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DU CINÉMA
BLANCHES COLOMBES
et VILAINS MESSIEURS
(GUYS an d DOLLS)
S O MMA I R E
1
Qui ne porte ce m ois-ci le deuil d'Humplirey Bogart ?
Qui ne porte ce mois-ci le demi d'Humphrey Bogart mort à 56 ans d'un cancer
de l’œ sophage et d'un demi-million de whiskies? La disparition de James Dean a
touché principalement les moins' de 20 ans du sexe féminin, celle de Bogey affecte
leurs parents ou du moins leurs frères aînés et c'est surtout un deuil pour les
hommes. Plus séducteur que séduisant, Bogart plaisait aux femmes dans les films;
nulle crainte qu'il laisse comme Valentino ou James Dean des millions de veuves;
pour le spectateur il me semble avoir été davantage le héros auquel on s'identifie
que celui qu'on aime. La popularité de Bogart est virile. Les femmes peuvent le
regretter mais je sais des hommes qui le pleureraient n'était l'incongruité du senti
ment sur la tombe de ce dur. Ni fleurs, ni couronnes.
J'arrive un peu tard pour y aller de mon oraison funèbre. On a déjà beaucoup
écrit sur Bogart, sa personne et son mythe. Mais nul mieux peut-être que Robert
Lachenay voici plus d'un an déjà (CAHIERS DU CINEMA N° 52, novembre 1955) dont
je ne puis me retenir de citer ces lignes prémonitoires :
« Chaque début de phrase révèle une denture vagabonde. La crispation de sa
mâchoire évoque irrésistiblement le rictus d'un cadavre gai, l'expression dernière
d'un homme triste qui s'évanouirait en souriant. C'est bien Jà le sourire de la
mort. »
Il apparaît clairement maintenant en effet que nul plus que Bogart n'a, si j'ose
ainsi écrire, incarné l'immanence de la mort, son imminence aussi. Pas tant du reste
de celle qu'on donne ou qu'on reçoit que du cadavre en sursis qui est en chacun de
nous. Et si sa mort nous touche de si près, si intimement c'est que la raison d’être de
sa vie était en quelque sorte de survivre. Ainsi en lui le triomphe de la mort est
double puisque victorieux moins de la vie que de la résistance à la mort.
On me comprendra peut-être mieux si j'oppose son personnage à Gabin (auquel
on pourrait d'ailleurs par tant d'autres points le comparer). L'un et l'autre sont des
héros de la tragédie cinématographique moderne, mais avec Gabin (je parle naturel
lement de celui du Jour se iève ou de Pépé le M oto) la mort est au bout du compte,
à la lin de l'aventure, implacable au rendez-vous. Le destin de Gabin c'est justement
d'être trompé par la vie. Mais Bogart est l'homme d'après le destin. Quand il entre
3
II ne laisse qu’une veuve : Lauren Bacalt, que l’on voît ici avec lui
dans T h e Big Sleep, d’Howard Hawks
LE VJSACE DE LA M O R T
4,
On a, à juste titre, souligné ie caractère « moderne » du mythe Bogart et
J.-P. Vivet a doublement raison .de prendre l'adjectif au sens baudelairien puisque
nous admirons justement chez le héros de La Comtesse aux pieds nus l'éminente
dignité de notre pourriture. Mais je voudrais néanmoins remarquer qu'à cette
modernité à longue portée qui assure au personnage de Bogart sa poésie profonde
et justifie sans doute son entrée dans la légende répond à l'échelle de notre géné
ration une modernité plus précise. Bogart est sans doute typiquement l'acteur mythe
de la guerre et de l'après-guerre. Je veux dire des années 1940 à 1955. Certes, sa
filmographie fait apparaître quelques 75 films depuis 19 30 dont une quarantaine
avant High Sierra et Le Faucon jnalfais (1941). Mais il n'y tient que des seconds
rôles et il est indiscutable que son personnage est né avec ce qu’il est convenu d'ap
peler le film criminel noir dont il incarnera le héros ambigu. C’est en tout cas pour
nous depuis la guerre et spécialement par les films de Huston que
Bogart a conquis sa popularité. Or l'on sait d'autre part que les années 1940
1941 marquent justement la seconde grande étape de l’évolution du film américain
parlant. 1941 est aussi" l'année de Citizen Kane. II faut donc sans doute qu'il y
ait quelque harmonie secrète dans la coïncidence de ces événements : la fin de
l'avant-guerre, l'avènement d'un certain style romanesque dans l'écriture cinémato
graphique et le triomphe à travers Bogart de l'intériorisation et de l’ambiguïté.
On voit bien en tout cas en quoi Bogart diffère des héros de l'avant-guerre dont
Gary Cooper pourrait être le prototype : beau, fort, généreux, exprimant bien davan
tage l'optimisme et l'efficacité d'une civilisation que son inquiétude. Même les
gangsters sont du type conquérant et activiste, héros de western dévoyés, forme
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négative de l'audace industrieuse. Seul peut-être George Raft laisse entrevoir dès
ce temps cette introversion, source d'ambiguïté que le héros du Grand sommeil por
tera au sublime. Dans Key Largo Bogart triomphe contre Robinson du dernier
gangster d'avant guerre ; par cette victoire c'est probablement enfin quelque chose
de la littérature américaine qui pénètre à Hollywood. Non point par le truchement
trompeur des scénarios mais par le style humain du personnage. Bogart est peut-être
au cinéma la première illustration de « l'âge du roman américain ».
Il ne faut certes pas confondre l'intériorité du jeu de Bogart avec celle que
l'école de Kazan a développée et que Marlon Brando avant James Dean a mis à la
mode. Ils n'ont en commun que leur réaction contre le jeu de type psychologique ;
mais taciturne comme Brando ou exubérant comme Dean le style Kazan est fondé
sur un postulat de spontanéité anti-intellectuel. Le comportement des acteurs s'y
veut imprévisible puisqu'il ne traduit plus la logique profonde des sentiments mais
extériorise des impulsions immédiates dont le support avec la vie intérieure ne
saurait se lire directement. Le secret de Bogart est différent. C'est bien sûr, de
Conrad, le silence prudent, le flegme de qui sait les périls des révélations intem
pestives mais surtout l'insondable vanité de ces sincérités épidermiques. Méfiance
et lassitude, sagesse et scepticisme, Bogey est un stoïque.
J'admire particulièrement dans son succès qu'il n'ait au fond dépendu en rien
du caractère des personnages qu'il a incarnés. II sren faut en effet qu'ils soient tous
sympathiques. Admettons même que l'ambiguïté morale du Sam Spade du Faucon
Entre ses mains le revolver était devenu une arm e quasi intellectuelle
(Across T he Pacific — The Big Sleep — Le Trésor de la Sierra Madré')
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Du Trésor de la Sierra Madré.
André BAZIN.
Mort ou vivant ? La fin de Key Largo nous laissait sur cette interrogation. Le cinéma,
mémoire des acteurs, nous conservera Bogart vivant
S
FEDERICO FELLINI
Projet de film
L'idée de ce film m ’est venue après la lecture du livre de Mario Tupino, justement
intitulé Les Femmes Libres de Magliano.
Tupino, écrivain italien, est également médecin à l ’hôpital psychiatrique de Magliano,
près de Lucca. L ’ouvrage retrace une suite d’impressions lyriques et de portraits de folles
et de fous, vus et commentés par l’auteur sous un jour poétique.
Ce qui m ’a surtout intéressé dans ce livre, c’est la perspective et la lumière d ’amour
qui baignent ces malheureux. Rien de psychanalytique, rien de technique, nulle référence
à telle ou telle conception scientifique ou parascientifique de la folie. Les fous sont examinés
dans une lumière de tendresse et la vie de l’asile n ’a rien de particulièrement glacé ou
technique. C ’est tout simplement une sorte de vie monastique. '
En bref, le film que je veux faire est celui-ci : l’histoire d’un jeune médecin ayant
à peine dépassé la trentaine, que l'hérédité seule a conduit à prendre ses diplômes (fils de
médecin, petit fils de médecin, médecin soi-même, phénomène fréquent en Italie), mais
sans vocation particulière, sans véritable ferveur en harmonie avec un semblable apostolat.
11 s ’agit d ’un jeune homme intelligent, inquiet... il devrait figurer le prototype d’un certain
état d’âme défini qui, en somme, nous concerne tous.
...Homme instruit, sensible, nature tourmentée. Jusqu’ici, depuis son adolescence, il
a vécu sur un mode hédoniste, c ’est-à-dire sans s ’occuper du tout de son métier, sans
s ’intéresser à la « mission » que comporte sa profession. C ’est un jeune qui a tout cueilli,
tout pris de ce que la vie lui offrait. Bref, c ’est un « vitellone », ceci également entendu
dans un sens spirituel, car il n ’a pas été uniquement un coureur d’aventures ou d’amours
faciles. En somme, son état d’âme est avant tout celui d’un « vitellone » ; une sorte de
paresse, de torpeur spirituelle l ’amène à chercher, toujours plus bas, quelque chose qui
puisse lui fournir un sens plus précis de sa vie.
Ce Jeune homme — que nous appellerons Roberto — arrive à l ’asile de Magliano où
Tenvoîe son père à la suite de quelque impair commis dans sa ville natale, Bologne. Peut-
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être doit-il fuir les conséquences de ses frasques ?... mais nous n ’en saurons pas davantage.
Quoi qu’il en soit, il est mis en demeure de s ’éloigner du théâtre de ses exploits de jeu
nesse. Son père, ami du directeur de l ’asile, l ’y expédie nanti d’une lettre de recommanda
tion. Roberto s ’y rend à contrecœur, agité de sentiments contraires, dans sa petite Alfa
ronflante (car il appartient, naturellement, à une famille aisée et n ’a aucun besoin de travail
ler pour vivre). Néanmoins, en homme cultivé, à la sensibilité toujours en éveil, il apporte
à Magliano sa nourriture essentielle : ses livres (livres de poésie, livres « d’honnête
'homme »).
L’asile se dresse sur une colline, en pleine campagne lucquaise. Lucca est une ville
extraordinaire, fabuleuse, avec des églises merveilleuses, typiquement italienne ; chaque pas
y réveille une civilisation antique, assoupie depuis des siècles dont l ’enchantement joue par
la suggestion du souvenir. Ville, par conséquent, qui peut encore bercer, caresser et endor
mir sournoisement certaines consciences particulièrement sensibles... De l ’autre côté, c ’est
Viareggio, autre petite cité de « vitelloni », avec sa folie carnavalesque d’hiver (le carnaval
de Viareggio est célèbre) et son animation extraordinairement palpitante, chaude, en été.
11 y a cinq ou six cents ans l’édifice fut d’abord couvent, puis prison, pour redevenir
couvent, puis caserne et à nouveau prison pour abriter enfin cet hôpital psychiatrique. Une
série de bâtiments annexes ont proliféré au cours des siècles. La bâtisse est énorme. Elle
a l ’aspect d’une citadelle, avec son mode de vie propre, son règlement ; tout est confié à la
grâce de Dieu, comme beaucoup de choses et tant d’institutions en Italie. Un vieux directeur
en est le responsable, un peu cabot, bluffeur et creux, imbu de rhétorique et perdu dans
certaines chimères tout à fait surannées.
Puis il y a six ou sept jeunes médecins, totalement éloignés de la portée de leur métier,
encore cinq ou six « vitelloni », ayant chacun sa voiture, vivant dans l’attente de la sixième
heure du soir, où finit leur service, pour filer, filer à toute vitesse dans leur Alfa, sous les
yeux des fous qui "les regardent par les fenêtres grillagés, vers Lucca où l ’on peut faire
une partie de billard, voir une revue ou écouter un concert, ou l ’été, vers Viareggio à la
recherche d’aventures.
Roberto arrive à Magliano en proie à un malaise à la fois physique et moral, se rebel
lant intérieurement contre la décision de son père. Et le film est exactement l ’histoire d ’une
année, de la première année que Roberto passe à l ’asile, du déroutement alterné de ses
expériences personnelles à l ’hôpital et, hors de cette vie qu’il repousse et qu’il veut ignorer,
de sa recherche intime d’une forme de bonheur encore imprécise, d’une soif de se découvrir
et de savoir pour quoi ou pour qui il est né. L’humanité de l ’asile est tellement désespérée,
tellement contradictoire, si dépourvue pour lui d’attrait, que Roberto, déjà d ’un caractère
instable, refuse de s ’y adapter. Il se borne à signer quelques feuillets le matin et attend,
comme les autres que sonne l ’heure de s ’en aller.
. Le film est donc l ’histoire d’une année de Roberto à l ’asile. .
Le jeune homme est à un tournant de son existence où les aventures, en quête d ’un
ami, en quête d’une femme, les cent pas que l ’on fait la nuit en abordant tous les problèmes,
même les plus élevés, se font de plus en plus désabusés. Ce mode de vie, cette attente da
quelque chose qui viendrait du dehors, l’effraient peu à peu, à mesure que grandit cette
espèce d’angoisse et qu’il appelle de plus en plus désespérément ce « quelque chose » hors
de lui...
D ’abord, c ’est la rencontre d’une jeune fille. Roberto la découvre à Lucca. Elle est
fille de famille, riche, bourgeoise, soupçonneuse, méfiante... vous connaissez ces proprié
taires terriens enfermés dans ces maisons légendaires oü, pour ne citer qu’un détail, toutes
les fenêtres sont obstinément closes dès huit heures du sotr. Il y subsiste une telle concep
tion patriarcale de la vie de famille, que, le soir venu, Lucca prend l ’aspect d’une ville morte.
Donc, Roberto tombe amoureux d ’une jeune fille de ce milieu-là. Elle apporte à la fois
une solidité et des espérances, elle représente la famille, une promesse de vie tranquille.
Roberto fréquente le père, la mère : il est invité à dîner ; il écoute les conversations et i!
croit avoir» trouvé l ’amour sincère qui donnera un sens à sa vie. Mais, finalement, il sent
que là n ’est pas sa vraie route.
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L'hôpital psychiatrique de Magliano
Il continue donc à errer sur d’autres voies, vivant de nouvelles aventures — souvent à
.l'improviste — la nuit. Entraîné par ses confrères de l’asile, il partira à la poursuite d’une
femme dont un jour l’un d’eux aura dit des choses mirifiques. Une fois, c ’est la femme de
chambre d’un hôtel de Montecatini. Ici, je voudrais introduire une séquence : une « expé
dition ». Quittant l ’asile sur les bruyantes Alfa, le groupe arrive vers 8 heures du soir à
l ’hctel de Montecatini. II fait tout à fait nuit, c ’est l ’hiver, l ’hôtel est fermé; cette femme
de chambre au corps splendide, à la croupe généreuse, vantée par l ’un des médecins, n ’est
pas là. L ’établissement est fermé tout est éteint, il fait noir. Nos carabins réveillent alors
le concierge qui leur donne l ’adresse de !a fille, fille de paysans qui, à l ’époque de la fer
meture, travaille à la campagne. Alors, cette recherche hautement grotesque d ’un corps de
femme idéalisé se poursuit jusqu’à ce qu’ils parviennent, au fin fond de la brousse, devant
une ferme endormie. Là, en face des fenêtres muettes, en face -du silence, toute leur fièvre,
toute leur agitation tombe d’un coup et ils regagnent l ’asile dans l’aube naissante.
Une autre fois, c ’est la rencontre avec une femme très riche, belle encore et savou
reuse bien que plus très jeune, habitant Viareggio. Sa maison est tout à fait exceptionnelle,
luxueuse, ouatée de tapis, de tentures qui retiennent les parfums, meublée de pièces rares,
décorée d’objets d’art et de bibelots précieux. L ’âme d’esthète de Roberto y est sensible et
s ’y complaît. Dans cette atmospère accueillante, auprès de cette femme séduisante,
maternelle et troublante, protectrice et envoûtante. Roberto croit enfin connaître l ’apaisement.
La femme est riche et serait disposée à lui permettre d’ouvrir une clinique psychanalytique
pour Américains, où il ferait certainement d’excellentes affaires durant l ’été, à Viareggio.
Mais l’âme et l ’esprit de Roberto se lassent vite de cet apparent repos et l ’inquiétude le
reprend. Il continue à se fuir, à vouloir s ’évader de lui-même dès qu’il quitte l’asile. Il
repart en quête h d ’autre chose », d’un ami, d’une femme et il cueille avidement tout, espé
rant toujours qu’à travers ces contacts humains se fera la décantation et jaillira la lueur.
Ce sera, en quelque sorte, une « clarification ».
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Le jour, c ’est la vie de l ’asile, vie encore plus contradictoire, encore plus absurde que
celle du dehors, encore plus inquiétante. L’asile vit mystérieusement selon sa géométrie
propre, son équilibre interne. Et là aussi Roberto ne découvre aucune explication, aucune
justification. La résignation de certaines infirmières, issues de milieux paysans, qui réussis
sent à créer avec les fous et les folles un contact immédiat, naturel, et qui accomplissent
leur tâche avec ferveur, lui échappe totalement. La résignation... c ’est là un autre aspect
de la réalité qui l'environne et qui le terrifie : « Comment se fait-il que ces femmes par-i
viennent à accepter cette existence, lavant des malades sales comme des bêtes, les gavant
comme des enfants horrifiants ? » Et il y a aussi les bonnes sœurs, les petites sœurs, autres
créatures fermées, impénétrables, mystérieuses, avec leur propre équilibre, leur rythme de
vie précis qui déroute Roberto. 1
Ainsi, peu à peu, s ’accroissent son sentiment de solitude, sa volonté de trouver coûte
que coûte-un moyen d’en sortir. . '
Les expériences de l’asile se font de plus en plus contradictoires. Même pour un
médecin pénétré de la portée de sa profession, celui qui soigne des fous peut difficilement
éprouver des satisfactions qui le « réconfortent » dans sa tâche. Par exemple, les fous qui
vivent dans la « cellule aux algues » (c’est un lieu terrifiant, une petite cellule étroite, vide,
où sont enfermés les fous furieux qui déchirent tout) ; ils sont complètement rtus car on
ne peut même pas leur laisser une couverture, un essuie-mains, sinon ils tenteraient de
se pendre, de se suicider, enfin... de se faire du mal; ils sont donc nus dans cet espace très
restreint et surveillés souvent à travers un hublot par les infirmières ou par les sœurs. 11 n ’y
a là que des algues marines, facilement lavables, servant à tout : couvertures, vêtements, tapis.
Ainsi enfermés, les fous ne ressemblent même pas à des animaux, mais à des plantes, ce qu’il
y a de plus loin de l'humanité. Si un médecin, partant de conditions aussi épouvantables, réussit
à soigner, à améliorer un fou et arrive enfin à le tirer de cet enfer jusqu’à l ’amener à tra
vailler, jusqu'au jour où il confie au malade une paire de ciseaux, une lime voilà qui peut
être pour lui un motif d’énorme satisfaction. Or, deux jours plus tard, le même médecin,
passant dans l ’atelier, demande à la sœur ou à ^infirmière : « Comment va le malade arra
ché à la cellule aux algues ? » il reçoit la sinistre réponse que le pauvre a eu une nouvelle
crise, encore plus effrayante qu’à l ’ordinaire, et qu’on a dû lui faire réintégrer la « cellule
aux algues ». Sa profession se heurte donc à de perpétuelles contradictions, à de continuels
retours; bientôt plus rien ne peut le retenir.
Malgré cela, la vie mystérieuse de l ’asile, l ’ordre secret et fuyant des infirmières, des
infirmiers, la vie des sœurs et des fous, les fous qui le cherchent, le regardent comme s ’ils
arrivaient de lointaines planètes, peu à peu suggestionnent Roberto. 11 sent que, tout compte
fait, sa vie pourrait commencer à partir de là, c ’est-à-dire en se rendant utile aux
autres, en cherchant à s ’insérer dans une communauté. Précisément, la fin du film veut
dire que, si Roberto reste à l ’asile, ce n ’est pas là un fait édifiant, d’une signification lourde,
dogmatique et il n ’y reste pas davantage la tête haute, derrière les grilles qui se referment sur
lui... Non ! La dernière séquence est la rencontre d’un nouveau fou qu’on interne, c ’est
l ’aventure la plus terrible, la plus terrifiante que Roberto affronte, le contact le plus drama
tique, celui qui devrait le rebuter, le faire fuir à jamais. Mais Roberto reste ... avec l’intuî-
tion — l’intuition seulement — que « dehors » il n ’y a plus rien à chercher, qu’il n ’y a plus
rien à quêter, tandis qu’à l ’asile' —■ peut-être — il pourra s ’engager dans la découverte
de sa dignité d ’homme, plus que de sa dignité de médecin...
La nécessité d’un choix s ’impose. Roberto choisit. Il choisit apeuré, épouvanté, pas
édifié du tout, pas la tête haute : il choisit, terrifié par son propre choix.
Je sais, j ’ai raconté cela très mal. Mais le sens du film est exactement là : cette néces
sité d ’un choix.
Ce film me semble particulièrement adapté à moi, car.il résume tous les thèmes qui me
sont les plus chers, et dans sa représentation sensible de cette réalité il entraîne avec lui
une « transfiguration » que j ’ai parfois cherchée péniblement dans d’autres films. Il me
semble qu’à travers la perspective de l ’asile, de tout- ce qui est la vie
d’une province comme Lucca, comme Viareggio, on percevra le reflet de cette inquié
tude que secrète ce château-asile. L’ensemble acquiert une « lévitation » extraordinaire.
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Intérieur de l'hôpital psychiatrique de Magliano
Je. voudrais ajouter un épisode du livre de Tupino que je voudrais placer dans le film.
Il s ’agit du contact direct que le médecin a avec l ’une des folles : une schizophrène ren
fermée sur elle-même comme un caillou, une malade qui refuse avec une volonté forcenée
tous rapports avec l ’extérieur. Les poings serrés, les yeux fermés et les jambes recroque
villées... une pierre, c ’est ça. Impossible de communiquer avec elle, tant elle est figée,
pétrifiée... Naturellement, on ne peut la nourrir qu’au moyen d’une sonde. Et — détail
particulièrement tendre et émouvant — tous les matins, le médecin qui, avec les sœurs et
l’infirmière, nourrit la malade à la sonde, aux prix d’efforts épouvantables, car il faut la
soulever violemment, lui introduire dans la gorge lé bec de la sonde, tous les matins, lors
que se déroulait cette sorte de lutte sauvage, le - médecin s ’approchait de l ’oreille de la
malheureuse et lui susurrait (elle s ’appelait Isa) : «-Ecoute un peu Isa, écoute, tu vas nous
faire damner toute l ’année comme ça ? Dis, pour Noël aussi tu vas nous faire ça ? ».
Aucune réponse, bien entendu; Isa restait les yeux fermés, les poings serrés... Et tous les
matins, pendant des mois et des mois, au moment de cette alimentation forcée, le médecin
susurrait la même phrase : « Mais écoute un peu, Isa, tu nous feras toujours désespérer...
dis... toute l ’année... même à Noël? ». Et voici que le jour de Noël, quand le médecin à
son habitude descend dans la salle pour ce « repas », il trouve Isa en train de manger toute
seule, avec une cuillère, le plat sur les genoux... Ainsi les paroles que le docteur semblait
murmurer à un mur étaient descendues selon un cheminement mystérieux au fond de la
conscience de la folie et avaient déclenché un effet. ■
13
Pendant que j ’étais à l ’asile — une quinzaine de jours — j ’ai été témoin d'un autre
épisode qui me semble assez émouvant. J ’entrai un jour dans la section des idiotes, où l ’on
garde les malades les plus irrécupérables, vraiment perdues pour toujours parce que le
cerveau manque de .quelque chose, ce certaines fibres nerveuses,., enfin des malades
complètement sacrifiées. J ’y entrai à l ’improviste sans même savoir que c ’était la section des
idiotes.., II y avait là une jeune fille d’un âge indéfinissable, certainement sur un lit depuis
des années, avec une bouche énorme qui lui arrivait aux oreilles. Une sœur était en train
de la nourrir; elle lui donnait des cuillerées de riz. Or, cette malade était muette, sourde et
aveugle de naissance, sur ce lit depuis toujours peut-être. Comment m ’a-t-elle vu ou senti ?
Comment m ’-a-telle flairé ?... Elle a cessé de manger et s ’est mise à glapir, vraiment, —^
je ne trouve pas d ’autre mot — à glapir de joie comme un petit chien qui faît la fête à
quelqu’un.
Cela aussi me semble un épisode émouvant. Ainsi, ma présence, mon « ombre », ma
chaleur, lui communiquaient donc quelque chose. Et dès que je tentais de m ’éloigner, la
malade faisait des grimaces de désespoir et comme je m ’approchais d’elle, alors, elle s ’agi
tait toute, dans un frémissement de tendresse et d'élan.
Le livre est riche d’épisodes aussi puissants aussi tendres et aussi déchirants que celui-ci.
De toute façon, vous le lirez.
(Texte recueilli par Lo D u c a .)
Federico et Giuliettn
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Cabiria (Giulietta Masina) rencontre Alberto Colli (Amedeo Nnzzari)
Cabiria, qui n’a de commun avec l’héroïne de d’Annunzio que son nom,
est une petite prostituée de la Promenade Archéologique à Rome; c’est
dire son peu de prétentions. Un soir pourtant, elle s’aventure dans les
quartiers chics, vers la Via Veneto où elle rencontrera un singulier client...
qui se trouve être son acteur préféré :Alberto Colli.
Cabiria passe devant un valet de chambre en gilet rayé et en gants blancs. Son col ouvert
et ses cheveux défaits nous font penser qu’il vient de se réveiller. '
Il dévisage sans commentaires Cabiria et salue avec une familiarité déférente son maître.
L’acteur demande au domestique avec un détachement emprunté, mais visiblement
anxieux :
L ’a c t e u r ; Personne n*a téléphoné ?
V alet de c h a m br e : Personne, Monsieur...
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Le visage de l ’acteur est légèrement crispé. II se dirige vers l ’escalier mais s ’arrête
encore :
L ’a c t e u r : Tu as fait attention... ou tu dormais ?
V alet de ch a m b r e ; Personne n'a téléphoné, Monsieur, j'étais ïà...
L 'a c t eu r , s e c ; Je dîne dans ma chambre... Deux couverts..,
Puis, il s ’arrête et dit encore avec une colère mal contenue :
L ’a c t e u r : S i mademoiselle Jessy téléphone, je dors. Si ellé insistej
je dors! Si elle insiste encore, JE DORS!
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Cabina découvre le luxe
L ’acteur prend, sur la table de nuit, une cigarette. Il l ’allume, renvoie la fumée au pla
fond. 11 demande d’une voix sans couleur :
L ’a c t e u r : Comment t 3appelles-tu ?...
Cabiria est émue ; elle reste instinctivement sur la défensive. Elle répond :
C a b ir ia : Cabiria. '
L ’acteur n ’a compris qu’à moitié. Il s ’est soulevé sur un coude et allume le pick-up.
A peine surpris par ce nom insolite, il demande encore :
L ’a c t e u r ; Cabina ?... .
‘ C a b i r ia : Cabiria.
L ’a c t e u r (absolument indifférent) : D'où es-tu ?
C a b ir ia ; De Rome... Place Rfsorgimento...
Les accents solennels d’une symphonie de Beethoven envahissent la pièce. L’acteur qui
n ’a même pas écouté Cabiria se renverse sur le lit, battant la mesure avec la main. .
L ’a c t e u r ; Assieds-toi... N e reste pas debout, ça m'énerve.
Cabiria s ’assoit au bord d’un fauteuil. L ’acteur semble emporté par la musique. Il
demande à Cabiria :
L ’a c t e u r : Ç a te plaît ?...
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i
L’acteur paternel explique :
L’a c té u r : Beethoven... la « cinquième »... Ça me rend malade...
Et, comme entraîné par le souffle lyrique, il s ’assied sur le lit et.se met à déclamer en
anglais des vers de Shakespeare. ,
Cabiria se concentre, penche la tête en avant, pour ne rien perdre. L’acteur qui se sent
admiré avec tant d ’ingénuité s ’amuse. Il ne le laisse pas voir ; on pourrait croire q u ’iV
récite pour lui-même.
Il est interrompu par l ’entrée du valet de chambre qui pousse devant lui un chariot
chargé de mets fins. . '
L ’a c t e u r ; Laisse... ça va.
Cabiria est de.nouveau debout. Le domestique lui lance un regard éloquent et sort en
refermant la porte.
L ’acteur désigne la table roulante à Cabiria et dit d ’un ton détaché, en prenant goûï
au jeu :
■ L ’a c t e u r ; Sers-toi... Caviar, langouste... Je ne sais pas si tu aimes
Ça... Prends, prends... Je...
II fait un geste vague de la main comme pour dire qu’il n'a pas faim pour l ’instant. Il
prend une bouteille de champagne, se met à la déboucher en lisant à haute voix le millésime
de l ’étiquette, comme pour lui-même. _
. L ’a c t e u r 1949...
I
Cabiria regarde le chariot, fascinée. L ’acteur se retourne vers elle et lui dit :
L ’a c t e u r : Ote ta veste... Il fait chaud. ■
Cabiria reprend ses esprits. Elle retire son boléro de cygne. Sur son petit corps maigre,
apparaît un invraisemblable tricot à raies.
L ’acteur se retourne pour la fhier, interdit. C ’est la première fois qu’il la regarde vrai
ment, .qu’il réaJise qui elle est. Il demande perplexe, d'un ton à peine plus humain :
L ’a c t e u r ; Mais... Où est-ce que tu habites ?
Cabiria ne s ’est rendu compte de rien. Elle répond ■ :
C a b i r ia ; Après le poste d’essence. '
Et comme l ’acteur, montre clairement que ça ne lui dit rien, elle précise :
C a b i r ia : Sur la rouie d ’Ostie, à L'avant dernier arrêt de Vautobus.
L ’acteur l’observe avec surprise. '
L ’a c t e u r : Et ta. viens jusqiSâ Via Veneto ? "
Cabiria hausse les épaules,
C a b i r i a ; Mais je ne suis pas de la via Veneto, moi, je suis de !<**
. Promenade Archéologique... C'est tellement plus commode...
Elle se croit obligée d’ajouter d’un ton de supériorité méprisante :
C a b i r i a ; Y a une autre fille une copine qui habite à côté de chez
moi! Les autres c’est pas le même genre, elles dorment sous les arcades,
à Caracalla... (elle s ’échauffe). Moi, j ’ai une maisonJ Vélectricité, le
butagaz.. j ’ai même le thermomètre! Je ne manque de rien... Moi, sous
les arcades, je n’y ai jamais dormi !... (elle admet) une fois, ou deux...
ÏS
Elle se tait un instant et ajoute avec un demi sourire :
Elle secoue les épaules comme pour dire que ça lui est égal.
L ’acteur est resté perplexe. Un léger malaise s ’est emparé de lui. Il éteint le pick-up.
La musique se tait. A court de moyens pour dissiper sa gêne, il dit :
Un breF silence ; elle ajoute brusquement, la voix assourdie par une émotion qu'elle ne
peut plus cacher :
C a b ir ia ; Vous êtes beau comme votre m a is o n . ,.
19
Elle est tout essouflée. 11 la regarde, malicieux. .
L ’a c t e u r ; Ah, non, celui-là c'est pas moi, c'est Sordi qui Va fait...
C a b i r ia : C'est pas... -
L 'acteur : dssieds-toi là,
11 éclate de rire. Elle rit et baisse les yeux.
Elle s ’assied à côté de lui. II Iuî verse du champagne, se sert à son tour puis lève son
verre et trinque :
L ’a c t e u r : Tchin, tchin.
C a b i r i a , approuvant, transfigurée : Oh oui, tchin, tchin.
Elle boit d’une seule gorgée, très excitée. L’acteur boit un peu, puis dans une caresse
à la fois tendre et charitable, passe une main dans les cheveux de Cabiria, Ses yeux vacil
lent. Elle prend la main de l ’acteur et la serre contre sa joue avec une émotion un peu
bourrue. Puis elle dit, d’un voix étranglée :
- C a b i r ia : Ça alors !...
Elle se lève d’un bond, fait quelques pas, rageuse. '
C a b i r ia .- Qui est-ce qui va m e croire, si je le raconte ? Déjà qu'elles
disent que j'suis une crâneuse, ces poufiasses... Moi non plus, demain,
j'y croirai plus !
Elle se retourne. Elle a une idée.
’ C a b i r ia : Vous savez ce que vous devez faire ? Vous me donnez
une photo de vous avec écrit dessus ; « Cabiria a été chez moi... Cabiria
. Ceccarelli a été chez moi... Colli Alberto ». Pas vrai ?
L ’a c t e u r , amusé ; Entendu.
ZO
L’acteur : « la isse ça... ça regarde les bonnes ! »
Cabiria jette un coup d’œil mauvais autour d’elle. Elle entend la clé tourner dans la
serrure.
L'acteur met dans sa poche la clé de la salle de bains et se dirige vers l ’autre porte
derrière laquelle on entend toujours les plaintes de Jessy.
' V oix Jessy ; Alberto.. Ouvre !...
L ’acteur ouvre la porte. Jessy rentre en trombe et va s ’asseoir sur le lit. Elle est pâle.
L'acteur est très troublé. Il demande :
L ’acteur : Q u 'e st-c e que ta veux ?
Silence. Il referme la porte, essaye de se dominer puis, dans une admirable sérénité :
L 'acteur : Ecoute, Jessy... J'ai sommeil... Demain matin, je tourne,
alors...
Jessy, à bout de nerfs, l ’interrompt.
Je s s y : J'ai soif, donne-moi quelque chose...
21
Puis, tout à coup, elle Jette au loin son sac et s ’écroule en sanglots sur le lit.
Je s s y : Je n'en peux plus... Je ne peux plus résister.,. Tu. abuses
de moi. %
L’acteur, très touché, essaye de la raisonner.
L ' a c t e u r : Moi aussi, je n'en peux plus... Tu es jalouse, insupporta
blement jalouse... et moi, je suis fatigué... d é f r u it ... 4 fo r s , q w ï f o n s -
rtous bons amis...
Cabiria a l’oeil collé au trou de la serrure. Elle approuve les semonces de l ’acteur. Elle-
murmure : ‘
C a b i r ia : Cette exaltée !... Allez, oust !
L ’acteur est resté immobile à ccté du lit. Il ne sait plus que dire. ’
L 'acteur : Allons, arrête... va dormir...
t L ’a c t e u r : Maintenant tu es fatiguée... On se téléphone demain...
D’un geste brusque, Jessy se soulève et tout en. pleurs se jette dans les bras de l’acteur
et l’embrasse fougeusement. L’acteur essaye de résister, puis lui rend son baiser avec la
même ardeur. .
Les traits de Cabiria s ’altèrent. Elle détache son œil du trou de la serrure, reste un
instant triste et indécise, puis elle regarde encore. Son visage s ’assombrit davantage et une
colère l ’envahit. D’un mouvement soudain, elle empoigne un verre et fait le geste de le
jeter contre la porte. Elle s ’arrête le bras en l’air, et se penche de nouveau contre la serrure
Ils sont serrés l’un contre l ’autre ; ils ne s ’embrassent plus. Ils parlent dans un débor
dement de tendresse à la fois comique et pathétique.
Jessy est encore tout en larmes. ”
^ Je s s y; Dis-le moi que tu ne m'aimes plus !
Q u’est-ce que ça te coûte ?
Le c t e u r : Mais non, Jessy, non...
J e s s y : Si, dis-le moi, comme ça j'aurai l’âme en paix, je n'y pen
serai plus... ■
L 'acteur .■ Mais non... Ce serait un mensonge. ■
22
Nouveau baiser. L’acteur glisse à genoux contre elle :
L ' a c t e u r (c a b o t m a lg r é t o u t ) . .. : Si les fem m e me regardent, qu'est
' ce que je peux y faire... Ce nJest pas ma faute.
Je s s y ; Moi, sans toi, je ne peux pas vivre.
L ■ L ’a c t e u r : Moi non plus... . .
Cabiria écoute, l ’oreille contre la porte. Son visage a complètement changé d’expression.
Elle écoute attentive, ravie, émue.
V oix Je s s y : Tu m'aimes...
Voix acteur ; Oui, Jessy, je t'aime... .
V oix Je s s y : Je faim e, mon amour... je t'aime...
Câbiria se détache lentement de la porte. Toute idée de révolte lui est sortie de la
tête. Elle s ’aperçoit qu’elle a encore le verre en main et elle le dépose avec une extrême
précaution pour ne pas faire de bruit. Elle atteint sur la pointe des pieds un tabouret et
elle s ’y assoie, silencieuse et pensive. Elle regarde de nouveau la porte fermée.
Scène 27. — SALLE DE BAINS
Les premières lueurs de l ’aube. Cabiria est encore assise sur l e ' tabouret. Elle
somnole, appuyée contre le mur, Elle est sur le point de tomber. Elle se reprend avec un
sursaut. Elle se frotte les yeux. Elle se lève avec peine. Son visage est fatigué. Elle va
à la fenêtre, Pouvre tout doucement.
L ’air piquant du matin lui rafraîchit le visage. Elle se penche.
Au pied de la villa s ’étend le parc dans une lumière bleutée. Plus loin, la plaine, les
ruines de i ’Appia Antica. Les oiseaux se réveillent en chantant. La petite cloche d ’une
chapelle commence à tinter. Tout est frais, transparent, enchanté. .
Des idées confuses traversent l ’esprit de Cabiria. Elle a oublié qu’elle est enfermée Ici.
Elle est heureuse. Elle sourit, pensive.
La porte de la salle de bains s ’ouvre très lentement derrière elle. L’acteur en pyjama
entre avec précaution. 11 est tout ébouriffé.
Cabiria se retourne, elle le regarde comme un mirage et sourit.
. L ’acteur lui fait signe de se taire, II murmure :
L ’a c t e u r ; Va-t-en... vite...
Il lui fait signe de se glisser dans la chambre et lui met des billets de banque dans la
main.
Cabiria qui avait montré qu’elle était d’accord a un mouvement de refus devant l 'argent.
Mais l’acteur la précipite dehors. • '
Cabiria se retrouve seule dans le. couloir. Elle descend l ’escalier désert, traverse le hall
immense. Sur le pas de la porte, elle se rappelle quelque chose ; elle regarde autour d’elle.
Sur un coffre, elle reconnaît son petit parapluie abandonné. Elle va le chercher, revient
à la porte, bataille un peu pour l’ouvrir et enfin sort.
Cabiria s ’éloigne sur le chemin bordé de statues. On n'entend que le pépiement des
moineaux.
Elle se baisse pour tirer ses socquettes sans même s ’arrêter de marcher, puis sort de son
sac la photo de l’acteur. Elle la contemple et s ’éloigne à grands pas.
. Federico FELLINI.
24
LE CIGARE
CHARLES EITEL
* '
A H ollyw ood , le s révolutions s e iont lentem ent et rarement : c e la tient au climat et a u n iveau
m ental d es révolutionnaires. E lles s e font a u ssi toujours d a n s le m êm e se n s : vers u ne moins
gran d e liberté, pour une totale servitude, d a n s la direction d 'une mort certaine. Il faut dire q ue
c e sont les p u issants qui s'agiten t et révolutionnent, pour être p lu s p uissants encore. C'est un
lait connu : l e s gran d s ch efs d es studios, s'ils sa v e n t com pter n e sa v e n t p a s écrire, et encore
m oins faire d es im a g es. Ils vous diront qu'ils ont été scén aristes, m ais il n e faut surtout p a s
le s croire. C es glorieux, m en a cés depuis q u elq ue tem ps p ar la télévision , dont ils en viaient la
d éb ilité m en tale, ont, ces dernières a n n ées, m ultiplié les révolutions. Le résultat n e s'est p a s fait
attendre : voici dix-huit mois, H ollyw ood était a u bord d e l a ruine.
Un b ea u jour, Johnson, M ayer and Co, posèren t u n e pétition d e principe : * Les lilm s son t
m eilleu rs q u e ja m a is. » Le sy stèm e était un p eu se m b la b le à celui d e la publicité Colgate-
P a lm o liv e ; u n air convaincu, u n e ph rase la p id aire et frappante, u n produit de qualité propre à
satisfaire le s plus exigean ts. C es m essieu rs a v a ien t {et au fond d'eux-m êm es, ils ont certainem ent
25
encore) u n e id ée très nette d e c e q u e doit être u n produit d e qualité : c'est un produit cher. La
politique fut la su ivan te : multiplication d e s super-productions sur le s su jets éternels d e l'histoire
d e s p eu p les et d e s religions, et q u asi-su p p ression d e s productions à petit ou m o y en b u d g et ;
recherche de formats nou veau x, d a n s le se n s d e 3a largeur ; et com pression du p erson n el.
H ollyw ood n 'avait p lu s b eso in de p en seu rs : pour le s détecter, on a p p ela à l a resco u sse la
Commission d es activités anti-am éricaines.
Un b e a u jour, huit terribles p erso n n a g es s e mirent à jouer les esp io n s : l a moitié v en a it
d e Los A n g eles, l'autre moitié de W ashington, Tout l e inonde fut interrogé, o fficiellem en t ou
non. Il y eut d e s interdictions de séjour, d e s fuites, d e s su sp en sion s de travail, d e s c h a n ta g e s
et m êm e d e s p a s s a g e s à tabac. En 1953, tout com m ença à s e tasser : ceu x qui ava ien t e n v ie d e
p arler ava ien t p arlé, d e dénoncer, a v a ien t dén on cé, d e s'en aller, étaient partis ; le s au tres s e
tenaient d a n s leur coin. Les g en s d e W ash in gton avaien t repris l'avion, laissa n t l e s g e n s d e
Los A n g eles veiller a u grain, Puis, l e s g e n s d o Los A n g eles rentrèrent, eux a ü ssi, ch ez eu x.
Tout allait m al d a n s * l'industrie ». ‘
' Les * super-productions s, réa lisées p a r n o s v ieu x b eso g n eu x et nos jeu n es p irates : K o sîei,
Thorpe, N eg u lesco , Curtiz, H ath aw a y , S a v ilie, LeRoy, a v a ien t la s s é le s clients, à q u elq u e s
rares exceptions près. P eu de films in telligen ts, j'entends : réfléchis et tournés a v e c am our,
virent l e jour pendant cette funeste période, et furent tous produits p ar d es indépendants, au prix
d e m ille difficultés, et distribués à la sa u v ette ou par d e gran d es firmes qui n e lésin èren t p a s
sur le b o ycotta ge, a u détriment de leu rs propres intérêts. Parlez à Jerry W ald d e la distribution,
p ar R.K.O. d e C lash b y N ight ou d e The L u sty M en ! Lancez à Sid ney Harmon le titre Mari C r a z y ,
distribué par la Fox ! V ou s le s verrez rougir brusquem ent et en voyer respectivem ent a u x en fers
H ow ard H ugues et Darryl F. Zanuck. C es film s v a la ien t c e qu'ils v alaien t, c'est-à-dire infinim ent
. p lu s q u e le s produits-maison.
Si encore le s gros m essieu rs à gros c ig a r e s a v a ien t eu raison ! M ais ils s'aperçurent b ien
vite q u e ceu x dont ils a v a ien t g ê n é 3e travail étaient l e s s e u ls ca p a b les de vain cre Palraolive-
C olgate. Lorsqu'ils s'en rendirent com pte, ils étaient a ccu lés : pour la prem ière fois, ils d éci
dèrent u n e révolution d a n s le bon se n s. Certains v ieu x pionniers leur rappelèrent qu'autrefois
H ollyw ood était libre ! Bref, la p a g e fut tournée, et l a plupart d es su sp ects furent b lan ch is : u ne
activité n e pouvait être anti-am éricaine s i e lle était ciném atographique. A lors furent d é c id é e s le s
prem ières m esures d e cette co u ra g eu se m arche arrière.
26
Bigger than Life de Nichnlas Ray
n o u v elles a ssise s. Leurs positions n e sont p a s a ss e z fortes pour qu'ils p uissent im poser leurs lois.
Ils font a p p el à d e s jeu n es auteurs, acteurs, m etteurs e n sc èn e, producteurs, qu'ils recrutent un
p eu partout. Ils la issen t la brid e sur le cou d es m eilleurs élém en ts parm i le s an ciens. On confie
d es productions à d e s scén a ristes (Philip Yordan pour P /u s dure se ra l a chute), ou parfois m êm e
à d e s acteurs (James M ason, pour Bigger than Life). On v a m êm e jusqu'à la isser libres d e faire
ce qu'ils veu len t d e s m etteurs e n sc èn e particulièrement m éritants (Sam uel Fuller pour iîun of the
Arrow) qui rejoignent a in si, d a n s la liberté, le s v ieilles glo ires au x q u elles, il faut le reconnaître,
on a toujours fichu l a p aix. Tout c e la aurait p a ss é , il y a b ien p eu d e tem ps, pour le com ble d e
l'imprudence. Pour remonter la B.K.O., sa b o té e p ar H ow ard H u gu es, Bill Dozier em p loie sy s té
m atiquem ent d e s jeu n es : u n e d e s e s productions, The Young S tta n g e r n'a fait a p p e l qu 'à d es
moins d e 30 an s ! C e ne se ra peut-être p a s un bon film, m ais ce se r a certainem ent un film
jeu ne ! *
Pourtant, je l'ai d éjà dit, à H ollyw ood, les révolutions sont len tes, à l'endroit ou à l'envers. '
On n 'o se p a s en core e n revenir à l a p ériod e b én ie où le s auteurs d e lilms n a g ea ien t en p lein e
liberté. O n leur donne encore u ne b o u ée pour s'ébattre d a n s la piscine.
27
A Kiss Before Dying de Gerd Oswald
devenir son propre producteur. Frankenheïnier est l'auteur d e The Young S iran ger et S tan ley
Kubrick, a p rès The Killing, fait partie d e la n ou velle écu rie M.G.M.
Mais, p a rallèlem en t à cette r e lè v e d e s metteurs en scèn e, il existe u n e r e lè v e d e s produc
teurs, dont le s co n séq u en ces sont plus in téressan tes, dans la m esure où e lle in d iq u e d a v a n ta g e
un ch an gem en t d'orientation. C es nou veau x Thalberg sont pour la plupart d u tem p s d e s m oins
d e cinquante a n s (ce qui est très jeu ne à H ollywood) ven u s d e différentes b ra n ch es d e l'industrie
ciném atographique ou d e la télévision, et repérés pour leur se n s d e s affa ires. C e qui est impor
tant, c'est q u e tous sont d es intellectuels. On trouve d es monteurs (D avid W eisbart), d e s sc é n a
ristes (Richard Breen, W olter Reisch, Philip Dunne), d e s directeurs d e production (David Lewis),
d e s frères d e producteurs (Henry Ber mon), d e s p a ra sites intelligents (E u gen e Frenke) et d es
hom m es d e théâtre et de télévision (Herbie Sw ope). C es gen s-là sont toujours l'œ il d es potentats
sur le p lateau, m a is u n œ il le plus sou ven t b o n a sse et com préhensif. Ils font — ch a q u e fois qu'ils
le p euvent — a p p e l à de jeu nes scén aristes et d e jeu n es metteurs en sc èn e. Parfois, a v e c timi
dité bien sûr, ils prennent le parti d e l'artiste et roulent le studio. C'est a in si q u e W eisbart, par
exem p le, aplanit d s nom breuses difficultés d e censure militaire pour son B efw een ffe a v e n an d
H ell-, réalisé par Dick Fleischer, et réussit à faire produire, par la Fox (!), u n film antimilitariste.
Ces hom m es sym p ath iq u es sont d'ailleurs u ne étap e, u n sta d e transitoire, et n e l'ignorent
pùs. Certains d'entre eu x s e lanceront bientôt d a n s la m ise en sc è n e (Sw ope, p a r exem ple),
d'autres som breront, h é la s [ d a n s la b rigad e d es enquiquineurs (ici, p a s d e nom), d'autres,
espérons-le, s'em pareront p eu à p eu du contrôle d es studios et y feront rég n er u n e salu taire
anarchie. O u b ien ils deviendront producteurs indépendants. Pour u n e part, le su c c è s d e la
révolution am orcée d ép en d d'eux : au prem ier abord, ils p a ra issen t s'e n rendre com pte.
4) Indépendance, où es=tu ? •
28
neront ou feront tourner le s film s corüme ils l'entendent, au frais d u studio qui s e contentera d'un
droit de regard sur le s scén arios en éch a n g e d e s e s b illets d e b a n q u e et d e so n organisation de
production (décors, m atériel, techniciens sou s contrat) et d e publicité. On p arta g era l e s b én éfices.
Cette n o u v elle com b ine est actuellem ent en vigueur à l a W arner, à la Fox et, d a n s u n e moindre
m esure, à l a M.G.M. (toujours un p eu en retard, d a n s l e s c a s d e c e genre). L a R.X.O. y apporte
u n e variante (contrôle « écla iré » du studio}. La Paramount reste sur s e s a n cien n es positions.
Il n e faut qu an d m êm e p a s trop s e faire d'illusion sur l'in dépend an ce q u e p eu v en t avoir le s
auteurs d a n s le ca d re d e ce s « productions in d ép en d a n tes », qu an d ils n'en sont p a s le s patrons.
Bien souvent, c e sont le s acteurs qui le s forment, ce s sociétés, d a n s le but b ien naturel d e
sa u v eg a rd er leur p restig e m en a cé, et nul n'est moins com préhensif qu'un acteur-producteur. Il
y a b ien d e s d éco n v en u es chez ceux qui croyaient pouvoir enfin travailler tranquilles, et b ien
d e s com prom issions. Il est p resq u e moins a g r é a b le d e travailler pour Hecht et Lancaster q u e
pour un v ieu x renard com m e Sam uel G oldw yn. Et j e su is b ien p ersu a d é q u e Robert R o ssen est
m oins libre sur * l a prem ière production in d ép en dan te » d e Zanuck, Isla n d in ïhe Sun qu'il ne
l'était a u tem ps d e la com b ine Enterprise-Siudios à la M.G.M.
La v ra ie liberté, on l a trouve néanmoins, chez l e s « petits in d ép en dan ts », com m e Sidney
Harmon et s e s Security-Pictures. Harmon est un hom m e d 'une excep tion n elle in telligen ce, qui a
com pris q ue la m eilleure ch o se à faire, qu an d on était indépendant, c'était encore d e faire
p reu ve d 'in dépend an ce. Son Man C r a zy a é té littéralem ent b oycotté p ar la Fox, qui s'étcdt
ch a r g é e d e le distribuer. D ep u is cette époque (1953), Harmon s'est a sso cié a v e c Philip Yordan et
A nthony M ann e t * (Security-Pictures » a produit u n très in téressan t Wiicf P a rty. m is en scèn e
p ar H arry Horner, le prem ier film * libre » d e M ann Men in W ar, et projette u n e adaptation du
Petit A z p e n t du Bon D ieu pour 1957.
Le drame d e toute cette histoire’ est q ue pour le sp ectateu r non averti, tous c e s film s, libre
ment réa lisés ou * tra v a illés » par des m archands d e so u p e « in d ép en dan ts », sortiront sur les
écrans pêle-m êle et feront douter de l'excellen ce d e la n o u v elle organisation, la m eilleure, pour
tant, q u e H o llyw ood ait con n u e depuis longtem ps. D 'autant m eilleu re q u 'elle est, je le répète
parce q ue je le sou h aite, transitoire.
D éjà, d es auteurs d e talent, comme Kazan, Hitchcock, Huston, M ankiew icz ont définitivem ent
se co u é le joug et en sont arrivés au sta d e d e la com plète liberté ; m ieux encore, un jeune
com m e Robert Aldrich, g r â c e a u su ccès d e son Affacfc v a bientôt pouvoir travailler se lo n son
29
cœ ur, et lancer d e n ou v ea u x metteurs en sc èn e dont aucun n e se ra su sp ect d e d evoir som brer
a plus ou moins lo n g u e é ch éa n ce d a n s la confection pour gran d m a g asin .' Bien entendu, on lui
lire dans le s pattes : il n'a p a s p u terminer, à l a Columbia, so n Garm enf C enfer, ca r feu H arry
_ Cohn, le grand patron, le fit rem placer en cours d e tournage par c e b ên et d e V incent Sherm an.
C'est là un g e s te d ign e d e M ayer !
5) Résumé et Elégie
6) Anecdotes et vœux
N e so y o n s pourtant p a s trop p essim istes : H ollyw ood, g râ ce à la télév isio n , v a m ieux qu'il
n'allait au x tem ps p a s s i lointains d e s histoires bibliques. D es g e n s sa in s, d u sa n g n eu f y trou
vent peu à p eu l e m o y en d e s'exprimer. J'aimerais pourtant sig n aler un fait tout à fait sig n ifi
catif d e c e qui m an q u e à l'industrie ciném atographique am éricain e pour être c e q u 'elle doit
être et q u 'elle se r a d a n s q u elq u es an n ées. C e n'est p a s d e m a fa u te s'il a pour héros W illiam
W yler, contre leq u el je n'ai rien de particulier, sinon c e qui suit : '
L a jeu n e S u sa n SJrasberg, ex cellen te actrice et fille d e so n p ère, a s ig n é un co n trat a v e c
R.K.O. (qui fait pourtant, sou s l'impulsion d e Bill Dozier, d es efforts m éritoires pour sortir d e
l'ornière) stipulant q u e s e u ls : W yler, S teven s, Logan, M ankïew icz, K azan, H itchcock, W ilder
et Sidney Lumel auront le droit d e la diriger (Lumet n'est d a n s cette liste q u e p a rce qu'il doit,
im posé p ar Henry Fonda, diriger S fa g e Sirucfc, le prochain film d e.M iss Strasberg). J'ai b e a u co u p
de resp ect pour M iss S trasberg et son illustre p ère, m ais cette limitation est tout b onnem ent
scan d a leu se. E lle d ev ien t tragique d a n s la su ite d e l'histoire : Le Journal d'A n n e Frank, su c c è s
de librairie et triomphe d e B ro ad w a y, est l e point d e m ire d es producteurs ; un m etteur en
scèn e à qui c e sujet tient à cœ ur. Fritz Long, tient c e projet en réserv e d ep u is q u elq u e tem ps.
Il y a p eu d e ch a n ce qu'il le tourne jam ais : Buddy Adler, Chef d e la Production d e l a Fox,
vient, d e h a u te lutte, d'en acquérir les droits et a d em andé à S u sa n S trasb erg d 'en tenir le rôle
principal qui lui valu t u n triomphe à la sc èn e. W illiam W yler, qui est sur la liste ro se d e la
jeu ne ved ette, a été pressen ti pour en assurer la m ise en sc èn e. Ce film revient d e c œ u r à
Fritz Lang, m ais W y ler n e s e retirera p a s, j'en mettrais m a m ain a u feu. Et entre le s d eu x,
H ollyw ood ne b a la n c e p a s encore. "
Je sou h aite qu'il b a la n c e un jour. ■
C h arles EITEL.
(Traduit de l'a n g la is p a r C h a r le s Bilsch.)
30
« Cela est grandiose pour vous et moi. Manny, m ais est-ce que
Vhomme de la rue comprendra ? »
Dessin de Michael B&rry dans ESQUIRE.
C o n c e r t o b a r o q u e , b a lle t s a n s a r g u m e n t d e G e o r g e B a la n c liin e , d ’a p r è s le C o n c e r t o p o u r
d e u x v i o l o n s d e B a c h , le c h e f d ’œ u v r e , a v e c 4 T e m p é r a m e n t s (d ’a p r è s H in d e m it h ), d u
sty le a b s t r a it p ro p re à B a la n c h in e .
GEORGE
BALANCHÏNE
et le b a l l e t
cinématographique .
UELQUES spectateurs ont peut-être encore en mémoire c e s som p tu eu ses ex trava ga n ces en
Q technicolor q u e nous offraient, à l a v e ille d e l a dernière guerre, d e s producteurs à l'ima
gination e n délire, sortes d e rev u es d e music-hall où l'intrigue la plus ténue servait à
introduire d e s attractions co tées : orchestres célèbres, chanteurs d'O péra ou d'opérette, m usi
ciens d e jazz, Charlie MacCarthy, etc. D eu x titres s'imposent au souvenir. V o g u e s 38, d e W alter
W anger, m ais surtout G o ld w y n Follies, produit l a m êm e a n n ée par Sam G o ld w y n et réa lisé par
G eorge M arshall. ‘ -
M algré l a p résen ce d e Ben Hecht a u gén érique, ce ülm aurait depuis longtem ps som bré
dans l'oubli sa n s la m usique d e G eorge G ershwin, probablem ent l a p lu s b e lle qu'il ait écrite
pour l'écran a v e c celle d e D em oiselle en D étresse (il faudra dire u n jour q u e G ershw in fut le
plus grand musicien, d e ciném a a v e c notre Maurice Jaubert !), et deux b allets de G eorge Balan-
chine. Le premier, intitulé * Roméo et Juliette » {rien à voir a v e c Piakoüev), opp osait n erv eu
sement, en un contrepoint d a n sé caractéristique de l'art d e Balanchïne, d es C apulets épris de
d an se cla ssiq u e et d es Montcngus fan atiq u es d e jazz, l e s C apulets ven an t pirouetter a v e c indi
gnation autour d e s M ontaigus e n proie a u iap-dance. Le second, connu so u s le nom d e
« Ballet d es N a ïa d e s », s e p a ssa it pour ain si dire d'anecdote, n'était q u e m ouvem ent pur, sy m
p honie unique en son g en re, je crois, de lignes? d e couleurs, d e so n s et d e d a n se :• V era
Zorîna, alo rs Mme B alanchïne, jaillie d e l'on d e dans un décor p â le, évan escen t, parmi d e s
statues d e m arbre b la n c et d e s v oiles d e g a z e b leu e, sem b lait exprimer l a b ea u té im m até
rielle hors du tem ps et d e l'esp ace.
La chorégrap h ie d e Balanchïne cin éa ste, c'était l'antithèse du clinquant h ollyw ood ien ,
com me au ssi b ien du pom piérism e distingué gen re Les Ch au sson s R ou ges, c e m onum ent d e
m auvais goût, c e contresens ab solu du b a llet film é (ainsi que m e le confirmera Baîanchine
33
lui-même). A ussi, q u elq u e ch o se d e b ien différent d e c e q u e font actu ellem ent u n G en e K elly, un
M ichael Kidd ou un Robert F osse, pour citer le s m eilleurs d e s ch orégra p h es d'H ollyw ood ‘(rap
p elo n s leurs filins le s p lu s réussis, respectivem ent : Un jour à JVew-YorJc, Tous en S cèn e, M y
Sisfer Eileen). Balanchine, an cien é lè v e du Ballet Impérial d e M oscou, puis protégé d e D ia gh ilev,
refu se tout compromis a v e c le music-hall, ne veu t connaître q u e la d a n se la plus strictement
cla ssiq u e, qu'il mettra pourtant volontiers au serv ice d e thèm es m odernes, voire popu laires.
Le tap-dance d es M ontaigus dans le b allet de * Roméo et Juliette » n'était en réalité qu'une
transposition très orthodoxe, a v e c pointes et entrechats, du véritab le tap-d an ce jazzeux.
De m êm e dans le b a llet * W estern Sym phony », récem m ent p résenté à I'Opéra, orchestration
d e thèm es folkloriques am éricains, Balanchine recrée d a n s le la n g a g e l e p lu s cla ssiq u e,
l e plus dép ou illé, le p lu s abstrait, u n cocktail d e p a s et d e m ouvem ents fixés u n e fois pour
toutes, semble-t-il, par la tradition. Une com paraison serait particulièrement fructueuse entre
c e ballet d e sc èn e et celui, vo isin d'inspiration, conçu par M ichael Kidd pour l e film Les Sept
Fem m es d e Barberou sse (la d a n se d es fiancées et d e leu rs prétendants d an s l a clairière).
M êm e e n tenant com pte du fait qu'il s'agit d'une part d e ciném a, d e l'autre d e théâtre, e lle
illustrerait l a caractéristique essen tielle d e l'art d e B alanchine, l'abstraction, par opposition à
la familiarité de celui d e M ichael Kidd. Balanchine crée d a n s l'abstrait, refuse l'an ecd ote et le
m im e, c o m p o se m e s u r e pa r m esure, p r e s q u e n ote p a r note, j'allais dire p la n p a r plan.
L'art d'un chorégraphe a u ssi ex ig ean t évo q u e irrésistiblement celu i du cin éaste, la tenta
tion du cin ém a n'est nullem ent u n h asard pour G eorge Balanchine. Il m e l'exp liq ue très
clairem ent, d a n s le s co u lisses d e l'Opéraj entre deux b a llets : « Je ne suis p a s l'hom m e d'u n e
se u le sp écialité, le cin ém a m e passion n e. M alh eu reu sem en t, p erso n n e n e veu f faire l'effort
financier n écessa ire pour m e perm ettre d e trav ailler à l'écran. Les producteurs n e s'intéressent
qu'aux opérettes film ées et à leurs su ccéd anés. » Et la conception d e la d a n se telle q u e l'expri
mait B alanchine d a n s DANCE-INDEX (février-mars 1945) confirme u ne parenté a ss e z év id en ts
a v e c l'art du m ontage ciném atographique : < La d a n se esf m ouvem ent continuel, ch a q u e fr a g
ment d e b allet p a ss e devant- J'ceii du spectateur l'e sp a c e d'un instant. Peut-être l'œ il n e
voit-il p a s Je m ouvem ent, seulem en t d es positions m o m en tan ées, comme le s im a g e s iso lé e s
d a n s un film d e cinéma, m ais ia mémoire relie ch a q u e n ou velle im a ge à l a précéd en te, de
m êm e qu'un b a lle t est créé p a r le rapport d e ch a q u e position, de ch aq u e m ouvem enf, a v e c
ceu x qui le précèdent et Je suivent. » 1
G eorg e Balanchine, établi en Amérique d ep u is 1934, vint à H ollyw ood sur l'invitation d e
son ami G eorge G ershwin, qui devait mourir prématurément, à l'â g e de 39 an s, a u cours
du tournage d e G oldw yn Foih'es. Il am enait a v e c lui s a com p agnie, alors nom m ée l'A m erican
Theatêr, et s a fem m e V era Zorina, a v e c qui il av ait constam m ent travaillé d ep u is son départ
d e R u ssie p eu après 1920. S'il av ait p u écrire l e s ch a n so n s du film, G ershw in n'eut p a s le
temps d'achever, l a partition d e s deux ballets. B alanchine a v a it so n g é un moment à monter
< U n Am éricain à Paris », m ais la mort d e G ershwin arrêta n et le projet, d'autant q u e G o ld w y n
craignait d e dérouter le public. Finalem ent, a v e c la collaboration du m usicien Veraon Duke,
Balanchine lit un m ontage d e thèm es m usicaux retrouvés d a n s l e s papiers du com positeur d e
* R hapsody in b lu e ».
Il m e p récise selon q u els principes il travailla : * En étroite collaboration a v e c l'opérateur
G regg Toland, je n'ai tourné qu'une prise d e v u e s par fragm ent cTe b a llet, et toujours a v e c une
s e u le cam éra . J’a v a is é ta b li moi-même un shooting script très minutieux, don t j e n e m e su is
p a s écarté une se u le se con d e; av an t m êm e l e fournage tout mon m on ta g e était d é jà fixé d a n s
m a fête. En fait, je n'ai p a s eu à rejeter un se u l m ètre d e p ellicu le im pressionnée d a n s m on
m ontage final. » Je d em and e à G eorge Balanchine d e m e confirmer si Christian Bérard a e ffe c
tivem ent collaboré aux d écors et pourquoi il a a ccep té d e s décors, lui aujourd'hui épris d e
lign es n ues, com me Jean V ilar a u P a la is de Chaillot : « Won, Bérard n'a rien eu à faire a v e c
le film, contrairement à c e qu'on a pu écrire. Si j'ai a c c e p té d e s décors, c'est p arce qu'il e s t
difficile à H o lly w o o d d e refuser c e p re stig e s u p p lé m e n ta ir e . M ais j e se ra is ra v i un jour d e
filmer la scèn e nue. » G o ld w yn Follies reste la s e u le exp érien ce ciném atographique q u e B a la n
chine recon n aisse entièrem ent : il est d'ailleurs d om m a ge q u e ce3 d eu x b a llets, v éritab les mor
cea u x d'anthologie, soient aujourd'hui difficilement a c c e s sib le s . Ils sont à coup sûr d e s tém oi
g n a g e s a u ssi authentiques de l'art d e leur auteur q u e s e s p lu s récentes créations sur la sc è n e
du City Center à New-York.
En 1939 Balanchine d ev ait à n o u veau diriger V era Zorina d a n s d eu x b a llets du film
Sur l e s Pointes, d'après un sp ec ta cle à su ccès d e B ro ad w a y. On retiendra surtout l a ch orégra
p h ie du rem arquable < Meurtre sur la 10e A v en u e », où sur u n e m usique lancinante, m ais tou
jours en termes de chorégraphie classiq u e, il portait d 'em b lée à s a perfection un gen re, mi-
parodique, mi-pathétique, dont M ichael Kidd s'est visib lem en t inspiré, il y a trois ans, d a n s la
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sé q u e n c e d a n s é e « Meurtre sur un Rythme d e Jazz », d e Tous en S cèn e. En 1940, dans le
rem ake am éricain du film français ] e su is une Aventurière, ég alem en t a v e c Vera Zorina,
B alanchine s'e ssa y a it pour l a prem ière lois à porter à l'écran u n b a llet classique, a v e c d es
extraits d u * Lac d e s C y g n es ». .
< II e s t po ssib le, m e dit Balanchine, d e franspo.se r n'importe q u e l b a lle t, cla ssiq u e ou
m oderne/ à i'écran, à condition d e l e reconcevoir entièrem ent en term e s d e ciném a, c'est-à-dire
en ten an t co m p te d e la différence fondam entale d'optique entre la sc èn e et l'écran. A u théâtre,
c h a q u e sp ectateu r a une vision différente du s p e c ta c le ; au cin ém a chacun voit la m êm e chose,
exactem en t so u s l e m ê m e a n g le . /'aim era/s b eau co u p travailler a v e c d e s n ou vea u x procédés
d'écran très la rg e, C in ém ascope ou, mieux, Je n o u veau Cin éram a, tout d'une p ièce. » (Il s'agit
du p rocédé Todd AO, a v e c leq u el on vient d© tourner O tla h o m a , et qui supprim e le s franges
d'interférence, si g ên an tes d an s le Cinérama, tout en conservant l'am pleur d e champ).
G eorge Balanchine adorerait utiliser à l'écran s a co m p a gn ie, le NEW YORK CITY BALLET,
cet unique instrument auq u el on n e peut g u ère op poser, pour la cohésion d 'ensem ble et la
p erfection d e détail, q u e le s b a llets soviétiques. A y an t à p ein e d é p a s s é la cinquantaine, dan s
toute s a forcé créatrice, Balanchine d ése sp ère d e pouvoir jam ais retravailler pour le cinéma.
I II faut trop d ’argent, m e répète-t-il. Qui veu f encore d'un véritable b a iief d e ciném a ! ».
II ne lui déplairait p a s d e tourner en France, si l'occasion s'en présentait. M ais il est évident
qu'il n.'acceptera jam a is l e m oindre compromis s u i l'e ss e n c e d e so n art. P a s d'historiette, p a s
de fanfreluches, la d a n se seule, n ue, ab solu e. U n e dernière question m e vient à l'esprit,
su scitée par la rigueur intraitable d e Balanchine, ch orégraphe, si proche d e celle d'un Dreyer
ou d'un Eisenstein au ciném a : * A im eriez-vou s diriger un g r a n d film ? — Won, seulem ent
d es b a llets film és », me répond mon interlocuteur. Et l'on so n g e sou d ain q ue seul un G eorge
Balanchine pourrait nous donner q u elq ue Invitation à l a D a n se qui serait, à la fois, du grand
ciném a et d e la d a n se tout court. Car Balanchine, c'est, si l'on veut, l e Robert Bresson du
b a llet film é, com paré a u x Jacques Becber du film d e music-hall, G ene K elly et Bob F osse. C'est
l a solitude com plète, u ne certaine séch eresse, m ais a u ssi u n e incontestable grandeur.
- Louis MARCORELLES.
35
A PROPOS DE LA REPONSE PETITE HISTOIRE
37
L ’im m en se salle était co m b le et le publie trophe dont le genre n ’a rien d ’original m ais
ne paraissait pas présenter a priori d e carac où l ’auteur tém o ig n e d an s il’in ven tion des
térisation socia le particulière. Ce n ’était pas gags d ’u n e verve très attachante! m a is on
en tous cas l'a m b ian ce d e snobism e bour souhaiterait sim p lem en t à ce garçort d ’avoir
geois q ue j’avais pu trouver en 1954 à Cannes sa chance dans le court m étrage p ro fession
(Cf. m on article dans les Cahiers du Ciném a nel. 11 va d e soi en effe t q u e le talent in d i
n°. 40). viduel peut s e révéler par le tru ch em en t de
Or le résultat d e cette expérience n'est l’am ateurism e et c ’est tant m ieu x m a is c ’est
m alheureu sem en t pas pour m e faire réviser alors u n iqu em en t l ’occasio n fournie qui est
m es positions p essim istes sur le b én éfice en cause non le sy stèm e en tant q u e tel.
>roprement artistique d e l ’am ateurisme (pour Car en revanche on n e p eu t q u e souhaiter
fe b én éfice social ou psychologique c’est autre d e la plupart d e s film s q u i n o u s so n t pré
chose, m ais il entre dans u n e sociologie d es sentés co m m e la crèm e d e l ’am ateurism e
loisirs com m e le bridge ou la p êch e à la li q u ’ils n e d éteig n en t p as sur le cin ém a p ro
gne). Sept film s nous ont été présentés dont fessionnel. Je n e v eu x plus m en tio n n er d e
je ferai trois parts. nom et de titre par charité critique, je dirai
seulem en t que ce q u e j’ai v u en d eh ors des
La prem ière c o m p ren d ra Jes d eu x d ocu
trois film s p récéd em m en t cités était pour
m entaires d u p rogram m e : Totos et Toreros u ne raison ou pour u n e autre ab solu m en t
d e M. le Docteur R atel de R oubaix et La navrant.
m on ta g n e aux m é téo res d e M . H . Bissirieix
de Poitiers, U n m ythe en tout cas n e résiste p a s a
l ’épreuve, c ’est celu i d e s avan tages esthéti-
Toros ef Toreros est un reportage did ac u es que constituerait la p réten d ue liberté
tique sur la course d e taureaux absolum ent u cinéaste amateur. Car cette liberté est
sensationnel et qui non seulem en t soutient illusoire. O n reproche au cin ém a industriel
la com paraison avec tout ce qui a été fait d ’être esclave du com m erce, c ’est-à-dire d ’être
dans le genre en 35 mrn (y compris le Toros fait p o u r le public. Il y a pire et c’est le ci
d e Carlos V e lo ) m ais le surclasse m êm e par ném a fait pa r le public ! B erth om ieu ou
fois par la valeur dém onstrative d u d o cu Laviron travaillent pour le goût du petit
m en t. Q uant à L à m o n ta g n e aux m étéores bourgeois français m o y e n . M ais Bresson ne
c'est u n extraordinaire reportage sur certains travaille q u e pour lui et lorsqu e B ecker ou
couvents orthodoxes situ és paradoxalem ent au C lém ent ou Clouzot fo n t un film ils so u h a i
som m et d 'in accessib les pitons rocheux dans tent le succès b ien sûr m a is en espérant o b li
u ne région d éso lé e à la frontière d e l'Epire. ger le public à les su ivre en d eh o rs d e s s e n
Là aussi, pour d e toutes autres raisons, le tiers battus. Outre que la plupart d es « au
docum ent est p rod igieu x , il le serait davan d aces » d es cin éastes am ateurs sont celles
tage encore si M. Bissirieix s ’effacait m ieu x auxquelles le ciném a com m ercial a h eu reu
parfois devan t son sujet. Q u oi qu il en soit sem ent renoncé d ep u is lo n g te m p s, elle s ne
ce sont là d eu x docum entaires d e reportage traduisent encore le plus sou v en t q u e les
c o m m è on n ’en voit pratiquem ent pas dans petits délires d e M. P rud h o m m e après le su r
le com m erce. Ils constituent avec les extra réalism e. .
ordinaires H o m m e s d e la baleine d e Mario
R uspoli ce q ue j’ai vu d ep u is bien d es m ois Je n'irai pas jusqu’à dire q u e le cin ém a
d e plus étonnant d a n s le docum entaire pur. professionnel est un art parce q u ’il est u n e
industrie m ais le p lu s gros h an d ica p du ci
M ais qui contestera q u ’en ce dom ain e ném a d ’amateur c est en tout cas la liberté.
l’am ateurism e soit roi, surtout si on lu i an n exe ' A .B .
Je reportage d ’exploration en 16 m m . On
pourrait m êm e rêver d 'u n e ciném athèque
id éale où viendraient s ’accumuler tous les
trésors m éco n n u s d u tém oign ag e cin ém ato P ET IT COURRJER DES LECTEURS
graphique d'amateur.
Mlle B . B . ( B r i g i t t e B o u s s a c ) : « Je suis
R este celu i p lu s d écisif du ciném a d e tout à /a it d e v o tre a ois : an a b o n n é Vaxxt
création, c ’est-à-dire d u film à scénario ou cin q lecteurs. »
d es fantaisies ap p aren tées au film d ’anim a M . Vrc K a sseR IE N : « Certes, n otts d é p lo
tion. C’est ici que l'am b ition est la plus gran rons com m e üous cet é ta t d e ch oses, m ais
d e et par v oie d e con séq u en ce la plus d éce croyez-m oi, MUe C la u d e G arson n ’e s t p a s la
vante. U n fait d om in e et s ’im pose à l’atten p re m iè re — ni la d ern ière — à écrire q u e
tion critique : l ’éton nan te qualité technique /iim e s D ea n était si b ien d a n s Blackboard
d e cette production. Q u alité non seu lem en t Jungle. Q u a n t au chroniqueur d e DETECTIVE,
photographique m ais de décou p age, d e cons un sim p le cou p d e filatu re à n os b u rea u x lui
truction dram atique , voire d ’interprétation. ré vélerait q u e E ric P o m m e r n ’est p a s o le
Ces am ateurs feraient d e très acceptables grand réalisateur d e l ’in o u b liab le Ange
p rofessionnels. L e m alheur est q ue je vois B leu a.
m al ce q u ’ils apporteraient je ne dis pas
m êm e de neuf, m a is d e non rétrograde. M lle B ab Y F o o t : a T o u t à fait d e votre
Certes il y a d ’h eu reu ses exceptions, celle attis : u n a b o n n é v a u t b ien s e p t o u h u it lec
d e Ballon Vole par ex em p le dû, m ’a-t-on dit, teurs. a
à u n jeu n e ouvrier typographe dont je n ’ai JEAN QuÉV AL : a V o u s n ’a v e z p a s lieu d 'ê tre
pas n oté le nom,. C ’est u n e fantaisie bur aussi sé v è re p o u r v o u s-m ê m e . A u f o n d , en
lesque sur le principe d e la poursuite catas écrivant q u 'A m ère V icto ire é ta it term in é, vous
38
L’E ventail d e Lady W i n d e r m e r e , d e Ernst L u b its ch
39
FeüILLADE. — C'est toujours avec ^rand plai
sir q u e nous revoyon s ces chefs-d œ u vre du
film à ép iso d es q u e sont les trois grandes
séries réa lisées par F eu illad e : Fantôm as, L e s
V a m p ir e s et f u d e x . « L e Maître d e l’Effroi i),
u i hantait n agu ère l’im agination d es foules
3 éjà év e illé e par les très réels exploits d e
la « b an d e à Bonnot » est d even u e u n e figure
fam ilière d e la m y th o lo g ie propre au ciném a.
P lu s m ê m e : le prototype d e tout u n en se m
b le d e héros qui v ien n en t p ériodiquem ent
régénérer le m y th e d e P rom éth ée.
ALFRED
40
Les dix meilleurs films de Vannée
LE CHOIX DES LECTEURS
A v e c la 151° réponse qui nous est parvenue, nous avons clos le référendum des lecteurs
sur les 10 m eilleurs films de l ’ann ée. ■
L e ch o ix là aussi se m b le avoir été cruel : bon n om bre d e nos correspondants ont fait
suivre leur liste d ’u n e dizaine d e titres q u ’ils regrettaient d e n e pouvoir y faire figurer ; plus
encore on t classé N u it e t Brouillard « hors concours », usant ainsi d'un. h a b ile stratagèm e
pour établir u ne liste d e o n ze titres.
P lusieurs votants d u m ois dernier ayant agi d e m ê m e , nous avons donc d écid é d e classer
d éfinitivem ent
Nu<t e t B rouillard « h o r s c o n c o u r s »
et de ne le mettre ni dans la iLlSTE DES CAHIERS {où — en dépit d e ces élo g ieu se s abstentions —
il se serait tout d e m êm e trouvé à la huitièm e place), ni dans la LISTE DES LECTEURS.
Pour établir ces d e u x Ustes-types, n ou s avons ch o isi d e donner 10 p oin ts au film cité en
remier, 9 au secon d , 8 au troisièm e et ainsi d e suite. N ou s avons ég a lem en t d écid é d e pro-
S ►nger les listes jusqu'au q u inzièm e titre pour donner un plus large éven tail d ès opinions
exprim ées :
1. Un c o n d a m n é à m o r t s ' e s t é c h a p p é 1. Un c o n d a m n é à m o r t s ’e s t é c h a p p é
2. Elena e t les h o m m e s 2 . La f u r e u r d e vivre
3 . La f u r e u r d e vivre 3. Sen so
4 . Dossier s e c r e t • 4 . Sourires d ’u n e n u i t d ’é t é
S. Senso 5. Picnic
6. S ou rires d ’u n e n u i t d ’é t é 6. Dossier s e c r e t *
7. M Bidone 7. Elena e t les h o m m e s '
8. L ’A m o r e 8. M a is... q ui a t u é H a r r y 6?
9. Picnic 9. Il Bidone
1 0. La P e u r 1 0. Bus Sto p
1 1. e x - a e q u o La c i n q u i è m e v ictim e 1 1. L’A m o r e
Be au fixe s u r N e w Y ork 1 2. A t t a q u e .
1 3. ex -a eq u o Bus S to p 1 3. La P e u r
L’h o m m e q u i e n s a v a it tr o p 1 4. La T r a v e r s é e d e Par is
4La T r a v e r s é e d e Paris 1 5. Et Dieu... créa la f e m m e
41
LIS FIH1S
42
sous le ciel des Caraïbes, on voit très s’apercevoir qu’elles lui manquent ter
mal en revanche ce que le metteur en riblement, Sans doute, m ais encore
scène d’A l’ombre des potences donne n’est-ce pas si certain, car j’aime à
rait dans quelque activité que ce soit, croire, d'autre part, Nicholas Ray assez
autre que cinématographique. Un Lo- honnête pour accepter dorénavant de
gan, par exemple, ou un Tashlin, peu ne s’intéresser qu’à ce qui l’intéresse,
vent réussir dans le théâtre ou le mu ce qui était ici le cas, Ardente G itane
sic-hall, un Preminger dans le roman, lui permettant d’aborder nettem ent un
un Brooks dans l’enseignem ent pri problème qui, si l’on en croit ses dires,
maire, un Fuller dans la politique, un lui est cher, celui d’une minorité
Cukor dans la publicité, m ais pas un ethnique, de peindre la race à travers
Nicholas Ray. La plupart des cinéastes, l’individu, ce qui est aller dans la voie
si le cinéma n ’existait soudain plus, ne ouverte par Rossellini, tout e n , creu
seraient point désemparés pour au sant la sienne propre.
tant. Nicholas Ray, oui. Après la pro
jection de Johny Guitare ou de La Chaque plan de ce film (légèrement
Fureur de vivre, impossible de ne pas en plongée depuis qu’il tourne en ci
se dire : voilà qui n ’existe que par le némascope) prouve d’ailleurs que son
cinéma, voilà qui serait nul dans un m etteur en scène ne s’en est pas
roman, sur la scène, partout ailleurs, complètement désintéressé et que ce
mais qui sur récran devient fan tasti n’est pas Raoul Walsh qui le fit à sa
quement beau. Cinéaste, Nicholas Ray place, comme aurait pu le faire croire
l’est d’abord moralement. Et ceci ex le personnage de Jane Russel, en tout
plique cela, à savoir qu’en dépit d’un point semblable par les mimiques à
talent inné et d’une bonne foi évi celui de Mamie Stover dans Bungalow
dente, un scénario qu’il ne prendra pour femmes. L’intrigue elle-même,
pas au sérieux restera superficiel. bien que m al traitée, porte bien l’es
Tel en effet apparaît à première vue tampille Ray, et le personnage de
Ardente Gitane, tourné bien à la lé Cornel Wilde est fort proche de ceux
gère pourtant car l'argument, au joués par Sterling Hayden, Arthur
départ, ne m anquait point de beauté, Kennedy, James Cagney, dans les pré
pris à la lettre, c’est celui des Indom p cédents film s de notre cinéaste. Tou
tables à l’envers ou si l’on veut celui jours, dans un film de Nicholas Ray»
de La Croisée des destins de Cukor : le personnage principal retourne à ce
las de l’aventure, un être retourne qu’il avait autrefois délaissé ou m é
dans le clan auquel il appartient. Ceux prisé. Il ne s’agit pas pour lui de
qui, avec moi, considèrent « Le Serpent conquérir, mais, plus difficile, de re
à plumes » de D.H. Lawrence comme* conquérir une position perdue par
le plus important roman du vingtième gaminerie, veulerie ou dégoût.
siècle, ceux-là ne s’étonneront pas si
je dis que Nicholas Ray tenait là, s’il Il est donc normal de regretter que
l’avait voulu, un sujet d’une résonance Nicholas Ray n ’ait pas cru devoir cer
plus moderne encore que ceux qu’il ner avec plus de mordant une situa
affectionne. Il semble bien cependant tion et des caractères qui eussent ainsi
qu'il ne vit pas Ardente G itane de cet fait d'Ardente Gitane une œuvre moins
oeil et ne l’envisagea, au contraire, anodine. Louons toutefois sans réserve
que comme un délassement entre deux l’emploi délibéré et systématique des
productions à priori plus ambitieuses. couleurs les plus criardes que l ’on
Faut-il lui en faire grief ? Renoir puisse voir au cinéma : chem ises
vient de nous apprendre dans Elena orange sucre d’orge, robes vert acide,
que la paresse est chose fort sérieuse, automobiles violettes, tapis bleus et
et même s’il voulait paresser en s’am u roses, le tout n ’est pas sans rappeler
sant, ou vice-versa, je reprocherai le Van Dongen de la bonne époque et
donc à Nicholas Ray d’avoir à cette fait une fois pour toutes justice de
occasion pris la drôlerie trop à. la ceux qui croient encore que le cinéma
blague. en couleurs s’accommode plus des tons
doux que des violents. Pour une rai
Mais quoi, dira-t-on, travail de com son purement technique d’ailleurs, la
mande, et pas davantage, que ce film profondeur de champ en cinémascope
chez les gitans où l’on voit Cornel (qui ne peut se permettre d’utiliser un
Wilde forcé d'épouser Jane Russell, en objectif d’une focale plus courte que
même temps, qu’elle quitter la tribu 50 mm.) s’obtient grâce, à l’accentua
dont il est le dauphin, et finalem ent tion des contrastes (cf. les films pho
43
tographiés par Joe MacDonald èt John quasi automatique donc, mais moins
Alton). naïvem ent que par l’écriture chère
Bref, Ardente Gitane est un film à aux anciens surréalistes. Tout le ci
demi réussi dans la mesure où Nicho- néma, rien que le cinéma, disais-je de
las Ray s’en est à demi désintéressé. Nicholas Ray. Cet éloge comporte une
Film réussi presque malgré son m et restriction. Rien que le cinéma n ’est
teur en scène, devrais-je dire, ou, plus peut-être pas tout le cinéma.
subtilem ent réussi par le sens inné du
cinéma qu'à Nicholas Ray, d’une façon Jean-Luc GODARD.
Monsieur Vincente
LUST FOR LIFE (LA VIE PASSIONNEE DE VINCENT VAN GOGH), film am é
ricain en Cinémascope et Métrocolor de V in c e n t e M i n n e l l i . Scénario : Norman
Corwin d'après le livre de Irving Stone. Images : F.A, Young et Russell Harlan.
Musique : Miklos Rosza. Interprétation : Kirk Douglas, Anthony Quinn,
Pamela Brown, James Ronald, Everett Sloane, Reginald Owen. Production :
John Houseman, 1956. Distribution : Métro Goldwyn Maÿer.
Voici un film qui soulèvera bien des leurs n'est pas encore parfaitem ent
controverses. Certains de ses détrac maître de son propre instrum ent ?
teurs le critiqueront au nom du ciné Ces objections, valables en principe, ne
ma, d’autres au nom de la peinture. le sont pas dès qu’on réfléchit un tant
De fait une telle entreprise, si elle soit peu au problème ; toutefois cela
n’avait pas été signée Vincente Min ne signifie pas que Lust for Life soit
nelli, autorisait toutes les craintes. Fort exempt de tout reproche et j’aurai
heureusement le producteur John Hou m oi-m êm e à en formuler quelques-
seman a pris la précaution de la uns. Ce que je veux dire c’est qu'il
confier au seul homme capable à Hol serait tout à fait injuste de condamner
lywood de résoudre les difficultés que M innelli au nom d’une idée a priori
soulevait un sujet aussi redoutable. du ciném a qui n ’est pas recevabie
Lust for Life est en effet l’aboutisse puisque, aussi bien, nous ignorons les
m ent de toùte une série d’expériences possibilités réelles du cinéma non seu
sans lesquelles sa réalisation eût été lem ent dans l'adaptation picturale
impensable. S’il est certain que les di mais même dans l'adaptation (malgré
rigeants de la M.G.M. y ont d’abord tout plus facile) des œuvres littéraires.
vu une excellente opération financiè
re, Minnelli a pu au contraire dévelop Avant de présenter quelques criti
per à loisir le projet qu’il s’était fixé ques, je veux écarter un autre repro
depuis longtem ps (et dont on trouve che qui se présente naturellem ent à
des signes m anifestes dans Un Am éri Fesprit. On ne manquera pas en effet
cain à Paris, Le Pirate, Toits en scène, de faire observer que nul moins que
Brigadoon et la Roulotte âu Plaisir) Minnelli, auteur élégant et raffiné,
et qui est de créer un cinéma pictural. n ’était qualifié pour restituer le cli
En ce sens donc, et en ce sens seule m at de transes dans lequel s'est dé
m ent Minnelli est un auteur de films roulé la vie brève de Van Gogh. Ce
(tout autant que, m ettons R. Aldrich, délire cosmique, cette volonté forcenée
et O. Welles) et il est donc pleinement de capter les secrets de la nature, de
justiciable de cette politique des au reproduire par la couleur seule, le
teurs » qui a été si souvent défendue monde des sentim ents et des passions,
ici. Mais objectera-t-on, n ’y a -t-il pas cette certitude d'accéder au vrai (en
antinom ie entre les exigences du ciné vers et contre tous) ce paroxysme lu
ma et celles de la peinture ? N’est-il cide (c’est la certitude qui rend fou
pas chimérique de vouloir concilier ce disait Nietzche) rien de tout cela n ’ap
qui n'est pas conciliable ? N’est-ce pas paraît dans le film. On attendait une
aller à un échec certain que de vouloir mise en scène dém entielle et on ne
concurrencer la peinture sur son pro trouve qu'un exercice de style compassé
pre terrain, alors que le cinéma en cou et appliqué. Loin d’abonder en ce sens
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Kirk Douglas dans Lust For Life de Vincente Minnelli.
je crois qu’il faut féliciter Minnelli de partant, on évitera tout ce qui peut
ne pas être tombé dans les effets fa distraire l’attention du spectateur. Il
ciles. Il faut le louer de sa réserve ; s’agit en effet de re-découvrir les con
loin d’avoir « dramatisé » à plaisir une ditions spatiales et temporelles dans
vie déjà dramatique, il s’est refusé aux lesquelles le style de Van Gogh s'est
effusion qu'un tel sujet perm ettait et constitué. Ce film est, au plein sens
il a adopté un ton qui évite de faire du mot, propédeutique. Dans la m e
double emploi avec ce que nous savons sure où la peinture de Vincent vise au
de la vie et de l'œuvre de Van Gogh. réalisme absolu (« j’ai voulu peindre
Il n’a pas commis l'impardonnable avec le rouge et le vert les terribles
faute de pléonasme qui rend inaudible passions hum aines s>) il importait de
et invisible ta n t de films sur les restituer les données objectives qui
hommes ou les œuvres célèbres. Il y a. seules nous perm ettent de mesurer
dans son film une absence de vulga l’écart entre l’intention et l’œuvre.
rité que le titre anglais (trahi délibé- D’où la nécessité de la part de Minnelli
ment par l’inepte titre français) à des d’un certain effacem ent qui ne lui a
sein ambigu, laisse pressentir. Ce parti pas nui, car il est aussi bon décora
pris de décence .se retrouve non seu teur que m etteur en scène. Il ne s'agis
lem ent dans la narration, mais même sait pas en effet de reproduire méca
dans les mouvements d'appareil et niquement les paysages ou les gens qui
dans l’emploi de la couleur. La mise avaient été à la source de la création
en scène est en effet rigoureuse : pas de Van Gogh, il s’agissait de les dis
de mouvements d’appareils compli poser dans un certain ordre de façon
qué, pas d'effets intiles. On ne cher à faire comprendre pourquoi ils
che pas à « matraquer les spectateurs avaient constitué pour notre peintre
par des astuces, mais à l’initier pro des thèm es de prédilection. D'où l’em
gressivement à une œuvre difficile et, ploi judicieux de la couleur résolu-
m ent naturaliste dans les extérieurs plorera la manière assez sommaire
et très concertée dans les scènes d'in dont sont traités les rapports entre
térieur (en souvenir des peintres hol Gauguin et Van Gogh, quelques in exac
landais du xvii° siècle). titudes regrettables dans un film qui
vise au maximum de fidélité, une m é
Il devient peut être plus aisé m ain connaissance assez grave du caractère
tenant de laver M innelli du reproche du peintre (tel qu'il apparaît du m oins
d’avoir fait un film anti-ciném atogra à travers la Correspondance avec son
phique. Sans doute Renoir aurait pro frère Théo). En ce qui concerne la
cédé différemment, qui avait pensé un mise en scène, Minnelli n'échappe pas
m om ent traiter l'histoire du peintre toujours à un certain académisme. Il
fou. Sans doute son scénario aurait été a abordé trop souvent la peinture de
meilleur, sa m ise en scène résolument Van Gogh par son côté le plus e x té
objective, faite du point de vue même rieur (la recherche de l'exactitude des
du héros. Il n'en reste pas moins que décors et des costumes d’époque qui
malgré un parti pris d’illustration, son confère à trop de scènes un côté im age
refus de toute frénésie visuelle, 11 y a d’Epinal touchant certes m ais bien
dans Lust for Life quelques plans qui n a ïf). Minnelli est beaucoup plus à
font honneur à l’histoire du cinéma. l'aise dans l’évocation de la vie m o
Je ne pense pas tellem ent aux plans derne et je me permets de conseiller
d’ensemble sur le Borinage qu’à ceux à ceux qui verront Lust fo r Life ce
qui se rapportent à Van Gogh lui- film si inégal et si timoré de se préci
même. Tous les gros plans sur le vi piter à Long Long Traiter (La R ou lotte
sage du peintre sont admirables. Ils du Plaisir) merveilleux de prom pti
n'interviennent qu'à de très rares mo tude et d'adresse, tout en couleurs
ments pour scander un instant de ten vives (on n’oubliera jam ais le jaune de
sion ou d’abattem ent et leur Irruption la gigantesque roulotte) très près de
rompent très heureusem ent l’allure gé Chaplin dans certaines scènes féroce
nérale du récit. En revanche les plans ment allègres. Long Long Traiter ch ef-
d'ensemble sont marqués par un souci d’œuvre de la comédie américaine
purement pictural de composition qui d'après guerre que nous eûmes le p la i
échappe à la convention par l'utilisa sir de découvrir un soir et qui su ffi
tion judicieuse de la couleur (cf le rait à garantir à M innelli une place
rôle joué par les bleus et les bruns de choix dans le Panthéon des m e t
dans les scènes hollandaises). teurs en scène.
Reste m aintenant les réserves à for
muler. Sur le plan du scénario on dé Jean DOMARCHI.
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Judy H olliday e t R alph D u m ke dans The Solid Gold Cadillac de
R ichard Qnine.
Frank Capra, et révèle de la part de plus est, contient une apologie voilée
son metteur en scène Richard Quine d’un thèm e cher à la propagande am é
une véritable abdication des ambitions ricaine actuelle, à savoir que les deux
que nous avions décelées il y a un an tiers des Américains adultes sont au
dans My Sister Eüeen, jourd'hui actionnaires, on est obligé de
H est trop aisé de stigmatiser le juger à l’échelle de ce soi-disant réa
conformisme à cent pour cent de la. lisme social. Sur ce point évidemment
pièce de Kaufm an et Teichmann. Gros Une Cadillac est une aimable fum is
so modo c’est la même vision qu’il y a terie et n ’a même pas le m érite d’un
vingt ans aux plus beaux temps de témoignage sur l’American Way of
« Vous ne remporterez pas avec vous », Life. On rit des plaisanteries de dia
autre pièce du même Kaufman. (eu logue qu’aurait pu signer chez nous
collaboration avec Moss Hart), Les un André Roussin, on admire le jeu
businessmen sont de blancs moutons étincelant de Judy Holliday, qui en
qu'il suffit de savoir apprivoiser. De fait porte à elle seule presque tout le
même que Longfellow Deeds (Gary film sur ses épaules, on évoque le sou
Cooper) ou Jefferson Smith (James venir des meilleures comédies améri
Stewart) m ettant à leurs genoux, par caines d’avant-guerre, comme Théo-
la baguette magique de Frank Capra, dora devient folle, C ette sacrée vérité,
le monde de la politique, des affaires Vacances, où s’affirm e le même fém i
et de la littérature, de même Laura nism e agressif (tous films d’ailleurs
Partridge (Judy Holliday), par son obs produits par la même firme à laquelle
tination têtue et sa candeur illuminée, nous devons Une Cadillac, Columbia,
triomphe des combines échaffaudées incontestable championne de la comé
par un Conseil d'Administration1 peu die américaine depuis New Y ork-
scrupuleux pour léser les intérêts des Miami).
petits actionnaires. On ne demande Bref, on ne s'ennuit pas mais,
pas au cinéma de nous donner des le film fini, on en veut terriblement à
cours de sociologie, m ais quand un Richard Quine et à ses producteurs
film comme celui de Quine se présente d'avoir pareillement déprécié un genre
avec les apparences du réalisme, et qui admirable, et surtout plagié à un tel
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degré d'inconscience Frank Capra, ce teur y est pour quelque chose et aussi
lui de Vous ne l’em porterez pas avec le fait qu’il œuvre dans le Saint des
vous et de Mr. S m ith au Sénat. Après Saints du Capra d'avant 1939, je veux
avoir avant-guerre porté Capra aux dire la firme Columbia) a copié froi
nues, il est de bon ton aujourd’hui, à dement le thèm e général de Vous ne
droite comme à gauche, chez Bardèche l ’em porterez pas avec vous, les fa rfe
et Brasillach, chez François Vinneuil, lus qui triom phent des m échants loups
comme chez Georges Sadoul et Ray du big business, et plagié sans ver
mond Borde, de proclamer à tous vents gogne des séquences entières de
la vacuité, sinon le jésuitisme, du vi Mr. S m ith au Sénat, notam m ent la
sionnaire des Horizons perdus. Seuls, fin du film, avec l’envoi m assif des
je crois, André Bazin et François Truf- télégrammes. Il reprend, technique
faut ont constam m ent défendu l’in ment, le style de m ontage popularisé
tégrité morale et le génie cinématrogra- par la comédie américaine classique,
phique de celui qui reste certainement ce que Brasillach appelle le triom phe
avec King Vidor le cinéaste américain « des démons ironiques des choses
le plus complet et le plus généreux des Judy Holliday, pour ennuyer le Conseil
années trente. Et par contrecoup dont elle est modeste actionnaire avec
Capra prend encore plus de relief dix parts, vient relancer sans arrêt ses
quand on voit avec Une Cadillac en respectables membres par des ques
or m assif où peut mener l'exploitation tions indiscrètes. Trois plans, dans la
d'un filon plus ou moins dépassé par meilleure tradition américaine usinée
les événements. Etrange mélange des qui est aussi celle de Foudovkine, ré
héros Capra types, comme Cooper et sum ent cet entêtem ent : le président
Stewart, et de son héroïne favorite" du Conseil d'Administration frappe
Jean Arthur (sous l’étoile de qui dé nerveusem ent avec son petit m aillet
buta la carrière de Miss Holliday, rem- pour rétablir l'ordre ; ses coups
• plaçant au pied levé Miss Arthur tom se font plus précipités ; le m anche
bée malade trois jours avant la casse. Le public éclate de rire. Nous
première de Broadway de « Born Yes- sommes en retard de vingt ans de
terday »), Judy Holliday impose à cinéma. '
l’écran la petite dinde pudique qui
triomphera inévitablem ent des mali Les C a h ie r s bagarrent à juste titre
ces de puissants businessmen qui au pour imposer le cinéma d’auteur, c'est-
fond ne demandent qu’à se laisser à-dire le refus du sujet en or (comme
faire. Capra croyait à fond à l’utopie la Cadillac elle-même, symbolique de
d'un monde sans politique, sans guer tout le truquage du film de Quine),
res, sans paradoxes, où triompherait l'exigence d’une réinterprétation cons
l'homme moyen' et gentim ent anar tante des êtres et du monde en term es
chiste. Capra bâtissait cet univers idéal d'image, c’est - à - dire d’action, le
non par la force d'une logique trop triomphe du cinéma non littéraire. Il
visiblem ent indéfendable mais par faut accorder pourtant sa place hono
l ’intensité du sentim ent et lë génie de rable au film à sujet, dont George
la vision. La guerre et ses injustices, Cukor, de Vacances a Une fem m e qui
sa nécessité de l’engagement, devaient s’affiche, reste le plus éblouissant in
porter un coup fatal à ces blancs pâ terprète. Mais Cukor, dans les deux
turages de fraternité américaine. Très cas indiqués, travaille sur des scripts
loyalement, Capra a compris que le hors pair, livrés par les meilleurs au
monde d'après Hiroshima n ’était plus teurs d’Amérique, les Sidney Bu ch-
le sien et s’est retiré dans un silence man, Donald Ogden Stewart, Ruth
qui l’honore. Richard Quine est bien Gordon, Garson k a n in . Aujourd’hui
m al venu d’exploiter aujourd’hui ces hélas le jeune Quine n'a plus à se
m ythes dévalués, devenus poncifs. Ex m ettre sous la dent qu’un George S.
ploitation consciente d'ailleurs, qui ne Kaufm an passablem ent dévalué. Sou
va pas sans un certain cynisme, et haitons qu’au plus tôt il retourne au
légitime en partie cette remarque du Grenwich Village de M y Sister Eileen,
plus humoriste des collaborateurs des ou encore mieux, comme Nicholas Ray,
C a h ie r s , affirm ant que Quine a trop qu’il aille faire à son tour un voyage
visiblement bâclé sa mise en scène aux horizons des im m enses et inépui
pour qu'on ne lui fasse pas crédit d'un sables U.S.A. Broadway, en l ’an de
masochisme évident. , grâce 1957, sent terriblement le ranci!
En fait Quine (qu’il ne faut pas ac
cabler car tout de même son produc Louis MARCORELLES.
48
NOTES SUR D’AUTRES FILM S
*
49
4
qui permet de jouer sans gêne sur la Tout d’abord les scènes de tendresse
profondeur du champ. Le ClnemaScope deviennent un élém ent de suspense.
55, lui aussi allie aux avantages du Insérées dans les phases les plus ai
Scope ceux de la VistaVision. Et le guës de la poursuite, le spectateur a
réalisme du Roi et moi, préfiguration grand h âte de les voir finir et dispa
des recherches de demain, nous pro raître en même tem ps l’encombrant
pose, comme preuve de sa force un jeu personnage. Il y a aussi une bagarre
de rapports extrêmement subtil entre remarquable, pas la seconde qui s'étire
les toiles peintes pour de bon et les inutilem ent et sent son truquage; mais
décors réels. — L. M. le combat dans la grange est de bon
aloi par sa vigueur et sa brutalité. De
plus les deux adversaires, semblable-
m ent vêtus offrent le spectacle d’une
Fumées sans feu lutte ambiguë et le public ne peut
qu’assister im puissant à un échange
de coups dont il ne sait Jamais s’il
THE BURNING HILLS (LES COLLI peut se réjouir ou s’affliger.
NES BRULANTES), film américain en Natalle Wood joue les chats sauvages
ClnemaScope et en Warnercolor de S t u a r t
H e i s l e r . Scénario : Irving Wall ace d’après avec entrain et mêm e emportement.
le roman de Louis L’Amour, images : Ted Il faut la voir tenir tête à une bande
MacCord. Montage ; ciarence Côster. Mu- de mauvais garçons ou tenter de don
sîqitâ : David Buttolph. Interprète : Nata- ner du ressort à l'oncle paresseux.
lie Wood, Tab Hunter, Joseph Calleia. Joseph Calleia plaide pour la douceur
Production; Richard Whorf, Warner Bros, de vivre, il a toute l’indulgence du
1956. - . m etteur en scène.
L’ensemble quoique inférieur à la
Un fermier tout puissant s'accom Patrouille infernale ou même à Dallas,
mode si m al d’un partage qu’il fait ville frontière reste de belle humeur.
assassiner quiconque s’installe sur son Tout comme Jacques Tourneur, Stuart
territoire. M ais un jour quelqu’un Heisler est content de faire des films,
échappe aux tueurs et pour mettre en et nous de les voir. — P. D.
-branle la justice entreprend un péril
leux voyage, traqué par les homm es du
fermier, mais aidé par une jeune fille
qui n’a pas trop goûté leur procédé.
Le film se trouve moins handicapé
Les faux durs
à illustrer ce scénario qu’à tenter
d’accréditer Tab Hunter comme héros. DIE HALBSTARKEN (LES DEMI-SEL),
Ce pur spécimen d ’Homo Brutus pa film allemand de G e o r g T r e s s l e r . Scéna
raît plus propre à faire valoir son torse rio ; Will Tremper et Georg Tressler. Inter
épilé qu’à toucher la sym pathie du prétation : Horst Buchholz, Karin Baal,
spectateur, ou même à inventer le tré Christian Doermer. Production : Wenzel
Ludecke - Interwest Film, 1956.
sor de ruses qu’assez généreusement
lui prête le scénariste. Voilà bien l’op L’Allemagne de l’Ouest connaît bien
posé du héros meurtri accédant à la et admire le ciném a américain. Le suc
dignité à travers les incertitudes, tel cès remporté là-bas par UEquipèe sau
que l'a créé Anthony Mann. vage et La Fureur de vivre n'est pas
Il semble en tout cas que Stuart étranger à la production de ces Dem i-
Heisler n ’ait pas fort prisé le person sel. Horst Buchholz, à peu près in
nage et se soit retourné contre lui avec connu en France (on l’a vu dans Ciel
un humour dont fait les frais la per sans Etoiles de KautneiO bien qu’il
sonne de l’acteur. Heisler nous a habi compte à son actif une dem i-douzaine
tués à une direction un peu désinvolte, de films, se veut ici brutal à la m anière
où la drôlerie succède et souvent s ’allie de Brando, fragile et tendre à la m a
à une sensibilité poétique certaine. nière de James Dean et porte un cos
Toujours est-il Que la direction d’ac tume réalisant un compromis extérieur
teurs est loin de l’indifférer. Mais que entre ses deux modèles. Le film qui
faire lorsque VHomo Brutus confisque s’est construit autour de sa person
l'écran avec autant de possibilités ex nalité encore m al dégagée, avance tan t
pressives qu’un coffre vide ? Voyez ce bien que mal, boitant et sautillant. Les
que fait Stuart Heisler, non sans ma aspects mélodramatiques du scénario
lice. . font penser à certains événem ents de
.50
Pardonnez nos offenses, d’autant que gialis, Anetis Vlachos, Eleni Zafiriou, Ste-
Karin Baal, la jeune êgèrie blonde du fanos Stratigos, Nikos Fermas. Production :
chef des D emi-sel s’inspire de l’esthé Hermès film.
tique de Marina Vlady. Toutes les in
fluences que Ton. peut déceler dans le Michael Cacoyannis s’était déjà si
film de Georg Tressler (la rencontre gnalé à l'attention au Festival de
avec Hossein semble, d’ailleurs, pur Cannes par une comédie néoréaliste,
hasard; Tressler n ’avait pas pu voir Dimanche à Athènes, et par un m élo
Pardonnez nos offenses avant de réa drame exotique, Stella. La fille en
liser Les D em i-sel) ne l’empêchent noir confirme les dons de ce jeune
pas d’être typiquement allemand. Le réalisateur dont on devine qu’il tra
goût de la technique soignée quoique vaille avec de pauvres moyens et dans
incertaine, la photographie se souve les conditions précaires d’une produc
n ant du style 1930 sont des caracté tion aux débouchés limités. Il est bien
ristiques constantes du nouveau ci connu que les cinémas jeunes n ’ont
ném a germanique. L’intérêt vient de pas peur des mélodrames. La force
l’histoire contée, insolite dans la m e des situations et la simplicité des th è
sure où elle rompt avec l’optimisme mes dramatiques y sont plus fréquen
béat, le ton rose-bonbon des produc tes que la subtilité psychologique. On
tions d’Allemagne Occidentale (les retrouve dans La Fille en noir la vio
films de « dédouanement historique » lence des sentim ents exacerbes par la
n e furent que des accidents). Le fait contrainte des conventions sociales
social servant de base à la délinquance attardées qui régnent dans un gros
juvénile, ici évoquée, n ’est explicité bourg de pêcheurs d’une île m éditer
que par les rapports individuels des ranéenne.
héros principaux avec leur famille. Le
clim at si particulier de Berlin, dont Comme les autres films grecs que
l’enclave occidentale est, à elle seule, nous avons vus, La fille en noir■ est
un monde suspendu dans le vide, n ’a joué de façon inégale mais parfois
pas été analysé, vraisemblablement attachante. Ne fut-ce du reste que
pour des raisons de censure. Le mirage pour une séquence, le film mériterait
du confort bourgeois n'en est pas d'être vu. Je veux parler de celle du
moins, par moments, dénoncé. H res naufrage de la barque avec les en
sort de ce drame, assez haletant sur fants. Le primitivisme de ce cinéma
sa fin, que les jeunes Allemands sont tourne ici à son avantage. Les inter
à la recherche d'un idéal que le prètes bénévoles ou professionnels s ’y
rythm e importé du Rock and Roll, m ontrent capables d'entrer dans les
le hold-up et la violence n e suffi sentim ents suggérés par la situation
sen t pas à combler. Derrière Horst avec un réalisme stupéfiant. Jouer la
Buehholz reparait le m ythe du chef. scène équivaut alors à la vivre et le
Ces faux durs ont la nostalgie de film devient un véritable reportage
Siegfried. sur une catastrophe maritime dans
un petit port de la mer Egée. Mais
Quelques scènes d'érotisme morbide, dans les lam entations des femmes
un petit barman équivoque, une jolie « pleurant leur enfant » en se tor
fille qui se transforme en tueuse, lais dant les mains, on croit percevoir tout
sant percer la Walkyrie derrière la à coup l'écho grondant du chceur an
vamp, indiquent ce qu’aurait pu être le tique. — A. B.
film s’il n ’avait pas voulu être seule
m ent une Fureur de vivre allemande.
— J. S.
Un plan par-ci, un plan par-là
51
reste Adèle â son rythme de trois films l ’étude psychologique d'un cas âe
chaque année. Celui-ci vaut ni plus ni conscience et le désir de manier l ’arme
m oins que les autres, un peu plus efficace du suspense. Quant au jeu de
pourtant que La Reine de la prairie, Glenn Ford, héros de cette tragédie,
un peu moins que Tornade. Laissons 'de nous l’aurions préféré plus sobre dans
côté Fhistoire, maisons de jeu plus les scènes qui l ’opposent à, Donna
m aisons de femmes plus western. Tout Reed, sa femme, — A,S.L.
ce qui concerne les roulettes archaï
ques, T « école » des Jeunes filles en
attente de mari, l ’amitié virile est ex
cellent. Le reste ne dépasse pas une
honnête moyenne. Une demi-douzaine Un effort
de plans préserveront cette .œuvrette
de l ’oubli : les robes au début et à la FOLIES BERGERE, film français en
fin, Rhonda et le bain, le plan du ci Technicolor de H e n r i D ecoin . Scénario ;
metière juste avant la fin. Ceci grâce Jacques Companeez et Georges Tabet. Ima
à la complicité d'Alton, excellent colo ges : Pierre Monfcaael. Musique : Philippe
riste et admirable opérateur. Il est Gérard. Chorégraphie ; Roland Petit et
am usant de retrouver toutes les quali Mary-Jo Weldon. Intërprêtation ; Eddie
Constantine, Zizi Jeanmaire, Nadia Gray,
tés de Tennessee’s Partner dans Sligh- Yves Robert, Production.; Roitîeld-Sirius,
tly Scarîet (Deux Rouquines dans la 1956.
'bagarre). Persistance thém atique chez
Allan Dwan ? Ne blaguons pas; mêm e « Le prem ier grand film français
sensibilité, même goût, c’est le meilleur de m usic-hall s> dit la publicité. En un
éloge que l’on puisse faire. On a plu sens c’est vrai. Non pas qu’il s’agisse
sieurs fois reproché aux C a h ie r s d’un « grand » film mais bien un des
leur sympathie pour Dwan, comme premiers en France —. après le timide
pour Walsh. Ce n’est ni Hitchcock, ni essai de Boisrond dans Cette sacrée
Ulmer, ni Logan. Mettons les points gam ine — qui soit fa it à l ’im itation
sur les i : on peut voir avec plaisir Le des film s de danse américains. Evi
Mariage est pour dem ain une fois. demm ent nous sommes encore loin de
Tout le reste est snobisme. ■— L. M. Minnelli, de Stanley Don en et de Gene
Kelly,., très loin même, mais certains
ballets de Folies-Bergère sont jolis de
couleurs et de chorégraphie et l ’intri
gue du film n ’est ni pire ni meilleure
Gfenn sans violence que celle de beaucoup de films améri
cains en question. Ce qui manque
c’est un charme, c’est le sens du
RANSOM (LA RANÇON), film américain rythm e, la juste intuition du m om ent
de A l e x S e g a i . Scénario ; Cyril Hume et où la danse doit intervenir et pour
Richard Maibaum. Interprétation ; Glenn quelle durée exacte. Il manque aussi
Ford, Donna Reed, Leslle Nielsen, Juano une perm anence de la qualité techni
Hemandez. Production : Métro Goldwyn que de l’image, autant qu'on en puisse
Mayer, 1956. juger par la projection dans les salles
parisiennes où la mise au point est
L’histoire de ce riche industriel m is presque toujours fantaisiste.
en demeure de verser un demi-m illion
de dollars pour que lui soit rendu son Ainsi le défilé final est-il d’une pla
fils unique avait de quoi séduire les titude et d’un manque de définition
producteurs à l ’heure où, nous dit-on, dans la photo — comme si la scène
les enlèvem ents se m ultiplient outre- avait été tournée au téléobjectif —
Atlantique. Mais c’est aussi, m alheu dont on ne sait si c’est la faute de la
reusement, l’heure où l’on se souvient projection ou de la prise de vues. Côté
encore de ce numéro de haute voltige interprète ; Eddie Constantine « exis
que constituait L'Homme qui en savait te » sur l ’écran, nul doute à ce sujet,
trop. Moins enlevée que le Jeune Bobby m ais il flotte — et pour cause — dans
Claris, la mise en scène d’Alex Segal les scènes de danse. Zizi Jeanmaire est
ne parvient pas à se dépêtrer d’un une merveilleuse danseuse, une excel
style formé dans les studios de la télé lente chanteuse (écoutez-la distiller
vision. L’exposition est longue et l'in La croqueuse de diam ant I) et une
tention de l’auteur trop m anifestem ent très am usante actrice.
partagée entre la volonté de m ener E. L.
52
CO T A T IO N S
$ déranger
i n u t i l e de se
Tfr à voir â la rigueur
ifif à voir
LE C O N S E I L DES D I X 'k 'k 'k à voir absolument
J c k ic k chef-d'œuvre
Case vide : abstention ou : pas vu
;g Jacques Je an -P lerrc
Henri J e a n de A ndré C h a rle s P io rre Jacques Eric F rançois
T itr e T des f il m s Les d ix 9V— Agel B a ro n celli Bazin B itsch B ra u n b e r g e r Doniol- Rivettc R ohm cr Truffaut Vîvet
V alcro ze
Les dernières œuvres de quatre de nos plus grands metteurs en scène — De Mille,
Stevens, W yler et Kazan — viennent de sortir ; seuls Stevens et Kazan ont égalé,
avec leurs nouveaux films, leurs œuvres antérieures... II s'agit de Giant ef de Baby
Doll, ef encore ne peut-on les rangerr dans la hiérarchie cinématographique, aux
côtés des grands classiques, te principal mérite de Giant ef de Baby Doll est i'un
d es plus appréciés par les services comptables des maisons d e distribution : leurs
recettes dépasseront encore celles de leurs prédécesseurs. Mais ils ne se graveront
pas dans la mémoire, comme le font les véritables œ uvres d'art. Seules, leurs
prétentions artistiques méritent de refenir Faffenfion. Pour le reste, ils ne peuvent
intéresser que les spécialistes du box-office.
Giant est une adaptation fidèle du roman d'Edna Ferber retraçant la vie de
plusieurs générations d'une riche famille du Texas, avec, en arrière-plan, le paradoxal
mélange de ceffe grande opulence ef de la cralnfe des minorités sociales (les Mexi
cains, en l'occurrence). En tani que document social, Giant a un réel intérêt, ethnolo
gique même, ef ses profagonisfes sont lucidement dépeints. Cependant, le seul per
sonnage qui continue à nous hanter, la projection terminée, est celui du nouveau
riche, inferpréfé par Je regretté James Dean : c'est une étude macabre qui révèle,
chez Stevens, la plus grande science dans la peinture des caractères, et, en Dean, un
acteur non seulement plein de promesses m ais aussi de talent 11 se peuf que les
autres personnages du roman soient réellement ennuyeux en comparaison de lui ef
qu'ils aient, en ce sens, été bien rendus à l'écran. Mais aucun être humain, lorsqu'on
en cr percé Je mystère, n’est vraiment ennuyeux (Sinclair Lewis fit un personnage
fascinant de l'un des types d'humanité les plus ennuyeux, 1' « homme moyen » sans
aucun signe particulier dans son célèbre « Babbit »). Que ce soit d e la faute de Rock
Hudson et d'EIizabeth Taylor ou de Sfevens. Je fait demeure que nous ne nous infé-
54
cessons jamais beaucoup à eux, si ce n'est dans la mesure où iis font partie de
l'histoire qui nous est racontée. Cinématographiquement toutefois, Stevens a toujours
l'œil aussi vif, et, de tous les films sur Ja sellette ce mois-ci, Giant est, de loin/ Je
mieux dirigé et photographié. Sans valoir La Splendeur des Amberson de Welles,
autre histohe d'une famille sur plusieurs générations, c'est lé plus satisfaisant des
films américains récents, celui qu'il était le plus difficile de mener à bien.
Baby Doll, ayant fait grand bruit ici à cause de sa condamnation par l'Eglise
Catholique Américaine, force est de le défendre avant de le critiquer — situation
née de ce que Je clergé refuse avec de plus en pJus d’arrogance de se mêler de ses
propres affaires. 11 a condamné ce film pour sa moralité totalement dépravée et a
prévenu ses fidèles que , le voir, revenait à commettre un péché mortel, 11 l'a même
accusé d'avoir une déplorable influence sur la vie américaine en général, de des
servir la nation, d'être antipatriotique, d'être une œuvre née de la dégénérescence
Ja plus complète, et qui affaiblirait moralement les Etats-Unis, etc. L'absurdité de tout
ceci apparaît dès que l'on songe que la pièce d'où le film est tiré, « Vingt-sept
wagons chargés de coton » de Tennesse Williams, fut montée à Broadway sans que
l'Eglise Catholigue, quelles quaient été ses réactions, n'ait ouvert la bouche; et il
s'agissait de Ja version intégrale, alors que dans le film toute une scène de Ja pièce
est expurgée, celle de Ja séduction d e la femme et du continuel cocufiage que Je
mari supporte avec résignation afin que le séducteur Jui donne assez de travail pour
assurer Jeur subsistance, à Jui -même et à sa femme. Cette absurdité s’accroît encore
du fait qu'il est ridicule de taxer d'immoralité un film où, en réalité, rien n'arrive :
seules des menaces sont proférées. La femme n'est pas séduite (aussi le fiJm a-t-il
pu obtenir le sceau du Code de Production) : l'autre homme lui fait simplement la
cour pour lui faire avouer que son mari est un incendiaire. L'attaque de 1‘Eglise
Catholique est aussi aveugle qu'absurde, puisqu'elle ne se rend pas compte de la
faute qu'elle commet en défiant Ja liberté d'expression garantie par Ja Constitution
et en refusant même aux non-catholiques le droit de voir un film condamné par
elle . Cette attitude, véritable retour aux traditions d ’intolérance du moyen âge, serait
effrayante si elle n'était pas si ridicule; à en croire l'Bglise Catholique, on n'avait
rien vu de pareil depuis les orgies de Borgia ou les soirées données par le Marquis
de Sade. La conséquence logique de cet autodafé a d'ailleurs été d'attirer l'attention
sur Baby Doll et dé provoquer la ruée des spectateurs. Le plus drôle de l'histoire est
que Baby Doll n'est qu'une tempête dans un verre d'eau. Si l'on y parle du sexe,
ce n’est pas plus, ni avec plus d'audace, que dans Ja plupart des films américains.
Il y a plein de taquineries, de sous-entendus, de clins d'œil complices, mais, en fait,
rien ne s'accomplit. Pour pallier l'absence de Ja scène de séduction, on a rajouté des
cris et des courses effrénées, des effusions déliiantes et une violence des gestes plus
grande que dans une maison de fous — tout cela pour vous faire croire que vous
êtes témoins de quelque chose de vraiment violent. C'est une histoire de sexe pour
adolescents. Pour les histoires d e sexe pour adultes, mieux vaut se tourner vers
Stroheim ou Bunuel, Lubifsch ou von Sternberg, et d'autres hommes de cette trempe.
Je m'en voudrais de dénigrer Kazan, qui est un garçon plein de talent, mais qui reste
un garçon quand on le compare aux créateurs de Folies de Femmes, L'Age d'or,
L'Ange bleu, etc.
Depuis un bon bout de temps, W yler a choisi le chemin de Ja facilité en s'atta
quant à des sujets populaires qui sont fort Joins de Dodsworth, La Vipère et Les plus
belles années de notre vie. Son dernier film, Friendly Persuasion, est une étude des
Ouaters, secte religieuse pacifiste, représentée ici par Dorothy McGuire et Gary
Cooper. C‘est agréable, confortable à l’ceil de bout en bout, mais est-ce tout ce qu'on
est en droit d'attendre d'un metteur en scène dont Je fort fut autrefois la critique
sociale et le lyrisme poétique (Les Hauts de Hurlevent) ?
Le dernier des quatre grands noms de ce inois-ci — Cecil B. De Mille — nous
montre, avec son remake des Dix Commandements, qu'en trente ans il n 'a rien oublié
ni rien appris.
55
Reste Le Touï du monde en 80 jours, tiré du iomctn de Jules Verne et produit par
M ike Todd. Ce film aurait pu avoir le charme d'un bibelot ancien, mais, hélas, en
M iké Todd le « forain » trouva que ie vieux roman de Jules Verne ne pouvait pas
assez intéresser Je public d'aujourd'hui ; Je « truc » qu'il a trouvé pour Je faire
accepter fut de distribuer des bouts de rôles aux plus grands noms du cinéma —
Dietrich, Fernandeh Noël Cowazd, Martine Caïoï , Sir john GieJgud, Charles Boyer,
Frank Sinatra, etc. Us font une brève apparition, nous sommes censés nous émer
veiller et ftoüs demander quel va être Je prochain à se montrer. David Niven est
p ü tfü ii dans lê ïolù dè Philëcts Fogg ; Catitinilas, dans celui de PasSêparfoüt n'est
qu'un peu au-dessous de ses possibilités , mais Shirley McLaine est ime bien fade
Aoudü. En uh sens, ce film aurait pu être mie sorte de parodie du spécfacle en
Cinèra&ia The Seven. Wonders of the World, mais iJ manque d'intelligence pour cela.
En fait, i l manqué aussi d'invention, de verve... mais qui suis-je pour chipoter ainsi
sur Je plus grand succès commercial des récentes annales cinématographiques ? £,a
Bourse n'est peut-être pas de soie, mais elle est pleine d'or. Vox popuîi, vox Del f
Herman G. WEINBERG.
L E T T R E DE BRUXELLES
par René Micha
Bruxelles, Février 1957. ,
Une fois ïü n , les journalistes belges décernent un prix qui doit souligner
« les qualités esthétiques ou éthiques » de l'ün des trois ou quaité cents film s pro*-
jetés au cours de Tannée précédente. La décision a liêiï dans tin rôstûurant de Jâ
Grand Piacô, à Bruxelles, à l'issue d'un dé/euner qui prend, ou plutôt le débat, plu
sieurs heures. Des assemblées éliminatoires, tenues pendant le mois de décembre,
ont laissé en présence cinq films qu'on revoit la veille ou l'avant-veille et que des
56
critiques, choisis tout exprès, défendront jusqu'au bout. Le prix est attribué à la majo
rité absolue des voix après autant de tours de scrutin qu'il est nécessaire. Procédure
longue, peut-être lourde — mais honnête : toutes choses paraissent en pleine lumière.
Cette fois, c'est Picnic gui f a emporté (au septième tour) devançant, dans l’ordre :
The Sait of the Earth, Calle Mayor, Richard III et Sourires d'une nuit d'été. Mes
confrères m ’avaient chargé de défendre Picnic. Je l'ai fait sans trop de conviction —
j'allais dire avec mesure si ce n’était précisément ïe terme dont je me suis servi pour
qualifier le film de Joshuà Logan. /'ai tenté de montrer que ces scènes de la vie de
province dépassent d e beaucoup le folklore du Kansas, que ces portraits mi-figue
mi-raisin renouvellement un fonds conventionnel, que cette peinture.de l'ennui est digne
parfois de Flaubert, que l'air de bravoure qui donne son nom au hlm sonne juste
malgré tout, saison unique où tous les fruits brillent ensemble, que Picnic ne craint
pas d’être une œuvre d'art ; le réel devenu beau. -
Sourires d ’une nuit d'été a paru un divertissement sans portée véritable (je
ne suis pas d e cet avis) ; Calle Mayor n'a pu triompher de certaines réminiscences ;
ni Richard III, gui a pâli au souvenir de Henry V ; pour Le Sel de la Terre, une nar
ration par endroits malhabile ou trop évidente et des ruptures de ton ont pesé davan
tage gue la force du pam phlet
Finalement d es éléments extérieurs ont encore joué en faveur de Picnic. Won
seulement c'étaif le seul des cinq films à n'avoir obtenu aucune récompense jus
qu'alors; mais il a paru que le cinéma américain souffrait depuis longtemps d'un
ostracisme ixnmérité, L'on est convenu que la haine de l'american way of life empê
chait trop souvent qu'on rendît justice a ceux-là mêmes qui la mettaient en scène le
plus cruellement, le plus justement, le plus rigoureusement. Croire que ce déni de
justice pût être réparé à Bruxelles, c'éfait sans doute se hausser du col, mais quoi,
l’intention était pure. Picnic devint ainsi le témoin du meilleur cinéma américain.
57
Enfin, je voudrais emprunter à la Cinégraphïe Belge, organe corporatif, la liste
des trente films qui ont obtenu les recettes les plus élevées, au cours de leur pre
mière sortie à Bruxelles, entre le 1er janvier et le 30 novembre 195S.
Les voici dans J'ordre : Le Monde du silence ; Paper, Maman, m a Femme et Moi ;
Les Grandes Manœuvres ; Le Bouffon du roi ; Si Paris nous était conté ; La Grande
Bagarre de Don Camillo ; Les Carnets du Major Thompson ; Lady and the Tramp ;
Hélène de Troie ; La Fille du fleuve ; En effeuillant la marguerite ; Hell and Back ; Le
Couturier de ces Dames ; Marcelino, Pane e Vino ; Gervaise ; Vacances à Venise ;
Pain, Amour, Ainsi soit-il : La Belle des Belles ; Paris-Canaille ; Ces Sacrées Vacan
ces ; Les Possédées ; The Man Who Knew too Much ; Don luan ; Till Eulenspiegel ;
Le Cygne ; La Rose tatouée ; Bhowani Junction ; La Main cru collet ; Mélodie interrom
pue ; La Cuisine des Anges.
Au regard du box-office, Sourires d'une nuit d'été, The Gold Rush (Version sono
risée^ et Lola Montés viennent en 46e, 47e et 48e position. Cette Sacrée Gamine est 51*;
Picnic, 59* ; Richard III, 68e ; The Trouble with Harry, 71e ; Le Ballon rouge, 75e ; The
Man with the Golden Arm, 80e ; C'est arrivé à Aden, 83e ; It's A lways Fair Weather,
90° et Les Mauvaises Rencontres, 98e. A remarquer que certains de ces films, notam
ment Les Grandes Manoeuvres, étaient en cours de distribution avant le 1er janvier.
René MICHA.
58
nouveau style duquel relèvent aussi bien Huston, Benedek, Brooks, Aldrich Que
Bergman ou Fellini. « Ces films sont pour moi, nous dit-il, comme la traduction
cinématographique d’une discussion sur la responsabilité et la solitude. » Et plus
loin de nous parler d’évolution lente des pensées, de modification des caractères,
d’ambiguïté, de conflit moral. ■
Le grand mot est lâché. C'est sur moral égalem ent que Roger Tailleur ter
mine sa critique d’Attaclc. Ce terme de moral est ù. la mode et remarquons qu'il
le fut d'abord aux C a h i e r s . Séparé du contexte, il ne veut pas dire grand-chose
et peut tout aussi bien s’appliquer à la tragédie grecque, qu'à une quelconque
pièce de patronage. Il va de soi que c’est dans la première acception que nous
le prenons les uns et les autres et Kyrou, lui-mêm e, jusqu'ici laborieusem ent obs
tiné à ne pas voir dans u n film plus loin que le bout de la thèse, loue justem ent
et ingénum ent Bunuel d’avoir, en présentant dans La Mort en ce jardin un
curé sympathique, substitué l’athéisme à son anticléricalisme de naguère. Seul le
préposé aux basses œuvres, Louis Seguin continue d’affirmer son peu de goût
pour le moralisme, moralisme qui selon lui, souille irrémédiablement Bus Stop.
Je demande donc, et j ’espère qu’ils m’en sauront gré, à nos amis de P o s itif
de bien vouloir préciser ce concept de morale — ou moral — employé avec des
significations si contradictoires. Passe encore de se jeter à. la tête les mêmes
noms de cinéastes, m ais les mêmes mots î
Finissons-en avec Bardem en disant Que nous sommes prêts à l ’admirer
(ceux qui dans notre rédaction, du moins, lui sont hostiles) s’il y a chez lui tout
t
ce que K ast veut y voir, m ais cette ambiguité cette évolution, je crois que nous,
nous abîmerions les yeux à vouloir les détecter. Je voudrais surtout dans cette
escarmouche, prendre l’occasion de constater que la plateforme de P o s itif , plate
forme idéologique ou, plus exactement, politique, cherche m anifestem ent à
s’élargir : opération de première nécessité, si l’on songe que cette revue de
cinéma observait une ligne encore plus étroite que celle de n'importe quelle fac
tion politique, y compris le groupe de Pierre Hervé et des dissidents poujadistes.
Pour entrer dans le clan Chardère-Kyrou, il ne suffisait pas seulem ent d’être
de gauche, ni farouchem ent athée, n i particulièrement sensible aux malheurs des
races opprimées, mais encore d'avoir sur toutes sortes de chapitres, celui de
l’amour en particulier, les goûts dans lesquels il pouvait sembler que les idées
eussent peu de part. Révélateur de cet état d’esprit est un article signé X X X où
les canons de la beauté fém inine anfcibourgeoise sont définis avec une précision
assez inquiétante pour les sym pathisants de la secte. Non moins inquiétante d’ail
leurs pour les lectrices et amies de P o s itif qui se verront immanquablement
méprisées ou répudiées, si elles ne font pas au moins soixante-dix centimètres
de tour de taille et si leurs formes évoquent le fuselage de B.B. ou d’Audrey
Hepburn plus que l’opulence de Mae West. Passe encore, si l’on a d’Adonis que
le nom, qu’on se gargarise du succès matrimonial d’Arthur Miller (être intellec
tuel de gauche ne vous immunise pas pour autant contre la psychose de l’iden
tification) mais sévir en dictateur sur les mensurations de nos campagnes,, c’est
avoir de la fem m e et de sa liberté une bien piètre idée. Et si celle-ci aime à se
sentir, tout de même, Un peu objet, pourquoi la frustrer de ce doux plaisir ?
X X X qui se prétend lui aussi moraliste et moralisateur dira que je déforme
sa pensée. Retorquons-lui qu'il déforme non moins la thèse qu’il entend combat
tre, celle de la civilisation occidentale et chrétienne qui n ’a cessé d’affirmer
l’égalité de la femme et de l’homme, contrairement à certaines autres mœurs et
certaine autre religion que X X X doit bien connaître s’il est celui que nous
croyons et a tiré quelque profit de son temps perdu sur des rives lointaines.
La misogynie, est-il besoin de le dire, n ’est nullem ent un apport du chris
tianism e mais, si l’on tien t aux explications historiques, bien au contraire, la sur
vivance d'un vieil état d’esprit païen ou paysan. Je pense même que celle-ei
est bien plus rare dans le film américain que Jacques Siclier n ’a voulu le
dire. Ce qui est sûr, c’est que les héroïnes de Rossellini, de Nicholas Ray, cellea
de Hawks mêm e ou d’Hitchcock ont beaucoup moins de Yange déchu que celles
de Josef von Stem berg ou d’Ingmar Bergman. Mais nous aurons l’occasion de
reparler de tout celà.
;
Rien que la nuance oui, certes, à quelques croyances, centim ètres ou kilos
près. Et vive la morale, la chose du monde, constatons le donc, la mieux partagée.
Eric ROHMER,
59
B IO FILM O G R A PHIE
DE FEDERICO FELLINI
Etablie par Lue Moullet
F ed erico F ellin i e s t n é eh 1920 à Rirrïinl) Ville d e là p'rôvhlté d'E ttiilié àitüéè Sût l ’A drià-
titjué, Î1 était origiïlairè d 'u n è fattiille d e pet Us boüïgfeôis,
D è s l ’â g e d e d o u ze ans, il fait u n e fu gu e : d e v e n u p endant u n m ois clo w n d an s le citfque
d ’u h è petite troupe d e âaltim baflqués, il est b ien vite ia m e n é à la m aiso n p atern elle; dn avait
fê trouvé Sà ttâCe grâce à cêïtaih ës photo& p âïu S s dàn3 la p ïè ss ê , U ïïiêh ô Uflè èXiâtehce d e
vltelloïie, jusqil’éft 1937 ùû, làssé d e n e tièrt fafte, il p â li p ou r Florëntîè. Il y d esslïiè déâ
b&ndeâ illustrées, A R ô m e eflsülte, U d evien t jàüïïialiste à ClKÊ--MAtiA£WE, puU eaïîfcatürlstë
d a n s les restaurants. II a b o ïd e le m usic-hall, fait lâ tôïlh a iS sàhte d 'A ld ô F â b fizi, qUÎ îê fait
débutelf c&nlfné ScëïlariSte, et l’en g â g ê darts sa UôÜpe d e cô m êd îèn s c o m m e parolîer-gagnian.
P en d a n t lin an et demi» il suivra les to u m ees d e Fabrizi, Il écrit le s chansons, les petites
p ièces ou sïcetches* réglé îa chorégraphie d e s attractions d a n s le s cin ém âs.
60
III. — SES FILMS
61
FILMS SORTIS A PA R I S
DU 2 AU 29 JANVIER 1957
6 FIL MS F R A N Ç A IS
15 FIL MS A M E R I C A I N S
T h e Solîd G old Cadillac (Une Cadillac en or massif). — Voir critique de Louis Marcorelles
dan3 ce numéro.
The Bold a nd the Brave (Le Brave e t le Tém éraire ou A chacun son destin), film en
Superacope de Lewis R. Foster, avec Wendel] Corey, Don Taylor, M ickey Rooney, Nicole
Maurey.
T h e B um ing Hills (Collines brûlantes). — Voir note de Philippe Demonsablon dans ce
numéro.
Cinerama H oliday. — Voir note de Luc Moullet dans ce numéro.
Gréai D ay in the M orning # (L’Or et Y Amour), film en Superscope et en Technicolor de
Jacques Tourneur, avec Virginia Mayo, Robert Stack, Ruth Roman, A lex Nicol.
H ot Blood (L1A rdente Gitane). — Voir critique de Jean-Luc Godard dans ce numéro.
T h e Kirtg and I (Le Rot et Moi). — Voir note de Luc Moullet dans ce numéro.
Lust /or L ife {La K te passionnée de Vincent Van Gogh). — Voir critique de Jean Domar-
chi dans ce numéro.
The Macerick Queen (La Horde sauvage), fi]m en Naturama et en Trucolor de Joe Kane,
avec Barbara Stanwyck, Barry Sullivan, Mary Murphy, Scott Brady.
T h e Mountain (La N eige en deuiT\, film en VistaVision et en Technicolor de Edward
Dm yfiyk, avec Spencer Tracy, Robert Wagner, Claire Trevor, Anna Kashfi.
Ransom (La Rançon). — Voir note de André S. Labarthe dans ce numéro,
R a w E dge (La Proie des hom m es) , film en Technicolor de John Sherwood, avec Rory
Calhoun, Y vonne de Carlo, Mara Corday, Rex Reason.
Shofgtirt (Am our, fleur sauvage), film en Technicolor de Lesîey Selander, avec Sterling
Hayden, Y vonne de Carlo, Zachary Scott, Guy Prescott.
T ennessee’3 Fariner (Le Mariage est pour demain ou Le Bagarreur du Tennessee). — Voir
note de Luc-M oullet dans ce numéro.
T he Ycllow Mountain (La Montagne Jaune), film en Technicolor de Jesse Hibbs, avec
Lex Barker, Mala Powers, Howard Duff, William Demarest.
62
2 FILMS ALLE M A N D S
Das Bekcnntnis der Ina K ahr (Le Destructeur), film de G .-W . Pabst, avec Elisabeth
Müller, Cura Jürgens, Margot Trooger, Hanna Rucker.
D ie Halbstarkpn (Les Demi-Sel). — Voir note d e Jacques Siclier dans ce numéro.
I FIL M E SPAGNO L
Mi T io Jacinto (Le Muchacho) , film de Ladialao Vajda, avec Pablito Calvo, Antonio Vico,
José Marco Davo, Mariano Arana.
ï FILM ITA L IE N
Lo Spadacino Mieterioao (Le Revanche d u prince noir), film de Sergio Grieco, avec
Frank Latimore, Gérard Landry, Tamara Lees, Fiorella Mari.
1 FIL M A U T R I C H I E N
Don ]uan de Mozart, film en Agfacolor de HAV. K olm -Veltee, avec Cesare Danova, Josef
Meinrad, Evelyne Cormand, Hans von Borsody. -
1 F IL M M E X I C A I N
Som bra Ver d e (La Belle de Vera Cruz) film de Roberto Gavaldon, avec Ricardo Montal-
ban, Adriana Welter, Victor Parra, Jorge Martinez De Hayas.
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