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novembre 2018

A L I M E N TAT I O N D E M A I N , D E S A N TA R C T I Q U E L A FA U N E FAC E
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ÉDITO

À qui appartient l’Amérique ?


PAR GABRIEL JOSEPH-DEZAIZE RÉDACTEUR EN CHEF

Aux États-Unis, un État, l’Utah, cristallise tout En décembre 2017, des Américains, dont des descendants
ce que le pays peut avoir de plus beau et d’Amérindiens, protestent à Salt Lake City contre Donald
Trump, qui a réduit la taille des aires protégées dans l’Utah.
de plus menacé. Dans le Bears Ears National
Monument, classé en décembre 2016 par le il est davantage préoccupé par les réserves
président Barack Obama, on peut notamment d’uranium que recèle le sous-sol du Bears Ears
voir une série de dessins datant d’au moins un et par les 57 milliards de tonnes de charbon qui
millénaire gravés dans la roche. Cette fresque gisent sous le plateau de Kaiparowits, dans
de presque 7 m de long, baptisée « Procession les territoires désormais « libérés » du Grand
Panel », représente une cérémonie rassemblant Staircase-Escalante National Monument.
près de 190 personnages d’apparence humaine. Ce revirement politique, qui menace des
Le témoignage de la présence amérindienne territoires ancestraux et fragiles, a créé moult
est là, intact et magique, sous nos yeux. remous dans l’Utah. Hélas, il résume assez
En décembre 2017, Donald Trump a tout bien la façon dont l’environnement n’est pas
simplement réduit de 85 % la superficie initiale – c’est une litote – au cœur des préoccupations
de cette aire protégée de 550 000 ha. Tout court-termistes du locataire actuel de
comme il a amputé de près de la moitié, non la Maison-Blanche. À qui appartient l’Amérique ?
loin de là, la superficie du Grand Staircase- Nous ne savons pas quelle est l’opinion de
Escalante National Monument, classé par le Donald Trump sur la question, mais il devrait
président Bill Clinton en septembre 1996. s’inspirer de cette sagesse immémoriale :
L’actuel président américain fait peu de cas « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres,
de l’archéologie et de l’histoire de son pays : nous l‘empruntons à nos enfants. »

PHOTO : CHARLIE HAMILTON JAMES

NOVEMBRE 2018 5
N AT I O N A L G E O G R A P H I C

S O M M A I R E

R E G A R D E R D É C O U V R I R E X P L O R E R

21
36
12
L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Quand un ami
LA GRANDE IDÉE défie la mort
Un voilier solaire Un photographe
dans l’espace suit un ami qui tente
Un engin spatial à l’escalade en solo
voiles solaires est prêt intégral d’El Capitan,
à décoller, réalisant une paroi abrupte dans
un très ancien rêve le parc de Yosemite.
En couverture
Un royaume des astronomes. PA R P E T E R GW I N
L’ONG Nature Conservancy
a acheté le Dugout Ranch, excentrique PA R B I L L N Y E
la plus grande propriété privée Le nord-est de l’État ET AUSSI

à l’intérieur du Bears Ears du Vermont passe pour ET AUSSI


Le décryptage............. p. 32
National Monument (Utah),
pour empêcher les promoteurs
un refuge de personna- Les actualités ............. p. 26 Événement Mars,
de s’en emparer. lités excentriques et La pionnière................ p. 30 saison 2 .......................... p. 34
Matt Redd, directeur du centre indépendantes. Un Les missions sur
de recherche de cette photographe français le terrain....................... p. 40
association de protection
de l’environnement, s’occupe est parti à la rencontre
aussi du bétail du ranch. de ses habitants. À S U I V R E
Photo : Aaron Huey PA R A RC H E R M AYO R
P H OTO G R A P H I E S D E La sélection. . . . . . . . . . . . . . . p. 140
ST É P H A N E L AVO U É Le mois prochain. . . . . . . p. 145
Le making of. . . . . . . . . . . . . p. 146

Ce numéro comporte une lettre


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E N Q U Ê T E S E T La bataille pour Le menu du futur Le passé englouti
R E P O RTAG E S l’Ouest américain Bientôt sur votre table : En Turquie, un barrage
Qui gagnera le droit des plats à base de controversé va détruire
de décider de la graminées, d’insectes un site antique.
gestion des terres ? et d’algues. PAR SUZY HANSEN
PAR HANNAH NORDHAUS PAR TRACIE McMILLAN PHOTOGRAPHIES
PHOTOGRAPHIES PHOTOGRAPHIES DE MATHIAS DEPARDON
D’AARON HUEY DE GRANT CORNETT ................................................. p. 100
................................................... p. 42 ......................................... p. 80
Un monde qui craque
Il faut sauver L’exode des La vie sauvage de la
les tétras Vénézuéliens péninsule Antarctique
Doit-on préserver les Des Vénézuéliens fuient a besoin de la banquise
terres de l’Ouest ou leur pays par milliers. et du krill pour
bien les exploiter ? Le Mais leur arrivée au s’épanouir. Qu’arrivera-
cas d’un oiseau illustre Brésil ne signifie pas la t-il s’ils disparaissent ?
les enjeux du débat. fin de leurs problèmes. PAR CRAIG WELCH
PAR HANNAH NORDHAUS PAR PAULA RAMÓN PHOTOGRAPHIES DE PAUL
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N°12 OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018


EN CADEAU
des cartes postales
dessinées par

TRAVELER N°12
TRAVELER

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2018
VOYAG E R A U T R E M E N T
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en France

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NO UV UL E LAC ACHARD

FO RM

Escapades
Pour une baignade
revigorante en été, cap
sur le lac Achard en
Isère. On y accède à pied,
en 1 h 15 à partir de
Chamrousse (à 30 km de
Grenoble). Perché à
1 917 m, l’eau y est fraîche

QUÉBEC
(pas plus de 18-19° C)

sauvages
et le panorama sur les
Sur la trace montagnes superbe.

des explorateurs DUNKERQUE

Téméraire ? Joignez-vous
ZAMBIE au Bain des Givrés sur la

À pied avec plage de Malo-les-Bains


(Nord) pour le premier
les fauves jour de l’année. Vers midi,
500 personnes s’immer-
gent, déguisées, dans
JAPON l’eau glacée de la Manche.
Carnet de route Récompense : une soupe
à l’oignon.
volcanique
LAC SAINT-POINT

CUBA Pour les pros, direction


Dans la jungle l’une des régions les
plus froides de France
des artistes – la Franche-Comté –
et le lac Saint-Point, à
Malbuisson. Chaque
hiver, Christophe Corne,
nageur de l’extrême,
plonge une quinzaine
de minutes dans une
eau à 3° C pour soutenir
une association contre
la leucémie. Vous le
Un saut à deux dans croiserez peut-être.
le lac artificiel de
Blue Mesa, dans l’État

18 SAFARIS DE RÊVE EN AFRIQUE


du Colorado.

TRAVELER

Into the wild


TÉLÉVISION Faites le plein de
nature dans le nouveau
Série événement National Geographic
Traveler. Au programme
Après avoir colonisé Mars en 2033, des astronautes font face à un nouveau
de ce 12e numéro : un
défi : une entreprise privée s’apprête à forer le sol de la planète Rouge. La road trip au Québec,
saison 2 de la fiction d’anticipation Mars, étayée de séquences documentaires sur la trace des
réelles, aborde l’aspect géopolitique de la conquête spatiale, notamment chercheurs d’or ; une
la question des droits en matière d’exploitation des ressources. expédition à la
Sur National Geographic, du 11 novembre au 16 décembre, les dimanches, à 20 h 40. découverte de la faune
des Galápagos ;
un safari à pied en
Zambie ; un tour de la
Scandinavie et
UNE EXPOSITION

EXPOSITION une sélection de


croisières polaires.
Clichés iconiques En kiosque.
Le nouveau Musée Mer Marine, à
Bordeaux, présente les œuvres LIVRE

de deux photographes mythiques L’Afrique au cœur


de National Geographic, spécia- À travers des photos
DU
OCTOBRE
01 listes du monde sous-marin : le aériennes de paysages
AU-DELÀ DE L’IMAGE Canadien Paul Nicklen et l’Amé- spectaculaires et des
AU 30
AVRIL
ricain David Doubilet. La centaine portraits animaliers,
de clichés, des mers du Sud à celles l’auteur, pilote
du Grand Nord, ont pour objectif passionné par le
continent noir, livre
de sensibiliser le public à la beauté
sa vision de l’Afrique
et à la fragilité des océans. contemporaine.
Sous les mers, au Musée Mer Marine Un beau livre de
www.mmmbordeaux.com (Bordeaux), du 1 er octobre 2018 au 256 pages.
30 avril 2019. Africa, de Frank Mulliez.

Fonte des glaces, extraterrestres et T. rex


VO S N E W S P R É F É R É E S S U R N AT I O N A LG E O G R A P H I C . F R

I ESPACE I histoire I SCIENCES


Pour évaluer les effets du réchauffe- À Vale do Amanhecer, à une heure D’après des études récentes,
ment, la Nasa a envoyé un satellite de Brasília, des fidèles pensent être Tyrannosaurus rex souffrait de la
capable de mesurer la hauteur des l’incarnation d’extraterrestres goutte, sans doute à cause
glaciers, au centimètre près. arrivés sur Terre il y a 32 000 ans. d’un régime trop riche en viande.

10 N A T I O N A L G E O G R A P H I C PHOTOS : NATIONAL GEOGRAPHIC/DUSAN MARTINCEK


R E G A R D E R

L A T E R R E S O U S TO U S L E S A N G L E S

N AT I O N A L G E O G R A P H I C

Pour son projet sur


la région que les
Vermontais nomment
« le Royaume », Stéphane
Lavoué a souvent roulé
sur cette route et y a vu,
dit-il, « plus de cerfs que
d’êtres humains ».

12 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
UN ROYAUME EXCENTRIQUE
Un recoin du Vermont est une région à part, où règnent de drôles d’habitudes et d’habitants.
P H O T O G R A P H I E S D E S T É P H A N E L AV O U É

NOVEMBRE 2018 13
R E G A R D E R

William Eddy fut écologiste, cinéaste, écrivain et enseignant. C’est lui qui « a fait le lien entre mon fantasme
et la réalité du Royaume », raconte Stéphane Lavoué. William Eddy est mort chez lui, en 2016, à 88 ans.

14 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
L’écrivain vermontais Archer Mayor dit que le Royaume est un « refuge pour les excentriques ». L’un des musées
(en haut) expose seulement des objets du quotidien, et un autre, notamment, des animaux naturalisés.

NOVEMBRE 2018 15
R E G A R D E R

« Dans le Royaume qu’[il] a imaginé », Stéphane Lavoué a attribué des surnoms fantaisistes à certains habitants.
Ainsi, Josie Ann Monroe, chasseuse à l’arc travaillant comme découpeuse de viande, était « ma princesse ».

16 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
Emelia Laramee, une veuve retraitée, a dit au photographe avoir « toujours vécu » dans le Royaume
du Nord-Est. Elle coupe elle-même le bois dont elle a besoin pour chauffer sa maison et cuisiner.

NOVEMBRE 2018 17
R E G A R D E R

DERRIÈRE LES PHOTOS


VOUS RECHERCHEZ UN ENDROIT ACCUEILLANT POUR LES EXCENTRIQUES
ET LES CARACTÈRES INDÉPENDANTS ? PENSEZ À CE ROYAUME DU VERMONT.

U N E H A B I T U D E A C O U R S dans certaines Stéphane Lavoué est français et vit


parties les plus reculées du Vermont. en Bretagne. Il a découvert le Royaume
Lorsqu’on arrive en voiture devant en rendant visite à des amis, et en a
chez quelqu’un qui habite loin de conçu un projet photographique. Je
tout, on klaxonne, et on attend avant connais les personnes dont il a tiré le
de sortir de son véhicule. Ainsi, les portrait – non pas personnellement
chiens peuvent jauger les intentions ou de nom, mais comme des sujets
des arrivants. C’est une forme de poli- archétypaux du Royaume.
tesse. Et une idée pas si bête. Les habitants y sont des pragma-
Les habitants appellent tout sim- tiques. Ils se débrouillent, fabriquent
plement cette région the Kingdom, « le de leurs mains ce qu’ils ne peuvent
Royaume ». Un responsable politique s’offrir. Surtout, ce rude environne-
lui aurait décerné ce titre dans les ment ne les rend pas durs ni accablés.
années 1940, mais, quoi qu’il en soit, Le Royaume est un choix, tout à la fois
l’endroit mérite un nom particulier, un refuge pour l’excentrique et un
y compris dans un État déjà réputé foyer pour l’indépendant.
original tel que le Vermont. Mon rédacteur en chef m’a demandé
Niché dans le nord-est de celui-ci, si je savais ce que contenait le Museum
le Royaume couvre 5 180 km2 (dont of Everyday Life (« musée de la vie
80 % de forêts), compte trois comtés quotidienne », en photo page 15). Je
et moins de 64 000 habitants. Il dif- l’ignore, ai-je répondu, mais je ne
fère aussi du reste du Vermont sur le serais pas surpris s’il était vide, en
plan géologique : c’est un très ancien guise de plaisanterie. Depuis, j’ai
chevauchement tectonique sculpté appris qu’il s’agit d’un musée véri-
par les couches de glace, et coincé table, doté d’une collection digne de
sous des cieux souvent tumultueux. son nom : y sont exposés tous les
Il s’est dit que, dans cette froide objets du quotidien, depuis l’épingle
contrée, la loi relevait moins des à nourrice jusqu’à l’allumette.
règles que de l’honneur individuel. La Mais il aurait très bien pu être vide,
terre et le climat sont rudes, et les conformément à l’extravagance tant
gens sont plutôt francs. vantée du Royaume. Ceux qui y
habitent n’ont peut-être pas beau-
CANADA
coup d’argent, mais ils sont rarement
É.-U. avares d’ironie. — A R C H E R M AYO R
Lac ORLEANS
Champlain ESSEX Archer Mayor, vermontais et médecin légiste,
est l’auteur de nombreux romans policiers.
Burlington
CALEDONIA

Montpelier
S
VERTE

LES COMTÉS DU
R O YA U M E D U N O R D - E S T
VERMONT Les habitants du Royaume du
VERMONT
MONTAGNES

Nord-Est « se passent de ce dont


NEW NEW ils n’ont pas besoin », affirme
YORK HAMPSHIRE Archer Mayor. La région est
moins prospère que le reste du
ÉTATS-UNIS
Vermont. Deux de ses comtés
affichent les taux de pauvreté les
plus élevés de l’État.

MASSACHUSETTS

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L E S C H A N G E M E N T S E T L E S I N N O VAT I O N S P O U R D E M A I N

N AT I O N A L G E O G R A P H I C

Un voilier solaire
dans l’espace
U N VA I S S E A U S P AT I A L À V O I L E S S O L A I R E S ? N O M B R E D ’A S T R O N O M E S
EN ONT RÊVÉ DEP UIS KEPLER. AUJOURD’HUI, IL E ST PRÊT À DÉCOLLER.

PAR BILL NYE

C
O N N A I S S E Z -VO U S L A P H A S E AC T U E L L E D E L A L U N E ?
La plupart d’entre nous n’en ont aucune idée. Mais,
avant l’omniprésence de la lumière électrique, les
gens scrutaient le ciel nocturne avec attention.
Alors, quand une comète très brillante apparut,
en 1607, ils furent à la fois terrifiés et fascinés.
L’astronome allemand Johannes Kepler réfléchit
longuement à ce qu’il avait observé. Il en conclut
que la queue spectaculaire de ce que nous appelons
aujourd’hui la comète de Halley était sans doute
due à la chaleur du Soleil. Celle-ci faisait s’évaporer
ou se détacher de la matière en surface de la comète.
Kepler imagina alors d’explorer ces paysages
stellaires : « Créons des vaisseaux et des voiles
adaptés à l’éther céleste, écrivit-il, et il y aura des
gens à foison pour braver les espaces vides. »
Après tout, les vaisseaux étaient assez courants
aux xvie et xviie siècles, et ils étaient propulsés par
les vents – eux-mêmes en partie créés par la chaleur
du Soleil. L’époque de Kepler est celle où l’on prit

NOVEMBRE 2018 21
D É C O U V R I R | LA GRANDE IDÉE

ILLUSTRATION : JOHN HENDRIX


conscience – grâce à Copernic – que nous vivions
sur une planète en orbite autour d’une étoile. Ainsi,
il était peut-être logique, pour lui, d’imaginer
l’humanité voguant à travers les cieux étoilés.
En 1977, quand je suivais les cours d’astronomie
de Carl Sagan, à l’université Cornell, voyager dans
l’espace me semblait tout naturel. Sagan décrivait
sa vision d’un vaisseau se prêtant aux contraintes
de la gravité et de la mécanique des orbites. Poussé
par la force de la lumière stellaire, l’astronef navi-
guerait sur l’océan cosmique, parmi les astres.
Le rêve est en train de se réaliser, grâce à la
Planetary Society, la plus grande organisation spa-
tiale non gouvernementale du monde, cofondée
par Carl Sagan en 1980 (et que je dirige aujourd’hui).
En juin 2015, elle a testé LightSail 1, son propre
vaisseau solaire, construit grâce à un financement
participatif. La mise en orbite de son successeur,
LightSail 2, par le lanceur Falcon Heavy de la société
SpaceX, doit avoir lieu dans les prochains semaines.

après que Kepler eut ima-


E N V I RO N T RO I S S I È C L E S
giné des vaisseaux stellaires, les physiciens décou-
vrirent que la lumière était de l’énergie pure. De
nos jours, nous savons exactement combien d’éner-
gie contient chaque unité de lumière (ou photon).
Les photons n’ont absolument aucune masse.
Cependant, ils sont porteurs d’un mouvement.
Chacun comprend qu’une boule de bowling qui
roule a un mouvement, et qu’elle le transfère ensuite
aux quilles : lors de l’impact, ces dernières tombent.
Mais le mouvement de la lumière est un concept
qui ne relève pas de notre expérience quotidienne.
Quand vous prenez le soleil, dehors, vous ne sentez
pas que ses rayons puissent vous faire bouger.
La force de la lumière – sans parler de celle d’un
seul photon – est minuscule. Sur la Terre, cette
force (la « pression photonique ») est neutralisée par
d’autres forces et pressions que nous ressentons,
comme la friction avec l’air et la gravité. Nous ne
connaissons qu’un seul endroit où nous pouvons
échapper à la friction et à la gravité : l’espace.
Depuis les années 1920, on imagine des vaisseaux
d’une masse si faible et d’une taille si grande que
la pression des photons parviendrait à les propul-
ser dans l’espace – exactement comme des molé-
cules de gaz (l’air) poussent les voiliers sur l’océan.
Une fois en orbite, nul besoin de carburant. Même
si la force de propulsion est plutôt faible (à peine
9 micronewtons par mètre carré de voile solaire),
la panne sèche n’existe pas. Le Soleil brille sans
cesse. Ainsi, la petite quantité d’énergie qui arrive
à chaque seconde développe la poussée peu à peu.
Voici comment volera LightSail 2. À la base, notre
vaisseau n’est pas plus gros qu’un pain de mie :
10 x 10 x 30 cm. Ce sont la taille et la forme standards
des actuels satellites cubiques (appelés CubeSats).
Il est drôle de penser que, comme il n’y a quasiment
pas d’air en orbite terrestre, un vaisseau spatial n’a
pas besoin d’un profil épuré et aérodynamique.

NOVEMBRE 2018 23
D É C O U V R I R | LA GRANDE IDÉE

Logés dans le vaisseau, de petits compartiments


contiennent des voiles très brillantes. Une fois en LIGHTSAIL 2, C’EST
orbite, ces voiles se déploieront en un carré de plus COMME UN VOILIER,
de 5,5 m de côté. Tandis que la lumière du Soleil
M A I S D A N S L’ E S P A C E , E T
poussera les voiles, le centre de contrôle, sur la
MANŒUVRÉ DIRECTEMENT
Terre, pourra ordonner aux minimoteurs élec-
triques de changer de direction dans l’espace. GRÂCE À LA POUSSÉE
En orbite autour de la Terre, le vaisseau volera DE LA LUMIÈRE DU SOLEIL.
avec ses ailes pointées vers le Soleil. Puis, il sera
réorienté pour présenter ses voiles perpendiculai-
rement au rayonnement solaire. C’est comme un Sur le même principe de voile solaire, il serait
voilier, mais dans l’espace, et manœuvré directe- possible d’envoyer un vaisseau équipé de téle s-
ment grâce à la poussée de la lumière du Soleil. Le copes infrarouges pour tourner autour du Soleil au
but est d’accumuler de l’énergie en tournant autour même rythme que la Terre. Le télescope thermique,
de la Terre, afin que notre petit vaisseau grimpe pointé dans la direction opposée au Soleil, pourrait
vers une orbite de plus en plus haute. détecter la lueur d’un gros astéroïde risquant
de percuter la Terre. Ou bien, un vaisseau à voile
que la mission LightSail 2
N O U S S OM M E S P E R S UA D É S solaire pourrait être placé en orbite terrestre quasi
offrira une avancée fondamentale dans la techno- permanente au-dessus des pôles Nord ou Sud, pour
logie du vol spatial. Les missions LightSail s’ins- surveiller les phénomènes météorologiques et
crivent dans l’effort mondial pour abaisser le coût climatiques. La voile solaire est une technologie
de l’exploration spatiale, et permettre ainsi des pro- fantastique, et n’en est qu’à ses balbutiements.
jets qui, sinon, seraient trop chers ou irréalisables. Pensez au monde moderne et à l’immense
Par exemple : parfois, le Soleil libère une quantité influence de l’exploration. L’écran ou le papier sur
d’énergie colossale. On appelle cela les éjections de lequel vous lisez actuellement, la voiture que vous
masse coronale (EMC). Ces jets de particules char- conduisez, l’avion ou le train que vous prenez, la
gées peuvent détruire les systèmes électroniques nourriture que vous mangez, les vêtements que
des satellites. Ils se déplacent très vite dans l’espace. vous portez : tout cela existe parce que nos ancêtres
Mais pas autant que les photons de lumière. ont trouvé le moyen d’explorer des océans inconnus,
Or Kepler l’avait lui-même observé : un objet qui des territoires vierges et l’infini de l’espace.
tourne autour du Soleil à faible distance va plus vite C’est la mission de la Planetary Society : faire
qu’un objet en orbite lointaine. C’est dû à l’attrac- avancer la science et l’exploration spatiales. La
tion gravitationnelle exercée par notre étoile. plupart des gens vivent sans vraiment penser à
Maintenant, imaginez que vous vouliez placer l’espace. Mais, quand nous le faisons, nous pouvons
un satellite en orbite solaire, à la même distance accomplir de grandes choses. En invitant les
que l’est Vénus (deuxième planète du système citoyens du monde à jouer un rôle dans les missions
solaire la plus proche du Soleil). Et imaginez que LightSail – à promouvoir le financement scienti-
ce satellite doive tourner autour du Soleil dans le fique participatif, à assister aux événements de la
même temps que la Terre. Eh bien, ça ne marche- Planetary Society ou à recevoir les informations sur
rait pas. Trop lent et soumis à l’attraction du Soleil, les lancements –, nous leur donnons l’occasion de
le satellite lui tomberait littéralement dessus. prendre part à l’avenir, de démocratiser l’espace et
Pour maintenir une orbite aussi proche du Soleil, de porter un nouveau regard sur le cosmos et sur
un vaisseau aurait besoin d’une force supplémen- notre place en son sein. En route pour les étoiles !
taire constante, qui compenserait l’attraction. Une
Bill Nye, ingénieur en mécanique de formation, président
voile solaire pourrait fournir ce type de poussée
de la Planetary Society, est le consultant-présentateur
continue. En outre, les instruments de bord pour- de la série Mars, diffusée sur la chaîne National Geographic
raient détecter une EMC et nous alerter. Nous pour- (début de la saison 2 le dimanche 11 novembre à 20 h 40).
Il est l’auteur de plusieurs best-sellers. Son émission de
rions manœuvrer les satellites en orbite terrestre, vulgarisation scientifique pour la jeunesse Bill Nye the
afin qu’ils tournent le dos au jet de particules. Science Guy a remporté de nombreux Emmy Awards.

Le doyen poursuit sa route


Alors que LightSail 2 se prépare au lancement, pour être placé en orbite
terrestre, voici les dernières nouvelles d’un vieux de la vieille. Vanguard 1
(à gauche), lancé par les États-Unis le 17 mars 1958, fut le premier satellite
solaire. Il a cessé ses transmissions en 1964. Mais plus de soixante ans
après avoir décollé, il est encore en orbite. Ce qui en fait le plus ancien
satellite artificiel dans l’espace. Pour l’heure, Vanguard 1 a effectué
environ 239 000 fois le tour de la Terre, déclare David Williams, de la Nasa, et
« selon la plupart des estimations, ça pourrait durer pendant des siècles. »

PHOTO : NASA GLENN RESEARCH CENTER


TOUCHEZ P L U S
A V E C L A C O M PA G N I E A É R I E N N E Q U I D E S S E R T
L E P L U S G R A N D N O M B R E D E PA Y S A U M O N D E

INDE

M E M B R E D E S TA R A L L I A N C E
D É C O U V R I R | LES ACTUALITÉS

Parasite positif

UN VER QUI SOIGNE


Dans les pays les moins
développés, cet helminthe
vit dans les intestins humains
– et c’est une bonne chose.
Ce ver parasite favorise un
microbiote réduisant les
PHOTOGRAPHIE DE DENNIS KUNKEL bactéries liées aux maladies
inflammatoires chroniques
de l’intestin. Sans lui, les
mauvaises bactéries prolifé-
reraient. — L O R I C U T H B E RT

DENNIS KUNKEL MICROSCOPY, SCIENCE SOURCE (IMAGE COLORISÉE DE MICROSCOPE ÉLECTRONIQUE À BALAYAGE)
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D É C O U V R I R | LES ACTUALITÉS

Décoder la grippe
Les gènes de la grippe s’écrivent en ARN,
DES NOUVELLES un code chimique similaire à l’ADN, mais
plus difficile à décrypter. Pour le simplifier,
DU MONDE les scientifiques pouvaient « réécrire »
DE LA SCIENCE l’ARN sous la forme d’un ADN appauvri.
E T D E L ’ I N N O VA T I O N Désormais, ils peuvent lire les gènes de
la grippe directement, en faisant passer
l’ARN à travers le pore minuscule d’une
membrane électrifiée. — THERESA MACHEMER

ÉTHOLOGIE

Corbeaux
en deuil
Le corbeau est l’un
des rares animaux
à être très affecté
par la mort
d’un congénère,
explique Kaeli
Swift, chercheuse
à l’université d’État
de Washington.
Après un décès,
le groupe se
rassemble et peut
croasser bruyam-
ment, dit-elle ; les
oiseaux apprennent
sans doute ainsi
quels sont les
dangers à éviter.
La plupart ne VIE ANIMALE

s’approchent pas
du corps du défunt
– sauf lors de la
CHAQUE DAUPHIN A
saison des amours,
si les hormones SA CARTE DE VISITE
affectent leur UN « NOM » SPÉCIFIQUE LEUR PERMET DE SE RECONNAÎTRE
comportement. DANS LE RÈGNE ANIM A L , il est fréquent que les membres d’un
— L O R I C U T H B E RT même cercle social adoptent un cri similaire. Pendant des années,
les chercheurs ont supposé que c’était le cas chez les dauphins.
Pourtant, après avoir passé beaucoup de temps à enregistrer
les vocalisations de grands dauphins mâles dans la baie Shark, en
Australie-Occidentale, la biologiste Stephanie King a découvert
que chaque individu utilisait un sifflement personnalisé, même
au sein d’un groupe très soudé. Dans une étude récente, elle en a
déduit que ces cartes de visite, ou « noms », aident les dauphins
à identifier « leurs amis, les amis de leurs amis et leurs concurrents ».
Grâce à ces cris, Stephanie King compte maintenant découvrir
comment les dauphins mâles forment et entretiennent des
relations sociales individuelles. — N I N A S T R O C H L I C

PHOTOS (DE HAUT EN BAS) : GOPAL MURTI, GETTY IMAGES ; RALPH LEE HOPKINS ; JOEL SARTORE,
NATIONAL GEOGRAPHIC PHOTO ARK, CENTRE DE RECHERCHE AVIAIRE GEORGE MIKSCH SUTTON
Le Sud-Tyrol cherche
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D É C O U V R I R | LA PIONNIÈRE

ABIGAIL ALLWOOD
PA R RACHEL HARTIGAN SHEA P H O T O G R A P H I E D ’ E M I LY S H U R

S’il y a eu de la vie
sur Mars, elle pourrait
bien le découvrir.
Pour trouver les plus vieux signes
de vie sur la Terre, l’astrobiologiste
Abigail Allwood a mené une expédi-
tion au cœur d’un désert australien
reculé. Désormais, elle cherche la
même chose sur une planète où elle
n’ira sans doute jamais.
Abigail Allwood travaille au Jet
Propulsion Laboratory de la Nasa. Elle
est l’une des principales chercheuses
de la mission Mars 2020 – la première,
dit-elle, avec « pour principal objectif
de rechercher des preuves d’une vie
passée sur Mars ». Le rôle d’Allwood
est d’enquêter sur la composition
chimique de la planète Rouge, en
quête de micro-organismes anciens.
Pour cela, elle a conçu le Planetary
Instrument for X-ray Lithochemistry
(ou PIXL, « instrument planétaire pour
la lithochimie par rayons X »), « l’appa-
reil le plus sophistiqué jamais envoyé
sur la surface d’une autre planète ».
Fixé au bras du rover, PIXL se dépla-
cera avec ses trois paires de pattes sur
le sol martien, par pas de 100 microns.
À mesure qu’il avancera, il analysera
le profil chimique des différentes
zones, cartographiant la nature et la
répartition des éléments.
Allwood hésite à définir ce qu’elle
espère découvrir : « Si on part avec des
idées préconçues sur ce qu’il faut trou-
ver, on manque ce qu’il y a vraiment. »
Mais elle est optimiste. « Les chances
d’identifier quelque chose d’intéres-
sant sur Mars sont bonnes. Nous
serons en mesure de saisir de quoi il
s’agit, d’une façon ou d’une autre. »

30 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
10h45

Droits réservés PONANT. Document et photos non contractuels. Crédits photos : © PONANT – Margot Sib / François Lefebvre. * 0.09 € TTC / min.
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TÉLÉVISION

Du nouveau sur Mars


Dans la saison 2 de la série de docufiction

E X P L O R E R Mars, les colons sont confrontés à de


nombreux défis pour construire une
nouvelle société et des industries.
Diffusion des épisodes tous les dimanches,
du 11 novembre au 16 décembre, à 20 h 40,
sur la chaîne National Geographic.

L E S MYST È R E S E T L E S M E RV E I L L E S D U Q U OT I D I E N

N AT I O N A L G E O G R A P H I C

SONDER
Le plein d’énergie
Deux panneaux solaires,
assez grands pour faire
fonctionner le vaisseau

LE CŒUR DE LA
commandé à distance lors
d’une tempête de
poussière, se déploieront
juste après l’atterrissage.

PLANÈTE ROUGE Panneau solaire

L’AT T E R R I S S E U R I N S I G H T D E L A N A S A
devrait se poser sur Mars, à la fin du
mois de novembre. Sa mission : étudier
les entrailles de la planète Rouge, ce qui
pourrait aussi nous renseigner sur
l’histoire de la planète Bleue. En effet,
si les plaques tectoniques à l’origine de
nos chaînes de montagnes ont modifié
l’ancienne géologie de la Terre, Mars a,
en comparaison, mené une existence
plutôt calme ces trois derniers milliards
d’années. Sans doute parce qu’elle est
trop petite pour produire des mouve-
ments tectoniques suffisamment puis-
sants pour effacer l’histoire. Elle
pourrait donc détenir des indices sur
la formation et l’évolution de planètes
rocheuses comme la nôtre.

Manteau DE QUOI
supérieur E ST FA I T M A R S ?
À l’aide d’instruments de
mesure de l’activité
Manteau sismique, des oscillations
Croûte inférieur
et de la chaleur interne,
InSight cherche à
comprendre la structure
Croûte de Mars.
basaltique Noyau
Manteau externe
Croûte
basaltique fluide

Noyau Noyau Noyau


externe interne Solide ? interne
fluide solide Liquide ? solide
LUNE MARS TERRE

32 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
N O M D U S I T E D ’AT T E R I S S A G E Elysium Planitia

Olympus Mons S I T U AT I O N G É O G R A P H I Q U E Mars


Elysium Planitia Idéal en raison de sa surface
PA R T I C U L A R I T É
ÉQUATEUR plane et de sa faible altitude, le site reçoit
Site
d’atterrissage également assez de lumière du jour
Valles pour alimenter l’atterrisseur et empêcher
Marineris
ses systèmes électroniques de geler.

L E D É C R Y P T A G E D E JA S O N T R E AT

Bras robotisé
Prêt pour l’exploration
Un bras robotisé pourvu
d’une main mécanique
Émetteurs
radio et d’une caméra placera
un sismomètre et une
sonde de chaleur sur
la surface martienne.

Panneau solaire

Sonde de chaleur

Sismomètre

1
Activité sismique
Un sismomètre évaluera les
2
Oscillations
Mesurer le parcours d’un
3
Chaleur interne
Une sonde mesurera
vibrations produites par signal radio envoyé à la température interne
les impacts de météorites InSight depuis la Terre de Mars. Cela pourrait
et les « tremblements de révélera la rotation de éclairer sur la circulation
Mars ». Le but ? Détermi- l’axe de Mars (précession) de sa chaleur et le
ner la profondeur et la et les oscillations de développement de
composition de la croûte, cette rotation (nutation), plaques tectoniques sur
du manteau et du noyau. à 10 cm près. des planètes rocheuses.

Précession

Si Mars a
un noyau
liquide, Nutation 25˚ 5 m sous
sa nutation d’inclinaison la surface
sera plus axiale
prononcée.

ILLUSTRATIONS : TOMÁŠ MÜLLER. CARTE : MATTHEW W. CHWASTYK, ÉQUIPE DU NGM. SOURCE : BRUCE BANERDT, NASA
E X P L O R E R | M A R S , SA I S O N 2 , S U R N AT I O N A L G E O G R A P H I C

EN AVANT,
qui s’entraînent sur des simu-
À L’ I N S TA R D E S P I L O T E S D ’AV I O N
lateurs de vol, des candidats à l’exploration spatiale ont testé leur
capacité de survie durant trois semaines, dans le désert d’Oman.

MARS !
Cette simulation était organisée par un collectif autrichien de
citoyens et de scientifiques. Les « astronautes » étaient équipés
de matériel adapté à Mars (ci-dessus) et de combinaisons spatiales
qui pesaient autant que dans les conditions de pesanteur mar-
tienne (environ 38 % de celle de la Terre). L’équipage a mené
PHOTOGRAPHIE quinze expériences, notamment à l’aide de rovers conçus pour
D E ROBERT ORMEROD chercher de l’eau et cartographier le sol. Lors des conversations
radio avec leur « centre de contrôle » situé en Autriche, les astro-
nautes à Oman avaient un décalage de dix minutes, pour appro-
cher le délai moyen des transmissions des signaux de
communication entre Mars et la Terre. — PAT R I C I A E D M O N D S
*

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Quand un ami
défie la mort
PAR PETER GWIN

un de vos amis
OM M E N T S ’ Y P R E N D R E P O U R F I L M E R

C
dans sa tentative d’escalade sans équipement
d’El Capitan, en Californie ? En établissant une liste
de règles précises, comme l’a fait Jimmy Chin pour
suivre la performance historique d’Alex Honnold.
D’abord, vous engagez une équipe de cinéastes-
alpinistes de très haut niveau qui vont accompa-
gner, en rappel, le grimpeur. Ensuite, vous veillez
à ce que personne ne murmure, n’éternue, ne fasse
tomber le capuchon d’un objectif ou ne déloge un
caillou – tout ce qui pourrait distraire Alex et pro-
voquer une chute mortelle. Enfin, et surtout, inter-
diction d’évoquer avec lui son projet épique, pour
ne pas lui mettre la pression ni perturber son
mental précisément calibré – mélange de concen-
tration aiguë, de confiance à toute épreuve et de
profonde zénitude. À la place du terme « escalade
en solo intégral », qui signifie qu’aucune corde ni
protection n’est utilisée, employez l’euphémisme
de prédilection d’Alex : « la grimpe ».
Vous établissez ces règles en sachant que la
notion de règle est antinomique avec l’idée même
d’escalade en solo intégral. Grimper sans corde
LE GRIMPEUR ALEX HONNOLD défie toutes les règles, surtout celles de la sécurité
A ESCALADÉ, SANS CORDE en montagne, sans parler de la logique humaine.
Si un alpiniste en solo tombe, on ne peut pas contrer
E T À M A I N S N U E S , E L C A P I TA N ,
la loi implacable de la gravité. Vous n’avez qu’à
U N E PA RO I D E G R A N I T E repenser à toutes les victimes de chutes fatales.
D’ENVIRON 900 M SITUÉE DANS Et, soudain, elle est là : l’image terrifiante de votre
L E PA RC D E YO S E M I T E . ami qui bascule dans le vide.
U N E X P L O I T R É A L I S É D E VA N T Mais, attendez ! C’est exactement ce à quoi vous
L A C A M É R A D E J I M MY C H I N. ne devez pas penser quand votre copain tente ce
que certains experts définissent comme l’ascension
la plus audacieuse jamais entreprise.

36 N A T I O N A L G E O G R A P H I C
JIMMY CHIN A PRIS CETTE PHOTO D’ALEX HONNOLD À L’APPROCHE DU SOMMET D’EL CAPITAN 37
E X P L O R E R | L’A U T R E C Ô T É D U M I R O I R

ça fait encore trop peur.” » À la fin de 2015, Alex a


indiqué à Jimmy et à Elizabeth qu’il était prêt, et
ils se sont mis à travailler en secret sur un docu-
mentaire racontant cette aventure. « Qu’en fin de
compte Alex parvienne à conquérir El Capitan ou
qu’il y renonce, ça n’avait pas d’importance, précise
Jimmy. Le sujet a toujours été : comment peut-on
avoir une idée aussi dingue ? »
Alex a commencé par perfectionner une choré-
graphie sur la célèbre paroi, mettant au point des
mouvements précis de mains et de pieds. Pendant
ce temps, Jimmy a engagé une équipe d’alpinistes
Jimmy Chin et Alex Honnold posent au sommet d’El Capitan, après chevronnés, familiers du parc de Yosemite, et a mis
l’ascension en solo intégral de ce dernier – une réussite historique. au point la lourde logistique.
Chaque séance d’entraînement a exigé des
Ce type de réflexions a tourné dans le cerveau de heures de préparation. Pour prendre de l’avance
Jimmy pendant plus d’un an, quand, avec Elizabeth sur Alex, Jimmy et l’équipe escaladaient rapide-
Chai Vasarhelyi, son épouse et partenaire de ment la face est d’El Capitan, par une voie facile,
cinéma, il a suivi le projet d’Alex de marquer l’his- en transportant plusieurs centaines de kilos de
toire de l’escalade. Le documentaire, intitulé Free matériel. Ensuite, ils descendaient en rappel et uti-
Solo, est sorti en salle aux États-Unis cet automne. lisaient un petit treuil manuel pour se mettre au
Jimmy Chin, 45 ans, et Alex Honnold, 33 ans, ont même niveau qu’Alex durant son ascension. Après
fait leur première ascension ensemble en 2009, chacune de ces journées marathoniennes, la boucle
à Bornéo, dans le cadre d’une exploration de Low’s mentale des « et si jamais » repartait : « Il ne s’est pas
Gully, l’un des plus profonds canyons en fente du passé un jour sans que je pense au pire. »
monde. Jimmy se souvient avoir été frappé par l’air Vers 17 heures, le 2 juin 2017, sentant qu’il était
juvénile d’Alex et ses grands yeux marron, qui lui au mieux de sa condition physique, Alex a demandé
ont inévitablement valu le surnom de « Bambi ». à Jimmy si l’équipe pouvait être prête à tourner le
Mais l’allure de petit garçon d’Alex ne doit pas lendemain. « Je pense que je vais aller grimper »,
cacher son don le plus exceptionnel : une capacité a-t-il dit. Jimmy a simplement acquiescé, comme
déroutante à contrôler sa peur et à se concentrer si c’était la routine : « Mon esprit s’est emballé à
à 100 % sur la tâche à accomplir (peu importe que l’idée de tout ce qu’il fallait mettre en place avant
la tâche en question consiste à chercher où s’accro- la nuit tombée, mais je ne voulais pas stresser Alex,
cher, du bout des doigts, sur une paroi à 300 m du alors je suis resté un peu avec lui. » Finalement,
sol). C’est une aptitude que Jimmy partage, dans Jimmy a dit à Alex qu’il le verrait le lendemain
une certaine mesure. Trois ans avant de rencontrer matin et il s’est éloigné calmement jusqu’à ce que
Alex, il avait escaladé le mont Everest, puis redes- son ami ne puisse plus le voir.
cendu à skis sa face gelée et presque verticale. À ce moment-là seulement, il s’est mis à courir
Après Bornéo, les deux hommes ont continué à à toute vitesse. Il s’est précipité sur le canal reliant
réaliser des ascensions conjointes, Jimmy filmant les talkies-walkies de l’équipe et, en utilisant le nom
certaines escalades en solo d’Alex. « Alex me faisait de code d’Alex, a alerté tout le monde que l’opéra-
confiance pour le filmer en toute sécurité, explique tion était imminente. « Bambi va y aller ! Je répète :
le cinéaste, et je lui faisais confiance pour avancer Bambi va y aller ! »
uniquement quand il le sentait et pas parce qu’il se
sentait obligé de frimer devant la caméra. »
Parallèlement, Alex échafaudait son plan pour
Alex Honnold a terminé à 900 m
escalader El Capitan en solo intégral. « À la fin de au-dessus du fond de la vallée de
chaque saison, je pensais être prêt pour l’année sui- Yosemite à 9 h 28.
vante, et puis je le regardais et je me disais “Ouah,

JIMMY CHIN ET L’ÉQUIPE

Vues d’en haut


DE TOURNAGE DE FREE SOLO
Face Nombre de caméras
sud- Voie empruntée pour filmer l’ascension
ouest pour l’escalade 10 (8 cameramen, 2 caméras
commandées à distance)
En moyenne, Alex Honnold a avancé au rythme en solo intégral
Longueur combinée des cordes
phénoménal de 30 m verticaux toutes les Environ 900 m
Face
sept minutes et demie. Pour filmer, Jimmy Chin Durée du tournage sur El Capitan
est
28 jours, sur une année
et l’équipe sont descendus en rappel jusqu’à des Nombre de membres de l’équipe
points clés. Sur les passages très ardus, ils avaient le jour du solo intégral
13
installé des caméras commandées à distance. Durée de production du film
807 jours (sur le site et ailleurs)
PHOTO : SAMUEL CROSSLEY. ILLUSTRATIONS : DAISY CHUNG,
ÉQUIPE DU NGM Alex Honnold a commencé
SOURCES : JIMMY CHIN ; CINETIC MEDIA l’ascension à 5 h 32.
E X P L O R E R | LES MISSIONS SUR LE TERRAIN

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quotidien, sur le terrain, d’un
chercheur, d’un aventurier
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LA BIOLOGISTE AU CHEVET
dont le projet est soutenu
par National Geographic.

DES OISEAUX MARINS


PA R C O R I N N E S O U L AY

Se retrouver seule, sur une île déserte,


au milieu de nuées d’oiseaux : ce scé-
nario à la Hitchcock, Annette Fayet,
biologiste à l’université d’Oxford
(Royaume-Uni), le vit plusieurs mois
par an. « J’étudie les oiseaux marins,
explique-t-elle. Mieux comprendre
ces espèces menacées permet de
mieux les protéger. »
Cet été, dans le cadre d’un projet
soutenu par National Geographic, la
jeune trentenaire a observé des maca-
reux moines pendant leur période de
reproduction, sur les îles de Skomer
(pays de Galles) et de Grimsey (Islande),
et dans l’archipel de Røst (Norvège).
« À Røst, la population de macareux
moines atteignait plus de 1 million
d’individus dans les années 1970.
Depuis, elle s’est effondrée de 80 %,
tandis que celle du Royaume-Uni se
porte bien. L’objectif est de comparer
ces colonies – notamment leur alimen-
tation, qui pourrait avoir des consé-
quences sur leur succès reproductif –,
afin d’élucider ce mystère. »
Accompagnée d’un assistant, la cher-
cheuse prélève du guano, à des fins
d’analyse, et pose des GPS miniatures
sur des macareux, pour suivre leurs
trajets. « Ces oiseaux nichent dans des
terriers, précise-t-elle. Je dois y plon-
ger la main pour les attraper. Leur bec
pince fort et leurs griffes sont acérées ! »
Annette Fayet installe aussi des camé-
ras à l’entrée des abris pour filmer les
macareux au retour de la chasse. La biologiste française Annette Fayet étudie un macareux moine,
« C’est dur physiquement, admet-elle. sur l’île de Grimsey, en Islande, en juillet 2018.
Je dors peu, il fait froid, il pleut sou-

200 000
vent. Mais je me sens très privilégiée. »
En août 2018, la Française s’est envo- oiseaux marins meurent chaque
année du fait de la pêche
lée pour le Japon afin d’étudier la
européenne, capturés par accident
navigation nocturne des puffins, puis dans des filets ou accrochés
elle partira aux Seychelles, sur les îles aux hameçons des palangres,
Aldabra, pour observer des phaétons : selon l’ONG BirdLife Europe.
« Nous ne connaissons rien d’eux ; tout
reste à découvrir ! »

40 N A T I O N A L G E O G R A P H I C PHOTO : DAVID SILVERMAN PHOTOGRAPHY/DSPICS


N AT I O N A L G E O G R A P H I C N OV E M B R E 2 0 1 8
L’Ouest américain.............................. p. 42
Il faut sauver les tétras..................... p. 66
Menu du futur................................... p. 80
Vénézuéliens en exil......................... p. 92
Barrages en Turquie....................... p. 100
Antarctique..................................... p. 112

E N Q U Ê T E S E T R E P O RTAG E S

« L’ U N E D E S P R I N C I P A L E S

66 CAUSES DU DÉCLIN DU TÉTRAS


POURRAIT ÊTRE LA COLOSSALE
HAUSSE DE LA PRODUCTION
DE GA Z NAT UREL . »

PHOTO : CHARLIE HAMILTON JAMES


ENVIRONNEMENT

LA BATAILLE
POUR L’OUEST
AMÉRICAIN

PA R H A N N A H N O R D H A U S
PHOTOGRAPHIES D’AARON HUEY

42
L’A D M I N I S T R AT I O N T R U M P
A C O M M E N C É À R É D U I R E L A TA I L L E
D ’A I R E S P R O T É G É E S , R AV I VA N T
U N D É BAT I N H É R E N T À L A C R É AT I O N
D E S É TAT S - U N I S : À Q U I
A P PA RT I E N N E N T C E S T E R R E S ?
La taille du Bears Ears
National Monument
a récemment été
réduite. Contrairement
à Arch Canyon
(ci-contre), certains
canyons et des milliers
de sites archéologiques
se trouvent désormais
hors des limites de
la zone protégée.
Celle-ci tient son nom
des tertres jumeaux
(en haut, à gauche),
considérés comme
sacrés par des tribus
amérindiennes.

PA G E P R É C É D E N T E
En décembre 2017,
quelques jours avant
que le président
Donald Trump annonce
la réduction à hauteur
de 85 % des 550 000 ha
de la zone, près de
5 000 personnes ont
protesté contre ce
projet à Salt Lake City,
dans l’Utah.

44 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 45
PROCESSION
MILLÉNAIRE
Procession Panel est une
série de pétroglyphes
(dessins gravés dans
la roche) de près de 7 m
de long. C’est l’un des
trésors toujours protégés
du Bears Ears. Vieux
d’au moins un millénaire,
il représente une
cérémonie qui rassemble
près de 190 personnages
d’apparence humaine
convergeant depuis
quatre directions.
UN LEGS Des pétroglyphes et des peintures rupestres témoignent de la longue
occupation des Amérindiens au Bears Ears. Ces œuvres sont celles
des chasseurs-cueilleurs nomades de la période archaïque, qui s’acheva
HISTORIQUE avec la pratique de l’agriculture vers 1500 av. J.-C. ; des premiers fermiers
sédentaires, les « fabricants de paniers » (Basketmakers), entre 500 av. J.-C.

EN DANGER et 750 apr. J.-C. ; des Pueblos, qui construisirent de vastes habitations
au flanc des falaises avant de quitter la région à la fin du xiiie siècle ;
des Utes et des Navajos enfin, qui sont demeurés sur place.
RANGÉE SUPÉRIEURE RANGÉE INFÉRIEURE

Le premier panneau, qui semble Les premier et troisième panneaux dateraient d’avant le xive siècle et
montrer une figure humaine, sont l’œuvre des Pueblos. Le deuxième panneau, celui de Newspaper
daterait de la période archaïque, Rock, se nomme Tse Hone en langue navajo – « rocher qui raconte
entre 6000 et 2000 av. J.-C. une histoire ». Le cavalier sur le quatrième panneau a sans doute été
Les quatre autres, du masque coloré gravé par des Utes, qui s’établirent dans la région après le xve siècle.
à l’oiseau, sont l’œuvre du peuple Enfin, un pétroglyphe montre un yeibichai navajo – danseur masqué et
des « fabricants de paniers ». être surnaturel –, dont c’est l’une des rares représentations connues.
Dans l’Utah,
au fond d’un
canyon étroit,
au cœur du
territoire
morcelé qu’est le
Bears Ears
National
Monument, PARC DE LOISIRS
Lors d’un grand
rassemblement de

il existe une Jeeps qui a lieu en


octobre, la circulation
sur le Cliffhanger Trail,

grotte, creusée
près de Moab, dans
l’Utah, peut être
totalement bloquée.

dans une
L’afflux de touristes
perturbe les habitants,
dont beaucoup sont

falaise de grès.
soucieux de préserver
leur tranquillité.

Au mois de décembre 1893, Richard Wetherill, Là, vous gravissez péniblement le lit à sec d’un
un propriétaire de ranch passionné d’explora- torrent obstrué par des arbustes, puis vous vous
tion, découvrit dans cette alcôve un empilement faufilez le long d’une corniche. Les pierres que
de pierres qui était tout ce qui restait d’un site vous croyez apercevoir à vos pieds sont en réa-
préhistorique où avaient vécu des Amérindiens. lité des débris d’ustensiles de cuisine. Si vous
Il baptisa le site Cave Seven (« Grotte sept »). Plus avez l’œil, vous découvrirez partout des ves-
tard, il fut accusé de s’être livré à des dépréda- tiges : sous un monticule couvert d’arroches se
tions et à du pillage, ce qui n’a rien changé au dissimule une kiva, une chambre cérémonielle ;
fait que Cave Seven est apparue au fil du temps un tracé presque invisible sur le sol signale une
comme l’une des plus importantes découvertes route reliant plusieurs villages, etc.
archéologiques du Sud-Ouest américain. Richard Wetherill avait fouillé la surface
S’il est plus facile aujourd’hui de se rendre visible de Cave Seven, et vendu les objets recueil-
dans la grotte qu’à l’époque de Richard Wetherill, lis à des musées et à des collectionneurs. Puis,
ce n’est néanmoins pas une partie de plaisir. Il il creusa plus profondément, car il venait de se
faut cahoter sur un chemin de terre qui serpente familiariser avec un nouveau concept en archéo-
sur des kilomètres au milieu des arroyos et des logie : la stratigraphie, qui veut que le cours de
canyons, puis dépasser quelques rochers escar- la préhistoire soit enregistré dans des couches
pés et dômes de grès avant de mettre pied à terre. sédimentaires superposées. À Cave Seven,

50 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


Richard Wetherill mit au jour un site funéraire a réduit d’environ 85 % la superficie de 550 000 ha
antérieur de plusieurs centaines d’années aux de cette aire protégée et l’a divisée en deux sec-
ruines en surface. Il remonta quatre-vingt-dix- teurs plus petits, Indian Creek et Shash Jáa. Non
huit squelettes appartenant à une civilisation loin de là, il a amputé de 46 % la superficie du
jusque-là inconnue de « fabricants de paniers » Grand Staircase-Escalante National Monument.
(Basketmakers). Tout au fond de ce canyon C’est la loi sur les Antiquités de 1906 qui auto-
oublié, une culture s’était substituée à une autre. rise la création de telles aires. Son adoption par
Le Bears Ears National Monument est aujour- le Congrès fut en partie motivée par le pillage
d’hui le théâtre d’un autre affrontement entre d’artefacts amérindiens par des individus tels
deux cultures antagonistes. Dans l’Ouest amé- que Richard Wetherill. Cette loi donne au pré-
ricain, des canyons déserts de l’Utah aux forêts sident des États-Unis toute latitude pour proté-
de conifères de la côte Pacifique, les terres publi- ger des « sites historiques… et d’autres objets
ques font l’objet de violentes controverses. d’un intérêt historique ou scientifique » situés
La bataille fait surtout rage autour des National sur des terres fédérales. « En fait, un président
Monuments (Monuments nationaux), et celui pourrait se contenter de notifier son choix sur
du Bears Ears en particulier, classé par l’ancien une nappe de restaurant », explique Charles
président Barack Obama en décembre 2016. Wilkinson, professeur de droit à l’université du
En décembre 2017, le président Donald Trump Colorado. Cependant, rien (suite page 54)

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 51
Des canyons convoités
Dans l’Utah, les Bears Ears et Grand Staircase-Escalante National
Monuments sont au cœur d’un conflit politique. En 2017, le président
Donald Trump a ordonné que la superficie de ces aires soit réduite
respectivement de près de 85 % et de 46 %, ouvrant la voie à des procès
et à une possible exploitation minière. Ces zones sont riches en sites
archéologiques, mais aussi en charbon et en uranium.

P. N. DE
Torrey

CAPITOL
G R A N D S TA I R C A S E - E S C A L A N T E
N AT I O N A L M O N U M E N T
• Superficie classée par le président Bill Clinton, Partie déclassée où se trouvent REEF
le 18 septembre 1996 : 755 000 ha. des sites archéologiques*
• Nouvelle superficie, réduite par le président DIXIE
Box-Death 12
NAT I O NA L

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Donald Trump, le 4 décembre 2017 : 400 000 ha. Hollow
FOREST Wilderness

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RAINBOW
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Vermilion Cliffs VERMILION Lac
Wilderness CLIFFS NAT. MON.
Périmètre initial
de l’aire protégée

Superficie actuelle 0 10 km
de l’aire protégée Concentration
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Gisement moyenne
de charbon Concentration
d’uranium
faible G R A N D S TA I R C A S E - E S C A L A N T E :
PKla G I S E M E N T S D E C H AMines
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d’uranium
0 10 km teipa autorisées (6)
u rd On estime que 57 milliards de tonnes de charbon
oew gisent dans le sous-sol du plateau dede
Usine Kaiparowits,
Kia traitement
ipa dont la plus grande partie se situe désormais
row Superficie de l’uranium
its en dehors du Grand
actuelle Staircase-Escalante
de l’aire National
de White Mesa
Monument. Situéprotégée
en profondeur, ce charbon
serait très onéreux à extraire, mais il intéresse
Périmètre initial des producteurs d’acier étrangers.
de l’aire protégée

* POUR PLUS DE CLARTÉ, LES SITES ARCHÉOLOGIQUES TOUJOURS PROTÉGÉS PAR LES LIMITES DE LA ZONE NE SONT PAS MONTRÉS.
Salt Lake City
Denver
UTAH

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COLORADO

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ARIZONA NOUVEAU-
MEXIQUE
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• Superficie classée par le président Trail LA SAL
Barack Obama, le 28 décembre 2016 : N.F.
550 000 ha. PARC
191
• Nouvelle superficie, réduite par
le président Donald Trump,
le 4 décembre 2017 : 80 000 ha. GLEN NATIONAL DE

CANYON
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Newspaper Secteur
N. R. A. Rock d’Indian
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Wilderness MANTI-LA SAL
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Mesa

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ent L’échelle varie dans cette perspective. La distance
Va entre Page (Arizona) et Moab (Utah) est de 249 km.
lley

Périmètre initial
de l’aire protégée

0 10 km
Concentration
d’uranium BEARS EARS :
moyenne R É S E RV E S D ’ U R A N I U M
Concentration
d’uranium Les géologues estiment que le potentiel
faible
des réserves de gaz et de pétrole dans les
Mines d’uranium
autorisées (6) nouveaux territoires ouverts autour du
Bears Ears est faible. En revanche, les gisements
Usine de d’uranium – situés près d’anciennes mines,
aip traitement dans les parties ouest et nord-est de
aro Superficie de l’uranium
wi actuelle de l’aire de White Mesa ces territoires – semblent prometteurs.
ts protégée
MARTIN GAMACHE, ÉQUIPE DU NGM ; KELSEY NOWAKOWSKI. SOURCES : BUREAU DE GESTION
DES TERRES DES ÉTATS-UNIS (BLM) ; UTAH DIVISION OF STATE HISTORY ; SERVICE GÉOLOGIQUE
Périmètre initial DE L’UTAH (UGS) ; SOUTHERN UTAH WILDERNESS ALLIANCE
de l’aire protégée
(suite de la page 51) dans la loi n’autorise les
successeurs à modifier la création de leurs pré-
décesseurs. Peu après que Donald Trump a pris
la décision de réduire drastiquement la super-
ficie des deux aires protégées dans l’Utah, cinq
actions en justice ont été lancées, dont les ver-
dicts sont toujours attendus.
Les territoires de l’Ouest américain sont
devenus l’enjeu de querelles partisanes éminem-
ment politiques. Les réductions opérées par
Donald Trump font partie d’une campagne plus
générale destinée à prendre le contre-pied de
la politique territoriale de Barack Obama. La
volonté du nouveau président est d’ouvrir des
terres et des cours d’eau protégés à l’exploitation
minière et aux forages, d’adoucir les règles
environnementales et de revenir sur les mesures
de protection de l’habitat de certaines espèces
menacées (voir l’article pages 66 à 79.)
Les réactions suscitées par ces projets ont pris
un tour tout à fait prévisible. Les foreurs, les
mineurs, les exploitants forestiers et les éleveurs
font face aux randonneurs, aux cyclistes, aux
grimpeurs et aux écologistes. L’Ouest ancien
affronte l’Ouest nouveau : ceux dont les revenus
dépendent de l’extraction des ressources natu-
relles se confrontent à ceux qui viennent ici
pour leur plaisir, à ceux qui les accueillent dans
leurs infrastructures – et, au Bears Ears, aux
Amérindiens, les premiers habitants des lieux.
Les deux camps estiment avoir la bonne réponse
à la question qui les oppose : quel est le meilleur
usage que l’on puisse faire d’une terre qui, en
principe, appartient à chacun de nous ?

ont toujours été


L E S T E R R I T O I R E S D E L’O U E S T PARER AUX ATTAQUES
un sujet de litige depuis que le gouvernement Cet avant-poste
défensif perché sur
américain en a expulsé les tribus autochtones. une falaise a été bâti
Au xixe siècle, à mesure que « la frontière » avan- par les Pueblos entre
çait vers le Pacifique, l’attribution des « terres 1100 et 1275 apr. J.-C.
À la fin du xiiie siècle,
libres » aux colons, aux compagnies de chemin ils ont quitté la région,
de fer, aux grands éleveurs de bétail et aux syn- chassés par une
dicats de mineurs était considérée comme indis- sécheresse historique,
qui fut probablement
pensable à la construction d’une nation. à l’origine de conflits
Mais, dès les années 1870, cette conception du pour la possession
bien commun se mit à évoluer. Dans la partie de l’eau et de la terre.
Aujourd’hui, dans
septentrionale du Midwest, l’exploitation fores- l’Ouest américain, les
tière avait réduit de magnifiques forêts en des heurts culturels, plus
champs marécageux, remplis de souches pacifiques en général,
restent d’actualité.
d’arbres. Certains habitants commencèrent à
s’inquiéter : cette rapide diminution des res-
sources ne constituait-elle pas une menace à
long terme pour le pays ?

54 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
C’est ainsi que germa aux États-Unis l’idée de – soit près de la moitié du territoire des onze
terres publiques, gérées à vie par le gouverne- États concernés, dont 63 % de l’Utah et 80 % du
ment fédéral, pour le bien de la nation. En 1872, Nevada. Chaque action destinée à protéger ou
le président Ulysses S. Grant signa l’acte fonda- à aménager ces terres a provoqué une violente
teur du premier parc national du monde, celui réaction. Depuis la loi de 1934 qui exigeait d’avoir
de Yellowstone. En 1891, le Congrès donna au signé un bail pour profiter du droit de pâture
président le pouvoir de créer des réserves fores- jusqu’aux lois sur l’environnement promulguées
tières, dont des millions d’hectares sont dans les années 1960 et 1970, sans oublier celles
aujourd’hui gérés par le Service des forêts des pour la sauvegarde des espèces menacées, les
États-Unis (USFS). « Jamais plan aussi infâme habitants de l’Ouest ont répliqué par des procès
n’aura déshonoré une nation », écrivirent les et, parfois, par la force.
adversaires de ces réserves. « C’est un projet Un propriétaire de ranch du Nevada, Cliven
monstrueux et diabolique », lancèrent les oppo- Bundy, et ses fils incarnent cet esprit rebelle.
sants à la protection du Grand Canyon. En 2014, les Bundy et leurs partisans se sont vio-
Cette dynamique est toujours à l’œuvre. Le lemment opposés à des agents fédéraux venus
gouvernement fédéral est désormais proprié- confisquer le bétail que la famille faisait paître
taire de 230 millions d’hectares dans l’Ouest gratuitement, depuis plus de vingt ans, sur des

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 55
terres publiques. En 2016, les fils Bundy ont
quitté le Nevada pour aller occuper le quartier
général du Malheur National Wildlife Refuge,
en Oregon, après que deux éleveurs qui s’oppo-
saient à des gérants du refuge naturel eurent été
emprisonnés pour incendie volontaire. Donald
Trump a récemment gracié les condamnés.
L’histoire se répète souvent dans l’Ouest. Dès
que le gouvernement change les règles ou se
résout à faire appliquer une loi, la tension monte
et finit par exploser.

par un après-midi brûlant de


À S A LT L A K E C I T Y,
juillet 2017, une foule marcha vers le capitole de
l’Utah. Chaussés de sandales amphibies, portant
des oreilles d’ours tricotées et des costumes de
pygargue à tête blanche, les participants avan-
çaient en chantant et en psalmodiant « Ôtez vos
petites mains de nos terres publiques ! », et en
agitant des pancartes où était inscrit le slogan
« Parlez fort pour défendre les endroits tran-
quilles ». Parmi les orateurs qui s’adressèrent à
la foule se trouvait Shaun Chapoose, conseiller
de la tribu des Utes du Nord – cette manifesta-
tion avait scellé l’alliance entre les plus anciens
habitants de l’Ouest et les nouveaux. « Nos terres
ont été volées, déclara Shaun Chapoose.
Maintenant, c’est au tour des vôtres. »
Le Bears Ears National Monument, qui doit
son nom d’« Oreilles d’ours » à des tertres
jumeaux qui se dressent juste au-dessus de
Cedar Mesa, doit sa création à une coalition iné-
dite de tribus locales. À l’origine, la zone devait
inclure plus de 100 000 sites anciens – habita-
tions troglodytes, kivas, grandes maisons com-
munes et sites funéraires comme Cave Seven. RÉUNIS POUR
Tous ont été construits par des peuples qui PROTESTER
vécurent dans la région pendant des millénaires À la lisière du Bears Ears
National Monument,
avant de la quitter à la fin du xiiie siècle, chassés des danseurs apaches
par la sécheresse et des conflits. rendent hommage
Aujourd’hui, leurs descendants hopis, zunis à des aînés navajos
en exécutant une
et pueblos considèrent cette région comme leur « danse de la couronne ».
territoire ancestral, et il en va de même pour les Le combat pour la
Navajos, les Utes, les Paiutes et les Apaches qui défense de la zone
protégée a rassemblé
émigrèrent dans le sud de l’Utah et du Colorado des dizaines de tribus.
après le départ des premiers Pueblos. Pendant « Pour les Amérindiens,
des années, les chefs indigènes ont négocié avec rappelle l’activiste
navajo Willie Grayeyes,
les autorités, cherchant à obtenir un compromis les ressources naturelles
sur la manière de gérer le Bears Ears. Comme sont un don. »
leurs efforts ne trouvaient pas d’écho au Congrès,
les tribus et les écologistes ont poussé le prési-
dent Obama à faire de la zone un National
Monument avant la fin de son mandat.

56 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


L’urgence n’était pas seulement politique. Les découvertes de Richard Wetherill don­
Longtemps, l’aridité du climat et l’isolement ont nèrent des idées aux colons blancs, qui se mirent
favorisé la conservation des trésors archéo­ à organiser le pillage de la poterie amérindienne.
logiques. Mais, à l’ère des photos postées et « Cela a commencé dans les années 1890,
taguées sur les réseaux sociaux, il est devenu explique Charles Wilkinson, qui conseille les
facile de localiser des sites méconnus. Dans la tribus ayant pétitionné en faveur de la création
décennie précédant le choix de protéger la zone, du Bears Ears. Des poteries étaient vendues
le nombre de visiteurs y a explosé. Cela a engen­ à Londres et à Berlin. Et des squelettes – des
dré des problèmes : tessons de poteries ramassés squelettes ! Un véritable carnage. »
par les touristes, feux de camp réalisés avec le Si la loi sur les Antiquités a interdit de récolter
bois d’abris indigènes vieux de plusieurs siècles, sans autorisation des objets sur les terres
graffitis sur des peintures rupestres, véhicules publiques, leur profanation ne s’est pas inter­
tout­terrain lancés sur des lieux de sépultures. rompue pour autant. En 1986, des agents fédé­
« La stratégie qui consiste à laisser l’endroit tran­ raux ont saisi des centaines d’objets ramassés
quille et à le tenir secret n’est pas tenable », illégalement près du Bears Ears ; en 2009, ils ont
constate Josh Ewing, directeur exécutif de arrêté vingt­six individus. Parmi les habitants
l’ONG environnementale Friends of Cedar Mesa. du coin, bon nombre ont (suite page 62)

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 57
58 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
TERRE DE LÉGENDE
« C’est un paysage
varié, iconique, spirituel
selon certains », dit
l’éleveur Matt Redd.
En 1997, sa famille
a vendu le ranch de
2 100 ha à l’ONG
Nature Conservancy.
Matt Redd s’y occupe
toujours du bétail,
dans le cadre de
recherches sur la
gestion de la terre à
l’heure du changement
climatique.

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 59
60 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
DES RESSOURCES
POUR TOUS
Sandy Johnson remplit
d’eau son camion-
citerne, sur un terrain
fédéral qui a été exclu
des limites du Bears
Ears. Il fait paître ses
bêtes sur 120 000 ha
de terres, en majorité
publiques. « Nous
n’avons pas besoin de
protéger cette zone,
dit-il. Ce qu’il faut,
c’est que chacun puisse
disposer librement de
la terre. »

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 61
(suite de la page 57) estimé que le gouverne- assurer la protection de sites anciens. Cela lui a
ment outrepassait ses pouvoirs mais, pour les valu de la prison. « Les gestionnaires des terres
communautés indigènes, cela prouvait simple- fédérales sont presque devenus des ennemis »,
ment que les garde-fous en place étaient inopé- analyse Phil Lyman. Pendant des générations,
rants. « Cela a amené les gens à s’interroger sur les habitants ont pu couper des arbres, camper
la façon de protéger toutes ces ruines », affirme et conduire leurs 4 x 4 où ils voulaient. Phil
Gavin Noyes, de l’ONG Utah Diné Bikéyah. Lyman considère que les normes environne-
Mary Jane Yazzie est membre du conseil de mentales ont restreint ces libertés.
cette organisation. Elle est l’une des dernières Pourtant, ce que redoutent tant les opposants
Utes à parler couramment la langue de sa tribu. que les partisans du Bears Ears, c’est une trop
La réserve ute de la montagne des Utes se pare grande accessibilité des lieux.
de tous les signes de la modernité : camionnet- « Être classé National Monument n’apporte
tes, générateurs, antennes paraboliques. Mais pas forcément de protection supplémentaire,
le paysage qu’on découvre derrière la maison de mais cela accroît la fréquentation », dit Nicole
Mary Jane Yazzie est éternel. Vers l’ouest se Perkins, bibliothécaire à Blanding. Elle agite le
dressent les tertres du Bears Ears, lieux sacrés spectre de Moab, à 120 km de là, où une route à
pour les Utes et les Navajos. Vers le sud, on aper- quatre voies accueille une procession incessante
çoit Comb Ridge, lame de grès de 130 km que les de mobil-homes et de véhicules tout-terrain.
Navajos tiennent pour l’épine dorsale de la Terre. Personne ne veut de ça pour le Bears Ears. « Je me
« Cette terre appartenait à nos grands-parents, suis installé ici pour le silence, le ciel étoilé et le
souligne Mary Jane Yazzie. Ils y chassaient. Les paysage », explique Jim Hook, hôtelier à Bluff.
femmes ramassaient des herbes, des noix et des La publicité faite autour de la zone protégée lui
baies. Nous sommes liés à la terre et la terre nous permet de remplir son établissement, mais tout
est liée. Il est hors de question de la quitter avant le monde ici y a perdu en tranquillité.
d’avoir quitté ce monde. »
Même des opposants inflexibles à la création alors que l’administration
AU P R I N T E M P S 2 0 1 6,
de l’aire protégée manifestent une profonde Obama examinait la pétition demandant que le
affection pour le Bears Ears. « J’aime beaucoup Bears Ears devienne un National Monument,
les terres publiques, affirme Phil Lyman, légis- Nicole Perkins a assisté à une réunion publique
lateur du comté de San Juan. Vous pouvez en compagnie de Janet Wilcox, une habitante
marcher sur des kilomètres et des kilomètres de Blanding. Une enseignante expliquait que sa
sans vous demander si vous êtes en train de famille vivait à Escalante, sur l’autre rive du
violer une propriété privée. » Colorado. « Cela faisait vingt ans qu’ils habi-
Mais lui comme d’autres estiment aussi que taient sur ce territoire classé, dit Janet Wilcox.
ces terres pourraient et devraient générer du “Vous devez vous réveiller’’, nous a-t-elle dit.
profit. « J’aimerais qu’il soit possible de spéculer C’est ce qui m’a donné envie de m’impliquer. »
sur l’énergie dans cette région », confie Phil Avant la création du Grand Staircase-Escalante
Lyman. Il existe des champs de gaz et de pétrole National Monument, le petit village endormi
lucratifs juste à l’extérieur de l’ancien périmètre d’Escalante se résumait à 3 km2 de maisons,
de la zone, mais aucun puits à l’intérieur. Le ter- de fermes et de larges rues abritant environ
rain éloigné, accidenté et archéologiquement 800 âmes. Une scierie exploitait le bois de la
sensible rend l’extraction peu envisageable forêt nationale en surplomb de la vallée. Une
– à moins que le baril de pétrole ne remonte centaine d’éleveurs faisaient paître leurs bêtes
au-dessus des 100 dollars. Le département de sur les terres fédérales environnantes.
l’Intérieur (USDOI) a pris en considération les Le président Bill Clinton a protégé la zone
intérêts des producteurs d’énergie lorsqu’il a en 1996, alors qu’il était en campagne pour
redessiné les frontières du Bears Ears. « Je sens sa réélection, évoquant ses paysages à couper
qu’il y a du potentiel », glisse Phil Lyman, qui le souffle : les rochers en forme de nuages, les
y possède des concessions d’uranium. crêtes bosselées comme des dos d’éléphant,
En 2014, le politicien a pris la tête d’un groupe les canyons tortueux recelant des chutes d’eau.
de protestataires virulents, dont les fils Bundy, Son administration avait préparé le terrain en
et a organisé une expédition motorisée dans secret, bien consciente que les politiciens locaux
Recapture Canyon, fermé jusqu’alors pour seraient furieux. C’est peu dire qu’elle avait vu

62 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


juste. Sous de nombreux aspects, la création du C’est l’économie de l’Ouest nouveau qui crée
Grand Staircase-Escalante a été le péché origi- des emplois. « Je pourrais vous citer dix sortes
nel qui a déclenché le vent de fronde actuel d’entreprises qui, dès demain, pourraient se
contre la loi sur les Antiquités. L’aire protégée lancer ici avec succès », affirme Blake Spalding,
couvrait près de 750 000 ha. restauratrice à Boulder. Son restaurant et sa
Depuis, en vingt-deux ans d’existence, ferme biologique de 3 ha emploient une cin-
Escalante a servi à la fois de modèle et d’exemple quantaine de saisonniers. « La plupart d’entre
pour d’autres communautés. Les touristes font eux gagnent le double du salaire minimum »,
vivre de nouveaux hôtels, des restaurants, des précise-t-elle, même si la saison ne dure que
guides. La ville dispose d’une quincaillerie sup- de mars à novembre. Elle ajoute : « Cela fait
plémentaire, d’un cabinet dentaire et d’une vingt-deux ans maintenant que ces villes, qui
clinique – auparavant, le médecin ne recevait servent de portes d’accès à l’aire protégée, sont
des patients qu’une fois par semaine dans le peuplées de gens qui ont bâti leur vie et fondé
gymnase du lycée. On constate une pénurie de une famille grâce à elle. »
logements et, dans certains secteurs, un manque « Prendre des risques avec la nouvelle écono-
de main-d’œuvre. Les électriciens et les plom- mie qui s’est développée ici est une attitude cho-
biers ont du travail pour plusieurs mois. quante et irresponsable », s’agace Nicole Croft,
Nombre d’entre eux travaillent pour les « nou- de l’association écologiste Grand Staircase
veaux arrivants ». Ainsi Steve Roberts, un entre- Escalante Partners. Dans les années suivant la
preneur qui est venu ici la première fois après la création de l’aire protégée, ajoute-t-elle, les nou-
décision de Bill Clinton. « Escalante est magique », veaux arrivants ont réussi à instaurer un paisible
s’exclame-t-il. En 2004, il a acheté Escalante statu quo avec les descendants de pionniers
Outfitters, un prospère restaurant faisant aussi mormons. Mais la réduction de superficie opérée

L’Ouest ancien affronte l’Ouest nouveau : ceux dont les revenus


dépendent de l’extraction des ressources naturelles
se confrontent à ceux qui viennent ici pour leur plaisir.
office de librairie et de magasin général. (Il l’a par Donald Trump a relancé d’anciennes hosti-
revendu depuis.) Cette année-là, il a également lités. Comme Nicole Croft a pu le constater,
lancé un festival artistique. « c’est reparti en un rien de temps ».
Cela n’empêche pas certains habitants d’esti-
mer que la création de l’aire protégée a nui à la et ne
AVA N T Q U E Q U I C O N Q U E N E S ’ Y I N S TA L L E
région. « Les boulots fournis par l’exploitation la réclame – avant les indiens, les colons, les
des ressources naturelles sont allés ailleurs », bûcherons, les éleveurs et les propriétaires de
regrette Drew Parkin, qui a travaillé au Grand résidence secondaire –, il n’y avait que la terre.
Staircase-Escalante, mais a fini par s’opposer à À environ 1 600 km des canyons désertiques de
la façon dont l’aire est gérée. « Dans un environ- l’Utah, sur le Pacific Crest Trail, dans l’Oregon,
nement tel que celui-ci, les jobs liés au tourisme Dave Willis en est tout à fait conscient.
n’arrivent pas à remplacer les emplois à plein Il préside le Soda Mountain Wilderness
temps qui rapportent de l’argent toute l’année. » Council et, depuis des décennies, il se bat en
Ce problème reflète en réalité une tendance plus faveur de cette région de l’Ouest – qui inclut le
générale dans l’Ouest rural. Cascade Siskiyou National Monument. Au
« Les gens accusent l’aire protégée de tout ce qui moment où nous mettons sous presse, Donald
va mal », analyse Steve Roberts. Or, avant même Trump n’avait pas encore décidé de réduire la
qu’elle soit instaurée, Escalante connaissait des surface de cette aire protégée. Dave Willis y vit,
difficultés : sa population, de plus de 1 100 habi- sur le site d’une ancienne ville de bûcherons,
tants en 1940, ne dépassait guère 600 habitants dans une caravane délabrée. Il parcourt les che-
en 1970 ; le surpâturage grévait déjà les bénéfices mins de randonnée à cheval.
des éleveurs ; une mine de charbon aurait créé Cascade Siskiyou a été le premier National
de nouveaux emplois, mais pour combien de Monument spécialement dédié à la protection de
temps, au vu du déclin du marché ? la faune et de la flore qui préexistaient à l’arrivée

L A B ATA I L L E P O U R L’O U E S T A M É R I C A I N 63
de l’homme. Bill Clinton a classé l’endroit en « Quel est l’âge de ce pin ?, demande Dave
juin 2000. Ses zones boisées brumeuses et sa Willis, en désignant un grand pin ponderosa.
végétation ondoyante d’arbrisseaux et de Il est plus vieux que notre nation. » Puis, contem-
broussailles couvraient alors 34 000 ha, dont plant la canopée : « Ceci est une forêt, dit-il. Et
13 000 ha de propriétés privées. La variété des c’est une tragédie qu’il reste si peu d’elle. »
altitudes et des écosystèmes en fait, selon Dave
Willis, « une véritable arche de Noé botanique ». extra-
L O R S Q U ’ I L S A D M I R E N T L E S PAY S A G E S
On y trouve des centaines d’espèces de plantes ordinaires de l’Ouest, les Américains y voient
à fleurs. Des mésanges, des colibris, des poliop- tous des choses différentes : des forêts et des
tilidés, des chouettes tachetées – tous adaptés à canyons irremplaçables ; des grandes maisons
différents biotopes – cohabitent ici. et des sites funéraires d’anciennes civilisations ;
À l’origine, la superficie de l’aire protégée était les résidences, l’héritage et le gagne-pain des
petite et n’a pas suscité de controverse particu- contemporains. Plus les espaces vierges se
lière. Mais, en 2017, Barack Obama a doublé sa réduisent, plus les visions s’affrontent. Chacun
taille, une semaine avant de quitter la Maison- sent bien que quelque chose qui lui tient à cœur
Blanche. Très vite, les exploitants forestiers ont est en train de disparaître.
contesté cette décision en justice, de même que Dans l’Utah, la contre-attaque judiciaire pour
les comtés de la zone agrandie qui bénéficiaient empêcher la réduction des aires protégées déci-
de revenus provenant des coupes de bois. dée par Donald Trump pourrait ne pas aboutir
Dans l’Oregon, cela fait longtemps que l’éco- avant plusieurs années. Cela n’a pas empêché
nomie liée à l’exploitation des ressources natu- l’administration de proposer, en août 2018, de
relles est en souffrance. Le nombre d’emplois nouvelles pistes pour gérer les zones amputées.
dans l’industrie forestière a chuté de 15 000 à En ce qui concerne les terres retirées du Grand
5 000 au cours des quarante dernières années. Staircase-Escalante National Monument,
Le comté de Jackson, où se situe Cascade Siskiyou, l’« alternative privilégiée » ouvrirait près de
n’en compte plus que 385. Colleen Roberts, légis- 267 000 ha à l’exploitation du sous-sol. Déjà, les
latrice du comté, a grandi à proximité, à Klamath compagnies minières réclament l’octroi de
Falls. Son père travaillait dans le bois. « Quand concessions. L’exploitation pourrait-elle débu-
j’étais au lycée, c’est ce que faisaient les garçons, ter avant le verdict des juges ? Rien n’est certain.
et ça gagnait bien », se souvient-elle. Elle est « Je m’inquiète vraiment que soient commis ici
opposée à l’extension de l’aire protégée. des dégâts irréparables », s’alarme Nicole Croft,
Tout comme Lee Bradshaw, un éleveur de la l’écologiste d’Escalante.
troisième génération. « Je n’ai jamais rien fait Depuis l’instauration de terres publiques dans
d’autre qu’élever du bétail, dit-il. C’est mon héri- l’Ouest, les opposants à leur protection n’ont
tage. Et je veux le transmettre à mes enfants. » cessé de se manifester. Pourtant, la taille des
Pour des activistes comme Dave Willis, l’argu- superficies protégées a toujours augmenté – du
ment de l’héritage n’est pas recevable. « On moins jusqu’à aujourd’hui. Une seule mandature
invoque toujours le passé, mais quelles sont présidentielle peut-elle aller à l’encontre de
les conséquences pour la terre ?, interroge-t-il. l’histoire, de la démographie et de l’économie
Les éleveurs paient 1,41 dollars (1,20 euros) par de l’Ouest ? Peut-elle s’opposer à la nouvelle
mois pour que leurs bêtes défèquent dans les culture qui – pour le meilleur et pour le pire – est
cours d’eau, piétinent le lit des rivières et dis- en train de supplanter l’ancienne ?
persent de mauvaises graines. Ce sont les sei- Quand il fut décidé de protéger le Grand
gneurs et les maîtres d’un monde disparu. » Canyon, certains l’ont très mal pris, rappelle
Dave Willis préfère sa version de l’Ouest Steve Roberts, l’entrepreneur d’Escalante.
ancien : elle s’incarne dans une très vieille Aujourd’hui, ce parc national a valeur d’icône.
pinède que son groupe a victorieusement défen- « Comment mettre un terme à toute cette haine
due contre les exploitants forestiers et qui fait et ces ressentiments ?, demande-t-il. Facile.
partie de la zone agrandie du Cascade Siskiyou Attendez trois générations. » c
National Monument. En s’y enfonçant, on peut
voir des rubans rouges qui continuent à pendre Hannah Nordhaus est l’auteure d’Un fantôme
américain, un récit sur l’histoire de sa famille au
à des arbres autrefois condamnés – des pins Nouveau-Mexique. Aaron Huey crée des maquettes
ponderosa, des sapins de Douglas… en 3D d’anciens sites pueblos situés au Bears Ears.

64 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
CHEMINÉES DE FÉES
ABANDONNÉES
Les Wahweap Hoodoos
sont l’une des
merveilles géologiques
désormais exclues
du Grand Staircase-
Escalante National
Monument. Si la
création de cette aire a
été bénéfique pour
le tourisme, certains
estiment qu’elle a nui à
l’économie traditionnelle
basée sur l’élevage,
l’exploitation du bois et
les ressources minières.
vie sauvage

L A BATA I L L E P O U R

L’OUEST
A M É R ICA I N

Doit-on
préserver ou
exploiter les
terres de l’Ouest
américain ?
Un oiseau
un peu gauche
incarne les
enjeux du débat.

IL FAUT SAUVER LES TÉTRAS


PAR

Hannah
Nordhaus
PHOTOGRAPHIES DE

Charlie
Hamilton
James

À l’aube, des tétras


des armoises mâles
se pavanent, poitrine
bombée et queue
en éventail, dans une
clairière du Wyoming.

66
LE GÎTE ET LE COUVERT
En hiver, le tétras des
armoises se nourrit de
cette plante dure, qui
résiste à la sécheresse.
Au printemps, c’est sous
ses branches qu’il se
reproduit, revenant tous
les ans sur les mêmes
leks (aires de parade
nuptiale). La diminution
de l’armoise dans
l’Ouest américain induit
aussi celle du tétras :
l’oiseau y a perdu 90 %
de sa population.

68 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
TÉTRAS 69
70 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club
INTÉRÊTS OPPOSÉS
Les employés du ranch
Barney, près de Big Piney
(Wyoming), rassemblent
et marquent les jeunes
veaux. Les défenseurs
de l’environnement
réclament la protection
légale du tétras des
armoises en tant
qu’espèce en danger.
Mais cela entraverait
l’élevage, l’exploitation
gazière et pétrolière,
ainsi que d’autres
activités économiques
dans l’Ouest.

TÉTRAS 71
LE PAYSAGE CHANGE
Un pompier allume un
contre-feu, près de Boise
(Idaho), en août 2017,
pour contenir un
incendie. Par endroits,
dans l’Ouest, à la fin du
xixe siècle, le surpâtu-
rage des ovins et des
bovins a anéanti les
herbacées indigènes
autour des armoises. Des
plantes invasives, plus
inflammables et moins
prisées des jeunes tétras,
tel le brome des toits,
les ont remplacées.

72 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
TÉTRAS 73
74 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
UN HABITAT MORCELÉ
L’ondulante « mer
d’armoise » des déserts
d’altitude, seul habitat
des tétras des armoises,
s’étend sur 700 000 km2
dans l’Ouest américain.
Mais les espaces ouverts
dont ils ont besoin sont
désormais découpés par
des routes, des clôtures,
des câbles, des forages
et des propriétés.
« Il n’y a tout simplement
plus assez d’habitat »,
selon Brian Rutledge,
de la Société Audubon.

TÉTRAS 75
Bien avant
l’aube, près de la
rivière Little
Snake, dans le
sud du Wyoming,
le pick-up de Pat
et Sharon O’Toole
tressaute
dans une vaste
vallée couverte Un chien de prairie
guette d’éventuels

d’armoise, où
prédateurs, à Jonah Field
(Wyoming). Avant de
devenir un champ gazier,

la famille élève
les lieux offraient un
excellent habitat aux
animaux dépendant de

du bétail depuis
l’armoise : tétras, chien
de prairie, pronghorn,
chevêche des terriers…

cinq générations.
Sauver l’habitat des
tétras les aiderait tous.

Pat éteint les phares et se dirige vers une en 1877. Les tétras peuplaient alors l’Ouest amé-
clairière. Sous la lune encore pleine, des dizaines ricain par millions. Amérindiens comme colons
de points blancs sautillent sur la plaine sombre. anglais les chassaient pour leurs plumes et leur
Les tétras des armoises ont dansé toute la nuit. viande. Dans les années 1880, le naturaliste
L’aurore éclaire peu à peu les montagnes, vers George Bird Grinnell campa dans une vallée du
l’est, et dévoile le singulier rituel d’accouplement. Wyoming où les tétras étaient si nombreux qu’elle
Les mâles, hauts d’un demi-mètre, se pavanent, en devenait « une masse grise mouvante ».
gonflant leur poitrine aux plumes blanches et Il reste désormais moins de 10 % de leur popu-
déployant leur queue. Ils se pourchassent et lation initiale, soit un demi-million d’oiseaux
bataillent dans une tempête de battements dispersés sur onze États de l’ouest des États-Unis
d’ailes, de torses bombés et de caquetages et deux provinces du Canada. Le tétras des
bruyants. Les femelles, plus petites, avec leur armoises exige une végétation d’armoise intacte.
plumage gris moucheté se fondant dans l’armoise Cet arbrisseau dur et résistant à la sécheresse
et le sol, restent là avec un air ennuyé. constitue sa nourriture (surtout en hiver), son
Le tétras des armoises est « indubitablement abri et celui de ses nids. Mais l’armoise recule
l’oiseau le plus comique qu’il m’a été donné partout. Le surpâturage massif d’il y a un siècle
d’observer », nota l’ornithologue Charles Bendire a dégagé l’espace au profit d’herbes invasives,

76 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


qui alimentent des incendies dévastateurs dans tétras. C’est l’éternel combat entre ceux qui
l’ouest de l’aire du tétras. Les routes, le morcelle­ veulent protéger les terres de l’Ouest et ceux qui
ment des terres, les câbles, les fermes, les champs veulent en tirer leur subsistance.
gaziers et les éoliennes perturbent ce qui formait
naguère une mer d’armoise d’un seul tenant. l’une des principales causes du déclin du
Protéger la plante soulagerait les tétras, ainsi tétras pourrait être la colossale hausse de la pro­
que d’autres animaux qui en dépendent – l’anti­ duction de gaz naturel dans des zones telles que
lope pronghorn, le cerf mulet, le lapin pygmée le bassin de la rivière Green, au sud de Pinedale
et la chevêche des terriers. Mais cela pourrait (Wyoming). Le biologiste John Dahlke y a effec­
coûter cher aux éleveurs, aux secteurs pétrolier tué sa première visite en 1984. Il a vu beaucoup
et gazier, et aux agences immobilières. d’armoise, quelques piquets de clôture, quelques
En 2015, le gouvernement du président Obama routes à double sens, et pas grand­chose d’autre
a négocié ce qu’il a présenté comme un accord – excepté la plus grande concentration hivernale
historique entre ces intérêts antagonistes. connue de tétras des armoises. Ceux­ci s’envo­
Aujourd’hui, l’administration Trump est en train laient des buissons en vagues pataudes, se sou­
de fragiliser les dispositions écartant les forages vient John Dahlke : « Ils remplissaient le ciel,
de pétrole et de gaz des aires protégées pour le se cognaient entre eux et retombaient. »

TÉTRAS 77
Le bassin de la rivière Green abrite désormais gouvernementales à Jonah Energy, qui exploite
Jonah Field. C’est l’un des gisements gaziers les Jonah Field. Jusqu’au jour où nous avons mis de
plus productifs de la région, situé presque en côté notre intérêt et nous sommes demandés :
totalité sur des terres fédérales. Il est quadrillé qu’est-ce qui est le mieux pour le Wyoming ? »
par des routes, encombré de puits de gaz, de Le groupe a fini par se mettre d’accord pour
foreuses, de gazoducs, de baraques de service limiter tout développement et restaurer les aires
camouflées avec de l’armoise. détériorées dans les habitats primordiaux des
« C’est arrivé à une vitesse incroyable, s’étonne tétras (mais en excluant Jonah Field, où la popu-
John Dahlke, qui travaille comme consultant en lation avait déjà diminué), tout en autorisant
environnement à Pinedale. Nous sommes passés davantage de développement intensif ailleurs.
d’un espace absolument silencieux, avec juste Le plan fédéral du gouvernement Obama,
le vent ou le chuintement de la neige tombant doté de 60 millions de dollars, a pris modèle
sur le sol, à un paysage industriel. » sur celui du Wyoming. Aucun parti n’a obtenu
Ce changement effréné s’est avéré particuliè- tout ce qu’il voulait. Mais, estime Paul Ulrich,
rement redoutable pour les tétras des armoises, « visiblement, cela fonctionne ». L’industrie a
en raison de leur fidélité à leurs territoires de arraché la garantie que le tétras ne rejoindrait
reproduction et de nidification. Les mâles pas la liste des espèces en danger.
retournent tous les printemps vers les mêmes Les défenseurs de l’environnement ont obtenu
leks (les clairières où ils exécutent les parades que, dans les habitats primordiaux du tétras, le
nuptiales). En général, les femelles nichent à développement économique reste limité, pré-
500 m de leur nid de l’année précédente. Et leurs cise Brian Rutledge, de la Société Audubon.
juvéniles s’installent près de là. « Avons-nous des désaccords ? Bien sûr. Mais
« Les tétras n’ont pas une âme de pionnier », nous avons établi des normes et nous en mesu-
relève John Dahlke. Au lieu de chercher un meil- rons l’impact. Pour moi, c’est là que se trouve
leur habitat (par ailleurs de plus en plus limité), l’avenir de la défense de l’environnement. »
ils dansent et nichent avec obstination au milieu Tout le monde ne partageait pas cet avis. Des
des bulldozers et torchères des puits de gaz. groupes, à gauche comme à droite, en ont appelé
La plupart des oiseaux survivent à court terme, à la justice. Les uns soutenaient que le plan ne
explique Dahlke, mais « des impacts progressifs » protégeait pas le tétras efficacement. Les autres
sont perceptibles. Le nombre de leks s’est réduit. déploraient des restrictions « drastiques ».
« À Jonah Field, les énormes volées hivernales Sous le gouvernement Trump et au nom de
ont disparu. Complètement disparu. » l’indépendance énergétique, le Bureau de ges-
tion des terres (BLM) a souhaité la levée de cer-
les scientifiques se sont aperçus du déclin taines restrictions au développement dans des
du tétras des armoises dans l’Ouest seulement zones-clés de l’habitat des tétras. Une autre pro-
au début des années 1990. En 1999, des groupes position pourrait affecter nombre d’espèces : le
de protection de la nature ont demandé à ce qu’il gouvernement autoriserait les gestionnaires de
soit protégé en tant qu’espèce menacée. Pendant la faune à prendre en compte les données scien-
des années, le gouvernement fédéral a reculé. tifiques, mais aussi l’impact économique d’une
Placer le tétras sur la liste des espèces en danger inscription sur la liste des espèces en danger.
aurait sévèrement limité l’activité économique
dans les 700 000 km2 où vit l’oiseau – un mélange dans le ranch o’toole, la danse des tétras
de terres fédérales, des États ou privées. s’achève sans romantisme excessif. Les femelles
Le Wyoming abrite un tiers des tétras restants. qui rôdaient aux abords du lek se sont décidées.
Or son économie dépend de l’extraction d’éner- La plupart s’accouplent avec le même mâle.
gies fossiles. En 2007, l’État a constitué un large La femelle se tourne, met ses ailes en arche, et
groupe de travail réunissant éleveurs, représen- c’est l’affaire de quelques secondes.
tants de l’industrie, défenseurs de l’environne- Avant les requêtes en vue de protéger l’espèce,
ment, gestionnaires fonciers et hommes « nous n’avions jamais vraiment prêté attention
politiques, afin de trouver une stratégie pour aux tétras. Ils faisaient partie du paysage, comme
enrayer le déclin de l’oiseau. « Nous nous les cerfs », raconte Pat O’Toole. Il a pris part aux
sommes battus de toutes nos forces jusqu’au négociations au niveau de l’État, puis fédéral, et
bout, raconte Paul Ulrich, directeur des affaires se dit satisfait des résultats dans l’ensemble.

78 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
COLOMBIE-
B R I TA N N I Q U E A L B E R TA S A S K AT C H E WA N
Des zones de CANADA
gestion prioritaire É TAT S - U N I S
de l’habitat se
trouvent sur Seattle
des terres
WA S H I N G T O M ONTA NA
fédérales. N
Le développe- Yakima Missoula
ment économique
y est limité depuis
2015, en vertu Portland
d’un accord Billings
sur la protection OREGON I DA H O
du tétras
des armoises.
Boise
Burns Idaho Falls
WYOMING
Pinedale Casper
Big Piney
Gisement gazier de Jonah

Salt Rock Springs


Lake Laramie
Elko City
CALIFORN
IE

Reno Denver

U T A H COLORADO
San Francisco

N E VA D A

ARIZONA
N O U V E AU - M E X I Q U E
UN ÉCOSYSTÈME
DÉGRADÉ
Le seul habitat du tétras des armoises est Aire de répartition du tétras des armoises
l’écosystème de la steppe à armoise. Or celui-ci Centrocercus urophasianus
figure parmi les plus grands et les plus menacés Zone de gestion prioritaire de l’habitat
d’Amérique du Nord. Il est de plus en plus Densité d’armoise
fragmenté par les activités économiques en
tout genre (dont le pétrole et le gaz), dégradé Faible Élevée
par le surpâturage du bétail et envahi par des
0 100 km
herbes allogènes plus sensibles aux incendies.

Grâce au programme fédéral, il reçoit des aides des routes passantes. Hommes et corbeaux sont
pour entretenir l’habitat du tétras et de son bétail. plus adaptables. Nous pouvons apprendre à faire
Sur le terrain où nous nous trouvons, les brebis les choses différemment. Brian Rutledge, de la
mettront bas au printemps. Il abrite aussi six leks Société Audubon, y croit : on peut modifier les
de tétras, et de multiples animaux – pronghorn, comportements qui, dans l’Ouest, alimentent les
cerf mulet, pygargue à tête blanche, aigle royal. vieux conflits et les coups de menton politiques.
« Cet écosystème est intact », constate Pat. Il espère que la coopération autour du tétras des
Des espèces savent s’ajuster aux évolutions armoises, si on lui laisse sa chance, fournira un
environnementales. Le corbeau utilise les tours modèle pour d’autres efforts de protection. c
de forage comme perchoirs d’où attaquer les
tétras. Mais ceux-ci, éminemment adaptés à la Selon Charlie Hamilton James, spécialiste de la vie
rude et silencieuse steppe américaine, « ne sont sauvage, les clichés de tétras des armoises pris
en contre-plongée ont été les plus difficiles à réaliser
pas malins du tout », note Sharon O’Toole. Ils de toute sa carrière : « Il m’a fallu cinq semaines,
foncent dans les clôtures, se posent au milieu beaucoup de café et une tonne d’équipement. »

CLARE TRAINOR, ÉQUIPE DU NGM. SOURCES : BLM ; USGS ; USFWS TÉTRAS 79


alimentation

PAR TRACIE MCMILLAN

PHOTOGRAPHIES DE GRANT CORNETT


LE MENU
DU FUTUR
INSECTES, CHIENDENT,
ET BURGERS VÉGÉTARIENS
BIEN SAIGNANTS

81
DES GRILLONS
DANS LES CHIPS,
LES BARRES ÉNERGÉTIQUES
ET D’AUTRES PRODUITS ALIMENTAIRES TRANSFORMÉS

Si on vous parle de entrer dans la compo­


manger des insectes, sition de l’alimentation
vous imaginez une pour animaux ou
brochette de cafards ? d’aliments transformés :
Pensez plutôt à un chips, barres énergé­
smoothie ! Les insectes tiques, poudres de
« ne vont pas remplacer smoothies. Les insectes
la viande », assure peuvent « devenir un
Julie Lesnik, auteure ingrédient, au même
d’un ouvrage sur le titre que n’importe
sujet. Mais ils peuvent quoi d’autre ».

MENU DU FUTUR 83
L es besoins alimentaires
mondiaux devraient aug-
menter de moitié d’ici le
milieu de ce siècle, et la
population dépasser les
9 milliards d’habitants.
Comment procéder sans
déforester encore plus ni
développer l’agriculture intensive – l’une des activités qui
contribuent le plus au changement climatique ? Et comment
préserver la santé des sols au bénéfice des cultures ?
« Pour nourrir 9 milliards de personnes, tout le monde
devra monter au créneau », avertit LinYee Yuan, rédactrice en
chef du magazine Mold, dédié à l’avenir de l’alimentation.
L’élevage intensif dégrade l’environnement de façon de
plus en plus intenable. L’une des priorités sera sans doute de
trouver de nouvelles façons de produire des protéines.
L’industrie de l’élevage représente près de 15 % de toutes les QU’Y A-T-IL DANS
émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Le bœuf
produit dans les parcs d’engraissement d’Amérique du Nord UN BURGER
exige en général près de 8 fois plus d’eau et 160 fois plus de VÉGÉTARIEN
superficie de terre par calorie produite que les légumes et les SAIGNANT ?
céréales. Les Nations unies appellent à manger moins de
L’Impossible Burger
viande de bœuf, et de nouvelles entreprises alimentaires (pages 80-81) est
prennent ce message très au sérieux. notamment fabriqué
Parmi celles-ci, le fournisseur du Beyond Burger, une avec des protéines de
blé et de pomme de
galette de protéines de pois, couleur de bœuf grâce à de la terre, de l’huile de noix
betterave. Son plus direct concurrent vend l’Impossible de coco et de l’hème
Burger, une galette végétale qui « saigne » du jus grâce à une dérivé de levure, qui lui
donne son air saignant.
protéine de laboratoire – l’hème. « Nous tentons de
D’autres entreprises recherchent un processus industriel déterminer à l’échelle
de production de viande qui ne requiert aucun animal. Les moléculaire ce qui fait
que la viande est
leaders du secteur comparent la production de viande syn- de la viande, explique
thétique avec la fabrication de la bière. On remplace la fer- Jessica Appelgren,
mentation des céréales par le développement de cellules d’Impossible Foods, et
de le reproduire à partir
animales dans d’énormes bacs de culture. du règne végétal. »
« Cela ressemblera beaucoup à une brasserie », affirme
Bruce Friedrich, directeur général du groupe industriel Good
Cet article fait partie
Food Institute. Et, tout comme la bière est distribuée par un de notre série sur
robinet, ajoute Friedrich, « s’il s’agit de viande hachée, ce ne l’avenir de l’alimentation,
un projet parrainé
sera pas très différent ». (suite page 90) par Land O’Lakes, Inc.

84 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


86 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
UNE BIÈRE BLONDE
BÉNÉFIQUE
POUR LE SOL
Dans les années 1980, Son système racinaire
les agronomes qui plonge à 3 m et sa
ont commencé à capacité de production
s’inquiéter de l’érosion peut durer six ans. Mais
causée par le travail son développement
du sol ont rapidement commercial (sous
envisagé une solution : le nom de Kernza) est
les céréales pérennes. lent. Le lancement
L’une d’entre elles, le de produits à base
chiendent intermé- de Kernza le plus réussi
diaire, parfois cultivée à ce jour est une bière
pour le fourrage, blonde brassée par
semblait prometteuse. Patagonia Provisions.

MENU DU FUTUR 87
LA SILICON VALLEY
VEUT CHANGER
NOTRE FAÇON DE MANGER
Soylent a été élaboré Un an plus tard,
par des travailleurs de le Canada a interdit
la high-tech en quête Soylent pour
d’un repas tout-en-un manquement aux
nutritif et efficace. obligations légales en
Le produit a été lancé matière de substituts
en 2013 comme de repas. Mais la
un moyen moderne popularité du produit
et écologique de a augmenté, et il est
remplacer les aliments désormais disponible
traditionnels. En 2016, aux États-Unis dans
cependant, la société a des chaînes comme
dû rappeler ses barres 7-Eleven et Walmart.
alimentaires et sa
poudre – des clients
ont signalé avoir été
victimes de diarrhées
et de vomissements.
(suite de la page 84) En parallèle, les insectes comes-
tibles trouvent maintenant un marché aux États-Unis, en
tant qu’ingrédient de produits alimentaires transformés.
L’intérêt environnemental, notamment pour les grillons, est
évident. Ceux-ci apportent plus de protéines et de micro-
nutriments par kilogramme que le bœuf. Ils se développent
dans l’obscurité et dans une forte promiscuité, permettant
une production industrielle sur une surface minuscule.
De plus, ils génèrent assez peu de déchets, à l’inverse des
grands élevages porcins et bovins.
À Austin (Texas), Aspire exploite la plus grande ferme de
grillons alimentaires des États-Unis. Sa croissance repose
notamment sur la poudre de grillon, destinée à des produits
de boulangerie, des barres énergétiques et des smoothies.
La production des deux prochaines années est déjà vendue.
Les entreprises alimentaires découvrent aussi de nouveaux
types de graisses. Des scientifiques ont tout d’abord prélevé
des algues de la sève d’un marronnier d’Inde, puis les ont
manipulées afin qu’elles produisent de grandes quantités
d’une huile plus nutritive. Les algues ont ensuite été mélan-
gées avec de la canne à sucre brésilienne dans des cuves de
fermentation de la hauteur d’un bâtiment de six étages. Et
le tout a été pressé pour obtenir de l’huile d’algues.
Cette huile de cuisson, légère et peu aromatisée, contient
des acides gras monoinsaturés, et peut être chauffée à hautes
températures. Elle est vendue sous la marque Thrive. L’idée,
expliquent ses promoteurs, est de proposer un produit de
remplacement à des huiles comme l’huile de palme, qui est
à l’origine de catastrophes écologiques et sociales. L’HUILE
D’autres solutions s’inspirent de la nature. Des chercheurs D’ALGUES
américains essaient depuis les années 1980 de développer
POUR REMPLACER
une céréale pérenne susceptible de remplacer des céréales L’HUILE DE PALME
telles que le blé et le maïs, qu’il faut refaire pousser chaque
L’huile d’algues
année – ce qui dépouille le sol de ses nutriments, augmente (ci-contre, sur de la
l’érosion et favorise le ruissellement des engrais. roquette) peut se
Le Land Institute est un groupe de recherche agricole axé fabriquer de façon
plus durable que les
sur l’écologie, installé au Kansas. Au début des années 2000, autres huiles, selon
ses agronomes ont cultivé par sélection une céréale appelée le ses promoteurs. La
chiendent intermédiaire. L’objectif était d’en créer une variété production d’huile
de palme, par exemple,
offrant un meilleur rendement, des grains plus grands et une s’accompagne de
résistance plus forte à la maladie. Le résultat, appelé Kernza, déforestation et de
pousse désormais sur 200 ha aux États-Unis. Un grand violations des droits du
travail. Mark Brooks, de
nombre de producteurs de denrées alimentaires s’apprêtent la société néerlandaise
à mettre sur le marché des produits qui en sont issus. Corbion, qui vend de
Dans cinquante ans, quel que soit l’aspect de nos repas, le l’huile et du beurre
d’algues, souligne que
changement climatique exigera que nous utilisions mieux nombre d’entreprises
ce dont nous disposons déjà, souligne Raj Patel, expert dans préfèrent éviter les
l’alimentation mondiale : « Le xxie siècle commence à accep- ingrédients « à conso-
nance chimique », telle
ter que ce qui était considéré comme des mauvaises herbes l’huile partiellement
et des insectes nuisibles puisse désormais se manger. » c hydrogénée : « Si vous
n’en voulez pas sur
Tracie McMillan est l’auteure du livre The American Way of votre étiquette, il suffit
Eating (« le mode d’alimentation américain »). Le photographe de mettre du beurre
Grant Cornett est spécialisé dans les natures mortes. d’algues à la place. »

90 N AT I O N A L G E O G R A P H I C ALIMENTS ET CONCEPTION VISUELLE (TOUS) : MAGGIE RUGGIERO ; REBECCA BARTOSHESKY


sur le vif

A P R È S L’ E F F O N D R E M E N T É C O N O M I Q U E D E L E U R PAYS ,
ILS FUIENT VERS LE BRÉSIL PAR MILLIERS.
M A I S L E U R S P R O B L È M E S N E S ’A R R Ê T E N T P A S À L A F R O N T I È R E .

PA R PAU L A RA MÓ N
PHOTOGRAPHIES DE FEDERICO RIOS

4° 2 8 ’4 6 ” N , 6 1 ° 0 8 ’ 5 3 ” O
L’exode des Vénézuéliens

93
DU POISSON ET DU TARO. Voilà les seules Après un boom pétrolier, entre
denrées que Milagros Ribero, 35 ans, 2004 et 2014, le Venezuela a payé au
et sa famille pouvaient se procurer prix fort la chute des cours, ses déficits
dans leur village du delta du fleuve abyssaux et sa corruption persistante.
Orénoque. Le delta est aussi la région Plus de 58 000 Vénézuéliens ont fui au
d’origine des Warao, le deuxième Brésil depuis 2017. C’est le plus grand
groupe indigène le plus nombreux du mouvement migratoire jamais enre-
Venezuela. En juin, les Ribero ont gistré entre les deux pays. La région
À l’arrière d’un pick-up, parcouru 800 km jusqu’au Brésil. frontalière est surtout célèbre chez les
la famille Moraleda tente « Nous sommes venus chercher de voyageurs en quête d’aventure sur le
d’atteindre le Brésil, quoi manger », dit Milagros Ribero, mont Roraima. Ce plateau de 2 810 m
espérant y trouver une près de sa tente, à Janokoida, un camp d’altitude a inspiré à Arthur Conan
vie meilleure. La famille
a quitté son village natal
pour les réfugiés warao récemment Doyle Le Monde perdu et la rencontre
du delta de l’Orénoque, mis en place à Pacaraima, une ville du entre des explorateurs et des dino-
au Venezuela. La débâcle Brésil proche de la frontière. Des cen- saures. Mais nulle aventure n’attend
économique du pays taines de Vénézuéliens la franchissent les migrants. À court d’argent, beau-
y a engendré violences chaque jour, portant leurs affaires sur coup ne dépassent pas Pacaraima.
et privations. leur dos et leurs papiers à la main. Dans ce qui était une paisible ville
PA G E P R É C É D E N T E Télévision, téléphones portables, d’un peu plus de 12 000 habitants, des
Environ 500 membres vêtements : ils ont tout vendu pour centaines – au bas mot – de réfugiés
de la tribu des Warao payer le voyage. Au Brésil, ils espèrent vivent sous la tente, dans les rues et
vivent sur une aire en trouver de quoi se nourrir et se soi- sur les parkings. Les tensions entre
béton, munie de hamacs gner, vivre en sécurité et travailler habitants et Vénézuéliens affluant au
et de tentes, dans un – tout ce qu’ils ont perdu au Venezuela, Brésil se sont exacerbées, en août. Des
camp de réfugiés,
avec son économie en débâcle, son campements de migrants ont été
à Pacaraima (Brésil).
La promiscuité et l’insa- inflation vertigineuse, son taux de cri- incendiés, après l’agression présumée
lubrité contribuent à y minalité élevé et ses pénuries régu- d’un commerçant. Officiellement,
propager des maladies. lières de nourriture et médicaments. Pacaraima compte 434 sans-abris

94
vénézuéliens – chiffre qui semble très
sous-estimé. Le père Jesús Esteban,
Le périple des Warao VENEZUELA
GUYANA
Après l’effondrement des services
un prêtre espagnol, organise chaque ZONE
publics au Venezuela, les Warao,
jour un petit déjeuner (café, pain et une ethnie indigène du delta de
AGRANDIE
BRÉSIL
fruits) pour plus de 1 500 personnes. l’Orénoque, fuient la faim et les AMÉRIQUE
« Il n’y a jamais de restes », dit-il. maladies. Incapables de subsister DU SUD
par leurs propres moyens dans leur
trois emplois en
A P R È S AVO I R P E R D U
région natale rurale, ils font du stop,
prennent le car ou marchent jusqu’aux
un an, Jesús Gomez, 28 ans, a quitté le
centres pour réfugiés au Brésil, où ils
Venezuela avec sa compagne, Eunice troquent leur mode de vie villageois
Henríquez, 27 ans. Ils dorment sous contre une existence citadine.
la tente qu’ils utilisaient à la mer.
« C’était pour voyager. Maintenant,
Route de migration des Warao
c’est notre maison », dit Jesús, ancien OCÉAN
vigile. Eunice, qui a démissionné de Gare routière vénézuélienne
ATLANTIQUE
son emploi d’infirmière, sous-payé, Camp de réfugiés
vend désormais du café à Pacaraima. 0 50 km
Ses gains lui paient juste un repas par TRINITÉ-
ET-
jour. Le couple, qui vivait dans une TOBAGO
petite chambre chez les parents de Golfe de Paria
Jesús, ne regrette cependant pas de
s’être réfugié au Brésil. En bateau
De nombreux migrants marchent Les Warao quittent leurs
200 km de plus, jusqu’à Boa Vista, villages en pirogue et,
pour la plupart, gagnent
Delta de TERRITOIRE
capitale de l’État du Roraima, une les gares routières des l’Orénoque WARAO
ville de 332 000 habitants, plus animée villes les plus proches. Tucupita
et à l’économie plus stable. Partout des ca G
rande
Bo
Vénézuéliens y cherchent du travail.
Certains se massent aux feux rouges, oque Ciudad Guayana
lavant les pare-brise pour quelques Orén on
í
EL
A
U
EZ
r

pièces ou vendant des produits locaux


Ca

N A
YA
N
– dont des fanions du Brésil, lors de la VE

GU
récente Coupe du monde de football. Lac
Guri
Pour les emplois manuels, la paie est
tombée à moins de 8,5 euros par jour.
Caura

Cuyu
Souvent, les migrants vont de ville en ni
ville, espérant mieux ailleurs.
Vers le sud, en car
À Pacaraima et Boa Vista, deux Le trajet en car entre Las
centres sont réservés aux Warao. Ils Ciudad Guayana et Claritas
font cuire les aliments sur des feux de Santa Elena peut prendre
deux jours. Le billet vaut
bois, tissent et vendent des objets environ 0,85 euro, mais Mt Roraima
d’artisanat, et tentent de garder cer- son prix varie largement 2 810 m
taines habitudes. Ils trouvent là des avec l’inflation. Le salaire
mensuel minimum au
soins et de quoi manger, mais les Venezuela équivalait à
conditions de vie sont précaires. Dans Santa Elena
1 euro au 1er juin 2018.
l’un des camps, l’odeur des égouts est Pacaraima
UELA
suffocante et, avec la saison des NEZ 400 réfugiés
VE warao*
pluies, la cour est souvent inondée. BRÉ
SIL
Avec le concours des Nations unies
et d’ONG, le Brésil a ouvert neuf camps
À pied
L
A

de réfugiés à Boa Vista. Ils accueillent


BRÉSI
G U YA N

La plupart des migrants


déjà 4 200 personnes, et bien plus marchent pendant six
attendent de les rejoindre. L’idée est heures depuis Santa Elena Boa Vista
jusqu’à Pacaraima, de 750 réfugiés
de les envoyer dans d’autres États et l’autre côté de la frontière.
a n co

warao*
d’accueillir de nouveaux migrants. Une fois au Brésil, beau-
Mais le processus est lent. Bien que
Br

coup poussent vers le sud,


en quête d’emplois dans
certains réussissent à louer de petits
des grandes villes, comme
espaces aux abords de la ville, la vie Boa Vista ou Manaus. De Boa Vista à Manaus :
est si dure que quelques-uns envi- 780 km par la route
sagent de rentrer chez eux. c

*ESTIMATION DU NOMBRE DE RÉFUGIÉS DANS LES CAMPS


RILEY D. CHAMPINE, ÉQUIPE DU NGM. SOURCE : HCR
96 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
SUR LA ROUTE
Une femme warao
prépare à manger sur
un feu de camp, près
de Ciudad Guayana,
au Venezuela, au bord
de la route menant à la
frontière. De nombreux
Warao marchent ou font
du stop pour trouver
refuge au Brésil.

E XO D E D E S V É N É Z U É L I E N S 97
E N H AU T :Ingrid Moraleda, 13 ans, et sa grand-mère, Delia Estrella, sont parties de Las Claritas. Avec leur
famille, elles tentent d’atteindre Santa Elena, espérant y trouver de quoi se soigner et se nourrir. Delia Estrella
n’avait jamais quitté le delta de l’Orénoque auparavant. E N B A S : Les réfugiés dorment dans des hamacs,
au-dessus du sol en béton du camp de Janokoida, à Pacaraima. Ces deux frères y vivent depuis des mois.

98 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
E N H A U T : Loin de leur région natale du delta de l’Orénoque, les Warao dorment dans des tentes fournies
par les autorités du camp de Pacaraima. E N B A S : Du côté brésilien de la frontière, un changeur montre
5 millions de bolivars vénézuéliens. Une liasse qui, au 31 mars 2018, valait moins de 2 euros sur le marché noir.
La valeur de la devise vénézuélienne varie chaque jour en fonction de l’inflation.

E XO D E D E S V É N É Z U É L I E N S 99
géopolitique

100
EN TURQUIE ,
D I V E R S P ROJ E TS
S O N T M I S E N P L AC E
P OUR CONTRÔLER
LA RE S SOURCE
N AT U R E L L E L A P L U S
P R É C I E U S E D U P AY S :
L’ E A U . L’ U N D ’ E N T R E
E UX , U N BA R R AG E
C O N T ROV E R S É ,
SUBMERGERA DE

Le passé
NOMBREUSES VILLES.

englouti
PAR SUZY HANSEN
PHOTOGRAPHIES DE
M AT H I A S D E PA R D O N

L’antique ville de
Hasankeyf est située
sur une rive du Tigre.
Avec le barrage d’Ilısu,
le fleuve s’élèvera
d’environ 60 m, inondant
ce café moderne,
les ruines du pont
de 900 ans situées
derrière, ainsi que des
grottes du Néolithique
(à l’arrière-plan).
MATHIAS DEPARDON, INSTITUTE
Hasankeyf est un village
de 12 000 ans taillé dans
la roche, au bord du Tigre.
Surplombant la bourgade, des grottes creusées
par des pionniers du Néolithique et les ruines
d’une citadelle byzantine. Les Romains aussi y
ont laissé leur empreinte. Et sont encore visibles
d’importantes réalisations architecturales isla-
miques du Moyen Âge, dont un pont enjambant
le Tigre qui fit de ce site une étape importante
sur la route de la Soie.
Hasankeyf est également une ville active du
sud-est de la Turquie, avec ses marchés, ses jar-
dins, ses mosquées et ses cafés.
Pourtant, en 2006, le gouvernement turc a
commencé à construire sur le Tigre un barrage
géant qui entraînera l’engloutissement d’envi-
ron 80 % de Hasankeyf, ainsi que le déplacement
de ses 3 000 résidents. Le barrage d’Ilısu est
aujourd’hui pratiquement achevé, et la submer-
sion pourrait démarrer à tout moment au cours
de l’année prochaine.
Pourquoi un pays souhaiterait-il démolir l’un
de ses sites les plus mythiques ? Afin d’améliorer UN PLAN
la vie des habitants de la région, affirme le gouver- MONUMENTAL
nement. Mais le gigantesque projet sert aussi les Le barrage Atatürk,
le plus grand de Turquie,
intérêts de l’État. La Turquie n’a pas de pétrole a été construit sur
ni de gaz naturel. En revanche, elle a de l’eau. l’Euphrate dans les
années 1980. Il fait partie
du Projet pour l’Anatolie
au d é b u t d u x x e s i è c l e , la République turque du Sud-Est (GAP),
a lancé divers projets de modernisation desti- un plan de grande
nés à développer l’économie du pays. Le Sud-Est envergure destiné à
produire de l’électricité,
– dont les habitants sont assez pauvres, peu ins- stimuler l’économie
truits et appartiennent aux minorités kurde, régionale et irriguer
arabe et assyrienne – a été en grande partie laissé les zones rurales.
pour compte. Dans les années 1970, le gouver-
nement a proposé un plan colossal, pour assu-
rer un approvisionnement fiable en électricité
à la région et irriguer les terres agricoles. L’État
turc construirait ainsi vingt-deux barrages et

102 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


dix-neuf centrales hydroélectriques dans tout turc, et a transformé le Sud-Est en zone de
le réseau fluvial du Tigre et de l’Euphrate, ainsi guerre. Le fier enthousiasme soulevé par le GAP
que des routes, des ponts et d’autres infrastruc- a commencé à s’estomper jusqu’au sein du gou-
tures. Le plan a été appelé Projet pour l’Anatolie vernement, raconte Hilal Elver, conseillère auprès
du Sud-Est (GAP, suivant l’acronyme turc). du ministère de l’Environnement dans les
Le GAP a rapidement suscité la controverse. années 1990 et désormais rapporteuse spéciale
La Syrie et l’Irak, situés en aval de la Turquie, des Nations unies sur le droit à l’alimentation.
ont protesté du fait que la Turquie pourrait les En effet, dans les années 2000, il est devenu
priver d’une eau qui leur est indispensable. évident que les projets de barrage n’atteignaient
En 1984, le Parti des travailleurs du Kurdistan pas leurs objectifs. « Ils géraient mal l’eau, et
(PKK), un groupe séparatiste – des terroristes, n’apportaient ni le progrès ni la paix », estime
aux yeux de la Turquie et d’une grande partie de Hilal Elver. L’électricité produite actuellement
la communauté internationale, dont l’Union par treize des dix-neuf barrages achevés est
européenne –, s’est révolté contre ce qu’il consi- majoritairement utilisée ailleurs. La salini-
dérait comme des injustices commises par l’État sation, provoquée par (suite page 106)

L E PA S S É E N G LO U T I 103
104 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
Leyla Sonkuş cueille
des feuilles de vigne
sur la plaine de Harran,
dans le sud de la Turquie,
non loin de la frontière
syrienne. L’irrigation de
Harran est considérée
comme l’une des
réussites du projet GAP,
mais certains Syriens
et Irakiens craignent que
les barrages turcs ne
menacent les débits du
Tigre et de l’Euphrate,
mettant ainsi en péril
leurs champs et leur
approvisionnement en
eau potable.

Note de la rédaction
Alors qu’il effectuait
ce reportage, le
photographe français
Mathias Depardon a été
arrêté par la police turque,
puis incarcéré pendant
trente-deux jours.
Il n’a pas été inculpé
officiellement et aucun
motif n’a été fourni pour
sa libération. Mathias
Depardon, qui vivait en
Turquie depuis cinq ans,
y a été interdit de séjour
pendant au moins un an.
Avant son arrestation,
il avait rempli plus d’une
centaine de pellicules,
qui ont toutes pu être
récupérées et envoyées
à National Geographic.
(suite de la page 103) l’introduction d’eau Ercan Ayboğa, ingénieur en environnement
dans des sols salés mal drainés, a détruit de pré- et porte-parole du collectif Initiative to Keep
cieuses exploitations. Les recettes provenant Hasankeyf Alive, dit que ce nombre pourrait
des barrages n’ont pas bénéficié aux municipa- s’élever à 100 000. Selon lui, le projet « ne rap-
lités ni aux habitants de la région. Des milliers porte rien à la population locale, à part à quelques
d’entre eux ont été déplacés. La plupart ont reçu entreprises et grands propriétaires terriens ».
un logement et une compensation financière, Dans ces conditions, pourquoi l’État turc per-
mais cela n’a pas suffi à remplacer leurs anciens sévère-t-il ? Après tout, d’autres pays remettent
moyens d’existence. en question les bénéfices et les risques liés aux
Le barrage d’Ilısu est sans doute l’un des projets de barrage ; certains ouvrages sont même
projets les plus destructeurs du GAP. En plus de démantelés afin de rétablir le débit naturel des
Hasankeyf, il doit inonder 400 km d’écosystème eaux et les habitats fluviaux. Il existe en outre
fluvial, 300 sites archéologiques, ainsi que des des moyens moins destructeurs de produire de
dizaines de villes et de villages. Certains objets l’électricité, telle l’énergie solaire.
seront transportés dans des lieux plus sûrs, mais Beaucoup sont convaincus que l’objectif du
le barrage déplacera quelque 15 000 personnes gouvernement est simplement d’avoir la main-
et en touchera des dizaines de milliers d’autres. mise sur cette ressource naturelle, pour les

T U R Q U I E Conséquences
extrêmes
Zone du projet de barrage EUROPE
TURQUIE ASIE

IRAK
BARRAGE D’ILISU
Hasankeyf AFRIQUE Le barrage d’Ilısu est l’un des plus
grands ouvrages parmi les vingt-neuf
Point de vue prévus actuellement. Ces barrages
de la carte forment l’ossature d’un plan d’infrastruc-
ture s’étalant sur plusieurs décennies.
Tig

SYRIE IRAN Quand celui d’Ilısu sera terminé,


Eup
re

10,4 billions de litres d’eau devraient


hr
at

inonder plus de 300 km2 de terres le long


e

du Tigre, dont le village de Hasankeyf.


I R A K

Bassin
hydrographique
0 100 km
Tigre-Euphrate
Golfe
DE S RÉPERCUS SIONS Persique
P OLITIQUE S
La Turquie ne possède pas les
ressources en pétrole et en gaz Ya n a r
su
de ses voisins, mais elle a de
l’eau. Les Irakiens, qui ont
connu des épisodes de séche-
resse, craignent que la Turquie
ne retienne l’eau du Tigre.

e
gr UNE CITÉ BIENTÔT PERDUE
Ti Hasankeyf compte parmi les plus anciens
a établissements humains du monde : son

e Ya m histoire remonte à 12 000 ans. Un projet visant

s d
à reloger les habitants dans un « Nouveau
e
llin
Hasankeyf », sur la rive opposée du Tigre,

Co Nouveau s’est heurté à la résistance des intéressés et


de la communauté internationale.
Hasankeyf

Hasankeyf
besoins et la sécurité du pays. Un exemple : de récents locaux commerciaux du « Nouveau
quand le dirigeant du PKK, Abdullah Öcalan, Hasankeyf » – une suite d’immeubles ternes,
avait trouvé refuge en Syrie, l’un des arguments pour la plupart inhabités, construits sur une
de négociation d’Ankara pour le récupérer était plaine voisine. Les marchands ont objecté que
que la Turquie pouvait couper l’approvisionne- leurs commerces ne pouvaient pas vivre dans
ment en eau de la Syrie. une ville fantôme. L’éviction, affirmaient-ils,
Au printemps dernier, la sécheresse a empiré portait atteinte à leur droit au travail, en tant
en Irak et le Tigre a atteint un niveau dangereu- qu’êtres humains. Ils ont remporté cette bataille,
sement bas. Le gouvernement irakien a fait pres- du moins temporairement.
sion pour que le réservoir créé par le barrage Depuis le début de la construction du barrage
d’Ilısu ne commence pas à être rempli, comme d’Ilısu, il y a quelques années, les habitants de
prévu, au mois de juin. Les Turcs ont accédé à Hasankeyf vivent dans une incertitude insup-
la demande. Mais, depuis des décennies, leur portable, ignorant quand ils devront partir de
attitude est foncièrement restée la même : l’Irak chez eux. Aux dernières nouvelles, le gouverne-
a du pétrole, la Turquie a de l’eau… et elle peut ment devait commencer à remplir le réservoir
en faire ce que bon lui semble. en juillet. Cela ne s’est pas produit. Alors les gens
attendent, et vivent. C’est comme si, aussi long-
ont protesté
L E S H A B I TA N T S D E H A S A N K E Y F temps que Hasankeyf n’est pas inondé, il était
lorsque des fonctionnaires sont venus, en mars plus facile de croire qu’il ne le sera jamais. c
dernier, présenter aux commerçants du bazar
Suzy Hansen est une journaliste américaine basée
historique des avis d’expulsion et leur ont à Istanbul. Son premier essai, Notes on a Foreign
demandé de commencer à emménager dans Country, était finaliste pour le prix Pulitzer 2018.

UN GIGANTE SQUE RÉ SERVOIR


Le réservoir du barrage d’Ilısu est conçu pour
s’étendre sur environ 400 km, inondant ainsi
300 sites archéologiques et des dizaines de villages
et de petites villes. À pleine capacité, il engloutirait
Hasankeyf sous plus de 25 m d’eau et affecterait
B
ot des dizaines de milliers de personnes ainsi que les
écosystèmes de centaines d’espèces.
an

i
ays
ke

L’ÉCHELLE VARIE DANS CETTE

re eriye
bıre PERSPECTIVE. LA LONGUEUR DU TIGRE

Monts D
ENTRE HASANKEYF ET LE BARRAGE
Tig D’ILISU EST DE 80 KM.

Tigr
e


r ak Future zone inondée Lit de la rivière
s Ka Parmi les futurs trésors
nt engloutis : des grottes
Mo préhistoriques creusées par
l’homme, des bâtiments Agglomération affectée
islamiques du Moyen Âge et
des quartiers modernes.

Nouveau
New Mont Sit
N

1 410 m BARRAGE
Hasankeyf D’ILISU
0 300 m
re
Tig

UN PROJET CONTROVERSÉ
Hasankeyf La construction du barrage a été ralentie par des
protestations locales et internationales concernant
les conséquences environnementales, historiques
et humaines de cet ouvrage haut de 135 m et long
de plus de 1 500 m. Quasi achevé en juillet 2018, il a
coûté près de 1,3 milliard d’euros et devrait produire
3,8 milliards de kilowattheures d’électricité.

RYAN MORRIS, ÉQUIPE DU NGM


SOURCES : MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DE TURQUIE,
ADMINISTRATION DU DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL DU PROJET POUR L’ANATOLIE
DU SUD-EST ; ILISU CONSORTIUM ; DIGITALGLOBE VIA GOOGLE EARTH
108 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club
Les habitants
de Hasankeyf
vivent dans une
incertitude
insupportable,
ignorant quand
ils devront partir
de chez eux.
Avant le déluge (dans
le sens horaire, à partir
du haut, à gauche) : ce
minaret sera déplacé et
réinstallé dans un parc
archéologique ; un jeune
Kurde visite l’une des
milliers de grottes
creusées par l’homme,
dont certaines datent
du Néolithique ; des
femmes kurdes déjà
déplacées surplombent
le chantier du barrage
d’Ilısu, à 80 km en aval
de Hasankeyf ; des
jeunes filles kurdes se
détendent dans une
maison qui sera inondée.
MATHIAS DEPARDON, INSTITUTE (TOUTES)

L E PA S S É E N G LO U T I 109
110 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club
MOSQUÉE
SUBMERGÉE
Savaşan, un village du
district de Halfeti, donne
un aperçu de l’avenir de
Hasankeyf. En 2000, le
village a été submergé,
ainsi que huit autres, par
le barrage de Birecik.
Malgré l’objectif affiché
de soutenir l’agriculture,
la plupart des terres
autrefois cultivées ici
sont inondées. Des
bateaux d’excursion
passent près d’une
mosquée engloutie,
mais le tourisme n’a pas
encore compensé
la perte économique
pour la population.
MATHIAS DEPARDON, INSTITUTE
climat
Un monde qui craque
L’ A N TA R C T I Q U E S E R É C H A U F F E T R È S V I T E . L A V I E S O U S T O U T E S
SES FORMES EN EST BOULEVERSÉE. QUELS SERONT
LES EFFETS DE CE CHAOS ? LES SCIENTIFIQUES SONT SUR
L E P I E D D E G U E R R E P O U R E S S AY E R D E L E S AV O I R .

PAR CRAIG WELCH


P H OTO G R A P H I E S D E PAU L N I C K L E N ,
CRISTINA MITTERMEIER ET KEITH LADZINSKI

113
114 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
Le climat se
réchauffe et
modifie ce que
les animaux
mangent, les
lieux où ils se
reposent et leur
façon d’élever
leurs petits.

Les phoques crabiers


se glissent sur la glace
flottante pour dormir,
accoucher, et pour se
protéger des orques et
des léopards de mer
(notez les cicatrices
visibles). La banquise
diminue au large de la
péninsule Antarctique,
et des icebergs comme
celui-ci, issus de glaciers
terrestres, deviennent
des refuges pour les
phoques crabiers – qui
se nourrissent surtout
de krill, dont l’avenir
n’est pas plus assuré.
CRISTINA MITTERMEIER

PA G E P R É C É D E N T E

La mer a poli la roche,


devant la banquise
brisée et échouée
sur le littoral. La glace
est essentielle à la vie
dans la péninsule
Antarctique, longue de
1 300 km et qui pointe
vers l’Amérique du Sud.
Mais la banquise et les
glaciers fondent sous
l’effet du réchauffement
de l’air et de l’eau.
KEITH LADZINSKI

PA G E S U I VA N T E

Un jeune cormoran
tente ce qui est
peut-être son
premier plongeon
près du rivage.
CRISTINA MITTERMEIER
116 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
A N TA R C T I Q U E 117
Dion Poncet a grandi
dans un endroit où ne vit
quasiment personne.

L’Atlantique Sud
a beaucoup changé
depuis l’époque
où Dion Poncet (ici,
à gauche, à 9 ans,
en 1988) le sillonnait
sur le voilier de ses
parents. Leurs voyages
allaient de la Géorgie
du Sud à l’Antarctique,
encore plus au sud.
FRANS LANTING, NATIONAL
GEOGRAPHIC CRÉATIVE

EN LIGNE

Visitez ngm.com/
Nov2018 pour regarder
les vidéos réalisées par
les équipes de National
Geographic durant leur
périple le long de la
péninsule Antarctique
sur le bateau de
Dion Poncet, en 2017.

118 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


à Leith Harbour,
I L E S T N É À B O R D D ’ U N VO I L I E R , Le réchaufement bouleverse ce que les ani­
une station baleinière abandonnée sur l’île de maux mangent, les lieux où ils se reposent, leur
Géorgie du Sud. Son père, un aventurier français façon d’élever leurs petits, et même les relations
en plein tour du monde à la voile, et sa mère, entre eux. En même temps, des chalutiers
une zoologue australienne, s’étaient rencontrés draguent le krill, minuscule crevette d’eau froide
sur un quai de Tasmanie. Leurs enfants sont essentielle à l’alimentation de la faune locale.
nés dans l’Atlantique Sud. Ils ont parcouru la Le krill est utilisé dans des compléments alimen­
côte ouest de la péninsule Antarctique pendant taires et des produits pharmaceutiques, et pour
des années, étudiant la faune et la flore – les nourrir les saumons d’élevage des fjords norvé­
phoques, les plantes à fleurs, les oiseaux marins – giens ou les poissons tropicaux d’aquarium.
dans des baies inexplorées, avec trois jeunes Ici, les choses changent trop et trop vite pour
garçons à bord. Dion était l’aîné. que les scientifiques parviennent à en prévoir
La péninsule Antarctique est une chaîne mon­ les efets. « Quelque chose d’énorme est en train
tagneuse et volcanique longue de 1 300 km, qui d’arriver », assure Heather Lynch, biologiste spé­
jaillit du nord du continent blanc. Tel fut le cialiste des manchots à l’université Stony Brook.
terrain de jeu du jeune Dion. Lui et ses frères Dans l’ouest de la péninsule Antarctique, la
lisaient, dessinaient et jouaient au Lego, mais population de manchots Adélie s’est efondrée
aussi chassaient des manchots, volaient des de 90 %, au minimum. Des documents de 1904
tablettes de chocolat dans les stations de montrent une baie couverte d’immenses colo­
recherche abandonnées, et dévalaient en luge nies de ces oiseaux. Aujourd’hui, sur les mêmes
des collines vierges de toute empreinte humaine. lieux, « il ne doit rester que six nids », raconte
Alors qu’à l’école, les autres enfants sont har­ Dion Poncet. Nous sommes en route vers le nord
celés par leurs condisciples, Dion, lui, a connu quand, depuis la timonerie, nous apercevons
les attaques en piqué des labbes, sur la tête. Au notre première grosse colonie.
lieu de figurer sur des films familiaux aux images Sur la minuscule île Paulet, des milliers de
tremblantes, les petits Poncet furent les stars manchots sont perchés en rangs irréguliers sur
d’un documentaire de National Geographic sur une pente rocailleuse. Sur un iceberg, à tribord,
une jeunesse dans l’Antarctique, en 1990. des manchots forment un groupe bruyant. Ils
Presque trente ans plus tard, je suis avec Dion dérapent et se heurtent comme des quilles de
Poncet dans la timonerie de son bateau de 26,5 m, bowling. J’éclate de rire en voyant l’un d’eux
le Hans Hansson. Nous scrutons la glace et guet­ glisser sur la glace polie, ses nageoires repliées
tons les manchots Adélie. Dion Poncet, 39 ans, en arrière, et culbuter un trio de congénères.
est blond et paisible, avec une mâchoire carrée Poncet se contente de hocher la tête.
et des mains énormes. Il a consacré l’essentiel L’Antarctique n’est pas que mort et chaos : des
de sa vie adulte à convoyer des scientifiques et millions de manchots Adélie prospèrent autour
d’autres visiteurs dans les eaux de la Géorgie du du continent. L’ouest de la péninsule connaît
Sud et de l’Antarctique, à partir de sa base des toutefois une transformation profonde, et peu
îles Malouines. Je l’ai rejoint avec une équipe de de gens en ont été témoins d’aussi près que Dion
photographes menée par Paul Nicklen pour Poncet : « Tout ce dont j’avais l’habitude, tous ces
longer la côte ouest de la péninsule Antarctique. endroits où j’allais, étant gamin, je croyais que
Tout en bas du monde, dans cet espace pour­ c’était immuable. Maintenant, je réalise que ça
tant quasi vierge d’occupation humaine, l’huma­ ne sera plus jamais comme avant. »
nité détruit l’une des régions sauvages les plus

P
riches des océans. À cause des énergies fossiles l’Antarctique est un
O U R L’ E S S E N T I E L ,
qui brûlent à des milliers de kilomètres de là, immense plateau, un désert d’altitude
la péninsule se réchauffe plus vite que tout balayé par les vents, où la température
autre endroit du monde – Arctique excepté. Le peut tomber à – 96 °C. Mais la partie dont Poncet
réchaufement démantibule la boîte de vitesses est familier ne ressemble pas du tout à cela.
d’une machinerie écologique complexe. La péninsule Antarctique est plus longue que
l’Italie, et se recourbe au nord vers la zone tem­
pérée. Comparé à celui du reste du continent, son
La National Geographic Society, organisation à but
non lucratif dédiée à la protection de la planète, climat a toujours été doux. En été, la tempéra­
a contribué au financement de ce reportage. ture dépasse souvent 0 °C. (suite page 122)

A N TA R C T I Q U E 119
120 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
COLONIE DE
MANCHOTS
Avec le réchauffe-
ment des eaux, les
populations de
manchots Adélie (ici,
devant l’île Paulet)
ont diminué dans
l’ouest de la péninsule
Antarctique. Mais ils
prospèrent à la pointe
nord, plus froide
grâce aux vents et
aux courants marins.
PAUL NICKLEN

A N TA R C T I Q U E 121
(suite de la page 119) Des tapis isolés de végé- dure quatre-vingt-dix jours de plus qu’en 1979
tation ponctuent le granite et le basalte dénudés. – comme si l’été se prolongeait brusquement
Les manchots Adélie vivent sur toutes les côtes jusqu’à Noël dans l’hémisphère Nord.
antarctiques, mais la péninsule abrite aussi des L’hiver avant la naissance de Dion Poncet, ses
espèces que les rigueurs du continent rebutent : parents avaient passé des semaines à explorer
otarie des Kerguelen, éléphant de mer austral, la baie Marguerite englacée, campant et trans-
manchot papou et manchot à jugulaire. Les portant le matériel sur sa surface solidifiée.
pétrels et les chionis zèbrent le ciel. Toute cette « C’est fini, annonce Dion Poncet. Aujourd’hui,
vie dépend de la mer. il n’y a quasiment plus de glace de mer. »
Sur cette péninsule accidentée, l’habituelle La réduction de la banquise expose les eaux
quiétude de l’Antarctique s’emplit de piaille- chaudes à l’air froid. L’évaporation qui en résulte
ments, de caquetages, de mouvements intenses. revient sous forme de neige, voire de pluie, sur
D’étranges visions y apparaissent : des glaciers le continent le plus sec de la planète. Lors d’un
d’un blanc bleuté glissent vers l’océan, vêlant périple à la baie Marguerite, en 2016, à mi-route
des icebergs qui prennent toutes les formes de la côte ouest de la péninsule, Poncet a connu
imaginables. Des masses de glace de la taille de un déluge de près d’une semaine. « Il y a trente
petites villes semblent toucher les nuages. On ans, dit-il, je ne pense pas que quiconque ici avait
les entend craquer et tonner comme des canons jamais vu une goutte de pluie tomber du ciel. »
à des dizaines de kilomètres de distance. Les eaux plus tièdes arrachées aux profon-
deurs de l’océan affectent aussi la glace terrestre.

o
sauvage – et ça
N D I R A I T U N E N AT U R E Elles rongent les glaciers là où ceux-ci se jettent
l’est –, mais ce n’est pas une nature dans la mer, formant des plateformes flottantes
vierge. Les hommes ont commencé à (les « barrières de glace »). Selon une étude bri-
en altérer la vie des décennies avant que qui- tannique, au moins 596 des 674 glaciers de
conque ait seulement vu l’Antarctique. Dans la l’ouest de la péninsule rétrécissent. Ailleurs dans
foulée de la première traversée de ses eaux par l’Antarctique, des barrières de glace bien plus
le capitaine James Cook, dans les années 1770, grosses fondent et s’effondrent, ce qui pourrait
des chasseurs massacrèrent des millions d’ota- provoquer une rapide montée des mers.
ries des Kerguelen, surtout pour confectionner Sur la côte est de la péninsule, la glace lâche
des chapeaux et des manteaux. Ils tuaient aussi aussi de vastes blocs. Pas plus tard que l’an der-
les éléphants de mer pour leur huile, utilisée nier, un fragment de la taille d’un département
dans les peintures et les savons. Des chasseurs français moyen s’est détaché de la barrière de
d’otaries du Connecticut furent sans doute les Larsen C. Et encore, sur la côte est, la tempéra-
premiers à fouler le continent, abordant briève- ture peut rester 3 °C plus froide que sur la côte
ment l’ouest de la péninsule, en 1821. ouest. Les vents dominants poussent souvent la
Bien vite, les baleiniers harponnèrent les ror- glace de mer de l’ouest vers la pointe nord, puis
quals boréal et commun, les baleines bleue et à le long de la côte est, où des courants tourbillon-
bosse. Les fanons des cétacés étaient transfor- nants la bloquent contre les terres.
més en cravaches, armatures de parapluie, cor-

L
sets, ressorts de calèches. L’huile servait au est
E P O I N T FA I B L E D E L’A N TA R C T I Q U E
chauffage, à l’éclairage et à la confection de mar- l’ouest de la péninsule, si chaud désor-
garine. Au début du XXe siècle, la Géorgie du Sud mais que les touffes des seules plantes
était La Mecque de l’industrie baleinière. Leith à fleurs du continent (la canche et la sagine, à
Harbour fut la dernière station à fermer, en 1966. floraison jaune) s’y multiplient, ainsi qu’herbes
Depuis, le changement climatique a fortement et lichens. Les mousses vertes poussent trois fois
marqué le paysage. La température hivernale plus vite que naguère. Les pics insulaires, jadis
dans l’ouest de la péninsule a gagné plus de 5 °C dissimulés sous la neige, sont humides et
par rapport aux années 1950. Les vents modifient fondent, révélant boue ou crevasses béantes.
la circulation océanique, et les eaux profondes, « Le paysage se racornit », déplore Poncet.
plus chaudes, remontent vers la surface, contri- Ce matin-là, nous quittons le Hans Hansson
buant à réduire la banquise. Désormais, celle-ci sous une pluie dense. Nos canots en caoutchouc
se forme plus tard et disparaît plus vite. Dans noir piquent vers un rivage caillouteux, non
l’ouest de la péninsule, la saison libre de glace loin du détroit Antarctique, (suite page 126)

122 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
Réchauffement express


Géorgie Concentration
du Sud de krill

L’ouest de la péninsule Antarctique est l’un des endroits du


Îles Falkland °E °
.
(Îles Malouines) 6
60
monde où le réchauffement est le plus rapide. Les glaciers
AM´ÉR.
reculent, dénudant un sol caillouteux. L’écosystème en souffre. DU S. Point
Pôle Sud
Des espèces locales trouvent ainsi plus d’espaces pour se de vue
ANTARCTIQUE
développer – mais c’est parfois aussi le cas d’espèces invasives.
°O
. °
120

OC
120
°

ÉA
Île de E.
l’Éléphant

N
Île 6 6 0° S .

PA
Paulet C
IF
IQ S
UE
Détroit
Antarctique
l d
f i e

ÎLES
n s

SHETLAND
DU SUD Ancienne
Extension
de la barr historiq barrière
Br a

ière d u
e gla e de Larsen B
Ancienne ce
barrière
d e

de Larsen A

Île La fonte des barrières


Livingston
o i t

Le recul des barrières de


glace (parties des glaciers
D é t r

terrestres se jetant dans


la mer) s’est accéléré.

Ba r r i è r e
de Larsen B

Suivi à la trace
Grâce aux dépôts de
fiente (détectés par
satellite), on peut
suivre les populations
de manchots. Celles-ci Port
Île
sont un indicateur Lockroy
Anvers
de la santé écologique
d’un territoire.

Colonie de manchots

Terres dénudées
Prévision des terres
qui seront libres
de glace en 2100, dans
les scénarios d’une
hausse moyenne E
A
des températures U
X
mondiale de…
C
H
+ 1,8 °C A
+ 3,7 °C U
D
E
L’échelle varie dans cette S
perspective. Distance P
du détroit Antarctique R
O
à l’île Anvers : 320 km. F
O

MANUEL CANALES ET RYAN T. WILLIAMS, ÉQUIPE DU NGM ; LEANNE ABRAHAM,


N

STEVE TYSON. SOURCES : JASMINE R. LEE, UNIVERSITÉ DU QUEENSLAND À


BRISBANE ; SIMEON L. HILL, BRITISH ANTARCTIC SURVEY ; HEATHER LYNCH,
D

UNIVERSITÉ STONY BROOK ; POLAR GEOSPATIAL CENTER ; UNIVERSITÉ DE L’ÉTAT


E

DE L’OHIO ; NATIONAL GEOSPATIAL-INTELLIGENCE AGENCY


S
Bouleversements dans l’océan Hiver tardif, fonte précoce
Entre 1979 et 2017, la date de formation
Le réchauffement mondial élève la température des eaux profondes,
de la banquise a reculé de deux mois,
issues des mers plus au nord. Tandis que des vents balaient les eaux et celle-ci fond avec un mois d’avance.
froides de surface, les eaux plus chaudes remontent des profondeurs. Les fluctuations climatiques naturelles
En outre, des tempêtes plus intenses repoussent la banquise vers le sud. n’expliquent pas ce changement.

AUTREFOIS ACTUELLEMENT DURÉE DE LA SAISON DE LA BANQUISE


300
Vents Tendance
jours

150

Eaux
chaudes 1979 1998 2017

La banquise, cantine du krill


Le krill jeune et larvaire
mange les algues saisonnières
prospérant sous la banquise.

La glace saisonnière
Craintes pour le krill emprisonne puis
relâche les algues.
La pêche dans les eaux libres de glace se prolonge à
l’automne. Des quotas stricts limitent les prises de krill.
Mais, comme la saison de la banquise raccourcit et que
la saison de pêche s’étend, la compétition entre les
hommes et la faune pour le krill pourrait s’intensifier.

Pas tous perdants


Les animaux qui se reproduisent Otarie des Manchot papou
Kerguelen Pygoscelis papua
sur les côtes rocheuses et chassent Arctocephalus gazella Le manchot papou
en eaux libres pourraient bénéfi-
Sa population a une alimentation
cier du recul des glaces. D’autres, baisse dans les variée. Il ne dépend
qui dépendent de la banquise Shetland du Sud, où pas du retour annuel ESSAIM
pour se nourrir, se protéger et se les léopards de mer de la banquise. DE KRILL
reposer, risquent de décliner. dévorent des jeunes. L’espèce prospère.

ÉVOLUTION DE S
P O P U L AT I O N S
PA R E S P È C E

Décroissante
Indéterminée
Croissante Taille réelle

Krill antarctique
Euphausia superba

UN CRUSTACÉ VITAL
Baleine à bosse
Baleines, phoques, poissons
Megaptera novaeangliae et oiseaux mangent d’énormes
L’espèce est en plein essor
quantités de ce petit crustacé
dans les eaux libres de glace, très nutritif. Selon les époques,
où elle se nourrit de krill. le poids total de krill dans
La situation devrait perdurer le monde peut dépasser celui
si le krill ne décline pas. de tous les êtres humains.

E S P È C E S É V I T A N T L E S G L A C E S E S P È C E S
dans l’OUEST DE LA PÉNINSULE ANTARCTIQUE

LA BANQUISE S’ÉVANOUIT
La saison de la banquise se réduit de plus en plus sur la côte ouest de la
péninsule Antarctique. Les espèces ayant besoin de glace de mer devront
s’adapter ou périr. La population de krill pourrait aussi être affectée.
Or de nombreuses espèces consomment ces minuscules crustacés.

Lorsque la banquise Précipitations en hausse Difficulté de reproduction


diminue, l’océan relâche Les nids des manchots sont Si son nid est détruit, le
davantage de chaleur inondés, et les poussins, manchot Adélie ne pond pas
dans l’atmosphère. trempés, meurent de froid. de nouveaux œufs aussitôt.

Manchot Adélie
ADÉLIE CONTRE PAPOU
Pygoscelis adeliae
Il ne mange que du krill et Le manchot Adélie, adapté
des poissons mangeurs aux conditions glaciales,
de krill. Il a besoin de la est en fort recul dans l’ouest
banquise pour plonger de la péninsule. Le manchot
et pour se reposer. papou, écologiquement
plus souple, y prospère.

ESTIMATION DU NOMBRE DE
Petit rorqual antarctique COUPLES REPRODUCTEURS
180 000
Balaenoptera bonaerensis
Manchot
Cette petite baleine agile papou
poursuit le krill sous la Manchot
Adélie
banquise, qui la protège ESSAIM
également des orques. DE KRILL
90 000

Le krill est l’aliment


1982 1999 2017
principal ou complé-
mentaire de 99 % des
prédateurs de la zone.

Léopard de mer
83 % 16 % MANUEL CANALES, RYAN T. WILLIAMS ET
Hydrurga leptonyx TAYLOR MAGGIACOMO, ÉQUIPE DU NGM.
Aliment Aliment MESA SCHUMACHER. ILLUSTRATIONS : GAËLLE
complémentaire principal Ce superprédateur SEGUILLION. SOURCE S : KIM BERNARD,
se nourrit de poissons, UNIVERSITÉ DE L’ÉTAT DE L’OREGON ; HEATHER
de manchots, de krill LYNCH ET CATHERINE M. FOLEY, UNIVERSITÉ
STONY BROOK ; SHARON STAMMERJOHN,
et d’autres phocidés. UNIVERSITÉ DU COLORADO À BOULDER ; ADRIAN
Il chasse près de la DAHOOD ET ARI FRIEDLAENDER, UNIVERSITÉ
1 % Pas de krill banquise et en dessous. DE CALIFORNIE À SANTA CRUZ

D É P E N D A N T E S D E S G L A C E S
(suite de la page 122) à la pointe nord de la Les manchots Adélie adultes muent sur les
péninsule. Là, sur une plateforme rocheuse floes (plaques de glace), au large. Ils s’y réfugient
colorée par les fientes des oiseaux, nous obser- aussi, quand ils ne chassent pas eux-mêmes,
vons des manchots Adélie couverts de boue. pour échapper aux prédateurs. Ils peuvent nager
L’un d’entre eux, un juvénile, a son duvet gris pendant des jours, mais ne plongent pas en
et moelleux tout humide et emmêlé. général au-delà d’une centaine de mètres.
Le manchot Adélie est l’unique espèce de Avec le réchauffement de la mer, des manchots
manchot endémique de l’Antarctique présente plus adaptables effectuent une percée. Les man-
dans la péninsule. Il bâtit ses nids avec des galets chots papous (une espèce généraliste, grasse et
et revient sur le même site chaque année, à la de bonne taille) se révèlent plus flexibles sur le
même période, qu’il pleuve ou neige, ou que la lieu et l’époque de leur nidification, et plus aptes
glace fonde. Il préfère la roche dure ou le sol. à pondre de nouveaux œufs si la nidification
Mais, désormais, il est souvent contraint de échoue. Ils chassent aussi plus près du rivage et
construire sur la neige légère – au risque que le se nourrissent de tout ce qui se présente. Entre
nid s’effondre quand la neige fond, ou se rem- 1982 et 2017, le nombre de couples reproducteurs
plisse d’eau quand il pleut. Les œufs coulent de manchots Adélie dans l’ouest de la péninsule
alors au fond des nids inondés. Trempés, les et les îles Shetland du Sud est tombé de 105 000
poussins, dépourvus des plumes étanches qui à 30 000, tandis que les couples de manchots
protègent les adultes, meurent gelés par le vent. papous passaient de 25 000 à 173 000.

126 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


L
pour
A G L AC E J O U E U N R Ô L E E S S E N T I E L
d’autres animaux. Sa disparition
engendre des comportements impré-
visibles. Près du détroit Antarctique, un matin,
nous voyons un manchot Adélie perché sur un
floe qui se désagrège. Il inspecte les vagues, ner-
veux, comme hésitant à plonger. Et pour cause :
un léopard de mer fait des ronds dans l’eau.
Le léopard de mer peut peser la moitié d’une
petite voiture. Ses mâchoires s’ouvrent plus grand
que celles de l’ours brun, et sa bouche fermée
évoque un sourire narquois. C’est bien l’impres-
sion que donne celui que nous observons : arro-
gant, impatient, tel un roi en son domaine.
Deux autres léopards de mer surgissent alors.
Ils vont et viennent, nonchalamment, en se
contorsionnant. Puis encore deux, guettant
d’autres manchots sur d’autres floes. Un à un,
les oiseaux glissent dans l’eau. Les phoques se
lancent aussitôt à leur poursuite. Quelques man-
chots parviennent à revenir sur la glace. Pas tous.
Sur ce terrain de chasse pas plus grand qu’un
square, cinq phoques festoient bientôt, secouant
et déchirant leurs proies ensanglantées.
Ce spectacle est « extrêmement inhabituel »,
m’affirmera plus tard Tracey Rogers, de l’uni-
versité de Nouvelle-Galles du Sud, un spécialiste
du léopard de mer. Ce phocidé, à l’instar de l’ours
brun, est un animal solitaire, et il a l’habitude
de sillonner un vaste territoire éloigné des côtes.
Les floes lui sont nécessaires pour se reposer.
PLUIES MORTELLES La disparition de la banquise le pousse près
Tout mouillé de pluie,
un jeune manchot des rivages, et modifie ses mode et lieux de
Adélie se secoue pour chasse – et même ses proies.
se débarrasser de Autrefois, voir un léopard de mer près des
l’humidité qui imprègne
son dos boueux. Le sites de reproduction des otaries des Kerguelen
réchauffement a tant était exceptionnel. « Dans les années 1800, des
augmenté les précipi- chasseurs d’otaries tenaient des journaux de
tations sur la péninsule
Antarctique que de bord et des registres méticuleux, rappelle Doug
nombreux poussins Krause, biologiste à l’Administration nationale
Adélie, dépourvus des des études océaniques et atmosphériques
plumes étanches dont
sont dotés les adultes, (NOAA) des États-Unis. Aucun d’entre eux ne
meurent détrempés mentionne la présence de léopards de mer. »
puis gelés par les vents Dans les Shetland du Sud, la principale zone
polaires. Quant aux
œufs, ils sont noyés de reproduction des otaries des Kerguelen se
dans les nids inondés. situe au cap Shirreff. Désormais, chaque année,
CRISTINA MITTERMEIER
60 à 80 léopards de mer frétillent près du rivage.
Et tuent plus de la moitié des nouveau-nés.
Après l’arrêt de leur chasse à des fins commer-
ciales en Antarctique, dans les années 1950, les
otaries des Kerguelen sont revenues en force.
Les scientifiques pensaient qu’elles s’adapte-
raient bien au changement (suite page 132)

A N TA R C T I Q U E 127
128 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
La péninsule
Antarctique
est souvent
figurée en blanc
sur les cartes.
Mais, désormais,
des touffes
des seules
plantes à fleurs
du continent
et de plantes
invasives
y prolifèrent.

À la pointe nord de la
péninsule, près du
détroit Antarctique, un
léopard de mer mord
un jeune manchot
Adélie, qu’il entraînera
dans les profondeurs.
D’ordinaire, les léopards
de mer chassent seuls,
au large, au milieu
des plaques de glace.
Depuis que la banquise
est plus tardive et fond
plus tôt, ils se tiennent
souvent près des
rivages où les manchots
se regroupent.
PAUL NICKLEN

PA G E S U I VA N T E

Un matin, voyant
cinq léopards de mer
tournoyer dans l’eau,
des manchots à jugu-
laire, papous et Adélie
se précipitent à terre,
en se bousculant dans
leur retraite vers leurs
colonies respectives.
KEITH LADZINSKI

A N TA R C T I Q U E 129
130 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
A N TA R C T I Q U E 131
(suite de la page 127) climatique. Pourtant, Écologue marin à l’université de Californie à
leur population décline de 10 % par an au cap Santa Cruz et explorateur de National Geographic,
Shirreff. « Ce que nous voyons est inouï, souligne Friedlaender étudie les baleines à bosse antarc-
Doug Krause. Personne ne l’a vu venir. » tiques depuis 2001 – leurs déplacements, leur
alimentation, leurs jeux et acrobaties. Il a décou-

P
ERSONNE NON PLUS n’a prévu la bonne vert qu’elles plongent plus profondément qu’on
nouvelle : le retour des baleines à ne le croyait, et a vu comment elles pratiquent
bosse. La pêche industrielle des cétacés une ouverture dans la glace avec le souffle de leur
a démarré en Antarctique au début du xxe siècle, évent. Tout cela exige beaucoup d’énergie pour
et en a mené beaucoup au bord de l’extinction. un animal pesant jusqu’à 36 t. Or, pour l’heure,
Nombre d’espèces peinent encore à récupérer. explique Friedlaender, le changement clima-
Ainsi des baleines bleues : on estime qu’elles tique favorise l’alimentation de ces baleines.
étaient 250 000 vers 1900 ; il n’en reste que 5 %. Il a constaté les premiers signes de cette évo-
Mais les baleines à bosse antarctiques lution en mai 2009 – la fin de l’automne, dans
revivent. Leur population augmente de 7 à 10 % l’Antarctique. À bord de leur navire, Friedlaender
par an. « Elles sont en plein boom ! », s’écrie Ari et ses collègues imaginaient les baleines à bosse
Friedlaender, tandis que nous fonçons à bord de parties depuis longtemps vers leur zone d’hiver-
notre canot ouvert sur les eaux de l’archipel nage, près de l’Équateur et du Panama. Puis, un
Palmer, où nous venons de le retrouver. échosondeur détecta un banc de krill s’étendant

132 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
sur des kilomètres, sous le navire. « À notre réveil,
le lendemain, se souvient Friedlaender, il y avait
plus de baleines qu’aucun de nous n’en avait
jamais vu, en aucun lieu et à aucune époque
sur la planète. » Les scientifiques en ont compté
306 sur une étendue large de 15 km. « Elles
étaient là parce qu’il n’y avait pas de glace. »
En général, explique le chercheur, les baleines
à bosse quittent l’Antarctique fin mars ou début
avril, quand la mer se referme. Désormais, elles
profitent de plusieurs semaines additionnelles
libres de glace pour se nourrir de krill.
Le krill, créature translucide de la taille d’un
auriculaire d’enfant, se déplace en essaims pou-
vant s’étirer sur des kilomètres, avec parfois plus
de 60 000 individus dans 1 m3 d’eau. Les baleines
à bosse poursuivent ces bancs sans relâche et
s’en repaissent, d’où l’essor actuel de leur popu-
lation. Les femelles donnent naissance à un
petit par an. Les mères allaitantes sont si fortes
qu’elles nourrissent les nouveau-nés alors même
qu’elles sont gravides. « C’est insensé, pour un
animal aussi gros », s’émerveille Friedlaender.

Q
un brise-
U E L Q U E S A N N É E S P L U S T Ô T,
glace en mission de recherche a traîné
ses filets autour de l’archipel Palmer,
à la recherche de calandres antarctiques – des
poissons gras qui ressemblent à des sardines et
se reproduisent sous la banquise. Jadis, ceux-ci
pullulaient au large de la péninsule Antarctique,
OISEAU NETTOYEUR constituant la moitié de l’alimentation de cer-
Un labbe se baigne
dans une mare tains manchots Adélie. Mais l’équipe menée par
résiduelle. Les labbes Joseph Torres, de l’université de Floride du Sud,
se nourrissent d’œufs a tiré ses filets jour et nuit autour des îles Anvers
et de poussins de
manchots, de poisson et Renaud sans attraper une seule calandre.
et de krill. Ce sont Le poisson avait tout simplement disparu de
aussi des charognards ces eaux, soumises à l’un des plus forts reculs de
qui, tels des vautours
de l’Antarctique, la banquise. En parallèle, les chercheurs ont
nettoient sans relâche observé que les manchots avalaient davantage
les cadavres que de krill, même s’il faut vingt krills pour obtenir
le froid préserve de
la décomposition. la valeur calorique d’une calandre.
KEITH LADZINSKI Y aura-t-il assez de krill pour tout le monde ?
Les manchots et les baleines à bosse en mangent,
mais aussi les labbes, les calmars, les otaries des
Kerguelen et les phoques crabiers. Les léopards
de mer en consomment parfois. Une baleine
bleue en avale des millions par jour. Et les ani-
maux qui n’absorbent pas de krill se nourrissent
souvent de proies qui s’en repaissent.
La faune antarctique n’est pas la seule à appré-
cier ces minuscules crustacés. Voyant dans le
krill un nouveau produit (suite page 136)

A N TA R C T I Q U E 133
134 N AT I O N A L G E O G R A P H I C
A N TA R C T I Q U E 135
(suite de la page 133) de la mer, des flottes de Le filet du navire se rue dans l’eau telle la gueule
chalutiers soviétiques ont commencé à le pêcher ouverte d’un requin-baleine. Quand l’équipage
autour du continent dans les années 1960. le hisse à bord, son maillage vert se replie sur
Aujourd’hui, chaque année, une dizaine de lui-même, enveloppant des millions de krills.
navires (notamment norvégiens, sud-coréens, Pour l’heure, le krill abonde encore autour de
chinois, chiliens et ukrainiens) viennent ici pour l’Antarctique. Les chalutiers n’en pêchent qu’une
pêcher le krill. Les prises sont transformées en minuscule partie. Sa pêche est strictement gérée
gélules d’oméga-3, en gommes d’huile de krill, par vingt-quatre pays et par l’Union européenne,
ou encore en aliments pour saumons d’élevage. organisés depuis 1982 en une Commission pour
En Ukraine, le krill décortiqué est vendu en la conservation de la faune et la flore marines
conserves, comme des sardines. D’énormes de l’Antarctique (CCAMLR).
chalutiers le traitent parfois sur place. Il est alors La population de krill est cyclique. Les cher-
bouilli, séché et réduit en poudre. cheurs ignorent à quelle vitesse et dans quelle
Après presque un mois en mer, nous aperce- mesure le réchauffement et la réduction de la
vons enfin l’un de ces navires dans le détroit de banquise l’affecteront. De nombreux experts
Bransfield, au large des Shetland du Sud. Une s’inquiètent que les chalutiers épuisent le krill
tempête secoue le Long Da, un chalutier-usine sur des aires d’alimentation importantes pour
chinois long de 101 m travaillant à moyenne pro- d’autres espèces sauvages. En 2017, une équipe
fondeur. Nous nous plaçons derrière sa poupe. scientifique du gouvernement américain a

136 N AT I O N A L G E O G R A P H I C Abonnez-vous sur ngmag.club


souligné : « Si les prédateurs et l’industrie de la
pêche ponctionnent la même population de krill,
l’élimination du krill par un groupe limitera
nécessairement sa disponibilité pour l’autre. »
La pêche se déroule essentiellement là où le
changement climatique stresse le plus les ani-
maux : près de l’ouest de la péninsule. « Et où
trouve-t-on le plus grand nombre de prédateurs ?
Au même endroit », signale Ari Friedlaender,
En 2017, le Chili et l’Argentine ont proposé que
la CCAMLR sanctuarise des milliers de kilo-
mètres carrés à l’ouest et au nord de la péninsule.
L’été dernier, des associations écologistes et la
société norvégienne AkerBioMarine, plus grande
entreprise de pêche de krill du monde, ont
convaincu la plupart des autres acteurs du sec-
teur de renoncer à pêcher près des colonies de
manchots lors de la prochaine période de repro-
duction. Ces sociétés ont annoncé qu’à partir de
2020, leurs navires resteraient toute l’année à
30 km au moins des colonies de manchots.
Pour de nombreux scientifiques et écologistes,
des zones de non-pêche permanentes, encadrées
par la CCAMLR, sont la meilleure solution. Sinon,
« les choses pourraient aller très mal, avertit Kim
Bernard, océanographe et spécialiste du krill à
l’université de l’Oregon. Cela me terrifie. »
Un soir, à bord du Hans Hansson, Dion Poncet
dessine une carte des lieux où, enfant, il chassait
le krill avec un filet à papillons. Le spectacle des
essaims de crustacés grouillant en surface n’avait
Des os de baleine bleue rien d’exceptionnel. « Parfois, le moteur chauf-
parsèment encore les
côtes de la péninsule, fait, car le krill engorgeait le système d’arrivée
rappelant à quelle d’eau », se souvient-il. Aujourd’hui, « on n’en voit
vitesse les humains presque plus jamais » dans les mêmes lieux.
bouleversent le monde
naturel. Après plus d’un Les scientifiques prennent au sérieux la longue
siècle de chasse aux expérience de Poncet. « En un sens, c’est du
cétacés, la population savoir traditionnel », observe Kim Bernard. Or,
des baleines bleues
représente aujourd’hui à l’heure où l’Antarctique fonce vers l’inconnu,
5 % de ce qu’elle était. la connaissance scientifique reste parcellaire.
KEITH LADZINSKI
Cette année, Poncet a décidé brusquement de
PA G E P R É C É D E N T E vendre le Hans Hansson. Il dit que lui et sa com-
L’eau et l’air chauds ont pagne, Juliet Hennequin, également navigatrice
sculpté cet iceberg. émérite, sont épuisés. Il a aussi l’impression que
Tandis que sa base trop de visiteurs croient l’abondance de la région
fondait, explique
le glaciologue Richard éternelle. « Quand je fais le point sur la situation,
Alley, de l’eau douce la péninsule Antarctique que j’ai connue étant
de fonte jaillissait enfant a disparu en grande partie. Je m’interroge
de ses flancs, créant
un appel d’eau de mer énormément sur son devenir. » c
vers le haut et creusant
de profonds sillons. Paul Nicklen, Cristina Mittermeier et Keith
En fondant, l’iceberg Ladzinski sont des habitués de l’Antarctique.
s’est allégé et soulevé. Journaliste spécialiste de l’environnement,
PAUL NICKLEN Craig Welch y effectuait son premier reportage.

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À S U I V R E

L A S É L E C T I O N

LIVRES, FILMS, EXPOS, DVD...

PAR MARIE-AMÉLIE CARPIO-BERNARDEAU

QUEL AVENIR POUR PALMYRE ?


Avant d’être vandalisé par Daech entre 2015 et 2017, il ne reste qu’un portique renforcé avec du béton
et détérioré par des combats, le site de Palmyre, armé dans les années 1930 (photo), s’avère plus
en Syrie, avait déjà connu plusieurs restaurations. complexe car il a été soufflé à l’explosif. Mais, au-delà
Peut-on le reconstruire à nouveau ? Les dommages de la possibilité matérielle d’une reconstruction,
varient selon les monuments. Ceux subis par la nombre d’archéologues considèrent aujourd’hui
citadelle médiévale mamelouk touchent en majorité que les destructions subies par les sites anciens font
non pas l’édifice d’origine, mais un pan reconstruit partie de leur histoire. Ils préfèrent laisser les
après un séisme en 1996. L’arc de triomphe antique, monuments en l’état, en les reconstituant
détruit avec du matériel de chantier, a été réduit virtuellement, grâce à la technologie numérique.
en blocs monumentaux, qui peuvent être remontés. L’occasion, ainsi, de fouiller des couches plus
Le cas du temple de Bêl, autre joyau antique dont anciennes, et d’enrichir la connaissance des lieux.
VU À l’exposition Cités millénaires, voyage virtuel de Palmyre à Mossoul, à l’Institut du monde arabe (Paris), jusqu’au
10 février 2019, et dans le catalogue, sous la direction de Nala Aloudat et Aurélie Clemente-Ruiz, coéd. IMA/Hazan.

LE ROYAUME DES RUBIS


C’est de la vallée de Mogok, au Myanmar (Birmanie), que proviennent
les plus beaux rubis de la planète. Mentionnée dès le xie siècle par
des voyageurs européens et sujet d’un livre du journaliste Joseph
Kessel en 1955, elle abrite aussi une diversité et une abondance de
gemmes uniques : saphirs, péridots, spinelles, grenats, diamants...
Pendant des siècles, la localisation du site fut tenue secrète.
Aujourd’hui encore, son accès, régulièrement interdit par les autorités,
demeure très difficile.

LU DANS Mogok, la vallée des pierres précieuses, sous la direction


de Kennedy Ho, éditions Glénat.

PHOTOS : ICONEM/DGAM (PALMYRE) ; JEAN-BAPTISTE RABOUAN/GLÉNAT (RUBIS) ; BENNY MARTY, ALAMY (ÉLÉPHANT) ;
GL ARCHIVE/ALAMY (DOMESDAY BOOK) ; KADIR VAN LOHUIZEN, NOOR POUR LA FONDATION CARMIGNAC (ALASKA) ; MARC RIBOUD, MAGNUM PHOTOS
150 OOO
C’est le nombre de muscles dans la trompe d’un éléphant. Cet appendice serait
apparu chez les proboscidiens semi-aquatiques pour leur permettre de mieux respirer
l’air en surface. Puis, il se serait développé jusqu’à devenir un cinquième membre
chez les espèces purement terrestres. Alors que les animaux grossissaient, leur cou
raccourcissait pour soutenir le poids de leur tête, tandis que leur trompe s’allongeait
pour compenser l’immobilité de leur crâne.
LU DANS Évolution, sous la direction de Steve Parker, éditions Delachaux & Niestlé.

Angleterre, le La Chine d’hier


grand inventaire « Les Chinois, contrairement
à tant d’autres peuples, ne
Le Domesday Book a beau sont pas gênés d’être photo-
dater du XIe siècle, il est graphiés [...]. Ils vaquent à
leur occupation comme si de
resté jusqu’au XIXe siècle
rien n’était », racontait Marc
le registre cadastral le plus Riboud après son premier
vaste d’Europe. Réalisé séjour en Chine, dans les
sur ordre de Guillaume Ier années 1950. Cette aristo-
pour améliorer le calcul crate à l’air détaché, immor-
des impôts en Angleterre talisée dans sa cape à
– qu’il venait de conquérir –, fourrure par le reporter de
le recueil dresse Monde en sursis l’agence Magnum en 1957, en
est une parfaite illustration.
l’inventaire de toutes les
Perché sur un bloc de glace à Point Hope, en Elle incarne aussi l’ancien
propriétés du pays.
monde, dans un pays alors en
Comme un observateur Alaska, cet Inuit guette les baleines boréales.
pleine révolution communiste.
de l’époque le rapporte, Les communautés locales ont le droit
« ce recensement fut fait d’en pêcher, selon des quotas établis par LU DANS Magnum Chine,
avec une telle minutie qu’il collectif, éd. Actes Sud.
la Commission baleinière internationale.
n’y manqua pas un seul Cette tradition est néanmoins menacée
are, ni un arpent de terre, par la fonte accélérée de la banquise.
ni même un bœuf, une
Normalement, la chasse ouvre au printemps,
vache ou un cochon ».
lorsque les baleines, migrant vers le nord,
LU DANS la revue Explorer, empruntent des corridors où la glace a
n° 1 : « Croisades et Moyen commencé à fondre. La disparition précoce
Âge, énigmes et batailles
de celle-ci conduit désormais les mammifères
après l’an mil », en kiosque.
à se disperser sur une surface bien plus vaste,
ce qui rend leur traque très ardue.
À DÉCOUVRIR à l’exposition Arctique : nouvelle
frontière, de Yuri Kozyrev et Kadir van Lohuizen,
prix Carmignac du photojournalisme,
à la Cité des sciences et de l’industrie (Paris),
du 7 novembre au 9 décembre 2018.

NOVEMBRE 2018 141


ENVIES ACTUALITÉS COMMERCIALES

Woodford Reserve Malt,


le plus européen
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Ayant pour ambition d’élaborer des
whiskeys d’excellence, Woodford Reserve,
connu pour son bourbon haut de gamme,
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tion géométrique en Amérique latine, de des années 1960 et deux nouvelles formes
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CHANGER LE MONDE.»

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À S U I V R E | LE MOIS PROCHAIN

Les gardiens La diaspora Récupérer le passé Le boom de


de la Bible philippine Aux États-Unis, les l’huile de palme
Des collectionneurs, Des millions de Amérindiens revisitent Alors que la demande
des informaticiens et Philippins travaillent les récits sur leur culture en huile de palme
des archéologues sont à l’étranger et et dénoncent les provoque la déforesta-
lancés dans une mission envoient de l’argent préjugés racistes qui tion, le Gabon montre
urgente : préserver au pays pour ont miné les représenta- l’exemple d’une
les textes sacrés. soutenir leur famille. tions de la vie indienne. industrie responsable.

EN KIOSQUE LE 28 NOVEMBRE

PHOTOS : PAOLO VERZONE (EN HAUT) ; HANNAH REYES MORALES


À S U I V R E | LE MAKING OF

CITÉ ENGLOUTIE
PA R MARIE-AMÉLIE CARPIO-BERNARDEAU

DA N S L E S U D - E S T D E L A T U R Q U I E , la vous mettez à imaginer ce que pou­ Le photographe


mosquée du village de Savaşan, noyée vaient être la géographie avant le français Mathias
Depardon, 38 ans,
sous les eaux depuis la mise en service bassin artificiel, la vie des habitants… » a vécu et travaillé
du barrage de Birecik sur l’Euphrate, Si une nouvelle ville a été construite cinq ans en Turquie,
en 2000, annonce le sort qui attend la à une dizaine de kilomètres de là pour avant d’être arrêté au
cours de son reportage
ville de Hasankeyf, elle aussi condam­ accueillir les déplacés, la plupart ont sur Hasankeyf, et
née à la submersion lorsque le barrage préféré quitter la région. Les lieux ne finalement expulsé.
d’Ilısu sera achevé sur le Tigre (voir sont pourtant pas complètement Il est aujourd’hui
basé à Paris.
le reportage pages 100 à 111). désertés, le gouvernement turc enten­
« L’idée de faire un parallèle entre ce dant y encourager le tourisme.
qui se passe, du côté turc, sur les deux « J’ai vu des bateaux débarquer, se
fleuves de l’ancienne Mésopotamie souvient le photographe. L’ambiance
me semblait importante, explique était très festive ; les touristes dansaient
Mathias Depardon. Quasiment tout le sur une musique folklorique en
village de Savaşan a été submergé, arrivant sur le site. J’étais assez choqué.
sauf une rue fantôme, en surplomb Je ne comprenais pas que l’on puisse
de la mosquée. À l’exception d’un café, simplement visiter ce lieu comme un
il n’y a plus aucun signe de vie. Vous parc d’attractions sans âme. »

146 N A T I O N A L G E O G R A P H I C PHOTOS : MATHIAS DEPARDON, INSTITUTE (EN HAUT) ; BENJAMIN GIRETTE


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