quatre concours de photographie grandes qualités et mettent en avant l’armée
avaient été organisés autour de différentes de l’Air et de l’Espace, et l’aéronautique
thématiques : d’un point de vue plus général.
– concours Canon “Patrouille” Par ailleurs, trois organisateurs
– concours Nikon “Cercle parfait” de meetings civils – Meaux, Albert et
– concours Sony “Alpha” Cambrai – ayant confié l’organisation
– concours Sigma “Esthétique” de leur espace spotter à la Fosa ont remis
Sur les 275 photos reçues, 30 ont été des dons au délégué général. La saison
présélectionnées dans chaque catégorie prochaine, les spotters de ces meetings
et affichées sur le site www.fosa.fr, pages pourront également participer au concours.
“Meeting de l’Air”, rubrique “Spotters”, La Fosa a pour mission de porter assistance
onglet “Concours Photos Spotter 2022”, qui au personnel de l’armée de l’Air et
a fait l’objet de 983943 vues à ce jour. de l’Espace, de la Direction générale de
Après délibération du jury, les quatre l’Aviation civile, de Météo France et à leurs
vainqueurs sont respectivement : Hervé familles qui sont en difficulté suite à un
Godard (primé d’un Canon EOS R6), Maxime “accident de la vie” survenu à l’un des leurs.
ANTOINE RYCKBOER

8
En bref
Fosa récompensés Le Lincolnshire Aviation Heritage
Center entreprend la restauration
d’un “Bolingbroke”

LINCOLNSHIRE AVIATION HERITAGE CENTRE

Le Lincolnshire Aviation Heritage Centre (LAHC), à East


Kirkby en Grande-Bretagne, a annoncé se lancer dans la
restauration d’un Bristol “Bolingbroke” Mk IV, la version
canadienne du “Bleinheim”. Le LAHN était en négociations
depuis 2019 avec le Pima Air & Space Museum, en
Arizona, et le Commonwealth Air Training Plan Museum
(CATPM), au Canada, pour rassembler pièces et cellules
nécessaires pour compléter ce dont il disposait déjà,
HERVÉ GODARD afin de constituer la base d’une restauration.
Le LAHC restaure actuellement l’Avro “Lancaster”
matricule NX611 en vue de le faire voler à nouveau.
Le “Bolingbroke” devrait être restauré uniquement
pour être capable de se déplacer au sol par lui-même.

L’épave d’un hélicoptère de la Royal


Navy perdu en 1958 ressurgit

SÉBASTIEN FRANÇOIS
En haut, la
photo d’Hervé
Godard, DAERA

gagnant de Lors d’une opération de cartographie en 3D réalisée


la catégorie
par le département de l’Agriculture, de l’Environnement
“Patrouille”.
et des Affaires rurales (Daera) d’Irlande du Nord, les
techniciens ont découvert sur un banc de sable dans
Ci-dessus,
le Lough Foyle (l’estuaire de la rivière Foyle) les restes de
la photo
gagnante de
l’épave d’un hélicoptère de la Royal Navy perdu en 1958.
la catégorie Le 25 novembre 1958, le Westland WS-51 “Dragonfly” HR3
“Esthétique”, matricule WN498 du Naval Air Squadron 719 avait
par Sébastien été déséquilibré quand le câble de son treuil, qui remontait
François. un panneau extérieur de voilure perdu par un “Gannet”
lors d’un exercice de tir de roquettes sur le quadrilatère
Ci-contre, de Minearny, s’était rompu, ce qui l’avait projeté dans
la photo le Lough Foyle. Les deux membres d’équipage s’en étaient
d’Antoine sortis sains et saufs. Selon le Daera, bien qu’elle soit
Rickeboer fortement corrodée, la cellule de l’hélicoptère et ses trois
d’un “Alpha Jet” pales de rotor sont en grande partie intactes. Les mots
de la Patrouille Royal Navy sont toujours visibles sur la poutre de queue.
de France L’épave n’avait pas été récupérée à l’époque,
a remporté
car il n’avait pas été possible de débarquer sur le banc
la catégorie
de sédiments de quoi la soulever.
“Alpha”.

9
LE COURRIER
Un Spad 61 oui,
mais lequel ?
J’ai récupéré dans une Herbemont, relève d’une
brocante ces deux photos lignée d’avions de chasse et de
du Spad 161 n° 06. Pas de compétition particulièrement
date ni de lieu connu. Est-ce la même prolifique avec 14 versions
année que la Coupe Michelin 1925 ? et sous-versions différentes !
François Michaud Porteur de l’immatriculation
provisoire F-ESAU et orné
Un avion des années du “chat noir miaulant dans
Deux photos du Spad 61
1930 ne pouvait pas résister à un croissant de lune écarlate”
de “Pivolo” avec son emblème
Bernard Bombeau : “Comme – emblème que “Pivolo” fit
du “chat noir miaulant dans
pour le Port-Salut, c’est écrit peindre sur la plupart de ses
un croissant de lune écarlate”.
dessus… Mais, à bien y regarder, avions – “notre” Spad est du
DR/COLL. FRANÇOIS MICHAUD
les choses ne sont pas si simples. modèle 61/6. Or, pour ne rien
Il s’agit effectivement du Spad 61 simplifier, il existe également
n° 06 et de son célèbre pilote quatre variantes distinctes de
Georges Pelletier-Doisy (1892- ce modèle. Sorti en mars 1925,
1953), familièrement surnommé le Spad 61/6a devait servir à
“Pivolo”. Les photos ont sans l’origine de banc d’essais au
doute été prises le 30 juin 1925 à moteur en “W” Lorraine 12Eb
l’occasion du passage de l’avion de 430 ch. Modifié trois mois
au Bourget lors du dernier jour plus tard avec un nouveau
de la Coupe Michelin 1924-1925 dessin de dérive et un réservoir
remportée par le même Pelletier- agrandi, le 61/6a donna
Doisy à l’issue d’un parcours, naissance au Spad 61/6b
en 15 étapes, de 2 835 km couvert qui allait permettre à Pelletier-
à la moyenne horaire Doisy de remporter cette
de 187,177 km/h. Et, c’est là que Coupe Michelin, et à l’auteur
les choses se compliquent… de ces lignes, de mettre un point
Le Spad 61, étudié par André final à ce long exposé.”
DR/COLL. FRANÇOIS MICHAUD

La malle mystérieuse de Mister Guillem


La réponse du mois dernier
De nombreux retours sur la “chose” du mois dernier. Bien sûr il toujours moqués de la consommation… On voit bien sur l’image qu’il
était déjà apparu dans Le Fana n° 617 page 72. Xavier Schmidt ajoute : n’avait pas d’ailerons (ou alors peut-être minuscules en bout d’aile ?)
“ L’avion de Maître Guillem présenté est un Angel 44, avec deux moteurs mais des flaps [volets] sur toute l’aile et des spoilers [déflecteurs] comme
de 300 ch. C’est un six à huit sièges. Ils étaient venus à Genève-Cointrin sur le Mitsubishi MU-2. Un exemplaire s’est écrasé il y a quelques
lors d’un tour d’Europe de présentation. Je les avais approchés car j’étais années puis le projet a été vendu aux Chinois. Pour moi, il est évident que
intéressé par un achat. L’avion avait cependant de piètres performances, malgré son originalité, cet avion est mal né et n’a aucun avenir…”
nécessitant au minimum 800 à 1 000 m pour décoller, peut-être à cause Le défi du mois
de l’aile non soufflée ? Le coût horaire pour un cinq à six sièges payants L’ami Jacques revient à la charge avec un de ses trésors. Qui saura
était également prohibitif, typique pour les Américains qui se sont lui donner un nom ?

Trouvé dans la malle


mystérieuse, qui suis-je ?

JACQUES GUILLEM

10
L’ubuesque mais véridique aventure du “Baroudeur” Marine
Bernard Bombeau réagit au terrestre, mais on pouvait admettre que pas de tourner en dérision les idées de
dossier sur le “Baroudeur” : l’appareil glisse sur ses patins, quitte leurs anciens, mais de s’acharner à les
“Parmi la multitude de projets qui à réduire le frottement sur le pont faire aboutir” ! Pour autant, le projet
entourèrent le SE.5000, il en est un très avec une graisse quelconque. Il était n’était pas définitivement enterré (ou
peu connu : le “Baroudeur” embarqué ! également concevable d’imaginer noyé). Une fois gazon, pâquerettes et
Le vice-amiral Vercken a raconté son un berceau roulant, lié au sabot autres coquelicots écartés, une nouvelle
histoire – aussi loufoque que de la catapulte, sur lequel on placerait étude fut entreprise avec le concours du
surprenante – en juillet 1984 dans la l’avion à chaque catapultage. Toutefois, talentueux “John” Jakimiuk, ingénieur
célèbre revue Pionniers. Affecté en 1953 l’appontage posait un problème plus de la SNCASE, à l’origine du concept.
au Bureau d’études techniques (BET) du ardu. Les patins du “Baroudeur” Étude qui aboutit… à remplacer les
Service central de l’Aéronautique navale risquaient de faire de belles étincelles patins par un très classique train
dirigé à l’époque par le capitaine de et de s’user très vite sur le pont d’atterrissage doté d’une quatrième
frégate Thabaud, le futur vice- métallique. Mais puisque l’avion sans roue à l’arrière du fuselage. Il n’en fallait
amiral Vercken était en charge ses roues se posait si bien dans l’herbe, pas plus pour que le “Baroudeur”
d’examiner toutes les nouveautés qui se l’idée vint alors “logique, mais cocasse, Marine, relégué au simple statut d’avion
présentaient dans le domaine de planter du gazon sur le pont d’envol à roulette embarqué, soit cette fois bel
aéronautique. Le “Baroudeur” ne pouvait (…) et des fleurs de différentes teintes et bien enterré ! Il resta cependant
y échapper. D’autant, affirme Vercken, pour les marques normalement tracées de ces ubuesques péripéties l’idée
que “le chef d’état-major de la Marine, à la peinture. Une spécialité de jardinier Le pont de treuils électriques imaginé par
l’amiral Nomy, était particulièrement d’Aéronautique pouvant même être du porte-avions l’ingénieur Poitou de la SNCASE pour
séduit par cet appareil sans roues, envisagée” ! Aussi incroyable que cela Clemenceau tracter le “Baroudeur” sur son pont
compte tenu des ruptures de trains qui puisse paraître, le projet fit l’objet en en gazon pour champêtre. Revue et corrigée par
se produisaient encore fréquemment à 1954 d’un rapport “au ton quelque peu le “Baroudeur” ? le vice-amiral Vercken, elle sera adaptée
l’atterrissage. Aussi avait-il demandé désinvolte et ironique” que le capitaine Les essais dans un autre but aux ascenseurs
d’étudier sérieusement une navalisation de frégate Thabaud suggéra de réécrire du chasseur latéraux des futurs Clemenceau
du “Baroudeur” en vue de l’embarquer sous forme de fiche “et sans jardinier” sans train et Foch pour être utilisés dans
sur les futurs porte-avions (de la classe pour être présenté par voie hiérarchique d’atterrissage les manœuvres de ravitaillement
du Clemenceau)”. Pour le décollage, à l’amiral Nomy. Ladite fiche revint au glissant dans à la mer entre bâtiments. Mais nul
explique le vice-amiral Vercken, il n’était BET avec une annotation sévère du les prairies ne sut jamais à bord qu’il s’agissait
inspirèrent
pas question d’utiliser le chariot type : “Le rôle des jeunes officiers n’est du “treuil-Baroudeur”.”
les marins…

SNCASE

“Baroudeur” Le SE 5003 n° 2
à Istres avant

et patrimoine son départ pour


le champ de tir
de Cazaux.
Merci pour votre dossier complet
sur le “Baroudeur” dans le
dernier Fana. Pourquoi ne furent-ils pas
conservés à l’époque ?
Hervé Duriaud

Les “Baroudeur”,
BERNARD GILOTTE
comme tant d’autres avions
à l’époque, ne furent pas Même endroit
conservés tout simplement parce et même sort
que la notion de patrimoine ne pour le SE.5003
concernait alors pas les industriels n° 1.
et assez peu les militaires, dans
la mesure où le “Baroudeur” était
resté au stade expérimental et
n’avait pas les états de service
d’un grognard s’en revenant
de longues campagnes.
Les programmes se succédaient
à grande vitesse ; il fallait faire
de la place dans les ateliers
et sur les pistes…
BERNARD GILOTTE

11
À LIRE, À VOIR
Hélicoptères contemporaine Le grand livre par les pilotes et les assurer la maintenance,
des hélicoptères
au combat et, forcément, le Bell
UH-1 “Huey” pour illustrer de combat
spécialistes. Viennent
ensuite la base 105
le jargon technique. Ce
vade-mecum permet aux
le Viêtnam. Ouvrage collectif d’Évreux avec ses A400M néophytes de comprendre
Le livre s’ouvre sur Chez Glénat puis Cognac avec ses l’envers du décor et
le Bell 47 et se referme 256 pages, 38,5 € drones. Le tout est illustré les difficultés dans la
sur la nouvelle génération, ISBN 9-782344-054093 sous la forme d’un carnet maintenance aéronautique.
H160 “Guépard” d’Airbus avec des portraits et des Les spécialités disposent
Helicopters et le projet scènes dans les hangars ici d’une bonne synthèse.
“Defiant” chez Sikorsky, Des portraits ou sur les pistes. Un beau
des machines, à n’en pas portrait de l’armée de l’Air
douter, qui seront et de l’Espace en 2022.
au rendez-vous d’un
siècle déjà guerrier. Aviateurs. Carnet
Dans ce panorama, on a de l’armée de l’Air
retrouvé l’“Alouette” III, et de l’Espace.
Il manquait une le “Super Frelon”, le Par Lapin
encyclopédie exhaustive Bristol 152 “Belvedere”, Chez Privat
consacrée à l’hélicoptère ou encore le V-22 L peintre
Le i dde l’Ai
l’Air et dde 96 pages, 18,90 €
de combat, souvent le “Osprey”. Gérard Feldzer l’Espace Lapin propose ISBN 978-2-7089-6265-1
parent pauvre des livres a signé la préface, une un nouveau carnet
d’aviation. Adaptation
française d’un livre
occasion pour le président
d’Aviation sans frontière
d’illustrations. Cette fois-ci
le thème est la découverte Vade-mecum
collectif, ce bel ouvrage de rappeler que ces des métiers et matériels Des velléités de devenir
regroupe 50 machines machines ont aussi de l’armée de l’Air et de propriétaire d’un avion ? Entretenir son
décrites selon inspiré des applications l’Espace. Premier arrêt sur John Curtiss, spécialiste avion soi-même,
une approche civiles pour le bien la base 113 de Saint-Dizier. de la maintenance comprendre
classique, didactique, et de l’humanité. Cette base des “Rafale” aéronautique, vous la navigabilité
chronologique. Nombre Un objet de très belle offre un large éventail explique tout ou presque. John Curtiss
de ces engins ont fixé leur facture pour faire plaisir des personnels, depuis Comment naviguer dans le Chez JPO
silhouette dans l’imagerie ou se faire plaisir. les mécaniciens jusqu’aux vaste maquis administratif, 97 pages, 39 €
collective de notre histoire Philippe Wodka-Gallien pompiers en passant les qualifications pour ISBN 978-2-37301-179-1

Le Boeing B-52 bientôt centenaire ?


Il y a 70 ans, le Boeing B-52 effectuait son “Stratofortress”. Imaginer le B-52 centenaire
premier vol. Rigoureusement personne ne n’est pas de l’ordre de la science-fiction. Bien
pouvait imaginer à l’époque que le bombardier sûr l’appareil du XXIe siècle n’a pas plus grand-
serait toujours en première ligne en 2022. chose à voir avec son ancêtre. On ne compte
La retraite ? Pas au programme avant encore plus les modernisations, les évolutions. Mettez-
deux décennies au moins pour l’US Air Force qui vous donc à jour avec cette nouvelle édition
ne manque jamais une occasion d’aligner ses du Docavia publiée il y a près de 20 ans.

Boeing
Bo
oe B-52
Stratofortress
S
Sttrraa
70
70 ans d’histoire
Parar Frédéric Lert
PPaar
Casa
Ca Éditions
Ca
2244 pages, 39,95 €
247
978-2-38058-306-9
9

XOXOXOX

12
MONOGRAPHIE
Les Blohm & Voss Ha 139
À la conquête
de l’Atlantique nord

DR/LUFTHANSA
Pulvérisant à

A
u début des années 1930, cieusement positionnés des deux l’été 1938 tous New York via les Bermudes. Au
Hugo Eckener pour les côtés de l’Atlantique, réapprovision- les records grand dam des Français et des
d i r i ge able s , E r n s t naient les hydravions avant de les de traversées Britanniques, l’Allemagne entrait de
Heinkel, Ugo Junkers et catapulter vers leur destination fi- de l’Atlantique plain-pied dans la compétition à la-
Claudius Dornier pour nale. En 1935, ces “escales flottantes” nord, le Blohm quelle se livraient les grandes puis-
les hydravions, avaient hissé l’Alle- avaient déjà permis aux Dornier & Voss Ha 139 sances sur l’Atlantique nord.
magne au rang de pionnière des liai- “Wall” de réduire de sept à cinq jours fait flotter
sons aériennes transocéaniques. En la durée moyenne d’une liaison pos- le pavillon Des bâtons
marge des vols commerciaux de la tale entre Stuttgart et Buenos Aires. de la Lufthansa
Deutsche Zeppelin Reederei, les Ces bons résultats et l’arrivée d’un sur les dans les roues
hydravions postaux de la Deutsch hydravion plus puissant et plus éco- gratte-ciel de Mais pour transformer ce succès
Luft Hansa (DLH) traversaient ré- nomique, le Dornier 18 à moteurs Manhattan. technique en une affaire commer-
gulièrement l’Atlantique sud, éta- diesel, encouragèrent Luft Hansa à ciale, DLH se heurtait à un obstacle
blissant des records de vitesse et de lancer, sur le même principe, un ser- majeur. Depuis 1930, elle essayait de
ponctualité sur la concurrence. Leur vice postal vers les États-Unis. Du négocier des droits d’escales avec le
atout ? La catapulte… 9 septembre au 7 octobre 1936, à Portugal pour l’ouverture des bases
Pour remédier au trop faible l’aide d’un bateau-relais positionné de Lisbonne et des Açores ; avec le
rayon d’action des appareils, DLH aux Açores, deux Do 18 effectuèrent, Royaume-Uni pour celles des
avait repris à son compte une formule à dates fixes et sans incident, quatre Bermudes ou de Terre-Neuve
audacieuse : des bateaux-relais, judi- voyages d’études à destination de (Canada) et avec les États-Unis pour
18
En 1937, les hydravions Ha 139
de Lufthansa établissaient les premières
liaisons postales régulières Europe-
États-Unis. Un succès qui aurait pu
permettre à l’Allemagne de triompher
sur l’Atlantique nord. Mais l’histoire
en décida autrement…
Par Bernard Bombeau

Richard Vogt, accéder au but : New York. La jeune


directeur République d’Irlande refusait, quant
d’études à elle, d’ouvrir à l’Allemagne l’itiné-
et concepteur raire le plus court passant, à la belle
du Ha 139 saison, par la baie de Galway. À
(à gauche), force de négociations, Luft Hansa
en compagnie – devenue Lufthansa en 1935 –avait
de Ernst Udet, fini par obtenir de Washington et de
chef des services Londres des droits limités pour des
techniques vols “uniquement expérimentaux” à
du ministère destination de New York via les
de l’Air (RLM) Bermudes. Cette entente, entérinée
puis directeur pour cinq ans en 1936, facilita l’ob-
des fabrications tention au Portugal des mêmes droits
de 1937 à 1941. pour Lisbonne et l’archipel des
Açores. La route la plus méridionale
de l’Atlantique nord s’ouvrait à
Lufthansa “à titre expérimental”
avec la promesse de nouveaux ac-
cords le jour où une compagnie amé-

DR

19
LES BLOHM & VOSS HA 139

Le Ha 139 V1,
en construction
dans l’usine
de Finkenwerder
(Hambourg),
révèle
l’ingénieux
longeron-caisson
d’aile en “W”
divisé en cinq
compartiments
faisant office
de réservoirs.

Le Nordmeer
à l’instant du
DR/B&V
catapultage…
ricaine pourrait profiter d’avantages ligne régulière entre les deux conti- Luftfahrt Ministerium (RLM), L’appareil vient
réciproques de la part des autorités nents. Pour tous, 1937 serait une Lufthansa misait sur l’avenir en mul- de quitter
allemandes. D’ici là, les États-Unis “année probatoire”. tipliant, tous azimuts, ses pro- son chariot
et la Grande-Bretagne se réservaient grammes d’équipements auprès de lancement
– hors période hivernale – la route La fin des grands d’une industrie aéronautique en plein et sa vitesse
septentrionale la plus directe, de essor. Pour l’aviation commerciale, avoisine alors
Southampton à New York via l’Ir-
dirigeables la priorité allait au remplacement du 150 km/h : une
lande et Terre-Neuve. Ces accords a L’ère des grands dirigeables Do 18 par un appareil plus puissant performance
minima, imposés par Washington s’acheva le 6 mai 1937 avec la catas- capable, avec une charge commer- remarquable
afin de préserver ses intérêts com- trophe de l’Hindenburg, mais l’hy- ciale significative, d’affronter les pour un
merciaux, furent néanmoins bien dravion s’imposait encore comme vents contraires et les variations cli- quadrimoteur.
accueillis par les autorités alle- outil de transition avant les avions matiques de l’Atlantique nord. Une partie
mandes conscientes que, ni les États- long-courriers promis à l’horizon des Dans cette optique, dès 1935, de l’extrados
Unis ni la Grande-Bretagne n’étaient années 1940. Fort de cette certitude Carl August von Gablenz, succes- de voilure
est peinte
encore en mesure d’exploiter une et profitant des largesses du Reich seur d’Erhard Milch à la tête de
DR/COLL. B. BOMBEAU
en jaune vif.
“ Un choc, puis une riable. Le fuselage, monocoque de
section circulaire, était posé au
tons opposés développant 600 ch au
décollage à 2 200 tr/min (500 ch en
accélération de plus de centre d’une voilure en “W” de
grande profondeur dont le longeron
régime de croisière). Réputé pour
son bon rendement thermique, ce
central tubulaire, divisé en cinq com- type de propulseur deux temps avait
4 g propulse l’hydravion partiments, faisait office de réservoir
pour 6 500 l de carburant. Une astu-
déjà fait ses preuves sur les Do 18.
Bien que moins nerveux, il offrait
hors de sa rampe ” cieuse disposition qui contribuait à
la robustesse de la voilure sur laquelle
une consommation inférieure de
25 % aux moteurs classiques de puis-
se fixaient les points d’ancrage néces- sance équivalente avec un carburant
DLH, avait donné son aval à un pro- saires au catapultage. (diesel) 30 % moins onéreux que
gramme d’hydravion postal catapul- Deux imposants flotteurs, d’une l’essence d’aviation.
table à long rayon d’action. Le cahier capacité de 12 500 l de carburant,
des charges était exigeant : l’appareil, étaient chacun divisés en 12 compar- Deux prototypes
multimoteurs, devait emporter au timents et reliés aux ailes par un tube
moins 500 kg de fret sur 5 000 km à soudé et profilé contenant les quatre
en un temps record
la moyenne de 250 km/h. Outre radiateurs disposés par paires dans Avant même que l’année 1935
d’excellentes qualités marines, il le vent des hélices. Celles-ci, des tri- ne s’achève, la permission de
devait pouvoir franchir, à pleine pales Hamilton-Junkers à pas va- construire trois appareils avait été
charge, les 3 850 km séparant les riable, étaient entraînées par quatre accordée sur la base du Projekt P.15.
Açores des États-Unis avec un vent moteurs diesel Junkers “Jumo” Désigné Blohm & Voss Ha 139, le
contraire de 60 km/h… Des perfor- 205C, des 6 cylindres verticaux à pis- premier (V1, Werk Nummer 181) fit


mances bien supérieures à celles des
plus récents Do 18 dont l’emport Le Ha 139 V1 en évaluation
n’excédait pas 380 kg sur 3 200 km. par la Lufthansa
au printemps 1937 à bord
Un quadrimoteur du Schwabenland.
catapultable !
La solution vint de Hambourg,
siège des célèbres chantiers navals
Blohm & Voss et de leur fi liale la
Hamburger Flugzeugbau (HFB),
spécialisée depuis 1933 dans la
construction aéronautique – la HFB
devint de 1938 à 1945 une division de
sa maison mère sous l’appellation
Abteilung Flugzeugbau der Schiffs-
werft Blohm & Voss et retrouva son
statut de société après la guerre. La
jeune société hambourgeoise, dirigée
par Walter Blohm, n’avait aucune
expérience dans le domaine de l’avia-
tion commerciale, mais les innova-
tions structurelles hardies – et parfois
DR/COLL .B. BOMBEAU
surprenantes – de son ingénieur en
chef Richard Vogt (1895-1979)
avaient retenu l’attention du RLM. Bases flottantes pour hydravions
Le programme de Lufthansa consti- S’inspirant d’un procédé déjà utilisé par les marines de guerre et expérimenté avec succès par
tuait pour la HFB une excellente la Compagnie générale transatlantique à bord du paquebot Île-de-France, Luft Hansa reprit à son
occasion d’appliquer au domaine compte en 1929 l’idée de l’hydravion catapulté à partir de bateaux de commerce. Onze aller et retour
aéronautique l’expérience acquise de furent ainsi réalisés avec un LeO.198 en 1928 puis deux Cams 37 de 1929 à 1930 pour le compte
longue date par Blohm & Voss dans de la Société Trans-Atlantique aérienne (STA) puis de la Compagnie générale Aéropostale (CGA) qui,
la construction navale. faute de rentabilité commerciale, abandonna la formule. En 1931, la société Heinkel mit au point la plus
Plusieurs études aboutirent rapi- grosse catapulte réalisée jusqu’alors. Longue de 31 m, elle permettait le lancement d’un appareil de
dement au Projekt P.15 ; un singulier 15 t jusqu’à 110 km/h. Le système fut monté la même année à bord du Westfalen, un cargo de 5 000 t
mais très élégant quadrimoteur ca- dont les premiers essais sur l’Atlantique sud permirent de confirmer les avantages de la formule.
ractérisé, dans ses œuvres vives [par- Le principe était simple : l’hydravion amerrissait près de la poupe du navire puis était hissé à bord
tie immergée de la coque, NDLR] par où il était rapidement ravitaillé avant d’être catapulté. Lufthansa estimait ainsi économiser jusqu’à
un emploi remarquable du combiné 1,5 t de carburant par rapport à un décollage à flot trop dépendant de l’état de la mer. Autre avantage,
acier/métaux légers. La partie cen- la formule réduisait les contraintes techniques et politiques imposées par l’utilisation de plateformes
trale de la voilure formant bloc avec terrestres étrangères. Le principe ayant fait ses preuves, une catapulte plus puissante, orientable
la partie correspondante du fuselage et à air comprimé, fut développée en 1934 : longue de 39 m (31 m de rails), elle développait
est constituée d’un gros longeron une pression de 160 atm suffisante pour lancer à 150 km/h des appareils de 15 t ! Trois navires
tubulaire de l’épaisseur de l’aile, en en furent équipés : le Schwabenland (transformé en 1934), le Friesenland et l’Ostmark (1936).
tôle d’acier au chrome molybdène, Opérationnels jour et nuit, ces bateaux constituaient de véritables bases flottantes avec d’importantes
compartimenté et prolongé aux ex- soutes à carburant, des ateliers de réparations, une station météorologique, de puissants émetteurs
trémités par deux petits longerons et un système de guidage par radiogoniométrie. Une soixantaine de techniciens se relayaient à bord.
tubulaires en dural d’épaisseur va-
21
LES BLOHM & VOSS HA 139

son vol inaugural de 31 minutes à gine. Les deux appareils – numéros capitale portugaise fut atteinte en fin
Brunsbüttel, à l’embouchure de constructeur 181 et 182 – terminèrent de journée après un vol direct de
l’Elbe, le 9 octobre 1936, aux mains Le Ha 139 V2 ensemble à Travemünde le pro- 2 539 km effectué en 9 h 34 min à la
du pilote d’essais maison le flugka- Nordwind en gramme d’essais imposé sur l’embou- moyenne de 265 km/h.
pitän Helmut Wasa Rodig. Aucun cours de finition chure de la Trave par Lufthansa. Le 12 août, le Nordmeer redécol-
défaut majeur n’étant apparu, il ou de révision lait par ses propres moyens pour fran-
poursuivit ses essais en Basse-Elbe chez Lufthansa. Le Nordmeer chir en 7 h 33 min les 1 700 premiers
à partir de bateaux-relais prêtés par Il attend le kilomètres d’océan qui le séparaient
Lufthansa et équipés de nouvelles montage de ouvre la route de l’archipel des Açores où l’atten-
catapultes Heinkel K-7 spéciale- son moteur Au matin du 11 août 1937, le dait, au large d’Horta, le nouveau
ment développées pour les hydra- intérieur gauche Nordmeer, aux ordres du comman- navire-relais Friesenland. Hissé à
vions de gros tonnage. monté sur l’aile, dant Joachim Blankenburg – un vété- bord, le Nordmeer fut inspecté, révisé
Présenté aux autorités de certifi- élastiquement ran de l’Atlantique sud qui a déjà à et conditionné pour le “grand saut”.
cation au début 1937, le Ha 139 V1 d’un côté son actif 43 traversées – accompagné Au soir du 15 août, enfin prêt, ses
fut réceptionné par le RLM le 27 fé- et sur rotules du flugkapitän Siegfried Graf Schack réservoirs avitaillés, l’appareil est
vrier. Une semaine plus tard, il rejoi- de l’autre, von Wittenau, du radio Kueppers et arrimé à sa catapulte, face au vent.
gnait Travemünde pour être officiel- la formule du mécanicien Gruschwitz, quittait Les quatre hommes ont pris place à
lement remis à la Lufthansa sous permettant les eaux de la Baltique et s’élançait, bord, solidement sanglés à leurs
de réduire
l’immatriculation D-AMIE et le cap au sud-ouest, à destination de sièges : les deux pilotes à l’avant – as-
sensiblement le
nom de baptême Nordmeer (Mer du Lisbonne, sa dernière étape conti- surant tour à tour la fonction de navi-
niveau de bruit
Nord). Du 19 au 22 mars, de nou- nentale avant l’Atlantique nord. La gateur – suivis derrière à droite du
et les vibrations.
veaux essais de catapultages furent
entrepris en baie de Kiel à des masses
variant de 11 à 17 t. Cette nouvelle
campagne révéla quelques défauts :
à pleine charge, les deux gouvernails,
noyés dans le dessin des dérives,
manquaient d’efficacité. Ils seront
ultérieurement remplacés par deux
surfaces de plus grandes dimensions.
Mais Vogt pouvait être satisfait : le
Ha 139 s’avérait particulièrement
robuste avec un devis de poids auto-
risant jusqu’à 7 140 kg d’emport (car-
burant compris), soit plus de 40 % de
sa masse totale… Un record pour un
quadrimoteur à ailes cantilever !
C’est donc sans appréhension que
la DHL accueillit au printemps la
sortie d’un second prototype, le
Ha 139 V2, immatriculé D-AJEY et
baptisé Nordwind (Vent du Nord),
qui prit l’air le 29 avril 1937 dans une
configuration sensiblement identique
à celle du V1 dans sa version d’ori-
DR

22
du Schwabenland. Le trajet jusqu’aux
Açores fut cette fois effectué en
15 h 58 min. Le Nordmeer quitta à
nouveau Horta le 5 septembre pour
arriver à New York le lendemain en
16 h 41 min de vol (229 km/h).

HORNE
Un carrousel
VINCENT D
transocéanique
Le 7 septembre c’était au tour du
Nordwind de relier New York à
Horta en 15 h 20 min à 250 km/h.
Tout au long des mois de septembre
et octobre, et jusqu’à la fin de la pre-
mière semaine de novembre, le car-
Le Blohm & Voss Ha 139 V1 Nordmeer (Mer du Nord) rousel se prolongea entre les deux
traversa pour la première fois l’Atlantique le 16 août 1937 Ha 139 et leurs bateaux-relais. Le
après avoir quitté sa base de la Baltique le 11 août 15 septembre, dans une météo exé-
et effectué une escale au Portugal. crable mais poussé par des vents
favorables, le Nordwind, volant à
basse altitude et profitant de l’effet
de sol, établit un record en reliant
Horta à Long Island en 14 h 35 min.
mécanicien et à gauche du radiotélé- Ce premier essai d’un quadrimo- Une performance d’autant plus
graphiste. À 18 h 10 (GMT), l’équi- teur allemand sur l’Atlantique nord méritoire que, durant une partie de
page égrène la check-list. Sur le ta- était une réussite. Le vol s’était passé la traversée, un des quatre moteurs
bleau de contrôle, une lampe rouge conformément aux prévisions. Le avait été coupé suite à une baisse de
témoigne de la montée en pression de contact radio avait été maintenu la pression d’huile. Le même appa-
la catapulte. Les quatre moteurs sont durant un tiers du trajet avec le reil battrait le record de vitesse
lancés à pleine pu issance. Friesenland, puis le Schwabenland, entre New York et Horta le 22 sep-
Commandes au neutre, le compte à posté au large de New York. La com- tembre en 14 h 18 min à la moyenne
rebours commence : “Klar” ! La lu- pagnie se devait de réitérer la perfor- Vu le de 268 km/h.
mière rouge s’éteint ; un choc violent mance. Le 24 août, le Nordwind lendemain de Le 18 novembre, date de la der-
suivi d’une accélération de plus de quittait à son tour Travemünde pour son arrivée nière liaison New York-Horta du
4 g propulse l’hydravion hors de sa les Açores qu’il atteignait deux jours à Port- D-AMIE pour l’année 1937, les deux
rampe. À 18 h 13, le lourd quadrimo- plus tard. Catapulté le 29 du Frie- Washington, Ha 139 totalisaient 14 traversées : huit
teur, livré à lui-même, prend pénible- senland, le Ha 139 V2 mit le cap sur le 16 août 1937, pour le Nordwind et six pour le
ment de l’altitude, cap à l’ouest, direc- Port-Washington où il amerrit le 30 le Nordmeer Nordmeer. Ils portaient le total à 22
tion les États-Unis. Port-Washington, après 16 h 05 min de vol à la moyenne a franchi à une traversées de Lufthansa sur l’Atlan-
hydrobase au nord-est de New York, de 240 km/h. L’équipage se compo- moyenne tique nord en prenant en compte les
de 230 km/h
sera atteint le lendemain à 11 h 37. Les sait des pilotes Von Engel et W. Stein, huit voyages d’essais effectués l’année
les 3 850 km
3 850 derniers kilomètres ont été fran- du radio J. Stein et du mécanicien précédente par deux Do 18 – ces deux
qui le séparent
chis sans incidents majeurs en Helmut. Le jour même, en baie de hydravions s’étaient révélés insuffi-
l’archipel
16 h 27 min à la moyenne de 234 km/h. Long Island, le Nordmeer décollait samment puissants pour affronter les

portugais.

DR

23
LES BLOHM & VOSS HA 139

À la mi-novembre, les Ha 139


regagnent Hambourg. Avec l’arrivée
de l’hiver, toute activité aérienne
cesse sur l’Atlantique nord. Seule est
conservée la ligne Berlin-Lisbonne,
via Marseille et Francfort, en
Le Ha 139 V1 He 111C. Mettant cette pause à pro-
à quai fit, Lufthansa demanda quelques
en Allemagne améliorations sur les deux proto-
à l’automne types. De grosses entrées d’air sur
1937. La finesse les capots moteur vinrent remplacer
du fuselage les petites écopes montées à l’ori-
contraste avec gine. Jugés trop exposés aux em-
la longueur bruns et à la corrosion, les radia-
et la profondeur teurs, disposés sur les montants des
des ailes. flotteurs, furent séparés et reposi-
Les énormes tionnés sous la voilure entre les pro-
flotteurs peuvent pulseurs. Les équipages s’étant à
recevoir jusqu’à nouveau plaint de la persistance
12 500 l d’une instabilité directionnelle au
de carburant. catapultage et par gros temps, on
DR/B&V
procéda à l’installation de nouveaux
puissants vents contraires de l’Atlan- (quatre voyages) et Les Bermudes- gouvernails au dessin plus élaboré.
tique nord. La compagnie allemande Les Açores. Ce dernier voyage fut
présentait un bilan remarquable pour prolongé des Açores à Lisbonne … mais dut avaler
l’époque : à eux seuls, les Ha 139 V1 jusqu’à Marignane (Étang de Berre).
et V2 avaient, en trois mois, parcouru D e leur côté, les Imperial
une pilule amère
53 900 km sur l’océan en 224 h 11 min Airways, avec deux gros hydravions Au début de l’année 1938, Blohm
de vol – 115 h 45 min dans le sens est- Short “Empire” baptisés Caledonia & Voss terminait la construction
ouest et 108 h 26 min dans le sens et Cambria, avaient réalisé, du 5 juil- d’un troisième exemplaire préfigu-
opposé – à la moyenne de 240 km/h ! let au 28 septembre, dix traversées rant une éventuelle version de série.
Pour leurs premiers voyages d’études, sur l’itinéraire Foynes (Irlande)- L’appareil reçut la dénomination
Américains et Britanniques n’avaient Botwood (Terre-Neuve). Les meil- Ha 139B/V3 (WkNr 217) avec l’im-
pas fait mieux… leurs temps sur ce parcours de matriculation D-ASTA et le nom de
3 200 km étaient de 14 h 24 min pour baptême Nordstern (Étoile du Nord).
La Lufthansa pouvait le Cambria dans le sens est-ouest, et Extérieurement, il différait des deux
de 11 h 33 min en sens inverse pour prototypes par un agrandissement
s’estimer gagnante… le Caledonia. En comparaison, les des stabilos (empennages horizon-
À la suite de l’inauguration le 3 850 km de “la route Sud”, avaient
16 juin d’un service régulier sur le été parcourus par le Nordwind en
tronçon de 1 168 km New York-
Les Ber mudes, la Pan American
14 h 35 min à l’aller et 14 h 18 min au
retour. Avec 650 km de plus à chaque “ D’incessants
Airways, en accord avec la compa-
gnie anglaise Imperial Airways,
trajet, la Lufthansa pouvait s’estimer
gagnante en termes de performances
changements de régimes
avait effectué, du 15 juillet au 31 août
1937, cinq traversées complètes avec
et de coût d’exploitation – sans tou-
tefois la prise en compte des frais et d’altitudes dus à
l’hydravion Sikorsky S-42 Clipper III d’armement et de maintien sur zone
sur l’itinéraire Terre-Neuve - Irlande de ses bateaux-relais… la météo difficile ”

Image symbolique de la lutte que se livrent Lufthansa


et Imperial Airways : le Nordmeer est amarré à Port
Washington le 21 juillet 1938 aux côtés du “Mercury”
lancé depuis l’hydravion porteur “Maïa”.

DR/COLL. B. BOMBEAU

24
DR/COLL. B. BOMBEAU

taux) débordant de part et d’autre des s’étant révélée particulièrement sa- Le V2 version vols expérimentaux – soit 14
dérives. Pour celles-ci, un premier tisfaisante, la longueur des deux gros 1938. Notez les voyages – à horaires réguliers à des-
jeu reprit les formes arrondies de flotteurs, à redan unique, fut légère- grandes prises tination de New York. La pilule était
d’air sur les
celles des V1 et V2 avant d’être défi- ment réduite. À l’issue de toutes ces amère… Voulant démontrer la capa-
capots moteur
nitivement remplacées sur le V3 par modifications, la masse du Nordstern cité de ses gros hydravions à effec-
et les nouvelles
un nouvel ensemble de forme trian- restait à peine supérieure à celle de tuer un service commercial transat-
gouvernes sur
gulaire que le Nordstern adopta tout ses prédécesseurs. En conséquence, les dérives.
lantique, la direction de Lufthansa
au long de sa il était attendu se résolut à engager un Ha 139 sur
carrière. Les un gain de l’Atlantique sud.
moteurs diesel 15 km/h sur la Début mai, après avoir subi des
“Ju mo”, vitesse maxi- Le capitaine essais de contrôle sur l’Elbe, le
conservés en male et de Siegfried Nordwind fut envoyé à Bathurst
v e r s i o n 10 km / h en Graf Schack (aujourd’hui Banjul), en Gambie,
205C- 4, of- croisière von Wittenau pour renforcer la liaison postale ré-
fraient désor- (2 70 k m / h). (1900-1981) gulière de 3 100 km qui reliait, depuis
mais 605 ch à Washington aux commandes 1934, l’Afrique de l’Ouest au Brésil,
2 800 tr/min. poursuivant sa du Ha 139. à Récif. Compte tenu de la distance
Leur montage politique et des performances de l’hydravion,
sur la voilure d’obstruction le système de catapultage fut aban-
DR
avait été modi- à l’égard des donné au départ de Bathurst, le
fié et raccordé aux longerons. compagnies européennes, aucun Nordwind pouvant décoller seul à la
D ans le but d’améliorer les accord n’avait pu être trouvé avec les masse de 16 t avec 1,5 t de poste et
conditions de vol avec deux moteurs autorités américaines pour débuter de fret. Par mesure de sécurité, le
arrêtés, l’envergure fut augmentée en 1938 des liaisons postales régu- Friesenland vint toutefois se posi-
de 2,50 m, la surface portante pas- lières vers les États-Unis. Lufthansa tionner au large de Récif.
sant à 130 m 2 . La tenue à la mer n’obtint que de pouvoir accomplir 28
Un curieux attelage
dans l’hémisphère nord
Caractéristiques des Blohm & Voss Ha 139 Du 13 mai au 10 juin 1938, six tra-
Ha 139 V1/2 Ha 139B/V3 Ha 139B/U1 versées furent réalisées, soit une dis-
Envergure (m) : 27,02 29,52 29,52 tance totale parcourue de 18 600 km
Longueur (m) : 19,5 19,65 20,07 en 74 heures à la moyenne de
Hauteur (m) : 4,53 4,84 4,84 250 km/h. Au cours de l’une d’elles,
Surface alaire (m2) : 117 130 130 le Ha 139 V2 battit de 7 minutes le
Masse à vide (kg) : 10360 10 410 10 340 record établi en novembre 1937 sur le
Masse maximale au catapultage (kg) : 17500 17 550 parcours Dakar-Natal, au Brésil, par
Masse max. au décollage en mer (kg) : 16000 16 050 19 000 les Français Codos et Reine avec le
Charge marchande (kg) : 480 500 290 quadrimoteur terrestre Farman 223.1
Vitesse maximale (km/h) : 315 325 Laurent Guerrerro d’Air France.
Vitesse de croisière (km/h) : 260 270 238 Dans l’hémisphère nord, avec le
Vitesse d’amerrissage (km/h) : 105 95 110 retour des beaux jours, les vols expé-
Plafond pratique (m) : 5 000 5 500 4 900 rimentaux reprennent. Le 20 juillet,
Distance franchissable (km) : 5 300 5 900 4 950 les Imperial Airways ouvrent le bal
Motorisation : 4 x Junkers Jumo 205C de 600 ch unitaires avec un curieux attelage, le “Composite
Mayo”, constitué d’un gros hydravion
porteur Short S.21 “Maïa” jouant le

25
LES BLOHM & VOSS HA 139

rôle de catapulte volante pour un hy- 1er août et le 5 septembre, les deux de vol restaient très inégaux, particu-
dravion plus petit, le Short S.20 hydravions réalisèrent neuf traver- lièrement d’est en ouest. On relevait
“Mercury” qui, lâché au-dessus de sées avant d’être rejoints le 12 du ainsi 4 heures d’écart entre la perfor-
l’Irlande, parvient à se poser à même mois par le Nordstern qui, mance du Nordmeer le 21 juillet et
Montréal avec 450 kg de fret après pour sa première liaison, établit en celle du Nordstern le 12 septembre.
20 h 20 min de vol. Quelques heures 13 h 40 min le meilleur temps d’est
plus tard, le Nordmeer s’élançait à son en ouest à la moyenne de 278 km/h. L’épopée des hydravions
tour d’Horta, gagnait New York en Le 18 octobre, pour son cinquième
17 h 40 min et venait s’ancrer le 22 juil- et dernier voyage de la saison, il relie
touchait à sa fin
let à Port-Washington, à quelques New York à Horta en 11 h 53 min… Ce différentiel avait principale-
encablures du “Mercury” britannique. record absolu dans le sens ouest-est ! ment pour cause les difficiles condi-
La compétition était relancée… Au total, les trois Ha 139 effec- tions météo qui contraignaient les
Parti des Açores le 24 juillet, le tueront 26 rotations entre le 21 juillet équipages à d’incessants change-
Nordwind atteignit Port-Washing- et le 18 octobre, à des vitesses de ments de régimes et d’altitudes. Tout
ton en 16 h 28 min dans la matinée 270 km/h vers New York et de comme son successeur, l’innovant
du 25. Il vint s’amarrer auprès du 246 km/h sur le trajet inverse. Do 26 apparu en 1938 mais qui ne fut
Nordmeer qui redécolla le soir Cependant, bien que ces voyages jamais engagé sur l’Atlantique nord
même à destination d’Horta, ralliée aient pris un caractère régulier avec du fait de la guerre, le Ha 139 s’avérait
en 14 h 20 min. À ce rythme, entre le des départs à heures fixes, les temps insuffisant pour rentabiliser sur le

Le Latécoère 521 dans la baie de Port-Washington,


devant les installations de la Pan Am,
avant son départ pour la France le 31 août 1938.
En dépit de ses records, l’appareil, trop lent (170 km/h
en croisière), est largement démodé et inapte
DR/B. BOMBEAU à un emploi commercial régulier

26
décembre, et les trois hydravions
reprirent leur service postal régulier
sur Recife où le courrier était trans-
féré à bord des avions de la compa-
gnie brésilienne Syndicato Condor,
à destination de Rio, Buenos Aires
ou Santiago, au Chili. En juin 1939,
DHORNE ils bouclaient leur 100e traversée. Le
VINCENT
7 juillet, à l’issue de son 22e survol de
l’Atlantique sud, le Nordstern ren-
trait à Travemünde pour une grande
révision et un discret chantier de
reconversion. Son absence était com-
pensée par la venue au printemps de
deux Dornier 26.
Le Ha 139B Nordstern (Étoile du Nord) fut modifié Cette fois, l’Amérique
en chasseur de mines flottantes magnétiques avec
un grand anneau métallique de 14 m de diamètre triomphait…
couplé à un générateur pour les faire exploser.
Pour sa première liaison postale,
le Do 26 V1 Seeadler (Aigle des
mers) pulvérisait le 28 avril le record
entre Bathurst et Natal en 10 h 40 min.
Quelques semaines auparavant, le
long terme une exploitation commer- l’histoire de l’aviation commerciale. capitaine Siegfried Graf Schack, aux
ciale se bornant au transport de cour- La compagnie fut encore à l’initia- commandes du Do 26 V2 Seefalk
riers. L’épopée des hydravions tou- tive de la commande en 1937 de trois (Faucon de mer) avait relié
chait à sa fin. La preuve en fut donnée énormes hydravions transatlan- Travemünde à Rio (10 700 km), via
le 11 août 1938 par le Focke-Wulf 200 tiques Blohm & Voss BV 222 prévus Lisbonne, Bathurst et Natal, à desti-
“Condor” qui relia Berlin à Floyd pour 24 passagers qui firent carrière nation de Santiago pour livrer 500 kg
Bennet Field près de New York dans la Luftwaffe. de médicaments au Chili victime
(6 400 km) en 24 h 36 min à la vitesse d’un violent tremblement de terre.
de 255 km/h en un vol presque direct : Boeing remporte À la veille de la Deuxième
équipé de réservoirs supplémentaires Guerre mondiale, Lufthansa confor-
en cabine passagers, l’avion survola
la mise tait sa position dominante sur l’At-
Hambourg et Glasgow puis se posa à Début octobre 1938, le Nordmeer lantique sud. Une position que seuls
Terre-Neuve avant de repartir pour regagna l’Allemagne pour être ré- les États-Unis semblaient en mesure
New York. Le 13 août, le même appa- visé en vue d’une nouvelle cam- de lui contester : le 28 juin 1939, le
reil relia New York à Berlin en pagne sur l’Atlantique sud. Le 27 oc- Boeing 314 Dixie Clipper de la Pan
19 h 55 min à 321 km/h ! tobre, il quittait Hambourg pour Am inaugurait la première ligne
Ces 27e et 28e vols accordés à Natal via Bathurst. Temps de la tra- régulière avec passagers (payants)
Lufthansa pour l’année 1938 mar- versée : 12 h 29 min. Il fut rejoint par entre New York et Southampton !
quaient un tournant décisif dans le Nordwind puis le Nordstern en Cette fois, l’Amérique triomphait…
Le 30 août, Berlin ordonnait à Luft-
hansa de suspendre ses services
transatlantiques. Deux jours plus
La France n’était pas au rendez-vous tard, les troupes allemandes enva-
Dans cette grande compétition sur l’Atlantique nord, la France brille par son absence en 1937. La route des Açores, hissaient la Pologne…
passage obligé de toute liaison exploitable pendant les 12 mois de l’année, lui a été refusée à l’issue de longues
négociations qui finalement se sont heurtées aux conséquences indirectes de la guerre d’Espagne. Le gouvernement Réquisitionnés
français a interdit le survol de son territoire à dix Ju 52 que Lisbonne venait d’acheter à l’Allemagne, craignant que
la dictature portugaise ne livre ces appareils à l’aviation franquiste. L’impossibilité de faire escale aux Açores limitait par les militaires
le choix d’un appareil français transatlantique au seul Latécoère 521 Lieutenant-de-vaisseau-Pâris, un monstre T ous les hydravions de la
de 40 t construit en 1934 et qui avait connu son heure de gloire l’année suivante lors d’un périple qui l’avait conduit Lufthansa stationnés à l’étranger
de Dakar à Natal, au Brésil, pour finir en Floride où une tempête l’avait très fortement endommagé sur la base navale furent rappelés en Allemagne le
de Pensacola. Rapatrié en France, il fallut 12 mois pour le remettre en état avant qu’il ne reprenne l’air aux couleurs 16 septembre. Le Nordmeer, immo-
de la toute nouvelle compagnie Air France Transatlantique et sous une immatriculation prémonitoire, F-NORD. bilisé à Bathurst, et le Norwind à
Bien que considéré par Air France comme “inapte à toute exploitation commerciale sur l’Atlantique nord”, l’appareil Natal, rejoignirent les Îles Canaries
fut préparé pour un vol expérimental de plus de 4 100 km vers les États-Unis via Saint-Pierre-et-Miquelon. Jugée à Las Palmas, et suivirent ensuite un
trop tardive et surtout trop aléatoire, la tentative fut finalement interdite en septembre 1937. En guise de consolation, “itinéraire sécurisé”, imposant un
le Laté 521 vola sans escale sur plus de 5 770 km de Kenitra, au Maroc, à Marcelo, au Brésil, en octobre aux mains long crochet méditerranéen, afin
de Guillaumet, battant au passage le record du monde de distance. Ce n’est que le 23 août 1938 que le Lieutenant- d’éviter la France. Les 6 et 10 oc-
de-vaisseau-Pâris, remotorisé et sensiblement modifié, parvint enfin à New York via les Açores ; le retour s’effectua tobre, ils étaient de retour à
en 42 heures et 37 minutes de vol. Trois semaines auparavant, le Fw 200 “Condor” de la Lufthansa avait volé Travemünde. Leur statut de proto-
sans escale de New York à Berlin en 19 h 55 min ! Pour avoir trop longtemps porté son effort sur des “routes types en faisait des propriétés de
coloniales” et des liaisons postales vers l’Amérique du Sud jugées plus rentables qu’une aventure incertaine l’État. Lufthansa, qui n’en avait plus
et coûteuse, la France ne put rattraper son retard sur l’Atlantique nord. Pan Am fut la première compagnie à mettre l’utilité, dut les rétrocéder au minis-
sur pied une liaison régulière le 17 juin 1939 sur la ligne New York-Lisbonne-Marseille. tère de l’Air (Reichsluftfahrt-
ministerium, RLM) qui les réaf-

27
LES BLOHM & VOSS HA 139

fecta, avec leurs équipages, à


l ’A é r o n a u t i q u e navale
(Marineflieger) dans une unité spé-
ciale, créée sur place ; le Sonderstaffel
Transozean (SonderSt-TrO). Cette
formation, au statut d’escadrille
d’évaluation, allait ainsi regrouper
les prototypes des hydravions Do 24
(deux exemplaires), Do 26 (quatre)
et les trois Ha 139. Autant de maté-
riels civils dont les militaires ne sa-
vaient que faire ! L’idée d’une mili-
tarisation avait été longuement
étudiée par le bureau d’études de
Blohm & Voss, notamment au tra-
vers d’un hypothétique Projekt P.20
de bombardier. Mais, pour l’heure,
les incessantes rivalités entre la
Luftwaffe de Göring et la Kiegs- ELOÏSE BOMBEAU

marine du grand amiral Reader


compliquent les choses : depuis jan-
vier 1939, l’essentiel de l’aéronau-
tique navale allemande est passé
sous commandement opérationnel
de la Luftwaffe.

Le Ha 139B en version
de reconnaissance…
À grand-peine – et pour quelques
mois encore – la Marine conserve le
contrôle d’une partie de ses moyens
aériens de surveillance côtière et de
reconnaissance au large. C’est dans
ce contexte fluctuant que, dès l’été
1939, le Ha 139B (ex-Nordstern de
la Lufthansa) fut converti à Ham-
bourg pour son expérimentation
dans le rôle d’hydravion armé de

BUNDESARCHIV

28
reconnaissance lointaine. Sa milita-
risation entraîna un allongement du Le protectionnisme
“américain
manque de rechanges et l’usure des
moteurs mirent rapidement un
fuselage (20,20 m) par un prolonge- terme à leur carrière opération-
ment et un vitrage du nez permet-
tant l’installation d’un navigateur.
et la folie nelle ; employés à des tâches diverses
d’entraînement et de formation, leur
L’aménagement interne de l’habi-
tacle fut revu. Différentes possibili-
guerrière trace disparaît après leur affectation
à l’école de Pütnitz (Poméranie), où
tés d’armements furent envisagées
pour finalement retenir quatre du régime nazi ” des vols d’entraînement à la naviga-
tion sont attestés jusqu’au début de
postes de tir : une mitrailleuse l’année 1944.
MG-15 de 7,9 mm sur tourelle Ikaria mier vol. Il fut catapulté depuis le
dans le nez vitré ; une mitrailleuse Friesenland en Baltique, aux mains Éphémère chasseur
du même type installée pour le radio de Graf Schack, passé sous l’uni-
– tirant par un sabord dans le toit du forme avec le grade d’oberleutnant,
de mines
poste – et deux autres armes de accompagné du flugkapitän Schuster De son côté, le Nordstern pour-
même calibre disposées dans des (pilote d’essais) et de l’ingénieur suivait une carrière discrète et soli-
carénages de part et d’autre du fuse- Sudek de la Lufthansa. Ce vol et les taire. Ses postes de tir dépourvus de
lage en arrière du bord de fuite. suivants confirmèrent une nette ins- leurs armements, il avait rejoint à
tabilité – due au centrage – et une l’été 1940 les ateliers du constructeur
… présente de bien diminution de près de 40 km/h de la pour être modifié en chasseur de
vitesse en palier. mines avec l’emport d’un système de
piètres résultats Ces piètres résultats convain- neutralisation pour le moins surpre-
La priorité donnée à l’aviation quirent les autorités de limiter au nant. Communément appelé
terrestre et les difficultés d’approvi- strict minimum la militarisation des “Mausi”, il était constitué d’un grand
sionnements qui en découlaient re- deux premiers prototypes désormais anneau métallique de 14 m de dia-
tardèrent les essais qui s’avérèrent désignés Ha 139A. C’en était fini des mètre couplé à un puissant généra-
peu concluants : le montage de l’ar- projets de reconnaissances mari- teur. Déjà testé sur Ju 52/3m MS (MS
mement nécessitait des renforts times lointaines. Le Nordmeer, sous pour magnet spule, bobine magné-
structuraux ; l’aménagement inté- sa nouvelle livrée militaire (imma- tique), il permettait, en volant à très
rieur était à revoir (place et accès du triculation P5+LH) et le Nordwind basse altitude, d’émettre de fortes
navigateur) ; le devis de masses (19 t) (P5+KH), furent utilisés pour diffé- impulsions électromagnétiques fai-
était aux limites des possibilités de rents essais d’équipements (radio/ sant exploser les mines flottantes.
l’appareil dont le centre de gravité calibrations) et quelques transports Ainsi équipé, le Nordstern, devenu
s’était dangereusement déplacé. à la demande. Leur carrière opéra- Ha 139B/MS, entreprit ses essais à
Après avoir attendu des conditions tionnelle reste confuse… l’automne 1940. À l’évidence, le
météo favorables, le Ha 139B – redé- poids et la traînée du “Mausi”
signé Ha 139B/U1 (U pour Umbau/ De la France aux rivages n’amélioraient en rien ses perfor-
conversion) et immatriculé P5+GH – mances et réduisaient dangereuse-
effectua le 19 janvier 1940 un pre-
de la Baltique ment ses caractéristiques de vol. La
L’invasion de la Norvège en avril Luftwaffe dut se résoudre à aban-
Camouflé 1940 (opération Weserübung) mobi- donner le projet. Le “Mausi” sera
sous son lisa les maigres moyens de transport finalement adapté à un autre hydra-
immatriculation de l’aéronavale allemande. Mais, vion Blohm & Voss, le trimoteur
militaire P5+LH,
contrairement aux Do 24 et aux BV 138. D’autres affectations furent
le Ha 139 V1
Do 26 du TransOzean Staffel, dé- ultérieurement envisagées, notam-
est affecté en
pendant pour emploi du KGzbV-108 ment en Méditerranée au profit du
octobre 1939
au Sonderstaffel
(unité subordonnée à la Luftwaffe), X. Flieger Korps qui regroupait sur
Transozean, les Ha 139A ne semblent pas avoir ce théâtre la quasi-totalité des for-
unité participé aux ravitaillements et aux mations aéronavales. Mais la diffi-
d’évaluation transferts des troupes engagées à culté d’intégrer un armement défen-
créée à Narvik (1). Avec la dissolution du sif conséquent fit capoter le projet.
Travemünde avec Trans Ozean Staffel en janvier 1941, Comme ses deux congénères, le
les plus récents les deux appareils furent mis à dis- Nordstern sombra dans l’oubli.
hydravions position du groupe de bombarde- Ferraillé avant la fin des hostilités,
réquisitionnés ment (Stab).III/KG 40 basé à Brest- sa trace se perd au début de 1942…
de la Lufthansa. Lanvéoc, pour des liaisons entre la Ainsi se terminait, dans l’indif-
France et l’Allemagne. Transférés férence, la fulgurante histoire du
au Kürstenfliegergruppe 406, Ha 139. Un appareil au destin
groupe aéronaval mixte opérant contrarié qui avait offert à Luft-
principalement en mer Baltique, les hansa la capacité d’ouvrir, dès 1937,
Ha 139A participèrent au ravitaille- le premier service postal régulier
ment des unités isolées au fond des sur l’Atlantique nord. Le protec-
fjords norvégiens et à des vols météo tionnisme américain et la folie
dans le Nord de l’Europe. Mais le guerrière du régime nazi en déci-
dèrent autrement. Vingt ans plus
(1) Le 28 avril, le Do 26 V2 intercepté tard, un “Super Constellation”
par la RAF fut contraint d’amerrir près inaugura le 8 juin 1956 la première
de Narvik. Son pilote, l’incontournable
Graf Schack, fut capturé et interné au liaison Francfort-New York d’une
Canada jusqu’en 1945. Lufthansa renaissante. ■

29
BIOGRAPHIE
Lionel de Marmier
Un destin
exceptionnel
Lionel de Marmier, as de la Première
Guerre mondiale, pilote de chasse
en 1940, se rallie parmi les premiers
au général de Gaulle. Il trouve la mort
le 30 décembre 1944.
Par David Méchin

E
nfant naturel d’un père issu là qu’il se sépare de sa compagne
d’une famille aristocratique, pour épouser une aristocrate de bon
Alexandre Léonel Pierre teint, fille d’un comte.
(dit Lionel) Picaud voit le Marie Picaud se retrouve seule à
jour le 4 décembre 1897 à élever ses quatre enfants et s’installe
Bellegarde-en-Marche, un village de à Paris tout en gardant une résidence
la Creuse. Il est l’enfant naturel d’un à Bellegarde. On ne peut dire dans
officier de carrière, Étienne de quelles circonstances grandissent les
Marmier, né en 1866, lui-même le quatre enfants, mais il est possible
descendant d’une longue et presti- d’affirmer que leur père reste au
gieuse lignée de notables de l’Em- moins présent sur le plan financier
pire et de la monarchie de Juillet, qui car deux des trois garçons peuvent
vivait en concubi- entreprendre des
nage avec Mlle Marie études tout en se
Picaud, fille d’un ci- passionnant pour
mentier de Belfort l’aviation. L’aîné,
qu’il a rencontrée François, s’engage
lors de son affecta- dans l’armée en 1910
tion dans cette ville pour y devenir un
après être sorti de des premiers pilotes
Saint-Cyr. Le couple de l’aviation mili- Lionel
a eu auparavant trois taire en étant bre- de Marmier.
enfants (François né veté en 1912, tandis
en 1892, Paul René que Paul René, di-
en 1893, Rose en plômé des Arts et
1896) tous nés sous Métiers, devient
le nom de leur mère, également aviateur
mais qui finalement militaire lors de son
portent le patro- service national
DR
nyme de leur père après son incorpora-
quand celui-ci les reconnaît ultérieu- tion le 28 novembre 1913.
rement, ce qui est le cas d’Alexandre Quant à Lionel, il est en 1912 à
Léonel cinq jours après sa naissance. l’âge de 15 ans à Lille, dans un cours
préparatoire aux Arts et Métiers. La
Les trois frères guerre va bouleverser ses études car
il doit quitter la ville envahie par les
deviennent pilotes troupes allemandes. C’est durant
En 1898, le lieutenant François cette période qu’il apprend la mort de
de Marmier est affecté en Afrique son père, mort au champ d’honneur
noire et ne revient qu’en 1904 en le 25 août 1914 à Rozelieures, en
France où il est affecté au 51e régi- Meurthe-et-Moselle, où il était capi-
ment d’infanterie à Beauvais. C’est taine au 210e régiment d’infanterie.

DR

30
Le lt/col. Lionel de Marmier
devant un Dewoitine 338
des Forces françaises libres.

31
LIONEL DE MARMIER

Le jeune homme de 17 ans trouve Cazaux le 17, et termine sa formation Promu au grade d’adjudant le
probablement refuge à Paris chez sa par l’école de Pau le 6 septembre 1916. 5 décembre 1917, il suit son esca-
mère, pendant que ses deux frères Le 2 novembre 1916, il est au groupe- drille sur le terrain de Chaux, près
aînés sont mobilisés au front. François ment des divisions d’entraînement au de Belfort, le 12 janvier 1918 et y
se distingue comme Plessis-Belleville dans conduit des patrouilles sur le front
sergent pilote de l’attente de son affec- des Vosges. C’est là qu’il se lie d’ami-
bombardier Voisin au tation dans une unité tié avec un jeune pilote de son âge,
groupe de bombarde- opérationnelle. C’est Première le cap. Fernand Chavannes, et va
ment 2 (GB 2, esca- là qu’il a la douleur photo connue fréquemment faire équipe avec lui
drille VB 105). Lors d’apprendre le décès du jeune Lionel jusqu’à la fin de la guerre.
de la bataille de l’Ar- de son frère Paul de Marmier, alors L’association est fructueuse : le 2 fé-
tois, le 15 avril 1915, René, tué le 20 no- âgé de 18 ans, vrier 1918, il remporte en collabora-
son Voisin LAS vembre 1916 à Chipilly prise à l’occasion tion avec le sgt Georges Reynaud un
n° 306 parti bombar- dans une collision en de l’obtention biplace au sud d’Altkirch qui lui est
der Ostende reçoit un revenant de mission. de son brevet homologué. Une liste de succès avec
impact direct d’un Brûlant du désir de le de pilote militaire Chavannes suit cette deuxième vic-
obus de DCA qui tra- venger, il obtient de le à Chartres toire officielle : le 5 mars 1918, les
verse la cabine et sec- remplacer dans son le 2 juillet 1916. deux jeunes pilotes abattent en-
tionne net un de ses ancienne escadrille, la semble deux DFW C entre Munster
pieds. Soutenu par SHD N 112, qu’il rejoint le et Colmar, qui leur sont homolo-
son observateur le 1er décembre 1916. gués. Après un avion probable re-
sgt Mailfert, il par- vendiqué sur la frontière suisse le
vient à ramener l’ap- As à l’escadrille 10 mars, ils forcent à atterrir le
pareil au terrain fran- 11 mars un Rumpler C IV capturé
çais de Furnes en
N 112 Le sgt René Paul avec son équipage au sud de Petit-
réalisant un atterris- L’escadrille sta- de Marmier, Croix, et abattent un autre Rumpler
sage sur les roues ar- tionne alors dans son frère tué le 23 mars à Frapelle, respective-
rière. Hospitalisé, il l’Oise mais ne tarde accidentellement ment homologués comme les cin-
survit à sa blessure et, pas à migrer en le 20 novembre quième et sixième victoires de
décoré de la Légion Champagne le 5 mars 1916 dans Lionel de Marmier.
l’escadrille N 112
d’honneur, reprend 1917 sur le terrain de La N 112 quitte le front des
et dont il prend
du service en tant que la Cheppe puis la Vosges le 29 mars 1918 pour s’instal-
la place dans
pilote convoyeur, Noblette, où, amalga- ler à Thiers-sur-Thève dans la
la même unité.
puis est envoyé aux mée avec les N 37, 78 Somme et faire face à l’offensive alle-
États-Unis dans la et 102, elle forme le mande du printemps lancée sur le
DR/C . A
OLL D
LBIN ENIS
mission aéronautique groupement de com- secteur, qui bouscule les lignes bri-
française. Quant à bat n° 15 du comman- tanniques. Les combats aériens s’y
Paul René, bien que dant Ménard et va révèlent intenses et sans commune
François
breveté pilote civil, il couvrir le front à l’Est mesure avec ceux du front des Vos-
de Marmier,
commence la guerre de Reims où se pré- ges. Médaillé militaire le 9 avril
le frère aîné
comme mécanicien pare une attaque se- 1918, Lionel de Marmier remporte
de Lionel, fut
avant de passer son condaire, en soutien à mutilé aux
sa septième et dernière victoire ho-
brevet de pilote mili- l’offensive prévue au commandes mologuée de la guerre le 31 mai 1918
taire le 1er avril 1915. début du mois d’avril de son Voisin contre un avion abattu à Lassigny –
Affecté à l’escadrille sur le chemin des LAS le 15 avril score officialisé dans la citation ac-
VB 110, il s’y dis- Dames. C’est là que le 1915 au-dessus compagnant la croix de chevalier de
tingue au point de jeune caporal Lionel d’Ostende, la Légion d’honneur qu’il ne reçoit
recevoir deux cita- de Marmier remporte touché par un tir qu’après la guerre, au Journal officiel
tions, puis est muté à ses premiers succès direct d’un obus du 15 octobre 1920.
l’escadrille de chasse aux commandes de de DCA. Pour l’heure, les combats conti-
N 112 au mois de son chasseur Nieu- Il eut néanmoins nuent sur le front de l’Oise. Promu
mars 1916 où il rem- port, ne revendiquant la force de au grade de sous-lieutenant ce
porte une victoire pas moins de trois ramener son même 31 mai 1918, Lionel de
homologuée le victoires les 28 mars, avion à sa base. Marmier est le meilleur pilote de
23 septembre suivant. 29 avril et 12 mai, l’escadrille SPA 112 à égalité avec
C’est le 12 janvier mais qui ne lui sont son ami Chavannes. En tant qu’as
1916 que Lionel est pas confirmés. de l’aviation, les deux pilotes se
appelé sous les dra- C e n’est que le voient décerner un Spad XII-Canon
peaux comme soldat DR 22 août 1917, alors qu’ils partagent ; ils matérialisent
au 2e groupe d’avia- qu e l’e s c a d r i l le “leur” appareil en le décorant d’un
tion, affecté à l’école de Chartres N 112 stationne à Beauzée-sur-Aire symbole représentant leurs deux
comme élève-mécanicien où il passe dans la région de Verdun, que initiales. Le 5 juin 1918, sa chance
élève-pilote le 15 mars suivant, obte- Lionel de Marmier, promu sergent, l’abandonne quand il se prend une
nant son brevet de pilote militaire remporte son premier succès homo- balle dans le pied lors d’un combat
(n° 3847) le 2 juillet 1916. Le 13 du logué contre un avion tombé dans aérien, alors qu’il est aux com-
mois, il va à l’école d’Avord se perfec- les lignes allemandes. Il en reven- mandes de son Spad XIII. Il revient
tionner sur chasseur Nieuport, puis, dique deux autres le 30 septembre vite dans l’escadrille qui retourne
portant les galons de caporal depuis le et un le 1er novembre, mais qui ne sur le front de Champagne le 8 sep-
7 août, part en stage de tir à l’école de sont pas confirmés. tembre 1918 pour participer à l’of-
32
HIN
DAVID MÉC

Le Spad XII (n° de série inconnu) de Lionel de Marmier et Fernand Chavannes,


de l’escadrille SPA 112, en 1918.

fensive menée par les troupes amé- etc.) ou bolchevistes.” Son supérieur, vol exploratoire Paris-Istanbul et
ricaines contre le saillant de Saint le cdt Massenet Royer de Marancour, retour en 35 heures de vol. Parallè-
Mihiel. Le 3 novembre, De Marmier semble se méfier de ce bouillant pi- lement à son métier d’aviateur, il
et Chavannes sont mutés à la nou- lote et note à son sujet : “S’accommode apprécie aussi le pilotage de voitures
velle escadrille SPA 176 dans le but mal du temps de paix. Éducation de course ; de 1923 à 1927, il parti-
d’y former les jeunes pilotes, mais moyenne. À beaucoup à apprendre cipe à plusieurs compétitions auto-
l’armistice met un terme aux com- pour être un bon officier. À surveiller mobiles européennes à bord de voi-
bats huit jours plus tard. de près.” La SPA 176 étant dissoute, tures Salmson, dont les célèbres
il est affecté le 1er mai 1919 à l’esca- 24 heures du Mans sur l’anneau de
Pilote de ligne drille SPA 81 qui stationne en Montlhéry.
Allemagne occupée, puis est démo- Au mois de juin 1926, il devient
après la guerre bilisé le 7 octobre 1919. pilote d’essais de la maison Potez et
La fin de la guerre est accueillie Désormais officier de réserve, il en mai 1927 s’adjuge des records de
avec soulagement par l’immense trouve rapidement une situation de vitesse avec un appareil de la firme à
majorité des combattants… sauf par pilote d’essais à la société Nieuport, moteur Farman emmenant une
notre pilote qui veut encore en dé- puis entre comme pilote de ligne à la charge utile, battant notamment le
coudre, et qui, le 24 mars 1919, signe Compagnie franco-roumaine de record du monde sur 1 000 km avec
un document où il écrit : “Je suis navigation aérienne dont le chef-pi- 1 000 kg de charge, à une moyenne de
volontaire pour marcher contre tout lote est l’as Albert Deullin. En com- 170,76 km/h. Au mois d’août 1927,
ennemi, que ce soit extérieur (boches, pagnie de ce dernier, il effectue un associé au pilote Favereau, il s’at-

Le caporal Lionel
de Marmier
(au centre)
photographié
à l’école devant
un Nieuport
d’entraînement
avec une toile
très fatiguée.
Il est entouré
de deux autres
élèves,
Georges Giraud
(à gauche)
et Jean Bordes
(à droite).

SHD

33
LIONEL DE MARMIER

taque au record de distance en ligne Le Spad XII-


droite en tenant de rallier Paris à Canon partagé
Tchita en Sibérie, mais un ennui tech- par Lionel
nique compromet leur projet. Une de Marmier
seconde tentative des deux hommes et Fernand
a lieu le 25 septembre 1929 ; ils sont Chavannes,
également trahis par la mécanique au décoré de leurs
début du parcours et doivent l’inter- initiales.
rompre alors qu’ils survolent Tunis.
Le 24 février 1930, Lionel de
DR
Marmier, devenu capitaine de réserve
en 1929, est décoré de la rosette d’offi- Probablement fin
cier de la Légion d’honneur. Il entre à 1917 à Beauzée-
ce moment comme pilote de ligne à la sur-Aire, dans
compagnie Aéropostale qui, en 1933, la région
est fusionnée pour donner naissance de Verdun,
à Air France. Il en est nommé inspec- les pilotes
du GC 15 à
teur des lignes puis chargé de la récep-
l’heure du repas
tion des nouveaux appareils en tant
du groupe.
que pilote d’essais. À ce titre, il réalise
De gauche
les essais pour la compagnie nationale à droite :
du bimoteur Bloch 220 en avril 1937, s/ lt Dupuis,
puis du Bloch 300 trimoteur sorti la sgt Fernand
même année. Le 14 septembre 1937, Chavannes,
Lionel de Marmier franchit son mil- Sgt Lionel de
lionième kilomètre à bord d’un avion Marmier, lt Leps
commercial, ce qui lui vaut les hon- (12 victoires, DR
neurs de la presse qui salue le nouveau futur chef de
“pilote millionnaire” de la société Air la SPA 81), plonge l’Espagne dans une guerre française, dont le journal du même
France. Il totalise à ce moment près et s/lt Jean civile dans laquelle ne tardent pas à nom dirigé par le monarchiste Charles
de 7 000 heures de vol, qui lui valent Dencausse. intervenir des puissances étrangères. Maurras se fait l’écho de toutes les li-
sa promotion au rang de commandeur En France, le gouvernement du front vraisons d’armes clandestines organi-
de la Légion d’honneur au mois de populaire de Léon Blum choisit offi- sées par le gouvernement pour l’Es-
janvier 1936. C’est également à cette ciellement de ne pas intervenir, mais pagne. C’est ainsi que le journaliste
époque que sa vie personnelle prend aide officieusement la République Maurice Pujo, une des plumes les plus
Sur cette photo
un tournant : resté célibataire jusqu’à espagnole en lui fournissant combatives du journal, signe tout une
prise après
l’âge de 38 ans, il se marie le 23 février quelques matériels militaires dont série d’articles fustigeant l’interven-
l’armistice,
1935 à Paris avec Mlle Marie Langlais. Fernand de
plusieurs avions. tion déguisée du gouvernement fran-
Deux fils naîtront de cette union. Chavannes La société française est très divi- çais, et dans lesquels il mentionne le
est assis aux sée sur la question et pour une partie nom de Lionel de Marmier.
Des livraisons vers commandes de la droite française, le gouverne- Ce dernier, le 17 août 1936, pilote
ment de la république espagnole est un avion ayant transporté M. Léon
l’Espagne en guerre d’un Fokker
assimilé à de dangereux communistes Jouhaux, le chef de la CGT – alors
D.VII tandis
L’insurrection militaire lancée que Lionel qu’il faut combattre en soutenant la syndicat réformiste, non-commu-
au mois de juillet 1936 par des mili- de Marmier se rébellion militaire, et ce tout particu- niste –, qui visite Madrid et rend
taires espagnols contre le gouverne- tient devant lièrement dans les rangs de la droite compte aux journalistes du combat
ment socialiste issu des élections son ami. réactionnaire et royaliste de l’Action du peuple espagnol pour sa liberté.
DR
Lionel
de Marmier
en 1921 devant
un Potez IX
de la compagnie
franco-roumaine
dont il était
l’un des pilotes.
GALLICA

Le 26 août 1936, Lionel de Marmier tion française. Le mutilé de guerre les idées politiques de son frère et
est décrit par la presse de droite héros du bombardement sur Ostende qu’il ait de bonne grâce exécuté les
comme ayant livré un bombardier s’est installé en Lorraine libérée après ordres de livraison du ministre Pierre
Bloch 210 (n° 5) au gouvernement la guerre, et est devenu un farouche, Cot, la bête noire de la droite réac-
espagnol, obéissant aux ordres du pour ne pas dire violent, militant tionnaire. Le 18 février 1937, il est
ministre de l’Air Pierre Cot. Les royaliste. Il a ainsi très vivement inter- présent dans les locaux du journal
députés de droite interpellent le gou- pellé Henri de Kérillis, de la droite communiste L’Humanité où il ac-
vernement… Lionel de Marmier va “classique”, lors d’une réunion poli- compagne l’aviatrice Maryse Bastié,
réaliser ensuite d’autres liaisons vers tique, et n’a pas hésité à sortir un re- célébrée par les journalistes du quo-
l’Espagne, voire d’autres livraisons volver lors d’une autre réunion poli- tidien pour sa réussite dans une tra-
que dénonce le journal L’Action tique en province… En rébellion versée de l’Atlantique sud.
française le 21 mai 1937. contre la terre entière, les coups de
Si son nom est régulièrement cité sang de François de Marmier étaient Au combat
par le quotidien monarchiste, sa per- salués par le quotidien monarchiste
sonne est relativement épargnée par qui reconnaissait du bout des lèvres
en 1939-1940
le journaliste Maurice Pujo, pour la qu’il en venait même à s’opposer vio- Quelques jours avant que n’éclate
simple raison que son frère, François lemment aux responsables politiques la Deuxième Guerre mondiale,
de Marmier, décédé en 1932, était un locaux de la ligue. Il semble que Lionel de Marmier, alors comman-

des plus farouches militants de l’Ac- Lionel de Marmier n’ait pas partagé dant de réserve depuis le 5 avril 1937,
DR
Lionel
de Marmier
devient chef
pilote de la
société Potez
en 1926 et réalise
plusieurs records
et raids sur
les avions
de la société.
Ici le Potez 34
de 500 ch à
moteur Farman
avec lequel il
tente avec son
copilote Favreau
de réaliser
un record de
distance Paris-
Chita (Sibérie)
en août 1927.

35
LIONEL DE MARMIER

Caudron C.714 du GC I/145 Varsovie codé I-247, le seul avion non décoré d’un damier
polonais et probablement l’avion personnel du cdt Lionel de Marmier, à bord
duquel il revendique un He 111 sûr et deux probables le 3 juin 1940.

est mobilisé le 27 août 1939. Pilote est déclaré opérationnel le 27 mai groupes de chasse pratiquement
réserviste très entraîné du fait de sa 1940, durant l’attaque allemande, lorsque les bombes tombent déjà sur
profession, il est considéré comme avec 31 pilotes et 34 appareils. Son les terrains ! C’est dans ce contexte Ce Cant Z
étant de classe A (apte à la chasse) chef en est le capitaine polonais Piotr que le groupe de chasse I/145 réalise 1007-bis a été
par l’armée de l’Air et rejoint la base Laguna ; le cdt Lionel de Marmier en son premier engagement le 3 juin récupéré par
de Toulouse-Francazal. Pilote de est désigné l’officier de liaison le 1940. Le cdt Lionel de Marmier lui- les équipes
ligne confirmé, sa place naturelle est 30 mai. Les pilotes se posent le 2 juin même mène une patrouille de trois de Lionel
dans l’aviation de transport ou de 1940 sur le terrain de Dreux. appareils ; ses équipiers sont le de Marmier et
bombardement. Mais il souhaite À cette période, l’armée fran- lt Czerwinski et le s/lt Zukowski. La “remis à neuf”
reprendre les commandes d’un avion çaise a établi une ligne de défense sur patrouille intercepte des bombar- afin d’être
de chasse : il obtient le 9 décembre la Somme (ligne Weygand) tandis diers Heinkel 111 au-dessus de remis en
1939 son affectation au centre d’ins- que ses meilleurs éléments sont en- Villacoublay et en aurait abattu un, service comme
truction à la chasse de Montpellier cerclés dans la poche de Dunkerque. plus un autre probablement. Le avion de
où il va prendre les commandes de Avant de percer cette ligne, les conditionnel reste de mise car ces transport sous
tous les avions chasse modernes Allemands lancent une vaste offen- revendications ne seront pas sou- l’immatricula-
alors en service : Potez 631, Mo- sive aérienne pour anéantir les unités mises à homologation par le cne La- tion FL-AVM
rane 406, Bloch 151-152 et Curtiss de l’armée de l’Air stationnées en guna, mais la désorganisation géné- et baptisé
H-75. Le 16 février 1940, il est affecté région parisienne, connue sous le rale et la retraite précipitée du Bir Hacheim.
à la base de Lyon-Bron, rattaché au nom d’opération Paula. Si le but es- groupe peuvent expliquer cet oubli. Une grande
débrouillardise
bataillon de l’air 145, et travaille au compté est loin d’être atteint, l’armée Lionel de Marmier considérera pour
régnait dans
dépôt d’instruction de l’Aviation de l’Air fait preuve d’une évidente sa part, dans des documents signés
les Lignes
polonaise (Diap) qui réentraine les désorganisation en ne parvenant pas de sa main, avoir abattu un Hein-
aériennes
pilotes polonais sur les matériels à intercepter efficacement les bom- kel 111 sûr et un autre probablement
militaires de
français, avec lesquels ils sont affec- bardiers – les raids sont annoncés aux ce 3 juin 1940. la France libre.
tés dans des unités combattantes,
soit individuellement, soit sous
forme de patrouilles de trois à six
appareils envoyés en renfort dans
des groupes de chasse, soit formant
des patrouilles de protection d’usine.
Un groupe de chasse entièrement
polonais est cependant formé, le
GC I/145 Varsovie, sur du matériel de
seconde main, le Caudron-Renault
CR 714. C’est un chasseur dit
“Jockey”, dont la faible puissance du
moteur Renault de 450 ch est suppo-
sée être compensée par le faible poids
de l’appareil… qui, très peu blindé,
peut difficilement être considéré
comme un avion de guerre. Si sa vi-
tesse de 487 km/h est comparable aux
autres chasseurs français de l’époque,
sa vitesse ascensionnelle est très infé-
rieure. Faute de disponibilité en ap-
pareils plus performants, les Polonais
doivent s’en contenter et le GC I/145
DR

36
à Saint-Jean-de-Luz avec des occidentale française] à la France
troupes polonaises sur un bateau libre. Ils sont reçus à coups de ca-
anglais, l’Ettrick, qui rallie le port non… Promu au grade de lieutenant-
de Plymouth le 27 juin avec de futurs colonel par le gén. de Gaulle le
grands noms des FAFL (Forces 15 septembre 1940, Lionel de
aériennes françaises libres) comme Marmier et ses aviateurs sont alors
Jean Maridor et André Moynet. envoyés au Cameroun qui s’est rallié
Tous se rallient immédiatement au à la France libre ; ils débarquent dans
général de Gaulle qui a, en la per- le port de Douala le 23 septembre
sonne du cdt de Marmier, son pre- 1940. En collaboration avec les
DAVID MÉCHIN
mier officier supérieur d’aviation. troupes terrestres du colo -
nel Philippe de Hautecloque, dit
Une petite troupe Leclerc, le GMC 1 participe à une
courte guerre civile en combattant
hétéroclite les troupes coloniales du Gabon,
Le 2 août 1940 il se retrouve seule colonie de l’AEF [Afrique
affecté à la base équatoriale fran-
d’Odiham où les çaise] restée fidèle à
élèves pilotes fran- Vichy. Les avions à
çais terminent leur croix de Lorraine
formation et où effectuent, du 1er au
sont rassemblés 11 novembre 1940,
L e GC I/145 connaît d’intenses Lionel l’ensemble des vo- plusieurs missions
combats durant la débâcle, du 8 au de Marmier lors lonta i res de la de mitraillage et de
10 juin 1940, au-dessus de Dreux. de son ralliement France libre ayant bombardement sur
Il soumet huit victoires à l’homolo- à la France libre pu rallier l’Angle- Libreville et Port-
gation, contre sept avions abattus le 28 juin 1940. terre, quelquefois Gentil, avant de
et trois pilotes perdus, avant de avec leurs maté- contraindre les au-
devoir évacuer à Sermaises puis à riels. De cette pe- torités vichystes à la
Château- La Martinerie le 13 juin tite troupe hétéro- reddition. L e
1940, où il reçoit quelques clite est constitué GMC 1 “Jam” est
Bloch 152. Il gagne ensuite le ter- dès le 3 août le DR officiellement dis-
rain de Rochefort le 17 juin où les GMC (groupe mixte de combat) sous au terme de la campagne, le
pilotes abandonnent leurs appa- n° 1, connu aussi sous le nom de 10 décembre 1940, pour fusionner
reils et embarquent pour l’Angle- “Jam”, dont le commandement est avec une autre formation baptisée
terre deux jours plus tard. confié à Lionel de Marmier, fort de “Topic” venue d’Angleterre et forte
deux chasseurs Dewoitine 520 qui de six Blen heim. Les deux unités
Immédiatement rallié forment une escadrille de chasse, 12 deviennent le 24 décembre 1940 le
“Lysander” qui forment deux esca- groupe réservé de bombardement
au général de Gaulle drilles de reconnaissance et six n° 1 (GRB 1) dont le commandement
O n retrouve alors Lionel “Blenheim” qui forment une esca- est confié au cne Astier de Villate.
de Mar mier au Pays basque, où il drille de bombardement. Le lt/ col. Lionel de Marmier est
rassemble tous les volontaires qui Ces aviateurs s’embarquent le pour sa part nommé par le gén. de
veulent s’embarquer pour l’Angle- 15 août 1940 et prennent part à l’ex- Gaulle chef d’état-major des Forces
terre afin d’y poursuivre la lutte. Il pédition devant le port de Dakar aériennes françaises libres au
embarque lui-même le 24 juin 1940 pour tenter de rallier l’AOF [Afrique Moyen-Orient le 23 décembre 1940. ▲
Chef des lignes
aériennes
militaires
de l’Armée
française libre,
le colonel Lionel
de Marmier
(premier plan)
pose devant
un Caudron
“Simoun” de
liaison marqué
de la croix de
Lorraine en 1942.

SHD

37
LIONEL DE MARMIER

Lockheed “Lodestar” F-CBAD dans lequel Lionel de Marmier disparut


en mer le 30 décembre 1944 au large des Baléares avec 12 autres passagers.
Son corps a été retrouvé par un navire américain le 4 avril 1945, identifié
et remis à la mer après un service religieux.

À ce titre, il supervise la création dont elle forme le Flight C. Ils effec- mission de la part du gén. De
d’une base aérienne sur l’oasis d’Ou- Assis sur tuent quelques missions contre les Gaulle : créer un service aérien
nianga-Kébir au mois de janvier 1941 le bidon, le forces de l’Axe en Libye à partir du pour relier les territoires de la
d’où 12 “Lysander” et six “Blenheim” lt/ col. Lionel 7 août, attaquant le port de Bardia le France libre et affirmer sa souverai-
du GRB 1 partent pour des missions de Marmier, 9. Conduisant des missions de neté vis-à-vis des Alliés. Une tâche
de reconnaissance et de bombarde- chef de convoyage à partir du 13 août, l’esca- immense pour Lionel de Marmier,
ment des positions italiennes de l’escadron de drille de bombardement n° 2 reçoit pour laquelle il doit partir de rien…
Koufra les 2, 5 et 10 février 1941 ; ils bombardement l’ordre de se rendre en Syrie, alors aux Mais qu’il va mener à bien avec obs-
appuient la progression de la colonne n° 2, pose mains des Forces françaises libres tination. Les Lignes aériennes mili-
Leclerc qui prend l’oasis le 2 mars devant (FFL), où elle est dissoute le 5 sep- taires (LAM) ont pour premier
1941 et offre à la France libre sa pre- un Martin tembre 1941 pour constituer le groupe appareil un avion pour le moins
“Maryland”
mière victoire militaire. Cependant, de bombardement Lorraine avec exotique, le Cunliffe-Owen OA-1.
de l’unité
faute de matériel adapté, les bombar- d’autres unités de la France libre. Cette aile volante baptisée “Clyde
rattachée à
dements effectués sont très peu pré- Le lt/col. Lionel de Marmier Clipper” effectue à compter du
l’escadron
cis, ce qui va être la source d’un n° 39.
reçoit le jour même une nouvelle mois de juin 1941 des liaisons en
violent conflit de personne entre Afrique équatoriale française puis
Leclerc et de Marmier. Ce dernier des liaisons entre l’AEF et le Levant.
fait preuve du même caractère vif Il sera secondé pour ces vols par les
que son frère aîné et va également trois Bloch 120 de l’aviation colo-
avoir des relations difficiles avec le niale de l’AEF, et par un Potez 540
gén. Valin, nouveau chef des Forces (n° 170) dém i l ita r isé. Deu x
aériennes françaises libres. Blenheim démilitarisés sont égale-
ment employés, ainsi qu’un
Création des lignes Lockheed prêté par la RAF.
aériennes militaires La première liaison
Une seconde unité, l’escadrille de
bombardement n° 2, est formée à
Damas-Brazzaville
Brazzaville le 8 avril 1941 sous les Sur le territoire syrien, deux
ordres du cne Goumin. Elle est en- Dewoitine D.338 d’Air France ont
voyée en Égypte où elle participe au pu être saisis et, réparés localement,
mois de mai à des missions sur la Syrie re-immatriculés FL-AQB Belfort et
aux mains des troupes de Vichy, à FL-ARI Verdun, sont remis en ser-
bord de Martin “Maryland” prêtés vice. Deux quadrimoteurs Farman,
par l’aviation britannique. Le abandonnés sur le terrain d’Alep,
cne Goumin disparaissant au combat sont également récupérés : le
au-dessus de la Crête le 26 mai 1941, F-222.1 n° 10 re-immatriculé
le commandement de l’escadrille de FL-ARM France, et le F-223.3 n° 3
bombardement n° 2 revient à Lionel ré-immatriculé FL-AFM. Ce der-
de Marmier le 2 juin 1941. L’unité, nier est le premier à ouvrir la liaison
composée de huit équipages, est rat- Damas-Brazzaville le 5 octobre
tachée au Squadron 223 puis à partir 1941, arrivant à Brazzaville le 11
du mois de juillet au Squadron 39 piloté par Lionel de Marmier lui-
DR

38
culation FL-AVM à la ligne Damas- Moscou, qui y signe le Pacte franco-
AEF. Deux Lockheed C-60 “Lo- russe avec Staline.
destar” (FL-AZM et FL-AXM) Alors que la France est globale-
vont également renforcer cet effectif ment libérée et que la victoire finale
en 1942. Promu colonel en mars 1942, sur l’Allemagne est proche, Lionel de
Lionel de Marmier, après le rallie- Marmier ne verra pas la fin de la
ment de l’Afrique du Nord en no- guerre. Le 30 décembre 1944, il est
vembre 1942, prend quelques mois aux commandes d’un Lockheed 18
plus tard la direction des Lignes aé- “Lodestar” (F-CBAD) du RCTAM,
riennes de la France combattante, avec un équipage de trois officiers (un
qui deviennent le Réseau central des copilote, un radio et un mécanicien).
IN
DAVID
MÉCH transports aériens militaires Transportant neuf autres passagers,
(RCTAM). Il organise de nouvelles l’appareil décolle d’Alger à 6 heures
liaisons vers Dijibouti, Madagascar du matin pour rallier Paris via
et la Réunion, mais aussi une liaison Toulouse. L’avion se trouve probable-
Damas-Moscou qu’il ouvre person- ment aux Baléares quand il lance un
nellement au mois d’octobre 1943 dernier appel radio à 7 h 29, capté par
afin de ravitailler la mission militaire les postes de Marseille et d’Alger. Le
française en URSS et les pilotes du temps est mauvais, de la pluie et de la
Normandie-Niémen. neige tombe sur une mer agitée… Le
Lockheed disparaît corps et biens et
La France libérée, les recherches du Sea Air Rescue
Service seront rendues difficiles par
il disparaît en mer la météo. Le corps du gén. de
P our tous ses déplacements Marmier est retrouvé le 4 avril 1945
dans l’Empire, Lionel de Marmier à 13 h 17 dérivant en mer au large de
même, après l’ouverture d’une pre- est le pilote personnel du gén. De la Sicile à 40 km de Trapani, par un
mière liaison Da mas-Le Caire le Gaulle. Il a l’honneur de piloter petit patrouilleur de la marine amé-
8 septembre 1941. l’appareil qui l’amène en Nor- ricaine, formellement identifié grâce
N’hésitant pas à recourir au sys- mandie libérée en 1944, puis des- à ses papiers d’identité. Aucun indice
tème D, le chef des LAM fait récu- cend à ses côtés l’avenue des n’est trouvé quant aux circonstances
pérer par ses mécaniciens un bom- Champs-Élysées à la libération de du décès. Il est rendu à la mer par
bardier italien Cant 1007-bis posé sur Paris. Nommé au grade de général l’équipage américain après un office
le ventre à Beyrouth, le fait transfor- de brigade le 25 septembre 1944, il religieux catholique organisé par le lt
mer en avion de transport et l’affecte accompagne de Gaulle du 24 no- C. A. Thompson, officier médecin
en septembre 1942 et sous l’immatri- vembre au 16 décembre 1944 à de réserve du navire. ■
DR
Appareil pour
le moins
exotique,
le Cunliffe-Owen
OA-1 est l’un
des premiers
appareils mis en
service par les
Lignes aériennes
militaires
du Col. Lionel
de Marmier.

DR

Le 30 décembre 1944, Lionel de Marmier disparaît


en Méditerranée lors d’un vol Alger-Toulouse à bord
d’un Lockheed 18 “Lodestar” semblable à celui-ci.
ENQUÊTE
EMPREINTE CARBONE

La réalité des chiffres

La vérité sur l’empreinte


écologique des spectacles
Par un jeu de circonstances mêlant déclarations empreinte carbone qui, pour sa plus
grande part, sera due… au déplace-
politiques au creux de l’été, “aviation bashing” ment jusqu’au lieu de l’évènement des
et effet boule de neige des réseaux sociaux, spectateurs. Partant de là, pour “pro-
téger” sa commune, ce même maire
plusieurs spectacles aériens de la fin de saison ne devrait-il pas alors la protéger
avant tout de l’envahissement de ses
ont été pointés du doigt – et parfois plus – plages par les estivants ? Et question
par des associations écologistes comme de “gros subsidiaire : les services de la mairie
ont-ils calculé le bilan carbone de ce
pollueurs”. Pourtant, aucune donnée chiffrée salon de l’automobile ?
Autre exemple : le 5 septembre
ne vient étayer ces accusations. Au contraire même, dernier, le groupe politique d’opposi-
la seule étude sérieuse réalisée pour quantifier tion melunais Bien Vivre à Melun
postait sur sa page Facebook une
l’empreinte carbone des spectacles aériens longue diatribe contre le spectacle
aérien Paris-Villaroche Air Legend.
montre qu’ils ne polluent pas plus que les autres Bénédicte Monville, élue EELV au
manifestations grand public courantes. conseil municipal, coautrice du post
initial, s’en est ensuite expliquée dans
Par Xavier Méal le journal La République de Seine-et-
Marne (édition du 12 septembre) :

L
’ interrogation quant au bilan rayonner l’image de la ville et je ne “Ce que nous reprochons, c’est le
carbone d’un spectacle aérien veux pas que cela se transforme en déploiement d’avions qui alimentent
est légitime. Mais cette an- une polémique sans fin. Toutes ces un imaginaire. Ce n’est pas compa-
née, du fait de la polémique raisons font que je ne veux pas que ce tible avec notre survie. On a eu ce rêve
sur l’utilisation des jets privés soit l’édition de trop […]. En pleine de voler pendant la révolution indus-
née au creux de l’été, cette interroga- crise énergétique et face aux mesures trielle, mais il faut passer à autre
tion a pris une ampleur jamais at- démultipliées du gouvernement qui chose.” Propos qui ne sont pas sans
teinte. En effet, rares sont les mani- nous alertent sur ce qui va se passer rappeler ceux – malheureux – de
festations aériennes hexagonales de cet hiver, mon devoir est de protéger Léonore Moncond’huy, la maire de
fin de saison dont le bilan carbone n’a ma commune.” Poitiers (“C’est triste mais l’aérien ne
pas fait l’objet d’une interrogation de doit plus faire partie des rêves d’enfant
la presse locale, le plus souvent insti- Hystérie, hypocrisie, aujourd’hui”), et qui avaient valu à
guée par des associations écologistes l’élu poitevine son quart d’heure
locales appelant tout simplement à
règlements de compte warholien, mais sans doute pas celui
annuler la venue de la Patrouille de Dans un communiqué, la même qu’elle espérait tant la volée de bois
France ou carrément le spectacle ville de Sainte-Maxime indiquait par vert sur les réseaux sociaux avait été
aérien lui-même. La “crise” a culminé ailleurs qu’“évidemment, nous violente… notamment de la part de
avec l’annulation par la mairie de sommes d’ores et déjà au travail pour l’astronaute Jean-Loup Chrétien.
Sainte-Maxime, quasiment au der- proposer à l’avenir un nouvel événe- Mais surtout, selon les explications de
nier moment, des Free Flight World ment de grande envergure qui viendra l’élue, le groupe Bien Vivre à Melun
Masters, qui devaient se tenir les 15 prendre sa place sur la fin de saison”. dénonce également “la politique de
et 16 octobre. Le maire de la com- Enfin, le même maire de Sainte Louis Vogel qui encourage le déve-
mune, Vincent Morisse, a alors dé- Maxime inaugurait sur sa commune, loppement du trafic de jets privés sur
claré : “C’est un très bel événement et une semaine avant la date prévue du l’aérodrome de Melun-Villaroche
on devait fêter cette année la dixième Free Flight World Masters… un salon [qui] génère d’importantes nuisances,
édition, donc on imaginait une très de l’automobile… Faut-il en conclure pollution sonores et atmosphériques,
belle fête qui ferait plaisir à tous les que, comme la majorité des gens, le pour les riverains.” Voilà donc le fond
amoureux de l’aviation […]. Avec maire de Sainte-Maxime ignore une de la chose, sa motivation profonde.
mon équipe, on a bien imaginé que donnée qui est pourtant disponible Saisir toutes les opportunités pos-
cet événement qui devait être une fête, en quelques clics : quel que soit le type sibles pour faire de la politique poli-
pouvait se transformer en un calvaire d’évènement, à partir du moment où ticienne locale. Et comme en poli-
[…]. Cet événement était là pour faire il attire du monde, il générera une tique, tous les coups sont permis, on
40
est ainsi rédigé : “Sous couvert de l’ont largement intégré dans leur pro-
défendre la grande cause de la pla- cessus d’organisation. Mais du fait
nète, vous laissez s’emballer la de l’“aviation bashing” ambiant, il
“grande machine à s’indigner”. Le leur est souvent difficile de se faire
résultat est un discours marécageux, entendre. Les articles dans la presse
bien-pensant, sans articulation lo- locale sont le plus souvent à charge,
gique aucune. Le public d’Air Legend car initiés par des associations éco-
est aussi écolo que vous, simplement logistes, et reprennent trop souvent
ils savent apprécier la prouesse que des “arguments” non vérifiés – no-

aériens représentent ces avions, leurs pilotes,


l’industrie, le savoir-faire plus que
centenaire qu’il y a derrière…
Vive Air Legend, vive l’industrie
aéronautique, vive le tofu et oserais-
tamment les arguments chiffrés.
Le transport aérien est depuis
quelques années dans le viseur des
défenseurs de l’environnement. Et par
un concours de circonstances, les
je même dire : surtout, surtout… Vive spectacles aériens sont devenus une
n’hésite pas à amalgamer le spectacle la France !” cible parce que, d’une certaine façon,
aérien Air Legend avec le transport Ces exemples sont pour le moins ils symbolisent le transport aérien…
aérien public, l’avion de ligne et les révélateurs de l’hystérie empreinte Le reproche le plus souvent lu est que
jets d’affaires. Démontrant ainsi une d’hypocrisie qui a caractérisé les at- “ce sont de gros émetteurs de CO2 , et
totale méconnaissance de tout ce que taques portées contre les spectacles que ce sont des spectacles avec un côté
met en œuvre l’industrie aéronau- aériens en août et septembre dernier. “un peu ancestral et vieillot” ou encore
tique depuis des années déjà, sinon À Melun, les choses en sont restées là, “plus vraiment dans l’air du temps”.”
des décennies, en termes de recherche mais sur l’aérodrome d’Albi-le- Mais s’ils ne sont plus dans l’air du
et d’application, pour se décarboner. temps, comment expliquer les af-
Démontrant aussi une méconnais- fluences quasi-records… ? 10 000
sance de toutes les études qui ont été
faites sur l’empreinte carbone des “ Le bilan carbone spectateurs à Morlaix, 12 000 à l’Alpe
d’Huez, 25 000 à Cambrai, 32 000 à
grandes manifestations publiques.
Car alors que se tenait le spectacle
d’un meeting se situe Meaux, 40 000 à Francazal, 60 000 à
Melun, plus de 100 000 aux Sables-
aérien Flying Legends, la même élue
s’est rendue à la Fête de l’Humanité, dans l’échelle basse de d’Olonne. Il faut croire que les
Français aiment le spectacle ancestral
qui se tenait à Brétigny-sur-Orge (sur et vieillot… et que l’aviation fait tou-
le site de l’ancienne base aérienne ceux des spectacles ” jours autant rêver, et que la plupart
des parents n’ont donc pas interdit à
leurs enfants de rêver de voler. Faut-il
pour autant présumer que le specta-
teur de spectacle aérien n’a aucune
conscience écologique ? Peut-on pour
autant soupçonner tous les specta-
teurs des spectacles aériens d’écolo-
scepticisme ou d’écolo-indifférence ?
Pour ce qui est d’être de gros émet-
teurs de CO2, la vérité, en comparant
les bilans carbone de diverses mani-
festations grand public dans diffé-
rents domaines, est que cette alléga-
tion est totalement infondée.

Rendre publiques
des données fiables
Qu’en est-il donc de l’empreinte
carbone d’un spectacle aérien ? Fin
2021, France Spectacle Aérien (FSA)
a lancé une étude sur le sujet, afin de
disposer et de rendre publiques des
données fiables. L’étude a été réalisée
TIMETOFLY
par la société Time to Fly (TTF) de
Un gros
217…), qui a attiré 400 000 visiteurs Sequestre, le spectacle aérien qui de- spectacle
Gilles Rosenberger, un bureau
et qui proposait notamment des vait clôturer le 27 août le championnat aérien d’études certifié ISO 9001, formelle-
concerts – précisions nécessaires si on de monde de pilotage de précision a génère une ment habilité aux bilans carbone, par-
veut se faire une idée du bilan car- été annulé tout juste 24 heures avant, empreinte tenaire de la BPI (Banque publique
bone de l’événement car nous n’avons du fait d’un règlement de compte entre carbone d’investissement) et de l’Ademe
trouvé aucun chiffre à ce sujet. Certes, élus locaux… moindre que, (Agence de l’environnement et de la
le post de l’élue melunaise n’a pas eu Certes, les organisateurs de spec- par exemple, maîtrise de l’énergie), et membre de
un gros écho (56 commentaires), mais tacles aériens ne peuvent s’exonérer une finale la World Alliance for Efficient
il est symptomatique du phénomène de la question du bilan carbone de de Coupe Solutions. Pour la construire, trois
qui a touché nombre des meetings de leur événement. La plupart, sinon de France spectacles fictifs ont été définis : un
fin de saison. Un des commentaires tous, en sont plus que conscients et grand rassemblement (SAP de grande

de football.
41
EMPREINTE CARBONE

importance en jargon Direction géné- sportifs. Selon les chiffres du bilan


rale de l’Aviation civile, avec 25 000 carbone de l’édition 2021 du Tour de
spectateurs), un rassemblement France publiés par son organisateur
moyen (10 000 spectateurs) et un évé- ASO, parmi les 216 000 t de CO2 reje-
nement se déroulant sur la façade tées l’année dernière, “94 % pro-
maritime (meeting devant des plages, viennent d’émissions indirectes (de gaz
100 000 spectateurs). Pour chaque à effet de serre), causées par les téléac-
spectacle fictif, un plateau type a été teurs et supporters”. À titre de compa-
défini. Tous les vols de présentation, raison, la caravane du Tour, avec ses
mais aussi les vols de convoyage, véhicules publicitaires, serait quant à
contribuent à l’empreinte carbone, elle responsable du rejet de 4 505 t de
mais les présentations d’aéronefs de CO2 pour cette même édition. Selon
l’État ont été considérées comme des un rapport du Shift Project, près de
phases d’entraînement à leur mission 90 % des émissions des salles de ci-
de base et ont donc été distinguées des néma françaises sont liées… à la mobi-
autres présentations. Pour FSA, “l’im- lité des spectateurs. Le quotidien
portance de cette étude, même si com- L’Équipe rapporte que 87 % des émis-
paraison n’est pas raison, est qu’elle sions carbone émises en 2018-2019 par
démontre avant tout que nos évène- les matches de L1 et L2 l’ont été par…
ments dans leur ensemble ne sont pas, les spectateurs se rendant au stade.
comme l’opinion pourrait le penser, Pour les 24 heures du Mans, le bilan
les plus gros contributeurs de rejets, carbone est de 36 000 000 t dont un peu
mais également que la partie aérienne moins de 5 % sur la piste (carburant,
ne vient pas au premier plan, même si pneus) et près des deux tiers en raison
elle n’est pas négligeable”. TIMETOFLY de la venue des spectateurs sur site lors
Le constat est donc des plus Le spectateur de la course. Tous les événements à
simples et recoupe ce qui est déjà bien tional justifie les chiffres tutoyant les d’un meeting caractère sportif sont confrontés à
connu des spécialistes de ce type 90 kg CO2 /festivalier). A nombre de aérien émet cette problématique. Pour la climato-
d’études : toute manifestation attirant spectateurs équivalents (festival Jazz plutôt moins logue Valérie Masson-Delmotte, pré-
un large public, nombreux, est grosse d’Oslo), on s’aperçoit que les émis- de CO2 que sidente d’un des groupes de travail du
émettrice de CO2. Il en est ainsi d’un sions générées pour les déplacements le spectateur Giec (Groupe d’experts intergouver-
match de foot international comme sont sensiblement équivalentes à celles d’un autre type nemental sur l’évolution du climat),
d’un concert de rock ou d’une course de nos spectacles aériens.” Autres de spectacle. l’un des grands écueils auquel va de-
automobile. C’est bien là la réalité, et exemples issus d’autres sources : en voir se confronter le monde du sport
les chiffres en attestent. 2018, une étude menée par la salle de est lié aux déplacements des specta-
L’étude réalisée pour FSA pré- concert lilloise L’Aéronef a révélé que teurs, car 80 % des émissions de car-
cise : “Plusieurs études publiées ont les transports utilisés par les specta- Le bone du sport sont en effet liées aux
analysé l’empreinte carbone de grands teurs pour s’y rendre était l’élément le déplacement transports – un impact majoritaire-
spectacles sportifs ou culturels, et no- plus polluant pour les concerts qu’elle des spectateurs ment issu des déplacements du public.
d’un spectacle
tamment celle du Festival des Vieilles organise – à hauteur de 62 % des émis- Donc, pour faire simple, pour ne pas
aérien
Charrues (dont l’éloignement des sions. Cette donnée est connue depuis polluer, il faut rester enfermé chez soi.
constitue le
centres urbains explique les 56 kg CO2/ fort longtemps, notamment depuis Encore que…
plus gros poste
spectateur) et celle du Festival Off une étude de 2009 sur l’évaluation du de production
Ce n’est pas parce qu’on reste
d’Avignon (dont le rayonnement na- bilan carbone des grands événements de CO2.
chez soi qu’on ne produit pas du

TIMETOFLY

42
CO2… Pour parvenir à 0 émission de
carbone, il faudrait absolument ne Comment la Patrouille de France
rien faire chez soi. Selon l’étude réa-
lisée en mars 2020 par SaveonEnergy, est devenue malgré elle le symbole du symbole
les 64 millions de vues sur Netflix de et donc le parfait bouc émissaire…
la saison 3 de la série Stranger Things
auraient émis 189 000 t de CO2, soit En juillet 2020, le nouveau maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, avait refusé le passage de la Patrouille
l’équivalent de 676 millions de kilo- de France prévu le 13 juillet dans le ciel de la cité des Gones, dans le cadre du vol qui la faisait rejoindre la
mètres parcourus en voiture… capitale en prévision du traditionnel défilé sur les Champs-Élysées. Juste et simplement survoler. Pas faire sa
présentation complète. Raison invoquée : officiellement afin d’éviter tout attroupement, pour cause de menace
Des interrogations planante d’une résurgence du coronavirus. Menace qui ne semblait pas exister apparemment sur les berges
du Rhône, noires de monde dès que le soleil pointait son nez. En revanche, une cérémonie officielle organisée
légitimes le même jour en hommage au personnel militaire et soignant cour Franklin Roosevelt avait été maintenue.
Du côté des organisateurs de Ce refus avait fait grand bruit, ou plutôt grand buzz… Aussi vain qu’ait été ce que certains qualifièrent de
spectacles aériens, on affirme avoir caprice, le procédé utilisé par Grégory Doucet est resté ancré dans la mémoire des membres et sympathisants
conscience de ces enjeux. “Ces inter- d’Europe Écologie les Verts (EELV), qui l’ont “réchauffé” à l’envie l’été dernier. Mais pourquoi deux ans plus
rogations sont légitimes, c’est le devoir tard ? Tout simplement parce que la Patrouille de France est devenue le symbole… du symbole. Explications :
de chaque citoyen d’être éco-respon- en plein milieu de l’été dernier, le député et (alors) secrétaire national d’EELV Julien Bayou a annoncé dans le
sable”, expliquait Jean-Michel quotidien Libération du 19 août vouloir déposer une proposition de loi à l’automne pour interdire les jets privés.
Laporte, président d’Armor Aéro Argument : “On essaie de faire des efforts, et vous avez ces ultra-riches qui multiplient les vols caprices en jets
Passion et responsable du Breizh privés. Les Paris-Nice, les Paris-Genève… Ça pollue énormément”, a-t-il fustigé. Le jet privé comme symbole
Airshow de Morlaix, sur France Bleu. des ultra-riches. “Ces vols polluent 10 fois plus qu’un vol classique”. L’expert en transition écologique Jean-
Et de poursuivre qu’il entendait com- Marc Jancovici décrypta alors très bien le fond de cette déclaration sur le réseau social LinkedIn : “C’est ce
penser les émissions de CO2 du mee- que l’on appelle une mesure à effet de levier : elle porte sur des usages qui sont très émissifs à l’unité, peu au
ting. Mais surtout il a pointé les efforts total (parce qu’il y a quand même peu de gens qui se déplacent en jet !), mais qui conditionnent l’acceptabilité
faits à destination du public, en favo- de mesures qui vont, elles, porter sur des émissions beaucoup plus importantes en volume, mais beaucoup
risant la venue en train avec la mise en moins par usage.” Bizarrement, cette annonce faisait suite, à quelques jours près, à un buzz né sur Internet.
place de navettes gratuites. Et de sou- Au tout début du mois d’août dernier, une polémique était née sur le réseau social Instagram, du fait d’un poste
ligner aussi les efforts réalisés par de l’“influenceuse” américaine Kylie Jenner. “Tu veux prendre le mien ou le tien ?”, écrivait la dernière sœur
l’aéronautique dans la recherche pour du clan Kardashian-Jenner en commentaire d’une photo montrant deux jets privés. Ce post a généré plus de
se passer des énergies fossiles : “Pour 8 millions de “J’aime” et près de 50 000 commentaires. Parmi ces derniers, de nombreuses critiques acerbes :
développer un moteur il va falloir “Changement climatique vous avez dit” a ainsi reçu 92 000 “j’aime”; “À quoi ça sert que je recycle”, 85 000 ;
beaucoup d’innovation et d’investis- “Voilà pourquoi il faut taxer les riches”, 70 000, ou encore “Pendant ce temps-là, j’essaye juste de faire mon
sements. Une grande partie de la ré- plein d’essence”, 30 000. Et voilà sans doute comment un buzz est né d’un autre buzz. Et pas d’un rapport de
ponse technologique va venir très l’ONG bruxelloise Transports et Environnement (T&E) indiquant que les émissions de CO2 des jets privés en
certainement de l’aéronautique. Il faut Europe ont augmenté de 31 % entre 2005 et 2019, publié lui… en mai 2021. C’est dans cette étude qu’on peut
donc la promouvoir.” lire que les jets privés rejettent en moyenne dix fois plus de carbone que les lignes aériennes, et sont 50 fois
Pour Jean-Michel Laporte, le plus polluants que les trains. Jo Dardenne, responsable des opérations aériennes chez T&E, estimait alors qu’il
Breizh Airshow permet de souligner était temps que le gouvernement “taxe les ultra-riches usagers de ce mode de transport” (Libération du 27 mai
le lien entre la Bretagne et l’aviation. 2021). Cependant, à l’époque de sa publication, ce rapport ne semble pas avoir inspiré Julien Bayou…
“On s’intègre complètement dans les Selon l’expert Jean-Marc Jancovici, les jets privés, “en termes de consommation de carburants, ce n’est pas
journées du patrimoine, ajoutait-il. quelque chose qui est majeur. Par contre, il y a un côté exemplarité dans cette affaire” (France Info, 29 août
On sait qu’à l’avenir, on va devoir 2022). Exemplaire en ce sens qu’aux yeux de certains, les jets privés ont quelque chose de tout à fait absurde
changer de paradigme mais pour et grossier – ils sont le symbole même de ces indulgences dont nous devrions par principe nous défaire.
comprendre le changement, il faut Toujours selon le même Jean-Marc Jancovici, à propos de la “consommation ostentatoire” (comprendre l’usage
connaître le passé”, insistait-il en des jets privés, ou des grosses voitures), “penser que pour résoudre cette crise climatique il suffira de “faire
guise de conclusion. payer le bourgeois”, c’est malheureusement méconnaître les ordres de grandeur.” (Nouvel Obs du 11 mars
L’étude réalisée par TimeToFy 2021).Bizarrement… les attaques dirigées contre la Patrouille de France n’ont commencé à poindre qu’après
conclut que les quatre principaux le 20 août… Selon la presse quotidienne régionale, le 22 août dernier, une manifestation contre la venue
postes d’émission de gaz à effet de de la Patrouille de France pour un traditionnel meeting de plage en Bretagne, a rassemblé une quarantaine
serre des meetings aériens pré- de personnes. Et selon Ouest-France, “plusieurs centaines de personnes étaient réunies sur le tarmac” de
sentent chacun des opportunités de l’aéroport de Lannion pour l’accueillir le 27 août, et elles furent plusieurs milliers à l’acclamer ensuite sur la
réduction : promenade de Trestraou. Durant la fin de la saison, la Patrouille de France a ainsi été prise à partie plusieurs
– le déplacement des specta- fois. Parce qu’elle évolue sur des jets, qui, portant une livrée tricolore et représentant la France, sont devenus le
teurs : la mise en place de transport parfait symbole du symbole. Et que sa venue permettait à l’opposition d’attaquer le maire qui l’avait sollicitée.
en commun et la facilitation du co- Mais que symbolise en réalité la Patrouille de France, qui fêtera ses 70 ans l’année prochaine ? Elle symbolise
voiturage peuvent permettre de ré- avant tout l’armée de l’Air et la France, dont elle est un ambassadeur. Comme le Rafale Solo Display, par sa
duire notablement ce poste. Lorsque présentation technique, elle envoie un message de compétence et de crédibilité opérationnelle de l’armée
c’est envisageable, privilégier l’orga- de l’Air. Aux spectateurs du meeting, mais aussi au-delà de nos frontières. Pour ce qui est de son empreinte
nisation de meetings proches des carbone, et plus globalement celle de notre force aérienne, la prise de conscience s’est faite dans l’armée de
regroupements de populations (mé- l’Air comme dans tous les foyers. Des mesures ont été et sont prises du plus petit au plus haut niveau, à court
tropoles ou façade maritime) ; comme à long terme, pour réduire au maximum l’empreinte carbone de ses activités, en s’appuyant sur l’esprit
– l’optimisation des plateaux de d’innovation qui la caractérise. Un exemple est le recours au numérique, notamment à la simulation, qui permet
vols, la coordination entre organisa- d’optimiser, par une préparation en amont, les exercices réels. Sur les bases aériennes, les mêmes actions de
teurs d’évènements et la mutualisa- chasse au gaspillage et de réduction de consommation d’énergie sont menées que chez n’importe quel citoyen
tion des vols de rejointe lointains éco-responsable. Autre exemple : avec l’entrée en service du Pilatus PC-21, et le choix du mode de propulsion
peuvent constituer une opportunité turbine, l’armée de l’Air a gagné 10 mois sur la durée de la formation d’un pilote de chasse, et économisé 70 %
de réduction non négligeable des du carburant qui était initialement dédié à cette formation par rapport à l’ancien cursus.
émissions globales.

43
EMPREINTE CARBONE

Comme toute
manifestation
À quoi sert un spectacle aérien ? drainant un
Le 23 octobre 1906, devant un public nombreux, le Brésilien Alberto Santos- large public,
Dumont, réalisa à Bagatelle, un vol sur 60 m à une altitude de 2 à 3 m, grâce la plus grosse
auquel il remporta un prix décerné par l’Aéro-Club de France. Le premier meeting partie des
aérien, répertorié comme conçu en tant que tel, eut lieu le 3 juillet 1909, émissions
sur le champ d’aviation de la Brayelle près de Douai. Il fut suivi de nombreux autres de carbone
à une époque où les pionniers de l’aviation faisaient la une des journaux, générées est
les fêtes aériennes permettant au grand public de découvrir le monde de l’aviation. indirecte
Aujourd’hui, sur une page du site Internet du ministère de l’Écologie, on peut lire, car due au
à la rubrique manifestation aériennes : “Par la riche histoire de l’aéronautique déplacement
en France, les manifestations aériennes et en particulier les spectacles aériens des
ont une place toute particulière dans notre conscience collective nationale. spectateurs,
Ces derniers réunissent, depuis le tout début de l’aérien, un public nombreux généralement
et bien souvent fin connaisseur de l’aéronautique, de son actualité comme en famille,
de son passé. Ainsi chaque année, ce sont plusieurs centaines de spectacles entre leur
aériens qui sont organisés, réunissant dans une même passion plusieurs centaines domicile
de milliers de spectateurs. De nombreuses autres manifestations aériennes telles et le lieu du
que des journées portes ouvertes d’aéro-clubs sont organisées chaque année spectacle.
et traduisent le dynamisme de l’aviation générale en France.”
L’airshow ou spectacle aérien répond par ailleurs aux critères de l’évènement
culturel, si on se réfère aux résultats d’une mission suivie par le département des
Études, de la Prospective et des Statistiques (DEPS) du ministère de la Culture
visant à établir les bases de la définition de l’événement culturel. Cinq critères
sont retenus pour définir l’événement et ses finalités :
– un critère artistique (la présence de la création) ; FRÉDÉRIC DEBRUYNE

JEAN-PIERRE TOUZEAU

– le passage progressif vers des


carburants de substitution pour les
machines qui pourraient technique-
ment opérer avec ; cette action conju-
guée à la précédente serait de nature
à développer une autre opportunité
de réduction importante des émis-
sions (jusqu’à 80 % de ce poste).
– la multiplication d’actions
ponctuelles auprès du public présent
comme une offre de restauration
locale et moins carbonée, une ges-
Le “Bronco” tion raisonnée des déchets, du mer-
– un critère lié aux publics (la recherche d’un public élargi) ; chandising, peuvent permettre de
de Montélimar
– un critère de lieu (l’investissement d’un espace) ; lors d’un viser une réduction d’au moins 30 %
– un critère de temps (un temps “court” ou “concentré”) ; spectacle de ces postes. Des actions de com-
– un critère de rareté (le caractère “exceptionnel” de l’événement). dit “Sunset” pensation carbone peuvent être envi-
Selon Jean-Noël Bouillaguet, président de France Spectacle Aérien, (coucher sagées en complément de plans
“nous sommes perçus comme des saltimbanques ou de merveilleux fous de soleil) lors d’actions effectifs.
volants, mais au-delà, les spectacles aériens sont des vitrines du patrimoine, du dernier
des lieux d’éducation des jeunes, d’enseignement des valeurs comme Paris-Villaroche Les organisateurs
le patriotisme et les relations inter-nations.” Les spectacles aériens sont Air Legend.
aussi des théâtres où sont montrés le lien entre un territoire et son tissu prennent les devants
industriel, les nouvelles technologies – notamment celles de la décarbonation en Nombre d’organisateurs de spec-
marche de l’aéronautique –, un spectacle vivant parfois en forme d’opéra de l’air tacles aériens ont devancé dans les
au cours duquel sont évoqués, racontés des moments importants de notre faits les recommandations de l’étude
Histoire, la mémoire de nos héros. Ils sont encore des lieux de rencontre entre commanditée par France Spectacle
les entreprises locales et ceux en quête d’un emploi ou plus simplement Aérien. Peut-être tout simplement
d’un avenir, au travers de forum des carrières. Entre autres. parce qu’ils sont avant tout des ci-
toyens éco-responsables, comme le
44
sont devenus la grande majorité des cace entre la gare de Meaux et l’aéro- tion des oiseaux Nord, pour contribuer
Français ? Comme le relate le quoti- drome. Sur la plaquette de présenta- à l’aménagement d’un site de 38 hec-
dien Le Télégramme du 20 sep- tion du meeting de Cambrai, on peut tares initialement dévolu au hibou des
tembre 2022 : “La gestion des déchets lire : “L’engagement des Ailes de marais, et il s’apprête à renouveler ce
a été une préoccupation responsable Cambrai et de ses 300 membres : pro- don dans quelques semaines. C’est
pour les bénévoles pendant le Breizh téger, avec la communauté d’Agglo de Il n’était pas encore un fait peu connu que les aéro-
Airshow. Yann Le Gallic et Michel Cambrai, la biodiversité sur le site de sur la liste des dromes et plateformes aéroportuaires
Lafaye ont sillonné le site de long en l’aérodrome de Cambrai-Niergnie, présentations sont des réserves naturelles. Comme
large pour vérifier le contenu des 15 valoriser l’ensemble des déchets en en vol du Paris- en témoigne, non loin de Paris, Fox-
Villaroche Air
bacs mis à la disposition des specta- partenariat avec Suez, soutenir par une Trot, le renard qui rend très régulière-
Legend… mais
teurs pour les ordures ménagères et aide financière la Ligue de protection ment visite aux agents de piste et mé-
n’est pas passé
des 15 bacs jaunes pour les plastiques des oiseaux…” Fin 2021, l’organisa- caniciens qui officient à Orly et dont
inaperçu des
et canettes. Lundi, les agents du ser- teur du meeting de Cambrai, Philippe spotters, car il
les photos ont fait le buzz sur les ré-
vice “collecte et valorisation des dé- Macé, a remis un chèque de 2 500 eu- a lui aussi fait
seaux sociaux avant de se retrouver
chets” de Morlaix-communauté sont ros au président de la Ligue de protec- son show. dans les journaux.
venus charger les poubelles remplies En amenant entre autres des don-
de déchets, 4 m 3 au total, et ont re- nées chiffrées sérieuses qui n’exis-
connu “le beau boulot “ effectué par taient pas jusqu’à présent, l’étude réa-
les bénévoles.” lisée par TimeToFly pour France
Pour le meeting qu’il a organisé à Spectacle Aérien amène Jean-Noël
Meaux, Patrick Monbrun a pour sa Bouillaguet, président de FSA à plai-
part incité le public à venir à vélo au der pour une chose toute simple, qui
travers d’un partenariat avec une so- relève du principe de l’égalité de trai-
ciété de prêts de vélos qui a mis à dis- tement : “Il serait juste et cohérent que,
position 80 machines à la gare de sur le plan médiatique, l’aérien et tout
Meaux, et a fait savoir qu’il y aurait un ce qui tourne autour, soient traités sur
parking à vélo dédié à l’aérodrome. À un pied d’égalité que l’ensemble des
sa grande surprise, il a compté… 800 autres activités, avec des commentaires
vélos sur son parking ! Il avait aussi mis au juste niveau de l’empreinte exer-
en place un système de navettes effi- cée…” Espérons qu’il sera entendu. ■
DUTCHFLIGHTLINE.COM

45
REPORTAGE

Alternative Duo
Grâce
et sobriété
Avec une paire d’avions
quinquagénaires, mais dont
la sobriété énergétique est des
plus modernes, Anthony Bézard
et Benoît David ressuscitent
une patrouille qui a marqué
les annales du spectacle aérien.
Par Xavier Méal

Benoît David dans le


01 et Anthony Bézard,
dans le 02, forment
Alternative Duo, une
patrouille de Fournier
RF4D qui fera ses débuts
en meeting la saison
prochaine.

BASTIEN OTELLI
47
ALTERNATIVE DUO

U
n souvenir d’enfant…
“Avec mon père à La
Ferté-Alais, sans doute
en 1985. Des “Mirage”
viennent de passer, et
d’un coup, tout s’arrête, la musique
de Pink Floyd se fait entendre dans
les haut-parleurs, et la foule fait si-
lence… Un grand silence. Toute
La Ferté-Alais s’est arrêtée de parler,
tout le monde regarde ce qui se passe
dans le ciel… un truc… magique”, se
souv ient Pat r ic e “M a rch i”
Marchasson. L’auteur de cet article
se souvient lui aussi de ce duo, dérou-
lant ses gracieuses arabesques de
fumée sur la baie de La Baule dans
la lumière dorée d’un coucher de
soleil estival. “C’était vraiment d’une
certaine façon la fin d’une époque, la
fin de la voltige à l’ancienne portée à
un niveau des plus élevés, se souvient
également Bernard Chabbert. Ils
avaient de l’or dans les doigts. C’était
à la fois beau et silencieux. Et sur le
AIR PROJET
plan pilotage… ! Ils arrivaient en Anthony
butée de commandes à chaque fi - Unipart Duo. Quand le sponsor cessa Bézard devant un avion de voltige “Unlimited”. Les
gure ! Ce qui était génial, c’était que sa contribution, la formation prit le le fuselage deux ingénieurs et leur équipe tra-
le fait d’utiliser des avions à la fois nom de Skyhawks, et Matthew Hill la de l’ex-GAVNZ, vaillent notamment à la conception
ultra-fi ns et lents n’empêchait pas rejoignit en 1986. Pendant un an, le trio depuis devenu et à la certification européenne d’un
que ce qu’ils faisaient était sublime. fut sponsorisé par Canon. Il effectuait F-HRFE, malonnier pour le Cap 10 ; ce dispo-
La quintessence du pilotage à l’an- un fabuleux renversement durant le- en cours de sitif prend la forme d’un levier sup-
cienne, où on savait jouer de la por- quel les trois avions volaient de front. désentoilage plémentaire qui, étant relié aux pa-
tance, du peu de puissance et d’une Il cessa de se produire en 1992. en lonniers, permet aux personnes
certaine inertie.” Au début de ce siècle, les Italiens juillet 2021. n’ayant pas l’usage de leurs jambes
Fabio Iannaconne et Ivan Prizzon d’agir sur la gouverne de direction.
Création du Fournier Duo, produisirent un duo similaire, avec un Au fil des ans, Air Projet se taille
RF4D et un RF5. Puis Matthew Hill une belle réputation dans le domaine
spectacle de voltige relança également un duo de RF4D des projets spéciaux : amélioration,
En 1982, les Britanniques Brendan avec Bob Grimstead, sous le nom de suivi technique et assistance en
O’Brien et John Taylor s’associèrent RedHawks Duo, en 2010, au son de la course du MXS-R “Skyracer” de
pour former le Fournier Duo, un spec- Bittersweet Symphony de The Verve ; Mika Brageot lors des Red Bull Air
tacle de voltige en patrouille à deux l’expérience dura trois saisons. Races, entretien de pas moins de sept
Fournier RF4D. Cette patrouille évo- En France, deux jeunes Français Pitts et cinq Globe “Swift”, réalisa-
luait au son du très planant et mons- passionnés d’aviation découvrent les tion du dossier de calcul et concep-
trueux Shine on you crazy diamonds Skyhawks sur YouTube, le site inter- tion des systèmes de fumigènes du
de Pink Floyd ; ce qu’elle produisait net d’hébergement de vidéos et mé- Beech “Baron” Voltige de Mika
était différent de tout ce qu’on pouvait dia social créé en 2005. Les vidéos se Brageot… entre autres et pour ne
alors voir dans un meeting. Brendan comptent sur les doigts d’une main, parler que ce qui concerne le spec-
O’Brien raconta plus tard : “Nous mais elles les fascinent – chacun dans tacle aérien.
avons juste commencé à faire ce petit son coin, car ils ne se connaissent pas “Le hasard faisant bien les choses,
duo, c’était presque comme un ballet encore. L’un est né en 1993, l’autre en raconte Benoît David, Anthony
aérien. C’était du vol en formation, 1985 ; ils n’ont jamais vu en réel les achète un avion [Jodel 1050] quasi-
c’était du vol synchronisé, c’était silen- Skyhawks. Quelques années plus ment identique à celui sur lequel je vole
cieux… Tout ça au son de la musique tard, leurs trajectoires se croisent. très régulièrement. C’est à ce moment
de Pink Floyd, parce qu’au début des Issu de l’école d’ingénieurs EPF, que les vols en formation commencent,
années 1980, j’ai appris à piloter à plu- Benoît David, pilote privé, pilote de et les premières “public” presque sans
sieurs des membres de Pink Floyd.” planeur et voltigeur, intègre en oc- préméditation, notamment lors d’une
Durant ce ballet, les deux Fournier tobre 2017 la société Air Projet soirée d’inauguration à Darois et lors
effectuaient un passage en miroir qu’Anthony Bézard, mécanicien, in- du meeting de Dinan 2019.”
durant lequel le moteur de l’avion sur génieur aéronautique et pilote, a
le dos s’arrêtait – ce qui obligeait le créée en 2015 sur l’aérodrome de Les messages de
pilote de l’avion en position basse à un Dijon-Darois. Ce dernier s’est forgé
ajustement des plus précis. une solide expérience en conception
félicitations affluent
Puis Mike Dentith remplaça et modifications en tous genres, fai- À Dinan, le duo de Jodel se pro-
Brendan O’Brien et le duo fut spon- sant ses premières armes comme duit équipé de kits fumigènes amo-
sorisé par Unipart, une société spécia- mécanicien de piste de la patrouille vibles, conçus par Air Projet et ap-
lisée dans les pièces détachées auto- Tranchant, puis en concevant en guise prouvés par la DGAC, pouvant être
mobiles, et la formation prit le nom de de stage de fin d’études… l’ARS 300, installé sur un siège passager de leurs
48
À cette époque, Anthony Bézard
Anthony Bézard (à gauche) est en quête d’un Fournier RF4D
et Benoît Martin à Aspres-sur-Buëch, pour un projet qu’il souhaite réaliser
lors de la récupération au sein de sa société. “ J’en trouve un
du RF4D n° 4014 en septembre 2021.
sur un site de petites annonces, se sou-
vient le fondateur d’Air Projet, mais
il me passe sous le nez. Un peu agacé,
je reprends mes recherches et tombe
sur une autre annonce d’un avion qui
est à vendre depuis un bon moment
déjà sur un site anglais, mais qui se
trouve être basé à Fontenay-le-
Comte. Le propriétaire est britan-
nique, il n’a plus le temps de s’occuper
de la machine, et qui plus est, avec le
Brexit, le Covid et les confinements à
répétition, les choses sont devenus
très compliquées pour lui.” Cerise sur
le gâteau… le Fournier RF4D n° 4030
G-AVNZ est un ancien avion de
Skyhawks, plus précisément celui de
John Taylor au début du duo, et par
la suite celui de Matthew Hill quand
la formation était devenue trio.
Fermement décidé à l’obtenir,
AIR PROJET
Anthony se rend sur place aussitôt

“ (…) une machine


appareils, juste à temps pour en faire avec le Jodel DR 1050 d’Air Projet et
la surprise à leurs amis et organisa- fait rapidement affaire après avoir
teurs. Leur petite patrouille sans déployé des trésors de persuasion.
prétention remporte un vif succès,
car elle est en parfaite adéquation
extraordinaire Car se séparer du Fournier est un
déchirement pour le sujet de Sa
avec l’esprit aviation populaire et
meeting aérien gratuit. Les messages
parfaitement adaptée Gracieuse Majesté, qui ne peut s’em-
pêcher d’essuyer une larme. Mais il
de félicitations affluent. Les deux
compères ne comptent alors pas de- au contexte actuel ” sait que son avion sera entre de
bonnes mains. 400 heures de travail
venir des professionnels du spectacle plus tard, le Fournier RF4D n° 4030
aérien, mais en novembre 2020, ils se devenu F-HRFE s’envole à nouveau,
perfectionnent lors d’un stage de vol Jet Team ; les six heures d’entraîne- plus neuf que neuf. “Nous décou-
en formation chez Apache Aviation. ment intensif se terminent par une vrons alors une machine extraordi-
Leurs instructeurs sont Bernard sortie en voltige à trois, Benoît et naire parfaitement adaptée au
L’aile du
“Charbo” Charbonnel et Patrick Anthony se retrouvant ailiers d’un contexte actuel, poursuit Benoît, qui
F-BORB prête
“Gaston” Marchand, anciens pilotes leader qui n’est autre que le maître est caractérisée par le mot sobriété.”
à recevoir
de chasse, pilotes d’avions de collec- Jacques Bothelin – un rêve vient de Au fil des heures passées dans
son nouvel
tion et anciens équipiers du Breitling se réaliser pour les deux pilotes. entoilage.
l’atelier autour du RF4D à évoquer
les vidéos des Skyhawks… Une envie
est née, une idée a germé doucement.
“Un jour, je me trouve à passer en voi-
ture non loin de l’aérodrome
d’Aspres-sur-Buëch, où se trouvait le
premier Fournier qu’Air Projet avait
voulu acheter…, raconte Benoît.
J’attrape mon téléphone et envoie un
SMS au propriétaire en lui deman-
dant ce qu’il en est de son Fournier. Il
me répond qu’il est toujours à
vendre… J’envoie immédiatement un
SMS à Anthony… Et trois SMS plus
tard l’affaire est quasiment conclue,
nous l’achetons en copropriété !”
Dès les premiers jours de 2022,
Anthony et Benoît attaquent sa res-
tauration sur leur temps libre. Après
900 heures de travail étalées sur
9 mois, le RF4D n° 4014 F-BORB
retrouve le ciel, quelques jours à peine
avant que ne se tienne le rassemble-
ment annuel du Club Fournier
International, à Blois. Tout juste le
temps d’apposer les décorations

AIR PROJET

49
ALTERNATIVE DUO

Le Fournier RF4D
Au début des années 1960, après une décennie de mûrissement, René Fournier
crée une nouvelle famille d’aéronefs, une nouvelle façon de voler. Il souhaitait
se démarquer de l’escalade à la puissance qui faisait rage à l’époque.
Son credo était une formule d’avion fin, nécessitant peu de puissance.
Avec le recul, René Fournier fut à n’en pas douter un visionnaire.
D’aucuns le considèrent comme le père de l’aviation verte.
Son RF1 immatriculé F-PJGX fit son premier vol le 30 mai 1960 et demeura un
exemplaire unique. De fabrication bois et toile, ce petit monoplace léger (225 kg)
se caractérise par son envergure (11,20 m), son train rentrant monotrace et les
deux frêles balancines qui lui permettent de garder l’équilibre au sol. Voulant
construire une machine légère et économique, René Fournier avait cherché
un petit moteur qu’il avait trouvé à Lyon chez un motoriste amateur dénommé
Miettaux : un 1 131 cm3 développant 27 “petits” chevaux construit sur une base
de Volkswagen. Le RF1 fut détruit lors d’un meeting en juin 1961, mais figea la
formule de l’avion-planeur chère au constructeur. Le RF2 lui succède en mai 1962.
L’appareil étant plus lourd, René Fournier se procure auprès de la société Rectimo,
à Chambéry, un moteur plus puissant : le VW-Rectimo 4 AR 1 200 (sur une base
de moteur de “Coccinelle” Volkswagen) de 1 192 cm3 de cylindrée, qui développe
39 ch. Il n’existera que deux prototypes du RF2, car en voulant répondre à la fois
à la norme avion et à la norme planeur, Fournier se retrouve dans une impasse.
Dont il se sort en lançant le RF3, qui fait son premier vol le 17 avril 1963, certifié
uniquement avion. Exposé au Salon du Bourget de 1963, le troisième avatar
de l’avion-planeur séduit notamment l’Allemand Alfons Pützer. 95 unités équipées
du moteur Rectimo seront construites par Alpavia, société crée par Antoine
d’Assche à Gap. Mais le RF3 ne suffit pas aux aficionados, qui demandent une
version de voltige. René Fournier renforce le longeron pour qu’il résiste à +6/-3 g,
monte des commandes par bielles et roulements, arrondit le dessous du fuselage,
modifie les gouvernes notamment avec des ailerons compensés.

BASTIEN OTELLI

conçues par leur amie graphiste


Alice, et ils filent vers Blois. Pour
célébrer les 101 ans de René Fournier
qui sera présent, un vol en formation,
inscrivant un 101 dans le ciel, a été
répété par le groupe de pilotes britan-
niques qui a prévu de venir, parmi
lesquels John Taylor, leader, Matthew
Hill et Bob Grimstead. Anthony et
Benoît se réjouissent à l’avance

DR
Le prototype
René Fournier décrit le RF4 comme étant “la quintessence de ses grands frères ; un du RF4,
avion « qui se sent bien dans sa peau ».” Trois prototypes sont construits par Alpavia, immatriculé,
dont le premier vole en novembre 1965. Puis la production est délocalisée Outre-Rhin, F-BMKA, fut
au sein de la société Sportavia, créée à cet effet par Alphons Pützer, qui produit sous construit par
licence. À la dénomination RF4 est alors ajoutée la lettre D, pour Deutschland. Comme Alpavia et
les précédents, il peut être utilisé comme un avion classique, ou – moteur stoppé – effectua son
comme un planeur, auquel cas sa finesse est de 20, voire de 23 à 25 si l’hélice premier vol
arrêtée est calée en mode transparent, à l’horizontale. En régime très économique, le 25 novembre
il consomme 4 l/h pour une vitesse de 110 km/h ; en croisière normale à 170 km/h, 1965.
il consomme 9 l/h. L’usine allemande produit 155 (173 selon certaines sources)
exemplaires de RF4 à bonne cadence et en exporte dans une trentaine de pays.
Par la suite René Fournier conçut les RF5 (son premier biplace), RF6B (biplace
construit également sous licence par Sligby Aviation sous la dénomination T67
“Firefly” pour la RAF et l’USAF), RF7, RF8, RF9, RF10 et RF47.
René Fournier a fêté ses 101 ans le 14 avril dernier.

AIR PROJET

50
L’avion-planeur
d’avoir l’opportunité d’échanger avec figures] qu’ils ont eu plusieurs fois RF4D allie se rapprochant des attentes actuelles
ces légendes de la voltige en patrouille l’occasion de produire avec leurs la grâce, par en termes de sobriété énergétique.”
en Fournier. Mais la météo sur la Jodel. Ils rentrent au parking sous une ses lignes Reste à concevoir un ruban spé-
Manche empêche leur venue. Les salve d’applaudissement. René Four- épurées, à cifique, et à s’entraîner. Sous les yeux
organisateurs du rassemblement de- nier les encourage. C’est confirmé, en la sobriété d’un coach qu’Anthony n’a pas eu à
mandent alors à Anthony et Benoît 2023, ils se produiront sous le nom énergétique, chercher bien loin, ni à solliciter très
s’ils peuvent faire “quelque chose” au d’Alternative Duo, une patrouille qui son moteur longtemps ! Lors d’un dîner dijon-
pied levé. Les deux compères s’en- “a pour objectif de proposer un spec- consommant nais, il s’est retrouvé en face de
volent alors avec leurs RF4D et dé- tacle aérien nouveau, mêlant grâce et entre 4 et 9 l/h Patrice “Marchi” Marchasson, pi-
roulent le ruban [enchaînement des élégance, modernité et ancien, tout en en fonction lote vétéran des spectacles aériens, ▲
du type de vol
effectué.

Septembre
dernier.
Le F-BORB
vient de sortir
de restauration.
Il s’agit
de rapidement
apposer
les décorations Dernières
concoctées par mises au point
Alice, une amie sur le F-HRFE
graphiste, avant
car le de s’envoler
rassemblement pour le
annuel du rassemblement
Club Fournier de Blois.
International
a lieu quelques
jours plus tard.
AIR PROJET

51
ALTERNATIVE DUO

52
qui s’est déclaré partant à 100 % à
peine le projet évoqué.
Les défis sont encore nombreux.
“Il ne s’agit pas de faire un copier-col-
ler des Skyhawks mais de leur faire un
clin d’œil tout en proposant quelque
chose de nouveau… avec des surprises
– sans nier qu’ils sont notre inspira-
tion. Il s’agit aussi de parler à un public
d’aujourd’hui”, expliquent les deux
compères. Pour Anthony, qui a l’expé-
rience de la présentation en meeting
depuis une dizaine d’années – Yak-50,
Bucker “Jungman” Breitling, Pitts et
Jodel, entre autres –, ce projet est “un
nouveau défi, celui de présenter à
deux” tout en transmettant son expé-
rience à Benoît qui sera le leader
d’Alternative Duo, avec en plus “une
histoire de confiance complète”.

Les difficultés de voler en


patrouille sur Fournier
Les avions ont fait l’objet de
quelques améliorations techniques,
pour les adapter à cette mission très
spécifique que sont le vol en forma-
tion et la présentation en vol, comme
le montage de freins hydrauliques
Beringer et l’installation de systèmes
fumigènes maison aux extrémités des
saumons d’ailes, le tout dûment validé
par l’EASA [Agence de l’Union euro-
péenne pour la sécurité aérienne].
“Du point de vue pilotage, précise
Benoît, avec le Fournier, on n’a rien
pour nous aider en patrouille serrée.
Si on arrive trop vite sur un rassem-
blement, le fait de réduire les gaz ne
provoque aucun ralentissement du
bien nommé “avion-planeur”, telle-
ment il est fin. Si on se fait décrocher
dans un virage, on a beau mettre tous
les gaz en avant, les quelque 39 ch ne
suffi sent pas à raccrocher. Tout se
joue sur la finesse du pilotage ; on est
sur la gestion de l’énergie.”
Bob Grimstead ne décrit pas au-
trement la chose : “Vers 2005, j’ai
commencé à faire des présentations
de voltige en Fournier en solo, sous le
nom de RedHawk. En 2010, Matthew
Alternative Duo
Hill m’a enseigné la voltige en forma-
“a pour tion et nous avons commencé à faire
objectif de des démonstrations en duo ensemble
proposer un en tant que RedHawks. La voltige en
spectacle aérien formation dans n’importe quel type
nouveau, d’avion nécessite une grande compé-
mêlant grâce tence ; en Fournier c’est encore plus
et élégance, difficile car l’avion ne dispose que de
modernité et très peu de puissance et une traînée
ancien, tout en très faible. Quand je m’y suis mis avec
se rapprochant Matthew Hill, je n’étais que la sixième
des attentes personne au monde à acquérir cette
actuelles compétence. Donc, si ce nouveau duo
en termes français fait de la voltige en formation
de sobriété avec leurs Fournier, ils feront partie
énergétique.” de l’élite des pilotes !” ■
BASTIEN OTELLI

53
MONOGRAPHIE
Northrop YF-17A
Un perdant
plein d’avenir
Au début des années 1970,
l’USAF cherchait un chasseur léger.
Northrop répondit avec le très agile YF-17A
qui entra en compétition contre
le General Dynamics YF-16A.
S’il perdit cette première manche,
le YF-17A tapa dans l’œil de l’US Navy…
Par Alexis Rocher

À
partir de sa création en “Tiger” et en avion d’entraînement
1939, Northrop s’était fait avec le T-38 “Talon”. Ce fut une
un nom avec ses chas- réussite technique doublée d’un
seurs lourds comme le succès commercial auprès des pays
P-61 “Black Widow” puis qui souhaitaient s’équiper d’un
le F-89 “Scorpion”. Au milieu des avion de combat supersonique peu
années 1950, suite aux propositions coûteux ; le F-5 “Tiger” se vendit
de Thomas V. Jones, emblématique tout au long des années 1960. À
patron qui dirigea la société jusqu’en l’orée des années 1970, Northrop le
1989, la direction adopta une straté- modernisa avec le F-5E “Tiger” II.
gie radicalement opposée en choisis- Seul bémol, mais de taille, l’US
sant d’étudier désormais un avion de Air Force ne s’intéressa pas au
combat léger supersonique. Les ingé- concept de chasseur léger. Ses géné-
nieurs en soignèrent tout particuliè- raux ne juraient que par d’imposants
rement l’aérodynamique. bombardiers stratégiques ou
Le démonstrateur N156 fut dé- d’énormes chasseurs volant dans la
cliné en chasseur léger avec le F-5 stratosphère. Il fallut la guerre du

Poignée de main
entre le pilote
“Hank” Chouteau
et le PDg de
Northrop Thomas
V. Jones à l’issue
du premier vol
du YF-17A
le 9 juin 1974.
Jones nourrissait
de grandes
ambitions avec
le nouveau
chasseur.

NORTHROP NORTHROP

54
Le premier prototype YF-17A.
Avec ce chasseur, Northrop ambitionnait
la même réussite commerciale qu’avec le F-5
“Tiger” dans les années 1960.

55
NORTHROP YF-17A

NORTHROP
Assemblage
Viêtnam pour que les militaires des solutions pour conserver le final réacteur General Electric J85, exem-
américains revoient leur jugement et contrôle de l’avion jusqu’à 30°, ce qui du YF-17A. plaire dans le domaine de l’optimi-
expérimentent en opération le petit présentait des avantages indéniables Les ingénieurs sation poids/puissance. Northrop
F-5 “Tiger” lors de l’opération en combat aérien. avaient étudié sollicita donc tout naturellement
Sukoshi Tiger (petit tigre en japo- Les ingénieurs travaillèrent sur toute une série General Electric, qui étudiait alors
nais). Douze F-5A participèrent aux des congés reliant le fuselage au bord de projets des nouveaux réacteurs. Le J97 était
combats en 1965 et 1966 ; l’avion fut d’attaque de l’aile, connus sous avant d’aboutir un double flux de 3,6 t de poussée
considéré comme plutôt efficace, l’acronyme de LERX (leading edge à un bimoteur avec réchauffe. Intéressant mais pas
mais l’USAF en resta là. root extensions, extension de la ra- bidérive. assez puissant pour Northrop. Les
cine du bord d’attaque). Ce congé ingénieurs en extrapolèrent le GE15.
À la recherche produit un flux d’air contrôlé au-des- Il était basé sur les études du F101,
sus de l’aile à des angles d’attaque gros modèle conçu pour le bombar-
de la maniabilité élevés, retardant ainsi le décrochage
Au milieu des années 1960, un et la perte de portance qui en résulte. Northrop conçut
petit groupe d’ingénieurs de En vol de croisière, l’effet du LERX le YF-17A comme
Northrop se pencha sur les caracté- est minime. Cependant à des angles un chasseur très
manœuvrable,
ristiques d’un futur avion de combat d’attaque élevés, comme en combat
optimisé pour
appelé à remplacer le F-5 sur le long aérien rapproché, le LERX génère
le combat aérien.
terme. Les recherches s’orientèrent un flux d’air qui colle à la surface
vers l’amélioration de la maniabilité. supérieure de l’aile bien au-delà du
Les commandes électriques, c’est-à- point de décrochage normal, ce qui
dire l’intégration d’ordinateurs maintenait la portance à des angles
entre les ordres du pilote et les gou- très élevés. En 1966, Northrop com-
vernes, séduisaient, mais elles furent mença à prospecter les forces aé-
écartées par les ingénieurs de riennes avec son projet de chasseur.
Northrop qui redoutaient d’aboutir
à un avion trop cher, trop complexe Le petit génie
à mettre en œuvre.
L’accent fut mis sur l’améliora-
de General Electric
tion du pilotage aux angles d’attaque Les ingénieurs du constructeur
importants. En effet, la plupart des voulaient un réacteur optimisé pour
avions décrochent au-delà de 15° leur nouveau chasseur. La réussite
d’angle d’attaque. Il fallait trouver du F-5 tenait en effet beaucoup à son
NORTHROP

56
dier stratégique B-1A. Le GE15 se Thomas V. Jones évaluait entre 1 500
caractérisait par son architecture et 2 000 avions de combat à rempla-
double corps, c’est-à-dire que les cer avant 1980. Northrop estimait
compresseurs et turbines basse pres- l’investissement global entre 350 et
sion et haute pression sont liés par 400 millions de dollars, avec un chas-
deux arbres distincts et tournent à seur coûtant à l’unité entre 2 et 3 mil-
des vitesses différentes. Cette dispo- lions. En 1971, le constructeur avait
sition permettait de réduire le déjà investi 20 millions de dollars
nombre d’étages pour le compres- dans les études – les maquettes
seur, donc de faire un réacteur moins avaient passé près de 4 000 heures
long, plus léger, et d’afficher un rap- dans les souffleries. Il fallait désor-
port de compression de 20/1, contre mais trouver des clients…
7/1 pour le J85 du F-5. Le 28 janvier 1971, Northrop
Enfin General Electric avait dévoila dans son usine d’Hawthorne
adopté un double flux avec un taux en Californie le P530 “Cobra” sous
de dilution (1) de seulement 0,25. la forme d’une maquette à l’échelle 1.
Une petite partie de l’air ingérée Plusieurs pays européens comme les
passait par le canal froid, ce qui fait Pays-Bas ou la Belgique se décla-
que le GE15 fut appelé le “turbo- rèrent intéressés pour remplacer
réacteur avec une fuite”. Le flux leurs F-104 “Starfighter”. Cependant
froid abaissait sensiblement la tem- l’importance de la mise de départ
pérature du G15, ce qui permettait pour lancer sa fabrication en série
de retirer les protections thermiques rebutait.
sur la structure et donc allégeait
l’avion. Le GE15 devait fournir 6,4 t La mafia
de poussée avec PC.
Pour finir, les ingénieurs ob-
du chasseur léger
tinrent un turboréacteur moins long, À ce stade de l’histoire il faut sou-
moins lourd, moins gourmand en ligner que l’USAF n’avait d’yeux que
carburant que le J79 du F-4 pour son futur chasseur lourd issu du
“Phantom” II et du F-104 “Star- programme FX. Les militaires amé-
fighter”, le tout pour une puissance ricains demandaient ce qui se faisait
très proche. Enfin pour réduire les de mieux pour obtenir le meilleur
coûts de développement et d’entre- avion de combat du monde. Les spé-
tien, les ingénieurs adoptèrent une cifications du FX réclamaient un gros
NORTHROP
conception par modules. Gerhard Le LERX, congé bimoteur. McDonnell Douglas em-
Neumann, alors le grand ponte de courant du YJ101. Le 29 juillet de la même an- porta l’appel d’offres et conçu le F-15
General Electric, parvint non sans bord d’attaque née, il commença à tourner sur le “Eagle”, qui vola pour la première
difficultés à obtenir en avril 1972 de l’aile banc d’essais au sol. fois le 27 juillet 1972. Officiellement,
10 millions de dollars de l’USAF à l’avant pas question de songer à un autre
pour développer le GE15, qui prit du fuselage. Le “Cobra” chasseur, surtout plus léger, ce qui
alors la dénomination officielle de Il assurait allait passer pour un signe de fai-
le bon
attaque blesse vis-à-vis de l’ennemi commu-
écoulement Northrop synthétisa toutes ses niste selon les militaires. Une phrase
(1) Rapport de la masse d’air du de l’air aux recherches dans le projet de chasseur résumait bien l’état d’esprit de
flux primaire par la masse d’air du grandes P530 “Cobra”. Il visait avant tout le l’époque : “Pourquoi se contenter
flux secondaire. Il atteint 9 sur les
turboréacteurs civils les plus puissants, incidences. marché du “monde libre”, c’est-à- d’une Wolkswagen quand vous pou-
mais avec une soufflante géante dire les pays alliés des États-Unis. vez avoir une Cadillac ?”
Pourtant un autre son de cloche
commençait à se faire entendre au
début des années 1970. Entra alors
en scène le colonel Everest E. “Rich”
Riccioni. Une pointure qui avait
commencé par piloter des C-46 au-
dessus de l’Himalaya pendant la
Deuxième Guerre mondiale, avant
de passer par Edwards comme pilote
d’essais. En 1969, il avait intégré
l’équipe du programme FX. Dire
que c’était un personnage haut en
couleur est un euphémisme : il ne
mâchait pas ses mots et pour tout
dire dénotait dans l’univers aseptisé
des uniformes. Très vite le pro-
gramme FX lui apparut comme trop
coûteux, demandant un chasseur
trop gros, trop perfectionné.
Il trouva de rares appuis au
Pentagone avec deux pointures, le

57
NORTHROP YF-17A

Le premier prototype du Northrop YF-17A,


matricule 72-1569.

col. John Boyd et Pierre Sprey. Boyd bat. Il permettait en particulier d’op-
était alors une légende parmi les pi-
lotes de chasse américains. Pilote de “ Les concepteurs ont timiser le compromis entre perfor-
mances et masse. Comment obtenir
F-86 pendant la guerre de Corée, il
avait tout particulièrement étudié le
rendu l’avion au pilote. un chasseur rapide et manœuvrable ?
Boyd estimait le FX trop lourd, pas
combat aérien et rendu un rapport
The Aerial Attack Study qui passait Le YF-17 un chasseur assez maniable et surtout trop cher.
Pierre Sprey le rejoignait dans cette
pour être la bible sur le sujet. Dans analyse. Il était un analyste civil ar-
les années 1960 il avait mis au point
avec un mathématicien un pro-
de pilote de chasse. ” rivé au Pentagone avec les “petits
génies” du ministre de la Défense
gramme informatique pour évaluer McNamara (lire Le Fana de l’Avia-
les performances des avions de com- tion n° 613). Il avait rendu des rap-
La campagne
d’essais en
vol du YF-17A
comprenait
des simulations
de combats
aériens mais
aussi comme ici
des missions de
bombardement.

Le second YF-17A
(premier plan)
avec le premier
prototype lors
d’une séance de
ravitaillement
en vol avec un
Boeing KC-97.
NORTHROP USAF

58
McDonnell Douglas proposèrent
des cargos à décollage court (lire
Caractéristiques du Northrop YF-17A “YC-14A et YC-15A” dans Le Fana
Longueur : 16,9 m de l’Aviation n° 508).
Envergure : 10,6 m
Surface alaire : 32,5 m2 Northrop contre
Longueur : 16,9 m General Dynamics
Masse à vide : 9 527 kg
Masse max. : 13 894 kg Ce fut dans ces conditions que le
Vitesse max. : 2 124 km/h à secrétaire à l’USAF, Robert Sea-
40 000 pieds (12 192 m) mans, lança un programme de chas-
Propulsion : 2 x réacteurs General Electric seur léger expérimental (light weight
YJ101-GE-100de 4 300 kgp à fighter, LWF). Les industriels re-
J.-P. VIEIRA
sec et 6 532 kgp avec PC mirent cinq projets. Chacune des pro-
Armement : 1 x canon M61 “Vulcan” de 20 mm fixe positions ne devait pas faire plus de 50
et 9 pylônes pour des bombes ou des missiles. pages. Pas question d’arriver au co-
mité de sélection avec des semi-re-
morques de dossiers comme ce fut
souvent le cas auparavant. Il fallait
ports particulièrement féroces sur le Le secrétaire à la Défense Melvin surtout décrire les performances et les
bombardier XB-70. “Rich” Riccioni, Laird changea la politique d’acqui- possibilités du chasseur, sans proposer
Boyd et Sprey furent bientôt connus sition des matériels militaires au de système d’arme. Une maquette
par les militaires sous le nom de début des années 1970. Plutôt que de devait passer en soufflerie de façon à
“Mafia du chasseur léger”. Ils lancer des gigantesques programmes décrire ses caractéristiques aérodyna-
n’étaient pas les seuls à promouvoir comme pendant l’ère McNamara, il miques. Ce fut une formidable oppor-
un avion de combat léger. “Kelly” opta, sur les conseils de son adjoint tunité pour Northrop qui présenta le
Jonhson, le très influent directeur David Packard, pour des démonstra- P600, directement dérivé du P530. Il
technique de Lockheed, avait de son teurs chargés de défricher les nou- fut retenu avec le Type 401 proposé
côté approché les responsables de velles technologies, stade préalable par General Dynamics – ce fut une
l’USAF avec le CL-1200, un projet avant de signer des commandes en grande déception pour Lockheed,
d’avion de combat léger. série. Ce fut ainsi que Boeing et écarté de la compétition finale.

59
NORTHROP YF-17A

USAF
Les deux
En avril 1972, General Dynamics généraux de l’USAF, alors toujours adversaires lote d’essais du constructeur ; 61
reçut un contrat de 37 millions de viscéralement attachés au F-15. du concours minutes de vol sans histoire. Dans
dollars pour développer ce qui devint Les deux avions n’étaient pas de chasseur son compte rendu, Chouteau, en-
le YF-16A ; Northrop avait 39 mil- basés sur la même philosophie. Les léger organisé thousiaste, déclara : “Lorsque nos
lions de dollars pour son projet, qui ingénieurs de General Dynamics par l’USAF : concepteurs ont dit qu’avec le YF-17,
devint le YF-17A. Deux démonstra- tablaient sur les commandes élec- le General ils allaient rendre l’avion au pilote,
teurs étaient commandés à chaque triques, alors que ceux de Northrop Dynamics ils le pensaient. C’est un chasseur de
constructeur ; les YF-17A reçurent pariaient sur la configuration aéro- YF-16A pilote de chasse.” Le 11 juin, le
les matricules 72-1569 et 72-1570. dynamique optimisée pour le com- (à gauche), YF-17 dépassait Mach 1 sans post-
bat aérien rapproché. Le YF-16A et le Northrop combustion. Le 21 août, le deuxième
Le YF-16 face bénéficiait d’un avantage de taille YF-17A. prototype vola à son tour.
avec son réacteur Pratt & Whitney
au YF-17 F100 qui volait déjà avec le F-15, Vers le contrat
Précision capitale à ce stade de alors que le YJ101 entamait seule-
l’histoire : le programme LWF avait ment ses essais en vol avec le YF-17A.
du siècle
uniquement un caractère expérimen- Le YF-16 vola le 2 février 1974, Alors que les essais en vol com-
tal. Officiellement on allait en rester tandis que le YF-17A décolla pour mençaient, les mentalités quant au
au stade du démonstrateur, pas ques- la première fois le 9 juin piloté par chasseur léger évoluèrent encore. Il
tion de le construire en série pour les Henry “Hank” Chouteau, chef pi- apparut de plus en plus que les
Les deux YF-17A
en formation
pendant Les pilotes officiels
leur évaluation Pour évaluer les YF-16A et YF-17A,
en 1974. l’USAF alignait une équipe de l’AFFTC
(Air Force Flight Test Center) dirigée
par James Rider. Elle comprenait
au nom du Tactical Air Command,
futur utilisateur du chasseur léger,
les majors Joe Bill Dryden, Maurice
“Duke” Johnston, le captain Dean
Stickell et pour l’AFFTC Mike Clark
et Bob Ettinger. Tous étaient des pilotes
expérimentés, la plupart étant passés
par le Viêtnam. James Rider participa
au développement du F-16
et son entrée service dans l’USAF.
Dean Stickell fut le premier pilote à
atteindre les 1 000 heures de vol en
F-16 en mars 1984. Joe Bill Dryden
et Maurice “Duke” Johnston devinrent
pilotes d’essais du F-16 pour General
Dynamics. “Duke” Johnston se tua
lors d’un essai le 24 mai 1993. Bob
Ettinger poursuivit sa carrière au sein
de l’AFFTC puis rejoignit Northrop
Grumman pour s’occuper des essais
en vol du drone “Global Hawk”.
NORTHROP

60
USAF
Le YF-16A
Européens allaient choisir ensemble dant bec et ongles une commande avec Bob rer des contrats mirifiques. Pendant
un successeur à leurs F-104 “Star- de F-15. Ettinger aux ce temps, les essais en vol se dérou-
fighter”. La perspective d’un “contrat Le 28 juin, une délégation euro- commandes laient sans anicroche particulière.
du siècle” aiguisa les appétits. péenne se rendit à Edwards pour se dans le ciel L’évaluation des chasseurs se fit
Dassault proposait le “Mirage” F1E, faire présenter les YF-16 et YF-17. Le d’Edwards avec les pilotes constructeurs. Outre
Saab le “Viggen”. Des hommes poli- 11 septembre, l’USAF annonça fina- en Californie, “Hank” Chouteau, Northrop béné-
tiques, des militaires et des indus- lement son intention de commander accompagné ficiait des talents de Joe Bailey
triels Américains estimèrent qu’un 650 exemplaires de l’ACF. La “mafia du YF-17A Jordan, un ancien de l’USAF titu-
chasseur auréolé par son entrée en des chasseurs légers” avait gagné. piloté par laire d’un record du monde d’alti-
service dans l’USAF ferait un ex- Mike Clark. tude en F-104 avec 30 000 m
cellent candidat pour doter les pays L’esprit des essais Le YF-16A (98 425 pieds) le 14 décembre 1959.
européens. Une commande ferait de l’emporta Ce fut le premier pilote américain à
plus baisser le prix du chasseur et sa
en vol bousculé finalement piloter le MiG-21. Sous la direction
maintenance. Ce fut pourquoi le pro- Le passage du LWF à l’ACF de peu pour de James Rider une équipe de pi-
gramme LWF devint le ACF (air bouscula l’esprit des essais en vol. doter l’USAF. lotes officiels étaient aussi à l’œuvre
combat fighter, chasseur avancé) et Alors qu’il s’agissait auparavant (voir encadré ci-dessous).
que se dessina une commande en d’une évaluation des choix tech- Les deux concurrents volaient
série pour l’USAF. Qu’importe si niques, désormais c’était une compé- souvent. Ils étaient très proches en
des généraux protestaient en défen- tition dont le vainqueur pouvait espé- termes de performances. Tout au

L’équipe
des pilotes
qui évaluèrent
les YF-16A
et YF-17A.
De gauche
à droite :
Joe “Bill” Dryden,
James Rider,
“Duke” Johnston,
“Hank” Chouteau,
Joe Jordan,
Mike Clarke,
USAF
Bob Ettinger
et Dean Stickell.

61
NORTHROP YF-17A

plus le YF-16A bénéficiait d’un rap-


port poids/poussée légèrement plus
45° d’incidence à 90 nœuds
(166 km/h), sans départ en vrille sou-
“ Vous pouviez mettre
avantageux, le YJ101 étant il est vrai dain. Les YF-17 furent poussés
moins avancé dans sa mise au point
que le F100. Les essais montrèrent
jusqu’à 63° d’incidence, sans décro-
cher franchement.
votre fille dans le YF-17
par ailleurs que le YF-16A présentait
un meilleur taux de roulis que le
Les deux YF-17 effectuèrent
345 heures de vol en 288 sorties,
sans problème. C’était
YF-17A, mais ce dernier fut handi-
capé par des commandes de vol qui
contre 330 heures et 417 pour son
concurrent. Les deux chasseurs ne super-simple ! ”
restaient à perfectionner. Par furent pas engagés l’un contre l’autre,
exemple les gouvernes de profon- mais face aux autres avions de com- ne suis pas sûr que le YF-16 ait été le
deurs devaient être modifiées sur une bat de l’USAF, à l’exception notable choix unanime des pilotes. Il a été
éventuelle version de série. du F-15. Apparemment les généraux unanimement convenu qu’il avait
de l’USAF ne voulaient pas mettre l’avantage de pouvoir accomplir
Le moment de désigner en cause leur super chasseur. YF-16A toutes les tâches pertinentes en com-
et YF-17A croisèrent toutefois le fer bat alors que le YF-17 ne le pouvait
un vainqueur avec les MiG-17 et MiG-21 capturés pas. Cela a été l’essence même de L’Espagne évalua
Le YF-17 fut néanmoins jugé plus qui opéraient dans le plus grand se- notre exposé au comité de sélection. le YF-17A, avant
performant aux basses vitesses. cret depuis leur base du Nevada. Lorsque nous sommes fi nalement d’opter pour son
Plusieurs pilotes soulignèrent que Arriva le moment de désigner un allés à ce comité, j’ai eu 5 minutes dérivé, le F/A-18
l’avion restait gouvernable jusqu’à vainqueur. James Rider raconte : “Je pour les briefer et Duke Johnston de “Hornet”.

L’évaluation du YF-17A par la France


Par le vice-amiral Michel Debray Français à Edwards le 28 juin. Et lorsqu’il a fallu donner
Deux pilotes français évaluèrent l’YF-17A en juin 1978. les noms et qualités des deux pilotes français… je me mis
L’attaché naval adjoint en poste à Washington depuis l’été sur la liste ! J’ai négocié amicalement avec mes camarades
1976, le capitaine de frégate Michel Debray, commandant aviateurs américains un vol de “reprise en main”, que j’ai
de la flottille 14F entre mars 1970 et septembre 1971, effectué à Norfolk sur “Skyhawk” en double commande.
et le col. Bonnet, chef du BPM (bureau des programmes Le YF-17 sur lequel nous avons volé avait été “peint aux
de matériel) à l’état-major de l’armée de l’Air, se rendirent couleurs françaises”, à savoir des cocardes tricolores
à Edwards. Quatre vols étaient planifiés : deux par pilote de chaque côté du fuselage, un peu derrière l’entrée d’air
avec un premier concernant les performances (taux de des réacteurs, et sur chaque aile, intrados et extrados ;
montée, vitesse et Mach maximal, basses vitesses, etc.), les gouvernes de direction, à l’arrière des plans fixes
et un second axé sur les qualités de vol (voltige, combat, verticaux (un peu obliques…) étaient peintes en bleu, blanc,
etc.). Michel Debray se souvient : “Pour expliquer ma rouge. Cet avion n’était pas équipé des réacteurs F404
présence, il faut savoir que le F-18 devait équiper la marine du F-18 mais seulement de YJ101, qui étaient déjà bien
américaine. Il était fabriqué conjointement par McDonnell puissants : si l’on acceptait de rouler, avant le décollage,
Douglas et Northrop, mais le premier constructeur était avec les deux réacteurs en route, en veillant à n’avoir pas
majoritaire dans les ventes aux marins et Northrop devait trop besoin de freiner, on nous demandait d’en couper
être majoritaire s’il parvenait à placer le F-18L dans un dès l’atterrissage terminé, pour justement économiser
des aviations terrestres. C’était donc Northrop qui avait les freins au roulage de retour – la piste d’Edwards était
démarché à Paris l’armée de l’Air, et normalement il aurait très longue, et les chemins de roulement aussi.
dû y avoir deux officiers aviateurs français pour faire ces Les vols se sont déroulés parfaitement ; nous étions
vols. Mais aux États-Unis tout ce qui concernait le F-18 accompagnés en vol par un F-5 piloté par “Hank” Chouteau,
relevait de la Marine et c’est donc moi, à Washington, qui chef pilote d’essais de Northrop, que j’ai eu la satisfaction
traitais avec les Américains les détails de cette affaire. de bluffer radicalement quand, le voyant arriver “à mes
Et lorsque de Paris on m’a informé que seul le col. Bonnet 4 heures” je me dis : “C’est maintenant qu’on va voir ce
viendrait tout était déjà “ficelé” pour qu’il y ait deux que vaut cet avion”. J’ai breaké plein pot postcombustion

62
NORTHROP

J.-P. VIEIRA

Et si le YF-17A avait équipé l’armée de l’Air après son


évaluation en 1978 ? Le voici aux couleurs de l’escadron
de chasse 2/30 Normandie-Niémen avec des missiles Matra
“Magic” et Matra “Super” 530F.
DR/COLL. MICHEL DEBRAY
Michel Debray
et manche au ventre… pour me retrouver en un rien nous avait donné les enregistrements des paramètres de
pour l’Aéronautique
de temps dans ses 6 heures avec une facilité nos vols) aux aviateurs canadiens chargés des programmes Navale et
déconcertante. Quelle satisfaction de l’entendre à la radio de remplacement de leurs avions de chasse, et je crois le col. Bonnet
me demander où j’étais, et de lui répondre : “Dans vos sincèrement avoir été pour quelque chose dans le choix pour l’armée
6 heures, en position de tir !” Au cours de ce vol, faisant du F-18 pour les forces canadiennes. Quelques années plus de l’Air évaluèrent
une boucle sans PC et sans trop tirer, je me suis trouvé tard, apprenant que la Suisse achetait des F-18 pour son le YF-17A en 1978.
un peu mal à l’aise dans le haut de la figure, ma vitesse Escadre de surveillance je me suis rappelé qu’en juin 1978
décroissant très vite et atteignant 60 nœuds [111 km/h], il y avait à Edwards une équipe suisse d’acquisition de F-5,
ce qui n’est vraiment pas rapide sur ce genre d’avion. très intéressée par notre présence et avec qui nous avions
J’ai allumé les deux postcombustions et vu que l’avion sympathisé et échangé nos impressions – très favorables
montait et accélérait ; c’était stupéfiant et très révélateur au YF-17 évidemment. Comme les Suisses ont toujours
des qualités de l’appareil. apprécié la présence de crosses sur leurs avions, je n’ai pas
Le col. Bonnet, en descendant de l’avion après son premier été surpris de leur choix lorsqu’ils ont acquis des F-18.”
vol, m’a pris à part pour me dire : “Le “Mirage” 2000
ne fera jamais ce que fait cet avion” [Le “Mirage” 2000
avait effectué son premier vol le 10 mars 1978, NDLR].
Pour ma part je n’étais pas bluffé par les performances
stricto sensu de l’avion qui étaient inférieures à celle
du “Crusader” – Mach 1,6 au lieu de Mach 1,8 et un taux
de montée légèrement inférieur –, mais ses qualités
de vol et son rapport poussée/poids m’avaient beaucoup
impressionné, et depuis lors j’ai toujours considéré, et ne
m’en suis pas caché, que le meilleur avion à rechercher Le YF-17A
pour nos porte-avions était le F-18. J’ai eu l’occasion par impressionna
la suite de raconter cela (preuves à l’appui car Northrop les pilotes français.
DR/COLL. MICHEL DEBRAY

63
NORTHROP YF-17A

même. À ce moment-là, le YF-16 a


été le choix unanime des pilotes en
ce qui concerne l’accomplissement
des missions. Cependant, ce n’était
pas le choix unanime en ce qui
concerne ses capacités de vol. Vous
pouviez mettre votre fille dans le
YF-17 sans problème. C’était super-
simple ! Vous deviez en revanche
piloter le YF-16 tout le temps. Il y
avait des avantages et des inconvé-
nients des deux côtés. Nous avons
examiné l’ensemble du paquet : ma-
niabilité, capacité à effectuer les
tâches pertinentes au combat, accé-
lération, décélération, viabilité et
endurance en opération.”
Le 13 janvier 1975 le couperet
tomba : l’USAF déclara le YF-16A
vainqueur de la compétition. L’amer-
tume fut grande chez Northrop, qui
voyait s’échapper le succès tant es-
NASA
péré depuis des années pour son Le YF-17A
concept de chasseur léger. Tout être issu de l’un des deux candidats (à droite) avec légère qui se caractérisait par un train
n’était cependant pas perdu. du LWF. Le YF-16A fit globalement un F-104 d’atterrissage classique et, bien sûr,
l’unanimité contre lui, surtout parce (à gauche) l’absence des équipements pour em-
Du YF-17 que c’était un monomoteur. et un F-15 barquer sur porte-avions. En effet les
Le 2 mai 1975, l’US Navy an- pour la Nasa. deux partenaires s’étaient partagé les
au F-18 nonça le choix du YF-17A comme prospections auprès des clients, mais
Les essais des YF-16A et YF-17A point de départ de son futur avion dans les faits McDonnell Douglas
intéressèrent l’US Navy, qui obtint de combat. McDonnell Douglas pre- s’imposa avec le F/A-18A, plus lourd,
des séances d’essais pour ses pilotes. nait la tête du projet qui devint le plus cher, mais qui avait l’immense
Le YF-17A leur tapa dans l’œil. Sa F/A-18A “Hornet”. L’avion conserva avantage d’être en service dans l’US
configuration bimoteur et ses qualités la formule générale du YF-17A mais Le YF-17A fut Navy, alors que le F-18L était pour
de vol aux basses vitesses en faisaient subit toute une série de modifica- transformé en ainsi dire un avion de papier.
un candidat idéal pour apponter sur tions importantes pour apponter. F/A-18 pour Plusieurs délégations évaluèrent
porte-avions… L’US Navy recher- General Electric fit évoluer le YJ101 être embarqué le projet de F-18L en effectuant des
chait un avion de combat polyvalent pour donner le F404, qui reprenait sur porte- vols sur les YF-17A à Edwards.
qui puisse remplacer ses F-4 la même architecture générale pour avions. Les L’Espagne, la Grèce et le Canada
deux YF-17A
“Phantom” II de chasse et ses Vought motoriser le F/A-18 qui vola pour la purent ainsi se faire une idée avant
participèrent
A-7 “Corsair” II d’attaque. Le NACF première fois le 18 novembre 1978. de choisir finalement le “Hornet”. La
aux essais
(navy air combat fighter, chasseur de Northrop proposa le F-18L (L France se montra aussi intéressée
du nouveau
combat aérien de la marine) devait pour land, terre), une version plus chasseur.
(lire encadré page 62). La concur-

NASA

64
NASA
La Nasa évalua
rence entre les deux avions se ter- des vitesses transsoniques et la col- maniabilité. Les deux YF-17A le premier
mina devant les tribunaux, lecte de données pour réaliser des contribuèrent ensuite aux essais du YF-17A,
McDonnell Douglas payant finale- comparaisons avec les données pré- “Hornet”, puis l’heure de la retraite notamment
ment 50 millions de dollars à alablement recueillies en soufflerie. sonna. Le premier YF-17A est pour ses
Northrop en avril 1985 pour prendre L a stabilité, le pilotage aux conservé au Western Museum of performances
en main l’intégralité du programme, angles d’attaque élevés ainsi que les Flight de Torrance, en Californie. en maniabilité.
et Northrop devenant un sous-trai- qualités en maniabilité à des fac- Le USS Alabama Battleship
tant. C’en était bien fini du concept teurs de charge élevés furent égale- Memorial Park à Mobile expose le
de chasseur léger et du YF-17A aux- ment étudiés. Un autre objectif de deuxième exemplaire.
quels Northrop croyait tant. ce programme était de familiariser L’héritage du YF-17A se re-
les pilotes avec les nouveaux avions trouve toujours avec le “Hornet”.
Le YF-17A réceptionné de combat. Au cours du programme Le F-18 évolua avec la version
de sept semaines, les sept pilotes F-18E, dite “Super Hornet”, qui se
par la Nasa d’essai du centre évaluèrent le caractérise par une masse à vide
Entre-temps la Nasa réceptionna YF-17A et contribuèrent à alimenter 30 % plus importante que le
le premier YF-17A et l’envoya au plusieurs programmes de recherches YF-17A. Elle conserve néanmoins
Dryden Flight Research Center à dans les domaines de l’aérodyna- les apex qui étaient apparus avec
Edwards. Du 27 mai au 14 juillet mique. À leurs yeux le YF-17A ou- son ancêtre, le chasseur passant
1976, le programme d’essais comprit vrait de nouvelles perspectives inté- pour très maniable malgré sa taille
l’étude de la maniabilité de l’avion à ressantes, notamment en termes de et sa masse plus importantes. ■

Northrop
proposa jusqu’au
début des années
1980 le YF-17A
sous la
désignation
de F-18L, avant
de renoncer
finalement à sa
commercialisation.

NORTHROP

65
ARCHIVES SECRÈTES
Guerre de l’information
Un “Transall”
en opérations
psychologiques
Un “Transall” vecteur aéroporté d’action
“psy” ? Présentation d’un projet secret.
Par Philippe Wodka-Gallien

A
u milieu des années Le sujet devient stratégique en
1990, la réflexion dans la 1995 lorsque Jacques Chirac doit
Défense s’investit sur un faire face à l’offensive de Greenpeace
sujet : la guerre de l’in- et de l’ONU à l’annonce d’une ul-
formation. Dans les col- time campagne d’essais nucléaires
loques parisiens, on ne parle que de dans le Pacifique. Un colloque orga-
cela. Outre la numérisation du com- nisé en décembre par le ministère de
mandement, le concept intègre le la Défense à la Cité des sciences fait
champ immatériel de l’action psy- opportunément le point sur la ques-
chologique, en ligne tout de même tion. Le tabou saute lorsque le géné-
avec la doctrine de l’Otan et du ral Jacques Saleun, chef du tout ré-
Pentagone. Au titre des multiples cent Commandement des opérations
réflexions qui émergent dans le spéciales, évoque dans Air Actualités
contexte post-guerre froide, le en 1996 le besoin de doter les forces
“Transall” vient donner du corps au françaises de capacités d’action dans
concept. Il serait l’équivalent fran- le champ psychologique, cela au re-
çais des “Hercules” Commando gard de la situation des Casques
Solo de l’US Air Force ou des émet- bleus français en Bosnie. Les armées
teurs radios des groupes d’action doivent tout à la fois réduire les effec-
psychologique de l’US Army. L’idée tifs et s’adapter aux nouveaux scéna-
se nourrit des leçons de la guerre du rios de crises : l’humanitaire (d’où le
Golfe de 1991, mais surtout des dif- “Transall”) et le maintien de la paix,
ficultés rencontrées dans les mais aussi, comme pour l’Irak en
Balkans où l’Otan et la France sont 1991, le conflit régional majeur.
engagées auprès des populations en Sachant que l’on cherche à maîtriser
milieu hostile. l’expression de la violence, une ac-
tion d’information aurait toute sa
Un concept qui fait peur place en opérations vers les popula-
tions locales ou les forces adverses.
en démocratie Le sujet est effervescent.
Par son volet socioculturel, il faut
le reconnaître, en démocratie, le Reprendre les cellules
concept de l’action psychologique fait
peur. Par prudence, on parle d’in-
Astarté ?
fluence, de communication locale ou C’est alors qu’à la fin des années
encore d’information opérationnelle, 1990, il est annoncé que les quatre
formule choisie par l’Operative “Transall” Astarté (avion station
Information (OpInfo) Bataillon 950 relais de transmissions exception-
de la Bundeswehr. Émancipé de nelles), chargés de relayer l’ordre de
l’histoire, le Pentagone pour sa part tir vers les sous-marins nucléaires,
conserve l’expression Psychological seront bientôt remisés au titre du
Operations, ou Psyops. reformatage de la force de frappe.

ARMÉE DE L’AIR

66
À la fin des années 1990, le groupe Thomson
proposa de transformer les “Transall” Astarté, chargés
de transmettre l’ordre de tir vers les sous-marins nucléaires,
pour la guerre psychologique.

67
UN “TRANSALL” “PSY” ?

Chez Thomson-CSF, on se dit à la


cantine qu’il faudrait en faire
quelque chose, et pourquoi pas,
transformer la flotte pour les Psyops
ou la guerre électronique. Le projet
se construit au sein d’un petit groupe
d’ingénieurs de la division radio-
communications et guerre électro-
nique de Thomson. Société à capi-
taux publics, l’entreprise fait alors
office d’arsenal des armées en ma-
tière d’équipement électronique, du
poste radio au radar, aux côtés des
groupes privés Alcatel, Dassault
Électronique, Sagem. Mobilisée sur
le projet Sarigue NG, le DC-8 de
renseignement, elle avait à son actif
l’intégration des Astarté et la partie
GE [guerre électronique] “comm”
des “Gabriel” [“Transall” de rensei-
gnement électronique”]. Ren-
seignement d’origine électromagné- DGA

tique, brouillage, télécoms, Commando Solo. Spécialisés dans Schéma Parleur” utilisé par l’armée de
radiodiffusion, le concept Psyops les opérations psychologiques, ces d’organisation l’Air en Indochine. Au titre de son
renvoie aux modes d’action indi- avions, au nombre de six, intègrent présentant travail d’historien, Paul Villatoux
rectes qui font le cœur ADN de à leur bord un studio de radio et de un dispositif ressort cette épopée des archives
l’électronique de défense. Dès lors, télévision. Il existe aussi le EC-130 d’action du C hâteau de Vi nc en nes.
pourquoi ne pas pousser l’idée d’une Compass Call, une version dédiée psychologique L’option prônée chez Thomson est
version GE-Psyops du “Transall” ? au brouillage des communications. autour d’installer dans la soute de l’As-
La direction soutient. Ils avaient fait leur preuve durant la d’un “Transall” tarté un studio radio en lieu et
guerre du Golfe (1) et poursuivaient transformé place de son émetteur VLF. De
en studio
Un “Transall” la mission dans les Balkans.
radio.
nouvelles antennes seraient fixées
Le projet trouve aussi appuie sur la dérive à la manière du
Commando Solo dans l’aventure du DC-3 “Haut- Compass Call. Le projet écarte
Le projet trouve son inspiration toutefois le module TV jugé trop
dans les versions spécialisées du (1) Voir à ce sujet le livre La guerre
complexe, d’autant que sa portée
C-130 “Hercules” mises en œuvre à ciel ouvert. Irak 1991, la victoire plus faible exige de se rapprocher
par l’USAF, en particulier l’EC-130 rêvée, de Valérie Rousset. des menaces. Voilà pour le vec-

L’USAF utilisait les EC-130 Commando Solo


pour diffuser des émissions radio ou télé
chez l’adversaire grâce aux différentes
antennes reparties sur l’avion.

USAF

68
PHILIPPE WODKA-GALLIEN
Le EC-130E
teur. Thomson-CSF s’intéresse de Terre. L’idée d’un Commando Commando L e 2 juillet 2001, l’escadron 059
aussi, et c’est plus original, à l’éla- Solo français était défendue par Solo lors Astarté cesse ses activités. Un der-
boration des contenus à diffuser Guerrelec, l’Association française d’une escale nier été de paix : le 11 septembre de
en direction des auditoires cibles de la guerre électronique. Dans au Bourget la même année bouleverse la géo-
d’un théâtre extérieur, pour infor- Défense nationale de juin 1999, en juin 1999. politique et met un terme au
mer ou démoraliser. l’ingénieur général de l’armement Les antennes concept d’un vecteur aéroporté
Un petit groupe réfléchit à des Bruno Berthet, président de sur la dérive d’action “psy”. C’est la fi n de l’idée
logiciels d’aide à l’élaboration de Guerrelec, prône le développement sont bien d’un “Transall” de guerre électro-
messages, un travail dirigé alors par de la guerre électronique offensive visibles. nique. Plus pertinente que jamais,
Claude Michel, l’un de ces ingé- dans les opérations aériennes valo- la mission relève aujourd’hui du
nieurs passionné de philosophie risant les compétences françaises Centre interamées des actions sur
(nous saluons sa mémoire). observées déjà par les alliés (2) l’environnement, une structure
L’électronicien propose aussi d’insé- créée en juillet 2012 et qui fut valo-
rer l’avion à un dispositif de drones risée à Satory lors de la journée de
(2) Lire dans L’Armement de mars 2000
de brouillage dans la continuité des (la revue de la Direction générale de présentation de l’armée de Terre en
aérodynes “Crécerelle” de l’armée l’armement) l’article “Horizon 2030”. octobre de l’année 2020. ■

Les EC-130 Commando Solo ont assuré


leur mission de guerre psychologique jusqu’en
septembre 2022. Ils intervenaient sur tous
les théâtres d’opérations.

USAF

69
AÉRODYNAMISME
“Mirage” IIIEX
Des canards
pour le delta
En 1988 vole la dernière version
du “Mirage” III. Cette ultime
évolution du chasseur à aile delta
est plus particulièrement destinée
à explorer les empennages canards.
Par Michel Liébert

E
n 1966, la fabrique fédérale Alors que la production du
suisse F+W d’Emmen avait “Mirage” F1 est bien engagée, le
entrepris des études et des Mirage III a l’avantage sur ce dernier
essais en soufflerie sur l’ins- d’être moins cher à produire. Sur la
tallation d’empennages lancée du “Milan”, il est donc décidé
canards sur le “Mirage” III, qui de pousser plus loin la modification
aboutirent à la modification des en installant le radar “Cyrano” IV
appareils suisses à mi-vie (lire en- du F1. Le “Mirage” IIIR n° 301, ra-
cadré). De par la licence de fabri- cheté à l’armée de l’Air en 1979, est
cation des “Mirage” acquise par la modifié avec ce radar, un Atar 9K50
Suisse, la F+W et Dassault entrete- et un SNA amélioré (viseur tête
naient des liens étroits. haute HUD, centrale à inertie). Par
En septembre 1968, Dassault la suite, un radar “Agave”
fait voler le “Mirage” 5J n° 2 avec est installé et l’avion est
deux surfaces fi xes (dites “mous- alors rebaptisé “Mirage” 50.
taches”) sur la pointe avant ; l’avion En 1990, Dassault
appelé “Astérix” démontre des qua- Les canards suisses Aviation adopte
lités intéressantes, il est donc dé-
cidé de rendre ces surfaces esca-
installés ce logo en forme
d’aile delta,
motables (lire Le Fana de En mai 1981 les canards avec un trèfle
l’Aviation n° 524). Le suisses sont installés qui à quatre feuilles,
“Mirage” IIIR n° 344 est conduisent à des perfor- talisman de
modifié dans ce sens mances supérieures à celles Marcel Dassault,
et deviendra le obtenues avec les mous- créateur de la
“Milan” S 01 taches. Un apex au bord société, facteur
pré senté au x d’attaque de la voilure de chance.
Suisses dans le améliore encore les perfor-
cadre d’un appel mances [surface prolongeant l’em-
d’offres pour le rempla- planture d’une voilure et qui permet
cement des “Hunter” de D A
ASSAULT VIATION de résoudre certains problèmes
leur force aérienne ; une électro- aérodynamiques, NDLR]. Après de
nique dérivée de celle du “Jaguar” nombreuses itérations sur le SNA,
accompagne cette proposition. il est décidé de monter des com-
Pour aller plus loin dans les perfor- mandes de vol électriques. L’avion
mances, le “Mirage” IIIE n° 589 est ainsi modifié, devenu le “Mi-
à son tour modifié avec le nouveau rage” IIING, effectue son premier
SNA (système de navigation et vol aux mains de Patrick Experton
d’attaque) et un réacteur Snecma en décembre 1982.
“Atar” 9K50. Présenté en mai 1972, L es vols se poursuivront
malgré des performances intéres- jusqu’en septembre 1984 mais, mal-
santes, l’avion n’est pas retenu, non gré quelques marques d’intérêt de
plus que ses concurrents ! Jusqu’en pays étrangers, l’avion est trop coû-
1976, Dassault tentera d’y intéres- teux à moderniser et, neuf, peu at-
ser d’autres pays, sans succès. trayant face au “Mirage” 2000.

DASSAULT AVIATION

70
Cette photo du “Mirage” IIIEX à Istres,
le 26 mai 1988, met en évidence
les empennages canards et les virures
à l’emplanture de la perche.

71
DES CANARDS POUR LE DELTA

En 1987, Dassault vend au Brésil Cet avion a un passé agité : au avec un bord d’attaque légèrement
– tout en étant en négociation avec milieu des années 1970, il a été vic- cambré dont la flèche est de 56°40’,
le Venezuela – un certain nombre time d’une collision avec un celle du bord de fuite étant de 23°20’.
d’avions à réaliser à partir de “Mirage” IIIB. Bilan : une dérive Ils sont connus comme “canards à
“Mirage” IIIE et R achetés à l’ar- sectionnée pratiquement à la base et 3,8 %”, qui est le rapport de leur sur-
mée de l’Air. Ces avions doivent des revêtements du côté gauche du face totale ramenée à la surface de
être équipés de canards, l’utilisation fuselage déchirés. Il a été réparé à référence du “Mirage” III, 34,8 m2 ;
prem ière envisagée par les Biarritz-Parme. Par la suite un inci- – le montage de virures, deux
Brésiliens étant la défense aé- dent de tir l’a encore endommagé : un surfaces en acier de 3 mm d’épais-
rienne : ces canards améliorent la obus inerte a touché le cadre 26 et la Au premier seur et de 0,3 m de long, emman-
capacité d’évolution aux grandes soute radio ; il a alors été remis en état plan, chées sur la pointe avant du “Cy-
incidences ; par ailleurs le reste de par l’Atelier industriel de l’aéronau- le fuselage du rano” II. Leur rôle est d’améliorer la
la flotte doit être modernisé au tique (AIA) de Clermont-Ferrand. Il “Mirage” IIIEX stabilité latérale aux fortes inci-
même standard. entre donc en chantier à Biarritz fin dans l’atelier dences, à partir de 22°;
novembre 1987. Breguet- – le SNA du “Mirage” IIIE est
Un “Mirage” IIIE C e chantier comprend pour Dassault de conservé, sauf le doppler qui est dé-
l’essentiel : Biarritz-Parme. posé mais dont le carénage reste en
entre en chantier – l’installation des canards défi- Il s’agit en fait place ; un poste VHF remplace un des
Compte tenu des délais de réali- nis par les Suisses pour moderniser de la cellule du UHF ; un IFF ESD 3300 [identifica-
sation des premiers avions, le dévelop- leurs avions. Ils sont situés plus en “Mirage” IIIE tion friend or foe, identification ami
n° 467 modifiée
pement de cette modification néces- arrière que sur le “Mirage” 50, à ou ennemi, NDLR] est installé, ainsi
avec des
site un banc d’essais rapidement 0,80 m de la lèvre de l’entrée d’air et qu’une autocommande nouvelle géné-
empennages
disponible à moindres frais. Il est donc de surface un peu supérieure. ration. Enfin, un nouvel indicateur
canards et
décidé d’acheter le “Mirage” IIIE Chaque canard a une envergure de des nouveaux
d’incidence a été étudié pour prendre
n° 467 à l’armée de l’Air. 0,888 m, une surface de 0,663 m 2 équipements. en compte une incidence maximale de

DASSAULT AVIATION

72
28° en combat aérien ou 22° en confi- de domaine en lisse et avec charges. stable en latéral aux grandes inci-
guration lourde. L’autotrim [compen- L’avion équipé d’un “Atar” 9C se dences ; en fait les virures, à elles
sateur] de l’autocommande cesse son révèle quelque peu sous-motorisé par seules, permettent d’atteindre la
rôle à partir de 23° d’incidence pour rapport au “Mirage” 50. presque totalité des performances
que le pilote garde un effort au Pour le vol n° 9, l’avion fait un réalisées avec les canards…
manche, de façon à ne pas dépasser essai sans relation avec son rôle : il
l’incidence maximum autorisée ; doit emporter puis remorquer le Des canards
– de nouveaux déflecteurs de gou- leurre de contre-mesures “Barbara”
lottes canons permettent de mieux réalisé par ESD au bout d’un câble
réduits
protéger le moteur des gaz, aux de quelque 2 000 m, installé à la fa- On en déduit donc qu’on peut
grandes incidences. çon d’une cible, sous l’aile gauche. diminuer la surface des canards (et
Le kit complet de modification a Le leurre refuse de “penduler” [le donc la traînée). Au 18e vol, des ca-
été acheté à F+W d’Emmen. Après câble ne se déroule pas sous l’effet de nards à 2,5 % (de la surface de réfé-
transformation à Biarritz-Parme, la traînée aérodynamique, NDLR] rence) sont essayés. Le comporte-
l’avion est convoyé par Patrick et une deuxième tentative se solde ment de l’avion est identique à celui
Experton à Istres, via Cazaux, à la fin par la rupture du câble au moment avec canards à 3,8 % tout en traînant
du mois de mars 1988. de la pendaison à 8 000 pieds moins : Mach 1,9 (700 nœuds,
Dès le troisième vol, Jean Pus (2 438 m) et 250 nœuds (463 km/h). 1 296 km/h), sont atteints, l’avion res-
“tient” l’avion à 110 nœuds Quelque temps plus tard un autre tant très pur.
(204 km/h), mais la traînée induite est essai conduit au même résultat. Pour une incidence vraie de 27°
très importante et il faut beaucoup En juin 1988, un vol sans canards à 100 nœuds (185 km/h), moteur
d’énergie pour sortir de ce cabré et ne mais avec virures, montre que la pré- plein gaz sec à 5 000 pieds (1 524 m),
perdre que 2 000 pieds (610 m) pour sence de celles-ci ne perturbe pas le on ne perd que 1 000 pieds pour re-
reprendre du badin : Patrick Exper- radar, qu’il n’y a pas d’altération des trouver du badin, avec un avion cen-
ton et Jean Pus alternent alors les vols qualités de vol et que l’avion reste tré limite arrière.


Canard
et aile delta
Le défaut principal d’une aile delta
est la vitesse d’atterrissage et,
corrélativement, les longueurs de
piste au décollage et à l’atterrissage,
ainsi que les limites de manœuvre
en virage. La raison principale
est qu’il n’y a pas de possibilité
d’hypersustentation de la voilure :
les couples des becs et volets
ne peuvent être compensés
Le “Mirage” III suisse et ses par une gouverne de profondeur,
empennages canards qui furent
le braquage des élevons ayant
installés sur le “Mirage” IIIEX.
dans le cas présent un effet inverse
à celui recherché. Le montage
DASSAULT AVIATION
de becs de bord d’attaque sur
le “Mirage” III 001 n’avait pas été
concluant. Les avions à voilure delta
dotés d’hypersustentateurs doivent
avoir un empennage horizontal,
ce qui fait perdre une bonne partie
des avantages du delta. Ce ne sera
qu’avec l’apparition des commandes
de vol électriques que l’on pourra
utiliser des becs en acceptant
un avion instable. Pour diminuer
le braquage des élevons au
décollage ou à l’atterrissage,
et donc pour diminuer leur effet
déporteur et leur traînée, il faut
installer, devant la voilure,
des surfaces portantes : ce principe
est connu depuis les origines
de l’aviation – plus ou moins
consciemment au début – ce sont
Les canards du “Mirage” IIING étaient les canards, mais leur effet négatif
installés plus en avant. À noter l’apex
est de provoquer une instabilité
à l’emplanture de la voilure.
longitudinale.
DASSAULT AVIATION

73
DES CANARDS POUR LE DELTA

Le commandant Deleume du
Centre d’essais en vol (CEV) effec-
tue trois vols en août en vue de pré-
parer la réception des avions brési-
liens et juge l’avion très bon jusqu’à
28°, en version intercepteur, avec un
léger buffeting (vibrations) et pas
d’instabilité latérale ; en configura-
tion lourde centrée arrière, un peu
de roulis en incidence induit du déra-
page avec une tendance à partir en
pitch up [autocabrage].
L’avion revient à Brétigny pour
effectuer des vols complémentaires
au CEV qui porte un jugement très
positif sur les commandes de vol.

Mise au point de la
version vénézuélienne
Fin septembre 1988, Jean Pus
effectue des tirs à Cazaux, sans ap-
pauvrisseur [système automatique
DASSAULT AVIATION
qui diminue la richesse de l’alimenta- Le cdt Deleume
tion en carburant du moteur, NDLR] et l’équipe nards à 2,5 % sont conservés : les Une perche “sèche” de ravitail-
jusqu’à 100 nœuds (185 km/h), avec du CEV à Istres basses vitesses sont meilleures lement en vol est montée : elle pro-
une incidence de 32°, sans noter de le 13 août qu’avec la pointe “Cyrano” II, mais voque un léger couplage roulis/lacet
problèmes de moteur. Puis, à partir 1988, devant le avec un buffeting supérieur à celui aux faibles incidences et pas de per-
de décembre 1988, les vols sont désor- “Mirage” IIIEX. du “Mirage” IIING. Surtout le gain turbation sur le moteur. Des vols
mais axés sur la mise au point de la en incidence est très faible par rap- lourds avec centrage limite arrière
version vénézuélienne. port à un “Mirage” IIIE normal : (réservoirs porte-bombes RPK avec
U ne pointe avant de “Cy- les virures sont indispensables. bombes d’appui tactique BAT120
rano” IV, sans virures emmanchées Elles sont donc installées et per- sous fuselage + deux réservoirs de
sur la perche Chaffois [sonde ané- mettent de retrouver un avion peu 1 700 l) sont conduits avec une virure
mométrique, du nom de son inven- différent de celui des vols avec une allongée de 0,3 m à 0,36 m, donnant
teur, NDLR], est installée, les ca- pointe “Cyrano” II. une parfaite stabilité latérale.

DASSAULT AVIATION

74
Le “Mirage” IIIEX, saisi en vol
en septembre 1988, a conservé
les décorations de l’armée de l’Air.

DASSAULT AVIATION

Le CEV expérimente la version de ravitaillement en vol – sans ren- L’avion a porté tout au long de
vénézuélienne ainsi figée au cours de contrer de problèmes de moteur. ses essais la livrée camouflée des
trois vols en mai et juin 1989, avec le Le 79e et dernier vol est effectué “Mirage” III de l’époque, avec l’ins-
cdt Deleume. Les essais pour les par Jean Pus le 7 juin 1990, avec cription stylisée “Mirage IIIEX”
besoins des avions exportés sont une pointe “Cyrano” IV, sans ca- sous le pare-brise.
alors terminés. nards ni perche, pour identifier une
Un an plus tard, un 77e vol est configuration demandée par les Que penser
effectué dans la configuration de la Vénézuéliens.
modification envisagée un temps L’appareil est définitivement
des canards ?
pour les “Mirage” IIIEE (espagnols) stocké : il est donné en 1995 à l’asso- Avec le recul, on peut tirer cer-
– deux tuyauteries “goulottes” cou- ciation du musée de l’Aviation de taines conclusions : pour les configu-
rant sous le fuselage avant et perche Montélimar où il est exposé. rations air-air plutôt centrées avant, on


Le “Mirage” IIIEBR
brésilien aux
essais à Istres.
Le Brésil avait
alors lancé
un programme
de modernisation
de sa flotte
de “Mirage” III.

Le pilote d’essais
de Dassault
Jean Pus
s’installe à bord
du “Mirage” IIIEX.
DASSAULT AVIATION

75
DES CANARDS POUR LE DELTA

DASSAULT AVIATION
Le
a monté des canards à 3,8 % (Brésil) “Mirage” IIIEX nards : la nouvelle motorisation et une sage, qui est le principal reproche fait
et pour les configurations lourdes air- au-dessus pointe avant allongée et alourdie par au delta. On peut mettre un bémol à
sol des canards à 2,5 % (Venezuela) ; des Alpilles. l’avionique ont avancé le centrage, et ce constat dans le domaine du com-
les essais prouvent que ces derniers Il dispose donc reculé les limitations d’emport bat aérien : ainsi équipé, l’avion
suffisent et qu’en fait les canards sont d’un nouveau sous voilure. Les canards de cet avion “dépointe” mieux, avec des varia-
marginalement utiles, car 80 % du nez avec un sont très voisins des canards suisses à tions d’incidence plus rapides.
gain en incidence est à porter au crédit radar plus 3,8 %, mais situés plus en avant. Ce sont les commandes de vol
des virures. Ces gains importants en performant. Seule évolution aérodynamique électriques, associées à une formule
incidences sont de 10 à 15° par rapport À noter en significative du “Mirage” III, le mon- aérodynamique instable, qui ont
à un “Mirage” III “normal”, gains ventral des tage des canards et virures des changé du tout au tout les caractéris-
appréciables, surtout en combats aé- bombes anti- “Mirage” 50 vénézuéliens n’a pas tiques de la voilure delta : d’abord
riens. Mais les canards diminuent pistes BAP100. fondamentalement amélioré l’avion avec le “Mirage” 2000 et ses aigrettes
beaucoup la marge statique longitudi- dans le domaine des vitesses d’ap- sur les entrées d’air, puis avec le
nale et sont donc pénalisants aux li- proche, de décollage et d’atterris- “Rafale” et ses canards pilotés. ■
mites de centrage. En marge de ma-
nœuvre, en distance de décollage et
atterrissage, les gains sont insignifiants
– contrairement aux moustaches.

Trouver la bonne
recette
Certains pensent aujourd’hui que
des canards fixes sur un avion stable
– contrairement au “Mirage” 2000 ou
au “Rafale” – n’apportent rien et ont
été une mode, l’essentiel étant dans
les virures ; on peut même dire que
pour les avions lourds vénézuéliens,
les canards limitent l’emport d’une
quatrième bombe de 250 kg sur les
réservoirs supplémentaires type
RPK. Pour retrouver les emports du
“Mirage” IIIEV il faudrait mettre un
lest conséquent dans la pointe avant Le biplace brésilien “Mirage” IIIDBR
pour avancer le centrage… mais au n° 4906. Il s’agit en fait de l’ancien
détriment du carburant ou des arme- monoplace “Mirage” IIIR n° 338
ments afin de respecter la masse de l’armée de l’Air transformé,
maximale autorisée ! avec canards, pour le Brésil.
Pour le “Kfir”, les Israéliens ont
eu plus de raisons d’employer des ca- DASSAULT AVIATION

76
UN DESSIN, UNE HISTOIRE

DANIEL BECHENNEC

Lanceur d’”Exocet”
Le “Super Frelon” irakien
Illustration de Daniel Bechennec, texte d’Alexis Rocher.

I
l ne faut pas parler bien long- Ce gros hélicoptère vole pour d’espérer quelque miracle à travers
temps de “Super Frelon” et la première fois il y a 60 ans. Sud une chasse aux kilogrammes en trop,
d’“Exocet” à l’ami Daniel Aviation a travaillé sur le “Frelon” les ingénieurs retournent à la planche
Bechen nec. Ni une ni deux, qui effectue son premier vol le 10 juin à dessins et conçoivent le “Super
il dégaine ses crayons et vous 1959. Déjà une grosse machine, mais Frelon”. Ils conservent le principe des
dessine une scène épique comme il l’embonpoint guette. Les perfor- trois turbines adopté sur le “Frelon”,
sait si bien le faire. Mais pourquoi le mances honorables ne peuvent cacher désormais associé à un nouveau rotor.
“Super Frelon” ainsi armé ? une masse trop importante. Plutôt que Le SA 3210-01 vole pour la première
78
Un “Super
fois à Marignane le 7 décembre 1962. Sa taille imposante permet d’em- Frelon” irakien d’action limité modère sa capacité
À ses commandes un équipage réputé, porter de nombreux équipements, en action de nuisance globale ; les Irakiens de-
notamment avec Jean Boulet – lire et notamment le missile air-mer dans le golfe mandent donc des “Super Étendard”
Persique avec
son record d’altitude dans Le Fana “Exocet”. Cette capacité intéresse ses missiles et des “Mirage” avec “Exocet” qui
de l’Aviation n° 631. Il est suivi par au plus haut point les Irakiens quand “Exocet”. arrivent au milieu des années 1980
le SA 3210-02, plus spécialement éclate la guerre avec l’Iran en 1980. (lire la série d’articles d’Hugues de
destiné aux marins. Cette fois-ci les Guillebon dans Le Fana de l’Avia-
performances sont au rendez-vous : le Un acteur de la guerre tion n° 578 à 581). Mais en atten-
“Super Frelon” bat même des records dant, les deux “Exocet” offrent aux
du monde de vitesse. Banco, la Marine
du Golfe “Super Frelon” une puissance de feu
nationale le commande en série. Il se Le “Super Frelon” devient un impressionnante. C’est l’un d’eux
montre performant jusqu’en 2010, as- redoutable chasseur de navires qu’illustre ici Daniel Bechennec.
surant des missions de transport et de dans le golfe Persique. Les Iraniens Outre les deux missiles, vous remar-
sauvetage. C’est un appréciable succès se méfient beaucoup de ce tireur querez surtout l’imposant radar dans
commercial, avec Israël, l’Afrique du embusqué qui rôde non loin du tra- le nez pour trouver des cibles et gui-
Sud et la Chine comme clients. fic maritime. Toutefois son rayon der vers elles les missiles. ■

79
MAQUETTES Par Hangar 47

Un Grumann “Wildcat”, un “Martlet”, un “Flying Barrel”, va chavoir…

F4F-3 “Wildcat” Notre appréciation : encore une démonstration de la marque


Eduard Profipack, 1/48 tchèque, chacune de ses productions dépasse en termes de détails
ce que la concurrence a pu proposer… Impressionnant mais doigté
La très belle et expérience recommandés pour tirer le meilleur de cette superbe
illustration de maquette.
la boîte ne
décevra pas ceux qui
attendent avec
impatience la dernière
A6M2 “Zero” Type 11
nouveauté Eduard. Eduard Profipack, 1/48
Le contenu est lui
aussi conforme à ce Première
que l’on pouvait version
espérer ; il présente opérationnellee
toutes les qualités des dernières productions de la marque. du “Zero”, le Type 11
Commençons par la gravure fine, précise et régulière qui intègre un fit ses débuts en
rivetage complet extrêmement réaliste. La notice décrit d’abord le Chine, face entre
montage du poste de pilotage parfaitement détaillé (cette édition autres à des
Profipack contient les habituelles pièces en métal photodécoupé machines
prépeint pour le compléter). Viennent ensuite le bâti moteur et le soviétiques comme
logement du train principal ; le train s’installe après la fermeture du le rappelle
fuselage. La finesse des pièces reproduisant cet ensemble complexe l’illustration de cette édition “Profipack” (avec éléments photodécoupés
demandera soin et délicatesse pour préparer et assembler tous les prépeints et masques autocollants). La maquette surpasse
éléments. Les gouvernes sont moulées séparées et un longeron allègrement en termes de détails ce que la concurrence a pu produire
consolide le collage des ailes. La verrière en deux parties est fournie (seul le récent A6M5 “Tamiya” tient la comparaison, mais c’est
en version ouverte ou fermée (largeur différente pour la partie un M5…). La finesse de la gravure des surfaces est incroyable,
coulissante). Des masques autocollants facilitent la peinture des le rivetage est parfaitement réaliste. Rappelons que l’aménagement
montants. Les pièces transparentes incluent de minuscules feux de du poste de pilotage est complet, que le train et ses logements sont
position intelligemment moulés avec une tige support sans laquelle fidèlement reproduits (voir pour exemple la minuscule roulette
manipulation et collage relèveraient de l’exploit (on aimerait voir cette de queue séparée de sa jambe), que le moteur réaliste s’installe sous
méthode plus souvent utilisée). Le moteur est bien reproduit, sa table un capot moulé en sept pièces (un support de montage est fourni
arrière visible dans le logement de train n’est pas oubliée, son capot pour les assembler proprement), et que les gouvernes sont moulées
est découpé en trois éléments. La grande feuille de décalcomanies séparées. Les décalcomanies offrent cinq options sur une base gris
offre six options : un avion dans les couleurs d’avant-guerre, alu et clair uni avec capot moteur noir bleuté ; tous les minuscules
jaune avec marques blanches et empennage vert, un avion marquages techniques sont fournis.
entièrement gris clair avec des croix rouges utilisées lors d’un
exercice, et enfin quatre machines camouflées en gris bleu moyen sur Notre appréciation : sans aucun doute le meilleur Type 11
les surfaces supérieures (nul doute qu’une boîte dédiée au “Martlet” du marché ; l’incroyable qualité de la gravure des surfaces
britannique suivra avec ses couleurs plus exotiques !). ne lasse pas de surprendre !
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Gunn’s Bunny Messerschmitt Bf 109 G-2/4
B-25J “Strafers” in the Pacific Revell, 1/32
Eduard Limited, 1/72 C’est bien
une
Sous une belleelle nouveauté
illustration, maison qui nous
cette éditionn est proposée ici,
limitée regroupe la différente donc
maquette Hasegawa du 109 Hasegawa.
du B-25J, Avec 184 pièces,
des pièces ce modèle est
photodécoupées nettement plus
prépeintes (tableau dee détaillé. Le poste de pilotage par exemple se décompose
bord, harnais, aménagement interne, rampes d’allumage, etc.), en 21 éléments complétés de décalcomanies pour reproduire
des roues en résine, des masques autocollants et des décalcomanies les instruments. Les surfaces sont finement gravées, sans rivetage.
pour dix options spectaculaires reprises sur plans couleurs dans Les petits renforts circulaires reproduits sur le bord de fuite des
la notice. La maquette date de quelques années mais les pièces gouvernes entoilées correspondent à des pastilles de toile entourant
en métal et résine la complètent efficacement pour proposer des petits trous qui, sur l’avion réel, permettent l’équilibrage de
un ensemble très bien détaillé. La gravure simple des surfaces la pression de l’air contenu à l’intérieur qui pourrait faire “gonfler”
est très correcte. Il ne faudra pas oublier de bien lester le nez. la gouverne lors, par exemple, de la montée en altitude (on peut ici
Les décalcomanies sont nombreuses ; elles ne proposent pas moins atténuer fortement le relief de leur figuration). Les radiateurs et
de dix options, dix machines décorées de nose arts très colorés logements de train sont reproduits avec réalisme. Les roues sont
(les trois motifs de nez les plus complexes doivent être peints, fournies en deux options, avec si nécessaires les bossages adaptés
des masques partiels sont fournis pour faciliter les choses, mais à l’extrados. Des pièces spécifiques sont prévues pour l’option train
l’opération demande une grande expérience). Six sont camouflées rentré. Un faux longeron renforce la partie centrale de la voilure.
du vert olive classique et quatre restent alu naturel. L’histoire Les gouvernes, becs et volets sont prévus séparés pour ceux qui
de chaque avion et de ses marquages individuels est documentée. souhaitent choisir une configuration autre que “lisse”. Le découpage
de la dérive laisse envisager la sortie future d’autres versions du 109.
Notre appréciation : maquette de base de bonne qualité bien La verrière en trois pièces peut rester ouverte. Les G-2 et G-4 ont
complétée par les divers ajouts d’origine Eduard, options de porté de nombreuses livrées ; Revell choisit pour cette édition deux
décoration nombreuses et colorées, un ensemble bien étudié et bien des plus originales portées sur le front de l’Est : un avion peint dans
tentant. les deux tons de gris classiques mais dont la partie centrale
du fuselage a reçu une retouche de spaghettis sable sur fond vert,
et un autre repeint en sable brun et deux tons de vert comme
Spad 510 7e escadre plusieurs machines de la JG 54. Tous deux portent les larges
marques jaunes utilisées à l’Est.
Azur FRROM, 1/72
Notre appréciation : nouveauté de grande qualité pour un sujet
Dernier hyper connu ; montage demandant un peu d’expérience du fait
biplan des détails et options nombreuses, et comme souvent pour Revell
conçu un très bon rapport qualité/prix.
pour la chasse
française, le
Spad 510 n’avait
jusqu’à présent
Sopwith F.1 “Camel” (Bentley)
pas éveillé Eduard Weekend, 1/48
l’intérêt
des fabricants Édition “tout
de maquettes. plastique”
La marque Azur FRROM vient réparer cet oubli de manière très du très beau
convaincante. Le petit biplan est en effet bien servi par les qualités “Camel” Eduard, cette
de cette édition limitée ; on observe d’abord un fuselage bien gravé boîte nous propose de
et l’ensemble des surfaces entoilées reproduites de manière réaliste. nouvelles décorations
On constate ensuite avec plaisir que les ailes, la profondeur et sur une grande feuille
la direction sont moulées de manière “monobloc” avec une épaisseur de décalcomanies.
et des bords de fuite eux aussi réalistes. Les petites pièces (mâts et La maquette garde
mitrailleuses) sont réalisées avec finesse et précision. L’aménagement toutes ses qualités :
du poste de pilotage est simple mais suffisant car peu visible une fois entoilage reproduit finement avec réalisme, détails intérieurs et
le fuselage refermé. Une décalcomanie vient compléter le tableau de extérieurs bien soignés, pièces optionnelles nombreuses (quatre
bord. Pour les plus habiles la notice décrit clairement le haubanage. moteurs et quatre capots par exemple). Tous les éléments de voilure
Les livrées proposées dans cette boîte, alu brillant dessous et vert sont monoblocs et les mâts sont très minces. Les quatre livrées
kaki dessus, étaient portées juste avant la guerre, entre 1937 proposées ont pour base la toile vernie et la peinture vert foncé
et 1939 ; les insignes d’unités sont donc bien visibles des surfaces supérieures. De grandes marques individuelles colorées,
et les décalcomanies les reproduisent finement. bleu, blanc, ou rouge personnalisent et égayent chacune des machines.

Notre appréciation : série limitée de bonne qualité pour ce sujet Notre appréciation : maquette de grande qualité et couleurs
français original, élégant et coloré. intéressantes pour un chasseur célèbre.
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