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CAHIERS

DU CINÉMA

140 ★ REVUE MENSUELLE DE CINÉMA • FÉVRIER 1963 */ 140


Cahiers du Cinéma
N O T R E C O U V ER TU R E
F E V R IE R 1963 TOM E X X IV . — N« 140

SOMMAI RE
Yves Kovacs ................... Entretien avec Robert Bresson ............... 4

Lotiis Marcorelles ......... L’expérience Leacock .................... ........ 11


Louis Marcorelles et An­
dré S. Labarthe ......... Entretien avec Robert Drew et Richard
Leacock ........................................ 18

14-18 d e J e a n A u re l ( Z O D I A C ) .
André S. Labarthe ......... Rencontre avec Arthur Penn ............... 28
Jean Douchet et André
S. Labarthe ............... Tours 1962 ................................................. 34

Les Films

Paul Vecehiali ................ Les cinq fils Hammond (Coups de feu


dans la Sierra) ..................................... 47

Claude-Jean Philippe .. Au commencement était le verbe (Mira­


cle en Alabama) ..................................... 50

Jean-André F ie sc h i......... Où finit le théâtre... (The Philadelphia


Story) .................................. .— 52
François Mars ................ Jean qui grogne et Jean qui rit (Le Monde
I comique d’Harold Lloyd, Le Mécano de
la Générale).
Notes sur d ’autres Films (Billy Budd, La Mémoire courte, Tartes à la
crème) ................................................................................. .............. -58
Ne m a n q u e z p a s d e p r e n d r e
p a g e 16 *
LE C O NSEIL D ES D IX
Les dix meilleurs films de l’année .............................. ............. . 1
Petit Journal du Cinéma ............................ ............ ................. 37
Films sortis à Paris du 12 décembre 1962 au ? janvier 1963.,.---- 60

Chronique de la T.V. ........................................................................ . 62

C A H IE R S D U CIN E M A , rev \ie m e n s u e lle d e C in é m a


Rédacteurs en chef : J a c q u e s D o n io l-V a lc ro z e e t E ric R o lim e i
146. C h a m p s -E ly s é e s , P a r i s (8a) - E ly sées 05-38
Tous droits réservés — Copyright by les Editions de ['Etoile
LES10MEILLEURS
FÎLMSD
E L'AHNéE

H enri A g el. — (Par ordre alphabétique) A d o ra b le m enteuse ; L e Caporal épinglé ; C oups


de feu dans la Sierra ; L a Fille à la valise ; H atari ; Les M araudeurs attaq uent ; Miracle en
A labam a ; L e Procès ; L es Quatre Cavaliers d e l’Apocalypse W est S ide Story.
A lexandre Asiruc. — (Par ordre alphabétique) A dorable m enteuse ; L e Caporal épinglé ;
L e Fleuve sauvage ; L adies’Man ; Lea M araudeurs attaq uent ; Les Quatre Cavaliers de l’A p o ­
calypse ; Le Signe du Lion ; T e m p ê te à W ash ing ton • V a n in a V an ini ; Vivre sa vie.
Michel A ubriant. — 1. L ’H om m e qui tua Liberty V alance ; 2. T em p ê te à W ashington ;
3. Jules et Jim ; 4. A travers le m iroir ; 5. Coups de feu dans la Sierra ; 6. W est Side Story ;
7. V ivre sa v ie; 6. Breakfast at T iffa n y ’s ; 9. L 'E clipse ; 10. V îridiana.
Jean de Baroncelli. — (Par ordre alphabétique) A travers le miroir ; Cléo de cinq à sept ;
Coups de feu dans la Sierra ; Electra ; Jules et jim ; Le Procès ; T em p ê te à W ashington ;
U n cœ ur gros comme ça ; V îridiana ; W est Side Story,
Claude Beylie. — 1. V a n in a V a n in i ; 2. L e Procès ; 3. H atari ; 4. Cléo de cinq à
sept ;; 5. Le Signe du Lion ; 6. Le Rendez-vous de m inuit ; 7. L e Caporal épinglé ; 8. T e m ­
pête à W ashin gton ; 9. Les M araudeurs attaq uent.
JeaniLôtlis Bory, — {Par ordre alphabétique) L ’Amoui' à vingt ans (W aida) ; Cléo de cinq
à sept ; C oups d e feu d an s la Sierra ; H atari ; Jules et Jim ; T em p ê te à W ashin gton ; V iri-
d ian a ; V ivre sa vie ; W est Side Story.
Pierre B raunberger. — 1. Jules et Jim ; 2. Vivre sa vie ; 3. Le Procès ; 4. L ’A m our à
vingt ans {Truffaut) ; 5. Le Caporal épinglé ; 6. Electra ; 7. C oups de feu d an s la Sierra ;
8. L e Signe d u L ion ; 9. L ’A m a q u e u r ; 10. L ’Eclipse.
Jean Collet, — ]. V ivre sa vie ; 2. A . travers le miroir ; 3. L 'H o m m e qui tua Liberty
V alance ; 4. Splendor in th e Grass ; 5. Jules et jim ; 6. V iridiana ; 7. H atari ; 8. Cléo d e
cinq à sept ; Education sentim entale ; L e R endez-vous d e m inuit,
P hilippe de Cornes. — I. L e F leuve sauvage ; 2. Jules et Jim ; 3. L ’h om m e qui tua
Liberty V alance ; 4. Education sentim entale ; 5. L e Signe d u L ion ; 6. Coups d e feu dans la
Sierra ; 7. L es M araudeurs attaq uent ; 8. E va ; 9. Les Oliviers d e la Justice j 10. V a n în a
V anini.
Jean-Loais Comolfi. — 1. V a n in a V a n in i ; 2. H atari ; 3. L e Caporal épinglé ; 4. T e m p ê te
à W ashingto n ; 5. V ivre sa vie ; 6. E ducation sentim entale, L e Signe d u Lion ; 8. L ’H o m m e
qui tua Liberty V alance ; 9. Les M araudeurs attaquent ; 10. Les Q uatre Cavaliers de T A po-
calypse.

1
M ichel Delahaye. — I. H atari, Splendor in the Grass, V ivre sa vie ; 4. L e Fleuve sauvage,
V a n in a V anini, V iridiana ; 7, Jules et Jim, Le Signe d u L ion ; 9. A travers le miroir, Miracle
en A lab am a.
Jctcçf.xes D e m y . — (En désordre) Splendor in th e Grass ; L e Signe d u Lion ; V ivre sa vie ;
Cléo de cinq à s e p t ; Jules e t Jim ; V iridiana ; H atari ; W e s t Side Story ; U ne grosse tête ;
Le Procès,
Jean D om archi. — I, Le Fleuve sauvage ; 2. Les M araudeurs attaqu en t ; 3. T h e L ad ies’
M an, T h e R om an S pring of Mrs Stone, T e m p ê te à W ash ing ton ; 6. V a n in a V anin i ; 7-
Breakfast at T iffa n y ’s ; 8. Coups de feu dans la Sierra ; 9. D oux oiseau de jeunesse ; 10, Les
Q uatre Cavaliers d e l ’Apocalypse.
Jacques D oniol-Valcroze. — 1. V iridiana ; 2. Le Fleuve sauvage ; 3. Boccace 70 (Vis-
conii) ; 4. H atari ; 5. Jules et Jim, V ivre sa vie ; 7. A travers le m iroir ; 8. L 'A rn a q u e u r ;
9. L ’Eclipse ; 10. T h e M ançhurian Candidate.
B ernard Dort, — I. V iridiana ; 2. A travers le m iroir ; 3. Cléo de cinq à sept, P rim ary ;
5. L e Procès ; 6. L a Main dans le piège ; 7. Jules et Jim , L e C om bat dans l’île ; 9. Divorce
à l ’italienne ; 10. U ne fille a parlé.

Jean D ouche t. — 1, Le Caporal épinglé, T e m p ê te à W ash ing to n ; 3. Les Q uatre Cavaliers


de l ’Apocalypse, V anin a V anini ; 5. H atari ; 6. Les M araudeurs attaquent ; 7. E ducation
sentim entale, Vivre sa vie ; 9. Boccace 70 (Visconti) ; 10. L e Signe d u Lion.

Jea n -A n d rê Fieschi. — I. V an ina V an ini ; 2. L e Caporal épinglé, Hatari, Vivre sa vîe ;


5. L ’H om m e qui tua Liberty V alance ; 6. Le Signe d u L ion ; 7. Boccace 70 (Visconti) ;
8. L e Fleuve sauvage ; 9. A nnées d e feu ; 10. E ducation sentim entale,

Claude de Gioray. — (Par ordre alphabétique). C oups d e feu dans la Sierra ; Le Fleuve
sauvage ; H atari ; Jules et jim ; Miracle en A la b am a ; L e Procès ; L e Signe du L ion ;
S plendor in the Grass ; V iridiana j V ivre sa vie.

Jean-L,uc Godard. — i. H atari ; 2. V a n in a V a n in i ; 3. A travers le miroir ; 4. Jules et


Jim ; 5. L e Signe d u Lion ; 6. V ivre sa vie ; 7. A n n ées d e feu ; 8. Doux oiseau de jeunesse ;
9. U n e grosse tête ; 10. Coups de feu dans la Sierra.

Fereydoun H ooeyda. — (Par^ ordre alphabétique) A n n ées de feu ; Education sentim entale ;
Eva L e Fleuve sauvage ; L'Invisible Docteur M abuse ; Jules et Jim ; Le Procès ; L es
Q u atre Cavaliers de l'A pocaîypse ; Le Signe d u L ion ; V ivre sa vie.
Pierre K<ist^ — I. Jules et Jim, A travers le miroir, V irid ian a ; 4. V ivre sa vie, Le F leuve
sauvage L ’Eclipse, Boccace 70 (Vîsconti), L*Am our à v in g t ans (Truffaut); 9. L a Main
dans le piège ; 10. Le Rendez-vous de m inuit.
A n d r é S . Labarthe. — I. V iridiana, V ivre sa vie ; 3. Le C aporal épinglé ; 4. T h e L ad ie s’
M an, Le Procès, Le Signe d u Lion ; 7. L ’H o m m e qu i tua Liberty Valance, Miracle en
A labam a ; 9. Coups de feu dans la Sierra, H atari.
Pierre Marcabru. — (Par ordre alphabétique) : A d o ra b le m enteuse ; A travers le m iroir ;
Cléo de cinq à sept ; Coups d e feu dans la Sierra ; E ducation sentim entale ; Le Fleuve s a u ­
vage ; T h e Ladies' M an • Le Signe d u L ion ; T o o L ate Blues ; V ivre sa vie.

Loujs Marcorelles, — 1. L ’Eclipse ; 2. Lolita ; 3. P rim ary ; 4. L e Caporal épinglé ; 5. L e


Signe d u Lion ^ 6. Breakfast at T iffan y’s ; 7. T o o Late Blues ; 8. U n e fille a parlé ; 9. Boc­
cace 70 (Visconti) ; 10. Les Sept Péchés capitaux (Godard).
M ichel M ordoré. — (Par ordre alphabétique) : A n n ées de feu ; Le Caporal épinglé ; E d u ­
cation sentim entale ; Le Fleuve sauvage ; T h e L ad ies’ M an ; .L’Œ il du Malin ; L e Rendez-vous
de m inuit ; L e Ror des rois ; Le Signe du L ion ; V ivre sa vie.

François M ars. — 1. U n ooeur gros com m e ça ; 2. Le Procès ; 3. Jules et Jim ; 4. W e s t


Side Story ? 5. T h e Ladies* M an ; 6. L ’E m p ire de la n u it ; 7. Le C œ u r battant ; 8. V ivre sa
vie ; 9. M itraillette K elly ; 10. L es « Scopitones » (A lexandre T arta).

Claude Mauriac. —- I. V iridiana ; 2. U n cœ u r gros com m e ça ; 3. V ivre sa vie ; 4. Jules


et Jim ; 3. L ’Eclipse ; 6, W e s t Side Story ; 7. A n n é e s d e feu 8. C oups de feu dans la
S ierra ; 9. Regard sur là folie ; 10. Prim ary.

Jean-Pierre M elvtlîe. — 1. L a R u m eur ; 2. W est S ide Story ; 3. U n, deux, trois ; 4. L 'A r n a ­


q u e u r ; 5. L e Signe d u Lion ; 6. Lolita ; 7. Splen dor in the Grass ; 8. Le Jour le plu s
long ; 9. T em p ê te à 'W ashington ; 10. Doux oiseau de jeunesse.

2
Luc M oullet. — I. A dorable m enteuse ; 2. L a F ille _à la valise ; 3. Les H onneurs d e la
guerre ; 4. Hercule à la conquête de l'A tla n tid e ; 5. V ivre sa vie ; 6. Le Fleuve sauvage ;
7. A nnées de feu ; 8. Le Signe d u L ion ; 9. Cléo de cinq à sept ; 10, Education sentim entale.
Claude-Jean P hilippe. — 1. Hatari ; 2. V ivre sa vie ; 3. Miracle en A labam a ; 4. L ’H om m e
qui tua Liberty V alance ; 5. Le Rendez-vous d e m inuit ; 6. V îridiana ; 7. T em p ê te à
W ashington ; 8. Splendor in the Grass ; 9. Education sentim entale ; 10. Eva.
A la in Resnais. — (Par ordre alphabétique) Cléo de cinq à sept ; Coups de feu dans^ la
S ierra ; L a Dénonciation ; L ’Eclipse ; Les H onneurs de la guerre ; Jules et Jim ; Le Procès ;
La R um eur ; V ie privée ; V ivre sa vie.
Jacques R ivetie. — (Par ordre alphabétique) : A n n ées d e feu ; A travers le m iroir ;
L ’Eclipse ; Jules et Jim ; Miracle en A labam a ; Splendor in th e G rass ; T o o L ate Blues ;
V a n in a V a n in i ; V iridiana ; V ivre sa vie.
Eric R ohm er, — î. 'Le Caporal épinglé ; 2. H atari ; 3. V ivre sa vie ; 4. Boccace 70 (Vis-
conti), E ducation sentim entale ; 6. Jules et Jim ; 7. Cléo de cinq à sept ; 8. Le Rendez-vous
de m in u it ; 9. Breakfast at T iffa n y ’s ; 10, L A m o u r à vingt ans (w ajd a).
Jacques Rozier. — '(Par ordre alphabétique) L ’A rn a q u e u r ; L ’Eclipse ; Les H onneurs de
ja guerre -, J u le s ' e t Jim. * T h e Laaies’ 'Man ; T e m p ê te à W ashington ; T o o L ate Blues ;
V iridiana ; V ivre sa vie ; W est Side Story.
Georges Sadoul, — (Sans ordre préférentiel et p a r pays), E spagne : V îridiana, ; Grèce :
Electra ; Italie : L ’Eclipse Pologne : U n e fille a parlé • Suède : A travers le m iroir ;
U .R .S .S . : Ciel pur ; U .S .A . : P rim ary ; M ultinational : L e Procès ; France.{ex aequo) : Cléo
d e cinq à sept. V ivre sa vie.
Jacques Siclier. —: T. H atari ; 2. V ivre sa vie ; 3. E ducation sentim entale ; 4. V iridiana ;
5, T h e L adies’ M an ; 6. A travers le m iroir ; 7. Boccace 70 (Visconti) ; 8. Le Signe du Lion ;
9. Les H onneurs de la guerre ; 10, Hercule à la conquête de l'A tlantide.
Bertrand TaVernier, — 1. L 'H o m m e qui tua L ib e rty V alance ; 2. Le Fleuve sauvage, T h e
L adies’ M an ; 4, A nnées de feu ; 5. D oux oiseau d e jeunesse ; 6. H atari ; 7. E ducation senti­
m entale ; 8. Hercule à la conquête de l ’A tlan tid e ; 9. L es T ita n s ; 10. W est Side Stoiy.
François IVeyergans. — I. H atari : 2. V ivre sa vie ; 3. Jules et Jim ; 4. L e Procès ;
5. V an in a V anini ; 6. Splendor in the Grass ; 7. A travers le m iroir ; 8. Cléo d e cinq à sept ;
9. L e Signe d u Lion ; 10. V iridiana.

Le choix a porté sur les jilm s sortis à Paris en 1962. O n t été exclus les com plém ents
de program m e, c ’est-à-dire grosso m odo tous les courts métrages. E xception a été faite
p ou r les jilm s de brève durée qui, groupés, constituaient la partie essentielle d ’u n spec­
tacle, E xe m p le : les œ uvres d e Drew-Leacocl^, de R uspoli, o"j les sketches, considérés
isolém ent, de Boccace 70, d es Sept P échés capitaux, de L ’A m our à vingt ans, etc. Dans
ce dernier cas, nous avons fa it sutore le titre d u lo n g m étrage d u nom de l’auteur du
sfcetch élu.

Nous invitons nos lecteurs à nous adresser, avan t le 15 février, leurs propres listes,
afin J e nous permettre d'établir 'un palm arès que nous serons heu reu x de confronter avec
celui des CAHIERS. J V o u s espérons qu ’ils voudront bien se plier à la règle indiquée cî-des-
siis, m ê m e si , d u fa it de leur situation en province ou à l ’étranger, ils o n t p u voir des
film s q u i ne furen t pas projetés Van dernier dans les salles d ’exclusivité parisiennes.
P o u r éviter toute erreur, ils voudront bien se reporter a u x listes que nous publions cha­
que mois. JI conüienda, toutefois, d ’exclure de celles-ci les diverses « reprises » qui ont
eu lieu e n 62.

N ous avons désigné les film s par leur titre français, sauf lorsqu'il s’écarte trop de
l ’original ou; que celui-ci l’a supplanté dans l ’usage.

3
ENTRETIEN

AVEC

ROBERT
BRE SSON

par Yves Kovacs

l e s propos gui vont su ivre ont été enregistrés au m a g n é­


tophone, Je 6 octobre 1962 au M ans, lors d'une présentation
publique du Procès de le a n n e d'Arc, organisée p a r V Aca­
démie du Maine.

J'ai fait Procès de Jeanne d'Arc avec beaucoup d'amour, un grand respect
pour Jeanne d'Arc, une grande circonspection. Comjne d'habitude, je ne me suis
pas servi d'acteurs professionnels. Il n'y a pas de mimique, pas de mise en scène.
C'est d'une très grande simplicité. J'aimerais surtout que mon film donne un
portrait ressemblant de la surprenante jeune fille.
— Comment avez-vous eu i'idée de tourner cette nouvelle Jeanne d'Azc ?
— J'avais relu, par hasard, les minutes du Procès de Condamnation. Comme
vous le savez, une copie nous en a été conservée. Elle se trouve à la Bibliothèque
de la Chambre. Quicherat, puis Champion, l'ont publiée. J'ai tout de suite eu
envie et résolu de faire un film qui, j'insiste là-dessus, serait composé unique­
ment des questions et des réponses authentiques contenues dans ces minutes.

4
— Le regard de Jeanne, par sa pureté extraordinaire,1 et son éclat, possède
à la fois une intensité fascinante et une émouvante grandeur. Voulez-vous expri­
mer par le constant duel de regards entre Jeanne et l'évêgue Cauchon ïe combat
sans merci du Bien et du Mal, Je visage de C-auchon étant une incarnation parti-
culièrement inattendue du M al?

— Je n'ai pas eu ces préoccupations-là. Mes préoccupations furent d'abord


d'écrire sur le papier les paroles de Jeanne et de ses juges propres à échafauder
le iilm. Chaque film nouveau pose des problèmes nouveaux, entièrement différents
de ceux que posaient les films précédents. Mon premier problème fut celui d'un
film tout entier en questions et en réponses... Les paroles qui m'étaient données
et qui comportaient un assez grand nombre de redites, je les ai condensées, afin
de n’en conserver presque que l'essentiel. Quelquefois, j'ai changé un peu leur
ordre. Je les ai rythmées. Le particulier de ce film est que le rythme des paroles
a entraîné le rythme des images. Il est très juste de dire que, sans toucher à une
plume, Jeanne d'Arc a écrit un livre, et que ce livre est un chef-d'œuvre de notre
littérature. La lecture augmente notre impression que Jeanne n'était pas (ou
n'était déjà plus, à Chinon) la petite paysanne gauche de la légende. Ce qui
n'empêchait pas sa noblesse d'être « née en pleine terre », ainsi que Péguy le

Florence Carrez dans Procès de Jeanne d’A rc.

5
dit de sa sainteté. Te la vois comme un être supérieur. Elle nous convainc, mieux
que les miracles, de ce inonde où elle pénétrait avec une prodigieuse facilité.
— Votre Jeanne d'Arc donne ïimpression de dominer ses juges ef Je fribunaJ,
et même, au début du procès, de les mépriser. Maïs en même temps, elle ne peut
dissimuler sa faiblesse et sa peur. Etait-elle vraiment aussi humaine ?
—- II semble qu'elle ait toujours cru qu'elle serait délivrée. Ses voix le lui
avaient promis. Mais cette délivrance prendra un autre sens, sera d'une autre
sotte, à la lin, soit par un miracle, soit par la victoire de ses partisans. Le der­
nier matin, l'annonce de scr mort la stupéfie, la rend folle. Il semble aussi qu'elle
ait été terrorisée, à la pensée d'être mise en cendres.
— Est-ce délibérément que vous avez établi le destin de Jeanne parallèle à la
Passion du Christ ?
— Vous savez que l'analogie de sa passion avec la Passion du Christ a
été remarquée depuis longtemps. Certaines paroles de Jeanne font ainsi penser
à l'Evangile : « Je le dis, afin que, le moment venu, on se souvienne que je
l'ai dit' », « Au nom de la Voix vient la Clarté », etc.
— Mais est-ce que J’crftifude du père dominicain, gui vient dans Ja cellule
pour dire or Jeanne de se soumettre, ne peut pas, sinon être assimilée à ceJie de
I'évêgue Cauchon, du moins être considérée comme une des formes complémen­
taires du mal, de sa forme la plus insinuante ?
— Il lui demande seulement de se soumettre au Pape et au Concile. Il
voudrait la sauver, mais il en est incapable lui-même.
— L'envol des colombes, lors de la mort de Jeanne, n'est-il pas pour vous,
un symbole ?
— Les pigeons qui se posent sur le vélum de la tribune pendant qu'on brûle
Jeanne, puis qui s'envolent, figurent simplement la vie, parmi des spectateurs
figés. De même, l'horloge de l'église voisine tinte comme d'habitude. De même,
le chien qui circule. Dans les villes, pendant les cérémonies publiques, il y a
souvent un chien qui traverse. Les animaux ont conscience qu'il se passe quelque
chose d'insolite, Je n'aime pas créer des symboles. Je les évite autant qu'il m'est
possible. Mais le public en découvre toujours à profusion.
— Après avoir vu votre Procès de Jeanne d'Arc, on peut se demander si Je
tilm de Dreyer n'est pas avant tout un îilm d'esthètet aux cadrages figés et aux
images très symboliques. Vous avez dit récemment que le jeu des acteurs de ce
film vous paraissait grimaçant. Ce qui me semble expressionniste, dans La Passion,
de Jeanne d'Arc, ce n'est pas Je jeu de Falconefti, mais Je jeu des juges et surtout
Ja mise en scène de Dreyer. Qu'en pensez-vous ?
— Dreyer, en intériorisant les personnages de ses films, a particulièrement
bien servi le cinématographe. Sa Passion de Jeanne d'Arc a d'immenses mérites,
surtout si on songe à l'époque où le film fut tourné. Ce film touche encore une
grande partie du public. C'est très remarquable, même s'il le touche avec des
moyens qui ne sont pas toujours cinématographiques. L'ensemble, bien qu'il me
paraisse (à moi) assez théâtral (décors, gestes, mines) exerce encore une séduction
incontestable, que je suis incapable d'expliquer. Le geste de Jeanne' qui ramasse
la corde et la tend au bourreau est théâtral et beau...
— Quelle est pour vous l'actualité de ce Procès de Jeanne d'Arc ?

6
Procès de Jeanne d ’A rc.

— Tous les procès de tous les temps se ressemblent, quand ce ne serait que
parce qu'il y a toujours un accusé et des juges.
— Le sujet des Anges du péché était spécifiquement chrétien. Vous aviez
Je projet, par la suite, d'un iilm sur Saint Ignace de Loyola, qui n'a pas abouti,
Plus tard, après le Journal d'un curé de campagne et Un condamné à mort s'est
échappé, vos deux autres projets, Je premier sur « La Princesse de Clèves », Je
second sur « LanceJof du Lac », n'ont pas abouti non plus. Ne tentiez-vous pas là,
de même qu'avec Pickpocket, d' « élargir » votre univers ? Est-ce que le retour
à un sujet d'inspiration chrétienne correspond pour vous à une évolution prémé­
ditée ?
— le pense que, pour moi, tout l'univers est chrétien. Je ne vois pas un sujet
qui paraisse moins chrétien qu'un autre.
— Mais le fait même de choisir des sujets suscepfibies d'une audience plus
large, par exemple le Condamné à mort, n'étaït-ce pas pour vous Je désir de tou­
che r un nouveau pubjic ?
— La notion de public m 'a été pendant longtemps tout à fait inconnue. Il
est probable que plus on travaille pour soi, plus on touche un large public, contrai­
rement à ce que pensent la plupart des producteurs.
— Pourguoi Je thème de la prison est-il presque constant dans vos films ?
— Je ne m'en étais pas aperçu. Peut-être parce que nous sommes tous des
prisonniers.

7
— Toutes les oeuvres des grands chrétiens contemporains, je pense à Claudel,
à Mauriac, à Bernanos, mais aussi, bien sûr, à des cinéastes comme EosseUini
ef cr Dreyer, sont des œuvres profondément incarnées. Je veux dire quelles s'ins­
crivent dans un milieu extrêmement précis. Pourtant, votre univers tend de plus
en plus à s'épurer. Ne pensez-vous pas que Je public soif davantage sensible à
une réalité, disons « saignante », de la vie, et qu'ij accède ainsi plus facilement
à un univers spirituel ?
— Hoffmann disait de l'un de ses Contes : « Le théâtre des opérations a été
transporté à l'intérieur des personnages ». L'important, ce qu'il faut attraper, ce
n'est pas l'extérieur, c'est l'intérieur. D'ailleurs, il n'y a pas d'extérieur. Ou plutôt,
il y a, autant d'extérieurs qu'il y a de paires d'yeux dans le inonde pour le regar­
der. La croyance qu'il n'existe qu'une seule et unique vision des choses est
absurde. Les méthodes actuelles de films à la chaîne encouragent ‘cette absurdité.
Il faudrait qu'il y ait de moins en moins de metteurs en scène, et de plus en
plus d'auteurs de filins. Il y en a parmi les jeunes. C’est sur eux qu'il faut miser.
Je crois à l'avenir des films faits en dehors de la production officielle, avec des
appareils (caméra et magnétophone) peu coûteux, loin des studios terriblement
contagieux.
— Pensez-vous, comme Mallarmé, que le fait d'incarner des personnages
signifie obligatoirement Jes déprécier?
— J'en ai très peur. J'ai dit un jour que le cinématographe était l'art de ne
rien montrer. C'est affaire de lumière et d'ombre. Il faut beaucoup d'ombre...
— Quelle est votre conception de l'émotion au cinéma ?
— Procès de Jeanne d'Arc m'a enseigné, ou plutôt m 'a fait mieux comprendre
que l'émotion du public, et aussi l’émotion que nous ressentons nous-même, est
signe de Vérité. Dans les films historiques, où tant de choses sont incertaines,
l'émotion devrait être notre seul guide. Il n'est pas si étrange que, dans nos films,
plus nous éloignons les personnages historiques de leur époque, plus nous les
rapprochons de nous, et plus ils sont vrais. Le cinématographe attrape ce qui
est au moment même. Il serait ridicule de prétendre que j’ai placé m a caméra
cinq siècles en arrière.
— Votre écriture cinématographique est de plus en plus simplifiée. Vous
faites de pJus en plus appel au montage, alors que Je cinéma moderne, en prin­
cipe, s'exprime surtout par Je plan-séquence, qui cherche à épouser tous les gestes
des personnages. Est-ce, de voire part, une volonté de réaction contre cette ten­
dance, ou pensez-vous que Je montage garde encore foute sa force ?
— Je ne peux pas tout vous expliquer. Je sors peu, et vais rarement au
cinéma, comme on dit. Je ne connais pas bien les tendances. En gros, il ne s'agit
pas, pour moi, de faire jouer des acteurs (professionnels ou non-professionnels)
et de les photographier, mais de prendre, aux êtres et aux choses, des morceaux
de réel, de les isoler, de les rendre indépendants, et de leur donner un autre
ordre, une autre dépendance. L'importance du « montage » est évidente, puisque
c'est seulement au moment où images et sons entrent en contact, prennent chacun
leur place, que le film naît. C'est le film qui, en naissant, donne vie aux person­
nages, et non les personnages qui donnent vie au film.
— C'est donc pratiquement tout Je cinéma que vous récusez?
— Je ne récuse rien. Je prends plaisir à toutes sortes de films.

8
Procès de Jeanne d'A rc.

— N'est-il pas possible d'arriver à saisir une vérité profonde des êtres, grâce
à des techniques modernes , celle, par exemple, de la caméra Coûtant ? Dans Vivre
sa vie, Jean-Luc Godard, cherche à saisir 2a vérité des êtres , non pas par l’inté­
rieur, comme vous le laites vous-même, mais par ïextérieur des personnages , seion
sou expression. Qu'en pensez-vous ?
— Je ne crois pas beaucoup à ce procédé, bien qu'on puisse atteindre, par
moments, mais pas d'une façon régulière, à quelque chose de surprenant. Mais
je crois qu'il faudrait retrouver dans les films ce qu'il y a d'automatisme dans la
vie, par opposition au théâtre, où chaque geste est surveillé, où chaque parole
est pensée. Pour moi, dans mes films, gestes et paroles servent surtout à provo­
quer ces choses ou cette chose qui est l'essence du film. Mieux que le roman,
le cinématographe peut être un moyen de découverte. '
— Aimez-vous Jes films de Mizoguchi ?
— le n'en ai vu qu'un, dont je ne me rappelle pas le titre. Je l'ai aimé. Ce
Japonais avait un certain sens du cinématographe, indéfinissable, rare, que pos­
sède un Cocteau, ou, dans un autre ordre de films, un Godard, un Truffaut, un
Louis Malle, les jeunes dont je vous parlais tout à l'heure, en dehors de toute
fabrication et de toute convention.
— 11 y a un détail biographique assez confroversé. On a dit que vous aviez
commencé votre carrière comme assistant de René Clair. Est-ce vrai ?

9
— ï'ignore qui a inventé celcr N'importe qui peut dire n'importe quoi de
n'importe qui... Il semble que plus rien n'ait d'importance.
— Vous avez été peinfrc avant d'être cinéaste ?
— C'est-à-dire que je suis peintre. On ne peut pas avoir été peintre et ne
plus l'être.
— De quels peintres vous sentez-vous le plus proche maintenant ?
— De tous ceux qui n'ont pas suivi ou ne suivent pas une mode. Te crois
que j'aime tous les grands peintres. Je n'ai pas de préférence. J'aime la peinture-
peinture. La peinture abstraite est trop souvent décorative. Mais je ne connais
rien de plus abstrait que Vermeer. Toute peinture (comme tout film) est forcément
abstraite..
— QueJ est le film que vous préparez actuellement ? Vous m'crvez dit tout
à l'heure que vous prépariez un film ?
— Dois-je vous le dire ? Non, je ne crois pas. le ne peux pas le dire, parce
que c'est quelque chose de très difficile. Il est possible que je n'y arrive pas.
Et j'aurais l'air vraiment bête, si je parlais de quelque chose que je ne ferai pas.

(Propos recueillis au magnétophone.)

Procès de Jeanne d'Arc.

10
L ’E X P É R I E N C E LEACOCK

par Louis Marcorelles

Si l'on met de- côté cette sorte de « degré zéro » de l'écriture ciném atographique q u e
représente la leductio a d a b su td u m de V A n n é e dernière à Marienbctd, la tend ance du ciném a
moderne, depuis 1945, aura: consisté à p ou sser toujours un p eu plus loin la q uête d e réalism e.
A la vraisem blance du ciném a d'avant-guerre, s'o p p o sa le néo-ré alism e des Italiens, étiquette
assez g é n éra le pour recouvrir des personnalités très diverses, mais assez précise p our indiquer
qu'il s'agisscât d 'u n retour a u réel où des décors et p a rle rs naturels, des acteu rs non profes­
sionnels, le refus de la dram aturgie habituelle, renouvelaient le stock de conventions à la
disposition du m etteur en scène. L'expérience ten tée p a r Hichard Leacock et ses collaborateurs
d e l'équ ipe Drew Associates pour définir u n ciném a encore plus urgent, plus étroitement r a tta c h é .
a u réelr c e q u e Robert Drew a p p elle du » journalism e filmé i et Leacock du « ciné-reportage »,
recule les limites du réalism e a u ciném a et devrait, d a n s un av enir proche, ouvrir u n cham p
tout neuf d'investigation a u ciném a rom anesque, dom aine q u e notre * Nouvelle V ague » vient
à peine d e commencer à explorer.

&&

Richard Leacock a exprim é ï d m êm e (C ahiers du C iném a, avril 1959) l'enthousiasm e q u 'a v ait
suscité en lui u n e nouvelle cam éra inventée p a r le m etteur en scène du PeJif Fugitif J Morris
En gel, pour tourner avec une plus g ra n d e liberté son troisièm e film W edding a nd Babies :
« J'a i aliaire à un gran d film rom anesque film é sur pellicule 35 m m ordinaire, a v ec son en
direct, sa ns truquage. Le dialogue a éïé enregisfré da n s un tas d ’endroits diiîérents, notam m ent
da n s les rues de N ew York à l'occasion d “«ne fê te italienne ; et san s entraver de façon sensible
le déroulem ent de la vie habituelle de ce quartier, » Leacock n 'av ait p a s été le dernier à
céléb rer la petite révolution introduite d a n s les m éthodes de tournage p a r le néo-réalism e (il
adm irait particulièrem ent Deux sous cf espoirj ; * Cela perm ettait de tourner n!importe où, sa n s
être esclave d e s encom brantes cam éras sonores ou dérangé par les « bruits indésirables
Mais c était une spontanéité créée p a r l'habile application de ce que je ne puis a p p ele r au trem ent
qu'une technique agonisante. *■ Ces deux extraits m ontrent bien que, pour lui, le problèm e du son
était prim ordial : il y avait un étroit rapport entre le son et l'im age qu'on n e pouvait qu'artificiel­
lem ent recréer en. studio.

Jean Rouch, à p eu p rè s à l a même époque, entreprenait La Pyramide hum aine et s'a rrac h a it
les cheveux, calé sur le siège arrière d 'un e voiture à A bidjan, de ne pouvoir enregistrer en
direct synchro la discussion très vive qui s e poursuivait à l'a v a n t entre N adine et u n de se s
c hev aliers servants. Rouch n e visait p a s et n 'a jam ais visé les mêmes buts qu e Leacock, il
n 'y a p a s, comme le croient les nigauds, u n p arad is, ou un enfer du * cinéma-vérité * où Rouch,
Ruspoli, Leacock et q uelques autres, dan seraient une sa ra b a n d e effrénée pour enterrer le bon
vieux ciném a d es familles. 11 y a a u départ, chez Rouch comme chez Leacock, le sentim ent très
vif q u e certaines conventions dans le récit, le jeu des acteurs, sont périm ées, et que la suppres-

11
Football, production Drew Associates, tournée et montée en grande partie par Claude
Fournier, transfuge de l’Office National du Film, pousse jusqu’à l’absurde l’expérience
Leacock par une fragmentation extrême du récit, et surtout l’utilisation de bribes de dia­
logue intensément vécu, A un tel degré de vérité, on attend le film romanesque, le dépas­
sement de ce super-réalisme pour la création de personnages.

sion d e c es conventions exige d e nouvelles techniques. M ais, ces données communes établies,
la dém archa d es deux cinéastes se différencie nettem ent, le s buts poursuivis divergent a u ta n t
qu e faire s© peut.

Pour Houch le ciném a est un instrum ent de communication, communication, entre le m etteur
en scène et se s interprètes, enlro les protagonistes eux-mêm es, entre l a salle et l'écran. 11 s'a g it
d'ouvrir le plus d'yeux possibles sur u n e ré alité q u e nous m asq uent les préjugés individuels,
la routine, les conventions sociales d u moment. L eacock n e v a p a s p lu s loin, il vise clairem ent
ai Heurs, et ce texte de lui, ciîé p a r Film Culture d a n s son num éro de printem ps 1962, d e rrière
la simplicité a p p a re n te des propositions, aftirm e u n e conception révolutionnaire du ciném a, à m on
gré du moins, c a r tout le talent de l'au te u r e t le perfectionnem ent technique n'auront pour b u t
q u e de ré a lise r ce propos, comme j'essa ie rai d e l'ex pliquer en détail p a r l a suite : c Tolstoï se
représentait Je cinéaste comme un observateur et peut-être comme un participant qui capfure
l'essence de ce qui se p asse autour de lui, choisissant, a rra n g e a n t, m ais ne contrôlant jam a is
^'événement, II devenait possiM e à la signification d e l'év é n em en t de l'em porter su r les
conceptions du cinéaste, p a rce que, essentiellem ent, il ob serve cet ultime m ystère, la réalité.
De nom breux cinéastes ont Je sentiment que le b u t de la m ise en scène est de tout contrôler.
La conception de l'événem ent est alors lim itée à la conception du cinéaste. Nous n e voulons
pas im poser cette limitation à l'actualité. Ce qui se produit, l’actualité, ne connaît p a s de limite,
et ignore s a signification. Le problèm e du cinéaste est d a v a n ta g e un problèm e de communication,
Comment com m uniquer le sentiment qu'on était là ? »

On re m a rq u era bien, chez Leacock, l'a b s e n c e d e toute prétention à ren d re a u tre chose
q u e la vérité. L'accent est certes placé su r la comm unication, comme chez Rouch, m ais communi­
cation a u sen s de reproduction la plus ju ste possible d 'u n e ré alité d é jà découverte p a r le m etteur
en scène. Cette réalité, il n e l'ap prête pas, il n e l a provoque p a s, il n e crée p a s des situations :
il s e contente d e s ’intégrer à u n milieu donné, d e vivre s a n s s e faire rem arquer a v ec son ou
ses personnaqes, en quête de cette petite étincelle grâce à laqu elle se révèle u n cara ctè re.
O n voit tout de suite, dans le principe mêm e, ce qui s é p a re cette façon d 'abo rder la réalité d e

12
celle du Zavattini d es g ran d s jours, toute question d'enregistrem ent du so n en direct m ise à part :
Zavattini croit q u e l'insignifiant, le b a n al, l'inintéressant, a aussi son im portance, q u e l'ennui
d 'un e vie doit aussi ê tre l'ennui de l'écran. lea c o ck , anglais d'origine, mais tran splan té aux
Etats-Unis depuis longtem ps, n 'a q u 'à ouvrir l'œ il autour de lui pour saisir une vie en perpétuel
m ouvement. U n A m éricain, diiait-on, vit continuellement à h a u te tension. On n ’a u ra q u 'à choisir,
parm i tous c es tem ps forts, les plus révélateurs.

Une p a re n th è se pour insister su r le c aractère particulier de l'esprit anglo-saxon qui s'oppose


a u caractère latin comme a u caractère slave, est naturellem ent l'ennem i des théories, n'ép ro u vera
p a s, comme le français, le besoin d e réduire e n équation ses intuitions ou, comm e le russe, le
désir d e s e convaincre, dix fois pour une, de la justesse d 'u ne décision. La vie am éricaine est p a r
elle-même u n roman-feuilleton ; u n e recherche désesp érée du succès pousse le futur Président
des U.S.A, comme le petit co u reu r d'Indianapolis. L 'argent, la réussite, sont le nerf, le m o teu r;
perso n ne n 'e n rougit ni n e cherche à m asquer, derrière de vag ues argum ents m oraux, le caractère
d e ju ng le d e cet univers, régi p a r des rapports de force. Comme disait G odard, on n 'im agine p a s
un A m éricain n e fa isan t rien. Le ciném a d e Richard Leacock est idéalem ent a d a p té à cette
société en p erp étu el mouvement.

Qu'on ne s'im agine p a s, pourtant, qu'il s'agit de créer d u frisson à l a un e, de- faire se n sa ­
tionnel à tout prix. Des discussions avec Leacock lui-même o u avec ses amis et proches colla­
borateurs, m'ont convaincu q u e le but visé était de retrouver l'essentiel d 'u n être, ces moments
d 'a b an d o n où l'individu, trop fatigué ou très détendu, n 'a cure de se protéger a u re g ard d'autrui.
Le m etteur en scène ne cherche nullem ent à racler le fond des consciences, m ais à m ettre à nu
les motivations secrètes q u i poussent l'homme am éricain à s'e n g a g e r dans telle ou telle
direction. Chacun a se s raisons, aim e à répéter Jean Henoir, et ce sont ces raisons qu'il importe
de révéler p a r l'observation attentive du comportement individuel. Mais Leacock n 'a u ra jam ais

L o n é ly B o y , d e W o lf Ivaenig et R o m a n K ro ito r (C a n a d a ). L a vie d ’un je u n e c h a n te u r


c a n a d ie n , m é la n g e d e Jo lm iiy H a llid a y e t d ’E lvis P re sle v , q u i fait se p â m e r les b o b b y -
so x e r s a m é ric a in e s. C u rie u x c o ck ta il de c in é m a en d ire c t (su r hii p h o to ), d e c in é m a
re c o n s titu é (la r e n c o n tr e a v ec le d ire c te u r d u C o p a c a b a n a à New Y o rk ), d e c in é m a p ro ­
v o q u é (u n e b o b b y -s o x e r q u ’o n e n v o ie s u r la sc è n e a u x c ô té s d e son idole), e t d e p u r p it­
to re s q u e sty le J a zz à Newj>ort. la c o u le u r e n m o in s.

13
le détachem ent du sociologue : plus encore q u e des raisons, c'est des émotions qu'il veu t cap ter,
le mouvement même de la vie.

Q ue v a u t ce réalism e ? Ce q u e valent ceux qui le pratiquent. La m éthode en soi n 'e st rien,


seule compte l’application. Prenons Primcrry, où nous suivons su r u n e c ertain e d u rée, et assez
équitablem ent pour ce qui est de leur apparition respictive sur l'écran, le S én ateu r H um phrey
et le futur Président Kennedy. Qui est le plus sym pathique, le plus roublard, etc. ? A y a n t eu la
possibilité d e rencontrer K ennedy à W ashington, a y a n t observé H um phrey d a n s la c a g e au x lions
du Sénat, je dirai sim plem ent q u e le Kennedy très sûr d e lui d e 62 n'était p lu s le K ennedy de 60,
gauche, incertain, quoique fort h a b ile ; a u contraire Hum phrey n 'a v a it rien p e rd u d e s a ron d eu r
radicale-socialiste. Si K ennedy battit Hum phrey lors de ces élections prim aires, c'est p a r u n e p lu s
g ra n d e dép en se d'énergie, u n art plus consommé d e toucher l'électorat. Le résu ltat d es élections
qu'ignoraient Leacock, Drew et les frères M aysles a u moment où ils tournaient Piimccry, e st comme
inscrit en creux d a n s les im ages, indépendam m ent du fait q u e ce résultat était d epu is longtem ps
connu lorsque le film fut présenté. K ennedy n'hésite p a s à serrer des m illiers d e m ains.
M is. K ennedy a p p o rte son sex-appeal et deux mots de slave à u n auditoire d e Polonais ; le soir,
seul d a n s son b u reau , îe futur président est littéralem ent crevé. H um phrey p a r contre m ise
sim plem ent su r l a bonhomie, le bon sens, p a rle à ses électeurs comme le F ran k C a p ra de
Mr. D eeds et Mr. Smith.

Pour Leacock et Drew , le synchronisme sonore n'est p as seulem ent u n truc technique, m ais
u n e exigence fondam entale. D ans Êddie, u n e tribune s'écroule a u moment du d é p art, exactem ent
comme dans l a réalité, m ais le m ontage ne nous rend p a s la chose assez perceptible. Mrs. Sachs
pousse des cris a u milieu d e la course, à l'instant exact du cara m b o la g e où son m ari serait
éventuellem ent en d an g er. Cette continuité d a n s l'esp ace qui préoccupait tant Bazin devient
sim ultanéité dans le temps, sa n s qu'on puisse dire que les auteurs ont véritab lem en t résolu le
problème. Le cri de Mrs. Sachs est inimitable, il ne sau rait se produire en conjonction absolue
avec l'im age de l'accident su r l'écran. Il y a u ra toujours un décalage. Inévitablem ent, au

Mr. Levine, d’Albert et David Maysles, Portrait du dernier mogul à la mode, sorti des
slums de Boston pour parvenir au faîte de la gloire hollywoodienne. Le nouveau Samuel
Goldwyn du cinéma américain, suivi dans ses multiples activités : au cours d’une inter­
view télévisée, au Festival de Cannes, lors de la signature d’un eontrat ou d’une party
organisée en l’honneur de sa vedette, Sophia Loren (ci-dessous), évoquant des souvenirs
d’enfance avec sès anciens compagnons de misère, dans son foyer.

14
S u n d a y , d e D a n ie l R r a s in , d é c rit lin e m a n ife sta tio n d 'arm ateu rs de m u siq u ë fo lk lo riq u e à
W a s h in g to n S q u a re . L a police in te rv ie n t, s a n s c o n n a îtr e les ra is o n s d e so n actio n . A
gauch e, le m e tte u r e n sc è n e e t so n A rriflex ; le son e s t e n re g istré s u r u n m a g n é to p h o n e
p o rta tif.

m ontage, on retrouve les Irucs et ficelles du ciném a traditionnel. On bute sur u n e limitation
inhérente a u g en re qu'il faut accep îer et dont on peut esp érer seulem ent atténuer les effets
fâcheux p a r u n effoit d'intégrité.

Ce sentim ent que Leacock et s e s amis nous présentent la réalité d e certains êtres comme
jam ais au p aravan t, et q u e pourtant q u e lq u e chose fait défaut, je crois qu'il faut l'attribuer aux
insuffisances réelles du systèm e, insuffisances qui ne doivent p a s en m asq u er p a r ailleurs
l'apport décisif. Au cours de l'interview reproduite plus loin, Hobert Drew insiste su r son
intention d e réduire a u m aximum le comm entaire. M alheureusem ent, dans les films q u e son
équipe a tournés p a r la suite et q u e j'a i pu voir à New York, on est frappé p a r l'envahissem ent
de plus en plus g ran d de ce dernier, soit pour p allier certaines insuffisances de tournage, soit
pour donner une orientation plus précise à l'action. Pete a n d John nie, p a r exemple, décrit les
activités d'un chef d e g a n g portoricain à Harlem , Johnnie, que prend en charge le social w orker
noir, Pete. Richard Leacock a filmé une bonne partie du matériel, scènes de rues, réunion du
gang, veillée funèbre autour du c a d a v re d*une jeu ne victime d e la guerre des g angs. De temps
à autre, on aperçoit le dénomm é Pete, bo n Noir gran d i lui-même dans les sium s, qui a voué
s a vie à libérer ses cam arad es d e s conséquences de la misère. Pete a p p artien t à la catégorie
des réform istes; si johnnie fait d es b lag u e s, c'est qu'il n 'a p a s encore trouvé u n e âm e soeur.
A la fin du film, comme dans l a réalité, johnnie v a à l'hôpital voir s a petite am ie qui vient de
lui donner un enfant et qu'il épousera. Le m alheur veut q u e tout le film soit centré sur le point
d e vue du sociai worker. Or, la violence d es im ages v a contre les bons sentim ents du réfor­
m ateur : nous comprenons qu'on a truqué pour faire exem plaire, je dois dire q u e j'ai vu bien pire.

L'ancien opérateu r de F lah erty est le prem ier conscient du c ara ctè re dérisoire de ces p a n ac ée s
qui n 'e n sont p a s, le prem ier à critiquer sévèrem ent certains lilms du collectif D rew Associates,
comme D avv, su r u n jeu n e drogué qui subit u n e cu re d e désintoxication dans u n centre spécial
a u b ord d e la mer. Ici encore, on re lè v era q uelques p lan s très beaux, on cherchera vainem ent
u n e structure, un re g ard e n profondeur. A u moment où j'écris ces lignes l'expérience de Drew

15
Associates n 'est peut-être plus q u 'u n souvenir, si Time Inc., le bailleu r de fonds, a coupé les
vivres. Ce serait reg rettab le, m ais il y a visiblem ent u n e lacune, u n e dichotomie entre l'intensité
qu'on doit a tten d re à la prise d e v u e s de ch aq u e technicien et le c aractère collectif du travail.
La m éthode Leacock-Drew p o se comme prém isses u n e recherche forcenée d e la vérité, la volonté
en q u e lq u e sorte de débusquer, loin d e tout sensationnalism e, ]e m ouvem ent secret des êtres.
V u l a m ultiplicité des collaborations, on a u r a forcém ent u n e multiplicité d e points de v u e q u 'o n
s'efforcera de ra m e n er à l'unité p a r le m ontage. C haq ue p la n ou fragm ent d e séquence ou plan-
séqu en ce réu ssi nous donne u n e sensation de vie, d e présen ce a u réel, comme rarem ent le
ciném a nous en a fourni. Mais si, p our une m ême séquence, nous avons ainsi trois fragm ents
intensém ent vus, mais p a r trois cam eram en différents, un lég e r d é c a la g e su b sistera a u montage.
Si l'u n des o p érateu rs e st m édiocre ou m aladroit, ur\ trou a p p a ra îtra q u 'o n de v ra bien combler.
Q u elqu e chose était faux d a n s le principe, indépendam m ent d e l a ten d an ce d e plus en p lu s
m arqu ee à boucher les trous p a r du commentaire, c'est-à-dire à forcer les conclusions.

Pourquoi alors tant s'attard er sur u n e expérience qui se solde en partie p a r u n échec ?
P arc e q u e Richard Leacock, et lui d'abord, a bisn vu qu'il fallait a ller ailleurs, q u e le ciném a
devait faire p e a u n eu v e sous peine de mourir, q u e l a technique ciném atographique offrait
aujourd'hui de nouvelles possibilités, de nouvelles exigences. De s a collaboration avec Robert
Flaherty, il a visiblem ent g a rd é l a n a u sé e de tout ce qui est artifice, convention, ap prêt holly­
woodien : sta rs sur-m aquillées, décors babyloniens, é cla ira g es célestes, vedettes faisant leur
num éro. Un homme v éritable ne vit pas, n 'ag it pas, comm e un acteur d a n s u n film d'HoIIywood.
Et le fait est q u 'a p rè s av o ir vu Primary, Eddie, K enya, u n récent et en partie rem arq u able film
sur le Pandit Nehru, il est plus difficile d'accepter les conventions d e jeu habituelles du ciném a
californien. L 'idéal q u e nous proposait Max Ophuls de ce com édien am éricain qu'on mettait sur
les rails et qui filcât droit son bonhomme de chem in s a n s d év ier d'un iota, n e p araît plus
a ujourd'hui aussi satisfaisant que, p a r exemple, il y a vingt ans. En nous rapprochant des êtres,
en saisissant p resq u e leu r respiration et en ne les coupant p a s d e leu r décor ou cad re naturel,
Leacock m ène u n sta d e plus loin la révolution du néo-réalism e italien. L'homme, acteur ou p as,
fait partie d 'u n e totalité. Le cinéaste a l'obligation de ren dre cette totalité.
< t e ciném a est un arf terriblement difficile », aim e à' rép éter Richard Leacock, Certes, le
ciném a perm et d e jeter sur le mandef u n reg ard comme à c e jour aucun a u tre mode d'expression
n 'e n av ait été c ap a b le. Mais, ce faisant, il pose a u c réa te u r des exigences p resqu e impossibles
à soutenir, à comm encer p a r le refus de jongler arbitrairem ent a v ec u n e réalité qui existe a v an t
q u e nous songions à l a regarder. A u contraire d e la m usique, qui n 'a u r a jam ais d'existence
concrète, d e l a peinture qui décrit le m onde immobilisé, de l a littérature qui est d 'a b o rd
projection hors du présent, retour sur le p a ssé ou anticipation, le ciném a tire s a su b stance du
réel im m édiatem ent vécu. Son b u t est donc d e restituer le déroulem ent de ce réel d a n s toutes
se s dimensions, m ais en évitant d e confondre ciném a et réalité. Le Ciném a, l'art du mouvement,
a u ra pour but prem ier d e retrouver le m ouvem ent intérieur à trav e rs le mouvement extérieur, en
respectan t le n atu rel d e la vie et des êtres (le côté R ousseau d e F lah erty et d e ses disciples).
Techniquem ent, au x jours d& gran d e réussite, comme Leacock l'a v o u e lui-même, le cinéaste
film era pour ainsi dire en continuité u n e action q u 'il a u r a réussi à transcrire * saig n an te » su r
l a pellicule. Le m ontage se ra le tournage, m ême si l'on, n e doit p a s p a rle r de cam éra-stylo, ce q ui
sup p ose toujours le recours à la littérature el à so n cant. A v a n t d 'é crire ,de cogiter, de faire
d es discours, l'hom m e vit, a u jour le jour. Une séq u en ce d u film tourné p a r Leacock et deux
a ssistan ts au x Indes, l'a n dernier, illustre adm irablem ent ce propos. Leacock, cam éra en m ain,
suit M. N ehru a u cours d'une tournée électorale d a n s u n v illage, grim pe a v ec lui su r l'e s tra d e :
d es micros b ie n p lac é s créent l'am b iance sonore et restituent les discours du Pandit.
D ans u n tel ciném a, tout est grâce ; l a cam éra d ev ait être là, s'infléchir légèrem ent à g a u ch e
à tel moment, ou vers le h au t à tel au tre, saisir l'étroite com m unication qui se produit entre
le demi-dieu et ses ouailles. En une dizaine d e m inutés, N ehru la vieillard, N ehru le dém agogue,
N ehru le bouddha, nous sont révélés. Une vision ém erg e d 'u n p a u v re homme voué corps et â m e

16
à scm mythe. C'est bien u n Nehru très intime q u e nous découvrons, m ais un. Nehru en action,
dont nous saisissons parfaitem ent le caractère, sa n s q u 'à u n seul m oment il y ait identification
du c in éaste a v ec l'idéologie d e son sujet. Ce ciném a, je crois, est le plus p arfait équivalent de
ce q u e Brecht a v a it tenté a u théâtre, en tenant compte d© la distance q u i s é p a re les deux modes
d'expression. Richard Leacock, à tort, refuse le film de fiction. Mais je suis convaincu que, bientôt,
quiconque v o u d ra fcdie jouer des acteurs de v ra plus ou moins partir, pour les diriger, d e petits
films tém oins d an s l'esprit Leacock, a v ec des comédiens se projetant totalem ent, et très p hysi­
quem ent, d a n s leurs person n ages (1).

Le b u t de l a m éthode Leacock, dans ses moments de> réussite esî de restituer a u réel filmé
s a vitalité, s a vérité, s a n s jam ais prétend re juger. Elle exclut l'intervention du cinéaste d a n s la
vie du sujet observé, l ’arrangem ent des faits, lc.: contrainte d'un e signification abusive. Politique­
ment, le bref portrait du colon du X enya qui p a ra îtra infâm e aux uns, ém ouvant aux autres,
selon que vous p enserez blanc ou noir, définit a u plus juste le propos d e c e « journalism e filmé »,
Mais la séq u en ce N ehru m entionnée plus h a u t pose des am bitions plus élevées, véritablem ent
tolsioïennes r tous les jugem ents deviennent possibles face à ce vieillard d'un e prodigieuse
vitalité, comm e rév élé a u plus secret d e ses ambitions. CeUe » possession » du sujet p a r le
m etteur en scène, cette osm ose entre le réel et le film, nous propose u n nouveau m ode de
connaissance, incom patible a v ec tout autre. Elle relèv e clairem ent des catégories d e la poésie.

Louis MARCORELLES.

(1 ) Dans son a ttic le des Cahiers s.ur Morris Engel, Richard Leacock écrivait déjà ; « J'avais Je senifme/it
que la caméra pouvait so i/re toutes les subtilités de jeu qui d'ordinaire se perdent dans les conditions normales
de tournage, »

R ic h a r d L eaco ck, à la c a m é ra , p e n d a n t le to u r n a g e d e L o u îsia n a S tory.

17
ENTRETIEN
AVE C

ROBERT DREW

ET

RICHARD
LEACOCK

par André S. Labarthe et Louis Marcorelles

AU DEVANT DE L'EVENEMENT

— M. Leacock, vous avez été le chef opérateur de Louîsiana Story ?

Leacock. — Oui, et ma collaboration avec Flaherty, habitué à parcourir le monde


caméra au poing, me fit sentir l'acuité de certains problèmes. Nous n ’arrivions pas à filmer
correctement les séquences sonores où des gens parlaient entre eux et nous livraient leurs
émotions. Ces questions me tracassaient, et inquiétaient également M. Flaherty. Puis, en
1954, je tournai Toby, film de reportage sur un événement réei : la vie d ’un théâtre de
toile américain qui se déplace d ’une petite ville à l ’autre. Je m ’efforçai de m ontrer ce qui
se passé réellement, comment réagit ce petit groupe théâtral et comment réagissent les
spectateurs. J ’obtins plus ou moins le résultat désiré, mais notre équipement était terrible­
ment encombrant et nous créait d ’énorm es difficultés qui exigeaient une solution technique

18
— AL Drew, comment avez-vous rencontré M, Leacock ?

Drew. — M. Leacock appartient à la tradition du cinéma documentaire, tandis que ma


formation est celle du journalisme photographique, de l ’image fixe J ’ai collaboré à Life
Magazine pendant de nombreuses années, pratiquant une forme de journalisme qui exige que
vous soyez constamment présent avec votre appareil de photo à l ’endroit et au moment
exacts où se produit l ’événement. J ’en vins à concevoir l ’idée d ’un journalisme cinémato­
graphique avec prise de son simultanée. Je m ’essayai entre temps à tourner un film : ce
fut catastrophique. Life m ’accorda un congé d ’un an pour étudier le problème à Harvard,
avec l ’aide d ’une bourse. Et durant cette année je vis à la télévision un film remarquable
nommé Toby. Je m ’en allai de Boston à New York pour y rencontrer le producteur de cet
excellent film. Il m ’expliqua par tous ses grands dieux q u ’il ne tournait que d ’excellents
films. Le scénariste nie répondit de même. Je trouvai enfin un type nommé Leacock
et lui demandai à son tour de me donner les raisons de cette réussite. Il était en train de
travailler sur un autre film. II me regarda d ’un air moqueur et déclara : « I l faut demander
au producteur et au scénariste ! » C ’était lui l ’oiseau rare !
Les idées de Leacock et les m iennes coïncidaient presque à la perfection. Nous déci­
dâmes d ’unir nos forces pour crée r une nouvelle forme de journalisme qui ferait descendre
le documentaire dans la rue et dont i'efficacité serait d ’abord cinématographique.

— Q ui a subventionné vos recherches ?

Drew. — En 1954, il était impossible de sortir dans la rue et de filmer la vie réelle
avec image et son synchrones. Le fait que Leacock ait pu en partie atteindre ce résultat
était une chose fantastique, car il utilisait des caméras aussi grosses que les vôtres. Même
plus grosse ■ C ’est alors que Time Inc., propriétaire de Life Aîagazine, a bien voulu nous
permettre de faire construire un équipement spécial, de le mettre au point et de le rendre
utilisable aux fins que nous souhaitions. Nous avions trouvé quelqu’un qui voulait bien
avancer l ’argent !
— Qui est responsable du choix des sujets et quel est votre rôle respectif ? Vous inspi­
Time M agazine?
rez-vous de

Drew. ~ D’abord nous décidons, Ricky et moi, ce que nous voulons faire. T ime Maga­
zine ne nous donne aucune consigne, et, de toute façon, nos sujets sont fondamentalement
différents. T ime traitera plutôt l ’aspect politique ou économique d ’une question ; nous, son
côlé humain. Ricky, ou moi, ou quelqu’un de notre groupe, a une idée et nous y travaillons
ensemble. Je suis responsable en dernier ressort, mais je ne prends jamais l ’ultime décision
sans l ’accord étroit de Leacock.
Leacock. — Parfois, nous commettons des erreurs. Nous croyons tenir un bon sujet et,
au bout de quelques jours, nous nous apercevons que rien ne va se produire. Nous changeons
aussitôt de sujet.
— La répartition du travail entre producteur, scénariste et metteur en scène est-elle la
même que dans le cinéma normal ?

L eacock — Non, Nous nous efforçons d ’aller au devant de l ’événement, nous ne


demandons pas aux gens d’agir, nous ne leur disons pas ce q u ’ils doivent faire, nous ne
leur posons pas de questions. Aussi, au moment du tournage, nos décisions doivent-elles
être instantanées. Personne ne peut vous dire quelle chose filmer. Vous pouvez, certes,
avoir tine discussion préalable pour préciser ce que vous croyez qui se produira. Mais, une
fois que l ’action s ’engage, vous ne formez plus qu’une seule équipe : Pun s ’occupe du son,
l ’autre des images. Vous vous faites des signaux, à titre indicatif.
Par exemple, l ’œil collé à l ’œilleton de la caméra, vous êtes comme un cheval avec
des oeillères. Vous vous concentrez sur un point, a u risque d ’ignorer que quelque chose
d ’autre est en train de se produire. C ’est pourquoi il est très important que Bob puisse
me signaler ce quelque chose d ’autre. Non pour me dire de le filmer, mais pour m ’avertir,

19
afin que je juge instantanément de son importance. Vous vous doutez q u ’alors les distinc­
tions entre m etteur en scène, scénariste...
Nous allons même plus loin. C ette même équipe, de deux, quatre ou six personnes,
qui participe à ces décisions instantanées, doit aussi participer au montage. Nous étions là,
nous savons ce qui s ’est produit ; nous sentons intim em ent la réalité de l ’événem ent. A nous
de restituer par le montage le sentim ent de cette réalité.
Drew. — Notre effort a consisté à réunir ces diverses fonctions — producteur, metteur
en scène, scénariste, opérateur, etc. — en deux personnes seulem ent, pour les raisons indi­
quées par M. Leacock : un journaliste de profession, plus ou moins dans mon genre, et
un photographe-cinéaste, plus ou moins dans le genre de Leacock. Nous avons une
attitude très agressive dans ce domaine. Nous voudrions supprim er les m etteurs en scène,
les éclairages, les équipes techniques habituelles, et tout ce qui risque d ’oblitérer la réalité
que nous voulons filmer.

P rim a ry ,

TRAVAIL D’ HOMME A HOMME

Leacock. — Pour nous c ’est capital, et j ’en parle par expérience. Vous partez tourner
un docum entaire à un endroit donné, avec les m eilleures intentions du monde, vous allez
cueillir l ’événem ent sur place. Vous déballez vos projecteurs, vos trépieds, vos câbles, et
vous dites aux gens de rester calmes. Comment voulez-vous q u ’ils restent calmes, une fois
que vous avez installé cette magnifique cham bre de torture !
Aussi, pour nous introduire auprès d’eux, n ’insistons-nous pas sur l ’aspect technique
du reportage. Je serais ravî de pouvoir le réaliser sans cam éra ou magnétophone. Le plus
important dans tout cela, c ’est que nous sommes des êtres humains, et que nous rencontrons
d ’autres êtres hum ains qui sont nos frères et non pas nos inférieurs,

— Qnei est donc votre travail d'approche ? Avec Kennedy, comment avez-vous pro­
cédé ?
■ Drew . — C ’est moi qui ai eu l ’idée de départ et qui en ai parlé à M, Leacock. Elle
lui a plu, et nous avons décidé de tourner ce sujet. Ricky et moi sommes allés à Détroit
rencontrer le Sénateur Kennedy qui venait tout juste d ’entam er sa campagne électorale.

20
Nous l’avons suivi dans son avion à Washington et, le jour suivant, nous avons passé une
heure avec lui dans son salon, essayant de le persuader de se prêter à cette technique
nouvelle et de nous perm ettre d'aller partout avec lui au cours de sa campagne électorale.
Cela devint, au sens vrai du mot, un travail de persuasion d’homme à homme entre
M. Leacock eî M. Kennedy.

— Pourquoi vous a-t-il fait confiance P

Drew. — Parce que nous étions convaincus de la justesse de notre cause. Nous nous
fîmes persuasifs et gagnâmes la partie quand Ricky, regardant Kennedy droit dans les yeux,
lui déclara : « Peu. importe les détails. Vessentiel, c ’est que vous croyiez en noire honnê­
teté. » Kennedy resta songeur un bon moment et nous répondit : « D'accord. »

P r im a r y

Leacock. — J ’ai été énormément impressionné par le fait q u ’il ne demanda conseil
à personne. 11 réfléchit plusieurs minutes et nous dit que, si nous n ’entendions plus parler
de rien, d’ici le tournage, nous pouvions considérer l ’affaire comme conclue.
Drew. — C ’était là la seconde étape. La troisième fut le tournage. J ’arrivai sur les
lieux deux jours à l ’avance, je calculai la durée des prises de vues, j ’établis un plan de
travail, pour savoir qui serait là et quand. Ricky ne vint qu’au dernier moment : il manœu­
vrait la caméra, je m ’occupais du son et des microphones. Nous travaillions en équipe.
Leacock. — Parfois même, j’étais seul. P ar exemple, lorsque j’ai filmé M. Humphrey
dans sa voiture : il n ’y avait pas de place pour une autre personne. J ’ai donc fixé le micro
derrière son siège et je me suis servi d ’une minuscule cam éra 16 d ’amateur. Je ne pense
pas que ce jour-là M. Humphrey m ’ait reconnu. Il a dû croire que j’étais un. ami de son
entourage gouvernemental.
La même chose s ’est produite, avec Kennedy, dans le bureau à la fin. P our réduire
notre présence à néant, je restai seul avec lui, sans lum ières, sans câbles, sans trépieds.
Rien. D ’où, une fois encore, l ’importance des rapports de personne à personne dans cette
pièce, des rapports d ’amitié avec les gens qui se trouvaient dans la pièce, du fait q u ’on ne
domine pas, q u ’on n ’essaie pas...
Je suis sû r qu’il avait complètement oublié notre présence.

21
— Où cachiez-vous le microphone ?

■— Dans un cendrier. J ’avais rem arqué q u ’il s ’asseyait toujours à la même place.
D r e w , — Ricky avait deux micros lui offrant une double perspective sonore. U n petit
magnétophone était placé sur la table, relié au micro du cendrier, et, à la cam éra, était
fixé un second système sonore, également très léger.
Leacock. — A cette époque, nous étions cependant obligés d’utiliser un fil pour relier
la caméra au système sonore, ce qui posait de terribles problèmes quand vous devez
travailler au milieu d ’une foule, parmi des gens qui bougent de tous côtés. Notre idéal,
notre rêve, était d’avoir # caméras, six caméras, peu importe le nombre, et autant de
systèmes sonores, sans fil pour les relier, et le tout toujours parfaitement synchrone.

F oo tb a ll,

UNE MONTRE ELECTRONIQUE

— Comment avez-vous obtenu la synchronisation ?

Leacock. — Il y a plusieurs moyens d ’y parvenir. Voici notre méthode : on a inventé,


en Amérique, une nouvelle montre d ’une extrême précision. Il s ’agit d ’une m ontre électro­
nique. Tout ce dont vous avez besoin pour obtenir la synchronisation, c ’est d ’une bonne
montre. Le jour où j ’ai vu cette montre, j ’ai su que nous avions trouvé la solution. Mais
il y a beaucoup d ’autres solutions.
Au lieu de faire tic tac, elle émet un bourdonnement continu. On l ’incorpore dans
chaque système sonore et dans chaque caméra, et on peut ainsi contrôler exactem ent la
vitesse de l ’enregistrement du son et celle des caméras. Nous avons pu, il y a un mois,
faire quelque chose 'dont nous n ’aurions jamais rêvé auparavant, qui était rigoureusement
impossible : suivre un orchestre symphonique avec six caméras capables de se déplacer
n'im porte où, silencieuses, parfaitement silencieuses. P as de trépieds. L es magnétophones
bougeaient ou restaient immobiles, avec un son magnifique et en parfaite synchronisation
Notre problème était résolu, comme par miracle !

22
— Vous u tilis e z s o u v e n t le g r a n d a n g u la ire ?

L e a c o c k . — C ’est un objectif remarquable. Je crois que nous fûmes parmi les


premiers à l ’employer en Amérique. Il couvre un champ immense, ce qui a permis à
Al Maysles, qui collabora avec nous pour ce film, de marcher derrière Kennedy en tenanl
sa caméra au-dessus de la tête. C ’était un spectacle prodigieux : Kennedy fendait la foule,
suivi de l ’objectif au-dessus des têtes. Ils se sont frayé un passage à travers les centaines
de personnes qui peuplaient cette salle, épaule contre épaule. Kennedy avance, des jeunes
filles, des gens de toutes sortes s ’accrochent à ses basques et poussent des cris d ’extase.
Et la caméra l’accompagne, grimpe l ’escalier, tourne vers la gauche, s ’avance sur la scène,
jusqu’au podium. Comme ça !

Eddie.

— Fous effectuez une sorte de montage direct à la prise de vues.


Leacock. — Vous soulevez un point délicat. La personne qui manie la caméra doit
aussi songer au montage, ou elle n ’apprendra jamais rien. Vous devez filmer du matériel
qu’on pourra ensuite monter. C ’est la raison pour laquelle l'opérateur travaille également
au montage : il doit réfléchir en m êm e temps q u ’il tourne.
— Dans Eddie Sachs à Indianapolis, vous avez repris les méthodes de Primary, mais
la différence est que, semble-t-il, vous ajoutez un élément de drame, de « suspense ».

Drew. —• Oui. Oui. Eddie est un drame. Eddîe est en train de vivre un tournant
décisif de son existence. Nous le suivons à travers ce tournant, comme déjà Kennedy dans
Primary. Mais nous le faisons plus intensément, plus intimement, d ’une manière plus
dramatique.

— I l y a presque un scénario dans Eddie.

Drew. — Non, non 1


Leacock. — Je crois deviner ce que vous voulez dire quand vous parlez de scénario.
Etant donné que l ’action était si dramatique, q u ’un homme était immédiatement concerné,
nous avons essayé, au montage, de faire surgir une histoire, un drame. Il ne s ’agit pas
seulement d ’une description.

23
D E C O U V R IR 'UNE H IST O IR E

Drew. — Vous voulez dire : on croirait q u ’il y a un scénario. En réalité, l’histoire


existait, indépendamment de ce que nous en pensions. Voici comment les choses se sont
passées : je suis allé faire un tour à l ’autodrome d ’Indianapolis et j ’ai rencontré Eddie. Il
m ’a semblé que nous avions la matière d'un film de dix minutes. Leacock est arrivé, nous
avons vécu trois jours avec Eddie. Le quatrième jour, cinq ou six personnes se sont
jointes à nous pour filmer la course. Quand tout a été fini, nous avions un film d ’une heure.
Nous sommes revenus l’année suivante, comme forcés, et nous avons tourné un autre
film. Et l ’année prochaine, nous devrons probablement revenir et faire un troisième film.

— Vous considérez que vos film s ne sont pas des documentaires au sens classique ?
Drew. — Non, ils ne sont pas des documentaires dans la tradition classique, En
Amérique du moins, le journalisme télévisé est ennuyeux. On ne fait que parler. Les

Kenya,

documentaires eux-mêmes sont envahis par le commentaire et la narration. Nous nous


efforçons de créer un journalisme filmé qui ne repose pas uniquement su r l’intellect, sur
le mot, mais dont la qualité première soit cinématographique.

— Mais dans ce cas là, vous êtes conduits à introduire un élément romanesque, un
élément dramatiquet à raconter une histoire, une fiction.

Drew. —• Oui et non. Nous n ’introduisons pas cet élément, nous le découvrons. La
vie réelle est plus intéressante, plus dramatique, que celle que nous révèle le journalisme
télévisé actuel. Nous voulons rendre sa force dramatique, sa charge d ’émotion.
Nous avons un point de référence en Amérique : le journalisme télévisé ne paie pas.
Les compagnies de télévision n ’ont pas les moyens de financer des films, des documen­
taires. Nous travaillons à contre-courant. La seule façon d ’imposer le reportage télévisé est
de tourner des films suffisamment intéressants pour attirer un large public et rembourse!
ainsi leur coût. Pour cela nous devons éviter le commentaire, ne faire parler que les images,

— Quand vous traitez ces sujets vécus, l ’ élection de Kennedy, Eddie, avez-vous le
sentiment de découvrir toute la vérité ?

24
Leacock. — Pas toute la vérité, mais... Le choix joue un rôle considérable, surtoul
dans le montage. 11 m e semble toujours, au cours du tournage, avoir filmé la réalité dans
sa totalité. C ’est évidemment impossible. Et au montage, comme Pabst l ’a si bien montré,
le problème consiste à révéler la ligne générale d ’une histoire, tout en restant entièrement
fidèle à la réalité. Mais ce ne sera jamais toute la réalité.
D r e w . — Je crois que le journalisme télévisé actuel essaie de révéler une sorte de
vérité intellectuelle, tandis que nous nous attachons à révéler une sorte de vérité émotive :
en quoi consiste ta vie à un endroit donné avec une personne donnée. C ’est une nouvelle
sorte de vérité.
L ea cock . " C ’est fantastique quand quelque chose se produit ! Non pas n ’importe
quoi, mais quelque chose qui est dramatique.
D r e w . — L ’important, c ’est de bien raconter votre histoire. Nous racontons une his­
toire. Chaque choix que nous effectuons; au niveau du sujet, en cours de 'tournage, au
montage, est lié à cette nécessité de raconter une histoire. Nous consacrons 75 ou 80 %

Kenya.

de notre temps, de nos efforts, de notre intelligence, à découvrir après le tournage, dans
le matériel filmé à notre disposition, en quoi consiste l ’histoire, et comment la révéler
au montage.
— Dans le choix qui intervient au moment du. montage, i l y a une possibilité de
tricherie. Dans le film sur Eddie, lorsque vous montrez dans un montage parallèle la femme
d'Eddie et Eddie lui-même, vous êtes obligé de faire confiance au public, qui vous croira
ou ne vous croira pas.

L e a c o c k . — Bob prit un pari avant la seconde course, se doutant que quelque chose
allait se passer avec îa femme d ’Eddie. Une caméra ne fit rien d ’autre que la photographier
durant toute la course, chaque fois q u ’elle bougeait. Nous ignorions que cinq voitures
allaient se tamponner.

— Vous êtes sû r du synchronisme absolu entre Vaccident et les réactions de la femme ?


L e a c o c k . — Oui. Ça c ’est exactement passé ainsi. Elle aurait pu rester raide comme
un piquet, tout le temps.

25
ROUCH ET N OUS

— Chez Jean Rouch aussi, le drame naît du documentaire .

Leacock. — Mais je crois q u ’il y a une réelle différence. Chez Rouch (j’ai vu de
lui Chronique d'un été et Les Maîtres /ous), m e semble-t-il, quel que soit le grand intérêt
de ses films, la chose la plus importante qui soit arrivée aux gens q u ’il a choisi de filmer,
est q u ’on les ait filmés. Tandis q u ’à mon avis, pour Eddie et sa femme, la chose la
moins importante qui leur soit arrivée est d ’avoir été filmés. Je ne pense pas que Mme Sachs
ait eu une seconde conscience que nous la filmions.

— C'est-à-dire que votre but est de faire oublier entièrement la caméra, la technique,
aux gens que vous filmez ?

Leacock. ■— En révélant une histoire, une situation, qui sont plus importants que
notre présence.
— Mais chez Rouch, il nJy a jamais montage entre des rushes d’origine différente.
JLa dramatisation, chez Eddie, naît souvent du montage entre ce que la première et la
seconde caméra ont pris , et ce qu'ont enregistré la troisième et la quatrième, c’est-à-dire
entre les plans sur la femme d'Eddie et les plans sur Eddie lui-même. Par le montage de
ces deux sortes de rushes, i l se crée artificiellement une sorte de suspense.
Leacock. — Non, nous ne trichons pas. Au début de la dernière course, on voit u n e
tribune s'effondrer. C ’est très rapide. Cela s ’est réellement produit, et à ce moment-là.
H uit personnes ont été tuées. Mais le public n ’y a pas prêté attention. La course s ’est pour­
suivie, les gens ont continué à regarder la course. On aurait pu centrer tout le film sur cet
incident.

— Votre troisième film , Kenya, traite un sujet, disons, plus didactique , Est-ce que,
pour vous, cela pose des problèmes, puisqu'en principe vous refusez le documentaire ?
Drew. — Nous avons expérimenté plusieurs fois le genre documentaire. Kenya est
une de nos tentatives dans ce domaine. Mais nous avons trouvé ce genre d’histoire moins
satisfaisant q u ’un drame à une personne.
Leacock. -— Si nous devions retourner au Kenya, nous procéderions d’une autre
manière.
D rew . — Laissez-moi vous donner quelques précisions. Kenya exigeait dix m inutes
de commentaire par un narrateur qui n ’était pas dans le film. Eddie, qui est deux fois plus
long, n ’exige que trois minutes de commentaire. De ce seul point de vue, Kenya est infé­
rieur à Eddie.

— Vous pensez que tout commentaire est un mensonge ?


Leacock. — Sauf l ’exposé des faits dans leur nudité.
D rew . — Je ne me préoccupe pas de savoir si un commentaire est vrai ou faux. U n
commentaire est faible, une conférence dans un film est îaible. Un film n ’est pas une
conférence. Un film, c ’est la vie.

— Allez-vous poursuivre dans la même direction ?


Drew. — Actuellement, à New York, nous sommes en train de monter sim ultané’
ment quatre films, quatre reportages d ’une heure, Ricky et moi avons formé des Jeunes :
moi des correspondants, Ricky des photographes. Nous employons en tout douze personnes.
— D-'où viennent-elles ? D 'un e école de cinéma ? Du journalisme ?
Leacock. •— Nous avons obtenu les meilleurs résultats avec des gens des milieux les
plus divers : un ingénieur électricien, plusieurs journalistes. Surtout des journalistes et des
photographes de magazines. Mais le monde du cinéma ne nous a guère apporté.

26
Drew . — Notre but est de réussir à toucher une quinzaine de millions de téléspecta­
teurs par film, et de jeter les bases économiques d ’un nouveau journalisme à la télévision
américaine.

— Vos nouveaux film s sont-üs différents des précédents ?


Drew. — Les deux plus importants que nous tournons actuellement traitent tous les
deux des sujets américains. L 'un a pour protagoniste une jeune pianiste, une très belle
jeune fille de dix-neuf ans, de beaucoup de talent, qui aboutit au Metropolitan Opéra, en face
de l ’orchestre philharmonique, au cours d ’une compétition avec trois autres brillants pia­
nistes.. C ’est un peu le « climax » de sa vie.
Ces histoires nous révèlent des choses merveilleuses. P ar exemple, la jeune pianiste
a rencontré un jeune homme devant nos caméras. Ils ne se connaissaient même pas de
nom et, à la fin du film, elle perd le concours, mais épouse le garçon. Ce n ’était pas prévu
dans notre script !
Leacock. — Mais, du point de vue de la caméra, il n ’y a pas que le hasard. Nous faisons
un pari. Nous parions que quelque chose se produira. Et nous tournons.

L’EXEMPLE DE RENOIR

— Vous avez vu ce matin un film de Ruspolî qui a été tourné dans un. asile d'aliénés.
Si vous aviez eu à faire ce film , l'auriez-vous fait de la même façon ?

Drew. — C ’est un film remarquable, qui emploie plusieurs des techniques que nous
employons. Avec une différence capitale : le film est très habilement filmé, conçu, monté
A'Iais il ne se passe rien de dramatique. En gros, on n ’a que des interviews, très révélatrices
certes ; mais, pour l ’essentiel, la logique verbale, l’interview, ne suffisent pas. Il y a les
mêmes limitations que dans notre film sur le Kenya,
— Jean Renoir, i l y a quelques années, avait déclaré dans une interview ; « Je voudrais,
grâce à plusieurs caméras, saisir un même personnage sous tous les angles, dans sa conti­
nuité dramatique. » Vous vous souvenez ?

Leacock. — Je me rappelle très bien cet article. Un de ses aspects les plus intéres­
sants, c ’est que Renoir, qui est essentiellement un homme de cinéma, disait q u ’il était las
du cinéma contrôlé tel que nous le connaissons, las des petites histoires vécues par de
petites gens. Il ne croyait plus à ce qu’il voyait. Alors que la plupart des gens, surtout les
intellectuels, n ’ont que mépris pour la télévision, je me rappelle Renoir expliquant q u ’il
avait vu le reportage en direct, à la télévision américaine, d ’un procès entre, je crois,
McCarthy et Stevenson. Cela l ’avait en quelque sorte électrifié, incité à réfléchir dans
une direction voisine de la nôtre, ramené à une perception plus directe de la réalité. Pour
lui, c ’était plus intéressant que tout ce q u ’un scénariste, un metteur en scène ou un acteur
pouvaient faire. Je sais que cet article m ’a influencé.

— Avez-vous Vintention d ’appliquer ces mêmes recherches au long métrage de « fiction » ?


Leacock. — C'est difficile de ne pas y songer. Les possibilités d’application dans le
grand film romanesque sont immenses. Mais nous sommes terriblement occupés pour le
moment. J’aimerais beaucoup essayer.
Je tends à établir une distinction entre ce que j ’appelle le théâtre, ce qui inclut presque
tous les films tournés sous contrôle, et nos films, qui sont une perception de la réalité en
train de se produire. Quand un film se prétend « réel », je me fâche !

(Propos recueillii au magnétophone. Cotte interview a été réalisée en collaboration avec le Service de la
Recherche R.T.FJ

27
RENCONTRE

AVEC

ARTHUR
PENN

par André S. Labarthe

Jamais, depuis Kazan, la frêle barrière qui sépare, à Broadway, le théâtre du cinéma,
n ’a été franchie avec autant de bonheur que par A rth u r Penn, l'auteur du G aucher et de ce
Miracle en Alabama dont une sortie précipitée a récemment compromis le succès. Claude-
Jean Philippe détaille plus bas ( 1) les mérites principaux du film , à commencer par la terrible
habileté de son auteur à mettre à profit son expérience d'homme de théâtre, et il ajoute :
« Tout cela est théâtral et se ressent,,, etc. » Pour ma part, loin, des réserves que j'avais
cru devoir faire lors de la présentation du film à Saint-Sébastien (2), c’ est à l ’actif de Vœuvre
que je mettrais aujourd’ hui ce recours à l'appareil théâtral dans ce q u 'il recèle (en effet)
de plus artificiel. Et, autant qu’ à la caractérisation des seconds rôles, je pense à cette mise
en œuvre des moyens propres au cinéma par lesquels le réalisme du cinéma accuse le

(1) Cf. p. 50.


(2) Cahiers du Cinéma ri" 134, p. 45.

28
réalisme théâtral pour définir une dramaturgie originale sans laquelle, simplement, le film
n'existerait pas. De plus en plus, le cinéma semble appelé à faire feu de tout bois, accen­
tuant la diversité des œuvres et répondant par là de moins en moins aux cadres restreints
dans }esquels nous avons pensé parfois pouvoir le maintenir.
Le court entretien qui suit a été réalisé à SaintSébastien, au mois de juin dernier, en
présence de deux ou trois confrères espagnols. Nous avons attendu, pour le publier, qu'un
grand nombre de nos lecteurs aient pu voir Miracle en Alabama. Ce qui n ’est pas le cas,
hélas, puisque le film n'a tenu Vaffiche qu'une semaine au Publicis, et n'a été projeté, à
notre connaissance, nulle part ailleurs, à Paris on en province. Espérons q u 'il connaîtra une
seconde et plus large diffusion et que le public, meilleur juge que la critique. îüi fera l ’accueil
q u 'il mérite .

— Q u ’est-ce qui vous a donné l ’idée du G aucher ?

— Il existait une pièce de télévision s u r Billy the Kid, une pièce de Gore Vidal que
Mulligan avait mise en scène. Mais Le Gaucher n ’a que peu de rapports avec elle. Leslie
Stevens er moi-même sommes partis d ’une idée tout à lait différente : tourner un film non
pas sur l’Ouest, mais sur un Ouest, tenter de faire œ uvre originale en dépit de la modestie
de nos moyens. C ar Le Gaucher est un film très bon marché. Nous nous sommes toujours
servis de matériel existant. Le village mexicain existait sur le terrain du studio, il avait
été construit vingt ans auparavant pour Juarez et tombait en morceaux. Nous avons dû
d ’ailleurs masquer les ravages du temps avec des morceaux de carton et je pense que, le
lendemain du jour où nous avons fini de tourner, il a dû s ’effondrer. Ainsi chaque décor du
film était un vieux décor, mais je dois dire que je fus très content du résultat final, grâce,
justem ent, à cette qualité des choses déjà usées. J ’étais ravi d ’utiliser ces vieilles choses.

— Jl y a une chose que nous aimons beaucoup dans Le Gaucher, c ’est sa terrible
violence.

— N ous avons essayé de tenir compte du mythe de la mort facile, tel qu ’il existait dans
l’Ouest, de montrer comment un homme appuyait sur la gâchette de son pistolet, tuait un
autre homme et s ’en allait. Il n ’y avait pas à éponger le sang, ni à ram asser les morceaux.
Nous nous sommes demandés si nous allions parler de la vie et de la mort, mais de ces
aspects de la mort qui ne sont pas toujours très beaux. La plupart de ces gens qui tuaient
étaient vraiment corrompus, vraiment méchants.
— Comment voyez-vous tes rapports de caractères dans Le Gaucher ? Notre inter­
prétation de B illy the K id en fait un personnage plus ou moins homosexuel.

— C ’était là une de m es idées. Nous avons commencé à travailler avec des choses
séparées. 11 y avait donc cette idée du mythe. Nous avons pensé que ce dut être une
période très complexe, quand les gens com mencèrent à se croire différents de ce q u ’ils
étaient. Et ce qui nous a surpris fut de voir que, du vivant même de Billy the Kid, on
commençait à publier des « comics » sur lui à New York, Il était un héros de comics ! Cette
idée nous séduisit, de compter avec ces gens qui écrivent sur vous sans vous connaître le
moins du monde.
Voici donc un jeune homme qui est profondément troublé par le m eurtre du vieil homme
qui était pour lui comme un père. Quel q u ’ait été cet homme, cela n ’avait pas d ’importance.
C e qui compte, c ’est que Billy fut lié à lui, au point de prendre sur lui de venger sa mort.
N ous nous sommes alors attachés à bâtir une histoire, en liant ces deux idées du mythe et
de l’homosexualité latente. Vous voyez : une sorte de prince des tueurs arrive dans une
cour de prison, chantant une chanson d ’amour, les bras chargés de cadeaux, etc... Le
problème était de construire une histoire jusqu’à cette scène — la plus importante du film
de c e point de vue (malheureusement elle n ’est pas dans le film) — où cet homme vient au

29
bar et trahit comme un amoureux trahit. C ’était une très belle scène. Il se tient au bar
et dit : « Il ne doit pas continuer à tuer comme ça, on doit l ’en empêcher, on doit l ’en
em pêcher », ce qui signifie en réalité : « Il ne peut pas m ’ignorer plus longtemps. » La
trahison de Hatfieîd n ’a été q u ’en partie retenue dans la version américaine et européenne
du film. Dans sa majeure partie, elle a été coupée par la Warner. C ’était une scène très
émouvante et très bizarre.

— Le film a tout de même été compris...

— A Paris, vous avez saisi immédiatement le sens profond du film, Lorsque J’ai
lu les premières critiques françaises, je n ’ai pu en croire mes yeux, car, en Amérique,
personne n ’a consacré plus de trois lignes au film et personne n ’est allé le voir. C ’est
alors que j ’ai pensé que je ne pourrais plus travailler à Hollywood, que je ne pouvais plus
tenir le coup. Je suis alors retourné à New York et h mes travaux de théâtre. Ce n ’est
d’ailleurs que trois ans plus tard que l ’assistant de mon frère m ’envoyait les critiques de
différents journaux européens. Us avaient vu le film et ils l ’avaient compris. C 'était un
miracle. Ici, en Amérique, nous n ’avons pas de critique, de véritable critique. Nous m an­
quons de bons critiques. Nous en avions un, si, James Agee, mais c ’est tout. Il aime le
cinéma, lui, ce qui n ’est pas le cas de la plupart des autres. En Europe, si la critique est
aussi intelligente, c ’est parce q u ’elle est faite par des gens qui aiment le cinéma.
— Quel fut le budget de The Miracle W orker ?

— 1 1 250 000 dollars. Mais, lorsque les Artistes Associés achetèrent les droits de la
pièce, ils payèrent 400 000 dollars, plus 150 000 pour le scénario et les dialogues, ce qui
réduit le budget du film proprem ent dit à 700 000 dollars, j'ajo u te que c’est très bon
marché pour un film réalisé à New York.

— Avez-vous eu du mal à monter Vaffaire ?


— Oui, ce fut très difficile. Les personnes dont s ’est inspirée la pièce vivent encore :
notre invention était donc limitée. Je suis assez sévère sur ce que j’ai fait. Par exemple
quelques-unes des « caractérisations » ne sont pas très heureuses. Le père n ’est pas très
bon, ni le frère. C e ne sont pas des êtres complets, ils sont un peu trop obscurs. D ’ailleurs,
je trouve que le passage de la pièce au cinéma est trop littéral. Et trop bavard.
— Avez-vous lu la correspondance réelle d'Helen ?

~ Bien sûr. Les lettres sont brillantes. Vous savez» Annie Sullîvan était incapable de
lire et d’écrire, quatre ans avant le début de l ’histoire. C ’est à elle que nous décidâmes
de nous intéresser avant tout Bien plus q u ’à la famille d ’Helen, bien plus qu’à son entou­
rage. Anne serait le personnage le plus fouillé, plus q u ’Helen. Nous nous sommes mis à
étudier son caractère. Nous avons voulu m ontrer comment la mort de son frère l ’avait
conduite à sentir q u ’elle devait une résurrection à Dieu, q u ’elle lui devait une nouvelle vie,
parce q u ’elle se sentait coupable envers son frère. C ’est l ’histoire d ’une femme qui a
besoin d ’une résurrection.

— Combien dure le combat entre Helen et Annie ?

— N euf minutes. C ’est très long, mais il n ’a pas été tourné en un seul plan. J ’avais
simplement trois caméras et j'en aurais voulu bien plus. Mais 51 y a une autre scène tournée,
elle, en un seul plan de sept minutes, quand Helen est dans la maison avec l ’enfant noir
qui essaie de la rendre jalouse.

— Comment voyez-vous le film ?

— Pour moi, le protagoniste est Annie et il n ’y a pas d ’antagoniste, sinon la « nature »


qui a laissé Helen dans un tel état. C ’est ce qui explique que le père paraisse si artificiel.
Tous les caractères agissent nerveusem ent, ils sont hors de contrôle. Dans Le Gaucher,
Billy était quelqu’un de normal qui finissait par avoir un comportement de type neurotique.

30
P a u l N e w rn a n d a n s T h e L eft H a u d e d G u n (.Le G a u c h e r).

Ici nous avons l ’évolution inverse. Nous avons voulu rendre clair le passage à la normalité.
Et comme il fallait faire dramatique, nous avons eu recours à la lutte physique entre les deux
filles. Malgré les réserves que j ’ai faites, je suis content de l ’expérience. J ’ai travaillé
dix mois au film, à tous les stades, tandis que, pour Le Gaucher, j ’avais perdu assez tôt
le contrôle du film.
— Que pensez-vous des jeunes cinéastes américains qui signent des contrats de longue
durée à Hollywood ?

— Même les contrats à court term e sont mauvais à Hollywood. Hollywood n ’est pas
vraie. Celui qui passe, par exemple, directement du théâtre au cinéma pour réaliser une
grosse production est perdu. Il n ’a pas le temps d ’acquérir la moindre expérience. Il doit
donc faire le film le plus conventionnel possible, se contentant d’écouter ce que lui disent
tous les techniciens d'Hollywood. Mais je crois qu’Hollywood se m eurt et q u ’on n ’y fera plus
que des superproductions ou bien des bandes destinées à la télévision. C ’est tout. On n ’y fait
plus de films. Les grosses compagnies qui tournaient quarante ou cinquante films dans
Vannée n ’en font plus que quatre ou cinq. La politique même de ces compagnies s ’est
modifiée. Maintenant, on se contente de donner de l ’argent pour q u ’on fasse des films, n ’im­
porte où. On ne sait ni ce que sera le film, ni même souvent quels en seront les interprètes.

31
Et puis, vous savez, d ’un point de vue politique, nous avons eu une période très difficile en
Amérique, la période maccarthysme. Tout cela est maintenant terminé, mais on commence
seulement à revenir aux films à sujets sociaux et à écrire des pièces à contenu social. Ce
fut pour l ’Amérique une période malheureuse, à la fois pour les idées et pour les films.
Les grandes compagnies prirent peur, firent des films déments, perdant tout contact avec la
vie réelle, avec le peuple. Indirectement, ce fut la m ort du grand studio. C 'e st pourquoi
nous assistons maintenant à un cinéma de plus grande intimité, à un cinéma plus libre peut-
être.

— Et Kazan ?

—. C ’est un cas particulier. Kazan vient de New York. C ’est un metteur en scène de
théâtre. Il a fait un certain nombre de films depuis des années, mais ce n ’est pas d ’abord
un m etteur en scène de cinéma. Il a beaucoup de talent, mais je crois q u ’il n ’utilise pas le
cinéma de la bonne manière. Nous avons une expérience commune : A Tree Grows in
B rooklyn, avant d ’être un film, était une pièce q u ’il avait m ontée à Broadway. Or, quand
on a monté une pièce au théâtre, ce n ’est pas très intéressant de faire ensuite un film de
cette pièce. Je crois qu’à cause de ça The Miracle W orker n ’est pas dans la meilleure voie
du cinéma. Quand on a travaillé deux ans sur u n e pièce, on a perdu un peu l ’excitation
initiale. Je crois que c’est vrai aussi pour Kazan. P a r contre, Sea of Grass était bon,
East of Eden très bon, très vrai. On the Waterfront entre les deux. Quant à A Face in ths
Crowd, je pense que c ’était une très bonne idée de film, mais q u ’il n 'e n a pas tiré le maxi­
mum.' Il n ’est pas allé jusqu’au bout. Je crois q u ’il a eu peur.

— Cnkor, M in nelli ?
— Cukor et Minnelli sont des produits typiques d'Hollywood, mais, en dépit de ça, ils
possèdent un certain style, une certaine manière de faire des films qui, m ême si elle n ’est
pas très importante, ne manque pas d ’une certaine tenue. Tous deux viennent du théâtre
new-yorkais et tous deux ont en commun quelque chose d ’indéfinissable, un goût qui ressem ­
ble fort à et la mode de Paris ». Ils n ’ont pas un talent sérieux, mais un talent de petits
maîtres, une sorte d ’air à la mode. Mais je ne crois pas que ce soit de grands cinéastes.
P renez le cas de Minnelli. Il a adapté un livre de William Gibson, The Cobiveb. C ’est le
seul exemple que je connaisse d ’un film aussi pauvre obtenu d ’un matériau aussi original.
Quand il fait des comédies musicales, il arrive à trouver un air de gaîté qui est merveilleux.
La même chose se passe avec Cukor. Lorsqu’il travaillait dans une tradition profondément
romantique, il représentait la quintessence des cinéastes romantiques.

— Ne trouvez-vous pas, cependant, qu'il possède un don réel pour camper les personna­
ges féminins ?

— Je ne sais pas. Je veux dire que ce serait une pauvre chose à dire de quelqu’un,
même si c’est vrai. Mais je ne crois pas que ce soit vrai. Les caractéristiques romantiques
sont chez lui ce qui domine. C ’est très gentil de dîre ça de lui. Tout le monde est si beau
dans ses films...

—- Que pensez-vous de l'école new-yorkaise du cinéma américain ?

'— Ce n ’est pas sérieux. Le seul cinéma nouveau que j ’adm ire beaucoup est celui de
Truffaut et de Godard. Resnais aussi m ’intéresse beaucoup, mais je n ’ai pas très bien
compris Marienbad.

— Quels sont vos projets immédiats ?

— Deux films qui en sont au stade de la préparation. iLe prem ier est une sorte de
et caprice », une comédie sauvage pour laquelle j’utiliserai toutes les techniques possibles. II
s ’agit de m ontrer le caractère capricieux de la vie moderne. C ’est le problème d ’un homme
qui vit à l ’écart de la ville, loin du téléphone, loin des fusées. Il n ’y a pas d ’histoire du

32
Patty Duke et Anne Bancroft, dans The Miracle Worker {Miracle en Alabama).

tout : arrivera ce qui arrivera. Les acteurs n e sauront pas à quel moment iis seront filmés
ni quand ils cesseront de l ’être.
Mon second projet concerne le « mob ». Le « mob », comme vous savez, ce sont
les gangsters qui « achètent » un jeune chanteur ou u n jeune comédien, le soutiennent
dans sa carrière et le portent au succès. Et à ce moment-là il doit payer. The Mob sera donc
l ’histoire d ’un comédien qui pense avoir une dette, mais qui ignore à qui il doit payer. Ce
sera une sérieuse histoire comique qui tournera autour de l ’idée que chacun a une dette
sans savoir laquelle, ou à qui, ou comment il doit s ’en acquitter.

(Propos recueillis au magnétophone.)

33
TOURS 1962

Mammifères , de R o m an Polanski.

Grand Prix : MAMMIFERES, de Roman Polanskî.


Prix Spéciaux du Jury : PAUL AN K À fJLone/y B oyjr de W o lf Koenig et Roman Kroitor ; LE NOBLE
JEU DE L'OIE, de Georges Dumoulin ; PREMIER PAS, de Kazimiérz Karabasz ; LITHO, de C liff Roberts.
Prix do fa Critique Internationale : FILLES DE LA ROUTE, de Louis ferm e.

Douze films, san s compter l'animation, m'cnt créent u n rythm e qui bientôt se suffit à lui-
p a ru dignes d'intérêt. Les voici, dans leur m êm e et ■ sacrifient le sujet proposé.
ordre d e p a ssa g e sur l'écran.
De conception entièrement opposée, L 'H yp­
Campo Santo, d e W alter Jacob et Bernard nose, de Joseph Z achar (Tchécoslovaquie) a le
Dorries (R.F.A.), renouvelle u n p eu le film mérite d e la totale simplicité. On expose u n
d'< art ». Les auteurs s e sont prom enés dan s phénom ène et on nous ap p ren d le maximum
les cimetières du su d d e l'Italie et y ont filmé sur lui. Du bon ciném a didactique.
les statues fin d e siècle, d 'un baro q u e dégé­
Prison, du peintre Pierre Lapoujade, re p ré ­
néré, qui bornent les tombes. Mais, a u lieu de
sentait l'extrêm e pointe de la nouvelle avant-
s e m oquer, ils ont préféré jouer le jeu. Leur
garde. Cette expérience a le mérite d e prouver
film évoque toutes les attitudes p o ssib le s. de­
l'impossibilité de l'abstraction picturale a u
va n t la mort : d e la véritable angoisse à
ciném a. Notre essayiste est finalement obligé
l a certitude confortable d e la bourgeoisie,
de raconter u n b a n a l fait divers pour soutenir
voire à la sensualité débridée et la nécrophilie.
son propos. Qu'il p la q u e ses im ages en surim ­
Un excellent m ontage d e p la n s fixes (enfin
pression, les fasse surgir puis disparaître, les
des p la n s fixes d a n s u n film d'art !} fait d e ce
projette a u ralenti, ou à l'accéléré, les re p ren n e
court m étrage l'un des meilleurs, à mon. avis,
plusieurs fois, la tentative dem eure toujours
d u festival.
aussi vaine. On la recommence depuis q u a ­
L'Argentin Nestor Patem ostro présentait ra n te an s, et jam ais encore cette façon d e pro­
Fours à Jbnque. Un documentaire sur u n e fa ­ jeter le m onde m ental n 'a convaincu. Un Res-
brication a rch a ïq u e se p a re d'une recherche nais, peut-être, tirera profit d e cet essai, plus
formelle très, trop savante, o ù im ages et sons réussi q u e d 'a u tre s d a n s son genre.

34
Une nouvelle drolatique de S erge Korber, pa th ie mitigée. Mais ici, la façon dont nous
De/phica, fut u n b ain de fraîcheur d a n s ce est présenté u n jeu n e homme quelconque
fesüval préientieux. C'est habile, très forcé, et prom u a u ra n g d'idole, encensé p a r d es im pré­
l'histoire — celle d 'un petit fonctionnaire mi­ sarios et des directeurs cupides, livré à l'ad o ­
teux qui écrit un e nouvelle sur ses am ours ration de jeunes filles pâm ées ou hystériques,
im aginaires — quoique connue, am use à p re ­ d é p asse d e b e aucoup son sujet. C 'est toute
m ière vision. un e société qui est mise im pitoyablement en
cause. Pourtant, la réflexion, su r l a donnée
Litho, de l'Américain Cliff Roberts, suite
n 'e st p a s introduite p a r les auteurs. Ils s e con­
d 'im ages e n couleuis, sa n s commentaire, sur
tentent d'a lig n e r u n e suite d e constats bruts.
les différentes étapes d e la lithographie, n 'a
La cam éra devient u n témoin immédiat. C'est
q u 'u n défaut : il est tellement bien fait, telle­
la projection m êm e du film ainsi obtenu qui
ment intéressant à regarder, q u e l'on regrette
crée la distanciation nécessaire et permet a u
de ne p a s mieux com prendre la fabrication de
spectateu r d e juger, tout en éprou vant la
la litho. A partir d 'u n certain moment, les pro­
sensation prem ière. Le « cinéma-vérité », qui
cédés, leur pourquoi et leur comment nous
est avant tout un e technique nouvelle, atteint
échappent. Le film p e id son intérêt documen­
ici son but.
taire, pour ne conserver qu e son pouvoir d e
séduction. Des trois cou rts-métrage s présentés p a r
G eorges Dumoulin, Le N oble Jeu d e I'Oie est
C'est au contraire sur le document p ur q u e
incontestablem ent le meilleur. Dumoulin est
portent tous les efforts de Kurt G oldeberger
jeune. Il ressent le m alaise de sa génération.
(Tchécoslovaquie) dans La V ie a u Ralenti. S ans
truquer, il filme un e petite m alade qu e l'on Il le dit et le montre. Sur des sujets a n o ­
doit opérer du cœur, la suit à l a table d'opé­ dins en ap p are n ce , comme le d ressag e des
ration qu'il nous montre ju sq u 'à la fin. C'est chiens p a r les gendarm es (Am odia) et le jeu
absolum ent sans art, m ais didactique comme de l'oie, ou s u r la p ro p a g an d e hitlérienne
u n e bonne émission de T.V. Pour tous les docu- (L'Art et îa manière), le cinéaste attaq ue tou­
m entaristes, le dilemme est identique : à tes les forces coercitïves et m alfaisantes. II
vouloir faire de l'art, ils oublient leur sujet, les a ttaq ue a v e c une a p p are n te objectivité
ou, s'ils le traitent, ils oublient l'art. Rares sont (Ainodio), av ec une ironie frondeuse et une
ceux qui servent le document p a r l'art et l'art vivacité d a n s l a démystification (Le Noble
p a r le document. Privilège, il est vrai, des Jeu de l'Oie), a v e c un e logique froide et colé­
seuls grands cinéastes. reuse (L'Art et la manière), m ais toujours
avec simplicité, intelligence et invention. Ce
Les Mammifères, de Roman Polanski (Po­ qui, chez Herm an, g rand prix d e Tours 1960
logne), a obtenu, on le sait, le g ra n d prix de avec Acfua-filf, n'était dit qu'av ec des trucs,
ce festival. A juste litre. Dans son genre, le p rend chez lui un e force singulière.
film est fort bon : il se présente comme u n
M ack Sennett revu p a r Sam Beckett, u n bon Sincérité aussi, mais m aladresse et naïveté
num éro ciném atographique de c ab aret du type en plus, dans Les Filles de la route d 'un jeune
Rose Rouge. On y retrouve le thèm e q u e Po­ cinéaste lillois, Louis Terme. L'auteur évoque
lanski a vait d é jà traité d'une m anière bur­ le problèm e des jeunes ouvrières des usines
lesq ue d an s ses précédents courts m étrages, textiles, contraintes d e faire chaque jour cin­
Deux hommes ef une armoire et Le Gros et le qu an te kilomètres et plus, en autocar, pour
m aigre, ainsi q u e d'une façon mi-dramatique, aller à leur travail : comment la vie privée
mi-ironique d an s son prem ier g ra n d film Sii- d ’un être hum ain est complètement perturbée,
Jage, vu dernièrem ent à Venise : deux hommes totalement d é p en d a n te de ses conditions de
s'exploitent et s'envient réciproquement. Ici, travail. L'extrême dépouillement du récit, qui
l'a u te u r nous conte les aventures d e deux confine p re sq u e à la pauvreté, d é g ag e une
m iséreux qui sem blent sortis d'un e toile de poésie qui n 'e st peut-être sensible qu'aux
Breughel, perdus d a n s l'immensité neigeuse gens originaires de cette riche et sinistre plaine
d 'u n e p laine polonaise, et qui s e disputent l a du nord,
p lac e sur leu r traîneau. U ne construction René Allio, décorateur attitré de Planchon
solide, un enchaînem ent d e gags d'une extrême a u th éâtre de Villeurbanne, se lance à son
rigueur, un e invention constante et heureuse tour d a n s la m ise en scène. La Meule est un
d a n s les moindres détails, un e bonne direc­ épisode de l'Occupation. Deux trafiquants
tion d'acteurs, contribuent grandem ent à la seront, m algré eux, m êlés à un e affaire de
réussite de l'ouvrage. résistance et tu és p a r des miliciens. De bon­
Mais j'avoue avoir préféré Lonely Boy, film nes photos soignées, une direction d 'acteu rs
can a d ien de Wolf Koenig et Rom an Kroitor sur consciencieuse, u n e mise en scène classique
le phénom ène Paul Anka. II s'agit pourtant et appliquée.
d'un m orceau de « cinéma-vérité », genre pour
lequel je n 'éprouve en g énéral qu 'u n e sym ­ Jean DOUCHET.

35
L ’A N I M A T I O N

Lés notes qui suivent concernent uniquem ent d'avoir écarté l'insupportable commentaire d e
les quelques films dignes d'intérêt projetés à Ionesco qui écrasait le film à _Annecy. D essin
Tours, à l'exclusion d e ceux qui l'avalent é té et anim ation d a n s la tradition d e l'U.P.A. Dé­
à Annecy. Une seule exception : La Chanson cors soignés, belles matières.
du jardiniez fou.
La M auvaise herbe, — Autre exem ple —
LabirynL — Film polonais d e Jan Lenica plu s convaincant en définitive — d e sym bo­
qu'il n 'a u ra it p a s été excessif d e voir cou­ lisme g ra p h iq u e ; u n e ville est progressivem ent
ronné p a r la critique p résente à Tours (qui lui envahie p a r u ne m auv aise herbe qui finit p a r
p ré fé ra sentlm en lalement L a Fille d e la roule). l'étouffer. Eem arquctbles décors en p a p ie rs
Film plastiquem ent très proche d e Monsieur découpés d e W olfgang. Réalisation u n p e u
Tête, m ais dram atiquem ent plus soutenu, Des* em pesée d e Borris Borresholm (Allemagne).
sin solide. Excellente anim ation d e papiers
découpés. B ib -bü et Le CoyofJe. — Bib-bib le d y n a m i­
teur et Le Coyotte cosmonaute. Autrement d ît :
La Chanson du jardinier fou. — A d a p té d e Mirai et Bugs Bunny. Deux films d e Chuck
Lewis Caroll p a r Michèle Sallard, Françoise Jones réalisés d a n s le style frénétique ' h a b i­
Lecat et Jacques E spagne. Retient essentielle­ tuel des W arn e r Bros Cartoons Inc.
ment p a r l a qualité du graphism e et d e la cou­
leu r et l a force non-sensique des couplets de V O rateur, Grand-m ère cybernétique. —
Caroïl. Une ou deux faiblesses d an s le traite­ Deux films de m arionnettes réalisés p a r îe s
m ent — un temps mort a u milieu du film — deux m aîtres du genre, respectivem ent : Bre-
n'enlèv en t rien à la spontanéité d 'u n film qu i tislav P ojar et Jiri Tmka. Le premier : u n p o r­
m arq u e très heureusem ent le renou veau d e trait satirique d e l'O rateur, croqué av ec u n e
l'anim ation française. v erv e intarissab le et u n e étourdissante inven­
tion d a n s l'exploitation des gags. Le second :
Maître. — Réalisé p a r M anuel Otero et u n conte élé g iaq u e proche (par le ton) d e s
Jacques Leroux avec u n sens plutôt sym pa­ m eilleures histoires d'A ndersen. Les m aiîo-
thique du symbole — u n e b a rre au-dessus de nelîistes tchèques sont décidément les p lu s
s a tête sym bolisant l'aliénation de leur p e r­ forts. Ce q u e n o us connaissions moins, c'est
sonnage. Félicitons a u moins le s au teurs cette diversité d'inspiration qui fait d e P o jar et
d e T m k a les chefs d e file de deux sty les o p p o ­
sés, presque de deux écoles. En dénom inateur
commun : un e incom parable technique d a n s
l'anim ation proprem ent dite.

Les Bains. —■ A d a p té d e M aïakovski p a r


S erg e Youtkevitch et Antonin Karanovitch.
Satire d u bureaucratism e soviétique traitée
da n s u n sty le néo-dadaïsfe. La version p ré se n ­
tée, nous dit-on, est incomplète. Au passif du
film : s a n a ïv e té (il n 'est guère culotté, a u ­
jourd'hui, en U.R.S.S., d e cracher sur certain es
institutions), s a roublardise (faire croire q u 'il
est culotté de, etc.), l'anim ation d e s m arion­
nettes. A son actif : quelq ues belles trouvaille»
d e détail (transparences, divisions d e l'écran).

Films d e recherche. — Présentés sous le dra-


^ p e a u d u C entre d e Recherche d e l a R.T.F., c e
sont d e courts essais, pour la plu part abstraits,
q u i donneraient à u n m artien un e c u rie u se
.. id ée d e notre ciném a. Mais la question s e
? p o se : s'agit-il encore d e cin ém a? En term es
d e génétique, o n app ellerait plutôt ç a d e s
monstres.

Labyrinthe, de J a n Lenica. André-S. LABARTHE.

36
LONDRES aim é q u e l ’on massacrât un p e u la m usique
de Bizet, q u ’un D u k e Ellington, un Gil Evans
l’arrangeât, l ’adaptât, la réécrivît ; quelques
Voici la seule ville q u e je connaisse où la plans du b atteur (Art Blakey ?), dont le jeu
vision des films se double presque obligatoi­ est inaudible dans la bande son, perm ettent
rement d ’un exercice sportif ; en effet d'entrevoir ce q u ’aurait p u être m usicalem ent
W h a t ’s O n , la S emajne d e P a r is londonienne, Carmen Jones, O u il fallait respecter Bizet, ou
ne m entionne pas les adresses des cinémas — lui être délibérém ent infidèle, et les habiles
qui ne figurent pas toujours dans l ’annuaire arrangem ents de H erschell Burke Gilbert res­
— d ’oïi des courses insensées pour repérer tent à m i-chem in d e l’u n e et l’a u tie solution.
un T ourn eur, u n Dw an, program m és dans
d ’hypothétiques salles visiblem ent inconnues M usic M on, d e Morton D a Costa, confirme
de la gent anglaise. Profitons de cette digres­ définitivem ent la personnalité d u m ystérieux
sion pour saluer la qualité extrêm e de la pro­ auteur de M a tante. D ans cette adaptation
jection qui, dans la m oindre bourgade péri­ d ’une comédie m usicale de M eredith wilson,
phérique, ridiculiserait n om b re d e nos palaces q u ’il dirigea sans do ute à Broadway, on re ­
champs-élyséens. (11 faudra u n jour dénoncer trouve toutes les qualités de son prem ier film :
ce scandale d es m auvaises projections, scan­ m ise en scène à la théâtralité exacerbée, sou­
dale q u e le C entre tolère honteusem ent.) vent d ’une grande som ptuosité visuelle, pas­
sion pour les décors et les costumes « old
A tout seigneur tout h o n n e u r : grâce à Jac­
fashionned », prédilection pour les héros non
ques D em y et à sa productrice, îl m e fut conformistes, véritables cataclysmes vivants.
ossible de voir, dans la superb e salle de la R obert P ieston pourrait être le frère de Ma
ox, C arm en Jones dont les C àHIERS parlè­
tanteJ tant il dépense d ’énergie, d e verve pour
rent trop p eu. Supérieur à P orgy a n d Bess, convaincre les habitants d e petites villes am é­
ce film dépoussière littéralem ent l ’opéra, en
ridiculise les conventions et parvient à redon­ ricaines de fonder des orchestres enfantins ;
lui-même ignore tout d e la m usique, mais,
ner une vie nouvelle à u n arsenal de clichés. Elm er G antry du cornet à piston. L onesom e
Grâce à u n e direction d 'acteurs q u ’îl faut bien Rhodes du trom bone à coulisse, il en profite
qualifier d e géniale, Prem în ger nous passionne
avec u n livret m édiocre et nous bouleverse pour dépouiller quelque p eu les parents et
iour s’éclipser ensuite. Aussi dém esuré dans
dans les scènes chantées, en les recréant de
l’intérieur. O n nous m ontre des chanteurs
fe com ique destructeurf le m eilleur ballet nous
décrit la m ise à sac d ’u ne bibliothèque p ar un
comme nous n ’en avons jam ais rencontré, et Robert Preston survolté et don t la perform ance
tout m etteur en scène d ’opéra devrait aller
voir C arm en Jones pour p rendre conscience est extraordinaire), que dans le sentim enta­
lisme, M usic M an bénéficie d ’u n e charm ante
de son impuissance : les gestes de Dorothy
D andridge d a n s la jeep, les cinq dernières m i­ m usique, de ravissantes chansons, m ais souf­
nutes, ce sublim e « m eurtre musical a, la lec­ fre égalem ent d e défauts typiquem ent dacos-
ture de la lettre p ar Bellafonte, autant de m o­ taniens, un goût pour un e vulgarité racoleuse,
ments d ’une liberté totale qui peuv en t riva­ sensible dans cette obsession q u ’a le cinéaste
liser avec B onjour tristesse ou i?«>er o f No d e faire se trém ousser quelques énorm es bon­
R eta m . nes fem m es, un sens trop poussé de l’effet.

Q u a n d je p en se q u ’u n Sadoul ose qualifier De Millard K au fm an , excellent scénariste


cette œ u vre de bâclage technique, alors que (T ak.e the H igh G round}, on pouvait beaucoup
Ja virtuosité d u découpage, des raccords, tou­ espérer, mais R efirieve déçoit : non que cette
che à l’invraisem blable ï J'a u ra is cependant biographie d e John Resko soit ennuyeuse,

37
le décor toujours fascinant des prisons am éri­ Pearl o f South Pacific o u S ilv e r L ode, se p la­
caines et la présence d 'acteurs sym pathiques ce parm i les iceuvres m ajeures d e ce cinéaste
(V incent Price, Broderick Crawford) relèvent trop peu connu, tandis qu e Marines Let*s Go
un peu i ’intérêt. Toutefois la m ise en scène m ’a Jaissé froid, et cela m algré u n sujet typi­
achoppe sur le point essentiel, la durée : l ’ac­ quem ent w alshien : le repos des guerriers.
tion s’étale su r de nom breuses années, mais En effet, on ne parle de la guerre q u 'a u début
on ne p arv ient jamais à nous ren dre présente et à !a fin d u film d o n t la m ajeure partie
cette notion capitale du tem ps qui s’écoule nous décrit m inutieusem ent les quelques jours
et u n grand sujet se transform e p e u à peu de permission d ’u n g T o u p e d e m arines aù Ja ­
en film d e série. pon, avec tout ce que cela p e u t com porter
d e plaisanteries gaillardes (ah, l ’extraordinaire
Q uant à B lazing F or est, sa vision contribue histoire que raconte le sergent en im itant C h u r­
à dém ystifier un p e u plus E dw ard L udw ig, chill !), d e bagarres, d e quiproquos, de m ysti­
idole, en France, d e trois farfelus. Dans ce fications. M alheureusem ent, com m e dans la
m élodram e forestier, à la tram e banale rele­ plupart des films Fox de cet auteur, la mise
vée p ar quelques astuces d e dialogues de en scène enlève tout tim ing à bon nom bre
Lewis R. Foster et W inston Miller, les trois d ’idées savoureuses. N éanm oins tel flash back,
premiers plans p euv en t faire croire à l ’exis­ sur une jeune C oréenne lisant u n e lettre de
tence d ’un m etteur en scène, m édiocre du son am ant, telle confession d ’un e fem m e m eur­
reste. L a suite gom m e rap idem ent cette es­ trie par la vie atteignent à un tragique dont
quisse, selon les principes chers à H a n n a et l ’auteur de PursuecJ se m ontrait autrefois m oins
Barbera, et la seule com pensation nous est parcim onieux.
fournie par la beauté naturelle d u technicolor,
Ludwig a d û réussir de bons films, L e Rêtfeil L ’ceuvre d ’A llan D w an, m oins lucide et
de la sorcière rouge m ’avait paru excellent et plus tendre que celle de W alsh, m oins am ple
Jiûaro, L a V ille sous le joug sem blent pro­ et plus secrète, brille surtout p ar la noblesse
m etteurs. Mais Lewis Foster, John A u er, sans et la générosité ; à l ’acuité du regard de n o ­
parler de G ordon Douglas et John Farrow ont tre célèbre borgne, D w an oppose une douceur
certainem ent plus de réussites à îeur actif que raffinée : cf. l'ad m irab le sé quence d u M a ­
l’obscur E dw ard ; je soupçonne d ’ailleurs ses riage est poinr dem ain où John P ay ne et R o ­
adm irateurs d e n e l ’avoir élu que parce que nald R eagan, traqués p ar u ne m eu te de lvn-
se? œ uv res sont introuvables. cheurs, perdent d e précieuses m inutes à aller
saluer R ho nda Flem ing.
Passons sur plusieurs nom s encore moins Ces qualités, précieuses entre toutes se re ­
connus, T h o r Broofcs, cinéaste suédois eï pro­ trouvent dans R iv e r E d g e : un bandit (Ray
lifique (il m onta des pièces de théâtre en M üland) oblige un cow-boy (A nthony Q uinn)
E urope) dont Légion oj th e D oam ed bat tous à le guider ju sq u ’à la frontière, à travers u n e
les records de nullité, Franck McDonald et sa étendue désertique. Les d e u x hom m es sont
m inable Underwater City, pour nous attarder accom pagnés par la fem m e de Q uin n (Debra
sur Roger K ay à qui l’on doit le rem ake de Paget) qui a ab an d o n n é son m ari pour Mil-
Caligari, beaucoup m oins ennuyeux et sinis­ land. D urant le voyage, les deux adversaires
tre que l’original : le responsable en est sur­ auront tour à tour le dessus, m ais finalem ent
tout R o bert Bloch, qui en a profité pour re­ le criminel se tuera et le cow-boy regagnera
faire P sycho, en transform ant le thèm e de l’am our d e sa fem m e. A priori, toutes les
W ie n e en un e m éditation psychanalytique. Les cartes sont connues et la partie jouée d ’a v an ­
sym boles a b ond en t et, des deux lignes de ce. D w an la gagne cep end an t, en refusant de
force freu dien ne sur lesquelles repose le scé­ truquer fe jeu et d e se livrer à des tours d e
nario, l’une est ridicule et a téléphonée », passe-passe intellectuels ou esthétiques.
m ais l ’autre constitue une surprise agréable.
L e travail d e K ay, toujours prévisible, témoi­ M êm e honnêteté, encore, dans la direction
gne d ’une certaine am bition qui quatre fois des acteurs, d ’u n e exem plaire sim plicité : A n ­
sur cinq échoue, et cet échec s'aggrave d ’une thony Q uin n est tout sim p lem en t prodigieux
irrém édiable laideur plastique, point commun de sobriété et R a y M illand, d ’ordinaire bien
à tous les film s Fox. actuellem ent d u moins. déplaisant, révèle des possibilités inattendues.
— B. T . Q uan t à D ebra P aget, il faut l ’avoir vue d a n s
les prem ières séquences d u film , tandis q u ’elle
se débat avec un m atériel culinaire des plus
rudim entaires, ou à la fin, lorsqu’elle se fait
DW A N opérer p ar son m ari qui a fait bouillir l ’eau
avec les billets de b a n q u e volés par R ay
A près cette brillante épopée _londonienne, M illand.
u ne offensive foudroyante en territoire flam and M êm e ho nnêteté, enfin, d a n s la m ise en
nous perm it d e d énicher, dans un obscur vil­ scène, d ’inspiration essentiellem ent m orale, qui,
lage proche de la frontière hollandaise, un comme dans Silver L o d e ou T enessee's Part­
double p ro gram m e que bien des ciné-clubs ner, préfère exajter les m om ents d e repos,
pourraient envier : Marines L e t’s Go, d e Raoul d ’apaisem ent, plutôt q u e se consacrer à l ’étu­
W alsh, couplé avec R ioer E d g e, d e Dwan. de de la violence.
D e cette confrontation passionnante., Allan
sort victorieux, b attant son adversaire de par Certaines m inutes de tendresse ne sont po int
le score de trois étoiles et dem ie à deux. Il indignes des élans lyriques d e G riffith et
fa u t dire q u e R iv e r E dge (Le V oyage halluci­ De Mille. D w an se refuse à c o ndam n er un
nant) sans égaler tout à fait Tenessee s Partner, personnage et m êm e à le juger ; lcr, par

38
Eleonora Rossi-Drago et A nnetïe Stroyberg dans Anima Nera de Roberto Rossellini.

exem ple, la description des m eurtres commis raison, surtout, que la m ajeure partie de l’h is­
par Ray Milland évite toute complaisance, et toire se déroule dans et sur un lit, ou à côté
l ’on sent que le cinéaste est plus intéressé par de lui. L ’auteur qualifie volontiers cette œuvre
les m om ents de sincérité, a e générosité, du de a tentative » dans un e direction nouvelle
hors-la-loi que p a r ses actions criminelles ; pour lui. C ’est l’adaptation d ’un e effroyable
d ’ailleurs, on ne p e u t q u 'être frappé par la pièce de Patroni-Griffî, réalisateur de II Mare
sym pathie q u ’il éprouve p o u r les gens que dont Jean Douchet vous a dit, à V enise, tout
la société a rejetés (prostituées, gangsters) ou le m al q u ’il fallait penser. L ’âm e noire est
essaye d e rejeter. celle d ’un arriviste romain, bel hom m e et sans
scrupules, dont la jeune épouse (Annette
Saluons enfin le merveilleux m om ent du ré­ Stroyberg) découvre inopiném ent le passé.
veil, où les am ants blessés découvrent que tout Pour cet univers d ’insatisfaits, le lit constitue
au tour d ’eux la rivière, les arbres, les rochers l ’illusion d ’une comm unication, parfois d ’un e
sont couverts de billets d e b a n q u e et refusent virginité nouvelle de la conscience. L a cam éra
d e ramasser cet argent qui avait failli briser de Rossellini transforme les données b o u r­
leur amour, — B. T . geoises de l’oeuvre en un docum ent sur quatre
visages, quatre m odes différents d ’exister par
rapport aux autres. La mobilité d e la caméra,
les déplacem ents incessants des personnages,
A N IM A NERA l ’invention perpétuelle dans les gestes et les
regards, et, par dessus tout, la m anière d e
ousser chacun ju sq u ’à la crise de nerfs et
R o m e , noOembre 1962. — 11 faut s’aventurer F hystérie, finissent par créer une impression
dans les arcanes des ciném as à strip-tease de vérité, dans l ’am our com m e dans la haine.
pour découvrir le dernier film d e Rossellini, Le m oindre m érite du film n ’est pas d ’avoir
A n im a nera. A près une exclusivité-éclair, il a fait donner le m eilleur d ’eux-mêmes — donner
échoué dans ce genre de circuit, sur la foi eux-mêmes, pourrait-on dire — à des acteurs
d ’une scène de boîte de nuit où Vittorio aussi superficiels, d ’habitude, que Vittorio
Gassm an, 1* « âm e noire » d u film , assiste Gassm an, A n n e tte Stroyberg,_ N adja Tàller,
à un strip-tease bien innocent, et pour la Eléonora Rossi-Drago et Y vonne Sanson.
A n im a nera confirme ainsi l ’évolution d e m ontraient (qui sait pourquoi?) q u ’un plan
Rossellini vers".des films plus ouverts, et sa fixe de l'oeil pétrifié dans la mort.
voIonté~de s'attacher à des personnages plus O n appréciera en outre tout l'h u m o u r q u i
q u ’à u n sujefcou à un m ilieu. — J. J. peut résulter de l ’italien approxim atif qu e jar-
gonnent, lors d u repas m ondain a u déb ut, les
invités « européens » des G érard — contras­
tan t avec celui, sans fard, des quartiers
ROSSELLINI INTEGRAL ouvriers. L ’emploi d e l'anglais ou d u français
trahissait, à cet égard, considérablem ent l ’esprit
Surprise et ém erveillem ent ce dim anche d e de l’œ uvre, d e la m êm e m anière si l’on veu t
novem bre à la C iném athèque où, sans tam ­ que les horribles « babélianism es » des v e r­
bour ni trom pette, est projetée, pour la p re ­ sions doublées de Pa'isa. — C. B.
m ière fois en France (et non la dernière,
espérons-le), la version intégrale italienne
d 'Europe 51. C’est peu de dire qu e notre SCOPITONES
vénération, vieille de deux lustTes, se trouve,
si possible, renforcée; l’on m esure, surtout,
quel tréfonds de sottise peuvent déchoir Le 23 décem bre I960, dans un café p a ri­
d ’infâm es cisaîlleurs de pellicule, tran chant sien, une prem ière pièce d e cent francs d é ­
— osons dire : dans Je vif d 'u n ensem ble clenchait Salade: de fruits chanté et joué p ar
adm irablem ent structuré. O nze ans plus tard, A n n ie Cordy, prem ier film présenté sur un
la chose, on le sait, se renouvellera avec scopitone. Le scopitone, si vous l’ignorez, est
V anina : est-ce le sort de R. R. que d ’être u n composé de juke-box et de télévision en
ainsi périodiquem ent déchiqueté? couleurs coffre éléphantesque surm onté d ’un
écran dfe cinquante-quatre centim ètres. A u ­
A l ’intention des fanatiques {qui sont encore jourd ’hu i les scopitones ont envahi les bars
assez nom breux, merci), je signale quelques parisiens, provinciaux, étrangers. Chacjue a p ­
pièces maîtresses de cette carte d ’Europe ainsi pareil propose u n choix entre trente-six b a n ­
ressoudée. D ’abord, bien sûr, ce qui avait été des de trois m inutes chacune j la durée d ’uno
sup prim é de la version anglaise et qu e la chanson. A u total, cent-trente sujets sont in s ­
v.f, •— préférable pour une fois — restituait crits au répertoire, et le stock augm ente d e
à peu près : tout le rôle de Giulietta M asina, quatre nouveautés mensuelles.
la douche des gosses, le dialogue avec Irène ...Voici donc un appareil s’adressant a p n o ri
qui, lui ayant trouvé une place à l ’usine, est à la m oins exigeante des clientèles : passants
contrainte de la rem placer; le prem ier contact vidant un verre en vitesse à un com ptoir...
d ’Ingrid avec la m isère faubourienne (plus un La place d u scopitone est entre l’appareil à
plan, dans l'au tobu s, avec G iannini, souvent sous et la piste d e dés, comme celle d u ciné­
coupé) et la chanson du guitariste; au d é b u t m a naissant se situait entre la baraque d e la
de la séquence de l ’usine, Te lent panoram ique fem m e à ba rb e et celle de l’avaleur de feu.
sur les turbines, tronqué égalem ent... Mais Voici d ’autre p a rt u n engin qui porte, d a n s
cela, des recoupem ents antérieurs nous le but m êm e q u ’il s ’impose, la tentation d e Ja
avaient perm is, tant bien que m al, de le plus naturelle des solutions de facilité. Q u e
reconstituer. d e m and e le public ? U n e vedette c h an tant
Ce qui, en revanche, est absolum ent inédit un e chanson. A lors, il suffirait de p rendre en
(et sublim e, il va sans dire), c’est, p eu avant gros plans Georges Ulmer Juliette Greco,
l’agonie de la prostituée,"1la course é p erdu e V ince T aylor, M ariano, de les laisser à leurs
d ’Ingrid à travers la ville' endormie à 'la couplets et la mission serait accomplie. O r,
recherche d ’un m édecin, assez sem blable à sa ce qui frappe pour tout scopitonien im partial,
déam bulation solitaire dans le labyrinthe d e c’est q u'il n ’est, p o u r ainsi dire, pas u n seul
Strom boli : rapp elant l’enfant d e l ’île assis de ces petits films qui ne soit m arqué au
sur des m arches, ici l ’on voit surgir uh in te r­ coin de la recherche, d u raffinem ent, d e la
m édiaire à m in e douteuse qui entraîne Irène difficulté. Le jeune scopitone ne connaît pas
dans l ’antre d ’un pharm acien de nuit, lequel la honte des « repas de b ébé a et « sorties
la décourage en lui déclarant q u ’elle ne tro u ­ d 'u sin e C am eca J>.
vera personne à pareille h eu re; c’est alors u n Elle peu t ne durer q u 'u n instant, m ais il y
appel téléphonique angoissé, puis à nouveau a toujours une trouvaille ; d ’ailleurs, contrai­
la rue, le m édecin mal réveillé, l ’escalier et rem ent aux L um ière, les réalisateurs tie sont
l’anticham bre sordide de la fille... Pas très pas n ’im porte qui : A lexandre T arta , subtil
loin de là, un flash de journal italien, sui­ et fin, est un des m eilleurs metteurs en scène
vant un plan de kiosque au petit m atin, d e la Télévision, et Claude Lelouch, plus in ­
annonce à p e u près : a Une fem m e d u m o n d e ventif, m ais plus vulgaire (dans son « L e jo u r
fait évader an assassin. O n jbense qu’il était le plus long » — qui a le m érite de ne d u re r
son am ant ». E nfin, le plan le plus déchirant que deux m inutes quarante secondes ! — il
peut-être, où la cam éra rosselîinienne s’ap- il y un plan de D alida en héroïne de guerre,
roche de si près de la source de vie que
F émotion ressentie est à la limite d u tolé­
surgissant du ch am p de bataille au m ilieu des
obus, auquel m êm e l ’hom m e au cigare n ’a
rab le : glissant de l ’œ il de la prostituée q u e pas osé penser), est un honorable « nouvelle
la m ort vient de saisir, un souple travelling à vague y>.
fleur de peau vient cueillir l’ultime pulsation
sur_ l’artère frém issante d u cou... Pour m é­ Mises en scène, donc, souvent brillantes :
moire, rappelons que les autres versions n e Lelouch joue b eaucoup des extérieurs, va to ur­

40
Le « scopitone )j sera-t-il le neuvième art ?

ner à H onfleur « La rigolade » au Mont V en- porté trop de mélancolie à « Prem ier bal »,
toux a L e voyageur sans étoiles a ou à son à Marie-Hélène un e certaine préciosité pour
cher jardin d'acclim atation « Locomotion », ne a La cage », A q u and un scopitone d ’art et
dédaigne p as d ’introduire dans et Le jour le d essai com m e il y a des salles de répertoire ?
plus Tong » des fragm ents d e bandes d ’ac­
tualités et, avec « Zizi la twisteuse » se d é ­ Je crois à l ’avenir du scopitone, parce que
lecte de virtuosité d e m ontage. T arta ébauche son jeune passé fuit au m axim um les conces­
des esquisses de scénario avec et Babylone sions que son objectif m êm e im pose. A vec ce
21-29 » ou « L ’h om m e du b a r », évite la neuvièm e art-pygm ée, bien des initiatives pour­
répétition d ’un rock à un autre rock, en va­ raient être permises : on p e u t en faire des
riant les am biances et les angles de vue, se choses en trois m inutes I P ourquoi pas des
perm et m êm e, avec « Bons baisers, à bien­ sketches, des num éros de cirque, des extraits
tôt y>, u ne rem arq u ab le astuce inédite sur de rencontres sportives, des condensés d 'é v é ­
l’éternel thèm e d es sosies : les deux sœ urs nem ents politiques, voire de short-short-stories
Kessler évoluent d e concert, e n tous points équivalentes au x nouvelles en vingt lignes ?
identiques, ju sq u 'à ce qu e nous réalisions que Et pourquoi des aspirants cinéastes ne pour­
nous n ’avons affaire q u 'à l ’u n e d ’elles, placée raient-ils pas utiliser ce trem plin com m e banc
devant un miroir. E t aussi excellent choix et d ’essai ? Il est déshonorant a ’être forcé de se
direction d ’acteurs : m alm ené p ar le cinéma, faire les griffes sur un scénario de série B
H enri Salvador se déchaîne et joue tous les avec u n budget dérisoire ; m ais chacun de
rôles de a T w ist S .N .C .F . » ; insignifiante nous a a sa » chanson q u ’il rêve d ’illustrer
sur scène, Colette D eréal trouve la cadence selon son cœur.
am éricaine po u r an im e r <c T u m e feras d a n ­
ser », et il suffit de deux fois trois m inutes Rêves ? Oui-, Maïs dès l’înstant ou l ’on peut
(« M adeleine » e t surtout <r R osa ») p o u r que dire « Pourquoi pas n à propos d ’un e inven­
Jacques Brel, précis, viril, efficace, s’impose tion nouvelle, c’est bon signe. E n attendant,
a notre approbation sans réserve. délectez-vous à « Q uando -quan do a (les soeurs
Kessler). a Rosa » (Brel), « Est-ce q u e tu le
Les scopitones o n t dé jà — n ’est-ce pas bon sais » (Sylvie V artan), « A h , si j ’étais resté
signe d ’am bition ? — leurs films m audits. Le célibataire » (Verchuren). « Bal perdu » (Gré-
gros public a reproché à Jacques Chazot de co) ou k L aisse les filles » (Johnny Halli-
m ontrer un ballet, à C laude G oaty d'avoir ap ­ day)... — F. M.
PRIX Après l’aïmistice, je jouai les a cascadeurs
volants » dans u n film m uet. Ce fut m on p re ­
m ier contact avec ce nouveau genre d e diver­
P ou r la qu atrièm e fois, le prix de la N o u ­ tissement et, im m édiatem ent, je sus que le
velle Critique a été d écerné cette année. Une cinéma allait devenir m a nouvelle carrière.
légère m odification est intervenue : les m e n ­ Cette décision, je n e l ’ai jam ais regrettée un e
tions de film surfait — devant l ’impossibilité m inute, par la suite.
de s’entendre sur la notion m êm e a e « sur­
fait » —• ont été rem placées p a r u n nouveau A vant la guerre, j ’étais un im portant des­
prix attribué à la m eilleure reprise de l ’année. sinateur publicitaire en Californie. A- peine
C ’est E ducation sentim entale d ’Alexandre eus-je goûté de l’art ciném atograp hiqu e, q ue
A stiu c qui l ’a em porté p o u r le ciném a fran- j ’abandonnai sur-le-cham p l’art g rap hiq ue. Je
ais, devant Vitire sa üie, C léo de 5 à 7 et commençai p ar écrire d es scénarios, Mack
u/es et Jim , L e C om bat dans Vile ayant, lui Sennett m e fit entrer dans son équipe : je
aussi, obtenu quelques voix. Le jury a voulu, m 'occupais des intertitres, trouvais des gags,
plutôt q u ’un e œ uvre à la gloire consacrée, cou­ et préparais les scénarios de ces m erveilleuses
ronner u n film injustem ent dédaigné p ar la comédies, improvisées selon Jes circonstances
presse, le public et les organism es officiels. extérieures.
En 1929, j ’eus la chance extraordinaire de
Plus curieux p e u t sem bler le prix du « m eil­ rencontrer le grand Cecil B, D e Mille, à qui
leur film étranger », attribué à Ladies' M an de je dois pratiquem ent tout ce q u e j ’ai appris.
Jerry Lewis, p ar sept voix contre six à Too Il me donna m on prem ier film à réaliser ; je
Lates B/ues, a u septièm e tour de scrutin. le mis en scène d 'a p rès u n scénario que j avais
Mais le film de Lew is m éritait d ’être rem arqué. écrit moi-m ême, ce qui1 était un progrès consi­
E t com m e les grands ténors de cette année dérable sur les étonnantes et naïves produc­
(Hawks, P rem inger, Rossellini. Fuller. Min­ tions de Mack Sennett, dont la plupart sont
nelli, Ford, V isconti, K azan, "Welles, Brooks) m aintenant des classiques.
partageaient trop le jury, noua avons opté
pour un cinéaste encore trop m éprisé par Ja Mes neuf prem ières réalisations avec P athé-
critique. De Mille furent basées sur des sujets origi­
naux, J’étais à l’ép oqu e scénariste, producteur
E n revanche, c’est au prem ier tour et à et réalisateur, Puis, je m e tournai vers u n e
l'unanim ité q ue L e M écano de la Générale série de films m aritim es. E n 1935, j’achetai
a obtenu le prix de la m eilleure reprise. Juste un b ateau à voiles de 107 pieds, Y Â tk è n e , et
hom m age à l’un des grands génies du ciné­ je décidai de faire u ne croisière autour du
m a. — J. Dt. m onde. D urant une a n n ée entière, je sillonnai
les m ers de l’E q uateur à la Norvège, film ant
et photographiant tout ce q u e je rencontrais
d ’insolite. J’utilîsai ce m atériel dans l’u n e de
mes réalisations dont le scénario m 'av a it été
TAY CARNETT inspiré p ar cette croisière, Trade VKinds avec
Fredric Marcb, Joan B ennett, R a lp h Bellamy
s T aY G aRNETT : né à Los Angeles. E tu­ et A nn Sothern. Slaüe S h ip , d o nt vous m e
des : Institut d e Technologie du Massachus- parlez, fut l ’un des titres d e cette série. C ’était
sett. Marié à l ’actrice M ari A ldon. A n cienne­ un film sim ple, sur les b ateaux et les h o m ­
m ent m arié à P atsy R u th Miller et à Helga mes q u i en com posaient les équipages.
Moray, Taille ; 6 pieds 1 pouce. Poids : 170 Parm i les films q u e je préfère, je dois m en ­
livres. Cheveux gris ; yeux bleus. Profession : tionner tout d ’abord H er M an. L e m élan ge du
dessinateur publicitaire, aviateur, écrivain, ci­ comique et d u tragique y était, je crois, p a r­
néaste. Signes fxrrfi eu fiers ; a visité plus de ticulièrement réussi, et. à Paris, l’exclusivité
pays que n ’en peu vent m entionner les agences dura plus d ’un an au M oulin-Rouge, ce dont
de tourisme, Sportif accom pli, nageur émérite, je suis particulièrem ent fier, je dois dire.
autorité culinaire pour les nourritures d e tous
ie3 pays. » J’aim e aussi V oyage sans retour. China
Seas, avec Clark G able, Jean Harlow , W allace
/Itns! com m ence la biographie de T ay Gar- Beery, R oy Russell et R o b e rt Benchley, était
neti, ÿ ’j e nous devons à l'obligeance de ce un rem arquable film d ’action. Loüe Is Netûs
<Jerrn‘er. Les quelques renseignem ents supplé­ {L’A m o u r en prem ière page) est une œ uvre
mentaires qu'il nous donne feront patienter, en très personnelle d o n t je contrôlai tous les élé­
attendant un entretien plus consistant et p&'-tt- ments, m ontage inclus,
être un h o m m a g e à la C iném athèque, les ad*
mirateurs du stibïtme Son hom m e, de Seven Cross o f Lorrainet su r la France occupée,
Sinners, des Corsaires de la terre et de la ra­ pend an t la seconde guerre m ondiale, est l’une
vissante com édie L ’A m ou r en prem ière page, de m es réalisations qui m e tien nen t le p lu s à
présentée par le N ickel O deon. cœur. Il y avait Jean-Pierre A um o nt, G ene
K elly, P eter Lorre, H u m e Cronyn et S ir Ce-
a Je suis en tré d a n s le ciném a p ar hasard, dric H ardwicke.
presque involontairem ent. D urant la prem ière
uerre m ondiale, je servais com m e instructeur Je citerai aussi Bataan, q u i peignait l’une
ans l'aviation à Pensacola, en Floride, et plus des plus som bres et des p lu s héroïques heures
tard à San Diego. D eux terribles accidents, de l ’histoire am éricaine, avec R ob ert T aylor,
les avions d ’alors étaient très primitifs, m 'e m ­ Desi A rnaz, R ob ert W a lk e r, T h o m a s Mitchell,
pêchèrent d ’aller m e b attre outre-mer. Lloyd Nolan et Barry N elson ; Mrs Parl^ington,

42
Loretta Young et Tyrone Power dans Love Is News de Tay Garnett.

T h e Valley o j Décision et T h e P ostm an A l- tiques du Far W est, réunies dans la série


ways R ings Tu>ice. Death V alley Days.
Je voudrais profiter de l ’occasion que vous P lus près d u véritable ciném a, ont été les
m 'offrez pour rendre h om m age à quelques vingt-cinq films d 'u n e h eure que j’ai tournés
grands cinéastes d'H oliyw ood. Trois géants pour W agon Train, Rioerboat, T h e Naf^ed
sont morts récem m ent : \[ic Flem ing, Sam City, l^aramie, GunsmoJje, Rauihide, T h e Un-
Vv7ood et F ra n k Borzage, touchables, sans parler d'autres séries. Je viens
de com m encer un western, Cattle K ing, avec
Parm i les plus grands réalisateurs vivants R obert T aylor et Joan Caulfîeld. »
mes préférences vont à F rank C apra, H enry
K ing et Richard Brooks. Parm i les jeunes, je
citerai John R ich pour la com édie et T ed
Post pour les films dram atiques. Ces deux ARKADIN
cinéastes me sem blent tout à fait rem arqua­
bles (1). Q uel est le cinéphile qui ne l ’ignorait ?
Dernièrem ent, j ’ai travaillé à la télévision, O rson W eîles a réalisé sim ultaném ent deux
réalisant ce que les Am éricains app ellent des versions de Monsieur Arl^adin ! Plus de quatre
« téléfilms a, à savoir 16 épisodes d ’une demi- ans après la film ographie établie par A n d ré
heure de T h e Tall M an avec Barry Sullivan Bazin et Jacques Doniol-Valcroze (Cahiers
et le nouveau venu C iu G allagher, onze épi­ n° 87), c’est ce q u e nous ap p ren d Emilîo Sanz
sodes d e T h e D eputy avec, la p lu p art du de Soto, am i de W elles et de Bunuel, qui
tem ps, H en ry Fonda, dix d e T h e Beachcom - nous com m unique le générique complet d e
bers, d ont la vedette était C am eron Mitchell, la version espagnole :
et la plus grande partie des histoires a u th e n ­ Scénario et dialogues ; Orson W elles.

(1) Voilà qui réjouira les supporters de Fais ta prière Tom Dooley et du court métrage de Post qui
passait avec Les Soucoupes volantes attaquent.
Im ages : Jean Bourgoin. scènes, celle dont une photographie figurait
M usique : Paul Misraki. en couverture de notre précédent num éro.
Décors : Gil Parrondo, José Luis Pérez John W a y n e allait chercher dans sa cham bre
Esc ïinosa, et Francisco Prosper. Eisa Martinelli, pour Ja m ener fêter la fin de
M ontage : A ntonio Martinez, l’expédition. Il la trouve en pleurs. Elle lui
Interprétation ; A kim Tam iroff, Patricia dit q u’un e épine, dans son dos, lui fait m al.
M edïna, Jack W atling, Orson W elles, Mischa P e u versé dans la psychologie fém inine, il
A uer, P e ter V a n Eyck, Michael Redgrave, accepte cette _ explication et extrait l’épine.
A m p a ro Rivelles, Irene Lopez de Heredia, Mais, à la crise d e larmes, succède la crise
Paola Mori, M ark Shape, Gustavo Re, Manuel d e nerfs. W ay n e ne com prend pas q u ’il s'agit
R equena, Emilia Ruiz, Jacinto S an Emeterio, d ’une déclaration d ’am our. U part en cla­
Gary Land, et la collaboration spéciale d e quant la porte, laissant Eisa seule au ranch,
A ntonita Moreno qui interprète une chanson. qui s’enfuit au petit m atin. — J. Dt.
Production : Filmorsa-Cervantes Films, M a­
drid. 1954. FREE CINEMA
Deux versions, c ’est peut-être beaucoup dire,
mais du moins u n e comparaison des deux C hangem ent de program m e sym bolique à
génériques (notam m ent dans l’interprétation) l ’O deon d e Leicester Square, la principale
permet-elle de faire état d ’u n certain nom bre salle d'exclusivité londonienne : Law rence à f
de différences qui doivent se traduire, à A rabia , de David L ean, cède la place aù
l’écran, par un certain nom bre de plans prem ier g ran d film d e L indsay A n derson,
de rem placem ent (les plans où apparaît T h is S porting L i f e . La génération de Breüè
Suzanne Flon étant remplacés, dans la renconfre passe le flam beau à celle d u Free
version espagnole, p ar des plans avec A m paro Ciném a. O n ne pouvait imaginer relève plus
Rivelles, les plans avec K atina ■ Paxinou par éclatante.
des plans avec Irene Lopez d e H eredia, etc.). Il y avait déjà eu, certes, Sam edi soir,
Il serait intéressant de savoir si, au-delà d e dim anche m atin, de K arel Reisz. Reisz, q ui
cette substitution, qui ne ch ange vraisembla- a égalem ent produit le film de L indsay A n ­
m e n t rien au sens d u film (surtout d ’un film derson, décrivait la révolte d ’un individualiste
comme A rfo d in ), le m ontage ne comporte pas contre les tabous sociaux régnants. Ce q u ’on
de variantes. L a présence d ’un m onteur dif­ pouvait reprocher à son film, c’est d ’être trop
férent dans chacune des versions ne pouvant tim ide, trop sage, m algré l ’audace réelle du
en l ’occurrence être tenue pour décisive, sujet. F ra n k M achin, joueur professionnel de
comme en tém oignent les deux « versions » rugby dans une petite ville d e province, héros
d u Procès. — A .-S. L. de T h is Sporting L ife, est en u n sens le cousin
germ ain d ’A rth u r Seaton. Mais sa révolte
inarticulée est d ’abord vécue de l’intérieur,
SIGNAL com m e impossibilité à établir une véritable
com m unication avec la femm e qui est d eve­
A vec Kozaja, c ’est une heureuse surprise nu e le témoin de sa réussite, et q u ’il adm ire :
qui nous vient de Yougoslavie. O n y trouve sa logeuse, u n e veuve, m ère de deux enfants,
uelques-unes des plus belles scènes de guerre perdue dans le souvenir et d ’étranges pudeurs.
u ciném a, u n sens constant du décor qui Le conflit de ces deux personnalités,
finit par participer au_ dram e. L'histoire est paroxystique dans le dernier tiers du film,
celle ae trois mille partisans de T ito, encerclés s'achève en tragédie. Mais Lindsay A nderson
sur une m o ntagne (Kozara) par les troupes ne prouve rien, sa u f peut-être q u ’if est norm al
allem andes. Q uelques scènes intimes viennent, ue deux êtres doués de caractère, lui force
m alencontreusem ent à m on sens, couper le e la nature, elle sensibilité écorchée vive,
rythm e épique d u récit. Mais le souffle d u échouent parfois à s’ajuster. Jam ais des acteurs
cinéaste finit par l ’em porter sur les m ala­ anglais n ’ont joué dans un film anglais avec
dresses et les naïvetés d u scénario. Son nom : l'intensité déchirante et la passion qui sont
V eljko Bulajic, — F. H. celles d e R ichard Harris et Rachel Roberts
dans T h is Sporting L ife. — L . Ms.
HATA RI
ERRATUM
Hatari fut présenté, les prem iers jours, dans
les salles d ’exclusivité parisiennes, coupé au Dans m a note sur Kïiler s K iss (N° 135,
b eau milieu p ar un entracte de dix m i­ p . 62) j ’ai confondu F rank Silvera (Vincent
nutes. Cette pratiq ue est courante en Italie, Rapallo, le gangster) avec Jam ie Sm ith (Davy
il serait dom m age q u ’elle se répande en F ran­ G ordon, le boxeur) et celui-ci avec Irene rCane
ce. Des protestations énergiques ont eu, cette {Gloria Price, l’entraîneuse). Q u ’on veuille
fois-ci, raison d ’elle. bien m ’excuser et considérer com m e nulles et
no n avenues les prem ières lignes d u . d ernier
Ce n ’est pas le plus grave. Ces dix m inutes, parag rap h e sur la ressem blance d u prem ier
consacrées à la confiserie, ont été prélevées avec Jean-Pierre A u m o n t _et la poitrine d u
sur le film lui-m êm e et n ’ont pas été rétablies. second « q u 'o n souhaiterait, disais-je, décou­
C ’est ainsi q u e m an q u e Tune des plus belles vrir m ieux », — C. B.

C e p e t i t j o u r n a l a é té r é d i g é p a r CLAUDE BEVUE, JEAN D o UCHET, F e r e YDOUN H o VEYDA,


J a cq u es J o l y , A ndré S. L a b a r th e , L o u is M a r c o r e l l e s , F r a n ç o is M ar s e t B ertrand T a v e r n ie r .

44
LA PH O TO DU MOIS

Luchino Visconti dirige une scène du Guépard-

Le déclin d ’une société condam née par l ’histoire, l ’incapacité d ’un e classe sociale à s’a d ap ­
ter à un m onde nouveau, le jeu de l’apparence et de la réalité dans une Sicile hors d u tem ps
où les m odifications superficielles ne m ettent que m ieux en relief u n anachronism e fondam en­
tal : Visconti retrouve dans le rom an de T om asi di' L am pedusa la thém atique de l ’Ancien et
du Nouveau, sous-jacente à chacun de ses films. Le G uépard sera-t-il pour lui ce film d e syn­
thèse, cette réflexion sur lui-m ême, la société où il vit et le m o nde d ’aujourd’hui, à laquelle
l’âge et le sujet traité le prédisposent ? O ui, sans au cun doute, mais en m êm e tem ps le cinéaste
ne cache pas son désir d ’échapper à toute form ule, d e renouveler ses m éthodes de tournage,
ainsi- q u ’il com pte le faire ensuite avec l ’adaptation de L ’Etranger. M alheureusem ent, il n ’a jju,
cette fois-ci, faire aboutir son projet initial d ’employer des com édiens n on professionnels.
J'a i vu tourner en Sicile quelques extérieurs et la séquence d u bal, qui m ’ont confirm é dans
l ’im pression q u ’il s’agirait bien là d ’une d e ces œuvres de la m aturité où le cinéaste tire la
leçon de sa vie et se p e n ch e sur l ’idée de bonheur. Com m e dans Senso, R occo ou Boccace, c’est
d ’une étude m inutieuse d u m ilieu qu e naît le jugem ent sur ce m ilieu. C ’est donc avec la m inutie
de l'historien qu e V isconti a choisi les intérieurs baroques des palais et des églises d e Sicile, ou
fait reco n stitu e r la façade d u palais de Donnafugata. Les acteurs eux-m êm es — A lain Delon,
C laudia C ardinale et Burt L ancaster — sont traités com m e d e m agnifiques objets. Dans la salle de
bal, tapissée de satin jaune, cam éra et personnages obéissent a u x lois d ’un e chorégraphie
complexe où couleurs et formes, m ouvem ents et regards se répon dent. L e G uépard sera donc
l ’histoire d ’u n m o n d e qu i s ’abolit sous nos yeux, m êm e s ’il brille de ses plus beaux feux :
Visconti, seul, p e u t réussir ce prodige de donner à voir, au m êm e m om ent, la pom m e et le ver
qui e st à l'intérieu r. — J.J.

45
COTATIONS
t I n u t i l e d e se d é r a n g e r
$ à v o ir à l a r i g u e u r
LE CONSEIL DES DIX à voir
à v o ir a b s o l u m e n t
* * * * c h e f - d ’œ u v re

H enri Jean de | Jsan-L ouis M ic h e l Bernard J& an A n d r é S. Pierre Jacques Georges


T itr e ^ des f il m s I æs d is — y. Agel Baroncelli | B or y D slahaye D ort Douohet L abarthe M arcabru B ivette Sadoul

H a t a r i ! (H . H a w k s ) ........................................ ★ ★ ★ ★ ★ |* * * ★ * * * * * ★ * * ★ * * ★ * ★ ★ ★ * *

Le P r o c è s (,0. Welles) ................................... ★ ★ ★ . ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ * * * a ★ * * * ★ ★ * * ★ ★ *

1 V i n t i (M . Antonioni) ............................... ★ * ★ ★ * ★ ★ ★ ★ * , • j* * ★ ★ ★ ★ ★

La Création d u in o n d e (E. Hof f mann) . . ★ -k ★ -k • • • ★ ★

Les Culottes rouges (A. joffé) ................. ★ * ★ ★ •k * |* • ★ ★ •

Mandrin ( J . - P . Le Chanois) ........................ ★ ★ ★

La Mémoire courte (H . T o r r e n t ) ............... • ★ • * * k • • * * ★

Les Révoltés du Bounty (L. Milestone) . . • ★ • ★ ★ ★ ★ *

• ★ ★ • * k • Ô ★ ★

\ La Mort et le Bûcheron (Berlanga) . ★ ★ ★ • • • • fi * ★

/ L e Corbeau et fe R e n a r d (B r o m b e r g e r ) ★ ★ • * • • • ★ •
O [
-* \ Le L i è v r e e t la T o r t u e (A. B l a s e t t i ) . • • • • • • • • •

O pération F.B.I. (L .H . M a r t i n s o n ) ............ * 6 •

U n clair de lune à Maubeuge (J. C h é r a s s e ) • • •

Le Couteau dans la plaie (A. L i t v a k ) . . 0 • • 0 • • • 9


Taras B ufb a ( J . - L e e Thompson) ............... • • • '
LES F I LMS

M a rie tte H a r tle y clans C o u p s d e fe u d a n s la S ierra , de Saan P e c ld n p a h .

Les cinq fils Hammond


GUNS IN THE AFTERNOON (COUPS DE FEU DANS LA. SIERRA), film amé­
ricain en Cinémascope et Métrocolor, de S a m Peckinpah. Scénario : N.B. Stone Jr.
Images : Lucien Ballard. Musique : George Bassman. Interprétation : Randolph
Scott, Joël MeCrea, Mariette Hartley, Ron Starr, Edgar Buchanan, R.G-. Arms-
trong, Jenie Jackson, James Drury, L.Q. Jones, John Anderson, John Davis
Chandler, "Warren Oates. Production : R.E. Lyons, 1962. Distribution : M.G.M.

On pouvait tout craindre au départ : un chameau faisant la course avec des


la découverte de la circulation par un chevaux, un restaurant chinois.,. Le
vieux cow-boy, un policeman insolent, goût du pittoresque et la recherche du

47
détail original, pour renouveler un plans de coupe dont les mouvements
genre, masquent bien souvent des dé­ vont a contrario de la ligne générale.
fauts de construction (ainsi la fausse Tant- et si bien que la conclusion nous
truculence de Glenn Ford qui escamote éloigne absolument des prémisses. Le
les véritables lignes de force de sa ren­ Bien n ’est que respect de soi et rigo­
contre avec Jack Lemmon dans le mé­ risme ; le Malin, saveur et ironie. En
diocre Cow-Boy de Daves)... Que, par supprimant Dieu, on ne supprime pas
la suite, la pureté des paysages, la con­ la Morale, on la libère... Témoin la
cision des événements et des dialogues séquence des « gifles » qui se situe au
aient prouvé l’inanité de cette réfé­ moment où Gll (R. Scott) ayant compris
rence, ne rassurait pas pour autant : le que Steve (J. McCrea) n ’accepterait
ton franc et naïf du voyage pouvait pas de voler l’or de la Banque, décide
nous ramener à la tradition épique de le partager avec Heck (R. Starr).
avec, pour seul atout, une photo plus
belle que d© coutume. 1. — Le vol du magot. Gil et Heck
vont s’enfuir avec l'or. Le même plan,
Pourquoi alors ? Pourquoi cette fas­ par un panoramique pieds à pieds, nous
cination, ce besoin de revoir le film à fait comprendre qu'ils sont surpris.
une fréquence élevée aux dépens de, Mais la remontée d’appareil sur Steve
par exemple, l’excellent Liberty Va- est interrompue au niveau du revolver
lance ? La raison n'en est pas simple ; par un plan de coupe : Gil et Heck
ce sont les éléments synthétisés de mon abandonnent le magot. La thèse est
raisonnement qui formeront ma démar­ donc : les méchants sont pris. Et l’anti­
che critique. thèse : il ne suffit pas au Bien de
Comme pour la plupart des grandes triompher, il faut aussi qu’il punisse...
œuvres instinctives, la mise en scène Imaginons le montage suivant : la
crée, détruit et reconstruit la substance remontée d’appareil va jusqu’au visage
au niveau du plan, sans pour autant furieux de Steve ; ensuite seulement
briser la continuité des résultantes. Je Gil jette le sac. L’incident paraît clos,
m'explique : à chaque proposition est la séquence n’a pas à se poursuivre.
opposé son contraire, mais le résultat En revanche, le montage choisi par
n'est jamais nul, ni neutre ; Il se déve­ Peckinpah nous suggère la deuxième
loppe, plan par plan, séquence par partie.
séquence, selon une ligne de force admi­ Ce n ’est pas tout. Dans ce fameux
rablement soutenue. Pour entrer plus plan de coupe, Gil et Heck sont filmés
avant dans ce schéma, il va me falloir en ,plàn d’ensemble, sur le même
passer par l’analyse scolaire des situa­ « pied x En rapprochant ceci de la
tions. confession de Steve, il apparaît claire­
Après de longues années, de très vieux m ent que Heck et Gil vivent, en cet
amis, le Malin (E. Scott) et le Bien instant, ce passage difficile que Steve
(J. Me Créa) se retrouvent également a vécu... à l’âge de Heck ! Il est normal,
dépouillés. Le premier se joint au se­ dès lors, que Steve soit prêt à pardonner
cond pour une périlleuse et lucrative au jeune homme et qu’il en veuille à
descente aux Enfers ; il projette de Gil de n ’avoir pas su trouver plus tôt
s’approprier tout ou partie de l’âme de son accomplissement.
leur jeune compagnon (R. Starr), ainsi Le plan suivant, Gil est montré seul
que du magot qu’ils devraient ramener en plan américain. Désormais, Heck
à la Banque... Surgit la Princesse qu’un sera spectateur passif ; de cette con­
père abusif, mais pieux, fait s’enfuir frontation, il tirera un enseignement.
jusqu'aux Enfers où elle épouse le
monstre à cinq corps. A l’or, notre jeune 2. — Les gifles. Pour apaiser son ami,
héros, moderne Télémaque, préfère la Gil tente une justification que Steve
femme grâce à laquelle il triomphe de refuse et considère même comme une
la Tentation et choisit l’Ordre. Après insulte personnelle. Il va vers Gil. Celui-
l'extermination du Démon et le sacri­ ci s’écrie « Qu’est-cè que tu vas faire ? »
fice de Mentor, le Malin repenti re­ Ce n ’est pas une menace, c’est déjà une
joindra l'Ecuyer fait homme et la Prin­ plainte ; la première des trois suppli­
cesse dans le Droit Chemin. ques de Gil, la deuxième se situant au
début du combat avec les frères Ham-
Tel est, du moins, le premier degré mond et la dernière avant son évasion
du film. Et c’est précisément cette (« Je ne dors plus aussi bien qu’avant »).
apparence liée à ridée de Dieu que la Steve fonce sur Gil immobile. Le tra ­
mise en scène détruit par un système de velling avant subjectif est interrompu

48
par un plan de coupe ; avancée gauche- l’Ordre, la Connaissance auxquels s’op­
droite d’Eisa (Mariette Hartley, su­ posent les habitants -de l’Ombre, le
blime), c’est-à-dire en opposition au monde de l’irrésolu, de l’impalpable.
mouvement de Steve. Thèse : ce félon Face à ce sur-univers de la Connais­
n ’a que ce qu'il mérite. Antithèse : sance, intransigeant et sec, celui de
attention, dit Eisa, vous allez trop loin... l’impalpable, souple, inconscient, pa­
Et nous sommes préparés à la troisième raît dès l'abord plus agréable. Ici, qui
partie de la scène. verrait des méchants ? C’est en riant
3. — L’étonnement de Gil. Steve gifle que les indigènes jettent leur eau sale
deux, fois R. Scott puis se recule. « Fitis- sous les sabots des chevaux ; c’est dans
Que tu te flattes d’être plus rapide que la dignité et l’honneur que vivent les
moi, etc... », Thèse : Gil n’osera pas chevaleresques fils Hammond, émana­
défier le droit. Antithèse : plan de tions breughéliennes et pentatomiques
coupe sur Heck, spectateur passif ; d’un même individu... Personne n'est
il ne- se passera rien. antipathique, parce que les sentiments
n'ont plus de forme. Us sont errodés
Gil jette son ceinturon. Son étonne­ par Falcool, vidés de leur substance
m ent vient de ce qu’il voit encore vi­ par la satisfaction des désirs immé­
vant l’homme qui l'a giflé ; il comprend diats. A peine cet univers se fige-t-ii
alors confusément que son amitié pour le temps d'un acte officiel, lointain
Steve sera la plus forte. écho, bafoué, d’un autre monde {mais
L’antithèse a rejoint la thèse en fin alors il se déguise) et aussitôt il re­
de séquence. Conclusion : la véritable prend sa fluidité et ses oripeaux
amitié demande une indulgence que ne (« Allez vous changer, mesdames... »).
possède pas Steve. Les défaillances Etonnante séquence du mariage d’Ei­
sont humaines ; Gil, lui, s'il préfère sa avec les cinq frères, digne à la fois
une certaine1 indépendance ' à l ’égard de Maupassant et de Goya...
du droit, est prêt à la sacrifier sCü nom Là encore, tout n ’est que signes. Si
de l'amitié. La mise en scène n ’a fait Dieu est mort, la m ort Qui Le con­
que « montrer » les événements, mais, tient, juge à, Sa place. C’est pour­
par la dynamique interne de sa cons­ quoi, dans ce film, le regard des mou­
truction, elle a jugé tous les person­ rants revêt une importance aussi
nages. Inhabituelle. Je pense à ces deux plans
L’opposition entre le récit « objec­ (un des plus beaux moments) raccor­
tif » e t le jugement du réalisateur dés âans le mouvement sur la mort
s’étend à la thématique et trouve son de Sylvus Hammond (L.-Q. Jones).
prolongement jusqu’aux toutes derniè­ Touché par Heck, il se laisse glisser
res images de ce film admirable et te long de la roche ; il regarde alors,
secret. Veut-on un autre exemple ? Le hébété, l’homme qui l’a tué et qui,
premier degré de Guns in the Afternoon maintenant, lui tourne tranquillement
étaât le point de vue de Knudsen, père le dos. Dans le plan suivant, Sylvus
d’Eisa (R.G. Armstrong). On va voir est mort... Il roule sur lui-même et
comment Peckinpah détruit cette idée l’appareil qui le recadre, découvre son
puis la reconstruit selon son optique. cheval à la fin du plan : le cheval
« Le Filon d’or, c’est VEnfer dit resservira. Et_ les symboles se multi­
Knudsen aux mercenaires. L'Enfer, plient...
n ’est-ce pas précisément ce que l’on Aux pieds de Knudsen assassiné près
connaît le moins ?... Le Paradis est à de la tombe de sa femme dont on nous
la portée de toutes les consciences ; il laisse ainsi supposer le martyre, le
n'est jamais que la somme de tous les corbeau de Jimmy Hammond (John
bonheurs possibles. Mais l’Enfer ? Lors­ Davis Chandeler) est chassé par les
que l’on sait qu’une douleur chasse poules. Plus tard, irrité d'avoir m an­
l’autre, comment en avoir une con­ qué Gil (Scott), Jimmy tire sur les
ception propre ? Pour tout chrétien volailles, mais son corbeau le met en
convaincu même, l'Enfer commence garde. Jimmy retourne sa colère con­
où finit la Codification, c'est-à-dire la tre lui et, juste avant le combat final,
Connaissance, Ainsi voyons-nous appa­ la bête, effrayée, s’enfuit par la fe­
raître, pour la première fois, cette no­ nêtre de la grange. Enfin, la mise en
tion d’univers différents qui est à la scène condamne les trois frères res­
base de l’œuvre. La sagesse de Steve tants, avant qu’ils ne soient tués.
fait de lui le seul interlocuteur de Tandis que la caméra tient dans le
Knudsen.A eux deux, ils représentent même cadre Gil et Steve avançant

49
en contre-plongée sur fond de ciel, son laissez-faire ironique (seule m a­
les Hammond sont montrés séparé­ nière de penser, sinon de vivre !) par
ment et leur inquiétude est rendue des haussements d’épaules, des sar­
plus sensible face à la tranquille as­ casmes et un humour tantôt tendre,
surance des « vénérables vieillards ». tantôt cinglant Après les gifles, il
Entre ces deux entités du « Bien » retrouve le sourire résigné, mais af­
et du « Mal », ou de la « Connais­ fectueux du grand frère qui veille sur
sance » et de « l’impalpable », fluc­ les incartades de son puîné. Car, tout
tue l’Humanité Souffrante (Gil, Heck, à coup, c’est Steve, le grand, le pur,
Eisa) en pleine gestation. La jeune l’invincible, qui est en défaut et se
fille, soumise à la jalousie morbide laisse prendre au piège des frères.
de son père, est innocente, mais lu­ Aussi l’incertitude l’étreint-elle au
cide et volontaire. Chez les deux hom ­
mes, la réflexion est progressive, et moment où, vêtu « des seules frusques
il faut admirer la façon dont le script de son orgueil », seul pour l’avoir
nous propose leurs évolutions anti- voulu, il vient chercher, semble-t-il,
parallèles, conditionnées par les p a ­ derrière la caméra, ce « secret perdu »
roles et les actes de Steve, jusqu’à la que toute une vie de bien n 'a pu lui
séquence-pivot des gifles. Heck, plus offrir.
respectueux que craintif, voit son
trouble aller croissant ; Gil exprime Paul VECCHIALI.

Au commencement était le verbe


THE MIRACLE WORKER (MIRACLE EN ALABAMA), film américain
d'ARTHUR P e n n . Scénario ' : Arthur Penn d’après la pièce de William Gibson.
Images : Ernest Caparros. Décors : George Jenkins. Interprétation : Anne Ban-
croft, Patty Duke, Victor Jory, Inga'Swenson, Andrew Prine, Kathleen Comegy.
Production : Fred Coe, 1962. Distribution : Artistes Associés.

Dès les premières minutes, une suite une confondante richesse d’invention
de gestes et de cris, d'une implacable qu’à une appréhension géniale de la
netteté, donnent le tempo de l’œuvre. simultanéité des émotions et de leur
Les doigts de la mère claquent au- retentissement organique. Peu importe
dessus du berceau, elle hurle, le père leur causalité réciproque, affaire de
secoue le berceau avec une violence psychologue : en préservant le mystère
démente. Helen, l’enfant arrachée à la de ces échanges, Arthur Penn m et leur
mort, est condamnée à demeurer aveu­ réalité à nu. C’est la source de son
gle, sourde et muette. Ira nuit vibre lyrisme. Billy the Kid s’écroule devant
d’une épouvante sans nom. La maison le cadavre de son bienfaiteur, les
est perdue, cernée et envahie par la genoux rivés au sol, sa tête s’ébranle
nuit. alors d’avant en arrière et de droite à
gauche entraînant tout le corps dans
Nous voilà revenus à un niveau très un mouvement qui évoque les gestes
pur de l’émotion dramatique. Horreur de lamentation des hommes primitifs.
et pitié. Pleur et révolte élémentaire Arthur Penn affronte la réalité hu­
des personnages face au malheur. The maine en son état premier. L’esprit
Miracle Worker éclaire en cela Le de Billy the Kid, celui d’Helen, n ’ont
Gaucher : Arthur Penn est bien le reçu l’empreinte d’aucune forme. L’un
cinéaste des mouvements élémentaires et l’autre sont bien près de l'anim al
du corps et de l’âme. On comprend dans l’habileté même de leurs ruses et
m aintenant pourquoi il nous avait la sûreté de leurs instincts. Quelque
montré en Billy the Kid un homme chose d’essentiel les en distingue pour­
dont la pensée était demeurée à l’état tant, l’irrépressible besoin de la parole.
sauvage dans un corps de félin. Et Billy the Kid, au feu de camp, est
la beauté du Gaucher tient moins à fasciné par le livre que lit Tunstall.

50
A n n e B a n c ro ft e t P a t ty Dulce d a n s M iracte e n A la b a m a , d ’A r t h u r P e n n .

Et il est naturel que c e . livre soit la Ann puise une bonne partie de ses
Bible. Helen tord ses lèvres où sont- forces dans la lecture de la Bible. L'in­
inscrites les deux premières lettres térêt du film n'est cependant pas là,
d’un mot dont le sens doit la délivrer pas plus qu’il ne .tient au sentiment
à jamais de la solitude. Il est naturel d’une faute ancienne commise par la
que ce soit le mot « Eau î . A ce mo­ jeune fille sur la personne de son
ment, l’enfant a les mains plongées jeune frère, sentiment qui détermine­
dans le flot d’une fontaine. rait sa conduite présente. La hantise
Il est difficile d’éluder la signifi­ profonde qui nourrit l’inspiration d'Ar­
cation chrétienne de The Miracle thur Penn et la porte à son plus haut
Worker : Comment définir les rapports degré de création est celle du langage,
d’Ann et d'Helen, sinon à. la lumière considéré comme le vrai miracle des
de l'espérance et de la charité la plus relations d’humain à humain. « Parler,
exigeante ? C'est d’ailleurs explicite. dit Brlce Parain dans Vivre sa Vie,

51
c'est presque une résurrection par rap­ l'éducation des sourds-muets. N’est-
port à la vie, en ce sens que, quand elle pas « réaliste » cette scène à ras
on parle, c’est une autre vie que quand de terre où Ann reconquiert physique­
on ne parle pas... Et alors, pour vivre ment Helen en excitant sa jalousie ?
en parlant, ü faut avoir passé par la On y sent le poids de la nuit au
mort de la vie sans parler. » Helen est dehors, le poids des objets, des meubles,
bien passée par cette « mort de la vie et le poids du sommeil sur les paupières
sans parler » qui est aussi, selon Brice du petit nègre.
Parain, celle de la vie sans amour. Finalement, l’important ce n ’est
Arthur Fenn fonde un optimisme sans doute pas l'équilibre entre le docu­
simple, concret,' évident, qui fait appa­ mentaire et le spectacle, mais leur
raître ce qu'il y a de théorique et de fusion à un certain degré de générosité
complaisant dans le pessimisme mo­ créatrice. Dans The Miracle Worker,
derne de la « non-communication ». ce niveau est atteint et nous contraint
Dès lors, le m etteur en scène trouve à une adhésion globale. On ne peut
son ton propre et se meut libre à l’in­ sans doute aimer le film sans en avoir
térieur de cet univers en feu où va subi les pulsations lyriques, les sauts
germer le Verbe. Les moyens employés dans l’inconnu (1), l’éclat visionnaire.
sont ceux du théâtre, je le reconnais Penn triomphe dans l’accélération fié­
volontiers. La construction des scènes, vreuse des scènes de combat entre Ann
leur progression vers un paroxysme et Helen, où un espace halluciné
dramatique, la stylisation du jeu, la s’ouvre et se referme sur sa proie
manière dont les personnages du dans les spasmes d’une durée portée
second plan (la mère, le père, le frère) jusqu’à son point extrême de tension.
sont typés et simplifiés à l'extrême Mais en dehors des temps forts, le
pour faire ressortir les affrontements pur lyrisme d’Arthur Penn trouve
d'Ann et d'Helen, tout cela est théâtral encore sa voie. Je pense au long plan
et se ressent même d'une mise en fixe, presque une photo, représentant
scène à Broadway, antérieure au décou­ Ann veillant auprès d'Helen et à la
page du film. Je ne vois pas, pour chanson qui s’élève alors. C’est très
ma part, que le reproche soit si grave. beau, très simple. Je pense aussi à
Là, je m'appuierai sur ce que dit cette simple touche d’humour tendre
Godard de l'équilibre, sans doute où l’institutrice, au cours d'une
essentiel à toute création cinématogra­ leçon, doit suivre Helen qui s'est assise
phique, entre le document et le spec­ tout habillée dans le ruisseau et, pour
tacle : « A force d'être réaliste on une fois, l’imiter.
découvre le théâtre, et à force d’être Arthur Penn est un poète.
théâtral... ». A force d’être théâtral,
Arthur Penn redécouvre le réalisme et
va jusqu’à filmer un documentaire sur Claude-Jean PHILIPPE.

(1) C e q u e d i s a i t B azin, d u G a u c h e r se c o n f irm e ic i e n t i è r e m e n t : « L e s p e r so n n a g e s exis­


t e n t p a r e u x - m ê m e s a vec u n e l ib e r té d e c o m p o r t e m e n t Q ui n e p e r m e t ja m a is d e p ré vo ir, je n e
d is m ê m e p as le p l a n s u i v a n t, m a is c o m m e c e lu i q u i e s t c o m m e n c é v a f i n i r . »

RÉTROSPECTIVE

Où finit le th éâtre...
THE PHILADELPHIA STORY (INDISCRETIONS), film américain de G e o r g e
Cukor.Scénario: Donald Ogden Stewart, d’après la pièce de Philip Barry. Images:
Joseph Ruttenberg. Musique : Frank Waxman. Interprétation : Cary Grant,
Katharine Hepburn, James Stewart, Ruth Hussey, John Howard, Roland Young,

52
K a th e r in e H e p b u rn et J o h n H o w a r d d;iois T h e P h ila d e p h ia S tory,
d e G e o rg e C u k o r.

John Holliday, Mary Nash, Virgina Weidler, Henry Daniell, Lionel Page, Rex
Lavans. Production : Joseph L. Mankiewicz (M. G. M.), 1940.

Peut-être à cause de la nostalgie Car, comme Cette sacrée vérité, Phi-


que nous en avons, les comédies amé­ ladelphia Story s’ouvre sur la note dis­
ricaines de la grande époque, qu’elles cordante d’une rupture, se poursuit en
soient de Lubitsch, de MeCarey, de arabesques déroulées au rythme des
Hawks, de Capra, ou, comme ici, de Intermittences du cœur et s’achève par
Cukor, se tempèrent souvent pour nous une union qui boucle la boucle en
d’un soupçon de mélancolie ; et sans ram enant à une situation préexistant
doute l’ambivalence du phénomène co­ à celle du film lui-même. (« Il me sem­
mique, l’évidente gravité du rire n’y ble avoir déjà vécu cela dans une autre
entrent-ils pour rien. C’est bien d’un vie », dit rôncle Willie au remariage
monde perdu que ces comédies sont de sa nièce). Cukor et McCarey rap­
les témoins irremplaçables, d'un para­ pellent simplement, chacun à sa ma­
dis où les apparences toujours se nière que le bonheur est plus souvent
réconcilient, où la beauté finale de la une ligne sinueuse, ou refermée en
rose épanouie fait sans trop de peine cercle sur elle-même, qu'une ligne
oublier les petites égratignures san­ droite, et permettent ainsi à une anec­
glantes de ses épines. dote conventionnelle de vivre d’une

53
seconde vie, plus ambiguë : ce qui a sophistication (Katharine Hepburn),
déjà été ne peut-il être, à nouveau ? donnent d’eux-mêmes une représenta­
Le bonheur, la recherche du bonheur, tion, « La différence entre le théâtre et
voilà peut-être, justement, ce qui per­ le cinéma, dit Cari Dreyer (Ecrits II,
C a h i e r s , n° 127) est donnée par la dif­
met de jeter un pont entre les œuvres férence entre représenter et être. » Ce
dramatiques de Cukor et ses comédies. n’est pas le théâtre que nous propose
Telle est la quête qui donne à ses h é­ Cukor dans des œuvres semblables,
roïnes de si doux et frémissants vi­ c’est son essence: des êtres n'existent
sages, de si touchants regards : déchi­ qu’en ta n t qu’ils peuvent donner leur
rants (Judy G-arland), candides (Judy
Holliday), effrontés (Kay Kendall), être en représentation. Le cinéma re­
joueurs (Sophia Loren), enfantins (Ma- prend ses droits quand le mensonge
rilyn Monroe), etc. Un bonheur qu’il de l’apparence, peu à peu, cède la
ne faut pas confondre avec un quel­ place à la vérité. Toute la dynamique
conque hédonisme, mais qui est accord, de Phïladélphia Story naît du passage
harmonie profonde entre les apparences de l’un à l'autre de ces modes d’exis­
et l’être, beauté, équilibre qui triom­ tence.
phe de menaces toujours présentes, En effet, dans la famille où s’est
alors même qu’on les croit estompées. introduit le trio d'indiscrets, chacun se
Car, s’il suffit d’un rien pour que le dévoile par la manière particulière qu’il
drame s'évapore en comédie, il suffit a, disons le mot, de se mettre en scène;
d’un rien aussi pour que la comédie de l'extraordinaire petite cabotine à la
se détériore en drame. Fragilité, m al­ mère éternellement distraite et dis­
léabilité de l’instant vécu qui font du tinguée, en passant par l’éblouissante
monde du spectacle, pour Cukor, un Katharine Hepburn (toujours définie
monde privilégié : c’est dans ce monde par les autres comme une déesse et
que l ’on vit le plus intensément, parce une vieille fille, ce qui est curieux dans
que l'on .y passe le plus facilement ce film produit par Mankiewicz : elle
d’un état à l'autre. répondra fidèlement à ce portrait-, quel­
Ce qui explique que, de même qu'hier que vingt ans plus tard, et dirigée
celle de Lubitsch, ou qu’aujourd’hui, par lui cette fois dans Soudain, l’été
pour une grande part, celle de Godard, dernier...) Les hommes, l’oncle efc le
l’œuvre de Cukor soit une réponse père, bien que visiblement moins doués
— ou une question parallèle — à la pour ce genre d’exhibition participent
question célèbre de la Camilla de aussi, bon gré mal gré, de la comédie
Renoir. générale.
C’est ici qu’apparaît le talent p arti­
Les imbrications du théâtre et de la culier de Cukor : pour se donner en
vie, du jeu et de la vérité, du drame spectacle, il faut que nos aimables mil­
et de la comédie y tissent de subtils liardaires puissent organiser leur m en­
réseaux, des pièges et des abris où les songe en fonction de spectateurs. Dès
apparences, tour à tour, se laissent qu’ils sont seuls (c’est vrai surtout du
prendre ou se réfugient. Encore s’agit- personnage de Katharine Hepburn) ou
il de s'entendre sur le théâtre, dont face à une seule personne, ils abandon­
la fascination, éprouvée à son égard nent insensiblement leur théâtralité
par Cukor, ne limite pas son exis­ pour dévoiler leur intimité : ainsi, lors­
tence à sa présence visible, comme que Katharine Hepburn rencontre J a ­
dans Une étoile est née, Les Girls, Là mes Stewart à la bibliothèque, mais le
Diablesse en collant rose, Le Mil­ scénario a l’habileté de ménager des
liardaire... Car il vit aussi, d’une vie rencontres deux à deux entre chacun
plus secrète, au second degré, dans des différents personnages, ce qui nous
des films où un regard superficiel vaut une admirable construction par
n’irait pas le dénicher : dans les co­ alternance d’affrontements et de révé­
médies avec Judy Holliday, ou dans ce lations.
Phïladélphia Story.
Et la volonté première de critique
Ce qui semble intéresser Cukor, ici, sociale, au lieu de tendre vers les facili­
ce ne sont plus les jeux miroitants du tés de la dérision ou de la cruauté, se
spectacle en ta n t que spectacle, mais, métamorphose en révélateur de poésie,
plus précieusement, l’idée de la th éâ­ ainsi qu’en témoigne la scène d’ivresse
tralité pure : une théâtralité intime, où la statue devient femme, pour notre
celle d’êtres qui, soit par excès de natu­ enchantement. Il est à noter, d’ailleurs,
rel (Judy Holliday) soit par excès de que Cukor chérit les scènes d’ivresse

54
féminine (Kay Kendall dans Les Girls, Le réalisme de Cukor oscille entre ces
Ava Gardner dans Bhowani Junction, pôles : si le rire de Katharine Hepburn
etc.). Mais plutôt que de céder à l’exi­ est souvent un faux rire, ses larmes
gence réaliste, en rendant ces scènes sont bien de vraies larmes, et le passage
sordides, il fait en sorte que la grâce, à la gravité n’est pas rupture, mais
loin d’y perdre ses droits, y accroisse ses glissement imperceptible, sous la lu­
pouvoirs. En devenant « Miss Pommery mière de diamant de Joseph Rutten-
1926 », Katharine Hepburn oublie assez berg qui pare d’un halo d’étincelante
le théâtre pour être naturelle, pas assez futilité les choses les plus sérieuses.
cependant pour que ce naturel, se dé­
lestant de sa poésie, puisse devenir
odieux. Jean-André FIESCHL

Jean qui grogne et Jean qui rit


HAROLD LLOYD’S WORLD OF COMEDY (LE MONDE COMIQUE D’HAROLD
LLOYD), film américain monté par Harold Lloyd avec des fragments de ses
anciens films. Musique : Walter Scharf, Effets sonores : Del Harris. Production :
Harold Lloyd. Distribution : Columbia.

THE GENERAL (LE MECANO DE LA GENERALE), film de Buster Keaton.


Scénario : Buster Keaton, Al Boasberg et Charles Smith. Images : J.-D. Jen-
nins et Bert Haines. Musique et effets sonores : Konrad Elfers. Interprétation :
Buster Keaton, Marion Mack, Charles Smith, Frank Barnes, Glen Cavender,
Jim Farley, Frederik Froom, Joe Keaton, Mike Donlin, Tom Nawn. Production :
Buster Keaton, Joseph M. Schenk, 1926. Distribution : Athos Films.

Sacha Guitry se félicitait qu’on eût la valeur du personnage principal et


tant opposé Voltaire à Rousseau, que la valeur du monde où il évolue.
cela perm ettait enfin de les m ettre en C’est là où le paradoxe commence :
pendant. Il paraît a priori, impossible Harold Lloyd, comme Buster Keaton,
d’aimer Harold Lloyd sans haïr Buster spécifient de façon fort loyale les deux
Keaton et vice versa. Et cependant le mythes contradictoires qui, depuis un
double succès simultané du Mécano de demi-siècle, symbolisent « l'Américain
ïa Générale (après la triomphale ré­ moyen», caricatures présentées par les
trospective de la Cinémathèque) et Yankies eux-mêmes dans un .mélange
du Monde Comique d’Harold Lloyd d’humour réel et de sourire jaune...
prouve que le public apprécie l’un
comme l’autre... sans doute parce Buster Keaton, c’est l’Américain
qu’étant diamétralement opposés, ils Tant-Pis.
sont complémentaires. Harold Lloyd, c’est l’Américain Tant-
- Chaplin étant — bien sûr — l’excep­ Mieux. L’un et l’autre poussés aux li­
tion qui confirme la règle, je ne crois mites de l’absurde.
pas à la liaison dangereuse que for­ Signalons au passage que Lloyd,
ment ces deux mots : « comique hu­ contre les apparences, eut plus de mé­
main». Un acteur burlesque doit, rite que Keaton à composer son per­
nécessairement, être différent du spec­ sonnage : Malec avait reçu, en don du
tateur qui le contemple pour le meil­ ciel, le masque le plus extraordinaire
leur et pour le pire ; l’amener à péné­ qui ait illuminé le cinéma. Il n ’était
trer dans un Univers qui va le décon­ pas question pour lui de le renier,
certer, le contraindre à être « autre ». mais dfen tirer le maximum de res­
Buster Keaton, comme Harold Lloyd, sources, ce qu’il fit avec le génie que
possèdent et posent les deux bases de l’on sait. Tandis que «Lui» était vi­
tout film comique digne de ce nom : sage anonyme par excellence et pou­

55
vait se prêter à tous les grimes (il qualités qu'on recommande au bon
contrefit longtemps Chariot) et dut jeune homme pour réussir dans la vie :
par conséquent s'imposer la nécessité Intelligence, Décision, Débrouillardise
du choix. et même Flegme, et même Humour.
Donc, voici Harold Lloyd, type même La quasi-totalité de ses films se ter­
de l’homme heureux selon l'optique m inent par des happy-ends.
U.S.A, Nul doute qu'il n'ait au j our- «L'homme qui ne rit jam ais...A lo rs
d'hul ses trois télévisions, ses douze la question se pose : Qu’est-ce qui fait
voitures et son Frigidaire perfectionné que Buster ne rie pas ?... Parce que sa
bondé de Coca-cola... Il est sain, détresse est tout intérieure, donc irré­
jeune, vigoureux, persuadé que tout médiable. Homme préhistorique, opé­
cireur de chaussures plein de bonne rateur, marin, conducteur de locomo­
volonté finira Président de la Répu­ tive, en route pour la Lune, ses avatars
blique. demeurent étrangers à sa désespé­
rance. Il agit, vainc ses ennemis, con­
Aux antipodes, Buster Keaton ; mal­ quiert les jeunes filles, se fait accla­
heureux, écrasé, englouti par ses re­ mer parce que, au fond, faire ça ou
foulements et ses complexes. Nul doute autre chose... Ou peut-être cherche-
qu'il n'ait la hantise aujourd’hui t-il, par acquit de conscience, une
des guerres nucléaires, ne soit terrifié réponse à une question impossible qu’il
par le bolchevisme et la menace rouge sait et espère secrètement ne jamais
ou terrorisé par son épouse et les trouver... C’est là où les films de Kea­
multiples ligues de moralité dont elle ton, pour la grande joie du public,
est présidente, et qu’il passe sa vie en portent à faux. Ils sont à la fois objec­
séances sans espoir de psychanalyse. tifs et subjectifs : un metteur en scène
Les deux héros — les deux portraits- impartial démontrerait à Keaton
charge —>une fois mis au point il ne qu’avec ses hauts et ses bas sa vie
reste plus qu’à les placer dans leur mérite d’être vécue. «Je sais bien»,
cadre adéquat. L'évolution logique de répondrait Keaton, « mais à quoi
Buster Keaton le mènerait tout droit bon » ? Que lui importe de conquérir
à l'enfer de « Maâ » ou des dessins de l'Univers, 11 a perdu son âme.
•Chas Addams. Quant au souriant Ha­
rold Lloyd, il déboucherait très vite
dans les miniatures sucrées et fadasses
des Sïlly Symphonies,
Les héros de Strangers on a Train
échangeaient leurs crimes... Nous En revanche, il n ’est pires cadres de
avons l'impression que magistralement, cauchemar que ceux où évolue Harold
et sans s'en rendre compte, Buster et Lloyd, Plus question cette fois de nous
Harold échangent leurs univers : Bus­ montrer un monde aux couleurs plutôt
ter Keaton, homme torturé par excel­ roses ou simplement sans parti pris.
lence, devrait par principe affronter N'importe quel homme, placé dans
une série de tournants à la Kafka. Il les conditions d'existence d’Harold
n'en est rien. Qu’il s’agisse de « mé­ Lloyd, devient fou et se suicide au bout
cano » ou de n'importe lequel de ses de dix minutes. Or, Harold s’obstine
anciens films, Buster n'est pas une à rayonner d'enthousiasme. Les rares
victime, Buster n'est pas un martyr. instants où il abandonne son air béat
Il est infiniment moins handicapé sont ceux où il croit bon de présenter
qu'un Langdon, que Chaplin lui-même. à autrui des excuses pour les malheurs
Simplement ses aventures sont en dont il est la première victime. Par­
dents de scie. Mais les chances heu­ vient-il enfin après mille périls à
reuses contrebalancent les catastro­ échapper au building de la mort et
phes : le remède est toujours à côté à retrouver la terre ferme, son premier
du mal — s’il ne surgit pas de ce mal geste n'est pas pour s'éponger le front
lui-même. Le Mécano de la Générale dans un effroi rétrospectif, mais pour
est avant tout le récit d’un exploit, tâter le sol avec enchantement et
d'une victoire. Keaton n’est jamais adresser un bon sourire aux badauds
abattu ; bien souvent il prend l’initia­ rassemblés. Je ne connais dlailleurs
tive, sinon l'offensive. Effacez son rien de plus effroyable que cette célè­
visage : ce corps souple, adroit, tou­ bre séquence de Monte là-dessus, ver­
jours en alerte, pourrait être celui de sion parlante, si ce n'est la même en
Picratt, roi du rail, il a toutes les muet. Tentée par Keaton, elle n'eut

56
Le Monde comique d’Haroïd Lloyd.

été qu'une entreprise hérissée de dif­ se contente d'avoir une conduite arbi­
ficultés, certes, mais toutes brillam­ traire en opposition à un Univers qui
m ent vaincues dans une progression a le tort d’être également arbitraire,
constante. Et Keaton serait parvenu dans l’autre sens... Sans Keaton, on
au sommet, triomphant et toujours peut croire au raid de la «Générale»;
aussi impassiblement triste. Avec Lloyd, sans Lloyd, il est difficile d’admettre
il s'agit d’un thème qui doit ravir tous la série d'incroyables malchances dont
les amoureux de Science-Fiction : la sa vie est truffée.
haine des objets contre l’homme. Et N’importe. Il n’y a pas si longtemps,
je parle, naturellement, d'objets intel­ Buster Keaton se trouvait partenaire
ligents, qui raisonnent, tendent des de Chaplin. Quel curieux film pour­
pièges (le tuyau, le store), se servent rait donner encore une rencontre de
d'individus dociles pour arriver à leurs Buster et de Harold, de ce masochiste
fins. Et d'ailleurs, en fin de compte, obsédé et de ce Candide à jamais
ils remportent. Lloyd finit par ouvrir convaincu par Pangloss, se complétant
les mains et à lâcher prise... Qu’im­ aussi bien que les deux figurines op­
porte que ce soit à dix centimètres du posées et obligatoirement réunies qui,
sol... dans le baromètre détraqué, voient,
La supériorité de Keaton sur Lloyd l’une tout en noir, même si le ciel
vient de ceci : le dépaysement, chez brille, l:autre tout en rose au milieu
le premier, nait de ce que son person­ des orages.
nage est illogique dans un monde logi­
que. Moins subtilement Harold Lloyd François MARS.

57
NOT E S SUR D ’A U T R E S FILMS

de son créateur, qui fut à peine l'aîné de


L’envers et l’endroit Billy Budd. Mais cela ne suffirait pas pour
réussir un film, même si cela, devait donner
un peu d’esprit aux lois. Il faut un élément
BILLY BUDD, film anglais en Cinéma­ plus rare que l'agilité de pensée ou la
scope de P e t e r U stin o v . Scénario : Peter prouesse du verbalisme, il faut que quelque
Ustinov et W itt Bodeen, d’après la pièce de chose passe entre les êtres. Et le miracle,
Louis O. Coxe et Robert H. Chapman, après lequel courent maints cinéastes pa­
inspirée du roman « Biily Budd, Foretop- tentés, s’est produit en faveur du naïf
man » de Herman Melville, Images : Ustinov. Le discours des marionnettes s’est
Robert Krasker. Décors : Peter Murton. chargé de l’épaisseur, de l’ambiguïté mel-
Musique : Antony Hopkins. Interpréta­ viiliennes, comme si le rejet des luxurian­
tion : Robert Ryan, Peter Ustinov, Mel- ces anecdotiques du romancier avait per­
vyn Douglas, Terenee Stamp, Ronald mis au mystère profond de l ’œuvre de
Lewis, David McCaîlum, John Neville, Paul s’épanouir à la surface de l’image, alors
Rogers, Lee Montague, Thomas Heathcote, qu’un pronostic inverse aurait dû s'impo­
Ray McAnally, Robert Brown, John Meil- ser,
lon, Cyril Luckham, Niall Mac Ginnis. Ustinov pourtant ne s'est pas privé de
Production : A. Ronald Lubin, 1962. Dis­ tout mettre en œuvre pour conférer une
tribution : Artistes Associés. raideur cartésienne aux mouvances embru­
mées d’un récit qui brouille, avec une
Décidément, le Monsieur Loyal qui diri­ fausse limpidité, les grilles de déchiffre­
geait avec une ténacité féline l’exhibition ment. Sa mise en scène gourmée, au garde-
cruelle de Lola Montés n ’a pas fini de à-vous, sollicite trop ostensiblement les
nous surprendre. Nous le tenions pour un récompenses de l’ascèse, en dépit d’un em­
cabotin résolu à transformer un théâtre ploi de la profondeur de champ d'autant
médiocre en un cinéma exécrable, Roma- plus raffiné qu’il est assez inattendu en
noff et Juliette nous avait confirmés dans Scope. Mais, constatons-le une fois pour
cette opinion, et voici que l’étrange Mon­ toutes, les contraintes se portent au crédit
sieur Ustinov réussit presque à triom­ de ce film.
pher de la gageure où de mieux aguerris Dès lors, l’impossible se réalise, et l’écran
ont joué à vif, et contre leur gré, le offre une densité charnelle aux inventions
« thème de l’échec » : l’adaptation mel- subtilement antagonistes de l’écrivain. L’ar-
villienne. rière-plan métaphysique prend un relief
Par prudence ou force de routine, Peter dans l'image et non plus dans le mot.
Ustinov ne s’est pas inspiré directement du Passée la ligne première du Bien et du
dernier ouvrage écrit par Herman Melville. Mal, apparaissent en filigrane la candeur
Son scénario adapte une pièce de théâtre du Vice et la perversité de la Vertu. En
qui devait schématiser un roman dont la réponse à l’émouvant visage d e ’ Robert
richesse a suscité des interprétations di­ Ryan, dans le rôle du maléfique Claggart,
verses et parfois contradictoires. On pou­ nous fascine et nous trouble la beauté de
vait donc attendre un surcroît de sécheresse cet inconnu qui incarne Billy Budd, Terenee
et redouter les simplifications grossières Stamp. Cette beauté, pourquoi ne la désigne­
d ’un conflit réduit aux conventions scé­ rions-nous pas selon son mérite : beauté du
niques traditionnelles. Et, de fait, le sujet diable? Et Claggart-Satan n’a-t-il pas raison
fleure bon la crème à tarte du film-à- de reconnaître son double dans l’archange
thèse : le matelot Budd, innocent comme inhumain qui promène son regard d’Etran-
l'agneau qui vient de naître, mais en butte ger sur le monde des sentiments, bons ou
à la malignité du maître d’armes Clag­ mauvais ? Dans cette perspective, le Com­
gart, est condamné à la pendaison après m andant Vere est contraint de réclamer à
un vain duel entre l’absurde Loi des hom­ la cour martiale la mort de Billy, tout en
mes et la Justice naturelle. Il est même insistant sur l’injustice de ce verdict. Ayant
permis d'affirmer que rarement dans un perdu Claggart, qui jouait le rôle de ce
film on aura montré une telle obstination qu’on nomme, sans toujours envisager la
à prouver Parbitraire et la nocivité de la portée des termes, une « âme damnée »,
Loi, dans l’absolu et non point dans le il se doit de supprimer ce que le même
relatif — malgré tous les alibis d’époque, langage devrait appeler une « âme s a u ­
de lieu, d’événement que se sont accordés vée », il sacrifie donc en la personne de
les auteurs afin de placer leur subversivité Billy la chair de sa chair, et sa mort, après
sous le couvert de l’exception. les derniers mots du supplicié : <f Dieu
bénisse le capitaine Vere », revêt l’aspect
Un tel propos aurait bien réchauffé le d’une sanction inéluctable. Quel que soit le
cœur du bon Zamé, et plus encore celui « plan » sur lequel on lit ce film, politique

58
ou métaphysique, le même accent de pes­ contraire un court-circuit perpétuel entre
simisme et de désespérance émane donc de le contexte et le propos présumé des au­
l’analyse. — M. M. teurs — au point qu’on finit par se deman­
der quel fut au juste ce propos (2).
Mais il y a plus grave et nous touchons
ici un point de morale esthétique commun
Mythe de l’objectivité à tout film de montage, je veux parler de
la critique des documents. L’un des char­
mes du film de montage, on le sait, réside
liA MEMOIRE COURTE, film français dans l’écart qu’il accuse entre les événe­
de montage de H e n r i T o r r e n t et F rancine ments tels qu’ils nous sont montrés et les
P k em y sler. faits tels que le recul historique nous a
permis de les comprendre. Si donc les
actualités de la période 1940-1945 qu’on a
Il ne se passe guère de mois sans que eu l’heureuse idée d’exhumer ont aujour­
l’actualité cinématographique ne nous pro- d’hui valeur de documents, c’est moins,
pose quelqu’une de ces bandes pathétiques, comme le donnent à croire H. Torrent et
drôles, et généralement empreintes de nos­ F. Premysler, parce qu’elles sont de l’his­
talgie, que sont les filins de montage. Ré­ toire en conserve que parce qu’elles témoi­
ponse littérale au besoin d ’un public de gnent de l’état d'esprit qui a commandé
plus en plus avide de documents, le film leur enregistrement : derrière la caméra
de montage offre en outre aux producteurs se tient toujours un homme, derrière cet
l’illusion d’un genre bon marché auquel homme d’autres hommes, derrière ceux-ci
il peut même arriver de concurrencer sé­ enfin un état d’esprit ou, comme ici, un
rieusement le cinéma de fiction (cf. Mein Etat tout court (3). Bref, il est proprement
Kampf). Rien en effet de plus excitant, et impossible de faire un film à l’aide de
a priori de plus facile, que ces assemblages documents sans faire du même coup de ces
de documents d ’archives qui s’achètent au documents }a matière même du film. S’y
mètre comme le ruban chez la mercière, refuser, c’est ne retenir que la fonction
rien donc qui ne saurait solliciter davan­ mystifiante de l’image cinématographique,
tage la vigilance du critique, car — on va aller dans le sens des intentions qui ont
le voir au sujet de La Mémoire courte — présidé à la prise de vues sans les dévoiler,
rien, en fait, de plus dangereux à mani­ consolider enfin le mythe tenace de l’objec­
puler. tivité auquel viennent chaque semaine se
laisser prendre quelques milliers de specta­
Cependant le premier grief que je ferai teurs d’actualités. Ce qui ne tire pas à
à cette seconde entreprise de Henri Torrent conséquence lorsqu’il s’agit de la toute
(secondé, cette fois, par Francine Fremys- petite histoire — celle, disons, des Années
ler) sera relativement bénin. Il concerne Folles — peut parfois, comme ici, conduire
l’étendue et la définition de son propos. à d’assez regrettables équivoques. — A. S. L.
D’une parole célèbre du maréchal Pétain,
nos auteurs ont déduit un film anthologi-
que qui résume la période entre toutes trou­
blée qui va de l’armistice de 1940 à la
bombe d ’Hiroshima en 1945. L’entreprise L’a n ti-g ra v ité
est si gigantesque et l'es événements évo­
qués sont si considérables (historique­
ment et sentimentalement) qu’on ne peut ANYTHING FOR LAUGHS (TARTES
s’empêcher de relever des lacunes (peut- A LA CREME), montage p ar George
être volontaires, mais au nom de quoi ?> O’Hanlon de cinq Mack S ennett : Anything
telles que le procès de Riom ou la tenta­ for Laugh, Just for Fun, Flap Happy, Hit'
tive de putsch de Delattre en zone non Him Again, Stop Look and Laugh.
occupée. On dira que le parti adopté par Musique ; David Forrest et Howard
les auteurs est moins ambitieux : prendre Jackson. Distribution : Warner Bros.
l’histoire à son étiage, au niveau même
où la vivaient les Français d'alors. Mais
peut-on dire que le survol auquel ils s’en Enfant, les Actualités Eclair-Journal
sont finalement tenus corresponde vraiment m’apportaient une hebdomadaire et tou­
à l’expérience vécue d'une nation qui ne jours également amère déception : les
connut qu’après coup la portée du bombar­ titres des séquences s’illustraient de gros­
dement de Pearl Harbour et ignora long­ sières caricatures, qui, toutes primitives
temps l’ampleur des mesures prises à ren­ qu’elles étaient, promettaient une intrusion
contre des Juifs ? (1) Il s’établit au dans le monde magique des dessins animés,

(1) Mais pouvait-on même rendre globalement compte de l'expérience d’une nation
divisée dont chaque part (Vichy, Bordeaux ou Paris) avait sa physionomie propre ?
(2) Il ne reste au spectateur déçu qu’à se reporter à l’excellent ouvrage de Henri
A m o u ro m : publié chez Fayard : La Vie des Français sous l’Occupatîon.
(3) D’ailleurs ces bandes, plus ou moins cocasses, qui évoquent le gazogène, la carte
d’alimentation et le couvre-feu. ne sont-elles pas pour la plupart des scènes reconstituées,
parfois même en studio, avec des acteurs dont certains ont, depuis, fait du chemin ?

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mais n ’apparaissaient sur l’écran que des tenant si bien chaque élément, en nous
individus pesamment de chair et 'd’os, émerveillant de la précision avec laquelle
généralement solennels et guindés. chacun dessine son personnage et tient
Les temps ont bien changé : Tartes à la son emploi. (Vous ai-je bien reconnus au
crème s’accompagne d ’un festival de « car- vol, cher Jam es Finlayson, compagnon
toous » Warner. Exceptons le Coyotte habituel de Laurel et Hardy, chère Mar-
cosmonaute qui reprend poétiquement le garet Dumont, partenaire fidèle des Marx
gag de l’aimant attaché à un personnage brothers ?) Mais surtout, contrastant avec
et attirant sur lui un déluge d’objets la routine lasse des dessins animés, une
métalliques, y compris Tour Eiffel et des­ éclatante vitalité à jouer à l’impossible ;
troyer. Mais pour les autres, la fantaisie Ben Turpin, gonflé d'oxygène, flotte
légère, immatérielle, s’est évaporée. On a comme un ballon ; à porter des fusées à
pris soin de bâtir des histoires-prétextes, sa ceinture, on devient fusée soi-même ;
avec exposition et dénouement à « chute », des familles entières sortent des malles ;
on a engagé des vedettes aussi consacrées les barques progressent en terre ferme ;
que les stars humaines : Bugs Bunny de­ les mannequins deviennent plus vivants
vient aussi cabot que Brando et exige son que le vivant lui-même qui prétend se
nom en lettres monumentales au géné­ figer dans leur immobilité... .
rique... on va même jusqu’à introduire des Certaines salles réservent bien des
mouvements de caméra classique dans le séances spéciales de films burlesques aux
déroulement de l’action. Plus une goutte enfants. Je propose qu’on consacre une
de folie et plus un brin de rêve... projection privée de Tartes à la crème
Et voici, avec Tartes à, la crème, le aux héros de dessins animés 1963. Droopy
monde où tout est permis, où les lois ter­ y perdrait peut-être son flegme, Magoo
restres n ’existent pas. où lte mouvement se empoignerait des jumelles marines pour
déchaîne à l’état pur, où l’instant fait loi. discerner quelque chose, Jerry s’installerait
Pas de liaisons entre les bandes qui n ’ont sur les genoux de Tom, et Gerald Mac
elles-mêmes qu’un minimum de cohésion Boing Boing resterait muet d’admiration.
interne. Pas de commentaires doctoral à la Tous, de toute façon, auraient appris aue le
René Clair ou pseudo-humoristique à, la rire est, avant tout, fonction d ’enthou­
Pierre Destailles : un sous-titre par-ci. siasme, et que nul n’en posséda sans doute
par-là. Pas de grands premiers rôles, mais davantage, de toute l’histoire du cinéma,
cette équipe dont nous connaissons main­ que Mack Sennett et sa troupe. — F. M.

C e s n o te s o n t é té r é d ig é e s p a r ANDRÉ S. LABÀRTHE, MtCHEL IVÎARDORE e t FRANÇOIS M a r s .

FILMS SORTIS A PARIS


DU 12 DÉCEMBRE 1962 AU 7 JANVIER 1963

8 FtLMS FRANÇAIS

L e Couteau dans la plaie, film d ’A natole Litvak, avec Sophia Loren, A n th o n y Perkins, Gig
Young, Jean-Pierre A um ont. — Film de suspense et de psychologie, sans suspense ni psycholo­
gie. Se déroule dans u n P aris prétendu m en t réaliste, en réalité conform e à l’idée q ue pouvait
s’en faire, il y a trente ans, u n fermier du Middle W est.
Un clair de lune à Maubetxge, film de Jean C hérasse, avec Pierre P errin, So phie H ardy,
C laude Brasseur, Bernadette Lafont. — Fidèle à la chanson.
L es Culoites rouges, film d ’A lex Joffé, avec Bourvil, L aurent T erzieff, E tienne Bierry. —
Sans doute le m eilleur film de Joffé, dans la m esure où i’on y se n t m oins les lim itations de
Fauteur qui a d o n né libre cours à u ne verve souvent sinistre, toujours efficace. L ’atm osphère des
cam ps de prisonniers est rend ue avec u n très grand réalism e qui n ’é v ite p as toujours les pièges
de là complaisance ou de la convention, m ais celles-ci sont racnetées p ar les audaces d ’interpré­
tation {Joffé a su pousser à fond l ’affrontem ent m onstrueux de Bourvil et T erzieff) aussi bien que
de scénario î le final d u film ouvre celui-ci sur l ’atroce.
Mandrin, film en Scope et en couleurs de Jean-Pauî Le Chanois, avec G eorges Rivière,
Jeann e V alérie, Sylvia M ontfort, D any Robin, Georges W ilson, A rm a n d M estral. — D ans la

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lignée d e Cartouche, mais en moins roublard. U ne certaine verve, quelques idées. U n anarchism e
prim aire, m ais sym pathique.
L a M émoire courte. — V oir note d ’A n d ré S. L abarthe, dans ce num éro, page 59.
N ous irons à Deaaoille film d e Francis R igaud, avec Michel Serrault, Michel G alabru,
Béatrice A ltariba, Louis de Funès, C laude Brasseur. — A force de se creuser la tête pour rem ­
plir les trous d u scénario (si l ’on peut dire), n'im porte com m ent et avec n ’im porte quoi, les
auteurs finissent p ar nous faire presque rire.
Le Procès. — Voir critique dans notre prochain num éro.
L es Quatre vérités, film à sketches de Luis G . Berlanga, Hervé Brom berger, Alessandro
Bîasetti, R ené Clair. — Deux m auvais sketches : le Berlanga et le Blasetti (sur le principe, res­
pectivem ent, de L a Mort et le t â c h e r o n et L e Lièüre e t la Tortu,e). Deux passables : L e Cor­
beau et le R enard (le seul qu i joue le jeu q u a n t à l’illustration de la fable), grâce à la présence
d ’A n n a K arina et au num éro d e Poiret et Serrault, et L e s D e u x Pigeons, d e R ené Clair, qui
bénéficie d ’une jolie situation d e départ (exactem ent le contraire de celle de L a Fontaine),
m alheureusem ent atomisée par lé m ode d e narration d e l ’auteur.

6 FILMS AMERICAINS

A n y th in g for Laughs (Tartes à la crèm e). — V oir note de François Mars, dans ce num éro,
page 59.
F .B .l. Code 98 {Opération F.B.I. à Cap Canaveral), film de Leslie H. Martinson, avec
Jack Kelly, R ay Danton, A n d re w D ugan, P h ilip Carey. — Sur le thèm e : une bom be dans une
valise, le petit film d e série, sans prétentions, sans effets, bien monté» bien joué. D u genre
irréalisable en France.
T h e Great Sioux Uprising [L’A v e n tu re e st à VOuest), film en couleurs de Lloyd Bacon, avec
Jeff C handler, Faith D om ergue, Lyle Bettger, P e ter W hitney . — De m échants Blancs, voleurs de
chevaux, cherchent à provoquer la guerre avec les braves Indiens. Il souffle, dans ce film sym pa­
thique, un peu de 1*esprit du sérial.
Hatari J — P o ur ce ch eï-d’œ uv re de H aw k s, victime des ciseaux de la distribution et des
oeillères de la critique patentée, vous vous reporterez (après avoir m édité sur la photo de cou ­
verture) au com m entaire (de Hawks) et à la critique (de Jean Douchet) dans notre num éro 139.
M utiny on the ic B ounty » (/es R évoltés du « B ounty »), film en 70 m m et en couleurs de
Lewis Milestone, avec M arlon Brando, T revor H ow ard, R ichard Harris, H ug h Griffith, T arita.
— Travail consciencieux, académ ique (avec quelques trouvailles) sur un beau bateau et une
belle île m alheureusem ent sous-utilisés. Brando, lui (qui se p rend successivement pour de Gaulle,
Napoléon et le penseur de Rodîn) a pris à cœ ur sa mission, quitte à jouer les em m erdeurs et
à scandaliser les fonctionnaires de la M étro, Mais Brando a-t-il un m essage à délivrer au
m onde ? Ses idées en tout cas sont ou m auvaises, ou confuses, ou mal exploitées, et il a tort
de m épriser com m e il le fait la vérité historique.
Taras Bulba, film en Scope et en couleurs, de J, Lee T hom pson, avec T o n y Curtis, Yul
Brynner, Christine K au fm an n , S am W an a m ak e r. — O n a quelquefois vu aussi, mais jam ais
plus hideux.
4 FILMS ITALIENS

// colpo segreto di d ’A rtagnan {Le Secret d e 'd ’A rtagnan), film en Scope et en couleurs d e
Siro Marcellini, avec Georges N ader, Magali Noël, Georges M archai, Massimo Serato, — N ou­
velle variation sur le nom bre des m ousquetaires, cette fois réduits à deux. C’est tout le secret
de ce scénario.
Il gladiaiore R o m a {Le Gladiateur de Rom e), film en Scope et en couleurs, de Mario
Costa, avec Gordon Scott, W andisa G uida, R oberto Risso. —- Costa fabrique les péplu m s en
série. Celui-ci n ’est ni m eilleur ni pire q u e les autres.
T fiarus figlio di A ttila (Thortrs, fils d M ttfla ), film en Scope et en couleurs, d e R oberto
Bianchi Montero, avec Jerom e Courtland, L isa Gastoni, M im m o Palm ara, Livio Lorenzon. —
L à ou passe Attila, hélas poussent ses fils.

1 FILM TCHEQUE

L a Création du inonde, film d ’anim ation d ’E d ouard H offm ann, d ’après les dessins d e Jean
E ffeî. — U n dessin d ’Effel, ça peu t am user. U n album , ça devient vite fastidieux, mais c ’est
a u cinéma que p rennent leurs vraies dim ensions la laideur et fausse naïveté d ’Effel.

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CHRONIQUE DE LA T. V.

CROQUIS DE LONDRES
La chronique que nous inaugurons ne prétend pas à être exhaustive.
J e s u i s h e u r e u x que, les h a s a r d s Elle ne s'attachera qu'aux émissions de la T.V. (française, sauf excep­
de la p ro g ra m m a tio n fo u rn isse n t tion) qui ont su le mieux éveiller notre curiosité, ou susciter des
à c e t t e r u b r i q u e l ’o c c a s io n d e d é ­ réflexions qui recoupent, d'une manière ou d'une autre, celles que
b u t e r p a r u n f i l m d e J e a n -C la u d e nous inspirent, ailleurs, le cinéma.
B r ln g u ie r , à q u i n o u s a v io n s o u ­
v e r t n o s c o lo n n e s d a n s n o t r e n u ­
m é r o 118, C r o q u is de L o n d r e s
(d iff u s é le 25 d é c e m b r e ) n ’e s t e n
e f f e t e n r i e n I n f é r i e u r a u x p ré c é ­ e s t b ie n u n e s o r t e d e r e p o r ta g e ■ J ’a i p ris c e t ex em p le, j ’a u r a i s
d a n t s C r o q u is e t p r é s e n t e u n cas s u r L o n d re s à l ’é p o q u e d e X m a s . p u e n p r e n d r e d ’a u t r e s : le c é ré ­
s u f f i s a m m e n t p r o b a n t d e ce q u e O n n o u s m o n t r e L o n d re s , ses m o n ia l d u t h é e t ses v a r i a n t e s ,
p o u r r a i t ê tr e u n e té lé v is io n d ’a u ­ ru e s , ses m a is o n s m a l c h a u f f é e s , l’in te r v ie w d e s d'eux j e u n e s lo rd s,
t e u r , p o u r q u ’il v a ille l a p e in e ses lo rd s, se s b o b b ie s , s o n a rm é e c e lu i d e ces em p lo y ées d e g r a n d
q u e n o u s n o u s y a r r ê tio n s . d u s a l u t.., o n p o u r r a i t p r e s q u e m a g a s in s u r p r is e s e n ro b e d e b a l
d ir e : s e s clich és.' T o u t c e à q u o i e t à q u i o n pose l a q u e s t i o n s a u ­
C e tte n o t i o n d ’a u t e u r , d é j à f o r t n o u s n o u s a t t e n d i o n s e s t là, m a ïs g r e n u e d e le u r n iv e a u d e vie —
i n s t a b l e e n ce q u i c o n c e r n e le ja m a i s d e la f a ç o n d o n t n o u s l ’a t ­ to u te s séquences re m a rq u a b le s
c i n é m a p r o p r e m e n t d i t , se v o i t te n d io n s . J e n e v e u x p a s d ir e p a r l a lo g iq u e d u t r a i t e m e n t , e t
e n c o r e p l u s m e n a c é e à l a télé v i­ se u le m e n t q u e p a r so n h u m o u r l a se n s ib ilité avec l a q u e l l e ces
s io n d u f a i t d u j e u p a r t i c u l i e r d is c re t, r e s p e c tu e u x , le c o m m e n ­ im a g e s n o u s s o n t t r a n s m i s e s .
d e s p a r t i c i p a t i o n s (1). L 'a u t e u r t a i r e f r e i n e l ’é la n d u s p e c t a t e u r M ais j e t i e n s p o u r m a p a r t q u e
d ’u n e é m is s io n e s t le p l u s s o u ­ to u jo u rs tro p p r o m p t à fo n d re la ré u ss ite de B rin g u ie r e t K n a p p
v e n t le p r o d u c t e u r (c e q u i a p p a ­ s u r le s im a g e s . J e v e u x p a r l e r d e ré sid e m o in s d a n s c e t t e s e n s i b i l i t é
r a î t n e t t e m e n t d a n s les « P o r ­ l a m a n iè r e m ê m e d o n t ces c lic h é s q u e d a n s l ’in te llig e n c e av ec la q u e l ­
t r a i t s » l i t t é r a i r e s d e R o g e r S té ­ n o u s s o n t m o n tr é s . le ils o n t s u u t i l i s e r l a t e c h n i q u e
p h a n e e t le « T h é â t r e p o u r là
j ’o u v re u n e p a r e n t h è s e p o u r r e l a t i v e m e n t r é c e n te d e l ’i n t e r ­
J e u n e s s e » d e C la u d e S a n te lli
r a p p e le r q u e j u s q u ’ic i d e u x p a r ­ v iew d a n s le s e n s d e s a p l u s g r a n ­
p o u r c i t e r d e u x e x e m p le s p a r m i d e n o u v e a u té : n o n p a s com m e
les p l u s r e p r é s e n t a t i f s ) , t r è s s o u ­ ti s s ’o f f r a i e n t a u d o c u m e n t a l i s t e
e n p r é s e n c e d u « c lic h é » : o u u n m o y e n d ’a ccroître l ’i n f o r m a ­
v e n t le s c é n a r is te , r a r e m e n t le
b i e n l ’a c c e p te r , c ’e s t-à - d ire a c c e p ­ t io n , m a is, a u se n s f o r t , d e l a
m e t t e u r e n sc è n e (2). L es p e t i t s m e t t r e en q u e s tio n . A p o s te rio r i,
f i lm s d e B r in g u ie r e t K n a p p s ’im ­ t e r q u ’il I m p o se s a lo i p r o p r e a u
film , o u b i e n l'a c c u e i l l ir p o u r e n ­ o n com p ren d u n p e u m ie u x q u e
p o s e n t , eu x, à t o u s le s n iv e a u x ,
s u i t e en m ie u x b r i s e r l a c a r a p a c e c e tte te c h n iq u e — a b s e n te , e t
p a r u n e s a v e u r, u n e f r a î c h e u r de p o u r ca u se , d es fo rm e s t r a d i t i o n ­
to n , b r e f u n a ir d e lib e r té q u ’il ( g é n é r a le m e n t à l'a id e d 'u n c o m ­
m e n ta ire ), Le p re m ie r p a r ti r e ­ n e lle s d u d o c u m e n ta ir e — a i t
s e r a i t v a in d e c h e r c h e r a ille u r s .
p r é s e n te l a c o n v e n t i o n p a r ex cel­ c o n s t it u é le p r e m ie r a p p o r t d e la
L a f o r m u l e de ces C r o q u is e s t len ce, le se c o n d 1, a u c o n tr a ir e , té lé v is io n a u c in é m a ( e t p a s s e u ­
s im p le — ce q u i, s o it d i t e n p a s ­ o u v r i t a u c in é m a l a v oie fé c o n d e l e m e n t au, c in é m a d o c u m e n t a i r e ) .
s a n t , n ’e n r e n d l ’a n a ly s e q u e p lu s d u d o c u m e n t a i r e ic o n o c la s te o ù C 'e s t q u ’elle e s t la p lu s r é c e n t e
d iffic ile . A u s u r p l u s , d 'u n f ilm à s 'i l l u s t r è r e n t n o t a m m e n t F r a n j u , c o n q u ê t e d u ré a lism e c i n é m a t o ­
l ’a u t r e , elle se m o d ifie in s e n s ib le ­ K a s t e t A g n ès V a r d a . L ’o r ig in a ­ g r a p h iq u e .
m e n t , r e j e t a n t p e u à p e u ces lité d e B rin g u ie r e t K n a p p e s t
to u r s t r o p e n c o m b r a n t s p a r l e s - ’ d ’en a v o ir c h o is i u n tr o is iè m e : A n d ré £>. LA BA R T H E .
q u e ls les a u t e u r s a v o u a i e n t l e u r ils n o u s p r o p o s e n t le c lic h é e n
g ê n e à l ’e n d r o i t d e l e u r s s u j e ts : t r a i n d e n a îtr e , le c a p t a n t p o u r
B r l n g u i e r s ’e s t f o r t b i e n e x p liq u é a in s i d i r e à s a s o u rc e , j u s t e a v a n t
là -d e s s u s , ici m ê m e . C o m m e n t q u ’il n e s e f ig e d a n s l a s t é r é o - (1) Je ne parle pas de (a p ré te n d u e
d o n c d é f i n i r ces C ro q u is ? C e n e ty p ie q u i le d é f i n i t . L e p o r t r a i t n a tu re du spectacle télévise qui s e ra it
s o n t n i d e sé v ère s d o ss ie rs d e d o ­ q u ’ils n o u s f o n t d u to b T jy e s t à de n 'ê tre présente q u 'u n e seule fo is
c u m e n t s d u t y p e C in q c o lo n n e s c e t é g a r d s i g n i f i c a t i f . D ’a b o r d pour re to urn e r ensuite au n é a n t.
à la u n e o u L 'A v e n ir e s t à v o u s t l ’in te rv ie w , e n s u i t e l a s i l h o u e t t e . O u tre la d is p a ritio n progressive des
n i d e p l a i s a n t s c a r n e t s d ’im p r e s ­ D ’a b o r d l'h o m m e - flic , e n s u i t e le émissions en d ire ct, un c e rta in n o m ­
bre d e techniques de co n se rva tio n
s i o n s — e n c o re q u e l ’h u m e u r d e s f lic -flic , avec, à la f i n s e u l e m e n t , de l'im a g e s o nt d'ores e t déjà a u
a u te u r s n e s o it ja m a is to ta le m e n t u n p l a n (g é n é r a l) q u i r e s t i t u e p o in t p ou r en prolonger l'e xiste n ce.
n é g lig e a b le e t a i t é té m ê m e p r é ­ l 'h o m m e a u c lic h é e n n o u s le Quoi q u 'il en so it, les film s q ui nous
p o n d é r a n te d a n s le u r L e ttr e de m o n tr a n t d a n s l a r u e e n c h a în é o ccup e n t ne courent, de ce p o in t de
S è t e t o u t e n tiè r e f o n d é e s u r l a à s a f o n c t i o n . L ’o r d r e d u m o n ­ vue, ûucun danger : ils o n t é té e nre ­
s u b je c tiv ité d u n a r ra te u r. Ils n e t a g e e s t ic i c a p i t a l : il e s t ex ac­ gistrés su r pellicule, com m e n 'im p o rte
q ue lle ban d e d e 8 rcunborger.
re lè v e n t p a s d a v a n ta g e d u re p o r­ t e m e n t in v e r s e d e l ’a t t i t u d e d é ­
t a g e te l q u e l ’a g é n é r a lis é la p r a ­ m y s tif i c a t r i c e q u i p a r t d u c lic h é (2) Cas unique d 'u n a c te u r-a u te u r:
t i q u e d e l a té lé v is io n e n d ir e c t p o u r le f a i r e v o le r e n é c l a t s (cf. J e a n -M a rc Te n nb crg , q ui réussissait
p a r sa seule présence (e t un m é tie r
( e t d o n t l'in te r v ie w e s t l a fo rm e H ô te l d e s In v a lid e s , L e s C h a r m e s trè s sûr) à créer la v é rita b le mise
la p l u s a c h e v é e ), e t p o u r t a n t , à d e Ve x is te n c e . D u c ô té d e la en scène des poèmes q u 'il v e n a it
p r e m i è r e v u e, C r o q u is d e L o n d re s c ô te ). r é c ite r à l'a n te n n e .

62
movi e
... Une nouvelle revue, M O VIE, d o n t le monde a ng lo -sa x o n a v a it bien besoin. A n im é e
p a r u ne équipe de jeunes cinéphiles anglais, h itch co cko -h aw ksien s, c e tte revue a to u te chance
de d evenir ra p id e m e n t la seule sérieuse de G ra n d e -B re ta g ne , du C om m o n w e a lth e t des U.S.A.
réunis. Le p rem ie r num éro a la te n u e de son e xcellen te p rése n ta tio n . — CAHIERS DU C IN E M A
(No 135).

. . . A h ig h ly o p in io n a te d m agazine... w il! send m o st c ritic s in to a rage... b u t I d o n 't th in k


t h a t it's a b ad th in g . — JOSEPH LOSEY.

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2, O tto P rem inger (épuisé).
3, H itc h c o ck, M in n e lii, Penn, Donen, Mark.er, V a rd a .
4, Lang, R enoir, Prem inger, Edwards, Stone, Stevens.
5, H ow ard H awks.

A b o n n e m e n t 12 num éros : 30 F.
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63
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to Z (Z a p h ira to s ), a nd ta k in g in Chabrol, Franju, Resnais, T r u ff a u t , V a d im , V a rd a , and
ail th e oth e rs en ro ute. Over 100 pages. 7'* X 9 " p ap e rb ack. 5s.6d. "T h e essence, în d iv i-
d u a lity and independence o f film- as an a rt fo rm is c o n s ta n tly a n d b r illia n tly conve ye d ; fo r
those w illin g to lea rn , o r those h a ffw a y fh e re, a drp in fo th is b o o k c a n n o t faiJ to be
illu m in a tin g /” (CLARE MARKE1 REVIEW.)

2 INCM AR BERGMAN
by Peter Cowie. 3 s .l0 d . *...a w o rk of dévo tio n by a ded ica te d B e rgm a n a d m ire r...”
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52 pages. 2s.10d. p er copy, 6 issue subscription (approx. 1 ye a r) 17s.0d.

M OTION 4: January 1963; “ The MOTION Companion to Violence and Sadism


in the Cinéma” .
M O TIO N 5: February 1963: “ Antoniom ” by Philip Strick.
MOTION PUBLICATIONS
23) Summerfield Road, LOUCHTON, Essex (England)

CAHIER S DU C I N E M A
Revue mensuelle de cinéma
Rédacteurs en Chef : JACQUES DONIOL-VALCROZE et ERIC ROHMER

Tous droits réservés
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146, Champs-Elysées - PARIS (88)
R.C. Seine 57 B 19373

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Les articles n’engagent que leurs auteurs. Les manuscrits ne sont pas rendus.

L e G é r a n t : J a c q u e s D o n t ol-V al cro ze
I m p r i m e r i e C e n tr a le d u C r o is s a n t, P a r is — D é p ô t lé g a l 1er t r i m e s t r e 1963.
1819-1963

Toute technique évolue...


y compris celle de la garantie
Comme son arrière-grand-père, l'homme
de 1963 souscrit des contrais d'assu­
rance. Mais ces contrats sont adaptés
aux circonstances actuelles. Ils accor­
dent des garanties illimitées. Ils ne
comportent pas de déclaration de
capitaux.

L'homme moderne s'adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à l’avant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent :


C'EST L A COMPAGNIE D'ASSURANCES DU CINÉMA
ET DE L ’ÉLITE ARTISTIQUE FRAN ÇAISE

33, RUE LA F A Y E T T E - PAIUS-IX* - TRU. 98-90


■■ — - S E R V IC E P. A. I. p o u r P A R I S — P. R. I. pour la P R O V I N C E ^
IÆ MAC HAHON
présente

à partir du 20 février'

L’HOMME DE LA PLAINE
d ’Anthony Mann

à partir du 27 fevrier

DESTINATION GOBI
de Robert Wise

à partir du 6 mars

L’OR ET L’AMOUR
de Jacques T ou rn e u r

à partir du 13 mars

CERTAINS L’AIMENT CHAUD


de B ill/ W ilder

5, Av. Mac-Mahon, PARIS-17e - (M° Etoile) ETO. 24*81

CAHIERS DU CINEMA. PRIX DU NUMERO : 3 F

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