Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2S)
SOMMAIRE/REVUE MENSUELLE/JANVIER 1981
LES CAHIERS PARLENT CHIFFRES
Vous 6tes 5 234 a recevoir En janvier 1981, il y aura huit pages de Mais nous aimerions que vous fassiez
les Cahiers chaque plus dans les Cahiers. Le prix du partie des 3 000 abonnés que nous nous
mois. Au début de l'année vous n’étiez numéro sera porté 4 20 francs. De quoi sommes juré de gagner cette année.
que 3 478. Nous sommes en train de supporter fa hausse des coits de Oui, c’est décidé, notre objectif 1981,
gagner notre pari : améliorer fabrication. Mais aussi de quoi investir. c’est 8 000...
techniquement la revue, élargir sa Il faut que les Cahiers soient encore
diffusion, faire preuve de plus de plus beaux. Dans ces huit pages : peu
pugnacité. Le cercle des amis de textes, beaucoup de photos... * ’ sani
s’agrandit. Cela n’a pas été rien. Ni Jusqu’au 31 janvier
1981, ib vous est possible
pour nous, ni pour vous. Mais ¢a, c'est Si vous faites déja partie des 5 234, de vous abonner (ou de
une autre histoire. En avant donc vers yous pouvez vous réabonner dés vous réabonner) au tarif
de nouvelles aventures... maintenant*. C'est trés avantageux. actuel.
CAHIERS
DU .-
COMITE DE DIRECTION N° 319
Serge Daney JANVIER 1981
Jean Narboni STANLEY KUBRICK
Serge Toubiana
Entretien avec Stanley Kubrick, par Vicente Molina-Foix p.5
REDACTEUR EN CHEF TELEVISION : LE DOCU-DRAME AMERICAIN
Serge Daney
et Introduction, par Serge Daney p. 13
Serge Toubiana
Rencontre avec un carré d’as, par Serge Le Péron p. 15
(« Le Journal des Cahiers »)
Des souvenirs, déja..., par Bill Krohn p. 23
| SECRETARIAT DE REDACTION
Claudine Paquot RETROSPECTIVE MIZOGUCHI A VENISE
Violence et tatéralité, par Pascal Bonitzer p. 27
COMITE DE REDACTION
Olivier Assayas HOLLYWOOD :
Alain Bergala APROPOS DE « SUNSET BOULEVARD » Le mort qui parle, par Hervé Guibert p. 35
Jean-Claude Biette
Bernard Boland Frank, Douglas, Orson et les autres, par Claude Beylie p. 40
Pascal Bonitzer
Jean-Louis Comollt
BRESIL: A PROPOS DE « BYE BYE BRASIL»
Daniéle Dubroux Des douleurs des uns et du bonheur des autres, par Sylvie Pierre p. 44
dean-Jacques Henry
Pascal Kané CRITIQUES
Yann Lardeau Chansons, chansons (Je vous aime, C’estla vie, Cauchemar), par Louis Skorecki p. 47
Serge Le Péron
Jean-Pierre Oudart Le corps del’ange (Le Rebelle), par Serge Le Péron p. 50
Louis Skorecki
Charles Tesson Vi amo, Signor Allen (Stardust Memories), par Olivier Assayas p.51
La tribu et la loi (Gosses de Tokyo), par Olivier Assayas p. 54
DOCUMENTATION,
PHOTOTHEQUE NOTES SUR D’AUTRES FILMS
Emmanuéte Bernheim Brubaker, Sleeping Tiger, D’amour et de sang, Eraserhead, Frayeurs, Inspecteur la bavure,
Nuits de cauchemar, Plogoff, Oublier Venise, Superman II, La Terrasse p. 56
EDITION
Jean Narboni TABLE DES MATIERES DE L’ANNEE 1980 p. 60
CONSEILLER SCIENTIFIQUE
Jean-Pierre Beauviala
ADMINISTRATION
ABONNEMENTS
Ctotilde Arnaud
- MAQUETTE
d’aprés Jacques Daniel LE JOURNAL DES CAHIERS N° 14
Londres, New York, Hollywood Kubrick. Pour ce qui est des livres, les littératures anglaises
et américaines sont assez internationales; les mémes livres sont
Question. Bien que vous viviez.et que vous travailliez en publigs, les mémes sont critiqués dans le New York Times ou
Angleterre depuis longtemps, vous étes toujours considéré dans le supplément littéraire du Times, je recois le New York
comme un cinéaste américain, Est-ce que les raisons pour les- Review of Books et le New York Times et ca couvre tous les
quelles vous vivez en Angleterre sont personnelles ou est-ce livres, au moins tous les livres importants. Ul y a vraiment une
parce que le cotit des films y est sensiblement inférieur a ce culture anglo-américaine en littérature et dans le cinéma. On
quil est en Amérique ? recoit les mémes choses, ici et en Amérique.
Stanley Kubrick. Si vous faites des films en anglais, il y a Question. Oui, mais on fait des choses différentes. Ce que je
trois endroits qui sont des centres de production : Los Angeles, vous demande, c’est plut6t si vous vous sentez appartenir & une
New York et Londres ; et comme je passe beaucoup de temps culture ou & une autre. Par exemple, le roman anglais moyen
dans la préparation et dans le montage d’un film, il me faut est assez différent de l’américain, et il en va de méme pour les
vivre dans un de ces centres, sinon je ne serais jamais chez moi, Silms.
je serais toujours au loin. New York n’est pas aussi bien équipé
que Londres et Hollywood est légérement mieux équipé que Kubrick, Qui, mais je Hs des romans américains ici, tout
Londres, mais si on me donne le choix de vivre entre Holly- comme je lirais des livres anglais si je vivais en Amérique. I n’y
wood et Londres, j’aime bien mieux Londres. C’est une ville a pas de fossé culturel, comme il y en aurait certainement si je
plus intéressante et j’aime y vivre. J’aimerais sans doute vivre 4 vivais en France ou ailleurs. Londres est pour moi comme un
New York mais ce n’est pas un endroit trés pratique pour faire « New York East ».
autre chose que des films en décors naturels. Si vous voulez
faire un film comme Shining ou 2001, New York n’a pas de Question. Yous appartenez a@ une catégorie de cinéastes qui
grands studios avec de grands décors. Donc, I’ Angleterre est le ont été « découverts » en Europe, avant d’étre appréciés dans
lieu idéal. leur propre pays (je parle bien stir de vos débuts). Pensez-vous
que cette tendance est aujourd’hui inversée et que les critiques
Question. Le fait d’avoir éé en contact avec une autre réalité et le public européen sont plus attentifs a leurs propres cinémas
que celle de Vindustrie a-t-il influencé votre travail ? nationaux tandis que vos films sont mieux accueillis aux USA ?
Kubrick, Je ne pense pas. Parce que méme en vivant en Kubrick. Mes films n’ ont jamais fait l’unanimité chez les cri-
Amérique... Vivre 4 New York, c’est quelque chose de totale- tiques américains. Chaque film que j’ai fait a eu des critiques
ment différent que de vivre 4 Atlanta, Dallas, Minneapolis ou trés contradictoires. Et puis, finalement, la critique décide a
n’importe ot dans le pays. Si vous vivez 4 New York, tout ce posteriori que ce sont des films importants. Je pense que
que vous pouvez dire c’est que vous avez une perception new Vexemple limite est 2001, qui a été presque unanimement atta-
| yorkaise de la vie. Je pense que vivant 4 Londres j’ai gardé la qué a sa sortie et qui, il y a un an ou deux, je ne me souviens
perception américaine de Ia vie, que j’aurais 4 New York. Et plus, a été classé par des critiques deuxiéme meilleur film de
certainement a vivre ici j’ai un sens plus grand de la réalité que toute Vhistoire du cinéma américain. Et Dr. Strangelove était
si je vivais 4 Hollywood, qui est un endroit tout a fait irréel. Je le numéro dix, je crois. Si bien que ma réputation en Amérique
lis le « New York Times » chaque jour, je lis des magazines vient toujours de ce qu’il faut appeler une « approbation criti-
américains, je vois des films américains, si bien que je n’ai pas que retardée ».
vraiment le sentiment que cela fait une grande différence pour
moi. En fait, je ne me rends pas compte que je ne vis pas en Question. Ce n’est pas la méme chose en Europe.
Amérique. Je ne me sens pas isolé ou culturellement déraciné.
Kubrick. Non, je ne sais pas pourquoi, mais en Europe mes
Question. Est-ce que vous &tes en contact avec les films films ont eu des critiques tout 4 fait positives depuis toujours,
anglais, des livres.ou de l’art anglais en général ? depuis le premier film. Ie ne sais pas pourquoi, mais c’est
SHINING (SUITE)
Les aveniures
dela
Jumiére
Question. Faites-vous beaucoup de lectures, de recherches, Kubrick. ll y a trop de pistes psychologiques pour tenter
au moment ot vous préparez un film 2 d’expliquer pourquoi Jack est comme il est, ce qui n’est pas
vraiment important.
Kubrick. Seulement s’il s’agit dun sujet historique qui
nécessite beaucoup de recherches. Mais il n’y avait pas beau-
Question. Oui. En lisant le livre je sentais toujours qu’il
coup de chose a lire pour préparer Shining.
essayait d’expliquer pourquoi toutes ces horribles choses arri-
vaient, ce qui est un tort, je pense, puisque la plus grande force
Question. Qui est Diane Johnson qui a écrit le sénario avec
de cette histoire réside dans son ambiguité. En méme temps
vous ?
vous avez évité les nombreuses références a Poe dans le livre,
surtout au Masque de la mort rouge et en fait votre film
Kubrick. C’est une trés bonne romanciére qui a publié déja
échappe complétement a Vinfluence de Poe et se retrouve, sur-
cing ou six livres. Un de ces livres m’intéressait et j’ai com-
mencé 4 lui en parler, puis j’ai appris qu’elle donnait un cours tout vers la fin, plus prés de Borges.
sur le roman gothique a l’université de Berkeley en Californie.
Il m’a semblé intéressant de travailler sur le scénario avec elle ; Kubrick, Le plus grand changement est dans les trente der-
ce qui a été le cas. C’était son premier scénario. niéres minutes du film parce que le climat du roman de King
consistait dans la confrontation entre Jack et Danny, avec
Danny qui disait quefque chose comme « Tu n’est pas mon
De King a Kubrick pére » et alors Jack descendait vers la chaudiére et l’hdtel
explosait. La chose la plus importante que Diane Johnson et
Question. H/ » a de nombreux changements dans le film par moi ayions faite a été de changer fa fin, dans le sens que vous
rapport au roman. Plusieurs personnages ont été simplifiés, avez indiqué. Quant 4 ce qui concerne le pére de Jack et le
Vaspect supernaturel et pseudo-psychologique a été presque éli- milieu familial, quelques indications dans le film suffisent 4
miné et méme Uélément de base d’horreur est réduit. Tout ceci tout expliquer : quand Wendy dit au docteur comment Jack a
constitue pour moi une grande amélioration par rapport au cassé le bras de Danny, il semble qu’elle le dise d’une facon
roman, Avez-vous tenté d’échapper aux normes du genre pour détachée, mais vous réalisez que quelque chose d’horrible a di
créer quelque chose de différent, méme si, bien sir, le film peut se passer. Ou encore quand Ullman, le manager, demande 4
toujours étre vu comme un pur film d’horreur ? Jack : « Est-ce que votre femme et votre fils vont aimer cet
endroit ? » et que vous voyez une éclair dans les yeux de Jack
Kubrick. Vous dites que beaucoup de l’horreur du livre a dis- comme pour dire : « quelle question idiote ! » mais il sourit et
paru dans le film et je ne suis pas d’accord avec cela. En fait, il dit seulement : « ils vont l’adorer ». Je veux dire qu’il y a
outre la scéne ot l’enfant voit le sang asperger les murs et celle beaucoup d’indications subtiles qui vous donnent, au moins
ou il entend le petit bruit dans le grand conduit quand il jaue inconsciemment, la méme conscience que King a eu tant de mal
dans la neige, je crois qu’il y a plus d’horreur dans le film qu’il 4 introduire. Et puis je pense qu’il était inquiet pour la crédibi-
n’y en avait dans le roman. Des gens l’ont dit. Dans le livre, par lité littéraire de son roman, toutes ses citations de Poe et du
exemple, personne n’est tué. « Masque de la mort rougé-» sont trés bien mais pas vraiment
nécessaires. Il était un peu trop désireux de faire savoir a tout le
Question. Oui, mais vous avez élintiné toutes les ailées et monde que c’était de la littérature valable.
venues des figures d’animaux dans le jardin ornemental.
Kubrick. C’est tout. Quand Halloran, le cuisinier noir, Les acteurs et la lumiére
arrive a la fin, ces animaux ornementaux essaient de l’arréter,
mais c’est Ja seule chose qui a disparu du roman.
Question. Comment travaillez-vous avec les acteurs ?
Aimez-vous utiliser leurs improvisations sur le plateau ?
Question. Et vous avez amplifié les rapports entre les princi-
Paux personnages et le sentiment de leur isolement dans Uh6tel,
la frustration de Jack comme écrivain... Toutes ces choses Kubrick, Oui. Je trouve que aussi soigneusement que vous
deviennent plus cruciales dans le film que dans le livre. écriviez une scéne, quand vous la répétez pour la premiére fois,
elle a toujours lair d’une chose complétement différente et
Kubrick. Je pense que dans le roman, King essaie de mettre vous réalisez qu’il y a des idées intéressantes dans la scéne aux-
ENTRETIEN AVEC STANLEY KUBRICK
Mais elle est aussi un nuage, un amas Stellaire (d’o émerge le regretié Peter Seliers — toujours dans Dr. Strangelove).
quelles vous n’avez jamais pensé ou que les idées que vous des scénes avec des acteurs, ov le jeu et je dialogue sont impor-
trouviez intéressantes ne |’étaient pas. Ou que le poids des idées tants,
est mal équilibré ; quelque chose est trop évident ou au con-
traire pas assez clair, si bien que je réécris souvent la scéne Question. Vous essayez toujours d’exercer un contréle total
aprés la répétition. Je pense que c’est la meilleure fagon de pro- ' du film @ chacune de ses étapes. J’aimerais savoir une ou deux
fiter des ressources des acteurs, et méme peut-étre de leurs fai- choses ld-dessus. D’abord, fe travail du décorateur dans vos
blesses. S’il y a quelque chose qu’ils ne penyent pas faire (je films et surtout dans Shining. Intervenez-vous directement ?
dois dire que ce ne fut pas le cas pour Shining ; ils étaient tous
trés bons) vous devenez conscient d’idées et de possibilités qui Kubrick. Oui, jusqu’a un certain point... Par exemple pour
ne vous avaient pas effleuré. ce film, le décorateur Roy Walker est allé des mois partout en
J’ai toujours été impressionné en lisant que certains cinéastes Amérique photographier des hétels, des appartements, des
dessinaient la scéne puis la tournaient sans probléme. Cela choses qui pouvaient nous servir comme références. Nous
vient peut-éire des imperfections de mon scénario, mais je devons avoir photographié des centaines d’endroits. Puis, a
trouve que méme si ¢a a l’air trés bien sur le papier, au moment partir des photos que nous aimions, des dessinateurs ont tra-
ol vous commencez sur un vrai plateau, avec les acteurs, vous vaillé mais en respectant exactement l’échelle des photos.
&étes terriblement conscient que vous ne prenez pas la mesure Quand les photos ont été prises, Walker était ld avec une régle,
exacte de tout ce qu’il est possible de faire si vous vous en tenez de facon a avoir la méme échelle pour tout, ce qui est trés
& ce que vous avez écrit. J’ai aussi trouvé que penser en termes important. Prenez l’appartement ot ils vivent au début du
de plans ou penser comment tourner la scéne avant de l’avoir film, avec des chambres toutes petites, des corridors étroits et
répétée et amenée au point od quelque chose se passe vraiment, cette étrange fenétre dans la chambre de |’enfant, haute d’a peu
quelque chose qu’il vaut Ja peine d’imprimer sur le film, vous prés cing pieds. Eh bien, ca peut parattre stupide de dessiner
empéchera d’atteindre les résultats les plus profonds possibles quelque chose que tout le monde voit dans la vie réelle et voit
de la scéne. De bonnes idées de plans vous empéchent souvent méme que ¢a a lair un peu faux. Mais des choses comme cet
de penser a d’autres choses qui n’iraient pas avec l’idée de ce appartement dans [’hétel, qui est si laid, avec cette sorte de
plan. Et comme ma formation est celle d’un photographe, cela manque de lignes, la fagon dont les choses sont construites sans
me prend une minute pour penser comment tourner une scéne, architecte, sont des choses importantes a garder. II fallait les
s’il se passe vraiment quelque chose qui, a @ ce moment vaut la copier avec soin, de méme que les piéces plus grandes qui sont
peine d’étre filmé. J’essaie donc de ne pas penser 4 comment je- trés belles et ot il faut préserver le travail d’un architecte. Plu-
vais tourner jusqu’A ce que ce quelque chose se produise. Mais t6t que de faire dessiner un hétel par un décorateur, ce qui me
il est trés important de ne pas entraver l’exploration la plus semble impossible a faire sans que ¢a ressemble a un décor ou a
compléte d’une scéne en partant avec des idées de plans. Evi- une scene d’opéra, il fallait quelque chose de réel. Je pense
demmient, ce que je dis est moins important si on tourne une aussi que si ’on veut que les gens croient dans cette histoire, il
scéne ot il n’y a que l’action. Mais c’est le cas pour ce qui est est important de la situer dans un décor qui ait l’air absolument
10
réel et de léclairer comme sil s’agissait d’un documentaire,
avec de la lumiére naturelle, plut6t que cette lumiére truquée,
dramatique, qu’on voit en général dans les films d’horreur. Je
compare cect 4 la facon dont Kafka ou Borges écrivent, vous
savez, d’une facon simple, pas du tout baroque, si bien que le
fantastique est traité de fagon quotidienne, ordinaire. Et je
pense qu’il est bon que les décors soient réels et architecturale-
ment sans intérét parce que cela signifie plus de compositions et
plus de coins oii aller, Mais ils doivent avoir lair vrai. Chaque
détail de ces décors vient de photographies d’endroits réels
copiés avec soin. L’extérieur de I’hétel a comme modéle un
hétel du Colorado, mais les intérieurs viennent d’endroits dif-
férents, Par exemple les toilettes rouges sont des toilettes dessi-
nées par Frank Lloyd Wright que le décorateur a trouvées a
Phoenix, Arizona. C’est absolument comme ¢a, la couleur et
tout. Pourquoi essayer de dessiner des toilettes quand non seu-
lement nous en avons trouvé de vraies mais en plus des toilettes
“HHL
« intéressantes ». Si vous construisez des décors, il est d’une %
importance cruciale de laisser la possibilité d’une lumiére natu-
relle stimulante. Par exemple, tous les chandeliers que nous
avons fabriqués devaient étre munis de fils électriques spé-
ciaux, parce que chacune des ampoules est de cent watts, A
basse tension, si bien que c’est trés clair mais il y a une seule
lumiére. Si vous avez remarqué, Ja couleur et tout Je reste dans
Phétel est chaud, eh bien, c’est en brillant une ampoule de cent
watts 4 basse tension. La lumiére du jour a travers les fen€tres
était stimulée par un renforcement translucide de cent pieds de
long et de trente pieds de haut sur les grands studios. Et ils y
avait 750 lampes de cent watts derriére le renforcement, si bien
que la douce lumiére qui venait de la fenétre ressemble a la
lumiére du jour, c’était vraiment un ciel artificiel. Si bien qu’en
plein jour, ca a l’air réel. Des considérations comme celle-ci
doivent étre pensées trés t6t, parce qu’ elles font réellement par-
tie dela fabrication des décors. L’éclairage doit étre intégré trés
tét au dessin du décor.
Fuites
de
tumiére
AN cine PLAN |
ae < _ AND A.GRUEL
medemeects wines
startling sew revelations
Mg
a
» GUARD'S DARK
SECRET COME
ht see this and other”.
stories with hast Hugh Downs.
LE DOCU-DRAME AMERICAIN
1. Kulzick
sattendre a
est formel:
des rapports
il faut
tou-
INTRODUCTION
jours plus étroits entre le docu- PAR SERGE DANEY
drame et la Loi. Ne serait-ce que
parce que : 1) Il y aura de plus en L'été 1979, cinquante-trois personnes se réunissent 4 Ojai Valley Inn, Californie. Elles
plus de docu-drames. 2) L’inté- ont été invitées par 1’ Academy of Television Arts and Sciences de Los Angeles pour un
rét pour Vhistoire récente va
symposium de deux jours. Objet dela rencontre : le docu-drame. Il y a 1a, réunis pour la
croissant. 3) Les autobiographies
. de personnalités vivantes se mul- premiére fois, des historiens, des critiques de télévision, des scénaristes, des producteurs
tiplient. 4) Les héritiers légaux et des responsables des grands networks (ABC, NBC et CBS qui, comme il se doit, ont
sont chaque jour plus féroces. aidé au financement de |’événement). I] y a un grand écrivain (Gore Vidal), un humoriste
5) Il y aura de plus en plus d’avo- connu (Art Buchwald) et un avocat spécialisé dans les media (Ken Kulzick) (1). Ce qui
cats spécialisés dans les media
pour y devenir «rich and s’est dit 4 Ojai Valley fut publié dans le numéro 3 de la revue de télévision, Enuny.
famous ». 6) Il y aura de plus en L’importance du phénomeéne docu-drame est telle qu’elle frappe méme les participants
plus de procés, donc de cas de du symposium. Roots, Holocaust viennent alors de prouver qu’il s’agit 1a de la forme
figure nouveaux. A la limite, par excellence, voire de la seule forme, a travers laquelle le grand public pouvait s’inté-
dans la chaine du docu-drame,
resser 4 de grands sujets. Le docu-drame a donc une fonction sociale immeédiate, des
l’avocat risque d’étre un maillon
de plus en plus créateur. retombées visibles, presque contrélables. Vu « le pouvoir terrifiant de la télévision », ily
a la une responsabilité immense. Est-elle assumable ? Les cinquante-trois invités d’Ojai
2. L’organisateur du symposium Valley influent tous, A un moment ou a un autre, plus ou moins directement, sur la pro-
n’est autre que David L. Walper,
duction des docu-drames. Au cours du symposium, passés les premiers affrontements, il
responsable du sinistre Raid sur
Entebbe. C’est un fonceur, se dégage une sorte de bonne volonté collective, un hypocrite surmoi de groupe, un dis-
cours lénifiant sur la gravité du docu-drame, un partage de bonnes résolutions trop bel-
3. Blind Ambition est un docu- les pour @tre vraies (2).
drame CBS de huit heures basé
sur la version John Dean du
Watergate, avec Martin Sheen et Une mauvaise image
Rip Torn dans le réle de Nixon.
Car l’image du docu-drame n’est pas trés bonne. Le docu-drame est mal vu, souvent
4. Le terme méme de « docu- jugé de haut par des critiques irresponsables. La presse (« the press-haters », les hais-
. drame » inspire honte et dégoit. seurs de la presse est-il dit) réagit mal. A un moment du symposium, le producteur
On aimerait bien en trouver un
autre, plus noble et moins laid David Susskind déchire en public aprés l’avoir lue a haute voix la critique que Gary Deeb
(télé-histoire, fiction basée sur (du Chicago Daily Tribune) a faite de la série Blind Ambition @). A ’entendre, l’hosti-
des faits 7). En vain. Hy a une lité de la presse est une vraie menace pour l’avenir des docu-drames. De fait, la critique
trés grande variété de docu- américaine, toujours plus intellectuelle que les ceuvres qu’elle critique, a souvent raté,
drames, allant de Ia reconstitu-
dans son souci d’étre non-dupe et non-vulgaire, ce que la culture américaine produisait
tion stricte 4 l’évocation déguisée
en passant par la toile de fond de plus significatif et, finalement, de plus durable.
historique et le genre « what L’image qu’ont d’eux-mémes les auteurs de docu-drames n’est pas vraiment bonne, non
if... 2» (que ce serait-il passé plus (4). Il y a dans le docu-drame a la fois un pouvoir immense et une division non
si... 2). Il me semble que dans sa moins immense du travail, une dilution extréme des responsabilités, d’incessantes limita-
boiterie inesthétique, le mot de
docu-drame est encore le tions. Dans l’enquéte qu’il a réalisée l’année derniére aux USA (voir infra), Serge Le
meilleur. Péron a rencontré des gens qui savent qu’ ils travaillent un peu dans les mémes conditions
i4 TELEVISION
que les cinéastes des séries B d’antan : méme servitudes, mémes pressions, méme devoir
de rapidité et d’adaptation : une jungle of aucun « auteur » ne peut survivre (mais ot
un auteur peut se former, a la dure). Seule différence, mais de taille, les docu-drames 5. Les auteurs (scénaristes, réali-
touchent des millions de gens, leur version des faits devient Ja version. D’ ot ce mixte de sateurs, producteurs) de docu-
drames ne sont pas d’anonymes
fierté rageuse (eux, au moins, touchent le public) et d’effroi devant les pouvoirs d’une fourmis aux ordres, nourrissant
machine dont ils sont 4 Ja fois les esclaves et les apprentis-sorciers (5). une froide Machine orwellienne.
Assez de ce cliché ! Ce sont des
gens qui, dans une situation
Entre mythe et fait impossible, «font de leur
mieux », avec des convictions,
Au début du symposium, Gore Vidal rappelle avec malice que I’Histoire c’est « ce des idées. Si Hollywood hier ou
dont nous choisissons de nous souvenir ». [] ajoute que le massacre de quelques millions [a télé aujourd’hui sont réelle-
de Philippins par l’armée américaine au début du siécle n’est méme pas un fait (« a non- ment des machines, c’est qu’elles
ont su utiliser et/ou broyer des
fact ») parce que le peuple américain a décidé de ne pas s’en souvenir. Inversement, ily a talents et non des zombis.
des faits qu’on ne peut oublier, qu’il faut vite mettre 4 distance, exorciser. C’est la fonc-
tion du docu-drame. Il faut exorciser Watergate, (En le banalisant, en le démultipliant :
VPidéal étant que les trois grands networks en proposent trois versions concurrentes ;
c’est en les comparant qu’on oubliera, du méme coup, le trauma que fut le référent). IJ
ne faut pas exorciser les Philippins. La courte histoire du docu-drame fourmille déja de
« coups de pouce » donnés a la vérité historique, de happy endings obligés, de simplifi-
cations voulues. On décide pour Roots I qu’on ne verra Alex Haley, le héros-auteur du
livre, marié qu’une seule fois et exercant deux métiers alors qu’on sait qu’il eut deux
femmes et des douzaines d’emplois. On décide de demander A l’acteur Peter Boyle de
minimiser l’effondrement physique et les tics de Joe Mac Carthy dans Tailgunner Joe.
Ce sont toujours des décisions prises en haut-lieu, et parfois anticipées par I’auto-
censure des scénaristes. Ces distorsions nous paraissent énormes. Elles sont prises par
ceux-ld méme qui parlent avec gravité de leur respect des faits. (A Ojai Valley, quelqu’un
propose méme d’appeler les docu-dramatistes des « artistes sous serment »), C’est que le
docu-drame n’est pas équivalent américain de La Caméra explore le temps, il est beau- 6. A Ja fin de The Man Who
coup plus que cela. Et d’abord, c’est nous qui avons tendance a parler d’ Histoire ayec un Shot Liberty Valance, le journa-
liste conclut : quand la légende
grand H, ja ott les Américains parlent plus pragmatiquement des « faits » (facts). Le
est plus belle que Vhistoire, on
docu-drame pose une question qui intéresse Pavenir de la forme fiction dans nos socié- imprime la iégende.
tés. Qu’est-ce que cela veut dire de fabriquer quand méme de la légende dans une société
ou les faits sont disponibles ? (6) Comment se construit un mythe sur les décombres 7. Les historiens semblent d’ail-
fumantes des faits, connus et vus de tous ? Question nouvelle (que ni les pays socialistes, leurs résignés a cet état de fait. Us
savent que leur travail sert de
ni le tiers-monde sont loin de se poser et qui terrifie l’Burope parce que, si comme dit matiére premiére aux networks et
Duras (4 Kazan) « l’événement politique, il est européen », l'Europe n’est pas trés fiére que leur intervention, elle, se
de ses derniers mythes). Le docu-drame est le lieu d’un double désir : d’un cdté, histo- situe aprés, une fois le public
riens et éducateurs disent : grace au docu-drame, notre public va avoir envie de remonter accroché et quand il s’agit de
trancher dans la polémique ou
vers les faits et vers les livres ot ils sont consignés. De l'autre, producteurs et network
d’aiguiller vers des « lectures
executives pressentent tout bas (mais ne le clament pas trop) que le docu-drame permet complémentaires ». Certains
au public de vivre )’Histoire comme pathos, comme légende, c’est-A-dire de ne pas la proposent méme que les docu-
vivre — pas vraiment. drames aient droit 4 deux criti-
ques, une fois pour leur esthéti-
que et une fois pour leur traite-
ment de l’Histoire,
Docu ou drame ?
Il se peut que la situation soit irréversible. L’essor du docu-drame est corrélatif A deux 8. Mais un drame ne le concerne
que s’il met aux prises deux
ou trois événements lourds de sens. 1) Les historiens présents 4 Ojai Valley sont for- points de vue, s’il peut donner
mels : les étudiants ne lisent plus de livres d’histoire. 2) Le genre documentaire est en lieu 4 un pour ou contre, Idéolo-
nette perte de vitesse (sauf sur PBS, chaine marginale, ot le travail d’un Wiseman reléve gie démocratiste et stratégie poli-
de exception). 3) Les « news » sont rares, tronquées, insuffisantes. On n’est plus 4 tique des networks. Cela élimine
d@emblée un grand nombre de
Pépoque ott, face au recul de l’écrit, on prédisait (en général avec trop de joie ou trop de sujets. Méme pour Rooss, cer-
peur) l’avénement de l’image. On est a l’€poque of, parmi les images (trés nombreuses tains ont trouvé qu’il n’y avait
mais pas trés variées) qui circulent, celles qui surnagent le mieux, celles qui retiennenf un pas, dans ce film sur l’esclavage,
public sont celles qui savent l’interpeler (7). Soit par la séduction publicitaire soit par la assez de personnages de Blancs
sympathiques | Evidemment, a
mise du spectateur en situation de survivant-voyeur d’un « drame » qui le concerne (8). la limite, le docu-drame rejoint le
Si, fondamentalement, le documentaire c’est ce qui arrive AV autre et si la fiction c’est au sondage dont on dit toujours
contraire ce qui m’arrive A moi (mais A un moi déguisé), le docu-drame c’est un peu le qu’il est une « photographie de
monstre nouveau de ce qui nous arrive @ nous. Un « nous » trés américain, c’est-a-dire Popinion 4 un moment donné ».
trés exportable. Du documentaire, le docu-drame n’a gardé que les deux premieres sylla- Cette photographie pourrait trés
bien s’animer, s’il se trouvait des
bes et du drame il a conservé la double acceptation, théatrale et catastrophique. l’avenir robots pour n’y introduire aucun
dira vers quel cdté du trait d’union il basculera. $.D. « facteur humain ».
LE DOCU-DRAME AMERICAIN
PROLOGUE
Quatre réalisateurs de TV américains ne venait de tourner avec Burt Lancaster.
font pas Hollywood : les noms de Joseph Sar- D’abord acteur (il a tout joué, « méme Tarzan
gent, de Lamont Johnson, de Billy Graham et ala radio » dit-il) et ancien blacklisté pour son
de Abby Mann (rencontrés lors d’un récent appartenance au PC dans sa jeunesse, il nous a
voyage a Los Angeles) ne figurent pas au fron- fait comprendre, dans un sympathique
ton de Villustre temple du cinéma (1). Pour- “mélange de francais (il s’est marié a la mairie
tant, comme les réalisateurs de série B dont ils du 9° juste aprés le débarquement, et comme
assurent la descendance, ils sont de ceux qui « ¢a dure encore », il garde une certaine atta-
font tourner quotidiennement la machine fic- che pour cette langue dans laquelle il a pro-
tionnelle américaine, et en cela ils sont révéla- noncé le « oui » fatidique), et de gros mois
teurs de son fonctionnement. Ils assurent anglais, qu’il comptait toujours « crever le
ailleurs cet « ordinaire » avec la méme plafond de Hollywood », comme son copain
application et le méme talent, mis autrefois Michael Ritchie.
par des hommes comme Tay Garnett (qui a
Billy Graham, lui, nous a regu autour d’un
ailleurs fait de la télévision a la fin de sa car-
Joseph Sargent (Photo Dubroux) repas passionnément cuisiné dans le jardin de
riére), Curtis Bernhardt, Robert Siodmak,
sa villa de Malibu avec sa jeune épouse (la
Mark Robson, Jacques Tourneur... que les
nature toute proche évoquait l’atmosphére de
critiques européens étonnaient toujours quand
Riviere sans retour). Graham est un homme
ils s’adressaient 4 eux comme 4 des créateurs,
trés doux mais trés obstiné, qui fait a ses
ce qwils étaient pourtant.
moments perdus de la plongée sous-marine,
Joseph Sargent nous a regus le premier dans du parachutisme, quand il ne pilote pas un
son bureau d’Universal, entre un casting pour avion en amateur, ce qui lui donne les qualités
son prochain film et une séance de mixage sur suffisantes pour diriger les films d’action qu’il
celui qu’il venait de terminer. Ancien acteur de sait réaliser, et tenir le rythnie de travail que
Broadway (il a travaillé avec Strasberg et Pis- les conditions de tournage imposent.
Lamont Johnson eator), il a gardé son physique de comédien
qu’il agrémente avec l’Age d’une touche de
réalisateur occupé (les quatre hommes inter- 1. Us ne sont pourtant pas des inconnus des spectateurs
viewés ont la cinguantaine), Egalement pro- (attentifs) de la télévision francaise. King de Abby Manna
ducteur (alors que les réalisateurs de série B été diffusé en quatre épisodes année derniére (Mann est
aussi auteur de A Child is Waiting dont Cassavetes a par
@auirefois étaient salariés des studios), il est la suite tiré une version cinématographique). L’Exécution
typique de ces indépendants capables d’appor- du soldat Slovik (avec Martin Sheen) et un autre film de
ter 4 Hollywood sa pature quotidienne d’ima- Lamont Johnson (Requiem pour un espoir) viennent
ges bien faites et de récits professionnellement @étre programmés. On peut voir assez souvent des télé-
films de Joseph Sargent sur le petit écran d’ici : les plus
structurés comme Ie géant les aime, et sans les- Marquants ont été deux docu-drames projetés aux Dossiers
quels il mourrait. de ]’écran dans les’ vingt quatre derniers mois : Les Pirates
Lamont Johnson, plus fougueux encore ne du métro (introduisant une discussion sur Ja violence con-
temporaine) et Racolages {avec Jill Clayburgh) lors d’un
renonce sous aucun prétexte 4 une minute de Dossier sur la prostitution. De Billy Graham on a surtout
travail. Il nous a fait venir dans son atelier de entendu parler ici A cause du succés assez fortuit renconiré
Venice, of il pouvait en méme temps nous par son film 24 Hours to Munich avec Franco Nero (téa-
projeter ses films, les commenter et diriger lisé aprés la prise d’otages palestinienne des athlétes israé-
liens en 1972) dans le public arabe (a Beyrouth et ailleurs),
trois monteurs simultanément a I’ oeuvre (cha- Il est également le réalisateur de Sounder I (le premier
cun a une table de montage) sur un film qu’il Sounder fut réalisé par Martin Ritt).
16 LE DOCU-DRAME AMERICAIN
Abby Mann est le plus étrange. Lui aussi sortir son révolver pour défendre le mot cul-
nous a recus chez lui, dans sa villa de Beverly ture. C’est ce dont il s’est le plus plaint pen-
Hills, véritable bunker protégé par des chiens dant cet entretien : la bétise épaisse des hom-
et des gardes du corps venus sans doute de mes (producteurs, critiques...) dont il dépend,
chez Chester Himes, son voisin (un immense et ’hypocrisie des « prétendus progressistes »
Noir pour ouvrir la porte et un jeune blond d@Hollywood (sucre cassé sur le dos de:
bient6t smokingé pour servir des cocktails Brando, Laurence Olivier, Scorsese... entre
compliqués). Mann est un homme politique- autres), tandis qu’il laissait avec indulgence
ment engagé (son travail scénarique et de mise son « yesman » Vinterrompre toutes les dix
en scéne correspond a cette conception du, minutes pour le couvrir de compliments.
docudrame progressiste) et, comme tel, un peu
parano (il fut lami personnel de Martin Cette assemblée était en train de monter un
Luther King). Entouré de convives du business coup : une réplique 4 Holocauste auprés de
dont un producteur né en Egypte et ami de quoi ce feuilleton « surestimé » serait de la
Salah Abou Seif et aussi d’un « yesman » tout guimauve sur la vérité de ’horreur nazie. Ona
droit sorti du Zinzin d’Hollywood de Lewis (le un peu frémi, mais un coin d’Hollywood, de
fameux Mister Sneak), Mann donne |’impres- sa hargne, de sa rage, de sa force, de sa folie
sion d’un intellectuel sourcilleux, capable de est alors apparu.
eV)...
de télévision, C’est maintenant un film de quatre
heures, et c’est un bien meilleur film que le film (de
cinéma). J’ai eu des moments assez durs en tant que
réalisateur de cinéma : je n’obtenais pas du tout le
genre de matériau que j’ai ’habitude d’avoir en
L’Exécution du soldat Siovik, en haut : une seéne du film avec Martin Sheen
tant que réalisateur télé. Principalement parce que
et en bas le tournage avec Lamont Johnson.
les rares bons matériaux disponibles vont aux réali-
sateurs en yue, les réalisateurs recherchés cette
année pour le cinéma, alors qu’a la télé je suis un
réalisateur recherché, je peux trier et choisir mon
matériau. Donc, ¢a m’est plus facile de tenter le
coup a la télé ; ma chance d’obtenir un bon maté-
tiau est plus grande a la télé, un matériau substan-
tiel, ume matiére premiére qui a quelque chose a
dire.
Cahiers. Vous préférez donc faire des films pour la
télévision ?
Sargent. Seulement parce que j’y dispose d’un meil-
leur matériau de départ. Je préfére bien stir travail-
ler pour Ie cinéma, le budget est plus élevé, les con-
ditions de travail sont en général meilleures, on
vous permet de faire des recherches plus approfon-
dies, mais malheureusement et paradoxalement
c’est une recherche par rapport 4 un matériau
superficiel plutét que significatif. La matigre inté-
ressante c’est a la télé qu’on la trouve. Surtout
maintenant et de plus en plus. Depuis que j’ai fait
Marcus Nelson ou Tribes ou Hustling, le désir de
films avec contenu social sérieux a terriblement
grandi, tout simplement parce qu’ils veulent étre
polémiques 4 la TV maintenant. Ces chaines qui
pendant toutes ces années ont fui la polémique la
recherchent maintenant parce qu’elles en ont
besoin. Il leur faut quelque chose pour attirer
22, TELEVISION
Vattention. Si ce quelque chose signifie contenu
social... elles sont trés pour.
Cahiers. On peut dire que les sujets controversés se
vendent bien @ la télévision.
Lamont Johnson. Trés bien. On a eu un trés bon
taux d’écoute pour My Sweet Charlie qui racontait
Vhistoire d’une jeune fermiére texane de 15 ans,
Patty Duke, qui tombe amoureuse d’un Noir. Ce
film a d’ailleurs remporté des prix nationaux et
internationaux. De méme That Certain Surtemer, le
premier film sur l’-homosexualité diffusé a la télévi-
sion que j’avais réalisé avec Martin Sheen. A Monte
Carlo ce sont les Russes qui ont empéché qu'il
gagne un prix, parce qu'il s’agissait d’un film sur
Phomosexualité. Ils disaient: «il n’y a pas
@homosexualité dans les pays socialistes ». C’est
pas intéressant ¢a ?
Si les docudrames sur des sujets controver-
sés sont florissants 4 la télévision américaine,
ca n’est donc pas par goat des grandes causes,
c’est tout simplement que par son intégration
profonde dans la société, la TV se trouve étre
le théatre privilégié de la mise en scéne sociale.
C’est certainement vrai dans la plupart des
pays développés, mais l’Amérique en a tiré
jusqu’ici les plus extrémes conséquences : tout
doit venir s’y représenter.
Plus d’un docudrame a pu ainsi relancer des
polémiques, ouvrir des bréches, faire rééxami-
ner des dossiers depuis longtemps fermés, ali-
menter une enquéte en cours.
« A la suite de Marcus Nelson Murder, \e
mouvement d’opinion en faveur du jeune Noir
inculpé a été trés sensible », dit Abby Mann.
« Jai engagé moi-méme un détective privé
pour sortir le garcon de prison et nous l’en
avons effectivement sorti ».
Le développement récent des docudrames
résulte certainement de l’interpénétration con-
temporaine du réel et de !a fiction du fait de
Vhyper développement des médias. Dans le cas
de !’Amérique, cette donnée générale se dou-
ble du fait, que dans ce pays, la confiance en la
Paul Winfield dans King je Abby Mann.
télévision et la fiction (7) est telle qu’on leur
attribue souvent la place du référent.
EPILOGUE
Produits spécifiques du cinéma et de la télé- wood se fixeront donc (c’est déja un peu le
vision, les téléfilms vont se trouver eux aussi cas) sur quelques super modéles qui auront
indirectement affectés du coefficient nouveau aussi pour effet de figer (au moins de canali-
introduit dans le champ de I’audiovisuel, par ser) la création, et d’éliminer les films moyens.
les nouvelles technologies, cet au-dela de la Dans une telle conjoncture, les docudrames
télévision et du cinéma. qui puisent leur inspiration de maniére auto-
Medical Story, écrit par Abby Mann. Compte tenu de la conjoneture «qui se des- nome dans l’nformation quotidienne, seront
sine désormais 4 Hollywood (cofit de plus en en posture de parenthése : la soupape par
plus élevé des films et stagnation de la fré- laquelle la machine américaine pourra intégrer
quentation), l’industrie cinématographique va fictionnellement sa réalité sociale, et peut-étre
avoir tendance 4 prendre de moins en moins de le dernier terrain d’exploration fictionnelle. Il
risques. Alan Ladd Junior (l’un des pontes prendra alors une valeur sympt6ématique
actuels d’Hollywood) annonce déja que « la encore plus grande des capacités et des limites
production cinématographique va s’orienter de la fiction cinématographique moderne.
vers des films que les gosses iront voir trois ou
quatre fois » (8). Une politique s’amorce de 7. Confiance ancienne et quasi ontalogique (le pays entier
films trés chers (et en nombre trés restreint) comme résultante d’une fiction) et déja analysée dans les
reproducteurs de suites, de séries, de remakes, films de propagande anti nazie de la Seconde Guerre
de sous-produits (sur les grands, sur les petits Mondiale (cf Cahiers n° 287), ancétres des actuels
docu drames.
écrans et sur le nouveau marché des cassettes, §. Film Francais du 14-11-80. Les exemples actuels
vidéodisques, etc.}. Toutes les capacités explo- seraient des films comme Star Wars, Superman, Jaws,
ratoires, inventives, imaginatives d’Holly- King Kong.
DEJA DES SOUVENIRS...
PAR BILL KROHN
Au cours du premier 4ge de la télévision tion des camps, avec les scénes insoutenables
américaine, dont on se souvient vaguement de corps nus qu’on jetait 4 la pelle dans des
aujourd’hui comme de I’« Age d’or », la plu- fosses communes. Rien qui ressemble 4 ¢a
part de émissions et particuligrement les dra- dans Holocauste.
matiques qui fleurissaient a cette Epoque (ot le C’est-a-dire que, malgré un effet spécifique-
public appartenait 4 la bourgeoisie aisée) ment télévisuel — Pidiotie du commanditaire
étaient diffusées en direct. Pour ma part, le — c’était déja pour moi une question de film.
souvenir le plus vivace que jai de cette période En fait, puisque la diffusion de Jugement 4
est celui de la télépiéce de Abby Mann, Juge- Nuremberg eut lieu au début des années
ment 4 Nuremberg, la premiére de la série heb- soixante, c’était probablement déja une ques-
domadaire Playhouse 90, qui devint par la tion de film et de bande vidéo. Aujourd’hui,
suite un film de cinéma. Les historiens de télé alors que le direct est pour une grande part
vision rappellent souvent, comme un exemple réservé a l’actualité, le film et la bande servent
des pressions qui avaient cours pendant l’Age encore de support 4 l’« effet de direct » inhé-
d@’Or, la décision des producteurs de Play- rent 4 toute diffusion, lequel est vraiment une
house 90 de supprimer de la bande-son toute dramatisation en puissance : « ceci est en train
allusion au « gaz», par déférence pour la de disparaitre maintenant et des millions de
compagnie du gaz qui commanditait le pro- gens le regardent ». Un exemple : quand ABC
gramme: « Six millions de personnes tuées décida de diffuser en direct et dans leur inté-
dans des chambres a (blip) » ! Mais la seule gralité les audiences McCarthy-Armée, le pro-
Jason Robards (Président Franklin chose dont je me souvienne vraiment concer- gramme ne contribua pas seulement 4 faire
Delano Roosevelt) et Kathryn Walker nant cette nuit-la est le choc de la vision, pour tomber Joe McCarthy, il fit la fortune de
(sa fille Anna) dans FDR: The Last la premiére fois, de documents sur la libéra- ABC, qui jusque-la se trainait lamentablement
dans la course au taux d’écoute derriére ses
rivales mieux assises, NBC et CBS. La lecon
ne fut pas perdue 4 la CBS ; la saison suivante,
ils lancérent un jeu en direct qui eut énormé-
ment de succés, La question a 64 000 dollars,
avec des Cadillacs comme prix de consolation,
et des tas de gros plans des concurrents trans-
pirant dans des boxes de verre sur des ques-
tions incroyablement compliquées, sous les
yeux de la nation entiére. I] y eut par la suite
un gros scandale, quand il s’avéra que le
« jeu » était truqué.
L’ Age d’or est fini depuis longtemps, mais il
a laissé des traces partout, en moi par exem-
ple : je sais que j’ai été fatalement marqué par
mon exposition précoce a la beauté intellec-
tuelle des actrices de théatre de New York que
j'ai vues a la télévision pendant mon adoles-
cence, beauté qui n’avait rien a voir avec l’éro-
tisme hollywoodien de l’époque. Dans un essai
consacré au sujet en 1955, André Bazin don-
nait deux exemples d’érotisme télévisuel déter-
24 TELEVISION
miné par la psychologie du direct : Pun, hypo-
thétique, la possibilité toujours présente d’un
heureux accident («« Le temps d’un sein nu
entre deux changements de caméra ») et
l'autre, réel, le couronnement d’Elisabeth II
d’ Angleterre. L’exemple qu’il choisissait pour
illustrer la chasteté de l’érotisme télévisuel, Ia
bien francaise figure de la speakerine, n’a
aucun équivalent ici hors du royaume du jour-
nalisme TV et il passera de l’eau sous les ponts
avant que les nouvelles du soir ne soient intro-
duites par Ia voix d’une femme invisible : la
voix de la machine télévisuelle américaine —
ce chceur impérieux hérité des vieilles actuali-
tés de March of Time — est bruyamment mas-
culin. Mais les remarques de Bazin peuvent
toujours s’appliquer, dans le détail, a la tdlé
américaine ; parmi d’autres choses elles éclai-
rent la différence dont on a beaucoup débattu
entre les stars de cinéma et celles de Ja télévi-
sion, qui n’a pas été sans conséquence sur
Pévolution du téléfilm, ou comme on
Pappelle, du « cinéma TV ».
Au niveau également des conventions de
scénario, le téléfilm contemporain est souvent
un retour 4 ces premiéres télé-piéces (et 4 tra-
vers elles au théatre de Broadway des semble aux mélodrames passionnés que Ser-
années 40 et 50), ne serait-ce que parce que ling avait ’habitude de concocter pour Play-
nombreux parmi les aristocrates de la house 90 et le téléfilm suivant de Graham,
production-téléfilms sont ceux qui ont com- Perifous Voyage (1968), au succés moindre,
miencé dans le direct TV. Cela explique en par- plonge un assortiment allégorique de passa-
tie la popularité immense, récente du « docu- gers de bateau, enfermés dans une conversa-
. drama » (piéce basée sur des faits vrais) et de tion avec une bande de terroristes latino-
la biographie car les piéces tirées de sujets con- américains, dans l’encre du clair-obscur qui
troversés de Ja vie contemporaine et des bio- caractérisait les piéces naturalistes données au
graphies d’Américains célébres furent la vieil Armstrong Circle Theater. Le fait que des
matiére premiére de programmes de qualité traces de cette dramaturgie demeurent, fon-
aux débuts de Ia télévision. La ressemblance dues de fagon instable avec les codes du film
est facile 4 voir dans deux téléfilms produits d@action, dans des films aussi tardifs que
par un vétéran de l’Age d’Or, Herbert Brod- 21 Hours at Munich (1976), particuligrement
kin, et faits, anachroniquement, sur bande : dans les conversations entre Shirley Knight et
The Pueblo Incident (1973), piéce tirée du pro- Franco Nero qui joue le chef des terroristes de
cés d’un capitaine qui laissa son navire-espion Septembre Noir, donne peut-étre la mesure du
tomber aux mains des Nord-Coréens, premier malaise de Graham dans un sous-genre qui
docudrama que je me souvienne avoir vu, ef néanmoins le fascine. Ces derniers mois la
FDR : The Last Year (1980), conclusion de la Tumeur a couru qu’il est en train de tourner
trilogie de Brodkin sur Franklin Delano Roo- dans des conditions de top-secret, et sans
sevelt, qui fait bon usage du procédé démodé aucun doute dans le style hyperréaliste de son
consistant 4 faire raconter leur histoire aux grand diptyque biographique, Howard Hug-
« témoins » directement 4 la caméra. Et mal- hes et Jim Jones, un docudrame sur Affaire
gré son réalisme de surface, il n’y a pas grande des Otages Américains, d’aprés un scénario
différence entre un documentaire moyen qui s’écrit semaine aprés semaine au fil des
comme Rape and Marriage: The Rideout événements de Téhéran. Toujours un petit
Case (1980), sur une femme de l’Oregon qui artifice, et toujours de plus en plus.
accusait son mari de viol, et The Sacco- Quant au style visuel, Doomsday Flight,
Vanzetti Story (1960), autre télé-piéce avec un
regsemble déja a un film, au moins sur le petit
tas de scénes de procés qui me donna des cau- écran, de méme que les épisodes de Naked . waa
chemars tout au long de ma période de
City réalisés par Graham a la fin des années Ae
latence. En haut Powers Booth dans Guyana
cinquante, qui laissent voir l’influence du. Tragedy : The Jim Jones Story de Billy
L’évolution peut facilement se retracer a cinéma européen. Ici encore le téléfim et les Graham.
travers quatre films sur le terrorisme réalisés séries télé poussérent tout bonnement a sa con-
En bas deux photos de Tommy Lee
par un autre produit de l’Age d’Or, notre ami, clusion logique l’évolution de la piéce télévisée Jones dans The Amazing Howard
William A. Graham. Le scénario de Rod Ser- au cours de sa phase d’« avant-garde », car les Hughes de Billy Graham.
ling pour Doomsday Flight (1966), le premier pionniers de la télévision avaient déja devant
téléfilm de Graham, qui eut un taux d’écoute eux le cinéma de l’aprés-guerre dont la plupart
élevé et inspira une vraie tentative d’attaque a des innovations les plus excitantes— le néo-
la bombe contre une compagnie aérienne, res- réalisme, les expérimentations de profondeur
25
grand écran du Melnitz Hall les programmes
kinescopés de la période du direct, trésors des
Archives de la Télévision ATAS-UCLA mon-
trés par Dan Einstein deux fois par mois l’an
dernier. Les séries m’ont permis de rafraichir
mes souvenirs d’émissions historiques comme
The Sacco-Vanzetti Story (qui s’avére avoir
été réalisée par Sidney Lumet), The Mystery of
Kaspar Hauser (1956), la version TV originale
de Charly (pourquoi la déficience mentale est-
elle un sujet si populaire a la télé ?), et The
Marshall of Gunsight Pass, fascinante et pré-
coce tentative de combiner la piéce en direct
Tournage de 21 Hours at Munich: avec les conventions du western de série B. Et
Billy Graham avec Franco Nero. de champ et de mouvements de cameéra, le jeu c’est lA que j’ai vu, plus grand que nature, un
Actor’s Studio, le théatre filmé — convenaient kinescope solitaire qui s’était frayé d’une
A droite, Naked City de Billy Graham.
bien aux exigences du nouveau medium. | fagon ou d’une autre un chemin 4 travers les
Bazin, malgré son intérét pour les qualités spé- Archives, venu d’un programme qui passait
cifiques du direct, ne tarda pas 4 signaler — un peu avant mon époque : une émission de
alors que les critiques parlaient de « style TV» variétés intitulée Club Seven, qui était diffusée
dans The Goddess de Paddy Chayefsky — que
en direct de New York a la fin des années qua-
le réalisateur, John Cromwell, utilisait de rante.
longs gros plans statiques depuis Abe Lincoln
in Hlinois (1940). C’est également Bazin qui Ca commence comme un Ulmer, avec un
remarqua que Orson Welles avait inventé les travelling-avant sur la facade d’une maquette
de night-club dont les petites portes de carton
techniques du direct avant méme qu’il existat,
quand il fit son Macbeth fauché pour Republic s’ouvrent tandis que nous nous fondons parmi
les gens qui dansent, accompagnés par un
en 1947 : bon exemple de la faculté de préemp-
orchestre en plein swing. Le joueur de trom-
tion du génie, puisque les réalisateurs télé —
bone, qui n’a pas la moindre idée d’ot se
de Frankenheimer 4 Spielberg — ont fait
trouve la caméra, introduit notre héte, Johnny
usage des perspectives déformées wellesiennes
Thompson, un costaud aux cheveux noirs,
qui passent magnifiquement a la télé.
brillants comme du cuir, qui lit des cartes pos-
Mais il n’y a vraiment rien dans le cinéma tales venant de lieux aussi éloignés que le Con-
qui vaille mon téléfilm préféré de I’an dernier, “necticut, et chante « joyeux anniversaire ! » a
Playing for Time, piéce du dramaturge Arthut une femme assise a l'une des tables.
Miller basée sur les mémoires d’une Francaise, Aujourd’hui le plus modeste détourneur de
Fania Fenelon, qui survécut 4 Auschwitz en fonds sait trouver son créneau quand il est
jouant dans un orchestre constitué pour le interviewé a la télévision, mais au « Club
plaisir des officiers SS du camp. Le meilleur et Seven » personne, y compris Johnny, ne sait
le pire de ’Age d’Or sont dans Playing for quoi faire de ses mains. Mais qu’importe,
Time : un scénario théatral avec des personna- voici ces fous de claquette, « Ed, Mac et
ges représentant différents points de vue sur Miranda » qui nous font la grace de leur inter-
les questions les plus importantes du siécle ; prétation de « Shake the floor ». A ma grande
un « vernis » qui fait penser a Portier de nuit, surprise, ils sont suivis de Lord Buckley, le
fourni par le réalisateur Daniel Mann ; et une légendaire comédien noir qui fut le pére spiri-
polémique nationale déclenchée par le choix tuel de Lenny Bruce, dans une version tron-
de Vanessa Redgrave, qui soutient l’OLP, quée de son numéro d’évangéliste qui est bien
pour le rdle de Fania Fenelon — choix que regue par l’orchestre. Puis Johnny est de
Vanessa Redgrave dans Playing for
Fania Fenelon elle-méme fut, cela se com- retour, avec une guitare, pour chanter un duo
prend, Ia premiére 4 désapprouver. Si je fus avec la chanteuse irlandaise Betty Reilly, qui
néanmoins captivé, c’est parce que Playing for vient apparemment d’une famille riche (de
Time, comme tant de télévisions ambitieuses, Mexico), a laquelle Johnny ne cesse de faire de
bénéficie d’une interprétation mémorable, miystérieuses allusions. Ils chantent une chan-
celui principalement de Redgrave, qui joue son mexicaine, puis ils chantent une chanson
contre les situations follement mélodramati- absurde. Comme dans tout kinescope ou
ques du scénario en adoptant un dréle bande-vidéo, I’« air » semble plus clair que
@accent et les maniéres réservées d’une dans un film, comme si un voile avait été levé.
hétesse de débats télévisés curieuse et trés Les couples du public se remettent 4 danser,
intelligente. Etrangement, sa ressemblance certains tenant encore leurs cigarettes, et tan-
physique avec Falconetti ne m’a pas géné le dis que la caméra panoramique autour de la
moins du monde, comme cela aurait sans piéce avant de revenir sur Johnny, effacant
aucun doute été le cas dans un « vrai » film. momentanément son visage, il nous invite a le
L’éclectisme de la télévision américaine me rejoindre dans une semaine au « Club
fait me méfier de toute théorie faisant une Seven ». Je le ferais, avec joie, si j’en avais les
équation entre la télévision et les techniques du
direct, mais je ne remplirais pas mes devoirs si moyens. {A suivre)
je ne disais pas quelque chose du plaisir « spé- (Traduit de I’ Américain
cifique » que j’ai éprouvé en voyant sur le par Dominique Villain)
Le pinceau de l’artiste (Tanaka Kinuyo et Bando Minosuke dans Ging femmes autour d’Utamaro)
RETROSPECTIVE MIZOGUCHI A VENISE
VIOLENCE ET LATERALITE
PAR PASCAL BONITZER
A Venise, Yoda (le scénariste de tous ses chefs-d’ceuvre) et Sato (le critique bien connu) se
sont attachés 4 montrer en quoi l’ceuvre de Mizoguchi devait &tre comprise dans son rapport a la
tradition dramatique japonaise classique. Le premier a mis l’accent sur les genres parfaitement
codés dans lesquels Mizo a choisi de travailler et d’exceller : on sait qu’il s’est davantage inté-
ressé aux gendai geki (récits modernes) qu’aux jidai geki (récits historiques), du moins statisti-
quement. Yoda a précisé en outre, a l’usage de notre ignorance occidentale, que le gendai se divi-
sait classiquement en deux, dans le cinéma aussi bien, depuis l’époque du muet : a) la descrip-
tion de la vie moderne, qui selon Yoda reléve en principe du montage et des plans courts, b) le
style « nikkatsu », c’est-A-dire le drame social, inspiré, si je ne confonds pas (mon ignorance
personnelle est infinie) du théatre populaire dit shinpa. C’est A ce deuxiéme aspect que Mizogu-
chi s’est plus spécialement intéressé, et 4 la forme qui lui convient, la fameuse one scene one cut.
Sato, quant a Jui, a voulu souligner en quoi le héros mizoguchien correspondait 4 un type bien
précis de la tradition japonaise. Alors que, selon lui, le « #éro » occidental et notamment améri-
cain constitue un type unique (un homme viril, qui se bat contre ses ennemis et conquiert une
femme), le héros japonais, 14 encore, est nettement divisé en deux types masculins complétement
opposés et sans rapport entre eux : a) le « tachihaku », ce qui mot 4 mot signifie rdle debout,
constitue le prototype du samourai, du guerrier ; ’amour n’entre d’aucune fagon dans son his-
toire (Toshiro Mifune, en tant,qu’acteur, et Kurosawa, en tant que réalisateur, ont illustré ce
Le peinire Kainosho, K.M. et Mori
Masayuki (tournage des Contes de Ia type de héros) ; b) le « nimaime », ou second réle, est au contraire le héros des récits sentimen-
tune vague). taux ; il est classiquement beau, fragile, amoral, voire efféminé (dixit Sato). Son caractére est
« tutsugoro kachi », ce qui veut dire : « tombe 4 la moindre poussée ». Mizoguchi aurait davan-
tage traité ce type de héros (si tant est que le terme soit ici approprié). Le aédnaime est le
personnage-type du théatre shinpa, de méme que le théme de la protestation féminine, illustré
par un romancier comme Izumi (théme du sacrifice féminin).
Ces précisions sont évidemment loin d’étre inintéressantes. Elles me paraissent cependant
moins éclairantes, quant au contenu de Il’ceuvre mizoguchienne, que les quelques détails de la vie
de Partiste, que l’on évoque fréquemment (et que n’ont pas manqué de rappeler également Sato
et Yoda) : le coup de couteau dans le dos, en 1925, d’une femme jalouse ; le sacrifice de la sozur,
véritable héroine d’Izumi, abandonnée 4 14 ans par le pére et vendue 4 une maison de geishas ;
la folie, en 1941, de la femme de Mizo, atteinte de syphilis ; le godt prononcé et indélébile de
celui-ci pour les geishas...
Il fut peut-étre, lui-méme, un nimaime, avant d’étre « Utamaro » et d’échapper ainsi aux
classifications un peu trop oppressives de la tradition japonaise. (Car Utamaro ne ressemble a
aucun des deux types décrits par Tadao Sato, il est passé de l’autre cdété, dans un « devenir-
femme » qui n’a rien a voir avec I’effémination). Mais l’essentiel n’est tout de méme pas 1a.
L’essentiel est justement qu’il est Utamaro, je veux dire l’artiste qui a su peindre jusqu’a la
nudité, jusqu’a l’os, le corps féminin, dans l’acception la plus large du mot corps. (Il est étrange
que le discours de Sato ait essentiellement porté sur le traitement du héros, alors que le sujet de
Mizoguchi — si 1’on excepte la période de la guerre obligatoirement vouée aux jidai geki, les
commandes de ses débuts et Le Héras sacrilége (cf. supra) — est tout de méme essentiellement
les femmes.) L’essentiel est que Mizoguchi est un cinéaste, dont le génie a été de donner au réa-
lisme du genre nikkatsu et 4 la forme du one scene one cut une perfection dramatique et plasti-
que inimitable, dont la valeur cinématographique est non pas nationale, mais universelle,
comme celle des grands maitres de I’art et de la littérature japonaise, aussi bien qu’occidentale.
28 RETROSPECTIVE MIZOGUCHI
U’horreur est hors champ
Disons tout bétement que le genre préféré de Mizoguchi est le mélo.
L’art de Mizoguchi est un art du trait, ou de la ligne.
Si Mizoguchi a choisi, dans Cing femmes autour d’Utamaro, de faire son autoportrait a tra-
vers le personnage d’un maitre des estampes populaires d’Osaka, d’un maitre de la gravure sur
bois, c’est parce que le dessin, la ligne, est pour lui l’élément principal de son art. La mise en
scéne, c’est moins de la direction d’acteurs que, comme disait Hitchcock, de la direction de spec-
tateurs. La direction de spectateurs peut se faire avec le montage ou avec les mouvements dans la
continuité. Mizoguchi a toujours privilégié ces derniers : mouvements des corps dans le cadre et
déplacement de celui-ci par les mouvements d’appareil, mouvements presque toujours latéraux,
dans axe horizontal des maisons japonaises et d’un paysage plat, campagnard, lacustre ou
marin, quand ce n’est pas celui des villes. Il y a donc, chez Mizoguchi, — comme le note d’ail-
leurs Tadao Sato 4 propos d’Ofaru (1) — un usage linéaire de la caméra qui évoque le tracé
d’un pinceau ou d’une pointe séche. Ce tracé, quelle figure cerne-t-il ? 1. Tadao Sato, «.On Kenji Mizo-
On ne peut répondre a cette question qu’en évoquant l’usage a la fois classique et trés particu- guchi », in Film Criticism, n° 3,
lier du hors-champ chez Mizoguchi. Un terme essentiel de sa mise en scene — comme de ses scé- printemps 1980.
narios — est celui de la violence, et plus encore de la cruauté. S’il est un « cinéaste de la
cruauté », c’est bien Mizoguchi. II suffit d’évoquer, pour me faire comprendre, le marquage au
fer rouge des esclaves fugitifs dans L’Intendant Sansho. Jamais aucun cinéaste n’a su évoquer
aussi directement, ni aussi économiquement, l’horreur pure de la cruauté sadique, que dans cette
scéne oll une femme, maintenue au sol, est par deux fois touchée au front par la crosse du fer
rouge, manié par l’intendant Sansho. On ne voit pas, bien stir, l’action du fer sur la chair, en
direct : Mizoguchi est trop raffiné pour cela. L’horreur est hors-champ. On voit cependant, en
différé, le résultat : non pas a posteriori, sur le front de la femme marquée, mais @ /’avance, sur
le front d’une autre femme, antérieurement marquée pour un méme motif : double cicatrice
boursouflée, horrible, qui fait du front une terre en friche. Tarkovski dans Andrei Roublev a
imité, de facon simplifiée, cet effet, dans la scéne ot l’on verse del’ huile bouillante dans Ia gorge
du prétre. Dans L’Intendant Sansho, cependant, Mizoguchi ne se contente pas de suggérer I’hor-
reur par le hors-champ, avec le hurlement off. La caméra cadre froidement le visage froid du
bourreau (Eitaro Shindo), lorsque par deux fois il applique, d’un geste seulement imaginable par
le mouvement presque imperceptible de l’épaule, le fer rouge. Cette sorte d’affreux courage, de
maitrise, de la cruauté institutionnelle, fascine visiblement Mizoguchi. On en trouve un autre
exemple, magnifique, dans la scéne de la décapitation de Toshiro Mifune dans Ofaru.
Voici donc une utilisation du hors-champ, la caméra décrivant un mouvement dont le terme
est une horreur, a la limite de laquelle elle demeure, sans franchir cette limite, de fagon 4 conser-
ver l’intensité sans la décharger, Le caractére érotique de ce mouvement réservé est trop évident
pour que j’y insiste, sinon pour ajouter que bien entendu, il est également valable pour une scéne
a caractére érotique, le terme étant alors, non plus nécessairement la cruauté, ’horreur, mais
Pobscénité de acte sexuel.
ee
Le fer rouge de l’ordre patriarcal (LIntendant Sansho).
36 RETROSPECTIVE MIZOGUCHI
Dans La Féte a Gion (Gion Bayashi, 1953), le procédé est un peu différent puisqu’il s’agit
d’un montage paralléle, I] s’agit du sort croisé de deux geishas, Eiko, la plus jeune (a |’évidence
vierge), et Miyoharu, un peu plus 4gée. Elles sont simultanément convoitées par deux industriels
en affaires, le plus jeune, Kasaki, s’intéressant 4 Miyoharu, et le plus 4gé, Kusuda, 4 Eiko. Dans
la scéne-clé du film, les quatre personnages sont réunis dans un appartement de Tokyo. Kusuda
explique 4 Miyoharu qu’elle doit coucher avec Kasaki dans une piéce voisine tandis que l’inno-
cente Eiko vient montrer figrement a son « patron » ses atours et sa nouvelle coiffure de geisha.
A Sa grande surprise, il se jette sur elle, cherchant a l’embrasser. Elle se débat, criant qu’il va
« abimer sa’ coiffure ». Dans la piéce 4 cété, Miyoharu déja résignée entend soudain son nom
crié par Eiko. Elle se précipite et trouve Kusuda se tordant sur le sol et poussant des grognements
jnarticulés en se tenant la bouche. Avec terreur, elle s’apercoit qu’il saigne. Eiko se tient un peu
plus loin, assise sur le sol, semble-t-il en état de choc ; un peu de sang souille son visage, de la
lévre au menton. :
Ii faut souligner le fait que si les violences abondent dans l’ceuvre de Mizoguchi, il est trés rare
d’y voir ne serait-ce qu’une trace de sang. Ce léger trait de pinceau sur le pur visage d’Eiko
(Ayako Wakao), avec les traces de coup de fouet sur le corps de Tanaka dans la scéne finale de
Femmes de la nuit, en sont 4 ma connaissance les seules exceptions. De méme Mizoguchi ne
filme-t-il pratiquement jamais un geste meurtrier : lorsque c’est le cas, par exemple dans Uta-
maro, il s’arrange pour que l’acte soit invisible ; ainsi Tanaka ne poignarde-t-elle pas 4 bras
tendu son amant infidéle, elle se colle 4 lui bizarrement, leurs deux kimonos se confondent, on
devine le geste plus qu’on ne fe voit et le corps du jeune homme, soudain, s’effondre. Le
deuxiéme meurtre, celui de la courtisane tatouée, n’est pas montré : ellipse.
e@ Les acteurs, dont la caméra cadre les pieds, prennent un @ 1) ne doit donc y avoir aucune arme dans cette maison, mais
départ trop lent, sans recul, comme pour bien faire sentir que quand la femme se relévera de sa scéne de jalousie, on décou-
ce n’est que le clap qui a déterminé leur mouvement. On croit vrira sous son ventre, comme secrété soudain et enfanté par la
qu’ils marchent dans un endroit restreint, mais leurs corps jalousie, un révolver, instrument pour Ia résorber. Au
autour desquels s’élargit le cadre se déplacent soudain dans un cinéma, la femme jouait avec ses mains. Interdite de cinéma,
champ trés vaste, un terrain de golf. Els jouaient au golf et réel- elle s’en sert pour se tuer, ou plutét pour nourrir 4 vide (aucun
lement ils n’avaient pas la démarche au départ, ni le tempo de journal n’en parlera) la mythologie de Ja star.
joueurs de. golf qui vont récupérer la balle dans le trou. Ils mar-
chent en parlant et la caméra les suit, mais un travelling a tou- e La femme dont il est question a des problémes de parole :
jours une fin, un métrage, et les acteurs s’arrétent donc pour. dans sa décapotable, elle parle au chauffeur, absurdement et
parler 1 oti les rails prennent fin (cette remarque mélange la désuétement, comme un vestige de luxe, par lintermédiaire
découverte d’une anomalie 4 un état trés naif de Ja vision). d@’un bigophone : elle ne veut pas étre synchrone, elle tient 4
cette distance, a ce décalage entre sa voix et son visage. Quand
e Lactrice se regarde dans le miroir, mais on sait bien qu’elle elle retourne dans Je studio de cinéma, et qu’on I’assied,
ne s’y voit pas, qu’elle doit regarder la caméra comme son pro- comme une infirme, dans le fauteuil du metieur en scéne, alors
pre visage. Si l’actrice voyait son visage, le spectateur verrait la que des machinistes installent le matériel d’une prochaine
caméra (c’est le cinéma qu’on subtilise). prise, un micro tournant entre dans le cadre et va cogner sa
@ Le metteur en scéne filme en premier plan, décentré a gau- t&te : c’est le micro qui l’a chassée du studio, a la lettre c’est le
che de l’image, le dos, la nuque et la téte d’un acteur, homme parlant qui l’a tuée.
ou femme, rigide, d’une immobilité totale, comme s’il était ter-
e@ Est-ce que cette femme parle faux, est-ce que sa voix est
rassé par le mouvement de la caméra, comme s’il était devenu laide ? Dans les nouvelles techniques du cinéma, elle se
un mannequin (comme si l’acteur était déja parti, ou mort, et
retrouve inadaptée, mutilée, et cette mutilation, cette malfor-
qu’on doive tout de méme tourner le plan sans lui), et que son
mation (elle n’a pas été formée pour le parlant) exige une
vis-a-vis soit un personnage animé, ou un décor, le tableau
orthopédie, Son age aussi la rejette de Pécran. Ses mains sont
d’un musée de cire. Au plan suivant, pour dédoubler I’effet en
sur-expressives, elles en font trop, elles sont griffues, suspen-
Je nommant, l’acteur glisse sur le plancher, et l’actrice dit quel-
dues, elles arrétent le mouvement, elles se détachent sur le noir
que chose comme : « attention, ona ciré hier ». L’intuition du du vétement, comme des mains greffées, un fume-cigarette est
spectateur, son texte interne est corroboré, niqué par l’image raccroché au doigt par une bague. Les gestes s’étirent et les
suivante.
objets tiennent tout seuls dans l’espace.
@ De méme, ces premiers plans tassés A gauche de l’image .
e L’étrangeté est nécrophilique, la maison un mausolée of
découpent le corps, en dissocient un membre, comme une pro-
Von célébre la mort (de image, du cinéma). Il est beaucoup
thése, soudain animée d’un mouvement un peu frénétique, ou
question de momification : on a embaumé un chimpanzé que
de trop de durée, habitée d’une vie autonome et maléfique : 1a
peut-étre un maharadjah avait offert a l’actrice du temps de sa
le cadre, la découpure produit des créatures de science-fiction.
gloire, il est Pacteur précédent (William Holden va le remplacer
Les gants blancs du joueur d’orgue répondent a la gaze des
en échouant par hasard, 4 cause d’un virage trop brusque, dans
bandelettes de la suicidée dans l’orthopédie du film. Comme
cette maison). On croit d’ailleurs que le chimpanzé est un
des bracelets supplémentaires, les gazes dissimulent les fausses
homme, lorsqu’il est allongé sous sa couverture funéraire,
plaies du faux suicide, cette seule parure suffit au mensonge.
avant qu’on découvre son visage maquillé, puis on l’enterre
La femme se sert trop de ses mains : on a pris soin d’Gter, a
(pourquoi Vavoir momifié alors 7), dans le jardin, 4 la nuit
portée de sa main, tout instrument qui pourrait servir 4 son sui-
tombée, a la lueur des chandeliers, et juste devant la maison
cide, le révolver et les couteaux bien sir, mais aussi les serrures
(pourquoi pas un peu plus loin, est-ce que le cadavre ne va pas
(pourquoi les serrures, laissées ouvertes, sans possibilités de
empester ?), et pas trés loin de la piscine non plus, quoi de plus
clefs ni d’enclenchement ? pour que le gaz puisse se dévider par
étrange ?
les couloirs, ou pour qu’elle-méme puisse voir, et voir a l’excés,
espionner ses locataires ?) e@ Il yaun orgue, dans cette maison démesurée, dans ce musée
36 SUNSET BOULEVARD
de cire, un orgue monumental : le vent s’engouffre dans ses reaux de l’escalier, comme un objet dissimulé dans un décor.
tuyaux, le serveur en joue pour accompagner les films muets L’énigme que poserait sans cesse ce film serait: of est la
gue se fait projeter la star, bien sir ses propres films (Gloria mort ? ot se cache-t-elle ?
Swanson, qu’on voit jeune sur l’écran, était-elle une héroine du @ L’homme fauché, le scénariste est pris entre deux femmes :
muet, une actrice « finie » avant Sunset Boulevard 7). Comme une femme arriviste, et une autre arrivée, et méme dépassée. La
dans une église, l’orgue célébre son culte, la mort de son image, jeune secrétaire grandie dans le milieu des studios qui veut
sa résurrection momifiée, son mirage, lorsqu’un des tableaux devenir scénariste, et la star perdue qui veut revenir a I*écran.
du salon coulisse pour laisser place a I’écran, au blanc, a la Avec elles, il écrit deux scénarios paralléles : une histoire
lumiére, au cinéma. A la fin du film, la femme diabolique d’amour avec la jeune (« Untitled Love Story ») et une histoire
rejoint le blanc de V’écran, en s’approchant toujours plus du de mort avec la vieille (sa propre mort comme remake de
spectateur, en I’écrasant, en entrant dans la salle. Effet sembla- Salomé). La nuit, quand il quitte la vieille pour retrouver la
ble et inversé sur le mouvement tournoyant du motif dessiné jeune, le travail, Pécriture se fait A la place de Pamour. La, le
sur le parapluie ouvert qu’elle fait tourner, lorsqu’elle rejoue cinéma exécute |’amour : les deux jeunes personnages jouent
ses saynétes idiotes du muet : comme un gouffre qu’elle lui leur scéne d’amour, entre guillemets dans les sous-titres, avec
ordonnerait, comme le maélstrom d’une noyade, vamp ou les dialogues qu’ils viennent d’écrire, L’homme est la victime
vampire, elle séduit homme.
e@ « La mort est une bonne scéne » dit Gloria Swanson, préte « Les gants blancs du joueur d’orgue répondent a la gaze des bandelettes de la
suicidée dans l’arthopddie du film. Comme des bracelets supplémentaires, les
pour son close-up final : Je gros plan, ¢’est ce qu’on tourne en gazes dissimulent tes fausses plaies du faux suicide, cette seule parure suffit au
dernier, comme le rectangle de verre découpé dans le cercueil mensonge. »
pour qu’on puisse voir le cadavre une derniére fois au moment
de l’inhumation. Trés vite [a maison devient fa mort, et tout le
film une métaphore de la mort. La piscine en est ’embléme,
elle est donnée dés le départ comme un cercueil flottant,
comme l’aboutissement du dédale. Une fois que la femme aura
tiré sur lui, alors qu’il tente de fuir la maison, homme n’aura
plus qu’a faire quelques pas pour s’y écrouler, pour prendre Ia
place que lui a indiqué dans le film le premier plan de la pis-
cine, comme du scotch phosphorescent sur le plancher d’une
scéne, Entre ces deux plans, on voit la piscine a trois reprises :
d’abord, dés son arrivée dans la maison, l’homme surplombe
la piscine vide, c’est ’hiver et des rats grignotent quelques
déchets. Si l’on suit fidélement la chronologie de image, sans
tenir compte du flash-back ou du flash-forward, si l’on ima-
gine qu’on ne posséde la culture d’aucun de ces codes, c’est
peut-étre un des lambeanx de sa peau précédemment ramollie
par l’eau, dans le futur, qu’il voit rongés : comme un vertige,
un présage, une annonciation plus qu’un avertissement, car de
sa fascination pour l’argent, et donc pour la mort, il ne peut
s’enfuir. Puis l’homme est en maillot de bain, et il se baigne, il
prend des bains de mort tandis que sa meurtriére prend des
bains de jouvence pour pouvoir tenir son rdle de meurtriére, de
Salomé.
@ Enfin, avant la mort, homme fait venir la jeune femme, la
tivale, dans la maison de Ja vieille femme. C’est la nuit. Quand
il allume la piscine, pour la montrer 4 la jeune femme, dans sa
démonstration du luxe, c’est bien la mort qu’il lui montre, la
fatalité qu’il éclaire (il est le spectateur de son destin, au méme
titre que le spectateur, et le spectateur entrevoit aussi sa propre
mort dans l’écran aquatique). La jeune fille est ’'amour, et il
confronte la, dans ce plan, la mort et amour, il les soupése,
c’est un marché. L’homme préfére l’argent de la vieille 4
Y’amour de la jeune.
@ Trés vite le film s’est établi sur une relation de deux fois dou-
bles analogies : le cinéma-l’amour, l’argent- la mort, et dont le
processus est de se tirer les unes sur les autres, comme une qua-
drature d’exécution. Le cinéma c’est l’amour, et l’argent c’est
la mort. En éléments répulsifs amour et l’argent s’anéantis-
sent, mais c’est par I’argent que la femme tient l’amour, et c’est
par cet amour que l’homme se tient, s’accroche au cinéma. La
ferme finit par tuer l’amour pour refaire du cinéma. La jeune
femme dit : « je ne suis jamais venue ici », non seulement pour
verser une piéce supplémentaire au dossier sur le mensonge
qu’a ouvert le film, mais pour bien dire, comme les gens qui
refusent d’aller rendre visite dans les hépitaux, qu’elle ne veut
pas voir la mort. Elle ne rencontre d’ailleurs pas la vieille
femme, qui se cache tout en haut de image entre deux bar-
LE MORT QUI PARLE 37
désignée par les femmes, et si l'on ne donnait pas, dés le
départ, l’axiome de sa pauvreté, comme on donne a la vieille
femme l’axiome de son extréme et invraisemblable richesse
(comment une vedette du muet oubliée depuis trente ans peut-
elle continuer 4 vivre sur un tel train de vie 7), ’équation du
film ne tiendrait pas debout, la résultante étant la mort, mais la
mort n’étant pas Vinconnue.
@ La pluie n’en finit pas de tomber, avec insistance. Le déluge
tombe le soir du réveillon, et comme un alcool, le persontiage
s’imbibe de flotte. C’est un peu l’eau de la piscine qui retombe
par le ciel : la pluie habitue sa peau a cet état blanc et détrempé
qu’elle va bientét acquérir.
« Ses mains sont surexpressives, elles en fant trop, elles sont griffues, suspen
dues... »,
[Seti os
William Holden et Gloria Swanson.
« La piscine est 'embléme de la mort, elle est donnée dés le départ comme un cercueil flottant, comme l’'aboutissement du dédale ».
cae} esat
sc ae tee
SUNSET BOULEVARD
. 3
La femme dans sa décapotable.
jusque-la il avait une voix immatérielle, inimaginable, toute sa les personnages d’un plan a l’autre. Cela expliquerait que la
voix, toutes ses voix possibles émanaient de son visage sans caméra, a plusieurs reprises, ne puisse @tre nulle part
jamais pouvoir étre caractéris¢es : la puissance, la magie du Gorsqu’un champ-contre-champ, a la seconde image, soudain
faciés, brusquement vieilli, sont aussi réduits 4 ces quelques nie la distance, et méme l’emplacement : l’ozil était dans le
paroles dérisoires, qui n’ont rien de dréle, mais qui font rire, mur, la caméra comme un judas, un ceil dérobé). Cela expli-
beaucoup. Il est cruel ensuite, en visitant le studio, de s’aperce- querait qu’un mort puisse parler (c’est la voix off du film et il
voir que le grand air, les grands espaces du cinéma américain faut se résoudre 4 ce qu’elle soit celle d’un mart), c’est bien un
n’ont pas de profondeur, qu’ils sont simulés sur des toiles pein- mort qui parle, mais d’ot parle-t-il, du paradis, de la fiction ?
tes, que la fumée du calumet de la paix n’est qu’une bouffée de Ne réve-t-il pas qu’il est mort ?
Ripolin. Le spectateur, qui croyait avoir du recul, de la dis-
@ Mais non, la voix s’est bien détachée du corps, elle plane au-
tance (le cinéma comme une fenétre ouverte sur le monde) bute
dessus de cette loque bouffie d’eau qu’on traine sans douceur
soudain a V’écran, est rappelé au manque de profondeur. Les
hors de la piscine, comme un poisson échoué, comme une
deux personnages marchent dans la rue de carton-pAte des stu-
grosse prise (dans cette violence finale, tout juste si on ne lui
dios, et le plan suivant montre une voiture, les phares allumés,
marche pas sur le ventre pour lui faire rendre son eau). La
qui freine devant une maison, dans une rue semblable. Com- femme a réussi son coup : elle retourné, on la refilme. Elle a
ment croire alors a la rue, a la voiture ? Pourtant on lui a
tué pour pouvoir jouer. Lors de son arrestation, les projecteurs
donné del’élan, elle n’est pas comme les joueurs de golf; elle ne
se braquent de nouveau vers elle, elle descend comme une reine
traine pas la patte.
le grand escalier de son palace : elle voulait faire son come-
e Le personnage, assis sur la chaise longue, a les yeux fermés, back avec une adaptation de Salomé, et 4 défaut de la faire au
et on en vient 4 se demander, au milieu du film : et si c’était un cinéma, elle la joue dans la vie, le chimpanzé devait mal jouer
cauchemar ? Tout bonnement ? Cela expliquerait toutes ces la comédie (imaginons King Kong en Saint Jean Baptiste).
ruptures, ces sautes de temps, ces bonds impossibles que font Hervé Guibert
XX G.I.C.I. A LUXEMBOURG
Le XX Congrés indépendant du cinéma inter- lyrique. Mais tandis que Murnau et Sjéstrém uti-
national, animé par Bernard Chardére, a tenu lisaient Penvironnement naturel pour sublimer,
cette année ses assises au Grand Duché de Luxem- avec leur génie propre, les pulsions de leurs per-
bourg, du it au 8 septembre, sur le théme « Nais- sonnages, Borzage nous l’asséne de plein fouet,
sance d’une Cinémathéque ». Moins précis, plus avec une concision et une véhémence 2 couper le
extensif que les précédents C.1.C.1. consacrés au souffle. On cite toujours la fameuse scéne of
mélo, au cinéma de Vichy ou 4 année 1929, mais Rosalee se couche sur le corps gelé de "homme
permettant d’honorer a travers une soixantaine de qu’elle aime pour le réchauffer (rectifions en pas-
films, la plupart rarissimes, le travail considérable sant une erreur couramment commise par les nos-
accompli en moins de cing ans par I’archive ciné- talgiques du film: c’est lui qui est nu, non pas Le Malade imaginaire de Douglas Sitk
matographique la plus jeune et la plus dynamique ~ elle, qui ne fait qu’entrouvrir sa combinaison . a -
d’Europe. Ce fut Poccasion d’une série d’exhu- avant de s’allonger); on a oublié toutes les
mations et de redécouvertes qui valaient large- séquences qui précédent, oti Rosalee, assise sur un
ment, 4 notre sens, les mondanités concomitantes rocher ou se prélassant dans sa cabane au bord du
de Deauville ou méme les fastes vénitiens. Comme fleuve, passe par tous les stades de la séduction,
il ne saurait étre question de rendre compte de de Pironie souriante 4 la provocation radieuse.
Vintégralité du programme, nous avons choisi de Quant a l’obsédante présence du corbeau laissé en
nous en tenir aux ouvrages les plus rares, dont gage par l’ancien amant, elle est la plus belle illus-
Yexhibition a été rendue possible grace au flair et tration que je sache de la formule d’André Pieyre
au zéle cinéphile de Fred Junck. de‘Mandiargues : « Eros est un dieu noir ».
Manque, dans la copie montrée par Fred Junck, :
Borzage la seule qui subsiste apparemment, la premiére |
(ou les deux premiéres) bobines, exposant J’arri- :
Le Piége (Until They Get me, 1917) est ’un des vée du jeune biicheron a la digue, l’arrestation du
premiers films de Borzage que l’on puisse juger contremaitre et les premiers émois d’Allen John
sur piéces. C’est un des westerns de la série devant Rosalee. Manquent aussi, peut-étre, quel-
« Triangle Kay-Bee » dont l’esthétique est inspi- ques plans de fin, le dernier carton que nous
rée par Thomas Ince et, plus lointainement, Grif- avons vu disant seulement: « Est-ce que tu
fith. L’histoire — d’un homme traqué par un offi- m’aimes assez pour venir avec moi 4 la mer au
cier de la police montée canadienne, pour avoir printemps ? »,
abattu un cow-boy au cours d’une rixe — serait Quant 4 History is Made at Night (Le Destin se
banale, si elle n’était rehaussée par des touches Joue la nuit, 1937), c’est sans conteste un film
d’émotion et d’humour inattendues. Moins qu’a mineur, mais non exempt d’un charme prenant,
Vaction, en effet, le réalisateur s’intéresse an qui va du frivole au magique. Borzage s’attache
« triangle » formé par Kirby (’homme pour- avec une vigilance qui ne se dément jamais au tan-
chassé), Richard (le policier) et Margy (la fille dem — a priori peu convaincant — formé par
amoureuse de l’un puis de l’autre). Cette derniére Charles Boyer et Jean Arthur, Leur danse (ophul- :
est déja une héroine borzagienne dans sa facon sienne 7) dans le restaurant vide « Au chateau
inimitable de provoquer tendrement ses partenai- bleu », Ia double déclaration d’amour par jeux de *
res. La séquence ot elle agrippe son chevalier ser- mains interposés, le couple réuni et frissonnant
vant un peu godiche par ses épaulettes est exem- sur le pont du navire en détresse, voilA bien, dans
plaire de cette candeur dans la description de la les limites du mélodrame hollywoodien des années
stratégie amoureuse qui sera une constante de trente, du trés grand et trés pur cinéma.
Borzage (1).
La Femme au carbeau (The River, 1928) est Sirk
bien le « chef-d’ceuvre absolu hissé jadis au pina-
cle par les surréalistes et cité depuis lors en réfé- C’est une véritable rétrospective Sirk, étalée sur
rence par tous les friands d’amour fou 4 l’écran. deux journées pleines, que nous a offert le
Mais il était invisible depuis plus de quarante ans, CA.C.L, depuis ’incunable Maiade imaginatre
et considéré méme comme perdu. La revision, (1934) jusqu’aux trois courts métrages munichois
fit-ce d’une copie incompléte, confirme’en tous (récemment montrés 4 Paris) d’aprés Tennessee
points l’enthousiasme de nos ainés : il s’agit non Williams et Arthur Schnitzler (1975-1978), en pas-
seulement de l’osuvre majeure de Borzage (avec sant par L’Aveu, Schockproof, Slightly French,
L’Heure supréme et Ceux de la zone), mais sans The Lady Pays Off, Meet me at the Fair et les
nul doute d’une des trois ou quatre cimes de l’art célébrissimes Ecrif sur du vent et le Temps
muet, De Pimportance de L’Aurore et du Vent, daimer et le temps de mourir. Voyons surtout les
films avec lesquels The River entretient d’ailleurs raretés.
de subtils liens de parenté, disons « élémentaire ». Der Eingebildete Kranke pourrait n’étre qu’une
L’eau, Ja neige, la poussiére et le vent jouent en illustration alerte de la piéce de Moliére, ce qui ne
effet dans les trois ceuvres, lesquelles sont presque serait déja pas mal comparé aux fourdeurs habi-
contemporaines, un réle similaire (par dela des tuelles du théAtre filmé a la francaise. C’est bien
différences de tonalité évidentes) de fustigation autre chose que cela. Je crois bien n’avoir jamais
FRANK, DOUGLAS, ORSON ET LES AUTRES 41
vu un Moliére aussi fringant, aussi coquin, aussi curieusement entremélé a des réminiscences de
« gemiitlich » que celui-la. Murnau, dans Der son ceuvre allemande (la citation de La Habanera
Tartuffe, Vavait assaisonné a la sauce lubrique, en dans Bourbon Street Blues est explicite). J’ai
en accentuant diaboliquement Ia théatralité. noté, dans Sy/versternacht, ces répliques sublimes
Sierck va certes moins loin, mais son approche (du Schnitzler, peut-étre, mais splendidement mis
n’est pas moins fascinante. Il lui suffit d’une en situation) : « Il commence toujours par Tris-
petite injection de Mozart pour faire basculer le tan et Iseult et termine immanquablement par une
ballet Grand Siécle dans la comédie viennoise. valse », Ou bien : « Regardons la Grande Ourse
Nos Planchon et nos Lavelli feraient bien d’aller et révons ’un 4 l’autre ». Et enfin : « Ils étaient
voir cette petite merveilie dont, plutét qu’un long plus heureux qu’on peut l’étre dans une étoile ».
commentaire, je préfére développer le générique, Ce ne sont que des esquisses, parait-il. Quelque
lequel n’a été publié, 4 ma connaissance, nulle chose comme le Petit Thédtre de Douglas Sirk.
part (2). Oui, mais dans lequel chaque plan, chaque jeu de
Avant de faire les délices des sirkiens, Summer scéne, le plus infime frémissement de caméra
Storm (L’Aveu, 1944) aura longtemps suscité des dégagent un réel envofitement. Comme aurait dit
ricanements. If me souvient d’une notice désin- Bazin : il a suffi de quelques gouttes de pluie sur
volte de Siclier (3) parlant de « reconstitution un blues de Tennessee Williams pour en faire un
ahurissante de l’atmosphére russe telle que dialogue tchekhovien.
Ventend Hollywood ». (C’est le méme préjugé
absurdement réaliste qui a fait méconnaitre en son Welles
temps, L ‘Inipérairice rouge ou Le Journal d’une
The River (La Femme au corbeau) de Jemme de chambre.). Amengual, aujourd’hui Hearis of Age (Orson Welles, 1934) est un film
Frank Borzage
encore, n’est pas loin de souscrire 4 ce point de archi-mythique, dont on pouvait croire les copies
vue. Siclier ajoutait & l’époque, ce qui vaut d’étre a jamais disparues. Or en voici une, retrouvée
relevé : « Le film semble n’avoir été tourné que chez un collectionneur américain et qui confirme
pour mettre en valeur les appats (sic) physiques de les rares renseignements qui avaient filtré sur ce
Linda Darnell ; elle se trérmousse dans Ia paille et canular d’écolier, bourré jusqu’a la gueule de pri-
roule des yeux langoureux et des hanches vate jokes et de références, C’est une avalanche de
« expressives ». Or, jamais on ne voit Linda Dar- cloches, d’escaliers, de croix, de pendus, de map-
nell en pin-up dans la paille, c’est seulement... le pemondes, de candélabres et de pierres tombales.
pavé publicitaire de presse qui la montre ainsi ! Le Welles, maquillé en clown grimacant et cadré en
film, au contraire, est d’une pudeur admirable. violente contreplongée, descend un_ escalier
D’un bout a l'autre, Sirk joue sur la nostalgie du incendie, le mouvement étant répété plusieurs
passé : « Comme je voudrais revenir au passé, reprises comme celui — inverse — de la blanchis-
répéte Sanders, mais c’est trop tard ». Le méme seuse charriant son linge dans Le Ballet mécani-
parle d’un « entrelacs d’émotions et de sensa- que de Fernand Léger ; effet recherché étant ici
tions » (je ne garantis pas la traduction frangaise), non de harassement mais de piétinement burles-
qui situe parfaitement le registre de l’oeuvre — que. L’hommage 4 Mack Sennett est évident avec
plus dépouillée, plus feutrée que les Sirk de la fin. Pentrée en lice d’un Keystone Cop sautillant. Il y
Est-ce du Tchekhov ? Je ne sais. « Il y a quelque a aussi un piano que Welles martéle avec rage,
chose de Dreyer dans L’Aveu », déclarait Sirk avant de jongler avec des tombes comme on ferait
Jors d’un récent entretien. C’est un film, dirons- de caries 4 jouer. Ses partenaires, grossiérement
nous, écrit sur ’écume du temps. grimés, sont Edgerton Paul et Virginia Nicholson
Schockproof (Jenny, femine marquée, 1948) est {premiére épouse du cinéaste), Le tout dégage de
intéressant surtout en raison de la rencontre (au forts relents d’expressionnisme allemand et de
sommet) Fuller-Sirk qu’il propose. Le scénariste ° mélodrame élizabéthain, passés au pressoir de
apporte, on le devine, sa royale démesure, une Vhumour wellesien (cet humour qui éclatera
violence conflictuelle qui aurait di, en principe, , notamment dans Arkadin). Hl se pourrait qu’il y
culminer sur la fin. Sirk (mais aussi, hélas, la ait aussi une vague filiation avec The Shadow, un
Columbia) atténuent, édulcorent, pour le meil- comic-strip en vogue a !’époque, et plus sérieuse-
leur et pour le pire. Le résultat n’est jamais indif- ment, avec certaines piéces modernes qu’affec-
férent, méme si l’on a parfois l’impression d’assis- tionnait le wonder boy, comme par exemple The
ter A un match nul. Millions Ghosts de Sidney Kingsley. L’ensemble
Meei me at the Fair (1952) est une comédie ne dure pas cing minutes et totalise prés de
musicale sophistiquée mais insignifiante, une 120 plans. « L’Avant-Scéne Cinéma » publiera
sorte de bon petit diable en collant rose... En prochainement le découpage intégral de ce beau
revanche, The Lady Pays Off (1951), a partir d’un , morceau de cinéma brut.
scénario impossible (une institutrice, pour acquit- Mauvaise graine (France, 1934) est-il un film de
ter une dette de jeu, donne des legons particuliéres Billie (sic) Willer, de Max Kolpé ou d’ Alexandre
a la fille du patron du casino !), réussit la gageure Esway ? Difficile de trancher, des influences dis-
de n’étre pas conventionnel un seul instant, mais parates, contradictoires et en fin de compte plutét
au conitraire de raffiner sans cesse sur la corde heureuses se conjuguant dans cette délicieuse
raide de Pémotion (Linda Darnell n’étant pas « comédie américaine 4 la francaise » produite
étrangére 4 ce renversement). Il y est question ' par Corniglion-Molinier et qui réunit, en outre,
d’un cocktail (manqué) de champagne et d’eau une distribution insolite (Danielle Darrieux,
plate : admettons qu’il y ait 2/3 de l'un et 1/3 de Pierre Mingand, Jean Wall, Michel Duran et le
l'autre. mystérieux Gaby Héritier, que tout le monde
Quant aux trois films « d’école » qui couron- croyait étre une pimpante starlette et qui s’avéra
nent — a ce jour — la carriére de Sirk (Parlez-moi un bel athléte noir !). C’est une histoire, pas si
comme la pluie et laissez-moi écouter, La Nuit de béte, de voleurs de voitures repentis qui nous vaut
fa Saini-Sylvestre et Bourbon Street Blues), je ren- de beaux plans d’extérieurs dans Paris et une
voie a ce quien a été dit ici méme. Avec cet additif échappée finale sur les routes de Provence, la
que le vieux maitre est parvenu, me semble--il, campagne apparaissant, comme dans nombre de
avec un budget dérisoire, a recréer 4 Munich le films de l’époque, régénératrice par rapport A la
flamboiement baroque de ses films Universal, corruption de la capitale (cela deviendra un cliché
42
dans le cinéma de Vichy). Le film se clét un peu
abruptement, comme si les auteurs s’étaient désin-
téressés tout 4 coup de leurs personnages. Reste 2
se demander si la misogynie de Wilder ne pointe
pas a travers le minois aguicheur de l’adolescente
Danielle Darieux. A noter que Mauvaise graine fit
Pobjet d’une version américaine avec Lili Palmer
en 1935, et (cela se sait moins} d’un remake de
Jean Stelli avec Dany Robin en 1949, sous le titre
La Voyageuse inattendue,
Renoir américain et Wilder francais
A Salute to France (Salut @ la France, U.S.A.
1944) fait également partie de ces films mythiques
que I’on désespérait de jamais (re)voir. Grace a
Enno Patalas — autre conservateur de Cinéma-
théque 4 Vafffit de copies rares — c’est chose
faite. Avant tout, il faut corriger deux erreurs
commises par la plupart des exégétes renoiriens
{dont le signataire de ces lignes, 4 sa grande
honte) : ce n’est pas Garson Kanin, mais Philip
Bourneuf — le procureur de L’Invraisemblable
vérité de Lang — qui joue le rdle du soldat
anglais, Tommy Atkins ; Joe (l’américain) est
interprété par Burgess Meredith et Jacques Bon- Revue du Cinéma » n’avait pas manqué d’y repé- Mauvaise graine de Billy Wilder
homme (le frangais) par Claude Dauphin, Garson Ter, traquée dans l’entrepont par des brutes avi- (Danielle Darrieux et Pierre Mingand)
Kanin ne faisant que lire le commentaire. La nées, certaine « belle proie aux cheveux déndués
deuxiémie erreur consiste 4 dire que c’est 1a un vul- par Vembrun et Paffolement », qui n’était autre
gaire ouvrage de commande, que Renoir aurait que Marléne Dietrich — pas encore modelée par
supervisé négligemment. A la surprise générale Sternberg mais déja rayonnante d’érotisme fruste.
des cicistes, le film est apparu comme un des plus Face a elle, dépoitraillé, le cheveu rare, I’ceil lubri-
forts de la période américaine du cinéaste, remar- que, Gaston Modot, beau comme une figure de
quablement maitrisé dans son montage, sa direc- proue.
tion d’acteurs, sa cocasserie délibérée (le Francais Jacques Tourneur, lui, a fait objet, ici et ail-
avec son béret basque) virant peut a peu au sursaut leurs, d’exégéses enthousiastes — et justifiées. Sa
patriotique. L’idée de faire endosser 4 chacun des gloire risque d’étre un peu ternie par Days of
protagonistes quelques défroques nationales typi- glory (1944), méchant film de guerre jamais pré-
ques, dictée peut-étre par un souci d’économie, senté en France sur la résistance des Soviétiques a
s’avére géniale, Dauphin surtout réussissant ainsi V’invasion nazie. C’est lourd, ennuyeux, didacti-
une composition polyvalente (macgon, fermier, que, presque aussi mauvais que du Youtkévitch.
commercant, homme d’affaires, vendeur de mar- Une séquence échappe au désastre ; l’arrivée de
rons, médecin, curé, prisonnier de stalag, etc.) PAllemand dans le terrier ot la danseuse est en
étonnante de « vérité intérieure ». L’habit ici fait train de faire une démonstration de son art.
le moine, ou plutét le transcende. Quant a Valter- N’accablons pas Tourneur junior: lui-méme
nance de scénes de fiction (le peloton d’exécution) jugeait son film « abominable ». Mieux valait
et de documents d’actualités (Hitler plastronnant revoir — présenté également au C.1.C.1. — Berlin Salute to France de Jean Renoir
au micro, Pétain chevrotant, De Gaulle leur Express. (Claude Dauphin)
répondant dignement de Londres), elle contribue Brooks (Richard et Louise}
4 rapprocher A Salute to France de La Vie est @
nous, A noter encore l’apport comme toujours The Catered Affair (Le Repas de noce, 1956)
fondamental chez Renoir, des chansons (« Le est moins un film de Richard Brooks que de
Temps des cerises », « Le Chant des partisans », The Catered Affair de Richard Brooks
ce dernier en anglais), fondues dans une superbe
musique originale de Kurt Weil. Et enfin deux
plans étonnants : Meredith devant son tableau
noir et la ronde des prisonniers derriére leurs bar-
belés, qu’il est trop tentant de raccorder 4 The
Land is Mine et au Caporal épinglé. Bref, la griffe
de Renoir se reconnait 4 chaque image.
Tourneur pére et fils
Maurice Tourneur a été réhabilité récemment,
avec éclat, par le « Cinéma de Minuit » : nul ne
songe plus aujourd’*hui 4 le tenir pour un auteur
négligeable. Ce que confirme la vision de Das
Schiff der Verlorene Menschen (Le Navire des
homuines perdus, Allemagne 1927), film faisant la
jonction entre la carriére américaine muette
(1914-1926) et frangaise parlante (1930-1948) du
cinéaste, L’ceuvre fleure bon les bouges enfumés,
les brumes des ports, les iles lointaines. Ambiance
ala Mac Orlan, chére au réalisateur de L Ile des
navires perdus, d’Aloma of the South Seaset de
Vadmirable The Mysterious Island. Lors de la
premiére sortie du film en France, en 1929, « La
FRANK, DOUGLAS, ORSON ET LES AUTRES 43
pas moins surprenant. Il est vrai qu’elle puise
dans la caisse pour jouer aux courses. Son cos-
tume est un enchantement : maillot de satin bordé
@hermine, haut de forme blanc, coquets escar-
pins... Elle a par moments dans te regard la mali-
gnité candide de, mais oui, Harry Langdon !
Le Canary (4) ne vaut que par ses premiéres
séquences : Louise se produisant au cabaret haut
perchée sur une balancoire dans son fameux jus-
taucorps emplumé. Elle est assassinée au bout de
dix minutes, et tout ce qui s’ensuit (enquéte de
Philo Vance-William Powell, interrogatoires de
police) est rigoureusement sans intérét. On espére
en vain un flash-back. Le personnage du «canari »
{allumeuse vénale, faisant chanter ses amants)
annongait pourtant, de facon troublante, Loulou.
Quant au western de Sherman, c’est un petit
film Republic (de la série Three Musketeers)
aux idées amusantes, qui remplace Ja diligence par
un autobus cahotant et fait littéralement tomber
du ciel le héros (John Wayne). Louise pour sa part
a subi un Jaminage complet : elle est devenue une
petite bourgeoise modéle 4 cheveux longs sage-
saa as EOS, ment bouclés, en tailleur gris, boléro et petites
Overland Stage Raiders de George Paddy Chayefsky, le trop célébre auteur de chaussures plates ! La vertu, visiblement, ne lui
Sherman (John Wayne et Louise (mélo)dramatiques télévisées des années 50. Supé- sied guére. Ce fut, on le sait, sa derniére appari-
Brooks)
rieur, mais de justesse, au sinistre Marty de Del- tion 4 l’écran.
bert Mann, dont il reprend l’interpréte principal, Parmi quelques quarante autres films, moins
Ernest Borgnine, en le flanquant de Bette Davis, rares, projetés au C.1.C.1., citons par ordre chro-
guettée par l’emp4tement, et de Barry Fitzgerald, nologique : Ceux de chez nous, de Guitry ; Cathe-
ronchonnant et crachotant. Le « réalisme » rine de Renoir et Dieudonné, dans la copie restau-
s’étale : pyjamas séchant aux fenétres, varices de rée par la Cinémathéque de Toulouse, déja vue 4
la concierge, frigo qui marche mal, queue chez le Florence ; Show People de King Vidor, toujours
poissonnier, etc. Brooks a heureusement glissé sublime ; Si j’étais le patron et La Vie parisienne,
de-ci de-la quelques touches de générosité qui avec le prodigieux Max Dearly ; La Tendre enne-
enluminent ce fade microcosme (les scénes d’inti- mie, Sans lendemain et The Reckless Moment, de
mité entre Debbie Reynolds et Rod Taylor). * Max Ophuls ; Versailles er ses fant6mes, court
_métrage de Jean Béranger auquel collabora —
Mais c’est surtout 4 autre Brooks, Louise, que
le C.I.C.I. rendait hommage avec trois films d’assez prés — Alain Resnais ; le merveilleux Ten-
dune extraordinaire rareté: Love’em and nessee’s Partner, Allan Dwan {avec Ronald
Reagan et en v.o.) ; Private Hell 36, de Don Sie-
Leave’em (Frank Tuttle, 1926), The Canary Mur-
gel et Ida Lupino ; enfin, le seul film en avant-
der Case (Malcolm Saint-Clair, 1929) et Overland
premiére de cette vaste rétrospective, le déchirant
Stage Raiders (George Sherman, 1938). Le pre-
One Night Stand de Pierre Rissient, hommage
mier est le meilleur, du point de vue de la mytho-
sans concession et fort bien venu dans ce contexte
lagie de Vactrice en tout cas. C’est une sorte d’ An
d’un cinéphile intransigeant A ses pairs.
Bonheur des dames américain, sans arriére-pensée
Une cinémathéque est donc née. D’autres pen-
sociologique superflue. Louise s’appelle
Melle Walsh, ce qui ravit les connaisseurs ; elle
dant ce temps meurent (a petit feu), végétent ou
est en outre trésoriére de la Ligue pour Ja bonne
survivent vaille que vaille. Plus que jamais, le
« patrimoine » cinématographique est 4 l’ordre
conduite des Grands Magasins X..., ce qui n’est
du jour. Mais ca, comme dirait Robert Linard,
Show People de King Vidor
c’est une autre histoire, et pas seulement de
cinéma. C.B.
A l’époque ot: nous découvrions, aux Cahiers, le cinéma bré- redis tout de méme en passant, histoire de situer les réflexions
silien — dans les années, disons, pré-68— nous avions siire- qui vont suivre concernant le travail de mon ami Carlos Die-
ment nos raisons de n’étre pas trés regardants sur la notion de gues dans le contexte tout particulier d’une relation d’amour
vivace avec le Brésil et son cinéma.
geait dans le monde, i] fallait que ce fit avec nous, ou du moins Amour gui s’il m’aveugle comme on dit, quelque part, déclen-
d’une fagon of nous puissions reconnaitre notre propre mou- che aussi autre chose que mon blabla critique habituel. Enfin je
vement. Un Brésil écrasé par une dictature militaire ultra-dure Vespére.
engendrait donc, aprés 1964, une percée radicale dans le
cinéma qui se trouvait contemporaine, et percue par nous Je remarque d’abord qu’il y avait déja dans Joana a Fran-
comme fraternelle, de notre élan pour sauter dans et sur 1968. césa (Jeanne la Francaise) un personnage d’épouse brimée
La premiére poussée glauberienne — une terre de soleil en tran- (mariée 4 un réveur égoiste) qui s’appelait « Das Déres », soit
ses — accompagnait, confortait l’euphorie (oui) de la secousse Véquivalent du prénom espagnol! Dolores = « Douleurs »,
dont nous étions nous-mémes ébranlés. sous-entendues celles de Marie.
La-dessus en France, mobilisés par notre propre aprés-coup, Ce prénom, assez peu courant pour qu’on le remarque, réap-
occupés a développer, digérer, théoriser, sauver, a gérer tant parait dans Bye Bye Brasil. Ii s’agit encore d’une épouse, bien
bien que mal en sommie et a vivre l’éclair de progressisme qui nordestine, qui en bave de voir son mari soupirer aprés une
nous avait fulminé sur fa téte et barré tout chemin de l’arriére, grande-artiste-de-classe-internationale. Dasd6, la bien nom-
nous n’étions plus tellement disposés a cAliner d’autres chats meée, enfantera d’ailleurs au coeur du film, et en plein milieu de
que ceux que nous nous étions donnés 4 fouetter et notre VPAmazonie, dans la douleur naturellement, un enfant dont le
ardeur castigante engendrait, 4 la mesure de notre amour nombril exhibé a l’image encore sanglant, rappelle trés curieu-
passé, une grande régression morose de la compréhension ciné- sement par Ja rime des couleurs l’argile de la route transamazo-
phile : années noires des Cahiers (du Cinéma) 72/75. nienne elle aussi fratchement tranchée. Cette route qui n’est
Le cinéma brésilien survivait de son cété, sans qu’il en ft plus tien d’autre qu’un cordon ombilical reliant 1’Amérique du Sud
guére question en France, of de ne pas poursuivre ses braves Asa mére du Nord — route coupable ? — recommencée depuis
exploits guerilleros, il s’était mis 4 décevoir, et progressivement des années, ce qui fait d’elle l’image méme du Brésil, depuis si
a disparaitre de notre champ critique. longtemps enceint de lui-méme, ceuvrant a sa splendide nais-
sance, toujours en gestation et travail, aux joies de sa puissance
Or, que savait-on en France de l’aprés 68 des Brésiliens ? et de son développement futurs.
Pour nous, la grosse pierre étendait au moins quelques ronds a Cette femme de douleurs qui, trés gentiment d’ailleurs, et sans
la surface de l’eau, loisir dont nous ne voulions pas savoir qu’il chichis ni mélodrames, se fend laborieusement d’un enfant
était tout de méme relativement démocratique. comme la fort se fend d’une route, ressemble au cinéma de
L’effet 68 au Brésil fut autrement pétrifiant. La dictature mili- Carlos Diegues qui vient d’atteindre, me semble-t-il, avec Bye
taire aggravée brusquement cette année-la étendait une chape Bye Brasil, sa premitre ceuvre de pleine maturité.
de plomb sur toute velléité de discours politique au cinéma. Dans ses films précédents, c’étaient aussi les forces de vie qui
Diegues était contraint (1) 4 deux ans d’exil 4 Paris, Rocha s’affrontaient aux forces de douleur et les scénarios portaient
entamait une longue errance européenne, Joaquim Pedro de toujours la marque un peu maladroite d’un penchant volonta-
Andrade, Olney Sao Paulo, Wladimir Carvalho étaient inquié- riste 4 didactiser sur la victoire nécessaire des premiéres au
tés sur place pour des films qui osaient interroger la folie du mépris du poids des secondes. Comme ces sujets 4 moitié
pouvoir et la misére du peuple (2). psychanalysés, et néanmoins prosélytes du mieux-étre, qui
Et le cinéma brésilien survivait pourtant, persévérant au travers n’ont pas la sagesse de Jaisser les névrosés en paix s’arranger
de films dont trés peu malheureusement sont arrivés sous-titrés comme ils peuvent loin du divan, les films de Diegues nous
jusqu’a nous (quelques-uns a fa Cinémathéque, quelques-uns criaient un peu fort un fout va bien sacrément triste. Si bien
aux cinémas Denfert et Entrep6t, une sortie furtive de I’admi-
table Iracema) en son travail tenace de poursuivre un discours
1. Avec Les Héritiers, Diegues avait touché a la sacro-sainte époque de la dic-
documentaire du Brésil sur Ini-méme, ce qui n’était déja pas tature Vargas, elle-méme trop riche en ambiguités politiques pour que son évo-
rien. cation ne fiit pas considérée comme dangereuse du temps de Guarrastazu
Medici.
Je me trouve posséder quelques lumiéres sur le sujet, les . 2. Joaquim Pedro de Andrade eut d’assez sérieux ennuis aprés Os Inconfiden-
hasards et nécessités de ma vie m’ayant fait vivre au Brésil de tes ot il était question d’une révolution bourgeoise sauvagement réprimée par
1971 4 1976, naturellement trés proche des cinéastes et des Ja couronne portugaise 4 la fin du X VILE siecle. Manha Cinzente de Olney Sao
Paulo, qui évoquait des actes de répression dont J’actualité était plus brilante
films, dont I’influence avait d’ailleurs été décisive pour me fut carrément interdit, de méme que Pais de Seo Sarué de Wladimir Carvalho
décider, précisément, 4 partir la et pas ailleurs. (récemment libéré), qui décrivait assez crument Ia situation du travailleur du
Il est banal de dire une fois de plus, et méme de confirmer dans Nordeste. Quant aux films « apolitiques » que la censure a laissé sortir au Bré-
le vécu d’un (quel ?) témoignage, 4 quel point ce pays est pas- sil dans les années 70, il y aurait bien s{tr beaucoup A dire sur Jeur sournoise
subversité, difficile A percevoir hors du Brésil i] est vrai: O casamento,
sionnant, et 4 quel bain il trempe le caractére, pour qui veut d’Arnaldo Jabor, Paranoia, d’ Antonio Calmon, Vai trabathar Vagabundo, de
bien y plonger autre chose que le petit doigt du touriste. Je le Ugo Carvana, etc.
A PROPOS DE « BYE BYE BRASIL » 45
ton Diegues. Je n’arrive pas a y voir autre chose pour ma part
qu’une sorte de grosse ficelle exportatrice un peu naive et pas
qu’un peu misérable.
Ce n’est pas en tous cas cette plus-value tropicaliste, cette
valeur joie de vivre ajoutée (nous autres Brésiliens, avouez
qu’on vous la coupe avec notre vitalité 1}, que j’appelle les for-
ces de vie du Brésil, méme si tout cela témoigne en apparence
dune certaine santé. Et la chair pesée a la livre, ca finit tou-
jours aussi par étre triste.
Ce que j’aime en revanche sans aucune réserve, ce qui
m’enthousiasme dans Bye Bye Brasil, c’est l’équilibre qui ne
cesse pas d’y tre construit, pesé terme 4 terme a des balances
justes, réellement vécu, réellement souffert et réellement
dépassé, entre une ligne de cafard et une ligne de joie, entre
merdier et jubilation, entre tout ce qui retarde, empéche,
martyrise et falsifie la vitalité (poétique) du Brésil, et tout ce
qui ménage son envol.
Le tout étant d’ailleurs clairement, sagement expliqué ou rendu
visible, mais cette fois le didactisme du propos, tout en grace et
en force, agit et ne préche pas, séduit sans raccoler, enchante
pour de bon et sans esbrouffe.
Diegues est en vérité beaucoup plus a l’aise, dans ses trafics
triangulaires, dans le réle du vendeur de pacotille que dans la
peau du négre a vendre et cette fois-ci il ose le dire et jouer du
ruban, du kitsch et du cliché porno-culturel, assez gonflé pour
faire apparaitre en surimpression et fondu, derriére le slip de
dentelle rouge de sa grande pute généreuse (une grande artiste),
en toute simplicité la mer. Et dans cette sophistication gra-
cieuse, il réussit mieux il me semble que dans le coup de bam-
bou afro, censément bandant, censément payant. Il s*épargne
Les Héritiers.
Fabio Junior et Betty Faria dans Bye Bye Brésil.
en somme le labeur, toujours un peu pénible, du strip-tease “d’un opium bien adapté a celui-ci : il a méme inventé une sorte
intégral. de matrice artisanale du réve avec sa machine a faire neiger sur
Ce qu’il y a de courageux et de beau dans Bye Bye, c’est qu’on le public, comble de illusion civilisée.
y sente chez Diegues une réflexion, peut-étre une auto-critique, Lorsqu’il s’apercevra de la concurrence déloyale que lui fait Ia
4 Pégard de ses propres tentations de raccolage ; qu’on y per- télévision en le privant de son public, aprés s’étre usé quelque
coive en toute clarté ’effet d’un art délibérément animé d’une temps 4 lutter, pot de terre contre pot de fer, A défendre une
impérieuse volonté de se vendre — au dedans et surtout au forme artisanale de spectacle périmée par la technologie, vic-
dehors du Brésil — et qui se reprend en dignité en s’attelant a la time provisoire lui-méme de Pillusion du grand Brésil futur
tache (un peu ingrate) de nettoyer son bout, de trottoir. localisé dans l’Eldorado amazonien, il réagira, trés a la brési-
lienne, en réaliste pragmatique et responsable : il modernisera
Il n’est pas indifférent de remarquer qu’avec Xica da Silva et
son cirque, mettant au service de la production des mémes illu-
Bye Bye Brasil, on peut voir pour la premiére fois en France
sions plus de moyens, plus d’industrie, quelques américanismes
des films brésiliens doubiés. Il y a méme la-dedans quelque
en somme.
chose de choquant, une atteinte un peu sacrilége a Pidiome de
La prostitution n’aura été (plus quelques mic-macs financiers
nos chers films du Tiers-Monde que nous aimons confits dans
un peu louches) que le stade avoué d’un acte de courage et de
Yauthenticité sacro-sainte de leur différence. On a envie
transition. Bye Bye Brasil réussit ainsi ’acrobatie de ne pas se
d@engueuler Diegues, d’engueuler la Gaumont, d’accuser la
livrer 4 la prostitution mais de montrer, avec une étonnante
grenouille de vouloir se faire aussi grosse... et pourquoi faire ?
bonne humeur, et méme avec une sorte de lyrisme, comment,
Faire comme les Américains, envahir le marché mondial ?
en cas de nécessité ultime de survie, quand il faut y aller, il faut
Tout ce qui nous fait vomir en somme : le cinéma comme mar-
y aller. La scéne du bordel est en ce sens une des plus belles du
chandise capitaliste mondiale. Et pour un peu, frustrés de la
film.
volonté paternaliste de défendre ce cinéma qui commence 4 se
Il y est d’abord montré (pas dit) comment, quand on est artiste,
défendre tout seul et avec des armes dont nous contestons le
il est plus facile de procéder au rituel qu’au commerce de ses
systéme moral, une envie mesquine nous prendrait bien de le
charmes. C’est Ile moment oti Bety Faria évolue seule, trés star,
boycotier sur nos terres.
4 peu prés aussi déplacée dans ses gestes altiers, au milieu de
Le mal que j’ai dit de Xica n’a rien a voir avec cette envie-la.
vraies petites putes un peu nabotes et toutes en chair qui dan-
J’y notais seulement l’excés aveuglé d’un zéle marchand qui
sent en couple autour d’elle, que si l’on imaginait la danse
dans Bye Bye est redevenu lucide.
sacrée de Debra Paget dans Le Tombeau hindou se transfor-
C’est pourtant la méme marchandise qu’on nous vend : du
mer en numéro de music-hall.
folklorique haut en couleurs, le bon négre, la forét vierge,
Ensuite il y est dit 4 quel point il est peu élégant de la part d’un
Vaccordéon du Nordeste remplacant ici les pastels de l’archi-
mari qui s’est résolu de son plein gré 4 faire « débuter » sa
tecture coloniale et les fastes carnavalesques. On nous vend du femme, de se rétracter 4 la derniére minute, et devant le client,
Brésil en veux-tu en voila et en musique (irrésistible, la musique
de ses résolutions maquereautiéres, sous prétexte que I’acte lui-
brésilienne).
méme est un spectacle insupportable 4 son orgueil conjugal.
Le commerce spectaculaire n’est cependant plus du tout fe
méme et interrogation de ses manoeuvres illusionnistes est au Je n’irai pas jusqu’a dire que Bye Bye Brasil est une réflexion
centre du film, qui ne cesse de faire retour analytique, tendre- sur Yacte de prostitution cinématographique, au sens of c’en
ment ironique, sur la notion méme de magie du spectacle. serait le rachat, tandis que Xica n’en serait tout vulgairement
Le protagoniste de Bye Bye est justement magicien, profession- que la pratique. C’est plutét 4 mon sens, dans le cas de
nel de lillusion, roublard naif mais réaliste, ami des autorités « B.B.B. », une maturité gagnée sur l’hystérie de Xica. De
préfectorales, pas ennemi d’une pointe de piment érotico- méme que le cirque s’adapte, plut6t que d’abdiquer, aprés
exotique pour agrémenter son spectacle (la danseuse de rumba avoir dit adieu 4 la nostalgie de ce qu’il fut (adieu a l’accordéo-
chante et bouge son corps comme une étrangére) et pas trés dis- niste guéri et lui aussi modernisé), de méme le film est une
posé au départ 4 encombrer Ia troupe d’un musicien authenti- constante leson de thérapeutique réaliste : en amour aussi
quement brésilien, lui qui a déja son phonographe. Un artiste Voffre de soi ne vaut qu’adaptée a Ja demande et l’amoureux
moderne en somme, trés au fait de larriération culturelle de transi qui s'abandomne et 4 ses transes est renvoyé (affectueuse-
son public populaire et parfaitement expert dans I’élaboration ment) a ses douleurs. S.P.
CRITIQUES
CHANSONS, CHANSONS
C’EST LA VIE. France 1980. Réalisation : Paul Vecchiali. ment accordés 4 leurs ambitions — du moins a ce qui en ressort
Photo: Georges Strouvé. Son: Antoine Bonfanti, Jean- a la vision de leurs films.
Frangois Chevalier. Musique : Roland Vincent. Production : Il n’y a pas si longtemps — cela a sans doute commencé avec
Diagonale. Znterprétation : Chantal Delsaux, Jean-Christophe les chansons de Nougaro, « La petite fille, Place de la Con-
Bouvet, Cécile Clairval, Ingrid Bourgoin, Héléne Surgére, corde » ; plus récemment d’Yves Simon, « Le pays des mer-
Béatrice Bruno, Michel Delahaye. veilles de Juliette », ses rencontres avec Ferdinand Godard,
etc. — les auteurs-compositeurs aimaient 4 déclarer, invoquant
Jeur amour fou du cinéma, qu’une chanson, c’ était un petit scé-
JE VOUS AIME. France 1980. Réalisation : Claude Berri. nario qui devait tenir en trois minutes, concis, précis, od tout
Scénario ; Claude Berri. Collaboration au scénario : Michel devait parfaitement se mettre en place, s’imbriquer. A part
Grisolia. Photo: Etienne Becker. Montage: Arlette chez ceux, Reggiani par exemple, qui s’obstinent a jouer leur
Langmann. Son: Jean-Pierre Ruh. Musique: Serge texte comme un acteur le ferait au lieu de jouer le jeu, plutét,
Gainsbourg. Production : Claude Berri (Renn Productions). de la miniature musicale, un genre en soi, avec ses régles de
Interprétation : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean- stylisation, ses obligations de cassures, « breaks », montages,
Louis Trintignant, Serge Gainsbourg, Alain Souchon, Chris- 4 part ces exceptions qui sont vieillotes, « rive-gauche », la
tian Manquand. - chanson a gagné a ces courtes fictions chantées, ramassées,
dramatisées. Mais le cinéma ? On a comme l’impression qu’il a
suivi l’évolution inverse : 4 mesure que !a chanson se fictionna-
CAUCHEMAR. France 1980. Réalisation : Noél Simsolo. lise, se cherche décidément de nouveaux scénarios, le cinéma,
Scénario : Noél Simsolo. Photo: Ramon Suarez. Son: lui, s’appauvrit, perd de sa trame romanesque, de sa consis-
Antoine Bonfanti. Montage: Kadicha Bariha. Musique: tance. Pire: il fait souvent tenir en 1 h 30, en allongeant la
Robert Schumann, Lino Leonardi. Production > Diagonale. sauce, des histoires ot il n’y a matiére que pour 3 minutes.
interprétation: Pierre Clémenti, Héléne Surgére, André Trois films francais sortent ces jours-ci qui, en dépit de ce qui
Thorent, Philippe Chemin. fait leurs différences, témoignent de cette maladie qui gagne le
cinéma francais — et qu’on peut appeler le « comment-faire-
durer ? »
En entendant a Ja radio, dans un arrangement extreémement Coincidences et symptémes. Pour caricaturer et aller vite, on
prenant, dramatisé, de Gabriel Yared (cf. les synthétiseurs de pourrait dire : ce n’est pas une crise de sujets, c’est une crise
Sauve qui peut (la vie), ceux qui font lever la téte), une déja des sujets — ce n’est pas un manque d’histoires profondes, sin-
ancienne chanson de Michel Jonasz (Guigui, Vhistoire lourde- céres, qui est en cause, c’est le rapport que ceux qui en causent
ment mélodramatique et folle, pleine de violons tziganes, d’une entretiennent avec ces histoires, un rapport qui n’est ni pro-
amnésie & propos d’une femme: le portrait coloré d’une fond, ni sincére, un rapport de circonstances. En sont-ils cons-
déchéance, une folie, et quelques souvenirs qui se frayent un cients, ces cinéastes, de l’absence qu’ils installent et étirent
chemin dans Ia mémoire, les souvenirs partiels d’un homme dans leurs films — cette maniére de se retirer de leurs propres
dont la raison part en miettes — une histoire, en somme pas scénarios, de laisser sonner, de n’y étre pour personne ? Pas si
trés différente de celle de Cauchemar, de Noél Simsolo), en stir. L’ambiance n’est pas au recul dans le cinéma franeais, nia
écoutant une nouvelle fois ces paroles, j’ai eu la irés forte Vauto-critique. Plutét 4 la complaisance, au narcissisme, a la
impression que les cinéastes francais, presque tous, feraient petitesse de point de vue : étroites créations, milieux confinés
mieux de composer des chansons. Ils seraient plus profondé- ot elles s’épanouissent de travers, mal encouragées par des
48 CRITIQUES
rumeurs incestueuses ; on ne sort jamais de la famille, aussi
indépendant se croit-on — une famille décidément étouffante,
frangaise 4 Vextréme, suffisante. C’est pourquoi, choisir ces
trois films-la, a quelque chose de forcément injuste — lié a une
actualité, une série de coincidences — et ne doit pas servir, en
aucune maniére, 4 « blanchir » une production cinématogra-
phique francaise qui a en moyenne le méme type de défauts —
quand ils ne sont pas pires.
Claude Berri et Paul Vecchiali produisent tous deux des films,
tes leurs et ceux d’autres cinéastes — dont justement, pour Vec-
chiali, Cauchemar, premier long métrage de Simsolo. Malgré
les énormes différences qui caractérisent leurs deux types de
productions, liées principalement a une différence radicale de
moyens — Berri peut produire Tess, Vecchiali peut tout juste
(se) payer Simone Barbés, avec toute la Vertu et le Courage
qu’on imagine — les coincidences abondent, énormes : travail
de famille dans les deux cas, Vecchiali faisant jouer sa sceur,
Sonia Saviange, Berri engageant la sienne, Arlette Langmann,
comme monteuse ; avec toutes les caractéristiques du travail Jean-Claude Bonnet et Chantal Delsaux
familial, ses qualités — humanité des rapports et des ambian-
ces, descriptions précises, réalismes — comme ses défauts —
on tourne en rond, on se mord la queue. Et aussi : acharne-
ment et ténacité, depuis des années, pour produire, chacun
dans son domaine, des ceuvres de qualité, originales, intelli-
gemment frangaises : un style se met en place, on retrouve des
visages d’acteurs habitués, une émulation se produit — appren-
tissage sur le vif du cinéma, remue-ménages, apparition de
techniciens de talent. Deux cinéastes-producteurs qui font
école, famille, clan. Qui, aussi, élargissent peu 4 peu leur uni-
vers, leurs préoccupations : insensiblement, on passe d’obses-
sions trés autobiographiques a des sujets plus extérieurs. Exté-
rieurs au point de devenir des exercices de style.
Chansons, chansons. On peut dire Je vous aime, C’est la Vie
enchantée ; ou: C’est la Vie, je vous aime en chansons. Je
vous aime : une femme aime et quitte des hommes, par amour,
parait-il ; on n’entre jamais suffisamment dans le fond des
choses pour en étre siir ; l’un succéde a l’autre, chacun dans
son numéro, en ordre dispersé, comme les cinéastes imaginent . } S
que fonctionne la mémoire ; filmage classique, frontal, profes- Chantal Delsaux et Héléne Surgére
sionnel ; discrétion et bon gofit, humour, léger recul ; c’est
bien fait, plaisant, creux. Creux avec insistance : A chaque fois
que menace d’apparaitre ?ombre d’un sentiment profond,
vécu ou analysé, on passe a autre chose, 4 un autre numéro. Au
suivant ! Tout en chansons : Depardieu chante du rock (mal :
il devrait quitter sa peau de béte, son personnage de Michel
Simon sensuel des années 80 : autant de limites caricaturales,
outrées, A son métier d’acteur} ; Gainsbourg fait dans le post-
reggae soigné, mal synchronisé comme a la télé, efficace ; Sou-
chon ne chante pas, il se contente de donner 4 son personnage
de libraire désabusé un peu du cété vieil enfant fripé et réveur
qu’il met dans ses chansons, ce qui revient au méme : on laisse
de cété la musique, on adapte les paroles au personnage — il
n’y a plus qu’a jouer au lieu de chanter, c’est du sur mesure, du
cousu main. Beau travail, mélodieux — Et Deneuve toute de
blondeur accueillante, avec juste ce qu’il faut de froideur pour
tre star, égérie. Tout en chansons, on glisse vers le doux, le
sans-conclusion : A chaque fois revient le couplet, instant qui
se répéte, les mémes notes qui se retiennent. Un film qui se fre-
donne et s’oublie, alternativement. Comme C'est la vie - une
opérette contemporaine sur une femme qui a du style, des
Sh
uJ. Gibert et Béatrice Bruno Trois scénes de C’est la vie de Pau! Vecchiali
maniéres ; un film comme il faut, stylisé, tout en plans-
séquences et en chansons. La différence essentielle entre Vec-
chiali et Berri, c’est que le second privilégie l’instant a deux, le chiali avec lirruption dans le cadre d’autres personnages —
sentiment de solitude sophistiquée, ouatée, chaude, 14 of le montage 4 l’intérieur de la séquence, du plan, hétérogénéités
premier préfére la multitude des personnages, les décors plus des apparitions — chez Berri avec des coupes nettes, comme au
larges, le sentiment de ballet dans un décor creux. Mais chez couteau, ou des fondu-enchainés, longs, appuyés, comme en
tous deux : effets de cassure, de brisure du réve : chez Vec- musique. Histoire creuse chez Berri, décor creux chez Vec-
GHANSONS, CHANSONS 49
So cy ' im EE
Gatherine Deneuve et Alain Souchon, et Gérard Depardieu, et Jean-Louis Trintignant, dans Je vous aime de Claude Berri
chiali. Méme effet, méme recherche, méme combat : des tou- seule — qui est sans durée, intemporelle — mais du mauvais
ches de réel, précises, dans une ambiance artificielle — et qui se mélange, du mixage approximatif : faire porter au réel des
donne comme telle. Décoller du réel, 4 tout prix. Berri avec le vétements de cirque (ou d’opérette), c’est dégofiter, 4 la lon-
sentiment d’éloignement que donnent les studios d’enregistre- gue, de l’opérette, du cirque, du réalisme — toute crédibilité
ment — ou, mieux, la richesse et le luxe, l’inaccessibilité, Vec- consumée, il ne reste plus rien que ce sentiment du temps qui
chiali avec la juxtaposition terroriste de deux espaces, celui de passe. Un peu vain, tout de méme.
la vraie banlieue avec son terrain vague, et celui d’une maison
ouverte 4 tout vent, un vrai studio de cinéma installé dans une Durée du cauchemar. I! en va de méme avec Simsolo : un
fausse maison. On retombe sur les litanies minnelliennes, « le long métrage tardif aprés quelques courts qui avaient installé,
monde est une scéne, la scéne est un monde ». Que croire ? Et, aux limites de l’artificiel et du mauvais godt, un réel petit
surtout : combien de temps le croire ? espace a eux, a lui — une scéne sur laquelle se drapaient, déri-
soires marionnettes déguisées en tragédiens, d’improbables
Cauchemar de Ia durée, C’est la répétition qui, au cinéma, héros, des silhouettes fatales, Et voila qu’il faut faire 90 minu-
devient intolérable. Que faire d’une heure et demie de temps & tes: pas de probléme, on met le méme disque — mais au
regarder défiler un film dont on sait, en quelques minutes, de ralenti ! La jeune pianiste amnésique reviendra dans chaque
quoi il sera fait, ob il va, comment il va finir ? Voir un film plan, fera les mémes gestes, étirera ses mémes mutismes : la
devient autre chose : accepter ~ ou non — de considérer que gesticulation propre 4 un univers nerveux, excessif, enthou-
les variations sur un theme peuvent remplacer une histoire, que siaste, se transforme en lenteur, mines, minauderies ; les per-
la beauté des effets peut tenir lieu de personnages ; l’esthétisme sonnages bavards, sentencieux, deviennent des clochards com-
devient le sujet 4 part entiére du film, sa raison d’étre avouée, plaisants, radoteurs interminables, équivalents exotiques et
avouable. Ainsi, C’est la vie : une bavarde stylisée parle au provinciaux aux zonards hyper américains et hyper marginaux
téléphone, rencontre la gardienne de l’ilét de H.L.M. ov se de Goodis — leur évident modéle. Crimes, passions, com-
déroulent — Ie spectateur doit faire semblant d’y croire — les plots : tout devient mou et poétique, néo-réalistement et mala-
petits drames de tous les jours, la vie, quoi. Une animatrice de droitement francais — du sous-Carné. Et par moments —
radio/télé bien imitée, une autre tout aussi réussie, un homme comme pour la scéne rouge de C’est la Vie, on dirait presque :
qui ne comprend pas la bavarde héroine, un autre qui ne la « par miracle » — Simsolo retrouve la rigidité masquée, la
comprendra pas mieux, des quiproquos chantés, dansés, fil- fausseté réellement enjouée, convaincue, de ses premiers
més. On ne peut, dans ce cas, s’intéresser a la fiction. A quoi, films : les amants comploteurs s’embrassent au détour d’une
alors ? A : comment filmer ce qui est en scéne, comment met- séquence — la caméra met 4 nu la frigidité soudaine de leur
tre en scéne ce cinéma, comment filmer le film ? Problémes corps a corps ; un acteur poétise 2 outrance, l'oeil humide —
d’artistes, de peintre, de styliste. On ne s’étonne pas, dans ces mais heureusement on l’assassine, il sort ce qu’il a dans le ven-
conditions, de trouver émouvante la seule séquence qui soit tre, il fait son numéro, enfin ; ou quelques mots murmurés,
ouvertement plate, débarrassée de toute pulsion fictionnelle, séchement, par un jeune homme blond qui drague une petite
purement décorative : un homme quitte ume femme, sa valise fille trop brune — plus besoin de convaincre, de faire vrai, il
s’ouvre dans l’herbe, on n’y voit que du rouge — tout est suffit d’enregistrer la scéne et sa fausseté convainc. Moments
rouge, les fleurs, les vétements, tout, un assortiment incroyable dépourvus de toute pesanteur fictionnelle, dégagés de la con-
de rouges, un dégradé, une partition ; émotion unique, rare, trainte de l’histoire, des impératifs du scénario : flottements
abstraite : les couleurs ont remplacé les sentiments, les person- fictionnels librement consentis, gratuits.
nages se sont fondus dans la toile du film — c’est la trame Tout cela pour dire que dans ce cinéma/chanson (et cela vaut
méme qui émeut. Délaissant pour une fois, une seule, la futilité pour Cauchemar aussi, avec sa rengaine réaliste qui installe un
fictionnelle qui lui est lourde, encombrante, Vecchiali découvre climat daté), tant qu’a faire, il vaut mieux jouer le jeu : ce sont
la seule gravité qui lui importe, faite de futilité authentique, de les moments de déperdition d’énergie, de fuite du sens —
platitude proclamée, d’artifice total — et pourquoi ne serait-on moments purement musicaux, abstraits — qui réussissent,
pas bouleversé par le délire librement consenti d’un cinéaste seuls entre tous, 4 introduire un équivalent filmique a la chan-
qui s’assume comme styliste ? Arrive un moment, et avec C’est son qu’on fredonne sans s’en rendre compte — moments
fa vie il est arrivé, ow il faut choisir, cesser de tergiverser, de d’émotion on !’on est bel et bien pris, sous le charme. Ow l’on
faire de V’aller et retour entre l’artifice et le réel une figure de oublie [’heure.
style, un masque, un paravent — choisir une bonne fois pour Mieux vaut en finir avec les systémes rigides — séquences en
toutes, s’engager, s’exposer. Réaliste ou délirant, plat ou pro- continuité chez Vecchiali, constructions brisées chez Berri et
fond, le film doit bien, 4 un moment ou A un autre, étre ce qu’il Simsolo : jeux avec le temps — qui rappellent sans cesse le
est, Coincider avec quelque chose, Le sentiment de durée, de spectateur 4 l’ordre de la fiction, aux régles de son déroule-
sur-place, de non-progression, ne vient jamais de abstraction ment : désagréable sensation d’avoir sous les yeux la carcasse
CRITIQUES
c’est ce qui a toujours fait sa force, insiste sur l’actualité bra-
lante, le quotidien le plus proche: éclairages, vétements,
maquillages, cadres méme, tout vient d’aujourd’hui, de la
représentation que les media donnent de notre actualité, de
nous-mémes. D’oll ce sentiment, trés « actuel », que les années
80 c’est chez lui et nulle part ailleurs qu’on les trouve. Deux
films directs au milieu d’une production francaise confuse, éla-
borée, hypocrite. Désert d’un cinéma comme il faut, bien
élevé, impersonnel.
Ce qui est malheureux, ¢’est que Vecchiali, Simsolo, Berri
n’ont pas toujours été comme ca ; qu’ils ont été mal élevés,
sales, personnels, créatifs. Pourquoi aujourd’hui semblent-ils
rejoindre ce désert du cinéma francais, un désert surpeuplé ?
C’est qu’ils sont entre : entre deux eaux, entre deux zones,
entre deux chaises ; nulle part ; perdus. Dans ce no man’s land
ot Pon se passe commande a soi-méme de sa petite histoire :
qui doit étre 4 la fois personnelle et travaillée, originale et
populaire, commerciale et artistique. Cogitations d’intellec-
Cauchemar de Noél Simsolo
tuels qui ont du temps 4 perdre : sans recul, dans le terrain
vague des idéologies moribondes, on élabore des contes néo-
contemporains froids, des romances tristes, des ballets mécani-
d’un film, le squelette d’une histoire, les impératifs d’un cada- ques. Avec, pesante, éternelle, sans style, la méme maniére de
vre. Le cinéma en devient vieillot, suranné — il sent le ren- filmer : frontalité classique, longueur, ennui. Manque d’inven-
fermé. tion total : on s’appuie sur les vieilles recettes, les fantOmes
fatigués d’un classicisme désuet, usé.
Donnez-nous des histoires d’aujourd’hui ! Pourquoi Berri, Il faudrait choisir, un jour ou l’autre il le faudra. Etre en
Simsolo, Vecchiali piétinent-ils ? Encore une fois, ce n’est pas accord, par exemple, avec sa propre superficialité : pourquoi
Je cadre qu’ ils se sont choisi qui est en cause, c’est sa sceur : la pas imaginer d’autres durées, des cadres fictionnels moins rigi-
morale, On ne peut plus, aujourd’hui, se servir des codes pour des — profiter de sa liberté d’esthéte, de sa vacance ? Ou au
jouer des coudes ; utiliser gratuitement l’acquis stylistique, le contraire créer du neuf, de l’intense : travailler réellement sur
contenu des anciens films, remuer le tout et servir la sauce — le cadrage, le montage, le morcelé. Accorder, de toutes facons,
rétro, indigeste, embrouillée. Il faut y aller de sa personne, de son existence au film — comme on accorde un instrument,
son corps de cinéaste concerné, de soi-méme. Si Treilhou dans pour qu’il sonne juste, qu’on puisse faire de la musique avec.
Simone Barbés, Godard dans Sauve qui peut, avec deux films Le cinéma francais meurt sous les conventions tristes, les
construits sur les mémes schémas que les trois qui nous occu- idées stéréotypées qu’il se fait du public — imaginaires, inuti-
pent, avec des chansons ou des équivalents, c’est-a-dire des les. Tl meurt de ses fausses audaces, de ses scoops mous, de ses
redites, des reprises musicales, des breaks, s’ils réussissent particularismes étroits. Surtout : il n’ose jamais étre, sans
complétement 4 convaincre, ce n’est pas qu’ils soient plus détours, ce qu’il est. Rien que cela. Rien d’autre. Cela suffi-
doués, géniaux ou intelligents : ils parlent de ce qu’ils connais- rait : tranchant, platitude, épaisseur ; un peu de reflet réel de
sent, qu’ils ont été voir et vivre par eux-mémes — et, du coup, nos vies ; une insouciance légére, de forme comme de con-
ils injectent de ’autobiographie dans leurs films, quelqu’un dit tenu ; toute la complaisance du monde, si l’on veut, pourvu
« je ». Une histoire se raconte et s’écoute. que le risque d’étre reconnu, épinglé, soit effectivement pris.
Hy a des raisons : Treilhou n’est pas cinéphile, une femme ne Sans mauvaise conscience ni recul excessif. Un cinéma direct,
Vest jamais ; le passé n’obscurcit pas la face du présent ; ne le enfin,
recouvre pas de ses dégoulinades. Pas de citations. Godard, Louis Skorecki
LE CORPS DE L’ANGE
LE REBELLE. France 1980. Réalisation: Gérard Blain. nécessité qui pousse Norbert 4 voler et a revoir "homme
Scénario: Gérard Blain et André Debaecque. Photo : influent, joué par Michel Subor, pour garder auprés de lui sa
Emmanuel Machuel. Montage : Jean-Philippe Berger. Son : petite sceur).
Alex Pront. Musique : Catherine Lara. Production : Roc, Les Car il y a de la dénégation dans cette référence affichée :
Films du Pélican, Auditrust, Les Films Moliére. Blain s’intéresse d’abord au corps de ses personnages, et cet
Interprétation ; Patrick Norbert, Michel Subor, Isabelle intérét prend parfois la forme du dégoiit : c’est trés net dans le
Rosais, Jean-Jacques Aublanc, Germaine Ledoyen. cas de Vintellectuel gauchiste et de sa femme, tout aussi net
chez tous ces personnages qui entourent les principaux prota-
Tiraillé entre plusieurs tendances du cinéma francais, Le gonistes du récit Geunes communistes, amis du cadre, assis-
Rebelle est un film-sympt6éme. Le maitre revendiqué par Blain tante sociale...), c’est comme corps privés de tout esprit,
est Robert Bresson et il est vrai qu’au-delA d’une direction comme corps sans ame, qu’ils sont livrés a la fiction et a la
d’acteurs qui vise la conception bressonienne des « modéles », haine. Quant au corps de ’homosexuel joué par Subor, Blain
il y a dans le personnage de Norbert, son héros, un angélisme en fait une espéce de machine froide qu’on entretient comme
tout a fait référencié (et un hommage clair A Bresson a la fin du telle (a séquence du gymnase), mais avec laquelle on ne discute
film). Mais chez Blain les corps résistent, font retour avec leurs pas. « Il n’y a qu’eux qui me font bander » répond sans appel
servitudes (la maladie), leurs turpitudes (le sexe), leurs aléas (la Subor 4 un ami qui le met en garde contre le danger des fré-
LE REBELLE
28 fs x
Patrick Norbert, te rebelle du film de Gérard Blain. A droite avec sa sceur (Isabelle Rasais}
quentations de jeunes loubards dont il est coutumier. If n’y a sexuel ; ’affection tragique du grand frére pour la petite sceur
guére que Norbert et sa jeune sceur 4 qui il soit pardonné qu’on lui retire ; la chaleur désolée que prodigue la vieille dame
d’avoir un corps, et le corps des autres est filmé du point de vue a ses jeunes voisins orphelins. Le filmage lui-méme semble
et selon ’angle ott ces deux corps-la leur feront le plus de mal. alors porté par la grace : ces longs travellings au bord de I’eau,
On retrouve donc ici un masochisme du filmage, déja relevé puis au bord de la mer prés de Calais (Norbert et sa sceur en
chez Pialat (Narboni, Cahiers n° 304), qui relativise certes, parkas bleus et rouges, se découpant sur le fond clair des plages
comme chez l’auteur de Loulou, les tentations poujadistes des du Nord)...
propos, mais qui ne peut effacer le caractére ressentimental
qu’avec lui il traine, bornant gravement les qualités fictionnel- Blain occupe une place a partir de laquelle peut s’analyser
les du film. tout V’héritage du cinéma francais, tout ce patrimoine (puisque
Ce ressentiment est évidemment responsable des pires le mot est d’actualité). Entre ceux qui le gérent (Deray, Gio-
moments du Rebelle, ceux oti la logique de la ségrégation inhé- vanni, Lautner, Verneuil, Sautet...) et ceux qui le nourrissent
rente 4 la démarche apparait, c’est-a-dire en gros dés que Blain (Godard, Pialat, Bresson), il propose des agencements singu-
se pique de faire de ’idéologie. Son empoignade rageuse contre liers entre les uns et les autres. D’une autre maniére on pourrait
les jeunes communistes est tout a fait élémentaire, son person- dire qu’il joue en mineur des cordes de ce cinéma-la. Dans cette
nage d’intellectuel gauchiste vraiment trop caricatural (ne par- position sympt6me on trouve aussi des cinéastes (solitaires)
lons pas de sa femme), et le « danger de politisation » de la jeu- comme Mocky, Vecchiali, Marboeuf, ceuvrant dans ]’infras-
nesse des banlieues un peu surestimé pour les besoins de la tructure du cinéma francais, revivifiant son noyau fondamen-
démonstration. Dés que la grace fait défaut (et on a vu com- tal. Car dans le cas de Blain, il s’agit d’une position de repli
ment : quand les corps sont donnés comme non désirables), extréme. Pas trace de cinéma américain dans Le Rebelle :
Blain utilise une version a tout faire du naturalisme frangais ou méme les scénes de violence se raccrochent 4 la tradition fran-
le stéréotype le dispute 4 la paresse fictionnelle. Il constitue caise du genre, celle du Becker de Casque d’or, du Melville de
ainsi une imagerie fourre-tout dans laquelle scintillent quelques Bob le Flambeur, du Renoir de La Béte humaine, une maniére
beaux moments de choc du naturalisme et de l’angélisme : la intense et feutrée de faire porter les coups.
relation entre le jeune loubard perdu et le jeune cadre homo- Serge Le Péron
STARDUST MEMORIES. USA, 1980. Réalisation : Woody dents, il était fatal que Woody Allen se penche sur ce qui cons-
Allen. Photo : Gordon Willis. Concepteur de production : Mel titue, qu’il le veuilie ou non, l’essentiel de son existence : le
Bourne. Montage: Susan E. Morse. Son: James Sabat. cinéma et la notoriété ; les responsabilités et les pressions qu’ ils
Musique ; Cole Porter, Django Reinhardt, Sidney Bechet, entrainent.
Benny Goodman. Producteurs: Jack Rollins, Charles H. Il est certain qu’a la vision de Annie Hall ou Manhattan on
Joffe. Interprétation : Woody Allen, Charlotte Rampling, aurait pu poser la méme question que Wim Wenders pose 4
Jessica Harper, Marie-Christine Barrault, Tony Roberts. Nicholas Ray lorsque ce dernier lui suggére d’écrire V’histoire
d@’un vieux peintre sur le point de mourir : pourquoi un peintre
et non pas un cinéaste ?
« Llove you, Mister Allen. Le genre qu’Allen a choisi et dans lequel il inscrit Stardust
— You love me ? Memories est celui des ceuvres de cinéastes « en crise », crise
-~ I mean your films » créatrice ou bien existentielle. Nul n’a manqué l’implicite réfé-
Pris dans le délire autobiographique de ses deux films précé- rence 4 Huit et demi — méme si esthétiquement les emprunts
CRITIQUES
« Woady Alien est assis dans un convol sinistre peupté de visages qu’on croirait_d’un film de Dreyer ».
proviennent plutét de La dolce vita ou Amarcord ~ mais il rique qui le fascine et le fait souffrir ou la saine mére de famille
faut noter que le cinéaste italien se pose avant tout le probleme au sourire éclatant, franche comme le bon pain. C’est corné-
de son impuissance 4 créer, ce dont il ne saurait étre question lien. Inutile de préciser que la premiére, au visage creusé et aux
dans Stardust Memories. La thématique de Huit et demi s'ins- formes d’anorexique est incarnée par Charlotte Rampling et la
crit humainement et théoriquement avec une certaine logique seconde aux formes trés rurales est l'occasion pour Marie-
dans ’ceuvre de Fellini. Imparfait, boursouflé, c’est pourtant Christine Barrault de poser un pied sur le sol du Nouveau
un film trés émouvant né des remous émotionnels engendrés Monde. L’essentiel du film est de la méme eau, un pastiche des
par le succés disproportionné de La dolce vita. D’autres films, thémes qui ont fait le charme des ceuvres de leur auteur.
véritables exercices d’auto-complaisance sont nés des mémes
causes, Novecento et, apparemment, Heaven’s Gate. Dans la Ce qui frappe a Ja vision de Stardust Memories est Vaigreur
carriére de Woody Allen, Stardust Memories, qui mime le proche de la haine que Woody Allen accumule 4 l’encontre
déséquilibre, le désarroi intérieur, est au contraire un film de @un milieu intellectuel auquel il est pourtant indissolublement
profonde stabilité. Pire : un film de gestion. On en vient méme lié. Les termes de cette dialectique semblent totalement lui
a se demander si ce n’est pas intentionnellement que Allen a échapper, enfermé qu’il est dans une schizophrénie aux progrés
jusqu’ici évité d’aborder de front la caricature des milieux ciné- galopants. Ainsi la scéne d’ouverture de ce dernier film ot
matographiques ou cinéphiliques, s’il ne conservait pas ce deux trains sont en gare, céte 4 cdte. Allen est assis dans un
théme de cété pour un film sans urgence : un autoportrait en convoi sinistre peuplé de visages qu’on croirait d’un film de
réalisateur. Dreyer. Dans l’autre train, c’est la franche gaité, de beaux jeu-
nes gens chantent, dansent, boivent du champagne. Comble de
Adimettant que Woody Allen doive jamais réaliser un film de Phorreur : lorsque les voitures s’ébranlent, le réalisateur com-
crise, ce devra étre le prochain. Avec celui-ci se tarit la veine prend qu’il est prisonnier de son wagon et forcé de faire tout le
issue de Annie Hail ov il avait réussi ce prodige de radicalement voyage en cette morne compagnie, La conclusion de cette para-
renouveler son inspiration. Ici ce n’est plus qu’auto-parodie. bole est qu’au terminus tout le monde se retrouve ; effective-
L’intrigue sentimentale qui devrait constituer le noyau du film ment cela se termine par les voyageurs errant tous dans un
est d’une banalité sans recours : doit-il choisir la femme hysté- champ d’épandage, parmi les détritus. On découvre alors que
STARDUST MEMORIES
ce n’était qu’un film dans le film, l’ceuvre de Sandy Bates, la
persona @’ Allen.
Comment faut-il donc prendre cette consternante démons-
tration ? Est-ce Pceuvre de l’auteur du vulgaire Interiors ?
Auquel cas il faudrait la prendre au sérieux, comme un de ces
aphorismes filmés qu’affectionne Allen. Ou alors est-ce un
morceau parodique ceuvre du brillant cinéaste de Annie Hall ?
Franchement aucun élément ne permet de trancher. Pour ce
qui est du résultat il en est autrement puisque cette séquence se
révéle étre la chausse-trappe qui fait glisser le spectateur dans le
systéme pervers mis en place par Allen. En lui donnant deés le
départ cette scéne, il pousse un public duquel il ne se fait pas
une irés haute idée 4 échafauder des interprétations pour les-
quelles il pourra une hevre et demi durant le culpabiliser. Il
s’acharnera contre tout ce qui peut de prés ou de loin ressem-
bler 4 une opinion sur ses films, son cinéma ; toute personne
ouvrant la bouche 4 ce sujet se mue instantanément en débile
mental ou en pédant selon [’optique dans laquelle il choisit de
se placer ; tout cela de maniére 4 ce que le spectateur sortant
d'une projection n’ose méme ouvrir la bouche. Cette phobie de
Pexégése est bien entendu la corollaire de obsession dont elle
fait l'objet dans toute l’ceuvre d’Allen. Son psychanalyste Se cE a af 3 a
r
Woody Allen et Charlotte Rampling, « fa femme hystérique qui le fascine et le fait
interpréte, ses maitresses interprétent et lui-méme ne fait que souftrir »
s’auto-interpréter. De ce dernier point provient sans doute
qu'il ne puisse tolérer intrusion dans un domaine privilégié,
accordant a ce pauvre exercice la méme valeur que son public
qu’il méprise.
Il y a quelque chose d’obscéne dans Vacharnement d’un
auteur adulé contre ses spectateurs. II raille avec une cruauté
parfaitement injustifiée ces gens qui, reconnaissants du plaisix
que leur procure son cinéma, tentent naivement de lui trans-
mettre leurs sentiments, handicapés par un langage intellectuel
moderne porteur d’aliénation, impropre a I’émotion.
En matiére de polémique comme en matiére de satire sociale
tout discours — et celui d’Allen n’y manque pas — s’effectue
en référence a un interlocuteur imaginaire. Bien évidemment ce
triste personnage est d’emblée situé des lieues en-dessous de
son créateur. Il s’avére d’ailleurs souvent étre sa propre projec-
tion. La valeur du propos, donc, dépend généralement de la
hauteur ot l’on placera cet interlocuteur, de acquis que Pon
voudra bien lui accorder. Comme André Halimi dans les fic-
tions de polémiques qu’il s’invente 4 longueur de semaines,
Woody Allen dans Stardust Memories met la barre 4 zéro. I
s’adresse 4 un idiot. Ce procédé assez bas lui permet a bon a , ‘
compte de paraitre parmi les nains un penseur profond, ses Woody Allen et Marie-Christine Barrault, « la saine mére de famille au sourire
aphorismes semblant des pépites dans un désert culturel, et, éclatant, franche comme le bon pain »
Woody Allen et Jessica Harper
surplombant tout son monde de la téte et des épaules, il peut . .
s’accorder Ia modestie princiére de parler de ses.« stupid little
films » ou du peu d’importance qu’il accorde 4 son ceuvre.
Disqualifiant ainsi ses confréres qui ont le malheur de prendre
leur ceuvre au sérieux ou les chroniqueurs ayant la cuistrerie
d’accorder quelque intérét 4 ses films comme je le fais ici.
Imperturbable, je persiste. Bt pour finir sur une note moins
sombre il serait injuste de ne pas noter les immenses qualités
visuelles de Stardust Memories dont ’opérateur Gordon Willis
n’a pas le seul crédit. Woody Allen est désormais et sans doute
plus encore que dans ses films précédents un excellent cinéaste
capable de ménager des moments de rare poésie. D’ autre part,
est-il besoin de Ie préciser, lorsqu’il décide d’étre dréle, Allen
réussit imparablement son coup, doté d’une maitrise pratique-
ment sans comparaison dans le cinéma contemporain.
Stardust Memories est une ceuvre trés hermétique, absconse
serait d’ailleurs plus adéquat, que les Américains nous expé-
dient affublé de l’étiquette de film européen. Nous renvoient-
ils ’image qu’ils peuvent avoir de notre cinéma ?
Olivier Assayas
CRITIQUES
LA TRIBU ET LA LOI
UMARETE WA MITA KEREDO (GOSSES DE TOKYO, cinéaste renfermé sur lui-méme s’il en fut, il est le prototype de
ex-JE SUIS NE, MAIS...). Japon, 1932. Réalisation : Ozu Vauteur. [ly a fort 4 parier qu’une étude globale de ses person-
Yasujiro. Scénario : Fushimi Akira, Ibushiya Geibei d’aprés nages, de ses thémes, obsessionnels, donnerait un résultat
un sujet de James Maki (Ozu). Photo; Shihegara Hideo. d@’une cohérence parfaite, impensable chez quelque autre réali-
Décors: Kono Takashi. JInterprétation: Saito Tatsuo, sateur que ce fit, surtout de sa génération.
Sugawara Hideo, Kozo Tokkan, Yoshikawa Mitsuko. Découvert en France il y a trois ans, objet justifié d’un
engouement sans précédent, Ozu est sorti de Pobscurité pour
La distribution 4 Paris de ce film d’Ozu datant de 1932 tient entrer directement dans une sorte de Panthéon classique, y
de la prouesse. Du miracle, méme, I! est en effet unique — et rejoignant des artistes tels que Vermeer et Mondrian, ou méme
vraisemblablement destiné 4 le demeurer — de voir un film Racine. Mais cette pureté formelle, cette rigueur mathémati-
muet japonais diffusé dans un circuit commercial. Cette initia- que, a trop souvent masqué aux yeux des spectateurs la réalité
tive ne peut donc que susciter l’enthousiasme, d’autant plus de Part d’Ozu. On a vu en lui un cinéaste méticuleux, mania-
que Je film est lui-méme un véritable joyau. On admetira donc que — lequel ne |’est pas ? — un graphiste froid, un moraliste
sans peine le choix pour ce Je suis né, mais... du titre plus hautain. De la méme facon, un public peu pénétrant a accusé
accrocheur de Gosses de Tokyo, ou du parti pris qui a consisté Mondrian dans sa période De Stilj d’étre un théoricien sans
4 préférer lire les intertitres qu’a les sous-titrer ; néanmoins ce émotion, refusant de voir ou de comprendre la sensualité
mest gu’en ravalant sa salive et en faisant un effort sur soi- vibrante qui émane de sa série tardive des Broadway Boogie
méme que !’on excusera le placage continuel sur le film d’une Woogie. De la méme fagon, Ozu est sans doute le plus « latin »
musique qui aurait été plus a sa place dans un ascenseur ou sur des cinéastes japonais.
les quais du RER. Dans Gosses de Tokyo cela est parfaitement sensible ; ce
Peu de cinéastes ont provoqué autant qu’Ozu une telle fasci- film-charniére ot: Ozu n’est pas encore Ozu mais le devient est
nation et une telle profusion de littérature chez les critiques. avant tout un mélodrame social extrémement touchant doublé
C’est que Ja rigueur de son cinéma — unique en son genre — se d’un aspect franchement comique dont, en effet, le cinéma
préte aisément a l’analyse la plus serrée. Créant ses séquences a néo-réaliste italien a donné les seuls exemples comparables.
partir de modules selon une méthode de plus en plus élaborée, Lorsqu’il tourne ce film, Ozu n’a pas trente ans, c’est déja son
GOSSES DE TOKYO
vingt-quatriéme film, mais c’est chronologiquement son cin-
quiéme long métrage parmi ceux qui sont conservés. Pour la
premiére fois il décide d’abandonner Ie fondu enchainé auquel
il ne reviendra plus de toute son ceuvre. Le travelling demeure,
qui ne disparaitra d’ailleurs que dans ses tout derniers films.
Dans Gosses de Tokyo Ja thématique du cinéma d’Ozu est en
place, la chaleur de ses personnages, mais ce qui fera )’ essence
de son art est encore absent. Ozu est autant un auteur de films
que le créateur d’une ceuvre et la fascination de ses films de
maturité tient 4 Ila répétition systématique d’images, a la récur-
rence des themes, 4 la mise en place, enfin, d’un dispositif qui
le fait renouer avec ce qu’il y a de plus haut dans Part oriental :
cette capacité par la répétition d’images identiques, de séquen-
ces identiques 4 aiguiser nos sens jusqu’a ce que nous soyions
réceptifs a la plus infime variation, 4 la plus délicate rupture
d’un ordre parfait. Et ce autant dans l’image que dans la
psychologie des personnages. Ozu fabrique avec science le vide
de maniére 4 nous bouleverser par la subtilité d’un détail.
Le systéme est absent donc de Gosses de Tokyo, mais pas le Les Gosses de Tokyo et leur mére
génie. L’anecdote est fort simple: deux enfants découvrent
leur pére qu’ils respectent dans une situation ot lui-méme ne se
respecte pas ; employé par un patron vulgaire, il est l’objet noblesse de caractére dont sont dénués les adultes du film et
d’humiliations contre lesquelles il n’ose pas se rebeller. La qu’on peut imaginer porteuse d’espoirs pour le futur. Admet-
situation leur est d’autant plus incompréhensible que le fils tre l’existence de l’ordre social est une chose, en accepter les
nunuche du méme patron est leur souffre-douleur. Pour aider injustices une autre.
leur pére 4 se dégager des contraintes matérielles qu’ils repré- Une question demeure ouverte, pourtant. Et si Je fils du
sentent pour lui, ils décident de lui faire faire une économie en patron osait se rebeller ?
se privant de toute nourriture, découvrant dans un premier Olivier Assayas
temps non pas lage adulte, mais la culpabilité d’exister qui
donne son sens, j’imagine, au titre original Je suis né, mais...
NANTERRE
Paradoxalement cette intrigue ne se met en place que durant le
dernier quart du film, tout le reste étant prétexte & une descrip-
AMANDIERS
tion sociale comparant avec bonheur la structure finalement
simple dans laquelle évolue le pére — il a une place, un bureau,
des horaires, des rapports codés avec ses collaborateurs, qu’ils
soient des supérieurs ou ses subordonnés — et la structure bien
plus complexe, bien plus mafléable ot sont pris les enfants. les du 9 janvier au 6 mars 1981
rapports entre enfants, dénués de conséquences sociales sont
imprégnés d’un tribalisme oi les plus forts s’imposent aux plus
FESTIVAL du JEUNE CINEMA ALLEMAND
faibles selon des lois — disons — naturelles. Ce paralléle est
- Poecasion d’un des plans les plus célébres du cinéma d’Ozu, »* En avant-premiére: 2 épisodes de Berliner Alexander
qu’il ne se privera d’ailleurs pas de réutiliser, deux travellings Platz (R.W. Fassbinder)
latéraux successifs, l’un sur les bureaux de l’usine, autre sur « Inédits: David (P. Lilienthal), Tango durch Deutchland
les pupitres de l’école. Cette seule image préfigure avec une (L. Mommartz), Mosch (T. Dorst), La répétition générale
rage contenue ce qui sera la conclusion du film, un pas vers {W. Scroeter}, Albert Warum ? (J. Rédl).
lacceptation de régles sociales qui, aussi injustes soient-elles, + Et plusieurs autres films: le candidat (A. Kluge et
aussi éloignées de l’ordre de la nature, n’en demeurent pas W. Schléndorff). La patriote (A. Kluge), Les années de la faim
moins les seules en vigueur. Le pivot du film, la découverte par (J. Brickner}, Les enfants du N° 67 (U. Barthelmess et
Ryoichi et Keiji de l’humiliation de leur pére est précisément W. Meyer), Les sceurs (M. von Trotta), Personnalité réduite
chargée d’une violence rare parce que les deux enfants ont eu, de toutes parts (H. Sender], La fin de l’arc en ciel (U. Fries-
eux, 4 durement lutter pour imposer leur suprématie dans leur ner), La mortification (L. Bondy), La guerre de la biére
groupe, fidéles en cela sans doute a l’image qu’ils avaient de (H. Achternbusch), La vedette (R. Hauff}, La pureté des
leur pére. En retour, les voila eux-mémes obligés a subir le con- cceurs (R. von Ackeren), Les derniéres années de l’enfance
trecoup de Il’humiliation du pére. Un pére dénué de ses attri- (N. Kukelmann], Au del& de l'amour (1. Engstrém)}, Souvenirs
buts, dépourvu de dignité, aussi veule devant son directeur que irréconciliables (K. Volkenborn), Cceurs enflammés (W. Bock-
le fils de ce dernier l’est devant Ryoichi et son frére. Dans une mayer}, Ou Jane sera toujours Jane (W. Bockmayer).
autre séquence bouleversante, le pére tente sans s’en rendre + De nombreux films de : Fassbinder, Kluge, Schléndorff,
compte de briser cette domination en prenant le parti du fils de Keusch, Shubert, Volkenborn, Sanders-Bralims, Willutzki,
son chef contre ses propres enfants. Bockmayer, Cloos, Herzog, Syberberg, Fleischmann, Wen-
ders.
Dans la scéne finale oi les enfants autorisent leur pére A Rencontre avec les cinéastes: Jutta Bruckner, Peter
saluer le directeur — marque de Ia réconciliation familiale et, Lilienthal, Tankred Dorst, M. von Trotta et Eddie
peut-étre, sociale — il ne me semble pas lire comme il y Constantine,
paraitrait le signe d’une résignation des enfants devant le
systéme. Ils ont certes découvert qu’un ordre existait mais la MAISON DE LA CULTURE
magnanimité et la sensibilité dont ils font preuve en choisissant 7, avenue Pablo Picasso - Nanterre 92
de pardonner a leur pére, de ne pas le blamer est le signe d’une . 7241.18.81
NOTES SUR D’AUTRES FILMS
LA BETE S’EVEILLE (SLEEPING TIGER), de intrigue assez grossiére est soutenue par deux péles
Joseph Losey (Grande-Bretagne, 1954), avec Dirk d’intérét divergents.
Bogarde, Alexis Smith, Alexander Knox, Hugh Ce qui séduit dans Sleeping Tiger, c’est son esthéti-
Griffith. que empruntée au film noir (qui fut d’ailleurs le
Sleeping Tiger est le premier film anglais de
premier champ d’expression de Losey dans ses films
Losey aprés son départ des U.S.A. C’est aussi la américains). La rapidité d’exposition des faits,
premiére collaboration du tandem Bogarde-Losey.
Véclairage expressionniste, le montage serré, tout
Ce film de commande que Losey accepte aprés deux concourt 4 donner au film l’aspect d’un thriller...
années d’inactivité forcée inaugure le cycle le plus Pourtant cette forme classique joue contre ce qui
fructueux de la carriére du réalisateur : entre 1954 visiblement intéresse Losey : l’étude de la relation
et 1964, une dizaine d’ceuvres a petit budget (sauf qui se noue entre le délinquant et la femme du
Eva) qui représente un cinéma de dénonciation psychiatre, conflit de classe, perversion sociale. Ce
sociale et d’indignation 4 l’égard des institutions. matériau qu’il affinera de film en film jusqu’a Eva
Le scénario est un hybride de film policier et de et The Servant ne trouve pas encore sa place dans
mélodrame psychologique. A un criminel qui vient Sleeping Tiger. Nous assistons A une succession de
de commettre un forfait sur la’personne d’un coups de théatre concernant la relation des amants
psychiatre, on propose le marché suivant : choisir au détriment du long cheminement de leur passion.
de passer six mois en prison ou vivre six mois avec La synthése ne se fait que dans fe personnage de
sa victime qui désire utiliser son agresseur comme Bogarde ot Losey identifie perversion et délin-
sujet d’étude. Le film montre la présence du délin- quance. Il y a la l’ébauche subtile du personnage de
quant dans la maison et les relations qui se nouent Barrett dans The Servant : un homme réellement
entre le criminel (Dirk Bogarde), le psychiatre asocial dont la rédemption finale n’intervient que
(Alexandre Knox) et sa femme (Alexis Smith). Cette pour rassurer fa censure. L.P.
BRUBAKER, de Stuart Rosenberg (USA, 1980) dale. Sa copine essaie de le calmer (« il faut transi-
avec Robert Redford, Yaphet Kotto, Jane ger»), il refuse, Sacrifie sa carriére 4 son idéal.
Alexander.
Tout redevient (presque) comme avant son départ
Solide fiction: haletante, nerveuse, libérale. (prisonniers exploités, petit capitalisme local et cor-
Robert Redford est le nouveau directeur d’une pri- rompu, discipline traditionnelle), mais les détenus
son vache. Un peu trop décoloré mais bien. I] aime se détournent du nouveau directeur qui fait son
jes Noirs et les réformes. II est honnéte, entier, amé- speech pour applaudir l’ancien qui s’en va. Une
ricain, Contre les magouilles politiciennes et les larme aurait-elle brillé au coin de l’ceil trop bleu de
compromis, mais fin stratége quand méme. Un nos- R.R. ? Et du nétre méme, qui sait ? Idéologique-
talgique des Kennedy, pour résumer. D’abord il se ment, le film rappelle le Joe Tynan de année der-
fait passer pour détenu, zyeute, voit les vers dans la niére (Schatzberg) : combien de compromissions
nourriture, se fait des copains, mate un négre en peut faire un libéral new-look avant de devenir un
rébellion devénu un peu fou — en un mot : prouve réac vieux look? Le tout agrémenté de scénes
sa virilité, montre qu’il a des couilles. Ensuite on d’amour qui sont aussi des confrontations d’idées
passe aux réformes : aidé de ses copains devenus — dans le nouveau cinéma américain, on causera
responsables (quasi syndicaux), il fait — essaie de bient6t politique au lit ; on y est presque. Pourquoi
faire — de la prison une ferme modéle, saine, pro- pas ? Stylistiquement parlant : un S.S.8.F. (Samedi
ductive, etc. Déterre aussi des cadavres, fait scan- Soir Sans Fiévre). L.S.
D’ AMOUR ET DE SANG (FATTO DI SANGUE meurent et Ia belle Sophia reste seule en pleurs.
FRA DUE UOMINI PER CAUSA DI UNA Décousu? Incohérent? Ce produit destiné,
VEDOVA), de Lina Wertmiiller (Italie, 1978}, avec parait-il, au marché ameéricain (qui n’en a pas
Sophia Loren, Marcello Mastroianni, Giancarlo voulu), spécule sur un exotisme de pacotille: la
Giannini, Sicile éternelle et la grandeur de la femme sici-
En 1920, en Sicile, avec comme arriére-plan la lienne : sel de la terre, dont Sophia est l’incarna-
montée du fascisme, la belle Sophia est une fiére tion. On retrouve par ailleurs le modéle retro-
paysanne dont je mari a été tué par une Chemise malsain qui a fait le succés du nauséabond Pasqua-
Noire. Depuis lors, elle se partage entre deux hom- lino, Ajoutons 4 cela, un filmage plat et conven-
mes le vieux Marcello qui campe un personnage tionnel : toutes les séquences s’ouvrent par des
d’avocat socialiste 4 la barbe fleurissante, et le vil et zooms arriére découvrant des paysages cartes posta-
malin Gian Carlo Giannini, qui joue un mafioso les, les dialogues sont invariablement filés en une
réaliste. Avec le fascisme grandissant, les passions suite de champ-contre-champs. La beauté de
s’exaspérent et l’imbroglio sentimentalo-politique Sophia a bien du mal a se distinguer dans ce morne
conduit 4 une tuerie générale o& tous les hommes panorama. L.P.
57
ERASERHEAD, de David Lynch (USA, 1978) bles. La mére nourrit l’enfant 4 la petite cuiller,
avec John Nance, Charlotte Stewart, Allen Joseph. avec patience. Longuement. La nuit, le bébé-
monstre n’arréte pas de gémir. Il agace ses parents,
Le premier long métrage de David Lynch, Eraser- les empéche de dormir. Malade, son pére (le por-
head (le second, Elephant Man, est annoncé a Avo- trait craché d’Eisenstein) Ie soigne tant bien que
viaz), est un film artisanal extrémement soigné. Aux mal, Pour reprendre Schefer, si le repas de bébé
Etats-Unis, au méme titre que le Rocky Horror Pic- facon Louis Luiniére est un genre cinématographi-
ture Show, C’est un film-culte. Ici, on ne manquera que, les scénes d’Eraserhead, dans leur durée, sont
pas de le noyer dans les eaux nostalgiques du sur- « Pachévement du genre ». Le film de famille, datfs
réalisme le plus surfait : un vague produit d’avant- toute son horreur. Mais cette horreur, sauf a la resi-
garde pour spectateur revenu de tout. Pourtant, tuer dans l’abjection qu’inspire la famille améri-
dans Eraserhead, il est des images dont il est diffi- caine moyenne, la banalité sordide d’un couple,
cile, sinon impossible, de revenir. David Lynch, nest pas, 4 la différence de Freaks, inscrite dans un
mieux que tout autre, a trés bien saisi le chemin scénario, dans un programme tendu vers le possible
nécessaire que doit prendre, pour exister, l’horreur renversement des valeurs. Le film se situe donc
au cinéma. En quoi consiste-t-il ? Jean Louis Sche- entiérement sur le péle « ignoble ». II n’est jamais
fer, 4 propos de Freaks, remarquait justement que « bas ». Dans Eraserhead, il est clair que cette hor-
Vhorreur du monde, sa folie, c’est qu’il « se ressem- reur, en dehors de toute considération clinique, est
ble 4 Vinfini». Les images, dans Hraserhead sans objet. Tout juste obsessionnelle. C’est-a-dire
(« Téte 4 effacer », « téte de gomme »), c’est un du cété de « Pécran du fantasme », des rapports
enfant prématuré, un bébé emmailloté. En fait, un entre Phomme et la béte. D’ott l’incommensurable
monstre dont on ne sait pas trés bien s’il s’agit écceurement qui sature ce film. Un éccourement
d’une mécanique animée par des piles ou d’un vrai sans fond ni fin. Une horreur illimitée, sans
foetus de veau. Aucun souci d’ordre tératologique recours. Un tel anéantissement du spectateur avec
n’anime le cinéaste. Eraserhead ne donne jamais des images qui, sans toucher a rien, sans bousculer
dans le tableau complaisamment morbide des écarts Yordre des choses, le touchent, fui, vraiment, c’est
de la nature. Filmiquement, David Lynch ne s’inté- chose rare au cinéma. C.T.
resse qu’aux ressemblances. Elles sont insoutena-
FRAYEURS (LA PAURA), de Lucio Fulci (Italie, tatés, Paccumulation d’effets a du bon. Elle permet
1980), avec Christopher George, Katherine au moins au maquilleur Gino de Rossi d’accomplir
MacColl. un excellent travail. Le film est trés mobile. C’est-a-
dire que, méme s’il y répond imparfaitement, il a
Le public du Rex a vu Frayeurs et lui a attribué @abord le mérite de poser cette question : comment
son grand prix. Le spectateur qui ira voir ce film filmer la peur en dehors du champ-contrechamp
sera privé de trois scénes. Il ne verra pas une main obligé entre le monstre et la victime, ailleurs que sur
qui se plaque sur un crane et l’écrase ni un autre un visage oll ca s’imprime ? Pour une fois, méme si
crane livré 4 une perceuse électrique. Quand une Fulci n’est pas Tourneur (il croit aux effets mais pas
femme pleure et vomit du sang, le reste (les intes- assez a sa matiére, son matériau), la peur n’est pas
tins) ne suivra plus. Zombi 2 avait déja été amputé donnée 4 voir, a lire. Si elle est toujours présente,
de 20 minutes par la censure. Qui est donc Lucio cest plutét dans les images, entre, que sur. Cette
Fulci ? Un nouveau venu dans le fantastique italien peur commence par fa nomination, par son excés
(avec D. Argento, aprés R. Freda et M. Bava) et un maniaque, 1a ot elle perd pied : un chat est trop un
vieux cinéaste : 34 films en 20 ans et des scénarios chat pour n’étre qu’un chat. Pour rester ayec Tour-
de comédies pour Toté. Quant a l’histoire du pére neur, au couple femme-léopard, ce n’est jamais fait
Thomas qui, en se suicidant, déchaine la colére non peur. En revanche, les diverses figures (déplace-
de son Dieu mais des morts du village de Dunwich, ments, glissements) qui, sur le chemin, y condui-
les descendants des bourreaux de Salem, elle sent : oui. Bref, dans cet espace fluctuant, ce n’est
importe peu. Lucio Fulci est un fonceur : if ne pas seulement une affaire de champ et de hors
s’intéresse pas au scénario ni ne prend le temps champ, c’est aussi une question de temps. Juste-
dinstaller les situations, les personnages. Il veut ment, le tort de Lucio Fulci, c’est d’aller vraiment
frapper fort, vite et partout. Malgré les inévitables trop vite. C.T.
INSPECTEUR LA BAVURE, de Claude Zidi Done Coluche a une telle présence 4 |’écran (comme
(France, 1980}, avec Coluche, Gérard Depardieu, tous les acteurs venus du cabaret) qu’on voit Zns-
Dominique Lavanant, Hubert Deschamps, Julien pecteur la bavure sans ennui et que bien siir on y rit.
Guiomar. Or, il s’agit d’un film faible, bien que non-nul.
Axiome: Coluche est un grand comique de C’est qu’un grand comique peut étre grand dans un
cinéma. Qu’est-ce qu’un grand comique ? Avant petit film, inoubliable dans un navet. C’est méme
tout quelqu’un qui ne cadre pas avec l¢ cinéma tel en ¢a que l’acteur comique représente une limite du
qu’il se fait, qui est un corps étranger, un défi, une cinéma : jusqu’a un certain point, il est comme il
mine vivante de scénarios nouveaux. De deux cho- est, a prendre ou a laisser, inaméliorable, indiffé-
ses lune : soit il invente ou il suscite le cinéma qui rent ala magie du cinéma. Et les masses spectatrices
lui convient, soit il se plie aux genres déja en place. qui lui font un triomphe le savent bien, l’ont tou-
Dans le passé, un grand comique était aussi un jours su. C’est le coup le plus décisif que l’on puisse
grand metteur en scéne ou bien il y avait des allian- porter 4 la politique des auteurs.
ces géniales (McCarey et Laurel et Hardy et méme
Peter Sellers et Blake Edwards). En France (mis 4 Ceci dit, faut-il aimer pour autant Jnspecteur la
part Tati), il y a eu de grands comiques dont la car- bavure ? Faut-il, pour surprendre tout le monde, le
riére de cinéma est nulle et non avenue (Fernand défendre ? Non. Parce que le film ne tient aucune
Reynaud, Raymond Devos). C’est dommage. Parce de ses promesses, parce que le sujet est faussement
gue c’est du gachis. Le gachis d’un gachis (parce corrosif, parce que Depardieu se donne beaucoup
que le comique, c’est aussi la meilleure facon de de mal pour pas grand chose, parce que le person-
gacher). nage de Dominique Lavanant n’est pas dréle a
58 NOTES
force d’étre chargé, parce que Zidi filme correcte- tement inadmissible du scénario, 4 un lachage de
ment mais platement, parce qu’enfin le scénario est mou non voulu. Du film corrosif, les auteurs ont
dune faiblesse grave. A un moment, quand la voulu enchainer sur une fin boy-scoute ot Coluche,
bavure a été découverte et exposée en plein jour, il comme dans les vieux films de Fernandel ou de
m’a semblé que le film frdélait quelque chose : on ne Rellys, s’avére un faux idiot du village et un vrai
sait plus du tout ce que Coluche comprend de ce qui débrouillard. Misérable.
lui est arrivé. Ce trouble aurait pu étre fécond
(comme chez cet autre obsessionnel de la bavure : Tl reste donc 4 réver d’un Coluche pris au sérieux
Clouseau-Sellers) mais il n’est héfas di qu’a un flot- par fe cinéma, S.D.
NUITS DE CAUCHEMAR (MOTEL HELL), de Cette normalité, cette légalité, elle seule, est obs-
Kevin Connor (USA, 1980) avec Rory Calhoun, céne, pornographique. Comme dirait Godard : ot
Paul Linke, Nancy Parsons, Nina Axelrod. sont les monstres ? Le couple de Nuits de cauche-
mar n’a donc, en soi, absolument rien de fantasti-
que. En dépit du titre ridicule, il n’y a pas la facade
Nuits de cauchemar montre ’ Amérique blanche paisible, le jour, et, Ia nuit, le déferlement d’hor-
profonde. Celle de la country-music. Un couple reur. De maniére trés intelligente, Kevin Connor,
incestueux vit retiré dans un motel. La spécialité de avec le méme regard, cet incomparable égalité de
ja maison, connue dans toute Ia région, c’est la ton et d’humeur, filme d’abord des gens qui, de
viande fumée. Vincent et sa sceur cherchent un suc- jour comme de nuit, travaillent d’arrache-pied.
cesseur 4 qui transmettre la délicate recette de cui- Cette ardeur et cette joie au travail, inébranlable,
sine : moitié viande de pore, moitié chair humaine. est répugnante. Siffler en travaillant, voila V’hor-
Vincent se prend parfois pour Dieu, souvent pour reur. Nuits de cauchemar serait donc le miroir con-
son envoyé. Chargé d’une mission, il vit toujous fondant des sept nains de la fable. Il faut remonter
dans sa crainte et son approbation. A l’opposé du aux nouvelles d*Ambrose Bierce (je pense a4
cinéma de Romero, le cannibalisme de Nuits de « L’Huile bouillante ») pour retrouver cet humour
cauchemar est tout sauf régressif. Il ne signifie pas sain et tonique, ce détachement cynique et déca-
un retour brutal 4 la sauvagerie, une revanche de la pant. Peu de films ont aussi bien épinglé cette
nature dans une saturation de culture. Le canniba- bonne conscience de l’Amérique, cette Amérique
lisme de Kevin Connor n’est que la maladie derniére fondée sur des morts, et qui, avant de vivre avec, a
de la civilisation. Une différence de degrés mais pas commencé par en vivre. A s’en nourrir, 4 les digérer
de nature. [1 n’altére pas le systéme économique avant de les gérer. Le cannibalisme comme stade
mais en dit au contraire toute la vérité. supréme du capitalisme. On s’en doute un peu.
Dans Nuits dé cauchemar, on voit tout le travail, Autre chose est de le filmer en long et en large, en
toute la chaine. Rien n’est épargné du circuit de entier et en détail. Nuits de cauchemar, on Paura
production-distribution. Ceux qui travaillent ont compris, est un film de série B 4 ne pas rater. Un
un comportement normal. Le cycle de fabrication, film réjouissant qui vaut bien tous les ennuyeux
extrmement bien planifié, se déroule sans accroc. traités d’économie politique. C.T.
OUBLIER VENISE. Franco Brusati, (Italie, 1980) extérieurs (le repas de mariage), les autres dansent
avec Erland Josephson, Mariangela Melato, Eleo- et se prélassent dans un monde sans violence, dans
nore Giorgi, David Pontremoli. une contemplation béate les uns des autres, Las !
Le vieillissement n’épargne personne et vient le
temps des séparations, des remises en question et du
Dans Flammes d’ Arrieta, la fille et le pére avaient départ tardif, et d’autant plus dur, de chacun dans
ceci en commun Je méme refus de grandir et ceci de ja vie. C’est toute la différence d’Oublier Venise
différent que [’un avait son enfance derriére lui et avec Fiammes : ott Flammes misait sur une part
l’autre su la garder par devant soi. denfance préservée en tout étre et maintenue
Oublier Venise (oublier son enfance en la retrou- intacte, a ’abri du pouvoir du monde, 4 force de
vant d’abord), c’est la méme ambition, méme si naiveté, comme condition du jeu et de la poésie,
Franco Brusati ne la réalise pas. La aussi, dans une Oublier Venise met en scéne des enfants attardés au
villa isolée du monde, une famille imaginaire vit regard de la Loi, un imaginaire 4 base d’inceste,
repliée sur son bonheur passé, unie par un méme d’homosexualité et de mort, conformément 4 la
refus aristocratique du présent : un couple d’homo- vulgate psychanalytique : 4 chaque plan son hors-
sexuels, un couple de lesbiennes, sous l’aile protec- champ d’origine, sa scéne primitive. C’est la fin du
trice de Ia bonne tante ou de Ia grande sceur, ex- fantastique, sa chute dans un merveilleux niais et de
cantatrice, La filiation, comme source de vie et au pacotille, d’effets, par sa soumission explicite 4 une
principe de Ja loi, est refusée au nom de la compli- causalité externe, lourdement exposée. Oublier
cité du jeu réglé par le seul impératif du plaisir. Venise, film sur la régression, est aussi le retour, sur
Pendant que les uns triment 4 se reproduire et refu- Je déclin de la Nouvelle Vague, du « cinéma de
sent de vivre leur existence au nom de principes papa». Y.L.
PLOGOFF, DES PIERRES CONTRE DES cage cinématographique (montage choc, musique 4
FUSILS, de Nicole Le Garrec (France, 1980), avec effets...) les Le Garrec ont filmé une guerre civile
les habitants de Plogoff. qui se déroule aujourd’hui en France. Ces images,
ce sont les mémes que celles provenant de Watts aux
Des pierres contre des fusils est avant tout un U.S.A. ou de Belfast en Irlande, Ce sont des villes
journal (filmé de V’intérieur) sur la résistance des entiérement quadrillées par les parachutistes et les
habitants de la pointe du Raz contre ’implantation unités de C.R.S., des hélicoptéres qui balancent des
d’une centrale nucléaire sur leurs terres. II s’agit gaz lacrymogénes sur les populations civiles, des
d’un document hallucinant ; en ce sens que sans combats de rues, cela représente le quotidien des
aucune démonstration théorique, sans aucun tru- habitants de Plogoff ; les femmes se mobilisent
SUR D'AUTRES FILMS 39
quand ies maris sont emprisonnés, les enfants gran- vre). On ne sort pas du cinéma indifférent, car la
dissent dans Ja haine du flic, les vieux font le lien réussite de ce film tient 4 l’intimité que les Le Gar-
avec l’occupation allemande. rec ont réussi a nous faire partager avec les résis-
tants de Plogoff. Le document n’ offre pas les quali-
Le reportage suit une chronologie paisible, a voir le tés plastiques des grands classiques Kashima Para-
calme et la détermination des gens filmés on com- dise ou Harlan County U.S.A., il devrait étre pro-
prend que ¢a peut encore durer longtemps(il n’y a grammé @ la télévision. En attendant, i] faut entrer
pas de fin, le reportage se termine sur le mot a sui- dans une salle de cinéma et voir ce film. L.P.
SUPERMAN II de Richard Lester (USA 1980) avec autant qu’un film congu dans les conditions de
Christopher Reeve, Margot Kidder, Gene Hack- Superman puisse porter l’empreinte d’un réalisa-
man, Sarah Douglas, Terence Stamp, Valerie teur, Richard Lester a réussi la gageure d’y impri-
Perrine, mer la sienne, Faisant dans les séquences 4 trucages
Les analogies ne manquent pas entre Superman preuve d’un plus grand laxisme que Donner — il
if et L’Empire contre-attaque. Bien que leurs n’a, lui, rien A prouver — i] s’est concentré sur les
domaines soient bien distincts, ces films sont cha- scénes de comédie, donnant a ensemble un
cuns les seconds volets des deux seules séries de humour qui fait gravement défaut au cinéma de
science-fiction promises 4 un succés durable. Les science-fiction,
deux fois, changement de réalisateur, changement C’est en cela que réside le charme de Superman IT et
d@’optique et surtout accumulation narrative, accélé- sa supériorité sur le premier : en l’attention accor-
ration du récit. dée au choix des acteurs et a leur direction. La réus-
Si Superman IT wégale pas L’Empire Contre- site du premier film tient trés vraisemblablement
Aiftaque qui, 4 mon sens, demeure la meilleure réus- beaucoup a la découverte de Margot Kidder, excel-
site du genre, il ne manque pas d’étre bien plus lente comédienne s’éloignant avec bonheur des tris-
satisfaisant que le premier épisode ; profitant a bien tes canons officiels de [a beauté californienne, et de
des égards et a excellent escient de ses acquis. Christopher Reeve qui, handicapé par un physique
Richard Donner, dans Superman Ja dii faire un tra~ pataud et une carrure disproportionnée, parvient 4
vail herculéen de mise en place, assumant la tradi- jouer avec une rouerie consommée de la fausse
tionnelle et peu attrayante description des « origi- maladresse et de la placide naiveté qui émane de sa
nes secrétes » du superhéros, devant d’autre part persorme. Dans ce second film, les apparitions de
surmonter la suspicion instinctive du public pour Sarah Douglas et de Terence Stamp en maifaiteurs
des acteurs devant interpréter des personnages kryptoniens sont une excellente surprise. Quant a
familiers. Le premier film avait ses défauts, mais il Gene Hackman, il est bien évidemment toujours
avait aussi le mérite de mener a bien cette laborieuse aussi dréle dans une partie comme dans l’autre.
mise en place. Certes, Superman ce n’est rien de plus que le comic.
Manque de chance, ce n’est pas Donner mais Mais il y a une sorte de prodige 4 étre parvenu,
Richard Lester qui était destiné 4 construire sur ces méme a coups de millions, a recréer le charme — et,
solides fondations. Fort adroit cinéaste, il a pu réa- partant, aussi quelques-uns des défauts — du dessin
liser un film beaucoup moins guindé, certainement a4 Pécran. L’exemple est quasiment unique et la
plus proche de l’esprit des bandes dessinées. Pour prouesse mérite d’étre loude. O.A.
LA TERRAZZA (LA TERRASSE) de Ettore Scola pas trahi outre mesure ses idéaux de jeunesse. Ses
(Italie 1980) avec Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman, convictions restent intactes.
Marcello Mastroianni, Jean-Louis Trintignant, Ettore Scola a toujours été un cinéaste trés sensible
Serge Reggioni, Carla Gravina. 4 l’écoulement du temps. I] trivialise ici ce theme
qui n’est beau que porté par une authentique nos-
Dans son meilleur film, Nous nous somines tant
talgie mais devient médiocre dés qu’il se trouve
aimés, Ettore Scola peignait un personnage pathéti-
chargé d’idéologie, et qui plus est d’idéologie déva-
que qui, toute sa vie, demeurait obsédé par son
torisée. Il est frappant de constater 4 quel point la
échee a un jeu télévisé. Lorsque tous, autour de fui,
avaient depuis longtemps oublié cet événement de
satire sociale mal comprise engendre des ceuvres
qui, sous couvert de dénoncer les travers de notre
peu de conséquence, il demeurait, lui, prisonnier du
époque, colportent en fait toutes les banalités et les
souvenir, marquant son existence du sceau de cet
échec. platitudes du moment avec un aplomb non dénué
Cette tentative tragique d’arréter le temps, de reve- de cuistrerie. C’est que pour un satiriste, le trait de
nir en arriére, qui est en fait métaphore de l’impuis- Scola est bien trop gros. It procéde souvent par
idées recues, par lieux communs, allant jusqu’a
sance a vivre, ressemble par bien des points au tra-
vers dans lequel Scola est lui-méme tombé dans La faire sombrer un film parfois agréable dans le gro-
Terrasse, Appartenant au genre peu reluisant de tesque (l’épisode du scénariste essouflé) ou dans le
pathos le plus sinistre (le fonctionnaire de la 1élévi-
Vautocritique, ce film est le reflet de l’engourdisse-
sion mis au rencart).
ment de son auteur — il me parait trés abusif,
comme le fait Scola, d’étendre une constatation de De toute évidence, avec ce film, Scola veut encore
ce type 4 toute une génération — dans une dialecti- mettre un dernier clou dans le cercueil déja maintes
que incapable de résoudre les contradictions de son fois scellé de la comédie italienne. Pour moi la ques-
temps. Trop profondément impliqué dans le tion a été réglée lorsqu’on a accueilli comme por-
systéme qu’il raille, Scola se révéle dénué de toute teur de renouveau un film aussi faible que Ratata-
capacité a le surmonter, préférant en rabacher les plan, Si La Terrasse parvient 4 maintenir l’intérét
impasses, ou ce qu’il considére comme des du spectateur pendant deux heures quarante, c’est
impasses. beaucoup di 4 la dextérité narrative de Scola,
Notons que sa verve, qui se donne libre cours ail- adroit scénariste, et au maniérisme souvent
leurs, se dilue, a ]’évocation pleine de nuances, de attrayant de sa réalisation. Dans ces deux domai-
Ces notes ont été rédigées par précautions, du député communiste. Certes quel- nes, une part importante est néanmoins laissée 4
Olivier Assayas, Serge Daney, ques aspects de son dogmatisme sont épinglés, une pyrotechnie a la Altman, dont on sent depuis
Yann Lardeau, Laurent Perrin, mais, somme toute, il demeure le seul personnage a plusieurs films déja l’empreinte néfaste sur le
Louis Skorecki, Charles Tesson. avoir conservé une quelconque dignité et 4 n’avoir cinéma de Scola, O.A.
60
FILMS
A. E,
A force on s*habitue (Pierre) 310/42 Eclipse sur un ancien chemin vers Compostelle (Tesson) 311/50
L’Album de Martin Scorsese (Le Péron) 311/48 Elle, Ten (Assayas} 309/50
Alexandrie pourquoi ? : Le syndréme Alexandrie (Le Péron) 310/19 L'Empire contre-attaque, The Empire Strikes Back (Assayas) 6/51
American Gigolo (Daney) 314/51 L’Empreinte des géants (Assayas) 310/50
American Graffiti, la suite, More American Graffiti (Perrin) 310/51 Les Enchainés, Notorious (Bonitzer) 309/51
Anthracite (Lardeau) 316/53 L’Enfant du diable, Changeling (Tesson} 318/55
Arréte de ramer t'es sur le sable, Meatballs (Assayas) 309/54 Enquéte sur une passion, Bad Timing (Le Péron) 315/55
Atlantic City (Lardeau) 316/53 Erin, Ereintée (Fargier) 311/351
Au boulot, Jerry, Hardly Working (Skorecki} 311746 L’Etalon noir, The Black Stallion (Assayas) 310/49
Aurelia Steiner (Heinich} 307/45 Les Européens, The Europeans (Daney) 311/51
L’Avare (Daney)} 311/48 Exiérieur nuit (Dubroux) 316/55
B. F .
Baby Cart, l’enfant massacre, Baby Cart af the River Styx (Skorecki) 316/53 Les Faiseurs de Suisse, Dic Schweizermacher (Daney) 314/53
La Bande des quatce, Breaking Away (Perrin) 308/50 Fame (Assayas) 317/54
La Banquiére (Oudart) 316/54 La Femme d’en face, Die Frau Gegeniiber (Tesson) 308/52
Le Bateau de la mort, Death Ship (Lardeau) 315/54 La Femme flic (Lardeau) 308/51
Benilde ou la vierge mére, Benilde ou a virgem mae (Lardeau) 309/47, Filming Othello (Biette) 310/40
The Big Red One : La fureur du récit (Daney) 311/13 Le Fils puni (Tesson) 311/52
Black Jack (Le Péron} 311/49 Fin d’automne, Akibiyorj (Bergala} 307/43
Blues Brothers (Skorecki) 317/53 The Fog (Assayas) 310/43
La Bourgeoise et le foubard (Boland) 307/49 France, mére des arts, des armes et des lois (Fargier} 311/51
Bronco Billy (Assayas} 316/54
Les Bronzés font du ski (Massard) 307/49 G.
Bruxelles-Transit (Skorecki) 318/55 Geel (Tesson} 310/51
The Budy Holly Story (Perrin) 314/52 La Guerre des polices (Le Péron} 307/50
Buffet Froid (Daney) 308/50 Guns (Lardeau) 318/51
Cc. H,
Caligula (Tesson) 315/54 Haine (Dubroux) 308/52
Le Cavalier électrique, The Electric Horseman (Assayas) 311/50 Hazal {Tesson) 317/56
Certaines nouvelles (Perrin) 314/52 Hester Street (Skorecki) 318/54
C'est encore loin ’ Amérique (Carax) 308/51 Hé, tu m’entends : Polémique 318/43
C’est la vie : un tournage en quatre jours (Biette} (IT) 16/XV1 Horror Show (Géré) 315/55
C’aait demain, Time After Time (Assayas) 308/55
Chap’la (Tesson) 311/49 1
Charlie Bravo (Assayas) 315/34 1... comme Icare (Le Péron) 308/52
La Chasse, Cruising (Daney} 317/53 Immacolata et Concetta (Assayas) 317/50
Le Chef d’orchestre, Dyrygent (Toubiana) 318/52
Le Chemin perdu (Le Péron) 308/51 J.
Les Chemins dans la nuit, Die Wege in der Nacht (Lardeau) 316/54 Jack le magnifique, Saint Jack (Perrin) 307/31
Cher voisin, A Kevdes Szomzed (Tesson) 317/53 Le Jardin des délices de Jérme Bosch (Le Péron) (6)314/KV1
Le Cheval d’orgueil (Lardean) 316/54 Je parle d'amour (Bachellier) 307/51
Le Cimetiére de la morale, Jingi no Habaka (Tesson) 311/53 Le Jour dela fin du monde (Daney) 314/53
Cing soirées, Piats Veicherav (Tesson) 311/53 Journeys from Berlin (Lardeau) (38)316/X
La Cité des femmes, La Citta delle donne (Bonitzer} 318/47 Justocoeur (Tesson) 318/56
Cocktail molotov (Heinich) 309/53 K.
La Constante, Constans (Bonitzer) 318/49 Kagemusha ; Kurosawa tourne (Bock) 310/11
Le Criminel The Stranger (Perrin) 310/47 Kagemusha (Tesson} 317/48
Cul et chemise (Toubiana) 308/51 Kramer contre Kramer, Kramer versus Kramer (Toubiana) 311/52
dD. L.
La Danse avec l’aveugle (Tesson) 311/50 Les larmes tatouées (Biette) 309/53
Dark Star (Assayas) 314/52 Laura, les ombres de ]’été (Heinich) 307/51
Dela vie des marionnettes (Dancy) 317/54 La Légion saute sur Kolwesi (Le Péron) 308/53
De la vie des marionnettes (Bergala) 318/45 Liés par le sang, Sidney Sheldon’s Bloodline (Assayas) 308/54
Le dernier métro (Lardeau) : Une quit au théatre 316/19 Lightning over Water ; Wim’s Movie (Daney) 318/15
Description d’une ite, Beschreibung einer Insel : L’introuvable (Lardeau) 318/30 Linus (Lardeau) 307/51
Des marts (Lardeau) 307/49 Loulou (Bonitzer) 316/45
Le diabolique Docteur Mabuse (Kané) 309/48 Loulou : Palémique Heinich-Bonitzer 318/41
Dracula (Perrin) 7/50 Lulu (Daney)y 314/54
64 TABLE DES MATIERES 1980
M. 8.
Ma blonde entends-tu dans la ville. (Skorecki) 318/56 Saturn 3 (Daney) 314/55
La Macchina cinéma (Fargier} (J6)314/VI Le Saut dans Je vide, Salto nel yuiote (Daney) 314/55
La Maladie de Hambourg, Die Hamburger Krankheit (Daney) 311/52 Sauve qui peut (la vie) : tournage (Bergala) 307/39
Manmito (Tesson) 308/53 Sauve qui peut (la vie) : Peur et commerce (Bonitzer) 316/5
Manhattan (Dubroux) 307/47 Sauve qui peut (la vie) : Lang, Eisenstein, Godard (Oudart) 317/35
Marathon d’automne {Daney) BI4/54 Le Seigneur des anneaux, The Lord of the Rings (Perrin) 308/53
Le Mariage de Maria Braun, Die Ehe der Maria Braun (Lardeau) 303/48 Les Seigneurs, Wanderers (Perrin) 310/51
La Mémoire courte (Tesson} 316/48 Shadow-Box : La Boite A ombres (Skorecki) (38)316/V1
1941 (Daney) 311/53 Shining : Les inconnus dans la maison (Oudart} 317/6
Mon oncle d’ Amérique (Qudart) 314/48 Simone Barbés ou Ia vertu (Dubroux) 309/41
La Mort en direct, Death Watch (Toubiana) 310/49 —- Le Soleil en face (Bachellier} 307/53
Moutir 4 tue-téte (Tesson) 317/54 Star Trek, le film (Assayas) 310/52
N. T. .
New York Story (Skorecki) (18)316/X Terreur sur la ligne, When a Stranger Calls (Assayas) 31/54
Nijinsky (Oudart) 347/55 _Le Testament du docteur Mabuse (Kané) 309/48
Nimitz, retour vers ’enfer, The Final Countdown (Assayas) 315/55 ‘Tétes vides cherchent cofifre pleins, The Brink’s Job (Perrin) 308/50
Nous étions un seul homme (Daney) 307/52 Tom Horn (Daney) 314/55
Les nouveaux mystéres de New York : Le grand écart (Fargier) 310/27, Tout dépend des filles (Tesson) 310/52
Nuit et brouillard du Japon : Le cercle de famille (Bonitzer) 309/5 Trésinsuffisant (Toubiana) 308/55
Le Trou noir, The Black Hole (Assayas) 317/55
oO. Le Troupeau, Suru (Assayas)} 315/56
L’ Occupation en 26 images, Okupacija u 26 Slika (Tesson) 307/52 Tucurs de flics, Onion Fietd (Skoreckl) BVSE
L’CHil du maftre (Le Péron) 309/53 Les Turlupins (Tesson} 310/52
On ne va pas se quitter comme ¢a : Simone Réal ou Ja vertu (Bonitzer) G7)315/0L Tusk (Skorecki) 317/56
P. a .
Le Passé et le présent, O Passado e o presente (Lardeau) 309/44 Un couple parfait, A Perfect Couple {Assayas) 307/54
Pastorale (Fargier) 316/50 Un couple trés particulier, A Different Story (Daney) 314/55
La petite siréne (Lardeau) 316/55 Un jour comme un autre, Ek din pratidin (Tesson) 314/30
Les Photos d’Alixe ; La Boite a images (Tesson) (710)318/V1 Un mauvais fils (Toubiana) 317/52
Pici, caca, dodo, Chiedo Asilo (Toubiana) 309/43 Urban Cow Boy (Skorecki) 316/55
La Prise du pouvoir par Philippe Pétain (Tesson) 309/54 ¥.
Q. La Ville des silences (Assayas) 307/54
Quadrophenia (Perrin) 310/51 Violences sur la ville, Over the Edge (Assayas) 309/54
Sur Que Viva Mexico (Lardeau) 307/11 Vivre, Tkuru (Tesson} 310/47
Vivre libre ou mourir (Tesson) 318/53
R ‘Le Voyage en douce (Boland) 308/55
Regarde, elle a les yeux grands ouverts (Tesson) 308/54
Le Régne de Naples : Schroeter et Naples (Daney) 30728 We oo | .
Rencontres avec des hommes remarquables, Meetings with We can’t Go Home Again : Nick Ray et la maison d’images (Daney) (34)310/X111
Remarkable Men (Perrin) 307/53 .
Retour 4 Marseille (Bergala) 316/47 *
Rien ne va plus (Massard) 308/34 Xanadu (Tesson) 318/57
Rocky il, ja revanche (Carax) 310/51
Le Roiet l’oiseau (Boland) 310/52. a
‘The Rose (Assayas) 311/54 Yanks (Perrin) 309/55
Allemagne Pologne
Le cinéma d'auteur en Allemagne (repérages) par D. Bergouignan et Semaine officielle et rétrospective du cinéma polonais par Léos Carax 307/55
L. Gavron 307/16 Lettre de Varsovie : Impressions de Pologne par Jacqueline Bruller 309/35
308/20 Les journées de Gdansk par Serge Daney 317/13
Journal de voyage + 307/22 Déclaration au forum des cinéastes de Wajda 317/20
1. Berlin via Hambourg Québec
2, Femmes et cinéastes 4 Berlin par V. Berthommier et M.C. Questerbert 308/28 La Rochelle capitale du Québec par Jean-Paul Fargier GS53H/V
Australie U.S.A.
La fin du cinéma 4 la spartiate par Olivier Assayas 314/11 Survol noir américain :
Danemark Chronologie par Corinne Mae Mullin LePs 3208/5
. D
Rétrospective du cinéma danois par Charles Tesson 307/56 awk Since sociuve intage pa Serge Dancy “ron 308 1
Japon Entretien avec Melvin van Peebles 308/14
Remparis de la tradition : le cas du « benshi » par Noél Burch 300/14 Emtretien avee Warrington Hudlia 308717
Culture japonaise et cinéma : Le point de regard par Sato Tadao 310/5 ULR.S.S.
u Pesaro 1980 : Russie années trente par Serge Daney 315/28
Un film colte :The Rocky Horror Picture Show par Jonathan L’imaginaire raciste : La mesure de ?homme par Frangois Géré 315/36
Rosenbaum 307/33 Séme semaine des Cahiers : deux débats
Le film sur art : 1, Reportage en images, cinéma direct, J’expérience du terrain 315/43
Tableaux filmés par Nathalie Heinich 308/35 2. L’édition de cinéma . 315/48
Entretiens avec Pierre Samson et André 8. Labasthe 308/40 Effets spéciaux :
Ozu Yasuijiro : SPEX News ow situation du cinéma de science-fiction envisagé en tant
L’homme qui se lve par Alain Bergala 311/25 que secteur de pointe par Olivier Assayas 315/18
Rétrospective Ozu A la cinémathéque par Alain Bergala, Serge Daney, 316/36
‘Yann Lardeau, Louis Skorecki, Charles Tesson. 311/32 317/22
Festival de Pesaro 1980 : Russie années trente par Serge Daney 315/28 318/34
CAHIERS
Du Bon de commande
dans l’encart page IV
INEMA
TABLES DES MATIERES
Un outil indispensable pour relire tes
Cahiers du Cinéma: répertoire de
tous les articles parus (auteurs - LIBRAIRIE DU CINEMA
cinéastes - index des films - théorie 24, RUE. DU COLISEE - 75008 PARIS:
du cinéma - festivals). TEL. 2656-17-71
RECEVEZ GRATUITEMENT LE MATIN
CHEZ VOUS PENDANT 3 SEMAINES
Le Matin est un journal encore jeune qui a besoin _ préts 4 vous faire bénéficier de cette offre exceptionnel-
de beaucoup d’amis. En acceptant cette proposition, le: du lundi au samedi pendant 3 semaines, vous rece-
yous pourrez faire plus ample connaissance avec Le vrez gratuitement chez vous Le Matin et vous pourrez
Matin a nos frais et sans.risque. Sans rien vous deman- apprécier librement la richesse et fa diversité de ses
der, sans aucun engagement de votre part, nous sommes _ informations.
pavgetey WEREuit
d jn tancent
défi dont, & FP-
I I
' BON POUR UN ABONNEMENT CADEAU AU MATIN '
i Réservé aux lecteurs des Cahiers du Cinéma 1
H A retourner sous enveloppe affranchie au Matin, Service Abonnements, 215, Bd Mac Donald 75019 Paris. rT
i]
' Oui, je serai ravi de recevoir gratuitement —Nom_ 1
1 chez moi Le Matin pendant 3 semaines. Prénom. 1
1, J'ai bien noté que cette offre ne m’engage '
tg absolument pas et que les 3 semaines écou- N°________Rue '
is {ées, je serai totalement libre d'arréter a 1
iz lexpérience, ? sans rien devoir. Envoyez-moi
oe Le . I
ie Matin a mon nom et a l'adresse indiquée CO4e postal _—__—____Ville I
18 ci-contre : '
12
craingvos cori |
ee ee ee eee eee eee ee eee eee eee ee ee eee ee ee eee eee ee
Edité par les Editions de I’Etoile — S.A.R.L. au capital de 50 000 F — A.C. Seine 57 B 18373 — Dépdt légal
Commission paritaire, n° 57650 — Imprimeé par Laboureur, 75011 Paris
Photocomposition, photogravure : Italiques, 75011 Paris — Le directeur de la publication : Serge Daney — °
le-film francais Yhebdomadaire des professionnels du cinéma
Choisisse
e L’ABONNEMENT SIMPLE
Le FILM FRANCAIS chez vous,
chaque semaine, dés sa parution
pendant un an
pour 485 F
(au lieu de 550 F, nouveau tarif 4 partir du 1/3/81 ).
e L°>ABONNEMENT COMPLET
qui vous donne droit a
— chaque n° hebdomadaire pendant un an
+
— la collection compléte des
numéros hors-série publiés NOUVEATE piE\®
quotidiennement pendant le
Festival de Cannes
pour 560 F
(au lieu de 625 F, tarif en vigueur au 1/3/81).
o*
cc TITRE D’ABONNEMENT STRICTEMENT PERSONNEL
VALABLE JUSQU’AU 31 MARS 1981
a retourner au Film Frangais, Service Abonnements, 90, rue de Flandre, 75943 PARIS CEDEX 19.
Je désire profiter des conditions exceptionnelles d’abonnement
que vous mg proposez. Je choisis : NOM
QO Pabonnement simple : un an avec LE FILM PRENOM
FRANCAIS pour 485 F seulement au lieu de $50 F
(tarif au 1/3/81). ADRESSE : Rue Ne
Je gagne donc 65 F sur le prix de mon abonmnement.
CODE POSTAL VILLE
Vabonnement complet : qui me donne droit 4 tous les
numéros du Film Frangais pendant un an + les numéros Si0i z 5 .
hors-série du Festival de Cannes, pour 560 F au lieu de Ci-joint mon réglement par O) chéque O mandat D) virement postal
625 F (tarif au 1/3/81). (CCP n° 340 37 40H Centre La Source - nous adresser les 3 volets).
. . . oe Veuillez cochez les cases qui vous intéressent.
Je note que, si pour une raison quelconque, je souhaitais
résilier le présent abonnement, i!i me suffirait de vous en Pour les professionnels de l’industrie cinématographique :
informer par écrit et les numéros restant’ dus me seraient Remettez 4 votre comptable la facture qui vous sera adressée :
temboursés, il en déduira le montant de vos revenus.
CAHIERS |
CINEMA319
20 F