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CAHIERS

DU CINÉMA

1 0 1 ★ REVUE MENSUELLE DE CINÉMA • NOVEMBRE 1959 ★ 1 0 1


Cahiers du Cinéma
NOTRE COUVERTURE
NOVEMBRE 1959 TOME XVII. — N° 101

SOMMAI RE
François T ru ffa u£ . .. E n tre tie n avec G eorges F r a n ju ............ .. 1
G eorges F ra n ju ............ Le style de F ritz L a n g ....................................... 16
Sous le masque, E dith Scob Philippe d ’Hugues . . . . La fièvre de J e a n Vigo ...................................... 23
dans LES YEUX SANS VI­
SAGE de Georges Franju Je a n D om archi ........... Des liaisons san s im p o rtan ce ...................... 28
Champs Elysées Production

Les Films

Luc M oullet .................. O ttobiographie (A utopsie a ’u n m e u rtre ) .. 41


P hilippe D cm onsablon . L’im p ro m p tu de S tockholm (Le Visage) .. 45
Louis M arcorelles ........ H eureux qui com m e F o rd (Les C av aliers). 46
Jacques Doniol-Valcroze F au t-il b rû le r YVilder ? (C e rta in s l’aim en t
ch au d ) .................................................................. 49
J e a n D ouchet ................ Le m y th e d’Abel (La R evue d e C h ario t) .. 51
Luc M oullet .................. Le poète et le géom ètre (T o u t près de
53
Fereydoun Hoveyda Dix-sept a n s ap rès (Ossessione) .................. 54

Notes sur d’au tres films (Le Pigeon, Le Procès, Gipsy, L a G ran d e
Epoque, Passez m uscade, Le J o u r n a l d ’A nne F ra n k , D estin d ’un
homme, D ans les griffes du vam pire, Le B a g a rre u r solitaire) ---- 57

Bioftlm ographic de Georges F r a n ju ............................................................... 13


P e tit J o u rn a l du C iném a .................................................................................. 37
Film s sortis à P aris du 23 septem bre au 20 octobre 1959 .................. 62

*
Ne m anquez pas de prendre
page 40 :
CAHIERS DU CINEMA, revue m ensuelle de Ciném a
LE CONSEIL DES DIX 146, Champs-Elysées, Paris (8*) - Elysées 05-38 - Rédacteurs en chef ;
Jacques Doniol-Valcroze e t Eric Rohmer.
T o u s d r o i ts réservés — C o p y r i g h t by les Editions d e i’Etoile
ENTRETIEN AVEC

GEORGES FRANJU
par François Truffaut

Juste avant d’aller présenter Les Quatre cents coups à Cannes, François Truffaut
mit Georges Franju seul en face dJun magnétophone comme il avait mis, quatre mois aupa­
ravant, Jean-Pierre Léaud seul en face de l'objectif d'Henri Decae. Deux heures durant
ils dialoguèrent ; plus exactement, deux heures durant Franju monologua. Toute retran­
scription de cet Entretien — nous, aux C a h i e r s , on aime bien Franju — apparat très vite
comme une trahison. Déchiffrer (ce nJest pas toujours facile : aux pleurs de Laura T., au
glougou répété du whisky dans les verres tintants, s'ajoute la friture, parfois stridente, spé­
cifique de Vappareil) puis publier dans leur intégralité les propos de Franju ne rendrait
toujours pas compte de l’essentiel : le spectacle. La voix de Franfu. Le regard de Franju.
La présence de Franju. Il faudrait noyer ce monologue de notes, indiquer Vangle de prise
de vue, Véclairage, préciser les gestes, etc. Il faudrait écrire un découpage, ou, st Von pré­
fère, mettre en scène. Découpage impubliable tel quel, quand même il serait possible de
rétablir, auprès duquel les pléthoriques indications scéniques dont un Jean Vauthier truffe
ses pièces sembleraient insuffisantes, ce qui, on en conviendra, n'est pas peu dire !

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C'est qu'en effet, le monologue halluciné de Franju, maître de l'antiphrase auquel un
jeune court-métragiste consacrera dans vingt ans un essai justement intitulé Le Grand
Franju, membre à part entière du quatuor majeur des cinéastes français vivants (les trois
autres étant, on l’aura deviné, Renoir, Bresson et Resnais), ce monologue halluciné,
disions-nous, ne laisse pas d'être hallucinant, déchirant, constamment poétique. Gouaille et
préciosité, invective et dithyrambe, profession de foi et confession intime, fusées en un
mot, se succèdent dans un tourbillon où l'onomatopée, et la mimique aussi, signifient
autant que la formule. Sarcastique parce que tendre et tendre parce que sarcastique, pro-
téiforme, Franju. ne sait parler de Renoir ou. de Vilar qu'avec les voix (respiration, débit,
intonation) de Renoir et de Vilar — c'est un excellent imitateur : comme nous lui parlions
incidemment de Edward Everett Horton et de Jean Galland, il les « évoqua » avec une
précision et une perfection que pourrait lui envier un professionnel —, sans com,pter qu’à
Vécouter on croit entendre tout ensemble, tour à tour, à s'y méprendre, les voix de Jou-
vet, Mauriac, Le Vigan et Roger Blin !
De même que Denis le Fataliste était le Neveu de Rameau, Georges le Pessimiste —
« Je suis un pessimiste actif », aime-t-il à répéter — est une manière de cousin de Jarre, ou,
si l ’on veut, le Neveu de Lang. Cet anarchiste de gauche, ce troisième angle d’un triangle
équilatéral dont Bunuel et Vigo forment les deux autres sommets, est, dans une certaine
mesure, chose curieuse, de la famille de Céline, cet anarchiste de droite. Paradoxalement
ils se rejoignent par-delà les extrêmes ; leur parenté formelle saufe' à l'oreille. Comme
l'auteur'de Mort à crédit, Franju a verve et truculence, verbe et lyrisme, le mot cru et la
dent dure aussi. Mais, nous le savons, rien de tel qu'un hypersensible pour être féroce,
qu'un écorché pour être cynique, qu'un tendre pour être sadique. Le ton donc, et c’est
l'essentiel hélas, le lecteur en sera privé, tant que cet Entretien, où, comme le voulait
Pascal, se révèle moins un auteur qu’un homme, ne sera pas enregistré sur disque, ce que
nous souhaitons; Franju et Truffaut, pour parvenir au montage, au digest, qui suit, ayant dû,
plus ou moins arbitrairement, recoller les morceaux du puzzle ; dans ce désordre mettre un
peu d'ordre ; faire œuvre classique à partir d'un document romantique.
Une dernière précision avant le lever du rideau : Truffaut montait et mixait Les Qua­
tre cents coups dans le même temps que, sur un plateau voisin, Franju tournait Les Yeux
sans visage, et il allait le voir, dès qu'il le pouvait, si souvent d'ailleurs, qu'il considère
que Les Yeux sans visage est le seul film qu'il ait fait comme stagiaire. Peu après, Franju
voyait Les Quatre cents coups, qui l'enthousiasma autant que La Tête contre les murs avait
enthousiasmé Truffaut l'hiver dernier. D'où vient qu'il est beaucoup question de ces trois
films au cours de leur Entretien.

. Il paraît qu’un acheteur s ’est évanoui en voyant Les Yeux sans visage. On devrait
demander des acheteurs qui ne s’évanouissent pas plutôt que de couper ! Merde, alors !
La Grande Illusion a été coupée dans quatorze pays et jamais au même endroit. C ’est mer­
veilleux d’ailleurs, parce que s'ils coupaient au même endroit, on pourrait se dire : ils
sont d ’accord, donc on a tort. Mais s’ils ne coupent jamais au même endroit, c’est qu’ils
se trompent... Enfin... enfin, vivent les petits.

Les Quatre cents coups.


Non., sans blague, hein, j’étais ravi. C’est pas parce que c’est vous. Non, je m ’en
fous ! je ne respecte pas grand-chose. Non, mais j ’ai été attiré par votre entêtement ;
d’abord Les Misions, ensuite Les Quatre cents coups, encore des mômes... Il faut que je
le revoie, il y a tellement de choses. Tout est extraordinaire, observé : la gifle, le gosse
dans la voiture cellulaire, les manèges. Et puis, l ’interrogatoire du petit, qui est pris sans
coupe, c’est formidable, merde, parce qu’il est tellement dans le coup, ce môme, il ne
faut pas le lâcher. Vous auriez eu la fille, la psychologue, c’était con, c’était foutu, clas-

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x Voilà un plan pour Franju... » {Les Quatre cents coups de François TrufFaut).

sique... Voilà ce que j ’appelle une technique nouvelle, c’est que vous avez enchaîné le
môme, gueule sur gueule, sans plan de coupe. Comment, qu’est-ce qu’on nous emmerde
avec les contrechamps ? Pas de contrechamp, c’est beaucoup mieux, rare. C ’est comme
le 180, c’est très surprenant, faut que ça frappe, que ça choque.
Pourquoi pas le 180 ? Et pourquoi ce parti-pris du foyer 18,5, tout le temps aussi,
c’est con. Pas de parti pris! Vous verrez qu’on va en parler, de ce plan, ça j’en suis sûr.
o ’est la première fois qu’on voit au cinéma un gosse qui tient un dialogue de trois, quatre
minutes, merde, alors, sans contrechamp. Comme on ne voit pas l ’autre, il parle au public,
le môme, il nous parle. C’est tellement émouvant cette confidence, tellement nouveau...
Je suis séduit parce qu’il y a tellement de gens qui vous emmerdent avec des principes, là
c’est tellement le contraire de la règle de la Technique... C ’est d ’une incroyable incor­
rection, c’est parfait, sans blague ! Comment, c’est bien votre droit. Vous faites un film
qui montre des maisons de correction, faites des incorrections cinématographiques, c’est
dans la ligne, dans le ton du film. On ne peut pas faire un film contre la correcfton correc­
tement, non ?
Tout ce que font ces gosses-là est bien fait, en bien ou en mal, peu importe. Avec
les enfants il ne faut jamais cacher l ’appareil. Ils sont plus instinctifs que les adultes. Avec
les adultes c’est le contraire, la spontanéité, il faut la surprendre, se planquer. Ivens l’a
fait avec son clochard ivrogne du quai de la Seine. Une scène d ’ivresse c’est toujours
loupé. C ’est un autre état... qui ne se joue pas, ou mal. Il prend la bouteille, le clochard,
la repose, donne du pain aux oiseaux, il boit et puis regarde dans le vide, quelle image,
bon Dieu, quelle image... S’il avait vu l’appareil de Joris, peut-être qu’il se serait caché,
le clochard. Mais les mômes, pas la peine de leur cacher l’appareil, ils sont si beaux
joueurs au fond, ils n ’ordonnent pas leurs gestes, ils ne composent pas, ils ne trichent
pas ; donc, pourquoi tricher avec eux ? Ils savent écrire mal et ils font de très belles
taches... Ce qui m’a épaté, c ’est tous les thèmes, obsessionnels des Quatre cents coups :
les ordures, toujours les ordures, le gosse est coincé entre les boîtes d ’ordures, et puis

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la dictée, les œufs, et puis le rotor... Je ne vois pas tellement de mouvements d ’appareil,
mais ils sont remarquables. Le travelling final, avec le gosse qui court, est épique, cela
pourrait être la fin...
. Il y a aussi un très beau panoramique, où le gosse échappe au panoramique, il
« s ’évade », encore une fois... Et vous le rattrapez après. Voilà des mouvements d’appa­
reil que j ’aime, qui parlent, qui ne sont pas faits seulement pour montrer le paysage... ou
pour faire cinéma,
— Il y a un plan que j'ai fait en pensant à vous : les trois petites filles enfermées
dans la cage. Franchement, j'ai pensé à vous : tiens, voilà un plan pour Franju...
— C’est terrible. C’est sans aucun doute le plan le plus cruel du film, plus cruel
que la gifle. Enfermer ces petites filles... écoutez, c ’est monstrueux (rtres). Ce que j’aime
beaucoup aussi, c’est l’histoire du Guide Michelin. Voilà encore un thème obsessionnel.
Mais vous en êtes plein ! Voilà un type qui est cocu, il ne s’en aperçoit pas, il ne se
rend compte que d’une chose : on luî a pris son Guide Michelin. Parce que c ’est son
boulot, il est transporteur, mais, évidemment. C’est une notation psychologique et sociale
saisissante ! On en voit rarement d’aussi forte... J ’ai retrouvé ça chez Lang, Le Guide
Michelin 3 Ce type ne voit pas qu’on le trompe, ni ce qui se passe autour de lui : on lui
a pris son Guide Michelin, mais on lui a pris aussi sa femme. Or, ce Guide Michelin a
servi à qui ? A sa femme, et sa femme, pour quoi faire ? Pour rouler avec un autre gars,
peut-être... Non ?... C ’est pas ça ?... Ah J C’est ce que j ’avais imaginé... C ’est tout de
même dommage-- Je me disais : C ’est qu’elle esc partie avec un mec... Merde ! ça
'm ’arrangeait bien. Je n ’ai pas vu que c’était le gosse qui l’avait fauché... Ah ! c’est
con... quelle erreur. Comme c’est dommage... Non, c’est pas du tout dommage ! Et puis,
ce type, quelle idée, a toujours des fanions autour de lui. A chaque fois qu’on voit ce
type il y a des fanions dans le champ. Ça vous a un côté glorieux incroyablement bête...
cette gloriole paternelle... cette femme horrible... heureusement que le petit est là. Il mène
la danse, ils sont tous parfaits ; Decomble est admirable. Et cette idée géniale de
l’enfant : « Ma mère ? Elle est morte'! » Aussi peu de respect impose le respect. Il est
plein d’idées, cet enfant... Et, soudain, le type pour un peu va l’embrasser. 11 est prêt à
cogner, la mère est morte, le respect s’installe, incroyable ! Ce que les adultes sont dupes
tout de même. C’est le petit qui est dans le vrai.

La Tête contre les murs et Les Yeux sans visage.

— Parlons plutôt des Yeux sans visage.


— Les Yeux sans visage et La Tête contre les murs, c’est très différent. La Tête contre
les murs, c ’est un film « éprouvé « parce que j ’ai le respect de ce qu’on appelle les malades
mentaux, parce que je suis très près d’eux ; alors, comme ça me fait très peur, j’ai fait
Un film qui me faisait peur à moi et aux autres. La Tête contre les murs est un film
vrai, qui contamine..., bref, un film de terreur.
La maladie mentale est contagieuse. Je ne suis pas capable de me trouver tout seul
avec des malades mentaux. Ils sont plusieurs et je suis un. Ce n’est pas la force men­
tale qui gagne, c’esî 3e nombre* Je me sens foutu à côté d’eux tellement ils sont subtils,
tellement ils sont mystérieux, tellement ils sont pleins de poésie...
Les Feux sans visage repose sur des données qui ne sont pas fausses, mais aussi
sur des circonstances qui sont quand même beaucoup plus près de la fiction. C ’est Un
film « composé » à partir du problème de I’hétérogreffe. On sait que la greffe prend.
Vous vous faites refaire le nez, on vous prélève un greffon, et ça marche. L’hétéro-
greffe, au contraire, ne prend pas, sauf chez les frères jumeaux, mais il est pensable que
l’hétérogreffe puisse prendre si, par exemple, à l’aide de rayons X, on détruit les anti­
corps qui y font opposition. Or, l’intensité des radiations doit être telle que le sujet ne
survit pas. On a beaucoup parlé dernièrement d’une hétérogreffe de la moelle osseuse
réussie sur les Yougoslaves, mais la gueule, c’est autre chose.

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Georges Franju dirige Juliette May nid et Kdith Scob dans Les Yeux sans visage.

Mon professeur est si sûr de sa science, et il aime tellement sa fille (quand on aime
à ce point et sa science et sa fille^ on est à la limite du normal), que cette double pas­
sion, excessive sans doute, l'entraîne à commettre des actes criminels. Comme il faut
bien travailler sur un être humain pour réparer un autre être humain, il prend des sujets
du « type » de sa fille, qu’il dépiaute littéralement : il leur prend le masque et le greffe
sur le visage de sa fille. Seulement, ça ne tient pas, ça tient mal, si mal que sa fille se
défigure à vue d’œil, le greffon est digéré et il faut l’enlever et recommencer, la fille est
redevenue monstrueuse comme avant.
— A lire le scénario, à vous regarder tourner, j ’ai l'impression que Les Yeux sans
visage sera plus homogène que La Tête contre les murs, qui était un peu tiraillé entre le
poétique et le psychologique, ou, si vous voulez, entre Franju d'une part, et Pichon et
Bazin de l'autre.
— Les Yeux sans visage est plus homogène, c’est vrai. La Tête contre les tnurs> il
y a eu beaucoup d'adaptations. Le film devait reposer sur des bases solides, à savoir le
problème social : la psychiatrie ; le problème réel : comment allons-nous traiter la ques­
tion — je ne voulais évidemment pas montrer des fous d’almanachs — en y apportant
quelque chose de poétique et une grande tendresse (dès que j’ai affaire à un malade je
deviens tendre, et pas du tout sadique, d ’ailleurs, il n ’y a aucune différence) ; enfin, faire
un film social et psychologique... mais non, je ne vois pas de psychologie là-dedans : la
psychologie est à l’intérieur de la tète du malade, et ça, c’est une chose que je ne connais
pas, — et je ne pense même pas que les psychiatres la connaissent...
La question sociale, bien sûr... le surpeuplement des asiles et puis aussi et surtout
le fait que le malade mental est considéré depuis toujours par l’opinion publique comme
dangereux, la folie c ’est comme autrefois la vérole, honteux.
Et les murs, il y a les murs, merde, qu’il faudrait foutre par terre. Quand on pense
que les psychiatres les plus valables ne sont pas d’accord entre eux [ Je suis libéral, nom
de Dieu, mais l ’opinion publique, la Société, parlez d’un fou pour voir, allez dire qu’on
va libérer les fous, vous verrez ce qui va se passer, tout le monde vu trembler, faire des
pétitions. On lui donnera la chasse. La manifestation de l’opinion publique c’est, dans le
film, le coup de fusil du chasseur qui abat le fou évadé... Les murs qui enferment les
fous qui font peur, les garde-chiourmes, la camisole, c’est béni comme l ’armée et les flics.
On veut des fous derrière des murs, avec des ttcs. II ne fallait pas que je montre
les tics... Alors ? Si le public ne voit pas un fou qui a un tic, il ne reconnaîtra pas le fou,
il aura bien plus peur parce qu’il ne pourra plus faire de différence s’il n’y a pas des
signes de folie.
La vie asilaire c’est d’abord ce qu’il fallait montrer. Il y a des écarts dans le film,
parce qu’il est tiraillé comme vous dites, à partir du moment où on suit un personnage
qui est à l’asile, qu’on quitte une fille qui est dans la vie, qu’on retrouve cette fille ren­
dant visite à ce garçon dans l ’asile, qu’on revoit le père dégueulasse et puis la lutte des
deux médecins à l’intérieur du sujet, tout ça c’est très compliqué : d’abord l ’histoire fami­
liale, ensuite l ’histoire asilaire et puis l ’histoire d’amour.
Je pense que c’est d ’abord un film d’atmosphère : l’internement, le réfectoire, la
cour de l’asile, les murs, les murs qui existent, les murs des folles qui hurlent, le travel­
ling du petit train, la ronde des fous, l’enterrement, le feu dans la plaine, le retour à
Paris, le néon, la roulette, le ceinturon d’Anouk, la fin, ça me plaît parce que c ’est ter­
rible, tendre et poétique. C ’est le début qui ne va pas, c’est-à-dire qui n’est pas dans
l’homogénéité de l ’ensemble.

La Tête contre les murs.

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Les Yeux sans visage. - '

Les Yeux sans visage, c ’est évidemment plus homogène ; c’est même très fermé. On
m’a dit : tu devrais faire un « grand sujet », l ’épouvante, c’est un sujet mineur. Merde,
quel beau dédain, un grand sujet qui stigmatise .1^ vie, mais la vie passe, l’actualité se
démode, les films aussi, d’ailleurs, si La Tête contre les murs est toujours d’actualité
alors que le bouquin de Bazin a été fait il y a dix ans, c’est bel et bien parce quie la
psychiatrie n ’avance guère. Si j’ai fait Les Yeux sans visage, c’est, grâce à Pierre Bras­
seur, qui est un prodigieux comédien, et parce que je trouvais dans ce sujet stable le
moyen d’exprimer spectaculairement un style. J’y suis arrivé si l’épouvante atteint au
fantastique poétique...

Les planchers de Renoir


Vous vous rongez les ongles, vous êtes sensible. Merde, c’est ça qui compte dans la
vie, la sensibilité et le style, et pas les gens qui trafiquent du 18,5, qui batifolent avec des
grues qui ne savent plus où donner de la tête, des courts foyers pour accrocher des pla­
fonds hauts ou bas, peu importe... Renoir aime mieux les planchers, et il a raison. Moi,
j’aime mieux les planchers de Renoir que les plafonds d ’Orson 'Welles. Sans blague. Pas
vous ?
— J'aime bien les deux.
— Et j’aime mieux l’autorité de Renoir que celle d’Orson Welles. Vous remarquerez
que Renoir adore les planchers. Avant de faire mes films je n ’avais été qu’une fois dans
un studio, c’est par hasard que j ’ai vu tourner un plan de La Règle du jeu. Il ne le sait pas.
Il y avait Paulette Dubost, qui était sur un escalier, et Gaston Modot. « Ma petite, dît
l’Ours, ma petite, c’est très bien, c’est parfait, mais, pour moi, pour me faire plaisir, tu
vas me faire un petit truc, gentiment, là, gentiment. » Il place la fille. « Toi, Gaston, tu

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la prends comme ça, tu t'inclines légèrement en tournant son profil vers moi, et ta l’em­
brasses, gentiment, faut pas la casser, cette petite, gentiment, comme une poupée ; et toi,
Pauletle, ta jambe, ton pied, tu les laisses pendre, là, sur cette marche, ta jambe, tu la
balances doucement... »
Ça, c ’est de la mise en scène. Le plan n’était rien sans ça, un visage incliné, une
jambe qui se balance, pas de jardin fleuri pour un baiser, merde, pas de fulle, pas d’aqua­
rium, vous voyez ce que je veux dire, hein ?... Et puis, Renoir, lui, il s ’en fout des ..
techniques abusives, il est scénique. Regardez Le Carrosse d’Or, que je n ’aime pas, pour.-
des raisons qui sont les miennes, sur le plan des intentions. Je l ’ai revu en même temps*,
que la pièce du T.N.P.. où c’est d’une ironie incroyable. Par exemple, chez Vilar, quand
TEvêque, à la fin, paraît devant Casarès, on se dit : il tient le carrosse, l ’évêque, et il
va se taper la Périchole. Je n ’aime pas le côté solennel de Févêque de Renoir ; chez Renoir !...
l’évêque c’est le sauveur, chez Vilar, c’est le complice, ça sent la partouze à plein nez.
Ceci dit, quel beau film ! Tout ce mouvement dans le plan, ces pirouettes, ces couleurs,
c’est du grand Renoir, fils d’Auguste.

Un mur et rien derrière.

J ’avoue dAilleurs être beaucoup plus sensible au scénique qu’au dynamique. J ’étais
très petit quand j’ai vu pour la première fois, après un incendie, une façade d’immeuble
et rien derrière. La vision m’est restée d’une chose très artificielle et très insolite. Une
façade et rien derrière... Qu’est-ce qu’il y avait avant ? C ’est le vide hanté.

Jean Vilar et Georges Franju pendant le tournage <le T.N.P.

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Anouk Aimée dans La Tête contre les murs.

C ’est ça, la vie, le feu, l’incendie... Pourquoi La Tête contre les murs ? Pour le
mur 1 Le mur, le mystère, et, quand on est dedans, les tulipes devant le mur. C’est là
l’escroquerie : le côté pavillon, bungalow, tranquillisant, quoi. Tranquillisant ? Merde !
c’est terrible, une tulipe. Une tulipe qui se fane, ce n’est rien, mais une tulipe qu’on
plante, bien droite, tous les jours-! C ’est pour conserver les gens qui sont dedans qu’on
conserve les tulipes, — et les murs! On interne avec une si grande facilité... Je pourrais
me faire interner demain, et vous, si vous n ’aviez pas eu André Bazin, vous l’aviez dans le
cul. Vous comprenez, ce n ’est tout de même pas normal de couper la gueule des gens pour
vous la foutre sur votre gueule à vous, alors qu’il est parfaitement normal de se faire
interner dans un asile, même si vous n ’êtes pas coupable. J ’ai reçu une lettre, je cite
parce que c’est admirable, commençant ainsi : « On ne peut pas interner les gens comme
vous le dites. » C ’est ce que les gens ne veulent pas comprendre, nom de Dieu !
En France, il y a un asile où on applique le régime le plus autoritaire, le plus car­
céral comme on dit ; cet asile a de très beaux murs, des murs classés, comme les fous
(les fous aussi sont classés), définitivement, c’est une abbaye. Dans le temps, les abbayes,
c’était comme les églises, des lieux d ’asile, et ça continue, merde, c’est le cas de le dire...
Et puis, merde, ça y est, je reviens à la Tête...

Les intentions et le style.

Non, la chose la plus importante, comme je vous le disais tout à l ’heure, c’est les
intentions et le style. Seulement, les intentions sont quelquefois intérprétées à rebours,
même si leur sens est clair, et le style, les gens n ’y connaissent rien, et presque tous les
critiques s ’en foutent. On mélange tout, le style et le genre. On aime le genre, mais le

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style, on l ’ignore. Tenez, ün gars qui en connaît un drôle de bout dans les styles, c ’est
Langlois. Au début de la Cinémathèque, quand je travaillais avec lui, et qu’on fouinait
dans les caves des derniers marchands qui vendaient encore des films muets aux forains,
Langlois, d’un coup -d’œil sur un film découvert sous un tas de merde, et qui n ’avait
plus, Sien entendu, ni amorce ni générique, me disait, en reconnaissant l’auteur par le
style : « C ’est un Griffith de 1914 «... Et il ne se gourraït pas, la vache... c’était bel et
bien La Naissance d'une Nation, et même si, à l ’époque, un travelling ou un gros plan
pouvait signifier un style, il n ’avait pas besoin dé reconnaître le visage de Lilîàn Gish
ou la chevauchée du Ku Klux Klan pour dire ça.
Aujourd’hui, le style ne peut plus être dans la technique... c’est fini. Le Pancinor, par
exemple, quelle foutaise, c’est le contraire du travelling, c’est inhumain, cette mécanique,
et on l’emploie comme travelling ou comme complément au travelling... Faut être con,
non ? J ’ai reçu un jour la visite d’un gars qui a commencé par me dire qu’il n ’aimait pas
mes films parce que je tenais à conserver un style. Mais je ne vois pas pourquoi je cher­
cherais à me priver d’une chose qui m’attire, même chez des auteurs qui m’emmerdent !
Et les intentions, vous croyez que les gens comprennent toujours ? Que le public
pige ? L’autre jour, un voisin, un gars que je ne connais pas, arrête ma femme dans la
rue et lui dit : a Ah ! Madame Franju, permettez-moi de vous serrer la main, J'ai vu au
Régent le film de votre mari sur Notre-Dame, quelle merveille, et puis, toutes ces chaises
vides, ah ! Madame, on sent que M. Franfu est un grand catholique ; on comprend qu'il
nous dit : Regardez ces chaises, c'est là que des milliers de fidèles vont venir prier ! »
{rires). Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ? Ils ont de l’imagination, les catholiques,
hein ? J’ai fait ce plan justement pour montrer que les fidèles se font rares, que la cathé­
drale était déserte, et voilà ce qu’ôn comprend ! La clique catholique est soufflante :
K Monsieur Franfu est violent, sadique, mais poète, il tient compte de la primauté de
l'âme... » Sadique ? Ce n ’est pas vrai ; il n ’y a pas plus gentil que moi, enfin, vous le
Çoyez bien, merde. La primauté de Tâme... C ’est comique, non ? La primauté de l'âme,
c’est Claudel. Avez-vous lu Le cochon, de Claudel ? Claudel est un grand naturaliste,
un haltérophile : c’est Jack lé Boulanger. Le cochon, c’est tout à fait Claudel ; et
L'annonce faite à Marie, voilà un film que j’aurais voulu faire. Devant Notre-Dame, une
gigantesque toile peinte représentant la forêt ; sur le parvis, la scène, les orgues de la
cathédrale, et puis la vie autour : la Seine, les péniches, le bateau-mouche, les clochards,
les ivrognes qui passent dans le champ pendant le spectacle, les, amoureux, les phares des
voitures qui balayent la scène, les bruits de la ville, les remorqueurs, les avions, la vie
des bistrots, les juke-boxes, le spectacle théatral dans l ’agitation et la rumeur sacrilège de
la capitale. Et puis Violaine, c’est un si joli nom, si tendre, aussi joli, aussi tendre que la
Barbara de Prévert... C’est chouette quand le gars lui demande — je ne suis plus tout à
fait sûr du texte ; c’est peut-être comme votre Guide Michelin... — : « Regarde-moi.
Pourquoi ne me regardes-tu pas ? et qu’elle répond : « Parce que je suis aveugle. »

Le décor naturel.

Je vous parlais du Parvis de Notre-Dame, la Seine, les rues, etc. Voilà un décor
naturel. Le studio m ’ennuie. On démolit et on remolit, on tape et on retape, on pose et
on dépose. C’est à la fois pratique et incommode. Une découverte photographique, c’est
affreux : aucune vie, aucun frémissement... Essayez donc au studio de faire vivre ce « petit
bruit bien connu et que cependant on n ’entend pas souvent », comme a dit je ne sais plus
qui, ou encore le bruit des pas d’une femme sur le gravier d’un cimetière... On entend
beaucoup de bruits au studio, c’est sûr, des coups de marteaux, des gueulements, des
décors qui se foutent par terre, les bruits du studio en somme. Et puis, si le décor naturel
exige une autre discipline, il vous apporte en échange sa vie propre : il joue... C ’est
Brasseur qui me disait : « Tu comprends, quand fe monte le grand escalier de la villa de
Marnes-la-Coquette, je sais qu'en haut, après la dernière marche, je vais ouvrir la porte
de la chambre et surprendre ma fille. Alors qu'ici, au studio, avec ton escalier à la con,

10
Le Sang des bêtes.

je sais qu'en haut, si je franchis la dernière marche, je trouve le vide et je me casse la


gueule. » Regardez la « Nouvelle Vague », elle l’exploite, le décor naturel, comme l’an­
cienne, d’ailleurs. La c< Nouvelle Vague »... il y aurait un film à faire là-dessus. J ’ai déjà
le titre : La marée basse.

Une histoire de fantôme sans fantôme.

Le Château est un projet ajourné parce que Jean-Louis Barrault, qui tient le rôle
de M. K., vient d’être chargé de la direction du Théâtre de France et qu’il ne peut, dès
sa première année de gestion, quitter son théâtre pour tourner un film en Yougoslavie. La
réalisation, d’ailleurs difficile, de l’œuvre de Kafka, exige le dépaysement et l’isolement. Il
faut s’y consacrer exclusivement. Barrault est de toutes les scènes, nous devons tourner
dans un paysage de neîge, créer une communauté. Ces conditions ne pouvant être réunies
cette année, nous avons décidé, d’un commun accord, de reporter le projet. Aucun pro­
ducteur ne voulant, n ’osant, pour l’instant, financer Thomas l’imposteur et La Faute de
l’abbé Mouret, mon projet le plus immédiat c’est un film de fantôme... sans fantôme. C ’est
un drame, par moment drôle, qui se passe pendant un spectacle Son et Lumière. Nous
cherchons à éviter le côté policier pour rester dans le fantastique pur. Voici un aperçu de
cette histoire originale, qui est de Boileau et Narcejac. Des héritiers sont réunis dans un
château de province pour l ’ouverture d’un testament. On apprend que le dernier proprié­
taire du château lègue à ses successeurs le château indivis. On apprend aussi que le défunt,
un vieil original qui fut complètement délaissé par les siens, et qu’on savait grand collec­
tionneur, lègue aussi un a trésor ». Ce trésor est constitué par des collections de meubles,
de timbres et de tapisseries que le vieillard a cachées dans un endroit connu de lui seul et
qu'il ne révèle pas...

11
II s ’agira donc pour les héritiers de trouver le « trésor » chacun cherchant pour soi,
bien entendu, mais en attendant, il .faut vivre au château et l’entretien dé celui-ci est
coûteux. C’est alors que les héritiers imaginent de monter un spectacle à la manière de
Son et Lumière pour faire de l ’argent. Comme il faut une légende, on en trouve une et
on l’enjolive. Enfin, le jour du spectacle arrive.
Ce qui m ’amuse, c ’est de faire vivre le vide. On ne verra pas les personnages, ni 3e
départ du cruel seigneur, la nuit, pour la chasse avec ses piqueurs et ses chiens, ni l’arri­
vée du jeune chevalier, amant de la jeune femme du seigneur, ni le retour des cavaliers
et du mari soupçonneux qui surprendra sa femme dans une chambre de la tour et la poi­
gnardera. La femme poussera un cri et le public croira que c’est « reconstitué ». Mais
le cri n ’est « pas dans l’enregistrement magnétique ». C ’est, en effet, une des héritières
qui a été assassinée. Les héritiers disparaîtront, d’ailleurs, pendant les spectacles et dans
des circonstances qui rappelleront singulièrement celles de la légende. Ça m’amuse beau­
coup de faire ça. La présence, les mouvements des personnages invisibles seront suggérés,
c ’est le cas de" le dire, par « l’opération » du cinéma, par des positions et des mouvements
d’appareil révélateurs. Il faudra faire parler les ténèbres, créer le sentiment de la présence
humaine.

(Propos recueillis au magnétophone par F r a n ç o i s T r u f f a u t .)

Eugène Shuftan et Edith Scob.

12
BIOFILMOGRAPHIE DE GEORGES FRANJU

Georges Franju est né le 12 avril 1912 à Fougères (Ille-et-Vilaine). 11 sacrifie très rap ide­
m ent ses études prim aires à la fréquentation de ses trois auteurs de chevet : P ierre Souvestre
et Marcel Allain, autrem ent dit Fantôm as, Sigm und Freud et le divin Marquis. Saute-ruisseau
et m anutentionnaire, puis élève décorateur et décorateur de T héâtre. Service m ilitaire p endant
que Clair tourne Le million, A nous la liberté et Quatorze Juillet, Bunuel L ’âge d ’or et Terre
sans pain, Renoir L a c hienn e et B o u d u , Chaplin Les /umtèreis d e la ville, Ekk Le chem in de
la vie, P ab st L ’opéra de qtiat'sous et L a tragédie de la m ine, Sagan (Léontine, la vraie, quoi !)
Jeunes filles e n uniform es, T rivas N o m a n's land, Vigo Zéro de conduite, H aw ks Scarfaoe,
L ubitsch H aute pègre, et surtout p e n d a n t que M urnau et Lang, ses deu x cinéastes préférés,
tournent T a bou , M . le m au dit et Le testam ent du Dr M abuse, — Eisenstein, à cette époque,
m agnifiant le M exique. R encontre Henri Langlois avec lequel il fonde un ciné-club : L e Cer-
cle d u Ciném a. E n 1937, iï participe, avec le m êm e Langlois et P .A . H arlé, à la fondation
de !a C iném athèque Française; et crée, toujours avec Langlois, un journal : C IN E M A tographe,
qui n*eut q u e .,, deux num éros. E n 1938, il devient secrétaire exécutif d e la Fédération inter­
nationale des Archives d u film. Secrétaire général de l ’institut de C iném atographie scienti­
fique de la Libération à 1954.

+ Projets de courts-métrages non aboutis; scénarios non tournés, restés scénarios, faute
d ’un producteur intelligent : Les égoutiers d e Paris, L a Salpétrière, L e K rem lin-Bicêtre, La
Comédie-Française, L ’A ca d é m ie Française, -Le Miroir des sports, L es conditions de vie des
A lgériens à Parts, L a Galerie (d’après Kafka), Les Halles d e Paris.

Projets de longs m étrages non encore aboutis : Fantôm as, L e Château, T hom as Z'im-
posteur et La faute de l’ab bé Mouret.

CO UR T S METRAGES

1934. — L E M E T R O (en collaboration avec C om. ; Georges Franju dit par Michel
H enri Langlois). Simon et les guides du m usée.
Ph. : Marcel Fradetal.
1948-1949. L E SA N G D E S B E T E S (Force Mus. : Maurice Jarre.
et V oix d e France).
Sc. : Georges Franju. 1952. — LE G R A N D M ELIES (Armor Film ,
Fred Orain),
C om . : Jean Painlevé dit par Nicole
L adm iral et G eorges H ubert. Sc. : G eorges Franju.
P h . : Marcel Fradetal. Com. .- Georges Fran ju dit par M m e Ma-
M us. : Joseph K osm a (chanson de C h ar­ rie-Georges Méliès et Lallem ant.
les T renet). Int. : M me Marie-Georges Méliès et A n ­
d ré Méliès.
Ph. : Jacques M ercanton.
1950. — EN P A S S A N T P A R L A L O R R A IN E
(Force et Voix de France). M us. : Georges V a n Parys.
Sc. : Georges Franju.
[953. — M ONSIEUR E T M A D A M E C U R IE
C om . * G eorges F ra n ju dît par Georges (Armor Film , F re d Orain).
H ubert.
Sc. G eorges Franju d ’après ia biogra­
P h . : Marcel Fradetal. ph ie de Mme Curie : « Pierre Curie ».
M us, ; Joseph Kosma. Com. G eorges F ranju (d’après « Pierre
Curie »), dit par Nicole Stéphane.
’ 1951. — H O T E L D E S IN V A LID ES (Force et Int. : Nicole Stéphane et L ucien H ubert.
V oix de France), Ph. : Jacques M ercanton.
Sc, : Georges F ranju. M us. : Beethoven (a Les A dieu x »).

13
A propos d’une rivière„

1954. — LES PO U SSIER E S {Armor Film, Com. ; Jacques Prévert dit par Roger
F re d Orain). Pigault.
Sc. : G eorges Franju. Int. : Jacqueline Lemaire.
Com. ; Georges Franju dit par Georges Ph. : Georges Delaunay et Jean P enzer.
Hubert. Mus. ; H enri CroJIa,
Ph. : Jacques M ercanton.
1956. — L E T H E A T R E N A T IO N A L P O P U ­
iWus. Jean W ien er. L A IR E {Procinex-Antinex).
Com. ; Georges Franju dit par Marc
1954. — N A V IG A T IO N MARCHANDE C a sso \
(U.G.C.).
Ph. : Marcel Fradetal.
Sc. : Rodolphe-M aurice A rlaud.
M as. : Maurice Jarre.
Com. ; G eorges F ranju dit p ar R oland
Lesaffre. f956. — SUR L E P O N T D ’A V IG N O N (Pro­
P h. : H enri Decae. cinex-Antinex).
M us. : Jean-Jacques Grunetvwald. Sc. ; Georges Franju.
C om. : Georges Franju dit par C laude
1955. — A P R O P O S D ’U N E R IV IE R E (ou Dasset,
Le S a um on atlantique ou A u fil de la Ph. : Marcel Fradetal (Franscope, East-
rivière) (Procinex). m ancolor).
Sc. : G eorges Franju. M us. ; Maurice Jarre.
Com. ; G eorges Franju dit par Marcel et
Jean-Paul La porte. 1957. — N O TR E -D A M E , C A T H E D R A L E DE
Int. : Michel Duborgel. P A R IS (Argos).
Sc. : Georges Franju.
Ph. : Q uinto Albicocco.
Com. ; Frédéric de Tow arnicki dit p ar
M us. : H enri Croîla. Muriel Chanay.
Ph. ; Marcel Fradetal (Franscope, East-
1955. — MON CH IEN (Procinex). m ancolor).
Sc. : Georges F ranju. M us. ; Jean W iener.

14
1958. — L A PREMIERE. NU IT (Argos). Int. : Pierre Devis et L isbeth Person.
Sc. : M arianne Oswald et Rem o For- Ph. : E ugène Schuftan.
lani. M ont. ; H enri Colpi.
A d a p t. : Georges F ranju . M û s. : Georges Delerue.

LONGS METRAGES

1958. — L A T E T E C O N T R E LES M U RS 1959. — L E S ^ Y E U X SA N S V IS A G E


(Sirius, Atïca, Elpénor). (Champs-Elysées Production, Jules Bor-
kon).
Sc. : Jean-Pierre Mocky, d ’après le ro ­
m an d ’Hervé Bazin, Sc, : Jean R edon.
Dial. : Jean-Char}es Pichon. A d a p t. : P ierre Boileau, T h o m a s Narce-
P h. : E ugène Shuftan. jac, Jean R edon et C laude Sauté.
Dial. : Pierre Gascar.
M us. : Maurice Jarre.
Ph. : E ugèn e Shuftan.
Int. ; Pierre Brasseur (Dr. Varm ont),
A n o u k A im ée (Stéphanie). Charles Az- M as. ; M aurice Jarre.
navour (Charles), Jean-Pierre Mocky Int. ; Pierre Brasseur (Dr. Genessier),
(François Géranne), Paul Meuriase (Dr. A lida V alli (Louisa), E dith Scob (Chris-
Em ery). Jean G alland (Mc G éranne), tiane), François Guérin (Jacques), Ju ­
Edith Scob [une folle). liette Mayniel (Edna).
(Biofilmographie établie par A lain VARCAs.)

B rig itte B a r d o t s e r a it p o u r F r a n ju l’in te r p r è te idéale


d e L a F a u te d e l’a b b é M ourct.

15
LE STYLE DE FR ITZ LANG

par Georges Franju

Ce texte, paru dans CINEM Afogiaphe en mars 1937, a éïé revu par l'aufeur a l'intention des
lecteurs des CAHIERS.

Long traduisant (ou non) Thé a Von Harbou semble continuellement rêver de
justice et d'équilibre supérieur,
Traitant à ses débuts des contes et des légendes à la m anière de l'école alle­
m ande d'alors, le grand réalisateur germanique ne peut déjà, m algré ses dispositions
sociologiques, appliquer à l'hum anité considérée comme arbitre d'elle-même sa manie
d'égalité ni imposer sa volonté de réforme au réalism e de la dictature judiciaire.
Symboliste et extra-terrestre l'auteur des Trois Lumières pose dans ce film et
pour la première lois le problème étemel que figure la balance. Cette œ uvre philo­
sophique nous conte l'histoire d'une jeune femme (Lil Dagover) dont la grandeur d'âm e
triomphera de mille embûches et qui au terme d'une terrible épreuve fléchira l'auto­
rité céleste.
Affirmant ainsi le jugement de Dieu comme prototype et comme exemple, Lang,
dans son second film M abuse le /oueur, passe à l'agression, par l'entremise d'un
nihiliste scientifique. Et Métropolis lui donne l'occasion d ’opérer sur un ensemble, sur
vin m onde organisé, la scission qui met l'homme en face de sa réalité. C'est le pre­
mier stade de l'évolution sociologique du thème...
Cinq a n s après, s'étant réservé, le moment venu, d'opposer la justice aux lois qui
la déterminent, se révèle l'idée fixe du tribunal. Mais d'un tribunal en dehors, devant
lequel toutes les causes seront entendues et grâce auquel Fritz Lang tombe sur l'actua­
lité qu'il attaque de front.
La lutte s'organisera désormais à terrain découvert contre l'officiel représentant
l'autorité, contre l'autorité au service de la justice, contre la justice régie p ar les lois,
contre les lois abritant les privilèges, la tradition, la sottise.
Des tribunaux où siégeront des compétences de toutes sortes (texte) seront insti­
tués, les décrets, les codes, les règles, seront révisés et souvent feront place à des
argum ents violents, p ar la suite répréhensibles : et les dévoyés, les infirmes, les
voleurs, rejetés en m arge de la société, auront pour mission d'en reconstruire une
autre.
Lang toujours sym pathisera avec l'homme de basse condition, quel que soit son
forfait et dans la m esure où, p ar n'importe quel moyen, cet homme aura combattu
les dogmes d'une civilisation abrutie.

16
Il nous faut arriver à l'œ uvre parlante M. Le Maudit (car il ne saurait être ques­
tion des œuvres mineures réalisées entre Métropoîis et M.) pour trouver confirmation
de ce que j'avance. Connaissant l'état d'esprit du grand cinéaste et m algré la sen­
tence de mort prononcée contre le sadique (qui m e semble être une sentence de
concession) on rem arquera que non seulement Peter Lorre dispose d'un défenseur,
m ais qu'il pourra plaider lui-même sa cause en des termes qui ne manqueront p as de
rendre responsable une société incompréhensive et bornée. Moins soucieux d'évoquer
l'excuse de son état mental, qui, en haut lieu, constituerait une circonstance atté­
nuante, que de montrer ses plaies a u grand jour, Lorre se révélera au monde de la
bourgeoisie et de la bureaucratie qui le regarde (texte) comme le triste symbole de
la création. A la fin du film, Je « Vampire » est arraché aux juges improvisés pour
comparaître devant une cour régulière, m ais les magistrats n'étant avec Long, en
aucun cas, qualifiés pour l'arbitrage, leur verdict ne sera p as connu.
Poursuivant son œ uvré destru-constructive, agressif et critique, Fritz Lang, réédi­
tera du vieux et terrible Docfeur M abuse un Testament qui, selon l'expression même
du iilm, constitue un évangile (selon saint Mabuse) tendant à lutter contre les préju­
gés, l'encroûtement et les injustices fondamentales p ar un système de sanctions fort
énergique.
A noter que là encore, et du. fait d e sa folie, le coupable (Klein-Rogge) est m arqué
de l'impunité (Mabuse échappe à la guillotine grâce au cabanon) et bénéficie, comme
précurseur d'une m orale authentique, de l'estime révolutionnaire.

Ivlaus P o h l d a n s lui F e m m e su r la lu n e de F ritz L a n g (1928).

M
M. (Le Maudit) (i932).

Liliom (d'après Molnar), cependant, nous ramène à la période héroïque idéalisée


p ar la justice du ciel. Préférant le suicide à l'arrestation, Liliom Zadowski évitera, lui
aussi, l'intervention des gens de robe et c'est au ciel qu'un commissaire angélique
et compétent le réhabilitera à nos yeux moralement et socialement.
le pense que l'exemple de Furie/ dernier-né de la production d e Lang et mal-né
à mon avis (mens cela est une autre affaire) est trop frais à la mémoire pour qu'il
nous soit utile d'en faire rem arquer les préoccupations juridiques. Certains ont vu •
dans ce film une protestation contre le lynchage : pour m a part, j'y vois aussi un
réquisitoire contre l'arrestation arbitraire responsable au fond des circonstances d ra­
matiques qui en sont la conséquence.
Quoi qu'il en soit Spencer Tracy devant la cour des m agistrats déclarant : .
« Vous avez fué en moi 1er croyance en la justice », résume l'une des préoccupations
qui font l'originalité et la force de l'œ uvre de Lang.

DECOUPAGES PRINCIPES

L'essentiel d'un scénario bien construit, bien découpé est évidemment d'être établi
selon des règles immuables de rapports d'images, d e successions de plans, d e m esures
rythmiques, etc. Il faut cependant reconnaître dans les narrations de Lang une notion
qu'il fut le premier à appliquer — à notre connaissance — dès 1921, c’est-à-dire à une
époque où les meilleurs se bornaient à suivre le développement ordinaire du récit
ou cherchaient l'élargissem ent artistique dans l'expressionnisme de l'interprétation ou
l'impressionnisme de la caméra.

18
le veux parler du découpage intuitif dont le plus simple exemple se situe à
l'ouverture des Trois Lumières.
Ouverture à l'iris... s u t un carrefour
devant lequel apparaît un homme.
Fondu enchaîné... sur un buisson...
Une diligence sur une route...
Sous titre : n'importe où riimporte quand, deux amoureux en voyage de noces.
C'est iout, en faut-il plus, cependant, pour prévoir qu'ainsi juxtaposée, la dili­
gence, se déplaçant dans l'espace, sera contrainte de rencontrer l'homme sur sa
route ?
Obtenu p ar l'agencement conditionnel d es plans, situation dans l'espace relevant
uniquement du découpage, le cas cité plus haut n'est pas isolé. La preuve en est le
souvenir que laisse le début de M, Le M audit qui mit le spectateur à si intéressante
contribution dans le sens où un travail intuitif de s a part, ordonné et dirigé, devait
toucher aux bornes de l'émotion dramatique.
Car si, après une heure de retard annoncée à l'horloge, on pouvait espérer encore
le retour de la petite Elsie, si, à la suite d e la vision insistante de son assiette et de
sa chaise abandonnée, on pouvait à peine e sp érer; j'affirme qu'au moment où la
cam éra plonge dans la cage d'escalier il est impossible d'adm ettre que l'enfant
reviendra chez sa mère. La vue de cette cage si raide, si pauvre, si mome, est déci­
sive. On prévoit : jamais la petite Elsie ne rem ontera cet escalier et la suite des évé-

Tlie Mijiistry o{ Fear (Estions sur la Tamise) (1943).

19
nements confirme nos pressentiments. Mais ce système comportant différentes appli­
cations, nous en arrivons à étudier certain mécanisme qui, contrairement au cas
examiné plus haut, agit non plus, par le récit, sur le raisonnement, m ais p a r rupture
de la narration, sur le réflexe.
Rappelez-vous au début de -LiJiom, la querelle qui mit aux prises Boyer et
Rignaud. A près avoir montré les deux hommes en train de s'injurier, un panoram ique
ram enait la cam éra sur une foule de badauds qui riaient à gorge déployée. Brusque­
ment les têtes se renversent dans un mouvement uniforme et, simultanément, s'opère
un renversement expressif de toute la scène. On devine que de l’autre côté il se
passe quelque chose de tragique. Mais quoi ?
Un panoram ique inverse montre l'un des compères qui, un couteau à la main,
s'apprête à saigner l'autre compère.
Ainsi un découpage intelligent, montrant l'im age émotive avant le motif d'émo­
tion, a-t-il mille chances de toucher le but, l'ignorance de la cause d'un effet provo­
quant sûrement le réflexe.
Peut-être ce mouvement fut-il innové dans Les Trois Lumières (scène de l'auberge),
en tout cas, nous le retrouvons, outre les passages cités, dans M. (scène de l'arrivée
de la police dans îa cave), Le Testament du Docteur Mabuse (scène de l'am phithéâ­
tre), etc.

LA MISE EN SCENE

A ce sous-titre j'ajoute : LE DECOR

i Si les Niebelungen semblent dépendre de conceptions proprem ent scéniques*


théâtrales elles-mêmes liées au choix du décor, devons-nous oublier que ce monument
de la légende transposée est entièrement soumis aux règles essentielles du cinéma
et à un travail de cam éra dont la sobriété n'atténue en rien l'action effective ? Pense-
, t-on sincèrement qu'un théâtre, aussi bien équipé fût-il, puisse donner d e ce thème une
-.vision com parable? J'attends le décor qui égalera en puissance évocatrice l'im age
filmée du trésor des Niebelungen entrant dans la cour du château d e Worms (puis­
sance qui est uniquement fonction de l'angle de prise de vue en plongée), ou la vision
m agistrale (parce qu'en plan lointain) de la chasse dans la forêt, et celle inoubliable
de la plum e d'oiseau tombant au ralenti et fendue sur l'épée d e Siegfried (gros plan).
Purs produits de l'objectif, intraduisibles avec autre chose que l'œ il artificiel d'une
caméra.
Et par quel systèm e matériel porterait-on sur les planches d'un théâtre tout ce qui
fait l'atm osphère même du film ! La pétrification des êtres, l'am biance vaporeuse des
■forêts, la grandeur de la plaine enflammée...
Lorsque sortit M. Le Maudit, les critiques ne m anquèrent p as de considérer la
scène du tribunal comme un défaut dans le film, et, tout en la reconnaissant particu­
lièrement dramatique, en niaient les qualités cinématographiques, jugeant que cette
scène n'avait d'autre raison d'être que l'effet pour l'effet.
Est-ce qu'un tel déploiement, en une image, de forces statistiques et décoratives
eût pu agir sur l'émotivité publique avec autant d e puissance s'il n'était l'argument
final logique, inévitable, l'aboutissement plus scénique que théâtral de toutes les forces
anim ées et immobiles ?
On ne peut nier que les réminiscences scéniques soient criantes dans l'œ uvre de
Fritz Lang : le « /e vois frois agsnts cyclistes » de Liliom (scène du tunnel) que l'on
retrouve dans Le Maudit quand le jeune mendiant, lancé sur les traces de Peter
Lorre, dit à l'aveugle : a Je l'aperçois, il s'arrête, il repart », sont des exemples assez
significatifs, et d e la meilleure tradition scénique, m ais pourquoi une scène scénique
ne serait-elle p a s cinématographique ?

20
G lo ria G r a h a in e et G lenn F o rd d a n s H w n a n D esire (1954).

J'ai intitulé cet article Le sfyJe de Frifz Lang. C'est donc tous les éléments compo­
sant son style qui seront examinés ici, m ais si le procédé est accessible à l'analyse, les
im pondérables se sentent, m ais s'exposent mal. Il faut donc souvent prendre les laits
au plus évident d'eux-mêmes. L'œuvre spirituelle de Lang montre un souci primordial :
la recherche de l'Energie. Sans doute, cette recherche est-elle à l'origine de certaines
créations qui, avec Métiopolis ou La Femme sur 1er June lui fournirent, p ar le libre
cham p de l'anticipation, un théâtre d'opération pour spectacles explosifs.
Je ne m 'attarderai pas sur certains fragments chargés de puissance qui, comme
l'inondation de Méfropoiis ou le départ de la fusée interplanétaire d'Une Femme sur
la lune, sont parm i les plus beaux moments du cinéma de toujours. Une remarque
cependant est à faire : tous les événements spectaculaires à caractères violents et
criminels ont été exploités p ar Lang et pathétisés à l'extrême limite. Les inondations
(Métiopolis, M abuse) ; les explosions (Les Espions, Mabuse) ; les incendies (Les Tiois
Lumièies, Furie).
Le décor de Lang est un grand acteur. Regardez l'im age de la vitrine d'orthopé­
diste, située au milieu de M. et devant laquelle le vampire s'est arrêté, guettant une
fillette.
Cette vitrine, rem arquable grâce à une spire noire et blanche qui tourne à l'infini
et dont le mouvement giratoire est contrarié p ar celui d'une flèche qui, monte et qui
descend avec régularité, est un détail décoratif édifiant du style de Lang. Tout comme
la vitrine a u mannequin déshabillé de Z'Opéra de Quai' Sous était typique du style de
Pabst, et la vitrine de la modiste du Chapeau de paille d'Italie symbolique du style
de René Clair.

21
L’INTERPRETATION

L'extrémisme dans l'attitude, l'énergie fondamentale dans l'expression, le nervo­


sisme dans le geste sont les bases sur lesquelles repose pour Long le système d'inter­
prétation. Il est difficile de déterminer les personnalités exploitées ou découvertes p ar
lui. Quoi qu'il en soit, le charme horripilant m ais attractif de Brigitte Helm, le m ag n é­
tisme de Bernard Goetzke, la puissance de Klein-Rogge, la force de Peter Lorre, m ar­
quent une volonté d'imposer p a r la violence moins des acteurs aux talents variés que
des personnages-forces, sélectionnés à la mensuration. Ce qui naturellement réclam e
du physique un certain pouvoir radiant actif (Rogge-Mabuse) ou passif (Sidney-Furie).
Il est sans doute difficile de trouver des acteurs dont le personnage cadre exactement
avec le rôle, m ais il s'agit aussi de repousser les pratiques inacceptables du conser­
vatoire, fortes en élucubrations « nuancées ». Pour Long, en effet, le rôle ne se porte
p as en soi, mais sur soi. Le ciném a étant moins un art d'extériorisation que d'extérieur,
peu nous importe la sincérité d'un interprète pourvu qu'il fût vrai, m ais vrai absolu­
ment.
Et je renvoie à l'incarnation du personnage de la mort que Goetzke réalisa en 1921
et qui est une réponse m agistrale à ceux qui confondent la « vérité apparente » avec
« l'apparence d e vérité ».
Un ouvreur de coffre-fort, p ar exemple, n'est, dans l’ensemble guère plus rem ar­
quable que le premier académ icien venu. Seules ses mains sont particulières à sa
profession. C'est donc à elles et à elles seules qu'incombe la tâche de l'interprétation
(M. l'ouvreur dé coffres-forts). x
II est certain que le souci de la vérité est m arqué dans ces détails de la griffe
personnelle du metteur en scène dont elle représente le style. Nous avons déjà noté
les affinités de Long avec La Racaille — si racaille il y a, quand l'honorabilité est
pire — mais nous devons rem arquer que tout bien réfléchi, il ne s'agit plus ici de
simple affinité, ce sentiment étant insuffisant à justifier la glorification du vol et du
crime. Or sans distinction, Long divinise pour ainsi dire la pègre de laquelle il a haute
opinion et nous devons d'ailleurs lui faire cette justice que jam ais les interprètes, les
membres de cette pègre ne furent vulgaires, faibles ou veules.
Souvent même, certains interprètes sont revêtus d'un vernis d'aristocratie dont
Xang raffole et c'est ainsi que tel chef de ban d e sera montré ganté de noir (M.) ou
sous la silhouette cruelle très « jeune homme de bonne famille » d'une crapule distin­
guée. Et quand le gros d e la figuration est réuni, cette m asse intelligente organisée,
admirablement organisée... donne une telle impression de force et de race que sa toute-
puissance n'est p a s à mettre en doute.
Individus volontaires, ensemble puissamment magnétique, nous en revenons tou­
jours au même point : I'Energie, l'Energie spirituelle et physique, qui touche quelque­
fois le cœur, toujours les. nerfs.
Cette rubrique aurait p u s'intituler Les nerfs à bout.
Je me souviens d'un simple mouvement d'interprète, un signe, un geste : S ylvia
Sidney angoissée se frappe les tempes (Furie).
Ce geste que nous retrouvons, exécuté de la même façon, au même rythme des
coups frappés, dans la m êm e position recroquevillée des doigts, depuis Les Trois
Lumières, en passant p ar Les Espions (scène du taxi), La Femme sur la lune (scène
de la fusée), Le Testament du docfeur M abuse (scène d e l'imprimerie) n'est-il p a s un
témoignage de l'esprit de précision du metteur en scène ? La caractéristique d'un
parti pris m aniaque/l'affirm ation de conceptions très personnelles manifestées ciné­
matographiquement p ar le Style.
Georges FRANJU.

22
Lydou et Jean Vigo.

LA FIÈV R E DE JEAN VIGO


par Philippe d’Hugues (1)

J ’ai d’abord détesté Jean Vigo. Peut-être trop jeune, moi-même, trop près encore des
grimaces de l'enfance, la première fois que je vis Zéro de conduite, mais déjà assez per­
verti par Prévert et Carné pour regretter que YAtalaïUe ressemble aussi peu à Quai des
brumes. Les bons auteurs ne doivent pas être abordés à ^improviste, et ce n’est pas sans
raison qu’on les inscrit de préférence au programme des grandes classes. Un peu plus
tard, ayant continué de fréquenter les classiques, au hasard des découvertes, et ne pouvant
décider de mes préférences entre Renoir et Cocteau, Stroheim et Welles, Eisenstein et
les Marx Brothers, ayant un peu appris, mais tout retenu, j’ai pu redécouvrir Jean Vigo.
II y a des surprises auxquelles il faut longuement se préparer, et qui agissent bien plus
sûrement lorsqu’on les attend.

(1) Voici l'article lauréat du concours ouvert dans notre numéro 99.

23
*
On connaît la distinction, qui ne manque d’ailleurs pas de fondements : il y a l’œuvre
qui est un cri, et l’œuvre qui est un chant. Mais l’œuvre de Vigo u’esf ni un cri, ni un
chant; ou plutôt elle est les deux à la fois, un cri qui devient un chant, détresse clamée
à tue-tête, plainte longuement modulée et qui, pour finir, se résout en une étrange
musique, où l’invective et la mélopée alternées composent une mélodie toujours impré­
vue. Lorsque, la colère de Vigo ayant fini d’exploser, la musique a pu enfin naître, il
arrive un moment où l’on n’entend plus qu’elle. Les cris se sont tus, les bouffons cessent
de grimacer, les mauvais élèves de ricaner, c’est l’instant où s’élève la voix très pure du soliste,
et l’œuvre se confond alors tout entière avec la mélodie, devient rythme pur, choré­
graphie, poème. La bataille d’oreillers prend les allures fantastiques d’une procession sous-
marine, devient une sorte de crucifixion en plumes. Jean Dasté, après avoir plongé,
débouche dans un univers liquide, rivière oui, mais surtout monde de derrière le miroir
où la pesanteur n’existe plus, où la nage devient danse, c’est-à-dire moyen d’expression, ici
la quête des profondeurs, celle de la petite Sirène perdue, celle d’Ondine disparue, figures
parfaites des amours venues on ne sait d’où et qui sont d’une désespérante fugacité.
Ce n’est pas ainsi que Vigo est poète ? Voire... Si la poésie use de tropes et n’a
jamais pu s'en passer au point de pouvoir se ramener, en partie du moins, à eux, pour­
quoi le cinéma se priverait-il de ceux qui lui offrent sa technique propre ? Vieux pro­
blème, qui n’en est pas un pour les vrais artistes qui Vont toujours résolu, superbement,
par l’ignorance et le dédain, prenant chacun son bien où il le trouve. Vigo, pas plus
que Cocteau, n’est assez fou pour mépriser le r a l e n t i ou les autres artifices cinémato­
graphiques. Ce ne sont point pour eux ces a purple patches » dont parlait Wilde, trou­
vailles décoratives surajoutées à l’œuvré; mais ils eu profitent pour envahir l’écran d’une
réalité dansante, entièrement nouvelle, où se révèle la profonde identité des gestes essen­
tiels du corps humain, qu’il s’agisse de descente aux enfers, de Taris ou Dasté nageant,
comme ailleurs de Jesse Owens capturé par les caméras omniprésentes de Leni
Riefenstüml.
La poétique de Jean Vigo commence très simplement par l’attention passionnée
aux corps humains, saisis d’abord à la dérobée, comme ceux des curistes niçois, mais
bientôt longuement contemplés, caressés et bousculés pour en tirer ces gestes inédits
dont tout à coup la révélation nous foudroie et que nous n’avons jamais revus depuis.
C’est que l’attention au corps est encore le meilleur moyen de parvenir à l’âme, et qu’un
geste de colère ou un sourire, captés en leur soudaine naissance ou en leur fugace ampli­
tude, nous en apprennent plus que dix pages de commentaire littéraire. Ainsi se révèle
à nous Famé des personnages de Vigo, c’est-à-dire l’âme de Vigo lui-même, par les gestes
les. plus vrais, les plus inattendus, les plus surprenants, mais les plus bouleversants ou
les plus exaltants qu’il nous ait jamais été donné de voir sur un écran : la maladresse
agile de Michel Simon, la démarche de souris de Dita Parlo, les pirouettes de Jean
Dasté, tous ces gestes qui traduisent une impatiente volonté d’expression et qui, de scène
en scène, s’affirment comme le sujet véritable de l’œuvre, en même temps que sa par­
faite formulation esthétique. Tel est peut-être le secret de la mise en scène de Vigo, à
qui on appliquerait volontiers ce que dit Borges de Whitman : « II sentit que tous les
arts tendent à la musique, cet art dans lequel la forme est le fond ».

*
Comme de la peinture de l’humanité à sa caricature il n’y a qu’un pas, il suffit à
Vigo d’accentuer un peu le geste au-delà de la limite habituelle, de hausser le ton d’une
note, d’outrer une attitude banale jusqu’à ce qu’elle devienne autre, pour trouver une
des clés de son art, un art qui va créer la beauté en déplaçant les lignes. Allant dans
cette voie plus loin que nul cinéaste, Vigo, en ses débuts, commence par donner libre
cours à cette verve crispée qui est ce qu'on perçoit en premier (ieu chez lui, et c’est
Zéro de. conduite ou le souvenir d’une jeunesse révoltée. Mais la caricature ne doit pas
nous abuser ; elle est le moyen pour Vigo de révéler les choses sous leur vrai jour, mais
aussi de nous les rendre supportables, en nous faisant rire d’elles, même si c’est à contre
cœur, et nous touchons du même coup à l’une des formes supérieures de l’ironie. Le
directeur de l’école est-il terrible parce que c’est un nain et qu’il a une grande barbe ?
Bien plutôt, c’est un nain et il a une barbe parce qu’il est déjà terrible ; qu’il nous suf­
fise de l’imaginer sans ces singularités, et nous n’avons plus envie de sourire. Mais en

24
le rendant dérisoire par son apparence physique, Vigo entend nous révéler sa nature
véritable et en même temps porter un jugement sur elle. Ainsi la caricature, ambiguë
de nature, est-elle l’instrument de la satire, et ouvre-t-elle la voie à une morale : celle
d’un inonde où la laideur est la punition de la méchanceté, mais aussi la méchanceté
punition de la laideur. Dans l’instant qu’ils nous sont montrés, les personnages sont
déjà jugés.
Cette mqrale nous la retrouverons dans YAtalante, mais par des chemins un peu
différents. Comme si Vigo, ayant purgé par la violence unique de Zéro de conduite les
souvenirs de son enfance malheureuse, délaissant les amères satisfactions de l’invective
et de la révolte, allait s'accorder quelque répit et s’essayer à la sérénité. La mort l’ayant
saisi à ce moment, nous ne pouvons savoir si ce choix aurait été durable, mais nous
aimons que Vigo nous ait quittés sur les images apaisées de YAtalante réconciliée et
poursuivant sa coursé désormais sans histoire. Non certes que l’âpre té naturelle à Vigo
soit absente de son dernier film, mais elle ne va plus que rarement jusqu’à la férocité
pure. Il semble que sa violence il l’assouvisse dans ses efforts pour chercher de nou­
veaux chemins qui le mènent à la beauté. Le sarcasme et la dérision sont encore là,
la cruauté aussi, mais ils côtoient la tendresse et se mêlent finalement à elle, pour former
une gamme de sentiments à la saveur douce-amère où la douceur finit par équilibrer
l’amertume. Le choc que l’on retrouve intact à chaque nouvelle vision de YAtalante ne
vient plus de la stridence du cri, non plus de l’émotion impure que procure la satire,
sociale ou morale (encore que la satire soit aussi un poème), mais il est de nature cette
fois purement poétique et semble trouver sa résonance profonde dans la dernière phrase
de Nadja, idéal exergue pour l’œuvre de Vigo : « La beauté sera convulsive ou ne sera
pas »,
La révolte de Vigo en s’épurant, en s’élargissant semble avoir trouvé son objet, elle
devient quête anxieuse d’un inconnu à naître, et si elle reste morale, c’est en tant que
la morale est une contradiction surmontée, l’effort de création d’un ordre du monde qui
tend ici à se soumettre aux lois de la beauté.
Car d’où viént qu’une œuvre qui a tant de raisons de nous apparaître grinçante,
discordante, grimaçante, nous laisse en fin de compte l’impression d’une telle harmonie,
d’un chant parfait, si ce n’est par la magie de l’inspiration d’un cinéaste visionnaire qui

Zéro de conduite.

25
Michel Simon dans UAtalante.

transpose une réalité désordonnée en une radieuse création, nébuleuse parfaite Qui ne
doit rien qu’à son créateur? Les comparaisons qu’on peut faire ici, malheureusement,
sont seulement littéraires, et de plus ont déjà été faites : Rimbaud bien sûr, Céline
aussi. (On pourrait pourtant développer, voir dans Zéro de conduite « un Guignol’s
band », dans VAtalante, un « Voyage au bout de la nuit », mais qui finirait en Aurore,
etc., ce serait un jeu assez fécond.) Il y a aussi Miller et rien ne me fait tant penser à
la musique profonde de Vigo que celle de Miller lorsque, entre deux diatribes, il s’arrête
soudain pour chanter la beauté et la sérénité de ce qu’il aime au monde, dans le « Cau­
chemar climatisé », par exemple.
Mais Vigo est mort sans qu’on lui connaisse de postérité et surtout pas dans le
cinéma français, hélas ! Bien sûr, Une partie de campagne est peut-être le film qui me
rappelle le plus les siens, mais je vois bien pourquoi, si Vigo n’avait pas existé, il eût
été le même, et je vois bien aussi en quoi il diffère profondément. (Renoir reste souriant,
et Vigo est encore trop prisonnier de ses déchirements pour pouvoir l’être.)
Je m ’aperçois que je n’ai pas encore prononcé le mot de fièvre, thème imposé de
cette dissertation. Ai-je pourtant parlé d’autre chose? Vigo, fils d’Almereyda, enfant
révolté, anarchiste ou révolutionnaire, Vigo pulmonaire, Vigo mort à trente ans, autant
d’images aux prestiges faciles que l’on serait tenté de dédaigner et l’on aurait mille
fois raison, car ayant rappelé tout cela, on n’aurait encore rien dit. Mais on aurait
tort bien plus de vouloir l’ignorer, car il est bien évident que des frémissements que
nous communique l’ceuvre de Vigo sont ceux-là même qu’il éprouva dans sa vie, mécon­
naissables, purifiés, magnifiés dans l’œuvre ^d’art, et c’est dans cette source qu’il puise
pour nous émouvoir, cette source qu’il épuise pour nous — sa propre vie. Car le nom
véritable de la fièvre de Vigo, c’est celui-là, c’est la vie. Oh non ! la fièvre de Vigo n’est
pas une maladie, ni une de ces marques visibles que l’on se plaît à reconnaître, après
coup, sur ïe front de ceux qui meurent jeunes, et son oeuvre n’a rien de morbide. La
mort de Vigo est un accident qui nous interdit le pathétique particulier aux jeunes morts
glorieux. La fièvre de Vigo c’est celle de la vie, c’est donc d’abord celle de la jeunesse.

26
Jean Dasté dans L’Atalante.

Ecoutons Fauteur de « Comme le temps passe » : « Je comprends que le mot le plus


banal et le plus vrai sur la jeunesse soit le mot de jièvre. La jièvre de l'esprit... et la
fièvre du cœur aussi. Et la jièvre de voir et de toucher. Et les trois concupiscences, celle
de l’esprit et celle des sens, et la plus jorte de toutes, celle de la vie ». Ajoutons chez
Vigo ce qui lui appartient en propre, le mélange unique de tendresse et d’humour, de
cruauté et de très grande innocence, vertus de tous les âges, mais que la jeunesse
rehausse d’un autre éclat, qui est celui de la folie poétique.
Par ailleurs les films de Vigo ne sont point des œuvres de jeunesse, si l’on sous-
entend par là certaines maladresses d’apprenti, manque de maturité ou vision incom­
plète de la vie. Ce que les critiques de jadis prenaient pour des délauts (honte à eux
à jamais) fait pour nous une bonne part du prix de ses films. Mais, jeunesse de Vigo,
cela veut dire qu’il a su transmettre à ses personnages certains frémissements de l’enfance
et de Fâge ingrat, qui nous rappellent les « Enfants terribles » ou la a Robe prétexte »,
ou le récent « Grand Mal » de Jean Forton.
Cela veut dire qu’il a su parler de l’enfance sans mièvrerie ni complaisance, mais
avec lyrisme. C’est ce lyrisme qui nous révèle les beautés de Fâge ingrat, moins ingrat
que le guignol adulte, et c’est lui qui apporte à l’enfance, même si elle est bête et cruelle,
sa justification sur le plan poétique plus encore que sur le plan moral. C’est le lyrisme
qui lui a permis de faire d’une histoire de deux sous la plus belle histoire d’amour du
cinéma français, disons avec Breton sa seule histoire d’amour-fou, en évitant les pièges,
non pas de la sentimentalité, il en était bien à l’abri, mais ceux plus dangereux de
l’éloquence et de la rhétorique dans quoi Prévert ne tardera pas à tomber (Prévert qui
aurait pourtant pu lui ressembler, qui a failli lui ressembler).
La fièvre de Vigo en elTet, en un mot comme en cent, c’est la plus rare au cinéma,
celle à quoi notre attente toujours déçue ne renonce pas, celle du lyrisme sous toutes ses
formes, tour à tour apollinien ou dvon isi a que. c’est celle de Rimbaud et de Crevel, c’est
la fièvre de la poésie, enfin.
P h i l i p p e d ’H U G U E S.

27
Le petit monde de VWim (Gérard Philîpe et Annette Vadiin dans Les Liaisons dan­
gereuses, 1%0).

DES LIAISONS SANS IMPORTANCE

par Jean Domarchi

Il paraît incongru après le flot de commentaires qui a suivi Les Liaisons dange­
reuses 1960 de leur consacrer un article d'ensemble. Mais il ne s'agit ici, je m'em ­
presse d e le dire, que d'un prétexte. En tant que tel, le film de Vadim ne mérite pas
un tel honneur. D'abord parce que c'est son plus mauvais film (pas aussi raté que
Les Bijoutiers du clair du lune, m ais moins gracieux). Et ensuite parce qu'il ne nous
apprend plus rien sur son auteur. Nous savions tout sur Vadim, sur ses obsessions,
sur le point de vue qu'il a sur le monde ; les Liaisons ne font que les confirmer. Elles
facilitent le constat, rien de plus.

28
Alors pourquoi cet article ? Parce qu'il me permet de prendre position à l'égard
d'une certaine tradition du cinéma français que l'on croyait morte et que les Liaisons
continuent et illustrent à merveille. Si en effet la valeur esthétique d e ce film est nulle,
sa signification sociologique est considérable. Il ne scandalise en aucune manière.
Il plaît au contraire, et beaucoup, parce que l'histoire qu'il raconte contient juste la
pincée d'immoralité qui la rend attrayante. Mais il y a eu des films aussi lestes et
aussi graveleux qui n'ont pas bénéficié d'une telle faveur. Attention l Vadim avait
de plus deux atouts maîtres : le snobisme et la culture. Laclos + Megève + une
surboum — réussite.
Laclos a servi ici de paravent. Il est l'étiquette qui permet de faire passer un
produit douteux. Le pavillon couvre la marchandise. Il aurait été dangereux, commer­
cialement parlant, après Les Tricheurs, Les Amants, Les Cousins et Les Dragueurs
de récidiver et Vadim le pouvait moins que tout autre. Laclos venait à point pour
assurer une partie des risques. Avec Laclos (et Roger Vailland en otage) on s'assurait
la complicité des intellectuels d e gauche, car, n'est-ce pas, Laclos est à l'origine de
la Révolution Française. On s'assurait du même coup la neutralité bienveillante des
intellectuels de droite, car Laclos est un auteur de bonne compagnie. Il évolue dans le
beau monde et toute âme bien née peut ' s'identifier sans crainte de se commettre
avec la marquise de Merteuil ou le vicomte de Valmont. Si Laclos n'existait pas, il
faudrait l'inventer.
Le principe de l'adaptation, si dangereux en soi, est ici au service de la plus
détestable des causes. Passer du roman au cinéma me paraît un leurre, non pas tant
parce que la durée romanesque est irréductible à la durée du cinéma, mais parce que
le roman (par la seule vertu du langage) donne moins à voir q u 'à penser et à rêver.
Des films tels que La Chartreuse d e Parme, Le Rouge et le Noir, p ar exemple, sont
des échecs, non pas p arce qu'ils ont été faits p ar des réalisateurs sans génie, mais
parce qu'ils sont faux dans leur principe même. La vision qu'ils donnent de ces
chefs-d'œuvre est truquée et arbitraire (et s'il me plaît de ne p as voir Julien Sorel
sous les traits de G érard Philipe ?). L'imagination n'aim e p a s être violentée, elle aime
vagabonder sans contrainte. Même si le point de vue du réalisateur est juste, il
restreint le champ des possibles et cela suffit pour rompre le charme.
Les Liaisons dangereuses 1360 définissent pleinement ce que je viens de dire.
Elles n'ont à la vérité aucun rapport avec le livre de Laclos. Ce n'est pas même une
postérité bâtarde. C'est autre chose qu'il est intéressant d'examiner. Malgré toute la
bonne volonté des adaptateurs, m algré toute leur intelligence,; ce livre ne s'est pas
laissé apprivoiser.
Peut-être parce q u 'au départ même de leur entreprise, il leur a échappé que
Laclos, nourri comme tous ses contemporains de l'œ uvre de Rousseau et de celle
de Richardson, a voulu illustrer un thème moral cher à l'auteur de la « Nouvelle
Héloïse ». En ce sens l'épigraphe choisie p a r Laclos (« j'ai vu les moeurs de mon
temps et j'ai publié ces lettres ») est bien significative. Comme Rousseau, en effet,
Laclos est convaincu que l'immoralité est liée à la civilisation. L'inégalité sociale et
la richesse favorisent la décadence des mœurs. La vertu n'est possible qu'en com­
plète harmonie avec la nature, de sorte que l'homme vertueux, ignorant tout des
règles de jeu d'une société civilisée, voit sa sincérité, sa noblesse de cœ ur tournées
en dérision. La Présidente de Tourvel, le chevalier Danceny sont les victimes dési­
gnées du mensonge, les enjeux d'une machination délibérée et combinée en toute
connaissance de cause. Laclos est sincèrement épouvanté p a r la déroute d e ces
âm es nobles et sentimentales, mais il est assez équitable pour reconnaître à la m ar­
quise de Merteuil une grandeur dans le mal qui provient précisément de ce qu'elle
agit raisonnablem ent et inexorablement. La Merteuil incarne la raison au service du
crime. Sa puissance de dissimulation lui est dictée par la place faite à la femme
dans la société. N 'ayant d'autre but que la recherche du plaisir, il lui faut, sous peine
d'être impitoyablement rejetée, ruser et calculer sans cesse. Et c'est justement dans
son aptitude au calcul, aiguisée p ar les contraintes et les conventions du monde, dans

29
Un joli cœur et une Mertetiil de bazar (Gérard Philipe et Jeanne Moreau).

sa volonté délibérée de transgresser les règles qui la gênent; de surmonter des obsta­
cles en apparence infranchissables, que sa grandeur apparaît. Elle est inaccessible
à toute considération autre que celle de son plaisir. Le sentiment, la passion n'ont p as
prise sur cette âm e forte et on comprend que Stendhal ait pu être fasciné p ar elle.
Combien Valmont en revanche fait pauvre figure devant ce redoutable partenaire et
combien il mérite les semonces que la Merteuil lui adm inistre si généreusement (1).
Méchant, il lres{ sans doute et calculateur et roué, m ais sa méchanceté, sa rouerie
connaissent des intermittences. Il peut succomber au démon du bien et en éprouver
du plaisir. Dans le couple, c'est paradoxalem ent lui qui est la femme. Ce conquérant,
toujours prompt à se justifier, à se vanter d e ses prouesses, a droit au mépris ou au
mieux à la condescendance de la marquise. C'est un faible et ses palinodies lui
valent des sarcasm es justifiés. Claude Mauriac, dans un intéressant article, note que
le pacte qui les unit n 'a de sens que parce que le XVIIIe siècle, à la différence du
nôtre, croyait à l'enfer. S'attaquer à la vertu de la Présidente de Tourvel c'est s'atta­
quer à Dieu, et Ton n'ignore p as que c'est la tentation m ajeure de Don Juan. Valmont
ne faillit pas à cette .règle. La conquête de Mme de Tourvel n 'a de sens que si l'on
profane un sentiment entouré du respect général, le sentiment religieux. Les m anœ u­
vres de Valmont reproduisent au petit pied dans un univers aristocratique et oisif la
grande lutte qui met aux prises la raison et la religion et dont ici la Merteuil est
l'instigatrice. Adepte de Rousseau, Laclos est pour la Présidente car il est pour une
religion du cœur. C'est en ce sens que les « Liaisons » préfigurent la Révolution
Française. Vailland a raison de montrer que ce livre illustre la réaction (d'ailleurs

Cl) Cf lettre CV1 « ...C^est que réellement vous n’avez p as le génie de votre état ; vous ne savez
que ce que vous avez appris et vous n’invente^ rien ». Cf aussi la lettre CXXXIV.

30
ambiguë) de la bourgeoisie à l'égard d'une aristocratie cynique et désabusée à
laquelle toutefois elle s'identifie au moins inconsciemment (Laclos n'est p as mais vou­
drait bien être Valmont).
Que reste-t-il de cette grande leçon dans la version 1959 des « Liaisons » ? Rien
et on se perd en conjectures sur ce qui a pu pousser deux hommes intelligents et
cultivés à se lancer dans une telle entreprise. J'incline à penser que Vadim est le
principal responsable de son échec et que le sens véritable des indications que Vail­
land a pu lui fournir lui a échappé.
Rien d'étonnant à cela. Les trois premiers films de Vadim étaient amoraux et
non immoraux. Et Dieu créa la femme était fo n d é'su r l'ignorance de la morale des
parents. Bardot s'y comportait en petite bête sensuelle, parfaitement étrangère à la
morale conventionnelle des petits bourgeois. D'où le charme indiscutable de ce film.
La m orale des parents, en particulier était comme si elle n'était pas. Mais ce qui se
justifiait parfaitement pour Et Dieu créa la fem m e ou Saif-on jam ais n 'a plus cours
dans Les Liaisons. Mme d e Meiteuâl est immorale, parce qu'elle sait tout de la
morale. L'immoralité exige la connaissance. Il faut parfaitement connaître les règles
de la décence pour être indécent, ne rien ignorer des exigences qu'imposent la
franchise et la bonne foi pour être m enteur et de m auvaise foi. Le dérèglement sup-

Le séducteur s’attendrit.

31
Non, ce n ’est pas un Frîigoiuird...

pose la connaissance des règles. Mme de Merteuil s'est donné la peine, p a r un patient
apprentissage, de s'assimiler ces règles pour mieux les enfreindre. Elle n'ignore rien
du cours du monde dont elle a déchiffré le code. En ce sens, c'est une héroïne au
sens de Balzac et de Stendhal, affreusement attachante. Devant d es roués, tels que
Valmont et Prévan, elle fait belle figure, car si Valmont et Prévan ont fait naufrage
avec la société qui les avait enfantés (un séducteur du XX0 siècle n'est p as C asanova
ou Tilly ou lauzun), la Merteuil nous propose un destin exemplaire. Elle est résolument
moderne.
Vadim était par destination incapable d e comprendre et d e rendre cela. Il n 'a
cure des impératifs moraux et religieux. Les rapports sociaux et les maximes de
conduite qui en découlent (comment parvenir à ses fins dans u n e société qui vous
l'interdit ?) sont le cadet de ses soucis. Qui peut prendre au sérieux la fonction exercée
p a r son Valmont ? Il en aurait fait (comme il en avait eu l'intention) un inspecteur
des Finances que le m al aurait été plus grand, car il est im pensable qu'un inspecteur
des Finances puisse être un homme d e plaisir à moins de sacrifier délibérément sa
carrière. Il sait des hauts fonctionnaires ce qu'un Français fraîchement débarqué
aux Etats-Unis sait de l'Amérique. En fait le seul monde qu'il connaisse est ce petit
monde dont la topographie s'inscrit entre Megève, Courchevel, Saint-Trop' et l'Epi
Club (1). Un petit monde m arginal composé d e reporters photographes, de comé­
diens, de m annequins de la haute couture, de décorateurs et d'industriels en goguette.

(1) Qu’on me comprenne, je n ’ai rien contre ces endroits qu’il m’arrive de fréquenter. Je dis
qu’il n’y a rien à en tirer quand on est-V adim.

32
Le compas de Vadim est très fermé. Qu'espère-t-il tirer d e ces gagne-petit, de ces ;
besogneux dont les revenus annuels ne suffiraient pas' à couvrir les dépenses men­
suelles d'un Talleyrand ou d'un Lauzun ? Le m ode de vie d'un Valmont suppose
d ’incalculables richesses, des rentes suffisantes pour construire les magnifiques i
hôtels particuliers que l'on peut encore adm irer rue de Lille. Ce monde s'il u ses
mots de passe, son jargon, n'a p as de rituel, encore moins de cérémonial. Et c'est
pour cette raison que les petits bourgeois qui font la queue devant le Colisée lui ■
font fête. Ils ne sont pas le moins du inonde désorientés ou scandalisés, puisque ^
c'est un monde qui est à la portée de leur main. C'est un monde d e vaudeville où «
la chambre à coucher de Madame est remplacée p ar l'Esquinade. Mme Valmont
(Mme Valmont : tout un programme !), je suis enclin à penser qu'elle tient encore un ;
livre de comptes et que sa mère a dû faire la lessive, Jeanne Moreau, pourtant rem ar­
quable, a en tout et pour tout un seul regard cruel. Tout le reste du temps, son beau i
visage sensuel respire la complaisance et l'abandon. Mais c'est la complaisance et
la veulerie de son metteur en scène qu'en excellente comédienne elle reflète. Le
comble de la naïveté me semble toutefois atteint p ar le personnage de Danceny (dont
l'excellent J.-L.' Trintignant a du mal à se dépêtrer). Vadim en fait un polytechnicien
car un polytechnicien est nécessairement un puceau niais et ridicule. Grotesque ;
contre-sens, quand on sait que Laclos avait été formé comme tous les artilleurs aux

...tout juste une estampe galante (Gérard Philipe et


Jeanne Valérie).

33
s ; cç début semble être du Laclos...

disciplines scientifiques et qu'il concevait la stratégie amoureuse comme une science


rigoureuse (comme Stendhal dans De ï'Amour). ’
Quant à la manière dont Vadim conçoit le personnage de la Présidente, je dirai
simplement qu'elle est aberrante. Qui peut penser un seul instant que le très joli
minois d'Annette Vadim contienne un atome de spiritualité ou même de gravité ?
Ces beaux yeux brillent d'inintelligence. Et qui peut penser un seul instant qu'il était
indispensable de la représenter nue dans les bras de son am ant ? Laclos, si précis
lorsqu'il décrit les rapports d e Valmont et d'Emilie, est d'une discrétion infinie
lorsque la Présidente cède enfin à la cour que lui fait le comte. A juste titre, car
Valmont est heureux et le bonheur est discret. Vadim, ici une fois de plus, a cédé
à son penchant pour le libertinage, justifié ailleurs, inacceptable ici. Ce besoin qui
irrésistiblement le pousse à photographier sa femme légitime nue dans les bras d'un
autre, il ne m 'appartient pas de l'analyser ici, m ais je crains qu'il n'exprime après
tout le conformisme du milieu dans lequel il vit. La qualité de son érotisme s'en
ressent. Il n'a pas à beaucoup près la franchise brutale du Gance de Lucrèce Borgia,
ni l'ingéniosité diabolique du Stroheim de la V euve joyeuse ou Folies de femmes.
On pouvait s'attendre qu'il jette un œil ciném atographiquem ent neuf sur la surboum
(cette tarte à la crème des films de la jeune vague). Il faut déchanter ! La seule
nouveauté c'est la présence des Noirs. Pour le reste nous pataugeons dans la b a n a ­
lité à croire que Vadim ne connaît les surboums qu'à travers Chabrol ou J.-P, Mocky !
Franju, et avant lui-Fellini, étaient autrement plus convaincants!
Cette platitude n'est pas, je m 'em presse d e l'ajouter, imputable au seul
Vadim. Il y a belle lurette que l'érotisme a perdu ses vertus explosives. Qui
songe à s'indigner d'un tonus d'internes ou d'une « partouze » de beaux quartiers. Là
encore le vice s'est démocratisé et avec le développement de la production, les

34
grandes cavalcades lubriques seront à la portée de toutes les bourses. Seulement,
l'absence de contrainte et de sanctions sévères émasculent le vice et lui font perdre
toute force créatrice. Moins que jam ais l'érotisme n'est une v aleu r; pour beaucoup,
il est tout au plus une habitude. Il a perdu toute signification, car l'inflation des
im ages érotiques témoigne plus d'un m anque que d'une volonté de bouleversement
et de scandale. Vadim, en bon commerçant, table sur ce manque, sur cette insatis­
faction et cela avec d'autant plus d'efficacité qu'il apparaît être un insatisfait congé­
nital. Chaque époque, après tout, a les orgies qu'elle mérite. Vadim s'est fait le
chantre des orgies moroses, pratiquées p a r des gandins dont l'ambition suprême,
comme me le faisait justement rem arquer Louis Malle, n ’est pas comme au temps
de Balzac « d'être prem ier ministre, m ais d'être photographe à P.aris-Match ! ». Pour
en finir avec l'érotisme vadimien, je dirai que là où Laclos fait écrire à Valmont une
lettre à la Présidente sur le dos d'Emilie, il le fait téléphoner à la même Mme de
Tourvel en caressant distraitement le délicieux postérieur d e Jeanne Valérie !
On me jugera bien grincheux et bien sévère. Vadim pourra se plaindre de
n'avoir pas d'am is dans la critique. II aurait tort, car j'étais allé voir son film avec
un préjugé favorable. Je m'attendais, à tout le moins, de la p art d'un des promoteurs
de la nouvelle vague, à un brillant exercice de style. J'attendais un film raffiné et
scintillant. Qu'ai-je vu ? Une réalisation plate bien digne de la bonne vieille tradition
du cinéma de la qualité. Et je le regrette, car la nouvelle vague doit beaucoup à

... la suite est bien du Vadim (Gérard Philips et


Annette Vadim).

V
Vadim (à tout le moins une certaine désinvolture, un brin de franchise et le plaisir
de parler de gens que nous connaissons et fréquentons). Mais si elle lui doit un cer­
tain ton, elle n e lui doit rien sur le terrain de la mise en scène. En ce sens ce sont
Melville et Astruc qui sont les véritables promoteurs. Je revoyais récemment les M au­
vaises rencontres. Comment ai-je pu bouder ce film adm irable où l'élégance incom­
parab le de la technique n ra d'égale que la dignité et la pudeur avec lesquelles sont
décrits les rapports et les sentiments des personnages? Peu ou prou le Resnais
dJHiroshima mon amour, le Louis Malle des Amants, le Chabrol des Cousins1, le Rivette
de Paris no u s, appartient procèdent de ce film-mère dont l'im portance m 'apparaît
maintenant, avec le recul des années, capitale. Quant à Melville on ne d ira jam ais
assez le rôle essentiel et souterrain que Le Silence d e la mer, Les Enfants terribles et
Bob le flambeur ont joué. Il semble malheureusement que Vadim n'ait rien retenu
de la leçon de ses devanciers immédiats, moins encore de celle d'un Minnelli ou
d'un Stanley Donen. J'avais pensé un instant que Vadim aurait p u être notre Min­
nelli. Erreur totale, c'est un Grangier ou un Verneuil pour spectateurs habillés p a r
le Groupe des Cinq et motorisés en Austin-Healey. La laideur de la photo (notre
vieille bonne photo française crasseuse où les blancs ne peuvent pas être blancs et
les noirs franchement et absolument noirs ]) le dispute à l'imprécision et à la gratuité
des mouvements d'appareil et des cadrages. Q uand par aventure il y a une idée, c'est
une m auvaise idée : celle par exemple de surexposer le prem ier baiser de Valmont
et de Mme de Tourvel (1).
On courrait un grand risque à ressusciter les « Liaisons », car inter­
préter une œ uvre géniale suppose que l'on a soi-même du génie. M urnau a osé
porter TartuIIe a u cinéma (et Faust). Mais M umau reste encore le plus moderne
et le plus grand cinéaste de tous les temps. Sans compter q u 'à travers Tartuffe et
Faust, M urnau poursuivait une mise en question de la sensibilité allem ande du début
du siècle. A travers Tartuffe, c'est le philistinisme germ ain (la Spiessburgertuw
dénoncée p a r Heine) que M um au attaque. A travers Faust, une attitude fondam en­
tale de la culture romantique. De quoi nous parle Vadim ? De lui-même, m ais le
résultat est décevant, car il se répète et il est grave de se répéter à son âge. Là
où il lui aurait fallu le dédain et la distance d'un Lang ou d'un Preminger, il ne nous
m ontre qu'un précautionneux faire-valoir et une bonne volonté digne d'Autant-Lara.
J'avais titré cet article « Autopsie de Roger Vadim ». Ce n'est p as impunément
qu'on est prisonnier d'un monde minuscule dont on est soi-même le créateur et dans
lequel on se mire avec complaisance. Vadim est le voyageur de commerce privi­
légié d'une société dont je ne dirai pas qu'elle pourrit, mais qu'elle s'effiloche. Ferait-il
Un film sur le papier hygiénique qu'il y aurait foule. A défaut d'autres talents Vadim
a au moins celui de la publicité. Je l'en félicite. Il n 'a plus rien à dire, m ais sa clien­
tèle lui demande-t-elle de dire quoi que ce soit ? Non pas, m ais d'am adouer le Mal,
de le faire passer dans le domaine public et d'en faire quelque chose de « gentil ».
Voilà qui est fait.
Jean DOMARCHI.

LES LIAISONS. DANGEREUSES 1960, film français de Roger Vadim. Adaptation ; floger
Vailland, Roger Vadim et Claude Brûlé, inspiré du roman de Choderlos de Laclos. Dialogues :
Boger Vailland. Imagés : Marcel Grignon. Musique : Thelonius Monk. Décors : ïtobert Guisgand.
Inferpréfafion : Jeanne Moreau, Gérard Philipe, Anneîfe Vadim, Jean-Louis Trintignant, Simone
Renan}, Madeleine Lambert, Jeanne Valérie, Nicolas Vogel, Gillian Hills. Production : Marceau-
Cocinor, 1959.

(1) Si Vadim avait si peu que ce soit le sens de ta mise en scène, il aurait fait un sort
à la lettre LXXXI ou Madame de Merteuil, retraçant sa carrière, se m et elle-même en scène.

36
SIG N A L A u palm arès, le C anada fu t le plus cité,
victoire sans surprise pu isqu’aux. génériques
Stage Siruck, prem ier Technicolor et se­ s ’inscrivaient les noms d e T o ra Daly, Colin
cond film de Sidney L um et, dont les douze Low et surtout M cLaren. Q u ant aux films
jurés coléreux avaient su nous séduire. U ne français conviés, on les connaissait déjà, Le
gam ine am bitieuse arrive à Broadway et Sabotier du Val de Loire (Jacques Demy),
connaîtra la gloire à force d ’acharnem ent, L e M ystère Picasso, L a Joconde et B lue Jeans,
plus particulièrem ent en ne laissant pas un e fu rent à juste titre les plus applaudis et l’e n ­
m inute d e rép it à un brave imprésario qui sem ble d e la sélection française reçut hors
bientôt tom bera am oureux d ’elle. Lumet, ici, concours un e m ention pour sa qualité excep­
nous déçoit, car son script, fort m al dialogué, tionnelle. Nous n e saurions pas prendre au
était facilem ent améliorable, car ses m ouve­ sérieux certains remous provoqués autour d e
m ents d ’appareil accusent trop souvent la l ’excellent Blue Jeans, car le scandale que
volonté de faire d e l ’épate; mais il nous causa le film de Rozier n ’est au fond que le
satisfait encore parce que, manifestem ent, il fait de quelques attardés. Nous laissons à
aim e m anier u n e cam éra, que la scène d u nos lecteurs le soin d ’apprécier la com pé­
lever de rideau, q u and bien m êm e eile trahit tence et le degré de m aturité d u journal
son Cukor bien assimilé, n ’est pas à Ea portée Correo V<asco. Le film, on s’en doute, eut
du prem ier venu. A Susan Strasberg échut u n im m ense succès — la jeunesse assistait
le rôle de cette nouvelle Eve : sa voix acide, nom breuse à ce festival — il n e pouvait
ses regards p a r en dessous, son visage po intu y avoir de publicité plus efficace.
convenaient peut-être au personnage, m ais, à Mais pour nous, la plus extraordinaire
la longue, agacent le spectateur tout autant
ue les protagonistes du film. Q uant à H enry
onda, Dieu q u ’il est beau en couleurs ! —
C h. B. i H e m o s d e la m e n ta r q u e e n e s ta
f u n c i ô n d e l a n c e h e f u e r a ex fh i-
BILBAO | b id o e l d o c u m e n ta i f r a n c é s
a l q u e b ie n se p u e -
D u 3 a u 9 octobre a eu lieu à Bilbao le
prem ier festival de courts-métragcs ibero- d e c a îilic a r d e in d e c e n te n o r la s
am éricains et philippins, où l'Angleterre. e s c e n a s ;> o m o g T âf i c a s f q u e e n é.l
l’Italie et la F rance figuraient com m e invitées. fig T ira n y q u e , a i o r t u n a d a m e n te ,
D ’un lot plus qu e m édiocre émergeaient h e l p ü ib lico e s p a n o l n o e s t â ’ a c o s -
quelques rares films. D ’abord Cuarica, docu­ t , t u m l b r a d o a v e r.
m entaire d u jeun e réalisateur Carlos Saura, S q s e n s ! d e p ro te s ta , a lg u n a s
œ uvre sincère et courageuse sur la réalité
d ’un pays, qu i nous m ontre autre chose que Jp erso n as a b a n d o n a ro n l a s à la d e
des flam encos ou des vieux m onuments. T out ^ /p ro y e o d o n e s.
le com plexe de la vie sociale espagnole est tU E s p e r a m o s d e l c o m ité o r g a n l -
d a n s le contraste entr^ les régions désolées z a d o r q u e e n lo s d la s q u e r e s t a n
d e Cuenca et un défilé de Sem aine Sainte, d el C e rta in e n n o se p ro y e e te n d o ­
Saura a été form é en partie à l'institut des c u m e n tâ te s d ei c a r â c t e r d e l c i ta -
investigations ciném atographiques de Madrid,
dont la survie est actuellem ent en péril. En- d o “ B lu e J e a n s ” , q u e n o s ô lo n o
suite Los Primeros, film bolivien de Jorpe c o n t r ib u y e i i a l é x ito d e l F e s t iv a l ,
Ruiz qui, pour être un travail de comm ande s i n o q u e o f e n d e n a l a s e n s ib illd & d
sur le pétrole, n ’en abonde pas moins en y b u e n a m o r a l d e n u e s t r o p û b lic o .
notations personnelles sur la vie du pays.

37
révélation du festival fut l’apparition sur se fiche d u reste. D 'o ù ce thèm e qui rev ien t
l ’écran d ’un garçon qui lance un e bal Je d e r­ si souvent d a n s le dialogue, « s’occuper de
rière un filet, puis de deu x adolescentes qui 6es propres affaires». C 'est pourquoi W a y n e
le regardent en riant sous cape, u n e m usique accom plit son m étier comme une pure rou­
d e jazz, bref, u n générique qui, en dix se­ tine, sang faire offense aucune à la justice.
condes, nous a réveillés et tenus en haleine : C ’est ce q u ’il fait le m ieux, et est payé pou r
W e are the L a m b eth boys, film anglais d e faire. C ’est pourquoi W ayne ne considère
K aiel Reisz. Pour le niv eau et la réussite d e plus Nelson c om m e u n garçon très b ie n
ses ambitions, ce film m e paraît aller plus dès q u ’il v eut devenir assistant-shériff —
loin encore dans la voie suivie p ar U A m o u r « tu as une drôle d e façon de décider quel
dans la ville, Moi un noir ou P ourvu q u ’on est ton m étier », lui répond-il. C'est p o u r­
ait Vioresse, La cam éra et l'œ il d e l ’auteur qu oi B renn an et Gonzales, tout le long d u
on t cerné, saisi a u plus vif, a u plus juste de film , sont d épein ts com m e des sots. B ren-
leurs gestes et de leur âm e u n groupe de na n ne prend m êm e pas soin de ses arm es
jeunes ouvriers d ’un faub ourg d e L ondres : com m e il faudrait, et il arrive en plein m i­
L am beth. lis jouent, flirtent, dan sent, tra­ lieu d e la bagarre finale à l'encontre des
vaillent, vont en pique-nique et surtout dis­ instructions d u shériff et à l’encontre d e la
cutent entre eux de sujets com m e le m eurtre, raison, qui aurait d û lui rappeler qu e eon
le m ariage ou la religion en pur a slang ». boulot était d e surveiller la prison, et q u ’il
P e u à peu on oublie la présence d e la ca­ n ’avait rien à faire dans une bataille o ù il
m éra et je pense qu e le plus perfectionné fallait pouvoir se m ouvoir vite. M êm e chose
des Scopes n ’auraient pas p u nous com m u­ pour Gonzales qui n e sait m êm e pas viser.
niquer d ’aussi près et avec autan t de jus­ L e seul m om ent du film où il lui est d o n n é
tesse les préoccupations et surtout la présence u n e véritable dignité est celui où il fait bien
fascinante des personnages. Reisz nous fait rem arquer à W ay n e q u ’il est le m aître d ans
entrevoir avec un film a e quarante-huit m i­ son hôtel. E nfin, c’est pourquoi A ngie re ­
nutes à peine la possibilité d ’u n ciném a qui, fuse de cesser de porter plum es, etc., « parce
délibérém ent, ne rappelle aucun thèm e déjà u e c’est ce q u e je ferais si j ’étais la sorte
connu, fût-il traité p ar les m eilleurs cinéastes. e fille que vous pensez que je 6uïs ». U n
Si, en France, on cherchait u n nom qui, être hum ain dig n e d e ce nom n ’est pas u n
sans ridicule, pourrait s’aligner à côté d u sien, cam éléon ; pour vivre, il doit être fidèle à
je n ’en vois q u ’u n : A lain Resnais, L eur son propre caractère. A ngie, à sa façon,
tem péram ent et leur façon d e travailler n ’ont est héroïque. Cette éthique est illustrée
rien de comm un, mais tous deux ont d ’abord m êm e p ar les comparses du film et p e rm e t
été formés par le m ontage et leu r vision d u à H aw ks d e n o u s révéler son équation, hé­
m onde se recoupe en bien des points. Ne roïsm e = ,hum ilité.
fût-ce que pour nous avoir présenté ce film, C ’est la parfaite connaissance d e soi-m êm e
le festival de B’ibao m érife d ’être soutenu et q u i p e rm e t aux personnages les plus v a le u ­
suivi avec attention. Nous espérons seulem ent reux, W ayne, Martin, et A ngie, d ’a d opter
que Tan prochain un festival qui a l’am bi­ cette curieuse attitude hum oristique en face
tion d ’être fotalement international ne sera de la vie, com m e si tout dans la vie n ’était
plus entaché d’un provincialism e plus ridicule q u 'u n im m ense private joke, notait votre
que nocif. — J. S. critique.
A u tre chose : vous dites : « H aw ks ne
H A W K S I E N N E A L B IO N pense pas m ontage » ; et pourtant l’une des
p lu s belles séquences de ce beau film — la
N ous som m es heureux de publier ici cette chanson dans la prison — n ’a p u être faite
lettre de lecteur, car elle ncms apprend que ue grâce à u n e compréhension très exacte
nous avions tort de rejeter autom atiquem ent es possibilités d u m ontage. L e jeu entre
tout ce q u i v ient d 'A n g le terre , e t q u ’il , y l ’horizontale — M artin étendu en travers d e
existe, non point des film s, non point des l ’écran — et la verticale des autres p lan s,
critiques, mais, c'est bien plus important, et, encore plus, l ’isolement en gros plans
des spectateurs qui tém o ig n en t d ’un amour des différents personnages de la scène, fi­
aussi profond q u e raisonnable pour le bon nalem ent réu nis dans l’im age com m e d a n s
cinéma, leurs sentim ents réciproques — ce que m o n ­
tre la m erveilleuse photo placée en tête d e
a. J ’ai vu R io Bravo la sem aine passée, et votre critique — tout ça redonne u n e vie
sa u f dans la m esure où elle sem ble sous-esti­ nouvelle à la conception du m ontage. J e suis
m er le prem ier vrai chef-d'œ uvre que j'ai vu sûr q u ’A n d ré Bazin l’eût beaucoup apprécié.
cette année, je suis d ’accord avec votre cri­ P our finir, je vous recom m ande un filrru
tique sur la p lupart des points. Mats j’aim e­ anglais q u e les Cahiers sem blent avoir ignoré.
rais vous dem ander quelques précisions. 11 Q uel scandale ! C ’est N ow here T o Go, d e
se peut bien q u e H aw ks croit que « S eul, S eth Holt, le prem ier film anglais d ig n e d e
ce que l ’hom m e fait de vain possède une ce nom q u e j ’ai vu depuis que M ackendrick
valeur » — je n ’ai 'pas p u voir L a n d o j the a gagné l ’A m é riq u e . Les vingt dernières m i­
Pharaohs — m ais ça n e m e sem ble pas être nutes sont plutôt faibles, m ais c ’est u n Film ,
la philosophie de R io Bravo. Sans aucun et assez nettem ent hors de l’ordinaire pour
doute Ha-wks a cherché dans ce filmi à d o n ­ m ériter d ’être vu. s
n er un e définition de l ’héroïsm e. U n héros,
nous dit-il, qui sait ce q u ’il est, ce q u'il est VlCTOR P e r KINs , A lphington, E xeter {De-
capable d e faire, qui connaît son m étier et vonshire).

38
LA PHOTO DU MOI S

P e n d a n t le t o u r n a g e d’A b o u t de souffle, J e a n - L u c Godard p o usse le trav ellin g su r leq u el


e s t in sta llé Raoul Cou t a r d qu i f i lm e Je an S cb erg , t a n d i s q u 'e l l e répète le t e x t e que lui
so u ffle G od ard , e t q u e J e a n - P a u l B e lm on d o, n o u a n t sa c r a v a te e n v itesse, se p r é p a r e à e n t r e r
d a n s le c h a m p à (a f in d u panoram ique.

C e P e t i t J o u r n a l a é té r é d i g é p a r CHARLES BlTSCH e t JEAN S l a v IK.

39
C O TA TION S

• inutile de se déranger,
ÿ à voir à la rigueur
** à voir
LE CONSEIL DES DI X jM û* à voir absolum ent
chefs-d'œuvre
Case vide : abstention ou : pas vu.

H en ri P i e r re -Jean Jean -L u c j P ierre C la u d e Luc ila c a u e s Eric . Georges


T i t r e ^ dbs n u n L*s D ix *— *- Age) Bran n berger Douchet G odard Kast M auriac M o u lte t R iv e t t e R û ftm er Sadoul

★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ * * * ★ ★ ★ ★ ★ ★ • . * ★ ★ ★ * * * *

A u t o p s i e d ’u n m e u r t r e ( 0 . P re m in g e r) . . * ★ * ' * * * * * ★ * * * ★ ★ ★ ★ ★ * ★ * ★ ★ *

D eu x h o m m e s d a n s M a n h a t t a n (J.P. M e l - * ★ * * ★ ★ * * ★ ★ ★ ★ + ★ * ★ ★ * •

★ ★ ~k * ★ ★ • ★ * ★ * ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Les Cavaliers (J. Ford) ..................................... * ★ * * ★ ★ • ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★


' * ★ ★ ★ ★ »
M irage d e la vie (D. Sirk) ..........................

C e r t a i n s l 'a i m e n t c h a u d (B. W ilder) . . . . ★ * ★ ★ * • ★ ★ * * * ★ * * ★ ★ ★ •

Destin d ’u n h o m m e (S. B o n d a rt c h o u k ) . . * * • ★ * ★ ★ * . ★ ★ ★

La Passe du Diable (J. D u p o n t e t P. * ★ ★ • * ★


S c h œ n d c e rffe r) ........................................................

La S e n t e n c e (J. V alère) ..................................... ★ • ★ • • ★ ★ ★

N u its d ’Europe (A. Blasetti) . ........................... * • • • • ★


Les T r e n t e - n e u f m a r c h e s (R. Thomas) . . • • • *


■1
Le C h e m in d e s écoliers (M. Boisrond) . . • • • • ★ • • •

L’A m b itie u s e (Y. Allégret) ........................ • • • • • •


us mus

James Stewart, Joseph N. Welch, Lee Remick et George C. Scott dans Autopsie d'un
meurtre d’Otto Prenimger,

Ottobiographie
ANATOMY O P A MURDER (AUTOPSIE D’UN MEURTRE), film am éricain
d ’O ïro Premjwger. S c é n a r io : W endell Mayes d ’après le ro m an de R obert T ra-
ver. I m a g e s : Sam Leavitt. M u s iq u e : Duke Ellington, D é c o rs : Boris Leven. M o n ­
t a g e : Louis R. Loeffler. I n t e r p r é t a t i o n : Jam es S tew art, Lee Remick, Ben G az-
zara, A rth u r O’Connell, K a th ry n G ra n t, Eve Arden, Joseph N. Welch, M urray
H am ilton, Brooks W est, George C. S cott, Orson B ean, Russ Browti, J o h n Qualen,
K en Lynch, Lloyd Le Vasseur, Jam es W aters, H ow ard McNear, Ned Wever, Jim m y
Conlin, R oyal Beal, Joseph K earns, Don Russ, A lexander Campbell, Duke Elling­
ton, Irv in g K upcinet. P r o d u c t i o n : O tto Prem inger, Carlyle P roductions4 1959.
D i s t r i b u t i o n : Columbia.

Certes, p o u r em ployer une expression m êm es qu’elles n 'o n t n u l besoin d 'a tti­


fam ilière à nos critiques im pression­ re r la sym pathie du sp e c ta te u r p a r des
nistes, ce film est f r o i d . Mais non pas effets d ram atiques artificieux. O tto
Iroid p a r sa mise en scène, comme L e stoppe chaque p lan d'une façon b ru ­
V is a g e , L e s A m a n t s d ia b o liq u e s , I v a n tale, sans aucune facilité de m ontage.
le t e r r i b l e , Y a n g - K w e i - F e i ou G o h a . P lu tq t que froid, je préfère dire h o n ­
M ais froid p a r sa p résen tatio n , comme nête.
to u tes ces oeuvres si b rillan tes en elles- Des longueurs? Ces lo n g u eu rs-là ne

41
se se n te n t qu’à la réflexion. D isons ce­ cu p atio n secondaire ou que tel a p p â t
p e n d a n t qu’à la prem ière vision, cer­ pour grenouilles est cen t fois plus im ­
tain es scènes où ap p a ra isse n t Eve A r- p o r ta n t que la n o tio n de la re la tiv ité
den ou O’Connell sem blent de m oindre de la justice ou de l’existence de Dieu,
valeur; m ais il ne s'a g it guère que de que ces d étails co nditionnent. L’in e s­
deux ou trois m inutes sur cen t soixante, sentiel est l’essentiel. C’est en quoi,
et, à la deuxième vision, quelques-uns pour la prem ière fois de sa vie, P re ­
de ces p lans se révéleront to u t aussi m in g er n ous donne une véritable œ u ­
riches que les autres. Donc, les lon­ vre de m oraliste.
gueurs sont un iq u em en t d an s le scé­ La fin du film, très différente de
nario, n o n dans le îilm . Je d ira i mêm e la fin d u rom an , m o n tre bien les in ­
que c’est parce qu’il y a des longueurs te n tio n s de Prem inger. Je sais b ien
que ce îilm est sans doute le m eilleur qu ’il n e f a u t p as ch erch er à co n n a ître
film am éricain to u rn é en 1959. Que .le ce qui n ’e st p as m o n tré dans u n film ,
principe de la lon g u eu r e st à la base puisque ce qui n ’est pas m o n tré n ’a
de sa réussite e t de sa v aleur m orale. ja m a is existé. M ais il est évident que
Qu’im porte alors si de ra re s passages ■L a u ra M anion a été opposée, n o n p as
p euvent être jugés ennuyeux. Cet e n n u i au princip e d u viol, m ais à la m a n iè re
est la condition de n o tre plus g ran d de son exécution. Il est évident que
plaisir. son m a ri a des m œ urs de p a ra . Ce
E n effet. P rem inger a jugé trè s com­ qu’il y a de fo rt à la fin du film, c’est
m ercial de suivre la m ode du film long. que la culpabilité du couple no u s est
D’ailleurs, après le double échec fin a n ­ prouvée à l’in s ta n t m êm e où la ju stice
cier de Bonjour Tristesse e t de Porgy le déclare in n o cen t : ju ste a v a n t le
and Bess e t le désastre de Sainte verdict, lorsque L a u ra fa it ca d e a u de
Jeanne, il é ta it c o n tra in t de to u rn e r sa gaine à Biegler, e t ju ste après,
u n terrifie blockbuster : il y a réussi. lorsque M anion p re n d la fuite san s ré ­
Donc, notre g ra n d O tto n ’a p as sup­ gler Biegler,
prim é les épisodes inu tiles du gros Je ne crois donc point devoir être
bouquin qu’il fa isa it a d ap ter. D ire d é m e n ti p a r M ourlet si j ’avance que
qyL’A na tom y 0 / a, M urder est tro p long l’a m er Michel, c o u ra n t de déception en
parce qu’une h eure u n q u a rt du film déception, devra ray er de la liste de ses
est consacrée à la p ré p a ra tio n du p ro ­ a d m iratio n s, d é jà trè s m ince, l’im p u r
cès et à ses à-côtés est faire preuve Prem inger. E n tre le Rossellini de D ov’è
d ’im bécillité ; d ’abord, p arce que P re ­ la Vïberta? et le Prem inger d ’A n a to m y
m inger n e tourne p as un sujet, il o f a M urder, quelle différence, je vous
tourne des plans. Peu im porte l a m a ­ le dem ande?
tière de ces plans. Il im porte, n o n pas P rem in g er h u rle à tous vents : je
qu’ils se ra p p o rte n t à u n su jet, m ais suis u n cinéaste réaliste. B outade?
qu’ils soient bons. E nsuite, parce que,
dans la m esure où ils so n t m oins utiles Non pas. S’il to u rn e son film to u t e n ­
à la co n tin u atio n de l’action, ils so n t tie r d a n s u n e p e tite ville du M ichigan,
beaucoup plus im p o rta n ts que les a u ­ s’il to u rn e à Chicago, à L ondres, au
C anad a, à S a in t-T ro p ’, en Israël, est-ce
tres. po u r jo u ir d ’u ne plus gran d e lib e rté
E xpliquons-nous : après le prem ier q u ’à Hollywood? E st-ce pour tro u v er
sta d e du film sans su je t n i scénario u n nouv eau m o tif de publicité qui p e r­
véritables (Danger : Love A t Work, m e ttr a d’ailleurs de b a ttre au passage
Laura), après le second stad e du g ra n d tous les reco rd s locaux? Je crois que
su je t tra ité p ar l’indifférence (The les raiso n s essentielles so n t a u tre s :
M an W ith th e G olden A rm ), voici d’abord la réd u ctio n du budget. A n a -
l’aboutissem ent de l ’œ uvre de P re m in ­ to m y a d ’ailleurs été to u rn é à l’in ­
ger. Le g ran d su jet —<> la justice h u ­ croyable vitesse de q u atre m in u tes de
m aine est-elle seulem ent vanité, hem ? film p a r jour. Ensuite, Otto, m obile
hem ? cela donne à réfléch ir — est to u ­ com me sa cam éra, adore les voyages.
jours considéré p a r le p e tit b o u t de la I l a besoin de ch an g er de décor, de
lorgnette. Seuls les détails com ptent, q u itte r les su n lig h ts autrefois essen ­
jam ais les idées, d ’a u ta n t q u ’on laisse tiels à son a r t pour pouvoir se re n o u ­
au sp ectateu r le soin de conclure. Si veler. L’a r t évident m ais indicible de
l'itin éra ire d ’A n a to m y of a M urder va P re m in g e r nécessite u n c o n ta c t d ire c t
d ’une pêche fructueuse d an s le Lac avec l’ordre de la raison, une yrise de
M ichigan à une boîte à ordures en p a s­ terre, u n su jet, u n cadre bien précis.
s a n t p a r u n procès, c’est que telle oc­ T a n t m ieux si les co n train tes réalistes

42
J a m e s S te w a r t, L ee R e m ic k et B en G a z /a r a d a n s A u to p s ie d 'u n m e u rtre .

s’opposent au style classique de P re- n ’exclut p as le réalism e, que celui-ci se


m inger, provoquant de p a r t en p a r t situe au niveau du résu ltat, n o n de
quelques ru p tu res de ton. Il y a dix l’approche. Elle accentue la vraisem ­
ans, livré à lui-m êm e, P rem inger n 'a u ­ blance : la p lu p a rt des personnages qui
r a it p as to u rn é de scènes crépuscu­ s'ex p rim ent en public, essaient d e . se
laires sans éclairage aucun, il n ’a u ra it créer une a ttitu d e particulière. Il est
pas m is l’accen t su r les détails de in té re ssa n t de n o te r les répétitio n s
n o tre vie quotidienne, il a u ra it orienté forcées de ces a ttitu d e s et leurs d if­
le je u de Lee Remick vers u n e fasci­ férences d’u n personnage à l’autre. Le
n atio n très artificielle, comme celui de passage' derrière la b arre des tém oins
Gene T ierney e t n o n pas en fonction m et en évidence ces différences : P a -
d’une optique réaliste. Ici, nous g a ­ quette, l’aide du bistro qui a l’h ab itu de
gnons, puisque nous avons à la fois d ’essuyer des verres toute la journée
la fascin atio n et le réalism e le plus et qui ne veut pas parler, ne sait que
cru. faire de ses m ains. Au co n traire du
Adm irable est le réalism e de jeu des psychiatre, le d octeur Sm ith, trè s dé­
a cteu rs secondaires. On reproche sou­ contracté, qui essuie ses lu n ettes avec
vent aux C a h ie r s de ne pas p a rle r des ce geste large e t co n tin u si fréq u en t
acteurs. E h bien, p a rlo n s-e n ! Des chez les intellectuels am éricains. On
v in gt-cin q qui fig u ren t au générique, rem arque d’ailleurs à propos de ces
il n ’en est pas u n auquel l’on puisse personnages l’im portance des a p p a re n ­
faire quelque reproche. Je p arle de ré a ­ ces, du v ê te m e n t chez Prem inger. O’
lisme. Mais, m e ré p o n d ra -t-o n , p re s­ Connell est déçu de voir u n psychiatre
que tous les com parses du film so nt jeune e t imberbe, p o r ta n t u n nom bien
typés, e t S te w a rt lu i-m êm e est typé. am éricain p lu tô t que quelque nom
C ertain s gestes re v ie n n e n t fréquem ­ germ anique qui en e û t im posé au jury.
m en t chez lui; il n ’a jam ais d’allu­ Cette philosophie du vêtem ent, à qui
m ettes, etc. C’est que la com position nous devons les plus belles touches h u ­

43
m oristiques du film est la mêm e crue grande pour ne pas ignorer la s e n s i­
celle de Carlyle, auquel la firm e de bilité. De tous les grands c in éastes,
P rem inger re n d u n 'd is c r e t hom m age. Prem inger est p eu t-être l’u n des plus
P rem inger, comme Carlyle d e m a n d a it à cruels, l'u n des plus lucides, m a is cer­
to u t écrivain de le faire, « looks ta in e m e n t l ’un des m oins m é c h a n ts.
th ro u g h th e shows of things, into Les cyniques sont des gens com m e il
th in g s them selves ». M entionnons éga­ faut.
lem en t l’é to n n a n te com plexité des r a p ­
p o rts e n tre r atto rn ey et son aide D an - « Sur un sujet sérieux on retro u ve
cer, dans le rôle duquel George C. Scofcfc ici la m êm e volonté de m êler le p la i­
nous offre une com position de to u t sant au tragique que dans L a G ra n d e
prem ier plan. G uerre e t la m êm e âm biguïté s u r la
Le personnage du vieil ivrogne qui signification d’u n film , qui sem ble fa it
a volé et bu une centaine de litre s de avant to u t pour plaire e t pour séduire.
whisky nous m o n tre bien que tous ces Sans parler des hardiesses to u te s v e r­
com parses se d éfinissent plus ou m oins bales qui valurent, paraît-il, quelques
comme des personnages négatifs. A ennuis au réalisateur et qui se b o rn e n t
leu r propos, gentim ent, m ais sûrem ent, à des détails scabreux et de m a u va is
O tto critique, O tto raille. goût, comme il s’en trouve d a n s tous
les procès, m ais qu’il ne se m b la it pas
T an d is q u ’au co n traire, avec le p er- indispensable de reproduire in -e x te n so
nage de P au l Biegler, P rem inger pro ­ dans un film de fiction. A m o in s qu'il
pose. Il est le héros positif du film. ne s’agisse, ici encore, d’une h a b ile té
Jam es S tew art, sublime, trouve ici le et d’intentions publicitaires d o u te u ­
rôle de sa vie. Il est à lui seul le su je t ses. »
du film; il a l’âge, les m anières, l’h u ­
m our de Prem inger. E t je crois qu’il J ’avoue ne point com prendre ces c ri­
fa u t considérer A n a to m y of a M urder tiques, exprimées p a r Je a n -L o u is T a l-
comme une .œuvre autobiographique. lenay dans R adio-Télévision-C iném a.
De Prem inger, nous retrouvons l’a lte r­ Ces in te n tio n s publicitaires, évidentes,
n an ce en tre le sérieux et le d ile tta n ­ fo rm en t p artie in té g ra n te du film en
tism e, alte rn a n c e qui fin it p a r devenir m êm e tem ps q u’elles lui so n t é tr a n g è ­
id en tité. Si n o tre cinéaste, pardon, res : elles m oquent ceux qui se cho-
n o tre avocat est plus fort que tous les q ùent ou se p âm en t d’e n te n d re v ing t
autres, s’il gagne la p artie, n ’est-ce pas fois répétés les m ots slip, sp e rm a to g é -
p arce q u’il ne p re n d pas son m étier au nèse, etc, Ces diverses am biguïtés, que
sérieux, p arce q u ’il passe presque to u t l’on retrouve chez Hawks e t chez H it­
son tem ps à aller à la pêche, à jouer chcock, tém oignent d ’u n h u m o u r su p é ­
du jazz. P arce qu’il aime la bonne rieur. Au m om ent où le sp e c ta te u r
cuisine, p arce qu’il a pour aide u n vieil p ré te n d juger un film en fo n c tio n de
alcoolique aux initiatives déplacées critères superficiels e t e x tra -c in é m a to ­
m ais com bien fructueuses. P a r son jeu, graphiques, c’est lui-m êm e qui e st jugé
p a r sa façon d’agir, S tew art-P rem in g er p a r le film. Ce qui est v ra im e n t com i­
nous m on tre bien cette confusion des que est égalem ent profond e t sérieux.
valeurs. Il est le plus fort p arce qu’il Il ne fa u t p as rep ro ch er à P re m in g e r
est plongé d an s la vie la plus concrète. son h ab itu d e du double jeu. C 'est le
public qui crée la bassesse et e n n o b lit
C’est en quelque sorte une défini­ le film. Prem inger, lui, est u n v éritab le
tio n de l’h o n n ê te hom m e du vingtièm e idéaliste, à re n c o n tre de ces fa u x id é a ­
siècle que P rem in g er nous propose. listes démagogues, m arxistes ou p u ri­
C ette définition, c ertain s p o u rro n t la tain s, insincères au point d ’ab ro g er de
qualifier de cynique. Le m achiavélique la m atière de leurs œ uvres to u t ce qui
Biegler ne m o n tre -t-il pas u n brio d an s leur est étranger. Face à c e tte h y po ­
la rouerie qui est assez inouï ? D 'a u ta n t crisie qui s’est bien vite révélée stérile,
plus inouï qu’il n ’est p as souligné et puisqu'elle se fonde sur une co n d a m ­
que nous avons la surprise de le décou­ n a tio n de la réalité, au nom d ’u n soi-
vrir, à l’é ta t n atu rel, sans com m en­ d isan t « b o n g o û t» que n o tre te m p s a
taire, en m êm e tem ps que le sp ecta­ eu le m érite im m ense de sa c rifie r à de
te u r du procès. Il fa u t le voir couper plus h a u te s valeurs, O tto P re m in g e r
l’in terro g ato ire de L au ra M anion sous nous propose l’innocence sous les a p p a ­
le fallacieux p rétexte que D ancer s’in ­ rences de la culpabilité. Au p u r, to u t
terpose physiquem ent en tre le tém oin est pur.
et lui. Mais la rouerie poussée à ce
p o in t dénote une intelligence tro p Luc MOULLET.

44
M ax v o n S y d o w et In g rid T lu ilin d a n s L e V isage d ’I n g m a r B ei'g m an .

L’impromptu de Stockholm
ANSIKTET (LE VISAGE), film suédois d ’iNGMAR B e r g m a n . Scénario : In g -
m a r B ergm an. Im ages : G u tm ar Fischer. Musique ; E rik N ordgren. Décors :
P.A. L undgren. M ontage : O scar Rosander. In terp ré ta tio n : M ax Von Sydow
In g rid T hulin, G u n n a r B jô m stran d , Bibi Andersson, B engt Ekerot, G ertrud
Fridh, L ars Ekborg, Toivo Fawlo, N aim a W ifstrand, E rlan d Josephsson, Ake
Fridell, Sif R uud, B irg itta Pettersson, O scar Ljund, Ulla Sjoblom, Axel Düberg.
Production : Svensk Film industri, 1958. D istribution : A thos-Herm es.

Les œ uvres sont de deux sortes. Les fa u t une singulière puissance de sy n ­


unes suivent u n cours que leurs acci­ thèse pour ordonner un ensem ble de
d en ts n e peuvent tro ub ler ; les au tres m ouvem ents aussi im pulsifs e t se f la t­
so n t si rem plies de ces accidents q u ’à t a n t p a r surcroît de « faire surgir des
la fin elles ne sem blent vivre que m ondes préalablem ent inconnus, des
d ’eux. L’a u te u r des unes s’efface d e r­ réalités dépassant toute réalité, de pro­
rière son souci de perfection ; on le duire des rêves rares, des fantaisies
retrouve d an s chacune des saillies b a ­ légères, des paradoxes venim eu x
roques de l’autre. « Je veux faire des com m e le serpent, des bulles étincela n­
film s, expliquait récem m ent Berg­ tes et m ulticolores. »
m an (1), pour exprim er les états Ham let, s’il e û t été cinéaste, se serait
d’âm e, les ém otions, les images, les film é lui-m êm e s’in te rro g e a n t sur son
ryiitm es et les personnages qui s'agi­ m étier : ainsi B ergm an to u rn a n t Le
te n t au fo n d de m oi-m êm e e t qui de Visage e t fa is a n t des acteu rs ses in te r ­
façon ou d ’autre m e préoccupent. » Il prètes. L’histoire : les m ésaventures,
au siècle dernier, d ’une p etite troupe,
(1) Cahiers du Ciném a n° 100. dirons-nous de magiciens, de c h a rla ­

45
ta n s ? Là est le sujet, e t nous dirons trouve plongé, d an s cette angoisse.
d ’acteurs, hum iliés et offensés comme O n n e l'invite p as à p ren d re ses d is­
ceux de La Nuit des forains, d’acteurs tances. On l'en em pêche même, et
d an s leur a v a ta r le m oins nu an cé, m ais p o u r lui dire à la fin du conte que
aussi le plus expressif, celui qui réveille c’é ta it u n e angoisse pour rire. Pour
le vieux cheval de cirque endorm i au qu’il se dem ande « où commence la
cœ ur de chacun de nous. Le m ystère réalité, où fin it l’illusion ? » Si f a n ­
est leur a r t ; n ’est-il pour eux qu’un taisie il y a, je crains bien que B ergm an
m oyen de subsistance ? Oui, t a n t qu ’il n ’a it commis l ’e rre u r de se vouloir le
se propose de satisfaire, chez le public, seul à s’en divertir : la pirouette de la
à u n besoin de sensations fortes dont fin n e ré ta b lit pas u n équilibre que
la femme du Consul d it assez la racine. le film to u t en tier s’est plu à com ­
Non, puisqu’enfin le m ystère n ’existe pro m ettre.
qu’en ce qu’il peut être rep ré se n té : et M onsieur B ergm an, vous ne pouvez
leur magie est de lui p rê te r vie p a r ce nous suspecter d ’être sévères â votre
qu'il fa u t bien appeler leu r a rt. Un égard. Nous avons défendu vos œ uvres
acteu r nom m é M iroir m eurt, rev ien t co n tre ceux qui les tro u v a ie n t tro p
comme u n fantôm e (« m e cro y an t littéraires, et' aussi co n tre ceux qui les
m ort, j ’a i fa it des rêves é tra n g e s ») a d m ira ie n t pour cette m êm e raison.
m e u rt à nouveau dans le coffre à m a ­ iSFous les avons défendues, p arce que
lices. Où fin it la réalité, où comm ence nous y trouvions ce qui n ’est p as si
l’illusion ? Où fin it la sincérité, où c o u ra n t après to u t, le sens du m erveil­
com m ence le double jeu des reflets leux d a n s le concret, le sens de cette vie
indéfin im en t dédoublés ? cachée que vous savez si bien faire
Bien sûr. Le Visage est Le Carosse affleu rer sur les visages, qu’à ces yeux
d ’Or de Bergm an. A quoi tie n t que tou jo urs tro p fixes, à ces bouches
celui-ci nous confond d’a d m ira tio n et avides e t lasses nous pensions être
celui-là d ’agacem ent ? A ceci sim ple­ comm e vous sur le p o in t d ’en lire le
m e n t que R enoir parle de ce qui l’oc­ secret. Ne vous m éprenez pas, ce qui
cupe et B ergm an de ce qui le préoc­ nous n av re d an s ce Visage, c’est ce
cupe ; que Renoir m et d a n s ses films ta le n t que vous apportez à déprécier
la plénitude et la m a tu rité d ’u n e vie votre p ro p re ta le n t, c’est ce m erveil­
e t Bergm an, son anxiété, ses doutes, leux de bazar, ce creux m ystère d o n t
son désarroi combien visible ici ; que vous parez e t déparez u n concret, des
les plaintes de Shelley é ta ie n t sû re­ visages qui m algré to u t vous résisten t.
m e n t bonnes pour Shelley e t pour Allons, M. B ergm an, laissez le v e n t
G oethe les souffrances du je u n e W er­ se lever sur ces brum es rom an tiq u es
th e r, m ais qu’on dem eure su rp ris qu’un qui d o n n e n t des rh u m es à l'âme, la is­
public a it pu être ravi de se voir invité sez ru m in e r vos personnages s’ils ne
à les p artag er. Je veux seu lem en t dire p eu ven t vivre au trem en t, m ais soyez
que certains sujets ne se p e u v e n t abor­ plus fo rt q u ’eux, m ais faites des films,
der qu’à distance, ou m ieux v a u t alors dussiez-vous, si le cœ ur vous en dit,
ne pas s’y risquer du to u t. A la seconde y glisser u n paradoxe venim eux. E t
vision, la m achine une fois dém ontée, su rto u t, m o ntrez-nous encore des visa­
Le Visage a p p a ra ît p a rta g é e t mêm e ges, ceux de Maj-Britfc Ni'sson, d ’I n ­
tiraillé, en tre une angoisse n o n feinte grid T hulin, d’a u tre s que vous sau rez
e t une réflexion ten d u e vers ce seul bien tro u v e r e t façonner, car c’est
b u t : com m ent faire l’angoisse ? Si de là e t n o n des greniers su ra n n é s où
B ergm an p rend quelque distance, c’est vous nous égarez, que su rg iron t p a r
pour lui seul et pour rep ro d u ire à la v otre grâce des réalités d é p a ssa n t
dem ande ce qui n ’a v ait de v aleu r que to u te réalité.
n o n prém édité. Le sp ectateu r, lui, s’y Philippe DEMONSABLON.

Heureux qui, comme Ford...


THE HORSE SOLDIERS (LES CAVALIERS), film am éricain en DeLuxe de
John F o rd . Scénario: J o h n Lee M ahin e t M a rtin Rackîn. Im ages : W illiam
Clothier. Musique : D avid B utto lp h . C hanson : S ta n Jones. In te rp réta tio n :
Jo h n Wayne, William Holden, C onstance Towers, A lthea Gibson, A nna Lee,
Russell Simpson. S ta n Jones, C arleton Young, Basil Ruysdael. Production :
M ahin-R ackin, 1959. D istribution : Les A rtistes Associés.

46
William Holden et John Wayne dans Les Cavaliers de John Ford.

Pris en tre deux feux, d ’une p a r t les ces de la su p erproduction (six millions
éloges in tem p estifs d 'u n e presse b ien - et dem i de dollars m is à sa disposition
pen san te, d ’a u tre p a r t les critiques p a r le p ro d u cteu r W alter Mirish, égale­
sévères de jeunes et vieux Turcs las m e n t responsable de Som e Like it Hot),
de l'académ ism e fordien, il est difficile obligé de s'en te n ir à u n script, Ford
de fa ire une mise au p o in t précise. E t ne s’est qu'occasionnellem ent évadé
su rto u t de bien situ er ce d e rn ie r-n é du c a rc a n de la belle histoire.
du ré a lisa te u r de La Chevauchée fa n ­ Le film n e brille p as toujours p a r
tastique. La vision est certes de plus la clarté du récit, et je n e suis pas
en plus subjective, tous les clichés sont sûr q u ’u n sp e c ta te u r innocent, pas
au rendez-vous, l’histoire a du souffle, du to u t au c o u ra n t de la véritable
n o tre époque a besoin d ’hom m es av en tu re décrite p a r le film , s'y r e ­
com me « le vieux capables de dire trouve avec précision. Les prem ières
u n oui catégorique à certain es valeurs. images son t assez m alheureuses à ce
Mais cette roublardise inséparable de p o in t de vue, censées expliquer le
Ford nous am ène à nous d em an d er : pourquoi de ce raici de cavaliers n o r­
où l’or pur, 'où le plom b vil ? L’œ uvre distes d a n s les lignes sudistes. Le
fo rd ien n e fo rm a n t u n bloc encore plus bâclage fordien s’étale ici dans toute
co h éren t que celle d ’u n B ergm an ou sa splendeur : si quelque chose vous
d ’un Renoir, il n 'e s t de sa lu t que p a r embête, vous vous contentez de vous
référence à des ouvrages a n té rie u rs de en d ébarrasser au plus vite. D euxièm e­
n o tre au teu r. D isons-le n e t : The m e n t : a u cu n personnage n ’émerge
Horse Soldlers n'existe guère à côté bien clairem ent. Ni W ayne n i Holden
d ’u n film aussi soutenu et accompli n ’o n t u n e consistance quelconque.
que S/ie Wore a Yellow R ibbon (La L’av en tu re les em porte, u n p o in t c’est
Charge héroïque'), n ’a pas le ch arm e tout. J o h n W ayne no tam m en t, que
a b an d o n n é d ’u n c h ef-d ’œ uvre en m i­ nous avons connu si m a ître de lui
n e u r comme The S u n Shin es Bright. et en mêm e tem p s si vulnérable, d an s
G êné au x e n to u rn u re s p a r les exigen­ La Charge Héroïque comme dan s

47
L’H om m e tranquille, conduit des h o m ­ de tem ps à perdre, je dois to u rn e r les
mes e t n ’a p as d’existence autonom e. films qui me plaisent. Je suis tr o p
Nous percevons bien occasionnellem ent vieux, à 64 ans, pour m e p e rm e ttre
sa b ru talité, ses complexes, m ais fin a ­ a u tre chose. » S’il av ait été e n tiè re ­
le m e n t il ne nous p a r a ît guère plus m e n t libre, Jo h n Ford n ’a u r a it p r o b a ­
qu’u n laissé p o u r com pte de son p e r­ blem ent p as m ené sa barque com m e il
sonnage de b ru te raciste de La Prison­ l’a fa it avec sa récente su p e rp ro d u c ­
nière du désert. Holden, lui, nouveau tion, il se serait davantage accordé de
venu d an s la m énagerie fordienne, n ’a ces tem ps soi-disant m orts où l’h o m m e
p ra tiq u e m e n t pas le tem p s d ’exister, il se perm et de respirer à la cadence
est aussitôt intég ré au groupe. L ’h é ­ du tem ps passé e t des espaces im m e n ­
roïne, C onstance Towers, est u n e a d d i­ ses qui lui sont si chers. Il s’est p o u r ­
tio n imposée p a r les p ro d ucteu rs pour ta n t ra ttra p é p a r une « é p isa tio n î>
des raisons de box-office. Consciem ­ systém atique de son récit. P o u r la p r e ­
m e n t ou non, F ord l’a poussée à im iter m ière fois on p ren d conscience que
M aureen O’H ara. J a m a is elle ne s’élève Je a n M itry n ’av ait p as e n tiè re m e n t
au -d elà de la caricatu re, et c’est m a l­ to rt de p a rle r de l’im portance du « p e ­
gré le m e tte u r en scène qu’on r it à tit groupe d ’hom m es en m o u v em en t »
cette scène où W ayne, blessé à la dans l’œ uvre fordienne. Ici le g roupe
jam be, se trouve seul à seule avec elle est considérable, les m ouvem ents ne
dans la cab an e du médecin. doivent pas être pris à la le ttre , car
fin alem en t nos Sudistes si m a la d ro its
Admis l’échec de Ford à fa ire vivre et condam nés p a r l’histoire vivent u n e
des individualités, reconnaissons la av en tu re au m oins aussi p a ss io n n a n te
m aîtrise de ses ensembles, de ses t a ­ que celle des cavaliers nordistes, p o u r ­
bleaux d ’époque ou d ’am biance. C ons­ t a n t tous se définissent d ’abord p a r
ta m m e n t, il joue avec l’espace, explore l’action. Nombre d'im ages du film so n t
l’horizon, noie l’individu dans le groupe là pour tém oigner de la force p e rc u ­
et le groupe dans la n a tu re . La seule ta n te de cette conception épique :
véritable réussite du film, la seule dès le générique les cavaliers en file
raiso n d’y reco n n aître la p a tte du indienne, se d odelinant sur leurs m o n ­
m aître, p ro v ien n en t de la vision de plus tu res ; la progression à tra v e rs bois,
en plus subjective q u ’a Ford de ce clairières et plaines ; l ’a tta q u e d e la
Sud qu’au cours de ta n t de film s il a gare, puis cette ex trao rd in aire co m p o ­
célébré avec affection. Le m e tte u r en sition d’incendies lointains, avec la
scène se se n t alors autorisé à envoyer colonne s'a v a n ç a n t le n te m e n t en d ia ­
par-d essu s bord la vraisem blance h is ­ gonale sur Técran ; la ren c o n tre a v o r­
torique, comm e aussi la co n tin u ité d ra ­ tée en tre Nordistes et Sudistes, u n peu
m atique, pour ces quelques m om ents plus tôt, le long du fleuve, avec W ay n e
purem ent lyriques, la bataille d a n s les caché derrière u n a rb re o b se rv a n t le
ru es de Newton, l’a tta q u e des cadets défilé des cavaliers confédérés sur
de la Je ffe rso n M ilitary Academy, où l’a u tre rive, to u t c o n trib u a n t à nous
iî a résum é la g a la n te rie e t le courage re stitu e r cette sensation p h y siq u e
d ’u n m onde u n e fois pour toutes id e n ­ d ’une sorte d ’équilibre divin.
tifié d an s son cœ ur à la vraie dignité. Insistons-y, la vision du m onde fo r­
Le ra ffin e m e n t fordien confine alors à dienne n ’est toujours pas à la m ode,
la préciosité, avec les im ages subli­ n o tre co n tre-am iral borgne joue le jeu
m es du colonel sudiste en guenille ju sq u ’au bout, à l’in té rie u r de c e r ta i­
d é fia n t u n e m o rt certaine, ou de l’ec- n es règles données, san s se so u cier d«°
clésiastique au képi co n d u isa n t les tric h e r avec son sujet. Son p ro c h a in
e n fa n ts soldats, ou u n peu plus tôt, film, encore u n W estern, C aptain B u f-
ce p la n d’u n tam b o u r ro u la n t d an s falo, cette fois avec des jeunes, Je ffre y
la prairie. H u n te r e t Constance Towers, no u s
T o u t com me Renoir, F ord d é c la ra it assure que l'O uest est désorm ais p o u r
récem m en t à u n c o rresp o n d an t de F ilm Fo rd presque s a seule ra iso n d'être...
Q uarterly : « Il se p eu t que m on vieil e t de cinéaste. Ford a a tte in t au cin é ­
enthousiasm e a it disparu. Mais n e citez m a des som m ets difficilem ent é g a la ­
pas ça — e t puis au diable, citez-le. » bles, pas ta n t p a r des œ uvres in té g r a ­
Mais u n p eu plus loin il ajo u ta it, à lem en t achevées que grâce à des in s­
propos des em piètem ents des p roduc­ ta n ts d’une beauté insoutenable, où
te u rs : « M a in te n a n t que je les suis de l’hom m e calm em ent f a it re to u r su r
près, je me m éfierai. M a in te n a n t que lui-m êm e, s’harm onise avec le m o n d e
j’ai réalisé ce qui m ’arrive, je n ’ai plus et p a r t con tin u er la lu tte, au p ro p re

48
ou au figuré. Seule une appréhension cette m êm e force herculéenne, te m ­
de l’œ uvre fordienne d an s sa to talité pérée d’extrêm e tendresse. Mais les
p e rm e ttra it de dire pourquoi The contours s’esto m p en t de plus en plus,
Horse Soldiers est trè s inégalem ent F ord est trè s près de se copier lu i-
satisfaisant, to u t comme Rio Grande, même. F a u t-il préciser p o u r les âm es
m eilleur p e u t-ê tre que Fort-Apache, chagrines que, à ses m eilleurs m o ­
m ais guère plus. Jugé à l’aune du d é ­ m ents, T he Horse Soldiers nous semble
faitism e élégant de presque to u t le bien supérieur e t à La Chevauchée
ciném a contem porain, The Horse Sol­ F antastique et à Qu’elle é ta it verte m a
diers est encore passionnant. Le ci­ vallée !
n é a ste e t l ’hom m e dégagent toujours Louis MARCORELLES.

Faut-il brûler W ilder?


SOME LIKE IT HOT (CERTAINS L’AIMENT CHAUD), film am éricain de
B illy W ild e r .Scénario : Billy W ilder e t I.A.L. D iam ond, d’ap rès une histoire de
R. T h o rto n e t M. Logan. Im ages : Charles L a n g J r. Musique : Adolph D eutsh.
Interp réta tio n : M arilyn Monroe, T ony Curtis, Ja c k Lem mon, George R aft, P a t
O'Brien, Joe E. Brown, N ehem iah Persoff, J o a n Shawlee, Billy Gray, George
Stone, Dave B arry. Production : Com pagnie Mirisch, 1959. D istribution : Les
A rtistes Associés.

Eloigné quelque tem ps des salles de é ta n t assuré, il a fa it son film ; u n


ciném a p a r des travaux... ciném ato­ film am bigu, souvent am er, parfois u n
graphiques, je rep rend s co n tact avec p eu atroce, m ais to u jo u rs intelligent,
ces agréables endroits en allan t voir subtil e t de tem ps en tem p s'ém o u v an t.
Som e Like it Hot. J'y vais, prévenu p a r
cen t personnes et de façon peu favo­ H y a d’abord u n hom m age aux
rable au film : « T u vas voir, c’est d u N u its de Chicago; d’où le p e tit écran
Palais Royal, c'est vulgaire, lourd, équi­ et le no ir e t blanc; e t cet hom m age
voque, grossier, pédérastique... bien sû r c’est à tra v e rs Georges R a ft qu’il se
c’est m a rra n t, c’est bien fait, mais c’est m anifeste. D’u n bout à l’a u tre R a ft
to u t de m êm e indigne de Wilder... e t joue son personnage dans le sérieux et
puis M arilyn n ’a pas de rôle... et voir u n e gravité qui débouche su r le trag iq u e
p e n d a n t deux heures Curtis et Lemmon fin al où R a ft voit la m o rt arriver
tortiller des h a n ch es c’est to u t de mêm e d ev an t lui d an s u n g â te a u et ne trouve
lassant... e t puis c'est en no ir et blan c pas ça drôle du tou t, aucune parodie,
e t sur p e tit écran x>. Ces discours, à moi a u cu n h u m o u r d a n s cette scène : de la
souventes fois répétés ont-ils eu su r p u re tragédie.
moi un effet c o n tra ire à leurs in ten tion s H y a ensuite u n hom m age à M ari­
et l’agréable surprise que j'a i eue en ly n Monroe. Son rôle en effet est p etit,
voyant Som e Like it H ot me conduit- passif en to u t cas, elle est sans cesse
elle à su restim er le film ? Je n ’en sais « agie » n e d o n n a n t personnellem ent
rien. T oujours e st-il que ce film je l'a i aucune im pulsion à l’histoire, sau f
trouvé fin, subtil, aigu, séduisant, d an s la scène du fau x m illiardaire;
adm irablem ent dirigé et réalisé... et m ais elle a to u t de même, dans chaque
pas tellem ent m a rra n t. scène, été tra ité e com m e u n e rein e e t
Je ne pense pas d’ailleurs que le b u t si elle n ’a tte in t p as les som m ets de
profond de W ilder a it été de faire rire. Bus Stop ou de Seven Year Itc h , elle
E ntendons-nous, W ilder est u n m alin, n ’en est pas m oins inégalable d an s son
tro p m alin pour ne pas livrer aussi la optim ism e déch iran t, dans sa sensibi­
m arch an d ise qu'on lui a dem andée. C’est lité écorchée, dans ses reg ard s éper­
pourquoi Som e Like it H ot est le g ra n d dus.
succès de New York, Londres et P aris; Il y a en fin le film lui-m êm e : le
e t pour que cela soit ainsi il n 'a p as b allet dansé de T ony C urtis et de Ja c k
m énagé sa peine : les meilleures re ­ Lem m on en travestis. De ce m otif d a n ­
cettes so n t là, dont l'efficacité est gereux W ilder a tiré avec rigueur p r a ­
g a ra n tie pou r tous les-continents. Cela tiq u em en t to u tes les v ariatio n s pos-

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Joe E. Brown et Jack Lemmon dans Certains Vaiment chaud de Billy Wilder.

sibles; le feu d ’artifice est te l e t telle­ de l’a cteu r qui n e nous concerne pas
m e n t divers, tellem ent n u a n c é qu’il e t d o n t nous n e savons rien. M ais le
ab o u tit exactem ent à ce que voulait r é su lta t est là : le personnage sem ble
l'a rtific ie r : le dépaysem ent total. avoir u n e vocation pour le d é h a n c h e ­
C ette dém o n stratio n de la n ég atio n de m e n t e t la voix de fausset. L a force de
l’id en tité est aussi b rillan te et plus J a c k L em m on c’est d’avoir l’air co n ti­
tro u b la n te que celle de « Zazie t>. Si n û m e n t d ’u n hom m e jo u a n t le rôle
W ilder a sauvé la face en m o n tra n t d 'une fem m e; et l'astu ce de W ilder
que M arilyn est am oureuse de C urtis- c’est d’avoir m o n tré ce personnage là
hom m e et n o n p as de C urtis-fem m e, en arriv er presque à se p ren d re po u r
il a m o n tré plus que le bout de l'oreille u n e fem m e. Le paradoxe du com édien
en m o n tra n t le génial Joe Brown trouve ici u n e de ses plus fa sc in a n te s
am oureux de Lem m on tra v e sti et d ém onstrations. Comme B erg m an d a n s
à peine découragé p a r la révélation Le Visage, W ilder p re n d soin de nous
finale, qui nous v a u t d’ailleurs une des m o n tre r les ficelles e t c’est à ce m o­
plus belles répliques de l'h isto ire du m ent, e t à ce m o m e n t-là seul, que n a ît
ciném a. la vérité e t l’a u th e n tic ité . W ilder pose
C e t essai su r la confusion des sexes la question en so u rian t, m ais il la pose
n ’est rie n m oins que pédérastique, sans to u t de m êm e : être u n hom m e ou u n e
ê tre n o n plus une charge an ti-p é d é ­ fem m e, n ’est-ce p as d’abord se p e rs u a ­
rastique. W ilder pose sim plem ent le d er tous les m a tin s « je suis u n
problèm e en d’au tres term es e t sur u n hom m e » ou « je suis une fem m e » ? O n
a u tre plan. C’est pourquoi la seule b rû la it jadis, en p lace publique, p o u r
faille du film c’est que Curtis soit b eaucoup m oins que ça.
équivoque en lui même. Je veux dire :
e n a l’air ; peu im porte la vie privée Jacq u es DONIOL-VALCROZE.

50
Le mythe d’Abel
THE CHAPLIN’S REVIEW (LA REVUE DE CHARLOT), film am éricain de
C h a r l e s C h a p lin , co m p re n a n t A D o g ’s l i f e (U n e F i e d e c h ie n — F irst N ational,
1918), S h o u l d e r A r m s ( C h a r l o t S o l d a t — F irst N ational, 1918) e t T h e P i l g r i m
(Le P è l e r i n - F irs t N ational, 1922). Scénario : C harles C haplin. Im ages ; Rol­
la n d T otheroh. M usique : Charles Chaplin. In te rp réta tio n : A D o g ’s l i f e ;
C harles C haplin, E d n a P urviance, Tom Wilson, Chucfc R eisner, H enry B ergm an,
Sidney C haplin, A lbert A ustin, Jam es T . Kelly, Billy W hite. —■ S h o u l d e r A rm s :
C harles C haplin, E d n a Purviance, Sidney C haplin, Ja c k Wilson, H enry B erg­
m an , A lbert Austin, Tom Wilson. — T h e P i l g r i m : C harles C haplin, E d n a
Purviance, K itty B radbury, Mack Swain, Loyal Underwood, Chuck Reisner,
Sidney C haplin, May Wells, D inky Dean, Tom M urray, H enry Bergm an, Flo­
rence L atim er, Phyllis Allen, E d ith Bostwick, R aym ond Lee, M onta Bell. Pro­
ductio n : C harles C haplin, 1959. D istribution : A rtistes Associés.

O n ne p eu t ab order cette Revue de désert p rêche la paix et, de ce désert,


C hariot que p a r une étude de son p e r­ n a isse n t so u d ain des b a n d its qui se
sonnage e t p a r extension de l’œ uvre tir e n t dessus.
chaplinesque elle-m êm e. C ar ici, d an s Dire donc d u m ythe de C h a rio t q u ’il
cette ju x tap o sitio n de trois moyens est la re p ré se n ta tio n de l’hom m e face
m étrag es (Une vie de chien, Chariot à u n m onde hostile m e semble in su ffi­
soldat et Le P èlerin), réalisés en tre sa n t. E n vérité, dans l’œ uvre de C h a ­
1917 e t 1923, le m yth e de C h a rio t a p p a ­ plin, la n a tu re obéit à u n dualism e
r a ît dans son expression p a rfa ite e t il fo n d am en tal : à la fois ennem ie et
m e semble dépendre de la n o tio n « de am ie, jungle e t fo y er/-m en ace e t re ­
n a tu r e ». fuge. Elle soum et n o trè héros à sa loi
L’universalité, en effet de ce m ythe, qui est la lu tte pour la vie et p a r là
n e ' Vient-il p a s de ce que C h a rio t est l’oblige à u n e p erpétuelle a d a p ta tio n .
com m e u n e in c a rn a tio n h u m ain e de la C ette conduite d’ad ap tatio n , qui co n sti­
n a tu re . C hario t a p p a rtie n t au m onde tue l’essence du comique chaplinesque,
a v a n t mêm e d ’a p p a rte n ir à l’espèce réalise to u tes les v irtualités de la n a ­
h u m ain e. H particip e des q u a tre rè ­ tu re h u m ain e e t en révèle, en consé­
gnes et sitô t m enacé d a n s son in c a r­ quence, le dualism e. C hario t est à la
n a tio n h u m ain e se réfugie, p a r ré tro ­ fois lâche, cruel, fourbe, m éch an t, vo­
grad atio n , dan s u n règ n e inférieur. leur, hypocrite e t "brave, généreux, té ­
Ainsi d an s une Vie de Chien, cette m éraire, sublim e; à la fois tous les dé­
façon qu’il a de se fa ire anim al, de fau ts et to u tes les qualités, tous les
m a rc h e r à q u a tre p a tte s pour re n tre r vices e t toutes les vertus de l’homme.
ou so rtir du bouge. (Est-il besoin d’in ­ A ces précéden ts dualism es, corres­
sister sur le parallélism e délibéré en tre pond celui de la n a tu re de l’h u m a n ité
le so rt de cet affre u x corniaud e t celui qui s e rt de m o teu r d ram atiq u e aux
m êm e du « p e tit h o m m e » ). De m êm e film s de C h ap lin et qu’il nous révélé
dan s C hariot Soldat le v oit-on se ca­ dans Le Pèlerin p a r le fam eux récit
m oufler en a rb re e t se confondre avec mim é de D avid e t G oliath. C’est celui
ceux de la forêt. D ans une suite de du m onde des faibles contre les forts,
p la n s é to n n a n ts où se révèle l’a r t sou­ de l’individu en révolte contre la so­
v erain de C haplin en t a n t que m e tte u r ciété. Mais ce sera it u n dualism e très
en scène, C hariot se m étam orphose prim aire e t san s g ra n d fondem ent s'il
sous nos yeux en végétal. E nfin, refuge ne s’ag issait que de ces sim ples oppo­
absolu de C hariot, le m in éral qui lu i sitions. La vérité e st que la. société que
se rt d ’ab ri p e n d a n t qu’il dort. D ans fustige de plus en plus C haplin d an s
Une Vie de Chien, il ne fa it q u 'u n avec ch acu n de ses films, correspond à un
la te rre ; et il se re n d aussi insensible symbolisme trè s précis q u ’il fa u t re ­
qu ’u n e p ierre pour dorm ir d an s l’eau ch erch er dan s la T ra d itio n hébraïque.
(C hariot Solda t). In v ersem en t, d an s Les films de C haplin so n t u n e v a ria ­
l’un iv ers chaplinesque, il n ’est pas ra re tion e t u n approfondissem ent progres­
de voir le m in é ra l ou le végétal se s i f du m ythe d ’Abel et de Caïn. L’h u ­
tra n s fo rm e r et p asser dans u n a u tre m anité, fondée p a r Adam, se trouve,
règne. Que l’on se souvienne de cette dès ses deux fils, scindée en deux te n ­
fin du Pèlerin, où C h a rio t d an s le dances contradictoires qui se résolvent

51
Chariot Soldat.

p a r le m e u rtre d’Abel p a r Caïn. O r la de plus en plus les e n fa n ts d’Abel, les


Bible nous p résen te C aïn com m e a g ri­ peuples erran ts. C'est le sens h is to r i­
culteur, donc séd en taire e t Abel comme que et social du m eu rtre d'Abel.
p asteu r donc nom ade. Sym boliquem ent Il fa lla it donc que se lève la voix
ils re p ré se n te n t le type des deux sortes d ’Abel, que David, le pâtre, le n o m a d e
de peuples qui o n t ju sq u 'à nos jours foudroie le g é a n t G oliath, le g é n é ra l
coexiste, donc de deux m en talités e t de de la cité organisée, bref que n aisse
deux a ttitu d es, face à la vie, opposées. C hariot. Ce qui revien t à a ffirm e r
Les peuples sé d en taires so n t am enés à qu’en dehors du fa it que l’œ u v re de
co nstru ire des villes (Caïn est p résen té C haplin n 'é ta it possible que p a r le ci­
comme fo n d a te u r de la prem ière ville). n ém a elle é ta it liée à deux c o nd itio ns
Il est d an s leu r n a tu re de se fixer, de nécessaires : 1° que C haplin a p p a r ­
se lim iter d an s l'espace, d'im ag in er tie n n e lui-m êm e à u n peuple e r r a n t;
l'org an isatio n d e la cité selon u n e 2° que n o tre civilisation en soit a rriv é
co n tinu ité tem porelle qui leur semble à ce stade où elle d é tru it l’équilibre de
indéfinie. E s co n stru isen t leu rs œ uvres la n a tu re de l’h u m a n ité en r é d u is a n t
en fonction d u tem ps sans se re n d re son dualism e à u n monisme. Ce qui
com pte qu'il e st in stab le e t fu y a n t. signifie que cette œ uvre est le c r i de
Loin de le m a îtrise r ils en d ev ien n en t colère e t de p ro te sta tio n (le com ique
de plus en plus les esclaves et p ro d u i­ d ram atiq u e de C haplin est satiriq u e,
se n t fin a le m e n t cette société m oderne voire p am p h létaire) d 'u n hom m e épou­
où to u t est réglé p a r le tem ps, où to u t s a n t la révolte atavique de son peup le
devient au to m atiq u e, m écanique, c a l­ contre les sédentaires. E t c’e st d a n s ce
culé, ordonné, prévu. E t comme il est sens profond qu’il f a u t co m p ren d re la
d a n s la n a tu r e de C hronos de to u t fin du Pèlerin. E n m a rc h a n t à clieval
dévorer e t en p articu lier l’espace, les sur deux pays, C hariot refuse l a n o ­
fils de C aïn a bsorb ent ou a n é a n tisse n t tio n de fro n tière qui est u n e lim ita tio n

52
artificielle, d ’une ap propriation p a r le ta n t. Il rep résen te l’im provisation p e r­
tem ps de l’espace, imposée p a r les sé­ pétuelle, la liberté, la poésie, bref la
d entaires. Le vagabond ne peut l ’ac­ disponibilité absolue qui le force à vi­
cepter; l’espace est pour lui sa raiso n vre dans e t p a r la n a tu re . Son en n em i
d'être. le plus intim e reste ce qui est a u to ­
Ce qui signifie aussi que cette oeuvre m atique; m écanisé, bref le tem ps dans
est le cri d'angoisse (le tragique p erp é­ ce qu’il ré d u it to u t, peu à peu, à la
tuellem ent so u s-jacen t au comique) seule qu an tité. C’est donc la société
d’u n hom m e qui a v e rtit l'h u m a n ité actuelle, e n t a n t que civilisation du
qu’en re je ta n t l'u n des aspects fo n d a­ tem ps, que Chaplin, p rin cip alem en t
m e n ta u x de sa n a tu re , elle se d é tru it depuis Les Tem ps Modernes, dénonce
elle-même. Chariot, com me to u t n o ­ comme « contre n a tu re
m ade, n ’est lié au tem ps que p ar l’in s­ Je a n DOUCHET.

Le poète et le géomètre
TEN SECONDS TO HELL (TOUT PRES DE SATAN), film anglais de
Scénario : R obert A l d r i c h e t Teddi S h e rm a n d'après le ro m an
R o b e r t A ld ric h .
« T he Phoenix » de Lawrence P, B achm an n . Im ages : E rn est Laszlo. M usique :
K e n n e th V. Jones. M ontage : H enry R ichardson, In terp ré ta tio n : Ja c k Palance,
Je ff C handler, M artine Carol, Wesley Addy, R o b ert C ornthw aite, V irginia Baker,
D ave Willock, Jim m y Goodwin, R ich ard W attis, N ancy Lee. Production : M ichael
C arreras, H am m er Film s Productions - Seven A rts Productions, 1958. Disiribîi.-
iion : A rtistes Associés.

Berlin, 1945. S ont chargés de dém iner com bat a b stra it en tre deux hom m es
la ville six hom mes, com m andés p a r P a ­ qui est à la source d u film. Nous som­
lance, l’idéaliste dém ocratique et C h an ­ mes intéressés p a r la fixité des p e r­
dler, le m atérialiste fasciste, qui, to u s sonnages au trav ers d ’épreuves divers
deux, c o u rtisent plus ou m oins M artine ses. C handler s'oppose à P alan ce dans
Carol, a tta c h é e à leur service. Chacun le dram e comme d an s la comédie, en
décide d 'ab an d o n n er son salaire à ceux am our comme au trav ail, en société
des dém ineurs qui re ste ra ie n t en vie au comme en tê te à tête. Je n ’aim e pas
bout de trois mois, ou to u t au m oins d a n s u n film que découpage e t c a d ra ­
au d ern ier des six. R esten t C handler e t ges soulignent les effets. Mais icii cette
Palance. C handler m eurt. surenchère ne fa it q u 'ajo u ter à la
Voilà le su je t d u film qu’Aldrich a beauté n a tu re lle du film, d ’essence
tourné, et dont de larges ex traits so n t géom étrique. O n re g re tte d’ailleurs
sortis à P aris en plein mois d'août, san s l’absence des cisailles et des m a rte a u x
tro m p e tte n i tam bour. L’explication : Le fam iliers à la m usique concrète du
Mike de l’H am m er, en vertu d’un p ro ­ m usicien favori d ’A ldrich, le g ra n d
cédé que n 'e û t pas renié son hom onym e F ra n k Devol, cisailles et m a rte a u x d o n t
yankee, coupa cinquante m inutes du la H am m er n ’a pas voulu en ten d re
film, e t fit m o n ter ce q u i re sta it p a r parler. Ce m anque est com pensé p a r
A ndrew Stone : les scènes p u rem en t u n gros a v a n ta g e : le dessin, cette fois,
psychologiques, où s’a ffro n ta ie n t les e st plus clair, plus dépouillé q u’a u p a ­
conceptions de la vie des deux héros, ra v a n t. T e n Seconds To Hell, c’est la
fu re n t la rg e m e n t coupées. ju stific a tio n d’A ttack, c'est A tta c k réu s­
Mais finalem ent, Ten Seconds To si, parce que san s tra c e de virtuosité,
Hell semble avoir été m oins doulou­ sans ébourxffures à la Kiss Me Deadly :
reu sem en t am pu té que T he G arm ent la figure de style se m a ria it m al avec
Jungïe. T o u t Aldrich n 'e s t p as là, m ais le baroque.
ici to u t est d'Aldrich. Les coupures, A une plus grande sobriété, le gros
sa n s gêner, fo n t m ieux ressortir cer­ Bob a sacriîié jusqu’a u suspense.
ta in s tr a its p articu liers du style au dé­ C 'était le suspense du dém inage, à
pens des in ten tio n s : les personnages l’im age de celui de la nitroglycérine
d ’Aldrich, que lui-m êm e jug eait a u tre ­ d an s Le Salaire de la peur qui form ait
fois tro p schém atiques, le so n t encore le prin cip e com m ercial d u film . Or ce
plus ici. C h acu n des six est défini p a r suspense, Aldrich l’a d é tru it avec une
deux ou trois tra its particuliers. Le h ab ileté supérieure : les cinq dém i­
jeu su rto u t renforce cette idée de n eu rs tro u v e n t ch a c u n la m o rt de fa ­

53
çon différente e t fo rt in a tte n d u e . Ou e t p a r leu rs gestes à l’é ta t d ’en tité s
plus ex actem ent, il use du suspense, som m aires, découvrent su b item en t u n e
m ais n e le ju stifie p a r au cun ré su lta t richesse e t u n e variété de sen tim en ts
m atériel. Le sp ectateu r est joué à assez in h a b itu e ls à l'écran . A prem ière
chaque fois, e t déçu p a r la n a tu re vision, o n p e rd le fil de la longue con­
trom peuse de ce su rp re n a n t suspense. v e rsa tio n e n tre J a c k P alan ce e t M ar­
O n voit que la H am m er fu t to ta le m e n t tin e Carol. C’est de la litté ra tu re , m ais
m a rte a u de couper ainsi le film : e n c’est de la litté ra tu re com m e on d ira it
é lim in a n t le con flit psychologique, elle c’e st du ciném a. Les intellectu els exis­
su p p rim a it égalem ent le seul a to u t t e n t d a n s le m onde, e t p a rtic u liè re m e n t
com m ercial du film, puisque le sus­ d a n s le m onde d u ciném a. Il est bon
pense ain si utilisé p o rta it à fau x face qu’u n film nous livre de tem p s en
au public. Aldrich n ’est donc pas res­ tem p s leu rs propos. A la poésie née de
ponsable du four. A tta ck, lui, av ait la fa sc in a tio n du film, s’a jo u te ce ly ­
bien m arché. C’est la fa u te à la H am ­ rism e psychologique. P eu im porte la
m er. sig n ificatio n des paroles, seule com pte
C ette com position rigoureuse des li­ le u r beau té, reh au ssée de beaucoup p a r
gnes de force a tte in t à une b eau té qui, la sécheresse géom étrique d u prem ier
paradoxalem ent» est poétique. P a r ail­ abord. T en Seconds To B ell est beau
leurs, les situ atio n s et les dialogues à, la fois parce qu’il nie la beau té et
so n t poétiques en même tem p s que p arce qu’il la propose ensuite à n o tre
réalistes. Adm irables dialogues où ces ad m iratio n .
personnages ré d u its p a r les coupures LUC MOULLET.

Dix-sept ans après


OSSESSIONE (LES AMANTS DIABOLIQUES), film ita lie n de Luchjno
Scénario : Luchino Visconti, A ntonio P ietrang eli, G iuseppe de S antis,
V is c o n ti.
M ario Alicota, G ian n i Puccini, d'après le ro m a n de Ja m e s C a in « Le F a c te u r
sonne tou jo u rs deux fois ». Im ages : Aldo T onti, D om enico Scala. M usique :
Giuseppe Rosati. M ontage : M ario S erandrei. In te rp ré ta tio n : M assim o G irottl,
C lara C alam ai, Elio Marcuzzo, J u a n de L an d a. Production : I.C J.-R om e, 1942.
D istribution : Les Film s M arceau-C ocinor.
E n se re p o rta n t à ces sources e t à p a te r n ité de ce «; style ». P ren o n s donc
ce que la critique d’a u jo u rd ’h u i y a a c te de cette m ise au po in t. Pour m a
puisé ou ajouté, on com prendra m on p a rt, peu m ’im p o rte que V isconti a it
em barras. Comme ces é tu d ia n ts à qui été le p rem ier à faire ceci ou cela.
l’on, v ien t de donner le su je t d ’une
d issertatio n su r Molière ou Corneille, J e m e to u rn e ra i vers la critique
je m e dem ande bien ce que je p o u rrais « d’époque ». Ne p o u v a n t évidem m ent
dire san s risquer de rép éter les a u tre s / c iter to u t le m onde, je m e c o n te n te ­
E n a c c e p ta n t de re n d re com pte r a i de ra p p o rte r deux opinions. D’abord
d’Ossessxone je m ’aperçois que je m e celle de J e a n George Auriol : « P ein­
suis ch arg é d’une v éritab le corvée. tre de la réalité, chercheur de fa its
L ’e n nu i avec les film s im p o rta n ts qui vrais, collectionneur de n otes justes,
so rte n t longtem ps après leur ré a lisa ­ V isconti tra nsfigu re to u t ce qu’il to u ­
tion, c’est qu’ils nous a rriv e n t hy p o ­ che : acteurs, maisons, objets, lumière,
th éq u és d 'u n bon nom bre de considé­ poussière, Qui d ev ien n e n t élém en ts
ra tio n s e t de jugem ents. Aussi bien sym boliques de son lyrism e personnel...
com m encerai-je p a r me déb arrasser Fait divers grandi par le pouvoir d’u n
de quelques-uns de ces « poids » in ­ poète, Ossessione m e p arait le so m m et
désirables. E t to u t d’abord je passerai d’u n e période de la production ita ­
sur le p o in t de vue historique. Les cri­ lien n e » (1). L 'a u tre est de G uido Aris-
tiques italien s considèrent ce film tarco . D ans u n e longue étu d e consa­
com me le p o in t de d é p a rt du n é o -ré a - crée à Visconti (2) il com pare le
lime. Pourquoi pas ? Nous nous tro m ­ ro m a n de Ja m e s C ain au scénario p o u r
pions en a ttr ib u a n t à Rossellini la n o te r les caractéristiqu es de la m é ­
thode du m e tte u r en scène : sa faço n
(1 ) B e v t t e d u c i n é m a , n ° 10, fé v rie r 1948.
de lier les p ersonnages au m ilieu, de
(2 ) P o s i t i f , a " 2 8 . déplacer les mobiles, de m odifier les

54
Ossessione de Luchino Visconti.

caractères, d 'in tro d u ire des p erso n ­ ré m e n t le p oint de vue policier,


nages nouveaux.' A ristarco relève é g a ­ Visconti s'intéresse au seul d ram e des
lem en t les points essentiels c o n c e rn a n t personnages. E n re c o n stitu a n t la suc­
la com position de l’image, les élém ents cession des séquences, on trouve une
sonores, les éclairages, la m usique. rig u eu r presque m a th é m a tiq u e d an s la
A joutons à cela l’e n tre tie n avec Vis- construction, rigueur d ’a u ta n t plus
c o n ti p a ru dans les Cahiers (3). é to n n a n te que le film est long. Tous
J e pou rrais évidem m ent m e liv rer à les épisodes sem blent nécessaires e t en
l'exercice qui consiste à retro u v er d a n s to u t cas s'em b oîten t p a rfa ite m e n t
Ossessione tous les aspects du ta le n t L’histo ire s’engage dès le deuxième ou
que Visconti a lla it déployer d an s ses troisièm e p lan pour se dérouler e n ­
film s ultérieurs. M ais ce je u me p a ra it suite inexorablem ent. De là sans doute
vain. D’ailleurs pas m al de choses o n t cette im pression de fa ta lité tragique
d é jà été d ites sur Senso, N uits b la n ­ qui fin it p a r agacer u n peu.
ches et La Terre trem ble. S’il m e fa lla it à to u t prix tro u v er
Au risque d'écrire u n p a p ie r trè s une co n trep artie litté ra ire à Ossessione,
m ince e t décevant je. p réfère me c a n ­ je me ré fé re rais san s h é sita tio n à Si­
to n n e r d an s quelques n o ta tio n s brèves. m enon. Comme chez l’a u te u r des M ai­
Le p rem ier film de Visconti p o rte gret, on trouve ici la m êm e a p titu d e
allèg rem en t ses d ix -se p t a n s d’âge. E t à re stitu e r une atm osphère et à nous
si le grain de la pellicule nous h e u rte y faire p re n d re c o m m e . d an s de la
parfois, nous savons que la copie est glu. A ce titr e Visconti, comme Sim e­
tiré e d ’u n contretype, le n é g a tif a y a n t non, est u n réaliste. T o u t concourt à
disparu. D'où v ient cette « résistan ce re n d re le m ilieu obsédant, à lui d o n ­
du film ? La réponse n e fa it p as de n e r u n poids qui écrase à la fois
d oute : nous sommes en présence d ’un personnages e t spectateurs. L a direc­
film de m e tte u r en scène. Ce n 'e s t p a s tio n des a c te u rs est p a rfa ite : o n a
le su je t qui est bon, m ais l’a d a p ta tio n , l’im pression qu’ils a d h è re n t à leu r rôle.
qui en a été faite. D élaissan t délibé­ Mais en rev o y an t le film je. m e suis
dem andé si cette p erfectio n m êm e
(3) N<> 93. n e n u isa it p as à l’entreprise. Les a c ­

55
te u rs accom plissent ex actem en t les ra ître discutables, comme celui de
gestes e t les m ouvem ents qui convien­ « l ’espagnol ». Que sig n ifie-t-il ? V is­
n e n t, p e rd e n t u n peu de cette lib e rté conti a - t- il voulu opposer l'a m itié vi­
qu’ils sem b len t posséder d an s d ’a u ­ rile à l'am o u r d ésastreux ? n y a c e rte s
tre s films, comm e p a r exemple ceux ici u n indice possible de m ysoginie.
de Rossellini. E t ce fa is a n t ils accen ­ Mais je crois p lu tô t que, d a n s u n
tu e n t l'im pression de fa ta lité d o n t contexte p u rem en t objectif, ce p e rs o n ­
je parlais. L ’in té rê t d u film réside nage rep résen te u n # peu la « co n s­
p o u r m ol ailleurs. Ce qui m e fra p p e cience » de Gino, ses h ésitatio ns, ses
c 'e st que le f a it divers e st là, réel, regrets. Il est là pour dégager l'a m ­
p résen t, saisi d an s son déro ulem en t bivalence de son caractère, p o u r so u ­
im m éd iat ; c'est en somme l'a c tu a li­ ligner le débat qui se déroule e n iui.
satio n de l'événem ent im aginaire, qui On u tilisa it jad is le m iroir ou la voix
constitue la plus gran d e qualité « off s>. L’in terven tio n de « F E spa-
d ’Ossessione. gnol » relève ainsi du procédé. M ais
O n a beaucoup écrit sur la com po­ qu'im porte puisqu’elle est bien in té g ré e
sition de l’im age chez Visconti, su r a u récit. La rencontre de la « d a n ­
son u tilisatio n du « n o ir » d an s les seuse » au g ran d cœ ur p o u rra it ég a le ­
scènes d ’in térieu r. E n re g a rd a n t c e r­ m e n t p a ra ître comme une so lu tio n de
ta in e s de ces séquences, j e pensais facilité.
à la tech n iq u e du m u e t avec ses « c a ­ Les im ages fo rt belles d ’Aldo T o n ti
ches » qui v e n a ie n t cad rer le visage e t Domenico Scala évoquent bien des
des acteu rs ou encore aux pro jecteu rs film s ultérieurs du ciném a italien. Les
d o n t on se s e rt au th é â tr e pour m e ttre paysages de la région du Pô d e v ra ie n t
en relief u n ou deux p rotagonistes p e u t-ê tre inciter les a d m ira te u rs du
seulem ent. Trois fois au m oins j ’ai Cri à plus de réserve.
ressen ti cette im pression de re to u r a u Q uan t à la signification de l’ouvrage,
m uet. D ’abord au d éb u t lorsque Grino, j'avoue que j ’en vois m al le côté « so­
obsédé p a r la rom ance ch an tée p a r cial ». Certes dans la m esure où la
G iovanna, p én ètre d an s le b istro t et cam éra fixe sur l’écran u n a rriè re
ferm e la p o rte derrière lui. E nsuite, plan miséreux, le film p ren d u n e allu re
lorsque les deux a m a n ts rev ien n en t de constat. Mais c’est à peu près to u t.
du com m issariat. E nfin quand Gino P a r contre, que Visconti p en ch e vers
raco n te son histo ire à la « p ro stitu ée ». u n c e rta in « m atérialism e », c 'e s t ce
Au lieu de recourir to u t sim plem ent au qui n e fa it guère de doute : le d e stin
gros plan, Visconti joue sur l’obscurité, de Gino ne relève ni de Dieu, n i <3e la
ce qui lui p e rm e t d ’u tiliser quand' m êm e justice des hommes, m ais de lui-m êm e.
l’atm o sp h ère a u to u r des héros. Il s’agit Son rem ords n ’a d 'au tres ré p o n d a n ts
d a n s les exem ples que j ’ai cités de que son in stin c t et son h o n n ê te té fo n ­
trois m om ents cruciaux de l’histoire, cière. L’am our qu’il découvre en fin, le
e t ce n ’est pas seu lem en t dans les m et en paix avec lui-m êm e.
a cteu rs que se noue le dram e, m ais Mais il n ’empêche p as qu’u n a rriè re
aussi, en quelque sorte, dans leurs goût assez peu optim iste im p règ n e le
liens avec les objets et les gens qui les film. J ’ai dit plus h a u t la gêne que je
e n to u re n t. ressen tais d ev an t l'espèce de f a ta lité
qui p esait su r les personnages e t le d é ­
A utre p a rtic u la rité du style de Vis­ ro u lem en t quasi m écanique de l ’h is­
conti : les c h an g em en ts de p la n so n t toire. Les dialogues prêtés à G ino
loin d 'être g ratu its. Il n e s’a g it pas m ’inspirent, e n certain s endroits, une
pour lui de v arier les angles de prise deuxième réserve : ils m ’o n t p a ru , du
de vue p o u r faire « ciném a » ou po u r m oins d an s les sous-titres, quelque peu
éviter sim p lem ent la fatigue du spec­ littéraires, n o ta m m e n t dans la sé­
ta te u r. Ainsi, p a r exemple, q u a n d quence du concours de ch a n t.
Gino s’agenouille au p rès de G iovanna, Ces quelques rem arques décousues
assise sur u n e chaise, pour lui faire n e p ré te n d e n t p as ren d re com pte e n ­
en te n d re d an s le coquillage « le b ru it tiè re m e n t du film. D ix-sept o ns a p rè s
de la m er », la c am éra com m ence p a r la prem ière sortie d 'u n film qui a sus­
c a d re r l ’actrice de face. G iovanna e n ­ cité de nom breuses réactions, to u te
visage l’avenir. Le p lan su iv a n t la critique p a ra ît superfétatoire. J e ne
cad re de profil. E t l’on se n t im m édia­ doute pas de l ’im portance d ’Ossessione.
te m e n t qu'une idée v ien t de germ er Mais ce n ’est pas le film de V isconti
en elle : celle encore vague du crime. que je préfère.
C ertain s p ersonnages p o u rra ie n t p a ­ Fereyàoun HOVEYDA.

56
NOT E S SUR D ’AU T R E S FILMS

Le Pigeon de Mario Momcelli,

et su rto u t, g râce à u n p a rti p ris de bonne


L’a r t du cabotinage h u m e u r qui im prègne to u t le film . H
m i to n n e r a it beaucoup que le to u rn ag e du
P ig e o n e u t été p esan t. M onicelli a joué
I S O L IT I IG N O T I {LE P IG E O N ), film le jeu. Il a v a it des com édiens trè s p a rtic u ­
italien de M a r i o M o n i c e l l i . S cé n a rio ; larisés, il a v a it u n scén ario assez ric h e qui
Age, Scarpélli, Cecchi d’Amico et M onicelli. p e rm e tta it à ces com édiens de s ’extério ri­
Im ag e s : G ian n i d i V enanzo. M u s iq u e : ser. Il ne les a p a s reten u s. Ils en re m e tte n t
Piero U m iliani. In t e r p r é t a t io n ; V ittorio a u p o in t qu’en to u t a u tre lieu, ils se ra ien t
G assm an, R en ato Salvatori, R o ssan a Rory, insupportables. Ce cabotinage collectif et
Memmo C arotenuto, C aria G rav ina, C lau­ organisé, cette sim plification des types h u ­
dia C ardinale, M arcello M astroianni, Toto. m a in s — le to u t d a n s u n e atm o sp h ère inso­
P ro d u c tio n ; Lux — Vidés — C inecitta. lite et in vraisem blable — d o n n e n t u n résu l­
D is t r ib u t io n : Lux. ta t q u i n ’e st p a s d é to n a n t m a is agréable.
D an s ce concert, to u t est bon, le p astich e
Je ne crois p a s que L e P ig e o n so it u n (De Sica, F ellin i et L izzani en p re n n e n t p o u r
trè s bon. film . J e crois m ême que d a n s le u r g rad e), le p riv a te joke (p a r exem ple,
cinq ans, nous n e com prendrons plus com ­ l ’affiche de K e a n avec V ittorio G assm an
m e n t nous avons p u rire a u ta n t. M êm e qui passe a u m ilieu d ’un p la n ) e t m êm e le
au jo u rd 'h u i, je suis persu ad é que plusieurs p e tit gag g ra tu it qui n ’a p a s grand-chose à
visions le re n d ra ie n t trè s vite insupportable. voir avec l’histoire.
P o u rtan t, il fa u t bien l’avouer, j ’ai pris u n Q ui est M onicelli ? Q ui est ce bonhom m e
trè s g ra n d p laisir à ce filni qui, d a n s son qui n e fa it rie n d ’in d ifféren t m ais qui p a r
principe e t d a n s son exécution va à r e n ­ ailleurs, n e f a it rie n n o n plus de décisif.
contre d e to u t ce que, p a r ailleurs, je peux Ce qu'on m e d it de L a G ra n d e G u e rre
défendre. con firm erait assez que ce M onicelli est tro p
A utrem ent dit, M ario Monicelli, d a n s le in te llig e n t p our ê tre m édiocre m a is tro p
dom aine qu’il s ’est choisi, a gagné la p a r­ ro u b la rd p o u r dépasser le stade du g entil
tie. E t cela à force de finesse, d ’intelligence divertissem ent. — J. W.

57
liste, la réaction de simple honnêteté de
A natom ie d ’une n a tio n l’homme moyen qui sauvent les Etats-Unis
de ses aventures périlleuses plutôt qu’un
homme providentiel ou une grande levée
TRIAL (LE PROCES), film américain collective.
de M a r k R obson. Scénario : Don M.
Mankiewicz, d'après son roman. Images : Voilà donc, précédant Anatomy of a mur­
Robert Surtees. Musique ; Danièle Amfi- der, un petit pas vers le grand cinéma de
theatrof. Montage : Albert Akst. Interpré­ demain, qui sera objectif et synthétique, ou
tation : Glenn Ford, Dorothy McGuire, ne sera pas. — J. R.
Arthur Kennedy, John Hodiak, Katy Ju-
rado, R a fa ë l C am pos, Juano Hernandes,
Robert Middleton. Production : Charles
Schnee — James E. Newcom, 1955. Distri­ Trois m esu res p o u r rie n
bution : Métro Goldwyn Mayer.
THE GIPSY AND THE GENTLEMAN
Il ne s’agit pas de réhabiliter Robson, (GIPSY), film anglais de Jo s e p h L o se y .
à l'occasion de ce film déjà vieux de cinq Scénario ; Jan et Green. Images ; Jack Hil-
ans ; peut-être connut-il à cette époque, dyard. Musique ; Hans May. Interpréta­
avec ce film et The barder they {ail, une tion; Melina Mercouri, Keith Michell, Par
petite flambée d’ambition, bien vite re­ trick McGoohan, Flora Robson, June La-
tombée. Les vrais auteurs du film sont verick, Lindon Brook. Production : Maurice
ici, indiscutablement, son scénariste, Don Cowan. Distribution : Arthur Rank.
Mankiewicz, et son producteur, Charles
Schnee. A défaut de pouvoir bénéficier Il n ’y a rien à dire sur Losey, sinon qu’il
de la politique des auteurs, Le Procès re­ définit la notion même de mise en scène,
lève de la politique tout court, et c’est chacun de ses films se voulant la modula­
ce qui en fait l’intérêt. tion d’un vertige et son apaisement par
l’organisation de l’espace et du temps. H
La politique est. pour bien des raisons,' serait d ’ailleurs malencontreux de commen­
un domaine quasi-fermé au cinéma, à cer à parler de Losey à l’occasion de ce
l’exception du soviétique, mais avec les film, Gipsy (The Gipsy and the Gentleman),
restrictions que l'on connaît. C’est donc qui malgré des qualités certaines — mais
encore dans l’américain, et jusque dans mineures p ar rapport au ton général de
les nombreux -westerns ou policiers allé­ l’œuvre — risque de fonder une connaissance
goriques qui ont foisoïmés ces dernières ultérieure de celle-ci sur l’approximation
annees, que l’amateur pourra le plus aisé­ et le malentendu. (Commencer à parler,
ment reconstituer le visage politique ou dis-je, encore que l’on puisse bien prétendre
social d’un Etat. Avec les films de là aussi que l'on a découvert Losey, et avec
Brooks, Le Procès est certainement le quel émerveillement, très longtemps avant
meilleur représentant de l’attitude démo­ moi...) Parler, bien sûr, il le faudra, quoi­
crate qui fut longtemps celle de la M.G.M. que la parole devienne dérisoire, inutile par
Glenn Ford, coincé entre le Parti et raphrase de l’évidence, devant cette concep­
Me Carthy, se débat comme un beau dia­ tion totalitaire de la mise en scène qui
ble, un bon petit américain libéral de entraîne une attitude totalitaire de la cri­
gauche, pour maintenir ce qui lui semble tique. Losey est, donc.,., etc. Voilà de quoi
l'essentiel. Scénario et dialogue bifur­ irriter les esprits timorés qui diront :
quent donc constamment : un coup à « Mais encore ? », comme si l’explication
gauche, un coup à droite, non par pru­ changeait quoi que ce soit à une affaire
dence ou lâcheté (le film déplut finale­ d’épiderme. Voyez, et vous comprendrez. Ou
ment à tout le monde), mais par une alors parlons d’autre chose; du scénario, du
volonté un peu naïve sans doute, un temps qu’il fait, de Bergman.
ta n t soit peu « Observateur » d’outre- Quant à Gipsy... Losey nous a dit lui-
Atlantique, de ne pas se laisser piéger. même qu'il s’agissait d’une expérience, qu’il
L’exposé demeure didactique, la chaleur allait un peu au hasard; finalement l ’expé­
brooksienne fait sérieusement défaut, rience se révéla manquée. En outre, il ren­
mais on y gagne une sorte de froide luci­ contra des difficultés considérables avec la
dité que je nommerais volontiers brech- production : des scèneâ entières furent cou­
tienne si le mot n ’avait pas été un peu pées auxquelles il tenait particulièrement;
trop galvaudé. Mais c'est bien Brooks et il renie la totalité de la bande sonore,
qu’évoquent ce souci d’objectivité qui fait dont la musique surtout va à rencontre de
exposer les thèses en présence par chacun ce qu’il désirait. Il serait toutefois ridicule
des participants, et ce don de synthèse de prétendre que.ee film est mauvais. Un
qui fait peu à peu approfondir, ainsi minimum de rigueur dans le vocabulaire
que dans l'admirable Something of va­ nous invite à préciser qu’un mauvais ûlm
lue, une situation d’abord conventionnelle de Losey est quand même supérieur à la
et mélodramatique, jusqu’à y retrouver plupart des films. Mais, singulièrement, ce-
et y faire tenir presque toute la réalité lui-ci ne vaut que p ar des détails épars, des
américaine contemporaine. Le dénoue­ plans isolés, qui ne s’inscrivent pas dans
ment lui-même, qui paraîtra sommaire aux une ligne de force par rapport à quoi l’en­
Européens n ’est pas non plus sans vérité, semble doit s’ordonner. Voici un film éclaté,
car c’est toujours le sursaut individuar éparpillé dans diverses directions, qui ne

58
conserve de la m ise en place loseyenne que c h a c u n d ’eux, à l ’in q u ié ta n t som nam bu­
l ’app aren ce, courbe de violence p arco u ru e lism e de L angdon, à la philosophie candide
de su rsau ts, de glissem ents en surface. de L au rel et H ardy, à la v ita lité de W ill
C om m e si d an s le m oule de ses créatio n s Rogers. G râce, certes, à l'en th o u siasm e dé­
antérieu res, artificie lle m en t re c o n stru it ployé a lo rs d e v a n t la c am éra, m erveilleux
pour l ’occasion, Losey a v a it coulé u n e h is­ jo u e t n ouveau e t à l’allégresse com m unica­
to ire qui n e le c o n ce rn a it pas. Le décor tiv e du ciném a n a issa n t, m a is aussi à 'q u e l­
m êm e y v it d ’u ne vie é tra n g ère à l’action, q u e chose d ’inexplicable, et, com m e le d it
p la n s d ’eaux, de fougères, d ’arbres, a d m ira ­ C lair, à u n secret perdu.
bles d e précision e t de présence, véritable E n q u itta n t la salle, je tro u v ais tro is a u ­
c en tre du film avec quelques in té rie u rs tre s ju stifica tio n s à m o n h ila rité . D ’abord,
peuplés d ’objets d u rs e t précieux, am phores, les b a n d e s de M ack S e n n e tt n e d u ra ie n t
m arb res, cernés d 'u n e couleur dense et que d e p e tits q u a rts d ’heure, e t p o in t n 'é ta it
lourde, deuxièm e te rm e e t le seul accom pli besoin d ’étoffer les élém ents com iques ou
d e l'éq u atio n d ra m a tiq u e à laquelle m anque de m é n ag er des tem p s m orts.
le prem ier. ' E nsuite, l’em ploi c o n sta n t d u tru q u ag e
M élina M ercouri, la g itan e, n o u s propose p e rm e tta it to u tes les audaces, donc to u tes
u n e im age tro p agressive d ’em blée p a r son les séductions. Enfin, La Grande époque
c o n stitu e u n e sélection, n e re te n a n t que
visage e t p a r ses gestes, des yeux lu isa n ts des m o rceau x de bravoure. — F . M,
tro p sem blables to u jo u rs à ceu x d 'u n c h a t
d e v a n t u n espoir de souris, p o u r q u ’u n de­
v e n ir trag iq u e puisse m odeler les lignes
acides de son corps. A u gen tlem an , m algré H um our tr è s personnel
des tr a its assez racés, p ré fé ro n s quelques
in s ta n ts de P a tric k M cG oohan d o n t le re­ NEVER G IV E A SU C K ER AN EVEN
g a rd pèse, et d é tru it é tra n g e m e n t ce qu’il B REA K (PA SSEZ M USCADE), film am éri­
v a q u itte r p o u r re p a r tir v ers u n a u tre film c a in d ’EowARD C line. Scénario : J o h n T.
que Losey peut>être a rêvé de faire. J ’aim e Neville e t P re sc o tt C haplin, d ’a p rès la
en fin c ette scène obscure, éclairée de flam ­ nouvelle d ’O tis Criblecoblis. Images :
mes, où d a n s l'angoisse de K e ith M ichell se C h arles V an E nger. Musique ; C h arles
déploie com m e u n se rp e n t la ja m b e de la Previn. Interprétation ; W.C. Fields, G lo­
g ita n e dissim ulée p a r u n fau teu il. ria J e a n , Léon E rrol, B u tc h e t B uddy,
Il f a u t donc voir Gipsy. E t il n e le fa u t Margarefc D um ont, S u san M iller, F ra n k lin
pas. — M. M. P an g b o m , M o n n a B arrie, C h arles Lang,
A nne Nagel. Production : U niversal Inc.,
1941. Distribution : U niversal.

La belle équipe W.-C. F ields f u t quelqu’u n de trè s bien,


c’e st in co n testab le. D ’abord, le p erso n n ag e
e n lui-m êm e est éb o u riffan t; tro g n e, be­
LA GRANDE EPOQ UE, m o n tag e de d ain e et v o is sem b lan t issues de quelque
films com iques am éric ain s p ro d u its p a r in fe rn a l c a rto o n (on le voit p a rfa ite m e n t
M ack S en n ett. Commentaire ; R ené C lair. d é a m b u la n t b ra s dessus, b ra s dessous avec
Interprétation : M ack S e n n ett, C h arlie M ur- M ister M agoo!)
ray, Louise C arver, BiJIy B evan, D avis Mor- P u is Fields, p a ra llè le m en t au x M arx, s u t
•ris, A ndy Clyde, E d g ar K ennedy, Kewpie renouveler le burlesque a ffa d i d u d é b u t d u
M organ, M adeline H urlock, C h arlie Chase, p a rla n t en o p p o san t a u p erso n n ag e p rin ci­
W ili Rogers, C arole L om bard, B en T u rp in , p a l classique, qui a p ito y a it et p o u r qui l ’on
H a rry G ribbon, H a rry L angdon, J e a n H ar- frém issait, le h éro s agressif bien décidé à
low, L au rel e t H ardy. Production R o b ert organiser lui-m êm e les cataclysm es. D a n s
Y oungson, 1959. Distribution : C inédis. leurs respectives « g ran d e époque », F ields
f u t m oins p ro fo n d que les M arx, n e s 'a tta ­
R ené C lair, qui, n ag u ère, p a r la si in telli­ q u a n t, en fa it, q u ’a u x spectateurs, ra v a ­
g em m ent de C h ap lin (« Vart de Chariot est g ea n t les sc en a rii classiques e t les m ises
si personnel Que, s’il n’avait pas existé, le en scène éprouvées, m a is san s in tro d u ire
cinéma serait resté le même, mats nous, d a n s ses sa tire s la violence antiso ciale des
nous serions devenus différents »), p résen te trois frères. M ais, p a r la suite, les M arx
La Grande époque avec u n e d iscrétio n u n ch o isiren t de re s te r drôles to u t en cessan t
p eu tro p prém éd itée e t u n effacem en t u n d ’être virulente. P lu s noblem ent, F ields p ré­
peu tro p évident. Q ue n ’a-t-il, to u t au long fé ra risq u er de m o in s fa ire rire p lu tô t
de c e tte rétrospectiv e d 'a n c ien s burlesques, qu'ab d iq u er u n pouce de s a p erso n n alité.
laissé la parole à M ack S e n n e tt, que nous Ce qui s'en suivit, Passez muscade, le dé­
avons ici la joie d e salu er. E n voilà u n m o n tre p leinem ent.
g ra n d bonhom m e e t quelle équipe f u t la Le film est ex ceptionnellem ent in té re s­
sienne 3 Com m e il e st égo ïstem en t agréable sa n t, m ais, m alh eu reu sem en t, p lu s in té re s­
de n e pouvoir s ’em p êch er de rire sans ar- s a n t â étudier q u ’à voir. Le cas e st ra ris ­
rière-pensée â u n sp ectacle d o n t presque sim e e t v a u t d 'ê tre disséqué d ’u n film , non.
to u s les p ro tag o n iste s s o n t m orts, c e rta in s p as m êm e fa it p o u r u n acteu r, m ais q u i est
si trag iq u em en t, c e rta in s si douloureuse­ ce t acteu r, qui n e v it que p o u r lui, p a r lui,
m en t, d a n s la m isère e t l'oubli... Si nous en lui. T o u t est sacrifié : cohésion, in tri­
rions ta n t, c ’e st grâce a u génie p ro p re à gue, vraisem blance, rôles secondaires, ré a ­

59
lisatio n e t m êm e — ce qui est in fin im e n t a u cu n m om ent, c e tte A nne n e pose p o u r
plus grave — com ique. F ield s d éd aig n e la p o stérité, son p rem ier b aiser avec P e te r
d 'am user a u tru i e t en te n d seu lem en t m on­ ra p p e lle d ig n em en t ceux de t a n t d ’a u tre s
tre r d e quoi, lui, il s ’am use. E t s a fo rm e tim id e s je u n es filles am éricain es d ’a v a n t
d ’h u m o u r est si personnelle, e t son q u an t-à- (et au ssi d ’après) la h e a t g é n é ra tio n . Q u an d
soi le pousse à u n te l paroxysm e, q u ’il est A nne, seule d a n s le p e tit g renier, re g a rd e
bien* difficile a u sp e c ta te u r de rire avec à tra v e rs le vasistas e t que d es m o u e tte s
lui. C’est u n peu, to u te s p ro p o rtio n s g a r­ vo le n t d an s le ciel, nous re tro u v o n s a u
dées. W elles re n o n ç a n t à co n ter c la ire m e n t plu s ju ste l’atm o sp h ère du tr è s p u r M a n 's
l ’histo ire q u ’on lu i confie, p a rc e q u ’il p ré ­ C a stle de F ra n k Borzage, il y a u n q u a rt
fère la n a rr e r à son goût. C’e st estim ab le, de siècle.
dira-t-on. M ais Passez m usca d e est u n film U n film am éricain sera to u jo u rs u n film
o n n e p e u t p lu s estim ab le ! C ourageux, in­ am éricain , u n film soviétique to u jo u rs sovié­
solite, a tta c h a n t, rem arq u ab le a u possible. tique. G eorge Stevens, h é ritie r de F r a n k
M ais drôle ? — F . M. C a p ra (qui ap rès guerre to u rn a son d e r­
n ie r g ra n d film. L a Vie est m e rv e ille u se ,
avec les scén aristes d 'A n n e F reinte), croit,
Une fillette to u te sim ple com m e Jean -Jac q u e s R ousseau, à la b o n té
foncière d e l’hom m e, il a v o lo n ta ire m e n t
T H E D IA RY O F ANNE F R A N K (LE term in é son film su r u n e p h ra s e du J o u r­
JO URN AL D’ANNE FR A N K ), film am é­ n a l d ’A nne ain si conçue. A l ’in té rie u r d e
ricain e n C ïnenm S cope d e G e o r g e S t e v e x s , ces lim itatio n s, S tevens a accom pli s a n s
S c é n a rio : F ra n c es G oodrich et A lb ert fa illir s a tâ ch e, u n p eu écrasé p a r le
H ackett, d ’ap rès le u r pièce tiré e d u livre Ciném aScope. S u r le fond, il n ’a p ro b a ­
« A nne F ra n k ; le Jo u rn a l d ’u n e je u n e b le m en t rie n saisi de la v é rita b le A nne
fille ». Im a g é s : W illiam C. MeÛor e t Ja c k F ra n k , de s a révolte laten te. — L. Ms.
C ardiff. M u s iq u e ; A lfred N ew m an. I n t e r ­
p ré ta tio n ; Milli F erk in s, Jo se p h Schild-
k ra u t, ' Shelley W in ters, R ic h a rd B eym er, Pas b eau du to u t, ce Serge-Ià
G u sti H uber, Lou Jacobi, D ian e B aker,
D ouglas Spencer, P r o d u c tio n : G eorge S te­
vens, 1958. D is t r ib u t io n ; Fox. SOUDBA , TCHELOVIEKA (D E STIN
D ’UN HOM M E), film soviétique de S E R G E
L ’accueil glacé réservé a u film d e G eorge BONDARTCHOUK. S c é n a r io : F . C h a k h -
S tevens n e f a it p a s ju stice à u n e b a n d e m agonov et Y ouri Loukine. Im a g e s ; V ladi­
tro p longue certes, b o u rrée de facilités, m ir M onarkhov. M usiqu e ; B. B assner, I n ­
m ais p lu s q u ’honorable. D ’abord, le livre te r p r é t a t io n ; Sergé B o n d artch o u k , Z in a ïd a
n ’est p a s aussi sublim e que to u t le m onde K irienko, P avlik Boriskine, Y o u ri A verine.
a bien voulu le p ré te n d re . E n su ite, l ’a d a p ­ p r o d u c t io n ; Mosfilm, 1959. D is t r ib u t io n :
ta tio n th é â tra le d u ta n d e m H ackett-G oo- Cinédis.
d rich m érite to u tes les critiq u es : que Ton
s'extasie su r ce m élodram e tro p b ie n F a u t-il être ind u lg en t en v ers u n fllm qui
agencé révèle seu lem en t le m ysticism e co m pren d en to u t e t p our to u t tro is beau x
la te n t des foules m odernes. L e p lu s g ra n d pla n s ? L a course d e la cam éra à tra v e rs
to r t de S tevens f u t de n e p a s to u t re p re n ­ le ch am p de b ataille e t son brusque recu l
d re _à l ’origine, d e p a rtir d e la pièce e t vers le ciel, qui découvre u n im m ense
d ’em baucher ses au teu rs. D 'o ù des p erso n ­ c h a m p de blé, fo u t u n e trè s g ra n d e im ­
nages ta illés a u pochoir, bons ou m oins pression. M ais ils fo n t de l’im pression p a rc e
bons, n o ta m m e n t l’odieux M. V a n D aa n , q u ’ils so n t rares. Q u a n d pa sse nt Iss cig o ­
m a m an V an D aan , bouffie e t so tte. R ien gnes b â ti to u t d u long su r des idées fo r­
dan s le jo u rn a l orig in al n e lé g itim a it ces m elles d u m êm e acabit, nous fa isa it p o u ffer
sim plifications grossières. A nne F ra n k d a n s les d ern ières séquences. C ’e s t bien
n ’é ta it p e u t-ê tre qu ’u n e fillette, m a is p a s d ’avoir d es idées com m e celles-là de te m p s
idiote à ce point-là. e n tem ps, m a is il n e f a u t p a s a b u se r :
Ces réserves faites, u n e fois d e p lus c’e st tr o p facile. N’im porte q u i p e u t e n
reconnue l ’in c ap ac ité de S tev en s à tr a ­ fa ire a u ta n t : d ’ailleurs, ici, M onark h o v
vailler lui-m êm e ses scénarios, le p a r ti p ris fa it au ssi bien que le m a îtr e O uroussevsky.
de la m ise en scène est p lu s que sym pa­ Le v éritab le a r t de l a p h o to g rap h ie e s t ce­
thique. H s'a g issa it de re cré er u n m o n d e lui, b ie n p lu s subtil, d ’u n D ecae, d ’u n
en fan tin , de voir avec les yeux de l ’en­ L ea v itt ou d ’u n S erafin.
fance. E videm m ent, A nne F ra n k am éri­ B o ndartchouk, e n b o n r a t de cin é m a­
caine a u ra it facilem en t com plété la fa m ille thèque, rep ren d d a n s le§ scèn es d u cam p
M arch, te lle que l’im ag in a L ouisa M. Al- de co n c en tra tio n les figures de sty le e t les
cott.- C ette vision fam ilière d é to n n a it fo r­ cadrages-choc de M e tro p o îis , qui s o n t d ’ail­
cém en t avec le trag iq u e des é vé n e m e n ts le u rs ce q u ’il y a de p lu s co n te stab le d a n s
vécus. D ’où u n double décalage e n tre A nne l’œ u v re du g ra n d F ritz. Je n e crois p a s
e t ses p a rte n a ire s, elle seule e x ista n t v ra i­ q u ’il faille se fo rm aliser de c e tte in tru sio n
m en t, e t e n tre le m o n d e d ’A nne e t la de la callig rap h ie d a n s u n su je t com bien
ré a lité de l’occupation. T o u t le film, je p a th é tiq u e en lui-m ême. M ais ce souci
crois, se ra m è n e à la p e tite A nne, ad m i­ scolaire d 'esth étism e n e ch erch e qu’à com ­
ra b le m e n t in c a rn é e p a r M illie P erk in s, b le r l’absence to tale d e sen sib ilité e t
h é ritiè re de c e n t com édies am éricain es. A d ’h u m a n ité chez le réalisateu r. E t, ce s e ra

60
là n o tre reproche essentiel, c et esth étism e M ais u n e q u estio n an g o issan te se pose :
est facile, la id et te rrib le m en t p u ta in . Des­ quelle s e ra it la ré a c tio n d ’u n vam pire, p a r
t i n d ’u n h o m m e est d ’ailleu rs u n film pour exem ple m u su lm an , d e v a n t le signe de la
festivals, puisqu’il a obtenu assez sca n d a ­ croix ? J e crois que ce problèm e p e u t
leusem ent l ’E pi d ’o r au F estival d e Moscou o u v rir de nouvelles perspectives a u genre.
aux dépens d ’in d ia . J e cède l’idée a u x scén aristes hollywoo­
L a dernière p artie, la p lu s im p o rtan te e t diens, d ’a u ta n t p lu s volontiers q u ’elle est
la plus difficile, le re to u r d u p riso n n ier d ’u n c e rta in R ic h a rd M atheson, a u te u r
désabusé et s a reconquête d ’un équilibre d’u n e a d m ira b le h isto ire de v am p ires : Je
suis u n e légende.
m oral, e st u n lam en tab le fiasco; nos p h o ­
tograp hes n e réussissent ja m ais à m e ttre Les film s d ’ép o u v an te fo n t a u jo u rd 'h u i
en évidence les se n tim e n ts les p lu s secrets si p eu peur, q u ’u n ciném a a m éricain n ’a
de l’individu. Les acteu rs so n t assez n a tu ­ p a s h é sité à in sta lle r des fau teu ils bascu­
rels, m ais nous n e croyons p as u n in s ta n t la n ts ; lorsque le m o n stre a p p a ra ît su r
à leurs to urm ent. Seuls les dialogues nous l’écran, u n systèm e électrique com m uni­
précisent de quoi il s ’ag it. Et, encore sont- que u n e violente v ib ratio n au x fauteuils.
ils terrib lem en t confus, aussi confus que ce E t les sp e c ta te u rs frisso n n en t. Ainsi le b u t
m arxism e d e pacotille qui garde encore la du g enre e s t a tte in t. Q ui d it m ieux? — F.C.
nostalgie du christian ism e e t se p re n d à
évoquer le d estin ! — L.M.
Un peu d ’a ir frais
Et si le v am p ire é ta it m usulm an? T H E WHJD AND T H E IN NO CEN T (LE
B A G ARREU R S O L IT A IR E ), film am é­
C ÙRSE O F T H E UNDEAD (DANS LES ric a in en C iném ascope e t E astm an co lo r
G R IFF E S DU VAM PIRE), ■ film am éri­ de J ack S h e r . S c é n a r io : Ja c k S h e r et
cain d ’EDWARD D e i n . S c é n a rio : M ildred Sy B rom berg. Im a g e s : H aro ld Lipstein.
e t E dw ard D ein. Im a g e s : Ellis C arter. I n t e r p r é t a t io n : S a n d ra Dee, A udie M ur-
M usiqu e : E rving G ertz. I n t e r p r é t a t io n : phy, Jo a n n e D ru, G ilb ert R oland, Jim
K a th le e n Crowley, M ichael P a te , E ric Backus. P r o d u c tio n : Sy G rom berg, U ni­
Fiem ing. v ersal In te rn a tio n a l, 1958.
P o u r peu q u ’on a it vu D r a c u la e t qu’on Q u ’on n o u s p erm ette, d e louer ce wes-
se rappelle l’adm irable N o s fé ra tu , les te m e t p our des raiso n s qui em p ru n tero n t
vam pires n e p ré se n te n t p lu s au cu n secret. p eu à des co n sid ératio n s p u re m e n t ciné­
O n sa it m a in te n a n t to u t d ’eux : le u r p eu r m ato g rap h iq u es, si ta n t e s t que le ciném a
de la lum ière du jour, le u r som m eil d iu rn e doive ê tre ciném atographique. L a ph o to de
d an s des cercueils, le u r in v u ln érab ilité L ip stein e st la id e p our n e p a s changer,
d ev an t les m oyens h ab itu els de destruc­ les a c te u rs m édiocres, le scén ario boi­
tion, la nécessité du pieu de bois p o u r les teux, le film bon. Ja c k S her, qui — fa it
tu er, leur p rédilection p our le sa n g fra is assez ra r e à l’U niversal, collabora au
des jeunes et jolies filles, le u r te rre u r sc rip t e t e n est à son troisièm e essai
d ev an t la croix... etc. H devient m êm e b an al (nous n e v erro n s p o in t F o u r B r ig h t G irls ,
de voir au jo u rd ’h u i su r l’é c ra n les cad a­ 1956 e t C h ris tm a s i n P a ra d ise, 1957, e t ne
vres so rtir de leurs tom bes e t les belles vîm es p o in t encore G u lliv e r's T ravels,
fem m es a ttir e r les m onstres. D ev an t l ’en­ 1959), — a d o p te p a r p a rti p ris la n aïv eté
n u i que dégageait le d e rn ie r D racu la, Do- de so n héros, u n a m éricain b ien tr a n ­
m arch i a v a it essayé de lui tro u v e r une quille qui descend p o u r la prem ière fois
signification politique e t sociale, l ’e n tre­ de ses m o n tag n es vers ce h a v re de p as­
preneur des pom pes fu n èb res s ’y a p p e la n t sions q u ’est la ville, e n com pagnie d ’une
Marx. jeu n e fille qui d ébute à c o n trecœ u r d a n s
J ’avais fondé quelque espoir s u r Curse le d an cin g local. Com m e on n e sa u ra it
0/ th e u ndead. L a tra n s p la n ta tio n du dire n o n à ce que S a n d ra d it, il re p a rt
m onstre, des m ontagnes d ’E urope ce n trale chez lu i avec elle. P e n d a n t u n e heure,
dans les paysages du F ar-W est d u d ern ier la cam éra de S h e r erre calm em en t p arm i
siècle, m ’y in citait. E spoirs v ite déçus. Le la p e tite ville, san s ja m a is d o n n er aux
fan ta stiq u e a encore p lu s besoin de rig u eu r d ivers in c id e n ts d e relief d ram atiq u e, ce
e t de logique que le quotidien ; et le film qui, a u m eilleur passage — la fête —
de D ein en m anque. H s e ra it m êm e to u t à n o u s s u rp re n d to u jo u rs agréablem ent.
fa it invisible s ’il n ’y a v a it p a s u n e a stu ­ Il y a là u n e fraîc h e u r, u n e liberté,
cieuse référence au T r a i n . s if f le r a tr o is voire u n p e tit côté litté ra ire , m élange de
fo is. Ici un p asteu r a rem placé G a ry Coo- m oralism e e t de naïveté, que j ’aim e. S her
p er et le b a n d it e st m ué e n v am p ire invin­ est à p eu p rè s a u ta n t à B a rtle tt ce que
cible. Le p a ste u r a y a n t m is la croix de B a rtle tt est à B oetticher, ou ce que
sa boutonnière su r s a cartouche, le v am ­ B o ettich er est à M ann, ou encore ce que
p ire se désintègre. P ourquoi p a s : il fa l­ M a n n e st à Hawfes. O n lu i sou haite de
la it bien fin ir d ’u n e façon ou de l’au tre. progresser d ’u n c ra n p a r film . — L. M.

C e s n o te s o n t é té r é d ig é e s p a r F RED C à KSON, LOUIS M aRCORELLES, FRANÇOIS M aRS, L uc


1 M o u l l e t , M ic h e l M o u r l e t , Jac q u e s R i v e t t e e t Jean W a g n e r.

61
FILMS SORTIS A PARIS
DU 23 SEPTEMBRE AU 20 OCTOBRE 1959

8 FILMS FRANÇAIS

& A m b itie u se , film en Eastmancolor d ’Yves A liégret, avec A n d ré a Parisy, E d m o nd


O ’Biîen, Richard Basehart, Nicole Berger, Nigel Lovell, Jean M archât, D enise V ernac, Regi-
nald Lye. — Les seules am bitions d e ce film étaient, semble-t-il, comm erciales. Elles n 'o n t pas.
semble-t-il, abouti.
L e C hem in des écoliers, film de Michel Boisrond, avec Françoise A rnou l, Bourvil, Lino
V entura, A lain Delon, Jean-Ciaude Brialy, Pierre M ondy, P au lette D ubost, M adeleine L e te a u .
— Prem ière adaptation fidèle d ’A urenche et Bost. P our u n e fois, on aurait souhaité l’infidé­
lité, Boisrond a définitivem ent pris la relève d e Gilles G rangier.
D e u x hom m es dans M anhattan. •— Voir critique d e Jean D om archi dans notre prochain
num éro.
E n ig m e aux Foïies-Bergères, film de Jean Mitry, avec Beîla Darvi, F ran k V illard, Y vonne
M énard, L in da Roméo, Jean Tissier, Jean Brochard. — Jetons sur ce pensu m le m anteau de
Noé.
L a Marraine d e Charlcy, film d e Pierre Chevalier, avec F e rn a n d R ay naud , A n n e A u b e j-
son, Pierre Bertin, C laude V ega, R ené Caron, M onique V ita. — F ernan d R ayn au d en jupons.
P o u r ceux qui l’aim ent froid.
L a Passe du diable, film en Cinémascope et e n Eastm ancolor de Jacques D up ont et Pierre
Schoendoerffer. — Mauvais comprom is entre l ’anecdote lam orissienne et le p ur docum entaire.
Il ne reste q u ’u n album d e belles images.
L a Sentence, film de Jean V alère, avec M arina V la d y , R obert Hossein, R oger H anin,
Béatrice Bretty, Lucien Raim bourg, —: Film de productrice : un beau m ais difficile sujet (la
dernière h eure de cinq condam nés à m ort), gâché p ar beaucou p d e m ièvrerie et d ’académ ism e.
Il serait prém aturé de juger Jean V alère sur ce prem ier essai.
L a ' Valse du gorille, film d e Bernard Borderie, avec R og er H anin , Charles V anel, Yves
Barsacq, Jess H ah n, Michel Thom ass, Suzanne Dehelly, M icheline Gary, Ursula Herwig.
Moins bien venu que le précédent Gorille, tourné avec V en tu ra.

9 FILMS A M E R IC A IN S

A n a to m y o f a M urder (A utopsie d ’un meurtre). — V o ir critique de Luc Moullet, dans


ce num éro page 41.
Cürse of t h e U ndead (Dans les griffes du V a m p ire ). — V o ir note de Fereydoun Hoveyda,
d a n s ce num éro, page 61.
T h e Chaplin reüiew {La R e v u e de Chariot). — V oir critique de Je a n D ouchet dans ce
num éro, page 51.
T h e H orse Soldiers {Les Cavaliers). — Voir critique d e Louis Marcorelles d a n s ce num éro,
page 46. ,-
H ouseboat (La P éniche du bonheur), film en V istavision et en T echnicolor de Melville
Shavelson, avec Cary Grant, Sophia Loren, Marcha H yer, Charles H erbert. — C om édie mièvre,
alourdie d e tirades pseudo-existentialistes. Cary G rant s ’est trom pé de film,
Im itation o f life (Mirage de la vie). — V oir critique de L u c Moullet dans notre prochain
num éro.
T h e legend o f Tom Dooley (Fais ta prière, T o m D o o h y ), film de T e d Post avec Michael
L ando n, Jo Mairov/, Jack H ogan. — W estern d e série Z , tel q u ’on n ’en avait vu depuis
longtem ps. L a seule idée est a a n s Je titre.

62
T h e M atchm aker (La M eneuse de jeu), film en Vistavision de Joseph A nthony, avec
Shirley Booth, Shirley M cLaine, A nth ony Perkins. — C etle pièce au sirop d ’orgeat n 'e st pas
la m eilleure de T h o rn to n W ilder. Malgré la présence de Shirley M cLaine et T o n y Perkins, la
niaiserie le dispute au conformisme.
S o m e L i \ e it H ot (Certains l’aim ent chaud). — Voir critique de Jacques Doniol-Valcroze,
dans ce num éro page 49.
T h e W ild and the innocent (Le Bagarreur soJitaire). — Voir note de Luc Moullet, dans
ce num éro page 61.

3 FILMS A N G L A IS

Fîoods of fear (Froid dans le. dos), film de C harles Crichton, avec H ow ard Keel, A n n e
Heyvvood, Cyril Cusack, H arry H . Corbett. — A u m ilieu des inondations, deux forçats évadés
et u ne p ure jeune fille, .Commence com m e un Hitchcock d ’il y a ving'-cinq ans, mais dé g é ­
nère au bout d ’u n quart d ’h eu re en hypom olinaro.
T h e T h irty Hine S îe p s (Les trent-neûi marches), film en Technicolor de R a lp h T hom as,
avec K en n e th Moore, T ain a Elg, Barry Jones, Jam es H ayter. — La photo est bonne. Ralph
T ho m as se contente d e reprendre tous les effets d ’Hitchcock en les affadissant.
Yesterday’s E n e m y (Section d ’assaut sur le Sittang), film en Megascope de V al Guest,
avec Stanley Baker, G uy Rolfe, Léo McKern, G ordon Jackson. — Second rem ake, par le
m êm e V al Gusest, d e L a R ivière K w aï.

1 FILMS A LL EM A N D S

D ie T ra p p fam ilie in A m e r i \a (La fam iïle T ropp en A m érique), film en Eastm ancolor de
W olgang L îebeneiner, avec R u tn Lewerik, H ans Holt, Joaef M eînrad, W olfgang W ahl. —
Film pour enfants,, pour le m om en t à son second épisode.
D u gehorst m ir (T o n corps m 'appartient), film d e W ilm sten H aaf, avec Barbara Rutting,
P e ter van Eyck, H elm ut Schm id, Erica Beer. — Nos correspondants perm anents au Mïdt-
Mintlit ont failli ce mois-ci à leur tâche, découragés p a r la laideur d es photos. Nous nous
en excusons auprès d e nos lecteurs.

2 FILMS ITALIENS

Europa di notte (Nuits d ’Europe), film en Technicolor de^ AJessandro Blasetti avec Carm en
Sevilla, H enry Salvador, Les Platters, etc. — U n e suite d ’attractions des cabarets les plus
courus, qui ne nous incite guère à déserter les salles obscures.
Ossessione (Les A m ants diaboliques). — V oir critique d e Fereydoun H oveyda dans ce
num éro, page 54,

2 FILMS SOVIETIQUES ü

D eux heures e n U .R .S .S ., film en Kanepanoram a et en Sovcolor d e R o m an e K arm en . —


E x aequo avec le C in eram a p o u r le fond, la form e et la technique. Les couleurs ne valent
pas les couleurs américaines;
Sou d b a Tchclooielia (Destin d ’un hom m e). — V o ir note d e L uc Moullet dans ce num éro,
page 60.

1 F I L M SU E D O I S

A n sik te t (Le Visage). — Voir critique de P hilipp e Dem onsablon, dans ce num éro,
page 45.

63
LES CAHIERS DU CINÉMA
ont publié dans leurs précédents numéros :

E NT R E T I E NS
avec Jacques Becker ....................................................... .. N° 32
Jean Renoir ......................... ...................................... Nos 34-35-78
Luis Bunuel ............................................................. .. N° 36
Roberto Rossellini .................................................... N° 37-94
Abel Gance ..................................................................N° 43
Alfred Hitchcock ......................................................N°9 44-62
John Ford .................... ........................................... .. N° 45
Jules Dassin ........................................................... ..N°9 46-47
Cari Dreyer ............................................................ ..N° 48
Howard Hawks .......................................................... N° 56
Robert Aldrich ......................................................... N0B 64-82
Joshua Logan ................. ...................... ....................N° 65
Anthony Mann ..........................................................N° 69
Gerd Oswald ........................................................... ..N° 70
Max Ophuls ............................................................. ..N° 72
Stanley K ubrick ........................................................N° 73
Vincente Minnelli .................................................. ..N° 74
Robert Bresson ........................................................ 75
Jacques Tati ............................................................... N° 83
Orson W elles ............... ..............................................ND" 84-87
Gene Kelly .............................................................. ..N° 85
Ingmar Bergman ....................................... a...........N° 88
Nicholas Ray ........................................................... ..N° 89
Richard Brooks ..........................................................N° 92
Luchino Visconti ....................... ............................ ..N° 93
Fritz Lang ............................................................... ..N° 99

Le G é r a n t : J a c q u e s D o n io l- V a lc r o z e
I m p r i m e r i e C e n t r a l e cfu C r o i s s a n t , P a r i s — D é p ô t l é g a l 4e t r i m e s t r e 1959
CAHIER S DU C I N E M A
Revue mensuelle de cinéma
Rédacteurs en Chef : JACQUES DON IOL-VALCROZE et ERIC ROHMER

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Prix du numéro : 3 0 0 Frs (Etranger : 3 5 0 Frs)


A bon nem ent 6 num éros : A bonnem ent 12 num éros :
France, Union Française . . 1.700 Frs France, Union Française . . 3.300 Frs
E t r a n g e r ..................................... 2.000 Frs E t r a n g e r ..................................... 3.800 Frs
Etudiants et C iné-C lubs : 2 .8 0 0 Frs (France) et 3.200 Frs (E tranger).

A dresser lettres, chèques ou m a n d a ts aux CAHIERS D U CINEMA,


146, Cham ps-Elysées, PA R IS-8' (ELY. 05-38).
C hèques p o stau x : 7890-76 P A R IS

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C.C.P. 7890-76, PARIS.
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ARTS

C A H IE R S DU CINEMA, P R I X DU NU M ERO : 300 FRANC S

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