Vous êtes sur la page 1sur 124

~—

aN.

La Production
La Technique -

Situation du Cinéma Francais


Numéro spécial — 325 — JUIN 1981 — 32 F
ES

EASTMAN COLOR,LE FILM A SUCCES.


Le Film EASTMAN Color triomphe sur tous les écrans, Prés de 30 ans
d'expérience et de recherche au service du cinéma ont porté le procédé a la une
du 7° art, de Ja télévision et de la publicité, EASTMAN Color,
le film qui fait ses preuves : plus qu'un nom, un renom.
La qualité
au service du talent.

KODAK - PATHE - Division Cinéma, Télévision, Audio-Visuel, 8-26, me Villiot - 78594 Paris Cedex 12 -TéL : 347.9000 LCA”
COMITE DE DIRECTION N° 325 JUIN 1981
Serge Daney
Jean Narboni SITUATION DU CINEMA FRANCAIS Il
Serge Toubiana p.5
ENQUETE SUR LA PRODUCTION
REDACTEUR EN CHEF
Serge Daney Le chainon manquant, par Serge Toubiana p.g
et
Serge Toubiana Les avatars de la notion d’auteur, par Serge Le Péron p. 12
(« Le Journal des Cahiers ») Glissements régressifs du loisir, par Guy-Patrick Sainderichin p.13

SECRETARIAT DE REDACTION A propos du GNC: La Tutelle, par Alain Lasfargues p. 14


Claudine Paquot Le discours-Gaumont, par Olivier Assayas p.16
ENTRETIENS
COMITE DE REDACTION
Olivier Assayas Entretien avec Noél Chahid-Noural, par S. Le Péron et G.-P. Sainderichin p. 19
Alain Bergala
Jean-Claude Biette Entretien avec Gérald Calderon, par G.-P. Sainderichin et S. Toubiana p. 23
Pascal Bonitzer Entretien avec Daniel Toscan du Plantier, par O. Assayas et S. Toubiana p. 27
Jean-Louis Comolli
Daniéle Dubroux Entretien avec Jean-Louis Livi, par G.-P. Sainderichin et S. Toubiana p. 37
Jean-Jacques Henry
Pascal Kané Entretien avec Michel Piccoli, par G.-P. Sainderichin et S. Toubiana p. 47
Yann Lardeau
Serge Le Péron Entretien avec René Thévenet, par C. Paquot, G.-P. Sainderichain et S. Toubiana p.61
Jean-Pierre Oudart 13 (+ 1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS
Louis Skorecki
Charles Tesson Gérard Beytout (Société Nationale de Cinématographie), Albina du Boisrouvray
(Albina Productions), Raymond Danon (Lira Films), Pierre Heros et Jacques Hinstin
DOCUMENTATION, {Les Productions Audiovisuelles), Marin Karmitz (MK2 Production), Margaret
PHOTOTHEQUE
Emmanuéle Bernheim Menegoz (Les Films du Losange), Claude Nedjar (Nef Diffusion), Yves Rousset-
Rouard (Trinacra Films), Alain Poiré (Gaumont International), Héléne Vager (Quasar),
EDITION Paul Vecchiali (Diagonale) p. 57
dean Narboni
OUTILS ET FORMES
CONSEILLER SCIENTIFIQUE
Jean-Pierre Beauviala L'image de cinéma: Petite variation sur le propre et le sale, par Alain Bergala p. 75
Autour d’une table ronde, par Jean-Jacques Henry ; p. 80
ADMINISTRATION
ABONNEMENTS Entretien avec William Lubtchansky, par Alain Bergala et Serge Le Péron p. 82
Clotitde Arnaud
Entretien avec Jean-Pierre Beauviala, par Jean-Jacques Henry p.91
MAQUETTE
d’aprés Jacques Daniel
LES AUTEURS (SUITE)
Table ronde avec la Société des Réalisateurs de Films (Jacques Doniol-Valcroze,
PUBLICITE Maurice Dugowson, Pierre Kast et Luc Moullet) p. 100
& nos bureaux
343.98.75 20 QUESTIONS AUX CINEASTES
Jean-Claude Biette, René Féret, Gérard Guerin, Benoft Jacquot, Christine Pascal,
GERANT Maurice Pialat, Hugo Santiago, Barbet Schroeder, Pascal Thomas,
Serge Toubiana
Maurice Dugowson, Patrick Grandperret, Jean-Frangois Stevenin p. 104
DIRECTEUR DICTIONNAIRE p. 113
DE LA PUBLICATION
Serge Daney

Les manuscrits ne sont pas


rendus
Tous droits réservés,
Copyright by les Editions de
Etoile Liste des annonceurs : Aaton, Action-Christine, Actuel, Agfa-Gevaert, Alga-Samuelson, A.P.F.,
Atmosphére, Brasserie Bofinger, Club Méditerrannée, Coca-Cola, Contacts, Diner’s Club,
CAHIERS DU CINEMA - Revue Eclair, Le Film Frangais, FR3, Hors-champ Diffusion, Kodak-Pathé, Librairie La Fontaine, Le
mensuelle éditée par la s.a.r).
Editions de I'Etoile Minotaure, Le Monde, Publicité Tinchant, Pyral, Studio 43, Télérama, Textimages, Unijet.
Adresse : 9, passage de la Boule-
Blanche (50, rue du Fbg-Saint-
Antoine). Edité par les Editions de l’Etoile — S.A.R.L. au capital de 50 000 F — A.C. Seine 57 B 18373
75012 Paris. Commission paritaire, n° 57650 — Dépét légal
Téléphone: 343.92.20 (lignes Photocomposition, photogravure : Italiques, 75011, Tél. : 355.92.18 +
groupées) Imprimé par Laboureur, 75011. Tél. : 357.84.70 +
** LE MONDE — — Poge 15

Le Monde
ARTS ELSPECTACLES

Le cinéma, les réalités

JEAN DE BARONCELLE.

LE LIEN «UT parait que le corps aime la peur > LE DESIR

JACQUES SICLIER. LOUIS MARCORELLES.


COLETTE GODARD,

Rencontre avee ; réalisateur de

La métaphore de l’alpiniste

« Le Monde » - 5, rue des ltaliens, 75427 PARIS CEDEX 09 - Tél. 246.72.23.


SITUATION DU CINEMA FRANCAIS I

Aprés les auteurs et les acteurs, ce numéro « Situation du cinéma frang¢ais 2 » ouvre le
dossier « production », avant de confier la parole a des techniciens et des inventeurs.
La production a été, durant la derniére décennie, en quelque sorte le « chainon man-
quant », ou le maillon faible du cinéma frangais. L’industrie, soutenue par les pouvoirs
publics (le C.N.C.), a mis laccent, fait porter son effort sur la remise en ordre de
Vexploitation, en tentant, avec succés, d’enrayer ’hémorragie financiére occasionnée
par la chute vertigineuse du nombre annuel de spectateurs en France : le parc des salles
s’est adapté aux nouvelles conditions économiques imposées par la crise.
Opération « réussie » : il y a eu concentration des circuits qui font peser leur poids,
leur puissance sur toutes les activités cinématographiques et en particulier sur la produc-
tion, dont le paysage se trouve du coup modifié. Nous essayons, dans cette premiére par-
tie, de donner de ce nouveau paysage une photographie. Aprés enquéte.

Dernier volet de notre survol ; la technologie du cinéma et ses mutations, ses effets
(directs) sur ses utilisateurs et (indirects) sur l’esthétique du cinéma francais. Il fallait
aussi tenter une périodisation : quoi de neuf depuis dix ans, vingt ans ? Qu’est-ce qui
change dans la technique et comment ca change, a quelle vitesse ? Nous nous sommes
posé Ia question puis nous l’avons posée a notre conseiller scientifique, lui-méme inven-
teur et innovateur, Jean-Pierre Beauviala. Nous l’avons aussi posée 4 un chef-opérateur,
William Lubtchansky et il a répondu de la meilleure grace du monde. Et comme il ne
saurait y avoir d’interrogation sur la technique sans souci de Ja forme, un des rédac-
teurs de la revue, Alain Bergala, pose la question du propre et du sale de image dans le
cinéma francais.

Un (ou deux) numéro spécial sur le cinéma francais ne saurait &tre objectif, encore
moins exhaustif. Oublis et lacunes sont inévitables. Notre dictionnaire « sans foi ni
loi », collectif et éclectique, a été largement improvisé. II s’agissait de capter les noms,
les lieux, les mots, les concepts qui, 4 un moment donné, nous ont fait bouger. Bien stir,
un dictionnaire ne saurait étre objectif, encore moins, etc.
Les Cahiers
ENQUETE SUR LA
PRODUCTION
aS
Le cinéma-mythe au cinéma: Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963). En haut: l’'auteur (Fritz Lang, assis, de d jos), le producteur (Jack Palance, debou}), la script.
Par terre, les bobines du film que le producteur vient de jeter. En bas: fe produsteur, fa femme du scénarisie (une star : Brigitle Bardot), le scénariste (Mickel
Piccoli), - wie

“en MI
i
ENQUETE SUR LA PRODUCTION

LE CHAINON MANQUANT
PAR SERGE TOUBIANA

Le dialogue, souvent orageux — pour reprendre l’expression de S. Daney dans son article sur
le cinéma frangais publié dans le numéro précédent — mais indispensable entre producteurs et
auteurs s’est donc fait rare au cours des années soixante-dix. Toutefois, il a eu lieu, de ci de la, A
des moments provilégiés, dans des lieux qu’il serait possible de repérer et d’énumérer,
succinctement.
Mais fondamentalement, il y a eu un autre dialogue, ailleurs, sur un terrain déplacé : un dialo-
gue, des rapports de force, un déplacement du centre de gravité dans le cinéma avec l’entrée en
lice des diffuseurs et des exploitants dont le réle s’est avéré déterminant. Au détriment de cet
équilibre auteurs-producteurs. Un dialogue sans artistes ou par dessus leur dos, argent-argent,
animé par des gens qui ne vont pas 4 la méme vitesse, et qui ne font pas circuler l’argent a la
méme vitesse.

Quelques moments privilégiés dans la production francaise durant la décen-


nie : Rassam, I.N.A., Tchalgadjieff...

lly aeu, pendant un an ou deux, trois au maximum, un dialogue I.N.A./auteurs, un dialogue


entre une mini-institution, semi étatique, semi poste avancé de recherche, mise au service d’une
plus grande institution (les chaines de télévision, tout juste issues de l’éclatement de 1’O.R.T.F.,
qui, disons-le, étaient incapables de prendre en charge elles-mémes toute politique de création
cinématographique, toute politique d’auteurs : sur ce plan-la, les choses ont évolué, lentement,
timidement) : ¢a a donné les premiers films francais de Raul Ruiz, la possibilité pour Adolfo
Arrieta de réaliser Flammes, permis 4 Benoit Jacquot de faire son deuxiéme film, Les Enfants du
placard, 4 Godard d’expérimenter des images et des sons commandités par un nouveau medium
— la télévision — et de préparer un come back qui, s’il a réussi au sein de la profession cinéma-
tographique, doit beaucoup a cette liberté qu’on lui a accordée a partir de 1976 (la série Six fois
deux puis France Tour Détour Deux Enfants). Et d'autres films encore produits ou co-produits,
pour la télévision ou le cinéma (Baxter, Vera Baxter, News from Home, Fortini Cani, De la
nuée a la résistance de Straub-Huillet, La Rosiére de Pessac n° 2 de Jean Eustache, Le Fond de
Vair est rouge de Marker, le Hitler de Syberberg...), d’autres auteurs qui constituent un riche
catalogue.
On ne dira jamais assez ce qu’il a fallu de courage, de croyance dans le cinéma artisanal et
10 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
d’auteur, de mise — souvent a fonds perdus — sur des cinéastes « marginaux » dont les seules
garanties résidaient dans la volonté de pousser plus loin l’expérimentation cinématographique
(avec peu de caution, 1a est le point faible 4 n’en pas douter, du cdté de la distribution, au double
sens : cGté acteurs, c6té salles), de la part de Ja petite équipe de production réunie autour de
Manette Bertin. Rétrospectivement, l’expérience-INA, aujourd’hui freinée, mise au pas, en veil-
leuse au nom du « bon sens commercial » qui anime toute Ja production cinématographique,
chatnes de télévision comprises, apparait comme un moment certes riche en production de films
d’auteurs, mais tout 4 fait 4 contre-courant de ce que fut le mouvement de la production fran-
caise pendant ces derniéres années.
Jai parlé de ’I.N.A.,mais il faudrait y associer quelques noms, celui d’un Stéphane Tchal-
gadjieff, par exemple, ou d’un Alain Dahan, relais indispensables entre ce poste avancé de la
télévision et la production proprement dite : sans eux, Robert Bresson n’aurait peut-étre pas fait
Le Diable probablement, Akerman ses Rendez-vous d’Anna, Rivette ses trois (sur une série de
quatre prévue) « films avance sur recettes », Duelle, Noroit, et Merry-Go-Round, De Gregorio
La Mémoire courte, etc.
Tl serait injuste aussi de ne pas mentionner la « période Rassam », qui se situe un peu avant
dans le temps, tout prés du début des années soixante-dix, et géographiquement plus proche du
centre de gravité du cinéma, puisqu’elle a été un moment fort de la production lourde du cinéma
frangais.
Le projet de Rassam était ambitieux ; il prétendait concilier, avec un certain panache, voire une
certaine arrogance, une politique de production indépendante, non liée organiquement 4 un
quelconque circuit de distribution, donc se soutenant de garanties moindres du cété de la distri-
bution et Pexploitation des films, et de prestige : il s’agissait de produire des — gros — films
d’auteurs (Bresson, Pialat, Ferreri, Godard, j’ajouterai les films-canulars de Yanne, inclassa-
bles), qui avaient la double caractéristique d’étre des films commerciaux (avec casting populaire,
excepté Lancelot du lac pour les raisons qu’on connait), en méme temps qu’expérimentaux :
Ferreri composant librement son « opéra-western » métaphorique autour du trou des Halles :
Touche pas la femme blanche, Godard plongeant deux stars comme Montand et Fonda dans une
fiction gauchiste : Tout va bien, Bresson ferraillant avec le Moyen-age,...
Une expérience dont lenjeu fut certainement capital, en ce sens que de grands auteurs passaient
Yves Montand et Jane Fonda dans
dans le moule de la grande production avec les garanties de n’y laisser aucune plume. Et puis, il y Tout va bier de Jean-Luc Godard
a un trou noir, 4 partir du moment ot cette expérience s’est catapultée sur la machine Gaumont
et que la prise du pouvoir par Rassam du plus important holding francais de cinéma a échoué.
Peu importent les raisons, les conflits de personnes, les dessous de cette affaire que nous con-
naissons mal, le fait important c’est que l’entreprise Rassam est la derniére grande aventure ciné-
philique au sein de la production (je me dois de mentionner fe travail de producteur de Claude
Berri sur le Tess de Polanski, parce que cette aventure-expérience est dans la lignée de cette
période-Rassam) et qu’a partir de cet assaut manqué, tout le dialogue auteurs-producteurs s’est
retrouvé déplacé, médié par le point de vue des distributeurs qui vont imposer leurs conditions
au « négoce » cinématographique.

Ce qui a changé dans Ie cinéma. La nouvelle ére des circuits.

Tia manqué, terriblement et avec la dimension de normalisation que fa notion peut impliquer,
cette dimension du « négoce » (terme employé par Daniel Toscan du Plantier dans l’entretien
qui suit) qui permet que le dialogue ait lieu entre auteurs et producteurs. Dire que le dialogue n’a
pas eu lieu sous prétexte que les auteurs post-Nouvelle Vague (et certains qui en font partie histo-
riquement) étaient inaptes au négoce, serait partiel, sinon faux : pour dialoguer il faut étre deux,
et ni les auteurs, ni les producteurs n’y mirent du leur, ou n’avaient suffisamment les coudées
franches pour l’aborder librement, ou s’y atteler sérieusement.
Les auteurs, on I’a vu dans « Situation du cinéma francais 1 », parce qu’ils reproduisaient,
inconsciemment, une situation antérieure, historiquement datée de l’époque forte de la Nouvelle
Vague, dans laquelle ils sont amenés 4 « étre tout pour leur film », selon expression de
S. Daney, c’est-a-dire A méme de se passer de quiconque peut ou veut bien les aider : les produc-
Jeanne Moreau dans Souvenirs d’en
teurs en premier lieu, mais aussi les acteurs. C’est 1a un fait indéniable : les cinéastes de la N.Y. France d’André Téchiné
ont eu leurs acteurs, en ont inventé : Belmondo, Karina, Léaud, Brialy, Lafont, Blain, Berto...
Les auteurs comme Téchiné ou Jacquot n’en ont pas inventé et ont commencé leur carriére en Georges Marchal et Jean Sorel dans
Les Enfants du placard de Benoit
utilisant des acteurs connus, voire des stars elles-mémes en difficulté ou pas au firmament du Jacquot
box-office : Jeanne Moreau dans Souvenirs d’en France, Jean Sorel dans Les Enfants du pla-
card, Marie-France Pisier et d’autres encore. Quant 4 Vecchiali ou Arrieta, ils ont leur micro-
systéme, inébranlable, hors-norme commerciale, leur bande d’acteurs qu’ils aiment ou qu’ils
flattent et font jouer cofite que cofite, commie s’il s’agissait d’une école d’acteurs, d’une pépi-
niére de jeunes premiers et de seconds réles. Moullet, lui, s’en passe le plus souvent ou joue lui-
méme dans ses films...
De leur c6té, les producteurs, s’ils n’ont pas ou si peu joué a ce dialogue, étaient occupés a
d’autres taches, d’autres combats. La décennie, c’est Ia son caractére historique, voit leur pou-
voir étre sensiblement rogné du fait dela prise en mains de leurs responsabilités — exclusivement
LE CHAINON MANQUANT li
commerciales — par les distributeurs et les groupements d’exploitants, ainsi que les agents (voir
Pentretien dans ce numéro avec Jean-Louis Livi, de « Artmedia »).
Montent alors en premiére ligne, non pas les producteurs qui sont censés tre, 4 part égale
avec les metteurs en scéne dans I’économie classique du cinéma, les maitres d’ocuvre des films,
ceux qui veillent a leur donner la meilleure facture possible (le mot facture, peu aimable, dit bien
le lien qu’il y a, de facto, entre art et argent), mais tous ceux qui ont accés au réseau des salles,
remis 4 neuf & partir du début des années soixante-dix sous l’impulsion clairvoyante d’un Jean-
Charles Edeline : les distributeurs-exploitants et les programmateurs des circuits.
Ceux-ci vont commencer a faire peser tout leur poids, tout leur pouvoir dans la balance. IIs
sont en relation quotidiennement, avec les exploitants qui, eux, cOtoient la clientéle. Et le fait
que cette clientéle diminue d’année en année incite 4 une certaine panique. Ils aspirent a des con-
centrations de pouvoir, ils vont faire entendre, plus fort que jamais, ce nouveau discours que
Pierre Kast, dans la table-ronde organisée autour de la S.R.F. qualifie de « mercantile » : le
public veut du spectacle, donc des vedettes, donnez-nous des films qui le satisfassent ! Ce dis-
cours sera entendu, écouté.

Les deux vitesses : la vitesse-production et la vitesse-distribution

Ta, ce discours, et il aura des répercussions sur l’esthétique du cinéma francais ; il va donner
des garanties économiques, via la diffusion, A ce mouvement de retour vers la « qualité fran-
¢gaise », 4 des auteurs-réalisateurs qui vont s’évertuer a reconstuire l’appareil cinématographique
classique (avec ses trois composantes : réalisateur/scénario-dialogues/vedettes) que la Nouvelle
Vague avait terrorisé, sinon anéanti. Je renvoie une fois encore le lecteur 4 l’analyse que fait
S. Daney de cette double généalogie du cinéma francais dans son article « Le cru et le cuit ».
Mais le phénoméne, avant d’étre analysé dans ses aspects qualitatifs, mérite d’étre percu dans
ce qu’il a de strictement quantitatif. Le réseau du cinéma francais, protégé par plusieurs régle-
mentations de caractére protectionniste établies conjointement par les organisations profession-
nelles et le C.N.C., impose non seulement un grand nombre de films pour alimenter ses salles,
mais aussi, c’est la un trait capital, un taux de rotation des films de plus en plus rapide. D’ou ce
vent de panique dans la production, profession par nature stable, certes portée aux acrobaties
financiéres et 4 toutes sortes de jongleries, mais dont la base, pour peu qu’on la veuille saine
financiérement, repose sur la capacité de mettre en chantier un ou deux films, exceptionnelle-
ment plus, chaque année, pour chaque producteur (voir les réponses des producteurs a la ques-
tion n° 13 de notre questionnaire).
Tout d’un coup, par nécessité, urgence économique, on fait tourner la machine plus vite, on
fait donc monter les enchéres : il faut produire, sinon en série, du moins en quantité, tout en
minimisant les risques financiers. Certains producteurs résistent, d’autres montent au cordeau,
font de la cavalerie en produisant film sur film, s’écroulent (on peut mentionner trois faillites
importantes au cours de la décennie : Danon-Lira Films, Génovés, Action Films). Ne subsistent
que ceux qui ont les reins solides, qui misent peu mais 4 bon escient, s’appuient sur un catalogue
de films anciens, que l’espoir de voir un jour la télévision en programmer certains fait vivre, sub-
sister, Survivent aussi les auteurs-producteurs, comme Rohmer (Films du Losange), Truffaut
(Films du Carrosse)...
Mais apparaissent aussi les producteurs occasionnels qui ne travaillent qu’au coup par coup,
sur un poste de travail qui devient de plus en plus un poste-relai entre le distributeur (qui parti-
cipe au financement des projets en versant des a-valoirs), la chaine de télévision qui entre en co-
production, les vedettes (représentées par leurs agents) et Je metteur en scéne, sans réelle prise sur
(économie générale du film (y compris son économie narrative).
Fini le temps des vrais « producers » (je cite ce que nous disait Jean-Pierre Rassam dans un
entretien publié dans le n° 292 des Cahiers, en septembre 1978 : « Les producteurs, s’ils ont un
réle a jouer, c’est de donner confiance au type qui va se lancer la-dedans. C’est un métier qui est
dur : il n’y a pas que Vargent, il faut le faire. Le cinéma, c’est physiquement plus dur que Pécri-
ture ou que de faire de la peinture. Résultat : on ne peut pas le faire tout seul, i] faut avoir
quelqu’un qui Vaide. Moi je crois au producteur qui double le metteur en scéne : i/ est derrizre
lui pour rattraper des coups, ou devant pour en recevoir »), d’une part parce que la Politique des
Auteurs s’étant tellement généralisée — il n’y a qu’a voir la quasi unanimité des réponses a la
question n° 3 de notre questionnaire : quel est |’auteur d’un film ? : le réalisateur évidemment !
— qu’on aboutit 4 un systéme ow Je metteur en scéne a du pouvoir, il signe son film, écrit son
histoire, choisit ses acteurs, donc travaille légitimement avec l’idée qu’il est le seul maitre a
bord ; d’autre part parce que les producteurs étant sous contréle des circuits, des distributeurs
(ou sous la pression du star-system et des agents), sont moins enclins a fignoler l’ceuvre, quitte a
ne pas y imprimer leur marque personnelle, ou Ja marque de ce fameux dialogue avec I’auteur. II
ya, de plus en plus en France, un sysiéme de production qui pousse les « producers » 4 l’anony-
mat, au salariat. C’est 4 ce prix que les auteurs sont « libres » de toutes contraintes. Mais ces
contraintes, nous les retrouvons & un autre pdle du systéme économique du cinéma, imposées
par Jes circuits de distribution et les nouveaux axes de production qu’ils ont tenté de mettre en
place au milieu des années soixante-dix. De cela il est question dans les articles qui suivent et
dans notre série d’entretiens sur la production. S.T.
12 ENQUETE
esprit d’innovation. Ce peu d’ambition des grosses productions
(a la différence des Etats-Unis of les grosses machines sont 4
méme d’intégrer les innovations) n’est pas la seule conséquence
de ce corporatisme. Il implique aussi une régulation générale de
LES AVATARS la production courante et programme largement Ia domination
de films moyens dans le cinéma francais. En fait, celui-ci est
DE dans la situation d’une entreprise de presse qui disposerait d’un
secteur édition régénéré (les circuits) et d’un secteur impression
LA NOTION D’AUTEUR fortifié (Artmedia) et qui, faute d’une politique éditoriale opé-
rerait sans partis pris.

PAR SERGE LE PERON La « fonction Toscan du Plantier », mise en place vers le


milieu de la décennie, a bien sir correspondu, au sein de la
compagnie la plus puissante économiquement, a cette nécessité
de donner une forme a une structure, en incitant les exploitants
a s’engager davantage sur les films, en pariant sur une réconci-
liation entre les auteurs et une grande compagnie. Mais la
encore, ces engagements se sont plus produits sur des principes
génériques (un sujet culturel + un auteur + des moyens ; un
modéle éprouvé de fiction + du social ou du politique) que sur
des modalités formelles, ou des styles (voir Varticle de
O. Assayas sur Gaumont).
Méme sur la fin de la décennie (bouclée en beauté avec les films
de Resnais, Truffaut, Pialat, Godard...), les producteurs sont
principalement restés des promoteurs, des paravents juridiques
et pratiques des auteurs. Rien ne s’est retrouvé de cette relation
du director et du producer qui savait établir 4 chaque instant
les équilibres adéquats entre 1’écriture et les moyens, qui impo-
sait une facon.
Sauf exception — dans les micro-systémes de production dont
parle Rivette, qui témoignent de cette absence de partenaire
dans la fabrication — les producteurs les plus efficaces €cono-
On a coutume d’attribuer le corporatisme qui sévit dans le miquement se sont rangés au fonctionnement global des struc-
cinéma francais 4 une obscure origine vichyste des réglements tures : ils montent les affaires sur des scripts et des acteurs, ils
en vigueur dans la profession. On sait en tout cas qu’il fut fournissent un cadre de production.
battu en bréche au cours des années soixante sous le double Tout se passe comme si les réalisateurs étaient les dépositaires
effet d’un courant esthétique ravageur — la N.V. — et d’une imaginaires du savoir cinématographique. Comment interroger
conjoncture technologique nouvelle — le 16mm et le son autrement I’hypostase actuelle de la notion d’auteur. Notion
synchrone — et qu’il en résulta une période plutét faste pour refuge, elle sidére tous les discours des protagonistes du cinéma
le cinéma francais. Ca n’a pas duré, A l’occasion de la crise de francais et couvre de son aura les meilleures entreprises comme
fréquentation, la profession s’est redéployée selon un modéle les opérations les moins crédibles. C’est au nom de sa défense
qui appelle 4 nouveau un puissant esprit de corps, méme si les qu’ Artmedia dame le pion a la production, et la notion désigne
corps en question ont changé. Les années soixante-dix auront alors aussi bien Resnais que Zidi ou Girod. C’est 4 cause de sa
vu Papparition d’un nouveau partenaire, les télévisions, qui commodité que les circuits accolent a leurs film-makers 1’éti-
modifient sensiblement le paysage de la production en France. quette d’auteur pour ajouter a leur entreprise un supplément
Elles auront été celles de la constitution d’une nouvelle place publicitaire. Dans la période plut6t euphorique que le cinéma
forte, le pool d’agents « Artmedia », lieu de management francais semble traverser actuellement, les maitres de I’écono-
systématique des « noms » du cinéma francais (acteurs, scéna- mie du cinéma se disent a l’affut de nouveaux auteurs.
ristes, réalisateurs) qui, par le biais de la représentation de ses Js se veulent en tous cas au service des anciens. C’est un fait
mandants, occupe une place centrale dans le montage financier que le meilleur cinéma francais est aujourd’hui fait par eux (ou
des films. Ce qui ne va sans polémiques au sein de la profession certains parmi eux). La situation est exactement inverse des
(Cf. entretien avec J.-L. Livi). années 60 ot, exception faite de Tati et Bresson qui étaient déja
marginalisés, les vieux étaient mauvais (Grangier, Verneuil,
Les deux péles déterminants du cinéma frangais au cours de Delannoy, La Patelliére, Clouzot...).
cette période auront donc été deux pdles ontologiquement cor- Pas sfir que cette grille des auteurs accolée aujourd’hui sur le
poratistes. Les circuits se sont créés pour protéger les salles, en paysage du cinéma frangais et qui implique que tout premier
fait accelérer la rotation d’un public réduit pour un nombre de film constitue la pierre inaugurale d’une ceuvre a venir soit la
films programmeés supérieur a ce qu’il fut autrefois. « Artme- meilleure preuve de vigilance. Pas stir qu’elle n’entraine plus de
dia » s’est développé pour affermir les intéréts financiers de malentendus (voir Jes déboires de Toscan avec ses auteurs et ses
professionnels en vue, fussent-ils auteurs. Le cinéma francais films : cf. entretien), qu’elle ne garantisse l’avenir de la grosse
se trouve ainsi bouclé par ses deux bouts. industrie.
Cette centralisation des intéréts explique peut-étre que les
gros films francais soient mauvais. De V’alliance entre les Plus significative que la culturalisation de fa production est
acteurs — comme Belmondo, Delon, ou De Funés dés lors le fait que se perpétue en France une situation ot !’on trouve
investis de pouvoirs excessifs — et des circuits d’ exploitation, il normal que l’innovation ait lieu dans les marges. Il faut encore
‘n’y a plus a attendre qu’un long bruit de caisse enregistreuse. y voir un effet de la structuration actuelle de la profession, des
Pas de raison qu’ainsi suspendu, le cinéma francais manifeste lignes de forces qui la déterminent.
quelque parti pris filmique, quelque engagement ou quelque En particulier, celle-ci rend difficile la fabrication de films 4
SUR LA PRODUCTION 13
moyens budgets. Entre les circuits qui réclament des films- situation est malheureuse car le cinéma francais est curieuse-
événements (qui tournent vite et dans de nombreuses salles) et ment un cinéma du milieu, un cinéma gui pousse par le milieu.
« Artmedia » qui s’oppose aux pafticipations d’acteurs dans Aussi ces films sont-ils supportés de part en part par les réali-
les productions quand ceux-ci ne disposent pas d’une cote sateurs. Ils doivent alors tout assumer de l’écriture du script 4
importante au box office (concrétement cela concerne cette la distribution finale. On aurait donc mauvaise grace a ne pas
catégorie de films intermédiaires qui ne peut se payer des stars), les appeler « auteurs ». Mais c’est alors A P’évidence une notion
ces films sont condamnés 4 se faire contre le systéme. Cette qui se retourne contre eux. S.L.P.

Si Pon en croit ’économie, la tache d’un producteur est de


satisfaire un marché. En loccurence, le marché est insaisisable,
incertain, et peut-étre défaillant. Le producteur Claude Ned-
jar, quand on lui demande (voir notre questionnaire) s’il se sent

GLISSEMENTS engagé envers le public, répond : « je ne me sens pas engagé


envers des gens que je ne connais pas ». Il y a, dans cette
REGRESSIFS réponse, de ’humilité et du réalisme. Les producteurs sont
séparés de leur clientéle, et ils en sont séparés par plus forts
DU LOISIR qu’eux. L’exploitation est forte, et la réglementation a joué un
role décisif dans sa montée en puissance (2). Les grands cir-
cuits, qui sont de l’exploitation concentrée, sont encore plus
PAR GUY-PATRICK SAINDERICHIN forts.

Les recettes qui proviennent des salles, étranger compris, ne


suffisent plus 4 assurer l’équilibre financier de la production.
Le financement des films passe par la télévision. On comprend
d’autant moins les efforts de la profession pour lui imposer des
quotas, et limiter ainsi cette source de financement. Cepen-
dant, la logique de la télévision n’est pas identique A celle du
cinéma : quand un producteur recherche la série, il faut enten-
dre qu’il poursuit un réve de joueur : la martingale. Tandis que
la télévision vise intrinséquement a la mise en série, a fixer des
audiences 4 des cases horaires, le plus longtemps possible. La
- télévision fait courir au cinéma le risque de la médiocrité, non
seulement parce qu’elle a des tabous, des censures (la politique,
le sexe, le suicide...), mais encore parce qu’elle ne peut avoir
d’autre souhait que de transformer les films en matiére pre-
miére pour cases-cinéma.

« Depuis dix ans, déclare fiérement une brochure gouverne- Les producteurs, 4 de rares exceptions prés, croient ferme-
mentale (1), le nombre des spectateurs fréquentant jes salles de ment aux techniques nouvelles. Ils en attendent de nombreux
cinéma est stable : il se situe chaque année autour de 177 mil- bienfaits. C’est un article de foi qui a fait perdre, depuis dix
lions de spectateurs. J s’agit d’un public jeune : les 4/5 des ans, une quantité respectable de millions 4 des gens tout aussi
spectateurs ont moins de 35 ans et constituent un public assidu respectables, La violence des illusions est un révélateur de celle
des situations.
et régulier allant au cinéma au moins deux fois par mois ».
Certains professionnels ergotent : la fréquentation, disent-ils, Nous sommes en France, et la télévision est monopole
est stable @ fa baisse, tout comme les prix sont stables @ la d@’Btat. L’Etat francais est tout a fait capable de transformer
hausse, C'est affaire d’appréciation : qu’une année se situe un Pexplosion audio-visuelle en pétard mouillé, Le poids écono-
peu en-dessous, cela peut n’étre que conjoncture. En revanche, mique et social de la production cinématographique est
il est certain qu’aprés des années de panique et de chute libre infime ; qu’elle se déguise en groupe de pression culturel, et
(en 1957, année-record, 411 millions d’entrées), le cinéma a fasse la morale, c’est un aveu d’impuissance.
trouvé une sorte d’équilibre, peut-étre précaire, Mais la défini-
tion de cet équilibre devrait répondre 4 deux questions distinc- Les circuits, la télévision, le C.N.C., sans oublier les gros
tes : quel public le cinéma a-t-il réussi 4 garder ? quel (nou- agerits comme Artmedia (3), dont il est parlé ailleurs, tout cela
veau) public a-t-il réussi 4 inventer ? n’est pas gai. On ne croira pas longtemps que ceux qui sont
habiles a naviguer entre ces forteresses sont des hommes
Voici une de ces multi-salles, qu’on nous présente comme un d’argent : il leur faudra bientét avouer leur profil de négocia-
des moyens qui a enrayé la chute de la fréquentation. En teurs d’appareils rusés ou satellisés. A qui faut-il inspirer con-
m’offrant le choix entre quatre, cing ou six films, elle s’est faite fiance pour produire un film dams la France des années 80 ? Et
attrayante, elle m’incite 4 aller au cinéma. Mais aussi bien, elle de qui faut-il gagner l' appui ? Cette question n’est pas encore
m’oblige 4 décider de voir un film, plutét qu’un autre ou pas de tout a fait tranchée. Patience. G.-P.S.
film du tout. Aller au cinéma, c’est le comportement typique
qui correspond au loisir de masse. Voir un film, plutdt qu’un
1, Cette brochure, Une politique francaise du cinéma, préfacée par
autre ou pas de film du tout, c’est une démarche culturelle.
Valéry Giscard d’Estaing en personne, est opportunément parue en
L’équilibre actuel du cinéma francais repose sur Paddition des mars 1981. Elle a été commentée dans le n° 322 des Cahiers.
gens qui vont au cinéma, et des gens qui voient des films, sans 2. Voir article d’Alain Lasfargues, dans ce numéro
que ni l’une ni l’autre de ces catégories soit, en elle-méme, 3. Voir les articles de Serge le Péron et Serge Toubiana, ainsi que
homogéne ou précisément délimitée. Ventretien avec Jean-Louis Livi, dans ce numéro.
A PROPOS DU CENTRE NATIONAL DE LA CINEMATOGRAPHIE

LA TUTELLE
PAR ALAIN LASFARGUES

Il est d’usage de commencer tout article sur organisation paix » qui émette une billetterie certifiée et exerce un certain
professionnelle et administrative du cinéma frangais par le rap- contréle ; c’est ce que fait le C.N.C.
pel de la tare originelle de ses sources vichystes. A l’inverse, Grosso modo, sur une place 4 vingt francs, l’Etat prélévera
soulignons ici que si le C.N.C. fut créé par Pétain en 1942 (1), d’abord 12, 24% (en moyenne) de Taxe Spéciale Additionnelle
son existence fut intégralement maintenue et confirmée par les (TSA), puis 7% au titre dela TVA au taux réduit. La TVA ira,
gouvernements d’union nationale de l’aprés-guerre dans les- comme de juste, alimenter le budget général de la France.
quels siégaient, particularité unique, la totalité des forces poli- Quant 4 la TSA, elle est la source principale de financement du
tiques, communistes compris. Fonds de Soutien que gére le C.N.C. (cf. infra).
Le Centre National de la Cinématographie n’a pas d’équiva- La part de l’exploitant sera égale 4 au moins 50% du solde :
lent dans les autres démocraties industrielles occidentales. 1 ce pourcentage minimum est dit d’ordre public, c’est-a-dire
faut aller beaucoup plus a I’Est pour lui trouver des homoalo- qu’il est interdit d’y déroger par contrat. Cette disposition a
gues. Le C.N.C. exerce son contréle 4 toutes les étapes du pour but d’éviter 4 ’exploitant de se faire imposer des condi-
financement, dela production, de la fabrication, de la distribu- tions léonines (c.a.d. une part inférieure 4 50%) par un distri-
tion, de l’exploitation et de l’exportation d’un film. A la base buteur détenant un film a succés. Cette mesure, 4 l’origine
de son activité, deux recueils juridiques, bible des cinéastes, d’inspiration résolument clientéliste, a profondément modelé
intitulés « Textes du cinéma francais» et divisés en 6 le paysage cinématographique francais en réservant a l’exploi-
« titres » : tation la plus grosse part de la galette. Les grands produc-
teurs/distributeurs ont df devenir exploitants pour assurer leur
1. Du Centre National de la Cinématographie (organisation survie économique tandis que le métier de producteur indépen-
financiére et administrative) dant devenait encore plus difficile. Au positif, notons l’opu-
2. De la profession cinématographique (conditions d’accés et lence et l’importance du parc de salles francais.
d’exercice)} Dans ]’exemple ci-dessus, le producteur en bout de chaine ne
3. Du registre public touchera (au mieux) que 3 F sur les 20 F dépensés par le specta-
4. Du financement de l’industrie cinématographique (fonds de teur, et ce uniquement aprés que Je distributeur aura récupéré
soutien, avance sur recettes, contrdle des recettes) Vintégralité des frais de sortie du film (copies, publicité, etc.).
5. Du commerce extérieure (exportation) Jusqu’a atteindre ce seuil, il garde lintégralité de la part
6. De la Communauté Economique Européenne. producteur/distributeur.
Du C.N.C., le grand public ne connait généralement que On le voit, ce systéme de répartition de la recette n’est pas
deux aspects. Le premier est, bien sir, la commission de cen- neutre quant aux équilibres économiques qu’il induit. On peut
sure, au demeurant pudiquement et légalement dénommée en imaginer d’autres. Aux USA par exemple, les exploitants
« commission de contréle », Cette vénérable institution se achétent au distributeur Ies films au forfait, parfois méme
maintient au rythme de croisiére d’un scandale bi-annuel. Pas- avant leur réalisation (blind bidding). Ils prennent un pari sur
sons, faute d’enrichir ce dossier bien connu. Le second est le le succés futur du film. L’exploitant est alors étroitement asso-
service de contréle des recettes. Pour les esprits superficiels, cié au risque de production du film, soulageant le producteur
son existence se manifeste essentiellement par le fait que : d’autant. En contrepartie, les excédents de recettes (comme les
pertes) peuvent étre substantiels. En France, au contraire, le
1. Tous les billets de France et de Navarre ont la méme forme.
producteur est, en principe, le seul A avoir une « mise » fixe a
2. Les billets marqués 2 F10 sont vendus 25 F par autorisation
récupérer. L’exploitant ne contribue-au risque de production
(toujours spéciale} du dit service.
que dans la trés faible mesure des frais généraux de mise a dis-
Observations anecdotiques mais exemplaires d’un des choix position de sa salle. [i n’a aucun intéret 4 maintenir un film qui
fondamentaux dans l’organisation économique du cinéma ne marche pas. On dit que le systéme substitue la rentabilité des
francais : la rémunération des partenaires du film au pourcen- salles 4 celle des films.
tage. Ceux-ci (producteur, distributeur, exploitant, [’Etat, Pour le cinéaste professionnel, l’intervention du C.N.C. se
mais aussi les auteurs, certains comédiens, etc.) percoivent un manifeste dés Pécriture du scénario et le choix du titre du film.
pourcentage fixé, légalement pour certains, de gré 4 gré pour Tout acte juridique (contrat d’auteur, cession de droits, titre,
d’autres, des recettes encaissées par l’exploitant 4 son guichet. etc.) doit étre enregistré au registre public de la cinématogra-
Dans un tel systéme, il est indispensable d’avoir un « juge de phie, mémoire juridique du cinéma frangais. Ce dépdt a pour
15
but de donner 4 Vacte juridique « date certaine » en cas de con- entrée de son film lui est rétrocédée, Il y a du savant Cosinus
testation future. Tous les titres des films francais et étrangers et du sapeur Camembert dans cette taxe percue pour étre
sont répertoriés. C’est 14 que lauteur d’un scénario, gu’il immédiatement restituée. Notons toutefois qu’elle n’est pas
croyait original, aura la surprise d’apprendre que le titre « Pal- rétrocédé immédiatement, et que cette rétrocession est condi-
mipéde du Zambéze » a déja été utilisé quatre fois depuis 1945, tionnelle. Systéme bizarre derriére lequel il est extrémement
y compris une fois pour un film classé X. difficile de débusquer la réalité des équilibres.

Toutes les professions cinématographiques du monde ont Malgré son nom (aide automatique) il est difficile de croire
une facheuse tendance 4 l organisation corporative du marché qu’il s’agisse vraiment d’une aide. D’abord parce que le pro-
du travail, c’est-a-dire a imposition de conditions aussi artifi- ducteur n’aide que lui-méme (la TSA ne lui est rendue qu’en
cielles que drastiques a l’accés et a l’exercice de la profession. trés exacte fonction du nombre d’entrées de son film : nom-
Dans les pays anglo-saxons, cette réglementation est Vaffaire breuses entrées = aide importante, et inversement) mais aussi
des syndicats, organisations de droit privé ne disposant pas de parce que les comparaisons avec |’étranger montrent que le
toutes les armes pour faire respecter leurs décisions. systéme n’augmente pas la recette du producteur francais com-
En France au contraire le corporatisme est exercé par |’Etat parée avec celle que le simple enjeu des parties assure a ses col-
et imposé par le biais de prérogatives de puissance publique. Sa légues européens. Si il y a aide, c’est essentiellement pour le
force contraignante est donc trés grande. Conformément a la producteur malchanceux, dans la mesure ott |’aide automati-
décision réglementaire du 10 juillet 1964, tout technicien, tout que est percue dés le premier spectateur. Si le film n’amortit
réalisateur doit étre titulaire de la carte professionnelle corres- pas ses frais de sortie, elle constituera la seule recetie.
pondant au poste qu’il occupe. Ces cartes s’obtiennent en sui- A l’origine, les fonds percus étaient bloqués au compte de
vant des cursus obligatoires et hiérarchisés. Par exemple, la soutien du producteur qui ne pouvait en obtenir le déblocage
carte de directeur de la photographie est délivrée 4 tout camera- que pour investir dans un autre film. Le législateur souhaitait
man ayant exercé ses fonctions sur trois films francais de long ainsi éviter que les bénéfices faits dans le cinéma aillent s’inves-
méirage, la carte de cameraman étant elle-méme accordée 4 tir ailleurs. Accessoirement, ces sommes devaient garantir le
tout ie assistant-opérateur ayant occupé ce poste sur trois paiement des salaires des techniciens, de l’URSSAF, des indus-
longs métrages au moins. Et ainsi de suite jusqu’au stagiaire. Il tries techniques (labos, auditoriums, etc.), Petit 4 petit, l’acces-
en est de méme dans les branches du son, du décor, du mon- soire est devenu principal et les producteurs affectent d’entrée
tage, de la réalisation, etc. La possession de ces cartes est obli- de jeu les recettes du compte de soutien au paiement des créan-
gatoire c’est-a-dire qu’il est interdit au producteur d’employer ciers privilégiés. Force est de constater que l’aide automatique
des techniciens en nombre insuffisant ou sans les cartes corres- n’est plus qu’une ressource normale des films, a ceci prés
pondant au poste occupé. En cas de non-respect de la régle- qu’elle transite par l’administration qui l’utilise comme gage
mentation, le producteur est privé de l’agrément, c’est-a-dire du respect de ses réglements. La TSA se montant 4 prés de
de ses droits au fonds de soutien, sanctions économique qui 3,00 F sur une place de cinéma prise sur les Champs-Elysées,
ampute le film de 60% de ses recettes. A ce tarif, peu de pro- on congoit qu’aucun producteur ne puisse se priver de ce qui
ducteurs passent outre. Dans la pratique, ces obligations est devenu sa recette principale. Beaucoup d’ entre eux sont pris
posent peu de problémes aux films normaux, le probléme existe dans un dilemne : soit renoncer 4 la réalisation d’un projet,
surtout pour les premiers films, souvent faits avec des moyens faute de pouvoir y affecter un financement permettant le res-
de fortune. I] n’est pas rare que ces films soient signés par des pect de la réglementation, soit le mettre quant méme en chan-
techniciens qui n’y ont pas participé, mais « prétent » leurs tier avec le risque, en cas de refus d’agrément, de se voir ampu-
cartes 4 des collégues plus jeunes et moins gradés. La tendance ter administrativement de 60% de la recette !
de plus en plus grande du C.N.C, a refuser de fermer les yeux De ce point de vue, le cinéma francais est la seule activité qui
sur ce genre de pratique est sans doute une des raisons de la exige des nouveaux concurrents qu’ils se mettent dans les
raréfaction de ce type d’entreprises. On le voit, P’accés a la pro- mémes conditions de productivité et d’organisation que les fir-
fession est trés étroitement contr6lé par les échelons supérieurs, mes en place. Cette interdiction des gains de productivité et des
garantie du « maintien de la valeur professionnelle » pour les stratégies type « beaucoup de travail, peu de capital » n’est pas
uns, « porte ouverte au népotisme et 4 la sclérose » pour les sans conséquenc sur le faible taux de renouvellement de la
autres. Il n’est pas question ici @’entamer une « sociologie du profession.
corporatisme, avantages et inconvénients » ; imprimons pour- La TSA pergue sur les entrées des films étrangers ne leur est,
tant ce qui reléve du simple bon sens : il est rarissime que les bien entendu, pas restituée. Elle alimente le fonds de soutien
petits commercants donnent leur autorisation 4 Pouverture d’équipement aux exploitants, PIDHEC...
d’un supermarché. En économie la sclérase induite se paye de En ce sens, plus les Star Wars et autres Superman ont de suc-
quelques points d’inflation en plus, pour le cinéma les consé- cés, plus l’avance sur recette est riche, et plus la moquette des
quences sont sans doute 4 chercher dans les résultats d’exporta- salles est neuve !
tion ou la vertigineuse hausse des coats de production.
On connait peu de branches d’activité, relevant en principe
Pour étre agréé un film doit remplir un certain nombre de de Vinitiative privée, ob le contréle de l’administration pése
conditions parmi lesquelles :
aussi lourd que sur le cinéma frangais. C’est au point que cer-
— respect de la réglementation professionnelle (cartes pour les tains préférent parler d’économie mixte. Cet interventionnisme
techniciens mais aussi pour le producteur) ; a un versant positif (avances sur recettes, subventions diver-
— nationalité francaise (capitaux en majorité francais, ver- ses), qui vient « en plus » des lois du marché, en tempérer ou
sion originale en francais, non dépassement du quota d’acteurs en corriger les conséquences. II a aussi un versant négatif,
étrangers) ; quand il s’attache a les stériliser, et 4 leur substituer une para-
— conformité du plan de financement avec le scénario (plus logique bureaucratique. A.L.
simplement : plan de financement réaliste).
L’agrément permet au producteur d’obtenir l’aide automati-
que au moment de la sortie du film, c’est-d-dire que le produit (1) Sous le nom de « Comité d’Organisation de I'Indusirie Cinématographi-
de ia Taxe Spéciale Additionnelle percue sur les prix des billets que). A la Libération, le COIC fut interrompu. .
ENQUETE SUR LA PRODUCTION

LE DISCOURS-GAUMONT
PAR OLIVIER ASSAYAS

Dire que le rdle de Daniel Toscan du Plantier est capital dans La fonction d’un producteur demeure dans Ie cinéma fran-
la production francaise n’est pas une affirmation excessive. cais une notion trés abstraite puisque traditionnellement ce mot
C’est un fait et 4 chacun de s’en accomoder, parfois pour le recouvre une série de réalités disparates : le producteur est soit
meilleur, le plus souvent pour le pire. Mais il est essentiel de financier, soit gestionnaire, soit commercant, soit visionnaire.
noter que ce réle est de sa propre invention, il a su s’imposer Mais jamais I’équivalent d’un producer américain qui, free-
dans une fonction qui n’existait pas avant lui : celle de direc- lance ou sous contrat avec une compagnie, congoit ses projets
teur de compagnie. Et de ce fait, beaucoup de cartes sont en étroite collaboration avec des auteurs. Portant, au méme
brouillées. titre que le réalisateur, un film des prémisses jusqu’a l’achéve-
Gaumont est indéniablement une sorte de major company. ment, il est son interlocuteur privilégié ; intercesseur entre la
Concentration verticale et horizontale, elle n’a pas d’équiva- finance et la création, ila un pied de part et d’autre. De ce fait
lent européen. A la téte d’une pareille machine il faut la pré- on peut parler du style d’un producer, trouver une cohérence a
sence d’un financier et d’un stratége : A savoir Nicolas Seydoux son travail ou en tout cas la trace de sa patte dans chaque film
et Daniel Toscan du Plantier. On ne peut nier 4 Gaumont un qu’il a produit. On a dit et répété (a juste titre) qu’ Alain Poiré
bilan positif pour les cing derniéres années, puisque cette était un parfait équivalent francais de cela. De leur cété, les
major partait d’une situation trés compromise, héritée d’une directeurs de major companies, les financiers, ont générale-
longue période de gestion plutét paresseuse. Toscan et Seydoux ment d’autres chats a fouetter que de se préoccuper du contenu
ont non seulement dégrippé un vieux mécanisme, ils ont aussi des films qu’ils mettent en place et dont ils ignorent le plus sou-
eu Phabileté de comprendre certains des enjeux de leur époque vent les tenants et les aboutissants. Leurs intéréts vont plutét 4
et d’envisager @ Jeur facon une perspective historique. gérer des sociétés multimédia — comme Gaumont — et a les
Une politique avant tout européenne : des efforts d’implan- guider comme en d’autres temps on guidait des armées.
tation en Italie, la confiance aux auteurs, le rachat d’Erato, les
liens avec lédition et l’ouverture vers les nouvelles techniques On voit bien que c’est plutét dans la seconde catégorie que se
de diffusion, la stratégie des petits pas aux Etats-Unis, le coup placerait Toscan du Plantier. Mais nous sommes en France et
de poker de Don Giovanni : le style de la production francaise la situation se complique du fait qu’il s’agit d’un pays ou c’est
a changé et Toscan n’a certes pas fini — s’en tiendrait-il la — la production indépendante qui a derriére elle la tradition la
de provoquer des remous dans Landernau. plus brillante, la plus longue et la plus constante, cefle dont les
Ila été de ceux qui, au sein d’un establishment engourdi, ont structures constituent le « modéle » le plus fort. Et des produc-
envisagé le cinéma comme un media moderne. Son combat en teurs indépendants il y en a de deux sortes.
faveur de la production cinématographique, contre ceux qui D’abord ceux qui, en bien ou en mal, ont fait le gros cinéma
avaient pris |”habitude de réinvestir leurs profits dans des par- de Vaprés-guerre, les Raymond Danon, Robert Dorfmann,
kings, commence d’ores et déja 4 porter ses fruits. Mnouchkine et Dancigers, ou encore, pour citer un cas unique
Il ne faut done pas mettre en question les choix stratégiques de producteur vedette auquel Toscan du Plantier se référe,
de Gaumont qui se sont souvent révélés justes. Seulement Raoul J. Levy, ’inventeur de Brigitte Bardot. A une échelle
autant Toscan du Plantier est-il l’habile « grand timonier » plus ou moins grande, avec plus ou moins de chance, tous ces
d’une Major, autant est-i/ Vantithése d’un producteur de gens sont des joucurs qui 4 maintes reprises se sont risqués eux-
cinéma. Ne serait-ce que parce qu’il est techniquement impossi- mémes sur les films qu’ils finangaient. Plongeant a intervalles
ble d’étre et l’un et Pautre. D’ow les rapports plus qu’ambigus réguliers, refaisant surface de facon inattendue, ils ont en com-
qu’il entretient avec la production, ambiguité qui ne peut pas mun une passion certes particuligre mais en tout cas sincére
ne pas déteindre sur les films Gaumont. Je me souviens de Pia- pour le cinéma et pour la part d’aventure que constitue la pro-
lat lors d’une conférence de presse 4 Cannes l'année derniére se duction d’un film, Ils furent par force — n’ayant les moyens le
plaignant, a propos de Loulou, d’avoir été financé mais de ne plus souvent que de produire un seul films a la fois — et des
pas avoir été produit. financiers et des producteurs. C’était fatalement ce dernier
17
poste qui en patissait, d’ot la traditionnélle confiance artisti- auteurs galonnés et médaillés. Méme si c’est précisément leur
que accordée aux réalisateurs qui ecurent ici trés tat des coudées omniprésence qui se trouve étre en partie responsable de la
assez franches, solidement épaulés par des équipes trés soudées chute du cinéma italien. Les Scola et les Risi dont l’accés au
oti le scénariste, le décorateur et l’opérateur avaient des rdles statut d’auteurs a coincidé avec la perte de tout ce qui a pu faire
sans doute plus déterminants qu’aujourd’hui. le charme de leur cinéma, et qui depuis des années ne vivent
plus que du souvenir @’un talent qu’ils ont eu, sont bien sfir
L’autre sorte de producieurs indépendants, ce sont les trop heureux de faire le jeu d’un Toscan, d’accepter de repro-
auteurs-producteurs de la Nouvelle Vague dont il n’est pas
duire Vimage qu’il veut avoir d’eux. Tout le monde joue un
abusif de faire remonter en France la tradition au microsys-
réle, on nage en pleine fiction et la seule réalité est celle de la
téme d’un Pagnol. C’est par nécessité que Truffaut ou Rohmer
machine commerciale qui tourne.
durent mettre en place des machines assurant leur survie artisti-
Le discours culturel c’est aussi Rossellini sur lequel Toscan
que, puisque les structures existantes n’étaient pas faites pour
peut dire a occasion des choses pénétrantes comme lorsqu’il
les accueillir, D’autre part ils purent de cette facon plier le
décéle l’influence marquée du cinéaste italien dans un film
systéme a une économie quasi littéraire, a leur rythme propre.
comme Raging Buil. Ul est beaucoup moins pertinent lorsqu’il
En minimisant les risques et en s’en tenant a des budgets petits
théorise les partis-pris trés personnels de Rossellini, notamment
et moyens — que Toscan rejette avec mépris comme étant a la
les ambitions espérantistes de sa derniére maniére. Bt 14 of il
source de tous les malheurs du cinéma francais — ils ont donné
est impossible de le suivre, c’est dans sa reprise des théories
une malléabilité, une souplesse et une liberté quasiment uni-
jungiennes sur la part masculine et féminine de notre incons-
ques au cinéma, a leurs carriéres, et surtout a leur écriture.
cient qu’il cherche 4 appliquer comme la panacée du moder-
Définissant les options stratégiques de Gaumont, Daniel
nisme en matiére de cinéma.
Toscan du Plantier rappelle la confiance que cette compagnie
entend accorder aux auteurs, un peu 4 la maniére d’United
En fait c’est dans ses refus que Toscan est le plus clair-
Artists aux USA mais sans doute en poussant le systéme encore
voyant : refus du cinéma pour adolescents, refus de l’américa-
plus loin. Admirateur avoué de la Nouvelle Vague, de Rossel-
nophilie 4 outrance, refus de l’infantilisme et d’une certaine
lini, Toscan plus que stratége se veut théoricien du cinéma et
forme de facilité, en somme la recherche d’une spécificité euro-
n’admet le débat qu’avec les auteurs aux plus fortes quotations
péenne du cinéma qu’il semble effectivement aujourd’ hui prio-
4 une sorte de Wall Street culturel. Le Losey dernitre maniére,
ritaire de définir. Mais la voie de cette spécificité ne passe cer-
mercenaire cynique, est le type du cinéaste malléable prét 4
tainement pas par un retour a la qualité francaise, 4 une
entrer dans le moule d’artiste hors duquel son producteur ne
« grande maniére » qui a de tous temps été l’apanage des artis-
parvient pas a concevoir de grand réalisateur. Il est limpide
tes officiels. Un tel projet de cinéma doit avoir une écriture a la
qu’on ne perpétue pas la politique des auteurs en en faisant Ja
mesure de ses ambitions : une écriture moderne qu’il est inutile
politique du mécéne, sinon aux prix de mutations
d@aller chercher dans les vieux tiroirs. O.A.
monstrueuses.

Se revendiquant producteur, Toscan n’en n’occupe en fait


jamais le poste. Assez méprisant du négoce et du terrain il
emploi des sortes d’« executives » qui produisent ses films et
dont il congoit le réle un peu comme celui de super-régisseur,
ou @intendant. La vraie communication ne peut — A son sens
— passer qu’entre lui et le créateur, derriére « l’homme de ter-
rain » ou plutét loin au-dessus de sa téte.
Aussi le producer mué en terne employé devient-il le maillon
manquant du cinéma francais. Or un réalisateur, surtout THE LIBRARY of
ALEXANDRIA iS
lorsqwil est employé, a obligatoirement besoin d’un interlocu- BURKING t §
teur responsable sur son plateau, Et cet interlocuteur doit étre PANOPTECE (4-3 Ree de
Rassenst, Parasite) 16 AUVE
du méme cété que le cinéaste. Ca ne peut pas étre un financier aa we |
et surtout pas un financier théoricien, ou un publicitaire.
Money talks disent les Américains, et Toscan est un interlocu-
teur qui parle tout seul.

Lorsque les Cahiers ont décidé de réaliser un dossier sur la


production en France, la rencontre avec Toscan du Plantier
s’est immédiatement avérée incontournable ; non sans que cela
suscite d’ailleurs nombre d’objections. Il ne s’agissait pas
d’avaliser son discours culturel mais de discuter finances,
structures, options.
Or discours culturel il y a eu. Aussi. Car chez Toscan les deux
sont indissolublement liés : il y a chez lui un double discours.
La stratégie est moderne, le contenu rétrograde. Un exemple
flagrant en est la politique italienne de Gaumont qui a profité
de la grave crise que traverse le cinéma local pour occuper le
terrain et s’imposer comme le plus gros producteur national.
Adroit. Mais au bénéfice de qui ? D’un sang neuf qui revitali- TOUT CE QUICONCERNE LE CINEMA.
serait un cinéma essoufflé ? Certainement pas, l’analyse en livres, affiches, photos, eic, +B.D.
catalogue diatfichesal
profondeur chez Gaumont s’arréte avec l’étude des structures.
Dés qu'il s’agit de choix artistiques, Pentendement du directeur 7/9, rue Froncis de Préssensé. 75 . .
général redevient celui de l’honnéte homme et se trouve Ouvert tous les jours de 14h30 4 22h30 - Fermé le mardi,
entrainé comme par un aimant vers les idées recues et les
ENTRETIEN AVEC NOEL CHAHID-NOURAT

Le réle important que joue l’Etat francais dans V’industrie cinématographique exigeait
que [’on donndt la parole &@ l’un de ses représentants (voir Varticle d’Alain
Lasfargues : « A propos du CNC: La Tutelle », dans ce numéro).
Monsieur Noél Chahid-Nourai, Maitre des requétes au Conseil d’Etat depuis 1976,
est un ancien éléve de l’Ecole nationale d’administration. I] a été en charge, de 1977
a 1980, de la sous-direction de la production, de la distribution et des relations
extérieures au Centre national de la cinématographie, dont il esi, depuis 1980,
directeur général adjoint. If siége, entre autres, a la Commission d’avances sur
recettes, @ la sous-commission compétente pour donner un avis sur l’agrément des
films de long métrage, et a la Commission de dérogation pour la carte d’identité
professionnelle de technicien. Nous lui avons posé quelques questions sur la politique
actuelle du CNC en matiére de production.

Wintervention de l’Etat peuvent pas s’amortir naturellement sur des marchés aussi exi-
gus que ceux de ces différents pays.
Cahiers. On peut considérer que les années 70 ont été la
La deuxiéme raison qui motive une action de l’Etat, c’est que le
décennie de la restructuration de exploitation en France. Le
cinéma est une des rares industries qui se préoccupe peu de sa
CNC est intervenu de maniére importante dans cette restructu-
recherche. Toutes les industries — on le sait — ont un secteur
ration, et l’exploitation peut compter sur 170 millions de spec-
de recherche. L’industrie du cinéma étant une industrie de pro-
tateurs, environ, par an. La production est une branche de
totypes, elle n’a pas le réflexe naturel de développer ce secteur
Vindustrie cinématographique qui nous semble flottante ou
de recherche. Il faut dire toutefois, pour expliquer cette situa-
peu existunie. Quelle est la politigue du Centre pour tenter de
tion, que cette industrie mobilise des sommes importantes pour
remédier &@ ses difficultés ?
un résultat relativement aléatoire.
Noél Chahid Nourai, Le rapport Malécot contenait une for- C’est donc a l’Etat de prendre en charge, partiellement, ce rdle
mule assez brutale qui était : « le talent ne se décréte pas ». de financement de la recherche. Quand je dis « recherche », je
Cette formule montre assez bien les limites de toute action ins- ne pense pas seulement aux films expérimentaux, je pense aussi
titutionnelle en ce qui concerne Ia création. On peut décider au probléme du renouvellement de la création, au probléme de
qu’on va faire des films — peu ou beaucoup — mais on ne l’émergence de nouveaux auteurs.
peut pas décréter qu’on va faire de « bons » films, des films de L’Etat a évidemment un réle a jouer, 14, qui consiste sinon a
qualité. Certains vont méme jusqu’a affirmer — aprés Dul- garantir, du moins 4 permettre que les producteurs soient ame-
lin — que la prospérité économique est peu propice 4’ éclosion nés & produire des films de jeunes auteurs.
de grands talents. A contrario, il y a pourtant l’exemple du Les outils de l’Etat sont divers : réglementaires, fiscaux, ban-
cinéma suisse. A [’intérieur de ces limites, qu’il est important caires, etc. d’autres modalités tiennent 4 la place qu’occupe
— je crois — de rappeler, )’Etat a un réle a jouer, pour une V’Etat dans ses relations avec les chaines de télévision par
double raison. Il doit d’abord intervenir, dans des pays comme exemple.
les pays européens, parce qu’une telle intervention est néces-
saire 4 la vie du cinéma. Dans ces pays, sans intervention de Laide sélective
l’Etat il n’y a pas de cinéma. Il ne peut pas y avoir de cinéma en
raison de l’exiguité du cadre géographique et économique. Et Cahiers. Est-ce que tout cela se concrétise dans une politique
je ne parle pas simplement du cinéma d’auteur. II y a une corré- de VEtat concernant par exemple Vaide sélective a la
lation relativement forte dans ces pays parce que les films ne production ?
20 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
Chahid Noura?. C’est un des objectifs importants des aides dans les milieux cinématographiques frangais. La France est le
sélectives que de contribuer a la recherche de nouveaux talents. seul pays of l’on parle de films « commerciaux » et de films
La dotation pour Avance sur recettes a notablement aug- « d’auteurs » avec une note de mépris systématique pour les
menté. Actuellement, on en est 4 30 millions de francs, trois premiers, C’est absurde : il y a un marché pour tous les films,
milliards de centimes par an. C’est un levier considérable pour ceux ou il y ale plus de créativité comme les autres, méme si ce
la production, dans la mesure ot l’on n’a pas besoin, quand on n’est pas le méme marché.
fait un film, de disposer de fa totalité de l’argent liquide néces-
saire 4 sa réalisation. On sait qu’avec deux millions de francs Cahiers. Je voulais dire qu’il n’y avait pas obligatoirement
de liquide, on parvient 4 réaliser un film de 6 ou 7 millions. La un lien direct entre la recherche et le marché. Toutes les indus-
contribution de Avance (qui se traduit en argent frais) est tries, le cinéma compris, connaissent cette nécessaire forme de
done considérable. Avec ces 30 millions, on a un budget qui recherche qui n’a pas de répondant immédiat sur le marché.
permet, grosso modo, de faire 35 films par an, entre le cin- C’était le sens de la question.
quiéme et le quart de la production francaise. C’est important
et cela permet de découvrir de nouveaux réalisateurs puisque Chahid Nourai. Notre réle est de prendre en considération
55% des avances vont 4 des premiers ou a des seconds films. cela. Il faut raisonner sur des cas précis. Si nous nous trouvons
Pour supprimer le c6té « chapelle » quia été amené a se greffer en face d’un film dont nous sommes sfirs qu’il ne trouvera
sur ce systéme, nous avons été amenés, il y a deux ans, 4 en jamais de producteur (sauf peut-étre pour prendre en charge
modifier le fonctionnement. Avec Georges Kiejman d’abord, quelques crédits professionnels), il nous faut alors prendre le
puis avec Daniéle Delorme, nous avons fait en sorte qu’aucun film quasiment en charge au niveau de son financement. Il y a
genre ne soit exclu de l’Avance sur recettes, par exemple le une régle non écrite qui voudrait que le montant de |’ Avance ne
genre comique qui était pratiquement proscrit auparavant. dépasse jamais le tiers du budget total du film. Mais cette régle
Jusque-la, en outre, il fallait pratiquement donner une impres- n’existe que dans l’esprit de ceux qui l’énoncent, et lorsque
sion de pauvreté pour obtenir l’avance. De méme on considé- c’est nécessaire, nous pouvons aller jusqu’a 60%, et dans cer-
rait auparavant que, lorsque le candidat avait un producteur, il tains cas, nous savons que nous finang¢ons les films 4 90%.
weétait pas nécessaire de lui donner l’avance. Ainsi, on dimi-
nuait les chances de voir des producteurs promouvoir des pre-
Cahiers. C’est votre position actueilement ?
miers films. Aujourd’hui on considére qu’il faut aider un pro-
ducteur, méme quand il dispose d’une solide assise économi- Chahid Nourat. Je demande qu’on me dise quels sont les
que, qui produit un premier film de qualité. Cela Pencouragera films qui n’ont pas pu se faire du fait de cette restructuration
a en produire d’autres. de Avance. Prenons un cinéaste comme Azimi. On ne peut
pas dire que son cinéma — qui est l’un des plus beaux assuré-
ment — mobilise les foules. I! a pourtant eu ‘a nouveau
Cahiers. Cela signifie que les postulants d@ l' Avance doivent Avance cette année, pour Les /les et il arrivera probablement
désormais présenter un plan de financement ou de production 4 faire son film comme il avait fait auparavant Utopia et Les
crédible pour avoir une chance d’obtenir la subvention. Jours gris.
Nous n’exigeons pas absolument sur tous les projets un pro-
Chahid Nouray. Absolument pas. L’examen se fait en deux
ducteur et des moyens. Nous sommes 1a pour voir comment un
temps. Dans un premier temps, la commission se prononce sur
film que nous aimons pourra se faire. Si les structures existan-
la qualité du scénario exclusivement, Elle donne alors un pre-
tes ne permettent pas de le faire, nous faisons tout pour qu’il se
mier avis. S’il est favorable, la commission ne précise pas tout
fasse tout de méme.
de suite le montant de Il’ Avance, mais attend que les conditions
de production Iui soient précisées. C’est 4 ce moment que le
montant est décidé. L’agrément
Aujourd’ hui, il y a done dissociation de deux choses qui aupa-
Cahiers. Le probléme est qu’un film est soumis @ un certain
ravant étaient confondues : l’appréciation de la qualité du scé-
nombre de contraintes légales pour obtenir Vagrément du
nario et l’analyse des conditions économiques. Auparavant, le
Centre.
montant de l’avance était totalement lié 4 la cote d’amour du
scénario. Chahid Nourai. Le probléme général que vous posez est celui
C’est cette anomalie que nous avons voulu réparer. Car selon de la rigueur des conditions d’obtention de l’agrément. Il ne
ce vieux mode, beaucoup de films ne pouvaient pas se faire, faut pas se faire d’illusions : si on supprimait les régles de
méme en ayant l’Avance. Il y a aujourd’hui en outre, beaucoup Vagrément, cela signifierait que notre soutien financier ne
plus de lucidité quant 4 la réalisation effective des projets. On pourrait plus exister. Parce que ce sont ces régles de l*agrément
est ainsi revenu 4 la philosophie des débuts de l’Avance sur qui garantissent que notre cinéma est un cinéma national, fait
recettes | son rdle est de corriger les lois du marché mais non de avec des techniciens francais et des comédiens francais. Le jour
les ignorer. Les nier n’a jamais conduit qu’A empécher des ot ’on pourra faire des films avec n’importe qui en France et
films de se faire ou de les laisse en boite. bénéficier du soutien financier, vous verrez alors toutes les pro-
ductions américaines arriver en France et bénéficier de ce sou-
tien qui pourrait alors se diluer et disparaitre.
La notion de marché La deuxiéme conséquence, si on abandonnait ces régles de
lagrément, ce serait que les syndicats réagiraient a une telle
Cahiers. Est-ce que cela signifie que la politique de recherche
situation qui pourrait étre préjudiciable aux conditions
est une politique qui doit recevoir ’assentiment du marché ?
d’emploi de leurs adhérents. Ce serait d’ailleurs Iégitime. Et
Chahid Nourat. Pas nécessairement. D’ailleurs, il faut yous auriez alors toute une réglementation paralléle, d’origine
s’entendre sur la notion de marché. [I] y a un marché pour les purement syndicale, qui fixerait de nouvelles conditions. C’est
films de recherche ; il est limité mais il existe : la plupart des la situation aux Etats-Unis of les syndicats imposent des régles
films de Marguerite Duras ont été amortis parce que — qu’on qui ne sont pas éloignées de ce que nous faisons, nous, en
le veuille ou non — ily avait un marché pour ces films. I faut France. Et cette réglementation syndicale intervient le plus sou-
ailleurs démythifier tout ce que le mot marché a de péjoratif vent au terme de conflits sociaux dont on a vu récemment aux
ENTRETIEN AVEC NOEL GHAHID-NOURAI 24
USA combien ils pouvaient étre préjudiciables 4 la cinémato- Chahid Nourai. Non, dans la mesure ot elle fait du cinéma
graphie de ce pays. — ot elle est coproductrice — elle n’échappe pas 4 notre
regard. Il est vrai que la télévision est aujourd’hui un des pivots
Cahiers. La difference avec les Etats-Unis, c’est que les chai- essentiels du cinéma : il n’y a pratiquement pas un film impor-
nes de télévision remplissent, la-bas, assez bien leur réle de tant aujourd’hui qui se fasse sans une coproduction avec la
vivier du cinéma. Et de nombreux réalisateurs, ou d’auires pro- télévision. Mais il ne serait pas exact de prétendre qu’elle n’est
Jessionnels du cinéma, y trouvent une entrée dans la carriére pas assujettie 4 des régles. Elle Pest méme d’une maniére plus
cinématographique. En France on est loin d’une telle situa- draconienne que les producteurs de droit commun, puisqu’elle
tion : ce qui vient de neuf vient de maniére beaucoup plus sau- ne peut pas étre impliquée dans un film 4 plus de 50 % du bud-
vage. Pas de la Télévision dans la plupart des cas, et souvent get.
@une maniére qui s’accorde mal avec des contraintes
réglementaires.
Cahiers. Les chafnes de télévision sont pourtant déliées des
Chahid Nourai. Je voudrais bien qu’on me dise quels films taches de renouvellement de la création, de la pratique de
notre réglementation a empéché de faire et quelles sont les con- recherche, auxquelles participe la profession par lintermé-
traintes insupportables qu’a entrainé cette réglementation pour diatre du CNC (aide sélective, etc.}.
les créateurs. Il y a un procés diffus en France contre le prin-
cipe méme de toute réglementation et qui doit venir de notre Chahid Nourai. Juridiquement c’est exact. Mais si on
vieux fond Gaulois... regarde la pratique des chaines, on s’apercoit qu’elles font
Cette attitude, on la retrouve dans tous les domaines ot l’Etat, effectivement des films d’Avance sur recettes et notamment des
directement ou indirectement, intervient : la Sécurité sociale ou premiers films, surtout Antenne 2 et, 4 un moindre degré, FR3.
la construction par exemple. On a un peu tendance a se consi- On peut souhaiter qu’elles en fassent davantage, mais
dérer dans le cinéma comme dans un milieu a part, mais sur ce on ne peut pas dire qu’elles n’en font pas.
point les réactions qu’on y trouve ne divergent pas de l’ensem-
ble des réactions des Francais a Ia régle de droit. C’est d’ail- Cahiers. Ce réle déterminant de la télévision pose un pro-
leurs logique : le cinéma américain ne réagit pas différemment bléme qui est celui du contenu. Les chaines sont soumises & un
vis a vis du film que toute la société américaine par rapport a certain nombre de contraintes sur ce plan et connaissent méme
d’autres activités. des tabous. Il y a la quelque chose qui vient réguler la création
cinématographique, c’est un risque.
L’esprit et le loi Chahid Nourai. Ce risque existe, c’est vrai. Et c’est bien
Cahiers. Alors quelle serait l’attitude du Centre face a un pour cela que nous avons fixé un certain nombre de régles con-
film fait dans des conditions de réalisation spontanées, qui ne cernant le pourcentage maximum d’ intervention des sociétés de
pourrait, matériellement, respecter toutes les régles de l’agré- programmes dans un film.
ment ? Le Centre serait-il prét & Paccueillir et comment ? Nous pensons effectivement qu’il serait grave que l’Etat se
trouve trop directement impliqué dans le processus de création.
Chahid Nourai. La réglementation en vigueur a pour seul Pourtant, quand on prend les films récents dans lesquels les
objet de garantir que dans I’ensemble, les collaborateurs de la sociétés de programmes sont impliquées, on ne peut pas dire
création sont francais. Cela concerne donc surtout les films de qu’ils soient lénifiants. Certains sont trés durs, trés critiques,
long métrage. A partir du moment ot l’Etat francais aide des certains sont interdits aux moins de 18 ans, etc. Prenez Allons
films, il doit se garantir qu’un minimum de callaborateurs zenfanis de Yves Boisset : c’est un film qui ne fait pas de
francais participeront a cette création. Sinon, tout [’édifice de cadeau A une grande institution nationale. Prenez Une sale
Videntité culturelle tomberait par terre. affaire qui affronte le probléme de la drogue de maniére extré-
Pour les courts métrages nous n’avons pas |’intention de resser- mement vive. Ces deux films ont été co-produits par des socié-
rer l’étau du droit. En ce qui concerne les longs métrages, nous tés de programmes.
ne dirons pas que certains seront absous de toutes les réglemen- La préoccupation des sociétés de programmes n’est d’ailleurs
tations et de toutes les lois. Mais je voudrais bien qu’on me dise pas exclusivement celle du passage a I’antenne. Les filiales —
dans quel cas, ils ont été génés au dela du supportable. Notre par lesquelles transite cette production qui n’est pas assumée
but n’est certainement pas de géner les créateurs mais il faut directement par les chaines — ont été précisément créées pour
bien prendre en considération cette charge qui nous incombe distinguer les deux ordres de préoccupation : celle de antenne
dassurer la pérénité du tissu cinématographique francais. et celle de la production, pour éviter les influences trop vives
On peut évidemment envisager des cingématographies de type sur ke contenu.
discontinu : Ia cinématographie allemande, trés riche avant
guerre puis ramenée a zéro, et qui remonte trés fort. Mais il y a
un risque, que j’appellerai le « risque anglais » : s’enfoncer Cahiers. Les exemples que vous citez font référence a des
pour ne jamais remonter. Et puis, il y a toutes ces années de structures établies qui ont déja prouvé leur capacité sur le mar-
disette of l’on ne produit rien. Pour la France, nous ne som- ché ; Boisset, Lanoux. Le probléme se pose certainement de
mes pas préts 4 prendre ce pari : nous voulons que Ia création maniére plus difficile pour des films ou des réalisateurs qui ne
soit toujours forte, en quantité et si possible en qualité, et nous présentent pas ce rapport de force. C’est @ la limite moins la
voulons aussi que le potentiel en techniciens, en comédiens, question de la censure que celle du « profil télévisable » auquel
soit maintenu. sont assujettis les jeunes réalisateurs. On pourrait peut-étre
analyser ce phénomeéne en parlant du Fonds de création, et en
La télévision voyant ce qu’il a donné. Cela poserait aussi la question des
limitations professionnelles apportées par les chaines aux pos-
Cahiers. f/ y a un trés gros probléme lorsqu’on envisage les
sibilités pour un jeune réalisateur de travailler pour elles (la
relations entre les pouvoirs publics et le cinéma, c’est celui des commission a@’homologation pat exemple).
relations entre fa télévision et le cinéma. La télévision prend de
plus en plus @importance dans la production cinématographi- Chahid Nourai. Pour ce qui est des co-productions entre le
que et en méme temps elle échappe a votre regard. cinéma et la télévision, les pressions sur le contenu ne me
ENQUETE SUR LA PRODUCTION
paraissent pas actuellement trés sérieuses. D’ailleurs il ne faut
pas se faire d’illusions : les contraintes sur le cinéma ont tou-
jours existé. Aux Etats-Unis, i] y a eu des périodes trés dures,
en France également. La force du cinéma, c’est de rusér avec

PYRAL
les contraintes, d’étre suffisamment subtil pour les contourner
ou faire évoluer les choses. En outre, les objectifs des institu-
tions ne sont jamais uniques. Si l’un des objectifs des sociétés
de programmes est de pouvoir présenter un « produit » & 20
@ BANDES| heures 30 — soit un « produit » le moins dérangeant possible
— elles ont d’autres objectifs, par exemple celui d’étre présent
PERFOREES
dans les palmarés des Festivals Internationaux, parce que c’est
-35 mm Acétate bon pour leur image de marque. Et l’on n’est pas présent dans
et Polyester ces palmarés avec des films complétement aseptisés et ces socié-
- 35 mm Acétate tés le savent bien.
piste
(2,5 et 10,5 mm) Les coproductions avec Il’étranger
- 17,5 mm Polyester Cahiers. Quelle est la politique du Centre en ce qui concerne
- 16 mm Polyester les relations avec l’étranger, les coproductions par exemple ?
Chahid Nourat. Nous sommes partisans des coproductions
@ BANDES LISSES avec l’étranger dans la mesure oli ces coproductions forcent les
6,25 mm mentalités 4 se rencontrer ou 4 se confronter. Sur le plan finan-
— Toutes longueurs cier, la coproduction offre en outre des possibilités élargies.
C’est pourquoi nous avons des accords de coproduction avec
25 pays. La ott les coproductions trouvent leur limite, c’est
© BANDE AMORCE dans deux cas de figure. Dans le cas ott les contraintes de com-
— Pour tous formats position des équipes techniques et artistiques sont telles que le
produit final risque de ne plus avoir aucune saveur. La
deuxiéme limite, ce sont les productions américaines camou-
flées sous la forme de coproductions. Le risque existe de voir la

TELEPHONEZ cinématographie dominante véhiculer ses produits jusqu’a


nous et bénéficier du soutien financier national pour de fausses

AU
coproductions avec la France, Nous veillons attentivement sur
ce probléme. En ce qui concerne les relations avec l’étranger en
général, pourquoi les films frangais ont-ils plus de difficultés

776.41.32 que les films américains ? C’est surtout 4 cause de la force de


négociation des Majors sur tous les marchés étrangers. Nous
avons un gros effort a faire de pénétration des marchés étran-
gers. Notre principal handicap est pour l’instant la langue.
Mais dans certains contextes politiques cela peut étre un atout,
quand on recherche des films réalisés dans une autre langue

_ RHGONE que l'anglais, parfois connoté politiquement. En Amérique


Latine, nos films ont un succés important depuis 2 ans et c’est

POULENC lié 4 des phénoménes de cet ordre.


Les sujets que nous traitons sont aussi un handicap. Le cinéma

SYSTEMES frangais traite peu de sujets aussi universels que ceux abordés
dans le cinéma américain par exemple. Kramer contre Kramer
est un sujet trés international, Des gens trés ordinaires aussi.
SECTEUR Peut-étre parce que notre cinéma est plus créatif, nous avons
du mal 4 générer des comportements d’identification chez les
AUDIOVISUEL spectateurs des autres pays.
ur Générale Il y aun dernier point qu’il faut évoquer, c’est celui des nouvel-
Quartier Villon les technologies. C’est un tournant extrémement important,
Cedex 22 plus important encore que la télévision. La réflexion qui a été
92088 PARIS menée sur ce point a permis de voir comment il serait possible
de faire une place importante au cinéma dans cette nouvelle
LA DEFENSE conjoncture. Car le cinéma y occupera un réle essentiel et tout
Télex : le cinéma, toutes sortes de films, le court métrage et le docu-
RhG6ne 613 136 F mentaire compris. I] y a un trés grand avenir pour le cinéma.
Ce que j’espére c’est qu’on continuera a parler des films, que le
coefficient de création n’en sera pas affecté. Je crois que nous
serons bien placés, car contrairement 4 d’autres cinématogra-
fiPrrsoneconene
phies, nous avons su conserver une structure et un tissu
cinématographiques.

(Entretien réalisé le 23 mars par Serge Le Péron et Guy-Patrick


Sainderichin).
ENQUETE SUR LA PRODUCTION

ENTRETIEN AVEC GERALD CALDERON

Gérald Calderon exerce de multiples activités & Pintérieur de la profession cinématographique : réalisateur de nombreux
courts métrages, de documentaires sur les animaux (dernigrement, Le Risque de vivre, mais aussi Le Bestiaire d’amour, etc.)
auteur @un long métrage de fiction (La grande Paulette), if dirige aussi les studios de Boulogne-Billancourt.
C’est au titre de directeur général de la SOFET-SOFIDI, l'un des trois établissements financiers travaillant pour {l'industrie
cinématographique, que nous l’avons interrogé sur l’état de santé de la production francaise, production dont il connatit
mieux que quiconque les rouages. Ses réponses & nos questions informeront le lecteur des Cahiers sur un domaine peu
abordé par la revue ; le financement de la production de films.

Cahiers. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la SOFET-


SOFIDI ?
Géralid Calderon, Le cinéma frangais dispose de trois éta-
blissements de crédit, qui forment ce qu’on appelle le « pool
production ». La SOFET-SOFIDI, qui est le plus important,
est une filiale de banques privées. Les deux autres sont UFIC,
filiale de banques nationales, et Cofi-Loisirs, filiale de la
Société Générale, de banques privées, et de ’ UGC.
Ces établissements ont pour réle essentiel d’assurer la trésore-
rie de la production cinématographique. Ce ne sont pas des
banques d’affaires, et il n’y a d’ailleurs pas, en France, de ban-
ques d’affaires du cinéma.
Ce sont deux notions complétement différentes : d’un cdté, le
financement, c’est-a-dire l’équilibre financier, qui repose, dans
le cas d’un film, sur les ventes ; de l’autre, la trésorerie, qui
suppose ce premier probléme résolu, et s’occupe d’avoir
Vargent au bon moment.
Quand un producteur veut monter un film, il fait d’abord un
travail de promoteur. Il trouve un sujet, sur lequel il prend des
options, il engage des scénaristes, il prend une option avec un
metteur en scéne, avec un certain nombre d’acteurs... Et puis, Lorsqu’un film est bien monté sur le plan financier, le total des
¢a s’arréte 1a. C’esi, en gros, ce qu’il doit mettre au départ en garanties du distributeur, des apports des chaines, sous forme
fonds propres, et qui peut étre relativement modeste :; pour un de droits de passage ou de parts co-producteur, et des achats de
film de 10 millions, il peut trés bien se débrouiller pour prendre l’étranger — ce total doit couvrir le devis. Financiérement, ca,
ces options avec 500 000 francs. c’est le film idéal. Il y en a, des films comme ca. Evidemment,
Ensuite, je vous parle, bien sir, du circuit commercial classi- ce ne sont peut-étre pas les films qui intéressent les Cahiers du
que, intervient le distributeur (il y en a une dizaine en France, Cinéma...Prenons l’exemple-type, Le Gendarme et les extra-
un peu plus en comptant les distributeurs régionanx), qui terrestres : grosse machine, avec Louis de Funés... Avant de
donne des garanties de recettes ; puis les chatnes de télévision, tourner, sur le plan financier, le film est couvert, et méme plus
qui jouent maintenant un réle trés important dans le finance- couvert que les autres, puisque le distributeur, qui donne une
ment des films, jusqu’a 20 % du devis des films auxquels elles grosse garantie, se garantit lui-méme sur les salles, directement
participent, et enfin les acheteurs étrangers, ou plutét les ven- (elles attendent le de Funés de année comme on attend la
deurs qui sont en contact avec eux. manne...).
24 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
Bref, en financement, il y a des couvertures partout. C’est un fasse pas un sou de recette, puisque nous sommes délégués sur
peu comme un promoteur immobilier qui prend une option sur les recettes du film, et que, dés qu’il y a des recettes, il y ena
un terrain, qui a un architecte, et qui vend les appartements une partie qui vient en remboursement de nos crédits.
d’avance. Ils ne sont pas encore payés, mais ils sont vendus. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette garantie de
C’est 4 ca que doit arriver un producteur de films. 80 % dépend de l’existence du fonds de garantie. C’est un peu
Mais l’argent n’est pas la. La chaine TV ne paiera qu’a la compliqué, mais je vais faire comme Giscard, je vais vous faire
fivraison. Le distributeur paiera peut-étre au bout de 18 mois un dessin.
exploitation — si le film ne fait pas ses recettes normales, il On nous donne 100 francs. Nous avons le droit, en appliquant
garantit que la différence sera régiée. En tout cas, pour le tour- le coefficient 5, de faire cing crédits de 100 francs.
nage, l’argent n’est pas la. Si, sur ces cing crédits de 100 francs, il y a un sinistre total,
Done, notre réle, en tant qu’établissement financier, consiste a nous prendrons 80 francs dans le fonds de garantie, et nous
escompter ces pré-ventes. Ce n’est pas du tout de prendre un n’aurons perdu que 20 francs.
risque, méme commercial, et encore moins artistique, c’est Mais il ne restera plus que 20 francs dans le fonds de garantie.
vraiment de faire la trésorerie, de mettre l’argent au bon S’il y a un deuxiéme sinistre, nous ne serons plus couverts a
moment, en sachant qu’il y aura toujours, en cas d’insuffi- 80 %, mais 4 20 %. Et s’il y en a un troisiéme, nous ne serons
sance de recettes, quelqu’un pour nous régler. plus couverts du tout, puisque nous aurons épuisé le fonds de
Voila comment ¢a se passe pout les trois-quarts des films, garantie.
appelons-les « commerciaux », si vous voulez. Ca représente Autrement dit, nous ne sommes couverts 4 80 % que dans la
quand méme 80 % de la recette des films francais, si vous met- mesure oti nous ne dépassons pas 20 % de sinistres en
tez les films « X » a part. moyenne, c’est-a-dire dans la mesure ol nous gérons bien nos
Nous n’intervenons pas du tout au niveau du scénario, ni au affaires.
niveau de la distribution, ni de la mise en scéne. A la limite, C’est de la technique bancaire, c’est le principe des cautions
nous ne lisons pas les scénarios — sauf quand il y a risque de mutuelles : on raisonne sur un grand nombre de risques, quel-
censure. Mais, pratiquement, la censure n’existe plus. Il faut quefois, il y a des sinistres 4 100 %, mais, dans l’ensemble, on
quand méme faire attention, parce qu’il y a des clauses de cen- ne dépasse pas un certain pourcentage.
sure dans les contrats de distribution : quand le film est interdit
aux moins de 18 ans, la garantie du distributeur est plus faible, Cahiers. Dans votre cas, de quel ordre, @ peu prés ?
donc on ne peut pas escompter la totalité, mais seulement la
Calderon. A peu prés 5,
partie non soumise a cette diminution.
Nous escomptons des signatures. Ce qui nous importe, ce sont
Cahiers. Ca paraft confortable.
les signatures qui sont sur un film.
D’ailleurs, nous ne sommes pas non plus intéressés aux profits. Calderon. C’est ce qui nous permet de faire des opérations.
Si on nous demandait de prendre des risques, i] faudrait que ce Encore une fois, nous ne sommes pas une banque d’affaires,
soit dans les deux sens, qu’on en prenne aussi dans le sens du mais une banque de crédit. Nous ne sommes pas [4 pour pren-
succés. Prenons un grand succés commercial, comme Les dre des sinistres.
Bronzés, C’est un film qui n’a pas cofité trés cher, dont nous C’est quand méme un systéme qui rend de grands services 4 la
avons escompté la garantie distributeur. Nous aurions pu jouer production. Il faut comprendre comment ga a évolué. Autre-
un réle de banque d’affaires. A ce moment-la, nous aurions agi fois, lorsqu’un distributeur donnait sa garantie, et qu’il n’y
comme un co-producteur, nous aurions pris 20 % des profits, avait pas ce pool production, les films — il y avait cing cents
ou 10 %, enfin nous aurions calculé, comme font les chaines millions de spectateurs, c’était complétement différent —
— quand elles sont co-productrices, elles ont un pourcentage s’amortissaient, disons sur trois ans. Donc, quand un distribu-
sur les profits. Nous, pas du tout. Nous prétons de l’argent, teur donnait une garantie, la banque pouvait prendre des
avec le maximum de garanties, en tout cas en signatures, et garanties collatérales, c’est-a-dire des délégations sur les recet-
nous prenons des agios — qui sont d’ailleurs 4 des taux tout a tes d’autres films de son portefeuille encore en exploitation.
fait raisonnables. I] y a des bonifications d’intérét, du fait que Mais étant donné que la rotation des films s’est accélérée, cette
le Fonds de soutien intervient en partie dans la garantie du ris- marge a disparu. le temps qu’une nouvelle production se
que, et dans fa trésorerie. Aujourd’hui, ca doit faire... monte, l’exploitation des films précédents est terminée. En
15,25 %, pour la mobilisation de garanties. Ce n’est pas cher. somme, la création du pool production, en 1968, est tombée au
bon moment.
Le fonds de soutien et les risques de sinistre
La garantie de bonne fin, le contrat « pick-up »
Cahiers. Quelle est intervention du Fonds de soutien ?
D’autre part, ila un réle qui est peu connu, mais qui est impor-
Calderon. Nous recevons un fonds de garantie, qui se monte
tant : il remplace la garantie de bonne fin. C’est un probléme
420 % de nos en-cours. On nous donne par exemple 20 francs.
qui se pose quand le distributeur fait un contract pick-up, c’est-
Gratuitement. Nous allons appliquer un coefficient 5, et faire
a-dire un contrat qui ne vaut qu’a la livraison du film. Avec ce
100 francs de crédits. Les 20 francs qui ne nous coftitent rien
contrat, le producteur, qui a besoin de l’argent fe premier jour
font la bonification d’intérét. Sans cela, au lieu du taux que je
du tournage, douze ou vingt semaines avant, va voir la banque.
vous ai indiqué, ca tournerait autour de 17,5 ou 18 %. Nous
Et la banque lui dit : que va-t-il se passer si vous ne livrez pas le
faisons une bonification d’intérét du montant du fonds de
film ? C’est un trop gros risque. Parce qu’il y a mille raisons
garantie que nous avons regu gratuitement.
qui peuvent faire qu’un film ne soit pas livré. Pas des raisons
Par contre, ce crédit de 100 francs que nous avons fait avec le
de financement. Le plan de financement peut s’effrondrer.
fonds de garantie est garanti 4 80 %. S’il y a un sinistre total, la
C’est arrivé pour un film: le producteur attendait un fax-
banque ne perdra que 20 francs.
shelter allemand de quatre millions, qui n’est jamais venu.
Bon, le film s’est fait quand méme, le distributeur, qui n’avait
Cahiers. Et si le sinistre est partiel ?
pas fait un contrat pick-up, mais avait donné sa garantie dés le
Calderon, C'est pareil. C’est toujours 80-20. D’ailleurs, il départ, a remis de l’argent, il devenu co-producteur — mais,
n’y a presque jamais de sinistre total. Il faudrait que le film ne dans cette histoire, tout le monde a sauté.
ENTRETIEN AVEC GERALD CALDERON 25
lly a done un risque. Dans les pays anglo-saxons, oti les con- Cahiers. Mais si le distributeur refuse le film que tui livre le
trats pick-up sont la régle, ce sont des sociétés d’assurances qui producteur, au motif que ce n’est pas exactement ce qu’il
se chargent de donner la garantie de bonne fin, moyennant des attendait...
primes élevées, de l’ordre de 6 % du devis. Elles surveillent le
tournage, elles se ré-assurent au Lloyd’s, mais la boucle est Calderon. C’est ce gui s’est passé pour le film de Luc
bouclée, et le banquier peut escompter. En Angleterre, la plus Béraud. Mais, en définitive, l’affaire s’est arrangée. Je suis
connue de ces sociétés s’appelle Film Finance. moi-méme intervenu pour que ca s’arrange.
Mais en France, ca n’existe pas. Alors certains distributeurs
préférent, pour des raisons commerciales prendre eux-mémes Cahiers. Ld, i s’‘agit bien du contenu du film.
je risque de bonne fin. is donnent leur signature dés le début Calderon. (a arrive une fois tous les trois ans, et ¢a finit par
du tournage, et nous sommes couverts. Mais d’autres travail- s’arranger. C’est souvent un peu passionnel — l’un voyait le
lent 4 Vaméricaine, et ne donnent leur garantie que le jour dela film comme ¢a, l’autre autrement... Il y a eu le cas du film //
livraison du film, quand il a son visa de censure. La, ce sont des pleut toujours sur Santiago, ou le distributeur s’attendait 4 ce
risques qu’aucune banque au monde ne prendrait. Nous, nous qu’on voit Annie Girardot pendant une heure et demie, et, en
les prenons, parce que nous sommes couverts a 80 %. fait, elle n’était la que dix minutes. On lui a répondu qu’il
Si le pool production n’existait pas, il faudrait inventer la aurait dfi lire le scénario... Bref, il y a eu des coups de télé-
garantie de bonne fin. En définitive, dans le cas des contrats phone, des crises de nerfs — la routine... Ils ont négocié, ils
pick-up, ca économise presque 6 % du devis au producteur. ont diminué la garantie, il y a eu des compensations... Je ne
Mais il y a aussi des cas of nous refusons d’assumer ce risque, vois pas d’exemple de film définitivement refusé par le distri-
parce que le producteur ne nous parait pas crédible, qu’il n’a buteur. Ca s’arrange toujours d’une facon ou d’une autre.
pas de fonds propres suffisants pour faire face 4 des imprévus Pour nous, en tant que financiers, ce qui compte, c’est le pour-
ou 4 des dépassements, ou parce que le plan de financement ne centage de risques — or, ce genre d’affaire est extr€mement
nous convainc pas. rare.
Par contre, ce qui se passe souvent, ce sont des films qui s’arré-
Cahiers. Est-ce que les distributeurs ont tendance a évoluer tent. Des gens qui partent tourner en Egypte, ot les attend un
vers le modéle de contrats pick-up, ou bien est-ce que les deux financement — et il n’y a rien du tout. Il y a souvent des pro-
tendances coexistent ? blémes sur les tournages a ]’étranger. A Hong-Kong, par exem-
Calderon, Il y a les deux tendances. Les grands circuits, les ple, il devait y avoir quatre semaines de studio payées par le co-
sociétés intégrées, Gaumont, Parafrance, UGC, ont tendance a producteur local — et, au bout d’une semaine, on leur a dit :
aller vers un systéme a l’américaine. IIs ont des salles 4 alimen- vous avez épuisé votre crédit, il faut payer les trois autres
ter, ils sont obligés de prendre un grand nombre de risques, et semaines...
ils sont assez loin de la production, sauf Gaumont, dont le cas Donc, nous faisons particuliérement attention en cas de tour-
est plus complexe. Done, ils préférent les contrats pick-up, nage a l’étranger. :
mais pas toujours. De l’autre c6té, vous avez les indépendants, Mais, vous savez, en réalité, nous faisons plutét le financement
qui n’ont pas de réseau de salles : il faut qu’ils trouvent des rai- de la distribution. A moins que le producteur ne présente de
sons commerciales pour accrocher les films, 14 ott les autres ont solides garanties personnelles, qu’il n’ait trois immeubles sur
leurs circuits. Donec, qu’ils interviennent plus tét, souvent les Champs-Elysées et la caution de son arriére-grand-mére, ou
méme avant le tournage — ils fournissent au producteur Jes encore, bien sir, que sa société n’ait un trés beau bilan — nous
250 000 ou 500 000 francs qu’il n’a jamais, au moment de
réclamons toujours ja signature d’un distributeur. C’est donc
plutét du financement 4 la distribution que du financement a la
prendre les options... C’est grace 4 ca qu’ils restent en concur-
production. Et il est vrai que l’inventeur du systéme, Deutsch-
rence avec les autres. Et puis, comme ce sont des affaires fami-
meister, un producteur, qui avait la Franco-London, ne l’avait
liales, dont ies structures sont plus légéres, leurs décisions sont
plus rapides... pas créé dans ce but. Mais on s’est apercu quwil y avait trés sou-
vent des sinistres lorsqu’on faisait du crédit purement a la pro-
duction, A des sociétés qui n’avaient pas un actif financier
Cahiers. Quelle est la proportion, dans vos affaires, de cet suffisant.
aspect « garantie de bonne fin » ?
L’état de santé du cinéma frangais
Calderon. C’est moitié-moitié.
Cahiers. Votre poste est un observatoire de l’état de santé
économique du cinéma francais...
Cahiers. Mais si vous assumez le risque de bonne fin, vous
&étes bien obligés de vous intéresser au film lui-méme... Calderon. Oui. Et je suis trés confiant. Je suis peut-étre d’un
naturel optimiste, mais il me semble que tout ca ne marche pas
Calderon. Absolument pas. Nous prenons le risque de bonne si mal. Il y a encore cinq ans difficiles A passer, mais, sur le
fin sur la réputation commerciale des gens. Nous savons que si, plan financier, je vois l’avenir en rose. Il va se passer un peu ce
par exemple, Daniéle Delorme vient nous voir pour produire le qui s’est passé aux Etats-Unis (et 1a, je ne suis pas trés original,
prochain Doillon, il n’y a aucune raison pour que le film ne se voyez le rapport Seydoux, et les autres rapports qui ont été
termine pas. Le cinéma, ¢’est un petit milieu, tout le monde se consacrés a l’avenir du cinéma) — c’est-a-dire que le cinéma va
connait, on sait qu’un tel est bon, qu’un autre est mauvais, trouver de nouvelles sources de financement. Un film,
qu’il a un mauvais passage, qu’il faut s’en méfier en ce aujourd’hui, se finance 4 85 Yo sur les salles, étrangéres et
moment, ou, au contraire, que ses affaires marchent... C’est métropolitaines. Dans l’avenir, le pourcentage des media télé,
notre métier. cassettes, ou vidéodisques, des satellites de télévision et de la
D’ailleurs, pour étre tout a fait objectif, le risque de bonne fin télévision par cable — si elle apparait en France — ce pourcen-
est horrible quand il y a sinistre, mais il y a trés rarement sinis- tage devrait atteindre 50 %.
tre. Quand ¢a arrive, c’est qu’il peut y avoir de pire. La mar- Voyez les rediffusions a la télévision. Autrefois, on vendait un
chandise n’existe pas. C’est comme de financer un immeuble film, et c’était terminé. Maintenant, certains films arrivent a se
dont la construction ne sera jamais terminée : impossible de vendre deux, trois fois, chaque passage étant payé presque au
vendre les appartements... C’est trés rare. prix du premier. Sur le plan financier, c’est excellent.
26 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
Déja, les télévisions, quand elles participent 4 un film, cou- somme considérable, payable cash, et passable dans trois ans.
vrent 4 peu prés 20 Yo de son financement : il y a cing ou six
ans, elles ne dépassaient pas 5 ou 6 %. Cahiers. C’est une exception.
Il y a peut-étre un inconvénient sur le plan intellectuel ou artis-
Calderon. Mais vous étes en économie de marché ! Si vous
tique. On risque d’aller vers une production qui soit un peu
venez avec un film que personne ne veut, on vous le paiera dix-
rognée vers le haut et vers le bas, une production soft,
huit ans aprés, si on vous l’achéte !
moyenne.
Ii faut raisonner : économie de marché, ou subvention.
Reste le cas des films d’auteur, des films dit « d’avance sur
Si vous dites que les chaines doivent jouer un réle de soutien de
recettes », méme quand ils ne l’ont pas eu en fait. C’est devenu
une étiquette... Méme parmi ces films, il y en a qui ont un certains films — c’est une volonté politique, ce n’est pas un rai-
sonnement financier. Tout dépend de la marchandise que vous
public, et d’autres qui ont de la difficulté 4 en avoir un. Il est
offrez, donc du goiit des spectateurs. On ne peut pas obliger les
certain que tout ce que je viens de vous dire ne s’applique pas a
spectateurs 4 aimer Garrel et pas Oury.
ces films-la.
Il n’est pas pensable de monter un film d’auteur a dix millions.
Cahiers. Nous avons tendance & penser que le fait que les dis-
A deux millions, peut-étre, avec un million, un million et demi
tributeurs avaient besoin d’amortir trés vite les films les obli-
d’avance sur recettes. Le distributeur reste, A mon avis, la clé
financiére du systéme actuel. Sans spectateurs, il n’y a pas de geait & privilégier, culturellement ou esthétiquement, des films
recettes et donc pas de distributeur... 4 rentabilité immédiate...
Je crois que le public du cinéma va évoluer un peu comme a Calderon. Quelqu’un qui est dans le show-business a intérét
évolué le public des livres. Il y aura, de plus en plus, des publics 4 amortir son produit le plus vite possible...
pour des genres de films trés différents. Regardez Sauve qui
peut fla vie) : ce n’est pas vraiment un film « tous publics », et Cahiers. Mais il est peut-étre plus facile d’avoir rapidernent
il a pourtant presque fait une carriére. Pour moi, c’est un film un public pour de Funés que, disons, pour Resnais.
remarquable — mais souvenez-vous qu’A Cannes, nous
n’étions pas nombreux a l’applaudir. Calderon. De toute fagon, le public, maintenant, veut voir
Il va y avoir une espéce de clientéle par genre, comme il y a des les choses tout de suite, sans doute 4 cause des media, des jour-
gens qui lisent des romans policiers, et d’autre de la poésie. naux, de la télévision, de la publicité. Les films sortent dans
Mais il est certain qu’un recueil de poémes ne peut pas cofiter le beaucoup plus de salles qu’autrefois, ot om sortait dans deux,
prix d’un best-seller. C’est pour ga que je trouve le principe de trois salles, en y restant trois mois.
V’avance sur recettes excellent. Il y a des opérations qui, sans
elle, seraient financiérement impossibles. On peut contester Cahiers. C’est un peu contradictoire avec ce qui vous disiez
certains choix de l’Avance — mais cela ne remet pas en cause des 50-50, Les 50% qui vont se faire dans les salles se feront
son principe, seulement la composition de la commission a un trés vite — mais les autres 50% ?
moment donné. Calderon. Ils se feront en longueur !
Je suis optimiste parce que, dans cing ans, le vidéodisque
pourra jouer un peu le réle du livre de poche, et capter des Cahiers. 1 y a une autre question : en tant que SOFET-
publics nouveaux, Par exemple, on dit que les gens ne vont plus SOFIDI, vous avez affaire aux producteurs et aux distribu-
au cinéma aprés trente ans. Je crois que c’est faux : ce n’est pas teurs, Mais est-ce que tous ces gens ne dépendent pas, au fond,
une question d’age. Ce n’est pas parce qu’ils ont plus de trente des circuits ?
ans, c’est parce qu’ils sont mariés, qu’ils ont des enfants. Si on
se mariait 4 quinze ans, la fréquentation serait plus forte avant Calderon. Oui, mais les cirenits dépendent d’eux aussi. Les
quinze ans. circuits ont un besoin dramatique d’alimentation. I] faut qu’ils
trouvent des films. Ne les croyez pas tout-puissants: si,
Cahiers. Avec les « techniques nouvelles », il y aura allon- demain, i! y a gréve de la production, les circuits coulent. Tout
gement de la durée de vie des films, donc des possibilités nou- ¢a est complétement lié : un exploitant ne peut pas faire le tra-
velles de financement, mais sur le long terme. Il y aura donc un vail d’Alain Sarde... Ce n’est pas son métier.
probléme de trésorerie plus aigu. C’est vrai qu’on peut toujours dire : le cinéma francais, c’est
trois personnes — les programmateurs sont obligés de tout
Calderon. Il faudra faire un raccord en trésorerie, sans doute prendre. Et puis, il y a des exploitants indépendants, des gens
avec une augmentation des frais financiers. Mais je crois plutét comme Mitterrand. Qu’il s’installe sur les Champs-Elysées, je
que ¢a sera un sur-financement. Le film continuera de s’amor- trouve ca magnifique !
tir sur les salles, et il y aura un bénéfice supplémentaire. Si un Le réseau francais de salles, qui est quand méme un des meil-
film marche trés fort dans les salles, l’exploitation vidéo sera leurs du monde, crée un besoin d’alimentation qui fait que tous
un bénéfice, qui viendra plus tard. Et s'il y a un bénéfice, il n’y les films arrivent 4 se caser — sauf quand le public n’en veut
a plus besoin d’escompter. pas, 1a, je suis bien d’accord avec vous. Il y a des magasins, ils
sont 1a, ils existent, et il faut bien mettre de la marchandise
Cahiers. Mais le cas général ne va-t-il pas étre qu’un film ne dedans. Les circuits ne peuvent pas faire la loi. C’est peut-étre
pourra pas s’amortir uniquement sur les salles ? Vous allez agacant de se dire qu’il n’y a que trois circuits en France
devoir escompter les engagements des distributeurs vidéo... — mais il pourrait n’y en avoir qu’un. Est-ce qu’il y a vraiment
des exemples de films qui ont un public et qui ne sortent pas ?
Calderon. Pour instant, ce sont les distributeurs vidéo qui Je n’en connais pas.
supportent les frais de trésorerie. Une chaine de télévision qui
achéte un film le paie trés souvent a la livraison, a trois mois.
C’est-a-dire plus vite que le cinéma ! Et elle ne le passe que
deux ans aprés, ou dix-huit mois si elle est co-productrice. Tout
dépend, bien stir, de la marchandise que vous lui apportez.
L’Avare, par exemple, on peut en parler, ca figure dans le (Entretien réalisé le 18 mars 1981 par G.P. Sainderichin et
Registre public de la cinématographie, a été vendu pour une S. Toubiana.)
ENQUETE SUR LA PRODUCTION

ENTRETIEN AVEC
DANIEL TOSCAN DU PLANTIER

Daniel Toscan du Plantier est directeur général de Gaumont, la compagnie de production, distribution et d’exploitation la
plus puissante d’Europe. Depuis qu’il est entré dans ses fonctions, par ses prises de position, son attitude et son discours
sur le cinéma, quelque chose a bougé dans le cinéma francais. Craint ou admiré, il ne laisse pas indifférents ses
intertocuteurs. Ce dossier n’aurait pas été complet si les Cahiers ne lui avaient pas posé quelques questions sur les grands
axes de la politique-Gaumont, ni s’ils n’avaient analysé (cf. Varticle d’Olivier Assayas) les fondements de cette politique.

Cahiers. Dans les années soixante-dix et notamment depuis


votre arrivée en 1975, le réle de la Gaumont a été déterminant
dans la vie du cinéma fran¢ais. Aussi la premiére question sera
de yous demander ce gu’était Gaumont lorsque vous y étes
entré et le type de rupture que ca a pu représenter. D’autre
part, y a-t-il une continuité dans laquelle vous vous inscrivez ?
Daniel Toscan du Plantier, C’est compliqué parce que Gau-
mont est une compagnie qui a presque cent ans. Et, chose
curieuse, plus je croyais provoquer une rupture, plus je rencon-
trais un passé plus lointain, mais alors beaucoup plus lointain.
C’est pourquoi il y a quelqu’un qui a pris une place détermi-
nante dans ma réflexion durant ces derniers mois, c’est Louis
Feuillade. Je n’avais jusque-la jamais pensé qu’il avait occupé
mon poste, ou plutdt que j’occupe le sien. L’autre jour j’ai vu
une émission sur lui a la télé of on le présentait comme un
artiste qui a fait beaucoup de films. Non, c’était un patron de
compagnie. Feuillade est plus proche de Zanuck que de Bres-
son. C’est un type qui a produit, écrit, dirigé un studio de
cinéma. C’est pourquoi il faut voir qu’il y a deux passés Gau-
mont. Il y a d’abord le passé Léon Gaumont-Louis Feuillade
qui méne jusqu’autour des années trente. C’est une compagnie
magnifique. Si on peut réver 4 une compagnie de cinéma, c’est
cellela. Puis il y a eu une crise 4 la fois économique et morale
qui a conduit au repli de Ja société. Elle ne redémarre qu’aprés
guerre et sur des bases plus étroites. Quand nous sommes arri-
vés, c’était encore cette équipe-la. Vous notez bien qu’on n’en
est qu’a la troisiéme génération de direction et, vu notre Age,
Nicolas Seydoux et moi-méme, si Dieu nous préte vie, on est
partis pour un moment. Incroyable longévité dans un métier ot
aux USA on change tous les six mois de patron. C’est peut-étre
déja une spécificité Gaumont. Car on peut dégager des tradi-
tions : une fois de plus nous sommes une équipe qui ne vient
pas du cinéma. Léon Gaumont était ingénieur, Feuillade jour-
naliste ; ’équipe de l’aprés-guerre était composée de techni-
ciens, d’ingénieurs. La Compagnie des Compteurs de Mont-
rouge. A présent, Nicolas Seydoux et moi-méme sommes, a
Vorigine, extérieurs au cinéma. C’est donc la troisiéme fois que
se produit le méme phénoméne, ce qui n’est pas sans consé-
23 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
quences. Notre équipe est un mélange d’agrégés et de polytech- désir de ces cinéastes, @ un certain moment de leur carriére, de
niciens, ce qu’on a appelé des « cinénarques ». Je ne suis pas passer @ un autre systéme de production ?
un fanatique de ce concept, mais je constate que nous sommes
Toscan du Plantier. Qui, enfin j’ai di faire beaucoup de pre-
en meilleurs termes avec l’administration qu’avec beaucoup de
miers pas. Je ne vais pas vous raconter les détails, mais il a fallu
nos collégues. Si collégues il y a...
aller 4 Canossa souvent. C’était lié 4 mon action personnelfe,
Nous avons parlé de la continuité, parlons de la rupture. La
méme distincte de celle de la compagnie.
rupture, c’est avant tout un univers culture! un peu différent. Il
se trouve que nous avons quarante ans. Lorsque nous étions
étudiants, nous allions voir les films de la Nouvelle Vague nais- Cahiers. Vous parlez d’eux comme d’une avant-garde, Ce
sante. Pas ceux de la Gaumont. Notre politique a done été sont tout de méme des réalisateurs qui travaillent depuis plus
d’amener 4 Gaumont ce que nous aimions voir au cinéma. de yingt ans et qui ont aussi a un moment donné le désir
Tout en maintenant bien sir la tradition d’un cinéma familial d’atteindre leur public.
et populaire. Toscan du Plantier. Le probléme n’était pas d’atteindre
Vavant-garde, mais de rattraper l’extraordinaire retard qu’il y
Combler le fossé avait entre industrie et des gens qui n’ont quand méme que
cinquante ans. Ils ont encore dix ou vingt ans de carriére
devant eux. Et effectivement ils arrivaient au bout de leur
Cahiers. Quelle a été la place de Gaumont ces derniéres systeme. Gaumont, ¢a permet quand méme de mettre Depar-
années dans le systéme du cinéma francais ? dieu 4 Ia place de Léaud. Truffaut a eu cette envie d’arréter
Toscan du Plantier. Voyez Vextraordinaire changement du Doinel. Il ’a annoncé. Arréter Doinel ¢a veut dire travailler
marché. L’idée méme que vous vous interrogiez sur le systéme avec plus d’argent. Tout le cinéma intimiste issu de la Nouvelle
prouve qu’il y a tout 4 coup des questions. Il n’y en avait plus. Vague, ce n’est pas que les réalisateurs francais aimaient |’inti-
Le cinéma francais est en train de redevenir tne industrie. misme, c’était parce qu’ils avaient rompu avec le négace, alors
il fallait se débrouiller en hypothéquant Ja maison de grand-
Quand nous sommes arrivés en 1975, il y avait des circuits
mere, Le fait qu’a présent il y ait une compagnie avec laquelle
d’exploitants et des agents d’acteurs. Les meilleurs des produc-
teurs avaient plus de soixante ans : Dorfmann, Mnouchkine, on puisse parler en utilisant les mémes mots, ¢a a permis immé-
Silberman. Aujourd’hui il y a trois compagnies qui font des diatement qu’ils aient d’autres idées. Et eux aussi en avaient
films. Dont deux, comme vous le savez, font des films a cause plein le dos de V’intimisme.
de la premiére. Car c’est nous qui avons recréé V’idée que faire Ily avait un probléme entre la création et le négoce, il fallait
des films n’était pas un acte dément. Les conseils d’administra- le régler avec la génération qui a ouvert la crise. Alors je dis :
les compagnies et la Nouvelle Vague ont réglé leurs problémes.
tion des sociétés d’exploitation avaient décidé de ne plus pro-
Il y a eu des efforts de toutes parts mais j’estime que le nétre a
duire. Je me permets de penser que les innombrables entretiens
que j’ai donnés a Ia presse, 4 la radio, ala télévision ne sont pas été déterminant. Pensez qu’on était mal vus de tous cétés. Le
négoce nous accusait de gauchisme, [intelligentsia nous sur-
étrangers au climat actuel. C’est moi qui ai dit que le discours
veillait avec une franche réserve. Seulement aujourd’hui,
des exploitants était un discours cynique : ils ne vivent que du
film. J’ai claironné que le film a aussi une autre vie qui est sa quand vous faites le bilan des derniéres années, il est normal
vie audio-visuelle et qui sera un jour plus importante que sa vie que vous veniez me voir. Ce qui est important c’est qu’on ne
chez les exploitants. J’ai poussé ce discours plus que quiconque peut pas aujourd’hui parler du probléme de fa création sans
au monide. Il n’y a pas un de mes collégues américains qui ait consulter un dirigeant de compagnie. Parce que nous partici-
autant dit : le film, le film, le film. pons a la création, en bien ou en mal. Je vous le confirme :
Alors d’un seul coup il y a du film. Et regardez les listes des nous y participons.
nommés aux Césars de I’an dernier : Godard, Truffaut, Pialat,
Ce qu’apporte la Gaumont
Resnais. L’extraordinaire fossé qu’il y avait entre le négoce de
Vexploitation cinématographique et les auteurs de films a été,
Cahiers. Ce gu’on ne voit pas dans ce que vous dites, c’est
en 1980, sinon comblé, en tout cas considérablement réduit. Je
comment vous faites l’unité de cette pratique, parce que vous
crois que c’est la conséquence de la politique de notre compa-
parlez @ la fois en tant que distributeur et en tant que
gnie qui a dit: bon, il n’y a pas deux langages. II y a vos
producteur.
besoins de création et il y a nos besoins commerciaux et puis il
faut qu’ils coincident. Ils sont stirement dialectiques mais ¢a ne Toscan du Plantier. Ca dépend des films. Nous allons de la
veut pas dire qu’ils ne communiquent pas. C’en était arrive 4 ce production intégrée 4 cent pour cent 4 la simple distribution
qu'il n’y ait méme plus de dialectique. Il y a fatalement un rap- sans risques financiers. Nous sommes trés souvent la base sur
port de force entre la création et son financement. Mais d’un laquelle un film se finance. Prenons !’exemple du Resnais. La
seul coup, on se parle. On se parle puisqu’on se finance. J’ai premiére écriture avait été payée par Ariane films. Quand ils
une correspondance avec Truffaut. Vous savez, pour qu’il y ait ont lu, ils ont préféré interrompre le financement. A ce
une lettre de Truffaut sur le bureau du Directeur Général de la moment-la, on est venu me proposer le script. Je précise qu’il
Gaumont, ¢’est vingt ans... Godard c’est un peu plus compli- n’y avait pas bousculade. L’histoire des souris et du profes-
qué, mais nous sommes distributeurs de son film sur un certain seur, hein... Nous nous sommes alors substitués 4 Ariane films
nombre de pays, Ce n’est un secret pour personne qu’il voulait pour financer le script final et la préparation du tournage.
faire Seuve gui peut (la vie) avec Gaumont. Mais nous avions Cest alors qu’il y a eu un certain conflit avec la production qui
un différend avec Jui. Non pas sur Je film mais sur une affaire était largement assumée — disons autour d’Artmedia. Je ne
qwil avait eue avec Nicolas Seydoux. Nous avons donc préféré veux pas entrer dans cette bataille. Il se trouve qu’en particu-
ne pas traiter avec lui. Le différend a depuis été réglé a |’amia- lier, au travers des garanties sur les ventes 4 l’étranger, Gérard
ble. Il s’agissait d’un probléme d’argent. Aujourd’ hui son film Lebovici est intervenu de facon importante sur la production
se joue dans nos salles 4 New York. de Mon oncle d’Amérique. Je ne \e lui reprocherai pas. De
notre c6té, avec un des adhérents de notre groupement pro-
Cahiers. Dans cette grande réconciliation entre la Nouvelle grammation, nous avons donné un a-valoir distributeur. Si
Vague et le commerce, vous ne pensez pas qu’intervienne le bien que le film n’entre pas dans les livres comme un film Gau-
ENTRETIEN AVEC DANIEL TOSCAN DU PLANTIER 29
mont mais vous noterez que notre intervention est deux fois Cahiers. ¥ compris la production la plus populaire ?
décisive. Je pense que ni Resnais ni Lebovici ne contesteraient
qu'il y a ev A un moment trois cent mille francs qui ont été les Toscan du Plantier. Soyons trés précis. Il existe une produc-
plus durs a trouver : ceux du script. Quand les autres produc- tion qui est dans la tradition Gaumont de l’aprés-guerre, un
teurs se sont retirés, le film était condamné. Ce projet aurait cinéma trés populaire, qui est un département quasi-autonome
sans doute été abandonné sans notre apport. Ca c’est Vinter- qu’on appelle Gaumont International. Le financement pro-
vention minimale. En général notre réle est bien plus important vient soit de nous en totalité, soit en coproduction avec Mar-
que ca. cel Dassault. Ce sont les films d’Alain Poiré, il en sort deux ou
Ce que nous fournissons la plupart du temps, c’est cinquante trois par an qui sont faits avec des réalisateurs et des scénaristes
pour cent du coat théorique du film, somme qui correspond 4 qui forment son équipe. C’est un producteur indépendant dans
la trésorerie nécessaire pour commencer un film. Le reste, Gaumont, il s’inscrit dans une tradition que nous avons main-
Papport des producteurs c’est l’endettement qui leur est auto- tenue et honorée car notre volonté, c’était d’étre présents sur
risé par les banques en fonction des a-valoir déja acquis. C’est tous les fronts. Ce ne sont pas des produits trés tournés vers le
donc une cascade de crédits fondée sur une plateforme qui est marché extérieur, ni porteurs d’une plus-value de culture
notre apport. Je ne dis pas que les producteurs ne prennent pas audio-visuelle évidente, mais ils ont un intérét trés immédiat
de risques, mais la différence clé c’est que notre argent, il pour les gestionnaires de l’entreprise que nous sommes. C’esi
existe. Nous apportons entre un tiers et soixante pour cent du un propos qui ne porte pas de mépris en lui. Je suis le plus
cotit du film. Et parfois c’est cent pour cent. Fellini, c’est cent grand partisan de ce secteur-l4. If faut bien voir, le pouvoir est
pour cent. Ga n’apparait jamais comme ¢a, vous allez voir trés concentré dans Gaumont. C’est a la fois une grande affaire
plein de noms de sociétés mais ce sont la plupart du temps les et Une petite.
ndétres. La Cité des femmes il y a quatre noms, en réalité, c’est
Une compagnie tournée vers !’étranger
une seule société.
Notre présence peut @tre extrémement diverse. Sur Le Dernier
Cahiers. Nous n’avons justement pas parlé jusqu’ici du mar-
métro nous n’étions que distributeurs, mais avec un gros
ché extérieur. Quelle est la géographie de Gaumont ? Visez-
a-valoir. Truffaut ne prend pas de co-producteurs.
vous un public européen ou bien avez-vous également les USA
Cahiers. D’aprés les noms que vous citez, Fellini, Truffaut, en téte ?
Resnais, votre politique est surtout une politique de prestige. Toscan du Plantier. L’ Amérique, il faut comprendre que la-
Toscan du Plantier, Nous distribuons une dizaine de films bas on est comme des missionnaires au milieu des sauvages. Is
par an de noms pas connus. L’an dernier Raphaéle Billetdoux ne nous attendent pas du tout. Méme s’ils essayent de nous le
par exemple, c’était un film sans vedettes — Klaus Kinski serait faire croire. A New York, nous sommes assaciés avec un de vos
furieux s’il m’entendait dire ga — mais sans vedettes. La c’est lecteurs, Dan Talbot. Un vrai, vous pouvez y aller, sévére...
Venvie, la conviction qui jouent. Bien sir on est liés A!’ Avance Gaumont et lui, si je suis malade trois jours, la tension
monte... Ona avec lui deux écrans et dans un mois cinq, en face
sur recettes, iis font un travail de présélection trés sérieux. Cela
dit, ce n’est pas parce qu’un film a P Avance que nous le fai- du Lincoln Center. Alors on joue des choses insensées, nos
films et puis des choses cubaines... Le cété Frédéric Mitter-
sons, nj le contraire. Nous n’éliminons rien a priori, Sinon bien
sir des choses que d’ailleurs on ne nous propose méme pas, rand... Ah, c’est extraordinaire. C’est trés dur 4 faire vivre
ayant trait A un cinéma que l’on ne souhaite pas faire. avec l’administration Gaumont, je ne vous le cacherai pas. Moi
je suis ravi parce que j’ai tout de suite compris que le créneau
Cahiers. C’est-d-dire ? en Amérique, c’est l’art et l’essai. C’est un mot dont on se
méfie en France, mais moi la-bas, je le crie trés haut et trés
Toscan du Plantier. Oh... trés populaire, pseudo érotique ou fort. En plus comme ca les grandes compagnies me fichent la
comique troupier. Bon. On n’a pas envie. Mais par exemple paix, ils croient que je suis innocent et inefficace. Je ne suis pas
Van dernier nous avons méme disiribué le film de quelqu’un sir que ca sera toujours comme ¢a, je crois bien que les réalisa-
que j’aurais éliminé d’office - Claude Bernard-Anbert. Le teurs, il y a quelque chose dans Gaumont qui leur plairait bien.
script ne nous avait pas déplu en fait, et je pense qu’on a eu rai- D’abord la possibilité qu’on se parle. Parce que sur le plan cul-
son, le film s’appelait Charlie Bravo. On s’est dit pourquoi ne turel, mes collégues des grandes compagnies américaines, c’est
pas faire un film que, de prime abord, il ne nous viendrait pas a pas forcément Je sommet. Ils n’ont méme pas vu Jes films.
Vidée de prendre. Pour essayer de ne tomber dans aucun secta- Méme pas les mauvais. Le désert.
risme et puis parce que le succés peut venir de tous les cétés. Il Alors 1a-bas je suis un peu en survie. J’ai renoncé aux grands
n’y a pas de loi. desseins, je ne veux pas faire de films américains. Ceux qui
veulent travailler avec moi, c’est Fuller, c’est Mankiewicz, ceux
La programmation auquels les compagnies ont refusé un projet invendable aux
Cahiers. Quels sont vos rapports avec le Groupe d’Intérét USA. Losey, quoi, tous les copains de Joe. Ceux qui lui parlent
Economique Pathé-Gaumont ? encore. Pour l’instant je me dis qu’il y a une petite minorité
ameéricaine qui sont nos fréres, c’est pour eux que j’ai fait les
Toscan du Plantier, Le GIE programme. I] programme pres- salles. Cinq salles c’est beaucoup dans une ville qui en compte
que tous les films qu’on lui propose, il a besoin de cent films cinquante, c’est dix pour cent. Mais mon projet est en dehors
par an. Plus que ¢a méme. C’est une centrale d’achat en rela- de l’Amérique. Je ne fais pas de films pour l’Amérique. Je le
tion avec les distributeurs. Gaumont est l’un d’entre eux ; évi- jure, je le hurle. L’ Amérique nous copie, nous ne copions pas
demment nous représentons une part importante du chiffre Amérique. La-dessus j’ai un sursaut de dignité. Moi je
@affaires du GIE. Donc, Gaumont est l’un des clients de son n’engage pas les acteurs américains, c’est eux qui engagent mes
circuit. Ca c’est clair, Le circuit de programmation est dirigé actrices.
par Denis Chateau qui est un collaborateur de Gaumont, mais Alors, il y a un pays avec lequel je me sens en communion, c’est
ilne tient pas compte de qui est producteur. A part la program- V'Italie. Je voudrais opposer au monopole anglo-saxon une idée
mation, donc, la politique de production et de distribution est latine. Je crois 4 une communauté latine. Et dés 4 présent nous
centralisée dans les mains de la direction générale de la société. sommes le plus gros producteur d’Italie. Comencini, Rosi,
Il n’y a pas de mystére. Cavani, Fellini, Scola, c’est nous. Entre parenthéses, ce sont
30 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
les films que nous aimons a Paris. Parce que, ne croyez pas que un producteur de producteurs. Je suis donc obligé d’affronter
ces gens ont Ia vie facile en Italie. C’est le probléme du cinéma Vensemble des problémes de la société, je ne peux pas égoiste-
italien qui devient un cinéma d’exportation. Vous savez qu'il ment rester dans mon créneau. Alain Poiré n’a pas a se préoc-
est dans une crise abominable, of ce qui marche n’a pas de cuper de Fellini tandis que moi j’ai 4 me préoccuper de Pino-
nom. Regardez le Giornale dello Spettacolo, le haut des recet- teau. Je sens bien qu’il y a un producteur qui manque dans le
tes, vous serez pris d’une terreur... [ls vivent trés mal leur crise cinéma frangais et qui serait moi. C’est frustrant parce qu’au
télé. Tout ce qu’on a vécu étalé sur vingt ans, ils ont eux fond j’aimerais faire un film tous les cinq ans, mais alors un
aujourd’hui, Et comme c’est I’Italie, tout cela est tellement bon, qui me plaise vraiment. Pas comme la plupart de ceux que
destructeur ! je produis... le plus dur c’est qu’il faut que je les voie. Je suis
Dés qu’on sort de France, nos alliés sont des marginaux solitai- plus puni que vous. Tenez, un jour je vous raconterai mes cing
res. Renzo Rossellini est passé directement du maquis a diriger prochains films, dans le bureau, vous noterez, et puis on ira
Gaumont Italie. Vous savez qu’il a été assistant de son pére. Et voir les films ensemble. Vous verrez la glissade. La Dame aux
assistant sur les films télé, c’était sérieux parce que Roberto caméfias dans mon esprit c’était formidable. Qu’est-ce qui s’est
n’était pas souvent sur le tournage. C’est aussi un personnage passé entre moi qui ai une pensée si forte et ces choses si mol-
clé de la vie politique italienne, c’est Iui qui est 4 l’origine des les ? C’est quoi la maladie ? Je vous assure que les films sont
radios libres la-bas, C’est une sorte de gauchiste culture) et forts dans ma téte. Les Bronté c’ était formidable, le résultat,
c’est lui qui dirige notre société. Vous savez que ¢a a été diffi- c’est méme pas que ce soit mou, c’est autre chose. Mais la c’est
cile A expliquer aux banquiers, ca... Parce que les camarades le plus beau cas. Je ne crois pas que j’atteindrai de nouveau un
qui sont dans Ja société... le chef de publicité par exemple, je tel sommet. Celui qui était le plus prés de moi, c’était Don Gio-
n’aime mieux pas savoir quelles sont ses activités nocturnes. Ils yanni. Avec mes faiblesses, d’ailleurs... Une imagination
se disent beaucoup « camarade » entre eux, en tout cas. yisuelle un peu courte... Je ne suis pas tellernent visuel, le dis-
Curieusement le fameux monopole qu’on dit que nous for- cours ’emporte sur illustration, C’est pour ¢a aussi que je les
mons en France, il n’est pas dit qu’on ne l’aura pas en Italie. prends bien sensuels et pas littéraires. Moi, mon danger c’est
Parce qu’alors 14 c’est le désert. Titanus, Rizzoli, on ne peut d’étre littéraire.
pas dire qu’ils soient trés tournés vers l’avenir culturel. Alors La-dessus, je n’ai ni la compétence ni le temps de produire
c’est nous. A présent, ou Fellini ne fait plus de films ou il les fait tranquillement deux films par an, je suis 4 la téte d’une entre-~
avec la Gaumont. On ne peut pas dire ca d’un seul cinéaste prise qui en consomme beaucoup plus. Done je suis appelé 4
francais aujourd’hui. faire confiance. C’est certainement le moment le plus crucial,
Si on s’est trouvés partout liés A un certain marginalisme, c’est le plus douloureux, le plus cancérigéne, ce potentiel de trahison
que nous n’avons jamais trouvé une structure préte a nous que j’engendre volontairement ou involontairement en ne pou-
accueillir. Et mon probléme en Allemagne c’est que je n’arrive vant moi-méme m’impliquer totalement. If demeure que mes
pas A trouver ma minorité. La minorité, elle est 4 Los Angeles. présenices sur mes films sont subtiles, invisibles, mais je le crois
Les structures majoritaires ne comprennent rien 4 ce qu’on ou le crains, déterminantes. Je dis je le crois ou le crains selon
fait, c’est insaisissable. Pour eux le cinéma est mort, il n’y a que ca marche ou pas. En tout cas les réalisateurs qui travail-
plus que la télé. Werner Herzog est en panne dans le fond de la lent avec moi ont des idées trés précises et sans doute parfois
Colombie en ce moment, mais c’est Gaumont qui est en panne erronées sur ce que peut étre un film Toscan. Ce n’est d’ailleurs
avec Jui, s’est pas l’Allemagne. Parce que le nouveau cinéma pas toujours un compliment dans leur bouche. Mais c’est tou-
allemand, c’est au quartier latin qu’il est et 4 New York. Chez jours Pauteur que je privilégie. Regardez le gros de notre pro-
eux la machine continue a Ie nier. duction, je suis un fanatique de l’auteur. Le producteur qui est
On devient le plus gros producteur européen, de la Hongrie, entre le réalisateur et moi, je lui passe par-dessus I’épaule et
Marta Meszaros, 4 la Pologne, Wajda. Danton c’est une opé- jespére bien qu’on se fera des signes avec le metteur en scéne.
ration trés trés lourde. Et nous sommes les défenseurs des Méme implicites. Pour étre sfir qu’on fait le méme film au-
authenticités nationales de chaque pays. Moi, je dis 4 Wajda dessus du producteur, qui n’est pas toujours un bon véhicule
« surtout restez polonais ». Vous allez me dire Danton, ce de communication. Parce que lui, il se trouve toujours un peu
n’est pas trés polonais. Je crois que c’est bien polonais pour lui squeezé entre nous...
aujourd’hui si vous voulez moni avis personnel, Je ne crois pas
que ce soit la passion de I’histoire de France, plutét Penvie de Les indépendants sont indispensables !
se référer 4 la France comme valeur culturelle et politique. Le
second objectif me parait d’ailleurs Je plus important des deux. Cahiers. Justement, quelle est ta place des producteurs indé-
Nous sommes aussi producteurs au Brésil. Pourquoi le Brésil ? pendants dans votre systéme ? Vous sont-ils indispensables ?
Parce que c’est fe plus gros marché d’ Amérique Latine qui était
traditionnellement dominé par le cinéma US mais semble ne Toscan du Plantier. Fondamentalement, Ils servent a étre le
plus en avoir envie. Nous travaillons avec Carlos Diegues. film. Si nous sommes tout seuls, pour deux réalisateurs sur
C’est Albicocco qui nous représente 1a-bas. trois c’est le désastre. Un metteur en scéne, il faut qu’il alt
Alors voila, la grande théorie c’est la théorie latine. Une théo- quelqu’un de plus familier sur le plateau, queiqu’un qu’il
rie multinationale au sens propre du terme, constituée d’une puisse tutoyer, engueuler. Sinon nous, c’est kafkaien. La Gau-
série de nationalités, ou plutét de latinités. mont... Toscan a dit que... Toscan n’aime pas Untel. Je suis
obligé de faire des communiqués sur les tournages pour faire
« Je suis un producteur savoir que je n’ai pas vu les rushes. Parce qu’on m’utilise,
de producteur » aussi. On dit : il n’a pas du tout aimé ca. Moi je ne vois jamais
les rushes. Jamais. Sauf en cas de crise trés grave. Je ne crois
Cahiers. Question absurde, mais pourquoi n’avez-vous pas pas avoir fait retourner un plan de ma vie. Je ne crois méme
préféré devenir le producteur indépendant culturel dans fa jamais en avoir fait couper un. Il m’est arrivé de discuter, de
compagnie, comme Alain Poiré est le producteur indépendant m’engueuler sévérement. Demandez 4 Luc Béraud. Mais enfin
populaire ? je n’ai jamais dit « pas cette image-la ». Il m’est arrivé de dire
Toscan du Plantier. Ce n’est pas le poste qu’on m’a offert. ce film est insupportable. Mais le montage est au réalisateur,
Nicolas Seydoux cherchait un directeur général et la différence pas a moi. Je ne sais pas monter les films. Je ne sais pas, je ne
tout de méme est que je ne produis pas, je fais produire. Je suis peux pas et je ne veux pas. C’est dans nos contrats. Mais
toute la mémoire du cinéma francais

CATALOGUE
des films francais
de long métrage
Films sonores de fiction 1940-1949

PAR RAYMOND CHIRAT

Oui, le "CHIRAT” nouveau est arrivé!


Aprés un premier volume consacré aux années trente,
et qui a d’emblée placé ce Catalogue au rang des ouvrages fondamentaux,
voici la “mémoire’” du cinéma francais des années quarante.
De la dréle de guerre au tournant du demi-siécle,
a travers la défaite, l’‘Occupation, le régime de Vichy, la Libération, l’aprés-guerre,
toute une décennie cinématographique cruciale est 14,
inventoriée par un spécialiste aussi avisé que rigoureux :
au total 807 films minutieusement répertoriés et datés,
(et, en annexe, 23 autres films inachevés},
avec leur équipe technique, leur interprétation, leur scénario.
Sans littérature, sans parti-pris d’'aucune sorte,
iondé sur le seul souci d'une information compléte et exacte,
c'est le plus in-discutable des livres,
le prototype de ceux qu'il faut indiscutablement posséder.

un volume 21/29,7 relié toile sous couverture illustrée,


reproduction de 48 affiches en hors-texte,
sélectionnées par Bernard Martinand.

PRIX TEXTIMAGES : 185 F (FRANCO)


(prix de lancement}

publié sous l’égide de la Cinématheque de Luxembourg


EDITIONS SAINT-PAUL
exclusivité TEXTIMAGES
a a i ES nana ena ee!

TEXTIMAGES, Librairie-Club des arts et techniques de l'image

17, rue de Campo Formio, 75015 Paris. Tél. 585.13.77


32 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
méme, on aurait pu inventer des petits détours si on avait Toscan du Plantier. Alors 1a il faut bien distinguer. Il y a des
voulu, D’ailleurs c’est vrai que j’ai fait enlever une demi-heure produits un peu plus Toscan que d’autres. Gaumont est une
4 Luc Béraud dans son film. Mais c’est lui qui l’a enlevée, avec grosse machine dévoreuse de films. El en faut beaucoup et il
un monteur... qui était le sien. Voila. faut beaucoup d’entrées. Je vais vous dire : un certain cinéma
De méme je ne veux pas aller sur les tournages parce que si je populaire ne me dérange pas. Ce qui me dérange plus c’est un
dis bonjour plus fort a celui-la qu’a l’autre, ou bien que je ne certain type de cinéma pseudo ambitieux qui, 4 mon avis, est a
reconnais pas l’opérateur, d’un seul coup : théorie, il n’aime Ia place du bon cinéma. Je ne citerai pas de noms, on les com-
pas Untel, il n’aime pas la photo. Donc j’ai compris, restons a prendra en creux d’aprés ma définition d’un cinéma ambitieux.
la maison. Mais c’est frustrant parce que j’aime bien y aller. Mais j’ai besoin de sentir que la machine tourne pour pouvoir
Alors il faut que ce soit les producteurs. Alors on est en train de faire le cinéma qui me tient le plus 4 coeur. Bon, ce qui me tient
créer un corps. Et on en vient a faire des concessions incroya- le plus 4 coeur, ca se voit dans Ja rue sur les affiches. Méme le
bles, comme prendre des films qui ne me plaisent pas. Tenez, plus grand public sent bien que méme quand les films ne sont
c’était une discussion qui avait lieu dans ce bureau juste avant pas tout 4 fait réussis, il y a des volontés qui sont claires. Un
que vous veniez. Je vais sans doute accepter de faire deux films désir d’étre a la fois artistique et commercial.
avec un garcon, Ariel Zeitoun... Alors je me dis, bon, il faut Prenez par exemple Un Papillon sur l’épaule, de Deray avec
que j’avale ca parce que je veux faire La Truite de Losey et je Ventura ; j’ai bien senti en le faisant que c’était un film pour
veux que Zeitoun produise. Je ne veux pas étre seul producteur moi. Je suis arrivé 4 faire le Deray/Ventura qui a fe moins bien
parce que je me dis que Losey a absolument besoin d’un Zei- marché. Le film avait un probléme et a présent je vois lequel.
toun. Zeitoun c’est un type de la programmation, ancien C’est peut-étre lié A moi. Il s’agit d’un film ov Je héros se gom-
adjoint de Denis Chateau, homme de public. Et le probléme de mait. Il allait vers l’anonymat, un peu comme dans Profession
Losey c’est qu’il manque un peu de connection sensuelle avec Reporter. L’erreur c’était sans doute de prendre Ventura qui
la salle. Alors Ia présence d’un petit bonhomme rablé lui est est un formidable acteur de la présence alors que le sujet est
indispensable. Parce que Losey et moi on ferait un superbe Vabsence. C’était un sujet féminin. J’espére toujours que ce
film pour personne. Je le sais bien. Je nous connais. Isabelle, qui est le plus typique du cinéma Toscan, c’est le féminin, fémi-
Losey et moi, 14 ca fout un peu Ia trouille. Alors je veux qu’il y nin des femmes ou féminin des hommes.
ait un gars du cambouis, la, sur le tournage. Le mercredi a
deux heures, il faut se le farcir, le Colisée, c’est grand, les gens Cahiers. Le féminin c’est la culture ?
n’entrent pas facilement et La Truite ce n’est pas le titre qui fait
hurler de rire. C’est pas Viens chez moi il y a une copine, non, Toscan du Plantier. Oui, c’est la culture. Pour moi ¢’est la
eest Viens chez moi il n’y a pas de copine, c’est le sujet du méme chose. Et le cinéma est souvent violemment a-culturel ou
livre. Moi je ne le fais pas s’il n’y a pas de producteur. Ce qui anti-culturel parce que machiste. L’exaltation de la violence, le
rend fou Losey : « Mais c’est vous !...» Non, non, non... western, le policier, il y a tout un genre du cinéma viril qui est
parce que je sais que chaque jour, plan par plan... des rushes, pour moi a-culturel. Bien sir l’a-culture crée une culture, sur-
s’engueuler... Pas moi. tout avec le temps, mais au départ ¢’est l’exaltation trés viscé-
Alors les producteurs, pour ca, on leur donne de argent, on rale de ses instincts. Ce que j’appelle le cinéma culturel, c’est
leur donne la moitié du film. Qu’on paye. C’est fou le sacrifice celui qui fait appel 4 une certaine distance. Un jour Pauline
qu’il faut faire pour qu’un producteur vive. Tant pis. J'ai Kael a fait un article qui était directement dirigé contre moi :
besoin de producteurs. Je n’en sors pas. les emmerdeurs qui viennent d’Europe et qui nous empéchent
de faire le cinéma du ventre. Ce n’est d’ailleurs pas qu’il faille
Cahiers. Vous semblez faire une distinction assez tranchée supprimer toute émotion, mais je pense qu’il y a un cinéma qui
entre ce qui est culturel et ce qui est populaire en général dans fait appel a la partie féminine de l’intelligence. La Dame aux
votre discours, Nous ne comprenons pas trés bien. camélias est assez typique des qualités et des défauts de ce que
je cherche a faire. Ce qui prouve d’ailleurs que je n’y parviens
Toscan du Plantier. C’est des mots. Je suis d’accord avec pas encore parfaitement. Entre la volonté productrice et le pro-
votre question, mais c’est le malheur des mots. Moi je fais du duit final les biais sont nombreux.
populaire. Voila. Il faut le dire. Et puis |’outil est populaire.
L’outil c’est le maximum d’entrées. Jaime que ca fasse des
Cahiers. I/ y a d’abord la mise en scéne.
entrées surtout quand c’est un peu difficile et qu’on me dit ah,
avec ce truc-la... quand je vois les regards dubitatifs... alors Toscan du Plantier. Oui, dans La Dame aux camélias, on ne
j'aime que ¢a marche. Je suis trés content que Don Giovanni peut pas le nier. Les Bronté aussi, hein... Ca entre dans la
ait fait presque un million d’entrées en France. C’est aussi méme catégorie. Voila tout de méme des films que je renie pas
important que le film, tenez. Je n’arrive pas 4 me satisfaire a complétement. Eux me renient. Disons qu’ils ne me renient pas
Vidée qu’une ceuvre soit refusée. Le cinéma ce n’est pas la litté- plus que je ne les renie. Alors c’est ca mon style.
rature. Un film refusé, c’est un film refusé. Vous savez qu’aux Bien sir le style d’un producteur apparait aussi significative-
Etats-Unis on compte la recette en argent et en France en nom- ment de ce qu’il produit que de ce qu’il ne produit pas. Prenez
bre d’entrées. J’aime bien notre systéme, Le probléme ce n’est les noms importants en France, vous verrez, il y a ceux que je
pas tellement de savoir combien il y a d’argent parce que vous cherche et ceux que je ne cherche pas. D’ailleurs c’est des
savez, c’est un peu abstrait aujourd’hui l’amortissement d’un familles qui s’orientent d’elles-mémes. Ils ne viennent pas
film. Mais par contre quand vous le sortez et que le mercredi 4 demander non plus, ils savent d’office ow il faut aller et of il ne
deux heures il n’y a personne, ce n’est pas compliqué de savoir faut pas aller. Grace 4 ca, nous ne sommes pas du tout mono-
qu’on ne vous aime pas. polistiques. Aujourd’hui grace 4 la politique trés active de
Parafrance ou d’UGC, ceux qui ne sont pas chez nous travail-
L'image de marque Tosean Jent trés bien ailleurs, Tant mieux. Ce qui aurait été grave, c’est
si nous nous étions trouvés seuls, parce qu’alors je ne sais pas si
Cahiers, On a le sentiment que Toscan du Plantier, c’est une jaurais eu la possibilité d’exercer mes choix.
certaine image de marque du cinéma, une certaine image de En fait l’extérieur sent trés bien directement ou indirectement
marque de Gaumont. Certains films que vous produisez ne les films of mon intention est la plus forte. Dans Don Gio-
vont-ils pas a l’encontre de ce que vous essayez de projeter ? vanni, j’étais au degré cent, si vous voulez. Et je prends Ie ris-
ENTRETIEN AVEC DANIEL TOSCAN DU PLANTIER 33
que de dire ca en sachant que certains ont aimé et d’autres pas. la télé me semblent difficilement récupérables. Ils ont perdu
C’était le degré cent parce que l’intention est extréme, 1a. Ce Phabitude de l’argent.
que je veux faire ce sont des films populaires mais a trés fort Sur La Dame aux camélias, au fond de moi-méme j’avais un
contenu culturel. On peut dire que Don Giovanni est trés forte- doute. Je m’en rends compte maintenant en réexaminant le
ment un film de producteur. Ce n’est pas pour diminuer le réle mode de financement du film, je m’étais couvert méme en cas
de Losey mais c’est vraiment un film de compagnie. Nous som- d’échec. Ce qui n’est pas forcément trés bon signe, ca veut dire
mes presque involontairement en train de devenir une compa- que j’ai un inconscient qui s’est gardé. Voyez cette co-
gnie productrice, comme un certain modéle de I’histoire du production télé avec I’ Allemagne, I’Italie et la France qui rend
cinéma américain. Et il y a fatalement un début de style qui le film un peu difficile 4 suivre. Comme vous le savez, il a deux
s’élabore, ne serait-ce qu’a cause de la concentration du pou- versions. Ce que vous avez sur les écrans n’est que la réduction
voir. La décision d’un film est fatalement celle de Nicolas Sey- a deux heures d’un film de trois. Et ces sécurités que j’ai prises,
doux ¢t la mienne. Je lui propose des films, il signe (ou pas) le je ne les avais par exemple pas sur Don Giovanni. Instinctive-
contrat. ment je n’étais pas trés sir de la performance-du film. Notez
qu’il n’y a pas eu bousculade pour le faire. D’autre part il fal-
Cahiers. Quand on regarde l’affiche de La Dame aux camé- lait un trés bel objet. De ce cété, Bolognini a rempli son con-
lias il y a quelque chose qui me semble significatif, c’est que le trat. Tl est tres compétent, dans le sens technique. Vous savez
nom @ isabelle Huppert soit en gros et fe sigle Gaumont égate- qu’il fait le cadre, peut-étre méme qu’il fait trop le cadre. Je me
ment. D’une certaine maniére c’est un film Gaumont avec une suis dit voila un script, voild un professionnel, voila une
star, Mais le nom du metteur en scéne disparait, c’est effective- actrice... j’ai des raisons de croire. Je me suis dit : la modernité
ment un produit de compagnie. de actrice va équilibrer le danger d’esthétisme archaique. On
va avoir quelque chose et, vous savez, ca aurait pu prendre. II y,
Toscan du Plantier. C’ est vrai, on fait renaitre un cinéma de
compagnie et ce n’était pas du tout mon plan. Pai ace sujet un a un probiéme qui m’a beaucoup intéressé, récemment. Vous
avez certainement noté que la méme année Isabella Rossellini a
curieux probléme dialectique. J’ai toujours été et je suis tou-
épousé Scorsese — je me référe beaucoup au rossellinisme et
jours un propagandiste du cinéma d’auteur. Mais il y a en
Isabella est une amie personnelle, c’est ma famille ~ ; Marie-
méme temps une crise d’auteurs qui ne date pas d’aujourd’ hui,
et ¢a met longtemps a se faire un auteur. Alors j’ai bon espoir, Christine Barrault a été héroine de Woody Allen et Isabelle
Huppert a travaillé avec Cimino. Ce n’est pas un complot, c’est
je n’ai que quarante ans, je vais les voir, je compte 1a-dessus.
entiérement le hasard ; mais ce sont trois films trés, trés inté-
Mais c’est vrai qu’on ne peut pas dire que j’ai inventé des
ressants. On n’a pas encore vu Je Cimino mais on imagine
auteurs. J’ai inventé un cinéma de compagnie qui s’est substi-
tué a cette carence d’ auteurs. Je serais presque tenté de dire par Pintérét qu’il a. L’attentat dont il a été objet le rend de toute
facon extraordinairemeat intéressant, méme sympathique, si je
moments que le seul auteur que j’aie trouvé, c’est moi. Mais
puis dire.
c’est un peu faute d’autre chose... Vous voudriez que je mette
en trés gros Bolognini sur l’affiche ? Il serait intéressant de voir la part de néo-réalisme de Raging
Bull. Parce que quand vous épousez la fille de Rossellini, ce
n’est pas seulement parce qu’elle porte le nom ; vous avez Ros-
Cahiers. Non, justement...
sellini tout entier 4 la maison. Y compris dans l’autoritarisme,
Toscan du Plantier. C’est venu naturellement. C’est vrai que Phorreur du show-biz, ’horreur du spectacle. Nous avons
nous avons trés envie de spectacle 4 la fois populaire et culturel parlé de modernité. Pour moi Rossellini est un modéle absolu
et il y a si peu de réponse qu’on en vient a faire la question et la de modernité. Europe 51 et Voyage en Italie c’est la date pour
réponse. moi, ’'an 0. Vous savez que Roberto était quelqu’un de trés
émotif, son esthétique c’était vraiment un calcul. Le calcul de
Ne jamais oublier la froideur. On voit bien comme la froideur nait presque
la mise en scéne ! d'Ingrid Bergman. Parce qu’elle n’y est pas encore dans Rome,
ville ouverte. La froideur nait du moment ou il y a une star
Cahiers. Ce qui me semble manquer pour beaucoup dans chaude. Et c’est la qu’il a théorisé le refroidissement du
votre raisonnement ce serait de pouvoir juger pertinemment, a cinéma. C’est comme s’il avait mis le film dans une chambre
un moment donné, la capacité a mettre en scéne de queiqu’un. froide. Comme s’il ’avait traité. Quand on voit Europe 51 on
Bolognini par exemple n’est pas un cinéaste passionnant. Or se dit mais ce n’est pas vrai. Il doit y avoir une autre version.
vous lui confiez un gros film ! Non.
Toscan du Plantier. Bon, Bolognini. Soyons précis. Voila un Bon, lorsque Woody Allen choisit Marie-Christine Barrault,
sujet, celui de Jean Aurenche, qui traine depuis longtemps. I] cest a cause de Ma nuit chez Maud. C’est plus Ma nuit chez
nous avait été sisnalé par Bertrand Tavernier, 4 Isabelle et 4 Maud que Cousin Cousine. Et puis Huppert dans le Cimino, ca
moi. Il faut mentionner Isabelle parce que sans elle il n’y aurait mérite aussi qu’on s’y arréte. Faudra en reparler en ayant vu le
pas de film. Tavernier a beaucoup suivi cette opération. On a film, mais 4 mon avis, c’est fondamental. Elle est étrangére
méme cru qu’il voulait le faire. Bon, Bertrand a ses qualités et face aux WASP ameéricains. Le sujet c’est le point de vue, et le
ses défauts, mais c’est quelqu’un qui connait trés bien les met- film est trés clairement de son point de vue a elle. Chez United
teurs en scéne et il a été formidablement enthousiaste, non pas Artists on disait : c’est un film d’hommes. Je crois que c’est
du film, je le précise, mais de Bolognini. Et ca a joué un réle. essentiellement un film vu du point de vue de la fille.
Je dois dire que j’aurais aimé prendre un réalisateur francais, J’ai le sentiment étrange avec ce concept de principe féminin
mais j’ai eu beau chercher, je n’ai pas vu de nom s’imposer d’avoir envahi sans Je savoir certains éléments du cinéma amé-
pour manier le costume, le travelling, la lumiére. Je crois qwil ricain. C’est eux qui ont du retard. Pour la modernité, en
y aun probléme d’outil. Je ne vois pas le cinéaste francais qui dehors de Rossellini, celui qui a tout compris dans sa foulée,
saurait. Au simple niveau de la compétence technique. c’est quand méme Godard. Le Mépris, tout y est, tout ce que je
prétends mettre dans un film. Il a quinze ans d’avance. Evi-
Cahiers. Les vieux, sans doute, demment c’est surtout un film sur le film, un film sur Carlo
Ponti... On pense 4 la téte du gars qui a produit ca sans se ren-
Toscan du Plantier. Oui, les Delannoy ou les Autant-Lara, dre compte que c’était sur lui... Moi j’adore Le Mépris, peut-
mais ils ont travaillé pour la télé et ceux qui ont travaillé pour &tre parce que c’est mon métier. Je le sens aussi sur moi Le
34 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
Mépris. Je comprends bien qu’il parle de moi. Vous comprenez Dans Les Seeurs Bronté, mon idée était de montrer le début de
bien que si Godard voulait absolument faire Sauve qui peut la prise de parole des femmes dans ce petit village du Yorkshire
avec Gaumont et Isabelle Huppert... Je note pour ceux qui ont durant la premiére moitié du dix-neuviéme siécle. Et je my
bien regardé le film — peut-étre que je suis paranoiaque — peux rien si Téchiné a fait le film contraire, l’histoire de fem-
médis quand elfe est dans la chambre d’hétel avec Fred Per- mes qui allaient castrer le vrai artiste de la famille. Je n’avais
sonne qui téléphone en observant ses fesses, elle est penchée pas pensé qu’il était en train de faire un film dans mon film. Je
par la fenétre et, je vous signale, on voit un gros camion rouge le félicite de sa duplicité puisqu’il est arrivé 4 faire le film
moniter une rue de Lausanne et il y a écrit « Duplant et compa- jusqu’au bout sans que je m’en rende compte. Oh, j’avais ma
gnie, combustibles ». Je ne jurerais pas qu’il n’y ait pas une petite idée, mais je n’avais pas pensé que ces deux films ne mar-
intention précise de Jean-Luc. Mais c’est intéressant tout de cheraient pas ensemble. Parce qu’au bout du compte, ce n’était
méme qu’Isabelle se retrouve toujours prostituée : rapport a plus le sien ni le mien. Il y avait tout de méme ces trois femmes
Vargent et au pouvoir, hein ? Cette obstination... Cimino qui pesaient beaucoup trop fort. Il aurait fallu prendre des
inclus... jnconnues et aller chercher Alain Delon pour faire le frére
Bronté. Le cast allait contre son propos. II s’est trahi lui-méme
Cahiers. Vous pensez que c’est vous, inconsciemment ? en me trahissant. Mon film c’était l’inverse d’un film rétro-
costumes. C’était faire une analyse, comme Rossellini a fait
Toscan du Plantier. Non... C’est peut-étre eux... Louis XIV. ll ne l’a pas fait par goiit du rétro. Il cherchait le
pouvoir, il voulait analyser |’Etat. Quand est-ce que c’était
Cahiers. C’est eux qui vous imaginent ?
VEtat ? Bon, c’est Louis XIV qui a trouvé P Etat. Alors moi je
Toscan du Plantier. Enfin... On est tous dans le méme bain. dis : Les Bronté c’est la féminité. Analyse de la premiére fois
Je ne sais pas qui est qui dans cette histoire-la. C’est elle qui est qu’elles ont parlé. Je n’avais pas compris que c’était la pre-
nous, nous qui sommes elle... Isabelle, elle a vingt-six ans, miére fois qu’elles avaient castré un pauvre petit, que l’auteur
voyez la liste des metteurs en scéne avec lesquels elle a tra- c’était le frére. ’aurais dit m’en douter, c’est tellement évident
vaillé... C’est la seule personne au monde qui fait la méme quand j’y repense. Ils ont tout fait pour me le cacher. Je dis ils
année Cimino et Godard. Qui passe de trente-six millions de parce que c’était quasiment plusieurs. Je n’avais pas compris
dollars 4 trois techniciens. Elle a fait le saut, et c’est un saut que c’était un film de l’apologie homosexuelle terrorisée par la
unique. Elle a une politique d’auteurs qui est trés claire, et elle parole des femmes. Ce n’ était pas du tout mon film 4 moi. Par-
continuera. Alors j’y vois la part que peut avoir ma proximité don. Ce n’est pas du tout ce que je pense... Alors La Dame aux
professionnelle. camélias... Eh bien... Oh, c’est moins brutal, mais c’est quasi-
Le hasard a donc fait que la méme année Scorsese, Cimino, ment le méme probléme. Je voulais montrer quoi, moi ? Ca
Woody Allen ont eu un rapport avec moi sans le savoir. Un fait cent cinquante ans ou presque qu’on pleurniche dans le
rapport vraiment intime. Parce que le rapport le plus intime monde entier sur La Traviata, L’amour, la mort... Vous regar-
que deux hommes peuvent avoir entre eux, c’est ericore une dez de plus prés, Alphonsine Plessis, c’est quoi ?... Alors vous
femme. Je ne vois rien qui rapproche plus. Parce qu’on en avez une prostituée de treize ans vendue par son pére et qui
sait tellement plus. Moi je les connais ces trois-la, je peux vous meurt de phtisie... enfin, de maladie du travail. Et son dernier
dire. J’ai le sentiment d’avoir vécu avec eux. Alors que si on se client, Monsieur Dumas fils a un petit choc, une petite vibra-
voyait, eux et moi, qu’est-ce qu’on aurait a se dire ? Le malaise tion... Et il invente une histoire fabuleuse. Quand méme,
que ce serait ! Pourtant je sais de l’intérieur ce 4 quoi ils ont qu’est-ce que les hommes ont gagné, avec ca... Quelle aventure
révé et ot étaient leurs fantasmes 4 un moment donné. Parce financiére { Voila une morte qui rapporte. Je viole ma fille, je la
que ce n’est pas comme quand on engage une belle fille. En vends, je la prostitue et ¢a rapporte. Ca rapporte encore. Ce
plus ce n’est pas tout 4 fait ce qu’on appelle des belles filles week-end, il y a des recettes. Alors c’était ¢a le sujet. On est 14 a
d’Europe... Ce n’est pas la francaise bien roulée... Non, ca écouter Verdi et on n’entend méme pas le texte. Or que dit-il 7
c’est une autre consommation. On veut nous faire croire qu’elle est morte de cette maladie
parce qu’elle était coupable. Pauvre putain ? C’est quand
méme hallucinant. On est devant quelque chose de fou, ils ont
Des thémes puisés dans la culture
tuée,.. Ils Pont tuée et il y a encore une messe, une cérémonie
Cahiers. Le reproche que je ferais a votre politique d’un opératique.
cinéma @ la fois culturel et adressé au grand public, c'est, Et dans le film qu’est-ce que je vois ? Une femme meurt de
honte 4 cause de sa culpabilité. C’était pourtant d’une clarté
qu’éiant dans la position d’inventer un cinéma populaire
limpide... Dans le script encore, malgré les trahisons, il est dit
moderne, vous ne le faites pas, La Dame aux camélias, c’est un
qu’elle meurt de nous. C’est nous qui la tuons. Alors 1a aussi,
film qui se rattache @ une notion culturelle qui remonte aux
mon inquiétude c’est que l’esthétisme du film, ’homosexualité
années cinquante, la qualité francaise.
profonde qu’il y a dedans fassent qu’on ne l’aime pas assez. Et
Toscan du Plantier. Ai non ! Dans mon esprit pas du tout. pourtant je vous assure que quand je l’ai fait, je l’aimais,
Je suis content que vous m’ayez pose la question parce que Alphonsine Plessis, le choix de Vactrice influe peut-étre aussi.
dans ce film, comme dans Les Brontéé, j’ai voulu faire entrer J’aimais les Bronté, aussi. Admettez que je n’ai pas de chance.
quelque chose sans y parvenir. Les metteurs en scéne ne m’ont C’est la deuxiéme fois que je suis obligé de m’interroger, que je
pas suivi et, dans les deux cas, pour des raisons sans doute produis les films contraires 4 ma pensée. Cela dit je ne pense
identiques. pas qu’ils soient d’une esthétique des années cinquante. Ou
Pour moi la modernité s’attache 4 une chose précise, c’est cette alors tout le costume est cinquante. Mais moi j’adore le cos-
notion féminine dont on a parlé tout 4 ’heure. La « feminita » tume et je vais continuer. Je vais faire Wajda, je vais faire
chez nous comme chez elles. La féminité n’est pas exclusive aux Scola, je ne vais plus arréter le costume. Parce que je ne veux
femmes. Cette modernité n’a jamais été vécue comme un phé- pas le laisser a la télévision qui en fait ce qu’on voit. Pensez que
noméne conscient. Il y a eu d’autres cinéastes de la féminité, lorsque Wajda va faire Danton et que tous les Danton sont des
mais personne n’a essayé de théoriser cette chose-la. Pourtant Francais et les Robespierre des Polonais, dans la situation ob
cest capital : Woody Allen prend dans les fantasmes améri- en sont la Pologne et Wajda A ’heure qu'il est, ce n’est tout de
cains la place de John Wayne, et lui c’est l’apologie de cette méme pas du rétro. Et quand Scola met sur la route de Varen-
féminité. nes le 21 juin 1781 Restif de la Bretonne qui rencontre par
ENTRETIEN AVEC DANIEL TOSCAN DU PLANTIER 35
| hasard Casanova, ce n’est pas la passion du costume. C’est le de Bresson et de Duras. Finalement Bresson et Duras n’ont pas
| méme sujet que La Terrasse ou qu’ Une Journée particuliére. dit la vérité, Is veulent le public.
Nous sommes en grand conflit actuellement avec Benoit Jac-
quot, un conflit assez affectueux. Mais je crains que son film
Spectacle ou cinéma moderne
soit toujours 4 mi-chemin et qu’il n’arrive pas a intégrer totale-
ment son style et le besoin de spectacle. On seni souvent la
Cahiers. Cela ne résoud pas le probléme d’une forme patte de son opérateur, Ennio Guarnieri. C’est lui qui a déja
moderne, Tout ce que vous avez dit vient sur fond d’une fin du fait La Dame aux camélias et je me demande s’il n’y aurait pas
| cinéma moderne des années soixante, Bertolucci, Bellocchio, un style Guarnieri/Gaumont... C’est contagieux, vous allez
| Skolimowski. Vous vous situez dans une période de reconquéte voir... Le cinéma d’auteur a ses dangers, mais le cinéma d’opé-
du spectacle, de restauration culturelle. rateur, c’est le plus dangereux qui soit...
C’est vrai que Jacquot est un terrain passionnant parce que
| Toscan du Plantier, Vous savez, je suis moins théorique que cest avec Inui que j’ai les plus grands conflits. A ja fois il
je peux en avoir lair. J'ai plutdt a survivre jour par jour avec m’exaspére de me céder et il m’est insupportable qu’il ne me
les moyens que j’ai sous la main et j’essaye seulement d’un peu céde pas plus. [1 fant qu’il choisisse. Ou alors il est totalement
| raisonner afin de savoir od je vais. I] est exact que mon premier Jacquot et il faut qu’il m’écrase avec son jacquotisme et qu’il
souci était de rétablir le spectacle. Avec les bons, avec Truf- passe ou... J’ai peur qu’a force de déployer cette ruse et cette
faut, Pialat, Godard, Resnais. D’accord je ne suis pas inven- perversité gigantesques il ne s’y embrouille les pinceaux.
teur, mais ils étaient dans une sacrée impasse. A la fois écono- Une écriture moderne, je ne peux pas la trouver tout seul. Je
mique et artistique. Je prends le risque de ce que je dis. Alors suis producteur de producteurs, et il me manque deux mail-
tout d’un coup, on rembraye. Maintenant, je suis d’accord, il lons. Mais j’espére que ¢a commence, Pour moi la premiére
va falloir inventer une modernité. Mais moi, elle est dans ma année saine, c’est 1980, Aujourd’hui nous sommes le 16 mars
téte. J’ai un théme de modernité, nous en avons parlé. 1981. J’espére bien que ca va venir, qu’on va trouver un Ian-
gage post-Nouvelle Vague. Je n’ai pas encore quarante ans, je
Cahiers. Cela implique une collaboration étroite avec un les aurai dans un mois, je n’ai pas envie de faire ma carriére
cinéaste. Une grande confiance. Avec Benoit Jacquot par seulement avec des metteurs en scéne qui ont entre cinquante et
exemple, comment travaillez-vous ? Comment pouvez-vous soixante ans. Vespére qu’ils auront entre vingt et trente ans.
Vaider sans étre envahissant ? C’est bon pour moi, ca me rajeunit. Ce qui va se passer durant
jes deux années a venir est fondamental. Il faut que la recon-
Toscan du Plantier. Huppert !... Ila eu pour lui d’avoir des naissance de facto des besoins de spectacle stimule un peu ceux
acteurs importants, sinon il ne serait jamais sorti de son qui les avaient niés jusqu’a présent.
systéme. C’est intéressant quand on parle avec Jacquot, il dit :
moi je pensais que c’était une erreur majeure d’aller vers le (Entretien réalisé le 16 mars 1981 par Olivier Assayas et Serge
public. J’ai pensé que ce n’était pas le probléme. Bon, a l’école Toubiana).

Creéées par des visionnaires du futur


pour les artistes de la pellicule
10000 cameras

eciair

ne cessent de contribuer
A doter notre culture
des plus belles images
de notre temps

Eclair International 87,cue Pelleport 75020 Paris


Soremec Cehess tel 3861 99 89
a
a coproduit
65 films en 6 ans
De “la Chanson de Roland”
a “Argent des Autres”

De “Bastien Bastienne”’
a “la Banquiére”

Du “Passe-Montagne”’
a “Providence’’...
Sorties en mai :
‘Les ailes de Ja colombe”
de Benoit Jacquot

“Le Japon insolite”


de Francois Reichenbach

Contact 4 Cannes : Bureau FR3, La Malmaison @ 99.08.50


ENQUETE SUR LA PRODUCTION

ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS LIVI

Jean-Louis Livi est un des responsables de Artmedia, le pool d’agents le plus important en
France et en Europe. Nous lui avons posé des questions, tant sur le r6le — traditionnel — des
agents dans le cinéma, que sur des sujets (assez britlants dans la conjoncture actuelle) qui tou-
chent a la production de films en France.

Questions générales

Cahiers. Nous pourrions commencer par situer Artmedia


dans son histoire...
Jean-Louis Livi. Artmedia ne s’est pas toujours appelé Art-
media. Il y a d’abord eu Gérard Lebovici, au début des années
soixante. Artmedia est l’émanation et le développement de
cette premiére décision d’exercer le métier d’agent artistique,
avant que ce métier soit réglementé. Artmedia a donc a peu
prés vingt années d’existence, et un peu plus de dix ans sous
cette dénomination.

Cahiers. La réglementation date de 1969.


Livi. La loi, que nous avons sollicitée de toutes nos forces,
avec l’aide de nos confréres, date de 1969 et son décret d’appli-
cation de 1971. C’est une loi qui réglemente le placement des
salariés du spectacle : acteurs, artistes de variétés...

Cahiers. La loi pose des restrictions : par exemple, qu’on ne


peut pas étre @ la fois agent et producteur...
Livi. ly a des incompatibilités. Pour s’en tenir a l’essentiel,
disons que l’incompatibilité majeure réside dans le fait que la
personne représentée, le mandant, ne doit etre en aucune facon
directement ou indirectement, dépendant économiquement du
mandataire c’est-a-dire que I’agent ne peut, par moyen direct
ou par moyen détourné, étre l’employeur de Ia personne qu’il
représente. C’est tout a fait logique : nous sommes au service
des gens que nous représentons, ce ne sont pas les gens que
nous représentons qui sont 4 notre service.

Cahiers. Vous ne pouvez pas salarier queiqu’un... Cahiers. Dés qu’il y a contrat de ce type, tout passe par vous.

Livi. Non. Livi. Prenons l’hypothése la plus fréquente : nous représen-


tons un acteur dans ses diverses activités : cinéma, télévision,
Cahiers. ...2i le louer, comme le ferait une entreprise de tra- théatre. Lorsqu’une possibilité d’engagement se présente, nous
vail intérimaire. négocions les contrats.

Livi. Evidemment, non. Cahiers. Mais qui est @ (initiative d’un contrat ? Est-ce que
vous cherchez des contrats pour les artistes, ou bien est-ce que
Cahiers. Est-ce que cela veut dire aussi qu’il n’y a pas ce sont les artistes eux-mémes qui les trouvent ? Ou encore, des
d’exclusivité ? producteurs éventuels de spectacles ?
Livi. My a exclusivité. Lorsque nous représentons un acteur, Livi. Nous cherchons des contrats pour les artistes. Ceux-ci
il signe avec nous un mandat d’exclusivité de durée variable et nous en aménent. Des producteurs nous en proposent. Nous
limitée. Il n’y a pas de mandat a durée illimitée. négocions dans tous les cas.
38 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
Cahiers. Est-ce que le systéme du contrat exclusif yous est nous en occuper, parce qu’ila du talent — @ supposer que l’on
propre, ou bien est-il le fait de tous les agents ? puisse faire cette distinction.
Livi. Il est le fait de tous les agents. Nous sommes réunis Livi. Notre décision repose sur un choix, et une conviction
dans une Chambre syndicale, qui regroupe 86 ou 90 pour cent avec lespoir de ne pas se tromper.
des agents artistiques, tant du cinéma que des variétés ou des
concerts. C’est une des forces de cette Chambre syndicale qui a Cahiers. La carriére de queiqu’un peut se faire en investis-
permis d’assainir un métier qui n’était pas toujours bien consi-
sant, en prenant un risque financier...
déré. Nous avons un code de conduite, un réglement intérieur
trés précis, Il n’est, par exemple, pas possible de représenter un Livi. Prendre un risque financier sur une personne que nous
acteur qu’un autre agent représente sans qu’il y ait accord entre représentons, ca voudrait dire, par exemple, financer un film
les deux mandataires... Nous sommes l’agence 1a plus impor- pour elle — c’est bien votre question ?
tante en France, et mémé en Europe. Mais il y a d’autres agents
dynamiques, qui représentent des acteurs et des metteurs en
Cahiers. Oui, ou autre chose. Il y aun exemple, sans rapport
scéne de tout premier ordre. avec le cinéma: celui du chef d’orchestre Bruno Maderna,
dont la carriére était complétement arrétée, détruite, qui était,
Cahiers. Combien d’acteurs représentez-vous ?
pour des raisons personneltes, tombé au plus bas — et qu'un
Livi. Nous représentons cent cinquante personnes, mais pas agent a totalement pris en charge, véritablement materné pen-
uniquement des acteurs. II y a aussi des metteurs en scéne, et dant au moins deux ans, @ perte, sans méme Vespoir qu il
des auteurs. Nous sommes aussi agent littéraire. Il y a malheu- donne, pendant cette période, un seul concert...
reusement peu d’auteurs de cinéma. Nous représentons des Livi. C’est un trés bon exemple. Je ne vais pas vous dire que
auteurs qui écrivent des romans, mais qui sont, nous en som- nous en avons cinquante a vous fournir comme celui-la. Il est
mes persuadés, des scénaristes en puissance.
évident que nous ne pouvons pas materner cent cinquante per-
sonnes, nous occuper de leur vie privée, de leurs moyens d’exis-
Quels critéres ? tence — nous n’y arriverions pas et ce n’est pas notre métier.
Mais je dois dire que si nous pouvons, momentanément,
Cahiers. Mais quels sont vos critéres ? Je suppose que des apporter une aide a quelqu’un, nous le faisons volontiers. ff
gens viennent vous voir, en demandant d’étre représentés par serait aberrant de nous l’interdire, sous prétexte que nous ne
vous. Vous choisissez,il doit y avoir un critére artistique, un serions pas dans le cadre de la loi. La loi implique qu’if n’y ait
gotit de fa maison... pas dépendance économique, mais je ne crois pas qu’elle impli-
que qu’on ne doit pas aider les gens.
Livi, ly a des gens’ qui demandent 4 étre représentés par
nous. Il y a aussi des gens 4 qui nous demandons de les repré-
Cahiers. La frontiére entre les deux n’est pas tres nette...
senter. J] y a un travail de recherche de nouveaux talents. Nous
avons organisé Artmedia pour permettre cette recherche. On Livi, C’est vrai. Et c’est pourquoi je dois aussi vous parler
parle toujours, quand on parle d’Artmedia, de ceux dont le d@honnéteté. Je ne vois pas pourquoi il y aurait, systématique-
nom éclate déja au firmament du succés. Mais il y a les autres, ment, suspicion. Yous m’avez parlé de carriére. D’abord, une
ceux qui n’ont pas encore éclaté, et qui sont en voie de le faire, carriére, ce n’est pas l’agent qui la fait. C’est artiste, auteur,
et ceux qui existent pour nous, mais pas encore pour les autres. le metteur en scéne. Nous ne sommes pas des gourous, les gens
C’est notre fonction d’essayer de les aider 4 s’exprimer. Nous avec qui nous travaillons ne sont ni des imbéciles, ni des
n’y atrivons pas toujours hélas ! Il faut, dans la mesure du pos- robots. Les gens qui réussissent, surtout dans ce métier, sont
sible, que nous soyons présents partout ot il se passe quelque ceux qui ont une personnalité, et notre but, c’est de leur per-
chose, au théatre, au cinéma. Il y a demande de notre part. mettre de V’exprimer le plus rapidement possible. Que nous
Mais nous ne sommes pas seuls, nos confréres ne nous atten- donnions notre opinion, un conseil, puisqu’on nous le
dent pas pour solliciter les nouveaux talents, demande, c’est une chose. II se trouve que, souvent, le conseil
et analyse de la personne que nous représentons se recoupent.
Cahiers. Combien d’acteurs pouvez-vous « g gérer » ? Mais pas toujours. En définitive, c’est l’artiste qui décide.
L’agent intervient par l’information qu’il donne 4 l’acteur.
Livi. Nous en sommes 4 plus de cent et pour l’instant, c’est
Cette information est double : artistique, économique. Artisti-
suffisant. Il est toujours dans notre intention d’essayer de faire
que, comment ? Si l’on s’est adressé 4 un agent, c’est qu’on a
mieux, mais if ne faut pas que la qualité de notre travail en
confiance en lui, qu’on pense qu’on a la méme vision artisti-
patisse, il faut que nous ayons le temps nécessaire a consacrer a
que, et que, par sa situation, l’agent est au courant de ce qui se
chacune des personnes que nous représentons.
crée, qu’il est en contact avec des metteurs en scéne, des pro-
ducteurs, des auteurs, des directeurs de théatre, des chaines de
Cahiers. Sur dix années, est-ce qu'il y a du mouvement, des
télévision, des sociétés privées de télévision. I] est au courant
départs et des arrivées ?
des projets, et il a sur eux un jugement artistique. L’autre
Livi, Il y a peu de mouvement, mais un renouvellement est information, c’est Vinformation économique, la connaissance
toujours nécessaire. On ne peut pas se satisfaire, dans le specta- de la personne avec qui nous aurons 4 traiter : qui est-elle, cette
cle, de voir toujours les mémes visages, dans tous les films, personne, cette société, quelle est sa solvabilité, de quelle facon
dans toutes les piéces de théatre, dans tous les programmes de Vaffaire sera-t-elle montée.,, Quand on vient vous parler d’un
télévision... Mais, dans ensemble, il y a peu de départs, et peu film, qui est un produit dent Pinvestissement se monte a plu-
d’arrivées. Cela correspond 4 une volonté de ne pas hypertro- sieurs centaines de millions d’anciens francs, il est indispensa-
phier notre société, pour lui conserver son efficacité. ble que Vagent posséde cette information, afin qu’il la commu-
nique 4 son mandant, assortie de son avis ou de son conseil. Il
Cahiers. Hy a une question esthétique, qui est de savoir, faut que les décisions soient prises en connaissance de cause.
quand vous décidez de représenter quelqu’un, si votre raison- Donec, une information double surtout dans le cinéma, ol
nement est plut6t : il va plaire au public, ou bien : nous allons économique et l’artistique sont étroitement liés.
ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS LIVI 39
Cahiers. Justement. Un producteur de cinéma, c’est Cahiers. C’est peut-étre un peu technique, mais, en somme,
quelqu’un dont l’activité est, disons, sporadique. Quand un il y a deux maniéres de concevoir les choses : la maniére que
film est en cours, il y a beaucoup d’argent qui circule, et puis, vous avez décrite, qui consiste & dire qu’il y a un salaire mini-
entre deux films, ca retombe un peu. Chaque film, comme on mum, plus une part de co-production, Et il y a une deuxiéme
dit, est un prototype ; on ite peut pas inférer du succés du pré conception, qui serait la suivante ; on raisonne sur un salaire
cédent au destin de celui qui vient. La fiabilité économique global, dont une partie est versée au moment du tournage, et
d’un producteur de cinéma n’est pas vraiment testable, il ne Vautre en fonction des recettes, quand elles arrivent. Ce n’est
peut pas y avoir d’appréciation purement économique. pas exactement identique, puisque le producteur, pour financer
son film, vend des parts de ce film. Dans le type de participa-
Livi. Absolument. I y a une part de confiance personnelie, il tion que vous décrivez, les acteurs ont des parts du film, et cela
y ala connaissance du passé des gens. Mais enfin, on ne parle réduit d’autant la marge de manceuvre du producteur.
pas dans le vague, on parle d’un film. La personnalité du pro-
ducteur est une chose, et le film en est une autre. Nous pouvons Livi, Si vous voulez qu’on parle technique...
poser des questions sur le financement du film, et aboutir trés
vite 4 une connaissance objective du projet. On sait, en particu-
lier les agents savent comment on finance un film, quelles sont Cahiers. Sides gens, qui sont vos ennemis, disent : Artmedia
les sources de son financement. Ca ne peut pas rester dans le fait monter les prix de revient, est-ce que ce n'est pas & cause de
flou artistique quoiqu’un film soit toujours une sorte de pari. ce genre de trucs ?
Livi. Artmedia ne fait pas monter les prix de revient. On
La participation des acteurs au financement croirait, & entendre certains, dont vous vous faites l’écho,
qu’Artmedia s’est donné pour mission d’illustrer la fable de la
Cahiers. I! y a une tendance, depuis quelques années, a ce Poule aux ceufs d’or... Nous nous flattons de n’étre pas de
quil y ait, dans le financement des films, une part d’engage- complets imbéciles. Ce qui nous importe, ce qui nous intéresse,
ment personnel des acteurs, sous forme de participation. Est-ce c’est de concourir 4 la fabrication de films qui marchent, et que
gu’Artmedia est pour ou contre ou ca dépend des fois ? les principaux responsables en recueillent les fruits. Or qui sont
les principaux responsables des films, aujourd’hui ? Trés sou-
Livi, Je veux vous en parler de facon extrémement précise, vent : les vedettes, les metteurs en scéne, les artistes. Sans eux,
extrémement nette. Je suis pour, nous sommes pour les partici- sans leur engagement, le film ne peut trouver de financement.
pations. Mais il faut s’entendre sur ce que signifie le mot « par- Vous dites : si on donne une part a lartiste, c'est autant du
ticipation ». Nous sommes pour a certaines conditions. Nous gateau qu’il distribue pour financer le film qu’on retire au pro-
sommes d’abord contre les participations pour des acteurs dont ducteur, Mais il y a toutes sortes de possibilités de participa-
Ja rémunération se situe aux alentours du minimum syndical, tion : elle peut étre au premier franc producteur, sur les pro-
ou méme un peu au-dessus. II est inacceptable de demander 4 fits, sur la recette distributeur aprés que celle-ci a atteint un cer-
une profession aussi difficile et cruelle que celle d’acteur d’étre tain niveau, sur les recettes brutes France, on peut la calculer
rémunérée au-dessous d’un minimum que nous considérons sur le nombre d’entrées, en région parisienne ou sur toute la
commie vital. Il n’est pas question, pour nous, d’encourager ces France, ou sur les recettes globales, France et étranger, ou
procedés — et c’est un combat que nous entendons mener. Par méme sur le montant de [’Aide, qui peut étre considérée
contre, il y a les autres cas, c’est-a-dire les comédiens, les comé- comme une recette. De deux choses Pune : ou le producteur a
diennes, dont apport artistique est augmenté d’un apport éco- les possibilités de financer le film, ou il ne les a pas. Il parle a
nomique important. Leur engagement permet au producteur des gens qui connaissent leur métier. Si la participation d’un
de financer Je film, ou une partie du film. Dans ce cas, je suis acteur risque d’empécher Je financement du film, il y aura
pour les participations, donc pour que la rémunération de négociation, et cette participation se trouvera décalée. A partir
V’artiste soit scindée en deux : une partie garantie, et autre en du moment ot nous possédons les informations, la question ne
participation, sous forme de part dans la co-production, que se pose pas longtemps. D*ailleurs, il faut remarquer que, dans
nous calculerons en fonction des composantes que nous aura les cing derniéres années, alors qu’on nous parle d’inflation, la
fournies le producteur. Voild pourquoi nous avons besoin masse salariale dans les budgets des films a baissé de 25 %.
d’une information précise sur le financement des films : nous Prenons l’exemple de La Banquiére, avec un budget de 16 mil-
voulons savoir exactement 4 quoi correspond la mise de lions, les comédiens, les auteurs, représentent moins de 3 mil-
Partiste. Et il s’ajoute 4 cela, pour reprendre ce que vous disiez lions de francs. Qu’on ne vienne pas nous dire que c’est 4 cause
tout 4 Vheure, une appréciation subjective et objective de la du prix des artistes que les films ont du mal a se faire ! Le coit
personnalité du producteur. Pour qu’il y ait participation, il de la fabrication des films n’a cessé d’augmenter, tandis que la
faut étre deux : celui quia une participation, et celui qui doit la rémunération globale des acteurs, actrices, metteurs en scéne,
respecter, en l’occurence le producteur. Il faut que celui qui auteurs est restée stationnaire, ce qui veut dire qu'elle a baissé,
doit la respecter la respecte effectivement ce qui n’a pas tou- puisqu’elle n’a pas suivi le mouvement de cette inflation galo-
jours été le cas, loin s’en faut. On s’est plaint que peu de parti- pante,
cipations aient été acceptées, notamment par des gens représen-
tés par Artmedia, done conseillés par Arimedia. Mais c’est
parce que, 4 juste raison, nous n’avions pas confiance dans la Les producteurs perdent initiative
fiabilité des gens avec qui nons traitions. Je n’en fais pas une
généralité. Mais si un acteur a une participation importante
Cahiers. Est-ce gue vous pensez que les producteurs font
dans un film, que ce film soit un succés, et qu’il n’en recueille
bien leur métier ?
aucun fruit, c’est tout le systéme qui s’effondre. Croyez-vous
qu’ensuite il acceptera de participer 4 un nouveau film ? Non, Livi, Il faut se garder de toute généralisation. Si un produc-
et nous le comprenons. Donc, pour nous, et pour la bonne teur, aujourd’hui, trouve un sujet, prend les droits de ce
santé du cinéma, nous devons étre trés exigeants, et demander, sujet, engage un auteur, fait faire un premier scénario... il
si nécessaire, des garanties draconiennes, pour que les partici- est sur la voie de produire un film. ll prend la responsabilité de
pations, en tout état de cause, bénéficient 4 ceux qui en ont pris ce film. Ces producteurs-la, j’en souhaite une multitude. Plus il
le risque. y en aura, mieux la production et mieux le cinéma se porteront,
40 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
et, par voie de conséquence, Artmedia. Mais combien y a-t-il facile en effet de travailler avec des gens qui ont des idées, des
de producteurs qui, aujourd’hui sont des promoteurs, des ces- sujets, prennent des initiatives, engagent des auteurs, achttent
sionnaires de droits, qui engagent des auteurs, qui cherchent, des bouquins, font se rencontrer tel acteur et tel metteur en
qui prennent des risques ? scéne. Mais qu’on ne vienne pas nous dire, comme on le fait :
est-ce que vous n’avez pas un sujet dans vos tiroirs ? Si un pro-~
ducteur n’apporte rien, excepté son titre, pourquoi se lier avec
Cahiers. Z/ y a eu, dans le Film frangais, une interview lui? Et je ne parle pas seulement d’argent, je parle aussi
d’Alain Sarde, qui est un producteur tres actif. Il dit : je fais un d’apport artistique, d’apport de jugement, de connaissances...
film de Boisset, je fais un film de Sautet. Si Sautet vient me Croyez-vous que Francois Truffaut ne soit pas un bon produc-
trouver, je ne me tiens plus de joie, je n’ai de cesse d’avoir fait teur ? Que Claude Zidi, que Pierre Richard, qu’Henri Verneuil
son film, En d’autres termes, il ne prend pas l’initiative, Est-ce ne sient pas de bons producteurs ? Je ne vois pas comment on
que vous diriez qu’il compléte le tableau afftigeant que vous pourrait critiquer leur activité. Je ne veux pas que mon inter-
étes en train de peindre ? vention apparaisse comme une intervention anti-producteurs.
Livi. Je ne donne pas un tableau affligeant des producteurs. Je ne souhaite qu’une chose : que les producteurs reprennent
J’ai un trop grand respect du métier de producteur, et je me initiative perdue, et qu’il y en ait un trés grand nombre et
garderais bien de toute généralité. Je ne reviens pas sur la con- qu’ils soient les promoteurs et les ferments du cinéma de la pro-
sidération que je porte 4 un certain nombre de producteurs. chaine décennie.
C’est un métier difficile. Quand vous me parlez d’ Alain Sarde,
je crois que vous faites une erreur. Vous dites : Sautet vient le Cahiers. Mais que s’est-il passé, historiquement, qui leur a
trouver, ou Boisset ou un autre, ou Bertrand Blier. Si ces réali- fait perdre Pinitiative ?
sateurs, qui ont une position importante, décident de travailler
avec Alain Sarde, c’est qu’ils ont le sentiment qu’il leur apporte Livi. Il y a peut-étre des questions de personnes. Je ne peux
ce qu’ils en attendent : un travail de promotion, doublé d’une pas en juger. Le phénoméne nouveau, c’est que d’autres ont
mise de fonds, — puisqu’il y a contrat, et exécution du con- combjé Je manque, en prenant eux-mémes J’initiative.
trat — et choix d’auteurs... Que le producteur fasse ce travail Lorsqu’un metteur en scéne-vedette, lorsqu’un acteur-vedette,
non pas seul, mais avec le metteur en scéne, je n’y vois stricte- s’apercoit que son apport, a lui, permet d’assurer le finance-
ment aucun inconvénient. ment et la responsabilité artistique et économique d’un film,
pourquoi ferait-il appel a un producteur ? D’ailleurs, nos auto-
rités de tutelle, le Centre du Cinéma, le ministére de !a Culture,
Cahiers. /f ne s’agit pas de mettre Alain Sarde en cause. Ht recommandent cette prise de responsabilité.
s’agit de dire - c’est un producteur dynamique, mais, au fond,
il se contente de recevoir, disons, Yves Boisset, qui vient avec
Artmedia producteur ou pas ?
son sujet, le traitement de ce sujet, et dit: je veux tel et tel
acteur... ff ne prend pas linitiative.
Cahiers. Qu’est-ce qui se passe, ators ? Hs s’oceupent eux-
Livi. De quoi certains producteurs se plaignent-ils, si c’est mémes du financement des films ?
aussi simple que ¢a ?
Livi. Attendez : nous parlons d’Artmedia. Pour ce qui nous
concerne, nous sommes les représentants de ces personnes,
Cahiers. Sans connaitre parfaitement le milieu, j’ai Vimpres- nous les représentons dans leurs activités artistiques, et dans
sion qu’ils se plaignent parce que le cinéma s’équilibre en ce leurs activités économiques, c’est-a-dire également dans leurs
moment du cété des agents, et du c6té des circuits de satles. Les activités de producteurs. Nous nous efforgons donc de trouver
producteurs se sentent un pey le maillon faible. L’ initiative leur jes sources de financement nécessaires 4 la production du film.
échappe. Voila ce que nous faisons — pour leur compte, pas pour le
nétre. Bien évidemment, nous ne le faisons pas gratuitement.
Livi. Hélas | oui, Vinitiative tend 4 échapper aux produc-
teurs. Mais écoutez : il y a des gens qui ont compris que leur
nom et feur valeur commerciale au box-office, leur permet- Cahiers. Au fond, pour résumer, ce n’est pas tellement parce
taient de financer leurs propres films, sans l’intervention d’un que vous en avez eu envie, c’est parce que les gens dont vous
producteur. Et ils ne s’en sont pas privés. Et nous, leurs agents vous occupez sont obligés de prendre Vinitiative que vous étes
artistiques, nous les avons encouragés. C’est sans doute ce qui amenés & intervenir indirectement dans la production...
irrite un certain nombre de producteurs, qui ont été incapables Livi. Attention aux mots gqu’on emploie, car ils sont bré-
de suivre l’évolution du cinéma. Je crois que c’est aussi simple lants. Si nous avions décidé d’étre producteurs, jespére que
que ca. Et ceux qui en ont été capables, ce sont ceux qui conti- nous aurions prouvé certaines capacités dans l’exercice de ce
nuent de produire. Les bons producteurs, les vrais produc- métier. Mais nous avons choisi d’en exercer un autre. C’est
teurs, il y en a peu mais ils existent. Si je reprends l’exemple vrai, il y a un certain manque d’ initiative de la production fran-
d’ Alain Sarde, dont vous parliez tout 4 Vheure, je pose la ques- caise, et nous faisons un travail qui, normalement, devrait étre
tion : pourquoi les autres n’en font-ils pas autant ? Je crois fait par les producteurs. C’est, trés naturellement, 4 cause de la
pouvoir répondre : c’est qu’ils n’y arrivent pas. Les gens ont nouvelle fagon qu’ont les gens que nous représentons de pren-
envie de travailler avec Alain Sarde, et pas avec eux. Il y a sfire- dre leur destin en main.
ment une raison. Nous pouvons citer des noms de produc-
teurs qui, 4 une époque, avaient une position trés forte. Il y en
a encore aujourd’hui. Il y en a peu, mais ils produisent, et ils Cahiers. Est-ce que l’effacement de la production ne crée pas
prennent des risques. Et ce ne sont pas, en général, des oppor- un déséquilibre ? Les producteurs intervenaient sur le produit,
tunistes ; ce sont des gens qui ont des idées, qui ont des certitu- ils aidaient le réalisateur, ils faisaient converger, chacun @ sa
des, qui savent ce qu’ils ont envie de faire, qui font des choix, maniére, des envies, des désirs, qui venaient des acteurs, des
qui appliquent une politique. Et nous nous féliciterions tous auteurs, des réalisateurs, Est-ce qu’il n’y a pas un danger de
qu’il y ait beaucoup plus de producteurs actifs qu’il n’y en a standardisation du produit culturel ? Le danger que plus per-
actuellement. Ca simplifierait notre tache. C’est beaucoup plus sonne, sauf le metieur en scéne, ne reconnaisse Partisanat de
ENTRETIEN AVEC JEAN-LOUIS LIVI 41
Fabrication ? Je sais qu’il y a, chez vous, de trés bons metteurs Livi, C’est une évolution qui va au détriment de Ja recherche.
en scéne, qui sont vigitants sur la qualité esthétique... Aux Etats-Unis par exemple, on est surpris qu’il existe si peu de
films & petit budget. I] y a une explication 4 cela, parmi
Livi. ...et a partir du moment of ces metteurs en scéne ont
d’autres : les frais d’édition (copies et publicité) ont atteint un
droit 4 une décision plus grande, c’est la meilleure garantie
tel niveau qu’ils représentent parfois plus que le prix du film.
contre le danger de standardisation.
En conséquence, les Majors companies préférent dépenser ces
frais d’édition pour des films dont le budget semble en rapport
Cahiers. C’est dane le metteur en scéne qui joue le réle déci- avec ces frais. II y a bien sir des exceptions, comme Kramer
sif!
contre Kramer. En France, nous n’en sommes pas encore la, Il
Livi. Vous avez raison sur un point : le metteur en scéne est se tourne quand méme des films 4 petit budget, mais de moins
le maitre d’ceuvre. I] est comme un capitaine qui doit conduire en moins. Je crains que cela ne s’aggrave, si ces films ne trou-
le navire 4 bon port. Quand le film commence, il devient le pre- vent pas d’autres sources de financement que celles en vigueur.
mier responsable du film. Il est donc normal qu’il ait une trés La, la télévision a une carte a jouer, elle l’a déja jouée sur cer-
grande importance. Il se trouve qu’en France, il a une impor- tains films, d’ailleurs.
tance encore plus grande, parce qu’il est trés rare qu’un projet
commence a voir le jour sans son intervention. Alors qu’aux Cahiers. Par la diffusion, ou par Vapport en co-
Etats-Unis il est courant qu’il y ait eu déja plusieurs versions du production ?
scénario, et méme plusieurs acteurs engagés, avant que le met- Livi. Par apport en co-production, et par la diffusion aussi.
teur en scéne soit contacté. D’ailleurs, en France la loi Mais il y a évidemment danger, pour Ja télévision, 4 proposer
reconnait au metteur en scéne une double activité : il est a la au plus grand nombre de télespectateurs, des films qui ne cor-
fois technicien salarié, et auteur, comme mattre d’ccuvre du respondent pas 4 ce qu’ils attendent d’elle.
film,
Cahiers. Pensez-vous que l’évolution de exploitation fla
La question du premier film circuitisation, apparition des multi-salles...) a été le facteur
décisif ?
Cahiers. Hy @ une question qui est en train de devenir quasi-
polémique ; c’est la question du premier film, Livi, Bien entendu. Mais ce n’est pas la seule cause. C’est
une évolution générale. L’argent est plus cher, il faut qu’il cir-
Livi, C’est une question trés grave. Une des caractéristiques cule plus vite — c’est une des raisons de I’ exploitation intensive
de la décennie qui vient de s’achever, c’est qu’il y eut beaucoup des films. La prolifération des écrans aussi, Cela dit, sortir un
de films, d’un budget trés limité, qui ont permis de découvrir film dans plusieurs dizaines de salles, c’est donner aux gens la
de nouveaux talents. Des talents d’acteurs, mais aussi des possibilité de le voir rapidement, et ca n’est pas un mal. ly a
talents d’auteurs et de metteurs en scéne. Malheureusement, aussi la notion d’événement. Pour que le public aille voir un
ces films-la, qui n’exigeaient pas de grosses mises de fonds, ten- film, aujourd’hui, il faut que ce soit plus qu’un film, il faut que
dent a disparaitre, Le film devient de plus en plus un produit, ce soit un événement. Et, par définition, un événement, ca ne
et son exploitation de plus en plus rapide. Auparavant, la car- dure pas, ¢a dure d’autant moins que l’explosion des media a
riére d’un film s’étendait sur plusieurs mois. A présent, elle se rendu l’événement encore plus fragile, encore plus éphémére, 1
fait en quelques semaines. Il faut qu’il y ait, dés le premier y a des exceptions. Le dernier métro, Mon Oncle d’Amérique,
jour, un afflux de spectateurs, Et pourtant, ce n’est pas parce en sont 4 leur n-iéme semaine d’exclusivité. Mais la plupart des
que peu de gens vont voir un film le premier jour que ce film est films, voyez le Ciné-chiffres, font le plein en sept ou huit
mauvais. On ne peut pas, dans notre profession, se baser sur semaines d’exploitation, ca n’est pas d’une folle gaieté — mais
Venvie a priori prétée au public d’aller voir tel ou tel film : 1a, cest comme ca.
on arriverait vite 4 la standardisation des produits, on ne ver-
rait jamais que le film qui a marché précédemment, on ne ten- L’avenir radieux
terait jamais d’explorer d’autres voies. Je vais vous donner un
exemple : quand Z est sorti, dans un circuit qui n’était pas Cahiers. Pour vous, Artmedia, quelles en sont les consé-
énorme, mais quand méme relativement important, il a totalisé quences pratiques ?
17 000 entrées dans la semaine. Aujourd’hui, un film qui fait
17 000 entrées dans la semaine est condamné. Et Z a fait plus Livi. C’est qu’il faut aider les films. Aider les films a se faire.
de 700 000 entrées, parce qu’il a eu une exploitation suffisam- Faire en sorte qu’ils soient les meilleurs possibles. Ensuite, il y
ment longue. Aujourd’hui, quel que soit le film, son exploita- a quand méme des motifs d’espoir : c’est que le film, qui était
tion est bréve. Donc, de plus en plus, le lancement d’un film est une matiére mortelle, devient une matiére vivante, grace 4
important, l’affiche d’un film est importante. De plus en plus, exploitation audio-visuelle dont il bénéficie déja, et dont il
tout le marketing attaché 4 un film est important. Tout ces élé- bénéficiera de plus en plus. Il y a dix ou quinze ans, l’exploita-
ments sont devenus prépondérants. tion par les télévisions ne représentait presque rien. Elle a pris
aujourd’hui une grande importance. Maintenant, on com-
Cahiers. Le lancement d’un film cotite cher. Donec, ca veut mence 4 diffuser les films par vidéo-cassettes, et puis nous
dire que les films qui ne peuvent pas se payer ce lancement allons avoir les vidéo-disques, les satellites... Les bons films
n’ont pas de place... . vivent longtemps. C’est un investissement, meilleur que l’or !
Parce qu’un film qui passe a la télévision, quand il est apprécié,
Livi. Oui et C’est regrettable. peut passer souvent. Il y a eu récemment un cycle Pagnol. Tous
ces films, nous les avions déja vus, plusieurs fois déja. Ca ne
Cahiers. Afors gu’on avait pu espérer, au cours des années nous a pas empéchés de les revoir, et avec quel bonheur ! Vous
soixante, grace a l’allégement de la technique, qu’on pourrait rendez-vous compte que plusieurs millions de personnes ont vu
faire des expériences, faire des films bon marché, on retombe un film tourné en 1935, ov en 1936, un film toujours
dans un systéme qui fait que ce qu’on a gagné au tournage, on vivant... ? C’est pour cela, et nous en revenons A l’essentiel de
le perd @ la sortie, parce que le « droit d’entrée » sur le marché notre entretien, que nous disons que ce sont les responsables du
est trés élevé... film qui doivent en assumer les responsabilités, toutes les res-
42 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
ponsabilités. C’est pour cela que le metteur en scéne, que les gralité de ses droits ! Un film a deux propriétaires : Je proprié-
acteurs doivent étre particuligrement vigilants sur leurs choix. taire du négatif c’est le producteur. Mais le propriétaire de
Vceuvre artistique, c’est l’auteur. Pourquoi voudriez-vous que
Cahiers. Vous semblez dire, et c’est pour nous, aux Cahiers, le propriétaire de l’ceuvre artistique n’ait plus aucun droit sur
quelque chose de nouveau, que le cinéma francais serait un bon son ceuvre ?
cinéma d’acteurs...
Cahiers. Ce n'est pas la position des producteurs...
Livi. Je voudrais que ce soit un bon cinéma d’acteurs, je
voudrais que ce soit un bon cinéma d’auteurs. Qu’on ne dise Livi. Je ne comprends pas la position de certains produc-
pas quw’il y a antagonisme entre les acteurs et les metteurs en teurs. Ils nous accusent d’étre un agent inflationniste notam-
scéne, quand il s’agit de création. Il y a complémentarité. Un ment en matiére de rémunération des auteurs. Un contrat-type
bon acteur ne peut s’exprimer que dans un bon script, et il en d’essence défiationniste — puisqu’il tend a supprimer la rému-
va de méme pour un metteur en scéne. Avec de bons acteurs, nération forfaitaire de l’auteur au départ, en I’intéressant aux
un bon script, un bon metteur en scéne fera de trés bons films. diverses exploitations du film — est rédigé par la SACD et
On ne peut pas les dissocier. Vous avez parlé d’uniformisation, les... producteurs. Artmedia applique ce contrat et les produc-
tout 4 ’heure. Le but d’Artmedia n’est pas d’aider des films teurs le dénoncent ! C’est incohérent. Je voudrais que vous
qui se ressemblent tous, parce quw’ils marchent. Ce serait une sachiez que la part de l’auteur dans le budget d’un film est, ne
erreur fondamentale, méconnaitre toute l’histoire artistique. disons pas dérisoire, mais minime. Nous parlions de La Ban-
On ne peut pas dire : « c’est simple : voyons les films qui ont quiére, tout a Vheure — il doit y avoir en tout 500 000 francs
marché, relisons les scénarios, prenons les idées de base, met- pour les auteurs sur un film de seize millions de francs. Calcu-
tons le tout dans un ordinateur, et nous aurons le scénario-type lez : ga fait moins de trois pour cent. Et c’est pourtant grace
qui va marcher ». C’est une aberration. Ou bien : « faisons un notamment aux auteurs qu’on construit les films. S’il y a aussi
sondage, demandons aux spectateurs ce qu’ils veulent voir, une peu d’auteurs, ce n’est pas seulement pour une question de
comédie, un drame, qu’ils citent des noms, des titres de films, talent, c’est aussi qu’il est difficile, pour un auteur, de subsis-
et nous saurons quel film produire.., ». C’est encore une aber- ter, en attendant que le film se tourne. Qui est au départ ?
ration, parce qu’on enléve, justement, ’élément créateur. La C’est Pauteur. Qui écrit ? C’est auteur. Alors, si auteur est,
qualité de l’artiste — je ne vais pas remonter aux poétes, mais par la suite, intéressé 4 la marche du film, a ses exploitations je
aprés tout pourquoi pas — c’est de créer quelque chose dont le ne vois 1a que justice. Vous étes contre ?
public potentiel ze sait pas qu’il l’attend, mais qui sera une évi-
dence quand on le lui présentera. Il y a des films pour grand Cahiers. On essaie de comprendre. A priori, nous sommes
public, et des films pour un public moins large. Mais de toute plut6t du cété des auteurs...
facgon, un film est fait pour un public, il est fait pour étre vu.
Livi, Bien sir, pour certaines personnes, nous sommes res-
Faisons done des efforts pour qu'il soit vu volontiers.
ponsables de tous les maux... Il faut bien qu’ils trouvent un
responsable ! On attire naturellement l’attention sur les résul-
tats de tels films qui marchent, et on oublie de parler de notre
Les droits d’auteur activité sur des films qui ont moins bien marché. C’est ainsi,

Cahiers. Les producteurs disent : on ne s’en sort plus avec Cahiers. Quels sont les risques du conflit ?
les recettes de l’exploitation en salles et les ventes & Il’étranger.
On a besoin des recettes qui viennent de la télévision, et de cei- Livi. Avec les producteurs ?
les qui vont venir des vidéogrammes. Et Ia, ils se heurtent @
Artmedia, qui exige, disent-ils, des droits d’auteur mirobo- Cahiers. Le ton @ Pair assez hargneux, ld.
fants... Livi. Les risques du conflit ? Probablement le ridicule, pour
Livi. Ah ! celle-la, je l’attendais ! ceux qui l’ont déclenché.

Cahiers. ...e¢ donc, pour conclure, les prive d’un finance- Cahiers. Pouvez-veus dire un mot de vos rapports avec les
ment indispensable. Et je pense que c’est vrai, qu’il y a, de ce chaines de télévision ?
point de vue, une sorte de lutte entre les gens que vous repré-
Livi, Ils sont bons. Les chaines de télévision prennent de plus
sentez et les producteurs,
en plus importance dans le financement des films, elles en
Livi. Heureusement ! Croyez-vous que nous serions attaqués prendront, a Pavenir, encore plus, 4 cdté des distributeurs qui
comme nous le sommes ? Bien sér, il y a une lutte, Artmedia sont, heureusement, toujours présents.
défend les intéréts des auteurs et des interprétes, Nous voulons
que les gens que nous représentons puissent vivre le mieux pos- Cahiers. Imaginons que lun de vos mandants prépare un
sible. Mais nous voulons surtout que le cinéma frangais vive le film. Est-ce que vous prenez contact avec les chaines, pour voir
mieux possible. Le débat porte sur les intéressernents que les si elles seraient intéressées ? C’est &@ la limite le réle d’un pro-
auteurs demandent sur leurs ceuvres. Vous ne trouvez pas ¢a ducteur...
légitime, vous ? Un auteur de théatre pergoit douze pour cent
Livi, C’est le réle d’un producteur, s’il y a un producteur.
de la recette brute — et un auteur de cinéma n’aurait pas droit
Sinon, et si le film est produit par quelqu’un que nous repré-
a un pourcentage sur !’exploitation de ses films par les moyens
setitons, nous le représentons aussi dans ses rapports avec la
audio-visuels ? Pourquoi ? Au nom de quoi en serait-il privé ?
télévision, et nous prenons contact avec elle.
Cahiers. Au nom des nécessités du financement des films...
Livi. Mais savez-vous ce qui se passe, actuellement ? Le prix
de cession du film a la télévision entre dans le financement du
film sans que l’auteur n’ait a y voir, L’auteur, bien sfir, tient 4 (Entretien réalisé par Guy-Patrick Sainderichin et Serge
ce gue le film soit financé. Il ne va pas, pour cela, aliéner l’inté- Toubiana, le 20 mars 1981).
UNE ENQUETE NATIONALE
Télérama /( 224 /soscsio
LES FRANCAIS ET LE CINEMA
Pourquoi va-t-on au cinéma ?
Pourquoi n’y va-t-on pas?
Pourquoi voit-on tel film et pas tel autre ?
La télévision fait-elle encore concurrence au cinéma ?
Quels sont les acteurs préférés du public ? etc.
Des chiffres, des résultats que tous
les professionnels attendent depuis plus de 15 ans.
Rendez-vous les 19 et 20 mai:
sur l’antenne de TF 1 et dans Télérama.

- Télérama
Atelice

le premier hebdomadaire francais du cinéma


FILM/ VIDEO SECTION
77 Massachusetts Avenue, Cambridge, Massachusetts 02139
Telephone (617) 253 1606

February 27, 1981

Jean Pierre Beauviala

250 West 57th Street


New York, New York 10019

Dear Jean Pierre:

About a year ago my son Robert bought an Aaton camera, and I told him that
I thought it foolish to spend so much money on a camera that "doesn't make
better pictures than any other camera . . .”

Recently, I had the misfortune to film with two cameras--the other cameraman
was Jeff Kreines with his Aaton. A week later, I worked with my son Robert
with his Aaton. Two weeks later I saw our rushes. The next day I bought my
Aaton, to which I am now fervently married.

This is my confession, and my thanks.

aks ven Le

Richard veaoke A
Professor K 4
oe
RL/dlb x « Ly g

Du M.I.T. ume lettre de Richard Leacock


|
Leacock ne justifie sa chute
Sous le charme de la caméra AATON LTR
que par la plus grande définition des
‘images qu’elle lui donne.
|

Et nous qui croyions avoir


-construit la caméra la plus confortable a
l’épaule,
inventé le viseur le plus précis,
-atteint le plus profond silence dans une
“machine a l’immarcescible fiabilité!

Depuis la capture de Ricky Leacock


PAATON LTR est désormais aux prises
avec tous les grands pionniers
du cinéma direct,
Michel Brault
Québecois (janvier 1980)

Richard Leacock
Massachusettien (fév.1981)

Albert Maysles
New-yorkais (mai 1980)

Jean Rouch
Franco-nigérien (1978)
Dillinger est mort, de Marco Ferreri
ENQUETE SUR LA PRODUCTION

ENTRETIEN AVEC MICHEL PICCOLI

Hi n'est pas nécessaire de présenter Michel Piccoli au lecteur. Mais celui-ci ne sait peut-étre pas qu’il est, parmi les acteurs,
un des premiers ¢ avoir mis un pied dans la production de films ; il a commencé avec La grande bouffe de Marco Ferreri,
et poursuivi, avec d’autres réalisateurs, P'expérience d’acteur-producteur. Nous voulions connaitre son point de yue sur les
problémes actuels de la production. L’état d’esprit dans lequel il les aborde différe sensiblement de celui qui anime les
professionnels rencontrés au cours de cette enquéte.

Cahiers, Nous avons le sentiment qu’il ne s’est pas passé, du et nous, qui ne sommes plus capables de faire quoi que ce soit !
point de vue esthétique, des choses aussi fondamentales, ces C’est une espéce d’autodestruction qui existe, a tous les éche-
dix derniéres années, que durant la décennie précédente. Qu’il lons. C’est grave. Une espéce d’abandon, de peur que le public
ne s’est pas non plus passé grand chose au niveau technique. n’aime pas. Comme le public est de plus en plus sollicité, avec
Par contre, il nous semble qu’il s’est passé des choses dans la les quinze films qui sortent chaque semaine ! De ce fait,les
production, avec des changements de pouvoir importants. films se tuent les uns les autres, il y a comme une guerre, a qui
poussera ’un ou l’autre. Elle se passe au niveau des program-
Michel Piccoli. C’est vrai. Je crois que le pouvoir est revenu
mateurs qui placent les films comme des pions, suivant les sal-
complétement aux exploitants, A quelques distributeurs, au
les, elle se passe aussi au niveau de la production ou de la distri-
vedettariat et 4 l’esbrouffe fantastique de la cavalerie de
bution. On peut dire tout ce qu’on veut de Toscan du Plantier,
Pargent, au box-office de plus en plus impitoyable qui con-
mais c’est quand méme une sorte de créateur dans le cinéma. Je
cerne tout le monde, Ceux qui font les films et les spectateurs
qui les regardent. vois beaucoup de gens (jeunes ou vieux), tous me disent :
« Ah, je vous apparte ce projet, je vais le donner a lire 4 Gau-
mont, untel de Gaumont est intéressé. » Ils doivent étre sub-
Cahiers. C’est ce gui ressort de notre enquéte : que le public
mergés, avoir cent projets sur leur table, plus les leurs. C’est
aime les vedettes, donc que tes films se montent grace a elles,
effrayant.
on engage des réalisateurs-maison, des auteurs, et on se passe
des producteurs. Ceux-ci n’ont plus Vinitiative, ils ne font plus Cahiers. N’y a-t-il pas une trop forte concentration, un
leur travail... : « goulot d’étranglement » ? On sent chez vous une yolonté de
Michel Piccoli. D’abord, il y en a beaucoup qui sont des maintenir une certaine liberté, un plaisir de jouer, sans étre pris
margoulins, des fabricants de films sans aucune passion de ce dans cette espéce de course & l’argent. Conunent y arriyez-
quw’ils font, sans aucune passion de |’auteur, ou du réalisateur, vous ?
ni de leur sujet. Ca n’existe plus, les producteurs-poétes ou les Michel Piccoli. Je ne suis plus esclave du systéme du box-
producteurs-joueurs, joueurs pour créer quelque chose, méme office. Je fais partie pour parler clairement, des vedettes, mais
du grand spectacle, et qui pouvaient travailler 4 long terme. Ils je ne fais pas partie des quatre ou cing vedettes commerciales
sont tous, nous sommes tous coincés. Les grands ont disparu ; sur lesquelles on monte un film. J’ai toute ma liberté, ca me
les moyens, les petits, ceux qui ont fait faillite et qui renaissent, donne la possibilité de choisir puisque je ne cours pas aprés la
tous sont aux aguets d’un financement qui passe par le juge- premiére ou la quatriéme place au box-office. Peu m’importe
ment des exploitants et des trois grands circuits de salles. Et de casser les prix, certains me l’ont reproché, ou de faire des
aussi des chaines de télévision, qui bien sir sont un ballon choses non commerciales, dangereuses, qui pourraient nuire &
d’oxygéne, mais qui immposent une autocensure. Il y a une auto- ma carriére. Toutes les choses que j’ai faites et qui étaient cen-
censure de nous tous, 4 tous les échelons, commandée par sées nuire 4 ma carriére, m’ont au contraire enrichi, permis de
Vargent et par la crainte de ne pas faire aussi bien que les Ita- rencontrer des personnes nouvelles. J’ai fait par exemple, il n’y
liens ou les Américains. Il y a une espéce de maladie, qui tou- a pas longtemps, un cotrt métrage avec un cinéaste qui se
che aussi la critique: Ah, le cinéma italien, c’est tellement nomme Frédéric Compain ; il voulait faire un long métrage
beau, le cinéma américain, le cinéma de Ray, le cinéma indien, depuis trés longtemps, il n’a pas réussi, je devais le faire avec
48 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
lui et if est tombé sur des producteurs qui le faisaient marcher, dinaire, qu’on devient milliardaire. Tout le monde a été
rien n’existait. Le film ne s’est pas fait, mais il a pu faire un échaudé par des producteurs qui ne veulent absolument pas
court métrage et j’ai tourné avec lui. Si je dis ca A un exploi- qu’on mette le nez dans l’engrenage de ce qu’ils savent faire,
tant, un distributeur, un producteur ou un agent, ils me diront parce qu’ils pensent que nous sommes des espions, des casseurs
« ah, quelle folie de faire ¢a, vous allez vous tuer, vous cassez de systéme.
le systéme, qu’est-ce que ca va vous rapporter ? ». Ca rap- Par exemple si je dis A mon producteur, puisqu’on travaille
porte des choses inestimables, qui n’ont pas de prix, de ensemble, en participation, est-ce qu’an ne pourrait pas faire,
connaitre quelqu’un qui a de la passion. Et je me suis apercu avec le devis du film, un plan qui nous dirait combien d’entrées
qu’il savait tourner, et lui s’est apercu qu’il savait diriger des il faudrait pour rembourser le film et, aprés, avec l’argent qui
acteurs. Il existe, ce court métrage. C’est mieux que de pleurer, rentre, faire les partages : s’il rentre un franc, on se partage ce
ou d’attendre toujours le miracle, fe miracle que Lautner puisse franc, s’il rentre un milliard, on se partage un milliard. Ils
faire un film superbe. Ils courent tous aprés ce miracle : « Ah, disent que ¢a ne s’est jamais fait, que ca ne peut pas se faire. Il
si Lautner pouvait faire un film de Scorsese, de Bellocchio, ou mest arrivé de demander 4 un comptable qui travaillait dans le
de Ray, ah, ca va arriver ! ». Il fait ce qu'il sait faire et voila. cinéma de faire ce calcul, en tenant compte du prix total exact
Ce n’est pas Lautner qui encombre le cinéma frangais... Si on du cotit du film pour connaftre le seuil de rentabilité. Etude
voyait tous les mauvais films italiens, américains, ou du monde prévisionnelle entre ce cofit, le prix des places et le nombre
entier et qu’on ne voit pas, on serait affolé de voir toutes les d’entrées qui détermine fe seuif de rentabilité. Je ai montré a
cochonneries du cinéma. Il y a une espéce de panique devant un producteur, il m’a dit qu’il n’y comprenait rien, je lui ai dit
ca. En ce moment c’est l’horreur, les gens s’envoient des lettres moi non plus, rien... mais c’est un expert comptable qui l’a
d@insulte, c’est la course au pouvoir, Untel dit que Untel est fait, il peut nous expliquer. D’ailleurs quand il m’a expliqué,
affreux, c’est une guerre épouvantable pour avoir le pouvoir... aprés, j’ai compris. Je n’en ai plus entendu parler car le pro-
ducteur voulait que j’aie 1 F 50 par billet au-dela de 250 000
entrées sur Paris. J’ai dit d’accord, mais es-tu sir qu’a 250 000
Cahiers. Le pouvoir sur quoi ? entrées ton film est amorti, qu’on gagne de l’argent ? Il a
répondu « je ne sais pas ». Si tu ne sais pas, c’est de la folie,
Michel Piccoli. Devenir Pempereur du cinéma, le grand comptons les entrées nécessaires pour rentabiliser le film. Et
Manitou, tout contréler. Moi je suis complétement indépen- j’ai dit : « 1F50 sur la France, il n’y a pas que Paris, il y a des
dant parce que je fais des choses trés diverses. Je n’ai pas honte spectateurs en province ». Il m’a répondu : les calculs sont
de faire Dillinger est mort avec Ferreri, alors que des gens haut trop compliqués, et si ca marche tu gagneras plus que moi avec
placés m’avaient dit : « Ne fais surtout pas ¢a, il ne faut pas Taide. Je lui ai dit « c’est un risque a courir, non, tant mieux si
faire ca, ca ne veut rien dire, c’est dangereux, et puis c’est un je gagne plus que toi, ou si Untel gagne autant ». Vous com-
film politique, méchant, dégoftant, et quic’est Ferreri ? ». Ca prenez. Mais les gens ne pensent qu’au coup par coup. Soit on
continue encore aujourd’hui. J’ai une passion pour Ferreri, donne six semaines 4 un metteur en scéne et trés peu d’argent
mais encore maintenant, je ne vois pas quel serait le producteur parce qu’on n’en trouve pas plus, ou alors on monte des coups
ou le distributeur qui dirait « ch bien, on va faire faire un film 4 des prix fantastiques, extravagants. Ils en sont encore a des
4 Ferreri ». Ferreri est un bon exemple. II fait seul. Alors on le salaires qui peuvent atteindre 200 millions, 50 millions pour le
traite de malin. Heureusement pour lui. producteur délégué, 60 millions pour l’auteur. Cela fait un
film de 1,8 milliard. Et on dit c’est terrible, ca ne va pas étre
Cahiers, Ferreri est peut-€tre un des derniers auteurs apparu rentable. Mais cela se fait, parce qu’il y a un mythe encore qui
dans les années 60. veut que plus on dépense d’argent, plus on en gagnera. Ce n’est
Michel Piccoli. Ces juges ni créateurs, ni fabricants de quoi plus vrai.
que ce soit qui disent qu’il s’essouffle ! Dans tous les films de
Ferreri, il y a toujours une dynamique extraordinaire, des per- Cahiers. Certains acteurs sont trés bien payés, mais tout le
sonnages merveilleux, c’est déjé énorme, non? Pour moi, monde dit que cela garantit une recette-pudlic.
Doillon est une révélation. Je dis ceci d’autant plus que Michel Piccoli. ly en a si peu qui garantissent des recettes :
lorsqu’il est venu me voir pour tourner avec lui, je n’avais vu Delon, Belmondo, De Funés, Romy Schneider...
que L’An O/ et Les Doigts dans ta téte et pas La Femme qui
pleure.Je ne me suis pas posé le probléme : « Ah il a fait un Cahiers. Ventura ?
trés beau premier film mais les autres n’omnt pas trés bien mar-
ché, alors est-ce que c’est bien de faire ce film avec Doillon ? ». Michel Piccoli, Tl y a des assemblages, Ventura et Untel, Pic-
Gest ainsi que tous les tenants du marché, que ce soient les coli et Machin.
acteurs ou les metteurs en scéne, les distributeurs, les produc-
teurs, raisonnent. « Doillon, ah, quand méme, ah non, c’est Cahiers. Est-ce que largent est sur l’écran, donc ?
spécial », Michel Piccoli. Il y a des tas de films ot! argent n’est pas sur
Pécran. Il y a beaucoup de faux-argent. Il faudrait travailler
Cahiers. I/ se dégage de vous une certaine sérénité... non pour gérer Ja pauvreté mais avec l’argent indispensable au
Michel Piccoli. Accouplée 4 une vivacité méme. C’est pour metteur en scéne et Ace qu’il faut faire et ne pas dépenser pour
cela que je voulais produire, ce n’était pas pour sauver le des choses inutiles, des cohortes de gens avec une trés mauvaise
cinéma francais ou pour dire « c’est comme ca quwil faut répartition des bénéfices possibles. Il y a des tas de metteurs en
faire ». Quoique je sache comment il faudrait faire, il faudrait scéne commerciaux qui auraient envie, je le sais de
changer les mentalités de tout le monde. Nous sommes complé- recommencer...
tement jugulés, quand on produit un film. Sur Ja recette, 50 4
60% a l’exploitant, 35% au distributeur et ce qui reste au pro-
Cahiers, ...refaire un premier film ?
ducteur, qui lui doit payer les fabricants du film... Comment
voulez-vous que les gens 4 qui on demande d’étre co- Michel Piccoli. Oui, refaire un premier film. Mais ils sont
producteurs acceptent ! En plus on est trés mal éduqué vis-a-vis embarqués dans la course a ’argent. Les gros producteurs ne
de l’argent, on croit tous que le cinéma c’est le miracle extraor- prennent pas le temps de payer, méme modestement, un auteur
ENTRETIEN AVEC MICHEL PICCOLI 49
Cahiers. I] y a Vidée que argent doit tourner vite, on ne
pense qu’aux agios, on court devant les agios.
Michel Piccoli, Est-ce qu’on ne tourne pas trop en France,
est-ce qu’on ne devrait pas faire moins, mais mieux préparer ?
Tourner moins et mieux.

Cahiers. Si les exploitants entendent ca, ils vous assassinent,


car eux doivent nourrir leurs salles.
Michel Piccoli. Cela les indiffére d’avoir un film francais,
ture ou autre. Je prends l’exemple de Doillon. C’est La Gué-
ville qui l’a produit, Doillon est quelqu’un de trés exigeant, il a
eu en tout cas ce qu’il voulait, une petite équipe, le sujet s’y
prétait. Il a fait ce film avec une économie dans laquelle tout
était pour Je film. Tout le monde a été payé et Jane Birkin et
moi avons été payés a des salaires que certains jugeraient hon-
teux. Gaumont co-produisait le film, ils ont vu le film, ils ne
savent pas dans quelle catégorie le mettre : est-ce que ¢a va étre
commercial, trop ceci ou trop cela ; ils ont ce film, c’est un film
de plus, personne ne tranche en disant : « non on va le faire
passer dans quatre salles pendant deux semaines, on ne fera pas
plus », ce qu’ils pourraient dire parce que c’est une opinion ou
dire le contraire.,. Méme pas. On ne sait pas, et puis les salles

En haut : tournage des Enfants gatés, Michel Piccoli avec Bertrand Tavernier. En
bas L’Etat sauvage de Francis Girod

5 pe
\ | °

an &
Go
Lz
tl < Bk
gs
Le Saut dans fe vide de Marco Bellocchio et La Fille prodigue de Jacques Doill

ou un metteur en scéne pendant un an pour écrire un film et


commencer les préparations. Ce ne serait pas une fortune.

Cahiers. Ce n’est pas énorme par rapport au devis. Gaumont


ne le fait pas ?
Michei Piccoli. Non. Ils avancent de I’argent a des gens nou-
veaux, ils donnent un million ou un million et demi. Au lieu
de donner cet argent, ils auraient pu donner 200 000 F 4
l’auteur pour travailler le scénario, rencontrer des acteurs, des
techniciens. Un film ¢a se crée avant de se tourner, non ? Ce
serait un travail en commun de A a Z,

Cahiers. Godard dit @ peu prés comme vous, nous semble-


til ?
Michel Piccoli. Godard, ¢’est parfait. C’est un monstre, un
dictateur ? Non, c’est un tenace féroce. Je l’aime énormément.
Et son humour sauve.

Cahiers. f/ a dii penser en ces termes pour faire Sauve qui


peut (la vie), en dessinant le film avant tournage.
Michel Piccoli, Ce qui ne veut pas dire que le film se fasse
alors que tout est déja fait ; une fois que tout est prét, on peut
réinventer au tournage, parce qu’on peut se permettre d’inven-
ter sur des bases solides. Maintenant, on monte des coups.
50 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
ne sont pas libres 4 cette date. Ils ont quand méme décidé de pris des créateurs, ont tiré profit. Il était détesté par les autres,
sortir le film. C’est terrible. tout Pestablishment lui tombait dessus, il était vraiment le juif
arabe indépendant qu’il fallait descendre 4 tout prix. Lui aussi
Cahiers. C’est curieux, Toscan du Plantier parle du cinéma @ voulait étre un empereur du cinéma, mais il n’avait pas tort car
la fois comme s’il était Vempereur, celui qui décide de fa vie ou if en était capable s’il avait vraiment tenu le choc. J’ai continué
de la mort d’un film, et lorsqu’il parle d’un film, il en parle avec d’autres qui étaient des paresseux malhonnétes. Petit 4
comme un spectateur, avec souvent plein d’illusions, petit j’ai appris comment il fallait faire. J’ai co-produit quel-
ques films ot j’ai perdu et Ies deux seuls dont j’étais responsa-
Michel Piccoli. Il a de vraies passions pour certains films. I! ble sont Des Enfants gétés et L’Etat sauvage ott j’ai perdu
voit les films ce qui n’est pas le cas de beaucoup de produc- aussi. Mais sur L*Efat sauvage je suis le seul 4 avoir perdu, les
teurs. Et if lit. Ce n’est déja pas si mal. salles ont gagné beaucoup d’argent...
Cahiers. A vous entendre, vous avez en méme temps un Cahiers. Pourquoi ?
point de vue moral, vous défendez de facon aéontologique
votre métier, en méme temps vous incarnez le plaisir de jouer Michel Piccoli. Parce que je n’ai pas pris de salaire de pro-
au théétre ou au cinéma. Ce qui donne un certain équilibre. ducteur pour que le film soit moins cher, j’ai pris un salaire
minimum en tant qu’acteur pour la méme raison, et il y avait
Michel Piccoli. Je sais beaucoup de camarades vedettes, qui un systéme, tout 4 fait honnéte, de participation : tout le
n’ont plus aucun plaisir, ils ont une angoisse de ce que sera le monde était intéressé aux entrées ce qui fait qu’il en restait trés
lendemain, est-ce que ce coup-la sera le meilleur ? Les acteurs peu pour moi. La encore je ne le regrette pas... Peut-étre que
sont considérés comme une marchandise, ils sont trés mal con- jai été utopique. C’est un film qui a cofité trop cher, et nous
sidérés. Vous allez me dire : on ne va pas pleurer sur le sort de avons été sacrément barrés pour ce film qui était considéré
ces gens-la qui gagnent des fortunes. Mais ils sont trés mal con- comme révolutionnaire. [1 m’arrive quand méme de gagner de
sidérés. « On les paye trés cher, est-ce qu’ils valent ca ? ». temps en temps de l’argent, j’équilibre et je vais recommencer
avec un autre film. J’ai écrit le scénario. Ca fait deux ans que
Cahiers. Eux se posent la question ? nous travailions. On va peut-étre y arriver. C’est tiré d’un livre
Michel Piccoli. Non, ceux qui les payent. « C’est quand albanais, « Le général de l’armée morte », on m’a proposé ce
méme trop cher, mais si c’est tellement cher, c’est que c’est trés roman il y a neuf ans, on adorait le sujet qui était entre les
bien ». Et puis, du jour au lendemain, ce n’est plus rien. Avant mains de deux margoulins qui nous ont fait attendre pendant
Le dernier métro, tout le monde disait « Deneuve c’est fini ». sept ans. J’ai repris les droits du livre, ca a été difficile et long.
Maintenant ils la paieraient une somme exorbitante parce que J’écris avec Tovoli, parce qu’on a envie de faire du cinéma avec
le film a fait un million d’entrées. Le court terme de toutes Vessentiel des gens qui le font. Ons’est dit, écrivons ; je n’avais
fagons, c’est une actrice superbe. J’en connais d’autres qui cra- pas les moyens de démarrer autrement. On a écrit le scénario
quent. C’est parce qu’on a été mal éduqués. Au moins Sautet, qu’on a donné a Carriére qui a été emballé et qui a travaillé
quand je fais mes films « bizarres », comme Faraldo, Ferreri, avec nous. Nous avons déja été trois fois en Albanie pour les
Berlanga, dit « c’est formidable, ce sont tes soupapes de sécu- repérages, tout est prét. L’Albanie ne co-produit pas mais
rité ». Lui aussi est caincé par le box-office, Vimage Sautet. accepte qu’on y tourne.
C’est moins dur pour un acteur, mais c’est trés dur pour un J’ai déja dépensé 300 000 F pour ce projet, on se bat pour que
metteur en scéne. le film existe. Mais s’il ne se fait pas ? Cela dit je préfére dépen-
ser 300 000 F pour essayer de faire un film plut6t que d’ache-
ter, c’est moins str que la pierre certes. Et plus dur aussi.
Cahiers. Les gens qui sont constitués en puissance, d’aprés
ce que vous dites, sont désarmés, Us ne savent pas comment Cahiers. Nous savons que vous étiez chez Artmedia et que
sortir un film... vous étes parti. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Michel Piccoli, Us ont tellement de films, ils sont tellement Michel Piccoli. J’étais chez Artmédia et nous nous sommes
sollicités, ils ont une telle machine 4 faire marcher, ils ne peu- séparés. A chacun de juger pourquoi. Je ne veux pas apporter
vent pas miser sur un, deux, trois ou quatre auteurs. [I faut dire d’eau au moulin de quiconque. Ce sont des querelles stériles,
que seuls Gaumont, Planfilm, UGC et AMLF décident des vous ne trouvez pas ? Artmédia m’a souvent déconseillé de
gens a faire des films. Voila la liste. Des jeunes et des moins tourner des petits réles dans les films, en disant que je ne
jeunes. Quelqu’un comme Deville, qui a fait Dossier 51. Mais deviendrai jamais une vedette. J’ai dit, bon, si je ne peux pas
Deville est un indépendant complet, il produit ses films, il en aller m’amuser dix jours en tournant avec Bunuel sous prétexte
est le régisseur, le metteur en scéne, le directeur de production. que je ne deviendrai jamais une vedette...
Il fait son film tout seul, puis il y a un apport de Gaumont en
co-production ou en distribution. Il faut avoir une dréle Cahiers. Votre point de vue compléte bien notre enquéte, il
d’énergie pour faire ca, passer six mois ou un an a écrire son contraste parce que vous parlez au nom dun certain plaisir de
film, faire les comptes... faire des films. Ce qui nous a frappés, c’est que la plupart du
temps, pour les producteurs ou tous ceux qui ont rapport &
Cahiers. Quetle a été votre expérience de producteur ? Pargent dans le cinéma, le produit a peu dintérét.
Michel Piccoli, J'ai commencé avec La grande bouffe, je fai- Michel Piccoli, Et ils pleurent, ils pleurent. Il y a de quoi
sais partie des gens fascinés par Jean-Pierre Rassam. I] y avait avoir la panique, mais ils pleurent. C’est la faute A Untel, a
de quoi. Je croyais qu’on pouvait co-produire en faisant con- Gaumont, 4 Artmedia, 4 Karmitz, 4 la Chambre syndicale...
fiance 4 des amis qui avaient une certaine compétence, plutét Moi je préfére les prototypes aux séries. Mieux vaut créer une
que d’étre en participation. I’ai done signé un contrat de co- énergie que s’entretuer, se suicider dans une décrépitude du
producteur et finalement, je me suis fait avoir, je n’ai pas tou- confort.
ché un sou. Cela dit, je ne lui en veux pas car c’est grace a lui
que La grande bouffe et d’autres films se sont faits. Mais c’est (Entretien réalisé le 21 mars 1971 par Guy-Patrick Sainderi-
un mégalomane qui s’entourait de zozos, dont certains, y com- chin et Serge Toubiana).
51

ENQUETE SUR LA PRODUCTION

ENTRETIEN AVEC RENE THEVENET

René Thévenet poursuit de nombreuses activités professionnelles dans le cinéma : il a été longtemps producieur de films,
activité quil connaft bien mais qu’il n’exerce que sporadiquement aujourd’hui ; il dirige un Cabinet de conseil juridique
dont les activités sont tournées vers les milieux de la production, il est aussi directeur de la revue « Filméchange ». C’est
en tant que président de l’Association francaise des producteurs de films que nous Payons rencontré pour lui demander
d@’exposer son point de vue sur la situation actuelle de la production en France.

Cahiers. Quand on analyse le cinéma francais, on peut dire


que les années 60, c’est la nouvelle vague, mais les années 70,
on ne sait pas trés bien ce que c’est. On a Vimpression que
Vessentiel s’est passé du cété de la restructuration économi-
que : la modernisation de l’exploitation, la constitution des cir-
cuits et leur emprise grandissante.
René Thévenet. Cette décennie, c’est l’histoire de la défaite
de la création. A tort ou a raison, le pouvoir ayant préféré les
salles et les régles aux films, nous avons des salles et des régles
et nous n’avons plus de films. Le cinéma d’art et d’essai, qu’en
reste-t-il aujourd’hui ? Les auteurs de films ont encore plus de
mal qu’avant pour monter leurs affaires, |’Avance sur recettes
est dévoyée, les salles sont 4 peu prés complétement circuitées,
autrement dit tout ce que nous avons voulu éviter arrive.

Cahiers. Les gens des circuits se prévalent d’avoir enrayé la


fuite des spectateurs.
René Thévenet. Ca ne peut pas étre démontré. I est probable
qu’il y a eu un aspect bénéfique, puisqu’il parait que la France
est le pays qui ale plus beau parc de salles. Mais le probléme est s’intéresser surtout aux films du marché et viser a la grande
de savoir si fe plus important est de faire des salles, au prix audience par suite de cette aberration : Ja mise en concurrence
méme de ne plus avoir de films A mettre sur les écrans ; ou de des chaines et de leurs taux d’audience, par la loi de 1974, pour
faire des films, méme dans des salles inconfortables. Tel est le la répartition de la redevance et la valeur de la minute publici-
choix qui se présentait et nos gouvernants ont choisi les salles. taire. Avoir imposé cette régle conduit forcément 4 un abétisse-
La fréquentation n’a cependant pas cessé de baisser, méme si ment, 4 une standardisation pour me pas dire 4 une vulgarisa-
elle s’est a peu prés stabilisée autour de 170 millions d’entrées tion du spectacle télévisé. Alors qu’on aurait pu penser que le
par an, et les derniers chiffres de la fréquentation 1980 mon- réle d’une télévision d’Etat était de présenter des ceuvres d’une
trent encore une baisse. Alors on nous dit que ce serait bien certaine ambition, d’un certain impact culturel, quitte méme 4
pire... mais sila récupération d’un client est 4 ce prix-la, moi je choquer un certain public. Aujourd’hui, au contraire, les
préfére m’en passer et le toucher par les moyens nouveaux de la chaines se bagarrent pour avoir le film de de Funés qui fera le
télévision ou des cassettes. plus de téléspectateurs.
Aprés tout il n’y a pas de raison qu’on ne les touche que par les De plus, la profession a voulu limiter le nombre de films a la
salles, qui nous cofitent une fortune. La constitution des cir- télévision, et j’ai toujours été contre cette position de facon
cuits de multisalles s*est faite essentiellement avec de l’argent minoritaire au sein de nos organisations professionnelles. Cette
public, « laide » notamment, qui avait été inventée a l’origine limitation se retourne contre les films d’auteurs et les films de
pour la seule production, et la T.V.A. ! série B. On peut prendre Pexemple de Goto, fle d’amour, que
Mais la télévision est encore loin de jouer son réle, préférant j'ai produit : il a été refusé avec une régularité constante par les
52 ENQUETE SURLA PRODUCTION
trois chaines. On a fait une liste de cent films de qualité, libres des syndicats organisés, antérieurs & la N.V., enfin le progrés
pour la télévision frangaise, et qui n’ont jamais été loués. On technique, ont fait que faire un film est quand méme a la por-
nous répond qu’ils sont trés intéressants mais qu’il n’y a pas de tée de n’importe qui, surtout avec le 16 mm. Avant, le format
créneau. En soirée, les chaines doivent faire « leurs clients » réduit était exclu. Pour avoir un film présentable il fallait le
avec des films grand public, et pour le reste, le contingent de tourner en 35 mm, employer des caméras lourdes, des éclaira-
films étant limité, elles bouchent avec des téléfilms américains. ges... Aujourd’hui, avec les nouvelles pellicules, on peut filmer
Les aprés-midi de la semaine sont remplies de productions a P’intérieur sans lumiére annexe. Quand on faisait du son opti-
d’outre-Atlantique qui sont en réalité des films mais qui échap- que, c’était un métier, il fallait tre trois ; aujourd’hui,
pent au quota et au contingent parce que déclarés « téléfilms », n’importe qui, avec un bon Nagra et un support convenable,
se vendent a bas prix et prennent en fait la place de nos propres prend un son excellent. Le talent ne s’improvise pas mais la
films du second rayon. technique, personnellement, je n’y crois pas beaucoup.
Si TF1 n’a pas de ciné-club c’est parce qu’avec ses besoins pour Mais cela n’est pas Ia preuve de fa santé de I’économie du
les soirées de grande audience, cette chaine a du mal a se limiter cinéma, puisqu’au contraire, la plupart des films sont totale-
au contingent de cent trente films que les professionnels lui ment marginaux et sortent trés peu. Done, si on enléve les por-
imposent via le cahier des charges. II n’est donc pas question nos et tous les films avec lesquels les jeunes gens se font la main
qu’elle passe cinquante films par an dans le cadre d’un ciné- ou tout bonnement font joujou, avec ou sans l’Avance, vous
club. vous apercevrez que le reste de la production est en baisse, en
Amon avis, la télévision, certes, nuit au cinéma mais pas spé- tout cas qualitative. Alors, il ne faut pas se laisser impression-
cialement les films qui passent a Ja télévision, et je pense qu’on ner par le chiffre global mais voir ot et quand sortent ces films,
va bientdt pouvoir le démontrer scientifiquement ; on est tous dans la mesure tout au moins ot. une ceuvre cinématographique
sur une idée fausse depuis quinze ans. En effet, les organisa- n’existe que si elle rencontre vraiment son public.
tions professionnelles vont enfin avoir accés aux sondages du
Centre d’opinion publique, jusque-la réservés aux présidents Cahiers. I] y a quand méme des producteurs qui font des
de chaines et au directeur du C.N.C. Le C.E.O. va adopter la Jilms tous les deux ou trois ans, comment ont-ils subsisté ces
télémétrie d’ici trois mois. Il ne s’agira plus d’un systéme de dix derniéres années ?
questions-réponses aux spectateurs, mais de pastilles collées sur René Thévenet. Il y a, certes, ceux qui se maintiennent par
les appareils d’un échantillon de la population et les pastilles une constante « fuite en avant ». Mais il y a surtout un inces-
diront quelle chaine regarde le téléspectateur, pendant combien sant renouvellement des entreprises,
de temps, 4 quelle heure, etc. Je suis persuadé que ca va J’ai un cabinet de conseil dont je vis aujourd’hui puisque je ne
démontrer que le cinéma 4 la télévision ne concurrence pas le fais plus que coproduire des films, et je n’ai jamais vu autant
cinéma. Jean-Charles Edeline n’asseoit son pouvoir dans les de sociétés qui se créent. De nombreux professionnels et
remous actuels de la F.N.C.F. que sur une base poujadiste faite Vadministration déplorent l’inflation du nombre de films et
d’idées fausses, dont aucun exploitant n’acceptera de sortir, disent qu’en théorie, il serait mieux d’en faire moins mais plus
notamment celle selon laquelle ce sont les films 4 Ia télé qui lui internationaux, d’avoir une politique plus malthusienne en
enlévent ses spectateurs. Alors je prétends que, quitte a limiter augmentant le capital minimum des sociétés de production a
le nombre de films a Ia télé, ceux qu’il faut enlever ce sont les 500 000 F, pour limiter le nombre de films officiels (parce
films commerciaux, les de Funés, les Belmondo, car ce sont qu’évidemment il y aura toujours les films sauvages). Je pense,
ceux-la qui enlévent des clients aux salles, sfirement pas {es au contraire, qu’il faut qu’il y ait le plus grand nombre de
ndtres ! chances qui soient données, parce que c’est sur les scories d’une
Evidemment, cette politique a réussi dans la mesure ou elle a production nombreuse que sortira le diamant. C’est pour la
fait monter les prix de fagon remarquable. On loue Le grand méme raison que je suis opposé a cette autre forme de barrage
blond 180 millions par exemple, et sans parler des exceptions, au métier que sont les régles syndicales aberrantes, et que la
on loue facilement des films 80 millions alors qu’il y a quelques N.V. a rejeté dans les années 60 (des gens comme Melville ou
années ces mémes films avec vedettes l’auraient été pour 10. I moi avaient d’ailleurs, longtemps avant les films de Chabro! ou
y a done un gros effort de la part des chaines mais au profit, Truffaut, fait sauter les équipes minimates, se passaient des
une fois de plus, des producteurs nantis, pas de ceux qui régles, des conventions collectives syndicales et tournaient en
avaient produit des films plus difficiles et qui avaient perdu de décors naturels, et ca a été valorisé par l’intérét que les films de
Vargent dans les salles qu’avaient fui les spectateurs. On a la N.Y. ont suscité). Souvenons-nous : les régles d’avancement
pensé que la télé pourrait compenser cela, mais elle ne I’a pas dans la profession de réalisateur étaient telles alors qu’on ne
fait. Elle aurait di le faire. trouvait pas de producteur qui vous fasse faire votre premier
film a moins d’avoir été blanchi sous le harnais comme assis-
tant de Duvivier ou Berthomieu, auteur de la « Grammaire
Cahiers. Tout cela n’a pas empéché le cinéma francais de cinématographique ». Ceci a changé a tel point que, actuelle-
produire, ces douze derniéres années, un nombre trés impor- ment, n’importe qui peut faire un film, et je m’en réjouis.
tant et croissant de films. Et c’est a partir de lé qu’on voudrait
comprendre le mode de production du cinéma francais : une Cahiers. D’aprés vous et brutalement, est-ce que la branche
baisse de ia fréquentation, des difficultés de pius en plus gran- production de Vindustrie cinématographique est en deéficit
des pour les producteurs indépendants pour survivre et, néan- chronique ou pas ?
moins, un nombre énorme de films produits par an, des films
René Thévenet. Totalement, et elle ’a d’ ailleurs toujours été
tres diversifiés, depuis ies films @ Avance jusqu’aux grosses
plus ou moins, mais maintenant trés gravement. Mais pour-
machines.
quoi parlez-vous d’industrie ? Je crois que la production de
René Thévenet. Il faut analyser ce grand nombre. D’abord, films est un artisanat, et que c’est heureux.
bien sir, il y a les films pornos qui se font en trois jours et qui, Les entreprises de production sont éphéméres, et alors ?
se présentant néanmoins comme des longs métrages, faussent L’important est qu’il y ait des films, méme s’il y a une maison
les statistiques. La progression des gofits et des choix culturels de production par film. On a vu ce que ca donnait lorsque la
d’une partie de la jeunesse en faveur de l’audio-visuel en géné- production cinématographique était industrialisée, et méme
ral et du cinéma en particulier, la rupture des schémas anciens taylorisée. Méme les Américains y ont renoncé aujourd’hui. Le
ENTRETIEN AVEC RENE THEVENET 53
meilleur de la production américaine vient des indépendants Alors les exploitants « Art et Essai » se rattrapent sur les films
qui s*appuient sur une distribution solide et parfois aventu- étrangers en espérant que chacun sera La Salamandre. On ne
reuse, mais nullement sur des usines 4 films comme on en a peut pas dire que ces salles aident vraiment le nouveau cinéma
connu a Hollywood dans les années trente. Ca existe encore & @auteur francais Les distributeurs d’art et essai ferment tous
la télévision, mais pour fabriquer des produits audio-visuels, leurs portes. L’A.F.C.A.E. a fondé un G.1.E., le
non des ceuvres. G.I.C.A.E, (1). Mais qui a touché une avance substantielle du
G.1.C.A.E. pour faire un film ? Ses membres ne se sont sérieu-
Cahiers. En tant que critiques, quelque chose nous frappe et sement engagés dans aucun film a faire. On aurait pu imaginer
nous attriste : un réalisateur qui fait un premier film n’en fait de leur part ce qu’on appelle ailleurs des « avances distribu-
pas de deuxiéme ou met des années a le faire. Le producteur teur ». Mais ils préférent en rester 4 leur programmation faite a
qui a eu le courage de lui faire faire son premier film est, tui 80 % de films étrangers.
aussi, sur la paille et n’a pas la possibilité de lui en faire faire un
second pour s’améliorer, Cahiers. 1 y aurait donc deux phénoménes qui semblent se
croiser pour rendre l’existence du film d’auteur plus précaire.
René Thévenet. C’est une analyse sommaire : le fait qu’un
Dun cété UVorganisation du marché, la concentration, la circui-
réalisateur fasse, ou non, son deuxiéme film n’est pas fonction
tisation, de Pautre les tendances du marché, la désaffection du
du fait que son producteur d’origine soit ou non « sur la
public, Selon vous quel est le facteur principal ?
paille » comme vous dites. Ca ne dépend pas du producteur
mais de la qualité, souvent au sens spectaculaire, étant donné le René Thévenet. C’est toujours la poule et l’ceuf. Il y a un
type de marché qui existe, du premier film. Si un metteur en entrainement respectif, mais le public aurait plutét eu tendance
scéne fait un premier film qui accroche le marché, méme si son a se développer qu’a se réduire, Il y a eu une période dans les
producteur fait faillite, cela n’a pas de conséquences pour lui, années 50/60 of un public exigeant et sélectif est né. Mais 1a, je
ni pour l’art cinématographique : il fera son second film. C’est crois qu’il faut aborder le probléme du prix des places, et je fais
méme ce que nous reprochons au systéme : les petits produc- partie de ceux qui trouvent que le cinéma est trop cher. Les
teurs, dont j’étais, ont toujours tiré les marrons du feu pour les gens de Cinéma Public qui ont réouvert des salles de banlieue,
autres. Quand c’était bon, il y avait toujours un Gaumont ou ont quand méme montré qu’il y avait un public latent 4 des prix
un Hakim qui se précipitait pour faire le film suivant du méme raisonnables.
réalisateur, et quand ¢’était mauvais, on laissait le petit pro-
ducteur se débrouiller avec ses dettes. Cahiers. Les salles ont besoin de films. Le cinéma américain
représente 40 % du marché. En gros un film sur deux est fran-
Cahiers. Mais la personne qui peut aider un cinéaste 2 gagner gais, il faut bien que les circuits trouvent ces films.
le marché, c’est son producteur. Je ne pense pas qu’un réalisa-
teur puisse penser au public, et si un producteur est faible dans René Thévenet. Certes, mais vous voyez bien lesquels ils
le rapport de forces avec le réalisateur comme avec le distribu- choisissent, ce qu’ils veulent. En théorie, ¢a devrait permettre
teur, il ne peut pas aider le réalisateur @ trouver son public, qu’il y ait davantage d’élus parmi tant d’appelés, mais, prati-
quement, les exploitants préférent prolonger dans leurs salles
René Thévenet, Méme s’il est fort, il dépend des structures les films grand public, étant données les garanties qu’ils versent
commerciales qui sont en face de fui. II ne peut pas les inventer. pour les obtenir, plutét que de faire une place pour un film plus
Méme s'il croit 4 fond 4 un jeune cinéaste, il ne va pas ouvrir aléatoire avec une clientéle clairsemée. Je ne crois pas que le
des salles, et faire la promotion nécessaire pour que tout un cinéma puisse étre laissé aux lois du marché. Je crois que
public soit touché. Nous sommes dépendants des distributeurs Vintervention de PEtat est nécessaire si on veut qu’il y ait un
et de l’exploitation. Et ce sont aujourd’hui de tels mastodon- cinéma francais.
tes, qu’ils ne peuvent pas se permettre de sacrifier huit jours
pour tenter un coup avec un jeune cinéaste. Le marché interdit Cahiers. Qu’est-ce que l’organisation dont vous étes l’un des
ce genre d’expériences de facon durable. animateurs ; l’Association Francaise des Producteurs de
L’Avance sur recettes a pallié cela pendant un certain temps. Films ? Quels sont ses grands thémes de mobilisation ?
Anjourd’ hui, sous V influence d’une administration aveugle, et
pour complaire aux Finances, on en vient a appliquer, de René Thévenet. Avec plus de 250 adhérents, dont le tiers
maniére pure et simple, les régles du marché a ce systéme dont environ de producteurs-réalisateurs, V’A.F.P.F. est
la raison d’&tre était justement d’&tre sélectif. Cette aide sélec- aujourd’hui le plus important (au moins par le nombre) des
tive avait pour but d’imposer aux commercants de sacrifier une syndicats de producteurs de toutes les cinématographies occi-
part, d’ailleurs faible, de leur chiffre d’ affaires 4 la novation. dentales. Jusqu’en 1972, la production des films de long
Et on a abouti 4 la conception d’une Avance qui vient complé- métrage ne connaissait, en France, qu’une organisation patro-
ter un financement rendu difficile parce que les marchés étran- nale ; la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de
gers se dérobent, parce que les distributeurs sont de moins en films, elle-méme rattachée a Ja trop puissante F.1.A.P.F. (2)
moins nombreux et de moins en moins disposés a aller loin ot se retrouvent les « major companies » des principaux pays
dans leurs engagements, que les films sont de plus en plus producteurs, 4 commencer par les américaines. La Chambre
chers, etc. C’est le contraire de ce que voulait Malraux. syndicale, par un systéme censitaire, et une savante limitation
du recrutement de base, s’était arrangée pour que tout le pou-
voir de fait soit pratiquement dans les mains de sociétés — tel-
Cahiers. Le marché, en tant que tel, ne pourrait done pas
les que Pathé, Gaumont, Marceau, Cocinor, Filmsonor-
susciter de films intéressants ?
Cinedis, Sirius, Discina-Discifilm, Silver-Corona, etc. — dont
René Thévenet. Par lui-méme, non. Le marché des salles les grands intéréts étaient placés dans la distribution ou dans les
spécialisées est inexistant, c’est un grand leurre entretenu par Ja
critique. C’est un critique d’ailleurs (Jeander) qui a créé la pre-
miére salle d’Art et d’Essai. On pensait que ca allait susciter 1. A.F,C.A.E.: Association frangaise des cinémas d’art et d’essai.
G.1.C.A.E,: Groupement des intéréts économiques des cinémas d’art et
tout un secteur paralléle valable pour un certain niveau de pro-
d’essai.
duction, et malheureusement cela ne s’est pas vérifié. Dés 2, F.1.A.P.F. : Fédération internationale des associations de producteurs de
qu’un film émerge un peu, il sort dans les grands circuits. films.
54 ENQUETE SUR LA PRODUCTION
salles. En outre, une certaine sclérose affectait alors cette insti- initiatives — méme celles qui paraissent les plus pauvres et les
tution dont l’origine remontait 4 ’avant-guerre. C’est en réac- moins organisées. Or, nous assistons chaque année un peu plus
tion, et ne pouvant étre reconnus 4 l’intérieur, que des produc- au phénoméne inverse : l’Etat encourage les tendances mono-
teurs indépendants ont eréé l’A.F.P.F, en 1972, avec pour but polisatrices de quelques groupes et met le maximum de batons
principal une illustration et une défense de la création contre dans les roues des petites entreprises...
les pouvoirs dominants, 4 savoir surtout : les grands distribu-
teurs et les circuits de salles lorsqu’ils prétendent imposer une Cahiers. Vous parliez aussi du corporatisme ?
trop rigoureuse loi du marché et un scandaleux partage de la
René Thévenet. La, nous stigmatisons l’abus du pouvoir
recette ; la télévision dans la mesure ot elle abuse de son mono-
syndical et Yaberration des conventions collectives de la pro-
pole ; la bureaucratie ; le corporatisme sous toutes ses formes.
duction cinématographique, que notre organisation ne
reconnait pas. Nous ne sommes pas opposés au principe de tel-
Cahiers, Nous avons déja@ parlé de la distribution et de les conventions, bien au contraire. Mais nous estimons que cel-
Vexploitation, et de leur poids trop grand. Mais que visez-vous les qui existent, établies en d’autres temps, sont totalement
par « bureaucratie » ? dépassées par le progrés des techniques et I’évolution des usa-
ges. En ce qui concerne la principale, celle des techniciens,
René Thévenet. J’évoque, pour la déplorer, l’énorme quan-
nous avons pris la peine, il y a deux ans, de passer de longues
tité de papier qui est maintenant nécessaire, en France, pour
heures 4 sa révision, et nous avons envoyé pour examen au
faire un film — ainsi que la quantité de lois et réglements qu’il
syndicat C.G.T. le résultat de nos travaux : nous attendons
faut (en principe) connaitre et respecter. On a impression que,
toujours la réponse, ou simplement un accusé de réception.
tandis que l’art et la technique cinématographiques, depuis la
Pour l’heure, en conséquence, nous nous contentons de dire a
N.Y. surtout, se libéraient peu 4 peu de toutes les entraves,
nos adhérents — petits producteurs on producteurs- -
Pindustrie qui en est le support entrait dans un carcan adminis-
réalisateurs — qu’ils n’ont pas l’obligation, a l’inverse de ce
tratif propre a étouffer création et créateurs, C’est ainsi que
qu’on croit généralement, de respecter les conventions collecti-
nos organismes « sociaux » (Sécurité sociale, allocations fami-
ves puisque celles-ci n’ont pas été « étendues » par le ministére
liales, accidents du travail, caisses de retraite, congés specta-
du Travail — de méme qu’ils ne sont pas obligés d’appliquer
cles, institutions de formation, fonds de chémage et de garan-
les fameux « salaires minima », dont les barémes successifs
tie des salaires, etc.) sont devenus comme un Etat dans I’Etat,
sont des annexes aux C.C. et — contrairement a ce que disent,
oubliant qu’ils doivent leur puissance 4 ceux qui font les films,
et méme écrivent certains — ne font nullement « force de loi ».
et qu’ils sont 1A pour les servir et les aider, non pour les pressu-
Jajoute que le corporatisme conduit les syndicats de salariés 4
rer. C’est ainsi, également, que le Centre National du Cinéma
constituer le principal soutien du nouveau formalisme de
semble vouloir privilégier aujourd’hui le « dossier » par rap-
Vadministration, en matiére d’agrément des films, ou de cartes
port 4 l’ceuvre — et enserrer chaque jour davantage le profes-
professionnelles, par exemple.
sionnel dans un systéme administratif qui le décourage et tend
a le stériliser.
Cahiers. 7! est tout de méme légitime que des syndicats veil-
Cahiers. Pensez-vous que ce puisse étre en fait une politi-
lent @ la protection de leurs membres.
que ?
René Thévenet. Certains disent que c’est un moyen d’accélé- René Thévenei. En effet, les producteurs se trouvent face a
rer la prise en mains du cinéma par les grandes compagnies. des syndicats qui les bloquent parce qu’ils ont peur du cdté
Mais je ne puis croire qu’il y ait 14 un plan délibéré du pouvoir. aventureux de l’entreprise et des conséquences pour les techni-
Je crois surtout que le changement d’esprit du C.N.C. vient ciens de budgets un peu trop légers. Or, cette argumentation est
d’hommes nouveaux, qui croient peut-€tre bien faire, mais qui fausse depuis la création du G.A.R.P. Il se passe maintenant
n’ont pas encore compris ce qu’était le cinéma, du moins au Vinverse de ce qui se produisait avant l’existence de ce fonds de
niveau de la création, de la production-pépiniére, sans laquelle garantie des salaires. Auparavant, un patron cynique, quand il
était un peu trop talonné par les syndicats ou les salariés,
rien d’autre n’existerait. Le capital fuyant le cinéma (a trés
juste titre, 4 ce stade), cette indispensable production-pépiniére répondait qu’il allait mettre la société en faillite et qu’alors les
ne peut étre le fait, en gros, que de « risque-tout » approxima- salariés risquaient de tout perdre. Maintenant le chantage est
tifs et désargentés, de ceux que j’appelle les « saltimbanques ». inversé : ce sont les syndicats qui sont en mesure de dire quwils
Ce sont des passionnés, des réveurs, des aventuriers, et l’on mettront le producteur en faillite s’il ne paie pas les salaires,
veut en faire des gestionnaires ! Leur but est simplement de puisque, de toute facon, le dépét de bilan entraine pour eux la
produire un film auquel iJs crojent et on veut qu’ils connaissent garantie d’é@tre payés.
le Code de leur profession (ol. méme les experts se fourvoient), Le corporatisme est pour nous presque aussi nuisible que les
qwils appliquent des réglements, qu’ils remplissent des formu- grands circuits d’exploitation. Il a fait un mal terrible au
cinéma. Autant je pense que le dilettantisme est a proscrire,
les, qu’ils respectent des délais, et méme qu’ils justifient de
qu’il faut qu’il y ait un minimum d’apprentissage, autant je
Jeurs moyens ! Résultat : ils trichent. Et plus le systéme renfor-
cera ses exigences et ses contréles, et plus ils tricheront. De refuse que l’on majore la technique comme on le fait, qu’on
toute fagon, les princes qui nous gouvernent sont si loin de la Pinstitutionnalise dans un corporatisme d’un autre age qui nuit
réalité vécue des entreprises funambulesques de ce métier (la profondément a la création. Pour les réalisateurs, la déroga-
tion 4 Ja carte professionnelle est maintenant quasiment auto-
majorité) qu’ils s’en apercoivent a peine. I] reste qu’on use les
matique, mais, il n’y a pas tellement longtemps, il fallait faire
gens A coup de procédés tatillons, et que lesdits procédés
entrainent souvent une augmentation des coiits de production des stages commie assistants ; or, l’expérience a montré que les
meilleurs assistants sont les pires metteurs en scéne. On pour-
(en agios, par exemple) qui ne se retrouve pas sur l’écran.
rait méme aller jusqu’au paradoxe de dire qu’un bon assistant
Cahiers. Mais vous jugiez cependant que lintervention de ne peut pas devenir un bon metteur en scéne ! Parlez-moi du
génie, parlez-moi du talent : ne me parlez pas de la technique !
UE tat était nécessaire ?
René Thévenet. Oui, pour freiner l’impérialisme des puissan- (Entretien réalisé le 19 mars 1981 par Claudine Paquot,
ces dominantes et forcer 4 la novation, non pour entraver les Guy-Patrick Sainderichin et Serge Toubiana).
~~ DES RAISONS D’ETRE
L’Action e’est, depuis 14 ans, la défense et Pillustration du cinéma amérieain
(rétrospectives, rééditions, jeune cinéma)

Dans ce cadre, nous présenterons dans les prochains mois :


FURY et LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET de Fritz Lang
LA SCANDALEUSE DE BERLIN de Billy Wilder
ECRIT SUR DU VENT de Douglas Sirk
LE GRAND SOMMEIL d’Howard Hawks
PHILADELPHIA STORY de George Cukor

L’Action cherche & faire revivre Pceuvre sous sa forme originale (copies intégrales, quelquefois
inédites en France) — rappelons la premiére présentation mondiale de la copie dorée de « Reflets dans
un ceil d’or » ou la restauration « maison » de la version 70 mm de « Cleopatre » de Mankiewicz, ou
encore la réédition en 2 h 40 de « Une étoile est née » qu’on avait toujours connu en version 2 h), et
dans des conditions de projection optimales (stéréophonie, respect du format, 70 mm, etc.).

L’Action e’est aussi une attitude différente de Pexploitation vis a vis du specta-
teur qui nest pas considéré comme un simple consommateur (images.
C’est pourquoi une documentation (programmes détaillés, textes, filmographies) est distribuée gratuite-
ment, l’état des copies et les caractéristiques de projection ainsi que la grandeur des écrans sont affichés
aux caisses, la publicité d’écran est bannie, la lumiére ne s’allume pas sur le générique, les opérateurs
sont responsables de deux écrans au maximum et les spectateurs peuvent rencontrer périodiquement les
animateurs, et aussi, parfois, les grands acteurs et réalisateurs américains (Elia Kazan, Richard Brooks,
John Frankenheimer, Sydney Pollack, Robert Ryan, Jacques Tourneur, Samuel Fuller, Alan
J. Pakula, Sterling Hayden sont venus s’entretenir avec les spectateurs).

L’Action e’est encore la hataille pour le prix des places.


Les salles Nickel affichent un prix unique de 12 francs et les salles Action « serrent » au maximum les
tarifs. Une carte de fidélité est donnée gratuitement, elle est valable dans toutes les salles du circuit et
permet d’obtenir une entrée gratuite aprés cing entrées payantes, systéme évitant tout ce qui peut étre
considéré comme une atteinte a la liberté du spectateur (abonnements payés d’avance, cartes payantes et
toute formule qui risque de léser a la fois le spectateur et le distributeur).

L’Action c’est engin un effort de collaboration avee les distributeurs, basé sur une
répartition plus équitable des taches et des responsabilités : co-financement de rééditions, lancement des
films par nos soins et A notre charge, etc.

En bref, les Action sont des salles ott les notions de qualité et de respect de l’ceuvre et du spectateur
priment sur l’idée de profit. Elles sont dirigées par des animateurs qui sont restés, avant tout, des
cinéphiles. Ils sont responsables de huit écrans 4 Paris : cing salles Action (Action La Fayette 1 et
2, Action Christine 1 et 2, Nickel Odéon) et trois salles associées (Action Ecoles, Nickel Ecoles et
Mac Mahon).

Et si nous avons atteint en partie nos objectifs, c’est grace aux ciné-clubs de province qui nous ont appris
a voir des films, 4 Henri Langlois qui nous a appris & les montrer, 4 Henri Ginet qui nous a aidé a
« démarrer », et, bien sfir, aux Cahiers qui nous ont appris le cinéma.

Merci a eux ct bon anniversaire.

Jean-Max Causse, Jean-Marie Rodon


ViMel ww Septembre

Ler Rencontres dr Crewe Meéditerrarier

30 Aoi - 6 SepdembrefA

Cousot a PARA:
F hLorewnce Bory
Foum Ont Neditenauee 2bA- &-00
w
QO Cmmeg 39-4 9-957
13 (plus 1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS

1. Quel est aujourd’hui le travail d’un producteur ? Vous considérez-vous avant tout
comme un financier ou comme un entrepreneur de films ?
2. Quelle part prenez-vous a la fabrication d’un film (casting, scénario, choix des lieux
de tournage, choix techniques) ? A qui doit appartenir la responsabilité du montage
final ?
3. Qui est auteur d’un film ?
4. On dit que les réalisateurs ont une conscience plus aigué des conditions économiques
de leur activité. Cette évolution est-elle souhaitable ? Que change-t-elle 4 votre travail ?
5. Quand vous produisez un film, envers qui vous sentez-vous engage : partenaires
financiers, distributeur, réalisateur, acteurs, public, histoire du cinéma, survie de votre
société, etc. ?
6. Pensez-vous que les films que vous produisez ont quelque chose en commun ?
7. Un producteur peut-il jouer sur l’allongement de la durée d’amortissement des
films, ou doit-il rechercher une rentabilité rapide ? En d’autres termes, est-il possible
— et souhaitable — de s’orienter vers la constitution d’un catalogue (ou d’un porte-
feuille) de films ?
8. Comment estimez-vous l’importance et les conséquences, en tant que producteur, de
Vapparition des « techniques nouvelles » ?
9. Peut-on parler d’une production frangaise (c’est-a-dire d’un style ou d’un genre
francais de productions) ? Comment la caractériser ? Quel est son avenir ?
10. Quelle est la place des producteurs dans l’organisation actuelle du cinéma en
France ? Sont-ils 4 méme de jouer leur réle ?
14. Quels sont vos rapports avec vos partenaires : exploitation, circuits, distribution,
établissements financiers spécialisés, acteurs et agents, télévisions, Etat, CNC ?
12. Voyez-vous se dessiner une évolution du financement de la production francaise
dans les années 4 venir ? Pensez-vous qu’a Vavenir le cinéma s’appuiera plutét sur le
marché ou plutét sur des aides et des subventions ?
13. Combien de films pouvez-vous et/ou souhaitez-vous produire chaque année ?
13bis. Avez-vous déja (ou |’ envisagez-vous) produit un premier film ?
38 AUX PRODUCTEURS
413 (+ 1) QUESTIONS

; GERARD BEYTOUT
(SOCIETE NATIONALE DE CINEMATOGRAPHIE)

1. Je considére le producteur, 4 de Vapparition des techniques nouvelles. Il est toutefois difficile, pré-
Vheure actuelle, aussi bien comme sentement, de spéculer sur l’étendue de ces recettes, mais je pense que
un financier que comme un entre- ja constitution d’un catalogue on d’un portefenille de films est un actif
preneur de films. Il n’est hélas pas important et qui se valorise avec le temps.
possible d’entreprendre un film 9, Il y a incontestablement une production typiquement francaise.
sans résoudre tous les problémes La définir est extr€mement difficile car elle est trés variée. Je crois que
financiers qui se posent pour sa principale caractéristique est J’exclusion des films 4 grand spectacle,
mener 4 bien cette entreprise. et d’étre d’un niveau littéraire et intellectuel assez élevé, De ce fait, si
2. La part fa plus prépondérante nous continuons 4 avoir un source de sujets, de jeunes comédiens et
possible. Je tiens a surveiller au réalisateurs tels qu’il en apparait quelques-uns, son avenir n’est plus
maximum la préparation, le tour- aussi noir que certains veulent bien le dire.
nage d’un film, et ce, 4 tous les 10. Laplace des producteurs et leur importance au niveau de Ja créa-
niveaux. tion n’est pas assez reconnue, Depuis quelques années cependant les
La responsabilité du montage final ne peut pas, 4 mon sens, étre le fait pouvoirs publics ont tendance a renforcer, a tous les niveaux, le réle
dune seule personne. [1 doit se faire en accord avec le chef monteur, le du producteur. Il est d’ailleurs curieux de constater que les plus grands
réalisateur et le producteur. réalisateurs de l’histoire du cinéma francais, ont fait leurs plus grands
3. Question piége. Je ne pense pas qu’il y ait un seul auteur d’un films avec de grands producteurs. Je pense que de plus en plus, et
film. Il y a le ou les auteurs littéraires, le réalisateur, mais il est indé- grace a leur action qui commence 4 étre connue, ils seront 4 méme de
niable, 4 mon sens, que le producteur qui aura influé sur toutes Jes jouer leur réle. .
lignes de force, peut se prévaloir de la qualité d’auteur, si dans le sens 11. La réponse A ce paragraphe mériterait un développement trap
du mot auteur vous reconnaissez une influence 4 tous ceux qui con- important puisque chaque partenaire provoque des rapports diffé-
courrent artistiquement au film. tents ; chacun hélas des différents partenaires associés 4 la vie d’un
4, Il semble effectivement que les réalisateurs aient une conscience film, ne voyant pas toujours !’intérét général de celui-ci.
plus aigué des problémes financiers qui se posent. Cette évolution est En ce qui concerne la télévision et l’Etat, nos rapports s’améliorent ;
bien entendu souhaitable, car ils réalisent ainsi qu’il n’est pas toujours les plus gros problémes des producteurs restant ceux qu’ils entretien-
facile d’obtempérer et de mettre a leur disposition les moyens techni- nent avec exploitation.
ques ou artistiques qu’ils souhaitent. Devant cette prise de conscience, 42. Ily aura vraisemblablement une évolution du financement de la
notre travail est simplifié, production francaise, mais elle s’appuiera certainement plus sur un
3. Lorsque je produis un film, je me sens engagé vis-i-vis de bien des marché avec de nouveaux investisseurs, que sur des aides et subven-
personnes — certainement pas vis-a-vis de histoire du cinéma — tions. Il ne serait pas souhaitable que le cinéma soit une industrie
mais surtout vis-a-vis de ma société. assistée.
G6. Vraisemblablement, puis je n’ai pour ainsi dire jamais fait de film 13. Je peux et je souhaite produire au maximum deux films par an.
qui, au départ, ne me plaisait pas et pour lequel, commeje |’ai dit plus 13bis. J’ai plus d’une fois produit le premier film d’un cinéaste et le
haut, je ne pensais pas avoir une influence a tous les niveaux. dernier film produit par ma société est I’oeuvre d’un jeune metteur en
7. et 8. Le producteur ne peut pas jouer sur Vallongement de la scéne de 23 ans. Ce n’est pas le premier et il n’y a pas de raison que ce
durée de ]’amortissement des films, mais il est évident qu’actuellement soit le dernier.
les possibilité d’amortissements s’étendent dans le temps compte tenu

ALBINA DU BOISROUVRAY
(ALBINA PRODUCTIONS)
4. Surtout pas comme un finan- décrits dans ma réponse (10). Je ne dis pas qu’elle n’avait pas sa néces-
cier avant tout. D’abord, et trés sité d’existence il y a 24 ans, mais elle nécessiterait d’étre modernisée
foin d’abord, comme un entrepre- et de se voir modifiée.
neur de films. Ensuite, nécessité 3. C’est un travail d’équipe dont élément prépondérant est le met-
oblige, mais nécessité seulement, et teur en scéne puisqu’il fixe définitivement, sur pellicule, le travail de
ce n’est pas l’aspect qui m’exalte le tous les autres participants.
plus, mais c’est un aspect indispen- 4. Oui et heureusement puisque cela permet précisément le travail
sable, étre un financier intelligent. d’équipe et de contribuer de facon bénéfique a la question (1).
Je veux dire : arriver 4 marier ces 5. Oui, envers tous ceux et celles qui m’ont fait confiance au niveau
deux inconciliables, l’artistique et Ls économique, artistique, etc.
fe commercial, un art, une industrie, pour le plus grand épanouisse- 6. Oui, une recherche de qualité artistique, d’originalité, ne pas seu-
ment du résultat final, le film. lement distraire, mais marquer, que ce soit par Pémation, lesthétique
Par exemple, si je décide de faire une coproduction étrangére, c’est ou Ja réflexion.
parce que j’y verrai la possibilité d’ajouter un, ou des acteurs qui enri- 7. Tout cela dépend des conditions économiques d’une société. Cela
chiront le film, des lieux qui rendront plus originale Vhistoire, des dépend 4 quel moment de Vhistoire d’une société l'on pose cette ques-
techniciens de talent, et non pas mélanger péle-méle n’importe quoi tion — les deux sont évidemment souhaitables ensemble. (voir ques-
pour aboutir aux quotas requis et, par conséquent, uniquement 4 un tion 1).
apport financier supplémentaire. C’est d’ailleurs cet aspect de pari, de 8. Trés importantes. Aussi importantes que le passage du muet au
défi, qui me passionne dans mon métier. parlant mais trés fascinantes et excitantes aussi, 4 condition de savoir
2. Une grande part, celle qui me parait essentielle 4 l’exercice profes- s’adapter avec imagination.
sionnel de ce métier. Celle de suggérer, avertir, conseiller, exciter 9. Oui, des films plutét intimes, 4 théme, d’un rythme de récit un
Vimagination du scénariste, du metteur en scéne, de l’équipe techni- peu lent — un cété douceur de la France, Ja Loire quoi ! Un avenir
que. C’est un travail d’équipe et le montage doit l’étre également. peut-étre difficile, c’est pourquoi l’émergence des nouvelles techni-
Seulement, en regard de ma réponse (5), si l’on concoit que le produc- ques est un bon espoir.
teur est le responsable du produit envers ceux gui l’ont contracté, ta 40. Nulle. fs ont pendant des années avachi, dégradé l'image de
loi de 57 est une contradiction qui l’empéche d’exercer sa responsabi- cette fonction, de ce métier. Et Dieu sait que c’est un métier et que cela
lité et qui contribue 4 engendrer des procucteurs de style de ceux ne s’improvise pas. C’est vulgaire et incompétent, en France, l’image
ALBINA DU BOISROUVRAY 59
d’un producteur. Et, en effet, il y a ceux qui profitent de la complexité Thomas, La Fille au violoncelle d’Yvan Butler, France Société
et du manque de régles fixées en ce qui concerne le financement pour anonyme d@ Alain Corneau et le premier film hors du rideau de fer
s’en servir comme tremplin révé pour les escroqueries. I] y a ceux qui d’Andrej Zulawski L’Important c’est d’aimer. Cette année : Un Tour
ont de [’argent et le jettent par les fenétres pour exister dans ce milieu au dois de Nicolas Ribowski et Joséptta de Christopher Frank. Et, je
mythologique pour eux du « Cinéma » et pouvoir déjeuner dans un considére Paulina 1880 de J.-L. Bertucelli comme un premier film,
studio, incompétents. Mais, rares sont ceux qui aiment les récits par puisqu’il n’avait jamais dirigé d’acteurs. Remparts d’argile était
l'image et le son, qui ont été ou qui vont au cinéma, qui en connaissent comme un documentaire muet — cela fait une proportion de 9 films
la technique, prennent des risques et qui portent leurs films dans leur sur 20, presque la moitié. Mais, je ne le fais que lorsque je crois trés
téte, comme les femmes portent leur enfant dans leur ventre. Il y ena fort soit au sujet, soit au metteur en scéne et, de préférence, aux deux.
et il y en eut heureusement parmi-la multitude qui s’attribue cette
dénomination et il faut espérer qu’il y en aura de plus d’authentiques. Note sur 10, Aux Etats-Unis, les producteurs sont obligés d’étre des profes-
441. Orageux parfois parce que je sais ce que je veux. Bons parce que sionnels car la sanction est immédiate : « You are as good as your last pic-
nous nous respectons mutuellement dans nos spéci és et nos néces- ture ». Le financement est la plupart du temps trop intportant pour tre totale-
sités. iment, ou en grande partie, supporté dans Vindépendance. Un producteur con-
12. Sur l’extension et la transformation des techniques nouvelles, iracte son financement auprés d’un studio — lequel ne lui pardonnera pas de
perdre ou de faire un film nul — lun ou Pautre, mais pas les deux. Les acteurs
des nouveaux supports d’exploitation.
importants, les scénaristes, éventuellement les metteurs en scéne, se sentent en
43. Autant qu'il y ena de bons ou d’excellents chaque année, qui me sécurité avec guelqu’un qui ale confiance d’un studio. C’est un cercle vicieux.
sont proposés ou que je suscite. Et puis il py a la concurrence, plus il y a de gens compétents et plus cela suscite
13bis Plusieurs fois, je dirai méme que c’est presque devenu ma de gens compétents en éliminant les autres d’embtée.
spécialité — 36 d’Henri de Turenne qui n’avait, jusque la, fait Et fa compétence et (efficacité sont, aux Etats-Unis, des valeurs reconnues et
que des documentaires de télé — ; j’ai produit Les Zozos de Pascal recherchées.

RAYMOND DANON
. (LIRA FILMS)
1. Le travail du producteur con- Vapprécient de moins en moins, et que le film francais s’exporte de
siste 4 faire en sorte qu’un film moins en moins.
existe, c’est-d-dire & coordonner 40. Sans producteurs, il n*y aurait pas de cinéma, ni en France, ni
tous les éléments, tant artistiques ailleurs. Je vois mal ce que feraijent Jes distributeurs ou les exploitants
que financiers pour que cela soit s’ils n’avaient plus de films.
possible. 44. Cela dépend des moments.
Je me considére 4 la fois, comme 12. En ce qui me concerne, je souhaite vivement que le cinéma
un financier et comme un entrepre- s’appuie uniquement sur le marché et pas du tout sur des aides ou des
neur de films. Je crois qu’un bon subventions.
producteur doit avoir ces deux 13, Il m’est impossible de répondre a cette question.
qualités. Je peux trés bien rester deux ans sans rien produire, puis produire cing
2. En ce qui concerne le casting, films dans une seule année.
je choisis d’un commun accord ! 13bis. Oui, j’ai déja produit plusieurs « premier film de cinéaste »,
avec le réalisateur les réles principaux. De méme, pour le scénario, jé notamment ces derniéres années, je peux citer : Jean-Pierre Blanc,
donne mon opinion, sans pour cela vouloir me substituer aux auteurs. Bertrand Tavernier.
Les principaux lieux de tournage et les principaux choix techniques, Je suis tout a fait prét a le (re)faire.
sont faits en commun avec le réalisateur.
La responsabilité du montage final appartient actuellement, d’aprés
les lois qui nous régissent, au réalisateur.
En général je n’ai pas eu trop de difficultés 4 me faire entendre par le
réalisateur si, par hasard, je n’étais pas d’accord avec son montage
final. Toutefois, je pense que la réglementation devrait atre modifiée
et que la responsabilité du montage final devrait appartenir aussi bien
au réalisateur, qu’au producteur.
3. En général il n'y a pas un seul auteur d’un film, mais plusieurs
personnes qui collaborent 4 sa création.
4. Cette évolution est absolument souhaitable et j’espére qu’elle ira
LE MINOTAURE
en se développant.
5. Ilest difficile pour moi de dire que je me sens plus engagé vis-a-vis
de quelqu’un, plutét que de quelqu’un d’autre, Lorsque je produis un
film, mon seul souci est que ce film soit un succés, ce qui est indispen-
sable et bénéfique pour tout le monde.
6. Oui, je pense que le méme film, avec le méme scénario, le méme
réalisateur, les mémes acteurs, produit par un autre producteur serait
différent de ce qu’il est, produit par moi. Tous mes films ont donc for-
cément quelque chose en commun: le producteur.
7. Je ne crois pas qu’un producteur puisse produire avec comme LA LIBRAIRIE DU CINEMA
seule orjentation, la constitution d’un catalogue de films. I faut, s*il
veut un jour avoir ce portefeuille, et s’il veut étre en mesure de pro-
duire beaucoup de films, que les films qu’il produit s’amortissent le
plus rapidement possible.
8. Je pense que ces techniques nouvelles sont trés importantes et PHOTOGRAPHIE - PATAPHYSIQUE
qu’ elles le seront plus encore dans l’avenir. Je crois que les conséquen-
ces de ces techniques seront forcément bénéfiques pour les produc- 2, rue des Beaux-Arts, Paris 6° - Tél. 354.73.02. - C.C.P. 74-22-37 Paris

teurs ; il faudra bien que ces techniques nouvelles soient alimentées en


films.
9. Tl est évident que la production francaise a un style, malheureuse-
ment ce style est en général tellement frangais que les pays étrangers
60 13(+ T} QUESTIONS AUX PROBDUCTEURS

PIERRE HEROS ET JACQUES HINSTIN


(LES PRODUCTIONS AUDIOVISUELLES)

4. Le producteur devrait étre: sion entraineront une demande plus importante de films et parmi
promoteur et entrepreneur de ceux-la, de films de qualité.
films, c’est-d-dire: choisir un 9. Ce qui caractérise la production francaise, c’est : « on prend les
sujet, déja écrit ou pas ; choisir un mémies et on recommence ». C’est aussi un individualisme forcené :
metteur en scéne et un auteur chacun pour soi. Cette attitude a plusieurs conséquences : en amont,
adaptateur si besoin est. Ensuite, c’est l’inflation des cofits de production (par exemple, les agents — je
travailler avec le réalisateur pour ne nomme personne — imposent des prix qui souvent ne se justifient
les choix 4 faire 4 tous les niveaux aucunement) ; en aval, ce sont les « partenaires », principalement
de fa fabrication; contrdfer le exploitants et TV qui voient arriver les producteurs en ordre dispersé
tournage heure par heure, puis la et souvent exsangues pour négocier ; 14, le producteur a sa chance...
finition ; entreprendre et contrdler comme le gibier.
la promotion du film en collabora- L’avenir de la production (indépendante ?) nous parait plutét som-
tion avec le distributeur ; veiller 4 bre. La concentration des pouvoirs fait que le financement des films
la sortie et a l’exploitation en salle. dépend d’un nombre de personnes de moins en moins grand. Il semble
difficile d’éviter que ces « happy few » ne tendent vers une production
Parallélement, il collecte les fonds : plus standardisée, répondant 4 une demande évidente et immédiate.
nécessaires, gére le budget du film Pierre Heros De plus et pour toutes les raisons inhérentes 4 une structure impor-
et tout au long de l’exploitation, assure la répartition des recettes. tante, le contréle sur les productions se fera plus pesant et les produc-
En réalité, Pactivité purement financiére prend largement Je pas sur teurs risquent de devenir ce que certains sont déja : des excroissances
toutes les autres. ou des satellites de ces structures, c’est-a-dire de simples tampons
2. L’important est que le producteur et le réalisateur veuillent faire le entre ces puissances d’une part, la création artistique et la technique
méme film. La décision finale appartient 4 celui qui (en principe) pos- d’autre part.
séde le premier le plus d’éléments sur le résultat final : le réalisateur. Nous sommes conscients, pour notre part — et histoire récente du
Les relations conflictuelles entre producteur et réalisateur ne peuvent, cinéma américain je confirme — que J’initiative des projets ne peut et
compte tenu des pouvoirs de chacun, que nuire a 1a cohérence du film. ne doit pas venir de ces structures, qu’il est nécessaire que les films
Si les rapports entre les deux parties sont bons, les décisions s’impo- soient voulus et fabriqués par de petites unités de production artisa-
sent d’elles-mémes conformément aux exigences du film tout en nale qui doivent tout au long de [a production du film garder i’initia-
tenant compte des réalités économiques. I] n’y a donc pas de position tive et ce rapport privilégié avec l’équipe de création.
théorique possible ; les rapports personnels sont ici fondamentaux. 40. Alors qu’elle est 4 l’orgine et qu’elle fabrique te produit, qu’elle
3. Le réalisateur. est également premiére 4 prendre des risques de tous ordres, la pro-
4. Siles réalisateurs ont pu ignorer que la fréquentation annuelle fut duction est la derniére sur le plan de la remontée des recettes ; elle est
un temps de 400 millions de spectateurs, ils ne peuvent ignorer qu’elle done fragilisée a Uextréme ; les dép6ts de bilan se succédent tandis que
n’est plus aujourd’hui que de 160 millions et répartis sur trés peu de distributeurs et exploitants se portent 4 merveille. De plus, la produc-
films. Un échec commercial] n’est plus sans conséquence sur la « car- tion est mise a l’écart de toutes les décisions réglementaires qui la con-
riére » ou l’ceuvre d’un réalisateur. cernent.
De plus en plus, un réalisateur doit a ses débuts se méler de produc- L’image de marque du producteur est 4 tort ou 4 raison dégradée.
tion, sinon produire son film. Par ailleurs, beaucoup de réalisateurs Dans les milieux financiers, le producteur est défini comme : « un
refusent de « s’en remettre » complétement a un producteur. joueur qui a acheté ses jetons 4 crédit ».
Nous sommes trés favorables a l’intéressement du réalisateur 4 la mar- Aucun des rapports faits sur l’audio-visuel n’aborde le probléme de la
che du film, dans la perspective des « bons rapports » cités plus hauts. réalité de la production indépendante : le producteur n’est pas un par-
Cela implique, en contrepartie, une certaine « transparence » du tenaire a part entiére, on hésite 4 se compromettre avec lui.
financement. 1%. A. Exploitation, distribution :
5. Notre premier engagement est celui qui nous lie au réalisateur : lui La production n’a que peu de rapports avec l’exploitation. La cuisine
donner les moyens de réaliser le film que nous avons voulu ensemble. exploitant-distributeur ne concerne pas — hélas — le producteur. On
Par la-méme, le producteur s’engage vis-a-vis de toutes les parties, espére que tout se passe bien pour eux... Nos rapports avec le distribu-
puisque le film ne saurait exister sans elles. teur sont faits, comme on Vimagine, d’estime réciproque et de con-
Plutét que Whistoire du cinéma, nous préférons nous attacher a la fiance mutuelle.
notion de qualité du film a produire. Tout film 4 réaliser est B. Etablissements financiers :
aujourd’hui une bataille et il nous parait impossible de nous battre Il y avait 2 établissements financiers spécialisés dans le cinéma, il n’y
pour un projet que nous ne pourrions pas respecter. Cela dit, nous en a plus qu’un qui est ’émanation des banques privées et nationali-
avons appris 4 nous méfier de lhistoire, y compris celle du cinéma... sées : c’est un préteur sur gages. Nous attendons, sans trop y croire, la
La production est une profession et en tant que telle doit permettre de création d’une veritable banque d’affaires du cinéma. Quant 4 nos
gagner son pain sinon sa Rolls... rapports actuels, ils sont faits d’estime réciproque et de confiance
7. ILyaencore 7 ans, un film s’amortissait sur une période comprise mutuelle.
entre 18 mois et 2 ans. Aujourd’hui, cette période est inférieure 4 un C. Les agents :
an. Lorsqu’on considére la durée moyenne de vie du film sur les Les agents sont de braves gens.
écrans, les taux bancaires pratiqnés et le coup de grace que constitue le D. Télévision :
passage a la TV, la notion de « valeur résiduelle » des films prend 98 % des spectateurs, 15 % du financement (quand elle intervient).
toute sa saveur. Telle que nous envisageons la production — c’est-a- Sans commentaire. Mais nos rapports, bien sir, sont faits d’estime
dire artisanale — on ne peut tabler sur Ja constitution d’un catalogue. réciproque et de confiance mutuelie.
Un jour, sil’on a pu « durer », on a un catalogue. Certains « vieux » E. CNC:
producteurs sont propriétaires de nombreux négatifs de valeur. Leurs S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer. D’ailleurs, nos rapports sont
films étant amortis depuis longtemps, chaque vente (TV, cassettes, faits d’estime réciproque et de confiance mutuelle.
etc.) est un bénéfice : c’est le pain de vieillesse des producteurs. 12. Avec 400 millions de spectateurs, le systéme anarchique de la
8. Les techniques nouvelles n’ont pas encore émergé a ce jour, production peut fonctionner.
encore que les grands groupes semblent étre sur la signe de départ. Avec 160 millions de spectateurs et un cofit moyen de film d’environ
Nous pouvons seulement espérer que ces nouveaux moyens de diffu- 5 000 000 de francs, le systéme ne fonctionne plus.
PIERRE HEROS ET JACQUES HINSTIN 61
Les robinets se ferment. Les structures qui disposent des capitaux Elles ont alors besoin d’un fabricant des films et rien de plus : d’un
imposent un contrdle plus strict et se sécurisent a tous les niveaux de la contrdleur du budget. A ces seules conditions, elles financeront la
fabrication, c’est-a-dire tentent de reproduire les succés en mélangeant quasi totalité du film et en resteront le propriétaire exclusif.
les facteurs de succés : acteurs au box office, scénaristes, réalisateurs. 13. En tant que producteur physique, 2 films par an, au maximum.

MARIN KARMITZ
(MK2 PRODUCTION)
1. Ni lun, ni l’autre. Je suis sant de comparer les conditions de production et de distribution aux
avant tout un réalisateur qui a pro- contenus de ces films : Malle a tourné a |’étranger avec l’argent des
duit ses propres films, courts et tax-shelters, ca donne un semblant de film international qui ne se situe
longs métrages, nulle part en particuler pour le public. Truffaut a tourné avec la Gau-
J’ai ensuite complété cette activité mont et a réalisé une trés bonne production Pairé ; Chabrol se situe
de réalisateur-producteur par celle dans un artisanat, un peu entre deux, qui a du mal a survivre, ila fait
de distributeur-exploitant. Je par- un film qui tente d’atteindre le grand public, lié 4 certaines méthodes
cours maintenant Vensemble du de production et il n’a pas réussi ; Godard a é1é le seul 4 maitriser ses
mouvement d’un film. conditions de financement, de production et de sortie : son film est un
Ces différents temps ne devraient succés mondial, par rapport au cot du film et aux conditions de tra-
jamais étre dissociés : l’absence de coordination entre les différents vail qui l’ont permis. Non que le film de Truffaut ne soit pas un suc-
spécialistes de la fabrication nuit dramatiquement 4 chaque film, Je cés, mais i] a été fait dans un cadre de production qui doit déboucher
suis actuellement le seul en France 4 pouvoir orchestrer le mouvement sur ce type de film, ce type de diffusion, ce type de succés. Quant a
d’un bout 4 l'autre. Rohmer, il est dans la contradiction la plus grande, car il a fait un film
Mais mon « circuit » est différent des « grands circuits » : j'ai Y'expé- entigrement de facon artisanale (16 mm), sorti et bousillé par Gau-
rience de la mise en scéne et de la technique : j'ai été assistant de plu- mont. Alors que Rohmer est son propre producteur, il n’a pas pu
sieurs réalisateurs de la Nouvelle Vague, opérateur, réalisateur, pro- maitriser la sortie (qu’il souhaitait faire dans une seule salle en tenant
ducteur de courts et de longs métrages. Je n’ai pas le désir d’€tre réali- je film longtemps) pour faire en sorte que les spectateurs abordent son
sateur & la place des réalisateurs. film dans les meilleures conditions. Il aurait fallu d'autres idées de
Chez Gaumont on ne se contente pas du réle de financer ou d’aider publicité, préparer longuement cette sortie d’un objet particulier dans
correctement les films : il y a confusion entre leurs propres besoins des conditions particuliéres, et non le sortir dans un circuit normal, ou
créatifs et les films pour lesquels ils s’engagent. normatif, oii le public ne peut pas reconnaftre la singularité du film : il
Une autre différence est que je tiens 4 préserver ma position d’arti- y a cassure entre le projet initial et son aboutissement. Et les réalisa-
san : la seule chose que nous sachions faire en Europe est de fabriquer teurs démissionnent.
des prototypes, des produits a tirage limité, spécifiques, impossibles 4 Pour moi, il y a responsabilité et cohérence entre mon travail de pro-
réaliser dans le cadre des monopoles francais ou américains. ducteur et le choix que les réalisateurs font en venant me voir comme
2. La question est peut-étre mal posée. Pour la deuxiéme partie, il producteur, Godard m’a choisi comme producteur parce que ¢a pou-
faut se référer 4 la situation mondiale du cinéma. Aux Etats-Unis, en vait carrespondre a sa logique et 4 sa facon de travailler. Chaque fois
fonction de la situation industrielle du cinéma, le montage appartenait que l’on maintenait cette logique, cette unité entre le projet de départ
Je plus souvent au financier. En France, surtout 4 partir de la Nouvelle du réalisateur, et le projet commun élaboré ensemble, on gagnait le
Vague, on a abouti 4 la prédominance de l’auteur sur le producteur. pari. Chaque fois que j’ai été en rupture, 4 cause d’un malentendu,
Je pense qu’aucune de ces situations n’est correcte. Il est absolument entre ce que je suis et le projet, je me suis cassé la figure.
catastrophique que les producteurs aient démissionné par rapport a 3. C'est une réponse qui demande a étre modulée. Dans une produc-
certaines taches, certaines nécessités, qu’ils ne soient pas capables tion Poiré, ¢’est Poiré. Quand je produis un film de Godard, c'est
Vimposer certaines régles et certaines relations de travail, Pour moi, Godard. En fait les conditions de création sont liées aux modes de
le probléme se pose avant le tournage, dans le choix méme des gens financement. A la Télévision francaise, c’est la Télévision francaise
avec qui j’ai envie de travailler ; les discussions préalables, le choix de qui est l’auteur des films, pas les réalisateurs qui y travaillent. Dans les
scénarios, de films et des relations que je veux entretenir avec les réali- grandes compagnies américaines, ce sont les conditions de produc-
saieurs empéchent que la question puisse se poser en ces termes. Si tion, méme pas les compagnies, qui sont les auteurs des films, les
cela arrivait je dirai que c’est au producteur d’avoir le dernier mot. Un auteurs ne sont que les représentants des conditions de production. Je
exemple concret : je tiens absolument a ce que 1l’on puisse faire des ne suis pas sfir que Truffaut soit entigrement |’auteur du Dernier
films de moins de deux heures. Depuis le début du cinéma, on a admi- Méiro. 11 Pest en partie, mais les conditions de production sont aussi
rablement raconté des histoires en une heure et demie et cette tendance « auteur » de son film.
4 allonger la durée du film témoigne — sauf exception — de la 4. La plupart des réalisateurs n’ont pas encore une conscience assez
non-maitrise du récit. Le plus souvent on arrive a des situations ban- aigué du systéme économique auquel ils sont lids, Is n’ont en particu-
cales qui sont en contradiction avec la réalité des spectacles. On s’en lier aucune connaissance du systéme de distribution-exploitation ; ils
rend compte dés qu’on s’occupe de salles : faire un film de deux heu- n’ont qu’une connaissance limitée au coup par coup, en fonction des
res cing ne correspond a aucune norme par rapport aux habitudes des difficultés qu’ils rencontrent en essayant de trouver de |’argent pour
spectateurs. Un réalisateur qui se pose la question:*« a qui je faire leur film, ¢a s’arréte la. Double inconvénient : ils croient qu’ils
m’adresse ? », qui respecte les problémes de son public, se pose en savent, alors qu’ils ne savent qu’une petite partie des choses. Cette
tout cas le probléme de la durée de son film. Pour moi, un film ne doit situation-la les coupe de ce que pourrait leur apporter un producteur.
pas durer plus de une heure cinquante — sauf exception, mais excep- Is y sont amenés, il est vrai, par Pabsence de producteurs, ou par leur
tion que l’on peut prévoir. envie de faire des films en absence de producteurs ayant envie de les
Quand je produis un film, j’y risque ma société, des années de travail, monter. C’est aussi lié 4 un certain type de financement de I’Etat qui
de Vargent fourni par d’autres films qui entre dans ce nouveau film : encourage cette situation : on se retrouve avec des films imparfaits et
je suis donc tenu d’obtenir des succés relatifs ; je cherche ce type de qui auraient pu étre meilleurs si la connaissance des réalisateurs des
succés, pour pouvoir continuer mon travail, Je suis donc compléte- mécanismes qui régissent la profession était allée plus loin. Ou s’ils
ment impliqué dans la démarche du film et dans son fonctionnement avaient un véritable producteur capable de les amener vers les specta-
économique. Mais les choix de départ conditionnent tout le reste : j'ai teurs. Nous sommes dans une situation intermédiaire catastrophique.
vu peu de films ne correspondant pas au scénario initial. Le film est 5. C’est un cauchemar, je me sens engagé envers tout le monde. S’il
marqué dés le départ par le choix économique de ses conditions de y aun élément vis-a-vis duquel je me désengage, tout s’écroule et je
production. n’ai plus envie du film, je ne le vis plus,
Prenons les films des auteurs de la Nouvelle Vague sortis l’an dernier : 6. Ils ont en commun ma situation dans le cinéma : ils proviennent
Chabrol, Malle, Truffaut, Rohmer et Godard, Il est tout a fait intéres- d'un double choix, le mien mais aussi celui des réalisateurs qui préfé-
62 13 (+ 1} QUESTIONS AUX PRODUCTEURS

rent venir 4 moi plutdt que d’aller chez Gaumont, ou qui, ayant été tain nombre de films, je les maitrise aussi, parce qu’ils ont besoin de
rejetés par Gaumont ou d’autres sociétés, arrivent chez moi, sachant ces films pour leurs salles, Dés qu’on produit des films de grande qua-
qu’ils trouveront d’autres conditions de production qu’ils acceptent ; lité, on peut demander ce qu’on veut : on n’a pas 4 avoir de relation
il y a un double mouvement. de vassal vis-a-vis d’eux, parce que les films sont nettement au-dessus
7. Jen’ai qu’un catalogue. Je suis un éditeur, j’ai des collections, et des programmateurs. J’ai pu sortir Sauve qui peut la vie dans les salles
4 l’intérieur de ces collections, je distribue des films ou je participe 4 qui convenaient, au moment ou if fallait Ie sortir... I est évident que si
leur production. Je me demande pourquoi il faudrait faire un film qui le film est mauvais, la situation n’est pas celle-la et on dépend de leur
n’aurait qu’une courte durée de vie. Avec les nouveaux systémes de bonne ou mauvaise volonté. I] suffit donc de faire des bons films.
diffusion, les films ont un potentiel nouveau. Le besoin d’images se Ayant moi-méme des salles, je peux 4 tout moment sortir des films
développe de telle facon qu’on ne pourra jamais le combler. On vit chez moi et faire plus de 100 000 entrées uniquement dans ce circuit.
déja sur Je passé, sur ’histoire, sur les stocks. C’est peut-étre ¢a la Ce qui me donne une assez grande liberté. Les relations avec les cir-
beauté du cinéma : méme les plus mauvais films ne meurent pas, ce cuits sont complexes, elles prennent l’allure de rapports de force per-
sont de mauvaises herbes, mais elles repoussent wn peu. Je mise essen- manenis, de brimades : non fourniture de films 4 mes salles quand je
tiellement sur des investissements de longue durée en faisant des films demande un film, programmation de salles voisines aux miennes pour
tellement implantés dans notre réalité que le monde entier puisse les m’empécher d’avoir des films, pressions de certains circuits sur
voir. d’autres circuits pour les empécher de traiter avec moi. Tout cela s’ins-
8. C’est superbe parce que cela va réduire le réle des salles et des pro- erit dans un rapport de force violent, trés désagréable, sur la base de
grammaieurs, cela va réduire leur pouvoir. Dans les années 70-80, la réglements de comptes personnels qui ne font que nuire aux films.
création cinématographique, du moins en France, a été complétement L’ensemble de Ja profession souffre de cette attitude des grands grou-
minée par ce pouvoir des salles et des programmateurs. Dans la pes. Il faut dire aussi, 4 la décharge des groupes, que les gens ne se
mesure ot les sailes vont perdre une partie de leur pouvoir, le finance- révoltent jamais. S’ils réagissaient, cela ne se passerait pas ainsi. Les
ment ne se fera plus seulement sur l’exploitation en salle, parce groupes profitent du silence complice des réalisateurs, des producteurs
gu’elles ne représentent plus dans Ja vie d’un film, qu’un quart ou un et de ce qui reste comme distributeurs.
tiers du marché, Le reste du marché viendra des cassettes, des tétévi- Pour ce qui est des exploitants, il y en a de deux sortes : ceux qui sont
sions, des satellites... Il y aura donc d’autres moyens de trouver un liés aux programmateurs des groupes, et les indépendants qui survi-
financement et de couvrir un film. C*est dans un premier temps un vent difficitement et que nous alimentons avec notre catalogue et cer-
peu de liberté retrouvée. Ca permet de travailler sur des films pouvant tains de nos films. Donc une part de leur existence est suspendue 4 la
avoir une durée de vie beaucoup plus longue, d’avoir des moyens de mienne, surtout pour les indépendants des grandes villes universitaires
diffusion plus larges, de penser 4 des collections 4 petits tirages sans de province. C’est une situation trés grave, et c’est pour cela que
qu’on vous reproche les petits tirages, de ne pas étre sans arrét tenu j’attends avec impatience l’avénement d’autres techniques de diffu-
par le nombre d’entrées faites 4 Paris. Ce ne sera plus au nombre sion pour pallier 4 ces faiblesses du systéme.
d’entrées 4 Paris qu’on jugera la beauté d’un film. Pour ce qui est des agents, il n’y a aucun probléme pour ce qui con-
Les financiers actuels commencent 4 étre trés sensibles a cette idée de cere les films que je produis. Les relations sont remarquables, parti-
durée d’un film, elle permet d’envisager des investissements de longue culigrement avec Artmedia. IIs n’ont jamais tenté de surenchéres de
durée. Jusqu’a présent, le cinéma n’intéressait les financiers que dans salaires des acteurs ; il se trouve que ce sont des films que les acteurs
un rapport de rentabilité a trés court terme. Aujourd’hui, je peux les ont envie et sont fiers de faire ; ces mémes acteurs savent que les con-
convaincre que les films que je fais peuvent se rentabiliser dans dix ans ditions dans lesquelles ces films sont faits sont correctes, cohérentes et
et prendre de Ja valeur. Ils ont compris qu’un fonds de producteur peut donnent aux films des chances d’avoir un certain retentissement, en
ressembler 4 un fonds d’éditeur, que les films peuvent étre négociés France comme a |’étranger.
X fois, ala télévision, au cinéma, en cassettes, et que leur marché peut 12. Jenesouhaite pas que le cinéma s’appuie trop sur les aides ou les
faire boule de neige. Je m’évertue done a convaincre les financiers on subventions, qu’elles soient d’Etat ou qu’elles proviennent des mono-
jes sociétés d’investissement qu'il est tout aussi intéressant d’investir poles : télévisions ou Gaumont.
dans un film que dans un terrain ou une forét dont on n’aura les résul- L’idéal serait une alliance entre un financement d’Etat ~ subven-
tats que dix ans plus tard. On calcule les agios ; 4 l’intérieur de cet tions, télévision... — et la possibilité réelle d’une initiative privée, l’un
investissement on intégre le colt de Vargent en fonction d'une rentabi- s’appuyant sur autre, sans que I’un ne devienne un élément d’empri-
lité potentielle dans deux, trois ou cing ans, en sachant aussi que les sonnement du film. Pour l’instant ce n’est pas Je cas : les subventions
coiits d’achat des films par les télévisions, les marchés de cassettes ont sont insuffisantes ou mal réparties, et les investissements privés se por-
telle ou telle courbe d’évolution, en tenant compte aussi de l’augmen- tent essentiellement sur des produits immédiatement commercialisa-
tation du cofit de fa vie et du prix du franc ; l’amortissement se fait bles. Les aides sont mal réparties, le fonds d’aide va pour moité aux
par cette plus-value rattrapée en cing ans. C’est exactement comme si salles, pour moitié aux films, ce qui est injuste ; il va essentiellement
on investissait dans immobilier, en construisant des appartements aux gros films (plus un film marche, plus il obtient d’aide) ce qui est
qui ne seront vendus que deux ou trois ans plus tard. absurde.,, Les commissions du Centre, par exemple d’aide aux films
9, Ilyaune grande production francaise. La France est actuellement difficiles, ne fonctionnent pas et n’aident rien du tout. UI y a un certain
un des pays qui produit fe plus de choses intéressantes. Si on regarde la nombre de blocages politiques qui sont catastrophiques. L’ Avance sur
production francaise de cette année et qu’on la compare avec la pro- recettes devrait intervenir de fagon plus importante, la télévision
duction italienne ou allemande qui est pourtant vivante, ¢’est une pro- limite ses efforts, et 4 un certain type de films ; il y a certains films ter-
duction superbe, sans doute du fait que les cinéastes de la génération minés qu’on ne peut pas vendre aux chaines sous prétexte qu’ils ne
précédente ont tous pu refaire des films. Il y a eu dix trés beaux films rentrent pas dans leurs critéres de commercialisation ou d’écoute.
cette année, du film de Marie-Claude Treilhou, Simone Barbés ou la Tout cela rend difficile la continuation d’un cinéma « hors normes ».
vertu a Sauve qui peut la vie. Ily a un ensemble de courants, non com- Du coup, j’essaie de co-produire avec l’étranger, en m’appuyant sur
parables, trés divers. On a Vimpression qu'il y a un mouvement cycli- les subventions accordées dans certains pays européens : télévision
que, tous les dix ans, de renouvellement et d’épanouissement des allemande, aide en Suisse...
capacités de création, lié 4 des crises idéologiques, économiques ou 43. Quatre (au maximum six), A condition qu’il y en ait deux que je
politiques. fasse comme producteur délégué, et deux comme co-producteur,
Ce qui me rend trés optimiste c’est qu’il y a réellement un renouvelle- comme je l’ai fait avec Le Saut dans le vide de Bellocchio. Je ne pense
ment des capacités de création et de production. II y a quatre ou cing pas pouvoir faire plus de deux films en tant que producteur réel, en
ans il y avait crise, on commence 4 en sortir. ayant en charge l’ensemble de la production : financement et gestion.
10. 413bis. Oui. J'ai produit le premier film de Tachella, j’ai pris sur
14. Les relations sont trés différentes. Je pars d’un principe général scénario en distribution le premier film de Marie-Claude Treilhou.
augquel je me tiens, qui est de compter sur mes propres forces. Vis-a- Quand je produisais des courts métrages, ce n’était que des premiers
vis des banques ou du CNC : ne pas €tre dans une situation d’assisté, films. J'ai produit le premier court métrage de Romain Goupil, dans
mais de dialogue avec des gens qui ont un certain réle 4 remplir. Par la perspective de l’aide A produire son premier long métrage. Je recois
rapport aux circuits : c’est un rapport de violence réelle, parce que je deux scénarios de premier film par jour, mais bien peu de projets pour
Jes géne, et qu’ils savent qu’a partir du moment oi) je maitrise un cer- Jesquels j’ai envie de me batire.
3b41 012345 b189
PHILIPPE BERTRAND
wn” 70 OC UF ZS" 02780

En prenant votre carte Diners Club International,


vous aurez 4 votre disposition un éventail de services
complets et les portes souvriront devant vous. Vous
serez un voyageur privilégié reconnu dans 150 pays et 500.000
établissements. Vous paierez avec votre carte vos notes d’hétel
et de restaurant, C’est tellement plus discret que les espéces
sonnantes !
Faire votre shopping, louer votre voiture, payer votre billet davion,
c’est également possible avec votre carte Diners Club International. La carte Diners
Club International, cest aussi une précieuse garantie de sécurité finaniciére: pour tous
vos déplacements vous bénéficierez d'une garantie automatique de 400.000 F.*
Enfin, un détail important: vous étes protégé en cas de perte ou de vol de votre
carte. La carte Diners Club International, c'est vraiment un laissez-passer permanent.
Ne vous en privez-pas.
roux, somal, cayzec A coudard

18-20 rue Francois 1°, 75008 Paris. Tél. 723.78.05.


* Souscrite auprés de fa Continental Jasurance Company of New York, DA 22 05 79.
64 13(+ 1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS

MARGARET MENEGOZ
(LES FILMS DU LOSANGE)

4. NilunniPautre. Je me consi- 6. Non, je ne crois pas. Aucun film n’a de point commun avec un
dére comme un technicien. Quand autre, méme si l’on fait 2 films avec le méme réalisateur. Il n’y a rien
un réalisateur tourne un film, il a de commun entre La Femme de Pavigteur et Perceval. En ce qui con-
besoin d’un opérateur, d’un pre- cerne mon travail en tout cas. I] existe sans doute des producteurs qui
neur de son, mais aussi de impriment une marque personnelle 4 tous leurs films, mais je ne crois
quelqu’un qui organise la produc- pas qu’il y en ait en France, ou plutét si : Alain Poiré ; peu importe le
tion et qui trouve le financement réalisateur, c’est toujours un film d’Alain Poiré.
nécessaire. «Les Films du 7. Chercher la rentabilité immédiate me parait une stupidité. Un film
Losange » est une société avant n’est pas un produit de consommation comme un kleenex. I a une vie
tout destinée 4 produire les films trés longue, comme un livre. I] y a une 2®, une 3°, une 4¢ exploitation
@Eric Rohmer et de Barbet en salles, il y a les diffusions multiples 4 la télévision, il y a les casset-
Schroeder. Nous ne produisons de films d’autres réalisateurs que tes, etc. Les sociéiés qui ont quelque ancienneté ont fatalement un
depuis peu de temps. C’est parce que Barbet Schroeder est parti aux catalogue de leurs films. En dehors de la production il y a tout un tra-
Etats-Unis et qu’Eric Rohmer avait un projet au théatre que j’ai eu la vail pour mettre en valeur les anciens films, pour les faire vivre juste-
possibilité de m’intéresser 4 d’autres projets. J’ai donc eu 4 exercer ment. Chaque franc gagné avec un film doit retourner dang un autre
des choix, mais il y a des films que je ne me sens pas capable de pro- film. Le catalogue doit done aider 4 produire de nouveaux films et
duire comme il y a des films qu’un chef opérateur peut se sentir inca- non pas servir 4 l’achat de bateaux ou de maisons de campagne.
pable de tourner. 8. Ce sont des moyens de diffusion formidables, Ca ne peut étre que
2. Le montage final appartient au réalisateur, c’est évident ! bénéfique et pas seulement pour les producteurs, mais aussi pour les
L’importance de ma participation aux films que je produis varie selon cinéastes. Par contre il y a un danger réel pour |’expioitation classi-
que le réalisateur est francais et tout a fait familier avec les techniciens que. Les gens vont avoir chez eux des écrans de plus en plus grands,
et les comédiens francais ou qu’il est étranger et que je dois préparer une reproduction de plus en plus sophistiquée. Pour les réalisateurs et
son travail. Dans tous les cas les décisions sont prises en commun : les producteurs peu importe le lieu ot les gens voient leurs films. Or
c’est une collaboration. s’il est évident que le spectateur préfére toujours voir Laurence d’Ara-
3. Le réalisateur évidemment. bie au Kinopanorama qu’a la télévision, ou Perceval, il est probable
4. Je crois qu’ils l’ont toujours eue. Je ne pense pas que ce soit quel- que dans quelques années il ne sortira plus pour voir fa Nuit chez
que chose de nouveau. Beaucoup de réalisateurs sont depuis long- Maud au cinéma.
temps leurs propres producteurs : Renn Productions, Les Films du 9. Oui. D’abord par les auteurs francais qui ont une personnalité
Carrosse, Les Films du Losange... Si les réalisateurs sont devenus spécifique, comme tous les auteurs d’ailleurs. Et également 4 cause
leurs propres producteurs, c'est par nécessité plut6t que par goat. des possibilités économiques de la France qui sont distinctes de celles
§. Envers le réalisateur et envers ceux qui m’ont apporté le finance- de l’Allemagne ou des Etats-Unis. Disons qu’elle est empirique ; il n’y
ment du film. a pas de régles.

LA COMMISSION SUPERIEURE
TECHNIQUE PRESENTERA A LA
FIN DU FESTIVAL UN FILM
DE DEMONSTRATION SUR LA
LOUMA
OSCAR TECHNIQUE 1980
LOCATION DE TOUT MATERIEL DE PROJECTION 16 ET 35 MM/M
PANAVISION ET LOUMIA
SAMUELSON ALGA CINEMA - 24, RUE JEAN-MOULIN
94300 VINCENNES - TEL. 328.58.30.
MARGARET MENEGOZ 65
10. Tout dépend de ce qu’on entend par producteur. A mon sens, le plus tét. Antenne 2 a fait Pexpérience avec le Moliére d’Ariane
producteur étant d’abord un technicien, un professionnel connaissant Mnouchkine et TF1 vient de s’associer avec Claude Lelouch pour un
tous les autres métiers du cinéma, sachant exactement ce qui se passe film et une série. Ces opérations mixtes sont destinées a se multiplier,
sur un plateau, dans une salle de montage ou dans un laboratoire, son car, outre un financement plus important pour le producteur, elles
réle sera toujours indispensable pour menet & son terme un film dans sont particuligrement intéressantes pour les organismes de télévision.
les meilleures conditions possibles. Je crois aussi que la production est La société de programme qui coproduit dans ces conditions un film et
un métier d’expérience. Certainement que dans 10 ans je fe ferai une série a un produit de meilleure qualité (vedettes, décors, costumes
mieux que maintenant et dans 15 ans encore mieux. Et l’échec est une plus luxueux, tournage en 35 mm, etc.) qui lui revient pourtant moins
trés bonne école ! Si on commence avec un trop grand succés on est cher qu’un téléfilm, et elle peut diffuser la série le samedi soir, jour ot
tenté de croire que ce succés se reproduira automatiquement : or c’est la télévision n’a en principe pas le droit de diffuser de film cinéma.
Vexception. Et ce sentiment peut distraire un producteur de |’attention L’apport financier que devraient amener les techniques nouvelles de
qu’il doit apporter 4 son travail ; alors que l’échec provoque la réac- diffusion et la participation de la télévision devrait permettre aux
tion inverse. Mais c’est vrai dans tous les métiers. sociétés de production de se passer de subventions.
11. Des rapports de travail normaux, mais qui varient selon les 13. Il mest impossible de faire plus d’un film par an. La Dame aux
films. Je suis cependant frappée par l’injustice du systéme qui privilé- camélias m’a pris 2 ans dont une année entiére a été consacrée a réunir
gie le distributeur par rapport au producteur : l’un et autre concou- je financement. J’ai pu parallélement coproduire Eugenio parce qu’il
rent au financement du film, mais l’apport du distributeur se récupére s’agissait d’un film tourné entiérement en Italie pour lequel je n’ai eu
a 100 % avant le producteur alors que son taux de commission (dans qu’a réunir le financement frangais et conclure les contrats d’auteurs
ja plupart des cas) implique déja une participation aux bénéfices. De et techniciens francais. Si le dernier film d’Eric Rohmer a pu se tour-
méme je trouve excessive la part des recettes conservée par I’ exploitant ner 2 mois aprés la fin du tournage de La Dame aux camélias en rai-
qui pourtant n’a joué aucun réle et pris aucun risque dans le film qu’il son de sa « légéreté », Perceval a été au contraire trés long a préparer.
passe dans ses salles. En fait, plus le budget est élevé, plus cela exige du temps.
12. Les cables, les satellites, les cassettes, les disques, sont appelés 4 13bis. Oui, j’ai produit Passe Montagne avec Jean-Francois Stéve-
jouer un réle important. Tout cela arrivera trés vite. Ainsi, quand j’ai nin, Mais le choix d’un premier film est difficile, car trop souvent le
commencé, la télévision était considérée comme I’ennemi numéro 1. scénario est complétement informe. Je suis persuadée que ce qu’on ne
Les choses ont changé et peu de films se font maintenant sans elle. trouve pas a l’écriture, on ne Je trouvera pas dans le film terminé. La
Certes la situation n’est pas encore idéale et le cinéma continue d’étre liberté au tournage vient du soin accordé au scénario, A la réflexion
exploité par la télévision, mais il y a une évolution. La Dame aux qu’on lui a accordé. C’est bien qu'il y ait Avance sur recettes en
camélias a été le 1¢t cas de coproduction entre les départements télévi- France, ¢’est méme indispensable si l'on veut faire des premiers films.
sion et cinéma de FR3. Il est surprenant que cela ne se soit pas produit Parce que sinon on n’en ferait jamais. Personne.

CLAUDE NEDJAR
(NEF DIFFUSION)
1. Jene pense pas que l’on puisse il n’y a pas responsabilité financiére, et qu’on tombe sur la loi de 1957,
définir le travail dun producteur. il y a une disproportion totale, on est dans une impasse. J’ai toujours
Tout dépend du film, et de la fone- eu des discussions, plutét ardues d’ailleurs, avec les metteurs en scéne
tion que son producteur s’assigne. ~— mais il n’y a jamais eu de situation du genre : « c’est ¢a ou rien ».
Je ne peux parler que de mon expé- Cela dit, il faudrait mieux définir le rapport argent/création : aux
tience personnelle. D’abord, il Etats-Unis, la vraie réussite, c’est : « produced and directed by... »,
faut se dire et se répéter que cha- c’est Paboutissement du talent et de la réussite, de la compétence. Je
que film est un prototype. Alors, ne crois pas au partage réel des responsabilités — je voudrais que les
« financier », ou « entrepreneur réalisateurs-auteurs deviennent économiquement responsables, et les
de films » ? S’il n’y avait que ca ! producteurs artistiquement responsables. C’est ce que j’essaie de
Tl faut étre les deux a la fois, et beaucoup plus encore. En ce qui me faire.
concerne, j’ai une approche trés longue. Prenons l’exemple de Male- 3. On dit : Jes auteurs d’un film — le scénariste, le dialoguiste, le
vil + je me suis intéressé au roman jl y a cing ans, j’ai pris des options mietteur en scéne... Dans un sens, le décorateur et le chef-opérateur
pour essayer de monter l’affaire, j’ai acheté les droits... Je m’intéresse sont aussi les auteurs : le vocabulaire n’est pas trés clairement défini.
@abord 4 une idée, a une inspiration. Pour moi, le travail d’un pro- Un film, c’est d’abord une histoire. Si le réalisateur a participé a Ja
ducteur, c’est d’avoir des idées, a tous les niveaux, y compris celui du rédaction du script, je pense qu’il est auteur 475 %. S*il n’est que réa-
financement, de susciter des rencontres (entre un réalisateur, un lisateur, il est auteur 4 50 % — tout dépend du degré d’intervention.
auteur, un dialoguiste, des comédiens, des musiciens...), de rassem- Si le réalisateur a écrit seul le script, i] est vraiment le seul auteur du
bler des talents. Etre un homme d’idées, un homme de rencontres film, et le producteur comme je l’entends en est toujours Vinventeur.
— et aussi un homme d’acton : faire que les choses se réalisent. 4. Ils savent que ¢a cofite cher, trés cher. Mais ils n’ont pas de solu-
2. J’ai déja un peu répondu : j’interviens 4 tous les stades. Pour tion pratique, 4 part tourner plus vite, avec moins de moyens — ce
Malevil, Christian de Challonge m'a demandé ce dont j’avais besoin qui, 4 mon avis, n’est pas la voie d’un certain cinéma. Ils comprennent
pour m’aider 4 monter l’affaire, le package, comme on dit en jargon la complexité de la situation économique actuelle du cinéma, la crise
de métier — et nous avons eu une approche commune, par exemple dans laquelle nous vivons, la diminution du nombre des spectateurs,
du choix des comédiens, de ceux auxquels il tenait, et de ceux qui, en Paugmentation du prix des places, la manvaise ventilation des recet-
tant que producteur, m’étaient nécessaires. Mais le probléme n’est pas tes. Mais on aurait di s’en occuper tous ensemble il y a bien long-
vraiment 1a : pour moi, la vraie star d’un film, c’est le sujet. C’est temps, on se réveille un peu tard...
Penthousiasme que je peux communiquer aux gens sur Je sujet qui me Evidemment, je l’ai dit, je suis pour cette évolution. Je suis pour la
permet d’enclencher les choses, responsabilité économique des réalisateurs, et je souhaite qu’ils soient
Quant au montage final : il y a la position américaine, qui autorise 4 tous co-producteurs de jeurs films, qu’ils partagent les dépassements
virer, du jour au lendemain, un metteur en scéne, et a faire terminer comme les profits.
par quelqu’un d’autre un film commencé. Au moins, c’est clair. La 5. Je me sens engagé vis-a-vis des partenaires financiers, du distribu-
position francaise est trés hypocrite : jusqn’au début du tournage, le teur qui a confiance en moi, en ma facon de faire, qui attend un pro-
producteur est le patron, puis, dés que le tournage commence, c’est le duit qu’il ne connaft pas. Vis-a-vis du réalisateur, il y un pacte moral :
réalisateur. Il y a une épée de Damoclés suspendue en permanence, sur lui fournir les moyens dont nous avons décidé ensemble a !’écriture du
le réalisateur avant le tournage, sur le producteur pendant et aprés, et script, ne pas lui donner moins, et que lui ne me demande pas plus. Si
cela instaure une sorte de jeu masochiste trés malsain. J’ai travaillé on travaille beaucoup sur le script, si on se met bien d’accord, ca se
avec des réalisateurs, notamment Louis Malle, qui étaient co- passe généralement bien. Vis-a-vis des acteurs, je me sens engagé pro-
producteurs de leurs films ; dans ce cas, je trouve tout a fait normal fessionnellement et amicalement.
qu’ils aient, comme disent les Américains, le final cutting. Mais quand Je ne me sens pas engagé vis-a-vis du public. Le public, je ne sais pas
66 13 (+1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS
ce que c’est, et personne ne le sait. Il n’y a pas un public, mais des Ty a deux ans, j’ai conseillé 4 mes collégues de faire ’impasse sur les
publics, et je ne me sens pas engagé vis-a-vis de gens que je ne connais vidéocassettes, qui ne sont pas maitrisables, et dont nous ne pouvons
pas. Un film, c’est une ceuvre de communication, et on espére qu’il va espérer, sauf pour les films pornos ou érotiques interdits 4 la télé, que
plaire au plus grand nombre — le mot plaire ne convient pas, en ce qui des gains trés faibles. Nous aurions pu tirer parti de notre retard tech-
concerne le genre de films que j’aime produire : disons qu’on espére nologique sur les Etats-Unis en attendant les vidéodisques, dont le bas
qu’il va rencontrer un public. Vis-a-vis du public, je ne me sens pas prix de vente devrait décourager le pillage. D’autre part, il est facile de
responsable, mais je cherche le moment privilégié, le point de rencon- vérifier le nombre de vidéodisques pressés, grace 4 un organisme type
tre, je cherche a étre synchrone. SACEM de l’audiovisuel, qui reste d’ailleurs 4 créer.
La survie de ma société ? Elle me conseillerait plutdt de ne pas pro- Je crois qu’il faudrait mettre les membres de fa profession en
duire. Actuellement, en ne faisant rien et en s’organisant, on peut sur- « immersion totale », pendant deux, trois jours, pour que tout le
vivre. En produisant, on prend des risques. monde sache de quoi il parle, emploie le méme vocabulaire et dispose
L’histoire du cinéma ?... Jessaie d’y participer, et méme en tant que de [a méme information. Pour Pinstant, dans les réunions syndicales,
distributeur, d’étre porté par elle... N’importe comment, pour Ja pos- dés qu’il s’agit de vidéogrammes ou de satellites, les plombs sautent...
térité, on participe 4 histoire du cinéma : c’est un grand mot pour un Ensuite, on pourrait définir une régle du jeu. Il faut que les profes-
artisan comme je me sens ; la grandeur et les joies de ce métier c’est de sionnels européens au minisnum — les Frangais seuls, ce n’est pas suf-
se remetire en question a chaque film et que rien ne soit joué d’avance. fisant — s’organisent pour gérer leurs droits audiovisuels, en créant
6. Cequ’ils ont en commun, c’est qu’ils me plaisent ! Il y a peut-étre une espéce de SACEM de laudiovisuel pour les répartir, avec des
une chose qu’on peut dire, c’est un peu ambitieux, mais je pense que ordinateurs, des terminaux dans les bureaux des producteurs : « est-ce
ce qu’ils ont de commun, c’est que la réflexion fait partie de la distrac- que vous étes d’accord pour une diffusion de votre film sur [’Autri-
tion. Si un film est un spectacle, je pense que réfléchir, avoir cons- che, par tel satellite ? » — et 4 ce moment on peut répondre oui ou
cience qu’on réfléchit, est quelque chose de formidable, de merveil- non, suivant le prix proposé... Enfin, c’est une simulation — on trou-
leux, de privilégié ! vera bien les solutions pratiques...
En tant que distributeur, je constate et je déplore l’affaiblissement de En attendant, nous sommes dans le brouillard. La formule habituelle
cette notion de réflexion/distraction. Les mémes films que je sortais il des contrats francais : « par tous procédés connus ou inconnus a ce
yadix ans au Quartier Latin, avec la méme approche media, ont plus jour » n’a pas de signification juridique internationale, Maintenant,
de mal 4 exister. Il y a eu un glissement, que je sens, mais dont je n’ai elle n’en pas en France non plus. Done il faut énumérer précisément
pas vraiment analysé les causes. J’espére que ¢a va changer, qu’il ne les techniques et les droits qu’on donne. Or, je ne les connais pas tous
s’agit que d’une phase, d’un moment dans l’évolution des publics. — et vous non plus...
Les films que je prépare en ce moment, qui sont plus des films Il va falloir réussir dans cette profession ce qu’on n’a jamais réussi :
d’action, d’aventures, sont, en fin de compte, une réflexion sur un penser ensemble aux intéréts communis.
temps, sur une époque. Il y a une notion de relativité : donner aux 9. Il ya ume production francaise parce qu’il y a des citoyens fran-
gens le sentiment de la relativité, et la réflexion sur Ia relativité des cais, qui produisent et réalisent des films en France. If y a forcément
choses, des faits, de l’histoire, de la civilisation, de ce qui est vraiment ume rencontre, une conjonction de particularités économiques et de
important. Développer lesprit critique, la lucidité, c’est formidable sensibilités artistiques francaises. Mais ce sont des facteurs qui peu-
non ? vent varier avec le temps.
7. Je trouve votre question « économiquement » mal formulée. On Pour exister, je crois que le cinéma frangais doit étre de plus en plus
nie peut pas jouer sur Vallongement de Ja durée d’amortissement d’un francais. Ca ne veut pas dire qu’on parle un patois, et que c’est beau
film. On a intérét 4 faire rentrer Pargent vite, 4 amortir le film, et 4 parce que personne d’autre ne peut le comprendre. Mais de plus en
passer a autre chose. plus francais comme les films de Pagnol pouvaient l’étre, ou certains
lly a aussi un aspect fiscal. Dans ’hypothése ott j’amortis trés rapide- films de L’Herbier, ou de Truffaut, ow de Godard... Faire preuve
ment un film sur lequel j’ai investi, j’ai intérét 4 re-produire tout de @originalité en n’ayant pas peur de raconter une histoire dans un con-
suite un autre film, pour me trouver dans une nouvelle période texte fort, je dirais méme fribal.
d’amortissement. Je serais ravi de payer des centaines de millions On parle du cinéma américain comme d’*une sorte de rouleau com-
d@impéts, mais je préférerais quand méme réinvestir dans le cinéma et presseur qui passe sur le monde entier. Mais les histoires qui nous tou-
la création audio-visuelle. (Ceci formulé, je n’ai malheureusement chent sont des histoires de minorités américaines, dans un monde qui
jamais eu 4 me poser la question...), parle anglais, des ethnies trés précises, dans des situations trés particu-
Quant 4 fa possibilité d’intégrer les recettes des droits vidéogrammes liéres, des Italiens dans le port de New York, par exemple.
ou des re-sorties, dont vous voulez peut-étre parler, dans le plan de Pour communiquer universellement, je ne crois méme pas a la pro-
financement d’un film, ce n’est, 4 ’heure actuelle, pas sérieux. La réa- vince — mais 4 la tribu.
lité du marché des vidéogrammes n’est absolument pas connue, méme 10 Quelle est 1a place des producteurs... ? Déplorable.
des Américains. Par honnéteté intellectuelle, fiscale et économique, Comment réunir 4 fa méme table le producteur de films comme Les
on ne peut considérer ce genre de recettes que comme des plus-values a Charlots (qui doivent, d’ailleurs, exister}, et le producteur de Hiros-
Jong ou a moyen terme. hima mon amour ? Ce ne sont pas les mémes ambitions. Le plus ambi-
La constitution d’un portefeuille de films ? I] est vrai que la propriété tieux, c’est celui qui produit Hiroshima, qui veut, comme vous disiez,
d’un négatif’, liée 4 des droits d’auteur d’une assez longue durée, cons- participer 4 l’histoire du cinéma, et qui veut aussi amortir le coft du
titue un actif important pour une société. C’est son patrimoine film, et gagner de l’argent. Le moins ambitieux, c’est celui qui veut
— c’est-a-dire a la fois sa mémoire et sa valeur. gagner de l’argent, en France et je ne sais ov...
Mais les récentes déclarations de Martin Scorsese sur la dégradation L’image du producteur dans le public n’est pas gratifiante. Elle est
de l’Eastmancolor sont inquiétantes. Que Kodak, qui est le patron du méme péjorative. Je ne suis pas tenté de faire figurer cette profession
cinéma mondial, ait vendu un produit qui ne conserve pas les ceuvres sur mon passeport. Cette image se retourne contre nous 4 la moindre
sur lesquelles elle a fait des profits considérables — c’est un des plus démarche, ne serait-ce que dans une banque ou dans un organisme
grands scandales dont j’ai jamais entendu parler dans ce métier. Parce financier. Le producteur est l’éternel suspect, Cela vient peut-étre de
que Kodak avait, plus ou moins, un monopole, et que sa responsabi- cette disparité, de la démarche différente de gens qui font la méme
lité est totale. profession.
8. Il y a une explosion de [’audio-visuel, et nous ne la contrélons Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la profession de producteurs, ce sont
absolument pas, nous n’en avons pas la maitrise. Il y aura bientét des personnalités de producteurs. Par exemple, j’ai de [’admiration
500 000 magnétoscopes en France. Je ne vais pas passer mon temps 4 pour Pierre Braunberger, pour Jes films qu’il a produits, les gens qu’il
poursuivre les gens qui s’échangeront des cassettes qu’ils auront repi- a découverts. Il y a un autre trés grand producteur, que la profesion
quées 4 la télé ! D’ici deux ans, si un film passe a la télévision, je con- méconnait, c’est Robert Dorfmann. Touchez pas au grisbi, Le Cercle
sidérerai qu’il est dans le domaine public. A fa limite, 4 partir d’une rouge, Elena et les hommes, Tristana, sans oublier La grande
copie vidéo faite lors d’un passage 4 la télévision, on peut trés bien vadrouille et Le Corniaud — ce n’est pas mal. Il est le seul a avoir
tirer des copies sur support traditionnel, 16 ou 35 mm, Je ne me vois monté en Amérique un coup d’importance mondiale, Papillon, avec
pas non plus en train de poursuivre le satellite numéro 83, qui diffu- Schaffner, Dustin Hoffmann, Steve Mac Queen. Et aucun producteur
sera au-dessus de la Thailande une image qu’il aura relayée d’un satel- francais ne vient le voir pour lui demander comme if a fait. Depuis
lite luxembourgeois ou ture. cing, six ans que nous faisons pas mal de choses ensemble, quand on
CLAUDE NEDJAR 67
me pose fa question : mais qu’est-ce que vous faites avec lui? Je circuits, mais it en faudrait, disons, cinq, plus les exploitants indépen-
réponds que je suis stagiaire. Que j’apprends. dants, le tissu indépendant des petites villes, il y aurait alors une bonne
Donc — « les producteurs sont-ils 4 méme de jouer leur réle ? ». IL compétition et une bonne pénétration des films...
n’y a pas de réle, il y a des personnalités, des gens qui font un film La distribution : sauf pour des films trés importants, je n’ai pas de
déterminé, 4 un moment déterminé. rapports avec les distributeurs, étant moi-méme distributeur.
41, Hypoerisie. C’est le premier mot qui me vient a esprit. Tous Avec les établissements financiers spécialisés, c’est le systéme de la
mes rapports, avec tous ceux que vous citez, sont de la plus grande carrotte et du baton.
hypocrisie. Je cherche 4 plaire 4 tout le monde a sécuriser, de fagon A Avec la télévision, a la fois nous avons un certain rapport de forces, et
réaliser ce que j’ai envie de faire. nous sommes complétement satellisés. Tout film frangais important,
Le CNC : j’en subis le régime de tutelle. Bien entendu, on m*explique dépassant les dix millions de francs, est en passe d’étre obligatoire-
que ce n’est pas pour moi, mais qu’il y a les autres... Je pense que ment co-produit par la télévision. Il faudrait que les sociétés de pro-
nous devrions dépendre par exemple du ministére de l’Artisanat et du gramme aient un pourcentage d’intervention minimum et maximum
Commerce, Je ne vois pas pourquoi le ministére de la Culture dans la production des films, et peut-étre des quotas de films a co-
s’occupe des films « X », au lieu de s’occuper seulement des films qui produire — mais que, par conire, elles interviennent dans le finance-
le concerne, de l’aide sélective 4 certains films. Le CNC devrait se con- ment en achetant des droits d’antenne, sans étre co-productrices, pour
tenter du contréle des recettes et de leur répartition, et de ce réle ne pas satelliser totalement le cinéma francais. Nous ne pouvons que
intervention culturelle. Si les techniciens d’un film touchent un ché- leur dire : co-produisez, achetez les films plus cher — sinon il n’y aura
que en bois a la fin de la semaine, ils n’ont pas besoin du CNC pour plus de films du tout.
arréter le film... Bref, je trouve qu’il y a bien des tracasseries inutiles. Pour finir, je trouve qu’il manque un « partenaire » dans votre ques-
Du temps de Michel Guy, nous avions créé un systéme d’aide a la dif- tion : les compagnies américaines, qui font avec leurs films plus de
fusion des films de qualité, qui ouvrait pour la premiére fois le Fonds 50 % des recettes en France. I faudrait qu’elles réinvestissent un peu
de soutien a la distribution. Par la volonté du CNC et de commissions ici, comme elles le faisaient auparavant (j’ai d’ailleurs co-produit et
ad hoc, ce systéme a été compliqué a souhait, alors qu’il était trés sim- distribué avec elles}. C’était trés bien, elles avaient une politique qui
ple. aidait 4 la réalisation de films francais importants, ce n’est pas le cas
L’exploitation : on a tellement besoin d’eux qu’on supporte des taux actuellement et je le déplore.
de location de 50 % et plus. C’est pourquoi le cinéma, en France, est 12. En fait vous me demandez si on va changer de société...
une fantastique affaire immobiliére. Mais tous ces gens qui ont fait De toute fagon, que ce soit en systéme socialiste ou en systéme capita-
fortune en construisant des salles avec le Fonds de soutien, et en pre- liste, les choses cofitent de plus en plus cher, et, du fait de la
nant des pourcentages extravagants sur les films (et le film, c’est pour- non-maitrise de l’ explosion audiovisuelle, les recettes traditionnelles et
tant le produit de base, ce ne sont pas Jes salles et les esquimaux qui les sources de financement historiques ne suffisent plus, surtout du
attirent le public), tous ces gens, s’ils ne veulent pas disparaitre, vont fait d’un partage déraisonnable de la recette. Alors, il y a en a tou-
maintenant devoir investir pour que les films existent. C’est d’ailleurs jours un ou deux qui s’en sortent. C’est comme le loto, ou le tiercé : if
ce qui se dessine — avec plus ou moins de réussite. Il y a un groupe y en a un ou deux qui gagne, et toute la France joue...
d’exploitants de l’Ouest et de Normandie qui vient de perdre un mil- Marché ou subvention ? Ou bien on cherche a analyser vraiment quel-
liard de centimes en quelques mois : ils pensaient que la production, les peuvent tre les sources réelles de financement du cinéma — recet-
c’était facile... tes des salles, télévision, nouvelles techniques — et on finance les
Les circuits : je déplore qu'il n’y en ait que trois. C’est trés bien, tes films avec — parce que le financement du cinéma, c’est d’abord le

ASPECTS DU
CINEMA FRANCAIS
DES ANNEES 80
A CESCURIAL
DU 16 AU 21 JUIN 1981
APF 16, 57 rue Sarrette 75014 PARIS tél: 545.42.07
Gade
eee
ee
68 13 (+ 1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS
financement des films, le produit, c’est le film — ou bien je vois mal suis trés heureux que les Cahiers s’intéressent a l’argent. Dans des ins-
comment s’en sortir, titutions comme ?IDHEC, ou les Cahiers (c'est une institution), on
C’est le dialogue, et qu’il faut maintenant avoir avec les salles : si vous n’en parle pas assez. On ne parle pas de l’argent, du rapport entre
n’aidez pas la production, si vous la dépouillez, vous n’aurez plus de Pargent et la création, et, quand un jeune arrive dans la profession, il
films franeais, les Cahiers devraient d’ailleurs consacrer un prochain n’est plus question que de ca. Je ne crois pas que le cinéma s’enseigne,
numéro aux rapports cinéma-TV. il suffit de voir et de revoir beaucoup de films et de réfléchir. Mais on
43. Un film tous les dix-huit mois. On peut toujours produire des peut enseigner son environnement. Demander a un producteur ou a
films, pratiquer la fuite en avant. Mais il faut s’occuper d’un film un réalisateur combien pése en moyenne la copie 35 mm d’un film,
jusqu’au bout, jusqu’au public japonais, jusqu’au public argentin... c’est exactement le coup du prix du ticket de métro : il faut partir des
Je pense qu’il faudrait beaucoup de producteurs, produisant chacun gestes Ies plus simples.
peu de films, et s’en occupant vraiment totalement, de la préparation Deuxiémement, sur l’intervention des compagnies ameéricaines en
ala promotion. France. J’ai dit qu’il serait bon qu’elles se remettent a intervenir dans
13bis. J'ai aidé Jean-Louis Comolli a faire La Cecilia, j’ai produit la production francaise. Ce qui serait encore mieux, c’est qu’elles
Le Socrate de Robert Lapoujade, le premier film de René Allio, Le interviennent dans la diffusion des films frangais dans le monde. La
vieille dame indigne, le deuxiéme film de Paula Delsol Ben et Béné- force du produit américain, c’est justement sa force de pénétration,
dict... Sile sujet m’intéresse, si l’idée est intéressante — bien souvent, sur tous les marchés, sa fantastique machine de diffusion. Qu’est-ce
dans le cas d’un premier film, le réalisateur est auteur... Je ne sais pas, que ca leur cotiterait, de sortir une vingtaine de films francais par an,
si ayant choisi un sujet, je prendrais quelqu’un pour le réaliser dont ce au Japon ou a Singapour ? Je n’ai toujours pas compris pourquoi
serait le premier long-métrage. Gaumont, qui distribue Fox en France, n’a pas eu le réflexe de
Je reconnais que je ne prospecte pas systématiquement les nouveaux demander a Fox de distribuer Gaumont dans le monde entier. Cela dit,
talents, que je ne visionne pas des centaines de courts métrages. Je avec les kilométres de télé-films américains qui passent a la TV, c’est
regarde plutt la télévision : il y aun ou deux réalisateurs de télévision le goit moyen du spectateur potentiel qui est transformé. Ce qu’il
4 qui j’aimerais bien demander de faire du cinéma. Depuis dix ans, la réclame ensuite, c’est de Phistoire, de la sensibilité, des émotions 4
télévision a formé des gens qui devraient maintenant passer au l'américaine. Alors, il ne s’agit pas de fermer les frontiéres — le mal
cinéma. Prendre un réalisateur ayant tourné un ou des courts métra- est plus profond, et, d’ailleurs, j’aime les films américains. Mais il
ges, ce n’est pas ma démarche actuelle, je me tournerais plus volon- faudrait avoir une meilleure approche de réciprocité, cela aussi pour-
tiers vers des réalisateurs de télévision. rait 6tre un prochain numéro des Cahiers passionnant, « Cinéma amé-
Il y a deux choses que je souhaiterais ajouter. La premiére c’est que je ricain et cinéma national ».

YVES ROUSSET-ROUARD
(TRINACRA FILMS)

1. Le producteur se trouve entre 13. La vraie question, c’est combien de sujets pouvez-vous trouver
Vart et Vargent, c’est lui qui, chaque année.
autour @une idée, réunit et coor-
donne les moyens et les talents.
2. Quelle que soit la part qu’un
producteur puisse prendre dans le
LIVRES CINEMA
choix du casting, du scénario, du REVUES
montage final, etc., c’est Iui qui
finalement assumera la responsa-
PHOTOS
bilité juridique ou financiére du POSTERS
film.
Dans le cas d’un échec, personne
AFFICHES
ne se disputera pour payer les VIDEO CASSETTES
créances.
3. Je rencontre parfois des
producteurs-auteurs, parfois des
auteurs-producteurs.
4. Non, il y a seulement des réali- librairie
sateurs qui ont une connaissance
plus aigué de leur métier et d’autres qui ne l’auront jamais. de la
§. Envers moi.
6. Aucun d’eux ne se ressemble, aucun d’eux ne me ressemble. fontaine
Ta. Tout dépend de la facon dont le film a été financé.
b. La constitution d’un catalogue n’est pas souhaitable, elle est indis-
pensable mais sa valeur repose souvent sur 10 % de sa quantité.
13, rue de Médicis
8. Une chance pour le cinéma, c’est-a-dire pour tous les gens qui 75006 Paris
font ou feront Je cinéma et pas seulement pour les producteurs.
Demain, la plus grande partie du financement et de l’amortissement
326.76.28
dun film se fera dans des techniques qui n’existent pas aujourd’ hui. 11h
— 19h 30
9. Evidemment oui.
Capable du pire et du meilleur.
5 % du marché mondial, peut-étre moins.
On peut réver. On doit réver.
10. Lire « Profession producteur », Editions Calmann Levy.
11. Tout le monde il est gentil.
12. Le cinéma peut et doit s’appuyer sur le marché. Mais pour cela, Achat — Vente
il faut que l’économie du marché existe, que I’Etat ne soit pas 4 la fois
juge et partie et que les gens de cinéma lacceptent. Province — Etranger
ALAIN POIRE 69

ALAIN POIRE
(GAUMONT INTERNATIONAL)

1. Je suis exclusivement un entre- réalité une perte. Toutefois, il est intéressant d’avoir un portefeuille de
preneur de spectacles. films pour l’exploitation subséquente (télévision, cassettes, etc.) qui
2. Je prends une part totale a la peuvent Couvrir une partie de la perte de clientéle cinématographique
fabrication du film : choix du scé- proprement dite.
nario, casting et tout ce qui touche 8, Je pense avoir répondu dans la seconde partie de la réponse précé-
a la réalisation. dente.
J'ai toujours travaillé en pleine 9. Il y a différents styles de productions, comme il y a différents
entente avec le réalisateur, depuis styles de films, et différents styles de public. Je penge que c’est excel-
~ le choix du sujet jusqu’a la sortie lent de la sorte, |’important étant que les films soient de qualité, C’est
du film: la publicité, l’exploita- une facon de vous dire qu’il ne faut mépriser personne.
tion en France et 4 l’étranger. 10. Je ne pense pas qu’en France Jes producteurs ont la place qu’ils
De méme, le montage final est réa- : méritent dans l’organisation du cinéma, car on a souvent minimisé
lisé en accord entre le réalisateur — et la plupart du temps le scéna- leur rdle, 4 plaisir. Néanmoins, c’est & eux de s’imposer.
riste —- et le producteur. 11. De facon générale, mes rapports avec les différents acteurs, réa-
3. Il y a rarement un seul auteur. Un film est l’ceuvre d’un certain lisateurs, organismes officiels tels que le CNC sont excellents.
nombre de gens qui y participent : bien entendu l’auteur et le dialo- 12. Je pense qu’il serait désastreux qué le cinéma compte exclusive-
guiste, mais avant tout le metteur en scéne, I] serait injuste de ne pas ment sur les aides et subventions. Celles-ci sont indispensables, mais il
citer le chef décorateur, le monteur, le producteur, le musicien, quel- faut d’abord s’appuyer sur les marchés, car il est inutile de faire des
que fois l’acteur et bien d’autres... films qui ne s’adressent 4 personne.
4. Je crois, effectivement, que les réalisateurs ont une conscience Un cinéma qui ne vivrait que d’aides et de subventions (qui devien-
plus aigué des conditions économique de leur activité. En ce qui me drait donc un cinéma étatique) confisquerait la liberté de pensée et
concerne, cela ne change rien, car j’ai toujours cherché a les y intéres- d’expression, et cela serait un désastre.
ser. 13. En moyenne entre 3 et 5 films par an.
5. Quand je produis un film, je m’engage vis-a-vis de tous ceux qui y 13bis. J’ai produit un grand nombre de « premiers films ». Les
participent, mais avant tout envers le public. réalisateurs en ont été, entre autres : Denys de la Patteliére, Yves
6. Cen’est pas 4 moi de répondre, mais c’est en général ce qu’on dit. Robert, Gérard Oury, Edouard Molinaro, Pierre Kast, Jacques Bes-
Si mes films ont, en tout cas, quelque chose en commun, c’est que je nard, Pierre Richard, Patrice Leconte, Claude Pinoteau, Philippe
ne produis que des films que j’aime avec des gens avec lesquels je Monnier, etc, Le dernier étant Jacques Monnet pour Clara ef les chics
m’entends bien, types.
7. La rentabilité d’un film doit toujours étre rapide, car I’ érosion de N’ayant eu, en général, qu’a m’en féliciter, je suis tout prét 4 conti-
la monnaie fait que s’il n’est pas couvert assez rapidement, i] subira en nuer.

HELENE VAGER
(QUASAR)

14. Produire : en ce qui me con- 6. Le désir de tenter une aventure souvent difficile avec des auteurs
cere, c’est choisir par affinités le nouveaux et des sujets contemporains.
sujet et l’auteur du film a faire. 7. Il faut avoir les reins solides pour se permettre de travailler 4 long
Dés lors, mettre tout en ceuvre terme. Pour une petite société, la rentabilité immédiate des films est
pour qu’é partir d’une idée, d'un vitale.
scénario, d’une chose écrite, nais- 8, Les vidéo-cassettes, mais surtout les vidéo-disques peuvent, dans
sent des images et qu’elles soient wn avenir gui n’est pas immédiat, éire d’un grand secours pour les
vues par le plus de spectateurs pos- films d’auteur. D’ot mon intérét évident.
sible. Il s’agit done a tous 9. La production francaise standard me semble, sauf exceptions, 4 la
moments, d’une négociation diffi- fois prétentieuse et craintive, ce qui est le comble. Je crois toujours,
cile avec la complexité des systé- qu’en Europe et particuligrement en France, il faudrait réinventer la
mies en place (privés et institution- fonction du producteur pour éviter le nivellement par la prudence qui
nels) pour construire un montage guette notre production.
financier crédible d’une part, et 10. Les producteurs indépendants sont contraints d’accepter et
suffisant d’autre part, pour assurer la fabrication et la distribution du méme de défendre un systéme qui n’a de cesse de les rejeter, II est de
« produit ». Un parcours du combattant en somme. moins en moins recommandeé de vouloir jouer les francs-tireurs.
2. Je prends les responsabitités financiéres, administratives et techni- 41. Exploitation : corrects ; distribution : mortels ; établissements
ques, lorsque les discussions, les réunions de travail, ’étude des diffé- financiers : néant ; acteurs et techniciens : bons ; agents : délicats ;
rentes perspectives ont donné lieu 4 des décisions prises en commun. télévisions : diplomatiques ; Etat et CNC : guerre froide.
Quelquefois il y a urgence et je décide seule, Les choix artistiques sont 12. Je ne vois rien se dessiner. Et tant qu’a faire, qu’on en finisse
du ressort de l’auteur du film, bien qu’ils soient souvent sournis & des avec l’hypocrisie qui préside aux aides sélectives de ’ Etat pour les
contraintes économiques. Le réalisateur est responsable du montage longs métrages et la « création », et qu’on avoue vouloir, avant tout,
final. Il y a dialogue constant, et de ma part, volonté de convaincre ou satisfaire aux lois du marché.
@éire convaincue, jamais d’imposer. 13. Une statistique connue me fait réponde 2 films et demi par an.
3. Le metteur en scéne. C’est souhaitable et possible.
4. Que les réalisateurs soient de plus en plus conscients des contrain- 13 bis. Les premiers films sont des expériences passionnantes, Pius
tes économiques ne les empéchera pas de toujours chercher a les passionnant encore est de continuer un travail avec le méme metteur
dépasser. en scéne sur plusieurs films. J’ai aimé travailler avec Claude Faraldo,
5. Jem’engage a faire un film, il faut qu’il existe et qu’il soit vu. J’en avec Renaud Victor, avec René Vienet, avec Robert Kramer, j’aime-
suis responsable d’abord envers le réalisateur. Ensuite, tout peut inter- rais continuer. Actuellement je prépare « Morrison Hotel », le pre-
venir, toutes sortes d’engagements successifs ou simultanés, ja survie mier film de Pierre Zaidline, et un film pour enfants avec Renaud Vic-
de la société représentant souvent un critére de décision impérieux. tor et Fernand Deligny.
70 13(+4 1) QUESTIONS AUX PRODUCTEURS

PAUL VECGCHIALI ET CECILE CLAIRVAL


(DIAGONALE)

4. Le travail d’un producteur, tel de films, mais ne sont-ce pas les films eux-mémes qui en décident ?
que nous le « pensons » est d’ins- Nous essayons de partir couverts, plus exactement d’avoir Pargent
taller le « climat » du film: son nécessaire a la fabrication sans espérance illusoire... Alors la rentabi-
territoire financier, ses rapports lité n’est pas notre critére.
avec l’administration centrale, les C’est notre force de pouvoir attendre. C’est notre faiblesse de devoir
conditions affectives dans lesquel- attendre.
les Péquipe va exercer son travail. 8. Pas bien réfléchi 4 la question. Nous espérons que les gens qui ont
du temps pour réfléchir et prospecter nous améneront des éléments
— d’étre disponible pour les éven- dWapproche et, comme d’habitude, nous leur appliquerons nos métho-
tuelles demandes du metteur en des particuliéres.
scéne, habilité 4 dissiper ses dou- 9. Oui, et précisément par ’absence de style, par les différences de
tes, résoudre ses problémes techni- comportement professionnel, par léventail des préoccupations. On
ques, éviter les dépassements. Paul Vecchiali peut y voir du bon et du mauvais. Nous n’aimerions pas que pour
—- d’ouvrir, quand cela est possible, un dialogue permanent a propos améliorer ce mauvais, on nous impose des « disciplines artistiques ».
de ce qu’on pourrait appeler la substance du film. Son avenir ? Depuis quelques mois, j’ai suffisamment de problémes
— de jouer avec largent, et avec le plan de financement, pour que cet avec son présent (P.¥.).
argent profite au film et au film seul. 410. Je crois que de tout temps, le producteur a été plus proche d’un
— de veiller au confort des techniciens et des acteurs. garani de bonne fin (avec toutes les responsabilités financiéres que ¢a
— de payer scrupuleusement les salaires et les factures, chaque fin de comporte) qu’un financier véritable.
semaine. Pourquoi n’aurait-il pas un rdle 4 jouer ?
— den/aller sur Ie plateau, aux rushes et au montage que sur requéte. Nous estimons que quand un film peut se faire, il doit étre fait en for-
— de faire en sorte, quand le film est fini, qu’il ait une diffusion en cant la chance au besoin, par tous les moyens possibles a condition
rapport avec sa nature et son potentiel de rentabilité (le choix des qwils ne nuisent pas 4 la nature du film dans son ensemble ni dans ses
points de vente devient de plus en plus important : a la lecture de éléments.
Pariscope, on peut sans grand risque d’erreur donner les verdicts de Ce réle de promoteur qui d’autre pourrait l’assumer ?
Pexclusivité rien qu’a voir quel film sort o2). 411. Avec qui voulez-vous nous facher 7...
— je suis conscient du cété prosaique de ce qui précéde et je crois Chaque partenaire tire 4-hue-et-a-dia, c’est un peu dommage, Nous
juste de détailler ces taches quotidiennes qui demandent plus de essayons d’épargner ces embarras 4 nos réalisateurs parce que ce n’est
rigueur qu’on ne croit et plus de vigilance qu’il n’y parait. vraiment pas productif : encore dans le genre rapports de force, infor-
Nous nous considérons, Cecile Clairval et moi, comme des financiers mulés, sournois, mais... courtois. Allons-y :
et des entrepreneurs de films en méme temps au sens de « maitres — L’exploitation : nous ne pouvons parler que des indépendants (les
d’ouvrage ». autres sont trop souvent fonctionnarisés) excellents rapports, sans
Diagonale apporte l’investissement de ses salaires, ses prestations de fausse pudeur, sans rancoeur quand ca ne marche pas ; une commu-
services, ses frais généraux, et le soutien financier que lui autorisent nauté de pensée sinon de goiit qui aboutit quelquefois A une réelle ami-
ses films de commande. Nous ne sommes pas compris par tous nos tié.
réalisateurs, notamment par ceux qui ont besoin de créer des rapports — Les circuits : hors de portée. Des coups de fil pour savoir si le film
de force. Nous n’en changeons pas pour autant notre facon de fonc- tient ; des bordereaux pour apprendre a quel point il n’a pas tenu, des
tionner. remue-ménage inutiles quand le film est débarqué et qu’il ne le mérite
2. Comme dit plus haut, une part de conseiller technique prét 4 inter- pas (dans les chiffres).
venir au moindre prabléme. Nous ne nous soucions guére de savoir, — Distribution : c’est un problémes d’hommes. Le reste est affaires
de vérifier, si nos conseils ont été utiles, ou si on les a suivis. de circonstances : si le film rapporte, les liens s’intensifient, dans le
La responsabilité du montage final, tout au moins avec les gens que cas contraire ils se distendent, sans plus. Probléme d’hommes :
nous avons pratiqués jusqu’ici (je veux dire des auteurs-co- Vamour du cinéma et le sens de la tradition avec une veritable élégance
producteurs) doit en tout éfat de cause appartenir au réalisateur, ce morale, chez Jo Siritzky (Parafrance). Courtoisie et disponibilité chez
qui n’exclut pas la « parlotie ». Monsieur Chéron (Parafrance). Le rire et le copinage chez Tony
3. Celui qui imprime une mystérieuse marque indélébile : celui quia Moliére qui n’exclut pas le sérieux de la programmation avec Mima et
Je plus fourni de signes 4 cette langue unique, irreproductible, et dont Pierre Ange. Compréhension analogue des problémes avec Marin
les spectateurs vont tenter de faire un langage. Karmitz, cinéphilie chaleureuse de Jean Labadie (MK2 Diffusion). La
Ul est quelquefois difficile de décider que cette langue existe. Il est rigueur bon enfant et le flair d’Alain Sussfeld (UGC), etc. Des exem-
quelquefois difficile de discerner qui I’a établie. ples, des impressions qui viennent plus du cceur que de la téte.
4. Nous pensons que cette évolution est souhaitable dans notre cas — Etablissements financiers spécialisés : pour l’instant trop chers
puisque, étant nous-mémes réalisateurs épaulant d’autres réalisateurs, pour nous.
le dialogue est plus juste si chacune des parties sait, art ou finance, de — Acteurs : rapports privilégiés.
quoi I’on cause. — Agents : nous n’avons pas souvent affaire a eux, nos méthodes les
5. Partenaires financiers: oui. Distributeur ; oui, s’il est engagé surprennent de prime abord, puis ils s’y font.
envers nous et il n’y a pas beaucoup de maniéres. Réalisateur : évi- — Télévision : nous n’avons pas d’excelients contacts avec les
demment. Acteurs : solidairement, oui, Public : quic’est ? Qui sait ?. chaines. On trouve toujours et a tous les niveaux des gens compétents,
Histoire du cinéma : écrite par qui 7. Survie de notre société (quelle ouverts au dialogue, cultivés, souriants...
que soit sa forme) : oui, avant tout, dans la mesure ot elfe est, a été, Et puis ? Cette fichue concurrence ?
sera un instrument de travail pour nous et d’autres que nous. — Etat : aucun rapport,
6. Des rejets sans doute, idéologiques ou éthiques... Des acteurs... -~ CNC: les meilleurs rapports ; il y a eu quelques problémes au
Des techniciens... Cela a peut-étre son importance... il nous semble temps ott le contrdleur d’Etat avait ses vapeurs, temps sinistre du
que c’est 4 vous de répondre a cette question mais de grace, pas « retard sur recettes »... Mademoiselle Pelletier indique toujours tes
wimporte comment. failles du dossier, Madame Florés est trés vigilante quant a !a circula-
7. Nous avons jusqu’ici tellement b&ti nos productions sur l’affecti- tion des papiers, les services de Monsieur Durand (le fonds de soutien)
vité que notre réponse ne saurait étre que théorique : oui nous pensons sont trés compréhensifs et efficaces... L’ensemble est peut-étre un peu
qw il est souhaitable de s’orienter vers la constitution d’un portefeuille raide ? Nous comprenons assez les servitudes administratives et nous
PAUL VECCHIALT 71
essayons d’étre ponctuels, On nous en sait gré. De la A dire que les moyenne est deux. 1981 : rien encore en dehors des classiques films
réglements ne sont pas quelquefois absurdes... industriels. Ca ne nous inquiéte pas tout 4 fait et méme ca nous
42. Nous espérons que, comme en Amérique, la télévision sera un repose.
partenaire de plus en plus coopératif, quantitativement et qualitative- 13bis. Qui: Le Thédire des Matiéres (1977), Les belles maniéres
ment. Les aides, les avances, les subventions, tout est bon dans le pou- (1978), Simone Barbés ou Ja vertu (1979), Cauchemar (1980), Et quel-
let 4 condition qu’on ne nous impose pas Vaile ow la cuisse. ques courts métrages.., C’est un peu notre vocation, il semble. Oui
13. Notre maximum est trois par an, Jusqu’A présent, notre nous sommies préts 4 continuer. Mais...

NOTES SUR LES PRODUCTEURS

Gérard Beytout est président directeur-général de la « Société Nou- Yves Rousset-Rouard (« Trinacra Films SA ») est connu comme pro-
velle de Cinématographie ». Il produit ou co-produit de nombreux ducteur depuis 1973, année of il a produit Enzmanuelle (J. Jaekin).
films depuis 1950 : de Godard (A bout de souffle, Le petit soldat, Auparavant, il exergait des fonctions de producteur de films publici-
jusqu’a Numéro deux et Comment ca ya, en co-production avec Geor- taires. Outre deux autres Emmanuelle (co-produits avec Parafrance),
ges de Beauregard) jusqu’aux Gendarmes, de Saint-Tropez, 4 New ila produit Les Routes du sud (Losey), Les Bronzés (1 et 2, de Patrice
York, et les extra-terrestres, en passant par La Vallée, Le Mur de Leconte), Little Romance (G.Roy Hill)... I] a été président d’Uni-
PAdantique, La Piscine... france Films (1979) et a créé la méme année la premiére société d’édi-
tion et de distribution de vidéo cassettes (Régie Cassette Vidéo).
Albina de Boisrouvray a commencé a produire en 1971 avec Paulina
1880 (de Jean-Louis Bertucelli) et Jaune fe soleil (de Marguerite Alain Poivé est directeur de Gaumont International depuis 1961, mais
Duras). Sa société (« Albina Productions») a produit ou co-produit il est producteur de films depuis ia fin de Ja guerre. La liste de films
les films d’Alain Corneau (France Société anonyme, Police Python produits par A. Poiré est trop longue pour étre énumérée, mais on lui
357), Zulawski (L’intportant c’est d’aimer), Pascal Thomas (Les doit plusieurs films de Lautner, Pinoteau, Oury, Molinaro, Girault,
Zazes, Confidences pour confidences}, Granier-Deferre (Une Femme Yves Robert (en co-production avec les « Films de la Guéville »)... la
& sa fenétre). récemment produit le film de Jacques Monnet, Clara et les chics types,
en collaboration avec les « Films Marcel Dassault », société avec
Raymond Danon est producteur depuis 1960. ll a d’abord dirigé « Les laquelle il collabore réguliérement.
Films Copernic » (entre autres films : Le Tonnerre de Dieu, Le Soleil
des voyaus, Un Milliard dans un billard...) et, a partir de 1967, « Lira Héléne Vager est productrice indépendante. Sa premiére société de
Films ». Plusieurs films a son actif (produits ou co-produits) : production, « Filmanthrope », a produit ou co-produit des films
M. Klein, L’Evénement le plus important depuis que Vhomme a mar- comme ; Bof, Themroc (Claude Faraldo), Ce Gantin-ié (Renaud Vic-
ché sur la lune, Le Chat, Max et les ferrailleurs (et plusieurs films de tor), Continental Circus (JérOme Laperrousaz), Le Retour d’Afrique
Claude Sautet), Liza, L’*Horloger de Saint-Paul... Le dernier film pro- (Alain Tanner), les films de René Vienet (Mao par lui-méme, Chinois
duit par « Lira Films » est celui de Lautner, Hs sont fous ces sorciers encore un effort pour étre révolutionnaires)... De 1975 a 1979,
(1978). R. Danon a exercé d’importantes responsabilités dans la pro- H., Vager a travaillé a PINA, aux cétés de Manette Bertin. En 1980,
fession (Président de }a Chambre syndicale des producteurs et expor- elle a fondé « Quasar » avec Raul Ruiz, Thomas Harlan et Robert
tateurs de films, d’Unifrance Film...). Kramer, « Quasar » a produit Guns de Kramer en 1980.

Pierre Héros et Jacques Hinstin ont créé (avec Bernard Lorain), en Paul Vecchiali est cinéaste-producteur. I] a fait partie de « Unité
juillet 1980 « Les Productions Audiovisuelles » dont le premier film Trois » avant de créer « Diagonale Films ». Outre ses propres films, il
produit est te dernier Atain Tanner, Les Années lumiére. Le prochain a produit, ces deux derniéres années, Le Thédtre des Matiéres (Jean-
sera un film de Michel Soutter. Pierre Héros a travaillé pendant qua- Claude Biette}, Les belles maniéres (Jean-Claude Guiguet), Simone
tre ans a la Sofet-Sofidi (avec Gérald Calderon) avant de faire partie Barbés ou la vertu (Marie-Claude Treilhou).
d’« Action Films » (Yves Gasser et Yves Peyrot) jusqu’a la faillite de
cette société. Margaret Menegoz a commencé 4 travailler avec les « Films du
Losange » en 1975, avec Barbet Schroeder et Eric Rohmer. « Les
Marin Karmitz est connu avant tout comme réalisateur (surtout Films du Losange » ont produit, outre les films de Rohmer et de
Camarades et Coup pour coup). En 1974 il inaugure sa carriére Schroeder, Roulette chinoise (Fassbinder), L’Ami américain (Wen-
d’exploitant (ouverture des 14-Juillet Bastille auxquels s’ajouteront ders), Passe-Montagne (Stevenin), Navire Night, Aurélia Sieiner 1 et
d’autres salles) et de distributeur, M. Karmitz est a la téte d’un petit 2, Césarée et Les Mains négatives (Duras). M. Menegoz a produit en
circuit intégré, puisque son activité va de la production a l’exploita- 1980 La Dame aux caniélias (Bolignini). Eugenio (Comencini)}, tous
tion en passant par la distribution, MK2 a produit (ou co-produit) ces deux co-produits avec Italie, Pont du Nord (le dernier film de
deux derniéres années Le Cheitin perdu (Patricia Moraz), Le Saut Rivette). En préparation, L’*Affaire Danton (de Wajda) et le prochain
dans le vide (Marco Bellocchio}, Sauve qui peur (la vie) (Jean-Luc film de Rohmer, Le beau mariage.
Godard). En production : L’Ombre rouge de Jean-Louis Comolli et
Passion (de Godard), Outre les producteurs qui ont eu Ia gentifllesse de répondre 4 notre
questionnaire, celui-ci avait été envoyé aux producteurs suivants, dont
les réponses ne nous sont pas parvenues a temps: Véra Belmont,
Claude Nedjar est producteur — de télévision et de cinéma —, il est Maurice Bernart, Claude Berri, Pierre Braunberger, Alain Dahan,
aussi distributeur de films. Il a produit son premier film en 1964 ; La Anatole Dauman, Daniéle Delorme, Robert Dorfmann, Philippe Dus-
vieille dame indigne (Allio), il a produit plusieurs films de Louis Malle sart, Christian Fechner, Lise Fayolle, Yves Gasser, Jacques Perrin,
{Le Souffle au ceeur, Lacombe Lucien, Black Moor), collaboré avec Alain Sarde, Adolphe Viezzi.
Jean-Luc Godard 4 Pépoque du groupe Dziga Vertov (1968-1971) :
British Sounds, Un Film commie les autres, Lutte en Italie, Pravda,
Vent d’est, Vladimir et Rosa, La « Nef » a co-produit La Cecilia de
Jean-Louis Comolli. Il viewt de produire le dernier film de Christian Pour réaliser cette enquéte sur la production, un groupe
de Chalonge, Ma/evil, En tant que distributeur, Claude Nedjar gére de travail s’est constitué au sein de la rédaction des
un catalogue de films d’auteurs : La grande bouffe, La Salamandre,
Cahiers. || est composé de Olivier Assayas, Serge Le
La Prise du pouvoir par Louis XIV, Lancelot du lac, Le Salon de
musique, Aguirre, Family Life, Le Chagrin et la pitié, ainsi que des Péron, Guy-Patrick Sainderichin et Serge Toubiana.
films de Mizoguchi, Kurosawa, Ozu, S. Ray...
Unijet
Premiere flotte européenne d’aviation d’affaires
FAUBQURG SAINT-HONORE 75008 PARIS
UNIJET INTERNATIONAL / 217 RUE DU
TELEPHONE : 5638.11.58. TELEX : 660 617 F.
PARIS. NICE. BRUXELLES. GENEVE. MILAN. ROME. FRANCFORT, LONDRES. NEW YORK. VIENNE.

Ss

Sy = FALCON10
= FALCON 20
, FALCON 50/ TOUJOURS PRETS A DECOLLER POUR VOUS
/ 297 58 22
DANIEL & CIE
OUTILS ET FORMES
ibs
Soe
SSS Susanoe KASS
ig sWitt.
Ste
OUTILS ET FORMES

PETITE VARIATION
SUR LE PROPRE ET LE SALE
PAR ALAIN BERGALA

1. 2. Le Gai savoir et Sauve qui Parlons de image, exclusivement. Il y a incontestablement une image francaise des
peut (la vie), de Jean-Luc années 70 : lisse, brillante, propre. Une image sous cellophane, la méme pour tous ou
Godard
presque. Dans ce cinéma dont on ne cesse de répéter qu’il n’a pas de centre, l’image est le
Godard part du postulat que l’on
ne sait plus éclairer comme aux lieu de la plus compacte homogénéité.
temps du cinéma classique. Il En amont, une uniformité de matiére et de couleurs. Le noir et blanc, qui était encore
choisit done de repartir a zéro, un choix possible dans les années 60, devient une curiosité rétro : i] y a une obligation de
d’expérimenter Jes dispositifs Jes la couleur, Au cours de la décennte, les derniers cinéastes qui avaient résisté, par goft ou
plus simples. En haut : éclairer
avec une seule source de lumiére du fait de la nature esthétique de leurs projets, 4 cette obligation de la couleur, finissent
Jatérale, sur fond noir. En bas : par « y passer » s’ils veulent encore tourner. Un choix de moins. Car la couleur, on va le
ne pas éclairer du tout. Dans tous voir, est loin d’ouvrir le champ du possible.
les cas, aucune tentation de Dans tous les films ou presque (qu’ils soient d’auteur ou produits de consommation)
Vimage sale, chez lui, mais une
farouche morale protestante de
le monde semble fait du méme tissu inconsistant, sans différence sensible d’un film a
la propreté nette, sans appréts. Pautre : c’est la méme matiére que travaillent Resnais, Allio, Godard, Truffaut ou X, Y,
Z, La méme pellicule développée de la méme fagon. Tout se passe comme s'il n’y avait
pratiquement plus de choix 4 ce niveau-la pour les cinéastes, un peu comme si Gauguin,
Van Gogh, Cezanne mais aussi bien les peintres du dimanche et les peintres officiels
avaient été contraints d’utiliser les mémes couleurs, la méme matiére, car l’enjeu est
finalement du méme ordre : il s’agit bien de la facon dont les choses, les lumiéres et les
couleurs vont consister sur une toile. Et le monde des années 70 aura désormais pour
nous, au cinéma, cette présence de vitrine, cette propreté discréte de la 5247 de Kodak.
Par sa finesse de définition, son absence de grain visible, la qualité premiére de cette pel-
licule universelle est une sorte de transparence polie : c’est une pellicule qui sait se faire
oublier (pas de grain, pas de présence chimique agressive des couleurs) mais qui fait per-
dre au monde, du méme coup, toute consistance, toute présence tactile, qui le déréalise,
en banalise les couleurs et les contrastes. Une image du monde sans intensités, d’une
transparence quotidienne. Une image propre : pas clean, pas belle, seulement propre.
De cette propreté petite-bourgeoise qui caractérise les images de catalogue : tout est
impeccable mais sans aucune sensualité de matiére ni de couleur, comme isolé par une
couche de vernis transparent, légérement Iuisant. Un monde en vitrine, intouchable.
Ceci pour la matiére premiére dont l’importance, faut-il le dire, excéde largement
lesthétique. C’est un choix de nature métaphysique qu’ opérent, en toute innocence, les
techniciens qui mettent au point les qualités d’une nouvelle pellicule. Et ce choix, qui
doit nécessairement répondre 4 quelque demande sociale diffuse, a fait force de loi pen-
dant presque 10 ans en ce qui concerne l’incontournable 5247 de Kodak.
Reste le travail de l’image sur lequel, semble-t-il, cinéastes et opérateurs ont plus de
prise. Cette marge de liberté, il ne semble pas que le cinéma francais des années 70 en ait
fait grand usage, 4 quelques écarts prés dont on va parler.
Dans la premiére moitié de la décennie l’héritage des années 60, en matiére d’éclai-
rage, c’est la lumiére d’aquarium de la Nouvelle Vague, cet éclairage diffus qui semble
plonger la scéne dans un bain de lumiére homogéne, sans ombres véritables, sans con-
trastes, sans plages sombres. Une lumiére sans origine, sans foyer, qui sembler émaner
76 OUTILS ET FORMES

également des acteurs et des choses, des figures et des fonds. Une ambiance, un bain de 3. Le Pére Noél a les yeux bleus,
lumiére plus que de véritables éclairages. Cet héritage est aussi un héritage économique : de Jean Eustache
Sil’émotion de ses premiers films
’éclairage indirect, rapide, mis au point par la Nouvelle Vague cofite moins cher en naissait aussi de la précarité de
temps de préparation et en matériel ; et 4 quelques exceptions prés (Téchiné, Truffaut) il ces images vacillantes, capturées
est devenu de plus en plus difficile aux cinéastes d’imposer, en raison de leurs exigences dans les rues de Narbonne et de
esthétiques, des normes de travail plus cofiteuses. Pessac, ou sur les boulevards de
Aujourd’hui, ol se dessine nettement un mouvement de retour vers une lumiére plus Paris, a la limite des possibilités
techniques du 16 mm d’alors, il
modelée, plus construite, il est resté de cet héritage la peur du noir, des ombres mar- semble bien que Jean Eustache
quées, des zones d’ombre. A regarder les images du cinéma classique, j’ai toujours eu ait opté depuis pour une éthique
Pimpression que les opérateurs partaient de ’écran noir et qu’il s’agissait pour eux de plus paradoxale et plus exi-
tracer peu a peu des faisceaux de lumiére, de dégager des zones de clarté sur fond de geante : plus V’histoire est sale,
plus image doit étre irréprocha-
zones sombres, le travail du cinéaste consistant 4 organiser cette scénographie de blement propre ; plus les senti-
Vombre et de la lumiére afin d’y faire évoluer le corps lumineux des acteurs. Depuis la ments sont indécidables, plus
Nouvelle Vague, inversement, tout se passe comme si l’on commengait par baigner toute Vimage doit étre précise ; plus le
la scéne dans une lumiére générale, diffuse, la redoutable « lumiére d’ambiance » dont discours est trompeur, plus
Vimage doit étre piquée.
on ne dira jamais assez les ravages et qui sert aux opérateurs A « monter le diaph »
jusqu’aux alentours du fatidique f.4 ; il ne reste plus ensuite qu’A rajouter quelques 4. Anatomie d’un rapport, de
éclairages complémentaires, par-ci par-la, le plus souvent pour que l’on voie bien Lue Moullet
Yacteur et pour tuer les ombres génantes, rarement pour construire une vraie lumiére.
Cette lumiére de base, éminemment rentable (on peut obtenir un diaph correct en un 5. Passe-Montagne, de Jean-
Francois Stevenin
temps de préparation trés court), a pour effet d’exorciser la peur du noir qui semble han- Stevenin, dans Passe-Montagne,
ter la profession, une profession qui s’est donné comme critére numéro un la nécessité choisit résolument le sale comme
absolue d’y voir clair, de chasser les zones d’ombres. Tous les moyens sont bons, fla- une nécessité interne de son
shage de la pellicule compris, pour déboucher ces zones obscures persécutées. Les stars cinéma: néons blafards, domi-
nante vert-bleu, hypertrophie du
avaient besoin de Vombre pour émerger comme corps lumineux ; Ies acteurs
grain. Ce qui, chez d’autres,
d’aujourd’hui, dans cette lumiére de cuisine moderne, ont toujours l’air de nous vanter apparaitrait comme une affecta-
les mérites du mobilier qui les entoure, comme des mannequins de catalogue : ils y ont tion, s’impose vite comme la
gagné en liberté de déplacement, en naturel, en aisance, mais ils y ont perdu le premier seule image possible pour rendre
privilége des stars, celui de focaliser les rayons lumineux, qu’ils partagent maintenant, au monde la pesanteur et l’inertie
sans lesquelles cette dérive ne res-
de la fagon la plus triviale, avec tous les objets qui se trouvent dans le champ, et com- semblerait pas 4 un irrésistible
ment rivaliser avec le pouvoir de réflection d’un réfrigérateur ? talentissement. Une image dont
Une des raisons communément avancées a cette peur du noir est le réle de la télévision la consistance, singuliére, dépose
dans la production des films : la plupart des films qui se sont tournés dans les années 70 durablement dans le souvenir.
étaient destinés, un jour ou l’autre, a passer sur un écran de télévision. Or Ja télévision a
6. Passe ton bac d’abord, de
peur du noir, et plus encore des forts contrastes : tout le monde sait que dans un contre- Maurice Pialat
jour, par exemple, les premiers plans sombres deviennent vite noirs, illisibles sur un tube
de télévision. Et le téléspectateur, plus encore que le spectateur moyen de cinéma, veut y
voir clair ; c’est devenu une condition minimale du confort visuel auquel il aspire : que
Vinformation visuelle soit claire et immédiate, comme dans l’idéal publicitaire. L’argu-
ment de la télévision n’est pas négligeable mais il m’apparait finalement un peu court
pour expliquer cette phobie généralisée du noir, des forts contrastes, et je ne peux
m’empécher de voir dans cette postulation générale pour une image normée, proprette,
sans matiére et sans contraste, un signe des temps qui en vaut bien d’autres : au specta-
teur petit-bourgeois du cinéma des années 70 on propose une esthétique de catalogue.
Du cinéma francais il attendrait qu’il lui montre ses acteurs favoris, ses semblables, dans
un décor qui pourrait étre celui de la résidence secondaire de ses réves : un intérieur
moderne, sans recoins douteux et sans odeurs, impeccable. A force de refouler la vieille
angoisse de l’ombre, du noir, du sale, le cinéma a fini par généraliser une lumiére de cui-
sine ou de salle d’opération, sans ombres ni contrastes, of Pangoisse, de n’étre plus loca-
lisable, est forclose de l’imaginaire.
Encore un mot sur l’héritage. Au début des années 70, les fabricants de matériel
d’éclairage lancent sur le marché une série de « soft lights » qui ne sont autre chose que
Vindustrialisation des bricolages inventés par les opérateurs artisans de la Nouvelle
Vague. La norme s’installe et les héritiers se mettent 4 gérer par paresse, facilité et éco-
nomie, sans se poser la question en termes esthétiques, un mode d’éclairage inventé dix
ans plus t6t par Godard-Coutard. Faut-il redire ici qu’au moment de cette invention,
Godard, en méme temps qu’il renouvelait l’économie du tournage, inaugurait une esthé-
tique de ’Image en a-plats et en couleurs pures par oti son cinéma croisait le champ de la
peinture moderne alors que pour les héritiers il ne s’agit le plus souvent que d’une techni-
que commode sans nécessité esthétique. Ce n’est pas un hasard si ces mémes cinéastes de
la Nouvelle Vague ont été les premiers 4 se poser de nouveaux problémes de lumiére au
PETITE VARIATION SUR LE PROPRE ET LE SALE 77

moment ott la machine-cinéma se mettait 4 normaliser aveuglément les acquis des


années 60.
Cette uniformité de matiére et de lumiére qui semble marquer image des années 70
vaut aussi, et de plus en plus, pour la profondeur de champ. La plupart des opérateurs
travaillent, en lumiére artificielle, aux alentours de f.4 (je parle évidemment de la 5247
dont la sensibilité tourne autour de 100 ASA, c’est-a-dire avant l’arrivée toute récente de
la 250 ASA de Fuji qui risque de changer les données du probléme), ce qui aboutit, avec
des objectifs de focale moyenne, a une profondeur de champ « ni-ni » : ni de vrais flous
ni une vraie netteté dans les arriére-plans mais la généralisation quasi-systématique de
ces légers flous qui nous valent ces agacants légers rattrapages de point dans les scénes
qui nécessitent un peu de profondeur. La question que pose ce genre de normes profes-
sionnelles implicite (le f.4) est grave : ce qui devrait relever dans un cinéma qui ne serait
pas de confection d’un choix esthétique majeur, d’un principe de mise en scéne (ici la
profondeur de champ) n’est souvent le fait d’aucune décision esthétique réelle mais la
résultante aveugle des conditions de tournage et d’un certain nombre d’habitudes pro-
fessionnelles implicites. Nous touchons 1a 4 une raison majeure de l’uniformisation et de
la médiocrisation de l'image au cours de la derniére décennie. Aprés la petite révolution
économico-esthétique de la Nouvelle Vague, il semble bien que l’on soit arrivé au début
des années 70 4 un nouvel équilibre, stable, entre l’économie, l’esthétique des films et le
gofit petit-bourgeois du nouveau public : une nouvelle norme professionnelle traduit cet
équilibre de la médiocrité avec pour effet majeur de réduire la marge des choix esthéti-
ques conscients. La norme d’une certaine qualité d’image s’impose a toutes les phases de
V’élaboration de l’image (pellicule, éclairages, traitement du labo, étalonnage) comme
une succession d’impératifs techniques, professionnels et économiques, qui finissent par
définir, de limitation de choix en limitation de choix, une image standard.
Tl est beaucoup plus malaisé d’analyser les écarts que de décrire la norme. La raison en
est simple : c’est que les écarts, au cours de la derniére décennie, ne font pas systéme. Ce
sont autant de tentatives isolées, diverses, d’échapper a l’image-standard, Tentatives
souvent minimales et radicales : un refus (Godard : on n’éclaire pas), une autre écono-
ri OUTILS ET FORMES

mie de tournage (Straub-Huillet : on prend le temps d’attendre les changements de la


lumiére naturelle), un choix qui va jusqu’au bout de sa cohérence (Pialat : tant pis si
c’est flou ou mal cadré, important est ailleurs).
Le seul mouvement d’ensemble que |’on puisse décrire est celui d’un retour, progres-
sif, A une lumiére plus élaborée, plus construite, un retour au modeleé. Signe de cette évo-
lution : Alekan, 4 70 ans commence avec quelques jeunes réalisateurs (Ruiz, Wenders)
une seconde carriére. La norme est en train de changer en ce début des années 80 et ce
changement a été préparé, au cours des années 70, par une poignée de cinéastes et d’ opé-
rateurs, 4 Poccasion de quelques projets de films d’une nature inhabituelle par rapport
au cinéma francais néo-naturaliste et intimiste post-Nouvelle Vague. Rohmer et Truf-
faut ont éprouvé le besoin, quinze ans aprés, de se donner d’autres sujets, de revenir par
exemple a des films en costumes (La Marquise d’O, Adéle H, Deux Anglaises et fe conti-
nent}, de recourit au tournage en studio. Or on ne saurait éclairer un film en costumes,
avec des bougies dans le champ, avec la technique d’A bout de souffle ; on redécouvre
au studio des possibilités d’éclairage que l’exiguité des décors réels avaient fait perdre de
vue. Ce retour a un autre type de lumiére est aussi le fait de quelques cinéastes plus jeu-
nes, venus de la cinéphilie (Téchiné, Benoit Jacquot, Zucca, Ruiz, Vecchiali), aux yeux
de qui l'image de confection ambiante a di apparaitre d’une grande misére par rapport a
cette photographie du cinéma classique qui faisait partie de leur désir de films. Ce genre
d’aventure esthétique passe nécessairement par la rencontre d’un projet singulier, d’un 7, M. Klein, de Joseph Losey
cinéaste et d’un opérateur. Un de ces opérateurs qui avaient fait le dos rond pendant ces La mode rétro — me fait remar-
quer Pascal Bonitzer — a sans
années de disette, d’éclairage tous azimuths, tout en préservant en eux le goiit et le métier doute contribué 4 un retour du
nécessaires pour composer d’autres images. goat vers une lumiére plus cons-
Ce retour vers une lumiére plus construite est devenu aujourd’hui une tendance, un truite et plus modelée. Ii ne fait
courant esthétique, c’est-a-dire, 4 moyen terme, la préfiguration probable d’une nou- pas de doute qu’elle ait contraint
velle norme. La notion d’écart n’a de valeur théorique qu’ Ia condition que cet écart les cinéastes 4 se demander com-
ment on éclairait les films aux
reléve quelque part d’un choix ou d’une postulation esthétique et ne soit pas la consé- époques qu’ils prétendaient illus-
quence strictement mécanique d’une détermination économique. Une image sale peut trer, tant il est vrai que dans
n’avoir pas été désirée comme telle mais Ja simple conséquence d’une trop grande pau- Vimaginaire, c’est cet éclairage
vreté de moyens. Encore que l’on sache bien, depuis le cinéma de pénurie du néo- des films qui sert de référent et
donne Ja lumiére du temps.
réalisme italien, qu’il n’est jamais simple de déméler ot finit l’&conomique et of com-
mence l’esthétique. A preuve l’image instable, mal définie, pas toujours nette, plus ou 8. Les deux Anglaises et fe conti-
moins bien posée, de quantité de films militants de l’aprés-68. Nul doute que cette image nent, de Francois Truffaut
sale n’ait été le plus souvent déterminée par la précarité des moyens (caméra 16 plus ou Il y a les histoires d’avant et cel-
moins bien entretenue, équipe technique réduite pour Pimage au seul opérateur, étalon- les d’aprés lélectricité. Les pre-
miéres autorisent toutes les pares-
page sommaire ou pas d’étalonnage du tout) et par les conditions du tournage a chaud ses et toutes les inconséquences
(caméra 4 la main, et dans des mains pas toujours expérimentées, mise au point dans le en matiére d’éclairage, les secon-
viseur, diaph approximatif). Il n’en reste pas moins vrai que ces images sales, hasardeu- des exigent un minimum de cohé-
ses, s’inscrivaient dans une esthétique de l’authenticité, du document brut, dont la tradi- rence et d’invention, Le retour de
quelques cinéastes de la Nouvelle
tion, en ce qui concerne la photographie, remonte au moins 4 Weegee, génial inventeur Vague a des sujets d’avant l’élec-
de ’image sale-saignante-véridique. Aussi bien — petite parenthése — les images hyper- tricité, au cours des années 70,
propres de l’usine en coupe de Tout va bien ont-elles di apparaitre 4 beaucoup de spec- west pas étranger 4 une redécou-
tateurs militants de 1972 comme une sorte de trahison esthétique de la base, un gofit du verte des vertus de la tumiére
directionnelle et de Vimage con-
propre venu d’en haut. trastée.
Il n’est pas question, méme si cela a pu induire a l’occasion quelques effets esthéti-
ques, de nier l’existence d’un seuil de pauvreté en-deca duquel il est 4 peu prés impossible
d’obtenir, quand bien méme le voudrait-on, une image de qualité standard. Mais cette
barre qui passait souvent, jusqu’au début des années 70, entre le 16 et le 35 mm va se
déplacer — et c’et une des redistributions les plus importantes de la décennie — entre le
cinéma (16 et 35 mm confondus) et la vidéo. La vidéo, qui se répand 4 grande vitesse
dans les groupes militants, culturels, les institutions, devient opérationnelle (par rapport
aux micro-visées de ces groupes) vers le milieu des années 70 et occupe la quasi-totalité
des territoires qui relevaient avant elle du 16 mm, la militance, les témoignages, les enre-
gistrements qui jouent sur la durée, les reportages a diffusion limitée, bref tout ce champ
du direct pauvre qui vouait une grande partie de la production 16 mm 4 une esthétique
de la pénurie et de l’approximatif. Tous ceux qui filmaient sans budget, sans équipe
technique, sans éclairages, se tournent, a tort ou 4 raison, vers la vidéo.
Dans le méme temps, les progrés technologiques du 16 mm permettent aux cindéastes
qui ont choisi ce format d’obtenir une image de qualité tout a fait honorable, voire avec
quelques précautions supplémentaires d’agrandir leurs films en 35 mm, pour la distribu-
tion en salles, sans trop de dégats. Le 16 mm qui avait été longtemps principalement le
PETITE VARIATION SUR LE PROPRE ET LE SALE 79

format du direct devient le format légitime des fictions de pauvres. Car si le seuil de la
misére est passé, au cours des années 70 entre film et vidéo, il n’en reste pas moins vrai
que le choix du 16 ou du 35 est aujourd’hui encore, a ]’intérieur du cinéma de fiction, un
choix économique. Pour un Rohmer qui choisit de tourner en 16 mm pour des raisons
essentiellement esthétiques (La Femme de l’aviateur), combien de cinéastes sont con-
‘traints de tourner en 16 mm, pour des raisons économiques, un film qui aurait du l’étre
en 35.
Ce qui a changé c’est que le 16 mm, aujourd’hui, n’est plus consubstantiel 4 une
esthétique du sale. Le choix du 16 mm n’empéche plus de viser 4 une grande qualité
-Wimage. Le propre ou le sale y reléve d’une postulation esthétique : on ne saurait en dire
autant en vidéo (sauf 4 disposer de trés gros moyens techniques) ni en super 8. De nom-
ibreux films de fiction attestent tout au long de la décennie (La Cecilia, Lecons d’histoire,
Fortini/Cani, La Femme qui pleure, Moi Pierre Riviére...) que la pauvreté relative d’un
tournage en 16 mm incite fréquemment les cinéastes les plus exigeanis a retrouver la
maitrise esthétique de leur image, 4 s’inventer les mayens de s’écarter des normes indus-
trielles de l’image standard. J’ai cité Allio, Comolli, Straub-Huillet, mais cela vaudrait
aussi bien pour Varda, Duras, Godard et quelques autres.
Quand le désir vient aux cinéastes de s’écarter de la norme, de cette désolante image
standard des années 70 (je parle maintenant du 16 ef du 35 mm puisqu’aussi bien le
choix esthétique semble de moins en moins lié au paramétre du format), ce peut étre
dans la voie de deux postulations apparemment opposées : une postulation vers le bas,
lesthétiquement inférieur, image sale, postulation que peu assument, et une postula-
tion, culturellement plus légitimée, vers le haut, ’hyperpropre, le sur-soigné.
Chez quelques cinéastes qui auront marqués la décennie, je pense 4 Wenders, et a
Akerman, Vhorreur de l’image standard oscille visiblement, d’un film a l’autre (de Je,
tu, il, elle a Jeanne Dielman ; de Au Fil du temps a V’Ami américain) entre la double ten-
tation, non contradictoire dans |’ordre de l’analité, du sale et de l"hyperpropre, entre la
tentation du flux, du laisser-aller, de la perte, qui s’accompagne volontiers d’un certain
« négligé » de Pimage, et la tentation inverse de la rétention, de 1a forme netié et ramas-
sée, qui se manifeste le plus souvent par un hyper-contréle méticuleux, voire légérement
sadique, de l’image.
Quand le cinéma frangais s’écarte de la norme, et c’est sans doute une affaire d’héri-
tage esthétique (encore qu’il y aurait beaucoup 4 dire sur le « négligé » renoirien), c’est
presque toujours sur le versant de [’image méticuleuse, contrélée, hyperpropre. Le
cinéma francais est majoritairement un cinéma de la retenue. L’écart s’y manifeste rare-
ment du cété de l’image volontairement négligée (si elle ’est quelquefois, c’est plutét
affaire d’indigence), encore moins de image sale. Question de nature fictionnelle
aussi : contrairement aux Américains (Cassavetes, Kramer), les cinéastes francais (Sté-
venin fera-t-il exception ?) sont peu enclins a laisser dériver leurs tournages au gré de ces
coulées fictionnelles of la tenue de l’image en soi importe moins que le mouvement de
perte qui les emporte. En outre le choix du sale, de l’esthétiquement inférieur, est un ris-
que professionnel. Il existe un seuil implicite da norme c’est aussi cela) en-deca duquel
un cinéaste, un opérateur encourent le risque de perdre leur crédit dans la profession. Un
directeur de la photo, de par son statut de technicien, doit faire la preuve, en toute cir-
constance, de ses capacités a faire face a la situation, quand ce n’est pas 4 la sauver, en
produisant une image qui atteigne, quelles que soient les conditions de tournage, a la
qualité standard. Seul un cinéma qui se situe résolument en marge du systéme de
production-diffusion (ce qui reste de cinéma militant, le cinéma expérimental, le
super 8) peut prendre ce risque. Ou alors il s’agit d’un simulacre, comme dans Extérieur,
Nuit : on exhibe le grain, l’absence d’éclairage comme le signe fétiche de la prouesse
technique.
Je ne vois guére aujourd’hui que Pialat (et Moullet, dans une tout autre économie)
pour assumer dans le cinéma francais une image qui ne redoute pas de sortir de la norme
par le bas, sans se mesurer aux critéres de l'image standard. S’ils n’ont visiblement pas,
l'un et l’autre, l’obsession de la qualité standard, c’est qu’il s’agit de cinéastes 4 projets
forts, compacts, pour qui les choix d’images ne se posent pas de facon séparée, en terme
de plus-value esthétique. Si cette variation sur le propre et le sale vient buter sur Pialat,
pour finir, comme elle aurait buté sur Renoir il y a cinquante ans, c’est qu’il est A peu
prés le seul cinéaste francais, aujourd’hui, a subir l’attraction de l’esthétiquement infé-
rieur, de la sous-culture, et que ces films constituent le seul péle alternatif 4 un cinéma
majoritairement fasciné par le propre. A.B.
OUTILS ET FORMES

AUTOUR D’UNE TABLE RONDE


PAR JEAN-JACQUES HENRY

Faire pour Ja technique comme pour Je reste, dans le reste de phone de fabrication suisse, inventé par Kudelski, le fameux
ce numéro : un bilan, le bilan de ce qui, de ce point de vue, a Nagra. Un fil de liaison (plus tard supprimé par le pilotage
marqué les dix derniéres années... quartz) permettait de les asservir un a l’autre.
On pensait s’en tirer avec une table ronde entre ceux qui, aux Comparé au cinéma dominant de ’époque (35 mm, presque
Cahiers ou & proximité, se sentaient le plus concernés ou inté- toujours post-synchronisé, tourné en studio, etc.) la perte était
ressés par ces choses-la. faible : ’image 16 n’avait certes pas exactement la qualité, le
Un samedi de la fin février a donc réuni autour d’un magné- « piqué » de image 35 mais les progrés réalisés sur la fabrica~
tophone Serge Le Péron, Guy-Patrick Sainderichin, Serge tion des émulsions et les traitements de laboratoire la rendaient
Daney, Jean-Paul Fargier, Charles Tesson, Jean-Pierre Beau- tout a fait acceptable ; Ie gain, en revanche, était considérable. .
viala, Vincent Blanchet et Jean-Jacques Henry. Jean-Henri La légéreté, la portabilité des matériels (’Eclair 16, posée sur
Roger, qui passait par la, a surtout parlé du tournage de Neige Pépaule comme un bazooka jouissait d’une belle stabilité) aug-
et de ce qu’avait rendu possible la nouvelle pellicule Fuji 250. mentaient considérablement le champ du fimable. Le cinéma
accédait surtout a une nouvelle qualité de parole et de bruit,
Résultat : pas trés brillant, plut6t brouillon. encore jamais entendue : la prise — et la restitution — de la
Un cheminement hésitant, des interventions croisées, comme parole brute, sauvage, qui rompait avec les habitudes en
une nervosité devant un sujet ample, complexe. Et puis sans vigueur. On a baptisé ca « cinéma direct » : il en est encore
doute aussi l'agacement de chacun d’@tre sans cesse partagé souvent question aujourd’hui...
entre le sentiment assez impressionniste que des choses fonda- Jean Rouch, dés 1960 s’en empare (du son synchrone), Avec
mentales s’étaient passées dans ce domaine, pendant cette ja caméra KMT, précisément, il filme Chronique d’un été, réa~
période, et ’incapacité d’en repérer les traces probantes dans la lisé en collaboration avec Edgar Morin. Avec le méme matériel
production correspondante. Agacement aussi, peut-étre, de se Mario Ruspoli fait Les Inconnus de fa terre en 61 et Regards
sentir attachés & quelques idées, 4 un certain nombre d’hypo- sur la folie en 62. Les expériences au cinéma et plus encore a la
théses de travail et de percevoir, dans le méme temps, que ces télévision — alors un peu plus audacieuse qu’aujourd’hui — se
idées, ces hypothéses n’étaient pas forcément d’une grande multiplient dés qu’avec la sortie de I’Eclair 16 le matériel se
pertinence... normalise, Cing ans plus tard, le couple Eclair-Nagra (ou Per-
Quelque chose, par exemple, résistait dans ce choix arbitraire fectone) se porte toujours bien : en mai 68 (Les Cheminots en
de la durée — la décennie 70 — de notre champ de réflexion. greve, Wonder...) en juin (Les deux Marseillaises de Comolli et
Nous ne pouvions nous empécher de la déborder par ’amont Labarthe), en 69 (La Rosiére de Pessac) de Jean Eustache) ou
ou par l’aval et nous nous en sentions coupables. plus tard (Le Cochon de Barjol et Eustache...), Le son direct
Ou bien alors nous nous persuadions que la tache efit été plus contamine peu a peu dans le méme temps la fiction, voire le
facile s’il se fit agi d’une autre décade, la précédente par « gros » cinéma. Rouch, encore lui, y avait eu recours dés 1960
exemple. pour La Punition puis en 65 pour Gare du Nord, son sketch de
C’est sans doute pour cela que nous avons beaucoup parlé de Paris vit par... Rivette ’emploie pour La Religieuse (66)...
ce qui gravitait autour de l’enregistrement synchrone du son & mais son usage fait moins de bruit que les protestations des
partir des années 60. ligues de vertu. Les grincements des parquets sous les menus
Il est vrai qu’avec l’apparition de nouveaux matériels de par des nonnes y produisaient pourtant d’étonnants effets dans
prise d’image et de son quelque chose de vraiment nouveau la pate sonore. Aujourd’hui la plupart des films frangais sont
s’était alors mis en place : la possibilité de combiner la prise de tournés en son direct, ce qui est loin d’étre le cas partout ail-
son direct (réalisable et pratiquée depuis Porigine du cinéma leurs : en Italie, par exemple, le cinéma est presque toujours
sonore mais avec des matériels Jourds et encombrants) avec la post-synchronisé (cf Entretien avec Jean-Marie Straub et
souplesse des techniques de prises de vue du reportage. Daniéle Huillet, 4 propos du tournage de Moise et Aaron,
Des recherches poursuivies aux USA a la fin des années 50 Cahiers n° 260-261, octobre 75}.
étaient sorties en Europe, du cété de image, d’abord un pro- Idéal done ce cas particulier de I’enregistrement synchrone des
totype expérimental de caméra, légére, synchronisable, la images et des sons pour l’histoire de la technologie du cinéma :
KMT, puis une caméra fabriquée en série a partir de 1963, en moins de dix ans (1958 a 1965) apparaissent et le besoin pour
VEclair 16, autosilencieuse, au point que son fonctionnement le cinéma de quitter les studios, de subir I’épreuve de la rue, et
était assez discret pour ne pas trop pertuber l’enregistrement les outils de cette émancipation, et les produits qui en portent la
simultané du son, méme en intérieur ; et cété son, un magnéto- marque.
81
Idéal mais point exemplaire des rapports qu’entretient habi- mat non reconnu par administration du cinéma et peu appré-
tuellement le cinéma avec sa technologie. cié des professionnels : le 16 mm.
Le déploiement nécessaire des trois phrases successives de La télévision, elle, se jette sur ces matériels : leur souplesse,
Vinnovation technique : l’invention, l’application (la fabrica- leur autonomie s’adaptent bien au genre qu’elle prise alors par-
tion des appareils, des instruments, des machines) et l’usage (la dessus tout, le reportage, et la qualité des produits ainsi fabri-
fabrication des ceuvres) ne s’inscrit qu’exceptionnellement qués est plus que suffisante pour le passage « sur le tube ». Le
dans le trop court délai d’une décennie. Pourquoi alors se cris- 16 mm, se trouve donc étre 4 ce moment 14: 1) un matériel
per sur un cadre exigu qui enferme arbitrairement des éléments encore étiqueté « amateur », 2) a certains égards plus perfor-
qui n’appartiennent pas a la méme histoire. mant que le 35 mm des professionnels, 3) et dont la télévision
S’il y aémergence de nouvelles formes, elles sont probablement s’empare rapidement, Toutes ces frontiéres qui s’effritent, ces
issues de trouvailles techniques antérieures qu’il faudra pren- secteurs qui interférent, c’est 4 ne plus y retrouver ses petits. Et
dre en compte. la « profession » — un mot un peu trouble qui désigne tout ala
S’il y a trouvailles techniques elles n’auront sans doute pas le fois ’administration du cinéma, le CNC, les divers syndicats,
temps d’induire les nouvelles formes que seule une attitude les diverses corporations — cette « profession » va s’efforcer
prospective permettra peut-étre d’imaginer. de tenir son rang, de rétablir les barriéres, de tenir ses posi-
Ces deux temps doivent absolument étre séparés. tions, voire de reconquérir les zones concédées.
Cette notion de ferritoire-cinéma nous a paru intéressante en ce
Une autre erreur encore. Elle partait d’un souci de clarté : qu’elle permet d’assez bien expliquer ce qui s’est justement
séparer le cinéma et la vidéo. I a fallu que Beauviala nous rap- passé au cours des années 70 et d’intégrer aussi la distinction
pelle 4l’ordre : « On risque d’étre trés obsolétes dans nos pro- que nous proposions plus haut entre deux regards sur cette
bos si on dit, en 1980 : il » a le cinéma d'un cété, la vidéo de période: comme prolongement des années 60 ou comme
Pautre. Dans dix ans, on ne fera méme plus la différence. Il y amorce des années 80.
a, tla production, un systéme de support 4 relecture immédiate Elle intégre aussi, grosso-modo, la distinction cinéma/vidéo.
et un systéme de support @ lecture différée, c’est tout ce gu’on
peut dire aujourd’hui. Quant a la diffusion, c’est une étape On pourrait alors proposer deux volets :
autonome ou tu n’en a plus rien @ faire de savoir sur quel sup- 1) Années 70 : le territoire-cinéma annexe les conquétes faites
port a été fabriqué Poriginal. Actuellement avec Beaulieu, on par le 16 mm dix ans auparavant sur le théme « rien de ce que
(Adton) essaie de faire un systéme oit, justement, on réinvente permet le 16 n’est aujourd’hui inaccessible au 35 ». Le cinéma
le Super 8 sur la base d’une caméra indépendante du magnéto- tente de gagner en souplesse (Louma), en mobilité (Steadicam),
phone, avec les acquis historiques du marquage temps. Mais en sensibilité (Fuji 250). La rue fui appartiendra, ta nuit aussi.
cette chaine qu’on va fabriquer aboutira, au moment de la dif- Simultanément il réaffirme ses codes propres et réinvente la
Susion, non plus é un film mais & de la vidéo. Ce qui s’est passé construction des éclairages, les effets spéciaux, les trucages, le
Jusqu’d maintenant, c’est que les gens étaient tres oeillerés : retour dans les studios (la superposition de ces deux tendances
commencant sur film 16, ils devaient finir en 16, commencant est éclatante dans la bande annonce du prochain Lelouch, Les
sur vidéo ils devaient finir en vidéo : maintenant ce n’est plus Uns et les autres).
du tout vrai... Et ce dont on devrait alors discuter, c’est seule- L’idée se précise d’images et de sons fabricables 4 partir
ment la facon dont la technique apporte des outils nouveaux d’autres matériels, d’autres machines, sur d’autres territoires
pour faire du cinéma. C’est ce qu’apporte de nouveau la légé- selon d’autres schémas.
reté des caméras (cinéma et vidéo), Vindépendance du son C’est un peu Vhistoire du Super 8, c’est surtout celle de la
(pour le moment habituelle au cinéma, un peu acrabatique ou vidéo, de électronique ; c’est autre fagon de récupérer, de
coliteuse en vidéo), la relecture immédiate (vidéo et, pour développer les acquis des années 60.
mémoire, la Polavision), la fagon de monter par assemblages Les deux entretiens qui suivent ont été fait dans cette pers-
théoriques (vidéo) et non plus physiques, etc. pective et correspondent a ce découpage. Ils sont |’un et I’autre
Et pour discuter de ca le mieux est de distinguer trois rubri- postérieurs 4 la table ronde évoquée ci-dessus. L’un et l’autre
ques: la prise (de vue, de sonj, le montage et la post- s’en noutrissent abondamment. Ils ont la vertu d’ajouter un
production, et puis la diffusion... » peu d@’ordre 4 tout ce qui s’y était alors débattu. J.J.H.

Mais l’entétement de plusieurs d’entre nous autour de la


table 4 repartir sur cette bipartition cinéma/vidéo devait bien

contacts
signifier quelque chose. Jean-Paul Fargier semblait le plus cha-
griné de devoir gommer la frontiére. Comme s’il craignait que
la vidéo n’y perde des plumes.

Peut-étre qu’un nouveau saut en arriére et un nouveau


détour par le direct sont ici nécessaires.
Jusqu’a la fin des années 50 il n’y a pas 36 fagons de faire du
cinéma (toujours d’un point de vue technique s’entend !), On
peut en faire en professionnel, on peut en faire en amateur
mais les deux domaines sont nettement, techniquement délimi-
tés : c'est le son, principalement, qui fait la différence. On peut
aussi faire de la télévision mais elle n’a encore que peu
d’audience (1 chaine et 988 000 téléviseurs seulement en 1959)
et l’on ne s’avise guére de confondre, ou seulement de rappro-
cher, les deux systémes audiovisuels.
Et voila qu’apparait le son synchrone léger. Et qu’il associe a
Librairie du Cinema
un petit magnétophone une caméra non seulement portable elle 24,RUE DU COLISEE 75008 PARIS
aussi (aprés tout, on s’était un tout petit peu habitné a la porta-
bilité depuis invention du Cameflex en 1946) mais d’un for-
7 8 TRL) 3959.17.71
OUTILS ET FORMES

ENTRETIEN AVEC WILLIAM LUBTCHANSKY

A sa sortie de [’école Vaugirard, en 1960, William Lubt-


chansky devient assistant opérateur et cameraman (avec
Andréas Winding et Willy Kurant) : il restera jusqu’en 1968. Il
est ensuite directeur de Ja photographie des films de Bernard
Paul (Le Temps de vivre, 1968, Beau Masque, 1972, Derniére
sortie avant Roissy, 1976), Michel Mardore (Le Sauveur,
1970), Nadine Trintignant (Ca n’arrive qu’aux autres, 1971,
Défense de savoir, 1973, Frére et sceur, 1979), Michel Drach
(Les Violons du bal, 1973, Parlez-moi d’amour, 1974),
Eduardo de Gregorio (La Mémoire courte, 1978), Jacques
Rivette (Duelle, 1975, Noroft, 1975. Merry-Go-Round, 1977.
Paris s’en va, 1980}, Jean-Marie Straub et Danielle Huillet (Un
Coup de dés, 1978, Trop tét/trop tard, 1980), Jean-Luc
Godard (Un Film comme ies autres, 1968, Ici et ailleurs, 1974,
Comment ¢a va, 1975, Six Fois deux, vidéo 1976, France Tour
et détour deux enfants, vidéo 1977, Sauve qui peut (la vie),
1979, en collaboration avec Renato Berta) et de quelques
autres. En 1981, il vient de terminer Neige de Juliet Berto et eet Xt
Jean-Henri Roger avant d’enchainer avec le prochain film de Tournage de Sauve qui peut (la vie) (photo Alain Bergala)
Francois Truffaut (La Femme d’a c6té) et celui de Jean-Louis 16/35
Comolli (L’Ombre rouge}.
Bergala. Partons un peu de ia ligne de partage 16/35, Il sem-
ble que dans les années 60, elle ait été plus claire que dans les
années 70.

U’Arri BL 35 Lubichansky. Dans les années 60, le 16 mm était seul 4 per-


mettre Ia mobilité en son synchrone. Maintenant le 16 mm
Alain Bergala. Que s’est-il passé d’important, dans fa tech- reste un moyen moins cher que Je 35 mm. Surtout pour des
nologie du cinéma, au cours des années 70 ? films qui nécessitent au tournage beaucoup de pellicule,
comme les films de reportage ou les films basés sur ’improvisa-
William Lubtchansky. Pour moi, l’apport technique le plus tion. Je pense que c’est pour ces raisons que Doillon (Les
important de cette décennie, c’est I’arrivée de l’Arri BL 35 (1). Doigts dans la téte, La Femme qui pleure), Rivette (Céline et
C’est la seule caméra 35 mm qui permette de tourner en son Julie) et plus récemment Rohmer (La Femme de Paviateur) ont
direct et qui ne soit pas un monstre. Il faut quand méme bien choisi ce format.
penser qu’avant, lorsqu’on voulait filmer une simple conversa-
tion dans une piéce, on était obligé d’avoir une caméra qui Bergala. Tu penses que la seude ligne de partage, c’est done
pesait 80 kilos, avec un énorme pied, une énorme téte. Un Pargent ?
monstre. Et une impossibilité de travailler 4 la main.
Lubtchansky. Oui. Quand on préparait Merry-Go-Round,
Serge Le Péron. En fait, c’est dans la logique de ce qui s’était Rivette m’a dit: « Je le fais en 16 pour cavaler, suivre Jes
passé dans les années 60, la possibilité de faire du son gens ». Je lui ai garanti que je pouvais faire la méme chose en
synchrone et de se déplacer facilement. 35, avec la méme équipe réduite, et méme en éclairant moins.
En effet quand on travaille en 16 mm dans un but d’agrandis-
Lubtchansky. Oui, mais dans les années 60, s’il y a eu une sement, il fdut un négatif impeccable, on ne peut pas prendre
telle vogue du 16 mm, c’est que c’était le seul moyen qui per- de risques, il faut donc éclairer correctement. En 35 mm ona
mettait de faire ca. Beaucoup de gens qui auraient normale- plus de latitude et une qualité finale meilleure.
ment tourné en 35 tournaient en 16 car ils ne pouvaient pas
faire autrement. Si une caméra 35 du type Arri BL avait existé, Le Péron, Et Godard, pourquoi a-t- choisi pendant forig-
Rouch aurait peut-étre tourné en 35. temps le 16 mm ?
83
Lubtchansky, Pendant cette période dont tu parles, i] était 2.8. L'événement dans les
contre le 35, je pense que c’était un point de vue politique. Et années 70 c’est l’arrivée
puis il faut voir quelle distribution i! pensait pour ces films-la. d’objectifs A grande ouverture
Si on tourne en 16 pour de petites salles avec de petits écrans, de bonne qualité. Dans les
on a une qualité tout 4 fait bonne. Le probléme c’est le tour- années 60 on utilisait quelque-
nage en 16 pour agrandir en 35 et projeter sur un écran énorme. fois des objectifs photo 4
grande ouverture. Je me sou- fy
Le Péron. I! y a des gens qui peuvent rechercher ce grain, viens d’un certain 50mm i
cette image. Siévenin dans Passe-Montagne par exemple. Canon (3), trés mauvais : tout §
le monde pouvait repérer dans
Lubtchansky, Dans Passe-Montagne, c’est aussi un pro- un film le plan au 50 ouvert 4 1.4. L’avantage des Zeiss c’est
bléme économique. Stévenin n’avait pas d’argent pour le faire qwils sont vraiment formidables comme qualité 4 pleine ouver-
en 35. Gevaert leur a fait des propositions trés intéressantes ture, Mais utilisation des courtes focales A grande ouverture
pour leur pellicule, et cette Gevaert-la donne le rendu que l’on donne un rendu photographique complétement différent. En
voit dans le film. effet on n’est pas habitué 4 image sans profondeur de champ
des courtes focales & trés grande ouverture. Et peu de cinéastes,
Bergala. Tu ne penses pas, quand méme, qu’un film comme actuellement, savent jouer avec.
celui de Rohmer, La Femme de l’aviateur aurait pu étre pensé L’arrivée de la Fuji 250 permet de travailler, 4 lumiére égale,
en 16 mm pour des raisons esthétiques et pas seulement écono- avec un diaf plus fermé, c’est-a-dire avec beaucoup plus de
miques ? En 35, il y aurait eu un cété glacé... profondeur de champ, et évite ainsi lutilisation des grandes
Lubtchansky. Je n’en suis pas persuadé. Je pense que c’est ouvertures.
essentiellement pour des raisons économiques. Mais le 16 mm
peut étre effectivement utilisé pour des raisons esthétiques, Le Péron. Pourquoi cette pellicule n’est-elle pas arrivée plus
pour son grain ou sa connotation « reportage ». Mais peu de 16t sur le marché ?
metteurs en scéne et d’opérateurs sont capables d’assumer Lubichansky. La pellicule 35 et 16 professionnelle représen-
jusqu’au bout cet aspect imparfait et un peu sale de l’image. tait, il y a quelques années, 1 % du chiffre d’affaire de Kodak.
Ce qui les intéresse c’est la pellicule photo qui est vendue beau-
Le Péron. Personnellement, tu préféres travailler en 35 ? coup plus cher au métre. En fait nous bénéficions, en retard,
Lubtchansky. Oui. Parce qu’a travail égal c’est mieux en 35 des recherches qui sont faites pour la photo ot il y a depuis
qu’en 16. En 16 on fait le méme effort et on n’a pas le méme longtemps des pellicules plus sensibles. Maintenant qu’il y a de
résultat. la concurrence sur le marché, Kodak va s’y mettre aussi.

Bergala. Et dans les relations avec le labo, est-ce que ce n’est Le Péron. Qu’est-ce qui est moteur, au niveau de V’innova-
pas beaucoup plus facile en 35 qu’en 16 ? tion technologique ?

Lubtchansky. C’est évident qu’on obtient plus en 35 qu’en Lubtchansky. Pour la pellicule, je pense que c’est la photo.
16 avec les labos. En 16 mm, trés souvent, on tombe dans le Ou larmée : il existe par exemple une pellicule infra-rouge que
flot des images télévisuelles. Ca veut dire : moins de contact j’aimerais bien essayer, on n’arrive pas 4 en trouver en France
avec l’étalonnage et des rushes vraiment non étalonnés. pour le cinéma, c’est du domaine militaire. Les Américains ne
veulent pas l’exporter. Or elle existe en photo. Dans le cinéma
La pellicule - les objectifs 4 grande ouverture on est toujours a Ia traine, on se sert de trucs qui ont été inven-
tés dans d’autres domaines. C’est le cas des éclairages : les lam-
A mon avis, ce qui arrive maintenant de trés important, c’est pes HMI, par exemple, ont été inventées pour éclairer les sta-
une pellicule plus sensible, la Fuji 250, qui fait gagner des, les rues.
1 diaf 1/3. Ca fait plus de dix ans que la pellicule Kodak était a
100 ASA. On arrivait ala pousser au labo mais on perdait en Les zooms
qualité, alors que 14 on a la méme qualité avec une pellicule Il y a eu aussi, dans les années 70, l’introduction de zooms
beaucoup plus sensible (2). Ca veut dire qu’a partir de 1981, on de bonne qualité. Moi, personnellement, je ne suis pas un fana~
va avoir plein de films qui vont se tourner la nuit dans Paris, tique des zooms. Je trouve que c’est souvent un moyen pares-
par exemple, avec trés peu de moyens. J’ai déjé commencé seux de faire de la mise en scéne parce que je pense qu’il y a des
avec le film de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, Neige, qui positions de caméra en fonction des objectifs. Le zoom améne
s’est tourné en grande partie la nuit, 4 Pigalle, sans éclairage. forcément une maniére de travailler moins rigoureuse. Je you-
On a aussi 4 notre disposition, maintenant, les objectifs 4 drais bien savoir qui a pris la décision chez les gens qui fabri-
grande ouverture. quaient les Cooke d’arréter la fabrication des objectifs fixes en
disant : « on va tous les remplacer par un zoom qui sera de
Bergala. Quand sont-ils arrivés, les objectifs qui ouvrent & méme qualité (ce qui est 4 peu prés vrai) et qui va couvrir la
1.2, 1.4 ? méme gamme, et méme un peu plus, avec un 20-100 ». Ils
Lubtchansky. Tl y a 4, 5 ans. n’ont pas pensé qu’avant ils avaient un objectif de 5 centimé-
tres qui pesait 50 g et que maintenant on a un monstre qui fait
Bergala. Dans les années 60, a4 combien ouvraient les objec- 1/2 métre et qui pése 5 kilos. Quand on met ca sur une caméra
tifs dont vous disposiez ? qui est petite c’est une énormité, une aberration.
Les zooms, je pense que ¢a vient de l’influence de la télévision,
Lubtchansky. La plupart des opérateurs en France travail- tu ne peux pas acheter une caméra de télévision avec des objec-
lent avec des objectifs Cooke qui sont des objectifs anglais qui tifs fixes, ¢a n’ existe pas, elles sont livrées avec un zoom. Et tu
ne sont plus fabriqués maintenant. Les objectifs Cooke as de gros problémes quand tu veux mettre un objectif normal
ouvrent a 2.3, ce qui n’est déja pas mal. Tous les autres objec- 4 la place du zoom sur une caméra de télévision, tu n’as pas les
tifs, Angénieux, Kinoptik, Kowa, etc., ouvrent aussi vers 2.3, montures, etc,
OUTILS ET FORMES
inconvénients. [1 est lourd car en plus du projecteur, il y a un
énorme transformateur qu’on appelle le « ballast », et qui fait
du bruit.
Lorsque les lampes vieillissent elles changent de couleur. Enfin
ces projecteurs ont été créés pour les télévisions qui utilisent le
50 périodes. Leur emploi au cinéma nécessite donc des précau-
tions pour ne pas avoir de battement entre le 50 périodes du
courant et la vitesse de la caméra. Ces problémes de période
seront résolus une fois pour toutes le jour ot on prendra la
décision de tourner 4 25 images/seconde.

Bergala. Est-ce que les HMI vont remplacer les arcs ?


Lubtchansky. On dit que les HMI c’est comme les ares. C’est
faux : il n’existe actuellement aucun projecteur qui soit l’équi-
La Mémoire courte de Eduardo de Gregorio.
valent d’un arc. Un arc c’est une lumiére qui est beaucoup plus
belle, plus violente que le HMI. Dans un arc la lumiére vient
d’un Fresnel qui doit faire au moins 70 centimétres de diamé-
tre. C’est énorme. Les HMI sont peut-étre trés puissants mais
Les supports caméra la source de lumiére est plus étroite. Mais les arcs, maintenant
commencent a étre vieux et sont moins bien entretenus. Pour-
Je crois qu’il faut aussi parler des tétes que l’on met sur les tant ils sont loués en permanence. La pub en utilise beaucoup
pieds des caméras et qui se sont nettement améliorées (4). C’est pour des raisons de prestige.
beaucoup plus facile de faire un bon panoramique maintenant
qu’il y a dix ans. A cette époque les caméras étaient lourdes, Le Péron. Et tu en fais, toi, de la pub ?
énormes, et les tétes assez médiocres : c’était trés dur, les came- Lubtchansky, De temps en temps. L’avaniage de la pub pour
ramen en bavaient tous les jours, ils avaient vraiment du mal 4
nous, opérateurs, c’est qu’il y a des moyens énormes, on peut
faire un bon mouvement. Avec les nouvelles tétes c’est devenu demander ce qu’on veut comme matériel, on peut faire des
beaucoup moins fatigant, plus facile, essais, apprendre des trucs. Sur un tournage de pub tu peux
passer 2 jours pour éclairer une petite cuiller ou une bouteille.
Bergala. Tu préféres travailler au manche ou aux manivel-
les ? 24 ou 25 images/seconde ?
Lubtchansky. Si je n’ai pas de Dolly(5), je prendrai systéma-
tiquement un manche. Je pense que les mouvements au manche Bergala, Revenons un instant @ la question du 24 ima-
sont plus sensibles que les mouvements aux manivelles, on évite ges/seconde. Selon toi, c’est le poids du passé qui maintient
de passer par un intermédiaire mécanique, par les pignons et cette norme ?
tout ca.
Lubtchansky, Oui. Et déja au départ il y a eu une erreur avec
le 24 images/seconde. Les Américains se sont mis au 24 ima-
Le Péron. Et le steadicam (6) ? ges/seconde parce qu’ils ont un courant a 60 périodes. En
Lubtchansky. Moi je considére ca comme un gadget de France on a fait comme les Américains sans penser qu’on avait
superproduction. II est rare de trouver une mise en scéne qui un courant de 50 périodes, et depuis que le cinéma sonore
nécessite vraiment son utilisation. Et son emploi permanent sur existe, on traine cette erreur derri¢re nous. De plus tous les
un film est pratiquement impossible 4 cause de son poids. films qui passent a la télévision sont projetés a 25 ima-
Par contre, ce qui est malheureux, en France, c’est qu’un cer- ges/seconde. II serait peut-étre temps de tourner 4 25 !
tain type de matériel disparait : on ne trouve plus de grandes
grues de cinéma. Si tu veux monter 4 10 métres, on va t’amener
des grues de travaux publics, par exemple, qu’on loue pour le Merry-Go-Round de Jacques Rivette
cinéma mais avec lesquelles on n’arrive pas 4 faire de vrais
mouvements de cinéma.

Les projecteurs - les HMI - les arcs

Bergala. Et pour la lumiére, qu’est-ce qui s’est passé


@ important dans les années 70 ?
Lubtchansky. Il y a eu une rénovation importante de tout le
matériel classique qui est maintenant plus moderne, plus léger,
plus petit. Mais ce qui a été une assez grande révolution, c’est
les projecteurs HMI. Ce sont des projecteurs 4 lampe pulsée
qui éclairent directement en lumiére bleue, c’est-a-dire une
lumiére qui est équivalente pour la pellicule a la lumiére du
jour. Jusqu’a présent, pour obtenir une lumiére bleue, on met-
tait des filtres bleus sur les projecteurs et on perdait de ce fait
beaucoup de lumiére : une lampe de 1 000 W devenait une
500 W et méme pas tout a fait. De plus, les HMI consomment
beaucoup moins d’énergie que les projecteurs classiques. Mais
le projecteur HMI, qui est donc trés performant, a aussi des
ENTRETIEN AVEC WILLIAM LUBTCHANSKY
Aaton vailler en lumiére bleue avec
des HMI. Il faut tout avoir
Bergala. Que va apporter la caméra 35 que Beauviala est en sous la main quand on en a
train de fabriquer pour Godard, par rapport 4 PArri BL 35 ? besoin. Car il n’est pas tou-
jours évident de savoir a
Lubtchansky. Au départ c’est une caméra qui a été comman- Pavance la photo qu’on va
dée par Godard pour son usage personnel. I] aurait bien voulu
faire sur un film, ¢a se décide
filmer tout seul des plans dans les bistros, des choses comme tout 4 fait au début du tour-
ca, en passant tout a fait inapergu. Or l’Arri BL pése quand
nage. Je crois que Ja meilleure
méme une quinzaine de kilos, lui voulait une caméra aussi
facgon de parler du projet de la
maniable qu’une super-8, c’est pour ca qu’elle s’appelle la
lumiére d’un film, c’est de voir d’autres films, ¢a sert de point
8-35. Le cahier des charges c’était qu’elle soit petite, qu’elle
de départ.
n’ait pas une autonomie supérieure 4 2 minutes et qu’elle ait un
Sur le film de Comolli, qu’on va commencer bientét, on a
bruit de « bonne compagnie », c’est-a-dire qu’on puisse tour-
beaucoup parlé de la photo avant et je pense qu’on sait of on
ner, sans qu’on la remarque trop, dans un lieu ot il y a un bruit
va, bien avant le tournage. Mais c’est rare, car le plus souvent
moyen. Beauviala, ensuite, va la commercialiser avec des
jes gens qui ne sont pas des opérateurs ont du mal 4 parler dela
magasins de 120 métres en la considérant comme une deuxiéme
lumiére. Souvent le cinéaste dit avant le tournage : « Je veux
camera sur Jes films : ce serait 4 la fois une caméra de secours
que tout soit clair, je n’aime pas les ombres », et puis au tour-
et une caméra de 2° équipe. Mais elle n’a pas été concue pour
nage on part dans une autre direction, avec son assentiment. Le
étre vraiment silencieuse,
plus simple c’est quand méme de prendre des références, des
exemples.
Le Péron. Que penses-tu de la Aaton 16 mm ?
Lubtchansky. Il est évident que la Aaton c’est la deuxiéme Le Péron. Le réle de lopérateur, au départ, @est donc
génération des caméras 16. Il y aeul’Eclair 16 qui a été la pre- d’interpréter le projet en termes de matériel ?
mitre génération, de méme qu’aprés l’Arri BL, en 35 mm, il y Lubtchansky. Oui. Et 1a, si tu te trompes de matériel, tu as
a eu la Panaflex. Mais la, au niveau technologique, pour les vraiment du mal a t’en sortir, c’est beaucoup plus compliqué.
caméras, je ne pense pas que l’on puisse aller beaucoup plus
loin, il y aura peut-8tre plus de gadgets mais c’est 4 peu prés Avant et aprés la nouvelle vague
tout. Je ne pense pas que I’on ait intérét 4 alléger encore beau-
Bergala. Avant de parler de l’image des années 70, il faut
coup plus les caméras, je pense qu’il y a un poids optimum qui
revenir un peu en arriere et voir ce qui s’est passé avec la Nou-
est atteint maintenant. Et puis si les gens veulent faire du
velle Vague.
cinéma 4 la main, la moindre des choses c’est de se muscler un
peu avant. Moi je le fais systématiquement avant un tour- Lubtichansky. Ml est évident que la Nouvelle Vague a fonda-
nage 35 ala main, je déteste la gymnastique mais je le fais par mentalement changé l’esthétique de l'image, pour des raisons
conscience professionnelle. Le seul progrés important qu’on économiques. Les gens ont fait la lumiére qu’ils avaient la pos-
pourrait faire encore, c’est des caméras plus silencieuses. Sans sibilite de faire, avec argent dont ils disposaient. Comme ils
arrét, sur les tournages, on essaie d’étouffer le bruit en mettant avaient fait le pari de faire des films qui cofiteraient trois fois
des blimps (7) des vestes, etc. moins cher que les autres, il y a eu nécessairement une esthéti-
que nouvelle.
Bergala. Et le marquage-temps ? Avant les années 60, il y avait une école en place, le tournage
en studio, les éclairages « 4 effet », les gens avaient l’impres-
Lubtchansky. Ca va &tre un gros changement, le marquage
sion d’étre des sculpteurs de lumiére ; les opérateurs avaient la
électronique sur la pellicule et le son. Ca existe, Beauviala l’a
méme fagon de travailler, avec le méme genre de matériel. Puis
mis au point mais ce n’est pas encore dans les mceurs.
il y a eu l’arrivée des quartz et du style de lumiére « aqua-
Bergala. Les années 70 oni été marquées par le monopole rium », sans ombres, le « high key », qui s’est imposé avec la
quasi-absolu de la couleur, Crois-tu qu’on soit en train d’assis- Nouvelle Vague pour des raisons économiques parce qu’il per-
ter, tout récemment, a un retour du noir et blanc ? mettait de travailler plus rapidement avec moins de matériel.
Ce systéme de lumiére indirecte est devenu une mode et les opé-
Lubtchansky. Beaucoup de metteurs en scéne qui parlent de rateurs s’y sont tous mis. Au cours des années 70, la mode s’est
jJeur projet disent : « Ah, c’est un film qu’il faudrait faire en un peu épuisée et les opérateurs sont revenus a une autre
noir et blanc ». La raison pour laquelle ca ne se fait pas, c’est lumieére.
la télévision. II y a toujours une société de télévision en produc-
tion, soit un projet de vente a la télévision et les télévisions ne Bergala. Toi, tu as commencé dans la profession a l’époque
veulent pas de noir et blanc. I! faut étre un réalisateur star, et de la Nouvelle Vague ?
américain, pour imposer aujourd’hui le noir et blanc.
Lubtchansky. Non seulement j’ai démarré a l’époque de la
Le choix du matériel Nouvelle Vague, mais j’ai eu la chance de travailler avec deux
chefs opérateurs qui étaient fondamentalement différents :
Bergala. Qui fait le choix d’un certain type de matériel Andréas Winding, qui était un opérateur disons « classique »,
a@’éclairage, avant un tournage ? qui avait travaillé avec Claude Renoir, et Willy Kurant, qui
était un opérateur de la Nouvelle Vague et qui travaillait com-
Lubichansky. C’est moi qui décide du matériel que je prends plétement a4 linverse, uniquement en « high key », en réflexion
en fonction de l’image que je pense devoir faire. Aprés avoir vu a travers des calques. J’ai été assistant des deux, donc j’ai
les décors et aprés avoir parlé avec le metteur en scéne du type appris directement les deux méthodes et je n’ai jamais eu de
@image qu’il veut pour le film, je prends un type de matériel complexes ni pour lune ni pour l’autre.
approprié. Je prends une panoplie : j’ai généralement, dans un
camion, du matériel pour travailler trés « a effet », du matériel Bergala. Mais comment tu situes ton travail, ta recherche
pour travailler en douceur, en ambiance, du matériel pour tra- personnelle, par rapport @ ces deux types de lumiére ?
OUTILS ET FORMES
en fonction des scénes d’un film on doit pouvoir changer le
style d’éclairage. Il faut maitriser aussi bien l’éclairage
@ambiance, l’absence d’éclairage, l’éclairage « a effet »,
modelé,. on doit &tre capable de faire 4 peu prés tout. Mais je
pense qu’involontairement, on a quand méme un style. Pen-
dant des années j’ai essayé de ne pas avoir de style, je disais
faire la photo qu’il fallait pour le film mais je me rends compte
maintenant que ce n’est pas tout a fait vrai.

Bergala. Tous les opérateurs se défendent d’avoir un style,


mais c’est le plus souvent une dénégation.
Lubtchansky. Je me rends compte en revoyant des films que
jai faits que je retrouve une maniére de travailler qui est la
mienne. C’est involontaire a la limite. En méme temps je fais ce
que j’aime bien faire mais je suis capable, demain, si on me le
demande, de faire un film entiérement « a la maniére de... ».
Pour Le Diable probablement, ) opérateur qui avait commencé
n’a pas pu terminer, Bresson m’a demandé si je voulais le finir
en « faisant » comme I’autre opérateur », une sorte d’exercice
de style, comme quelqu’un qui ferait une copie d’un tableau de
mafttre. J’ai dit : d’accord, et c’était effectivement assez amu-
sant de voir les rushes de fa partie déja tournée et de refaire la
méme chose. Je ne pense pas que les gens aient vu grande diffé-
rence.
Dans les années 70, effectivement, on revient 4 un éclairage qui
existait avant, un éclairage construit, mais c’est quelque chose
que j’ai presque toujours fait.

Bergala. Crois-tu que c’est une évolution du goit ?


Lubtchansky. Pour ma part, je ne l’ai jamais perdu, ce goat
de la Jumiére construite. J’ai commencé par ¢a et chaque fois
que cela a été possible, avec l’accord du metteur en scéne, j’ai
Neige ; en haut Jean-Frangois Stevenin, en bas les réalisateurs Juliet Berto et travaillé en réaction a la lumiére d’aquarium et j’ai, toujours
Jean-Henri Roger derriére William Lubtchansky (photos Moune Jamet) cherché a faire une image modelée.

Lubtchansky. Par rapport a ce qui s’est fait pendant trés Bergala. Pourquoi est-ce qu’on y revient alors que ca prend
longtemps avec la Nouvelle Vague — c’est-a-dire les comédiens plus de temps, ¢a cotite plus cher, ¢a demande des opérateurs
qui sont libres de leurs mouvements, sans places précises, la gui savent travailler ? Est-ce que ca voudrait dire que le cinéma
caméra qui se déplace aussi trés librement, ce qui fait qu’on francais essaie de sortir un peu du naturalisme ?
envoyait toute la lumiére au plafond ou bien a travers des cal-
ques pour avoir une ambiance générale — j’ai essayé un autre Le Péron. C’est peut-étre qu’il commence a y avoir des réali-
principe d’éclairage plus précis qui laisse quand méme de la sateurs qui se reposent ces questions-la, André Techiné, Benoit
liberté aux comédiens : j’ai construit une lumiére ponctuelle Jacquot... et qui combinent un peu des effets des deux épo-
telle que les comédiens peuvent entrer dans cette lumiére et en ques.
sortir : donc ils sont parfois dans des passages d’ombre puis
Lubtchansky. C’est peut-étre parce qu’on fait d’autres types
dans la lumiére. J’aime bien, avec ce type de lumiére, bénéfi-
de films. C’est quand méme les films, les scenarii qui aménent
cier de choses que je n’ai pas prévue. C’est la que ca prend tout
son sens d’étre opérateur-cadreur : quand je suis au cadre, je une lumiére. A partir du moment ot tu arrétes de tourner dans
pense a la lumiére, je peux me placer par rapport aux parties des HLM, dans des décors of tu ne peux rien faire parce que tu
sombres, aux parties claires et a la position du comédien. Par es au 8 étage devant une baie vitrée, tu peux faire une autre
exemple si le comédien, 4 un moment donné, est complétement lumiére.
dans l’ombre, je me débrouille au cadre, par un mouvement a
Bergala. Truffaut, par exemple, a recommencé a@ chercher
{a main, pour que le fond ne soit pas aussi sombre: en me
déplagant, je pense a la lumiére, je cherche un fond plus clair. une autre lumiére sur des films comme Deux Anglaises et le
continent o& le sujet imposait une autre image.
Le Péron. Ef toi, tu fais toujours le cadre et la lumiére ? Lubtchansky. C’est le style général, ’'atmosphére générale
Lubtchansky. Oui, sauf si le metteur en scéne me demande quw’il convient de déterminer au départ. C’est vrai qu’on sort de
Vimage plate et que beaucoup de gens commencent 4 travailler
d’avoir un cadreur. A ce moment-la je ne suis pas contre.
différemment. En pub aussi d’ailleurs. Quand j’ai commencé a
faire de la pub, le grand truc c’était de faire de image « high
Bergala. Avec /’éclairage « Nouvelle Vague », est-ce qu’on
key », pas d’ombres, moi je suis arrivé avec des projecteurs
n’y a pas perdu, professionnellement, sur le savoir éclairer ?
classiques, 4 Fresnel, j’ai vu les types blémir, j’ai immédiate-
Lubtchansky. Disons que pour les opérateurs qui n’ont pas ment fait marche arriére et j’ai mis un « mini-brute » (8), une
connu la lumiére dite « classique » d’éclairer ce n’est pas évi- plaque de polystyréne et j’ai fait ce qu’on attendait. Puis ily a
dent de revenir 4 une lumiére plus construite. Je pense qu’un eu la mode de la lumiére anglaise, en pub, au début des
opérateur doit étre capable de faire tous les genres de lumiére : années 70, qui était : une seule lumiére douce ; on est passé de
ENTRETIEN AVEC WILLIAM LUBTCHANSKY
Yaquarium de lumiére & une lumiére dirigée douce, c’est la Lubtchansky. On pratique |
« lumiére anglaise » : il y a une fenéire, la lumiére entre par la de moins en moins le tirage des
fenétre et le reste est dans l ombre mais elle entre de facon trés rushes étalonnés. Pour des rai-
douce. sons économiques on leur pré-
fére le tirage dit « a lumiére
Le Péron. Est-ce que cette lumiére a eu une influence sur le unique », comme aux USA. Or
cinéma de fiction ? il se trouve qu’en France on
attache beaucoup plus
Lubtchansky. Je pense que celui qui l’a le mieux appliquée,
d’importance que partout ail-
c’est Bruno Nuytten, Il fait une lumiére qui est une lumiére « 4
leurs au tirage des rushes.
effet » mais qui reste douce.
Alors qu’aux USA il n’est pas rare de voir des tirages compléte-
Le diaphragme, la profondeur de champ, le point ment verts, bleus ou magenta, en France de tels tirages seraient
inacceptés par l’ensemble de la profession.
Bergala. Est-ce vrai que la plupart des opérateurs de cinéma, Pour avoir un résultat acceptable sans véritable étalonnage,
aujourd’hui, travaillent a la méme ouverture f.4 ? c’est-a-dire sans bouts d’essais comme cela se pratiquait avant,
la plupart des labos font appel a l’électronique, A l’analyseur.
Lubtchansky, Le diaphragme, c’est fonction des moyens que
Cette machine congue pour le tirage des photos d’amateurs
tu utilises. En intérieur et lorsque j’ éclaire, je travaille toujours
permet, en passant le négatif, de voir l'image en positif sur un
aux alentours de f.4. C’est en fait le diaf que l’on obtient avec écran vidéo et d’y apporter les corrections d’étalonnage néces-
des projecteurs de moyenne importance.
saires,
France, Italie, USA
Bergala. Est-ce que tu penses que Vidée qui joue c’est que les
objectifs ont leur meilleur rendement a f.4 ? Bergala. Qu’est-ce que ca veut dire pour toi, professionnelle-
ment parlant, de faire ton métier en France et pas en Italie ou
Lubtchansky. Ce n’est pas parce que c’est a 4 qu’il a le meil- aux USA ?
leur rendu. Un objectif est rarement bon A pleine ouverture.
Un objectif qui ouvre a 2.3, 4 2.3 il n’est pas trés bon, aA 2.8 il Lubtchansky. Je pense que la plupart des opérateurs fran-
commence a étre pas mal et 4 4 il est bien, aprés 4 tu n’auras gais, qui travaillent toujours avec des budgets moyens, seraient
pas un meilleur rendu mais plus de profondeur de champ, un trés ennuyés d’avoir des budgets énormes comme certains opé-
objectif est généralement aussi bon 4 4 qu’a 16, c’est la méme rateurs italiens, par exemple. J’ai vu un film italien ov il y avait
chose. un hall sublime oi les gens attendaient un bateau, un espace
grand comme la gare Saint-Lazare, j’ai appris par des électros
Bergala. Donc si un réalisateur te demande dans son film de gui ont travaillé sur le film que Popérateur est vernu huit jours
la profondeur de champ, tu joues plutdt sur les courtes focales avant sur les lieux, 4 fait tendre un drap blanc sur tout le hall,
que sur la lumiére et le diaphragme ? au-dessous des verriéres, et a fait mettre un arc tous les
5 métres. Ils ont installé 40 arcs pour éclairer un drap blanc.
Lubtchansky. Non. C’est le cas du prochain film de Comolli Moi demain, si je fais un film 4 la gare Saint-Lazare, je ne sais
qui veut une grande profondeur de champ. Comme il est diffi- méme pas si j’aurais Pidée tellement énorme de demander une
cile d’avoir beaucoup plus de lumiére et que je n’ai pas I’habi- chose comme cea. Et c’est un peu inquiétant.
tude d’éclairer a 5.6, je vais travailler avec la 250 ASA, c’est-a-
dire qu’avec la méme quantité de lumiére que d’habitnde, je
Bergala. Est-ce qu’il n’y a pas, dans le cinéma francais, des
vais tre 4 5.6 au lieu d’étre a 4 avec les pellicules habituelles. Je
impératifs de production tels que ce que l’on demande en gros
vais gagner un diaf et c’est 14 of la 250 est intéressante. Il faut aux opérateurs c’est de voir les visages des acteurs et c’est @ peu
toujours avoir présent a l’esprit que pour passer de 4 4 5.6 il pres tout ?
faut doubler Ja quantité de lumiére. Done ce film-la je vais le
faire plutét 4 5.6 grace & la 250 ASA sans changer la quantité Lubichansky. Dans certains films de type B c’est peut-étre
de lumiére. vrai, mais 4 ce niveau ce n’est méme pas un impératif de pro-
duction : ca n’intéresse personne de faire autrement. Dans cer-
Bergala. Done le f.4 ce n’est pas vraiment une norme mais tains films d’auteur il peut y avoir effectivement des pressions
une sorte d’équilibre ? de la production sur le metteur en scéne et le directeur de la
photo pour les obliger, par exemple, a tirer des copies plus clai-
Lubtchansky. Absolument. U1 m’arrive, A Vintérieur d’un res que ce qui a été prévu a |’étalonnage. Ce n’est qu’au niveau
film, d’avoir besoin de profondeur de champ : le metteur en des films produits par le metteur en scéne lui-méme ou par des
scéne, par exemple, veut les deux personnages dans I’axe nets. producteurs respectueux du travail de mise en scéne que l’on
On regarde avec l’assistant opérateur ce qu’il faudrait donner peut aller trés loin dans certaines directions. Je pense a
comme lumiére pour avoir les deux nets et on donne la lumiére Vaudace qu’il a fallu dans Apocalypse Now pour laisser Mar-
quwil faut pour pouvoir fermer en conséquence. Ceci dit, si les lon Brando pratiquement dans le noir pendant toutes les scénes
deux personnages sont vraiment trés loin I’un de I’autre, tu ne ov il joue. Quand on sait combien il a été payé pour faire ce
peux pas avoir la profondeur de champ suffisante, mais si c’ est film et qu’il n’y a pas un plan ot on le voit éclairé ! De la méme
un rattrapage de point trés léger de I’un a l’autre, tu ne peux facon il y a un plan que je trouve trés beau, dans Raging Bull,
pas avoir la profondeur de champ suffisante, mais si c'est un c'est celui ot De Niro est dans sa cellule : il n’est pas éclairé
rattrapage de point trés léger de [’un a J’autre et si c’est bien sauf un rayon de lumiére sur son bras, Ce n'est pas l’opérateur
fait ca ne se remarque pas. Et 14 le travail de l’assistant au point seul qui peut prendre ce genre de décision, c’est de la mise en
est trés important car le point c’est vraiment de la mise en scéne. Et les Américains font des choses beaucoup plus gon-
scene. Et trés peu de metteurs en scéne savent dire ot il faut flées que nous a ce niveau-la.
faire le point, c’est le métier de l’assistant de le savoir.
Le labo Bergala. Peux-tu nous parler de cette obsession contempo-
raine de « déboucher les ombres », de cette peur du noir.
Le Péron. Qu’est-ce qui a changé dans les labos ? Est-ce que ce nest pas lié a la télé ?
OUTILS ET FORMES
Le Péron. Est-ce que ¢a ne vient pas aussi, quvils trafiquent
plus ta pellicule, qu’ils flashent (9) plus par exemple ?
Lubtchansky, C’est vrai que quand ils décident de flasher, ils
flashent vraiment. Is font des effets plus marqués, ils n’ont
pas peur de faire des effets trés forts. Mais il y a quand méme
différentes écoles la-bas aussi. Mais moi, ce qui m’a étonné
récemment dans les films américains, et qui va se répandre par-
tout, c’est que dans les productions les plus chéres comme
Superman ou King-Kong, il y a des plans carrément flous.
Quand j’ai commencé & travailler en France, méme dans de
petites productions, un plan flou on le recommengait, c’était
considéré comme scandaleux. La recherche de la qualité techni-
que qui, avant, stait primordiale Vest beaucoup moins
aujourd’hui.

Bergala. / y @ de plus en pius d’opérateurs européens qui


France, tour, détour, deux enfants de yont travailler aux Etats-Unis,
Jean-Luc Godard
Lubtchansky. Le cinéma américain est actuellement trés
influencé par le cinéma européen au niveau de la photo. IIs
Lubtchansky. Le noir passe bien a la télé en tant que noir, prennent beaucoup de trucs qu’on a faits en Europe et s’en ser-
mais les gens veulent voir quelque chose 1a ot il y a du noir, vent dans des films 4 gros budget. Ce n’est pas un hasard si
alors ¢a ne va pas. Le public moyen veut voir. Quand la photo Almendros, Nykvist, etc., travaillent aux Etats-Unis. On a
est sombre, il ne dit pas : « Ah, la belle photo sombre ! », il appris avant les Américains 4 travailler avec moins de matériel,
dit : « On ne voit rien ». Dans le film commercial moyen il de facon plus légére, et a faire quand méme une photo intéres-
faut bien voir les acteurs, il faut que ce soit propre, net et bril- sante.
lant. Les acteurs
Bergala. Est-ce que l’évolution de la lumiére n’est pas liée a
Bergala. Et avec les Straub, quelles sont les conditions de
Vévoiution du statut de f’acteur, de son métier ?
tournage ?
Lubtichansky, Ti est évident qu’on ne peut pas demander aux
Lubtchansky. Avec les Straub, on se retrouve dans des con-
acteurs d’aujourd’hui les mémes choses qu’aux acteurs de la
ditions ultra minimum. Tu as une caméra, un pied, et c’est
génération précédente. Pour faire des plans comme on en
tout. Sur le film que j’ai fait on tournait uniquement en exté-
voyait dans le cinéma des années 40 ot les gens ont un trait de
rieur. Mais on a fait une chose qu’on ne fait pas sur les autres
jumiére sur les yeux, ca demande a Vacteur d’arriver dans les
films, on a attendu que la lumiére soit différente, on a fait de
marques au millimétre pile, s’il est un centimétre 4 gauche ou a
chaque plan quinze versions. C’est un luxe qui vient compenser
le fait qu’on n’avait pas de moyens. Chaque plan, qu’on aurait
droite tu n’as plus l’effet. Ca veut dire que tout en jouant
Vacteur doit étre capable de vérifier qu’il est 4 une certaine
tourné pour un autre film en un quart d’heure, avec les Straub
position, que le projecteur est 1a... Comme aujourd’hui on
on mettait généralement une journée : c’est un luxe énorme.
demande autre chose aux acteurs, on ne se permet plus d’inter-
yenir de facon aussi draconienne et on fait une lumiére en con-
Bergala. Quandje vois les films américains ou italiens, je me
dis gwil y a des normes nationales sur Vimage. Il y a par exem- séquence, c’est-a-dire différente.
ple un certain type d’image américaine ott les couleurs sont vio-
Bergala. La précision de la lumiére dans les gros plans de
lentes, sans luisant, un peu dures et sales.
Notorious est donc une chose impossible a obtenir
Lubtchansky. ll y a un trés gros fossé entre ce qu’on voit aujourd’hui ?
dans les salles de cinéma en France et en Amérique. En France,
Lubtchansky. Ce n’est pas impossible, mais ce serait imposer
dans les salles d’exclusivité, la plupart des copies sont tirées
de telles servitudes a {’acteur que ¢a ne se pratique plus dans les
daprés le négatif. En Amérique c’est quelque chose qui
mises en scéne actuelles. Je me souviens, quand j’étais assis-
n’existe pas, personne ne voit une copie tirée d’un négatif.
tant, d’acteurs comme Anthony Quinn. Superprofessionnel.
Comme le film va @tre distribué dans beaucoup de salles, on
J’avais des plans trés compliqués et au point j’étais trés
fait immédiatement des copies a travers un réversible ou un
emmerdé. A chaque début et fin de plan, j’allais vérifier avec
internégatif. Le négatif ne sert que pour faire des internégatifs.
mon décamétre que j’étais bien 4 la bonne distance. Ca l’a
énervé, il m’a dit : « A quelle place veux-tu que je sois ? ». Je
Bergala. C’est pour le préserver ?
lui ai dit « LA ! ». Il m’a répondu : « Bon, eh bien je serai la
Lubtchansky. C’est ca. En plus, il n’y a pas de capitale tout le temps ». Et il était effectivement 14 4 chaque prise. Ca
comme Paris. Un film peut trés bien sortir 4 Los Angeles, a tu ne peux plus le demander aujourd’hui car tu génerais 1a plu-
New York, dans des tas de villes, c’est moins centralisé. Alors part des comédiens.
qu’en France un film sort 4 Paris et 4 Paris, dans les 4, 5 salles
@exclusivité, on verra généralement des copies qui viennent Bergala. Donc tu es obligé d’éclairer plus large, de couvrir
directement du négatif. Donc on a une qualité d’image qui est plus ?
forcément meilleure.
Lubtchansky. Effectivement. Je crois que c’est la Nouvelle
Vague qui nous a amené ¢a ; on a laissé une énorme liberté aux
Bergala. Cette espéce d’image granuleuse d’un film comme
comédiens dans le jeu et dans les déplacements. La caméra est
Gloria, par exemple, ga vient de ld ?
au service des comédiens et jamais je ne vais dire 4 un comé-
Lubtchansky. Oui, c’est une image de contretype. dien : « Je voudrais bien que tu viennes la pour attraper ce pro-
ENTRETIEN AVEC WILLIAM LUBTCHANSKY
jecteur ». Et c’est pour ca aussi qu’on voit beaucoup de plans Lubtchansky. Pour Sauve
flous, c’est plus difficile pour les assistants : les acteurs sont qui peut, ily a eu des essais qui
beaucoup plus libres de se déplacer a l’intérieur du cadre. ont été faits pour transférer la
vidéo sur film et qui ont été
Cinémalvidéo
envoyés dans 3 ou 4 labos dans
Le Péron. Et la vidéo ? le monde. On a comparé les
résultats, c’était pas mal mais
Lubtchansky. Je ne considére pas que ja vidéo soit une nou-
pas superbe. Ce n’est d’ailleurs
velle technologie pour le cinéma. Ce sont deux choses différen-
pas ca qui a arrété Godard.
tes. C’est dans ce sens-la que j’ai travaillé avec Godard. Quand
Quand je suis arrivé en Suisse
on travaillait en vidéo on travaillait pour la télévision mais on
on ne savait pas encore, pratiquement huit jours avant le tour-
avait des méthodes de travail qui étaient plus proches de celles
nage, si on allait le tourner en vidéo ou en 35, Il y a eu un vote
du cinéma, disons, on ne considérait pas la vidéo comme les
de l’équipe pour savoir si on voulait tourner en vidéo ou en 35
gens la considéraient a la télévision : travailler avec plusieurs
et il y a eu un pari sur le résultat du vote. J’ai gagné beaucoup
caméras, etc. On travaillait avec une seule caméra comme pour
d’argent dans ce pari : j’avais voté pour une solution et parié
wun film, mais c’était une caméra vidéo.
pour l’autre. Le résultat du vote était favorable 4 la vidéo et
Jean-Luc a dit : « On le tourne en film ».
Bergala. La conception, c’était comme un film ?
Lubtchansky. A tel point d’ailleurs, ¢’est formidable, qu’on Entretien réalisé les 18 et 19 mars 1981 par Alain Bergala et
n’en arrivait pas 4 juger de l’image vidéo au moment ot on la Serge le Péron. (Les photos de William Lubtchansky ont été
faisait. C’est-a-dire qu’on allait aux rushes : on tournait et on prises au cours de Ventretien par Alain Bergala).
allait aux rushes. Une des grandes coléres de Jean-Luc, c’ était
qu’on n’était pas capables, justement, de voir au moment ot
on faisait. Je me rappelle d’une fois ot on travaillait dans une
piéce depuis 5, 6 heures, Jean-Luc est sorti pour aller faire une 1, Camera 35 rom portable (environ 9,5 kg) et silencieuse, fabriquée par Arri-
course, et quand il est revenu il a fait un scandale parce que flex, et présentée pour !a premiére fois A Paris en novembre 72. Son succés a
limage était toute verte, il y avait une dominante et on ne la été tel qu’elle n’a été disponible « sur stock » chez le fournisseur francais qu’a
partir de 1976.
voyait plus: « Comment ! toi qui es opérateur tu ne vois
pas ! ». Bt effectivement, tu es tellement dedans que tu ne vois 2. Le diaphragme (les pros disent diaf !) commande la quantité de lumiére qui
plus. La vidéo est plus dispersante parce que c’est moins fia- entre dans la caméra. Les nombres qui Je caractérisent étant inversement pro-
ble : tu es toujours obligé de vérifier sur des instruments de portionnels au diamétre de « ouverture » sont d’autant plus petits que cette
ouverture est plus grande. Les indications portées sur les objectifs (1,4 - 2 - 2,8
mesure que tout marche bien, que le signal est correct. On a tel- -4-5,6-...) sont donc telles que d’un repére au suivant fa quantité de fumiére
lement de choses a regarder qu’on ne voit plus les choses les du simple au double.
plus simples, comme une dominante 4 l’image. II est évident La sensibilité d’une pellicule cinéma est exprimée le plus souvent par une
que je parle la de la vidéo telle qu’on I’a pratiquée sur France échelle linéaire (tes degrés ASA). Toutes choses égales il faut par exemple deux
fois moins de lumiére pour impressionner une pellicule 200 ASA qu'une pelli-
Tour Détour avec Godard. A la télévision le travail du direc- cule 100 ASA. Ceci peut s’obtenir en fermant le diaphragme d’une division.
teur de la photo n’est pas fondamentalement différent de celui Le choix du diaphragme n’est par ailleurs pas indifférent puisque la profon-
d@’un directeur de la photo au cinéma. Il a certaines contraintes deur de champ en dépend ; elle est d’autant plus grande que l’ouverture du diaf
techniques : c’est un peu comme sj] travaillait avec une autre est plus petite (la profondeur de champ mesure la zone de netteté dans l’axe de
Vobjectif — par exemple de 3 4 5 métres, ou de 2 A 10 métres, etc.
pellicule. Pour moi la vidéo ce n’est pas une question de sup-
port, c’est une question de finalité : ce qu’on fait passe sur un 3. Les cinquante millimétres dont il s’agit-la caractérisent la distance focale de
écran de télé, c’est tout. Vobjectif. C’est la focale « normale », ni grand angle, ni téléobjectif, utilisée
avec le format 35 mm.
Le Péron. Mais dans Ici et ailleurs ou dans Numéro deux, il y 4. Le pied c’est le support. La téte c’est la plateforme articulée sur laquelle
a des images vidéo qui étaient destinées a un écran de cinéma, Tepose la caméra et lui permet des mouvements panoramiques horizontaux
(droite-gauche) ow verticaux (baut-bas). Ces mouvements sont commandés par
Lubtchansky. Numéro deux n’a pas été pensé au départ Je manche (directement) ou les manivelles (indirectement, par mécanique inter-
comme on l’a vu en salles. Godard ’a filmé en vidéo et il devait posée). De la qualité de la téte dépend la douceur, le coulé des mouvements.
ensuite faire le montage en vidéo et envoyer tout ca a Londres, L’ouverture du Mépris de J.-L. Godard (le film ressort le mois prochain sur les
écrans parisiens) mettait en scéne le chef opérateur Raoul Coutard aux mani-
chez Technicolor, qui devait faire un transfert sur film, plein velles de sa grasse caméra Mitchell.
cadre, comme pour Parade de Tati. Ils ont.commencé comme
ca, moi je ne suis pas venu pour la vidéo, ils l’ont fait en tout 5. Dolly : support mobile de caméra particuligrement sophistiqué qui permet
petit comité 4 Grenoble. Et il m’a appelé pour le transfert en la combinaison de tous les principaux déplacements et mouvements (travel-
lings, panoramiques, grue, etc.).
35 mm en me disant que Technicolor ce n’était plus possible,
que c’était trop cher et que les délais étaient trop longs. Il m’a 6. Steadicam : harnais et support de caméra permettant a un opérateur musclé
dit : « On va essayer de le faire nous-mémes ». On a com- (22 kg avec une caméra 16 mm) de porter une caméra en marchant, en cou-
mencé par faire des essais, on a refilmé la télé en prenant un rant, tout en conservant une grande stabilité d’image.
bon moniteur, une bonne caméra et on s’est apergu que c’ était
7. Blimp : petit pardessus matelassé dont on habille les caméras pour en amor-
dégueulasse, que jes meilleurs moyens qu’on pouvait trouver tir le ronronnement.
comme ga n’étaient pas bons. Godard a dit : « On ne va pas
faire ¢a, on va montrer que c’est un poste de télévision, on ne 8. Minibrute : projecteur qui rassemble plusieurs lampes (4, 6, 9...) sur un
méme panneau. Un peu a Ia maniére du scialytique des salles d’opération c’est
va jamais s’approcher trop prés de la télévision ». Et a partir
un projecteur qui, 4 cause de sa grande surface éclairante, gomme les ombres.
du moment ov il a mis une télé dans le champ, il a dit : « pour- A Vinverse un projecteur muni d’une lentille de Fresnel fonctionne comme une
quoi on n’en mettrait pas deux, trois ? ». Et le film s’est refait source de lumiére quasi ponctuelle qui découpe des ombres dures, nettes et no}-
complétement différemment 4 partir de 1a. res.

9. Le flashage consiste en une pré ou post exposition yniforme courte et


Bergala. Et pour Sauve qui peut (la vie), est-ce qu’il n’a pas intense de la pellicule. Son effet principal est une dimension du contraste et un
été question de vidéo, @ un certain moment ? « débouchage » des parties les plus sombres de l’image.
Je-film francais
l’hebdomadaire
des professionnels du cinéma

chaque semaine
des enquétes,
des interviews et

- parution , 4 :
tous les vendredis |
le film francais =
DIRECTION, REDACTION, PUBLICITE : 6, RUE ANCELLE
92525 NEUILLY CEDEX, TEL. : 745-14-41
OUTILS ET FORMES

ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE BEAUVIALA

Cahiers. Deux choses paraissent avoir marqué prafondé-


ment les années 70.
D’une part le phénoméne télévision. Ce n’est certes pas une
caractéristique de la décennie mais son extension est alors con-
sidérable. Toutes les données sont muitipliées par 1,5 entre
1970 et 1980: ie nombre de téléviseurs en fonctionnement
passe de dix @ quinze millions, le nombre de chaines recues sur
Vensemble du territoire francais passe de deux 4 trois et les
films programmés en une année environ de 350 a 500. Ce fai-
sant, la télévision prend définitivement le relais du cinéma
comme support principal de diffusion des images et des sons
(c’est pendant ces années que le vocable « audiovisuel » entre
dans i’usage courant). Mieux, la télévision devient aussi le prin-
cipal support de diffusion des films.
D’autre part apparaissent de nouveaux mateériels qui laissent
espérer une autre facon de faire du cinéma. L’idée que le
cinéma va pouvoir se dégager de ses contraintes : le fric, la
technique, les contréles exercés par diverses instances (Etat,
laboratoires, par exemple) ; voila une idée forte, répandue,
surtout au début de la décennie.
Aujourd’hui il semble qu’on assiste la, comme dans bien
a’autres secteurs, il est vrai, @ une sorte de régression, d un
désenchantement en tout cas.
Jean-Pierre Beauviala. Ii faudrait peut-étre d’aturd essayer
de sérier les questions. Parce qu’il y a dans ce que tu viens de
dire des choses qui se situent 4 des endroits trés différents de la
chaine de fabrication/distribution des images et des sons.
aime assez cette notion du « territoire-cinéma » qui serait en
quelque sorte piqueté par le CNC et je crois que la distinction
« in » et « off-CNC » rend assez bien compte de ce qui s’est
passé depuis dix ans. (A condition d’inclure dans l’in-CNC la
production pour les chaines de télévision lourde ; c’est seule-
ment par accident, par manque de vue a long terme que le CNC
n’a pas couvert aussi la télévision : TFi, SFP, CNC méme
combat !). Mais il faut aussi, 4 V’intérieur de V’in et de loff-
CNC, procéder par étapes, par les trois étapes naturelles de la
production, de la post-production et de la diffusion.

Cahiers. Commencons par la production « in » ?


Beauviala. Je crois que tout a été dit a ce sujet ou peu s’en
faut au cours de cette discussion que nous avons eue a plusieurs
aux Cahiers et dans l’entretien avec Lubtchansky. On y sentait
bien ce cdté fin de parcours dont parlait Serge Daney. Cette Ae
stabilité aussi. Car 1a il n’y a pas de révolution 4 attendre tant il Jean Rouch et Jean-Pierre Beauviala
est vrai que du point de vue de la quantité d’informations
92 OUTILS ET FORMES
emmagasinable, comme de celui de sa conservation et de sa
perennité, le film chimique 16 (et a fortiori 35) reste le support
inégalé. Il a sans aucun doute encore de beaux jours 4 vivre.
Et au stade de la production tout est organisé autour de ce sup-
port film. Et si ce support reste le méme, je veux dire si sa
nature reste, A peu de choses prés la méme, il y a gros a parier
que ce qui en dépend ne subira pas de modifications fondamen-
tales. Il y aura des améliorations, des aménagements, mais
sirement pas de bouleversements. C’est ce qui s’est passé au
cours des années 70 ot l’on s’est borné 4 développer et 4 mieux
exploiter les acquis des années 60, c’est-a-dire l’autonomie de
la caméra par rapport au trépied, ’autonomie des caméras par
rapport A la lumiére, l’autonomie du son par rapport a l’image,
etc,
Cahiers. I/ y a tout de méme des gens, trés peu il est vrai, qui
au cours de ces années ont tourné en vidéo : je pense aussi bien Le son: tournage de Sauve qui peut (la vie) de Jean-Luc Godard (photo Alain Ber-
gala)
& Jacques Tati pour Parade en 74 qu’ad Antonioni l’an dernier are.
pour Le Mystére d’Oberwald.
Beauviala. Mais ce qu’ils ont fait aurait pu étre fait a partir
d’un support film et beaucoup mieux : ils auraient énormé-
ment gagné sur V original, ce qui leur aurait donné plus de pos-
sibilités de traitement ultérieur de image par les techniques
vidéo... Non, je ne crois pas que la vidéo représente ~ au
moins, dans un avenir proche — un progrés ou seulement une
perspective de progrés en tant qu’outil de fabrication des origi-
naux image et son destinés 4 la fabrication d’un film.
En revanche, ce que la vidéo apporte profondément, c’est la
possibilité de maitrise, par le réalisateur, de ses images. La
vidéo devrait pousser les gens 4 inventer, 4 prendre plus de ris-
ques sur la composition des photogrammes, au lieu de la déié-
guer entiérement aux directeurs de la photo. Ce que I’on disait
Vautre jour du tournage du dernier Janesd, cette possibilité que
lui offrait le contréle vidéo d’une sorte de correction perma-
nente « in vivo », c’est trés important. Godard aussi le disait A
Vépoque de Tout va bien ; « j’ai besoin de réapprendre com-
ment éclairer, j’ai un besoin, moi, de devenir maitre de image
et non plus de m’en remettre 4 Coutard. J’ai besoin de savoir
comment on éclaire une main cassant un ceuf... ». Ila été un
des premiers réalisateurs & exprimer ainsi le besoin de tenir
Vimage 4 sa main. C’est un apport essentiel de la vidéo, ca,
apprendre soi-méme la lumieére et le cadre.

Cahiers. Mais est-ce que tes réalisateurs veulent vraiment


cette mattrise-la ? Parce que la pratique du contréle par la
vidéo est techniquement possible depuis quelques années et on
ne la voit guére se répandre. On peut citer deux trois noms,
Bunuel, Jerry Lewis, Janesé...
Beauviala. Oui, c’est vrai, ¢a va contre une certaine transe de eval . Lov qj i
ja création. Un réalisateur pense a son image puis prend le déli- ..des Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman (photo Caroline Champetier)
cieux risque de la bofte noire qui lui rendra plus tard une décoc-
tion surprenante... Cela dit la vidéo comme professeur de prise
de vue devrait étre un passage obligatoire pour tout réalisateur
qui se destine a la production « in-CNC ».

Cahiers. L’aspect le plus important de la vidéo, en dehors de


la production et des tournages destinés & la télévision lourde,
c’est tout de méme l’arrivée du demi-pouce, le Portapak Sony
et ses succédanés. Ca a représenté pour toutes sortes de gens un
moyen de faire des images en dehors des contraintes inhérentes
au cinéma traditionnel, surtout économiques. Je me souviens
de discussions, il y a longtemps @ Grenoble, on tu (pré}disais de
la bande vidéo que non seulement elle serait trés bon marché,
non seulement on pourrait la réutiliser, mais qu’elle serait &
Pétalage des grands magasins et qu’on pourrait méme la
voler... Tes prédictions étaient assez justes: chez Darty
aujourd’hui il y a des cassettes de trois heures pour moins de
ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE BEAUVIALA 93
100 Francs..., mais tu n’avais pas prévu que les étalages en Ruspoli, Brault, Rouch, etc., avait déja montré que le cinéma
question seraient eux-mémes contrélés par vidéo !... devait assurer une prise de son indépendante de celle de
Hl faut parler aussi du Super 8 qui était porteur d’un espoir Vimage...
semblable. Hl a été lancé en 63, la méme année que l'Eclair 16 et Les gens de la vidéo sont en train de s’en rendre compte et vont
la méme année aussi que la cassette-son et le magnétophone ad sans doute y remédier au cours des années 80.
hoc, « inventés » par Philips. Cette concomitance ne l’a pas Quant au Super 8 c’est le projet que j’ai pour Beaulieu. Je vou-
empéché de rester plusieurs années un cinéma muet, amateur drais reprendre le probléme aux origines et profiter des acquis
par excellence. du 16 et de la technologie actuelle avec le « marquage temps ».
L’idée c’est d’avoir une caméra légére, toute petite, qu’on peut
Beauviala. Dans les deux cas donc, Vidéo et Super 8, on aun
emporter tout le temps avec soi, of qu’on aille ; et un enregis-
instrument qui suscite un réel enthousiasme, une attente trés
treur son a cassettes — on reprend les deux inventions de
forte. Une demande pour des aménagements indispensables se
1963 — que l’on donne a la personne que l’on veut filmer ou
manifeste : le montage pour la vidéo légére, le son pour le
que l’on pose sur la table. Quand les machines sont reliées par
Super 8. Des réponses pas toujours excellentes sont apportées
le temps et seulement par le temps (qui s’inscrit sur chacun des
par les constructeurs et...
supports son et image), ¢a devient infiniment plus agréable de
faire du cinéma et du cinéma ot la perception des sons et le
Cahiers. ...des films et des bandes sont produits. C’est ca qui
cadrage des images retrouvent la belle autonomie et l’abstrac-
est extraordinaire. Le déchet est considérable mais les traces
tion du cinéma muet. Paradoxal, n’est-ce pas mon cher Wat-
sont importantes. Un bilan (celui que fait Anne-Marie Duguet
son ?, mais je m’explique. Tu te refrouves avec une caméra
dans son livre sur la vidéo, par exemple (1)) en est assez stimu-
Super 8 qui n’a plus a se préoccuper du micro, quin’a plus a se
lant ; il reste de ces années un nombre respectable de réalisa-
faire guider par ce qu’on peut appeler le point de vue du son.
tions qui, en vidéo surtout, mais aussi, pour une part, en
Et a cette liberté de cadre retrouvée de la caméra-film tu ajou-
Super 8, témoignent de la possibilité d’imaginer un autre
tes la qualité et la diversité de prise de son confiée a des cap-
cinéma. Il y a la des choses qui n’auraient pas pu se faire autre- teurs multiples.
ment, selon les méthodes traditionnelles, des choses qui portent
la marque d’une plus grande liberté, d’une autre sorte de con- Cahiers. Mais alors il faut truffer espace de magnétopho-
tact avec les autres et avec soi-méme. I] me semble qu’il y a nes ?
dans certaines de ces réalisations les amorces de ce & quoi tu
t’es toujours intéressé, ce cinéma de proximité, de convivialité Beauviala, Ce n’est pas la multitude des prises de son qui est
ou encore ce cinéma « lentement distilié », comme tu dis, ce le point important. C’est plutét Pidée d’un son qui jouisse par
cinéma pour filmer les « érosions et les allusions du temps qui rapport 4 image d’une certaine autonomie. Je ne pense évi-
passe sur les gens et les choses ». Il y a cet aspect-lé dans des demment pas a ces effets de contraste ou d’insolite utilisés par
bandes aussi différentes que les « Nouveaux mystéres de New- le cinéma traditionnel et qui associent artificiellement des ima-
York » (J.A. Fieschi), dans « Le Lion, sa cage et ses ailes » ges et des sons totalement étrangers les uns aux autres. Mais
(Gatti), dans le « feuilleton » des Lip (Vidéo Out) ou dans le plutét 4 la prise en charge par le son du jeu 4 mon sens néces-
Journal fleuve que Joseph Morder n’arréte pas de tourner en saire entre l’image et son hors-champ. Grace a ce systéme-la, &
Super 8. cette autonomie-la du son, je peux créer de vrais hors-champ.
Le bilan est donc positif, et en méme temps on ne peut s’°empé- Je peux non seulement t’enregistrer correctement mais je peux
cher de penser que quelque chose a raié. On le voit dans méme enrichir ma matiére sonore en mettant un autre minicas-
Vactuel recul qu’enregistrent aussi bien la vidéo légere que le sette chez la concierge qui commente mezza-voce nos gesticula-
Super 8. Commeni peut-on expliquer cette désaffection ? tions, etc.

Cahiers. Tu parles toujours de prises multiples du son mais


Beauviala. Au cours des années 60 le cinéma a pris gott Ala
d’une seule prise de yue t
liberté. En gros, les caméras entraient dans les caves et les
magnétophones les rejoignaient par le soupirail ! Beauviala, Rien n’empéche, toujours avec ce systéme, d’uti-
La vidéo a donné aux gens l’impression, et parfois l’illusion, liser plusieurs caméras. Mais si je parle d’une seule caméra avec
qu’elle accroissait encore cette liberté en méme temps que cette un seul point de vue, c’est 4 cause de la capacité du cerveau a
facilité a filmer. La paluche, issue du contréle vidéo que j’avais reconstituer des regards multiples. De connaitre l’envers quand
prévu sur l’Aaton 7, détachée donc, autonomisée du systéme on lui donne I’endroit, d’inférer la totalité d’un corps méme s’il
film 16, est un paroxysme de cette liberté-vidéo. Cette liberté est en partie masqué par un objet-écran. Quand tu vois une
de mouvement, d’écriture que donne Ia vidéo au moment de la ombre se profiler sur un mur (la lumiére se propage en ligne
prise de vue, la paluche avec laquelle tu peux, en regardant ton droite) tu as immédiatement compris que le criminel est au
moniteur, changer au fur et A mesure ta lumiére et ton cadrage, bord du cadre. Pour le son, ce n’est pas du tout le cas et tu as
la paluche te la garantissait plus encore que n’importe quelle besoin de plusieurs lieux de prises pour le rendre intelligible.
autre caméra. Voila la raison, et 4 partir du moment ot nous disposons de
Mais dans le méme temps, et c’est 14 ot ]’un et I’autre ont failli, Vacquis technologique du marquage temps sur tous les sup-
la vidéo et le Super 8 ont entravé la liberté de leurs utilisateurs ports image et son utilisés, nous n’avons plus de problémes de
en rendant dépendants l’un de l’autre, inéluctablement, synchronisation, de clap ; il n’y a plus besoin des repéres de
Vimage et le son. Kodak a presque tué le Super 8 sonore en départ, de leur alignement, etc. C’est fondamental...
mettant l’enregistrement du son a l’intérieur de la caméra, en Pour la diffusion il suffit de réassembler ces images et ces sons
optant pour le « single-system », utilisé aux USA par les repor- automatiquement sur un télécinéma « institutionnel » et de
ters de la télé pour faire de la vidéo avec une technique cinéma. transférer et enregistrer le produit obtenu sur vidéo parce que
Résultat, on a les inconvénients de la vidéo : le son et Pimage vraiment le matériel de diffusion Super 8 actuel, le projecteur
liés, sans en avoir l’avantage, c’est-a-dire la relecture instanta- difficile 4 charger et bruyant, I’écran délavé par les persiennes
née et le faible cofit de la bande magnétique. Paradoxalement mal fermées... ne sont plus supportables.
le Super 8 sonore se meurt a cause de ca et la vidéo « off-
CNC » piétine depuis dix ans pour la méme raison. C’est un Cahiers. On vient de passer, discrétement, de la production &
comble quand on pense qu’au début des années 60, la bande a la diffusion en glissant sur le marquage temps. Mais ce mar-
OUTILS ET FORMES
quage est lui-méme @ cheval sur les deux temps de la fabrica-
tion. Il s’inscrit en effet sur les bandes (image et son) dés le
tournage pour pouvoir faciliter les opérations de montage mais
en facilitant ces opérations, il permet, en retour, une plus
grande sophistication ou complexité des opérations de prise
@ image et de son, Voyons maintenant comment tu envisages
que puissent se pratiquer les opérations de montage, et d’une
maniére plus générale ce que tu appelles le stade de la post-
production.
Beauviala. Je ne vois pas quels progrés pourraient modifier
de facon vraiment profonde le montage cinéma tel qu’il se pra-
tique aujourd’hui sur le support film. Ca peut encore continuer
a se pratiquer, et méme longtemps, mais ce ne sera qu’une sur-
vivance. Le montage se pratiquera demain, qu’il s’agisse d’ail-
leurs de production « in » ou « off », sur support vidéo. Il
faut en finir avec ces compartimentages cinéma/vidéo et utili-
ser aujourd’hui, puisque tous les transferts sont 4 tous
moments possibles, le support et l’instrument qui, A chaque
stade de la chaine de fabrication donnent les meilleurs résul-
tats. Et pour ce qui est du montage il existe maintenant, pas
encore en France, mais déja aux Etats-Unis, des systémes qui
permettent une maitrise de 4 ou 5 sources-image. On peut les
assembler, en jouer, etc. Un ordinateur te permet de synchroni-
ser, de désynchroniser, de faire suivre des sons, etc. Ce n’est
pas encore au point car ¢a fait trop appel de la part des mon-
teurs 4 un cerveau non de créateur mais de claviste et ils ris-
quent de ne pas tenir le coup longtemps 4 cause de la tension
que ¢a requiert. C’est la trop grande efficacité de ces machines
qui rend les gens inquiets. Et ceci est aggravé par le fait que ces
matériels, cofitant encore fort cher, t’obligent 4 prendre rapi-
dement tes décisions.
C’est un moment de la technologie ot les images, les sons sont
fournis au monteur sous forme de bandes. Les temps de recher-
che dans ces conditions, méme par ordinateur, sont relative-
Jean-Luc Godard filme le Quartier Latin en mai 68 (photo Guy Kapelowicz)
ment Iongs mais dés que les images seront sur disque avec accés
Tati s le tournage de Mon Oncie
instantané a n’importe laquelle d’entre elles, alors le prémon-
tage, la recherche d’un raccord, Vinsertion d’un plan a ’inté-
rieur d’un autre, le raccourcissement d’un plan antérieurement
monté, tout cela deviendra possible. A aucun moment le
« montage » ne se trouvera pas reporté sur un support physi-
que, ce n’est qu’en fin de travail que les données enregistrées
dans Ia mémoire de !’ordinateur serviront 4 construire le
« master » définitif.

Cahiers. On retrouvera, fa manipulation et l’attente en


moins, toutes les possibilités de ’actuel montage cinéma ?
Beauviala. Tout ce qu’on fait actuellement avec des ciseaux
et du scotch sera faisable de cette maniére, Et le montage vidéo
assisté par ordinateur, pour autant que les rushes auront été
transférés sur disque vidéo, remplacera totalement le reste.
L’intérét du disque, c’est qu’on pourra distribuer les films en
version beaucoup plus longue et qu’ils seront proposés, ven-
dus, avec une programmation a la carte. La totalité sera par
exemple un film de trois heures mais le micro-processeur,
disons la mémoire, qui sera vendue en méme temps te permet-
tra d’accéder a plusieurs versions dont le détail sera précisé sur
la pochette : programme n° | : 1 heure 30 ; programme n° 2:
60 minutes ; programme n° 3 : 10 minutes, etc. Et toi-méme,
regardeur, tu pourras te composer ta propre version qui sera
mise en mémoire, la montrer aussi aux amis. Imagine ce que
pourrait étre alors une revue ou une école de cinéma, imagine
ce que seront les Cahiers du Cinéma quand les interventions
critiques pourront devenir des démonstrations directes sur la
matiére méme des films...

Cahiers. Ce n’est peut-étre tout de méme pas pour demain ?


ENTRETIEN AVEC JEAN-PIERRE BEAUVIALA 95
Beauviala, Ca peut étre vite 14 mais en vérité il faut d ’abord que. Et 1a, il faut encore parler de télévision car ce qui, en
parler de ce qui risque de marquer le plus la décennie a venir. revanche, va considérablement modifier la diffusion des ima-
Les années 60 4 80 forment un bloc qui peut étre caractérisé, ges et des sons c’est Pintroduction du standard vidéo 4 haute
avec l’acquis du son synchrome et de la couleur, par la maitrise définition (High Definition Video) tel qu’il vient d’étre pré-
de l’enregistrement du réel. Je pense que les années 80 vont &tre senté par la NHK (sorte de TDF japonaise) 4 la Convention de
marquées par la recherche de traitements, par le souci de mani- la SMPTE au printemps 81 4 Las Vegas. Les images obtenues
pulations radicales de l'image. Et la la chaine électronique va — 1200 lignes, format 1,66 comme le « panoramique » du
marquer des points parce qu’elle permet, ce que la chaine du cinéma — transmises par satellite, captées par une antenne de
film chimique permet mal ou pas du tout : le tripotage de tous quartier et livrées 4 domicile par fibre optique seront tout a fait
les paramétres de l’image : couleurs, valeurs, contrastes, con- comparables a celles qu’on nous montre sur les écrans timbres-
tours ; la raréfaction ou la somptuosité selon ’humeur. poste des multisalles. La Hifi vidéo va plus encore vider les rues
L’arrivée de la couleur au cinéma, le souci de réalisme et sur- le soir 4 onze heures.
tout le conformisme des laboratoires n’ont pas permis de déve-
lopper ca (un film comme Une Journée particuliére reste de ce Cahiers. Le standard de 625 lignes est donc appelé & dispa-
point de vue tout a fait exceptionnel) mais je pense que les gens raitre ?
vont s’y mettre petit a petit ef que ca va étre trés important
Beauviala. Non, en tout cas pas dans l’immédiat. Simple-
dans les quelques années qui viennent. I] n’y a pas de raison
ment on va retrouver la méme distinction qu’entre le transistor
que V’image soit en retard par rapport 4 ce qui se pratique
pas fameux qu’on traine partout pour écouter Europe | (ce que
aujourd’hui couramment dans le domaine du travail sur le son.
prendra en charge la télé 4 625 lignes) et la modulation de la’
J’attends beaucoup de ¢a.
fréquence sur la chaine de salon, pour écouter France Musique
(le nouveau standard).
Cahiers. Ces produits fabriqués, il faut les diffuser. Est-ce
Tu imagines l’effet de retour : aux Etats-Unis les producteurs
que des changements sont & attendre dans ce domaine ?
commencent a faire des films en Super 16, Universal réinvestit
Beauviala, On rejoint de deux facons ce que nous disions au dans le 35 car il va bien falloir alimenter ces réseaux HDV. Seul
tout début de cette conversation. D’une part on retrouve avec le film en format Super 16 ou 35, par télécinéma interposé, est
la diffusion la différence qu’ on établissait ala production entre capable d’apporter toute P information nécessaire. En ce qui
les territoires « in » et « off-CNC ». Et l’intérieur, pour la dif- concerne la diffusion « off-CNC », des que les vidéo-disques
fusion, ce sont bien siir les salles commerciales de cinéma. seront pressables dans les caves humides on en reparlera.
Les modifications que les salles ont subi ces derniéres années
sont superficielles. Ce ne sont que des adaptations 4 une con- Cahiers. OK, tu as ton carnet de rendez-vous pour 1984 ?
joncture socio-économique particuliére. Ni le rapetissement
des écrans, ni l’automatisation des cabines, ni méme l’amélio- (Cet entretien est le résultat d’un montage d’éléments divers
ration de la qualité du son avec les systémes Dolby et autres, réalisé par Jean-Jacques Henry: une table ronde (cf. plus
n’ont fondamentalement modifié le spectacle cinématographi- haut), conversations et ajouts directs de Jean-Pierre Beauviala.

Publicité

Depuis toujours les fans de COCA-COLA sont les jeunes,


les adolescents de 12 418 ans, et pour reprendre le lan-
gage ésotérique du marketing, ils sont « la cible » COCA-
COLA.
- 43 rué du Fg Méntinaitre 75009 Paris 7706840.”
Pour communiquer efficacement avec ces adolescents, il
un lieu d’animation etde promotion est important de tenir compte de leurs attentes tout en
du cinéma trancais maintenant l'image qu’ils ont de COCA-COLA : le réve,
l'évasion, les vacances, les copains... et surtout
@ des cycles de films devenus rares léchange.
et des grands classiques
ll faut aussi prendre en considération leurs centres d'inté-
L’héritage de Jean Renoir, réts et les media qu'ils fréquentent ou utilisent, et la com-
Mélodrames 4 la francaise, munication audiovisuelle est trés certainement et de loin
La France de Pétain et son cinéma, la plus performante aupres des jeunes.
Hommage & Louis Daquin,
1945-1950 : le cinéma francais €n effet, 71% des 15-24 ans vont au cinéma au moins
de laprés-guerre une fois tous les 2 mois, alors que le taux descend 4
29 % pour l'ensemble de la population.
@ des avant-premiéres
Le medium cinéma est utilisé depuis des années ; il per-
Gérard Blain; Noél Simsolo, met de montrer « l'ambiance COCA-COLA » avec le soleil,
Paul Vecchiali, Jean-Claude Biette
les vacances, la liberté, les réunions entre copains et en
Jean-Louis Comolli ...
fait l'échange d‘« un COCA-COLA pour un sourire ».
‘®@ diffusion vidéo
ll est aussi important de noter que l'autre élément signi-
Delphine Seyrig, Kou-Nakajima, factif de la communication est la musique.
Collectif ‘‘Scélérates”
La musique des jingles est chaque année scigneusement
@ des débats avec des réalisateurs étudiée car elle renforce l'esprit des films. Elle est d’ail-
et des acteurs. leurs tres évocatrice de toute « l'ambiance COCA-COLA ».
CHAMP . FILME S
DIFFUSION 18, rue du Faubourg du Temple, 75011 PARIS | W/,

de JEAN-CLAUDE BIETTE
Festivals de Rotterdam 1981 et Salsomaggiore 1981.
Semaine des Cahiers 1981.
Avec Sonia Saviange, Howard Vernon,
Jean-Christophe Bouvet et Laura Betti.
16mm - couleur - 1 h 20 - France 1981 -
Production Diagonale/Hors Champ

de JOAO BOTELHO
QUINZAINE DES REALISATEURS
CANNES 1981
35 mm - couleur - | h 40 - Portugal 1981
Avec Fernando Cabral Martins et André Gomes

PRODUCTIONS EN COURS A LISBONNE

WIM WENDERS JOAO CESAR MONTEIRO EDUARDO DE GREGORIO


"The State of things” “Sylvestre” “The Aspern papers”
Interprétes : Patrick Bauchau, Somuel Fuller, Interprétes : Maria de Medeiros, daprés fa nouvelle de Henry James
isabelle Weingarten, Viva Luis Miguel Cintra
Teresa Madroga
Co-production : Road Movies - Berlin Interprétes : Bulle Ogier, Jean Sorel
A Gray Cify « New York
V.0. Filmes Lisbonne

EN PREPARATION :
“Ma Mére" DE ANTONIO-PEDRO VASCONCELOS daprés une novvelle de Georges Bataille (fournage prévu octobre-novembre)
CHAMP FELEMES
DIFFUSION 18, rue du Faubourg du Temple, 75011 PARIS

ancy $3

Le dernier film de MANOEL DE OLIVEIRA


QUINZAINE DES REALISATEURS
CANNES 1981
Un grand drame romanesque au XIX® siécle.
35 mm - couleur - 2 h 46 - Portugal 1981

de RAUL RUIZ
avec Isabelle Weingarten, Jeffrey Kime,
Paul Geity Jr., Geottrey Carey, Rebecca Pauly
35 mm - couleur - | h 40 - Portugal 1981

de ANTON!O-PEDRO
Ovala VASCONCELOS
Sélection officielle
Festival de Venise 1980
avec Baeta Neves et Marta Reynolds
35 mm - couleur - 2 h 12 - Portugal 1980
NUMERO HORS SERIE

PASOLINI CINEASTE
Textes de Pier Paolo Pas
olini : Marylyn Monroe,
Rome, v tlle ouverte, La Veil
La peinture, Toto, Godard le,
, Vecchiali
Entretien avec Bernardo Ber
tolucci et Jean-Louis Comolli.
Interventions et articles
Jean-Claude Biette, Maria de ; Rol and Bar the s, Alain Bergala, Bernardo
Call Bertolucci,
Luciano di Giusti, Yann Lar as, Carlo ai Carlo, Sergio Citti, Jean-André Fieschi,
deau, Glaubert Rocha, Jean-Mari Franco
e Straub, Paolo et Vittorio Fortini,
Pasolini Venragé : transcrip Taviani,
tion complate du texte de
« Cinéastes de notre temps Pémission
» (Janine Bazin et André S.
réalisation de Jean-André Labarthe,
Fieschi). .

Filmographie complete.
Nombreuses illustrations.
Réalisation : Alain Be rgala
et Jean Narboni.

Bulletin Pasolini
350 F - PORT INCLUS

A retourner a nos bureaux + .Code Postal .


9, passage de la Boule-Bl Verse la somme de 50 F
anche
75012 Paris
Chéque bancaire 0 CCP 7890-76
Mandat postal joint 0 Mandat-lettre joint O
LES AUTEURS (SUITE)
LES AUTEURS

_ TABLE RONDE AVEC


LA SOCIETE DES REALISATEURS DE FILMS

ment Poiré qui fait le film, mais quand c’est Resnais, cela
La notion d’auteur dans les années 70 devient un film d’auteur et passe chez Toscan. Cette notion est
donc admise dans un certain nombre de cas, ce qui ne veut pas
Cahiers. Nous voudrions débattre avec vous de la situation du dire que tous les vrais auteurs de films en profitent.
cinéma francais sous angle de son économie bien sir, mais Kast. Les films, qui sont 4 la fois une ceuvre et un produit, ont
aussi de son esthétique. En particulier voir ce qu’il est advenu tendance a étre privilégiés en tant que produits par l’ensemble
de la notion d’auteur, transversale 4 toutes ces années, chére du systéme et le respect de I’ceuvre est en train d’en prendre un
aux Cahiers et aussi 4 la SRF. coup. Il n’y a qu’a voir comment se développe une catégorie de
Pierre Kast. Ce qui caractérise la situation actuelle, c’est la films extr€mement nombreux morts aussitdt que sortis. I] n’est
mercantilisation qui se voit aussi bien dans les festivals, les jamais sorti autant de films, et la Edeline a raison quand il dit :
semaines d’Unifrance, le systéme de presse que dans Sainte- « Qu’est ce que vous me reprochez ? On n’a jamais autant
Cinéchiffres. Il y a un retour offensif extraordinaire de la mer- sorti de films ». On les a sortis, mais directement au cimetiére.
cantilisation du systéme production-distribution. Une petite proportion est achetée par une chaine et vont
Cahiers. Oui mais ¢a aurait pu faire disparaitre la notion connaitre une deuxiéme carriére a la télévision. Une majorité
d’auteur, or ga l’a commercialisé. d’entre eux sont morts. Comme il n’y a plus de deuxiéme exclu-
Luc Moullet. Disons que ca a commercialisé I’ceuvre de quel- sivité, plus de sorties générales, et que les reprises sont comple-
ques auteurs, un ou deux par nation. On se débarrasse du tement liées au star-system, et au star-system-bis qui est celui
cinéma espagnol en lancant Carlos Saura, du cinéma suédois de l’Art et Essai, qui a son propre vedettariat...
avec Bergman, Pour le cinéma francais, quatre ou cing réalisa-
teurs, un peu plus peut-étre, mais ea reste extreémement sélectif. L’investissement et Ja rentabilité
Le systéme a besoin de quelques noms, le reste est un tas dans
lequel on tire un nom de temps en temps pour renouveler. Moullet. Le probléme effectif est celui du nombre de films.
Kast. Dans le méme temps, le pouvoir s’est déplacé. Il est passé C’est parce qu’il y a deux a trois fois plus de films sur le marché
des producteurs-distributeurs aux exploitants. D’autre part, la que ce probléme existe. Mais en fait, il y a une progession du
rentabilité des salles est privilégiée par rapport 4 celle des films. pourcentage et des sommes versées 4 la production et a la dis-
Un phénoméne connexe se produit par l’accroissement de la tribution. (Part salle en 1965 : 45,78%, en 1979 : 47,75%. Part
puissance et du poids du star system. Le star system est devenu producteur distributeur en 1965 : 31,85%, en 1979 : 34,54%).
absolument contraignant. Les patrons des circuits nous disent : Vangmentation de la part producteur distributeur par rapport
«le plus important, c’est le sujet. Au fait, ‘qui joue ala part salle est encore plus nette en fait, car producteurs et
dedans ? ». distributeurs récupérent en sus beaucoup plus de TVA que les
Cahiers. Cette notion vient des Cahiers, trouve son accomplis- salles.
sement aprés 68 dans des institutions ou des regroupements Kast. Ca c’est une logique a la Lewis Caroll. Ce sont les syllo-
comme la SRF, des structures d’Etat comme I’Avance sur gismes du révérend Dodgson.
Recettes. Un des paradoxes, c’est qu’elle n’ait pas disparu, La rentabilité ne recouvre pas les sommes brutes, c’est un rap-
malgré les phénomeénes de concentration que vous avez décrits. port entre un investissement et ce qu’il rapporte. De fait actuel-
Jacques Doniol-Valeroze. Je crois que la notion d’auteur est lement, c’est un paradoxe du star system francais, D’habitude
d’une certaine fagon devenue commerciale. Toscan du Plantier les gens qui font du show business investissent. La pas du tout,
parle de Losey ou de Resnais en tant qu’auteurs, il a envie de les salles n’investissent pas dans les films. Ce sont des garages
produire des films dont on dira: «ce sont des films c’est tout. Elles ne participent ni 4 la publicité, ni aux frais
d’auteurs ». C’est trés ambigu, parce qu’il peut aussi refuser @édition, tirage des copies, etc.
tel ou tel « auteur », qu’il trouvera dangereux. Finalement, la Moullet. Avant le cinéma était limité a quelques produits. Ilya
notion d’auteur aujourd’*hui ressemble a celle de « grand écri- 25 ans, 50 a 60 films, aujourd’hui 255 film francais par an. En
vain » pour une maison d’édition. Entre le moment, of aux plus depuis 9 ans, il y a une ouverture aux films ¢trangers, due
Cahiers, on a lancé Vidée, 4 l’époque de la « politique des A la disparition de la taxe de sortie. Mais le fait qu’un film dure
auteurs », et aujourd’hui, cette notion est passée dans le lan- moins longtemps apporte méme plus de recettes a l’ensemble
gage courant, et est devenue commerciale d’une certaine facon. des films, puisque {es pourcentages sont plus importants les
Quand Jean Girault fait un film avec De Funés, on ne croit pas deux premiéres semaines.
chez Gaumont que c’est un film d’auteur, et c’est le départe- Kast. Si on manque un film 4 sa deuxiéme semaine, on ne le
101
revoit jamais plus, C’est la démonstration que le film en tant films mais le type de cinéma qui avait le plus besoin d’étre
que produit n’intéresse pas le systéme. Ce qui intéresse c’est le défendu.
coefficient de remplissage des salles, et c’est de l’argent en plus Moullet. C’est surtout une moyenne qui élimine les excés, c’est-
pour les salles, a-dire industrie ultra-lourde et Vindustrie ultra-légére, parce
Moullet. Non, pour le cinéma ! Avec une distribution trés iné- que ceux-ci n’ont pratiquement pas de probléme. Il y a un réali-
gale. Mais le seul reméde serait de faire converger les recettes sateur l’autre jour 4 1a SRF qui disait : « Pourquoi j’adhére-
sur certains films choisis en fonction de leur qualité supposée, rais ?, ca va me cofiter 100 francs, et pour 100 francs je ferai
ce qui serait contraire au principe actuel de soumission aux lois un film ».
du marché et donc utopique, au détriment des 300 ou 400 films
qui sont arrivés en plus depuis 10 ans. Que sont devenus les producteurs ?
Kast. C’est admirable, tu viens de réinventer l’aide automati-
Cahiers. Le partenaire privilégié d’un réalisateur c’est son pro-
que qui favorise les succés au détriment des échecs et qui donne
ducteur ou le producteur qu’il recherche. A l’époque de la
plus d’argent aux films qui marchent !
Nouvelle Vague, i) y a eu une relation réelle.
Cahiers. Qui est ’investisseur dans un film aujourd’hui ? Quia
Kast. Beaucoup de cinéastes ont été implicitement ou explicite-
intérét 4 ce que le film se rentabilise trés vite ? Les frais de sor-
ment leur propre producteur ou le sont devenus. Pollet par
tie d’un film sont de plus en plus importants, publicité, tirage
exemple. II n’est pas du tout sir que la fonction de réalisateur-
des copies coiitent de plus en plus cher. On est dans une écono-
producteur soit une fonction que nous privilégions. Il y a beau-
mie complétement somptuaire : aujourd’hui un film nécessite
coup de réalisateurs parmi nous qui sont leurs producteurs, ce
plus d’investissement et en méme temps il est pensé sur un
qui ne correspond pas a une de nos perspectives. Mais il n’y a
| temps plus court. Qui a intérét 4 cette logique ?
plus de producteurs. Il y a des départements de production 4
Kast. En plus, vous devez remarquer qu’avec la création des
Yintérieur des circuits. Le « producer » type Etats-Unis
multisalles, la rentabilité d’une copie a considérablement dimi-
n’existe plus, ce type qui prenait des risques personnels et
nué. Le nombre de passages qu’une copie peut faire est limité
financiers, méme a I’intérieur des Majors.
et la somme qu’une copie rapportait par passage avant était
Doniol-Valcroze. Méme Toscan dit en substance: « Mon
beaucoup plus considérable. Le cinéma a tendance a devenir un
drame c’est qu’il n’y a plus de vrais producteurs. Et, moi, je ne
autre type de consommation du fait de augmentation du prix
peux pas m’occuper personneliement de tous Jes films. Parfois
des places. I] y a un changement de structure sociale. Plus la
j'ai en face de moi des gens qui me disent : « j’ai Romy Schei-
place cofite cher plus le cinéma sera comparable A ce qu’ était
der et untel, est-ce que vous étes d’accord ? » Et le sujet ?
avant la guerre le théatre de boulevard, un objet cher a acheter,
« Ah ¢a, on trouvera, ce n’est pas le probléme » : ces gens ne
réservé 4 une catégorie de gens, une clientéle certaine, sélec-
sont pas des producteurs, ils tentent des coups.
tionnée, Ceux qui augmentent ces prix savent trés bien qu’on
Dugowson. C’est un double langage, car si on vient avec un
perd toute une catégorie du public qui était la catégorié privilé-
sujet, avant méme qu’on essaie de Je raconter on nous dit :
giée du cinéma au profit d’une autre pour laquelle on fabrique
« Avec qui ? ».
des produits.
Moullet. On regrette le producteur de naguére mais méme pen-
Kast. Regardez la maladie professionnelle qu’est la consulta- dant Ja période de la Nouvelle Vague, 4 part une ou deux
tion matinale de Cinéchiffres. C’est comme si on prenait la exceptions comme Braunberger, il y avait trés peu de produc-
courbe de température pour la maladie. Ca part de lidée teurs réels. Les producteurs qui sont devenus célébres a cette
absurde qu’un film qui marche doit ressembler 4 un film qui a époque n’ont produit les films de la Nouvelle Vague que parce
marché, On court avec Cinéchiffres et on s’imagine qu’on va que les films marchaient. Ils avaient des réalisateurs favoris et
attrapper le succés. C’est le 18 brumaire du Star System. signaient pratiquement des chéques en blanc, ils ne s’atten-
Moullet, C’est un panorama qui me semble juste mais pour un daient pas du tout 4 ce qui allait arriver, c’étaient donc de faux
cinéma d’économie lourde qui ne représente pas forcément le producteurs, c’étaient des intermédiaires qui n’étaient que le
cinéma francais qui intéresse les Cahiers. Il faut aussi considé- réflet de réalisateurs ou de courants d’opinions.
rer que le cinéma francais ne dépend pas essentiellement de Dugowson. Il y a dix ans, les réalisateurs demandaient :
paramétres hexagonaux puisque pour fe cinéma « d’auteur » « As-tu un producteur ? », Maintenant tout le monde peut
c’est bien souvent I’étranger qui fournit 85% des recettes et avoir un producteur mais il est dans la méme situation que le
méme le départ du financement, complété par les aides officiel~ réalisateur, il cherche le distributeur parce qu’il doit compter
les. Les structures économiques frangaises du cinéma sont donc sur Jes a-valoir distributeur, une chafne de télévision et
sans grande influence sur ce cinéma. l’Avance sur recettes. Il n’y a jamais eu autant de premiers
Kast. Cette infanterie légére, c’est un cinéma qui vit plus ou films et qui viennent presque a l’initiative des distributeurs, au
moins sous l’aile de l’Avance sur Recettes. Mais si on compare vu de expérience de certains coups de jackpot comme Diabolo
les budgets : par exemple celui de ton dernier film représente la menthe ou Et la tendresse bordel. Pour les premiers films, on
part du téléphone dans celui d’un film commercial. Comme les ne paie pas beaucoup les réalisateurs et il n’y a pas de star.
film ne boxent pas par catégories, le mot succés garde un sens Alors on voit se multiplier ces histoires de lycées, sur lesquelles
général alors que ce n’est pas la méme chose selon que c’est un les risques pris par les distributeurs sont trés faibles. Au pire,
film de Pinfanterie légére ou Jourde. ils le tiennent dans les salles jusqu’a ce qu’il se rembourse. Et
Maurice Dugowson. Je crois que les moyens ne déterminent puis il y a une loi qui fait que sur 10 projets, un va marcher qui
pas s’il y a auteur ou non. va rembourser les autres. Ca devrait étre encourageant qu’il y
Cahiers, Est-ce que la SRF a dans son projet la défense d’un ait tant de premiers films, mais combien y en a-t-i] de deuxié-
certain type de cinéma ? mes et de troisiémes ? Il reste donc d’une part ces premiers
Doniol-Valeroze. Par vocation, la SRF peut étre plus utile 4 un films faits avec des réalisateurs et des acteurs inconnus et
certain type de cinéma qu’a un autre. Un metteur en scéne d@autre part, l’artillerie lourde, trés lourde. On n’a jamais vu
comme Verneuil a moins intérét 4 faire partie de la SRF qu'un autant de films francais dépassant le milliard, alors qu’on
jeune metteur en scéne qui peut avoir besoin de l’appui de la disait que ¢’était de la folie, qu’on ne pouvait pas rembourser
SRF. D’ailleurs certains cinéastes « commerciaux » se sont peu ca sur la France et qu’on n’arrivait pas 4 exporter. Il y a une
a peu éloignés de la SRF, sans rompre les ponts. La SRF a tou- apparente incohérence du systéme et on essaie de réfléchir ce
jours eu comme projet de défendre non pas un certain type de qu’il y a derriére.
102 LES AUTEURS
Cahiers. Votre position pourrait done étre : reconstituons cette envers le cinéma francais. On ne va pas voir les films qui sor-
catégorie perdue de producteurs. Quelle est alors votre position tent juste une semaine, or on trouve des choses surprenantes si
par rapport a la politique du CNC, de l’ Avance ? on suit vraiment tout le cinéma francais.
Kast. L’Avance vient combler une carence. L’industrie du Dugowson. Je ressens de la part des revues spécialisées, une
cinéma n’a jamais réussi 4 se créer ce dont disposent toutes les attitude sympt6matique d’un idéalisme : comme si un cinéaste
autres industries, c’est-a-dire un systéme de recherche et de tournait exactement ce qu’il voulait quand il le voulait, alors
prospection. A la fois par incapacité, par mauvaise volonté et que tout le monde sait trés bien que ce n’est pas vrai, a part
par désir de ne pas prendre de risques. A l’étranger, il est évi- pour quelques uns qui ont franchi la barre.
dent maintenant que c’est Resnais qui fait vendre De Funes. Doniol-Valcroze. Les acquis des dix, quinze derniéres années
C’est le terrain occupé par Resnais, l’audience qu’il a acquise, sont manifestes. Quand ona fondé les Cahiers, c’ était l’époque
qui a capitalisé une certaine idée du cinéma francais. ot les cinémas qui mettaient les noms des réalisateurs sur leurs
Mais Ie systéme a un talon d’ Achille terrible : il aide les films a frontons aux Champs Elysées se comptaient sur deux doigts.
se faire et n’aide pas a leur diffusion. Et le systéme d’aide a la Maintenant, cela parait normal que le metteur en scéne soit
diffusion que nous avons essayé d’instaurer a capoté, Le devenu une vedette A son tour. Je suis sir que les Cahiers ont
systéme actuel est la caricature de ce qu’il pourrait étre si les joué un réle dans cette évolution.
films pouvaient avoir réellement accés aux salles. Tant qu'il n’y Cahiers. En 1981, on peut dire qu’un réalisateur, c’est
aura pas un systéme d’aide sélective 4 la diffusion, symétrique quelqu’un qui doit tout faire. Qu’en pensez-vous ?
de l’aide sélective 4 la production, certains films sortiront bat- Doniol-Valeroze. Eddie Matalon, le nouveau président de
tus d’avance. Un film quia peu de publicité, une mauvaise date T’AFPF m/’a dit : « je vous le dis tout de suite, je n’ai aucun
de sortie et des salles qui ne lui conviennent pas, il n’est pas message ». Or il s’occupe d’un film d’un bout a l’autre, donc
étonnant qu’il ne marche pas. c’est un auteur de film.
Moullet. IL y a quand méme un glissement de l’Avance ces der- Mais je ne trouve pas que la position de réalisateur-producteur
niers mois avec l’acceptation de certains films et des rejets soit la bonne. Ce qui est important pour un réalisateur c’est
caractéristiques, ceux d’Hanoun, Straub-Huillet, alors que ce d’avoir du talent, et quelque chose a dire. On peut avoir tout ca
sont les figures de proue du cinéma franeais a l’étranger. et n’avoir aucun don pour monter une affaire et dans le con-
Laide a la diffusion ne joue qu’en cas d’échec irrémédiable. Si texte actuel on n’arrivera pas A faire des films. II existe aussi
Von accorde 100 000 francs 4 un film et si la recette dépasse bien stir des réalisateurs qui ont du talent et savent monter des
cette somme, il n’y aura pas de subvention. Ce n’est méme pas affaires, Truffaut par exemple. Par contre, quelqu’un comme
une assurance. Le distributeur peut perdre de l’argent sans que Jacques Rozier n’a aucune chance de s’en tirer.
le CNC le rembourse, simplement parce qu’il y a eu plus Moullet. Et puis l’aspiration de certains réalisateurs est de ne
8 000 spectateurs, ga ne sert donc qu’a financer quatre ou cing plus s’occuper du films ad eternam. Aprés la copie zéro, ils
copies, Le seul systéme viable serait celui qu’avaient institué aimeraient passer 4 autre chase.
Pintureau et une chaine de télé avec Les Camisards en leur Doniol-Vaicroze. Et puis, il y a des cinéastes qui attendent la
accordant 400 000 francs de I’époque. Mais méme si on don- commande. C’est ce que dit Resnais. En fait il « provoque » la
nait 4 un film de Duras, Kast ou Hanoun les mémes moyens commande.
qu’a un film de Zidi, il] resterait quand méme un probléme de Dugowson. Il y a des cinéastes qui font plein de produits et on
civilisation qui fait que les spectateurs ne sont pas préparés a peut au bout du compte découvrir que ce sont de bons
ca. réalisateurs.
Cahiers, Et qu’est-ce qui permettrait de reconstituer cette caté- Kast. Et que l’ensemble fait une oeuvre.
gorie perdue de producteurs ? Cahiers. Peut-on avoir la conscience de faire une ceuvre ?
Moullet. Ce n’est pas possible. S’ils n’existent plus, ce n’est pas Moullet. J’ai impression que des gens comme Feuillade ou
par manque de vocations, mais parce que le systéme économi- Mizoguchi avaient l’impression de faire des produits plutét
que s’est modifié. Vers 1950, les producteurs avaient une cer- qu'une ceuvre, c’est aussi une question d’époque. Alors que
taine autoriré économique et maintenant ¢a s’est déplacé au Sergio Leone pense faire une oeuvre.
niveau des programmateurs avec les exploitants derriére. Doniol-Valeroze. Quelqu’un qui aurait conscience de travailler
Economiquement, c’est tout 4 fait logique, la personne qui pour l’éternité serait paralysé.
bouffe tout est la derniére en aval. C’est parce que le cinéma est Cahiers. Est-ce que vous ne croyez pas que certains réalisateurs
une industrie récente qu’on n’en était pas encore arrivé 1a, pensent leur premier film comme le début d’une ceuvre. On a
quelquefois cette sensation en tant que critiques.
Vers une définition du réalisateur
Moullet. Ca peut &tre dangereux, C’est le cas pour Benazeraf
Cahiers. Quelqu’un qui ne fait pas assez de films par rapport a qui faisait des films intéressants et le jour o0 on lui a dit qu’il
ce qu’il devrait faire devient de facto un auteur, parce que cha- était un auteur, il n’a plus fait que des merdes.
que film est un prototype et qu’il est contraint par les media de Dugowson. Je trouve que c’est usant d’avoir a tout faire. Le
tenir un discours d’auteur, au sens de responsabilité esthétique probléme c’est d’avoir un producteur qui vous aime, qui ait
et économique. envie de ce que vous faites, qui prenne en charge tout ce qui fait
Moullet. Ce qu’on pourra reprocher au systéme frangais, c’est qu’on arrive au premier jour du tournage sur les genoux, ce ne
de n’avoir pas de purs réalisateurs, Ils n’étaient peut-étre pas si sont pas les meilleures conditions pour tourner !
nombreux dans le cinéma américain mais ils existaient. C'est lié Moullet. Dans l’infanterie légére, il n’y a pas de place pour le
au fait que les cinéastes n’arrivent a faire qu’un nombre limité producteur sur le plan économique. Dés qu’il y a un produc-
de films et qu’on n’arrive 4 €tre un pur réalisateur que par teur, c’est dangereux parce qu’il est obligé de piquer une
Vexpérience. Ford a fait, dit-on, son premier long métrage inté- grande part du budget et des rentrées pour survivre. Ce n’est
ressant 4 l’occasion de son 45°. possible que sur les grosses productions. Personnellement, ca
Mais je ne suis pas d’accord avec ce déclin du cinéma francais m’a paru intéressant de tout faire sur un ou deux films mais au
que vous envisagez, je vois au contraire un foisonnement sou- bout du quatriéme, il y en a marre, ce n’est plus trés drdle.
vent limité parce que ce que les réalisateurs ne peuvent pas faire Quand on est obligé, dix ans aprés la réalisation d’un film, de
un second film ou méme un premier long métrage. ly a la négocier sa vente ou d’aller le présenter...
aussi une responsabilité de la critique, un manque de curiosité Doniol-Valcroze. Pour toi, le probléme n’est plus tout 4 fait de
TABLE RONDE AVEC LA SRF 103
trouver un producteur qui t’aime, ta solution serait I’existence pas avoir |’air d’accorder des dérogations 4 tout le monde... et
en France d’institutions du genre Office National du Film méme On se posait encore des problémes.
Canadien qui auraient pour vocation de prendre en charge ce Kast. Naturellement notre action proprement dite se traduit
genre de cinéma indispensable et utile. Mac Laren a été pris en relativement peu dans les institutions parce qu’on n’a pas le
charge de cette facgon. pouvoir. On a simplement un réle d’observateur, éventuelle-
Moullet. On a un peu ca en France avec PINA et Ruiz, avec ment d’infléchissement sur certains points.
une production continue et trés intéressante, mais c’est excep- Vous ne pouvez plus citer aujourd’ hui (comme ¢a a existé il y a
tionnel. L’INA n’assure pas la diffusion, mais ¢a n’a que des dix ou quinze ans) le nom d’une seule personne a qui on ait
conséquences morales, sans conséquences économiques refusé ’accés la fonction de réalisateur parce qu’elle n’avait
véritables, pas les critéres suffisants pour faire un film. Ca n’existe plus.
Kast. On échappe 4 Sainte-Cinéchiffres et aux sondages des Cahiers, Et aujourd’hui, comment vous organisez-vous ?
chaines télévisées. La production télévisée, qui a longtemps Doniol-Valcroze. Il y a un travail quotidien pour les présidents,
échappé aux contraintes du succés immédiat, les retrouve les sécrétaires généraux. Un conseil d’administration ou un
maintenant avec les indices. « bureau » se réunit chaque semaine, un bulletin est publié
Doniol-Valcroze. Bien sfir, puisque les chaines sont en concur- chaque mois. I] y a Paction des membres de la SRF dans les
rence et que leur budget annuel et leur tarif de publicité dépend diverses commissions oi il se relaient et donc ils doivent rendre
de leur indice d’écoute. compte. II faut choisir des films pour « Perspectives », organi-
Cahiers. Oui, mais Ruiz a été diffamé dans les journaux. Dans ser des projections. Il y a une réunion une fois par mois avec le
le Figaro, on a dit : « C’est une honte, c’est scandaleux, un directeur du Centre. Quatre ou cing réalisateurs lui disent ce
Chilien qui fait l’Histoire de France comme ca ». Et ca a joué qu’ils pensent sur tous les problémes.
un réle dans la liquidation de I’INA Production. Ruiz c’est Dugowson. II y une vigilance permanente de la SRF sur tout ce
typique d’un moment des années 70 ow) un trés bon réalisateur, qui concerne le cinéma au niveau ministériel, par exemple, la
intelligent et malin a pu faire une ceuvre avec PINA qui n’était censure, etc.
pas un producteur. Kast. Sans nous l’Avance aurait disparu. Je pense qu’elle est
Braunberger, Dauman sont des types de producteurs en voie de tout a fait indispensable a la vie du cinéma en France mais il ya
disparition. IIs ont encore un discours sur ce qu’est un produc- eu des crises, elle a &té menacée 4 plusieurs reprises et mainte-
teur, ses rapports avec les distributeurs, les auteurs. Mais ce nant elle est institutionnalisée et il sera difficile de faire marche
discours lui-méme est en voie de disparition. Toscan, lui, dit : arriére parce qu’il y a une organisation de metteurs en scéne
« Je suis Gallimard, j’édite ». trés vigilante.
Kast. En oubliant un des éléments les plus importants dans Dugowson. II y a aussi l'information des réalisateurs de tout ce
Pédition en France, c’est qu’au début il y a la petite chapelle qui touche au cinéma et qui ne se trouve pas forcément dans les
NRF et qu’elle devient la cathédrale Gallimard a ta fin. Alors revues professionnelles. .
évidemment ils veulent la fin, pas de début ! Doniol-Valeroze. C’est aussi un lieu d’acceuil. Beaucoup ne le
Au début, il y avait quelques personnes autour d’une table qui savent pas. C’est un endroit ot, si on a certains problémes, il y
faisaient la politique des auteurs : Schlumberger, Gide, Arland a un service juridique, c’est un lieu de rencontre. II serait anor-
Paulhan, Roger Martin du Gard. On ne pent quand méme pas Mal qu'il n’existe pas, ca parait évident.
les accuser d’avoir eu des ambitions mercantiles. Moullet. Ca semble tellement évident que des associations se
S’il y avait aujourd’hui une maison de production ou de distri- sont crées a]’étranger sur le modéle de Ja SRF, en reprenant ses
bution qui ait l’ambition et la rigueur esthétique et morale dela statuts. IL y méme une Fédération Européenne des Réalisateurs
NRF a ses débuts, ¢a serait vraiment intéressant. Alors que 1a, qui vient de se créer sous Pimpulsion de la SRF, entre autres.
ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur serve tout préparé comme C’est donc bien que ca correspond 4 une nécessité.
chez Mac Donald, un « Gallimard Fast production », comme
il y a des Fast Food.
Le débat sur ’esthétique
Les activités de la SRF
Cahiers. Ce qui semble manquer, c’est le débat sur les ques-
Cahiers. Quelles sont les activités de la SRF ? tions esthétiques.
Doniol-Valcroze. Quand Ia SRF a été fondée, il y avait au CNC Moullet. On commence a le faire, il y a des débats une fois par
un certain nombre de commisions, et les metteurs en scéne mois sur des sujets : écriture du scénario, cinéma expérimental,
n’étaient représentés dans aucune instance : commission de relations avec la critique. On va essayer de les développer mais
dérogation, avance, aide au court métrage, commission d’agré- ca pose des problémes car la SRF doit étre l’expression de tous
ment, etc. C’était comme s’ils n’éxistaient pas. jes réalisateurs et non d’une ligne particuliére. C’est un débat
Kast. U1 faut dire que la conscience qu’ils avaient des réalités qui ne doit pas déboucher sur une doctrine.
économiques était faible. Kast. C’est trés difficile dans un milieu ot chacun est plutét
Doniol-Valcroze. La SRF a changé cet état de fait, puisque préoccupé de ses propres problémes. Je trouve que c’est un suc-
grace aux efforts acharnés du début, Enrico, Albicocco, Kast, cés incroyable qu’on ait 12 ans d’existence. La solitude est la
Poitreneau, moi et quelques autres réalisateurs, il n’y a plus rancon puissante de l’exercice de notre métier. De plus c’est
aujourd’hui une seule commission of il n’y ait pas de réalisa- extraordinaire que la SRF ne soit pas compasée d’apparat-
teur. D’abord, on a fait reconnaitre le 16mm comme du chiks. C’est pour ¢a que la présidence est roulante, qu’il y a
cinéma a part entiére. Il n’était pas alors reconnu par le Centre, deux présidents en exercice.
et mavait aucune vie réelle. Par ailleurs, je suis persuadé qu’a Doniol-Valcroze. Avant 1968, les metteurs en scéne étaient
PAvance, les réalisateurs ont eu un certain réle qui a été trés farouchement individualistes. Le nombre de metteurs en scéne
fort dans un premier temps et qui a diminué ensuite parce que je ne connaissais pas, & qui je ne serrais pas la main } La
qu’on a trouvé que ce réle était devenu trop important. SRF les a fait se rencontrer et se connaitre.
Autre point: 4 la commission de dérogation, on a pris Dugowson. Il y a un cété réponse a la solitude aussi...
d’emblée le parti d’accorder automatiquement la dérogation. (Cette table ronde a réuni le 11 mars aux bureaux des Cahiers,
On a fait admettre que c’ était aux metteurs en scéne de décider. Serge Daney, Jacques Doniol-Valcroze, Maurice Dugowson,
On cherchait dans l’année au moins un film fasciste pour ne Pierre Kast, Serge Le Péron, Luc Moullet et Serge Toubiana).
104

20 QUESTIONS AUX CINEASTES (SUITE)

1. Francois Truffaut disait récemment : « ce qui me rend heureux dans le cinéma, c’est qu’il me donne le meilleur
emploi du temps possible ». Avez-vous été heureux de votre emploi du temps ces dix derniéres années ?
2. Comment avez-vous appris votre métier de cinéaste ? Quelle place accordez-vous au savoir-faire ?
3. Avez-vous le sentiment qu’il faille se conformer 4 un modéle dans le cinéma frangais ?
4. Etes-vous I’auteur de vos films ?
5. Atteignez-vous votre public ?
6. Estimez-vous que la critique a été juste envers le cinéma franeais de ces dix derniéres années ?
7. Quel film francais vous a le plus impressionné depuis 1968 ?
8. Quel a été pour vous l’événement marquant de la derniére décennie ?
9. Quelle est la part de la cinéphilie dans vos films ?
10. A quels moments vous sentez-vous le plus un cinéaste francais ?
11. Avec quelle partie de ’héritage du cinéma francais vous sentez-vous le plus en sympathie ?
12. Beaucoup de cinéastes jouent dans leurs propres films. Et vous ?
43. Y a-t-il des domaines de la technique qui vous stimulent particulitrement ?
14. Y a-t-il des histoires que le cinéma francais puisse raconter au reste du monde ?
415. Y a-t-il des sujets inabordables dans le cinéma francais ?
16. Y a-t-il des choses que vous vous interdisez de filmer ?
17. Que représente le cinéma américain d’aujourd’ hui pour vous ?
18. Quel lien voyez-vous entre votre travail au cinéma et a la télévision (si vous en faites) ?
19. Quel est votre projet le plus cher ?
20. Les acteurs ont-ils changé?

Nous avions également envoyé ce questionnaire 4 Chantal Akerman, René Allio, Jean-Jacques Annaud, Claude Bernard-Aubert, Bertrand
Biier, Yves Boisset, Alain Cavalier, Christian de Challonge, Patrice Chéreau, Jean-Louis Comolli, Costa-Gavras, Jacques Doillon, Daniel
Duval, Jean-Pierre Mocky, Edouard Niermans, Jacques Rouffio, André Téchiné et Claude Zidi. Pour des raisons diverses, ils ne nous ont
pas fait parvenir leurs réponses,

JEAN-CLAUDE BIETTE

4. Ces dix derniéres années, j’ai qu’un cinéaste. Méme quand je ne prépare pas un film, je travaille
fait deux courts métrages et deux toujours sur un scénario, pour le plaisir. Toutefois je ne gagne pas
longs métrages. C’est un peu plus encore ma vie par le cinéma.
que les dix années précédentes ot 2. Enfant, j'ai éé marqué par les films de Walt Disney. Plus tard
javais fait cing courts métrages. mon premier contact et ma premiére paye ca a été comme figurant
Je constate que je gagne un peu de dans Julie la rousse de Claude Boissol et dans Le petit prof de Carlo
temps. Je ne sais pas si le cinéma a Rim. En 59 je découvre les Cahiers du Cinéma que je lis avec passion,
la propriété de donner un bon f deux aprés je fais un court métrage, puis j’écris sur des films bien des
emploi du temps: je n’ai qu’un articles refusés par Rohmer avant d’en avoir un accepté par Rivette.
pied dedans. Je pense qu’un musi- Je vois beaucoup de films, j’en revois plusieurs fois un certain nom-
cien qui joue réguliérement et qui bre. Je joue ensuite dans quelques courts métrages et dans des longs
ne cherche pas a faire carriére a un aussi (Rohmer, Rivette, Straub). Je suis assistant dans quelques films.
bien meilleur emploi du temps Et je continue a faire des courts métrages. J’ai sans doute appris beau-
105
coup en travaillant, mais je crois avoir au moins autant appris en acteurs. J’écris pour eux des réles sur mesure. C’est la plus passion-
réfléchissant aux films des autres, que j’emporte dans ma mémoire. nante des techniques, car elle échappe, elle est infinie. C’est le seul élé-
Le savoir-faire, c’est l’expérience, acquise dans mes films précédents ment mystérieux d’un film.
en faisant des erreurs ou en faisant des choses bien sans le faire exprés, 14. Aujourd’hui, la vie des saints, la vie des criminels.
qui revient a )’état spontané dans le film suivant. Ce ne sont pas les 15. L’aspect idyllique de l’énergie nucléaire.
trucs que je peux observer dans les films des autres. Je n’aime pas 16. Je ne m’interdis rien, mais l’idée de tuer un animal pour faire
annexer, ¢a me paraft toujours vain. vivre un plan me fait horreur.
3. La grandeur du cinéma frangais vient du fait que les cinéastes 17. Je n’en aime que les extrémes, D’une part les individualistes —
n’ont pas pris de modeéle, ou s’ils en prenaient c’étaient de trop dange- Fuller, Paul Newman, Monte Hellman, et certains films de Robert
reux modéles pour faire régle (ex : Renoir s’inspirant de Stroheim, Kramer, de John Cassavetes, de Clint Eastwood ; j’ai bien aimé Saint
Franju de Lang, etc.). Il ne faut prendre un modéle que si l’on sent Jack de Bogdanovich qui capte l’air du temps américain sans rhétori-
qu’il correspond a quelque chose en vous, sans quoi on fait du mau- que ni alibis moralisants — d’autre part les produits les pius anony-
vais travail. mes: Superman I et L’Empire contre-atiaque. Je déteste |’entre-
4. Qui, si on entend par auteur que j’écris mes scénarios et mes dia- deux : tous ces films qui essayent de faire comme les films européens,
logues moi-méme. tout en restant bien américains dans leur structure productive. Et je
5. Je crois, mais tout mon public, non. C’est plus facile de monter déteste d’autant plus qu’a Vintérieur méme d’un film que je n’aime
un film (je ne dis pas : de faire) que de le distribuer. Surtout si ’on n’a pas, je trouve toujours cette capacité innée 4 penser cinéma : cette
pas d’acteurs connus, une histoire forte et de Vargent 4 montrer sur capacité m’impressionne. Méme chez Paul Schrader. ai du mal 4
lécran. Le dernier métro en est une trés bonne preuve, mais une penser 4 Orson Welles comme a un Américain, tellement il est peu
preuve a posteriori. En fait la distribution marche au coup par coup. limité par le cinéma américain.
6. J’ai été moi-méme critique, mais amateur : je n’étais pas tenu 18. Je n’en fais pas encore.
d’écrire réguliérement. Je ne peux juger les autres critiques que sur des 19. Tourner a la suite un film d’angoisse, un documentaire sur
films en particulier et je ne peux dire s’ils ont été justes ou injustes Ermmest Bour, une vraie comédie.
qu’a partir de mes propres critéres esthétiques. Une appréciation géné- 20. Les acteurs en jouant légalisent les nouvelles attitudes qu’ils
rale me paraitrait floue. Mais c’est un bon sujet de comédie. mélangent aux anciennes, mais au fond le jeu ne change pas substan-
7%. Femmes-Femmes. (Je triche et j’ajoute en numéros deux : Out Jet tiellement. Le cinéma, lui, cherche, méme inconsciemment, 4 ne pas
Numéro Deux). trop trahir la « nature humaine ». Les critiques n’en tiennent pas
8. La disparition de Pasolini. assez compte. Quand ils parlent des films, ils parlent des acteurs
9. J’ai été influencé par Rohmer, par Rouch, par Straub quand je comme si c’étaient des suppléments inévitables du film alors qu’ils en
faisais des courts métrages. Mon premier long, Le Théatre des Matie- sont l’assise et la base. Méme chez Bergman on parle encore de la
res était une réflexion cinématographique sur Femmes-Femmes. Mon sauce thématique, mais pas de la facon dont il fait lentement dévorer
2° long, Loin de Manhattan, comme n’importe quel film, ne se référe le personnage par ]’acteur. La confusion et l’absence de critéres dans
que globalement au cinéma. J’ai un rapport de plus en plus incons- Vappréciation des films aujourd’hui est lige en partie a la sous-
cient avec les films des autres quand je fais un film. L’expérience des estimation de l’élément acteur et de la représentation humaine que
autres ne m’est d’aucun secours. Ce qui n’a rien a voir avec le fait que propose un film. Sans quoi on verrait tout de méme la différence entre
jai une admiration enthousiaste pour un certain nombre de cinéastes, les constructions inhabitées de Kubrick et les savoureux « baclages »
admiration essentiellement morale : a la limite leurs films n’ont qu’un de Chabrol.
attrait relatif, limité 4 la mémoire esthétique. Je crois que les acteurs changent peu. Leur technique peut se modifier.
10. Quand on dit que le cinéma francais est mauvais. J’ai alors un Certains ont une grande technique, d’autres une vraie nature, d’autres
sentiment trés fort d’injustice. Et aussit6t d’appartenance. une grande personnalité, d’autres encore les trois qualités a la fois.
411. Avec la partie bressonienne de Renoir. Avec Rouch, qui est un Mais ils sont fondamentalement les mémes en 1930 et en 1980.
peu le Griffith de la Nouvelle Vague. (Et je n’oublie pas que sans Ja Aujourd’hui on fait plus souvent appel 4 des inconnus, a des gens qui
Nouvelle Vague, je n’aurais peut-étre pas pu tourner de films, telle- n’ont jamais joué. Il y a une plus grande variété d’acteurs, mais avec
ment le cinéma francais était verrouillé, ce qui a l’air de recommencer, beaucoup moins de caractérisation. C’est la société qui veut ce nivelle-
maintenant que 68 aussi s’éloigne... Ce n’est plus aux rideaux qu’on ment, dans son ensemble. Les acteurs, eux, n’ont aucune raison de
s’accroche aujourd’hui). Et avec Franju. chercher un typage qui serait cinéphilique, nostalgique et irréaliste.
12. Non. Je fais jouer Jean-Christophe Bouvet 4 ma place. II est C’est aux réalisateurs 4 tenir compte de ce fait et 4 trouver des élé-
meilleur acteur que moi et il me représente trés bien. ments de réponse.
13. Le cadre, la couleur, le montage, le mixage, mais surtout les

RENE FERET

4. Je fais du cinéma depuis 7 ans. 2. Je n’ai pas appris le métier de cinéaste, en tout cas pas avant de
Je suis beaucoup moins matheu- tourner pour la premiére fois. .
reux depuis que je fais du cinéma. Avant j’étais acteur de théatre.
Je fais aussi de la production de La caméra a été plus pour moi une libération qu’une difficulté. Tout
films. ce que tu as dans ta téte, il est possible de Pinscrire si tu as de bons
Quand je tourne, je suis parfaite- appareils et de bons ingénieurs qui te comprennent.
ment heureux, j’éprouve de la joie, 3. Non.
un mélange de peurs et de 4. Jusqu’a présent oui. J’en ai mesuré certaines limites et je vais réa-
satisfactions. liser un prochain film dont je n’ai pas écrit le sujet.
Quand je produis, je sais que j’agis Je vais dorénavant travailler avec une scénariste, Mathilde Péan.
pour faire éprouver cette joie a 5. Dans le cadre de la distribution commerciale cinématographique
autres qu’a moi. et télévisuelle, parfois je Patteins, parfois non.
Vai 100 millions de dettes. J’ai 6. Jen’ai personnellement pas a me plaindre de la critique frangaise.
essuyé des échecs et des réussites. Elle m’a toujours considérablement soutenu.
Dans tous les cas je suis resté heu- Je n’ai pas suivi suffisamment les compte-rendus de chaque film fran-
reux de perdre ma vie pour faire du cais depuis dix ans pour répondre correctement a votre question.
cinéma. 7.
106 20 QUESTIONS AUX CINEASTES
8. Ce qui se prépare pour la prochaine décennie. 17. Des films que je vais parfois voir, dont la technique et le jeu des
Le changement fondamental de ta distribution par les prochaines tech- acteurs me passionnent, dont les moyens financiers liés aux possibili-
niques de vidéodisques et de vidéocassettes. tés de rentabilité me font baver d’envie.
La profession va complétement se réorganiser et les créateurs doivent 18. Je ne fais pas de télévision.
renforcer Jeur position sur le marché. La différence fondamentale entre cinéma et télévision c’est deux a
trois minutes utiles 4 tourner par jour au cinéma contre cing a six
minutes utiles par jour a la télévision. Le résultat s’en ressent nécessai-
44. Avec Je cinéma que j'aime. rement. Les télévisions ne sont pas encore propices A une création
12. J’ai joué parfois. Cela ne m’arrivera plus. vivante, originale et de qualité.
13. Tous les domaines techniques du cinéma me stimulent dans la Cela dit mieux vaux avoir du talent et faire de la télévision que d’étre
mesure ow ils participent 4 la matérialisation de mon projet. un mauvais cinéaste.
19. Le prochain bien sfir,
ment le reste du monde. 20. Les acteurs sont excellents.
Ici encore c’est le probléme de la distribution qui est posé. Il y a cependant un retour forcené au principe du box office qui risque
15. Tout ce qui n’est pas d’ordre journalistique est difficile 4 impo- de réduire considérablement la création.
ser dans le cinéma francais actuel. Mais les acteurs sont bons, les connus et les inconnus.
16. Sirement mais je ne m’en rends pas compte.

GERARD GUERIN

1. Je ne suis jamais heureux du j'ai une grande admiration.


temps qui passe, qui s’écoule sans 12. Non. « No comment ! ».
me demander mon avis, au cinéma 13. Oui, le son. Un film s’apparente beaucoup plus ala composition
comme autre part. Il y a une satis- orchestrale qu’a une ceuvre littéraire. Un projet de film n’existe finale-
faction avec le temps : c’est quand ment que par un scénario, par l’écriture. En fait, il ne devrait pas étre
je me bats contre lui, directement, lu, mais entendu,
en montant une séquence. 14. Oui, sans aucun doute, Quel que soit le pays. Ce n’est pas parti-
2. 8 jours de plateau, 8 jours de culier 4 Ia France. « Puisse » 2? Oui. « Peut » ? C’est toute la diffé-
montage, et le reste, les gens. Le rence. Quant 4 « pouvoir » : on est alors lié au pouvoir économique.
temps qui passe. Plus on est conscient d’une identité, plus on a de chances d’étre
3. Non. La conformité, c’est le entendu. Maintenant, il se passe plutét le contraire mais ¢a risque
cancer. peut-étre de changer. Au niveau des possibilités culturelles, il n’y a pas
4. Oui, entigrement, nuit et jour. de raison qu’un sujet ne plaise pas 4 un autre pays mais il y a une con-
§. Je ne crois pas. Il y a un pro- trainte économique.
bléme d*économie et de distribution qui fait qu’il y a peu d’auteurs qui 15. Ilya une grande difficulté pour les auteurs francais a faire des
atteignent leur public. II y aurait un procés a faire de [a distribution. sujets véritablement contemporains, a traiter de I’histoire immeédiate,
6. Cen’est pas une affaire d’étre juste ou injuste. On pourrait plutét des institutions, sans qu’il y ait caricature, Est-ce qu’on peut faire du
parler de dynamisme ou il me semble plus facile de trouver des réfé- Wiseman en France ? Quand on l’aborde d’une maniére différente
rences. La aussi la critique a suivi la tendance générale de la culture. I! — comme Nicolas Philibert et Gérard Mordillat sur La Voix de son
y a une perte de curiosité depuis 68. Ce n’est pas un hasard non plus, maitre, La seule institution qui, 4 un moment, donnait la possibilité de
ce n’est pas une idée en l’air, mais c’est bien lié 4 un probléme écono- faire des sujets d’histoire immédiate en permettant aux gens de
Mique. s’exprimer, c’était PI.N.A,, il y a trois ans, qui est maintenant sur les
7. Le Chagrin et la pitié. genoux. Il y a eu de grands sujets abordés qui ont été interdits a la télé
8. Finalement, i! n’y a rien de marquant, rien ne se passe. Et ona comme : Qu’est-ce qu’elles veulent ? de Coline Serreau, qui a été un
Vimpression que si le cinéma continue, c’est un miracle permanent. grand moment de cinéma. Les institutions et histoire immédiate sont
9. J’espére le moins possible parce que je suis un trés mauvais ciné- des sujets que le pouvoir ne supporterait pas. Il y a aussi, chez les
phile. Je vois peu de films et j’aime bien revoir toujours les mémes, en cinéastes, une auto-censure, une acceptation, culturelle en fait ; ca
profondeur, pour savoir 4 quel niveau j’évolue par rapport 4 eux. vient d’une éducation, d’une habitude, d’un respect monarchique.
C’est un peu comme un miroir, ¢a me permet d’avoir des références 16. Certainement, mais je ne sais pas lesquelles encore. Il y a des
par rapport a une chose qui est stable. Je trouve ca formidable. C’est cinégastes qui ne filment que ce qu’ils connaissent bien et d’autres qui
comme un livre que tu lis d’abord 4 15 ans, que iu relis 4 25 puis 4 35, filment pour apprendre, Je serai plutét de la seconde catégorie. Filmer
¢a te permet d’avoir un apprentissage de toi-méme qui me semble trés est pour moi une raison d’apprendre quelque chose. Wiseman disait
important pour un auteur. Je préfére utiliser le cinéma comme la pein- que le montage d’un film est achevé quand tout ce qu’il a appris y est
ture, comme fa littérature, non pas comme une chose a accumuler contenu. Pour moi, c’est la méme chose. J’aborde un sujet parce que
— je sais que je n’aurai jamais le temps de lire tous les livres, de voir j’ai un besoin de le connaitre.
tous les films — mais plutét comme une référence par rapport a moi- 17. Un musée. Un musée intéressant. Je vais le voir comme je vais
méme. Je suis exactement inverse d’un cinéphile. au Louvre. J’y prends de ]’intérét, de la méme facon. A l’intérieur de
10. Quand on subit la dictature du cinéma américain, ou plutét de la ce cinéma américain, des productions courantes, il y a des choses
culture américaine, Et c’est lié, 14 aussi, A une dictature économique, admirables, des exceptions. En profondeur, ¢a m’arrive une fois tous
trés forte. Je ne suis pas contre le cinéma américain. Il n’est pas mau- les 3 ou 4 ans. Par exemple, je me souviens de ce film absolument pas-
vais 4 ce niveau-la. II ne faut pas jeter l’eau et le bébé 4 la fois. D’une sionnant, V’histoire d’un pianiste schizophréne, Fingers de James
maniére économique, on n’a pas les mémes chances, ce qui fait que, Toback.
dune maniére culturelle, on ne les a pas non plus. La encore, c’est une 418. Quasiment nul.
chose que I’on subit mais il ne faut pas se donner ca comme excuse 19. Le prochain.
pour ne pas bouger. Je ne pleure pas, je constate. C’est tout, Il y a cer- 20. Enormément. Ils ont une exigence trés particuliére, surtout la
tainement une maniére de s’imposer, non pas en l’imitant, mais en jeune génération, qui diminue le pouvoir dictatorial du metteur en
essayant de faire autre chose. Sscéne et c’est une bonne chose. Maintenant, certainement que ¢a ne se
41. Pour les deux véritables auteurs-créateurs d’un langage cinéma- passe pas comme ¢a d’une maniére générale mais, individuellement, ce
tographique et qui ne tournent pas : Tati et Bresson ; pour lesquels désir de participer aux choses me parait excellent.
BENOIT JACQUOT 107

BENOIT JACQUOT

4. Tout a fait. Dela a décider que situation. L’injustice tient 4 ce paradoxe ow la vérité peut trouver son
« cest ce qui me rend heureux compte.
dans le cinéma... ». 7. J’en ai aimé quelques-uns, aucun ne m’a « impressionné ».
2a. Au spectacle des films que 8. Ca ne regarde a peu prés que moi.
jadmire. 9. De moins en moins importante.
b. Trés accessoire, sinon un 10. Entre la fin de l’écriture et le début du tournage.
savoir-faire-avec ceux qui partici- 41. Celle des artistes qui sont des artisans plutdt que l'autre, des
pent 4 la fabrication d’un film et artisans qui s’imaginent artistes.
prétendent, éventuellement, au 412. Moi, non,
savoir-faire ; étre Ll’assistant de 13. La technique en général me stimule contre elle, faute de m*indif-
cinéastes divers m’a beaucoup férer,
appris dans ce sens. 14. Autant dire qu’en [occasion le reste du monde s’appelle Etats-
3. Je ne suis pas pour les adeptes. Unis. Le bruit court que 1a-bas, ils sont friands de « french style ».
4, Oui, mais ca ne leur suffit pas. C'est vague.
5. Tous les films atteignent leur public, plus ou moins directement, 15. Non, mais on pourrait le croire.
dix spectateurs ou des millions. Maudit, c’est un style avant d’étre un 16. De moins en moins,
destin. Quand il n’y a pas un chat, on peut toujours se consoler avec 17. Un vieux milliardaire bien lifté.
Vidée que tant d’années plut tét ou tard, il y aurait eu foule — ce qui 18. Aucun, C’est tout juste le méme métier.
est possible, D’ailleurs, la beauté se moque du succés qu’un cinéaste 19. Faire les films que je veux, quand je veux — méme si ¢a cofte
ne peut mépriser : voila le noeud. cher.
6. Chaque film digne d’intérét récolte sa part d’éloges quelquefois 20. Ils deviennent auteurs, 4 leur tour.
inespérés, tous ces films ensemble inspirent des tableaux sombres de la

CHRISTINE PASCAL

1. Dans l’ensemble, oui. Je dors la plupart du temps médiocres sinon catastrophiques.


9 heures par nuit, je peux voir une 19. Apprendre le plus possible de langues étrangéres.
dizaine de films par semaine (c’est 20. Il y ade moins en moins d’acteurs et de plus en plus de comé-
encore le travail), et quand je tra- diens, Delon est un acteur, quand i] entre dans une piéce ou quand il
vaille, ca me fait plaisir. Je n’ai léve la téte, ¢’est déja du cinéma. On veut nous faire croire que les
jamais le sentiment d’étre en acteurs sont plus intelligents qu’avant, mais c’est une illusion. C’est
vacances. Je dois pourtant Vindigence trop répandue des réles qu’on leur fait jouer qui les con-
reconnaitre que depuis un an envi- traint a douter et 4 questionner un métier qui ne peut s’exercer dans la
ton, je suis préte 4 tourner, mais peur du ridicule et dans l’irruption du sur-moi.
freinée par les conditions
économiques,
2. En regardant les films et en jouant la comédie.
2. (bis). Quel vilain mot !
3. Non. PUBLICATION JUDICIAIRE
4, Oui.
5. Jamais assez. Extrait des Minutes du Greffe du Tribunal de Grande Instance de PARIS.
CONDAMNATION PENALE
6. Juste par hasard, injuste par incompétence, en tout cas rarement Par jugement (contradictoire) en date du 18 février 1980, la 31° Chambre, 1° sec-
en prenant des risques. Mais ca dépend aussi des critiques. tion du Tribunal Correctionnel de Paris a condamné pour PUBLICITE MENSON-
7. La Maman et ia putain et Nurtéro deux, Le Diahle probablement, GERE le sieur CARNE et le sieur VANBELLE pour avoir 1) & Paris, d’avri) 1978 au
28 septembre 1978, effectué une publicité comportant des allégations, indica-
india Song, Sauve qui peut (la vie} (francais ?). tions ou présentations fausses ou de nature 4 induire en erreur sur la portée des
8. Mon dépucelage. engagements de l’annonceur en affirmant faussement dans des annonces publi-
9. 50 % de reconnaissance et 50 % de jalousie, le tout digéré dans la citaires parues dans la presse « VAN BELLE » cinéaste fait fait un film SPEED
plus grande béatitude, pour Sélections Figurants(es) régie Disco-Film, 2) le sieur CARNE, de s‘étre, en
empioyant des manceuvres frauduleuses pour persuader existence de fausses
40. Quand |’Etat francais m’attribue une avance sur recettes, entreprises d'un pouvoir ou d’un crédit imaginaire ou pour faire naitre lespé-
41. Les fréres Lumiére et les fréres Prévert. Et : L’Herbier, Ophuls, rance ou la crainte d‘un succés, d'un accident ou de tout événement chimérique
Renoir, Hiroshima mon amour, les acteurs frangais de la grande épo- en l’espéce en faisant paraitre des annonces publicitaires ainsi tibellées « VAN
que : Gabin, Raimu, Arletty, Berry, Brasseur, Darrieux etc. BELLE » cinéaste fait film SPEED pour Sélections figurants(es) régie Disco-Film
fait remetire des sommes d’argent par MM. JAMSIN, ETIENNE, MARTINIE,
42. Moi aussi. Avec volupté. SUBERCHICGT, RAY, DUBREUCQ, BUREAU, JADOT, CORTHALS, GUERRY,
13. Le scénario. La lumiére. Et tous les domaines quand il s’y pose DEBROIZE, BRUN, MARTIN, LABAUNE, PEREZ, THOMAS, PATAKY, BOUR-
un probléme. DEAUX, THENE, BRAC DE LA FERRIERE, GUETONNY, BLACQ BELAI, ETIENNE,
AMELINE, KOCK, BENET, BOURDON, et d’avoir par ces moyens escroqué la
14. Les histoires de cul et de politique ou, comme dirait l'autre, de totalité ou partie de la fortune d’autrui, le sieur CARNE Henri, né te 24 janvier
travail et de commerce. 1924 @ PARIS 14°, conseiller artistique, demeurant 12, rue du Télégraphe PARIS
15. Le cul et la politique ou, comme dirait l’autre, le travail et le 20° & la peine de TREIZE MOIS d’emprisonnement dont DIX MOIS avec SURSIS
commerce. et mise a ’épreuve pendant TROIS ANS, DEUX MILLE francs d'amende.
Le sieur VANBELLE Jean, né le 2 mars 1939 PARIS 15%, auteur réalisateur de
16. Les larmes de Romy Schneider, les cigares de Dutronc, une films, demeurant 11, rue Abel-Fery PARIS 16¢ 4 la peine de QUATRE MOIS
manifestation CGT, la bonne volonté et la suffisance. d'emprisonnement avec SURSIS et a CING MILLE francs d’amende.
17. Le pire et le meilleur. Le Tribunal a, en outre, ardonné aux frais des condamnés la publication de ce
18. Ce devrait étre la méme chose, ou tout au moins, la télévision jugement par extrait dans FRANCE SOIR et LES CAHIERS DU CINEMA. Pour
extrait conforme délivré par nous, Secrétaire-Greffier soussigné A Monsieur le
devrait pouvoir permettre 4 un cinéaste de faire des gammes, des ten- Procureur de la République, sur sa réquisition. N'Y AYANT APPEL. Vu au Par
tatives. Mais les conditions pratiques de travail a la télévision restent quet. Le Procureur de la République.
108 20 QUESTIONS AUX CINEASTES

MAURICE PIALAT

.4, On pent penser que Francois 8. Hors cinéma je suppose : Ja montée du sud-est asiatique et déja
Truffaut n’a fait du cinéma que son partage.
pour avoir le meilleur emploi du 9. Légére.
temps possible. Est-on heureux de 410. Jamais. On est, on ne se sent pas.
son emploi du temps (comme 41. Lumiére. Pagnol. Renoir.
cinéaste) quand on ne fait rien pen- 12. —
dant si longtemps ou si peu ? 413. Le studio. La dolby.
2. Comme beaucoup, dans les 44. Les histoires de cocus et de IAcheté (occupation).
salles. Ce qui fait qu’en tournant 415. Les sujets avec plus de deux figurants.
son premier film on ne sait rien. 16. Nick’s Movie.
Ca contribue 4 la dégénération du 17. Des Italiens, des Juifs et des effets spéciaux. Pas beaucoup
cinéma, lV Amérique.
3. 7! 18. —
4. A peu prés toujours. A 100 % parfois. 19. La guerre de Vendée. Chronique d’une famille francaise de 36 4
5. « Mon public », je vous renvoie 4 Henri Jeanson. 48,
6. La critique dit de chaque film c’est un chef d’ceuvre, et de 20. Ils achétent des chateaux (les vedeties) et du vin chez Nicolas au
l’ensemble : c’est nul. lieu de vivre, comme avant, comme des fous.
7. L’Hétel de fa plage de Lang.

HUGO SANTIAGO

4. Oui, en ligne générale. J’ai fait 9. Il y a une part, je ne sais pas laquelle.
deux films, j’aurais voulu en faire 40. En 1967 je suis rentré dans mon pays et j’y ai fait deux courts-
encore un, mais pas plus. J’ai aussi métrages et mon premier long-métrage ; en 1970 je suis revenu en
écrit deux scénarios que je compte France et j’y ai fait deux films. Hors la langue, je ne vois pas de diffé-
tourner un jour, et un troisigme rence entre les uns et les autres. Je suis donc maintenant un Argentin
que je vais tourner cette année. exilé qui tourne en France, (mon prochain film, par ailleurs, traite le
2. En voyant des films, et a cété sujet — sauf qu’il ne s’y agit pas d’un cinéaste mais d’un bandonéo-
de Robert Bresson. niste).
Vaccorde une place immense a la 11. Max Linder, Jean Epstein, te L’Herbier de L’Argent, le Cocteau
qualité de la matiére filmique (au théorique, Robert Bresson.
sens de « matiére picturale »). Il 412. Il m’est arrivé d’y apparaitre. J’ai joué le réle du « cinéaste »
faut savoir la faire. dans Les autres.
3. Non. : 413. Oui, tous.
4. Je co-écris tous les scénarios que je tourne, et je suis ’auteur de 44. Sans doute.
mes films, je suppose. 15. J’espére que non.
5. Je ne sais pas quel est mon public. 16. Oui, par exemple singer le prisonnier d’un camp de concentra-
6. Quel critique, et quel cinéma francais ? I] y a eu de tout. tion.
7. Jen dirai sept (par ordre de parution) : Playtime, Othon, Out 17. Rien d’autre que le cinéma américain d’aujourd’ hui.
One, Lancelot, Providence, Le Tour de France de Godard, La Voca- 48. Je n’ai pas fait de télévision, jusqu’a maintenant.
tion suspendue. 19. Deux : Scatash de Bourgogne, écrit avec Jean-Pierre Faye, et La
8. Des guerres, des invasions, des invasions internes, des assassinats, Mise @ nu, écrit avec Danielle Mémoire. Et puis, naturellement, mon
des répressions, des tortures, des famines, des génocides. Je ne saurais prochain film.
pas choisir. 20. Ils changent tout le temps.

BARBET SCHROEDER

4. Trés heureux, car le cinéma a 3. Pas du tout.


permis 4 ma nature compulsive et 4. Je suis auteur du sujet original qui trouve toujours sa source
aventureuse de s’investir totale- dans plusieurs histoires vraies.
ment dans un sujet nouveau tous 5. Sij’ai un public, je ne le connais pas.
les trois ans (au cours des dix der- 6. La critique ne se rend pas toujours compte que la France est Pun
niéres années : le pouvoir, le maso- des pays au monde ot il y a Ie plus de talents vrais ¢t novateurs.
chisme, les primates et l’éducation, 7. Cocorico Monsieur Poulet, La Marquise d’O, La Maman et la
et maintenant Charles Bukowski), putain, Sauve qui peut fa vie. .
Fai eu jusqu’a présent la chance et 8, L’avénement des monopoles de diffusion et de financement des
les difficultés de faire exactement films.
ce que je voulais. 9. Minime mais inévitable car la cinéphilie est l’amour des maitres,
2. En produisant des bons films leurs legons sont tant6t suivies, tantét reniées.
comme un super assistant, en y . 10. Presque jamais. Si peut-étre, quand je parle cinéma avec un
participant intimement depuis la préparation jusqu’a la sortie. Américain.
BARBET SCHROEDER 109
41. La Nouvelle Vague rosseilinienne, Renoir, Pagnol, Lumiére. 16, Non, mais je m’interdis de laisser tourner la caméra si elle doit
12. Je n’en vois pas |’intérét, sauf si un jour je parle de moi comme causer ou enregistrer un crime ou un malheur pour la seule jouissance
Fassbinder dans L’Allemagne en Automne ou comme Luc Moullet du cinéaste.
dans Anatomie d’un rapport. 17. Une machine décadente qui aura bient6t englouti ses derniers
43. Le travail sur le son. créateurs,
14. Des histoires complétement francaises. 19. Mon prochain film.

PASCAL THOMAS

1. Parmi les divertissements qui dite, certains choix de productions et de collaborateurs, par les déci-
nous sont donnés sur terre, réaliser sions finales, je pense étre de ce point de vue l’auteur de mes films. If
des films peut, en effet, compter mest arrivé cependant que la minceur de certains budgets m’ait con-
parmi les distractions qui appor- duit 4 des accomodements qui ont laissé leur marque sur le résultat
tent de la variété 4 nos journées. final.
En ce qui me concerne, cette acti- En ce qui concerne le travail fait en commun avec Roland Duval puis
vité satisfait mon goiit pour les avec Jacques Lourcelles qui ont eu la gentillesse de bien vouloir colla-
gens, elle contente aussi mon goat borer 4 la conception et a l’écriture des scénarios et des dialogues de
du risque et du commerce — Cor- mes films, je dois souligner que leur apport a été essentiel et qu’ils sont
neille ne disait-il pas que le Pun comme l’autre et chacun 4 leur fagon, en partie responsables du
« cinéma » est un domaine ot les ton général de chacun des films auxquels ils ont participé, tant pour
rentes peuvent étre bonnes. Elle invention de scénes, la drGlerie de certains dialogues et organisation
satisfait, enfin, mon goit de la générale des récits. Je ne crois pas me tromper en disant que nous
création. En général, je m’y adonne avec le souci de me faire plaisir, n’avons jamais suivi de méthode particuliére de travail, chaque film
de me divertir et de ne pas ennuyer. Sans perdre de vue que « ¢’est une apportant avec lui la fagon dont il fallait ’aborder. Une fois le choix
étrange enireprise que celle de vouloir faire rire les honnétes gens ». des scénes fixé au cours de discussions préalables, nous nous répartis-
2. Je ne saurais dire. Est-ce aprés le premier essai (Le Poéme de sons leur écriture au gré de notre humeur, de notre bonne forme, ou
Péléve Mikovsky), pendant la réalisation des Zozos, ou plus tard ? de notre fantaisie.
Cela est venu, disons, en marchant. Je n’ai, en effet, répondu a Il nous est arrivé de poursuivre |’échange qui précéde a l’Alaboration
Vappel d’aucune vocation. Et quand bien méme l’aurai-je eue, cette de tout scénario jusqu’au montage, la réalisation de ces films laissant
vocation, j'étais alors absolument ignorant des relais qui m’auraient toujours la possibilité de modifier pendant et aprés le tournage cer-
permis de passer du milieu modeste qui était le mien, au monde fermé tains de leurs éléments.
et inacessible du cinéma. Ii aura fallu la nécessité de gagner ma vie trés Pour ceux qui seront intéressés par les différences qui existent entre
jeune, une série de rencontres et de hasards heureux, une sorte d’ingé- ces deux collaborations, on pourra noter que les films faits avec
nuité et d’indifférence 4 tout ce qui peut constituer une carriére, bien Roland Duval (Les Zozos, Pleure pas la bouche pleine) sont plus
des détours, pour me retrouver cinéaste du jour au lendemain. J’ai été linéaires, plus contemplatifs ; ceux faits avec Jacques Lourcelles
en quelque sorte et sans rien demander, pris en charge. D’abord par (Chaud lapin, Confidences pour confidences, Celles qu’on n’a pas
Claude et Anne-Marie Berri, que j’amusais, et pour qui je réalisais Le eves dont il a écrit seul scénario et dialogues) comportent une intrigue
Poéme de I’éleve Mikovsky ; puis par Albina du Boisrouvray, alors plus foisonnante. Les premiers appartiennent 4 la chronique de
dans ses débuts de productrice et que je trouvais fort sympathique moeurs, les suivants 4 la comédie de caractéres, L’un, Duval,
mais dont l’enthousiasme me paraissait un peu excessif, et ceci a tel s’accorde a ma tendance 4 ]a contemplation et 4 mon désir d’enracine-
point que je me souviens lui avoir proposé de revenir, si elle le désirait, ment, l’autre, Lourcelles, 2 mon goit du mouvement, du nombre, de
sur sa décision de produire ce qui allait devenir Les Zozos. I] me sem- la fantaisie et des petites drdleries.
blait alors étre le seul a tre conscient du cété marginal, dans sa con- Nous avons en commun Ia certitude que « c’est une étrange entreprise
ception, de cette production : le théme n’était pas a la mode, il n’y que celle de vouloir faire rire les honnétes gens ».
aurait pratiquement aucun comédien professionnel, le style narratif S. Un certain nombre de spectateurs sont venus voir mes films, par-
serait sans effet, le budget était limité, je n’avais que vingt-cing minu- fois. Et j’ai pu constater combien « ¢’était une étrange entreprise... ».
tes de film 4 mon actif et ce qui m’intéressait surtout était de fixer sur 6. La premiére réflexion qui vous vient 4 esprit est qu’elle n’est cer-
Pécran l’ordre unique de certains paysages du Poitou, une société tainement pas la dépositaire de Ja grande tradition critique du
familiére aux moeurs somme toute assez paisibles et en voie de dispari- XIX siécle. La seconde est qu’elle manque d’originaux, de gens cal-
tion, des adolescents assez gais dans le fond, ceci sur un ton amusé et mes, pragmatiques et détachés, qui feraient de la critique une causerie
souriant, débarrassé de tout le romantisme qui est d’usage quand on pleine @’intuition, d’équilibre et de variété. La troisiéme enfin, est que
se penche sur cet Age-la, bref, rien ne pouvait faire dire que l’entre- par son uniformité, elle répond désormais et plus souvent a cette défi-
prise recélait les éléments du succés. La fortune de ces zozos fut telle nition de Ja bétise que dennait un écrivain contemporain : « Avoir les
que j’ai alars pu penser poursuivre cette activité de cinéaste. Je ne leur idées de tout le monde & une époque donnée ».
donnais jamais de suite, bien qu’on me le demanda et qu’on 1’écrivit. On ne cesse d’ailleurs d’étre surpris de constater combien la critique
Tout en restant dans le domaine difficile dela comédie de mveurs et de du public et celle du cingphile semblent toujours plus singuliéres, plus
la comédie de caractéres, j’ai toujours tenté de m’ouvrir a de nouvelles justes, originales, et plus proches des films, que celles des critiques
voies. Jamais je n’ai utilisé deux fois une position acquise, ni sollicicé « de profession ». Est-ce que ces derniers — dans leur grande majo-
Paide d’une grande vedette, d’un roman ou d’un genre a succés. Qui rité — auraient perdu de vue que Ja définition méme de Ja critique est
la remarqué ? Vart de découvrir et l’art d’aimer, amours que le cinéphile et le public
Quant au savoir-faire, il n’est rien sans style, l’enchantement d’une possédent encore. On me dira que tout critique, tout spectateur, a le
voix, la grace de l’expression. Et il n’en reste pas moins, j’ai pu le droit de disposer de l’ceuvre, encore doit-il, ne pas perdre de vie ce
découvrir en cours de route, que « c’est une étrange entreprise que que l’auteur a proposé ou s’est proposé. Or, on a impression, a lire
celle de vouloir faire rire les honnétes gens ». tout ce qui s’écrit sur les films que chacun dit plutét ce qu’il a révé, a
3. Pai la certitude qu'il faut suivre son plaisir, son bon plaisir, en de la difficulté A admettre la co-existence de plusieurs genres, se
espérant qu’il rejoindra celui du public, car, « c’est une étrange référe, quand il en est capable, systématiquement 4 une discipline
entreprise,.. ». d’analyse ou a une théorie au lieu de passer de Pune a lautre avec
4. Ayant toujours été a l’origine de mes propres films par le choix éclectisme.
des sujets, des acteurs et des lieux, par la mise en scéne proprement Il ne s’agit pas de savoir si la critique a été juste ou injuste envers le
110 20 QUESTIONS AUX CINEASTES
cinéma francais, mais de constater que son statut a changé. Au’ bunta gronde », les Zozos vont voir La Flibustiére des Antilles, une
moment oi elle voyait sa tache facilitée, entre autre par le nombre jeune fille hurle : « Tu me tues, tu me fais du bien » (quel film ?) au
d’interviews oi les metteurs en scéne se livraient, 4 chaque film, a cours d’une scéne de lit dans Celles qu’on n’a pas eves, des affiches de
Vauto-critique ou a l’auto-analyse, la critique a abandonné son réle nos films préférés sont réparties ca et 1a dans les piéces et sur les murs.
qui est : - 410. Au moment od se décide le budget du film et quand je lis les cri-
— d’avoir une attitude différente 4 chaque film (on ne doit pas parler tiques francais sur les films francais.
de la m&me facon d’une comédie, d’un reportage, etc.) ; 44. N’ayant fait que huit films, il m’est difficile de citer des cinéastes
— dévaluer les ceuvres les unes par rapport aux autres, par rapport que j’aime pour m’y référer.
aux ceuvres d’un méme auteur et par rapport au projet initial et aux 12. Sij’ai joué dans mes propres films, ¢’était pour éviter un cachet
conditions qui ont donné forme au film. a la production.
Pour ma part et pour conclure, je ne surprendrai personne lorsque 13. Ne cherchant pas comme V’écrivait Mourtlet avec justesse « @
j’aurai fait remarquer qu’il suffit de voir les visages déformés par ajouter un chapitre de plus a Vhistoire de Part des déformations plasti-
Vennui des critiques entrant en projection, pour étre persuadé que ques », je m’en suis tenu depuis le début 4 deux principes :
c’est bien « une étrange entreprise que celle de vouloir faire rire les a) la caméra doit étre placée ]4 of le spectateur peut le mieux voir ce
honnétes gens... » surtout quand ils ont cette téte-la. qui se passe ;
7. Je ne sais pas ce qu’il faut admirer mais il ne se passe pas une b) quand un acteur se déplace, on l’accompagne, quand il s’arréte, on
semaine au cours de ma carriére de spectateur oti je ne rencontre un s’arréte, Voila pour les mouvements de caméra.
film, voire un fragment ou une tendance, parfois un cinéaste qui solli- 44. Posons le probléme a l’envers. Comment le reste du monde
cite mon enthousiasme. En dehors de films vraiment ennuyeux par peut-il étre informé de nos propres films ?
leur prétention ou leur sériewx, rares sont ceux qui me laissent 15. Certainement. Pour le domaine qui m’intéresse et dans lequel je
indifférent. persiste, celui de la comédie, celle-ci faute d’acteurs ayant le relief des
& 1. comédiens frangais de jadis, et faute de moyens, sera de plus en plus
9. Je préfére étre cinéphile quand je vais au cinéma plutét que quand difficile a réussir. Elle va méme devenir inabordable, car si « c’est une
je suis sur un plateau. Ce qui ne nous empéche pas de mettre, de temps étrange entreprise que celle de faire rire les honnétes gens », cen est
en temps, quelques petites allusions, que vos lecteurs, s’ils ont vu mes encore une plus improbable 4 une époque aussi triste que la nétre.
films, doivent reconnaitre au passage. Ainsi, Menez hurle : « Géro- 16. Je n’ai jamais filmé un personnage qui dit : « je t'aime » d un
nimo ! » dans Le Chaud lapin, Darry Cowl, cite : « Quand la Mara- autre.

MAURICE DUGOWSON

2. D’abord 4 la Cinémathéque en C’est assorti d’une sorte de mépris pour le cinéma francais dont on se
voyant des films, puis sur le tas, plat 4 clamer qu’il n’a jamais été aussi bas, & quelques rares excep-
d@abord comme assistant, ensuite tions prés. I semble qu’il y ait eu divorce total entre la critique fran-
pendant buit ans comme réalisa- gaise et le cinéma francais. Quand j’ai lu sous Ja plume d’un critique
teur a la télévision, en abordant d@’un grand hebdomadaire 4 propos d’un film que je n’ai pas vu, mais
tous les genres possibles : docu- peu importe sa qualité : « nul et francais ! », oa m’a semblé résumer
mentaires, variétés, grands repor- assez bien la pitire estime dans laquelle nos critiques nous tiennent. Ce
tages A travers le monde, fictions, qui fait qu’on a bien souvent le sentiment que les critiques écrivent
etc., en direct, en vidéo ou en film. dans une tranquille et navrante irresponsabilité.
Expérience inestimable car multi- 7. Difficile de répondre par un seul titre. Je pourrais dire Pierrot te
ple. Mais on continue d’apprendre fou de Godard, mais aussi Une Fille unique de Philippe Nahoun
de film en film. parce que c’est un étonnant premier film.
3. Surtout pas de modeéles ni de 8. Peut-étre la rupture de Ia gauche en 78.
régles. 14. Le cinéma de Jean Renoir.
4. Jusqu’a présent oui, en colla- 412. Non.
boration. 14. Plus que des histoires une maniére d’étre, de vivre.
5. Comment le savoir ? 17. Une mine d’acteurs étonnants. Quelques réalisateurs passion-
6. Le probiéme de la critique est nants : Cassavetes, Altman et quelques autres.
complexe. Certains critiques fran- 18. L’idéal serait certainement d’alterner reportages pour la télévi-
cais font un travail exceptionnel en faveur des cinémas étrangers, pout sion et films de fiction au cinéma, l’un enrichissant l’autre.
Jes découvrir, les faire connaitre et nous en sommes les premiers ravis.

PATRICK GRANDPERRET

1. Onest complétement maitre de cinéma (avant, je travaillais dans l’industrie), j’ai été photographe de
son emploi du temps quand on fait plateau, puis deuxiéme assistant, puis premier assistant (avec Goretta,
du cinéma. pendant le tournage, Nadine et Jean-Louis Trintignant, Pialat et Faraldo).
on est soumis 4 des contraintes trés 3. Iln’yarien dans le cinéma frangais 4 quoi j’ai envie de me confor-
rigoureuses et puis, pendant de mer en ce moment. Pas un auteur, pas un film, rien.
longues périodes, on est le majitre 4. Je suis auteur de mes films. Il y aura peut-étre des possibilités
de son temps : on peut décider de d@adaptation mais a priori, je pense que le sujet doit étre original. Ca
ne pas se lever, de ne pas travailler,
Celemenski)

peut étre le sujet de film écrit par un autre, mais pas a partir d’un bou-
de ne rien faire... Je suis content quin. En ce moment je travaille avec Nico Papatakis, on développe
de cette liberté mais en méme une idée de film qu’il a : je serai le co-auteur. Mais je n’envisage pas
temps j’aimerais bien entrer dans l’adaptation pure et simple d’un bouquin ou alors ce serait pour des
une phase of je pourrais tourner raisons alimentaires.
(phote Michel

plus réguli¢rement. §. Pour le seul film que j’ai fait (Court-cirucuits), je n’ai absolument
2. Je n’ai pas fait d’école, je ne pas atteint mon public. Ce n’est pas la faute du distributeur qui a fait
suis pas du tout cinéphile. A ving- son travail, c’est qu’il y a eu un petit malentendu : on a présenté le
huit ans, Pai voulu apprendre le film comme un film sur [a moto alors que [es motards ne l’aiment pas
PATRICK GRANDPERRET 111
du tout parce qu’il n’y a que trois minutes de moto dedans ; et les gens culiéres et ces choses peuvent trés bien se raconter au reste du
qui n’aiment pas la moto n’ont pas été voir le film. Et puis je me suis monde... Des fois ca me géne qu’on racoute des histoires confinées
rendu compte que c’était un film qui n’était pas bien regu. Je crois dans un petit milieu parisien, bourgeois ou provincial... On culpabi-~
qu’il y a des gens que ce public pourrait intéresser mais ils ne Pont pas lise presque... Alors qu’il y a de grandes histoires 4 raconter, univer-
vu. Il n’y a eu que 10 000 spectateurs, (a ne veut pas dire que le film selles, des témoignages, des messages... Je prends le film de Claire
n’a pas de défauts mais j’espére que le public grandira et que petit a Clouzot (je ne l’ai pas encore vu) mais ¢a, ca me semble un sujet inin-
petit les gens pourront aimer ce film, Pour le moment il y a trop de téressant. A priori le sujet m’agresse. Dans le cinéma francais on doit
manques dans ce film pour qu’il puisse atteindre un large public. pouvoir raconter des histoires plus universelles. D’autant plus qu’il est
6. Pour moi il y a deux genres de critiques. [1 y a des critiques vrai- presque dans une position d’arbitre entre les grandes forces du monde
ment intéressantes que je découvre (parce que je ne les lisais pas} dans actuel... Et puis surtout parce qu’il y a beanconp de possibilités dans
des jounaux commes les Cahiers ou le Cinématographe. Mais tes cri- ce pays pour faire des films, ca me semble assez ouvert et assez facile,
tiques des quotidiens ou des grands magazines me semblent complete- c’est une grande force, cette liberté de sujets et de manceuvre.
ment injustes : non seulement injustes mais inintéressantes. 15. Non, je ne vois pas quelles seraient les contraintes qui feraient
7. J'ai vu Les Patres du désordre de Papatakis et ca m’a beaucoup qu’il y a des sujets qu’on ne pourrait pas aborder en France, sinon des
impressionné, C’est un film ov il y a une tragédie et des cassures dans auto-contraintes. La seule limite, c’est l’imagination des cinéastes.
cette tragédie, des moments comiques qui la renforcent. C’est un film 46. En ce qui concerne la fiction, on peut tout raconter. Si on com-
sérieux mais qui ne se prend pas au sérieux, C’est avoir la maitrise mence a raconter une histoire et puis qu’on se dit : ca va étre trop hor-
totale de Ja tragédie que de se permettre a certains moments la rible, il faut y aller 4 fond, c’est qu’on touche quelque chose de vrai.
dérision. Dans la fiction if faut aller a fond dans ce qu’on s’interdit. Pour moi,
8. Iln’y a pas un événement marquant mais au moins vingt-cing |... ¢a va sembler hypocrite, il n’y a que des choses documentaires, réelles
En ce qui me concerne, ¢a fait huit ans que je fais du cinéma, huit ans qui me semblent difficiles 4 filmer. Parce que c’est dur de témoigner et
que j’ai en comme une illumination, une révélation et que toute mon de ne pas s’engager. On me dira que le témoignage c’est déja de
énergie est passée dans le cinéma, alors qu’avant elle se dispersait. Vengagement. Mais ca me parait difficile, les grands reportages et tout
C’est ca, pour moi, l’événement. ca. On dit : c’est insoutenable, etc. Mais en fait pas du tout, c’est ca
9. Je ne vais malheureusemment pas beaucoup au cinéma. D’abord qui fait vendre, cette espéce d’horreur et de complaisance 4 montrer.
parce que c’est cher et que je ne me débrouille pas bien pour étre dans Alors que dans la fiction, on peut tout montrer ou tout suggérer, ce
les projections privées. Souvent j’ai le temps mais j’ai pas les ronds. Je qui est toujours plus fort.
ne suis pas du tout cinéphile. 17. Pour moi il y a des bons films dans le cinéma américain. Je n’ai
10. Je ne me sens pas du tout un cinéaste francais. pas vu Apocalypse mais j’aime bien La Conversation de Coppola.
11. Je me sens beaucoup de sympathie avec ce que fait Pialat que je Mais il y a quelqu’un que je trouve complétement bidon, c’et Scor-
connais et qui est quelqu’un que j’aime beaucoup. C'est quelqu’un de sese, New Yord New York c’est bien trois, quatre semaines puis c’est
trés généreux.., Et puis j’ai aussi de la sympathie pour Faraldo et pour insoutenable, Raging Bull est un film complétement a effets. Schra-
ce qu’il fait (pas tellement pour son dernier film, que j’ai produit, der, c’est pareil... C’est de la poudre aux yeux. En ce moment, pour le
mais pour Themroc), Mais surtout Maurice... cinéma américain, je n’ai ni fascination, ni admiration.
12. J’ai joué dans le premier film. Peu de gens me reconnaissent 18. Jen’ai pas travaillé a Ja télévision. De toutes facons, ce n’est pas
d’ailleurs, je fais celui qui se fait casser la gueule : ca dure a peu prés le méme langage. J’ai vu des téléfilms récents, des Chabrol, etc., c’est
trente secondes et je ne voulais pas payer cent sacs pour un cascadeur pas de la télévision et c’est des mauvais films aussi. Ce n’est pas du
et puis c’est difficile de demander a quelqu’un de se faire taper dessus, tout le langage télévisuel. On devrait, en fiction, pouvoir faire des
de faire plusieurs prises, etc, Je voulais absolument que ce soit vrai + chases aussi fortes a la télé que dans les documentaires et les actualités
ca m’était plus facile de me faire casser la téte que de demander a télévisées. Tandis que la, les téléfilms, c’est d’une lenteur... c’est vrai-
quelqu’un, ment du sous-cinéma.
43. Je me suis toujours beaucoup intéressé 4 Ja caméra, au son et au 419. Mon projet le plus cher serait d’avoir un emploi du temps dont
montage. J’ai fait des films comme assistant monteur. J’ai fait une je sois heureux.
partie de mon film au cadre et j’aimerais recommencer. J’ai méme 20. Les acteurs au cinéma, c’est dréle, je n’y crois pas tellement. On
pensé que ca pourrait étre un deuxiéme métier. J’ai envie, entre des peut changer tellement de choses a l’acteur avec le montage } Le jeu
longs métrages, de faire des documentaires ow je ferais presque tout des acteurs a changé, comme le reste, comme la mise en scéne, etc.
moi-méme, C’est la fagon de travailler qui change, pas les gens.
14. Dans le cinéma frangais il y a certainement des choses trés parti- (Propos recueillis au magnétophone).

JEAN-FRANGOIS STEVENIN
1. Je suis apergu que je ne fais 2. J’ai appris mon métier de cinéaste comme dans un réve. Aprés
rien d’autre que du cinéma, méme avoir cherché trés longtemps un stage je me suis effectivement
si je fais peu de films. Je ne vis retrouvé stagiaire, a aller chercher les sandwiches pour une vedette, a
qu’en état de cinéma. Par exemple, crier silence, etc. Et puis toute la gamme d’assistants. Done apprentis-
j’ai fait un stage de moto et j’ai été sage, comme ca, sur le tas.
surpris par les comportements des Quelle place accorder au savoir-faire ? Tout au début, quand j’étais
gens de tous Ages et de toutes con- stagiaire sur La Siréne du Mississippi, j’essayais de faire bien. Quand
ditions saciales qui étaient dans ce’ Péquipe partait bouffer, je faisais des petits dessins sur comment ca
stage qui, pour une fois, n’avait s*était passé, les mouvements de caméra, les phrases du dialogue, etc.
aucun rapport avec le cinéma. Je Et puis Truffaut, sans aucun paternalisme d’ailleurs, m’a vu un jour
me suis apergu que c’était la pre- faire ca et il m’a dit : attention, c’est mal parti, parce que, vous savez,
miére fois que j’étais embringué quand j’arrive le matin, je ne sais pas du tout ce qu’on va faire, c’est
dans quelque chose qui n’avait pas que j’attende que le génie arrive mais je vois que la caméra la ne
aucun rapport avec le cinéma passe pas par cette porte alors que je croyais que si... Ce qui compte
depuis douze ans ! Moi je ne fais a i ¢’est l’utilisation des contraintes. Et j’ai trouvé qu’il avait raison, que
d’ailleurs pas grand chose (je vois trés peu de films, jej ne lis pas) mais c’était vrai, qu’il y a un extraordinaire mélange de contraintes qui fait
je vis dans une espéce de facon cinéma. Ca date d’ailleurs de beaucoup que chaque jour il faut arriver a tirer le film, ce que moi je vis d’une
plus longtemps : quand j’étais gosse, on allait se balader dans les fagon totalement physique. Faire un film, c’est arriver 4 focaliser son
foréts et quand la journée d’aventure commengait : on disait : ca, énergie sur un long parcours — préparation, production, jusqu’a la
¢’est le générigne : jl y en a un qui faisait Ja musigue, etc. J’avais huit, finition — et il y a uniquement un probléme de souffle. Le métier de
neuf, dix ans... cinéaste, c’est comment arriver a récupérer de l’énergie, comment
112 20 QUESTIONS AUX CINEASTES
arriver a distribuer son énergie sur chaque corps professionnel et com- ment, grace au cinéma, avait retrouvé sa patrie américaine. Et une fois
ment faire pour que tout ¢a respire ensemble, que le souffle passe 4 que j’ai été immergé la-dedans, que j’ai vu Bob Rafelson viré du pla-
Vécran. teau de Brubaker, que j’ai assisté 4 tout un tas de combats d’une
3. J’ai pas impression qu’il faille se conformer A un modéle. J’ai apreté séche, qui me dépassaient complétement, je me suis senti com-
quand méme l’impression que tous les films qui finissent par avoir une plétement de la pointe de I’Europe, je me suis senti mi-sicilien, mi-
histoire mettent en scéne des hommes et des femmes et tes problémes allemand, mi-suisse, francais, le bout de la vieille Burope. Il a fallu
qu’ils peuvent avoir ensemble et que si on sort de ¢a, ca risque de ne que j’arrive dans le grand désert américain pour sentir qu’effective-
pas marcher du tout. C’est-a-dire que, comme par hasard, Martin et ment je venais d’ailleurs.
Léa de Cavalier, ga marche et Le Plein de super, ca ne marche pas. It 41. Alors 14, aucune idée.
faut qu’il y ait cette bonne vieifle triangulation. Sinon, pas de 42. Oui je joue dans mon film et j’en prépare un autre oti je jouerai
modéle... Je suis sfir que ca vient des scénarios. On mythifie tout ce aussi. Il y a quelqu’un qui m’a toujours branché, c’est John Cassave-
qui se passe en Amérique, mais moi je suis stir que Taxi Driver, on tes. Non seulement 4 cause du contenu, mais A cause des difficultés
- pouvait avoir cette idée 14 en France. C’est tout 4 fait possible d’avoir que j’imaginais qu’il avait 4 faire ses films et de la double vie que ca
je gros Depardieu dans une 504 Diesel aux portes de Paris et qui fre- devait lui faire : de jouer et de conduire une voiture dans un film de
donne, etc. Ce qui m’a le plus frappé, c'est The Deer Hunter : aprés Don Siegel et en méme temps de faire ses films a lui, si personnels, en
trois mois d’ Amérique, j’ai pensé que si j’avais pris les mecs de Passe- se cachant presque. Cassavetes c’est comme Celine pour moi, c’est des
montagne dans une petite ville qui fabrique des lunettes ou n’importe choses qui portent une énergie formidable. Quand j’ai l’impression
quoi, qui se trouvent dans le djebel embarqués avec des hélicoptéres, d’étre un peu dans Vincertain, quand je touche le fond ; ca me fait
des paras et tout le merdier, et qui reviennent au pays avec la chasse, la rebondir trés haut. C’est plus une idée de production de jouer dans
neige, etc. On pouvait faire Deer Hunter en France. Je ne crois pas son film qu’autre chose... Ca compense le manque d’argent aussi
que la production favorise des films avec un certain contenu, c’est parce que tu est plus vulnérable, on t’écoute plus parce que tu es de
qu’on ne propose pas ces sujets la, en tous cas pas avec assez de Pautre cété. Et en méme temps c’est plus le droit divin parce que si tu
conviction. décides de choisir une prise, c’est toi qui décides alors que tu ne t’es
4. Jen’en ai fait qu’un mais je crois bien, oui. J’ai joué dedans, ca pas vu.
s’est tourné dans mon pays et surtout j’ai transformé en acteurs des 413. Il y a beaucoup de domaines qui me stimulent. Tout ce qui est
gens qui ne l’étaient pas, pas pour essayer de leur voler quelque chose cadre, les iravellings me stimulent, la partie montage et surtout le
mais pour qu’ils jouent vraiment comme des acteurs avec un texte. montage son, c’est-a-dire cet entonnoir, cette aspiration vers le haut
Oui, j’ai vraiment V’impression d’étre l’auteur. Juste un petit détail : comme ¢a..Grace au travail du son et du mixage, d’un seul coup, le
quand on a fait le report optique de Passe-montagne, j’étais tellement film décolle et ca ga me stimule énormément parce que je suis absolu-
énervé que ce soit fini aprés un an de montage que je me suis mis le dos ment persuadé que cet espéce de travail de synthése plus ou moins
4 VPécran pendant que le film était projeté en auditorium pour vérifier conscient sur tous fes éléments d’un film sonore font que la, on touche
la bande mono et j’ai réussi 4 mimer tout le film. Pas seulement le au miracle.
texte parce que je faisais ¢a avec les mains aussi, les sons, les brutits, 14. Peut-étre qu’elle les raconte mais qu’on est trop dedans pour le
j’anticipais les sons qui allaient arriver (il y avait quatorze pistes !) voir, Quand on revoit un vieux film avec Gabin, nous on est branché
Alors 1a, je le sentais, j’ai mimé tout le film, Je film me sortait par la sur Gabin mais peut-étre qu’eux ca leur fait autre chose, qu’ils font
peau comme un chef d’orchestre ! C’était deux heures inoubliables ; une autre lecture. Je suis un peu perplexe parce que je n’ai pas d’exem-
aprés on est allé boire un pot et c’était fini. ple, mais je crois que le cinéma frangais peut raconter toutes les
5. Non, pas vraiment. Probléme éternel de la diffusion qui fait ce histoires.
qu’elle peut mais qui est toujours inadéquate surtout pour ce genre de 415. Tout est abordable. Les gens ne jugent que quand le film est ter-
films. Les gens qui aiment mon film sont des gens assez secrets qui miné, Pour arriver 4 le terminer, i] faut arriver 4 le produire, donc cer-
aiment bien étre emmenés par la main dans des pays ot il y a des clés, tainement un grand nombre de films s’arréte parce que dans la fagon
des codes, etc. C'est dur de savoir qu’a 23 h tel jour il y a Passe- dele présenter, dans la facon qu’ont les autres de le recevoir au niveau
montagne qui passe. Je crois quand méme que mon « public » est du projet, angle d’attaque est mauvais.
assez atteint parce que j’avais tout fait pour arriver au St. André des 416. Je n’ai pas encore eu ce probléme. Ca ne m’a jamais traversé
Arts, On avait un autre contrat de distribution mais moi j’ai esprit. Quand on s’interdit de filmer quelque chose, ca doit rejailfir
manceuvré pour arriver dans ce cinéma 1a. Je savais que malgré le dans ce qu’on ne montre pas et forcément, c’est ca qui cause. Avec le
barouf de Cannes, etc. le film ne ferait pas une entrée de plus. Et principe d’obturation de vingt quatre images secondes il y a tout ce
maintenant, quand Diamantis passe le film en séance spéciale 4 midi, que les gens ont vu parce que c’est dans le film, mais qui n’a pas été
jl y a toujours quinze mecs qui arrivent qui sont toujours les mémes tourné. Il y a comme un trajet de Vinconscient 14 quelque part, qui fait
quinze inconnus qui font que le film fait soixante mille entrées. C’est que ca doit étre intéressant.
trés peu mais c’est comme ca. 17. Jesnis encore un grand amoureux du cinéma américain. Effecti-
6. Jene lis pas beaucoup et je ne vois pas beaucoup de films, donc je vement j’ai un pincement de coeur quand je vois quelque chose comme
ne sais pas si elle a été juste ou pas. Par contre j’ai été absolument Raging Bull qui arrive. Le jour of un film comme ¢a sort, n’est pas un
sidéré par ce qui m’est arrivé 4 moi, parce que le vrai public qui a vu jour comme les autres. Il n’y a que le cinéma américain qui me donne
mon film, c’étaient les critiques. Des critiques que je ne connais pas cette impression d’exagération, de démesure. C’est ce qui se passe
ont écrit des papiers longs, importants, détaillés sur le film ; ¢a avait avec Coppola, qui est queiqu’un de trés intéressant. Quand on est en
fait délirer leur imagination et ils avaient réussi a dire des choses que France, on tombe sur des gens qui rationnalisent, qui disent : Wen-
moi je retrouvais dans des notes enfouies dans des calepins depuis dix ders se fait manger, Pautre veut le récupérer, etc. La vie, c’est plus
ans. La critique a vraiment vu le film. compliqué que ca. J’ai impression qu’en Amérique on met des noms
7. J'ai pas vu taus les films francais mais je crois qu’il y a Courts- comme ¢a sur des choses avec des gens qui prennent des directions
circuits et puis, j’ai envie de dire aussi Le dernier métro. Aussi pour paranoiaques et trés positives, pour un destin.
des raisons personnelles : d’avoir pratiqué Truffaut, les Films du 418. Je voudrais beaucoup travailler pour la télé. Voici une anec-
Carrosse longtemps... La il a réussi A m’embrayer Truffaut, il a réussi. dote : on était avec Kazan en fin de soirée dans un appartement et
8. Je n’en reviens toujours pas d’avoir pu faire mon film. quelqu’un a branché sur la vidéo la derniére bobine de La Fiévre dans
9. Une part inconsciente sirement. J’ai pas vu beaucoup de films. fe sang dans Ja piéce a c6té. Au début, méme Kazan parlait et puis un
Par contre, les films que j’ai vus, souvent, je les ai racontés, Dans la silence s’est fait, on a éteint les lumiéres et on a rallumé, c’était foutu,
cour du lycée, quand j’avais douze ans, c’était traditionnel. Il y avait il était une heure du matin et on s’est dit : bon, alors on se téléphone.,.
un copain et moi et tous Jes jours on racontait le film qu’on avait vu. on sortait du cinéma. Done le cinéma résiste 4 tout, méme 4 la
Et les mecs, ils venaient, il y avait un public, la. Cinéphilie trés trés télévision.
enfouie. 19. Le prochain. Moi je suis né en 44 et j’ai un sujet qui serait de
10. C’est en roulant pendant huit jours dans le Nevada, c’est en cette période la qui, je m’en apercois n’a jamais été explorée. Chaque
Amérique que je me suis senti francais. C’est la que j’ai compris que jour j’ai une pensée vers ce film que je ferai peut-étre un jour.
j’étais presque franchouillard, alors qu’on m’appelle Steve, que j’ai 20, Je n’ai pas assez d’expérience pour savoir ca.
toujours été avec des blue jeans, des bottes, des ceinturons, que j’étais (Propos recueillis au magnétophone).
une sorte d’enfant d’Amérique mal né en France mais qui heureuse-
DICTIONNAIRE sans foi ni loi

A. cet antre obscur et vert qu’ont lieu les quatre der- Ce numéro est en vente a nos bureaux (n° 236-237.
niéres Semaines des Cahiers. S.D. 35 F. Réduction aux petits candidats), $.T.
AATON. Jean-Pierre Beauviala a baptisé ainsi ses
cameras, paluches et autres machines a images et AMOUR DECLARE. Cette année, 374 614 spec- ARRIETA (Adolfo G.). Cinéaste espagnol ayant
sons pour étre bien sir de figurer en téte des listes tateurs one dit « je vous aime » a Jeur caissiére pré- presque toujours travaillé 4 Paris (sauf son pre-
de consiructeurs, d‘exposants dans [es catalogues, férée et ont attendu qu’elles aient fini leur travail mier petit film, Vadmirable Crime de fa toupiej.
inventaires et les foires expositions ; pour y devan- en assistant 4 la projection du film de Claude L’ceeuvre d’Arrieta assure Pune des généalogies
cer Agfa, Angénieux, Arriftex, etc. Berri. essentielles du cinéma francais, celle de Cocteau.
Cette fois encore il a gagné ! Anges et Travestis. Avec Flanunes, qui fait inutile-
ANNEES (50, 60, 70, 80, etc.). Généralité creuse, ment grincer quelques dents, il devient un peu
ACINEMA (1), Voir Lyotard. molaire, dépourvue de toute pertinence historique connu. Curieusement, c’est chez des cinéastes de
ou théorique. Elle peut étre utile dans les récapitu- laugue espagnole installés en France gue l'on
ACTION CULTURELLE, Les années 70 ont vu lations décennales journalistiques (« ce qui s’est trouve la plus grande culture : Bunuel, Ruiz, San-
culminer l’espoir et s’amorcer l’irrésistible déclin passé... »), la programmation de salles d’Art et tiago, de Gregorio, Cozarinsky. Et Arrieta. $.D.
de ce grand mythe malrucien, A quelques excep- Essai (« le cinéma liechtensteinien des années
tions prés (voir Unité Cinéma du Havre), PAC 20... »), ou le lancement publicitaire, de prove- AURENCHE (Jean). Scénariste, Le come-back de
s'est bornée a (di)gérer, avec 4 ans de retard, les nance anglo-saxonne, du ¢enips comme produit la décennie,
grands thémes gauchistes qui ont travaillé la (on tance les années X aprés les années Y). Et c’est
décennie : la militance, la parole populaire, le tout. Sauf a alimenter le fantasmes grégaire d’étre AUTANT-LARA (Claude). Le cinéaste Claude
féminisme, Pidée minoritaire, les exclusions « dans le coup ». Le moindre examen un peu Autant-Lara est un fervent stendhatien, Il souhaite
Sinistre récupération molaire du moléculaire sérieux fait en effet cette notion voler en éclats, ou adapter Lucien Leuwen a la télévision, Le
quand PAC s’empare d’un théme mobilisateur, intégrer de telles exceptions qu’elle en perd le peu 26 novembre 1971, il est au comble de la félicité :
c'est qu’it ne Vest déja plus et qu'il sera bientdt de cousistance qu’elle pouvait avoir. Sur le plan la préparation technique du film doit commencer
mr pour une « année de... », Et ce ne sont pas les politique, par exemple, quelle « essence », quel te 1s décembre. Le 27 novembre de la méme
derniers simulacres exténués qui lui servent d’alibis « air » méme des années 60 peut-on tirer de la fin année, il touche le fond de la déréliction : tout est
(la vie associative, le quotidien) ni le dernier mot de la guerre d’ Algérie, de la restructuration écono- annulé. Finalement, le Lucien Leuwen se fera
d’ordre unitaire (résoudre [a contradiction mique et du gel politique qui s’ensuivirent, de « La — mais pas en production interne: 1ORTF le
Art/Population — sic) qui laissent présager quel- France s’ennuie » décrite par Pierre Viansson- sous-traitera a la société Technisonor, et Phonneur
que second souffle. Le cinéma a toujours été le Ponté, et de l’explosion de mai 68 ? Et, sur le plan du lobby des réalisateurs TV homologués sera
parent pauvre dans I’?AC : pour les Grands Cultu- de cinéma, quid des années 50, avec la Qualité sauf,
reux Historiques, i] n’est de salut que dans le Théa- frangaise essoufflée, Pickpocker et La Téte contre De plus en plus stendhalien, Claude Autant-Lara
tre. S’il a été néanmoins toléré dans quelques-uns fes murs, Paris nous appartient, Hiroshima mon s'attaque ensuite 4 La Chartreuse de Parme. Il
de ces temples c’est qu’il permet, 4 peu de frais, de amour, Les quatre cents coups et A bout de souf- signe avec Technisonor un contrat Je 17 mai 1973,
gonfler jes statistiques en nombre de spectaieurs, fle ? Rien, sauf a dire qu’une décennie contient a rédige les scénarios, les remet a Ja production entre
car chez ces gens-la, comme disait Brel, on la fois une chose, son contraire, et ce qui n’a aucun fe 16 avril 1974 et le 30 mai 1975, et commence a
compte. On ne fait méme 4 peu prés que ca. Et tapport avec elles, ou que ces quatre derniers films altendre,
pour finir, une question angoissante : ces grands appartiennent déj@ aux années 60 7 Nous avons Ti attend toujours.
bunkers funébres érigés (qui peut en douter besoin, aux Cahiers du moins, de périodisations Pour Marcel Dassault, il tourne Gloria, dans
aujourd’hui ?) pour célébrer avec dignité la mort un peu plus fines, de différenciations moins passe- Pespoir que Marcel Dassault financera Stendhal.
de Ja culiure, ef qui défigurent irrémédiab|ement parlont que ces gros blocs. Mieux vaudrait encore Raté. Pendant ce temps, Technisonor se tait.
plus d’un paysage urbain, sont-ils recyclables ? décade, qui veut dire aussi bien dix jours que dix En janvier 1978, Claude Autant-Lara lit dans
A.B. ans. ILN. Télé-7 jours que Maurice Cazeneuve prépare, pour
ta télévision, une adaptation de La Chartreuse de
ACTION-REPUBLIQUE. A l’époque des cir- ARMES EGALES (4). Quelle que soit Iissue des Parme, qui sera tournée en décembre. Claude
cuits, des couloirs et des multi-salles, Paulo actuelles élections présidentielles (aux Cahiers ona Autant-Lara est surpris : il ne sait pas que Maurice
Branco donne corps 4 un projet intempestif + choisi), i] esi recommandé a tout candidat, présent Cazeneuve, administrateur de Technisonor, a voté
maintenir dans une seule salle a la fois une pro- ou a venir, de lire ce que nous (le « Groupe Lou Je 13 mai 1977 l’abandon par Technisonor du pro-
grammation de répertoire (c’est lui qui lance fa Sin intervention idéologique », ainsi nommé jet de Claude Autant-Lara.
fameuse série des « chefs-d’cuvre et nanars du pour des raisons qui relevent du « contexte politi- Jnsqu’en 1978, Claude Autant-Lara croyait que
cinéma francais »} et la sortie de films difficiles. A que » : nous sommes alors en mars-avril 1972 !) les praducteurs de cinéma étaient ce qu’on peut
un moment, un peu de vrai amour du cinéma revit écrivions sur le dispositif télévisuel et ’idéologie rencontrer de pire quand on est cinéaste: il se
prés du canal Saint-Martin. Malgré ta disparition politique bourgeoise, a travers analyse de cette trompait. G.-P.S.
de plusieurs fauteuils el une projection de plus en. émission animée par un duo ow s’agitait déja le
plus criticable, c’est 4 VAction-République que célébre Alain Duhamel. La polémique récente sur AYVORIAZ, Pire que Deauville (voir ce mot).
Biette, Syberberg, Moullet, Duras, Aubert, Oli- les conditions d'un débat entre les deux tours y Deux festivals destings non aux journalistes ou aux
veira, Thome, Van der Keuken sont vus. C’est dans trouve ses fondements théoriques. critiques mais aux chroniqueurs, il a fallu quelques
114 DICTIONNAIRE
années pour que cette idée s’impose dans tovie son commence, au contraire, torsqu’ elle émerge. R.B. d’explication sociologique excessif, c'est peut-étre
évidence, La place du cinéma dans ces manifesta- a structuré notre désir. P.B. du cété des ruptures logiques {et persannologi-
tions organisées toutes deux par la méme maison, ques} 4 la Bunuel (plus qu’a la Bertrand Blier), ou
Promo 2000, me semble toujours un peu margi- BAUDRILLARD (Jean). Vers le milieu de la des « folies bourgeoises » de Chabrol qu’il pour-
nale puisque fe seul propos est d’animer hors- décennie Jean Baudrillard a permis 4 beaucoup de rait complétement fonctionner. J.N.
saison des ensembles touristiques et de donner 4 la sortir de la période idéologiste qui avait précédé,
presse locale et nationale l’occasion de photogra- avec son important Echarge symbolique et ta CASSETTES. Les chargeurs « instantanés » de
phier les huiles du show-business devant, sur ou mort. Ce texte a d’ailleurs été loccasion d’en certaines caméras (Hclair} en étaient sans doute le
dans les attractions sportives, selon leur nature. retrouver d’autres précédemment écrits par lui signe avant-coureur. Toujours est-il que le condi-
Ces types d’événements auront certainement un comme La Société de consommation et le trés beau tionnement en cassette a envahi le marché de tout
grand mal & se débarrasser du clinquant parvenu et trés en-avance-sur-son-temps Requiem pour les ce qui se vend au métre et en ruban. La bande
qui est leur seconde nature. Ce qui n’empéche en medias (in Pour une critique de Péconomie politi- magnétique étroite et le film Super-8 ont lancé le
rien qu’on puisse al’ occasion y voit de bons films. que du signe). Sa maniére d’envisager les choses de mouvement en 63. La vidéo s’en est emparéc beau-
OA. ce monde comme une gigantesque mise en scéne a coup plus récemment (voir VHS, Betamax). Dans
fait qu’aux Cahiers aussi il a influencé, chaque cas les ventes ont connu un boom indiscu-
B. Baudrillard a été influencé (entre autres) par Bor- table.
ges et par Bataille : il devait donc t6t ou tard ren- Curiosité linguistique (dans le seul domaine du
BARTHES (Roland). Il s’est intéressé a tout et contrer Raoul Ruiz. C'est fait. S.-L.P. son) : la tendance 4 opérer la distinction entre la
nous a intéressé 4 tout. Toutes choses, des plus
bande et son lecteur par simple partage des genres.
sublimes aux plus triviales, de Loyola aux pates BROADWAY. La seule salle parisienne — et pour Il suffit de savoir, ¢’est simple, que LE (mini)cas-
Panzani, de Racine et de Michelet au steak-frites et cause — équipée en spaciovision. L’écran du sette est la sorte de magnétoscope qui permet
au blanc-comptoir, se transmuent sous sa plume Broadway ne ressemble a rien de commun, il est écouter LA (mini)cassette. J.-J.H.
tout A la fois en objets esthétiques et en objets de fortement incline vers l’arriére et ses deux coins
science. Son éthique a été de construire, fragment supérieurs sont nettement rabattus en direction de CASTING. Its sont quatre, cing a sévir officieuse-
par fragment, et sans jamais réduire ce caractére la verticale. L’ambition de la spaciovision aurait ment comme « casting director » dans le cinéma
fragmentaire, au hasard de ses découvertes, de ses été Pobtenir grace a ce support un sentiment de frangais (le CNC persévére a les appeler régisseur
voyages, de ses ignorances, une esthétique contré- relief pour des films tournés sur pellicule normale. ou assistant).
lée par une science, une science arientée par une Le résultat —- tout aussi surprenant — est que, Margot Capelier est leur reine mére. A Porigine,
esthétique. D’autres se sont chargés de donner du malgré le support, on ait fe sentiment de voir une régisseur de Carné et Prévert, c’est elle qui a
poids et de la pesanteur — c’est-a-dire en termes image a peu prés plate. importé le métier des Etats-Unis. Dominique Bes-
énergétiques de dégrader — Jes disciplines ou Ne pas rater également Ia simulation de stéréo néhard vient de (’assistanat : aprés Un Sac de bites
pseudo-disciplines qu’il a fait ainsi surgir, dans la effectuée par un employé posté derriére un pupitre owt i] devait trouver un enfant juif pour Doillon, il
légéreté et le plaisir. La sémiologie, par exemple au fond de la salle et qui joue des curseurs, dépla- a senti qu’il y avait une place 4 prendre. IL l’a prise
(est-ce seulement un exemple? Y en a-t-il eant le son d’un cété a l’autre de J’image selon que et il cherche actuellement l’enfant juif du film de
d'autres ?). Paction déterminante s'y déroule. O.A. Rouffio.
Il s’est arrété, entre autres, sur le cinéma et sur la Mamade vient de la publicité. Engagée en 69 (date
photographie. Davantage sur la seconde que sur le BUNUEL (Luis). Dans les années 70, la grande de Vaccés de la publicité sur les chaines) par Idée
premier ; il préférait ce qui se laisse saisir, explorer satire sociale, le jeu de massacre anti-bourgeois, le TY, elle était chargé de faire le pont entre le monde
et contrdler, 4 ce qui prétend vous emporter, vous carnaval des classes sociales sont absents du du marketing et celui du spectacle : trouver des
cinéma francais. C’est 4 Bunuel qu’il revient de types humains pouvant illustrer, « donner corps »
faire violence. Ainsi a-t-il cru saisir essence du fé-
mique, non dans le film en mouvement, mais dans faire revivre cette tradition. Dans Le Charme dis- aux slogans publicitaires.
Je déchet photogrammatique (« Le troisiéme eret de la bourgeoisie, Le Fantéme de ta liberté, En France le métier est exercé de fagon empirique
Sens », Cahiers n° 222), non chez Rossellini ou Cet obscur objet du désir, il témoigne non seule- 4 Ja différence des USA, ov les acteurs sont sous
Lang, mais chez Eisenstein, non dans les mouve- ment d'une grande vitalité mais i] est le seul 4 pou- contrat avec les studios et ot Je casting trés profes-
ments d’appareil et les plans larges, mais dans les voir transformer en points forts des handicaps (des sionnalisé a toujours fait partie du dispositif de
gros plans et les angles obtus. Il a ainsi découvert histoires vieillotes, des acteurs ringards, des dou- fabrication des films. Ici, ils interviennent plutét
une région de sens Jouche, perverse, qu'il a nom- ~ blages archaiques). Il est peut-étre l’« auteur » par au coup par coup, quand il y a un probléme : la
mée le ses obtus (A la fois béte et ouvert). [ly a excellence : celui qui est [ui-mé@me quel que soit Ie plupart du temps trouver un enfant ou couvrie une
des films doués de sens obtus et d’autres qui systéme de production. $.D. importante distribution de réles secondaires repré-
s’efforcent de le gammer. Tout le cinéma fandé sentant une catégorie sociale définie : jeunes,
sur une économie de l’information, sur le scénario BUREAUX DES CAHIERS. Danseuse et boulet immigrés, paysans. En ce sens, ils sont un peu les
et le découpage économiques, informatifs — c’est- des éditions Filipacchi, les Cahiers sont longtemps artisans peintres de ta toile de fond d’un film, les
a-dire la majeure partie du cinéma américain, du restés aux Champs-Elysées (de la rue Clément- architectes du « socius ».
cinéma de grande consommation — bien entendu Marot 4 la rue Marbeuf) avant de se rapprocher Plus que des employés dans une machine de pro-
gamme cette « part maudite » du sens, qui ruine des masses en s’installant rue Coquillére. Is quit- duction, ils entretiennent un rapport privilégié
Pefficacité et la fluidité du discours. Notre intérét tent mystérieusement ce beau local pour un autre, avec ’auteur qui leur délégue une part de sa sub-
bruyant, exigu et antipathique, sis rue des Petits- jectivité, ils sont alors dans la position d’un icono-
Champs. Puis c’est au coeur du quartier du meuble graphe anthropologue qui doit trouver Pimage
qu’ils s’insta)lent en 1974, d’abord dans un seul correspondant 4 la légende du réalisateur. Quand
bureau (aujourd*hui occupé par des blanchisseurs Bertrand Blier demande 4 Mamade de lui trouve
chinois) puis dans un ancien atelier d’ébénisterie « une héroine de 14 ans », elle doit décoder cette
Wart qu’ils transforment peu a peu en ruche vrom- légende et partir 4 Ja recherche d’une image vir-
brissante. $.D. tuelle susceptible de [’illustrer.
Le terrain d'investigation privilégié du casting
Cc, director est le théatre, méme périphérique, méme
fauché. C’est la qu’il découvre de nouveaux
CARMET (Jean). De Ini, Jean Renoir (qui le fit talents, de nouvelles gueules, et pas a Ja télévision
tourner dans Le Caporal épinglé et le Petit Théa- ou selon D. Besnéhard, « les acteurs sont toujours
tre) disait qu’il pouvait tout jouer. Bt il est vrai en-dessous de ce qu’ils peuvent donner ». D. D.
gu’on Vimagine, dans La Béte humaine pat excm-
ple, aussi bien dans le rdle de Gabin, de Carette ou LA CECILIA, L’OLIVIER. Ces deux films ont de
de Ledoux. Bien que sa carriére cinématographi- nombreux points communs. D’abord, leur date de
que compte que)ques bons réles (dans les films de sortie (1975). Ensuite, leur genése : Comolli (La
Renoir cités, dans Dupont-Lajoie, dans Vialetie Cecilia) et Narboni (’un des six co-auteurs de
Noziére}, on ne peut pas dire qu'elle soit encore a L’Olivier) ont 1¢ rédacteurs-en-chef des Cahiers
ga mesure, I] ya en Carmet comme un ensommeil- jusqu’en 1973. Les deux films se nourrissent moins
lement permanent, un somnambulisme discréte- de ce qu’ils y ont écrit que de ce qu’ils y ont vécu,
ment ébrieux, faussement rassurani, qui laisse surtout aprés 1968, Point commun aux deux
soupgormer sous la torpeur du francais moyen films : leur théme, Vutopie. Dans La Cecilia, il
{amateur de bonne chére, de petites femmes et de s'agit de Yutopie communiste et coloniale (des
plaisanteries de fin de repas) I’ impulsion criminetle anarchistes italiens au Brésil au XIX¢ siécle) et de
préte a se déchainer. Si [’on met a part som person- son échec. Dans L’Olivier, il s’agit d’une utopie
nage de Dupont-Lajoie, ot quelque chose de cela coloniale « réussie » : Etat d’Israé] qui trans-
se trouvait saisi, mais encombré encore d’un poids forme les Palestiniens en peuple de I’exil et certains
DICTIONNAIRE 115
Julfs en militants anti-sionistes. Utopie encore ; le D. « phallus » de la premiére version (extraits parus
collectif (Akika, Chapouillié, Dubroux, Le Péron, dans Tel Quel), les remplaca par de primesautiers
Narboni, Villain) qui signe L’Olivier ne pouvait DABADIE (Jean-Loup). Homme 4 tout faire du « fifilles » ou autres termes peu chargés.
produire que ce film-la. Quant 4 Comolli, if ne show-biz, Et nous? Moins obscénement mimétiques, et
devait retrouver le théme d’un liew situé hors du moins directement visés, nous étions de toute
temps qu’avec Carnets de bal (1981). S.D. DALIO. Son retour, d’abord salué avec émotion, facon sortis, au milieu du chemin de notre vie, de
a fini par lasser. ja voie droite, et nous avons erré dans la forét obs-
CENSIER. Né de la peur béte et post-soixante- cure. Quelques années plus tard, mous avons
hujtarde que le pouvoir eut des « images et des retrouvé Deleuze au carrefour Jean-Luc Godard.
DEAUVILLE. Pire qu’Avoriaz (voir ce mot).
sons», le Département Cinéma de Censier Hi fit semblant de se faire poser par nous « Trois
(Paris III) change deux fois de nom (DECAY, puis questions sur Six Fois Deux ». I] n’y avait méme
DEJAZET (le). A la République, les publics de
DERC, puis DERCAY). II ne réussit pas 4 nourrir pas trois questions dans cette pseudo-interview,
l’Action et du Déjazet ne se rencontrent jamais.
le ver qu’il porte en lui, tel un fruit, dés le début : Dans ce vieux théatre 4 Pitalienne, miteux, de midi mais personne ne s’en est apercu. P.B.
tre reconnu en haut lieu, accepté par l’université,
@ Vaube, le cinéma francais n’est guére a l’hon-
Lieu confus mais vivant tant qu’il ne cherchait pas neur. Pourtant, chose rare, les films, comme on DENEGATIONS. Pas de revue sans ligne, pas de
a tre socialement utile, it est catme mais mourant ligne sans simulacres, pas de sirmulacres sans rhéto-
aul moment ot il s’agite pour devenir opérationnel.
dit, Sout vus « en sitnation ». Lmpossible d’en voir
un au d’en parler sans prendre en compte ce qui se rique, pas de rhétorique sans dénégations. Aux
Longtemps, des rédacteurs des Cahiers y ont Cahiers les plus coriaces ont été : « tout se passe
passe dans la salle, Rien 4 voir avec des réactions
animé des uvés. Aujourd*hui, Ia loi Haby est pas- comme si... », « il ne s’agit pas (tant) ici de... que
de potaches en mat de bons mots, comme chaque
sée, la sélection a opéré, les militants se sont recy- {de}... », «on aura compris que... », « nous y
année au Rex. Pas de salle soudée, hystérique, de
clés, les étrangers sont retournés chez eux : c'est reviendrons... ». La version politisée, version
un discours pépére (sémiologique) et de buts spectateurs entiérement soumis a la seule loi de
PCF, est « Ce n’est pas un hasard si... », S.D.
Yécran. Le Déjazet n'est pas un lieu de cinéma,
modestes (préparer 4 l’IDHEC) que le DERCAV a
sacré, mais un lieu tout juste avec lui, moins sacri-
besoin. $.D. lége que trivial. C.T. DENEUVE (Catherine). Elle a fini en force,
magnifiquement, les années 60 avec Tristana, tou-
CESAR (le). Depnis que cette manifestation s'est
DELEAU (Pierre-Henri). Cinéphile passionné et
jours son plus beau réle selon moi, et attaqué sans
imposée — notamment ces deux derniéres années défaillir tes années 70 avec Peau d’Gne de Demy et
curieux — double pléonasme —, chasseur de films
grace au couronnement de Yess et du Dernier Liga de Fecreri. Sa carriére est ensuite parsemée de
Métro — on a tendance 4 ne plus étre choqué par
qui met son amour du cinéma au service d'institu-
tions éphéméres (comme Je Festival Cinématogra-
films d’importance moindre, mais on retient un
Ja résannance du nom dont elle a été baptisée. I] ne autre Demy, L’Evénement Je plus important
s’est bizarrement trouvé personne pour rappeler
phique de Paris qu’il animait en compagnie de
depuis que Vhonune a marché sur la lune et une
que le César tenait son nom d’un sculpteur dont, Michel Guy) ou qui ont maintenant pignon sur rue
apparition — assez comique — dans Touche pas @
et prestige (la Quinzaine des réalisateurs depuis
dieu merci, le rapport avec le cinéma ne saurait la femme blanche, le film carnavalesque de Fer-
une dizaine d’années ou, depuis peu, le Festival du
étre que marginal. teri. C.D. est clivée sefon les réles qu’on tui p
Soyons franc et disons le tout net : il y a quelque
jeune cinéma de Hyéres) et qui ne seraient pas ce
pose: soit Ja petite bourgeoise — version midi-
qu’elles sont sans l’impulsion et l’infatigable tra-
ridicule 4 infliger 4 des artistes un objet aussi peu nette — provinciale, qui aspire au monde « idéal »
vail de ce « free lance » du monde cinématogra-
gracieux — et déja si démodé. , des magazines, veut monter 4 Paris et réussir dans
phique, S.T.
Comme il est inhumain de les forcer 4 transporter son travail et sa vie amoureuse (mais toujours, il y
jusque chez eux ces pesants blocs de métal com- a sur son parcours des embiiches) ; soit, version
DELEDZE (Gilles). « L’Anti-CEdipe », paru en
pact. O.A. plus hitchcockienne, la bourgevise froide, insatis-
1972, nous a beaucoup perturbés. Nous étions en
faite, mais toujours animée d’une passion (ce
train d’essayer comme des fous de nous convaincre
pourquoi Bunuel et Truffaut laiment et lutili-
CINELUTTE. Deux ou trois étudiants de que, bien que ¢a nous ait beaucoup donné a pen-
sent). Le fait qu’elle puisse jouer sur les deux regis-
PIDHEC, et autant d’anciens filmeuts de Mai 68, ser, la décanstruction de la représentation, le
tres prouve assez son talent. Des mauvaises lan-
formérent « Cinélutte » en 1973, 11 en sortit, puis- décentrement du sujet, la productivité signifiante,
gues avaient prédit — au vu de quelques échecs au
que c’était leur job, plus de films que de discours : tout ¢a, i] était temps d’y substituer une représen-
Chaud, chaud, chaud !, sur le mouvement des tation juste fandée sur une ligne de masse, propo-
creux de la décennie — un avenir bouché, mais fe
lycéens contre la loi Debré, en 1973 ; Jusqu‘au sant des héros positifs conformes a la stratégie
succes du Dernier Métro apporte un démenti caté-
bout, sur la gréve de la faim des travailleurs immi- @un Parti authentiquement communiste, certes
gorique. C.D. prend de P4ge et reste belle. Ilya
toujours en elle une grande énigme qui vient peut-
grés sans papiers (1973) ; les trois films qui compo- inexistant mais cependant indispensable (il faudra
tre du mélange étonnant d’un moi fort (toujours
sent le programme, tourné pendant la campagne bien faire un jour le roman ou I’ épopée de cet iti-
une sorte de revendication boudeuse : j’existe !) et
présidentielle de 1974, de Bonne Chance, ta néraire),.. Nous en étians 1a, et torturés comme on
@un idéal non formulé, trés roman-photo, du
France : La Gréve des bangues, Un simple exem- peut l’imaginer, lorsque parut cet ouvrage désin-
genre : je serai mieux, meilleure... si j’étais comme
ple (les ouvriers grévistes de !’imprimerie Darboy, volie, qui prenait tout cela en écharpe, retournait
a Montreuil, remettent leurs machines en route) et toutes ces pesantes fictions et leurs non moins
si. S.T,
Comité Giscard ; et un film sur les caissitres des pesants décorums, apparats et syntaxes, partageait
hypermarchés et leurs chefs : Petites tétes, grandes toutes choses entre flux schizophréniques et mas-
surfaces, ses paranoiaques, effacait d'une remarque dédai-
Cinélutte professait que la diffusion des films gneuse l’encore prestigieuse théorie du Texte
commande 4 leur production. Ses membres (« elle rabat tous les flux sur une machine d’éeri-
sefforcaient d’appliquer ce programme, et ture désuéte »), se moquait du phallus, de Ja cas-
géraient prudemment Vélargissement du groupe. tration et de Georges Bataille (« bétise de la trans-
Bref, basistes et massistes, ils n’en étaient pas gression »), ridiculisait le Parti (le vrai comme le
moins ul peu sectaires: sans doute qu’ils faux) et démoralisait le style épistémologique de
s’aimaient bien comme ¢a, et qu’au fond de leur Pépoque. On essaya de résister, avant de compren-
cceurs, la production, le goft de faire des films, dre que I’occasion était trop belle : des machines,
lemportaient quand méme un peu sur le reste, des flux, des segments, des masses, des plans, des
Quand vint la séparation, tout se passa sans trop corps (sans orgames), des espaces, des mouve-
de haines et de rancunes (juste ce qu’il faut pour ments, des vitesses, de |’air enfin ! Et comme tout
étre au diapason...) ; et se dispersa l’expérience. cela était plus proche au fond de ce que nous DEPARTEMENT D’ETUDES CINEMATO-
G.-P.S. aimions (le cinéma notamment, malgré tout) que GRAPHIQUES DE PARIS VIII. Basé a Vincen-
la dissémination sans représentation, les appareils nes jusqu’en 1980, il loge désormais grace aux
idéologiques 4 déconstruire et tout ce vain tremble- soins du ministre des Universités Saunier-Séité a
CONCHON (Georges). Romancier puis scéna- ment, sans parler des vieilles lunes du réalisme Saint-Denis, entre l’avenue Lénine et la rue de la
triste, Ses scripts balisés d'idées recues et sa théma- socialiste et du romantisme révolutionnaire ! Liberté.
tique en prét-a-porter bien pensant auront une A tel point que ceux-ld méme par qui, un peu, Ouvert aprés 68 avec le Centre expérimental de
place de choix parmi les grands ridicules des nous en étions la, — Tel Quel, le Mouvement de Vincennes, c’est en juin 71, grace 4 une assemblée
années soiaante-dix. Méme s’il a été systématique- juin 71, Sollers, Pleynet (voir ces noms) — plus générale trés longue (12 heures) qu’il s’est donné
Ment desservi par des cinéastes approximatifs, sa malins que nous, Je comprirent tout de suite et fei- un fonctionnement ot la théorie et la pratique du
dialectique pataude ne compte pas pour peu dans gnant d'ignorer que ce livre de combat, « L’Anti- cinéma devaient étre indissolublement liées. Le
ja grisaille des films auxquels il a collaboré. CEdipe », était largement dirigé contre eux, ne pari, entendu différemment par les trois courants
Faute de reléve if semble bien parti pour continuer tarirent pas d’éloges A son propos. (Mais enfin, du département (cinéma expérimental, cinéma
encore de nombreuses années a défendre leur dimes-nous 4 l’époque, vous voyez bien que d@ intervention, tendances contemporaines de la
dWarrache-pied des postes oubligs d’arriére-garde. est dirigé contre vous ! Non, ils ne voyaient pas). fiction), a été difficile 4 tenir 4 cause d’un scanda-
O.A, Sollers remania en hate « Lois », raya tous les Jeux manque de moyens consentis par le ministére
116 DICTIONNAIRE
(cette notule se retient d’étre revendicative, car ce Le Samouraiou Le Cercle rouge et Les Aventures aujourd’hui par le désir de construire un véritable
serait trop facile). En sont pourtant issus des films de Rabbi Jacob... G-P.S. empire multimedia.
@intervention et des films expérimentaux qui Fin 69: divorce (4 Vamiable) entre D.F. et les
n’ont pas manqué d’importance. S’y sont menés DOILLON (Jacques). Le plus indécidable des Cahiers : ce qui permet 4 Ja revue d’?aborder libre-
des centaines de débats et y sont passés des milliers cinéastes francais apparus au cours de Ja décennie. ment la décennie 70, et de participer 4 toutes les
@étudiants. N’a pas répondu au questionnaire des Cahiers ott aventures, pour le pire et le meilleur. S.T.
Stabilisé peu 4 peu comme un lieu d’expérimenta- Von n’est pas trés 4 Paise, non plus, avec ses films.
tion et d’initiation, i) est en passe de se transformer Refuse (il a bien raison) de se laisser enfermer dans FONDS DE CREATION AUDIO-VISUEL.
en Institut des aris cinématographiques, tandis les codes du néo-naturalisme et ambitionne visible- Fonds créé par le ministre (Lecat) de fa Culture et
qu’il est allié pour le doctorat auquél il prépare 4 ment d’étre un auteur secret, sans concessions, tout de la Communication en février 79 pour « favori-
des philosophes comme Lyotard et Defeuze, sous en gardant un ceil (et c’est sans doute sa faiblesse) ser les oeuvres d’auteur et découvrir de nouveanx
la direction d’André Veinstein. $.L.P. sur Ia mode. En ce début des années 80, Ia ques- talents ». En fait le F.C.A. devait établir un pont
tion reste ouverte : Doillon sera-t-il le cinéaste entre le monde du cinéma et celui de Ja télévision.
DEPUTE (Véreux). Député UDR. Personnage-clé Wun seul film (La Femme qui pleure) ou, mieux, Deux ans aprés, Lecat estime que c'est un succes.
de la décennie. Durant une bonne dizaine d’années un de ces auteurs qui tournent toute leur vie, avec Pour en juger il faudrait connaitre le nombre de
on a montré l’egsentiel de la classe dirigeante de ce plus ou moins de bonheur, autour du méme film projets que le Fonds a proposé aux chaines et qui
pays se livrant, sous le couvert de la loi, au proxé- impossible ? A moins qu’il ne nous surprenne. sont restés dans les tiroirs. A suivre,.. S.L.P.
nétisme, au trafic de drogue, se vautrant dans le A.B.
stupre et Vabjection, ne reculant pas devant le FOUCAULT (Michel). Philosophe. En 1974, les
crime crapuleux. On ne pourra pas durant cette DORA et la lanterne magique. Ce film de Pascal Cahiers réalisent avec lui wn entretien sur le theme
période imaginer un homme d’*Etat innocent ou Kané aura connu l'un des destins Jes plus para- de Ja mode rétro. En 1975, Foucault sort furieux
méme simplement honnéte, 4 moins qu’il ne soit doxaux de la décennie, Un critique des Cahiers Wune projection d’Jei et ailleurs au 14 Juillet-
yieux et gateux, dans ce cas manipulé, ou jeune et réalise un film 4 voir en famille, sur les boulevards, Bastille. Lui qui a écrit « Surveiller et punir » ne
révolté, dans celui-ci rapidement mis a pied. Le avec trucages et féérie. La critique se méfie, cher- veut étre ni surveillé ni puni par Godard. Ses gotits
cinéma s’engage avec enthousiasme dans la cam- che un denxiéme sens alors qu’il n’y en avait que en matiére de cinéma sont moins retors. I! n’en
pagne de moralisation de la vie publique lancée par du premier et du troisisme. Distribué comme un demeure pas moins pour nous une référence cons-
une gauche temporairement unie. Certains comé film élitaire, ne rencontre pas, 4 sa sortie, son vrai tante, irremplacable, essentielle. A un moment, ses
diens deviennent spécialistes du député véreux, public, Commence alors une deuxiéme carritre travaux personnels et l’air du temps l’aménent &
trouvant dang ces réles notoriété et fortune : — qui dure encore, et avec un succés jamais donner 4 René Alfio, et a personne d’autre, les
Michel Bouquet et Francois Périer ou 4 une échelle démenti — comme film pour enfants exemplaire. droits dadaptation du dossier « Moi, Pierre
moindre Daniel Ivernel et Michel Lonsdale. Une A.B. Riviére... ». S.D.
phrase-clé du député véreux: Surtout, pas de
remous, Synonyme : Promoteur immobitier. Son GARREL (Philippe). Le seu? qui ait capté quelque
ennemi principal est Jean-Louis Trintignant. O.A. chose de 68 hante la décennie comme un fantéme.
Seul maitre d’une ceuvre qui le désolidarise peu 4
DIGNE. Mai 1981 : 9° année des Rencontres ciné- peu de son temps, Garrel alterne ta richesse de la
matographiques de Digne. Peut-étre le dernier lieu pauvreté (les regards-caméra de Maria Schneider
en France of un réel amour du cinéma soit 4 dans Voyage au jardin des morts) et la pauvreté de
Yoewvre, grace 4 la volonié d’un homme, Pierre ja richesse (d’un véritable tour du monde, if exhibe
Queyrel, et 4 son désir fou de faire un festival de quelques traces: L’Athanor). Comme tous les
films de la méme maniére qu’on fait son propre bons cinéastes de la décennie, i] est travaillé pas un.
film, c’est-a-dire sans faire !’économie de la mise état plus archaique du cinéma. $.D,
en scéne, de la passion, du travail, Ceci touche asa
fin : lassitude, usure, découragement, il parait que GAINSBOURG (Serge) Défendu d’une facon
Queyrel veut arréter. Pourvu que non: il serait ambigué dans les Cahiers par un certain Hunne-
grave que la responsabilité des manifestations bulle. Je t’aime, moi non plus est un beau film.
cinématographiques ne soit plus réservée qu’aux $.D.
seuls organisateurs, personnes non passionnées,
absentes, A l'heure ou un festival de cinéma n’est GOUREVITCH (Boris). Cet homme est mort A
généralement plus que de la promotion pour le Pautomne 1980 sans avoir perdu un gramme de
tourisme local, Digne manquera. Marguerite séduction ni un joule d’énergie. Né en Russie, ami
Duras en avait fait un peu son lieu : si Digne y a des artistes mais peu enclin au bolchévisme, if
gagné en magie, Duras y aura gagné en poésie, disait avoir aimé le cinéma toute sa vie. C’est pour-
LS. tant assez tard qu’il avait repris d’intenses activités
E. ence domaine, introduisant en France les multisal-
DIRECTEUR DE LA PHOTOGRAPHIE, C'est, les et développant, bien avant son apogée avec le
incontestablement, la meilleure carte. « Salaires : ET/OU. Hésitation déguisée. Chaque fois qu‘ils hard, le cinéma porno (Son premier hit: Je suis
en 1936, une semaine de directeur photo = une voi- Pont utilisée, les Cahiers ont perdu wn lecteur. curteyse vers 65). Cela ne lempéchait pas aussi
ture de série dernier modéle, Ou en sommes-nous d@exploiter dans ses salles des films d’anteur avec
aujourd’hui ? » demandait gravement, en 1972, F. une certaine fermeté. Son dernier engagement
un tract du syndicat CGT des techniciens (branche avait été pour Guns de Robert Kramer.
image). . FEUILLE FOUDRE. Ce bulletin animé par quel- It était respecté et méme un peu craint dans la
Le progrés technique (amélioration des matériels, ques maoistes cinéphilisés sur le tard tire son nom profession.
régularité des peflicules et des développerents} a des journaux muraux albanais. Son existence sur- Vi tajt pewi-gtre Je modéle vivant de Marin Kar-
peu d’incidence sur un corporatisme en béton prend moins que son endurance : il se dépolitise au mitz, $.L.P.
armé, propice aux manies. ralenti et, dans l’indifférence générale, prend goiit
En matiére d’image(s), il y a des modes : elles pas- au cinoche. §.D. GRAJSSE. Dans son acception cinématographi-
sent. Ce qui reste, ce sont justement les images : que, c’est l'une des haines les plus tenaces de la
celles d’Henri Alekan, immortelles pour La Belle FILIPACCHI (Daniel). Parti de rien ou presque revue (on sait 4 quel point l’élimination musicale et
et la béte, retrouvées aujourd’hui par Ruiz et Wen- (photographe obscur a Paris Match), s’est mis trés culinaire de la graisse a été l’objet d’une discipline
ders. Celles de Ricardo Aronovitch pour Provi- vite sur une orbite cedipienne : son pére avait un chez Stravinsky). Lui ont toujours été opposés,
dence, de Nestor Almendros pour La Marquise poste important a Paris Match dans les années 50, dans le désordre mais obstinément, aussi bien le
a’O, de Nuytten pour /ndia Song ou pour Téchiné, je fils en prendra la direction en 1977. Le pére tranchant que la lettre, le nerf de l’écriture que la
de Sacha Vierny pour Resnais et pour Ruiz entre chez Hachette {oi 3] invente Ja formule du maigreur essentietle (de Milestones a Fortini/Cani
(L’Hypothése du tableau volé)... livre de proche), le fils en prend récemment la de Tristana au Théétre des matiéres). Anatogique-
Et il faudrait aussi citer Pierre Lhomme pour La direction, parrainé par le grand Lagardére. ment : glu, J.N.
Maman et la putain et Les Enfants du placard, Le fait que son nom soit signalé dans ce diction-
Ghislain Cloquet, oscarisé pour Tess (mais il y eut naire n’a pour but que de rappeler au lecteur GRANDES (Xavier). Il est plus que |’acteur-
aussi Batthazar, Mouchette et Une Femme ~— récent — des Cahiers que cette revue, de 1964 a fétiche d’Adolfo Arrieta, ce que Jean Marais ou
douce...) et, versant suisse, Renato Berta, pour la novembre 1969, lui appartint. Que D.F. ait pos- Edouard Dhermit furent 4 Cocteau, il est 4 lui seu!
campagne de Messidor et un Retour & Marseille, sédé les Cahiers on qu'il posséde encore la troupe de ce cinéaste. Les premiéres minuies de
qui n’était pas seulement celui du refoulé. aujourd’hui une revue comme Jazz Magazine Yam-Tam, ot Adolfo filme Xavier sur le pont
Enfin, puisqu'il ne s*agit pas d'un palmarés, se sexplique par une authentique passion pour le dun navire entrant dans la baie de New York, sont
demander si c’est le méme Henri Decae qui a signé cinéma et le jazz, passion sans doute recouverte Pun des plus beaux exemples de ce cinéma amateur
DICTIONNAIRE 7
et amoureux cher aux Cahiers, de Moi un Noira A LJ. K. regard. On sait plus on moins que Je regard joue
bout de souffle. JN. un certain réle dans Je cinéma, méme si on a par-
IDHEC, La Nouvelle Vague avait porté un coup fois du mal a saisir ce que c’est (ce n’est pas tout a
GRANIER-DEFERRE (Pierre). Cinéaste déci- fait les yeux, nila vision ; c’est ce qui se rencontre
demment trés surestimé (auteur du Chat et de La fatal 4 la notion de profession cinématographique.
A PIDHEC, la contradiction devint insoluble, a cet endroit-la). Le regard est objet, en particu-
Race des seigneurs), lier, du Livre XI du Séminaire, consacré aux
entre le désir de cinéma et le désir d’intégration.
C'est pourquoi Mai 68 frappa si brutalement, et si « Quatre concepts fondamentaux de la psycha-
GREC, Fondé en novembre 1969 le « Groupe de
durablement, cette déja vénérable institution. Le nalyse » (Ed. du Seuil, 1971).
Recherches et d’Essais Cinématographiques » est
nom de Louis Daquin a servi d’éponyme, sinon de Lacan a beaucoup aimé Bunuel (on sait qu’il a
subventionné par le Fonds de Soutien de P'Indus-
trie cinématographique et aidé par les milieux pro- pseudonyme, au « renouveau pédagogique » con- illustré certains de ses cours sur la paranoia de la
sécutif, teinté de maoisme et d’utopie. Commen- projection d’#/, de cet implacable trajet du coup
fessionnels et les industries techniques. II s’est fixé
pour objectif de « favoriser la création de premié- cée dans la fiévre, la décennie a fini dans les marais de foudre au fou de coudre), jusqu’au Charme dis-
venteux de Bry-sur-Marne: le pouvoir n’a pas cret de la bourgeoisie, Il s’est également déclaré
res ceuvres et d’essais cinématographiques (sic) ;
Jaissé 4 Jean Douchet le temps d’y faire souffier le «soufflé, littéralement» par la vision de
de révéler 4 la profession de nouveaux talents ou
bon air de Paris. L’Empire des sens. Tl a enfin pris rang parmi les
de nouveaux styles (re-sic) ; d’ouvrir l’expression
Pourtant, elle doit creuser toujours, la vieille grands comiques francais grace aux deux émis-
audiovisuelle 4 un plus grand nombre d’utilisa-
teurs (re-re-sic) et de susciter des recherches dans le taupe, acharnée et indestructible... G.P.S, sions de Télévision de Benoit Jacquot. P.B.
domaine du cinéma (sic-sic-sic-hourrah !).
Le comble, c’est qu’avec des moyens assez miséra- IL N’Y A PAS DE RAPPORT SEXUEL. Idée LE SEXE QUI PARLE. Film pornographique.
bles il y est arrivé, forte de la décennie, due 4 Lacan. Au départ, une idée forte : le sexe d’une femme se
Sur la base de 5 000 4 20 000 Francs actuels par met 4 parler. Il est vulgaire, nasillard, insatiable :
projet retenu, des films ou bandes vidéo ont été ISKRA. Du SLON de Chris Marker naquirent i] géne tout le monde. Camouflet pour le porno
réalisés dont plusieurs ont étonné par l’habilité, Unicité et ISKRA. Unicité s’intégra a Pappareil du moyen: lidiotie de la jouissance phallique est
Pintelligence, la nouveauté, la Hberté, la maitrise, PCF, et produisit Pinoubliable CGT en Mai 68 dite. Le film est di a Claude Mulot. $.D.
la beauté, la folie... dont ils faisaient preuve. Si (voir : Usine). ISKRA devint le carrefour des films
Moh pas de Chance de Moumen Smihi, La Femme de la gauche révolutionnaire, et se mit au service LILLE. Dernier établissement du Festival Interna-
au Foyer de Valeria Sarmento, Collectif de Chris- des « courants populaires » qu’elle mobilisait. tional du Film documentaire et de court métrage
tian Zarifian, La Mort de Janis Joplin de Pascal Sorte de Politigue-Hebdo du cinéma militant, précédemment fixé 4 Grenoble (jusqu’en juin 75).
Kané, Eugénie de Franval de Louis Skorecki, Un ISKRA a cannu de semblables déboires financiers, Crest en 1971 qu’a été eréé ce festival, en remplace-
troisieme d’ Anne Thoraval figurent entre autres a4 suivis d’aussi poignants appels a l'aide. Produisant ment du festival de Tours prématurément disparu.
ce palmérés. Le Pierre, (eau de Pierre Brody, que quelques films, en aidant beaucoup d'autres, et les Tous les ans il propose une sélection internationale
nous avons vu hier, 3 peine terminé, ne devrait pas diffusant tous, ISKRA ne pouvait échapper a de films courts (dessin animé, documentaire, fic-
tarder a les y rejoindre. J.J.H. Taccusation d’éclectisme. Mais cet éclectisme-la tion) et un panorama de la production francaise. I]
était (et continue d’étre) missionnaire et infatiga- a failli étre le lieu d’un scandale en 1979 quand
GROS. A ne pas confondre, surtout, avec GRAIS- ble: A ce point de fusion, la survie c’est la vie Perdriel a songé faire interdire la projection du
SEUX (voir supra), Sans pratiquer aucun ostra- méme. G.P.S. film de Raymond Depardon sur fe Matin de Paris
cisme corporel, les Cahiers ont pourtant souvent (Numéros zéro). Mais il n’a pas failli, Les sessions
montré un faible pour des cinéastes gros, dont la ITALIQUES. De loin, la meilleure boite de suivantes ont méme été l'occasion de démontrer
massivité leur semble souvent s’accompagner, photocomposition-photogravure de la rue de la Pimpossible : il y a un intérét public pour le court
comme chez les lutteurs japonais, d’une vitesse de Folie-Méricourt. Entretiennent depuis un an métrage en France. Ceux qui prétendent le con-
frappe, d’une élégance et d’une légéreté étonnan- @intenses rapports de travail et d’amitié avec les traire ont des arvitres pensées. S.L.P.
tes. Exemples: Renoir, Welles, Guitry, Hitch- Cahiers.
cock, Ferreri, et ces derniéres années, Raul Ruiz. LYOTARD (Jean-Frangois). Son apport a la théo-
IN. rie : « L'acinéma ». Ca se situe dans le courant
KINOPANORAMA. Ex-antenne Soviétique posi-68 de la critique de la représentation, en
GUY (Michel). Le ministre de la culture Je plus implantée aux plus beaux jours de la guerre froide Poccurrence de Vimpression de réalité, « ladite
authentiquement culturel, depuis Malraux, de la pour faire piéce 4 expansionnisme US en matiére impression de réalité (étant) une réelle oppression
v¢. A son actif, dans le domaine du cinéma, on de technique ciuématographique symbolisé alors @ordres », Car, nul ne ignore, pour obtenir une
retiendra : son ferme refus — contre Chirac, et au par le succés de PEmpire Cinérama. I] connut image nette il faut exclure le flou, pour obtentir le
prix de son poste — de X-* L’Emypire des sens, et pourtant sa revanche posthume, lorsqu’il survécut mouvement il faut exclure la fixité, et ainsi de
son soutien personnel — contre l’Avance, et 4 la division en multi-salles de "Empire et apporta suite : d’ou, le cinéma est une somme d’exclu-
notamment Bertrand Tavernier, qui en démis- au moment ot ]’on s'y attendait Je moins la preuve sions. Comme toujours, ce radicalisme a servi 4
sionna — au projet de Bresson, Le Diable proba- que le grand spectable, le soixante-dix milliméres
justifier, voire a propulser quelques expériences
blement. P.B. et une reproduction sonore décente n’étaient pas d@avant-garde, notamment les films de Claudine
des archaismes. I prouva également que le specta- Eyzikman et Guy Fihman. Ces films (Vitesses
teur qu’on avait habitué a voir des films a petits
H. budgets sur des timbres-poste dans des trous a rats
Women) sont bien entendu fondés sur ce qu’exclut
le cinéma « normal » — ou, comme l’écrit Eyzik-
HAVRE (Unité Cinéma de Ja Maison de Ja Culture était capable de signafer son mécontentement en man dans son ouvrage « La Jouissance-cinéma »
déplagant brutalement Je débat du fond sur la
du). Dans fa longue traversée de aprés 68, cette (10/18), « narratif-représentatif-industriel », ou
forme ; et en faisant le succés d’une salle indépen-
base provinciale de production-diffusion a été encore « NRI»— c’est-a-dire Paccélération,
dante alors que de toutes parts on en prophetisait
pour beaucoup (aux Cahiers et ailleurs} quelque Varrét sur image, le flou, le non-représentatif, le
Vextinction. Il prouva aussi quelques temps plus
chose comme Je Yénan d’un cinéma alternatif: subliminal, le non-industriel, le non-narratif, etc.
tard les limites de ces enseignements en s’obstinant
régional (mais jamais régionaliste) collectif (mais C’était avant la vidéo. P.B.
avec de vrais professionnels au service des ama-
A programmer des mois durant un méme film
musical, O.A.
teurs) et prolétarien (sans dogmatisme). Moi j’dis M.
qu’c’est bien Testera sans douie le seul film des
années 70 od un cinéaste aura réussi 4 donner la L. MASSACRES A PARIS. Que faisions-nous 4 la
parole (sans renier le cinéma) A de jeunes ouvriers mi-décennie ? Nous allions au 14-Juillet Bastille
tels qu’il les connaissait de prés (et non tels qu’on LACAN (Jacques). Beaucoup cité dans les tirer les legons de )’échec chilien, Sur Pécran, les
jes fantasmait de loin dans le cinéma militant et les Cahiers, dans les années 70. Un peu moins depuis. peuples d’Amérique latine se faisaient tailler en
fictions de gauche) c’est-a-dire inventifs et mar- Ca ne veut pas dire qu’il ne nous importe plus, piéces, dans les films de Littin ou de Sanjines : La
rants, pas toujours positifs, et conscients avec simplement peut-étre qu’on I'a mieux digéré. Terre promise, Le Courage du peuple, autant
dérision des tristes années qui les attendaient. Les It y a des cinéastes lacaniens et d’autres qui ne le d’affreux carnages. Sous ’écran, le métro passait,
deux animateurs de cette Unité (Christian Zarifian sont pas. Lang, Hitchcock, Mizoguchi, Oshima, indifférent. A cdté de l’écran, prometteurs, l’écou-
et Vincent Pinel} ne sont pas 4 leur place dans ce Rohmer — sans parler de Bunuel —, sont plus lement des toilettes et divers bruits de plomberie.
dictionnaire car chez eux Ia foi a toujours tempéré Jacaniens que Kurosawa, Huston, Ozu, Bergman, Dans Ia salle, nos visages graves et nos regards
une juste évaluation de la loi. C’est 4 l’Unité Vecchiali. Les premiers mettent accent sur les attentifs. G.P.S.
Cinéma du Havre que l’on doit la projection inté- formes paranoides du désir, le jeu des doubles, la
grale, au cours d’un week-end mémorable de 1971, division du sujet, la circulation d’un objet absent MELVILLE (Jean-Pierre). Ce n’est pas un service
de la version originale (13 heures) aujousd’hui dis- ou obscur (ce que Hitchcock appelle le Mc a rendre a Jean-Pierre Melville que de perpétuer sa
patue de Out ] de Jacques Rivette, A.B. Guffin). mythologie. C’est plutét contre lui-méme qu’il
Cet objet, écrit par Lacan, comme on sait : « objet faut le défendre, contre les multiples barriéres
HELAS NON, MONSIEUR! Voir Monsieur petit a » ou « objet (a) », intéresse directement le qu’il s’est évertué a dresser les unes aprés les autres
Cinéma. cinéma en ce qu'il prend la forme, notamment, du entre son systéme et quiconque s’aviserait de le
118 DICTIONNAIRE
juger. Déja s’estompe le souvenir de l’orientalisme ce mot) laissait, béant, un vide, Quoi ? Plus per- PARQUAGE. Cette décennie est celle de la (quasi)
ridicule qu’il affichait autour de la périade du sonne pour suivre et faire suivre l’actualité (et le * disparition d’un beau métier : projectionniste. Au
Samourai ou du Cercle rouge comme s‘effacent les passé) de ce qu’on appelait if n’y a pas si long- méme moment, pour rabrouer, mater, ranger,
torrents de lyrisme que suscitérent ces deux films temps le cinéma du tiers-monde ? Un tel gant ne repousser, humilier les queues qui longent les trat-
auprés de ses fanatiques. pouvait qu’étre relevé. Ce furent les fréres Jalla- toirs 4 l’entrée des multisalles du Quartier Latin,
De ces protections derriére lesquelles Melville se deau (Alain et Philippe) qui, forts de leur expé- on ne craint pas d’engager du personnel. Pour
retranchait la moins efficace ne fut pas son gaul- rience (sur le tas) acquise dans leur ville de Nantes, paraphraser Hitchcock : « spectators are cattle ».
lisme proclamé et les déclarations droitigres qui tentérent l’aventure en créant, en 1979, le Festival .D,
contribuérent pour beaucoup a le couper du public des Trois Continents. Succés. §.D.
cinéphile en des temps ot le débat était rude. PIRATES, Les pirates de l’air firent souvent la
C’est aussi contre sa bruyante postérité qu’il faut 0. une des quotidiens pendant Ia décennie écoulée. Le
défendre Melville, ces pléiades de truands d’opé- mouvement, depuis quelque temps se ralentit,
rettes et de vrais faussaires qui aprés lui mirent en OLYMPIC. C’est lun des premiers lieux cinéphili- telayé par des préoccupations plus terre a terre.
place la triste école de la série noire francaise. ques de la décennie, Installé dans le 14°, POlympic S’appuyant sur la grande facilité de duplication
OA. puis PEntrep6t tout prés ont permis 4 une généra- qu’offre la vidéo, le piratage consiste dans ce cas &
tion de spectateurs de découvrir des gens comme détourner, le temps du passage sur un banal téléci-
MONSIEUR CINEMA. Jeu télévisé. A combien néma, la copie d’un film au moment de sa sortie
de petits employés de banque, de lecteurs terrorisés Dwoskin, Akerman, De Antonio, Kenneth Anger,
et d’autres cinéastes expérimentaux (fe vendredi
ou juste avant. De la matrice vidéo obtenue on
evue, dinstituteurs timides, de candidats tirera un nombre important de copies.
és 4 leurs pupitres d’écoliers, Tchernia soir a minuit). L’Olympic a permis aussi 4 ceux qui
avaient peu été au cinéma entre 68 et 74 pour cause L’actualité, lexclusivité et la clandestinité font
n’a-t-il pas dit : « Hélas non, Monsieur ! ». $.D. monter les prix. Les risques sont variables, les
d’événements de Mai et leurs suites, de rattraper
jeur retard entre 75 et 80 grace a des rétrospectives bénéfices toujours juteux.
MONTAGE. « La pulsion est un montage ». Au
moment psychanalytique le plus rugueux de la bien ajustées. L’Olympic a enfin permis que soient Ces nouveaux pirates font couler beaucoup
revue, cette phrase de Lacan fut une véritable revus sur grand éeran les Mabuse de Lang et quel- d’encre et de salive. Pas un congrés, pas un collo-
que, pas une rencontre professionnelle qui n’y
aubaine. Nous ne nous sommes pas fait faute de ques autres films allemands moins importants de
Putiliser. JN. Yavant-guerre comme ceux de Pabst. Pourquoi le consacre un point au moins de son ordre du jour.
cacher, il y a des ombres au tableau de l’Olympic. Seul Jean-Luc Godard envisage le probléme avec
METZ (Christian). « Le lien of paraissent ces Les hommes chargés de Ja protection du cinéma sérénité, Il rappelle toujours que ce sant eux, les
« bonnes feuilles » n’est pas un hasard : il serait face aux avionomes en fin de décennie (« K.0. Pirates, qui ont appris 4 !’Occident les régles de la
plutét de rencontre, au sens non aléatoire de ce International ») ont parfois fait preuve d’une navigation, J.-J.H.
mot » écrivait fort justement Christian Metz dans forme qui l’était trop (olympique). Mais Ja situa-
Les Cahiers en mars 77. On oublie trop souvent tion devenait insoutenable. Quand aux mauvaises PYVOT ET LES AUTRES. Apostrophes plait et
que Christian Metz, sur la voie oit il s’est lancé, est conditions de projection au d’accueil dont on c’est bien : ce n’est pas une émission méprisante.
toujours resté seul. S'il a été compris par quelques accuse ici et ld cet ensemble de cinémas Menée sur rythme sportif, elle oppose des images
uns (Bellour et Kuntzel, sur le versant de (aujourd’hui il y a Olympic Saint Germain et d’intellectuels, de maniére 4 ce que la rencontre ne
Vanalyse), if n’a jamais été vraiment épaulé mais lOlympic Balzac) dont je dois 4 des fins d’obiecti- soit pas lassante ou obscure. Elle doit, évidem-
surtout pillé par des prétendants en sémiologie vité me faire I’écho, je dois dire que je n’en ai ment, préférer le plus petit dénominateur commun
affables d’un discours de seconde main. On [ui a jamais été victime. Malgré un fréquentation assi- entre les invités, puisque c’est d’abord le spectacle
reproché d’entretenir avec le cinéma un rapport due. S.L.P. qui importe. Les régles sont done claires, le jeu
plutét tordu. Faux. Metz a toujours aimé parcou- nest pas truqué. Et puis il y a un réel respect, chez
tir des tervitoires : fe cinéma comme institution, ON SE VOIT A CANNES. Voir On se voit a Pivot, pour ce dont il a choisi de parler : un peu
comme « signifiant imaginaire », la sémiologie, la Paris. d’amour des ceuvres, ici, passe. En régle générale,
psychanalyse. Il en a parcouru les surfaces, repéré la télévision, Je style sportif est plus sympathique
les axes majeurs, relevé les innambrables points de ON SE VOIT A PARIS. Voir On se voit 4 Cannes. et moins hypocrite que le style cultivé, dés qu’il
jonction et de disjonction, les articulations et les s’agit, justement, de traiter de Ja culture, de vendre
failles. Rendons ici hommage a son infatigable tra- OPERA. Ces années-la, les Francais s’apercurent du concept. Ainsi on préférera, A Ja fausse intimité
vail, 4 son extréme rigueur, sa patience et sa pru- qu’il y avait opéra. Certaines conversations en avec les vedettes de Ruggieri, le franc-parler et le
dence méthodologique. Meiz, immense. Oui, mais devinrent trés franchement assommantes : ¢’est franc-jouer de l’ex-journaliste sportif Michel
surtout : vertigineux. C.T. qu’ils y cherchaient un objet, au lieu d’une action. Drucker : iJ savait au moins de quoi il parlait, tes
Au cinéma, cette découverte a cofité 32 millions de stars venaient faire passer un peu de passion pour
MORDER (Qoseph). S’il y a une expérience heu- francs 4 la Gaumont, sans compter le mépris de le cinéma, les films avaient droit de cité le diman-
reuse et unique du Super 8, c’est bien celle de quelques mélomanes, 14 ot Ia télé suédoise avait che aprés-midi. Dans le méme genre d’idée, Pivot
Joseph Morder. Une pratique quotidienne (et démontré que l’on pouvait exporter l’inexporta- vaut cent fois Suffert : le premier ne couvre jamais
vorace) du cinéma, un insatiable bonheur de filmer ble. G.-P.S. ses invités d’un bla-bla récupérateur, le second,
Ja ot on est et surtout, ce sentiment d’avoir en per- souvent de maniére abjecte, met plein de sauce
mazience un plan a portée de la main. Inclassable ORLY. Aéropori en apparence, studio en réalité. idéologique sur les nappes du menu, quand il ne
{amateur et professionnel), son travail bouscule Déclaration d’un employé: « Ah! Monsieur, choisit pas, comme pour la propagande de Peyre-
toutes les idées recues, traversant avec envie tous aujourd’hui ce n’est rien. Vous seriez venu hier, il fitte, de préparer un plateau truqué. Mise en scéne
les genres possibles du cinéma. Morder imprime n’y avait pas moins de trois tournages dans le hall réactionnaire chez Suffert, libéralisme enjoué chez
ses expressions, empruntant aussi bien [es voies du de départ... » Pivot : choisissez ! Un autre ancien commentateur
film de famille et du cinéma expérimental que du A rapprocher de la place Emile Goudeau, dans le sportif, Stéphane Collaro, réussit une des rares
reportage et de la fiction en passant par le journal XVII¢ Arrondissement. Choisie par un réalisa- émissions de variétés qui ait 4 Ia fois un ton neuf et
intime. Morder totalise 4 ce jour 240 films. Le plus teur de télé imaginatif pour servir de cadre pitto- un sommaire marrant : son Collaroshow repose
court dure 30” et le plus jong (indéfiniment exien- esque et original 4 une (ou un) interview, elle radicatement de la dégaulinade idéologique du
sible} 17 heures : son journal filmé, commencé en valut 4 l’opérateur cette remarque d’un indigéne : spécialiste Chancel, animateur de droite, boy-
1967 et qui, depuis juin 78, avec l'utilisation du «Ah! non, ce n’est pas 14 qu’ils se mettent, scout, prét 4 tout pour enduire de vernis divin tout
son synchrone et d’une voix off, se découpe tous Whabitude... ». G.-P.S. ce qu’il touche. Le syle sportif est le seul, a la télé-
les 6 mois en tranches de 1H 30. Sur ses images, vision qui ne dégofite pas du culturel : les idées
Morder exprime ses impressions, ses gofits et ses vidéo ont besoin de rings. L.S.
couleurs, fixe ses rencontres et ses souvenirs. Avec
P.
le temps se forme une histoire, ouverte aux aventu- PARIS FILM COOP. Coopérative de distribution
res les plus audacieuses : vices publics et vertus pri- de films indépendants créée en 1974 et constituée
vées et inversement. Morder a l’Ame d’un repor- en G.LE. en 78.
ter : il filme tous les festivals oti il va montrer ses Ses principes (comme pour les coopératives de
films. A signaler aussi ce projet fou : filmer toutes New York ou de Londres} veulent qu’il n’y ait ni
les manifestations qui se sont déroulées 4 Paris censure, ni sélection, ni publicité, ni préférence, ni
depuis 1970. Du document, n’en doutons pas. Ses exclusivité. Elle a vocation a distribuer tous les
archives comptent actuellement environ 200 films. films ou bandes vidéo de cinéastes indépendants.
Joseph Morder était dans fa rue, le t* Mai 1981. On fa trouve au 18 rue Montmartre dans le
Le pari est toujours tenu. C.T, Ir Arrondissement. Son catalogue comprend prés
de 300 titres parmi lesquels des films d’Arrieta,
N. Eizykman, Fihman, Kubelka, Lyotard, Mekas,
Nekes, Monory, Pizzorno, Rovere, Willoughby,
NANTES. Le honteux escamotage de Royan (voir Raynal... S.L.P.
DICTIONNAIRE 119
PLAN DE COUPE. L’entre-deux tours de |’élec- simultanée des conditions de projection, dimension, c’est lui qui lui donna ses réles inou-
tion présidentielle a relancé de fagon surprenante la Le morcellement des espaces, pour y fabriquer de bliables : le député « afflivé d’un défaut de pro-
problématique de la voix et du regard, de lin et de plus rentables « complexes », provoque le rapetis- nonfiafion » dans L’Etalon, \’inspecteur de la Bri-
Yoff, du visible et de l’invisible. L’un des points sement des écrans. L’automatisation des projec- gade Radiophonique dans La grande lessive, un
revendiqués par Frangois Mitterrand pour un teurs encourage la négligence et Vinattention des des fréres Robinhoude dans La bourse et fa vie.
débat télévisé avec Giscard a été, on le sait, la projectionnistes. La rapacité des promoteurs Remoleux n’est pas un second réle pittoresque, il
stricte égalité nan seulement du temps de parole, s’accomode de toutes les promiscuités sonores : est totalement a part, seul représentant d’un art
mais aussi du temps d’image, avec pour consé- métro, ventilateurs, marteaux piqueurs.., dont il est V’inventeur. If parait qu’il vit
quence le refus du plan de coupe, supposé polari- Des associations de spectateurs-consommateurs se aujourd’hui 4 Beaulieu-sur-Mer a lécart d’un
ser l’attention sur le visible, au détriment des ques- manifestent parfois, sans grand succés semble-t-il. cinéma qui n’a pas su faire sa fortune. Je souhaite
tions ou des interventions proférées, simultané- Le Michelin des salles reste 4 faire. simplement qu'il puisse lire ces lignes et qu’il sache
ment et off. On pourrait croire qu’il s’agit 1a, Le Broadway y décrocherait plusieurs étoiles et la au moins que ses admirateurs sont partout. O.A.
implicitement, d’un prolongement de l’interdit Cinémathéque aussi (celle de Chaillot s’entend).
bazinien mis sur le montage (« Quand l’essentiel Le Kinopanorama serait signalé pour la belle con-
d’un événement est dépendant d’une présence cavité de sa toile et le Champa pour les acrobaties
simultanée de deux ou plusieurs facteurs de qu’on y fait subir au faisceau de projection : par-
Faction, le montage est interdit », on ne saurait tant du voisinage de l’écran il rebondit sur un
mieux dire de cette forme de prédation qu’est le miroir placé au fond de la salle.
grand débat politique télévisé), mais plus profon- Mais i] n’y aurait pas catégorie assez basse pour y
dément, c'est une conception générale des rapports mettre la salle de visionnement du Centre national
de l’image et du son qui se retrouve mise en jeu. La de la Cinématographie. J.J.H.
certitude selon laquelle image vue distrairait
attention des sons proférés off et en amoindrirait R.
Ja portée entre en contradiction avec les positions
de ceux pour qui « le dévissage des voix par rap- RANCIERE (Jacques). Philosophe. Nous a aidés
port aux visages » (Duras), I’attention accordée a (grace 4 son livre « La legon d’ Althusser ») a sortir
ceux qui écoutent (Godard), ou le guet de Pimpact dela dialectique glacée et althusserienne qui, a un REX. Le Festival du Film Fantastique et de
des paroles sur un visage (Bresson) visent 4 une moment, a figé le travail théorique aux Cahiers. Science-Fiction est devenu une institution au suc-
mise en relief du son. Elie range ses tenants du cdté Entretien passionnant avec J.R. dans le n° spécial
une autre veine du cinéma, oi le vissage des voix cés public jamais démenti. Les nostalgiques parlent
« Images de marque» 268-269 — juillet-aoft de retrouvailles avec le cinéma populaire des
sur les visages est un réquisit absolu : Pagnol et 1976 : i] nous aide 4 mieux percevoir, derriére les grands boulevards. Erreur, ou plut6t, ersatz. Les
Guitry, Guitry dont on se souvient qn’a un colla- images documentaires et fictionnelles, derriére la gens viennent se contempler dans le mirage de cela.
borateur qui lui proposait de commencer un plan représentation, la généalogie historique, idéologi- Le public se rend au Rex de plus en plus pour
sur un lustre, il répondait : « Mais mon cher ami, que et fantasmatique du cinéma américain, et son Vambiance et de moins en moins pour les films.
le lustre n’a pas de dialogue. ». JN. refoulé dans le cinéma francais. Ces derniers, si ’on excepte les rétraspectives, &
Vient de publier « La nuit des profétaires » dont le force de décevoir, finissent par faire perdre tout
PLUS QUE JAMAIS L’ABONNEMENT EST titre pourrait étre celui d’un film: sans doute espoir, Néanmoins, contrairement a Avoriaz quia
PREFERABLE A LA VENTE EN KIOSQUE, est-ce 14 la preuve de son amour — profond — les moyens de faire dans le haut de gamme, le Rex
Cri du coeur de tous fes mensuels, souvent powssé pour Ie cinéma ef pour ce qui s*y agite, derriére les s'est entigrement constitué par /e bas, sur le tas, en
aux Cahiers. images, de figures fantomatiques. 1] est autant le montrant des films de série en vrac. Depuis, il n’a
compagnion de route des Ca/tiers que nous le som- jamais cherché a s’élever. Incontestablement, la
POLLET (Jean-Daniel). La pratique cinématogra- mes de son travail théorique. S.T, chose a du bon. On y va méme que pour ¢a.
phique n’autorise guére en général, le mysticisme. Amour inconsidéré et reconnaissance d’un genre.
Trop de choses a faire, trop d’argent en jeu... Pal- RELECTURE, Ce mot, venu en droite ligne des On est bien d’accord Ja-dessus mais, 4 la longue,
let est donc une exception. Ses films sont des illu- travaux d’Althusser, fut pour nous, appliqué a cette politique en matiére de choix des films équi-
minations, de purs vertiges. certains films américains, véritablerment un mot de vaut a de la paresse. Le Rex est un des rares festi-
Ainsi le dernier, Pour Mémoire: un jour le réve (c’est-a-dire 4 la fois onirique et idéal). I] per- vals 4 présenter autant de films sans avoir cherché
cinéaste a rencontré cet incroyable cadavre vivant, mettait ausi bien de continuer 4 marquer Pamour 4 découvrir, suivre ou méme revendiquer un seul
ce fantéme d’une aciérie du siécle passé, toujours que nous avions de ces films, et de leur appliquer cinéaste. Au spectateur de reconnaiire les siens..
en fonction, toujours actif, comme un centenaire la mise a distance « symptémale » d’une analyse Quant 4 Alain Schlokoff, voir son récent festival
solitaire, réfugié, dans un rituel maniaque et qui se voulait matérialiste. Le moins surprenant du Fitm Musical, c’est un brillant et passionné
devenu pout quiconque obscur. Des hommes n'est pas que, dans certains textes du moins (sur enirepreneur ew tous genres. Dernier détail, En
vivaient et travaillaient dans cet univers charbon- Morocco, sur Young Mister Lincoln), parvenait a allant au Rex, les plus grosses frayeurs, vous ne les
neux de chaines et de roues gringantes, fabri- passer quelque chose de ce gout. J.N. aurez pas dans la salle ou sur l’écran mais 4
quaient des pigces pour un usage non moins opa- Ventrée, si d’aventure vous vous heurtez & un ser-
que. Le cinéaste s’est laissé fasciner, peut-étre par REMOLEUX (Jean-Claude), Certainement vice d’ ordre épais et musclé, incroyablement sourd
cette désespérante épaisseur de l’ombre, par ce Pacteur le plus mystérieux de son époque. Les 4 toute demande. Frissons garantis. C.T.
charbonnement séculaire et par |’extréme impro- générations futures s’interrogeront sur Remoteux,
babilité du lieu. comment a-t-il fait pour imperturbablement suivre ROYAN. Partie cinématographique du festival
Comme le photographe ne peut faire autrement, une carriére allant a I’encontre de toutes les idées annuel d’ Art Contemporain, le festival de Royan,
malgré une pudeur et une horreur « personnel- acquises sur le jeu des comédiens ? Comment a-t-il malgré la fougue de son animatrice Jeanine
les », devant un nouveau-né 4 téte de veau, que fait pour indélébilement marquer de sa poésie pro- Euvard, n’aura connu que trois sessions.
d’appuyer sur le déclic, le cinéaste s’est senti con- pre chacune des répliques qu’avec peine i] parve- C’est grace 4 Royan qu’on aura pe voir en France
traint de répondre a l’appel de cette machine céli- nait & prononcer? Réponse: Remoleux est La Terre promise de Miguel Littin, Le Courage du
bataire et survivante, de ses grincements, de ses comme ¢a dans la vie, aussi ahurissant que cela peuple de Jorge Sanjines, Umit de Yilmaz Guney,
chaines piranésiennes (évoquant aussi directement puisse paraitre. To live in Freedom in Israéi-Palestine de Shimon
celles que le Manifeste communiste enjoignait de La légende veut qu’Orson Welles [ait découvert Louvish... des films importants dans la conjone-
briser), de ses plaintes. Patiemment il s’est incrusté alors qu’il n’était qu’un machiniste aussi myope ture, Voir Nantes.
la, au milieu des hommes qui entretenaient le que maladroit awx studios de Billancourt. Une
mécanisme depuis des générations, il s’est logé chose est en tout cas certaine, sa premiére appari- ROZIER (Jacques) : Les francais en vacances —
avec sa petite machine a Ini dans cet organisme tion a l’écran était dans le rdle d’un des tueurs ala et leur sexualité. Pour le pire, se reporter réguliére-
étrange et a pris au fil des jours la mesure du lieu, fin du Procés en 1959. Malgré ces débuis fulgu- ment sur T.F.i le dimanche soir. Pour le meilleur :
celle de ses habitants. rants, la carciére de Remolenx ne prit jamais Du Cété d’Orouet (1972). Rarement on a filmé
L’aciérie a disparu. Il en reste ces images mysté- Vampleur qu’elle aurait mérité. Sa principale ainsi le comportement amoureux au quotidien &
rieuses, sombres et radieuses comme des eaux- caractéristique fut au contraire l’exclusivité. A ce travers les vacances de trois employés de bureau
fories de Rembrandt, obtenues contre et avec les jour Jean-Claude Remoleux n’est jamais apparu, sur la cOte vendéenne. Désirs, inhibition, jalousie
ténébres par une alchimie de patience et de techni- sauf accident, que dans les films de trois réalisa- secréte, le tout saisi au niveau des réflexes : les
que dont le cinéaste a le secret, et qui rayonnent teurs : Jean-Luc Godard, Pascal Aubier, et sur- élans déployés, toujours trop tét, et les gestes rete-
d'une étrange douleur de deuil. tout Jean-Pierre Mocky. Dans Bande @ Part il nus, mais trop tard. Bernard Menez y fait sa pre-
intervient dans la séquence du cours d@’anglais 07 il miére grande apparition, de loin la meilleure. Dans
PROJECTION (conditions de). Les années 70 res- Jit en cachette des ouvrages cochons, dans Le Orouet, il n’est jamais comique sans tre aussi
teront marquées par la rénovation-bidon des salles Chant du départ, de Pascal Aubier, il est déchireur émouvant. Aprés, il ne sera que risible sans parve-
de cinéma frangaises — siéges pétomanes et de tickets 4 entrée d'un cinéma. Mais c’est dans nir 4 &tre touchant. L’échec relatif des Naufragés
moquette murale 4 gogo — et la dégradation les films de Mocky que Remoleux trouve toute sa de Vile de la Tortue (1976) vient aussi de la : Pierre
120
Richard, rompu 4 des exercices forgés dans ses crane rasé que beaucoup se sont demandés, pour la répétitive, cette locution n’a pas apporté la moin-
films, y impose ses figures libres. De plus, la premiére fois (c’était en 66) qui avait bien pu obte- dre lumiére, méme tatamisée, sur l’énigme de ces
seconde partie, au rythme brisé, laisse un arriére- nir cette richesse, cette précision sonore, C’était films. J.N.
gott d’inachevé. Justement, le charme incompara- Antoine Bonfanti, et cette question-la, il nous a
ble d’Orouert tenait 4 ceci : que tout arrive, mais obligé 4 nous Ja poser un certain nombre de fois
avec le temps. Jacques Rozier est un cinéaste depuis. J.J.H.
indien exilé en France. C.T.
SOUTIEN-GORGE. Son absence — 4 condition
8. quelle soit visible — a connoté, dans mainte fic-
tion de ces derniéres années, la femme « tibérée »
SCEAUX : Festival Annuel et International de et/ou « gauchiste » (pour la barre oblique, voir
films de femmes. Créé en 79, il se déroule dans la supra). Arborée avec insolence par Kim Novak au
premiére quinzaine d’Avril au centre Culturel des moment de Vertigo, cette absence était encore,
Gémeaux 4 Sceaux, en liaison avec le Ministére de sous le regard mi-fasciné mi-agacé d’Hitchcock,
Ja Culture et de la Communication. une provocation de femme et d’actrice. Eile est
Une cinquantaine de films, longs et courts métra- devenue, dans les films dont je parle, l’objet d’un
ges de fiction, réalisés par des fermmes et inédits point de vue politique de cindaste, L’expression la
pour Ia plupart y sont présentés 4 un large public plus déplaisante 4 mon sens en a été 77 pleut tou-
« mixte » (contrairement aux festivals de Musi- jours ot c’est mouillé de Jean-Daniel Simon, ot s¢
dora et de la FNAC dont lentrée était interdite conjoignaient désignation discrétement réproba-
aux hommes — bien que certains s’y soient intro- trice de I’« irresponsable » politique/sexuelle et TEL QUEL. Le mouvement littéraire le plus
duits, malgré tout, 4 leurs risques et périls). coup d’ceil intéressé. J.N. important de la décennie. I] parait aujourd’hui que
Le festival, dés la premiére année, a montré la toutes les prises de positions successives et palino-
prééminence du cinéma allemand en proposant des SUCCES (Inattendus et absolus). Le Distrait de diques qui ont marqué (et en ont marqué plus
films aussi importants que Les Noces de Shirin Pierre Richard, Les Bidasses en Folie de Claude dun, dont les Cahiers, certaines d’entre elles du
d’Helma Sanders, Personatité réduite de toutes Zidi, Tout le Monde il est beau.,, de Jean Yanne, moins) étaient parodiques. Avec Je recul, en effet,
part WElke Sanders, Les Années de famine de Les Zozos de Pascai Thomas, Emmanuelle de Just c’est frappant.
Jutta Bruckner, Les Passions d’Frice d' Ulla Stok), Jaeckin, Exhibition de Jean-Francois Davy, A L’effet le plus marquant de Tel Quel, et de ses
et Le Destin, te paries d’Helga Reidermeister nous les petites Anglaises de Michel Lang, Diabolo masques divers — dont, 4 un certain moment,
(bouleversant psychodrame documentaire). Menthe de Diane Kurys, Et a tendresse, bordel { dans le cinéma, la revue Cinéthigue — a été de
La presse qui avait un peu boudé Sceaux a sa créa- de Patrick Schulmann, figer, de stériliser 4 peu prés tout ce qui ne gravitait
tion était nettement plus représentée cette année. Avec leurs premiers films Claude Zidi, Michel] pas dans son champ. Ce trou noir supermassif a
On a méme pu voir une équipe de reportage, entié- Lang, Diane Kurys, Pierre Richard, Jean Yanne, accrété et absorbé bien des énergies, qui n‘en sont
tement masculine, filmer avidement Jes manifesta- ou dans un autre genre Just Jaeckin, se sont jamais sorties.
tions du festival et interviewer le public sur « pour- d’emblée imposés comme faisant partie intégrante Te! Quel, c’est-a-dire Philippe Sollers, s’est trouvé
quoi A votre avis un festival de films de femmes ». du paysage de la production nationale et ont suivi toucher au cinéma par Ie biais d’un film, A¢éditer-
D.D. leur carriére sans bouger d’un iota, identiques ranée, de Jean-Daniel Pollet. Sollers en avait écrit
aujourd’hui a ce qu’ils sont d’abord apparus. et dit le texte commentaire (commentaire n’est
SCHEFER (Jean-Louis). Homme ordinaire. « Et Ces films que le désir du public seul porte, fait sans doute pas Ie bon mot, mais zut). Le film était
Phomme ordinaire du cinéma ? —- C’est chacun de vivre et triompher, ne peuvent étre que symptémes et reste magnifique, singulier, inappropriable. Te/
nous sans doute : celui dont les objets de plaisir des temps. On y lit sans peine comment le cinéma Quel ne pouvait pas s'en emparer sans en faire un
deviennent des objets de savoir, non L’inverse. comique a dévié 4 un moment donné vers le comi- film-phare, un film-étoife, un film-cométe. If fal-
C’est un spectateur. — Enfin, pourquoi vas-tu au que troupier ou le marché adolescent, ou comment lait que tout le cinéma cesse d’exister par rapport a
cinéma ? — Je ne sais pas, on phutot, j’ai cru com- cette dérive s'est poursuivie jusqu’a la comédie de ca. Le premier film-texte ! P.B.
prendre ceci : je vais voir ce monde et ce temps qui moeurs (Et fa tendresse bordel 1). On voit de méme
ont regardé notre enfance ». S.D. comment Pirruption de Ia conscience d’un marché TROISIEME SENS (le). Voir Sens obtus.
adolescent en croissance exponentielle fut un des
phénoménes de cette décennie qui produisit plus
SENS OBTUS. Voir Barthes.
que toute autre des films d’ initiation sentimentale.
U.
SIBONY (Daniel). Son texte Remargues sur Emergence contemporaine, paralléle et également
Paffect «ratial» a complétement renouvelé significative, fa vogue de I’érotisme qui fit vibrer le USINE. « Jamais elle n'a été aussi propre » qwa
Vanalyse des défilés de la « passion » raciste, au milieu de la décennie est aussi dans les chiffres et la fin du film communiste « La CGT en Mai 68 »,
moment of Monsieur Klein de Losey offrait de suivit, c'est l’évidence, des chemins trés compara- quand les travailleurs reprennent victorieusement
cette passion, avec une violence et une intelligence bles. Pareillement « squeezé » entre une avant- Je travail & Renault-Billancourt.
inégalées sur ce sujet, la figure cinématographi- garde puritaine et un establishment rétrograde,
que, (On lira 4 ce propos les remarques de Serge Le visant un public légitiment soucieux de vivre avec Vv.
Péron dans le dernier numéro, page 119, sur l’alté- son époque et titillé par la curiosité, le succés
ration du glacis-Delon dans Monsieur Klein). Quwil VEmmanuelle était tout tracé. Comme celui VOCABULAIRE, Les adjectifs ont Ja vie dure. If
s’agisse des développements sur la répétition d’ Exhibition auquel il a ouvert Ja voie et qui, lui, y a une grande paradigmatique propre au petit
d’images (au cours de Pentretien que nous avons n’a plus pu ouvrir la vaie 4 quoi que ce soit. Ces monde cinéphilique et qui évolue lentement, Elle
eu avec lui au moment de Ja télédiffusion d’ Ho/o- succés de francs-tireurs étaient avant tout des suc- implique toujours la démesure. Un film ne saurait
causte), ou de ses remarques sur Vinterdit de la cés de producteurs faisant la nique a la profession étre « bon» ou « mauvais », il est abject ou
treprésentation (dans Analytiques), le travail de (qui le leur a bien rendu). Quoi de surprenant 4 ce génial. Nui ne sv’ oppose pas a sublime mais a nul
Sibony nous semble tonjours important pour que lorsqu’on décida de sévir, ce fut sur Emma- lissime, sublime n’ est pas le contaire de nul mais de
Vapproche du fonctionnement filmique. J.N. nuelle 2 et sur Exhibition 2 que s’abattit le coupe- sublimissime. Un film trés fort est aux antipades
ret. Quoi de surprenant, aussi, 4 ce que tout le dun film faible. La morale, qui ne perd pas ses
SIGNIFIANT. A barre sur le signifié. cinéma francais se soit unanimement tu lorsqu’on droits, fait que certains films sont ignodles.
étouffa le porno qui, outre ses répréhensibles D’autres sont simplement rances. A Cannes et
SIGNIFIE. Glisse sous le signifiant. licences, était coupable de ne pas Ini avoir fait par- dans les festivals, de tels excés ne sont pas de
tager ses bénéfices. O.A. mise : les films oscillent violemment entre Vinté-
SON (Ingénieurs du). La politique des auteurs ne ressant et le pas inintéressant. S.D.
s’est pas limitée 4 dresser le réalisateur sur un pié- SYNTAGMATIQUE. Au cinéma, plutét grande.
destal, elle a aussi amorcé une tendance qui con- LA VOIX DE PATRICK BRION. Avec celle de
siste & rendre a César ce qui appartient 4 César. Marguerite Duras, l’événement vocal de la décen-
Quelques noms de producteurs, de musiciens, de T. nie. Tous les dimanches, avant le « Cinéma de
décorateurs ont d’abord circulé. On a découvert Minuit », une voix venue d’ailleurs, plus off que la
aussi quelques grands chefs opérateurs, Henri TATAMIL. Cette natte de paille matelassée consti- plus off, introduit au film. Ce qu’elle dit est rigou-
Decae, Ghislain Cloquet, Raoul Coutard. Tl aura tuant le plancher des maisons japonaises a connu reusement jmprévisible. S.D.
failu quelques années encore pour que le travail de ces derniéres années un succés sans précédent dans
Vingénieur du son soit pris en compte, et que quel- les discours sur le cinéma, précédée bien sfir des Ces notes ont été rédigées par Olivier Assayas,
ques noms sortent de (’anonymat of ils étaient termes « caméra & hauteur de », et appliquée aux Alain Bergala, Pascal Bonitzer, Serge Daney,
jusque-la consignés: Paul Lainé, Jean-Pierre films d’Ozu, pour désigner la position basse de Daniéle Dubroux, Jean-Jacques Henry, Serge Le
Ruh, Louis Hochet.., l'appareil de prise de vues chéres 4 ce cinéaste. Péron, Jean Narboni, Guy-Patrick Saindetichin,
Mais n’est-ce pas aprés avoir vu L’Homime au Employee le plus souvent de fagon mécanique et Louis Skarecki, Charles Tesson, Serge Toubiana.
La nuit du 22 au 23 avril
1981, les Cahiers du Cinéma
ont fété leurs trente ans.
C’est chez Bofinger que
Pévénement eut lieu.
Ce fut un succés

TT” eae a
Oe gauche a droite : Bonitzer (assis}, Bergala, Narboni, Le Péron, Biette, Dubroux, Skorecki, Daney,
Kané et Jeanine Bazin, Lardeau, Toubiana, Sainderichin, Paquot (de profil) (Universal photo)
RAPPEL

SITUATION DU CINEMA FRANCAIS |


N° 323-24
MAT 1981

Au sommaire
TENDANCE(S)
Le cru et le cuit, par Serge Daney
Juste une image, par Pascal Bonitzer
Le direct en dix images
Chronologie sélective

LES AUTEURS
Entretien avee Erie Rohmer
Entretien avec Jacques Rivette
Hommage
20 questions aux cinéastes

LES ACTEURS
Entretien avec Isabelle Huppert
‘Entretien avec Gérard Depardieu
Dix surgissements d’acteurs
Un album illustré de la décennie

A commander & nos bureaux


Prix : 35 F
Pour l’étranger ajouter 5,50 F, frais de port

Vu l’abondance des matiéres, nous publierons dans notre prochain numéro


la fin de notre enquéte sur le cinéma francais. Au sommaire, d’ores et déja :
Entretien avec Jacques Rivette (suite et fin)
Marges, par Louis Skorecki
Le cinéma francais vu des USA,
vu par Raoul Ruiz.
Un défi au cinéma mondial.
Compatible avec le traitement ECN 2, la nouvelle Sa finesse de grain et sa tres fine définition lui
négative Gevacolor 682, 100 ASA, 16 ou 35 mm, vous permettent d’étre poussée sans inconvenient.
garantit partout dans le monde une seule et méme qualité: Bien entendu, elle peut étre traitée dans tous les labos.
elle ne sort que d'une seule et méme usine, afin que sa Et comme tous les produits cinéma Agfa-Gevaert, elle
fabrication soit toujours rigoureusement contrdlée. bénéficie universellement de l'assistance technique Agfa.

La négative Gevacolor 682.


S.A,
HAUTEFEVILLE

cam AGFA-GEVAERT
Division Cinéma et Communications Audio-visuelles

Vous aimerez peut-être aussi