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CAHIERS

DU CINÉMA

ItEVUE M EN SUE LL E DU CINÉMA • OCTOBRE 1 9 5 7 *


75
\
Tous les procédés, en noir et en couleurs

LABORATOIRES
FRANÇAIS
C.T.M.
G ENN EV ILLI ER S

ÉCLAIR
EPINAY

G.T.C.
J OIN VILLE

L. T. C. FRANAY
SAINT=CLOUD

LIANO
MALAKOFF

TIRAGE 16
M ONTR E UIL

S.I.M.
SAINT-MAUR

TECHNICOLOR
JOIN VILLE

QUALITÉ ET RAPIDITÉ
Kirk Douglas et Burt Lancaster sont les intrépides héros du film P a r a m o t jn t en
et en T e c h n i c o l o r , REGLEMENTS DE COMPTES A O.K. CORRAL
V i s t a V i s io n
('Gunfight ai the O.K.' Corral), dont la mise en scène a été assurée par John Sturges.

1
Cahiers du Cinéma
N O T R E CO U V E R T U R E

OCTOBRE 1957 TOME X III — N° 75

SOMMAI RE
Robert Bresson ........... Propos .............................................................. 3
Jean Semolué ............ Les personnages de Robert Bresson ......... 10
G i u l e tt a Mas ina e t François Jean Cocteau .............. Les Dames du Bois de Boulogne (dialogue). 16
Périer dans LES NUI TS DE
CABIRIA, de Federico Fellini. H enri Colpi ................... Un Roi à Saint-CIoud .................................. 25
Pour son extraordinaire créa­
tion, G iu letta Masina a rem­ François Mars ........... Lorèléardi est mort .............. ........................ 31
porté le G rand Prix d’in te r­
p rétatio n F ém inine au F esti­ A. Bazin, .T. Domarchi,
val de Cannes 7957. (Co-pro. E. Rohmer et L.-H.
cïuction L e s F i l m s M a r c e a u - Eisner ....................... Venise 1957 ..................................................... 35
D i n o D e L a u h e n t i s , distribuée
par L e s F i l m s M a r c e a u ) . A* Bazin, J. Domarchi
et Ch. Bîtsch ......... Petit Journal du Cinéma .............................. 47

Les Films
J. Doniol-Valcroze __ XJne robe de tulle bleu ciel (Le Amiche) .. 53
Claude de Givray ....... Les éternels marris (The Teahouse of the
August Moon et The Bachelors’ Party) .. 56
Notes sur d'autres films (Abandon Ship !, The Girl on the Red
Velvet Swing, L’ombre) ............................. 58

Filmographie de Robert Bresson .............................................................. 24


Films sortis du 7 août au 17 septembre 1957 ....................................... 61

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle du Cinéma


Ne m anquez pas de prendre 146, Champs-Elysées, PARIS (8e) - Elysëes 05-38 - Rédacteurs e n ch e f
page 52 : André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze e t Eric Rohmer.

LE CONSEIL DES DIX Tous droits réservés — Copyright by les Edifions de l’Etoilc

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PROPOS DE
ROBERT BRESSON

(Sténographie d'une conférence


de presse)

A Cannes, le mardi 14 mai 1957, Un Condamné à mort s ’est échappé de Robert Bresson,
seul film français, avec Celui qui doit mourir, sélectionné pour le Festival, était projeté en
matinée au Heu quJen soirée, en raison de l'hostilité des organisateurs à 'l’égard de cette
œuvre qui devait néanmoins remporter le prix de la meilleure mise en scène.
Le lendemain à onze heures, Robert Bresson acceptait de rencontrer les journalistes
et de répondre à leurs questions. Le texte que nous publions ici n'est autre que la relation
sténographiée de cette « conférence de presse », animée par notre confrère Denis Marion, et
à laquelle assistait le principal interprète au film, François Leterrier.
Absent de Paris, Robert Bresson nJa jamais pris connaissance de cette sténographie et,
par conséquent, n'a ja m a is e n la p o s s ib ilité à'y changer ou retrancher quoi que ce soit.
D'où le ton « parlé » et sans apprêt de cette causerie que nous rapportons telle quelle, sans
ornement.
Les réponses de Robert Bresson aux questions de R.-M. Artaud, André Bazin, Louis
Marcorelles, Denis Marion, Georges Sadoul, J.-L. Tallenay, François Truffant et de plusieurs
confrères étrangers constituent une véritable profession de foi, d'autant plus précieuse
pour nos lecteurs qu'ils savent avec quelle parcimonie l’auteur des Dames du Bois de
Boulogne livre d’ordinaire sur son travail îes réflexions indispensables à la parfaite com­
préhension de celui-ci.

— Il semble qa’Un Condamné à mort s ’est échappé soit un succès commercial ?


— Oui, en effet. Il s ’agit de savoir ce qu’est le public. J ’entends par public le vrai
public, le gros public, tout le monde enfin ; je crois beaucoup à la grande qualité de ce
public, beaucoup plus subtil qu’on ne le pense. On peut le prendre par le bas, ce qu’on
fait quelquefois, mais si on le prend par le haut, on le touche très fort.
— Avez-vous été frappé par Vhistoire, telle qu’elle était racontée, ou par ce qui pouvait
être montré, en se servant de cette histoire comme d’un prétexte ?
— Vous savez... vous me demandez des choses que je ne me suis pas demandées à
moi-même... Je me rappelle la lecture que j ’ai faite de ce récit : c ’était un récit très précis,
très technique même, de l ’évasion. Je me rappelle cette lecture et je me souviens qu’elle
me fît l ’effet d ’une chose d’une grande beauté : c ’était écrit dans un ton extrêmement
précis, très froid, et même la construction du récit était très belle- Cela avait beaucoup

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de grandeur. 11 y avait à la fois cette froideur et cette simplicité qui font que l ’on sent qu&
c ’est l ’œuvre d’un homme qui écrit avec son cœur c ’est quelque chose de très rare.
Et comme je cherche toujours, et avant tout, un sujet qui puisse contenter à la fois le
producteur avec lequel je travaille et moi-même, et de plus quelque chose qui soit très
près de la vérité —= car si je parle d’une chose fausse, il m ’est très difficile de redresser
cette fausseté pour arriver à une vérité — j’ai trouvé que ce sujet réunissait tou tes'les
qualités.
— N ’y a-t-il pas dans Un Condamné à mort un certain aspect documentaire ?
— Mais j’ai bien voulu que ce soit presque un documentaire. J ’ai gardé un ton
frisant le documentaire pour conserver cet aspect de vrai, tout le temps,
— Est-ce pour cette raison que vous manifestez une certaine hostilité à l ’égard des
acteurs professionnels ? .
— Mais ce n ’est pas une hostilité du tout, ne croyez pas cela. Je crois que le cinéma
est dans Une ornière, qu’il a un langage propre, des moyens propres, et que, depuis qu’il
existe, il se trompe, c’est-à-dire qu’il cherche à s ’exprimer par des moyens qui sont ceux
du théâtre. Or, il y a des acteurs merveilleux, que j’admire au théâtre. Croyez bien
d’ailleurs que cela me donne un tel mal de ne pas prendre d’acteurs, que ce n ’est pas
pour mon plaisir que je le fais. Mais je crois au langage très particulier du cinéma et je
pense que, dès que l ’on essaye de s ’exprimer par la mimique, par les gestes, par des
effets de voix, cela ne peut plus être du cinéma, cela devient du théâtre photographié.
Et pour moi, cela prend une telle évidence que j ’ai l ’impression d’enfoncer des portes
ouvertes.
J ’ai vu ici des films qui, bien sûr, s ’expriment par la mimique, les gestes, les intona­
tions des acteurs, puisqu’ils font tous ainsi. Par exempte j ’admire Charlie Chaplin, sauf
■ceux de ses films qui s ’expriment par la mimique. Le cinéma n ’est pas cela : il doit
s ’exprimer non pas par des images, mais par des rapports d’images, ce qui n ’est pas du
toüt.la même chose. De même un peintre ne s ’exprime pas par des couleurs, mais par des
rapports de couleurs ; un bleu, est un bleu en lui-même, mais s ’il est à côté d’un vert, ou
d’un rouge, ou d’un jaune, ce n ’est plus le même bleu : il change. Il faut arriver à Ce
qu’un film joue des rapports d’images ; il y a une image, puis une autre qui a des valeurs
de rapport, c ’est-à-dire que cette première image est neutre et que, tout à coup, mise en
présence d’une autre, elle vibre, la vie y fait irruption : et ce n ’est pas tellement la vie
de l’histoire, des personnages, c ’est la vie du film. A partir du moment où l’image vit, on
fait du cinéma.
C ’est pourquoi je n ’ai aucune hostilité à l ’égard des acteurs, au contraire ; si je le
pouvais, j’en employerais certains que j’admire, mais il se trouve qu’ils ont beaucoup plus
de mal à ne pas jouer que les gens de la rue à être simples, encore que bien des gens
dans la vie jouent la comédie, surtout lorsque ce sont des enfants : les enfants au cinéma
sont pour moi une chose effrayante. Mais surtout, mon système permet, en se donnant
beaucoup de mal, de trouver chez l ’interprète, non pas une ressemblance physique et de le
choisir parce qu’il est blond ou brun, grand ou petit, mais une ressemblance morale, si
bien qu’à partir du moment où il prendra part au travail du film, il n ’aura qu’à être lui-
même.
— ]e croîs que ce que dit M. Bresson est très vrai, car nous sommes ici dans un
endroit où les films se transforment en pièces de théâtre, c'est-à-dire où Von applaudit 'les
numéros d'acteurs, ou bien chaque fois qu'un ton est plus haut que l'autre, qu'une image-
est plus haute que l'autre. Et si Un Condamné à mort s ’est échappé a été le plus applaudi
à la fin, c'est le seul film à ne pas l'avoir été en cours de projection.
— Oui. On a voulu faire du cinéma un théâtre photographié qui n ’a pas du tout le
brillant du théâtre, puisqu’il n ’y a même plus la présence physique, la présence en chair
et en os. II y a simplement des ombres, des ombres de théâtre.
— Ne croyez-vous pas que pour devenir comédien il faille un certain nombre de traits\
qui font que tous les comédiens se ressemblent et qu'on finit par ne plus trouver parmi
eux autant de « têtes », de personnages que dans la vie ?
— En effet. Pour un acteur, il ne faut plus être soi-même, il faut être un autre. Il se
passe alors une chose bizarre : cet appareil qu’est la caméra prend tout, n ’est-ce pas, c ’est-
à-dire qu’elle prend l ’acteur qui est lui-même et un autre à la fois. Si on veut bien regarder

4
Un condamné à m ort s’est échappé.

cela de très près, on volt immédiatement qu’il y a du faux : le résultat n ’est pas vrai.
Au cinéma, dès que c'est vrai, on touche, et on touche tellement fort qu’au fond on peut
toucher avec des riens, avec des choses très subtiles.
— N'est-ce pas parce que certains réalisateurs cherchent des personnages qu’on voit?
dans la vie, mais quJon ne trouve pas dans le monde des comédiens, qu'ils sont amenés
à prendre des interprètes non professionnels ?
—■ Bien sûr. Seulement, ce quî rend la chose presque infaisable, c ’est que le cinéma
est maintenant parti : c ’est un engrenage, une sorte d’institution ayant ses équipes d’acteurs,
qui deviennent d’ailleurs des équipes internationales ; au fond, on ne fait plus de films
qu’avec sept acteurs pour le monde entier. Mais le public en a assez, j ’en suis sûr. Cela
va durer encore un an ou deux peut-être, et l ’on trouvera alors un faux moyen pour sortir
de l ’impasse, je suis sûr que le mal vient de là, parce qu’un acteur n ’est pas une personne
vraie, mais un autre que lui-même et aussi parce que, comme vous le disiez, ils sont tous
pareils : ils arrivent à se copier les uns les autres. Moi, je ne reconnais plus les voix :
ils ont tous la même voix, les mêmes gestes, la même mimique. On fait d es. films qui
peuvent être au départ tirés de Victor Hugo, d’Hemingway ou de je ne sais1 qui : à
l ’arrivée on a le même film.
— Ne croyez-vous pas que tous vos personnages en fin de compte vous ressemblent r
— Comment voulez-vous qu’ils me ressemblent ? Chaque être humain est tellement
unique, à un seul exemplaire. Mes personnages me ressemblent dans la mesure où ils
épousent ma façon de voir, de sentir. Bon. C ’est par là, Je crois qu’un auteur de films
peut montrer sa personnalité ■. comment la montrerait-}! sans cela ?
Mais je crois que vous pensez tous à un cinéma qui est un spectacle. Or, le cinéma
n ’est pas un spectacle, c ’est une écriture, une écriture par laquelle on essaye de s ’expri­
mer avec d ’horribles difficultés, parce qu’il y a tant de choses entre vous-même et l ’écran :
il faut remuer tant de montagnes, tant de chaînes de montagnes, que vous faites ce que vous
pouvez pour arriver à vous exprimer. Mais vous ne pouvez changer l ’être intime de

S
l’interprète ; un regard authentique est une chose que vous ne pouvez inventer : quand vous
l’attrapez,. c’est admirable. Admirable aussi une certaine expression que vous n ’avez pas
voulue. IF fau t se faire des surprises avec les interprètes : alors vous avez des choses
extraordinaires. Mais si vous prenez un acteur, vous n ’avez aucune surprise. C ’est bien
pourquoi les distributeurs et les producteurs les prennent.
En réalité, ce qui est beau dans un film, ce que je cherche, c’est une marche vers;
l ’inconnu. Il faut que le public sente que je vais vers l ’inconnu, que je ne sais pas à l’avance
ce qui va arriver. Je ne le sais pas parce que je ne connais pas à fond mon interprète,
bien que je l’aie choisi avec autant de précautions que possible. C ’est merveilleux de
découvrir un homme au fur et à mesure que l’on avance dans un film, au lieu de savoir
à l ’avance ce qui sera... qui, en fait, ne serait rien que la fausse personnalité d’un acteur.
Dans un film, il faut avoir ce sentiment d’une découverte de l ’hommej d’une découverte
profonde. En tout cas, la donnée, c ’est la nature, l’homme : ce n ’est pas l ’acteur. Il faut
revenir' à la nature ; il faut beaucoup chercher, avoir les moyens de chercher plus.
— A ces acteurs non professionnels, vous donnez peut-être le goût de devenir
comédien ?
— Non, justement pas. Je donne le goût de ne pas devenir comédien:
— Monsieur Leterrier, aviez-vous pendant le tournage du Condamné le sentiment de
vous exprimer totalement ou d’être entre les mains d’un être qui vous transformait com­
plètement ?
— J’avais le sentiment d’être très circonscrit, très dirigé, tout simplement.
— Ce n'est pas difficile à comprendre... Il ne faut pas croire qu’on arrive au vrai par
le vrai. J ’essaye d’arriver au vrai par quelque chose de... mécanique, si vous voulez. Ce sen­
timent qu’a Leterrier d’avoir été manœuvré par moi est dû à cette mécanique, nécessaire pour
arriver à quelque chose de beaucoup plus vrai, qui est lui-même.
— Avez-vous cherché en quelque. sorte à révéler François Leterrier à lui-même à
travers votre film ou à l'intêgrer à votre film selon votre propre conception ?

Un condamné m ort s’est échappé.

6
Un condamné à m ort s’est échappé.

— Les deux... C ’est-à-dire, j ’invente ce qu’il est. Mais avant de tourner, nous nous
voyions tous les jours, nous parlions, et j ’étais sûr de ne pas me tromper, d’avoir trouvé
avec lui le personnage que je cherchais. Cela a duré très longtemps ; cela ne s ’est pas
décidé dans un bureau, par un coup de téléphone donné à quelqu’un qu’on ne connaît pas,
mais à la suite d’une fréquentation constante.
— Voilà qui me permet de poser une autre question : combien de temps vous a-t-il fallu
pour la préparation et le fournage d'Un Condamné à mort s ’est échappé ?
— Cela a été assez rapide. J ’ai eu le temps d’y penser pendant six mois environ sans
travailler ; je crois que j ’ai écrit le dialogue en deux mois' et demi ou trois mois. J ’ai eu
une chance extraordinaire, parce qtie j ’ai pu préparer le film et trouver tout le monde en
deux mois et demi ou trois mois aussi, je ne me rappelle plus bien. J ’ai tourné à peu près-
dans le même temps, c ’est-à-dire deux mois et demi, et j ’ai fait le montage en trois mois
environ. C’est rapide pour moi.
— Le mysticisme que beaucoup d'entre nous voient dam votre film, Vy avez-vous mis,
s ’y est-il introduit en dehors de votre contrôle, ou est-ce qu'à votre avis il n’y est pas ?
— Je ne sais pas ce que vous entendez par mysticisme... Non, je crois que tout ce qui
est dans un film est ce qu’on n ’y a pas mis. Il faut arriver à mettre des choses sans les
mettre, c ’est-à-dire qu’il faut que tout ce qui est important n’y soit pas au départ et y soit
à l ’arrivée. Alors, ce que vous venez d’appeler mysticisme doit venir de ce que, moi, je sens
dans une prison, c ’est-à-dire, comme le second titre Le Vent souffle où il veut l ’indique, ces
courants extraordinaires, la présence de quelque chose ou de quelqu’un, appelez cela comme
vous voudrez, qui fait qu’il y a une main qui dirige tout. Les prisonniers sont très sensi­
bles à cette atmosphère curieuse, qui n ’est d’ailleurs pas du tout une atmosphère drama­
tique : cela se place à un niveau beaucoup plus haut. Il n ’y a pas de drame dans une prison ;
on entend fusiller les gens, mais on ne fait pas de grimaces pour cela : c’est normal, celaj
fait partie de la vie de la prison. Tout le drame est intérieur.
D’un point de vue tout à fait concret et matériel, j ’ai cherché bien sûr à mettre danss
les contacts entre prisonniers cette chose curieuse : simplement parce qu’on s ’est dit trois
mots, tout à coup toute la vie est changée. C’est comme cela dans les prisons.
— Pourquoi avons-nous pour touts les personnages une idée de leurs antécédents, de

7
leurs rapports avec le monde extérieur, sauf pour Je personnage central qui n’est ratta­
ché à rien ?
— Il n ’est rattaché à rien, parce que nous sommes avec lui. Ce qui nous donne
d'ailleurs cette impression d’être avec lui, c ’est peut-être qu'au fond nous n ’en savons pas
plus que lui sur lui-même.
—- Est-ce pour celte raison que vous avez supprimé tout ce qui se passe après Vévasion
dans le récit original ?
— Oh, non ! C 'est pour une simple raison de composition. Il fallait que ce soit rond :
cela devait commencer là et se terminer là. Sans cela, on pouvait continuer à l ’infini et
raconter les aventures de Devigny en Algérie. Mais il y a des exigences de composition,
un rythme à suivre, un moment où l ’on doit s ’arrêter. Lorsqu’un menuisier fait une table,
il finit par la raboter, le pied vient à tel endroit : tout se construit d’une façon qui ne peut
pas être changée.
Il faut faire des films comme on écrit, c'est-à-dire avec des sentiments ; ce qui est si
difficile dans le cinéma, c’est d’arriver à s ’exprimer, à faire sentir ce que l ’on sent, au
lieu de faire une histoire, un spectacle si vous voulez, bien ou mal composé.
— Vos quatre films sont tirés d'œuvres existant auparavant. Mais l'argument de départ
n'a pas beaucoup d’importance ?
— Si ce n ’est que cela nous aide, nous, auteurs de films, à nous entendre à l ’avance
sur ce que l ’on va développer, au lieu de nous mettre à un travail qui est long, très long
pour moi, sans aucune garantie. C ’est un peu une paresse.
— Eprouvez-vous la nécessité de créer un jour une œuvre entièrement par vous-
même ?
— J ’ai écrit de toutes pièces le film que je vais faire, et le suivant aussi.
— .Une chose a beaucoup impressionné les gens : Veüipse de la mort de la sentinelle,
qui fut considérée comme un effet. L'avez-vous faîte parce que vous vous refusez à filmer
la mort — on ne voyait pas non plus celle du curé de campagne — ou bien parce que ce
n'était qu'un détail de l'évasion ? '
—■ Je ne peux pas répondre directement à cette question. Je vous dirai simplement
que si j'avais montré la mort de la sentinelle, le film aurait tout à coup été décalé par
rapport à ce qu’il était avant. Si le film a vraiment la puissance d ’émotion que certains luü
reconnaissent, cela vient de ce qu’il n ’y a pas d’erreurs de jugement : non seulement je
n ’avais aucune envie de montrer cela, parce que cela ne m ’intéressait pas, mais aussi il ne
faut pas se tromper dans ce qu’on montre et dans ce qu’on ne montre pas, surtout dans
ce qu’on ne montre pas. Depuis le début du film, il y a'des' choses plus importantes que cela
que je n ’ai pas montrées, sans réfléchir fort d’ailleurs : c ’est venu de ma façon de voir et
dé sentir.
— Mais n'avez-vous pas une certaine répugnance à filmer la mort ?
— Le sujet n ’est pas dans ces mains qui étranglent ; il est ailleurs, dans ces courants
qui passent. À ce moment-îà, les objets sont — c'est assez curieux ■— beaucoup plus impor­
tants que les personnages. La terrasse là-haut, ce mur, ce noir, le bruit du train sont plus
importants encore que ce qui se passe. Les objets et les bruits sont alors, dans un sens
mystique si vous voulez, en communion intime avec l’homme, et c’est beaucoup plus
grave, plus important que des mains qui étranglent une sentinelle.
— Souhaitez-vous être suivi ? Souhaitez-vous l'avènement d'une école Bresson- ?
— Non, une école sûrement pas. Mais je souhaiterais ne pas être seul pour arriver à
sortir de cette ornière. Cela m ’arrangerait beaucoup, parce que c ’est très difficile de rester
seul : je ne peux pas me défendre... encore que je ne lutte pas tellement.
— Mais des films essayant de ressembler aux vôtres, sans les singer, et n'y parvenant
pas parce que e ‘est très difficile, vous mettraient probablement plus en colère que les mauvais
films courants ?
' — Oui... oui, sans doute.
— Avez-vous des rapports avec d'autres auteurs de films ?

8
— Hélas 3... Maintenant, je dois dire que c ’est ma faute, parce que je ne vais pas
voir leurs films. Mais je ne peux pas les voir, parce que je sens la faute commise et je
me dis que je serais complice. Ce n ’est pas du tout que ces films n ’aient pas d’intérêt, au
contraire ; il y a de l ’invention dans tous les films, mais moi, personnellement, je ne peux
pas les supporter. Vous voyez,‘je souhaite vraiment beaucoup, non pas qu’on fasse des
films à ma manière, mais qu’on change de champ, que le cinéma cesse d ’être du théâtre;
photographié, c’est tout.
— Alors vous pensez que chaque film est un échec ?
— Du point de vue du théâtre filmé, c’est très bien. Du point de vue cinématographique,
c ’est un échec total.
— Que pensez-vous d'Alfred Hitchcock ?
— Je n ’ai pas vu ses films.
— Avez-vous un sentiment de malaise en voyant les films de Dreyer ?
— Je ne les vois pas. Attendez... J ’ai vu... j ’a i'v u Jeanne d'Arc il y a deux ans.
Alors là, le malaise est très grand. Je comprends qu’à son époque ce film ait fait une
petite révolution, mais maintenant je ne vois plus chez tous les acteurs que les horribles
pitreries, des grimaces épouvantables qui me font fuir.

Un condamné à mort s’est échappé.

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LES P E R S O N N A G E S
DE ROBERT BRESSON

par Jean Sémolué

Car vous ne respirez qu'autant que je vous aime.


• RACINE.

Je prop ose une définition non p a s exhaustive, m a is essentielle du g ra n d m e tte u r


en film : celui qui sait im poser d e façon évidente les rapports de certains v isa g e s
a v ec u n climat et des objets donnés, com m e l'ad m irab le, l'étonnant Eisenstein du
Q ue v iv a M exico, seul au teu r qui a it d é p a s s é le F laherty de M oana ou des H om m es
d 'A ia n — ou encore les rapp orts d e certains v isag es av ec une histoire, ou plutôt
un sujet donné, com m e D reyer ou Bresson,
C es rapports p ara isse n t d e plus en plus m a rq u é s d a n s ch a q u e n o u veau film de
Robert Bresson, car la présentation en est d ev enue de plus en plus affirm ative. Les
A n g e s d u Péché restaien t d e fac tu re à p eu p rè s traditionnelle ; si A nne-M arie était
l'âm e du film, T hérèse ÿ com ptait a u ta n t qu'elle et au cu n d es nom breux p e rso n n a g e s
n 'était n é g lig e a b le ; le ton d e l a n arratio n dem eurait en a p p a re n c e im personnel. En
revanche, Les D ames du Bois d e Boulogne n e p ren aien t tout leur se n s et, p arta n t,
tout leu r intérêt que si le sp ectateu r faisait l'effort d e voir le film en q u elq u e sorte
p a r les yeux d'H élène, p a r le c œ u r et la volonté d'H élène (bien qu'il pût se m ettre
p resq ue aussi souvent à la p la c e d'A gnès, ce qui constitue u n e p artie d e la richesse
de l'œ uvre). Cet effort est ép a rg n é d a n s les deux films suivants qui ont fran ch em en t
opté pour le récit personnel, indisp ensable peut-être d an s Le Journal d 'u n C uré de
C am pagne, justifié d u m oins p a r la p résen ce m atérielle d es cahiers de ce journal,
m oins justifié p a r le s faits d a n s Le Venf souffle où il veut, m ais enco re plus indis­
p ensab le d u point de vue du style. (La voix volontairem ent b la n c h e des deu x réci­
tants est curieusem ent anno ncée p a r le ton « m o nacal » d e Sylvie, m ère su p é rie u re
des Anges, ou « m aladro it » d e P au l B ernard d an s Les Dames.) Le style d e Bresson
s'est ainsi affirm é de film e n film. Le plus sim ple, a u point de départ, est d e dire
q ue chaq ue film d e l'auteur, et chacun d 'eux de plu s en p lu s nettem ent, est l'affir­
m ation d e la p résen ce d'un p erso nnage.
M ais quels rap p o rts entre ces p e rs o n n a g e s ? Q uels rapports entre la je u n e reli­
gieu se d es A nges du Péché, la m o n d a in e d es D am es, le cu ré d e c a m p a g n e et le p ri­
sonnier d u Venf souffJe où il v e u t ? Peu de rapports sociaux, p e u m ême, semble-t-il,
d e rapports psychologiques. Là encore un sim ple ex am en des films et d e le u r ton
v a nous renseigner. Com me la présentation g én é rale d es films de Bresson constitue,
d e p lus en plus nettem ent, l'affirm ation d 'u n p erso n n a g e central, le récit p rop rem ent
dit expose la ténacité de ce p erso n n ag e : A nne-M arie, jeun e fille du m on de d ev e n u e
religieuse p a r vocation, accum ule m a la d re sse s et erreu rs e n voulant réh ab iliter u n e
ancien ne cnm înelle, c’est-à-dire lu i donner l a foi. Elle e n m ourra, m ais, e n m ourant,
sa u v era l'aime rebelle de sa com pagne. — H élène, d élaissée p a r le an , tire u n e jeu n e
fille de la m isère et d e la d ébauch e, le s m e t en p résen ce et diaboliquem ent p o u sse
de p art et d 'au tre a u m a riag e à seu le fin de révéler à le a n q u e celle qu 'il a ép o u sé

10
Anne-Marie.

est indigne de lui. — Le jeune cu ré d'A m bricourt, m iné p a r la m alad ie, p eu com pris
d e se s supérieurs, en butte à l'hostilité du v illag e et des châtelains, transform e tous ces
obstacles en étapes d e la sainteté, atteinte enfin d an s une ag o n ie solitaire. —
Le lieutenant Fontaine, en dépit d es difficultés, p ré p a re m inutieusem ent son évasion
de la prison où il est enferm é et l a m èn e à bien. — Donc les qu atre films nous m on­
trent les relations difficiles d 'u n e ce rtain e â m e d'élite av ec le m onde, relations sy m ­
bolisées p a r une conversion, u n e v en g e an c e, un calvaire vers la sainteté, u n e évasion
vers la liberté. Le but étant d 'esse n ce m ystiqu e d an s Les A n g e s et Le Journal, la
construction de ces films, quoique très progressive, est plus floue ; elle est d 'u n e
netteté im placable d an s les deux a u tre s c a r tous deux sont des « m achinations ».
M ais Je ton d'ensem hJe est le m ê m e ; c 'e st que les p erso n n ag es d 'u n g ra n d créateur,
F ran cesca ou V erm eer, M ichel-Ange ou Balzac, Racine ou Bresson, n e sont p a s des
entraves à l'esthétique d u créateur, ils font p artie de cette esthétique. E ssayons cepen­
dant de les voir sim plem ent e n eux-mêmes.
Les qu atre héros d e Bresson sont a v a n t tout d es passionnés. A nne-M arie a la
vocation. Elle se sent appelée parm i les Béthaniennes, elle veu t réhabiliter l'âm e
qu'elle se sent destinée à convertir, la cherche, la trouve ; elle s'a c h a rn e sur elle,
auto ur d'elle, la fatigue, la harcèle, m ais la v a i n c .. Elle accom plit u n e m ission. —
H élène se donne cette mission. Com m e l'am o u r d 'une âm e pour une au tre â m e est
le fond du film p récédent, l'am o u r m ondain, charnel, racinien est le fond des D am es
du Bois de Boulogne ; p assio n différente, m ais aussi intense et dévastatrice, au ssi
altéré e d'absolu. Anne-M arie est orgueilleuse, autoritaire, etc., m ais c'est « une â m e »,
dit une de ses supérieures. H élène est u n e â m e de soufre et de cendres, m ais c'est
au ssi une âm e. Ce q u 'a ajo u té Bresson a u p erso n n a g e de Diderot, c'est précisém ent
cette âm e et cette intensité d e p assio n : elle se venge, m ais s a v en geance la crucifie,
com m e la conversion d e T hérèse crucifiait, pour des raison s tout autres, Anne-

11
Le curé d’A m bricourt.

M arie, Plus elle s e v en g e d e l'infidèle, p lu s elle l'aim e, — Le cu ré d'A m bricourt n 'a plus
la passion d 'u n e âm e, ni celle d 'u n être hum ain, m ais de D ieu ; seul son am our pour
Dieu et l'am ou r d e D ieu pour lui com pte : chacun de ses actes et ch a q u e acte d e s
au tres révèle, en définitive et m a lg ré tout, ce double am our. — Fontaine, le p riso n ­
nier, est p assion né de la liberté. C e p erso n n ag e p a ra ît m oins rich e que le s trois
précédents, sa n s doute, m a is c'est u n e erreur d e le rep rocher à Bresson, C a r la p a s ­
sion d 'u n prisonnier pour la liberté est forcém ent m oins riche, bien qu'elle atteig n e
elle aussi la soif d'ab solu , que Iq p assio n pour u n e âm e, po u r un homm e, po u r Dieu,
C ’est une idée, et une idée fixe. « P erdre, c'est indéfinim ent posséder en esprit », dit
V aléry, ce qui définirait bien la passion du lieutenant Fontaine, m ais au ssi celle d es
trois p récédents héros ; ou m ieux encore : n e p a s avoir, c'e st indéfinim ent vouloir.
Il y a d a n s ch a q u e film u n m om ent décisif, celui où le h éro s se rend com pte
qu'il a raison do vouloir ce qu'il veut, à partir duquel il s'id en tifiera de plus en plu s
à s a p assion. Le m om ent où A nne-M arie tire la se n ten c e qui l'en c o u ra g e d a n s la
voie o ù l'a v a it d éjà e n g a g é e l'a p p e l de T hérèse d a n s la prison. — Le m om ent où
H élène dit à Jean : « V ous l'avez beaucoup re g a rd é e », ap rè s l'av o ir m is en présen ce
d 'A g n ès (son sourire am bigu rep ren d celui qu'elle av a it e u a u c a b a re t en rec o n n ais­
sa n t la danseuse). — Le m om ent où le curé a la vision d e la V ierge d a n s la nuit, ce
qui explique son pouvoir m ystérieux sur l'âm e de la com tesse et sur C hantai, — Le
m om ent où p o u r la prem ière fois F ontaine réussit à d é ta c h e r se s menottes. « J'eus
aussi le brusque sentim ent d 'u n e victoire », dit-iî. C h acun d es trois au tres eût p u le
dire ég alem en t a u m om ent indiqué. Cette p assio n qui les d resse en face d u m ond e
fait le u r force et les rend parfois plus forts q u e le m onde. Q u an d H élène m ent à Jean
en feignant de ne l'aim er plus et qu'il lui rép ond la vérité en lui avo u an t n e l'a im e r
plus, « C'esf vrai ? » dem ande-t-elle. J'ai retrou vé le m êm e ton d a n s la bouche d e
F on taine q u an d , voyant Jost répo n d re affirm ativem ent à se s questions, il lui d em an d e ,
com m e H élène, « C'est vrai ? », bien qu'il ait attendu, com m e elle, cette réponse affir­
m ative. Son clair regard, com m e le s y eu x im m enses d e M a ria C asarès, exprim e
l'étonnem ent q u e l'on a toujours d e voir le m onde extérieur répo ndre aux sollicita­
tions qu 'o n lui propose.

12
Le lieutenant Fontaine.

L'intensité d e l a p assion n e fait q u e révéler chez eux l'instinct de domination.


Tous q u atre sont d es volontaires. Ils font tout céder d ev an t leur voix ; cette voix, pour
A nne-M arie et le curé d'Am bricourt, n 'e st qu 'u n m oyen q u 'a la voix de Dieu d e se
faire entendre. M ais non po u r H élène, no n po u r F ontaine ; « C e serait trop com m ode
si Dieu se ch arg eait d e tout », dit ce dernier. (J'avouerai qu e Dieu ne fait p a s tout
m e p ara îtrait u n titre infiniment m oins b eau , sa n s doute, m ais p lus exact, peut-être,
que Le V ent soufîle où il veut, qui conviendrait bien, en revan ch e, au x Dames, puis­
q u e la ven g ean ce d'H élène, déviée, fe ra en fin de com pte le bonheur d'A g nès et
d e le a n , o u m êm e au x A nges du Péché, a v e c l'éc h an g e final, esp éré m ais inattendu,
d es volontés d'Anne-M arie et de Thérèse. M ais il est vrai, com m e le dit le vieux
M. Blanchet q u ' « il a iallu qu'O rsini rafe po u r que Fontaine réussisse »J. I] jure de ne
p a s s 'é v a d e r et ajoute : « J'étais décidé à m 'é v a d e r à la prem ière occasion. » Ainsi
H élène, ap rè s avoir en a p p a re n c e p ard o n n é à Jean m urm urait : « Je m e vengerai. »
C hacun d es deux films est la réalisation de cette parole. « J'ai tout prévu, tout cal­
culé », dit Fontaine, com m e H élène disait : « Je m e charge d e tout. » Anne-Marie,
qui n 'e st p a s u n e sainte, e ssay e déjà, com m e le feront H élène et Fontaine, d e rem ­
p la c e r la P rovidence. Et c'est ce qu'on rep ro ch e a u curé d'A m bricourt : d'av o ir rem ­
p la c é D ieu d a n s son entretien avec la com tesse. Bernanos insistait sur le pouvoir,
m ystérieux d u reg a rd de son personnage. Les q u a tre héros d e Bresson ont la m êm e
p uissance d an s le regard, m agnifique source d 'o ù ém ane la volonté.
Les créatu res d e l'au teu r français le plus exigeant respirent l'intransigeance.
A nne-M arie n e tolère p a s l'hypocrisie, le chat noir qui en est l'occasion, préfère être
exclue d e la com m unauté plutôt que de céder. H élène se consum e e n secret plutôt
q u e d ’av o u e r à Je an q u e lle l'aim e toujours, et toujours plu s puisque la jalousie
s'ajo u te à l'am ou r ( « A quel nouveau tourm ent m e suis-je réservée », pourrait-elle
dire com m e Phèdre). Le curé d'A m bricourt n e cèd e ni à C h antai, n i a u chanoine de
La Motte-Beuvron, n i a u désespoir. F ontaine est l'obstination incarnée; il risque tout
en refusant de ren dre un crayon, « pour ne p a s cé d er ».
Tous quatre, m êm e le doux cu ré d'A m bricourt, sont d e s orgueilleux et d es forts.
Le cu ré d'A m bricourt brise les âm e s d e la com tesse et, m om entaném ent, d e C hantai

13
m ieux qu'Anne-M arie celle de Thérèse. L 'ad m irable scène d u confessionnal, entre
C h antai et le curé, est, d an s u n ton différent bien sûr, l'équivalen t d e la s c è n e d e s
perles d a n s Les D am es du Bois de Boulogne. H élène a p oussé Jean à a c h e te r d es
p erle s à A gnès et trouve celle-ci p o rtan t le s p e rle s su r la prière de s a m ère ; c'est
ce qu'elle veut, m ais s a jalo u sie éclate e t elle ordonne à la jeune fille d 'ô te r les
perles. Elle ne veut p a s enten d re A gnès qu i p a r deux fois lui dit : « V ous vous trom ­
pez, H élène. » Elle refuse d e voir le s larm es m ontant d a n s les yeux lum ineux de
celle q u ’elle a choisie com m e rivale. Elle refu se d e voir la p rése n ce d 'u n e a u tre
souffrance que la sienne, d 'u n e au tre âm e q u e la sienne. La scèn e est o dieuse, et
m agnifique. A gnès, Jean et elle-m êm e n e sont plus pour elle q u e les in stru m en ts d e
s a v en g e an c e (et A gnès un obstacle possible). D e m êm e lost est pour F o n tain e l'in s­
trum ent de son évasion, m ais au ssi u n o bstacle possible à cette évasion. F o n tain e
n 'hésiterait guère à tueT le je u n e garçon, com m e H élène n'hésite p a s à sa crifier
A gnès ; il lui dit d 'ailleu rs : « 11 n 'est plus question pour ioi de choisir », com m e
H élène disait à A gnès : « Vous n 'av e z plus Je choix », com m e A nne-M arie et le c u ré
d'A m bricourt forcent T hérèse e t la com tesse à choisir, et tous q u atre forcent les
au tres à choisir ce qu'ils veulent eux-m êm es. M ais l'éch ec est possible, b ien qu'ils
refusent de le considérer com m e possible. C ette possibilité d 'éc h ec transform e les
qu atre récits en quatre av e n tu res spirituelles.
C eux qui ont reproché au x Dermes le trop g ra n d nom bre d e portes, d e fen êtres,
d 'escaliers et d 'ascen seu rs ne p a ra isse n t p a s s'être a p e rçu s que le nom bre d e po rtes,
de fenêtres, d'escaliers et d e m urs est encore plus g ra n d d a n s Le Venf souille où il
veut, ju sq u 'à constituer la tram e d u récit. C 'est que Les D am es du Bois d e B oulogne
sont la construction d 'u n e prison, com m e Le Venf souffle où il veut est la d estruction
d 'u n e prison. La volonté d e sty le d u réalisateur, ce sy sè m e de signes, d e se crets, d e
lum ière et de silence, se confond av ec la volonté d e ses héros, qui sont to u s d es
volontés en action.
Bien que les q u atre films soient en som m e et m alg ré tout le récit d e q u a tre
réussites, d'où vient l'im pression d e tra g é d ie s q u'ils d o n n e n t? La trag éd ie est p o u r­
tant surtout le dom aine de l'E chec et d e l'im puissance. La dignité d u ton d e Bresson
ne suffit p a s à expliquer ce phénom èn e, ni m êm e l'im po rtance d u d é b a t qui m e t au x
prises le s perso n n ag es av ec la g râc e, l a jalousie et la liberté. L'univers d e B resson
est-il donc pessim iste ?
A part l'ac te d an s lequel s'ab so rb en t le s p e rso n n a g es — qu ête d 'une conversion,
d 'une vengean ce, de la sain teté, de la liberté — nous n e savons rien d'eux . D ans
Les A nges a p p a ra ît cependant encore la m ère d'A nne-M arie ; m ais nous n e sa u ro n s
rien d es relations d'Hélène, d u curé et d e F ontaine a v e c le m o nde av a n t le film,
rien hors le sujet du film. Tout d a n s Les D am es du Bois d e Boulogne est construit
pour la scène où H élène ré v é le ra l a v érité à Jean, tout d a n s Le V e n t souffle où il
veuf pour la scène où F ontaine s 'é v a d e ra ; tout d a n s L es A n g e s du Péché n e com pte
que p a r rapport à la conversion finale, tout d a n s Le Journal d 'u n curé d e c a m p a g n e
que p a r rapport à la croix finale. O n n e sa it plus si le s films ont la rigueur éb lo u is­
sa n te qui les caractérise à c a u se de la volonté esthétique d e Bresson ou d e l a volonté
psychologique de ses p ersonn ages.
Bresson fait le vide au to u r d e se s héros, com m e ses h éro s ne consentent à voir
d a n s le m onde q u e ce qu'ils v eu len t et recherchent. M ais cette ce réduction » du
récit est p lus qu'une volonté d e dépouillem ent classique, plus q u e le d ésir d e créer
u n e atm osphère d e resserrem ent et d'étouffem ent (la p assio n n 'e st p a s l'ex a lta tio n et
les films d e Bresson n e sont p a s déprim ants, b ien sûr, m a is opp rim ants). Elle a u ne
signification. Bresson m ontre l'â m e d errière le v isag e, m a ïs il m ontre au ssi le d estin
d errière l'acte, Ce destin, c'est la solitude. L a g râ c e isole A nne-M arie et le cu ré
d'A m bricourt (leurs deux ag o n ies ont la d ou ceur terrible d es exfases m ystiques).
Elle renonce a u ch ant d es o iseau x com m e il renonce à la m oto d u lég io n n aire. Ce
sont d es possédés com m e H élène, d es p rison niers com m e Fontaine. Si le s b ru its
d a n s l'esthétique filmique d e Bresson sont le s p lu s aig us, le s plus im p ressio n n an ts

14
de vérité qu 'o n ait enten d u s a u ciném a, c'est qu 'ils doivent sym boliser la présen ce
d u m onde, et p a r là l'isolem ent d u héros d ev an t le monde,
D evant le m o n d e et d ev an t le s hom m es. D ans le s films d e Bresson il n ‘y a p a s
un seul véritable b aiser, p a s une v éritable effusion, p a s une v éritable crise de larm es.
Les â m e s peuvent com m uniquer — c'est tout le sujet d es A n g es du Péché, av e c la
substitution m iraculeuse d es volontés à la fin d u film ; c'est ce qui fait l'ad m irab le
profondeur d e q uelq u es scèn es des D ames entre H élène et A g nès ; c'est ce qui
explique la dom ination irrationnelle du curé su r la com tesse et C hantai, de Fontaine
su r Jost — le s âm es, oui, m ais p a s les consciences. L'incom m unicabilité irrém édiable
des consciences, voilà qui rend le inonde d e Bresson aussi tragique q u e ceux de
Racine et de Proust. Le p ard o n d e Jean à A gnès (qui n e sont pourtant p a s spécifi­
quem ent « bressoniens ») reste au ssi d istan t d e l’effusion que les ad ieux de Béré­
nice à Titus. O te n d re sse inexprim able ! A u-delà d es mots, au -delà d es gestes... Je
sais bien q u e F ontaine reçoit Jost d a n s ses b ra s à la fin d u Venf s o u ü le où il v e u t;
m ais com m e cet enlacem en t reste furtif ! Ils sont côte à côte et non vraim ent ensem ­
ble. De m êm e le curé d'A m bricourt et le cu ré de Torcy.
Pour ré a lise r d ev a n t nous l'actio n qui nous les révèle les solitaires de Bresson
ém ergent de l a nuit et d isp a ra isse n t m uets d a n s la nuit, une fois leu r a c te accom pli.
Anne-Marie, priso nnière d u délire et d e la mort, n e sait p a s vraim ent q u 'elle a sa u v é
l'âm e d e T hérèse ; q u a n d le cu ré d'A m bricourt m ourra d a n s l ’apaisem ent, n o u s ne
verrons p a s s'ép a n o u ir et se figer se s tra its ; H élène disparaît a p rè s s a v en g ean ce,
et nous n e savons vers quels récifs, v ers quelles m ers désespérées ; F ontaine év a d é
d isp a ra ît d a n s la nuit qu i l'enveloppe, et il faut la m usique d e Mozart, p o u r nous
faire accep ter cette nuit com m e le sym bole de la liberté.
Jean SEMOLUE.

Hélène.

15
Jean Cocteau
LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE
Dialogue
C e q u e n o u s p u b lio n s ici n ’est ni le sc é n ario , n i le d é c o u p a g e d e s Dames d u Bois de
B o u lo g n e : ce s o n t les p u r s dialog ues a u x q u els n o u s n e n o u s s o m m e s p e rm is d ’a jo u te r
q u e les in d ic a tio n s d e lieux e t q u e lq u e s a n n o ta tio n s d e m is e en s c è n e p o u r e n r e n d r e la
le c tu r e c o m p ré h e n s ib le .

VOITURE JACQUES
Sortie de théâtre. Hélène et Jacques manient clans une voiture qui démarre.
J a c q u e s . — Je n ’ai pas réussi à vous distraire... — Vous souffrez... Je sais bien que ie
vous agace, mais je suis votre plus vieil ami et si vous vous taisez, je vous parle. Hélène,
vous avez tout lâché, tout sacrifié pour un amant qui ne vous aime plus.
H é l è n e . — jean m ’adore et je l’adore.
J a c q u e s . — Vous savez bien ce que je veux dire... Observez-le comme je vous observe..
Il n ’y a pas d ’amour, Hélène, il n ’y a que des preuves d’amour.
La voiture s'arrête. Hélène descend.
H élène. — Notre bonheur dérange nos amis... Je regrette, je suis heureuse.
J acques. — J e devais vous mettre en garde. Moi, je ne vous a i m e que de tout m o n cœur,
H é l è n e . ■— Bonsoir, Jacques. La pièce était bien longue. Je meurs de fatigue.
J a c q u e s . *— B o n s o i r .

APPARTEMENT HELENE
Hélène, entrant chez elle, voit de la lumière.
H élène. — Jean ?... — Vous m ’avez fait peur...
J ea n . — • J e s u i s v e n u e n c o u r a n t m ’e x c u s e r d e c e t o u b li s t u p i d e . . .
H é l è n e . — Aucune importance entre nous... Je suis très lasse.
J e a n . — Je l ’a v o u e , j’avais complètement oublié que je dînais chez vous ce soir; je ne
c h e r c h e pas d ’excuse, je suis impardonnable...
Hélène tend à Jean un étui à cigarettes.
H é l è n e . — Aimez-vous cette boite?
Jban. — J ’aime l ’or. Il vous ressemble. Chaud, froid3 clair, sombre 3 incorruptible...
Quel bel objet! Merci...
H é l è n e . — C ’était mon cadeau d’anniversaire, vous l’auriez trouvé à votre place.
J ea n . — Notre anniversaire?
H é l è n e . — Déjà deux ans que nous avons décidé de vivre l ’un pour l ’autre.
J ea n . — Je suis un monstre.
H é l è n e . — Ne vous faîtes pas de reproches, nous avons tous des reproches à nous faire...
J ea n . — Des reproches, toî?
H é l è n e . — Moi.
Je a n . — Raconte.

16
Jean : « J ’aim e l’or, H vous ressemble, n

H élène. — Peut-être vaut-il mieux ne rien raconter...


J ean. — Et notre pacte n ’était-il pas de nous confier l ’un à l'autre sans réserve... quoi
qu'il arrive, de nous dire tout?
H é l è n e . — C ’est bien ce qui me gêne,.. Depuis quelque temps j ’hésite à vous dire
quelque chose. Je craignais de vous faire du mal.
Jea n . — D u m a l, t o i ?
H é l è n e . — E h bien, voilà,
Jean. C ’est arrivé peu à peu, malgré moi, sans que je puisse
me rendre compte. Je ne riais plus, je ne dormais plus. Je me demandais si cela venait de
vous. Non. Vous êtes pareil et merveilleux comme d’habitude. Vous êtes pareil et moi je
change. Je m ’interroge, je me répète : Pourquoi n ’ai-je plus la même impatience, pourquoi
est-ce que je ne souffre plus de l ’attendre, pourquoi n ’ai-je plus un coup quand il arrive?
L’ascenseur qui monte ne me bouleverse plus...
J ean . — H é l è n e !
H élène. —■ La découverte est affreuse, mais je vais être franche... mon cœur se détache
de vous... Je m ’attends à tous les reproches, à toutes les amertumes, à' tous les noms. Les
noms les pires, je me les suis donnés d’avance. Un seul m ’indignerait, celui de femme
fausse...
J ea n . -^.H élène, vous êtes merveilleuse. C ’est vous qui avez parlé la première. C ’est
moi qui ai été. coupable le premier. L’histoire de votre cœur est mot pour mot la triste
histoire du mien. Tout ce que vous vous êtes dit, je me le suis dit. Je me taisais, je souf­
frais, je n ’osais pas vous en ouvrir la bouche. Quelle leçon !
H é l è n e . — C ’est v r a i ?
J e a n . — C ’est vrai... Hélène, vous êtes belle! Vous êtes étonnante! Je vous découvre,
et, félicitons-nous, il eut été atroce d’aimer plus longtemps l ’un que l ’autre...
H é l è n e . — Oui, atroce..: qu’allons-nous devenir?

17
Hélène : a Je m e vengerai. »

J ean . — Nous ne sommes dupés ni vous ni moi. Nous évitons une rupture grotesque.
Nous continuerons à nous voir. Nous aurons escamoté toute l ’aEfreuse convalescence des
amours qui finissent. Pas de ruses, pas de découvertes, pas de dégoûts. Nous serons uniques
dans notre espèce. Vous reprenez votre liberté, vous me rendez la mienne... Nous retourne­
rons dans le monde, vous me Eerez vos confidences, je vous ferai les miennes, si j’ai à vous
en faire, ce dont je doute, car vous m ’avez rendu difficile. Connaît-on l ’avenir? Peut-être
que je comprendrai vite que vous étiez la seule femme capable de me donner le bonheur...
Vous parcourerez peut-être la même route... Et, un jour, nous nous retrouverons face à face
et je vous resterai jusqu’à la fin de h vie...
H é l è n e . — Et s’il arrive qu’à votre retour vous né me trouviez plus — parce que, enfin,
tout est possible? Je peux m ’éprendre d’un autre, qui ne vous vaudrait pas, mais je le peux...
J e a n . — Ce ne serait la faute de personne... Bonne nuit, Hélène...
H é l è n e . — Bonne nuit,,.

. II
APPARTEMENT HELENE
Le lendemain. Hélène est étendue sur son lit. Le téléphone sonne :
entre la femm e de chambre.
H élène. — Prenez toutes les communications... Je ne suis là pour personne.
La fem m e de c ham b re.— Pour personne?
H é l è n e . — Pour personne.
Hélène reste seule; elle se redresse.
H élène. — Je me vengerai.

BOITE DE NUIT
Hélène assiste au numéro d ’une jeune danseuse, Agnès. Celle-ci, sa danse terminée,
rejoint sa loge.
Madame D. : te Des imbéciles qui t’attendent et qui t’envoient des fleurs superbes... »

LOGE D’AGNES

Mme D. — Agnès, ma chérie, tu as une mine affreuse...


Agnès. — Merci, toujours de bonnes nouvelles à vous apprendre...
Mme D. — Je dis ce que je pense... Dépêche-toi...
A g n è s . — Pour voir ces imbéciles...
Mme D. — Des imbéciles qui t ’attendent et qui t ’envoient des fleurs superbes..
A g n è s . — Laisse ces fleurs tranquilles.
Mme D. — Que tu es nerveuse. 11 faut bien les emporter à la maison...
A g n è s . — Je déteste les fleurs, surtout quand c’est un ivrogne qui les envoie...

Agnès jette à terre le pot de fleurs.

Mme D. — Tu es folle !
Agnès. — Je ne suis pas folie.
Mme D. — Tu es très méchante, ce soir, Agnès...
A g n è s . —■ Pardon, Maman, je ne suis pas méchante, je suis fatiguée...

SORTIE BOITE DE NUIT


Agnès et Mme D. montent dans un taxi; Hélène, qui les guette de sa voiture,
s'adresse à son chauffeur.

H élène. •— Suivez cette voiture...

19
APPARTEMENT Mme D.
Petite soirée intime. Hélène s'introduit dans l'appartement, derrière un groupe de fêtards :
incident de la cigarette écrasée. Mme D. aperçoit Hélène derrière la vitre.

H é l è n e . - - Oui, chère Madame, c ’est moi...


Mme D. -7 Hélène! Comment êtes-vous ici? Venez vite...

Mme D. entraîne Hélène dans une chambre voisine.


Mme D. —■ Il faut que je vous gronde, ma chérie. Depuis trois ans, pas. un signe, pas
une lettre, je pensais que nous n’existions plus polir vous.
H é l è n e . — Chère Madame, je peux vous Paire le-m êm e reproche. C ’est Ja célébrité
d’Agnès qui m ’a mise siir votre piste. Autrement, je ne vous aurais pas retrouvées.
Mme Û. — Vous connaissez nos malheurs?
H é l è n e . — Je les soupçonne.
Mme D. — La ruine, tout de suite après notre arrivée à Paris. Cet appartement énorme
et moi, comme une idiote, attachée à mes meubles qui partent... Mes commodes, mes conso­
les, mes bergères, mes lustres... enfin, tout ce que vous connaissez et que j ’avais ramené de
la campagne... Ma chère Hélène, Dieu vous préserve de la pauvreté !
H é l è n e . — Et Agnès ?
Mme D. — Un ange ! Elle s ’est résignée. La danse était sa vie, mais elle rêvait d ’àutre
chose, elle voulait vivre pour la danse et non pas danser pour nous faire vivre. Elle a
renoncé en une minute à ses véritables aptitudes, à l'Opéra, à la gloire.
H é l è n e . — Elle a le succès. %

Rumeurs dans le couloir: j4grtès s'est réfugiée dans sa chambre à la porte de laquelle
tambourinent quelques fêtards. Mme D. sort dans le couloir.

A g n è s (0//). — F o u te z - m o i la p a i x !
Mme D. — Assez... vous êtes chez moi !
Ils s'écartent. Hélène rejoint Mme D.

Mme D. — Agnès, ma petite fille...


A c n é s (0 //). — J e n e s u i s p a s ta p e ti te fille, je s u i s u n e g r u e . . . Q u ’o n m e f o u t e la
paix l
Mme D. — Ah ! mon Dieu, mon Dieu, je suis consternée...
H é l è n e . — M a is, je n ’ai r ie n e n t e n d u . J e n e v o is et j e n ’e n t e n d s q u e c e q u e je v e u x . . .
Mme D. — Dire que j’étais si heureuse de vous revoir !
Hé l è n e . — Allons, allons...
Mme D. — Ah ! quelle horreur, quelle horreur... c ’est fini... tout est fini.
H é l è n e . — Q u’est-ce que vous dites ? Rien n’est fini... Je suis là...
Mme D. — On ne peut plus rien pour nous.,.
H é l è n e . — Je tombe à pic... Laissez-moi faire...
Mme D. —-Ma pauvre chérie ; il n ’y a plus rien à faire...
H é l è n e . — Il y a to u t à fa ire et to u t d e s u i t e . . . c ’e s t t r è s s i m p le ... d u c a lm e , d u c a l m e . . .
Mme D. ■— Je n ’en peux plus...
H élène. ■ Ecoutez-moi ! Vous allez avoir une vie digne de vous... je m ’en charge...
Mme D, — Quel intérêt pouvez-vous prendre à des femmes comme nous...
H é l è n e . — Cette petite ne peut pas rester dans ce gâchis... mon rôle est d’intervenir...
Il importe d’abord de rompre avec ce désordre et de trouver, pour vous et pour Agnès, un
moyen de vivre moins dangereux.
Mme D. — C ’est impossible...
H é l è n e . — Agnès, bien entendu, renoncerait à danser en public. Vous liquidez le reste
de vos meubles, vous fuyez cette maison et les hommes qui l ’envahissent. Je vous installe.
Mme D. — J ’ai des dettes...

20
Madame D. : <c Irous connaissez nos malheurs ? »
Hélène : a Je les soupçonne. »

H é l è n e . — Je m ’en charge. Vous ne verrez plus personne. Les premiers temps seront
durs...
Mme D. — On nous retrouvera...
H é l è n e . — Si vous ne le voulez pas, on ne vous retrouvera pas. Reprenez votre vraj
nom, vos anciennes habitudes. Effacez trois ans sur la page de votre vie. Ce n'est pas diffi­
cile... Surtout, pas de reconnaissance... Je ne vous demande que de suivre mes conseils...
A?me D. ■— Vous êtes un ange...
H é l è n e . — Je suis un ange... Agnçs est un ange... nous sommes tous des anges... Obéis­
sez-moi et ne vous mettez pas la figure à l ’envers; vous aurez quitté cette maison demain,
reposez-vous, détendez-vous, dormez... Surtout, ne me reconduisez pas...
Tandis quJHélène s ’éloigne, Mme D. retourne frapper à la porte d'Agnès.
Mme D. — Agnès ! Agnès !

III
APPARTEMENT SQUARE DE PORT-ROYAL
et Mme D. entrent avec leurs valises.
A g n è s . — C ’est sinistre !
Mme D. — Un piano !
A g n è s . — On me prive de la danse. On me laisse la musique...
Mme D. -— On ne t ’empêche pas de danser... danse.
A g n è s . — Es-tu bien sûre que tout cela est nécessaire ? Je l ’accepte si c ’est nécessaire.
Mais tu te rends compte dans quoi tu nous embarques ?
Mme D. — Je me rends parfaitement compte. Nous vivions un cauchemar...
A g n è s : — Et ici, c ’est le rêve !

Mme D. s'approche de la fenêtre.

21
Agnès et M adame D. arriven t sq uare de Port-R oyal.

Mme D. — Regarde.
A g n è s . —■ J ’appelle cela une prison...
Mme D, — Des arbres !... Tu as une vue ravissante sur le square...
A g n è s . — Est-ce que j’aurai le droit de regarder dehors ?

APPARTEMENT HELENE
Hélène au téléphone.
H élène. — Non, non, chère Madame. Vous oubliez nos conventions. Ne me remerciez
plus... A trois heures, au Bois, cet après-midi. Soyez exactes ! Ne vous éloignez pas trop
de la Cascade. Agnès doit s ’ennuyer à la maison. Elle aimera sortir... A la Cascade... Vous
m ’avez parfaitement comprise...

Hélène raccroche, s'adresse à un domestique.

H élène. — Je sors. Mais je rentre pour le déjeuner. Nous serons deux...

ENCHAINE : Hélène rentre chez elle avec Jean.

J e a n . — Alors, vous fermez votre porte à tout le monde. Vous avez un secret. Dites-le
moi !... Nous avons décidé de tout nous dire.
H é l è n e . — Les gens m ’assomment.
J ean . — Et Jacques ?
H é l è n e . — j e n e tiens pas à le voir.
J ea n . — Hélène, vous m ’aimez encore.
H é l è n e . — P e u t - ê t r e ...
J ean . — Et vous vous faites une conduite irréprochable...
H é l èn e . — P e u t-ê tre ...
J ean . — Maintenant, je vous crois capable de tous les héroïsmes...
H élène. — Je peux être héroïque s ’il le faut.
J e a n . — Mais, Hélène, pourquoi vivez-vous si seule, à l ’écart de tout... vous êtes faite
pour qu’on vous ainie et qu’on vous admire... Profitez de vos charmes, qui ne sont pas seule­
ment des charmes de femme, mais de vrais charmes, des charmes de magicienne.
H é l è n e . — Inutile, mon cher Jean... mon cœur est calme... qu’il le reste ! Je n ’aurais
jamais cru qu’un ami tel que vous suffirait à me rendre heureuse....
J ea n . — J e v o u s e n p rie , H é l è n e , q u e n o t r e r u p t u r e , si c ’e n e s t u n e , n e v o u s c o n d a m n e
p a s à l a s o litu d e ...
H élène. — Vous me conseillez Jacques ?
J ean. — Je vous !e conseille.
H é l è n e . — C ’est un conseil d’ami ?
J ean . — Un conseil d’ami.
H é l è n e . — Je ne vous lâche pas. Je vous emmène faire une promenade...
J ea n . — Moi, je vous emmène au spectacle...
H é l è n e . — Avec ce soleil ? J e détesterais m ’enfermer dans le noir...
J ea n . — Va pour la promenade... où ?
H é l è n e . — N ’importe où..-. A u bois...

BOIS DE BOULOGNE
Agnès et Mme D. sont assises devant la Cascade, Hélène et Jean s'approchent â'eîles...
H élène (à Jean). — Des revenantes... mes voisines de campagne d’il y a trois ans...
...et les rejoignent.
H élène. — Je vous présente un de mes meilleurs amis:..
ENCHAÎNE : Hélène et Jean regagnent leur voiture._
H élène. — Comment la trouvez-vous ?
J ea n . — Je l’ai à peine regardée.
H élène. — V o u s l ’av ez b e a u c o u p r e g a r d é e ...
J ean. — Elle a un visage qui frappe. Elle ressemble davantage au x filles de la campagne
qu’à celles de Paris.
H é l è n e , — C ’est le regard de cette fille qui me plaît...
J e a n . — Oui. Elle vous regarde en face et elle est timide,.. — Savez-vous que j ’ai été
tenté de vous lâcher et de les reconduire chez elles ?

SQUARE DE PORT-ROYAL
Agnès et Mme D. passent devant la loge.
La c o nc ie r ge. — L e t é l é p h o n e ...

Mme D. prend le récepteur dans la loge.


Mme D. — Oui... Nous rentrons à la minute... Quoi ?... Contente ? Vous êtes
contente ?... Mais nous aussi, ma chérie... Je vous embrasse. A bientôt.
Mme D. rejoint Agnès.
Mme D. — Hélène est contente.
Agnès.-— Contente de quoi ?
(A suivre.)

23
FILMOGRAPHIE DE ROBERT BRESSON
1934. — LES A F F A IR E S PU BLIQ UES. 1950. — L E JO U R N A L D ’UN C U R E D E
Moyen m étrage satirique avec le clown C A M PA G N E .
Babys. S c ., adapt. et dial. : Robert Bresson,
d ’après le rom an de Georges Bernanos.
1943. — LES A N G E S D U PE C H E . ' Ph. : Léonce-H enry Burel.
5c. ; Robert Bresson, sur u n e idée du Mas, ; Jean-Jacques Grünenw ald.
R .-P. Bruckberger.
Mont. : Paulette Robert.
Diaï. : Jean Giraudoux.
Int. : C laude L aydu {le Curé d ’A m b r i-
Ph. ; Philippe Agostini. cour), Nicole L adm iral (Chantai), Ni­
M us. : Jean-Jacques G rünenw ald, cole M aurey {Mademoiselle Louise), Ma-
Déc. : R ené Renoux. rie-M onique A rkell (la Comtesse), G u i-
M on/, : Y vonne Martin. bert (le Curé de Torcy), Jean R iveyre
(le Comte), Jean D anet {Olivier), A n ­
Int. : R enée Faure (Anne-M arie), Jany toine Balpêtré {le Docteur D elbende),
Holt {Thérèse), Sylvie (fa Prieure), Ma- M artine Lem aire (Sémjb/ifia), Y vette
rie-Hélène Dasté [Mère Saint-Jean) , Mi la Etiévant (la jeune fem m e ).
Paréiy (M adeleine), Paule Derretty (Mère
D om inique), Sylvia Montfort {A g nès}, Prod. ; Union G énérale C in ém ato graphi­
Louis Seigner {le Directeur de la pri­ que.
son).
Prod. ; Synops - Roland Tuai. 1956. — U N C O N D A M N E A M O R T S ’E S T
E C H A P P E ou L E V E N T SO U FF LE O U
1945. — LES DAM ES D U BOIS DE B O U ­ IL V E U T .
LOGN E. Sc.. adapt, et dial. : R obert Bresson,
Sc, et adapt. ; R obert Bresson, d ’ap rès un d ’après le récit d ’A n d ré Devigny.
chapitre de « Jacques le Fataliste » de P h . : Léonce-H enry Burel.
Diderot.
M us. : W olfgang-A m adeus Mozart.
Dial. : Jean Cocteau.
Déc. : Pierre Charbonnier.
Ph. : Philippe Agostini.
M ont. : Raym ond L am y.
Mus. : Jean-Jacques Grünenw ald.
Int. : François Leterrier (le Lieu ten an t
Déc. : Max Douy. F ontaine), C harles le Clainche (Jost) ,
Mont. : Jean Feyte, Maurice Beerblock {Monsieur Blanchet),
Int. : Maria Casarès (Hélène) , E lïna La- Roland M onod (le Pcrsfeur), Jacques Er-
bourdette [A gnès), L ucienne B ogaeit taud (Orsfni), Roger T réh e rn e (Terry),
{Madame D .), Pau l Bernard (Jean). Jean-Paul D elhum eau (Hébrard).
Jean Marchat (/crcqtres). Prod. : S.N .E . G aum ont - Nouvelles E d i­
Prod. : Les Films Raoul Ploquïn. tions de Film .

P R IN C IP A U X TEXTES SUR ROBERT BRESSON PUBLIES DANS LES


« CAHIERS DU C I N E M A »

N° 1 : U n a c te de foi (Le J o u r n a l d’u n curé de c a m p a g n e ) , p a r L o D uca.


N° 3 : Le J o u r n a l d’u n cu ré de c a m p a g n e e t l a sty listiq u e de R o b e rt B resso n , p a r
A n d ré B azin.
N° 9 : U n c in é m a e n fin p a r la n t, p a r Je a n -L o u is T allen a y .
N° 36 : P e tit Jo u rn al in tim e d u c in é m a (.à p ro p o s d u J o u r n a l), p a r D enis M a rio n .
N° 50 : E n tr a v a illa n t avec R o b e rt B resso n , p a r J u lie n G re en .
N° 60 : P h o to d u m ois (Un c o n d a m n é à m o r t s’est éc h a p p é ), p a r F ra n ç o is T r u f -
îa u t.
N° 64 : E n tr a v a ill a n t avec R o b e rt B resso n , p a r R o la n d M onod.
N° 65 : Le m ira c le des o b je ts (U n c o n d a m n é à m o r t s’est éc h a p p é ), p a r E ric
R o h m er.
N° 66 : R o b e rt B resso n l ’in sa isissab le, p a r F ra n ç o is L e te rrie r.
N° 67 : R ép onse de R o b e rt B re sso n à F ra n ç o is L e te rrie r.
N° 71 : S o ix a n te m e tte u rs e n sc èn e fra n ç a is.
N'0 72 : C a n n e s 1957 (U n c o n d a m n é à m o r t s’est é c h a p p é ), p a r A n d ré B azin.

24
UN ROI
A
SAINT-CLOUD

par Henri Colpi

A près Limelight, C harles C haplin quitte H ollywood 1 Son prochain film se ra


tourné à Londres ! 3 Le m ontage se fera a u bord d e la Seine ! ! !
20 août 1956 : « Bonjour, bonjour, com m ent allez-vous ? », un g ra n d éclat de
rire. Un petit hom m e a fait irruption d a n s la salle de m ontage. C 'est lui, Chariot. A
n 'en p a s croire ses yeux. L'émotion d e se trouver devant u n m ythe en ch air et en
os, m ais au c u n e surprise c e p en d a n t : on le connaît si bien, on l 'a tant aim é. Et m ain ­
tenant il est là, po u r d es sem aines, à portée de voix, d e regard.
Voici donc d es m iettes d e c e qu'on a pu entendre et voir.

Ü R O L O G U E , Deux sa lle s de m o ntage com m unicantes accueillent les 500 boîtes en


pro v en an ce d e Londres. Effarem ent de la d o u an e d ev an t quelq ue 120.000 m ètres
de pellicule.
O n sait q u e C haplin n e m é n a g e p a s la négative. La confirm ation est là, tangible,
encore q u e Un roi à New Y o rk se soit contenté d'une centaine d e kilom ètres. C’est
aussi la p reuve que C hariot est exigeant vis-à-vis de lui-même et qu 'il est un hom m e
libre, d é g a g é des contraintes h ab itu elles de la production. Non content de reprendre
vingt fois le m êm e plan, il enregistre parfois plusieurs versions d 'u ne m êm e scène,
tourne souvent, sous les divers an g les, la séquence d a n s son entier. Ainsi se ré-
serve-t-il b ien des possibilités a u m ontage.

25
"pELLICULE A FOISON. Les 500 boîtes se divisent en im agos et en sons. Les « selec-
• ted » groupent les scènes choisies, les « N G » assem blent les scènes écartées,
« not good ». De p lus quelques boîtes d e m usique, celle d es chansons « p lay-back ».
Prem ière rem arq ue : les dialogues, enregistrés sur m agnétique, ont été reportés
sur optique. Pourquoi ? O n ne travaille plus guère sur pellicule optique a u m ontage.
C 'est que C hap lin tient à voir ce qu'il fait, à voir où il coupe. Les vibrations sont visi­
b le s en optique, invisibles en m agnétique. Il se m éfie do ce q u ’il ne p e u t p arfaitem ent
contrôler.

T E MATERIEL. C lassem ent d e s boîtes. A p p areils en état d e m arche. Et d è s le pre-


’*"■ m ier jour, deux pannes. Sourire am u sé de C hap lin signifiant : « M atériel français,
on m 'av a it p rév en u ! ». Il n ’em pêche q u 'ap rès av oir obtenu u n e M oviola semi*aban-
do nnée et rem ise e n état (son type de m ach in e depuis q u a ra n te ans), il rev ie n d ra
à la com m odité de la M oritone française, a v a n t d e p référer la silencieuse W estrex
am éricain e, laquelle ne se fera d 'ailleurs p a s fau te d e m ultiplier le s pannes.

P R E M IE R E PROJECTION. Trois bobines défilent. De ces 900 m ètres d ’im ages, 30


* m ètres seront conservés. La proportion, a u reg a rd de C haplin, se ra respectée.
C onstatations : 1) A ucun m o ntage n 'a été effectué en cours d e tournage. II est
v ra i q ue classer, étiqueter, accoler d a n s l'o rdre d u scénario la m asse journalière
d e pellicule prenait u n tem ps considérable. D 'autre p art, l'au teu r s'est ac co rd é u n e
quinzaine de repos av a n t m ontage et donc un recul toujours bénéfique.
2) C haplin m onte d an s l'ordre d u scénario. 11 com m ence p a r la séq u en ce initiale,
« la révolution », bien que, à la m anière anglo-am éricaine les claq u ettes portent les
num éros d an s l’ordre d u tournage : en l'occurrence, le 520 correspond a u 1 d u script.

5 U TRAVAIL. Retour à la salle de m ontag e : le trav ail déb ute aussitôt. Et aussitôt
on est surpris. C 'est C haplin qui m a n œ u v re l'ap p areil, c'est lui qui m arq u e les
coupes. C e s e ra ain si jour après jour. « D epuis plus d e q u a ra n te an s, j'ai toujours
tout fait p a r m oi-m êm e. C'est bête, m a is je n'ai confiance qu'en moi. » A rtiste
auth en tiq u e et a rtisa n consciencieux, il désire être le m aître le plus com plet possible
d e s a création. Il p e rd ra parfois une heure sur u n e difficulté q u 'u n m onteur résout
en qu elq u es m inutes. A u moins a-t-il trouvé d e lui-même la solution. Êt d ’ailleurs a-t-il
p e rd u cette h eu re ? M arch e avant, m arche arrière, voir et revoir le s scènes, c e la lui
p erm et d e réfléchir, d e peser, d ’im aginer d 'au tres possibilités. Q u'il com m ette u ne
erreu r d a n s u n e coupe, m arq uée trop la rg e ou trop sèche, il la corrige infailliblem ent
a p rè s projection, ta n t est puissant son sens d u ciném a.

TTN GESTE. C hap lin hésite su r une coupe. Est-ce l'endro it a d é q u a t ? Est-ce plus
haut, est-ce plu s b a s ? Il v a se décider : alors, tous le s repentirs, le s doutes sem ­
blent effleurer s a m a in qui temporise, av a n ce , recule, s 'a b a t enfin. L'im pression qui
s e d é g a g e fait irrésistiblem ent p en ser aux valses-hésitations du crayon d e Picasso
d a n s le film d e Clouzot o u celles d u p in c ea u d e M atisse filmé a u ralen ti p a r F ra n ç o is .
C am paux. C 'est le scrupule de l’artiste a v a n t l'a c te créateur.

TN ETAILS. C hariot est u n gaucher, et la M oritone n’est p a s conçue p o u r « left-


^ h a n d e d ». A u dem eurant, il y a trois g au c h e rs d a n s la s a lle d e m ontage. C haplin
p ren d à tém oins se s techniciens, sollicite leur avis, en tient com pte.
Il s ’est m is a u fra n ça is et fait d e s progrès sérieux.
C abotinage ? M étier diabolique ? L 'acteur C haplin re g a rd e souvent l'objectif, oh
très furtivem ent, l'e sp a c e d ’une im age. Est-ce un des secrets d e s a « p résen ce »
à l'é c ra n ?

26
Le roi s’amuse.

■p iR S T ENTRANCE. C haplin sait que son p erso n n a g e est c a p ita l d a n s se s films.


^ S a prem ière ap p aritio n revêt donc une im portance considérable. Des cinq ou six
possibilités qu'il a tournées pour l'en trée en scène de King S hahdov, laq uelle choi-
sira-t-il ? P lan d'ensem ble ou p lan rap proché ? Avec ou sa n s coiffure, cette coiffure
qui a d es ch an ces de devenir célèbre ? C haplin choisit. Et dès le lendem ain, il d ira :
« iVof good for m y first enîrance » et m odifiera. C 'est qu'il p en se à son film, le soir,
la nuit.

P U IS S A N C E DE TRAVAIL. Du lundi a u sam edi, et de 10 heu res à 19 heures, il se ra


^ assid u a u m ontage. Tout entier à son œ uvre, dévoré p a r elle. T ravaillant g é n é ra ­
lem ent debout, portant m erveilleusem ent ses 67 ans. S ans relâche. S ans s'acco rd er
de détente. Un après-m idi, h a ra ssé p a r u n e ch aleu r a c c a b la n te et p a r u n e difficulté
rebelle à se laisser dom pter, il s'effondre sur une chaise. « 1 a m g io g g y . » M ais il ne
q uittera la sa lle q u 'à 20 heures, ap rè s avoir surm onté s a fatigue et résolu le problèm e.
« Q u an d je travaille, je n e m a n g e p as. » En guise de déjeuner, u n e sim ple tom ate
crue lui suffira souvent, san s m êm e qu'il n e sorte d e la sa lle d e m ontage. « J'ai
beaucoup travaillé d a n s m on existence », dit-il, en faisan t le g este d 'e ssu y e r la sueur
d e son front.

27
TWTUSIQUE. C haplin est-il soucieux ? Parlez-lui de m usique et il retrouve rap id em en t
sourire et enthousiasm e. Est-il p en c h é sur un problèm e ? Parlez-lui de m u siq u e
et il devient" intarissable. La m usique constitue indiscutablem ent son violon d 'In g res.
Il y eut u n Chariot violoniste (dont l'arch et était évidem m ent tenu de la m a in g a u ­
che), il y eut u n e d a n se d es petits pains, il y eut d a n s ses pistes sonores d es u tilisa­
tions de Brahms, de W agner. Et C haplin n'est-il p a s un com positeur ?

T E COMPOSITEUR. Il n e fait d'ailleurs au c u n e difficulté pour avouer ses em prunts.


^ Le thèm e de Lim elight rem onte à un souvenir d 'en fan ce londonien, à u n cri d a n s
la rue, celui d es m a rc h an d s de lav and e. Il ne s'ag it p a s de plagiat, m ais d 'u n e rém i­
niscence a xée su r le s seules cinq prem ières notes.
La m usique d e Limelight a été com posée rigoureusem ent sur la ch o rég rap h ie
qu'Eglevsky av a it déterm inée d 'a p rè s un thèm e classique (vraisem blablem ent d 'a p rè s
T ch aïk ow sky). C h a q u e p h ra se de l a partition illustre un effet c h o ré g ra p h iq u e :
pointes, entrechats, tourbillons. Q ue le résultat ait 'donné lieu à un best-seller d e la
chansonnette n e laisse p as, à la réflexion, de surprendre.
C haplin n 'a p a s dirigé l'enregistrem ent d e Lim elight ; il n 'av a it p a s un sen s suf­
fisam m ent précis du tem po, ca r l'écriture, si elle reste m élodiquem ent sim ple, est
com plexe en raison de l'ad a p ta tio n à la danse.

T A MUSIQUE DE SES FILMS. « Pourquoi avoir p lacé « La rom ance à l'étoile » du


Tannhauser s u t révo ca tion de la ia im dan s La Ruée vers l'or ?. — Tiens, je ne
m e souvenais p as. Eh bien, p arce que 1er m élodie w agn érien ne m e paraissait lourde,
pesante, g erm anique et invocatoire. — Q uelle est votre m usique de film p ré fé ré e ?
— Limelight et celle que J e com pose actuellem ent. — Q u and rééditerez-vous Le
Cirque ? — Un a n a p rè s la sortie d e Un roi à New York, /'en ai d éjà écrit tous les
thèmes. »
Et C haplin de fredonner. Il ad o re chanter, ch an te du reste fort bien.
« V ous rappelez-vous la scèn e finale, q uand je m 'éloigne sur la ro u te ? »
Et tout en ch antonn ant la p h ra se m usicale, M. C haplin se transform e Soudain en
C hariot, et, p ied s écartés, dém arche connue, c'est po u r quelq ues secon des « le petit
hom m e » qui arp en te la salle de m ontage,

A MUSIQUE D' « UN ROI A NEW YORK ». A utant C haplin est affligé d e l'inquié-
tude d u créateu r en ce qui concerne les im ages, au tant sa m usique le satisfait.
Il y a u ra d a n s Un roi à N ew Y o rk d e « !ïin terestin g m usic » et des « interesting
m usical effects ». Q ui plus est, l'incroyablem ent jeune Chariot a écrit p lusieu rs
chansons, slows, blues, un a ir de jazz (dans le restau ran t av ec le g a g in é n a rra b le de
la cym bale) et, tenons-nous bien, un rock endiablé, un rock sa n s doute a p p e lé
à retentir souvent sur les ondes et d an s les boîtes à m usique.

T ^ E SES FILMS. A la question p osée à brûle-pourpoint « Q uels sont, parm i vos films,
^ ceux q u e vous préférez ? » C h aplin répond, ap rè s un sem blant d e réflexion :
« Limelight, et p uis Verdoux, e t puis Le Dictateur. » A utrem ent dit, se s trois der­
nières œ uvres. Rien d 'étonn ant e n vérité, à ce qu'un créateur exprim e son affection
p o u r ses enfants les p lus récents. M ais il suffit d 'e n g a g e r la conversation sur La Ruée
v ers l'or ou Les Tem ps m odernes po u r que son classem ent soit bouleversé. Q u an t aux
Lumières de la ville. Chariot leur p o rte u n e ten d resse particulière. M oralité : selon
l'heure et l'hum eur, la classification v ariera. Ne p a s s'y fier,

"PV E « LIMELIGHT ». Pour C haplin, V erdoux « v a très loin ». M ais on le devine aisé-
m ent très a tta c h é à Limelight. L'histoire d e C alevero est conçue, dit-il, com m e une
tragédie grecq u e : destin, fatalité, chute progressive des héros. C'est, dit-il encore,
un film à trois dim ensions, la troisièm e étan t son hum anité. « V e ry h u m a n ». Cal-
vero est vrai,- « hé is true, cr true m an ». La conception prem ière de l'œ u v re était
d'ailleurs infinim ent plus pessim iste.

28
Le roi nttaque.

f** ONFERENCE DE PRESSE. « Un roi à New York est-il voire dernier film ? — Cer-
fainem enf p as. Je ne p eu x p a s rester sans travailler. Je ferai du ciném a tant
que le p o u rra i. — Q uel s e ra votre prochain îilm ? — Je ne sais pas. Laissez-moi ter­
m iner celui-ci. J'ai divers projets, il faut que je choisisse, c'est toujours difficile. »
Dès qu'il fut a v é ré q u e C haplin s'installait d an s u n e salle d e m ontag ne aux la b o ­
ratoires L.T.C. de Saint-Cloud, les journalistes se mirent à pleuvoir dru. Les prem iers
profitèrent de l'eupho rie qui p récède le véritable saut d an s le travail. Bientôt, d ev an t
l'afflux excessif, C hap lin refuse les interviews. Il a besoin de calm e pour se
se concentrer. Et il consent à une conférence de presse en fin de sem aine.
« Un roi à N ew York est un film pour rire, « purely to la u g h ». /'e sp è re q u e ce
sera le m eilleur film d e m a carrière. Onze sem aines de tournage à Londres. Sur ie
plateau je travaille vite, m a is il m 'a fallu d eux années pour écrire le scénario et
les gags. »

T T N FILM POUR RIRE. Un roi à N ew York est en effet une com édie et ab o n d e en
trouvailles d a n s la m eilleure tradition de Chariot, La sé q u en c e télévision, la sé ­
quence ascen seu r. Et le restaurant, et les bandes-annonce ciném atographiques, et le
Scope. Toute la satire am éricain e est fort drôle. S ans g ran d e m é ch a n ce té d'ailleu rs : le
bruit, le jazz, la publicité. Jusq u'au m om ent où... A ce m om ent le m essag e de C h a­
plin se profile, la trag éd ie m ontre le bout de l'oreille. Le final est particulièrem ent
intense. La M accarthy sm e est souffleté à trav ers Rupert.

O UPERT MOCCABEE. Un garçonnet extraordinaire traverse le film. Rupert n'est


a u tre qu 'u n d es enfants d e C haplin. « Un nouveau Kid ? » Et la réponse vient aussi­
tôt : « Eh oui ! ». C 'est u n p ère fier de sa progéniture qui vante les m érites de Mike
a c te u r, d e s a diction qualifiée d e « m arvelous ». II est vrai q u e le v isa g e de
Rupert se ra inoubliable et que ses répliques m arqueront. O n se souvien dra de « O n ly
w ith a passport ».

TWT OLIERE, « Aimez-vous M olière ? » Il l'aim e. M ais en traduction on n e peut appré-


cier, dit-il, le s n u an c es du français échappent, « jbecause the story is the story »
p arc e q u e l'intrigue ne constitue p a s l'intérêt essentiel. De m êm e chez S h ak esp ea re :
tout est d a n s la langue, d a n s les mots, d a n s leur beauté, d a n s leur im brication les u n s

29
d an s les autres. « O n dif souvent que M olière est le g ran d hom m e du com ique et
que, frois siècles après, il y a vous. » Il dit « O h ! » et rit, à la fois su rp ris et flatté.
Il ench aîne : « C e iilm est très M olière, d a n s ses effe/s et d a n s son style. » Et c'est
vrai. P ar ailleurs, le film est très serré, très construit. Les p e rso n n a g es p a ra is s e n t et
réap p araissen t, d a n s u n rythm e d ram a tiq u e ascendant. C 'est très com posé. C om m e de
la m usique ? » Précisém ent, répond-il, les p erso n n ag es sont com m e d e s th èm es
m usicaux, »
CjHAKESPEARE. Une im portante séquence du film voit King S h ahdov d éc la m er le
« To be or not to be » de H am let. Le p a s s a g e v au t son p esan t d'or, à b ien des
points de vue.
Or, a u cours d'une p o se d a n s le m ontage, C haplin, d'hu m eu r très g a ie , trouva
qu'il serait très drôle de ch an ter la célèbre tirade sur l'air du rock q u'il a com posé
pour le film. Sitôt dit, sitôt fait. Le num éro était im payable.
"O TRANGES DOUTES. Ce com ique génial, ce M olière contem porain, cet a u te u r qui
■*-* travaille d es an n é es sur ses gag s, im agineriez-vous qu'il lui a rriv e (souvent)
d ’hésiter sur la « vis com ica » d 'u n effet ? Il tourne plusieurs versions d 'u n m êm e
gag , atten d la projection po u r choisir, fait divers e ssa is a u m o ntage et n e se d éc id e ra
définitivem ent q u 'ap rès une projection publiqu e en « preview ».
C* AUTES D'HUMEUR. Q u e de fois a-t-on p arlé des sa u tes d 'h u m eu r d e C hap lin ?
^ H om m e difficile à vivre, d é s a g ré a b le d a n s le travail, violent, em porté ? Possible.
N ous n 'e n av o n s g u ère vu de m anifestations. A lors ? A-t-on e x a g é ré ? A-t-on confondu
avec les affres d u créateu r ? Etait-ce dû à s a situation d'hom m e e n vue, d e ved ette ?
S'est-il calm é av ec l'â g e ? S'est-il .détendu g râc e à O o n a et à l'E urope ? Il a passé,
dit-il, dix a n n é e s pénibles à H ollyw ood : suspicions, se cacher, ne p a s p arle r, p erd re
ses am is. En Europe, il est heureu x, resp ire à pleins poum ons, sourit à la vie.
H enri COLPI.

La dnnse des petits sucres.

30
LORELEARDI
EST MORT

p ar François M ars

« Lorèléardi » — cinq syllabes lancées d’une traite, d’un seul élan. Chaplin peut bien
renoncer à Chariot, Groucho Marx faire cavalier seul, Costello aller de Scylla en Scylla (c’est-
à-dire d’Abott en Dean- Martin), Laurel et Hardy, pour le public, resteront indissociables.
Et inidentifiables parfois : — « Lequel c'est, le gros ? » —■ question mille fois posée !...
Hérésie, sacrilège, les deux films que Hardy a tournés sans Laurel. Ce qui demeure, ce
sont leurs quarante ans de carrière commune. Le monde prenait, dans tous les domaines,
les plus grands virages de l ’Histoire. Le cinéma évoluait à pas de géants ; Laurel et Hardy
restèrent eux-mêmes avec une fidélité qui devint vite touchante. Leurs gags, leurs jeux, leurs
attitudes demeurèrent immuables. Ils frirent les loyaux et pieux conservateurs de traditions
burlesques dont le parfum nostalgique d’archaïsme nous émeut et nous enchante. Nous ne
savons plus rire de leurs rires : nos problèmes quotidiens sont désormais si âpres, que seule
la frénésie frinçante des Marx, â’Hellzapoppin, des Branquignols peut nous en arracher. Mais
la -naïve fraîcheur des films de Laurel et Hardy leur fit gagner en sympathie ce qu’ils perdaient
en efficacité comique. Ils cessaient d ’être des amuseurs: ils devinrent des amis.
Laurel et Hardy furent desservis par une extrême pauvreté de moyens, une mécon­
naissance totale du rythme cinématographique, enfin et surtout la carence absolue des réali­
sateurs de leurs films, tâcherons obscurs et méritant de l ’être, ou aussi peu habilités que
possible à les mettre en valeur (Question: Y a-t-il film plus hilarant qu’Atoll K ? Réponse:
L ’homme aux clés d’or). Pourtant on doit à leur tandem tout au moins une innovation d’impor­
tance: ce comique au ralenti, aujourd’hui démodé et vieillot, mais qui sut trancher catégori­
quement sur l ’épilepsie joyeuse des bandes de Mack Sennett. Ce fut une idée neuve et
presque révolutionnaire que cette part accordée à la réflexion méditative au sein des héca­
tombes et au cœur des désastres.
Cette placidité devant l ’adversité trouve son sommet avec le gag, instauré par Laurel,
de la compréhension à retardement — décalage entre la vision d’un danger imminent et sa
trop tardive prise de conscience — gag qui reste aujourd’hui le plus exploité de tout le
cinéma burlesque, et auquel, pratiquement, tous les acteurs, à commencer par Cary Grant,
ont eu recours un jour ou l’autre...
Mais, devrait-on leur enlever — injustement — toute originalité créatrice, que les courts
et longs métrages de Laurel et Hardy garderaient encore la savoureuse et désarmante candeur

31
des représentations de Guignol. Comme Guignol, ils ne disposent que de quelques décors,
usés à la corde, interchangeables. Pour les accessoires, ils battent Guignol et son bâton:
Laurel et Hardy ont annexé à leur univers tout ce qui se casse, brûle, noie, se renverse,
se brise, s ’effondre, se répand, se consume, éclate, explose, anéantit... Comme Guignol,
ils n ’ont sous la main qu’une panoplie d’une douzaine de personnages aux traits fortement
burinés, à remploi bien établi, d’une œuvrette à l’autre: Patron inflexible, Brute agressive,
Gendarme sans pitié, Mari jaloux. Pas d ’ingénues — le ressort de leurs farces est l ’amitié,
non l'a m o u r— mais des épouses acariâtres. Laurel et Hardy se meuvent dans un monde à
leur mesure, spécialement conçu pour eux et nettement délimité. Le problème de l ’homme
inadapté aux prises avec la société et la civilisation, thème qui hantera l ’œuvre de Chaplin
et celle de Keaton, leur est totalement étranger. Ils opèrent en vase clos, en terrain connu.
Et parce que cet univers est volontairement simplifié, parce que, il faut l’avouer, leurs
comparses sont d’assez piètres fantoches, ’on a voulu ne considérer Laurel et Hardy que
comme de médiocres clowns, qui ne devaient leur drôlerie qu’aux péripéties extérieures à
eux-mêmes que leur présence engendrait. Voire !
Dans Au Far-West se trouve un de leur plus joli gag: au long du film, Laurel, sans
dommage pour lui, craque son pouce sur ses autres doigts et l ’enflamme, tel une allumette.
Fureur jalouse de Hardy qui s ’exerce en vain, une heure et quart durant. Aux dernières
secondes, ultime tentative, couronnée de succès: Hardy réussit.., et se brûle! Cette trouvaille
est typique de la distance qui sépare Laurel de Hardy. Le premier est une créature de fiction
charmante, fort à l’aise dans le surnaturel, mais au comportement, si délicieux soit-il, arbi­
traire et gratuit. Le second est bridé par les liens de la logique, fut-ce en plein absurde.
Souhaitons que l ’occasion ne nous soit pas donnée avant longtemps de devoir à un éloge
funèbre la possibilité de nous attarder sur la personnalité de Stan Laurel. Disons simplement
que Stan semble une silhouette de Peynet égarée dans un dessin de Dubout. Harry Langdon ( 1)
était le Puceau, Keaton le Refoulé, Harpo Marx le Primitif: Laurel est 1’ « Innocent ».
Innocent à tous les sens du terme puisque irresponsable des catastrophes qu’il suscite. Demeuré
au stade des premières années, Laurel partage avec l’enfant cette inexpérience émerveillée
qui pousse à appuyer sur tous les boutons, à actionner tous les leviers, à déclencher tous
les mécanismes et à poser toutes les questions, Ôn connaît l’habituelle répercussion de cet
empirisme sur le malheureux Hardy!...
Séparé de son coéquipier, Laurel traverserait dans un somnambulisme coupé de puérils
accès de curiosité ce monde d ’adültes où il est désarmé, protégé seulement par une passivité
indolente et tenace. Il irait vite chercher, refuge auprès des héros de livres d ’images et
de vieilles berceuses dont il possède la pureté de cœur, le sens du merveilleux, la poésie
ingénue... Mais Hardy est là, qui veille et le retient.
Et c’est pour Oliver Hardy, en marge des tartes à la crème, l ’occasion d'introduire dans
leurs pochades un comique de caractère qui revêt parfois une singulière finesse psychologique.
Chacun de nous a eu un camarade, point très intelligent, ni dégourdi, dont, pourtant,
nous recherchions la présence: l ’autorité que nous exercions sur lui nous haussait à nos
yeux, sa passivité stimulait notre brio. Nous ne jouions pas à son encontre un rôle de tyran
mais celui, plus orgueilleux encore, de protecteur. Hardy a poussé cette situation au
paroxysme en lui conservant sa vraisemblance, Le gros Oliver, condamné à s’humilier en
silence dans cet univers peuplé seulement d’antagonistes arrogants et supérieurs, a déniché
en Laurel mieux qu’un exutoire : une revanche. Laurel est le seul être à donner à Hardy
l’illusion de sa propre valeur, à lui permettre de contre-balancer ses blessures d ’amour-propre,
ses moues d ’enfant fautif, ses jeux embarrassés de cravate et de chapeau, ses explications
bredouillantes dès qu’il a affaire à plus fort que lui, c ’est-à-dire sans cesse.
Aussi, combien Hardy couve-t-il son partenaire! Têtes de pioche nous montre leurs
retrouvailles, après vingt ans de séparation. Laurel s ’était abandonné à son fatalisme hébété,
n ’avait pas bougé de la tranchée dont on lui avait confié la garde en 1918, quitte à dresser
des montagnes de boîtes de conserves. Hardy, luij avait réussi. La seule intrusion de Laurel
dans son existence suffira en un clin d ’œil à réduire à néant son bel appartement, sa cuisine,
son auto, son garage, l ’affabilité de ses voisins et le caractère câlin de sa femme muée en
mégère. Mais qu’importe à Hardy ! Il a retrouvé son <c plus petit que lui » et il peut à
nouveau le prendre sous sa tutelle. Par contre, lorsque Laurel se permet de réussir un exploit
qui échappe à sa compétence (fumer sa pipe dans ses doigts repliés, ou ces jeux de mains
qui ravirent Paris au lendemain de Fra Diavob), Hardy n ’a de cesse, ulcéré, de l ’imiter ou
(1) H a rry L à n gdon fut, p a r ailleurs, !e s c é n a ris te des m eilleurs films de L a u re l e t H a rd v ( T ê t e s
de pioche, En croisière, e tc ...).

32
Ce fut u n e id ée n eu v e q ue c e tte p a r t a c c o rd é e à la ré fle x io n m éd itativ e...

de lui imposer silence. De toutes les tribulations que notre bon gros eut à endurer — et
Dieu sait s ’il y en eut au îong de ses films — une seule nous fit peine pour lui : à la fin des
j4s d'Oxford, un coup sur le crâne donne à Laurel une personnalité de Lord anglais. Stan,
du haut de sa distinction, engage Oliver comme valet de chambre, ne lui ménage ni les obser­
vations ni les sarcasmes. Il le traite même de pachyderme ! La détresse de Hardy nous
apparut navrante. On sentait l’écroulement d’une raison de vivre, l ’anéantissement d’un beau
mirage. Heureusement, un second coup providentiel... Mais nous avions eu chaud pour le
bonheur d'Hardy...
Considéré sous l ’angle de cette domination exclusive et égocentrique de son compère,
le Jeu d'Oliver Hardy se révèle souvent d’une pénétrante observation. Rien de plus plaisam­
ment traduit que sa suffisance, l ’ambition dérisoire de ses initiatives, l’importance qu’il
attache à tout instant à ses droits de préséance, l’assurance tranchante de ses verdicts, la
condescendance de ses acceptions, l ’enflure de ses rodomontades et de ses madrigaux fleuris.
Même les cataclysmes sous lesquels l’enfouit la désastreuse bonne volonté d’un Laurel
impavide n ’entament pas cette souveraineté triomphante. En ces moments, il affiche une
résignation complaisante, un accablement philosophique qui s'offre en holocauste sur l’autel
de l ’amitié et prend l ’univers à témoin, non de sa détresse présente, mais de l’abnégation
qu’il lui faut déployer pour supporter pareille épreuve.
On a jugé bon de réserver au seul Chaplin le titre envié de moliéresqué. Il y a pourtant
du Monsieur Jourdain chez Oliver Hardy. Il ne lui a manqué, pour s ’exprimer, que des
scènes de grande comédie. On en trouve — bien peu — dans son œuvre abondante. Te]
ballet, dans les Chevaliers de la flemme autour d’un puzzle que nul, une fois posée la
première pièce, ne peut se résoudre à abandonner et auquel toute une noce finira par colla­
borer, ou encore la dernière scène des Compagnons de la Nouba avec nos deux complices
subissant l'assaut des questions insidieuses de leurs épouses décidées à se voir avouer une
certaine escapade. Là, Laurel, et surtout Hardy, donnent leur mesure. Et quand on considère
la lourdeur qui préside aux accouplements des Abott-Costelio, Lewis-Martin (celui-là nette­
ment axé sur l ’équivoque) et autres Olsen-Johnson, on doit reconnaître combien le lien qui
unit Hardy au gentil Laurel est riche d ’une psychologie adroite et parfois profonde.

33
Hardy est mort. Nous ne pouvons nous empêcher d ’imaginer que les êtres que nous
aimons continuent — lointains ou disparus — à vivre la légende que notre tendresse a tissée
autour d ’eux. Je ne puis croire que ces hommes célèbres que nous venons de perdre soient
désormais cadavres anonymes dans leur pourriture... La Mort, pour Stroheim, ce fut un
dernier garde-à-vous, un claquement de talons, un regard de hautaine morgue... Pour Sacha,
un rideau qui se baisse, un envol de manchettes, quelques inflexions solennelles de sa voix
doctorale... Hardy mort... allongé sur un lit, figé, mains jointes, yeux ferm és?... Allons
donc.1... ce n ’était qu’un gag cruel de fin de film, comme ceux qui le transformèrent en
chimpanzé, lui nouèrent les jambes autour du cou ou lui allongèrent démesurément les
membres au sortir des joyeuses tortures de La Bohémienne. Et puis, il était invulnérable,
cela se sentait ! Il avait déjà tant reçu de briques sur le crâne, il était tombé du haut de tant
d’échafaudages, il était passé sous tant d’autos en n ’en éprouvant que des dommages fugaces,
que son immobilité de cadavre ne pouvait être que l’un de ses habituels moments de recueil­
lements pensifs précédant ses colères...
Et s ’il faut admettre le pire, si Hardy, vraiment, est disparu, que soient alors bien loin
de nous le respect silencieux et la piété attristée ! Evoquons-le plutôt, accostant au Paradis,
malaxant avec une grâce éléphantine son auréole toute neuve qu’un brusque mouvement de
poignet rejette à hauteur de l ’épaule. Il tapote sa poitrine de trois doigts boudinés. Il s ’incline :
« Mon nom est Mister Hardy, que puis-je faire pour votre bon service, Monsieur
VArchange ? »... Saint Pierre a les lèvres tordues à force d’être pincées sous la moustache
noire, le crâne ovoïde, le plissement d ’yeux inquisiteur de son vieil ennemi James Finlayson.
Hardy enregistre cette identité sans s ’y arrêter, multiplie les révérences, puis, soudain,
réalise... Sa tête a un soubresaut, ses yeux ronds s ’agrandissent, il demeure un instant
paralysé de stupeur, lève les bras d'épouvante, psalmodie un Oôôôôôôôh ! annonciateur de
catastrophe, bat des jambes sur place, s ’élance d’un trot fébrile dans le Domaine des Bien­
heureux pour se catapulter, tête la première, au beau milieu des harpes dorées d ’un concert
céleste... Pendant ce temps, Laurel suit l ’enterrement, hoquetant ses sanglots de parade,
l ’index tendu vers le cercueil. Et l ’orphéon, en guise de marche funèbre, sur quatre notes,
entonne leur classique ritournelle... François MARS.

E n L a u re l, H a r d y a tro u v é son « p lu s p e tit q u e lu i ».

34
VENISE 1957
PALMARÈS

L e jury de la X V I I I e Exposition Internationale d ’A rt Cinématographique composé de :


R ené Clair, président, Penelope Houston, M iguel Perez Ferrero, Artihur Knight, Ivan
Pyriev, Vittorio Bonicelli, Ettore Giannini, membres, avant de communiquer à la Direction
de la Biennale de Venise le résultat de ses travaux a tenu à faire la déclaration suivante :
L ’article premier du règlement dit que « L'Exposition Internationale d ’A rt Cinémato­
graphique a pour but de signaler publiquement et solennellement les ouvrages propres à
témoigner d ’un réel progrès de la cinématographie comme moyen d ’expression artistique ».
L e jury constate que certains des films qui ont été choisis n’étaient pas en mesure de
répondre à cette définition et regrette de n’avoir pu trouver dans ces ouvrages les témoignages
d ’un « réel progrès de la cinématographie ».
L e jury souhaite qu’à l’avenir la Commission de Sélection puisse choisir les films en
vertu de ileur seule valeur artistique et sans aucune considération d ’ordre national ou
commercial.
L a majorité du jury a décidé de donner le Lion d ’O r à un film dont les qualités
essentielles sont la simplicité d ’expression et la sincérité de l ’inspiration.
L e film est A 'P A R A J IT O , de Satyajit Ray.
L a majorité du jury décerne le Lion d ’Argent au film L E N O T T I B IA N C H E , de
Luchino Visconti.
L e jury, à [’unanimité, décerne le Prix, d ’interprétation masculine à l’interprète du
film A H A F T U L L O F R A IN , de F re d Zinnemann : Anthony Franciosa.
L e jury, à l’unanimité, décerne le Prix d ’interprétation féminine à l’interprète du
film M A L V A , de Vladimir Braun : Z id ra Ritenbergs.
Prix OC1C : A H A T F U L L O F R A IN . P rix San Giorgio : SOM ETH1NG O F V A L U E ,
de R ichard Brooks. P rix Pasinetti : A H A T F U L L O F R A IN . P rix de la FIPR EC I ; A P A -
RA J1TO . Prix d e « Ciném a Nuovo » : A F A R A J IT O . P rix OC1C pour le m eilleur film 1957 :
UN CON DAM NE A M O R T S ’E S T E C H A P P E d e R obert Bresson,

MORALITE

La X V 111° Mostra d e Venise éicrii en fait la deuxièm e, depuis sa réforme de l'an dernier
su r ^'initiative de son jeune et courageux directeur M. Am m annali. On se souvient d e la
déception de 1856, déception d'aufanf plus vive qu'on ne pouvait guère m énager sa sym pathie
à une formule gui, rom panf a v ec Ja conception pléthorique et semi-commerciale du Festival
classique, voulait restituer à Jo Mosfra vénitienne la m esure, J'ordre, la dignité d'une grande
exposition internationale. Pour y p arv en ir M. A m m a n na ti entendait, d'abord, réduire le nombre
des film s présentés (un p a r jour pendant Quinze jours,), ensuite réserver à Ja Mosfra l'initiative
de ieur sélection. Ceite dernière décision découlant d 'un e rem arque judicieuse et m aintes fois
vérifiée : à savoir J'incapaciié de certains pays, à e nvo yer et eux-mêmes le meilleur de leur
production. Les raisons en sont du reste variées, m ais la plus commune est assez évidente : la
sélection est plus ou moins directem ent opérée' p a r les producteurs eux-mêmes. C'est Je cas
notam m ent d es U.S.A. La sim ple participation a u Festival entraîne de substantiels a v a n tag es
économ iques (maximum d 'aid e à la q ualité, exploitation hors contingentement, possibilité d e
rapatrier Ja totalité des recettes) sa ns com pter le lancem ent publicitaire : on comprend aisé­
m ent q u e les associations n atio nales d e p roducteurs souhaitent g a rd e r Je contrôle du choix d e s
iilm s gui doivent en bénéficier. Il leur importe m ême plus, le cas échéant, d'obtenir le Grand

35
Prix pour un film hors série promis à une dfsfrifauiion difficile q u e de tirer Je m aximum d 'a v a n ­
tag e s d 'un film relativem ent commercial.
Certes la décision vénitienne d'assum er les responsabilités d e fa sélection n'était p a s non
plus sa ns périls, et l'on a bien vu, l'a n dernier, q u'une commission d e critiques in dépen d ants
n'était p a s infaillible. M ais l'organisation était perfectible e{ le principe en était bon. On
d evait pouvoir, en tout cas, ie juger à l'u sa g e d e deux ou trois festivals, a v a n t de Je condam ­
ner. H élas, M. A m m annati n 'a u ra p a s eu la possibilité d e tenir compte p o u r la seconde
a nnée d es leçons d e l'expérience, c ar il s'e st heurté tout d e suite à l'hostilité de icr Fédération
internationale d es Producteurs qui n 'a accepté de reconnaître la compétition vénitienne q u 'a u
prix de modifications a u règlem ent si substantielles, q u e lle s dénaturent com plètem ent l'esp rit
de l'entreprise. Selon ces n ouveaux statuts, les quatorze fiJms en compétition doivent d 'a b o rd
représenter a u moins dix pay s. On com prend aisém ent q u e ie program m e a foutes les ch an ces
de s e trouver alouidi p a r des film s de nations dont la production ne m éritait pas, cette
a n n é e du moins, cet honneur. D'autre part, la M ostia p e rd ju sq u'au droit de choisir elle-
m êm e les élus, les p a y s pou van t se ré se rv e r Je droit d*?1 prop o ser eux-mêmes Je au les film s
en cause. En fait trois ou quatre seulem ent en usèrent cette a n n ée, notam m ent les U.S.A., l'A n ­
gleterre et la France, Pour cette dernière, il est p lu s que probabJe q u e Jes ita lie n s a u raien t
égalem ent choisi Œil pour œil, m ais Je choix am éricain était p lu s discutable et F Anglais a b so lu ­
m ent catastrophique. Pour Ja Yougoslavie, l'Espagne et Je Mexique, la m édiocrité s'exp liqu e
non p a r l'imposition d es fiJms, m ais p a r l'impossibilité d'en trouver de meilleurs, conjointe à
J'obligation d ’avoir dix p a y s a u program m e. En revanche, les R usses p a r exem ple, qui a v a ie n t
prim itivem ent proposé une superproduction du g en re d e Sadko, se sont heureusem ent re n d u s
au x raisons d e Ja Commission italienne qui a préféré M alva.
Cette commission de sélection n 'est donc p lu s libre d 'u se r de se s droits q u e pour inviter
q u a tre films su r quatorze (cinq si l'on com pte celui hors compétition).. Ce furent A m ère victoire
Les Nuits blanches. Trône de sang, H atful af ra in (et naturellem ent Porte des Lilas). Du moins,
n e saurait-on lui reprocher d'avo ir su r cette liste commis des erreurs.
Le règlem ent de la Mostra prévoit aussi, outre J'habitueJJe < section culturelle » co n sa­
crée aux rétrospectives, une * section d'information » et une « section commerciafe ».' Cette
dernière appellation codifie et officialise sim plem ent la p ratiqu e habituelle à tous les festiva ls
qui consiste à p résenter dans les sa lles de la viJJe Jes films q u e les distributeurs cherchent
à vendre sur le m arché international. Mais la < section information », Jimifée à un fiJm
p a r jour d a n s Je cad re du Palais, constitue d a v a n ta g e une sorte de Festival officieux et p a rai-
JèJe, Les films en a y a n t été choisis e t invités p a r la Commission de sélection, c'est donc en
q uelq u e sorte sur ce program m e qu'elle espère implicitement être ju g ée. En som m e le F estiv al
d e Venise 1957, tel que J'aurait voulu faire M. A m m annati si Ja F.I.A.P.F. n e J'en a v a it
em pêché, eût été constitué par Jes meilJeurs fiJm$ de Ja compétition p lu s les m eilleurs d e
fa « section information »,
11 est donc possible de se faire une id ée objective de Ja vaJeur de Ja formule A m m annati
d'après l'expérience de l'a n dernier et la sélection opérable dans les vingt-huit film s p ré se n ­
tés a u PaJais.
La vérité oblige à dire que, si le Festival 1957 fut moins m édiocre que celui de 1956, il
n e pouvait encore justifier pleinem ent ses nouvelles ambitions. En effet une fois déduits Jes
fiJms déjà p résen tés en d'autres festivaJs, teJs que II Grido (Locarno), G ran d -P ap a l'autom obile
(Sainf-SéhastienJ et Twelve A ngry M en (Berlin), je ne p en se p a s qu'on pourrait aligner sa n s
discussion quatorze film s de prem ier p ia n ef, encore m oins, découvrir le chef-d'œ uvre qui eût
perm is d'attribuer le Lion d 'o r à l'unanim ité. Je n e vois guère, m êm e, q u e deux ou trois film s
m éritant d 'ê tre transférés dans la sélection officielle ; le hongrois Q u artier libre et à la rig u eu r Je
g rec La L agune des désirs. Ce choix a u ra it sensiblem ent am élioré le Festival, m ais n'en aurait
p a s vraim ent transformé la physionomie.
R este donc à se demander, pour finir, si l'ambition d u new -look vénitien n 'est p a s trop
exigeante pour l'éta t de la production ciném atographique m ondiale (1). Elle trouverait certaine­
m ent à s'exercer si V en ise ouvrait au lieu de clôturer la saison d es Festivals. M ais ceux-ci se
multipliant de p a r 1e m onde il a p p a ra ît difficile q u e Ja JVTosfra vénitienne p u isse s'a ssu rer c h a q u e
an n ée quatorze chefs-d'œ uvre, m ême si la F.I.A.P.F. se montre enfin pJus com préhensive.
Il dem eure q u e l'an cien n e formuJe n 'é ta it p a s p lu s a v a nta g ée et multipliait les inutilités. On
n e peut donc en tout état d e cause que soutenir M. A m m annati, m ais il fa u t bien constater
qu'il a u ra du m al à rendre à la Mostra d u Lido fout le prestige et toute l'autorité qu'on lui
souhaite. — A. B.

(1) Notons toutefois l’absence de to u t film S can d in av e.

36
LES INTRUS corps perdu d a n s u n rocam bolesque trop étu ­
dié, pour ne p a s éveiller notre suspicion. Les
Les trois m élodram es de la sélection ne ficelles sont tirées ju sq u 'a u bout, a v ec u n
pouvaient invoquer q u e le mince m érite de indéniable souci de logique, et de flatterie
sentir le terroir où ils av aient germé. O deur à l'ad resse des curiosités troubles. Q ue peut
siliceuse, p au v re, plutôt qu'au stère, du film faire le vilain m ari d e la bonne d am e sinon
yougoslave de Branco Bauer Rien q u e des violer la jolie dem eurée? Q ue peut faire ce
homm es. Cette histoire d 'u n e jeune aveugle, viol, sinon l'effet d'un b a u m e universel contre
éprise d'un unijam biste qu'elle prend pour cécité, mutisme, surdité ? Et puis, d'ailleurs,
u n cham pion d e ski, ne b ra v e si candidem ent David Miller n'en serait p a s à s a prem ière
le ridicule, q u e p a rce q u'elle en ignore facétie. Dans M eurtre su r la Riviéra, il ridicu­
ju sq u 'à la notion. Les personnages exercent, lisait Jacques Bergerac, comme ici Rossano
comme de b ien entendu, les trois professions Brazzi.
privilégiées d an s les dém ocraties populaires, On songe m aintenant à ces com plaintes im­
m ême hétérodoxes : professeur, ingénieur, m é­ primées de jadis qui finissaient leurs jours
decin. Un b a rrag e , très attendu, fera office de chea les épiciers d e village, sous forme de
deus ex m achina. p apier d 'em b allage. Los S elvajes, film mexi­
O deur de savonnette et de bonbons roses cain de R afaël Baledon, c'est le b o n vieux
d a n s la très britannique Vie d'Esther Cos- mélo à l'état pur, avec roulem ents d'yeux,
tello, bien q u e l'Am éricain David Miller ait tables renversées, mari jaloux, femm e fla­
signé la mise en scène. Une jeune a v eug le en­ gellée, innocent condam né. Pedro Arm endariz
core et, qui p lu s est, sourde-muette. Une dam e met une certaine conviction à p aro d ier son
a u gran d cœ ur entreprend d'éveiller celte personnage de El Bruto. Comme on voit, les
conscience qui dort. Les dix ou vingt minutes leçons d e Bunuel, n'ont p a s été très bien
purem ent docum entaires, n e nlanquent ni d 'a l­ suivies.
lant, ni même, dans leurs fioritures m ièvres, De même q u e les m ousquetaires, ces trois
d 'une certaine g râce. Puis, nous fonçons à mélos sont qu atre. S'il n e porte p a s l'h ab it

Mah>a d e V la d im ir B n iu n .

37
de la confrérie. Un Ange est descendu à Brook­ sa u v e g ard e r la vraisem blance, j'en te n d s la
lyn de l'Hispcmo-hongraïs Ladislao V ajda, en a psychologique, car le chirurgien d e talent, in­
tout a u moins l'â g e m ental. Cette fable, ou carn é p a r Curd Jurgens, s e conduit e n tout
prétendue telle, se présente comme un dîgest point comme un eniaîit d e q u a tre ans. Ou bien,
de ce qui peut fleurir de plus n auséab o nd sur il fallait préserver le c ara ctè re sym bolique des
u n écran : division a rb itraire entre m échants, personnages et de l'apologue. M ais sym bole
jeune m onstre cabotin, antropom orphism e d e auoi ? Là commencent les interrogations,
niais, conclusion dont la laborieuse loufoque­ là s'évanouissent les réponses. Il n 'est p a s, je
rie ne couvre q u 'u n e totale absence d e poésie sup p ose dans la n a tu re d e l'au te u r d e Justice
et d'idée. En revanche, El G ran Dia d e Rafaël est faite d'opter pour u n e m orale au ssi étroite
Gil, présenté dans la sé rie * informative » et stérile que celle du talion. A-t-il voulu ex­
possède une g râ c e fort sym paihique. prim er les affres d 'u n e irtauvaise conscience :
Force nous est d 'an n ex er à l a liste u ne avouons q u 'e n ce cas, le point d e d é p a rt ne
cinquième ineptie, en l'esp èc e le prem ier tient p a s debout. Il y a disproportion entre
film de la sélection japonaise, Voiture d'en­ le châtim ent et le « crim e », et, si l'on v eut
fant d e Tomotaka T asaka. Sans doute la don­ insister sur cette disproportion m êm e, il con­
née est-elle u n tout petit p eu plus ad ulte : vient, p a r un exem ple m ieux choisi, de faire
une jeune fille veut ram en er cru foyer un accéder u n e absurdité de rencontre à u ne
père volage. Mens les b a v a rd a g e s qui s'en- signification universelle. Force nous est d e
suivent ont tôt fait de nous reconduire en reconnaître que ce sujet n 'a q u 'u n faux sem ­
enfance. C'est, des p ou rp arlers initiaux, jus­ blant d e profondeur. Si nous poussons le scru ­
q u 'a u répugnant concours d e b é b é s final, le pule ju sq u 'au point de ch ercher ce q u 'u n Hitch­
déploiement continuel, sa n s humour ni esprit cock, p a r exemple, eût p u e n tirer, nous nous
de satire aucun, du plus m anifeste m anque apercevons q u e les données d'Hitchcock n'ont
d e goût. C h aq u e ra c e a ses délicatesses, et d e théorique que l'ap p a ren c e , q u e chez lui les
celles du lap o n ne sont peut-être p a s les personnages, m ême s'ils sont c h arg é s de la
nôtres. Nous préférons, en tout cas, ju g er de signification sym bolique l a plus lourde, n e s e
la politesse et de l'a rt jap on ais p a r les films réduisent jam ais à des entités. C 'est b ien cela :
d e Mizoguchi. — E. R. lu rg en s et même Folco Lulli n'existent ici q u 'e n
tant q u e silhouettes, tout le pittoresque exté­
LES REVES DANS LE TIROIR rieur dont on les astique n e peu t les lav e r du
Il est des échecs honorables. Celui des péché d'abstraclion dont ils furent entachés à
R êves dans le tiroir fait dégringoler d e plu ­ leu r conception.
sieurs étag es l a cote de l'œ u v re entière de Peu importe, dira-t-on p u isq u e C ay atte p ré ­
Castellani. Il dém onte u n e m écanique qu e tend n'avo ir voulu s e liv rer q u 'à u n p u r exer­
nous croyions plus sa v a n te , nïet à nu les cice de style. Mais le style ici, c 'est ce qui
m anque le plus. Entendez non p a s ce deg ré
ficelles d 'un p arti pris d e vitesse et d e bonne
roy al d e l'écriture qui, d é p a s sé e une certaine
hum eur qui n 'a de réalism e q u e le nom. Telle
est du moins notre im pression du moment que tem pérature d ’originalité, crée l'idée, niais tout
nous ne dem andons q u 'à pouvoir rectifier. Ici, simplement le fini de l a facture. A quoi bon
en tout cas, tout est artifice, et ce qui est plus ces mois de tournages, ces m ontagnes, ces
g rav e encore, cliché. La naïveté de ces étu­ déserts cherchés d an s les coins les plus recu­
diants d é p asse toute crédibilité. Est-ce impu­ lés d e l'E spagne ? D'énorm es naïv etés (relents
d 'u n Hitchcock ou d 'u n Stroheim m al assim i­
table au seul jeu m aniéré et farci d e trucs
lés) dans la composition d e s im ages ou la
de l'interprète principale Lea M assari ? Nous
n'osons l'affirmer. Q uelques minutes a v a n t la m arche du récit, réduisent à n é an t tous les
fin, la comédie tourne brusquem ent a u tragi­ efforts on n e peut plus visiblem ent déployés
dans ce monument d'application. — E. R.
que, et nous n'av on s vu jam ais ru p tu re de ton
plus difficile à adm ettre p a r le spectateur. Le LE TRONE DE SANG
fait m ême — la mort d e l'héroïne — repousse
Notre journal intime d u n° 73 a fait allu­
notre créance. P assons donc r il n 'y a q u 'u n
sion à ce nouveau film d e K u ro saw a dont on
mot pour qualifier l'im pression q u e cette vision
pouvait a priori attendre beau co u p, tan t à
nous a laissée, celui d e faux. — E. R.
c au se du sujet q u e d e l a personnalité du
m etteur en scène. 11 était p la isa n t d’assister
<H1L POUR ŒIL à la transposition d an s le nioyen â g e nippon
L'histoire q u e conte C ay atte nous laisse d e la trag éd ie de S h a k e sp e are et l'on pou­
u n e impression certaine d e m alaise, qui n 'a vait esp é rer q u e ce décor renouvellerait son
rien d e métQphysique. Comme Achille a p rès asp ect san s en trahir l'esprit. A vec L'Idiot,
la tortue, nous courons a p rè s la profondeur, K urosaw a a v ait dû ré so ud re d e s problèm es
sans jam ais p arv en ir à l'atteindre. Ou bien d 'ad ap tation autrem ent difficiles et l'on sait
ce n 'est qu'un fabliau p a y sa n , le récit d'une qu'il s'e n est tiré d e façon b o ulev ersante. Mais
bonne farce, et il convenait a lo rs d e mieux tout sem ble s e p asser, a v ec ce m etteur en

38
Les Rêves dans le tiroir de Renuto C astellani et Œil pour œil d’A ndré Cayatte.

scène, comme s'il était p a rta g é entre deux ses des Sept SamouraïsJ accusent le vide, ou
penchants contradictoires. On le trouve théorî- plutôt la convention, des personnages. Et Ton.
cien formaliste, expressionniste même, d a n s ne peut évidemment s'em pêcher d e pen ser à
flashomon ou les Sept Samouraïs, films pleins u n a u tre M acbeih, fait de q u a tre sous et d e
de m orceaux d e b ra v o u re et lieux d 'u n e sy n ­ carton p âte, m ais où grondait le souffle d e la
thèse parfois trop intelligente de la tradition poésie shakespearienne.
orientale et de l'esthétique occidentale. Ce le voudrais ajouter pour finir que, n e p ra ­
sont du reste ces films qui ont rendu célèb re tiquant p a s la politique des auteu rs : 1° je
chez nous le nom de K u ro sa w a pour des ra i­ puis être déçu p a r le Trône de sang san s rien
sons que je reconnais un p e u irritantes. M ais p e rd re de mon estime pour Vivre et L'Idiot ;
le m êm e homme est l'au te u r de films où le 2° adm irer les bons films de K urosaw a et a i­
m essage moral prend de très loin le p a s su r m er ceux de Mizoguchi. — A. B.
les préoccupations formelles ; tant m ême qu'il
finit p a r nous dérouter et nous devenir é tra n ­
MALVA
g er comme dans Si ies oiseaux sav aient. Non
qu'il y ait dans Vivre ou L'idiot encore b ien La participation soviétique a été pour moi
des recherches de style entraîn ées p a r le flot la bonne surprise» d e ce Festival. Non q u e
torrentiel du sentiment. M alva soit un ch^f-d'œuvre, et je ne c ac h e ­
On a donc peine à im aginer q u e le m êm e rai p a s q u e mon jugem ent est ici relatif à
homme soit l'au te u r de ces films en veston, l'évolution du ciném a russe depuis la guerre.
influencés un p eu p a r le néoréalism e et b e a u ­ Mais il est justifié d'ap p récier u n film, non
coup p a r la gran d e sentim entalité d u ciném a seulem ent pour ce qu'il est, mais p our ce qu'il
germ ano-am éricain des a n n ée s 1930-1940, et signifie et ce qu'il annonce. Disons pour don­
d e ces films féodaux formalistes en diable, n e r le ton q u e Le Q uarante ef unième est, p a r
b a rd é s de mise en scène comme d 'u n e arm u re rapp o rt à M alva, un film, d e p ro p ag an d e. La
de sam ouraï. com paraison s'im pose du reste p our d e m ul­
Ou bien quelque chose nous é ch ap p e d e ce tiples raisons. Tout extérieures d 'ab o rd :
Macbeth japonais, ou bien ce Trône de sang l'action se joue d an s le même cadre : une
illustre les limites d 'u n form alism e intégral p lag e sur la m er C aspienne et m êm e u ne île
qui se perd ici d a n s u n m aniérism e de la avec u ne cab a n e de pêcheur. Aussi p a rce q ue
violence parfaitem ent vide et vain. Les m or­ l'am our sous se s formes les plus d én uées de
ceaux de b rav ou re se succèdent, toujours conventions sociales est le sujet du film. Mais
éblouissants, à la fois inattendus et' rüono- alors q u e dans Le Quarante et unième, l'action
tones, p a rce q ue p lacés d ès le d é b u t d a n s sentim entale entrait dialectiquem ent en com­
le paroxysm e. D 'adm irables im ag es (notam ­ binaison avec l'action idéologique, elle remplit
ment de ces chevauchées sous l a pluie, rep ri­ ici à elle seule le scénario. Les héros d e

39
M alva n'ont d 'a u tre problèm e que personnels, à vouer u n saint à tous les plaisirs défendus
et les contradictions sont celles de l'am our q u e l a civilisation a pu inventer.
lui-même q u e les perso nn ag es s'efforcent de En bref donc, le problèm e d es p a ra d is arti­
surm onter e n fonction d e leur â g e et de leurs ficiels n 'a même p a s été soupçonné. Nous nous
caractères. Leur condition sociale — celle de trouvons d ev an t ce q u e l'on a p p elle en lan g a g e
p a u v res p êcheurs sa larié s —- n 'a d'influence d e code p é n al u n e escroquerie, et il nous est
q u e seco n de e t indirecte sur leurs sentiments impossible d'accorder à ce film, en dépit de
et leurs actes et, s'il est u n problèm e moral l a mise en scène signée Zinnemann ‘et de
qui dom ine le film, c'est justem ent celui de l'ad m irab le photo de J. MacDonald, les cir­
la liberté q u e chacun doit pouvoir et savoir constances atténuantes. — I. D.
conquérir a u sein de n'importe q uelle condi­
tion. Il s'a g it moins d e faire ici ce qu'o n doit LE CARNAVAL DES DJEUX
q u e ce qu'o n veut, ou, plutôt, les vrais héros
d e c© film. M alva et u n pêcheur vagabond, Colonialistes et anticolonialistes se sont trou­
sont des êtres cap a b les d'assum er leu r volonté vés d 'accord (au nom de motifs exactem ent
d 'in dép end ance et la liberté de leurs senti­ opposés) pour vouer aux gémonies Somefhing
ments. of Value. Je comprends très bien la réaction
Mais, ce qui me p a raît le plus intéressant, d es racistes et des colonialistes, m ais moins
d 'u n strict point d e v u e ciném atographique, celle d e leurs ad v ersaires. Q u'attendaient-ils
d a n s M alva, c'est le ton du récit, le parti pris de Brooks ? Qu'il prônât l'ém ancipation ra d i­
d 'u n d éco u pag e conçu pour les personnages cale d es peu ples opprimés? A utant vouloir qu'il
et non pour l'action. Celle-ci du reste est p re s­ n 'y eût p a s de film, sa n s compter qu'il s'agit. .
q u e inexistante : elle se réduit justem ent aux moins d a n s les propos d e Brooks d e colonia­
sentim ents des protagonistes dont l'évolution lisme q u e de racism e. Le problèm e des Mau-
modifie lentement, et p re sq u 'à leur insu, les Mau est en effet le prétexte qui perm et d e
projets. Je n 'a i p a s lu la nouvelle de Gorki soulever su r nouveaux frais la question noire,
qui cautionne ces a u d ac es et je n e pen se p a s telle q u 'e lle se pose présentem ent au x Etats-
du reste q u e l'a d a p tatio n en soit bien habile, Unis. Q ue nous. Européens, nous l'interp ré­
m ais Vladimir Braun a visiblement voulu en tions d a n s le contexte de la question a lg é ­
respecter l'esprit et la dém arche rom anesque. rienne, rien d'étonnant à cela, m ais nous ris­
En dépit des différences évidentes, ce sont quons alors d e trouver bien timide, sinon ti­
donc en g ra n d e partie, les mêmes raisons moré, u n film qui l'est moins qu'il n 'y paraît,
critiques qui m 'attachent à MaJva et à A para- Brooks, constatant q u e la civilisation c a p ita ­
j'ito. — A. B. liste est d a n s l'incapacité de proposer au x
peu ples d e couleur des v aleu rs universelles
UNE POIGNEE DE NEIGE susceptibles d'obtenir leur ralliem ent, se ra b at
sur le respect des traditions de ces peuples
L a grosse faiblesse d e H atfuil of Rain est prétendus inférieurs et su r la nécessité de
son scénario. Sa platitude est telle qu'il réu s­ leur reconnaître, sa n s la moindre équivoque et
sit à transform er u n sujet neuf (n'oublions sans la moindre restriction m entale, l'égalité
p a s q u e le problèm e de la drague était tabou des droits. J'adm ets volontiers qu'il s'agit
ju sq u 'à u n e d a te très récente) en une histoire là d 'u n e solution toute bourgeoise, mais lal-
éculée ne présentant aucun intérêt. Serait-ce lait-il s'atten d re à plus, et, si la conclusion q u e
qu'Otto Prem inger a d é jà tout dit d an s Brooks donne à son film peut décevoir, est-ce
L'Homme au b ra s d 'o r ? Nullement, mais tout une raison p our sous-estimer s a protestation ?
s'e st p a ssé comme si on voulait ém asculer un Si signor A ristarco connaissait u n p eu mieux
thèm e dont les implications sont complexes et l'œ u vre d e Brooks, il n e dénoncerait p as . ses
inquiétantes. Il s'agissait de rassu rer le sp ec­ * contradictions », car d e Deadline U.S.A. à
tateu r et de lui faire com prendre q u e la dro­ Som ething of Value, en p a ssa n t p a r Baïiie Cir-
gue, a p rè s tout, ce n 'est p a s si terrible que ça cus et Bîackboard Jungle, le jeu n e ré a lisa ­
et que, si l'on prévient la police a u bon mo­ teur am éricain incarne l’idéalism e de l'aile
ment, tout peut encore s'arran g er. Si un b ra v e g au ch e du parti dém ocrate (par opposition au
garçon c èd e à l'héroïne, c'est, soyez-en cer­ racism e forcené d e son aile droite, les * Dixi-
tain, p a rc e qu'il a été initié p a r l'hôpital, et crates », fd est les politiciens des Etats du
q u e d e m au v a ise s fréquentations ont fait le Sud). Cet idéalism e est abstrait, théorique 3t
reste. Et comme le scénariste ne sait trop com­ généreux, - m ais il n'est p a s contradictoire,
ment tenir la distance, on greffe sur ce d ram e même d ’un point d e vue marxiste. Vouloir q ue
un conflit d e générations qui n 'a rra n g e rien. Brcoks soit m arxiste c'est vouloir qu'il ne
Dans les limites im posées p a r le script, je ne soit p a s. le sa lu e pour m a p art son honnê­
vois p o u r m a part, qu'u n e explication à la teté et son courage. Ai-je besoin d 'ajo uter que,
vocation de Don M urray pour la drogue : la d'un point de vue strictement formel, son film
nécessité d e cohabiter avec sa femme,' Eva- est excellent, bien découpé et bien pho tog ra­
M arie S ain t dont les pleurnicheries suffiraient phié ?— J. D.

40
IL GRIDO d 'ab o rd , p a rce qu'il s'ignore lui-même. Et quand
enfin il com prendra, ce se ra p our renoncer à
Le dernier film d'Antonioni qui nous a v ait vivre. ’ Mais il n 'e n existe p a s avec moins
ioum ï l a photo du mois dans notre n° 70 a d e force et d'évidence.
été présenté d a n s la section information. Une Q uant à la mise en scène fascinante à la
p rem ière vision m 'avait enthousiasm é, u n e se­ prem ière vision, elle m 'a p a ru à l a seconde
conde m 'a am ené, je dois le confesser, à m e­ peut-être trop systém atique et concertée. Ces
su re r d a v a n ta g e mes louanges. L'intérêt d e p a y sa g e s d'hiver, glauques, brum eux, o p ales­
II grido réside d 'u n e p a rt dans l'originalité cents constituent certes u n e adm irable toile de
d'u n scénario dont l'action est p resqu e insaisis­ fond existentielle aux personnages, m ais leur
sa b le et, de l'autre, dans l a tonalité générale répétition et leu r monotonie finit p a r frôler le
im posée a u récit p a r l a mise e n scène et sur­ procédé.
tout p a r le sty le des im ages. Plus grave, dan s le m êm e ordre d'idées, me
parent l a construction du scénario q u e la s e ­
Un homme, u n ouvrier, est abandonné p a r
conde vision m 'a égalem ent révélée. F aute de
la femme avec laqu elle il vit. Il p a rt avec sa
pouvoir retenir l'attention du sp ectateur p a r
fille (de 7 ou 8 ans) un p eu à l'aventure en
u n e action extérieure inexistante, Antonïoni y
hiver, à trav ers les p a y sa g e s désolés, p lats eî
supplée en le su rp ren ant p a r des petites ac­
boueux d e la p lain e du Pô. En partie pour
tions adventices, totalem ent étra n g ère s à
s'éloig n er du village où il habitait, en partie
pour trouver du trav ail, en p a rtie aussi pour l'itinéraire m oral d u héros. Ce sera, p a r exem­
ple, une étrange course de Mostocafe ou en­
rencontrer des raisons d'oublier l a femme qui
l'a quitté. Ces occasions, du reste, ne lui core u n e b a n d e d e fous en récréation aux
m anqueront pas, m ais de femnie en femme, il environs d'un asile. Sans doute l'étran g eté de
ces événem ents incidents qui traversent le ciel
rev ie n d ra à la prem ière dont il a compris ne
du personnage comme des météorites, est-elle
pouvoir se p asser. Découvrant qu'elle vient
d 'a v o ir un enfant, il se suicide. justem ent représentation de sa propre étran-
g èreté a u monde, mais, là encore, je sens
Le dénouem ent p eu vraisem blable est san s le procédé et il me sem ble qu'Antonioni en
doute la principale faiblesse de ce scénario est alors réduit à construire son person n age
d 'a u tre p a rt si attach ant p a r son parti pris un p eu trop de l'extérieur.
an tid ram atiq ue et sa structure typiquement ro­ Maïs ces réserves très relatives ne m 'em pê­
m anesque. P a r son mépris- aussi de l'expli­ chent p a s de tenir II Grido p our l'un des trois
cation psychologique. Le héros d e ce film n 'a ou qu atre films les plus im portants de ce Fes­
p a s grand-chose à nous révéler sans doute. tival. — A. B.

U ne p o ig n ée de neige d e F re d Z in n e m a n n et L e C a rn a v a l d e s D ie u x de R ic h a r d B ro o ks.

41
H G rid o d e M ich elang elo A n to n io n i.

LES NUITS BLANCHES d an s cette transcription en irtoderne, est tout


à fait dë surcroît. Confier, enfin, le râ le prin­
L 'adaptalion des Nuits blanches sem ble plus cipal à u n e actrice de composition, é q u iv a ­
délicate, encore, q u e celle d e toute au tre lait à s e p river de cet a d ju v a n t naturel, d e ce
œ u v re d e Dostoïevsky, car la frontière qui y d on d e s dieux, dont toute a d a p ta tio n a besoin
s é p a re la réalité du rêve, la vérité du m en­ p our com bler le hand icap dont elle est, bon
songe est volontairem ent laissée d a n s le flau, gré m al gré, ch arg é e a u dép art. Et il faut dire
et la transcription sur l'écran, comme on sait q u e M aria Schell n 'a jam ais a ussi bien mis
n 'est p a s faite pour estomper les contours ? à nu les ficelles de son jeu.
C ela dit, il seiAble bien q u e Visconti ait choisi Peut-être convient-il d e considérer cette a d a p ­
la solution la plus intelligente : d 'u n e p a rt tation comme u n concerto joué p a r u n virtuose
tran sp oser l'action d a n s l'Italie m oderne, d 'a u ­ su r un instrum ent a u tre q u e celui p ou r lequel
tre part, rem placer les conventions du conte il fui primitivem ent écrit. Et ce film, d e fait,
p a r celles de la scène, non pas, bien, entendu, comporte u n e très longue * cad ence » d an s
l a scène de la comédie classique, m ais toute la q u e lle Visconti entoure le thèm e initial de
sem blable, je présum e, à ce q u e d ev ait être telles enjolivures, qu'il fait a p p a ra ître des
celle du T héâtre d'A rt d e Moscou, au x b e au x motifs nouveaux, et qui lui sont tout personnels.
tem ps du règ n e d e Stanislavsky. S'est-il L 'ex u béran te fantaisie d e la séq u en ce d u d a n ­
a v a n c é trop loin, sur cette d ern iè re voie ? Il cing, sé q u e n c e d e p u re invention nous m ène,
nous sem ble q u 'u n décor réel (Livourne, p a r p a r le chem in d e la virtuosité, au -d elà d e la
exemple, puisque c'est Livourne qui est évo­ virtuosité m êm e. L 'alam bïqué, le tarabiscoté,
quée) eût, comme d a n s Roméo et Juliette s a ­ la fioriture, sont, chez ce b aro q ue, u n e seconde
tisfait aux exigences d e rig ueur architecturale, n a tu re ; c'est d a n s s a furia d'ornem ents qu'on
tout en évitant d'accrocher a u p a s s a g e les ré- p eut le plus aisém ent le saisir a u n a tu re l. La
_sidus d'u n expressionnism e décoratif, am ple­ vérité, chez lui, se nourrit d'artifices, et croît
m ent glanés, d éjà, p a r M arcel C arné, Des m ême, si l'on p e u t dire, e a proportion directe
« découvertes > trop visibles, d es tru q u ag e s d e ceux-ci. On peut p ré fére r u n ciném a plus
m aladroits (la neige), u n e photographie bitu- détendu, plus instinctif, m aïs il faut recon­
m euse (la couleur, semble-t-il était d e rigueur) n a ître que, d a n s le foisonnement d e ce luxe, la
contribuent à donner a u film u n a ir vieillot qui, p a rt d e l'im agination, d e l'irrationnel est plus

42
Les Nuits Blanches de Luchino Visconti.

gran de q u e celle du systèm e. Ou, du moins, influences sont sensibles : Donskoî, Flaherty,
s'il est vrai qu'il y a « systèm e », nous devons Renoir... notamment, mais parfaitem ent assim i­
accueillir ce mot ch argé d es lettres d e créance lées et transposées. Satyajit Ray, jeune
q ue lui a léguées ce Stanislavsky q ue nous g éan t à la p e a u dont le brun bleuté
avons d éjà cité, et au q u el il est difficile de s'accuse d e la blancheur im m aculée du v ête­
n e p a s songer ici. Comme les hommes de th éâ ­ ment, s'explique du reste' a v ec u n e clarté, u ne
tre du début de ce siècle, Visconti, formé franchise et u n e lucidité qui rassurent. On
p a r le théâtre, entend élev er la m ise en scène sent en lui toute la culture nécessaire (ciném a­
à la dignité d'art, transform er u n exercice tographique et autre), mais aussi l a décision,
d'exécution en u n e œ u v re de création. On pour­ l'énergie, et, pourquoi ne p a s dire, le sens poli­
rait lui répondre q u e c'est d é jà fait, q u e depuis tique — entendu au sens noble et la rg e qui
q u e le ciném a existe, on n e com pte plus les doivent insérer se s films d a n s la sensibilité
* réalisateurs » qui, à l a m ode de M. Jourdain et les besoins de l'Inde contem poraine. Tant
ont fait de la création san s le savoir, et s'en d e force conjointe à tant d e culture, de loyauté
sont, on ne peut mieux, tirés. M ais ceci est u ne et de goût ne se rencontre p a s tous les jours.
autre histoire. — E. H. De Renoir évoqué plus haut, précisons qu e
Satyajit Ray n 'a p a s été l'assistant pour Le
APARAJITO (LMNV1NC1BLE) Fleuve, m ais qu'il l 'a seulem ent rencontré à
cette occasion et qu'il déclare q u e ces conver­
J’a v ais dit en 1956 le bien que je pen sais de sations furent pour lui décisives. Il e n a vu,
Pather PanchaJi. Mais les q ualités de ce film, a v an t ou a p rè s Pather Panchali, la p lu p art des
éclatant dans un ciném a indien dont les som­ films, français ou américains. Des derniers il
mets se situaient jusqu'alors à deux classes p réfère L'Homme du Sud, m ais d e toute l'œ u ­
au-dessous d e celui-ci, étaient trop insolites v re d e Renoir, il p réfère La R ègle du jeu.
pour qu'on ne dût p a s crain dre le m iracle A parajito est l a suite citadine de Pather
exotique. Nous voici rassurés ! Aparajito, r é a ­ Panchali dont l'action se p a ssa it à l a cam p a­
lisé dans des conditions très norm ales p a r la gne. Le père, lecteur public d e livres saints
même équipe q ue celle d e P afher PanchaJi a emmené s a famille — c'est-à-dire s a femrrie
confirme pleinement ce qui pouvait nous plaire et son jeune fils — à Bénarès. La vie s'écoule
et nous attacher dans le prem ier. Certes, les assez douce ju sq u'à la mort du père. La mère.
restée veuve, cède au x conseils d 'u n oncle venirs d'enfance, comme p a r exem ple de }ean-
qui s'offre à p ré p a re r l'enfant à la prêtrise Christophe. Le choix des im ag es, leur en ch aî­
bouddhiste. On revient à l a cam pagne, Mais nem ent même, est a lo rs moins déterm iné p a r
le gam in est intelligent et s a brillante réus­ l'im portance des événem ents q u e p a r la trace
site à l'école gouvernem entale le dégoûte dé­ qu'ils ont laissée d a n s la m ém oire d e l'enfan t
finitivement de la profession religieuse : il qui est le principal héros d u récit. II s 'e n faut
p artira avec u n e bou rse à l'Université de Cal­ donc que l'intérêt d 'A parajito se réduise,
cutta. Le film s e termine a v ec la mort de la comme le dit le p a lm a rès * à la simplicité de
mère, qui laisse l'adolescent seul a u monde, l'expression et à la sincérité des sentim ents »,
mens décidé à triom pher d e la vie. Aparajifo non plus du reste q u 'à l'exotism e d u cad re
est le second épisode d'une trilogie dont géog raph iqu e et hum ain. T ransposé e n Occi­
Satyajit R ay p ré p a re le dernier. L'ensemble dent le film de S atyajit Ray n 'a u rait p a s,
est tiré d 'u n c élè b re ronlan fleuve bengali, je crois, moins d'intérêt. Si l'u n des
lui-même paraît-il influencé d e Gorki et de critères m odernes d u ' ciném a réside d ans
Romain Rolland. le c aractère rom an esq u e d u récit, s a cap acité
J'avoue m a préférence p our Pather PançhaU au-delà de l'objectivité d e l'im a g e d 'ép o u ser
dont le ton nous av ait p a ru plus insolite et les m odalités subjectives d u lan g a g e , S a ty a ­
plus libre. Le pittoresque documentaire de jit Ray est u n cinéaste qu'il faut aim er, — A. B.
B énarès vient un p e u p erturber ici notre atten ­
tion d'O ccïdentaux et, surtout, l a mort des AMERE VICTOIRE
p a ren ts a p po rte u n élém ent relativem ent mélo­
dram atique. M ais l'essentiel dem eure, qui est II est u n e chose qu'o n n e peut d én ier à
d 'a b o rd u n e vérité d es personnages dont a u ­ Am ère Victoire : c'est son ambition, non seu ­
cun film in d ien n ’a jam ais approché. L'un© lem ent su r le p la n du scénario, m ais du style.
des raisons en est q u e les acteurs (sauf le Ce film fait entendre u n e harm onie qui n 'a
père) n e sont p a s d es professionnels. Ensuite p a s le ronron o uaté des rhétoriques o rd in ai­
et surtout, u n ton d e récit détendu, rêveur, à res. S a m élodie n 'e st p a s d e celles q u e l'on
demi subjectif (celui justem ent des séquences fredonne à la sortie. Il faut u n effort certain
de Boggy d a n s Le Fleuve) qui est aussi le ton p our s'acco rd er à son rythm e, et, pourtant, l'e s­
des rom ans sem i-autobiographiques, des sou­ prit le plus prévenu, est forcé d 'e n pressentir

A p a ra jito de S a ty a jit R a y .

44
Amère Victoire de Nicholas Ray.

la logique interne. Je n e crois p a s qu'on puisse conde vision m 'a confirmé d a n s cette im pres­
p a rle r d 'u n e œ u v re d e Nicholas Ray a u tre ­ sion q u e j'a v a is ép ro uv ée a u cours d e la p re ­
ment q u e p a r com paraison, avec la musique, m ière : q u e nous ne pouvons vraim ent être
a v ec la peinture aussi —- et à propos de quels en course q u 'a u second, peut-être m êm e a u
au tres films s'im poseraient mieux les im ages iroïsième tour d e piste.
d e trait, d'écriture, d e cerne, d 'a ra b e sq u e ? N on
Je sais b ien q u e ce film n'est difficile que
q u e quoi que ce soit y soit emprunté aux
pour qui veut v chercher la difficulté. S'il d é­
au tres arts, m ais que, tout a u contraire, la
concerte, ce n'est p a s q u e son la n g a g e soit
dém arche de l a création y est si pure d e
incom préhensible (m algré cette lég ère obscu­
toute influence, étran gère, q u e nous n e pou­ rité, ou d u moins concision, d e récit à laquelle
vons la concevoir q u e p a r analogie avec ce
j'a i fait allusion), m ais q u e nous sentons bien
qui se p a s s e d a n s les au tres doniaines.
qu'il p a rle un au tre la n g a g e q u e l'habituel,
Le p ro p re d 'u n e œ u vre ach ev ée est qu'elle san s toujours bien en d éceler l a raison. Nous
donne (les exem ples foisonnent d an s la pein ­ aurons, très bientôt, espérons-nous, l'occasion
ture m oderne) le sentiment d'une incomplé- de p a rle r plus longuem ent d ‘A m è re Victoire
tude. L'essentiel p a raît à peine esquissé, l'a c ­ et d e proposer notre pro p re interprétation d e
cessoire y p a ra ît subir u n traitement d'une im­ certains p a ssa g e s controversés, comme celui du
p ortan ce imméritée. Il est certain q u e le d é ­ scorpion. Disons donc sim plem ent aujourd'hui
cou p age initial d 75.m ère Victoire a subi q u e l­ q u 'a d a p te r le rom an de René H ard y de la fa ­
ques am putations, lesquelles n e sont p a s étran­ çon dont l 'a fait Nicholas Ray, en envoyant a u
g ères à certaines obscurités m atérielles du d iab le toutes les conventions psychologiques
film. Toutefois, l'au teu r affirm e qu'il a fait ce de l'écran, était san s doute u n e folle entre­
qu'il a voulu, et quelques épisodes ou plans prise, m ais que, san s cette folie, nous n 'a u ­
supplém entaires n'auraien t, je ne p en se p a s, rions été en p résen ce q u e d'u n film d 'av en ­
m ieux perm is à notre respiration, de s p e c ta ­ ture d a n s l a tradition du western, se conten­
teurs d e s 'a d a p te r à celle du film. Une s e ­ tant d ’exposer sous la forme d 'u n d é b at dra-
m atique ce q ue le rom ancier découvrait p a i Ezuï) (1950), La Dame de M ushashino (Mushas-
le m oyen d e l'introspection. Ce q u e R ay a hino Fujin) (1951) nous montrent, a u contraire,
tenté, c'est a u contraire une transposition p a r des femmes d e la bourgeoisie qui s'ach em i­
l'im age — l'im age en m ouvem ent (aucun mot nent vers le désespoir et le suicide. C es h is­
n'existe m alheureusem ent p our désigner cette toires sim ples d e la vie jap o n a ise (jeu n e télé«
cellule-mère d e l'organism e ciném atographi­ phaniste qui s e ven d à son p a tro n pour aid e r
que) — des mouvements intérieurs d e se s h é­ s a famille, épouses incom prises q u i cher*
ros. Dans ce film qüi roule a uto ur d e ce chent la mort) valent moins p a r l'événem ent
qui fait l'objet d'un e ellipse d a n s Le Vent m êm e q u e p a r les touches d e p in ceau déli*
souffle où il veu t, Ray s e montre infiniment cates dont le cinéaste sait les re h au sser. L'in-
près de Bresson, p a r l'objet, sinon p a r la finie sensibilité d e Mizoguchi sait do n ner u ne
méthode. Tout, m ême u n e certain e vraisem ­ expression visuelle à tous les m ouvem ents de
b lan c e est sacrifiée à l'expression. Se form a­ l'âm e hum aine, à ch aq u e p e n sé e m êm e non
liser d'un tel sacrifice, c'est refuser l'art tout exprimée. Le silence est, chez lui, p a ré d 'u n e
entier. Qu'est-ce m aintenant q u e l'expression ? particulière éloquence.
Si cette notion vous p a raît confuse, l a vision Les m aisons a u x p arois tran sp are n te s, où
d'A m ère Victoire p o u rra préciser vos idées.
oscille la lumière, et où l a profondeur de
Rien, je pense, n 'est impossible à tradu ire cham p naît tout naturellem ent d ès q u 'u n e
en lan g a g e de l'écran, m ais tout n e l 'a p a s été porte glisse, s e prêtent à d e s é cla ira g es d 'u n e
encore. Il est b a n al d'exprim er p a r le regard, variété infinie d e nuances. M ais ceux-ci sont
le geste, la parole, les artifices du décou p ag e toujours chez lui, le reflet d 'u n e situation p sy ­
u n conflit intérieur, si l'on p ren d soin d 'e n é ta ­ chologique. Dans L'EJégie cfe M aniva, la jeune
ler les différents moments, comme d a n s u n téléphoniste et son ami p assen t d e rriè re un
m onologue de Corneille. L'originalité d e ce é talag e, et le prem ier p la n s'é v a p o re d an s
film est de refuser I'ab itraire d 'u n tel section­ u n flou où luisent doucem ent des flocons p h a r­
nement. A u n e succession abstraite, se substi­ maceutiques. Signe que tout a uto ur d 'e u x a
tue la sim ultanéité du concret. C haque fois cessé, pour un instant heureux, d'exister. Dans
q u'u n des héros tue, ou n e tue p a s, ou laisse u n p a ssa g e du Desfin d e M adam e Yuki, l'e a u
tuer, l ’action est si rap id e qu'on ne saisit coule lentem ent dans u n e piscine, déb orde,
q u 'a p rès coup l'intention qui l 'a déclenchée. ondule en cercles doux sur les dalles, se
La montrer clairem ent avant, eût été l'a p p a u ­ confond avec d es taches d e lumière. M erveil­
vrir. Entre la p a u v re vraisem b lan ce et la leu se pu deu r de cette scène où u n e jeu n e fille
riche vérité, il v a sa n s dire q u e je n e b a la n c e s è b a ig n e tandis qu'un garçon, accroupi sur
guère. — E. R. les dalles, lui parle. Dans Les Fem m es de la
nuit, le vitrail d 'u n e ég lise détruite, re p ré ­
RETROSPECTIVE MIZOCUCHI sentant u n e madone, brille d a n s les tén è b res :
sym bole d 'u n espoir pour celles qui tentent d e
Cette rétrospective vient enrichir av ec bon­ s'é v a d er de leur misère. Il n ry a rien de
heur la connaissance q u e nous avions de Kenji sulpicien d a n s cette expression du sentim ent
Mizoguchi. Il est v ain m aintenant d e l'oppo­ chrétien p a r u n Japonais.
ser à Kurosaw a, d e faire d e lui un p u r lyri­ Dans Les O ies sa u v a g e s (b e au film ja p o ­
q u e : il sait exprim er la violence, comme le nais q u e nous avons vu a u Lido il y a deux
m ontre la fin de ses Fem mes de la nujf (Yoru ans), tandis q u 'u n e jeu n e , fille allait s e jeter
No Onnatachi) (1948) o ù des prostituées, e x as­ dans u n lac, u n e oie sa u v a g e se d ressait av ec
p érées p a r leur vie san s issue, se ru ent sur u n gran d bruissem ent d 'ailes, pour s 'é la n c e r
l'une d e leurs com pagnes, d a n s u n e crise d 'h y s­ d a n s l'espace, vision qui a va it l a p ureté d'un©
térie commune. Lucide, il n e craint p a s la d e ces a q u are lle s peintes su r la soie.
laideur, rien ne le choque. Il se p en ch e sur
le sort des prostituées san s m épris ni senti­ Même discrétion chez Mizoguchi p o u r Le
m entalité faciles. Et ainsi s a dénonciation de Suicide de M adam e Yuki, et encore plus ém ou­
l'injustice sociale acquiert u ne douloureuse ré ­ v an te : des brum es montent du lac, brouillent
sonance. le p a y sa g e , seu les luisent toutes b lan c h e s u n e
table et une chaise devant un petit café. Len­
N'est-il p a s significatif q u e les deux seuls tement Yuki s'asseoit et com m ande du thé.
films optimistes de cette série soient consacrés Q uand le garçon revient a v ec le p la te a u , la
à la prostitution ? (Femmes d e la nuit et La
ch aise est vide et s a b lan c h e u r froide nous
Femme crucifiée [U w asa no Onna] 1954). Les heurte comme u n e blessure douloureuse.
trois autres. Elégie de N aniva (Naniva-Hika)
(1936), Le Destin d e M adam e Y u k i (Yuki Fvjin L. H. E.

Ce compte rendu du Festival de Venise a été rédigé par André Bazin, Jean Domarchî,
Lotte H. Eisner et Eric Rohmer.

46
N1CH0LAS RAY A VENISE q u ’il est am en é à fournir, que les circons­
tances font que nous ne som m es jam ais tout
à fait égaux à nous-m êmes, k L a guerre ne
A l ’issue d e la présentation d ’A m è re V ic ­ m ’intéresse que dans la mesure où elle est
toire, Nicholas R ay s’est gentim ent p rêté à un creuset où la personnalité apparente se
u n e discussion en plein air où ses adm ira­ dissipe pour faire apparaître l’essentiel. y>
teurs (des jeunes pour la plupart) l ’ont b o m ­ L es problèm es d e form e ne sem blent pas
b ardé de questions. C’est m oins sur le sens le préoccuper outre m esure. 11 insiste sur la
général de son film q u e sur certains détails m arge considérable d ’improvisation q u ’il s’est
q u ’il a été interrogé, tan t il est vrai q u e le accordée, surtout lorsqu'il tournait en exté­
pu blic (m êm e cultivé) est plus soucieux de rieurs. Bien des idées lui sont venues sur le
vraisem blance que de poésie ou d e m essage. terrain et n ’étaient pas prévues sur le décou­
Citons au hasard. O n lui dem ande com m ent page initial. E t com m e je lui dem ande pour­
le com m ando sur Bengazi a été possible de quoi il a tourné en noir e t blanc plutôt q u 'e n
n uit alors que le couvre-feu était d écrété par couleurs, il m e répond, à m a grande surprise,
les A llem ands dès 8 heures d u soir. Il répond q u ’il préfère de beaucoup le noir et blanc,
alors : k Licence poétique. // -faut toujours « q u’il y est plus à î ’aisc ».
subordonner les détails matériels au rythm e Nous enchaînons ensuite sur ses anciens
du film . » A m ené à porter un jugem ent sur films, Joh n ny Guitar le laissé perplexe, car la
les protagonistes d ’/4m ère Victoire, il répond présence d e Joan Craw ford l’a obligé a m odi­
q u ’ils ne sont ni des héros ni des lâches, m ais fier très profondém ent le scénario. 11 a une
plus sim plem ent des hom m es placés d a n s une secrète préférence pour ïn a Lonely Place et
situation exceptionnelle, O n Dtingerous G round, m ais il attache une
Il revient sur ce problèm e au cours d e la im portance toute particulière à Bigger T ha n
discussion q u e j ’ai eue avec lui, à l ’Excelsior, L ife ; a On professeur a mille fois plus de
à u n e heure avancée de la nuit. Il m e dit responsabilités q u ’un plom bier et il est m oins
ê t r e fra p p é par une observation d e R om ain p ayé que lui. Le problèm e que j ’ai abordé
R olland, selon laquelle l’âm e hum aine est un dans Bigger T h a n Life, je le reprendrai à
ensem ble d e possibilités qui ne se m anifestent nouveau. Ce n e s t pas par hasard que James
pleinem ent que d a n s des circonstances excep­ Mason es t condam né à prendre de la corti­
tionnelles. L a guerre précisém ent est une si­ sone... L e problèm e sociologique que posent
tuation lim ite où l'h om m e se révèle intégrale­ les professeurs est capital. »
m ent à lui-m ême. Mais comm ent se révèle-t- 11 est évidem m ent satisfait d ’avoir pour son
il? Com m e contradiction perm anente, d e telle prochain film T h e Story o f Eüerglades, Budd
sorte q u ’il n ’est pas possible p our qui le Schulberg pour scénariste e t producteur et de
juge équitablem ent de d écider s’il est ind is­ le tourner à New-York. A travers son conten­
cu tablem en t un héros où un lâche. tem en t, transparaît u n e antipathie m arquée
p o u r les m éthodes de production des grandes
A m a question : a Avez-vous choisi déli­ firmes et u n e défiance à l'ég ard du systèm e
b érém ent A mère V^icioîre ou vous en a-t-on hollyw oodien. — J.D.
signalé l’intérêt? », il répo n d : a J’ai lu
A m è re Victoire et il m ’a sem b lé intéressant
d ’en faire un film , ne fû t-ce que pour d é ve ­ OLIVE! RA
lopper certains th èm es que j'aüais déjà abor­
dés (tout particulièrem ent dans R eb e/ withoui P O R T O , A O U T . — Les Français cette a n ­
a cause). D u sim ple fait de Vexistence d ’au­ née, c’est bien connu, sont allés au Portugal.
trui, personne ne p eut correspondre exacte­ J ’ai fait com m e eux, mais en bénéficiant de
m e n t à ce q u’il est réellem ent. » Je com ­ l'hospitalité d 'u n cinéaste portugais, M anuel
p rend s, à travers les explications ultérieures de O liveira. Q u and je dis « u n », m ieux v au­
Dans Les Bijoutiers du Clair de Lune, Vadim rafraîchit les pieds de B. B. en m ettant de
la glace devant un ventilateur.

drait écrire « le » cinéaste, car l’œ uvre, très VADIM 'ET BAR DEM
lim itée, d e M anuel de Oliveira constitue p o ur­
tan t l’essentiel de ce q u e le ciném a portugais M A D RID , 23-27 A O U T . — E n route pour
peut m ontrer d ’honorable. Il est l ’auteur de V enise et venant d e Porto, j'a i naturellem ent
A.nikji-Bobo qui, dès 1944 et sous l ’influence voulu m ’arrêter à M adrid. Le « petit journal »
directe d u ciném a italien, s’accordait au grand se devant de n ’être que ciném atographique,
m ouvem ent néo-réaliste. Pour M anuel de O li­ je tairai m es autres im pressions, j e pourrais
veira, le ciném a n ’est du reste, par 3a force toutefois parler peinture, le P rado m ’ayant
des choses, q u 'u n violon d ’Ingres dont son inspiré plus d ’une rem arque sur les rapports
vrai m étier d 'in d ustriel lui perm et h eureu se­ de la peinture et d u ciném a, n otam m ent à
m en t de jouer, faute d ’encouragem ents gou­ cause des « M enines » de V elasquez, dont
vernem entaux. Dans ce pays qui offre p o ur­ je m ’étonne q u ’il ne soit pas un lieu com m un
tan t u n e inépuisable et passionnante m atière de la critique ciném atographique. J’y revien-
docum entaire et notam m ent ethnographique, drai sans doute u n e autre fois, avec docum ents
la production officielle ou semi-officielle s’atta ­ a l’ap pu i.
che encore à des sujets de p ropagande
conventionnelle, sans véritable valeur docu­ D u point de vue strictem ent ciném atogra­
m en taire non plus que ciném atographique. p hiq ue, m on séjour à M adrid a été m arq u é
Q uan t aux films à scénario, m ’étant aventuré par d es visites à V adim et à Bardem .
au dernier produit, j ’ai d û fuir à l’entracte, a A llez les gars, c’est u n vrai m iel, si
accablé. Détail am usant, les films étrangers vous faites ça, vous êtes des lions. » C ’est
ne peuvent passer q u e sous-titrés afin de A rm a n d T h ira rd qui félicite et encourage
protéger la production nationale qui s'élève assistants et m achinistes. Juché sur le chariot-
à... u n ou deu x films p a r an. O n com prend grue, l’œil à l’objectif, il règle un m ouvem ent
m ieux dans cette conjoncture le succès et délicat. L a cam éra cadre au d épart sur le
l’utilité des C iné-Clubs portugais. Celui de ventilateur, passe sur u n plateau p lein d e
Porto n ’a pas moins de 2.500 m em bres et m orceaux d e glace don t la fraîcheur est
possède notam m ent u n e rem arquable section puisée vers les pieds de Brigitte Bardot.
enfantine. A la suite du courant d ’air, l’œ il va suivre
M anuel d e Oliveira avait concouru au Fes- les jam bes ju sq u ’à cadrer la belle e n fan t en
tival de V enise 1956 avec un court m étrage assez sim ple appareil. E lle lit u n rom an poli­
e n couleur L e Peintre et la Ville, qui était cier en sirotant u n fond d e citronnade. Nous
tout à la fois un « film d ’art » sur f’u n des som m es dans u n e pièce d e m aison cam p a ­
m eilleurs peintres portugais contem porains et gnarde cossue et confortable. P ar l’escalier d u
un docum entaire poétique sur la ville de fond va surgir A lid a V alli, scandalisée d e la
Porto. Ce film intéressant a été présenté désinvolture d e sa nièce fraîche ém oulue du
récem m ent à la C iném athèque française. couvent. Le réglage de ce plan a du ré une
bonne h eure et (Ternie. Sans im patience du
Selon la m éthode qui lui est chère, M anuel reste et dans 'la sérénité générale.
de Oliveira prépare à l ’heure actuelle cinq
k portraits-films » de peintres et d ’écrivains V ad im po u rtan t n ’est pas fâché d ’en avoir
portugais contem porains. Il s'agit chaque fois bien tôt fini avec les studios espagnols do n t
de présenter l’auteu r en situation dans son l’équipem ent, sinon le personnel, lui a d o n n é
œ uvre. Le cinéaste y parvient en im aginant q uelq ue fil à retordre. A la vérité et à la
au m oins u n e esquisse de scénario qui fait, réflexion, le style d e V ad im et les exigences
en quelque sorte, pénétrer le créateur dans plastiques d e la ph otographie de T h ira rd
sa création. — A.B. n ’étaient guère prédestinés aux conditions de

48
Lorsqu’un critique de cinéma tourne un film, il redevient un homme comme tes autres,
au surplus handicapé par un fatras de réminiscences auxquelles il tente à tout prix
d ’échapper. Mais comme il a pas mal réfléchi à l’art qu’après avoir défendu, il entend
illustrer, l'entreprise ne devrait manquer d’être captivante. Après Alexandre Astruc, Pierre
Kast, Jacques Doniol-Valcroze, Jacques Rivette et avant Ado Kyrou, François Truffaut se
lance dans la mise en scène. Son premier film, Les Mistons, est aussi le premier film d’une
nouvelle maison de production : Les Films du Carrosse, aux destinées de laquelle président
François Truffaut, Robert Lachenay et André Bazin.
Tous les amis (et aussi les ennemis) de Truffaut qui attendent au tournant le journa­
liste farouche, ne seront pas déçus. Les M istons, à l’instar de ces petits voyous qui prêtent
leur nom au titre du film, sera une œuvre « turbulente ».
Pour l’instant, Les Mistons sont en cours de montage et attendent pour vivre la
première projection publique. Pour tous renseignements complémentaires, voici quelques
slogans publicitaires, comme il est d’usage d'en rédiger dans les grandes maisons de
production :

— La première réalisation du célèbre critique de « Arts » et des « Cahiers du Cinéma » :


François Truffaut !
— Une nouvelle audacieuse de Maurice Pons adaptée à l’écran !
— Les Mistons, mais qui sont les Mistons ?
— Les Mistons ou cinq enfants devant l'amour !
— Toute la pureté enfantine au contact d’un monde hostile !
— Cet âge est sans pitié, Les Misions un film impitoyable !
— Ce ne sont plus des enfants et pas encore des hommes î
— Gérard Blain, l'authentique révélation du Temps des Assassins.
— Bernadette Lafont ! Kim Novak n’a qu'à bien se tenir.
— Un film entièrement tourné en extérieurs, dans le cadre somptueux de la Provence,
par le chef opérateur Jean Malige !
— C’est une production des « Films de Carrosse » !

ce que son soleil a d ’inhum ain. C ’est p ou r­ B ardem n e cache p as q u ’il considère son
tan t dans ce soleil que l ’équipe a d û travail­ film comm e le troisièm e volet d ’u n tryptique
ler, en y adjoignant encore les projecteurs sur l ’égoïsme, d o n t M ort d ’un, cycliste est en
destinés à atténuer la violence des om bres. uelques sorte l ’épisode bourgeois et raon-
E t com m e les horaires d u travail ciném ato­
g rap h iqu e ne prévoient pas la m éridienne, il
Q ain, Colle M auor le provincial et L e M ois-
sonneur l ’épisode paysan.
fallut affronter le soleil q u an d les vrais m ois­
sonneurs font la sieste. Bardem d u t d ’ailleurs Si L a V engeance est le prem ier film en cou­
leu rs de Bardem , c ’est aussi en principe le
renoncer à la figuration des ouvriers agri­ d ern ier q u ’il réalise pour le com pte d ’u n autre
coles d u lieu : ils n 'y résistaient pas. producteur. Il vient e n effet d e participer à
Mais revenons au scénario. P e u à p e u dan s la constitution d ’u n e coopérative de p roduc­
les vicissitudes et les souffrances com m unes tion dont les principaux associés s’appellent
d e la quadrilla, la h aine et la m éfiance Berlanga, les frères Dom inguin, le scénariste
s’ém ousseront et l’o n oubliera la vengeance e t écrivain R icardo M unoz Suay et, du côté
p o u r la solidarité. des acteurs, Mistral et L ucia Bose. — A.B.

50
11>,[»] TTW fflT.ru . ^ n iüJüi :IM :TTTft q u e la censure s’effarouche toujours des géné­

Opinions
ralités sociales.
C ’est u n scénario original d e Bardem dans
la plus classique tradition néo-réaliste. U n e
histoire d e paysan injustem ent condam né su r
u ne dénonciation et qui, sorti d e prison, r e ­
vient a u village décidé à se venger. P o u r
m ieux surveiller celui qu’il soupçonne d e
l ’avoir calom nié il s ’engage avec sa sœ ur,
dans u n e quadrilla de m oissonneurs. C es
équipes itinérantes se louent pour la moisson
la peau de I ours dans les ferm es de Castille, u n peu com m e
da n s le Midi d e la France, les vendangeurs.
Mais le travail est plus d ur et plus long (on
fauche encore à la faucille), plus incertain
aussi, et l’on doit souvent m arener des jours
On empoisonne le co.nmissa're dans LA PEAU DE l'OURS. d a n s la poussière p o u r trouver de l’em bauche.
: Un film 'fronçois follement drôle sans être vulgaire. Jean A y a n t précisém ent traversé la Castille à l’é p o ­
RICHARD est'éfoniiant dans ce rôle inhabituel. De lui.comme qu e de la moisson, j e puis dire d ’expérience
de Nicole COURCEL, Sophie DAUMtER, DeoiVc GREY et Noël
ROQÙEVERT, le jeune metteur en icène Claude BOISSOl a
su tire r le maximum. M a rc e l k r e b s

Quelle trouvaille d'a vo ir w . employer un Jean RICHARD


sam grimne* et rtouf (aire r i n autant.
Bravo pour le metteur en scène Cldudg BOiSSGl et
toute notre adm iration à Jean RICHARD pour sa nouvelle
composition. J a c q u e s B O hi

Ce lilrn nous montre un Jeoa RICHARD Inconnu et lui


permet de nous révéler toute la gamme d'un grand latent.
Be»t> G A C H A SSSU

Jean RICHARD n‘ o jamais été mieux qu’ic i. C’ est une


i.'ivétation pour le spectateur que de vo ir un Jean RICHARD
ou visage sérieux dans un lilm de mystère, et de tant rire
de ses mésaventures. A . M . A N G if »

Depuis qu'a paru dans [a presse ce pavé


publicitaire pour La Peau de l'Ours, les
agents secrets des « Cahiers » sont sur les
dents. Ils recherchent activement Marcel
Krebs, Jacques Bon, René Gachassin et
A.M. Angier dont, après avoir consulté
T « A.B.C. du Cinéma », 1* « Annuaire des
Membres de fa Presse de Paris et de Pro­
vince », le « Bottin Mondain », le « W h o’s
W ho », le « Tout-Cinéma » et la liste des
affiliés au « Petit Limonadier de Gaumon-
vilie », ils n’ont pas encore réussi à retrou­
ver I» trace. Tous renseignements sérieux
seront les bienvenus : pas de récompense,
mais discrétion assurée.

travail espagnoles. Si V ad im et T h ira rd ont


q u a n d m êm e fait ce cfu’ils voulaient, ç ’aura
été a u prix de plus d e ténacité et de patience
q u ’ils ne l ’auraient souhaité.
Bardem en revanche ne pouvait avoir eu à
se plaindre que de la chaleur. Son nouveau
film devait s'appeler Le M oissonneur, on
l'appellera sans doute La V engeance, parce Bardem : « Que calore ! »

49
LA P H O T O DU MOIS

Pour Maria Schell et Christian Marquand, Alexandre Astruc bat la mesure d’Une Vie.

Joinville : un doux soleil d ’a uto m n e inonde la cour d u studio. P lateau A : u n e cour


de ferm e où le b a q u e t d e bois_ sous la gouttière s ’orne d*une frange d e stalactites glacés q u e
le plus p uissant d es arcs n ’arriverait pas à faire fondre. Nous som m es d a n s le grand décor
que P au l B ertrand a construit p our lés besoins d ’U ne V Je.
Ce q u i frap p e tout d ’abord, c ’est l ’o rd ie. Pas d e praticables, de projecteurs o u d e câbles
traînant à d ro ite et à gauche, mais u n b e a u sol d e terre b attu e : cela sen t la cam pagne.
A p rè s avoir jeté u n coup d ’œ il a u x écuries et à la porcherie, nous pénétrons d a n s la ferm e
des D and ieu p a r la porte d e la cuisine : d a n s u n e dem i-obscurité, on entrevoit l ’âtre noirci,
les m urs rouges sang d e b œ u f. D errière u n e porte, d e la lum ière : c’est le vestibule vert
am ande, et voici le salon to ut de bistres clairs où s ’active le chef opérateur, C laude R enoir.
A lexandre A stru c est en train d e régler lé plan 19 A : M aria Schell, trem p ée parce
qu’elle vient d e to m b er à la m er, entre, suivie de C hristian M arquand, q u i l'a ram en ée chez
elle. L a cam éra est su r travelling : a u jo u rd ’hui, la grue (italienne) se repose d a n s son coin.
Un dernier volet placé sur u n spot, l ’ultim e retouche au fe u d e bois daris la chem inée et l’on
tourne : très p e u d e répétitions, beau co up d e prises. A la quinzièm e, c ’est d a n s la boîte. E t
a’on passe a u plan suivant.
11 est difficile d e dire d ’u n film q u ’il sera l ’u n des m eilleurs d e l’an n ée prochaine après
avoir lu le découpage et assisté à une ou d e u x séances d e tournage. Pourtant, sj je m e le
perm ets, c’est q u ’il y a des signes qui ne trom pent pas. II y a évidem m ent la qualité
aes dialogues et u n e m ise e n scène qui s ’épure, d evient plus personnelle. Il y a surtout
l’am biance qui rè g n e sur le p lateau , faite à la fois d e d éten te et d e ferm eté, d e calm e et
d ’ardeur : o n y respire 1* « air » d ‘un g ran d film. — C . B.

Ce petit journal a été rédigé par ANDRÉ B aZIN, JEAN D o MàRCHI et CHARLES BlTSCH pour la
photo du mois.
COTATIONS
9 inutile de se déranger
* à voir à la rigueur
à voir
LE CONSEIL DES D I X à voir aabsolument
4c* * * chefs-d'œuvre
Case vidé : abstention .ou : pas vu.'
Robert Charles Pierre Jacques Jacques Georges Jean-Pierre
Henri André D oniol. Jean-Luc
IÏTRa | OBB FXLMB Les d ix » Agel Bazin Benayou n Bitsch Braunberger Godard Rivette S adoul Vivet
Va1.croze
i

1 2 hommes en colère (S. Lumet) ............ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ■ ★ *. ★ ★ ★ ★ ★ * * * * ★

Femmes entre elles (M. Antonioni) . . . ★ * ★ ★ ★ ★ ★ • ★ ★' * ★ ★ ★ * ★ ★ ★ ★ *

La Nuit des- maris (D. Mann) . , ............ ★ * ★ * ★ ★ * * ★ ★ ★ ★ ★ * *

La Fil/e sur la balançoire (R. Fleîscher) * * ★ ★ ★ ★ * * ★ ★ ★ ★ ★ ★

Pour que les autres vivent (R. Sale) • ★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ★

★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ ★

Œil pour œ i l (A. Cayatte) .......................... • ★ ★ ★ ★ • ★ * * • ★ ★ ★ ★

L’Ombre (J. Kawalerowicz) ...................... * • *


• ★ ★

Le diabolique Mr. Benton (A, Stone) . . . . • ★ ★ ★

La Loi de la prairie (R. Wise) .................. ★ ★ ★ • • ‘

Les Suspects (j. Dréville) ................. .. • •k ★ ★ *

La Peau de l’ours (C. Boisso!) .................. ★ * • ★ * • •

Affaire ultra-secrète (H.-C. Potter) . . . . * ★ •

Une île aui soleil (R. Rossen) . . . . . . . . * 0 « • ★ ★ •

L’Emprise de la peur (H. Keller) ____ 0 Q •

Les Œufs de l’autruche (La Patellière) . . • • • i• •


LIS FILMS

Eleonora Rossi-Drago et Ettore Manni dans Le Amiche, de Michelangelo Antonioni.

Une robe de tulle bleu ciel


LE AMICHE (FEMMES ENTRE ELLES), film italien de M i c h e l a n g e l o A n t o ­
Scénario : Suso Cecchi d’Amico, Alba de Cespedes et M ichelangelo A nto­
n io n i,
nioni, d'après « T ra donne solo » (« E n tre fem m es seules »), troisièm e récit du
recueil « Le Bel Eté » de Cesare Pavese. Im ages : G ian n i di Venanzo. Décors .*
G ian n i Polidori. Montage : E raldo d a Roma. 'Interprétation : Eleonora Rossi
Drago, V alen tin a Cortese, Yvonne F u rn eau x , M adeleine F ischer, A n n a-M aria P a n -
cani, G abriele F erzetti. Franco Fabrizi, E tto re M anni. Production : G iovanni
Addessi pour T rionfalcine, 1955. D istribution en France : G am m a-Film .

Cesare Pavese était, jusqu’à son sui­ le ttre s contem poraines : ceux qui ne le
cide en 1950, le plus g ran d des jeunes pen sen t pas, so n t ceux qui n ’o n t pas
écrivains italien s ; m ort, il devient l’u n lu Pavese. Comme d ira it Rivette, c’est
des plus grands écrivains contem po­ l'évidence. J e renvoie les sceptiques aux
rain s. « A vant que le coq c h a n te » et deux recueils en question (N.R.F. Col­
« Le Bel Eté » son t deux som m ets des lection « Du M onde entier »). On ne

53
p eu t raco n ter « E n tre fem m es seules », « T ra donne solo » e t suis convaincu
to u t y est d an s la façon de raco n ter. que les règles actuelles de l’univers
D an s la prière d’insérer, M ichel A rnaud ciném ato g rap h iq u e aussi bien que l’é ta t
(le tra d u c te u r) dit, fa is a n t allusion au x de son lan g ag e n e p e rm e tta ie n t pas
tro is récits du « Bel Eté » : « R a con ter d ’en faire u n e a d a p ta tio n fidèle. Il n ’y
ces histoires, est le plus sûr m o y e n de a dans ce ré c it n i progression d r a m a ­
les trahir. Elles sont tissées avec le fil tique visible, n i c h a rp e n te extérieure, n i
des jours, les paroles envolées, les m o ­ évolution caractéristiqu e des p e rso n ­
m e n ts perdus. On songe à « Trois Vies » nages, n i th èse, n i m êm e u ne idée cen ­
de G ertrude Stein, tra d u it en italien tra le ou u n « m essage » qui puisse se r­
par Pavese. Cet art est très gra nd : il vir de p o in t d 'ap p u i ; pour le scén ariste
exprim e l’insaisissable, la douceur des professionnel, il se p résente com m e u n
heures qui s’écoulent. Turin, sa colline, m ag m a que l’on n e sait p a r quel b o u t
ses églises baroques, ses arcades ne so nt p ren d re ; u n e dizaine de p erso n n ag es
pas seulem ent le décor de ces trois ro­ s’a g ite n t confusém ent d a n s une durée
m ans : la ville participe aux dram es, presque in d éterm in ée, ' vont, v ien n en t,
les colore de son charm e à la fo is m o ­ p arlen t, fo n t des p e tits voyages en a u to
derne et suranné. » L’a u tre tra d u c te u r a utour de T u rin , de séparent, se r e ­
de Pavese, Nino F ran k , d it aussi : « ... si trouvent, recom m encent cette existence
l’on p eu t parler de néo-réalism e litté ­ floue où se m êlen t oisifs e t tr a v a il­
raire, c’est a va n t tout à l’œ u vre de leurs... L ’a m a te u r de scénario bien fi­
Pavese qu’il fa u t se référer. » M esurer celé n ’a plus qu'à p ren d re la fuite. Il
Pavese au ciném a é ta it une passio n ­ y a p o u rta n t u n principe d 'u n itç d a n s
n a n te expérience d o n t on com prend le récit : la n a rra tric e Clélia, e t je
qu’elle a it te n té Antonioni. m 'éto n n e qu'A ntonioni n e soit p as p a r ti
Qu’on Vapprécie ou non, A ntonioni a de là, c a r c’est p o u rta n t avec ses yeux
une trè s vive personnalité et u n e façon que l’h isto ire est vue, à tra v e rs son te m ­
assez particulière de se servir du ci­ p é ra m e n t, son expérience et ses ju g e ­
ném a pour exprim er sa vision du m en ts qu'elle est présentée. S ’il y a des
m onde. Son style assez froid, détaché, obscurités d a n s le récit, elles s o n t ju s ­
son goût d 'u n esthétism e où le co u p an t tifiées p a r le fa it que Clélia ra c o n te ce
se détache sur la brume, sa façon de qu’elle volt au fu r et à m esiire, sans
d iriger les acteurs, à la fois crispée et c o n n aître encore les te n a n ts e t les
désinvolte, to u t concourt à ren d re dif­ ab o utissan ts du groupe auquel elle se
ficile sa com m unication auprès du p u ­ mêle. Je n e doute p as que le procédé
blic qu’il ennuie souvent et qu’il irrite soit voulu chez Pavese : cette obscurité
parfois. E n F ran ce — 11 s'en p la ig n a it est concertée, m ais il a pris soin de la
lui-m êm e dans une le ttre auquel nous ju stifier p a r le m ode su bjectif de la
avons fa it allusion dans n otre n " 70 — récitan te. R en o n ç a n t au « je ^ p o u r u n
on a presque rien vu de lui e t to u jo u rs « il é ta it une fols une jeune fem m e
u n peu à la sauvette e t dans de m a u ­ qui... », A ntonioni se lance d a n s une
vaises copies. Le Am iche ne fe ra pas av en tu re impossible. Il lu i f a u t alors
com plètem ent exception à la règle : to u t expliquer, c’e s t-à -d ire fin a le m e n t
tim ide sortie a v a n t la « saison » d a n s in v en ter u n e a u tre histoire. Chez P a ­
u n ciném a de « deuxième exclusivité », vese, il se dégage peu à peu une h ié ­
trè s m auvaise projection sur u n très ra rc h ie des personnages; en d eh o rs de
m auvais écran d'une très m auvaise Clélia, su rn a g e n t fin alem en t M om ina,
copie, so u s-titres incertain s, titre sans résignée m ais la seule lucide, e t R o se tta
ra p p o rt avec celui d’A ntonioni et qui p as trè s lucide, m ais la seule qui n e se
est une m auvaise approxim ation du résigne pas, la seule qui fin a le m e n t
titre original du ro m an (Entre F em m es com m et l’acte qui ro m p t la règle du
entre elles e t Entre fe m m e s seules il je u e t brise la solitude d’ici bas ; les
y a u n m onde, et l’on voit bien ce que a u tre s re s te n t les autres, in te llig e n ts
le prem ier veut bassem ent suggérer de u n peu, v ég étatifs beaucoup, su rv iv a n ts
scandaleux)... e t je ne p a rle ra i pas des sans illusion d ’u n p e tit inonde ag o n i­
affiches et de la publicité ! De plus la san t. A cet univers brouillardeux em ­
critique qui, à quelques exceptions près, porté d an s u n g ra n d m ouvem ent cos­
ignore Pavese, et presque A ntonioni, m ique qui le dépasse et le broie, A n to ­
passe à côté du film, croit qu’il s’a g it de nioni a su b stitu é u n univers ro m a ­
« M arie-C laire » ou de feuilleton de nesque classique avec des charn ières,
gare. On voit que la m alédiction n ’est des angles e t des conflits tra d itio n n e ls :
q u'en p artie levée. l’am our de son m étier e t l'a m b itio n
Je viens de relire pour la dixième fois l’e m p o rta n t chez Clélia sur son am o u r

54
pour l'a s sis ta n t de l’arch itecte (Becuccio maison, R osetta a v o u a n t son am our à
dans le livre), le prem ier e t le second Lorenzo avec une bouleversante p u ­
suicide de R o se tta pour Lorenzo (Loris deur, Nene d isa n t à R o se tta avec une
dans le livre), personnage secondaire hum ilité héroïque : « Si f avais eu des
(comme tous les hom m es dans le récit) enfants, je n ’aurai p as cédé », M ariella,
prom u ici à u n rôle im p o rta n t avec après avoir été em brassée p a r Febbo
conflits personnels (sa jalousie du suc­ su r la plage, se m o q u a n t de son ta ille u r
cès a rtistiq u e de sa fem m e). Dès lors, plein de sable : « Les fem m es, nous,
en u n sens, to u t s’effondre. Clélia est c’est la peau qui nous v ê t ».
u n perso n n ag e fo rt d an s le livre, sa ­
c h a n t où elle va avec une Im pression­ Je ne re g re tte pas d ’avoir été du ju ry
n a n te sérén ité Intérieure, Becuccio ne vénitien qui cou ro n na Le Am iche. A
co m p ta n t p as plus pour elle que Febbo, l’époque, je n ’avais jam ais lu Pavese et
l’arch itecte, qui lui fa it l’am our u n soir j ’avais vu deux fois de su ite le film sans
p a r h a s a rd en tro is m inutes au cours sous-titres : c'est ain si qu’il é ta it le plus
d’une escapade avec M om ina : elle est pavesien, sans c o n n aître le m odèle et
a u -d e là de la d égradation. R osetta est sans suivre de près les dialogues. H uit
u n perso n n ag e faible que son ascen­ jours plus ta rd , je m e je tta i d an s « Le
dance et sa richesse em pêchent d’ex­ Bel Eté ». R evu a u jo u rd ’hui, le film ne
trap o ler vers l’indépendance e t l’in d if­ dégage plus le m êm e sortilège. Le génie
férence m orale de Clélia: elle se tue p a r de Pavese est passé, qui re n d plus p e tit
gran d e te n ta tio n de la p u reté et de to u t essai d 'illu stratio n . M ais l'im por­
l'absolu, elle est le double prém onitoire tan ce de Le A m iche dem eure, te n ta tiv e
de Pavese, com m uniste convaincu m ais de substituer au cin ém a spectacle u n
hom m e déchiré, incapable de se désen­ ciném a du com portem ent e t de l'in té ­
sibiliser de son désespoir fo n d am en tal riorité, de dégager u n nouveau langage
e t qui, u n a n ap rès avoir écrit le sui­ ciném atographique, d’am orcer une évo­
cide de R o setta dans une cham bre lution vers u n e form e plus adulte.
d’h ô tel de T u rin , se tu e en pleine gloire, Comme beaucoup de chercheurs e t de
en p lein succès... dans une cham bre novateurs, A ntonioni essuie les plâtres,
d ’hôtel à T u rin . L’ém ouvant symbole de m ais n'y a u ra it-il que dix m in u tes de
cette co n trad ictio n existentielle est réussies dans son film, qu’il a u ra it droit
cette robe de tulle bleu ciel qu’entrevoit à toute n o tre reconnaissance e t à tou te
deux fois Clélia. notre estime. C her A ntonioni, discuté,
discutable, m ais courageux e t têtu,
A ntonioni a oublié que R osetta c’é ta it p eu t-être n ’é ta it- ü pas taillé en a th lè te
d ’abord ce bleu ciel, e t n o n l’impossible pour s’av ancer d an s la brousse, le
am our po ur le Lorenzo qu’il a inventé coupe-coupe à la m ain, m ais les d é fri­
sans tro p de bonheur. Infidèle à l’h is­ cheurs et les explo rateu rs n ’o n t pas to u ­
to ire il a, avec u n e belle obstination, jours le physique de l’emploi; ce n 'e st
cherché à retro u v er d an s le to n le peut-être que la lam e d ’u n can if qu’il
« clim at » pavesien. P a r u n paradoxe in tro d u it dans la paroi opaque de la
pas tellem en t in a tte n d u , c'est dans les porte qui ouvre sur l’espoir e t la liberté,
p a rtie s les plus inventées qu’il y est le m ais l’on s a it depuis B resson qu’il su ffit
m ieux p a rv e n u : la scène de la plage parfois d ’u n m anch e de cuillère; et dans
— co n tractio n de plusieurs scènes de la brèche p asse ro n t les a u tre s e t déjà,
m er du livre — Pavese l’e û t sans doute avec Le Amiche^ u n e bouffée d ’a ir d’u n
jugée tro p sy stém atiq u em en t m élan ­ a u tre monde. R ien que p o u r cela...
colique et chorégraphique, m ais elle
sonne juste, comme la prem ière scène E t m algré to u t, je retrouve dans le
d’am o u r e n tre R osetta e t Lorenzo dans film la fam euse question de R o setta
la rue, exquisem ent désinvolte et re ­ et la fam euse réponse.
tenue. Sa réussite, c’est su rto u t le p o r­
t r a i t des cinq fem m es : Clélia, M omina, « — Et une fois Vamour passé, m e d it-
R osetta, Nene e t M ariella. M algré to u t elle tranquillem ent com m e si to u t était
elles so n t « pavesiennes elles ne normal, une fois que Von a compris qui
v ie n n e n t de nulle p a r t ailleurs que de l’on est, qu’est-ce qu’on fa it de ce qu’on
lui, elles so n t ciném atographiquem ent a appris ?
inédites et o n t ch acu n e u n g ran d m o­ — La vie est longue, dis-je. Ce ne
m e n t où u n e insolite fascin atio n s'em ­ sont pas les am oureux qui o n t fa it le
p are de l’écran : Clélia re g a rd a n t avec monde. Tous les m a tin s, c’est u n n o u­
u n p e tit so u rire Beccuccio dans une veau jour. ■»
glace posée s u r u n camion, M om ina
accu eillan t Febbo dans l'escalier de sa Jacques DONIOL-VALCROZE.

55
Les éternels m arris
THE TEAHOUSE OF THE AUGUST MOON (LA PETITE MAISON DE T H E ),
film am éricain en M etrocolor e t en Cinem aScope de D aniel Mann. S cénario ;
Jo h n Patrick. Im ages : J o h n Alton. Musique : Saul Chaplin. In te rp ré ta tio n :
M arlon Brando, G lenn Ford, M achiko Kyo, Eddie Albert, Paul Ford, Jim Negami,
Production : Ja c k Cum m ings-M etro Goldwyn Mayer, 1956. D istribution : M.G-.M.
THE BACHELORS PARTY (LA NUIT DES MARIS), film am éricain de
D e lb e rt Mann. Scénario : Paddy Chayefsky. Im ages : Joseph La Shelle. M usique :
Paul M adeira. Décors : E dw ard Boyle. M ontage : W illiam B. M urphy. In te rp ré -
. ta tio n : Don M ur ray, E. G. M arshall, Ja c k W arden, Philip Abbott, L arry Blyden.
P a tric ia Sm ith, Carolyn Jones. Production : H arold H ech t pour les P ro d u ctio n s
Norma, 1957. D istribution : A rtistes Associés.

Il y a h eu reu sem en t p a rm i la m istresses B utterfly de nos scènes ly­


confrérie des « M ann » u n A nthony riques. De l’a u tre côté, G lenn F o rd et
qui, s’il n e donne pas to u jo u rs dan s Eddie A lbert so n t chargés de d éfen d re
le mille avec sa Cote 465, n e cesse l'h o n n e u r d ’A braham Lincoln. A u p a ra ­
de relever la m oyenne. Mais que dire v an t, nous avons d éjà vu ces acteu rs
de D aniel et de D elbert ? en excellente form e (Désirs hum ains,
Le cas de D aniel est le plus c o n ste r­ p our l’un, Attack, pour l’a u tre ), m ais
n a n t. De La Rose tatouée à La p etite j ’avoue être dépassé p a r leur emploi
m aison de th é , en p a ssa n t p a r Une comique, A p a rtir d 'u n c e rta in to u r de
F em m e en enfer, il n e donne au x cri­ hanches, l’h um our e t la finesse de­
tiques aucun m o tif de satisfaction. v ra ie n t être in te rd its à c e rta in s je u ­
P o u rta n t, a priori, l ’idée d ’a d o p te r à nes prem iers ou assimilés, le g a b a rit
l’écran La petite m aison de th é n ’é ta it idéal des fan taisistes é ta n t to u jo u rs
pas mauvaise, puisque le titr e de la celui de Jam es S te w a rt ou de G ary
piècë est com mercial, e t son p o in t de G rant... Si D ario M oreno est in é g a la ­
départ, au moins, astucieux. M ais il ble, c'est pour d ’a u tre s raisons. Comme,
eû t fallu u n m inim um de conscience a u m ilieu de to u s ces batifolages m ili­
professionnelle. (Le ciném a est-il réel­ taires, il fa u t bien donner le change,
lem en t la profession de D aniel M ann la p in -u p n° 1 du Japon, r é to n n a n te
ou plus sim plem ent son casse-croûte?) Princesse Y ang Kwei-Fei, M achiko
Lorsque Jo sh u a L ogan re p rit pour Kyo, a été engagée. A elle évidem ­
Hollywood des succès de B roadw ay m en t, les séquences les plus inconve­
qui s’app elaient Picnic, Bus Sto p et n a n te s du film, comme cette scène où
South Pacific, il eut l’intelligence et elle déculotte litté ra le m e n t G lenn
l’h o n nêteté de refo n d re e n tièrem en t Ford. Ce strip -te a se m asculin se dé­
pour l’écran la m atière d ram atiq ue. roule en to u t bien to u t h o n n eu r, et
Ici, au contraire, tous les effets conçus s'a rrê te au caleçon qui, accessoire clas­
pour passer la ram pe s’e ffo n d re n t sique des comédies de boulevard,
en tre la toile et le p rem ier r a n g de donne la m esure de cette p e tite m a i­
fauteuils d'orchestre. Le seul in té rê t son de thé, vaudeville U.S. Army.
que l'on puisse tro u v er à La petite Se p la ç a n t égalem ent sous l’égide
m aison de th é f réside dans le décalage d 'u n des prem iers péchés c ap itau x , la
en tre le m odernism e am éricain e t la paresse, nous trouvons La N u it des
vieille civilisation nipponne. Chose maris. La cam éra de D elbert, est to u t
curieuse, les G.I. n ’y o n t p as le beau aussi pesan te e t em potée que celle de
rôle car, si les p aysans ja p o n a is nous Daniel, to u tes deux é ta n t encore te ­
sont m o n trés comm e des pauvres nues en laisse p a r le souvenir, si l'on
d'esprit, les arm ées d ’occupation so n t p eu t dire, des câbles des studios de té ­
représentées p a r les plus a h u ris des lévision. M ais ici les dégâts so n t lim i­
troufions. L'équilibre des forces e n p ré ­ tés, puisque le véritable a u te u r d u film
sence est respecté : d ’u n côté M arlon est le scénariste re to rs P addy C hayefs­
Brando, les yeux bridés e t le te in t m at, ky, célèbre p a r son dém agogique M arty.
n 'a pu résister à <u n e com position A n o te r to u t d'abord que l’am éricaine
courte, m ais séduisante. Il f a it valoir réu n io n de célibataires (Bachelors’
les prestiges de l'Asie, m ais sa p e rfo r­ P arty) est devenue chez nous L a N uit
m ance fa it u n peu tro p p en ser aux des maris. De p a r t e t d ’a u tre de l'A t­

56
Don Murray et Carolyn Jones dans La Nuit des Maris, de Delbert
Mann.

lan tiq u e les tropism es du public diffè­ u n com portem ent d ’u n e égale stéri­
re n t ; d ’u n côté la nostalgie du céli­ lité. Voyez p lu tô t : sur les cinq noc­
bat, de l’a u tre la prom esse d ’adultère, tam b u les qui nous occupent, les trois
t a n t il est v rai que le m âle Y ankee, prem iers so n t des m aris, encore ou de
éternel trib u ta ire de son ép o u se-am a­ nouveaux fidèles, le quatrièm e p u ­
zone, ne m anque jam ais de tro u v er ceau, le dernier a y a n t seul le courage
q u ’il y a une fem m e de tro p dans sa de ses ap p étits physiques. Il nous est
vie, alors que le L atin, polygam e inv é­ d ép ein t comme u n affreux Jojo, igno­
téré, pense qu’il n ’y en a jam ais assez... ble à so u h a it (pourquoi ne p as en
M ais le film n ’est qu’en ap p aren ce u n avoir fa it u n p e tit rigolo, comme c’est
clin d’oeil au sexe fort. T ou t concourt le cas le plus souvent?), e t il est curieu­
à rassu rer la femm e légitim e qui cons­ sem en t escam oté au m om ent où, en ­
titue, comme on le sait, la m ajo rité to u ré de proies consentantes, il va
de la clientèle, aussi bien de la té lé ­ pouvoir e n fin se gaspiller d ’une m a ­
vision que du cinéma. Que voit-on, en n ière efficace. C’e st-à -d ire que sur les
effet, sur l’écran ? Cinq m inables p a r- cinq personnages, q u atre sont soit les
touzards qui, c h e rc h a n t à s’en c a n a il­ p o rte-p aro le de l’auteur, absolum ent
ler, p u rg e n t leu r velléité d ’in d ép en ­ inhibé p a r le respect des conventions,
dance p a r d ’inoffensives in cartad es. soit l’illu stratio n d’un e m orale fém i­
E videm m ent le su jet est relativ em en t n iste d a n s laquelle l’adultère, to u t au
n eu f e t le film de D aniel M an n m é­ m oins en ce qui concerne les hommes,
rite en cela le déplacem ent. M ais l’ori­ ne paye pas. D 'ailleurs le film rallie
g in alité n ’est qu’u n e bien faible q u a ­ toutes les suffrag ettes ; il n ’est que
lité, si elle n ’est p as exaltée p a r u n d ’e n te n d re à la projection, au milieu
m inim um de sincérité. De deux choses d ’une faible h ila rité m asculine e t m a ­
l’u n e : ou P addy Chayefsky est u n h y ­ sochiste, les éclats de rire des sp ecta­
pocrite, ou u n im puissant. J e sais bien trices. Les réd acteu rs publicitaires des
qu’en général, dans u n e assem blée d i­ A rtistes Associés n e s’y sont pas tro m ­
sons égrillarde, l’écrivain ou le scé­ pés qui o n t composé des slogans tels
n a riste n ’est jam ais le p rem ier à se que : « M esdames, tra in e z de force
distinguer. H est bien tro p voyeur vos m aris voir La N uit des maris. »
pour cela. Ce n ’est pas u n e raiso n pour En fin de com pte voici une oeuvre
p rê te r à tous ces personnages fictifs originale p a r son sujet- Sa prétendue
audace, à l'in s ta r de T a n t qu’il y aura m édies com me S ep t dns de réflexion.
des h om m es ou Ouragan sur le Caine, O n a beaucoup parlé, à propos de ces
n ’a de rév olutionnaire que les a p p a ­ V itellonis am éricains, de Fellini, m ais
rences. En dernière analyse, la m orale il n e s’agit en fa it que d'une c a ric a ­
de l'h isto ire renforce encore la m o­ tu re, d 'u n e contrefaçon. Il n ’est pas
rale établie ; le plus individualiste im possible de faire u n film qui p r e n ­
des hom m es p eu t faire u n bon soldat, d ra it com m e su je t le désœ uvrem ent
u n bon m ari. La N uit des m aris ne de cinq célibataires en goguette, m ais
n ous ap p ren d pas plus sur la société il e u t fallu pour cela que C hayefsky
am éricaine et sur le com portem ent soit au ciném a ce que Sim enon est
sexuel des m âles que ce que nous a p ­ a u rom an.
p re n d la plus conventionnelle des co­ C laude de GIVRAY.

NOTES SUR D’AUTRES FILM S


Fausse c ru a u té p ointe des pieds p o u r faire place à
l’hypocrisie. A ucun de ces sacrifiés ne
ABANDON SHIP! (POUR QUE LES nous in téresse v raim en t, et leu r d isp a ­
AUTRES VIVENT), film anglo-américain ritio n n ’appelle en rien n o tre révolte.
de R i c h a r d S a l e . Scénario ; Richard Sale. Il sem ble que les acteu rs soient ex écu ­
Images ; Wilkie Cooper. Interprétation : té s en ordre inverse de la som me des
Tyrone Power, Mai Zetterling, Lloyd No- cach ets que le u r offre la Columbia.
lan, Stephen Boyd, Moira Lister. Produc­ Les h éro s tabous du public so n t p r o té ­
tion : John R. Sloan - COPA, 1957. Distri­ gés avec une vigilance de m ère-poule,
bution : Columbia. sous le couvert de prétex tes laborieux.
« Tu es sur la Tour avec ta vieille On essaiera de sau v eg ard er le c h ien
m ère paralysée et t a rav issan te p e tite — la SPA est p u issan te — p arce q u ’il
am ie. T u dois en balancer u n e p a r des­ p o u rra it dans l ’av en ir servir de n o u rri­
sus bord. Qui je tte s -tu ? » Tel est le tu re ! O n ép arg n e ra l'e n fa n t, p a rc e
p e tit jeu cruel qu'inventa H enri III, qu’il symbolise ce m êm e avenir. On
san s doute pour d ép artag er ses m i­ ép a rg n e ra la jolie blonde séd u isa n te :
gnons. O rson W elles est seul à vouer à u n e
« T u es sur u n canot de sauvetage atro ce agonie u n e belle fille en robe
conçu pour ab riter u n m axim um d'une du soir. On é p a rg n e ra la dulcinée du
chef de groupe : elle est in firm ière,
douzaine de personnes. V ingt-six re s ­ n 'e st-c e pas, et elle p eu t re n d re t a n t
capés en sursis s’y e n ta sse n t et s'y de services... Le. héros ne p re n d p as
accrochent. La surcharge annihile les l'é c ra sa n te responsabilité de sa d é c i­
ch ances de salu t de l'expédition to u t sion : c'est u n m oribond qui la souffle
entière. Qui je tte s -tu ? » La réponse k son or elle. E t lorsque, fidèle à sa
que choisit Tyrone Power a la su re n ­ logique, Tyrone Power, blessé donc Ir­
chère dépouillée des dénouem ents de récupérable, se je tte à l'eau, le b a te a u
trag édie : il fa u t sacrifier les faibles, sau v eu r a tô t f a it de surgir. L 'In te lle c ­
les blessés, les m ou ran ts. L 'avenir sera tu e l est balancé, p a rfa it, m ais le t r a ­
à celui qui a u ra la force d e 'ra m e r* le ditionnel Noir du groupe conserve sa
plus longtem ps. Vivre est une question place aux dépends de la rom bière ;
de biceps, le reste est litté ra tu re . Hollywood n ’a p as de c a n o t de s a u ­
S troheim , Bunuel, F ritz L ang nous vetage pour « coloured m en », voilà
o n t fa it connaître, au cinéma, la to u t !
b eau té de l'atroce, la noblesse de l’a b ­
ject, la g ran d e u r et la poésie de F au x problèm e, fausse audace, fausse
l'odieux. Eux a u ra ie n t été ju sq u ’au violence. Il s ’ag it m oins de la victoire
bout du sujet. Ils nous a u ra ie n t o ffe rt du fo rt sur le faible que celle, conven­
u n film re b u ta n t et p re n a n t, in so u te­ tionnelle, du bon su r le m éch an t, selon
nable e t m agistral, une œ uvre dont l’optique sen tim e n ta le du sp e c ta te u r.
nous serions sortis bouleversés et Q u itta n t le ciném a, nous pouvons cer­
conquis. R ich ard Sale n 'a pas t a n t d ’in ­ tifie r avoir passé u n e bon n e soirée
transigeance. A bandon Ship est bien q u an d nous au rio n s dû no u s a tte n d re
m oins u n cri fasciste qu’u n apologue à une n u it de cauchem ar. L’adresse,
p ru d e n t. Ici la cru au té se retire sur la l’habileté, toutes ces qualités qui p o u ­

58
v a ie n t jouer en faveur de Sale lors de' G ard en p a r H a rry T haw , jeu n e m il­
ses com m erciales comédies, se reto u r­ lia rd a ire qui reproche à W hite d ’avoir
n e n t contre lui à propos de ce dram e p erv erti sa fem m e a v a n t son m ariage
qui exigeait, pour être tra ité , la rigueur alors q u ’elle é ta it Evelyne Nesbit, m o­
im peccable d ’u n robot. Il nous reste à dèle célèbre, surnom m ée « la plus belle
rêver à ce que des hom m es de talen t, femme du m onde ». Le procès où, grâce
ennem is des concessions et des faux- au tém oignage plus ou m oins forcé de
fu y an ts, a u ra ie n t pu tire r de cette sa fem m e, T haw é ch ap p a à la chaise
donnée insolite. J ’im agine une d e r­ électrique e t fû t in te rn é d a n s u n asile,
nière im age à la C haplin : d'élim i­ révéla que W hite av ait u n e double vie
n a tio n s en élim inations, le plus cos­ et d’é tran g es m anies. C’est alors que
tau d r e s ta n t to u t seul, point dérisoire fu t connue l ’existence d ’une balançoire
recueilli p a r la m asse im m ense du p a ­ de velours rouge pendue d an s le salon
quebot, tan d is qu’en file indienne d’hiver d ’u n a p p a rte m e n t clandestin et
dans la m e r sta g n e n t à perte de vue su r laquelle se s e ra ie n t assises les plus
les p a rte n a ire s qu’il a égrenés, comme jolies filles de New Y ork d o n t lad ite
les cailloux du P e tit Poucet. — F. M. Evelyne. T o u t d an s cette histoire a v ait
p a rfu m d’équivoque e t de scandale. En
fa it ce que W h ite av a it révélé à Eve­
Le parfum du scandale lyne les a v a it m u tu e lle m e n t ren d u s
p riso n n iers l ’u n de l’a u tre et s ’il y avait
une v ictim e dan s l ’a ffa ire c’é ta it p lu­
THE GIRL ON THE KED VELVET tô t lui qu’elle, lui qui soudain ne p u t
SWING (LA FILLE SUR LA BALAN­ re to u rn e r à la diversité de ses plaisirs,
ÇOIRE), film américain en couleurs par
De Luxe et en CinemaScope de R i c h a r d a tta c h é désorm ais à la seule Evelyne,
F l e i s c h e k . Scénario : Charles Brackett et ne p o u v an t l’épouser e t en v en an t à
Walter Reisch. Images : Milton Krasner. s occuper d ’elle comme si elle é ta it sa
Interprétation ; Joan Collrns, Ray Milland, propre fille.
Farley Granger. Production : Charles
Brackett - 20 th. Century Fox, 1955. Le scénario —■ auquel Miss Nesbit,
tou jo u rs bien vivante, a apporté sa col­
U n fa it divers au th entiq u e qui dé­ lab o ratio n — a considérablem ent édul­
fray a la chronique new yorkaise en coré la réalité historique e t il fa u t pas
1906 e st à la base du scénario. Un m al d ’im a gin atio n pour retro u v er le-
célèbre a rc h ite c te S tan fo rd W hite est p arfu m du scan d ale d an s ce spectacle
assassiné en plein M adison Square de bonne compagnie. R ich ard Fleischer

59
qui n ’est p as m an ch o t — e t l'a prouvé enquêteurs ? A pparem m ent les a u te u rs
dans U énigm e du Chicago-Express, ne p re n n e n t pas p a rti. Mais tous les
aussi bien que dans Les incon n u s dans détails qui s'accu m u len t te n d e n t à
la ville — s’est résigné à la version rose prouver que cet hom m e n ’e st p a s n é ­
que lu i p roposait C harles B rackett. cessairem ent tra ître ou espion et
Il a tra ité son film d a n s la discrétion, qu'après avoir été surnom m é « l’o m ­
l’ellipse e t le sou s-en ten d u . ,C ’est du bre », il est v ra im e n t devenu u n e o m ­
bon trav ail, soigné, consciencieux, so­ bre. L ’id en tificatio n physique d o n t les
bre e t élégant. Il n ’em pêche que les policiers se c o n ten tero n t n e découvre
p oints fo rts du film s o n t ceux où m a l­ qu’u n aspect du personnage. Le d e rn ie r
gré to u t une certain e audace se fa it épisode du film m e sem ble sig n ificatif.
jo u r e t d ’abord les deux scènes de la Quels ra p p o rts e n tre tie n t n o tre p e r ­
balançoire : celle où Evelyne s'y assied sonnage avec l’adolescent ? Ce d e rn ie r
pour la prem ière fois e t celle, finale, n ’est-il pas en quelque so rte l'in c a r n a ­
dans le m u sic-h all d’A tlantic City. Le tio n de sa m auvaise conscience ? Ainsi
film est assez bien joué p a r J o a n Col- « l’om bre » ne fu y ait p as t a n t les a u to ­
lins qui réussit m algré to u t à m a in te ­ rités que lui-m êm e.
n ir u n e certain e équivoque d an s la Le m érite du scénariste A leksander
p u re té ap p aren te, e t p a r R ay M illand ' Scibor-Rylski est ju ste m e n t d ’avoir
plausible d an s le rôle de W hite, F a r- doublé le m ystère « policier » d ’un
ley G ran g er p a r contre est trè s m a u ­ m ystère « psychologique e t m o ra l ».
vais; il n 'a p as osé souligner le fa it que A vant d ’en arriv er au tra v a il de Jerzy
T haw é ta it p ro b ab lem en t p édéraste. A Kawalerowicz, nous discernons d é jà
cause de lui to u t u n aspect du récit l'influence d ’H itchcock e t de F ritz
est in u tilem en t obscur. Bref, c’e st un Lang. H n 'e st donc p as é to n n a n t q u ’o n
film in té re ssa n t avec u n titr e ravis­ retrouve celle-ci d an s la mise en scène
s a n t , une in te rp rè te a tta c h a n te et une elle-m êm e. La froideur de la ré a lis a ­
m ise en scène h ab ile sans m iracles tion est, je crois, voulue. Les a u te u rs
m ais sans gros d é fa u ts n o n plus, si ce n 'a v a ie n t p a s à p ren d re p a rti. Le seul
n ’est une a h u rissa n te séquence de personnage pour lequel ils a ie n t quel­
h a u te m o n tag ne d an s un décor que que sym pathie sem ble être le m in e u r
refu serait le C hâtelet. — J.D.-V. d o n t on su it l ’évolution psychologi­
que et la révolte contre son « m e n to r ».
P o u r le reste la cam éra reste objective,
Un film de scén ariste e t ses perpétuels déplacem ents accor­
d e n t à tous les a cteu rs u n a v a n ta g e
CIEN (L’OMBRE), film polonais de J e r z y égal.
K a w a l e r o w i c z . Scénario : Aleksander Sci- De là une im pression de constance
bor-Rylski. Images :■ Jerzy Lipman. Musi­ d an s la conception des p la n s succes­
que : Andrzej Markowski. Interprétation : sifs, qu’on p o u rra it p re n d re po ur signe
Zygmunt Kestcrwicz, Adolf Chronicki, Ta- de faiblesse. M ais l’h ab ileté tech n iqu e
deusz Jurasz. Production : Film Folski,
1956. de Kawalerowicz ne f a it p as de doute,
comm e le pro u ven t la scène du d în e r
Le p rin cip al in té rê t de L’Ombre ré ­ à la tab le du « Môme », la p o u rsu ite
side, à m on avis, d a n s la construction d ans les couloirs d ’u n tr a in réel, les
du scénario. Trois épisodes se dérou­ tra n sitio n s e n tre le p ré se n t e t les re ­
la n t respectivem ent en 1943, 1946 et to u rs en arrière. Si certain es séq u en ­
1954, raco n tés p a r des personnes qui ne ces — celle p a r exem ple de la colère
se connaissent p as en tre elles, p e r­ im p u issan te du c o m m a n d a n t des tro u ­
m e tte n t d ’id en tifier le m y stérieux in ­ pes loyales — so n n en t faux,* la cause en
connu qui saute, au d ébut du film, du est im putable à des concessions d ’o rd re
tr a in en m arch e. Mais le problèm e est- politique ainsi qu’au jeu des acteurs.
il pour a u ta n t résolu ? C et individu E n effet, u n e certain e mollesse d a n s la
surnom m é « l'om bre » qui a aidé les direction des in te rp rè te s se f a it s e n ­
ré sista n ts p e n d a n t l'occupation, qui t i r en plus d ’u n endroit.
est u n des h a u ts fon ctio n n aires du M algré ces réserves, je tiens L’Ombre
p a rti au pouvoir, qui com m et des actes p o u r u n film digne d ’éloges. M ais il
de sabotage contre le régim e e st-il dem eure a v a n t to u t, u n e œ uvre de scé­
v ra im e n t le tr a îtr e que cro ien t les n a riste . — F.C.

Ces n o te s o n t é té rédigées p a r F h e d C a r s o m , J a c q u e s D o n io l- V a i.c b .o z e e t F r a n ç o i s M a r s ,

60
FILMS SORTIS A PARIS
DU 7 AOUT AU 17 SEPTEMBRE 1957

23 FILMS AMERICAINS

A b an d on S h ip ! {Pour qite les autres üiuent). — V oir note de François M ars dans ce
num éro, page 58.
T h e Balchelors’ P arty [La N u it d es maris). -— V oir critique de Claude de Givray dans ce
num éro, pag e ?
Beau Jam es {L ’ingrate_cité), film en T echnicolor et en VistaV ision de Melville Shavefsûn,
avec Bob H ope, V e ra Miles, P a u l Douglas, A lexis Sm ith. — U n adm irable scénario, une
excellente photographie et certaines beautés de détails ne sauvent q u ’à m oitié u n film où la
m ise en scène brille p a r son absence.
BedeviUed (Boulevards de Paris) film e n Eastm ancolor et en Cinem aScope d e Mitchell
Leisen, avec A n n Baxter, Steve Forest, Sim one R e n an t, M aurice T ey n ac. — Scénario ahuris­
sant et mise en scène ad équate.
B eyond M om basa (A u S u d de M om basa), film e n T echnicolor de G eorge M arshall, avec
D ona R eed, Cornel W ilde, L éo G enn, R on R and ell. — Banal film d ’aventures exotiques.
T h e Big L a n d {Les L o u p s dans la iW /ée), film, en W arnerCûlor et en W âtnerscope d e
Gordon Douglas, avec A lan L add , V irginia M ayo, E dm ond O 'B rien , A n th o ny Caruso. —
W estern conventionnel autour de la construction d ’un chem in d e fe r; honnête mise en scène.
Canyon R iver (La Caravane des h o m m es traqués), film en DeLuxe et en C inem aScope de
H arm on Jones, avec G eorge M ontgom ery, P eter Graves, Marcia H end ersan . — De la série Z
où se révèle un beau tem péram ent d ’hom m e à tout faire.
Fire D ow n Belou) (L’E nfer des tropiques), film en T echnicolor et en Cinem aScope de
R obert Parrish, avec R ita H ayw orth, R obert M itchum , Jack L em m on, Bernard Lee. — Les
rides soucieuses de R ita H ayw orth n ’o n t d ’égales q u e celles d u spectateur dev an t l'incohérence
du scénario.
T h e Girl in the R e d V eloet S w in g (La F ille sur la balançoire). — V oir note de Jacques
Doniol-Valcroze dans ce num éro p ag e 59.
Gun For a CoWard (U ne A rm e pour un lâche), film en Eastm ancolor et en Cinem aScope
de A b n e r Biberm an, avec F re d M cM urray, Jeffrey H u n ter, Janice R ule, Chili W ills, D ean
Stockwell. — Le lâche n ’en est pas u n , le réalisateur n ’e n est pas tin non plus; m ais les cou­
leurs sont belles.
island in fhe son (Une Ile au soleil), film en T echnicolor et en C inem aScope d e R obert
Rossen, avec Jam es M ason, Joan Fontaine', Dorothy D andridge, Joan Collins. — Beaucoup de
bruit p ou r rien. Intrigue absente, m ise en scène inexistante, interprétation nulle. Prouve, si
besoin était, la dém ission définitive d e Rossen.
Julie (Le Diabolique M onsieur Benton), film de A n d rew L. Stone, avec Doris D ay, Louis
Jourdan, Barry Sullivan, F ra n k Lovejoy. — D eux bon n es choses : au début, jolis extérieurs,
à la fin Doris Day pilote u n Douglas. L ’entre-deux est des plus m édiocres.
M an A froid (L 'E m prise de la peur), film en Cinem aScope d e H arry Keller, avec George
N ader, Phyllis T haxter, T im H ovey. — L e p rem ier film d e K eller, U E n q u è te de l’inspecteur
Graham, était curieux. Celui-ci n ’est q u ’u n pensum .
T h e M ole P eopîe (Le P etiple de l'en fer) , film de V irgil V ogel, avec John Agar, C ynthia
Patrick, H u gh Beaum ont. — Fum isterie sans flam m e.
OJilahoma! film en T echnicolor et en C inem aScope de Fred Z in n em ann , avec G ordon
M acR ae, G loria G raharae, G en e Nelson, E d d ie A lb ert, Shiiley Jones. — De la b o n n e chan­
sonnette braillée par les a n tipath iq ues G ordon M cR ae et Shirfey Jones. Z in n em an n a fait u n
travail conscencieux et A gnès D e Mille u n e chorégraphie fascinante.
S how dow n at A b ile n e (L e s dernières heures d ’u n bandit), film en T echnicolor d e Charles
Haas, avec Jock M ahoney, M artha H yer. — W estern qui se voudrait am bitieux et qui n ’est
que sinistre. Des deu x Haas, C harles et H ugo, quel est le pire?

61
T h e ir Secret A ffa ir [Affaire ultra-secrète), film en W arnerScope d e H .C . P otter, avec Susaii
H ayw ard, K irk Douglas, P au l Stewart, Jim Backus. — U n e histoire fort m auvaise, faussem ent
anti-m ilitariste, car la vieille baderne est censée ém ouvoir, Potter a m is en scène cette com édie
selon les norm es d u dram e le plus som bre.
Th ree Stripes in the S u n (La Haine des y e u x bridés), film de R ichard M urphy, avec A ldo
Ray, P h il C arey, Dick Y ork, Mitsuko K im ura. — Sur u n e histoire b an ale et qui laissait craindre
le pire, l ’ex-scénariste R ichard M urphy a su faire un film attachant.
T obor the Great (Le Maître du m onde), film de L ee Sholem , avec C harles Drake, Karin
Booth, Billy C haplin, — O u un robot patriote au service de M acCarthy,
T ribute to a B ad Mctn (La Loi de la prairie), film en E astm ancolor et en C inem aScope de
R o bert W ise avec Jam es Cagney, Irène P apas, Stephen McNaily, V ie M orrow. — Le plus
m auvais film de W ise.
T w e lve A n g ry M en (D ouze hom m es en colère), film d e Sidney L um et. — V oir critique de
François T ruffau t dans notre prochain num éro.
T h e V intage (L es Vendanges), film en Métrocolor et en C inem aScope d e Jeffrey H ayden,
avec M ichèle M organ, Mel Ferrer, Pier A n geli, Jo hn Kerr, Leif Erîkson. — U n de ces m a u ­
vais scénarios dont on peu t (mais ce n ’est pas le cas) faire de bons films. Mel Ferrer, Pier
A ng eli, M ichèle Morgan y m ettent leur âm e d e cabotins à n u ; elle n ’est pas belle.
W estw ard H o the W ag o n s! (Sur la piste de VOregon), film en T echnicolor et en C inem a­
Scope d e W illiam Beaudine, avec Fier P arker, K ath leen Crowley, Jeff Y ork, David Stollery. —
W estern pour enfants. Production W a lt Disney,

13 FILMS FRANÇAIS

A pied, à cheval et en voiture, film de M aurice Delbez, avec Noël-Noël, Denise Grey,
Sophie D aum ier, Gil V idal, Pierre Mirât, J.-P. Jaubert, — M aurice Delbez, l ’obscur tâcheron
.qui réalisa le rem ake de L a Roue, continue à sévir d an s les transports.
C om m e un cheveu sur la soupe, film d e M aurice Regam ey, avec Louis d e Funès, Noëlle
A dam , Jacqu es Jo u anneau, N adine T allier, L éo C am pion, C hristian Duvalleix. — De Funès
m al utilisé n e p e u t sauver le film. Ce cheveu ne serait-il pas le poil que R égam ey a d an s
la m ain ?
F ernand Clochard, film d e Pierre C hevalier, avec F e rn a n d R ay n au d , Jean-M arc T en n b erg ,
R enée Devillers, Magali de V endeuil. — M adam e et son clochard à la sauce française : po u ah!
L es Lavandières du Portugal, film en Eastm ancolor et en Dyalîscope d e Pierre G aspard -
H uit, avec Jean-C laude Pascal, A nne V ern on , P a q u ita Rico, D arry Cowl, Jean-M arie Proslier,
Y vonne M ontlaur. — U ne idée au dép art : satire d e la publicité. M ais G aspard-H uit n ’est pas
T ash lin , certes n on !
Œ il pour œ il, film en T echnicolor et en V istaV ision d ’A n d ré C ayatte, avec C urd Jurgens,
Folco Lulli, Pascale A u d ret, Dario Moreno. — V oir chronique d u Festival de V enise, page 38.
L es Œ u fs d e Vautruche, film de D enys d e la Patellière, avec Pierre Fresnay, Sim one
R en ant, M arguerite Pierry, Georges Poujouly, G uy Bertil. — P lu s m auvais, encore, que la
pièce de Roussin.
O .S .S . 117 n'est pas mort, film en Dyaliscope d e Jean Sacha, avec Y van D esny, Magali
Noël, A n d ré V alm y , U anik Pâtisson. — H istoire policière d e la 'plus grande b an alité : virtuo­
sité gratuite et à pein e suffisante.
' L a P eau de l’ours, film d e C laude Boissol, avec Jean R ich ard , Nicole Courcel, Jacques
Sim onet, Sophie D aum ier, Denise Grey. — L e p rem ier film de Boissol autorisait d e vagues
espoirs. Celui-ci les déçoit com plètem ent.
L a Pollua des m en ottes, film d e R aoul A n d ré, avec Pascale A u dret, Suzet Maïs, C laude
Rich, M isha A u er, R en é Blancard. — Le tem po s ’a p p aren te plus à celui d ’u n slow soporifique.
Q uelle sacrée soirée! film de R obert V e rn ay , avec Jean Bretonnière, D ora Doll, C hristine
C arrère, B ernard D héran, Noël R oquevert, G abriello. — F arce grasse.
L es Suspects, film de Jean Dréville, avec C harles V an el, Yves M assard, A n n e V ern o n,
M aurice T ey n ac, Jacques Morel, G régoire A slan . — L a D .S .T . com m e si vous y étiez.., à
supposer q ue tous les policiers soient des saints, et tous les fellaghas germ ano-russes.
Une N u it au M oulin R ouge, film en couleurs de Tean-Claude R oy avec T ild a T h am ar, Noël
R oquevert, Jean Tissier, M aurice Baquet, M arie 0 u b a s , A m é d ée . — P o u r hériter, il faut
q u ’elle soit danseuse de m usic-hall!
F acan ces explosives, film de C hristian Stengel, avec A rletty, G inette Pigeon, P h ilipp e
Bouvard, A nd rex , R aym ond Bussières, M arthe M ercadier. — V audeville policier : nul!

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5 FILMS ITALIENS

L e A m ic e {Femmes entre elles). — V o ir critique de Jacques Doniol-Valcroze dans ce


num éro, pag e 53,
M adam e B utterfly, film en T echnicolor d e C arm iné G allone, avec K aoru Y achigusa, Nicola
Filacuridi, M ichiko T an ak a. — Puccini, tel q u ’en lui-m êm e C arm iné Gallone, spécialiste de
l ’o p éra filmé, n e le change pas.
D e fen d o il m io amore {Scandale à Milan), film de V in cent Sherm an, avec M artine Carol,
V ittorio G assm ann, Gabriele Ferzetti, G eorgia MoU, C h âties V an el, — Scénario rocam bolesque,
filmé en m élodram e,
L e Diciottenni {L es D ix-huit ans), film en Eastm ancolor et en Superfilm scope de Mario
M attoli, avec V irna Lisi, A ntonio d e Teffe, M arisa Allasio, — Aussi m auvais que Les Collé­
giennes. Mais c’est en couleurs et les filles sont plus jolies.
Sin fon ia d ’amore (Sym phonie inachevée), film en T echnicolor de Glauco Pellegrini,
avec C laude Laydu, M arina V lady, L ucia Bose, Paolo Stoppa. — Le film de W illy Forst,
au m oins, créait des poncifs !

2 FILMS ANCLAIS

T h e B aby a n d th e Battleship (L e B ébé et le cuirassé), film en Eastm ancolor de. Jay Lewis,
avec John Mills, R ichard A ttenborough, — E tat zéro d e la com édie anglaise. L a seule idcc
est d a n s le titre.
Brothers in L aw (Ce Sacré Confrère), film de R oy Boulting, avec lan Carm ichael, R ichard
A ttenb o ro ug h , T erry T h om as, Miles M alleson, — C om édie anglaise am bitieuse. E lle ne vaut
guère plus cher.

] FILM ALLEMAND

Liebe. ist ja nur cm M archen {Am our, tango, mandoline), film en A gfacolor de A rthur
Maria R abenalt, avec Gorges G uétary, Jacqueline Pierreux, C laude Farrel, Eva Crihvell. —
Nous aim erions d*autres am bassadeurs d u ciném a allem and.

1 FILM SUEDOIS

Gorffla, film en Eastm ancolor et en A gascope de L ars H en rik O ttoson, avec Georges
G alley, Gio Petre. — O n attendait L e S e p tiè m e Sceau. Survient G or ilia.

1 FILM AUTRICHIEN

Sissi, die Jiïnge Kaiserin (Sissi impératrice), film en A gfacolor d ’E rnst M arischka, avec
R o m y Schneider, P aul H orbiger, — La postérité d e Sissi va-t-elle encom brer longtem ps les
écrans ?

I FILM POLONAIS

Cr’en (L’Om bre). — V oir note d e Fred Carson dans ce num éro, page 60.

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Rédacteurs en Chef": A. BAZIN, J. DONIÔL-VALCROZE et ERIC ROHMER

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Copyright bÿ « Les Éditions de l’Etoile »
25, B o u le v a r d B onne-N ouvelîé - PARIS (2e)
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