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CAHIERS

DU CINÉMA

*95 * REVUE MENSUELLE DE CINÉMA • MAI 1959 * 95


Cahiers du Cinéma
NOTRE COUVERTURE
MAI 1959. T o m e XVI. — '95

SOMMAI RE
KENJI MIZOGUCHI
Philippe D emonsablon,. La splendeur du vrai ...... ............................... I
K enji Mizoguchi ........... M es film s , . . . v;: : ........................................................ 4

Luc Moullet ................. Les Contes de la lune vague ......................... Zl


Victor S jôstrom d a n s SMUL-
STRONSTALLET (Les Fraises Jean-Pierre Spièro ___ Jean Kenoir tourne « Le Docteur Cor-
sauvages) d ’Ingm av B ergm an. delier » ............................................................. 28
(At h o s -Fi l m s .) Jacques Rivette ............ Du côté de chez Antoine .........................• ■ . . 37
Fereydoun Hoveyda . . . Le dernier anneau de la spirale ................. 40

Les Films

Jean Doucîiet ................ L’instan t privilégié (La Prison) ................... 51


E ta n t d o n n é l ’a b o n d an ce Philippe Demonsablon.. Nicholas revisité (La Forêt interdite) .... 53
des m atières, n o u s p u b lie ­
ron s d a n s n o tr e p ro c h ain Jean-Luc Godard ......... ..Une loi obscure (La Tête contre les m u rs).. 55
n u m é ro l ’a rticle de Je a n Notes sur d’autres films (La Blonde et le shérif, Vacances à Paris,
D om arch i : « Les Secrets
La Colline des potences, U ne simple histoire) ................................ 57
d ’E i s e n s t e i n ».

Petit Journal du Cinéma .................................................................................. 18


Filins sortis à Paris du 11 mars au 14 avril 1959 .................................... 60

*
Ne m a n q u e z p a s de p re n d re
p ag e 50
CAHIERS DU CINEMA, revue m en su elle de C in ém a
146, Champs-Elysées, P aris (8") - Elysées 05-38 - R éd a c teu rs e n c h ef :
LE CONSEIL DES DIX
Ja c q u e s Donîol-Valcroze e t E ric R olim er.

T o u s droits r é s e r v é s — C o p y r ig h t b y le s E d itio n s d e P E to ile


Kyoko K agawa et Kazuo H asegaw a d a n s Chîkum atsu Moiiogatari (Les A m a n ts crucifiés)
de Kenji Mistoguchi.

LA S P L E N D E U R DU V R A I

par Philippe Demonsablon

La sortie d ’un film de Alizoguchi, déjà ancien de surcroît, peut paraître un événem ent
un peu m ince p o u r justifier la publication des textes qui suivent. N’avons-nous pas eu
plusieurs fois, a u cours des cinq d ernières années, l’occasion d ’ex p rim er notre ad m iratio n
à l’t'gard du m e tte u r en scène japonais, et de la voir gran d ir quand, tro p ra re m e n t à
notre gré, nous découvrions de lui u n e ceuvre nouvelle ? A ceux d ’entre nous qui
n’avaient pu assister aux festivals, auxquels ses films participèrent régulièrem ent depuis
1952, une rétrospective de la C iném athèque p erm it enfin de pren d re la juste m esure
d ’un talent que l’on savait très grand. « Mfr.oguchi com m ence v, écrivions-nous alors.
D ans n o tre liste des a douze m eilleurs films de tous les tem ps », I~es Contes de la lune
vague figurent en b onne place, et l’a u te u r de ces lignes n ’a pas c ra in t de le u r assigner
la prem ière.

Mizoguchi com m ence : to u t au m oins dépend-il, pour le faire, du bon vouloir d ’un
distributeur. T ro p de ses films resten t encore inédits, tro p m ê m e d o n t existent en F ran ce

1
des copies sous-titrées depuis plusieurs années. Si l’universalité du génie est m o in s de
s’appliquer à to u t que de s’adresser à tous, alors nous avons affaire, ici, à l’œ u v re d ’un
génie universel. S a voix m é rite de trouver d 'a u tre audience que celle des spécialistes,
et ses accents, qui n ’intéressent pas seulem ent le public cultivé, m a is plus sim p lem en t
p arlen t à l’hom m e de la plus h au te idée de l’hom m e.

U n panoram ique sur un paysage de ch am p s et de m ontagnes, la brève su rim p ressio n


d’u n lac ensoleillé, et le panoram ique continue sur un ham eau, s’arrête, en plan général,
sur u n couple de paysans affairés au ch arg em en t d ’une charrette. N ’aurions-nous ja m a is
vu d’h o m m e s? L a seule apparition de cet h o m m e e t de cette fem me occupés au x gestes
les plus ordinaires suffit à nous em plir d’une ém otion qui ne doit rien a u d ra m e et to u t
à l ’illum ination. D ès la p rem ière m inute des Contes de la lune vague, vOÏci d onc d eu x
anonym es, deux acteurs qui ne sero n t peut-être que des com parses, et d ’instin ct n o u s
com prenons que nous avions a u p a ra v a n t pu connaître des hum ains, m a is p as encore vu
Vhomme avec cette intensité.

Cette force aveuglante d o n t Mizoguchi portage le privilège avec de très rares


cinéastes réd u it aux dim ensions d u pittoresque ta n t de films vantés, com m e P a e stu m ,
e t pour les m êm es raisons, relègue d a n s le décoratif ta n t de m o n u m en ts célèbres. Quelle
p a rt en effet p eut revendiquer la ps^'chologic, q u an d le m oindre geste renvoie à l’h o m m e
à travers l’individu, quelle p a rt l’anecdote ou l’accident, lorsque coïncident aussi étroi­
te m e n t l’am pleur q ui fait l’exem plaire et la précision qui fait le p articulier ? E n tr e la
fadeur du ro m an cier qui tro p souvent ne sait nous séduire que p ar ce que ses c ré a tu re s
o n t de plus singulier, et la sécheresse du m oraliste, par ce qu’elles o n t de plus général,
Mizoguchi em p ru n te la voie royale du poète, où la vertu contem plative sup p léan t le
va-et-vient dialectique fonde su r l’éclat des singularités la splendeur m êm e du type e t
les fond l’une dans l’autre. C hacun des actes e t des événem ents trouve ici u n e réso ­
nance universelle. L orsque les bandes de soldats surgissent d an s le village, n o u s ne
voyons pas seulem ent un groupe de paysans en proie à la guerre, ni une re p résen tatio n
didactique de la guerre, m ais, p a r un racco u rci do n t l’invention étonne, la figure m ê m e
de toutes les guerres. L es gestes du travail, de la tendresse, de la peu r et de la vanité,
de .la pudeur et de /a noblesse, d e la la n g u eu r e t de l’apaisem ent com posent d e v a n t
nous la figure de l’h u m a in e destinée, Seuls les a m a te u rs d’exotism e p euvent s’v tro u v er
déconcertés, ne re n c o n tra n t qu’eux-m êm es où ils voulaient le dépaysem ent.

Ainsi Mizoguchi nous parle des choses les plus simples e t les plus fam ilières : la
vie, la m o rt aussi, c a r il n ’est pas d’a r t de vivre où n’entre la pensée de la m o rt. E t il a
la délicatesse d ’en p a rle r fam ilièrem ent, san s pom pe et san s a p p rê t C ’est le plus n a tu ­
rellem ent du m onde qu’il fait venir à nous les choses, com m e d’elles-mêm es : ce secret
retrouvé des m a ître s livres, nous pouvons le lire dans chaque Image de ses films e t ce
n ’est pas la m oindre ra iso n p o u r laquelle L es Contes de la lune vague font p en ser à
VOdyssée„ D ans l’un et l’a u tre chef-d’œ uvre, u n e civilisation fière de son raffinem ent
s’a tta rd e à n o te r Je poli d ’une surSnce, la texture d ’un tissu, le goût d ’une boisson — m ais
toujours pour novis renvoyer à l’hom m e. Quel que soit le luxe du décor ou l’intensité
du dram e, l’haleine vient y dire la te m p ératu re de l’air ou le tim b re de sa voix, sa
densité.

Mais il y a plus' : œ u v re à ha u te u r d ’hom m e, c’est l’hom m e idéal do n t ces C ontes


dessinent la figure, sur le schém a éternel de l’itinéraire. Cette vie employée à d éco u v rir
un a r t de vivre, com bien de fables ne nous ont-elles pas invité à en suivre le ch em in e­
m ent, d o n t le détail im porte m oins que le term e, puisqu'il s'agit seu lem en t de tra v e rse r
les apparences et, plein d’usage et raison, de savoir-vivre selon la vérité. A insi fait le
potier m odelant le m ê m e vase pour l’am en er à plus de perfection, ainsi Mizoguchi lui-
m êm e red isa n t la m ê m e histoire, m odestem ent (« ce n’est là qu’une d istraction : m ais
ce sont m es enfants, et je les aim e »), m ais la seule histoire qui com pte, celle q u ’o nt
dite aussi M urnau et Rossellini, de l’hom m e p arv en an t à l’acquiescem ent et, p a r lui, à
l’unité. M odestem ent : que d ’elle-même l'im pératrice Yang Kwei Fei se ren d e à son
supplice, qu’au le u r soient conduits, sereins, les am an ts célébrés p ar C h ik am atsu , q u ’une
vieille m endiante à la voix cassée ch an te au p rès du palais de son fils, tout cela n e va-t-il
pas de soi et pourquoi y ajouter Vémotion que les protagonistes o n t m is leur étude à
m aîtriser ? « Miyagi, pourquoi es-tu m o rte ? » interroge le potier m o in s ch anceux
q u ’Ulysse a p rè s son long voyage. Mais la question posée porte en soi sa réponse, si la

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Yoshiko Xuga, Kinnyo T a n a k a e t T am oem on O ta ni dans Vwasa no onna (La F em m e
crucifiée) de Kenji Mizoguchi.

m o rt n ’est q u ’un passage : ici, l’argile rouge du C im etière m arin est celle-là m ê m e que
façonne le potier, celle que la b o u rèn t les paysans au milieu des tombeaux...

Acquiescem ent, réconciliation : to u t d a n s l’œ u v re de Mizoguchi, et p articu lièrem en t


d an s ce film -som me que so n t h’s Contes de la htne vague, nous parle de l’unité. Oui,
l’accum ulation de leurs aventures nous fait prendre au x personnages d ’a u tre intérêt que
de com passion. E t si fable il y a, m êm e profuse, ce n ’est p a s vers l’a b su rd e répétition dvi
m ouvem ent perpétuel qu’elle oriente nos pensées. Le m ouvem ent tend à sa p ro p re extinc­
tion, s’o rd o n n a n t a u to u r de l’idée d’un équilibre qui p eu t échapper au m o u v e m en t au
lieu qu’être fondé sur lui : s’a tta c h e r à cela qui dem eure, c’est so rtir aussi d e l’enîer dialec­
tique. E t certes, H est te n ta n t de discerner le reflet des philosophes grecs d a n s ce qui
p orte m a nifestem ent l’em preinte de la pensée boudhique ; est-ce là P a rm é n id e m is en
scène ou p lu tô t le serm on d e 1B énarès ? Q u’im porte si la m ise en scène prête à l’un e t
l’a u tre u n lu stre nouveau : la pensée nourrit l’artiste, m ais il le lui ren d bien. Si les
films de B ergm an sont a v a n t to u t m éditation sur l’hom m e et ceux de P re m in g er a v a n t
to u t m éditation su r la mise en scène, les films d e Mizoguchi so n t m éditation su r
l’hom m e, posée en te rm es de mise en scène. Q u’est-ce que l’h o m m e ? Mais aussi, q u ’est-
ce que la m ise en scène ? Ici les deux questions nous ap p araissen t si indissolublem ent
liées que répondre à l’une est aussi l'épondre à l’antre. P as un plan des Contes
d e ïa lune ttague n e dém ent la beauté de l’ouverture, pas un n ’est inférieur à
l’am bition qui s’y Ht : parv e n ir p ar les m ouvem ents les plus concertés à effacer l’a rti­
fice p a r la splendeur du vrai. C a r cet a r t raffiné n e rafiine jam ais sur ses propres pres­
tiges, évitant ainsi les pièges grossiers de la préciosité. Au n o m b re il oppose la qualité,
au rythm e l’h arm onie. Un seul propos définit sa recherche ; ren d re u n e note si pure et
soutenue que la plus infime variation en devienne expressive. U n a rt, disait Jacq u es
Rivette, de la m odulation.
Philippe D EM ON SABLON .

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MES FILMS

Yoshiko O kada et Eiji iXakano dans Daichi iva hohoem u (Le So u rire de notre terre)
(1925).

par Kenji Mizoguchi


Cette filmographie, co m m e n té e par l'auteur m êm e, a /paru d a n s le n° 80 (janvier 1954J
d e la revue japonaise Kinema Jumpo.

A! NI YOM1GAERU HI (Le jour où revient Combien de films ai-je to u rn és jusqu’à


l’amour) (1922). p résent ? 75- Ce n ’est p a s beaucoup. J e
Prod. : Nikkatsu Mukoojima, Sc. : Wa- m e dem ande m êm e co m m en t f a i pu vivre.
kayana Osamii. Op. .♦ Takasaka Toshimitsu. Je suis entré à N ikkatsu en 1920, a u titre
/nf. ; Yamamoto Kaïchi, Mori Kîyoshi, Koi- de réalisateur adjoint.
zumj Kasuke-
Ce film est le p rem ier q u e j'ai to u rn é. Il
(La fille d ’un artisan en faïences est forcée a été censuré en plusieurs endroits. O n a
d’épouser l’apprenti de son père. Elle s'en­
fuit avec un autre et, avec lui, se suicide. coupé notam m en t tout ce qui con cern e la
L'apprenti trouve Je réconfort dans l “a/J3our révolte des paysans c o n tre les riches. J ’ai
de la soeur aînée.) été convoqué à la P réfectu re de police. Nous

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fûmes ohligés d’apporter des modifications blanc. Op. : Takasaka Toshimitu. Int,
au reste du film pour sauvegarder la cohé­ Minami Mitsuaki, Segawa Tsuyuko,
rence de l’histoire, et nous avons remplacé (Adaptation de l’une des aventures d ’Arsène
les passages coupés par de la musique jouée Lupin).
sur un biwa. Q uand je ta is jeune, j'ai tourné pas m al
de lihns tirés de ro m an s policiers. J ’aim ais
FURUSATO (Le pays natal) {(922). Minami.
Prod. .- Nikkatsu Mukoojima. 5c. : Mizo­
guchi Kenji. Op. ; Iwamura Yuzo. Int. : Ya- CH1 T O REl (Le sang et l’âme) (1922).
mamoto Kaichi, Oguri Takeo, Minami Mit- Prod. : Nikkatsu Mukoojima. Sc. : Mi­
suaki. zoguchi Kenji d'après Oïzumi Kokuceki.
( Une jeune femme, qui est allé voir son O p : Aojima Junichiro. Int. : Eguchi Chiyo-
bien-aimé, est tuée accidentellement par le ko, Mizushima Ryotaro.
frère de celui-ci.) (Une maniaque commet meurtres sur
m.eutres par amour des pierres précieuses, et
SEISHUN NO YUMEjl (Les rêves de jeu- se fait tuer à la fin par un ivrogne.)
* nesse) (1922). Film expressionniste. Je l'ai tiré d ’un
Prod. : Nikkatsu Mukoojima> Sc. ; Kozono rom an allem and do n t Al. OiV.umi se servait
Suenori et Mizoguchî Kenji. Op. ; Watanabe com m e explication de textes dans son
Hiroshi. Int. : Miyajima Âkio, Sakai Yoneko.
cours de littératu re allem ande à FUniver-
(Drame a trois personnages : la fïîle du pro­ sité.
priétaire d ’une hôtel, un. étudiant en méde­
cine qui est amoureux d ’elle, et la bonne de
l’hôtel). KIR] NO MINATO (Le port aux brumes)
(1923).
E n ce qui concerne ces deux films, je
n ’ai presque aucun souvenir. Donc rien à Prod. ; Nikkatsu Mukoajinia. Sc. : T ami-
ka Soichîro, Op. ; Aojima Junichiro. Int. ;
dire. Sawamura Haruko, Mori Eijiro, Yamamoto
K aichi.
JOEN NO CHIMATA (La ville de flamme) (Un jeune marin est pris de pitié pour un
(1922). vieux matelot, tombé dans le dénuement.
Prod. : Nikkatsu Mukoojima. Sc, ; Mîzo- Mais ce dernier, surpris à voler, est frappé
guchi Kenji. Op. ; Takasaka Toshïmitsu, à mort par son bienfaiteur. Le meurtrier l'ait
Watanabe Hiroshi. Int. : Minami Mitsuaki, ses adieux à sa maîttesse et se constitue pri­
Oguri Takeo. sonnier.)
(Une geisha, amoureuse d'un militaire qui C ’e st l’adaptation d ’une pièce d’Eugein;
ne F aime pas, s ’empoisonne et meurt en O ’Neill. A l’époque, ce film eu t bonne ré­
dansant le a Dôjôji », une danse japonaise p u ta tio n et moi-m êm e ie l’aime. La photo­
qui raconte les amours défendues d ’une reli­ graphie d’Aojima (qui est m ort, hélas !)
gieuse qui se métamorphose en serpent.)
éta it excellente. Je m e souviens des effets
J ’ai employé O guri dans le rôle de la d e pluie.
geisha. Cela ne veut pas dire que nous
m anquions d ’actrices à ce m om ent-là. YORU (La Nuit) (1923).
Prod. ; Nikkatsu Mukoojima. Sc. : Mizo-
HA1ZAN NO U TA _ WA KANASHI (La guchi Kenji. Op. .- Aojima Junichiro. Int, :
triste chanson des vaincus) (1922). Katsuragi Kaichi, Sakai Yoneko.
Prod. : Nikkatsu Mukoojima. 5c. .- Mizo- (Première partie : un homme s’introduit
uchi Kenji, d ’après le roman de Hata Aibi.
g •jp. .- Aojima Junïchiro- Int. ; Yoshida Toyo-
dans une maison et dérobe une somme d 'a r­
gent à la propriétaire, femme de mœurs
saku, Sawamuta Haruko. légères.
(Une jeune fille, née dans un village de 2e partie .- le patron d ’un restaurant chinois
pêcheurs, quitte son village natal pour suivre tue sa deuxième femme par jalousie.)
un étudiant dont elle est amoureuse. Rejetée
par ce dernier, elle retourne chez son beau- Lu prem ière partie de ce film est tirée
père. Le jour de la fête du village, le père d’un ro m an policier am éricain (l’histoire
et la fille partent pour un voyage sans fin.) d ’u n voleur qui a le sen s d e la justice).
C ela rem onte tellem ent loin que, lorsque C ’e st peu de tem ps après ce film qu’eu t lieu
vous m e dem andez quelque chose su r ce le g ra n d trem b lem en t de terre.
film, c’est com m e si des processeurs « ^in ­
terrogeaient pour vérifier m a mémoire. HA1KYO NO NAKA (Dans les ruines) (1923)
Le studio de Mukoojima avait brûlé. J ’aî
813 (1922). to u rn é ce film vraim en t d an s les ruines,
Prod, : Nikkatsu Mikoojima. 5c. ; Tan ci- a p rè s le trem b le m e n t de terre. Une his­
Un Soichito, d’après le roman de Maurice Le­ to ire de deux am oureux, séparés l’un de

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l’autre, qui se rencontrent pendant le trem ­ Inspiré p a r u n e œ u v re européenne. C’était
b le m en t de te rre dans un temple. Ils se le p rem ier film de Suzuki Demmei. J ’en ai
ra c o n te n t des souvenirs. Après ce film, je des souvenirs bien agréables. Nous l’avons
suis allé à Kyoto. to u rn é dans la m o n tag n e H ira, Le m atin
nous partions, nous to u rn io n s toute la jour­
T O G E NO U T A (La chanson du col) (1923). née a u som m et, et n o u s redescendions le
Prod. : Nikkatsu Kyoto, Sc. : Mizoguchi soir. Cela d u ra toute une sem aine.
Kenji. Op. : Takasaka Toshimitsu. Int.
Yamamôto Kaichi, -Mimasu Yutâka. 5H1CH1MENCHO NO YUKUE (A la re­
(Au retour de son fils qui avait commis cherche d’une dinde) (1924).
un crime et s’était enfui avec une femme, Prod. : Nikkatsu Kyoto. Sc. : Hatamoto
le père n’accueille que la femme et l'enfant. Shuichi. Op. : U nhida Seiichi. Ini. : Mimasu
Le fils ,se suicide.) Yutaka.
C 'est l’adaptation d’une pièce de th é âtre (Comédie policière autour d’un diamant
irlandaise. volé et d ’une veuve.)

KANASH1KI HAKUCH1 (Le triste imbécile) SAMÏDARE SOSHÏ ((1924).


(1924). Prod. : Nikkatsu Kyoto. Se. : Yokoyama
Prod. : Nikkatsu Kyoto. Sc. : Mizoguchi Kôju. Op. : Uchida Seiichi.’ Int. ; Suzuki
Kenji et Takabatake Tatsuo, Op. _ : Iwata Utako, Katsura Teruko, Koïzumi Kasuke.
Shohei. Int. : Ohara Kasuke. Sakai Yoneko
F ilm tiré d ’une pièce de th é â tre qui r a ­
(Un idiot est tombé amoureux d ’une geisha. conte les a m o u rs d ’une geisha et d ’un bonze.
Découvrant qu’elle a un amant, il tue elie et O n m e b lâ m a it d’avoir ou trag é la dignité
l’amant.)
de la religion. O n était bien sévère à cette
C’est aussi l ’adaptation d ’mie pièce é tra n ­ époque-Ià. O n ne d ira it rien m a in te n a n t
gère.
MUSEN FUSEN (Pas de combat sans
GENDA1 NO JOO (La reine des temps mo­ argent) (1925).
dernes} (1924). Prod, ; Nikkatsu Kyoto, Sc. .- Okamoto
Prod. : Nikkatsu Kyoto. Sc. ; Murata Mi- Ippei et Hatamoto Shuichi. Op. : Uchida
noru. Op. ; Uchida Seiichi, /nt. ; Sakai Seiichi. Int. : Yamamoto Kaichi, Urabe K u­
Yoneko, Minami Mksuaki. meko.
(Une veuve très riche tombe amoureuse (Caricature sur l’argent et l’amour. L ’his­
d ’un pauvre étudiant et abandonne pour~.lui toire se passe en Chine.)
toute sa fortune.)
J ’a i fait d a n s ce film une satire de la
Je m e souviens seulem ent que c’était un guerre, d ’ap rès les c aricatu res d’O k am o to
film produit p a r la compagnie pour uni* lppei. Le film a passé à Kyoto, m ais d an s
actrice. d ’au tres villes, il a été interdit.

JOSEl W A T SUYOSHl (Les femmes sont K AN RA KU NO ONNA (La femme de joie)


fortes) (1924). (1925).
Prod. ; Nikkatsu Kyoto. 5c. : Nikkatsu (sec­ Prod, : Nikkatsu Kyoïoto, 2° section. Sc. :
tion littéraire). Oj!>. Uchida Seiichr. Int. : Mizoguchi Kenji et Hatamoto Shuichi. O p. :
Sakai Yoneko, Mimasu Yutaka. Uchida Hitoshi. Int. : Yamamoto Kaichi,
(Une femme mariée .avec un homme de Mimasu Yutaka, Sakai Yoneko.
basse moralité est obligée de divorcer sous, (Un enfant prodigue, après bien des aven­
un faux prétexte. Le mari, à ce moment-là, tures, finît par tuer quelqu’un. 11 rencontre
est pris d’un véritable amour pour elle.). son père tout à fait par hasard : devant une
église- Le père et le fils s'embrassent.)
C ’est une histoire vécue. Son adaptation
th é âtrale avait connu un grand succès. Nous
en avons fait un film. AKATSUKI NO SHI (La mort à 1 aube)
(1925).
Prod. : Nikkatsu Kyoto. Sc. : Ito Matsuo.
JlN-KYO (Le monde ici-bas) (1924). Op. : Uchida Seiichi. Int. ; Mizushima Ryo-
Prod. : Nikkatsu Kyoto. Sc. Osanai Kaoru taro, Koizumi Kasuke.
et Tanaka Soichiro. Op. : Uchida Seilchi. (Un homme qui a abandonné sa femme
Int. : Suzuki Demmei, Takagi Eîjt, Urabe et ses enfants, les retrouve par hasard, mais il
Kumeko. est poursuivi par la police. Il finit par se
(Pour payer ses dettes, un propriétaire tuer en plongeant dans la mer,)
marie sa maîtresse à un montagnard et se
destine, de son côté, à faire un riche mariage. J e ne m e rappelle pas grand-chose de
Maïs le montagnard, jaloux, le tuera.) ces deux films p arce que, sauf T âge no

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D em m ei Suzuki et 'Kumeko LTrabe d an s K yo ku b ad a n
no joo (La R eine du Cirque) (1925).

Utü, G in kyo et M usen Fusen, tous les films Tatsuyuki, Int. : lylinami Mitsuaki, Taka-
de cette époque o n t été imposés p a r la jïma Aiko.
compagnie. (Le véritable amour s’éveille chez une
femme, quand elle _a vu son mari s’exposer
dangereusement en participant à un concours
KY OKUBAD AN NO JOO (La reine du aéronautique.)
cirque) (1925). '
Prod. : Nikkatsu 2e section. Sc. ; Takajima Je ne crois pas qu ’il s’agisse d ’un de
Tatsuo et Hatamoto Shuichî* Op. : Uchida m es films (M. M izoguchi le dit, mais, en
Hitoshi. Int. : Suzuki Demmei, Urabe Ku- compulsant les archives de notre revue,
meko. nous avons trouvé la preuve q u ’il s’agit
(Après avoir vaincu beaucoup d ’obstacles, bien d’un film d e Al. Mizoguchï).
deux vedettes du cirque s’unissent.)
SHIRAGIKU W A NAGF.KU (La plainte du
J e ne m e rappelle m ê m e pas Vactrice lys blanc) (I925).
qui a joué le rôle principal dans ce film.
Prod. : Nikkatsu, 2e section. Sc. : Shimizu
Ryunosuke, d ’après l'oeuvre de (oKa Gais-
GAKUSO O 1DETE (Après les années vorthy. Op. .- Yokota Tatsuyuki. Int.
d’études) (1925). Okada Yoshido, Kondo Iyokichi,
Prod. ; Nikkatsu 2e section. Sc. : Nomura (Un homme qui a commis un meurtre mal­
M'asao et Mizoguchi Kenji. Op. : Yokota gré iui et se trouvé dans l'impossibilité de

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se présenter à la police à cause du lien qui le C ’est aussi un sénurio la u ré a t d ’un
lie à ses complices, se jette avec sa bien- concours.
aîmée dans la mer.)
J e m e rappelle sim plem ent que c’est mon GA1JO NO SKETCH (Scènes de la rue)
am i Shim izu qui a adapté cette pièce de (1925).
G alsw orthy, Prod. ; Nikkatsu Shincekibu. Op. : Yokota
Tatsuyuki. Int. : Tôjôbô Kiyonaga, Okad«
Yoshiko.
DAICHI W A HOHOEMU (Le sourire de (Scènes de la ville nocturne. La joie d ’un
notre terre) (1925). jeune homme qui a gagné *l'amour d' une
Prod. : Nikkatsu 2° section. Sc. ; Yoshida danseuse, et la douleur d ’un ouvrier qui a
Momosuke et Hatamoto Shuichi. Réalisateurs : tué’ Son camarade.)
l1-5 partie : Mizoguchi Kenji, 2° partie ; Wa-
kayama Osamu, 3° partie : Suzuki Kénsaku. C’était un recueil, pour ainsi dire, de
Op. : l™ partie : Yokota Tatsuyuki, 2a par­ petits épisodes. L’épisode que j’ai to u rn é
tie : Uchida Seiichi, 3° partie ; Isayama Sa- était l’histoire d ’un jeune h o m m e qui vou­
buro et Kiga Seigo. Int. : Takagi Eiji, Na­ lait se suicider e t qui em poisonne p a r e rre u r
kano Eiji, Umemura Yoko. un autre. J e m ’en souviens très bien, parce
(Une collaboration des trois compagnies {pie j'ai collaboré avec les au tres m e tte u rs
de cinéma ; Nikkatsu, Shôchiku et Tôa, en scène d an s ce film.
d'après les scénarios présentés au concours
organisé par le journal Asahi. Un mélodrame.) NIGI TA1SHO T O 3CUMA SAN (Le général
Une ceuVre de M. Yoshida qui a obtenu Nogi et Kuma-san) (1926).
le prix du journal Asahi. C h ac u n des trois1 Prod. i Nikkatsu Shingekîbu. Sc. ; Nik-
réalisateurs s’est chargé d’une partie de katsu Shingelibu. Int. ; Yamamoto Kaichi,
l’reuvre. ’K.oizum.‘5 Kasuke. Urabe Kumeko.
(La bonté et la gentillesse du général Nogi
envers un petit vendeur de journaux et un
AKAl YUHI Nt T E R A SA R E TE (Au iayon . cocher.)
rouge du soleil couchant) (1925).
Le thèm e du « G énéral Nogi » était
Pfod. : Nikkatsu, 2e section. 5c. : Naga­
saki Takeshi et Hatamoto Shuïchi- Ojb. en vogue à cette époque-là.
Yokota Tatsuyuki. Int. : Minami Mitsuaki,
Nakano Eiji. DOKA-O (Le roi d’une pièce d ’un sou)
(Les amours et les aventures d ’un espion (1926).
en Mandchourie.) Prod. ; Nikkatsu Shingekîbu. 5c. ; Mizo-
guchi Kenji- Op. ; Isayama Saburo. Int. :
On sentait déjà à cette époque la m e­ Sato Enjî, Saîjo Kayoko.
nace de la guerre. (Drame policier, autour d’une pièce d ’un
sou sur laquelle est gravé un dessin louche.)
FURUSATO NO Û T A (La chanson du pays A daptation d ’un ro m a n policier étran g er.
natal) (1925).
Procl. : Nikkatsu Shingekîbu, Sc, : Matsui KAM1-NINGYO HÀRU NO SASAYAKI.
Chôji et Shimizu Ryunosuke. Op. : Yokota (Le murmure printanier d ’une poupée de
Tatsuyuki. Irtt. ; Kito Shigeru, Tsuji Mineko. papier) (1926).
(Depuis que certains jeunes gens sont reve­ Prod. : Nikkatsu. Sc. : Tanaka Eizô. Op. :
nus de la ville, l’atmosphère d ’un village de­ Yokota Tatsuyuki. Int. : U mem ura Yoko,
vient de plus en plus frivole. Le groupe des Okada Tokihiko, Shirna K ôji.'
jeunes paysans sages essaye de lutter contre (L’amour et le mariage d ’une belle jeune
la mauvaise influence des premiers. Ce fille du quartier de Yakkenbori. Le film décrit
scénario a obtenu le prix du ministère de en même temps la chute d ’une petite entre­
l'Education Nationale.) prise.)
C’était un film imposé p a r les fonction­ Scénario de M, T a n ak a . Le projet a été
naires pour au g m en te r la production de riz. établi, pour ainsi dire, p a r cc K in-yô-kai »
de Nikkatsu. C ’éta it un groupe d ’études
ciném atographiques présidé p a r M. Mori
NINGEN (L'Homme) (1925).
Iw ao. J e m e rappellé que Mme U m em u ra
Prod. ; Nikkatsu Shingekîbu. Sc. : Suzuki venait d’e n tré r à N ikkatsu. J e pense que
Zentaro et Hatamoto Shuichi. Op. : Yokota c’est à cette époque-là q u e j’ai c o m m en cé à
Tatsuyuki, Int. : Nakano Eiji, Okada Yoshi-
ko. tro u v er m a voie.
{Un jeune homme ambitieux, après bien
des aventures, à Nagasaki, à Osaka et à Tokio SH1N ONO GA TSUMl (Ma faute, la suite)
se marie avec une fille d ’un riche industriel. (1926).
Mais il se sent devenir odieux à lui-même et Prod. : Nikkatsu Shingekibu. 5c. .• Kiku-
retourne à son pays natal.) chi Yûhô et Hatamoto Shuichi. Op. : Matsu-

8
Dôka-ô {Le R oi d'une pièce d’un sou )(
1926)

zawa Matao. Int. : Sunada Komako, Takagi KA1KOK.U DANJI (Les enfants de la mer)
£ijï. (1926).
(Adaptation d ’un mé'odrame très connu,} Prod. : Nikkatsu Gendaigekibu. Sc. : Ya-
miamoto K ajim et Takeda Akira. Int. : Hirose
J ’ai été forcé de to u rn er ce film avec Tsuneyoshi, Sunada Komako.
l’actrice Sunada. O n me dit que c’est (Après avoir obtenu le diplôme d ’une école
vers cette époque que j’ai v raim ent trouvé de la mâtine, un jeune homme est employé
m on style, m ais je ne suis pas du tout dans une compagnie de pêche et gagne
l’amour de la fille du président.)
content de ce film.
L’a cteu r Hirose était en effet un diplômé
de fécule de la m arine.
KYOREN NO ONNA SHISHO (L’amou, fou
d ’une maîtresse de chant) (1926). KANE (De l’argent) (1926).
Prod. : Nikkatsu Shingekibu. Sc. : Ka- Prod. ; Nikkatsu Shingekibu. Sc. ; Mizo­
waguchi Matsutaro. Op. : Yokota Taisuyuki. guchi Kenji, Takeda Akîra et Hatamoto Shui­
Ini. : Sakai Yoneko, Nakano Eiji, Qkada chi. op. : Yokota Tatsuyuki. Ini. : Koizumi
Yoshiko. Kasuke, Tokuga'wa Yoshiko.
(Nobushîga, maîtresse de chant, qui a (Une comédie décrivant avec humour
gagné l’amour d ’un jeune homme, devient la veille du Nouvel An dans un petit restau­
extrêmement jalouse. Quand ce dernier s’en­ rant.)
fuit avec une de ses disciples, le fantôme de
la maîtresse tue les deux amants.) J e lie m e souviens p as très bien, mais je
pense que c’était l'histoire d’un employé
A daptation d ’une pièce de K abuki {Kti­ d’une b an q u e qui, pour avoir la dot de sa
sane). C ’est le prem ier scénario de M. :Ka\va- fille» se fait renvoyer exprès, en je tan t de
gitchi ÏVÏatsutaro. Mon am i K aw ak îta l a l’a rg e n t a p p a rten an t à la banque d an s un
vendu en Europe avec un au tre film, et on étang.
a gagiié pas mal d’argent. D’ailleurs, c’est
grâce à ce film que K aw akîta s’est lancé KO-ON (Gratitude envers l’empereur) (!927).
dans le cinéma. Prod. : Nikkatsu Shingekibu. Sc. : Hata-
Voshiko Tofcugawa, ICasuke K o m m ii et iWidori K om atsu dans !\anc (De l'argent) (1926).

moto Shuichi. Op. : Yokota Tatsuyuki- /nf. ; H1TO NO ISSHO (La vie d ’un homme) (1928)
Ichikawa Harue, Minami Mitsuaki. Pro<J. ; Nikkatsu. Sc. : Hatamoto Shuichi,
(Deux frères sont élevés par leur mère, leur d ’après les caricatures de Ofeamoto Ippei.
père étant mort jeune. Le cadet va à la Op. : Yokota Tatsuyuki. Int. : Koizumt Ka-
guerre russo-japonaise et revient décoré, mais suke.
l’aîné est un débauché. Lé cadet admoneste (Adaptation d ’une série de caricatures pu­
son frère aîné.) bliées dans une revue féminine.)
J ’ai tourné ce film sur com m ande de J e crois avoir fait tro is séries, en to u t
J’arm ée, m ais on a coupé une scène où un Je m e rappelle égalem ent une rem arq u e de
soldat blessé joue de l’accordéon, en disant M o n Iw ao : « O n dirait que c'est une
que cette scène était antim ilitariste. O r, com édie russe ».
q uand j’ai présenté le îilm censuré, le préfet
de K yoto m ’a loué d ’avoir fait un bon film. NIHON-BASHI (Le pont Hihan) 0929).
Prod, : Nikkatsu. Sc. : Mizoguchî Kenji,
d ’après la pièce dTzumi Kyôka, Op. ; Yokota
J1HI SHIN-CHO (1927). Tatsuyuki. Int. ; Okada Tokihiko, Lfmemura
Prod. ; Nikkatsu Shîngekibu. Sc. : Hatamoto Yôko, Natsukawa Shizue.
Shuichi, d'après le roman de Kikuchi Kan. (Un triste amour dans le quartier des m ai­
Op. : Yokota Tatsuyuki. Int. : Hara Mitsuyo, sons de thé de Tokyo, de la fin de Meiji au
Nakano Eîji, Okaaa Tokihiko, Natsukav/a début de Taîsho : environs de 1910.)
Shizue.
J ’ai écrit m oi-m êm e le scénario d ’après
(Un mélodrame à trois personnages : une une pièce de th é âtre. O k a d a était u n très
jeune fille voit sa main demandée par des
jeunes gens. Un long métrage de treize bo­ bon acteu r. Il était m alade de la poitrine,
bines.) m ais c’était v ra im e n t agréable de travailler
avec lui.
Le ro m an de K ikuchi Kan. C ’était un
îilm p o u r H a ra Mitsuyo. T ous les autres TO K Y O KOSHIN-KYOKU (La marche de
étaien t des vedettes de l’époque. Tokyo) (1929).

10
Yoshie Fujiwara (à gauche) dans Fur usa to (Le Pays natal) (1930).

Prod. : Nikkatsu. Sc. ; Kimuia Chikao, (Histoire d ’une jeune femme séduite par
d’après le roman de Kikuchi Kan. Op. ; un homme riche, et d ’un jeune ouvrier, pé­
Yokota Tatsuyuki. Int. ; Natsukawa Shîzue, nétré de l’idée de justice. Ils décident tous
Irie Takao, Kosugi Isamu, deux de ï.e venger du riche.)
(La vie aventureuse d ’une geisha — qui La production ignorait que le scénario
est la fille illégitime d ’un homme très riche —
entourée de ses amoureux-) était tiré d ’un recueil de nouvelles d’écri­
vains de gauche. Sinon, elle n ’a u ra it pas
D u point de vue com m ercial, ce film fut approuvé le projet. A la lin du tournage,
un g ra n d succès. Nous avons distribué le lions fûmes convoqués p a r la police, ce ?i
disque de ta chanson aux b a rs de G in/a. quoi je m ’attendais. J e m e suis présenté
en com pagnie de M o n Iivao. P o u rta n t nous
ASAH1 W A K AG AYAKU (Le soleil levant avons été étonnés quanti l'ag en t de police
brille) (1929). nous a dit: « N e voulez-vous fms passer une
Prod. : Nikkatsu. Sc. ; Kimura Chikao, nuit ici ? »
d ’après les idées du journal Asahi. Op. : Le q u artier où nous avons tourné le filai
Yokota Taisuyuki, Int. : Nakano Eiji, Mu-
rata Koju. était un q u artier presque hors-la-loi : nous
(La. vie de deux amis qui sont entrés au étions obligés de nous déguiser en ouvriers,
journal Asahi.) portant l’appareil en cachette.
C’est un film publicitaire, pour com m é­ FURUSATO (Le pays natal) (1930).
m orer l’anniversaire du journal, Prod. : Nikkatsu. Sc. : Mori Iwao, Kisaragi
Bin, Hatamoto Shuichi, Kobayashi Tadashi.
TOKAI KOKYOGAKU (La symphonie de O p. : Yokota Tatsuyuki et Mineo Yoshio'
la grande ville) ((1929). Int. ; Fujiwara Yoshie, Natsukawa Shizue,
Prod. : Nikkatsu. Sc. : Hatamoto Shuichi Kosugi Isamu.
et Kobayashi Tadashi, d'après les œuvres de (Un jeune chanteur, de talent mais mal­
Kataoka Teppei, Hayschi Fusao, Asahara chanceux, se marie avec une femme de
Rokuro, Okada Saburo. Op. : Yokota Tatsuyu- chambre qui l’encourage et établit sa répu­
ki./nf. ; Kosugi Isamü, Takagi Eiji, Ichiki tation grâce aux efforts de ses amis. Mais il
Reiji, Natsukav.'a Shizue, îrie Takako. se corrompt en passant tout son temps dans
Shizue N atsukaw a et Kôji S him a d an s T o k i no ujigarni {Le Dieu-gardien du tem ps) (1932).

le monde. Tiré enfin de ses erreurs, il SHIKAMO KARERA W A YUKU (Pour­


coupe tous ses liens avec le inonde.) tant ils s’avancent) (1931).
Mon prem ier film p arlan t avec Fujiw ara Prod. : Nikkatsu. Sc. : Hatamoto Shuichi,
d ’après Shimomura Chiakï. Of>. : Yokota
Yoshie et le systèm e « W este rn », — em ­ Tatsuyuki. Int. ; Umemura Yôko,
ployé alors pour tes films d’actualités :
beaucoup de peine, peu de résultat. En tout (La vie d’une jeune fille innocente qui se
fait duper par plusieurs hommes méchants.)
cas, il ne faut pas faire des choses au x ­
quelles on n'est pas habitué. N otre ingé­ Un film à tendance sociale, qui encourut,
nieur du son était un technicien du m inis­ lui nussij les sévérités de la pol ce. Le to u r­
tère des P.T.T. qui n ’avait aucune form a­ nage e u t lieu h T am anoï, le q u a rtier des
tion théâtrale. Q u an d nous lui avons prostituées, A cette époque on se livrait à
dem andé d’enregistrer la voix d’un m alade du chantage contre l’équipe de to u rn ag e :
au lit, il a refusé en disant que c’étaît im ­ m ais aujourd'hui, on est b eaucoup plus ra i­
possible. Il ne pensait nullem ent à l’Art. sonnable. On se contente de nous dire :
« N ous savons bien que vous allez dire
TOJIN OKICHI (Okichi, l’étrangère) (1930). bcûutcoup de m al de nous là-dedans, m ais
Prod, ; Nikkatsu. Sc. : Hatamoto Shuichi, c’est plutôt de la publicité po ur nous ! »
d ’après le roman de Juichiya Gîsaburo, Of>. :
Yokota Tatsuyuki. Jnf. ; Umemura Yôko, TOKI NO UJ1GAM1 (Le dieu-gardien du
Yamamoto Kaîchi, Shima Kôji. temps) (1932).
(Okichi, fille d ’une pauvre famille de Shi- Prod. Nikkatsu. Sc. : Hatamoto Shui-
moda, devient geisha. Harrts, consul améri­ chi, Kobayas-ii Tadashî, d ’après une pièce de
cain, tombe amoureux d ’elle et pour rompre Kikuchi Kan. Op. : Yokota Tatsuyuki. Jnf. ;
la liaison entre Okichi et son ami, donne la Shima Kôji, Natsukawa Shizue.
ualité de Samouraï à ce dernier. Au milieu
e la foule qui l’invective, Okichi entre dans (Une comédie sur deux couples qui se
la maison de Harris.) disputent et se brisent.)
J e l!ai tiré du ro m an de Juichiya, publié Un pièce en un acte de AL K ikuchi :
dans le journal Asahi. Je regrette beaucoup les querelles de deux couples. J e m e ra p ­
sa m ort. pelle S h im a et N atsu k aw a, p a rm i les in ter­

12
prêtes, et c’est tout. Depuis Jihi Shin- l'époque de Meiji, à travers les yeux d’une
chô, M. Kikuchi était devenu très a im a ­ très belle geisha,)
ble, et j'aim ais bien aller le voir, c a r il A cette époque, je m ’intéressais beaucoup
v avait toujours chez lui de jolies jeunes au x épisodes de 1ère de Meiji, su rto u t du
lilles. début de Meiji. Après le tournage, le studio
de T am ag aw a a cherché un m e tteur en
MANMO KENGOKU NO REIMEI (L'aube de scène : ou m ’a recom m andé. Le chef de
la Man.dchau.rie) (1932). la section de production était Makino Mit-
Prod. : collaboration de Irie Production, suo- Cela se passait an térieu rem en t à la
Nakano Production et Shinkô Kinema. Sc. .• querelle entre Nikkatsu et Nagata.
Mikami Otakichi, adaptation de Shinkô
Kinema. Op. : Aojima Jun-icbiro et Na- A IZO T O G E (Le col de l’amour et de la
kayama Yoshio. Int. : Irie Takako, Nakano Eîji. haine) (1934).
(Un mélodrame qui se déroule eu Mongolie, Prod. • Nikkatsu Tokyo. Sc. : Kawagu-
en Mandchourie et au Japon, à l’époque de chi Matsutaro et Takashima Tatsunosuke.
la guerre de Mandchourie.) Op. : Yokota Tatsuyuki. Int. :■ Yamada Isuzu,
Natsukawa Daijiro, Suzuki Demmei.
Toki no Ujigami fut le dernier film qvm
je tournai chez Nikkatsu. Celui-ci est le (L’amour d'une actrice pour un jeune révolté
du parti libéral.)
prem ier que j’aie tourné chez Shinkô, Je
crois que le projet fut établi p a r T achibana J e suis d onc allé à T am agaw a, avec
Ryosvike, sur la dem ande du G énéral Su- Y am ada Isuzu. Ce film relate aussi un
giyama. Donc, ce film naquit d ’une idée épisode de Père, de Meiji. Il n ’y avait rien
politique, plutôt qu’artistique. à T am ag aw a à ce mom ent-là. Après le to u r­
nage, nous nous sommes disputés avec
TAKINO SHIRA1TO (1933).' Nikkatsu et avons créé Daiichi Eiga à
Kyoto avec Nagata. E ntre temps je m e
Prod. : Irie Production, Sc. : Tôiôbô Kiyo- suis disputé égalem ent avec Irie P roduc­
naga, Masuda Shinjr, Tataoka Kemosuke, tion : je pensais q u ’une femme ne devrait
d'après le roman d ’Izumi SCyôka. Op. : Miki pas fonder une m aison de production.
Shigeru- In t. : Irie Takako, Okada Tokihiko.
(L’amour d’une artiste d’après un roman
célèbre.) ORIZURU OSEN (1934).
Prod. : Daiichi Eiga. 5c. : Takashima
L’association des deux vedettes, Irie et Tatsunosuke, d ’après l'oeuvre d'Izumi Kyoka.
O kada, obtint beaucoup de succès. C ’étaît Int. : Yamada Isuzu, Natsukawa Daijiro.
d ’ailleurs un film que je voulais tourner (Le drame d ’une femme qui, à l’époque de
depuis longtemps. Meï]’i, connaissait une vie triste, k cause de
sa beauté.)
GION MATSURI (La fête de Gion) (1933). Une adaptation du ro m an d ’Izumi"Kyoka,
Proâ. : Shinkô Kinema, Sc. : Mizoguchî « B aisboku K nm onam ban ». Nous avons
Kenji, d ’après IKawaguchi Matsutaro. Op. ; changé le titre, parce que le titre original
Miki Minoru. Int. : Mon Shizuko, Okada To­ sonne assez m al (Baishoku = prostitution).
kihiko. Nous avons eu beaucoup d e peine, m ais
(Le triste amour d’une fille unique de nous n ’avons pas réussi à d o n n er au film
grande maison et de son jeune employé.) la qualité du rom an. C’était un sujet que
j’aim ais bien.
On p ourrait croire que ce film a été
tourné à m on idée, mais, en réalité, ce fut
MARIA NO OYUKI (La vierge d ’Oyuki)
fe contraire. De plus, nous étions extrê­ (1935),
m em ent pressés, n ’ayant devant nous q u ’une
vingtaine de jours, c a r il fallait finir le Prod. ; JDaiichi Eiga. Sc. : Kawaguchi
Matsutaro, d ’après « Boule de Suif » de Mau-
Iilm av an t la fête des m orts (vers le >assant. Op. ; Miki Shîgeto. Int. ; Yamada
15 août). Depuis Kyoren no O nna Shisho, fsuzu, Hata Komako et NatsukaWa Daijiro,
je n ’ai pas travaillé assez souvent avec m o n
am i Kawaguchi. (L’amour d'Oyuki, une prostituée, et d ’un
soldat de l’armée gouvernementale à l’époque
où Saïgo s ’est enfui du Château de Kama-
KAMIKAZE REN (Gïoupe Kamikaze) (1933). moto et s’est retiré à Hitoyoshi, en 1878.)
Prod. : Shinkô Kinema et Irie _ Produc­ U ne adaptation très m auvaise de « Boule
tion. Sc, : Mizoguchî üCenji et Juichiya Gisa- le suif y>" de Mau p a s s a n t Nous avons tra n s­
buro. Op. : Miki Minoru. /nt. : Irie Takako, po rté l'histoire à l’époque de la guerre de
Tsukîgata Ryunosuke. S einan (1878), m ais le scénario n ’était pas
(Description de l’atmosphère sociale de bien fait.

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GUBUJINSO (1935). les deux. J e voulais changer un peu m on
sujet parce que j'étais tro p h abitué aux
Prod. : Daiichi Eiga. Sc. : Itô Daisuke,
'd ’après l'œ uvre de Natsume Sôseki. Op. : épisodes de Meiji. De plus, le carac tè re de
Miki Mînoru. Int. : Miyake Kuniko, Tsukida l'héroïne m ’a beaucoup attiré. Le tournage
Ichîro, Okura Chiyoko. a été te rm in é assez rap id em en t : en une
vingtaine de jours. C om m e la production
J e n ’était pas content du fi!ni. A cette é ta it petite, nous ne pouvions p as travailler
époque, ça n’allait pas, il nie semble. — là-tlessus longtemps. — J e m e souviens
D ’ailleurs, je n e Faisais pas beaucoup de aussi de la passion et de l’assiduité de
films à ce mom ent-là. On était à la veille m on am ie Yam ada.
de, la g uerre nippo-chinoîse, et l'on se de­
m a n d a it q uand ferm erait !e studio. Moi, je
le savais, m ais je ne pouvais en parler G ION NO SH1MAJ (Les soeurs de Gion)
aux autres. (1936).
Prod. : Daiichi Eiga. Sc. .• Mizoguchi Kenji
et Yoda Yoshikata. Op. : Miki Minoru. Int. :
NANIW A H1KA (L’élégie de Nanivva) Yamada Isuzu, Umemura Yoko, Shindo Eita-
(1936). ro, Shiganoya Benkei.
Prod. : Daiichi Eiga. Sc. ; Mizoguchi Ken­ (L’opposition de deux sœurs, l’aînée étant
ji et Yoda Yoshikata- Op. : Miki Minoru. Int : une geisha fidèle à la tradition, et la cadette,
Yamada Isuzu, Shiganoya Benkei, Shindo également une geisha, mais plus moderne
Eitaro, Hara Kensaku- dans sa façon de penser,)
(L’histoire d ’une jeune fille qui est obligée A près N aniw a Hik&, M. Yoda et moi,
de se vendre pour 300 yen. Description minu­
tieuse de l’héroïne et des circonstances.) avons pu trav ailler un peu plus tranquille­
m e n t Aller d’O sak a à K yoto éta it dans
A cette époque, M. Yoda travaillait à l’o rd re des choses et, si l’on est à Kyoto,
U zum asa com m e scénariste, mais, en ré a ­ on pense à Gion. Ce film, égalem ent, fut
lité, il faisait tout : script, assistant, etc. te rm in é en u n tem ps assez c o u rt : m oins
I! é ta it m alade de la poitrine, J ’avais be a u ­ d’un mois. Mais les affaires d e D aiichi
coup de sym pathie pour lui. et pour ce film Eiga n*aliaient plus. Le film fut projeté
nous avons réfléchi bien longtemps tous dans un ciném a mal situé.

Unpeï Yokoynma, Daijiro N atsukaw a et Isuzu Y am ada dans Orjzurii O s en (1934).

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Isuzu Y am ad a d an s Naniiva H ika {L’Elégie de N aniw à)
(1936),

AlEN-KYO (L’impasse de l’amour et de la Int. : Yamaji Fumîko, Shimizu Masao, Kato


haine) (1937). Seiichi*
Prod. ; Shinkô Oizumi. Sc. : Kawagucbi (Histoire d ’une femme qui, dans une petite
Matsutaro et Yoda Yoahîkata. Op. : Miki ville en plein développement, résiste au nou­
Minoru, Int. : Yamaji Fumîko, Kawasu Seisa- veau mode de vie et veut garder les vieilles
buro, SJiimizu Masao. traditions.)
(Une jeune fille née dans un pays de neige, II est bien naturel que, d a n s une ville
vient à Tokyo, et se corrompt. A la fin elle
est sauvée par un artiste vagabond, et en de province, si une g ra n d e industrie sé
tombe amoureuse.) développe, les petits co m m erçan ts soient
menacés. J e voulais décrire la révolte d ’une
Je suis reto u rn é à Shinkô. C ette fois-ci, femme contre la m aladie qui frappait sa
M. Kido m ’a donné le T h é âtre Im périal ville. Des cette époque, je pense, je pouvais
p our p résenter m on film. AL Yoda pensait faire ce que je voulais.
à cette histoire depuis l’époque de Gion,
bien q u ’en réalité, elle a it été trè s modifiée.
ROE1 NO U TA (Le chant de camp) (1938).
A H KOKYO (Le pays natal) (1938). Prod, ; Shinkô Tokyo. Sc. ; Hatamoto
Shuichi. Op. : Aojima Jun-ichiro. Int.
Prod. .■ Shinkô Tokyo. Sc. : Koidé Hideo Yamaji Fumîko, Kawazu Seisaburo, Matsu-
et Yoda Yoshikata. Op. : Aojima Jun-îchiro. daira Akira.

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(Une épisode du Japon militariste. Film tiré (Un acteur continue le métier de son père,
d ’une chanson militaire qui a obtenu le prix qui fut obligé d ’abandonner la carrière à mi-
du concours organisé par les journaux.) chemin.)
A près A h K o k yo , R okusha est devenu le Com m e la gu erre ap p ro ch ait de plus en
directeur du studio, et c ’est lui qui nous en plus, je ne pouvais plus to u rn e r ce que
a imposé ce film. J e pense qu'il m é rita de je voulais et com m e je voulais. Ce film qui
perdre son poste, après la guerre, unique­ concerne uniq u em en t la vie d ’u n a rtiste
m ent à cause de ce drôle de film. J e ne était m a façon de faire d e la « résistan ce ».
voulais plus to u rn er ici. E t com m e Mori
Iw ao m e dem a n d a it de venir à Tohô, m ais GENRCKU CHUSHINGURA (La vengeance
que N agata et Kido y étaient opposés, je de quarante-sept samourais) (1942).
suis allé à K am o (Kyoto). Prccî. : Shochikü Kyoto K ôa Eiga. Sc. ;
Mayama Seika, Hara Takeo et Yoda Yoshikata
ZANGIKU MONOGATARI (Histoire des Op, ; Sugiyama Kôhei. Mus. ; Fukai Shiro.
chrysanthèmes tardifs) (1939). Int. : Ichikawa Utaemon, Kosugi Isamu, Miu-
ra Mitsuko, Takamine Mîeko,
Prod. ; Shochiku Kyoto. Sc. : Muramatsu
Shôfû et Yoda Yoshikata. Op. ; Miki Shigeto. (Le film qui retrace fidèlement la célèbre
Mus. : Ito Senji.. Inf. : Hanayagi Shotaro, vengeance des „ quarante-sept samourais, à
Mori Kakuko, l’époque de Genroku.)
(L’incompabilité douloureuse de l ’amoui et Com m e T a sa k a et Uchida o n t ab an d o n n é
de l'art chez un acteur du Kabuki, Le modèle Nikkatsu, nous avons créé ensem ble Kôa
est Onoue Kikunosuke.) Eiga. P e n d a n t le to u rn ag e de ce îilm, la
J e suis allé à K yoto à la condition de g u erre m ondiale a éclaté. C’est u n film que
faire ce que je voulais. Donc, je pense que j’ai été pour ainsi dire co n tra in t de to u rn er.
j'ai pu to u rn e r ce film conform ém ent :i ma
volonté. En particulier, M. S hirai fut très DANJURO SANDAI (Trois Danjuros) (1944).
aim able avec moi, m ’aida beaucoup dans Prod. : Shochiku. 5c. .• Kawaguchi Matsu­
m on travail. J ’ai com m encé là à faire taro. Op, : Miki Shigeto. Int. : Bando
vraim ent m o n film. Kotaro, Tanaka Kinuyo, Kawarazaki Gonjuro.
(Sur la vie des artistes.)
NANIWA ONNA (La femme de Naniwa) C ’était une époque horrible. Il n ’y a
(1940). vraim ent rien à dire.
• Prod. : Shochiku Kyoto. Sc, : Mizoguchî
Kenji et Yoda Yoshikata- Op. ; Miki Shigeto,
Mus. : Ito Senji. Int. : Bando Kotaro, Ta- MIYAMOTO MUSASHI (1945).
naka Kinuyo. Prod. : Shochiku- 5c. : Kawaguchi Matsu­
(La vie d ’une femme belle et spirituelle qui taro. Op. : Miki Shigeto, In t. ; Kawarasakî
s’est consacrée au théâtre de Bunraku.) Chojuro, T anaka Kinuyo, Nakamura Gan-
emon.
F ilm que j’ai tourné à O saka, Le scénario (La vie de Musachî, samouraï très fort en
était de Yoda. J ’ai travaillé avec lui bien escrime.)
• souvent. Il était élève d’une école qui se
trouvait to u t près du studio. Il a appris C’était vers la fin de la guerre. O n ne
le m étier pour ainsi dire inconsciem m ent. pouvait plus to u rn e r q u e des films de ce
Q uand nous travaillons ensemble, nous dis­ genre. De plus, en tro is sem aines. A cette
cutons d’abord, et Yoda se retire chez lüi époque, tout le m onde était mobilisé. Moi,
pour écrire, c a r il ne peut écrire que chez je m e cachais.
lui, et ensuite, nous discutons encore. C’est
ainsi que nous établissons notre scénario. ME1TO BIJOM'ARU (L’épée Bijomaru) (1945)-
11 n e coûte pas cher, p arce que nous Prod. : Shochiku Ofuna. Sc, : Kawaguchi
n ’allons pas à la ville d’eaux pour le faire. Matsutaro- Op. ; Takeno Haruo. Int. ; Ha­
E n général, nous m ettions six mois pour nayagi Shotaro, Yamada Isuzu.
b âtir un' scénario. , (Histoire d'une femme dévouée à son mari
qui se consacre à la fabrication des épées.J
GEIDO ICH1DAI OTOKO (La vie d’un C’est la même chose. Rien à dire.
acteur) (1940).
Prod, : Shochiku Kyoto. 5c. ; Kawaguchi
Matsutaro et Yoda Yoshikata. Op. : Sügiya- ]OSEI NO SHORI (La victoire des femmes)
m à Kohei, Mus. -■ Ito Senji. In t. : Naka mura (1946).
Senjaku, Nakamura Yoshiko, Takada Koki- Prod. : Shochiku Ofuna. 5c. ; Noda Ko go.
chi, Bando Minasuke, Umemura Yoko, Hara Op. : Ikata Toshîo. Int, ; Kuwano Michîko,
Komako, Tanaka Kinuyo, Miura Mitsuko. .

16
Sü Y am am ura, Kinuyo T a n a k a et Eitai'ô O zaw a d a n s Joyu S u m a k o no ko i (L ’A m o u r de
l’actrice S u m a k o ) (1947).

(Film social qui décrit la libération des que U tam aro est un peintre populaire. Il
femmes japonaises qui vivaient sous le code fallait d em an d er chaque fois l’opinion de
de la morale féodale.) l’a rm ée occupante, .l’au rais voulu faire ce
A la fin de la guerre, il n'v avait pas de film avec lin peu plus de temps.
m etteur en scène à Ofuna : on m ’a de­
m andé de venir pour tourner un film, m ais JOYU SUMAKO NO KOI (L’amour de 1 ac-
on m ’a en m êm e tem ps nom m é président trice Sumako) (1947).
du syndicat de Shochiku, et il m e fut im ­ Prod. : Shochiku Kyoto Sc. ; Yoda Yoshi-
possible de continuer à travailler à mon kata, d ’après Nagata Hideo. Op. ; Miki Shi­
film, .l'étais d’ailleurs un président très geto. Int. ; Tanaka Kinuyo, Ÿamamura Sô.
particulier, c ar j’étais contre la grève. En (L’histoire vécu de l’amour du professeur
lin de compte, j”ai donné m a démission. Shïmamura Hôgetsu pour l’actrice Matsu*
C’est à ce mom ent-là qu’est m orte mon Sumako. Tous les deux se sont consacrés au
am ie Kuwano. théâtre nouveau. Shimamura meurt d ’une
maladie et Sumako se suicide après la moit
du professeur.)
UTAMARO O MEGURU GONIN NO ONNA
(cinq femmes autour d’Utamaro) (I946). C’est' T ôhô qui a eu l'idée le prem ier.
Shochiku aussi voulait faire un film su r le
Prod. .- Shochiku Kyoto. Sc. : Yoda Yo­ mêm e sujet. Du point de vue com mercial,
shikata, d ’après Kunieda Kanji. Op. ; Miki ce fut un succès, m ais du point de vue
Shigeto. Int, ; Banda Minosuke, Tanaka
Kinuyo. artistique, ce fut m oins réussi. Le scénario
était mal agencé. Même mon am i Yoda
(Les mœurs efféminées de la fin de l’épo­ n 'a pu faire un bon travail parce qu’il
que d ’Edo, décrites à travers les cinq femmes m a n q u a it de temps.
entourant le maître d’estampes Utamaro.)
On ne pouvait absolum ent pas to u rn er de YORU NO ONNA TACH1 (Les femmes de
lîlm historique, à cette époque-là. Moi- la nuit) (1948).
m êm e je suis allé au G.H.O. pour expliquer Prod. : Shochiku Kyoto. Sc. ; Yoda Yoshi-
Mitsuko Mito, Kinuyo Tanaka, Sadako S a w a m u ra , Yuniî T a k a n o dans Waga ko i w a
m o e m i {F lam m e d e m o n a m o u r) (1948),

kata, d ’après « Joseimatsuri » de Kusaka discuté ensem ble à Kyoto, mais, aux d e r­
Eijiro. Op. Sugiyama KôKei, Mus, • ; Osawa niers m om ents, il est m o rt subitem ent. J e
Toshito. Int. : Tanaka Kinuyo, Takasugî reg rette en co re m a in te n an t de ne pas
Sanae. 1’îivoir fait.
(Des femmes qui se dégradent dans la ville
d’Osaka, après la guerre.)
YUKI FUjIN E ZU (Madame Yuki) (1950).
Une œ uvre de M. K usaka. J e voulait Prod, : Shintoho Takimura Production. 5c. :
faire un film sur les prostituées. Nous Yoda Yoshîkata et Funabashi Kazuo, d ’après
som m es allés dans un qu artier d ’O saka où Je roman de Funabashi SeiSchi. 0/>. : Ohara
régnait le désordre. On dit que ça s’est Jôji. Mus. : Hayasaka Fumio, Int. : Kogure
am élioré m aintenant. Michiyo, Kuga Yoshiko, Uehara Ken, Yana-
gi Eijiro.
(Les aventures de Mme Yuki, fille unique
W A G A KOI W A MOENU ((Flamme de mon d ’un noble, entre un amant peu viril et un
amour) (1948). mari qui lut donne toute satisfaction sexuelle.
Prod. ; Shochiku Kyoto. 5c. : Yoda Yoshi- Elle finît par se suicider.)
kata, Shindo Kaneto. Op. ; Sugiyama KôheL
jWus. : lto Senji. Int. : Tanaka Kinuyo, Mito C om m e Sliochiku ir a pas accepté m on
Mitsuko, Oza'Wa Eitaro. projet de film d’ap rès les ro m a n s de Sai-
(Une jeune femme rompt avec sa famille lcaku, je l’ai quitté. A la proposition de
et vient à Tokyo. Elle fait de la politique, M. T ak im u ra, j’ai accepté de faire ce film,
adhère au parti libéra], mais finit par être à la condition qu ’il m e laisse to u rn e r un
trompée par l’homme qu’elle aime.) film sur S aîkaku. Mais ça n 'a b o u tit pas,
L ’histoire vécue de Mme ICageyama Eiko. sur le m om ent.
Y oda voulait le tourner, mais M. Shindo
avait déjà écrit un scénario qui me sem­ OYUSAMA (1951).
b la it trè s bon. A près ce film, j’avais le Prod. ; Daiei Kyoto. 5c. ; Yoshikata
projet d 'en to u rn er u n avec Kikugoro (l'ac­ d ’après « Ashikari » de Tanîzaki Jun-Ichiro.
te u r du Kabuki). Nous en avons m êm e Op. : Miyag-awa Kazuo. Mus. ; Hayakawa

18
Y ukiko T odoroki et K inuyo T an ak a dans M usashino fujin (Jm D am e de Musashino) (1951)

Fumio. Int. : Tanaka Kinuyo, Otowa No- SAIKAKU ICHÏDAI ONNA (Une vie, par
buko, Hori Yû]i. Saikaku) (OKaru) (1952).
(La sœur de Oyûsama, belle et noble, se Prod. ; Shîntôhô. 5c. : Yoda Yoshikata,
marie avec la personne qu’elle aime. Oyûsama d'après lhara Saikaku. Op. : Hirano Yoshimi.
vit avec les nouveaux mariés une sorte de Mus. : Sa ito Ichiro. Int. ; Tanaka Kinuyo,
concubinage platonique. Mais à la fin Oyûsa- Mifune Toshiro, Yamane Toshiko, Hamada
ma est obligée de retourner chez ses parents.) Yuriko.
Ceci non plus n ’était pas un travail facile. (La vie d ’une femme de la classe bourgeoiae
L e titre est de K aw aguchi : je pense qu’il d ’Osaka, victime des mœ urs sévères de l’é­
poque de Genroku.)
est très m auvais. J e ne suis pas content
des films de ces années-là. C om m e je l’ai dit to u t à l’heure, je p o r­
tais ce film d an s m on c œ u r depuis l’époque
MUSASHINO FUJIN {La dame de Musashî- où je vins à Kyoto. « V ouloir c’est pou­
no) (1951). voir » est u n e m axim e vraie. Il faut réflé­
Prod. ; Tôhô. Sc. : Fukuda Üôson et Yoda chir cinq ou six an s a v a n t de com m encer
Yoshikata d ’après le roman de Ooka Shôhei. à tourner. L’œ u v re que l’on a faite rap i­
Op. : Tamai Masao, Mus. ; Hayasaka Fu- dem ent ne donne Jamais un bon résultat.
mio, Int. ; Tanaka Kinuyo, Mori Masayuk:, P a rm i les ouvrages de S aikaku, il y en a
Yamamura Sô, Todoroki Yukiko.
encore beaucoup d’au tres que je voudrais
(Une femme, décidée à garder à tout prix filmer, parce que cela me p erm et de décrire
la propriété que îui a laissée son père, se l’h o m m e et la fem m e à l’in térieu r du sys­
morfond dans la société d ’après guerre et tèm e social de l’époque,
finit par se tuer.)
Film que j’ai tourné à Tôhô. Mais un UGETSU MONOGATARI (Contes de la lune
élém ent étranger à moi-m ême, il me sem­ vague après la pluie) (1953).
ble, est entré en jeu. J e voulais décrire le Prod. ; Daiei Kyoto (Nagata Masaîchi). Sc. :
m êm e genre de fem m e que celle d e Yitid Kawaguclii Matsutaro et Yoda Yoshikata,
Fujin, m ais quelque chose ne tournait pas d'après « Ugetsumonogatari » de Ueda Shu-
rond. sei. Op. .* Miyagawa Kazuo. Mus. : Haya-

19
saka Fumio. Int. : Kyo Machiko, Mito Mit- GION BAYSSHI (Musiciens de Gion) (1953).
suko, Tanaka Kinuyo, Mori Masayuki, Oza­ Prod. : Daiej Kyoto. Sc. : Yoda Yoshikata
wa Sakae. et Kawaguchi Matsutaio. Op. : JVliyagawa
(Recherche de la nature humaine dans deux Kazuo. Mus. : Saito Ichiro. Int. : Kogure
drames situés à l’époque du grand trouble Michiyo, Wakao Ayako, Shindo Eitaro, Ka-
intérieur du Japon : désirs violents de l’homme wazu Seisaburo.
et atmosphère mystérieuse et fantastique.) (Transposition de Gion no Shimai (1936)
Ce film aussi, je voulais le faire depuis dans la société japonaise d ’après la guerre :
les deux geishas, sœurs aînés et caaette, la
longtemps, m ais je ne suis pas content du première étant fidèle aux traditions et la
résultat, A mon avis, le véritable <c Ugetsu » deuxième moderne dans sa façon de penser.)
est une chose plus dure. P a r exemple,
l’hom m e joué p a r O zaw a ne devrait pas se Ici aussi, je Tus obligé de modifier l'h is­
raviser à la fin, m ais continuer son ascen­ toire à cause de l’esprit com m ercial des
sion sociale pleine d'am bition. Mais Daiei producteurs. A l’origine, je voulais m o n tre r
ne voulait pas de cette fin, et m ’a im posé la cadette beaucoup plus am bitieuse et
de la changer. Je n’aim e pas ce genre de h ard ie au point de rav ir son a m an t à sa
com mercialism e. Q u an d je suis allé en sueur aînée. Les gens de la com pagnie
Europe, on m ’a dit que « S a ik a k u » est ne voient pas Je tournage et pensent u n i­
meilleur que Vgctsu, en ce qui concerne quem ent dans leur bureau. Je n 'ap p ro u v e
la description de la n ature hum aine, et que pas cette attitude.
Ugetsu est trop « fabriqué ». (Traduit du japonais par TsUTOMU IwasaKI.)
De 1953 à sa mort (1956}, Kenji Mizoguchi a tourné ; Sansho Dayu (Ls Superintendant
Sansho} (1954); Chif^amatsu Monogatori (Les Amants crucifiés) (1954); (Jwasa No Onna (La
Femme crucifiée) (1954); Yofyihi (L ’Impératrice Yang Kwci-Fei] (1955); Shin Hef^e Monogatari
(La Saga du clan Taira) (1955); A \a se n Chitai (La R ue de la honte) (1956). Pour le générique
de ces films, se reporter à l’ar-icle de Luc Moullet paru dans notre n° 81, page 37. « P our
contribuer à uns filmographie de Kenji Mizoguchi ».
D’autre part, une autre filmographie, établie par la firme Towa, ajoute cinq autres films
à cette liste : après Hito No hsho, Mon adorable fille (1928); après Tofyai Ko}^yoga\u, L ’Orage
(1929) et Epoque (1929), interdit par la censure; une première version de Genro^u Chushingura
(1941); et, après Neito Bijomara, Le Chant de la Victoire (1945). Soit 86 films et un sketch.

1*111
=,V H l
m • v. V..

Isao Y am agata e t Kinuyo T a n ak a d a n s S a ik a k u ichîdai onna (Une vie, par S a ik a k u )


(La Vie de O-Haru, fe m m e galante) (1952).

20
Kenji Mizoguchi et ses interprètes, Masayukt Mori et Mnchiko Kyo (à gauche) pendant
le tournage de l'getsu Monogatari {Les Contes de ht lune vague après la pluie).

LES CONTES DE LA LUNE VAGUE

par Luc Moullet

Le plus fidèle com pte ren d u consisterait san s do u te à m ultiplier les exclamations,
superlatifs et m étaphores, à parler de la limpidité du cristal e t de la pureté de l’eau. Mais
au risque de provoquer une ru p tu re de ton entre l'œ uvre et la critique, il nous faut
aller plus loin. Le propos m êm e de la critique — qui, à m oins de ne pas dépasser la deini-
page, doit s’accom m oder des traîtrises de la convention analytique — n’est pas de viser
à l’absolu de l’œ uvre. S ’il existe une évidence ciném atographique, il ne sau rait y avoir
d’évidence en m atière de critique. C’est donc la gratuité, la relativité la plus complète qui,
seules, sont juges de notre sérieux et de n o tre com pétence. Oui, il n ’est d’au tre approche
du génie que p ar le petit bout de la lorgnette.

21
En plus de celle des m ots passe-partout et des références poétiques, je m 'avouerais
victim e d ’une a u tre tentation : celle qui consisterait à p ren d re Ugetsu p o u r un film japo­
nais de Mizoguchi, alors qu’en fait, c’est u n film de Mizoguchi, virgule, japonais. Le
propre des chefs-d’œ uvre est de dépasser com plètem ent le cad re des civilisations collec­
tives, si l’on m e pardonne cette association de m ots b a rb a re et paradoxale, qui considère
com m e fait ce qui ne peut être que virtuel, d o n t p o u rta n t ils sont issus. Il faut ne pas
m éconnaître les origines, m ais aussi s’avouer finalem ent qu’elles n’expliquent rien. Il ne
faut pas dire que seuls les Japonais pouvaient accéd er si h a u t — jolie blague : avec
Ugetsu, ils o nt égalé une lois les plus grandes œ u v res de l’Occident. F o rts de n o tre supé­
riorité quantitative en m atière de qualité, nous avons tendance à pousser trop loin la
bienveillance — peut-être par snobisme, m a is su rto u t parce qu’elle nous coûte si peu.
s'appliquant à l’exceptionnel et à l ’incontestable. Et, p a r des m oyens tout différents,
nous arrivons à des résultats presque com parables. Je n e crois pas nvéloigner de m on
sujet en citant le R ay de On Dangerous Ground, le M urnau de T a b o u — pour la stru ctu re
du plan et de la scène — le P rem inger de B o n jou r Tristesse p o u r la direction d ’acteurs,
plutôt qu’IIirofugé et Hokusaï, K inoshita et K u rosaw a, Nô et K abuki, q u ’on évoque san s
discrim ination, à to rt ou à raison, en connaissance de cause ou non, à propos de toute
japonaiserie, A la rigueur on p o u rra it dire, ce que je ne rep ren d rais pas à m on com pte
toutefois, qu’il s’agit d ’une vision Nô du K ab u k i d a n s la prem ière partie, et d ’une vision
K abuki du Nô dans la seconde.
Ce que nous, Occidentaux, ne com prenons pas — c’est-à-dire la symbolique locale —
n ’a aucune espèce d’im portance. Ce qu’un lexique p erm et de déchiffrer est de nul intérêt
artistique, et c’est pourquoi, d’ailleurs, il est excellent de voir de tem ps à a u tre un Mizogu­
chi sans sous-titres — c'est aussi passionnant que le spectacle le plus p assionnant du
m onde, celui des rushes.
Le principal est de com prendre qu’il y a quelque chose à com prendre et que l’on
n e com prend pas, et non de com prendre : le m oyen est ici la fin, c a r la fin elle-même
se m o n trera toujours banale ; cela vous fait belle jam be de savoir que le h arico t symbolise
lu m ort, ou quoi que ce soit du m ê m e <pî>nrif. E n fait, ce qui est plus grave, c’est que
nous échappent certains rapports subtils issus de la confrontation réciproque de sym boles
ou de sym boles avec ce que nous com prenons. J e pose la question : les Nippons peuvent-
ils com prendre m ieux que nous la signification de l’éto n n an te scène de la m o rt de
Miyaghi, que nous, nous expliquons com m e fondée, à l’im age de notre ciném a m oderne,
su r le m ouvem ent et non sur l’idée ? Est-il u n occidental qui puisse se ta rg u er d’avoir
m ieux saisi la signification de L ’H o m m e de VOuestj iVOrdet, d’Elena que celle cYUgctsu ?

U G ETSU PL U S F O R T QUE M IZOGUCHI

Mais j’y pense, Ugetsu est-il bien ce cristal limpide, ce p u r joyau que j’évoquais tout
à l’heure à l’étourdie du prem ier contact ? Ainsi, serait-il perm is de parler de C hikam atsu
ou de Yokwifi, m onogataris m onocordes et plus littéralem en t japonais. Ce n’est pas
com m e eux un film de pure sensibilité, to u rn é san s effort ap p aren t d an s le cad re a rtis a ­
nal, c’est une œ uvre de labeur et de recherches. Ma thèse ce sera Ugetsu plus fort que
Mizoguchi. C ’est le film le plus complexe du m o n d e e t te plus sîmpïe en m êm e temps, car
Mizoguchi considère la complexité de ce q u ’il nous m o n tre avec une distanciation, u n e
objectivité toujours égales. C’est à la fois Vart le plus achevé e t le jugem ent des flèches
de cet art. L a perfection de l’imperfection et l’im perfection de la perfection. L ’équilibre
parfait en somme. L a sublimité d* Ugetsu vient de ce q u ’il co m b at à Armes égales avec
les autres films, et de ce que, cependant, il trô n e d ’em blée au-dessus d’eux. Le ch am p
est b o u rré d’effets, m ais c'est au spectateur d ’aller les y chercher, non a u m e tte u r en
scène de nous les am ener sur un plateau p a r quelque sollicitation expressionniste.
Ugetsu, je me répète, c’est un film to u t à fait en m a rg e des quatre-vingt cinq a u tre s
qui com posent l’œ uvre de Mizoguchi, to u rn a n t elle-m êm e san s fin pour a b o u tir quelque
p a rt du côté de Yokw ifi. E t c’est sans doute g râce à la tran sc e n d a n c e du h asard et de
la contrainte. C o m m e toute œ uvre de vieillesse digne de ce nom , c’est une œ u v re sy n th é­
tique. O n sait que l’âge aidant, le créateur s’interroge su r la vanité du cum ul infinim ent
répété de l’invention, et s’en va chercher son b ie n ailleurs. Mais attention, cet ailleurs,

22
M acbiko Kyo et Masayuki Mori dans Ugetsu Monogatari.

ce n’est pas dans le K am tch atk a ou dans les nim bes qu’il p o u rra découvrir : il risque
alo rs de n ’être plus que le produit de l’idée pure, sans d’au tre liaison avec le m onde phy­
sique que p a r le canal d e la rétrospective. J e préfère Ugetsu à la seconde partie d Ivan
le Terrible, plus achevée que la prem ière, parce que la force du ciném a juvénile y va
de p a ir avec la noblesse du ciném a adulte.
S ’il est difficile de p arler d'Ugetsu, c’est qu’il s’agit d ’un film, non d’un bouquin, et
d ’un film qui n ’a u ra it jam ais pu être un bouquin. La signification d ’Ugetsu est résolu­
m e n t ciném atographique, donc moniste, p a r opposition à l’atom ism e fallacieux de la
création littéraire. De quoi s’agit-il au fa it? De l'unité de toutes choses, de leur continuité,
de leur confusion. Le point de vue d’Ugetsu se situe au niveau de Vimagination, au sens
prem ier du term e, et c’est pourquoi l’idée et la perception y sont si étro item en t liées.
Le p résent e t le passé, la vie et la m ort, les êtres de chair et les fantômes, l’échec e t la
réussite, quelle différence cela fait-il en fin de com pte ? Aucune, bien que nous sachions
que, seul, le présent a une réalité physique, que les fantôm es, ça n’existe pas. Il n’em ­
pêche que nous im aginons l’un et l’autre, et que to u t ce que nous im aginons, il est vrai
que nous l’im aginons. Q ue seul, ce que nous im aginons est vrai, p a r le fait même, e t
souverain, que nous l’im aginons : à m oins que, du jour au lendem ain, avec le progrès
scientifique, nous n e découvrions une a u tre form e de connaissance- E t n o u s n’avons p as
le d ro it de trie r p a rm i ce fait, c a r en refuser ne serait-ce qu’une partie, ce se rait ad m ettre
que l’on p eu t n ie r le m onde physique, que l’on peut to u t refuser, puisque d a n s to u t ce
qui p eu t com poser l’imagé, que son origine soit directe ou indirecte, il n ’y a nulle prio­
rité. E t c’est ce m onism e en lequel l’intelligence ne peut voir que contradictions qui
constitue l’ê tre en tier du film, puisqu’en celui-ci moins qu'en en un autre, on ne sau rait
distinguer ni form e ni fond.

23
A KIN ARI E S T T R A H I

E h bien I parlons-en, du fond. Le film est tiré de deux contes du recueil Ugetsu M o uo -
gatari (1776) d’A kinari U eda (1734-1809), le M érim ée d'O saka. E n fait, à re n c o n tre du
vieux îilm expressionnisant de T h o m a s K u rih a ra do n t il est en partie le rem ake, Ugetsu
ne doit pas grand-chose à Ueda. Jugez-en ;
D ans L a M'aison dans les roseaux, un paysan laisse sa femme seule à la maison pour
s’en aller vendre des tissus à la ville. La g u erre survient ; sur le chemin du reto u r, il se
fait voler, il tom be m alade, se laisse aller, et ap rès sept ans, it rentre chez lui et re tro u v e sa
fem m e ; m ais, la n u it passée, il s'aperçoit que c’est le fantôm e de sn défunte épouse qui
l’avait accueilli la veille pour Veneourager à continuer sa tâche.
D ans L a L ubricité du serpent, un jeune intellectuel est tenté p a r un serp en t qui a
pris corps de femme. De la m aison solitaire de l’ensorceleuse, il ram èn e un s a b re de
grande valeur, sur lequel sa famille lui pose u n tas de questions : on finit p ar l’a rr ê te r
pour vol du T ré so r de Dieu, puisque évidem m ent l’ensorceleuse est inconnue de tous,
et sa m aison également. Il n’est con d a m n é qu’à quelques mois de prison, a y a n t réussi
prouver qu’il était victime d 'un esprit dém oniaque. Mais la C hose redouble de fu reu r,
prend la forme de la fem me de n o tre héros, la tue, av an t de recouvrer son aspect ophi-
dien, e t d’être ainsi mise en cage.
Mizoguchî a a b a n d o n n é to u t ce côté g ra n d guignol et y a ajouté beaucoup d e son
cru : Ghenjyro, paysan attiré p a r les bénéfices de la poterie et son beau-frère T obei, qui
rêve de devenir sam ouraï, s’en vont, d ev an t la m enace de l’a n n é e Shibata qui pille les
villages e t enrôle de force les cultivateurs, ven d re pots, vases et couverts au m a rc h é
de la ville, accom pagnés de leurs. _femm.es_respectives, Miyaghi et O ’H am a. M iyaghi et
son fils, nu milieu du voyage, (ont dem i-to u r pour éviter le danger des pirates-violeurs ;
m ais elle sera tuée en route. Vente faite, T obei se fait sam ouraï, et retrouve O ’H am a,
qu’il avait abandonnée, d a n s un b o rd e l ; ils rep a rte n t à zéro. De son côté, G henjyro,
devenu riche, devient l’a m a n t de la princesse W akasa, laquelle n ’est que le fan tô m e
d 'u n e jeune fille qui n ’a pu c o n n a ître Vamour de son vivant. Un bonze lui rév élera le
péril m ortel qu’il court, et l’im m unisera contre l’esprit, avec lequel il ro m p ra b ru tale m e n t.
D ém uni de to u t argent, il re n tre chez lui, retro u v e Miyaghi, Mais, le lendem ain m a tin ,
il au ra au réveil la désagréable .surprise de co n stater que c’était le fantôm e de M iyaghi
qui l’avait reçu la veille pour l’e n courager à accepter son sort, à co n tin u er son œ u v re
et élever son fils, avec l’aide de sa sœ u r e t de son beau-frère. Il y a donc d ’im p o rta n te s
différences entre le film et le texte d’A kinari. Le fils de G henjyro, sa profession de potier,
la n ature hum aine et non plus an im a le de W ak asa , le couple secondaire T obei-O ’H am a,
voilà ce que Mizoguchî a rajouté, ap rès avoir beaucoup expurgé.

W A K A SA ET MIVAGHI SE D O N N EN T LA MAIN

La conclusion aidant, il ne faudrait pas voir en Ugetsu l’apologie de la résignation


e t des valeurs spécifiquem ent bourgeoises. Mizoguchî ne propose jam ais : son a r t est
de nous m o n tre r la b eau té d ’un m onde d’u n e extrêm e simplicité, mais, cette beauté, il
faut la renier pour pouvoir la saisir. F au te de quoi, on ne la v errait m êm e pas. D e m êm e
que, si le Mal n’existait pas, D ieu ne serait qu’un m ythe, de même, sans W a k a sa , la vie
quotidienne p e rd ra it to u t sens. Il faut q u e l ’h o m m e ab an d o n n e fe r o n - r o n m o n o to n e
de l’existence, c’est là le péché originel mizoguchien, ce qu’il fait bien souvent a u prix
de sa vie, pour c onnaître les bea u tés et les d an g ers des gloires qui l'attiren t, et a lo rs seu­
lement, il p o u rra apprécier à sa juste valeur la vie simple qui lui a été d onnée. Ainsi,
la courbe devient la droite. L a b ea u té a toujours une portée m orale, soit "par ses consé­
quences, soit p a r elle-même. Ugetsu Monogatari, c’est, si l’on me p erm et c e tte ' pique,
c’est R u n o f the A r r o w réussî, c’est l’aller e t le reto u r, l’addition plus la so u stractio n .
Cette figure déterm ine la construction du îilm, qui ra co n te l’histoire de deux couples ;
l’un triom phe, n o n sans ble ssures des plus cruelles ; l’a u tre périt (en fait, d an s le script
initial, Tobei et O ’H a m a devaient se d o n n er la m ort); le happy-end surim posé fausse

24
Ivinuvo T an ak a et Masayuki Mori dans Ugetsu Monogatari.

l’équilibre du film, ni optimiste ni pessimiste ; nous savons depuis longtemps que l'univers
de Mizoguchi est celui de 1 indifférence, et le cruel destin de Tobeï et sa femme établis­
sait ainsi la liaison avec ses autres films.
A chaque scène, correspond une au tre scène sem blable p ar le sujet, niais différente
par la m anière : deux m e urtres à la lance, deux apparitions de fantômes, deux voyages
à la ville ; deux fois, Ghenjyro fait to u rn e r son moule, etc... A chaque mouvement, répond
le m êm e m ouvem ent en sens contraire, ainsi de l’introduction et de l'épilogue, de l'arrivée
au marché. Chaque geste, chaque m ouvem ent qu’ordonne le créateu r est la form ulation
d ’un préjugé,-une prérogative prise sur l’existence de l’univers. Le prem ier réflexe serait
de se croiser les b ra s et de ne rien faire. Au contraire, Mizoguchi va au-devant de l’erreur,
e t la gomnie au retour. Au néant, p ar cet aller et retour, il substitue ce que l’on peut
considérer au moins com m e la présence du néant.

LE MOUVEMENT DE L 'A R T IST E

Com m e toutes les œuvres synthétiques, Vgetsu Monoifùîari est une œ uvre m arquée
p ar la domination, dom ination de sa m a tiè re p ar le cinéaste et dom ination de lui-m ême
(d’où l’abondance des plans généraux dans la peinture de la psychologie). Donc, p ar l’auto-
justification- Les oeuvres des grands hom m es prô n en t généralem ent un m ode de vie qui
est celui du com m un des mortels, alors que le leur est d ’exception. Eh bien, Ugetsu éta ­
b lit la liaison entre l’artiste et son œ uvre. Il insiste su r l’hum ilité e t la nécessité de la
création. Ghenjyro est un artiste ; le m étier de potier est sans doute celui qui ressem ble
le plus à celui du m ette u r en scène. Ce n ’est pas là, je le crois, délire d ’interprétation :
les conversations esthétiques en tre Ghenjyro et Wafcasa au sujet du secret de la beauté
o n t tout du message ; nul doute qu’il (aille les appliquer à l’œ u v re de notre auteur. L a

25
création, de l’artiste com m e celle du paysan, est dépeinte com m e u n e tentation, mais
aussi com m e la seule tentation salvatrice en ce m onde où to u t n ’est que tentation, car
la seule qui soit noble. Au départ, tout artiste est lin rebelle, un réfracta ire : m ais le fait
m êm e q u ’il soit artiste l’am ène à découvrir la beauté, et sa soif de gloire et d’argent,
qui ne peut se satisfaire que p ar la progression spirituelle sanctionnée p ar la réussite,
se convertit petit à petit en recherche de beauté et de m orale. P a r essence, l’artiste est
un être im pur, qui, théories et principes dépassés, te n tatio n s accom plies et rendues vaines
ne serait-ce que grâce à l'accom plissem ent de Fintel[igcnce qui est son dom aine, devient
le plus pur de tous. Alors que chacun, dans L es A m an ts crucifiés com m e d an s Le Destin
de M adam e Yuki, était en proie à l’irrém édiable, dans Ugetsu Monogatari, qui est en un
sens ŸUnder Capricorn de Mizoguchi, exception p arm i quatre-vingt six films d ’une
m êm e tenue, dans Ugetsu, Prospero, pardon, G henjyro trio m p h e de cet irrém édiable, en
l’acceptant, Et à travers son évolution, nous percevons l’évolution de Mizoguchi. O n oublie
trop souvent que les cinéastes sont des cinéastes, et que le problèm e le plus im p o rtan t
pour eux, ce n’est pas le problème racial ou ie problèm e social, pour la bonne raison
q u ’ils n’ont pour le m om ent rien à craindre du racism e, et que presque tous sont assurés
de trouver un job, quoi qu’il arrive, qui leur perm ette de ne pas crever de faim.
Le plus im portant, c ’est le problèm e de leur existence et de leur rôle d a n s la société :
sont-ils des parias, ou des êtres com m e les au tres ; y a-t-il ru p tu re entre les personnages
q u ’ils m ettent en scène, le plus souvent des h o m m es dans la foule, et eu x -m êm es? Non,
la réponse est simple, il suffit d’être constructeur. Mais cette réponse-là, peu de films
nous la donnent, et il est encore plus ra re que la vie de l’artiste se confonde étroitem ent
avec les données qui o n t perm is cette réponse. Après m a in ts apprentissages du sublime
à travers le conventionnel, voici le coup de foudre.

Ensuite, le retour à la norm e : après un tel som m et, Mizoguchi continuera à to u rn er


des films com m e il l’avait fait auparavant, d an s un style qui n’est pas « un style nou­
veau ». Et ce qu’il chante ici, c’est ce m ouvem ent perpétuel de l’artiste qui le justifie, ce
labeur vain et sans trêve. Ugetsu, c’est Ugetsu et la critique d ’Ugetsu. Génie et hum ilité
sont à jam ais réunis, en une oscillation perpétuelle.

EN Q U A TR IEM E V IT ESSE

De tous les films japonais, com m e de tous les filins tout court, Ugetsu est incontesta­
blem ent le plus rapide, le plus brutalem ent rapide. Q uatre-vingt treize m inutes seulement,
pour ce scénario si riche que to u t autre, japonais ou non, e û t étalé su r trois heures. A
chaque scène, qui n ’est bien souvent qu’un seul plan, présen tatio n de l’action en kiss m e
deadlv et m ontage au strict m inim um . Ja m a is les am éricain s — et Dieu sait com bien
ifs s ’y sont efforcés — n ’o n t réussi à attein d re une telle concision. E t Mizoguchi, avant
com m e après Ugetsu, tira it une bonne partie de sa force d ’un tem po ex trêm em en t lent.
P o urquoi ce changem ent ? P a rc e que Masaichi N agata, d e v a n t le succès com m ercial crois­
s a n t de ses films en Europe, et devant les réserves qui av a ie n t fait accorder au trop lent
O 'H aru un simple lion d'argent à Venise, ap rès celui d ’o r kurosaw aïeo, en décida ainsi.
Si Ugetsu est un chef-d’œ uvre, c’est donc dû en g ran d e p artie à des influences occidentales,
e t pas toujours des plus nobles. P o u r m a part, je n ’y vois pas d’inconvénient ; et je ne
suivrai pas ces puristes qui n e sont contents que lorsqu’ils n ’y peuvent plus rien com ­
pren d re à force d’ésotêrism e local. Si nous, E uropéens, ch erch o n s à nous renouveler par
le contact avec l’O rîent, pourquoi les Japon ais n ’auraient-ils p as le d roit de puiser dans
les curieux exotism es latins et anglo-saxons ? Ce n ’est a ssu rém en t pas la prem ière fois
que le chef-d'œuvre s'ébauche à p a rtir de la z'ésultante de deux civilisations des plus
opposées. Cette évolution contrainte était déjà co n ten u e en germ e, m ais volontaire cette
fois, dans les Mizoguchi précédents, anim és d’un m ê m e ry th m e bien précis, peu im porte
q ü ’j] fût le n t ou rapide, et qui ne laissaient p as la place au superflu des enchaînem ents
et raccords de bienséance.

Il serait bien ridicule de considérer ici la co n train te com m e un désavantage, d ’au tan t
q ue Mizoguchi, qui n ’est pas fou, et qu’en tre p arenthèses, je vous le signale, on prononce
Mizogoutchi, l’a com plètem ent annihilée en p o ussant le principe à l’e x trêm e et en In te n ­
d a n t à tous les secteurs de la mise en scène. Mais il n’y a u ra it pas pensé tout seul.

26
Mitsuko Mito et Snkae O zaw a dans Ugetsu Monogatari,

S ’agit-il de nous dire que nous som mes chez des paysans ? Ht v’ian ! un plan de
cham ps, interrom pu illico p ar un autre, tac ! qui n ’est qu’à peine un flash d e lac, e t
qui d it iac en japonais dit Lac Biwa, Un seul plan, très légèrem ent mobile, nous présente
les héros e t toutes les virtualités du dram e. T re n te secondes ap rès le générique, nous
savons tout, grâce à un dialogue des plus savam m ent concis et elliptique, qui fait les
p ersonnages s’appeler m a femme, m o n frère, etc... et décrire en u n e épithète les p articu ­
larités du caractère de chacun. E t Mizoguchî ne cesse de courir à toute pom pe vers son
ciel final. Vitesse qui a de quoi déconcerter le nippon com m e l’européen. Tous les grands
films p rétendent nous m o n tre r le point de vue de Dieu, çâ, on le savait, je n’invente
rien, m ais ce que je ne savais pas encore, et q u'Ugetsu M onogatari vient de m ’apprendre,
c’est q u ’ils so n t faits po u r un spectateur idéal qui soit plus q u ’à « l’im age de n, qui soit
Dieu. Cela va dix fois trop vite pour nous, e t il faudrait dix visions pour n o u s trouver
de plain-pied avec \e îi\m, puisque, hélas, les rushes o n t déià dû aller au pilon. Les effets
so n t conçus p o u r frapper l’artiste, ou celui qui se m e t à sa place, e t non p as le spectateur.
L uc MOULLET,

U G E T SU M O N O G A TA R I (LES C O N T ES D E LA LUNE VAGUE A P R E S LA


PL U IE), film japonais de Ivenji Mizoguchî. S cén a rio : M atsutaro K aw aguchi, d ’après
l’adaptation p ar G iken Yoda de deux contes du recueil « Ugetsu M onogatari » (Contes
de pluie et de lune) d’A kinari Ueda, « Asaii Ga Yado » (La M aison dans les roseàüx)
et « Jasei No In » (La Lubricité du Serpent). Im ages : Kazuo M iyagawa. M usique : Fum io
H ayasaka, Décors : K isaku Itoli. Interprétation : Masayuki Mori (Ghenjyro), M achiko
Kyo (W akasa), S a k a e O za w a (Tobei), Kinuyo T a n a k a (Miyaghi), M itsuko Mito (O ’H am a).
Production : M asaichi Nagata, Daiei Motion Pictures, 1952. Distribution : Pathé-O verseas.

11
JEAN RENOIR

TOURNE “ LE DOCTEUR CORDELIER ”

par Jean-Pierre Spièro

On sait que Jean Renoir vient de réaliser pour la Télévision française un long métrage.
Le Testament du Docteur Cordelier, qui d'ailleurs —: bientôt espérons-le — sera distribué
dans les salles. / ean-Pierre Spièro, assistant réalisateur, nous fait entrer dans quelques-uns
des secrets de ce tournage.

S’il ne s ’était agi que d ’un simple testament adressé à un inconnu, M- Joly n ’aurait
guère pu en tenir grief à son vieil ami le Dr Cordelier. Testament bizarre par lequel le
docteur léguait tous ses biens à un certain M. Opale, être mystérieux dont le notaire ne
sait pas grand-chose, si ce n ’est q u ’il sert à Cordelier pour des expériences sur le cerveau,
expériences nécessaires au grand psychiatre pour démontrer à son adversaire Séverin la
primauté de ses théories : il est possible de modeler le cerveau d ’un homme à sa conve­
nance, et d fen faire un ange ou un démon, une intelligence au service du bien ou d u mal.

28
Mais malheureusement pour cet honorable notaire, l ’étrange M. Opale se livre à
des actes de sadisme que la morale réprouve. C ’en est trop pour <c ce petit bourgeois se
vautrant dans la fausse responsabilité » (Renoir dixit). Et sa curiosité va le m ener à
découvrir un monstre au cœ ur tendre : car M. Opale, cette chose poilue au visage dif­
forme, cet être d ’un autre monde, est l ’image de l ’homme déchu par sa propre volonté,
qui a voulu être un Dieu en devenant un diable. Oui : le Dr Cordelier a réussi à convain­
cre son rival Séverin... à tel point que ce dernier en tombe terrassé d ’une crise cardiaque.
Séparer le Bien du Mal, se rendre maître de l ’âme d ’un individu en jouant avec son
encéphale, être aussi fort que Dieu, être Dieu en ouvrant la boîte de Pandore : Prométhée
le paya cher... et C ordelier? Cela lui coûtera Opale... et C ordelier; car le diable se fou­
droiera lui-même, incapable de redevenir un Dieu.
En reprenant le « D1 Jekyll et Mr. Hyde », de Stevenson, Renoir a voulu adapter
à notre époque un thème éternel, le dédoublement de l ’être. A l’ère d ’Einstein, si l’homme
ne se méfie pas de lui-même, de son ambition, de son orgueil, il risque de se détruire
en voulant se déifier. Loin d ’être un film fantastique, à l'image de toutes les adaptations
précédentes, L e Testament du Dv Cordelier est le reflet de ce qui attend l ’homme s ’il ne
prête pas plus d ’attention aux forces q u ’il libère pour affirmer sa puissance. En voulant
détruire le mal par le mal en la personne d ’Opale, Cordelier, incapable de redevenir bon,
s ’anéantit lui-même.

C e sujet, Renoir y tenait beaucoup. En Amérique, il avait été frappé par l ’importance
de la place qu’occupait, dans la vie de chaque individu, la santé de son âme. Sitôt q u ’un
citoyen U.S. dispose de quelques dollars, il va se faire psychanalyser pour se débarrasser
de ses complexes et retrouver ainsi sa liberté d ’action. Or les psychanalystes arrivent fort
bien à transformer l ’âme de le u r client à la convenance de ce dernier : c ’est ainsi q u ’agit
le Dr Séverin. D ’autres, à l ’image de Cordelier, travaillent par médications spéciales, qui
se sont répandues jusque dans les distributeurs automatiques sous le nom de « pilules
du bonheur ». Ces pilules perm ettent d ’éviter toute angoisse au citoyen qui en fait
consommation. Elles laissent les forces du mal se déchaîner en lui, sans que l ’être policé
q u ’il est en subisse quelque préjudice. Renoir nous racontait du reste que ces pilules
existaient en diverses versions, dont une « catégorie luxe » ou « pilule électrifiée ». Son
avantage : pouvoir être vendue deux fois plus cher.

Les savants américains veulent ainsi rendre l ’homme meilleur, en modifiant la compo­
sition chimique de son cerveau, ayant constaté, a la suite d ’expériences su r des rats, que
la qualité des réflexes dépendait de ce facteur. Avec L e DT Cordelier, Renoir pose
ouvertement le problème : l ’homme a-t-il le droit d ’égaler Dieu à partir du moment où il
en a le pouvoir? Cordelier avait-il le droit dé créer O p ale? L e scéniario donne irrévo­
cablement la réponse : si l ’homme commet ce sacrilège, alors il meurt, car c ’est la seule
chose qui puisse arriver, qui doive arriver.

LE JEU D U « D IR E C T »

Renoir a voulu traiter cette étrange histoire de la manière la plus réaliste qui soit,
nous m ontrer un document, une pièce à mettre au dossier de la vie quotidienne. Pour
cela il a révolutionné sa' méthode de travail, il a rompu avec le cinéma, il a recherché le
style a direct », il a tourné à la Télévision.

Au départ Renoir avait sérieusem ent songé à réaliser une dramatique en direct ; deux
à trois semaines de répétitions ; deux jours de répétitions en studio avec caméras électro­
niques ; une heure trente d ’émission et « bonsoir et merci » : c ’était terminé. Puis H
s ’aperçut que le sujet était difficilement réalisable en « direct antenne », c’est-à-dire en
un temps de tournage correspondant au temps réel perçu par le spectateur. Il fallait tour­
ner des extérieurs qui occupent à peu près un tiers du film et surtout le double personnage

29
interprété par Jean-Louis Barrault, Cordelier d ’une part et Opale de l’autre, exigeait un
maquillage long et délicat. Ainsi l ’émission en direct devint-elle un film en direct : ce terme
de direct » est d ’une importance primordiale, car c ’est lui qui constitue tout le prin­
cipe du travail.
On allait jouer le jeu du « direct », de la spontanéité dans la continuité, de la Eîction
transplantée dans la réalité quotidienne faite d ’imprévu et d ’imprévisible, de l'intimité
omniprésente entre le spectateur et le comédien : il fallait que le spectateur vive en témoin,
par une participation permanente, la « tranche de vie » que Renoir lui-même a vécu en même
temps que le spectateur, en même temps q u ’il Va fait vivre à ses comédiens, à ses tech­
niciens, à son plateau.
I
Renoir avait très bien compris et senti comment se servir de ce nouvel outil q u ’il
prenait en main : pour lui la Télévision est un extraordinaire moyen de diffusion, touchant
chaque être dans son intimité la plus profonde. Elle est, a u siècle de l ’atome ce que le
théâtre populaire du parvis était au moyen âge. Aussi est-ce en artisan q u ’il va tenter
l ’expérience « .Cordelier » entouré d ’une équipe qui lui est inconnue, puisque composée
essentiellement de gens de TV.
Un mois, soixante millions, un studio de répétition, le grand plateau 14 du studio des
Buttes Chaumont ainsi que le studio 22 pour les raccords, six assistants, deux scripts,
cinq opérateurs et leurs chefs, cinq caméras et deux équipes de prise de son, tels étaient
les éléments de base dont disposait Renoir pour tourner un long métrage q u ’il voulait de
qualité.
La méthode de travail sera la même que pour une dramatique normale de T V .
mais accommodée aux exigences du film.
Dix journées de répétitions, cinq' jours d ’ëssàis, huit jours d ’extérieurs (un tiers du
film) ; enfin deux jours de répétition-studio avec technique et six jours de tournage-studio
pour les deux autres tiers du film ; voilà un plan de travail plus que chargé. Comm ent
allait-on s ’en sortir ? Q u’allait-il se passer' ? C ’était le secret des jours à venir.
Renoir avait décidé de répéter !e film de la même façon qu'une vulgaire pièce de
théâtre, qu’une dramatique de TV.
La salle de répétitions est un antre assez sinistre que la Télévision Française a voulu
tel afin de ne pas troubler et distraire les comédiens. Le décor : à prem ière vue, rien. De
ci, d e . là, une chaise, une table bancale, un téléphone ; rien, sinon cette peinture gla­
ciale recouvrant les ^matériaux absorbants des murs. Et pourtant le décor était là : tracé
su r le sol, à l ’échelle exacte, et les accessoires de jeu essentiels figuraient en bonne place.
Et c ’est de cette manière q u ’allaient naître les personnages, s ’échafauder la mise en scène,
se construire le découpage.

LES R EPETITIO N S

A ces répétitions qui allaient s ’effectuer par décor, exactement comme sur une scène
de théâtre, assistait presque toute l ’équipe : Renoir désirait que tout le monde participât
avec lui à la naissance du film, car chacun devait vivre cette création en même temps que
lui. « L e temps de la dictature du metteur en scène, disait-il, est révolu ; il faut que chaque
m embre de l'équipe se sente responsable du film dans son domaine. L e m etteur en scène
n ’est que l'orchestral eur de tous ces rouages et ne doit plus être cet hom m e tout-puissant
qui sait tout et qui fait tout. H est bon que du machiniste au metteur en scène, chacun se
sente l'auteur du film. »

C ’est d ’après ce principe que les tâches essentielles qui incombent en général à des

30
Je a n R enoir (au fond) règle un plan d ’ensem ble du « T esta m en t du D octeur Cordelier ».

postes très nombreux, ainsi que les responsabilités que le m etteur en scène aime souvent
à se voir attribuer, avaient été. partagées entre les six assistants. Les notions de « prem ier »
ou <c second » ne comptaient plus que très peu. Chacun avait un travail qui s ’imbriquait
dans l ’échafaudage général et dont lui seul était responsable.
En dehors des script-girls (auxquelles se posait un problème fort délicat, puisque
découpage et mise en scène notés sur la brochure, et bien que très précis, n ’étaient q u ’une
base de travail qui se transformait au f:l des minutes avec la naissance des personnages),
assistaient des techniciens que Ton n ’a pas l ’habitude de voir présents au premier stade
de la création d ’un film. Jean Serge co-adaptateur d u .film veillait, tel un cerbère, sur \e
respect du scénario. Y.A. Hubert, réalisateur de TV, tâchait de concilier la mise en scène
de Renoir avec l ’esthétique du petit écran. Mais surtout, paraissait insolite la présence de
Renée Lichtig, la monteuse, de G. Leclerc, le chef opérateur, et de Martin, ingénieur du
son. C rest que tout leur travail allait se déterminer au cours de ces répétitions : Leclerc et
Martin ne pouvaient préparer leurs lumières et leurs micros en fonction de la mise en
scène. Or c ’est par ces répétitions, ce travail de recherche, que le découpage allait naître.
Quant à Renée Lichtig elle devait suivre chaque intention de Renoir, car, au montage, se
trouvant devant une .matière beaucoup plus riche que nécessaire, elle devrait recréer la
continuité de cette intention. Enfin, et surtout, chacun d ’eux était préoccupé par les places
des caméras. SE nous répétions par scène, c ’était pour tourner en continuité chacune d ’elles,
grâce à l ’emploi de plusieurs caméras. Ce principe étant acquis, c ’est dès le stade de la
répétition que les places des caméras étaient déterminées af:n de rendre sensible un mou­
vement, une expression ou toute autre particularité. G. Leclerc pouvait avoir une idée
assez précise pour éclairer son décor, car cet éclairage devait être valable pour n ’importe
quel plan tourné dans le décor. Quant à Martin, ne pouvant avoir recours à la perche, les
champs des caméras couvrant tout le décor, il devait placer ses micros de façon à obtenir
des grosseurs de plan sonore correspondant aux grosseurs de plan image fixées pour cha­

31
que moment dramatique. Enfin, M. L. Dieulot, chéf décorateur se rendait compte des modi­
fications à apporter aux plans primitivement conçus : amélioration facile à exécuter, puis­
que les décors n ’étaient pas encore montés.
Ainsi, c ’est dès le stade des répétitions que tous les problèmes techniques sont sou­
levés et peuvent ainsi être résolus ^vant le tournage qui n ’en sera plus entravé. En T .V .,
le direct oblige à une préparation m inutieuse, car une fois que l ’émission est partie, rien
ne peut et rien ne doit l ’arrêter. C e principe présida à cette réalisation.

L A D I R E C T I O N DES C O M E D I E N S

Mais abordons le nerf m oteur de ces répétitions : la direction des comédiens. Renoir,
la définit lui-même par cette formule : « C 'est le sentim ent qui fait la mise en scène.
Ici, le but des répétitions est à ’ancrer les personnages dans un sentim ent et, à partir de là,
de créer des situations. Si, au cinéma, c'est le metteur en scène qui donne la continuité à
l'œ uvre, car lui seul en est le véritable support dramatique, ici, nous devons agir com m e
au théâtre : l'acteur est roi. A lui d'extérioriser tout ce qu'intérieurem ent il peut ressentir. »

Ainsi, retournons-nous d ’une certaine façon à la Commedia dell’arte ; nous avons des
personnages... Cordeiïer, Opale, Joly, Séverin... qui existent, qui vivent dans un canevas
que l ’on soumet à MM. Barrault, Bilis, Vitold ; puis, à partir du moment où ceux-ci se
transm utent en ces personnages, le monde leur apparaît différent ; naissent des tics, des
habitudes, une nouvelle peau et des rapports psychologiques q u ’on était loin de soupçonner
su r le papier. C e qui fait dire à Renoir : <t L es film s sont bons parce qu'en travaillant avec
des acteurs, on y découvre des choses bien meilleures que ce qu'on y avait m is... H eureu­
sem ent pour les film s... »

Renoir est convaincu que nous percevons la réalité selon notre état d ’âme ; et de citer
une anecdote chère à son neveu Claude Un type, à la guerre, est poursuivi par un
ennemi, mitrailleuse au poing.., il court..., U court.,., il court beaucoup, jusqu'à ce que
l'ennem i, lassé de le poursuivre, lui crie : « T'as plus de jambes. » Alors, il tom be... et se
fait tuer. » L'état d ’âme du comédien est la chose qui prime : si J.-L. Barrault fait un
geste qui le gêne, il dit : « Je ne le sens pas. » Et Renoir élimine sans discussion. Si l ’acteur
sent sa scène, si Renoir la ressent : « C 'est réussi, c 'est merveilleux, inutile de recom-
m encef. »
Ici, nous devons parler de la collaboration étroitç entre Barrault et Renoir. C ontact
qui crée des instants extraordinaires. Avant ' de diriger, Renoir écoute, laisse Barrault
délirer en toute liberté... et Dieu sait si la matière qu’il apporte est riche !
A cet effet, un des exemples le plus frappant est la confession d'Opale. Devant les
phrases que débite le magnétophone, sous le regard consterné de maître Joly et les yeux
éblouis de Renoir, Barrault, emporté par son personnage, crée un véritable mimodrame.
P ar ce moyen il recherche des associations d ’idées qui soient naturelles. II en résulte quel­
que chose de très chargé. Alors, Renoir, après avoir crié miracle, fait recom m encer la
scène... et, au fur et à m esure, le personnage se décante tout en s ’enrichissant. C ’est
ainsi qu’il cherche et trouve ses personnages. G râce à toute une psychologie, faite de gen­
tillesse et de compréhension, grâce à une véritable communion avec ses comédiens, il
arrive en douceur, dans une joyeuse exaltation, au but q u ’il poursuit.

Les essais d ’apparence générale sont faits à la cam éra électronique qui perm et d ’avoir
un contrôle immédiat. L es essais de maquillage sont longs et minutieusement suivis par
Renoir qui collabore réellem ent avec le m aquilleur : « Plus rondes ces joues... moins brous­
sailleux ces sourcils... » C ette recherche ne se fait pas sans difficultés techniques e t... pit­
toresques. Au cours d ’un essayage de prothèse, le chirurgien dentiste poussa un cri

32
B arrault, em porté p a r son personnage, crée u n véritable m im odram e.

d ’alarme. Opale venait de perdre une dent. Barrault reconnut ne pas l ’avoir avalée. P er­
sonne ne la trouva et, soupçonneux comme pas un, le dentiste ne lâcha personne sans avoir
- soigneusement examiné les semelles de chacun.

Le personnage continue même à se créer dans la vie quotidienne. De jour en jour,


Barrault se mue en Opale et n ’hésite plus à sortir dans la rue dans cet étrange accoutre­
ment. Marchant avec Renoir, il découvre tout à coup un tic : Renoir est émerveillé par
le naturel de ce déhanchem ent : « Faites ça, Jean-Louis. Oh ! oui, c'est m erveilleux...
c'est tout à fait ça, on le tient, Opale. »

Cela devient extraordinaire quand J.-L. Barrault et Michel Vitold sont l ’un en face de
l’autre. Les deux comédiens cherchent chacun leur personnage, par les vertus conjuguées
de leur personnalité d ’acteur et de leurs dons de m etteur en scène : Barrault, dans un
calme apparent, Vitold au contraire s ’énervant, criant, s ’injuriant. Renoir laisse ces deux
monstres sacrés se jouer m utuellem ent la comédie ; l ’acteur Barrault se laisse conseiller
par le m etteur en scène Vitold, puis prend sa revanche. Et Renoir s ’émerveille toujours :
« C 'est lum ineux, c'est très beau !... » Barrault et Vitold ont l ’impression de jouer suivant
leurs propres désirs. La répétition terminée, Renoir souriant se lève : « Messieurs, je
m 'excuse, mais ne croyez-vous pas que si Von essayait ceci... on aurait quelque chose de
très joli ?... » « A vec plaisir, M onsieur Renoir. » Et toujours dans une atmosphère fer­
vente, mais détendue, on recommence. L ’acteur est subjugué par les indications de Renoir,
résidant toujours dans des détails, et néanmoins suffisantes pour modifier le jeu. Pourtant
une impression de liberté totale est laissée au comédien, qui peut ainsi préserver son « sen­
timent originel ». L ’acteur propose, Renoir dispose.

LE T O U R N A G E DES EX TER IEU RS

Au cours des répétitions, il est un chapitre qui, volontairement, fut laissé de côté :
les scènes extérieures qui furent pourtant tournées avant celles de studio. Mais Renoir
n ’éprouvait pas le besoin de les préparer, car il s ’agit principalement de séquences de
mouvement, d ’action ou de poursuite. A partir du moment où les comédiens possèdent leur
personnage, ils tiennent également leur comportement physique. Plongés dans un décor
naturel, ils réagiront en fonction de ce décor, de la situation dans laquelle ils se trouveront,
toujours en vertu de la psychologie née pendant la préparation. C ’est ainsi qu’Opale avait
un comportement tout à fait défini, et que les actes sadiques et criminels q u ’il avait à
commettre dans la rue ne posaient aucun problème, mais découlaient de sa personnalité.

33
Toutes les scènes d ’extérieur furent traitées à la façon d ’un document d ’actualités.
Emploi de quatre ou cinq caméras, judicieusement placées, afin de ne rien perdre de
l ’action. De plus, un caméraman du journal Télévisé, armé d ’une cam éra à main, filmait
en reportage. Les lum ières de G. Leclerc sont réalistes au plus haut point : ainsi, à Mar-
nes-la-Coquette, fut tournée de nuit une scène d ’attaque. Il fallut éclairer toute 3a rue prin­
cipale du village afin de pouvoir suivre la poursuite d ’Opale d ’un bout à l ’autre. Cette
agression, de près de cinq minutes, fut tournée en continuité et avec cinq caméras, pla­
cées aux points principaux de l ’action. Au lieu du crime, une cam éra donnait un plan
général de l ’attaque, deux autres s ’attachaient aux expressions de l'assassin et de la vic­
time, une quatrième offrait le plan subjectif de Maître Joly à sa fenêtre, et enfin la dernière,
placée cinquante m ètres plus loin, filmait la poursuite. C e qui est extraordinaire, c ’est
que, tournée comme essai, Renoir jugea le résultat tellement bon, lors de la projection des
rushes, q u ’il décida de conserver la scène.
Ici, il fallut utiliser des figurants, l’heure tardive du tournage nous empêchant de
faire jouer lés passants. Mais, habituellement, il n ’en était pas de mêm e. A Montmartre,
tournage de l ’attaque d ’une mère de famille. Et ce, en plein jour, à l ’heure où toutes les
m énagères circulent, à la grande joie de Renoir, qui ne voulut absolument pas que ce flot
fût coupé. Au contraire, il exigea la plus grande discrétion de la part de chacun. Dans
cette rue, en plein mouvement, Opale débouche, commet son forfait : c ’est la panique
parmi les figurants involontaires de la scène ; jusqu'aux pigeons qui, picorant tranquil­
lem ent au milieu de la chaussée, se perchent effarés sur les caméras, qui étaient suffisam­
m ent discrètes pour ne pas attirer l ’attention. C ette scène, fixée sur pellicule, Renoir jura
bien de n e pas la retourner... <c Le jour où un cheval gagne le Grand Prix, on ne liti
demande pas de courir une deuxième fois pour la caméra / »

Jean-Louis B a rra u lt dans le rôle d’O pale.

34
Q uand nous avons tourné à l’entrée d ’un « hôtel », cela donna même dans le gag.
Renoir fit son possible pour que l ’activité de l ’établissement se poursuive pendant la prise
de vue. Les vraies « dames » regardaient avec dédain nos a dames » reconstituées. Un
client, trouvant que l ’on abusait de nos prérogatives, s ’écria : <t Si vous êtes pressé et
q ue vous ayez du travail, m oi aussi... » et de passer fièrem ent dans le champ. Renoir
s'écrie alors : « Dommage q u ’on ne l'ait pas film é ! »

LE T O U R N A G E EN S T U D I O

Revenons au studio. Avant de se lancer dans l ’aventure du tournage proprement dit,


deux journées furent réservées à des répétitions mécaniques dans les vrais décors. Ainsi
R enoir pu t fixer avec ses opérateurs l ’emplacement des cam éras pour chaque scène, l’objec­
tif à employer, les mouvements à exécuter et surtout le sujet dont chacun avait à se
préoccuper. Laissant l ’entière responsabilité de son travail au cadreur, Renoir s ’abstint de
m ettre l ’œil au viseur. Ainsi, les places des caméras furent m arquées et étiquetées sur le
sol Ainsi, lors du tournage, les cadreurs furent débarrassés de toute préoccupation maté­
rielle, libérés de leurs angoisses, et livrés à eux-mêmes, à leur art au même titre que les
comédiens. L ’ingénieur du son en profita pour placer ses micros, chercher ses plans sono­
res. G. Leclerc, enfin, put noter les derniers détails pour ses lumières.

Et commença le tournage. Dès neuf heures du matin, G. Leclerc et son équipe, arri­
vaient pour éclairer le ou les décors prévus au plan de travail de la journée. Les doublures,
qui avaient assisté à toutes les répétitions, avaient pu noter les places et les mouvements :
grâce à elles, Leclerc pouvait s ’enferm er sur le plateau et faire ses lum ières en toute tran­
quillité. Alartin en profitait pour définitivement placer ses micros. L ’éclairage était égale-
mnt conçu à partir des méthodes T.V, et de leurs impératifs. La lum ière était valable
pour toute la scène à tourner. Grâce à un systèm e de dispatching, il suffisait d ’appuyer
sur un bouton pour obtenir l ’éclairage nécessaire à une nouvelle scène dans le même
décor ; mais, tout cela était préparé dans la matinée. C ette lum ière était aussi bien à l ’usage
des caméras en plan général que de celles braquées en gros plan. Il en résulte une grande
perfection dans le rendu des modelés : les plans de visages sont d ’une extraordinaire qua­
lité photographique, et raccordent admirablement avec les vues générales.

N otre matériel de travail : cinq caméras — de marques différentes ! — louées chez


un spécialiste, vingt-quatre micros pouvant être branchés sim ultaném ent. A ce propos, une
cam éra électronique perm ettait à l’ingénieur du son d ’avoir dans sa régie une image du
plateau et de ses micros : ainsi tous les réglages étaient possibles à la vue du jeu des
comédiens. Q uant aux décors, relativement divers et nombreux, ils furent équipés de pas­
serelles, contrairem ent aux habitudes de la T.V. qui utilise les porteuses métalliques. Les
décors de M.-L. Dieulot furent conçus selon le principe T.V. du <« décor ouvert ». Dis­
posés en cercle autour du plateau, ils s ’ouvrent vers le centre où sont disposées les camé­
ras. N om breux « complexes », avec des enfilades com prenant jusqu’à quatre pièces. Pour
Renoir, c ’était simple : « Il y a le décor, la rampe, et les caméras. » En réalité, instinc­
tivem ent parti d ’une conception théâtrale, il rejoint les subterfuges de la T.V. en croisant
ses cam éras pour gagner de la profondeur de champ, en utilisant toutes les ouvertures du
décor (portes, fenêtres, tentures)» tous les renfoncements ou tous les reliefs des murs, pour
y camoufler des appareils.

En cours de tournage, Renoir n ’hésitera pas à changer le rôle des caméras. Telle
cam éra qui prenait un gros plan de Barrault en début de scène, ira piquer, au moment adé­
quat, la réaction de tel serviteur. La caméra doit, à chaque instant, capter ce qui se trouve
en sa présence de plus beau et de plus significatif.

u L es acteurs ne jouent pas pour la caméra... C Jest à la caméra de jouer avec eux. »

35
Ainsi plus de cadres préconçus, niais la mise en image est laissée à l ’inspiration du cam é­
raman, qui travaille en parfaite harm onie avec le jeu du comédien, et rejoint obligatoi­
rem ent de ce fait ce que veut exprim er Renoir.
Ainsi fut-il fait pendant les six jours que dura ce tournage. Au plateau 14, cinquante
minutes utiles furent mises dans la boîte en cinq jours. Cet exploit ne fut possible que
grâce à cette étroite collaboration entre tous les m em bres de l ’équipe, à cet esprit de franche
amitié que Renoir fit régner sur le plateau et surtout grâce à l ’état de préparation poussée
dans lequel se trouvaient comédiens et techniciens. Tous les atouts étaient là : ne restait
plus q u ’à abattre les cartes... impossible de jouer perdant.

Laissons à Jean Renoir, le soin de conclure :


« II faut, avant tout, sauver le cinéma français. Celui-ci coule actuellement sous le flot
des film s étrangers, et pis encore, des film s doublés, Or, moi, je prétends que grâce à cette
nouvelle form e de technique, nous devons arriver à des film s beaucoup moins chers et
pourtant artistiquement bons, produits dans le cadre national. Puisque sur le marché mon­
dial nous ne pouvons lutter avec Vargent, luttons avec notre génie, D’abord, le cinéma fran­
çais est celui qui en est le plus riche. Profitons de cet avantage. »

Jean-Pierre SPIER O .

Jean-Louis B a rra u lt dans le rôle du D octeur Cordelier.

36
Jean-Pierre Léaud, dans Les Quatre cents coups de François Trutïaut.

DU C O T É DE CHEZ A N T O I N E

par Jacques Rivette

L es M isio n s, c 'é ta it b ie n ; Les Q u a tr e c e n ts c o u p s, c 'e st m ieux. D 'un film à


V autre, n o tre a m i F ra n ç o is ia it l e s a u t décisif, l e g r a n d é c a rt d e l a m a tu rité . C o m m e
or. le voit il n e p e r d p a s so n tem ps.

A v e c L es 400 co u p s, n o u s ren tro n s d a n s n o tre e n fa n c e co m m e d a n s u n e m a iso n


a b a n d o n n é e d e p u is la g u e rre . N otre e n fa n c e , m ê m e s'il s 'a g it a v a n t tout d e celle de
F.T. : le s c o n s é q u e n c e s d 'u n m e n so n g e stu p id e , la fu g u e a v o rté e , l'h u m iliatio n , la
ré v é la tio n d e l'in ju stice , n o n , il n 'y a p a s d 'e n f a n c e « p r é s e r v é e ». P a rla n t d e soi, il
s e m b le q u 'il p a r le a u s s i d e n o u s : c 'e st le sig n e d e la v érité, et la ré c o m p e n se d u
v r a i c la ssic ism e , q u i s a it se lim iter à so n objet, m a is le v o it b ru s q u e m e n t c o u v rir tout
le c h a m p d e s p o ssib le s.
-L 'a u to b io g ra p h ie n 'e s t p a s , p o u r le s ra is o n s q u e l'o n d e v in e , u n g e n re trè s
p ra tiq u é d a n s le c in é m a to g ra p h e ; m a is c e n 'e s t p a s c e la q u i doit n o u s é to n n e r,
m a is la sé ré n ité , l a re te n u e , l'é g a lité d e v o ix a v e c le s q u e lle s est é v o q u é ic i u n
p a s s é si p a ra llè le a u sien . Le F.T. q u e je re n c o n tra i, a v e c Jean-Luc G o d a rd , fin 49
a u P a rn a s s e , c h e z F ro e s c h e l, a u M in o ta u re , a v a it d é jà fait l'a p p r e n tis s a g e d e s
400 c o u p s ; m a foi, n o u s p a rlio n s d a v a n t a g e d e c in é m a , d e film s a m é ric a in s ,
d ru n B o gart q u i p a s s a it a u « M ou lin d e l a C h a n s o n », q u e d e n o u s a u tr e s , o u
p a r a llu sio n s : c e la suffisait. O u, b ru s q u e m e n t, u n e p h o to le d é m a s q u a it tro is a n s
a v a n t, a u tir forain, ébloui, b lê m e , H o sse in ré d u it, a v e c , c o n tre son é p a u le , é p a n o u i,
R obert L a c h e n a y ; ou b ie n le s tro is r a n g é e s ritu e lle s d 'u n e c la s s e fossilisée.

C e m é la n g e d e v a g u e et d 'é c la irs , c e l a fin is s a it p a r re s s e m b le r à d e v r a i s so u ­


v en irs, u n e v ra ie m ém o ire. M a in te n a n t, j'e n su is p re s q u e s û r ; c a r, s u r l'é c r a n , j'a i
to u t reco n n u , tout retro u v é. L a m a d e le in e d e P ro u st n e lui re n d a it q u e so n e n f a n c e ;
m a is d 'u n e p e lu re d e b a n a n e , d e v e n u e a u fo n d d e l'a s s ie tte éto ile d e m e r, F.T. fait
b e a u c o u p m ieu x ; et tous le s te m p s so n t re tro u v é s d 'u n coup, le m ien , le tie n , le
vôtre, u n seu l te m p s d a n s la lu m ière q u e je n e tro u v e p a s d 'a d je c tif p o u r q u a lifie r,
in q u a lifia b le , d e l'e n fa n c e .
Q u 'o n le voie b ie n : c e film est p e rs o n n e l, a u to b io g ra p h iq u e , m a is ja m a is im p u ­
d iq u e . R ien qu i re lè v e d e l'e x h ib itio n ; la Prison, c 'e st b e a u é g a le m e n t, m a is d 'u n e
a u tre b e a u té : b e a u co m m e B o m b a rd te n a n t s a P a illa r d à b o u t d e b r a s p o u r film e r
a u m ilie u d e l'A tla n tiq u e so n v is a g e b o u rs o u fflé e t e n v a h i p a r l a b a rb e . L a fo rce
d e F.T. est d e n e ja m a is d ire c te m e n t p a r l e r d e lui, m a is d e s 'a tta c h e r p a tie m m e n t à
u n antre je u n e g a rç o n , q u i lui re s s e m b le p e u t-ê tre co m m e u n frère, m a is u n frè re
objectif, et d e s e so u m e ttre à celui-ci et re c o n s tru ire h u m b le m e n t, à p a r tir d 'u n e
e x p é rie n c e p e rs o n n e lle , u n e ré a lité é g a le m e n t o b jectiv e, q u 'il film e e n su ite a v e c le
p lu s p a rf a it re s p e c t. U n e te lle m é th o d e a u c in é m a , è e l a p o rte u n trè s b e a u n o m (et
ta n t p is si F.T. lui-m êm e le m é c o n n a ît), c e l a s 'a p p e lle F la h e rty . Et l a p r e u v e p a r n e u f
d e la v é rité d e c e tte m é th o d e , et d e la v é rité tout court, d u film, c 'e s t l'a d m ir a b le
s c è n e d e la p sy c h o lo g u e — im p o ssib le, disons-le en p a s s a n t, d a n s le s c o n d itio n s v é ­
tu stes d e ré a lis a tio n q u e l'o n v o u d ra it à to u te s fo rc e s n o u s o b lig er à c o n s e r v e r —
o ù la p lu s to ta le im p ro v isa tio n re c o u p e l a re c o n s tru c tio n la p lu s rig o u re u se , o ù la
co n fessio n vérifie l'in v en tio n . D ia lo g u e et m ise e n s c è n e , a u te rm e d 'u n e a s c è s e
d iscrète, d é b o u c h e n t enfin s u r' le v ra i d u d ire c t ; le c in é m a y ré in v e n te l a té lé v isio n ,
et celle-ci à so n to u r le c o n s a c r e c in é m a ; il n 'y a p lu s p la c e d é s o r m a is q u e p o u r
le s tro is a d m ira b le s p la n s fin au x, p la n s d e là d u ré e p u re , d e la p a rf a ite d é liv ra n c e .

Tout le film m o n te v e rs c e t in s ta n t, et s e d é p o u ille p e u à p e u d u te m p s p o u r


re jo in d re la d u ré e : l'id é e d e lo n g u e u r e t d e b riè v e té , qu i tr a c a s s e ta n t F.T., s e m b le
n 'a v o ir fin a le m e n t g u è re d e s e n s ch ez lui ; ou p e u t-ê tre a u co n tra ire , fallait-il d 'a b o r d
u n e telle o b se s sio n d e la lo n g u e u r, d u te m p s m ort, u n e te lle a b o n d a n c e d e c o u p e s ,
d e h e u rts, d e ru p tu re s, p o u r v e n ir en fin à b o u t d e l'a n c ie n te m p s d e s c h ro n o m è tr e s
et re tro u v e r le te m p s v é rita b le , celui d e l a ju b ila tio n m o z a rfie n n e (q u e B resson à trop
c h e rc h é p o u r p o u v o ir le rejo indre). C a r v o ilà u n film c o m m e il n 'y e n a p a s te lle m e n t,
en c o re q u e b e a u c o u p s 'y e s s a ie n t p lu s o u m o in s a d ro ite m e n t, e t tro p a d ro ite m e n t,
a v e c u n p o in t d e d é p a r t et u n p o in t d 'a rriv é e , e t e n tre le s d e u x , toute u n e d is ta n c e
p a rc o u ru e , a u s s i v a s te q u e c e lle q u i s é p a r e l'Irè n e G ira rd à so n d în e r d e ré c e p tio n d e
l'In g rid B e rg m a n à la fe n ê tre d e l a c ellu le d 'E u ro p e 51 ; u n p o in t d e d é p a r t qui
p re n d le te m p s d é j à e n ro u te, e n c o re co n stru it e t m in u té, m a ïs d é j à s e c r è te m e n t
b le s s é d a n s s a h â te m ê m e et so n m é c a n ism e , un p o in t d 'a r r iv é e q u i n 'e s t p a s l a
c o n clu sio n p lu s ou m o in s a rb itr a ire d e q u e lq u e in trig u e p lu s ou m o in s fic e lé e , m a is
u n p a lie r o ù l'o n re p r e n d so n souffle, s a re s p ira tio n h u m a in e , a v a n t d e r e p lo n g e r
d a n s le te m p s d u réel, d o n t le s e n s a é té re c o n q u is.

Il suffit s u r c e ton, je m 'e n v e u x d e p a r l e r d 'u n e v o ix si p o m p e u s e d 'u n film


si d é p o u rv u d e rh é to riq u e ; c a r L e s CD c o u p s, c 'e s t a u s s i le trio m p h e d e la sim p lic ité .

38
N o n p a s d e la p a u v re té , ou d e l'a b s e n c e d 'in v e n tio n , b ie n a u c o n tra ire ; m a is
à q u i s e p la c e d 'e m b lé e a u cen tre d u cercle, il n 'e st n u l b e s o in d 'e n c h e rc h e r d é s e s ­
p é ré m e n t l a q u a d ra tu re . La ch o se la p lu s p ré c ie u s e a u c in é m a , e t l a p lu s fra g ile ,
e st a u s s i c e q u i d is p a ra ît d a v a n ta g e d e jo u r e n jo u r so u s le rè g n e d e s h a b ile s :
u n e c e rta in e p u re té d u re g a rd , u n e in n o c e n c e d e l a c a m é r a q u i son t ici te lle s
q u e si e lle s n 'a v a ie n t ja m a is é té p e rd u e s . Il suffit p e u t-ê tre d e cro ire q u e le s c h o se s
so n t c e q u 'e lle s sont, p o u r le s v o ir tout sim p le m e n t ê tre a u s s i s u r l'é c r a n co m m e
c h e z elles ; et cette c ro y a n c e se serait-elle p e r d u e a u tre p a r t ? M ais cet œ il, et cette
p e n s é e , s 'o u v ra n t a u ce n tre d e s c h o ses, v o ilà l'é t a t d e g r â c e d u c in é a s te : ê tre
d 'a b o r d à l'in té rie u r d u cin ém a, m a îtr e d u c œ u r d 'u n d o m a in e d o n t le s fro n tiè re s
p e u v e n t en su ite s 'é te n d re à l'infini : et c e la s 'a p p e lle R enoir.
On p o u rra it e n c o re in s iste r su r l'e x tra o rd in a ire te n d re s s e a v e c la q u e lle F.T. p a r le
d e la c ru a u té , qu i n e p e u t être c o m p a ré e q u 'à l'e x tra o rd in a ir e d o u c e u r a v e c
la q u e lle F ra n ju p a r le d e la folie ; ici et là, u n e force p r e s q u e in s o u te n a b le n a it d e
l'e m p lo i p e rp é tu e l d e l a litote, et le refu s d e l'é lo q u e n c e , d e la v io len ce, d e l'e x p lic a ­
tion, d o n n e à c h a q u e im a g e un b a tte m e n t, u n fré m isse m e n t in te rn e , q u i s'im p o se n t
b ru s q u e m e n t e n q u e lq u e s b re fs éclats, lu is a n ts c o m m e u n e la m e . O n p o u rra it p a rle r,
co m m e il s e doit, d e V igo, o u d e R ossellini, ou, p lu s ju s te m e n t e n c o re , d e s M isio n s '
o u d ’U n e visite. T o utes c e s ré fé re n c e s n e v e u le n t fin a le m e n t p a s d ir e g ra n d -c h o se ,
e \ il i a u t s e d é p ê c h e r d e le s îa ire p e n d a n t q u 'il e n est te m p s. Je v o u la is d ir e s e u le ­
m e n t, a u s s i sim p le m e n t q u 'il s e p u is se , q u 'il y a m a in te n a n t p a rm i n o u s, n o n p lu s
Un d é b u ta n t d o u é et p ro m etteu r, m a is u n v ra i c in é a s te fra n ç a is , q u i est l'é g a l d e s
p lu s g ra n d s , et q u i s 'a p p e lle F ran ço is T ruffaut.

J a c q u e s RIVETTE.

A lbert R ém y, C laire M aurier et Je an -P te rre Léaud dans L es Q uatre cents coups.

39
LE PLUS G R A N D ANNEAU

DE LA SPI RALE

par Fereydoun Hoveyda

A l'in s ta r d é n o tre g a la x ie , l'œ u v r e d 'In g m a r B e rg m a n s e d é v e lo p p e n o n p a s


e n circo n féren c e, m a is en sp ira le . U ne s p ira le d o n t c h a q u e rév o lu tio n a g r a n d i t le
cercle en l'affin an t. D a n s cette c o u rs e v e rs la p erfectio n , l'a u te u r s 'a r r ê te p a rfo is,
co m m e p o u r e m b r a s s e r d 'u n coup d 'œ i l le c h e m in p a rc o u ru . Le p lu s g r a n d a n n e a u
d e l a sp ira le brille a lo rs d 'u n é c la t p a rtic u lie r e t s e m b le c a c h e r le re ste . L e film
q u 'il p o rte se suffit à lui-m êm e : s'il n e re n d p a s in u tile s le s a u tre s , il le s d é p a s s e
à co u p sûr. Les F ra is e s s a u v a g e s re sso rtit à c e tte d e rn iè re c a té g o rie . Il e n g lo b e p a r
s a th é m a tiq u e to u tes le s id é e s c h è re s à n o tre c in é a ste , to u te s a p h ilo so p h ie , o u p lu ­

40
tô t so n o n to logie. Il re c o u v re en u n s a is is s a n t ra c c o u rc i le s q u e lq u e dix-neuf film s
q u e n o u s co n n a isso n s d é jà . Il le s co n tien t tou s, m a is a v e c e n p lu s q u e lq u e ch o se
d e nouveau.

Proust et Joyce

B ergm an, on l'a so u v e n t so u lig n é d a n s c e s C a h ie rs, est com m e h a n té p a r u n e


é te rn e lle in terro g atio n . Q u e stio n m é ta p h y s iq u e s a n s ré p o n s e p o ssib le e t q u i re n v o ie
le s p ro ta g o n is te s à la situ atio n m ê m e d o n t ils c h e rc h a ie n t à s 'é c h a p p e r. P o u rta n t le
p e ss im ism e b e rg m a n ie n n 'e s t p a s a b s o lu m e n t n é g a tif. U ne issu e s e p ré s e n te toujours
p a r c e q u e n é c e ss a ire . Et c e tte n é c e ss ité , l'a u te u r la re s s e n t p ro fo n d é m e n t lo rsq u 'il
d it : « Je cro is e n u n e id é e s u p é r ie u re g u 'o n a p p e lle D ieu. Je Je v eu x e t il Je faut. »
D o u és d e v o lo n té et d e p e r s é v é r a n c e s e s p e r s o n n a g e s su rm o n te n t so u v e n t l'a b s u rd ité
d e l'e x iste n c e e n e n p re n a n t co n sc ie n c e . L e D r I s a a c B org (1), h é ro s d e s F ra is e s s a u ­
v a g e s , s 'in te rro g e com m e s e s p ré d é c e s s e u rs et a rr iv e a u x m ê m e s conclusions. S'il
s e m b le s e rre r la q u e stio n d 'u n p e u p lu s p rè s , s e s in q u ié tu d e s n e son t p a s p o u r
a u ta n t d e q u a lité différente.

C e film m a rq u e u n po in t d 'a rriv é e , m a is a u s s i u n p o in t d e d é p a rt. L es je u n e s


g e n s q u e le D r Borg re n c o n tre s u r s a ro u te, le c o u p le d é s u n i d e l a v o itu re a c c id e n té e ,
le fils et la b ru , a u ro n t à s 'in te rr o g e r à le u r to u r. S a n s d o u te re p a ra îtro n t-ils d a n s
q u e lq u e fu tu r film en g e sta tio n . P o se r le p ro b lè m e c e n 'e s t p a s le ré s o u d re . M ais en
p a r la n t d e point d e d é p a rt, c e n 'e s t p a s e u x q u e j'a v a is en vu e. Je p e n s a is à B ergm an
lui-m êm e, à so n tra v a il d e s c é n a r is te e t d e m e tte u r e n scèn e. Jusqu'ici il a c c e n tu a it
ta n tô t le c ô té p sy c h o lo g iq u e , ta n tô t le cô té m é ta p h y s iq u e . R ê v e s d e fem m es, p a r
ex e m p le , ex c e lla it à nous^ p e in d re d e s se n tim e n ts. L a P rison e t p lu s ta r d Le S e p tiè m e
s c e a u a b o rd a ie n t d e s p ro b lè m e s p lu s a b s tra its . Ici, n o u s a ss isto n s p o u r la p re m iè re
fo is à u n e s y n th è s e p a rf a ite d e c e s d e u x te n d a n c e s . S 'il fa lla it à tout p rix c o m p a re r
L es f r a i s e s s a u v a g e s à u n a u tre film , j'é v o q u e r a is Le S e p tiè m e s c e a u d ont le h é ro s
m e se m b le être un p ro c h e p a re n t d u D r Borg. P o u rta n t l a d iffé re n c e s a u te a u x y e u x .
L a q u ê te d u D r Borg su p e rstru c tu re , n o n p lu s u n e allé g o rie , m a is un p o rtra it p s y c h o ­
lo g iq u e d 'u n g e n re n o u v e a u , to u t a u m o in s d a n s le d o m a in e d u cin ém a. A l'a n a l y s e
d u ty p e p ro u s tie n s 'a jo u te la reco n stitu tio n , à l a m a n iè re d 'u n Joyce, d e l'u n ité s y n ­
th é tiq u e d 'u n e affectivité, p a r un c o n s ta n t re c o u rs a u x c o u c h e s p ro fo n d e s d e la
p e rs o n n a lité . En c e sen s, je tien s L e s F ra ises s a u v a g e s p o u r le p lu s o rig in al d e s film s
d e B ergm an.

Subjectivité totale

L 'a b a n d o n d e s « re to u rs e n a r r iè r e » p o u r l'u tilisatio n s y s té m a tiq u e d u rê v e


c o n stitu e s a n s d o u te l'a u d a c e la p lu s a p p a r e n te d u film. Q u a tre rê v e s o c c u p e n t p lils
d e la m oitié d e l'h isto ire et, loin d e s o u lig n e r d u « d é jà co n n u » (com m e p a r ex em p le
d a n s L a Prison), font p a rtie in té g ra n te d u d é v e l o p p e m e n t B e rg m a n s e d irig e ré s o lu ­
m e n t v ers u n e sorte d 'in té rio risa tio n d e l a c o n n a is s a n c e d u h é ro s, m é th o d e s e u le m e n t
e ffle u ré e p a r lui a u p a ra v a n t. Le c in é m a , d 'h a b itu d e , ex tério rise le s s e n tim e n ts p a r le
je u d e s a c te u rs, le s ra p p o rts d e s p e rs o n n a g e s , le s situ atio n s d a n s le sq u e lle s ils so n t

(1 ) U e s t curie ux de r ele ver V a n alog ie de s in itiales avec celles de B erg m a n ; d ’ailleurs le


nom p a r a ît être une c o n tra c tio n de celui de l’a u te u r.

41
p la c é s , le d ia lo g u e . Et n o u s s a v io n s à q u e l p o in t B e rg m a n e x c e lla it d a n s l'u tilisa tio n
d e .ces m o y e n s p o u r re n d r e in tellig ib le le m o n d e in té rie u r e t d é c rire le s é ta ts d 'â m e .
M a is q u e lle q u e fût la p ro fo n d e u r q u 'il a tte ig n a it a in si, il n e p o u v a it s e c o n te n te r d e
re s te r s u r u n p la n qu i d e m e u re , so m m e fouie, su p e rfic ie l. Il in c o rp o ra it d a n s ses film s
d e s s y m b o le s r a p p e la n t le s v ie u x a v a n t-g a rd isfe s. Il le fa isa it, c e rte s, a v e c b o n h e u r.
M a is il co n tin u a it à s u g g é r e r le su bjectif p a r d e s m o y e n s p u re m e n t objectifs.
A v e c L e s F raises s a u v a g e s , B e rg m a n te n te u n e e x p é rie n c e : a b a n d o n n a n t le
p sy c h o lo g iq u e h a b itu e l il e s s a ie d 'a d a p te r a u c in é m a la m é th o d e m é ta p s y c h o lo g iq u e .
S o n p e r s o n n a g e n e s e r a p lu s se u le m e n t c e q u 'il p a r a ît, m a is e n c o re c e q u 'il c a c h e
d a n s le s p ro fo n d e u rs d e so n p sy c h ism e . T o u te c e tte p a r t ie re fo u lé e d e l'in d iv id u ,
to u t c e m o n d e se c re t q u e c h a c u n p o rte e n soi, r e p a r a ît à l'o c c a s io n d a n s le la n g a g e
s p é c ia l d u rê v e . S e m u a n t en v é rita b le p s y c h a n a ly s te , B e rg m a n s o n d e l'in c o n sc ie n t
d e so n h é ro s. T oute p e rs o n n e ta n t so it p e u fa m ilia r is é e a v e c l a p s y c h a n a l y s e
re c o n n a îtr a a u p a s s a g e le s re p ré s e n ta tio n s p u is é e s d a n s l'a r s e n a l d e s s y m b o le s o n iri­
q u e s ré p e rto rié s d e p u is F re u d : l'é ta n g , l'é c h e lle , 1© clo u - qu i b le s s e , le s ru e s
d é s e rte s , le s m a is o n s a b a n d o n n é e s , le s co u lo irs, la m o n tre s a n s a ig u ille , etc.
O n s e tro u v e e n q u e lq u e so rte tr a n s p o rté à l'in té rie u r m ê m e d e la p e rs o n n a lité d u
h é ro s . T out re s p ire l a su b je c tiv ité ici, n o n s e u le m e n t le s rê v e s , m a is l a ré a lité é g a l e ­
m e n t. C e q u i p a r a î t ê tr e le d é ro u le m e n t o b je c tif d e l a jo u r n é e d u D r Borg, n 'e s t e n
fait q u e la re la tio n é la b o ré e , c o n d e n sé e , q u 'il n o u s e n fait. S e u ls le s q u a t r e p la n s
p ré c é d a n t le g é n é riq u e se m b le n t é c h a p p e r à c e tte in té rio risa tio n . A u ssi b ie n sont-ils
so ig n e u se m e n t s é p a r é s d u reste. Les F ra ise s s a u v a g e s c 'e s t le film d e l a su b je c tiv ité
to ta le , c 'e s t en fin le récit c in é m a to g ra p h iq u e à l a p re m iè r e p e rs o n n e d u s in g u lie r
q u i n 'a p a s b e so in d e s 'a c c ro c h e r à l a te c h n iq u e d e c e q u 'o n a a p p e lé la c a m é r a
su b jectiv e.

Le troisième degré

B e rg m a n in v ite d o n c le s p e c ta te u r à p é n é tre r, à s a su ite, d a n s le m o n d e in té rie u r


d u p e r s o n n a g e . M ieux : il le co n v ie à s e tr a n s fo r m e r e n u n e e s p è c e d 'a n a ly s te a u troi­
siè m e d e g ré . C a r d a n s Les Fraise s s a u v a g e s tro is a n a l y s e s s e s u p e rp o se n t. D 'a b o r d
l'a u to -a n a ly s e d u h éro s. E n su ite so n a n a ly s e p a r B e rg m a n (1), E nfin u n e p a rtic ip a tio n
q u a s i fo rc é e d u p u b lic a u x d e u x p r é c é d e n te s a n a ly s e s . B e rg m a n n e liv re q u e l'e s s e n ­
tiel. C e rta in s a s p e c ts d u p e rs o n n a g e e t d e s a v ie sim p le m e n t e ffle u ré s la is s e n t l a
v o ie o u v e rte à l'in te rp ré ta tio n . A in si s e g ard e-t-il d e p ré c ip ite r le s p e c ta te u r d a n s
u n e lo g iq u e artificiellem en t p ré c o n ç u e et conserve-t-il a u D r Borg u n e a m b ig u ïté
su ffisa n te p o u r le d o u e r d e vie e t d e ré a lité .
In v esti d 'u n e ric h e s s e n o u v elle, le film p e u t p a r a î tr e d é ro u ta n t à l a p re m iè r e
vision. S a n o u v e a u té m ê m e o b lig e le s p e c ta te u r à a d o p te r u n e n o u v e lle m é th o d e
d 'a p p ro c h e . C 'e st s a n s d o u te p o u r n e p a s tro p le b o u s c u le r q u e B e rg m a n ro m p t a v e c
so n s ty le h a b itu e l, ré d u is a n t p ro d ig ie u s e m e n t le s m o u v e m e n ts d e c a m é ra , m u lti­
p lia n t le s p la n s fixes, s'in te rd isa n t le s « effe ts » h a b itu e ls d e l a re p r é s e n ta tio n o n iri­
q u e , f a is a n t p re u v e d 'u n se n s p r e s q u e ro s se llin ie n d e l'é c o n o m ie d a n s le s m o y e n s .
S e s d e u x rê v e s le s p lu s sy m b o liq u e s (le p r e m ie r et le troisièm e) é to n n e n t p a r l a
s é c h e r e s s e d e to n et p a r le d é p o u ille m e n t d u d é c o r. O n p o u rr a it m ê m e lu i re p r o c h e r
le d é ro u le m e n t p a r trop lo g iq u e d e s p a r t ie s o n iriq u e s (surtou t le d e u x iè m e e t le
q u a triè m e rêv e) q u i s e m b le n t r a m e n e r le r ê v e a u n iv e a u d u p r o c é d é c o m m e p a r
e x e m p le le re to u r e n a rriè re . C e tte c ritiq u e m e p a r a î t à l a fois ju s te et fa u s s e . Ju ste
p u is q u e le r ê v e é la b o re et n e ré p è te ja m a is le ré e l. F a u s s e , p a r c e q u e , tout d 'a b o r d ,
le s é v é n e m e n ts « re v é c u s » se r a p p o r te n t à d e s é p is o d e s a u x q u e ls le h é r o s n 'a v a i t

(I) Ce qui re v ie n t à u ne a u to -a n a ly se de l’ a u te u r.

42
Victor Sjostrôm, Ingrid T hulîn et Bibi A ndersson dans L es F raises sauvages d ’Ingm ar
Bergm an,

p a s ré e lle m e n t a s s i s t é ; Borg n 'a p p a r a ît ja m a is d a n s s e s p ro p r e s rê v e s q u e so u s s a


fo rm e a c tu e lle d e v ie illa rd d e soixante-dix-huit a n s ; en fin , a y a n t choisi ï a m é th o d e
m é ta p s y c h o lo g iq u e , B e rg m a n s e d o it d 'in c o rp o re r d a n s le s rê v e s en q u e lq u e sorte u n
d é b u t d 'in te rp ré ta tio n afin d e le s re n d r e intelligibles.

Le mobile et le statique
T o ut c e l a se m b le m u ltip lie r le s co n v en tio n s. Q u 'im p o rte ! Le c in é m a n 'e s t-il p a s
lu i-m ê m e c o n v en tio n ? C e q u i ch ez le s tâ c h e ro n s é lo ig n e d e l a ré a lité , n o u s r a m è n e
ici a u c œ u r d u v ra i. U ne fois d e p lu s B erg m an ré v è le s a m a îtr is e d u s c é n a rio . S on
film p r e n d m ê m e u n to u r litté ra ire (1). M ais e n a p p a r e n c e s e u le m e n t. C a r si B erg m an
s c é n a r is te s 'im p o s e ici d a v a n t a g e q u 'e n d 'a u tr e s œ u v re s , B e rg m a n m e tte u r e n s c è n e
et d ire c te u r d 'a c te u r s d e m e u re e n tiè re m e n t p ré s e n t d e rr iè re l a n o u v e a u té d u sujet. La

(1 ) Je n 'i n s is te ra i p a s s u r ce p o in t dévelo pp é p a r Erîc R o hm e r d a n s sa critiqu e d’A u Seuil de la


vie (No 94).

43
v o lo n té d e s ta tiq u e m a r q u é e d a n s le s q u a tr e p la n s p ré c é d a n t le g é n é riq u e c o n stitu e
u n e sorte d e c lé m é th o d o lo g iq u e d e la ré a lis a tio n : p lu s g r a n d e fix ité d a n s le s p a r t ie s
c o n c e rn a n t l'é ta t d e veille, p lu s g r a n d e m o b ilité d a n s le s rê v e s . E sth é tiq u e q u i s e
justifie : le m o n d e in té rie u r d u h é ro s é ta n t p lu s flu id e q u e so n a p p a r e n c e r ig id e e t
a u stè re .
C e q u i est le p lu s a d m ira b le d a n s l a c o n stru ctio n d u Iilm , c 'e s t le c o n s ta n t
tra n sfe rt d u rê v e à la ré a lité et d e l a ré a lité a u rê v e . P a r u n e d ia le c tiq u e s u b tile
s 'é te n d a n t su r u n e p é rio d e d e v in g t-q u a tre h e u re s , le s faits et g e s te s e t le s r ê v e s ,
ra c o n té s p d f le h é ro s s e fo n d en t p o u r n o u s s u g g é r e r à la fois so n p o rtra it e t so n é v o ­
lution, so n c a ra c tè re e t s a situ atio n , e n u n m o t c e q u 'il a d 'é te rn e l et c e q u 'il a de
p articu lier. L a d e sc rip tio n « p s y c h a n a ly tiq u e » c o n fè re à c e p o rtra it u n v é rita b le s u s ­
p e n se , u n sen tim en t d 'a tte n te et d e d é c o u v e rte p ro g re ssiv e . L a c o n c e n tra tio n s u r u n
s e u l p e rs o n n a g e (co n trairem en t à l'h a b itu d e d e l'a u te u r) a b o u tit à u n e so rte d e ra ffi­
n em en t, d 'é p u ra tio n et d 'a p p ro fo n d is s e m e n t d e s th è m e s b e rg m a n ie n s .
Je n e v o u d ra is p a s m e liv rer ici à u n e s s a i d 'in te rp ré ta tio n et d e c ritiq u e p s y c h a ­
n a ly tiq u e d e s F ra is e s s a u v a g e s , m a is q u e lq u e s e x e m p le s m e p a r a is s e n t n é c e s s a ir e s
p o u r m o n tre r co m m en t la m é ta p s y c h o lo g ie iin it p a r re jo in d re la m é ta p h y s iq u e , c a r
la p s y c h a n a ly s e n 'e s t q u 'u n e d iscip lin e, n o n u n e p h ilo so p h ie d e l'ex isten ce.

La fuite devant h réalité ou le mort vivant

En q u a tre p la n s et q u a tre p h r a s e s le D r Borg se ré v è le d è s le d é b u t. D e rriè re


son a ttitu d e austère,' s a so litu d e v o lo n ta ire , s e s m a n ie s é rig é e s en rè g le s d e v ie , o n

Victor Sjostrom, Naïm a W ifstrand et Ingrid Thitlin dans L es Fraises Sauvages.

44
Victor S] os t rom et Ingrid T hulin dans Les Fraises sauvages.

d ev in e a is é m e n t u n e n s e m b le d e m e su re s d e s tin é e s à c o n ju rer u n e a n x ié té p ro fo n d e .
Te n e m 'a v e n tu r e r a i p a s ju s q u 'à s o u te n ir la th è s e d e la n év ro se. Le D r Borg s'e x p liq u e
en ces te rm e s s u r s a so litu d e : « N o s r e la y o n s a v e c a u trui s e b o rn e n t su rto u t à d e s
crifigues. » L a p e u r d e l a c o n tra d ic tio n ! M ais on sa it la frag ilité d e s d é fe n s e s d o n t
s'e n to u re n t le s é g o c e n triq u e s . Et à l a v eille d e re c e v o ir la co n sé c ra tio n d e s a ré u s site
« a p p a re n te » (jubilé m é d ic a l), le v ie illa rd voit s'é c ro u le r tout l'éd ifice.

Le p re m ie r rê v e s e c et p ré c is ré v è le l'a n g o is s e d e v a n t l a m o rt p r o c h a in e et la
so litu d e q u i est d é jà c o m m e n c e m e n t d e n é a n t ; il so u lig n e la n o s ta lg ie d e l'e n fa n c e -
et la p e rte d u « p a r a d i s » fa m ilia l (les m a is o n s en ruine) et su g g è re com m e on le
v e rra , l'id en tificatio n a u p è r e (la m o n tre s a n s aiguilles).

C o m m e il a rr iv e so u v e n t d a n s la ré a lité , ce rê v e influe s u r la v ie é v e illé e d u


h é ro s q u i d écid e, a p r è s d e s d is c u ssio n s a v e c s a g o u v e rn a n te et s a b ru , d e faire
u n p è le rin a g e s u r le s lieu x m ê m e s d e so n e n fa n c e et d e son a d o le sc e n c e . L à, p r è s
d u fra isie r s a u v a g e , il s'e n d o rt. En rê v e , il vit, co m m e u n e ch o se v écu e, la s c è n e
in itiale d e la tra h is o n d e s a c o u sin e a im é e , S a ra , sc è n e à la q u e lle il n 'a v a it p a s
v ra im e n t a ssisté. A p p a r a is s e n t a u s s i l a n o s ta lg ie d e s « a m o u rs e n fa n tin e s » et le
c a ra c tè re d o m in a te u r d e l a m è re . Borg et s o n p è re so n t a b s e n ts (à l a p ê c h e ) : le u r
m o y e n d e d é fe n s e d e v a n t l a ré a lité s'e x p rim e p a r la fuite.

A u rév eil, u n tr a n s fe r t s u r l a ré a lité p ré c is e l e s e n s d u rêv e. Borg re n c o n tre u n e


v ra ie S a r a d e dix-huit a n s , a c c o m p a g n é e d e d e u x p ré te n d a n ts : l'u n je u n e ra tio n a ­
liste, sérieu x , est à n 'e n p a s d o u te r so n p ro p r e p e rs o n n a g e (la rig u e u r b ib liq u e d u
je u n e Borg é q u iv a u t à l'in c ro y a n c e ) ; V autre, à l a fois f a n ta s q u e et s û r d e lu i-m êm e

45
re p r é s e n te le frè re qu i ja d is e n le v a S a r a (à n o te r le d é p la c e m e n t : c o n tra ire m e n t
a u frère, il s e d e stin e a u m é tie r d e p asteu r). U n e a u t r e re n c o n tre , c e lle d ru n c o u p le
d é su n i é v o q u e so n p ro p r e m a ria g e . Enfin u n e v is ite à s a m è re e n c o re v iv a n te p r é ­
cise le c a r a c tè r e fro id d e celle-ci e t d o n n e à p e n s e r q u 'u n fort d é s é q u ilib re ré g n a it
d a n s le m ilie u fam ilial. O n 12e voit q u 'à l a fin le p è r e et la m è re e n se m b le . Ici, u n e
p h o to d e fa m ille q u i le s re p ré se n te , est c o n s id é ré e s a n s v a l e u r p a r la v ie ille d a m e .
B org s e m b le v o u lo ir se d is sim u le r l a m é s e n te n te d e s e s p a r e n ts . L a s c è n e d e s jo u e ts
in d iq u e q u e le d o c te u r s e ra c c r o c h e d é s e s p é ré m e n t à to u s le s s ig n e s d 'u n e é p o q u e
o ù l a d é s u n io n n 'e x is ta it p a s en co re. En r e c o u p a n t a v e c le d e u x iè m e rê v e , on co m ­
p re n d q u e la tr a h is o n d e S a r a a e n c o re re n fo rc é c h e z le p e r s o n n a g e l'id é e d 'im p o s ­
sib ilité d u b o n h e u r d a n s le m o n d e d e s a d u lte s ; on p re s s e n t q u 'il v a d é s o r m a is
d é tru ir e d e s e s p ro p re s m a in s to utes le s o c c a s io n s d e b o n h e u r, y c o m p ris so n
m a r ia g e , e n c h e rc h a n t à re p ro d u ire le s d e u x s itu a tio n s in itia le s : l a m é s e n te n te d e s
p a r e n ts et la tr a h is o n d e S a r a (on p e u t m ê m e s e d e m a n d e r s 'il n 'e s t p a s l'a r tis a n d e
la tra h is o n d e S a r a co m m e il le s e r a d e c e lle d e s a fem m e).
Le tro isiè m e T ê v e co n firm e tout c e q u 'o n a v u. L 'im a g e d e S a r a b e r ç a n t l'e n fa n t
r a p p e lle le n iv e a u d e fixation in fa n tile d e B org. Et l'e x a m e n , rê v e b a n a l q u e c h a c u n
co n n aît, a c q u ie rt c h e z B erg m an u n e sig n ificatio n m é ta p h y s iq u e q u i r a n im e r a le se n ­
tim en t d e c u lp a b ilité d e so n p e rs o n n a g e . S o u s le s tra its d u m a ri re n c o n tré lo rs d e
l'a c c i d e n t l'e x a m in a te u r, a p r è s a v o ir sig n é le c o n sta t d 'é c h e c d e B org, le co n d u it
a u p r è s d e l'é ta n g o ù ja d is il a s s is ta à la tr a h is o n d e s a fem m e. A n o u v e a u , l'im p o s­
sib ilité d 'a im e r (l'éch elle, b rû lée). A-t-il tu é s a fe m m e et l'a m a n t o u b ie n la c h o se
est-elle a rriv é e d e la fa ç o n d ont l'é p o u s e la d é c rit d a n s le rê v e ? Le film n e l'e x p liq u e
p a s c la ire m e n t. Il s e m b le q u e l a s e c o n d e in te rp ré ta tio n so it l a m e illeu re, p u is q u e d a n s
u n é p is o d e r a p p o r té p a r la b ru , le fils d e Borg d é c la r e : « Je n ’é ta is p a s d é s iré d a n s
u n e u n io n qu i é tait u n en fer. » Il a d o n c fa llu q u e B org et s a fe m m e re s te n t e n se m b le .

Le paradis retrouvé

, Le s e n s d e c e s rê v e s a p p a r a ît le n te m e n t à Borg : « C 'e st c o m m e s i je v o u la is m e
d ir e u n e c h o s e q u 'a u fond je n e v e u x p a s e n te n d re ... q u e je su is m orf, b ie n q u e je
viv e. » A tr a v e r s l'in c o n sc ie n t ré v é lé p a r le s rê v e s et le s é v é n e m e n ts d e c e tte jo u rn ée,
le v ie u x m é d e c in p r e n d p o u r la p re m iè r e fois c o n s c ie n c e d e s e s v r a i s p ro b lè m e s .
« D a n s cette s u ite c u rie u s e d 'é v é n e m e n ts , dit-il, je d e v in a is u n e c a u s a lité r e m a r q u a ­
b le . » Il e s s a ie d e c h a n g e r, d e s'o u v rir s u r le m o n d e . En v a in : le s p o rte s re s te n t
fe rm é e s. S e u le s la je u n e S a r a e t l a b r u lui m a n ife s te n t q u e lq u e sy m p a th ie , B org reste
e n p io ie à l'in q u ié tu d e . Il lu i fau t c o rrig e r s a c o n c e p tio n d e so n e n fa n c e , y re tro u v e r
u n a p a is e m e n t, s e d é liv re r d e s fix atio n s d e ja d is.
V ien t a lo rs le q u a triè m e rê v e q u i a c h è v e le film . Borg s e voit (â g é d e so ix a n te -
dix-huit a n s co m m e toujours) à la re c h e r c h e d e s e s p a r e n t s , q u 'il n e tr o u v e p a s . L a
c o u sin e S a r a le c o n d u it so u s u n a rb re , p r è s d 'u n golfe. De l'a u tr e c ô té, le p è r e et
l a m è r e p iq u e -n iq u e n t d a n s u n e a tm o s p h è r e id y lliq u e . L e p a r a d i s p e r d u est enfin
re tro u v é . Il c o n v ie n t d e .noter q u e c 'e st l a p re m iè r e fois q u 'o n v o it le p è re .
S 'ag it-il v ra im e n t d 'u n e s c è n e ré e lle re tro u v é e o u b ie n d 'u n e illu sio n é la b o ré e p a r
le rê v e ? Le film ne* p e rm e t p a s d e tr a n c h e r c e tte q u e stio n . D 'a ille u rs c e l a im p o rte peu,
p u is q u 'à l a d e r n iè r e im a g e Borg, e n s e ré v e illa n t, s e m b le a v o ir c o m p ris l a n a tu re
m ê m e d e s e s tro u b les.

C ette fin n o u s re n v o it a u d éb u t, à c e s q u a t r e p la n s p r é c é d a n t le g é n é riq u e où l'o n


v o it B org r é d ig e r u n m a n u sc rit, s a n s d o u te s u r l'e x p é r ie n c e q u 'il v ie n t d e v iv re. La
fa ç o n d o n t il s e d é c rit e n solitaire m a n ia q u e n o u s d é c o u v re le c h e m in p a rc o u r u .

46
D a n s u n co in u n c h ie n e st é ten d u , c o m p a g n o n n o u v e a u (n ulle p a r t a ille u rs il n 'e n e st
q u estio n ). C a r a p r è s c e s v in g t-q u atre h e u re s si ric h e s e n d é c o u v e rte s, le D r Borg
n e p e u t p lu s re s te r co m p lè te m e n t seul. S a re tra ite v o lo n ta ire est m a in te n a n t d e v e n u e
fo rcée. Et c e d é b u t, q u i est u n e fin, contient en lui to u te la co n clu sio n d u film q u i
s e ré fè re a u x id é e s le s p lu s a b s tra ite s : a m b ig u ïté d e l a co n d itio n h u m a in e , im p u is­
s a n c e d e l'h o m m e to u jo u rs en re ta rd s u r l'in s ta n t c o n te n a n t le b o n h e u r, l a frê le
is su e e n fa c e d e l'a b s u rd e , l'é te rn e lle q u e stio n d e là n a is s a n c e e t d e la m ort... Id é e s
a b s tr a ite s et g é n é ra le s , c a r le D r Borg té m o ig n e p a r- d e là s e s p a rtic u la rité s p o u r
l'h u m a n ité e n tiè re . « Un h o m m e , d isait S a rtre , c 'e sf foute la T eire . » En c e s e n s
L es F ra ises s a u v a g e s , film to ta le m e n t su b jectif s e tra n s fo rm e e n oeuvre v é rita b le m e n t
co sm iq u e.

F e re y d o u m HOVEYDA.

^ SMULSTHONSTALLET (LES FRAISES SAUVAGES), film suédois d'INGMAR BERGMAN.


S.œnario : Ingmar Bergman. Images : Gunnar Fischer. Décors ; P.A. Lundgren. Musique : Erik
Noidgren. Interprétation : Victor Sjostiom, Ingrid Thulin, Gunnar Bjôïnatiand, Bibi Ânûersson,
Bjorn Bjelvenstam, Folke Sundqvïst, Naïma Wifstrand. Production : Sveask fiîmindustri, 1957.
Pisfribufion : Aihos films.

Bibi A ndersson et Victor Sjostroin dans L es Fraises sauvages.

47
J’A l FA I T U N BEAU V O Y A G E mentaristes de notre époque. Les images se
veulent quelconques, quotidiennes, sans apprêt
Ainsi s'intitule la série des dix émissions té­ 11 s’en dégage pourtant une véritable poésie,
lévisées que Roberto Rossellini vient de consa­ une espèce d'hym ne à la nature et à l’homme.
crer à l’Inde. Un vrai beau voyage, apparem­ A u delà d ’une forme à laquelle nous avaient
ment sans queue ni tête. Voyage d’un grand habitué les documen taris tes les plus doués,
cinéaste qui sait observer, qui n ’a pas peur de Rossellini prouve qu’il existe une beauté plus
se presser, de s ’arrêter et d e s’écarter des voies secrète, plus profonde, plus sereine. Les images
habituelles. Rossellini, c’est l’antî-touriste. se suffisent à elles mêmes. Mais les commen­
Aussi bien ses documentaires ne ressemblent- taires de l’auteur les dotent d ’un attrait sup­
ils en rien aux Continent perdu et aux Indes plémentaire. Rossellini possède l’art de la per­
fabuleuses. Au contraire. T out au long de sa suasion. Son verbe encnante. Ce n ’est pas le
randonnée Rossellini ne manque pas de dé­ moindre intérêt de ces courts métrages que de
gonfler les mythes touristiques : fakirs, char­ nous révéler l’auteur d7ndia-58 sous le jour
meurs de serpents.., etc. Débarrassée de cette d’un grand conférencier. — F. H.
gangue qui nous la rendait invisible, l’Inde
apparaît dans sa réalité intime, avec ses pro­ PARIS-LIECE-COLOCNE
blèmes actuels et ses perspectives d ’avenir. En
fin de compte, ce voyage, comme le fut celui Visite éclair aux étudiants de Liège, Blue
de George Sanders et Ingrid Bergman en Italie, Jeans de Jacques Rozier sous le bras, les
ést l’occasion d’une méditation sur l’homme et C ahiers partout, le jeune cinéma français
sa condition, d ’une réconciliation de l’Occident objet de toutes les questions, a Enfin quelque.
avec un monde à la fois très ancien et très chose bouge, on n’est plus condam né à ne
nouveau. voir qitie des films américains! », me dit un
des responsables. Car plusieurs de ces jeunes
' Ce qui m e plait dans la méthode d ’approche belges ont séjourné aux U .S.A ., ne jurent
de Rossellini, c’est avant tout une certaine jeu­ que par Tashlin et, ô surprise l Ford, ils-ont
nesse qui lui permet d ’observer ses semblables en outre la chance, dans la capitale de la
avec tendresse, sans préjugés ou intolérance. Wallonie terriblement francisée et fort diffé­
Son attitude humble devant la nature, les rente de la Belgiaue des kermesses flaman­
hommes et les animaux. Certes, dans son com­ des, de voir des films américains à la chaîne.
mentaire (soùs forme de conversation à bâtons Le double programme est monnaie courante :
rompus avec Etienne Lalou) il échafaudé des La Grande Illusion avec L e P etit fugitif, une
théories, tantôt sérieuses, tantôt fantaisistes. reprise des Indomptables en complément de
Mais til ne s*y arrête pas: mieux : il ne manque programme, les petits Kubrick et Oswald
pas de se contredire par-ci, par-là. Son pro­ qu’on nous cache. Bref l'illusion q u ’Holly-
pos n’est pas de nous clouer des lunettes sur
E e bout du nez, mais d ’essayer d e nous ‘mettre
en contact avec la réalité indienne, d ’établir
wood tourne en secret des petits chefs-d’œ u ­
vre, la joie de découvrir qui fut nôtre en
France avant 1939. En contrepartie : rien q u e
üne espèce de communication entre nous et du cinéma américain et du cinéma français,
l’homme d’un autre pays. Sa caméra toujours rten de l'Est, Bergman rare.
en mouvement, son montage sans artifice, son Surprise : pour accompagner Blue Jeans,
objectif suivant les hom mes dans Jes rues ou accueifJi avec joie, T he R iver d e Renoir, sur
à leur travail, ne lassent pas. une copie couleur d ’une beauté qui nous
..Parfois on a l’impression qu’il n’y a aucune confirme qu’on avait saboté le tirage du film
organisation dan3 les films, que tout est laissé en France. Je vois plastiquement un autre
au hasard- Mais en y réfléchissant on voit qu'au film . Esthétiquement, L e Fleixüe dem eure
contraire une très solide logique interne char­ encore plus à l’avant-garde aujourd’hui
pente l'entreprise. Une logique invisible, non qu’hier, brise toutes^ les règles du vieux ci­
forcée, qui devrait servir de leçon aux docu- néma, résume une vision du monde. O u plu­

48
W a l e r i a n B o r o w c x y k , a n i m a t e u r d e c h o c , r éa li se s e s fi l m s a v e c t o u t c e q u ’il a s o u s la
m a in . Le p e r s o n n a g e c i - d e s s u s , h é r o s d e s o n dernie r trè s c o u r t - m é t r a g e , Le M a g i c i e n , n ’e s t
autre qu e lu i-m ê m e .

tôt trois visions du monde : la sagesse orien­


tale, le raffinement aristocratique anglais, le guorowczyk,
’il tournera en Pologne. Quant à Valerian
rien ne saurait l’empêcher de réa­
panthéisme de Renoir, Comme dans Toni le liser ses projets avec un courage de fusilier
soleil brûle, rapproche du cosmos, tue. Eclate marin de l’image par image. N'ayant pas de
en outre dans Le Fleuüe un souci de compo­ caméra il s’en est fabriqué une q u ’il faudrait
sition musicale absent auparavant, qui trou­ absolument voir avant de découvrir le film.
vera son aboutissement dans Eîena et ies Elle est en bois, remplie d’engrenages pré­
Hommes. caires découpés dans aes boîtes de cirage, le
Crochet par l ’Allemagne, moderne, mais seul élément normal étant l'objectif pris sur
sans grâce, enfoncée dans la matière, dépri­ son inséparable appareil de photo.
mante, Cologne, joue du film français, bête­ Travaillant sur une petite table de 50x60
ment, sans choisir (Faibles Femmes, Toi îe et se passant d ’atelier, d ’usinette et d ’em­
Denin), parce que c’est français. L ’U.F-A. ployés, il vient de terminer un film de trois
Palast affiche du l^iisch national, le film amé­ minutes : Le Magicien. Parti, comme pour
ricain n*envahit pas, et Fritz Lang vient pren­ son film précédent U Ecole d ’éléments photo­
dre un bain de germanisme avec Des Indische graphiques (un personnage en haut-de-forme,
Grabmal. II traite par le mépris et la blague sur un fond blanc, qui n'est autre que lui),
une histoire méprisable et idiote, nous révèle il donne ensuite la vedette au chapeau haut
une exquise Nancy Oison allemande, Sabine de forme qui tourne sur lui-même et change
Bethmann, mâtinée de Barbara Bel Geddes. de couleur. On pense à l'inoubliable Parade
Il fait exécuter à Debra Paget une danse du Jes chapeaux d’Âlexeieff mais à condition de
ventre dans le meilleur style U .F.A ., se paro­ l ’avoir vu bien entendu. Des lettres s’écrivent
die lui-même dans une scène à la MetfopoJis. toutes seules, des empreintes digitales entrent
Un tel nihilisme terrifie, à moins q u ’au bout en scène. La prise de vue est effectuée sur
de la nuit noiie tv’apparaisse un jour la un positif ^ très sensible, et c’est le négatif
lumineuse forêt de Siegfried. Wo, Wenn, qui a servi de positif. La couleur a été por­
W ie ? — L. Ms. tée sur la pellicule avec des teintures à l’ani­
line. Le son est également dessiné sur la pel­
SIGNAL licule. Borowczyk a tiré de l’original réalisé
en format standard des premières copies en
On se souvient des noms des affichistes et 16 mm plus économiques mais qui ne l’ont
cinéastes d ’animation polonais, Jean Lenica pas entièrement satisfait. On attend la copie
et Valerian Borowczyk qui, après un premier définitive.
court-métrage H était une fois, • obtinrent le D’autre part, un simple signal du rédacteur
Prix du Festival Expérimental de Bruxelles en chef suffira pour que les CAHIERS publient
avec La Maison. prochainement vingt pages bïo-filmo graphi­
De passage pour quelques mois à Paris, ques et bien serrées concernant ces singuliers
ces deux créateurs n'ont pas perdu leur créateurs et leur non moins originales réali­
temps. Lenica préparait un film sur La Tête sations, — A. M.

Ce petit journal a été rédigé par F eKEVDOUN H ovEYDA, L ouis M àRCORELLES et A ndRÊ MaRTJN.

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CO T A T IO N S
• in u tile de se déranger
* à voir & la rigueur
** & voir
LE CONSEI L DES DI X * * * à voir absolum ent
**** chefs-d'œuvre
Case vide : absten tion ou : pas vu.

Henri Charles P ier r e


I Jacques Jean-Luc Claude Luc Jacques Eric Georges
T itre des n u is Les Tnx. Agel Bitsch Braunbcrger Doniol- Godard Mauriac M o u lle t Rivette Rohmer Sadoul
Valcroze

I van le Terrible (S.M . Eisenstein) ............ ★ ~k ★ * -k 'k * * ★ ★ ★ ★ * ~k ★ ★ * * ★ ★ ★ ★ ★ ★ + ★ * ★ ★ -k ★ ★ * * ★ ★ ★ *


Les Contes d e la lune vague (K Mizoguchi) * ★ ★ * * * * ★ * ★ •k * ★ * ★ ★ * * ■k ★ * * * ★ ir ~k ★ ★ * + * * * ★
★ ★ * ★ ★ * ★ ■* * ★ * * ★ * ★ * ★ * * * * * * ★ ★ ★ * ★ ★
★ ★ ★ * ★ ★ ★ * * ★ ¥ * ★ ★ * * * ■k * * * ¥ * ¥ * * -

La P rison (1. B e r g m a n ) ........................................ * ★ ★ * ★ ★ * * * * * * * * * * * * * *


* ★ ★ * * ★ * * * * * * * * * •¥-
La Tête c o n tr e le s m u rs (G. F ran ju ) ★ ★ * ★ ★ * * * * ★ * * * * * * * * ¥ *
R ien q u e n o u s d e u x (R. C a stellan i) .... ★ ★ ★ ★ * * ¥ * * + * *
U n e s im p le h is to ir e (M . H a n o u n ) .............. * * * * * ★ * * * ¥• * *
La C o llin e d e s p o t e n c e s (D. Daves) . . . . ★ * * ¥ * * *
L3 B lo n d e e t l e S h é r if (R. W a ls h ) .... ★ ★ ★ * ★ * • * * ¥

L es M o ta r d s .(]. L avîron) ......................... * ★ * * * *


T h e Q u i e t O n e (S. M e y e r s ) ............................ * •it ir * • • « * ¥
L 'A d o r a b le V o is in e (R. Q u in e ) .................... * * * * ¥
V a c a n c e s à Paris (B. E dw ards) .................... * ★
L e s G rands E sp ace s ( W . W y l e r ) .................... ★ * ★ * • «i + 3f

D e rr iè r e la g r a n d e m u r a ille (R. M e n e g o z ) ★ A G * *
★ • * *
La Dernière T o r p ille (J. P ev n ey) ........... .. * * • * 1
La T e m p ê t e (A. L a t t u a d a ) .............. .. ★ * • • ■V-
T o i le v e n in (R, H o s s e t n ) ........................... •t • • * • • • «
B obosse (£. Périer) ...................................... • • « r
LES FILBS

Birger Mnlmsten et Doris Svediund dans La P rison d ’Ingm nr Bergman-

L’instant privilégié
F A N G E L S E (LA P R I S O N ) , film s u é d o is d ’iNGMAR B erg m an . S c é n a r io : I n g m a r
B e r g m a n . I m a g e s : G o r a n S tr in d b e r g . D é c o rs : P.A . L u n d g r e n . M u s iq u e : E r l a n d
v o n K o c h . I n t e r p r é t a t i o n : D o ris S v e d iu n d , B ir g e r M a lm s te n , E v a H e n n in g , H a sse
E k m a n , S t i g O lin , I r m a C h r is te n s o n , A n d e r s H e n r ik s s o n . P r o d u c t io n : L o re n s
M a r m s t e d t e t T e r r a film , 1948. D is tr ib u tio n : T é lê c in e x .

T a n t ô t c r i a n g o is s é d e c a u c h e m a r , v io le m m e n t p a s s io n n é , le p lu s p a s c a -
t a n t ô t l e n t e p l a i n t e c ru e lle , t o u t film li e n d e t o u s le s c in é a s te s .
d e B e r g m a n n 'e s t q u ’u n im m e n s e C e tte e s p è c e d e p o s s e s s io n e x p liq u e
« p o u r q u o i ». N o n ce « p o u rq u o i » p r é ­ p e u t - ê t r e c h e z lu i l’e x is te n c e d 'u n d é ­
cis q u e p o se c h a c u n e de se s œ u v re s d o u b le m e n t . D 'u n c ô té le p e n s e u r , c e ­
(p o u r q u o i l a vie, l a m o r t, D ie u e t S a ­ lu i q u i a n a l y s e l ’o b je t d a n s le q u e l ce
t a n , l'a m o u r , e t c . ) , m a is c e lu i qui, a v a n t « p o u r q u o i ». s ’e s t i n c a r n é , d e l ’a u t r e
m ê m e d ’ê t r e fo r m u lé , e s t c o m m e u n e le d é l i r a n t , s a i s i d ’u n e s o r te d e r a g e
fo r c e i n t e r r o g a t i v e , s u r g le d u p lu s p r o ­ i n t é r i e u r e fa c e à l ’i n s o n d a b le m y s tè r e
f o n d d e lu i- m ê m e . B e r g m a n e s t le p lu s q u ’il l u i f a u t p e r c e r ? P a r u n p a r a d o x e

51
p u r e m e n t a p p a r e n t , ce s o n t d a n s le s f é r e n t s : e n t r e S a t a n - l a v ie e t l a
œ u v r e s r é a lis te s , v o ire n a t u r a l i s t e s , m o r t, n ’y a - t - i l d e p la c e q u e p o u r
c 'e s t 'à - d i r e d a n s M o n ik a , J e u x d 'é té , u n e s o u f f r a n c e s a n s e s p o ir ? E t p o u r ­
R ê v e s d e f e m m e s , A u se u il d e la v ie , t a n t le s c é n a r is t e iv r o g n e e t u n e p e t i t e
e tc ., q u ’il c o n v ie n t d e c h e r c h e r ce d é ­ p r o s tit u é e , B r ig i tt e - C a r o l in e , p e n s e n t
lir e à l 'é t a t p u r . A u c o n t r a i r e , d e s tro u v e r u n in s ta n t de v ra i b o n h eu r.
œ u v re s , te lle s q u e L a P r is o n o u L e M o m e n t d ’illu s io n q u e « S a t a n - l a v ie »,
S e p t iè m e S c e a u , c h e r c h e n t , d a n s u n e s o u s le s t r a i t s d 'u n s o u t e n e u r , f e r a
d é b a u c h e d 'im a g e s o n iriq u e s , u n e t r a ­ p a y e r c h e r. D é s e s p é ré e , B r i g i t t e s e s u i ­
d u c t io n m é ta p h o r i q u e d 'u n r a i s o n n e ­ c id e r a . L 'o n r e t r o u v e f i n a l e m e n t le
m e n t s u r le « p o u rq u o i L e s sy m b o le s s t u d i o ; le c i n é a s te r e f u s e le s c é n a r io :
y a b o n d e n t , q u e B e r g m a n v a p u is e r « S i D ie u n 'e x i s t e p a s, t o u t e s t s a n s
d a n s le s o r ip e a u x d é f r a îc h i s d u c i ­ is su e . O r o n n e v e u t f i n i r u n f i l m s u r
n é m a 1925. S i l'o n p r é f è r e , ces f ilm s u n e q u e s t io n a n g o is s a n te . »
s o n t le f r u i t c o n s c ie n t d ’u n d é lire i n ­
te lle c tu e l o rg a n is é . Ce c la sse m e n t L a F r i s o n P o s s è d e d é j à le s d e u x
n 'é c h a p p e p a s à l 'a r b i t r a i r e , b ie n e n ­ a t o u t s m a j e u r s d e B e r g m a n : le t o n
te n d u . L e s d e u x a s p e c t s d e l 'a u t e u r p a s s io n n é e t s in c è r e , e t l ’a d m i r a b l e d i ­
c o e x is te n t d a n s c h a c u n d e ses film s, r e c t i o n d ’a c t e u r s . L es d é f a u t s t r o p
m a is l ’u n y d o m in e l ’a u tr e . a p p a r e n t s — h is to i r e ty p e p r e s s e d u
c œ u r , m a u v a is e c o n s t r u c t i o n d u s c é ­
C 'e s t l a r a i s o n — p r é f é r a n t p e r s o n ­ n a r i o , e f f e ts c h a r g é s , e tc ., —> n e s o n t
n e l le m e n t le s film s d u p r e m ie r g ro u p e q u e l a c o n s é q u e n c e d e l a h â t e d ’u n
— p o u r la q u e lle je f e r a i q u e lq u e s r é ­ a u t e u r , a n x i e u x d ’a t t e i n d r e à l ’e s s e n c e
se rv e s s u r L a P ris o n . S ix iè m e d a n s m ê m e d e s o n œ u v re . L a P r is o n p ê c h e
l’o r d r e c h ro n o lo g iq u e d e s o n a u t e u r , o n p a r s u r a b o n d a n c e d e ric h e s s e s .
a im e g é n é r a l e m e n t à le c o n s i d é r e r
c o m m e T u n de s e s film s le s p lu s i m p o r ­ C o m m e t o u s s e s a u t r e s film s , c e l u i -
t a n t s . I l e s t e x a c t q u 'il p e u t s e c o m p a ­ ci m e t à n u le « p o u r q u o i » f o n d a m e n ­
r e r a u x œ u v r e s p o s t é r i e u r e s m ê m e le s t a l d e B e r g m a n . P u is q u ’il e x i s te d a n s
p lu s r é c e n te s . J ’a j o u t e r a i q u e l ’e x é g è te t o u t e v ie u n r a r e i n s t a n t d e r é e l b o n ­
le p r é f é r e r a à t o u s le s a u t r e s , c a r s'y h e u r , p u is q u e c h a c u n a l’e x p é r i e n c e ,
tr o u v e in c o n t e s t a b l e m e n t î a c le f d e a u m o i n s q u e lq u e s m i n u te s , d e c e q u e
n o t r e c in é a s te , d e m ê m e q u e l ’h i s t o ­ p e u t ê t r e le p a r a d i s , p o u r q u o i c e t i n s ­
r i e n y tr o u v e r a le s t h è m e s u l t é r i e u r s t a n t n e d u r e - t- il p as, p o u rq u o i n o u s
(les je u n e s e t le s a d u l t e s — l ’a m o u r é c h a p p e -t-1 1 , d è s q u e n o u s c r o y o n s le
e t le m a r ia g e — l a r é f le x i o n p h il o s o ­ p o s s é d e r, p o u r q u o i « la c o u r b e c r u e lle
p h iq u e s u r l a vie e t l a m o r t ) , a in s i q u e e t la s c iv e d e la v ie » p a r v i e n t - e l l e à
n o m b r e d ’im a g e s r e p r is e s , a p p r o f o n ­ le d é g r a d e r ? B re f, p o u rq u o i, a l o r s q u e
d ie s p a r l a su ite . L a P r is o n d a n s l’œ u v r e n o u s p o u v o n s v iv rë c o m m e a u p a r a d i s ,
d e B e r g m a n a l a m ê m e im p o r t a n c e p o u r q u o i e s t - c e l ’e n f e r q u i r è g n e s u r l a
q u e V O m b re d 'u n d o u t e d a n s celle t e r r e ? T o u te s le s a u t r e s q u e s t io n s s u r
d 'H itc h c o c k . l a vie, l a m o r t, l a solitu.de, l a n a i s ­
san ce, ja illis s e n t de c e tte so u rce.
T o u t d a n s ce film e s t q u e s tio n . L ’a r ­
g u m e n t à l a P ir a n d e llo e s t d é j à u n e L ’e n f e r ? I c i b a s, t o u t n 'e s t q u ’a v i ­
i n t e r r o g a t i o n : q u ’e s t - c e q u e le c in é m a , l i s s e m e n t d e l 'â m e o u m e u r t r i s s u r e d e
o ù s ’a r r ê t e n t ses lim ite s , p e u t - i l t r a i t e r l a c h a ir. C om m e c e tte c ig a re tte a llu ­
le s g r a n d s s u j e ts ? U n v ie u x p r o f e s s e u r m é e q u e S a t a n - l a v ie e n f o n c e d a n s le
u n p e u fo u , p ro p o s e à l 'u n d e se s b r a s d e B r ig i tt e , c o m m e ce c a l v a i r e
a n c ie n s élèv es, d e v e n u m e t t e u r e n des b o u ffo n s d a n s L a N u it d es fo r a in s,
sc è n e , u n s c é n a r io s u r c e t t e id é e : s i c o m m e c e t t e p ro c e s s io n d e s f l a g e l l a n t s
D ie u e s t m o r t, S a t a n r è g n e e n m a î t r e d a n s L e S e p t i è m e sc e a u , c o m m e c e t
s u r le m o n d e . S a t a n , d è s lo rs, n e p e u t e n f a n t t a n t d é s iré p a r E v a D a lb e c k
ê t r e q u e la vie. N o tr e te r r e , n o t r e p r i ­ d a n s A u S e u il d e la v ie , t o u t b le s s e ,
s o n , s e r a i t - c e l ’e n f e r ? C h a c u n d e r é f l é ­ so u ille , t o r t u r e ; t o u t f a i t m a l. L e s ê t r e s
c h i r s u r c e t te b a s e . O r, u n e a v e n t u r e e n t r e e u x , d 'a b o r d , d o n t l ’o rg u e il, l a
ré e lle , v écu e p a r le s c é n a r i s t e a t t i t r é c u p id ité , l a p a r e s s e , l a l â c h e t é , l a
d u r é a l is a te u r , t e n d à c o n f i r m e r l ’e x a c ­ c o n c u p is c e n c e c o n s t i t u e n t le s m e i l l e u ­
t i t u d e d e c e t te h y p o th è s e : elle f o u r ­ r e s t e n a i l l e s d e S a t a n . M a is le s d é c o r s
n i r a u n e i l l u s t r a t i o n p o s s ib le à l ’id é e a u s s i, c e t te S to c k h o l m m a u s s a d e , ce s
d e d é p a r t , d o n t u n p e t i t f ilm b u r l e s ­ p i è t r e s a p p a r t e m e n t s , q u i o f f e n s e n t le s
q u e e t u n cau c h e m a r n o u s p ro p o sen t y e u x e t le s â m e s p a r l e u r l a i d e u r o u
d e u x a u t r e s d é v e lo p p e m e n ts t o u t d i f ­ p l u s e x a c t e m e n t p a r le u r n u d i t é .

52
M ê m e le s b r u i t s e t le s so n s, d a n s le u r e m p lo ie n t ou n o n le p ro c é d é d u f l a s h -
fro id e e t c ru e lle v é r ité , p a r t i c i p e n t à b a c k . S o n a t t i t u d e d ’a i lle u r s e s t id e n ­
ce c o n c e r t d e s o u f f r a n c e . U n f ilm d e tiq u e à celle d e l’e n f a n t à l ’â g e d e s
B e r g m a n d o n n e l ’im p r e s s io n q u e le s « p o u rq u o i ». E lle e n c o n s e r v e l a p u r e t é
p e r s o n n a g e s s ’e n f o n c e n t c h a c u n s e u l e t l ’e x ig e n c e , q u i, a u - d e l à d e s b a r r i è ­
d a n s u n é t r o i t c o u lo ir b a r d é d e c lo u s re s a r tif ic i e ll e s d e s s e x e s o u d e s i n ­
q u i le s d é c h i r e n t e t . le s la c è r e n t . te n tio n s , c h e r c h e à d é c o u v r ir le s r a i ­
C o m m e n t e s t - c e p o s s ib le ? P o u rq u o i, s o n s m ê m e d e ce q u i e st. M a is s u r t o u t
p u is q u e n o u s é p r o u v o n s u n m o m e n t le elle e s t a n i m é d e c e t te fiè v re q u i s a i s it
s e n t i m e n t d e l a c o m m u n io n a b s o lu e l ’e n f a n t p o u r d é c o u v r ir ce q u i e s t c a ­
e n t r e d e u x ê tre s , c o m m u n io n q u i f a i t c h é d e r r iè r e q u e lq u e c h o se , d e c e t te
que to u t s o u d a in d e v ie n t b e a u e t ch a u d , e sp è c e d e r a g e q u ’il m e t à b r i s e r s a
q u e c e t te t e r r e , s i c r u e lle a v a n t e t p o u p é e p o u r s a v o ir ce q u ’il y a d e ­
a p rè s , se t r a n s f o r m e e n u n h a v r e d e d a n s . E t ce d é lire , le j e u d e s a c t e u r s
jo ie e t d e p a i x ? C e m o m e n t, c’e s t a u s s i le su g g è re .
c elu i d u g r e n i e r d a n s L a P r is o n , le d é ­ P u is q u 'u n i n s t a n t p riv ilé g ié s u f f it, à
b u t d e M o n i k a d a n s l’île, c’e s t c e t te r é s o u d r e to u s le s p ro b lè m e s , B e r g m a n
p a u s e d u c h e v a lie r , a u c r é p u s c u le , p r è s s o u m e t t r a ses a c t e u r s à l a q u e s tio n , à
d es a c t e u r s a m b u l a n t s d a n s L e S e p ­ t r a v e r s l a s u c c e s s io n d e s i n s t a n t s . D ’o ù
ti è m e sc e a u , o u E v a D a lb e c k a v a n t c e s s c è n e s q u i n e s ’a c h è v e n t p a s , q u i
so n a c c o u c h e m e n t d a n s A u s e u il d e la se p r o l o n g e n t s u r le u r la n c é e , c o m m e
vie. M a is ce p a r a d i s , s i t ô t p e r d u d è s q u e si d e la t o r t u r e m ê m e d e c e t te d u r é e d e ­
tro u v é , n 'e s t - i l là q u e p o u r d o n n e r , p a r v a i t e n f i n s u r g ir l a r é p o n s e à s o n
le r e m o r d s o u le r e g r e t , l a p lu s v iv e d e a n g o isse . A vec u n e c r u a u t é e n f a n t i n e
t o u t e s le s s o u f f r a n c e s . O u a u c o n t r a i r e s a c a m é r a n e lâ c h e p lu s s e s a c te u r s .
e s t- c e p o ssib le d e f a i r e d u r e r c e t t e E lle g u e t t e e t c a p t e s u r le u r é p id e r m e
p a r c e lle d ’é t e r n i t é t o u t e l a vie, e t c o m ­ le s m o i n d r e s t r e s s a i l l e m e n t s d e l e u r
m e n t ? C 'e s t ce q u e le s r e g a r d s à l a ê tre . C e t in t e r r o g a t o i r e n ’e s t p a s m é n é ,
fo is c a n d i d e s e t d o u lo u r e u x d e B r i­ c o m m e c h e z D re y e r, p o u r b r is e r , m a is
g it te a u m o m e n t d e s a m o r t, o u c e u x a u c o n t r a i r e p a r a m o u r, p o u r , a u - d e l à
d e M o n ik a , s e m b l e n t d e m a n d e r a u d e l a s o u f f r a n c e , t r o u v e r l’e s p o ir q u e
s p e c t a te u r . le p a r a d i s e x is te s u r c e t te t e r r e e t y
C’e s t a u s s i ce q u e s e m b le r e s s a s s e r r e m p la c e r a d é f i n i t i v e m e n t l ’e n f e r . T e l
B e r g m a n d o n t to u s le s f ilm s c o n v e r ­ e s t l'o p tim is m e d e B e r g m a n .
g e n t v e rs c e t i n s t a n t p riv ilé g ié , q u ’ils J e a n DOUCHET.

Nicholas revisité
W IN D A C C R O S T H E E V E R G L A D E S (LA F O R E T IN T E R D IT E ), film a m é r i ­
c a i n e n T e c h n ic o lo r d e Nicholas Ray. S c é n a r io : B u d d S e h u lb e rg . I m a g e s '• J o s e p h
B ru n . I n t e r p r é t a t i o n : B u r l Iv e s , C h r is to p h e r P lu m m e r , G-ipsy R o se L ee, C h a n a
E d e n . P r o d u c t io n : B u d d S e h u lb e r g P ro d u c tio n s , 1958. D is t r ib u t io n : W a r n e r B ros.

« I ls s o n t p riv ilé g ié s , c e u x q u e le s o ­ b a n d e d e b r a c o n n i e r s .et t r a f i q u a n t s d e


le il e t le v e n t s u f f is e n t à r e n d r e fo u s, p lu m e s , a u te m p s où c e s o r n e m e n t s
s o n t s u f f i s a n t s à s a c c a g e r ». T o u jo u r s é ta ie n t p a rtic u liè re m e n t re c h e rc h é s
des m o ts d e R e n é C h a r m e r e m o n te n t p o u r l a p a r u r e . M a is si a v e n t u r e il y
e n m é m o ir e lo r s q u e j e v o is u n f ilm d e a, R a y e n u se a v e c elle c o m m e a ille u r s
N ic h o la s R a y , f û t - i l w e s t e r n o u r o m a n il a f a i t d u w e s te r n : d e f a ç o n t o u t à
d ’a v e n tu r e s . T a n t il e s t v r a i q u ’o n n e f a i t o r ig in a le . S u p p o s o n s u n e h is to i r e
p r ê t e q u ’a u x r ic h e s , e t j e n 'i n v o q u e r a i c o n t e m p o r a i n e se d é r o u l a n t d a n s u n e
p a s d ’a u t r e e x c u s e p o u r c e t te o u v e r ­ v ille; il v a fa llo ir v is ite r c e t te ville,
t u r e p é r e m p to ir e . d o n n e r q u e lq u e s p r é c is io n s s u r le s p e r ­
R o m a n d ’a v e n t u r e s , c e r te s , q u e c e t t e s o n n a g e s , l e u r e n t o u r a g e , le u r s o c c u ­
F o rê t in t e r d i t e o ù n o u s e s t c o n t é e la p a tio n s , b r e f p e r d r e u n te m p s p ré c ie u x .
lu tte m enée p a r un g ard e-ch asse Q u el a v a n t a g e a v e c le w e s te r n : l a v ille
am o u re u x de la n a tu r e c o n tre u n e n ’e s t q u ’u n e ru e , l'e s p a c e e s t l ’e sp a c e ,

53
Gipsy Rose Lee et C hristopher P lum m er dans un e scène coupée de La Forêt interdite
de Nicholas Ray.

l ’h o m m e e s t à c h e v a l, q u 'il v ie n n e de to u te a u r é o l e lé g e n d a ir e , m a is r e l a t é
L a r a m i e o u se r e n d e à C h u c k - a - L u c k . a v e c l'a i g u d ’u n e e x p é r i e n c e p e r s o n ­
P l u t ô t q u e d e s c o n v e n tio n s , le g e n re n e lle : s o n p o i n t d e v u e e n l a m a t i è r e
f o u r n i t u n s y s tè m e d e r é f é r e n c e s , e t s e r a i t c e lu i d e l'h i s to r ie n , s ’il n ’é t a i t
c 'e s t p o u r q u o i il n 'e s t p a s c o n v e n t io n ­ d ’a b o r d c e lu i d u p o è te .
n e l. I l p ro p o s e a u m e t t e u r e n s c è n e le Q u e lle l i b e r t é le p r o d u c t e u r B u d d
p lu s c o u r t c h e m i n : lib r e à c h a c u n d e S c h u lb e r g l a i s s a - t - i l a u m e t t e u r e n
le s u iv re , s ’il n e se c o n t e n t e p a s d u s c è n e p o u r t r a i t e r le s c é n a r i o é c r i t p a r
m y t h e e t v e u t o b s e r v e r l’h o m m e se lo n B u d d S c h u lb e r g ? Ic i e n c o r e n o u s r e ­
ses p r o p r e s c o n c e p tio n s m o r a le s e t ses tr o u v o n s , s a n s d o u te p o s s ib le , c e t t e
th è m e s d 'é le c tio n . C e p a s s a g e d u m y ­ m a r q u e d e l'e x p é r ie n c e p e r s o n n e ll e i m ­
t h e a u th è m e , p a r le q u e l B a z in d é fin is­ p r i m é e p a r N ic h o la s R a y à c h a c u n e
s a i t 1’é v o lu tio n d u w e s te r n a u c o u rs d e s h i s t o i r e s q u ’il n o u s a c o n té e s .
d e s q u in z e d e r n i è r e s a n n é e s , r e n d u n A v e n tu r e u x , s e s p e r s o n n a g e s l ’o n t t o u ­
c o m p te a ss e z e x a c t d e s d if f é r e n c e s e n ­ jo u r s é t é : m a i s p o u s s é s p a r q u e lq u e
t r e le p ro p o s d e W a l s h o u D w a n e t, p a r u r g e n c e i n t é r i e u r e p l u t ô t q u e p a r g o û t.
e x e m p le , c e lu i d e H a w k s ou A n th o n y L e s v oici q u i se j e t t e n t à c o r p s p e r d u
M a n n . M a is N ic h o la s R a y , p o u r s a d a n s l’a v e n t u r e c o m m e ils se j e t a i e n t
p a r t , n e s 'i n t é r e s s e p a s a u m y t h e e t n a g u è r e d a n s l a v io le n c e , e t c ’e s t p o u r
s o n p ro p o s n ’e s t p a s p r é c i s é m e n t n o n r e n c o n t r e r q u e lq u e t e r r e f e r m e , n o n
p lù s d 'o b s e r v e r l'h o m m e . S ’il n ’e m ­ p o u r v iv r e e n a c c o r d a v e c u n e c e r t i ­
p ru n te g u è re a u fo n d s co m m u n de la t u d e q u 'ils n ’o n t p a s . A u ssi l e u r s r a p ­
s a g a a m é r ic a i n e , c’e s t q u ’il p r é f è r e p o r t s s e f o n t - i l s e x c lu s if s : t o u t le u r
a l le r p u is e r lu i - m ê m e a u x so u rces. d e v i e n t a f f a i r e p riv é e , le u r vie m ê m e
C ’e s t lu i q u i p a r g o û t e x p lo re le s c o in s e n d é p e n d , c o m m e Un n o y é s 'a g r i p p e
p e u c o n n u s d u p a y s , l u i le v is it e u r d es a u p r e m i e r o b je t q u e le s r e m o u s f o n t
v illes m o r te s , le d é c o u v r e u r d e s m a i ­ p a s s e r à s a p o r té e . C o m b ie n d e fo is n e
s o n s c a c h é e s d a n s le s m o n t a g n e s . F a i t - i l le s a v o n s - n o u s p a s v u s, a u s s i o m b r a ­
r e v iv r e le p a s s é , c 'e s t d é p o u illé de g e u x q u e le s a d o l e s c e n ts d e R e b e l W i -

54
t h o u t a C a u s e , 'm e t t r e le u r h o n n e u r e n l o p p e n t le s t h è m e s d e l ’a m iti é v irile , de
j e u s o u s l a se u le p r e s s io n d e le u r i n ­ l a s o litu d e e t d e l a v io len ce, g é n é r a l e ­
q u ié tu d e ? L o rs q u ’à la fin d e R e d R i v e r m e n t e n r a p p o r t a v e c u n d é f a u t de l u ­
J o h n W a y n e e t M o n tg o m e r y C lift m a r ­ c id ité : th è m e s , p o u r r a i t - o n d ir e , d 'o r ­
c h e n t l’u n v e rs l’a u t r e , to u s d e u x s a ­ g a n i s a t i o n d e l’.œ u v re e t d e m is e e h
v e n t q u 'ils o n t u n e a f f a i r e à r é g l e r e n o r d r e d e l a vie m ê m e d e R a y , m a is
r a i s o n d e le u r m u t u e ll e e s tim e , ils s a ­ c o r r e s p o n d a n t à u n n iv e a u d e c o n s ­
v e n t a u s s i q u e c e t te e s tim e n ’e s t p a s c ie n c e q u e l 'a r t i s t e e t l ’h o m m e c h e r ­
e n c a u s e . P o u r le s p e r s o n n a g e s d e R u n c h e n t à d é p a s s e r . D ’a u t r e p a r t , u n e r e ­
f o r c o v e r, d e R e b e l W i t h o u t a C a u se , il m ise; e n q u e s t io n d e c e t o rd r e , u n e
s ’a g i t a u c o n t r a i r e d e m é r i t e r c e t te e s­ fo lie c h e r c h a n t e lle a u s s i à a t t e i n d r e l a
t i m e à le u r s p r o p r e s y e u x e n l a g a g n a n t lu c id ité , u n e lu c id it é p lu s s a t i s f a i s a n t e ,
a u x y e u x d ’a u t r u i, e t c ’e s t a u s s i c e q u e m a is p o s é e c o m m e u n e li m i te q u e l 'a r ­
v e u t C h r i s t o p h e r P lu m m e r , lo r s q u ’il v a t i s t e d é s e s p é r e r a i t d ’a t t e i n d r e . C e q u ’il y
t r o u v e r B u r l Iv e s d a n s s o n r e p a i r e . a d e p a t h é t i q u e c h e z N ic h o la s R a y ,
F a i r e d é p e n d r e s a vie d e l'a c c o m p lis ­ c’e s t c e b e s o in d e lu c id it é h e u r t a n t u n e
s e m e n t d ’u n a c t e q u e l a s e u le r a i s o n im p u is s a n c e f o n c i è r e à c o n c e p tu a lis e r .
j u g e r a i t d é ris o ire , c’e s t l a b e a u t é m ê m e Q u e d e p l a n s c o n s a c r é s , d a n s c e film e t
d e l a t r a g é d i e d o n t la s im p lific a tio n t a n t d ’a u t r e s , à, l ’e f f o r t de p e r s o n n a g e s
o r d o n n e e t g r a n d i t t o u t c e q u ’e lle t o u ­ p o u r s ’e x p r i m e r e n p a ro le s , a u g e s te
c h e . M o r c e a u de c h o ix p o u r u n s c é n a ­ p a r le q u e l ils y r e n o n c e n t ... Ce q u e R a y
r i s te , c e t t e s e c o n d e p a r t i e d e l a F o r ê t c h e r c h e à e x p r i m e r , t o u t se p a s s e c o m ­
i n t e r d i t e s a i t a u s s i r e n d r e s e n s ib le l a m e s ’il n e d is p o s a it, p o u r le fa ir e , q u e
b e a u t é t r a g i q u e d u d r a m e q u i s ’y jo u e : de l a m a t i è r e m ê m e d u film . P o u r le s
p a s u n p l a n d o n t l a c o m p o s itio n n e p lu s lu c id e s d e s m e t t e u r s e n s c è n e , je
d is e a lo r s l a f r a g il it é d e s é q u ilib re s, v e u x d ir e F r i t z L a n g e t R o sse llin i, le
p a s u n c a d r a g e d o n t l a f lu id ité n e d é ­ c i n é m a e s t l a p r o g r e s s io n m ê m e de
t i e n n e le p r i n c ip e d 'u n s u s p e n s b ie n l’id é e. P o u r H itc h c o c k , l ’id é e d ’u n e
p lu s g r a v e q u e n 'e n p o u r r a i t f a i r e n a î ­ fo rm e . P o u r R a y , c ’e s t u n e n u i t t r a ­
t r e l’a t t e n t e d u m o m e n t q u i v a s u iv re . v e rs é e d 'é c la ir s . S e s film s a b o u t is s e n t
I l n e î a u t p a s b e a u c o u p d ’a t t e n t i o n o ù c o m m e n c e n t c e u x d e R o s s e llin i : à
p o u r r e m a r q u e r q u e l’œ u v re d e N ic h o - l 'i n t u i t i o n d 'u n a c c o r d r e t r o u v é p a r d e là
l a s R a y s ’e s t d è s le d é b u t p o u r s u iv ie le s h e u r t s e t la d iv e rs ité . S i l a lo u a n g e
s u r d e u x p la n s c o r r e s p o n d a n t à d e u x e s t m e s u r é e , e lle n ’e s t c e p e n d a n t p a s
n i v e a u x d i f f é r e n t s d e c o n s c ie n c e . D 'u n e m in c e .
p a r t , s u r le p l a n d r a m a ti q u e , se d é v e ­ P h il ip p e D EM O N SA B LO N .

Une loi obscure


L A T E T E C O N T R E LES' M U R S, film f r a n ç a i s d e G e o r g e s F r a u j u . S c é n a r io :
J e a n - P i e r r e M ocky, d ’a p r è s le r o m a n d ’H e rv é B a z in ; d ia lo g u e s d e J e a n - C h a r l e s
P ic h o n , I m a g e s : Ë u g e n S h u f t a n . M u s iq u e : M a u r ic e J a r r e . D é c o rs : L o u is le B a r -
b e n c h o n . I n t e r p r é t a t i o n : P ie r r e B r a s s e u r , J e a n - P i e r r e M o ck y . P a u l M e u riss e .
A n o u k A im ée, C h a r l e s A z n a v o u r, J e a n G a ll a n d , T h o m y B o u rd e lle , E d i t h Scob.
P r o d u c t io n : S ir iu s - A tic a - E lp é n o r , 1958. D i s t r ib u t io n : S ir iu s .

C o n t r a i r e m e n t à to u t e s le s p r é v i­ p é e n e t , e n r e v a n c h e e n p r o v in c e , il
sio n s , le p r e m i e r l o n g - m é t r a g e de G e o r ­ m a r c h e a s s e z f o r t, e t c e la p r o u v e que
g e s F r a n j u a é t é a c c u e illi a v e c u n e le s g e n s o n t t o r t d e c o n s i d é r e r L a T ê te
c e r t a i n e f r o id e u r , c’e s t le m o in s q u e c o n t r e le s m u r s c o m m e u n f ilm a n o r ­
l’o n p u is s e d ir e , p a r l a m a j o r i t é d e s p a ­ m a l, in s o lite , v io le n t, s u b v e r s if , d is o n s -
t e n t é s d e l a c r i ti q u e d e film , m a is oui, le c a r r é m e n t m a is e n t r e g u ille m e ts :
p a te n té s co m m e C a re tte p o u r b ra c o n ­ p o é tiq u e . E n e f f e t, L a T ê te c o n t r e les
n e r d a n s L a R è g le d u je u . C ’e s t d o n c m u r s e s t le c o n t r a i r e , t o u j o u r s e n t r e
u n p r o c è s e n a p p e l q u e n o u s a llo n s g u ille m e ts , d ’u n f ilm in s p ir é . H e s t
p la id e r , a u lie u d e n o u s jo in d r e a u s a g e , t e n d r e e t p r é c is .
c o n c e r t d e lo u a n g e s e sp é ré , c a r s i le P o u r q u o i p r é c is ? P a r c e q u e F r a n j u
film a v u s a c a r r iè r e p a r i s i e n n e s t o p ­ d é c o m p o se . E t la d é c o m p o s itio n , ce

55
Jean -P ierre Mocky et C harles Aznavour d an s La T ê te contre les m urs de G eorges F ran ju .

n 'e s t p a s s e u l e m e n t l a c h a i r s a n g l a n t e v is a g e s e t le s o b je ts p o u r le s m a r q u e r
q u i d é g o u lin e s u r l'é c r a n d e s s a lle s q u i p r o f o n d é m e n t , c o m m e le c o u p a b le p a r
p r o j e t t e n t L e S a n g d e s b ê te s . N o n . L a a u t r e f o i s le b o u r r e a u , c o m m e a u s s i
d é c o m p o s itio n , c 'e s t p e u t - ê t r e ç a a n l’é lu p a r u n sig n e d e L u i.
d é b u t, m a i s a u f u r e t à m e s u r e q u e O n a r e c o n n u l à le p r i n c ip e p r e m i e r
F r a n j u v érifie l a th é o r ie des a u t e u r s e t d e l'e x p r e s s io n n is m e a lle m a n d , c e q u i
s ’a m é lio re e n v ie illis s a n t, q u 'il p a s s e d u n 'é t o n n e r a p e r s o n n e , t o u t le m o n d e
g ro s p l a n a u p l a n g é n é r a l e n p a s s a n t s a c h a n t b ie n l’a d m i r a t i o n d e F r a n j u ,
d u c o u r t a u lo n g - m é t r a g e , l a d é c o m p o ­ e t s a d e t t e e n v e r s l 'a u t e u r d e M a b u s e ,
s itio n , ç a d e v ie n t le p e t i t g e ste in c is i f a v e c le q u e l il p a r t a g e , o n v i e n t d e le
d e M o ck y d é b o u c l a n t le c e i n t u r o n v o ir, c e g o û t, ce d é s ir d e l 'e f f e t e n p l a n
d ’A n o u k A im ée, e t q u i f a i t d ' a u t a n t é lo ig n é , q u i le s d if fé re n c ie , p a r e x e m ­
p lu s d 'e f f e t q u 'il r e s te c a d r é e n p l a n p le , d ’u n W e lle s o u d ’u n H itc h c o c k , e t
d ’e n s e m b le , g e ste u n iq u e , où l ’a b s t r a c ­ s e r a i t p e u t - ê t r e le s ig n e d i s t i n c t i f d e s
ti o n e s t p o u ssé e t e l l e m e n t l o i n q u ’elle c i n é a s te s c h e z q u i l a lo g iq u e p r i m e
r e t o m b e s a n s c o u p f é r ir , e n l a p o r t a n t m a i s n ’é t o u f f e j a m a i s l a p u d e u r , p u i s ­
a u c a r r é , s u r la p u r e s e n s a t i o n é p i d e r - q u e c e lle -c i j u s t i f i e i n e x o r a b l e m e n t
m iq u e à l a V a d im . c e lle -là . U n m o u v e m e n t d e l’e s p r i t le s
U n s e u l g e ste d e t r o i s s e c o n d e s d o n c , i n c ite à m e t t r e e n v a l e u r te lle o u te lle
e t v o ilà t o u t e u n e s c è n e d e c in q m i n u ­ c h o se d a n s le m ê m e te m p s q u 'u n m o u ­
te s q u i s 'e n tr o u v e im p r é g n é e , ju s tifié e , v e m e n t d u c.osur le s o b lig e à g a r d e r
c’e s t - à - d i r e r y t h m é e p la s ti q u e m e n t , e n l e u r s d is ta n c e s . D iso n s p a r c o n s é q u e n t
d 'a u t r e s m o ts e n c o re , d r a m a t i q u e m e n t q u ’il e s t im p o s s ib le d ’ê t r e p lu s r o m a n -
m a r q u é e . E t v o ilà d ’a ille u r s l ’a r t , o u t i q u e m e n t c la s s iq u e q u e G e o rg e s F r a n ­
p l u t ô t l’u n d e s s e c r e ts d e l ' a r t d e ju .
F r a n j u : m e t t r e e n sc è n e , f a i r e u n film , L a T ê t e c o n t r e le s m u r s le p r o u v e ,
é c r ir e u n s c é n a r io , c’e s t p o s e r le r e g a r d n e f û t - c e q u e s u r le s c é n a r io . I l s e d é ­
d e l a c a m é r a a ss e z lo n g t e m p s s u r le s c o m p o s e e n tr o i s p a r t ie s , t e l t o u t s y l­

56
lo g ism e q u i s e r e s p e c te . U n, la r é a lité . q u i n o u s d it q u e c e t a n c i e n c in é m a , s'il
D eu x , l a folie. T ro is, d e n o u v e a u la n ’e s t p a s c e lu i d 'a u j o u r d ’h u i, n e s e r a
ré a lité . O n v o it l’a v a n t a g e d e c e t te p a s c e lu i d e d e m a in ?
m é th o d e . L a d e u x iè m e r é a l i t é e s t v u e D e r n ie r a r g u m e n t d e p lu s ie u r s p o s ­
so u s l ’a n g le d e l a folie, c o m m e l a fo lie s e s s e u rs d e l a c a r t e v e r t e c o n t r e L a
e lle -m ê m e é t a i t v u e à l a l u m iè r e d e l a T ê te c o n t r e le s m u r s : o n n e s ’i n t é r e s s e
p r e m iè r e r é a l it é . L a b o u c le e s t b o u c lé e , p a s a u x p e rso n n ag es, a u tre m e n t d it :
e t elle e s t b o u c lé e e n lig n e d r o ite . C ’e s t u n fo u n ’e s t p a s c i n é m a t o g r a p h iq u e .
b ie n F r a n j u le p lu s fo r t. L u i r e p r o c h e r M a is e n v o y a n t C h a r le s A z n a v o u r r é u s ­
u n e e s t h é ti q u e s i n o n d u c i n é m a m u e t, s ir s a m o r t, il m 'e s t v e n u e n m é m o ir e
d u m o in s d e c e lu i d e s a n n é e s t r e n t e - c e t t e p h r a s e d e B e r n a n o s , G e o rg e s
c in q , p a r r a p p o r t à u n c in é m a , d e n o u ­ a u ss i, d a n s l ’a v a n t - d e r n i è r e p a g e d e
v e a u e n t r e g u ille m e ts , m o d e r n e , e t q u i l a « N o u v e lle h i s t o i r e d e M o u c h e t te » :
s e r a i t i l lu s tr é p a r L e s C o u s in s o u M o l, à V e x c e p tio n d e s f o u s ju s ti c ia b l e s d ’u n e
u n N o ir, ce r e p r o c h e e s t p o u r le m o in s a u tr e loi p l u s o b sc u r e , p e r s o n n e n e
c u rie u x . I l r e v i e n d r a i t à r e p r o c h e r a u t e n t e d e u x fo is d e se su ic id e r . C e tte lo i
m o n t a g e d ’A r k a d i n d e c r o i r e a u j o u r ­ o b sc u re , q u i r i m e a v e c sa lle , c’e s t celle
d ’h u i e n c o re a u x v e r t u s d e c e lu i d ’O c­ que te n te d e fo rm u le r u n c in é m a à la
to b r e . I l s e tr o u v e q u e L a T ê te c o n tr e F ra n ju .
le s m u r s , c’e s t d e l’a n c i e n c in é m a . M ais Je a n -L u c GODARD.

NOTES SUR D’AUTRES FILMS

à un ton autre, et combien plus sympa­


A cheval s u r ( 'A tla n tiq u e thique. La parodie y intervenait quelque­
fois, assez rarement, mais elle était plus
naïve que concertée, comme c’est le cas ici.
THE SHERIFF OF FRACTURED JAW Qu’importe, Walsh a bien le droit de chan­
(LA BLONDE ET LE SHERIF), film an­ ger un peu : s’il s’inspire de My Little
glais en CinemaScope et en DeLuxe de Chickadee, c’est d'autant que My Little
R a o u l W a l s h . Scénario ; Arthur Dales Chickadee s’inspirait de Klondyke Annie.
d’ap-rès un sujet de Jacob Hay. Images : Ce ton parodique n ’est condamnable que
Otto Heller. Musique ; Robert Famon. In­ lorsqu’il se limite au scénario. La verve
terprétation : Jayne Mansfield, Kenneth n’est pas continue, je le reconnais, et
More, Henry Hull, William. Campbell, Walsh, trop souvent, n’exploite pas les pos­
Bruce Cabot, Robert Morley, Chief Jonas sibilités comiques de son script, suivant en
Applegartîi, Deputy Chieî Joe Buîfalo. Pro­ cela la tradition du cinéma anglais. Mais
duction; Daniel M. Angel, Appollo Prods., il ne faudrait pas que cette superficialité
1958. Distribution : 20th Century Fox. fort irritante nous masque les beautés des
meilleures scènes, par exemple de celle de
J ’ai du mal à comprendre la déception la visite du démarcheur chez une famille
des fervents de Walsh. Certes, les westerns très primaire, bien éloignée de l’esprit an­
précédents de Walsh les avaient habitués glais, grâce à son humour très gros.

57
Et cette platitude, cette relative pauvreté Janet Leigh retombant après l’épatante
d’invention ne sont pas à dédaigner : la Linda Cristal dans la cuve. Bref, c’est un
répétition d’effets faciles (le revolver-brace- tout petit film, mais après lequel nous
let que Kenneth More tire quatre ou cinq gardons intacte notre confiance en Blake
fois de suite de dessous sa manche) dé­ Edwards. — J.-L. G.
concerte, au point de devenir efficace.
Quant à l’inégalité, jé ne crois pas qu’on
puisse la reprocher à Walsh. Ses films amé­
ricains n’ont jamais été d’une inspiration Un c h e r c h e u r d e c in é m a
constamment soutenue. Seules, la beauté
de la couleur et l ’habileté technique, rare­
ment défaillantes, ont pu nous le faire THE HANGING TREE (LA COLLINE
croire. Or, dans ce film anglais, couleur DES POTENCES), film américain en Tech­
plate et technique, légèrement défaillante. nicolor de D e l m e r D a v e s . Scénario : Wen-
— L.M. dell Mayes et Halsted Welles d’après le
roman de Dorothy M. Johnson. Images :
Ted McCord. Musique ; Max Steiner. Inter­
prétation : Gary Cooper, Maria Schell,
Karl Malden, Ben Piazza. Production ; Ba-
Le p a s s e -te m p s r e t r o u v é roda-Martin Jurow et Richard Shepherd,
1958. Distribution ; Warner Bros.
THE PERFECT FURLOUGH (VACAN­ Avec le musical, et bien plus que la
CES A PARIS), film en CinemaScope et en detective story à laquelle nous crûmes un
Eastmancolor de Blake Edwards. Scénario : moment, le western aura témoigné de
Stanley Shapiro. Images ; Phil Lathrop. In­ l’éclatante vitalité du cinéma américain
terprétation ; Tony Curtis, Janet Leigh, depuis la guerre : Ray, Aldrich, Wellman,
Keenan. Wynn, Linda Cristal, Elaine Mann Anthony, John. O’Feeney. Et puis le
Stritch, Marcel Dalio. Production ; Robert « cas » Delmer -Daves. Certains, du côté
Arthur, 1958. Distribution ; TJniversal, de Vadim et Tashlin, le tiennent pour le
maître du genre avec Mann, Souvent pour­
On regrette amèrement que Blake n’ait tant il suscite nos réserves par sa manière
pas mis son nom ni Edwards son prénom de se vautrer littéralement dans l’histoire,
sous le scénario de cette gentille ou ba­ de tout centrer sur le jeu de l’acteur et
l’utilisation du décor, décor choisi bien
nale, comme il vous plaira, comédie amé­ plus pour sa valeur pittoresque, les asso­
ricaine. Y serait-il, que ces vacances pari­ ciations d’idées et de sentiments qu’il pro­
siennes seraient certainement celles de voque chez le spectateur, que pour sa
l’extravagant M, Cory, puisque Tony Curtis beauté intrinsèque, sa valeur in aeterno.
est toujours de la partie, et, avec Janet Homme de plume passé à la mise en scène,
Leigh, la partie devient rapidement fine Delmer Daves visualise d’abord sur le pa­
pour qui le veut bien. Tant pis donc pour pier, ce qui confère à ses récits un recul
Blake Edwards qui n ’a pas voulu. séduisant pour mieux étudier les caractères
On peut affirmer par contre qu’il a eu et le milieu, mais a l’inconvénient de ren­
raison de signer la mise en scène. Elle dre la caméra trop souvent prisonnière du
rappelle un peu par ses falbalas celle du langage et des situations.
Becker de Dernier Atout, et prouve par Le piquant, c’est que Daves est conscient
conséquent que Blake Edwards n’avait pas de cette impasse, qui voudrait, selon la
abattu ses dernières cartes comme on conception primaire du cinéma, tout rendre
l’avait cru avec This Happy Feeling, de si­ visuel, pratiquement supprimer le dialogue.
nistre mémoire. La publicité n ’a pas tout H méconnaît là précisément sa force, mais
à fait tort d’annoncer 287 gags puisque le l’instinct redresse heureusement ce que la
découpage comporte 287 numéros et qu’il y raison aurait tendance à dessécher en for­
a une idée par plan. La plupart du temps, mules. Cet authentique aventurier, élevé à
elle est mince, d ’accord, mais jamais vul­ 'la dure discipline des grands espaces, amé­
gaire. Par exemple, quand Janet Leigh em­ ricains, sait observer, sentir la beauté d’un
mitouflée dans un drap de lit pour faire la paysage, surtout possède un sens étonnant
vaisselle dit à Tony Curtis qu’un Français de ce que j'appellerai l ’épaisseur de l’ac­
(admirablement joué par un Dalio en teur. Sa maniéré de diriger Maria Schell,
pleine forme) vient de lui dire qu’elle avait Karl Malden et Gary Cooper, clichés du
un visage loyal, et qu’Ü n’y a que les Fran­ cinéma universel, de les quintessencier, si
çais pour trouver de si charmants compli­ je puis dire, Cooper, en patriarche de
ments, et alors Tony Curtis lui dit que lui l’Ouest, la Schell en intrépide pionnière
qui est américain ne trouve à lui dire que (nous y croyons), Malden en parfaite vi­
« visage joli ». Se servir ainsi de la dif­ père lubrique, révèle une personnalité. Loin
férence sentimentale des langues et natio­ des mots, des âneries bibliques ou des scé­
nalités, voilà’ qui ferait plaisir à Valéry narios trop bien construits, assisté de l’ir­
Larbaud. il y a aussi le gag de Tony Cur­ remplaçable Ted McCord, Delmer Daves
tis cherchant le sens du mot ampoule. Et découvre le cinéma, son cinéma, et nous
surtout celui, digne de Buster Keaton, de enchante. — L.Ms.

58
caméra-stylo entre du domaine de la fic­
P as si sim p le tion esthétique dans celui des réalités bien
concrètes. Mais l’essentiel demeure que cette
libération au niveau des « structures »,
UNE SIMPLE HISTOIRE, film, français pour employer le langage cher à Jean
en 16 mm de Marcel H/ujouîj. Scénario : Domarchi, va de pair avec une remise en
Marcel Hanoun, d'après un fait divers. question totale des « superstructures » tel­
Images ; Marcel Hanoun. Musique : enre­ les que définies par Cesare Zavattini et
gistrements de Vivaldi et de Cimarosa. In­ Paddy Chayefsky. Le réalisme triomphe sur
terprétation : Micheline Bezançon. Produc­ toute la ligne, non plus en intentions,
tion : Marcel Hanoun, en collaboration avec mais dans les actes. Le quotidien atteint
la R.T.F., 1958. une sorte d’objectivité supérieure, sans gau­
chissement masochiste, la caméra cerne
l’homme nu. Le style T.V. et l’impitoyable
Le phénomène majeur de l’évolution du ascèse formelle d’Hanoun en sont respon­
cinéma dans les aimées cinquante sera sables.
peut-être, avec le recul, non le cinémascope, De la télévision, le contact immédiat, la
mais l’invasion des techniques et techni­ vision au microscope, le sentiment d’etre
ciens de la télévision sur nos écran. Une chacun directement concerné. Après Welles
Simple Histoire, avec le grand film de Re­ applaudissons le petit écran qui recrée l’in­
noir et le carnet de bord de Rossellini aux timité romanesque indispensable à ce por­
Indes, marquera chez nous un tournant trait dans un miroir. Et surtout Marcel
décisif, affirme la prise de conscience, à Hanoun adopte un parti pris moral que
tous les niveaux, technique, économique, personnellement je n'approuve pas, mais
social, esthétique de l’importance du petit qu’il sait admirablement conduire à- ses
écran dans le processus aujourd’hui géné­ ultimes conséquences : son récit nous est
ralisé de libération de la création cinéma­ conté sur le ton lancinant et avec l’éloi-
tographique. des innombrables servitudes gnement absurde qui ont fait la réputa­
trop complaisamment entretenues par les tion de « L’Etranger « d’Albert Camus. Le
gens en place, syndicalistes, techniciens, fameux imparfait de l’indicatif, transposi­
coupeurs de cheveux en quatre. tion littéraire d’un fréquentatif de l’ennui,
D'abord le fait capital : avec environ trouve ici son équivalent dans la monoto­
300.000 francs, un coup d’épaule de la T.V. nie ininterrompue du récit, le sentiment
française qui prête le matériel et paie la d’errance et de claustrophobie engendré
pellicule, les comédiens qui fournissent leur par les images, remarquables, l’éventuelle
concours gracieusement, plus le tradition­ répétition ad absurduvi du mouvement
nel crédit des laboratoires, Marcel Hanoun (exemple : la jeune femme longe un mur,
réalise en 16 mm — pour des raisons stric­ part vers la gauche, puis revient sur la
tement économiques, les coûts sont réduits droite) comme Welles s’y était essayé dans
de moitié — un moyen métrage qui selon la scène du repas de Citizen Kane.
le système normal de tournage aurait at­ Bref Marcel Hanoun réussit là où Anto-
teint au moins dix millions de francs. Avec nioni échouait, par excès de préciosité et
en outre les perfectionnements techniques une trop grande fidélité à ses admirations
que nous laissent entrevoir pour un ave­ littéraires. H réduit le temps en miettes
nir proche, dans le dernier numéro des pour rejoindre le magma informe de la
C a h ie r s , les indépendants newyorkais, la subjectivité. — L.Ms.

C es n o tes o n t été réd ig ées p ar jEAN-Luc GODARD, LOUIS M aRCORELLES e t LUC MoULIXT. '

----------------------- JEAN BERANGER -----------------------

INGMAR BERGMAN ET SES FILMS


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59
FILMS SORTIS A PARIS
DU 11 MARS AU 14 AVRIL 1959

1 4 FIL MS F R A N Ç A I S

Archimède le clochard, film de Gilles Grangier avec Jean Gabin, Darry Cowî, Bernard
Blier, Julien Carette, Paul Frankeur, Dora Doll. — Pour ses débuts d'auteur, Jean Moncorgé
a confié à Jean Gabin un rôle de cloche. Quant au son de ladite tel que l'entend Grangier,
on le connaît depuis longtemps.
Bobosse, film d ’Etienne Périer, avec François Périer, ÏVlicheiine Presle, Jacques Jouanneau,
Armande Navarre, Jacques Fabbri. Jacques Dufilho. — On peut imaginer ce qu’un Cukoi
ou un Ophuls auraient pu faire de cette comédie, la plus prétentieuse de son auteur. Ce
qu’en a fait Etienne Périer est proprement consternant, et d ’une application dans la laideur
très britannique.
Brigade des mœurs, film de Maurice Boutel, avec Eddie Barclay, Colette Ripert, Jean
Tissier, Michel Beaufort, Fernand Sardou, Dalida. — D'une telle nullité qu'on a l’impression
dé voir un film de l’âge de pierre. Pour les amateurs de cauchemar : un strip-tease de Jean
Tissier déguisé en jeune mariée.
Les Cousins. — Voir article de Jean Domarchi dans notre précédent numéro.
Délit de fuite, film de Bernard Borderie, avec An'onella Lualdi, Félix Marten, Aime Cla-
riond, Folco Lulli, Robert Berri, Franco Interlenghi. — Contrairement à ce qu'affirme la publi­
cité, ce n ’est pas le meilleur J.H. Chase, et le thème classique du meurtre maquillé en acci­
dent fait long feu. Ce n’était pourtant pas une excuse pour l’affadir à ce point. A près la
petite flambée du Gorille, Borderie retombe à son niveau habituel ; le bâclage dans la
convention.
Ùerrière la grande muraille, film en Agfacolor de Robert Menegoz, commentaire de Simone
de Beauvoir. — Ennuyeux reportage sur le pays le plus passionnant du monde; on en voit
autant chaque semaine salle Pleyel.
L e Grand Chef, film d ’Henri Verneuil, avec Fernandel, Gino Cervi, Papouf, Jean-Jacques
Delbo, Noëlle Norman. — Adaptation du célèbre conte d ’O ’ Henry dont Hawks avait déjà
fait un sketch, coupé en France, de L a Sarabande, des pantins. Nous aurions préféré voir ce
dernier. L ’équipe Verneuil-Fernandel ne fait aucun progrès, et ne cherche pas à en faire.
Le petit Papouf est moins cabotin que les confrères de son âge.
Mot, un Noir. — Voir article de Jean-Luc Godard, dans notre précédent numéro.
Las Motafds, film de Jean Laviron, avec Roger Pierre, Jean-Marc Thibault, Colette Deréal,
Véronique Zuber, Francis Blanche, Jean-Marie Amato, Roger Saget, Jacqueline Maillan. —
Le tandem Pierre-Thtbault fait, de film en film, de lents mais sûrs progrès ; sans révolution­
ner le cinéma comique français, leur dernier-né se voit sans le moindre ennui. Regrettons
que les idées n ’y soient pas toujours correctement mises en valeur : mais Francis Blanche est
drôle et Véronique Zuber absolument charmante.
Quatre dtt Moana„ film en Kodachrome de Bernard Gorsky, Pierre Pasquier, Roger
Les âge et Serge Arnoux, commentaire de Paul Guimard. — Quelques ttop brèves images font
entrevoir ce qn'aurait été ce film s ’il avait été tourné par un grand cinéaste et non par une
bande de copains, au demeurant fort sympathiques.
Sursis pour un vivant, film de Victor Merenda, avec Henri Vidal, Dawn Addams, Lino
Ventura, John Kitzmiller, Howard Vernon, Pepino de Filipo. — M. Maurois, auteur de la
nouvelle d ’origine, n ’hésite pas à entremêler deux des plus vieilles ficelles du genre : celle
des <£ Dix petits nègres » et celle des « Tribulations d ’un Chinois en Chine y>; dans son
œuvre, l’inattendu arrive vraiment à bon compte. Le travail de Mérenda est d'un niveau
équivalent.
La T ête contre les mtirs. — Voir critique de Jean-Luc Godard dans ce numéro, page 55.
Toi, le Venin, film de Robert Hossein, avec Marina Vlady, Robert Hossein, Odile Versois,
Héléna Manson. Henri Crémieux. — Odile ou Marina P Au bout d ’un quart d ’heure, on
commence à se lasser d ’une devinette aussi puérile, dont la solution relève du pile ou face.
Mais la désinvolture et le je ra’enfichîsme d ’Hossein ne sont pas antipathiques.
Une simple histoire. — Voir note de Louis Marcorelles dans ce numéro, page 59.

60
15 FILMS AMERICAINS

Auntie Marne [Ma tante), film en Technirama et en Technicolor de Morton Da Costa,


avec Rosalind Russeîl, Forest Tucker, Coral Brown, Fred Clark. — Hommage nostalgique de
l’Amérique à l’esprit d ’aventure et d ’extravagance des twenties et thirties. Da Costa nous vient
droit de Broadway, et un peu d e l’esprit de Cukor et Logan passe sur l’écran, malgïé les conven­
tions d'un best-seller, d ’ailleurs plaisamment rewiité par le couple Comden-Green. Rosalind
Russell, dans le cabotinage, c’est quelqu’un. Photographie de H. Stradling senior.
Bell, Boolz and Candie (L’Adorable voisine), film en Technicolor de Richard Quine, avec
James S'ewart, Kim Novak, Jack Lerrunon, Ernie Kovacs, Eisa Lanchester. — Plate comédie qui
nous fait regretter, sur un sujet similaire, la Sorcière de René Clair. Quine y paraît, étrange­
ment, avoir perdu son aisance habituelle, peut-être handicapé par les exigences de son chef
opérateur : mais la photographie de James Wong Howe est effectivement remarquable. Stewart
se caricature, mais Kim Novak est habilement utilisée sur ses défauts.
T he Big Boodle {Trafic à La Havane), film de Richard Wilson, avec Errol Flynn, Pedro
Armendariz, Rossana Rory, Gia S cala. — Des faux monnayeurs bien désuets dans un Cuba
. pour agence Cook. Ni les auteurs, ni les spectateurs n’y apportent beaucoup de conviction.
T h e Big Couniry (Les Grands Espaces), film en Technirama et en Technicolor de William
Wyler, avec Gregory Peck, Jean Simmons, Caroll Baker, Charlton Heston, Bull Ives, Charles
Bickford, Chuck Connors. — U n western pour ceux qui n’aiment pas le western, comme tou­
jours chez Wyler, le cinéaste bourgeois par excellence, qui fait du cinéma pour ceux qui
n ’aiment pas le cinéma. T ant d ’application, de soins, d ’efforts, au service d ’une constante
bassesse d ’inspiration. Décourageant. Générique de Saül Bass.
Duel at Apachei Wells (Bagarre à Apache Wells), film de Joe Kane, avec Ben Cooper,
Anna Maria AYbergVietï, Jim Davis. — western de série 2 .
The Hanging Tree (La Colline des potence,s). — Voir note de Louis Marcorelles dans ce
numéro, page 58.
Old Yeller (Le fidèle vagabond), film en Technicolor de Robert Stevenson, avec Dorothy
McGuire, Fess Parker, Jeff York, Chuck Connors et le cViien Spike. — Si W alt Disney parle
chien couramment, ce n ’est le cas d ’aucun de nos rédacteurs. Nous avouons donc notre
incompétence. Pour cynophiles exclusivement.
The Perfect F-urlough (Vacances à Paris), — Voir note de Jean-Luc Godard dans ce numéro,
page 58,
T he Proud R ebel {Le Fier rebelle), film en Technicolor de Michael Curtiz, avec Alan
Ladd, Olivia de Havilland, Dean Jagger, David Ladd. — Ce fier Sudiste est contraint par
l’adversité à vendre son chien fidèle, et voilà pourquoi son fils est muet : touchante histoire 1
— qui nous est contée dans le style de contre-plongées et contre-jours qui fit autrefois la
renommée de l’équipe Curtiz-McCord. Depuis, le tem-ps est passé.
The Quiet One (Le Pefif Noir tranquille),- film de Sidney Meyers, avec des acteurs non
professionnels. — Ce film, déjà ancien, tourné en 16 mm, dans un dessein sociologique j u
pédagogique autant que cinématographique, a perdu beaucoup de l’originalité qui fit sa réputa­
tion. Prend maintenant le dessus son côté avant-garde newyorkaise, qui n ’est pas le meilleur.
Ride a Croo\ed Traiî {L’iïioiïe brisée), film en Cinémascope et en Eastmancolor de Jesse
Hibbs, avec Audie Murphy, Gia Scala, Walter Matthau, Henry Sîlva. — Il suffit de couvrir
un hors-la-loi d ’une étoile de shérif, même incomplète, pour le ramener dans le droit chemin.
uel^ues astuces de dialogue de Borden Chase, que Jesse Hibbs semble n’avoir pas comprises,
§ e n est pourtant pas sa mise en scène qui devait le distraire.
T he Sheriff of Fractüred Jaw (La Blonde et le shérif). — Voir note de Luc Moullet, dans
ce numéro, page 57.
Signé Zorro, film de Norman et Lewis Foster, avec Guy Williams, Henry Calvin, Gene
Sheldon, Britt Lomondon. _— Montage de plusieurs moyens métrages produits par W alt Disney
pour la télévision américaine. 11 faut faire feu de tout bois, et rien ne nous sera épargné.
Torpédo R u n (La dernière torpille), film en Cinemascope et en Metrocolor de Joseph Pev-
ney, avec Glenn Ford, Diane Brewster, Ernest Borgnine. — Scénario bien pesant et conven­
tionnel sur les affres de conscience d ’un commandant de sous-marin partagé entre la famille
et le devoir. Pevney s’en fout, nous aussi. Mais le poste de pilotage d ’un submersible est tou­
jours photogénique. Quelques jolies maquettes.
W ind across the Everglades (La Forêt interdite). — Voir critique de Philippe Demonsabîon
dans ce numéro, page 53.

3 FIL MS A N G L A I S

The Bandit of Zhob& (La Charge du 7e lanciers), film en Cinemascope et en Technicolor


de John Gilling, avec Victor Mature, Anthony Newley, Anne Aubrey, Sean Kelly. — Que
manque-t-il aux. films d ’aventure anglais ? Ce petit rien qui s’appelle le talent, ou le sens de
l'aventure, que possédaient pourtant jadis les romanciers d ’outre-Manche.

61
3 lue Murder af Saint Trinians' (Frie-Fracs à gogos) film d e Frank Launder, avec Jerty
Thomas, George Cole, Joyce GrenFell, Alastair Sim. — E t que manque-t-il aux comédies
anglaises ? Le sel et le poivre, et ces autres ingrédients qui ont nom grâce et verve comique.
Dangeraus) Exilé {Le Prisonnier dm Temple), film en Eastmancolor de Brian Desmond
Hurst, avec L ouis Jour dan, Belinda Lee, Keitk Michel!, Richard O ’Suliivan, — E t que m an­
que-t-il à leurs films historiques ? Tout simplement, des spectateurs.

. 3 FIL MS SO VI ETI QUES

Boris GodounOü, film en Sovcolor de Stroeva, avec Alexandre Pirogov, Nicolas Kamaev,
orchestre, ckœur et ballet du Bolchoï Theatre de Moscou. — O péra filmé, avec respect. Pour
les amateurs.
Grand-Père Miracle, film en Sovcolor de G. Kazanski, avec L. Volkov, A. Litvinov, —
Miracle n ’est pas oeuvre.
/utm le Terrible. — Voir article de Jean Domarchi dans notre prochain numéro.

1 FI LMS ALLEMANDS

Herr iiber Leben und Tod {Dans te s bras), film de Victor Vicas, avec Maria Schell, Ivan
Desny. — Mélodrame où, comme il se doit, font mauvais ménage les amours conjugal et
maternel, les lois du cœur et celles de la médecine. Correctement réalisé, si on consent à
admettre les postulats.
Strip G iris, film de \V. T en Haaf, avec Erik a Remberg, Dietmar Schomherr, Gerda-
Maria Klein, Christiane Mayback. — En attendant Caïl Tea$e, le cinéma allemand fidèle à
lui-même.

2 FI LMS I T A L IE N S

I Sogni nel Casseto {Rien que nous deux). — Voir critique de Luc Moullet dans notre pro­
chain numéro.
L a Tem pesta {La Tempête), film en Technirama eï en Technicolor d ’Alberto Lattuada,
avec Silvana Mangano, V an Heflïn, Viveca Lindfors, Geoffrey Horne, Vittorio Gassman, Robert
Keith. —■ Faut-il croire à Lattuada ? Nous y avons renoncé, pour notre part, depuis un bon
moment et ce n ’est pas ce méchant pastiche de Guerre et paix qui nous fera changer d ’avis.

2 FILMS J A P O N A I S

^Rocfcm, ^film en Eastmancolor de Inoshiro Honda, avec Kenji Sawara Yumi Shirakawa,
Akto Kobori. —- Après Godzilla, un nouveau méfait de la bombe A : les ptérodactyles géants
rouvrent leurs ailes. Infantile et laid.
Ugetsu Monogatari {Les Contes de la lune vague après la pluie]. — Voir article de Luc
Moullet dans ce numéro, page 21.

1 FILM A U T R I C H I E N

Bal à VOpéra, film 'en Agfacolor de Ernst Marischka avec Sonia Ziemann, Adrian Hoven.
— Par l’immortel auteur de l'éternelle Sissi,

I FILM DA N O IS

Gttld og grame Skove {Bienvenue Monsieur Dollar), Hlm en Eastmancolor de Gabriel Axei,
avec A . Bang, H. Lindorff. — Tous les cinéastes danois ne sont pas Dreyer, ni même Henning-
Jensen ou Jorgen Roos. O n se serait passé de la confirmation, en l’espèce, une plate comédie
paysanne bâtie sur le patron anglais.

I FILM SU ED OIS

Fangelse {La Prison.]. — Voir critique de Jean Douchet, dans ce numéro, page 51.

62
A Voccasiondu Festival de Cannes

LE BULLETIN
DU LIVRE
vo u s p ré s e n te les d e rn ie rs o u v rag es
français et étrangers consacrés au cinéma.

S i vous vous intéressez aux livres


vous trouverez dans chacun des numéros

• Des panoramas bibliographiques et des études sur les


grands problèmes de l’édition et de la librairie.

• L’analyse des livres de la quinzaine.

• Toutes les nouvelles du monde du livre.

LE BU LLETIN DU LIVRE
33, r u e d u D r a g o n , P a r is VI*
p a r a î t le 1er e t le 15 d e c h a q u e m o is ( a b o n n e m e n ts p o u r l a F r a n c e : 2.000 f )

E n v o i d 'u n s p é c i m e n g r a t u i t s u r d e m a n d e

63
LES CAHIERS DU CINÉMA
ont publié dans leurs précédents num éros :

ENTRETIENS
avec Jacques Becker .......................................................... ...N° 32
Jean Renoir ...................................................................N os 34-35-78
Luis Bunuel ................................................................ ...N° 36
Roberto Rossellini ........................ \ ......................... 37-94
Abel Gance .....................................................................N° 43
A lfred H itchcock ...................................................... ...N os 44-62
Jo h n Ford .................................................................... ...N° 45
Jules Dassin .......................................... . . . . . ......... ...N os 46-47
Cari D reyer ................................................................ ...N° 48
How ard Hawks .................................................... .........N° 56
Robert A ldrich .......................................................... ...N°8 64-82
Joshua Logan .......................... ................................... ...N° 65
A nthony Mann .......................................................... ...N° 69
Gerd Oswald .............................................................. ...N° 70
Max Ophuls .............. ......................... ...........................N° 72
Stanley K ubrick ........................................ ...................N° 73
Vincente M innelli .................................................... ...N° 74
Robert BTesson ........................ ................................. ...N° 75
Jacques T ati .................................. ............................. ...N° 83
Orson W elles .............................................................. .. N 03 84-87
Gene K elly .....................................................................N° 85
Ingm ar Bergman ...................................................... .. N D 88
Nicholas Ray .............................................................. .. N° 89
R ichard Brooks .......................................................... .. N° 92
Luchino V isconti ...................................................... N° 93

64
NOS RELIURES
*
N o u s r a p p e l o n s q u e n o t r e s y s tè m e üe r e l iu r e e s t s o u p le , r é s i s t a n t , d ’u n
m a n i e m e n t f a c i le e t Que n o u s le p ro p o s o n s à n o s le c te u r s a u m ê m e t a r i f
Que l 'a n c i e n m o d è le , /

C e tt e r e l i u r e à c o u v e r t u r e j a u n e e t n o ir e , d o s n o i r t i t r é C A H IE R S DU
C IN E M A e n l e t t r e s o r , p r é v u e p o u r c o n t e n i r 12 n u m é r o s , s’u ti li s e a v e c
la p lu s g r a n d e fa c ilité .

P R I X D E V E N T E : A n o s b u r e a u x : 500 f r . E n v o i r e c o m m a n d é : 600 fr,


L es c o m m a n d e s s o n t re ç u e s : 146, C h a m p s - E ly s é e s , P A R IS . (8e) v -
C.C.P. 7890-76, P A R IS .

C A H I E R S DU C I N E M A Revue m ensuelle de ciném a


R é d a c t e u r s e n C h e f : JACQUES D O N I O L - V A L C R O Z E e t ERIC R O H M E R

Tous droits réservés


Copyright by « Les Editions de l’Etoile »
146, C ham ps-E ly sées - PA R IS (8e)
R.C. Seine 57 B 19373

Prix du n u m é r o : 3 0 0 Frs (E tr a n g e r : 350 Frs)


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E tr a ng e r .......................... . . . 2 .0 0 0 prs'j Etranger - . . . . t.» . . 3 . S 0 0 Frs
E lu d i a n t s e t Ciné-C lubs : 2.8Q P Frs (F ran ce) e't 3 . 2 Q 0 Frs (Et r a ng e r ).
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146, Champs-ElyS^s, PARIS-8' (ELY. 05-38).
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Le G é ra n t : Ja cques Doniol-Valcroze
Im prim e rie C entrale d u Croissant, Paris — Dépôt légal 2 e trim e stre 1959
C / 5

ARTS
t/Iiebdomadatrc
littéraire c( artistique
qui acco rd e la p lu s
grande place au cinéma

CAH IE RS DU CINEMA. P R I X DU NUMERO : 3«0 FR A N C *

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