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CAHIERS

DU CINÉMA

N° 27 » REVUE DU CINÉMA E T DU TÉLÉCINÉM A • OCTOBRE 1953


Cette p h o to a été p r is e aux S tudios P a r m u o u n t à H o lly w o o d , en 1935, si l ’époque d u tou rnage
d u film (le G éraldine Ferrai*, T c m p tn tio n . On p eu t r e c o n n a îtr e de gauche à dro ite : M orris Geste-
A dolph Z ukor, Cecil B. de Mille, Je sse L. L a sk y et S am uel G oldw yn.

Adolph Zukor, pionnier du cinéma


et fondateur de la Paramount, arri­
vera à Paris le 15 octobre. Il y a-
quelques mois Adolph Zukor fêtait son
80* anniversaire. Puis ce fut une autre
fête pour scs cinquante ans de cinéma.
Georges Stevens, le grand metteur
en scène de Une place au Soleil, lui
a dédié son -western psychologique :
Shane (L’Homme des Vallées perdues).
L’arrivée d’Adolph Zukor coïncide avec
la sortie â Paris de Shane.

L ors <Je ln cé lé b ra tio n de son 80e a n n i ­


v e rsa ire , A d o lp h Zukov est félicité p a r M ary
P ic k o rd q u ’il fit d é b u te r en 1913 et q u i co n n u t
grâce à lu i un e p ro d ig ie u se célébrité.
L e m etteur en scène Georges Stevens dont on apprécia beaucoup Une
place au soleil, a term iné L ’h o m m e d e s v a l l é e s p e r d u e s {Shane). C’est le
prem ier technicolor réalisé p ar Stevens. A lan Ladd est la vedette de ce western
d’un genre nouveau avec V an Heflin e t Jean A rth ur. Le scénario de ce film
inspiré d’un rom an de Jack Schaefer est de A. B. Gutlirie. Les autres inter­
prètes sont B randon de Wilde, Jack Palance, Ben Johnson et Edgar Buchanan.
(Paramount.)

I
Voici M adeleine Robinson et Jean Gabin dans une scène de L e u r d e r n i è r e
ex Docteur Cazenave, ex Hold-up, ex Une cham bre pour la nuit,
jn u i t ,
mis en scène p ar Georges Lacombe. Ce film est tiré d ’une nouvelle de Jacques
C onstant adaptée et dialoguée par Jacques Celbay; Francis Lopez a écrit la
m usique, P h ilip p e Agostini a dirigé la photographie. (P roduction C.C.F.C,.
D istribution Columbia.)

2
Maggie M cNamara e t David Niven dans une s c è n e de THE m o o iv is b e u e ,
exquise et audacieuse comédie produite et dirigée p a r Otto Prem inger.
Absent d e cet image le troisièm e héros d e c e t t e histoire : W illiam Holden.
(Artistes Associés). »

3
CAHIERS DU CINEMA
BEVUE MENSUELLE DU CINÉMA ET OU TÉIËCINÉMA

146, CHAMPS-ELYSÉES, PARIS (86) - ÉLYSÉES 05-38


R É D A C T E U R S EN CHEF : LO D U C A , J . D O N IO L -V A L C R O Z E ET A . B A Z IN
D IR E C T E U R -G É R A N T : L. KEIGEL

TOME V N° 2 7 _____________________ OCTOBRE 1953

SOMMAIRE
XXX ....................................... Editorial ............................................................................... 5
André Bazin, Michel Mayoux,
Jean-José R ic h e r ................. Petit Dictionnaire pour Venise . . . ............................ i
Abel G a n c e ............................... Les nouveaux chapitres de notre s y n ta x e ................. 25
Chris Marker ..................... Le C in é r a m a ......................................................................... 34
B.S.................................................. Pour qui sonne fe g la s ........................................ 38
Herman G. W einberg .......... Lettre de New York .......................................... 46


LES FILMS :
André Bazin .......................... . De l'ambiguité (The Red Badge of Courage) ............ 49
Michel Dorsday ..................... Des tourments et des héroïnes (M y cousin Rachel,
Monsoo/t, The Poirrpoifer) ............................................. 54
Jacques Rivette . . . . . . .......... De l'invention (The Lusfy Men) ..................................... 59
Michel Dorsday .'................... De la grandeur (Pierre le Grand, II' p a r t ie ) .............. 60
F.T. et A .B .................................. La Revue des R e v u e s ........................................................ 63
Jean d 'ivo ire et F. Truffaut , Correspondance .......................................... .. 64

Les photos qui Illustrent ce numéro sont dues à l ’obligeance de : Franco-London Film, René Saint-Paul,
M . G . M ., A bel Gance, 22 th Fox, Columbia, Artistes Associés, Sovexport, Parls-Film Production, Paramount,
Romulus-Films, C . I. C ., Peg-Produzione Film s-Citê. ■

i' Les a rticles n 'e n g a g e n t q u e, leurs a u te u rs - .les m anuscrits n e sont p a s rend us.
! Tous droits réserves - Copyright hy LES ÉDITIONS DE L'ETOILE, 25, Bd Bonne-Nouvelle, PARIS (2e)
R. C. Seine 326.525 B.

NOTRE COUVERTURE :

D a n ie lle D a r r ie u x dans M a d a m e d e ... d e M a x O p h u ls.

4
É ditorial

L ’équivoque m a la d iv e qui a fa it dégénérer une grande partie de


la production française dans une exploitation discutable de la sextua-
lité, sem ble av o ir lassé tout de m ê m e quelques-uns des réalisateurs
qui n ’attendent que le plus bas succès. D ébordés p a r une époque qui,
malgré tout, s’im pose à eux, ils vont m aintenant s’attaquer à des
« problèm es ». Là intervient, et p o u r la pre m iè re fois avec autant de
précision, la m ystification qui est à l’origine de ce qui se voudrait
une lutte sociale.
P o u r la p lu p a r t des réalisateurs français et en particulier des
jeunes réalisateurs, le p roblèm e posé va se réduire essentiellem ent à
un côté spectaculaire restreint qui aboutira à dénaturer pro fo n d é ­
m ent, à travestir avec outrage, ce qui se veut une honnête appréhen­
sion de la vérité. D e u x films p a r m i tant d ’autres, et si nous ne citons
que ceux-là c’est qu’ils ém anent de deu x réalisateurs jeunes et dont
le succès sem ble assuré, illustrent m alheu reu sem en t cette équivoque :
L’Esclave d ’Yves Ciampi, Les Compagnes de la Nuit de R alph Habib,
ont tous deux exploité sous la fallacieuse enveloppe de dénoncer des
abus et des haines, les envies inavouées po u r la drogue d ’une part,
et les filles de l'autre. La belle occasion po u rta n t qui était là donnée
de faire des œ u vres p o u r la p rem ière fois réelles, précises, honnêtes.
Il y a vraim en t des évidences qu'il faut rappeler, m ais que ce soit
les suites de la guerre, un tem ps instable où la personnalité a trop
de facilité de se dissocier, les difficultés d ’adaptation d ’un régim e qui
ont poussé bon n om bre d ’individus estim ables à chercher dans la
drogue un soulagem ent n'a, semble-t-il, pas intéressé Yves Ciampi. Il
s’est plu à faire passer la responsabilité du collectif au particulier
en accusant de tous les m éfaits les chanteuses de Saint-Germ ain-des-
Prés, ce qui d evait a v o ir po u r résultat de rassurer tout le m onde. Cette
assurance de la bonne conscience f u t aussi donnée aux spectateurs
qui sortirent des Compagnes, et qui pou vaien t en toute liberté accuser
les m aîtres d ’un soi-disant m ilieu de toutes les bassesses, de toutes les
incohérences d ’un régim e qui utilise à son profit ces individus, se
forçant ainsi à les récom penser p a r son silence.
Histoire d ’am o u r . e t arm e de com bat, le ciném a est tout un, le
visage de Pier A n geli ou la révolution d ’octobre participent aussi bien
de lui qu’une opération du cerveau ou que les fantasm es de MurnaUi
m ais si se m anifeste le désir de s’attaquer à des problèm es précis,
délim ités, auxquels on désire a p p o rte r des solutions, il s’agit de les
poser d ’abord, de ne pas les travestir sous des couleurs attirantes,
en un m o t d ’être honnête.

5
André B azin
Michel Mayoux
J ean-J osé R icher

Petit Dictionnaire

POUR VENISE
Etcliikft C houreau , in te rp rè te de l ’épisode
f r a n ç a i s de 1 V in ti de Michclangclo A n toniom .

t^ v is
N o u s n o u s excusons d ’être obligés de reporter à notre prochain n u m é r o le texte de h o tte E is n e r
q u i n o u s est parvenu trop tard ive m en t et q u i concernait n o t a m m e n t T h e Saga o f A n a ta h a n de
S ternberg. P a r ailleurs, n o u s signalons a r i.r a m « / e u r s de ty p o g ra p h ie que les textes de B a z in
sont en 10 sifrte c e n # de Alatjonx en 10 b o d o n i a[ ccux de R ic h e r eu 10 sé rie 10 ita liq u e.
L a c o n tr ib u tio n a lue lettres A et P est a n o n ym e.

Contes de fées
C’est justice que le film japonais Ugetsu Monogatari — Contes de la lune
m ystérieuse et pâle après la pluie — ait été cité en. prem ier au palm arès. Avec
les adm irables V inti d’Àntonioni et le non moins adm irable Retour de Vassili
de Poudovkine, c’est u n des films les plus excitants pour l ’esprit de tous ceux
que nous vîmes, et nous l’avons reçu avec un plaisir en harm o nie avec son
titre ravissant. Ceci sans préjuger des films que nous n ’avons pu voir, p rin ci­
palem ent de l ’indien Do Bigha Zamin (Deux arpents de terre) dont aucune
projection ne fu t faite durant la deuxième semaine (pas plus d ’ailleurs que de
la Saga of Anatahan de Sternberg) et dont les prem iers arrivés nous ont d it
le plus grand bien. ,
Il est rem arquable que le triple récit des Vinti comme celui — em p rein t
du lyrism e le plus authentique — du Retour de Vassili rejoign ent Ugetsu dans
les catégories de ce cinéma rom anesque dont nous sommes plus que to u t
au tre épris. Ugetsu est formé de la fusion de deux contes d ’u n m êm e recueil
célèbre, « La dem eure au sein des graminées sauvages » et « La lubricité de
l ’esprit du serpent », contes de fées pour grandes personnes. L’action se passe
à l a fin du XVIe siècle, époque troublée où les séquelles de guerres civiles re n d e n t

,6
la vie incertaine. Des bandes de samouraï, c’est-à-dire non de chevaliers
m ais de soudards préoccupés surtout de pillage et de viol, parcourent le pays,
sem ant la: terreu r. Dans ce clim at inqu iétan t,' il arrive à un sim ple potier
nom m é G enjuro les aventures les plus étonnantes, que je ne dévoilerai pas
ici. Sachez seulem ent que tout le film baigne dans une atm osphère d’étrangeté,
aux'confins du réel et de l’irréel, que l’on ne sait jam ais très sûrem ent si les
scènes que l ’on voit sont vécues par Genjuro, ou s’il les rêve, et que les
enchantem ents ne se révèlent comme tels qu’après coup. Sachez aussi que la
séquence où le héros est littéralem ent violé par la princesse Wakasa, puis
m ené au bain p ar elle, est inoubliable...
L’insolite n aît du contraste entre le fantastique des situations et le réalism e
d u traitem ent, beaucoup plus que de l ’exotisme du décor, des costumes, vite
assimilé, plus m ême que de l’inhabituel d ’un langage, d’une gesticulation dont
le baroquism e vient en droite ligne des rites complexes du th éâtre asiatique.
Représentés, joués de semblable façon, la forêt qui s’ouvre et se referm e
sur le château de la Belle au Bois D onnant, le festin de R iquet à la H ouppe,
la cuisine où P eau d ’Ane en robe de diam ants sacrifie à ses Magies, seraient
aussi déroutants que la jonque surgie des brum es basses du lac Biwa ou la
dem eure « au sein des graminées sauvages » de la princesse fantôm e Wakasa.
D éjà les m eilleurs passages de Rashô-Mon nous faisaient p énétrer dans le
m onde de l ’étrange : ce n ’étaient pas les récits des témoins mensongers, mais
la représentation de ce qui s’était vraim ent passé. P a r ailleurs, l’ennuyeuse
explication philosophique des événements alourdissait le récit. R ien de tel
cette fois. Nous sommes au cœ ur du mystère. Car l ’im aginaire se n o u rrit de
réalité, et il n ’est de contes de fées dont les fées n e soient aussi des amantes,
T h e L ittle Fugitive, dont il est parlé plus loin, est tout l ’inverse d ’un
conte. Aù lieu de l ’intrusion de m archands, artisans, paysans — tous person­
nages pétris de réalité — dans le Merveilleux, paradis perdu de l’enfance,
c’est ici l’enfant, déplaçant en m êm e temps la cage virtuelle que tissent autour
de lui ses mythes familiers, qui s’introduit en fraude dans l’univers sans poésie
des grandes personnes. Le Luna P ark de Gonëy Islands, sorte de bagne du
plaisir, y retrouve l’innocence de l ’aube où Féjos jadis, dans Solitude, y fit
n aître l’am our. ' ,

Vgestsu M onogalari de Iîe n ji Mizoguchi.


Cruauté et provocations
Par opposition au sadism e, dont on n ’a pu relever que de rares
traces dans ce Festival à tout p ren dre bénin, la cruauté physique, la
violence im m é d ia te se sont m an ifestées avec quelque véhémence en
particulier d a m deu x films de la sélection française : Thérèse Raqnin
e t surtout Les Orgueilleux. Des rem ou s divers en accueillirent certains
passages, et il fut fort question, dans les échanges de vue postérieurs,
et n o ta m m e n t au cours de la conférence de presse d ’Yves Allégret, de
cette cruauté montrée, voire étalée aux yeux d ’un public accoutum é
aux rassurantes ellipses.
Il sem ble qu’en fin de com pte, ces discussions n ’aboutissent qu’à
dém on trer leur p ropre vanité. En ces matières, disons-le tout net, l'esthé­
tique justifie la morale. Au cinéma, la cruauté n’est qu’un m oyen.
Qu’im porte donc les positions de prin cipe sur son essence, on ne d o it
la considérer ici que dans une o p tiq u e de relativité. Elle représente
lin élém ent esthétique p a r m i d ’autres dans un univers déterm iné. Q uand
la cruauté cesse d ’être nécessaire, intégrée à l’unité de Vœuvre, elle
passe au, stade de la sim ple provocation et pre n d des allures de m a n i­
feste du scandale. Pourquoi pas ? dira-t-on. E videm m ent, m ais alors
il fau t faire Un Chien Andalou. E t on ne le refait pas plus q u ’on ne
le plagie ou qu’on ne s’en « inspire ». Rien n’est souvent plus in d i­
geste, plus dangereux (p o u r Vœuvre), ni plus futile que les p e tites
professions de foi qui se glissent, ici et là, à la sauvette, dans un film
qui d evrait suivre une tram e rigoureuse.
C’est ainsi q u ’on ne saurait valablem ent se prononcer, à priori,
p o u r ou contre le spectacle d ’une piqûre rachidienne en gros plan, d ’un
vom issem en t ostensiblem ent ph otographié (Les Orgueilleux) ou l’exhi-
■ bition opiniâtre d’un forcené qui secoue désespérém ent un cadavre
pour lui arracher son secret (Thérèse Raquin). Dans sa conférence
de presse, A llégret déclara avoir voulu que la prem ière scène d ’a m o u r
entre l’énergique fem m e de tête et l ’épave èthglique fû t un contact
purem en t ph ysiqu e ; effectivem ent, le plan qui réunit Morgan à dem i-
dévêtu e et Philipe, torse nu, ren d le son plein de l’efficacité. Mais cela
n ’explique p a s qu’un plan im m é d ia te m e n t voisin m ontre Vaiguille
cherchant sa voie entre les vertèbres de la fem m e, et s’insinuant len te­
m en t dans ses reins. On a pa rlé de s y m b o l e ; si sym bole il y a , il
est un peu enfantin. Mais du seul p oin t de vue de l’intensité d r a m a ­
tique, si l’on considère ce plan co m m e la pointe digne du p a r o x y sm e
dans le crescendo du récit, c’est beaucoup plus justifiable, encore que
cela ne puisse dépasser le cadre d ’une esthétique « de choc » et en
fin de com pte superficielle.

Doublages
I V inti (Les V aincus], qui s’appela d ’abord Senza Am ore (Sans A m our)
puis I Nostri Figli (Nos Fils), c’est — on le sait — le dernier film de Michelan-
gelo A ntonioni, composé de trois épisodes, français, italien et anglais, inspirés

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de faits divers criminels authentiques. Nos lecteurs savent aussi tout le bien que
nous pensons du prem ier film d ’A ntonioni, Cronaca di un Amore. Q uant à
La Donna senza Camelie, son deuxièm e film, avec Lucia Bose. q ui était déjà
l ’héroïne de Cronaca, aucun d ’entre nous ne l’a vu encore. I Vinti, présenté le
dernier jo ur du Festival, a été écarté du concours parce que la version envoyée
à Venise p ar le producteur était entièrem ent parlée en italien, c’est-à-dire dou­
blée pour les épisodes fiançais et anglais. Or A ntonioni a tourné à Paris et à
Londres avec des acteurs français et anglais. Il existe donc une version originale.
A priori, on ne peut qu’ap plaud ir à la décision du jury, prenant, p arti coura­
geusement contre la déplorable p ratique du doublage que le système des
coproductions encourage fâcheusement. Il est certain que les Italiens sont
arrivés dans cette technique 'à-une qualité dont on est loin en France. 11 n ’en
est pas moins regrettable- que nous n ’ayons pu voir la version originale du
Carrosse d ’Or, q u ’Ingrid Bergm an soit doublée dans la version italienne
d ’Europe 51 (présentée à Venise l ’an dernier) et que pour entendre sa voix il
faille voir une version anglaise- qui n ’est pas non plus la version originale, dans
laquelle de nom breux acteurs sont doublés, qui est de plus tronquée et dont le
texte est curieusem ent affadi p ar rap p o rt au texte original italien. E n refusant
d’adm ettre dans la com pétition un film doublé, le ju ry a donc créé un précédent
heureux. Regrettons cependant que ce soit précisém ent le film d ’A ntonioni qui
se trouve ainsi brim é et jo u er de m alchance, après les bâtons qui lui sont mis
dans les roues, en France, p ar le M inistère de la Justice.

Michèle Morgan «-‘t G érard PhilSpc d a n s L e s O rg u eilleu x d'Y ves Àllogrei.

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généralités
Le XIV8 Festival de Venise aura achevé de consacrer un échec :
celui des Palmarès qui sont en principe la conclusion et le résultat
de ces m anifestations. Celui de cette année a été proclam é sous les
Imées. Notre seule consolation est que la France n ’en a pas été la
principale victim e : l’indignation de la salle fut à son com ble pour
le Lion d’Argent de Moulin Rouge et le Lion de Bronze de P ick Up on
South Street. Trois décisions seulem ent furent applaudies : la non
attribution du Lion d’Or et les Lions d’Argent de Uget.su Monagcdari
et de The Little Fugitive. Il n’est guère en effet d’autres prix qui ne
s’expliquent par des considérations diplom atiques trop exclusives et
évidentes. Tant m ieux pour Ja France si chacun de ses films a été
récom pensé, m ais il faut bien avouer que nous n’en som m es pas très
fiers. Qiie signifie en tous cas l’attribution d’un prix considéré jusqu’ici
com m e l’un des plus importants des Festivals à H.'Vilbert pour Le Bon
Dieu sans confession. On avait l ’occasion dans le m édiocre Four-
p o s te r de récom penser quelque chose : les dessins anim és (qui m an ­
quaient par ailleurs dans ce Festival). Non, c’est M adame Lili Palm er,
com édienne adroite mais sans originalité qui fut désignée. Il était juste
que les soviétiques eussent un prix, m ais.p ou vait-on hésiter (même si
on l ’aime) entre Sadko et L e Retour de Vassili B ortnikov ? Seulem ent
Putchko était présent et Poudovkine est mort. Au dem eurant je
trouve fort injuste de n’avoir pas m entionné l’assez stupéfiant R az de
Marée hongrois de Kalman Nadaski, Enfin, dans la m édiocrité am é­
ricaine, The Bad and the Beautiful était tout de m êm e d’une autre
classe que Pick Up on South Street... m ais la F o x prêtait le Ciném ascope.
Bien sûr il n ’y eut jam ais de Palm arès satisfaisant, pas plus à
Cannes qu’à Venise, Bruxelles ou ailleurs, et quant à ceux fondés
sur les référendum s du public ils sont bien pires encore. Mais le plus
grave n’est pas tant qu’on puisse les contester du point de vue de la
critique ciném atographique ou y déceler quelques précautions diplo­
m atiques. Ce sont là faiblesses ou servitudes inhérentes au systèm e
qu’on accepterait encore en les déplorant si, d’année en année, elles
ne s’avéraient plus fatales et exigentes. V enise 53 a dépassé la m esure.
Cette fois c’est trop peu de dire que le Palm arès ne signifie plus rien,
il signifie hélas au contraire trop de choses, horm is les m érites respec­
tifs des œuvres en compétition. •
Faut-il pourtant lancer la pierre aux jurés ? Il se peut fort b ien
que cette évolution soit dans la fatalité de l’entreprise et qu’en p re­
nant de telles décisions ils aient conscience de choisir le m oindre m al.
Mais alors il est grand temps de m odifier le systèm e avant qu’il n e
soit irrém édiablem ent gangrené. Le Festival dem eure valable com m e
Exposition, il n ’est pas du tout indispensable d’en faire un concours.
Je gage au demeurant que nom bre de participants préféreraient
n ’avoir rien plutôt qu’un lion de bronze trop m odeste pour leur
réputation. Mais si l ’on pense qu’un Palm arès est vraim ent in disp en­
sable au prestige d’un Festival, alors il faut avoir le courage de le
rendre indépendant. En tous cas, il faut, et Cannes doit en tirer le

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Sa dko , d ’A lex an d re P u tch k o .

premier la leçon, trancher net avec les considérations diplomatiques


et com m erciales dont l'hypothèse comprom et par l’interm édiaire du
Palm arès le prestige et l’autorité des Festivals.
Car nous ne souhaitons pas la m ort des Festivals. Bien au contraire.
L ’intérêt de celui de Venise 1953, en dépit m êm e de sa médiocrité
générale, prouve une fois de plus leur utilité com m e exposition pério­
dique du cinéma mondial. Nous ne pouvons que renvoyer sur ce point
à ce que nous disions de Cannes dans le num éro des C a h i e r s , avec
cet argument supplém entaire que la présence de l’U.R.S.S., de la
Pologne, de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie en ont considéra­
blem ent augmenté l’intérêt. Certes, beaucoup de films présentés ne
le sont m êm e plus en première m ondiale ou doivent sortir rapidement
dans les principales capitales, mais il y a gros à parier par exem ple
que sans Venise la carrière de The Liltle Fugitive aurait été très diffé^
vente de celle qu’on peut m aintenant lui prédire. D e m êm e voit-on
se dessiner de Festival en Festival la physionom ie de ciném as exo­
tiques que les marchés occidentaux ignorent pratiquem ent : le Japonais
et l’Hindou en particulier.
Encore faudrait-il que l ’esprit qui préside aux Palm arès ne puisse
pas envahir et dom iner l’organisation m êm e du Festival. Nous vou­
lons bien que l’exposition soit aussi une Foire, m ais nous n’aurions
que faire d’une Foire-exposition où l’industrie et le com m erce auraient
une préséance de plus en plus avouée sur les valeurs artistiques et
culturelles. Certes Venise, sur bien des points, m arque ici une supé­
riorité sur Cannes, supériorité confirmée partiellem ent encore cette
année avec la rétrospective du ciném a français muet, nous rendons
égalem ent hommage à la com m ission de sélection qui a écarté avec
courage et persévérance les films notam m ent américains qu’elle jugeait

il
The Saga of A n a ta h a n de Jo s c f v o n S ternberg.

de qualité insuffisante. Mais nous avons constaté avec regret le sabo­


tage des conférences de presse devenues quasi inexistantes. Enfin, si
désagréable qu’il soit de paraître défendre des avantages corporatifs,
il nous faut bien dire que l’intérêt de la critique ciném atographique,
ses m oyens de travail ne sont pas pris suffisam m ent en considération,
ou, ce qui est plus grave, de m oins en m oins. Passons sur le fait que
les invitations de presse sont d’année en année plus parcim onieuses.
Il parait que cette fois-ci Venise n’a invité les journalistes français
que pour huit jours par m esure de rétorsion contre Cannes qui en fit
autant avec les Italiens. Encore que le procédé situe assez déplora-
blem ent le niveau du débat, adm ettons le fait. Je doute pourtant que
les crédits alloués à la réception des élém ents industriels et com m er­
ciaux ainsi qu’aux vedettes aient dim inué dans la m êm e proportion
que ceux impartis à la presse. Supposons toutefois qu’il en soit ainsi,
ce qui demeure inadm issible c’est qu’on ne cherche pas à pallier aux
inconvénients de cette parcim onie. Certes on fait bien quelques pro­
jections privées dans les salles annexes des films programmés dans
la prem ière m oitié du Festival, m ais ces séances ont lieu à peu près
au hasard, sont très m al annoncées (lorsqu’elles le sont) et, au m ieux,
si tardivement qu’elles supposent le journaliste toujours disponible.
C’est pourquoi, quoique doté de trois « envoyés spéciaux », les C a h i e r s
d u C ï n é m a ne peuvent vous parler de R om an H oliday de W yler, de
Sinha Moca de Tom Payne (Brésilien), du film de Pouriovkine (heureu­
sem ent montré préalablem ent à Paris), de The Saga of Anatahan de
Sternberg. Par contre, qu’un exploitant ou quelque personnage com m er­
cialem ent important veuille revoir un film et il aura sans difficulté
sa projection, à laquelle parfois, s’il en est prévenu à temps, le journa­
liste pourra peut-être se glisser en resquilleur. Autre exem ple de la
désinvolture avec laquelle est traité le travail de la critique : les

12
places qui lui sont attribuées, au hasard des restes disponibles, de
préférence sur les côtés, elles n e lui sont pas garanties l’après-m idi,
en sorte que la plupart de m es confrères et m oi-m êm e surpris par
Pabondançe des invitations lancées par le producteur ont dû voir
Les Orgueilleux assis par terre entre les travées ou au pied de l ’écran,
On voit bien, à de tels détails, que la critique ne joue plus guère dans
les Festivals qu’un rôle de parent pauvre. Encore Une fois il ne s’agit
pas de réclam er pour elle des avantages luxueux, j e n ’envie nulle­
m ent lés pensionnaires de I’Excelsior, fussent-ils m es confrères, seule­
m ent si l’on croit que la critique est le juge nécessaire et naturel
pour lequel le Festival est. organisé, il est élém entaire de la m ettre
en situation de travailler de façon com m ode et digne.

Interviews et entretiens du Festival


A quelques exceptions près, ce Festival sans éclat se distingua
m oins p a r les œ u vres présentées, — qui, d ’année en année, se sclérosant
un peu plus dans un a c a d é m is m e . sans bavure, p e rd en t autant en
vigueur et en originalité, — . q u e . par les personnalités dii ciném a dont
il p e r m it Vapproche et les entretiens qui en résultèrent.
C’est ainsi qu’au cours de la seconde semaine, le bal de la
comtesse V olpi offrit une occasion unique à qui n ’était pas indifférent
d ’assister à la curieuse confrontation de la faune ciném atographique
internationale et de l’aristocratie vénitienne qui ne côtoie, guère d ’ordi­
naire les étrangers que sur la Place Saint-Marc sans se m êler à eux.
A l’intérêt tout particulier de cette fastueuse m anifestation qui ne
réunissait que des personnages dû m e n t invités, s’ajoutait le ravisse­
m e n t de p o u v o ir p é n é tre r dans un palais vénitien vivant, non pas
tran sform é en fro id m usée, m ais habité et entretenu com m e au xviii'.
P o u r une fois donc le parallèle deven ait impossible avec les ré c e p ­
tions et les cocktails de. tous genres qui se déroulent, identiques à
eux-m êm es, dans tous les, palaces de la terre, et c’est pourquoi l’ennui
m ondain arboré p a r certains visages qui n’avaient pas com pris que,
ce soir-là, c’était différent, nous p a r u t fo rt choquant. C om m en t ces
m asques éternellem en t vides ne s'animaient-ils pas devan t le d é p a y se ­
m e n t total de ce spectacle la décoration luxuriante du palais, ces
tapisseries qu’il se m b la it qu’on vin t de poser, ces soieries, de tendre,
ces clavecins, de refermer... D es fe m m e s éblouissantes (les Vénitiennes...
et quelques autres) flottaient p a r m i ces fastes irréels. Les Italiennes
av a ie n t un teint bronzé ad m ira b le et étrange, sans une om bre de
m aquillage sur les lèvres et les joues. En fait, nous apprîm es que leur
secret résidait dans un fond, de teint e x trêm em en t atténué, entre le
gris pâle et le m auve, qui donnait à la peau un aspect à la fois naturel
et surréel, et aux y e u x clairs, gris ou verts, de m ortels reflets.
Carlo Rim, rencontré à l’entrée, nous conduisit en guide é m e r ­
veillé à travers le d édale des salons, loggias, balcons et galeries de
ce palais qui nous offrait les réalisations les plus vertigineuses du
baroquism e vénitien, de cet art qui, selon le m o t de notre cicerone, ne
cesse de « faire de la corde raide, toujours sur le point de se casser
la g... et qui, pourtant, se ra ttrape toujours. »

13
C'est dans ce cadre que les C a h i e r s d u C i n é m a s ’offrirent qu e lq u e s
in terview s de choix. Ce fu t d ’abord la plus extraordinaire p e rso n n a ­
lité du Festival, qui éclipsa presqu e l’hom érique allure de K ir k D ou glas
en Ulysse, blond : John Huston. Charme lointain, désinvoltu re royale
et lin peu lasse de boxeur racé, nonchalance étudiée, tel peu t s’esquisser
l’aspect fascinant de l’auteur d’Asphalt Jungle qui détou rn ait sur lui
les regards des m oins curieux, étonnés en outre p a r les étrangetés de
son costum e : pantalons très étroits m oulant des hautes ja m b e s légè­
r e m e n t torses et tom ban t sur d ’extravagants escarpins de d a im n o ir
ornés de têtes de renard brodés au fil d ’or.
Nous lui parlons im m é d ia te m e n t de The Red Badge o f Courage
r é ce m m e n t sorti à Paris : il confirme notre interprétation du sens d e
l’oeuvre qui est un essai sur la recherche et le triom phe de la volonté.
Il s’agit avan t tout d’entreprendre. Quel que soit le résultat, seule la
tentation im porte. Son d é b it est rapide, les m ots try, trial, so u v e n t
répétés, surgissent com m e des récifs pointus. Interrogé sur M oulin
Rouge, il nous laisse entendre q u ’il s ’est surtout attaché (peu t-être au
dé trim e n t du scénario sur lequ el il glisse.) à l’utilisation de la couleur.
Il a cherché à Vem ployer dans un sens pictural (com m e R e n oir dans
ses derniers films, qui réussit le tour de force supplém en taire de lui
assigner une fonction dram atique) et non dans le sens si banal — et
si spécieux — de la recherche d’une soi-disant « vision naturelle », règle
d’or du tout venant des Technicolor. N ’ayant pas encore vu le film,
nos questions m anquent un peu de précision (1).
D ’une intonation grave traversée de pointes d ’ironie froide, il
term ine bientôt ses déclarations sur l’annonce, réservée, d ’un p r o je t de
film en Orient.
Nous le retrouverons, quelques heures plus tard, au d é to u r d ’une
galerie, griffonnant un croquis sur le pro g ra m m e d ’un chasseur d ’au to ­
graphes\ Ce fu t une ruée générale ; d ’un graphism e arachnéen, em m ê lé ,
égratigné, tourm enté et cepen dant incroyablem ent pur, il traça p a r to u t
des têtes de cheval à cou im m ense. Bientôt ces Pégases co u v rire n t les
cartes d ’invitation, des cartes de visite, des bouts de papier...
A quelques instants d ’intervalle, Thilda Thamar, v edette du film
La Caraque Blonde qui d o it être p ro je té au cours du F e stiv a l en séance
privée, nous révèle en dansant qu'elle en a assez de tourner les scé­
narios des autres. Elle a dans l’esprit, depuis longtem ps, un su jet
qu’elle désire v iv e m e n t p o rte r à l’écran. Très intéressé, nous lui d e m a n ­
dons à quel m etteu r en scène elle a pensé pour la réalisation du fu tu r
film :
—• A quelqu’un qui doit a v o ir la patte légère, répond-elle, et beau­
coup de talent. René Clair, p a r exemple.
Nous continuons de danser. Elle nous fait part, il est vrai, de ses
craintes que l’offre né soit déclinée p a r l’intéressé qui lui aussi, paraît-
il, s ’occupe lui-m êm e de ses scénarios. Nous le déplorons e n s e m b le .
Elle pou rsu it : —*A m oins qu’Edu ardo de Filippo, le Napolitain?...
Du côté interprétation, com m e c’est un sujet où « l’hu m ain » et

(1) Maintenant, nous Pavons vu : « Ce qui compte, dit Huston, ce n’est pas
le résultat ; la justification de l’homme est dans l’entreprise »... Il n’est que juste
de lui accorder, pour le juger, le bénéfice des avantages de son propre système...

14
le comique se m êle n t intim em ent, là cctraque blonde voudrait s’assu­
r e r le concours du « Chaplin sud-am éricain » dont le nom nous a
échappé. Un dernier m o t : le titre du film : quelque chose com m e
Le Bon D ieu prend des Vacances, si, à 6 heures du matin, les vapeurs
traîtresses de la lagune n ’ont pas m is notre m ém oire en vacances...
En cette fin de nuit vénitienne, quelques adorables « contessine »
(petites com tesses) ré cla m a n t une a dm iration exclusive, nous oublions
un p e u le ciném a qui, pourtant, nous cerne de certains de ses plus
notoires représentants : K irk Douglas, Silvana Pam panini, Farley
Oranger, Sophie D esm arets, Errol Flynn et quelques autres.
' • x’J.

A la fin des O rgueilleux, au cours d ’une conférence de presse,


Yves A llégret donne quelques explications sur les transpositions assez
considérables qu’il a fa it subir au scénario original de Sartre : Typlius,
dont l’action se déroulait en Chine et où le thème du racisme revêtait
une grande importance. Le M exique aurait été, p o u r sa part, respon ­
sable d ’une certaine p a rtie des modifications de structure du film. Il
sem ble que le traditionn el scénario se soit renouvelé une fois de plus
dans le cas A llégret : arrivé en p a y s étranger avec une histoire bien
arrêtée, les quelques m ois d ’études qui ont précédé le tournage ont
am ené peu à peu le réalisateur à m odifier notablem ent le plan de son
film, et l’histoire s’est fa it quelque peu grignoter p a r la peinture du
pays, de l’atmosphère, de la vie m exicaine. Il est juste d ’ajouter qu’il
a conservé à Vévolution interne des personnages son importance, sans
toutefois retracer suffisamment, à notre gré, toutes les étapes d ’un
itinéraire q u ’on eût voulu m oins succinct. C’est doiic sollicité à la fois
p a r l’aventure psychologique de ses personnages et p a r un milieu
envahissant, qu’il a cherché son équilibre. C’est un tour de force qu’on
réussit difficilement.
On aborde la question du jeu de Morgan, plus délié, plus m obile
que d ’habitude, et A llégret répon d que son interprète a eu conscience
de cette modification de ton q u ’on lui dem andait, et à laquelle elle
s'est volontiers prêtée. La discussion s’accroche ensuite sur les har­
diesses de la réalisation, qui font, dans ces m êm es pages, l’ob jet d ’une
autre rubrique icf. Cruauté et provocations). Le m etteu r en scène déclare
enfin q u ’il aim erait fo rt retourner au Mexique p o u r y faire un autre
film.

La liste de ces entretiens do n t nous n ’avons retenu ici que les plus
m arquants s’est clôturée, la dernière nuit du Festival, au cours de la
réception italienne, p a r l’in terview d ’un des plus rem arquables hom m es
de cinéma actuels : Michelangelo Antonioni. Son film, I Vinli, avait
été p rojeté quelques heures au paravant sur l’écran du Festival, m alheu­
reusem ent hors com pétition. H om m e très courtois, d ’une gravité un
peu lointaine, a p p a r e m m e n t placide, m a is trahi p a r un tic q u i lui tire
brusquem ent la tête de côté, il ré p o n d tout d ’abord à nos questions sur
sa carrière : P r im itiv e m e n t critique cinématographique, il vient un

15
3/oiiîîiï Rouge, de J o h n ïlu s to n .

jo u r tout naturellem ent à la m ise en scène. II de v ie n t assistant et le


reste à pein e quelques mois. D étail curieux, il collabore aux Visiteurs
du Soir, m ais sa réserve nous empêche de connaître e x a ctem en t son
rôle dans la réalisation du film. « J’étais quelque chose co m m e assis­
tant », finit-il p a r avouer. Puis, p e n dan t la guerre, il se m e t à réaliser
d ’em blée quelques court s-m étr âges ; à l'un d'eux, qu’il v o u d r a it nous
m ontrer, il sem ble particulièrem ent tenir : il s’agit d ’une des p re m iè re s
m anifestation s du néoréalisme naissant, une espèce de reportage filmé
sur les balayeurs italiens et leur univers ; Les Balayeurs d aten t de 1942.
D ’autres p e tites œ uvres suivent. Puis, c’est le p r e m ie r g r a n d film, et
le fulgu ran t d é part que l’on sait : Cronaca di un Amore. R écem m en t,
il tourne La D am e sans Camélias. Enfin, voici son dernier film, I Vinti,
les Vaincus, dont on connaît les vicissitudes en France, m ais en France
seulem ent, la sortie en Italie et en Angleterre ne faisant aucune diffi­
culté. Certains parents des J3 français, protagonistes du crim e de la
Malnoue, ont fondé leur protestation sur une loi interdisant de m ettre
en scène ou en film, de leur vivant, les auteurs d’un acte crim inel. P a r
contre, il nous dit avoir reçu du père de Guyader, la victim e, une lettre
d ’approbation et m êm e d ’encouragement.
A v e c quelque précipitation, une ardeur un p e u confuse, nous l’in­
terrogeons sur ses secrets : com m ent a-t-il pu donner à l’ensem ble du
film cette unité solide, cette homogénéité, à p a r tir de trois épisodes
différents si rem arquablem ent situés dans' leurs clim ats n ation aux
respectifs {le britannique, le non-latin, plus m agistralem en t traité encore
que les deu x autres) ? — E t ce, in dépen dam m en t du lien pu issan t du
sujet. Il est bien évident que nous voudrions l’enten dre p a rle r lui-

16
inêm e du sens pro fo n d de sa m ise en scène. Mais c’est toujours la
m ê m e chose... ils se d é fe n d e n t tous d'être intellectuels. Une flam me
courte et cachée, m ais intense, l’anim e : il p a rvien t presque à nous
convaincre : « J’essaie de travailler avant tout avec mon... estom ac »
...et il m ontre son cœur. Il ajoute : « J’aim e tout particulièrem ent tour­
n er à l’étranger p o u r pénétrer l’esprit d ’un peu ple que j ’ignore {et il
fait à l’appui de ses paroles un adm irable geste des deux m ains jointes,
un geste aigu, qui sem ble s’enfoncer au cœur des choses). A le voir, à
l’entendre, on saisit son te m p é r a m e n t, sa m éthode : il découvre moins,
dans le sens où l’on soulève un couvercle, qu’il ne transperce, com m e
une lame et ne s’insinue au fo n d des problèm es, sans bouleverser les
couches superficielles. Il se défend, ou p lu tô t non, il ne se d éfen d pas,
if sem ble à la fois trop lucide, trop mélancolique et trop subtil pour
être réellem en t concerné, im pliqu é dans une controverse : il déclare
sim p lem e n t ne p oin t com pren dre q u ’on le taxe de froideur... De fro i­
deur... nous sourions ensemble.
Dans nos questions, le détail se m êle à l’essentiel : nous l’interro­
geons sur les automobiles, les voitures rutilantes, som ptueuses et gla­
cées qu'on retrouve, dans le d e m i-jo u r de l’épisode romain, sem blables
à celles de Cronaca. P ou r lui, elles sont à notre époque ce que furen t
au rom an tism e allem and les cristaux, les m iroirs et les flam beaux du
siècle passé, et si les m otifs du contre-point changent, la pérennité des
débats passionnels s’affirme toujours dans lé contexte désertique des
choses inertes et trop belles.
Il nous confie enfin que la direction des jeunes interprètes de son
film lui a donné un m a l décroissant de l’épisode italien à l’épisode
anglais. Il lui a fallu frein er des tem péram ents progressivem en t enclins
à l’exubérance. D ’ailleurs, P e ter Reynolds, l’acteur anglais, est un c om é­
dien déjà éprouvé. Il fait, en passant, l’éloge d ’Etchika Choureau dont
Les Vaincus sont le p r e m ie r film.
Nous essayons alors d ’é le v e r le d é b a t sur l’interprétation au plan
le plus général : entre les acteurs professionnels et les autres, Antonioni
ne se prononce pas. Il n ’a pas, et ne veut pas av o ir de systèm e. Il sem ble
n’avoir pas m ê m e d’interprète préféré, et Lucia Bose, v edette de ses
d eu x pre m ie rs films, ne l’a été du second que p a r accident. Pour La
D am e sans Camélias, il voulait Lollobrigida qu’il trou vait davantage
le personnage du rôle ; m ais des difficultés surgirent et il se rabattit
sur Lucia Bose. Il est intéressant de noter qu’il ne s’agît donc pas, de
sa p'art, d ’un choix délibéré. Le physiqu e de l’acteur a p o u r lui une
im portance prim ordiale, et son visage ne vaut que p a r ses possibilités
d’expression dans le cadre strict de son rôle. A ux antipodes d ’un
Sternberg, am oureu x révélateu r de Marlène, il se détache de ses inter­
prètes, il les quitte avec un serein fatalism e.
L ’entretien se prolonge, et sa m élancolique affabilité ne se lasse
pas : nous voudrions bien reparler de Cronaca, le pousser sur sa concep­
tion rom anesque du récit ciném atographique, mais il reste dans le
vague. On voudrait aussi lui suggérer des parentés possibles. Il avoue
apprécier fo rt Bresson dont on l’a, parait-il, souvent rapproché. Mais
il sem ble aller re la tiv e m en t peu au ciném a : il n ’a pas vu le Journal

17
2
d’un Curé de Campagne, ni Le Fleuve, n i quelques autres du m ê m e
ordre. Il avoue peu aim er Le Carrosse d’Or...
Il fau t bien se décider finalement à le laisser en p a ix ; il nous
annonce encore que, malgré sa préférence pour les sujets originaux, il
envisage de tourner prochainem ent une adaptation littéraire à pro p o s
de laquelle il reste évasif. Enfin il nous livre son désir tenace, profond,
son p r o je t intim e : réaliser un film d ’après P ylône de Faulkner... Il y
a plus de trois quarts d ’heure que nous som m es ensemble. Il se lève.
Nous le rem ercions. L a nuit ftaiblit, les ultim es m inutes de ce F estival
s’écoulent, il est tem p s de quitter les démiurges pour aller retro u v e r
les fan tôm es q u ’ils ont libérés sur la voile blanche des écrans.

M arges
Cette année, com m e les précédentes, le m oindre intérêt du F estival
de V enise n ’a pas été dans les m anifestations culturelles annexes dont
il est l’occasion. D eux d’entr’elles ont été particulièrem ent intéres­
santes : la rétrospective du ciném a français m uet organisée par la
Ciném athèque Française et dont le clou fut la projection du N apoléon
d’Abel Gance sur triple écran (du moins pour l’épisode de la cam pagne
d’Italie, le seul subsistant sous cette forme) et les séances de films
ethnographiques qu’organisait notre jeune com patriote Jean Rouch.
D e ce dernier nous ^avons pu, à cette occasion, voir l’adm irable
Chasse à VH ippopotam e sur le N iger qui deviendra un classique de
ce genre de docum entaire. Réalisé comm e Les H o m m es qui font la pluie
avec sa « caméra-crayon », en 16 mm. Kodachrome, tiré ensuite en
Technicolor, La Chasse à l’H ippopotûm e raconte jour par jour, avec
la patiente précision cum ulative de l’épopée, les avatars d’une chasse
au pachyderm e par des noirs du Niger. Plusieurs hippopotam es sont
tués m ais le chef du troupeau, un énorme et vieu x m âle, se dérobe.
Il brise pirogue sur pirogue, finalement lès chasseurs devront perdre
tout espoir et m om em en t éplorés abandonner au fleuve ce v ieu x dieu
insaisissable avec dans le corps plus de 50 harpons, rem orquant sur
les eaux par l ’interm édiaire de leurs flotteurs une véritable île de
roseaux qui disparaît dans la brume. L’adm irable de cette fab le ethno­
graphique tient d’abord dans le fait que Jean Rouch n ’a rien recon s­
titué et qu’en rigoureux observateur scientifique il s’est borné à suivre
l ’événem ent en respectant son incertitude. L’auteur — si la notion
d’auteur conserve encore ici son sens habituel — ignorait lui-m êm e,
com m e les chasseurs, jusqu’à la fin, l’issue de son film. .■>

N éo-réalisme
Chaque année apporte la preuve de la rigueur et de la fécon d ité
de ce que faute d’un concept plus précis on peut appeler néo-réalism e,
bien que le phénom ène recouvre en effet sinon plusieurs faits esthé­
tiques indépendants, du m oins une réalité artistique évolutive
dont les termes extrêm es peuvent paraître contradictoires. J’oserai
pourtant placer sous le patronage de cette rubrique des films aussi
différents que : I Vinti de M.A. Antonioni, I Vitelloni de F ellini, D e u x
arpents de terre (Indien) et The Little Fugitive de Byrnstyn... ,

18
The L ittle F u g itive , ‘dû Ray A shlcy, M orris Engels et Rutli O rkin.

Sur I Vinti nous reviendrons certainem ent assez dans L e s C a h i e r s


pour que je me borne à dire ici que c’est un film admirable encore qu’iné­
gal. L ’épisode italien est le plus faib le et j’avoue n’y point reconnaître le
style d’Antonioni. Mais l’anglais est, à côté de certaines séquences de
Rossellini, ce que le ciném a italien d’après guerre a donné de plus pur et
de plus strict dans une certaine conception de m ise en scène. Je pense
qu’il n ’y a pas dans tout I Vinti un seul contre-champ. Le récit drama­
tique aussi bien que la psychologie des personnages procèdent d’une
observation phénom énologique des personnages, rien d’autre que leur
com portem ent — et le dialogue en fait partie — ne nous renseigne sur
leurs m obiles im m édiats ou profonds. L’épisode français souffre évidem ­
m ent des restrictions qui lui ont été im posées au principe m êm e du
scénario et des coupures auxquelles a procédé Antonioni pour satis­
faire provisoirem ent aux plus importantes des exigences de la censure
française. Mais en dépit de ces m utilations il dem eure encore souvent
d’une beauté fascinante.
I Vitelloni est du scénariste Fellini, dont c’est le prem ier film
com m e metteur en scène. Les Italiens en ont fait l’événem ent de l’année!
J’avoue n’être pas aussi enthousiaste de cette satire fine et vraisem ­
blable d’un certain aspect de la vie provinciale italienne. Peut-être
faute d’assez bien la connaître. Il dem eure pourtant à m on avis que

19
I V ü ellôni est un film de scénariste et qui n’apporte rien d’original
sur le plan de la m ise en scène, ce qui en restreint tout de m êm e la
p o r té e .,
Nous continuerions à douter du ciném a Indien, dont les F estivals
ne nous avaient jusqu’ici rien présenté de valable, si nous n ’avions vu
enfin cette fois une œ uvre puissante et émouvante. Encore fut-ce en
projection privée, le film en com pétition Jhansi Ici Bani n’étant qu’un
Technicolor à grand spectacle lourd et ennuyeux. D eux arpents de terre
est probablem ent influencé par Voleur de Bicyclette. C’est l’histoire d’un
p'auvre paysan chassé de ses terres et pratiquement condam né au
travail forcé en ville par ses dettes au propriétaire. Certes, le scénario
accumule les situations larm oyantes et m élodramatiques, m ais ce n’est
jam ais aux dépens du réalism e et cette intensité sentim entale possède
la poésie sincère et ém ouvante de la grande tradition m élodram atique
dégénérée en Occident depuis le, xixe siècle. C’est la prem ière fois
aussi que nous voyons un film hindou joué avec justesse jusque dans
l’outrance sentim entale. N ul doute que si D eux arpents de terre avait
été en com pétition le jury n ’aurait pu lui refuser un prix.
Mais l ’événem ent le plus original du néo-réalism e dans le m onde
aura été cette année The Little Fugitive, film américain produit pour
une bouchée de pain par l ’indépendant Byrnstyn, imaginé, dirigé et
m êm e financé en coopérative par une équipe de journalistes. A la
différence de Quiet One, du m êm e producteur, avec lequel il présente
à prem ière vue beaucoup d’analogie, The Little Fugitive a été tourné
directement en 35 m m. Mais le principe reste le" m êm e. Pourtant les
ressem blances avec Quiet One s ’avèrent vite plus extérieures que réelles.
II s’agissait aussi d’un enfant m ais noir et le sujet de Quiet One était
ém inem m ent social. Cette fo is à peine peut-on parler de sujet. L e
film pratiquem ent sans histoire est conçu comm e une sorte de repor­
tage sur la fugue d’un enfant de sept ans effrayé parce qu’il croit
avoir tué son frère aîné. Mais la vraie m atière du film c’est la v ie de
l’enfant, son observation libre et intim e com m e celle d’un anim al saisi
au télé-objectif. The Little Fugitive fait apparaître les films d’enfants
qu’on croyait les plus sincères et les plus réalistes com m e encore p lein
d’artifices et de conventions. Mais surtout The Little Fugitive m ’appa­
raît com m e l ’approxim ation la plus satisfaisante à ce jour de l ’idéal
néo-réaliste tel que le définit Zavattini : faire de la vie m êm e un
spectacle, parvenir à transm uer en film la sim ple marche d’un h om m e
auquel, peut-être, n ’arrive rien.

P olmarès
Le ju ry de la X IV e Exposition In ternatio nale d ’A rt Ciném atographique de
Venise, composé de : Eugène M ontale, Président, Gaetan’o Carancini, Sandro
De Feo, N ino Ghelli, \G iangaspare Napolitano, Luigi Rognoni et de son
secrétaire A ntonio Petrucci, ayant exam iné les films en com pétition, a estim é
qu’aucun d ’entre eux ne s’im posait comme valeur absolue — tout en reconnais­
sant le niveau moyen assez notable des œuvres présentées. Il a dem andé en
conséquence, au président de la B iennale, en vertu de l ’article 20 du règlem ent,

20
d’être autorisé à ne' pas conférer le prem ier grand prix et d’ajouter ^d’autres
prix à cçux déjà prévus.
Le ju ry a donc attribué, après en avoir délibéré, les lions d ’argent sui­
vants à ; ' " j
— K enji Mizoguchi, réalisateur de Vgestsu Monogatari (Japon).
— Federico Fellini, réalisateur de I Vitelloni (co-production italo-fran-
çaise présentée p ar l’Italie).
— Ray Ashley, M orris Engel et R ütli O rkin, réalisateurs de T he Little
Fugitive (Etats-Unis). i
— Joh n Huston, réalisateur de M oulin Rouge (Grande-Bretagne).
— Marcel Cam é, réalisateur de Thérèse R aqu in (co-production. franco"
italienne présentée par la F rance).
— Alexander Pu tell ko, réalisateur de Sadko (U.R.S.S.).
Le ju ry a d’autre part, décidé d ’attrib u er les lions de bronze suivants à :
— Rafaël Gil, réalisateur de La Guerra de Dios (Espagne).
— Samuel Fuller, réalisateur de P ickup on South Street (Etats-Unis).
— Yves Allegret, réalisateur des O rgueilleux (co-production franco-mexi­
caine présentéè p ar la F rance).
— Tom Payne, réalisateur de Sinha Moca (Brésil).
D ’autre part, le ju ry a attribué les P rix Volpi de l ’interprétation féminine
et masculine respectivem ent à : ■
Lili Palm er, pour le film T h e Fourposter.
H en ri Y ilbert, pour le film L e B on Dieu sans confession.
Dans sa séance du 4 septem bre, le syndicat des journalistes de cinéma
italiens décernait pour sa p a rt le p rix P asinetti au film japonais Ugelsu M ono­
gatari de K enji Mizoguchi.

Starlettes et raga^e
Monsieur Lêonide Moguy et une nom breuse famille. Une fam ille
qui ne cesse de s’accroître ta n t qu'on p e u t c o m p te r des starlettes à
une lieue à la ronde. II ne souffre guère de les voir s’égarer trop loin
de lui. Il les hèle, il s’époum one, il hausse le ton, il les gourm ande, il
se fa it paternel, grand-paternel, puis il se fa it donner un gros baiser
sur la joue, il en p re n d une à chaque bras, et cela finit p a r une photo­
graphie, une interview , ou une séquence c?’actualités. Monsieur Léonide
Moguy est l’Harpagon de la starlette.
Nous avons tout de m êm e réussi à approcher, entre autres, Etchika
Choureau et Anna-Maria Ferrero. La p re m iè re vient d ’être révélée par
un rôle p e rve rs (I Vinti) ; la seconde, qui a la finesse gracieuse de
Pier Angeli, est déjà, en Italie, une actrice chevronnée. Elle attend
pourtant encore son grand rôle. Toutes deu x ne sem blen t pas le moins
du m on de gâtées p a r le succès (elles en sont pou rtan t à la période
dangereuse de la prim e célébrité). A u Festival, elles paraissent souvent

21
L eonora Ruffo d a n s I V Ïtelloni de F ed erico F e llin i.

ensem ble ; sur l’écran du Palais elles sont réunies dans le film
d ’Antonioni. Ce dernier, qui cherchait une Nicole pour l’épisode fran­
çais, la découvrit au cours Sim on en la personne d ’Etchika. Son petit
m useau de félin roux et ses perçants y e u x v erts ont accusé la p e r v e r ­
sité du personnage. E t cepen dant elle nous fait p a r t de son désir de
ne pas se voir cantonner dans ce genre d ’em ploi. Il ne lui suffit pas
d'être une « nature », elle -entend d e v en ir une com édienne, et jou er en
particulier ta « com édie ». Elle est consciente de la chance qu’elle a
eu de tourner pour la p rem ière fois avec un h o m m e com m e Antonioni
qui, d ’autre part, nous a fait d ’elle un gran d éloge, insistant sur l’absence
d e déform ation théâtrale dans son jeu, alors q u ’il l’av a it directem ent
extraite de chez Simon. Il nous a, en outre, signalé la justesse de sa
v o ix et de sa diction dans la version originale qui n ’a m alheureuse­
m en t pas été présentée au Festival.
Très dissemblable, m ais aussi réfléchie, Anna-Maria Ferrero va,
dans l’im m édiat, délaisser les studios po u r se consacrer au théâtre. Elle
v e u t en faire beaucoup e t v a très bien tôt m o n te r sur des scènes ita­
liennes.

Suspicion légitime
H est de règle que les palmarès des Festivals suscitent des controverses
infinies, des pleurs et des grincem ents de dents, que l ’on crie au scandale !
L ’attribution cette année du p rix de la critique italien ne à Ugetsu Monogatari
avec vingt voix, contre douze à T h e L ittle Fugitive et h u it au R etour de Vassili

22
est certes plus satisfaisante que le palm arès officiel. Mais pas com plètem ent
satisfaisante cependant. E n quelque art que ce soit, la reconnaissance des
œuvres les plus audacieuses et les plus valables est difficile. Où le serait-elle
plus qu’au sein de cette foire aux filins qu’est to u t Festival ? La critique, en
cette occasion, assume-t-elle son rôle ? Insuffisamment, je le crains. Ce n ’est pas
seulem ent des jurys officiels, m ais des critiques aussi bien, que sont passés -
quasi inaperçus l ’an d ernier à Venise Les Conquérants Solitaires, Monsoon et
E urope 51, cette année à Cannes Las très perfectas Casadas et El. Dès lors, si
u n ju ry récom pense Sadko et non Le Retour de Vassili, place sur le même
plan 1 V itelloni et Ugetsu Monogatari, M oulin-Rouge et T h e L ittle Fugitive,
faut-il s’en étonner, quand les critiques oublient Do Bigha Z am in et I V in ti
dans leurs comptes rendus, sim plem ent parce q u ’ils n e particip ent pas à la
com pétition ? La critique a une bonne p art de responsabilité dans cette
suspicion pas to u t à fa it illégitime" où les Festivals tienn ent l’a rt ciném ato­
graphique.

trahisons
Ce n ’est pas sans appréhension que nous sommes allés au M oulin Rouge
où nous conviait curieusem ent un Am éricain. Appréhension où l’intérêt que
nous portons à l ’au teu r de R ed Badge avait autant de p a rt que n otre respect
vétilleux de l ’œ uvre et de la m ém oire de Toulouse-Lautrec. Le temps d ’une
bobine, nous avons bien cru nos craintes injustifiées. La recréation du bal du
M oulin Rouge, le quadrille, V alentin, La Goulue, tout cela est étonnant et la
m ise en scène m agistrale. L ’em ploi de la couleur, des décors de Vortès, la
photographie em brum ée concourent à une adm irable transposition ciném ato­
graphique de l’univers p ictural de Toulouse-Lautrec, Transposition que l ’on
retrouve de loin en loin et pou r de brefs instants dans le film. Mais dès que l ’on
veut ressusciter non plus les toiles mais la vie elle-même du peintre, quelle
caricature ! Les tendres couleurs de Vértès peuvent avec bien du charm e faire
renaître la belle époque et ses froufrous, le cancan, u n café, une ru e de Paris...;
com m ent pourraient-elles rendre les sombres couleurs — n i tendres n i char­
m antes — de la vie du plus désespéré des peintres de ce temps ? H uston, hélas !
fait m ontre de la m êm e impuissance. Son film donne l’image d ’u n Toulouse-
Lautrec coulant des jours légers dans le « Gay P aris » conventionnel de 1900,
entouré de belles amies, et l ’âge venu, m ourant pieusem ent au m ilieu des siens,
éplorés et aim ants, dans la dem eure d ’Albi devenue un palais som ptueux. Cette
dernière séquence du film constitue la plus pénible dérision qui se puisse
im aginer de la fin atroce que fut celle du peintre. Du dram aturge de l’échec,
du m oraliste de Red Badge, nous attendions une autre com préhension du
deslin solitaire et tragique de Toulouse-Lautrec.
A utre trahison, et moins excusable encore en ce que venant d’u n cinéaste
français : celle de Zola. Carné a longuem ent exposé les motifs qui l ’ont
conduit, p ar fidélité à Zola, à transposer le rom an à n otre époque. Curieuse
fidélité, dont le résultat est qu’il ne subsiste plus rien dans le film de l ’essen­
tiel du rom an. Chez Zola, les amants sont conduits p ar une lente fatalité au
m eurtre qui leur apparaît comme la seule e t épouvantable issue à la situation
essentiellement tragique où ils se trouvent placés. Dès leur prem ière rencontre,
ils sont déjà englués dans leur crime. Celui-ci accompli, c’est une h o rreu r

23
n a ï f V allo n e et S im one S igno rct d a n s Thérè se R a q nù i de Marcel Carné.

toute physique qui s’em pare d ’eux et les sépare. Cette fatalité — sans laquelle
le rom an de Zola n ’existe plus — est totalem ent absente du film. Le m eu rtre
inéluctable est devenu plus g ratuit que l ’acte de Lafcadio, car il n ’est m êm e
plus prém édité. La vraie victime, c’est Thérèse, et Carné son assassin.

Vanité des festivals


D ernière nuit, quatre heures du m atin à l ’Excelsior. Kinuyo T anak a
est partie. Aussi ICirk Douglas et Sylvana Mangano. E rrol Flynn ne s’est pas
m ontré. Caro Canaille bavarde inlassablem ent avec un strapontin nom m é
Passeur. A u n e table écartée, A ntonioni songe avec une tristesse h au ta in e
que son film a été écarté de la com pétition en ra’ison d’u n doublage dont il
n ’est pas responsable. Viviane Papote est allée se coucher dans sa belle cham bre
rose et or, toute seule, et rêve q u ’elle m et en scène un film dont F rance R oche
est la vedette avec Orson Welles. Au b o ut de la jetée, les « V itelloni »
s’ennuient.
Les violons s’alanguissent. Anna-M aria F errero danse avec V ittorio Gassman
et E tchika Choureau, dans une belle robe bleu pâle de contessina, avec Serge
Parm ion.
On rentre. Au fond de la lagune, Venise dort, mais à l’est le ciel rosit.
Le motoscafo aborde à San Zaccaria. La façade du Palais des Doges est dorée
par la lueu r des réverbères. La coupole de la Salute émerge de la brum e.
L’horloge com pte cinq coups, puis croit s’être trom pée et recommence. Les
projecteurs s’éteignent. Il fait jo ur. Le ciel est véronèse.

A ndré B a z in , M i c h e l M a y o u x e t J e a n -J o s é R i c h e r .

24
Abel Gance

LES N O U V E A U X
C H A PITRES DE
N O T R E SY N T A X E

MM. A nd ré D cbrie, Ja cq u es F la u d , d ire c te u r


d u C.N.C., et A ic l Gance lo rs de l a séance
ex p érim en tale de « P o l w i s i o n » d u 10 a o û t
1053, • ‘

En nous envoyant cet article, Abel Gance nous joignait la lettre suivante
que nous jugeons utile de publier en tête de cette élude : ■
J’allais enfin, et je m’excuse du retard, vous adresser l’article ci-joint
comme un naufragé jette une bouteille à la mer, lorsqu’un des plus avisés et
des plus sensibles chefs d’une importante société française m’a demandé de
lui préparer un programme de démonstration basé sur l’utilisation de mes
inventions d’écran large et de perspective sonore respectivement do 1927 et
de 1929 — inventions qui, comme vous le savez, ont fait depuis dix mois la
fortune du Cinerama aux U.S.A. (sans qu’il m ’en soit revenu le plus élémen­
taire remerciement).
Le Professeur Chrétien, averti de la préparation de ce programme, m’adresse
le mot suivant :
...« Venant d’un maître comme vous, soyez persuadé que vos apprécia­
tions me sont du plus grand prix ■—■ d’autant plus que c ’est la vision à l’Opéra
de votre film Napoléon qui m’a donné l’idee d’appliquer à la présentation
panoramique un appareil que j’avais conçu pour des fins militaires, mais depuis
cette époque, les techniciens du cinéma n’ont voulu faire aucun effort pour
sortir des chemins battus^
« J’apprends avec plaisir que vous reprenez vos procédés tant de l’écran
panoramique que du relief sonore, et je pressens que ce que vous appelez
noire concurrence, ne sera encore une fois qu’une concourence. »
En effet, nous avons pu voir, depuis, une séance expérimentale de « Poly-
vision » au GaumçmUPalace, le 19 août 1953. En dépit des conditions techniques
médiocres de cette projection, on peut d ’ores et déjà affirmer que, permettant
de nombreuses variations de la grandeur de l'image sur son écran panora­
mique, le procédé d ’Abel Gance réunit les avantages du Cinémascope et du
Cinérama.

E u 1757 D iderot écrivait :


« Je ne dem anderais, pour changer la face du genre dram atique, qu’un
« théâtre très étendu, où l’on montrerait, quand le sujet l’exig era it•— différents
<ü endroits distribués de manière que le spectateur vit toute l’action... Exéeutons-

25
« nous rien de pareil sur nos théâtres ? Nous attendons l’hom m e de génie qui
« sache com biner la pantom im e avec le discours, entrem êler une scène parlée
« avec une scène m uette, et tirer parti de la réunion des d eu x scènes, e t surtout
« de Tapproche, ou terrible ou comique, de cette réunion qui se ferait
« toujours... Il n ’y a plus à proprem ent parler de spectacles publics. Les théâtres
« anciens recevaient jusqu’à 80.000 citoyens. Q uelle différence entre amuser
« tel jo u r quelques centaines de personnes, ou fixer l’attention d ’une nation
« entière ! »
Il y a deux siècles D iderot jetait sans le savoir les bases du cinéma de
dem ain. Il y a un qu art de siècle, j ’en créais les outils. Ce n ’est qu’au jo urd ’h ui
que les yeux s’ouvrent. Le son de mes paroles sera-t-il m ieux compris ? J ’eu
doute car le bouffon, dans le prologue de Faust, s’exprim e ainsi :

« Donnez-leur du nouveau, donnez-leur-en toujours...


Agitez ces esprits qu’on ne peut satisfaire...
...Il leu r faut une glace, et non une peinture,
P o u r qu’ils viennent le soir y m irer le u r figure !... »

■ Le m iro ir de l ’écran au cinéma était trop petit. Il vient d’éclater. On le


rem place en doublant, en trip lan t son form at. Des m iroitiers accourent de
parto ut. Je crois avoir quelques droits de le u r donner des leçons. Cëlâ vaut
d ’être conté dans u n temps où la m ém oire est courte, et où le Cinéma est
devenu un ogre qui dévore ses propres enfants.
Il y a dans notre- art deux sortes de gens : ceux qui en vivent, et ceux qui
en m eurent !... C’est parce que je me considère dans cette seconde catégorie
que je me permets de parler sans détour, comme lo rsq u ’on fait u n testament.
Je n ’ai pas trouvé en F rance dans m a profession une seule branche solide
où je puisse me poser.
• T ournoyant sans cesse au-dessus de cette jungle d u Cinéma où des pygmées
aux flèches empoisonnées guettent tout ce qui p eu t s’élever au-dessus d ’eux,
je me suis trouvé dans l ’obligation de laisser tom ber dans leurs mains une à
une mes œuvres, mes idées, mes inventions, sans jam ais pouvoir travailler à
leu r perfectionnem ent. E t c’est ainsi que l’E cran large, dont les Américains
ont fait trente ans après m oi le Cinérama, la Perspective sonore, dont quinze
ans après m oi ils ont fait la Stéréophonie, le Pictograplie, dont h u it ans après
m oi ils ont fait le Vitascope, etc... sont devenus la proie des m archands.
-Depuis que le plus grand industriel du Cinéma, Charles P ath é, s’est retiré
de la lice, je n ’ai jam ais trouvé u n homme, dans m on pro pre pays, capable de
suivre les voies que j ’indiquais et, plus désenchanté que Diogène, je n e
cherche m êm e plus cet homme, mais seulem ent u n tonneau !.-..
. Mes brevets sont petit à p etit tombés en désuétude parce que je n ’ai pu
les soutenir, et aujou rd’h u i encore je trem ble p o u r un e de mes nouvelles
inventions, 1’ « Electronigraphe », que j ’ai faite avec le concours du grand
ingénieur de télévision M aurice Lorach, invention qui, elle aussi, bouleversera
la télévision et le cinéma, et qui nous reviendra sans doute de l ’étranger u n
jo u r ou l’autre, dém arquée !...
Je m e bats en effet seul et sans moyen contre la ro utine et l’indifférence
et je suis à b o ut de force.
Mais peut-être une bouée que je reconnais bien puisque c’est m oi qui
l ’ai faite, s’approche de moi pour me sauver. E lle flotte sur l ’océan tum ultueux

26
du cinéma parce que deux de mes inventions la soutiennent : l ’E cran large et la
Perspective sonore. „ •
Voici en effet le cinéma, non pas devant une révolution, m ais devant un
phénom ène d ’évolution foudroyante et spontanée, q u ’aucune de ces forces
rétrogrades et routinières q ui freinent la m ontée du progrès ne sauraient plus ni
arrêter n i endiguer. ,
Cette évolution, pour tardive qu’elle soit, en écartant brusquem ent les
barreaux de l’étroite prison de l’écran, va certainem ent ra ttrap er, en quelques
semestres, le tem ps perdu pendant ces quinze dernières années avec une
technique im m obile et périm ée: l’écran large, non seulem ent ram ènera au
bercail du cinéma ses m illions de spectateurs qui désertent les salles, mais
aussi une grande proportion de ces soixante pour cent de spectateurs qu i n ’y
m ettaient pas les pieds, parce q u ’ils n ’avaient jam ais trouvé dans les présenta­
tions du spectacle ciném atographique, tel qu’il était conçu antérieurem ent à
ce jo ur, une suffisante force d ’attraction po ur vaincre leur indifférence.
Ne pas vouloir adm ettre, ne pas sentir ce changem ent de peau du cinéma
c’est, à coup sûr, être aveugle et sourd et contester l’instant m agique où la
chrysalide devient papillon.
Ces deux inventions : l’écran large et la perspective sonore, sont les bases
de cette m étam orphose. .
Les voici qui nous reviennent à grand tapage, dém arquées par les A m éri­
cains qui, dans la fièvre et le désordre, b rû len t ce qu’ils avaient adoré et
s’ap prêtent à jeter à travers le monde les nouvelles assises du cinéma de
dem ain. L’équipem ent rapid e des salles clés qui leur ap partien n en t en E urope
en est la m eilleure preuve. .
La F rance sera-t-elle une fois de plus à la rem orque ? Réglons cet im portant
po in t d’histoire du cinéma international avant q u ’il ne soit trop tard.
C’est en 1925 que j ’ai m atérialisé l’idée que j ’avais eue en 1922 de l ’écran
large, p ar une combinaison de trois appareils de prise de vue avec A ndré Debrxe
q ui construisit en trois semaines un dispositif. Nous fîmes éclater cette prem ière
bom be atom ique visuelle dans mon Napoléon à l ’Opéra de Paris sur un
écran de plus de vingl m ètres de longueur. Le succès fu t considérable. Qu’il m e
soit perm is de ressusciter le texte d’un article, qu’à l ’issue de la prem ière, le
grand critique E m ile Vuillerm oz écrivit dans l e T e m p s , le 8 janvier 1927,
la valeur d ’anticipation de cet article si on veut bien se rep o rter à •vingt-six
années en arrière ap paraîtra bouleversante, et résum era en m ême temps les
caractéristiques de l ’aspect visuel de cet écran dim ensionnel d on t je reven­
dique la paternité.
« On oublie souvent que le ciném atographe est une invention française :
« on néglige égalem ent de rendre justice aux techniciens français qu i l’enri-
« chirent d ’am éliorations décisives. Toutes les réserves d’ém erveillem ent et
« d ’enthousiasm e de notre foule ingénue sont en effet épuisées p ar les soins des
« Am éricains qui les canalisent à leur profit avec une m éthode et une habileté
« que ne possèdent pas nos compatriotes. Si l ’invention que je vais vous décrire.
« avait été découverte par un m etteur en scène d’Hollywood, les trom pettes
« de la renom m ée vous assourdiraient de leurs plus brillantes fanfares. Mais
« comme elle est née dans u n studio parisien, les Français n ’en ont pas été
« prévenus. » .
« Elle n ’est pas dûe, cependant, à un inventeur obscur. C’est Abel Gance,
« l ’au teù r de la Roue et Napoléon, qui en est le créateur. Gance s’est

27
« avisé un beau jo u r que la rigidité (lu cadre réglem entaire de l ’écran repré-
« sentait une servitude intolérable. P ourquoi les peintres du « rayon ard en t »
« sont-ils condamnés à un format de toile im muable ? »
« Abel Gance rem place l’écran norm al p ar u n écran triple, c’est-à-dire par
« u n bandeau de toile lum ineuse ayant la même hauteur que l’ancienne, m ais
« présentant trois fois sa largeur, vaste frise d’heureuses proportions, try p tiq u e
« sans solution de C ontinuité, qui peu t recevoir, bout à bout, trois projections
« simultanées. A la prise de vues, trois objectifs, rigoureusem ent synchronisés,
<< ont embrassé un trip le cham p de vision et, à la projection, trois appareils
« déroulent trois pellicules parallèles qui, en trois tranches étroitem ent soudées,
« anim ent d ’un bout à l ’autre cet im m ense horizon. - -
« E n temps norm al, des rideaux de velours noir ne laissent ap p araître que
« l ’écran central. Mais si le thèm e s’élargit et a besoin d’un plus grand déve-
« loppem ent dans l’espace, les rideaux s’écartent sans bruit, laissant ap p araître
« les zones latérales on Faction achève de s’épanouir avec une puissance e x tra ­
de ordinaire. Cette évasion de l ’écran réglem entaire a quelque chose de saisissant.
« On éprouve une sensation de libératio n miraculeuse. Ce n ’est plus p a r une
« petite lucarne que l’on regarde la vie ou le rêve : c’est toute la m uraille qui
« devient transparente comme du cristal et qui nous laisse apercevoir u n
« autre univers. Les spectateurs, devant les images mouvantes, sont désormais
« une foule qui affronte u ne foule. L a ruée de ce monde féérique à travers
« le m ur qui s’ouvre dans toute sa largeur vous procure un choc ém otif d ’une
« rare intensité. Cette invention est de celles dont le caractère de nécessité
« absolue s’impose dès qu’on les a contemplées. On ne comprend pas com m ent
« on a pu se passer d ’elles jusqu’ici, elles ne naissent pas d’u n caprice bu d ’une
« recherche, mais d ’u n besoin organique. L’écran extensible rentre dans cette
« catégorie. Les films et les établissements qui l ’utiliseront disposeront d ’une
« supériorité écrasante sur toutes les autres. »
« Bien entendu, les techniciens com prendront im m édiatem ent les ressour­
ce ces précieuses que leur apporte ce dispositif. Cet écran peut, en effet, abolir
« ou rétab lir à son gré les cloisons de ces trois cellules. I l peut consacrer l ’u ne
« d ’elles an développem ent d’im thèm e principal en confiant aux deux autres
« u n rôle d’accom pagnement. Le centre peut chanter une mélodie visuelle indé-
« pendante, p end ant que les ailes l ’envelopperont d’une- atm osphère et d’une
« am biance appropriées. C’est ainsi p ar exemple, que pour lire dans la pensée
« de Napoléon p en dant q u ’il livre bataille, le réalisateur a pu nous m o ntrer
« dans l ’écran central les images et les souvenirs qui traversent le cerveau d u
« stratège, p endant que la m êlée continue à faire rage sur les deux écrans
« latéraux. »
« Les possibilités expressives de cette invention sont illimitées ; nous ne
« les rechercherons pas au jo u rd ’hui. Contentons-nous de signaler cette trou-
« vaille, qui m arque u ne date dans l ’histoire de la technique ciném atographique,
« et de rendre à son créateur, pour le b ienfait dont lu i est redevable l’industrie
« ciném atographique française, l’hom m age qui lui est dû. »
À cette m êm e époque, en janvier 1927, Henri-Georges Clouzot qui, jeune
alors avait déjà ses yeux d’aigle tournés vers le futur, écrivait: « Comment dire le
lyrisme, l ’élan, le souffle, le rythme, la plastique mouvante admirable de cette
apothéose ! Il faut bien convenir qu’il y a quelque chose de changé dans le
domaine du lyrisme de l ’épopée depuis que le plus complet et le plus signifi­
catif des cinéastes a projeté l’hom m e des destins sur le plus gigantesque écran

28
La salle d u G aum out-P alacc équipée avec l ’écran de « P o ly v ls io n » lors
de la séance expérim en tale d u 19 a o û t 1053,

q ue l'esprit lmvnain ait osé réaliser. C’est la plus prestigieuse évocation ciné-
grapliique que l ’on ait encore vue. Tout le cinéma d ’h ie r s’efface comme un
souffle de fumée devant les seuls tableaux de PArmée d ’Italie !...»
C’est m aintenant Jean Arroy qui parle en 1927.
« L’orchestration de ces images sur trois écrans nous vaut la prem ière
« sym phonie visuelle réellem ent digne de ce nom. Les écrans 61alluinent,
« s’éteignent. Les images accourent, parallèles, sim ultanées, superposées ou
« successives, se complètent et se contredisent, inversées, se m ultiplient quel-
« quefois p ar trois, identiques ou différentes, les masses blanches et noires, les
« jeux de lum ière et de plastique s’additionnent ou se contrarient, les thèmes
« visuels courent, parallèles, ou alternent et s’enchevêtrent, se superposant en
« surimpressions synthétiques. En m arge des rythm es individuels ou de leur
« fusion, n aît un rythm e unique, grandiose orchestration d ’images, de lumières,
« de formes, sym phonie photogénique qui vous em porte h a u t et loin. Musique
« et poésie. Cinéma !...
« On im agnie sous l’écraji le com positeur m anipulant un clavier gigan-
« tesque ! »
« Je pourrais m ’étendre ici » c’est toujours le critiq ue Jean Arroy qui
parle, « sur toutes les possibilités du triple écran, grâce aux m ultiples combi-
« liaisons que perm et le rapprochem ent de trois images, suivant qu’elles se
« raccordent parfaitem ent pour form er un panoram a ; q u ’elles sont différentes
« toutes les trois ou se m ultiplient, identiques, suivant q u ’e n utilise une inver-
« sion sym étrique ou synchrone des images latérales, suivant qu’on joue d ’un,
« de deux ou de trois écrans.
« Son procédé est passible de m ultiples applications : docum entaires aux
« panoram as immenses, films de rêves et de cinéma pur, actualités prodigieuses,
« mouvements de foules, larges poèmes visuels ; rapprochem ents d ’images,
« motifs psychologiques et leit-motifs musicaux.
■ « Je souhaiterais, », ajoute-t-il « que les producteurs com prennent le rôle
« révolutionnaire de cette révélation. '
« A Paris, il y a plus de cinquante salles présentant les dispositions exigées

29
« pour l’exploitation du triple écran ; on peu t aisément en trouver une par
« grande ville de province. Lés impossibilités sont plus apparentes que réelles.
« Qu’on loue avec le film l’appareil trip le et le personnel nécessaire à son
« fonctionnement. Que l ’éditeur entraîne lui aussi la révolution cinémato-
« graphique à travers le m onde. Agir autrem ent, » conclut le critique, « ce
« serait com prom ettre le rendem ent m oral et m atériel d’une innovation aux
« possibilités insoupçonnées, et mal servir la cause du cinéma français qui
« revendiquera plus tard cette invention, due à l’un de nos plus authentiques
« génies nationaux. Ce serait aussi « reculer po ur m ieux sauter » il faudra
« bien q u ’on démolisse les salles im propres au cinéma de notre temps et q u ’on
« en construise d’autres. L’ère du cinéma entre dans une phase décisive. Aidons-
« le de toutes nos forces en ses destins infinis.
- « Ceci dépasse le cinéma. La m usique silencieuse est née !... » Je me
perm ets de rappeler que ces trois articles prophétiques datent de 1927 !...
Or, depuis vingt-six ans aucune aide ne m e fut apportée, aucune demande
ne me fut adressée. Il fallait que la télévision ébranle le Moloch d’Hollywood,
pour que mes inventions ressuscitent sous un vocable U.S.A. : « Le Cinérama ».
En effet, installé depuis sept mois en A m érique, le « Cinérama » boule­
verse les spectateurs. C’est une adaptation de m on écran large tryptique, trois
appareils de prise de vues, trois appareils de projection.
L ’engoîiment est tel que la seule salle, d ’ailleurs située dans les h auts
quartiers de Broadway (donc excentrique) et qui, ju sq u ’alors n ’avait fait que
de maigres recettes, réalise u n m illion de dollars en six mois, soit quatre cents
• m illions de francs français, et l ’on croît pouvoir affirm er que cette situation
continuera encore quinze à dix-huit mois, d onnant une recette totale de plus
d’un m illiard de francs dans une seule salle !...
Il nous faut ajouter — et c’est la plus grande preuve que nous puissions
donner de la vitalité du procédé —■ L. B. M ayer, le plus grand hom m e du
cinéma américain, chef de la Métro Goîdwyn, a quitté cette société p o u r
propulser le « Cinérama ».
Les Américains ont ajouté au C inéram a « La Perspective Sonore » dans
la salle, qui donne le relief sonore et accentue celui de l’écran. C’est aussi
une invention qui m ’appartenait. ■
Or, dès le 13 août 1929, j ’avais fait égalem ent l ’invention de cette Perspec­
tive Sonore dont je viens de parler. Avec A ndré D ebrie, qui p rit avec m oi
le second brevet d ’application pratique, nous réalisâmes une dém onstration
avec u n gros succès au « P aram ount », sur la version sonorisée de « Napoléon »
en 1936. Comme m on écran large, cette invention fu t dém arquée aux U.S.A.,
il y a cinq ou six ans sous le nom de Stéréophonie sonore. Elle ne daigne plus
m e reconnaître !... E t pourtant j ’écrivais jadis, synthétisant le spectacle ciném a­
tographique idéal, dans la « T echnique ciném atographique » le 12 décem bre
1946 :
« En m atière de spectacle ciném atographique, nous sommes arrivés à une
« période de « satiété » rappelant ce m ot de R im baud : « Tout vu, tout eu, tout
« connu ». -
« En effet, si une révolution ou tout au m oins une évolution technique
« importante ne se produit pas au cours des dix années qui viennent, en matière
« de présentation cinégraphique, le public finira par se lasser et par se désin-
« téresser de sa distraction favorite :
« L ’ennui n aq u it un jo u r de l’un iform ité ! »

30
E n h a u t : les 1rois p e llicu les d e la <s P o ly v isio n ». E n d esso u s : le u r r a c c o rd e m e n t à la pro jectio n
. s u r r é c r a n large.

« La façon dont une histoire est présentée est pou r le m oins aussi im portante
« que l’histoire elle-même, surtout dans u n a rt m écanique où la sensation du
« déjà vu crée une fatigue im m édiate am enant vite la somnolence.
« Il faut donc que le cinéma évolue lui-même, en dehors de ce qu’il repré-
« sente, et que sa palette personnelle et ses possibilités de séduction s’enrichis-
« sent, puisque c’est lui qu’on va voir tout d’abord. Ce nouveau personnage
« m oderne — qui n ’a guère changé de vêtements depuis 50 ans ! — cherche
« de nouveaux habits. E n dehors de la couleur et du relief qu i arrivent avec
« lenteur, voici ce que nous lui proposons im m édiatem ent : .
« 1°) Il fau t d’abord m odifier optiquem ent l ’im age p ou r que celle-ci se
« présente sous u n jo u r nouveau à la fois plus riche et plus inattendu. Jusqu’à
« présent l ’artiste ne pouvait pas traiter une scène comme il la voyait, mais
« seulem ent comme l’objectif la fixait, selon les mêmes éternelles lois focales,
« d ’où cette constante sensation physiologique de « d éjà vu » en m arge du
« sujet traité. Le « Pictographe » apporte cette solution de perm ettre à l’artiste
« de fixer les éléments d ’une image comme il se la représente et non pas telle
« que l ’appareil la voit. Le m etteur en scène n ’obéit plus à l’objectif mais
« com m ande celui-ci en dissociant les foyers à volonté, en p o rtan t les mises
« au po in t où il le veut, disposant en réalité d ’une véritable p a le tte optique
« lui perm ettan t comme un peintre d’inscrire les valeurs de l’image à sa guise.
« E t le spectateur assiste à ce nouveau m iracle de voir à l’écran avec ses
« deux yeux ce qui, en réalité, a été pris p ar quatre yeux, d ’où u n enrichisse-
« m ent visuel intense, une synthèse de la vérité que l ’objectif norm al n ’avait
« jam ais soupçonné.
« 2° Il fau t pouvoir modifier ad libitum , comme un accordéon visuel,
« les dim ensions d u cadre lumineux. Le faux rectangle de l ’écran standard
« actuel, déjà rendu infirme par l ’escamotage de la m arge sonore qui a mangé

31
<< 1/5 de l’image, ne correspond plus aux absolues nécessités esthétiques et
« dram aturgiques de l’évolution de n o tre A rt qui tend, de plus en plus, à se
« rapprocher de ce grand spectacle popu laire que les Grecs venaient chercher
« aux présentations grandioses d’Eschyle, de Sophocle ou d’Aristophane.
« Le T riple E cran, avec son énorm e cham p visuel, em brassant d’un seul
•à coup d ’œil trois fois plus d ’éléments visibles que ne le com porte l’actuelle
£ projection, avec ses ressources m ultiform es des écrans latéraux form ant
« orchestrations visibles et synthétiques du m otif dram atique central, répond
« à cette nécessaire évolution.
• « 3°) E t pour couronner cette m étam orphose du spectacle cinégraphique,
« il faut égalem ent faire insensiblem ent du spectateur un acteur de notre
« dram e. Comment faire ? D’a:bord dim inuer ou annihiler son esprit critiq ue
« en sollicitant son sens auditif d’un façon plus ingénieuse ou rationnelle.
« Laissez le spectateur dans sa cham bre noire regardant perpétuellem ent p ar
« la petite fenêtre de l’écran cette h istoire qui se passe en dehors de son
« obscure m aison avec des gens q ui p arle n t toujours derrière cette fenêtre,
«■ ne correspond phis à l’évolntion technique de notre Art. Pour que, à l’instar
« du chœ ur antique, ce tra it d ’union du public avec la tragédie se fasse, il fau t
« que notre spectateur de cinéma devien n e'acteu r à son tour. Il faut que les
« sons, les paroles, la m usique viennent à la volonté du dram aturge de l’endroit
«-précis qu’il aura choisi dans la salle où de tous les endroits à la fois. La
« Perspective Sonore » rem plit ce b u t. Le spectateur ainsi n ’est plus devant
« le film, mais, en quelque sorte, au centre sonore de l ’histoire qui se déroule
« devant lui ; saisi, bousculé p ar la tragédie qu’il regarde et qui déborde de
« ses yeux p ar l ’am pleur du cham p visuel, bouleversé p ar le son, le b ru it, la
« m usique qui fusent au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche de la salle selon
« une dram aturgie préétablie, entraîné dans une m arche parallèle foudroyante
<< sur les deux rails auditifs et visuels q u i ne lu i laissent plus le rép it de se
« reprendre, subjugué au m ilieu de cette sym phonie de force annihilant
« physiologiquem ent son sens critique, le spectateur de demain redonnera
« au cinéma (avec les lettres de noblesse qu’il est en train de perdre), la magni-
« fique place qui lui revient de droit dans l ’échelle des expressions humaines,
« c’est-à-dire la troisième place après le langage et l’imprimerie. »
- J ’écrivais ce q u i précède en 1946 et je prêchais toujours dans u n désert !
■ Mais le professeur H enri C hrétien lui-m êm e n ’attendit-il pas pendant
dix-huit ans la réalisation du Cinémascope, doiit je suis en quelque sorte le
p arrain ?... '
; - Eh effet, enthousiasm é p ar la vision dé l ’écran large de N apoléon ,
H enri C hrétien m ’écrivit en 1926 q u ’il allait chercher un résultat analogue
au m ien, m ais p ar un seul objectif au lieu de trois, p ar une anam orphose. Il
réalisa ainsi l ’hypergonar qui devint le cinémascope.
Il eut au m oins la joie de trouver dans le président de la Fox,'M . Spyros
Skouras un hom m e reconnaissant qui tin t à lu i ren dre hom m age et lu i payer
son invention alors q u ’elle était dans le dom aine public. Je suis heureux pour
lu i et pour n otre pays de cette tro p rare exception. Je n ’ai pas eu, hélas ! les
mêmes honneurs. -
Mon Ecran V ariable vivra sans doute côte à côte avec le Cinémascope. Les
deux procédés concourent au m êm e but. Ils ouvrent u n chem in m agnifique.
J ’ai été fo rt intéressé de voir les prem iers résultats du Cinémascope au « R ex ».
Peut-être un jo u r nos deux m éthodes s’appuiront-elles l’une sur l’autre. H enri

32
C hrétien p o u r lequ el je conserve une confraternelle sym pathie et adm iration,
concluait lui-m êm e dans un article publié le 16 décem bre d ern ier dans le
B ulletin scientifique d e l ’A.F.I.T.E.C. :
« I l se p eu t qu’u n jo u r, peut-être proche, on revienne à la form ule plus
rationnelle de M . A b e l Gance qui a p ro d u it des écrans panoram iques immeaises
au m oyen de plusieurs projecteurs m écaniquem ent associés. »
A la lum ière de ce q u i précède, je dem ande à la F rance de m e fo u rn ir les
moyens d ’u tiliser mes propres procédés avant que ceux-ci n e reviennent soua
form e d’ersatz, de l’étranger, et d’établir, p ar l'utilisation ratio nnelle de m on
E cran V ariable, u ne protection de l ’industrie française et de ses professionnels.
Nous pourrions ainsi m ettre à la disposition des auteurs e t des réalisateurs
u n instrum ent souple et nouveau, d’une puissance encore insoupçonnée, leu r
p e rm e tta n t.d e revigorer toute la dram aturgie cinégraphique p a r une nouvelle
écriture visuelle.
Est-il besoin d ’ajo u ter que c’est, avant to u t, dans la ra p id ité d ’action et dans
la m ise au p o in t d’u n spectacle bien étudié que nous prétendons redonner,
p a r l ’utilisation de l ’E cran V ariable, la prem ière place dans le m onde que le
Ciném a français n ’a u ra it jam ais d û p erdre.
Je n e saurais assez égalem ent m ettre en garde les professionnels dans les
instants d’indécision — voire de panique, qu’ils vivent — contre l ’idée qui
consiste à se dégager de la servitude de l ’écran actuel p o u r s’enchaîner à la
servitude de l ’écran à grande dim ension panoram ique. Les deux doivent coexis­
ter, sous form e d ’écran variable. L’im age doit suivre les nécessités de la dram a­
turgie, am plifier son cham p ou le réd uire selon la n o u rritu re visuelle qu’elle
nous offre. L’écran variable reste la solution idéale de tous les problèm es que
pose l ’actu alité — e t je com pte incessam m ent p u b lier u n m anifeste de ce
nouveau m ode d ’expression — qui dans quelques années au ra gagné tous les
écrans d u m onde.
A cette époque d ’ailleurs, il y aura des classes d ’harm onie e t de contrepoint
visuels com m e il en existe dans les Conservatoires p ou r les contrepoints sonores.
La m élodie chantée visuellem ent p a r l’écran central — et que nous pouvons
appeler la fugue — trouvera avec ses poètes et ses peintres — ses harm oniques
et ses correspondances — dans les écrans latéraux.
H u it cents ans après la naissance de la polyphonie, la polyvision fera son
entrée dans le 7e A rt, q u i cette fois sera digne de ce nom , et lorsque l’im age
gigantesque sans solution de continuité envahira toute la surface du grand
écran, elle nous ap p a raîtra comme u n phœ nix dont les ailes latérales q u i l’ont
porté harm onieusem ent jueque-là, continuent à b a ttre hors de no tre vue, p o ur
la ren d re incom parable.
C’est dans ces nouveaux dom aines de l ’E cran V ariable q u i tan tô t ne
sera que la m oitié ou le tiers de l’écran norm al et ta n tô t em brassera e t em bra­
sera 150° d ’horizon, q u ’il fa u t chercher la clef du problèm e d u ciném a de
l ’avenir. J ’essaierai d ’entrevoir cette porte m agique p o u r que la nouvelle
génération de cinéastes m ’aide à la pousser.
. Ce n ’est pas avec les yeux de la tête que ces m iracles s’accom pliront,
m ais seulem ent avec les yeux d u cœ ur et de l ’intuition.
Le public, plus q u ’on le croît, les possède, m ais ceux qui, dans le
ciném a, sont entre nous et lui, en sont les plus souvent dém unis.
R eprenons donc à n o tre com pte la devise de L éonard de V inci :
« H ostinato Kigore ». Aeel G ance.

33
3
Chris Marker

LE C IN ÉR A M A

D escription : vous en tres dans une salle trapézoïde, de prop ortions p lu tô t


théâtrales, où la scène est occupée par1 u n écran concave sem blable aux fonds
panoram iques p o u r effets de ciel, trois fois plus large environ, p a r ra p p o rt
à sa h au te u r, que l ’écran hab itu el. C et écran, q u i nous donne u n e im pression de
continuité se compose en fa it de centaines d e minces rubans parallèles, ouverts
obliquem ent comme les lattes d’une jalousie, m ais à la verticale. Ceci p o u r
élim iner les déform ations de la lum ière réfléchie sur une surface concave.
Dans la salle m êm e, trois espèces de blockhaus, convergeant à feux croisés
sur l ’écran, de volum e à contenir chacun u n canon anti-tank : les cabines
de projection.
N oir. Sur l ’écran central (légèrem ent plus étroit, semble-t-il, que l ’écran
standard) Lowell Thom as, com m entateur de ra d io connu, a p p a ra ît dans son
bu reau encom bré de souvenirs de voyages — le p o rtra it d u C olonel Law rence,
en tre autres —• e t vous retrace en cinq m inutes l’histoire du ciném a, que dis-je,
l ’histoire des efforts de possession du m ouvem ent dans l ’a rt depuis les grottes
préhistoriques, et consécutivem ent du ciném atographe — invention am éricaine,
conçue et perfectionnée p a r des cerveaux am éricains (soyons ju ste, u n allem and
to u t de m êm e est nom m é) p o u r le plus grand bien de l ’h u m anité. O n ap p ren d
au passage que les expériences de M uybridge avaient p o u r o b jet de p ro u v e r
q u ’u n cheval ten a it les q u atre pattes en l ’a ir en m êm e tem ps. Bon. O n voit
u n grand fragm ent de Great T ra in Robbery, ce q u i fa it to u jo u rs plaisir,' on
expédie en quelques secondes le m uet et le parlant, and no w : T h is Is Cine-
rama !...
Sur quoi l ’im age couvre to u t l’écran. Dans u n grand vacarm e, le ch ario t
du Roller Coasfer se m et en m arche, et la salle toute entière bascule en avant
sur la piste de R ockaw ay Beach. C inquante ans d ’invention am éricaine se
déversent dans les m ontagnes russes.
S’ensuivent u n certain nom bre d’investigations (mot dangereux à em ployer
ces tem ps-ci) des possibilités d u procédé : u n ballet d'Àvda, dansé à la Scala
de M ilan (une b ien jo lie fille au centre p o u r vous donner la prem ière n o tio n
claire d u relief psychologique), les Chutes du N iagara vues d ’avion, u n m om ent

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d’art et de m ysticité avec l’Alleluia du Messie de H aendel chanté p ar deux
filles de talapoins décolorés qui viennent se grouper eur l’écran, accompagnées
de leurs voix stéréophoniques, fidèles comme des om bres sonores (cette scène
e6t convaincante du point de vue du réalism e : on s’ennuie presque au ta n t qu’au
co n cert). Puis le m onde tel que les A m éricains le rêvent quand iîs sont loin et
le voient quand ils sont près : Venise en pigeons et gondoles, l ’Ecosse en k ilt et
cornemuse, l ’Espagne en toréador et castagnettes, sans plus, sans moins. Un
m om ent d ’ho rreu r, plus insoutenable que B unuel ou B oris K arloff : le Beau
D anube B leu vagi p a r les petits chanteurs de V ienne. Enfin, clim ax» de la
prem ière partie, le final du second acte d'Aida, avec trom pettes et tout, quelques
raccords dans le faux m ouvem ent, quelques plans de coupe d’une salle en tenue
de soirée (les deux salles se regardent, semble-t-il, avec satisfaction). Comme
si on y était... E n tr’acte. „
Dans la seconde partie, on voit des palm iers, des liors-bords, des cuisses
et de l ’A m érique. Cette dernière est présentée d u p o int de vue d ’u n B on D ieu
touriste, photographe et collectionneur, avec u n com m entaire et des musiques
im pliquant que ce coin du monde a fa it l ’o bjet d ’une sollicitude toute p arti­
culière de la p a rt de la Providence, à des fins qu’on n e nous d it pas. Cette
hiérarch ie des angles, qui fait voir l ’A m érique p a r les yeux de D ieu et le reste
du m onde p ar les yeux de l ’A m éricain est sans doute inconsciente. Mais
justem ent, l ’inconscience...
B ref, comme on dit, ils n ’en ont pas loupé une : la présentation est
désinvolte, les effets sont gros, l’im agerie s’arrête aux cartes postales, l’a rt à
l ’opéra et l ’univers à l’A m érique. Plus l ’im perfection technique : le son, certes,
est parfait. Mais en dehors de la séquence du roller-coaster q u i em porte tout
dans son m ouvem ent, la séparation des trois écrans est presque constam m ent
sensible, parfois les franges se recoupent, les différences de densité font
changer la couleur d’u n écran à l ’autre, le m anque de fixité h ab itu el de
l ’im age se m ultiplie, p ar trois, et se rehausse de l’u n e à l ’autre... I l reste que
nous venons d’assister à la prem ière séance de ce qui sera désormais, cinéma,
cinéram a ou quel que soit son nom, le spectacle de n o tre tem ps.
C’est l ’évidence. Une évidence vague, q u i déjà s’im patiente de ne pouvoir
serrer de plus près les futures formes de ce spectacle. Sans doute, cher, lourd,
encom brant e t im p arfait comme il est, le C inéram a n ’est-il que le Phénakis-
îicope (ou p lu tô t le T héâtre O ptique) du ciném a à venir. Celui-ci sera peut-être
cinéram a sim plifié, cinémascope perfectionné, ou b ien le procédé Popov. P eu
im porte. La conviction est im m édiate, on l ’em porte avec soi en q u ittan t la
salle. Le reste est affaire d ’extrapolation, d’optim ism e et de m arc de café.
On y retrouve le théâtre, bien entendu. Le b a lle t d 'Aida, avec ses person­
nages grandeur n atu re (il y a une fille qui... -— m ais je l’ai d éjà dit) prouve
qu’en ce q u i concerne l’im prim erie du théâtre, le problèm e est enfin, e t pour
de bon, résolu. Mais il serait grossier de s’arrê te r là : à p a rtir d u m om ent
où les deux côtés d u m iroir sont identiques, chacun p eu t préexister à l ’autre,
et à la reproduction fidèle d ’un théâtre donné p eu t répon dre la transfiguration
du th éâtre p ar une possibilité à peu près infinie d ’expression des volumes et
des sons. L a vieille histoire déjà bran lan te du th éâ tre filmé s’évanouit là en
poudre, dans la notion, nouvelle, d ’u n ciném a th éâtral. U n th éâtre, oui, mais
dém esuré, le seul th éâ tre où u n dram aturge p o u rra it décider, sans se condam ner
à la bibliothèque, comme Claudel au début du Soulier de Satin : « la scène
de ce dram e est le inonde ». On pense évidem m ent aussi au T h éâtre de la

35
C ruauté d’A rtaud lorsqu’on voit l ’espace scénique s’incurver et s’agrand ir,
comme en m arche vers cet encerclem ent to tal d u spectacle où il n ’y aura plus,
à la lettre, de sorties de secours. E t plus qu’à to u t cela, on pense à u n th éâ tre
débarrassé de son appareillage intim e et bourgeois, si m agique qu’il soit, u n
th éâ tre outillé pour les grandes émotions collectives. I l est probable qu’à cette
hypothèse « religieuse » on opposera le caractère réaliste et figuratif d u
procédé. Mais il est bien possible que la religion d u X X Ie siècle soit enfin celle
d u monde.
T héâtre, m ais aussi fresque. J ’ai vu à M exico les murales de Diego R ivera.
On dispose des chaises devant, on s’assied, et pen d an t u n e h eu re on assiste à
cette peinture-spectacle. Que l’on pense donc, en term es d ’espace, à celui d u
th éâtre grec ou à celui des peintres révolutionnaires, le C inéram a s’in scrit
beaucoup plus dans la perspective d u grand spectacle collectif que de ce
« spectacle ra re, cher e t p a r conséquent co n train t à la qualité » dont p a rle
M. C artier dans Paris-Match (étant entendu q u ’il p eu t exister d’au tres
« contraintes à la qualité » que la subvention des classes dirigeantes). I l n-’est
m êm e pas exclu qu’à leu r insu, les inventeurs d u C inéram a aient travaillé à
donner u n instrum ent aux futures célébrations de la R épublique P o p u laire
A m éricaine. Question d ’optim ism e, com m e j ’ai dit.
E n regard de ce que gagne le « th é â tre » (mais il faudra bien que les
deux term es disparaissent), que perd le « ciném a » ? Le m ontage rap id e, à
coup sûr. Les m ouvem ents d’app areil tro p brusques, avec u n resserrem ent de
le u r m arge de justification. Le gros p la n a u tre qu’exceptionnel (quoiqu’u n
regard em plissant l ’écran du C inéram a, ça n e doit pas être déplaisant). H
faud ra que les m etteurs en scène ap p ren n en t à découper p ar plans longs, en
u tilisant des cham ps larges (à cette réserve près que rien n ’oblige le réalisateu r
à utiliser to u t le tem ps toute la surface de l ’écran : le choc m êm e de l’ap p aritio n
du roller-coaster après « This le C inéram a » en est la preuve) — m ais c’est
ce que faisaient d éjà les plus grands. Il fa u d ra que les acteurs ap p ren n en t à
jouer une scène au Heu de rép éter u n e phrase après le réalisateur, mais c’est à
cela qu’on reconnaissait d éjà les m eilleurs. I l ne fa u t pas confondre au su rplus
la rançon, parfois géniale, des effroyables lim ites spatiales d u ciném a que
,nous avons connu, avec sa n atu re : m ontage et m ouvem ents d ’appareil étaien t
la form e d o n n é e 'à une im possibilité m om entanée d ’em brassem ent du cham p
visuel, et après to u t le m uet aussi avait ses privilèges. U n certain a rt d u
m ontage p eu t d isparaître comme u n certain a rt d u paraphe, sans nous laisser
plus qu’u n regret de surface, de m oins en m oins vif à m esure que nous nous
intéresserons m oins au signe e t plus à la signification — et peut-être, que nous
nous apercevrons de l ’existence d’u n e m aladie in fan tile du ciném a, où nous
aurons to u t plus ou m oins pris une écriture p o ur u n style. A la lim ite, il
n ’est pas im possible q u ’au travers de la crise de technocratie dont il sem ble
nous m enacer, le C inéram a (ou Bes petits-enfants) ne revalorise l ’a u te u r lui-
m ême. La technique u n e fois assimilée, absorbée jusqu’à être invisible, com m e
celle de l ’im prim erie, de la m ise en pages ou de la m ise en scène de th é â tre ,
redeviendrait ce qu’elle doit être, c’est-à-dire la servante d ’une pensée. Sans
doute cela serait-il déjà plus clair e t m ieux élaboré si le ciném a avait p u
continuer de se développer dans l’ord re de l ’invention, et no n dans celui d u
commerce. Les tentatives de m odification de l ’espace scénique et d ’intég ratio n
du th éâ tre le jalo n n en t (Abel Gance, à q u i l ’on ren d u n peu tardivem en t
justice !). Mais il y a eu la standardisation, la cristallisation autou r d ’Hollyw ood,

36
avec to u te sa paresse et son m anque d’im agination, que seule la m enace de la
Télévision a décidé à rem ettre en question ses recettes de bonne fem m e prises
p o u r les tables de la loi. E trange m onde, qui perfectionne ses avions dans les
guerres et ses cam éras dans les crises, m onde qui sem ble ne pouvoir accoucher
que sous l’effet de la peur... Il est sym bolique que le C inéram a soit né, lu i
aussi, de la guerre, et d ’un écran panoram ique destiné à l ’en traîn em ent des
m itrailleu rs aériens.
Car enfin, après ta n t de blâm es et de louanges, peut-être convient-il de
créd iter les responsables de l ’entreprise : F red W aller, l’inventeur, l’hom m e de
l ’écran à m itrailleuse (le Waller G unnery T raîner), qui inventa égalem ent u n
m odèle de ski nautiqu e, un indicateur de vent, u n appareil de photo ouvert
à 360° et un au tre q u i donne aux tailleurs les m esures de le u r client en
1/50° de seconde. M erian C. Cooper, le producteur, collaborateur de Jo h n F ord,
a u te u r avec E m est Sclioedsack tVExode et de Chang. Assez incroyablem ent, le
program m e passe b o u s silence leur chef-d’œuvre, K ing Kong... I l p a ra ît que c’est
très bien, Chang (c’est Colpi qui le dit, et il fa u t croire Colpi) m ais to u t de
m êm e, K ing K on g contient une des plus belles scènes d ’am our du ciném a
m ondial. D ’ailleurs, Cooper va, dit-on, en faire u n rem ake en C inéram a. D ern ier
arrivé, m ais d'im portance : Louis B. M ayer en personne, après avoir q u itté
la M.G.M., comme le vieux phoque de W alt Disney, sous les m orsures du jeune
phoque D ore Schary, est devenu président de l ’Office des P roductions Cinéram a.
L a présence de cet hom m e fu té est u n e nouvelle preuve de l’avenir du Ciné­
ram a, sinon de son am élioration. M ayer disait à L illian Ross, à propos de
Kiss of D eath : « Ils flanquent une m ère am éricaine en bas de l'escalier, ils lu i
m archent dessus, et ils préten d en t que c’est de l’art... » On frém it en pensant
aux enfants que nous prépare ce défenseur de la m aternité.
Le program m e com porte aussi le nom de R obert F laherty. « F lah erty fu t
choisi pour diriger la prem ière production de C inéram a. Mais, m alheureusem ent,
F lah erty m o urut avant que les détails de la production fussent réglés. » Ceci
n ’est pas tout à fa it exact, F lah erty avait déjà rom pu avec le C inéram a lorsqu’il
m o urut, et dans u n sens, c’est aussi de cela qu’il m ourut. Non qu’on l ’a it m al
tra ité : il sem ble bien que la ru p tu re fu t réciproque. Mais il venait de
com prendre que le ciném a passait p a r u n stade où le créateur unique, plus
m age que technicien, n ’avait plus et pas encore sa place. Difficile et symbo­
lique situation, q u i résum e toute u n e époque, et toutes les raisons de doute et
de crainte devant l ’app arition du C inéram a. Nous sommes les enfants de la
charnière. L’histoire des fabricants de m onstres et de robots est révolue. Les
m onstres et les robots sont là : l ’avenir de la science, désorm ais, ce n ’est plus
ta n t de les perfectionner que de le u r donner u n e âme. Ce n e sera n i aisé n i sûr.
Mais il fa u t les envisager, C inéram a en tête, avec confiance. L’énergie ciném a­
tograp hique, comme l’atom ique, p eu t changer de signe.

C h r is M ahkeh

37
B.S.

P our qui sonne le glas

Des articles récents ont laissé enten dre que la fin du cinéma am éricain était
proche. Ils n ’o n t pas to rt. Cette situation désespérée vient d’être rendue officielle
p a r une loi votée p ar le Congrès supprim ant totalem ent la taxe de 20 % grévant
le p rix des places. Mais, faveur extraord inaire, ce dégrèvem ent ne bénéficiera
qu’aux seuls exploitants, car le p rix des places n e subira aucune m odification.
Ce dégrèvem ent se ram ène donc à une subvention de l’ordre de 200 m illions
de dollars.
Que des m esures aussi exceptionnelles soient prises au profit d ’une seule
industrie indiq ue b ien le caractère d ’urgence de sa situation. Cette am nistie
fiscale a d’ailleurs p o u r conséquence d’en traîner Une vague de réclam ations
analogues des autres industries du spectacle, am éricain prétendant être égale­
m ent sous le coup d ’une grave dépression économique. C’est pourquoi le
président Eisenhow er, p o u r m ettre court à ces dem andes généralisées de
dégrèvem ent, a opposé son veto à la loi qui devra être votée à nouveau à u n e
m ajorité supérieure.
C ependant, les chiffres officiels tém oignent de la sévère réalité de la crise
du ciném a am éricain, A propos d e cette loi de secours, les parlem entaires et
les représentant du C.O.M.P.O. («Coimcil of M otion P ictures Organisations » ),
et d u M.P.A.A. (« M otion P ictures Association of Am erica » ), ont, d u ra n t les
débats, p ro d u it les chiffres suivants : pins de 5.000 cinémas o n t ferm é leurs
portes dès le m ois d’avril, 357 ont ferm é du 1er avril au 1er ju ille t ; on p rév o it
que plus de 5.000 autres déposeront le u r b ilan avant la fin de l ’année. (Tendance
qu i sera encore accrue p a r la baisse saisonnière des recettes.) Ils ne se verro n t
pas accorder u n sursis que la loi fiscale votée rapidem ent à cet effet a u ra it
re n d u possible.
La baisse des recettes est égalem ent très sensible. E n 1946, elles s’élevaient
à 1.512 m illions de dollars ; en 1952 elles ne représentent plus que 1.134 m illions
de dollars, soit u n e baisse approxim ative de 30 %, chiffre fo urni p a r le
D épartem ent du Commerce. Les chiffres déjà connus en 1953 laissent prévoir
que- le pourcentage attein d ra 38 à 40 % p a r rap p o rt à 1946.
La production, elle, est encore plus touchée. Les studios sont p ratiq u em en t
ferm és. L a M etro-Goldwin-M ayer tourn e deux films, Universal a ferm é, R .K.O.
a sorti u n film . C ependant 32 films en trois dimensions sont prévus d ’ici la fin
de l ’année, don t 14 étaient term inés au 1er ju illet, 10 étaient en cours, et 8 en

38
préparation, ce q u i im plique que l ’activité d ’Hollywood se borne en réalité
à 10 films. Les 14 d éjà réalisés se répartissent ainsi en tre 6 des pins grandes
m aisons de production : M.G.M. : 1 ; P aram o u n t : 3 ; C olum bia : 2 ; W arner
B r. : 2 ; R.K.O. : 2 ; 20th Fox : 1 ; A rtistes associés 1, production bien insuffi­
sante p o u r satisfaire à la dem ande.
De m êm e beaucoup d ’artistes e t de techniciens sont en chômage. Les
transfuges essaient de se reclasser à Broadw ay e t à la radio et, plus difficilem ent
à la Télévision q u i s’est forgé ses propres stars. Ainsi, Jam es Stew art fa it une
émission régulière à la N.B.C., intitu lée « les six tueurs », B roderick Crawford,
R onald Colman, M arlène D ietrich, M ercedes Mac C am bridge sont égalem ent
retournés à la « C olum bia B roadcasting System », où ils sont les vedettes
d ’émissions de m édiocre valeur.
La crise apparaissant dans toutes les branches de l ’activité ciném atogra­
phique comme u n fa it établi, le problèm e consiste, semble-t-il, à essayer de
déterm iner le sort du ciném a à la lum ière des tendances qui com m encent à
se préciser : le ciném a — m oyen d ’expression p ar l’im age —; survivra-t-il ?
si oui, com m ent ?
Cependant, p o u r spectaculaire et officielle qu’elle soit, la crise q u i s’est
cristallisée au printem ps dernier, n ’en est pas m oins la résultante de deux
tendances latentes depuis quelque années. L’une qu’on p o u rrait qualifier
d ’ € évolution », q ui s’analyserait comme u n e sous-consommation progressive
des produits d ’Hollywood, l’au tre de « révolution s>, en fa it l ’essor extra­
ordinaire de la Télévision. Le sort du ciném a dépendra somme toute de la
m esure où, avec succès, i l lu tte ra o u com posera avec ces deux forces.

Les statistiques d ém ontrent de façon éclatante la désaffection progressive


du public am éricain p o u r les salles de ciném a : l’année 1952 a été l’année de
recettes m axim um p o u r l ’ensem ble des industries de récréation (spectacle,
sport, radio, etc-..), alors que parallèlem ent les recettes d u cinéma baissaient
considérablem ent. Ainsi les docum ents d u D épartem ent d u Commerce attestent
qu’en 1952, 11.716 m illions de dollars fu ren t dépensés p a r les Am éricains
p our se distraire. Le ciném a ne participe à ce to tal que p o u r 1.134 m illions de
dollars, (soit une baisse de 60 m illions de dollars sur l’année précédente) alors
que le th éâtre et le bass-ball, égalem ent en baisse, n ’o n t p erd u que 3 m illions
de dollars.
Les distractions q u i enregistrent u n e m ontée sensationnelle sont celles qui
exigent une participation plus ou m oins active des individus. Elles totalisent
600 m illions de dollars : la m achine à sous, les billards, la danse, la nage,
l ’équitation, le tir, le golf, le patinage, le tourism e en auto car e t les aéro-clubs.
L’édition, la presse, etc..., groupe d it d ’ « inform ation » attein t le chiffre record
de 7.630 m illions de dollars. L’eup horie est partou t, ë o u s réserve d u ciném a
qui a la crise en p ropre. Ses recettes sont en baisse constante depuis 1946,
phénom ène an térieu r donc à l ’essor de la télévision.
Cette sous-consommation progressive des produits d ’Hollywood n e se
lim ite pas aux U.S.A. E lle se tra d u it à l ’étranger p a r u n rétrécissem ent des
m archés. S’il est clair que le nationalism e et la concurrence anglaise soient
à la base de la baisse des exportations am éricaines de films, la désaffection
interne est plus complexe. On s’accorde à considérer ta n t aux U.S.A. qu’en

39
E urope que le public am éricain est fatigué et p ar conséquent exigeant. L a
pénu rie de scénarios se fait sentir. Il n ’est qu’à com parer le nom b re de film s
p ro d u it en 30 ans au nom bre de pièces jouées p en d an t la m êm e période.
Le public am éricain ten d à avoir une attitu d e critique, il discerne vite la
rép étition des mêmes scénarios réduits au plus p etit com m un dénom inateur
(exotisme su r m esure, bagarres, intellectualism e très re ad er's digest, e t enfin
le trio m phal breast-appeal), H veut des films de qualité, soit m atérielle (T h e
biggest show on earth) soit intellectuelle ; (H igh no o n ), de là le succès
des films anglais considérés comme stim ulants p o u r l ’esprit. Cette attitu d e
critique s’explique dans une certaine m esure p ar l ’éducation ciném atographique
reçue p ar l ’énorm e classe bourgeoise des U.S.A. au Collège e t dans les U niver­
sités. A la décharge des producteurs et des scénaristes il fa u t signaler la pression
de l ’A m erican Légion deB ligues de décence, les nécessités com m erciales, les
dogmes m oraux et les tabous m ultiples.

A cette incapacité d’Hollywood, de m ain tenir l ’in té rê t d u p u blic s’ajoute,


semble-t-il, u n élém ent nouveau. Les Am éricains veulent rêver m oins e t agir
plus. Les dernières statistiques qui révèlent la m ontée en flèche de distractions
actives le prouvent. La dernière guerre a accéléré le u r m atu rité. Ils o n t choisi
la réalité de préférence au « rom ance ». E t lorsque M r. R ouben M am oulian,
ou M r. Goldwyn prophétisent que l’instinct grégaire sauvera le ciném a ou, q u ’en
to u t état de cause, les Am éricains continueront de fréq u en ter les salles obscures
p o u r filer le p arfait flirt, ils se trom pent. Les A m éricains, à l’in sta r des Anglais
ont adopté les bancs publics.
Les difficultés internes ren dent encore plus sensible le rétrécissem ent des
m archés extérieurs. E n effet les revenus étrangers, e n l ’é ta t actuel d u ciném a
am éricain, représentent 44 % des revenus globaux. G râce aux efforts louables
de M. E ric Johnston p o u r faire « cracher » l ’étranger (cf. V ariety d u 8-7-53),
les revenus en dollars effectivement transférés aux U.S.A. p o u r 1953 s’élèveront
à 150 m illions de dollars. Les producteurs am éricains o n t conscience que
l ’extension des m archés extérieurs ou en to u t cas le u r m aintien, sont vitaux
p o u r eux. Us sont p rê ts à faire tous les efforts nécessaires p o ur arriv er à leurs
fins. C ette préoccupation générale est à la base de la créatio n toute récente
de la S.I.M .P.P. (« Society of Indépendant M otion P ictures P roducers ») qui
au ra p o u r b u t essentiel d’accélérer les exportations de films e n collaboration
avec le M.P.A.A. C ependant cette action se h eu rte ra à la m auvaise volonté
croissante de beaucoup de payB où les films natio naux ou européens ont la
p rio rité : In d e, Canada, Argentine, Brésil, Japon... De m êm e certains autres
n e voient pas avec faveur p our des raisons politiques ou éthiques l ’extension
des films am éricains sur leurs écrans : Egypte, A ustralie, Ira n , Indonésie, etc...
Qu’opposer à cette sous-consommation sinon u n p ro d u it nouveau et
m eilleu r : le film en 3 dimensions, de préférence en technicolor. Suivant une
p o litiq ue définie ainsi, le mois dernier, p ar u n représentan t de la M.P.A.A. : « au
lieu de p ro d u ire 40 films pour 40 m illions de dollars, nous produirons 30 films
p o u r 35 m illions ; la différence de 155.000 dollars p erm e ttra d’am éliorer la
qualité ta n t technique qu’intellectuelle et de ren fo rcer considérablem ent la
p ublicité ».
Cette politique semble avoir réussi. Les places du C inéram a de Chicago

40
sont louées jusq u’en décem bre, et ceci — ironie du 6ort — grâce à la publicité
télévisée. Les films q u i ont fa it le plus de recettes sur le plan n atio nal au 1er août
sont les films en relief: (1) « Charge at feath er riv er », 2) « Schane », 3) « Second
chance »). L’augm entation sur l ’année précédente de 20 % des recettes du
circuit P aram o u n t p o u r la période m ai-juin-juillet, tém oigne de l'o pportu nité
de cette politique, alors que les recettes des salles m arginales continuent de
baisser.
C ependant, au m ilieu de l ’incertitu de générale, un m ouvem ent d éjà se
dessine tendant à l ’abandon du relief p ar l’in term édiaire des lunettes polaroïdes.
M. C laude E zell, président du syndicat des « D rive in » a déclaré récem m ent
que les lunettes fatiguaient et énervaient les enfants et les adolescents (représen­
ta n t la m ajorité de la clientèle) qui, p ar leu r agitation, ren d aien t le spectacle
in tolérable à leurs parents.
Une étude détaillée dans le M innesota révèle que les exploitants n e fondent
pas beaucoup d ’espoir sur les 3 dim ensions, alors qu’ils accordent b ien plus
de fo i a u système d u grand écran, Cinémascope ou autres ; « plus de ronds
à faire », p o u r re p ren d re les term es de M. H arry F rench, président du syndicat
d u spectacle du M innesota. De même, toujours dans le M innesota, la P aram o unt
en d ép it des résultats des 3 D, n ’a pas étendu ses installations au. 7/8 e dea salles
encore n o n équipées, pas plus qu’à celles de Chicago. L’abandon progressif
des 3 D p our les systèmes sans lunettes sem ble être confirm é encore p ar
l ’annonce que l ’arm ée allait équiper ses 400 salles avec le système du Ciném a­
scope. C’était faire d ’une pierre deux coups : reconnaître officiellem ent le
ciném a en relief et adopter le cinémascope.
C’est en ten an t com pte de cette a ttitu d e des pouvoirs publics et des exploi­
tan ts que la W arner Bros lance un système sensiblem ent analogue au ciném a­
scope, le W arner Super-scope, qui au rait certains avantages économ iques sur
le « C. scope ». Ce dern ier procédé est loué aux producteurs am éricains pour
25.000 dollars, 7.000 aux Italiens et aux Anglais, et 5.000 aux Français. Les
deux lentilles de projection sont p ar contre vendues aux exploitants pour
2.750 dollars, alors que la W arner Bros les loue en m êm e tem ps que « ses »
films. L’écran em ployé pour les deux systèmes e6t le m êm e (rap p o rt de 2,66
à 1, ou 2,55 avec la bande sonore), m ais avec cette au tre différence que la
W arner Bros, n ’exige pas l ’achat d u très coûteux M iracle M irror Screen.
On envisage de to u rn er 6 films selon ce procédé, dont H élène de Troie,
VArrière-garde, Une E toile est née, etc..., m ais de toutes façons ce procédé
n e p o u rra être m is en place avant février 1954. M. Spyros Skouras, président
de la 20th C entury Fox, interrogé sur le danger que rep résen tait cette
in itiativ e de la W arner-Bros., a répondu que bien au contraire c’était u n e
victoire p o u r sa m aison qui servirait à im poser contre tous le système du
grand écran. Il n ’a pas tort.
A la fin de l ’année, 2,000 salles seront équipées de C. scopes et systèmes
sim ilaires. L ’adoption massive entraînera deux conséquences techniques qui
révolutionneront les politiques de distribution : les changem ents de program m e
n e p o u rro n t avoir lieu que tous les dix jours au lieu d e trois, à cause de
l ’im portance des films ; ensuite le système sacro-saint en A m érique d u double
program m e devra disparaître. Les films en relief ou m êm e en 2 D , seront tro p
chers ou tro p longs p o u r qu’une salle puisse en offrir deux. E n outre, la pénurie
de films qui risque de se prolonger n e p erm ettrait pas de toute façon le double
program m e.

41
L’insuffisance de la production a p a r ailleurs des conséquences diverses :
p o u r arriver à conserver sa clientèle u n grand ciném a de New-Jersey (le State
T h eater), rep ren an t les recettes des années 30, organise des ventes à p rix
réduits de casserolles et objets de cuisine, ou bien des « nuits de la lingerie de
fem m e ». Les m archandises sont exposées dans le h a ll ou m ontrées à l ’écran,
pendant les entr’actes. On p eut égalem ent se pro curer pour 800 francs 50 litre s
d’essence q u i en valent 1.100 à la pom pe. L’entreprise enregistre u n ce rta in
succès.
U ne autre conséquence de la pénurie des films en relief et m êm e en 2 D .
est l ’essor des tournées de M usic-Hall (Vaudeville) que les exploitants o n t
tendance à substituer au deuxièm e film p o u r a ttire r la clientèle, suivant u n e
ancienne trad ition am éricaine d’ailleurs.
Une solution po ur ré d u ire cette pénu rie de films avait été proposée au x
exploitants. E lle consistait à d istrib u er les films de la télévision dans les salles.
Cette solution a été violem m ent repoussée p a r les gens du ciném a qui ne v eu le n t
pas « pactiser avec l’ennem i », n i faire l ’in ju re de m ontrer à leurs clients des
films qu’ils auraien t déjà vus à la télévision. Le ciném a anglais au co n traire,
serait u n acheteur éventuel à seule fin d’em pêcher la B.B.C. de s’em p arer de
ces bobines.
A la fin de la période tran sito ire que l’on p eu t fixer en janvier 1954, les
salles m arginales étant ferm ées, les autres équipées, est-ce que la situ atio n se
stabilisera ? H ne le sem ble pas. Les ciném as faisant tan t de b ru it au to u r de
leurs difficultés découragent les entrepreneurs de publicité et accélèrent le u r
propre perte. E n outre u n élém ent plus sérieux viendra dès Noël ag ir su r
l’équilibre instable q u ’au ra it p u réaliser le cinéma à cette date : la télévision en
couleurs. On prévoit en effet que dans les semaines à venir la F éd éral C om m u­
nications Commission donnera son accord au système U.C.A. de com p atibilité,
la préférant ainsi au système C.B.S. reconnu le prem ier m ais ne co m p o rtan t
pas de com patibilité, auquel cas lès postes seraient en quantité com m erciale
sur le m arché à la fin de Tannée. Les expériences faites p o ur les m em bres
de la F.L.C. au début de 1953 fu ren t extrêm em ent concluantes. Il n ’y a au cu n
doute que l ’apparition de la couleur su r les ondes ne porte u n coup sérieux aux
grandes productions en technicolor en d ép it m êm e de l’attra it du relief. L ’a p p li­
cation de cette dernière techn iq ue à la télévision est encore au stade e x p é ri­
m ental. C ependant u n budget de 250.000 dollars vient d’être voté p o u r l ’étu d e
des problèm es de la télévision transocéanique dont les résultats devront être
consignés dans u n ra p p o rt à soum ettre au Congrès avant 1954. I l ne sem ble
pas que le cinéma m êm e en relief puisse résister beaucoup plus à cette deuxièm e
vague d’assaut qu’il n ’a résisté à la prem ière.
S’il ap paraît en effet que l ’in ad ap tatio n d’Hollywood et le protectionnism e
étranger ont p ré p aré la crise, ce n ’est u n m ystère p our personne que la té lé ­
vision l ’a précipitée.

★ ,

Un phénom ène économ ique sim ple est à la base du processus qui a c o n d u it
à l ’état actuel ; une émission pu blicitaire fa it augm enter le volum e d u ch iffre
d ’affaires de la m aison qui l’a financée dans la proportion de 1 à 3,5 p e n d a n t
la période consécutive (F inancial Tim es, m ars 1953). Toutes les m aisons assez

42
puissantes n ’e u ren t donc pas de cesse avant de passer u n e émission télévisée
locale ou nationale, en dépit m êm e des prix extrêm em ent élevés (7 à 10 fois
plus im portants que ceux de la radio, encore q u ’ils ten d e n t à baisser actuelle­
m en t). Il en résulte que 75 % des m aisons q u i ont recours à la télévision ne
font plus de publicité p ar l’interm édiaire de la presse e t surtout du cinéma.
Les énormes capitaux mis ainsi à la disposition de la télévision en particulier
des deux stations 1New-Yorkaises C.B.S. et IS'.B.C. et des stations locales qui
font office de relais, o n t peignis l’établissem ent de program m es dont le nom bre
et l ’a ttra it o n t conduit les Am éricains à délaisser le ciném a su r une grande
échelle. On im agine aisém ent les résultats qui seront obtenus lorsque les 2.051
stations prévues p ar la F.C.C. seront mises en fonctionnem ent dans les deux
années à venir. Il im porte cependant de no ter que 242 stations sont réservées
à la télévision culturelle largem ent subventionnée p ar la F ondation Ford.
L’U niversité H ouston (Texas), qui vient d’organiser le p rem ier ém etteur cul­
tu re l sans base com m erciale (coût global 200.000.000 de francs), annonce dans
son m anifeste que cette initiative lu i fera économ iser 4 m illiards de francs que
des constructions et des cours supplém entaires auraien t rendus nécessaires dans
l ’avenir.
Les « téléspectateurs » se voient offrir grâce à la concurrence N.B.C.-C.B.S.
les m eilleurs spectacles de Broadw ay. Tous les événem ents sportifs et les
films am éricains d ’avant 1948 lu i sont présentés, la M.P.A.A. refusant de
lever l ’em bargo sur ces produits depuis cette date. La télévision am éricaine,
en se basant su r la législation anti-trust, a engagé u n procès devant le tribun al
fédéral de Los-Angeles contre les douze plus im portantes com pagnies de
p roduction et de distribution am éricaines pour les forcer à lu i vendre leurs
films. En atten d an t les résultats du procès qui risque de se prolonger, les stations
fon t appel aux films étrangers. Ainsi l ’organisation W eill a acheté ferm e les
104 m eilleurs films italiens produits de 1949 à 1953 pour la télévision am éri­
caine. Des tractations ont Heu en France. E n tout état de cause la télévision
fa it elle-même ses films ou en fa it fa ire à l ’étranger (A ngleterre, Italie, F rance),
se pro cu ran t ainsi la couleur locale à bon m arché.
La télévision am éricaine a fa it des Am éricains u n e im m ense troup e d ’acteurs-
spectateurs. Elle a conçu des émissions adaptées à l'in tim ité de l’am éricain
« at hom e » (I love Lucy). Elle a créé u n genre nouveau d ’acteur q ui doit
réaliser une synthèse dynam ique de la voix e t d u jeu . E lle a renforcé la
conception rassurante q u ’avaient les Am éricains de vivre en dém ocratie en leur
faisant assister à des événements publics (commissions d’enquête, conventions,
etc...)
Que pouvait faire le ciném a contre u n tel bilan, contre une révolution
aussi im pressionnante des us et coutum es préétablis ■ sinon une contre-
révolution ? C’est ce qu’il a entrepris.

L’Académ ie d u Ciném a am éricain n ’a pu te n ir la réun io n au cours de


laquelle fu ren t distribués les « Oscars » que grâce aux droits versés p a r la
télévision. Cette hum iliation au rait été épargnée au Ciném a si la procédure
entreprise auprès de la F.C.C. avait déjà abouti. L’industrie ciném atographique

43
a sollicité en efiet dès l ’autom ne dernier de la F.C.C. l ’autorisation d’ouvrir
six réseaux « ferm és » U.H .F. (U ltra H igli F réquence). La procédure su it son
cours. L a chaîne P aram o unt (815 salles) a cependant déjà obtenu de la
F.C.C. de fusionner avec le troisièm e réseau am éricain (Am erican B roadcasting
C orporation). Les cinémas équipés de récepteurs à grand écran recevraient en
exclusivité les émissions de ces six réseaux ; les spectacles seraient b ien
entendu payants. C ette solution, aux dires des théoriciens, serait la seule
efficace pour sauver les 2.500 m illiards de dollars B.T. (Before Télévision...)
investis dans la d istribution p ar les com pagnies de production.
C ependant cette solution p résen terait le danger grave de priver la T.V.
gratuite de la plus grande p artie de sa substance. E n effet, l ’énorm e puissance
financière d’Hollywood et ses indiscutables appuis politiques — soulignés
encore p ar' la rapid ité du vote de la loi de détaxation — lui p erm ettrait de
s’assurer l’exclusivité des prin cip au x spectacles et des événements les plus
im portants, et de ne laisser que des restes m édiocres à la télévision. C ependant
il ne semble pas que cette solution puisse être envisagée très sérieusem ent.
E n tout état de cause elle ne p o u rra avoir q u ’une extension très lim itée du fa it
des oppositions nom breuses et variées qu’elle rencontrera.
Il n ’est pas douteux, en effet, que si une telle solution m enaçait de se
réaliser, une violente cam pagne se déchaînerait contre ces pratiques m onopo­
listiques qui seraient dénoncées, à juste titre d ’ailleurs, comme des atteintes
aux libertés publiques. D ’autre p a rt ce danger n e serait réel qu’au seul cas
où le cinéma m enacerait de s’assurer l’exclusivité des principaux » évents ».
Le problèm e se ram ènerait donc à u n e épreuve de force entre les deux corpo­
rations, Cinéma d ’u n côté, Radio-Télévision et P u blicité de l’autre. P o u r
préciser l’ordre de grandeur des industries en présence, il n ’e s t . qu’à se
ra p p o rter aux chiffres globaux fournis p a r l ’annuaire du D épartem ent du
Commerce : les investissem ents et les revenus globaux annuels de la seule
industrie de la R adio sont le double d e ceux du cinéma. Une arm e redoutable
reste en possession de ïa Télévision au cas bien im probable où la F.C.C.
donnerait son accord sans dem ander de garanties sérieuses : la télévision
payante (Subscription T .V .). E lle p aralyserait définitivem ent toute action des
chaînes de téléciném a. Une enquête to u te récente entreprise dans l’agglom éra­
tion de New-York p a r la S kiatron Télévision prouve en effet que 93,6 % des
personnes consultées payeraient p o ur voir les program m es qui les intéressent,
s’ils ne pouvaient faire autrem ent. Les partisans de la Sub-T.V. com ptent
d’ailleurs sur u n p ublic p ay ant de l ’o rd re de 20.000.000 de dollars.
E n dernière analyse, si l ’on se rap p o rte à l ’expérience effectivem ent
réalisée d’émissions de téléciném a sur u n e grande échelle, on obtient des
résultats financièrem ent décevants. Si la retransm ission de Carm en par câble
coaxial à p a rtir du M etropolitan O péra a perm is à des vingtaines de m illiers
d ’Am éricains d ’assister à cet opéra (certains p o u r la première fois), elle a
■représenté pour les exploitants u n e p erte sèche (Chicago G other T h ea ter :
— 200.000 francs). Si le « Radio-C ity » de M inneapolis (chaîne P aram ount)
n ’accuse pas de pertes à la fin de l’exercice, c’est qu’il a ajouté une série de
3 m atches de boxe, tous déficitaires d’ailleurs, sauf u n (W allcott-M arciano) qui
a rétab li l ’équilibre.
Les téléciném as du M innesota resten t sceptiques devant les nouvelles offres
q u i leu r sont faites.
H sem ble que le rôle des téléciném as doive se b o rner à retran sm ettre

44
occasionnellem ent des spectacles ou des événements pour lesquels le grand
écran soit très sensiblem ent préférable, de m anière à justifier le déplacem ent
et le prix des places.
H ne ressort m alheureusem ent pas de cette perspective ainsi réd u ite une
chance b ien sérieuse de résurrection financière du Ciném a. Le Ciném a, ne
pouvant efficacem ent lu tte r, devra composer.
E n to u t état de cause l’évolution vers u n com prom is a d éjà com m encé :
de ju in 1952 à ju in 1953, 100 m illions de dollars o n t été investis p ar la
télévision p o ur l ’achat, la location ou la réalisation de films. La p a rt prise
p a r le film (sous toutes ses form es) dans les program m es de télévision s’élève
à 22 % contre 78 % en direct — soit u ne augm entation de 200 % p ar ra p p o rt
à l’année précédente. Le to tal d ’heures consacrées au d irect s’élève à 160 h. 5’,
e t 34 h . 5’ sont occupées p a r des films. Les émissions dites « N atîonaly »,
c’est-à-dire financées p a r le m êm e client à p a rtir de 5 ém etteurs différents ont
enregistré u n accroissem ent sensationnel : 600 Les quatre stations se
répartissen t ainsi les heures filmées : sur 68 heures hebdom adaires, M.B.C. en
consacre 12 h. 30 au film ; C.B.S., 8 h. 30 sur 60 ; D u M ount, aucune et A.R.C.,
14 h. su r 28 h . 30.
H est intéressant de n o ter que l ’on va vers une spécialisation des deux
plus petits réseaux : D u M ont, sports, actualités, etc..., A.R.C., films. Ce q u i n ’est
pas un sujet d’étonnem ent puisqu’A.R.C. est lié à la P aram o un t. C ette évolution
est facilem ent com préhensible : du fa it des nom breuses stations régionales,
u n film est b ien plus rapidem ent am orti qu’u n spectacle direct. Cela est prouvé
d ’ailleurs p a r l’accroissem ent sensationnel des films « on a n atio n al spot basis ».
C ette tendance ira en s’accentuant lorsque tous les postes régionaux prévus
seront en fonctionnem ent.
Dès m ainten an t les entrepreneurs de publicité prévoient que 75 % des
program m es seront su r films à l’instar de la radio où la m ajorité des program m es
prov ien t des disques.
I l est ind éniab le que le film subsistera. P eut-être atteindra-t-il le public
p a r l’in term édiaire des cinémas classiques ou m êm e équipés de télévision à
grand écran, en to u t é ta t de cause, la Télévision sera le grand d istrib u teu r.

B. S.

45
' Herman G. Weinberg

LETTRE de NEW YORK

N ew York, S eptem bre 1953.

Ces derniers mois nous o n t offert un pot-pourri de films assortis com m e


un m anteau d ’arlequin aux nom breuses couleurs, bien qu’il soit im possible de
trouver une m étaphore p o u r qualifier une telle diversité de m éli-m élo sans
grande signification. '
Un film p h ilip p in , Ghengis K han, bien que faible techniquem ent, a p o u r
lu i la bonne volonté de son réalisateur qui essaie de faire quelque chose
d’inhabituel, de raconter l’histoire du grand conquérant Mongol q u i vécut au
x iii0 siècle. B ien que tourné avec u n faible budget, il réussit grâce à son
enthousiasm e et son dynam ism e, à recréer le clim at de cette période b arb a re .
E gypt by Three, p ar l ’A m éricain V ictor Stoloff, tourné en Egypte, est u n
pastiche de trois histoires, triste, ennuyeux, sans le m oindre goût, sans im ag i­
natio n ; il n e m érite pas qu’on s’étende sur lui. Q uant à la version anglaise de
T h e Beggar’s Opéra de Jo h n Gay’s, film en couleurs qu’in terp rète L aurence
Olivier, il n e p eu t être com paré avec le m agnifique Dreigroschenoper (L ’O péra
de Quat’Sous) de P abst, tiré de la m êm e œuvre. Fear and Desire, originellem ent
T h e Shape of Fear, tou rné p ar le jeune réalisateur am éricain Stanley ICubrick,
est intéressant parce qu’on y trouve aussi quelque chose d ’in hab itu el. Qn’il n e
soit pas réussi est u n e au tre question. Son histoire d’u n groupe de soldats
encerclés p ar l ’ennem i est confuse parce que tro p philosophique (sa th èse
tente d’être intellectuelle), m ais techniquem ent il a de bons passages et nous
laisse entrevoir, de la p a rt de son jeune auteur, des possibilités.
Le nouveau film soviétique, Sadko, a d u charm e et de la fantaisie. D e tous
les films discutés ce mois-ci, il est celui qui a été réalisé avec le plus d ’im ag i­
nation. T ourné p a r P utchko, au teu r du film de m arionnettes T h e N ew G ulliver,
son histoire est u ne fable. Le bonheur certes, se trouve aux q u atre coins du
m onde, m ais en réalité on n e le trouve vraim ent qu’au fond de soi. L a fa b le
est assez naïve m ais P utchko, q u i a le sens du cinéma, nous la raconte avec
d’étonnants effets visuels.
G entlem en Prefer Blondes est une com édie m usicale qu’in te rp rè te n t Ja n e
Russel et M arilyn M onroe, deux jeunes Am éricaines qui vont à P aris. L’id ée
que se font les A m éricains de P aris fera grim acer les F rançais. I l y a en
particu lier u ne scène dans laquelle Jane Rnssell exécute u ne danse lascive,
presque nue, dans u n trib u n al (juste devant le bureau du juge s’il vous p la ît),
agitant sa p o itrin e presque sous son nez, scène q u i fera ou n e fera pas rire

46
les spectateurs français, et que D alio soit le juge n ’arrange pas les choses.
Les dialogues et les chansons sont pleins de sous-entendus basés sur le thèm e
d u film ; « Les diam ants sont les m eilleurs amis des jeunes filles », et : « u n
baiser su r la m ain, c’est peut-être bien, mais u n bracelet de d iam an t du re
éternellem ent ». B ref, c’est u n film exaltant le, m atérialism e franchem ent et
sans honte. Certes, il fa u t faire la p a rt de la m oquerie, m ais u n fa it dem eure :
les spectateurs am éricains croient avec M arilyn M onroe, que l’am our est bien
jo li mais q u ’épouser u n m illionnaire c’est le fin du fin. L e b allet « les diam ants
sont les m eilleurs am is des jeunes filles », chanté et dansé p a r Miss M onroe, est
le m eilleur m om ent d u film, tapageur, presque vulgaire (le film est plein de bas
h u m o u r), m ais c’est u n e am usante caricature des opulentes pyrotechnies
sexuelles dans la m eilleure tra d itio n hollywoodienne. Miss M onroe, q u i est assez
voluptueuse p o u r faire se reto u rn er, m êm e au jo u rd ’h u i, A natole F rance dans
sa tom be, évolue sinueusem ent avec u n e voix de Blanche-Neige, de grands
yeux si innocents, et après to ut vaut la peine d ’être vue a u ta n t que M ona Lisa
p ar exem ple, m ais p o u r d ’autres raisons évidemm ent. On p e u t situer le niveau
intellectuel d u film p a r u n e scène q u i n ’a d’autre b u t que de nous m o n trer le
gentil p e tit postérieur de Miss M onroe, se to rtilla n t p en d an t une rum ba. H est
vrai que p o u r passer plus ou m oins agréablem ent le tem ps, on p eu t faire p ire
que de voir cette fastueuse p arade de bassesses q u ’est G entlem en P refer Blondes.
R o m a n H oliday, voilà ce que réalise u n m etteu r en scène de classe qui
n ’a plus le d ro it de to u rn e r des films de critique sociale. U n conte de fées
m oderne lui offre cette fois l ’histoire aigre-douce d ’u ne belle princesse e t d’u n
pauvre m ais bel hom m e du peuple. Que l ’on donne u n tel scénario à W illiam
W yler est n av ran t lorsqu’on se souvient de ses autres films T h e Best Years o f
O ur Lives, T h e L ittle Foxes, T h e Heiress, D odsworth et W uthering H eights.
B ien que tourné à Rom e, on n e trouve dans R om an H oliday aucun ra p p o rt
avec la ville ou ses h ab itan ts e t les décors n e peuvent s’ap p aren ter q u ’à des
cartes postales devant lesquelles jo u en t Gregory P eck e t A udrey H ep b u m ,
à la m anière rom antique, selon les exigences du scénario. I l n ’y a pas de
spontanéité dans Phum our, chaque plaisanterie est tirée p a r les cheveux, et
c’est seulem ent vers la fin m ais brièvem ent, quand la princesse doit q u itter
son hom m e du peuple avec lequel elle a eu 24 heures de grâce, que W illiam
W yler réussit à diriger une scène ém ouvante ; to ut le reste est m alheureusem ent
décousu. G régory P eck est tro p âgé po ur le rôle et joue sans vigueur, m ais
À udréy ïïe p b u rn , la d ern ière découverte anglaise est réellem ent charm ante
et se trouve sans doute prom ise à u n e carrière de com édienne légère. B ref, u n
film sur la jeunesse, sans panache m algré quelques bons m om ents (on p eu t
s’attendre à ces bonB m om ents dans chaque film de W yler), m ais de m auvais
augure p our les inoffensifs films « d ’évasion », 1’ « évasion » se tro u v an t n a tu ­
rellem ent to ujours être une évasion de la réalité. Stalag 17 se trouve être
u n cas sim ilaire. B illy W ilder a dû s’incliner devant le m êm e « dik tat » que
W yler, et W ilder a réalisé u n film « d ’évasion » bien que l ’action de ce film
soit située dans u n cam p de prisonniers en Allem agne. T iré d ’une pièce
am éricaine à succès, édulcoré p a r les exigences de l ’écran, ce film nous fa it
croire que la vie des cam ps est folichonne. Il est v rai que des hom m es sont
tués au cours de le u r fuite, e t que l ’histoire de l ’espion nazi caché p arm i les
captifs et finalem ent dém asqué est dram atique, m ais l ’im pression générale de
la vie du cam p est celle d ’u n e gaieté in term ittente ; les prisonniers n ’exprim ent
aucun sentim ent contre la guerre qui est acceptée comme inévitable. L’am poulé

47
V

rem place le p athétique, la sentim entalité larm oyante la v éritable ém otion, et


l ’h um ou r devient grotesque p ar exagération. Sig R um an jo u e le rô le du
gardien nazi com m e on le ferait dans u n vaudeville allem and de second ord re,
et seuls W illiam H olden en prisonnier qui se tire au m ieux de sa situ atio n ,
et O tto P rem ing er en com m andant nazi, sont véridiques. C hacun se souvient
d ’u n au tre film su r la vie des camps, La Grande Illusion e t s’aperçoit q u ’u n
larg e fossé les sépare irrém édiablem ent.
Je ne com prends pas pourquoi T h e M oon is Blue q u i défend ly riq u em en t
l ’adolescence am éricaine, est considéré ici comme consternant, com m e cho quant,
p ar les défenseurs professionnels de la pureté ciném atographique. N on seule­
m en t le film a été condam né p ar la catholique « Légion de la D écence » (une
organisation qui a l’arrogante présom ption de dire — son n om l ’in d iq u e —
que sans elle il n ’y au ra it aucune décence sur les écrans am éricains ou a ille u rs),
m ais la M otion P ictu re Association lu i a refusé le visa du code de p ro d u c tio n
(toutes les principales firmes am éricaines sont m em bres de cette A ssociation),
ceci en dépit du fa it paradoxal que ce film était accepté en totalité p a r les
censeurs des E tats de New-York, Massachusetts et Pensylvanie, e t ces censeurs
ne sont pas spécialem ent renom m és pour leu r libéralité ; ceci nous m o n tre
b ien les caprices de la pré-censure. Un fa it a p articu lièrem en t soulevé les
controverses; p o u r la prem ière fois su r l’écran am éricain, des m ots tels que
« vierge », « virginité », « vierge professionnelle », « séduction », o n t été
employés. Ceci p eut sem bler incroyable aux Français e t aux Italien s ou encore
à quiconque qui ne serait pas Am éricain, mais il fau t reco n n aître que c’est
ainsi. Iron iqu em ent, rien d ’im m oral n ’arrive dans le film ; personne n ’est séduit,
et la vierge épouse le b el héros. A l ’heure actuelle, c’est le filin am éricain le
plus m oral. C om paré p ar exem ple à G entlem en P rejer B londes, c’est u n
parangon de sentim ents vertueux. T h e Moon is B lu é passant o u tre aux
décisions de la « Légion de la Décence » et du M.P.A. (Office E ric Jo h n sto n ),
sortira à New-York ce mois-ci et l ’Union A m éricaine des L ibertés Civiles a
offert son appui aux A rtistes Associés, les courageux d istributeurs, dana le
cas où la Légion de la décence ou to u t autre organisation te n te ra it u n second
boycotage comme on Fa déjà annoncé. Je crains que to u t cela n ’exagère le
m érite de T h e M oon is B lue qui, après tout, n ’est pas u n e b rilla n te com édie de
m œ urs, et m oins subtilem ent risqué que les comédies de L u b itsch ; m ais il fa it
faire u n pas vers l’éventuelle réalisation d’u n cinéma lib re dans la pro d u ctio n
am éricaine.
T o u t le reste p o u r le m om ent est 3-D, Cinemascope, écran large, écran
géant, son stéréophonique, avec des extravagances com m e « G lam oram a »
« S uperam a », « Y istaram a » e t la dernière trouvaille de M ike T odd, u n e
extension du C inéram a si fantastiquem ent en avance que le C inéram a lui-m êm e
devient périm ée, et appelée sim plem ent « A. 0 . ». Le m onde fu tu r sera celui
des symboles alphabétiques : Bom be A, Bom be H , peut-être B om be Z, T , Y,
3-D, A. O., etc... L’hom m e n ’invente pas nécessairem ent ce do n t i l a besoin,
m ais ce q u ’il peut. Lorsqu’il se regarde dans un m iroir, le visage q u ’il v oit est
p a re il à la proue d ’u n lin e r fen dant les flots. Que le m onde serait b e a u en
vérité, s’il était peuplé p a r ceux que nous renvoient les m iroirs.

. H ehman G. W einbehg

48
LES FI LMS

T h e H ed Badge o f Courage de J o h n H u sto n . (Au p r e m ie r p l a n : A udlc M urphyK

DE L’AMBIGUÏTÉ .
. THE RED BADGE OF COURAGE (LA CHARGE VICTORIEUSE), film améri­
cain de J o h n H u s t o n . Scénario, adaptation : J o h n Huston, Albert Band, d’après
l'œuvre de Stepken Crâne. Musique : Bronislav Ivaper. Images : Harold Rosson.
Décors : Edwin B. Willis, Interprétation : Audie Murphy, Bill Mauldin, John
Dierkes, Royal Dano, Àndy Devine. Production : M.G.M.,' 1951.
• « V m*ont am en é s u r u n g r a n d cliamp
« (|U*i n o m m io n s c h am p de b ataille...
Ma fo i la p e u r m ’a. p r is
J ’a i p r i s m o n sac et m ’en sûuvis. »
Huston est certainement de tous les on a le plus écrit, Orson Welles excepté,
metteurs en scène de Hollywood révé- La jeune critique n’a pas manqué de
lès depuis la guerre celui sur lequel gloser sur une œuvre qui s’y prêtait

49
4
de manière exceptionnelle. La suite dans la composition qui l’empêchera
dans les idées et l’intellectualité du probablement toujours d’accéder véri­
style n’étant pas habituelles au cinéma tablement au style personnel sinon à
américain, l’unité thématique de l’œu­ cette notion plus générale du style qui
vre de John Huston, la lucidité calculée se confond avec la rhétorique. En ce
de la mise en scène ne pouvaient sens Huston n ’est ni Welles, ni Renoir,
manquer à juste titre de frapper le ni même si l’on veut John Ford. Sa
spectateur attentif et de séduire une mise en scène n’est jamais que la mise
critique intellectuelle. A quoi il faudrait en forme aussi brillante et juste qu’on
encore ajouter l’affinité au moins super­ voudra d’une idée dramatique. Les
ficielle du thème de l’écliec et de l'ab­ moyens qu’il utilise n’ont rien d'origi­
surdité de l’action humaine avec, pré­ naux, du moins dans leur essence. Son
cisément, les grands courants philoso­ découpage par exemple demeure clas­
phiques de la littérature française sique et meme banal jusque dans ses
d ’après guerre. La chose était si claire moments les plus heureux. 11 s’ensuit
qu’elle finissait par devenir douteuse. que. l’on ne saurait tenir Huston pour
On allait se demander si vraiment ce un <s très grand s. metteur en scène.
fameux thème de l’échec était bien Mais il peut suffire à notre admira­
essentiel à Huston ou si, lui étant effec­ tion qu’il soit un grand cinéaste.
tivement essentiel, il n’était pas d’une Puisqu’on nous fait querelle par
qualité morale et dramatique contes­ exemple dé hocher la tète au nom de
table. En art c’est finalement -le style Hitchcock, je dirai pour préciser ma
qui compte, c ’est-à-dire l’intériorisa­ pensés qu’il m’apparaît évident que
tion de l’idée dans la forme. Pour le l’auteur de I Confess a un style per­
style, celui de Huston était effective­ sonnel, qu’il est un inventeur de formes
ment volontaire et calculé mais limité cinématographiques originales et qu’en
par une certaine sécheresse, sans ce sans sa supériorité sur Huston est
lyrisme ni poésie naturels, Il pouvait incontestable. Mais que je n’en tiens pas
passer pour celui d’un vieil habitué de moins The R ed Badge of Courage ou
Hollywood, élevé dans le sérail, un même Africçin Queen pour des œ u v r e s
peu plus intelligent que les autres et beaucoup plus estimables que La Corde
venu à la mise en scène par le détour ou r/nconm i du Nord Express. Parce
du métier de scénariste. Enfin, même qu’enfin le sujet compte aussi pour
sans prendre au sérieux la déclaration quelque chose ! Quand Roger Leenhardt
ennuyée et négligente qu’il fit un jour réalisait Les Dernières Vacances scs
devant moi à Doniol-Valcroze (1), on audaces et ses inventions n’étaient
pourrait soutenir que l’échec n’est qu’un assurément pas formelles. La valeur et
truc dramatique de scénariste, un la nouveauté du film résidaient essen­
renouvellement astucieux du suspense tiellement dans le fait de dire au ciné­
par un écrivain de cinéma qui a le ma des choses plus fines et plus intel­
whisky pessimiste. Bref on voit par ligentes qu’à l’ordinaire, d’intérioriser
quels arguments il serait possible de l’expression cinématographique jusqu’à
ramener le talent de Huston à des nier sa « spectacularité ». Ce n’était
proportions secondaires, de le tenir pas par paradoxe qus dans un débat
pour frelaté et de sourire avec indul­ à la Maison de la Pensée Française
gence à l’emballement d’une critique entre Sadoul et moi-même sur le thème
boutonneuse assez naïve pour donner de l’avant-garde, le Président d’Ob­
dans le panneau d’une « intelligence » jectif 49 intervenait pour dire que
à bon compte e't s’exciter à l’heure des la primauté revenait maintenant, dans
débats dans les cinés-clubs universi­ la critique de l’évolution du cinéma,
taires sur ce pont aux ânes de la au sujet. Certes il n’employait pas le
réflexion cinématographique. mot dans le sens précis et sélectif que
Après The Red Badge of Courage il lui prêtait Sadoul. Il voulait dire que
faut pourtant en gros lui donner raison. les conquêtes de la rhétorique ciné­
Certes il demeure que le tempérament matographique avaient perdu leur inté­
de ce cinéaste est davantage celui d’un rêt propre et qu’importait seulement
scénariste que d’un metteur en scène désormais une hiérarchie esthétique
et qu’on peut tenir cette prédominance des sujets : la pénétration en profon­
de l’écrivain pourvune limite. La forme deur du langage de l’écran qui s’était
jusque dans ses périodes les plus amples forgé sur des thèmes simples et pri­
demeure encore trop intellectuelle, trop maires.
lucide, elle a quelque chose de mat Or quand on compare le scénario
(1) Scs d éclaratio n s a u d e rn ie r F estiv al de Venise* p» 14, sont p lu s concluantes.

50
T he R e d Badge o f Courage de Jo h n H u sto n .

d ’African Queen à la grande majorité leur valeur spectaculaire. Une bataille


des meilleures productions de Holly­ se déroule sur l’écran et dans toute son
wood on ne peut manquer d'être ampleur, pourtant le spectateur, comme
frappé de son intelligente audace, de le héros du film, a le sentiment de ne
sa vanité psychologique, de sa relative rien voir que beaucoup de désordre
subtilité. 11 y demeure pourtant encore et de fumée. Formidablement compo­
un minimum de ■ conventions drama­ sée, réglée et calculée cette mise en
tiques parfaitement absentes de l ’admi­ scène pourtant ne montre rien, elle
rable Ûed Badge of Cou'rage. analyse -, son véritable objet n’est pas
L’histoire de ce film est désormais la bataille puisque son propos est juste­
trop connue pour que j’y revienne. Rap­ ment de nier l’existence de la bataille
pelons seulement que la bande que comme réalité autonome déterminée
nous voyons est amputée et recons­ dans le temps et dans l’espace, lui
truite autour d’un commentaire « expli­ déniant même jnsqu’â l’existence logi­
catif » qui s’efforce heureusement en que. L’admirable est ici que Huston
vain à rendre au fllm une unité dra­ ne triche cependant jamais avec ce
matique et un développement psycho­ qu’on en voit, II lui serait trop facile
logique classique et linéaire. Il ne d’anéantir la réalité par son morcelle­
parvient qu’à souligner en s’y opposant ment, d’abolir la forêt par les arbres.
l'épaisseur ambiguë de la mise en scène. Dans l’admirable Walk in the Sun
Et même ainsi commenté le film a été Milestone prenait le parti de voir la
jugé inutilisable : on a renoncé à l’ex­ guerre du point de vue du fantassin,
ploiter sur le marché américain. Non la caméra demeurait (du moins an
pas tant, semble-t-il, pour des raisons début du film) au niveau de son œil.
politiques et parce qu’une description L’effet était saisissant mais différent
sceptique de la guerre n’était plus tout du propos de Huston. Celui-ci garde
à fait en accord avec les événements, sur l’événement, comme sur son héros,
— au demeurant seule une compré­ une vue plongeante. Nous comprenons
hension superficielle et primaire du comment il voit la guerre, et le désarroi
film pourrait y voir des intentions de sa conscience de l’événement, mais
pacifistes — que pour sa non confor­ nous ne nous identifions jamais à lui.
mité aux canons du scénario holly­ Ce n’est pas la guerre vue par le fan­
woodien. Le fllm de guerre est tradi­ tassin, mais la guerre tout simplement
tionnellement spectaculaire, il tend au et l’homme dans la guerre. L’incohé­
morceau de bravoure qui met en valeur rence (mais incohérence est trop dire
les capitaux engagés. Or les moyens qui affirme une négation) n’est pas
de Huston étaient ici importants. 11 ne relative à l’individu dans la b'ataille,
les a pas cachés. Il a fait pis ; il est elle est de l’essence même de la
parvenu, en les montrant, à annuler bataille. Si Fabrice ne voyait presque

51
rien de Waterloo c’est peut-être qu’il métaphore que la caméra d ’Àfrican
n’était pas au bon endroit. Le héros Queen « domine » la situation et le
de Huston monte à l’assaut et ce qu’il paysage. En fait nos actes ne s’étalent
voit n’a pourtant pas beaucoup plus de pas moins dans le temps que dans
sens. Certes Huston restreint sa vision l’espace et par là échappent fatale­
de la guerre, le champ de sa caméra ment encore à notre appréhension
est le champ de bataille mais de celui- même si nous avons une connaissance
ci nous avons plusieurs fois une vue totale de leur efficacité immédiate. Au
aussi générale que celle de Griffith dans fond, le général Lee n’en sait pas plus
Naissance d ’une Nation. S’il fallait que le jeune soldat.
assimiler ce point de vue à celui d’un Cette vue de l’action humaine, Huston
individu engagé dans l ’action ce l’applique exactement à la psychologie
serait au moins celui d ’un capitaine. de son héros. De même qu'on ne sau­
Mais disons plutôt qu’il est tout sim­ rait dire de la bataille qu elle est assu­
plement le point de vue le plus large rément gagnée ou perdue, non plus que
qu’un homme peut avoir sur un tel la place qu’elle tiendra dans l ’histoire
événement par le témoignage de ses de la guerre, on ne saurait ramener les
sens, celui par exemple du reporter. mobiles de l’homme à des catégories
Huston l’admettrait sans doute qui morales ou psychologiques déterminées.
reconnaît l’influence sur son film clés Huston ne nie pas la lâcheté ou l’hé­
photographies de Barny, ancêtre des roïsme, il prouve seulement l’inanité
correspondants de guerre. Bref l’im­ d’un jugement qui induirait la cause
portant est de constater ici que de l’efïet. Un héros peut n’être qu’un
M. Huston ne se réfugie pas dans un faible qui fuit en avant. La lâcheté
truc factice, du genre caméra subjec­ ou Je courage n’existe en soi non
tive, son récit demeure à la troisième plus que l’échec ou la réussite, la vic­
personne implacablement objectif, d’une toire ou la défaite. L’obscurité et la
objectivité qui n’est cependant pas relativité des actions humaines n’est
celle idcale de Dieu mais l ’objectivité que la réplique de la relativité des
limitée de l’homme : sa mesure. Aussi mobiles de nos actes. En prenant pour
ne saurait-on affirmer ' que la guerre interprète Audie Mùrphy, Huston ne
y ajjparaisse comme radicalement cherche pas, par une provocation de
absurde. Le film est aussi peu pacifiste mauvais goût, à ridiculiser le soldat le
que belliciste. La seule leçon qui s’en plus décoré de cette guerre, mais
dégage indubitablement est que l’action affirme doublement, il est vrai, qu’il n’y
de l’homme n’est jamais que le frag­ a, au fond, d’autres preuves objectives
ment d’une réalité plus générale et qui de l’héroïsme que le nombre des rubans
dépasse par ses dimensions notre et des citations.
compréhension immédiate ou direfcte. Ce qui place sans doute The Red
Quand nous croyons dominer l’événe­ Badge of Courage bien au-dessus des
ment par notre intelligence et agir autres films de Huston c’est que la méta­
sur lui par notre volonté nous ne physique (le l’œuvre, ou tout au moins
sommes que les dupes de notre vanité sa morale, ne s’explique pas dans la
et de notre ignorance. C’est la réalité structure dramatique du scénario, mais
qui nous inclut en elle-même et nous qu’elle demeure immanente à chaque
manœuvre à notre insu. L’échec n’est image. C’était le dénouement de l’ac­
d’ailleurs pas la rançon fatale de nos tion qui permettait de parler de l ’échec
illusions. Le plan le plus significatif chez l’auteur du Faucon Maltais et du
de l’œuvre de Huston pourrait être Trésor de la Sierra Madré, il s’inscri­
dans African Queen ce mouvement de vait dans le développement dramatique
grue qui élève la caméra au-dessus du non dans la structure de l ’événement.
bateau enlisé dans les roseaux maré­ La même mise en scène eut pu servir
cageux et découvre à quelques mètres un scénario à happy-end. Plutôt que
la liberté du lac. A leur insu les héros thème, l’échec s’y révélait comme thèse.
touchent au but, mais à hauteur Dans The R ed Badge of Courage (et dans
d’homme ils l’ignorent, leur horizon est line large mesure aussi dans African
trop bas sur l’événement pour en décou­ Queen dont le dénouement est d’ail­
vrir le sens général qui comporte leur leurs optimiste) l’idée, si l’on peut
triomphe provisoire. De même l ’homme encore parler d’idée, s’est intériorisée
engagé .dans la guerre. Mais il ne fau­ et du même coup du reste s'est dépassée
drait.pas croire qu’un hélicoptère suffi­ par une dialectique morale qui mène
rait à lui restituer une vue totale et l’auteur au delà, de l’échec et du pessi­
comme divine des choses. C’est par misme. Rapport lucide, inrpitoyable-

52
ment objectif sur la guerre et la psy­ sans cesse traversé par les astéroïdes
chologie du guerrier, The Red Badge of d’autres événements — qu’on devine
Courage n’est pourtant pas un film noir plus importants peut-être — comme par
et amer. Aussi éloigné d’un idéalisme des éclats d’obus perdus. Certains élé­
pessimiste que de ^illusion lyrique, il ments font sans doute la jonction entre
concluerait plutôt à un stoïcisme posi­ ces nébuleuses dramatiques, mais nous
tif, à un scepticisme actif et non ne les suivons pas dans leurs dépla­
dépourvu d’humour. cements. Tels ces chariots d’artillerie
Quoi qu’il en soit, ce qui fait le prix qui dévalent sur la route où cheminent
esthétique du film c’est moins les les blessés. Nous butons avec le héros
idées qu’il autorise que la manière sur les cadavres pourris d’une autre
dont il les intègre à la mise en scène. bataille ignorée.
Il est vrai, et nous avons dit plus haut Cette impossibilité de référer l ’ac­
que c’était sa limite, que Huston n’a tion montree à une action idéale dotée
pas de style vraiment personnel. Son d’une géométrie globale trouve son
découpage, est sans originalité, mais il équivalent à l’intérieur même du cadre
importe assez peu, car la mise en scène dans le refus de mettre en valeur le
réside essentiellement ici dans le trai­ détail significatif de l’anecdote. Par
tement intrinsèque de l’événement enre­ exemple le personnage relativement
gistré par la caméra. Bien que la important du jeune lieutenant n’appa­
bataille soit réglée avec une précision raît qu’épisodiquement, nous le décou­
inouïe, que le réalisme historique vrons tout à coup blessé à sa démarche
atteigne à une vraisemblance exception­ claudicante sans que, pourtant, notre
nelle, Huston s’oppose généralement à attention ait été attirée par le moment et
la « composition ». Ses cadrages ne l ’importance de cette blessure. C’est par
sont jamais ceux d’une peinture mili­ des détails comme ceux-ci que The Red
taire (le contraire il faut bien le dire, Badge of Courage est peut-être le plus
hélas ! de ceux d’un Poudovkine dans révolutionnaire dans le cinéma améri­
Amiral Nakimov). L’écran n’est pas la cain. On comprend le scandale des
scène du théâtre des opérations parce boby-soxers qui décidèrent du sort du
que l’événement ne saurait être saisi film, car non seulement Huston n’orga­
comme spectacle. Ce qui caractérise le nise pas sa mise en scène selon une
spectacle en effet ce n’est pas tant méthode dramatique simple et exhaus­
l’ampleur (le l’action ou son intensité, tive, mais il requiert du spectateur une
mais son ordonnance matérielle, pro­ contribution positive à sa mise en scène.
jection de son sens dramatique. Ses Ce qu’il montre n’a pas de sens si nous
apparences en épuisent le sens. Au n’y contribuons d’abord par la perspi­
contraire et bien que, je le répète, cacité, le discernement actif fruit d’une
Huston ne triche jamais avec les plans complicité intellectuelle,
généraux, cette mise en scène est émi­ ■ Cette qualité de la mise en scène
nemment intérieure. Je ne dis pas doit se définir comme un réalisme.
psychologique, mais romanesque ; non L’ambiguïté ou, mieux, l’incertitude
spectacle, mais récit, indissociable de qu’elle suppose dans les choses et dans
l’intelligence critique à travers lequel les actes est d’abord conscience et
l ’événement se réfracte. Si l’on voulait respect de celles de l’événement lui-
définir la théâtralité d’une mise en même. Par là aussi Huston s’intercli-
scène on pourrait la comparer au sait toute théâtralité dans le costume,
tableau construit selon la perspective le maquillage et la direction de l’ac­
classique, c’est-à-dire avec l’unique teur. Georges Sadoul, avec qui j’en
point de fuite à hauteur d’œ il qui discutais après la projection, me disait
ordonne les arêtes des choses sur une que les vraies ou les fausses barbes ne
pyramide imaginaire. Le cadre en sont pas un bon .critère de réalisme
délimite la base transparente à l ’inté­ cinématographique ; je le veux bien,
rieur de laquelle s’ordonne l’univers de mais elles sont un indice au moins très
l’anecdote, cohérent, clos, suffisant à significatif de ce réalisme phénoméno­
lui-même. De même existe-t-il des mises logique auquel participe The Red Badge
en scène qui n’ont rien d’autre à of Courage. On n’imagine pas un film
exprimer que ce qu’elles montrent et de Rossellini ou de de Sica avec des
celles mêmes de Huston, sauf dans postiches. Encore leur scénario est-il
The Red Badge of Courage. Au contraire d’actualité. L’étonnant dans le film
ici l’écran n’est qu’une section de d’Huston c’est qu’il donne justement à
l’événement que Huston se garde de ce point le sentiment de l’actualité dans
mettre en perspective cavalière. II. est l’histoire ; non celui de la reconstitu­

53
tion, mais au contraire d’une réactua­ Huston revendiquait (je ne sais où
lisation du passé. Certes il est arrivé il en est depuis Moulin Rouge) deux
à bien d’autres metteurs en scène de grands projets : The Red Badge of Cou­
soigner à l ’extrême la vérité du décor, rage et Moby Dick. Le second achève
du costume et du maquillage, mais le d’éclairer le sens du premier partielle­
plus souvent cette exactitude devient ment défiguré par la production. On voit
l’un des objets évidents de la mise en bien que la notion d’échec s’y résoud
scène, on la met en valeur, on la sou­ dans une grande lumière éthique où
ligne. Chez Huston elle n’est pas inoins le succès temporel de l ’entreprise
accidentelle que le reste : attribut humaine redevient presqu’indifferent.
nécessaire mais jamais privilégié de Par rapport à The Red Badge of Cou­
l ’image. Il faut pour la remarquer choi­ rage tous les films antérieurs de Huston
sir d’y prêter attention comme à la apparaissent sinon comme une carica­
jambe du jeune lieutenant claudiquant ture du moins comme des à peu près
dans un coin de l’écran. Il est donc dramatiques d’une idée morale que
certes très possible de faire faux avec seules l’ambiguïté et. surtout l ’intellec-
une totale rigueur archéologique, mais tualité d’une mise en scène romanesque
la vérité ne serait pas parfaite ici sans pouvaient restituer dans son exacte
celle des barbes, elle est le signe, d’au­ plénitude.
tant plus probant qu'accidentel, du v A n d b è B a z in ,
réalisme indivisible de la mise en scène.

DES TOURMENTS ET DES HÉROÏNES


\ -

MY COUSIN RACHEL (MA COUSINE RACHEL), film américain de H e n b y


K Scénario : N. Johnson, d'après le roman de Daphne du Maurier. Musique :
oster.
Frantz Waxmàn. Images : Joseph La Shell, Décors : Walter M. Scott. Interpré­
tation : Olivia de Haviland, Richard Burton, Audrey Dalton, R. Squire, G. Dolenz,
J. Sutton. Production : Nunnaly Johnson, 20th Century Fox, 1952.

MONSOON (ROMEO ET JEANNETTE), film américain en Technicolor de


Rodney Amateau. Scénario : F. Judd, D, Robinson, L. Bertovici, d’après la £ièce
de Jean Anouilh. Musique : Vincent Dcsai. Images : Ernest Haller. Interprétation :
Ursula Thiess, Diana Douglas, George Nader, Nyron Healey. Production : Forrest
Judd-Filtngroup, 1952. ,

THE FOURPOSTER (LE CIEL DE LIT), film américain de Irving Reis. Scé­
nario : Allan Scott, d’après la pièce de Jan de Hartog. Musique : Dimitri Tiomkin.
Images : Hal Mohr. Décors : William Kiernan et Louis Diage. Transitions ani­
mées : Steplien Bosustow. Interprétation : Lilli Païnier, Rex Harrisson. Produc­
tion : Stanley Kramer-Columbia, 1953. -

.11 y a déjà longtemps qu’au soir Virginia Woolff, des Rosamond Lehman,
d ’une rentrée de vacances, j’ai vu ma Et d’ailleurs cette abracadabrante his-
cousine Rachel. Les personnages qui foire ne m ’intéresse pas et je crois
l’entouraiient sont rentrés dans la bien que personne ne s’en souviendra,
comédie cinématographique qui se suc- Mais personne n’oubliera de se çoser
cède chaque jour. Mais elle est restée chaque fois, devant l’image fugitive,
ef -son mystère me tente encore. Je une question : Rachel était-elle cou-
crois qu’elle ira vivre dans la galerie pable ‘? Voilà une héroïne dont l’am-
dc ces portraits que l’on aime retrou- biguïté est le caractère. De l’ambiguïté
ver et qui ont des sourires , dont on ne au soupçon, la distance est vite fran-
perçoit jamais exactement le sens. Et chie et on pense à Hitchcock; Mais
saurons-nous jamais si les sourires de chez Hitchcock — et la différence est
Rachel portaient la douceur ou la per- fondamentale — le soupçon naît de
fidie-? . tout un complexe d’attitudes, de gestes.
■ J'avoue ne pas lire la littérature II prend tôt ou tard des données pré­
anglo-saxonne féminine et mineure cises, palpables, ou, s’il ne se précise
dont elle s’est échappée. Je préfère pas, il se confond avec chacun, il
l’autre. Celle des Mary Webb, des n’appartient plus à personne, car la

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lequel nous vivons. Voilà bien pourquoi
pleine de duplicité ou peu sûre d’elle,
Rachel n’avouera jamais à son cousin
qu’elle l’aime, mais bien au contraire
aura, après la première et seule nuit
qu’elle lui a accordée, en réponse à
son ardente question, cette plirase que
l’on peut prendre comme venant du
plus bas intérêt : « Vous m’aviez donné
de si beaux bijoux s , et qui n’est au
fond que la merveilleuse réponse du
plaisir. Elle ne fait pas de rapport
direct entre le don des bijoux et le don
du corps qu’elle lui apporte, mais le
don qu’il lui fait de tout ce qui repré­
sente son ancestrale fortune, donc de
lui-même, les fait entrer tous deux dans
un domaine où le refus n’a plus de
sens, où ne doit jouer que la gentil­
lesse et ses baisers lui affirment avec
délicatesse la joie et l’amour qu’elle a
de son geste, mais non de lui. Héroïne
au visage, multiple, elle peut se per­
mettre ces divagations, mais il est tout
d’une pièce, il ne comprend pas. Tour­
menté, il accuse et il supplie. Voilà
bien encore un antagonisme romantique
qui d’ailleurs se prolongera. Pour cet
amant éphémère, comme pour Adolphe
ou Dominique, le caractère de la femme
O livia de Havilauci dan s My Cousin Hachai aimée est insaisissable. Il est la variété
de H enry Koster. et la dispersion de l’amour, la fuite.
Il faut à l’amant être dans une lutte
condition humaine semble alors bien
suspecte. Nous sommes loin ici de l'uni­
vers ironique 011 exacerbé d’Hitchcock.
Nous entrons dans un univers roman­
tique et le soupçon, s’il doit naître,
ne le fera pas de conditions maté­
rielles mystérieuses, mais des jeux du
hasard, des sentiments, des jeux de
l’amour.
On peut rêver sur cette sorte de
miracle qui veut qu’en plein siècle,
l’énorme machine économique et so­
ciale hollywoodienne nous restitue le
climat de Nerval ou d’Aloysius Ber­
trand, avec moins de finesse certes
mais une grande conviction. .Te ne
crois pas que ce soit l’effet d’un heu­
reux hasard. Les pays anglo-saxons ont
moins que nous été bouleversés par
les révolutions esthétiques — si ce n’est
par les révolutions tout court. Ils en
ont conservé comme une manière d’in­
génuité et de foi qui est bien le propre
du romantisme le plus pur. Quand dans
un film américain, un personnage dit :
je vous aime, on est frappé de la force
que prend tout à coup la formule. C’est
qu’ils ignorent le règne des truqueurs U r su la T liiess d a n s M onsoon.
dans I’ord re^ es sentiments, règne sous de Rodncy A muteau.

55
Est-ce encore Rachel cm d é jà O liv ia q u i s o u r it à Hcnvv Kostcr ?

continuelle, alors que Rachel semble dins les plus lumineux, il faut pour
calme et sereine. la retrouver dans un cœur féminin
Le cinéma seul d’ailleurs lui offre ouvrir les portes de notre époque
cette puissance, car, née de phrase proche et, s’il n’était lui-mêine l’ins­
sans genie et sans grande force évoca­ pirateur de ce nouveau Roméo, on pen­
trice, l’image lui permet de se rendre serait immédiatement à Anouilh. Ce
actuelle. Comme en un bal masqué, n’est plus l’héroïne qui tourmente, mais
nous sommes dans cette Italie qui n’est l ’héroïne qui est tourmentée, toute
pas tout à fait l’Italie, dans cette Ecosse emportée par les désirs et les angoisses
qui n’est pas tout à fait l’Ecosse. Rachel dont elle se plaît à chercher le sens
peut alors tisser autour de nous sa sans savoir que trouver.
toile patiente, mais dans notre dépay­ Si l’on peut refuser à Anouilh le
sement, est-elle encore Rachel ou déjà pouvoir des symboles, nier aussi que
Olivia ? Dans ce léger décalage réside son enseignement dépasse la décade
notre soumission aux sentiments et au et dire qu’il représente plus une mode
sourire, mais aussi notre refus au film qu’un univers, il est indéniable qu’il
qui sc limite à un portrait. Nous aspi­ a réussi, dans le théâtre français
rons désormais à le fixer. Comme ces contemporain, à créer un climat qui
papillons qui, vivants, n’étaient que- lui est absolument propre. Juste ou
fugitifs et qu’il faut, pour les admirer, non, ce climat existe et si ses person­
percer au cœur et étaler leurs ailes nages appartiennent à la tradition, nul
d’or, Rachel sera sacrifiée. La lettre doute que leur apparence corresponde
qui la réhabilite et que lit l’amant pen­ à ce temps.
dant qu’elle tombe dans le piège qu’il On a dit, on dira, le curieux du
lui a tendu, et en meurt, était-elle voyage que l’on fait accomplir à cette
sincère ou mise là à dessein ? L’affaire Juliette française que l’on a abandon­
a peu d’importance. Seule est impor­ née aux fins fonds des Indes, qui
tante la dernière phrase de Rachel : ajoutent à son exaltation leurs malé­
« Pourquoi avez-vous fait cela ? » afin fices séculaires. Nous ne saurons bien­
de donner ail héros un interminable tôt plus la part de chacun car la cha­
remords. Coupable 011 non, nous assas­ leur va nous - écraser et la mousson
sinons toujours ceux que nous aimons. qui se' délivre ne pourra guère nous
Jusqu’à ce que la mer nous emporte, libérer.
sans arriver à faire taire notre voix : Si le climat et le cadre d’Anouilh
« Rlachel_, mon tourment ». ont été respectés avec une fidélité qu’il
- Cette intransigeance du cœur qui faut applaudir, il semble que le film
pouvait bien faire défaut à Rachel tout soit nimbé de sentiments que la tor­
occupée à mener sa vie dans les jar­ peur, que l’isolement rend plus acca-
blants, d’une sexualité plus lourde, celui qu’elle aime : « Vous êtes parti
plus pesante. Jeannette au regard immo­ trop tôt s>. C’est tout le mécanisme de
bile, Ursula Thiess porte un beau visage la fatalité. Les personnages arrivent et
sévère où l’attente, où le désir peu à partent au mauvais moment, disent les
peu se marquent. Rodney Ainateau phrases qu’il ne faut pas dire et taisent
s’est plu à un essai que l’on tente rare­ celles que l’on attend. Il paraît bien
ment et qu’il caelie par la crainte, des qu’à un tel enchevêtrement des désirs
censures. Quand Jeannette entraîne et des actes, en vain, il n’y ait rien
avec elle vers son refuge celui qui doit à faire.
être son beau-frère, on sent en eux le Mais les petites iilles d’Anouilh, très
besoin impérieux de ces amours qui tendres dans le fond de leur cœur, et
veulent mourir. Mais arrivés au refuge, dont toute la révolte est de se livrer
alors qu’après la peine l’amour venait à la prostitution, ne sont pas très dan­
enfin, elle s’écarte de lui et lui dit : gereuses (si ce n’est pour les jeunes
« Tout à l’heure je courais, je croyais filles qui aiment l’ordre). Beaucoup
ne jamais arriver assez vite, mais main­ plus le sont les arrêts des dieux. C’est
tenant si vous me touchez, je crie... » ce qu’a mêlé, avec bizarrerie, le fllm
Et la scène continuera où ils s’affron­ à sa fin. Jeannette se voit refuser le
teront, où leur jeu apparaîtra plus clair. rôle de démiurge qui décide qui doit
Mais dans la dispute, dans la haine vivre, qui doit aimer, qui doit mourir.
qui va monter d’eux, il la quitte brus­ Son intransigeance ne sert plus à rien,
quement. Ursula Thiess regarde le elle est vidée de son contenu. Ce n’est
spectateur et ses yeux sont sans vie plus son amour absolu, sa ténacité
quand entre derrière elle, sans qu’elle implacable qui la réunit à l’homme
lui jette lé moindre regard, l’homme dans la mort. Elle n’est plus la figure
gras et déjà âgé qui l’entretient. Il s’ap­ de la fatalité ; une autre figure, dans
proche d’elle, et à ce moment précis, ses tourments, se substitue à elle, celle
ce même visage de la femme s’anime, de l’amour, et pour que cette figure
se renverse dans une lente décompo­ soit complète, les dieux, impassibles,
sition et bien qu’elle ne fasse pas à imposent leur loi secrète mais expli­
l’homme l ’aveu de son plaisir, qu’elle cite qui aboutit à cette mort concomit-
aille jusqu’à le nier, elle se sa~it abso­ taute que l’on peut sans crainte —
lument liée par des forces volontaires puisque tout maintenant s’est apaisé —
qu’elle ne sait pas dominer. Elle ne imaginer comme le premier baiser d’un
pourra plus tara faire qu’un aveu à premier amour. Il n’y a pour rester à

U r su la T h ie ss et George N a d e r d a n s M onsoon de Rodney A m atcuu.

57
L ili P a lm e r et Kex H a r r i s s o n do n s F o urp o ste r de Irv in g Reiss.

vivre que les rhéteurs, les bohèmes et Wolfe, mais un reflet, une attention
les femmes qui aiment l’ordre. touchante pour les choses de ce temps
. Il convenait d’opposer à l’ambiguïté destinées à mourir. Gardons-nous bien
de l’exceptionnel qui peut . réunir devant cette évocation de manquer de
Rachel et Jeannette, l’ambiguïté du respect, ‘ c’est le poème des inconnus,
quotidien que Lili Palmer se plaît a et que, dans l’histoire, le mari soit lin
nous détailler avec tant de finesses dans romancier à la mode y ajoute encore
The Fourposter, qu’on eut pu dési­ un peu d’éphémère. Portrait aussi
gner sous le titre plus précis que le d’une amoureuse qui vécut simplement
Ciel de Lit, le portrait de la vie d’une un grand amour. Jan de Hartog n’est
femme, depuis le début du siècle. Plus pas tombé dans la facilité qui aurait
qu’un portrait peut-être. Jan de Hartog, fait de ce caractère une exception, son
fidèlement servi lui aussi par Irving évocation n’en est que plus poignante.
Reis, s’est plus à conter à travers deux Le film a un goût de larmes un peu
personnages, beaucoup plus que la vie rentrées, de baisers qui frôlent votre
d’un couple, la chronique d’une époque. bouehe bien qu’on las sache perdus,
Ce film léger pourrait bien être plus un goût d’automne. On garde "l’envie
sérieux qu’on ne pense et ce n’est pas de se laisser bercer par cette héroïne
seulement par accident que, durant la simplement merveilleuse au jour le jour,
projection, me venait à l’esprit les noms n’oubliant pas à l’heure de la mort de
d’Arthur Schnitzler et de Stéphan se mettre sous la protection de Dieu,
Zweig, et je pensais plus à l’atmosphère obtenant même de Lui de venir recher­
et aux circonstances de leur vie qu’a cher sur cette terre un peu amère l’in­
la lettre de leur œuvré. dispensable compagnon qui rêve en
Voilà un film mineur sur un thème attendant de partir, et leur départ
mineur, un portrait d’héroïne qui ne confond en cendres la vie antérieure.
dépasse pas le cadre d’une aquarelle Tels qu’ils furent, ils recommencent,
qui va jaunir. Nous ne retrouverons ils recommenceront, ils se mêleront à
pas, bien sur, sur l’émouvante figure de tout. Trois héroïnes nous ont quittés
Lili Palmer (je ne puis m’empêclier dont le secret était l’amour. Puisse
chaque fois que je prononce ce nom notre mort (« il n’est pas donné à tout
d’évoquer la dernière phrase de le monde d’avoir line mort heureuse »)
Maïakovaki : « Lili, aime-moi. 3>), la nous les rendre dans le Temps retrouvé.
suprême distillation du souvenir d’un
Proust, d’un Joyce, ou d’un Thomas M ic h e l D orsday

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DE L’INVENTION
THE LUSTY MEN (LES INDOMPTABLES), film américain de N i c h o l a s R a y .
Musique : Roy Webb. Images : Lee Garnies. Interprétation : Susan Hayward,
Robert Mitclium, A. Kennedy, A. Hunnicutt, F. Faylen, W. Cov, C. Nugent,
M. Hart, L. Thayer. Production : Wald Krasna-R.K.O., 1952.
Le plus constant privilège des parler maintenant du sérieux profond
maîtres est sans doute de tout voir de ce jeu : œuvre de. verve, soit, mais
tourner à leur avantage, et les défauts parce que Nicholas Ray est prodigue
les plus simples, plutôt que de les effa­ d'idées — qu’un grand sujet canalise-
cer ; si l’on s’étonne maintenant de parfois, et l’on n’oublie pas l’admirable
me voir faire bénéficier le dernier progression de La Maison dans l’Ombre
film de Nicholas Ray de cette loi, on — , qui s ’éparpillent ici au hasard de
se prépare mal à goûter une œuvre l’invention ; mais cette invention me
déconcertante et qui demande un peu frappe justement, constamment surpre­
d’amour, non d’indulgence ; loin de nante ; certes Ray n’est pas de ceux
Pen vouloir excuser, il faut aimer cette qui ignorent la valeur esthétique de la
désinvolture, ce fort agréable dédain surprise, et que le beau se doit d’êtrç
pour les décors, la plastique, les rac­ étonnant ; mais si l’imagination est la
cords de lumière, la justesse d’un reine des facultés, son royaume semble
second rôle, et reconnaître jusque dans bien s’amenuiser de jour en jour de
les gaucheries de cette verve, non la toute part ; et que l’invention puisse
caricature, mais la juvénile exagéra­ consister d’abord dans le simple plai­
tion d’un cinéma qui nous est cher, où sir de filmer, telle la liberté créatrice
tout est sacrifié à l’expression, à l’ef­ du pinceau sur la toile, voilà qui n’a
ficacité, au mordant d’un réflexe ou guère de chance d’être pris ici au
d’un regard ; il ne me déplaît pas qu’on sérieux. Et quand je parle d’idées,
exagère de cette sorte ; et l’amusement j’entends bien d’idées de mise en scène
de l’auteur que je sens percer parfois, ou même, dussé-je scandaliser, de
console de bien des films qui ne font cadrage ou de succession des plans, les
que nous communiquer les bâillements seules dont je veuille aujourd’hui recon­
du metteur en scène. Mais je voudrai naître la profondeur et qui puissent

Susaii H a y w a rd dan s T he Lusttj M a i de N fch o las Ray.

59
atteindre la figure secrète, but de toute et savent épuiser un développement.
œuvre d’art. Quand François Truffant Tout découle toujours d’une situation
rapproche Nicholas Ray de Bresson, simple où deux, trois êtres affrontent
j’observe en effet deux cinéastes éga­ quelques idées élémentaires et fonda­
lement obsédés par l’abstrait, dont mentales de l’existence. Et la véritable
l’unique souci est de rejoindre sans lutte se déroule en un seul, contre le
cesse au plus court ce visage idéal, et démon intérieur de la violence, ou d’un
que la maladresse y aille si la voici péché plus secret, qui semble lié à
plus prompte : on voit dans Les l'homme et à sa solitude ; il advient
Indomptables comment l’idée d’un rôle, parfois qu’une femme le sauve ; il
d’une scène, hâtivement esquissés, peut semble même qu’elle seule eh ait ici
l ’emporter parfois sur sa réalisation, Je pouvoir ; nous sommes loin de la
bonne ou mauvaise (mais comprendra' misogynie. .'
t-on en quelle estime je tiens Nicholas Nicholas Ray nous a toujours pro­
Ray si je le nomme un metteur en posé le récit d’une crise morale, dont
scène, non un réalisateur) ; comment l'homme sort vainqueur ou vaincu,
l’invention de chaque instant n’est que mais enfin lucide : vanité de la vio­
le souci de révéler (le nouveaux coups lence, de tout ce qui n’est pas le
de pioche, l’unique statue enfouie. bonheur et divertit l’homme de sa voca­
On comprend peut-être que la beauté tion profonde. .
ne lui est pas indifférente ; mais de Si l’art doit révéler « l’héroïsme de
quel côté la cherche-t-il ? (question la vie moderne », peu d’œuvres accom­
somme toute fondamentale). Je remar­ plissent mieux cc dessein. On remarque
que une certaine dilatation du détail pourtant que les personnages font vite
expressif, qui cesse d’être détail pour retraite, que le monde somme toute
entrer clans la trame — ainsi le goût n’intérvient guère ou, curieusement,
des gros plans dramatiques,, surpris pour leur nuire ; le salut est une affaire
dans le mouvement de la scène — et privée. Peut-être regrettera-t-on de voir
surtout la recherche d’une certaine ces héros se retirer si hâtivement sous
largeur du geste contemporain et l’in­ la tente ; on peut estimer aussi que ce
quiétude de la vie, anxiété perpétuelle n’est pas sans laisser au inonde sa
parente de celle des personnages, le chance, ni prolonger parfois inutile^
goût enfin du paroxysme, où les ins­ ment l ’épreuve ; mais à la société m o­
tants les plus reposés conservent derne, la solitude, sinon le mépris,
quelque chose de fiévreux et de pro­ n’est-elle pas souvent le plus juste
visoire. hommage ?
Quelques mots encore : Nicholas J acques R iv e tte
Ray est de ceux qui vont jusqu’au bout

DE LA GRANDEUR
PIERRE LE GRAND (deuxième partie), film russe de W l a d i m i r P e t r o v .
Scénario ; A. Tolstoï, W. Pétrov, N. Letchenko. Musique : Tcherbatchev. Inter­
prétation : N. Simonov, N, Tcherkassov, A. Tarassova. Production : Lenfilm,
Leningrad, 1938. .
Il y a plusieurs années, j’ai eu la ajoute le temps de la réflexion. Il est
rare chance de pouvoir voir dans l’Esl courant d’entendre dire par les détrac­
la version allemande complète de teurs du cinéma soviétique ou plutôt
Pierre le Grand. J’cn avais gardé le par ceux qui font illusion par une
souvenir d’une tumultueuse puissance, objectivité qui n’a d’objectivité que le
d’une fraternelle amitié aussi, pour nom, il est courant de les entendre dire
l'avoir vu au milieu de gens qui ve­ que ce cinéma a été grand, mais que
naient de quitter leur travail afin passée l’époque du Potemkine, de La
d’assister à la présentation, et c’est à Mère, il s’est perdu dans un confor­
l’unisson d’une même gloire que j’avais misme patriotique de mauvais aloi, et
été pris. ces mêmes personnes n’admettent que
Il en est de même aujourd’hui de­ de rares exceptions, très belles d’ail­
vant la seconde partie de Pierre Le leurs, comme Ivan le Terrible. C’est
Grand que nous offre le Cinéma d’essai très mal connaître et la Russie et le
dans sa version originale, mais il s’y cinéma soviétique, ce cinéma qui est

60
avec le cinéma américain le plus collé- il sortit, semble-t-il, victorieusement
rent du monde, et n’a pas eu a déplorer, avec Le retour de Vasili Bortnikov. Le
comme la plupart des cinémas natio- cinéma soviétique est un, son ambition
naux, des ruptures dans lès motifs est d’appréhender la condition du
d’inspiration. Ce cinéma s’est attaché, monde et d’aider à sa formation future,
depuis la période immédiatement post- Pierre le Grand que nous revoyons
révolutionnaire, et qui devait porter aujourd’hui est, à cet égard, bien signi-
l’enseignement direct de cette révolu- fleatif. On peut discuter, on peut rêver,
tion, à formuler le destin ■ de l’homme on peut ne pas admettre,' mais il faut
dans des phrases et des images pui- reconnaître que, passées les frontières
sées directement au patrimoine artis- du proche-Occident, les nuances, les ma-
tique naturel de l’U.R.S.S, Eisenstein et rivaudages, sur lesquels nous basons
Poudovkine, ne l’oublions pas, ont puisé, notre hypocrisie latente de la vie, n’ont
eux, pour la formation de leur art, aux plus cours. On ne peut plus échapper
sources d’un xix' r-jècle russe souvent par des compromissions plus ou moins
très étranger au peuple et en particu- honnêtes ; il s’agit de choisir entre le
lier très francisé. Cela n’amène d’ail- bien et le mal. Pour nous, bien sûr,
leurs aucune suspicion sur leur œuvre, cette différenciation extrême est liasar-
car ils surent comme un Tourgueniev, deuse et les.philosophes de notre temps
établir une synthèse des leçons occiden- ne l’acceptent pas, se réservant une
taies à travers l’homme russe, qu’ils vue claire, rationnelle avec ambiguïté,
saisissaient tous deux dans ses sensa- sur toutes choses. Pierre le Grand est
fions les plus originales. Le récit de le récit de cet antagonisme du bien et
leur crise, qui est aussi souvent le ' du mal dans la formation de la nation
récit de leurs films, peut nous per- russe. ,
mettre d’illustrer ces contradictions où La première partie nous apportait
le génie d’un Eisenstein s’exaspérera la vision du puissant Pierre essayant
avec la sublime fresque, qu’il laissa avec les caractéristiques du temps,
inachevée, Que Viva Mexico et le pathé- d’associer le peuple aux grandes réali-
tique, si implacable, de Ivan le Ter- sations, à son grand amour d’un pays
rible. Nous n’ignorons pas, d’autre libre. Nous ayant apporté ce message,
part, ce que fut l’impasse où se la seconde partie est plus profonde,
trouva acculé Poudovkine et dont elle sonde les âmes, les désirs et les

Nicolas T ch erk a ss o v et N icolas S im o n o v d a n s Pierre le Grand d e V la d im ir Pctro v .

61
amours. Wladimir Petrov se montre trahison s’accomplit devant celui qu’il
un historien direct, incisif et absolu­ va trahir, et cette trahison est beau­
ment libre ; il fait de Pierre ce carac­ coup moins l’intérct qu’une ancestrale
tère dynamique qui est à la source du envie de soumission à des forces malé-
travail et de l’action de l’homme russe, 'fiques. « Retourne vers tes prières,
pourvu du bel optimisme de ceux qui retourne vers eux et ils auront ta vie s>,
se savent dans la vérité. Mais à côté murmure le tsar. Le cancer s’est pré­
de cette joie et de cet allant, il a placé cisé. La comédie que va désormais
les tourments du tsarévitch Alexis ; jouer Pierre, sachant très bien qu’elle
voilà vraiment un portrait à l’honnêteté aboutira à la mort de son fiis, pour­
duquel on ne peut vraiment qu’applau­ rait être ignoble comme un jèu du
dir, car loin de faire d’Alexis le traître chat et de la souris, si l’on ne sp éci­
ridicule, vénal, aimant le pouvoir pour fiait pas que dans les atermoiements,
le pouvoir, les haines pour les haines, dans les hésitations, il y aura en défi­
figure, de traître qu’on nous a habitués nitive la lutte d’une conscience avec
à voir, il a fait d’Alexis un personnage elle-même, et que cette comédie qui
complexe, attachant, sur lequel on ne prend quelquefois les allures du rire
peut se pencher qu’avec une certaine comme chez tous les peuples forts,
affection, même si on le condamne. n’est que les prémices de la résolution
L’habileté de Petrov a voulu que les prise contre une partie de soi-même
deux antagonismes, les deux antago­ que l’on reconnaît comme mauvaise et
nistes soient, grâce à l’histoire, du que l’on arrache par une opération
même sang. Pierre et Alexis sont, an brutale et définitive. , ‘
fond, le même personnage. Il se trouve, 11 y aura la part du masochisme et de
pour la grandeur et pour la liberté, la grandeur, mais sans doute la gran­
que Pierre se doive de gagnevr, mais deur ne va pas sans masochisme, et l’on
il faut expliquer Alexis. La bonne ne peut que s’émouvoir du dernier
santé de l’un, bonne santé qui finira regard de Pierre à son fils, du regard
par triompher de la maladie de l’au­ qui l’abandonne mais qui le fait encore
tre, donne comme un cancer dont il sien, détournant les yeux dans la nuit,
faut se débarra'sser. Le climat du film se fondant avec la nuit du temps pour
est très précis là-dessus. Pierre n’est ne plus l’entendre, pour ne plus le voir
présenté que dans la lumière, que dans souffrir, et l’abandonner à une mort
la fougue des batailles, embrassant avec qu’il avait délibérément choisie.
force, avec joie, tandis qu’Alexis rôde On voit que cette pensée-là est ori­
dans la peur, dans le noir, dans les ginale et d’une profonde honnêteté.
ombres, devant un visage de femme Ayons de notre part l’honnêteté de ne
cupide. C’est vraiment une opposition pas nous étonner que tout un peuple
entre le blanc et le noir. Alexis fuit n’ait pas choisi la mort, et qu’ayant
comme s’il fuyait son ombre, et quand compris plus que tout autre l’immen­
il pleure, il pleure sur lui-même ; sité du bien mais aussi L’immensité du
Tcherkassov en a fait un visage très mal du monde, il se soit efforcé à
Karamazov et qui porte son propre combattre le mai, à le combattre sans
malheur. Quand Pierre, — par l’entre­ rémission, comme un personnage que
mise de ce comte Tolstoï qui nous est l’on reconnaît trop bien pour l’avoir
peint d’ailleurs avec une vérité qui ne au fond de soi, comme il est dans toute
nous le rend pas sympathique, quoique chose humaine, et qu’il ait réussi pour
agissant pour le bien du. tsstr, sa'figure une petite part, la politique, à le pres­
grasse de fouine n’évoquant que la que résorber. Le film en acquiert une
basse police, — a réussi à faire rentrer étrange puissance apologétique, qui
d’Italie son fils qui se préparait à lever aura sur nos sceptiques un bien mince
contre lui les armées impériales d’Au­ effet, car ils ne participent pas, ayant
triche, il lui demande dans une scène abandonné tous les efforts, toutes les
sans équivoque, dans une scène où est nouvelles créations du monde. Mais
vraiment laissée à l’homme toute la pour ceux qui, moins sceptiques, s ’es­
possibilité du choix — ou d’agir avec saient à la liberté, la leçon sera profi­
lui, ou de rentrer à Moscou retrouver table et on ne pourra en l’occurrence
les popes, les faux dignitaires qui com­ l’accuser de la moindre hypocrisie.
plotent et qui exploitent le bas peuple. Le film a été fait dans un bel élan ;
Alexis choisit de retourner à Moscou Wladimir Petrov a su comprendre qu’il
et c ’est à ce moment précis que, devant y avait des scènes où il lui fallait s’em­
le visage du tsar douloureusement porter, laisser la foule se déployer à
étonné, Alexis détourne les yeux, la sa gnise et d’autres moments où il fal­

62
)
lait dominer un sujet difficile, soit pour Voilà bien un hommage difficile, am­
mettre quelque répit, dans une scène bigu, volontaire, au peuple russe ; voilà
drôle, pittoresque, soit pour sonder les bien une critique de son comportement,
âmes inavouées. 11 s’est pour cela servi et cette critique se révèle à sa gloire,
de deux climats qu’il oppose, climats une gloire qu’il faut s’efforcer d’aimer
qu’il prend toujours à un moment déter­ pour la comprendre.
miné de leur évolution pour les résu­
mer par quelques notes suggestives, Mic h e l D orsday

LA REVUE DES REVUES


FRANCE

BIZARRE, numéro 1. — Tant qu’à louer que ce soit sans réserve, et c’est
pénétré de cet état d’esprit que je chanterai les mérites de ce n° 1 de B i z a r r e
qui semble succéder à L ’A g e d u C i n é m a , cette revue qui ne vécut que six mois
et que gâchaient parfois des collaborations inopportunes, évincées ici. Et puis,
B i z a r r e , n’est pas consacré exclusivement au cinéma. Dans ce premier numéro,
il est surtout question de Gaston Leroux, génial écrivain, génial scénariste.
Passons sous silence un article d’un certain Pierre Brasseur puisque nous
nous sommes promis de ne faire aucune réserve et venons-en à l’essentiel :
« Des nouvelles du Père Hue », recueillies par Pierre Dumayet, « Gaston Leroux
et le Cinéma », « Cinquante ans de science-fiction au cinéma », des textes de
Michel Laclos, Seldow, Romi, Sadeg Iîedaydat, etc... N’oublions surtout pas un
surprenant article d’Adonis Kyrou sur Luis Bunuel. Il est agréable pour moi
de voir un spécialiste de Bunuel dire le mépris dans lequel il tient Los Olvidados,
Subida el Cielo, Susanna la Perverse et blâmer le côté « concession aux bour­
geois » de ces films.
Mais ce qui est pliis agréable encore, c ’est que ce niiméro un vaut à Kyrou
et à ses amis d’être excommuniés du groupe surréaliste. André Breton, Benjamin
Perret, Robert Bennayoun et cette langouste enrhumée nommée Goldfayn
somment Kyrou et les siens de faire sans attendre leur auto-critique dans le
prochain numéro de M é d i u m , sans quoi des sanctions les viendraient châtier
de l’impudence qu’il y a à placer Gaston Leroux sur le même plan que
Raymond Roussel. Evidemment Kyrou ne songe pas un seul instant à s’exécuter
et cette scission ne peut qu’enchanter ceux qui, sans partager toujours les
idées de Kyrou, le tiennent cependant en grande estime et respectent l ’amour
qu’il porte à l’art que nous nous efforçons tous de servir selon nos moyens.
F .T.
ITALIE

BIANCO E NERO, n" 8-9, dédié à la XIV' Mostra d’Art Cinématographique


à Venise. —• Le sommaire de ce numéro de B ï a n c o e N e r o est presqu’exclu-
sivement dû à des critiques français ou de langue française. Il est en effet
consacré au cinéma français muet dont la Cinémathèque assurait la rétrospective
au Festival de Venise. Relevons parmi les quinze articles qui y figurent : celui
de Georges Sadoul sur les pionniers, de Pierre Kast sur le burlesque, d’Ado
Kyrou sur la deuxième avant-garde française, de Sales Gomes sur Jean Vigo,
d’André Bazin sur les films muets de Jean Renoir. Mais il faudrait encore
mentionner : Henri Langlois, Charles Ford, Jean Mitry, Léon Moussinae, Simone
Diibreuilli, Roger Régent, Nino Frank... Souhaitons de' voir quelque jour publiés
en français ces textes dont on est reconnaissant à B t a k c o e N e r o d’avoir pro­
voqué la rédaction.
A.B.

63
CORRESPONDANCE
; Messieurs les Rédacteurs en Chef des Cahiers du Cinéma,
Votre triple instance ayant laissé imprimer, avec mon nom tout spéciale­
ment mis au pilori, lin vénimeux article par lequel M. Truffant prétend rendre
compte du dernier numéro de T é l é - C i n é consacré à Jean Renoir, je tiens à
protester ici au nom de tous mes « complices ».
M. Truffaut croit voir dans notre publication un « hommage à Renoir ».
Nous laisserons à son zèle le soin de dresser des autels et de sonner l’office.
Préférant admirer Renoir comme homme plutôt que comme dieu, nous nous
sommes contentés d’une étude critique pour aider à saisir la très grande richesse
de son oeuvre. Vous-mêmes avez publié les réserves d’André Bazin sur l’œuvre
secondaire du cinéaste ( C a h i e r s d u C i n é m a n° 8 ) , sans compter (n” 2 4 , p. 3 5 )
un jugement extraordinairement sévère sur Le _ Carrosse d’Or, dont l’en-tête
expliquait qu’après tout « aucun réalisateur n’est à priori tabou à vos yeux ».
Vérité en deçà des Champs-Elysées...
M. Truffaut tourne sa vertueuse indignation contre nos erreurs (non préci­
sées) dans les génériques. Rendons à César ce qui est à C é s a r : nous les avons
puisées dans un ancien et fort intéressant numéro de C i n é - C l u b sur Renoir ainsi
que dans le... numéro 8 des C a h i e r s d u C i n é m a . M. Truffaut me paraît donc
tout indiqué pour vérifier éventuellement votre fichier, non sans que vous
signaliez à sa jeune expérience les divergences si fréquentes dans les diverses
sources de documentation.
Nous protes'tons expressément contre les mutilations de textes grâce aux­
quelles M. Truffaut prétend ridiculement faire de nous les adversaires de
Renoir. Il suffit de lire notre étude pour être persuadé du contraire ; la fai­
blesse des films « alimentaires » de Renoir, dont convient tout le monde — lui
pour commencer •—- et certaines critiques, toujours motivées d’explications,
portées dans T é l é - C i n é sur quelques autres œuvres, sont très largement compen­
sées par les éléments contraires. La malhonnêteté de M. TrufTaut, constante à
chaque ligne, est particulièrement odieuse en ce qui concerne La Partie de
Campagne et Le. Carrosse d ’Or (à propos duquel M. Doniol-Valcroze note dans
votre miméro 21, p. 4G, que les dialogues français souffrent de n’être pas ceux
de la version originale).
; Si c’est du jargon technique de dire — sans prétention aucune — que les
cadrages (dans La , Grande Illusion) ne sont jamais gratuits, nous demanderons
à'M. Truffant ce qu’il a voulu signifier — entre autres — par « contre-champ
imaginaire » ( C a h i e r s n ” 23, p. 58) et ce qu’il pense de son collègue (n® 24,
p. 40) qui après avoir parlé à propos de Rasho-Mon de découpage et de fondu-
enchaîné, ajoute : « Il y a des effets savants et connus, mais rien n’est grossier
ôu gratuit. » - 1
Je suggère à M. Truffaut, chez qui la détraction gratuite semble une arme
ordinaire (une demi douzaine de confrères dans ce seul numéro !) la création
immédiate aux C a h i e r s — où d’ailleurs écrivent plusieurs de nos détestables
collaborateurs — d’un comité de vigilance. A moins que j’use de ses propres
termes en concluant que la mauvaise foi, l’incapacité et la suffisance se sont
unies pour faire naître ce méchant article. La bave, sans assurer l’éternité, peut
quelquefois aider à faire carrière...
• En vous demandant de bien vouloir insérer, selon l’usage, la présente
réponse, je vous prie d’agréer, Messieurs, mes sentiments distingués.
J e a n D ’Y v o t r e
Monsieur, .
Je reconnais en effet avoir fait preuve à votre égard d ’une dureté extrême,
me bornant à citer vos propres phrases. Il me serait aisé, croyez-le bien, de
vous répondre et de me justifier, comme il vous serait facile ensuite de m e
répondre encore. En dépit des apparences, je ne prise guère la polémique, surtout
lorsqu’elle laisse une si belle part à l’individuel. Aussi bien je renonce à pour­
suivre cet ennuyeux dialogue, me reconnaissant le seul tort de l’avoir suscite.
Ainsi j’en appelle à vos lecteurs, Monsieur, et aux miens, puisqu’en définitive
c'est toujours au public qu’il nous faudra nous en remettre. — F.T.

Le Directeur-Gérant : L. K e i g e l ,
I m p r im e r ie H é r is s e y, Evrenx, N" 1085. — D ép ôt légal : 4" trimestre 1953.
1819-1952

Toute technique évolue...


y compris celle de la garantie
Comme son arrière-grand-père, l’homme
de 1952 souscrit des contrats d’assu­
rance. Mais ces contrats sont adaptés
aux circonstances actuelles. Ils accor­
dent des garanties illimitées. Ils ne
comportent pas de déclaration de '
capitaux. '

L ’homme moderne s’adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819

m ais toujours à l ’avant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent :


C’E ST L A COMPAGNIE D’A SSU RAN C ES DU CINÉM A
E T DE L ’É L ITE ARTISTIQ U E F R A N Ç A IS E

33, RUE LAFAYETTE - PARIS-1X* - TRI. 98-90


M SERVICE P . A . 1. pour PARIS — P . R . I . peur U PROVINCE = =
LA SALLE DE L'ELITE

36, CHAMPS- ÉLYSÉES. P A R I S - 8 ' - ÉLYsées 24-89

P rinte d In France P R IX D U NUMÉRO : 250 F R A I

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