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DU
CINEMA 303
“4 SOMMAIRE/REVUE MENSUELLE/SEPTEMBRE 1979
i
CAHIERS
DU
CINEMA
COMITE DE DIRECTION
Serge Daney Ne 303 SEPTEMBRE 1979
Jean Narboni
Serge Toubiana JACQUES TATI
PUBLICITE Pesaro 79: la moitié des écrans du monde, par Serge Le Péron p.57
Publicat
17, Bid. Poissonniére 75002 Rencontre avec un producteur américain: Mike Medavoy (Orion Pictures),
261.51.26 par Lise Bloch-Morhange et Serge Toubiana p.60
GERANT Passe ton bac d‘abord {Maurice Pialat): un mélodrame de notre temps, par Louis Skorecki p.65
Serge Toubiana
Festival de La Rochelle, par Pascal Kané p.66
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Serge Daney Livres de cinéma, par Jean-Claude Biette, Serge Toubiana et Christian Descamps p.67
Administration - Abonnements :
343.98.75.
Rédaction : 343.92.20. En couverture: Playtime de Jacques Tati. -
Playtime
Jacques Tati dans
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JACQUES TATI
ELOGE DE TATI
PAR SERGE DANEY
1. Chaque film de Tati marque 4 la fois: 1) un moment dans l’euvre de Jacques Tati,
2) un moment dans Phistoitre du cinéma francais, 3) un moment dans Ihistoire du
cinéma. Depuis 1948, ses six films sont peut-étre ceux qui scandent le plus profondé-
ment notre histoire. Tati n’est pas seulement un cinéaste rare, auteur de peu de films,
d’ailleurs tous bons; il est, vivant, un point de repére. Nous appartenons tous 4 une
période du cinéma de Tati : ainsi, j'appartiens a celle qui va de Mfon oncle (1958: un
an avant la Nouvelle Vague) a Playtime (1967 : un an avant les événements de mai 68).
Il n’y a guére que Chaplin qui, a partir du parlant, ait eu ce privilége : étre présent méme
quand il ne filmait pas et, quand il filmait, étre exactement a I"heure, c’est-a-dire un
peu en avance. Tati: d’abord un témoin.
2. Un témoin exigeant, puis génant. Trés vite, Tati refuse la facilité. Il ne joue pas
son image de marque, ne geére pas les personnages qu’il a créés: le facteur disparait et
Hulot lui-méme finit par se disséminer (P/ayvtime est plein de faux Hulots). Il court le
risque majeur pour un comique : perdre son public en l’entrainant trop loin. Mais ol?
Si admirable soit-elle, sa conscience d’artiste nous toucherait moinss’il ne s’agissait que
de hauteur aristocratique ou du repli hautain d’un homme faché avec son temps et le
cinéma. Or, c’est tout le contraire. Si l'on met en perspective les six films réalisés par
Tati depuis 1948 (Jour de féte), on s'apercoit qu'ils dessinent une ligne de fuite qui est,
@ peu de choses pres, celle du cinéma francais d'aprés-guerre. Peut-étre parce qu’il est
permis a un auteur comique moins qu’d un autre de se désolidariser de son temps
(méme - et surtout - pour le critiquer), c'est chez Tati que l’on peut lire le mieux, de
film en film, Poscillation caractéristique du cinéma francais: entre populisme et art
moderne. On plutdt : c’est chez Tati - et chez lui seul — que cette contradiction entre
l’ancien et le nouveau a pu étre productive. Sinon, le cinéma francais est aujourd’hui
encore écartelé entre deux impossibles : d’un cété, refaire le « cinéma du samedi soir »,
cinéma de série, d’acteurs, de seconds rdles, cinéma populaire (mais au sens de
« populo »); de l'autre, la fuite en avant et la marche forcée du cinéma « moderne »,
l"isolement orgueilleux des auteurs, le moralisme et la perte, en cours de route, du grand
public. Or, qui est encore capable aujourd’hui de prélever, de mimer, les gestes les plus
quotidiens (celui d’un garcon de café servant une consommation) et, en méme temps,
de parler de la conception de Playtime comme s'il s’agissait d’une toile de Mondrian?
6 JACQUES TATI
Tati, évidemment. Aussi, chacun de ses films est-il une borne-témoin de « comment
¢a va » dans le cinéma francais depuis trente ans. Si Jour de fete temoigne de |’euphorie
de l’aprés-guerre, si Les Vacances et Mon oncle de l’'apparente pérennité d’un genre tres
francais (la satire sociale) dans le cadre du « cinéma de qualité », Playtime, grand film
anticipateur, construit la Défense avant que la Défense n’existe, mais dit aussi que le
cinéma francais ne peut plus traiter du gigantisme de la réalité francaise, qu’il perd du
terrain sur celle-ci et que, comme elle, il va se dégrader en s’ouvrant a l’internationa-
lisation, c’est-a-dire l’américanisation, celle qui menacait déja le facteur de Jour de fete.
Effectivement, les deux films qui suivent ne sont plus entiérement francais (Trafic est
une co- -production, un film trés « européen »), ni entiérement du cinéma (Parade est
une commande de la télévision suédoise).
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majorité des clients dansent, dinent et paient. Rien ne rate vraiment dans Playtime,
bien que rien ne marche. C’est le trait unique du comique de Tati : nous sommes tel-
lement habitués par le cinéma a rire de l’échec, a jouir de la dérision, que nous finissons
devant Playtime par croire que nous continuons 4 rire « contre », alors qu’il n°en est
rien, alors que nous ne savons méme pas au juste ce que nous voyons dans |’image. Car
chez Tati il n’y a pas de chute. Les gags (du coup, le mot n’est plus adéquat) sont tou-
jours amputés de leur chute, du moment de I’éclat de rire: ou bien c’est le contraire :
il semble qu'il y ait une chute mais on n’a pas vu le gag se mettre en place. I] ne s’agit
pas d’une facgon retorse ou élégante de faire rire en jouant sur les ellipses, il s’agit de
quelque chose de plus essentiel : nous sommes dans un monde ot moins ¢a marche plus
ga marche, donc dans un monde ou une chute n’aurait plus leffet de demystification
et déveil qu’elle a la ott 'échec est encore pensable. De méme, l’autre sens du mot
« chute ». Nous avons affaire a des corps qui ne sont pas rendus comiques par le fait
qu’ils peuvent tomber. C’est le c6té non-humaniste du cinéma de Tati. Dans le comi-
que, depuis toujours, ce qui est humain c’est de rire de celui qui tombe. Le rire n’est
le propre de ’homme (spectateur) que si la chute est le propre de "homme (donné en
spectacle). Chaplin est l’archétype de celui qui tombe, se reléve et fait tomber, un spé-
cialiste du croc-en-jambes. Or chez Tati on ne tombe presque jamais parce qu’il n’y
a plus de « propre de l’homme ». L’un des plus beaux moments de Playtime est pour
moi celui ou une cliente du Royal Garden, ayant cru qu’un serveur lui présentait une
chaise, s’écroule au ralenti. Gag trés dréle mais de quoi rit-on, au juste? De quoi nit-on
dans Parade, pendant le numéro ott on demande aux spectateurs d’essayer de monter
une mule (en vain) ou celui ou des clowns ne cessent de tomber les uns sur les autres
en trébuchant sur un cheval d’argon? Tomber ici ne signifie plus rien qu’un mouve-
ment du corps parmi d’autres. Cinéaste non-humaniste, Tati est, assez logiquement,
captivé par l’étre humain en tant qu’espéce, cet animal dont parlait Giraudoux, qui se
tient debout « pour prendre moins de pluie et accrocher plus de médailles sur sa poi-
trine ». Ce qui est pour lui source de comique, c’est que ¢a se tienne debout et que ¢a
marche, que ¢a@ puisse marcher. Surprise infinie. A une dialectique du haut et du bas,
de ce qui s’érige et de ce qui s’écroule (art camavalesque, situation que Bufiuel a lon-
guement illustrée : tantét la caméra 4 hauteur d’insectes, tant6t Simon du désert grimpé
sur sa colonne), Tati substituerait un autre comique ou c’est le fait de se tenir debout
qui est comique et le fait de vaciller (la démarche de Hulot) qui est humain. S,D
ENTRETIENS AVEC JACQUES TATI
LE SON
Tati... entre les taureaux que l'on peignait en 1900 et ceux pas di faire ca ! Moi, pas du tout, je suis trés content d'avoir
de Picasso, il y a un petit décalage qui fait qu'il faut bien s'y tourné Playtime. Mais vous étes venus pour qu'on parle de
reprendre a deux fois pour voir que c’est un taureau... puis la bande son, je crois ?
une fois qu'on a vu que c’était un taureau, alors {autre il
parait ridicule, vous comprenez ? Parce que ce qui est Cahiers. Oui, on a entrepris aux Cahiers un travail sur le son
important dans le cas de Playtime, s'il y a quelque chose et on s‘est apercu en le faisant 4 quel point il était difficile d’en
d'important, c'est que justement, a la seconde ou a la troi- parler. Nous avons du mal a poser des questions sur le son et
siéme vision, le film ne m‘appartient plus, il appartient au les gens qu’on rencontre ont du mal a en parler. Vous-méme...
spectateur ; c’est le spectateur qui découvre des personna- On a relu I'entretien que vous aviez accordé aux Cahiers a /a
ges, qui les reconnait. Les gens qui disent c'est trop long, sortie de Playtime en 1967, eh bien lorsqu’on vous pose une
c'est parce qu’ils ne regardent rien, parce que si on regarde question sur fe son, vous dites : ah oui, c’est trés important et
tout, on est dans I’obligation de dégotter quelque chose, et puis immédiatement vous passez a autre chose parce que on
c'est pourquoi je crois que Playtime est un film qui vieillera sent bien que c'est un sujet trés difficile a cerner. Alors
bien. aujourd'hui, dix ans aprés on est la, pour essayer de revenir la-
dessus.
Cahiers. // faudrait peut-étre que les gens réapprennent a
regarder parce que avec la télévision etc. on peut se demander Tati. Si vous voulez, moi je n'avais pas voulu trop m’éten-
s‘ils savent encore regarder. dre sur les recherches parce que c'est pas forcément.ce qui
est intéressant. C'est le résultat qui compte... dans les
Tati. Ca c'est un probléme parce que la plupart du temps recherches. I! est certain que j'ai entrepris énormément de
ce sont les gosses de douze 4 quatorze ans qui ont raconté recherches, ca c'est sir et c'est méme ce qui avait touché
le film aux parents parce que les mSmes, ils savent, ils regar- Buster Keaton, parce que l'erreur de Chaplin, moi je m’en
dent; ils sont pas sclérosés par les quatre vedettes politi- fous, ca je peux le dire parce que c'est connu, c'est qu’au lieu
ques du petit écran... d'utiliser les possibilités sonores, il s'est dit: étant donné
qu'il y a du son, je vais pouvoir parler. C’est la ou il y a erreur,
parce qu’enfin... Chaplin parlait avec ses jambes et s’il avait
Cahiers. Mais qu’elle soit bonne ou mauvaise, la télévision
fallu sonoriser un film muet de Chaplin, il aurait fallu mettre
ne transmet quand méme qu'une quantité d'information trés
un dialogue sur son jeu de jambes... comme celui de Keaton
faible par rapport au 70 mm: il y a moins 4 voir. Done on
d‘ailleurs... Alors moi, pour prendre des exemples qui sont
S‘habitue peu a peu ane plus chercher midi a quatorze heures,
trés précis, vous prenez Les Vacances de M. Hulot, bon, il n'y
a moins regarder.
a pas de son, je fe tourne comme eux pouvaient le tourner,
et je vous donne la voiture de Hulot, muette, bon, elle va
Tati, Oui, c’est la facilité... peut-étre amuser pendant deux plans parce que elle a une
silhouette marrante et ce qu'elle aura a exécuter pourra a la
Cahiers. Et pourtant les enfants ont encore... rigueur étre drdle, mais par le son la voiture d’Hulot devient,
un personnage trés important dans le film. Avec tout le mal
Tati. Les gens rient bien quand méme ? Moi j'ai entendu que nous nous sommes donnés pour faire ces petits échap-
beaucoup de gens dire: il faudra que je revienne... Je pements, ces hésitations, de put, pat, pit, pouc, pan, qu'elle
connais un type qui l'a vu dix-huit fois, et puis je connais réveille I'hétel, elle emmerde ; cette voiture devient un per-
aussi des gens qui se sont débinés avant fa fin... mais moi sonnage plus important que si il y avait un type rond qui se
je 'aime bien ce film, personnellement, vous savez... méme mettait a chanter toutes les nuits pour réveiller 'hdtel. Donc
les mauvais peintres, ils aiment bien leurs toiles et je vois la personnalité de la voiture d’Hulot est sonore, rien a faire
pas pourquoi un type ferait un film et n’aimerait pas son pour me faire dire le contraire, d’ailleurs vous ne pouvez pas
sujet... [I y a beaucoup de types qui disent: ah non j’aurais dire le contraire non plus... Et souvent des gens vous diront :
ENTRETIENS AVEC JACQUES TAT!
il y a un truc que j'ai gardé en mémoire c'est le son de la
porte de I’hdtel des Vacances de M. Hulot parce que par des-
sus les commandes que le patron passait a ses serveurs
chaque fois qu‘un type rentrait il était annoncé par le bruit
de la porte. Donc utilisation du son. Bon. Vous savez, étant
donné que vous devez vous douter qu'il n'y a pas de film
comique qui ne soit pas contestataire, on ne peut pas faire
un film comique charmant, moi si je dois tourner l'arrivée
d'une voiture officielle a |'Elysée, je suis forcé de rater le
virage, le garde républicain est dans I’obligation de se débi-
ner a toute vitesse avec son sabre et en fait, il faut que je
dérape sur les graviers et qu'en ouvrant la portiére, le Pré-
sident de ja République soit sur te plancher ou ailleurs, ¢a ne
peut pas se produire normalement. Donc, 4 des moments
comme ¢€a c’est le son, parce que la porte par elle-m&éme ne
conteste rien mais le fait qu'elle dérange les estivants dans
la salle 4 manger, elle fait partie de cette contestation, vous
étes tous en train de bouffer et cloung! Et ca permet égale-
ment Ca, c'est un truc qui peut vous intéresser, de donner et Mon oncle
d‘utiliser le son pour permettre une certaine profondeur de
champ. Je vous donne [a un truc que j'ai fait : j'ai donné plus
d'importance sonore aux vagues de la plage qui se trouvent
au second plan qu’a un petit effet sans importance qui est
au premier plan. Bien. Parce que 4 ce moment la c’est bien
ce que l'on a visuellement et auditivement, c'est bien la mer.
C'est la vedette. Vous arrivez sur une plage et tout de «Je fais tous les réles »
suite: ah, la mer! D’ailleurs, rien que le son et le mouve-
Plavame
ment de cette mer I'obligent 4 prendre aussitét des allures
de champion... ies types arrivent sur la plage, les ventres se
rentrent, les pectoraux ressortent, si bien que les autres ne
sont que des figurants, faut qu’il se présente dans les
vagues, les vagues sont importantes, que fait-il pour ca,
pfffttt, il rentre son ventre, et il fait sortir ses biceps, ce qui
vous donne du relief a l'image. Et ca oblige - parce que
c’était déja le cas avant Playtime - dans Les Vacances de
Monsieur Hulot, les types a regarder un peu ce qui se passait
et il y a des gens qui rataient les effets comiques, justement
parce qu’ils ne regardaient pas. Alors Playtime c'est rempli
de ca...
Cahiers. Mais dans la recherche des sons élémeniaires, Tati. Oui, mais on peut pas en vouloir a un type qui a un
dans fa toute premiére phase du travail, quelles indications film avec une histoire a raconter s'il trouve que des effets
donnez-vous aux ingénieurs du son? Est-ce que vous leur dites sonores comme les miens viennent géner son récit. Moi,
simplement : il faudrait un grelot pour annoncer le facteur ou mon récit il est la, et le lien est insignifiant avec mon film:
est-ce que c'est plus que ca? on part en vacances, y a des gens, bon. A ce moment-la, on
pourrait mettre, comme vous le dites, les points sur les i
Tati. Ah non, je suis précis moi! Je dis je veux ca et on parce que il est certain dans le cas des Vacances de M. Hulot
cherche des bruits. Puis je dis non ¢a va pas du tout, c'est qu’il est facile avec du dialogue et sans demander un effort
pas dréle, c'est pas amusant... Par exemple, la démarche de au spectateur de dire : homme d'affaires a continué a faire
la secrétaire dans Mon oncle avec ses petits talons, j'ai cher- ses affaires, le jeune intellectuel de gauche n‘a pas arrété de
ché tout ce qu’on pouvait trouver pour lui donner une per- faire de Ja propagande contre la société, |'ancien colonel en
sonnalité avec ses talons, et je ne trouvais rien d'intéressant retraite n'arréte pas d’‘empoisonner tout le monde avec ses
et j'ai sonorisé, image par image, donc talon par talon, avec faits d’'armes bon, et les femmes continuent a avoir le méme
une balte de ping-pong, parce que ca a un son que j’avais comportement quand elles vont dans une soirée que quand
découvert dans Les Vacances, ou cette balle de ping-pong elles sont sur Ja plage a exhiber le plus beau short et en fait
avait pris une grande importance. Mais Ia il avait fallu en il n'y a que trois personnages qui avaient envie de passer de
rajouter un peu pour que on se dise: oh ceux-la avec leur bonnes vacances et ne plus s’‘occuper du tout de ce qu’ils
ping-pong! C’est la ot la contestation est accentuée par le avaient fait toute l'année dans leur bureau ou autre part.
son, parce que tous ces gens qui sont la, figés dans cette Hulot, on savait pas d’od il venait, ‘anglaise on sentait que
salle ou en fait ils s';embétent, quand la balle de ping-pong elle n’était venue 1a que pour s’‘amuser et le retraité, on sen-
vient les déranger dans leur partie de carte, visuellement, ce tait qu'il était content de pas avoir a retourner dans la
ne serait pas valable, mais par le son ¢a l'est. C'est bien ce bureaucratie; bon, donc si vous voulez, qu’est-ce qui est
que vous vouliez entendre non? Alors vous voyez bien que important, on n‘en sait rien, mais c’est 1a (puisque vous vous
jarrive quand méme a vous expliquer pas mal de choses! &tes en train d’étudier le son) que c’est le genre de film qui
au contraire a besoin de cette bande sonore, c'est son sujet,
et c'est pas facile, je peux vous le dire, c'est son scénario et
Cahiers. Donec vous demandez essentiellement aux ingé- c'est pourquoi il faut choisir ses effets de son comme un
nieurs du son de vous faire des propositions ? Et 4 lintérieur autre metteur en scéne choisit la qualité de ses acteurs.
de ca vous choisissez, vous cherchez et vous choisissez.
Tati. Moi, je cherche beaucoup. J’aime bien, je cherche, Cahiers. C’est finalement ce qui permet de différencier les
j'aime bien trouver un objet qui a un son différent et des fois personnages entre eux?
je le note, je le mets de cété, je dis,tiens,ca, formidable, y a
des lavabos formidables non? Tati. Ah ben oui. Parce que, moi, vous savez, il y a un per-
ENTRETIENS AVEC JACQUES TATI
Un terrain vague
TOURNAGE DE PLAYTIME
@
Paavo
Des maquettes
Tati. Non, non, il n'y a pas un comédien capable de vous Tati. Ah ben oui, parce que on faisait ca sur disques. Mais
faire ca, alors ca, faut pas avoir pris des cours chez Jean- ca m‘amusait et puis j'avais — et j'ai toujours — une certaine
Louis Barrault pour faire ¢a, non il faut en avoir la nature. Je passion pour ca. Et aussi pour bien choisir les personnages
l'ai trouvé aprés en avoir vu pas mal, mais lui,je l'ai trouvé des films parce que je les choisis d’aprés leur nature,je veux
intéressé, voulant bien faire, simple : ila des gestes de main dire on peut revoir, moi j'ai revu derniérement Jour de féte,
formidables, bon, et je lui ai posé des problémes avec le son bon, le film a trente deux ans, quand vous revoyez des films
justement. Parce que si ce tableau n‘a pas tous ces bruits qui ont été tournés il y a trente deux ans, les actaurs char-
bizarres, il va étre moins perdu, il va appuyer, mais du fait gent beaucoup plus que les miens dans Jour de féte, il y a
que chaque fois qu’il appuie sur son bouton, ¢a lui améne un une vérité dans le jeu des personnages des Vacances de M.
son différent, ce tableau sonore prend des proportions... au Hulot parce que c'est un vrai commandant, parce que je
début c'est du pi-pi-pi-pi, bon, jusque l3 ca va, mais quand mélange les acteurs, et dans le restaurant de Playtime ily a
ca commence a devenir spoutnik, it commence a s‘inquiéter quatre comédiens, le reste ce sont des vrais serveurs...
sérieusement. C'est la ou justement J’'apport sonore est
d'une trés grande importance et dans tout le film c'est Cahiers. Et les gens qui dansent ?
comme Ca.
Tati. \l y a de tout.
Cahiers. Et en méme temps, il n'y a pas de bruits qui ne
sojent pas strictement nécessaires, il n'y a pas lespéce Cahiers. A/ors justement dans une séquence comme celle
d‘ambiance qu'on met dans tous les films; quand on est du restaurant ow si on reproduisait tous les sons d’un restau-
concentré sur le tableau lumineux, on n’entend que les bruits rant, ca ferait un brouhaha, on a l'impression que vous sélec-
du tableau lumineux. tionnez un certain nombre de sons. En fonction de quoi vous
les sélectionnez ?
Tati. Ben oui, comme un acteur qui ne voudrait pas qu’on
n’entende pas son dialogue. D’arriver 4 dire bonjour rien Tati. Ben en fonction des besoins de l'image. Vous com-
qu’avec des bruits de fauteuil, hein? II I'a pas vu entrer, il prenez par exemple que quand on casse {a porte du restau-
entend un pfftt, il se retourne ah! bon ca devient automati- rant et qu'on se retrouve avec la poignée dans la main, on
quement un trés bon dialogue sonore, car le plus formida- entend un peu les voitures dans la rue, mais pas beaucoup.
ble, moi ca m‘a fait rigoler, c'est que des gens qui faisaient Or, si on devait sonoriser complétement le passage des voi-
un peu la gueule - et qui continuent a la faire d’ailleurs — sur tures, la porte n‘aurait pas l'importance qu'elle a. Pour qu’on
Playtime, c'est qu’eux-mémes quand ils rentrent dans une y croie, il a bien fallu se cogner dans une porte de verre pour
salle de cinéma... les exploitants ont rendu le public trés obtenir ce son - doung! - et c'est la ot les gens rient, parce
ordinaire car tous les types en prenant possession de leur que c’est ca qu’ils auraient entendu si on avait cassé une
fauteuil pétent, et puis aprés quand ils voient ca sur le film porte. C'est comme pour le manége a la fin, quand il devient
ils disent ouais, ouais, et eux n‘ont pas arrété de péter pour comme un manége de chevaux de bois, la circulation, eh
s'asseoir, parce que ils font tous du bruit pour s‘asseoir, bien, si on avait entendu toutes Jes voitures il n'y aurait pas
alors évidemment si on passe.a cdté de ca, on passe auto- eu ce cété poétique...
matiquement a cété du film.
Cahiers. La premiére opération, c'est en quelque sorte le
Cahiers. // y a d'ailleurs un dialogue extrémement élaboré « casting » des sons. Comme pour les comédiens, il s‘agit de
quand le type s‘est assis et qu'il sort son stylo, qu’ensuite il se trouver les bons. Ensuite il y ale montage. la mise en place de
gratte et quill écrit. ces sons. Quel travail, quelles nouvelles recherches ca repré-
sente ? Et est-ce que vous vous livrez a un travail sur les sons
Tati. Ah oui, il est sonore lui, il a tous les tics de pst., pfuit., proprement dits, je veux dire des modifications, du_ trafic
ce qui est vrai d‘ailleurs; le nombre d’hommes d'affaires en dordre électronique par exemple ?
Amérique qu’arrétent pas de se gargariser raaaooo, le nez
{es narines, des pstt, les stylos, les papiers, bon, c’est un bon Tati, Non, non...
exemple de I'apport important de la bande son et c'est pour-
quoi la je vous ai demandé d’aller revoir le film parce que c’est Cahiers. C‘est donc uniquement une mise en place...
toujours difficile de parler des choses qu’on connait mal.
Tati. Peut-étre que ca fera des progrés, peut-étre que dans
Cahiers. C’est une des difficultés qu'il y a a parler du son: peu de temps on pourra modifier un son mais ca n’aura pas
on ena moins la mémoire que des images. Et c'est une autre la vérité... Mais les sons vieillissent assez bien quand ils sont
originalité de vos films, c'est qu'on en @ Ges souvenirs sono- bien enregistrés. Aprés |'an 2000, ce que je ne verrai stre-
res, méme trés loin dans le temps. Dans Les Vacances de M. ment pas, une bonne gifle aura toujours le son d'une gifle.
Hulot, méme quand on ne I’a pas revu depuis longtemps, il en Une mére a son fils ou une femme qui voudrait giffer son
reste beaucoup de choses sur /e plan sonore. La chambre a air mari, je ne vois pas ce qui pourrait... a moins qu'il ait gardé
pendant I'enterrement, le bruit de son dégonflement est plus sa pipe dans la bouche... le metteur en scéne aura a peu prés
fort, aussi fort en tout cas, dans le souvenir que son image. le m&éme son. Tout le jeu du tennis a évolué terriblement
mais les sons des balles et des raquettes, j'ai regardé a
Tati. Ah oui, sGrement, strement. Mais remarquez, j'ai Roland-Garros, c'est le méme, quoi !
ENTRETIENS AVEC JACQUES TATI 13
Cahiers. Mais il y a tout de méme des possibilités de jouer a2 un moment. On a l'impression qu‘au tennis avec le bruit de
sur le son pour creuser l'espace, pour jouer sur les phénomé- la balle, paf, pat, on n‘oublie pas le son, mais devant un match
nes d‘écho... : de foot a la télé...
Tati, Oui mais alors {4 c’est un autre style, c’est une autre Tati, Ya pas beaucoup de son non plus...
intention. On peut, on pourra tout faire. Mais moi je suis pas
tellement optimiste sur la possibilité de raconter de meilleu- Cahiers. ¥ en a quand méme... lly a beaucoup de son dans
res choses. Parce que les ingénieurs se sont penchés sur un match de foot: les coups dans fe ballon, les cris que
des problémes différents. Je me demande si au point de vue s‘envoient les types...
création... enfin je parle pour les auteurs, je me demande si
¢a a apporté grand chose, je ne crois pas, pas tellement. Tati. Quais, mais les micros, ot ils peuvent étre ?
Cahiers. Mais en méme temps vous &tes trés soucieux d'uti- Cahiers. // faudrait justement qu'ils disposent leurs micros
liser ce que la technique permet de mieux. de maniére un peu savante. Techniquement, ce serait faisable.
Tati. || faudrait...
Tati, Oh le son c'est pas nouveau !
Cahiers. /e crois que vous avez fait des essais dans ce sens
Cahiers. Par exemple il y a peu de réalisateurs qui ont vrai- avec Henri Roux ?
ment le désir de travailler en stéréophonie.
Tati. On a pas eu de veine. On est tombé sous la flotte.
C’était a Bastia... d'une tristesse !
Tati. Oui, mais il n'y a plus de salles...
Tati. Mais eux,ils ont été encore plus loin, les américains, Cahiers. Faire un peu comme au théatre. Accentuer en fonc-
il y a tellement de chaines, les types passent d'une chaine tion des réactions du public ?
a l'autre, ils ne peuvent pas suivre. Et moi je crois qu’au
cinéma, ce que j‘aimerais c'est avoir une salle pour recevoir Tati. Ben c'est ce que j'ai appris au music-hall. Quand en
les gens avec un hall et tout. On traite les spectateurs matinée, vous avez trente personnes vous avez intérét a pas
comme des pignoufs quoi! Il y a des petites barriéres trop charger. C'est Bresson qui disait de Jean-Louis Bar-
comme a la Villette... C'est pourquoi ils préférent quand rault: quand on le voit arriver sur une scéne on se demande
méme tre installés chez eux; ils voient Borg avec un ce qu'il vient faire... c'est vache... y a un peu de ca quand
scotch, ils disent: tiens i! a moins bien joué aujourd’hui. méme, on sait pas si il vient tirer les rideaux, donner des
ordres, il y a un petit coté comme ca.
Cahiers. Justement on avait un peu réfléchi a ¢a aux Cahiers Bon, les enfants, maintenant faut que je travaille un peu.
JACQUES TATI
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PROPOS ROMPUS
Tati. || faut que je recommence ? Je suis trés mauvais a quitté l'écran, a droite, et puis il est revenu, dans l’image,
quand je recommence. Le type qui recommence, plus il a droite ; bon, c’était une erreur et cette erreur est devenue
recommence, plus il est mauvais. Bon, alors moi, ce que un sujet de discussion que j'aientendu parla suite en ciné-
javais essayé, et ca je peux recommencer parce que c'est club: « Alors ce plan, ot le facteur... etc.
vrai, c'est d'ouvrir une fenétre, une baie, disons sur ce qui
nous entoure, et puis comme on s‘installe a une terrasse de Cahiers, Le hors champ, pardi...
café, de bistrot, aux terrasses les gens parlent, et moi je
disais : ce que j’aimerais c'est que les gens se parlent en se Tati. Hors-champ... Si vous voulez, je crois qu‘a !intérieur
montrant les choses parce que,en somme,|le dialogue du de Playtimeje peux expliquer, je peux vous faire voir avec un
film n’a pas en fait une grande importance, c’est un peu un petit stylo et un bout de papier, vous allez comprendre que,
brouhaha. Donc, ot je suis satisfait, c'est que aujourd'hui les quand on a parlé de non-construction, eh bien c'est absolu-
gens commencent vraiment 4 se parler dans la salle, Moi, ce ment faux ! Il y a pas d'histoire dans Playtime? Il y a des
que j'ai eu comme indications c'est que les types se parlent types qui sont prisonniers de I’architecture moderne parce
carrément, se montrent les endroits, les objets: « Tiens que les architectes les ont obligés a circuler d'une telle
regarde-le, regarde... Quoi ? - T’as vu, regarde la, y a l'avion facon, toujours en ligne droite, et le fait que l'on ouvre une
qui fond ». Pour les autres films si il y a un type qui parle pen- boite de nuit, un cabaret dont les travaux ne sont pas termi-
dant la projection, y a toujours un autre type a cété qui fait nés, tout a coup c’est la personnalité de chacun qui reprend
chut !... parce que ils vont voir, je sais pas moi, ils vont voir le dessus. Bon, attendez, vous avez une feuille de papier, !4 ?
un film d'une certaine importance, méme le film américain Je vais expliquer la petite construction personnelle, je vais
dont vous parliez la, Retour, je ne vois pas un type bavardant vous faire voir... si vous avez une seconde. Voila le début du
dans la salle sans que les types se retournent en faisant Hé | film, j'ai demandé aux acteurs d’abord de suivre des lignes:
Hé hein ? J'ai payé, foutez-moi la paix ! jamais de ronds ot de demi ronds, tout le monde suit les
lignes de l'architecture moderne. Et tout est construit
comme ca, toujours a angle droit dans les bureaux-labyrin-
Cahiers. Tandis que pendant Playtime /es gens ont cons- thes,dans les cases, c'est l’architecte qui en a décidé ainsi
cience qu'il se passe des tas de choses et qu'un spectateur et tout le monde suit, tourne, retourne, Le magasin c’est la
tout seul ne peut pas tout voir, donc il signale a son voisin vite méme chose, le magasin d’exposition. On le prend, tourne,
ce qu'il a vu... ll y a une sorte de solidarité du spectateur. retourne, personne ne peut prendre des virages. Puis, bon,
arrive la boite de nuit et déja il y a l’indication parla publicité,
Tati. Oui, si vous voulez, je vous raconte ce que je crois Venseignement lumineuse qui ne marche pas, qui ne peut
avoir une certaine importance. Chaque cinéaste qui aa pré- pas encore donner des indications précises, hein, bon, mais
tention de faire son film en en prenant toutes les responsa- on sent un semblant de... et !4 par suite des erreurs de
bilités, depuis le moment ot il se trouve devant une feuille l'architecte, elle n'est pas préte. Alors on commence a tour-
blanche jusqu’au moment ot cette feuille blanche va se ner un peu autour du décor. La publicité commence a fonc-
retrouver un écran blanc, et que ce qu’il a décidé de faire va tionner. Deuxiéme virage: les gens dansent. Troisiéme
se retrouver en projection devant des gens alignés et qui virage : et on tourne, on retourne ici et... on tourne, on tourne
vont regarder ce qu’il a créé. Créateur, c’est un mot emmer- méme carrément.. Bon, si bien qu’en fait, je suis pas peintre
dant parce que c'est prétentieux et ca me géne — I'époque hein, vous devez vous en douter, mais ca devient un tableau
ou il y avait plus de créateurs qu'aujourd’hui, il n'y avait pas moderne. On se retrouve a la fin avec un manége qui ne
besoin qu'il signe; il y a eu une période ou si on allait voir s‘arréte plus et qu’en fait ce sont les gens qui ont pris en
un film de René Clair il n'y avait pas besoin qu'il mette son mains leur fagon de vivre dans leur décor, ce qu’ils préférent.
nom sur le générique en disant « vous savez, René Clair, C’est clair ?
c'est moi» - bon, c'est la méme chose aujourd’hui avec
Woody Allen, quelqu'un qui va voir un film de Woody Allen Cahiers. C’est trés clair. Mais 4 partir du moment ou les
il sait que c'est un film de Woody Allen, par son moyen gens commencent 2 tourner il n'y a plus de retour a des tra-
d'expression. C’est comme Renoir et tout ¢a... Eh bien, nous jectoires droites ? C'est irréversible ?
faisons tous des fautes d’orthographe mais ce qui est mar-
rant c'est qu’en vieillissant ce sont les fautes d’ortographes Tati. An non, c'est terminé ! Il y en a plus, plus un. Méme
qui touchent davantage les spectateurs. Moi, il y a eu un le type quia acheté un truc au prisunic, une de ces conneries
plan dans Jour de féte ou l'opérateur avait fait une grave qu'on vend aujourd'hui, bon, eh bien il part avec un petit et
erreur: il devait suivre le facteur, un peu en panoramique, avec des guirlandes, et tout ca. Le prisunic, le café, déja ou
parce que il y avait un virage, sur ta route, et il devait le reca- les ronds commencent avec I'auréole du prétre. Bon, enfin
drer, bon, il ne l'a pas fait ; donc, a ia prise de vue le facteur vous n’avez pas le temps — mais je peux vous prendre dans
JACQUES TATI
}
{ Ty
oy!
iH
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Tati. C'est triste non ? Ils acceptent tout ! Mais ils accep-
Cahiers. C'est peut-étre la politique aussi ; vous croyez
qu'avant ils étaient plus dréles que ¢a ? tent quatre types qui défendent des opinions politiques soit
disant différentes et qui sont les mémes. C'est le méme dia-
logue, c'est le méme scénario, il n'y a que l'adaptation qui
Tati, Oh ben dites, si vous remontez trés en arriére, la qua- change un peu. Ils acceptent. Faut le reconnaitre, mais vous
lité du dialogue était bien supérieure. Moi qui ai une petite croyez pas ?
20 JACQUES TATI
Cahiers. Ce que vous dites c'est vrai pour le cinéma mais position, plus je me marrais... Et plus je me marrais, plus il
dans le domaine de fa presse, il y a bien des revues des jour- était coincé et les autres ont commencé a m’accompagner
naux qui disent tout ce qu'il ne faut pas dire. Des trucs comme — moi j'arrive a trés bien me marrer, j'ai un rire trés commu-
« Charlie Hebdo », « Harakiri », prendront justement comme nicatif — donc j’ai entrainé le rang qui était derriére et le rang
Sujet la femme dont la main a été amputée pendant l’accou- qui était devant. Bon, alors 1a ils ont fait un signe et tl y aun
chement, des choses comme ¢a. flic de St-Germain qui est venu : Monsieur, vous manifes-
tez ? Je dis : je manifeste pas du tout, moi je trouve ca trés
Tati. Oui, maisje les connais bien. J'ai été bouffer avec eux dréle. Est-ce qu'on a encore le droit de rire? Moi ca
ta semaine derniére, avec Cabu et tout ca et ils sont m‘amuse beaucoup... Trés bien. Et c'est moi qui ai gagné la
inquiets, parce que leur tirage baisse énormément, ce qui soirée et le type est parti furax avec ses dossiers devant des
prouve qu’ils se répétent. Cabu m’a dit : moi maintenant je gars qui s‘étaient vraiment marré. Il a été tres mauvais, donc
suis contesté par mon fils; alors est-ce que c’est le fils qui je 'ai rendu encore plus mauvais, donc i! a pas été nommé,
doit faire « Charlie Hebdo », j'en sais rien mais... ca va trés donc j'ai contesté comme il fallait. Et ca c'est une arme dont
vite... Moi, je leur ai dit : votre truc est pas marrant ; souvent les jeunes ne se servent pas beaucoup, parce que dites-vous
«Charlie Hebdo » me faisait rire, maintenant j’avoue que ca me bien que dans I’'humour, on peut aller assez loin, alors que
fait plus rire énormément. Alors ca améne une nouvelle sion écrit... Je sais pas, y a un qui est passé une fois a la télé-
génération qui se prend trés au sérieux. On a facilité les cho- vision qui a vomi sur Giscard, comment il s'appelle ?
ses.
Cahiers. Edern Hallier.
Tournage de Trafic
22 JACQUES TAT
moins ici etc. Un succés commercial en Amérique permet Et quand on dit qu’ils sont tous mauvais, c'est faux, parce
des recettes que les films francais sont incapables de faire. que, moi, a Trouville, j’'en ai vu de bons. Et puis il faut en faire
Mais vous prenez le CNC, ils ont beaucoup d'argent, faut un pour en faire un second. Moi, si aprés mon premier qui
pas qu’ils nous racontent des histoires, eh bien ils ont était si mauvais, j‘en n’avais pas fait un second, c’est pas
dépensé des milliards pour refaire des salles de cinéma, vrai que je vous aurais fait Jour de féte, comme premier film.
avec tout le confort, fauteuils de dentistes et tout ca. Mais Faut connaitre son métier, enfin!
ils ne vont méme pas dans tes salles de projection pour voir
si on passe le film avec un objectif valable, dans les propor-
Cahiers. Et votre projet sur le court-métrage, c’en est ou ?
tions dans lesquelles le film a été tourné... au Boul’Mich,
Playtime, on enléve un métre de projection a gauche, un
métre a droite: y a plein de trucs qu’on voit plus du tout. Bon, Tati. Mais j'arréte pas, je vous dis, je suis te Don Quichotte
mais ¢a, ca ne les touche pas. Alors c’ était un choix a faire : de la pellicule ! Je vais me retrouver a la Bastille avec une
ou il fallait dépenser pour repeindre, arranger, changer un pancarte: «Court métrage! Court métrage!». Alors, je vais
peu de fauteuils mais continuer a produire des films impor- peut-6tre avoir une entrevue avec Monsieur Lecat, c’était
tants ou il fallait refaire pour trés cher toutes ces salles. dans France-Soir hier... Deux pour cent de la recette pour les
Alors moi, je préfére étre assis comme je suis la depuis un courts métrages, ca permet aux jeunes cinéastes de faire des
bout de temps et ou je suis pas mal, plutét que dans ces sié- courts métrages avec quoi ils peuvent récupérer leur argent
ges ultra-confortables ou j'ai toujours peur qu'on vienne et la possibilité d’en faire un autre. S‘ils n’ont le droit que
m'opérer. Donc, si vous voulez, je crois que ca va étre trés d’en faire un, comment voulez-vous savoir ? Moi j’en ai la
dur. C’est pour ca que je m‘occupe du court-métrage et que preuve, elle est précise, le premier court-métrage que j'ai fait
je vais allez voir Lecat... pas pour moi, je lui ai dit : c’est pas était minable. Donc c’est bien parce que j'ai pu en faire un
pour moi que je viens vous voir parce qu’avec tous les pro- second... Et si je je retrouvais, ce film, il est tellement mau-
blémes que j'ai eus, I’Etat ne s’est jamais penché sur mon vais qu’il ferait peut-étre rire les gens aujourd'hui. Mais je ne
cas, jamais. On a dit: il est fou... quel décor !... une fortune !... sais pas ou il est, il est peut-étre dans une baignoire chez
Il met un temps... «tatillon », ils m’ont appelé... facile |! Mais Langlois, j‘en sais rien. Tant que vous n‘aurez pas ¢a, le
je ne vois pas comment ils peuvent aujourd’hui, avec leur cinéma, ¢a ne sera que du dialogue. Et puisque nous vivons
organisation commanditer un film cher, je vois pas. Vous avec les inconvénients et les avantages d‘un régime capita-
savez, c'est une période qui est comme ca : demandez a un liste - parce que y a pas que des inconvénients, hein, moi
architecte s'il a le droit de nous construire aujourd’hui un je connais aussi l'autre cété, c'est pas a se taper les fesses
immeuble ou les portes soient solides... par terre, pas gai... la preuve, c'est qu’ils font pas de films
comiques...
Tati. Parce que c'est moi qui me suis fait un petit plaisir.
ire... 2 EE
Hehin
Playume : le son-fautcuil
enregistrés le plus souvent en studio ou achetés au métre hétérogénes en tout cas (l’avion du Testament d'Orphée)
en sonothéque. Chaque enregistrement n’était porteur que la machine enregistre et restitue sans discemement
que de l'un de ces éléments — la réplique du suspect au (cette machine a peu changé depuis trente ans et n’est pas
commissaire, le claquement d’une porte, le démarrage de toujours a la hauteur de la situation. C’est le systeme de
la traction avant, trois mesures de Kosma ou Misraki — la restitution du son a partir d'une piste optique mono-
que rien d’autre ne venait perturber. «Silence, on phonique qui porte la principale responsabilité de cette
tourne!» et sur ce silence se mettaient en place le(s) grande médiocrité). C’est engorgement. La virtuosité
texte(s), le(s) bruit(s), la (les) musique(s). des preneurs de son et ’habileté roublarde des mixeurs
(ils trichent — et ils ont bien raison - avec le son-vérité!)
Fabriquées de cette maniére, Les Vacances de Mon- n’empéchent pas toujours le grincement des parquets ou
sieur Hulot se distinguent pourtant par la complexité du le cliquetis des fourchettes de voler la vedette aux dialo-
travail opéré, le nombre, la qualité des ingrédients sono- gues, au texte. Revers de la médaille : la matiére sonore,
res, la subtilité de leurs jeux, de leurs variations, la pré- plus riche, échappe partiellement, résiste, a ses servants.
cision et la coloration de leurs interférences.
Prenons le cinéma dix ou quinze ans plus tard, au Playtime, encore, étonne.
moment de la fabrication:-de Playtime : le tournage en
décors naturels et la prise de son en direct — de plus en Rien a envier au meilleur du cinéma direct pour ce qui
plus fréquents — donnent a la bande-son une authenticité, est de la richesse de sa pate sonore — il n’était pas inutile
une épaisseur, un poids, qu’on ne lui avait encore jamais d’en faire deviner la variété des composants. Rien a
entendu. envier non plus au cinéma traditionnel pour ta maitrise
Ce faisant, la scéne sonore s’encombre d’une profusion avec laquelle cette pate est travaillée. Comme si chaque
d’éléments extérieurs incontr6lés, satellites ou parasites, fois, Jacques Tati réussissait la synthése des possibles.
CLAQUEZ VOS PORTES DANS UN SILENCE D‘OR
Le son direct ne pouvait lui convenir et Playtime est
entiérement post-synchronisé. ;
L’idée méme par exemple de prélever, tel quel ou a
peine retravaillé, un pan de réel aussi important que ce
que les ingénieurs du son appellent « une ambiance »,
une ambiance-rue, une ambiance-restaurant, s’accorde
mail avec Tati. li est constructeur, pas décorateur. Pierre~
sur pierre, apres avoir fait place nette de tout ce qui
Pencombre, il construit son palais; il ne repeint pas la
maison des autres.
Pour le son comme pour le texte ou les gestes, ou le
décor, Tati disloque, fractionne, broie, sélectionne, orga-
nise son matériau et le recolle a sa facon.
Dans cette perspective, le son stéréophonique était une
providence, une nécessité.
Les Vacances avaient pris des risques énormes a ces Playume ; Ja soirée chez, Schneider
: ue en . ee
ala part dhumain revendiquée par Hulot est tellement mince. » (Playtime)
visages, se différenciant a peine des exemplaires de la verra apparaitre, mais, au terme d'un processus de déper-
série des humains. (Comment d’ailleurs les « sujets » se dition réglée que jimagine étre celui de la matiére
reconnaissent dans Playtime? Ils se font des signes de loin vivante, avec notamment ses systemes de dérivations et de
et il va facilement erreur sur la « personne ». Cependant, remplacements provisoires (le garcon a qui l’on refile les
il paraitrait que Hulot a eu des camarades de régiment et piéces d’uniformes usagées ou souillées) un chaos bizarre
_ que ceux-ci le « reconnaissent ». Dans quelle douteuse ott tous les éléments resteront distincts, juxtaposés, isolés
existence ces histoires de relations humaines ont-elles eu (et cette impression d amortissement des actions, comme
un poids?). si rien n’avait jamais vraiment lieu, il n'y a pas d événe-
ment chez Tati) jusqu’a la fin, en formidable et multiple
Les gens semblent porter leurs «espoirs» sur une non-liant annoncant les futurs et trés spéciaux numéros
petite ritournelle musicale (bien typée par la musique de de music-hal! de Parade.
Francis Lemarque) venue des temps anciens des temps
de Paris et de ses faubourgs, des bistrots; ce sera aussi une En fait, la part ?’humain revendiquée et « incarnée » (!)
chanson exécutée, lors de la féte finale du « Royal Gar- par Hulot est tellement mince, dérachée surtout, qu'on
den». par une femme rousse peut-étre native de Ménil- he peut ici parler d’émotion, tant ce sentiment exige un
montant... Petite musique errante, venue d’un corps minimum de corps-langage. Peut-étre plutdt, l"évocation
social révolu. c’est peu dire que, comme Hulot et ses @un temps antédiluvien, ou un conditionnel : i] y eut de
complices, elle se coule mal dans le film. Car, rien ne se homme, i/ ¢ aurait eu de (homme. Et pourtant, dans
« coulant » (on sens ol ce terme exprime une possibilité Playtime, il suffit de lever la téte, de regarder au loin, loin
d'harmonie, de mélange heureux) dans Playtime, elle des actions de l’espéce humaine, pour qu'un autre regard
continue 4 flotter, isolée parmi les autres éléments, soit possible: c’est Ja vision ouverte, profonde, limpide
menacée de subir le méme traitement que ce turbot d’un ciel bleu pale au début du film, c’est aussi. lors du
nappé a la créme qu’on (ne) sert (jamais) au « Royal Gar- départ de la jeune Anglaise, ce moment ou la Ville se met
den» et dont on n’ose penser qu’il fut un jour poisson a « parler» dans ses hauteurs ou ses lointains, les éléva-
dans l’eau. (On verra d’ailleurs la « musiquette » que Tati teurs jaunes ou les lampadaires de la route ne cessent pas
affectionne révéler sa nature inquiétamment mécanique pour autant de faire penser 4 des insectes ou parties
dans Parade). d’insectes, mais ils sont pointés vers le ciel, incroyable-
Et donc on va chanter et faire la féte au « Royal Gar- ment gracieux désormais. Bientét. la Ville s‘illumine
den », quand ca va se détraquer, ce n'est pas l’me qu’on dans la nuit. Il nous reste horizon. B.B.
leurs rythmes propres, selon une hiérarchie de décalages
sonores, des fonctions gestuelles. Ces fonctions-la ne
représentent pas, n’expriment pas tout a fait : elles habil-
LA VITRINE lent.
PAR Pourquoi ce monde ne comporte-t-il que des scénes
JEAN LOUIS SCHEFER (c’est-a-dire des actes de mémoire indéfiniment répéta-
bles) et pas d’histoire ? Je vois bien qu’en de telles scénes
est pour ainsi dire uniquement et constamment perpétrée
une exténuation de passage du sens entre les personnages.
il y a trés souvent chez Tati, c’est plus qu'une cons- De méme que histoire ne traverse pas le monde, de
tance figurative, des sortes de sémaphores. Sur de tels méme qu’aucun scénario ne permet de le franchir, aucun
appareils on reconnait donc une silhouette, c’est-a-dire trait de signification jouée n’unit les personnages : cha-
a peu prés l’ébauche d'un personnage. Mais cet appareil cun est porteur des stéréotypes de sa propre gestuelle.
soupconné d’étre humain (et le plus humain, habité du C’est un peu, par exemple, le fameux «turbot a la
mécanisme du monde dont il est le mime burlesque ou Royale » de Playtime préparé successivement pour trois
indifféremment tragique) n’aurait été composé que clients par trois serveurs différents, constamment poivré,
comme ces formes de carton découpé destinées a projeter salé, couvert de sauce, flambé, véritablement « nappé »
leur ombre derriére un drap blanc, C’est ici d’un relief, de gestes, de bruits, finalement affligé d'une cloque, qui
d'une voix (et non d’une histoire propre, elle est indevi- sort de l’imagination et du possible de la nourriture pour
nable) que sont dotées ces figures; c’est donc une proba- circuler comme un étre en plus dans le restaurant. C’est
bilité nouvelle qui vient au monde. donc, par ces singuliers arréts de narration, le monde qui
est suspendu en des disproportions sonores, gestuelles : et
A travers Hulot (et les innombrables silhouettes de cela seul ne cesse en effet d’y advenir, le monde est capté
Hulots qui proliférent dans Playtime), un « opérateur» tel que la mémoire le déformera; aucun message ne par-
provoque une constante catastrophe: la maladresse de vient, la signification ne meurt pas pour quelqu’un: elle
celui qui est parachuté dans cet univers le montre divisé devient un étre fossile. Le monde de Playtime grouille
dans la transmission de gestes et par son épaississement ainsi de telles quantités d’informations immobiles, de
sonore. Le corps de Monsieur Hulot ne trébuche, ne ris- voix, de gestes, de couleurs. A moins que le monde ne se
que le faux-pas que parce qu’il est pris dans la glu de rap- détruise, comme le restaurant de Playtime, chaque por-
ports sociaux : des masses sonores, des mouvements accé- teur de geste reste enfermé dans sa zone de performance
Iérés ou ralentis ou bien des statues, c’est-a-dire des gestes comme les gnomes flamands dans leur sphére de cristal.
de désignation qu’aucun objet ne rend tout a fait proba- Ce monde-la ne cache cependant rien derriére lui: il est
bles et n’achéve. Ce monde ne se raconte plus, i] est un une vitrine.
enchainement de fragments figuratifs. Hulot n’est pas
ainsi un « caractére poétique », Cest d’abord un opéra- L'idéologie de Tati n’est aussi qu'une perception dis-
teur de tout le champ visuel : il en révéle a la fois la tex- créte de cet univers : i! suffit de deux consciences inexac-
ture et la série d’accidents; il ne détruit en nous qu’une tes de ce monde, de deux consciences de son décalage
durée de fiction ot: nous sommes habitués a voir au interne pour le détruire ou pour le révéler : la jeune fille
cinéma des transitions de monde. Comme si ce dernier ou Hulot introduisent a leur maniére un autre temps.
devenait un aquarium géant a plusieurs vitres of par un Cest-a-dire le soupcon qu'il existerait des corps inaddi-
dispositif subtil d’énormes poissons se frolent. se regar- tionnables dans le monde.
dent sans jamais se voir.
L’@tre social tel qu'il se singularise ici en fonctions de
Ainsi des Juur de féte, dés Les Vacances de monsieur détails nous atteint justement, nous émeut de cette
Hulot, le scénario semble « suspendu »—a cause de ce qui étrange vérité en plus : il est un étre offert non au « type »
apparaissait d’abord comme une sorte d’entétement ges- mais a la caricature fatale, a une existence réflexe; ainsi
tuel d'un personnage, et de facon tres hallucinante, par la des amorces de « tableaux vivants » de Playtime : la vie
maniére dont le personnage du facteur ou celui de Hulot sociale comme tableau est la cohabitation ou la série des
construit avec persistance sur lui-méme. ou sans cesse a enchainements ratés de gestes inéluctablement sélection-
cété de lui-méme, un second corps mécanique désespé- nés : Ja vie sociale est figurative. Le mystére de ce cinéma,
rément voué au sens et voué en méme temps a un irré- outre sa perfection, tient-il aussi 4 sa pensée la plus énig-
médiable décalage du sens: les personnages de Tati ne matique : chaque personnage est défini par l’exécution
sont pas ainsi spectateurs dans leur monde, plus étrange- parfaite, c’est-a-dire aussit6t disproportionnée, de quel-
ment, et plus intégralement des acteurs — c’est-a-dire des ques gestes. II exerce la son destin, non son action. Cha-
porteurs de séquences d'action ~; en eux s’accuse la que personnage est encore le porteur singulier de quel-
maniére dont I’intention, le sens ne parviennent a venir ques signes d’altérité absolue. 1] n’empéche que ce monde
au monde — le monde de Monsieur Hulot ou de Playtime ou le burlesque ne peut pénétrer puisqu’il n’offre pas la
reste paradoxalement intouchable, méme lorsqu’il ne moindre durée fictionnelle, n’enferme — pour un charme
cesse de se détruire : ce monde-la mest ni traversé ni cons- ou une terreur supplémentaires — que des identiteés.
truit par une histoire, par un atome de narration : c’est le
milieu dans lequel coexistent mystérieusement, et selon LLS.
LA VITRINE ; 3t
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MARGUERITE DURAS
Le Camion devait mettre fin a tout projet cinématographi- absence d‘identité. matiére sans matiére. de Vimaginaire. ou
que: « Pius la peine de faire le cinéma de la politique. plus la toute forme vient 4 jour et s'abolit. C'est laccompagnement
peine de faire le cinéma du cinéma », maisilaire le silence par obligé de I'extase ou des diverses formes d’ascension ou de
une maniére redoutable de poser les questions ultimes. [I y transport, ouverture de Fespace profane sur un autre espace
avait un chemin sans but et l"exigence de la fable. Pourtant, rien qui lui donne sa vérité. l'un des signes sur lesquels s‘ordonne
de prévisible de ce qui pourrait se dire encore, au-dela de ce le désir mystique d’union avec Dicu. A propos du nuage on
renvoi mutuel de la fable et du discours, comme fin d'une épo- peut noter également ceci : « Nu/ne peut vivre qui ait vu la face
que. le « post 68 ». Mais le monde a continué de survivre a sa de lahve. laquelle doit demeurer cachée, comme son nom
fin : les déserts se font rares pour les migrations errantes, et sur méme, Moise lii-méme nen aura apercu que le revers. Pré-
la terre cadastrée tous les chemins conduisent au centre des vil- sente dans la nice qui en autorise la manifestation @ propor-
les. De maniére immeédiate, l’échec de la réflexion et du mou- tion quelle le dissimule. la Gloire de lahyé ne se donne a voir
vement politique, pour en oublier les présuppos¢s, occulter quen se dérohant, de méme que son nom » (Hubert Damisch :
l'Histoire, produit la nostalgie du contenu ct la fable, la fiction « Théorie du nuage », p. 78). Mais dans Le Navire Night, ce
pour elle-méme et lidylle de la plénitude de chaque moment. mouvement vers le nuage. au début du film, est de ordre d’un
Mais Le Navire Night (1979) est daté 1973-1975, Paris d'un « ceci est un nuage », de rien d’autre, ct méme Ies apories que
hypothetique retour de Chine: aucune trace de « Juif alle- ce conslal pourrait entrainer sont immeédiatement bloquées,
mand». mais texte, désir, Nom-du-Pére, mort, jouissance et rejetées, pour une image noire: c'est une histoire de nuage.
discours d’Amour. Le moment, le licu et les thémes: parce d’image noire et d’une voix narrative, celle de Duras. qu’on
qu'il n‘est d’utopie que de l'heure historique, et qu’il ne s’agit entend dans lobscurité : « Je vous avais dit qu'il fallait voir »,
ni de s’en détoumer ni de s’en affranchir; parce que le disciple cest d’ailleurs pour cela qu'on est au cinéma. Mais ce n'est pas
d'Amour ne peut se satisfaire d'idylle et de romantisme. Mais simplement de regarder qu'on nous demande: « Voir comme
(‘Amour d’ordre général, l’aspiration infinie, pour le Tout, de ilfaut, c'est essenticlement mourir. C'est introduire dans la vue
la Dame du camion, comment pourrait-il quitter le chemin, ce retournement quest Vextase et qu'est la mort » (Blanchot).
revenir. habiter. s'incarner dans une histoire, recevoir un corps Du visible done contre la perception cinématographique,
et un visage. se réduire 4 une présence phénoménale? Le dis- contre la reproduction technique comme réduction du tout a
cours essayiste, comment pourrait-il, oubliant le mouvement Pétant ainsi donné; un Réel, qui n’apparait que lorsque toute
de la réflexion, se dépasser en une fable. se parachever en réalité est niée. Mais sans opposition simple des termes :
ceuvre d'art? Chaque film de Duras est un point de non retour: lauthenticité du matériau et le désir de foeuvre pour arrucher
on ne retrouvera donc pas le lyrisme quia précédé Le Camiion, Puniversa la racine.
le lien a la conceptualité sera sauvegardé et la mélancolie de la
réflexion. Il s’agira précisément de ceci : du refus du « sens» a Duras purle d’Athénes et filme Paris : l'image et la parole ne
pénétrer dans la vie empirnique. dunce histoire comme son se correspondent pas. Athénes saisie par l’éclat du soleil, Paris
absence, d'une fable pour parler de la possibilité de l’impossi- sous le ciel d’orage qui bouche "horizon: identité d’autre
ble et de l'image comme absence, marquee de cette impossibi- chose dans les deux capitales du monde, les villes sidérées par
tité du Réel 4 devenir image. le manque d'amour. On verra encore une fois Paris, il scra
question deux autres fois d’Athénes, vers le milieu et a la fin
du film. Référence 4 Athénes (lieu d'origine de !’Occident?),
« Je vous avais dit qu'il fallait voir » comme les flashes radiophoniques de Nathalie Granger. pour
rendre atlentifa un sens général dans ce que lon va entendre
Un coin du rideau et un zoom traversant la barre vers les et voir. Trois profils pour définir Athénes: au début la ville
nuages dans le ciel - unique passage 4 travers les fenétres bar- sidérée par le manque d'amour, le silence de la nuit en plein
rées qu'on verra dans les images: cette fenétre fictive aussi jour; a la fin. la mer, l'odeur de Ia vase, les rats crevés, |‘odeur
dont on dira a la fin qu’elle était ouverte 4 tous les regards qui de louzo: la mort et la décomposition: et au milieu du film,
auraient voulu voir. Le nuage : inconsistance, impermanence, entre la ville frappée de mort et la mort dans la nature: le
MARGUERITE DURAS
musée. Lieu qui résume une ville pour une solitude étrangére, pratique de humanité. Le navire est livré aux éléments, il
espace ou l'on a recueilli les divinités passées, le dernier tem- efface sa route 4 mesure qu’il creuse les sillons qui doivent le
ple, celui de la religion de PArt, dont l’archiprétre avait dit porter d’un inconnu a un autre inconnu. C'est un réve, le pas-
qu’il avait cette fonction: « métamorphoser la pourriture sage d’une rive a l'autre, la barque des morrts, la nef des fous.
dégottante du cadavre du temps ». Mais, musée inimaginable Un navire est un objet autrement chargé de connotations poé-
et tremblement du temps : les statues meurent aussi, blessée : tiques qu’un camion: désir, réve, aventure, fiction. folie,
la statue dont on parlera. lépreuse : celle d'une fontaine pari- mort...
sienne que l'on verra. On croit pouvoir piéger le temps dans
l'image, manifester le sens, mais de la divinité incarnée ne sub-
siste - et encore : la statue disparait des vitrines entre la visite Le Musée d’« art moderne »
du matin et celle de l‘aprés-midi - que la blessure d*une ceuvre
Le Navire Night, Cest le fantéme d'un vaisseau, flottant sur
d'art et ce qui en résume lessence : le regard énigmatique qu'il
V'espace noir de la salle de projection : des voix narratives, une
pose sur les spectateurs. « La blessure du visage est terrible.
caméra en mouvement, des images de lieux, d’acteurs. L’éloi-
Elle doit étre pour beaucoup dans la profondeur du regard. Ce
gnement du Réel utopique nécessite que l’euvre devienne le
regard vers vous, vers celui qui regarde. Mais a travers lui aussi
lieu de sa propre possibilité : tout se résout maintenant en pro-
et encore beaucoup plus loin, au-dela de la fin. comme tou-
bléme de langage et de matériau. La prise de conscience du
jours dans "histoire,je vois, « sans voir », oui. c’est ca». La ville
cinéma comme tel s’était effectuée avec le retrait de l’utopie.
sidérée, la nature pourrie, la divinité ancienne devenue ceuvre
la réduction au quotidien, l’impossible qui s’y inscrit, et la dif-
et I'ceuvre mutilée en voie de disparition, posent sur vous ce
ference marquée dans l’image de image dans son adhésion a
regard qui vous traverse, exige de vous ce méme regard, un voir
Pespace. Plus tard, le rapport 4 l'image, comme un rapport
sans voir. L'Histoire sous-jacente a cette autre histoire, l"his-
impossible a Vorigine, avait été rendu présent dans l’image
toire des autres gens, qu’on va raconter dans la bande sonore
donnée comme simulacre. Mais méme lorsque le désenchan-
du film, est posée a l’extérieur de la fable, comme son point de
tement du monde I’avait réduit 4 une ruine, le matériau ciné-
référence, sa dimension véritable : parce qu’une fable ne pour-
matographique restait absent de l’image, parce que l’absence
rait plus dire Histoire et qu’aucun sens n‘advient sinon sous
était la comme absence de quelque chose qui avait eu lieu ail-
Pespéce d’une fable.
leurs, dans un autre temps. C'est lorsqu‘il a fallu réaffirmer la
possibitité de l'impossible contre la suffisance du donné que le
« La ville est vide damoureux » film s*est scindé en lui-méme, qu'il a commencé a se référer a
son propre processus pour s’effectuer : mais méme dans ce ren-
Des « vues » de Paris saisissantes : la ville au lointain, vidée voi mutuel et dans la non-coincidence du motifet de la vision,
de ses habitants, sinistre, pétrifiée, figée, immuable, seconde il n’y avait de place marquante pour un grand projecteur qu’a
nature d’autant plus terrifiante que ce n’est pas la nature, mal- la fin. Ici, it n’existe aucun rapport spéculaire de la fable au
gré ses allures de paysage avec colline et champs, mais la cité motif, mais comme des noeuds de sens créés par le matériau.
des morts avec les tours du front de Seine et de la Défense, c’est
un désert astral, jonché des triomphes de l’Ennemi : IEdifice. Devant une porte, projecteur et réflecteur-miroir. quelque
Le donné et sa prépondérance. « La ville est vide d'amoureux, chose se brouille dans le réflecteur, l'oeil hésite, cherche: la
que quelqu'un quelque part sorte de soi et fasse quelque chose » cameéra s’ébranle et on saisit mal d’abord sa position exacte; le
(Hafez) « La vie biologique et sociale incline tres profondément mouvement passe devant des fenétres - images = fenétres, mais
@ se fixer en sa propre immanence : les hommes aspirent sim- pas ici, elles sont fermées, on ne les traverse pas. au contraire
plement a vivre et les structures sociales @ demeurer intactes; un projecteur éclaire du dehors les barreaux; dans une piéce
et Léloignement, fabsence d'un Dieu actif rendrait omnipo- adjacente, derriére des projecteurs, comme sur le plateau du
rente T'inertie de cette vie qui se suffi & svi-méme et s‘aban- muet, un pianiste joue... Il n’y a aucune matiére sur l’écran,
donne en paix @ son propre croupissement, s'il n'advenait aux mais des images, filmer le matériel cinématographique ce sera
hommes, saisis par la puissance du démon. de s élever parfois toujours projeter des images sur un écran, D’ailleurs, Duras ne
au-dessus d'eux-mémes - d'une manieére infondée et infonda- s’enferme pas dans les impasses de la représentation. La
ble - et de renoncer aux fondements psychologiques et sociolo- « chambre noire » du Camion est devenue un plateau, mais
giques de leur propre existence » (Lukacs). Depuis Socrate, le non le studio qui sert a « réaliser » des fictions, plutét une
« démon », qui n’est ni divin ni humain. est l’autre nom du désir. demeure véritable « déréalisée » par le cinéma, comme lieu
d’absence et du Réel et de la fable qu’on raconte. A Paris, la
nuit, la solitude de la grande ville - ot l’on ne se voit plus mais
Face 4 la nuit des temps, a la pétrification, au croupissement, ot lon se téléphone - un samedi soir (évidemment) lui,
cet insensé: le désir d’un sens. méme absent, impossible, le « Phomme du film » téléphone, elle aussi. et ils fabriquent une
désir de l’ceuvre comme le lieu de son absence. Un désir qui ne histoire, histoire d’amour, histoire sans images, histoire d*ima-
peut avoir d‘autre réalisation que de se déclarer; un désir ges noires, chacun créant lautre 4 partirde sa capacité d’aimer.
détourné aussi, qui a eu ailleurs son origine, l’origine qui se dit Ils se parlent, se disent.
peut-étre, dans cet autre désir, 4 travers la fable qu’on invente
pour que le désir de 'ceuvre puisse s'‘énoncer. L’ceuvre qui nest Ils se décrivent : « Voici ce queje suis, c’est la jouissance nar-
pas de linconscient seulement par I’attention accordée au pro- rative » de l'imaginaire, le corps, les seins, la douceur des seins,
cés d’énonciation. « Les mouvements du Navire Night elle parle d’un désir d’elle qu’elle-méme peut partager, et que
devraient témoigner d autres mouvements, qui se produiraient cela fait peur. Libéré de Viconoclasme, Le Navire Night est de
ailleurs et seraient de nature différente : les mouvements du nouveau un hymne a la caméra, de mouvements complexes,
Navire Night devratent témoigner des mouvements du désir. » lents. d’une rare beauté. La caméra parcourt la facade arriére
Un camion, c'est un objet moderne, « désenchanté », d’une du musée d’Art moderne. Le choix du motif n'est pas neutre.
utilité précise, consacré au transport d’un chargement, lié au On a remarqué la fonction du musée dans le discours du film.
travail, au rendement, au principe de réalité, il se déplace sur Lorsqu’on parlera de la mort de F., (la) femme du film, la
des routes désignées. Un navire, c’est une terre flottante, un ter- caméra sera dans la cour carrée du Louvre. dont la fonction
ritoire fictif, une fiction portée par l’eau : marin ct marchand funéraire, culturelle et cultuelle, est connuc. Le muséc, c’est
sont depuis toujours des maitres de la narration, la plus vieille aussi lorigine de lceuvre réduite a elle-méme, et de son
Dominique Sanda (tournage du Navire Night}
absence de fondement. Mais jusqu'ici n‘importe quel batiment « Cette histoire est arrivée ? »
consacré a cette fonction aurait pu étre choisi, bien que le choix L’arbitraire de cette intentionnalité est rappelé d’ailleurs
d'un musée «d’art moderne » ne soit pas un hasard. Reste dans le lieu cinématographique du film - « le plateau » par l'un
cependant, c’est l’essentiel, le batiment filmé dans sa relation des acteurs : « Cette histoire est arrivée? » L’alternance plateau
au discours narratif. Ce qui se déploie 1a comme espace de - extérieur renvoie constamment la fable a elle-méme. Le
autre scene, de l'imaginaire d’amour, c’est une scéne de théa- bonheur de Ja narration, détruite, a cede wux pensces conscien-
tre, le grec revu et corrigé comme on sait, escalier, plateau, tes, aux themes posés sans aucun semblant d’unité, d’appa-
fond, niveaux différents, avec des reliefs, des scénes pseudo- rence organique : I"hétérogéne des niveaux, des éléments sépa-
mythologiques, statue de femme voilée, de nu couché, figures rés, abstraits dans leur séparation, discontinus, disloqués.
dune langue morte pétrifiée, incarnées sur une scéne vide, tan- L’extériorité du Réel et de la réalité se remarque 1a surtout of
dis que l’on parle des corps. L’espace méme, masse-volume- devait se produire l’incamation, chez les acteurs: ils parlent
ligne, grace au mouvement de la caméra, devient un support avec le hors champ. Et ils peuvent le faire, parce qu’ils ont
lyrique pour les paroles de jouissance. Bien plus, le mouve- cessé d’étre des « acteurs » pour devenir eux aussi des specta-
ment conimence avec le ciel reflété dans les grandes vitres et teurs de histoire : leur présence met en question la réalité de
se termine lorsqu’on parle de « peur », sur un coin noir de suie cette histoire, mais ils sont par moments comme traversés, bri-
en bas de l’édilice, comme sur une tombe. On ne dépasse lés par la fable. Lorsqu’on les maquille, on les annule en tant
jamais, on ne transfigure pas le motif, laissé dans son lieu, en que ce qu’ils sont pour les métamorphoser en ce qu’ils ne sont
dehors de (image. L’image méme ne devient pas le signe pas : mais le processus est arrété juste au stade de la métamor-
d’autre chose, mais lieu d’une double absence, celle de ta chose phose, tls sont niés dans leur étre pour devenir l’absence des
filmée et de ce dont on parle. Mais elle ne se réduit pas sim- personnages, exactement comme la demeure est niée pour «de-
plement a étre l'image du filmé, qui n’existerait pas sans venir»la fiction d'un plateau — le lieu de l'absence d'une
Pintentionnalité qui le filme, intentionnalité sans laquelle il histoire. Manipulation, transformation en objet, tout ce qui
n’y a pas d’ceuvre et a laquelle aucune ceuvre ne se résume. arrive aux hommes dans le visible du film. Nous voyons trois
36 MARGUERITE DURAS
acteurs en train d’étre maquillés: la jouissance perverse de différence du Réel et de la réalité, c’est une entreprise sans fon-
Dominique Sanda, le regard inquiet de Bulle Ogier, le recul dement, éphémére, conjoncturelle, qui doit assumer les failles
ironique et ensuite I’effroi glacé de Matthieu Carnére. Impres- de la situation historique et dépend de son procés de produc-
sions déterminées, sans doute, par ce que !’on entend : la leu- tion et de réception: l’apparition du désir de l’ceuvre met
cémie, la mort, I’effondrement sur le visage de Dominique Vauteur dans la dépendance de l’autre. La télé-communication
Sanda, le regard de la statue blessée sur celui de Bulle Ogier, dans la fable n'est peut-étre que le déplacement de cette autre
la jalousie, l’épisode de l'amour fou de D. pour un prétre sur recherche de communication, non seulement entre les deux
le visage de Matthieu Carriére, (homme et les femmes n’étant voix narratives, mais entre Duras et les auditeurs-spectateurs,
pas vulnérables au méme endroit. projetés sur l’écran en la personne des acteurs. Voix, vocable,
invocation, appel, réponse, jouissance et agonie, dit Duras en
Une tunique sur le mur, tirée 4 quatre épingles, du feu lors- parlant de ceux qui lancent des rendez-vous dans la nuit, en
que la caméra s’approche, absence de corps et de visage, méme racontant histoire du chat qui appelait sur les Champs-Ely-
lorsqu’elle sera portée par Dominique Sanda. Arrivé a sées. « L’ceuvre » ignorait la communication, qui apparait, en
Vabsence, personne n‘a jamais pu en partir, c’est 4 de tels absence d’ceuvre, lorsqu’elle nest plus que {frustration
moments que vise le film, pour marquer d'un « non » la posi- mutuelle. Le désir de l'ceuvre veut déloger le spectateur de son
tivité de l'image, sa prétendue présence ontologique et sa pré- lieu, du lieu de son amour pour les images-illusions, il lui
tention de « montrer»: « Sur le texte du désir aucune image, demande la réciprocité : s'annuler comme spectateur et parti-
laquelle, je ne vois pas, alors il n'y a rien a voir, » Ce qui est le ‘ciper 4 I’élaboration de I’euvre, a la fabrication de cette his-
probléme du film va devenir aussi le centre vital de la fable; toire d’amour. Mais le spectateur n'est pas venu 1a pour écou-
l'un et l'autre se relaient, apparaissent et s’éclipsent comme des ter seulement !a belle voix de Duras. Par V'intermédiaire de
fils entrelacés. Dans un récit classique, les moments structu- lV’acteur, c’est lui qui proteste contre l’absence d'image, comme
raux sont implicites et s’imposent peu a peu, dans un récit «homme du film », le spectateur du film « veut voir».
fabriqué, ce sont de tels moments, c’est la conceptualité qui
commandent la construction, mais la répétition des motifs, Puisque l’idée de voir fait peur, que c’est une fagon de liqui-
partois littérale, en général avec variation d’angle, de lumiére, der l’histoire, d’y mettre fin, 'homme du film veut voir. Dif-
de mouvement, s’‘oppose 4 ce qui pourrait se produire ainsi de férence entre elle et lui, l’activité de la femme dans le déclen-
théorique. La répétition est l’'exigence minimum de la forme, chement de l'amour, c'est elle qui évite les imprudences, dit-
la liberté du processus du film a l’égard de la fable racontée, on. Elle. c’est tout un roman familial. la maladie, !a folie. ct
mémoire interne, renvoi réciproque, réseau de sens. Telle l’absolu de la mont. Invisible, elle est « toute » divine. Elle a pu
place avec des bancs vides dans un carrefour des bois revient méme le voir, ce que lui, qui survivra 4 ce qu’il appelle sa folie.
constamment au commencement des séquences, comme pour ne pourra jamais fairc, bien - ct surtout parce - qu'il le désire.
annoncer un changement de niveau. Ou bien des mouvements Il veut le voir sous son visage désirable, absent, interdit, et il
sous les arbres, vers la terre, éclairée au loin d’une lumiére bla- mourrait s°il voyait l‘invisible, son désir se tarirait si le visible
farde, lunaire. comme des mouvements de désir, ceux d’un pouvait le satisfaire. Un jour, elle lui envoie des photographies,
navire sur l’eau, comme un rayon de lumiére qui se déplace- histoire s’arréte, tuée par une image, détermination, réduc-
rait, de l'eau qui se répandrait lentement, s’enfoncerait dans la tion de l’universel indéterminé de la parole. Toute image n'est
terre, mouvements tournants qui reviennent vers un tronc pas l’image unique du désir, la photographie sans ¢nigme
d’arbre double, vidé en son milieu, noir, marqué de mort. Dif anéantit limaginaire, néantisation de la réalité. Le désir de
férence de la nature et des objets culturels : ceux-ci, coquilles, l'homme du film est comme le désir de ’ceuvre qui se meut en
ossuaires d'intériorité morts, complexes de sens pétrifiés, le direction de la réalité pour faire brusquement volte-lace au
film doit les nier dans leur présence pour qu’ils deviennent moment ou il l'atteint. La caméra, braquée sur un écran blanc
matiére d'un mouvement lyrique, et résonnent du désir, du et un projecteur, comme chaque fois qu’il s’agit de « voir », fait
mourir de ne pas mourir; la nature est par elle-méme dépour- le tour du « plateau », hésite, désorientée, revient peu a peu en
vue de signification, mais ce qui y est pressenti n'y est pas sim- arriére, vers le réflecteur ct le projecteur du début, et lorsqu’on
plement projeté. i! est 14 pour qui s’y transporte prét a tout raconte que l’homme a rendu la photographie, que l"histoire a
quitter. recommencé, la caméra dépasse sa position initiale et décou-
vre un écran imaginaire, un pan de mur délimité par deux pou-
tres.
« Je suis préte @ tout quitter »
« Elle », c'est du cinéma »
« Je suis préte a tout quitter », c’est ce que F, qui vit entourée
du bois, aurait dit, c’est ce que disent les voix, ce que les spec- La substance de notre monde n’est plus tel ou tel sens ou sys-
tateurs lisent sur les tableaux noirs. En principe les « négres », téme d’idées, dont on voudrait démontrer le vide, la conven-
placés hors champ, servent d’aide-mémoire aux acteurs, ici tion. Ce qui a conduit des écrivains au cinéma, c’est la réduc-
Yon ya écrit ce que Ics voix narratives lisent sans doute mais tion du monde a une gigantesque machinerie d’émission et de
sur des (euilles de papier. Cet artifice, en soi modulation lyri- consommation d’images, des idées et des produits comme des
que de ce qu’on a entendu, est l’inscription méme du double altributs d'images, de l’argent comme unique réalité. et des
mouvement de négation au travail, permutation du champ et regards achetés au grand magasin, D’ou ce refus de l'image.
du hors champ, suppression des acteurs et d'une fiction en Cette histoire d’image noire, du désir qui « n’est pas ready-
acte, l'absence des narrateurs projetés sur l’écran, l’écho figé de made, prét-a-porter ». Il y a ici comme un retour a la fonction
la narration et lintégration du spectateur au processus de du manque, a Ia fonction désirante de l'amour. un déplace-
réflexion du film sur son déroulement. Dans Le Camion, dis- ment d’accent dans I’ceuvre de Duras: ce retour en deca de
cours auto-référentiel, Duras était apparue dans l’image, en Détruire dit-elle, en deca de l'utopie révolutionnaire, l’opposi-
absence de toute fiction, son absence dans I’image, condition tion de l’amour et de la ville (comme assomption du donné)
de la fiction, ne rend pas possible pour autant ne serait-ce que n'est pas simple répétition de La Musica, d’autant plus que de
le simulacre d’une fiction, mais l’exposition du matériau. musical, cette fois, le film posséde bien plus que le nom. Non
« L’euvre » était un en soi hors du temps, indépendant de qui plus un devoir-étre (La Musica), un désir d Amour, qui pour-
le produisail ou le percevait; devenue lieu d’exposition de la rait se vivre ailleurs dans le réel de Vutopie (Dérritire dit-clle),
Bulle Ogier, Matthieu Carriére et Dominique Sanda dans Le Navire Night
mais réinvention du désir qui était mort (Vera Baxter), Veffet cinéma? A ce moment, dans l'image, le lieu du cinéma prend
du réel, l'invivable ici. Non plus le souvenir d’un rapport 4 Pallure d’une salle de projection, le spectateur assis devant
Vimpossible (La Femme du Gange). La lumiére hélderli- lécran est directement interpellé par le film qui reconnait ainsi
nienne, le feu, ’'arrachement d'une folie post-révolutionnaire, sa propre facticité, mais aussi son mystére.
non pas la communauté, mais la solitude, quelque chose
d@infesté de mort, d’obscur, de maladif, la certitude que le Cinéma, téléphone, solitude
fatras, la brocante et la poubelle ne pourront jamais étre ébran-
lés. Non pas l’évidence mythique (/adia Song), 'ambiguité du Ici se pose le probléme de l’authenticité du matériau:
lien de image a l"imaginaire, l’au-dela du dire, la permutation Vabsence de fondement, le caractére expérimental de l'art
spéculaire de l’aimée a la place de Il’amant, mais l’en deca du actuel, l’indépendance de l’idée et du matériau posent des con-
dire, au niveau de la coupure, du non-rapport: non pas le ditions difficiles. La version théatrale du Navire Night démontre
miroir, mais image noire. L’universalité de la relation au que le cinéma, matériel neutre au départ, est devenu détermi-
miroir sous-tendait le rapport du spectateur 4 India Song, ici nant pour Duras. Au théatre, les renvois au film. au cinéma,
le film invente son propre interdit, son manque constitutif, au font sourire ce sont des renvois a autre chose et ils ne sont pas
lieu de la dimension mythique, image noire renvoie au pro- vraiment ironiques, Mais le plus grave c’est la question cen-
cessus interne du film, a son devenir comme ceuvre d’art : pas- trale de l’image et le « voir », et elle ne concerne pas le théatre.
sage du lyrisme pur a l’ironie. Cette dimension ironique est Méme si la scénographie d’aujourd*hui est souvent une recher-
dailleurs « exposée » comme les autres éléments du Navire che d’image, avec parfois des emprunts au « cinéma », c’est de
Night, elle renvoie immédiatement au matériau. Il n’y a pas de PImage qu’il s’agit, de l’irréalité, pas du tout de la reproduction
simulacre, de figuration seconde comme effet de matériau, technique. Cinéma, téléphone, solitude et grande ville font
mais l'exposition du matériau comme absence de figuration. partie d'une méme réalité, mais le thédtre, méme lorsqu’il
On a vu que l'histoire recommence lorsque ’homme du film parle de la solitude des grandes villes, garde encore quelque
rend les photographies 4 la mére légitime de F, lorsque la chose d’un événement cérémonial et communautaire. Son
caméra découvre un écran imaginaire. A la demande de principe méme c’est la co-présence de l’acteur et du spectateur,
lhomme, la mére lui communique le numéro de téléphone de cest a partir de cette co-présence qu’un irréel se produit
FE, mais a chaque fois qu’il appelle il tombe sur une salle de comme vision. Co-présence et vision,et non plus photographie
cinéma. La mére appelée au secours pour que l’amour et la fic- et vision, auraient di constituer le probléme structurel de la
tion puissent continuer, la mere, ’amour, l'image et le cinéma? piéce; la relation des acteurs 4 l’irréel qui les hante. C’est ce A
Qu’« elle », c'est du «cinéma», que s‘il veut voir le visage de quoi tend, par force, la mise en scéne: entre l’oratorio et le
Amour, il n’a qu‘a aller au cinéma, ou bien qu'il se fait du théatre, des récitants sont traversés par ce qu‘ils racontent,
MARGUERITE DURAS
habités du désir J’un pour l'autre, sous effet de (histoire, ils qu’on parle et qu’on montre le seul lieu ow le réel et la réalité
sont niés a de trés rares moments dans leur présence pour que se touchent: le tombeau.
des personnages «apparaissent » virtuellement, comme a
quelques instants privilégiés les acteurs 4 Iécran. It n’y a pas
cette neutralité des voix narratives possible par l’extériorité Les narrateurs se référent 4 un journal que homme du film
complete, la distance objectivante des images cinématographi- aurait tenu, la fable est « vécue » de son cété, et précisément
ques, et la dualité des « sujets » dans la narration. Au théatre, pour cela c’est la « biographie » de F.qui en est le contenu, c’est
il n’existe d’autre objectivité, et combien inconsistante, que elle quia une histoire, qui est 4 connaitre. F.lui aurait dit qu’il
Yacteur, c’est sa présence qui crée la scéne, l’espace vide, c’est pourrait trouver son nom, le nom de son pére, inscrit sur une
son geste, sa parole qui produisent les mondes. Par principe, pierre tombale, dans une lignée, une histoire. Mais il n’est pas
accessoires et décors sont inutiles. Au cinéma, I’acteur est une allé au cimetiére qu’on nous montre, il ne veut rien en savoir.
figure dans l’espace de l’image indépendant de lui. C’est pour- du nom du pére, pas plus que des photos. C’est par le nom,
quoi le théatre peut parler d’absence de relations humaines, il disait Hegel, et par lui seul que le singulier devient une réalité,
Ne peut pas montrer un monde vidé d’hommes: édifices, qu’il est différent d’avec tous les autres et pour tous ceux qui
riviére, bois, cimetiére. Le théatre est le monde des actions, non partent. Mais il ne veut pas de « réalité», pourtant « elle
pas le monde des objets, aussi la version théatrale du Navire existe », la question sur son existence est sans objet, l’existence
Night n’a pas la signification et "importance de sa version ciné- comme telle est nécessaire et suffit comme détermination, elle
matographique, pseudo « épopée » d’un monde dépourvu de existe, peu importe laquelle c’est, celle-ci ou celle-la, les deux
sens, ou le sens, imaginé, ne peut pas s’incamer dans les objets, actrices du film, ’ouvriére ou la riche héritiére, la brune ou la
devenir image. Sur la scéne, avec des chaises renversées, on blonde, la femme de soixante ans de HLM de Vincennes qu’il
veut et on peut évoquer des tombes, mais elles auraient aussi aura « vue » ou la jeune femme qui meurt de leucémie qu'il ne
bien pu évoquer une armée, des montagnes ou un champ de verra pas, vivante ou morte, la femme a existé, elle existe, c'est
coquelicots tout en restant des chaises et cela n’aurait géné per- pourquoi elle n’est aucune d’entre celles qu'on peut voir dans
sonne. Au théatre les objets sont !a comme support d’irréalité, Pordre de la réalité. I] ya un homme, un pére, un acteur, mais
non pour eux-mémes, ils dépendent de la parole. Les images les femmes sont au moins deux. Mere légitime et mére illégi-
cinématographiques peuvent étre surdéterminées par la time, F serait l'enfant d’une domestique, une batarde née de la
parole, mais elles ont leur propre existence et elles déterminent pauvreté et de la richesse, roman familial inversé qui soutient
la parole a leur tour : tout se produit, dans le film, a rintérieur la fable. L’indétermination caractérise cette « dérive » : au télé-
de cette différence irréductible de la parole et de l'image. Lors- phone les voix sont indistinctes. celle de la mére légitime et de
que la parole et image, le nom et la chose — et au niveau des la fille. Il n’aura connu d’« elle » que les voix, et ne voudrait
motifs l’édifice et la nature — coincident dans le film, c’est surtout pas de la catastrophe d’une rencontre.
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Jai été fou 4 aussi d’autres indices qu’il refuse : aprés l'image et le nom, un
ct « signe du ciel » pour lui désigner le lieu de son désir, une fon-
Elle, c’est ’'expérience de la limite, elle le voit, elle | le pour- | taine en construction dans le jardin de Neuilly, qu’il ne trouve
suit. « Hest pris dans la surveillance. Il ne cherche pas a savoir pas, elle lui dira aussi qu’elle est malade et toujours au lit, que
qui est derriére lui. Elle le provoque a@ ce jeu de la mort. Qu'il de la rue on peut la voir. I! reconnait qu’il aurait pu Ia voir sil
se retourne et voie qui, et [histoire meurt foudrovée. » lavait voulu. H dit-qu‘il était fou mais ignore de quoi et répéte
L’homme du film est pris dans l’autre scéne, comme Ia proie qu’elle a existé : c"est précisément la — sa folie et I"existence de
de ce « voir vers le loin et a travers », dont on vient de parler lautre—tout ce qui lui a été donné de savoir. « Le regard cons-
a propos du regard de la statue. Images de plus en plus en titutif», le point de vue de l’ceuvre, si l’on peut dire, ne va pas
contre-plongée, de la chaussée déserte, désolée, a l’écart. au-dela de cette expérience vécue, mais la propose et se pro-
entourée d’arbres, l’asphalte déchiqueté, blessé, des trous pose comme objet de réflexion : « Le film n’a pas été tourné.
remplis d’eau qui reflétent le ciel. La marque d’absence est ici Il y auraiteu des gens ici, plongés dans une réflexion commune,
la plus forte, parce qu'il s’agit d’image non aveugle, comme si trés absorbante, et qui tout a coup se serait arrétée — par la
le monde se voyait dans un reflet. Dans ce regard absolu, tout mort? demande Benoit Jacquot — ou par un doute, tout 4 coup,
regard humain, regard dun « sujet » est élidé, d’ol Fangoisse d’ordre général. » Il y a eu la constitution d’un film, absent,
macabre, quelque chose comme une annihilation pure et sim- comme objet de réflexion et de doute : « La profonde certitude,
ple. Et ceci depuis le début : le ciel dans les grandes vitres du inexprimable par d'autres moyens que ceux de la création
musée d'Art moderne, du Louvre, les plans répétés de la Seine artistique, d'avoir réellement atteint, apercu et saisi, dans cette
reflétant Paris au crépuscule lorsqu‘on parle de la venue de la renonciation et cette impuissance @ savoir, l'ultime réel... »
nuit,de la peur. Un miroir est un objetde fabrication humaine, (Lukaes).
cemé, limité avec un but précis. Une vitre est transparente, ce
qu'elle refléte. c’est un « plus», qui n’intervient pas dans sa
premiére fonction: quant a l'eau. elle est indépendante de Un monde sidéré
existence et du regard des hommes, elle refléte toujours par-
tout, méme s'il n’y a personne pour regarder, elle est sans fin, Le non-savoir, l’'inachévement, « l'inexistence », l’auto-iro-
cest « l"eau du monde ». Cette absence dans Iimage, est-ce le nie du film a son propre égard, est exposé dans le caractére
regard élidé de "homme qui se sait vu et ne veut pas se retour- d’artefact du film, dans l’absence d’harmonie préétablie entre
ner, est-ce le regard de F. qui le traverse? « Le corps délivré de la vision et la technique, dans une réflexion sur la technique
lobscur par le détour de Vautre, et devenu la clarté de soi- cinématographique, qui devient le contenu de la fable en tant
méme » : ce qui fut la voie de Stein et d’Alissa, ici c’est le non- que probléme d’« image » et de « voir». Chaque terme est
retour de la folie, et homme du film le refuse : soit se retourner exposé dans sa séparation abstraite, catégorielle, d’avec les
et regarder, réduire l’autre a un corps et une image et tuer Phis- autres : un monde sidéré, qui repose uniquement sur sa facticité
toire. soit perdre son corps, se laisser annihiler par la folie. Ici, et la force de sa subsistance, et « cette aspiration nostalgique
Orphée ne céde pas a l’appel de l'autre, il préserve I"histoire et des hommes qui tend vers un utopique achévement mais ne
Voeuvre. qui n'est ni du Réel ni de la réalité, mais le lieu de leur recoit comme vraie réalité qu’elle-méme et son désir »; tandis
relation problématique. que la dissonance, l’impossibilité du Réel a pénétrer dans la
réalité empirique, est présentée en tant que probléme de maté-
Il n’y a évidemment dans ce film que des images, des paroles, riau et catégorie formelle, excluant la cléture de l’ceuvre
mais le spectateur est piégé par leur cours, métonymique et comme totalité sensible. Exposition, catégorie limite, absence
métaphorique, lui aussi est cette absence dans l'image: de de cl6ture : non pas l’obsession de l’achévement, mais le désir
négation en absence. ila fini par étre en proie a ce qui n’est pas de Ia création contre la mort que serait l’ceuvre. Puisque tout
la. Mouvements croisés, affolés de la caméra, comme se heur- est devenu marchandise, toute objectivation est aliénation et
tant aux vitres des fenétres du « plateau », s’élevant des angles réification. L’Impossible est ce que l’ceuvre désire, quand elle
du plancher, rasant les murs, effleurant les actrices figées, assi- est devenue le souci de sa propre origine : le lieu de la passion
ses dans la pénombre, endormies: il s’agit, grace 4 la suspen- sourd et aveugle qu’on ne peut atteindre par les images et les
sion, a la déréalisation des motifs. d'un cinéma abstrait; non paroles. L’autre du sensible. L’impossibilité de l’ceuvre et la
pas des hommes en acte, mais la projection sur !’écran, au volonté de la distinguer de son apparence sensible - récupéra-
moyen des sons et des images, des émotions, des sentiments. ble par Villusionnisme hédoniste de l'industrie culturelle, qui
des idées. A ce point extréme, dit-on, l'homme du film prend a transformé « la promesse du bonheur » en bonheur a la por-
peur, il refuse de franchir le pas. il préfere le gouffre commun tée de toutes les bourses - exigent cette explicitation du com-
a cette autre solitude ou F,l"entraine : l’aurait-il fait, pourrait- Mentaire implicite dans toute contemplation esthétique. Le
on imaginer qu’il le ferait, que la fable aurait été tout autre et processus de construction et de destruction de l’ceuvre néces-
le film différent. On n‘aurait pas assisté a cette séparation de site la réflexion et la médiation du spectateur, mais au-dela des
la fable, des motifs et du matériau, 4 cette non-coincidence du apories de la représentation, grace a la subjectivité reconnue et
processus du film et de la fable, au dépassement de la fable par délivrée de sa volonté de domination : par l’évidence du maté-
la réflexion. A ce moment, comme si le film aussi avait atteint riau. Les motifs niés au profit de la fable sont restitués 4 eux-
sa limite, la tension tombe: il est question de la mort de F. La mémes par son absence effective. Tout se passe, constamment,
«reprise » insistera surtout sur les différences entre F. et dans ce moment de suspension, de métamorphose inaccom-
l'homme, entre celle dont on dit qu’etle est devenue folle - plie. qui est le moment proprement cinématographique du
absence d’étre personnel : elle-méme et celle qui aurait vu cette Navire Night. S'il « faut voir », c’est aussi d’un voir spécifique-
histoire, elle-méme et Ie jeune homme qu'elle aurait apercu. ment cinématographique qu'il s’agit. le seul qui soit donné au
Vinconnu d’elle-méme et de tout inconnu, elle aurait été le film et a son spectateur, non pas l'illusion d’accéder par le
jeune garcon qui, passant dans les rues de Neuilly l'aurait vue moyen de la reproduction technique 4 «invisible», ou
de sa fenétre - et celui qui peut dire « j’ai été fou », Il continue datteindre « l’éclaircie des origines », mais rien qu’un reste,
de recevoir d’elle des billets de banque : l’unique réalité d’un une beauté en suspens, images et paroles qui résonnent du réel
monde d’absence de rapport, sidéré, réifié par Puniversalisa- et de la réalité qui leur manquent.
tion de la valeur d’échange « dans sa fonction salariale », Elle
le paie, avait-on dit, de lui donner tant de désir. Elle propose Yd.
HS EENEE Sessese:
assess
FRED WISEMAN
PRESENTATION
PAR SERGE LE PERON
Fred Wiseman est un solitaire. Depuis Boston ou il habite, a l’écart des centres névralgiques
de l’Amérique (New York, Los Angeles...) et du monde, i] poursuit une ceuvre (douze films en
douze ans), qu’on a trop peu eu l'occasion de voir programmée ici (il y a deux ans au cinéma
Le Marais pour plusieurs de ses films; cette année 4 Beaubourg dans le cadre du festival du
« Cinéma du Réel » pour ses deux derniers).
Cinéaste des « séries institutionnelles » (ses films, tous documentaires, ont pour cadre les
cours de justice, h6pitaux, lycées, centres d'aide sociale, prisons, arméc etc.), Wiseman n'est pas
pour autant un sociologue rallié aux méthodes d’investigation audiovisuelles. Ses films pos-
sédent centes un intérét sociologique qu'il n’est pas question de négliger, mais pour comprendre
leur importance et leur enjeu, mieux vaut partir des considérations toute pragmatiques qu’il
donne lui méme sur le choix de ses sujets : la qualité proprement géographique, spatiale, fi/mi-
que. de ces lieux. La possibilité qu’ils offrent a un cinéaste de toucher les limites de l'objet qu’il
filme, la chance qu’ils constituent pour ces stratéges que sont les grands cinéastes (Wiseman est
lun d’eux), de disposer d’une carte aux dimensions méme du territoire, réalisant dans les faits
la fiction fanstamatique borgesienne du recouvrement de celui-ci par celleda. Un lycée, un
immeuble de la sécurité sociale, un tribunal, un abattoir, une prison : autant de lieux qui tien-
nent cette gageure de se confondre avec leur objet.
Fred Wiseman
Stratége avons-nous dit. I! faut, concernant Wiseman, filer la métaphore et emprunter pour
décrire le travail de ce non-violent, le vocabulaire militaire : ses sujets sont pour fui autant
d'objectifs 4 atteindre; la réalisation du film est une véritable opération, I] y a l'opération High
School. Vopération Welfare, Vopération Juvenile Court, Vopération Primate (s’y trouve d’ail-
leurs exceptionnellement filmée une abominable opération chirurgicale sur le cerveau d’un
chimpanzé vivant), les opérations Afcat, Law and Order, Basic Training, Canal Zone... Son
dernier film ne reprend-il pas exactement l’intitulé méme de l’opération lancée par les Amé-
ricains, dans la zone tampon israélo-égyptienne l'année derniére : Sinai Field Mission?
Pas étonnant que ses films fassent penser a des films de guerre ct méme de la Deuxiéme
Guerre de ce siecle. Wiseman ne cache d’ailleurs pas que le choix du noir et blanc pour leur
réalisation est d’abord une histoire de fidélité, de fidélité 4 des souvenirs d’enfants, ceux de ces
actualités qu'il regardait (et qui ont depuis disparu des salles obscures), et singuliérement de ces
actualités de la Deuxiéme Guerre Mondiale qu'il suivait au cinéma. Référence effectivement
incontournable aux sujets qu’il traite aujourd'hui, tant il est vrai, comme le dit Paul Virilio,
qu'elle constitue « un réservoir de sens indispensable a la connaissance de la seconde paix qui
est la nétre ».
AVinstar des événements qu’il filme (la vie quotidienne socialisée dans ces endroits extra-ter-
ritoniaux. ces espaces déterritorialisés que sont les Institutions), if op¢re comme un militaire en
temps de paix, ou plutét comme un homme que son pacilisme radical rend d’unc lucidité aveu-
glante au fait que tous les lieux de pacification et d’apaisement (de la soif et de la faim de
connaissances, de science, de sécurilé, d’ordre...), ces places fortes de cette société civile qui est
la sienne (Amérique), sont pénétrés, a leur insu peut-étre, dans leurs replis les plus intimes,
des finalités de la guerre. II filme la paix selon les régles qui président au fonctionnement méme
de ces microcosmes (« d'abord connaitre la régie de l’endroit » dit-il) : comme la continuation
42 CINEMA INDEPENDANT AMERICAIN
de la guerre par d'autres movens. C’est incidemment d’ailleurs gue le référentiel (guerre?
paix?) surgit: il fait alors tres mal comme dans cette lettre satisfaite d'un ancien éléve du lycée
devenu soldat au Vietnam, a la fin de High School. que Wiseman cite dans Ientretien (voir
infra); ou dans les creux de la conversation entre l’officier égyptien et l’ofliciel américain dans
Sinai Field Mission. Wiseman ne filme que ce qu’il voit, ce qui est la, ce qui reste de référentiel :
technologie douce d’aujourd’hui (instruments hospitaliers, boxes des accusés, ordinateurs,
fichiers, murs des hopitaux, couloirs des lycées, reglements intérieurs, idéologie diffuse), a
laquelle il ajoute d’ailleurs sans illusion sa contribution (Eclair Coutant, Nagrad IV, micro Sun-
heiser 415), substituée a la technologie guerriére d’hier. D’ou, a force de forclusion insistante.
une terrible interrogation sur les fins invisibles de cette débauche de moyens : fins encore vagues
mais qui pourraient bien étre identiques, d'envoyer comme hier tout le monde a l'abattoir. avec
cette hantise supréme, cette cruelle actualité. de ’apparente passivité humaine face a la toute
puissance de la machine institutionnelle.
Tel est, 4 grands traits, l'univers dressé par Wiseman. II faut maintenant parler de ce qu’il
appellerait sa méthode (de filmage), et ce qu’il convient d’appeler son écriture. Pour filmer ces
institutions au travail, il refuse la maniére forte (effraction militante de la lutte ou violence jour-
nalistique de scoop). Question de tempérament sans doute, en parfait accord avec l"intelligence
du dispositif (pas de déclaration de guerre viable a un systeme mis en place pour effacer toute
trace d*hostilité); aussi le mode adopté (et adapteé) est-il celui de la convivialité. D’ailleurs Pins-
titution et lui ne poursuivent-ils pas le méme objet? Celui d’investir pour un temps donné un
champ délimité de relations sociales. Aussi Wiseman tient-il a se pénérrer a fond des modalités
de l'institution ot il intervient, a passer par elle, s’y faire guider, apprendre ses régles et les rete-
nir.a revétirson uniforme (ct lui faire revétir ’uniforme du cinéma : « /e cinéma, écrivait Kafka,
cest metre un uniforme a Feil, a suniformiser. \ui et Vinstitution, a substituer au champ
qu'elle recouvre ses propres séquences cinématographiques. Non pas étre un élément parmi les
autres (usager, employé, intégré sclon une idéologie de la caméra invisible, candid cre ou
caméra vérité), mais se confondre avec linstitution elle-méme, s identifier a elle, se métamor-
phoser Wabord en clle.
Ainsi parvient-il, par un jeu de miroir, un jeu de miroir grossissant mais non simplificateur
(il s‘agirait plutot de complexifier la réalité), a faire apparaitre de /'intérieur, le caractére fan-
tastique et absurde de la rationalité qu'il filme. l'identification de chacun avec sa fonction. Selon
une modalité chére 4 Kafka décidément, dont l’évocation obligée ne tient pas seulement a la
similarité des objets (espaces bureaucratiques et insondables), mais aussi a des ordres de préoc-
cupation, voire des obsessions semblables, comme celle (relevée par Deleuze chez Kafka) de
Valimentation (toujours une place accordée 4 lintendance, la cantine, le réfectoire. la nour-
riture, terrestre ou non, chez Wiseman), parfois la viande (Mfea?), la viande de l’animal et l’ani-
mal lui méme (Primate), toujours en singuliére posture : en regard des hommes (scénes de zoo
dans Canal Zon, filmées du point de vue de la ligne de démarcation, de la barriére, du grillage),
les deux positions de devenir réciproque. d’échange de caractéres, ce qui a pour effet de multi-
plier par deux horreur des opérations menées sur l'un et l'autre. Horreur. redoublée de la vivi-
section dans Primate a cause de 'humanité que Wiseman introduit chez ce malheureux singe;
retour a l'homme spectateur comme métaphore de son devenir (dé-cérébration). Horreur de
cette humanité enfouie sous les gestes institutionnels du dressage (école : High School. armée :
Basic Training), de la chasse (la police dans Law and Order), de 'enfermement (Juvenile Court),
de la caresse et la cajolerie (Welfare), de la recompense (Sinai Field Mission)... qui constituent
les humains de ces films en étre domestiques. Et s’ils font finalement fréyir ces hufnains, ce n'est
pas parce qu’ils sont rendus difformes, monstrueux, bestiaux... mais au contraire parce que par
dessous ce masque institutionnel, Wiseman fait entendre, résonner imperceptiblement, une sur-
prenante humanité, infinitésimalement communicable certes, comme celle qui filtre entre Gré-
goire Samsa et sa sceur dans le texte de Kalka, et qui nécessite pour étre entendue de préter
Voreille avec beaucoup d’attention et d'amour.
Trés logiquement (si la peur en quelque sorte vient du son), la bande-son, (la prise de son
est effectué par Wiseman lui méme) est déterminante dans I’écriture de cet auteur, dans le mon-
tage de ces éléments noir et blanc en films successifs, qui sont, sous une autre forme, comme
une part livrée 4 chaque fois de cette « peur vague liée toute notre enfance 4 n’importe quel
film » dont parle Jean Louis Schefer.
On entrevoit ici combien cette ceuvre condense avec une incroyable économie, les éternelles
questions de notre rapport au cinéma; linjustice qu’il y aurait a la cantonner dans les tiroirs
de la sociologic, du « réel», et méme de la critique idéologique. le manque insupportable qui
consisterait 4 la conserver dans des tiroirs tout court; l'urgence enfin qu'il y a 4 programmer
«tout Wiseman ». S.L P.
2. ENTRETIEN AVEC FRED WISEMAN
Cahiers. Tous vos films sont en noir et blanc, pourquoi? écoutez la Télévision Publique ». Alors ils le disent et le film
reprend ! Le contrat que j'ai stipule que le film peut faire de 90
Fred Wiseman. La premiere raison, c’est que j'aime le noir a 120 minutes. En réalité cela fait souvent plus. Mais ils ne
et blanc, et je crois que pour les choses quotidiennes, documen- disent rien.
taires, queje filme, c’est le meilleur regard. Il y a aussi les pro-
blémes de Jumiére, c'est plus simple qu‘avec la couleur; celle-ci
est devenue bien meilleure mais elle n'est pas encore assez Cahiers. // en a é1é ainsi pour tous vos films?
bonne pour les mauvaises conditions d’éclairage dans lesquel-
lesje travaille. Tant qu’a utiliser la couleur. il faudrait que ce Wiseman. Le premier film que j'ai voulu faire n’intéressait
soit vraiment spectaculaire. Il y a enfin les questions de cotit : personne. J'ai eu beaucoup de mal a trouver l’argent. J’en ai
mes films codteraient en moyenne 5000 dollars de plus si je les trouvé trés peu auprés de capitaux privés, mais j'ai surtout
faisais en couleur, ce qui est ridicule si cela n’ajoute rien trouvé un laboratoire 4 New York qui a consenti a un arran-
dimportant au film. gement. Je n’avais pas a le payer tout de suite(il gardait le néga-
tifen garantie). Cela a considérablement réduit le budget. Mais
Cahiers. Pourquoi un meilleur regard? je dois dire que je l’ai réglé seulement sept ans aprés. Pour le
deuxiéme film, j'ai obtenu une bourse d’une fondation privée
Wiseman. Peut-étre parce que, quand j’étais jeune, je regar- (un tiers du coat du film) pour le reste, crédit labo et matériel
dais toutes les actualités en noir et blanc et que je les préfére prété. Mon troisiéme film a été produit par la Télévision Publi-
comme ¢a. J'ai vu toute la Deuxiéme Guerre Mondiale en noir que. Pour mon quatriéme, j'ai eu un peu d’argent de la Télé-
et blanc... Mais c’est du passé... vision Publique a la fin du tournage, environ la moitié de ce
qu’a coité le film. Pour mon cinquiéme je n’ai rien obtenu et
Cahiers. Le fait de tourner en noir et blanc ne vous pose-t-il je Vai vendu terminé 4 la Télévision Publique.
pas de problémes de production et de diffusion?
Aprés ¢a, j'ai obtenu un contrat avec la 13¢ chaine (la chaine
Wiseman. Je fais des films pour la Télévision Public Educa- publique de New York): cinq ans pour cing films. Il a été
tion Collége P.B.S. et maintenant cela ne me pose aucun pro- renouvelé pour cinq autres films il y a trois ans. Cette chaine
bléme. Cela en pose évidemment pour les pays ott la couleur a les droits-télé pour les Etats-Unis, je conserve les autres
est exigée... droits. Ils ne financent pas trés largement mais assez pour faire
un film. De plusje suis propriétaire du film et je peux en vivre
Cahiers. En France... grace au circuit de distribution 16 mm universitaire.
Wiseman. En France c’est un peu spécial: je ne suis pas De cette manieére,je peux continuer4 faire des films et je suis
encore parvenu jusqu’ici a rencontrer la personne accréditée totalement indépendant. Le contrat prévoit que je dois obtenir
pour en parler. l'approbation pour chacun des sujets que je propose, mais ils
ne m’ont jamais refusé un sujet. Et ils ne voient rien du film,
Cahiers. Vos films passent-ils ailleurs qu’a la télévision? ni rushes ni quoi que ce soit. Quand tout est fini, quelqu’un -
le patron - vient de New York a Boston;je lui montre le film.
Wiseman. Trés peu dans les salles, sinon dans de petites sal- Il n’a jamais exigé aucun changement.
les des grandes villes. Il y a surtout un important circuit uni-
versitaire oll passent des films comme les miens.
Cahiers. Comment se passent les tournages?
Cahiers. La longueur de vos films est-elle compatible avec les
normes de la télévision ? Wiseman. Nous sommes trois : je prends le son et je choisis
les choses qu’on va tourmer; i] y a un cameraman et un troi-
Wiseman. Oui, sur la chaine publique. Les films Passent siéme qui a toujours les mains dans le charging bag car on
pourtant 4 des heures d’écoute importante, le soir. La seule tourne toujours beaucoup de métrage. On a une Eclair, un
obligation c’est qu’ils puissent dire toutes !es heures : « Vous Nagra IV et un micro Sunheiser.
44 CINEMA INDEPENDANT AMERICAIN
Cahiers. C'est un micro trés directionnel.
Fg
re
‘
ENTRETIEN AVEC FRED WISEMAN 47
Cahiers. Du coup, vous placez la caméra du point de vue ot Cahiers. Vous filmez des situations réelles, objectives, ou fon
elle va pouvoir capter le maximum de choses. voit des américains qui se trouvent dans des espaces qui sont
. déja des sortes de studios (un immeuble etc.) ou bien vous fil-
Wiseman. La these du film final. ca n’est pas celle de Mao_ mez des américains a& l'étranger (dans le Sinai par exemple).
ou Staline. ou Ronald Reagan.. c’est la mienne. C’est plus inté- Ona l'impression d'une société américaine coupée de ses ruci-
ressant pour moi de découvrir ce que je pense du sujet que j'ai nes, fonctionnant sur elle-méme.
filmé. Ca n’est pas forcément plus intéressant que ce que pense
quelqu’un d‘autre. maisje ne peux pas me mettre dans la téte Wiseman. Oui, c'est une des choses qui m’intéressent en
de ce quelqu’un d’autre! particulier dans mes deux derniers films: Panama, le Sinai.
Panama qui est une expérience ancienne (les américains sont
En faisant le filmje trouve ce que je pense. Au fond ce qui la depuis 1910) et (of ils sont depuis peu : la. c’est « l'avenir»)
m‘intéresse le plus dans la réalisation de ces films, c’est l‘aspect Dans des endroits comme ga, on a l’occasion de regarder la vie
structural... La relation qu’il y a entre la structure de films ameéricaine presqu’a "état pur,
documentaires de ce type et d'autres structures de récit rele-
vant de la fiction. comme les piéces de théatre ou les romans.
C’est aussi la maniére d’organiser le matériau qui fait rentrer Cahiers. C'est comme un laboratoire. Comme s’ils étaient
dans un cadre formel l’expérience que vous avez eue sur le ter- Jilmés dans un bocal, in vitro... Et puis ily a autre chose. Tous
rain; la relation qu'il y a entre cette expérience et une expé- vos films ont pour sujet des lieux dans lesquels en principe (et
rience plus générale, ce qu'on appelle (j’emploie peut-étre un par principe) il n'v a pas de crise. pas de guerre : ce sont des
mot comique), le caractére métaphorique de votre travail ; la lieux ou ily a la paix, ou la guerre froide si vous préférez.
résonance qui s’y fait entendre entre l’ex périence que vous avez Disons que vous n’étes pas un cinéaste des conflits brilants.
enregistrée par le film et l’expérience que vous avez par ail- Tout se passe en douceur dans vos films et cette douceur méme
leurs. Si vous voulez, les rushes c'est l’expérience du romancier devient terrifiante car il y a un autre aspect de ces lieux c'est
et l’écriture c'est le montage. De la relation des deux mémoires, qu ‘ils sont toujours peu ou prou des lieux ou les gens sont enfer-
(la vétre et celle du tournage enregistrée sur la pellicule) sort més: pour quelques heures (le lycée de High School) quelques
le film par le montage. jours ou quelques mois (Hospital), pour une durée déterminée
(Sinai Field Mission) ou installés depuis plusieurs générations
Cahiers. Comment se résout cere relation des deux mémoi- (Canal Zone).. Que les hurriéres soient visibles (les murs du
res? Il y a des déchets énormeys dans vos films... lycée} ou non (les frontiéres de la zone du Canal de Panama,
le désert qui entoure la mission américaine au Sinai), tous ces
Wiseman. 96 a 97%. Sur Canal Zone un peu moins: le film lieux ressemblent un peu @ des camps de concentration.
fait trois heures et j'avais 4 peu prés cinquante heures. On passe
beaucoup d’heures au montage, et de plus en plus au fur et a Wiseman. La vie n’y est cependant pas si atroce. Il it’est vrai
mesure que Ga avance ; ca devient de plus en plus intéressant que la vie dans tous ces endroits est trés concentrée... mais cela
et on y passe de plus en plus de temps. J’ai des listes des plans tient au fait qu'il existe des points de ressemblance a toutes les
les plus intéressants et cette liste diminue au fur et 4 mesure institutions. A ce titre, le livre qui est le plus important pour
que le travail progresse. Je joue, c’est un jeu. Vavenir institutionnel, c’est le livre de Hannah Arendt (« Rap-
port sur la banalité du mal»). C’est une chose qu’on trouve
Cahiers. On a Uimpression que le montage est fait beaucoup partout : comment des gens peuvent administrer d'autres gens,
sur le son, cela tient peut étre au fait quill s'‘agit de direct. Hy et comment ceux-ci sont tellement passifs. Sil y a une chose
ade légéres désvnchronisations (par exemple dans Canal Zone qui est flagrante partout, c’est la passivité.
un bruit de machines) qui permettent de raccorder des plans
qui se suivent par fe son.
Cahiers. Vos films font ressortir cet automatisme. Ce qui fait
peur, c est qu'on voit des gens s‘appliquer a leur gestes, leurs
Wiseman. C'est pour faire un glissement en douceur. Si l’on Jonctions, faire,comme on ditleur travail consciencieusement...
coupe le son comme l'image, entre les séquences ca claque et
ca n’est pas la réalité. Moi jessaye de faire des films ot les cho-
Wiseman. Mais c’est encore plus compliqué que ¢a, car trés
ses donnent l'impression qu’elles se passent comme si vous y
souvent ces gens qui administrent ou qui ont des responsabi-
étiez, comme si vous les voyiez dans la réalité. C’est pourquoi
lités croient bien faire. A ’-hépital les infirmiéres et les méde-
je tente déliminer, autant que possible, tout ce qui risque de
cins font feur possible. Ce n'est pas qu‘ils soient méchants ou
ramener tout a coup a la conscience qu'il s‘agit d'un film. J’éli-
idiots, ils essayent mais les problémes a traiter les dépassent,
mine la plus grande partie des zooms. Je ne conserve pas les
dépassent linstitution, se posent en dehors d’elles. C’est une
plans of quelqu’un regarde la caméra.
maniére aussi de poser les limites de linstitution.
De méme si l'on coupe le son comme Iimage, ga donne
limpression d'une rupture, ¢a fait choc ; et plus souvent il n’y Cahiers. Quand on voit un film comme Sinai Field Mission,
a pas de telles ruptures dans les endroits ot je filme, il n'y a pas on peut trés hien penser a la série Pourquoi nous combattons
de coupe. de Capra. On y retrouve la méme machine qui n’a plus @ pro-
duire cee violence de la guerre, mais qui continue @ fonction-
Cahiers. On a souvent Cimpression (surtout dans les séquen- ner de maniére douce avec les mémes effets spectaculaires
ces ott dominent les plans larges), que c'est le son qui guide le qu'une comédie musicale. Eten méme temps ily aun humour
montage ; méme en plan large il y a une qualité du son tout a gui fait penser aux Marx Brothers.
fait étonnante. Comment ga se passe entre vous preneur de son
et le preneur d'images ? Wiseman. Ca me plait bien, ga.
~MIRAFLORES LOCKS
PANAMA CANAL
1913
ton
ENTRETIEN AVEC FRED WISEMAN 49
Wiseman, Hé...Hé... Vous ne voulez pas dire que j’emploie prochain siécle, ils auront tous ces films en plus de tous les
de faux ameéricains réels, des comédiens ? livres de notre époque.. C'est un coup dur pour eux. Ce sera un
travail immense.
Cahiers. Non. pas du tout. ce sont de vrais américains, j'en
suis convaincu, et cela rend encore plus étrange la maniére Cahiers. Quelque chose m’a frappé dans Sinai Field Mission
dont ils se comportent. On a impression que le fait qu'il y ait (qui finit sur une image de désert) : cette volonté de montrer ce
fa une caméra ne pose absolument aucun probleme. Est-ce dispositifde paix entre deux camps qui sont encore en état de
quiln’va pas laun phénomeéne de rapport @ fimage de cinéma guerre, eta Lintérieur. des hommes, des ameéricains qui parlent
(ou de télévision) exchisivement ameéricain? d'un objet perdu (loin deux en tous cas): PAmeérique. Etilsem-
ble bien que cet objet perdu dont partent les militaires, ce soit
Wiseman. Peut-étre qu’en effet c’est culturel. Mais en fait i! quelque part aussi le votre. Comme si cette société exisiait
n'y a pas de régle pour filmer comme je filme, c'est trés prati- comme un mythe perdu pour vous.
que. cela dépend a chaque fois de Ia situation.
Wiseman. Peut étre que je suis un naif perdu... En fait la
Cahiers. Concernant fe jeu des ces acteurs du réel que vous question, pour moi, est toujours la méme (et en un sensje ne
Jilmez, il semble tres proche du jeu des vrais acteurs. Par exem- fais qu'un seul film, plus long que les autres). La question, c'est
ple, le commandant américain qui félicite ses troupes dans la correspondance ou I'écart entre l"idéologie, la mythologie et
Sinal Field Mission a cette intonation, cette inclinaison parti- la réalité... I y a une distance entre I'Histoire des Etats-Unis
culiére de la té1e quand il parle, cette maniére de se tenir, qu'on telle qu’on la lit dans les universités et la réulité.
sauendrait a voir dans un film de fiction américain. On pense
a Rod Steiger... Cahiers. Comme si le nuvthe tournait a vide.. On a souvent
Timpression dans vos films de personnages qui parlent beau-
Wiseman. C’est un probleme assez complexe, car nous tous coup et que cela ne veut rien dire.
nous avons plus d’expérience dans le cinéma que dans le reste
du monde. C'est possible que le commandant fusse penser a un Wiseman. Ce qui m'interesse par-dessus tout c'est le lan-
commandant de fiction, mais c'est peut-étre aussi que ceux qui gage. En princpe il est pour tous mais on rencontre beaucoup
ont mis en scéne des personnages de commandant de I’armée de gens qui ne savent pas comment employer les mots. [fs ne
dans leurs films s*étaient bien renscignés, ils avaient bien peuvent pas s’exprimer avec ce langage-la.
regardé de vrais commandants. C’est une relation trés com-
plexe. Pour moi, j'ai toujours du mal a entrer dans les films de Cahiers. Le langagey est effectivement important. Trés sou-
fiction, c’est toujours trop simple ; pas assez de densité. La vie vent il apparait de maniére juridique dans des textes, des régle-
quotidienne est beaucoup plus intéressante que la reconstruc- ments, des lois.
tion de la réalité, saul chez les trés grands metteurs en scéne...
Wiseman. Pour moi les discours condensent toujours trés
Cahiers. Lesquels ? fortement ce qui cherche a se dire dans le film (dans l’institu-
tion que je filme). Ce sont des sortes de sommaires trés denses
Wiseman. (rire). Les Marx Brothers par exemple.. de ce qui se dit diffusément dans le film, de tous ses themes. Par
exemple a la fin de High School cette lettre que lit le Principal
Cahiers. Revenons a cette question de Fosmose entre la fic- dun ancien éléve de l’école qui se trouve au Vietnam, c’est un
tion et la réalité. Marcel Mauss racontait quavant été blessé résumé de tous les themes du film, et c'est en méme temps un
pendant la guerre et se retrouvant dans un hépital il hei aveit document qui permet de penser Ia relation qui existe entre ce
semblé que les infirmiéres prenaient la démarche des actrices qui est enseigné 4 la High School et la guerre, la société amé-
dans les films américains. C'est un peu ce regard-la que vous ricaine et la guerre. La !’école apparait aussi pour ce qu'elle est,
portez dans vos films, au-dela d'une vision de Tinstitution ily comme une usine. L*éléve dit qu’il se sent simplementau Viet-
a une dimension spectaculaire. nam comme quelqu’un qui fait wn meétier, il est un produit de
cette usine particuliére et il accepte cette direction incroyable :
Wiseman, Oui, ce qui m'intéresse ce sont les choses drama- il parle de métier!
tiques qui passent sans qu’on les voie dans la vie quotidienne:
tous ces drames qui ne sont pas remarqués. Et souvent c’est Cahiers. /mpossible de terminer sans vous demander quel est
beaucoup plus intense que ce qu’on peut voir dans les films de votre prochain projet.
fiction ou les piéces. Pour décrire ce qui se passe dans cet hdpi-
tal de Hospital, ou dans ect immeuble de Welfare. it faut étre Wiseman. Se crois que pour la premiére fois ce sera un vrai
un tres grand écrivain (pour les reconstituer dans un récit). film de fiction. Je viens d’écrire un script, c'est histoire d’un
homme trés timide (moi ?) je ne sais pas si je pourrai le tourner.
Cahiers. Pour vous, la cameéra permet de faire cet inventaire De toutes facgons il me reste encore 2 terminer mon contrat
ou ce catalogue. avec le Canal 13 4 New York (5 ans, 5 films).
Wiseman, Dans un certain sens, c'est de ‘Histoire Natu- Entretien réalisé par Dominique Bergougnan,
relle. Chaque séquence est une petite histoire. Les historiens du Yann Lardeau et Serge Le Péron.
CRITIQUES
qo
Whoove does
! good vorh PP? Le dispositif documentaire n'est d’ailleurs pas le méme chez Cas-
savetes pour qui les hommes sont fous (méme dans Une femme sous
influence, Cest surtout le mari qui est fou) et pour qui les femmes
payent les conséquences de cette folic. Chez Newman il n’y a plus
hommes: fe pére de Rachel est mort et le mari de Béatrice est parti.
Les deux films sont hantés par l'absence, l’abandon de 'homme Gl
arrive plutét 4 Cassavetes de filmer le désccuvrement des hommes
entre cux: Husbands), Newman filme des femmes entre elles et aban-
données (dans Gantma Rayy...: une mére. deux filles et une grand-
mere abandonnée aussi chez elle par une autre famille) : leur detresse
et leur lassitude. Non que la these du film soit lout bétement qu'une
femme ne peut pas vivre sans un homme: il dit plutét que les hommes
cachent (et se cachent) la réatité de la condition humaine. dont les
femmes sont les seules 4 pouvoir révéler la vérité. Le fminisme de
Newmun est une sorte d'humanisme, ce qui ne l’empéche pas de
témoigner d’une acuité et d’une radicalité du regard qui manque sin-
guli¢rement, non seulement dans le cinéma américain contemporain,
mais dans le reste du cinéma mondial, ces deniers temps.
Paul Newman dingeant su femme. Joanne Woodward
Serge Le Peron
3. Ce fitm est la suite de Baby Killer qui date de 1973. Ona pu voir
un autre film de Larry Cohen a Paris cet été (Afenrire vous contréle +
une série de meurtres a pour commanditaire Dieu lui méme): une
idée cho a laquelle se trouvent accrochées sans conviction de ficelles
anciennes.
4. Celle qut sous - tend et fait soudainement irruption dans les films
de Fuller par exemple. La surcharge de violence chez Peckinpah ou
dans les films-catastrophe, ne fait que sursignifier une violence pro-
fonde qui ne sait plus se mettre en scene.
Au contratre d'un indépendant conime Fred Roos (le mot na pas le sens Medavoy. Nous sommes partis parce que nous sentions que
qu’on lui donne en France : indépendant veut essentiellement dire en dehors la Transamerica se comportait avec la Compagnie comme si
des Studios et des Majors), Medavoy congoit son travail de fagon plus classique. c’était une compagnie d’assurances, ou rien d’autre qu'une
un peu dans la tradition du grand Hollywood: ceci n’empéche pas qu’entre compagnie de déménagement ou de garde-meubles. Nous
cette conception plus lourde de la production et celle d'un indépendant, plus
mobile, plus sur le tas, plus proche des projets cinématographiques, animés par savons que le cinéma est un business qui associe l’art et les
des producteurs ou des agents en quéte de sujets pour le cinéma. moins finan- affaires et qui réunit tous les arts, puisque le cinéma est un
ciére sans doute que la premiere, des alliances se tissent. Peut-étre doit-on avan- reflet de tous les arts, ce qui en fait une entreprise trés spéciale,
cer qu'on ne comprendra le fonctionnement de la production américaine que avec des choses comme des tableaux, des graphiques, des ordi-
Ie jour of sera mieux établi le lien entre le travail individuel de tel ou tel pro-
ducteur (indépendant ou non) avec l'esprit d'entreprise collectif qui anime nateurs, et toute cette merde qui va avec. Et aucun d’entre nous
toute une profession, qui va du producteura l'agent en passant par le scénanste ne voulait adopter ce genre de vie. On préférait crevé de faim.
et la star, Ce lien, encore aujourd'hui n’a pas fini d’étre recouvert d'un voile Et comme personne ne voulait crever de faim, c’est la raison...
mythique. comme si ce mythe cachait le secret de la réussite économique du
cinéma américain.
Question. Quels sont les éléments principaux qui président
Il nous a semblé que cet interview (comme le premier) pouvait informer le @ vos décisions en matiére de production?
lecteur frangais de ce qu’est l'esprit qui anime !es producteurs hollywoodiens
daujourd’hui, promoteurs plus que producteurs du cinéma américain conten-
porain. I! faut lire teurs réponses plus comme des éléments d’enquéte sur leur Medavoy. Bon, je vais vous répondre. Il y en a cing. Dans
fonction, leurs travail. leur mentalité et leur pouvoir, que comme des prises de Vordre, premiérement le scénanio, puis le réalisateur, ensuite le
Parti, les questions ayant é1é posées dans cel esprit-la. A partir des réponses, budget, le producteur et la distribution. Ce sont ces « ingré-
tenter aussi d’établir quelques comparaisons avec le discours des producteurs
en France. dients » qui font qu'un film est une réussite ou pas, et une fois
que cela est fait, alors les producteurs indépendants qui travail-
Les réponses de Medavoy a nos questions marquent une ouverture d'espnil lent avec nous sont libres de faire le film comme ils le veulent
assez netic, el parail-il assez rare a Hollywood. Ses réponses sur des points pré- et ow il veulent, de la maniére qui leur plait.
eis (par exemple a la question : « Est-ce que les producteurs de cinéma 4 Hol-
lywood aiment le cinéma? ») sont souvent assez floues et trahissent l'intérét
avant lout financier qu'il porte au cinéma, De méme. i] faut prendre avec de Question. Quand vous dites le scénario, que voulez-vous dire
nmiultiples réserves ses déclarations pleine de bonnes intentions envers tel ou tel
cingaste francais dont Medavoy dit qu'il aimerait produire un de teurs films. exactement? Cela veut dire que vous y croyez, qu'il vous touche,
S.T. que vous le trouvez bon?
PETIT JOURNAL 61
Medavoy. Cela dépend. Cela peut venir du fait que jaime le
sujet, le style; que j'aime la combinaison du sujet avec le réa-
lisateur et la distribution qu’i! faut, ou avec le budget,je veux
dire que cela dépend de la combinaison de certaines de ces cho-
ses qui vont bien ensemble.
Question. C¢tait votre politique @ la UA. Hest-ce pas? Medavoy. Je crois qu'ils aiment le cinéma. Je vais trés sou-
vent au cinéma,je ne vois pas que les films queje produis, je
Medavoy, Oui, notre idée est de continuer dans cette voie. vois tous les films.
Mais cela n’empéche pas de travailler avec d'autres, quelqu'un
comme George Roy Hill, par exemple, que nous produisons Question, Pour des raisons professionnelles?
actuellement.
Medavoy. Oui, maisje n’aime pas tout ce que je vois.
Question. // n'est pas créatif d'apres vous?
Question. Potvez-vous nous dire quels sont vos films préfe-
Medavoy, Non, ily a seulement des gens qui ont un palmarés rés. ces trois derniéres années, par exemple?
et d'autres qui n’en ont pas. Il n'y a pas de loi, pas de régle. vous
Savez, Medavoy. Pour ¢a, il faudrait que je vois la liste des films.
(Mike Medavoy consulte la liste des films américains produits
Question. Est-ce que les cing personnes qui sont a la téte de en 1977 et 1978 avant de répondre 4 la question).
Orion Pictures lisent les scénarios?
Taxt Driver, All the President's men, That’s Entertainment
Medavoy, Oui, tous. (part |), The Omen, avec Gregory Peck, qui ne m’a pas com-
plétement emballé mais qui m’a plus, ainsi que Afemory of
Question. Faut-il Punanimité pour... Justice: Bugsy Malone, Rocky, Network. J'ai aimé beaucoup
de films comme vous voyez, muis il y en a aussi beaucoup que
Medavoy. Non, une seule personne suffit, ou trois contre je n’aime pas. J'ai adoré Bound for Glory. et One Flew over the
deux, ou deux contre trois. Cukoo's Nest.
Question. Cela veut dire qu'une seule personne peut réussir Question. Est-ce gu‘il y a des idées personnelles, des sujets
@ convaincre les autres? ou des livres que vous aimeriez financer?
Question. Pensez-vous que les producteurs d'Hollywood, Question. Oui, mais je veux dire, des choses plus personnel-
aujourd'hui, aiment le cinéma? les. Par exemple un livre que vous avez lu et dont sous aimeriez
faire un film un jour.
Medavoy. Qui,je crois. Je pense qu'il y a une renaissance du
cinéma américain depuis les sept ou huit derniéres années. Medavoy. Eh bien, il y a certains genres de films que j‘aime-
Quandje dis renaissance, c'est en comparaison avec ce qu’était rais faire ct queje n’ai pas encore faits, parce queje faisais autre
62 PETIT JOURNAL
chose. J’aimerais faire un film dont le personnage principal soit Question. A cause de leurs engagements précédents?
un héros de cape et d’épée, une sorte de Robin des bois. Je
voudrais faire un film d‘aventure romantique sur les chevaliers Medavoy. Oui, des associations.
de la Table ronde, quelque chose comme ¢a,
Question. Y a-t-il des cinéastes francais avec lesquels vous
Question. Cela remonte a votre enfance? aimeriez travailler?
Medayvoy. Oui, c'est vrai, j'aimerais faire un film sur Rome, Medavoy. Francois Truffaut, bien sir.
comme Spartacus. Il y a deux ou trois sujets qui m’intéressent,
Mais je n’en parle pas avant de pouvoir les présenter au Question. Pourguoi bien stir?
moment venu.
Medavoy. Parce queje aime bien et il a déja travaillé avec
nous.
Question. Est-ce qu'il y a des réalisateurs avec qui vous
aimeriez travailler et que vous ne connaissez pas encore?
Question. Est-if d'accord pour travailler avec vous?
Medavoy, Oui, Stanley Kubrick, parce que j'aime lesprit
Medavoy. Je ne lui ai pas encore parlé. Je sais qu'il est en
dans lequel il fait ses films. Je n’ai pas encore fait de film avec
ville. Bertrand Tavernier.
Terence Malick mais j‘aimerais bien parce queje I’ai fait débu-
ter et qu'il a beaucoup de talent. Avez-vous vu ses films,
Question. Pourquoi aimeriez-vous travailler avec lui?
Badlands et Day's of Heavens?
Medavoy. Je crois qu'il a beaucoup de talent.
Question. Pas encore. Vous crovez vraiment en lui?
Question. Lesquels de ses films avez-vous vus?
Medavoy. Bien str. Ila débuté avec moi comme scénariste
et aussi comme cinéaste quand jétais son agent. Atadevoy. Je savais que vous alliez me poser cette question
et j'essayais de me rappeler lequel c’était... St Paul... Laissez
Question. Vous étiez aussi Fagent de Nicholson? moi penser aux autres cinéastes francais. Le cinéma francais
n’a pas beaucoup fait de bruit ces derniéres années. En tous cas,
Mfedavoy, Pendant trés peu de temps. J'ai été l'agent de je n’en ai pas beaucoup enlendu parler.
Lucas, de Michael Richie, Spielberg, et d’autres. J'aimerais tra-
vailler avec Michael Anderson. J‘aime toutes sortes de cinéas- Question. Est-ce gue vous vovez beaucoup de films francais?
tes, j'aime les cinéastes qui font des films sensibles et ceux qui
font des films incisifs. Medavoy. Jen ai vu deux l'années derniére. Fai vu Cousin
Cousine, et j'ai vu le film de Lelouch, pas Car and Mouse, mais
Question. Quelle est votre capacité de production? Combien un autre avec deux femmes en vedette. J'adore Lelouch, il est
de films pouvez-vous mettre en chantier? formidable.
Medavoy. A peu pres 15, comme la plupart des Majors, Question. Vous voulez travailler avec lui malyré son fiasco?
peut-étre plus. Quand nous étions a la U.A., nous avons fait 22 United Artists a fait Another Man Another Chance, gui est un
films la derniére année que nous y étions. de ses meilleurs films @ mon avis. Mais ce film a été un échec
ici.
Questions. C'est beaucoup. Cela veut dire que vous les avez
Jaits. finances, distribués? Medavoy:. Ce nest pas un film pour le public américain, c'est
le point de vue d'un frangais.
Medavoy. Eh bien, notre financement est traditionnel en ce
sens que nous nous occupons des films et de Ja facon dent ils James Caan, Claude Lelouch et Genevieve Bujold (tournage de
sont faits. Nous sommes principalement une compagnie de Un autre homme, une autre chance}
financement et de distribution. Je ne m’occupe pas de chaque
production.
Medavoy. Cela dépend avec qui on a eu affaire, au cinéaste Medavoy. Il travaille pour la télévision. Voyez sa photo au
ou au producteur. 5: j'ai eu affaire avec Je producteur, il a le dessus de mon bureau, a cété de celle de Hawks.
montage final, si c’est le cinéaste, il a le montage final.
Question. En faitje vous avais pose cette question sur Vidor
Question. A part Truffaut, Lelouch, Tavernier, qui d'autres? lannée derniére et vous nvaviez dit qu'il ne vous avait jamais
Costa Gavras? contacté, Je suppose qu'il attend que vous fassiez le premier
pas.
Medavoy. S‘adorerais faire un film avec fui.
Medavoy. Oui, C’est vrai, mais son attente sera longue.
Question. Si vous produisez un cinéaste francais, vous préo-
cupez-vous @abord des chances de succes financier quil aura Question. Er Fuller, que fait-il?
en France et en Europe?
Medavoy. la commencé un film pour Warner Brothers il y
Medavov. Bien str, cela dépend du coit. a trois ans environ.
Louis Skorecki.
Sur Tati (page 150): « Jacques Tati. artisan naufragé dans la V*°
« Ecrit 1: chroniques du
République technicienne et dans un cinéma de plus en plus concentreé, cinéma frangais
tourne enfin Playtime (1966-1967), un film dont le budget técrase, et
qui ne satisfait pleinement que les plus inconditionnels de ses admi- de Georges Sadoul (collection 10/18)
rateurs. Les gags, pourtant les meilleurs sans doute qu'il ait jamais Historien, journaliste, Georges Sadoul était aussi encyclopédiste,
imaginés, se diluent dans un décor qu'il ne maitrise pas. Hl tente de bri- confectionneur de dictionnaires. Passé du surréalisme 4 un commu-
coler son film, le retouche, le voit retoucher. Le film décoit, sans qu'on nisme orthodoxe dont il a épousé les virages, on a souvent dit de lui
puisse hut en faire grief: fauieur des Vacances de monsteur Hulot qu'il était pétri d‘idéologie, d'idéologic marxiste comme il se doit. Or.
n'était pas fait pour cette indusirie-fa », Dommage que Jancolas ne a relire ces textes rassemblés dans « Ecrit |. », ce qui étonne le plus,
Propose pas 4 Tati un recyclage nécessaire, dans une autre industrie. c’est précisément labsence de référence au corpus sacré.
Sur Godard, une quantité de clichés, tout au longdu livre, qui prou- Ce premier volume, « Chroniques du cinéma frangais », est un
vent que, si Jeancolas n‘aime pas ses films (c'est la régle 4 Positif, revue choix de textes qui furent publiés dans les revues « Regards» ct
dont Jeancolas est rédacteur), il lui reconnait une place: « La cohé- « Commune » de 1936 4 1939, dans « Confluences » en 1943 et dans
rence de Godard est dans son incohérence... » (page 132). « Avec ses « Les Lettres frangaises » de 1947 4 1967. Lachons le morceau: ce
heurts, ses ruptures, cette maniére de ruer dans les brancards comme choix un peu hagiographique évite les difficultes. La republication de
un sale gosse qui ne respecte pas les régles dit jeu, c'est lui qui traduit texte anciens consacrés a la Guerre d’Espagne ou a la défense tous
le malaise d'une jeunesse qui devient nombreuse dans un pays gou- azimuths du réalisme socialiste aurait-elle génée l'image de marque
70 PETIT JOURNAL
aseplisée qu'on veut donner de Georges Sadoul? Les éditeurs ont eu
tort de gommer ces aspérilés, car l’eeuvre de Sadoul supporte toul a INFORMATIONS
fait d*étre publice in cxtenso. On commence enfin a lui faire unc place
aux célés de Bazin ou Mitry. Humaniste, féru de son territoire fran-
cais, Sadoul a suivi avec passion les aléas du cinéma national. Jamais Oshima
cocardier, if aime une France vivante. réelle, populaire, «a la
Renoir». C’est cette France-la qu'il croquera dans son admirable Oshima Nagisa est actuellement en toutes sortes de personnages, y com-
«Journal de guerre », (rain de préparer un film dont le titre pris des poltticiens, apparaitront
Provisoire est: Nihon no Kuromaku dans ce film. Je fe centrerai sur un
De Renoir 4 Godard, il sut défendre, découvrir les créateurs. Quasi - {en anglais, « Fixer» (1). Traduction «fixer» et sa famille ».
seul, il se fit l'avocat de Pagnol ou de Cocteau. il insista sur la lumi¢re littérale : Le Rideau noir du Japon.
de Grémillon. Méchant dans la charge. il ne craint pas les attaques Le « Rideau noir» désigne une émi- Il y a quelques années déja, la
frontales: «Madame Francoise Giroud, enquéteur disait avoir nence grise, un personnage occupant Compugnie Toho avait projeté de
appris 4 un parlementaire que passionne le cinéma frangais un fait une position occulte et tirant les ficel- faire un film sur la filiére de corrup-
les du monde politique. Ce film sera tion linanciére, centré sur te premier
monstreux. Un opérateur de film aurait gagné 1.200.000 trancs en produit par la Compagnie Toei et si ministre Tanaka, mais le projet
1951. Et de s‘indigner: « Vous en connaissez heaucoup de Irancais sortie est prévue pour le mois de Mavait pas about.
qui ont un salaire de 100.000 frances par mois? ». S*ils ont vraiment novembre de cette année. Voila sept
echangé ces paroles, ont-ils pu se regarder sans rire? Car le député ans qu'Oshima n’a pas toume dans le Oshima ajoute: «C'est un maté-
inconnu gagne 150.000 francs ct Madame Giroud en gagne sans doulc ‘ cadre d'une production japonat rau aventureux, Je crois que c'est un
autant, Pour un trés sale travail. Alors qu'un chef-opérateur est un « Jen ferai un film qui baignera dans materiau brutal. Puisque la Société
artiste qui aime le travail propre. Ces spécialistes hautement qualifies Tatmosphére des films de yakusa de Tovi veut en faire un fitm, n’est-il pas
la Compagnie Toei, et qui aura leur intéressant de mettre en scéne un tel
sont peu nombreux et ils sont considérés a l’étranger comme les meil- structure » matériau? » I] précise que méme s'il
leurs du monde. S’ils acceptaient de sexiler 4 Londres ou Hollywood, prend pour reférence des affaires
ils y seraient payés quatre 4 cing fois mieux qu’a Paris. » « Qui le mot « fixcr » désigne-t-il », ayant récilement cu lieu, les person-
ayoute Oshima? « Pour parler sim- nuges du film seront fictits.
Il sait aussi manier 'humour pour raconter L’Année derniéere a plement. cest une homme capable de
Marienbad* «Dans un palace baroque, somptueux huis-clos pour fabriquer au Japon des premiers «Si jen fais un film se limitant a
riches oisifs, un homme rencontre une lemme et alfirme ‘avoir déja ministres. Ce « fixer», yusqu’a pré- suivre la trame de l’aflaire, le film sera
connuc et aimée. Elle est certaine qu'il n’en est rien. Est-ce lui qui sent, a fabnqué plusieurs premiers cnnuyeux. Ce que je veux peindre.
ment ou est-ce elle qui nie l’évidence pour ne pas reprendre une liai- ministres, mais voila que surpissent c'est avant tout [étre humain, la
son ancienne? Nous n’en saurons jamais rien. Ni les auteurs non plus, des incidents, comme les affaires lutte, les rapports entre les individus.
car le scénariste, Robbe-Grillet, estime qu’ils ne se sont jamais ren- Lookheedou Gluckmann ; des illéga- C'est pour cette maison également que
lités et des injustices commises dans ma fiction pastira de la volonté du
contrés, tandis quc le réalisateur suppose que oui. A moins que ce ne le passé sont portées au grand jour. jeune garcon d‘éliminer le « fixer».
soit le contraire. Qu'importe apres tout... Cette ceuvre évoque pour Crest alors qu'un jeune garcon, ma
moi une histoire d'Alphonse Allais. Une baronne préte a ladultére par une colére naive, assaille Ie «Je pense que le sujet protond de
donne rendez-vous, au bal masqué de Opéra, 4 un marquis qui la «fixer», tente de le supprimer, de ee prochain film sera la violence. Ces
courtisc. Tout est réglé par un échange de billets. Elle sera déguisée en Feffacer. Pourtant, sa tentative dernicrs temps, j'ii traité exclusive-
pirogue tonkinoise, il sera travesti en enchanteur Merlin. A lheure échoue, il sera arrété et jeté en prison, ment du sexe dans mes films, mais
dite, la pirogue rencontre l’enchanteur. Ils se saluent, dansent, vont Je pense enclencher le drame a partir étant donné que mes themes — si je
de ce point de départ ». « Il se peut considére l'ensemble de mon qeuvre
converser dans une loge, et quand sonnent les douze coups de minuit,
que dans ce film se déroule une luuc depuis le début - sont également le
d’un commun accord se démasquent. Or, ce n’était ni un ni autre... 4 double face - visible et occulte - a sexe ct la violence, je veux revenir.
Ce qui nous plaisait tant, vers 1927, dans cette histoire, ce n’étail pas propos de accusation du jeune gar- apres un intervalle de temps assez
Ja plaisanteric mais le mystére. sur qui planait l’ange du bizarre. » gon: qu'il soit question d’eflacer plu- long, au cinéma de la violence. »
sicurs lémoins vivants qui pourraicnt Jean-Paul Le Pape
C'est cet ange-la qui lui fait comparer 4 bout de souffle au bon vicux
étre génants, ou qu'il soit également
Quai des brumes. Lucide, il s’insurge contre la censure militaire qui question d'un plan d'attaque orga- 1) « Fixer»: mot anglais signifiant
chamaille La Régle du jeu, prend parti pour Adieu Philippine. Au nisé. De toute facgon, je pense que éminence grise.
hasard Balthazar, La Chasse au lion @ are...
En relisant 4 la suite ces chroniques, on se rend compte qu'il n‘use
jamais des procédés pseudo-culturels si chers a nos actuels critiques Le courage du peuple
de quotidiens. Quand il cite Eisenstein, Tati ou Dovjenko, il sait qu’a
chaque fois, une goutte de rosée peut contenir tout l’univers. Sans pré- censuré en Bolivie
tention théorique, ses textes ne craignent pourtant pus d’éclairer Coc- une action judiciaire correspondant
Sous la pression du maire de La
teau par Vertov: «Ecoutons le prophéte Dziga Vertov affirmant en Paz, capitale de la Bolivie, Le Cou- au flagrant délit commis et stipulé
1923 dans «Lef» la revue fondée par Matakovski: «Je suis Ic ciné-ceil. rave du peuple, film de Jorge Sa dans les articles 282, 283 et 287 du
is
un bdtisseur. Je t'ai placé toi, dans la chambre la plus extra- nes, produit par le groupe « Uka- Code Pénai cn vigueur».
re qui ait jamais existé. C'est une chambre de douze murs pris mau », s‘est vu retiré de la program-
dans dilférentes partics du monde. Ainsi, j'ai réussi 4 construire. en mation de la Cinémathéque 4 partir La réponse du groupe « Ukamau »
me fondant sur les intervaltes. une ciné-phrase qui n'est autre que ta du Uf juin demmter. Il risque d’en étre a 6té claire, offensive: « Le film Le
chambres ». Cocteau ignoruit ce texte de Dziga Vertov, mais il a sou- de méme pour les deux autres films Courage du peuple est la reconstitu-
vent appliqué des principes identiques pour construire un espace a réalisés par Sanjines aprés Le Cow- tion de faits réels, joués par les survi-
rave du peuple, L’Ennemi principal vants cua-mémes. c"est bien pour-
multiples dimensions. Je n’oublie pas ta ville imaginaire que Cocteau et Frera de aqui que la censure cxige quoi il est impossible de se retracter
a édifi¢e dans Orphée; elle est édifiée avec des fragments de Paris. ren- de visionner avant programmation. d’aucune mamiére, cn conséquence
dus méconnuaissables el métamorphosés par le miracle du montage... nous avons l"honneur d'inviter M. Le
Pareillement dans Le Testament, au sortir des rues villefranchoises. Le Ministre de l'Intérieur bolivien, genéral de division Don Ramon
Ic potte met Ie picd dans ies grottes de Baux. Ainsi. il est encore le dis- le colonel Raul Leyion, a affirmé a la Azero Sanzetenea a4 commencer
ciple de Vertov. » radio que le film visait 4 déprécier les laction juridique qu'il a annoncée
forces armées et qu'il déformait la contre nous, non seulement pour
Les enquétes minuticuses. le soin historique de Sadoul n'ont pas réalité bolivienne. Un général de défendre son point de vue, mais aussi
d'équivalent aujourd’hui. C’est chroniques-la vont permettre a beau- sion, M. Ramon Azero Sanzete- pour le besoin d'un éclaircissement
coup. qui tiennent le cinéma francais pour ]'un des plus vivants du écrit une lettre — rendue publi- historique. Pour le jugement, nous
monde, de voir que c’est aussi sur Epstein, sur Rouquter, sur Becker que - au groupe « Ukamau », dans transmettons l’adresse du bureau de
laquelle il exige que les auteurs du lavocat qui assurcra notre défense ».
que s‘appuicnt les expérimentations contemporaines. Il s’agit de film se rétractent publiquement pour (réponse datée du 20 juin 1979).
beaucoup plus que d'une mode plus ou moins rétro, il s‘agit de pra- «acte de justice, tempérance ct
tiquer une archéologie encore 4 constituer. vérité », ajoutant qu’il faut montrer Un large mouvement d’opinion
Christian Descamps que ¢’est faux, et sous peine denyager svest développeé (4 travers la presse
PETIT JOURNAL 71
bolivienne} pour la défense du film de toire du peuple bolivien faisant Biarritz Lille (1°"-7 octobre)
Sanjines. Cette interdiction est partie de la mémaire collective du
@autant plus ridicule, anachronique, pays, bute sur une caste militaire (qui (24-29 septembre) court-métrage
que le régime politique en place est s‘arroge le droit de censurer un pro-
en pleine évolution vers un plus de duit culturel au nom du deélit d’opi-
démocratie. Les militaires en place nion) qui n’a, objectivement, aucun Un Festival de plus, encore un! [I Le 8* Festival International: du
n'ont pas follement envie que se imlérét_ a entretenir cette mémoire aura lieu chaque année 4 Biarmnitz et Film de court métrage ct du Film
montrent et se voient 4 l’écran les historique. . sera consacré au film ibérique ct documentaire aura lieu 4 Lille, du I"
images des massacres qu'ils ont per- latino-américain. Cette année : du 24 au 7 octobre 1979. Ce festival a pour
petrés contre le peuple bolivien, que au 29 septembre 1979. Ce festival se objectifde défendre et d'illustrer sur
ce soit le massacre des mineurs de A La Paz comme ailleurs, la luttc propose de faire fe point sur le le plan national et international un
Catavi en 1942 ou cclui de la Saint- continue pour défendre le film de cinema de culture espagnole ct moyen de création : le court métrage
Jean en 1967. Le film de Sanjines, qui Sanjines et le travail du groupe latino-américaine. C'est souvent et le film documentaire.
retrace un épisade tragique de I"his- « Ukamau ». l'avantage de ce genre de rencontre
que de permettre de faire le tour Le festival de Lille rendra hom-
dune question particuliere du mage a l’Office National du Film du
cinéma sur un temps rapproché. La Canada, a l'occasion du 40 anniver-
compétition est ouverte aux [ilms de suire de sa création. Une série de pro-
Cinéma Allemand 1919/1932 : Expressionnisme. le
Kammerspiel, le retourau Réalisme. long meétrage; on ne connait pas jections retracera, grace a des films
a 1933/1960 : le film de propagande encore la programmation des films. Tares ou inédits en France, la produc-
tion des courts métrages de |°O.N.F.,
Aubervilliers nazi, les films des exilés,
1962/1979 : le « Nouveau des premiers films de guerre aux films
cinéma » de R.F.A., Miinich et Ber- de Sociétés Nouvelles, du cinéma
Histoire(s) d'Allemagne(s) lin. d’animation aux débuts du cinéma
On y verra des films rares : La Pou- vérité.
Entre -1919 (Caligari) et 1979 (Le pée de Lubitsch, C'est fa vie de Jung- Lyon
Tambour), une histoire, des histoires. hans, L'Enfer des pauvres de Jutzy. (18-24 septembre) Renseignements: Bureau du Festi-
En ces jours-la@ de Kautner, Un
Celle de Allemagne, des Allema- homme perdu de Peter Lorre. val: 16 bis, rue Lauriston
gnes, On y verra les premiers films de Films interdits aux 75116 Paris. 141. ; 5300.61.95.
Scholéndorff, Herzog et Fassbinder.
On découvrira des films inédits du adultes
Celle du cinéma. des cinémas.
jeune cinéma: Zinnifred Wagner
Bien sur il n'y a pas que cela. de Syberberg; Le Roraume de Naples
Une nouveaute : le premier festival
Qu’on le veuille ou non, on s’inscrit de Schroeter, Madame X de Ulrike Lumiére « Cinéma et Jeune public »
dans une réalité politique. Méme Ottinger: La Mort est mon méner de
a Lyon du 18 au 24 septembre,
avec un simple projet culturel. Alors Kottula; Jane sera toujours Jane de
Walter Bockmayer, Le Point zéro de réservé aux enfants de moins de 13
aujourd’*hui, deux Allemugnes, celle ans,
de "Ouest et celle de l'Est. Deux Edgar Reitz.
Claudine Bories
Nations, deux Etats, deux projets Dans te réglement. on peut lire:
politiques. «Ce festival a pour but: - de pro-
Au Théatre de la Commune mouvoir les ceuvres de tous les pays
d’Aubervilliers
du 26 Septembre au 9
Alors aujourd’hui, Europe, et au
cour de l'Europe, cette R.F.A., qu'on Octobre 79
qui, par leurs valeurs esthétiques,
éducalives, ou récréalives peuvent COURRIER
nous propulse comme super modéle contribuer 4 fa formation ct au res-
économico-philosophique.Un Pour tous renseignements, écrire pect de Venfant et 4 la comprehen-
modele qui aurail beaucoup souffert, ou téléphoner au Théitre de la Com- sion internationale, et faciliter leur
mais qui serait si bien réparé. Quel- mune: 2 rue E. Poisson, B.P. 157 - circulation....
93304 Aubervilliers; tel: 833 16 16. Paris, le 17 juillet 1979
que chose comme te chant des sirénes
travailleuses... — de lancer un effort continu et sou- Que le Bon Dieu soit damné de
tenu en faveur de la production et la mavoir fait naitre avec un plus joli
Mais du coté de histoire et des his- distribution de films pour enfants, cul que celui de Nathalie Heinich, me
toires, le chant des sirénes perd de son cflort qui ne pourra aboutir que grace faisant ainsi bénéficier, bien malaré
charme; elles ont des casseroles aux Deauville a une volonté évidente de la profes- mot du « protectorat, Gaumont »,
queues les sirénes.
(2-9 septembre] sion dans son ensemble et des pou-
vairs publics 4 tous les niveaux »,
ultime corruption, trahison
qui me marque d'un fer ausst rouge
infame.
Car si l'on peut facilement suivre les que Uétoile jaune.
fils rouges entre Afabuse et La Troi- Le Festival de Deauville téte son Hest bien dit dans le communiqué Je rappellerais simplement que
stéme généranon, Caligan et Hider, cinquiéme anniversaire: du 2 au 9 que ce festival est interdit aux plus de Félicité @ été distribué par mon pro-
Afutter Krausens et Katharina Bhim, septembre 1979, consacré au cinéma 13 ans : aux Cahiers, on est plusieurs ducteur Francois Chardeaux, @ tra-
en quoi ces histoires-la rencontrent- aménicain (c'est sa vocation). a se sentir brimés. vers le circuit U.G.C.
elles notre histoire? Quatre ou cing films « musicaux », H est inutile de me chercher un
Notre histoire, ob La Régle du jeu des comédiens (The /n-Laws, de amant parmi les dignes représentants
renvoie a L'Assassinat du Duc de Arthur Hiller avee Peter Fatk, Love de ce circuit.
Guise, et La Marscillaise & Masculin at First Bite de Sian Dragoti) le wes- Pour toute protection hénévole.
Féeminin? tern de Jack Nicholson Goin ‘South Nantes teléphoner au 325 42.56. Garanties
En quoi, sinon au titre d'investiga- {réalisé et interpreté par lui), On banquaires exigées,
tion,de curiosité amoureuse. par rap- annoce aussi Le Champion de Zeili- (4-11 décembre)
port 4 un autre peuple, une autre relli avec Jon Voight ef Faye Duna-
cullure, qui furent et demeurent radi- way et The Runner Snimbles de Christine Pascal
calement « autres» cl avec lesquels Stanley Kramer. A Nantes,du 4 au [1 décembre 1979
nous avons a voir depuis toujours. Est prévu un hommage 4 William aura lieu le ler « Festival Cinémato-
Wyler avec plusieurs de ses films, graphique des Trois Continents»
Ace titre done : Histoire(s) d'Alle- dont quelqu’uns inédits en France. consacré aux cinématographies La lettre pleine d’humour de
magne(s). Enfin le demier film de Fuller, The d'Afrique, d’Asie et d'Amérique Christine Pascal rétablit la vérit¢:
Aujourd’hui, les cinémas d’Allema- Big Red One a été unnoncé, puis c'est latine. Le festival comprendra une Nathalie Heinich s‘étail trompée en
gne et de R.F.A. le silence : tout dépend du mixage. Si section compétition, un hommage 4 rangeant Félicité sous le protectorat
En Janvier 80, le cinéma de R.D.A. le film est fini, il sera présenta Deau- un réalisaleur, une section d'infor- Gaumont (dans son compte-rendu de
ville, uccompagné vraisemblible- mation et une quatri¢me section Cannes paru dans le n° 302, page 41.
Pour ce premier volet. la program- ment de lauteur. consacrée au cinéma de culture noire I= colonne).
mation — une trentaine de films -, En gros, Deauville est un festival .en Amériquedu Nord. Pour tous ren- On peut quand méme faire remar-
Porte sur des périodes historiques intéressant quand tes Majors Com- scignements, s'adresser au Festival quer a Christine Pascal que N.H. ne
précises, et les courants cinématogra- pany y mettent du «leurre»: si elles des trois Continents, B.P. 3306, Nan- placait pas l'attaque au « niveau » ou
phiques qui s’y rattachent. boudent, ca devient trés vile raplapla. tes, clle-méme semble la situer.
REEDITION EN FAC-SIMILE DE DEUX
NUMEROS EPUISES DES CAHIERS DU CINEMA
Cahiers
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A paraitre
Numero Hors-Série
JEAN RENOIR
ENTRETIENS; PROPOS SUR MES FILMS
Ce volume, 4 paraitre fin octobre, réunira les entretiens de Jean Renoir
publiés dans cing numéros des Cahiers du Cinéma épuisés depuis longtemps,
et les déclarations du cinéaste au cours d’un certain nombre d’émissions télévisées, encore jamais publiées.
I
Entretiens parus dans les Cahiers
1) Avec Jacques Rivette et Francois Truffaut : n° 84 (avril 1954)
2) Avec Jacques Rivette et Francois Truffaut (suite): n° 85 (mai 1954)
3) Avec Jacques Rivette et Frangois Truffaut: n° 78 (Spécial Jean Renoir Noél 1957)
4) Avec Michel Delahaye et Jean-André Fieschi: n° 180 Guillet 1966)
5) Avec Michel Delahaye et Jean Narboni: no 196 (décembre 1967)
II
Entretiens télévisés _
1) « Jean Renoir vous parle » (1962)
2) « Renoir le patron » (de la série « Cinéastes de notre temps », (1967)
— la recherche du relatif
- la régle et l'exception
Ill
Propos de Jean Renoir
1) Propos rompus (Cahiers, n° 155, mai 1964)
2) Présentation de mes films (télévision, 1962)
S< ---- em
Iconographie inédite
BULLETIN DE SOUSCRIPTION
+ -
Valable jusqu’au 80 septembre 1979
Ville..
. 6.200.
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cece cece eet e eee ees
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*Pour l'étranger, ajouter 5,50 F frais de port .
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Edité par les Editions de I'Etoile - S.A.R.L. au capital de 50.000 F - R.C. Seine 57 B 18373 - Dépdr légal a fa parution
Commission paritaire N° 57650 — Imprimé par Laboureur, 75011 Paris
Photocomposition, photogravure, PMF, 35, rue de (Ermitage, 75020 Paris
‘Le directeur de la publication : Serge Daney - Printed in France.
Prix
z
F
7
Huster Frencls Rouseln André
Hamlet (578) [J. Lattorgue) La Coguine (254) [0, Fabbri}
B
Piads nua dans le parc (328) Toller Emst
(M. Simon} Hinkerann (580)
lonesco Eugene La locomotive (376) [0 Delsen ot F. Jone) 2
BUSBese
deux de massacre (472) On ne sait jamais (439)
Macbett (501) La Cleque {525} Tolstal Léon
Tuour sana gages 1510) Le Mats, la demnme et la mort (544) La Passion d'Anna Karénins (592)
Ge formidable bordel (542) L'Amour {ow (569) {G. Aroyt)
Las Oeuts da l'autruche (G3)
Kobout Panel Topol Soset
Guerre au troisiame étage (604) Roy Clusia Hete camaval (438) {M Repel) 20
Honnl sort gui mal ¥ panse (547)
sy (H. Gergeroti
ATRE THEATRE
Pauvre assnsaln (604) {P_ Barnes)
(2. Jourdheull, H Schwarzingert Le 17 (523) (1. Horowatz) E] ‘Terdiman Charles
Ne m'oubllez pas (497) jalt (623) 19
(P Nichols) F) Intimive {047} 10
tabiche Eugine
BIMENSUEL
La Station Chempbauder (503) Gagan Francoise
Voyage autour de ma marmite Tourguenley Ivan
{562} Chéteau en Subde (234) Un mols & Ia campagne (3-7)
Les Violons parfois (2651 (André Barescq)
Chaque numéro contlent : une piéce en trois actes de l'actualité ta Robe mauve de Valentine (3181
de Paris ou de province, une piéce en un &cte ou une fiche tech:
Manet Edousrdo Le Cheval évanout (382)
Las Nonnes (431) Torrietf Leurent
nique et une chronique de l'actualité théatrale, nombreuses photos. Lady Strasa (613) Salnt-Exupéry Antoine de Les Osctylos - Le Tigre (312)
Format 18 x 27. Le petit prince {625} (M_ Schiagal}
Mercenu Féliclen Wacques Ardown) 0
L'Avant-Scdne Théatre a publié plus de 1.000 pléces. La liste par Lp Prouve par quatre (360) Ustinov Peter
auteur, chdessous, n’est pas exhaustive, catalogue complet sur L'Amour dye quatre colonels (155)
B38
L'Homme en question (546)
Las secrets da la comédie Ssuvajon Marc-Glibert (MG. Sauvajon)
demande : (découpez le bon au bas de ta page) : Mercl.
humaine (563) Adorable Julia. (138) Romanoff @1 Jullette (169)
Remarque : lea prix de chaque numéro figurent en face de chaque (S Maugham ot G Bolton) (MG. Seuvajon)
a
titre, Ils sont différents aelon qu'il s‘agit de numéros. simples. Mauinier Thlerry Lo Canard & Vorange (480)
Le Signe du feu (236) (W.D. Home) Valéry Paul
doubles, en reprographle (pour les numéros épuisés) ou de numé- Le Vélo devant la porte (211) Monsleur Teste (556)
ros spéciaux, {Costa du Rola at D. Fabbri) (J. Hayes) (P Franck) Ed
Agnés Barnauer (364)
(Ff. Hebbel et P. Sabatier]
Le Soir du conquérant (467) Shakespeare William Voltaire
Prochs & Jésus (171) [D. Fabbri) Jules Céser (323) Candide (817)
Le Sexe et le néant (221) (M. Clavel) n (Serge Ganzi) 10
Le Marchand de Venise (253}
Miller Arthur {CA. Puget] n Wilde Oscar
La Création du monde ot autres Richard IF (502) Le Portrait de Dorian Gray (602)
bisnese {552) (J Morcure) TL. Curtis) (P. Boutron) 10
Incendin @ Vichy (489) (M. Kurtz)
Adarnoy Arthur Vu du pont (204) {M. Aymé) Ghaw George Bernard Williame Tenessse
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Dostoievshy Fédor
Loa Ennemis (475) (M. Gorkl) Les Nuits blanches {245) Major Barbara (450) La Descente d'Orphée (200)
iG er) U. Cosmos) (A. Rouleau)
Apoullh Jean La Foe Rostanow (271)
Cécile ou bécole dey pare (Y. Gase) ‘Weingerten Romain
1 est important d’étre almd lot (367) (A_Baraacg) Tehekbor Anton
Cet Animal étrange (326) Alles dans les jerdins
{0. Wilde at © Vincent) (101) Lee Freres Karamazov (481) du Luxembourg (481) (a)
Le Boulanger. 1a boulangdre et VW. Copeaud Des
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COrdalte ou Ia Petite Catharine de Duras Marguerite score P, Chérau, commentalres Tol at lea nuages (468)
Helibronn (372) (H. von Klelst) Miracle en Alabams (279) at analyse (G. Sandler) (G Neveuj
La Mouette (626 Mozartement votre (570)
Monslour Barnett (553) IW. Gibson et G. darlot) Le Tartuffe (3681 (Bruno LC. Sizjacq) Le Naufrage et Polluflesion 2000
Ne révetllez pas mu Un barrage contra “Ie Pacifique (Notes et mise en scéne, La Dame au petit chien (364) (ea) (20)
(212) (G. Serreau) F Ledoux)
Le Tartuffe (C/A3) (mise en scéne
pati Ehni René Planchon. commentaires et Thomas Robert Wollneki
La Valse dea toréadora (541) ‘Que ferez-vous en novembre 7 [412) lyan Al Simon)
La Deuxiéme coup da feu (327) Le Rol des cons (582)
te Scénarlo (814) Les Assassins associés (346)
a Montherlant Henry de Freddy (423)
Fabbri Sacqu La ville dont le prince
Misére et fease (14 enfent (436) Double Jeu (458) Worms Janina
Arbuzov Alexet
TE. Scarpa A Braga}
Us Chambre mandarina (553) Lo Godter - Tout & 'heure (402) 20.
Le batesu pour Lipala (828) ‘Museat Alfred da Avec ou sans arbres (648) 10
(Pol Quentin} Lorenracclo (603-C/A2)
Folasy Guy {mise an scéne de G. Aétoré.
Audibert! Jacques Le Goutte (631) commentaires et anslyso de
Le Cavalier seu! (533) La Crique (647) A. Abirachad)
Le Logauaa (473)
Quoat - Quost (419) Frisch
Bidermann et les incendisires (587)
Obaldia Rene de
NUMEROS SPECIAUX
(Ph Pilllod)
Babel Iaane Le Comte Odarland (493) Era Im fin atalt le bang (55*}
Marle (576) (Lily Denis} (H Bargarot) Monaleur tlebs et Rozalle (573)
Le Général Inconnu (324)
Bedos Guy/Gophle Daumler Galey Matthies
29 Sketches (538) Butley (547) (S. Gray) 7 | pacts Morin
Glreudoux Jean Apprendsimol, Cétine (632) Spécial Jean Anoullh (292283) 30. Spécle! Comedie Francaise
Billetdour Frangois Beckett ou V'honneur de Dieu (409-4101
Va done cher Torpe (273)
La Guarrs de Trole
aura pas lieu (479) 20 La toire d’empolgne Laa Femmes saventes (Moliéra)
{Notes de mise en actne de
Les Veuves (571) Picasso Pablo Jaan Meyer}
Le Déslr attrapé par Ip queue. sf Un caprice (Musser)
Goutelile Romain Les Quatre petites filles (500) Las Flancés du Havra et (Notes da mise en ecins do
Le Solr dea diplomates (511) Fy Des journées entiéres dans les Maurice Escende)
arbres
Céline Louls-Ferdinand Gokdon! Certo Spécial Camus (412414) 2
UEventall (570) (D Caccaldi) 2 | Pommeret Xavier Special Claudel (356) FE) Ravolta dang les Asturias
Entratien avec le protesseur Y It Campretio (596) 20 | La Grande enquéte de LGiage UErat de aidge
(584) (J. Rougerte) Le Menteur (4521 (P. 1 2 Félix Kutps (460)
Claudel Pat Baroule & Chioggla (630) LSB te Salamandres Spécial Coctem (365-385) Spécial Lorca (652-433)
Conversation dans is Lalrat-Cher {Ginetta Herry) 10 | Business (608) Les M: de ta Tour E:fal La Maison de Bernarda Alba
(539) (Silvia Montfort) Lea Chevaliers da la Table Ronde Le Petit retsble de Don Cristobal
Racine Jean
Husson Albert I Bpéecl Montherlant. (379380) co
Colette Le Systeme Fabrizzt (300) ao | Presse, (342) inetea, de mine an ve |. Malatesta Spécial Jules Romains (521-522) 30
Ce Clef de fit (471 (1. de Hartog) te Monde tel quil eat (44a) Knock Le Scintillante
orevla) 20Ed | Renoir Jean Spécial « Sldcle d'Or
Curtle Jean-Louls Claude de Lyon (255) (338-387) Ed
Hadrian Vil (471} (P. Luke) Gut est qui ? 1608) Garote (587) Periclés (W Shakespeare}
Mamtilies et mystéras {P. Calderon) Spécial Sartre (402-403)
(K. Waterhouse et W. Hall) 10
Danaud Jean-Claude Le Mal de test (351) (| Wellach} 20 | Rougerie Jean La Tragddie de Ia vengeance La Putsin respeciuause
Un auvrage de dame (612) LOmbre du cavaller (128) za | LesBruyére
Dialogues
(431) du(La sleur
Bruyére)de is {C Tourneur) Le Diable et te Bon Dieu
se 2
BULLETIN DE COMMANDE ET D'ABONNEMENT A L’AVANT-SCENE THEATRE
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CAHIERS
DU
CINEMA 303
15 F.
JACQUES TATI
Entretiens avec Jacques Tati, par Serge Daney, Jean-Jacques Henry et Serge Le Péron
Claquez vos portes dans un silence d'or. (Note sur le son chez Tati), par Jean-Jacques Henry p.25
L'autre monde de Hulot, par Bernard Boland - La vitrine, par Jean Louis Schefer p.30
MARGUERITE DURAS
« Elle », c'est du cinéma. (A propos du Navire Night), par Youssef ishagphour p.33
Amour de perdition (M. de Oliveira), par Evelyne Bachellier - Corps @ cceur (P. Vecchiali), par Yann Lardeau p.52
La Taverne de I’enfer {(S. Stallone), par Laos Carax - // était une fois deux salopards \S. Fuller - Ch. S. Dubin),
par Louis Skorecki p.55
PETIT JOURNAL
Pesaro 79: la moitié des écrans du monde, par Serge Le Péron p.57
Rencontre avec un producteur américain: Mike Medavoy (Orion Pictures), par Lise Bloch-Morhange et Serge Toubiana p.60
Passe ton bac dabord {Maurice Pialat): un mélodrame de notre temps, par Louis Skorecki p.65
Livres de cinéma, par Jean-Claude Biette, Serge Toubiana et Christian Descamps : p.67