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KILLERS OF THE
FLOWER MOON
L’autre Amérique de Scorsese
Un prince
un ilm de Pierre Creton
AU CINÉMA LE 18 OCTOBRE
OCTOBRE 2023 / Nº 802
22 Film du mois
24 Un prince de Pierre Creton
26 Principe ôté Entretien avec Pierre Creton
32 Cahier critique
32 Le Règne animal de Thomas Cailley
34 Il était un père Entretien avec Thomas Cailley
36 Notre corps de Claire Simon
37 Claire Simon, une prose épique par Romain Lefebvre Une femme dans le vent de Yasujirô Ozu (1948).
38 Lost Country de Vladimir Perisic
39 L’Autre Laurens de Claude Schmitz 74 DVD / Ressorties
40 De la conquête de Franssou Prenant 74 Déménagement de Shinji Sômai
41 Anselm de Wim Wenders 76 Circle of Danger de Jacques Tourneur
42 Notes sur d’autres films 77 La Ballade des sans-espoirs de John Cassavetes
48 Hors salles La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar 78 Viva la muerte de Fernando Arrabal
de Wes Anderson, Sentinelle de Hugo Benamozig et 79 The Appointment de Lindsey C. Vickers
David Caviglioli, I Think You Should Leave With Tim Robinson 80 Shellac : 20 ans / 20 films
(Saison 3) de Tim Robinson et Zach Kani, The Show About 82 Le Marin qui abandonna la mer de Lewis John Carlino
the Show de Caveh Zahedi
84 Livres
53 Journal 84 Menjant garotes (En mangeant des oursins) de Luis Buñuel
53 Festivals Mostra de Venise, Locarno, Open City, Lussas de Jordi Xifra
58 Entretien Tim Burton 85 Douze dialogues 1962-1963 de Carl Andre et Hollis Frampton
61 Ukraine Affirmation de la vie 85 Dans la boue des images de Sophie Lécole Solnychkine
62 Exposition Raoul Ruiz
64 Cycle « Les femmes de Taïwan font des vagues » 86 Cinéma retrouvé
au Forum des images Yasujirô Ozu
66 Nouvelles du monde, disparitions 88 Femmes dans la tourmente par Charles Tesson
90 À la surface du cadre par Clément Rauger
68 Entretien 95 Ozu, pas si simple par Jean-Michel Frodon
John McTiernan
68 La rage du tigre Entretien avec John McTiernan 97 Avec les Cahiers
NOUVELLE COLLECTION
HORS-SÉRIE
12,90 €
La grâce de Gladstone
www.cahiersducinema.com
RÉDACTION
Rédacteur en chef : Marcos Uzal
Rédacteurs en chef adjoints : Fernando Ganzo
et Charlotte Garson
Couverture : Primo & Primo par Marcos Uzal
Mise en page : Fanny Muller
Iconographie : Carolina Lucibello
Correction : Alexis Gau
Comité de rédaction : Claire Allouche, Hervé Aubron,
Olivia Cooper-Hadjian, Pierre Eugène,
Philippe Fauvel, Élisabeth Lequeret, Alice Leroy,
Vincent Malausa, Eva Markovits,Thierry Méranger,
Yal Sadat, Ariel Schweitzer, Élodie Tamayo
Ont collaboré à ce numéro :
Lucile Commeaux, Marin Gérard, Murielle Joudet,
illers of the Flower Moon est seulement faire littéralement partie plutôt que d’y
Romain Lefebvre, Emmanuel Levaufre,
Jérôme Momcilovic, Raphaël Nieuwjaer,
Vincent Poli, Élie Raufaste, Clément Rauger,
KScorsese
le second film dans lequel Martin
s’attaque vraiment à l’histoire des
surgir ou d’y errer. D’une autre façon,
c’est ce sentiment que nous transmet
Jean-Marie Samocki, Charles Tesson
ADMINISTRATION / COMMUNICATION États-Unis, après Gangs of New York. Dans Molly : elle n’est pas celle qui arrive, qui
Responsable marketing : Fanny Parfus (93) ce film de 2002 racontant l’expansion de conquiert, mais celle qui est là, chez elle,
Assistante commerciale : Sophie Ewengue (75)
Communication /partenariats : New York, au milieu du xixe siècle, il affir- de toute éternité. Cela passe en grande
communication@cahiersducinema.com
Comptabilité : comptabilite@cahiersducinema.com
mait son point de vue de New-Yorkais fils partie par la sobriété et la quiétude du jeu
d’immigrés italiens, en tournant le dos à de Gladstone, dans l’évidence de sa
PUBLICITÉ
Mediaobs la conquête de l’Ouest et à la question des présence. C’était déjà un peu ainsi que
44, rue Notre-Dame-des-Victoires – 75002 Paris
T: +33 1 44 88 97 70 – mail: pnom@mediaobs.com
Indiens. À sa sortie, Charles Tesson écri- nous était apparue cette étonnante actrice
Directrice générale : Corinne Rougé (93 70) vait : « La fiction de l’Amérique est une fiction dans Certaines femmes de Kelly Reichardt
Directeur de publicité : Romain Provost (89 27)
de l’autre (le Noir, l’Indien). La fiction de New (2016), son premier rôle important (elle
VENTES KIOSQUE
Destination Media, T 01 56 82 12 06
York, une enclave au sein de l’Amérique, tra- retrouva Reichardt trois ans plus tard, en
reseau@destinationmedia.fr versée d’un perpétuel mouvement de flux et épouse indienne du Facteur Chef de First
(réservé aux dépositaires et aux marchands
de journaux) reflux, est une fiction du même et de sa déchi- Cow). Elle y incarnait Jamie, jeune femme
ABONNEMENTS
rure : l’affrontement entre une première généra- s’occupant de chevaux dans un ranch
Cahiers du cinéma, service abonnements tion d’immigrants et la suivante. » (Cahiers isolé, qui tombait amoureuse d’une avo-
CS70001 – 59361 Avesnes-sur-Helpe cedex
T 03 61 99 20 09. F 03 27 61 22 52 nº 575) C’était en tous cas cette histoire cate de la ville venue donner des cours du
abonnement@cahiersducinema.com que voulait raconter Scorsese, au point soir dans sa bourgade. Son introversion et
Suisse : Asendia Press Edigroup SA – Chemin
du Château-Bloch, 10 - 1219 Le Lignon, Suisse. que les premiers immigrants (les sa douceur traduisaient déjà des senti-
T +41 22 860 84 01
Belgique : Asendia Press Edigroup SA – Bastion
Hollandais puis les Anglais) y étaient ments exempts de tout pathos et portés
Tower, étage 20, place du Champ-de-Mars 5, désignés comme les natives du territoire, par une obstination calme.
1050 Bruxelles.
T +32 70 233 304 sans que les autochtones Indiens décimés Cette nature impavide de la présence
Tarifs abonnements 1 an, France Métropolitaine (les Lenapes, en l’occurrence) ne soient de Gladstone est d’autant plus remarquable
(TVA 2,10%) :
Formule intégrale (papier + numérique) : 75€ TTC. pris en considération – ils étaient les dans le film de Scorsese qu’elle y joue à
Formule nomade (100% numérique) : 55€ TTC.
Tarifs à l’étranger : nous consulter.
absents du grand cimetière des fondateurs côté d’acteurs volontairement grimaçants,
sur lequel se terminait le film. portant le masque crispé de l’hypocrisie
ÉDITIONS
Contact : editions@cahiersducinema.com Dans Killers of the Flower Moon, situé (Robert de Niro) ou celui, convulsif, de la
DIRECTION dans l’Oklahoma des années 1920, mauvaise conscience (DiCaprio). Ceux-ci
Directeur de la publication : Éric Lenoir Scorsese s’intéresse donc pour la première incarnent aussi une conception de l’acteur
Directrice générale : Julie Lethiphu
fois aux Indiens. Dans l’ensemble qui très américaine, et peut-être même italo-
241, boulevard Pereire – 75017 Paris
www.cahiersducinema.com
ouvre ce numéro, les articles de Vincent américaine, héritière de l’Actors Studio,
T 01 53 44 75 75 Malausa et Yal Sadat ainsi que l’entretien voire de la commedia dell’arte. Ce n’est
Ci-dessus, entre parenthèses, les deux derniers
chiffres de la ligne directe de votre correspondant : avec l’écrivain et scénariste David Grann pas du tout le registre de Gladstone, et c’est
T 01 53 44 75 xx
E-mail : @cahiersducinema.com précédé
sont suffisamment riches et précis pour également par cette différence qu’elle
de l’initiale du prénom et du nom de famille que je ne m’arrête que sur un point : la représente une tout autre histoire des
de votre correspondant.
façon dont la figure indienne est magni- États-Unis, qui a jusqu’à présent très peu
Revue éditée par les Cahiers du cinéma,
société à responsabilité limitée, au capital
fiquement incarnée par Lily Gladstone, eu sa place dans le cinéma de ce pays. Il ne
de 18 113,82 euros. actrice née dans une réserve Blackfeet du s’agit pas d’essentialiser cette actrice en en
RCS Paris B 572 193 738. Gérant : Éric Lenoir
Commission paritaire nº 1027 K 82293.
Montana et qui interprète ici le rôle cen- faisant l’emblème de tout un peuple, mais
ISBN : 978-2-37716-093-8 tral de Molly, la femme Osage d’Ernest de nous émouvoir de ce sentiment d’inédit
Dépôt légal à parution.
Photogravure : Fotimprim Paris. (Leonardo DiCaprio). On a parfois dit qu’apporte sa grâce singulière dans un film
10-31-1601
Imprimé en France (printed in France)
par Aubin, Ligugé.
que ce qui caractérisait la présence des qui s’inscrit dans une longue tradition
pefc-france.org Papier : Vivid 65g/m². Origine papier : Anjala Indiens chez John Ford (cinéaste très cinématographique. Elle apparaît ici
en Finlande (2 324km entre Anjala et Ligugé).
Taux fibres recyclées : 0% de papier recyclé.
important pour Scorsese), c’était leur comme le visage retrouvé d’une dignité
Certification : PEFC 100% manière d’être déjà dans le paysage, d’en autrefois trahie, assassinée. ■
Ptot : 0.0056kg/T
Bonus : Entretiens avec Nicolas Saada , Mathieu Macheret et Hélène Kessous autour du cinéma de Mani Kaul…
BOUTIQUE EN LIGNE
www.eddistribution.com eddistribution
ÉVÉNEMENT
© APPLE TV
Lily Gladstone et Martin Scorsese sur le tournage de Killers of the Flower Moon.
KILLERS OF THE
FLOWER MOON
de
Martin Scorsese
CAHIERS DU CINÉMA OCTOBRE 2023
ÉVÉNEMENT
MINISTÈRE
DES TÉNÈBRES
par Vincent Malausa
où semblent s’engluer les personnages (la danse des Indiens aux dans lequel agonisent ses personnages (les « scènes » du tribunal
corps ruisselant de pétrole, la tête d’un cadavre que l’on décolle et de la prison, le théâtre inal où apparaît Scorsese lui-même).
de la roche). De ce point de vue, jamais peut-être Scorsese Ce mouvement d’élévation du regard, s’il renvoie Ernest à sa
n’avait ilmé un milieu et ses personnages de manière si orga- condition déinitive d’aveugle et Hale à son statut de démon de
nique, littérale et viscéralement tragique. Le programme cyni- farce (ses yeux exorbités de terreur dans l’ombre de la cellule)
quement scandé par Hale (se mélanger aux Osages pour « faire replace alors la vraie héroïne de Killers of the Flower Moon –
couler l’argent du bon côté ») n’est pas seulement afaire de corrup- Molly – en son sommet. De sa première rencontre avec Ernest
tion administrative orchestrée par quelques notables vérolés (le au chevet où elle renaît, de son supplice à la séquence inouïe
notaire, le médecin) : le venin capitaliste travaille aussi à creuser d’exécution symbolique de son mari en un simple jeu de
la terre et les corps, à s’iniltrer dans la chair de la communauté regards (encore), Molly est le seul personnage dont le masque de
selon un mode d’administration plus sournois, emblématisé par dignité et de calme fermeté résiste jusqu’au bout au double mal
les piqûres d’insuline mêlées de poison qu’Ernest administre à (prédation et ensorcellement de Hale, lâcheté et déni d’Ernest)
Molly chaque soir. qui étreint sa communauté et son foyer. Le regard obstinément
Aux restes de mysticisme qui infusent la terre sacrée Osage ixe de Lily Gladstone, ses yeux si tristes où semble pointer
et qui irisent le ilm de folklore le temps de célébrations éphé- l’émotion de Scorsese lui-même (sa voix étoufée lors de son
mères s’oppose une force tout aussi mystérieuse : c’est la science apparition inale paraît reprendre l’intonation de l’actrice), dans
maléique des Blancs qui organise en silence la lente décom- leur résistance acharnée aux forces du ministère occulte qui
position de la communauté. Tout le ilm se replie dans cette étend son empire sur le comté Osage, sont peut-être l’image
idée de lente administration d’un mal qui revêt mille formes et la plus lancinante et la plus puissamment mystique de Killers of
substances (l’argent, le diabète, l’alcool, le sang mêlé qui déna- the Flower Moon : aiguille et piqûre, poison et remède, ils sont
ture les familles indiennes, le pétrole qui bouillonne comme l’écran infranchissable contre lequel vient se briser la malédic-
un enfer sous le sol). Ce mal informe a bien un visage, celui tion blanche. ■
de Hale, qui vaut à Robert De Niro de composer une igure
efroyable et tétanisante : celle d’un maître considéré comme un KILLERS OF THE FLOWER MOON
père par les Osages et qui, une fois son masque de bonhomie États-Unis, 2023
malicieuse tombé, donne à voir le vrai visage du diable. Le plus Réalisation Martin Scorsese
sidérant efet d’étrangeté de The Irishman tenait déjà aux traits Scénario Eric Roth, Martin Scorsese, d’après le roman de David Grann
artiiciellement rajeunis et au regard bleu si perçant de l’acteur. Image Rodrigo Prieto
C’est encore à ce regard de rapace cruel, grossi désormais der- Montage Thelma Schoonmaker
rière les verres de ses lunettes, que Killers of the Flower Moon doit Décors Jack Fisk, Adam Willis
probablement sa plus belle part d’efroi et de mystère. Le regard Costumes Jacqueline West
médusant de ce personnage, comme le poison qui s’iniltre Musique Robbie Robertson
dans les veines de Molly, soumet Ernest à une même logique Interprétation Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone,
de décomposition progressive – au point qu’il init par n’être Jesse Plemons, Cara Jade Myers, Janae Collins, Jillian Dion,
plus qu’un pantin sous emprise (la scène de signature d’un pacte Tantoo Cardinal, John Lithgow, Brendan Fraser
faustien dans la rue où il apparaît comme un zombie exsangue Production Paramount Pictures, Appian Way, Sikelia Productions,
et tremblant). Imperative Entertainment, Apple Studios
Toute la dernière partie, qui voit le FBI débarquer, orchestre Distribution Paramount Pictures France
une suite de basculements de points de vue : l’enquête décolle Durée 3h26
enin et le cinéaste semble littéralement se détacher du milieu Sortie 18 octobre
VIE PRIVÉE
DE LOUIS MALLE
AVEC BRIGITTE BARDOT ET MARCELLO MASTROIANNI
INCLUS
L’Assiégée (52 min)
Documentaire inédit avec les interventions de Volker Schlöndorff (assistant-
réalisateur), Jean-Paul Rappeneau (co-scénariste), Aurore Renaut (auteure de Au
revoir les enfants de Louis Malle) et Samuel Blumenfeld (critique de cinéma)
ÉVÉNEMENT
MARTIN
ET LES GARÇONS par Yal Sadat
Utrouvera
n comité d’ombres lointaines, coifées de stetsons et afai-
rées dans les lammes. C’est la seule horde sauvage qu’on
dans Killers of the Flower Moon. Inutile d’y chercher
un grand lucide qui transforma le roman progressiste de la
contre-historienne Mari Sandoz en sommet du courant « pro-
Indien » (Les Cheyennes, 1964). L’antinomie des termes « wes-
les vestiges du western, l’ultime cavalcade de tueurs lam- tern » et « scorsesien » s’explique sans doute par autre chose :
boyants, encore traversés par quelques convulsions morales. la conquête de l’Ouest fut un terrain de jeu d’hommes pro-
On se contentera de ces fantômes à chapeaux, surgis au creux itant de l’anarchie pour détruire au grand jour, or Scorsese
d’une scène qui voit le foyer de William Hale (De Niro) aime ilmer les vestiaires, les coulisses conidentielles de la
incendié selon ses propres ordres et transformé en formi- masculinité (l’underworld, comme on nomme la maia). Il
dable brasier nocturne. Ramenant ainsi l’image typique du en a tiré une connaissance aiguë du mâle, entre tendresse et
gang d’hommes d’action à une peinture rupestre et presque condamnation – une main sur son crâne pour l’absoudre,
abstraite, Scorsese semble préciser ses intentions. Killers of l’autre sous sa gorge pour planter une lame – le poussant à
the Flower Moon n’oppose pas cowboys et Indiens, car de faire de l’Ouest un autre underworld où la complicité mas-
cowboy il n’y a point : jusqu’à Peckinpah et Eastwood, la culine prolifère presque hors-champ. Aussi Killers… est-il
igure a conservé un héroïsme auquel les faits têtus rapportés l’aboutissement d’une vie passée à se demander comment
par David Grann ôtent tout droit de cité. Le ilm-leuve ne rendre visible les péchés masculins – d’autant qu’ils sont plus
peut donc qu’égrener les visages d’hommes en les désignant que jamais confrontés aux ravages commis sur la femme, autre
comme coupables absolus, inaptes aux coups d’éclat cheva- terre conquise puis brûlée.
leresques. Les escouades à la Peckinpah étant réduites à ce
chapelet de silhouettes grouillant comme des insectes sur la Le clan des veaux
terre en feu (ceux que brûlent justement les enfants de La « Vous voyez la femme à la fenêtre ? Cette femme, c’est la mienne,
Horde sauvage ?), la possibilité même du western semble avoir et je vais la tuer », annonçait Scorsese dans le rôle d’un quidam
péri dans l’incendie. désaxé de Taxi Driver (1976). C’était donc un programme ?
En soixante ans de carrière, le gamin de Little Italy bercé Pour ce qui est d’étudier les garçons, le modèle des Vitelloni
par Duel au soleil (King Vidor, 1946) n’a jamais vraiment (Fellini, 1953) prévalait dans Who’s That Knocking at My Door
dégainé à son tour. Déjà situé en pleine Prohibition, Bertha (1967) et Mean Streets (1973). Un jeune auteur observait ses
Boxcar (1972) était moins un western qu’un brouillon de amis végéter au bord de l’âge d’homme, oscillant entre le des-
ilm de gangsters rustique, gâté par l’amateurisme du jeune tin de gangsters siciliens et celui d’Américains lambda, entrés
Scorsese en matière d’action (elle ne l’intéressera jamais dans la vie adulte comme une meute des chiens bagarreurs. À
comme régime spectaculaire, à moins d’être enrhumée, mise la fois consciente de leurs excès machistes et désireuse d’en
en crise, façon Nouvel Hollywood). Gangs of New York (2002) être, de gagner sa place dans la horde (ou dans le troupeau
était plutôt un « eastern » regardant l’histoire des communautés de « veaux »), la caméra suivait. Plus néoréaliste que fordienne,
depuis le bercail new-yorkais. Mais ce n’est pas son décalage elle s’accrochait à leurs dos larges arpentant les trottoirs de
culturel qui empêche l’Italo-Américain de s’inscrire pleine- Little Italy, nageait avec eux dans la foule des carnavals. La
© APPLE TV+
ment dans le genre – les westerns sont le nerf de sa culture critique de ce machisme était produite de manière iniltrée
cinéphile –, ni sa lucidité face aux mensonges brassés par (déjà !), en trahissant le poids de la culture italienne sur ces
le mythe de la Frontière ; après tout, Ford lui-même était psychés violentes : la femme wasp convoitée doit à leurs yeux
être une madone, sans quoi elle est une pute (découvrant sa
iancée délorée lors d’un viol, Harvey Keitel la rejette dans
Who’s That…).
Après un premier renversement radical – Alice n’est plus ici
(1974), où cette violence-là se regarde avec les yeux d’Ellen
Burstyn –, Taxi Driver trouvait une autre perspective : il ne
s’agissait plus de suivre une troupe mais de marquer un seul
homme à la culotte, de faire le tour de la ville et de son crâne,
de s’assoir au même volant. « Travis Bickle, c’est nous », pou-
vaient dire Marty et sa plume Paul Schrader. Mais Scorsese
déployait un large éventail de focales, ilmant ici au ras du
bitume (au niveau des jantes du taxi), là depuis le Ciel (le
long balayage zénithal au bordel, au-dessus d’un grand inish
noyé dans un bain de sang) ou encore à hauteur d’homme
(les répétitions schizoïdes de Travis face à son miroir). Dedans Raging Bull (1980).
mais dehors, en surplomb mais par-dessous : le ilm inventait
mille prises pour attraper Travis, dans un rapport au masculin
partagé entre identiication totale et jugement sourcilleux
du Seigneur. Gavé de protéines, le mâle gonlait, se musclait
(comme plus tard dans Les Nerfs à vif, 1991) : l’observateur
soulignait que cette course à la force, cette virilité hyper-
trophique relevaient d’une vieille aliction masculine, tout
en assumant que Travis était l’excroissance, le prolongement
possible de chaque homme – comme l’est le rail métallique
que le chauffeur fixait à son bras pour faire coulisser son
arme. D’où l’échange de regards entre Travis et son passa-
ger (Scorsese himself, donc) prêt à descendre sa femme : en
Casino (1995).
étant à la fois le psychopathe et le justicier, Scorsese mon-
trait avec justesse la propension des hommes à passer de l’un
à l’autre rôle, surtout lorsqu’une femme est l’enjeu de leur
croisade (qu’il soit question de la liquider ou de la sauver de
ses maquereaux). Une fois le sang jailli et la « justice » rendue,
tous les angles et les idées s’éparpillaient : l’on ne savait plus
quoi penser de ce cowboy à crête d’Iroquois. Cette passe
schizophrène était sans doute nécessaire pour que le cinéaste
aine encore son rapport aux hommes, et cesse de claudiquer
à la remorque de ses néo-vitelloni.
Angles morts
De fait, la grammaire éclatée de Taxi Driver sera déclinée de
façon plus ordonnée pour ilmer les clans à venir. Plusieurs
angles sont possibles pour montrer la complicité masculine,
choisis selon une autre complicité – celle que Scorsese entre-
tient lui-même, parfois, avec les hommes en question. 1) Le Les Affranchis (1990).
point de vue à ras du sol : objectif placé à hauteur des meubles
de Raging Bull (1980), renversés par les accès de colère du céleste : dans Casino, Sam présente en voix off le système
boxeur La Motta – tables, chaises et surtout lit sur lequel se anti-triche de son établissement en évoquant la chaîne de
trouve Vickie (Cathy Moriarty), avant qu’elle ne fuie son mari complices qui se surveillent les uns les autres (présage du
quand une caresse se change en gile (« Tu as couché avec mon réseau de Killers of the Flower Moon ?) et init par mentionner
frère ? Réponds ! »). La même logique s’exerce, à l’envers, dans « l’œil dans le ciel qui nous surveille tous » – une caméra cachée
Casino (1995) où Sam (De Niro toujours) traîne brutalement dans une boule noire ixée au plafond. Sans hasard, la même
le corps de Ginger (Sharon Stone) à même le sol de leur vue zénithale est employée lorsque s’abattent les châtiments
maison, tandis qu’un travelling les suit en rasant la moquette sur les frères Santoro (Joe Pesci et Philip Suriano), jetés au
(avant que les deux amants ne se rejoignent dans l’ombre du fond d’une tombe après leur passage à tabac dans un champ
lit conjugal pour faire la paix). Dans Alice…, lorsque Keitel de maïs : encore la part divine d’un cinéma qui aime regarder
brise la porte du motel de Burstyn, la brute était ilmée de les hommes tomber depuis tout là-haut. 3) Enin, le point
la même façon, s’engoufrant dans cette planque précaire en de vue frontal à hauteur de visage, fonctionnant sur le prin-
passant devant la caméra braquée sur son corps en contre- cipe du miroir de Taxi Driver : Henry (Ray Liotta) s’adresse
plongée. La place du témoin est celle de l’enfant terriié dont à l’objectif au terme du procès des Afranchis (1990), se résu-
le regard est évidemment réprobateur. 2) Le point de vue mant la morale à lui-même et en même temps au spectateur,
voire à Dieu. Scorsese apparaît alors plus ambivalent : ni enfant à une certaine plénitude dans le grotesque, décuplée de The
ni juge divin, il semble donner aux hommes une chance de Irishman (2019) à Killers… Le premier change le duo De
s’expliquer, d’haranguer la caméra comme des communicants Niro/Pesci en couple de vieux pantins risibles, absurdement
© 1990 WARNER BROS.
en pleine auto-promo (DiCaprio vantant son empire de tra- liés par leurs codes fraternels jusqu’au déambulateur, sans oser
der sordide dans Le Loup de Wall Street, 2013) ou comme de voir comment la maia les a conduits à saborder leurs vraies
pauvres hères ayant l’excuse de la folie (Travis ou La Motta familles. « I heard you paint houses », dit Jimmy Hofa (Pacino)
parlant à leurs miroirs), voire comme des assassins linguant le à De Niro, allusion cryptée à son métier de « nettoyeur » écla-
public en guise de doigt d’honneur (l’apparition spectrale de boussant les murs des maisons avec le sang de ses cibles. Ces
Joe Pesci tirant six coups vers l’objectif à la in des Afranchis, machos repeignent en efet la maison, la recouvrent de men-
citation du Vol du grand rapide, Edwin Stanton Porter, 1903). songes pour justiier leurs démissions, voire la destruction de
leurs foyers – bouleversante stase dans la demeure familiale de
Repeindre les maisons The Irishman, quand la ille du nettoyeur le dévisage sidérée,
Alors qu’en est-il, parmi tous ces prismes, toutes ces phallo- devinant la nature de son activité : lui la regarde en retour,
craties ? Les yeux de Scorsese sont-ils ceux d’un curé punitif incapable d’articuler la vérité.
ou d’un ilmeur complaisant ? S’agit-il d’intégrer joyeuse- L’omerta ronge les boys clubs, condamnés par les secrets qui
ment les bandes ou de les faire imploser ? Les relets dans le les unissent à une interdépendance d’ordre non seulement
miroir sont-ils les siens ? Il n’aura échappé à personne que homoérotique, mais sado-maso. Killers… l’explicite par sa
« l’œil dans le ciel » de Casino est aussi celui d’un savant fou : scène de fessée maçonnique (punition bien réelle administrée
Scorsese change les hommes en veaux, en taureaux (rageurs), par Hale à son neveu) tout en déployant une nouvelle gram-
en loups (de Wall Street) ou en lions (l’emblème de la société maire plus discrète, faite de champs-contrechamps entière-
de Jordan Belfort dans le même ilm), décrivant leurs rites ment dévoués aux jeux de regards intenses, ixes ou furtifs, de
de passage comme autant de comportements de grands face ou en coin, tous ces airs entendus qui s’échangent entre
fauves. Ou de grands singes, si l’on en croit l’initiation de salauds vampirisant les femmes Osage. Entre terreur froide et
DiCaprio par Matthew McConaughey dans Le Loup…, où résignation, elles ofrent le contrepoint que les autres héroïnes
l’ainé des deux banksters incite l’autre à tambouriner sur son scorsesiennes n’avaient fait qu’esquisser : usée, désabusée,
thorax pour airmer sa puissance alpha, à plumer le monde Molly aura longtemps laissé le bénéice du doute à son mari.
et à en jouir toujours plus fort, à nourrir sa libido carnas- L’aime-t-il assez, au moins, pour lui dire la vérité ? Comme
sière sans hésiter à « se branler quatre à cinq fois par jour ». La le père maioso de The Irishman, Ernest joue les durs hors de
scène anticipe le rendez-vous de Hale avec son neveu Ernest la maison mais lanche quand une femme lui demande de
(DiCaprio) dans Killers… : l’oncle aborde pareillement la parler sincèrement. Cette posture malade de tueur aimant sa
question sexuelle, incite son cadet à goûter aux femmes du victime éclaire le tableau que Scorsese cherche à brosser et
coin pour le conduire vers le magot de Molly ; « Mais attention, qui résume ces années passées à ilmer le manège masculin :
ça pépie, une Osage ! », rit l’ordure en faisant le moineau. C’est des yeux bleus de caïd redevenu enfant, braqués vers le sol,
via cette animalité que le mâle scorsesien a ini par accéder ployant sous le poids de sa lâcheté. ■
The Lost City of Z de James Gray a introduit la littérature de David Grann dans le cercle des grandes
adaptations hollywoodienne. Un chemin emprunté ensuite par David Lowery (The Old Man and The Gun)
et Martin Scorsese avec La Note américaine (Killers of the Flower Moon, donc) et, bientôt, Les Naufragés
du Wager, son tout dernier opus.
Alors que l’agent White est la boussole de l’enquête de La Note quelques Blancs, mais une partie de l’image avait été coupée.
américaine, Scorsese privilégie dans son ilm les points de vue d’un J’ai demandé l’explication à la conservatrice : « Le Diable se
bourreau, Ernest Buckhart, et, dans une moindre mesure, de sa tenait à cet endroit. » Elle est allée me chercher le morceau man-
victime, sa femme Molly. Ce nouvel angle a-t-il enrichi votre propre quant, gardé dans les archives. Dessus igurait William Hale. Il
compréhension de l’affaire ? m’a hanté instantanément. J’ai pensé que l’enjeu serait de don-
Ernest m’est toujours apparu comme la igure la plus fasci- ner à ressentir cette hantise éprouvée par les descendants des
nante, mais je le regardais en observateur extérieur. Le ilm victimes, sans laisser penser qu’il n’existait qu’un seul William
m’a ouvert les portes de sa psyché. On pourrait dire qu’Ernest Hale – de fait, les Osages ne savent même pas exactement
(DiCaprio) incarne la banalité du mal : il témoigne du fait qui a perpétré ces meurtres. C’est pour cette raison que, dès
qu’un système diabolique comme celui qui a décimé tant que Scorsese et sa production m’ont approché, j’ai insisté sur
d’Osages a besoin de gens banals pour exister. Ernest n’est ni l’importance de tourner sur les véritables terres Osages, car je
un psychopathe, ni un sociopathe, mais un individu ordinaire sentais l’ensorcèlement du paysage et des habitants, un siècle
qui distingue le juste de l’injuste. Il a conscience de ce qu’il plus tard. Faire cette demande n’était pas une évidence pour
fait, au moins en partie. Mes recherches m’ont persuadé qu’il moi : si The Lost City of Z fut adapté par James Gray, je suis
aimait vraiment Molly (Gladstone). Pourtant, il a collaboré loin de me vivre comme un homme de cinéma !
à une machination assassine. Cantonner le mal à la igure de
William Hale (De Niro) aurait été une erreur : face à l’his- Le FBI et son essor, cruciaux dans La Note américaine, passent au
toire, une facilité courante est de chercher la igure d’un grand second plan du fait de la décision de Scorsese et DiCaprio : ne pas
ordonnateur maléique – Hitler, typiquement – entouré de raconter le ilm que d’un point de vue blanc.
quelques sbires, en se racontant que son élimination permet Je n’avais pas lu le premier scénario bâti, comme mon livre,
d’éviter les tragédies. Mais le léau subi par les Osages tient autour de l’agent White, mais j’ai encouragé la focalisation
moins à un diable solitaire qu’à une culture de la complicité, ultérieure sur Molly et Ernest. En scrutant ce couple, le ilm
entretenue par le silence. Il est plus diicile d’éradiquer ces trouve un autre chemin vers la meilleure vue d’ensemble –
mécanismes systémiques, d’autant qu’ils tendent à efacer leurs et sans passer par le présent comme je le fais à la in du livre.
propres traces dans les livres. D’abord parce que Molly est pour moi l’âme de cette « rhap-
sodie », ensuite parce que l’amour étrange qui l’unit à son mari
William Hale est pourtant conçu, dans le ilm, comme une pure igure est caractéristique de cette folie criminelle. Si le ilm avait suivi
diabolique. le FBI, il aurait pu ressembler à un thriller plus conventionnel
L’idée de cette investigation m’est venue au musée Osage qui se demande « qui ? », là où la question est « comment ? ».
de Pawhuska, en Oklahoma, devant une photo de 1924 : on Comment des médecins ont pu administrer des poisons, com-
voyait un groupe de femmes issues de la tribu aux côtés de ment des hommes de loi ont pu fermer les yeux ?
David Grann chez lui, à New York, photographié par Grace Ann Leadbeater.
Le fait qu’une star comme Leonardo DiCaprio joue Ernest instaure Malgré son amour du genre, Scorsese n’a jamais tourné de western
une familiarité qui rend le foyer des Buckhart très habitable et à proprement parler : ici, l’Histoire semble entraver la part épique
plausible, malgré le cauchemar qui s’y joue. et omantique propre au western, même crépusculaire. Partagez-vous
Quand une star s’empare d’un personnage, tout peut arriver : ce rapport conlictuel au mythe de la Frontière ?
elle peut aussi mal faire son travail et dévorer le personnage, Dès lors que la vérité importe à un conteur, il bute sur le
le rendre plus hollywoodien qu’humain… Avec son expé- mythe, et se retrouve en position de l’écorcher. L’œuvre de
rience et son talent, Leo DiCaprio n’a eu aucun mal à iden- Cormac McCarthy en est la preuve. Impossible de draper
tiier le conlit intérieur d’Ernest : tout donner en amour à dans la mythologie une authentique tragédie comme celle
sa femme, tout lui reprendre en la tuant à petit feu. Il m’a qu’ont vécue Molly et les siens. Je ne veux pas parler à la
consulté étroitement pour appréhender la personnalité de place de Marty, mais il me semble que son cinéma tend
Buckhart et a mené intensément ses propres recherches – à déconstruire les grands récits américains tout en assu-
je lui ai montré le seul document ilmé où apparait Ernest, mant une fascination paradoxale pour la façon dont ils sont
par exemple. C’est ce conlit entre deux forces qu’il rend racontés. Il y a de cela dans mes livres. Je n’ai pas grandi en
visible, vivant. Si on le regarde bien, on voit qu’il fait brûler développant les mêmes ainités que lui avec le western. Il a
un tiraillement en son for intérieur, et l’exprime souvent au été biberonné par les classiques de Ford et autres, tandis que
moyen d’une œillade torve, d’un regard en coin. je lisais plutôt les romans d’Elmore Leonard. J’ai beaucoup
et très vite fréquenté l’histoire des Amérindiens, alors cela
Vous avez échangé de la même façon avec Lily Gladstone ? fait écran. Si j’aime le western, c’est à travers la vision plus
Pas avant de la côtoyer sur le tournage, et de lui présenter subversive d’Eastwood lorsqu’il fait Impitoyable. Je ne dis pas
la petite-ille de Molly. Mais Lily s’est emparée de l’enjeu que des ilms comme La Horde sauvage ne recèlent pas une
que j’avais laissé implicite dans La Note américaine : il fallait part de vérité, mais lorsque vous menez une enquête jour-
du courage à cette femme pour chercher la vérité au cœur nalistique, vous êtes rattrapé par le scepticisme. Le cinéma
d’un environnement qui la menaçait directement et la rédui- de Marty comporte cette dimension d’enquête sceptique : il
sait au silence. Elle ne peut que regarder autour d’elle en observe des sociétés sans pouvoir s’empêcher de démystiier
se sachant regardée elle-même comme cible. C’est dans ce les sous-cultures violentes qu’elles ont inventées – les codes
silence que réside la force de son interprétation : comme elle de la maia, bien sûr, mais aussi l’avidité des traders dans Le
ne peut s’exprimer, tout s’imprime dans son regard. En tant Loup de Wall Street. Dans chaque cas, il y a une initiation
que spectateur presque naïf, j’ai vu en Lily une réincarna- entre hommes à cette sous-culture, sur fond d’omerta. La
tion des grandes actrices du muet. Chaque émotion doit se subversion de Marty consiste à la briser, et à démystiier ces
transmettre par les yeux de celle qui sait sans pouvoir dire. sous-cultures opaques.
Un prince
de Pierre Creton
CAHIERS DU CINÉMA 23 OCTOBRE 2023
FILM DU MOIS
CE NATURE OBJET
DU DÉSIR
par Olivia Cooper-Hadjian
Qdontuiaulesestdébut
là ? La question se pose d’abord de façon très concrète
d’Un prince : à l’image, une femme (Manon Schaap)
pensées sont formulées par une voix of appartenant à
(2006) avec le même homme. Doux vertige : les images de
cette œuvre sont justement celles qui, ouvrant Un prince, en
signalaient d’emblée l’hybridité. Le ilm se dispense d’intrigue
une autre (on reconnaît immédiatement Françoise Lebrun). La à proprement parler, trouvant son ressort dans la friction de ses
créature hybride ainsi constituée – Françoise Brown – évoque diférentes composantes, dans des contrastes porteurs de mys-
Kutta, garçon venu d’un pays lointain qu’elle a adopté, ainsi tère. Les actions simples qui se déroulent à l’image tiennent
qu’un certain Pierre-Joseph (Antoine Pirotte), qui suit une for- souvent de la mise en situation plus que d’une mise en scène
mation d’horticulture dans l’école qu’elle a fondée. Lorsque orientée vers la signiication ou le drame. Baignés de lumière
celui-ci s’exprime à son tour, son « je » est aussi un autre : la naturelle, les plans témoignent du désir de saisir la coprésence
voix mature de Grégory Gadebois se superpose à la igure du d’êtres appréciés dans des endroits familiers, mais la part littéraire
jeune acteur. À l’inverse, le timbre de Mathieu Amalric paraît du ilm y ajoute un grain de sel. L’apparente banalité des lieux
juvénile en émanant d’Alberto (Vincent Barré), professeur de (salle de classe, serre, marché) est inléchie par la truculence des
botanique aux cheveux blancs. textes, dans lesquels le cinéaste s’amuse à prendre le contre-
Bien que déroutant, le geste de disjoindre ainsi corps et pied de l’imaginaire traditionaliste que les citadins associent
voix n’a rien d’une coquetterie. À travers lui, Pierre Creton au monde rural. Ainsi, sur les plans montrant un repas partagé
offre en premier lieu un précieux temps de latence, durant entre chasseurs, Pierre-Joseph raconte y avoir invité son amant
lequel les identités restent suspendues : empêcher de circons- Mino, excité par de tels personnages, et avec qui il s’apprête à
crire trop vite les personnages (il faut du temps pour com- passer « une semaine complètement défoncé dans une chambre d’hôtel ».
prendre à la fois qui parle et de qui), c’est mieux laisser sentir Le verbe in et cru bouscule la pudeur tranquille des images
la matière dont ils sont faits. Constitué de fragments à double et déploie une puissance d’évocation aux vertus subversives.
fond (des scènes brèves, souvent formées d’un seul plan, dont Épousant la sensibilité de son jeune héros (à moins que ce ne
les voix off révèlent des aspects cachés), Un prince fait de la soit l’inverse), Creton souligne l’érotisme terrien des habitants
désagrégation un principe fécond pour le romanesque : comme de la campagne et suscite une profusion d’aventures sexuelles
celle de ses personnages non réconciliés, sa substance compo- entre Pierre-Joseph et des hommes de tous âges. Charriant
site rend caduque la frontière entre l’art et la vie. Fidèle à lui- le corps étranger dont elles émanent, les voix of dissidentes
même, Pierre Creton mâtine d’imaginaire des éléments puisés semblent mettre en œuvre une transformation, le saisissement
dans sa propre existence et dans son environnement normand. d’un être par la conscience qui y siège, pour l’émanciper des
Partageant avec son jeune héros plusieurs domaines d’activité données initiales de son existence. La disjonction image/son
(apiculture, jardinage), il lui prête aussi des êtres chers qu’il fait signe : dans ce récit initiatique, il est question de se délester
transforme en acteurs. L’émotion suscitée provient en partie progressivement du bagage dont on hérite pour se rapprocher
de ce feuilletage perceptible de souvenir et d’invention. C’est de la voix qui parle en soi, moins soumise à un ordre établi, de
ce qui est à l’œuvre lorsque l’on voit Antoine Pirotte sur un prendre de la distance avec sa famille biologique pour consti-
quai de gare, jouant son départ pour l’Himalaya avec Vincent tuer une communauté choisie, projet déjà central dans Le Bel
Barré en vue du tournage d’un ilm dans le ilm : ce moment, Été (2019). Pierre-Joseph se détourne de ses parents pour se
Pierre Creton le vécut peu ou prou une vingtaine d’années lier intimement avec Alberto, puis avec Adrien, horticulteur
plus tôt lorsqu’il partit réaliser L’Arc d’iris, souvenir d’un jardin qui l’emploie en apprentissage. Mais le cercle qu’il compose
s’étend au-delà du territoire de la sexualité, lorsqu’il trouve un qui nous attend et Un prince, aussi jouisseur soit-il, n’est pas
père adoptif en la personne de l’apiculteur Moïse puis, devenu dénué de mélancolie. Les liens qui s’y nouent font oice de
jardinier, prend pour conidente une cliente « aux cheveux akebia boucliers contre une soufrance sous-jacente. La vie s’y écoule
quinata » – c’est Alberto qui le raconte. On retrouve au géné- en un instant, le temps de ce plan d’une simplicité poignante
rique de in le même esprit de troupe, et la polyvalence qu’il où Pierre-Joseph se lève sous les traits d’Antoine Pirotte et se
implique : l’interprète de Pierre-Joseph est aussi chef opérateur recouche quinquagénaire, ayant épousé l’apparence du cinéaste
du ilm, tandis que le scénario fut écrit à huit mains. lui-même. Des absences le creusent : deux corps étendus face
Comme les plantes que l’on arrache à leur environnement contre terre font irruption coup sur coup, fauchés en plein tra-
d’origine pour les transplanter ailleurs, il s’agit pour les per- vail, tandis que Kutta, l’enfant adopté évoqué tout au long du
sonnages comme pour le réalisateur d’Un prince de prendre récit, reste longtemps aussi insaisissable qu’une ombre. Lorsque
racine dans un terrain propice, de choisir les espèces desquelles cet homme au teint cuivré émerge enin (Chiman Dangui),
s’entourer pour mieux s’épanouir. Aimable en soi, la nature c’est en insomniaque isolé dans une demeure au luxe fané, où
l’est d’abord pour sa capacité à dévier de son propre cours, à se un chien aboie douloureusement. Avec lui, le ilm s’achemine
déplacer. Le projet paradoxal d’un personnage voulant recons- vers une conclusion douce-amère, qui embrasse fugacement le
tituer une forêt primaire est symptomatique d’un rapport pas- fantastique jusque-là sous-jacent. La cabane que Pierre-Joseph a
sionné à cet univers qui n’empêche pas d’y intervenir, puisque érigée en chapelle aux animaux victimes de ses aïeux chasseurs
l’on en fait humblement partie. Entre végétaux et animaux se mue en refuge d’âmes qui ne veulent pas quitter leur chair,
(humains ou autres) s’esquisse une continuité, voire une coïnci- et le registre des voix par lesquelles on peut tenter de se rap-
dence, malicieusement igurée lorsqu’une photo porno apparaît procher de soi s’étend – enin – au hululement de la chouette
en transparence derrière le dessin d’une plante. Le chevauche- et au brame du cerf. Qui est là ? La question revient dans nos
ment renvoie à une vitalité plus fondamentale que la séparation esprits, mais cette fois, dirigée vers une obscurité insondable. ■
entre les règnes – plus tard, une vision surprenante consolidera
le parallèle entre pénis et étamine. Les images récurrentes de UN PRINCE
révélations par transparence font écho à d’autres igures qui France, 2023
voient des opacités propices à l’imagination voiler les formes Réalisation Pierre Creton
de la nature : un jet d’eau difus sur les cultures d’Adrien, de la Scénario Pierre Creton, Mathilde Girard, Cyril Neyrat, Vincent Barré
fumée contre des feuillages, un nuage devant une lune ronde. Le Image Antoine Pirotte, Léo Gil-Mena
réel dans sa plénitude serait-il toujours aussi une page blanche ? Montage Félix Rehmn
Contrepoint : Pierre-Joseph entreprend d’édiier une cabane Son Jules Jasko
noire de goudron, qu’il surnomme la « Black Maria », en hom- Musique Jozef Van Wissem
mage au lieu similaire construit par Edison et considéré comme Interprétation Antoine Pirotte, Vincent Barré, Manon Schaap, Françoise Lebrun,
le premier studio de tournage. Un prince se fait éloge en acte Grégory Gadebois, Mathieu Amalric, Pierre Barray, Pierre Creton, Chiman Dangui
de la création comme pratique fondamentalement collective, Production Andolfi
d’un cinéma des bois d’autant plus libre qu’il se fabrique dans Distribution JHR Films
les replis d’un territoire marginal. Page blanche contre page Durée 1h22
noire : on a beau cheminer en créant, c’est toujours la mort Sortie 18 octobre
Principe ôté
Entretien avec Pierre Creton
Le mot « documentaire » a toujours paru étroit concernant vos ilms, La voix off de certains personnages est dite par un autre acteur que celui
mais c’est la première fois, avec Un prince, que l’on sent que vous avez qui joue. Cette disjonction était-elle envisagée d’emblée ?
clairement sauté le pas vers la iction. Oui. J’ai amorcé cela avec Va, Toto ! (2017) : quand on se
Oui. Les éléments du récit sont autobiographiques, et les per- raconte sa propre vie, on le fait intérieurement, pas tout haut,
sonnages composites. Mais ce qui est nouveau, c’est la présence et avec une voix autre que sa voix physique, plus romanesque.
d’une igure purement ictionnelle, Kutta : non seulement ce
garçon se croit issu d’une famille princière indienne, sans que Françoise Lebrun interprète à la fois la voix off de Françoise Brown,
l’on sache si c’est vrai ou pas, mais surtout, s’il est évoqué of une professeure et amie de Pierre-Joseph, et la mère du héros.
dès le début, on n’est même pas sûr qu’il existe vraiment. Oui, parce que ces deux femmes sont un peu deux faces de la
Cette décision, assez délicate, a été prise au montage ; Félix mère : l’une considère Pierre-Joseph comme un débile mental,
Rehm, le monteur, a réussi à tenir cette présence-absence. tandis que l’autre lui permet de grandir, d’aimer les autres,
© QUENTIN GROSSET
d’être réparé. La vraie mère lit les auteurs fantastiques améri- tableau est presque grandeur nature. Dans Un prince, la méta-
cains, qui sont une inluence pour moi, et elle est interprétée morphose du tableau annonce donc les morts à venir, mais
par ma mère de cinéma, Françoise Lebrun. Elle joue dans aussi le personnage de Kutta, son aspect fantastique, entre la
plusieurs de mes ilms et j’ai monté son documentaire, Crazy Gorgone et un dieu hindou. Pierre-Joseph étant, on peut le
Quilt. Cela remonte à La Maman et la Putain, évidemment : dire, assez obsédé par le sexe, tous les pénis se sont cristallisés
j’ai aimé des ilms avec des gens qui parlent alors que je parle sur Kutta. Détail amusant à ce sujet : dans la scène de l’école
peu et suis entouré de gens qui ne parlent pas. d’horticulture, Vincent Barré dessine une leur, le solidage,
dont le nom vulgaire est « verge d’or ».
Vous avez écrit toutes les voix d’Un prince ?
Non, Mathilde Girard a écrit celle de Françoise Brown, Le fantastique, ou le merveilleux, était envisagé d’emblée ?
Vincent Barré celle du personnage qu’il joue, Alberto, et moi Oui, même si je l’appelle plutôt le surnaturel : quand on est
celle de Pierre-Joseph à tous les âges. Le point de départ est un aux aguets, attentif dans la nature, au quotidien, des choses
texte assez court que j’ai écrit, non scénarisé, complètement se mettent à apparaître. C’est ce que j’ai expérimenté dans
littéraire, à la première personne. Je l’ai fait lire à ces amis et La Vie après la mort et L’Heure du berger. Tourner entièrement
ils m’ont rejoint dans l’écriture. On s’est donc retrouvés avec seul, comme je l’ai souvent fait avant Un prince, m’a permis
trois très longs monologues, avant qu’intervienne ce que je d’utiliser la caméra presque comme un médium spirite, une
répugne à appeler le « découpage ». « caméra tropisme » qui permet de rendre visible l’invisible.
Prolonger cela avec une équipe de cinéma, surtout en trois
Si vous êtes réticent à employer ce mot, le montage, en revanche, semaines, n’est pas aisé. N’empêche, l’équipe était merveilleuse.
est parfois très net dans les enchaînements d’Un prince. Ce n’est pas un adjectif gratuit : rencontrer Antoine Pirotte
Oui, surtout après la mort de certains personnages, parce que à la Fémis a été une sorte de miracle. C’était la première fois
ce sont les morts qui font passer Pierre-Joseph à l’âge adulte. que je mettais les pieds dans une école de cinéma. J’y étais
Il y a dans le ilm quelque chose qui les annonce : la scène où invité à présenter des ilms aux étudiants, dont il était (il est
Françoise Brown entre dans une église et regarde un tableau issu de la promotion 2022-2023, ndlr). Je ne connaissais même
qui représente un loup vert. Il s’agit d’une légende que je pas le son de sa voix, mais je l’avais vu dans la salle, et Vincent
connais depuis mon enfance, celle de sainte Austreberthe de Barré avait pensé comme moi qu’il pourrait incarner Pierre-
Pavilly, où j’ai grandi, en Seine-Maritime, et où se situent Joseph. Il a accepté en me disant qu’il était passé chez moi
le bois et les cabanes du ilm. Cette nonne du Moyen Âge l’été précédent et m’avait déposé une lettre ! Avec des amis, ils
portait un jour sur un âne le linge des moines pour le laver, avaient volé un exemplaire des Cahiers et lu un article sur les
lorsqu’un loup a surgi et a tué l’âne. Mais le loup sera mau- DVD de mes ilms (Cahiers no 776, ndlr). Je me souvenais de
dit : il ne tuera plus d’animaux, il deviendra végétarien… et sa lettre, mais je n’avais pas répondu. Il avait vu Va,Toto !, enin,
vert. J’imaginais que cette peinture, que j’avais vue reproduite, il s’était endormi devant… À la Fémis, il a vu L’avenir le dira,
était minuscule. Je suis allé dans la chapelle et, à ma stupeur, le documentaire sur la récolte du lin où je ilme un père et un
ils, Pierre et Arnaud Barray. La première fois qu’Antoine est le frère de Françoise Brown dans le ilm, est un vrai botaniste
venu chez moi pour qu’on prépare le ilm, Pierre, qui y joue que je ilme dans son propre rôle. Nous partons en tournage
le pépiniériste (Adrien), était là, et avait envie de le rencontrer. cet été avec lui,Vincent Barré et Antoine Pirotte, autour de
Dès qu’il l’a vu, il a reconnu Pierre-Joseph et a dit : « Je veux son projet : recréer une forêt primaire dans le pays de Caux.
être dans le ilm. »
Les maisons qui servent de décors au ilm semblent de moins
Antoine Pirotte signe aussi l’image d’Un prince. en moins quotidiennes, de plus en plus « spirites » : on passe du pavillon
C’est aussi pour cela que je parle de miracle : quand je prends des parents de Pierre-Joseph à la cabane de chasse de son père,
le relais sur son personnage pour le jouer plus âgé, lui prend puis à ce manoir décati du prince, et enin, à votre « Black Maria »
le relais sur l’image. Nous sommes donc tous les deux chefs construite dans les bois.
opérateurs et tous les deux Pierre-Joseph. C’est parce qu’il Depuis le coninement, je me suis mis à mon compte pour
était dans ce cursus de chef opérateur à la Fémis que nous entretenir des jardins, et ces maisons sont celles de mes clients.
avons eu cette idée. Pour la Black Maria, l’idée était de construire un studio où
les morts et les animaux seraient convoqués. Si Un prince se
Vous n’avez pas craint de scinder ainsi l’interprétation clôt sur une séquence chamanique, c’est parce que je pense
du même personnage ? que le cinéma fait exactement cela : il réunit les vivants et les
Non. Quand je suis allé à la Fémis, en me voyant, une de ses morts.Voilà, c’est dit ! Mais c’est trop de le dire… Comment
camarades lui a même dit : « Pierre Creton, on dirait toi dans faut-il ne pas le dire ?
trente ans ! » Mais quel âge a-t-on, de toute façon ? Le ilm
pose un peu la question du temps, y compris celui de l’amour, En le mettant en scène.
combien de temps ça dure. Par rapport à cette idée de strates Oui, et avec cette actrice de théâtre extraordinaire, Évelyne
temporelles, il y a dans Un prince un ilm de leurs, qui vient Didi, qui joue la conidente : le ilm commence par la mère
des rushs d’un ilm d’ethnobotanique que nous avions tourné adoptive, Françoise Brown, et finit avec elle, Catherine
en 2006,Vincent Barré et moi, L’Arc d’iris, souvenir d’un jardin, Dubreuil, qui a aussi un pouvoir de médium, comme si elle
et que Pierre-Joseph regarde, bouleversé, au début, à l’école provoquait la dernière scène. Elle vient voir ce qu’elle a
d’horticulture. Ce bouleversement, je l’ai vécu, en voyageant entendu. En in de compte, la seule chose qui se dit est : « Ça
avec Vincent Barré, d’abord dans les îles Shetland, puis dans va, mon chien, ça va. » C’est aussi la seule fois où l’on entend
l’Himalaya, où nous sommes tombés sur certaines leurs que parler Moïse, l’apiculteur – et encore, il s’adresse à une bête.
l’on cultivait dans nos jardins, comme le géranium. Nous Les autres humains ont des cris d’animaux.
savions qu’elles étaient originaires de l’Himalaya. Mais chez
nous, ce la donne au mieux une belle toufe alors que là-bas
ce sont des collines entières, c’est étourdissant. De voir les Entretien réalisé par Charlotte Garson
plantes dans leur écosystème, c’est autre chose ! Mark Brown, à Paris, le 11 juin.
UN FILM DE
KOJI FUKADA
LE 18 OCTOBRE AU CINÉMA
FILMS DU MOIS CAHIER CRITIQUE
4 OCTOBRE
L’Autre Laurens de Claude Schmitz
Bernadette de Léa Domenach
39
42
Animal on est mal
Des idées de génie ? de Brice Gravelle 43 par Jérôme Momcilovic
Lost in the Night d’Amat Escalante 44
Notre corps de Claire Simon 36
Le Règne animal de Thomas Cailley 32
uelle époque ! » : c’est une réplique qui peu suspect d’immodestie, reste que Le
L’air de la mer rend libre de Nadir Moknèche, Bichette de Lucas Gest,
Dehors dedans de François Havez, Entre les lignes d’Eva Husson,
Je vous salue salope : La Misogynie au temps du numérique
Q
« surgit prestement, pour clore l’ouver-
ture elle-même échevelée du Règne ani-
Règne animal est en partie ankylosé par les
ambitions de son scénario et une mise en
de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist
mal. Pris dans un embouteillage alors scène contrainte à en livrer studieusement
qu’ils sont attendus au chevet de la mère le mode d’emploi. Ainsi de l’exemplarité
11 OCTOBRE à l’hôpital, un père (Romain Duris) et forcée de pans entiers du récit, comme
Le Consentement de Vanessa Filho 42
De la conquête de Franssou Prenant 40 son ils (Paul Kircher) s’engueulent. L’aîné ces séquences de vie lycéenne vouées de
La Fiancée du poète de Yolande Moreau 44 s’irrite de tout et notamment du retard du manière un peu trop patente à camper les
Lost Country de Vladimir Perisic 38 jeune, qui de son côté réagit jeunement – grands débats du moment (éco-anxiété,
Mal viver de João Canijo 47 moues ahuries, implication minimum, œil discrimination vs. tolérance, etc.).
Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck 45 assez peu vif. Un grand bruit les inter- Cette raideur intermittente vient
Viver mal de João Canijo 47 rompt soudain, venu d’une ambulance contredire la finesse avec laquelle Les
L’Exorciste – Dévotion de David Gordon Green, Expend4bles
de Scott Waugh, Marie-Line et son juge de Jean-Pierre Améris,
dont le patient s’échappe, puis s’envole, Combattants longeait la voie du conte,
Mathilde d’Olivier Goujon, Vicenta B de Carlos Lechuga car voilà, c’est un homme-oiseau, quoique déployant une construction extrême-
cela n’étonne ni le père ni le ils ni per- ment réléchie sans jamais lui sacriier la
18 OCTOBRE sonne autour puisque, là où commence le vérité de ses personnages. L’appétit qui
Anselm (Le Bruit du temps) de Wim Wenders 41 ilm, cet étrange phénomène de mutation s’y manifestait notamment pour les gestes
La Comédie humaine de Kôji Fukada 42 (des hommes, des femmes, des enfants qui (gestes d’effort, d’amour, d’affirmation,
Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese 10 se métamorphosent lentement en bêtes de disséminés en discrets échos) était bien
Linda veut du poulet ! * de Chiara Malta 44 toutes sortes) est, comprend-on, un fait plus inventif que le behaviorisme méca-
et Sébastien Laudenbach
déjà bien établi. « Quelle époque ! », tranche nique auquel se cantonnent nombre de
Une année difficile d’Éric Toledano et Olivier Nakache 46
Un prince de Pierre Creton 24 un conducteur anonyme, le coude sur jeunes cinéastes français : chaque événe-
En bonne compagnie de Silvia Munt, Leo de Lokesh Kanagaraj, la portière. « Quelle époque, oui », répond ment y semblait animé de sa vie propre,
Une femme sur le toit d’Anna Jadowska Duris sans arrêter de faire la gueule. sans cesser pourtant d’aiguiller discrète-
« Quelle époque ! », c’est aussi un énoncé ment le spectateur en direction d’une
25 OCTOBRE universel de science-iction, et il n’échap- logique de fable. Si ce bel équilibre est
Second tour d’Albert Dupontel 45 pera à personne que cette histoire d’hu- en partie perdu (toujours soucieux de
The Old Oak * de Ken Loach 46 manité en mutation dans un monde cette musique des gestes, Cailley a ten-
Sissi & moi de Frauke Finsterwalder 45
3 jours max de Tarek BouDalí, Années en parenthèses 2020-2022
incertain n’est pas avare d’allégories. À dance ici à les faire signiier lourdement),
d’Hejer Charf, Chambre 999 de Lubna Playoust, Marin des montagnes Cannes où il faisait en mai l’ouverture il faut reconnaître, à la décharge du Règne
de Karim Aïnouz, Saw X de Kevin Greutert, Le Syndrome des amours d’Un Certain Regard, Le Règne animal animal, que son ambition est d’une tout
passées d’Ann Sirot et Raphaël Balboni, The Pod Generation fut aussitôt promu « métaphore du monde autre ampleur, et qu’il s’y joue un pari
de Sophie Barthes, Un pont au-dessus de l’océan de Francis Fourcou,
Le Vourdalak d’Adrien Beau
d’aujourd’hui » dans les médias, à qui ce qui force le respect. Car si un ilm aussi
label s’ofrait sur un plateau.Voilà, songe- bien fait que les Combattants ne pouvait
t-on, un travers commun ces temps-ci à que tirer son épingle du jeu dans la caté-
beaucoup de ilms fantastiques, pas seule- gorie très achalandée de la coming of age
ment français (un semblable écueil, sur un story à la française, ce deuxième ilm, près
sujet d’ailleurs voisin, guettait le Midnight de dix ans plus tard, vise un terrain pour
Special de Jef Nichols), qu’une anxieuse ainsi dire maudit : celui d’un grand spec-
envie de bien faire (s’assurer que le mes- tacle populaire à efets spéciaux et budget
sage passe, que le conte est bien perçu important (autour de 15 millions d’euros),
comme conte et remplit donc sa fonction nourri de rêves spielberguiens mais soli-
cathartique), souvent aggravée de forfan- dement ancré dans le territoire national.
terie (souligner les nobles intentions qui Gageons donc que l’intimidante responsa-
dorment dans la cale du film, et qu’on bilité qui est la sienne (aggravée d’avaries
réveille pour l’occasion), conduit à faire de tournage qui ne lui ont pas simpliié la
passer la charrue de la parabole avant les tâche) n’est pas étrangère à cette applica-
bœufs du spectacle. Or, si l’exemple de son tion un peu voyante avec laquelle le ilm
premier et précédent long métrage, l’épa- a cru devoir embrasser d’un trait tous les
* Film (co)produit ou distribué par une société dans laquelle
l'un des actionnaires des Cahiers du cinéma a une participation. tant Les Combattants, rend Thomas Cailley sujets, tous les maux de l’époque.
Son pari, en outre, est loin d’être tota- soient à ce point peuplés de proils têtus, couvant l’image du ils mais inéluctable-
lement perdu. D’une part, parce qu’en persévérants au minimum (c’était tout le ment tenu à distance par sa grandissante
dépit des embûches qu’il a semées lui- mouvement des Combattants : la circula- singularité. Soudain plus lottant, Le Règne
même sur son chemin, Le Règne animal tion screwball d’un entêtement extrême, animal y gagne une étrange torpeur, et
parvient à bâtir un imaginaire aussi sin- d’un corps vers l’autre). Et il est heu- un abandon dans lequel la fable trouvera
gulier que généreux, où s’accomplit avec reux que cette humeur obstinée étende in ine sa morale. Sans dévoiler cette in
une réelle audace la vocation de fabuliste son empire sur Le Règne animal à mesure (elle-même très proche en esprit du ilm
de Cailley. Exilés dans le Sud-Ouest où que le ilm s’approche de sa conclusion, de Jef Nichols), dans laquelle une ultime
les entraîne le sort de la mère (métamor- et en partie grâce à un point de bascule métamorphose advient, mais sur un autre
phosée en ourse, internée de force puis qui vient alléger son programme copieux. registre, disons tout de même qu’y vibre
égarée dans la nature), père et ils suivront Frappé par le même mal que sa mère mais une émotion d’autant plus forte que le
une trajectoire tendue vers un décor de résolu à garder sa métamorphose secrète, ilm, en retrouvant in extremis le point
forêt où le ilm, à mesure qu’il s’y replie, le fils entame une mue que la mise en de vue du père qui est naturellement le
déploie une belle réserve de trouvailles scène manie habilement. Habile, notam- sien, y embrasse avec bonheur la douce
(l’apprentissage douloureux de l’homme- ment, son choix de faire progresser cette capitulation de son personnage – face à
oiseau, au bord d’une lagune féérique), au transformation à un rythme infinitési- l’époque, face à l’avenir, fatigué de déchif-
croisement avantageux de ses inluences mal, offrant de faire se confondre tout frer, décidé enin à regarder. ■
manifestes (Miyazaki au premier chef) et à fait l’étrangeté apathique de l’adoles-
des ressources habilement puisées dans cence et les symptômes du léau. Le ilm, LE RÈGNE ANIMAL
le paysage (ce biotope landais où s’ab- enin, commence à prendre le temps, il a France, 2023
sorbait déjà Les Combattants). Il est frap- quelque chose à regarder : la singularité Réalisation Thomas Cailley
pant d’ailleurs de constater combien Le naturelle du visage, de la posture de son Scénario Thomas Cailley, Pauline Munier
Règne animal, pour une large part, est une jeune comédien Paul Kircher, révélé dans Image David Cailley
pure et simple reprise du ilm précédent, Le Lycéen – où frappait plutôt la bizarre- Montage Lilian Corbeille
dont les enjeux se voient paradoxalement rie de sa diction, ici moins sensible tant Son Fabrice Osinski
déployés (à l’échelle d’une fable explicite) Cailley le fait parler peu. Décors Julia Lemaire
en même temps que concentrés. Il est assez malin, surtout, de nous Costumes Ariane Daurat
La concentration y est un motif décisif, rendre ce corps plus étranger à mesure Musique Andrea Laszlo De Simone
en même temps qu’un trait que partagent que le récit resserre son attention sur lui. Interprétation Romain Duris, Paul Kircher, Adèle
visiblement le cinéaste et ses personnages. Le dernier mouvement du ilm opère à Exarchopoulos, Tom Mercier, Saadia Bentaïeb, Billie Blain,
Pour ces derniers, ce n’est pas loin d’une ce titre un basculement surprenant. Ayant Xavier Aubert
morale : une fois trouvée la voie pro- navigué tout du long entre les expériences Production Artemis Production, StudioCanal, France 2
mise par le récit d’apprentissage, y creu- du père et celle du fils, il se concentre Cinéma, Nord-Ouest films
ser ardemment le sillon de son destin, s’y alors sur la quête de l’adolescent, lais- Distribution StudioCanal
absorber corps et âme et ne plus faire sant le père hors champ mais comme en Durée 2h08
demi-tour. Il est singulier que ces ilms épousant secrètement son point de vue, Sortie 4 octobre
Il était un père
Entretien avec Thomas Cailley
la direction de production, le directeur l’homme dépend d’une autre espèce ani- Il y a fort à parier que Le Règne animal
de casting, et une chorégraphe ; et nous male, les méduses, capables de régénérer soit plutôt interprété comme une allégorie
avons passé en revue toutes les scènes indéiniment l’ensemble de leurs cellules. sociétale, ce qui a d’ailleurs été fait à Cannes.
avec des créatures pendant un mois, avec Dans cette série, il est aussi question de Oui, certains articles ont même évoqué
des storyboards, et en se posant des ques- parentalité, et de la place de la jeunesse. les migrants, concernant les mutants.
tions précises : le personnage est en train Ici, l’enjeu pour François est d’apprendre J’ai l’impression que le ilm doit ouvrir
de tomber, donc si c’est un costume, est- à regarder son ils, à accueillir sa difé- quelque chose plutôt que de verrouil-
ce que ça va se voir ? Est-ce possible de rence. Mais surtout, dans Le Règne animal, ler du sens : la première scène, où l’on
le corriger par du numérique ? Le grand j’ai essayé d’être réaliste, voire trivial, et voit l’homme-oiseau, n’est pas ilmée de
tabou, c’est l’hybridation des techniques. j’ai choisi des décors réels : il n’y a ni manière spectaculaire, mais comme par
Mais j’y ai tenu. Par exemple, la tête du studio ni fond bleu. Nous avons accepté le trou de la serrure, du point de vue
morse est en animatronique, et la jeune les aléas des tournages en extérieur, les de l’automobiliste qui s’exclame « Quelle
femme calamar est une danseuse aux intempéries, les incendies (il y en a eu époque ! », pour qu’ensuite cela infuse, se
déplacements chorégraphiés, dans un pendant la préparation) pour gagner en propage. C’est la même chose avec le
costume travaillé pour sa fluidité, une crudité. décor naturel de forêt, qui au fur et à
ossature presque liquéiée, mais les avant- mesure s’approfondit, devient plus mys-
bras sont des manchons VFX. C’est un Ce réalisme ou le comique discret que térieux, jusqu’à devenir un monde.
travail fastidieux, mais possible. vous instillez donnent au ilm un caractère
assez français. La in désigne dans la forêt une communauté
Cette hybridation « règne » sur tout le ilm, Je suis nourri de cinéma français mais possible, donc une utopie.
qui jamais ne bascule dans la science-iction, aussi américain et asiatique, cela va de Oui, mais c’est tout autant une dimen-
contrairement à Ad vitam, votre série Arte La Mouche à Rencontres du troisième type sion naturelle que politique : la biodi-
de 2018. ou The Host, tout Miyazaki, mais aussi versité rappelle comment on fait société
Oui, un autre exemple d’hybridité de des ilms plus intimes et non fantastiques, ensemble. Ce n’est pas une liste de créa-
la forme a consisté pour nous à tourner comme À bout de course de Lumet, qui tures dont on peut rayer certains, tout
en numérique, pour pouvoir utiliser les parle d’un père et d’un ils dont les che- est interconnecté . D’ailleurs, quand j’ai
1
VFX, mais tout en ilmant un plan par mins se séparent. Je pourrais aussi citer imaginé les créatures du ilm, j’ai essayé
décor en 35 mm, comme celui sur la Il était un père d’Ozu ou Un monde par- de ne pas oublier de genres, mammi-
main d’Émile qui tient une plume. On a fait d’Eastwood. On part de la question fères, reptiles, oiseaux, arthropodes.
donc utilisé le 35 mm comme une réfé- de comment adapter le monde à notre Le premier modèle de société, c’est la
rence, une valeur d’étalonnage. Ad vitam enfant, pour arriver à celle du ilm d’Ozu : nature.
est en effet moins hybride, c’est de la comment apprendre à notre enfant à se
science-iction : l’action se déroule dans passer de nous ? C’est cela, pour moi, le 1
Sur les lectures d’essayistes et philosophes
le futur, où une innovation scientiique cœur du récit. À un moment, je me suis actuels qu’a faites Thomas Cailley,
voir Cahiers nº 800.
allonge indéiniment la vie des hommes. même dit : il n’est pas normal que je
Les points communs avec Le Règne ani- consacre la majeure partie de mon temps
mal, c’est que la société y fait face à un à l’élaboration des créatures alors qu’elles Entretien réalisé par Charlotte Garson
climat perturbé. D’ailleurs, le salut de vont occuper 10 % du ilm ! à Paris, le 19 juin.
Gynécollectif
par Charlotte Garson
EClaire
n filmant le quotidien du service de
gynécologie de l’hôpital Tenon à Paris,
Simon ne se contente pas de col-
et où dans un hôpital fantasmé en antre
cronenberguien, la rencontre entre chair
et machine oscille entre violence de la
l’une d’elles, tandis qu’une autre, quand
le médecin airme que la « priorité est de
préserver la fertilité », met en avant d’autres
lectionner, près de trois heures durant, les viande et esthétisme graphique.Tout aussi priorités, d’ordre professionnel. Le face-
portraits de femmes à diférentes étapes intéressée par l’anatomie, Simon voit dans à-face médical, qui coïncide parfois avec
de leur vie, grossesse ou stérilité, mala- la description des organes une occasion celui des sexes, s’ofre de manière feutrée
die, transition de genre, agonie. Pour la pour chaque patiente d’appréhender son en arène de leurs rapports, jamais réglés
cinéaste, dont le dernier film, Vous ne corps à partir de sa désignation – comme ni stables. Le féminisme de Claire Simon
désirez que moi, abordait Duras oblique- s’il fallait une pathologie pour faire ce n’a pas à s’exprimer de manière frontale,
ment, il ne peut y avoir de portrait que geste de retour sur soi. il lui suit de ilmer un médecin qui se
compliqué, déstabilisé, débordé. Ici, la Dès lors, un cabinet de consultation complaît dans ses explications ou une
première complication vient de l’épo- ou une chambre d’hôpital sont avant tout manifestation contre les violences gyné-
que : Notre corps est un film à masques, des scènes de parole, et l’écoute de la cologiques devant l’hôpital pour que les
Covid oblige, si bien que, quand une cinéaste relève d’un intérêt créatif, frayant forces en jeu fassent ressentir la dimen-
patiente ôte le sien pour avaler la pilule dans le réel à la recherche d’une drama- sion puissamment politique de Notre
du lendemain, le plan frémit d’un événe- turgie. Ainsi de cette accouchée qui relate corps – le collectif gagné de haute lutte
ment épiphanique. L’autre complication ce qu’elle a vécu en soulignant combien, de son « Notre », et ce qu'a coûté à son
survient en in de tournage : ce service en pleine douleur de parturiente, elle autrice ce De corpore feminarum. La femme
que Simon a ilmé init par l’accueillir n’a pas vu que son bébé était né. Ou de est immense et pleine de dangers. ■
elle-même, à la défaveur de la découverte cette laborantine qui, décrivant pour un
d’une tumeur au sein. Peut-on envi- interne, à mesure qu’elle les efectue, les
sager franchissement plus terriblement étapes de la PMA in vitro, s’apparente NOTRE CORPS
« immersif » que de passer de ilmeuse à à une cinéaste qui ilmerait une histoire France, 2023
patiente ? « Entre chez moi et l’hôpital, il y d’amour microscopique. Réalisation, image Claire Simon
a le cimetière », remarquait-t-elle of alors Le trajet que dessine l’écoute de Son Flavia Cordey
qu’elle enfourchait son vélo au début, Claire Simon est aussi celui d’une prise Montage Luc Corveille
pour aller tourner. de parole des femmes, d’abord privées Musique Elias Boughedir
Cette ironie tragique, Simon s’en saisit de mots face à des symptômes qui bou- Production Madison Films
comme d’une question de mise en scène. leversent, au-delà de leurs organes, leur Distribution Dulac Distribution
Aussi choisit-elle de se faire soigner dans vie familiale et leur sexualité. « Je préfère Durée 2h48
ce même service et demande-t-elle à la avoir mal que de ne pas avoir envie », lâche Sortie 4 octobre
cheffe opératrice Céline Bozon de la
filmer quand le médecin lui annonce
© DULAC DISTRIBUTION
RÉTROSPECTIVE. Du 21 septembre au 1er novembre, « Claire Simon, les rêves dont les ilms sont
faits », organisée par la Cinémathèque du documentaire à la BPI, embrasse l’œuvre documentaire
de la cinéaste. Retour en quatre points sur quarante ans de travail.
© DULAC DISTRIBUTION
sociale mais portés à vouloir un autre état
de choses. Le drame d’élection de Simon
est celui de la débrouille grâce à laquelle
les aspirations tiennent face au manque
d’argent. Drame qui, dans les pas mus par
l’urgence d’un patron qui tente de sauver
son entreprise de plats surgelés, permet
dans Coûte que coûte (1995) de nouer à
merveille l’attention prosaïque au monde
et une dimension épique. Drame où
transparaît aussi une sympathie pour ceux
qui, de la secrétaire des Ateliers Varan
allongée sur l’herbe au bord d’une rue
dans Moi non, ou l’argent de Patricia (1981)
à ceux qui ont planté leur tente au bois
de Vincennes, ne parviennent ou ne se
résolvent pas à s’intégrer à la machine.
Pde eunéoréalisme
de cinéastes évoquent d’emblée le
rossellinien comme source
leur travail.Vladimir Perisic le fait, et
force se trouve décuplée vingt ans plus
tard par la présence d’un duo mère-ils.
Au-delà de la dimension autobiogra-
éléments symboliques renvoient au
contexte politique ou à l’ambiance des
années sida, la plupart des costumes et
à bon droit. Après l’implacable Ordinary phique de ce choix (le cinéaste a soufert décors désignent tout autant le présent
People (2009), c’est encore le rapport à de la compromission de sa propre mère que la fin du xxe siècle. Manière pour
l’histoire de la Serbie qui sous-tend son sous Milosevic), est soulignée la virtua- Perisic de dénoncer les tares d’une société
second long métrage, où il fait de la lité œdipienne d’un scénario dans lequel qui n’a pas réglé ses comptes, mais aussi
Yougoslavie de ses 20 ans le « pays perdu » prendre le parti des insurgés revient à de revenir au thème qui de son propre
du titre. La présence souvent mutique trahir l’autre du couple. Marklena – le aveu l’obsède : l’impossible acceptation de
de Stefan, 15 ans (Jovan Ginic), habite prénom de la mère, ironiquement choisi, la réalité. Et le cinéaste, dans un entretien,
tous les plans d’une chronique qui sug- est la contraction de Marx et Lénine – de citer Deleuze qui décrit Allemagne,
gère la décomposition de son monde, apparaît ainsi, sans que leur rencontre ait année zéro et semble annoncer la tragédie
en cet automne 1996 où les socialistes lieu, comme la rivale de Hana, devenue de Lost Country : « C’est un enfant qui erre
nationalistes de Milosevic falsifient le la petite-amie de son fils. À l’envahis- dans les ruines de Berlin et qui meurt de ce
résultat des municipales et répriment sant baiser maternel qui tache la joue de qu’il voit. » ■
violemment les révoltes – essentiellement Stefan de rouge à lèvres répond ainsi le
étudiantes – qui s’opposent à ce coup sourire de clown triste que lui dessine la LOST COUNTRY
d’État. Le scénario très maîtrisé (cosigné jeune ille au retour d’une manifestation France, Serbie, Luxembourg, Croatie, 2023
par Alice Winocour) tient dans un récit joyeuse. La mère possessive aura tôt fait Réalisation Vladimir Perisic
familial unique le drame intime et la per- de vouloir efacer ce maquillage carnava- Scénario Vladimir Perisic, Alice Winocour
spective historique : Stefan, engagé avec lesque en berçant son enfant d’un : « Ce Image Sarah Blum, Louise Boktay Courcier
ses amis dans la contestation du régime, n’est pas [sa] révolution. » L’actrice Jasna Son Roman Dymny, Olivier Goinard
vénère sa mère, qui soutient les men- Duricic, qui jouait déjà la mère dans le Montage Martial Salomon, Jelena Maksimovic
songes d’un gouvernement dont elle est court de 2003, interprète cette fois-ci une Décors Daniela Dimitrovska
la voix oicielle, alors qu’elle tente de héroïne de tragédie dont l’amour quasi- Musique Alen et Nenad Sinkauz
cacher à son ils les cyniques faux-sem- incestueux pour son « petit homme » Interprétation Jovan Ginic, Jasna Duricic, Miodrag Jovanovic,
blants de ses actions politiques. Sur (« C’est pour toi que je fais cela ») semble à Lazar Kocic, Pavle Cemerikic
fond d’Internationale extradiégétique, ses propres yeux justiier tous les men- Production Kinoelektron, Easy Riders Films, Trilema
les premières images brossent le tableau songes. Le ilm tend ainsi vers une uni- Distribution Rezo Films
d’un séjour à la campagne où tout ren- versalité que conirme la sobriété de sa Durée 1h38
voie à la Yougoslavie de Tito et au passé reconstitution historique. Si quelques Sortie 11 octobre
de résistant d’un afectueux grand-père.
Cette vision est celle d’un paradis perdu,
© KINOELEKTRON/EASY RIDERS FILMS
Udevant
n regard dans le vide. Un homme, tota-
lement ahuri, contemple un champ
une boîte de nuit, baigné dans
une absence, en jetant dans le moule des
ingrédients de façon presque incongrue.
C’est aussi une invitation à l’aventure et
elles s’avèrent tout aussi vertigineuses et
émouvantes. Ainsi, les pathétiques péripé-
ties du frère pauvre singeant celles du frère
l’obscurité à peine rehaussée de quelques une preuve de foi dans le hasard cinémato- mafioso font de lui un père, tandis que
halogènes. Rien qui pourrait attirer ce graphique, comme une sorte de réponse lors d’une hallucinante séquence inale un
regard fou, à part peut-être un cactus. Il belge à La lor de Mariano Llinás. simple vol d’hélicoptère nous transporte
init par le formuler, en espagnol : c’est là Schmitz n’arrondit pas les angles, il ne le temps d’un délire au-dessus du Grand
qu’il a vu l’inconcevable. Deux fois, un craint pas la cacophonie, s’imposant une Canyon. On plane. Dans Lucie perd son che-
homme qui n’était plus est passé devant ses frontalité contraire à toute forme d’illu- val (2021), Claude Schmitz déshabillait un
yeux. Un fantôme. L’Autre Laurens démarre sionnisme. Ça se voit, ça s’entend. La ilm de chevalières médiévales pour l’as-
ainsi sa iction par une igure ôtée à notre musique même pioche dans un pot-pourri sécher en expérience théâtrale coninée
vue, littéralement spectrale. Soustraction improbable : les synthés côtoient les cordes où la vie d’actrice devenait l’essence du
qui s’avère déceptive. Car Claude Schmitz blues et les voix jazz, puis une musique récit. L’Autre Laurens est au contraire bâti
opère ici par addition. D’abord, 1+1 : le vaguement latine version « aventures tropi- à partir de ruines, d’absences, d’illusions,
frère jumeau du mort se présente très vite cales », avant que Rodolphe Burger n’en- et se glisse parmi les nuages, étranges et
comme protagoniste et comme possible lève son déguisement de lic de Perpignan enivrants, de la fantaisie pure. ■
explication du phénomène surnaturel pour clore le ilm sur une longue impro
en ouverture. Gabriel Laurens (Olivier de guitare. Le binôme Gabriel/Jade, déjà L’AUTRE LAURENS
Rabourdin) travaille comme détective construit sur un contraste (vieux détec- Belgique, France, 2023
privé à Bruxelles, mais la visite de sa nièce tive dépressif et fauché /ado dark au cœur Réalisation Claude Schmitz
Jade (Louise Leroy), désormais orpheline, déchiré) que la diférence de registre et Scénario Claude Schmitz, Kostia Testut
va l’emmener du côté de la frontière fran- de technique de ses interprètes exploite à Image Florian Berutti
co-espagnole pour enquêter sur la mort de l’extrême, se retrouve confronté dans son Montage Marine Beaune
« l’autre » Laurens, François, frère riche et enquête à une série de troupes qui sem- Son Thomas Berliner
capo local dont il est la version perdante, bleraient avoir trouvé, entre la France et Décors Matthieu Buffler
ou « floue », comme la qualifie la veuve, l’Espagne, le seul point de rencontre pos- Musique Thomas Turine
Shelby (Kate Moran). Un vivant sur les sible de leurs trajets : la veuve, d’abord, puis Interprétation Olivier Rabourdin, Louise Leroy, Kate Moran,
traces d’un mort, c’est un point de bas- son complice ancien militaire américain Marc Barbé, Edwin Gaffney, Tibo Vadenborre, David
cule introspective cher au ilm noir. Chez (Edwin Gafney), mais aussi une bande de Vankovenberghe, Rodolphe Burger, Francis Soetens
Schmitz, c’est une façon de sortir de ses vieux motards, les Perpignan Riders 66 Production Wrong Men, Chevaldeuxtrois
rails ; pour les personnages et leurs inter- (dont le leader est interprété par Marc Distribution Arizona Distribution
prètes comme pour le ilm, c’est la possi- Barbé), et une organisation de gangsters Durée 1h57
bilité de construire une iction à travers ibériques pantoulards, tous suivis par un Sortie 4 octobre
DE LA CONQUÊTE
France, 2022
Réalisation, scénario, image, son, montage Franssou Prenant
© LA TRAVERSE
à « prendre le chasseur à son propre piège : l’en- pour en trouer la linéarité illustrative : dans The Office. Avec son épouse, Bri-
fermer dans un livre ». dans l’une, rejouée par des acteurs, l’écri- gitte, propulsée au rang de « directrice de
Reste à savoir ce que le cinéma vain est fêté ; dans l’autre, archive d’Apos- la culture d’entreprise », il se révèle toute-
apporte à l’entreprise, outre une dif- trophes, la Québécoise Denise Bombardier fois aussi plouc que stratège. Sous couvert
fusion augmentée du témoignage et la brocarde son abus de pouvoir sous l’alibi d’amuser la galerie, Ginestet ne cesse de
perspective d’un succès en salles sem- littéraire. À défaut d’être enfermé dans un manœuvrer – par exemple en (dé)jouant
blable à celui du best-seller. La mise en ilm, le chasseur avait donc été, alors, et les potentiels conlits sociaux grâce à des
scène illustrative de Vanessa Filho laisse la par une étrangère seulement, épinglé dans acteurs iniltrés parmi les employés, qui
question en suspens. Deux blocs inchan- la lucarne. font entendre un mécontentement bien-
gés s’y afrontent à armes inégales. Une Charlotte Garson tôt dégonlé. Plutôt que dans la voix of
ado pas du tout Lolita (Kim Higelin) à la du cinéaste, utile mais convenue, le ilm
mère défaillante (Lætitia Casta) croit aux trouve sa ruse suprême dans l’apparent
latteries d’un roué aux poses ultra (Jean- Des idées de génie ? abandon de toute distance. Perche à la
Paul Rouve, chauve et faisant toutes les de Brice Gravelle main, Gravelle se délasse dans le jacuzzi
liaisons). Le programme de l’emprise se France, 2023. Documentaire. 1h33. du patron. Telle est bien l’horreur de ce
déroule dans un réalisme plat, parsemé Sortie le 4 octobre. management néo-paternaliste : dissoudre
de rares efets qui voudraient faire accroc En sous-titrant son film « Dans les les rapports de classes dans le grand bain
dans la banalité du mâle : des lares subjec- bagages d’un grand patron », Brice Gra- d’un fun obligatoire. Sourire aux lèvres,
tivisent « l’initiation » sexuelle ; une bague velle pointe deux choses. D’une part, Ginestet a réussi son numéro. Mais dans
de la mère rappelle en miniature celle de qu’un leader d’entreprise, ça voyage – jet cette volonté totale de contrôle perce
Matznef ; dans un plan ixe muet,Vanessa privé, jet-ski, yacht, le déilé des moyens mieux qu’ailleurs la prédation capitaliste.
dessillée igure aux côtés des garçonnets de transport n’a rien à envier à un ilm Raphaël Nieuwjaer
violés à Manille par son amant. Deux d’action. D’autre part, qu’il occupera la
partis pris esquissés auraient pu hausser place confortable, et donc périlleuse, du
la réalisation à la hauteur de l’engage- cinéaste embarqué. Son idée de génie à Dogman
ment que réclamait son sujet : les textes lui, c’est de s’être mis dans la roue de Phi- de Luc Besson
lus off par Rouve, qui, s’ils avaient été lippe Ginestet, fondateur de la chaîne de France, 2023. Avec Caleb Landry Jones,
l’unique matière du ilm, eussent fourni magasins GiFi. Fils de maquignon devenu Jojo T. Gibbs, Christopher Denham. 1h54.
un condensé d’hubris misogyne ; ou bien milliardaire, il incarne le mythe capitaliste Sortie le 27 septembre.
l’option contraire de détailler l’assenti- du self made man (et tant pis si l’excep- Accordons au moins cette originalité à
ment de l’entourage de Vanessa (famille, tion conirmera vite la règle, en faisant Dogman : nul autre que Luc Besson aurait
éditeurs, mécènes, société en général), de son ils un héritier très à l’aise). Sur- pu imaginer un ilm aussi monstrueuse-
hélas caricaturé dans quelques dîners tout, Ginestet a conservé de ses origines ment boursoulé, mêlant si bizarrement
mondains où chacun y va de son bon populaires un goût immodéré du spec- extrême candeur et goût du sang. Dou-
mot phallocrate. Comment représenter tacle. Pour ceux qu’il nomme afectueu- glas (Caleb Landry Jones) est une pure
l’attractivité d’un pervers ou l’absence sement ses « collaborateurs », il mouille figure bessonienne : un idiot poussé à
de la loi ? L’importance de l’écrit dans le maillot. Tournois de poker, saynètes s’éloigner d’une humanité qui le rejette
la séduction comme dans ses suites ne édiiantes, chansonnettes, périples à Las et qui répond à la brutalité du monde par
trouve pas ici d’équivalent cinématogra- Vegas, l’abattage du bateleur rappelle le rainement de sa violence. Avant de
phique. Symptôme d’échec, deux émis- celui de David Brent, le manager inventé devenir Dogman, Douglas est un enfant
sions télé s’invitent dans le ilm, comme par Ricky Gervais et Stephen Merchant martyrisé par un père et un frère aussi
religieux que sadiques, condamnant leur
souffre-douleur à vivre en cage avec
© LES FILMS DES DEUX RIVES
luttant notamment contre la domination de chat, Mireille accueille, pardonne, et mi-chemin de la micro-aventure jeunesse,
d’une bande de Latinos on ne peut plus la fiction ne s’aventure pas beaucoup de l’exploration de blessures familiales et
caricaturaux. Au mieux, le cinéaste trouve plus loin, hoquetant une série de petits de la chronique sociale, répond formel-
là un côté bande dessinée à deux sous mensonges qui jamais ne font drame. Les lement une lumineuse explosion colorée
qui convient à sa naïveté, en pompant au amis Deschiens passent une tête (François qui frise l’abstraction. À chaque protago-
passage le Joker de Todd Phillips. Mais il Morel, Philippe Duquesne), la maisonnée niste, dont les contours sont matérialisés
force tous les traits jusqu’à saturation et se peuple et se transforme en décor de par un dessin ouvert, est attribuée une
ne cesse d’ajouter des facettes à son per- bastringue le temps d’une soirée qui, à unique couleur éclatante, dont l’aplat
sonnage. C’est qu’il semble fasciné par l’instar du film, n’a d’autre but que de contraste avec des décors plus pâles qui
son acteur principal, dont il déplie tout ressusciter le rêve d’une communauté recourent souvent aux dégradés. Le ilm
l’éventail des registres, du flegme effé- bohème, où l’on peut clamer sans chichis ne se satisfait pas de ce seul régime. Dans
miné à la folie grimaçante, en passant son amour de la musique, de la peinture les plans d’ensemble, les personnages
par l’extase convulsive et toutes sortes de et de la poésie.Vive l’art et les faussaires, apparaissent entourés d’une bulle qui les
travestissements. Dans des scènes parfaite- donc, même si les masques ne valent pas nimbe et les colore au-delà de leurs traits.
ment embarrassantes, il en fera même un celui, plus inquiétant, que revêtait Yolande La hardiesse visuelle de cette entreprise
chanteur de cabaret singeant Édith Piaf Moreau dans Quand la mer monte, son pop, qui après La Jeune Fille sans mains
et Marlene Dietrich. Il y a une indéniable premier ilm écrit avec Gilles Porte. Ici en 2016 consacre Sébastien Laudenbach
cohérence dans le fait que réalisateur, encore, la réalisatrice n’avance pas tota- comme l’un des plus talentueux cinéastes
acteur et personnage soient accordés à lement à visage découvert, usant de ces d’animation européens, fait bon ménage
ce même diapason : il n’y a pas de limite hommes mi-enfants mi-amants comme avec le réalisme d’un scénario et de dia-
à la surenchère, pas même le ridicule, la d’une glace à trois faces capable de nous logues qui se débrident au point de laisser
cruauté ou la laideur. faire deviner, par le détour, la personnalité la fantaisie – de même que la foule des
Marcos Uzal de Mireille. En dire sur soi mais pas trop, habitants de la cité – envahir le récit tout
et via les autres : La Fiancée du poète vaut en faisant alterner les séquences de course
surtout comme un autoportrait rêvasseur, à l’échalote classique et les moments
La Fiancée du poète épuré de tout narcissisme. introspectifs. C’est paraît-il à la coréalisa-
de Yolande Moreau É.R. trice Chiara Malta (Simple Women, 2019)
France, Belgique, 2022. Avec Yolande Moreau, que l’on doit ce désordre qui brave toute
Sergi López. 1h43. Sortie le 11 octobre. autorité et, mine de rien, fait de ce ilm
« J’ai fait beaucoup de bêtises », confesse Linda veut du poulet ! tout public l’un des plus irrévérencieux
Mireille (Yolande Moreau) au père de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach de cette rentrée.
Benoît (William Sheller, symphoman en France, 2023. Animation. 1h16. Sortie le 18 octobre. Thierry Méranger
soutane). Un peu de deal, un tour par la Le dernier vainqueur du Festival d’An-
case prison et maintenant « boniche avec necy – auparavant présenté à Cannes à
une licence de lettres en poche ». Reste une l’Acid – tire sa séduction d’un apparent Lost in the Night
grande demeure en héritage, maison paradoxe. Son intrigue repose sur l’infra- d’Amat Escalante
d’enfance où résonnent encore les paroles ordinaire d’une comédie de banlieue : Mexique, Allemagne, Pays-Bas, Danemark. 2023.
d’une vieille comptine, « Cerf, cerf, ouvre- alors que le frigo est vide et la France en Avec Juan Daniel García Treviño, Ester Expósito,
moi ! » Tout un programme pour Mireille, grève, la petite Linda, exigeant réparation Fernando Bonilla. 2h. Sortie le 4 octobre.
qui héberge bientôt deux, puis trois hur- d’une punition injuste, met sa maman Le prénom du chien d’une famille à moi-
luberlus, avant de voir ressurgir un ancien en demeure de concocter un poulet tié espagnole, Buñuel, nous rappelle avec
amant (Sergi López), esbroufeur de pre- aux poivrons, recette-signature de son la subtilité d’un aboiement jusqu’à quel
mière. Grand cerf, mère poule aux yeux défunt papa. À ce pitch léger et gentil, à point le cinéma d’Amat Escalante s’in-
tègre dans la funeste troupe des héritiers
autoproclamés du réalisateur de Viridiana,
© CHRISTMAS IN JULY
© PANAME DISTRIBUTION
demeure de l’excentrique couple his-
pano-mexicain, croit y trouver, malgré la
violence de l’inévitable rapport de classes,
un indice, peut-être même un peu de
vérité. Ce principe impose une forme
de dialectique : artiste conceptuel qui
se complaît sciemment dans l’esbroufe
la plus obscène, son patron (Fernando
Bonilla) a plusieurs conlits avec la résis-
tance locale contre l’industrie minière et
la police corrompue sans qu’Escalante,
qui ne se gêne pas pour insister sur le
ridicule du bonhomme et de ses œuvres
d’art, inisse par le situer entièrement « du
mauvais côté ». Même chose pour sa ille,
inluenceuse interprétée par la vedette de
Lost in the Night d’Amat Escalante.
la série à succès de Netlix Élite, et dont
le nihilisme semble paradoxalement la
rapprocher de la noblesse du protagoniste. de l’histoire et celui du récit, le judiciaire déballage high tech masque un humour
La leçon morale est cependant inévitable, est intervenu, et avec lui le ressac afectif assez conventionnel qui rapproche de
revancharde, dissipant toute subtilité pour du jeune homme, littéralement « ravi de façon forcée vie politique et commen-
conclure avec grandiloquence que le ver la crèche » de cette histoire. Plutôt qu’un taire footballistique tout en se don-
était déjà dans le fruit. suspense moral dardennien (on songe à nant des cibles faciles (les chasseurs, les
Fernando Ganzo la palinodie du jeune père de L’Enfant, patrons, etc.). La satire politique se dis-
qui vend son bébé), Kaltenbäck a choisi sout assez vite dans le roman-feuilleton
une voie déceptive, mate. Du Ravissement et le mélodrame du xixe siècle. Ce ver-
Le Ravissement de Lol V. Stein de Duras, à qui elle dit sant, déjà exploré dans Au revoir là-haut,
d’Iris Kaltenbäck emprunter le substantif de son titre, sub- étonne : construit par des références
France, 2023. Avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, siste surtout une difraction énonciative, culturelles peu courantes (« Les journalistes
Nina Meurisse. 1h37. Sortie le 11 octobre. un amorti qui étend la soustraction du font comme Pagnol : ils cachent leurs sources » ;
Tu mérites un amour : le titre du premier rapt à l’ensemble des personnages. plus tard, c’est Corneille qui est convoqué
film d’Hafsia Herzi comme cinéaste Ch.G. à un tournant de l’intrigue), soutenu par
pourrait être une réplique adressée à son un idéalisme politique qui se cherche des
personnage du Ravissement (lui-même modèles à vénérer (l’allusion à l’intégrité
premier ilm de sa réalisatrice). Quand Second tour de l’ancien juge Renaud van Ruymbeke
Lydia, sage-femme consciencieuse et dis- d’Albert Dupontel vaut discrète profession de foi), Second
crète, se fait préférer une autre par son France, 2023. Avec Albert Dupontel, tour expose les divisions intérieures de
iancé, elle s’eface, le quitte sans bruit, Cécile de France, Nicolas Marié. 1h35. son cinéaste et son imaginaire Troisième
endure. Quelques mois plus tard, sa Sortie le 25 octobre. République : grands hommes nourris au
meilleure amie, Salomé (Nina Meurisse) La coifure boufante qu’arbore Cécile sens du devoir, bréviaires, stèles.
accouche de son premier enfant. A priori, de France, proche de celle de Cathe- Jean-Marie Samocki
rien à voir entre les deux événements, r ine Deneuve dans Agent trouble de
sinon ce qu’une voix of désigne comme Jean-Pierre Mocky, pourrait être un clin
« des vases communicants » : « C’est comme si d’œil adressé par Albert Dupontel. Si les Sissi & moi
elles partageaient une dose de bonheur pour deux cinéastes apprécient le rocambo- de Frauke Finsterwalder
deux. » Quand Lydia recroise par hasard lesque et le trait épais (Second tour évo- Allemagne, Suisse, Autriche, 2023. Avec Sandra
Milos (Alexis Manenti), amant d’un soir, lue avec opportunisme entre un scandale Hüller, Susanne Wolff, 2h12. Sortie le 25 octobre.
alors qu’elle promène le bébé de Salomé, sexuel, le « zizigate », et un choc écolo- Déjà revisitée il y a moins d’un an dans
elle lui présente l’enfant comme le leur. gique, l’« abeillegate »), Dupontel n’a pas Corsage, la vie de l’impératrice d’Autriche
L’enlèvement soustrait le ilm au portrait le goût du bricolé et de l’à-peu-près. Au semble constituer, outre-Rhin, un point
psychologique, creusant l’opacité. Lydia, contraire, pour suivre l’enquête d’une de passage obligé des relectures féministes
blouson rouge et chevelure noire presque journaliste (Cécile de France) et de son de l’Histoire, permettant de marier rebel
stylisés, lotte au-dessus ou en dessous de cameraman (Nicolas Marié) sur un can- attitude et destin tragique dans des décors
son quotidien, comme hantée par l’apo- didat à l’élection présidentielle (Dupon- ultra-luxueux (ici le très instagrammable
rie de son geste avant même de l’avoir tel lui-même) dans l’entre-deux-tours, il palais de Corfou). Cette version joue sur-
accompli. Quant à la voix of rétrospec- n’a de cesse de mettre en avant la moder- tout sur une ibre voyeuriste, en adoptant
tive de Milos, elle porte l’empreinte d’une nité de ses efets visuels et la matière de le point de vue de la dame de compagnie
sidération : comment a-t-il pu croire à l’image. De-ageing, réalité augmentée, (Sandra Hüller). Irma iniltre ainsi l’inti-
une telle mystification ? Entre le présent pixellisations, montages numériques : le mité de Sissi (Susanne Wolf), devenant à
par enregistrer les conditions d’un dia- préoccupés par leur survie (Kervern et nº 657). Mal viver (Prix du Jury à la der-
© SIXTEEN OAK LIMITED/WHY NOT PRODUCTIONS
logue impossible. Albert (Pio Marmaï), Delépine), tristesse burlesque (Salva- nière Berlinale) se focalise sur les gérants
bagagiste à Orly qui garde la tête hors dori), absurde verbal (Judor), recherche de l’hôtel, une famille issue de la classe
de l’eau en revendant des produits sur d’un esprit de groupe (Klapisch). Les moyenne en proie à des diicultés inan-
Leboncoin, fait la connaissance de Bruno scènes inspirées par la comédie musicale, cières, tandis que Viver mal se penche sur
(Jonathan Cohen), à qui il propose un en ouverture et à la in, convainquent le les clients de l’établissement, notamment
téléviseur dernier cri, et de Cactus (Noé- plus en délaissant les impasses didactiques une famille de nouveaux riches typique.
mie Merlant), l’éco-warrior qui bloque de la parole pour trouver dans le rythme Outre le lieu unique du tournage, les
l’entrée d’un magasin d’électroménager des corps les conditions d’une entente deux volets partagent leur intérêt pour
lors d’un « Black Friday ». Afrontements entre les personnages. les relations mère-fille, un lien aussi mal-
physiques, surdité politique, désespoir J.-M.S. sain et empoisonné dans le premier que
suicidaire… Une année diicile recueille dans le second ilm : une mère dépres-
les signes d’une communauté au bord sive en manque afectif mais incapable
de l’implosion, amenant ses comédiens Viver mal d’aimer dans Mal viver, une mère mani-
à modiier leur palette de jeu : Marmaï, de João Canijo pulatrice dans Viver mal. Un projet ori-
plus retenu, Cohen, mélancolique et Portugal, France, 2023. Avec Nuno Lopes, ginal et a priori séduisant, mais malheu-
presque muet. Dès que le contexte dra- Filipa Aerosa, Leonor Silveira. 2h04. reusement miné par un regard quasiment
matique se distend, ils retrouvent leurs misanthrope. D’une grande noirceur, le
habitudes, les cinéastes ayant du mal à Mal viver film dessine un monde dominé par la
trouver la bonne distance. Lorsque les de João Canijo frustration, la jalousie et les relations
personnages sont trop éloignés les uns des Portugal, France, 2023. Avec Anabela Moreira, d’intérêt. La froideur est amplifiée par
autres, la parole devient prêche ou com- Rita Blanco, Cleia Almeida. 2h07. un formalisme arty qui étale systémati-
mentaire sarcastique et ils ne s’écoutent Sortie des deux films le 11 octobre. quement la virtuosité de l’auteur, comme
plus ; trop proches, ils n’arrivent plus à Tourné pendant la période du Covid ces scènes qui se répètent d’une partie
se parler et écourtent la scène. Dès lors, dans un hôtel isolé sur la côte portugaise, à l’autre, montrant le même événement
le film se désunit et expérimente difé- ce diptyque de plus de quatre heures est depuis un angle diférent, la structure en
rentes tonalités sans vraiment trouver la le projet le plus ambitieux d’un réalisa- miroir réduisant trop les personnages au
sienne propre, proposant inalement un teur navigant entre documentaire et ic- statut de pantins et l’ensemble à un exer-
portrait kaléidoscopique de la comédie tion, dont on retient surtout le beau ilm cice de style.
française contemporaine : personnages d’archive Fantasia Lusitana (2010, Cahiers Ariel Schweitzer
YASUJIRO OZU
OCTOBRE – DÉCEMBRE 2023
lacinemathequedetoulouse.com
Dédales de Dahl
à Anderson) qu’il s’accorde parfaitement à
un conte plein de volutes, de digressions
mais aussi de distanciation comique. Mine
de rien, c’est-à-dire dans une euphorie
par Marcos Uzal fantaisiste, ce malicieux brechtisme pousse
plus loin que jamais le rêve andersonien
d’un film qui combinerait à la fois le
SENTINELLE
France, 2023
Réalisation, scénario Hugo Benamozig,
David Caviglioli
Image Vincent Mathias
Son Benjamin Charier, Alexis Meynet, Mélanie
Blouin, Victor Praud
Montage Jean-Christophe Hym,
Marco Gonçalves
Costumes Amandine Cros
Interprétation Jonathan Cohen, Raphaël
Quenard, Emmanuelle Bercot, Ramzy Bedia,
Laurent Evuort Orlandi, Gustave Kervern
Production 22h22, Les Films entre 2 et 4
© AMAZON PRIME VIDEO
Durée 1h39
Diffusion Amazon Prime Video
I Think You
Should Leave With
Tim Robinson
(Saison 3)
© BRIC TV/MVMT
de Tim Robinson et Zack Kanin
États-Unis, 2023. Avec Tim Robinson, Patti
Harrison, Tim Heidecker. 6 épisodes de 20 minutes.
Diffusion sur Netflix. The Show About the Show de Caveh Zahedi.
Une porte qui se tire. Un personnage qui
s’obstine à la pousser, airmant qu’elle perçoit-il pas une « foutue bite » là où ses d’argent pour le cinéma », plaisante-t-il face
s’ouvre dans les deux sens. Ça coince, ça collègues voient un ordinateur portable ? caméra). L’épisode le montre chercher
grince, ça éclate. Qu’importe, il ne faut Soit le délire écarte du groupe, soit il des idées puis les pitcher à une chaîne
pas perdre la face, se crisperait-elle en emporte dans un monde alternatif. De de télévision locale de Brooklyn pour les
un masque inquiétant. Depuis trois sai- loin en loin, l’incertitude revient. Et s’il voir une à une retoquées, avant de parve-
sons, I Think You Should Leave With Tim avait inalement raison ? Nous voilà pris nir, dans une scène qui rappelle le célèbre
Robinson n’a cessé de rejouer cette scène au piège de ce solipsisme braillard, à bien rendez-vous de Jerry et George au siège
primitive, menant chaque situation au des égards analogue à celui que façonnent de NBC dans Seinfeld (« The show is about
point où elle se dégonde, et un peu plus les réseaux sociaux et les chaînes d’info nothing »), à définir le concept de la série
loin encore. Suite de sketchs, la série ne en continu (I Think… détourne d’ail- que nous sommes en train de regarder :
raconte rien. Elle saisit plutôt un (certain) leurs nombre de formats télévisés, du spot « This is the show. » À partir du deuxième
esprit du temps, ou un ethos : la bêtise publicitaire aux émissions de débat et de épisode, chaque épisode sera le making-of
quand elle est passée entièrement du côté téléréalité). A-t-on assez suggéré que l’on de l’épisode précédent. Difficile de
de la colère. Robinson éructe, trépigne, tenait là une des comédies actuelles les décrire précisément les contours de la
agresse ou interpelle, le doigt pointé vers plus sauvagement drôles qui soit ? vertigineuse mise en abyme qui s’amorce,
l’objectif. Pour rien, pour tout. Certes, il Raphaël Nieuwjaer où chaque instant se voit décortiqué et
arrive que, hôte d’un talk-show politique, rejoué, parfois par des acteurs, parfois par
il se tasse dans son canapé à la première les personnes réellement impliquées, et
contradiction (comprendre : argument où chaque bizarrerie (un visage soudai-
rationnel) et, l’air boudeur, s’absorbe dans The Show nement flouté, par exemple) ne revê-
la manipulation de son smartphone. Mais
l’enfance qui, chez Will Ferrell ou Danny About the Show tira de signiication que dans l’épisode
suivant. La drôlerie de ce mécanisme
McBride, est la source d’un narcissisme de Caveh Zahedi infernal évoque les expérimentations
débridé autant qu’un horizon d’inno- États-Unis, 2015-2023. Avec Caveh Zahedi, Amanda télévisuelles de Nathan Fielder (Nathan
cence, se trouve ici largement congé- Field, Dustin Guy Defa. 16 épisodes de 11 à for You, The Rehearsal), mais Zahedi se dis-
diée. Tim Robinson n’est pas un sale 32 minutes. Diffusion sur YouTube (épisodes 1 à 13) tingue du comedian impassible en faisant
gosse, c’est un forcené. Semant le malaise et sur Gumroad (14 à 16). de l’honnêteté le principe fondamental
dans les milieux les plus ratissés de la Cela avait pourtant commencé comme de son œuvre. Le réalisateur de I Am a
sitcom (l’entreprise, le groupe d’amis, une blague. Dans le pilote de The Sex Addict (2005) dit tout, analyse tout,
la famille), ses personnages – tous plus Show About the Show, Caveh Zahedi se au point que la série, de façon absolu-
ou moins fondus dans le même moule – demande quelle série il pourrait réaliser ment impudique et toxique, se confond
ne produisent pas seulement de la satire afin de rester dans le vent et d’acheter bientôt avec sa vie. C’est, d’une certaine
sociale, mais un ébranlement du réel. Ne une nouvelle maison (puisqu’il « n’y a plus manière, le problème de journaux ilmés,
sauf que Zahedi, avec son sourire espiègle
et son débit allenien, cultive en plus un
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MOSTRA. La 80e édition du Festival de Venise, du 30 août au 9 septembre, est-elle si féministe ? La question
fut une nouvelle fois l’occasion, faute de voir beaucoup de bons ilms, d’étudier ne serait pas importante si l’argu-
les symptômes du cinéma mondial, en particulier l’uniformisation et l’étoufement ment n’avait pas été sur toutes les
des auteurs opéré par les plateformes. Regard sur quelques « cas » de la lèvres à propos d’un ilm bien
sélection oicielle. moins subversif que roublard.
On pourrait lui opposer Priscilla
PChazelle
as étonnant que le Jury de la
Mostra présidé par Damien
ait attribué le Lion
qu’on leur accole une épithète
politiquement indiscutable. Ainsi,
Lánthimos chausse les plus gros
à la vie par une sorte de doc-
teur Frankenstein qu’elle appelle
Dieu (Willem Dafoe) et qui lui
Presley auquel fut au contraire
reproché une certaine torpeur,
un manque d’engagement. C’est
d’or à Pauvres créatures de Yórgos sabots possibles pour que per- redonne un cerveau et une édu- que la réalisatrice américaine
Lánthimos, qui synthétise deux sonne n’oublie une seconde cation, puis ramenée à l’intelli- n’aiche rien en faisant le por-
grandes tendances observées qu’il se veut « féministe ». Mais gence et à la conscience par la trait d’une femme qui s’ennuie
cette année. La première, c’est l’histoire d’une femme, Bella pratique convulsive du plaisir (son grand sujet). Elle n’éprouve
celle de ilms qui font tout pour Baxter (Emma Stones), ramenée que lui procurent les hommes, pas le besoin de faire d’Elvis un
Indigestion de farces
L’autre tendance dont Pauvres
créatures est un parfait exemple
est le recours à la farce en guise
de brûlot politique. La boufon-
nerie commence par la forme.
Le ilm de Lánthimos croit paro-
dier les ilms fantastiques améri-
cains des années 1930 mais son
esthétique (qui passe du noir et
blanc à la couleur) n’est qu’une
Evil Does Not Exist de Ryûsuke Hamaguchi (2023).
patine dénuée de tout sens de la
lumière et des contrastes, som-
brant dans une imagerie d’une forme : ce noir et blanc Netlix 1990-2000 – Michael Mann et premier ressort de cette comédie
grande laideur (à coup de ish- pseudo-expressionniste, gri- David Fincher – dénotait ainsi est la façon dont le personnage
eyes ostentatoires et de décors sâtre et laid. De plus, le passage une certaine fatigue. Ferrari, ne cesse de prendre des airs ou
numériques immondes dans la par l’outrance est totalement retour de Mann après huit ans de se déguiser pour ressembler
seconde partie). Sur cet aspect, contreproductif d’un point de d’absence, est un projet qui à un hitman crédible, c’est-à-dire
c’est The Palace de Roman vue politique, puisque la blague date de trente ans. Il s’attache tel qu’on les connaît à travers le
Polanski qui décroche la timbale, potache consistant à dire que au moment où Enzo Ferrari, à cinéma, Linklater se moquant
à un point de bêtise et de laideur toutes les formes d’oppression l’été 1957, organise des courses au passage d’un certain virilisme
qui mit quasiment in à la polé- et de tyrannie depuis des siècles pour démontrer la supériorité hollywoodien.
mique sur la présence du ilm s’expliqueraient par une généa- de sa marque, qui devient alors
au festival (hors compétition). logie maléfique est le meil- aussi une machine de mort. La De la musique, enin
Avant le passage à l’an 2000 leur moyen d’éviter de parler tonalité tragique que tente d’in- Seul grand film vu en com-
déile dans un grand hôtel suisse véritablement de politique et suler Mann ne prend pas, et les pétition : Evil Does Not Exist
une galerie de grands-bourgeois d’histoire. quelques rares plans ou choix de de Ryûzuke Hamaguchi, qui
aux visages refaits, surmaquillés, montage qui rappellent ce qu’il a remporté le Lion d’argent.
incarnations grotesques d’une Têtes de gondole eut parfois de singulier ne font L’auteur de Drive My Car,
décadence fantasmée par un Autre symptôme vénitien : la que souligner combien il semble cinéaste d’habitude urbain, se
cinéaste hautainement détaché politique de la signature, qui ici contraint, y compris lorsqu’il déplace ici à la campagne, autour
du monde. Le ton farcesque, fit notamment que des films s’agit de ilmer les courses auto- de la construction d’un camping
qui tombe pitoyablement à plat, de Polanski, Allen (hors com- mobiles dans des scènes où l’on « glamour » prétendument res-
dénote un grand mépris pour pétition avec Coup de chance, ne sent ni l’espace, ni les dis- pectueux de la nature mais qui
ses personnages et, pire encore, lire Cahiers nº 801) et Besson tances, et à peine la vitesse. pourrait avoir des conséquences
pour ses acteurs, Fanny Ardant (en compétition avec Dogman, Le cas de Fincher est plus inté- graves sur la source locale et la
ou Mickey Rourke notam- lire page 43) purent se côtoyer ressant. Après son Mank man- vie d’habitants qui s’opposent à
ment, ce dernier ilmé comme comme au temps d’avant qué, il revient au thriller avec ce projet. Ce ilm, qui s’inscrit
un vieux clown monstrueux. La #MeToo. Alberto Barbera, le The Killer (produit par Netlix). en faux contre l’exploitation
misanthropie a remplacé la mise directeur artistique du festival, Un tueur à gages de haut vol capitaliste du besoin écologique
en scène. s’expliqua en affirmant que y est balloté entre son désir de et certains traits de la société
Avec El Conde de Pablo l’argument cinématographique contrôle cynique et les imprévus japonaise, plonge progressive-
Larraín (Pr ix du scénar io), primait, sauf que ces trois ilms humains faisant capoter ses plans. ment dans une grâce étrange,
produit par Netlix, les choses allant du médiocre au nul furent Comme son personnage, Fincher où l’emportent les secrets et
ne sont pas si graves, mais la parmi les pires du programme. sait ici très bien faire ce qu’on lui beautés de la nature (y compris
fable est infusée du même ton Par ailleurs, Venise accueillant demande, avec un grand profes- de la nature humaine) et ceux
sarcastique. Augusto Pinochet des films de plateforme dans sionnalisme, mais d’une manière de la musique d’Eiko Ishibashi,
devient le descendant d’une sa sélection officielle, elle en trop mécanique. L’absence de origine du film et principale
longue lignée de vampires fait le plein à chaque édition, risque se laisse gagner par une matrice de son montage. Il était
à laquelle appartiendraient et répond à la même logique esthétique de série.Vu le même beau de retrouver enfin une
d’autres grands despotes de que Netlix ou Amazon : beau- jour, le délicieux Hitman de émotion qui ne venait ni du scé-
l’histoire qui auraient voyagé coup de noms prestigieux pour Richard Linklater (hors com- nario ni du « message » ni d’une
dans le temps et la géographie bien peu de cinéma, pervertis- pétition) semblait répondre à excitation de nos bas instincts de
sous diférentes personnalités, sement mortifère de la poli- Fincher. Un policier de Houston spectateurs blasés de la vie et du
dont Margaret Thatcher, la nar- tique des auteurs. La présence s’y fait passer pour un tueur à cinéma, mais d’une forme qui
ratrice... Là encore, la parodie de deux grandes figures du gages ain d’enquêter sur ceux redonnait soudain goût à tout.
commence par le saccage de la cinéma américain des années qui font appel à ses services. Le Marcos Uzal
FESTIVAL. À l’écoute des propositions les plus radicales, la 76e édition du festival suisse
a présenté cet été une sélection internationale particulièrement stimulante et exigeante.
directeur artistique pour lequel sage apparaît en regard, au il tance qui révèle tout autant au poteau par un objet plus
« l’éclectisme est une forme de de ses 215 minutes d’enquête l’empathie que la dangerosité consensuel bien que tout aussi
conformisme », revendique ainsi hypnotique, obsessionnelle et de l’entreprise. surprenant : Critical Zone d’Ali
le choix de ilms qui requièrent non concluante, le dernier Lav Face à ces ilms leuves par- Ahmadzadeh (aujourd’hui
la participation active du spec- Diaz, Essential Truths of the Lake. fois éprouvants ont émergé interdit de sortie en Iran), qui
tateur en ofrant une proposi- Mettant à nouveau en scène le parallèlement quelques ictions renouvelle à sa façon – émi-
tion de cinéma originale, parfois lieutenant Papauran, anti-héros dont l’âpreté reposait d’abord nemment subversive – le genre
extrême. C’est cette intrépidité torturé de Quand les vagues se sur l’énergie de leurs actrices. persan qu’est devenu le « ilm
qui a per mis de mettre en retirent, le Philippin, sans rien C’est le cas du remarquable de chauffeur ». Encore faut-il
valeur des œuvres longues et céder de son époustouflant Animal de Sofía Exárchou, por- remarquer qu’en dépit de la
fréquemment déroutantes, dont formalisme, livre sans doute trait inconfortable et passion- performance du créateur multi-
l’emblème pourrait bien être El son ilm le plus explicitement nant d’une danseuse de club de cartes Amir Pousti (coréalisateur
auge del humano 3 de l’Argentin politique, accablant la présidence vacances interprétée par Dimitra de Flatland en 2017) en dealer-
Eduardo Williams. Bâti autour de Duterte, qui s’est achevée Vlagopoulou. L’actrice grecque soigneur arpenteur des bas-
de vues à 360° captées à l’aide en 2022. C’est avec une même partageait légitimement le prix fonds de Téhéran, c’est le rôle
d’une caméra à huit objectifs, il ampleur – 183 minutes – et d’interprétation non genré avec d’une hôtesse de l’air, interpré-
se présente comme une succes- une exigence esthétique com- Renée Soutendijk, ancienne tée par une autre artiste, Shirin
sion de plans séquences à l’inté- parable – reposant elle aussi égér ie de Paul Verhoeven Abedinirad, qui permet au ilm
rieur desquels les choix de cadre sur un noir et blanc très hiéra- (Spetters, Le Quatrième Homme), de faire résonner les cris libéra-
ont été faits au moment du tique – que se déplie le second impériale dans le vénéneux teurs qui électrisent son inal.
montage, en suivant le regard du volet de Nuit obscure de Sylvain Sweet Dreams d’Ena Sendijarevic, Dans ce contexte de furie
cinéaste explorant ses rushs avec George, titré Au revoir ici, n’im- qui voit l’univers colonial indo- et de fureur, c’est à des ilms –
des lunettes 3D. D’un segment porte où (après Feuillets sauvages nésien des Pays-Bas s’efondrer souvent francophones – issus
à l’autre se joue le plus souvent en 2022). Le documentaire se à mesure que se démasque la d’autres sélections qu’est reve-
nue la mission de présenter un
cinéma plus serein. La révé-
lation de l’opus ultime d’un
© UN PUMA/REDIANC
City, la directrice artistique la cinéaste met en place un la société indienne réserve aux de plaisir tout en étant déni-
Palacios Cruz propo- espace de parole où quelques femmes, tant chacune s’avé- grés par ceux-là même qui en
sait deux sections thématiques femmes d’horizons différents rait victime de maltraitances font usage. La cinéaste explore
gigognes : «The Invisible Self », échangent sur le plaisir et la familiales. L’histoire de Shanta, d’autres paradoxes encore, en
élaborée par Shai Heredia, sexualité, façon de ne pas laisser enceinte pour la première fois filmant la famille d’un des
pouvant être perçue comme le monopole des représentations à 12 ans, endeuillée par la mort clients du club. Les paroles
une prolongation de « No à leurs ennemis. Dans le tran- prématurée d’un ils, méprisée de son épouse per mettent
Master Territories », conçue chant Eyes of Stone (1990), Nilita par son mari, est à la fois hal- de confirmer l’hypothèse de
avec Er ika Balsom et Hila Vachani fait l’économie de tout lucinante et tristement banale. Rekha : tandis qu’elle rêve d’un
Peleg et reprenant une partie commentaire devant les crises Poussée dans ses retranche- mariage qui lui offrirait une
des ilms passionnants montrés de Shanta, que la jeune femme ments psychiques, elle semble place respectable dans la société,
dans leur exposition du même estime dues à sa possession trouver dans la transe un mode la mère au foyer rêve d’indé-
nom, présentée l’an dernier à par un esprit. Fragile le reste d’expression que l’ordre social pendance, seul privilège des
la Haus der Kulturen der Welt du temps, elle se rend tous les lui interdit. Dans India Cabaret danseuses. Frappe la continuité
de Berlin (voir Cahiers no 800). week-ends dans un temple du (1985), Mira Nair donne la entre les expériences décrites
Comme cette programmation, Rajasthan où la déesse invoquée parole aux danseuses d’un club dans les diférents ilms, et un
qui revisitait le cinéma mon- dans ses transes doit l’aider à se érotique de Mumbai qui ont arrière-plan patriarcal dramati-
dial sous l’angle féminin et libérer. La réalisatrice expliquera fui des situations familiales quement semblable ; peut-être
évacuait pour ce faire le for- après la projection avoir rencon- intenables pour trouver ici un Shanta décidera-t-elle un jour
mat surexposé du long métrage tré plusieurs femmes ainsi possé- moyen de subsistance. Rekha et d’abandonner sa famille pour
de iction, les quatre ilms de dées et avoir compris que ilmer Rosy expriment éloquemment devenir danseuse de cabaret.
cinéastes indiennes rassemblés n’importe laquelle d’entre elles en quoi leurs corps sont utilisés Olivia Cooper-Hadjian
par Shai Heredia inscrivaient
les expériences singulières de
leurs protagonistes dans un
contexte à la fois idéologique
et socioéconomique. Something
Like a War de Deepa Dhanraj
(1991) souligne la convergence
de l’oppression des femmes et
celle des castes /classes défavori-
sées en mettant en lumière une
politique inhumaine de contrôle
des naissances. Les vasectomies
forcées ayant rencontré une
résistance, ce sont désormais
les femmes qui sont visées par
les pouvoirs publics ain d’obte-
nir une baisse drastique de la
natalité. La cinéaste confronte
les observations de terrain et
les contre-vérités qui y sont
formulées à des entretiens avec
quelques-unes des millions de
femmes victimes de cette poli-
tique. Comble de l’horreur :
les ligatures des trompes qu’un
gynécologue se vante de réaliser
à la chaîne en 45 secondes sans
anesthésie sur des femmes sou-
mises à des mesures d’incitation
trompeuses et aux injonctions
contradictoires d’un système
reposant sur leur capacité à
produire des garçons en bonne India Cabaret de Mira Nair (1985).
FESTIVAL. Démarrée sous la canicule et refermée sous les trombes d’eau, du récit d’un couple à un autre,
la 35e édition des États généraux du documentaire de Lussas a ofert son questionne la diicile concilia-
lot de sensations et de découvertes. Deux nouvelles programmatrices, tion entre l’engagement social et
Saia Benhaïm et Dounia Bovet-Wolteche, dirigent désormais la section le bonheur intime.
« Expériences du regard », consacrée aux ilms produits dans l’année. Présentée lors des séances
« Une histoire de production »,
Ulongensonilsàpère.
qui caresse la peau de
Un autre qui s’al-
ses côtés. Au moment
Moins épuré, Je reviens dans cinq
minutes de Fantazio et Frédéric
Mainçon déjoue vite la fausse
et la décolonisation du Congo.
Mais s’il tranche avec l’esthétique
« cinéma-direct » de Coconut Head
du Yoknapatawpha, territoire
inventé par Faulkner. Le film
singe la démarche historienne en
où l’âge ou la maladie menacent piste du portrait d’un ancien Generation et son immersion substituant à un passé disparu un
d’emporter un proche, on pour- résistant nonagénaire pour s’ou- dans les soubresauts contempo- référent ictif : c’est ainsi qu’aux
rait penser que ilmer ofre un vrir à des décentrements vers le rains, Kassanda reste résolument paysages du Vieux Continent se
moyen de solder les désaccords ils. Le montage acte à la fois les tourné vers le présent et, jusqu’à superposent des lieux d’étape
passés et de combler la distance. échappées et l’attachement d’un un plan réunissant sa grand-mère de l’épopée du romancier rela-
La section « Expériences du irrésistible duo chez qui le goût et sa ille, conjugue mise en récit tant l’accaparement des terres
regard » réunissait cependant des mots dépasse l’opposition des personnelle et transmission. indiennes par des familles de
deux films construits autour caractères. Les rires et l’émotion Autour de la relation amoureuse pionniers. Risqué, le pari se
de la relation père-ils dans les- de la salle l’ont prouvé : qu’im- entre un chef des Farc et une révèle réussi, assumant la facticité,
quels la tendresse et le partage portent les images opaques et femme trans, Transfariana capte restant ouvert au réel sans forcer
du cadre vont de pair avec une les structures bancales, il y a des la façon dont l’alliance de deux les articulations (le parcours est
parole qui résiste, peine à advenir, ilms qui, en perdant leur centre, communautés a priori bien dis- ponctué de portraits d’habi-
le cinéma y étant d’abord une aichent leur cœur. tinctes perturbe le cadre d’une tants impossibles à rabattre sur
façon de mesurer les écarts et En interrogeant ses grands- société colombienne conserva- la iction), tout en échappant à
de composer avec eux. Dans Les parents et en organisant le trice et politiquement verrouil- l’arbitraire. Une énergie ludique
Yeux ouverts, Jofroy Faure saisit va-et-vient de leurs paroles et lée. Le film écarte le soupçon émane de cette opération qui
le corps et le visage de son père des archives, Alain Kassanda d’artiicialité d’un montage qui dédouble le regard et qui, d’une
à travers de longs plans atten- accomplit avec Colette et Justin entremêle les lignes narratives rivière à une zone industrielle,
tifs, cernés de noirs et de blancs un double mouvement. La plon- pour atteindre un sentiment révèle par l’infusion du réel et de
profonds qui marquent autant gée dans la mémoire des aïeux organique et ouvrir un espace l’imaginaire un troisième terme
un tourment intérieur qu’une met en lumière les mécanismes à la fois politique et sensible. enfoui : la fabrique capitaliste du
part d’insaisissable, la recherche de domination et de division Joris Lachaise montre les forces territoire. Un comté apocryphe, du
de contact se transportant dans des genres et des communautés de ses personnages sans édiier documentaire trois en un.
un mouvement vers la nature. qui ont marqué la colonisation d’icônes et, en dérivant au fil Romain Lefebvre
© TIM BURTON
Ci-dessus et pages suivantes : dessins de Tim Burton issus de l’exposition The World of Tim Burton au Museo Nazionale del Cinema de Turin.
ENTRETIEN. Alors que le Musée national du cinéma de Turin accueille l’exposition The World of Tim Burton,
l’auteur continue d’osciller entre le centre et la marge d’Hollywood.
en papier. Ce personnage peut dans un carnet et je n’ai aucun Au mieux, ils témoignent de lorsque c’est vous qui êtes imité,
être le point d’un départ d’un plaisir à dessiner sur tablette. l’approche conceptuelle que je peux vous dire que c’est lip-
blockbuster à 200 millions, ou J’aime le dessin comme activité j’ai du personnage, ses failles, pant. Ça m’a rappelé ce qu’on
juste rester à l’état de croquis lente, parfois fastidieuse, mais ses pouvoirs singuliers, etc. Il dit dans certaines cultures : il ne
et se suire à lui-même comme dans laquelle on plonge comme n’empêche que je fais un peu faut pas se laisser photographier,
œuvre d’art. En décomposant les dans une séance de méditation des deux : dans certains cas je car l’appareil capture votre âme.
procédés complexes du cinéma zen. Cet état méditatif est plus pars d’une image très spéciique L’IA, c’est la version extrême de
sous for me d’une suite de important que la précision du et minutieusement élaborée, ce hold-up spirituel. Certains
micro-trouvailles préparatoires, trait vendue par le logiciel. alors que dans d’autres projets portraits étaient plutôt bons et
j’essaie de prouver qu’un ilm Enin, il faut de tout pour faire l’esquisse initiale fait trop car- « inspirés », si je puis dire ; mais
peut être aussi simple qu’un un monde : si vous savez animer toon, trop brouillon farfelu pour le seul sentiment que je retiens,
dessin d’enfant. L’idée est que un super ilm entièrement sur qu’elle puisse être comprise par c’est que l’IA a aspiré un poten-
le public sorte de là en se disant iPad, pourquoi pas. Moi, je ne d’autres personnes. Alors, elle me tiel qui m’appartenait. Un robot
que tout est possible, qu’il existe me penche sur le numérique sert simplement à fixer mon a préempté mon âme. C’est
mille façons de concrétiser une qu’en post-production. humeur dans une direction ou d’autant plus dérangeant que le
idée. On est loin de la méthode une autre. résultat est étonnamment bon :
traditionnelle : écrire un synop- Indépendamment de la technique, je suis battu sur mon propre ter-
sis, puis une continuité, ensuite les artisans du blockbuster de L’IA se trouve au centre des rain, il faut l’admettre.
stor yboarder comme une votre génération se sont toujours préoccupations des grévistes à
machine, etc. divisés en deux catégories : là où Hollywood. Est-ce aussi un sujet Et d’autant plus ironique que vous
un Cameron commence par se d’inquiétude pour vous qui restez êtes de toute façon un enfant de
C’est aussi une manière de lancer lui-même dans des dessins attaché au dessin manuel, ou bien y Disney, qui a fait ses armes au sein
convoquer une tradition du cinéma d’une précision extrême avant voyez-vous un potentiel créatif ? du studio et a ini par y revenir.
d’animation datant d’avant l’ère même d’achever un scénario, un Je peux vous en parler très spéci- Oui, c’est pour cela que l’im-
numérique ? Zemeckis laisse l’univers prendre iquement parce que le sujet m’a pression d’être volé est encore
Je n’ai pas de point de vue forme en fonction d’un texte déjà obsédé ces derniers temps. On plus grande quand je vois « ma »
particulier sur le numérique, peauiné et des propositions de ses m’a envoyé un article trouvé sur version de Blanche-Neige auto-
ou sur les images de synthèse. collaborateurs. internet qui recensait des images générée. Je viens de chez Disney,
Tout simplement parce que je J’appartiens bizarrement aux faites par un logiciel d’IA : «Voilà j’ai déjà fait ma version person-
ne connais pas les ordinateurs ! deux familles. D’un côté, ayant à quoi ressembleraient les grands nelle de cette princesse mille
Je n’ai pas grandi avec eux. On commencé dans l’animation, j’ai héros Disney si Tim Burton fois dans ma carrière. Dans Les
s’imagine qu’un jour j’ai tourné appris à tout storyboarder. Mais avait réalisé chaque ilm. » J’en Noces funèbres, par exemple… Pas
le dos aux marionnettes et bas- j’ai vite cessé de m’embarrasser suis resté comme deux ronds besoin de m’imiter : tout ce que
culé dans les effets spéciaux avec ça, car mes dessins sont nuls de lan, à contempler tous ces ça produit, c’est l’impression que
modernes par adhésion. Mais en tant que storyboards prêts portraits, et le sentiment que j’ai le vieux Disney et moi avons eu
c’est le cinéma en général qui à l’emploi : ils ne rendent pas éprouvé est diicile à décrire. un bébé mutant. Une drôle de
est devenu numérique, pas moi. un mouvement précis, ils tra- On peut théoriser sur l’IA ou suite du Monstre est vivant, si vous
Je continue à prendre des notes duisent plutôt un état d’esprit. débattre tant qu’on veut, mais voulez. Je serais sans doute fan
de l’IA si j’étais étudiant en art
et que grâce à cette technique
je pouvais rendre mes boulots
sans lever le petit doigt. Comme
ce n’est plus le cas, je trouve le
phénomène plutôt terriiant.
UKRAINE. Le collectif Babylon’13 est aujourd’hui l’une des sources les plus précieuses
pour comprendre ce que la guerre fait à la société ukrainienne. Ses nombreux
courts métrages sont visibles sur YouTube (youtube.com/@babylon13ua) et les
réseaux sociaux. Un long, Indépendance de l’Ukraine, sera projeté à Paris le 14 octobre.
Rencontre avec deux de ses cinéastes,Volodymyr Tykhyy, coordinateur principal
de Babylon’13, et Illia Yehorov.
Afirmation de la vie
Babylon’13 est né en 2013 peut parfois permettre d’appro- l’âge, de la condition sociale
dans un contexte de révolution, cher les différentes émotions ou du lieu de vie. Le il direc- Comment avez-vous conçu
avec le projet de faire un que suscite le conlit. C’est le teur est Yaroslav Kendzior, un le montage ?
« cinéma de la société civile ». cas dans les courts métrages ancien député qui a contribué V.T. : Tourner dans différents
Comment cette volonté résiste- avec le photojournaliste japo- à proclamer l’indépendance endroits en même temps nous a
t-elle à la guerre, moins propice nais Shigeki Miyajima, que nous du pays en 1991. Malgré notre notamment permis de faire des
à la pluralité des voix et à la avons accompagné à Irpin au préparation, certains plans ont séquences en montage alterné,
contradiction ? moment de la libération de été mis à mal par les circons- ce qui n’est pas très fréquent
Illia Yehorov : Il y a une forme la ville. Il était bouleversé par tances. À Mykolaïv, nous avions dans le cinéma documentaire.
de continuité entre la naissance l’ampleur des destructions. par exemple envie de montrer Nous voyons ainsi les agents
d’une véritable société civile en comment le tramway amène responsables de la transmis-
2013-2014 durant l’occupation Vous vous tenez à distance de l’État de l’eau potable aux habitants, sion des alertes aériennes et les
de la place Maïdan, et ce que et du pouvoir. Pour ne prendre mais cela n’a pas pu se faire en conséquences que celles-ci ont
nous vivons depuis l’invasion à qu’un exemple, il est extrêmement raison des multiples alertes et pour la vie des soldats ou des
grande échelle de février 2022. rare que le nom du président du durcissement des mesures civils. Même si la situation est
Les citoyens qui se sont bat- Volodymyr Zelenski soit mentionné. de sécurité. Les autorités locales dramatique, on peut appeler cela
tus pour la démocratie se sont V.T. : Effectivement. Mais déjà ont en efet décidé ce jour-là une « chance artistique ».
engagés dans des actions de durant Maïdan, nous ne cher- d’étendre le couvre-feu. Les I.Y. : En découvrant le film
bénévolat, ou ont rejoint l’ar- chions pas à montrer les repré- militaires avec qui nous étions achevé, j’ai été saisi par son
mée pour défendre les mêmes sentants politiques. Ce qui en contact ont alors proposé de humour. Malgré la peur, nous
valeurs. Et nous, nous avons n’empêche pas nos ilms d’avoir rejoindre la ligne de front. C’est trouvons la force de ne pas être
continué à les suivre. une visée politique. ce qui nous a permis d’avoir ces seulement dans la position de
Volodymyr Tykhyy : Nous vou- séquences avec les soldats dans victimes, et cela passe en partie
lons évidemment tous que la Comment le tournage la petite tranchée, qui attendent par cette façon d’entrelacer les
Russie quitte l’Ukraine le plus d’Indépendance de l’Ukraine la in des bombardements russes. scènes.
vite possible. En même temps, s’est-il organisé ? De façon générale, nous nous V.T : Oui, c’est une tragi-comé-
il nous importe de décrire la V.T. : Tout a été tourné le 24 août sommes attachés à l’inscription die.Yaroslav Kendzior est habi-
réalité avec nuances. Nous il- 2022, le jour de l’Indépendance. de la guerre dans le quotidien – tué aux plateaux de télévision,
mons donc la vie quotidienne Nous voulions représenter la avec ce que cela implique de mais nous avons décidé de le
des gens, avec leurs problèmes population dans sa diversité, tension, mais aussi d’attente et montrer dans son intimité, en
concrets. Un personnage pivot que ce soit du point de vue de de banalité. train de se préparer à un entre-
tien. Seul dans son salon, il
ajuste son téléphone portable,
la lumière. Ce sont des moments
creux, un peu décalés par rap-
port à son image oicielle. Il y a
aussi quelque chose de touchant
dans cette attente, et le fait que
ces interviews sont sans cesse
interrompues par les alertes. La
première a eu lieu à Kyiv, devant
un public jeune qui a beaucoup
ri. Pour eux, le ilm était une
airmation de la vie.
EXPOSITION. Sous le titre El ojo que miente, Érik Bullot et Francisca García ont conçu, de Salvador Allende s’y trouve
entre mars et septembre derniers à Santiago du Chili, une reconstruction rêvée des dénouée à travers de courts récits
installations de Raoul Ruiz. De son côté, le Centre Pompidou présente le 4 octobre caustiques sur l’alliance de for-
une programmation de ilms d’exposition tournés par le cinéaste au début des tune entre le lumpen prolétariat
années 80 et restés invisibles jusqu’à présent. et la bourgeoisie intellectuelle.
À mi-chemin entre
Ldansa2001,
veille du 11 septembre
Raoul Ruiz note
son journal : « J’ai ilmé des
du coup d’État du 11 septembre
1973 s’avère donc singulière : à la
fois centrale, car la redécouverte
proliique, mais son ilm Palomita
blanca, fable douce-amère sur les
amours de deux jeunes gens que
ice, un surréalisme baroque et
un certain pessimisme politique.
Les films à tiroirs du cinéaste,
objets (des boîtes de conserve ache- et la restauration d’un certain leurs origines sociales et leurs tournés dans un artisanat poé-
tées hier) avec CNN comme fond. nombre de ilms de sa période opinions politiques opposent, tique, ne sont pourtant pas des
Telles des apparitions.» À l’image chilienne ont récemment enrichi dont la sortie était prévue le récits sans ligne claire. Mais
de ce curieux montage d’objets la trame déjà complexe d’une 18 septembre de cette année- l’intrigue s’y attache moins au
usuels sur fond d’actualités télé- œuvre qui s’est déployée dans là, ne plaît pas aux femmes des destin des personnages qu’à ce
visées, entremêlant l’intimité la toutes les directions (pour le généraux et reste invisible pen- qu’on pourrait appeler la vie des
plus banale au lux continu de cinéma mais aussi la télévision, dant vingt ans. Celui qu’il tourne objets. Dans un article de 1978
la politique mondiale, tous les le théâtre et le musée), et déca- en arrivant à Paris, un Dialogue (Cahiers nº 287), Ruiz suggère
ilms du Chilien entretiennent lée, parce que Ruiz ne saurait d’exilés (1974), inspiré par un lui-même d’envisager autrement
un rapport inactuel à l’actua- se poser en austère chroniqueur autre exilé1, Bertolt Brecht, est les rapports de hiérarchie dans
lité, « telles des apparitions » donc, des événements, sa vision le por- jugé trop critique par ses com- l’espace du cadre entre les êtres
entre aberrations surréalistes, tant toujours à considérer les patriotes réfugiés qui attendent et les choses. « Certains objets,
« revenances de l’histoire » et iro- choses depuis une perspective un cinéma militant plus exaltant observe-t-il, luttent pour émerger
nie mélancolique. La place de improbable. et moins sarcastique. C’est que de la toile de fond. » La fable du
Ruiz dans le paysage mémoriel Au moment de son exil Ruiz entretient un goût délicat ilm n’est jamais que le jeu de
du cinquantième anniversaire en 1973, Ruiz est un cinéaste pour la satire et le paradoxe qui relations imaginaires qui s’éta-
s’accorde mal au monolithisme blit entre ces objets. Aussi le récit
ascétique des drames histo- peut-il prendre la tangente au
COLLECTION FLORENCE ÉVRARD/DR
Atelier mené par Raoul Ruiz (au milieu, assis) lors du Festival d’Avignon en 1993. El realismo socialista de Raoul Ruiz et Valeria Sarmiento (1973-2023).
Vue de l’exposition Raúl Ruiz : el ojo que miente, au Musée de la Solidarité Salvador-Allende, Santiago du Chili, 2023.
García ont envisagé les installa- qui l’a amené, depuis la rédaction
tions réalisées par Ruiz entre de l’article des Cahiers, à réali-
1990 et 1996 comme un labo- ser deux « catalogues ilmés » au
ratoire cinématographique redé- début des années 1980 à l’invita-
ployé dans l’espace du musée. tion du Centre Pompidou. Il n’a
Leur exposition El ojo que achevé que le premier, Pages d’un
miente (l’œil qui ment, inspiré catalogue (38 min.), sur l’exposi-
par le titre d’un ilm de Ruiz de tion « Salvador Dalí » en 1979.
1993) au Musée de la solidarité Le second, entamé en 1981 en
Salvador-Allende à Santiago du miroir de l’exposition « Öyvind
Chili, invente un réseau d’ai- Fahlström », est resté inachevé.
nités entre cinéma, théâtre et Découverts récemment au sein
musée en reconstituant les ins- des archives audiovisuelles du
tallations du cinéaste à partir Centre Pompidou, ces ilms sont
d’archives lacunaires, retrouvées projetés le 4 octobre, au cours
au Centre d’art contemporain d’une séance du Laboratoire
d’Ivry ou au Festival d’Avignon. d’histoire permanente du Centre
Les assemblages kafkaïens conçus et de la collection de ilms du Pages d’un catalogue / Salvador Dalí de Raúl Ruiz (1980), produit par le Centre
Georges-Pompidou.
par le cinéaste, entre chambres de Mnam, en présence d’Ér ik
torture et petits théâtres d’objets, Bullot. Leur vision aujourd’hui que Ruiz la pratique. Fahlström, l’installation, la litanie des objets
composent des mondes d’où révèle combien cadre et mon- peintre suédois d’origine brési- aura permis à Ruiz de faire du
tout personnage est désormais tage, au gré d’un jeu d’optique lienne, est aussi lié à l’histoire du cinéma jusque sur une scène
exclu. Si Ruiz investit l’espace ou d’un raccord, opèrent tou- Musée de la solidarité Salvador- de théâtre ou une galerie de
muséal pour y rejouer ses scéno- jours chez Ruiz une métamor- Allende, qui devient « musée en musée, invitant le spectateur à
graphies surréalistes, ce n’est pas phose jubilatoire des formes et exil » après le coup d’État et pratiquer la magie combinatoire
seulement parce que l’époque est des choses. Hasard objectif de sa trouve refuge en 1983 au Centre de ces formes agencées telles des
alors propice aux incursions croi- rencontre avec les univers sur- Pompidou. En exposant les ins- apparitions, convoquant des fan-
sées des cinéastes et des artistes réalistes de Dalí et Fahlström, tallations du cinéaste au Musée tômes oubliés et des récits d’exil.
dans le champ de l’art contem- les perspectives aberrantes de de la solidarité désormais revenu Alice Leroy
porain et du ilm exposé, mais l’un et la théâtralité des objets à Santiago du Chili, El ojo que
au terme d’une quête toute per- de l’autre offrent autant de miente boucle enin la trajectoire 1
Le film est visible sur la plateforme
sonnelle des « relations d’objets » prises à l’association libre telle du cinéaste en exil. Du tableau à de la Cinémathèque française, Henri.
CYCLE. En 1993, Taïwan organisait le premier festival d’Asie dédié aux réalisatrices. De fait, la sélection du Forum
Trente ans plus tard, le Women Make Waves International Film Festival tient le cap des images aborde la coloni-
et vient de fêter son anniversaire au Forum des images à Paris. sation japonaise (Viva Tonal de
Kuo Chen-ti et Chien Weissu,
Dfemmes
u 19 septembre au 8 octobre,
cette sélection intitulée « Les
de Taïwan font des
subit l’installation d’un site de
traitement des déchets nucléaires.
Le regard de Hu Tai-li progresse
inspirant même des initiatives
en Chine continentale dans les
années 2000, son rôle est d’au-
première cinéaste aborigène, fait
écho à cette interrogation dans
Gaga (2022). Si elle observe la
vagues », réunissant trente ilms pas à pas vers l’intimité : une tant plus précieux aujourd’hui disparition de sa culture sous les
et leurs réalisatrices, a permis de fois les touristes taïwanais par- que la relation entre les deux assauts du libéralisme, Mebow
remettre en lumière l’œuvre de tis, avec leur désir de capturer gouvernements est extrêmement refuse pour autant de donner
l’anthropologue et pionnière l’image d’un vieillard vêtu d’une tendue. Selon Huang Yushan, une déinition catégorique du
du cinéma ethnographique Hu simple culotte traditionnelle, la « les réalisatrices chinoises qui « gaga », un ensemble de valeurs
Tai-li (1950-2022). Pour Huang cinéaste intègre le quotidien de veulent témoigner de leur expérience traditionnelles atayales présidant
Yushan, réalisatrice et directrice familles désireuses de partager en tant que femmes sont désormais au respect du territoire d’autrui.
du Women Make Waves, la leur monde sensible. C’est le confrontées à la censure. La création Elle en souligne plutôt la mal-
cinéaste « conjugue point de vue geste essentiel de son cinéma. artistique se doit de reléter la réalité, léabilité, via la condition sine
féminin et rigueur de la recherche Car si Passing Through My Mother- mais elle ne suit pas à modiier le qua non de son application : la
universitaire. En dévoilant des in-Law’s Village (sorti en 1997, il statu quo. Il incombe alors aux festi- nécessité d’un dialogue continu
facettes de la vie taïwanaise souvent s’agit du premier documentaire vals de présenter aux spectateurs une et toujours recommencé, pour
négligées et en voie de disparition, taïwanais à obtenir un succès pluralité de points de vue et de se une écriture à plusieurs mains.
elle touche aux questions d’ethni- commercial notable) nous ren- confronter à des sujets jugés tabous ». Vincent Poli
cité, de modernisation et du conlit seigne sur les mœurs d’un village
ville-campagne ». Au début de bientôt rasé au proit d’une auto-
Voices of Orchid Island (1993), Hu route, Hu Tai-li y rend surtout
Tai-Li et trois hommes abori- compte d’un certain « climat ».
gènes des ethnies Yami et Bunun Des enfants jouant sous un soleil
échangent sur une plage : en couchant, des adultes affairés
confrontant les désirs de chacun dans les vapeurs de la cuisine :
quant à la réalisation du ilm, la autant d’impressions mélanco-
cinéaste expose les ambiguïtés du liques où se conjuguent l’amour
dispositif ethnographique depuis et l’urgence.
sa position d’étrangère. Toile de Si Women Make Waves
fond pour ilms exotiques dans a toujour s été une plate-
les années 1960, l’île de Lanyu for me d’échanges pour les
est alors dans un processus de femmes cinéastes de chaque
« disneylandisation » accélérée et côté du détroit de Taïwan, Voices of Orchid Island de Hu Tai-Li (1993).
AU CINÉMA LE 25 OCTOBRE
JOURNAL
NOUVELLES DU MONDE
ASIE l’enveloppe d’aide annuelle de conditions ne sont pas réunies notamment déclaré à Marie
13 millions de dollars est vouée pour que je poursuive mon Vialle : « Je ne peux pas faire le
L’horreur émerge à doubler chaque année. travail de directeur artistique. » ilm si je ne couche pas avec
Asie du Sud-Est. Alors que le box‑ Dénonçant un « comportement toi. » Le cinéaste de 75 ans,
ofice américain a léchi depuis immoral », une lettre ouverte dont Le Grand Chariot est
le Covid, une enquête du Japan EUROPE a dénoncé dans la foulée sorti le mois dernier, réfute la
Times rapporte une fréquentation l’éviction de Chatrian ; parmi les plupart des accusations mais
accrue dans les salles du Berlin sans direction 300 signataires, de nombreux présente ses excuses à celles
Sud-Est asiatique. En Thaïlande Allemagne. Croyant voir cinéastes tels Martin Scorsese, qu’il aurait heurtées. Aucune
et en Indonésie, le succès des renouveler en 2024 son contrat Apichatpong Weerasethakul, ou plainte n’a été déposée jusqu’à
blockbusters hollywoodiens de directeur artistique de la Claire Denis. présent. Réagissant à l’article
n’entrave pas celui de titres Berlinale, qu’il occupe depuis dans Télérama, la comédienne
locaux, en particulier des 2019 auprès de la DG Mariette Un rapport inlammable Louise Chevillotte a déclaré :
thrillers horriiques à motifs Rissenbeek (qui avait annoncé France. Le 20 septembre « J’ai beaucoup aimé travailler
folkloriques comme Home for partir à l’issue du sien l’année dernier, un rapport de la Cour avec lui et il ne m’est rien arrivé,
Rent et KKN di Desa Penari prochaine), Carlo Chatrian a été des comptes a relancé la mais je suis à 100 % avec les
(meilleur score historique en surpris, le 31 août dernier, par la polémique sur le soutien public actrices qui ont osé parler. Ça
Indonésie derrière Avengers). déclaration de la ministre de la au cinéma français – débat fait partie de tout un système
Dans ces pays, plusieurs Culture Claudia Roth à propos de amorcé par le discours enlammé sexiste et on doit s’y mettre
réseaux de cinéma ouvrent de la gouvernance de l’événement, de Justine Triet à Cannes. toutes et tous ensemble. »
nouveaux écrans par dizaines. évoquant une « conviction que Déplorant que trop de ilms
Si les investisseurs étrangers le festival à la fréquentation ne trouvent pas leur public et Holland dénigrée
prennent le pouls de ce marché publique la plus élevée du que les aides aux ilms étaient Pologne. La cinéaste Agnieszka
en expansion (comme Imax, monde devrait à nouveau trop nombreuses, ce rapport, Holland subit dans son pays
pour qui le Vietnam présente être dirigé par une seule et qui s’est penché sur plus une campagne de dénigrement
des signes d’attractivité), les même personne ». « Dans la d’une décennie (2011-2022) orchestrée par la droite
pouvoirs publics, encouragés nouvelle structure envisagée, de gestion du CNC, appelle à ultraconservatrice. À l’occasion
par les chiffres, suivent aussi écrit Chatrian sur le site de la « une réforme approfondie des de la présentation à Venise
le mouvement. En Indonésie, Berlinale, il est clair que les aides » au cinéma, jugées trop de The Green Border (Prix
nombreuses (une centaine) et du Jury), qui relate le voyage
trop complexes. Soulignant le heurté d’une famille syrienne
manque de rentabilité des ilms vers la Suède, elle a essuyé
subventionnés (seulement 2 % une série d’insultes de la part
14e FESTIVAL des ilms soutenus par l’avance du gouvernement, allant de
INTERNATIONAL sur recettes sont rentabilisés l’antisémitisme à l’accusation
DU FILM en salle, selon les calculs de de nazisme et de stalinisme.
DE LA ROCHE-SUR-YON la Cour), le premier président
de la Cour, Pierre Moscovici, 20 jours à Marioupol
a déclaré qu’il n’était pas aux Oscars
question « de préconiser qu’il Ukraine. Le comité chargé de
y ait moins de ilms, mais de choisir le ilm ukrainien soumis
faire en sorte qu’il y ait moins aux Oscars 2024 a désigné
de ilms qui ne rencontrent pas 20 jours à Marioupol, réalisé
leur public ». Le gouvernement par le correspondant de guerre,
a logiquement abondé dans photographe, vidéaste et écrivain
le sens de la Cour. Il faudra ukrainien Mstyslav Chernov en
« corriger les soutiens du CNC coopération avec le photographe
dont l’eficacité n’apparaît Evgeniy Maloletka et la
pas probante », a notamment productrice et journaliste Vasilisa
déclaré Élisabeth Borne. Stepanenko. « Nous sommes
arrivés à Marioupol juste une
Garrel mis en cause heure avant l’invasion. Pendant
France. Cinq comédiennes (Anna vingt jours, nous avons vécu avec
Mouglalis, Clotilde Hesme, des ambulanciers dans le sous-
Marie Vialle, Laurence Cordier sol de l’hôpital et dans des abris
et une anonyme) dénoncent des avec des citoyens ordinaires,
comportements inappropriés essayant de montrer la peur
de la part du cinéaste Philippe dans laquelle les Ukrainiens
Garrel. Selon une enquête vivaient », a expliqué Maloletka.
de Mediapart, celui-ci aurait Vincent Malausa
DISPARITIONS
Axel Bogousslavsky courants cinématographiques génie, Panilov réalisera surtout enseignante, programmatrice
Axel Bogousslavsky était ouvrier internationaux (Italie, Angleterre, des adaptations : Valentina et correspondante pour des
chez Renault lorsqu’il devint Pologne, Canada, Hongrie, (1981), d’après une pièce de festivals (San Sebastián, la
l’ami de Jean Mascolo, le ils de États‑Unis, Allemagne…). Ce Vampilov, Vassa (1983) et La Viennale), elle était une grande
Marguerite Duras. Cette dernière fervent défenseur des ciné‑ Mère (1990) d’après Maxime connaisseuse du cinéma
le présente à Claude Régy en clubs fut aussi très impliqué Gorki, Innocents coupables d’avant‑garde et indépendant
1977 pour sa mise en scène dans la création de la revue d’après Ostrovski, Cercle premier américain. Son autre passion
de L’Eden Cinéma, et c’est le Jeune cinéma, bimestriel (2006) et Une journée d’Ivan était le cinéma chinois, auquel
début d’une très importante et lié à la Fédération des ciné‑ Denissovitch (2021) d’après elle consacra un ouvrage,
singulière carrière au théâtre. clubs de jeunes et dans Alexandre Soljenitsyne. Nouvelles Chines, nouveaux
Au cinéma, Bogousslavsky lequel il écrivit jusqu’à il y cinémas, publié aux éditions
apparaît pour la première fois a peu. Il fut également l’un Bérénice Reynaud des Cahiers du cinéma (1999),
dans Le Retour de Martin des fondateurs de l’institut Collaboratrice des Cahiers ainsi qu’une étude sur La Cité
Guerre de Daniel Vigne (1982), Lumière en 1982. On lui du cinéma de 1985 à 2005, des douleurs d’Hou Hsiao‑hsien
cinéaste qu’il retrouve dans doit notamment des ouvrages Bérénice Reynaud fut longtemps (BFI, 2002). Elle fut également
Une femme ou deux (1985). importants sur les frères l’une des correspondantes la responsable de la vaste
Mais surtout, Duras a le coup Lumière et Jacques Prévert. Il de la revue aux États‑Unis, programmation consacrée au
de génie de l’engager pour est mort le 25 août à 92 ans. où elle avait étudié avant d’y cinéma chinois contemporain
jouer le rôle d’Ernesto dans Les enseigner, principalement au à la Cinémathèque française
Enfants (1985). Malgré ses Gleb Panilov California Institute of the Arts. en 2017. Elle collabora aussi
presque 50 ans, son physique Le cinéaste russe Gleb Elle publia aussi des textes à d’importantes publications,
frêle, sa petite taille, ce regard Panilov, mort le 26 août à dans de très nombreuses revues programmations ou expositions
toujours ailleurs, ce visage que l’âge de 89 ans, avait débuté du monde entier, dont Film sur des femmes cinéastes –
Duras comparait à celui de à la télévision en 1959 avant Comment (USA), Sight and Chantal Akerman, Yvonne Rainer,
Stan Laurel, sa voix aiguë et de réaliser son premier long Sound (Royaume‑Uni), Senses Barbara Loden… –, et sur les
sa diction candide le rendent métrage pour le cinéma en of Cinema (Australie), Cinema théories féministes au cinéma.
absolument crédible dans ce 1967 : Il n’y a pas de gué dans Scope (Canada), Nosferatu Bérénice Reynaud est morte
rôle d’un enfant de 7 ans qui le feu. Inna Tchourikova, qui (Espagne), Cinemaya (Inde). le 17 septembre, à 70 ans.
refuse d’aller à l’école parce y interprète le rôle principal, À la fois journaliste, critique, Marcos Uzal
qu’il y apprend des choses celui d’une inirmière et
qu’il ne sait pas. Rare au peintre amatrice confrontée
cinéma, on le retrouva ensuite aux horreurs de la guerre civile
dans Mon cas de Manoel de russe, sera l’actrice fétiche et 1 0 1 8 @filmfestamiens
La rage du tigre
Entretien avec John McTiernan
par Yal Sadat
John McTiernan lors de la projection de Piège de cristal au Festival international du film fantastique de Neuchâtel, en juillet 2023.
socioéconomiques : elle est prête à pendre sur la place publique protagoniste sans avoir accès aux détails sociologiques. Pas
les managers d’une société de prêts sur salaire. J’ai des scrupules besoin : un corps se tenait en face de vous et projetait son inté-
à justiier la violence d’une vengeuse, même si le personnage riorité sur l’écran. C’est comme l’obsession des genres et des
renverse l’idéologie droitière de ce type d’intrigues – déjà, après codes : du bla-bla théorique. À moins de brouiller les attentes,
À la poursuite d’Octobre rouge, Tom Clancy, l’auteur du roman, comme j’aurais voulu le faire avec Predator, qui n’aurait pas dû
voulait me conier une histoire de justicier dans le monde démarrer avec le premier plan dans l’espace car il colle l’éti-
politico-inancier ; la in impliquait que le héros avait raison de quette « SF » ; il aurait fallu le faire débuter comme un récit de
tuer, donc j’avais décliné. N’évoquons pas le troisième projet, guerre hyperréaliste, avec ces soldats couverts de sueur et de
je suis superstitieux : il suit d’en parler pour que ça capote ! boue, avant que soudain les personnages ne s’aperçoivent qu’ils
sont dans un ilm de SF !
Est-ce pour rester un auteur intransigeant que vous vous concentrez
sur l’écriture ? Votre opposition aux règles littéraires rappelle un motif récurrent
Il faut se débrouiller avec sa propre plume, car il y a simplement chez vous : les ruses sournoises du verbe. C’est l’enjeu du
moins de bons scénarios. Ou alors ils reviennent tous à Steven Treizième Guerrier, où un chef viking découvre l’écriture au contact
Spielberg. Et ce qui s’écrit me semble orienté à outrance vers d’un poète arabe : « Tu dessines des sons », résume le viking. Votre style
les personnages : on mise sur des proils, des punchlines, une ne consiste-t-il pas à « dessiner » l’action plutôt qu’à l’écrire,
exposition sociale, et basta. Parmi les executives, plus personne pour résister aux pièges de la langue ?
ne vient du cinéma. Ne reste que le fric des argentiers qui Oui, j’utilise les mots mais leur préfère les images et les sons.
engagent de jeunes conseillers sortis des meilleures facs de Dès l’enfance, on m’a emmené à l’opéra. Je ne comprenais
lettres, appliquant leurs cours de « développement de person- pas un traître mot ! J’étais guidé par des sons, et s’ils allaient
nages » et autres principes littéraires qui ont peu à voir avec le avec la vision scénique, avec l’émotion qu’elle fait passer, ça
cinéma. Ils évaluent les œuvres comme on note un cursus de fonctionnait. Ma façon de réaliser hérite de ce principe, si bien
littérature anglaise. Autrefois, les ilms reposaient sur les acteurs : que, parfois, une prise me semble bonne parce qu’elle sonne
leur incarnation faisait qu’en deux minutes on connaissait le bien ; puis les scriptes m’informent que le texte a été massacré
Predator (1987).
Le personnage de Bruce Willis n’a pas de thème musical, comme si vous On en revient à cette foi dans le regard plutôt que dans le langage.
vous méiiez des hymnes. Dans Octobre rouge et Le Treizième Guerrier, les différences langagières
C’est une afaire de dramaturgie, mais aussi d’idéologie : on conduisent à la guerre mais, en cours de séquence, les protagonistes
voulait éviter toute notion de super-héroïsme et de natio- se mettent à parler la langue de l’ennemi supposé – le Soviétique
nalisme chez McClane. Je suis d’une génération qui a tiré la passe à l’anglais, l’Arabe passe au norrois – comme pour défendre
leçon du Vietnam : « Le patriotisme est le dernier refuge du scélérat » une sorte d’universalité.
(citation de l’intellectuel britannique Samuel Johnson, ndlr). L’idée Je me suis inspiré de Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer :
était que McClane soit vulnérable, et supérieur uniquement Maximilian Schell parle allemand, s’interrompt pour reprendre
au sens où il ne renonce pas à ce dont il dispose : du courage, sa respiration, puis continue en anglais. C’est vrai que ces ilms
un attribut mental, abstrait, qu’on ne peut iger dans un thème. portent sur la langue, vectrice d’idéologies belliqueuses et qui
Il n’y aucun surhomme en McClane, même s’il est supérieur marque des frontières entre les cultures. Il faut démythiier ces
en bonté de cœur. frontières. Je crois à l’avènement futur d’une langue commune
universelle. Je viens de la démocratie rooseveltienne : mon
Vous avez été également pionnier en matière arrière-grand-mère était une apparatchik du Parti démocrate
d’utilisation des effets numériques, mais en vous efforçant et de Roosevelt quand il était gouverneur de l’État de New
de les rendre indétectables. York. Cette famille était innervée par une idéologie améri-
Oui, car on promet au public de lui montrer quelque chose caine progressiste, selon laquelle les conlits peuvent se résoudre
qui s’est vraiment produit. « Ce type a vraiment fait ça ! » Si le sans assassinat.
trucage se voit, la crédulité est suspendue et le ilm s’envisage
comme un album illustré. L’IA permet un dessin très réaliste, C’est pourquoi l’ennemi se contourne plus qu’il ne se combat
mais c’est un dessin quand même. Les efets qu’elle ofre ne dans vos ilms, lorsqu’il n’est pas autre chose qu’un subterfuge ?
sont pas divertissants en soi. Le spectateur veut être dupé : il Oui. Piège de cristal devait se concentrer sur l’élimination des
faut lui cacher l’intervention de l’ordinateur. terroristes, mais je ne trouvais pas le terrorisme divertissant.
Predator m’avait donné un peu de crédibilité, et le producteur
N’est-il pas contradictoire de viser à la fois la distance ironique Joel Silver était courageux, alors j’ai dit : « On pourrait transformer
dont vous parliez et le sentiment que les exploits épiques les ennemis en cambrioleurs qui se font passer pour des terroristes, car les
« se produisent vraiment » ? ilms de casse ont une nature joyeuse que tout le monde aime, tandis que
(Longue pause de réflexion.) Qu’il s’agisse de faits réels ou le terrorisme international ne recèle aucune joie. » Pourquoi les gens
d’une fable, le narrateur peut trouver l’action amusante, et paieraient une baby-sitter pour pouvoir passer une soirée devant
dire : « Vous n’y croirez jamais ! », mais la mise en scène vous un ilm sans joie ? L’autre option était de faire du personnage de
prouve que si ; la chose s’est bien produite – simplement, elle Bruce un justicier, mais pas le genre qui s’en prend aux ennemis
est observée en train de se produire. Et c’est dans cette nuance parce qu’ils ont une autre origine, religion, ou couleur de peau.
que s’insère le regard critique ou ironique. Ce qui fait qu’on Il s’en prend à ces gens car ils sont des voleurs.
croit à un spectacle d’action, ce n’est pas que le cinéaste sou-
ligne sa nature factice, ou au contraire qu’il fasse oublier son Vous démythiiez les maléices des ennemis de l’Amérique,
regard ; non, c’est précisément qu’il soit observé par l’œil d’un mais aussi ceux de l’armée américaine.
tiers : la caméra. Octobre rouge s’est fait en réaction à l’image de l’armée que le
cinéma véhiculait : des tueurs imbéciles ou psychotiques. Je vou- ai fait cet impensable caravansérail au milieu du désert, où des
lais dire qu’ils pouvaient aussi être clairvoyants et moraux. L’idée individus venus du « vrai monde », c’est-à-dire de l’extérieur de
était donc de faire un ilm de guerre avec peu de fusillades, une L.A., interagissent de façon pernicieuse, jusqu’à la monstruosité.
épopée cérébrale, à l’image des conlits entre nations : la pulsion L’entertainment en est en grande partie responsable. Mais stop : je
guerrière naît dans l’esprit, la guerre se fait d’abord à l’intérieur me fais des ennemis dès que j’ouvre la bouche, alors que j’essaie
de soi, puis entre cerveaux plus qu’entre armées. Pour ce qui de me remettre au travail…
concerne les humains, en tout cas. Les coups de grife, c’est
bon pour les combats de tigres. J’aime l’idée de m’être adressé Dans Nomads, qui a pour héros un anthropologue, on découvre en effet
à la jeunesse américaine : « C’est par l’esprit et non les armes une terre maléique, mais la notion d’ennemi est déjà sujette à caution.
que vous comprendrez comment marche le monde ». Octobre C’est peut-être la clé de mes ilms suivants. Cela dit, il existe des
rouge met en avant une igure considérée comme une des plus êtres humains qui sont bel et bien mauvais, des groupes cultu-
nobles de la nation, le directeur de la CIA – l’Amiral James rels réellement maléiques. En Occident, ils proviennent de la
Greer dans le ilm. J’ai conié le rôle à James Earl Jones. Il n’y Scandinavie médiévale, où un petit pourcentage d’hommes, au
avait pas d’amiraux noirs à l’époque, et la presse s’est moquée : lieu de reprendre la ferme familiale ou de commencer une nou-
© 1987 20TH CENTURY FOX FILM CORP.
« Ça n’existe pas ». Il est sûr que ça n’existera pas tant qu’on ne velle vie dans les fjords, ont traversé les mers pour prendre les
permet pas aux gens de l’imaginer ! Alors il faut inventer, mon- terres des autres par la force. Ce comportement d’envahisseur est
trer qu’un homme noir peut porter l’uniforme à cinq bandes. resté un aspect dominant de cette culture, transmise à l’aristo-
Un jeune Blanc brillant, Alec Baldwin, l’écoute sans se soucier cratie anglaise, qui ensuite l’a emmenée dans le sud esclavagiste
de sa couleur de peau. De même, je suis ier d’avoir fait un ilm des États-Unis, où elle a ini par engendrer ce qui se nomme
dont le héros musulman se trouve sur son tapis de prière devant aujourd’hui le Parti républicain. Ce sont les mêmes personnes.
les Vikings, que ça ne dérange pas. Vous pouvez me traiter de cinglé car j’associe le conservatisme
anglo-saxon avec des événements vieux d’un bon millénaire ;
Peut-on dire que vous avez imposé une sorte d’épopée exempte mais regardez la famille royale, et le couronnement qui a eu
d’antagonismes civilisationnels ? lieu récemment : chaque membre de la noblesse anglaise peut
Oui, Une journée en enfer est un buddy movie où les terroristes vous dire ièrement à quel degré il est lié aux responsables de
sont encore des voleurs déguisés. Et Last Action Hero est un la conquête normande. C’est eux qui se connectent à ce vieux
conte à la Cendrillon. Le studio n’y a rien pigé ! Ce n’était passé, pas moi ! Comment s’établissent-ils dans le monde ? Grâce
pourtant pas mon scénario, ils me l’avaient donné, enin, ma à des paperasses énonçant les règles du Monopoly sanglant qu’ils
femme de l’époque me l’avait donné – c’est l’une des choses ont créé, et qui leur donnent tous les droits sur la valeur du
afreuses découvertes au divorce : elle se faisait payer par des travail d’autrui. C’est l’essence du capitalisme. Rien n’a changé,
scénaristes qui lui demandaient de me faire passer un script. sinon que ce système s’entretient aujourd’hui grâce à la tech-
Elle m’avait mis Last Action Hero entre les mains moyennant nologie.Voilà ce qu’est la vraie prédation.
100 000 dollars ! C’est moche de découvrir ça après six ans de
mariage. Hollywood rend les gens monstrueux, je l’ai montré Entretien réalisé par Yal Sadat au NIFFF de Neuchâtel,
en dépeignant Los Angeles dans mon premier ilm, Nomads. J’en le 7 juillet.
Nomads (1986).
Chanson de gestes
M algré deux rétrospectives en 2012, dans des positions invraisemblables. Sans
© SURVIVANCE
au Festival des 3 Continents et à la but déterminé autre que d’explorer et
Cinémathèque française (voir Cahiers de s’éprouver, leurs gestes ne sont pas
nº 683), l’œuvre immense de Shinji ramenés à une pure valeur esthétique,
Sômai, décédé en 2001, n’a, à l’excep- chorégraphique, mais à un déploie-
tion de Typhoon Club en 1985, jamais été ment de leur propre liberté d’action,
distribuée en France. La belle restaura- qui se défait des conduites codiiées de
tion de Déménagement est d’autant plus la famille, de l’école ou de la ville. Si les
un événement. personnages d’enfants furent au centre
À Kyoto, Ren, petite jeune ille, est des plus grands ilms de Sômai, c’est que
témoin du départ de son père du foyer leur imaginaire de l’espace est inini-
familial tandis qu’elle reste vivre avec ment plus riche que celui des adultes. Le
sa mère. Le ilm s’ouvre sur un dîner monde devient un grand support. Une
familial à bas bruit, dans un long plan cloison de l’appartement peut ici servir
séquence tournant lentement autour d’appui (pour faire le poirier), de pro-
d’une table triangulaire œdipienne, aux tection pudique (le split-screen maté-
arêtes coupantes, à la veille du démé- riel d’une scène où Ren sur son lit et
nagement paternel. Le père s’isole dans son père dans l’escalier s’écoutent sans
sa chambre plongée dans la pénombre, se voir) ; un placard devient cachette ou
observe la pluie à travers la fenêtre, sort piège, et les longues perspectives d’un
faire un tour. Peu après, Ren, allongée trottoir semblent engager à y courir de
dans son lit, se relève, ouvre sa fenêtre tout son soule.
devant le panorama humide, tourne Si le divorce des parents de Ren la
dans sa chambre et soudainement, fait conduit, soucieuse et révoltée, sur la
le poirier les pieds au mur. Au lieu de piste accidentée de la maturité, eux
traiter le thème du divorce en drama- régressent vers son statut d’enfant. «Tu
tisant les étapes successives de la sépa- manges toujours aussi mal », dit Ren à son
ration d’un couple face à leur enfant, père dès la première scène, tandis que
Sômai en fera une force climatique qui sa mère, désormais célibataire, rentre
dilate les durées habituelles, étire les complètement saoule du restaurant où
perspectives des lieux autour d’eux, ins- elles ont dîné toutes les deux et se traîne
crit dans chaque mot une sourde réson- par terre. Le divorce, « ça se voit sur ton
nance. Son cinéma a toujours déployé visage », fait remarquer à Ren sa cama-
un tempo déréglé en de longs plans rade de collège, elle-même enfant de
séquence attentifs et tremblants, plus divorcés. La désorganisation de la famille
attentifs aux personnages qu’au récit innerve chacun de ses membres, assiège
général, menés par une caméra qui se aussi leurs gestes.
promène librement, s’arrime à un corps, Moyens sans in, les gestes des per-
l’abandonne au proit d’un autre, bascule sonnages n’induisent pas à voir dans
subtilement à droite ou à gauche, saisit leurs conduites des intentions ou des
le décor sous des angles singuliers, en symboles, mais des façons de mesurer
de subtiles remises en cause du principe l’espace ofert à la liberté de mouve-
de gravitation. ment et au jeu d’approche (désirant,
Dans un plan sidérant de The Friends afectif ou désespéré) qui parcourt les
(1994), un enfant chemine sur une ram- gammes de distances entre soi et l’autre.
barde surplombant un grand carrefour Comme lorsque Ren téléphone à
automobile, tout près de l’aspiration son père tout en l’observant dans son
du vide. Cette rupture de la « distance bureau, ou lorsqu’elle crie à sa mère,
de sécurité » est au cœur du cinéma de dont un pont et une foule la séparent :
Sômai : la liberté de mouvement de sa « Promis, je vais grandir le plus vite pos-
caméra égale celle de ses personnages à sible. » Chaque séquence engage ainsi
qui il est ofert de mal se tenir, d’appré- la mesure physique d’un lien, entre jeu
hender leur environnement immédiat et bagarre. Ren frappe sa camarade de
© RIMINI EDITIONS
La Ballade des sans-espoirs de John Cassavetes (1961)
Rêves à vendre
Utard.neCassavetes
idée brûle dans le cinéma de John
: la hantise qu’il soit trop
Trop tard pour être artiste, trop
l’idée de devenir un cinéaste de stu-
dio – studio qu’il ne connaît alors que
comme acteur. La Paramount l’approche
Shadows – brade son talent pour gagner
sa vie et rumine comment tout cela,
toutes ces petites concessions faites
tard pour aimer, pour réparer sa famille, et, face aux innombrables scénarios que chaque jour, pourrait finir : « Tu me vois
pour tout recommencer, pour éduquer le jeune cinéaste propose, un producteur propriétaire d’une salle de billard, Nick ?
son enfant. Il faudrait vériier si tous ses arrête son choix sur le moins onéreux : Imagine, travailler toute sa vie, élever des
ilms ne commencent pas à ce moment Too Late Blues s’appelle encore Dreams enfants, et après… et cinquante ans après,
précis : lorsqu’il est trop tard. Too Late for Sale. Obsédé par sa liberté artistique, on meurt. On raterait la musique, la joie,
Blues, nous dit le titre original de La Cassavetes signe le ilm à la fois comme on raterait tout. »
Ballade des sans-espoirs, traduction joli- coauteur, réalisateur et producteur, ten- Au milieu de ce monde d’hommes
ment surannée. «Trop tard » veut aussi tant de faire vivre l’utopie de l’indépen- alcoolisés scintille Jess Polanski
dire : la nuit. Shadows, Faces, Husbands, dance au sein d’un grand studio – après (Cassavetes voulait Gena Rowlands, ce
Minnie and Moscowitz, Meurtre d’un le désastre du montage d’Un enfant attend sera Stella Stevens), une chanteuse sans
bookmaker chinois, Opening Night, Love (deux ans plus tard), il arrêtera d’y croire. cesse ramenée à son statut de poupée de
Streams : c’est la nuit que ça cogite, que Le petit jazz band de Too Late Blues nuit. Elle se traîne comme un chat dans
ça désespère, la nuit qu’on pense à sa (métaphore de ce qui pourrait être toutes les séquences, et tout le petit gla-
vie en tremblant dans les bras d’incon- une équipe de cinéma) étire la nuit à mour de pacotille dont elle se pare est
nus – dans tous ses ilms, cette même coup de beuveries et de camaraderies, subitement dissous par sa tentative de
puissance vibratoire du visage inconnu joue au billard, traîne dans les night- suicide. On retrouvera la même séquence
qui se livre à nous, désespérément, le clubs à l’afût d’une opportunité pro- dans Faces, l’idée que le cinéma est une
temps d’une nuit blanche. fessionnelle. À la tête de cette troupe longue entreprise de démaquillage de
C’est juste après Shadows, ilm indé- de musiciens, John Wakeield (Bobby la réalité, une longue nuit à traverser et
pendant brûlant d’énergie juvénile, que Darin), surnommé « Ghost », un pianiste dont on ressort absolument vulnérable,
Cassavetes, 30 ans, se laisse tenter par intransigeant qui – comme Hugh dans totalement déshabillé.
© ÉDITIONS MONTPARNASSE
de Shadows, mais vidé de cette énergie
propre au premier ilm : chaque plan s’y
alourdit d’une conscience malheureuse,
d’une fatigue qui ne cessera de croître,
et d’angoisses qui, ici, prennent toute la
place – le cauchemar du conformisme, de
la vie ratée, de la plus petite concession
qui vous fera irrémédiablement basculer
du côté de la mort. L’amour, l’amitié et
le travail collectif comme unique salut
d’une vie. Chaque séquence semble se
rapprocher d’un goufre, d’une impossi-
bilité à faire un ilm classique. Too Late,
aussi, pour être Capra, qui ofrait à ses
humeurs cyclothymiques le repos d’une
forme et de codes narratifs tournés
vers l’optimisme – le happy end moins
comme contrainte imposée par un sys-
tème que comme exigence morale. Dans
ses splendides entretiens avec Ray Carney,
Cassavetes ne parle que de lui : « Personne
ne veut plus rien faire de positif de nos jours,
je veux dire, ce que Frank Capra faisait avec
Monsieur Smith au Sénat.» Cassavetes,
ou Capra arrivé trop tard, tombé dans
la mauvaise époque, tentant de réactiver Viva la muerte de Fernando Arrabal (1971)
un idéalisme au milieu des ruines et du
cynisme urbain.
On met parfois de côté les films
de studio de Cassavetes, ignorant que
Sang de poète
le cinéaste y est incapable de faire un
ilm sans y déposer un autoportrait et
une conjuration des pires versions de
lui-même – finir artiste commercial,
M embre fondateur du mouvement
Panique avec Roland Topor et
Alejandro Jodorowsky, Fernando Arrabal
confusion alternent des souvenirs, sou-
vent traversés de cruauté mais mis en
scène avec calme et sobriété, et des fan-
cynique, prostitué. Chez lui, aucune est déjà un écrivain et un peintre très tasmes morbides et érotiques, œdipiens
posture de cinéaste « pur », mais l’intran- connu lorsqu’il réalise ce premier long ou marqués par une imagerie catho-
quillité comme seul moteur de l’œuvre. métrage inspiré d’une matière auto- lique, ilmés chaotiquement dans une
La Ballade des sans-espoirs est passionnant biographique qui était le sujet de son vidéo saturée et à travers des iltres de
car traversé d’une urgence qu’il peine à premier roman, Baal Babylone (1959). couleurs. Par-delà tout ce qui semble
contenir, d’une liberté d’artiste qui essaye La blessure dont saigne de toutes parts aujourd’hui daté, jusque dans sa vio-
sans cesse de pousser les murs, testant le Viva la muerte (titre qui reprend un slo- lence (interdit en Espagne et en Tunisie,
degré de surplace (insomnie, beuverie, gan franquiste), situé dans l’immédiate le ilm n’obtint son visa d’exploitation
insomnie, discussion) qu’un ilm peut après-guerre civile espagnole, est le en France qu’en 1981) – symbolisme
atteindre. traumatisme fondateur de l’auteur de la frontalement sexuel ou scatologique,
Pirater le ilm de studio, oui, mais sans géniale Lettre au général Franco : la dispa- blasphèmes surréalisants, théâtre action-
tambour ni trompette, et pour raconter rition de son père militaire, arrêté pour niste (impressionnant moment où Núria
précisément cela : la douleur qu’il y a ne pas avoir voulu suivre les rebelles Espert, qui interprète la mère, se roule
à se prostituer, l’illusion de croire que, franquistes, emprisonné puis interné en dans le sang d’un taureau que l’on vient
même en bradant son talent, on garde la hôpital psychiatrique, avant de s’éva- d’abattre, tandis qu’un homme coupe
main sur son destin. Quelqu’un d’autre der sans que personne n’ait jamais su ce les testicules de l’animal…) – demeure
aurait tramé cette histoire d’artistes avec qu’il était advenu de lui. Arrabal a com- l’essentiel : une volonté d’aller au fond
un ilm noir, une histoire de maia. Pour pris que sa mère était liée à son arresta- de l’horreur fasciste et de la façon dont
Cassavetes, rien ne doit nous divertir tion, pour avoir rendu public l’athéisme elle irrigue l’intime et détruit à jamais
d’une poignée d’obsessions humaines et l’antifascisme de son mari, et peut- une enfance. En d’autres termes, Viva
qui contiennent toutes les autres : rater être même empêché sa libération. la muerte montre la naissance d’une
l’amour, rater sa vie, rater son ilm. ■ L’écrivain ne se sert pas du cinéma révolte poétique. ■
Murielle Joudet pour « raconter » cette histoire, mais Marcos Uzal
pour y retrouver des images d’enfance
Combo DVD/BR. Rimini éditions. qui y sont liées. Dans une envoûtante DVD et Blu-ray. Restauration 4K. Éditions Montparnasse.
Uminnequ’elle
jeune violoniste disparaît alors
rentre chez elle par un che-
de traverse. Une voix of lit le rap-
et sans recourir à des dialogues expli-
catifs, Lindsey C. Vickers suggère la
présence terriiante du « petit peuple »,
d’épouvante britanniques. Souhaitons-lui
du succès. Cela pourrait donner l’idée
à un distributeur français de sortir les
port de police, tandis qu’à l’image on ces êtres non-humains que le romancier extraordinaires adaptations de M. R.
voit d’abord la sortie du collège, en Arthur Machen imaginait tapis depuis James que Lawrence Gordon Clark a réa-
plans ixes et larges légèrement décad- des temps immémoriaux au cœur de la lisées pour la BBC dans les années 1970.
rés, puis la disparition, sidérante de bru- campagne anglaise. Scénariste et réalisa- Rêvons. ■
talité. En quelques minutes, avec une teur de The Appointment,Vickers n’adapte Emmanuel Levaufre
grande économie de moyens visuels pas Machen. Il aurait pu s’approcher de Inédit. Sortie le 25 octobre.
Ramener au centre
© SHELLAC
La Gueule que tu mérites de Miguel Gomes (2004).
l’efacement des politiques culturelles, aquarelles évidées du ilm d’animation au contact du continent sud-américain,
car faire exister ces ilms « c’est toujours La Jeune Fille sans mains de Sébastien dans un périple qui vire au mirage ou à
une lutte, souligne le cinéaste Damien Laudenbach), mais aussi s’ouvrir à des l’empoisonnement par le paysage. Dans
Manivel. Lors de notre rencontre sur Un choses plus impalpables, plus atmosphé- Malmkrog, la longueur des plans et les
jeune poète en 2013, on s’est très vite enten- riques et diiciles à mesurer : pulsation mouvements lottants du cadre, combinés
dus sur un système commun, avec un budget rythmique des plans, retenue dans les au déploiement vertigineux de la parole,
réduit et une grande liberté artistique, et déjà gestes des personnages, mise à distance font là encore imploser « l’époque » (la
l’idée de partir sur plusieurs ilms ensemble. Ce de la subjectivité… À chacun sa manière fin du xixe siècle) en confrontant un
qui m’intéressait, c’était de pouvoir vraiment de faire peu, même si, souvent, c’est le groupe d’aristocrates russes aux limites
discuter production, de prendre les problèmes à récit lui-même qui avance à basse inten- du langage. Ailleurs, ce sont des structures
rebours. » Une manière de faire « avec » qui sité, qu’il soit jonché de lacunes comme archétypales, empruntées au western
iniltre aussi la distribution des ilms, par chez Schanelec, ou simplement pris américain (Western de Valeska Grisebach)
exemple ceux de Virgil Vernier, prolongés en tenaille entre un espace clos et une ou à la mythologie antique (le mythe
par des bandes-annonces mystérieuses et parole leuve comme chez Cristi Puiu d’Œdipe dans Music), qui s’insinuent dans
des projections adossées à des concerts. (Malmkrog). Dans Le Parc de Damien les trous du présent. Et puis, dans un autre
La boîte s’est ainsi souvent alignée sur le Manivel, la pudeur adolescente colore genre, certains ilms exhibent crûment
proil de ses auteurs pour semer un peu l’environnement aux alentours, détourne les marqueurs du contemporain, comme
de trouble dans le lux des sorties hebdo- l’attention vers la composition du cadre, Justine Triet dans La Bataille de Solférino,
madaires. « Ce qui est très important pour le tâtonnement subtil des corps dans qui plonge ses personnages au cœur de
nous, appuie Thomas Ordonneau, c’est de l’espace, son relief, ses accidents. Une la foule lors du second tour de la prési-
valoriser la façon dont le ilm s’inscrit dans petite musique formelle, moins liée à des dentielle de 2012, ou Roberto Minervini
le paysage cinématographique au moment où inluences réciproques qu’à une acuité dans son documentaire The Other Side, où
il sort. Est-ce que c’est un ilm qui passe et globale du regard, résonne ainsi d’une la haine vociférée envers Obama signale,
trépasse ? Ou bien un ilm qui s’inscrit dans filmographie à l’autre et participe de à qui en douterait, la place d’un groupe
l’inconscient d’une niche cinéphile, et qui va cette « inscription dans l’inconscient des spec- de paramilitaires texans sur l’échiquier
permettre au suivant de bénéicier de cette tateurs » dont parle Thomas Ordonneau. social de l’Amérique. Entre le présent en
construction ? » A contrario, on pourrait isoler les ilms surchaufe et le passé fantasmagorique,
centrifugeuses, où les idées fourmillent s’immisce un ilm synthèse, Mercuriales de
Un minimalisme étendu et imposent aux plans un éclat bigarré, Virgil Vernier, où les signes les plus la-
En proposant une photographie du comme chez Miguel Gomes ou, dans grants du postmoderne (objets et décors
cinéma contemporain sur vingt ans, la son propre registre, Antonin Peretjatko de banlieue, nappes musicales électro)
sélection de Shellac relète assez idè- (La Fille du 14 juillet). coagulent pour former une nouvelle
lement l’un de ses traits distinctifs, le mythologie, presque autonome. Ainsi,
brouillage organisé entre les catégories, au Mythologies du contemporain chez de nombreux cinéastes passés par
demeurant indéboulonnables, de la ic- Beaucoup des ilms réunis dans ce cofret Shellac, être iconoclaste ne signiie pas
tion et du documentaire. Emboîtements se tournent également vers un passé his- faire naïvement table rase du passé, mais
de l’art et de la vie chez Pierre Creton torique ou mythique, tout en rongeant de bien plutôt réinventer, par la recherche
(Secteur 545), glissement du témoignage l’intérieur le principe de la reconstitution. de formes, les soubassements archaïques
à l’interprétation chez Claire Simon (Les Dans Zama de Lucrecia Martel aussi bien susceptibles de donner son sens et son
Bureaux de Dieu), mise en scène immer- que dans La Légende du roi crabe d’Ales- épaisseur au monde contemporain. ■
sive du réel chez Roberto Minervini sio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, Élie Raufaste
(The Other Side), efractions de l’archive l’horizon du film d’aventure s’effrite Coffret DVD + livret. Shellac.
à l’intérieur de la fiction chez Pietro
Marcello (Martin Eden), acteurs souvent
non professionnels : autant de manières
de brouiller les pistes tout en imprimant
une identité, un style personnel. Mais ces
hybridations entre un matériau réel et un
imaginaire de iction cachent peut-être
un autre courant, plus souterrain, celui
du « minimalisme », terme qui a gagné
en lottement en passant du monde de la
musique et de l’art contemporain à celui
du cinéma. De Mods de Serge Bozon à
Music d’Angela Schanelec, qui encadrent
le cofret, quelque chose s’est cristallisé,
chez Shellac, autour de ce minimalisme
© SHELLAC
Corps célestes
50 places réservées aux abonné∙e∙s Tarifs préférentiels musées nationaux : RMN Grand Palais,
musée du Quai Branly…
Tarifs préférentiels salles de cinémas : Cinémas Indépendants Parisiens, Tarifs préférentiels théâtres Comédie Française, Théâtre de La Colline,
Forum des Images… Théâtre National de Bretagne, Théâtre du Rond-Point…
Tarifs préférentiels plateformes de cinémas indépendantes : Mubi, Réduction sur la boutique Cahiers du cinéma
UniversCiné, LaCinetek
Douze dialogues
1962-1963 de Carl Andre
et Hollis Frampton
Echezntre 1962 et 1963, deux anciens cama-
© ICON PRODUCTIONS
rades de classe se retrouvent le dimanche
l’un d’entre eux à Brooklyn pour
parler d’art, celui qu’ils découvrent à
travers l’efervescente communauté de Apocalypto de Mel Gibson (2006).
l’avant-garde new-yorkaise, et celui qu’ils
font, en tâtonnant et en cherchant leur
propre médium. Mais peut-être le disposi- Dans la boue des images de Sophie Lécole Solnychkine
tif même de cette conversation dactylogra-
phiée, où l’un va s’asseoir derrière la Royal
Deluxe tandis que l’autre attend son tour
en éclusant des bières Ringness sur le sofa,
La vision tourbe
relève-t-il déjà de la performance artis-
tique.À la lecture de leurs douze dialogues,
on est même un peu au bord d’éprouver
la vanité de l’exercice : deux petits garçons
Aentrailles
près avoir sondé (dans Aestetica
Antarctica, Rouge Profond) les
visqueuses de la créature de The
La réponse se décline en plusieurs couches,
depuis le ilm fantastique Le Carnaval des
âmes d’Herk Harvey (1962), où la boue
professent leurs grandes idées sur l’art avec Thing de John Carpenter, Sophie Lécole incarne une « interface » entre le monde
l’arrière-pensée que celles-ci pourraient Solnychkine consacre un essai aux igu- des vivants et celui des morts, jusqu’à
bien un jour intéresser le reste du monde. rations, non moins troubles, de la boue L’Ange ivre de Kurosawa (1948), que
Dans la préface à la première édition du au cinéma. Il est en efet des ilms qui l’autrice revisite, parmi d’autres ilms plus
livre en 1979, Hollis Frampton, devenu « permettent de sentir de quoi la terre est faite », contemporains (Take Shelter, Apocalypto),
entretemps un cinéaste proliique et l’une selon une formule d’Orson Welles ; des à la lumière des écrits de la philosophe
des igures majeures du cinéma « structu- ilms qui font la part belle à tous ces élé- Donna Haraway : un étang boueux y pola-
rel » aux côtés de Michael Snow ou Paul ments ni solides, ni liquides (sable, humus, rise le récit et l’espace, intriquant humains
Sharits, présente cet échange « comme un pétrole, eau marécageuse…) que le nom et autres espèces (moustiques, virus) dans
témoignage anthropologique relatif à un rite de de boue peut recouvrir. Mais prendre au un même « tissu relationnel ». Les chapitres
passage et à la nature de l’amitié ». Pourtant, sérieux la boue, c’est reconnaître, contrai- les plus stimulants s’aventurent littérale-
« il y a encore quelque chose à apprécier » dans rement à d’autres motifs (la neige, le vent, ment sous la surface terrestre, usant de
ces péroraisons juvéniles, parce que s’y lit la pluie) l’aspect impur voire ingrat de ce concepts phares (la « vision-terrarium »,
en creux le cheminement d’une pensée matériau. Le livre invite donc à s’enfon- « l’image-gisement ») comme d’une baguette
vers une pratique de l’art, par « approxima- cer dans le temps et dans le sol : l’expres- de sourcier capable de guider la pensée
tions expérimentales ». sion « boue des images » renvoie d’abord à l’approche de représentations contre-
Au il des entrevues, on voit aussi se aux mythes et aux pratiques antiques, où intuitives, puisées dans des documentaires
creuser l’écart entre deux sensibilités, celle l’art naissait directement de la glaise, par scientiiques ou des ilms de science-ic-
d’Andre, en moraliste contrarié, et celle modelage. Que deviendrait l’image de tion.Théorie exigeante, maculée de rêve-
d’un Frampton trublion qui admire les ilm, regardée non plus comme un relet rie, et dont la lecture avance protégée des
« trouvailles » de Cocteau et Buñuel, mais du monde, mais comme une matière elle- remous de son objet, grâce à la limpidité
pour des raisons opposées à son ami. Il faut même terreuse, un milieu sans horizon de la démonstration. ■
rendre hommage au travail remarquable où les igures jaillissent, se tordent et se Élie Raufaste
des traducteurs et à leur souci de rapporter pétrissent comme des créations d’argile ? Éditions Mimesis, 2023.
constamment ce débat au contexte his-
torique qui l’a vu éclore. Voilà un livre
d’apprentissage qui éclaire rétrospecti-
vement deux parcours et témoigne des
© STRANGE MATTER FILMS/HYDRAULX ENTERTAINMENT
OZU INÉDIT
Deux ilms de Yasujirô Ozu avec Kinuyo Tanaka, l’inédit Une femme dans le vent ainsi que
Les Sœurs Munakata, ouvriront ce mois‑ci une rétrospective conçue par Carlotta qui se prolongera
en novembre avec quatre autres ilms rares, conirmation que, si l’œuvre du cinéaste japonais nous
accompagne comme une présence familière, elle reste toujours à découvrir.
FEMMES
DANS LA TOURMENTE par Charles Tesson
(sur le plan de la mise en scène, on pense à la scène de viol de la Kinuyo Tanaka, mais en raison de ce portrait de femme, entre
jeune ille dans Les Femmes de la nuit), surgit au premier plan ce résignation (son mariage) et renoncement, à l’image d’Hideko
ballon de papier (l’enfant, hors cadre), possible hommage à son Takamine dans Une femme dans la tourmente (1964) face au
ami Sadao Yamanaka (Pauvres humains et ballons de papier, 1937), jeune frère de son mari décédé. On sent Ozu proche de cette
décédé en Chine en 1938. On garde le souvenir d’une bande héroïne (« La vraie nouveauté, c’est ce qui ne vieillit pas malgré le
sonore soutenue, avec des sons of qui reviennent (bruits de temps »), machine à faire le vide tout en étant entourée (son
l’usine) et d’autres qui surgissent, inattendus ou insolites : l’école mari, sa sœur, son père), un peu comme Gertrud dans le ilm
et le chant des enfants, la salle de danse à côté du bureau. Les de Dreyer. Beau film par conséquent sur la solitude d’une
deux scènes de pique-nique, celui improvisé entre le mari et femme, son intransigeance, au nom d’une idélité à soi-même.
la jeune prostituée et l’autre organisé entre Tokiko et son amie, Comme Gertrud, au terme de sa vie, elle pourra dire : « J’ai
ofrent une respiration d’une incroyable beauté qui culmine aimé, l’amour est tout.» ■
avec ce plan sidérant où Tokiko, allongée dans l’herbe, voit dans
le ciel un nuage lottant.
Au fond, ces deux ilms, à l’écart des sujets de prédilec- En salles :
tion du cinéaste, parlent du couple. Couples en crise, violences – Une femme dans le vent (1948) et Les Sœurs Munakata (1950),
conjugales incluses (la femme subit sans jamais se révolter) versions restaurées 4K, sortie le 25 octobre.
avec le portrait de deux femmes dans la tourmente. L’une – Femmes et voyous (1933), Il était un père (1942), Récit d’un propriétaire (1947)
pour des raisons extérieures (la réalité sociale, les conditions et Dernier caprice (1961), également restaurés en 4K, sortie le 8 novembre.
de vie après-guerre), inalement réparables, et l’autre, dans Les
Sœurs Munakata, intérieures et irréversibles : le souvenir d’un À lire :
amour passé, idéalisé, absolu, à tel point qu’il ne mérite plus – Treize Ozu, 1949-1962 de Jean-Michel Frodon,
d’être vécu quand la réalité le permet. Les Sœurs Munakata, parution le 6 octobre (Cahiers du cinéma)
avec ce mari obsédé par ses chats, qui lit le journal intime de – Yasujiro Ozu, une affaire de famille de Pascal-Alex Vincent,
sa femme, pourrait basculer dans du Tanizaki. On pense plutôt parution le 13 octobre (Éditions de La Martinière/Carlotta).
à Naruse, pas seulement à cause de Ken Uehara et des si beaux – Ozu-Hors Champs de Térui Yasuo, parution le 17 octobre (Carlotta)
moments furtifs d’accompagnement d’une marche à deux avec
Au printemps dernier, une exposition rare mêlant l’œuvre et la vie intime d’Ozu a commencé
sa tournée au Musée de littérature moderne de Kanagawa, et la poursuit jusqu’au 9 novembre
au Chigasaki City Museum of Art.
OZU À LA SURFACE
DU CADRE par Clément Rauger
Ozu (au premier rang, premier à gauche) rejoint le 2e régiment d’infanterie de la Garde impériale de Takebashi, septembre 1937.
Si l’appréciation des ilms d’Ozu est aujourd’hui une évidence cinéphile que couronne un succès
« de patrimoine » en salle, Jean‑Michel Frodon, dans un livre que les Cahiers rééditent le 6 octobre,
rappelle qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il raconte en introduction comment l’amour et la compréhension
d’Ozu peuvent avoir leur propre historicité.
autres, un grand précurseur, mais qui en l’occurrence ne fut mais ferme : « Quoi ! Vous croyez aimer le cinéma et vous mécon-
pas entendu : Henri Langlois. Lui-même y a mis le temps, naissez l’œuvre d’Ozu… Pauvres malheureux. » Pour de bonnes
Mizoguchi et Kurosawa ayant longtemps sui pour occuper ou de mauvaises raisons, nous sommes fréquemment l’objet
la case « Japon » des cinéphiles. Dans un entretien avec Rui de telles interpellations, le moyen choisi par Wenders (un film
Noguera d’avril 1972, Langlois raconte avoir été inalement, émouvant et personnel), et l’autorité dont il jouissait alors
mais presque à son corps défendant, « subjugué » par la puis- comme l’incarnation même du cinéma d’auteur contemporain,
sance des images d’Ozu en les montrant aux côtés de celles auront joué un rôle important. Mais l’essentiel, et qui fait
des deux cinéastes vedettes. Il décrit ainsi son expérience, alors que cette découverte ne fut pas seulement un phénomène
qu’il faisait cours sur le cinéma japonais : « En passant des extraits de mode, est bien sûr qu’il avait raison. Qu’une fois pris le
de Mizoguchi, de Kurosawa et d’Ozu, j’encense les deux premiers chemin du cinéma d’Ozu, celui-ci « faisait le reste du travail », si
aux dépens du troisième, tandis que je constate qu’Ozu les écrase j’ose dire, imposait tranquillement sa beauté, sa puissance, son
complètement. Une bobine d’Ozu en sandwich entre Kurosawa et infinie richesse à l’intérieur de ses caractéristiques propres, si
Mizoguchi m’a fait comprendre son génie. […] Ozu, c’est la vie. » particulières, et dont la récurrence construisait de film en film
Pourtant, Langlois, qui avait programmé onze films d’Ozu les conditions d’une reconnaissance pour le spectateur. Quant
avant même la mort de celui-ci, en juin-août 1963, et venait à Jackson, en distribuant un ensemble de films significatif, en
de les programmer à nouveau l’année précédente, s’avance mobilisant les relais médiatiques adéquats, plus tard en publiant
lorsqu’il airme : « Aujourd’hui, la bataille Ozu est gagnée. » Elle le Journal d’Ozu, il a concrètement fait sauter un verrou qui
ne l’est pas en 1972, mais quelques années plus tard se vérifiera bloquait l’accès à cette œuvre essentielle. ■
sa prophétie, à laquelle il associe un autre immense cinéaste
dont il a été un des premiers défenseurs, en proclamant : Extrait de Treize Ozu, 1949-1962 de Jean-Michel Frodon,
« Demain, Ozu fera salle pleine, comme Bergman. » Pour que cela Cahiers du cinéma. Parution le 6 octobre.
advienne, il aura donc fallu l’entrée en scène de deux autres
ambassadeurs : Tokyo-ga de Wim Wenders et, en France, le tra- Le 24 octobre, à Toulouse, J.-M. Frodon signera son livre à la librairie Ombres blanches
vail passionné du distributeur Jean-Pierre Jackson. Le premier à 18h30 et présentera Les Sœurs Munakata à la Cinémathèque à 21h, dans le cadre de la
a été perçu comme une sorte d’adresse, d’apostrophe amicale retrsopective consacrée au cinéaste japonais et qui durera jusqu’a décembre.
LE CINÉ-CLUB
Le 12 octobre à 20h
PRÉSENTATIONS ET DÉBATS
Le 3 octobre à 20h au cinéma CinéCentre, Le 11 octobre à 20h au Centre des Arts, Le 21 octobre à 14h30 à la Cinémathèque
Dreux Enghien-les-Bains française, Paris
Thierry Méranger présente Linda Charlotte Garson ouvre son ciné-club Charlotte Garson participe à la table
veut du poulet ! de Chiara Malta « Autour de Maurice Pialat » avec ronde sur Cléo de 5 à 7 d’Agnès
et Sébastien Laudenbach, en présence L’Enfance nue. Varda animée par Frédéric Bonnaud,
du coréalisateur. en compagnie de Judith Ertel
Le 17 octobre à 18h30 au Forum et Marin Karmitz.
Le 8 octobre à 17h au cinéma L’Archipel, des Images, Paris
Paris Dans le cadre de Doc&Doc « Guerre en Le 24 octobre à 20h au cinéma
Pierre Eugène et Marie Anne Guerin cours, à visages humains », Claire Allouche Agnès Varda, Juvisy-sur-Orge
présentent Déménagement de Shinji Sômai présente trois films de Jocelyne Saab Charlotte Garson présente
en avant-première dans le cadre de leur en présence de Mathilde Rouxel, et In the Le Procès Goldman de Cédric Kahn.
ciné-club « Deux dames sérieuses ». Rearview de Maciek Hamela.
Le 27 octobre à 20h au cinéma Le Clap,
Du 9 au 19 octobre, à la Cinemateca Le 17 octobre à 20h au cinéma Reflet Lans-en-Vercors
Portuguesa, Lisbonne Medicis, Paris Charlotte Garson présente
Ariel Schweitzer présente une rétrospective Louis Séguin ouvre son ciné-club, « Les Le Procès Goldman de Cédric Kahn.
intégrale d’Uri Zohar. mardis de Louis » avec Roberto Succo de
Cédric Kahn.
Le 10 octobre à 20h au Figuier blanc,
Argenteuil
Fernando Ganzo anime une rencontre autour
de Vers un avenir radieux de Nanni Moretti.
LE CONSEIL DES DIX
cotations : l inutile de se déranger ★ à voir à la rigueur ★★ à voir ★★★ à voir absolument ★★★★ chef-d’œuvre
Jacques Jean-Marc Jacques Michel Sandra Olivia Fernando Charlotte Yal Marcos
Mandelbaum Lalanne Morice Ciment Onana Cooper-Hadjian Ganzo Garson Sadat Uzal
Les Feuilles mortes (Aki Kaurismäki) ★★★ ★★ ★★★ ★★★★ ★★★ ★★★ ★★★★ ★★★ ★★ ★★★★
L’Arbre aux papillons d’or (Pham Thien An) ★ ★★★ ★★★ ★★★ ★★★ ★★★ ★★★ ★★ ★★★ ★★★★
Killers of the Flower Moon (Martin Scorsese) ★ ★ ★★★ ★★★★ ★★★ ★★★ ★★ ★★★ ★★★ ★★★
Un prince (Pierre Creton) ★★ ★★ ★★★★ ★★★ ★★★ ★★ ★★★
N’attendez pas trop de la fin du monde (Radu Jude) ★ ★ ★★★ ★★★ ★★ ★★★
Une femme dans le vent (Yasujirô Ozu) ★★★ ★★★★ ★★★★ ★★★ ★★★★
Jacques Mandelbaum (Le Monde), Jean-Marc Lalanne (Les Inrockuptibles), Jacques Morice (Télérama), Michel Ciment (Positif), Sandra Onana (Libération), Olivia Cooper-Hadjian, Fernando Ganzo, Charlotte Garson, Yal Sadat, Marcos Uzal (Cahiers du cinéma).
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