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CAHIERS

DU CINÉMA

102 * REVUE M E N SU E L L E DE CINÉMA • DÉCEM BRE 1959 . * 102


Cahiers du Cinéma
N O T R E C O U V ER TU R E
D E C E M B R E 1959 T O M E X V II. — N<> 102

SOMMAI RE

Eric R oh m er .................. Jeunesse de J e a n R en oir ............................... 1

C a th e r i n e R o u v e l d a n s LE
J e a n D om archi ............ P laisir à Melville ................................................. 8
DEJEUNER SUR L’HERBE. J e a n D om archi et J e a n
P o u r l ’é q u ip e d es « C a h ie rs » D oucliet ............ .......... E n tretien avec A lfred H itchcock .......... . 17
e t le C o n seil d es Dix, le f ilm
d e J e a n R e n o ir e s t le p lu s Je a n D ouchet ................ L a troisièm e clé d'H itchcock (II) .............. 30
b e a u d 'u n m o is r ic h e e n
c h e f s - d ’œ u v re . M ichel M ourlet ............ B illet londonien .................. .................................. 88
(Pathé-Consortium)

Les Films

Luc M oullet .................. D essication de R obcrto (Le G é n é ra l délia


R overe) ................................................................ 45
Louis M arcorellcs ........ L a rech erche du b o nh eur (U n tro u d a n s la
tête) ........................................................................ 47
Luc M oullet .................. L a concierge et le bûcheron (L a M o rt au x
trousses) ................................. ........................... 53
Louis M arcorellcs ........ S trip tease polonais (C endres e t d ia m a n t). 55
F rançois M ars _______ Copie conform e (Signé A rsène L u p in ) ... 57

Notes sur d’a u tre s films (Des enfants, des m ères et u n g én éral, Les
B oucaniers, L ’O tage du G ang) .................................................................... 59

Liste des films sortis à P a ris du 28 octobre au 17 n ovem bre 1959. 61

*
Ne m a n q u e a p a s d e p r e n d r e
p a g e 43 :
C A H IE R S D U CINEMA, re v u e m e n s u e lle d e C in é m a
LE CONSEIL DES DI X 146, C h a m p s-E ly sé e s, P a r i s (8«) - E lysées 05-38 - Rédacteurs en chef :
J a c q u e s D o n io l-V a lc ro z e -et E ric R o h m e r .

T o u s d ro its ré se rv é s — C opyright by les Editions d e l ’Etoîle


Déjeuner sur l’herbe de Jean Renoir.

JEUNESSE DE J E A N R E N O I R
par Eric Rohmer .

Il a été beaucoup question, cette année-ci, du jeune cinéma. On a vu, en 1959,


s'inscrire sur les génériques plus de noms français nouveaux que durant la décade
précédente. Quelques m em bres de l'équipe des Cahiers font partie de la promotion.
Ils se félicitent de leur chance. Ils rem ercient le public de l'attention dont il a bien
voulu entourer leurs prem iers essais. Ils sont heureux de pouvoir faire entrer dans
une ère constructive une tache dont on n'avait pu apercevoir que l'aspect négatif.
Jusque-là tous leurs efforts avaient dû se borner à semer les grains de sable destinés
à bloquer les rouages d'une m achine vétuste, mais coriace : le monstre sacro-saint
du « cinéma de qualité ».

1
r Mais notre bonheur présent ne nous rend point ingrats à l'égard des m aîtres
qui ont charm é nos soirées et qui nous ont formés. Maintenant que nous sommes
p assés à l'action, la distance qui sépare nos réalisations des leurs nous apparaît
encore plus immense. 1959, c'est l'année de la « nouvelle vague », m ais ce fait,
peut-être, n e concerne-t-il que la chronique locale. Là grande histoire du ciném a
m arquera d'une pierre blanche un millésime particulièrement fécond en chefs-
d'œ uvre. Je ne parle m êm e pas des deux sorties retardées d'Ivan le Terrible et des
Contes de la Lune vague, œ uvres déjà recouvertes d'une patine sûre et qui figurent
d ans notre liste des douze meilleurs films de tous les temps (1). Il se trouve que nous
avons vu — ou verrons — à quelques mois d'intervalle deux Hitchcock, un Hawks,
deux Rossellini, deux Renoir, auteurs que nous avons, depuis toujours, on le sait,
élus comme nos phares. Veztigo ou Worth by Norihwesi, Rio Bravo, India et même
Le Général délia Rovere, Le Testament du Docteur Cordeiier, Le Déjeuner sur l'herbe,
nous frappent non p as tant par leur perfection que leur nouveauté, relative moins
aux chemins propres à leurs metteurs en scène qu'au devenir du ciném a tout entier,
t a fraîcheur de l'air qu'on y respire ne sera peut-être sensible qu’aux vrais connais­
seurs, elle n'est p a s aisément réductible à un concept ou à une formule. Ces films
conservent, bien sûr, des attaches très visibles avec la tradition, m ais ce n'est pas
cela qui nous intéresse. Ce qui importe, ce sont les prolongements qu'ils ajoutent
à certains pouvoirs du cinématographe, c'est la façon dont ils nous forcent à recon­
sidérer cet art lui-même, à enrichir la connaissance que nous avions de lui. Ils ne
proposent à vrai dire rien d'absolum ent neuf quant au fond ou quant au style. Ils
font mieux, en nous suggérant une idée jusque-là inconcevable des rapports du
fond et du style. , •

Toutefois, parm i ces quatre noms, il convient de faire un sort particulier à celui
de Jean Renoir. La nouveauté du Déjeuner sur i'herbe, sans être le moins du monde
tapageuse, saute aux yeux les plus profanes. Elle est, à l'o rig in e , d'ordre technique.
Sur ce point, je renvoie aux propos de l'auteur, publiés dans notre num éro 100. Il
est à la fois très facile et très m alaisé de parler de Renoir, et pour la m êm e raison :
c'est qu'il a tout dit sut son art, et mieux que tout autre ne saurait dire. Il ne lui
suffit p as d'être le plus grand cinéaste de l'histoire du parlant, c'est encore, du ciné­
m atographe, le plus intelligent théoricien. D'autres ont su, avec justesse et subtilité,
nous entretenir d'eux et de leurs problèmes : lui seul possède ce recul dont n'étaient
capables, pensait-on, que les professionnels de la critique. Contentons-nous donc de
redire, après lui, que l'im portance du tournage à plusieurs cam éras vient de ce
qu'il substitue la notion de scène à celle de plan.
Tout procédé n e vaut que p ar l'usage qu'on en fait. Je n e sais à quel avenir
celui-ci est appelé. Ce dont je suis sûr, en revanche, c'est qu'il nous forcera, bon
gré m al gré, à regarder les films de demain d'un autre œ il que naguère. Cordeiier
et Le Déjeuner tiTent un trait, au même titre que Citizen Kane, La Corde ou La Tuni­
que. Ils offrent la même apparence bénigne d'un œuf de Christophe Colomb. De
même que l'hypergonar existait quelque vingt-cinq ans avant d'être acheté par la
Fox, m ais surtout que l'esprit de l’écran large animait déjà les plus beaux films des
années 1940, de même la méthode des prises de vues multiples est depuis toujours
de règle à la télévision, m ais surtout nous aide à mieux cerner l'originalité de l'œ u ­
vre de Renoir tout entière. Nous percevions, sans doute, la couleur unique de celle-ci,
m ais sans pouvoir encore en bien formuler le pourquoi. Peut-être est-ce tout simple­
ment — m ais ce n'est p as une mince chose — qu'elle a su faire superbem ent fi
d'une condition de l'expression ciném atographique aussi nécessaire aux autres
m etteurs en scène que la phrase l'est à l'écrivain, la toile au peintre, la barre de

(I) Cahiers du Cinéma N° 90.

2
Paul Meurisse et Catherine Rouvel dans Le Déjeuner sur Vherbc.

m esure cm musicien. Certes, il y a de beaux plans chez Renoir et, le plus souvent,
d'adm irables, mais leurs frontières spatiales ou temporelles n'exercent point sur ce
qu’elles enferment la même tyrannie qu'ailleurs. La double limitation du cadre et
de la collure a pu être considérée, à juste titre, comme l'assise obligée de tout
langage cinématographique. On a dit et redit que le fait d e cerner dans l'espace
et dans le temps (que ces bornes soient fixes ou mobiles, proches ou lointaines) un
morceau de réalité, l'ennoblissait du même coup et dotait des prestiges de l'art
un pur instrument de reproduction. Renoir, comme tout le monde, obéit à cette
règle essentielle que ni la profondeur de champ, ni le plan long, ni l'écran large
n'ont pu détrôner, mais, en même temps, il n 'a jam ais cessé de nous faire entrevoir,
au moins comme un cas limite, la possibilité d'un ciném a libéré de son joug,
dédaigneux du privilège attaché à la double opération de la prise de vues et du
montage.
S’il aime à employer le terme « ciném atographe », ce n'est point, peut-être,
comme un autre, par purisme, m ais que le « ciném a », pour lui; n'existe pas. C'est
l'instrument qui l'intéresse, riche d e possibilités infinies, non la chose faite, la
religion établie, l'art constitué. Ses films, toujours de quelque m anière, rompent
le cérémonial d'un culte auquel les autres constamment sacrifient, même s'ils se
prétendent iconoclastes. Chez lui, êtres, décors, objets, paysages, sont livrés à l'état
brut, pleins d e soubresauts, de réactions imprévisibles, ivres d'air libre. En regard,
tous les autres films, sans exception, même prétendus les plus réalistes, n'évoquent
que le jour glauque et la vie sourde d 'u n aquarium : avant la prise de vues, il a
fallu qu'une transmutation préalable s'accom plisse, de l'ordre naturel à l'ordre
cinématographique, même si le second entend reproduire le premier sans trahison.
Que le grain de la peau, saisi p ar un objectif sans filtre et diaphragm é à l'extrême.

3
rem place l'éclat onctueux des fards sous les projecteurs tramés, cela ne fait rien à 1
l'affaire. Que le jeu des acteurs se déthéâtralise, que l'homme d e la rue se substitue
au comédien, que les enchaînements, d'appuyés, deviennent invisibles, cela ne
change pas grand chose non plus. Il y aura .toujours un biais par lequel la cam éra
proclam era son existence. G râce à cette profession de foi, elle donnera un blason
plus ou moins noble à tout ce qu'elle capte. Et nous irons dans nos tem ples obscurs
adm irer les choses dont, sous la lumière du soleil, nous n'adm irerions p as les
originaux.
Renoir, lui non plus, n'ignore rien des pouvoirs de la cam éra et de la moritone.
Il ne cherche point à les mettre en veilleuse. Mais il refuse toute facilité offerte
par l'im puissance même de son art à reproduire l'exacte réalité. S'il s'attendrit
sur les splendeurs infidèles de l'orthochromatique, c'est pour bien signifier que le
temps n'est plus où l'on pouvait se fier aux seules grâces de la pellicule. Contrai­
rement à la majorité de ses confrères, souvent modernes m algré eux, il a su
devancer son temps à m aintes reprises et toujours conformer la ligne de son
évolution personnelle à celle du ciném a tout entier, art sans cesse plus épris de
vérité, encore que celle-ci n e se soit jam ais définie au cours des ans de la même
m anière {tantôt p ar le réalisme, tantôt p ar une juste réaction contre les poncifs
du réalisme). Les autres, au contraire, quelque avides qu'ils fussent de faire leur
bien des nouveautés techniques, y ont surtout trouvé l'occasion d'une contrainte
supplém entaire, apte à réveiller leur verve.

Qu’on me perm ette de m 'arrêter sur ce point. Je ne prétends nullement que


Jean Renoir soit plus réaliste qu'un autre. Il s'agit de tout autre chose, et, de fait,
Le Déjeuner sur J'herbe est bien l’un des films les plus irréalistes qui aient jam ais
été tournés. Il y a, ici, un petit côté théâtre populaire d'avant-garde : se schém a­
tisme, ces naïvetés voulues, ce didactisme, jusqu'à cette fam euse distanciation qui
font de, mettons, Maître Puntila et son valet Matti l'archétype absolu de l'anti-
cinéma. Mais le but même du ciném a n'a-t-il p as été, depuis le début de son
histoire, de s'approprier tout ce qui, dans l'ordre d e la nature ou des créations
hum aines, lui paraissait le plus étranger ? La grande leçon de Renoir, c'est de nous
em pêcher de prendre l'accident pour la substance, de confondre la vraie beauté
de l'œ uvre ciném atographique avec cette espèce de charm e que nous pourrions,
sans trop de ridicule, appeler « pelliculaire », puisque la prudente Sorbonne n 'a
p as reculé devant de plus barbares néologismes. De m êm e que la tram e d e la
toile fait partie intégrante du plaisir de l'am ateur d e tableaux, de même, le
cinéphile ne m anque p as d'être fasciné — ne la percevrait-il qu'indirectem ent —
p ar la m atière même du supporf ou de l'émulsion. C'est pourquoi le dépoli du
poste de télévision le déroute et l'irrite.
Toutes les grandes œ uvres de l'écran gagnent avec l'âge, contrairement à ce
qu'on a pu prétendre jadis. Comme la peinture ou la sculpture, elles acquièrent
une patine, virtuelle sans doute généralement, m ais l'inconfort d'une salle, les
rayures de la bande, les bavures d'une projection, dans la m esure où ils m atéria­
lisent celle-ci, contribuent, le cas échéant, à fortifier le respect qu'elles nous
inspirent. Ce n'est point de cette façon-là que vieillit un film de Renoir : il n'éveille
p as de nostalgie pour le passé, m ais apparaît plus neuf encore qu'aux yeux des
contemporains. Il n 'a rien de la fleur séchée dans l'herbier : c'est le fruit cueilli
un peu trop acide et mûri lentement sur le rayon de l'étagère. Ce n'est p as un
travail d e purification qui s'opère dans sa pulpe, m ais d'enrichissement. Bien des
beautés, noyées, à première vision, dans une m asse un peu désordonnée, percent
en surface., Des nuances, jadis confondues, se dissocient et deviennent couleurs
m aîtresses; nous nous étonnons de ne p as les avoir d'abord aperçues.

4
Paul Meurisse et Catherine Rnuvel dans Le Déjanter sur l'herbe.

le sais que ce parallèle entre Renoir et les autres cinéastes n'est pas exempt
de schématisme. Nombreux sont les films qui, p ar leur perfection, ont fait éclater
les limites non seulement de leur genre, maïs de leur art. Mais ce qui est ailleurs
l'exception, devient ici la règle. Renoir n 'a jam ais voulu s'installer confortablement
d ans le cinéma. S'il aim e à se ‘tenir légèrement en retrait, c'est qu'il connaît le
ciném a mieux que tout autre. Il sait que le mérite de cet art n'est pas exactement
d'ajouter une nouvelle interprétation de la nature à celles qu'ont pu nous fournir
déjà le peintre ou l'écrivain, que ce qu'il y a de spécifique en lui, ce ne sont pas.
seulement ses moyens, son optique, son écriture, mais l'originalité du rapport qu'il
nous révèle entre la nature et l’artiste, que, cette nature, il est apte à la saisir
dans ce qu'elle a de plus vagabond, d e plus irréductible aux canons de l'esthétique,
de plus libre.
C'est pourquoi les rapports fondamentaux de l'apparence et de l'être, d e la
liberté et de la règle ont fait l'objet de son soin privilégié, surtout dans celles de
ses œ uvres que je dirais volontiers réilexives (bien qu'elles le soient toutes un
peu de quelque façon) et où il nous livre sa m anière d'Art Poétique, M adam e Bovary,
Le Carrosse d'or, et m aintenant Le Déjeuner sur l'herbe. Nous avons été frappés,
à m aintes reprises, des analogies que présente sa veine comique avec celle
d'Howard Hawks, ce chef de file d ’un cinéma qu'on pourrait appeler instinctif —
quelque intelligent et concerté qu'il soit d'ailleurs — c'est-à-dire fils de ses propres
œ uvres, exempt de tout clin d'ceil aux autres formes d'art. La ressem blance avec

5
M onkey Business que nous avions signalée à propos d'EJéna, est ici flagrante. Et je ne
crois pas qu'il y ait de notions plus dignes d'intérêt pour le cinéma — et, partant,
plus aptes à aiguiser sa moquerie •— que celle de Science et de Nature, symboles,
l'une de sa méthode, l'autre de son objet. La fable du Déjeuner sur J'herbe peut
être prise comme une parabole esthétique tout autant que morale. Là, je n'invente
rien : je m e contente de retranscrire un p aragraphe de l'entretien publié ici même,
il y a deux ans (1) : « L'ingénuifé esf absolument nécessaire à la création. Les gens
qui font ïam our en disant : « nous allons faire un enfant magnifique », eh bien !
ils ne feront peut-être pas d'enfant du tout ce soir-Jà. L'enfant magnifigue vient par
hasard, un jour où on a bien rigolé ; il y a eu un pique-nique, on s'esf am use
dans les bois, on a roulé sur ï herbe, et là, il y a un enfant m agnifique! »

O n peut s'arrêter, je l'avoue, sur cette interprétation et goûter le film sans pren­
dre bien au sérieux la satire de la science qu'il nous offre : Renoir est un artiste avant
tout, non un philosophe, ni m êm e un moraliste. Cependant, pour m a part : j'accordercd
à celle-ci le plus grand crédit, encore qu'elle ne prouve rien, comme toute satire. Le
Déjeuner sur l'herbe n e réfute pas plus le scientisme pratique du XXe siècle que « Les
souris ef le chat-huant » le systèm e cartésien. Mais on ne saurait pas plus faire grief
au cinéaste de s'être, dans ses œ uvres récentes, complu dans les moralités, qu'on ne
l'a fait au fabuliste dans ses derniers livres, les plus beaux aux yeux des adultes, sinon
des écoliers. Je ne crois pas que le didactisme soit plus interdit au ciném a q u 'à la
poésie : comme celle-ci, d ans ses débuts, l'invention des frères Lumière fut didactique
et le reste par bien des aspects. Oui, p ar le document, dira-t-on, par l'évidence de
l'im age. Pourquoi p ar cela seulement ? A quoi sert d'opposer le cinéma au théâtre,
si on n e loue son am our du concret que p ar l'interm édiaire d'une identification au
roman ? Roman et film sont proches parents, nul n'en doute, m ais il est loisible de
trouver que le prem ier exerce une tyrannie p ar trop lourde sur le second, au point
que nous -appelons souvent qualité ciném atographique ce qui mériterait mieux le
nom de romanesque. Vive le genre de la fable, même s'il .paraît introduire un grain
d'im pureté ! Cette impureté-là est à coup sûr moins dangereuse que bien d'autres
plus subtilement dissimulées.
Il est un autre danger duquel ce film nous préserve : celui de la confession. Au
cours de son existence, 1© ciném a a pu, jusqu'ici, observer u n e objectivité certaine,
du fait de ses pouvoirs propres, m ais aussi d e ses limitations. La conquête de la sub­
jectivité, si elle n 'est pas condam nable a priori, n e représentera peut-être qu'une vic­
toire à la Pyrrhus. Car, là, le ciném atographe ne pourra moins faire que se conformer
au modèle des autres arts, mieux outillés que lui en la matière, et, même en adm et­
tant qu'il parvienne à les battre sur ce terrain, évitera-t-il de se laisser contam iner
p ar le m al dont ils souffrent tous plus ou moins aujourd'hui ? Louons donc Renoir
de dénoncer, comme il l'a fait d ans ses interviews ou conférences, les m irages de
la subjecfiviféj cru même titre que ceux de la psychologie. Si, à travers l'œ uvre,
nous savons remonter à l'homme même, c'est que la rose, comme il dit, est le m eil­
leur portrait de l'artiste. Ne blâm ons point notre auteur d e mieux aimer nous confier
ses idées que son cœ ur, puisque l'art qu'il exerce est le seul encore où les idées
se peuvent exprimer clairem ent et simplement, même s'il nous arrive de trouver
leur simplicité trop simple.
Quiconque a lu ou entendu des propos de Renoir, n 'a pu m anquer d'être frappé
de l'extraordinaire intelligence q u 'a cet homme aim able et disert des problèmes,
non seulement de son art, mais de son temps. Il ne convient pas d'en faire un maî-

(I) CaM ers du C in ém a N° 78.

6
ire à penser, ni un prophète, m ais ses boutades ou ses anecdotes ouvrent souvent
de plus justes et lucides perspectives sur l'esprit du monde m oderne que les disser­
tations de tel spécialiste des sciences hum aines. Dieu nous préserve d'un cinéma
pédant, mais, dans le cas présent, le tempérament de l'auteur est bien le meilleur
antidote contre toute cuistrerie. le crois que l'artiste a le droit de regarder autour
de lui, sans pour autant, comme on dit, s'engager. Il reste fidèle à sa vocation, en
voulant dire son mot sur les grands problèm es actuels que nos maîtres de philo­
sophie ont exagérém ent politisés. L'un d'entre eux, majeur, le concerne directement,
puisqu'il ressortit à l'esthétique p a r définition m êm e,: celui du bonheur, c'est-à-dire
de i'arf de vivre. Et, alors que les spécialistes de la dialectique, esclaves de la
polémique, n e voient en général que conflits d'homme à homme, c'est plutôt le
grand combat que notre espèce livre à la nature qui fait l'objet de son soin.

Ce que je dis là ne prouve rien, bien sûr, quant à la valeur du Déjeuner sur
l'herbe. J'ai cru toutefois plus utile de m e livrer à ces paraphrases de quelques-unes
des réflexions de Renoir que d'entrer d ans une analyse du détail, certes indispensable
pour mettre en relief les mille perfections du film, mais qui risquait de faire per­
dre de vue sa grande nouveauté. Q u'on sache seulement que je tiens Le Déjeuner
pour supérieur à Eléna dont il continue la veine, dans la mesure où le propos me
semble plus vaste, et l'expression moins bridée par les contingences du commerce.
Il serait vain d'établir une hiérarchie entre la dernière époque de Renoir et la période
américaine, ou la prem ière période française. Disons que notre auteur a la même
vieillesse heureuse qu'ont eue un Titien, un Beethoven ou un Goethe, ou encore
un Cézanne, un Matisse, un Renoir père. Ce n'est point par leurs ultimes travaux
que ces artistes ont gagner le cœ ur des foules contemporaines ou futures ; ces
« dernières m anières », non seulement font les délices des connaisseurs, m ais inter­
disent le doute qui pourrait nous prendre parfois à l'endroit de leurs oeuvres plus
tapageuses. Elles m anquent peut-être des grâces imparties à la jeunesse ou à
l'â g e mûr, m aïs je crois leurs mérites plus sûrs, mieux frappés du sceau de l'éternité,
moins sujets à souffrir des caprices de la mode. C'est pourquoi, aussi, elles déroutent
au premier contact par leur sécheresse, leur ascèse, voire le flou d e certains traits,
leur désordre apparent. Il semble qu'un peu de chair leur fasse défaut, alors que,
les années s'étant écoulées, c'est le luxe de leur sensualité surtout qui nous touche,
au point de faire paraître les œ uvres précédentes pauvres et m aigres p ar contraste.
Et, dans le cas de Renoir, ce n'est pas, on s'en doute, une mince gageure.

Eric ROHMER.

LE DEJEUNER SUR L'HERBE, film français en Eastmancolor de ]EAN RENOiR. Scénario :


Jean Renoir, ftncrges ; Georges Leclerc. Musique : Joseph Kosma. Décors ; Marcel-Louis Dieulot.
Monfage : Renée Lichlig, Interprétation : Paul Meurisse, Calherine Rouvel, Jacqueline Morane,
Fernand Sardou, Jean-Pierre Granval, Robert Chandeau, Micheline Gary, Frédéric O'Brady,
Ghislaine Dumont, Ingrid Nordine, Hélène Duc, Jacques Dannoville, Marguerite Cassan, Blavette,
Paulette Dubost, André Brunoî. Production : Compagnie lean Renoir, 1959. Dis fri bu fion : Consor­
tium Pathé.

7
PLAISIR A MELVILLE

Je an -P ie rre Melvïlle dans D eux h om m es dans M anhattan.

par Jean Domarchi

La sortie récente de Deux hommes dans Manhattan me vaut la satisfaction de par­


ler d ’un cinéaste dont la place, dans le cinéma français, m’apparaît exemplaire. MelviUe
est en effet un pionnier dont le rôle commence seulement de revêtir toute sa signification.
Il peut à tout point de vue être considéré comme l ’initiateur de la ci nouvelle vague ».
Q u ’il s ’agisse des méthodes de production, des sujets choisis, de la direction des acteurs,
MelviUe préfigurait treize ans à l ’avance ce que serait l ’orientation prise par notre
cinéma et qui se révèle irrésistible et irréversible. Les professionnels chevronnés doivent
en prendre leur parti : les « amateurs » (et Melville se glorifie de l’être) peuvent faire
autrement et mieux qu’eux. L e cinéma n’est plus une chasse gardée où le droit

8
d ’entrée se chiffre par centaines de millions. Il n’est plus indispensable d ’être confor­
miste, routinier et vulgaire pour faire un film. O n a le droit — Vemeuil qui l ’eût cru,
Cayatte qui l ’eût dit — de se montrer original, sensible, difficile sur le choix des
moyens. U ne hirondelle a fait le printemps. Mais cela, jamais les vieux crabes ne le
r pardonneront.
Q ue M elville ait révolutionné les conditions de la production, qu’il ait démontré
qu’un film bon marché n’était pas nécessairement un mauvais film, qui oserait le nier?
A u reste les chiffres parlent. L e Silence de la mer a coûté 9 millions, L e s Enfants ter­
ribles 24 millions, Quand tu liras cette lettre moins de 50, Bob le flambeur 17,5 et
D eux hommes dans Manhattan, dont îe coût a été le plus élevé, 65. Comme aucun
de ces films n’est négligeable et qu’à un titre ou à un autre ils marquent tous une date
dans l ’histoire de notre cinéma, il devient difficile d ’affirmer que qualité — cherté. Non,
la réussite d ’un film n’est pas nécessairement assurée par un titre (Les Trois mousque-
taires par exemple) ou par un nom (Victor Hugo) ou par une vedette (Gabin ou Fernan-
del) ou par un sujet (malsain ou graveleux de préférence). Tous ces tabous, Melville le
premier les a audacieusement bousculés. Son réalisme n’a pas été simplement un réa­
lisme de producteur, mais un réalisme d ’auteur.
Car M elville a été (tout autant que Renoir et R ené Clair, et bien plus que Carné
jou Grémillon) le seul auteur de films du cinéma français. Je dis a été car depuis...
Auteur il l'est, car il a des partis pris, des préférences, des obsessions, un point de vue
sur le monde en un mot. Surtout dans ses deux derniers films (Bob et D eux hommes
dans Manhattan) qui sont, avec L es Bnfanis terribles, ceux que je préfère. Il l’est aussi
dans Quand tu liras cette lettre, malgré les imperfections évidentes du scénario. J ’avais
été touché en particulier par une accumulations de détails (sur les décors et les person­
nages) qui prouvaient que Melville, même lorsqu’il traitait un mélodrame auquel il

Jean-Marie Robain, Jean-Pierre Melville et Henri Decaë, pendant le tournage du Silence


de la mer.

9
croyait à moitié, savait parler de ses personnages. Je n’ai vu le film qu'une fois m al­
heureusement, mais le personnage de Philippe Lemaire m ’est resté à la mémoire, ainsi
que les apparitions insolites de Juliette Gréco (que Melville, sauf erreur, a le premier
employée au cinéma dans un rôle important). Quand tu liras celte lettre, injustement
décrié, gagnerait à être revu, abstraction faite encore une fois d ’une histoire dont M e l­
ville n’est en aucun cas responsable et qui lui a été imposée.

RETROSPECTIVE

Avant de parler à loisir de D eux hommes dans Manhattan, un coup d ’œil rétros­
pectif me paraît indispensable.
L e Silence de la mer, jugé en fonction de l ’univers proprement melviliien, est, je
l ’accorde, un peu en marge. . M elville entendait, avant d ’aborder les sujets qui lui
tenaient à cœur, payer ce' magnifique tribut à la résistance. Sa caméra servait avec
humilité et efficacité les propos de Vercors. Quand on sait les conditions dans les­
quelles M elville et son chef opérateur Henri Decae ont travaillé (Decae n’avait même
pas de cellule photo-électrique), on ne peut qu’être médusé de leur réussite. La manière
surtout dont Nicole Stéphane et H ow ard Vernon ont été dirigés est confondante. Ils
devaient tout exprimer par les gestes et le regard, et nous savons tout en les regardant!
Inutile de dire que j’attendais impatiemment la suite. E lle vint quelques années
plus tard avec Les Enfants terribles. C e film est un cas unique dans l’histoire du cinéma.
C ’est l’adaptation parfaitement réussie d’un récit dont l ’adaptation (à la différence de
celui de Vercors) semblait a priori vouée à l’échec. D ’où vient ce miracle 7 Q uand on
sait le péril qu’il y a à transposer des œuvres d ’une incomparable valeur littéraire au
cinéma, on peut à bon droit se demander si tout n’est pas possible. Le cinéaste a à
lutter par l ’image contre les prestiges de la langue. Le texte de Cocteau est d ’une sim-

Nicole Stéphane et H o w ard V ern on dans Le Silence de la mer.

10
Nicole Stéphane dans Les Enfants terribles.

plicité et d une richesse exceptionnelles. 11 agit à la façon d ’un charme qui vous magné­
tise, vous fait complice d ’un univers fermé sur soi, minuscule et merveilleux, celui d ’une
chambre, toujours menacé par des intrus dont la bonne volonté, la gentillesse même,
sont attentatoires. C ’est un univers du secret, du mot de passe, des « mots de la tribu »,
comme aurait dif Mallarmé, ces mots qui tissent un réseau protecteur autour de deux
enfants qui vivent calfeutrés, terrés, entourés d ’objets bénéfiques et maléfiques dont ils
sont les complices.
Comment Melville s’est-il tiré de ces difficultés? P ar l’usage alterné de la musique
et du commentaire. Il a eu au moins deux idées de génie : ] °) d ’utiliser comme fond
musical le Concerto grosso à quatre pianos de Vivaldi-Bach; 2°) de faire appel à
l'extraordinaire voix de Cocteau pour commenter l’action.
L e contrepoint musical est sublime, car il révèle le sens tragique du livre. Il s’agit
en effet d ’une tragédie en forme de récit (et non d ’un roman, lequel obéirait à des exi­
gences tout à fait différentes). L e récit (de structure linéaire et régi par l ’imparfait de
l ’indicatif) est relativement docile à la transposition, cinématographique. L e roman au
contraire est, par nature, anarchique et protéiforme et sa durée hétérogène (la temporalité
romanesque se dilate et se contracte au gré de la narration) se soumet malaisément aux
rigueurs d ’un scénario. Ce n ’est pas à dire que tout danger de dispersion puisse être évité,
surtout lorsqu’il s’agit d ’un récit de Cocteau. Mais, précisément, Melville a évité le dan­
ger par le double emploi du commentaire et de la musique, cette dernière explicitant et
développant le texte du récitant. L a musique a ici, au plein sens du terme, un rôle fonc­
tionnel et non décoratif. E lle est l ’un des personnages principaux du film, la manifesta­
tion omni-présente du Destin. Quant au commentaire de Cocteau, de quel charme et de
quelle émotion n’est-il pas porteur! Imagine-t-on « Un Joueur » commenté oralement par
Dostoïevsky, « Mademoiselle Irnois » par le comte de Gobineau ou « L e V ase étrusque »
par Mérimée? N e serait-ce qu’à cause de cela, Melville a droit à toute notre gratitude.

11
Isabelle Corey dans Bob le flambeur.

Je n’auTaî garde d ’omettre les décors dont le rôle est irremplaçable. L es objets
participent à l ’action, tout autant que les acteurs. Ils ne sont pas là pour faire joli, mais
pour nous faire mieux pénétrer dans les arcanes du récit. Ils contribuent, non seulement, à
créer ce climat d ’étrangeté indispensable à l’univers dans lequel se meuvent Elisabeth et
Paul, mais à définir avec précision le sens du drame dont nous sommes les témoins, M e l­
ville avait pensé un instant situer l ’action en 1925-30, et probablement cela eût été mieux
encore, mais les choses étant ce qu’elles sont, il s’est à merveille tiré des problèmes que
soulevait la modernisation du livre de Cocteau.
Les Enfants terribles sont mieux et plus qu’une adaptation. C ’est une oeuvre nou­
velle dont le crédit doit être porté au seul Melville, et. je proteste ici de toutes mes
forces contre la fable tenace qui veut que seul Cocteau soit l ’auteur de ce film. A qui
s’obstinerait à le penser, il me suffit de répondre que les films ultérieurs de Cocteau
apportent un démenti formel à une -telle allégation.

LES PLAISIRS DU N O C TA M B U L E

Mon dessein primitif était de faire un compte rendu de D eux hommes dans M anhat­
tan. Mais je me suis bien vite rendu à une évidence : c’est qu’il n ’est pas possible de
comprendre ce film si on n’évoque pas le monde si particulier de Melville. E n fait Deux
hommes dans Manhattan ne se comprend qu’en fonction de Bob le flambeur et je suis
surpris que les amateurs de Bob puissent être en même temps les détracteurs de D eux
hommes dans Manhattan. Si d ’un film à l ’autre le sujet diffère, le climat est le même.
Plus exactement : le point de vue de Melville sur les hommes et sur les choses reste le
même. C e point de vue est celui d ’un noctambule, de l’amateur de villes (on est ama-

12
leur de villes comme on est amateur de femmes pour les mêmes raisons), et les deux
scénarios nous permettent effectivement de découvrir des villes qui, nous pensions à tort,
nous étaient familières.
Il n’y a guère que Melville à ma connaissance qui ait rendu le charme de la place
Pigalle la nuit, ou de Time square. L ’irremplaçable séduction qu’exerce sur nous une
rue déserte à l ’aube, il faut être un couche-tard chevronné pour l ’éprouver. Et quand ce
couche-tard est, par-dessus le marché, un cinéaste d ’instinct, cela donne de bien belles
images.
Mais le charme de Bob comme de D eux hommes dans Manhattan ne provient pas
seulement de la manière dont Melville (cinéaste urbain par excellence) nous promène dans
les rues, mais, plus encore, de son attitude à l’égard de ses personnages. Il a pour eux
une secrète tendresse. Aucun d ’entre eux ne postule de prix de vertu. Il leur arrive
souvent d ’être des truands patentés, de francs coquins, mais ils conservent une sorte de
noblesse, de pudeur, qui les fait se tirer avec élégance des situations les plus scabreuses.
Bob, vu de cette manière, me paraît touchant. Sans aucun doute, i! n’a rien d ’un bri­
gand séduit sur le tard par les vertus bourgeoises. Il ne rêve pas de la suspension et du
pot-au-feu. Il conserve l’élégance de la pègre, et sa noblesse provient précisément d’une
sorte de fidélité à l ’égard des valeurs qui s’expriment dans cette société secrète qu’est le
milieu, en marge et en opposition à la société bourgeoise. Dans le milieu ce sont les
<c casseurs » qui incarnent le plus rigoureusement cette attitude et, de ce fait, ils constituent
une aristocratie très jalouse de ses prérogatives. Les « marlous », les a jules )> ou encore
« les macs'» représentent au contraire la racaille, celle qui fournit à la police la majorité
de ses indicateurs et qui est le plus susceptible de trahir le moment venu. Les rapports
marlous et casseurs, Melville les indique avec justesse : il voit ce monde de l ’intérieur,
ce qui veut dire qu’il ne recherche pas l ’exotisme pour l ’exotisme. Il n’est pas amateur
de pittoresque et, si le pittoresque se manifeste, c ’est avec discrétion et comme involon­
tairement.

M A N H A T T A N REV1SITE

Q u ’on me pardonne de revenir sur ce film dont Claude Chabrol avait, ici même,
donné un excellent compte rendu. S ’il me paraît trancher sur l’énorme (et bien médiocre)
production des films sur le milieu c’est qu’il n’a aucune prétention au réalisme. Il ne
vise nullement à être spectaculaire, d ’où une honnêteté dans la narration, un refus de
l ’effet, une précision du détail qui m ’enchantent. Mais le jeu dans tout cela ? Il est un
prétexte. Bob est certes un « flambeur », mais à travers le jeu il poursuit un rêve, il est,
comme les vrais joueurs, hanté par l ’absolu. Il attend les « quinze coups à la porte ».
comme d ’autres attendent le Messie. I! vît pour cet instant parfait où, inexorablement, il
abattra (( neuf » à chaque fois, mais l ’ironie veut que cet instant parfait se réalise au
moment où il est dans un « coup » qui exigerait toute sa vigilance. Ce n’est donc pas
le jeu, mais la vie (ou du moins une manière de vivre dans certaines circonstances) qui est
le sujet véritable du film. C ’est une manière, par exemple, de comprendre l ’amitié ou les
femmes. Melville a la nostalgie de l’amitié vraie. Ses deux derniers films sont un
hommage vibrant à ce sentiment qui n’a rien à voir avec le ic copinage » ou la « cama­
raderie ». L ’amitié est un sentiment fort qui ignore les différences d ’âge, les situations
acquises, ou les différences sociales. U n sentiment qui implique qu’on puisse se compro­
mettre (se mouiller) et qui, en tout cas, n’exclut pas les reproches véhéments, quand l ’ami
ne se comporte pas correctement. C ’est pour M elville l ’unique domaine où tout ce que
l ’homme a de pur et d ’authentique peut se manifester. Il faut comprendre D eux hommes
dans Manhaltan et Bob comme des essais sur l ’amitié.

Il faut les comprendre aussi comme des prétextes à parler des femmes. Melville
est l ’un des très rares metteurs en scènes à aimer les femmes. Il ne tombe pas dans la
misogynie facile de certains réalisateurs, à cause précisément de sa lucidité. Il prend,
comme Sacha Guitry, les femmes telles qu’elles sont. Il accepte comme une donnée de
fait leur perversité naturelle, leur aptitude innée au mensonge et, étant sans illusion, peut
les aimer à loisir. 11 ne s’agit donc pas d ’une admiration purement plastique (encore que
Melville sache vanter avec discrétion le corps de ses héroïnes), il s’agit d ’une complicité
faite de tendresse. L e personnage .d’Isabelle Corey me paraît, de ce point de vue, révéla­
teur. Melville nous découvre une jeune personne de bonne bourgeoisie dont les virtualités
perverses ne lui échappent pas. II la révèle à elle-même, met en pleine lumière son
mélange d ’innocence et de perversité, sait capter un regard trouble et clair à la fois. L e
talent d ’un metteur en scène réside en partie dans son sens de la métamorphose. Félici­
tons donc Melville d ’avoir rendu une jeune fille à sa véritable nature. L ’érotisme, qui
est souvent prétexte à des évocations graveleuses, trouve ici sa véritable destination ciné­
matographique, car il montre précisément comment cette jeune fille prédisposée (je dirai
presque prédestinée) à la perversité y accède. Il est moins intéressant de montrer quelqu’un
qui est déjà pervers que quelqu’un qui le devient. E t ceci dans Bob n’est jamais dit (il
s’agît en apparence d’une simple idylle), mais montré à chaque instant. L a galerie de
filles dans D eux hommes dans Manhaltan est étonnante. Melville évoque chacune des filles
dans des attitudes significatives, des poses et des gestes révélateurs. 11 nous donne la
permission de rêver sur chacune d ’elles (qu’était Gloria avant de devenir call-girl ? qu'est
véritablement la fille de Favre-Berthier ?).

14
Parler d ramitié, des femmes, voilà de quoi me combler et je m ’accommode très bien
de la trame très ténue du scénario de Manhattan. O n peut raconter un simple fait-divers
et être très passionnant. Et c ’est peut-être l ’une des vocations du cinéma d ’être capable de
ne pas raconter une histoire avec des rebondissements de situation pour, ne
s’occuper que des à-côtés. Point n’est besoin d ’intrigue quand on sait parler à
loisir des sujets qui vous intéressent ; on est libre d ’ouvrir des parenthèses imprévues et
de s’abandonner à des digressions fructueuses. E t si, de surcroît, on est un cinglé de
cinéma et un excellent metteur en scène, le régal est complet. J ’aime particulièrement
la mise en scène de D eux hommes dans Manhattan qui se refuse aux facilités des mouve­
ments d ’appareil (ce lieu commun du cinéma d ’aujourd’hui). Juste deux travellings ! Une
élégante discrétion, servie par une photo « américaine » due à Nicolas Hayer qui a magistra­
lement suivi les indications de Melville, ajoute à notre plaisir. Q u ’on ne se plaigne pas
de la maigreur du plat qu’on nous sert. Manhattan est très riche. Il nous fait sentir ce
qu’est New York cette ville monstrueuse et splendide (le paradis des amateurs de villes),
il nous promène dans des endroits que l ’on néglige le plus souvent.
J ’aime qu’un noctambule impénitent nous fasse partager son plaisir de la découverte.
Il existe en effet pour le noctambule des endroits de prédilection dont le charme est indis­
cernable pour qui n’a pas la tentation des plaisirs nocturnes. Les rêveries d ’un promeneur

Pierre Grasset, Jean-Pierre Melville et Clmstiane Eudes dans Deux hommes dans
M anhattan.

15
solitaire peuvent n’être pas champêtres. Les coulisses d ’un music-hall ou d ’une boîte de
nuit, un bar désert sur le coup des s.ix heures peuvent avoir un charme aussi authentique
qu’un bocage ou un val. Rendons grâces à Melville de nous restituer la saveur indéfi­
nissable d ’une nuit d’hivejr dans une ville biblique que des promeneurs, à la poursuite d ’un
mystère parfaitement déchiffrable, se paient le luxe d ’apprécier. Nos contemporains ne
savent plus ce qu’est la- flânerie. Ils se gaussent des longues randonnées en automobile et
ils réclament une histoire. Deux Français dans Manhattan n’ont pas besoin de se souvenir
des films américains pour savoir ce qu’est N ew York. Melville met.au service de sa passion
une inégalable fraîcheur d ’inspiration. Nulle mauvaise conscience et nulle provocation dans
sa discrète apologie des plaisirs cachés qu’une ville cosmopolite propose à ses visiteurs. Il
sait en extraire la poésie occulte et transformer ce plomb en or. Un metteur en scène réaliste
aurait avidement mis en évidence le sordide et l’ignoble de ces lieux de plaisir. Mais J. P .
Melville n’est pas un moraliste, moins encore un moraliste chrétien. Il sait faire son miel
du N e w York, by night qui, avec lui, resplendit de tous ses feux. Ce n’est pas un touriste
en mal d’attractions équivoques : il est comme Baudelaire attentif aux prestiges indéfini­
ment renouvelés dés nuits aveuglantes de lumière d ’une métropole immense. .
E t si on me dit : « D eux hommes dans Manhattan ce n’est pas du cinéma », je réponds :
h Non ce n’est pas du cinéma, c’est de la poésie. »

jean D O M A R C H I.

Jean-Pierre Melville et Pierre Grasset dans Deux hommes dans Manhattan.

16
ENTRETIEN AVEC
ALFRED HITCHCOCK

par Jean Domarchi


et Jean D ouchet

De passage à Paris, à Voccasion de la sortie de Nortli By N orthwest, Alfred Hitchcock


a bien voulu nous accorder un long entretien. Evitant de revenir su r les points précédemment
abordés par Claude Chabrol et François Truffaut (1), nous lui avons demandé, cette fois-ci,
de répondre à certaines critiques et de nous livrer quelques-uns de ses secrets de fabrication.

Une faute énorme.

— Lequel de vos deux derniers film s préfêrez-vous ?


— Vertigo et North B y Northwest sont des.film s très différents, qui n ’ont pas du tout
été réalisés dans le m êm e esprit. Vertigo, c ’est une féerie psychologique, presque de la
nécrophilie. Le héros veut faire l ’amour avec une morte. Mais N orth B y Northwest, t ’est
un îilm d ’aventures qui est traité avec une certaine légèreté d ’esprit. Vertigo est beaucoup
plus important pour moi que North B y Northwest, qui est un divertissement très amusant.
— Votre film apparaît comme une suite de scènes brillantes qui n'ont pas toujours de
relation précise avec le sujet. Ainsi, lorsque Cary Grant entre par la fenêtre...
— Oui, il n ’y a pas de relation avec le sujet. C ’est une plaisanterie, C ’est parce que,
quand quelqu’un entre dans une pièce par la' porte, ce n ’est pas suffisant pour donner à la
scène son mouvement propre. Il faut toujours q u ’il y ait quelque chose qui la remplisse
vraiment.
— North By Northwest reprend les thèm es de la plupart de vos film s. Celui de The
Wrong Man, par exemple, Vinnocent que l’on accuse injustem ent.
— Ne croyez pas que je rabâche sans cesse. Les peintres peignent toujours fa
même fleur. Ils commencent par la peindre lorsqu’ils n ’ont aucune expérience, et ensuite ils

(1) C a h ie r s d u C inéma, n° 44.

Î7
la peignent en profitant de toute l'expérience q u ’ils ont acquise. Il y a une très grande
différence. Oui, le thème est celui de The Wrong Man : l ’homme innocent. Si je m e se rs
de ce thème, c’est parce q u ’il me perm et de résoudre une part importante de mon travail
artistique et technique. Je crois dur comme fer à l ’art cinématographique, moi. Je ne crois
pas aux dialogues. Je fais du suspense et j ’essaie de jouer avec les spectateurs comme le chat
avec la souris. Donc, pour que les spectateurs ressentent l’anxiété, le suspense, etc..., vous
devez avoir sur l ’écran un héros auquel ils puissent s ’identifier. Je crois q u ’il est vain de
vouloir leur faire ressentir les sentim ents d ’un gangster. C ’est impossible, car ils ne connais­
sent pas ce genre d’individu. Mais l ’homme de la rue, l ’homme ordinaire, ils le com prennent.
C ’est comme s ’ils faisaient partie intégrante des aventures racontées par le film.
— Dans North By Northwest, vous sem biez avoir voulu refaire Saboteur. Pourquoi ?
— Parce que je n ’étais pas satisfait de Saboteur. Les héros n ’étaient pas intéressants.
Les acteurs n ’étaient pas bons. Et puis, ce n ’était pas un vrai film. Il y avait beaucoup de
mauvaises choses, beaucoup d ’énormes fautes dans la scène de la Statue de la Liberté par
exemple...
— Oui !
— Eh bien ! dites-moi quelles sont ces erreurs.
— La scène était invraisemblable,
— Non, ce n ’est pas cela du tout. Le méchant était en danger, non le héros. Ça c ’est
important pour le spectateur. Si c ’est bon, il s ’en va content. Sinon, il sent que ce n ’est pas
- bon, sans savoir pourquoi.

L ’a r t a v a n t la d é m o c ra tie .

— Avez-vous choisi le Mont Rush more et la Statue de la Liberté pour la signification


morale q u ’y attache le spectateur américain ou en tant que décors dramatiques ?
— En tant que décors dramatiques. Pour moi, l ’art passç avant la démocratie. Dans le
cas du Mont Rushmore, j ’ai dû faire un compromis avec les autorités. Ils voulaient qu’il n ’y
ait aucun coup de feu, aucune scène de violence sur le monument ou avec le monument
dans le champ. J ’ai dit « très bien » et j ’ai respecté notre arrangement. J ’ai montré les héros
sur les rochers à côté du monument. Vous avez pu le rem arquer, il n ’y a aucune scène de
violence sur le monument. J ’ai tenu ma promesse. Mais ensuite, les autorités ont décidé
de faire supprimer du générique la mention qui les concernait. Voilà ce qu’ils disent :
« Même si rien n'a été tourné sur le monument, le public, lui, pensera que ça a été tourné
sur le monument. » Je crois que la raison de leur mécontentement, c ’est q u ’au cours du film,
un de leurs gardes-forestiers assomme Cary Grant. Et la scène leur a déplu.

■— Il semble que votre film où, pendant deux heures, Vaction physique perm et d ’exprimer
certains sentiments, souffre à la fin de cette séparation. La photo et la couleur de cette scène
ne sont pas aussi belles que celles des autres scènes.
— C ’est à cause des obligations que }’ai eues à respecter. La scène, telle q u ’elle est,
est la meilleure que nous pouvions obtenir dans ces conditions. Elle a été très difficile à faire.
11 fallait qu’on puisse voir distinctement toutes les petites figures qui se trouvaient dans
l ’image. Et nous avons eu beaucoup de difficulté pour obtenir un certain équilibre de couleurs.

II fa u t que ça tourne rond.

— Ce site du. Mont Rushmore vous a-t-il fourni Vidée première de l’œ uvre ? Ou bien
est-ce Vidée d ’un film-poursuite qui vous est venue d'abord ?

18
Si Alfred rîite son bus, Cary, lui, fuit rater le taxi aux autres. ,

— Cela fait vingt-cinq ans que je m 'intéresse à ce problème de la poursuite cinémato­


graphique. A cette époque, j ’aî compris que le film-poursuite était très bon su r le plan
cinéma, non seulement parce que cela permettait beaucoup de mouvement, mais surtout parce
que le principe ordonnait de nombreux changements de décors naturels. Je ne sais pourquoi,
c’est comme ça ; mais, de même qu'un film, en préparation, dans la caméra* ou dans la
cabine du projectionniste, doit tourner rond, de même je pense que l ’histoire doit tourner
rond, elle aussi. C ’est une association d’idées assez folle, peut-être bien. En fait, quand
j'ai affaire à une histoire de poursuite, la première chose que. je me dis, c ’est : « Dans
quelle direction allons-nous ? »

Exemple : en 1936, j ’ai adapté h Ashenden » de Somerset Maugham. Maugham, vous


connaissez ? II était espion à Genève pendant la prem ière guerre mondiale. Il écrivit
t< Ashenden » et îe situa en Suisse. Je me dis : puisque ça se passe en Suisse > voyons un
peu ce q u ’ils ont en Suisse. Ça serait intéressant à montrer. Ils ont le chocolat au lait, ils
ont les lacs, ils ont les Alpes, ils ont leurs danses, certaines danses suisses tout à fait spé­
ciales. Je crois que c ’est une obligation dans un film, lorsque vous le faites se dérouler dans
un décor bien particulier, de vous en servir d ’une façon dramatique. C ’est-à-dire, lorsqu’il
y a mouvement, il faut se demander q u ’est-ce qui, dans ce décor particulier, va dans le
sens de ce mouvement. S ’il y a des scènes de mouvement dans un site précis, il ne faudra
pas m ontrer ce site simplement pour faire de la belle photo, il faudra s ’en servir d’une façon
d ram atiq u e..

Exemple, dans ce film, Secret Agent, le spectateur sait q u ’un homme a l ’intention de
tuer un autre homme. Sur un champ de bataille, on tue des gens, mais on ne sait pas qui

19
on tue. Si l ’on vous dit : « Vous, vous allez le tuer, lui, ce type-là », c'est contre la loi de
la guerre. Dans mon film, où se déroule cette scène très importante ? En Suisse. Le h éro s,
John.Gielgud, à qui se pose ce cas de conscience, monte sur la montagne en compagnie de
l ’homme de main, Peter Lorre, et de celui qui doit être tué, Percy Marmon. A un certain
moment, Gielgud prend peur. Il ne veut plus monter. Il reste à l ’observatoire et reg arae
à travers le télescope les deux autres qui continuent à monter. Ainsi je me sers du décor d es
Alpes de façon dramatique. Dans son télescope, il voit très bien les deux hommes, qui so n t
déjà très loin. Il leur crie : « Prenez garde ! » Ça ne sert à rien bien sûr, puisque, s ’ils sont
près dans le téle sc o p e , ils ne sont pas près dans la réalité et ne peuvent l’entendre.

De même, dans N orth By Northwest, il y a usage dramatique d ’un décor particulier les
deux fois où Cary G rant réussit à prendre la fuite. D’abord, lorsqu’à Chicago, il échappe
à la. police, habillé en porteur en red-cap. Les porteurs en red-cap sont une des particularités
de Chicago. Ensuite, lorsque dans la scène de la vente aux enchères, il réussit à échapper
à Mason. Il fait tout un foin pour faire venir la police. Il se sert donc du décor de la vente aux
e n c h è re s /C e genre dé scène est très difficile à trouver. C ’est deux fois plus difficile q u ’u n e
histoire ordinaire, c ’est très différent. On peut dire tout 3e temps : « Je veux avoir des choses
comme-ci, comme-ça. » Le scénariste vous répond : « Pas possible. » Alors, moi, je lui
dit.:' « Il jaut que cela soit dans le film . « ^
: Ce thème de la poursuite me donne l ’occasion de développer des idées, originales, mais
je dois m ’imposer des règles de construction très strictes.
: . v

Cary Grant et Eva-Marie Saint. Entre eux, l’on peut distinguer au microscope la troisième
clé d!Hitchcock.

20
Le parfait ménage à trois.

P a s u n e tr a n c h e de vie, u n e tr a n c h e d e g â t e a u ,

— L e générique et le premier plan de vos film s ont toujours une très grande importance.
Ainsi dans N orth By Northwest.,,

— Les dessins forment une véritable architecture. J ’ai d ’abord tourné les plans à New
York, et ceux-ci ont inspiré le générique de Saul Bass. Il a fait les dessins qui s ’accordaient
exactement avec l ’image. Quant au prem ier plan de mes films, il est important pour moi.
La plupart du temps, U sert à mettre dans l ’ambiance. Je ne sais pas toutefois s ’il est bon
d’avoir un plan très important au début. C ar souvent au cinéma, les gens bavardent encore
à la fin de la première bobine. Ils s ’asseoient ou finissent leurs cacahouètes. II est bon, si
possible de surprendre le spectateur. II faut lutter à notre manière contre les bavardages
et les gens qui mettent cinq minutes à s ’asseoir. C ’est pourquoi, après le générique, îe
mets quelquefois des plans très dramatiques. Ainsi dans Vertigo. Mais remarquez que
beaucoup de bons films ont des génériques très ordinaires. Souvent, une fois le film fini,
le public a complètement oublié le début.

— Dans North By Northwest Cary Grant doit lutter sans cesse contre le monde exté­
rieur et les objets qui l'entourent et contrarient son désir.

— Pour moi, cette opposition entre les personnages et les choses est absolument fonda­
mentale, elle reflète les problèmes de l ’homme ordinaire pris dans des situations extraor­
dinaires. Le conflit est la base de tout drame. C ’est pourquoi l ’humour est si important.

21
L ’humour, c ’est la disparition de la dignité, c'est la disparition de ce qui est normal, c ’est
donc l ’anormal. Les spectateurs qui vont au cinéma mènent une vie normale. Ils vont
voir des choses extraordinaires, des cauchemars. Pour moi, le cinéma, ce n ’est pas une
tranche de vie, mais une tranche de gâteau.
L ’essentiel pour que le spectateur puisse apprécier l ’anormal à sa pleine valeur
est que cet anormal soit montré avec le réalisme le plus complet. Parce que le spectateur
sait toujours si quelque chose est vrai ou n ’est pas vrai. Si le spectateur se pose
des questions au sujet de quelques dëtaiis inexacts, il y réfléchit et s ’en inquiète. Et moi,
alors, je ne peux plus faire de suspense. C ’est très, très important, d’obtenir un vrai
suspense. Il faut que dans l ’esprit du spectateur, il ne reste absolument plus rien, sauf
le suspense.

R ie n a u m o n d e n ’e s t p lu s te r n e q u e la l o g i q u e /

— Mais, M. Hitchcock, vous dites accorder beaucoup d’importance à l’exactitude des


détails. Or, vos film s apparaissent souvent illogiques. A u début de North By Northwest,
on ne croit pas à l'aventure qui arrive à Cary Grani. Que font ses amis pendant ce tem ps ?

— Mais vous oubliez q u ’il ne disparaît de la circulation que deux ou trois heures. C ’est
Je facteur temps qui joue ici. IJ vous est bien arrive de rentrer en retard le soir, hein ?

<t Au cinéma, iJ n’y a que deux dim ensions : l’horizontale et la verticale. »

22
Invraisemblance chez H itchcock ? Si Cary Grant se rase la joue gauche, James T hornhill
se rase la joue droite.

Eh bien ) votre famille ne s ’inquiétait pas pour autant. On m ’fl aussi demandé comment, dans la
prem ière scène de Verltgo, Stewart descendait de son toit. Voilà la réponse : il est descendu
par l ’échelle de fer du building. Je n ’ai pas filmé cette scène, parce que ç ’aurait été très
ennuyeux.

L a c o n fe s s io n d 'u n M o r m o n .

— Dans North By Northw est et Strangefs On a Train, com m ent les mains du héros
peuvent-elles supporter le pression tîu pied gui les écrase ?

— Je vais vous montrer. Mettez-vous îà. Posez vos mains. Moi, je vais poser mon pied.
Mais attention, je pèse cent kilos.
Quand j ’ai à résoudre ce genre dé questions, je fais appel à une vieille maxime à moi :
rien au monde n ’est plus terne que la logique. Ma logique est une logique de Mormon. Les
Mormons, vous connaissez ? Lorsque les enfants posent des questions difficiles, on leur
répond : « Va ie faire foutre ».
Il y a quelque chose de plus important que la logique, c ’est l ’imagination. Et si l ’on
pense d’abord à la logique, on ne peut plus rien imaginer. Souvent, en travaillant avec mon

23
scénariste, je lui donne une idée. 11 répond « A h 1 Pas possible J » Mais l’idée est bonne,
bien que la logique n e soit pas bonne. La logique, on la flanque par la fenêtre !
— Puisque la logique vous semble moins importante que im agination, ceux de vos film s
fondés sur la logique sont donc moins importants pour vous ?
— Oui, moins importants, The Wrong Man en particulier. Tout dans T he Wrong Man
est vrai. C ’est le m ême Juge que dans l ’histoire réelle. Nous avons tourné dans la m êm e
prison, dans la vraie prison. Mais la construction du film ne me plaît pas. La prem ière partie
m et l ’homme en vedette, la seconde la femme. Vous laissez tomber l ’homme et après vous
dites : « Voici la fe m m e », Pour moi, ce n ’était pas bon, c’était une erreur. Le Wrong Man,
c ’est moi. Je n ’ai pas pii changer de film, puisqu’il était entièrement fondé sur la réalité.
C e fut un échec.
— Q uelle est alors la logique profonde de vos films ?
— Faire souffrir le'Spectateur.

Je ne la connais pas, cette dame.

— Excusez-moi de revenir à ce que nous disions tout à l’heure. Pourquoi, dans N orth
Byj Northwest, Mas on commence-t-il par ferm er les rideaux dans la première scène où il
rencontre Grant ?
— II se dit q u ’il se peut q u ’il ait à recourir à Ja violence. Comme ce n ’est pas sa mai­
son, il doit faire attention.
— Dans cette scène, la fausse épouse de Pdason vient chercher son mari pour recevoir des
invités. Elle ne peut chercher à dissimuler quoi que ce soit à leurs yeux, puisqu'ils n ’exis­
tent pas, dy. moins semble-t-il.
— Je n ’en sais rien. Je ne connais pas la dame en question, je n ’ai jamais eu l’occasion
de l a . rencontrer. Je ne sais ' pas pourquoi elle est venue là, pourquoi elle a dit çà.
Je n e la connais pas. Derrière un mystère, il y a toujours une explication. Mais çà, c ’est
le sujet de mon prochain film.
D ’ailleurs il y aurait un film très intéressant à faire, qui serait l ’envers de Vertigo, bien
plus intéressant qu’un film policier.
Le m eurtrier commence par chercher une fille qui ressemble à sa femme. Puis il dit à
sa femme : « Il y a une église qui a besoin d’an toit neuf. Toi qui as bon cœ ur, je voudrais
que tu ailles trouver le curé et que tu lui donnes un peu d'argent » 11 y a toujours l ’autre
face du mystère. J ’aurais pu montrer les invités qui dînaient. Mais pour tout montrer, j’aurais
dû faire un film de huit heures.
— Dans vos jilms, il y a opposition entre Vombre et la lumière. Avez-vous été influencé
par l’expérience expressionniste ou par l’œ uvre de Fritz Lang ?
— II n ’y a rien de symbolique dans North B y Northwest. Ah si ! Un. Le dernier plan.
Le train qui entre dans le tunnel après la scène d ’amour entre Grant et Eva-Marie Saint.
C ’est un symbole phallique. Mais iî ne faut le dire à personne.

Je suis O.

— Pourtant, dans Vertigo, une ombre devient religieuse.


— C ’est par pure raison dramatique. Kim Novak n ’est pas dans son état normal. Elle
croit que c ’est la morte qui revient, l’ombre de la morte, et juste après, elle se tüe. C ’est
l ’apparition de la mort qui la tue.

2 4.
Quant à l ’expressionnisme, je vous dirai que je ne subis pas d ’influences, Je ne vais
jamais au cinéma. En trente-cinq ans, je n ’ai été q u ’une fois su r un autre plateau,
lorsqu’on m ’a fait visiter les Studios Paramount. Je suis trop nerveux pour pouvoir rester
sur un plateau.

Je ne regarde jamais dans le viseur. Je prends un crayon, et je dessine le plan suivant


pour le chef-opérateur lorsqu’il y a une difficulté. Mon film est terminé avant le tournage.
C ’est pourquoi j ’ai mis un an à écrire North B y N orthwest. Si je vais aux rushes après, c ’est
pour voir si les cheveux et le visage d ’Eva-Marie Saint sont comme il faut. Je sais tout.
— Quand vous imaginez une scène, quel est pour vous l'élém ent primordial ?

— Son importance quant au tout. C ’est u n morceau du tout. Non seulem ent le dialogue,
le jeu, mais également le but de la scène, tout doit servir, la couleur, l ’atmosphère, tout. Par
exemple, dans la scène de l ’O .N .U ., j ’ai voulu rendre l ’atmosphère de rien. Comme dans
I^Inconnu du Nord-Express, /a scène où l ’on aperçoit la silhouette de W alker contre le
monument. Ce sont là des scène's qui n ’ont rien du cliché. 11 faut toujours avoir des
décors très forts sur le plan visuel.
— Quelles sont les lignes qui prédominent dans la composition ?
— L'horizontale et la verticale. Au cinéma, il n ’y a que deux dimensions. La profon­
deur du champ ne compte pour rien. Sinon, pour l ’illusion du moment. Tout est rond pour
moi, c ’est question de tempérament. J ’ai le tempéram ent rond. Je suis O. D 'autres sont I.

. Premier acte : la supercherie.

25
— Chez vous, la figure la mieux ressentie sem ble être la spirale, le serpentin ?
— C ’est pour éviter le cliché. Dans Vertigo, Stewart embrasse ISovak juste avant qu’elle
ne m eure, dans l'écurie. Le cliché, ç ’aurait été de faire des gros plans. C ’est le traitement
objectif de la scène : par son jeu, on voit qu’il em brasse. Ça n ’est pas bon. C ’est démode.
On doit ressentir le moment, non pas voir la scène. Aussi ai-je fait ce mouvement tournant.
Le sentiment que la caméra semble ressentir correspond au baiser. De cette façon, je perm ets
au spectateur de s ’introduire' dans la scène pour faire un ménage à trois. Je ne change
jamais de plan dans 'u n e scène d ’amour. Il ne faut pas q u ’il y ait d ’interruption, parce
que dans la réalité il n ’y a pas d’interruption. Tout ce que peut faire l ’homme, c ’est regarder
les yeux de la fine. Pendant ce temps, sa main gauche est occupée ailleurs. Le plan unique
permet de-préserver le bon goût.
— Dans la scène d'amour du train de North By Northwest, /a caméra va de l'extérieur
à l'intérieur du - train et donne ainsi une impression de m ouvem ent, de glissement.

— Comme cela, les spectateurs n ’oublient pas qu’ils sont dans un train. Le cliché,
ç ’aurait été de faire deux plans séparés, avec un deuxième plan où l ’on voit le train passer.
On aurait cru qu’ils restaient là à regarder passer le train. Et c ’est beaucoup trop statique.

J ’ai dû tout tourner dans un vrai train, à l ’heure réelle où se déroulait l ’action. Sur le ’
convoi, on avait installé une plateforme avec la caméra.

— 7ous n ’employez plus le « Five Minute Take ». N 'étiez-vous donc pas satisfait des
résultats ?

— Dans Under Capricom, cela ne convenait pas au sujet. Dans Rope, comme le sujet
était hors de l ’ordinaire, il fallait également une technique hors de l ’ordinaire. Le film
commence à 19 h. 30 et finit vers 21 heures. J ’ai voulu que la technique rende l ’écoulement
du temps.
— Le décor de Rope était un décor en longueur. Pourquoi pas un décor en angle droit ?

— Vous n ’avez pas la perspective. Il faut avoir la perspective* qui permet de découvrir
d ’autres pièces. Et c ’est plus conforme à la réalité.

C ’est le travail technique le plus réussi que j’ai fait, mais c ’est aussi le plus sous-
estimé. Le changement des éclairages était si bien fait que personne ne l ’a rem arqué. Le
film commence en plein jour et s ’achève dans la nuit noire. Il n ’y a pas de transparence, de
truquage.

Enfin l’homme créa le zoom.

— Les variations d’objectifs sont-elles utilisées À des fins dramatiques dans vos film s ?

— Je me sers quelquefois du grand angulaire, qui me donne une perspective très vaste.
Le raffinement technique de Vertigo qui obtint le plus de succès fut celui qui rendait si
bien la sensation du vertige. Cela fait vingt ans que j’essaie de rendre cette sensation à
l ’écran. Personne n ’y a jamais réussi. J ’avais essayé en 39 avec Rebecca. Joan Fontaine
commence à s ’évanouir, et tout devient flou. Ce n ’était pas bon, ce n ’était pas çà que
je voulais. J'aurais voulu rendre l'impression q u ’elle avait, m ontrer la pièce dans laquelle
elle était s ’éloigner d ’elle. Très loin, très loin, comme quand vous êtes saoul.

C e qui m ’intéresse surtout, c’est le changement de perspective à l ’intérieur du plan.


Commencer par la vision normale, finir sur la vision anormale. On a essayé, mais on n ’a pas
réussi encore, parce que l ’image donne l ’impression de bouger. C e n ’était pas possible.
Lorsqu’on regarde un mur, le mur reste comme il est. If ne peut devenir plus grand, ou
plus petit. C ’est là la raison de cet échec.

26
Deuxième acte : le retour de manivelle.

Et enfin, vint le zoom (1), qui a été mis au point il y a quelques mois. Vous utilisez
la dolly (2) avec le zoom. Voilà comment vous pouvez obtenir votre effet. C 'e st très com­
pliqué. La variation d ’objectifs dans un mouvement d ’appareil, grâce au zoom, donne des
effets dramatiques exceptionnels.

Tenez, pour vous m ontrer combien ils sont en retard dans les studios. Gela va vous
faire rire. Ils ne réfléchissent jamais dans les laboratoires. J ’ai dem.andé au département
trucages de la Param ount : « Ça va me coûter combien, cet effet ? » Ils m ’ont répondu :
(t Vingt-cinq millions. » J ’ai pensé : « Ça ne m ’est pas possible de dépenser tant. Avec
une dolly je peux faire ça tout seul. » Je leur ai dit : « You, idiot ! » 11 n ’y a personne
dans le plan, rien q u ’une figurine, et je leu? ai montré comment on faisait. Ça ne m ’a coûté
que neuf millions.
La scène de l ’O .N .U ., dans North B y N orthw est, a un effet très dramatique. Cary
Grant a un couteau à la main, le photographe prend un cliché de lui, et ensuite, on le voit
courir dans le jardin du building. On a l ’impression que le monde entier est ligué contre
sa minuscule silhouette.

Dans Vertigo aussi, la chute pendant le cauchemar faisait un effet très dramatique.
Elle définissait la dépression mentale de Stewart. C ’est vraiment le désir de revenir vers
la mort. II descend tout droit vers sa tombe.

(1) O b je ctif à fo y er va ria b le .


(2) P e tite gru e.

27
Les putains sur le pavé.

< — Fous deviez tourner No Bail For the Judge..


— Oui. Maïs c ’était l ’histoire de la prostitution dans les rues de Londres. Et maintenant,
il faut que nous récrivions tout le scéiiario, parce q u ’il est désormais interdit aux putains
Ûe faire le trottoir à Londres.
— Mais vous pourriez tourner dans d ’autres villes, oh îesv prostituées abondent su r le
trottoir, à Paris, à Madrid, à Moscou.
— Oui, mais je n e pourrais plus garder le personnage du juge. Un juge anglais, vous
savez, c ’est unique au monde. C ’est un personnage tout à fait spécial.

Une histoire pleine de charme et de sang.

— Alors, quel sera votre prochain film ?

~ P s y c h o . P .S .Y .C .H .O .

Avec Anthony Perkins, Janet Leigh et Vera Miles. Je veux leur faire tenir à. toutes deux
le rôlfe de jeunes filles am éricaines moyennes, très normales, très ordinaires. C ’est l ’histoire
d’un jeune homme qui dirige un motel. Vous savez ce que c ’est qu’un motel. ? Il vit avec
sa vieille mère dans une vieille maison derrière le motel, bâtie dans le style gothique
comme les maisons démodées de Vertigo. Et sa vieille mère est une maniaque du m eurtre.
Mais il l ’aime tant qu’il la cache dans une chambre et se refuse toujours à la dénoncer à
lâ police. C ’est un film d ’horreur.
— Mais M . H itchcock, votre conception de la vie sem ble très pessimiste. Dans vos
films, les méchants sont toujours plus intéressants, plus fascinants que tes bons.

— C 'est vrai. Le m échant est toujours beaucoup plus intéressant. C ’est com me çà
dans la vie. C ’est la réalité, c ’est la logique,
Psycho ne sera pas une superproduction, ce sera en tout cas un film très étrange. Je
raïs le tourner à Hollywood. Je fais construire la maison et le motel dans les vastes et vieux
studios de l ’Universal. C e sera plus facile à tourner comme cela,

Ce sera un film plein de charme et de sang. 11 y aura beaucoup, beaucoup de sang.


SauJ Bass m ’aidera pour la composition de certains éclairages.

— B ien sûr, Robert B urks sera votre chef-opérateur ?

— Non. Ce sera Jack Russel, spécialiste de la Télévision et du noir-et-blanc. Il est


très bon (t). Quand j’ai pris Burks avec moi, il n ’était q u ’un honnête chef-opérateur de la
Warner. Mais je lui ai appris à changer sa manière* à prendre beaucoup de soin. Alors
maintenant, il a une réputation à défendre, et il fait très attention. Trop : il est trè s lent,
c’est là le gros problème.

Je préfère employer un opérateur de télévision parce q u ’ils savent travailler très vite
là-bas. Et j‘e veux! tourner très vite : je ne veux pas faire un film cher, parce que, en
toute objectivité, je ne sais pas du tout si ce sera un succès. C ’est très, très en dehors du
commun.

{Propos recueillis au magnétophone par J e a n D o m a r c h i et J e a n D o u c h e t .)

(1) Si boit m êm e q u ’on lui doit tes m o u v e m e n ts d’appareil du Park R ow de F u lle r , qui
c o m p te n t p a rm i les p lu s b e a u x de n o tre te m p s .

28
Franklin et Roosevelt sont les seuls spectateurs indifférents à l'ndniirable finale de North
by N orthw est.

29
Cary Grant et Brigitte Auber dans To Catch a Thîef.

LA TROISIÈME CLÉ D’HITCHCOCK


II
par Jean Douchet
\

Toutes les explications que l'on a données de l'œ uvre d'Hitchcock (transfert de
culpabilité, secret, échange, aveu, etc.L ressortissent aux deux premiers ordres tels
que je les ai définis dans mon article précédent (1) : le logique et le psychologique.
Mais elles n e constituent qu'un prem ier stade. Chabrol et Rohmer, dans leur livre (2),
se tiennent le plus souvent à elles. Et pourtant, dans l'analyse qu'ils y ont faite de
Stiangeis on a Train, par le fait même de se référer directement au platonisme, à
la figure et au nombre, ils reconnaissent qu'il faudrait appliquer à Hitchcock, les
grilles nécessaires à éclaircir l'œ uvre de tant de poètes ésotériques. Rien d'étonnant

(1) Cf. C ah iers du Cinéma, N® 99.


(2) Hitchc ock, p a r Eric Rohm er et C laude C h abro l (E ditio n s U n iv e rs ita ire s) .

30
à cela : la rencontre était obligatoire. En expliquant la mise en scène, ils révélaient
nécessairem ent que, dans un inonde où tout est signe, le plus apparent recèle
le plus caché. C'est dans ce qu'Hitchcock donne à voir, dans ce que sa mise en
scène a de plus évident, que se dissimule l'ordre occulte.
D'où le soin jaloux avec lequel ce cinéaste capte le monde perceptible des
apparences, celui dans lequel nous vivons. Le quotidien est, en effet, la base même
de toute son œ uvre. Impossible d'y pénétrer sans s'y référer constamment. Aussi,
Hitchcock, l'entoure-t-il de mille soins. Loin de le fabriquer artificiellement à grand
coup de « salopage » (1) derrière les hauts murs d'un bordel, d'une école ou d'une
clinique, à la façon d'un Clouzot, Hitchcock aim e à le peindre de mille touches fami­
lières, voire souvent familiales. Pas un geste que l'on ne reconnaisse immédiatement,
p as une situation qui ne soit rendue plausible, pas un lieu qui n'existe réellement.
Comme tous les grands cinéastes, Hitchcock se veut d'abord documentariste. Sa
cam éra est un regard qu'il pose sur la réalité et, cette réalité, il la découvre triple.
Le quotidien sert à la fois de référence et de base, d'où la nécessité d é le saisir
d ans son maximum de vérité. C'est à partir de la famille de Siiadow of a Doubf, de
la vie des locataires de Bear Window, du train-train journalier de The W rong Man,
etc., et p ar rapport à eux que sont issus les suspenses d'Hitchcock.

Le fa n ta stiq u e ou le Mondé du Désir.

« Je hais Je morne quotidien », dit Charlie (Teresa. Wright) à son père dans
Sizadow of a Doubt, et de se précipiter vers la poste pour télégraphier à Oncle
Charlie d e venir. Mais devançant son appel, Oncle Charlie (Joseph Cotten) réalise
déjà son vœu. Il fonce vers elle dans le train. Transmission de pensée, dira-t-on.
Soit, Mais, plus exactement, souhait à peine formulé qu'il est déjà exaucé. Le fan­
tastique, car c'est bien lui que désire Charlie, est chez Hitchcock comme l'incar­
nation, la cristallisation dans le Monde Physique, du M onde du Désir cher aux occul­
tistes. Tout se passe, en effet, comme si, à une grande distance de Charlie, la forme
de son désir (Oncle Charlie, dans sa chambre} attend, pour surgir dans l'univers quo­
tidien de notre héroïne, que celle-ci l'éprouve intensément. Il s'établit alors comme
un courant entre les deux mondes. Cette forme, anim ée désorm ais de la force même
de son désir (Oncle Charlie, dans sa chambre) attend, pour surgir dans l'univers quo-
Monde {La cham bre d'O ncle Charlie est plongée dans l'ombre, grâce aux volets bais­
sés) surgit alors dans l'univers de Charlie et de sa famille, et, comme un choc en
retour qu'elle a déclenché, va se développer tout le long du film avec une puissance
de plus en plus terrifiante.
Le déferlement de la forme-force du désir, passant de son Monde à celui de la
vie ordinaire, on peut l'im aginer, d'une façon encore plus précise. Que le lecteur-
spectateur pense à Sfrangers on a Train. Qu'il se souvienne d e ce roulement du train
dont le vacarm e naît des profondeurs, s'am plifie monstrueusement et couvre la voix
de Guy (Farley Granger) obligé de hurler au téléphone « Je veux l'étrangler », c'est-
à-dire d'exprimer, de projeter avec d'autant plus de force que le bruit est plus infer­
nal, son désir de tuer sa femme. C'est la même idée que celle de Shadow of a Doubt
(le télégramm e, puis Oncle Charlie dans le train, m asqué p ar un rideau noir, signe
de son origine ténébreuse) m ais auditive, donc synthétique, au lieu d'être visuelle
et fragmentée.

Les panneaux de 1 Confess.


Dans l'œ uvre d'Hitchcock, le fantastique ou Monde du Désir semble, comme un
miroir, refléter ce qui se passe dans le monde du quotidien. Aussi lorsque s'incarne

(3) Cf. Le P r e m i e r S p e c ta te u r , p a r Michel C o u rn o t (N .R .F .).

31
la forme du désir, se présente-t-elle toujours, d'une m anière inversée par rapport à
ceux qui l'ont suscitée. Oncle Charlie, puisqu'il nous est montré en premier, est vu
sur son lit, habillé, pensif, la tête à la droite de l'écran. Charlie, sur son lit, habillée,
pensive, est prise selon le même angle et le même cadrage, mais dans la position
inverse : la tête est à gauche de l'écran. Souvenons-nous du couple Stewart-Kelly
qui trouve son pendant dans le couple de l'autre côté de la cour, celui-là même dont
le m ari exécute réellement le désir d e se débarrasser de sa femme, laquelle, immo­
bilisée comme notre héros, est dans la position inverse. Rappelons aussi les maillots
à rayures de To Catch a Thief, etc. Inutile de revenir sur ces inversions visuelles.
Comme celles des situations, des attitudes chez les doubles, elles ont été suffisam­
ment démontrées. Il importe seulement de retenir, que, si pour Hitchcock, confor­
mément en cela à la théorie ésotérïque, le Monde du Désir est un miroir, tout ce qui
dans ses films est miroir, glace, vitre, et p ar extension lunettes et appareils d'optique
est signe de ce Monde et des forces cosmiques qui le dominent, comme nous le
verrons plus avant.
De la même façon qu'il en inverse les formes, ce Monde inverse la force du
désir ou plus exactement le sens et la direction de cette force. En souhaitant le
fantastique, Charlie espère du merveilleux, elle ne reçoit que cauchem ar et terreur.
Hitchcock aime à réaliser lés vœ ux de ses héros à la m anière de la fée C arabosse,
en les retournant. (Peut-être même est-ce là le secret de son humour, perpétuelle­
ment relevé d'une pointe d e sadisme). Dans The ftope, Stewart découvre, horrifié,
que Ja mise en pratique de s a théorie philosophique aboutit à l'envers de ce qu'il
professait. Robbie the Cat (Cary Grant) dans To Catch a Thiei se paye des vacances
perpétuelles ; or les vacances sont la jouissance du présent grâce au passé. Son

Grâce Kelly et Jam es Stew art dans Rcar Window.

32
M m e K o n s ta n tin , In g rid B e r g m a n e t C la u d e R a in s d a n s Notorioiis.

passé reprend, donc corps et, devenant son présent, perturbe ses vacances. Balastrero
(Henry Fonda), The W rong Man, en jouant aux courses, compte sur le hasard pour
améliorer le sort de sa famille. Le h a sa rd répond à son attente par une suite stupé­
fiante de coïncidences qui bouleversent et dévastent s a vie familiale. Dans l'univers
d'Hitchcock celui du suspense, où règne l'instabilité fondamentale, c'est bien le
moins que Balastrero provoque la catastrophe à partir d'une assurance sur la vie.
Maïs inutile d'allonger les exemples. Il n'est p as un seul film qui échappe à cette
inversion du sens et de la direction de la force du désir. C'est une nécessité occulte
impérieuse, comme sont impérieux ces panneaux « direction » et ces flèches qui
scandent la scène d'ouverture de I Confess.

Vers 1’extra ordinaire.

L'inversion parent être l'une des principales constantes de l'im agination


d'Hitchcock. A chaque film il aime en faire succéder un autre qui en semble le
contraire. Mais surtout nous assistons depuis peu à un renversem ent complet des
rapports qui régissaient jusqu'alors son œuvre, entre le quotidien et le fantastique.
C'est avec iïear W indow qu'apparaît celte nouvelle tendance qui l'em portera défi­
nitivement à partir de The W rong Man. Auparavant, le désir précis et particulier
du héros était projeté violemment sur le Monde du Désir qui le renvoyait dans le
monde physique sous une forme hum aine, laquelle conservait la force occulte qui
l'animait dans son univers. Cette force-forme exerçait alors une emprise matérielle
et contraignante sur le héros. D'où le caractère nécessairement solitaire de sa lutte,
d'autant plus cruelle et humainem ent sans issue que c'est contre lui-même qu'il com­
battait. Là se trouve la raison profonde du se c re t dans l'ordre psychologique, et du

33
chantage dans l'ordre logique. Grâce à eux le fantastique s'introduit par le biais
d'une différenciation progressive, s'établissant entre l'univers quotidien qui continue
à entourer le héros et l'aventure personnelle et implacable qu'il vit.
Désormais le héros n 'a plus à se battre contre l'incarnation d'un désir, mais à
se débattre contre la concrétisation, dans le Monde du Désir, des pensées qui moti­
vent ses actes. Aussi Hitchchock le saisit-il dans la plénitude de son comportement
quotidien. Balastrero, Scottie (Veziigo), Thornhill (Noith By_ Northwest) sont soudain
environnés par leur monde imaginaire, par leur propre phantasm e. Ils quittent leur
rivage familier pour s'em barquer vers un monde de formes mouvantes, fuyantes,
quasiment immatérielles, sitôt dissipées dès qu'ils pensent les saisir. Bref, ils pénè­
trent dans ce qui est la nature même du Monde du Désir. Le fantastique, à la façon
d'O ncle Charlie, de Bruno (Sfrangers on a Train), de Keller (î ConfessJ, etc., ne
s'infiltre plus dans l'univers de la vie ordinaire. Désormais le héros part vers
l'extraordinaire. Son univers quotidien ne l'entoure plus, tout le tem ps que dure
l'épreuve. Il se gonfle, dans les films récents aux dimensions du fantastique.

Pérégrinations d ’un publiciste.

Que l'on regarde Noith By Northwest. Ce qui advient à Roger Thornhill (Cary
Grant), son héros, n'est que l'actualisation de son attitude générale. Sa course contre
la montre se transforme en course contre la mort. Sa façon de chiper un taxi,
grâce à un faux prétexte, le m ène droit au danger et cette action m alhonnête va
le contraindre tout le long de son aventure fantastique à sauter de véhicule en véhi­
cule (train, car, auto, avion) qui le rapproche davantage encore du danger. Il doit

James Stewart dans The Man IVho Knew Toc Mu ch.

34
K im N o v a k d a n s Vertigo.

se rendre au théâtre, son désir se trouve contrarié et le voilà changé, m algré lui, en
acteur. « Considérez cette salle comme une scène de théâtre » lui dit Vandamn
(James Mason), et de lui reprocher très souvent, au cours du film, d'être m auvais
comédien, jusqu'au moment où Eve Kendall (Eve Marie Saint) le félicite pour sa
rem arquable interprétation de sa fausse mort, après le premier coup de revolver à
blanc.
Mais surtout Thornhill est publiciste. Comme il le dit lui-même : « En matière de
publicité, il n y a pas de mensonges : à peine de l'exagération. » Cette m anière
désinvolte de considérer son métier se répercute sur son attitude générale. Sa vie
n'est peuplée que de petits mensonges (le taxi, la boîte de chocolat pour une petite
amie) et surtout de mince exagération (dicter son courrier jusque dans la rue ; impor­
tance excessive accordée à un coup de téléphone de s a mère, alors qu'il a un ren-
dez-vous d'affaire sérieux). Aussi va-t-il être m étam orphosé p a r une opération Garap,
puisqu'il incarne un produit fictif, en objet de publicité. L'opération réussira a u point
de faire de notre héros la vedette bien involontaire qui occupe les prem ières pages
des journaux et les émissions de radio* Aussi n e rencontrera-t-il dans son aventure
que ce qui constitue la nature d e sa publicité : le mensonge (la*villa Townsend,
Eve Kendall, la scène du revolver, etc.), et l'exagération dans les événements comme
dans les lieux {l'O.N.U., scènes du train, de l'avion, des Monts Rushmore). Cette
exagération affecte jusqu'aux formes qui l'environnent, et cela dans un sens (les
sculptures gigantesques du Mont Rushmore) ou dans l'autre (le minuscule et ridicule
rasoir avec lequel Thomhill se rase à la gare de Chicago).

L’indifférence» l’agitation e t la folie.

M ais pourquoi cette aventure fantastique arrive-t-elle à Thornhill ? Exactement


pour la même raison que pour Scottie dans Verfigo. L'un et l'autre ont une conduite
d'indifférence. Celle de Scottie est plus dangereuse, parce que volontaire et délibérée.
Scottie repousse l'action qui est à la source d e toute morale, laquelle se développe

35
et s'épanouit dans le Monde du Désir. Aussi rencontrera-t-il, sous sa forme absolue,
le désir pur, car c'est bien ainsi qu'au restaurant se présente à lui M adeleine dont
la blondeur se détache sur le fond cramoisi qui, comme une braise que l'on attise,
vire insensiblement au rouge vif puis retombe lentement dans sa couleur initiale.
Dans la vie, Roger Thornhill, lui, caricature l'action i il s'agite. Enfant g âté e t
inconscient, Thornhill ne s'attache pas, ne s'intéresse à rien, m ais fait sem blant. H
s'abuse. Spectateur de sa propre vie, le sentiment d'intérêt — celui même de sauver
s a vie — v a l'obliger à devenir acteur et à pénétrer dans le Monde du Désir,
L'agitation de Thornhill, si elle n'est pas exactement d e l'indifférence, aboutit
en fait à celle-ci. Elle est succession d'infimes besoins, de minuscules désirs qui,
n'ay ant pas le temps de se développer, se chassent et s'annïhilent les uns les autres.
Tout devient égal, plus rien ne possède de véritable valeur. Seule compte la d e r­
nière excitation. Incapacité à se fixer, l'agitation détruit l'idée même d'existence.
Caractéristique de la vie moderne (ce qu'indiquent les sept ou huit premiers p lans
du film), n'en trouve-t-on pas l'origine dans la publicité, base de la société contem ­
poraine, source m êm e de son activité, laquelle publicité se veut, par définition, cré a ­
tion perpétuelle et incessante de nouveaux besoins et de nouveaux désirs. Dans cette
m agistrale exposition des dix premières minutes, où rien ne se p asse qui ne trouvera
sa répercussion ultérieure, Hitchcock dénonce à la fois la cause (la publicité) et
l'effet (l'agitation) de la folie de notre univers quotidien.
Ce terme de folie, tout nous incite à le prononcer. Parce que, d'abord, son signe
le plus apparent en est justement l'agitation. M ais aussi que l'aventure fantastique
qui va suivre, paraîtra folle aux personnages (la mère, les policiers, l'avocat), comme
aux spectateurs, alors q u 'à la réflexion elle se révèle initiation à la sagesse. Et le
tout premier plan du film, ne propose-t-il pas, entre autres, cette idée de folie ? Le
building de verre inverse et brise en multiplès facettes l'im age de l'agitation d e la
ville, de la même façon que le miroir brisé par Vera Miles, au moment de s a crise
de folie dans The W rong Mcrn, reflète son visage en mille éclats épars. Il s'ag it
bien en effet de folie, non plus physique et psychologique cette fois, mais m orale,
de l'apprenti sorcier qui met en mouvement des effets qui se développent au point
de se retourner contre lui, de l'envahir et de le dominer. S'il peut apparaître incons­
cient, mais serin d'esprii dans le quotidien, il est nécessairem ent fou dans le m onde
des forces qu'il déclenche sans pouvoir les contrôler.

Un produit à vendre : l’existence.

Car Thornhill ignore qu'en provoquant une multitude de désirs artificiels, il se


barre l'accès aux grands courants sous-jacents des deux forces qui anim ent ce
Monde, la force d'Attraction et la force de Répulsion. Or, c'est en pénétrant d a n s
les profondeurs d e ce courant que l'existence puise sa substance et ses forces vives.
Sinon elle se réduit et n'être qu'une simple surface, cette surface vaine et sa n s
signification qui, depuis le tout prem ier plan, est le leitmotiv plastique et géom é­
trique du film. Couper l'homme du Monde du Désir, l'emprisonner dans une cara p a c e
d'indifférence, c'est le priver à jam ais de sa raison d'être, lui supprimer toute
nécessité et c'est le plus pernicieux, m ais Iè plus sûr moyen pour le Mal de triompher.
Tout film d'Hitchcock ne l'oublions pas, met en scène un mode, à chaque fois nou­
veau, inventé p a r les Ténèbres pour, en détruisant l'homme, vaincre la Lumière et
désintégrer le Cosmos.
Si l'on disait à Thornhill, type exemplaire de l'homme moyen moderne, que son
amoralisme bon enfant oblige, pour sauver l'ordre cosmique, non plus l'intervention
d'une force lumineuse, m ais bien celle de la puissance divine, cela lui sem blerait
hautem ent risible. On rit beaucoup à North By Northwest, film prétendu m ineur et
sans ambition. Et pourtant, en devenant Kaplan, personnage fictif que lé chef

36
du contre-espionnage qui ne se nomme jam ais (« Je n'ai pas entendu votre nom »,
lui dit Thornhill-Kaplan à l'aéroport. « Je n e l'ai jamais prononcé », lui répond-il), qui
porte lunettes et aime la perfection (« Tout ce qui est pariait m'inquiète », dit le bras
droit de Vandamm à celui-ci et, quelque temps après, Vandamm, s'adressant à la
cam éra qui effectue un travelling vertical, lance comme un défi « Comme nos amis,
j'aime aussi la perfection »), que le chef du contre-espionnage donc, définit en ces
termes « Nous l'avons créé, parce qu'il est nécessaire à nos plans », notre héros va
apprendre à ses dépens le rôle assigné à l'homme depuis son origine, et qu'il est
chargé derechef d'interpréter.
Une opération qui force à franchir le mur de l’indifférence pour désirer est
typiquement publicitaire. L'intervention qui sauvera Thornhill ressortit, elle aussi, à
la publicité à laquelle elle restitue, du même coup, la noblesse fondam entale de sa
mission qui est d'imposer l'existence d'un produit, et de sa fonction qui est de
provoquer l'action p ar rapport à ce produit. Si cette intervention est réellement
d'origine divine, elle ne peut lancer que ce qui constitue l'essence même du produit :
l'existence. En assum ant l'existence de l'idée Kaplan, en devenant le produit en soi,
Thornhill se trouve soudain plongé au centre d'une triple nécessité. Par rapport au
chef du contre-espionnage, ou Dieu si l'on préfère, qui ne pourrait achever son plan
sans la réalité de l'existence. Par rapport à Vandamm, personnage luciférien, qui
doit exercer contre elle sa force de Répulsion, sa volonté destructrice, pour l'emporter
sur l'Autre. Par rapport à Thornhill, enfin, c'est-à-dire l'homme, qui principal usager
du produit v a découvrir la lutte perpétuelle dont est l'enjeu l'existence, donc son
existence — aussi son aventure est-elle un suspense dans toute son am pleur —
et apprendre ainsi à en apprécier et la qualité et la valeur.

Jean DOUCHET.

H en ri F o n d a d a n s T h e W ro n g Mail.

37
BILLET LOND ON IEN

par Michel Mourlet

Puisqu’il y a décidément très peu de pel­ Et puisque nous parlons de Walsh, men­
licule tolérable à Paris, de temps eu temps tionnons deux de sss films qui sont loin de
nous partons pour Londres voir des films. compter parmi les plus grands (ceux-là se
Grâce à l'amabilité des maisons de distribution nomment Pursued, Colorado Terriiory, Distant
et des chaînes de télévision, et aussi à d'heu­ Drums...), mais ne sont pas pour autant dé­
reux hasards, nous venons, quelques amis et pourvus d'intérêt : The Roaring Twenlies (2)
moi, de passer une dizaine de jours assez et Dark Command (3). Le premier nous donne
fructueux à chasser le chef-d'œuvre su t les l'occasion de comparer W alsh et Hawks grâce
bords de la Tamise. Bilan : une vingtaine de à la présence d'Humphrey Bogart, dans un
titres, cinq ou six auteurs parmi les sept ou rôle encore secondaire, lequel Bogart efface
huit que noire éclectisme débordant nous per­ aisément lames Cagney lorsqu'ils se ren­
met encore de dénombrer. Samuel Fuller fut contrent sur l'écran. Bcgart chez Hawks est
la grande déception de ce voyage. Forty Guns, plus une idée qu'un homme, c'est le schéma
un de ses derniers films, et qui a peu de intellectuel de Bogart parcourant une trajec­
chances de sortir en France, précise le carac­ toire établie à l’avance et qui doit nous
tère truqué, artificiel de s a mise en scène, combler de la rectitude de ce parcours. La
tant p a r le découpage que par les mouvements sécheresse de l'épure laisse à penser que le
d'appareil, et à l'intérieur même de la mise véritable domaine de H awks n e saurait être
en situation. Il est certain que Fuller se fait l'aventure ni le drame, et qu'il manifeste plus
une idée juste des pouvoirs du cinéma, mais d'aisance dans les étroites dimensions d e la
il n& parvient à la servir que par dss moyens satire. Sans doute cette parfaite adéquation,
détournés, qui cessent d'être efficaces à partir quelquefois, du découpage au déroulement des
du moment où on les reconnaît inauthentiques. gestes, si elle ne se fonde p as sur le viol de
Le naturel chez lui est synonyme d'ennui, de l'acteur mais sur une mécanisation abstraite
bavardages, d'actes ternes qui n'acquièrent de son corps, se montre-t-elle beaucoup plus
souvent de couleur qu'au stade de leur favorable aux rythmes fallacieux de la comé­
pourrissement. die qu'au surgissement et à la retombée des
Belle Ls Grand (1), d'Allan Dwan, passait périls sur l'itinéraire du héros. Chez W alsh
dans une salle de quartier. Très supérieur à l'homme s'incarne, devient riche de vie
La fem m e qui faillit être lynchée, ce film et de possible, le récit s'aère et s'assouplit,
rejoint les trois ou quatre meilleurs Dwan : le monde est présent ; et la largeur de la
Silver Lode, les Deux Rouquines ou Tennessee's vision bénéficie de cette démarche moins stric­
Pariner. Il est aisé de voir en quoi Dwan est tement intellectuelle. Quant à Dark Command,
moins important que Walsh. Son geste moins c'est un Walsh moyen où lohn W ayné traîne
ample, son espace mains ouvert, son bonheur son personnage habituel de p ay san irlandais
à fleur de peau plus facilement conquis offrent matois et lourdaud, un peu moins péniblement
cependant des réussites d'équilibre dont la que d'ordinaire parce que son metteur en scène
facilité même fait le charme. Il y a tant de a pris le parti de l'accentuer et d'en rire.
cinéastes offensants : ne dédaignons pas trop Le cinéma d'aventure nous proposa une
vite celui-là qui esf foute politesse ei amabilité. réussite exemplaire : /ivaro (4) (sorti en France

38
il y a cinq ans sous le litre : L'Appel de I'Ot), Plus alchimique apparaît celui de Preminger,
d'Edward Ludwig. Réalisateur de Sangaree, moins soumis aux circonstances brutes, plus '
avec Arlene Dhal et Fernando Lamas, nous maîtrisé et conscient de lui-même. Mark Dixon *
attendions beaucoup de Ludwig, et surtout de détective (Where the Sidswalk Ends) dont
ce film qui réunit un des plus beaux couples un accident arrivé à la copie sous-titrée em­
qu'on puisse rêver : Rhonda Fleming et ce pêcha naguère la distribution en France, nous *
même Fernando LamasI de la race de Charlton propose l'étude assez rare dans cette oeuvre}
Heston. Nous n'avons p as été déçus. Ludwig d'un personnage central masculin. Frank Sina- ’
n'est p as à proprement parler un metteur en tra, et a fortiori Gary Cooper, avaient é té !
scène, ses films sont le lieu idéal d'épanouis­ les échecs relatifs d'une démarche axée da-!
sement de certains acteurs, dans une aisance vantage su r Gene Tiemey ou/ Jean Ssberg. ■
et une liberté nourries de violence, au sein Mais Mark Dixon apporte sur Dana A ndrew s;
des jungles ou sur les eaux. La nécessité de des révélations qui, pour aller dans le même j
conditions très limitées de décors et d'êlres sens que Beyond a Reasonable Doubt, n'en ;
apparaît plus évidemment dans les films qui sont pas moins très différentes p a r leur
né les réunissent pas, tels Le Trésor des expression, et plus riches dans la mesure où
Caraïbes, sorti en France, ou Smuggler's elles sont plus impudiques par éclairs. La
Island (5) que nous avons pu voir à Londres, direction de Gene Tiemey, quelque peu incer­
avec f i e Black Scorpion (6). Evelyne Keyes taine, souffre de la primauté accordée à ,
et Jeff Chaud!er à la place de Bhonda Fleming Andrews, tant il est vrai que tout film de
et Fernando Lamas oient à Ludwig la possi­ Preminger se construit et s'ordonne autour
bilité d'un luxe charnel qui est son unique d'un personnage, souvent au détriment des
dessein. Un regard émerveillé sur l'harmonie autres, et plus exactement autour de quelques
d'un, couple, sur la beauté calme des actes moments intenses de celui-ci.
parfois brouillée p ar des monstres que dompte La ténacité d'un de nos amis nous permit
le héros, tel est l'art de Ludwig, un art qui de voir, outre Mark Dixon, un admirable film
ne sait pas changer en or le plomb vil, qui de Fritz Lang : House by fhe River, que cet
est simple contemplation de l'or. ami compte d'ailleurs faire distribuer e n ,

L o u is H n v w a rd d a n s H ouse by the R iv e r d e F ritz L ang.

39
H a rd y K ru g e r e t M ic h elin e P r e s le d a n s B îind D ate d e J o s e p h Losey.

France, ainsi que des films de Losey dont je Fast and BeautifuI (8), et Outrage (9). On dit
parlerai plus loin. Tourné trois an s après que Not W anted est le seul film d'un confrère
Secret beyond ffie Door et lui succédant immé­ qui ait jamais trouvé grâce aux yeux de loseph
diatem ent House b y the River reprend les Losey» Et en effet, malgré d'évidentes m ala­
mêmes thèmes de mise en scène, d'une façon dresses techniques, de découpage et de mise
peut-être plus serrée et plus précise encore. en place, cette direction d'acteurs attentive au
Film de terreur où le désir conduit à la stran­ détail èssentlel, éprise de sincérité, violem­
gulation, film, nocturne où le cri s e dilate à ment ouverte a u bonheur, cette architecture
la mesure du décor, l'obsession érotique ma­ cosmique des plans par rapport aux extérieurs,
jeure de Long s'y dévoile plus clairement ville ou campagne, et jusqu'à certains d'entre
qu'en aucun autre film. Secref et House eux qui évoquent M le'M audit de façon hallu­
forment une enclave singulière dans cette cinante, font des films d'Ida Lupino, nés d'uae
œuvre, l'aboutissement parfaitement achevé blessure profonde et d'une grande énergie à
d'une mise en scène qui fut en partie aban­ guérir, ce qu'il y a de plus proche actuel­
donnée par la suite au profit d'une expérience lement d e la mise en scène de Losey.
de plus grande nudité, non pas en régression Ce n'est p as u n mince éloge, si l'on se
mais en évolution vers un but différent, lequel reporte aux quatre films de celui-ci que nous
a été atteint comme on sait avec l e Tigre avons eu la chance de voir ou, pour quelques-
d'Eschnapur. Mise en scène plus sensible, plus uns d'entre nous, de revoir. D'abord Blmd
riche de possibles, il y manque le ton d'éter­ Date, son dernier, avec Micheline Presle et
nité qui s'entend pour la première fois dans H ardy Kruger, dont la sortie en France est
Beyond a Beasonable Doubt. prévue dans sept ou huit mois. Inégal, il
Hormis ces ‘découvertes prévisibles, 1er plus comporte des scènes prodigieuses, parmi les
heureuse surprise du séjour fut constituée p a r plus libres, les plus dégagées du scénario
trois films d'Ida lupino : Not w anted (7), Haid, qu'ait tournées Losey, principalement dans

40
l'ordre de l’érolisme. Il révèle un acteur re­ Lawless, The Boy with Green Hair que nous
marquable : Kruger, dont il est possible qu on avons tous vu pour la première fois et qui est
se lasse, moins à cause d'une tendance à se l'équivalent exact de la musique de Bach, une
copier soi-même que parce que Losey épuise contemplation bienheureuse de la simplicité, le
en un film toutes les ressources de l'acteur. plus b eau film de toute l'histoire du cinéma.
Ensuite A Man on the Beach, court-métrage en Chaque problème soulevé s'y résout au fur
cinémascope et couleurs dont l'intérêt n*est et à mesure dans une marche unie, une sorte
pas extrême à l'intérieur de l'œ uvre loseyenne, de grâce dans le mouvement de la mise en
encore que ce sait le seul film où la mer et le scène, à la fois très évidente et très secrète,
sable détiennent une existence réelle, une qui rend le film impossible à décrire. Qui n'est
pesanteur minérale sur l'écran. Puis The Big pas touché dès le début p a r cette grâce ne
Night, qui a peut-être donné à Long l'idée de peut se racheter p ar la suite, te film entier se
While the City SJeeps, en. traquant John passe en dehors et au-dessus de lui. Il paraît
Barrymore îr. p ar des procédés cependant que certains directeurs de salles parisiennes,
beaucoup moins glacés et irrémédiables, qui après vision du Boy, ne l'ont pas retenu dans
nous le montrent plus fragile parce qu e moins leur programmation. Peut-être Time Without
enfermé. Film nocturne celui-là aussi, comme Pity (programmé par l'AFCARE) les décidera-
The Prowler ou M, p ar une différence de t-il à réviser leur jugement.
degrés avec l'inspiration diurne, établie d'em­
blée dans la sérénité, qui a donné entre The Michel MOURLET.

(1) BELLE L E G R A N D (LA BELLE D U M O N T A N A ). R epubiic. S c . ; D .D . Beau-


cham p d ’après une histoire de P e ter B. K yne, P h _ ; Reggie L annïng, M o n t« : H arry K eller,
Mus. : Victor Young. Int. : V e ra Ralston, John Carroll, W illiam Ching, H ope E m erson, G rant
W ith eis, Stephen Chase, John Q ualen, H e n ry Morgan, 1950,
(2) T H E R O A R IN G T W E N T JE S . W arn e r. Sc. ; Jerry W ald, Richard M acaulay et Robert
Rossen d ’après une histoire de M ark Hellinger. Int. ; Jam es C agney, H u m p h re y Bogart, Pris-
cilla L ane. Pr. ; Marck H ellinger, 1939.
(3) D A R K COM M AND (L’E S C A D R O N NOIR), R epublic. Sc. : Grover Jones, Lionel
H ouser, F. H ugh H erb ert d ’après u n ro m an d e W .R . Burnett. Ph. .-Jac k Marta. Mont. : W il­
liam Morgan. Mus. ; Victor V o u n g . Int. : W alter Pidgeon, Claire T revor, Joh n W ayne, Roy
Rogers. Pr. ; Sol C. Siegel, 1940,
(4) J1V ARO (L’A P P E L D E L ’O R ). P a ïam m m t. Sc. ; David D uncan d ’après son rom an
Lost T reasu re of the A n des. P h. ; Lionel L indon en Technicolor. M ont.: H ow ard Smith. M us.:
Gregory Stone. Int. : F ern a n d o L am as, R h o n d a Flem ing, Brian Keith, R ich ard Denning, M arvin
Miller. Pr. : W illiam H. Pine et W illiam C. T h om as. 1953.
(5) SM U G G LE R 'S ISLAN D (LES P IR A T E S D E M A CA O ). Universel. Sc. : Léonard Dee
d ’après u n e histoire d e Louis M orheim et H e rb ert Margolis. Ph. : M aury G ertsm an en T ech ni­
color. Mont. : T ed J. K ent. Mus. : Joseph Gershensou. Int. ; je ff C h and ler, E velyn K.eyes,
Philip Friend, Marvin Miller, D ucky Louîe, David W olfe, Jay Novello. Pr. ; T ed R ichm ond,
1951.
(6) T H E BLA C H SC O R PIO N . T ep ey ac-W arn er Bros, Sc. : D avid D u n c a n et R obert Blees
d ’après une histoire d e P a u l Yawitz, Ph. Lionel L indon. Mont. ; R ichard V a n Enger. M u s ;
Paul Sawtell. Int. ; iR. D enning, M ara Corday, Carlos Rivas, Mario Navarro, Carlos Muzquiz,
Pascual Perra, F anny Schiller. P r. .* F ra n k Melford et Jack Dietz, 1957.
(7) N O T W A N T E D (A V A N T D E T ’A IM ER ). Réalisation signée d ’E Im er Clifton. Em erald-
Film Classics. Sc. : P a u l jairico et M elvin W ald , ad ap té p ar P . Jarrïco et Id a L upino. Ph. :
H en ry Freulich. Mont. : William. Z iegler. Mus. : Leith Stevens, Int. : Sally Forrest, K eefe
Brasselle, Léo P e n n , Dorothy A dam s, R ita L upino. P r , : Ida Lupino et A n so n Bond, 1949.
(8) H A R D , F A S T A N D BEAUT1FU L. Fîlm akers-RJK .O. Sc. : M artha W ilkerson d ’après
u n rom an de John R. T unis. P h . ; A rchie Stout. Mont. : William. Ziegler. M us. ; R o y W e b b .
Int. : Claire T revor, Sally Forrest, C arleton G. Young, R obert Clarke, K en n eth Paterson. Pr. ;
C. Young, 1951.
(9) O U T R A G E , Film akers-RJK .O . 5c, : Collier Young, Malvin W ald, Ida L upino. Ph. :
A rchie Stout. Mont. : H arvey M anger. Mus. : P a u l Sawtell. Int. ; M ala Pow ers, T o d A ndrew s,
R o bert Clarke, R ay m ond Bond, L ilian H am ik on, Jerry Paris, R ita L upino, K e n n e th Paterson.
Pr. : C. Young, 1950.

(Les films cités de Fuller, H aïolis, Preminger , Lang et Losey ont trouvé ou trouveront leur
place dans des filmographies).

41
LA PHOTO DU MOI S

Sam Fuller, e n t e n u e d e trav ail, t o u r n e V erboten H!

Après avoir jumelé Nevers à Hiroshima, Alain Resnais se trouvé aujourd'hui jum elé à
Sam Fuller. De même que Le Kimono cramoisi reprend le sujet d ’Hiroshima, mon amour, de
même Verboten / ! ! reprend le sujet de Nuit et Brouillard. Selon la critique yankee, les stock-
shots choisis par Sam Fuller font encore plus d'impression que ceux du film de Resnais,
D 'un côté, nous avons la douceur terrible de la vérité, de l’autre côté la douce terreur de la
beauté, à moins que ce ne soit le contraire. Nos deux polémistes, anticonformistes passionnés,
sont frères par leur opposition -même. A la vue de ces stock-shots, Bruno (interprété par le
regretté Tôm Pittman), un nazi allemand d’après le 8 mai 45, renie ses sympatnies et cesse
le combat contre les Américains.
Tourné en moins de quinze jours, pour une somme minime, V erb o ten !t! révèle, d ’après
les cent cinquante premiers photogiammes que nous avons pu consulter, une utilisation du
décor absolument stupéfiante, d ’autant plus stupéfiante que Fuller n ’a pas tourné un seul plan
en Allemagne et qu’il nous donne une fantastique impression de vérité, et un sens êpoustou-
flanî de l’invention, qui outrepasse même tout ce que Fuller avait pu faire auparavant. Les
plumitifs qui reprochaient à ce juif d'être politiquement fasciste et raciste, se verront obligés
d'adm ettre, après ce poème concentrationnaire qui a nom V erbo ten !!/ que Fuller est l’un
des plus grands cinéastes vivants, tout comme il leur a fallu attendre Rebel Without a Cause
pour admettre le génie de Ray.
Après la vérité sur le nazisme, la vérité sur Les Bas-fonds de Y Am érique (Underworld,
U .S.A . : un film d ’action, de sexe et de violence qui dénoncera le double jeu scandaleux des
syndicats aux U .S.A ., un film documentaire( fondé sur le livre-enquête de Joseph Francis
Dinneeen, dans lequel il n’y aura ni policier, ni nightcluh, ni bar, ni saloon.
Luc M o u lle t.

42
g q t a t io n s

• inutile de se déranger.
♦ à voir à la rigueur
** à voir
LE CONSEIL DES DIX à voir absolument
chefs-d'œuvre
Case vide : abstention ou : pas vu.

H en ri Je a n de I P ierre Jacnues Jean


T it r e ^ dbs n tm L®s D rx — *- D oniol- L o u is C laude i Jacques E ric 1 G eorges
AgeJ B a ro n celli Bra u n b e r g e r
V alcroze Douchet M a rco relles M auriac | R ivette R ohm cr I Sadoul
1 J
Le D é j e u n e r su r l ’h e r b e ( | . Renoir) . . ★ * * * * ★ * + * •k ★ ★ ★ * * * * * * j*

Le G én éral délia Roverc (R. Rossellini) ★ * * ★ ★ ★ ★ ★ ★ * * * * * ★ * ★ ★ rt ★ ★ ★ * •¥• ★


-------------------
La M o r t a u x t r o u sse s (A. H i t c h c o c k ) . . * •* * * * * ★ ★ ★ * * * ¥- ★ ★ ★ ★ * ★ ★ * * *

* ★ * * * * ★ * ★ ★ ★ ★ ★
Un T r o u d a n s la t ê t e (F. C a pra) .... • • • * ★ * ★ * ★ * ★ >f •

Des enfants, d es m ères, un Général


* * ★ ★ * ★ * * • * • ★ *

Les B o u c an iers (A. Q u in n ) .......................... * * ic ★ •


★ • * * -K * ★ *
★ * * * ★ *
Le M a ri a g e d e Figaro (j, M e y er) .... • . * * ■k ★
T u e s P ierre (Ph. A g o s tin i) .................... * * *
La Ferm e des h o m m e s b r û lé s (H.
H a t h a w a y ) ................. .. ................................ ★ * •

C a ra v a n e vers le soleil (R. Rouse) .... • ■



Rue d es Prairies D, d e la P ateilière) . . * * • • • *
• .
La J u m e n t v e r t e (C. A u t a n t - L a r a ) .... • • * « • • • *
LIS F1L1IS

V itto rio d e S ic a d a n s Le Général délia R o ver e d e R o b e r to R ossellini.

44
Dessiccation de Roberto
IL GENERALE DELLA ROVERE (LE GENERAL DE LA ROVERE). film italien
de R o b e r t o R o s s e l l i n i . Scénario : Sergio Amidei, Diego F a b b ri et In d ro M o nta-
nelli, d’après son livre. Im ages : Carlo C arlini. Musique : Renzo Rossellini. Décors :
Piero Zuffi. M ontage : Cesare C avagna. In te rp réta tio n : V ittorio de Sica, H annes
Messemer, V ittorio Caprioli, G iov anna Ralli, Anne Vernon, S an d ra Milo, Lucia
Modugno, L uciano Picozzi, H e rb e rt F ischer, M aria Greco. Production : M orris
Ergas Zébra Film (Italie), — S.N.E. G au m on t (France), 1959. D istribution : G au-
mont.

« Je crains que m on film n'obtienne la . vérité e t 'l e m ensonge, et contredi­


un grand succès, et m algré to u t, je se n t sa n s cesse no s ru dim ents de psy­
l’espère. P eut-être est-ce une erreur chologie. Au cours de leur évolution,
tactique de m a p art que de l’avoir réa­ le gosse de Germ ania, anno zéro, la
lisé ? » Lion d'or à Venise, P rix de B ergm an d'Europe 51, le Toto de
ro.C J.C J., gros succès com m ercial e n Dov’è la lïbertà ? so n t e n m êm e tem ps
F ran ce e t en Italie, divers c o n tra ts sensés et cinglés, p ath é tiq u e s et risibles,
pour plusieurs films sur la Résistance, sublimes et ridicules. Bertone, qui est
le génial R oberto a réussi son affaire comme eux u n désadapté, cherche à
on ne p e u t mieux. Pour une fois, il a découvrir un o rd re supérieur, quel
bien voulu être m alin, e t être plus qu'il soit, auquel il puisse a p p a rte n ir
m alin que tous les autres. M ais les enfin. E t la félicité lu i a p p a ra îtra
Européens so n t m oins à Taise que les d a n s cette p e rso n n alité de général, qui
A m éricains dans ces entreprises à dou­ donne u n sens à son existence fondée
ble objectif qui co n stitu e n t p récisém en t su r u n rrïensonge perpétuel. Comme
le facteu r essentiel de réussite du ci­ — X — = + , le m ensonge m ultiplié
n ém a hollywoodien. Le succès du G ene­ p a r le m ensonge ab o u tira à la vérité.
ral Délia Rovere auprès du public et E t la fin rapp elle é tra n g e m e n t la m o rt
de la critique é ta it pour Rossellini une de M arius l'épicurien, qui alla lui-m êm e
question de vie ou de m ort. A -t-il été s’o ffrir aux lions des arèn es en re fu ­
trop roublard, trop in te llig e n t pour s a n t de ren ier une foi qui, à son g ra n d
pouvoir rester lui-m êm e, incisif e t spon­ reg ret, ne l’a v a it ja m a is possédé. Il
ta n é , ro m antique e t lucide à, la fois ? s’a g it là encore d’u n e lu tte de l’in d i­
B ertone (Vittorio de Sica), lam entab le vidu contre la solitude.
p e tit escroc, vole presque sans s’en re n ­ On a u ra rem arq ué que Rossellini u ti­
dre compte, les fam illes des ré sis­ lisait fréquem m ent ses acteu rs en fonc­
ta n ts italiens incarcérés, auxquelles il tion de ce qu’ils é ta ie n t d a n s la vie, en
prom et, m o y en n an t finance, d ’éviter la fonction de ce qu ’il sa v a it d’~eux. Ainsi,
m ort ou la déportation. La G estapo le Rossellini av ait épousé l’actrice In g rid
p ren d la m ain dans le sac, e t utilise B ergm an e t s’é ta it sép aré d’elle, en
pour elle-même ses dons de sim u la­ p a rtie pour des raisons qui ap p a ra is­
te u r : elle l'em prisonne sous le nom se n t assez clairem en t dans certains
d 'u n chef de la R ésistance, le gén éral films qu’il to u rn a avec elle, Europe 51,
D élia Rovere, qui vient d 'être tu é p a r Viaggio in Italia, Angst. Ici, de même
ses patrouilles. La m ission de B ertone que G rim aidi joue le rôle du général
sera d’obtenir des au tres in te rn é s de D élia Rovere, B ertone joue le rôle de
la prison politique de M ilan les nom s V ittorio de Sica. Je ne pense pas seu­
des au tres chefs de la R ésistance. Mais lem ent aux quelques p rivate-jok es que
B ertone se pique si b ie n a u je u qu’il l’im p a rtia l Rossellini aim e à in tro d u ire
ag ira en tous points comme l'e û t f a it le aux m om ents les plus d ram atiqu es de
général Délia Rovere. Poursuivi p a r les ses films, le lieu de n aissance de G ri-
A llem ands qui songent à le libérer, il m aldi, le calem bour Vittorio... vittorià.
cou rra rejo ind re les condam nés à m o rt M ais de Sica e st très exactem en t le
a u poteau d'exécution. C ette aven­ B ertone du cin ém a italien , u n escroc
tu re, qui se produisit réellem ent p e n ­ qui fonde sa fo rtu n e su r l’exploitation
d a n t la dernière guerre, s ’in sc rit bien de la m isère e t des pauvres gens,
dans la ligne des préoccupations de qu ’aveugle, il cro it ainsi défendre, e t se
Rossellini. Rossellini le non-con form iste p ren d pour u n g ra n d personnage avec
se refuse à jug er les êtres, qui so n t u ne conviction si belle que to u t le
tou jours e n tre le bien et le m al, e n tre m onde fin it p a r le croire. La naïveté

45
6!Il Tetto co ntrib ua à nous rend re de qui reste telle quelle, inchangée, e t p eu t
S ica sym pathique, m ais m a in te n a n t, les ignorer si bon lu i semble.
grâce à Rossellini, c’est l’œ uvre to u t L’énorm e pas en a v a n t que fa it ce
en tière de de Sica, puisqu’il a exercé ciném a si n e u f n e v a p as sa n s u n c e r­
u n c e rta in tem ps là profession de ta in recul : il y a d an s II G enerale
m e tte u r en scène de filins, qui nous Délia Rovere u ne terrib le d éperd ition
a p p a ra ît sous u n j our nouveau et d’énergie poétique. F in alem en t, ce qu’il
in fin im e n t plus favorable : c’e st une y a de m eilleur, ce so n t les m ouvem ents
quête nostalgique et presque désespérée d 'ap pareil en gros plans, tous ces t r u ­
de sérieux e t de profondeur. De détes­ cages, ces a rtific e s qui d e v ra ie n t être
table, il devient digne de pitié e t même bannis. La vocation de styliste de Ros­
de respect. De Sica se ra it bien le type sellini est aussi m al étouffée que le
à aller se faire fusiller p a r les biag- complot du g énéral Miquel.
gistes rom ain s au nom de la prospérité J ’aim e le p a r ti p ris docum entaire du
sociale de l ’Italie, sous l’œil ironique film. Il est sym p ath iq u e e t in té re ssa n t,
du m achiavel de l’histoire, M essem er- m ais ju ste m e n t parce qu'il n e s'insère
Z a v attin i, R em ercions donc Roberto pas dans u n e s tru c tu re dram atiq u e, il
d’avoir révélé V ittorio à lui-m êm e. est assez ennuyeux. Cela fa it seize an s
Rousseau n ’en avait pas fa it a u ta n t que je n ’avais baillé à u n film de
avec Voltaire. Rossellini, trè s e x a ctem en t depuis Scalo
M ais ce personnage que le génie de Merci. Il Generale Délia R overe, qui
de Sica sa it ren d re à la perfection, évo­ n 'a p o u rta n t d em and é que q u a tre se­
lue en fonction du monde extérieur m aines e t demie de to u rn a g e et n ’a
qui l’entoure, plus ex actem ent en fonc­ coûté que 200 m illions, d u re cep e n d a n t
tio n de l’atm osphère de la prison. Or, deux h eures ving t m in u te s (deux heures
le Rossellini qui to u rn e aujourd 'hu i dix p o u r le public fra n ç a is ; n e nous
n ’est plus celui de 1944 ou de 1953. Il plaignons p as des coupures). Or, un
est celui d ’in d ia , celui qui m et en ques­ film de Rôssellini dure g é n é ralem en t
tio n les artifices du film de fiction 90 m inutes, 113 au m axim um . R oberto
et proclam e le règne du docum en­ n ’a pas besoin d ’être long. Ici, il le d it
ta ire . C o n trairem en t au Bresson du lui-m êm e, il a été gêné p a r la nécessité
C ondam né à m ort, Rossellini ne fa it de suivre u n scénario en bonne forme.
ja m a is évoluer son héros à p a rtir de R ien de schém atique ici, h é la s ! e t la
fa its précis de la vie de prison. Il y prem ière h e u re com porte beaucoup
a d 'u n e p a r t B ertone, d’au tre p a rt la d’épisodes faibles, voire inutiles. C ette
prison, e t la liaison de l’hom m e e t du form e de cin ém a originale, qui av ait si
décor n e s’effectue jam ais. Da,ns Viaggio bien réussi d an s In d ia grâce à un
in ’l ta lia , elle s'e ffectu ait en de gigan­ énorm e tra v a il de sy n th èse et de m o n ­
tesques p oin ts d'orgue comme la sé­ tage, ab o u tit p o u r sa p rem ière a p p li­
quence des lapilli ou celle des fouilles cation au film rom ancé à u n échec
à H erculanum , qui so n t p e u t-ê tre bien honorable.
les plus beaux m om ents de l’histoire du
ciném a. C 'était l’apogée d’un certain Echec h onorable en ce qui concerne
ciném a nouveau, que nous n ’avons cessé Rossellini, réu ssite en ce qui concerne
de glorifier d a n s les Cahiers e t qui me le ciném a to u t court. Le m oins bon
sem ble u n peu dépassé aujo urd ’hui. Rossellini v a u d ra to u jo u rs cinq cents
C’é ta it u n cin ém a fondé sur la consubs­ K urosaw a e t h u it cen ts Lizzani. Les
ta n tia tio n de l’idée et de la forme, où coupures de presse m o n tre n t bien cette
bien souvent le paysage a valeur psy­ différence d’a p p réciatio n : en th o u siaste
chologique. Ce ciném a-là v a u t p a r sa est celui qui n ’a p as vu les dix film s
sp len d eu r poétique, qui crée la vérité précédents, rosse est l’initié. 'Il G enerale
de to u tes pièces, m ais nos cinéastes, Délia Rovere est une in tro d u c tio n à
p arv en u s à u n tel degré d’achèvem ent, l’œ uvre de Rossellini plus qu’il n ’en fa it
so n t c o n tra in ts à aller toujours de p a rtie in té g ra n te . C’e st du Rossellini
l’av an t. Ils n e m an q u ero n t donc pas dilué et a rra n g é p o u r e n fa n ts des éco­
de tro u v er cette vérité poétique com bien les, à qui cela fe ra p e u t-ê tre aim er
c in g lan te p a r tro p artificielle e t facile Giovanna d’Arco al Rogo. C 'est l’œ uvre
à obtenir. Le D éjeuner sur l'herbe et qui fig u re ra à coup sû r au program m e
Le G énéral (et India) a ffirm ero n t donc du C e rtific a t de C iném a Ita lie n , to u t
la nécessité de cette co nsu b stan tiatio n comme le m édiocre Old M an a n d th e
sa n s nous la m o ntrer. L 'avan t-g arde, Sea figure a u p rog ram m e du C e rtificat
au jo u rd ’hui, p a r t des idées, film e des de L itté ra tu re A m éricaine.
idées san s les relier à la réalité concrète LUC MOULLET.

46
F r a n k S i n a tr a et E le a iio r P a r k e r d a n s Un trou dans la tête d e F r a n k C a p ra .

La recherche du bonheur
A HOLE IN THE HEAD (UN TROU DANS LA TETE), film am éricain en Ciné-
m aScope e t DeLuxe de F r a n k C a p r a . Scénario : A rnold Schulm an, d'après sa pièce.
Im ages : W illiam Daniels, Musique : Nelson Riddle. M ontage : W illiam Hornbeck.
In te rv ré ta tio n : F ra n k S in a tra , Edw ard G-. Robinson, Eddie Hodges, Carolyn
Jones, E leanor P arker, Tlielm a R itte r, K erian W ynn. Production : F ra n k C apra,
F ra n k S in a tra , Sincap Productions, 1959. D istribution : Les A rtistes Associés.

La comédie am éricaine a p p a rtie n t de F ra n k Capra, où à vin gt a n s de dis­


déjà au x vieilles lunes, et ce n e sont ta n c e n o tre a u te u r semble ren ouer avec
pas des p astich eu rs aussi doués que u n passé lo in ta in e t p o u rta n t proche,
F ra n k T a sh lin et Billy W ilder qui y nous invite à re m e ttre en question la
c h a n g e ro n t quoi que ce soit. Elle ne valeur intrin sèq u e de to u te une époque
reflète plus c ette harm on ie divine si m in u tieu sem en t cataloguée dans les
en tre une vision du m onde et l'essence histoires du ciném a. Avions-nous m al
la plus secrète d ’u n a r t qui nous fit, à la jugé, trop vite id en tifié les in ten tio n s
veille de la d ern ière guerre, id en tifier le (bonnes, com m e il se doit) et leur
ciném a au ciném a am éricain e t ce d e r­ m a té ria lisa tio n sur l'écran, YAm erican
n ie r à la com édie du m êm e nom. L’in ­ W ay o f Living e t l’A m erican Wap of
différence presque apitoyée avec la ­ Film ing ? C’est le b u t de cet article
quelle vient d’ê tre accueilli le dernier de chercher à retrouver, à p a r tir de
surgeon du genre, Un Trou d a n s la tête, la ré c en te œ uvre de C apra, le secret

47
de quelques po stu lats fo n d am en tau x s’ép a n o u ira it la bonté n a tu re lle de
inséparables du double m ythe ciném a l’individu.
e t Amérique. Nous voudrions établir., Bref, la n a tio n am éricaine p r é te n ­
que l’Amérique sécrète le ciném a, e t la - d a it se situ e r en dehors de l ’histoire,
comédie am éricaine, accom plissem ent du devenir historique, pour re jo in d re
m a je u r de ce « cin ém a am éricain », idéalem en t ces verts p â tu ra g e s où
comme F abeille son miel, selon le p ro ­ ira ie n t b ro u ter les bons civilisés. L a c a ­
cessus le plus n a tu re l qui se puisse ta stro p h e de 1929, si elle e n ta m a la co n ­
concevoir, ab o u tissan t à la lim ite à fiance d ’u n noyau d’intellectuels, p r o ­
détruire la no tio n m êm e d ’a r t su r voqua p a r contre coup l’épanouisse­
laquelle repose encore n o tre idée du m en t accéléré à tra v e rs le genre
ciném atographe. comique de ces m ythes am éricains du
F a isa n t fi des valeu rs établies et bonheur po u r tous e t de la joie de v i­
reconnues, ig n o ra n t im plicitem ent vre incoercible. A la m êm e époque où
beaux -arts, poésie, m usique, b ref to u te à Broadw ay le G roup T h e a tre p rô n a it
référence précieuse, la com édie am é­ d an s la célèbre pièce de Clifford Odets,
ricaine telle que l ’a établie F ra n k Aw ake a n d Sing, l'éveil du peuple a m é ­
C apra en 1934 et qu’elle s’est imposée ric a in à ses responsabilités sociales,
trio m p h alem en t vers 1937-1939, s'est Hollywood, lui, allait se faire le c h a m ­
voulue m ythe e t réalité, conte de fées et p io n de l ’évasion sous to u tes ses form es
docum entaire. Q uand les h o stilités se e t tro u v er en C apra le d éfen seur
déclenchèrent su r le vieux co n tin e n t convaincu d'un e conception m id d le -
e t qu’il devint évident que la p la n ète clas$ du b onheur. Le critique a m é ricain
entière s’em b arq uait pour une longue et R ich ard G riffith a ainsi re tra c é l'o ri­
douloureuse guerre, C apra se m it to u t gine de la m ythologie C apra : « N o m ­
n a tu re lle m e n t à envisager l'avénem ent, bre d’écrivains parm i les plus populai­
après-guerre, d 'u n m onde où ré g n e ­ res d’A m érique n e se so nt jam ais f o n ­
r a it définitivem ent l’éthiq ue de cette dus avec les groupes intellectuels de la
comédie am éricaine, où, d isa it-il en n a tio n , A rriv a n t de leur ferm e e t de
gros, je cite de m ém oire : « ..M on ne leur province à la ville, ils y o n t conser­
voudra plus sur les écrans, après ta n t vé les valeurs et. le p oint de vue de la
de souffrances, que le docum entaire le classe m o y e n n e . On retrouverait leur
plus strict ou la féerie pure et simple. » idéal dans ce qui correspond à la p é ­
Ce fa isa n t il p rê c h a it inconsciem m ent riode edtoardienne en Angleterre, les
l'extension généralisée des principes prem ières années attendries du n o u ­
su r lesquels re p o sa it c ette m êm e co­ veau siècle, quand VAmêrique n ’é ta it
m édie am éricaine d o n t il fu t, e n tre 1934 encore qu’u n im m ense bourg. C’é ta it à
e t 1939, le re p ré se n ta n t le plus cohé­ leurs y e u x u n e époque d’in vention, de
rent. R appelons quelques titre s -p ro ­ « saine com pétition », de progrès, de
gram m es, à eux seuls ré v élateu rs d’une réform es hum anitaires. Par dessus
a ttitu d e : M errïly We ÎÀve (M adame et to u t ils l’im a gin aient com m e u n e ère
son clochard) de N orm an McLeod, Joy de bon vouloir où les « classes » é ta ie n t
o f Living (Quelle Joie de vivre) de Tay à peine conscientes de leur identité.
G arn ett, Y ou Can’t Take I t W ith You Seul c o m p ta it l’individu, capable de se
CVous ne l’em porterez pas avec vou s) fra yer u n ch em in bien à lui dan s le
de F ra n k Capra, Carefree (A m a n d a ) de m onde e t de venir en aide aux m oins
M ark Sandrich. C ette insouciance célé­ heu reu x d’entre ses concitoyens, d o n t
brée à tous vents, le m épris de l ’arg en t il p ren a it en pitié les faiblesses e t le
e t des conventions, ren vo yaient à une m anque d ’esprit de décision. C’est cè
a ttitu d e p a rfa ite m e n t spontanée, à u n e se n tim e n t individuel de gentillesse d o n t
civilisation fondée, selon les propres les écrivains populaires com m e Cla-
term es de la D éclaratio n d ’in d é p e n ­ renee B u d in g to n K elland, S tru th e rs
dance, sur « la vie, la liberté e t la B urt, D am on R unyon, Isabel P aterson,
recherch e du bonheur. » R écuser la Rose W ilder Lane, regrettaient l’ab­
comédie am éricaine d’alors, si o n to ­ sence dan s la vie contem poraine. En
logiquem ent elle-m êm e, p u re de tou te le fa isa n t renaître, pensaient-ils, ils
corruption, d'alliages m alfaisan ts, équi­ pourraient en m êm e tem p s ressusciter
v a u t à ign orer l’asp ira tio n fo n d am en ­ le m onde d’avant-hier. Telle é ta it la
ta le au bonheur qui est au cœ u r d 'u ne vision fa n ta isiste d'un m onde b ien in ­
nation , le destin a u th e n tiq u e d’une te n tio n n é que propageaient les écri­
com m unauté d’hom m es qui, m a té ria li- vains de la classe m oyenne e t qui se
isant les' utopies de nos Encyclopédis­ tro u va it princip alem ent exprim ée dans
tes, avaien t voulu créer u n e société où le S a tu rd a y Evening Post, m a gazin e

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ou vertem ent atta ch é à défendre les in ­ périence Que les acteurs o n t tend ance d
térêts du big business. Ce principe accentuer leu r je u dans le sens de la
s'incarna en des film s inspirés de n ou­ « com position ». Ils sont toujours en­
velles écrites par les auteurs les plus clins à trop « jo u er ». Cet a u to m a ­
populaires du P o s t 'e t à l’écran, trouva tism e nous oblige à rester co n sta m m en t
son porte-parole n aturel en F rank sur le qui-vive... Je voudrais dire u n
Capra. » m o t aussi des su p p o rtin g actors ;les
Le g rand m érite de C ap ra f u t de acteurs de c o m p lé m e n t), qui, quoi qu’on
cristalliser ces asp iratio n s confuses e t en pense, so n t to u t sa u f des acteurs
de d o nn er cohérence aux te n d an ces in ­ de second plan. Ils do iven t être choisis
form ulées de to u te u ne série de com é­ avec une grande attention. Aucun' ne
dies de qualité diverse. M ême u n c i­ doit être d’une classe inférieure à la
néaste européen comme le Berlinois distribution de tê te : le je u de la ve­
Lubitsch d evait abonder d an s ce m yth e dette à qui ils so n t appelés à donner
du m eilleur des m ondes, m onde évi­ la réplique s’en ressentirait . D ernier
d em m ent capitaliste, m ais où la puis­ point, le décor, l ’am biance générale :
sance de l'a rg e n t a été exorcisée u ne « Le background, c’est-à-dire le cadre
fois p ou r toutes, dès Design for Living dans lequel se situe l’action, joue aussi
CSérénade it trois), con tem porain de dans le film u n rôle capital. s> Nous
New York-M iam i, e t en quelque sorte avons là ainsi défin i le credo n o n seu­
tire r la conclusion politique logique de lem ent de la com édie am éricaine m ais
cette a ttitu d e avec son N inotchka, où du ciném a am éricain en général. L ’ori­
les com m unistes é ta ie n t présentés ginalité de C a p ra fut- de tire r les
comme des ra b a t-jo ie . Mais Lubitsch, conclusions logiques de cette e sth é ti­
avec sa célèbre « touch », am orçait que du scénario bien écrit, de l’a t ­
déjà u n gauchissem ent du propos, m osphère ju ste, du jeu aussi n a tu re l
m a in te n a n t une d istan ce protectrice que possible. M ais à a u cu n m o m en t il
e n tre le m ythe e t sa rep résen tatio n , ne se c o n te n ta it d ’u n p la t réalism e. En
qui laissait présager la décom position avance sur la p lu p a rt des hom m es de
à v e n ir e t les parod ies des décades su i­ ciném a de son tem ps, il visait à ob te­
vantes. C ap ra p a r contre jo u a it ca rte s n ir à tous les n iveaux u ne so rte de
su r table, p o rta it à leur puissance sp o ntan éité contrôlée, rigoureusem ent
m axim um to ute les v irtu alités du genre, en situ ation , où se rejo ig n en t deux
si l’on veut, codifiait, avec u n e rigu eur tra its p rincipaux du cara c tè re a m é ri­
esthétique com parable à celle de B rech t cain : le goût de l ’élégance et eelui de
d éfinissan t son réalism e épique, les l’efficacité.
te n a n ts et les ab o u tissan ts d 'u n style Ce n ’est p as p a r h a s a rd qu’il a o ffert
voué p a r principe à l’e x a lta tio n de successivem ent à C lark Gable, G ary
Yhomo vulgaris am éricain. Cooper, Jam es S tew art, modèles d’une
époque e t d’une tra d itio n in c o m p a ra ­
Ce style, il en d éfinissait ap rès coup bles, leurs m eilleurs rôles. Nous som ­
les exigences principales d ans u n a r ti­ mes aux an tip od es e t du K am m erspiel
cle écrit im m édiatem en t après son re ­ germ anique e t du pointillism e za v a t-
to u r de la guerre en 1946. I l in sista it tin ien . L’acteu r n e joue pas seulem ent
d’abord su r l'im p ortance du scénario. u n rôle, il in c a rn e u n m ythe, celui de
E x-gagm an de M ack S e n n e tt e t H arry l'hom m e am éricain qui a su a tte in d re
L angdon; il p en sa it qu'un film bien le p a rfa it équilibre e n tre les exigences
écrit é ta it déjà u n film réussi. D ans de la collecticité e t celles de l’individu.
le scénario lui-m êm e, il con sid érait que L’a rg e n t n e lui pèse pas, car cet a r ­
« les caractères des personnages, le gent, m oteur de la société am éricaine
th è m e général e t e n fin l’in trigu e elle- et qui v in t u n jou r de 1929 à fa ire si
m ê m e sont, dans l’ordre, les fa cteu rs cruellem ent d éfaut, n ’a que l’im por­
dom inants. Si les caractères so n t clai­ ta n c e qu’on veut bien lui a ttrib u e r. N a­
re m e n t mis en relief, s’ils so n t fo rts tu rellem en t cet u to pism e bon en fan t,
et convaincants, le th èm e du su je t et des routes poudreuses de New Y o rk -
l’intrigue prendront une valeur propre, Miami, débouche d an s l’atelier po ur
Vhistoire aura du n e rf e t constituera excentriques de P a p a V anderhoff dan s
u n to u t solide. » O n p erçoit d éjà l’im ­ Vous ne l’em porterez pas avec vous.
po rta n c e qui sera accordée au choix des Mais seule un e société de type am éri­
acteu rs et à leur direction. « Pour Vac- cain, axée sur le p o stu la t de l’indivi­
teur, la sim plicité du jeu, le na tu rel du dualism e to u t puissant, p e u t vraisem ­
« quotidien » est le su m m u m de Vart. blablem ent accorder refuge à ce g en­
Les m etteu rs en scène savent par ex­ til je m ’en fichism e. Mr. S m ith au S é ­

49
F ra n k C ap ra dirigeant une scène d ’l.7n Iro tt dans la lête.

n a t en 1939 affirm e clairem ent que les l’occurrence des lap in s m écaniques), où
Don Q uichotte, p a ssa n t de l'a n a r- les m éch an ts banquiers, p lu tô t que de
chism e individuel à la lu tte politique, m ourir d’apoplexie, v é n a ie n t rejo in d re
co nq uerron t u n jo ur le m onde. La série les farfelus fauchés.
des Pourquoi nous com battons, scan­
dée p a r la fam euse cloche de la L iber­ Ce qui nous am ène à évoquer l’im ­
té qui t in ta it déjà d an s Mr. S m ith , portance chez C apra, des supporting
n ’est que l’aboutissem ent no rm al d’une players. D ans Vous n e l’em porterez pas
a ttitu d e coh érente en soi, e t on a u ra it avec vous déjà, ça s a u te au x yeux. M ais
tort- de sous-estim er, m algré sa gros­ l’évidence de c e tte d isc rim in atio n
sièreté ap p a re n te , le fa it que plusieurs éclairée, qui f a it p ro b a b le m e n t de Ca­
de ces film s de propagande, le p re ­ p ra le prem ier casting director de to us
m ier su rto u t, en tiè re m e n t exécuté p ar les temps, devient p ro p re m e n t éblouis­
C apra, Prélude à la guerre, o n t joué san te si l ’on songe à Mr. S m ith au S é ­
leur rôle n o n négligeable dans l’effo rt na t avec Claude R ains, fines lu n e tte s
de guerre am éricain, à une époque où cerclées, cheveux a rg e n té s (l’unique
la n a tio n se réveillait b ru ta le m e n t de fois où nous l’avons vu sous ce m a q u il­
son isolationnism e traditio nn el. Le lage), symbole de to u te la d ig n ité et
p rin cip al arg u m e n t que l'a u te u r soule­ de la rouerie p ro p re s à la politique ;
v a it con tre les H itler, les Mussolini, H arry Carey, p ré sid e n t so u rian t, H e r-
et leu rs sbires, c’é ta it d’être grotes­ riot am éricain, d’u n e C ham b re H aute
ques, grim açan ts, impossibles à in té ­ vouée au libéralism e dan s la tra d itio n
g rer d an s ce m eilleur des m ondes am é­ des Monroe e t des Je ffe rso n ; Eugène
ricain s ou S pring Byington u tilisait les Pallette, êchotier, énorm e, d é v astateu r.
p e tits c h a ts comme presse-papier, où L’adm irable avec C a p ra e s t ce s e n ti­
D onald M eek fa isa it « des choses » (en m en t qu’il nous laisse que ses p erso n -
nages e x istaien t bien a v a n t le film où sym bolisa) n o n seulem ent p a r le to ta ­
ils a p p a ra isse n t e t qu’ils vienn ent exé­ litarism e stalin ien, m ais p a r la m a u ­
cu ter le u r p etite piro uette uniquem ent vaise conscience de plus en plus grande
pour nous faire*plaisir. Cet e x trao rd i­ d’une large section de l'intelligentsia
n aire ta le n t à « typ er » des caractères am éricaine face à l'ordre social c a p ita ­
p a r une rem ontée m inutieuse du détail liste, In vu ln érab le d 'u n côté comme de
le plus ex térieu r à la substance la plus l’a u tre, tro p p én étré du fon d am éri­
intim e, ce se n tim en t que Jam es S te- cain tra d itio n n e l p o u r céder à la dou­
w a rt-S m ith e st toute l’innocence dy ble te n ta tio n e t du défaitism e m oral
m onde, et Claude R ains sa corruption, e t de l’inquisition politique, F ra n k C a­
ra m è n e n t u n e fois de plus à l’esprit le p ra in c a rn a it l ’A m érique des hom m es
souvenir du prodigieux tra v a il d ’id e n ti­ de bonne volonté, avec to u te la Force
fication que B recht m e tte u r e n scène suggestive du p rem ier a r t de n o tre
effectu ait su r ses acteurs (Michel M our- tem ps. •
let, dan s son article « Sur u n a r t igno­ Que r e s te -t-il en 1959 de cet u n i­
ré (1), p r e n a n t la le ttre des théories vers rose, clim atisé m ais non cauche­
toujours postérieures, pour l’esprit vi­ m ardesque c o n tra ire m e n t à ce qu’en
v a n t de la ré a lité telle qu’elle a p p a ra is­ p en sait M iller ? L ’incoercible gentil­
sa it su r scène, in te rp rè te de façon lesse, le dynam ism e en sourdine, la
com plètem ent erronée la « d istan cia­ volonté de dire tou jo urs oui à la vie,
tio n » b rech tien n e). Il nous est plus loin des consciences tortu rées, que
difficile de pousser le parallèle B rech t- nous lisons à lon gu eu r de p lan s dans
C apra à propos du décor dans la m e­ Un Trou dans la tête, qui m arque le
sure. où les conceptions du monde, e t à re to u r du m e tte u r en scène de Vous
tra v e rs elles, les styles, so n t si rad icale­ ne l’em porterez pas avec vous après
m e n t opposés, avec, en plus l’a n ta g o ­ u n silence de h u it années en p a rtie
nism e de deux m odes d ’expression bien employé à to u rn e r des film s de vul­
distincts. L a g ran d -ro u te am éricaine, g arisation scientifique pour la télé­
parad is des tram ps, dans New Y o rk- vision, Le film est tro p aisé à critiquer,
M iami, la petite, ville au début de L'E x­ au bon e t au m auvais sens. Les dé­
travaga nt Mr. Deeds, W ashington dans tracteu rs, p erd u s dans leurs jeu x de
Mr. S m ith au Sénat, so n t vrais d’une m iroir ou leur progressism e bon teint,
vérité au second degré, sont l’Am éri­ re ste ro n t insensibles au to n souve­
que. ra in e m e n t détach é du récit, à l’e n ­
Cette convergence du caractère n a ­ tra in sans fausse n o te qui perce du
tional, d’u n , te m p éram en t idéalem ent débu t à la fin. U n critique sérieux,
e t ty p iq u em en t am éricain (Capra fils constructif, n o te ra 1’ évolution du
d’im m ig ran ts siciliens, self-m a d e -a r- style C apra sous une trip le influence :
tis t in té g ra l) d ’u n style d 'in te rp ré ta tio n l’aspect T.V., Chayefsky en m ineur,
•com plètem ent détendu, d ’une époque de l’anecdote e t des dialogues, volon­
p a rtic u liè re m e n t appropriée, celle du tiers populistes ; la présence de S in a ­
New D eal rooseveltien, devait p erm e t­ tr a e t de ses a ttrib u ts fam iliers de
tre à n o tre m e tte u r en scène de se faire swell guy, b ourreau des cœ urs e t âm e
presque sp o n ta n é m e n t le p o rte-p arole noble ; enfin le vieux C apra d’a v a n t
achevé d 'u n e école e t d'une génération. 1939. Mais le tem p s qui passe a gommé
Nos esp rits cartésiens e t volontiers les arê te s vives; l’a rtiste esquisse là
sceptiques, a u jo u rd ’h ui de plus en plus où autrefois il a u ra it asséné. P o ur­
voués à « subir » l’histoire, rech ig n en t ta n t, d a n s la critique sociale, qui fu t
d e v a n t ce qui leu r p a r a ît le pire opium tou jo u rs u n de ses objectifs p rin ci­
du peuple. Ils o n t le to rt d’isoler de paux, F ra n k C apra a tte in t ici p eut-
son contexte u n phénom ène 100 % être le som m et de sa carrière lors
am éricain, de ne pas percevoir que de l'e x tra o rd in a ire épisode de K ee-
m êm e à, l’h eu re de Nicholas Ray, R obert n a n W ynn, le m illiard aire. Le tr a it
Aldrich, des beatnîks, le m ythe C apra acquiert soudain u n e précision, une
dem eure au cœ u r de l’âm e am éricaine. violence contenue, u n e efficacité,
P resque n a tu re lle m e n t C ap ra a gardé 100 '% am éricaines. A ntan, on es­
le silence d u ra n t to ute la sombre p é ­ sa y a it de nous p e rsu ad er que les m il­
riode du m accarthysm e trio m p h a n t, si lia rd aires n e d e m an d en t qu'à jouer
p ro fo n d ém en t é tra n g e r au te m p éra ­ de l ’ocarina. A ujourd’hui, C apra ne
m e n t n a tio n a l, réactio n en p a rtie ex­ cro it plus guère à ces fariboles, m êm e
plicable (M cCarthy, ou p lu tô t ce qu’il s’il ne ren ie rien de sa foi ind éraci­
(1) Cahiers d u C iném a n ° 98.

51
nable en la n a tu re foncièrem ent bonne m algré . to u te la bonne volonté du
de l'hom m e. Il adm et désorm ais l ’exis­ m onde, il a rriv e parfois sans le vou­
ten ce du m al. Il retrouve en p a rtie la loir qu’on fasse m al à au trui.
veine e t l'esp rit de New Y o rk-M ia m i D ans ce XX* siècle qui p a rto u t se
lui-m êm e : F ra n k S in atra, comme v eu t am éricain, avec c e p e n d an t le d é ­
C lark Gable, est le bu m in tég ral. Autre sir d’u n ord re social épuré de ses sco­
m a n ifestatio n de cette sagesse diffici­ ries e t inju stices criantes, F ra n k C a ­
lem ent a tte in te : S in a tra accepte de p ra reste le D on Q uichotte e t le m odèle
së m a rier avec l'exquise E leanor P a r ­ d 'u n m o nd e in d éc ro ttab lem en t o p ti­
ker. Pour la prem ière fois chez C apra m iste, vo lontaire, n o n pathétique. P o ur
u ne fem m e n ’est pas seu lem en t u n re to u rn e r à nos prém ices, disons avec
repoussoir, la m ouche du coche, l ’ange M ichel M ourlet que : « L ’essence du
gardien, m ais quelque chose de plus, la cin ém a com m e art n ’est pas plus le
com pagne. C ette leçon discrète nous d ocum entaire que la féerie, si ïe docu­
est livrée au cours de la scène ad m i­ m entaire se borne à restituer les a p p a ­
rab le d-e tim in g chez Eleanor, Le m e t­ rences incontrôlées et si la féerie a u to ­
te u r en scène a placé sysm étriquem ent rise le m ensonge, le trucage et les a r ti­
l’é to n n a n te Carolyn Jones, qui « veut fices d’esth è tes ; m ais c’est à la fo is
vivre s>, lu tin v e rt hors du tem ps e t de le do cu m entaire e t la. féerie s’il s’ag it
la' m orale. J ’adm ets 'la facilité relative de la beauté im posée p ar l’évidence de
de tout ce qui a tr a it au couple l’œ ü irrécusable. $ F ra n k C apra a p e u t-
Edward G. Robinson T h elm a R itter, ê tre frôlé de trè s près l'évidence d ’u n
m ain te n u s p o u rta n t d an s des lim ites a r t appelé à la lim ite à se d étruire.
raisonnables (on n o te ra en p a s sa n t Solidem ent en ra c in é d a n s une tr a d i­
que Robinson, p e tit bourgeois, a suc­ tio n qui cro it au x capacités illim itées
cédé à Edw ard Arnold, lord du dollar, de l’hom m e, il no us a donné l’ap p ro x i­
po ur symboliser le re to u r à la raison m atio n la plus acceptable qui se puisse
des pingres capitalistes). Le gosse en­ concevoir de ce « m eilleur des m o n ­
fin, pour peu que Ton suive son dialo ­ des » raillé p a r V oltaire, Mais lui aussi
gue directem ent en anglais, ses in to ­ n e d escen dit qu’occasionnellem ent d a n s
nations, est inséparable de l’univers l'arèn e, se c o n te n ta et se co ntente de
de Capra. Seul com pagnon d 'u n aîné nous livrer des fictions. Au sp ec ta te u r
p ar tro p n a ïf et désarm é, il est, comme d ’ê tre u n p eu poète, de m e ttre u n m o ­
u n a u tre p e tit rouquin pour Jam es m e n t sa c u ltu re e t ses complexes au
S te w a rt dans Mr. S m ith au Séna t, la clou, pour flo tte r d a n s l’éth er des im ­
conscience du héros. E t C apra frôle pondérables ë t - d e s évidences ja m a is
la cruauté dans cette scène fe u trée où dém ontrées.
le gosse va consoler C arolyn Jo nes dans
sa cham bre avec u n bouquet de fleurs: Louis MARCORELLÉS.

La concierge et le bûcheron
NORTH BY NORTHWEST (LA MORT AUX! TROUSSES), film am éricain en
VistaVision e t en Technicolor d ' A l f r e d H i t c h c o c k . Scénario : E rn est L ehm an.
Im ages : R obert Burks. M usigue : B e rn a rd H errm a n n . M ontage : George T o m a-
sini. In terp rétation : Cary G ra n t, E va-M arie S ain t, Jam e s Mason, Jessie Royce
Landis, Léo G. Carroll, Philip Ober, Joséphine H u tchinson , M a rtin L andau, Pro­
duction : A lfred H itchcock, 1958. D istribution : M étro Goldwyn Mayer.

Roger T hornhill (Cary G ra n t), publi- re c h erch e de K ap lan , le seul à pouvoir


siste new yorkais très affairé, p ris p a r le tire r d ’affaire, Roger T h ornhill, d i­
e rreu r pou r l'a g e n t de con tre-espion­ sais-je, séd u it d an s le tr a in p a r Eve
nage am éricain George K a p la n p a r les K e n d a ll (Eva-M arie S ain t), qui l’aide
hom m es de m ain de l’espion étra n g e r à ob ten ir u n rendez-vous avec K a p la n ,
P h ilip V andam m (Jam es M ason) qui le e n fa it c 'e st u n guet-apens d o n t il se
kidn ap pent, essaient en v a in de le tu e r tire indem m e; e t qui l’am ène à com ­
et le fo n t accuser d’un crim e qu’ils o n t p re n d re que Eva é ta it la m aîtresse e t
commis, le c o n tra ig n a n t ainsi à fu ir complice de V andam m , des p a tte s d u ­
la police pour se re n d re à Chicago à la quel il arriv e à se so rtir en se fàisanfc

52
Lu scène du g u e t-a p e n s d an s L a Mort aux trousses d’Alfred H itch c o c k .

a rrê te r p a r la police, laquelle le confie pour faire plaisir aux quelques lecteurs
à Tagent du contre-esp io nn age a m é ­ des C a h i e r s qui n ’a u ra ie n t pas vu cet
ricain (Léo G. C arroll), qui lui a p p ren d adm irable film et à tous m es ré d a c­
que K aplan n ’a jam a is existé et cons­ teurs en chef qui n ’o nt rie n com pris à
titu a it u n a p p â t fictif pour V andam m l’histoire e t m e d e m a n d e n t de ra c o n te r
destiné à p rotég er le véritable co n tre- ce ch e f-d ’œ uvre long de deux heures
espion... Eve, laquelle, depuis que V an­ seize m inutes, e t bien m oins clair que
dam m sa it qu’elle aim e T h o rn h ill et m on résum é, qu’H itchcock film a pour
vice-versa, risque une m o rt que Cary u n m illiard et dem i du 12 ao û t au
sa u ra p a r am our lui éviter dans le, 24 décem bre 1958, donc en d ix -n eu f
S outh D akota eh fa is a n t sem blant" sem aines, qui m arche m ieux qu’aucun
d 'être tué p a r elle, Cary G ran t, redis- a u tre H itchcock et qui a nom North
je, après s’être aperçu à la fav eu r d ’un B y Northwest, re n d a n t ainsi u n dis­
sa u t p a r la fen être de l'h ô p ital où cret hom m age au Shakespeare d ’H am -
CarroÛ l'a v a it enferm é, que V andam m let virgule : eh bien, C ary épouse Eva.
v e n a it de découvrir la supercherie et N orth B y Northw est est u n divertis­
s’a p p rê ta it à balan cer Eva par-dessus . sem ent, p a r opposition à Vertigo qui
le Pacifique dans l’avion qui devait le est un film sérieux. Qu’est-ce que cela
ram en er avec ses m icro-film s vers la veu t dire ? Que les personnages o n t de
R ussie (oh ! là là... j ’extrapole) e t après la consistance dans Vertigo, et aucune
l’avoir délivrée — Eva — des m a in s de consistance d an s N orth By Northwest,
V andam m avec les m icro-film s, au ou plus exactem en t la parodie de la
risque de descendre les pentes v e rti­ parodie de la consistance q u’ils possé­
cales du m o n t R ushm ore, où sont da ie n t dans Vertigo. Que l’on y rit,
gravées les figures des plus grands et qu’il n ’y a pas de m essage très p ré ­
hom m es d’E ta t am éricains — qu ’est-ce cis. Que les tro u s sont nombreux.
qu’y fa u t pas faire to u t de même — scènes d’explications banales, d éfail­

53
lances de la Technicolor tirée M étro, cockien est donc essentiellem ent sy m ­
reprise d’œ uvres passées avec m oins bolique, c’e st-à -d ire in c o n sistan t.
de pan ach e. Cela to u t le monde le sait,
in u tilj d’en p a rle r : u ne critique n ’est Ce qui est consistant, e t d éfin it p r e s ­
pas fa ite pour critiquer. Parlons du que seul la m étaphysique h itc h c o c -
m eilleur : il y a là u n e vingtaine de kienne, c’est le souci de perfection f o r ­
scènes qui a tte ig n e n t au sublime, et melle : chaque p la n de H itchcock est
p a rm i elles trois ou quatre b a tte n t déterm iné p a r une im placable lo g i­
assez n e tte m e n t les plus beaux plan s de que, non p a r 'u n goût personnel. Ce
Rope e t û’Under, de Strangers, d 7 et m écanism e de l’a rt, seule c o n sta n te
de Réar, du Wrong M an e t de Vertigo. positive des différents e n tre tie n s avec
Celle de la fin, celle du g uet-apens A.H. que nou s avons publiés, est ty p i­
dan s les cham ps de l ’Illinois, celle de que d’u n esprit bien p lu s p ro ch e de
TO.N.U. P ren ons la m eilleure des m eil­ la R éform e que de l’Eglise R om aine. Il
leures, le g u et-ap en s : elle peut cons­ est u n nom qui me v ien t irré sistib le ­
titu e r une défin ition de l’a rt d’H itch- m e n t à l’esprit, celui de Cecil B.
cock. R em arquons to u t de suite qu’elle DeMille. Les deux m a ître s de la P a r a -
s’in sc rit en m arge du su je t — voilà u n m ou nt sont aussi les deux m e tte u rs en
film fa it to u t e n tie r de subordonnées scène les plus célèbres de la te rre .
trè s courtes, —-, j ’adore les phrases Ils o n t la m êm e h a n tise de la p e rfe c ­
courtes, sa n s aucune principale. Sa tion e t des recettes. A utre tr a it co m ­
beauté, comme to u te beauté, nous fa it m un : à l’opposition des catholiques,
accéder à une m étaphysique, 'au sens ils n ’accepten t p as l’am ou r de faço n
large du m ot, laquelle ne correspond naturelle. DeMille joue sa n s cesse sur
absolum ent p as à la signification ch ré­ les interférences e n tre le sexe e t la
tie n n e de l'histoire. « Hitchcock, ca th o­ religion avec u ne perversité qui n ’ex­
lique e t pratiqua nt », dit R ohm er clut pas le sadism e. H itchcock, plus
page 116 de son p e tit livre, ligne 14. Je d’ailleurs dans ses propos et d a n s ses
dis non. Le catholicism e, c’est u ne a u ­ film s de T.V. que dans ses film s de c in é ­
tre p a ire de m an ch es ; c’est ' Rossellini, m a, révèle une obscénité p ro v o can te et
On me d ira que le sujet, la m orale sans beauté. E t qu’est-ce que N o rth B y
extérieure de l’œ uvre d'H itchcock sont Northw est, sinon du DeMille plu s in te l­
catholiques. M ais cela n e veut n u lle­ ligent, plus élevé ? Ce spectacle co n s­
m e n t dire que l’œ uvre le soit, H itch­ titu e une suite in in terro m p u e d ’effe ts
cock est Tun des cinéastes qui re c h e r­ du plus b rilla n t artifice. Mais où v a -
che la perfection. C ette recherche va t-o n si l’on in te rd it l ’a rtifice en a r t ?
à re n c o n tre de la valeur : nous, h u ­ L’esthétique ü’H itchcock est u n e e s th é ­
m ains, qui som m es im p arfaits n ’avons tique du coup de poing, qui se fon de
pas à re c h e rc h e r la perfection, c’est un iqu em en t sur le pouvoir d ra m a tiq u e :
de la folie ; aussi n e nous étonnons nous voici très loin de la pulpe e t du
p as de ce que ce souci donne jo u r à fourm illem ent de vie fam iliers a u x c i­
des con trad ictio n s qui so n t p a r ailleurs néastes rom ains. T ravellings a v a n t et
assez fertiles. Il est évident que la a rrière fascinants, tru cag es é p ou stou-
pensée catholique est, de to u tes les flan ts, le film to u t en tie r est créé sur
pensées celle qui touche le plus p ro fo n­ le m onism e de l’effet, su r u n e sc h é m a -
dém en t l’être h u m ain , celle qui a donc . tisatio n assez inouïe, assez a b s tra ite
le plus fo rt pouvoir dram atique, et l’on pour a tte in d re le sublim e. Oui, c’est
p o u rra it disserter à longueur de pages beau p arce que l’on nous m o n tre que
sur la com m union des saints dans c’est du toc, on ne nous le cach e pas,
N o rth Bp N orthw est ou ailleurs. Mais on en rem et. C’est beau parce que l’on
si l’esprit d’H itchcock est conquis p a r sa it que c’est faux, e t que l’on est 'e
la préém inence m orale et commerciale prem ier à bondir su r celui qui d ira it
du catholicism e, son âm e ne l’est pas, que ce n ’est pas vrai. De m êm e que De
ou ra re m e n t. C’est parce qu’il re c h e r­ Mille nous fa it p re n d re le p assage de
che la perfection du su jet qu’il est la m er Rouge e t le buisson a r d e n t p our
catholique, p arce que seul, le sujet des im ages de dessin anim é, H itchcock
catholique e st p a rfa it. Mais il est très su it to u t du long l’esthétique du c a r-
ra re que la form e m êm e de ses films toon. Le fa it qu’il se soit associé avec
corresponde à l’idée catholique. Cela Saul Bass le m o ntre bien. M ais N orth
arrive d an s c e rtain s plans, dan s cer­ B y N orthw est est m ieux que du des­
ta in s films m oins com m erciaux e t sin anim é. Aucun sp e c ta te u r ne m a r­
m oins appréciés du réalisateu r comme che à u n W alter L a n tz ou à u n B osus-
The W rong Man. Le catholicism e h itc h - tow : c’est tro p facile, to u t est possi­

54
ble. Le dessin anim é est donc u niqu e­ de voir H itchcock tel qu’il est vraim ent,
m e n t l’a ffaire des chefs-opérateurs. en nous d é b a rra ssa n t des préjugés
divers qui nous le m asquaient. Il fa u t
C ette scène du guet-apens, qui s’a p ­ nous en te n ir au x sensations physi­
p a re n te à u n certain schém atism e ques que nous éprouvons à la vue de
p u rita in , nous m o ntre bien que l’œ u ­ ses films, sen satio n s physiques très
vre d ’Hitchcock n ’a guère de ra p p o rt étran g ère s à la m étaphysique au r a ­
avec la m étaphysique chrétienne. Et bais déterm inée p a r le scénario. Il fa u t
p o u rta n t, c’est une des plus belles voir N orth B y N orthw est avec le
qu’a it tournées Hitchcock. Il est de reg ard de la concierge e t du bûcheron,
bon to n de considérer N orth B y N o rth ­ qui est le m ien, car c’est pour ce
west comme une œ uvre m ineure. Mais re g a rd ' qu’Hitchcock' fa it ses films,
c’est là u ne grosse erreu r si l’on se assez géniaux p o u r opérer à leur m a ­
fonde sur la légèreté du sujet, e t n o n nière la ré u n io n des classes.
su r les tro u s divers du film . La dis­
p a ritio n des in ten tio n s nous perm et Luc MOULLET.

Strip tease polonais


POPIOL Y DIAMANTI, (CENDRES ET DIAMANT), film polonais d ’ANDRZEJ
Scénario : Jerzy Andrzejewski et A hdrzej W ajda. Im ages : Jerzy Wojcik.
W a jd a .
Décors : R om an M ann. M ontage : H alina Nawrocka. In te rp réta tio n : Zbigniew
Cybulski, Ewa K rzyzanowska, Adam Pawlikowski, W aclaw Zastrzezynski, Bogumil
Kobiela, J a n Ciecierski. Production : Film Polski, 1958. D istribution : Rank.

Le goût de l’exhibitionnism e co urt en nous dire d’où ils v ie n n e n t et ce qu’ils


filig ran e dans l’œ uvre de plusieurs vont p rob ablem ent faire (la même
cinéastes de tous pays, parvenus à blonde expliquant, la m oue lourdem ent
m a tu rité après guerre, et aux tale n ts boudeuse, qu’elle n e croit plus à rien ),
inégaux. Nomm ons en vrac Fellini, aux coïncidences c o n s t a m m e n t
K azan, Vadim, Bergm an, W ajda. L eur appuyées (le secrétaire du p a rti dont
plus g ra n d désir est de tra ite r des « s u ­ le fils a été élevé p a r des m em bres de
je ts » où se do n n era libre cours leur l’A.K. néo-fasciste, la m o rt du jeune
narcissism e invétéré. Le ciném a pour tu e u r a b a ttu de m anière assez im pro­
eux devient en quelque sorte le m oyen bable). E t d’a u tre p a rt, p a r la volonté
de se re m ettre co n tin û m en t en question. délibérée de reco urir à un expression­
L’affa ire se corse avec W ajda, d an s la nism e démodé, faux dans son p rin ­
m esure où il travaille dans le cadre d’u n cipe comme d a n s ses conséquences. Le
systèm e d it « socialiste x> e t où u n cu­ nihilism e absolu de l’Allem agne w ei-
rieux échange dialectique se prod uit m arien n e expliquait Pabst, comme
e n tre la démagogie subjective du Lang, M urnau e t le prem ier Brecht,
cinéaste et la démagogie objective de ici énum érés à titr e de références, en
ce m êm e système. La m orbidité n a tu ­ dehors de to u t ju g em en t q ualitatif.
relle du m e tte u r en scène ajo ute au W ajda sem ble n ’avoir im ité (consciem­
problème, sans les éclairs de génie ciné­ m en t ou non, p eu im porte) que le plus
m ato grap hiqu e qui p e rm e tte n t à u n contestable des q uatre, Pabst, ne re te ­
F ra n ju ou à u n Nicholas Ray de su r­ n a n t qu’une sorte de m aniérism e
m o n ter leurs névroses. apprêté, p u re m e n t g ra tu it, dans la
Cendres et D iam ants est deux fois postérité de L ’Opéra de qua t’sous, a u ­
du m auvais ciném a, p a r l’im portance jo u rd ’h u i film de m usée et ca ric a tu re
dém esurée accordée à u n m auvais scé­ des in te n tio n s de Brecht. R etenons
nario, au x effets litté ra ire s téléphonés e n tre a u tre s la polonaise finale, dans
(exemple : « Allô », dit la fille e x ta ­ u n éclairage tam isé, avec des p a n tin s
tique, à peine entrée dans ïa cham bre grotesques.
du jeune tu eu r, pour réveiller son On n ’en fin ira it p as d’ailleurs de
a tte n tio n ), au x dialogues p a r tro p relever les e m p ru n ts à to u t le monde,
explicatifs, les personnages d evant Bunuel, Fellini, L’équipée sauvage (le
d ’abord ré c ite r leur petite tirade pour badinage avec la .fille, au com ptoir).

55
Cendres et diam ant d ’A n d rz ej W a jd a .

T out cinéaste a le droit de redécou­ le plus n é g a tif de Kanal, avec la


vrir p ar lui-m êm e, voire à l’occasion m orale de l a brève rem arque de G éné­
de reprend re, les procédés, images, ra tio n . T o u t le film n ’est qu’une délec­
symboles, d’au tres créateurs, à condi­ ta tio n morose, geignarde, su r l’im pos­
tio n que l'e m p ru n t corresponde à un sibilité de vivre dan s le m onde déchiré
b u t précis, que la somme de ces em ­ d’après 1945. A busivem ent W a jd a
p ru n ts reflète fin alem ent u n p o in t de tran sp o se à cette époque certa in e s
vue personnel. Avec Cendres et Dia­ obsessions propres à la g é n é ra tio n
m a n ts la tâch e m e p a ra ît ardue, de d ésen ch an tée de la décade suivante.
découvrir ce p o in t de vue ta n t à tous Elia K azan avait pareillem en t tr a ité
les niveaux règne le confusionnism e le dram e biblique de A VEst d’Eden,
le plus to ta l. On a le se n tim e n t que situé au to u r n a n t de la prem ière gu erre
W ajda exploite l’horrible, le déplaisant, m ondiale, avec to u te l’hystérie de ri­
le sordide, qu’il veut à to u t prix nous gueur chez u n des p rom oteurs de
m o n tre r s a gran de âm e triste. On ne l’A ctors Studio. Ce décalage e n tre u n e
pe u t oublier ses deux prem ières .œuvres, époque précise e t une form e de sen si­
G énération (appelé chez nous Une Fille bilité p o stérieure d’u ne q u a ra n ta in e
a parîé) que supervisa A lexandre Ford, d ’années, c o n fé ra it au film une p a rtie
e t K anaî, prim é à Cannes il y a deux de son originalité. M ais p erson ne ne
ans. G énération reste u n film très pur, se soucia de relever l ’a rriè re -p la n p o­
tourné, rappelons-le, sous la co n train te, litique que K azan fit sem blan t d ’y
a v a n t l’Octobre polonais, où d éjà p o u r­ insérer. O r W ajda d a n s Cendres et
t a n t nous percevons la direction que diam an ts p ré te n d tém o ign er su r sa
va p ren d re le réalisateu r tro is ans génération , celle qui e u t vingt a n s
plus ta r d : cette rem arque d’u n des sous l’occupation, ou im m éd iatem en t
personnages qu’il « est p e u t-ê tre plus après, en lui a p p liq u an t les c ritères du
facile de m ourir pour u n e cause que gomulkisme. ïc i le trucage éclate, le
de continuer à vivre ». Kanal, p a r-d e là film a certes une valeur sociologique
la franchise de son prem ier tiers, se p articu lière pour les Polonais p a r sa
com plaisait ensuite' à cerner les p er­ m an ière d’ab order des problèm es t a ­
sonnages comme des rats. A ujourd’hui bous, n o ta m m e n t l’im p o rtan ce de l’A.
Cendres et D iam ants conjugue l’aspect K. à la lib ératio n, m ais à au cun m o­

56
m e n t on ne perçoit clairem ent les acteurs, su rto u t de l’in te rp rè te du je u n e
données d u problèm e p réte n d u m en t tu eur, a rc h i-fa u x d an s le contexte po­
tra ité , tous les personnages se confon­ lonais de 1945 (comme Jam e s D ean
d e n t d an s u n d ésen c h a n te m en t très dans celui de A VEst d ’E den), m ais
rom antique, au pire sens. Je crois adm irablem ent iden tifié à ce m onde
savoir, et des Polonais me l'o n t co nfir­ com plaisam m ent la rv a ire voulu p a r
mé, que la Pologne im m édiatem ent le m e tte u r en scène. La fille est jolie,
après la guerre, a u so rtir d’effroyables nigaude, échappée en dro ite ligne d 'u n
hécatom bes, abo rd a chez ses m eilleurs m anuel d ’Ado Kyrou. R ésum ons-nous :
élém ents de to u t bord, la recon stru c­ à l’opposé de ce que nous trouvons chez
tio n du pays, l’éd ification d’un ordre d’au tres g ra n d s névrosés du ciném a,
social nouveau, plus équitable, avec u n u n N icholas Ray, u n Georges F ra n ju ,
réel enthousiasm e, e t que là comme le m onde d'A ndrzej W ajda, pue le
ailleurs, l'in sta lla tio n progressive de chiqué, la pose continuelle, e t relève
la guerre froide, le durcissem ent du quand m êm e pour une bonne p a r t du
stalinism e, ré d u isiren t à n é a n t la plu­ psychanalyste. Le « cas W ajda, oui;
p a r t de ces espoirs. u n g ra n d film, non. R egrettons que
l’au th en tiq u e révolte de G énération a it
F in ale m e n t W ajd a renvoie to u t le ainsi dégénéré en u n nihilism e pour
m onde dos à dos, ne tire rie n au clair, esth ète de province.
n 'é ta b lit ferm em ent a u cu n caractère.
S a seule réu ssite e st la direction de ses Louis MARCORELLES.

Copie conforme
SIGNE ARSENE LUPIN, film français d ’YvES R o b e r t . Scénario : J e a n -P a u l
R ap p en au d'après ' le ro m an de M aurice Leblanc. Im ages : M aurice B arry.
Décors : R obert Clavel. In terp réta tio n : R obert Lam oureux, Alida Valli, Yves
R obert, Roger Dumas, Jacques Dufilho, Michel E tcheverry, Ju d ith M agre. Pro­
duction : R obert Sussfeld, 1959. D istribution : G aum ont.

Les a v a ta rs d ’Arsène L upin, vus à solitaire, besogneux traq u é ou m a g n a t


tra v ers l’œ uvre de M aurice Leblanc, to u t-p u issa n t. Ce n ’est p as p o u r rien
co n stitu e n t u n des cas les plus curieux que, d 'u n récit à l’au tre, il s’affuble de
de l’h istoire du ro m a n contem porain. pseudonym es tra n sp a re n ts. A rsène L u ­
L upin n a ît officiellem ent de la plum e p in dem eure, m ais il n ’y a aucun r a p ­
de son c réateu r, en 1904. En fait, ses p o rt e n tre Don Luis Perena, Raoul
prem iers exploits so n t censés d a te r du d'Andrezy, Victor (de la brigade m o n ­
d ern ie r tiers du X IX e siècle. H achèvera daine), R aoul d’Avenac, Jim B a rn e tt, le
sa b rilla n te carriè re à la veille de la prince S ernine, Je a n d’E nneries et
deuxièm e guerre m ondiale. E n tre temps, H orace Velmont. Dès lors, spectaculai­
que de m odes contradictoires, puisque rem en t p a rla n t, convenons qu'il existe
successives ! Or, m e n e u r de jeu, pourvu une in fin ité de Lupins possibles, et
d 'u n e éternelle jeunesse, Lupin, pour que, dev an t u n e telle licence à eux
g ard er son prestige, se devait, quoi qu’il accordée, le seul souci des producteurs
arrive, de dem eurer à la pointe de reste de faire coïncider leur Arsène
l'a c tu a lité . Alors q u 'il convient aux personnel à celui que la m ajo rité du
héros de « sériais » de d em eurer id en ­ gros public conserve en son im ag in a­
tiques à eux-m êm es d’u n livre à un tion a tte n d rie , d a n s la panoplie idéale
autre, Lupin, lui, se m étam orphose des rêves d'adolescence, e n tre Alice,
p hysiquem ent e t m o ralem en t au fil C yrano e t d'A rtagnan...
des volumes qu i c o n te n t ses exploits. Tel est donc l’a rg u m en t m a je u r de
Il est, selon l’o pportunité, barbu, m ous­ lèse-m ajesté à opposer à Yves R obert :
tachu, imberbe... a th létiq u e ou gring a­ u n L up in d on t nous savons, a priori,
let, p a rfa it escroc ou idéal justicier, qu’il v aincra tous les obstacles ne nous
g en tlem an ou titi, infaillible ou v u ln é ­ intéresse pas plus qu ’u n vulgaire H op-
rable, so u p ira n t tra n s i ou Don J u a n palong Cassidy do nt nous sommes
blasé, chef de b an d e ou aventurier d'em blée c erta in q u ’il ex term in era tous

57
les vilains du h a u t de son cheval blanc. G ra n t, « Robie th e C at » de L a M ain
Mais, cette réserve m ise à p art, recon­ au collet.
naissons que le scénariste, Je a n -P a u l Face à ses devanciers, L am oureux
R appenau, a trav a illé avec beaucoup e st-il sa tisfa isa n t ? Non, m ais la fa u te
plus de piété que l'équipe Becker, e t en en incom be bien m oins à l ’in te rp rè te
p a rfa ite connaissance de cause des p a r ­ qu’a u x scénaristes. Superficiellem ent,
ticu larités p e rm a n e n tes de son héros. R obert Lam oureux est u n L u p in p a r ­
Presque to u t y est, le côté cocardier fa it : gouaille, désinvolture, souplesse,
de « l’é clat d’obus », le goût des m a c h i­ élégance, ironie, séduction légère, rie n
na tio n s à l'échelle in tern atio n ale, chè­ n e m anque au côté « a m u se u r-p re sti-
res à « 813 » ou a u « triangle d'or », gieux- p a ra d a n t - devant - la - galerie ».
l'am ou r des énigm es historiques issu de M ais L upin n ’est pas seu lem en t cet
« L'aguille creuse », ou « L'île aux esbrouffeur de tréteaux . Ce qui élève
tre n te cerceuils », l'idylle avec l’enn e­ précisém ent le héros de M aurice L e­
m ie belle e t m a lfa isa n te (La comtesse blan c à cen t coudées au -d essu s d’u n
de Cagliostro », « Les .confidences », Raffles, son prédécesseur, ou d ’u n Si­
s Les trois crim es »), la volupté des dé­ m on Tem plar, son pâle d esc en d an t,
guisem ents spectaculaires... On salue c'est que, si génial soit-il, il n ’en reste
a u passage Isidore B ë au tre le t (fo rt bien pas m oins hum ain, d’u ne h u m a n ité qui
cam pé, m a foi), e t l’inspecteur B é- souffre, doute, hésite, s’interroge. Il
choux, Je a n -P a u l R appen au n ’a pas n ’est pas une seule av en tu re d ’A rsène
oublié que L upin te n a it de son père ou, à u n m om ent donné, to u t n e soit
T héop hraste, u n e solide p ratiq u e du irrém édiablem ent p erdu pour lui, e t où
sp o rt de la savate, qu'il a d o rait signer il n e doive son s a lu t et sa victoire q u'à
son nom su r les m urs, qu’il ne po u­ l'indulgence condescendante d ’u n en -
v ait s'em pêcher de tu to y e r ses ad v er­ nem i atte n d ri. E t il est à sig n a le r que
saires en les a p p e la n t p a r leurs p ré ­ les m eilleurs livres de Leblanc, « L ’ai­
noms. Les références so n t si précises guille creuse », « 813 », « Les tro is c ri­
et si m ultiples qu’on se ra it te n té de m es », « Les den ts du tig re » s’a c h è v e n t
su ren ch érir : « —. E h quoi, l’action se su r des déroutes totales ou p artielles.
'déroule en Bourgogne e t non dans cette Or, cette faiblesse to u rm e n té e e t
.N orm andie chérie où Leblanc place anxieuse — qui rend L upin c h e r à n o ­
toutes ses actions ? Comment, L upin a tre cœ u r — nous ne la tro u v o n s p as
u n dom estique m âle (l’irrésistible J a c ­ d a v a n ta g e dans Signé A rsène Lupin
ques D uîilho) e t non plus sa fidèle que d an s le film de Becker.
Nounou V ictoire ? Qu’est-ce à. dire, il
prélève u n p ou rcen tag e sur le trésor N uances de détail, qui, p a r la fra g i­
historique qu'il a déniché, lui qui, dans lité m êm e de leurs réserves, d é m o n tre n t
« Vaiguille creuse » s’exclam ait : « Tu que Signé Arsène L upin est, d an s son
diras à l’univers Que je n ’ai pas pris ensemble, u n e oeuvre de h a u te fidélité.
un e seule de s pierres Qui se trouvaient Que ceux qui objectero nt la faiblesse
dans le coffre. Je n ’en avais pas le de l’intrigue, relisen t « La b a rre -y -v a »,
droit, c’é ta it la fo rtu n e de la France. » la « dem eure m ystérieuse » ou « La
fem m e aux deux sourires ». Us y v e r­
Les a p p aritio n s ciném atographiques ro n t que Leblanc lui-m êm e n e red o u ­
d'A ndré B rûlé m e fo n t douter qu ’il a it ta it p a s de m êler le rocam bolesque a u
pu être, su r scène, a u tre chose qu’u n dérisoire. Certes, la mise en scène, assez
duc de C harm erace ép ouvantablem ent tern e, d ’Yves R obert, est loin, bien loin
em poté. Jules B erry é ta it d éjà tro p des ch atoiem ents de Jacq ues Becker.
vieux de quinze ans lorsqu’il reprit, M ais Becker, à l’accoutum ée, ne s’é ta it
dan s Arsène L upin détective, u n rôle servi d 'u n personnage que po u r dépein­
■qui eût convenu à merveille à ses a n ­ dre u n milieu, a v a it p rê té p lu s d’a tte n ­
nées brillantes. M elvin Douglas, dans tio n aux figu rante e t au x accessoires
rhollyw odin R etour d’Arsène Lupin, fu t q u 'à son héros e t aux péripéties qui le
bien mièvre, se fa is a n t souffler la v e -' concernaient. Les cinéphiles se d ev aient
d ette p a r la p étillan te Je a n A rth ur. Ce d 'a p p la u d ir à cette pochade sou ven t
sont de fa u x L upins que mes Lupins ravissante. Mais les « fa n a s » du g ra n d
préférés : R aym ond Rouleau, dans la Arsène p ré fé re ro n t la pieuse e t te n d re
série des « Georges Masse », d’H une- réalisatio n d’Yves Robert. E t comme,
belle, d o n t au m oins u n film, M éfiez- on l ’a p e u t-ê tre compris, j e raffo le
vous des blondes> fu t dans le genre u ne d’Arsène Lupin...
p a rfa ite réussite. (Mais to u t le m érite
en re v ie n t à R ouleau), et, évidem m ent
bien sûr, bien sû r évidem m ent, Cary F ran çois MARS.

58
NOTE S SUR D ’AU T R E S FILMS

de ces mères qui n ’ont pas le courage de


BeBenedek s’en va t ’en guerre casser la figure au général. Nous ne pouvons
être contre la guerre à la sortie de la pro­
jection, car ceux qui sont contre la guerre
•KINDER, MUTTER UND EIN GENERAL sont encore plus antipathiques que les au­
(DES ENFANTS, DES MERES ET UN GE­ tres. Voilà donc le prototype du film insi­
NERAL), film allemand de l ’Ouest de dieusement belliciste, par sa forme, sa cons­
L a s z l o B e n e d e k . Scénario : Laszlo Benedek truction et sa direction d ’acteurs, égale­
et Herbert Reinecker, d’après son roman. m ent nulles. Furieux, le spectateur qui vient
Images : Gunther Rittau. Musique : Werner de perdre deux heures a envie de monter
Eisbrenner. Interprétation ; Hilûe Krahl, dans la cabine faire flamber ces douze im­
Therese Giehse, Ursula Berking, Alice possibles bobines, heureusement réduites à
Treff, Marianne Sinclair, Beate Koepnick, dix grâce à, une intelligente initiative du
Ewald Baiser, Benihard Wicki, Maximilian Cinéma d ’Essai, qu’il faut féliciter ici. Ce
Schell. Production : Eric Ponimer-intercon­ Hongrois de malheur prénommé Laszlo,
tinental Produktion, 1955. Distribution ; Te- comme on l'a si bien surnommé en France,
lecinex-Ijes films de la Pleiade. croit qu’on peut faire un film intéressant
avec quinze personnages principaux, dont
On attendait Laszlo Kovacs, hélas ! voici, aucun ne se détache, auquel le spectateur
plutôt revoici Laszlo Benedek. « Avec mon puisse s’intéresser ou s'identifier. Qu’il lise
film allemand,, fa i voulu faire une œuvre notre rencontre avec Hitchcock, en début
humaine contre la guerre. Je suis contre la de ce numéro : ü comprendra le pourquoi
guerre », s’écrie Benedek dans Arts. Nous de l'échec commercial de son film. E t ce
aussi, nous sommes contre la guerre. Nous n ’est pas en ressuscitant la vieille équipe
sommes contre ces enfants imbéciles qui des Niebelungen (Rittau-Kettelhut) qu’il
veulent aller faire la guerre, contre ce gé­ pourra suivre les traces de l'ami Fritz. —
L. M .
néral qu'on voit à peine et qui fait la
guerre, pour ces mères qui font la guerre
à ceux qui veulent faire la guerre. Bref,
comme on sait tout ça depuis longtemps, *
on n'a pas besoin d ’aller voir ça. C’est de
la pure propagande, rien d'autre, et Que
le dessein de cette propagande soit noble ou
vil nous importe peu. De plus, c'est de la Cecil est mort
propagande qui ne porte pas. Il aurait
mieux valu faire un article dans Franco-
Soir qui tire à un million trois que d’en­ THE BUCCANEER (LES BOUCANIERS),
dormir quelques centaines de milliers d ’Al- film américain en VistaVision et Technico­
lemands et de Français avec un tel navet. lor d’ANTHONY Quiiw supervisé par C e c i l B.
Mieux vaut aller voir les Fuller : ce sont D e M i l l e . Scénario : Jesse L. Lasky Ji\ e t
des films bellicistes, d’accord, mais ils ren­ Berenice Mosk, d’après le roman de Lyle
dront votre antimilitarisme plus objectif, Saxon « La Fitte le pirate )>. Images :
plus im partial Le lieu commun de la Pro­ Loyal Griggs. Musique : Elmer Bemstein.
fession de foi antimilitariste est stérile ; Interprétation : Yul Brynner, Charlton
sa critique est productrice. Heston, Charles Boyer, Claire Bloom, Inger
Stevens, E.G. Marshall, Henry Hull, Dou­
H faut se méfier de tous ces gens qui' glas Dumbrille. Production. : Henry Wil-
clament sottement à tous vents : « Je suis co xon, 1958. Distribution. ; Paramount.
contre la guerre » : c’est que dans leur moi
intérieur, ils cherchent à masquer un rési­
du de fascisme et de patriotisme Qui som­ « Supervisé par Cecil », affirme le géné­
meille, qui peut surgir à tout bout de rique. En fait, pendant que son gendre tour­
champ, hélas ! Ce sont ceux-là qui ont nait Les Boucaniers, le réalisateur des Flu
déclaré la guerre à l’Allemagne en 1939, 'bustiers se baladait tranquillement quelque
ce sont ceux-là qui, comme dans le film part dans Paris. Certes, l’on retrouve, ici,
de Benedek, ont la lâcheté de ne pas dé­ certaines de ses méthodes : Quinn a joué
serter et de se laisser fusiller. Benedek ne dans Les Flibustiers e t a dû les revoir un
critique jamais la bêtise de ces enfants, ni bon nombre de fois avant d'en entreprendre

59
le remake. On remarque que tout ce qui
est acceptable ici est dém arquédel’original: La différence
dès le premier plan, Quinn retrouve en mi­
neur le ton de beau papa : il transpose
dans la couleur les conventions du décor . HOT SUMMER NIGHT (L’OTAGE DU
théâtral des Flibustiers, mais sans cepen­ G AN;G), film américain de D avid F r ie d k in .
dant retrouver l’emphase poétique de 2a Scénario ; Morton S. Fine et David Fried­
convention dans l’expression, des senti­ kin d’après une histoire de Edwin P. Hicks.
ments amoureux et patriotiques. Il com­ Images : Harold J. Marzorati. Musique :
pose de vastes et beaux tableaux avec André Prévin. Interprétation : Leslie Niel-
trente figurants dans le champ, tous ac­ sen, Colleen Miller, Edward Andrews, Jay
tifs ; 1a- variété des tons forts dans le plan C. Flippen, James Best, Paul Richards. Pro­
est aussi saisissante que dans Samson and duction : Morton S. Fine, 1956. Distribu­
Delilali. Le script est admirable, mais il est tion : M.G.M.
bien évident que Quinn ne comprend rien
aux intentions et à la philosophie de Quelle différence y a-t-il entre un bon
DeMille. Ce qui montre bien que la DeMiile petit film tourné en dix-huit jours et une
touch n ’est pas qu’un système de produc­ méchante petite bande réalisée en trois
tion ; c’est une école de mise en scène. semaines ? Sensiblement la même qu’entre
Brynner, Eoyer et Inger Stevens sont nuls. un chef-d'œuvre filmé en trois mois et un
Heston, malgré tout son talent, laisse voir navet pondu en six. Tout est affaire
qu’il n ’est pas très à son aise dans la peau d’hommes, pas de moyens : retenons donc
du général Jackson. Dès la fin de la pre­ le nom de David Friedkin, co-scénariste
mière demi-heure Quinn s’effondre; heureu­ et metteur en scène de Hot Summer Night.
sement que Nick Ray va le ressusciter avec
Ombre Bianch. Les multiples petites idées L’intrigue, rien moins que bâtie, ménage
des Flibustiers ont disparu dans Les Bou­ en son milieu un rebondissement fort
caniers. Signalons cependant deux idées de habile et, pour une fois, inattendu. On
couleur : Brynner coupe une pastèque, dont peut préférer la première moitié du scéna­
les tons vifs surgissent à l’improviste. Cela rio, façon Beau Serge, à la seconde, plus
fait de l’effet. E t qu’il est bon de voir un standard; mais Friedkin, s’il quitte les pis­
énorme régime de fruits qui, grâce à l’in­ tes vierges pour revenir en des sentiers
cessante hausse du coût de la vie, ne se plus fréquentés, garde toujours la même
trouvent sur les marché parisiens qu’à des démarche allègre : plans longs intelligem­
prix exorbitants. On a envie de sucer ment conduits, petites trouvailles peut-être
l'écran. Quel dommage que The Baccatneer plutôt que grandes idées, effets parfois
numéro deux n ’ait pas été réalisé en trois soulignés, mais toujours conscients, bref de
dimensions, c’est-à-dire sous la direction quoi calmer pour un soir la fringale du
effective de beau-papa, dont la critique, cinéphile. Et il n ’est que de voir la tête
en mesure aujourd’hui d’établir la compa­ du jeune premier pour convenir que le
raison, découvre, enfin, le génie. — l.m . talent fait avaler bien des choses. — Ch. B.

C es n o tes o n t é té ré d ig é e s p a r CHARLES BlTSCH e t L u c MOULLET.

N O TR E TABLE DES MATIÈRES


Du N° 51 au N° 100

est sous presse, et paraîtra


dans les premiers jours de 1960.

60
FILMS SORTIS A PARIS
DU 28 OCTOBRE AU 17 DÉCEMBRE 1959

10 FILMS FR A N Ç A IS

Arrêtez le massacre, film d ’A n d ré H unebelle, avec Jean R ic h a rd , Corinne M archand,


H arold K ay, V éronique V erlhac, Michel Jourdan, Geneviève Cluny. — O n ne saurait m ieux
dire.
Lie Déjeuner sur l’herbe. — Voir article d ’Eric R ohm er, dans ce num éro, page I.
La Jument verte , film en Franscope et en Eastm ancolor de C laude A utant-L ara, avec
Bourvil, Sandra Milo, Francis Blanche, Yves Robert, V alérie Lagrange, —■ D evenu son propre
producteur, C laude A u tant-L ara a réalisé son vieux rêve courageux : l ’objection de conscience
d ’un e ju m e n t verte. F aute d e pouvoir féliciter L ara pour son goût, son intuition, son intel­
ligence et sa sensibilité, applaudissons son courage : faire le fiim français le plus scatologique
de l ’année.
L e Mariage de Figaro, film en Eastm ancolor de Jean Meyer, avec Jean Meyer, Louis
Seigner, G eorges C ham arat, Jean Piat, Micheline Boudet, Y vonne G audeau, Georges Des-
crières, M aurice Porterat, — Si Beaum archais vivait d e nos jours, il ne lirait pas le Figaro,
De m êm e nous pensons q u ’à ce film il préférerait Charlotte et V éronique.
Nathalie, agent secret, film d ’Henri Decoin, avec M artine Carol, Félix M arten, Dario
Moreno, Noël Roquevert, Jacques Berthier, H ow ard V ernon , D a n y Saval. — Decoin, Jeanson,
M artine Carol, R oquevert : toute un e époque ! C ’était le bon tem ps, dites-vous ? Oui, A udiard
n ’était encore que le Jeanson d u pauvre; il est d evenu depuis le Jean H alain du riche.
Passeport pour le m onde, film en couleurs de Victor Stoîoff, avec la collaboration d e Peter
T ow nsend . — O n aurait aim é que ce passeport pour le m onde com ptât un visa pour l’A n g le ­
terre. Film é sous l ’ang le terre à terre, ce voyage est bien vite fastidieux. E t les bouges, et
la pègre, et les bordels, et les taudis, yes sir, que dalle [
Rue des Prairies, film d e Denys de la Patellière, avec Jean G abin, C laude Brasseur,
R oger D um as, Marie-José Nat, Dom inique Page, R enée Faure. — Michel A udiard continue
à cirer les chaussures d e jea n G abin, c'est-à-aiie à lui polir des mots d ’auteur sur m esure,
en sorte que le public ap plaudit chaque sortie de son idole bougonnante, tout com m e au bou­
levard d e nos parents.
Secret professionnel, film de Raoul A n d ïé , avec R aym o nd Peilegrin, D aw n A ddam s,
D aniel C auchy, Gisèle R ob ert, Marie-José Nat, Françoise Spira, Jacqueline Joubert, Georges
de Caunes. — Scénario caillavesque, technique économ ique, D aw n A d d am s a l’accent de
L aurel e t H ardy réunis. Poncifs et césarienne, m orale bourgeoise et pornographie insidieuse.
P auvreté n ’est pas vice ? Si, quelquefois.
Signé A rsène Lupin. — V oir critique de François M ars, dans ce num éro, pag e 57.
Tu es Pierre, film d e P h ilip pe Agostini, com m entaire d e Dàniel-Rops. — ...et sur cette
pierre je bâtirai m on navet. A rA g o stin î m ule du P ape, laissez-nous préférer 1’ k A gostino »
de Moravia, m is à l’in dex p ar le V atican,

7 FILMS A M E R IC A IN S

A Hole in the H ead (Un trou dans la tête). — Voir critique de Louis Marcorelles, dans
ce num éro, page 47.
The Buccaneer (Les Boucaniers). — V oir note de Luc Moullet, dans ce num éro, page 59.
South Seas Adüeniure (Aventures dans les mers du Sud), spectacle en Cineram a, réalisé
en Technicolor sous la direction de Cari Dudley. — Si vous aim ez le mal d e m er sans
bateau, les brûlures d ’estomac sans whisky, les m au x d e tête... sans raison, le vertige sans
Hitchcock, les aigreurs sans alcools, les rides sans soucis, allez au C ineram a et... pro m p t
rétablissem ent !
North by Northwest (La Mort aux trousses). — V oir critique de Luc Moullet, d a n s ce
num éro, pag e 52.
They cam e io Corâura (Ceux de Cordùrn), film en C inem aScope et en Technicolor de
Robert Ross en et Jam es Havetis, avec G ary Cooper, R ita H a y v o rth , V a n Heflin, T a b H unter.

61
Richard Conte. —• V ersion bavarde d ’A m ère victoire ; Rossen est u n éternel scénariste qui
transform e à tout coup ch aq u e situation forte en discussion d e pseudo-intellectuels. D e b e a u x
plans de bataille, dus à Jam es H avens, directeur d u « second u nit s.
T h u n d e r in the S a n (Caravane vers /e soZeil), film en Technicolor de Russel Rouse. a v e c
Susan HayWard, Jefî C han dler, Jacques Bergerac. — Les Indiens contre les Basques 1 R ussel
R ouse aura toujours le m érite de l’originalité.
W o m a n O bsessed {La F erm e des ho m m es brûlés), film, en Cinem aScope et en D e L u x e d e
H e n ry H athaw ay, avec S usan Hayw ard, Stephen Boyd, Barbara Nichols, D ennis H o lm es,
T h eodo re Bîkel. — S ’il est vrai que les hom m es se brûlent au contact des fem m es ob séd ées,
la traduction n ’est pas aussi gratuite. Alors, de quoi nous pl ai gnon s-no us ? Du film, ce q u ’il
est, com m e il est, pourquoi il est (un m élodram e paysan).

2 FILMS A L L E M A N D S

Die Strasse (La Rue), film allem and d e H erm an ÏCugelstadt, avec M artha W ailn er, H e in z
Dracfce, E dith E lm ay, M arina Petro'wa. —• Dans la ru e on voit des choses beaucoup plus in so ­
lites, m arrantes et salées qu e dans cette strass e sans joie.
Kinder, Mutter und ein General (De a enfants, des mères et un général). — V oir note d e
L uc Moullet, dans ce num éro, page 59.

2 FILMS ITA LIENS

Brèves amours, film italien en écran large et en couleurs de Camillo M astrocm que, avec
Michèle Morgan, V ittorio d e Sica, Georges M archai, Eleonora Rossi-Drago, Pierre Cressoy,
A lberto Sordi. — Brèves, m ais à épisodes (cf. F em m es d'urt été et la suite). Michèle M organ,
spécialiste de ce genre de coproductions, aurait-elle enfin trouvé sa voie ?
Il Générale délia Rouena (Le Généra/ de la Rovere). — V oir critique de L uc M oullet,
dans ce num éro, page 45.

1 FILM A N G L A IS

First Man Into Spac& {Pionnier de l’espace), film de R obert Day, avec M arshall T h o m p s o n ,
Maria L andi, R o bert A yres, Bill Nagy. — Lointain rem ake d u prem ier Q uaterm ass d e V al
Guest. Pouvait-on faire pire ? O n l ’a fait.

1 FILM ESPAGNOL

Un Hecho Violento (Le Canif» d@ la violence), film d e José M. Forque, avec R ich a rd
Morse A dolfo Marsillach, Ma bel K air. — H abile pastiche des films am éricains de b ag n es,
avec les rituels surveillants sadiques et innocents martyrisés. Les petits m oyens sont parfois
com pensés par l ’habileté incontestable du m etteur en scène.

1 FILM JA P O N A IS

Viol au Japon, film de Keiji Matsizaki et Hirosbî O nazaw a, avec Michiko M aeda, K en
LItsui, Susum u Fujita, T etsu ro T am b a . — U n viol, ce n ’est pas m al, au ja p o n c’est encore m ieux,
m ais nous perm ettra-t-on d e préférer certain viol consenti à H iroshim a ? Non, M atsizaki, tu
n ’as rien vu à N agasaki !

1 FILM M E X I C A I N

El Vampiro (Proies du vampire), film de Fernando M endez, avec C arm en M ontejo, José
Luis Jim enez. — A plagier systém atiquem ent les cadrages des classiques d u genre, on o btient
u n produit plutôt m oins ennuyeux que les habituelles fins de série.

1 FIL M P O LO N A IS

Popiol i Diamenti (Cendres et diamant). — V oir critique de -Louis Marcorelles d a n s ce


num éro, page 55.

62
LES CAHIERS DU CINÉMA
ont publié dans leurs p récéd en ts num éros :

E NT RET I ENS
avec Jacques B eck er ................................................................ N° 32
Jean R enoir ....................................................................... N os 34-35-78
L u is B u n u el .................................................................... * N “ 36
R oberto R o sse llin i ............. .............................................. N° 37-94
A b el Gance ............................................................................N° 43
A lfr e d H itc h c o c k ...............................................................N os 44-62
John Ford ........................................................................... ...N° 45
J u le s D assin .................................................................... ...N°s 46-47
Cari D rey er ...................... ............................ ................... ...N° 48
H ow ard H aw ks ................................................................ ...N° 56
R obert A ld rich ................................................................ ...N os 64-82
Joshua Logan .................................................................... ...N° 65
A n th o n y Mann ................................................................ ...N° 69
Gerd O sw ald .................................................................... ...N° 70 .
M ax O ph u ls .......................................................................... N° 72
S ta n le y K ubrick ................................................................. N° 73
V in c e n te M in n elli ......................................................... ... N° 74
Robert B resso n ................................................................ ... N° 75
Jacques T atî .......................................................................... N° 83
O rson W e lle s .................................................................... ... N oa 84-87
G ene K e lly ........................................................................ ... N° 85
Ingm ar B ergm an ............................................................... N° 88
N ich o la s R ay ................................... ................................ ...N° 89
R ichard B rooks ................................................................ ... N° 92
L uchino V isc o n tî ............................................................... N° 93
F r itz L a n g ............................................................................ N ° 99
G eorges Franju ................................................................ ... N° 101

63

i
CAHIER S DU C I N E M A
Revue mensuelle de cinéma
R é d a c t e u r s e n C h e f : JACQUES D O N I O L - V A L C R O Z E e t ERIC R O H M E R

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146, Champs-Elysées - PARIS (8e)
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A b o n n e m e n t 6 num éros : A b o n n e m e n t 12 n u m é r o s :
F ra n ce, Union Fra nçaise . . 1 . 7 0 0 Frs F ra nce, Un ion Fra nçaise . . 3 . 3 0 0 Frs
E tr a n g e r .................................. 2 . 0 0 0 Frs E tr a n g e r .................................. 3 . 8 0 0 Frs
E tu d i a n ts e t C i n é - C l u b s : 2 . 8 0 0 Frs (Fran ce ) e t 3.2 0 0 Frs (E tr a n g e r ).

Adresser lettres, chèques ou mandats aux CAHIERS DU CINEMA,


146, Champs-Elysées, PARIS-8' (ELY, 05-38).
C hèques p ostaux : 7890-76 PA R IS

Les articles n’engagent que leurs auteurs. Les manuscrits ne sont pas rendus.

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Nous rappelons que notre système de reliure est souple, résistant, d’un
maniement facile et que nous le proposons à nos lecteurs au même tarif
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CINEMA en lettres or, prévue pour contenir 12 numéros, s'utilise avec
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Les commandes sont reçues : 146, Champs-Elysées, PARIS (8*) —
C.C.P. 7890 - 76 , PARIS.

L e G é r a n t : J a c q u e s "D oniol-V alcroze


I m p r i m e r i e C e n tr a le d u C r o is s a n t, P a r i s — D é p ô t lé g a l 4e t r i m e s t r e 1959
1 8 1 9 - 1 9 5 9

Toute technique évolue...


y compris celle de la garantie
Comme son arrière-grand-père, l ’homme
de 1959 souscrit des contrats d 'a ss u ­
rance. Mais ces contrats sont ad ap tés
aux circonstances actuelles. Ils accor­
dent des garanties illimitées. Ils ne
comportent pas de déclaration de
capitaux.

L'hom m e moderne s’adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à Pavant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent ;


C’EST L A COMPAGNIE D ’ASSURANCES D U CINÉMA
E T DE L ’ÉLITE ARTISTIQUE F R A N Ç A ISE

33, RUE LAFAYETTE - P A R IS -1 X 6 - TRU. 98-90


= SERVICE P. A. I. p o u r P ARIS — P. R. I. p o u r la P R O V IN C E — — -------
ARTS
H" L'hebdomadaire
liü cra ire et artistique
qui accorde la p l u s
grande place au cinéma

CAHI ERS DU CINEMA, P R I X DU NUMERO : 300 F R A N C S

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