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CAHIERS

N ° 48 • R E V U E D U C IN É M A E T D U T É L É C I N É M A • N ° 48
Cahiers du Cinéma
NOTRE, COUVERTURE

JUIN 1955 TOME VIII - N« 48

SOMMAI RE

Lotte H. Eisner ........... Rencontre avec Cari Dreyer ......................... 1


André Bazin ................. Du Festival considéré comme un ordre . . . 6
A. Bazin, J. Doniol-Val-
croze, C. Chabrol, J.-J.
R ic h e r .......................... Ephéméride cannois .......................................... 9
Sophia Loren dans L’OR DE
NAPLES de Vittorio de Sica André M artin .......... .... Les M arx Brothers ont-ils une âm e ? ___ 23
d ’après les contes de Giuseppe Robert Lachenay ......... .. P etit journal intim e du Cinéma ................... 36
M arotta. (production : Ponti-
Di Laurentiis. D istribution :
Param ount.) Dé ce film qui a
divisé la critique et qui con­
n aît à Paris une brillante car­
rière , vous trouverez u n e . lon­ Les Filins
gue analyse, par André Bazin,
dans ce num éro, page 47. Charles Bitch ............... Naissance du CinémaScope (« Une étoile
est n ée ») ............................................... 40
François T ruffaul ........ Le Derby des Psaum es (« Vera Cruz ») 43
André Bazin ................. Un peu ta rd (Place au Cinéram a) . . . . 45
André Bazin ................. Naples cruelle (« L’or de Naplcs »} . .. 47
Philippe Demonsablon . Le plus court chemin (<c F ar Country ») . 52

Jacques Audiberti ........ B illet V III .......................................................... 54


Amédée Ayfre ............. Cinéphile et Filmologue .................................. 57
Films sortis à P aris du 27 avril au 31 m ai 1955 .................................... 61

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle du Cinéma et d u Tèlê-cinéma,


146, Champs-Elysées, PARIS (8«) - Elysées 05-38 - Rédacteurs en chef
André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze et Lo DUtia.
Directeur-gérant : L. Kelgel.

Tous droits réservés — Copyright by les Editions de ['Etoile.


RENCONTRE AYEC
: : 1f *-: ' : I «\''i { : \ "■ : 1
CARL DREYER

Par L o tte H. Eisner


D reyer e t la fille de Kaj Munk, a u teu r de
la pièce Ordet que D reyer vient de porter
à l’écran.

Dans l ’ancienne a Revue du cinéma », des années 1928-30, de notre regretté ami
Jean George Auriol, il y eut un bel article nous parlant de « la magie blanche » des
films scandinaves en opposition à « la magie noire » des films possédés des Alle­
mands. E t il semble avoir ce côté quansi-transcendental, voué au pur mysticisme, dans
ce Copenhague aux contours bien découpés où le sobre brique rouge se mêle au doux
vert cuivré des toits et des tours devant un ciel limpide nordique qui en fait sortir
les lignes saillantes. Curieux exemple de cet équilibre de l ’au-delà et du bourgeois
qui y voisinent : Benjamin Christensen qui créa la fascinante et ambivalente Sorcel­
lerie à 7 'ravers les âges est propriétaire d ’un gentil cinéma des faubourgs et Cartl
Theordor Dreyer, créateur de l ’envoûtant et ténébreux Vampire possède au sein même
de la ville l ’un des cinémas les plus élégants, ^e « D agmar Teatret », car au D ane­
mark les cinéastes de mérite reçoivent de l }E ta t en remerciement la concession d ’un
cinéma, comme en France, pays de la régie, les vieux militaires, les fonctionnaires à
la retraite ou leurs veuves reçoivent des bureaux de tabac.
Ainsi je vais au « Dagmar Teatret d pour voir dans son bureau qui ne sei dis­
tingue guère de tous ces bureaux à la fois sobres et cossus d ’hommes d ’affaires, le
grand metteur en scène de La Passion de Jeanne d 1Arc que nous aimons tant. Depuis
le 10 janvier on joue au « Dagmar Teatret », le now eau film de Dreyer, Ordet (La
Parole) ; toutes les critiques en ont été enthousiastes, et le public afflue. Dreyer a
pu réaliser en 1 9 5 4 le film dont il rêvait depuis longtem ps; car Dreyer n ’étant pas
obligé de vivre, comme beaucoup de cinéastes, du produit de ses réalisations, ne
tourne de films que quand un sujet le tente. Il n ’a tourné d ’ailleurs depuis 1920 que
douze films en tout, et entre son avant-dernier film important Jour de colère, tourné
en 1 9 4 3 , et son nouveau film, il y a plus de dix ans d ’attente. Comme Gustav Molan-
der en Suède, vers 1 9 4 3 , il a tiré Ordet de la pièce célèbre dans tous les pays S c a n ­
dinaves de K aj Munk, poète fervent, jadis pasteur dans une paroisse de Jutland,
patriote intrepide que les Nazis ont abattu en 1 9 4 4 . « Ordet », la pièce, fut jouée
la première fois en 1932 et Dreyer me raconta son émotion devant ce drame de la
foi : dans un pays où le témoignage de Dieu n ’est pas le seul privilège du sacerdoce,
Munk nous montre un vieux fermier riche qui pendant sa longue vie a fait preuve

1
d ’une croyance chrétienne évaluant d;ms
la joie, doctrine radieuse qu'il oppose au
fanatisme religieux d ’un tailleur qui a
rassemblé autour de lui des zélateurs
aussi ténébreux que lui. Mais le vieux
fermier, touché par la grâce d ’un ciel qui
permet le bonheur sur terre, devient une
sorte de Job : un de ses fils, « celui qui
ne croyait p as.» perd Inger, sa femme,
en couches ; celui qui croit trop fièvreuse­
ment devient fou, se pend pour Jésus-
Christ, et le troisième, être jeune encore
malaxable, se sent attiré par la fille du
tailleur fanatique. Drame de la foi où la
croyance intense qui ne se marchande pas
sort victorieuse : le fou Johannes (i), re­
devenu sain, reproche aux affligés, de­
vant le cercueil d ’Inger, leur manque de
foi et prononce la parole du Christ
« Femme ressuscite ». Inger rouvre les
yeux et se lève de son cercueil.
Discrétion de Dreyer : nous ne voyons
d ’abord ce miracle de la résurrection que
grâce au visage plein de tâches de rous­
seur d ’une petite fille confiante : cette
frimousse anxieuse, intense, comme cris­
pée, se détend, s ’irradie lentement, bou­
Ordet de Cari Dreyer.
che et yeux sourient avec bonheur. D is­
crétion de Dreyer : il nous a montré sur
le visage du médecin un léger signe de doute, de surprise à la vue de la morte
dont les traits sont inaltérés. Catalepsie qui s’efface ou résurrection miraculeuse ?
Dreyer dont l ’esprit religieux ne fait aucun doute, laisse le choix de l ’explication à
J'esprit plus ou moins récalcitrant de chaque spectateur, et sauve ainsi cette scène du
chromo et du conformisme.
Parlons de cette scène-clef qui a tout du Dreyer que nous aimons : dans la
grande salle aux cierges allumés et dont la lueur se mélange à des effluves presque
aussi brumeuses que l ’atmosphère énigmatique dans laquelle évolue Le Vam pire ,
dans cette salle vaste aux multiples rideaux se détache, noir et blanc, auprès des
endeuillés en habits noirs sur leurs chaises noires. Gammes du blanc, gris et noir
dans toute la variété qu ’aime le Dreyer du Jour de colère, sa palette s’épanouit vers
des nuances infiniment subtiles. Pendant un temps très long, lourd comme l ’éternité,
Dreyer nous montre le haut du cercueil, le visage du cadavre, de telle façon q u ’il nous
présente le dessous du menton et le cou légèrement gonflé ; et nous pensons au plan
de la tête de David Grey dans son cercueil à vitre, pris en contreplongée.
J ’affirme à Dreyer que pour la première fois (si l ’on excepte la fugue d ’orgue
retentissante du triptyque du Napoléon de Gance), j ’ai senti l’extrême nécessité,
l ’intense efficacité de l’écran large. Car Ordet a été conçu primordialement, esthéti­
quement pour l ’écran large ; rien n ’y est truqué, la vaste composition, le rythme épi­
que, solennel, de l ’action, le lent mouvement de la caméra, ce mélange savant 'de
plans moyens et éloignés que Dreyer aime nommer « des gros plans glissants », les
(1) Le fou Johannes est joué par Preben Lersdorff Rye qui, onze années auparavant, avait
incarné le jeune fils amoureux de sa belle-mère dans Jour de co?ère. Inger, la jeune femme
enceinte, a été jouée par une jeune actrice, Brigitte Federspiel, qui attendait réellement un
bébé. Pour les scènes de l'accouchement, elle a insisté pour que Dreyer fasse enregistrer ses
propres gémissements à la clinique. Autre aspect néoréaliste : des paysans et fermiers de
Veders ont joué de petits rôles.

2
figures qui se figent parfois telles des statues dans toute leur plastique ou semblent
à d ’autres moments, perdre de leur volume et se transformer en gravures sur bois,
telles les rêves de Masereel, exigent un immense espace. Jusqu’à aujourd’hui nous
admettions l ’écran large surtout pour les extérieurs : ici même dans une vaste salle
de ferme aux lourds meubles jutlandais, épars, la largeur de l ’écran devient un
impératif catégorique : il la faut pour remplir cette ambiance paysanne où l ’épique,
l'héroïque émanent de cette tension a psychologique » qui se développe lentement et
où les relations humaines obscures, confuses, qui vont d ’un personnage à i'autre, la
retenue des âmes en mal d ’expression et dont chaque figure semble enveloppée, ont
besoin de ce grand espace qui a quelque chose d ’infini. E t si dans un de ces inté­
rieurs l ’une des personnes va vers une autre ou sort lourdement de la pièce, il faut
cette longue attente d ’un passage qui cache en lui beaucoup plus de a suspense » que
bien des « thrillers ».
Que Dreyer ait trouvé pour ses extérieurs, tournés d ’ailleurs comme il le précise,
dans la paroisse même de Kaj Munk, à Veders, pour ces dunes étendues où frémit le
vent qui brosse les longues tiges d ’herbe, une impression de largesse expressive, qui
s ’en étonnera ? Inoubliable aspect : violemment, comme un coup, mais terriblement
lentement quand même passe sur toute la largeur de l ’écran, devant une mer secouée
d ’épis trop hauts, au-dessous d ’un ciel balayé de nuages blancs, le corbillard avec
ses chevaux, tout noir, bas, comme allongé, encore vide, et son cocher étrangement
bossu sous sa houppelande drapée, au visage invisible, ressemble comme un frère au
cocher de la calèche fantôme qui zigzague dans Nosferatu, cet autre vampire. Moment
décisif où cette image sur écran large nous coupe le souffle.
Dreyer me parle de ces effets, de la composition savante de ses plans où il a
désiré atteindre une perfection telle que sa vision imprègne tout entière l ’âme de ses

Ordet, de Cari Dreyer.

3
spectateurs. S ’il avait choisi pour Vampire une maison, une grange véritables, déla­
brées à souhait, cette fois-ci au contraire il n 'a voulu tourner que les extérieurs dans
une ferme jutlandaise authentique.
— De cette ferme je n ’ai fait venir que des meubles, puis mon décorateur habi­
tuely E rik Aaaes gui f u t également celui de Calvaleanti, a feuilleté avec moi des
vieilles revues d 'il y a trente ans, époque où se situe le sujet. J 'y ai trouvé des illus­
trations des vieilles demeures du Jutland d ’autrefois.
Aussi loin va le désir d'authenticité de Dreyer qu'il n ’a pas voulu tourner dans
des intérieurs d'aujourd'hui, même modifiés. Ensuite il a procédé comme pour Jour
de colère : il a fait installer les meubles jutlandais exactement où il fallait, avec son
goût sur de la composition ornementale (dans le bons sens du mot, il ne s'agit pas d ’un
décoratif stylisé.
— Je veux que totit s'adapte dans la composition d'une image, que tout soit à sa
place. J ’aime un blanc intense qui est apte à faire ressortir certains demi-tons.
■ Voilà un de ses secrets. Les problèmes de la couleur le hantent d’ailleurs depuis
longtemps.
— ■ J 'a i toujours , de-puis des années , voulu tourner un film sur le Christ en P ales-
Une. D'abord j'ai rêvé de le faire en noir et blanc , c'est-à-dire ce que j'entends -par
ce 'procédé : avec toutes les nuaticcs de gris possibles à la maniéré de la gravure sur
bois, large , à grands traits. Aujourd'hui je pense à utiliser la couleur.
Dreyer me tend la traduction anglaise d ’un article sur la couleur où il a fixé sa
théorie.
—- I l ne fa u t utiliser les couleurs d'une maniéré soi-disant « naturaliste v. La
nature a d ’ailleurs trop de variétés infinies , tous ces demi-tons que l'œ il intercepte
malgré lui et sans trop s'en apercevoir ne sont jamais rendus dans ces film s aux cou­
leurs « naturalistes ». Qui, sauf les Japonais , a pensé aux effets émotionnels de la
couleur , qui à ce que j ’appellerai les constellations de couleur, le rythme de la cou­
leur ? I l fa u t aussi comprendre que le mouvement joue son rôle : dans des plans
glissants les couleurs vont se mélanger. H fa u t savoir monter un film en coideur d'une
manière nouvelle pour ne pas en déranger Vharmonie.
De nouveau on sent le Dreyer, grand compositeur des effets picturaux de La
Passiffn de Jeanne d'Arc, où le gros plan est conçu dans un dynamisme égalé seule­
ment par Murnau. Dans Ordet, comme dans Jour de col'ere, Dreyer vise à une com­
position quasi statique, même dans le mouvement, ce qui intensifie efficacement
l ’atmosphère. (Je repensais à son sens inné de l ’architectural, quelques jours plus
tard à Elseneur dans le château de ICronberg que n ’a jamais hanté le fantôme de
Hamlet. Ici, dans ces vastes salles longues, aux proportions parfaites, où toute la
beauté consiste dans la régularité^ harmonieuse de la rangée des arches latérales où
s’intercalent les larges fenêtres, et où le blanc uni des parois correspond à la perfec­
tion de la lignée des poutres sombres qui seules en ornementent la largeur et en accen­
tuent la pure clarté, je pense aux exigences de l ’harmonie du clair et sombre comme
les formuîe Dreyer.
—* S i je tourne mon Christ en Israël, j'utiliser ai très peu de couleurs ; il ne fa u t
jamais oublier que le blanc et le noir doivent être les couletirs prépondérantes dans un
film en couleur. Grâce à quelques couleurs le blanc semblera plus blanc et le noir plus
noir. C'est pourquoi je ferai ce film en couleurs à la maniéré des gravures sur bois.
Je ne veux pas le faire, et le sujet comportera toujours ce danger, en a Oeldruckma-
nier « (Ici Dreyer utilise le mot allemand pour le genre « chromo ».
J ’essaie de parler à Dreyer de la composition de son Quatrième Alliance de la
Dame Marguerite (1921) qui me semble contenir déjà toute cette perfection d'h arm o ­
nie entre personnages, meubles, parois lisses, où tout s’équilibre, est a à sa place d.
Dreyer ne veut rien savoir de ces films anciens, ni de l ’humour de cette œuvre, ni de
celle du Maître du Logis (1925), cela ne lui dit plus rien. Il n ’y a q u’un seul de ses
films avant La Passion de Jeanne d '1Arc qu ’il aurait voulu revoir : c ’est Michael,

*4
Ordet de C ari Dreyer.

tourné en 1924 en Allemagne d’après le roman d ’un auteur d ’une nostalgie étrange,
Hermann Bang. qui m 'a toujours semblé porter en lui la tristesse d ’un Stiller ou
d ’un Murnau.
— Michael était un véritable Kammerspielfilm, je voudrais savoir s’il est perdu
à jamais ?
Dreyer m ’interroge sur mon impression de la version sonorisée de La Passion de
Jeanne d ’Arc.
— Je savais que mon rythme serait détruit, ce n- est pas le rythme de la musi­
que d 'un Bach, d'un Beethoven. (2). Cela m ’effraye que le texte véritable du procès
ne serve plus de « pause rythmique », car dans le film muet les titres étaient plu’A
qu’une explication, ils étaient encastrés organiquement, tels des pilastres dans un bâti­
ment. J'aimerais qu'une copie muette, tel que ce film fu t conçu, soit gardée dans son
intégrité a la Cinémathèque françase, une copie sans coupure.
Mais Dreyer aime aussi aller de l ’avant.
— Je voudrais faire des essais en Cinémascope. Z>’ailleurs qui nous dit que ce
procédé exige la couleur 1 N e serait-il pas aussi bien pour un film ~?toir et blanc ?
Il s ’agit évidemment du noir et blanc à la manière de Dreyer.
L O T T E H . E IS N E R .
(2) Dreyer sait ce q u ’il dit : pour Orde£, il n’a pu faire composer la musique par le
compositeur qui avait si parfaitement su accompagner les images de Jour de colère, car Paul
Schierbeck était mort entre temps. Mais Dreyer a trouvé dans les papiers laissés par Schierbeck
des morceaux d ’une partition qui lui a semblé adéquate à l’atmosphère à'Ordeb et il les a
utilisés.

5
DU FESTIVAL CONSIDÉRÉ COMME UN ORDRE

p a r André Bazin

Considéré de l'extérieur, un Festival et notamment celui de Cannes, apparaît comme


’’entreprise mondaine par excellence. Mais pour le festivalier, si f ose dire, professionnel,
comme sont justement les critiques, rien en réalité non seulement de plus sérieux, mais de
moihs « mondain » dans l’acception pascalienne du mot. Pour les avoir presque tous « faits »
depuis 1946, f a i assisté à la progressive mise au point du phénomène Festival, à V orga­
nisation empirique de son RITUEL, à ses hiérarchisations nécessaires. J ’ose comparer cette
histoire à la fondation d ’un ordre et la participation totale au Festival à l acceptation provi­
soire de la vie conventuelle. E n vérité le Palais qui se dresse sur la Croisette est le moderne
monastère du cinématographe.
On croira peut-être que je cherche le paradoxe. Il n ’en est rien. Cette comparaison
s’est imposée à moi d ’elle-même à l ’issu de ces dix-sept jours de pieuse retraite et de oie
strictement « régulière ». S i la règle en effet définit VOrdre, conjointement à la oie con­
templative et méditative, à la communion spirituelle dans l’amour de la même réalité trans­
cendante, le Festival est un ordre. Venant de tous les coins du monde, des journalistes de
cinéma se retrouvent à Cannes pour y üiüre deux semaines d ’une vie radicalement d iffé ­
rente: de lexir oie privée et professionnelle quotidienne. D ’abord ils sont « invités » c ’est-
'à-dire mystérieusement pris en charge par VOrdre qui leur assigne à chacun une cellule
confortable mats néanmoins relativement austère {les palaces sont pouf les membres du jury,
les vedettes et les producteurs). C e luxe décent n’excède pas celui qu’exige leur travail et
j ’échangerais bien des cellules monacales de ma connaissance contre une chambre à l’H ô tel
S . ou M . A la planche près naturellement ! M ais un juré de l’an dernier, Luis Bunuel,
s ’est empressé de faire remplacer son matelas au CarIton par la table de bois sur quoi il est
habitué à dormir.
L ’aspect le plus caractéristique de la ûie festivalienne est l’obligation morale et la
régularité des activités. L e journaliste se fait réveiller Vers 9 heures du matin. A v e c son petit
déjeuner on lui monte le rituel du jour, je Veux dire les deux journaux du Festival : les
Bulletins de îa Cinémato et du Film Français. II y trouve les offices de la journée. Ils ne
s’appellent pas Laudes, Mâtines et Vêpres, mais « Aurore », « Matinée » et « Soirée >».
Car, de même que le déjeuner est devenu le second repas et que le dmer a glissé e n deux
siècles à la place du souper, les matinées du Festival sont vespérales et les soirées noc*
turnes. A quelque heure tardive qu’il se couche, le Festivalier est donc debout aux
(t Aurores » c ’est-à-dire pour la ou les séances privées de 10 h. 30. L ’office se célèbre
dans une des chapelles de la ville. A près quoi on revient Vers 1a Maison-M'ère pour la céré­
monie du Casier. Celle-ci consiste à prendre au service de presse les papiers du jour ;
press-books des films présentés et invitations qui n’ont pas été envoyées directement aux
hôtels. Il est alors midi trente, l’heure, en général, d’une conférence de presse qui four­
nira des sujets de réflexion pour un déjeuner tardif. A trois heures on se retrouve sur la
brèche pour le film de l’après-midi dans la basilique du Palais. L e rituel d ’accès vespéral
étant un peu relâché je décrirai plutôt celui du soir. Sortie vers 6 heures. L e journaliste de
quotidien du matin commence alors à songer au papier qu’il téléphonera vers 20 heures.
L es autres ont l’esprit plus libre pour se rendre aux cocktails qui se tiennent généralement
à 18 h. 30. Dîner oers 20 h. 30 préludant à la cérémonie la plus importante de la journée :
la prise d ’habit. L ’Ordre festivalier impose en effet sa tenue conventuelle, du moins pour
les offices du soir. Je suis assez Vieux pour avoir assisté à la constitution de cette règle el
même pour l’avoir vécue. E lle n’était que facultative lors des premiers festivals de Cannes
et de Venise. L a jeune presse et, moins ostensiblement certains éléments de la presse d ’avant
guerre aux attaches prolétarinnes, affectaient le mépris du smo\ing. I l arrivait même que le

6
La fraternisation C habrol-K yron fut le g ra n d scandale du festival (en h a u t à gauche) ;
Domol-Valcroze et R icher av a ie n t pris le parti d’en rire (en h a u t à droite) ; q u an t à
Youtkevitch, Litvack, Lydie D.-V. et Dignim ont, ils a v aien t d ’au tres sujets de distraction.

costume foncé posai des problèmes. Je les ai eus céder les uns après les autres. Il y a eti
Vannée de V emprunt, celle du smoking du copain trop étroit et aux revers démodés, puis
finalement Ventrée dans VOrdre. A ujourd'hui non seulement toute la presse a adopté Vuni­
forme mais il lui paraît tout naturel. Quant à moi je Vauoue sans fausse honte, le smoking
m’aüanfage, surfouf le b farte / Quoique le nœud de cravate me pose foujoars des problèmes.
9
M ais Vhabit seul ne fait pas le moine, la cléricature nous est conférée par la machine
électronique dispensatrice des cartes inimitables permettant de franchir la clôture. Une fois

7
dans les lieux saints cependant, une autre hiérarchie se manifeste ou, si Ton préfère, une
différenciation fonctionnelle. L es journalistes ont leurs stalles réservées à Vorchestre entre
le sixième et le dixième rang. Les laisserait-on libres, qu'ils s’y dirigeraient en connaisseurs.
Us méprisent le balcon trop éloigné de Vécran et tout juste bon pour les jurés et les oedcites.
C ’est pourtant vers le balcon que conüergent tous les regards. En oain du reste car l’archi­
tecture du Palais de Cannes est un défi aux mœurs festivaliennes. Celles-ci veulent que le
spectacle soit d ’abord dans la salle et même dès son accès. Ceux du Palais cannois sont
ridiculement exigus et font de l’entrée et de la sortie une incroyable bousculade. L es années
de mauvais temps, le piétinement sous la pluie des invités qui ne peuoent entrer assez vite!
est le tombeau des robes du soir. Venise l’a bien compris qui a fait construire un immense
oüant-palais où Von a tout le loisir de se regarder. A Cannes au contraire on a négligé un
Vaste terrain vague pour coller le Palais à la Croisette de façon à rendre son absurdité irré­
médiable. Quant à l ’intérieur il faut lui accorder une harmonie certaine des /ormes et des
couleurs, mais la position du balcon par rapport à l’orchestre prive les spectateurs payants
du principal plaisir qu’ils viennent y chercher. Ce qui ne laisse pas de donner aux journa­
listes un sentiment supplémentaire de supériorité. E ux, les blasés, qui ne jettent q u u n coup
d 'œ il distrait à Lollobrigîda quand ils ont la faveur bénigne de la voir comme je vous voist
savourent le sérieux qui les fait différents de ces pauvres publicains prêts à tout pour
apercevoir leur idole. Pour nous qui savons que la religion a besoin de ces pompes specta­
culaires, de cette liturgie dorée, nous savons aussi où est le vrai D ieu et si ces manifestations
nous suggèrent plus de pitié condescendante ou amusée que de révolte purificatrice, c ’est
que nous savons que tout en définitive tourne à sa p/os grande gloire.
Vers minuit et demi, on se retrouve sur la Croisette où J e petits groupes se constituent
bientôt dans les bars d ’alentour pour discuter devant un citron pressé des film s de la journée.
Une heure après on va se coucher. A 9 heures on frappe, c’est le petit déjeuner et le rituel
du nouveau jour.
A u programme que je viens de décrire s’ajoutent les fêtes. Il en est d ’ordinaire trois ou
quatre notables dont deux importantes. L e voyage aux Ilest avec la soupe, à la rouille,
et l’épisode traditionnel du streap-tease de la starlett de Vannée sur les rochers et l e souper
de clôture. L e s accessoires étant les réceptions Unifrance, Umtalia et parfois la Mexicaine
ou VEspagnole. Chacune de ces réceptions-soupers donne lieu à de petits drames kalfkaïens
car une partie de la colonie journalistique se voit mystérieusement oubliée. L es élus feignent
la compassion indignée et pestent aoec les victimes contre la mauvaise organisation qui ne
peut qu’être responsable d’une aussi maladroite l a c u n e , secrètement fiers au fond d ’être pour
cette fois de ceux qu on ne néglige pas, L e comble du genre fu t atteint la première année
aoec la mémorable réception soviétique dont les invitations avaient vraisemblablement été
tirées dans un chapeau. L e Figaro en était mais S ad oui n en était pas. Je laisse à penser
à quelle exégèse politico-diplomatique on occupa Vaprès-midi.
D u point de vue liturgique, la plus importante de ces fêtes est pourtant la balai lie de
fleurs qui se situe à la moitié du Festival, quoiqu’elle constitue, surtout pour les critiques,
un après-midi de détente qui leur permef de fuir le Festival. C ’est q u e lle marque en fait
un changement sensible du rituel quotidien. Jusqu’alors le rythme des séances et des festi­
vités est resté relativement calme. Il se précipite brusquement à la mi-temps. L es présen­
tations privées commencent généralement à ce moment-là et la plupart de ceux qui n ’ont que
cinq ou huit jours à consacrer au Festival viennent dans la seconde partie, la sachant la
plus animée. D ès lors Vépreuve est constante et quotidienne et c’est alors et surtout que le
journaliste mène une vie monastique.
Quinze ou dix-huit jours de ce régime suffisent, je Vassure, à dépayser un critique
parisien. Quand il réintègre son logement et reprend son travail habituel il lui semble bien,
je Vassure, retenir de loin et avoir vécu longtemps dans un univers d ’ordre, de rigueur, et
d ’obligation qui évoque bien davantage le souvenir d ’une retraite à la fois brillante et
studieuse dont le cinéma constituait Vunité spirituelle que d ’avoir été l ’heureux élu de
Vimmense partouze dont il retrouvera avec ahurissement Vécho dans Ciném onde ou dans
M atch. A n d r é B azin .

8
EPHEMERIDE CANNOIS

p a r André Bazin, Jacques Dbniol-Valcroze, Claude Chabrol


e t Jean-José Richer

L und i 25 Avril

Il fait très beau et un peu frais. Les hôtels


commencent à se rem ply. Depuis la veille
tous les jurés sont arrivés. Manquent à l’ap­
pel : Lintberg annoncé pour le lendemain,
et Litvack retenu par le tournage d 'un film.
A 17 heures, la première réunion du jury est
des plus cordiales. Sans discussion et à l’una­
nimité Marcel Pagnol est élu président des
deux jurys, Isa Mïranda, vice-présidente du
jury du long métrage et Marcel Ichac, vice-
président du jury du court-métrage.

A 18 h. M. A ndré Morice, Ministre de l’in­


dustrie et du Commerce, tient une conférence
de presse au a Drap d ’Or v. II annonce
quelques dispositions annexes concernant le
cinématographe, et parle die la censure-., selon
lui ultra libérale puisque Le Dossier Ndir n’a
pas été interdit (sic)... mais Bel A m i est et
demeurera interdit, n’ayant RIEN de français
(sic)* Consternation générale de l ’assemblée
qui demeure coite, toute conversation s ’avé­
rant impossible.

A 2] h. 30 le même M. A ndré Morice dé­


clare ouvert le VIII0 Festival de Cannes, A us­
sitôt l’écran s’éclaire sur un enchantement :
Blinkity Blanfa de Norman Mac Laren. Les
>remières minutes d u Festival seront les meiU
ieures, on ne verra pas mieux jusqu’à la fin.
Dessinée directement sur la pellicule, par
<r animation intermittente et images spasmo-
diques d et accompagnée d ’une musique de
Maurice Blackburn k sans clef et écrite tou­
tes les trois lignes » mélangée d ’effets syn­
thétiques, cette extraordinaire variation de
Mac Laren sur le thème de la rencontre res­
tera la gloire de Cannes 1955. Après cela La
Pêche au Thon, documentaire américain en
CinémaScope, pourtant bien fait, paraît fade.
Innovation : pas d ’entr’acte. La lumière s ’al­
lume une minute, s’éteint et on voit L 'O r de
Nap]es de Vittorio de Sica en présence de son
auteur, de Silvana Mangano, de Sophia Loren
et de Paolo Stoppa. L ’assemblée sembW dé­
çue. (Voir la critique de ce film par A ndré
Bazin, page 47). A la sortie l'équipe des
CAHIERS tient sa première réunion au café
a Magali ». Sont là Bazin et Mme. Chabrol
et Mme, Doniol-Valcroze et Mme. Malgré ses
fonctions de « juré ». D.V. adopte un com­
portement décent. B lin kily Blaiik, de N orm an Mac Laren.

9
M a r d i 26 A v r i l l’air- La bande à Kyrou se compose de lui-
même (grec), des duettistes persans Gaffari-
A l'heure de l’apéritif, conférence de presse Hoveyda et d ’une charmante vamp suédoise,
de Vittorio de Sica. Présenté avec éloquence Astrid. A cette joyeuse tablée viendront se
par Denis Marion, l’illustre interprète dé joindre au fil du Festival : Bataille (Radio-
Madame de présente à son tour une magnifi­ Alger) et ses deux compères puis Martin, Bar-
que jument émeraude à crinière rousse : bin et Boschet (Les Journées du Cinéma),
Sophia Loren, puis commente L ’Or de /Va- deux a psychologues », Marin et Brahm (dont
pies. Il s’est rendu compte de la froideur le beau-frère s’appelle Chopin (sic), un nor­
avec laquelle son film a été accueilli hier malien de L ’E x p r e s s et Guyonnet de L ’In­
soir, et tente de convaincre l’assemblée que f o r m a t i o n . Passages épisodiques de Jean -
L 'O r de Naptes comme Umberto D. a besoin Pierre Chartier, Janick Arbo.s, Pierre Kaat...
d’être médité pour être apprécié. plus évidemment quelques numéros paranoïa­
ques de Joachim Jon Robin devenu photo­
A 15 h. projection d ’l/n dimanche matin, graphe pour la circonstance.
moyen métrage polonais se déroulant en au­
tobus à Varsovie. Les couleurs et le com­
mentaire d ’H. Magnan sont très jolis. M ercredi 27 Avril
Voici ensuite Les A m ants Crucifiés, de
M'izoguchi, d ’après une pièce du célèbre Chi- Journée calme. A 15 h. Stefla, film grec
kamatsu. Bien que dépourvue des prestiges de M. Cacoyannis déjà remarqué l’année der­
de la couleur, cette très belle histoire d ’amour nière pour son Réueii du dimanche. Son nou­
puni ne laisse pas d ’être fort impressionnante. veau film est loin d ’être indifférent. C’est un
Si l’exotisme a encore son mot à dire, c ’est mélodrame mais subtilement fait et non dé­
plutôt comme difficulté supplémentaire bril­ pourvu d 'u n agréable érotisme. L'héroïne Me-
lamment surmontée que par un pittoresque lina Mercouri, qui fut souvent l’interprète
facile. A u bout de dix minutes, l'adhésion est d’Achard, est belle et passionnée- L ’épisode
totale, le temps et l ’espace abolis, et de sé­ final assez délirant est excellent. Dommage
quence en séquence, un nouveau tour d ’écrou qu'il soit trop long.
emprisonne davantage l’émotion. Mizoguchï A 21 h. L es Têfes de Chien (Tchécoslova­
paraît décidément une personnalité de tout
premier plan, au style paradoxalement sobre quie), récit ingrat d ’une révolte paysanne au
XVtl®, Couleurs, réalisation et interprétation
et plein de lyrisme. L ’accompagnement musi­
cal, presque tout en percussions, est d ’une fort honnêtes.
hardiesse et d ’une efficacité peu communes.
Mais c’est là le contraire d ’un film de festival Jeudi 28 Avril
{Mizonruchi non plus n’est pas un auteur pour
festivals), et l’accueü d ’une salle à moitié
vide ne manque pas de réserve. Chabrol, A 10 h. séance du Club Cendrillon (Soni-
puceau en festivals, ayant dem andé pour- ka Bo).
auoi les rangs de la presse étaient presque
déserts, se fait accueillir par le ricanement Vers midi départ pour le traditionnel dé­
ironique d ’un vieux festivalier. jeuner aux Iles de Lerens. Habituelles dan­
ses folkloriques. Déjà un honnête contingent
En soirée, il y a beaucoup de monde, si de vedettes et de personnalités : Clouzot et
les robes sont déjà un peu plus courtes Vera venus en voisins, Brigitte Bardot ravis­
qu’hier. Après deux courts métrages : Sur sante, Barbara Rutting, Margrit Saad, Eddie
les pointes (Hollandais — fa’.ble) et /mages Constantine... etc- Bazin et Doniol-Valcroze
Préhistoriques (Français — intéressant), an rencontrent pour la première fois Dassin qui
voit Un homme est passé, de John Sturges, les embrasse comme du bon pain.
western moderne en CinémaScope, interprété
par Spencer Tracy. Le génériaue, très bril­ A 15 h. 45, La Colline 24 ne répond plus,
lant, se fait applaudir, mais la suite est, film israélien réalisé par l’Anglais Thorold
hélas f aussi ennuyeuse qu’un film de Zinne- Dickinson. C ’est une œuvre de grande q u a ­
man. 11 s’agit d ’une allégorie politique aux lité qui conte quelques épisodes de la guerre
symboles très (trop) astucieux, assez coura­ israélo-arabe avec sobriété et rigueur. U est
geux puisqu'elle s’attaque violemment au émouvant d ’y sentir battre le cœur d ’une jeu­
maccarthysme, mais dont l’affabulation est ne et courageuse nation. C’est le souffle d ’aîr
décourageante de déjà vu et de fadeur. Et le plus pur qui passera sur le festival. De
les éléments de cette allégorie sont tellement plus le film révèle une belle et insolite actri­
subtils (les_ auteurs sont courageux, mais pru­ ce, Haya Hararit. qui va faire la conquête de
dents) q u ’ils passent en définitive par-dessus tous par la gentillesse et la fière discrétion de
la tête d’une bonne moitié des spectateurs. son comportement.
Bref, Un homme? est passé entre dans la ca­ En soirée après L'histoire de la lumière
tégorie particulièrement irritante des mauvais (court métrage hollandais qui serait excellent
films dont il est nécessaire de parler longue­ s’il ne rappelait trop un certain Story of
ment, Il en sera de nouveau question à sa Time), on voit Les Héros de Chîpka, film
sortie. bulgare réalisé par le Russe Serge Wasiliev
Après minuit chez <c Magali », la bande (qui fit jadis Tchapated). Grande fresque his­
à Kyrou et le gang des CAHIERS font table torique, très belle de couleur. Les batailles
commune. Il y a de [a fraternisation dans sont admirables-

10
La Colline 24 ne répond f>lust de T hôrold Dickinson.

V endredi 29 Avril Sam edi 30 Avril


Le matin séance spéciale dans la grande A midi 30 arrive devant le Palais du Festi­
salle à l’occasion du 60° anniversaire du ci­ val un rallye automobile bidon venu de San
néma. On voit des Lumière, des M'elies, tous Rémo en tête duquel se trouve Gina Lollo-
bien connus et The Gréai Train Robert/, de brigida, C ’est l’émeute habituelle-
Thomas Edison que l’on ne voit presque A 15 h. projection du premier film indien
jamais. A l’issue de cette séance inaugura­ Biraj Bahu sur lequel il n’v a vraiment pas
tion d ’une stèle commémorative des Frères grand-chose à dire. En soirée Calendrier de
Lumière devant la Porte Est du Palais du Femmes (Japon) qui remplace Princeiss Sen
Festival. Discours. Puis Nadia Cray, actrice provisoirement écarté, son producteur ayant
anglo-russe, pose cette première pierre bien paraît-il tenu des propos violemment anti­
française.-, il serait plus juste de dire qu’elle français... ah mais ! On ne va pas se laisser
la lâche et se couvre de ciment frais à la marcher sur les pieds comme ça- Calendrier
grande joie des photographes. de Femmes au titre peu heureux n’en est pas
A 15 h. projection du premier film fran­ moins un film charmant donnant du Japon
çais en compétition : Diu Rififi chez Les moderne une image claire et allègre. C ’est
n o m m es de Jules Dassin. Ne revenons pas l’histoire de plusieurs sœurs qui se réunis­
sur ce beau film dont nous avons déjà parlé, sent pour « fêter » (sic) l’annîversaire de ia
mais réjouîssons-nous du succès qu’il obtint. mort de leurs parents. Les petits drames s'ar­
Le soir les Etats-Unis, présentent Marfy de rangent et tout finit très gaiement. Une des
Delbert Mann. Grosse impression sur les spec­ sœurs — la plug jeune —- est très mignonne.
tateurs et sur le jury. C'est une sorte de
a Brève rencontre » à l'américaine : deux D im a n ch e 1,J" Mai
coeurs solitaires — le garçon boucher timi­ En matinée : Liliomfi, film hongrois de
de et la jeune fille pas jolie — se rencon­ Caroly Makk. est la justification du Festival
trent, leurs coeurs vont s’ouvrir et la solitude de Cannes. Eut-ïl été possible, sans lui, de
de céder le pas devant la tentative du bon­ voir en France ce film merveilleux et char­
heur. L ’ensemhle relève de l’optique et de meur, dont la truculence, la drôlerie, la poé­
la thématique de la télévision., et pour sie, la prodigieuse invention ne peuvent qu’en
cause, puisque c’est une pièce de T .V . oui faire un favori pour le grand prix. 11 s’agit
est à l’origine du film, lequel est sympathi­ d ’une sor>e d ’opérette sans musique, d’après
que et attachant. une comédie classique hongroise, basée sur

n
des quiproquos, des déguisements, des enas- suite un morceau éblouissant : Le duel et la
sés-croisés, et dont chaque plan contient un mort de Mercutio-
motif d'admiration ; c'est un mélange de
Marivaux et d ’excellent scénario pour Danny Lundi 2 Mai
Kaye, interprété avec une fraîcheur et une
libellé délicieuses. Pour \e3 amateurs de tech­ Les jurés sont invités à déjeuner par le
nique : quelques raccords de mouvements maire de Cannes au <t Drap d ’Or ». Litvack
comme Kazan ne sait pas les faire, des plans et Youtkevitch parlent en russe des problè­
impossibles sur charrette en marche, dans des mes de l’écran large ; D^gnîmont s’extasie
arbres et autres facétieux endroits, couron­ sur les capacités respiratoires des plongeurs
nés par un travelling de cent mètres, à flanc q u ’on a vus la veille au soir dans Les Trésors
de coteau, avec panoramique de 360° ; tout de la Mer Rouget : « La jeune femme, dit-il,
cela rigoureusement invisible et étonnamment reste dix minutes sous l’eau sans appareil »•
efficace. Certains, paraît-il, ont trouvé Liiiom- O n a beau lui expliquer q u ’au montage on
fi lourd : c’est juger à la légère. En sortant, pour donner l’illusion que... etc., il ne veut
Georges Sadoul, à qui rien de ce qui est dé­ pas en démordre. Cet entêtement amuse b e au ­
mocratiquement populaire 1 n ’est étranger, coup J. A. Bardem, qui en rira jusqu’à la
explique que ce Monsieur Makk sort de 1T.D> fin du Festival, mais pour qui connaît le
H.E.C. hongrois et que Lïliomfi est son pre­ genre d ’humour à froid de « Dig » il n ’es|
mier film. Place aux jeunes ! pas sûr que ce ne soit pas lui qui se fiche
En soirée d’abord Les Trésors de la Mer de nous et s’amuse de notre crédulité.
Rouge. Le cas de ce film n’est pas banal. Il L ’Allemagne d e l’Est présente de bon m atin
devait être présenté à ia Commission de (10 heures — c'est tôt pour qui se couche à
sélection à Paris comme long métrage fran­ l’aube) et hors festival, un film en couîeurs
çais (ce qu’il est) puis, au dernier moment, Le Moulin du Diable, dont les solides q u a ­
s’éclipsa. II nous revient aujourd’hui, amputé lités lui permettaient à coup sûr d ’entrer en
d’une bobine, comme court-métrage israélien- compétition. C’est une truculente et pittores-
Comprenne crai voudra. C’est "une réalisation aue légende moyennageuse, très germanique
honnête et le Cinépanoramic est bien em­ d ’inspiration et très soigneusement réalisée.
ployé... dans les vues sous-mannes on triche Un bon film..
tout de même un peu en nous montrant des Gratiné, par contre, est La flamme, le film
vues uniformément claires, en nous disant norvégien- C ’est l'histoire d ’un gros monsieur
qu’elles ont été prises à de très grandes pro­ qui, « par manque de chaleur huipaTne »,
fondeurs ; si c’était le cas on verrait juste troque « la bouteille pour les allumettes » et
ce qui est dans le pinceau des projecteurs et devient pyromane, tout en exerçant l'h o n o ­
l’obscurité autour (cf. les * Cousteau »), rable profession de journaliste. II chipe les
Puis c’est Roméo ef Juliette (U.R.S-S.) Il allumettes de son rédacteur en chef (le cas
faut dire q u ’après l'écran large les images est fréquent aux CAHIERS) et s’enflamme pour
paraissent petites. Pourtant les décors du U ne psychanalyste à qui il apporte tous les
début sont très beaux... Ce sont d ’ailleurs matins une demi bouteille de lait pasteurisé
bien les seuls car ce qui choque dans ce eh gage d’amour. Ce dangereux m aniaaue est
« film dansé » original et attachant c’est interprété paT un quadragénaire dont l a pu­
l’esthétique très discutable des costumes et blicité affirme non sans queloue humour q u ’il
des décors. On pourrait se plaindre de ce bat sur leur propre terrain Charles Lauejhton
que Mme Oulanova — remarquable danseuse, et Harry Baur réunis. Cet homme laid no-
— îve soit plus tout à fait assez jeune pour vé<?ien s’appelle Claes GilL
le rôle (a--.quinze ans, oh Roméo I Vâge de Fort heureusement, la soirée s’achève par
Juliette /»)... mais Kirsgsten Flagstad était Un bon film Louis II de Bavière, d'H elm u n t
bien une Yseult inoubliable, la cinquantaine Kautner. La prodigieuse histoire du roi ro­
passée... Notre ami Michaut reparlera de ce mantique est contée dans un style certes un
film en balletomane averti. Signalons tout de peu sage, maïs au moins infiniment gracieux.

12
Bien sûr, on pense à ce que Welles eût fait — l'intimité, la collusion, 'Kyiou-Chabiol. La
d'un pareil sujet, ou Gance- Le registre de pnoto reproduite page 7, véritable document
Kautner est de moindre envergure, mais le üe cinémathèque digne de figurer un jour au
soin apporté aux détails {malgré quelques tru­ Musée du Cinéma, coupera le souffle du lec­
quages grossiers qui trahissent une insuffi­ teur le plug blasé.
sance de moyens matériels) et l’habileté du Quels sortilèges ém anent donc, des îestivals
découpage offrent quelques séquences bien pour susciter d ’aussi aberrants phénomènes î
près d ’être remarquables. Le décor extra­ Le fait est là. Le pape des papistes et le pape
ordinaire des châteaux bavarois, l’intéressante des antipapistes ne se quittent plus. Chabrol
composition ' de O.W . Fisher, et surtout la fait du déviationnisme à jet continu. L ’ortho­
subtilité de l’analyse font de Louis II une doxie hitchcocko-ha'wk sienne semble encore
œuvre parfaitement digne de figurer au pal­ intacte, mais les dogmes se liquéfient à vue
marès. C’est là un film peut-être sans génie, d ’œil (par exemple celui des grandes nations
mais d ’une intelligence et d ’un goût plus productrices). L ’on entend le champion de Ta
q u ’estimables. métaphysique hitchcockienne vanter tel film
Dans la journée on aura vu deux bons grec ou israélien et réclamer à hauts cris le
courts métrages : L ’Ile Saf^haline (U-R.S.S.) Grand Prix pour u n 'film maggyar... 11 se jus­
de E. Riasanov et V. Katanian, hélas trop tifie m exiremrs par une extension audacieuse
de la « politique des auteurs ». Mais com­
ment peut-on être hongrois, grec ou chinois..-
et auteur V C’est ce que n 'a pas prévu le jan­
sénisme primitif de la théorie.
Quoi qu’il en soit, l’heure n'est pas aux
ratiocinations : tout au plue peut-on se de­
mander, avant d ’être soi-même emporté dans
le tourbillon général, quelle génération jde
jeunes critiques naîtra, dans dix ans, d ’un
hymen aussi étrange-..
Par le train du matin est arrivé Jean-José
Richetr qui va rejoindre les Chabrol en tu Mé-
diterrannée ». P ar contre, par le train du soir
Lydie D.-V. s’en va... la mise en page du
n° 47 des CAHIERS ne peut attendre.

M a rd i 3 M ai
Lè Norvégien A rne Skouen, réalisateur de
}a Flamme, donne une conférence de presse.
On s’y rend dans 1*esRoir de débattre — allè­
grement — de ce sujet rarement porté à
l'écran q u ’est la pyromanie.
C’est un jeune homme blond au cheveu
rare et fou qui s ’exprime en anglais avec
Roméo et Juliette (U.R.S.S.).

long, trop exhaustif, et surtout l’/ïe de f e u


de Vittorio de Seta (sic) eri Cinépanoramic
qui par ses intenses qualités dramatiques fait
immédiatement figure d ’outsider pour la pal­
me d ’or.
Une semaine s*est déjà écoulée. Le Fes­
tival est rôdé- A force de soleil, d ’insomnies,
de projections et d ’agapes, les étranges habi­
tants 'de ce microcosme sont entrés dans cet
état second, voisin du somnambulisme, qui
est bien la condition première — fit quasi-
biologique — de la fameuse « optique des
festivals ». Toute lucidité, toute discipline abo­
lies, l’extravagance règne sans faux-semblants-
Pour le nouvel arrivant qui débarque sur
la Croisette avec son teint de lavabo, ses
yeux ternis par les brumes citadines et son
« optique s parisienne, le premier vertige est
aigu.
Cette année, en dépit de quelques flirts
publicitaires plus ou moins tapageurs, le
Scandale des Scandales est sans conteste le
rapprochement — que dis-je le rapprochement, Louis II de Bavière, d ’H elm ut Kautner.

13
gravité : il parle de documentation médicale W am pe (projeté au premier Festival de Biar­
.scrupuleuse, d ’une polémique ouverte autour ritz) ; on y voyait les héros entrer dans une
de son film avant la sortie — dans la crainte bouche de métro, prophétique symbolisme de
d ’une éventuelle recrudescence d ’actes incen­ la clandestinité qui allait être désormais la
diaires* etc. 11 est décidément p.us « séneux » condition de lutte des militants communistes :
que son film ne le laissait prévoir. Même, il la résistance entrait sous terre.
se prend au sérieux. Finalement surgit la Le dernier film de Dudow nous conte pré­
question attendue : les sous-titres français ont- cisément leur lutte dans la nuit. C ’est le ré­
ils été fidèles aux dialogues orig.naux ? (Leur cit du travail de quelques militants commu­
ton naïf et ridicule, les caiembours et les nistes avant et pendant la guerre. Film plus
à peu près qui y foisonnent ont été en gran­ que sobre, austère sans aucun effet de mise
de partie responsables de l’accueil hilare- du en scène, visant seulement à montrer et à
public), convaincre. Mais à convaincre par des moyens
Peine perdue : Arne Skouen prend à son d ’une parfaite rigueur intellectuelle et d ’une
compte et sous son entière responsabilité les haute dignité sentimentale. Plus fort que lu
sous-titres qu il a, paraît-il, contrôlés étroite­ nu'.i est d 'u n e tenue morale incomparable
ment.., Rien à taire pour rire un peu. Ii avec tous les films militants que nous avons
faut croire que l’humour n ’est pas norvégien. vus originaires des démocraties populaires. Il
Ainsi, tel un pétard mouillé, ceite conférence ne suppose chez les spectateurs qu’il veut
de presse sur Ja pyromanie s'éteint-elle avant convaincre ni la naïveté, ni la débilité m en­
de s’être allumée... (Ceci pour donner au tale, ni l ’amnésie. A ce point de vue la com­
lecteur un échantillon de la subtilité des sous- paraison avec le film tchèque du Festival est
titres). écrasante. O n sent derrière ce film des hom ­
M. Erlanger du quai d ’Orsay offre à déjeu­ mes qui savent ce qu'est îe cinéma et chez
ner au jury à Auribeau, Champêtre et agréa­ qui, d ’autre part, [a résolution idéologique ne
ble, Tout le monde se tient bien, y com­ sacrifie jamais l’intelligence.
pris les chahuteurs : Perdrix et Raguis, A 11 h. 30 inauguration par M. Guy Des­
A 15 heures projection d'Une Grande Fa­ son de l’exposition a L ’architecture décorative
mille (U.R.S.S.) de Iossif Heifitz. C’est l’his­ dans le film »- Très intéressant. Il y a là lea
toire d'une famille qui travaille sur un chan­ maquettes de tous les plus grands décorateurs
tier maritime : problème des différentes gé­ actuels.
nérations devant les nouvelles méthodes tech­ Le premier des quatre longs métrages (!J
niques et les conflits psychologiques. L 'hu­ en compét.tion aujourd'hui est égyptien et
mour et la liberté thémat que assez grande témoigne des progrès considérables accomplis
indiquent le tournant de l'ère Malenkof- La à l'om bre des pyramides. Vie ou Mort est
couleur est d e premier ordre, l’interprétation un film hautement visible, sorte de suspense
simple et savoureuse, la mise en scène pleine néoréaliste assez amusant, avec deux ou trois
de verve. gags franchement drôles. L ’intrigue a déjà
A 18 h. réception Israélienne, la belle Haya servi (une erreur de pharmacien qui confie
Hararit est la plus charmante des hôtesses, à une petite fille un flacon empoisonné), mais
A 21 h> 30, premier film anglais... de Dmy- deux ou troÎ 3 développements ne doivent rien
tryk : The End oj the Affair d’après un ro­ à personne (tel le poivrot qui chipe la bou­
man de Graham Greene, CeJa rient Je coup teille que tient l'enfant et va pour la boire
juqu’au moment où s'entrouve la porte de au fond d ’un garage). Et la promenade à tra­
l’église... c'est-à-dire environ vingt minutes. vers Le Caire, bien que desservie par une
Devorah Kerr, malgré la difficulté et les in­ photographie vraiment trop rudimentaire, ne
vraisemblances d e son rôle, est remarquable. manque pas de pittoresque-
Le film australien qui lui succède, Jedda,
M ercredi 4 Mai de Charles Chauvel, décourage vite les meil­
leures volontés. L ’aborigène recueillie par le
Présentation hors Festival le matin de Plus couple blanc et qui, sur ses dix-huit ans,
jori que la nuit (Allemagne de l'Est) de Du- sent monter en eLe l’appel de la tribu sous
dov. Chaque Festival démontre un peu plus le3 traits d ’un fier-à-bras local somptueuse­
l’intérêt de sa partie officieuse, c’est-à-dire ment tatoué, cette aborigène est certes char­
des projections privées qui permettent de voir mante avec sa langue rose et ses dents blan­
d’autres films que ceux de la sélection offi­ ches- Mais l’incroyable puéril té des situations,
cielle et de compléter ainsi quelquefois de des dialogues et du découpage, la hideur vé­
façon décisive notre information. Quelle idée ritablement prodigieuse des couleurs, lassent
aurions-nous par exemple de la production vite les plus ardents cinéphiles qui à mi-film,
espagnole 1954 d ’après le seul Marcelino, Pan s’ébranlent lentement vers un cinéma voisin
y Kmo, si La Mort d ’un cycftsfe ne nous en goûter Les sept fem m es de Barbe-roussc.
avait livré l'autre pôle. Sïnging in the Pain a marqué avec assez
L ’intérêt est plus décisif encore quand il d ’éclat les débuts de Stanley Donen aux
s’agit de pays non-participants comme la Chi­ côtés de Gène Kelly pour que l’on se soit
ne ou l'Allemagne de l’Est. Ceux qui eurent précipité à la projection hors compétition du
le courage de se lever un peu plus tôt pour dernier film de ce jeune réalisateur, Les Sept
aller voir le film de Dudow, Plus fort Que la Femmes de Barbe-Rousse, au Cinéma ff Le
rmii, ne l'ont certes pas regretté. On se sou­ Club » qui ne tarda pas à devenir, par la
vient peut-être de la dernière image de Külhet valeur des oeuvres qui y furent projetées

14
(French Cancan, Les Sept Femmes de Barbe- aux quelques sous qu’ils ont pu récolter
Rousse, MorS d 'u n Cycliste, etc.), le concur­ s'achètent du cirage et une caisse vide» Ce
rent direct et triomphant d u Palais du Fes­ oint de départ est à coup sûr meilleur que
tival. ien d ’autres. Las 1 au tiers du film, les deux
E n dépit des positions acrobatiques impo­ mignons se perdent l’un l’autre dans la ville
sées aux spectateurs de l’orchestre par un cruelle et passeront le reste de notre temps
écran perché à dix mètres au-dessus de leurs à se croiser sans se voir, comme dans ce
crânes, cette séance a bien été l’un des m o­ vieux Shirley Temple où le papa sortait d ’u n
ments les plus attrayants de tout le Festival. ascenseur quand le chérubin bouclé montait
dans l'autre. Les deux jeunes interprètes de
D ’un bout à l’autre, le fini exprime le cette médiocre marmelade sont un jeune gar­
délire. Mais à la différence des délires de çon sympathique, un peu lymphatique et une
toutes sortes qui ont agité l'écran du Palais fillette extraordinairement horripilante, m é­
de A VEst d ’Eden à La Flamme — délires lange de petite vieille et de singé savant.
bouffons, délires tristes, faux délires et déli­ T out cela produit par le génial jeune premier
res grand-guignolesques — celui-là seul rendît —i metteur en scène — producteur hindou
le son plein d ’une truculence et d'une turbu­ Raj Kapoor, qui semble connaître à fond le
lence érotique, — d ’ailleurs plus explosive que moyen de faire son beurre.
subtile. La verve débridée de S.anley Donen
devait s’accommoder pleinement d ’un tel su­ Après la projection du soir Bazin et Doniol
jet : sept barbus du Far-West tombant un jour vont boire un coup avec Thorold Dickinson.
sur Plutarque décident de reconstituer pour C ’est un homme distingué, affable, avec un
leur propre compte l'enlèvement des Sâbines humour froid ét un peu mélancolique. Il ra­
sur le territoire a e la commune voisine. C’est conte le® circonstances difficiles dans les­
là le point de départ d ’une comédie musicale quelles a été réalisé La Colline 24 et aussi
burlesque qui souffre de quelques alanguis­ ce qu’il a voulu faiïe avec le fameux Secr<el
sements sporadiques quand elle sacrifie, çà et People, film quasi maudit et toujours inédit
là, aux recettes de l ’opérette traditionnelle. en France.
Mais il V a des séquences proprement sen­
sationnelles : la danse de séduction, le ballet Jeudi 5 Mai
des mâles tristes, le rapt, etc. Jamais Ciné­
mascope n ’avait été mené sur un tel rythme.
A i l h,, présentation hors Festival de
Des barbes aux décors, la dominante fauve French Cancan de Jean Renoir. Cette pré­
de la couleur s’accorde admirablement avec sentation était prévue. La sortie à Paris étant
les thèmes ; le voilà bien le véritable film récente, ce fut pour beaucoup de confrères
sur la fjyromanie, la vraie, l’unique, celle qui français et étrangers le premier contact avec
consiste à mettre le feu aux filles... le film. Succès énorme qui laisse à penser
A 21 h, 30, deux films. D ’abord La Sam­ que présenté dans la sélection française, le
ba Fantastique (Brésil) de Manzon. Précédé film pouvait^ prétendre au Grand Prix. 11
d ’une publicité têtue et adroite, ce long et n ’est bien sûr pas question de regretter que
fastidieux documentaire sur la modernisation French Cancan ait été présenté à Cannes,
du Brésil ne justifie que bien indirectement c’était en soi une chose excellente et néces­
son titre. Selon un procédé assez primaire saire, maïs il n ’est pas mauvais de faire re­
et didactique, les divers aspects de la réalité marquer que l’opération n'a pas heureusement
brésilienne sont censés fournir les thèmes pu tourner à la manœuvre. î'Jul n’ignore que
d’inspiration à un compositeur de samba. Le si French Cancan n’a pas été sélectionné
jrétexte aurait du reste peu d ’importance si c’est e n raison des exigences peu admissibles
J a matière était bonne, mais le film n ’est
u’une interminable série publicitaire sur le
de son producteur ou si l’on préfère de son
refus de se soumettre à la règle commune.
g résil, Etat moderne. A l’en croire il n ’y
aurait plus un moustique sur l'Amazone et
Mais cette fois la presse était assez bien in­
formée pour ne pas donner dans le panneau
la forêt vierge serait ramenée aux dimensions et soulever un prétendu scandale de la com­
d ’une réserve pour Indiens tout nus et paci­ mission de sélection. Je puis bien révéler au
fiques et le paysage industriel ferait songer surplus que si le film n ’a pas eu le Prix de
à la vallée de la Ruhr. Si ce n ’est exacte­ la Critique internationale, c’est parce que les
ment ce que le film affirme, c’est d u moins journalistes délégués ont admis qu’il n’y avait
Ce qu’il suggère par l'absence de tout le pas de raison d ’aider un producteur qui avait
reste, c’est-à-dire des 999 millièmes de cet ad- dédaigné le Festival. On n ’allait pas remplacer
mirage et passionnant pays. A u demeurant, la Palme d ’Or par celle du martyre.
le film est .en noir et blanc, ce qui pour le Conférence de presse de Renoir à 17 h. au
documentaire est devenu presque redhibitoi-
re. Son auteur est un journaliste français ? Carlton. Etant donné les conditions délicates
Ça n ’est pas une raison, suffisante t dans lesquelles le film était présenté à Can­
nes, on pouvait s’attendre à ce que Renoir
A côté de la Samba pour Baedeker, le film demeurât dans les généralités gentilles. Mais
hindou qui clôt cette rude journée, Boot Î1 avait manifestement fait un très bon repas
Polish, fait presque figure de valeur. Et et contre toute attente on le vît déchaîné. 11
pourtant ! Cette fois, deux petits enfants, commença par remercier la critique d ’un ac­
terrorisés par une marâtre qui les envoie m en­ cueil qui le persuadait que son film devait
dier à coup de taloches bien appliquées, res­ décidément être bon puisque Jean-Jacques
sentent l’indignité de leur travail, et, grâce Gauthier était seul à en avoir ait a u mal.

15
Puis le voilà parti dans une violente diatribe réponse de Renoir est celle qu'on espérait et
— dont la critique dramatique fit accessoire­ qui permettait de déduire le mouvement in­
ment les frais — contre le 'cerveau. Notre térieur du film. Au commencement était le
époque crève de penser ! Auguste Renoir ne Can-Can. Le schéma dynamique du scénario
protesta qu’une fois contre le titre qu'on vou­ fut et demeura : créer le Cancan. Le film
lait donner à un de ses tableaux : k La pen ­ n ’est que l’histoire de sa conception, son
sée ». Il s’indigna : « Mes modèles ne pen­ attente et, en dépit de difficultés surmontées,
sent pas a. Suit naturellement une apologie son apothéose finale.
d e la sensualité : « J’aime les sens, le goût, Emoustillé par la bataille de fleurs, les
le toucher », puis toute une série de remar­ festivaliers se pressent au film de Sir Carol
ques catégoriques en faveur de l’acteur con­ Reed : L ’Enfant et la Licorne. L ’enfant est
sidéré comme pivot non seulement de la mise un brun poupon bouclé, et la licorne une
en scène mais même du scénario. A qui lui chevrette dégénérée qui fait des miracles.
demande s’il ne préférait pas tourner en Celia Johnson raccommode des fonds de cu­
France, Renoir répond par quelques aphoris­
mes sur les frontières, lesquelles ne sont pas lottes, et deux jeunes amants — u n e blonde
toujours celles des Etats mais davantage cultu­ marvlinée aux jambes arquées et un Apollon
relles et sociales. de quartier qui ne veut pas faire de catch
pour ne pas abîmer ses muscles dorsaux •—
Sur la couleur, Renoir répète ce que nous rompent et se rabibochent dans le seul endroit
savions déjà être sa pensée : le seul problè­ du coin où les locomotives peuvent leur offrij
me est de placer devant la caméra des élé­ un bain turc régulier et gratuit, rompent et
ments coloriés dont le mariage soit heureux, se rabibochent, il faut le dire, avec des yeux
s ’il est bon pour l ’œil il est bon pour la pelli­ >étillants d'intelligence. En ajoutant un tail-
cule. Dans French Cancan il a souvent fallu
in extremis changer des corsages dont les
{eur philosophe et un rabbin déchu qui traîne
un gramophone dans une voiture d ’enfant, au
couleurs sur le plateau se révélaient inharmo­ centre du populeux et Commerçant quartier
nieuses. Renoir redit à ce propos q u ’il ne juif de Londres, nous nous trouvons, on le
peut se passer de l'improvisation finale quelle devine, en plein© poésie. Un dialogue rado­
qu’ait été la préparation préalable, a C’est le teur agrémente un récit basé sur la répétition
contact avec la réalité du dernier moment qui systématique de la même situation. Q uant à
donne la qualité, n la mise en scène de Sir Carol Reed, elle té­
Bazin lui demande s’il pense que le décou­ moigne du plaisir malsain que celui-ci éprou­
page par plans fixes q u ’il pratique aujour­ ve à mettre la caméra derrière quelque chose,
d ’hui au lieu des pivotements si caractéristi­ sous quelque chose, sur quelque chose : ah J
ques de naguère est une conséquence de la belle virtuosité que voilà ! Gïnéma anglais
l’emploi de la couleur et notamment de la pas mort !
caméra technicolor volumineuse et difficile
à déplacer, réponse : a J’avais déjà évolué
dans ce sens avant Le FletiüC. L ’Homme du V en d red i 6 m ai
Sud était déjà découpé dans ce style, »
Vn inconnu dans VEscalier, film mexicain
Q uelqu’un pose des questions sur le scé­ de Tulio Demicheli, n ’a pas été apprécié à
nario de French Cancan. A-t-il été construit sa juste valeur. C ’est une sorte de pastiche
à partir des personnages, des situations 7 La
pince sans rire des films noirs ; le décalage
entre les situations et le ton du film lui donne
toute sa saVeur. Le dialogue dans sa précision
frise l’obscénité ; et les éléments du mélo­
drame étant toujours à la limite du ridicule,
le léger coup de pouce d ’un réalisateur h u ­
moriste les fait doucement couler dans le gro­
tesque- L ’interprète principal en est Arturo
de Cordova dont les rictus sensuels, les oeilla­
des libidineuses et les gloussements égrillards
sont pour beaucoup dans la réussite de cette
étrange entreprise. Quant à la blonde Vénus
qui lui fait perdre la tête jusqu’à vouloir
assassiner son patron au son des marteaux-
piqueurs, en compagnie de laquelle il se dé­
nude pour faire trempette dans l’océan (a On
y va ? » — « Allons d ’abord nous baigner »).
son nom, cher Dolmancé, t’est un program­
me : Sylvîa Pinal.
18 heures. Aux Ambassadeurs, réception
américaine. Il y a ceux qui sont venus pour
le vvhislcy, ceux qui sont venus pour les affai­
res, et puis il y a ceux qui sont venus pour
is femmes (devinez lesquels). A l'entrée,
me brochette de vedettes serre sagement les
nains des arrivants qui défilent à la queue
leu leu- Parmi elles, Grâce Kelly, Betsy Blair,
Marcelino, Pain el l'in. Dawti Adams, Terry Moore.

■16
L ‘affluence est immense, le grouillement senté à Cannes — hors compétition d ’ailleurs
étourdissant et les buffets, comme à l’accou­ — un opéra intitulé les Amaurs de Liang
tumée, assiégés- Chang Po et de Chu Hing Toi.
Reste à redécouvrir dans cette jungle de Gros succès de curiosité au départ, gras
visages les héroïnes matérialisées d'H it ch, de succès tout court à la sortie. Si l ’exotisme et
Preminger et autres... le pittoresque y ont quelque part, ce n ’est
On y parvient : Grâce Kelly, royale dans pas la plus grande, loin de là. La beauté des
une robe de dentelle blanchie, confie un ins­ voix (toutes féminines), le charme de la mu­
tant aux yeux de ses interlocuteurs l’étincel- sique, des couleurs, et surtout l’exquise sou­
lement des siens, qu’aucun écran, fût-ce celui plesse d ’une interprétation toute en nuances,
de Rear Window, ne saurait reproduire. L 'a n ­ en font une œuvre brillante et fort sédui­
glais incertain q u ’on lui parle ne décourage sante pour un Occidental. Le nouveau ciné­
pas le moins du monde sa conversation char­ ma chinois révèle ici son attachement à la
mante et enjouée. Dawn Adams, par contre, culture classique, et c’est seulement dans le
parle français d ’une voix grave, un peu gut­ choix du sujet q u ’on décèle les intentions des
turale, assez envoûtante. Ses yeux verts abri­ moralistes et sociologues modernes (thèmes de
tés derrière une voilette noire révèlent une la féodalité, de l’analphabétisme, du patriar­
sûreté de soi, une détermination un peu cat, de la condition féminine). Celui-ci ra­
froide aue ne tempère aucun, frémissement. conte les avervtuf&s d ’un Roméo et d ’une Ju­
Betsy Blair reste identique à elle-même depuis liette chinois sur un ton tantôt léger, tantôt
le début du Festival ; simple, naturelle, sans attendri, finalement tragique. La poésie et
maquillage, regard clair et mutin. Terry l’humour courent constamment en filigrane
Moore enfin, qui fut la troublante adoles­ dans ce récit fondé au départ sur une équi­
cente que l’on, sait dans Come Bach Little voque pleine de grâce subtile et malicieuse :
Sheba, aborde semble-t-il avec moins de bon­ la jeune fille, pour se faire admettre dans
heur les rivages de la maturité. l’Université où elle veut étudier, a dû se
déguiser en garçon ; et c’est entre elle et son
Le whisky aidan,t, Hoveida, Gaffari et compagnon de chambre qui, pendant le6 trois
Richer s’exhortent mutuellement à l ’enlève­ quarts du film, ne se doute de rien, que naît
ment de quelques-unes de ces Sabines, mais, cette singulière idylle...
pusillanimes, ils se bornent à quelques entre­
tiens en forme d ’interviews.. A 15 h. East of Eden d ’Elia Kazan en Cine-
maScope. Scénario décousu, mise en scène ta-
En soirée, après un excellent dessin animé ageuse. Kazan a du talent mais des tas de
soviétique. L’antilope d’or d’Atamanov. The érauts, ceux de tous ses films sont ïfc'i réu­
Counlry Cirl (U.S.A.) de George Seaton. Dé­ nis ; James Dean copie Marlon Brando à un
ception. Le conflit à trois imaginé par Clifford point qui est difficilement supportable, Ju­
Odets est fastidieux. Grâce Kelly est belle lie Harris est gracieusement ingrate, Ray­
et sincère, mais qui ne la préferrait dans Rear mond Massey roule des yeux et tremble des
W indow ? yeux comme s ’il se croyait à l’Odépn de la
belle époque. A l’actif du film une scène très
Sam edi 7 Mal drôle sur la mobilisation américaine en 1917.
A 16 h. réception sur le « H-M.S. Shef-
A 15 h. 30 Le Signe de Vênus (Italie) de field a, croiseur anglais ancré dans la rade
Dino Risi, comédie banale et sans intérêt. On de Cannes. Beaucoup d ’allure, rien n ’est plus
se demande ce que ce film fait dans la com­ séduisant q u ’un bateau de guerre.-- ten temps
pétition. Franca Valeri obtient pourtant un de paix. De la plage arrière du navire, entre
succès personnel. les midships affables et les actrices parées, le
spectacle du soleil déclinant avec majesté
Marcelino, pan y oino, de Ladislao Vajda, dans la mer, a quelque chose de privilégié.
a le rare mérite de montrer enfin sur l’écran Ce sera un des plus jolis moments du Fes­
de ce festival un enfant qui ne soit pas ridi­ tival-
cule ou monstrueux. Son j e u est P o u r une fois
d’une authentique spontanéité. Le film lui- Avant le long métrage du soir : La Grande
même présente le danger de n ’être compré­ Pêche d ’Henri Fabîani qui, sur un sujet re­
hensible qu’aux croyants ; c’est un produit battu, a réussi à faire un très beau film,
typique du catholicisme, du mysticisme espa­ dense, complet, émouvant. La séquence de la
gnols. Il n ’est en tous cas à aucun moment tempête est magnifique.
scandaleux, ne serait-ce que parce qu’il n’est
en rien apologétique ; et le sujet présente Ensuite voici Racines (Mexique) de Benito
plusieurs points ^assez attachants. Rossellini Alazraki. Les quatre parties, qui composent
(quj n ’en est d ’ailleurs plus là) en eût sans ce film à la gloire de l’élément a indien »
doute fait un chef-d’œuvre ; Ladislao Vajda sont très inégaux, mais l’ensemble est au­
n ’en a su tirer qu’une très honnête imagerie. thentique et émouvant. Richer avait déjà
parlé de ce film à l’occasion de Venise l ’an.-'
née dernière et nous y reviendrons quand il
D im anche 8 Mai sortira à Paris. Le premier et le dernier epeo
tacle sont les meilleurs; le troisième a Lé
Borgne « tant vanté, déçoit un peu à seconde
A u Vox, à 10 h. 30, la salle est comble vision. E t évidemment la technique du film
pour la projection du seul film chinois pré­ est sommaire, mais le tout est fort attachant'.

17
2
■ ■ MHBajpjÉ
Racines, de Benito Alfizniki.

Àprès minuit réception mexicaine aux A m ­ ravissante Auberge du CasteJ de la Colle des
bassadeurs. Bunuel se dépense ^sans compter Juges, au nom délicieusement compliqué,
pour placer ses invités puis s éclipse discrè­ commande, de son perchoir, un des p.us beaux
tement avec Bazin et Doniol pour aller ba­ panoramas de l’arrière pays cannois. Mais
varder devant des -whiskys. ce paradis de boissons fraîches et d e fem­
mes en fleurs ne se laissa atteindre q u ’après
un long purgatoire d ’erreurs de parcours, de
Lundi 9 Mai marches à pied, d ’attentes et de transborde'
ments réglés par un poste de police volant
A 10 h. 45, hors festival, présentation ^ de installé à bord d ’une voiture radio. Kafka
La mort d’an cycliste de J.A. Bardem- L ’ab­ en pleine garrigue...
sence de sous-titre empêche de porter un ju­ Finalement Janine et André Bazin, Doniol
gement définitif sur cette œuvré qui semble et Richer arrivèrent la gorge empoussierée,
d’une grande densité romanesque et drama­ l’œ il éteint et la cheville flasque, un quart
tique mais, quoiqu'il en soit, du dialogue, le d ’heure à peine avant la fin des opérations :
film s’impose comme tout à fait remarquable; les verres commençaient à manquer, les m a­
pour beaucoup ce sera le meilleur du Festi­ quillages à couler, ]es starlettes tenaient la
val il y a des images fulgurantes, des en­ pose avec plus d ’alanguissement devant des
chaînements étourdissants, des influences cer­ photographes en nage, Cocteau ,s’en allait...
tes mais aussi une palpitation interne qui est Restaient, par un hasard heureux, quelques
la marque des grandes oeuvres. De surcroît amis groupés autour d ’un Bardém 'détendu,
la beauté de Lucia Bose y est sombrement tout rayonnant de son succès du matin, et in­
éclatante. finiment plus à l’aise dans sa peau de réali­
Après ce film, assez long, trop de gens sateur heureux que dans. celle, morne, de juré
partent sans voir La marée* sera haute à seize de service. Il fallut vite abréger ce séjour
heure, court métrage inégal, mais original et bucolique : l’heure passait : Italia K 2 et
courageux de Michel Drash- la sinistre Mouche battaient, au Palais du
T ènant du rallye automobile, du jamboree, Festival, le rappel de la séance de 15 heures.
du çross-country et du parcours du soldat, la A 15 heures, Italia K2 {Italie}' de Marcello
rêçeptton française visait à une singularité Baldi Mario Fautin. Dans le genre ascension
que- personne ne chercha à lui contester. Le Hymalienne on a vu mieux, mais pour la pre­
but proposé était certes plein de charme : la mière fois a été filmée l’arrivée au sommet.

18
La suite est triste : La Mouche, écrit et_ Bravo mademoiselle de cette leçon donnée à
réalisé par Walter Reisch (un beau nom), toute la cohorte mercantile des soi-disant réa­
fait penser aux films de la U .F.A. dont nous lisateurs et autres épiciers en gros de la pelli­
fûmes submergés sous l’occupation. C'est à cule-
coup sûr le plus mauvais film du festival. A une heure, déjeuner improvisé des
On se demande qui, de W alter Reisch scéna­ CAHIERS DU C inÉUA à Auribeau dans un décor
riste ou de Walter Reisch réalisateur va sur­ de western mexicain. Autour de Bunuel, in­
passer l’autre en puérilité et en maladresse. vité d ’honneur, Jacques Mage, Léonide Kei-
Ils arrivent dead head. Voici un fùm équi­ gel, Bazin, Doniol, Richer, Chabrol, 'Kast,
libré. Chartier, Jann.k Arbois, Janine Bazin, Agnès -
A 18 heures, réception soviétique... la vodka Chabrol (très en beauté) une vraie fête de
qui y coule fera couler bientôt quelques pleurs famille.
et beaucoup d ’encre, A 15 h. projection de Princesse 5 en (Japon)
A 21 heures, le deuxième film français, Le de Kinugaza (projection redevenue possible
Dossier Noir d ’André Cayatte. L ’impression depuis que le producteur a fait des excuses
générale est à la déception. Pendant les scè­ pour ses paroles mal interprétées et fait une
nes d'interrogatoires quelqu'un dans la salle donation importante à une fondation cultu­
crie a Censure ! » Des cris de d Policiers 1 y relle franco-japonaise). Le film cherche en
lui répondent vain à retrouver la réussite de La Porte de
Mardi 10 Mai L ’Enfer; c'est à peu près la même chose,.,
mais le charme ne passe pas-
A 1I h. hors festival présentation de Voya­ En soirée, après De Sable et de Feu, court
ge oui bout d'un rêve de Marc O., court m é­ métrage français sur les vitraux, on voit le
trage poétique dant les couleurs charment dernier film de la compétition. Continent per­
même ceux qu’interdit sou ésotérisme, puis du. de Bonzi, Craveri, Lavagnino, Moser et
de La Pointe Courte d ’Agnès Varda. Nous Ënrico Gras, fLm italien dans l’esprit de
reviendrons plus en détail sur cette tentative, Magie verte mais cette fois sur la Malaisie.
très intéressante à plusieurs points de vue. Triomphe du CïnémaScope dans le documen­
Le contrepoint entre le tf document » sur un taire (voir article de Bazin sur le C'mérama,
village de pêcheurs et l’itinéraire sentimental page 45). La première partie est souvent admi­
des deux héros n ’arrive jamais à trouver tout rable. peut-être est-elle due davantage à En-
à fait son point d ’éauilibre mais l’ensemble rico Gras ^qui faisait partie de l’équipe, mais
rend un son insolite des plus appréciables et la seconde a tout gâché. Les cinéastes renr
la qualité des dialogues d'A gnès Varda est daient visite aux coupeur de têtes, plusieurs
chose rare sur les écrans du Cinématographe■ séquences évidemment reconstituées faussè­

m m m w m

Cl

La Mort d'un cycliste, de J.-A. Bardem .

19
tographier, ou approcher Dorotby Dandridge,
la Carmen noire, qui doit accompagner son
metteuT en scène. Celui-ci, détendu et sou­
riant, annonce en arrivant que la vedette
sera en retard. La conférence de presse dé­
marre plutôt difficilement devant une assis­
tance apathique et, au demeurant, mal in­
formée, puisaue presque personne encore n’a
vu le film dont la projection doit clore le
Festival dans quelques heures.
Avec beaucoup d'hum our, Preminger ré­
pond dans un cocasse mélange d ’anglais et de
français, mais une fois épuisée la fameuse
Continent perdu (Italie). question de l'interdiction du film en France
et dang les quelques autres pays régÎ9 par la
Convention de Berne •— et celle, traditionnelle,
rent tout à coup l'esprit du reportage en in­ des projets (deux films en noir et blanc, for­
troduisant des effets d’une pénible démagogie mat normal, qu’il produira lui-même, et dont
sentimentale. Ainsi y voyait-on un charmant l’un sera l’adaptation de Bonjour, tristes se)
petit ourson fétiche de l'équipe sur lequel on — la discussion tombe. Dans un moment
apitoyait le public depuis une demi-heure at­ creux, Chabrol demande à Preminger pour­
taqué par un énorme serpent python. Il avait quoi il n'a pas engagé pour Carmen Jones
évidemment fallu attacher l’animal et ame­ son opérateur habituel, Joseph La Shelle
ner le serpent à pied d'œuvre, le tout devant (réponse : pour des raisons tout à fait bana­
la caméra. Qui peut encore tromper ce genre les de contrats et d'engagements antérieurs).
de supercherie? EspèTe-t-on que le spectateur La question paraît ici d 'u n ésotérisme extrê­
croira au caractère fortuit de la rencontre. me...
Le vrai documentaire ne commencer^ que
lorsque le serpent bouffera le cameraman, Carmen se fait toujours attendre : Prem in­
ce qu’on n ’a jamais vu sur un écran et pour ger commence à s amuser franchement :
cause. La bassesse morale du procédé révolte « Allons, dit-il, tenez encore un peu. Quel­
Bazin qui de sa place, hurle : « Salauds », ques little questions more, et vous aurez
surpassé par Kyrou q u ’on entend proférer le sotne chances de LA voir... Give H ER le
superlatif : e. Papistes » ! temps d'arriver... »
Vers une heure du matin des rumeurs com­ Finalement, LA voilà... Remous général...
mencent à circuler : un incident aurait éclaté Place aux photographes... Ici s’arrête le pré­
au sujet du Dossier Noir. Trois jurés, venant sent compte rendu. Voir cliché ci-contre.
de la réception soviétique, seraient arrivés en Le soir à 21 h. 30, soirée de clôtures. Défilé
retard et l’un d ’eux, souffrant, aurait dû d’athlètes portant des drapeaux, quelques
quitter la salle... tout ça à cause d e cette incidents comiques : quand Marcel Pagnol
sacrée vodka ! Les responsables du film veut prendre la parole le micro s’avère muet,
voudraient donc le retirer de la compétition. celui qui marche est à ras du sol, Pagnol
s’agenouille, Isa Miranda et Ichac se préci­
M e r c r e d i 11 M a i pitent, se bousculent..- etc.
L ’incident Dossier Noir éclate au grand Enfin voici le PALMARÈS :
jour. M. Guy Desson, président du Conseil
d ’administration du Festival/ reçoit une lettre « Le jury chargé des films de long m é­
de M. Safra, producteur du film, retirant le trage attribue : la PALME d ’ o r du Festival
film jde la compétition et spécifiant en,tre International du Film 1955 à : Marty (U.S.A.)
autres que les producteurs ayant engagé des pour l’ensemble de ses mérites et en parti­
films ont le droit « à ce que tous les membres culier pour le scénario de Paddy Chaie-wsky,
du jury assistent aux projections, qu*ils voient la mise en scène de Delbert Mann et l’in­
les films dans l’ordre normal des bobines et terprétation de Ernest Borgnine et Betsy
q u ’ils se trouvent tous en état d'exprimer un Blair- (Ce prix a été décerné à l’unanimité).
jugement raisonnable. » Mais cette démarche Le jury attribue ensuite les prix internatio­
est sans espoir. Seul M. Jacques Flaud, direc­ naux suivants :
teur du C.N-C., est habilité pour retirer un P r i x s p é c i a l DU j u r y : Continent Perdu :
film envoyé à Cannes par le gouvernement. (Italie), pour la beauté et la poésie de ses
L'affaire va donc en rester là. (Signalons à ce images et l’utilisation remarquable du son. Le
sujet aue dès demain L e Figaro et M. Phi­ jury tient à féliciter l’équipe de cinéastes qui
lippe Bouvard vont faire preuve de leur bon l’a réalisé. (Ce prix a été décerné à l’unani­
goût habituel en publiant un article sur l'in ­ mité) .
cident de la bassesse duquel on aura une idée
en citant un des sous-titres : a Vodka et P r i x d e LA MISE ES s c è n e : le jury a classé
Mines de sel ». ex æquo : Serge Wassiliev pour sa mise en
Midi. — Le Hall de la Presse est envahi scène du film : L^a héros de Chipf^a (Bul­
par une nuée d e photographes, de starlettes garie) et Jules Dassin pour la réalisation du
et de curieux venus on s'en doute, moins pour film Du R ijifi chez les hommes (France).
questionner Otto Preminger dont la plupart PRIX D’I n t e r pr é t a t io n : S p e n c e r T r a c y d a n s
ignore même le talent, que pour" lorgner, pho­ le film Un homme e sf p a s s é ( E ta ts - U n i s e t

20
Le fagot est prêt. F an t-il brûler Carmen Jones? se d em an d e Bazin (en h a u t à g a u c h e );
D orothy D andrige et O tto P rem in g er n ’o n t pas l'air inquier (en h a u t à droite) ; Iîav a
H a rra rit que l’on voit ici avec Thorold Dickinsou fut la fraîche révélation de ce festival
(en b a s à gauche) ; q u a n t à G râc e Kelly, sa b eau té était éblouissante (en b a s à droite).

l'ensemble des artistes du film Uns grande (U.R.S.S.) pour sa transposition cinématogra­
famille (U.R.S.S-) phique du ballet et l’interprétation de Mme
Oulanova. (Ce prix a été décerné à l’unani-
P r ix d u h l m dramatique ; A l’Est d’Eden
mîté)-
(Etats-Unis) pour la maîtrise d'Eîia Kazan et En outre le nombre des prix ayant été li­
l’excellence de l'interprétation. mité cette année le jury a décidé d ’accorder
P r ix du f il m LYRIQUE : Roméo et Juliette une mention spéciale à deux enfants : Baby

21
Naaz pour son talent exceptionnel dans Le de Cannes, Jamais opéra filmé ne l'a été
Petit Cireur (Inde) et Pabiito Calvo pour son avec cette intelligence et ce respect. A tel
talent exceptionnel dans le film Marcelin, Pain point que le livret primitif de l’œ uvre de
e? Vin (Espagne), ainsi qu’une mention au Bizet paraît dater d ’un autre siècle ! En tous
film La Colline, 24 ne répond plus (Israël) et cas, la qualité des chanteurs, la pureté de
à la pureté du jeu de son interprète Haya l’enregistrement musical en font une des olus
Hararit. admirables représentations de Carmen qu'il
Le jury chargé des films de court métrage m ’ait été donné de voir. 11 n ’est même pas
attribue : question d ’éplucher l’astuce des transposi­
tions, l’habileté du nouveau livret : la classe
La PALME b’oR du Festival International du et la qualité sont ici év.dentes. Q uant au
film 1955 à : Blintyty Blang lCanada) de travail purement cinématographique de Pre-
Norman Mac Laven, en hommage à l’ima­ ninger. il est d ’une virtuosité sans tapage,
gination créatrice et à l’audace de l’ensemble aui font de Carmen Jones une de ses œ uvres
de son œuvre. (Ce prix a été décerné à l'una­ d ’une richessfe d ’inventions et d’une audace
nimité-) les plus marquantes. Et que d re de l ’inter­
Le jury attribue ensuite les prix interna­ prétation de Dorothy Dandridge ? Comme si
tionaux suivants : sa seule présence n’était pas plus le signe
P r i x du m e il l e u r d o c u m e n ta ir e s u r écran du respect de l'oeuvre que celle des grosses
LARGE : Ile dç Feu (Italie) pour son authen­ prima donna de l’Opéra-Comique !
ticité dramatique. Tout est fini..- Cependant aucune voix n ’a
déclaré clos le Festival comme c’est l’usage,
P rix DU REPORTAGE FILMÉ : La Grands Pêche Pour l’instant, il se continue encore quelques
(France). heures au gala de clôture où, avant d ’aller
En outre le jury des courts métrages a dé­ enlacer les cavalières, on apprend q u e le
cidé d ’accorder une mention spéciale au Prix de la Critique Internationale (Fipresci)
film : L ’Anlilope d’or (U.R.S.S.), dessin ani­ est décerné^ ex æquo à Racines (Mexique) et
mé. pour la qualité de son animation. La Mor{ d ’un Cycl'ste (Espagne).
Après cet intermède, la présentat’on de Car­ L ’orchestre attaque une valse : Preminger
men Joncn a clos en beauté ce VIII0 Festival ouvre le bal avec sa Carmen...

Betsy B lair et E rnest Borgnine dans Marty, de D elb ert M ann, qui rem p o rta la palm e d’or.

22
LES MARX BROTHERS ONT- I LS UNE AME?
(Fin)

Par A ndré M artin

L E S M ARX AU TR A V A IL
Beaucoup d'am ateurs d 'a rt pensent, surtout à propos du Cinéma, que l'on n 'a
pas à se soucier des rapports qui s'établissent entre l ’effort artistique et ses résultats.
H onte au courage malheureux ! Que certains n ’arrivent à rien après un travail
acharné, et que tel autre éblouisse d ’un petit rien, ne regarde personne. Le profane
n 'a rien à faire dans les coulisses.
Heureusement, à l'opposé de ces réalistes, existent d'autres curieux, d'un tempé­
rament plus généreux, qui, se plaçant sur un plan d ’émulation universelle, s'attachent
avec passion à tous les rapports efforts-résultats. Pour ceux-ci, les folies les plus
spontanées des Marx Brothers procèdent d ’un véritable idéal de travail cohérent,
soutenu et exemplaire, qui donne au burlesque marxien sa véritable valeur. Si l'on
cherche à évaluer l'am pleur de l'entreprise des frères Marx : faire des films marxiens
(il y en a treize et pas un de plus), on est obligé de considérer l'effarante somme de
travail et de talent qui a rendu possible une telle œuvre. Etre les Marx Brothers était
une tâche surhumaine, et il fu t presque impossible de trouver de l'aide. Les ennuis
de scénario et de dialogues ont poursuivi les Marx pendant toute leur carrière ciné­
matographique. Ce fut surtout cette difficulté qui découragea et dissocia l'équipe
après vingt ans de travail en commun.
P a r ailleurs, le mode d ’expression des Marx exigeait une présence spectaculaire
qui confinait à l'héroïsme. Groucho et ses frères savaient que la comédie burlesque
était le plus dur des métiers, et l'avaient choisie en connaissance de cause.
Groucho a très lucidem ent expliqué : « Dès que l'on ap p araît sur scène avec un
m aquillage exorbitant et des vêtem ents comiques, une puissante résistance inconsciente
s'étab lit dans le public. L 'attitude du spectateur devient im m édiatem ent hostile :
« A h! vous êtes comédiens comiques! Eh bien faites-moi rire. Je vous en défie! » Si au
contraire vous apparaissez en vêtem ent de ville, les spectateurs ne s’atten d en t pas à
tom ber de leur fauteuil à votre prem ier mot. A la moindre chose drôle, ils sont surpris
et n ’e n rient que davantage, »
U ne fois dans sa vie. Groucho Marx interpréta au T héâtre de Lakewood Playhouse,
le rôle principal d ’une pièce de Ben H echt et Mac A rthur Vingtième siècle. Ce n ’é ta it
pas une comedie de slapstick, m ais une pièce sérieuse où Groucho se contenta de jouer
un rôle, sans retrancher ni ajouter une ligne au texte. Son succès e t la qualité de son
in terprétation su rp riren t beaucoup de gens de la profession qui ne l’im aginaient pas en
dehors des bacchanales coutumieres. Groucho ne fu t pas moins étonné p a r les facilités
du jeu « norm al ».

DES VALEURS DEPLACEES


Les Conservatoires et les Ecoles d 'A rt rêvent d'une place pour chaque muse et
d'une muse pour chaque place, et ne vendent le beau qu'avec l ’étàgère correspon­
dante. Les Mars, au contraire, colporteurs désordonnés, proposent des valeurs esthé­
tiques souvent « déplacées ». Lorsque dans Un jour aux courses, H arpo entre sur
l'écran, déguisé en Ange Gabriel, jouant de la flûte et suivi par une bande d ’enfants,
des spectateurs s ’obligent à croire à un truquage sonore pour supporter cette apparition
imprévue de la musique. Quand, après maintes preuves de la plus rayonnante folie,
H arpo transfiguré par la musique, calme, détendu, angélique, se met à iouer de la
harpe, comme nulle ans de sérieux et de conservatoire assidu ne le permettent pas
forcément, l'étonnement gêné de quelques mélomanes devant ce sacrilège est Drôche
de l'indignation, .

23
Chico a, lui aussi, sa façon bien personnelle de tirer des effets du piano; les
a chopsticks », rangaines paralysées "que renforcent des basses ratifiantes et des
arpèges dignes de Rachmaninoff. Il joue en gardant les doigts raides et l'index en
forme de canon de pistolet. Ces a fingers ballets » font grincer les dents des musi-
Comanes trop zélés, qui oublient que le divin Mozart lui-même, pianiste « zanni ». à
ses heures, prévoyait dans sa « T artine de beurre » d ’irrévérencieuses et clownesques
glissades pour deuxième doigt.
Il n ’est d ’ailleurs pas indispensable que les Marx aient un instrument dans les
mains pour paraître musiciens. L 'inoubliable chœur qui ouvre Monkey Business su ffit
à prouver que les arts de la voix, p ar exemple, ne leur sont pas étrangers.
■ — Mon capitaine, il y a quatre passagers clandestins dans la cale avant.
— Vous les avez comptés ?
'—• Non, mais ils chantent un quatuor
Groucho n ’a pas d ’instrument attitré. Tout son art musical tient dans sa voix
et dans sa tête. Mais ce q u ’il fait du chant est aussi original que l ’emploi de la harpe
ou du piano par ses frères. Pour vous en convaincre, rappelez-vous l ’incroyable récital
.qui; dans Une nuit à VOpéra, accompagne sa promenade de cabine en, cabine, juché
sur des valises roulées par un porteur. Dans Animal Crackers, les Marx exëcutent
un chœur curieusement atonal, un archi-bel canto, libre comme du plain-cbant,
soutenu par de rauques quintes médiévales, unique dans toute leur œuvre. Plus tard,
ils rechanteront, dans Go West, dans Un p u r au cirque, et leur rubato personnel
flottera toujours sur les mélodies, mais jamais ne réapparaîtra le mystérieux style
choral marxien entrevu dans Anim al Crackers .
- 1 Lè ballet Histérique de 'Duck Soup, le tango burlesque de Groucho dans M onkey
Business', ses quelques pas glissés dans Animal Crackers ont prouvé que les frères
Marx étaient aussi de. bons danseurs excentriques, qui conservent leurs dispositions
musicales, même dans les mouvements privés de musique. L ’opération de Margaret
Dumont sur la table chirurgicale mécanisée de U n jour aux courses, le siège final
de Duck Soup fonctionnent sur un tempo indéfectible et sans une mesure pour rien.
H arpo est aussi implacable qu’un métronome. Ses marches sur une jambe raide,
clochant à contre-temps, sous la tête qui dodeline, en démultipliant le tempo à une
fréquence proportionnelle, ont une précision d e 1grand virtuose. Parfois des fanfares
.raccompagnent, pour son arrivée de professeur, dans Animal Crackers, ou son entrée
de D uck S o u f au Reichstag (gesticulant, avec des moulinets de tambour-major, il
fait très exactement, à la ième mesure, tomber le grand lustre).
Les Marx introduisent enfin, dans leurs 'films, la qualité musicale la plus intime,
ia plus-rarement représentée : son pouvoir kinestesique e t auto-excitateur. Ils gardent
au rythme et au tempo leur pouvoir de contagion, ■ que seuls, Donskoï dans d ’adm i­
rable scène de balalaïka, et Bunuel dans une séquence de E l (le mari jaloux devient
fôu en tapant avec .une tige de cuivre sur les barres de la rampe d ’escalier), ont su
faire apparaître (i).

LA P R E S E N C E D ’E S P R IT
Les années de tournées dans les vaudevilles ont appris aux Marx à tenir ferme
le gouvernail de l ’improvisation. Leur style de jeu est celui d ’interprètes qui, sur

.(I) Au cours d ’une poursuite désordonnée et crépitante dans Monkey B usiness, les
Marx s ’arrêtent brusquement dans un immense fumoir, se saisissent d ’instrum ents aban­
donnés, et pour se donner une contenance, se lancent dans une improvisation inaudible,
mélcdiquement informe, mais dont le rythme reste impeccable. Puis ils s ’arrêtent tous en
même temps, tapent trois fois du pied en mesure et reprennent leur galopade floue. Dans
Une nu$t à l'Opéra, c ’est en se lançant, en mesure, les instruments et les partitions à la
fête, q u ’ils désorganisent tout un orchestre et transforment un prélude wagnérien en rangaine
populaire.

24
C h a n tan t en ch œ u r dans Animal Crackers, les Marx se m o n tren t disciples de Scluienhery.
Le m orceau term in é G roucho ajoute, en p a rla n t de H arp o : « Ou il a mis son maillot à
l’envers, ou il n'y a plus de centre de gravité d.

scène, .sont plus des rivaux que des acteurs, et parlent pour leur propre compte. Les
interminables conciliabules de Chico et de Groucho ne sont pas faits pour être lus,
ni pour être analysés, mais seulement pour être entendus à la bonne vitesse, et soute­
nus par un sens de Timprovisation toujours en éveil. Cet effort technique, cet amour
du risque ot donné à Chico et à Groucho une trempe rarissime.

Les spectacles m arxiens ont toujours été très libres. Au cours des tournées les frères
Marx ne se privaient pas d’utiliser des détails passe-partout, e t de piquer dans leur
texte quelques-unes -de ces précisions locales que l ’on glane au restaurant, le m atin de
l’arrivée. A l’intérieur des improvisations, des formules éprouvées perm ettaient aux inter­
prètes de se reposer, sans interrom pre le spectacle.
D ans le sketch des écoliers stupides : F un I n R i Skitle, que les Marx o n t promené
à travers l’Amérique, plusieurs années, Groucho jo u ait le rôle du m aître d ’école. E t
chaque fois que l’am biance refroidissait e t que l ’invention faiblissait, Groucho frappait
sur le bureau avec une règle et annonçait : E t m aintenant nous allons -préparer la fête
de l’école! Toute la troupe alors se réunissait, avec u n soupir de soulagement, devant la
rampe pour entonner une des centaines de chansons à la mode qu’ils connaissaient par
cœur.

Grâce à ce métier d ’improvisateur, un spectacle comme Home A gain pouvait


durer quarante-neuf minutes ou toute la nuit, si l ’on plaçait imprudemment l ’inter­
vention des Marx en dernière partie, et surtout si Von omettait de fermer le rideau
en pleine action. H arpo Marx, quoique muet, était un improvisateur pur. Il modelait
vaguement son rôle sur le spectacle, à distance, suivant ses impressions, ne sachant
rien de Targument et ne s’en souciant pas. On raconte que Georges Kaufman, assis­
tant à une représentation de Cocoanuts, dit à son voisin : « f ’at' peut-être tort, mais
je trois avoir entendu une ligne de mon dialogue. »

25
A D L I B I T U M Q U AD NO A SC E N D A M ?
Groucho a jalousement cultivé sa présence d'esprit. Chaque soir, avant la repré­
sentation, pendant que Chico courait après les demoiselles en compagnie de Milton,
il lestait dans sa chambre, fumant des cigares, jouant un peu de guitare et prépa­
rant de nouvelles plaisanteries. Il est résulté de cet effort constant un talent unique
à utiliser les phrases courtes et à ridiculiser les plus nobles fonctions du langage.
— Un docteur! Un docteur! Vous êtes docteur?
— Oui, où est le cheval? (Monkey Business.)
— Un mot de plus et je vous m ets au fer, menace le Capitaine.
— Merci, je frise naturellement.
Passagers clandestins, Groucho s’installe avec Chico d ans la cabine
du Capitaine :
C h i c o ; J'ai faim. Je n ’ai pas m angé depuis trois jours.
G r o u c h o : Trois jours. Nous ne sommes sur le bateau que depuis
deux jours.
C h i c o : Je n'ai pas m angé hier, je n ’ai pas mangé aujourd'hui
et je ne vais pas m anger demain.
G r o u c h o : Allô! Envoyez le déjeuner du Capitaine,
C h i c o : Hep! Deux!
' G r o u c h o : Faites m onter aussi le dîner. Qui je suis? (Il retourne
la casquette qu’il avait prise sur la. table .et qu’il avait mise, à l'envers
sur sa tête, et regarde les galons.) Le Capitaine. Allô! Mécaniciens,
faites cesser le tangage, pendant que je déjeune.

A partir de Fun in H i Sktde Groucho va devenir vraiment le maître des d ia ­


logues, introduisant des commentaires et ses fameux apartés quand il le juge bon,
rattrapant les silences intempestifs et donnant aux dialogues son poids. Il invente à
cette occasion un nouveau et merveilleux métier, celui de poseur de question, q u ’il
honore avec une maîtrise sans égale.
D ans M onkey Business, le terrible Alky Briggs trouve Groucho
en train de parler musique avec sa femme, en déshabillé. Sans émo­
tion apparente, Groucho répond aux questions coléreuses du mari. -
B r ig g s : Vous pensez. Je m ’en suis douté. Je suis malin.
G r o t jc h o (ne quittant p a s le sujet) : Vous êtes malin. E h b i e n !
dites-mois quelle est la capitale du Nebraska? Quelle est la capitale
de la Banque Nationale Chase? Vous donnez v o t r e langue au chat?
B r ig g s : Espèce de...
G r o t jc h o : Allons, en voilà une plus facile. Combien de Français
peuvent se tromper?

D iabolus in musicpe, faisant fa de tout bois et fi des fois : les Marx. D ans Animal
Crackers, petit concert pour am u ser la société. Poursuivie, d a n s Monkey Business, la
famille au complet s’improvise saxophoniste, m ais respecte le tempo.
G roucho doit son inséparable cigare au conseil d ’un vieux com édien vagabond (presque
tous les vieux com édiens sont vagabonds, d irait G roucho) : « S i tu oublies une réplique,
ce que tu as de m ieux à faire, c'est de te fourrer un cigare dans la bouche, et de tirer
dessus jusqu'à ce que tu la retrouves. »

B r ig g s : Je sais, mais..,
G roucho : Vous brûlez! Elle aussi! Mais ne vous découragez pas.
Avec u n peu de travail vous irez très loin. Mais vous feriez bien de
p a rtir tout de suite.
B r i g g s (sortant son 6,35) : T u vois ce revolver?
G r o u c h o : Qu'il est mignon! C’est le père Noël qui vous l’a
apporté? Moi j'ai eu une locomotive.
B r i g g s : Ecoute, espèce d ’idiot, sais-tu qui je suis?
G r o u c h o : Oh ! ne me dites rien. Animal ou végétal?
B r ig g s (émet un grognement).
G r o u c h o : Animai!
B r i g g s : Ecoute, je suis Alky Briggs.
G r o u c h o : E t moi je suis le type qui parle tellem ent. Drôle de
rencontre.
B r ig g s : As-tu une dernière question à me poser avant que je te
descende?
G r o u c h o : Oui. J'aim erai vous poser une question?
B r ig g s : Vas-y?
G r o u c h o : Croyez-vous vraim ent que les f il le s aient tendance à
être déçues par un garçon, qui se laisse em brasser? Je veux dire,
vous-ne croyez pas que les filles qui sortent avec des garçons comme
moi se m arient avec l ’autre genre de type. Bon, ça va bien. Si vous
devez m e tuer, dépêchez-vous. J'ai un fortifiant à prendre à deux
heures.
B r i g g s : T u me plais. Je pourrais avoir besùin d ’un ty p e .d e ta
trem pe. Nous pourrions aller très bien ensemble.
G r o u c h o : Bien sûr, la première année nous aurions quelques
petites disputes. Mais c’est inévitable, ne croyez-vous pas ?

27
VI

Une morale en action

— Je sais, pote, ton genre, je le


connais, pour l ’esprit c ’est Eddie Can-
tor.*. Marx Brothers...
— Jabote toujours, garde mobile !...
C ’est nous les Sels de la terre 1 T u l ’as
dit toi-même !
« Sel de la terre 1... » Voilà le vocable
dont je sursaute !...
Louis-Ferdinand Céline. Baga­
telles pour un massacre.

Lès effets m ajestueux et solitaires de W.C. Fields, ce prince d u burlesque, parfois


très proches de ceux des Marx Brothers, sont cependant régis p ar des lois radicalem ent
différentes.
D ans A Million of Dollars ' Legs, Fields, grand dictateur, est attendu p a r son Conseil
qu’il va présider. Enfin la grande porte s'ouvre. Une sonnerie dé trom pette éclate dans
l’antichambre. Fields parait habillé en homme-orchestre et s.e dédiant une m arche
triomphale. Ce p etit moment musical term iné, il pose son mélodieux barda s u r la
carpette et passe à un autre leu
Il est dans le caractère de Fields, comme dans ses effets, de n 'être pas soutenu.
D ans un monde aussi fou et aussi innocent ce jour-là que la veille, il se m e t à
présider son Conseil que cette entrée bouffonne n ’a absolument pas étonné. W.C. Fields
et ses protagonistes, mcïiffêTies de l’absurde, sont animés p ar le même désordre m e n tal :
pour eux tous les hommes s’appellent Jean, sau ten t 20 m ètres d’u n coup e t choisissent
leur dictateur pour son aptitude au jeu du bras de fer.

Cette entrée comparée à celle de Groucho attendu' par toute la cour de Fiee-
donie dans Duck Soup éclaire une différence fondamentale entre les deux systèmes.
Ce qui chez: Fields est innocence et propriété naturelle devient chez les Marx éthique
volontaire et mode d ’action. Le monde caricatural mais presque normal sur lequel
ils appliquent leurs sacrilèges doit sentir passer le cyclone. Les films des Marxj sont
de vrais film s d'action, d ’infiltration, d ’accaparement des ressorts, leviers de com­
mande et placés fortes. Dans le grand cirque de la struggle for life les Marx devien­
nent chef d ’E tat, explorateur choyé, imprésario ou pique-assiette en haute sphère

28
Le poète Louis-Ferdinand Céline (qui ne peut s’empêcher de parîer des; îsraclites
comme Juvénal des Grecs), en décrivant les juifs, en général, dans Bagatelles-four
un massacre > nous donne des Marx un portrait précis et ressemblant : « ... avides,
voraces, larvaires, vautours arrogants ou limandes, se transformant, se frêgolinisànt
inlassableme?it dans la vie de tous les jours, selon les besoins de la conquête, u En1
écrivant ces mots, Céline ne pense pas à l'a rt des juifs dont l'agressivité ou les puis­
sances convaincantes sont toujours dissimulées, mais à leur pratique de l'influence et
de l ’action. Les Marx sont les seuls poètes juifs, le Talmud et la Bible mis à part,
qui expriment avec une sérénité totale une intensité délirante, sous forme d ’aveux
frénétiques, le style terrifiant de l'efficacité judaïque

UN CO M IQ U E D 'E N T R E P R I S E
Il faudra un jour démontrer à tous ceux pour qui ce n'est pas évident que
l'humanisme chaplinien consiste moins dans l ’art de- tendre charitablement une main
efficace et compatissante que dans celui de tendre efficacement la main. Toute
l ’immense valeur du grand mime réside dans la clarté expressive et la virtuosité
miraculeuse de son exécution, mais nullement dans son univers apitoyeur, égoïste,
faussaire et illusoire. Les conduites impraticables de Buster Keaton et d ’H.arry
Langdon nous orientent, plus honnêtement, plus aisément, vers l ’illimité contestable
mais authentique des conduites mystiques. On peut aimer considérer les manèges fous
de Mac Sennett, comme une remarquable gymnastique suédoise de l'esprit de liberté.
Mais il fau t attendre les Marx, ces chers sophistes, pour trouver un cinéma comique
spontanément bâti sur une morale presque cohérente : en l ’occurrence, un superbe
climat matérialiste. Cabanis affirm ait doctrinairement : « L'homme est un tube
digestif^ » Dans Animal Crackers. Chico, arrivant au superbe manoir de. la richis­
sime Mme Rittenhouse, se contente de dire, après quelques hâtives marques de
politesse : « Où est la salle à manger ? »
Dans leurs célèbres scènes de contrat, par leur façon de dire « money i, les
Marx ramènent tout à des questions de salaires, comme Marx (K arl), dans les meil­
leures pages de son Capital.
Dans M onkey Business, u n gangster se prépare à engager Chico
et Harpo comme gardes du corps ;
— Etes-vous vraim ent durs?
C h i c o : Cela dépend de l ’épaisseur de la galette. Si vous payez
pas beaucoup, on e st pas très dur. Vous payez beaucoup, on est très
dur. Si vous payez trop, on est trop dur. Combien payez-vous?
H e t t o n : Je paye des tas...
C h i c o : Vous payez des tas! Nous vous prouverons que nous
sommes des durs. E t il se fa it démolir à coup de poing par Harpo.
— Qu’est-ce que mille dollars? De la nourriture pour la volaille!
disait Groucho, dans Cocoanuts, pour en obtenir 20.000 de plus.
P ar leur acharnement bien judaïque à ne jamais dissocier la rentabilité de toute
tentative, les Marx soulignent, moins, une symbolique de la puissance illimitée de
l'argent que l ’une des vérités clefs du matérialisme dialectique,: les idées ne naissent
pas dans l ’esprit de l'homme par cérébration pure, mais selon la façon dont il gagne
sa vie.
Depuis toujours les Marx Brothers ont accordé une place primordiale au travail
et à l'initiative, alors que les aventures Icolkosiennes, les biographies soviétiques
sérieuses, ou certains films américains commencent justement à nous familiariser
avec cette dramaturgie de l'action e t du social. Tous les films marxiens, construits
comme les aventures d'H ercule, se fragmentent en cinq ou six travaux conscients et
organisés. Chaque nouvel épisode commence toujours p ar un stade préparatoire de
reconnaissance, de discussion et de devis. Puis vient le moment des émissaires,; des

29
travestis et des infiltrations. Les Marx, s ’étant partagé les tâches, cherchent à
atteindre leur but, ne craignant ni les outils ni les obstacles. Leurs entreprises sont
réellement des travaux d'équipe : destruction pour le bon motif d 'u n spectacle lyri­
que dans Une nuit à VOpéra, enquête policière de H a fp y Love, vente d ’un lotisse­
ment dans Cocoanuis. Ce goût de l ’initiative forcenée a permis aux M arx de réussir
à l ’âge du cinéma sonore quelques films ayant la puissance comique des grandes
réussites muettes, et de révéler toutes les perspectives réjouissantes et les champs
nouveaux qu’offre à l ’imbroglio, au rire et au burlesque, cette dramaturgie de Faction.
Il ne faut pas s’étonner que, répondant toujours aux lois de cet ordre vécu, la cohé­
sion fonctionnelle des Marx se soit affaiblie, et que leur famille ait succombé à
l ’évolution et aux cqntradictions qui détruisent forcément les groupes et les équipes.

LA R E V O L U T IO N C O U R O N N E E

Le caractère du plus grand nombre des œuvres comiques permet d'associer


presque définitivement le rire cinématographique à une dramaturgie de Véchec.
Ecrasés par la pression collective, Chaplin, Keaton ou H arry Langdon pataugent
en vue de pitoyables rédemptions. L ’aboutissement heureux, est d ’autant plus éblouis­
sant qu'il s'opère de justesse E t en leur temps les beaux garçons de la ; comédie
américaine entoureront les mêmes échecs d'un peu d ’illusion sucrée. Mais il est
permis de se demander si ce ne sont pas des bienséances du succès et un' grave
fléchissement créatif qui ont condamné le héros comique aux échecs perpétuels. Les
Marx, en tout cas, bouleversent cet usage. Ils ne sont plus les victimes mais les
provocateurs de l'échec. Uniques de leur espèce, les Marx peuvent tout se permettre,
sans perdre jamais une once d'exubérance.
Avec eux, la révolution n'est plus historique, promise, comme dans les films
« d'époque » : Tarass Chevichenko ou Pierre Le Grand; naissante comme dans Shors
ou Le Cuirassé Potemkine, mais naturelle, normale, éternellement recommencée sous
nos yeux, sans douleur, sans ravages ni sacrifices. Elle apparaît triomphante, pépère
et insultante, avec son dosage exact de tension, de politique et d ’arrivisme récom­
pensé. C ’est la vrai révolution, historicautomatique; celle qui se fait toute seule,
parce que la roue tourne, que les martyrs se font attraper tout seul et que les mêmes
privilèges ne peuvent pas durer toujours. D ans l ’insurrection, la cohésion orientée
des frères se dresse, indéracinable, débarrassée de tout souci d ’étape, de sentiments
d'insécurité ou de dissensions intérieures. Les Marx ont inventé le film d ’évasion
révolutionnaire, les vacances insouciantes de la révolte, l ’épopée libertine, le rêve bleu
pour m ilitant irréprochable..
Le temps de la violence venu, un des premiers gestes de tout révolutionnaire
accompagné est d ’aller en gueulant enfoncer les portes d ’un palais d ’hiver ou d'été,
pour y briser les glaces et les lustres. Ainsi font les Marx, à cela près qu'ils se
contentent de dévaster le buffet et les usages. L a révolte des M arx n ’est pas im pa­
tiente ni intéressée. Ils se meuvent dans un univers qui ignore les plaies et les
scandales, les provocations et le messianisme. N e visitant que les recoins aménagés
et ratissés du monde, les Marx Brothers évitent les friches alarmantes de la misère
et du prolétariat et se vouent directement à l'édification des rentés et des bien-
nourris. Ils font la révolution chez les causes, froidement, sans haine, sa*is sauter
un repas, avec la sérénité théorique du matérialisme historique et en chantant ce que
tout le monde sait mais ne dit pas : la supériorité de l ’astuce, de la. mauvaise foi
généreuse, de la nécessité démagogique sur la pureté d ’intention, le martyre et . le
sacrifice.
Une véritable révolution selon l'urgence dévide son chapelet de calvaires salis­
sants • l ’usine, le colonialisme, le paternalisme, l ’avortement, la faim et toutes les
exploitations de l ’homme par l'homme. Mais ces fleurs de i^opposition, ces véri-

30
H arpo p en d a n t son séjour à Moscou. P h o to s 1 e t 2 : A vant e t ap rès (pour les lecteurs
de a l'H um n n) ; Après et avant (pour les lecteurs du « Fiyaro »).

tables raisins de la colère sont toujours trop verts pour la censure: (Encore qup
certains abus de notre moderne société deviennent si flagrants et périmés que la
m a u v aise conscience elle-même doit abandonner leur défense). Il est une monumen­
tale puanteur du monde actuel qu’on ne peut servir, à la table contemporaine, et
des cris justifiés qui ne peuvent être entendus. Parmi les minces possibilités offertes
aux hommes de dire efficacement ce qu’ils ont. sur .le cœur, sans se faire enfermer
ou matraquer, les Marx ont inventé des procédés de cours' divinement goguenards.
Il e st rare q u ’un homme puisse réunir les qualités du politique et les vertus des
prophétiques, le sens de l’installation et celui de .l’imprécation, le goût du sérieux
et celui de l ’audace. Seuls, les privilèges précis accordés de toute éternité aux fous
des rois rendent le compromis possible. E n camouflant leur satire dans des comé­
dies musicales anodines, dans clés opérettes « nononarièttes », en invoquant et en
bénéficiant du statut des fous royaux, les Marx ont trouvé une formule de non-
conformisme aussi originale que les équations d?Einstein.

U N E M ISSIO N D E D E R IS IO N

Il est difficile, par nos jours maigres, de passionner les jeunes esprits pour
ia liberté de penser, d ’écrire et de vivre autrement que dans le cadre de commodités
dérisoires. Aussi, pour ce faire, il n ’est p a s . mauvais que de temps en temps la
race juive nous délègue quelque clown ou prophète vrai ou faux, afin d ’éveiller des
hontes et compréhensions salutaires. De Spinoza à Bergson et Shoenberg ces spécia­
listes de la scission, ces inquiéteurs d ’énergie sont indispensables. Cela permet d ’a t­
tendre avec moins d ’ennuis les spiritualismes nouveaux et les hiérarchies convain­
cantes qui tardent à remplacer les religiosités usées et les harmonies détruites. Cette

31
vocation dangereuse et essentiellement juive du sarcasme et de l'apocalypse compense
l ’écœurement que nous procure cette autre vocation permanente des isréalites : l'enjô-
lage, le bêlement d ’amour, le messianisme à la noix, le néo-petit jésuisme bénéficiaire*
qui, des radios et télés publicitaires à Charlie Chaplin, nous rendraient vite antira­
cistes si nous n ’étions pas équilibrés et prudents.
Apparemment certaines formes de grandeur d ’âme n ’ont pas l ’agrément des
Marx Brothers : la dignité tragique, les puretés ou les noirceurs exclusives. Ne
s’embarrassant ni de conviction ni de ferveur, les M arx ont la mauvaise foi de
Chaplin, mais sans sa fourberie ni ses fièvres inutiles. La perruque de H arpo est
toujours prête à tomber et on peut se demander si les moustaches de Groucho sont
« peintes ou accrochées à son cigare d. Jam ais ils n ’expriment le moindre déchi­
rem ent, le moindre' sentiment contrarié, dont Chaplin tire des effets inoubliables
(séquence finale de City Lights). Capables seulement d ’un peu d ’abattement quand
cela va trop mal, la condition humaine leur apparaît comme une piste, un, terrain de
sport et non comme un prétexte à méditation et à vertige. I l est impossible de les
surprendre en train de faire leur M anfred, ou leur, Faust, même auprès des dames.
L a grandeur des roseaux pensants mâles ou femelles ne les impressionne pas. Les
berlues de Madame Bovary, les velléités d ’H am let sont des abîmes qui leur
demeurent étrangers.
Ce que Groucho pense, p a r exemple, des belles perspectives
combinées de l'arrivisme e t du courage :
— J ’ai réalisé un exploit! P a rti de rien j ’ai a ttein t la misère.
I j épopée de magazine, telle que l’encadrent les rédacteurs zélés de
2a grande presse e t la digère la crédulité populaire :
— Vous ne pouvez pas rester dans ce placard!
G h o u c h o : Vous ne pouvez pas! Ah! vraim ent je n e peux pas!
C’est aussi ce qu'on a d it à Thom as Edison, le grand inventeur, à
Thomas Lindberg, le grand inventeur, à Thomas Shipsky.

Il faut, avec les films des Marx, applaudir ou se résigner, car c’est le désordre
qui réussit. .L e ‘chemin de l ’honneur et de la logique devient celui de l ’échec et du
ridicule. La Société, que représentent Sig Ruman et la plantureuse milliardaire
Margaret Dumont (Mrs. Tedstale dans D uck Soup, Rittenhouse dans Animal
Crackers, et cætera.,.)' sert de repoussoir aux frères. Grâce à leur vigilante sollicitude
les magnifiques prestances", les distinctions naturelles et héréditaires, les poitrines
imposantes s’écroulent. Sans une mesure pour rien, le solennel opéra italien de
Une mtït a VOpéra se métamorphose en une rangaine agressive : Take me doimi to
the bail game. D ans U n jour au cirque, les Marx coupent les amarres d ’un piodium
flottant sur lequel un orchestre de cent musiciens, et son Stokowskl, partent à la
dérive, en jouant toujours du Wagner,
Richard Rowland remarque que si personne n ’est plus concupiscent que Groucho
(si ce n ’est H arpo). les films des Marx sont moins érotiques q u ’un documentaire
sur les oléagineux. Dans Une nuit à Casablanca, tournent autour de la belle espionne,
les valses de Strauss, les belles aimées, le champagne rose, les senteurs balsamiques
et, pour finir, Groucho. Tout y est sauf la séduction qui s’évanouit, trouvant que
l ’on ne la prend pas au sérieux ,

TO U T EST A RECOM M ENCER

Au terme de ces considérations l ’angoisse saisit le côté pointu du stylographe


de l'auteur. Peut-être que la plus grande justification de ces pages interminables,
de ces paquets de mots sera de permettre à ceux qui aiment les Marx, et ne p a r­
viennent que rarement à voir leurs films, de remâcher leurs bons souvenirs devant
des matériaux sempiternels présentés différemment. Car cet exposé a surtout révélé

32
T out reste encore à dire des Marx, A-t-on signalé
ré to n n a n te ressem blance de Adolphe-Arthur-Harpo
M arx avec Françoîs-R ené d e C h ate a u b rian d , cet au tre
ch a n tre du m a l du siècle ? L a h a rp e a égalem ent
quelque chose de M m e de R écam ier.

l ’impossibilité de saisir l ’essentiei du génie des Marx Brothers. 11 faut se résoudre


à donner en partie raison au critique intransigeant qui qualifiait l ’inspiration mar­
xienne de et cahotique, fragmentaire, improvisée, inintelligible t. L a morale des
Marx demeure informulée. Incapables d ’imaginer quoi que ce soit, ils n ’ont pas
essayé de bâtir un « système ». Mais c’est justement pour l ’éblouissante sûreté de
ce manque de structure q u ’ils nous sont chers. Le génie des Marx est essentielle­
ment négatif, privatif. C ’est un talent de guerre, un orchestre dans les tranchées,
l’intuition invaincue, l’étincelle poursuivie, la morale portée à l ’incandescence. Leur
art est entièrement fa it de liberté et de fidélité à soi-même. Incapables de politique,
de concurrence, ils ont bâti leur œuvre sur le premier mouvement, le bon. relui
qui précède la réflexion, les réticences, les omissions civilisées et les adoucisse­
ments pratiques.
A cet égard, l’événement aujourd’hu i légendaire qui, paraît-il, déterm ina leur style,
m érite d ’être cité. Un incident, qui eut lieu à Nacogdoches, dans le Texas, m it les. Marx
sur le chemin de leurs folies scéniques et leur indiqua la place exacte qu’ils devaient
accorder à l’improvisation et à l’inspiration.
P end an t le spectacle, une mule, dans la cour du théâtre, se m it à pulvériser une
carriole à coup de sabot. Aux bruits e t aux cris, tous les spectateurs sortirent, abandon­
n a n t les Marx à leur représentation. Q uand les premiers badauds revinrent, les frères
étaient déjà fort en colère. Ils décidèrent d ’abord de ram ener la totalité du public en
faisant a u ta n t de bruit que la mule. Puis ils se m irent à parodier leur propre pièce, en
ren d a n t l’action inintelligible. Harpo courait de long en large d evant'le'public. Gummo
restait la bouche ouverte, dans la posture d ’un chanteur wagnérien. E t Groucho, fou de
rage, chantait mécaniquement, avec toute sa hargne, et en se creusant la tête pour
trouver de nouvelles insultes :

33
Nacogdoche
Is full of roaches.
Nacogdoche est pleine de punaises.
The Jackass
Is the finest flower of Texas
Le b a u det est la plus belle fleu r du Texas.
Le tout entremêlé d'injures, comme : « Damné Yankee! ». Ces idioties spontanées
rem portèrent un succès stupéfiant. P ar la suite, il fallut reconnaître que ce genre de
plaisanteries ne réussissait pas également dans toutes les villes.

L ’agressivité infatigable des Marx Brothers, toujours immédiate, désintéressée,


à cou rte-vue, noufj repose des plans quinquennaux et de l ’ordre pesant du politique.
Les Marx imposent une trêve aux tics de l ’efficacité, à tous les mensonges obliga­
toires et nous autorisent à accorder une plus grande place à l ’initiative, à l ’auto­
nomie, à la singularité et au spontané.
E t surtout, par le feu continu de leurs entreprises* en ^nous proposant une
vaillance exemplaire mais inbumainej une efficacité modèle mais inimitable, les
Marx dégradent par l ’absurde les idoles du dynamisme, du feu quelque part, de
l ’orgueil de vie et du désir d ’expension qui troublent toute l ’efficacité moderne.
Ë t leur excès de vie plaide finalement pour les profondes qualités de sagesse et de
modération si difficiles à défendre.
Quelques rares poètes de l ’écran se servent de l ’inestimable pouvoir du Cinéma
pour inciter les hommes à trouver à travers les interdits dérisoires et les esclavages
facultatifs, cette entière liberté d ’esprit qui nous est laissée, et dont nous ne nous
servons pas, faute d ’habitude. Dans cette phalange minima des grands réformateurs,
que l ’on peut dénombrer sur les doigts des deux mains, les frères Marx, Léonard,
Adolph et Julius, Chico, H arpo et Groucho, détiennent et garderont encore long­
temps la majorité des forces, des initiatives et des exemples.

André M A R T IN ,

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

BEVUES

1927 Nouvelle Revue Française, Artaud, sur La Coquille et le Clergyman (à


côtés du sujet).
. 1931 Décembre. La flevue cîes Vivants, n° 12, Critique de G. Martell.
1932 Novembre. La Revue des Vivants, n° 11, Critique de Eric Hurel.
1932 Living Age. Article de Philippe Soupault paru dans LJEurope Nouvelle.
1936 Octobre. Reader Digest n° 29.
1940 15 Décembre. New-York Times n° X.
1941 10 Avril. New-York Posf.
1946 27 Janvier. P.M. Magazine.
1946 13 Mars. L'Ecran Français. Les Démons de l'Homme absurde, p ar Claude Roy.
1946 16 Mars. CoHier's n° 117.
1947 20 Juillet. American Weekley.
1948 Septembre. Penguin Film-Rewiew n° 7. American Classic, par Richard Roland.
1948 luin. Jîevue K. Numéro spécial sur Antonin Artaud.
? Look, Groucho ce phénomène (repris p a r le Æeader Digest français).
1950 15 Mai. Newsweek, Groucho rides ogain.
1952 4 Avril. Holiday.
1954 The Salurday Evenïng Post, My Old Man Groucho, p ar A rthu r, Max, fils
de Groucho. Série de huit articles : n03 12, 13, 14. 15, 16, 17, 18 et 19
des 18, 25 septembre, 2, 9, 16, 23, 30 octobre et 6 novembre 1954.

34
OtWAAGES

1937 Le Théâtre et son Double, Antonin Artaud.


1937 Bagatelles pour un Massacre, Louis-Ferdinand Céline (appréciations).
1938 Profile from the New-Yorker.
1939 In piaise of Comedy, James Feibleman (citations).
1940 A Smcrffering af ignorance, O. Levant.
1946 Grierson on Documentary, édité p ar Forsyth Hardy (Ed. Collins).
1946 A Night in Casablanca, Bock of the film, World Films Publications London.
1947-48 International Motion picfure Almanach.
1948 Current Biography (Who's News and Why).
1948 Hollywood d'Hier et d'Aujourd'hui (Prisma), Robert Florey.
1948-49 Who's who in america.
1950 The Marx Brothers, Kyle Crichton (Double Day and Comp.).
1951 Show Bîz, Abel Gieen.. ]oe Laurie Jr. (citations).
1953 Comedy Film, John Montgomery. Ed. Georges Allen.
1954 Life With Groucho, Arthur Marx. Ed. Simon and Schuster.

FINI DE RIRE. LES MARX SONT MORTS. VIVENT LES MARX.

35
PETIT JOURNAL INTIME DU CINÉMA

p a r Robert Lachenay

D im anche 1er Mai


petit cinéma Champoilion,
P ir a t e r ie . — A u
on donne Les Sept Péchés Capitaux. Les
« puis » arrivent pour la fin de la Luxare
(d’Yves Allégret), regardent L’Envie (de Ros­
sellini) et repartent aussitôt après. Malheu­
reusement, depuis l’exclusivité, L’Enoie a été
amputée d ’au moins deux scènes dont celle
Fameuse de la chatte qui vole et dévore un
steak. L ’Enoie est ce qu’on a fait de plus
intelligent et juste sur les rapports d ’un hom­
me et d ’un animal ; cela devrait plaire à
Bazin
M ardi 3 Mai
LIVRE. — Les cinéphiles n'ont pas beau­
coup de raisons d’apprécier Antoine Blondin
dont le nom f.gure aux génériques des films
de Delannoy. Il n’empêche que « L'Humour
Vagabonde *> est un roman admirable et qui
prouve que Blondin est aussi un grand scéna­
riste même si son nom, provisoirement, cou­
vre des marchandises d ’inégales qualités.
Je u d i 5 Mai
AVEU. — De Jean Dutourd dans <c Carre­
four » : a Comme d'habitude> la vérité gît
entre ces deux attitudes exirêmep. Rossellini
est un homme comme tout le monde qui tan­
tôt pense ef tantôt ne pense pas, qui a tan­
tôt du talenb et tantôt en manque, s De fa
part d’un romancier, cette déclaration ne lais­
se pas d ’être instructive. Dutourd avoue que
sa pensée et son talent fonctionnent par in­
termittences. Un homme averti en vaut deux
et ceci me dispensera de lire les romans de
quelqu’un qui, de son propre aveu, k tantôt
pentJd et fan foi ne pense pas » I Voici l’affiche japonaise de Touchez jms au
grisbi. L e m o t « grisbi », à Tokyo, a donné
V endredi 6 Mai
lieu à u n co n tresen s p a r la faute d ’un cri­
O n RECHERCHE... la demi-heure de French tique nippon qui a cru que « Touchez pas
Cancan qui a disparu entTe le dernier jour de au grisbi » est la p h ra se que disent à leur
tournage et le premier jour d’exclusivité.
Adresser tous renseignements aux « Cahiers m a ri les d am es qui o n t la m igraine :
du Cinéma ■» allez, allez, laisse m o n grisbi tranquille.
S am ed i 7 Mai on : quand auras-tu fini de trip o ter m on
grisbi ? C ela v a u t la célèbre interview de
Un JE<U. -— C’est un jeu bien parisien que S im onin à la rad io :
celui-ci « Etes-vous stradiste oiu antistra-
diste ? » Bazin, Doniol, Martin, Lotte Eisner, — La dame intervieweuse ; Q irest-ce que
Kast, sont sfradistes. On compte sur les doigts le grisbi, m o n sie u r S im onin ?
de la main les antistradistes : Roger Leeti- ^ ' S i m o n i n : C ’est de l’arg en t !
hardt, Robert Lacbenay. Beaucoup d ’indécis:
« H eu... » : Maurice Schérer, Jacques Rivette, — La dame : A h ! bon... et un grisbi, ça
François Truffaut. (A suivre.) v au t co m b ien ?

36
D im a n c h e 8 M ai
Z u T ET ZUT. — L ’exploitant qui « saute i>
une bobine du -Carrosse d ‘Or mérite là pen­
daison, c’est évident. Toute médaille a son
revers : j ’aime Le Rififi, ah ! oui, et j ’ai
l’intention de l’aller revoir souvent. Je re­
mercie par avance Jes exploitants qui rac­
courciront ou supprimeront complètement le
court métrage qui l’accompagne ; Braco, le
crétin 'sauvage.

J e u d i 12 M a i
— Mes petits amis, collègues
V i v e P a r is /
et confrères reviennent de Cannes, bronzés.
Je leur explique que je me suis fait en leur
absence mon petit Festival de Paris. Dans
ie même temps qu’eux à Cannes j’ai pu
choisir à Paris : M onkey Business, French
Cancan, L ’Envie, Voyagei en Italie, Allem a­
gne année zéro, La Dame de Shangai, L ’E n­
fer est à lui, Vera-Cruz, La Montée au Ciel,
Boudu, Le Carrosse d ’Or, Une Etoile est née
et Notorious. Je ne suis pas mécontent quoi
que non bronzé

V e n d r e d i 13 M a i
SoPHIfc. — A ndré Bazin dit plus loin ce
qu’il faut penser de L ’Or de l\aples, Je le
soupçonne d ’omettre l ’essentielle participation
de Sophia Loren qui est un morceau du di~

Sophia : Ce que j’aim e c’est jouer à saute-


m outon.

manche. En la regardant, on comprend ce


qui manque à Lollobrigida et Marilyn. Et
comme si de lien n ’était, elle se promène,
la fille, dans les rues, éclaboussée d ’amour,
L u n d i 16 M a i
ClNÊRAUA. ■— Une caméra fixée au bout
d ’une fusée nous a prouvé que la terre était
ronde. Le Cinérama nous le confirme mais
à l’envers. C’est-à-dire que la terre n ’est pas
bombée mais incurvée. Nous sommes à l'in­
La mer sera haute à seize, heures. 11 s’agît térieur, k en-deça » de l’écorce. Fichtre !
d ’un court m étrage de Michel D rach Le Cinérama trouve sa place parmi les spec­
tacles inclassables : Le Grand Robert (l’au­
d ’après un conte de G ilbert C esbron. Non. tre), la baleine Jonas, Billy Graham et la
sélectionné pour les F estival de C ann es (le dame américaine qui fait tourner ses seins
jury de présélection a y a n t préféré envoyer dans n ’importe quel sens,, séparément ou si­
des films publicitaires), il est passé « h ors multanément, symétriquement ou non.
iestival », a p r è s l^a Mort d’un cycliste,
donc devant trois spectateurs d o n t le m e t­ M a r d i 17 M a i
te u r en scène, Bazin et Doniol. C ette élite LIVRES. — Les livres de cinéma se succè­
restrein te a aim é ce film et m oi aussi pour dent à un rythme difficile à suivre. C’est peu
ce que rien n’y est dit e t que les gens de dire que Jean Leirens, auteur du Cinéma
qui n e co m p ren n en t les films que grâce au et Je Tem ps (Editions du Cerf) a escamoté
co m m en taire en seraien t pour leu rs frais son sujet. Et que d ’erreUrs : la victime de
cars to u t est dans l’im age, sur l’écran. Il The Rope n ’est nullement a d ’origine israé-
lite », le thème musical du Train sifflera frofs
s’agit donc d ’un film dangereux, abstrait, fois n ’est pas « issu d ’une vieille chanson
subversif ; je plaisante : sim plem ent une cow-boy », Le Goujat n ’est pas un film an­
chose ra re : u n b o u c o u rt m étrag e. glais, etc. Jean Leirens combat plaisamment

37
V e n d re d i 20 M ai
IMPORTANTE... déclaration de Jean Delan-
noy à France Air : « L ’excellence de la cui­
sine est certainement, avec la gentillesse des
équipages et la: régularité des services, une
<£es trois raisons qui font que je choisis tou­
jours .i4ir France. »
M a r d i 24 M a i
GRANDE ASSEMBLÉE... générale annuelle de
l’Association de la Critique de Cinéma et de
Télévision (C.C.T.V.). On procède à l’élec­
tion des membres du bureau. Par surprise et
presque à son corps défendant Adonis Kyrou
est élu. En félicitant Kyrou, j ’espère le con­
vaincre de mon existence réelle puisqu’il ne
m ’en prête une que fictive. Non, Robert La-
chenay n ’est pas une signature collective. Je
pense, donc je suis. Je ne sais sî mon exis­
tence précède mon essence mais toujours est-
il que je suis pourvu de l’une et de l'autre.
D’ailleurs je connais bien Kyrou (de vue) et
ma photo lui permettra, je l’espère, de me
« remettre ».
M e r c r e d i 25 M a i
CHARABIA, — De Jean-Louis Tallenay
dans « Radia-Cinéma-Téléoision » fà pro­
A yant term iné L es M auvaises R en con tres, pos de La pointe courte d ’Agnès Varda) :
que l’on espère voir au Festival de Venise, « Le cinéma français n’était jamais parvenu
A lexandre A struc étudie des sujets. Les­ jusqu’à présent à nous donner l’équivalent du
quels? Mystère. réalisme attentif à la vérité des êtres quon
irorjce ici ni la sensation d’une durée qui se
déroule au rythme de la oie intérieure, au
Bazin, se prend les pieds dans Ciftzen Kane lieu d’être soumise aux servitudes de l’action
et trébuche sur Le Journal d’un Curé de Cam* dramatique. » Comme dit Pierre Renoir dans
pagne. Par ailleurs, il est lassant de lire des La Marseillaise en commentant le manifeste
ouvrages de cinéma écrits par des auteurs qui de Brunswick : « Je n’aime pas ce style ! »
voient un film par mois. Il est évident que D'abord, tout réalisme est forcément « atten­
Jean Leirens n ’a vu qu’une fois les films dont tif à la vérité des êtres » sans quoi il n ’est
il parle. C’est peu. Dans le domaine de l’hu- pas un réalisme. Ensuite une « durée » ne se
lographie on peut lire avec profit Hu/of par­ « déroule » pas, elle dure. Enfin si l'action
mi noos, de Geneviève Agel (même éditeur). dramatique est bien menée elle se trouve na­
Voilà un livre d ’amoureuse ; ça fait plaisir. turellement synchrone si j’ose dire avec le
Et la dame connaît le film plan par plan.' k rythme de la vie intérieure ». Cette no­
Bravo 1 Le Cinéma e£ UEnfance par Pol Van- tion de la « vie intérieure )> et du cinéma :
dromme (même éditeur) plaira davantage aux oc mouvement intérieur » est aujourd’hui bien
éducateurs qu’aux cinéphiles. II n ’en est pas galvaudée. S’il ne se passe pas grand-chose
moins attachant. dans un film on saute là-dessus pour n'avoir
rien à expliquer. Bref, cette phrase ne veut
M ercred i 18 m a i strictement rien dire. Espérons que le film est
bon quand même.
— Tous ces
M aintenant o n p e u t l e d i r e .
rix distribués aux courts métrages contri- J e u d i 26 M a i
ueront sans doute à l’amélioration de la
race. Fort bien. IVfais pourquoi ne pas divi­ PjRATERIE. — A la Majson de la Chimie,
ser les courts sujets en deux catégories : Jeanne au Bâcher de Roberto Rossellini.
ceux subventionnés ou produits à fonds per­ Beau film dont il a été déjà question ici et
dus à des fins publicitaires d ’une part, et dont il sera de nouveau question. Il y a quel­
ceux de fiction d autre part ? Pourquoi en­ ques mois Bazin, Doniol and Co ont vu une
courager la S.N.C.F. ou )es Tissus Boussac version dans laquelle Ingrid Bergman se dou­
à produire encore et toujours des films pu­ ble elle-même, avec son bel accent bourgui-
blicitaires _en les leur remboursant pratique­ gnon-lorrain. Cette fois, c’est une voîx banale
ment 7 Même signés Lucot, Paînlevé ou que j ’ai entendue, très « comédie-française ».
Vidal, ces apologies de l’acier-, des res­ Renseignements pris il s’agit de celle de Clau­
sorts de montres ou des supports-chaussettes de Nollier. Les « pirateries » des marchands
nous lassent. Ces 150 millions de prix, les ne vont jamais dans le sens de l'intelligence
eût-on répartis entre les rares courts métra­ car je parie bien que la version doublée par
ges de fiction (bons ou mauvais) qu’ils pou- Bergman était non seulement meilleure mais
vaient faire de? miracles aussi plus commerciale.

38
S a m e d i 28 M ai ro b e m o u illé e colle à la p e a u . Le p è r e se
m eurt- Les b r a s , les co u d e s e t les g e n o u x
RELIEF, — L e s « h itch co k ien s » re g re tte n t
d e n ’avo ir p a s v u Dial M for Mtirder en. 3 D. s ’e n tr e m ê le n t g ra v e m e n t, n o r m a le m e n t o n est
en g u e rre , et rie n n 'e s t p o lisso n n i grivois,
sa u f n o tre a m i S c h é re r q u i p r é te n d av oir eu
c’e s t a in s i, F r a n c k L o v ejo y q u i a u r a it v o u lu
l a se n s a tio n d u re lie f p o la ro ïd e en se m a s ­
av oir u n e filie p r e n d un jo u r, co m m e ça,
q u a n t (en p artie) l ’œ i i g a u c h e avec d eu x
la m a in d e celle-là c o m m e il a u r a it p u faire
d oig ts.
au ssi b ie n Place d e l'E to ile , elle est fran ç aise
M a r d i 31 M a i au ssi, et cet id io t de Curtie s u rv ie n t, jalo ux
SÉRIEUSES RAISONS. — La Centrale Catholi­ et c o m p r e n d mal. L o v ejo y fait l e b lessé et
que (C.C.C.) communique : « Film pour adul­ v o u d r a it b ie n avoir la pea.u d 'u n ' ja p s p o u r
tes avec de sérieuses réserves ; à ne pas voir s ’e n fa ire d e s S partiates. Seins, cuisses, v e n ­
sauf pour de sérieuse,® raisons (4 B) ; « La tre, fesses c o m m e la p ie rre et h a u te s , m ise
Fille de Mata-Hari », Eh bien ! Robert La- en sc èn e e n fin irré p ro c h a b le . T o n y ^et Marie
chenay ira voir La Fille de Mata-Hari ! J’ai p a s se n t la n u it d a n s les h e r b e s . L ’a u b e les
pour cela une sérieuse raison : je veux me tro uv e e n lacé s c o m m e fil e t ch as, c h e v e u x
rincer l’oeil ! L ’œ il a ses (sérieuses) raisons e m m ê lé s , ils o n t a im é .
que la C.C.C. ne connaît pas, Robert LACHENAY.

J e u d i 2 Ju in
PoUTJQUE des Auteurs (nécessité de la). •—
André Bazin aime beaucoup Citizen Kane,
Lais .4 m hersons, un peu La Dame de Shan-
gàï et Othello, guère Voyage au Pays de la
Peur et Macbeth, pas du tout L e Criminel.
Cocteau aime beaucoup Macbetk mais non
Le Criminel. Sadoul aime assez Kane et les
Ambersons mais pas du tout Voyage au Pays
de la Peur et Macbeth. Qui a raison. } Malgré
le respect que je porte à Cocteau, Bazin et
Sadoul, je préfère me ranger à l’avis d ’As-
truc, Rivette, Truffaut et tutti quanti qui ai­
ment sans distinction toü>s les films de Welles
pour ce qu’ils sont des films de Welles et ne
ressemblent à aucun autre, pour un certain
jeu d ’Orson qui est un dialogue shakespea­
rien avec le ciel (le regard passant au-dessus
de la tête des comparses), pour une qualité
de l’image qui doit moins à la plastique qu’à
un remarquable sens de la dramaturgie des
scènes, pour une invention perpétuelle ver­
bale et technique, pour tout cela qui crée un
style, ce « style Welles » qu’on retrouve dans
tous ses films qu’ils soient luxueux ou fau­
chés, tournés vite ou lentement. Je n’aî pas
encore vu Monsieur Ar^adin, mais je sais
que c’est un bon film parce qu’il est d ’O r­
son Welles et que même si Welles voulait
faire du Delannoy il n*y arriverait pas. Le
reste ne sera que papotages d ’ouvreuses.
D im a n c h e S Ju in « Fouillez-moi », sem ble dire Max Ophuls,
AUBE, — Stuart Heisler est de ces braves qu’on accuse b êtem en t de m a lm e n e r le
qui ne savent pas rater un film ; dans les condi­ budg et de Lola Montez. A vrai dire, ce
tions les pires il réussit quand même. C’est film com m e Frou-Frou, com m e Nagana,
pourquoi je suis allé voir dans un cinéma com m e Tam-Tam e t d’a u tre s encore, est
mal famé (c’est-à-dire fréquenté par les fem­ fiancé avec les seuls bénéfices de Pain,
mes) sa Patrouille Infernale que toujours je amour et fantaisie, alors !...
manquai. Admirable. Technicolor ensoleillé,
quadrichromique jaune, bleu, vert et oran­ F ra n ç o is T ru ffau t qui a vu des rushes de
ge ; pas beaucoup de dollars, ah ça non. Lola m ’assu re que c’est ce qu’on a fait
extérieurs 100 pour 100 et cinq acteurs- Une de m ieux en C iném aScope et je veux bien
île du Pacifique ou bien un bout du jardin le croire puisque d e La S ignora di Tutti
du producteur. Franck Lovejoy est sergent, à Madame de, e n p assan t p ar Lettres d’une
la quarantaine bien tassée. Tony Curtis go­ Inconnue, Les Désemparés, L'Exilé, La
mmé, l'âge dç Roméo. Marie Murphy égarée Ronde (oui, p arfaitem en t : La Ronde) et
là en robe bleue, celui de Juliette. Son nère
français se nomme Bouchard et va mourir.
Le Plaisir, la c a rriè re d ’O phuIs est jalonnée
La robe est déchirée, pardi, dans la brousse. de gran d s films, tous m éconnus.
Un soutien-gorge blanc se laisse Par éclairs L e signal de la réhabilitation de Max
entrevoir ; il faut passer des rivières ; la O phuls est donné, g are au x tra în a rd s !

39
lis mus

Jutly G arlanil dans A S ta r is born de G eorge Cukor.

NAISSANCE DU CINÉMASCOPE

A STAR IS BORN (UNE ETOILE E S T N E E ), film a m é ric a in e n Technicolor e t


CinémaScope de G eorge C u k o r . Scénario : D o ro th y P a rk e r, A lan C am pb ell e t
R o b e rt C arson, d 'a p rè s l'h is to ire de W illiam A. W e llm an e t R o b e rt C arson. A d a p ta ­
tion : Moss H a rt. Im ages : S am L e a v itt. M u siq u e : H a ro ld A rien e t I r a G ersch w in .
Décors ; Ja m e s H opkins. In terprétation : J u d y G a r la n d , J a m e s M ason, C h a rle s
B ick fo rd , J a c k C arson, T om N oonan. Production : S y d n ey L u ft - W a r n e r Bros,
1954.

J e v o u d rais, e n guise d ’a v a n t-p ro p o s , a rriè re . J u d y G a r la n d é t a it a tte in te de


évoqu er la genèse d e ce film . Il f a u t d é p re ssio n n erv e u se : ses crises de
p o u r cela re m o n te r de cinq a n n é e s e n p lu s e n p lu s fré q u e n te s g ê n a ie n t co n si-

40
d é ra b le m e n t le to u rn a g e des film s a u x ­ v e n ir à les r e n d r e ac ce p ta b le s m a lg ré
quels elle p a r tic ip a it. Aussi, e n 1950, la fa u sse té des p e rso n n a g e s q u ’ils i n ­
elle f u t su sp e n d u e p a r la M étro (1). S a c a r n e n t re p ré s e n te u n joli to u r de
n e u r a s th é n ie s ’a g g ra v a n t, elle t e n t a u n force. Il a été m ieu x aid é p a r J u d y
jo u r de se suicider. P u is ce f u t la r e n ­ G a r la n d : c e tte a c tric e tr o p ig n o rée
c o n tre d ’u n im p ré sa rio , S y d n ey L u ft : jo u e au ssi b ie n qu’elle c h a n té , à la li­
il l'é p o u sa e t e n t r e p r i t de la g u érir. Il m ite de la c a ssu re C u k o r lu i a c o n s a ­
la f it tra v a ille r, l’a s tr e ig n it à u n ré g im e cré deux lo n g s n u m é ro s m u sic a u x au ssi
sévère, p a r v in t à r é u n ir de gros c a p i­ p a s s io n n a n ts l’u n q ue l’a u tr e p o u r des
ta u x e t p r o d u is it p o u r elle A Star is ra is o n s e x a c te m e n t opposées. Le p r e ­
born. U n film n é sous de te ls au sp ices m ie r m e t en lu m iè re l ’a p p o r t d e G en e
p r o m e tta it d’ê tre d é lir a n t : il l’e s t en K elly à la com édie m u sic a le : o n n e
e ffet. p e u t s ’e m p ê c h e r de p e n s e r à Un jo ur à
N ew -Y ork e t s u r to u t à C hantons sous
la pluie. N ous som m es c e p e n d a n t loin
d ’u n quelconque d é m a rq u a g e ; C ukor a
p lu tô t réu ssi à d ég a g er d e l ’œ u v re d e
L>e sc é n a rio est m a lh e u r e u s e m e n t K elly les élé m e n ts p o u r l’é ta b lis s e m e n t
l’é lé m e n t le m o in s b o n : la d éc h é a n c e d ’u n e tr a d itio n du b a lle t film é. P a r
d ’u n alcoolique n ’éveille que des souve­ c o n tre , le d eu x ièm e n u m é ro , s a ra b a n d e
n ir s désagréables, de The Lost Week d éc h aîn ée , film ée en p la n s se rré s s u r
E nd à C ountry G ir ld ) . C ukor, c h a rg é de Ju d y G a rla n d , est tr è s n e u f : les idées
m e ttr e e n scèn e ce so m b re m élo d ram e, s ’y b o u sc u le n t à u n e c a d e n c e qui vous
a p ris le m e ille u r p a r ti, celui de p o u sse r coupe le souffle e t la v itu o sité de la c a ­
to u te s les scènes à le u r p a ro x y sm e : il m é ra vous d o n n e le v ertige. C ar, n e
e s t d o n c in d is c re t ju s q u ’à l ’in d écen ce, l’oublions pas, n o u s som m es d e v a n t u n
a u d a c ie u x ju s q u ’a u cu ïo t (3). Que nous C iném aS cope : p o u r ceux qui o n t vu
s u rp re n io n s les époux d a n s le u r in tim ité , la tr e n ta in e de C iném aS cop e p ro je té s
que n o u s assistio n s à u n e ex p lic a tio n à P a ris, p are ille souplesse de la c a m é ra
o rageuse, voire à u n e crise de n e rfs, sem ble rév o lu tio n n a ire .
n o u s av o n s c o n ta m m e n t l ’im p re ssio n
d ’ê tre a u b o rd d e l’in so u te n a b le . C ukor L ’é c r a n la rg e a d é jà été f a ta l à bo n
s a u r a it- il si b ien « ju s q u ’où o n p e u t n o m b re de r é a lis a te u rs , m ê m e p a r m i
a lle r tr o p loin » (4) ? Le scén ario, p a r les p lu s cotés : c e tte p ie rre d ’a c h o p p e ­
ailleurs, s ’am élio re su r la fin e t les d e r ­ m e n t fe ra fa illir en co re p lu s d ’u n e r é ­
n iè re s séquences où la v e d e tte V icky p u ta tio n e t il n ’e s t p a s p o u r d é p la ire
L e ste r re n o n c e à sa r e tr a i te p o u r se q u ’O tto P re m in g e r so it l ’u n d es seuls à
d o n n e r à son p u b lic f o n t q u ’e n elle ê tre so rti in d e m n e de l’épreuve. C ukor,
n o u s re c o n n a isso n s u n e p e tite cousine lui, e n so rt victorieu x. Il a b o r d a it à la
d ’A m érique de la C a m illa du Carrosse fois la c o u leu r e t le C in ém aS co p e : les
d’Or ou de la N ini de French Cancan. d e u x lu i o n t se rv i d e tre m p lin .
T o u t ce q u i est c e n tré s u r J u d y G a r -
la n d est du re s te le p lu s c o n v a in c a n t.

Avec la couleur, il a re c h e rc h é s u r ­
Avec J a m e s M a so n e t J a c k C arson, to u t l’e ffe t d ra m a tiq u e , tr o u v a n t de
co m éd ien s m édio cres, Cukor nous nouvelles idées à ch a q u e p la n ; ja m a is
d o n n e u n e p re u v e s u p p lé m e n ta ire de n o u s n ’av io n s v u se m b la b le ric h e sse
ses dons de d ir e c te u r d ’a c te u rs : p a r ­ d’in te n tio n . Avec l’é c ra n la rg e , so it il

(1) N’é ta n t plus en é ta t de travailler, elle fu t remplacée par B e t t y H u tto n dans Annie
la reine du cirque.
(2) On p eu t y trouver toutefois un e certaine résonance autobiographique, le drame de
l’acteur Norman Maine (James Mason) présentant quelque analogie avec le dram e personnel
de Judy G arland.
(3) A ce p oint de vue, la remise de l’Oscar à Judy Garland dans le film devient confon­
dante. puisqu'elle visait l ’Oscar pour son interprétation dans A Star is b o m (elle f u t b a ttu e
d’une courte tê te p ar Grâce Kelly).
(4) Je n ’en veux pour témoignage ctue l ’étonnante scène de l ’enterrem ent

41
force l’a tte n tio n su r ses p e rso n n a g e s ta g e accéléré, les « te n m in u te s ta k e s
e n les e n v ir o n n a n t d ’u n e p é n o m b re où les m o u v e m en ts d’a p p a r e il les p lu s s a ­
n ’év o lu e n t que des s ilh o u e tte s confuses, v a n ts, les ra c c o rd s les p lu s osés, les
so it il se liv re à u n e v é rita b le d é b a u c h e c a d ra g e s les p lu s d ifficiles, to u t e s t là.
visuelle, a l la n t ju sq u ’à n o u s m o n tre r N ous av o n s e n fin la p re u v e m a té r ie lle
s im u lta n é m e n t u n m a tc h de boxe à la q u ’e n C iném aS cope t o u t est p ossible.
télévision, u n e .discussion e n tre iC harles Avec A S ta r is born, 2e C in ém a S c o p e
B ick fo rd e t J a m e s M a so n e t u n film de e s t né.
Lew is Seiler. E t re g a rd e z b ie n : le m o n ­ C h a r le s B it c h .

LE DERBY DES PSAUMES

VER A CRUZ, film a m é ric a in en S u p er scope e t e n T e c h n ic o lo r d e R o b e r t


A ldktch. Scénario : R o la n d K ib b ee e t J a m e s P. W ebb, d ’a p rè s u n e no u v elle de
B o rdeii C h ase. Im ages : E rn e s t Laszlo. In terp réta tio n : G a ry Cooper, B u r t L a n ­
ca ste r, D enise D arcel, C é sar R om ero, E rn e s t B o rg n in e, S a r ita M ontiel. Production :
H e c h t- L a n c a s te r 1954, d istrib u é e p a r les A rtiste s Associés.

Véra Cruz e s t d ’a b o rd u n e éb lo u is- n a it le dos. » U n te sso n de b o u te ille v a


s a n té le ço n de c o n s tru c tio n d ’u n e h is ­ envoyer C ooper a u p a r a d is des a v e n tu ­
to ire. I l m e f a u t ici te n te r de ré su m e r rie rs quand...
le sc é n a rio le p lu s c la ir e m e n t possible.
8. —■ ... L a n c a s te r a rriv e e t tire u n e
b alle qui f a it voler le te sso n e n éc la ts.
P R E M IE R E PA R T IE B o rg n in e : « Je ne savais pas? que
c'était u n am i à toi. —. J e n ’ai pas
1. — G ary Cooper, a u Mexique, en d’am i, imbécile, m êm e toi ! *
1866, seul au m ilieu des cactus, se r e ­
trouve sans cheval. •9. — S u r la p la ce de la ville, le m a r ­
quis d e L ab o rd è re (C ésar R o m éro )
2. — II ren c o n tre B urt L a n c a ste r qui v ie n t p ro p o se r à L a n c a s te r e t ses h o m ­
lui en vend un. m e s de c o m b a ttre p o u r l ’E m p e re u r c o n ­
tr e les Ju a ris te s . T ra c ta tio n s e t p o u r ­
3. — Comme des soldats de l’Em pe- p a rle rs. A rrive le g é n é ra l d es J u a ris te s
re u r M axim ilien arriv en t. ‘ L ancaster qu i le u r p ro p o se le m a rc h é c o n tr a ir e :
détale. Cooper, qui n ’a rien à se re p ro ­ « Nous som m es m oins riches due VEm ­
cher, reste sur place. pereur m ais notre cause est m eilleure. »
H é sita tio n s. « D’ailleurs, po ursuit le
4 . — Un des soldats tire s u r lui. général, vous n ’avez pas le choix car
vous êtes tous m es prisonniers y co m ­
5. — Cooper détale à son to u r et pris le marquis e t ses hom m es. » P a n o ­
re jo in t L an caster qui lui avoue : « Tu ra m iq u e su r les r e m p a rts : la p la c e est
es sur son cheval ! » ce rn ée p a r les ju a ris te s p r ê ts à tir e r .
L a p o p u la tio n e n t r e s ’e n f e rm e r d a n s
6. — Cooper est à terre, touché p a r les m aisons.
une balle im périale. L ancaster, le
cro yan t m ort, lui vole son portefeuille. 11. — S u r la p lace il re s té u n g ro u p e
Mais Cooper rep ren d le dessus, p ren d d 'e n fa n ts . C ooper prop ose de le s m e ttr e
le cheval de L ancaster, lui laisse le che­ à l'ab ri. L a n c a ste r, rav i, f a i t s ig n e à
val volé e t s’en v a : « Chez m oi en deu x de ses h o m m e s de s’o c c u p e r des
Louisiane, on pend lesi voleurs de ch e­ e n f a n ts , ce qu'ils f o n t e n les f a i s a n t
vaux ! » e n t r è r sous u n e p o r te cochère...
7. — Cooper arrive à la ville ; d an s 12. — ... E t eux avec . L es gosses so n t
u n troquet, il est pris « à p a rtie » p a r dev en u s des otages. S i le g é n é r a l f a i t
des b a n d its à la solde de L a n c a ste r : tir e r les ju a ris te s , les gosses s e ro n t
« S i tu es sur son cheval, d'est qtùe tu m a ssa c ré s. Le g é n é r a l re n o n c e : « O n
Vas tu é e t si tu Vas tu é c’est au’il to u r­ se retrouvera ! >

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DEUX IEM E PA R T IE T R O IS IE M E P A R T IE

13. — C ooper, L a n c a s te r e t ses h o m ­ 17. — A rriv ée à V éra Cruz. Le m a r ­


m es s o n t arriv é s à la c o u r im périale. quis de L a b o rd è re s a it q u ’ici la C om ­
U n d ia lo g u e e n tr e l’e m p e re u r e t le te sse le tr a h i r a .
m a rq u is n o u s révèle q u e M ax im ilien 18. — D e son côté, la C om tesse dresse
est u n e c ra p u le : il a c c e p te ra to u te s les des p la n s p o u r se d é b a rra s s e r d e ses
c o n d itio n s f in a n c iè re s d es b a n d its m ais d e u x « associés ».
a u jo u r d u p a ie m e n t, il com pte les fa ire
m a ssa c re r, si les « reb elles 2. n e s ’en 19. — L a n c a s te r qu i li t en elle com m e
s o n t p a s d é jà c h a rg é s. en u n m iro ir la g iffle, la « p e rsu a d e »
de p a r ta g e r e n tr e eu x -deux e t de se
14. — Le tr a v a il des « m e rc e n a ire s » d é b a r ra s s e r de Cooper.
c o n s iste ra à e sc o rte r la com tesse M arie
D u v a rre (D enise D arcel) ju s q u 'à V éra 20. — P e n d a n t ce tem p s, le M arqu is
Cruz. a f a it tr a n s v a s e r le c o n te n u de la dili­
gence d a n s u n fo u rg o n e t com m e
15. — E n co u rs de ro u te , la p ro f o n - d iv e rsio n f a i t p a r t i r la dilig en ce. Coo­
d eu r des o rn iè re s tra c é e s p a r la dili­ per, L a n c a s te r e t ses h o m m e s s 'é la n ­
gen ce in d iq u e à C ooper e t L a n c a s te r c e n t à la p o u rsu ite de la d ilig en ce e t la
que la co m tesse p o u r r a it b ie n n ’ê tre re tr o u v e n t d a n s u n fossé.
q u 'u n p r é te x te e t q u ’il s’a g it d ’u n c h a r ­ 21. — Les b a n d its tie n n e n t L a n c a s te r
g e m e n t d ’or. e t C ooper sous la m e n a c e des p isto ­
le ts : « Vous se m b le z a tta c h e r u n e
16. — U ne visite, la n u it à la d ili­ g ra n d e im p o rta n c e à c e tte diligence ;
gence, le le u r confirm e. Us p r o je tte n t s i n o u s y tro u v o n s de Vor c’e s t Que uo-us
alo rs de p a r ta g e r le tré s o r e n tr e eux nous, tr a h issie z ». O n re g a rd e ; év id em ­
deux . S u rv ie n t la com tesse qui propose m e n t, la d ilig en ce e s t vide.
d ’e n t r e r d a n s l ’a f f a ir e e t de p a r ta g e r
à tro is d ès l’a rriv é e à V éra Cruz. 22. — L a n c a ste r, C ooper e t les b a n ­

Le striptease de Sarita Monteil dans Vera C ruz de R o b ert Aldrich.

43
d its so n t encerclés p a r les ju a ris te s qui a u t a n t que ce lu i-c i la re tro u v e p arfo is,
v e u le n t s’e m p a re r de l’or d o n t ils s a n s le savoir. L eu rs colloques so n t
c ro ie n t la diligence ch a rg ée . P o u r se p le in s de : « Ace H a n n a h a u r a it aim é
v e n g e r d u M a rq u is e t ré c u p é re r For, c e la » ou « Si Ace H a n n a h é ta it là il
to us s'a llie n t. s e r a it fie r d e n o u s ». E t lo rsq u ’ils se
23. — B a ta ille ra n g é e fin a le g ag n ée f â c h e n t : « A ce H a n n a h n 'a u r a it p a s
p a r les J u a ris te s. L a n c a s te r v a t r a h i r été a m i av ec to i — Cooper : Q ui te d it
1* comtesse, Cooper, les J u a r is te s et que J’a u r a is v o u lu l ’av o ir p o u r a m i ? »
p a r t i r se u l avec l ’or q u a n d C ooper le L a n c a s te r se c r o it l ’h é r itie r s p iritu e l
tu e p o u r re m e ttr e l’or a u x ju a ris te s aux de Ace H a n n a h m a is n o n Cooper. E n
côtés de qui il c o m b a ttra déso rm ais. fa it, Ace H a n n a h c’é t a it p ro b a b le m e n t
la ro u e rie de L a n c a s te r jo in te à l’i n ­
te llig e n c e d e C ooper. M ais le m o in s
c u rie u x n ’e s t p a s ceci : que to u s les
p e rs o n n a g e s de Véra Cruz, de la C om ­
C’est v o lo n ta ire m e n t que j ’ai ré d u it te sse à l’E m p e re u r, se d é fin isse n t p a r
ce sc é n a rio à so n o ssa tu re, p o u r en r a p p o r t à Ace H a n n a h d o n t ils ig n o ­
m ieu x rév é ler l'in g é n io sité ex trê m e . J ’ai r è r e n t to u jo u rs le p a ssag e d a n s ce
m ê m e dû. re n o n c e r à c e rta in s d étails m onde. T ous tr a h is s e n t to u t le m o n d e
im p o r ta n ts (1). O n a u r a re m a rq u é que e t son p è re , to u s m e n te n t e t s a v e n t
c h a q u e scèn e ju s tif ie r a it u n film à elle l’a r t de d e v in e r e t de d éc h iffre r les
to u te seule p u isq u e c h a c u n e possède s a visages. L a C om tesse p ré se n te L a n c a s ­
p ro p re c o n s tru c tio n d ra m a tiq u e e t se te r a u c a p ita in e du b a te a u . Ce d e r n ie r
re to u rn e , d ir a it S a rtre , com m e u n les la isse seuls. C’e s t alors que L a n c a s ­
g a n t. t e r g iffle l a Com.tesse à to u te volée :
« Ce type m 'a regardé com me on regar­
M ais c e tte h isto ire de B o rd e n C hase de u n h o m m e qui va m ourir ; vous v o u ­
a d a p té e p a r R o la n d 'K ib b e e e t J a m e s liez vous débarrasser de m oi. »
R. W ebb, m ise e n scèn e p a r R o b e rt
A ld rich (2) est d a v a n ta g e q u 'u n m in u ­ Véra Crus e s t-il u n w estern in te lle c ­
tie u x m é c a n ism e d ’ho rlo g erie. C’est tu e l ? (4). T o u jo u rs e s t-il q u ’il n o u s
ain si q u 'a u te rm e de la p re m iè re p a rtie , m è n e loin des a u tre s, du fa c é tie u x H igh
L a n c a s te r r a c o n te s a vie à Cooper. Son Noon ou d e s fa u s s e m e n t p ro fo n d s
p è re a é té tu é a u cours d ’u n e p a r tie de Sh a n e ou Trésor de la Sierra M adré.
c a rte s p a r u n c e rta in Ace H a n n a h (3) Véra Crus m ’a f a i t c o m p re n d re q u ’o n
qu i e n re v a n c h e a a d o p té l ’e n f a n t. Ce n e p e u t c o n d a m n e r les film s d ’H u s to n
m o u v e m e n t de faiblesse — le seul d a n s su r le u r p rin cip e, q u ’ils n e p è c h e n t que
sa vie — c a u sa sa p e r te puisq ue, lo rs­ p a r le sty le, l'in su ffisa n c e du sc é n a rio
q u ’il f u t assez g ra n d , L a n c a s te r le tu a . e t de là m ise e n scène c a r Véra Cruz
Ace H a n n a h é t a i t u n m o ra liste : « ne c 'e s t "exactem ent u n H u sto n qui s e r a it
rends jam ais un service si cela ne doit réu ssi.
pas te rapporter quelque chose ». etc. L a m ise e n sc è n e de R o b e rt A ld ric h
Le c o m p o rte m e n t de B u r t L a n c a s te r e s t u n p e u v o y an te, to u te en effets, les
e s t u n iq u e m e n t fo n c tio n de c e tte m o ­ u n s ex cellen ts, les a u tre s su p e rflu s,
r a le e t il n ’a d m ire Cooper que p o u r m a is s e rt to u jo u rs le scénario.

(1) Véra Crus est con struit su r la répétition des thèm es. Deux encerclements par les
Juaristes, deux vols d u même portefeuille. Cooper e t Lancaster se sauvent la vie récipro­
quem ent chacun u ne fois. J 'a i oté de mon récit le rôle de Nina q u i est p arfait ; a) elle
est prise au lasso par u n b a n d it ; b) Cooper la libère en a ttra p a n t au lasso l’imbécile ;
c) N ina vient rem ercier Cooper en l’em brassant su r la bouche ; d) m ais ce faisant, elle
lu i a volé son portefeuille ; e) comme il s’en va, elle lu i offre u ne pomme ; f) p o u r la
payer il cherche son portefeuille ; g) « Ne cherchez vas, M onsieur, c’est gratuit » ; li) plus
tard, ils se retrouvent ; Cooper lu i reproche le vol d u portefeuille : « L’avez-vous cherché ? »
Il l’a sur lui ! c 'e st elle q u i am ènera Cooper à la cause des Juaristes. I/avant-dem ier p la n
du film nous les m ontre m archand l ’u n vers l’auti'e. Au dernier plan on ne les voit plus.
(‘2) On lira u tilem ent dans le num éro 45 des Cahiers la critique, par Claude Chabrol,
de Bronco Apache qui est le prem ier film q u ’on a it vu à Paris de l ’équipe de Vera Cruz.
(3) Ace H annah {Hannah le Caïd). Curieux nom palindrom ique. D ans la version dou­
blée, Ace H annah est devenu bizarrem ent Gégêne. Au prem ier degré. Gégène choque p a r le
côtêi Eugène üe Belleville. Au second degré, 11 évoque u n sage antique, peut-être à cause
de Diogène ? Si l ’on ne comprend: pas l’anglais, il est mieux de voir la version française.
(4) Aux Champs-Elysées, le public s'amuse et croit voir u n film n a ïf ( f) et u n peu
ridicule. Place Blanche, -au contraire, les spectateurs « m archent » très bien p end an t to u t
le film mais q u itte n t la saîe avec le sentim ent q u ’on s’est quelque peu payé leur tête. Ce
qui est u n p eu vrai, mais pas to u t à fait.

44
A n d ré M a rtin , lo rsq u e d é b u ta la vo­ C’e s t p o u rq u o i l ’o n p e u t to u t a t t e n ­
g ue des B osustow , n o u s a p p r e n a it que d re des p ro d u c tio n s in d é p e n d a n te s q u i
to u s les d e s s in a te u rs de W a lt D isney se m u ltip lie n t à H ollyw ood e n m a rg e
p o u v a ie n t e n f a ir e a u t a n t e t que s’ils de la g u e rre des fo rm a ts . Les « Artistes
c o n tin u a ie n t à tr a v a ille r selon les n o r ­ Associés > a n n o n c e n t p o u r 1956 des
m es de Blanche-N eige c ’e s t qu’on les productions de M ankiew icz, A ldrich ,
y c o n tra ig n a it. J ’a i le s e n tim e n t que H e c h t-L a n c a s te r, P re m in g e r, H aw ks,
T on p o u r r a it r e p r e n d r e ce ra is o n n e ­ etc.
m e n t e t l'a p p liq u e r a u x sc é n a ris te s h o l­ O n p e u t r e g r e tte r q u e b e a u c o u p de
lyw oodiens, T o u s ou p re sq u e s o n t c a p a ­ c o n frè re s so ie n t p assé s « à côté » de
bles d ’é c rire d e s sc é n a rio s e t d e s d ia lo ­ Véra Cruz, c e r ta in s n 'y a y a n t rig o u re u ­
g u es à la m e su re d e celu i-ci m a is il se se m e n t r ie n co m pris, on décelé « p o m ­
tro u v e d a n s c h a q u e firm e des « ex e cu ­ p ié rism e » e t e n fa n tilla g e s . E t co m m e
tiv e » d o n t le tr a v a il c o n siste e sse n tie l­ d it le p o ète : « Quels so n t tous ces e n ­
le m e n t à bosseler les sc rip ts ju s q u ’à ce fa n ts do nt pas un seul ne r it ? »
q u ’ils s ’in s c riv e n t d a n s le cercle vicieux
de l a r o u tin e (5). F ra n ç o is TR U FFA U T.

UN FEU TARD...

PLACE AU CINERAMA, p r é s e n ta tio n « C in e ra m a », de L o w e l l T hom as e t


M e x ia n C. C o o p er. (P ro g ra m m e com posé d e: « P ro lo g u e », « Le B olide A to m iq u e» ,
« L a D an se du T em p le », « Les C h u te s d u N ia g a ra », « L a C h o ra le de L ong
I s la n d », « Les C a n a u x de V enise », « L a P a r a d e à E d im b o u rg », « C o rrid a à
M a d rid », « D an se s E sp a g n o le s », « Le C h œ u r des P e tits C h a n te u r s V ienn ois »,
« Les J a r d in s de C yprès en F lo rid e », « L a Belle A m érique s). Im ages : H a rry
Squire, Musique : Louis F orbes. Décors : M ario L a rrin a g a . (V ersion fra n ç a is e :
Ja c q u e s W illem etz e t M a rc el B e rtro u ). Production : S ta n le y W a rn e r. Corp. 1953.

Il a u r a su ffi d e d e u x a n s p o u r p riv e r C ’e s t q u ’e n e ffe t le C in é ra m a n ’est


l ’in v e n tio n qui a é b ra n lé les colonnes p lu s g u ère q u ’u n e a ttr a c tio n - s p e c ta c le
du T em p le c in é m a to g ra p h iq u e e t p r o ­ avec le c o n tin g e n t d e su rp rises, de n o u ­
voqué le C in ém aS cop e, de l’e ssen tiel de v ea u té s e t de sp le n d e u rs m a té rie lle s qui
n o tr e curio sité. Le C in é ra m a est d a n s ju s tifie le p r ix des p la ce s. D u p o in t de
n o s m u rs e t je n ’a i p a s en co re e n te n d u vu s tr ic te m e n t c in é m a to g ra p h iq u e p a r
u n e co n v e rsa tio n co m m e n c e r p a r : co n tre , je p en se que so n in t é r ê t est
« A vez-vous vu le C in é ra m a ? ». J e vois devenu lim ité. L im ité m a is n é a n m o in s
a u c o n tra ir e q u ’o n se ré sig n e f o r t a isé ­ c e r ta in e t c ’e s t ce d o n t je v o u d ra is to u t
m e n t à e n d iffé re r la d é c o u v erte p o u r de m ê m e r e n d r e com pte.
qu elques se m a in e s ou quelques m ois Je ra p p e lle ra i b riè v e m e n t la faib lesse
encore. te c h n iq u e essen tielle d u p ro cé d é re c o n ­
C ette re m a rq u e n e sig n ifie p a s que nu e p a r les p ro d u c te u rs e u x -m ê m e s.
l’a f f a ir e n e s e ra p a s c o m m e rc ia le m e n t L ’im possib ilité p r a tiq u e d e p a r v e n ir à
re n ta b le . I l e s t f o r t possible que L’E m ­ u n ra c c o rd invisible des tro is p r o je c ­
pire — d o n t la m a lé d ic tio n e n t a n t tio n s conlig ues. C ’é t a i t d é jà u n p o in t
que salle e s t n o to ire — v oit d éfiler fa ib le du trip le é c r a n d e G ance, m a is
d a n s le te m p s p ré v u les d e u x m illio n s chez l ’a u te u r de Napoléon, ce d é f a u t
e t d em i de s p e c ta te u rs n éc e ssa ire s p a ­ d e v e n a it in s ig n if ia n t d u f a i t d e la p r o ­
r a ît - il à l'a m o rtis s e m e n t de l’o p é ra tio n . je c tio n fré q u e n te de tro is im ag es d if ­
M ais ce s e ra de la m ê m e f a ç o n q u ’u n fé re n te s. L e p ro b lèm e d e jo n c tio n n e
sp e c ta c le d es Folies-Bçr gères ou d u co m p te p lu s g u è re dès lo rs q u ’o n n ’u t i ­
Châteleti g râ c e a u x p a r e n ts d e p r o - lise la .t o ta l ité de l ’é c r a n q u 'e x c e p tio n ­
vince. n e lle m e n t p o u r des im ag es choisies de

(5) Devant u n scénario am éricain m al co nstru it et Tûête (exemple : Les Femmes m ènent
le monde) on p e u t être certain que trois ou quatre très bons « traitem en ts » o n t été
refusés ou remaniés. D evant Thérèse R aquin ou Le Dossier noir, ces consolations sont
impossibles : ce pauvre Spaak donne là son « m axim um » !

45
te lle so rte que la s u tu r e des é lé m e n ts M ais alo rs, d ir a - t- o n , q u 'e st-c e que
so it peu sensible. L a polyvision d ’Abel ce ré a lism e ? J e le d é fin ira i e s s e n tie l­
G a n c e n ’a d o n c p a s que des ju s tif ic a ­ le m e n t n o n p a r la r e s titu tio n d u re lie f
tio n s esth é tiq u e s, elle tro u v e u n alib i m a is p a r celle de l ’espace. P o u r la p r e ­
d a n s la te c h n iq u e m êm e. Loin de r e n ­ m iè re fois, ou p resq u e (c e tte ré s e rv e
d re cad u q u es les idées du p ro p h è te du s’a p p liq u a n t à d e r a r e s im ages C in é m a ­
trip le é c ra n , le C in é ra m a , en co n firm e S cope d o n t je p a r le r a i t o u t à l'h e u r e ) ,
le b ie n -fo n d é. j ’ai p r is co nscience des lim ite s de to u te s
M ais je n e veu x p as re v e n ir su r le les im ages co n n u e s à ce jo u r et a u e
p ro b lè m e de la polyvision d o n t Abel to u te s é ta ie n t im p u issa n te s à r e n d r e
G ance n o u s a dé j à e n tr e tr e n u ici-m êm 3 l’espace se b o r n a n t à le tr a d u ir e p a r
e t je m e b o r n e r a i à c ritiq u e r le C iné- le sym bolism e g éo m étriq u e de la p e r s ­
r a m a p a r r a p p o r t a u p h é n o m è n e h is ­ p ectiv e. L a p lace m e m a n q u e , e t la
to r iq u e m e n t le p lu s im p o rta n t, je veux co m p éte n ce aussi s a n s doute, p o u r a n a ­
d ire l’é la rg isse m e n t de l ’é c ra n . ly se r les causes de c e tte d é c o u v erte d e
S a n s do u te le C in ém aS cope a - t - i l l ’espace, m a is u n e a u m o in s m e p a r a î t
a m o rti le choc que d e v a it n o u s p r o ­ c e rta in e , c’est l’an g le de vision. I l e s t
c u re r le C in é ra m a . E n u n se n s ce lu i-c i e n C in é ra m a de 146° d o n c se n sib le m e n t
n ’est q u ’u n é c r a n se n sib le m e n t p lu s ég a l à celui de la visio n n a tu re lle . A ussi
g ra n d q u e ce u x d é jà conn us. E t b ie n b ie n e s t-o n en e ffe t p h y sio lo g iq u e m e n t
des sé q u en c es d u sp e cta cle C in é ra m a in c a p a b le de fa ire la sy n th è s e de to u s
n e n o u s d o n n e n t p as d’a u tre im p re s ­ les élé m e n ts de l ’im ag e : il f a u t y p r o ­
sion que d ’ê tre e n su p e r-C in é m a S c o p e, m e n e r son re g a rd , n o n se u le m e n t en
je p e n se p a r ex em p le à la r e p r é s e n ta ­ r e m u a n t les yeux, m a is e n b o u g e a n t
tio n d’A ïda à la S c a la de M ilan . L a la tète.
h id e u r des décors, des co stu m es e t d e J ’ai f a it p lu s h a u t u n e réserve. C ’est
la c h o ré g ra p h ie n ’a rie n à e n v ie r à que j'a v a is eu e n e f f e t à u n d e g ré
n ’im p o rte quel C iném aS cope ju d é o - m o in d re u n e im p re ssio n a n a lo g u e d e ­
égyptien. S eu le la p e rfe c tio n de la s té ­ v a n t tro is C iném aS cop es du F e s tiv a l
réo p h o n ie d o n n e u n in t é r ê t m o m e n ta ­ de C annes. L a P êche au T h o n (U.S.A.),
n é à la sé q u en c e des p e tits c h a n te u rs I le d e fe u (Ita lie ) e t C o n tin e n t p e r d u .
d e V ienne. P a r r a p p o r t à l ’u tilis a tio n du C in é m a ­
M ais on n e p e u t s a n s m a u v aise foi Scope d a n s ces tro is film s, to u t ce que
c o n te s te r q u e c e rta in e s a u tre s so ie n t n o u s avions vu ju sq u ’a lo rs d a n s des
b ie n plu s que la m u ltip lic a tio n p a r u n film s ro m a n c é s é t a it p r a tiq u e m e n t
c e rta in c o e ffic ie n t des é c ra n s la rg e s in e x is ta n t. Il est sig n ific a tif q u ’il
d é jà co n n u s. J e fa is to u t p a r tic u liè r e ­ s ’agisse d a n s to u s les cas (y co m p ris
m e n t a llu sio n a u voyage en av ion a u - le C in é ra m a ) de sp e c ta c le d o c u m e n ­
dessu s des E ta ts-U n is. C e tte fois l'é m o ­ ta ire .
tio n est p u is s a n te e t in é d ite . J e v ais d o n c m a in te n a n t e x tra p o le r
U ne p re m iè re re m a rq u e s ’im p o se : à p a r t i r de ces ex p érien ces qu i m e
l'im p re ssio n d e re lie f ex iste e n f in (du se m b le n t p e r m e ttr e d ’esqu isser e n f in
m o in s q u a n d il y a d é p la c e m e n t d a n s u n e th é o rie des é c r a n s la rg e s. Les
Taxe de la p rise de v u e ) . M ais il est c e r ­ m a le n te n d u s e n tre te n u s à le u r p ro p o s
t a in que c e tte im p re ssio n n ’e s t n u lle ­ p ro c è d e n t de la c o n fu sio n e n tr e les
m e n t u n f a c te u r du ré a lism e : elle en d e u x n a t u r e s e sth é tiq u e s d e l’é c ra n .
e s t b ie n p lu tô t la conséquence. C e n e C elu i-ci p e u t e n e ffe t ê tre c o n s id é ré
f u t p a s se u le m e n t u n e escro querie co m ­ e n t a n t que tr o u ou en t a n t que cadre.
m e rc ia le de p la c e r la c a m p a g n e p u b li­ Q u a n d o n d it p a r exem ple que l ’é c r a n
c ita ire p o u r les n o u v elles te c h n iq u e s e s t u n « ,trou de s e rr u re » (C o ctea u ) ou
de p ro je c tio n sous le sig n e des 3 D. « u n e fe n ê tre o u v erte su r le m o n d e »,
(pu isqu e le C in ém aS co p e n e r e n d p a s on a ffirm e sa c a p a c ité de d o n n e r à
le re lie f), ce f u t s u r to u t u n e e rre u r voir. M ais q u a n d o n p a rle d ’u n e im a g e
psychologique c a r c 'é ta it p re n d re l'e f­ b ien c o n s tru ite , d 'u n p la n éq u ilib ré, o n
f e t p o u r la cause. Ce qui p la ît d a n s c o m p a re l'é c ra n à u n ta b le a u d o n t im ­
le C in é ra m a c’est le réa lism e d u sp e c ­ p o r te n t e s se n tie lle m e n t les p ro p o rtio n s
tacle, ré a lism e si g ra n d qu’il v a p a r ­ d u cad re. Or, ü e s t v ra i e t ju ste , d ’a f f i r ­
fois ju sq u ’a u relief. M ais le re lie f p e u t m e r q u ’u n tro u p lu s g r a n d est... u n p lu s
f o r t b ie n n e p a s re s titu e r le ré a lism e g r a n d tro u . L a su p é rio rité d u C in é m a ­
e t c ’est ju s te m e n t ce qui se p a sse d a n s Scope e s t donc de ce p o in t de v u e u n e
le s film s sté ré o sc o p iq u es d o n t le public L ap a lissad e . P a r co n tre , il e s t a b s u rd e
n ’a p a s voulu. de p r é te n d re q ue le form at: « m a r i n e »

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e s t s u p é rie u r a u f o r m a t c a r r é c a r s a Le sp e c ta c le c in é m a to g ra p h iq u e n e
v a le u r est é v id e m m e n t re la tiv e a u s u je t se d é f in is s a n t p a s se u le m e n t e n lu i-
q u i s ’y in sc rit. C ette b a n a le c o n s ta t a ­ m ê m e m a is au ssi p a r r a p p o r t a u p u ­
tio n n o u s livxe u n e clef c ritiq u e décisive. blic, to u t e s t p ro g rè s qui c o n trib u e à
Elle n o u s p e rm e t d e d é fin ir à p r io ri le la « p a r tic ip a tio n > d u sp e c ta te u r. N ous
se u l g e n re ou l’é la rg isse m e n t soit, p a r a v o n s vu que l’o u v e rtu re de l ’an g le de
essence, u n p ro g rè s : le d o c u m e n ta ire . vision y c o n trib u e ; o u v e rtu re évidem ­
Les c o rre c tio n s à fo rm u le r n e s o n t Que m e n t re la tiv e à la g r a n d e u r de l ’éc ran .
de d é ta il. I l e s t é v id e n t p a r ex em p le M ais cet an g le p e u t f o rt b ie n ê tre
que s i l ’o b je t d u d o c u m e n ta ire est p a r le m êm e p o u r d eu x é c ra n s de p r o p o r ­
n a t u r e exigu e t circ o n scrit, la la rg e u r tio n s d iffé re n te s . N ous co n n a isso n s des
de l'é c ra n est in d iff é r e n te ou m êm e, à salles q u i se s o n t équipées en C in é m a ­
l a lim ite , e n c o m b ra n te . M ais les a v a n ­ S cope e n c o u p a n t e n d e u x le u r an c ie n
ta g e s g é n é ra u x s o n t co n sid érab les. é c r a n d a n s le se n s de la h a u te u r , d ’où
C ’e s t que d a n s le d o c u m e n ta ire p u r la u n sp e c ta c le p é n ib le m e n t exigu et
co m p o sitio n p la stiq u e e s t u n e p ré o c c u ­ m o in s s a tis f a is a n t p o u r l ’œ il que l 'a n ­
p a tio n p a ra site . H est p e rm is p a r c o n ­ cien é c r a n tr a d itio n n e l. Le v ra i p r o ­
tr e de rê v e r à ce que F la lie rty a v a it blèm e n ’e s t d o n c n u lle m e n t de f o rm a t
p u f a ir e d u C iném aS cope ou d u C in é­ m a is d e su rfa ce . Ce qui p ro b a b le m e n t
ra m a , lu i chez qu i les re la tio n s s p a ­ c o n s titu e r a e n e f f e t u n e a c q u isitio n
tia le s de l ’h o m m e e t de la n a t u r e c o n s­ p o sitiv e de l ’a c tu e l b ra n le b a s te c h n iq u e
ti t u a i t l ’in f r a s tr u c tu r e de la m ise en c’e s t l ’a c c o u tu m a n c e à de g ra n d e s im a ­
scène. ges e t l ’exigence de n o tr e œ il à cet
D e là au ssi la d é d u c tio n de la s u p é ­ é g a rd . Il s ’a g ira a lo rs de co u v rir de"
rio rité de T écran la rg e d a n s la m ise g ra n d e s su rfa c e s de fa ç o n te c h n iq u e ­
en scèn e « d e fic tio n » so it q u a n t le m e n t s a tis f a is a n te . D a n s c e tte voie la
s u p p o r t d u su je t est d o c u m e n ta ire , soit V istaV isio n c o n stitu e , sous b én é fice
q u a n d la m ise en scène e s t fo n d é e ju s ­ d ’in v e n ta ire , le p ro cé d é le plus p r o ­
te m e n t s u r d es r a p p o r ts s p a tia u x . m e tte u r . J e p a r le de la v ra ie V is ta ­
L’é c r a n la rg e le u r laisse alors, e n d e ­ V ision avec d é ro u le m e n t de la pellicule
h o rs du m o n tag e, u n p lu s lib re je u . e n lo n g e t qui p e r m e t d é jà p a r a î- il à
M ais d ’u n e m a n iè re g é n é ra le e t sous N ew -Y ork, u n e p r o je c tio n su r u n é c ra n
ces deu x réserves im p o rta n te s r é l a r ­ au ssi lo n g que celui d u C in éram a ...
g iss e m e n t de l’é c r a n n e c o m p o rte ra it « m a is p lu s h a u t » !
p as de su p é rio rité e s th é tiq u e à p rio ri
a u tr e f a c tu r d’o rd re psychologique. A n d ré BAZIN.

NAPLES CRUELLE

L'ORO D I N APOLI (L’O R D E N A PLES), film ita lie n de V i t t o r i o d e S i c a . S cé­


n a rio ; C esare Z a v a ttin i, G u ise p p e M a ro tta e t D e S ica, d ’a p rè s les co n te s de G iu -
se p p e M a ro tta « L ’O r de N ap les A d aptation : C e sare Z a v a ttin i. Im ages : O tello
M a rte lli. Musique : A llessan d ro C icognini. In terp réta tio n : S îlv a n a M a n g an o ,
S o p h ia L oren, G iacom o F u ria , P aolo S to p p a , V itto rio de Sica, P iero B ilan cioni,
E d u a rd o de Filippo, Aldo B iancoli, T oto, L in e lla C areli, P a sq u a le G e n n a ro , E rn o
C risa. Production : P o n ti-D e L a u re n tiis , 1955; d is trib u é p a r P a ra m o u n t.

S i b iz a rre q u ’il y p a ra is s e d 'a b o rd , s o rtie p a r is ie n n e de ce d e rn ie r film


V itto rio de S ic a est u n m e tte u r e n sc è­ s u f fis a ie n t du re ste à le sa c rifie r. Les
n e m a u d it. J ’a i l'a i r d ’é m e ttre u n p a ­ p a lm a rè s des F e stiv a ls n e s o n t p a s
ra d o x e ou de fa ire de la p ro v o c a tio n m o in s sig n ific a tifs. A C an n es, l’a n n é e
p a r c e que l ’équivoque e s t e n tr e te n u e à d'U m berto D . (p ro je té e n m a tin é e ), on
la fois p a r la p o p u la rité d e l ’a c te u r e t a p r é f é r é c o u ro n n e r G endarmes et Vo­
l ’im p o rta n c e critiq u e acco rd é e à. Vo- leurs. D e Stazione Ter m ini, en 1953,
leur de bicyclettes . M ais il s u f fit de r é ­ o n a inv oqué l ’im p u re té h ollyw o odienn e
f lé c h ir u n p eu p o u r s'a p e rc e v o ir que p o u r le p a s se r sou s silence; encore,
Miracle à Milan n ’a r a p p o r té q u ’u n c e tte a n n é e , le p u b lic e t le ju r y o n t
succès d 'e stim e e t Umberto D. p a s de accu eilli f ro id e m e n t V O r de Navles e t
succès d u to u t. Les c o n d itio n s de la d e S ic a n ’a p a s eu d r o it à la p lu s p e-

47
U o r de Naples de Vittorlo de Sica. La séquence de l'en terrem en t,
coupée dans la version projetée à P aris.

L ’or de Naples. Vittorio de Sica dans le sketch du « jo u eu r ».

48
t i t e p a lm e d e fe r b la n c. E n fin le film je u de l'a c te u r. C ertes, se s « sketch.es
n e s o r t à P a r is q u 'a u p rix de l’a m p u ta ­ p e u v e n t ê tr e co n sid érés co m m e d es
tio n d e d e u x su r six des sk e tc h e s o rig i­ « nou velles ». M a is le u r c o n s tru c tio n
n a u x , d o n t, n a tu re lle m e n t, le m e ille u r a d ro ite e t rig o u re u se le s p riv e à p rio ri
ou to u t a u m o in s le p lu s sig n ificatif. d e l ’in d é te r m in a tio n d r a m a tiq u e c o n s­
E n tr e te m p s c e p e n d a n t, l a p o p u la ­ titu tiv e du n é o -ré a lism e . L es é v é n e ­
r ité d e de S ic a com m e a c te u r n ’a cessé m e n ts e t les p e rso n n a g e s, p r o c è d e n t
d e c r o ître g râ c e à d es film s com m e d e l’ac tio n , ils n e la p r é c è d e n t p as. D e
P a in , a m o u r e t jalousie. S ic a a su e f fe c tiv e m e n t ré g é n é r e r l a
c o n s tru c tio n th é â tr a le o u ro m a n e sq u e
Il e s t d e b o n to n d a n s l a je u n e c ri­ p a r c e rta in e s a c q u isitio n s d u n é o - r é a ­
tiq u e d e t r a î n e r de S ica p lu s b a s que lism e. E n m u ltip lia n t les n o ta tio n s p i t ­
te r r e e t je v e u x b ie n qu’il p r ê te le to resq u es e t in a tte n d u e s , il e n ro b e so n
f la n c à quelques g rav e s ac cu satio n s. sc h é m a d r a m a tiq u e so u s u n r e v ê te ­
M a is il c o n v ie n d ra it t o u t de m êm e m e n t c o ra lie n de p e tits f a its q u i n o u s
a v a n t d e le c o n d a m n e r, d e s'ex p liq u er ab u se s u r la c o n s tru c tio n de l a ro c h e
p o u rq u o i les ju ry s de F estiv als, la m o i­ de b ase. Le n é o -ré a lis m e n i a n t p a r es­
tié de l a c ritiq u e tr a d itio n n e lle e t le se n ce les c a té g o rie s d ra m a tiq u e s , d e
pu b lic e n g é n é ra l d é d a ig n e n t ou m é p r i­ S ica lu i s u b s titu e u n e m i c r o d r a m a tu r ­
s e n t — je n e d is p a s se u le m e n t ses gie q u i su g g è re l ’ab sen c e d’a c tio n . Ce
film s les p lu s a m b itie u x , com m e U m ­ f a is a n t, il té m o ig n e se u le m e n t d ’u n e
b e r to D.t m a is ju s q u ’à ses p ro d u c tio n s p lu s g ra n d e ro u e rie .th é â tra le .
d e co m p ro m is co m m e S ta zio n e T e rm in i
e t L'O r de N aples. C’est p o u rq u o i d u r e s te le s k e tc h que
C a r c ’e s t là. le p lu s é tra n g e , m ê m e j l p ré fè re est p e u t - ê tr e ce lu i qu ’o n
q u a n d de S ic a se résig n e , p o u r des r a i ­ t i e n t g é n é ra le m e n t p o u r le p lu s in d é ­
so n s tr o p é v id en te s, à f a ir e u n film à c e n t, je v e u x p a r le r de l a p a r tie d e
v e d e tte s e t à sketch.es, b â tis à co u p c a rte s, p a rc e q u e c 'e s t au ssi celui d o n t
d ’a s tu c e s e t d e m o rc e a u x d e b rav o u re, les sources sc én iq u e s s o n t les moin.s
to u t se p a sse co m m e s ’il a v a it visé e n ­ cam ouflées. C e tte h is to ire d e b a ro n
core b e a u c o u p tr o p h a u t p o u r u n p u ­ m a n ia q u e i n t e r d it d e je u p a r la b a ­
blic d e F e stiv a l. Les re p ro c h e s que j ’ai r o n n e e t r é d u it à jo u e r sa v este ou ses
e n te n d u lu i fa ir e à' C a n n e s n e s o n t p a s lu n e tte s avec le fils d e p n co n c ie rg e
d u to u t ce u x q u ’il m é rite . U O r de N a - e s t u n e fa rc e con çue p o u r les e ffe ts
p le s e s t u n f ilm p u ta in , soit, m a is c e tte d ’a c te u rs. L e g e n re e t so n p rin c ip e
p u t a in - là e s t e n c o re d e tro p g r a n d e s o n t d’u n e a m b itio n lim ité e , m a is ces
classe p o u r n e p a s p a r a îtr e b égueule e t lim ites s ’a v o u e n t e t l ’o n p e u t c o n s id é ­
e n n u y e u se a u x a d m ir a te u rs d e nos r e r que ce q u e d e S ic a y a jo u te e n r e ­
A d o ra b les C ré a tu re s ou d es d ra m e s lève c o n s id é ra b le m e n t l a v a le u r e s th é ­
b o u rg e o ise m e n t psychologiques d éco u­ tique. H v a u t to u jo u rs m ie u x te n ir
pés p a r n o s b o n s fa ise u rs. d a v a n ta g e q u e ce q u ’o n p r o m e t q u e
d ’a v o ir l'a ir d e s a tis f a ir e à des a m b i­
T o u t d é p e n d d o n c d u c ritè re de r é ­ tio n s fallacieuses.
f é r e n c e D a n s l'ab so lu o u s i l ’on v e u t
p a r r a p p o r t à lu i-m ê m e e t à ce que In v e rse m e n t, j ’a d m ire b ea u co u p ,
n o u s a im o n s d u c in é m a italien , de m a is je n ’a im e g u è re le s k e tc h q u i a
S ica , d a n s U O r de N avles, n ’a p a s sa n s d o u te l a p r é fé re n c e d es a u te u rs ,
h é s ité d e v a n t d es concessions d ép lo ­ je v eu x p a r le r de l’e n te r r e m e n t d ’u n
rab le s. M ais p a r r a p p o r t à ce q u e le e n f a n t (su p p rim é, p ro v is o ire m e n t j ’es­
p u b lic e t m ê m e so u v e n t l a c ritiq u e père, p a r le d is trib u te u r ). D e S ic a e t
c ro ie n t y voir, so n film est encore u n Z a v a ttin i o n t vou lu d o n n e r là u n gage
m o n u m e n t d ’austérité* a u n é o -ré a lism e . A l ’opposé d e s a u tr e s
su b tile m e n t c o n s tru its, c e lu i-c i se p r é ­
se n te co m m e u n e so rte d e séq u en ce
d ’a c tu a lité re c o n stitu é e . D e S ic a se
b o rn e à su iv re le convo i fu n è b re d ’u n
e n f a n t m o rt. L e c o m p o rte m e n t d e la
H f a u t b ie n e n e f f e t re p ro c h e r m ère, l a p a u v r e m ise e n scèn e q u ’elle
d ’a b o rd à d e S ic a de t r a h i r ici le n é o ­ o rg an ise to u t a u lo n g d u p a r c o u rs
ré a lis m e e n f e ig n a n t de le servir. E n p o u r d o n n e r à l a d e r n iè re p ro m e n a d e
f a it, U O r d e N a v le s e s t u n film e ssen ­ de so n e n f a n t u n e s o rte d e so le n n ité à
tie lle m e n t th é â tr a l. J 'e n te n d s au ssi la fois tr a g iq u e e t joyeuse, t o u t c e la
b ie n p a r la fo n c tio n de l ’in trig u e q ue q u i n e crista llise ja m a is e n « a c tio n »
p a r l ’im p o rta n c e d écisive ac co rd é e a u so u tie n t c e p e n d a n t d e b o u t e n b o u t

49

t
n o tr e in té r ê t. C et é to n n a n t m o rc e a u pouvoir, q u ’a u c u n e n o té d is c o rd a n te ou
d e b ra v o u re est e n p rin c ip e d e la m ê ­ a p p ro x im a tiv e n e p e u t s u rg ir de l a
m e fa m ille e s th é tiq u e q u e la séqu en ce foule. D ieu efc le d ia b le s'y so u m e tte n t»
d u le v e r d e la b o n n e d a n s U m berto D. C e tte a s s u ra n c e to u c h e à l'o b s c é n ité
D ’où v ie n t m a g ên e ? S a n s d o u te d a n s l a p a r tie de c a rte s d u b a ro n . O n
d ’a b o rd de la c o n tra d ic tio n m o ra le e n ­ a p u , a v a n t de Sica, fa ir e c a b o tin e r
tr e le s u je t e t l'a d re s se p re sq u e in d é ­ d es e n f a n ts , m a is le gosse le m ie u x
c e n te de l a m ise en scèn e. U n te l c o n ­ d o u é n ’e s t c a p a b le to u t d e m ê m e Que
tr ô le de ses m oyen s e t de se s effets d e d eu x ou tro is exp ressio n s q u e le
q u a n d l a m a tiè r e e t les p e rs o n n a g e s m e tte u r e n scèn e s’in g é n ie à ju s tif ie r .
a p p e lle n t la s y m p a th ie e t l a p itié, a P o u r l a p re m iè re fois o n v o it ici u n
q uelque ch ose d 'ir r it a n t. J e so n g e en g-osse de 10 ou 11 a n s e x p rim e r e n d ix
c o m p a ra iso n a u ly rism e sim ple, e ffi­ m in u te s u n e g am m e de s e n tim e n ts
cace e t sin c è re de D a ssin d a n s le r e ­ d 'u n e v a rié té ég ale à, celle de so n p r o ­
to u r d u S té p h a n o is avec le g am in ! ta g o n is te a d u lte , e n l ’o c c u rre n c e -de
S ic a lu i-m ê m e . Q u a n t a u x a c te u rs p r o ­
fessio n n els ce n e s e r a it r ie n d e d ir e
que d e S ica e n ti r e le m e illeu r, il les
reco m p o se e n tiè re m e n t. N on p a r le tr o p
Ô n v oit que m es c ritiq u e s n e so n t fa c ile pro céd é qu i co n siste à le u r c o n fie r
p a s b énignes. E lles n e m ’e m p ê c h e ro n t u n rô le d if f é r e n t d e le u r em plo i h a b i­
c e p e n d a n t p a s de r e c o n n a ître les m é ­ tu e l m a is com m e en ré v é la n t e n e u x
r ite s de L ’Or de Naples d’u n p o in t de u n a u tr e ac te u r, p lu s d en se, p lu s p le in
vue r e la tif. S i le film n ’a p a s p lu à au ssi d e son p e rso n n a g e . A insi de l ’e x ­
C an n es, c 'e st to u t d e m êm e q u ’il r e ­ t r a o r d in a ir e co m p o sitio n d e S ilv a n a
cèle q uelque c h o se d e bon e t d 'e s tim a ­ M a n g a n o . M ais q u e d ire d e T o to d a n s
ble. H f a u t ex p liq u er le p a ra d o x e de l’h is to ire du « C a ïd t>? Q u a n d o n so n g e
son, échec n o n p a r le s d é fa u ts que je que c 'e st u n Heu co m m u n d e l a c r i ­
vien s de d ire qu i e u s se n t a u c o n tra ir e tiq u e fra n ç a is e d e v o ir d a n s n o tr e
c o n trib u é à son succès, m a is p a r le F e rn a n d e ! n a t io n a l u n a c te u r d r a m a ­
m a in tie n , a u c œ u r m ê m e du f a ir e - v a ­ tiq u e tr o p r a r e m e n t b ie n em ployé, o n
loir, de quelqu es v a le u rs de fo rm e e t n e p e u t q u ’ê tre sa isi d 'u n e in te n s e
d e fo n d qu i ju s tif ie n t u n e c e r ta in e a d ­ rig o la d e. L e m e ille u r des F e rn a n ,d e l
m ira tio n . n ’e s t q u ’u n e la b o rieu se p a n ta lo n n a d e
D ’a b o rd le m é tie r e s t le m é tie r e t a u p rè s d e la sim p licité e t de l 'i n t e l ­
a v a n t d 'e n c r itiq u e r l ’usage il n ’e s t p a s lig en ce d o n t faijt p re u v e ic i so n r iv a l
m a u v a is de s’e n apercevoir. O r, je m ’en ita lie n . D ieu s a it p o u r ta n t que le u r s
excuse a u p rè s d e n o s H itc h co c o - p itre rie s h a b itu e lle s se v a le n t b ie n .
H aw ksiens, m a is c ’e s t p ré c isé m e n t à A insi to u t se p asse com m e si d e S ic a
H itc h c o c k q u e je n e p u is m ’e m p ê c h e r a v a it le po u v o ir d e d o te r les i n t e r ­
d e p en ser. C e rtes l a m a îtr is e de de p r è te s n o n p ro fe ssio n n e ls d e la sc ien c e
S ica n e p o rte p a s s u r les m ê m es é lé­ d es a c te u rs c h e v ro n n é s e t les v e d e tte s
m e n ts de la m ise e n scène. L a co n s­ éprou vées d e la s p o n ta n é ité de l’h o m m e
tr u c tio n d e l’im a g e n ’y jo u e q u ’u n rô le d e l a ru e. J e n e p r é te n d s p a s c e rte s q u e
se c o n d a ire (encore q u ’il y a i t d a n s ce soijt l à m o n id é al p e rso n n e l m a is
L 'O r de N aples u n e tro u v a ille in o u b lia ­ c 'e s t im p lic ite m e n t, a u moin.s, c e lu i
ble, celle de l'a sc e n s e u r de l a m a is o n a u q u e l a s p ire r a ie n t p re sq u e to u s le s
du b a ro n ). L a m ise e n sc èn e s’id e n ti­ m e tte u rs e n sc èn e s’il é t a it en le u r
fie p r a tiq u e m e n t ic i av ec l a d ire c tio n p o u v o ir d 'e n a p p ro c h e r. D e S ic a l'a c ­
d ’a c te u r, m a is o n p e u t c o n s id é re r q ue c o m p lit si p a r f a ite m e n t que le p u b lic
lé r é s u lt a t e s t le m ê m e e n ce se n s q u e h a b itu é à l ’à p e u p r è s e n é p ro u v e
r ie n n e sem b le y p o u v o ir é c h a p p e r a u p e u t- ê tr e p lu s de m a la ise q u e d e p la i­
co n trô le d u m e tte u r e n scène. Y a - t- il sir.
c in q u a n te g a m in s d a n s le c h a m p , J e n e p e n s e p a s n o n p lu s q u ’o n a i t
é p a rp illé s co m m e u n e volée d e m o i­ g é n é ra le m e n t m e s u ré le s q u a lité s du
n e a u x , c h a c u n d ’eux, sem ble fa ire sc én a rio . Q uel que so it le ju g e m e n t
e x a c te m e n t à t o u t in s t a n t le g e ste p o r té su r le ch o ix des su jets, il d e m e u re
qu’il f a u t e t s u r to u t si le g este d o it q u e ce u x -ci p o u v a ie n t ê tr e t r a i t é s d e
ê tr e im p ré v u . I î l ’e s t d ’a ille u rs e t c’est diverses faç o n s, o r , l a c o n s tru c tio n d e
b ie n l'h a llu c in a n t. D e S ica co m p te évi­ c h a c u n des sk etch es, e t p a r tic u liè r e ­
d e m m e n t avec u n e c e rta in e m a r g e de m e n t le u r d é n o u e m e n t, e s t d ’u n e i n t e l ­
lib erté, de sp o n ta n é ité , de s a f ig u r a ­ lig en ce s tu p é fia n te . E n rè g le g é n é ra le ,
tio n m a is, te l est c e t h o m m e e t so n c h a q u e h is to ire app elle u n e fin , d iso n s

50
à la M a rc e l P a g n o l, c 'e s t- à - d ir e fa u sse P ag n o l) ; V la p ro stitu é e u lc érée 4 a n s
e t a tte n d r is s a n te . N a tu re lle m e n t, u n son o rg u eil d e fem m e p ré fè re en c o re
ré a lis a te u r f ra n ç a is d e s ta n d in g m o y e n r e to u r n e r a u bord el, e n d é p it d e so n
y s u b s titu e ra it u n e f in à la C h a rle s rêv e d e c o n s id é ra tio n bourgeoise, d e
S p a a k , c’e stT à-d ire v é riste e t péssi-r c o n fo rt e t d e c h a s te té (fin à la S p a a k ) .
m iste. 'Le m e tte u r e n sc è n e a m b itie u x O r, a p rè s ç e tte a tro c e n u i t d e u-Qcçg, l a
r é p u d ie r a it à la fois la « b o n n e » e t fille s 'e n f u it puis, d a n s la ru e, r é f lé c h it
l à « m a u v a is e » f in et, su p rê m e a u d a ce , e t rev ie n t. J ’a i e n te n d u d o n n e r 4 e ç s ite
n e f in ir a it p a s, p e S ic a e t Z a v a ttin i trojsièfcie f in des e x p lic a tio n s psycholo^
lés m e tte n t' to u s d a n s le u r p oche. giques v a r ia n t a u to u r d e c e l l e s j
Ü h isto irg sem b le È pabord-V orienter vçrs s’-êtant e n fu ie sous le co u p 4 e r a m o u r *
1§ h a p p y - e n d ; n a tu r e lle m e n t o n a t te n d p ro p re blessé, la p a u v r e fe m m e se je »
u n e su rp rise , elle a r r iy é àv èç u n d é to u r tr o u v a n t seu le s u r le tr o tto ir, so u s l a
im p ré v u d e l’â ç tio n qui- n o u s f a i t cro ire pluie, ré a lise to u t ce q u 'elle v a p e r d r e
à l ’a b se n c e de d é n o u e m e n t. C 'est alo rs e t résig n ée, f a is a n t ta ir e s a •dignité, elle
qije d a n s leç d e rn iè re s seco n d es le r e v ie n t vers c e t o rd re b o u rgeo is s u î e s t
sc é n a rio d écou vre le d é n o u e m e n t, le l’id é a l d e to u te resp e ctu e u se , O r g s itç
p lu s im p ré v u e t le p lu s n éc e ssa ire , s y n ­ e x p lica tio n sup pose q u ’o n a m a l r g g a rr
th è s e d ia lec tiq u e d e to u s c e u x flu’il s’e s t dé les d e u x d e rn ie rs p lan s- P ’a b p rd
refu sés, Ce n ’e s t p a s u n e in g é n io sité dé p a r c e que le visage de © ilv an a M a s*
s c é n ^ ristç in y e jiti! q u i c h e rc h e à n o u s g ano, so ig n e u sem en t, é c la iré p a r u n .
a v o ir à l a s u rp rise m a is u n e ré so lu tio n rév e rb è re , exp rim e to u t .un p ro ce ssu s dg
cpnstructjye qui éclaire to u te l'a c tip n se n tim e n ts d o n t le d e rn ie r n ’e s t n i l a
d'un 3pur p lu s ric h e , L e p ro c é d é "sup­ r é s ig n a tio n n i l'en v ie m a is la h a in ç , cg
pose u n e teHe exig en ce d r a m a tiq u e qui e s t en co re c o n firm é p a r la f a ç o n
q u ’elle é c h a p p e p a rfo is m ê m e a u sp ec­ d o n t elle fra p p e p o u r se fa ir e o u v rir. kg-
tateur attentif q u i n ’im a g in e p a s que seu le e x p lic a tio n (plausible e s t 4 o n c
l’a n tg ^ r a i t PU Viser s i h a u t . J ’a i cons­ que, p a r tie sous le co u p d e l a b le ssu re
t a t é p a r exem ple q u e le d é n o u e m e n t f a ite à sa d ig n ité de fem m e elle re v ie n t
d u s k e tc h in titu lé « T h é rè s e '» é ta it p o u r la m êm e raiso n , m a is ré flé c h ie jet
p resq u e to u jo u rs m a l in te r p ré té . C’est ap p ro fo n d ie. Elle a c o m p ris q u e ï a fu ite
l ’h isto ire q u a s i d o sto ïev sk ien n e d’u n é t a i t u n e so lu tio n d o u b le m e n t a b s u rd e
je u n e e t ric h e bourgeois n a p o lita in qui, p u isq u ’elle la p r iv a it à, la fois e t d es
p o u r se p u n ir d ’a v o ir la issé u n e je u n e .avantages m a té rie ls d u m a ria g ç e t des
fille m o u rir d ’a m o u r p o u r lu i, d écide c o n so la tio n s d e la v en g e an c e. iSon pe*
d ’ép o u ser u n e p ro s titu é e . Ce m a ria g e , to u r n ’est d o n c p a s ré sig n é n i servile,
q u i doit forcément selon lu i r u in e r so n il e s t u n e m a n if e s ta tio n , Plus h a u t e
bonheur, sa fortune et §a réputation, en co re que la fu ite , de s a f é m in ité : Plie
a Ijteu p an s q u e l a p a u v re fille a v a it c ru que m ê m e u n e p ro s titu é e
co m p re n n e lç ,ieu qu’on lu i f a i t jo u e r a v a jt le -droit d ’ê tr e aim£.é, çïle y a
(c’est en sueîctue &9 .rt§ l a s itu a tio n des p ro u v er m ieu x en co re : qu'elle e s t c a ­
D a m e s V u poi$ dç B o u lo g n e m a is ren-p p a b le de se venger* £ n s o rte q u e les
vergée)- Q u a n d ejle d éco u v re q u ’elle choses s ’o r d o n n e n t f in a le m e n t se lo n l a
n ’e s t là que p o u r r a p p e le r à son m a ri v o lo n té de l ’h o m m e mais, p o u r d es r^l-*
son p éch é, s o n d é p it est n a tu re lle m e n t sons m b ra le s e x a c te m e n t opposées à
terrible, pans sa démence masochiste celles q u ’il p e u t im a g in e r, t a fili? y a
l ’h o m m e n ’a v a it e n v isa g é ^ u ç u n e d e s p r e n d r e la p lace p ré v u e d a n s l'in v r a i­
deujc h y p o th è se s h u m a h ie m e n t pom > sem blable m a c h in a tio n ; elle se c o n ­
t a n t les p lu s v ra ise m b la b le s : d ’a b o rd d u ir a à so n é g a rd selo n l'id é e c o n v e n ­
qjig s a p r o s titu é e p û t f a ir e u n e épo use tio n n e lle d e là p ro s titu é e p ré c is é m e n t
a im a b le e t douce,' n e fû t^ c e que p a r p a rc e q u 'elle a u r a cessé d e l’ê tr e p a s s i­
re c o n n a iss a n c e , pji b ie n qu’elle p û t av o ir v e m e n t p o u r s ’a f f ir m e r fe m m e p a r s a
en ço re assez d§ d ig n ité fé m in in e p o u r h a in e . C o n fo rm é m e n t à so n d é^ ir ,eHé
rç /u s p r u n e (aussi o d ieu se pom édie. P r o ­ fe r a d o n c ie m a lh e u r de l'h o m m e n o n
j e t a n t su r Je m o n d e s a v o lo n té de c h â ­ p a r c e q u 'u n e p u ta in n e s e r a to u jo u rs
tim e n t, il n ’im a g in a it celle q u ’jl a v a it q u ’u n e p u ta in m a is d é lib é ré m e n t e t
choisie que c o n fo rm e à l’idée m o ra le p a r ch o ix si j ’ose d ire au ssi lib re m e n t
à p r io r i 4 e l a p u ta in , c’est-à-d ire- qu’une femme du monçie, On çonyj.çn~
com m e u n ê tr e d é m o n ia q u e e t m a lf a i­ dra que ce dénouement est .non seuier
s a n t, C e ïê s u m ê in d iq u e n e t t e m e n t le s m ent imprévu et brillant {pourvu du
d e u x fin s possibles > i g r h o m m e c h e r ­ moins qu’on le discerne) mais surtout
c h a n t so n m a lh e u r tro u v e le b o n h e u r qu’il fait passer rétroactivement l’ac­
m a jg r£ lu i avec u n e b ra v e fille (fin à la tion du plan primaire de la psychxn
sociologie, à c e lu i de la m o ra le e t m ê m e n é c e ssa ire avec la c r u a u té a u n sen s,
d e la m é ta p h y siq u e . m o ra l e t e s th é tiq u e , d a n s la m e s u r e où
la seule psychologie n ’e n r e n d p lu s
com pte. M e tr o m p é - je ? I l m e se m b le
que c e tte c r u a u té e s t m ê m e d a v a n ta g e
L ’Or de N apïes m e p a r a î t en co re re c é - le f a it de de S ic a q u e de Z a v a tti n i !
le r q u elq u es e n s e ig n e m e n ts im p o rta n ts .
D a n s la m e su re p e u t - ê tr e où le p ro p o s E n to u s cas, ce q u i m e p a r a î t a s se z
d e s a u te u r s e s t p lu s o u m o in s d élib é ré ­ cla ir, c 'e st que le ta l e n t d u m e tte u r e n
m e n t im p u r, c e r ta in s a sp e c ts de la co n ­ sc èn e p ro cè d e e s s e n tie lle m e n t d e so n
jo n c tio n Z a v a ttin i- d e S ica m ’a p p a r a is ­ ta le n t d ’a c te u r e t q u ’il n ’e s t p a s , p a r
s e n t e n t o u t cas p lu s c la ire m e n t. J e n a tu re , n é o -ré a liste . S i l a c o lla b o ra tio n
r e m a r q u e r a i d ’a b o rd q u e U O r de N a ­ Z a v a ttin i-d e S ic a a é té si féc o n d e, c ’e s t
z ie s e s t u n film c ru e l ( v o i r N ap le s m a is p e u t- ê tr e a lo rs ,p a r l’a s so c ia tio n d es
c o n tra ire s. D a n s ce m a ria g e , l ’é c riv a in
m o u rir} ). N ul d o u te d u r e s te que c e tte
c r u a u té n ’a it c o n trib u é à d é ro u te r le a u r a it a p p o rté le ré a lis m e et. le m e t ­
p u b lic d u F e stiv a l h a b i tu é à associer la te u r en scèn e u n e p ro d ig ie u se c o n n a is ­
b o n n e h u m e u r à la verv e m é rid io n ale. sa n c e d u fa ir e - v a lo ir th é â t r a l . M a is ils
N a p le s se d e v r a it d ’ê tre u n s u p e r- M a r - é ta ie n t tro p in te llig e n ts ou tr o p d o u és
seille ! J ’a i m o i-m ê m e il m e sem b le f a it p o u r a jo u te r l’u n à l ’a u tr e , ils l ’o n t
Jad is d ’assez n a ï f s d é v e lo p p e m e n ts s u r s u b tile m e n t co m b in é ou, si l ’o n m e
le b o n co&ur de de Sica. E t il e s t v ra i p e r m e t c e tte im a g e : é m u lsio n n é ; t h é â ­
q ue la s e n tim e n ta lité coule à p le in b ord tr a lité e t ré a lism e y s o n t si s u b tile m e n t
d a n s ses film s. M ais il lu i e n s e ra m êlés que le u r su sp e n sio n e s th é tiq u e
b e a u c o u p p a r d o n n é p o u r l ’a u th e n tic ité d o n n e l’illusion d ’u n c o rp s n o u v e a u q u i
d e s a c ru a u té . E n a r t j ’e n co n v ien s la s e ra it le n é o -ré a lism e . M ais s a s ta b ilité
b o n té e s t fa c ile m e n t ignoble. C h a rio t e s t in c e rta in e e t n o u s voyons b ie n d a n s
p e u t l'ê tr e e n e f f e t p o u r q ui n e d is­ U O r de N aples u n e g r a n d e p a r ti e d e l a
c e rn e p a s l'a m b ig u ïté de so n c œ u r. L a th é â tr a lité p r é c ip ite r a u fo n d d e l a
b o n té en e lle -m ê m e n e sig n ifie rie n , m ise en scène.
m a is so n a s so c ia tio n in tim e e t com m e A n d ré BA ZIN .

LE PLUS COURT CHEMI N


T H E F A R COUNTRY (JE SU IS U N A VEN TU RIER), film a m é r ic a in e n t e c h n i ­
color d rA n t h o n y M a n n . S cén ario : B o rd en C hase. Im a g e s : W illiam D an ie ls. D ire c ­
tio n a rtistiq u e : B e rn a r d H e rz b ru n e t Alex G olitzen. M u siq u e : G eo rg e G e r s h e n -
son. I n te r p r é ta tio n : J a m e s S te w a rt, R u th R o m an , C o rin n e C alv et, W a lte r B r e n -
n a n , J o h n M c ln tire , J a y F lip p e n , H e n ry M org an , S tev e B odie, R o y a l D a n o , G re g g
B a rto n , C h u b b y J o h n s o n , E d d ie W aller, R o b e rt F o u it, E u g èn e B o rd en , A lla n
R ay, J a c k E la m , C o n n ie G ilc h rist, K a h le e n F re e m a n , .Connie V an . P r o d u c tio n :
A aro n R o sen b er, U n iv ers a l 1954.

S ’il e s t c o u r a n t d ’a s sig n e r a u w e ste rn d 'u n g en re ; je v e u x d ir e s e u le m e n t


d e s sou rces h isto riq u e s, d e m o n tre r l a q u ’il est v a in de le codifier, d ’e n d é g a ­
tr a n s f o r m a tio n d e c e tte ré a lité e n g e r les lois spécifiques — e s th é tiq u e s e t
m y th e p a r so n u tilité sociale e t d e m o ra le s — q u i p e r m e ttr a i e n t d e p o r t e r
c o n s ta te r en fin q u ’u n te l g e n re est s u r les r é a lis a tio n s u n ju g e m e n t a u s s i
d é te rm in é p a r s a fo n ctio n , ce n e so n t co m p let q u 'in c o n te sta b le . L a p r o b ité
p o u r n o u s q u e v é rité s de p e u de v a le u r re c o m m a n d e d e c o n s id é re r to u jo u r s les
p u isq u 'il a p p a r tie n t à l’h isto rie n , a u œ u v re s com m e c ré ée s p a r u n a u t e u r
sociologue d 'e n re c o n n a ître le b ie n - a v a n t de les ja u g e r a u c a lib re d 'u n e
fo n d é, e t q u e c e tte re c h e r c h e d’u n e d é ­ classification, quelqu e c o m m o d ité q u ’o n
fin itio n g é n é ra le n ég lig e les p a r ti c u la ­ y tro u v e. S a n c tu a ir e s e r a it- il u n r o ­
r ité s les p lu s in té r e s s a n te s de ch a q u e m a n n o ir ou, d ’ab o rd , l ’œ u v re d ’u n c e r ­
a u te u r s a n s p o u v o ir e n a u c u n cas r e n ­ ta in a u te u r, F a u lk n e r, et, q u e s tio n im ­
d r e co m p te d e l’in d ifféren c e o ù n o u s p o r ta n te , quelle p e rsp e c tiv e e s t l a p lu s
la isse te lle œ u v re n i de l ’ém o tio n que féco n d e ? D e la m ê m e m a n iè r e u n film ,
te lle a u tr e n o u s a com m un iqu ée. w e ste rn ou n o n , a u n a u te u r , L e ­
J e n e v e u x p as, p o u r a u ta n t, m e d is­ q u el ? B o rd e n C h a s e a é c r it le s c é n a ­
sim u le r q u e n o u s soyons ici e n p ré se n c e rio de T h e Far C o u n try q u i n o u s o c­

52
cu p e ici; il a é c rit a u s si ce u x d es A f f a - d r a m a tiq u e où les é v é n em en ts e t les
m e u rs e t -de la R ivière B o u g e , Ce g e n re a c te s s ’o r g a n is e r a ie n t e n u n e s tr u c tu r e
est, a u t a n t q u ’u n a u tre , tr ib u ta ir e d u avouée.
sc é n a rio a p p ro p rié , m a is p a s d a v a n ­ E s t-c e à d ir e q u ’il n ’e s t d ’a u tr e v a ­
ta g e : o n n e p e u t c o n te s te r q u e les le u r ici q u e celle d 'u n sp e cta cle ? J e
d eu x p re m ie rs films n e s o ie n t l ’œ u v re n ’a im e p a s m e la isse r a lle r à u n sp e c ­
d ’A n th o n y M a n n , n i le tro isiè m e celle ta c le , q u elq u e a g r é m e n t q u ’il m e p r o ­
d e H o w a rd H aw ks. C e la e s t si v r a i p o se ; j ’a im e que q u elq u e chose d ’im ­
q u ’a u b o u t de dix p la n s se sig n a le à p o r t a n t se jo u e e n tr e l’h o m m e e t s a
co u p s û r u n w e ste rn de J o h n F ord , vie, d e p lu s im p o r ta n t que la p e r te d ’u n
d ’A n th o n y M a n n , de F r itz L an g . M ais c h ie n ou la possession d ’u n tr é s o r f a b u ­
vous m 'o b je cte re z p e u t- ê tr e que c e tte leux. L’h o m m e n ’est p a s m a îtr e d es
m a rq u e , v ite reco n n u e, d u r é a lis a te u r c irc o n sta n c e s, m a is l ’im p ré v u n ’a d e
n ’est a p rè s to u t q u ’u n e m a n iè re s u p e r ­ v a le u r q u ’e n ce q u ’il le s u r p re n d e t
po sée à u n fo n d s co m m u n où l a p e r ­ l’oblige à u n réflexe, à décider d’u n
so n n a lité d u s c é n a ris te s ’e ffa c e ra it p r é ­ geste, d’u n a c te ou d ’u n e co n d u ite. E t
cisé m e n t d e v a n t les o rig in e s collectives q u e l a u tre , q u ’u n m e tte u r e n scène,
sig n a lé es to u t à l ’h e u re , e t n o n d e v a n t s a u r a it n o n se u le m e n t m o n tre r lo
la v o lo n té c ré a tric e d u m e tte u r en geste, m a is fa ir e s e n tir au ssi le p r o m p t
scène. J e p e n se a u c o n tra ir e q u e la p a r t d é b a t q u i p ré c è d e l a décision, c e tte
la p lu s a u th e n tiq u e d e la c ré a tio n , a p p ré c ia tio n in s ta n ta n é e des r a p p o r ts
celle d o n t l ’in ü u e n c e e s t décisive, r e ­ m o u v a n ts ? L à où c e rta in s se re p o s e n t
v ie n t to u jo u rs a u m e tte u r e n scène. su r u n e g éo m étrie figée des ex pressio ns
L oin d e m oi, c e p e n d a n t, l ’id é e d e p r ô ­ A n th o n y M a n n im p rim e u n d y n a m ism e
n e r d es fab le s dérisoires; m a is l ’origi­ é t o n n a n t à ces m o m en ts' critiq u es e t se
n a lité d ’u n scénario , e t c e lu i-c i e n e s t m o n tre u n d ire c te u r d ’a c te u rs que s a
ric h e , se m e su re f in a le m e n t à ce qu’il ric h e sse d 'in v e n tio n n e p riv e n i de lu*
exige p lu s d 'in v e n tio n du m e tte u r e n cid ité n i de c e tte in tra n s ig e a n c e so u ­
sc èn e (1). cieuse d ’a lle r à l ’essentiel. C ela m e s é ­
C o n sid éro n s donc le sc é n a rio de T h e d u it f o rt d a n s les w estern s de M a n n ,
fa r C o u n try d a n s ses ra p p o r ts avec d o n t l ’o rig in a lité s ’exerce a u re b o u rs
la m ise e n scène. S o n a llu re s u r p r e n a n te d e la p e n te ly riq u e p ré fé ré e p a r F o rd :
fra p p e d ’a b o rd , son ab sen ce de liaiso n s c ’est, a p r è s a v o ir re fu sé a u d ra m e d e
m o tiv ées; b ie n des p é rip é tie s m a n ­ ré g ir la s tr u c tu re d e l ’ensem ble, c e tte
q u e n t de ju stific a tio n a p p a re n te , q u i en re c h e r c h e o p in iâ tre des v irtu a lité s du.
e u s s e n t a isé m e n t tro u v é. A c e la voyons d ra m e , c e t a f f û t des co n flits à le u r
u n d é d a in d élib éré p lu tô t q u ’u n e lé g è ­ n a issa n c e .
r e té s ig n e d e m é d io c rité : d é d a in d e U n e te lle re c h e rc h e suppose des p e r ­
c e tte fa m e u se m ise en situ a tio n , rè g le , so n n a g e s com plexes. Ils le so nt, je les
d ’o r des m é ca n iq u es v ain e s —1 d é d a in d ir a i m êm e am b ig u s ; le lib re a rb itre
des o r n e m e n ts faciles, o r n e m e n ts parce p r e n d u n e p a r t décisive d a n s le u rs a c ­
que fa c ile m e n t o b te n u s — d é d a in d e tes, e t n o n l’en sem b le de co n v e n tio n s
c e tte a p p lic a tio n qu i c ro it te n ir lieu q u i c o n s titu e n t u n e mora.le collective.
d ’in v e n tio n . A n a ly s a n t e n s u ite le d é ta il Les é v é n e m e n ts n e su ffisen t p a s à les
d es scènes, o n s'a v is e ra d e n ’en d ire d é te rm in e r, e t la c o n n a issa n c e p ro ­
a u c u n e g r a tu ite et q u 'e n fin la d ésin v o l­ gressive que n o u s av o n s d ’eux n e les ,
tu r e a b r u p te d u sc é n a rio e s t le p lu s explique p a s, elle a jo u te à le u r c o m ­
c o u r t ch e m in q u i tr a c e e n tr e elles des plex ité. V oilà qu i e s t in a tte n d u : u n e
lie n s n éc e ssa ire s .tout en a s s u r a n t' à m o ra le se d égage ici, qu i n e d o it rie n
c h a c u n e s a v e r tu d ’im m é d ia t, d e d ev e­ a u x m y th e s n i à l’a g e n c e m e n t d u scé­
n ir r e s tr e in t a u f u tu r le p lu s p ro c h e : n a rio , u n e m o ra le se dég age p a r le seu l
celu i d e l 'in s t a n t qu i v a suivre, où t o u t f a i t d e l ’a tte n tio n p o rté e à l ’h o m m e,
à n o u v e a u se jo u e ra . L a succession d e a u m o u v e m e n t de ses s u rsa u ts, à ses
ces p é rip é tie s d o n t c h a c u n e e s t u n p r é ­ h é s ita tio n s d a n s l ’effort ou le d an g e r, à
s e n t aig u isé ju s q u 'à l'extrêm e, p o in te c e tte p a r t en fin d e lu i-m ê m e où se p è ­
d e lu i-m ê m e , e t se d o n n e p o u r telle, s e n t ses d ésirs e t ses actes.
e s t c o n tra d ic to ire à u n e p ro g re ssio n P h ilip p e D émonsablow.
(1) Seul u n m anque de confiance dans les pouvoirs de la mise en scène p u t cacher cette
vérité aux réalisations prétentieuses qui de High Noon à Shane, considérant les personnages
comme simplifiés p ar les lois du genre, cru re n t réagir contre cette nécessité supposée en in tro ­
d u isa n t un e co ntin uité dram atique entre les actes e t en développant u ne psychologie selon
l'analyse, sans p o u rta n t obtenir au tre chose q u ’u n appauvrissem ent des personnages d’avance
rendus stériles.

53
JACQUES AÜDIBERT1

BILLET VIII

CiNËRAMA — LA StftA D A ^ PAIN, AMOUR ET JALOUSIE — RIFIFI

L'OR DË NAPLES — NAPOLEON

Bst-cë là faute dû cînérarna et de la preuve q u Jil apporte d 'u n e toujours possible


irititâhon physique dés procédés de ï ’éctan ? I l me semble, q u ’en ce mdment, si l ’on
tôürnè Dieu merci I toujours, c'est en rofid. Je veux dite q u ’âVed léUfs grands
mérites respectifs, leë récents films se neutralisent eiitre Cüx dans uiie Vâlse à la col­
lective ntorfôtôfiîe. D 'ordinaire, il se trouvait toujours quelque gambade imprévue
pour nous emporter dans la haute joie.
— E t L a Siaâa ?
— Je ne l ’oublie pas.
J é sais q ü ’ellê à tout pour elle pour ouvrir à ,ce qüe doit être une voie nouvelle,
une routé où s'engouffrer. De t a Strada l ’oiî île sautait trop célébrer l ’habile perfec­
tion qui combine, mélange homogène f à Pépârpillement documentariste du p u r néo­
réalisme italien une action dramatique définie. É n effet, line atmosphère hagarde,
vermineuse et désordonnée baigne une donnée centrale vigoureuse, V amour dé deux
simples d'esprit tels que n ’en présentent jamais îes dessins animes ôü les film s fa r­
ceurs, amour que personne ne brisera, ni la gentillesse d Jun blond acrobate, ni les
années.
Q r, l 'accomplissement même de la difficile synthèse que constitue l Jceuvre de
Federico Fellini s’accompagne, pour certains, dont je ne suis pas mais que je corn-
jM'êiids* de la nostalgie de Ces genres tranchés où nous rattacherons, d ’une part, Le
Voleur de bicyclette et, d 5autre part, Les Diaboliques.

54

\
E n ce qui concerne Pain, Amour e cosi via, toute espèce de doute ou de regret
n 'a rien d ’autre à faire qu’à s’écrouler en poussière, séance tenante, sous les trom­
pettes hilares de toute la salle, de toutes les salles, débouchées par l ’irrésistible vis
comica de Vittorio De Sica. Je lui adresse, ici, l'expression de ma gratitude pour
l ’éclatant plaisir à pipe fendue que je lui dois.
Combinant, lui aussi, néoréalisme et théâtralisme conventionnels, ce maître d 'a r­
mes répondait, enfin, à une attente qui, depuis longtemps, tracassait chacun l ’attente,
au cinéma, d'une drôlerie non déterminée par le contraste entre la pitrerie des person­
nages et leur plausibilité sociale mais, au contraire, sécrétée p ar cette plausibilité
sociale photographiée telle qu'elle, sans cotillon ni carnaval, dans un choix d'inci*
dents et d'aperçus qui la rendit ridicule, sans toutefois, que P invite à se tordre appa­
raisse jamais avec l'aveuglante véhémence d 'une enseigne lumineuse.
U n échantillon ? Quand De Sica, dans sa tenue numéro un de maréchal cara­
binier, les cent quatre-vingts centimètres de la stature personnelle accrus des quarante-
cinq du bicorne et du plumet, se dispose à franchir un seuil, la tradition pitre exige­
rait que le plumet ne passât point la porte ou qu'il s’accrochât au linteau. Dans
P ainy Amour, tout au contraire, pour le grand profit de notre allégresse, ce m aré­
chal, dans son comportement physique'et dans son ajustement vestimentaire, est par­
faitement normal, sans la moindre touche burlesque arbitraire, si bien que, d a n s la
bourgade où il opère, si, à l'occasion d'une halte automobile, nous lui demandions un
renseignement, rien de lui ne nous frapperait que sa correction, en vertu de laquelle,
sur le point de franchir un seuil, il ne manque jamais de se courber, le plumet en
avant. Cette précaution nous enchante jusqu'aux larmes. Car elle se raccorde avec
une désopilante précision à tout un petit monde d'attitudes de la même farine expri­
m ant un caractère de mirliflore militaire et quinquagénaire qui veut séduire et ne
peut qu'attendrir.
E h bien ! Au risque d'avoir l'a ir de me plaindre que la mariée soit trop belle,
ou le maréchal doré à point, j'a i peur qu'avec ce doublé à la carabine pour aimable
qu 'il soit, nous entrions dans la période cinématographique où l'exploitation, défini­
tivement, succède à l'exploit, et où même la généreuse virtuosité d ’un De Sica s ’ins­
crit dans la cycloïde commerciale d'une intervention aussi digérée, désormais, que
la locomotive à vapeur.
Des films type D u R ifift chez les Hommes confirment ce pessimisme. E n aucune
manière, j'e n suis sûr, les auteurs ont résolu de se tenir à l'écart des pistes qui
mènent au chef-d'œuvre. Il est même obligatoire de constater q u ’ils ne suivent d'autres
pis tes que celles-là. Mais, invincible, l'idée s'impose que tout procède dans le pas­
tiche et le simulacre. De minutieux collages d'angles et de mouvements n ’aboutissent
pas forcément à Tant qu'il y aura des Hommes.
L 'u n des mystères du cinéma, qui vaut, d'ailleurs, pour l'ensemble de l'a r t çréa-
teu r^est qu'une réussite s1acquiert au prix d 'u n juste plan et d 'u n labeur serré mais
q u 'il faut, en outre, que lui corresponde, de l'au tre côté de la rampe, un trou, un
vide, u n appel. Ainsi TLe Jour se levé ou TLa Chienne, et tant d'autres titres de
gloire de l'écran, comblaient, chacun, à l'irremplaçable instant, u n besoin, disens-le-
mot, qui ne se révélait que d'être satisfait.
E t ~VOr de N a fh s , lui-même, re-de Sica, pour un peu me consternerait. Ne
démontre-t-il pas que la prodigieuse fougue inventive de l'inépuisable magicien,, si
elle frappe à coup sûr, frappe au hasard. Suprêmement aisé, pour ainsi dire anato­
mique, l'accord de l'artiste avec son outillage s'accompagne, on jurerait, chez De
Sica, d'u n certain manque d'intérêt, quant à la qualité de l'accueil du public rentable
de toute façon. Une comédie supplémentaire, la silhouette d 'u n champion de concours
hippique qui ne descendrait jamais de sa monture, la jument Caméra, où que ce
soit et quoi qu'il fasse, toujours gagnant, toujours heureux, toujours applaudi, escorte
et domine les quatre comédies dont Se compose V O r de 'Napïes. Réjouissantes au
possible, fanées, pourtant, sitôt fleuries, elles marquent, je le crains, l'entrée dé
Naples dans la Pompéi des villes mortes, mortes de rire, où mon ami Marcel Pagnol
ne cesse de célébrer les obsèques de feu Marseille.
Caro V-ittorio, sono d aw ero atterato de voir surgir dans une de ces rues de
Naples où, que ce soit ou non la faute des Bourbons, la stature humaine ne dépasse
jamais que d ’un rien le mètre cinquante-cinq, cette géante maquillée, Sophia Loren,
qui pulvérise sous sa masse colossale vos trésors d'observation attentive, sans parve­
nir, en contrepartie à nous rendre claire ce qui voulait être, plus ou moins dans votre
esprit une allégorie de la vitalité napolitaine} la proue au vent et le derrière aérien.
M a légère amertume, que je souhaite passagère, ne n ’empêche pas de saluer la
beauté, dans ces films, L a S tad a étant hors concours, de maint fragment brillant, la
danse folklorique de Gina Lollobrigida dans Pain, la préparation du casse ' chez
M appin et Webb dans Le R ififi, les mines, d ’or, de Toto dans L'O r et, en la mie de
pain, la promotion aiguë de Silvana Mangano, dans un rôle de femme de maison en
train d ’en sortir, qui lui permet, comme actrice, d ’atteindre à une valeur moins
liée au soutien-gorge q u ’au talent.
Jacques A U D IB E 'R T I.

P .-S . — Je ne me mêlerai pas de prendre la défense du Napoléon de Sacha Guitry.


Mais je veux, encore une fois, confesser mon admiration à l ’égard d ’une telle désin­
volture à se cantonner dans le théâtral, dans l ’Epinal, jusqu’au délire, où tout l ’esprit
du Talleyrand contemporain éclate dans une réplique. A Bonaparte, balbutié par
Daniel Gélin, qui affirm e ne pas détester l ’Angleterre... « S i fapprenais, tin beau
matiny qu'elle s’est engloutie dans la mer, ëh bien- ! je ne serais -pas content... »
ce diable d e Sacha objecte, de son creux plein : a Vous avez tout de même d it un
beau matin ». On ne fait pas mieux !

AU SOMMAIRE DE NOS PROCHAINS NUMEROS

Dominique Aubier .......................... La Strada.


M a u r ic e - R o b e r t B a t a i l l e .................... Le cinéma égyptien.
A n d r é B a z i n e t F r a n ç o is T r u f f a u t Entretien avec Roberto Rossellini sur le néo­
réalisme.
André Bazin ........................... ............... Courrier des Lecteurs.
André Bazin et Jacques Doniol-Val-
croze .................................................... Entretien avec Orson Welles.
Jacques Éécker ..................................... Vacances en novembre (Scénario inédit).
Robert Bresson et Jean Cocteau __ Les Dames du Bois de Boulogne.
J. Etoniol-Valcroze et Jacques Rivette. Entretien avec Jean Cocteau.
Lotte H. Eisner ............ ........................ Notes sur Stroüeim.
Abel Gance ........................................... Mon ami Einstein.
Salés Gomez ................ ........................ La mort de Jean Vîgo.
Julien Green ......................................... En travaillant avec Robert Bresson.
Paul Guth ............................ ................. Après a Les Dames ».
Fereydoun Hovieda .............................. Grandeur et décadence du « Sérial ».
Raymond Jean ..................................... Le style de Jean Cocteau.
Pierre Kast . . . ; ..................................... Entretien avec Près ton Sturges.
Jean-Jacques Kim ................................ Orphée et le Livre des Morts Thibëtaïns.
Robert Lachenay .................................. Portrait d’HumpIirey Bogart.
Fritz Lang ................ ............................. Mon expérience américaine.
André Martin ..................................... Alexieff, ou le cinéma non-euclidien.
Un cinéma de la personne (Federico Fellini).
Pierre Michaut ................. - ................ Méthode et illustration du film de schéma animé.
Jacques Rivette et François T ruffaut Entretien avec Max Ophuls.
— Entretien avec Eric von Stroheim.
— Entretien avec Howard Hawks.
Emmanuel Robles ............................... En travaillant avec Luis Bunuel.
Eric Rohmer ..... ............................... ... Le celluloïd et le marbre (III, IV, V).
Mary Seaton ......................................... Eïsenstein.
Alexandre Trauner .............................. En travaillant avec Howard Hawks.

56
/

CINÉPHILE ET FILMOLOGUE

p a r Amédée Ayfre

Deux produits bien distincts de la culture cinématographique, aux aires d'expansion et aux
caractéristiques jusqu'ici soigneusement délimitées. On pouvait assez facilement cueillir l'un
daM les Champs-Elysées ou les Prés de Saint-Germain, alors que l'autre se rencontrait exclusi­
vement dans le périmètre beaucoup plus aride de la Sorbonne et du Collège de France. A part
quelques rares croisements dus à l'artifice ou au hasard, le moins qu'on puisse dire est que
ces deux espèces semblaient dépourvues de toute attirance réciproque. Un botaniste hégélien
aurait dit qu'elles se posaient en s'opposant.
Pour le cinéphile, le filmologue était un vieil universitaire qui n’avait certainement pas vu
plus de cinq ou six films durant toute son existence mais qui découvrait brusquement, à la fin
de s a vie, s'il était spécialisé en philologie, que le cinéma pouvait être assim ilé’à un langage,
s'il était psych obi oî o g is te, qu'on pouvait le considérer comme un stimulus et étudier scientifi­
quement les réactions du spectateur. N'importe-quelle pellicule pouvait alors servir de matériel
expérimental et aucune connaissance particulière en Histoire ou en esthétique cinématographi­
que n'était requise. Ce qu'il fallait connaître c'était la philologie ou la psychobiologie. Ces
disciplines — et quelques autres peut-être, pourvu qu'elles aient leur chaire en Sorbonne —
allaient enfin montrer aux ignorants que tout ce que l'on avait dit ou écrit jusqu’alors sur le
cinéma — à supposer que l'on sache que quelque chose avait été dit ou écrit — était stricte­
ment sans valeur, en tous cas devait être remis en question jusqu'à ce que les savants aient
apporté leurs conclusions. Nul ne pourrait désormais rien écrire de sérieux sur le cinéma s'il
n'était dûment diplômé de filmologie.
On comprend que le jeune cinéphile qui n'ignorait rien de la succession des diverses
écoles cinématographiques de Lumière à Clouzot, qui ne confondait pas Elia Kazan et Laslo
Benedeck, qui pouvait réciter par cœur le générique du. Jour se lève et la filmographie de
Poudovldne, qui avait lu tous les volumes parus de Sadoul, les éditions anglaises d'Eisenstein,
les textes majeurs de Bazin et qui était abonné aux Cahiers du Cinéma, on comprend, dis-je,
que le jeune cinéphile, devant cette image qu'il se faisait du filmologue, ne pouvait qu'avoir
conscience de s a supériorité. C'est lui qui avait la véritable culture cinématographique et non
ce nouveau venu pédant et ennuyeux, pseudo-savant qui ne prenait même pas la peine de
situer son sujet avant d'aborder l'aspect auquel il désirait consacrer s a recherche. Pascalien,
le cinéphile concluait en opposant l'esprit de finesse* à l'esprit de géométrie.
Mais pour le filmologue, le cinéphile ne pouvait jamais vêtre qu'un amateur. L'homme de
la rue connaît les noms et les rôles des grandes vedettes, le cinéphile y ajoute ceux des réa­
lisateurs, scénaristes et autres techniciens, avec leur apport respectif, ce n'est jam ais qu'une
différence de degré. Il prétend également avoir des idées ou des intuitions sur l'esthétique
cinématographique, idées "ou intuitions a u nom desquelles il classe avep l'arbitraire d'un Souve­
rain Juge, en bons ou m auvais les filins qu'il daigne aller visionner. Dans les ciné-clubs ou les
revues il distribue au profane cette culture qu'il possède é m in e m m ent. S'il se heurte à des
points de vue ou des appréciations divergentes, elles ne peuvent s'expliquer que p ar l'igno-
rance ou la sottise. Il ne soupçonne même pas que ces réactions peuvent avoir un sens qu'il
serait peut-être intéressant de connaître ou des causes qu'on pourrait chercher à déterminer.
H nB peut d'ailleurs pas faire autrement que d'introduire dans ses jugements des notions
psychologiques, sociologiques ou métaphysiques, mais quand ce ne sont pas des lieux communs,
ce sont des paradoxes, et les uns et les autres se formulent volontiers dans un langage hermé­
tique qui permet toutes les imprécisions. Car la rigueur n'est pas son fort. Il ne sent pas poser
un problème, élaborer une méthode, peser des résultats. On ne peut rien en attendre d'autre
que de la littérature.
Car c'était là finalement le nœud de l'incompréhension. Le cinéphile était au filmologue
ce que le littéraire était au scientifique et les meilleures relations entre eux ne pouvaient

57
dépasser la condescendance réciproque. Telle était au moins - la situation, il y au ra bientôt
dix ans, quand M. G. Cohen-Séat posa les premières pierres de l'édifice filmologique. Il
accentua alors volontairement l'aspect sévère de la façade pour donner confiance aux gens
sérieux, ses collègues de I'Université. Un laboratoire n'est pas un lieu de plaisir. Un institut
de filmologie n'est pas un cinéma. Mais il connaissait trop bien d'autre part tous les autres
aspects du problème cinématographique pour ne p a s déjà noter l'impossibilité d 'une recherche
absolument désintéressée et la nécessité d'unir la théorie à la pratique.
Aussi a-t-il voulu que le récent Congrès International de Filmologie qui vient de se tenir
à Paris du 19 au 23 février dernier, réunisse tous ceux qui, à quelque niveau ou sous quelque
angle que ce soit, s'occupent de cinéma. Il y avait des savants bien sûr, physiciens, psycho-
physiologistes, sociologues, psychiatres... mais également des praticiens : éducateurs, critiques,
réalisateurs... Non que la filmologie ait abandonné son orientation strictement scientifique
maie tjn s'est rendu compte que le savant n’a pas à inventer des problèmes à priori. Ils
peuvent lui être naturellement posés p ar les hommes de métier en même temps que des hypo­
thèses à vérifier. Il s'y efforcera grâce aux méthodes propres à la discipline dont il s'occupe,
ert les adaptant bien entendu à leur nouvel objet. Car les chercheurs sont les prem iers à
souligner la nécessité de celte adaptation comme ils sont également les premiers à mettra en
relief les limites et les insuffisances de leurs méthodes et à demander à ce qu'elles soient
vérifiées et corrigées par d'autres... Il est regrettable que la place manque ici pour donner
des exemples de l'intérêt., des travaux en cours et surtout de la conscience et de l'honnêteté
des chercheurs (1). On verrait alors que le filmologue n'est pas nécessairement le monstre
prétentieux et ignare qu'avait quelquefois cru voir le cinéphile, pas plus que ce dernier ne
s'avère aussi inutile à la recherche qu'on l'avait cru tout d'abord, fût-ce dans les domaines
ou il n'y a pas de compétence spéciale. Il en est certains d'ailleurs où les rapports mutuels
peuvent dépasser la simple coexistence pacifique î ceux de l’étude sociologique des contenus
p a t exemple ou ceux de l'analyse esthétique des formes. Il est peut-être regrettable d e ce
dem iér point de vue que le Congrès ait concédé à l'esthétique une place aussi restreinte ;
on craignait sans doute de Sa part je ne sais quel subjectivisme peu scientifique. M. Sôuriau
a pourtant parfaitement montré dans ses nombreuses études que cette discipline disposait
de procédés d'objectivation au moins aussi rigoureux que ceux de la sociologie ou d e la
psychologie. Cinéphiles et filmologues auraient pu y trouver un précieux terrain de rencontre
e t même dans certains cas de ftisîon, s'il est vrai que le * nouvel esprit scientifique »
n'exige nullement une pseudo-indifférence du savant à l'égard de l'objet de sa recherche, mais
au contraire une correspondance et une amitié qui seules lui permettent d 'en d égager le
véritable sens.
Il n'est donc p a s interdit au filmologue d'être également un cinéphile p a s plus q u 'au
diététicien d'être un gastronome. Quant au cinéphile, il dépend de lui de dépasser le roman­
tisme de l'amour aveugle pour chercher à mieux connaître l'objet de sa passion.
A m é d é e AYFRE.

(IV On p o u r r a se r e p o r t e r a u x Actes du Con grès qui p a r a î t r o n t prochainement aux Presses


U n iv e rs ita ire s.

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Analyses fihnographiques —• Essais critiques

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Rédaction-Administration : F .L .E .C .C ., 155, boulevard Haussmann, P aris.(ô 8)


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58
FILMS SORTIS A PARIS DU 2 7 AVRIL AU 31 MAI 1 9 5 5

FILMS FRANÇAIS

Escale à Or?y, film de Jean Dréville, avec Dany Robin, François Périer, Simone Réhant,
Dicter Borsche,_ Micheline Gary, Georges Lannes, Heinz Ruhmann. _— Le scénario est bien
connu des lectrices d ’ « E L L E ». Dréville a fait le maximum.
French Cüncan, film en Technicolor de Jean Rènoiï, avec jean Gabin, Françoise Arnôül,
Maria Félix* Edith Piaf* Dora Dcsll, Gaston Modot, Philippe Clay, Patachou. — Voir la cri­
tique de Bazin dans notre n 01 47.
Pas de coup dur pour Johnny, film de Emile Roussel, avec Armand Mestral, Dominique
Wilms, le petit Johnny, Jean-Jacques Delbo, Julien Carette, Georgette Anys. — Etrange
mélange de série n o ire et de « Veillée des. chaUfriières ». A déconseiller pour to u s le s âges.
A foi de jouer.t. Callaghan! Film de W illy Rozier, avec Tony Wright* Lysiane Rey,
Colette Ripert, Paul Cambo, Gil Delamare, Yorick Royan, Robert Berri, Robert Burnier. —
Du Sbüs-Lfcinmy Caution tourné à peü dé frais de production... et d ’imagination. T ony W right
à beaucoup à apprendre et Eddie Constantine peut dortnir tranquille.
Les Dossier noir, film de A ndré Cayatte, avec Jean-Marc Bory, Nelly Borgèaud, Bernard
Blier, Danièle Delorme, Noël Roquevert, Antoine Èalpêtré, Léa Padovani, Henri Crémieux,
Paul Frankeur. —■ V oir notre compte rendu de Cannés*
Passion de fem m es, film de H. Herwig, avec Nadine Alari, Jean-Pierre Kérien, Micheline
Franceÿ, Paùl Dupuis. — Ce mélodrame assez larmoyant a attendu assez longtemps avant de
sortir. Laissons'lui sa chaiice,
Dix-huit heures d ’escale. film de René Jolîvet, avec Jean-Pierre Aumonlj, Geneviève
Kervine, Georges Marchai, Maria Mauban, Paul Démangé, Jean Muselli. — Amours éphé­
mères dang les brumes du Havre. Le secret de ce genre de film esi perdu depuis un certain...

FILMS AMERICAINS

Marry m e Again {Epousez-moi encore), film de Franck Tashlin, avec Robert Cummings,
Marie Wilsftn. Ray W alker, Mary Costa, less Barker, Lioyd Corrigan. — U n ancien aviateur
ne veut plus épouser sâ fiancée parce qu'elle est devenue riche... maiE c*est une comédie, tout
s’arrangera. Le spectateur s’amuse un peu.
Rails inta Laramiè {Seul contre tous), film_ en Technicolor de Jesse Hibbs, avec John Paÿne,
Mari Blanchard, Dan Duryea, Joyce McKenzie, Barton McLane, Harry Shannon. — W estern.
Correct.
A Star is Born, (Une Etoile est née), film en CinémaScope et en Technicolor de George
Cukor, avec Judy Garland, James Mason, Jack Carson, Charles Bickford, Tom Noonan. —
Voir critique page 40.
Valley of the Kings (La Vallée des rois), film en Eastmancolor de Robert PirosYi, avec
Robert Taylor, Eleàrtor Parker, Carlos Thompson, (Kurt Kaszriar, Victor JÔry. — AmoUr çt
archéologie. Assez enfantin, mais q u ’EIeanar est jolie L
T he Roifal Ajrican R ifles (Complot dans la jungle), film de Lesley Selander, avec Louis
Hayward, Veronica Hurst, Michaël Pate, Angela Greene. — Aventures dans la jungle en
1914. Ça ne vaut pas A frican Q æ e n .
Blaal^ Tuesday {Mardi, ça saignera), film de Hugo Fregonese, avec Edward G. Robinson,
Peter Graves, Jean Parker. — Deux condamnés à mort s’évadent, Un rude film, bien fait,
tragique, efficace.
Appoint m ent in Honduras (Les révoltés de la Claire-Louise), film en Technicolor de
Jacques T o u r n e u r , avec Glenn Ford, A nn Sheridan, Zachary Scott, Jack Elam. — Du feuil­
leton en costume mais de. qualité. Tourneur est un très bon réalisateur. Le coloriage est
charmant,
Prehistoric W om en (Femmes sauvages), film en Eastmancolor de Gregg Pallas, avec
Lorette Luez, A llân Nixon, Mara Lynn, Kerry Vaughna. ■— A l’âge d e pierre des jeunes
filles cherchent des mâles pour continu et la race. T rès divertissant.

59
y

Vera Cruz, 61m en SuperScope et en Technicolor de Robert Aldrich, avec Gary Cooper,
Burt Lancaster, Denise Darcel, César Romero, George Macready, Ernest Borgnine, Santa
Montiel. — V oir critique page 42.-
Suzanne slept here (Suzanne découche), film en Technicolor, de Frank Tashlin, avec Dick
Powell, Debbie Reynolds, A nne Francis, •Alvy Moore, Glenda Farrel. — Si on aim e Debbie
Reynolds — qui est exquise — on aimera cette bleuette décousue, cette « drôle d e gosse » à
la sauce a série B> n.
World for Ransom (Alerte à Singapour), film d e Robert Aldrich, avec Dan D uryea, Gerse
Lockhart, Patrie Knowles, Reginald Denny, Nigel Bruce. — Scénario banal qui n ’empêche
pas Aldrich de prouver une fois de plus son talent, son humour, son sens d u rythme.
Sabre Jet {Les Corsaires de Vespacé), film en couleurs d e Louis King, avec Robert Stack,
Coleen Gray, Richard Arien, Julie Bishop, Léon Adames. — N’épouses: pas un pilote d'avion
à réaction sous peine d e connaître lea angoisses de ceïte héroïne. Sans cloute involontaire,
la terrifiante poésie de l’avion moderne est ici flagrante.
Dragnet (La Police esfi «tir les dénis), films en. Warnercolor d e Jack W ebb , avec Jack
W ebb, A nn Robinson, Ben Alexander, Richard Boone, Stacy Harris. — Drame policier conçu
dans l’optique de la Télévision et réalisé comme tel. Habile vu le peu d e moyens.
T h e Coüntry Girî (Une fille de la province), film d e George Seaton, avec Bing Crosby,
Grâce Kelly, William Holden, Anthony Ross, Gene Reynolds, Jacqueline Fontaine, Eddie
Ryder. —> A Grâce Kelly ce simili Lîmelight valut l’Oscar, Elle le mérite. Fera-t-elle s’inté­
resser à l’histoire les Français que ceftte histoire déroute? Cela dit, c’est d u bon travail et
l’on sent dans l’entreprise des ambitions qui nous échappent. II faut croire aussi fermement
que les Américains au m ythe’ de la réussite pour s’émouvoir d s cette déchéance. U ne très
belle scène entre Grâce Kelly et W illiam Holaen dans un commissariat.
The Magnifiaient Obsession (Le Secref magnifique), film en Technicolor de Douglas Sirk,
avec Jane Wyman, Rock Hudson, Agnes Moorehead, Barbara Rush, Otto K rüger. —; V oir
critique dans notre prochain numéro.
Due? in the Jungle (Du;e7 e/ana la jungle), film en Technicolor de George Marschall, avec
Dana Andrews, Jeanne Crain, David Farrar. — Une enquête dans la jungle. Pa3 tre3 nouveau.
Dana Andrews et Jeanne Crain méritent mieux.
Secret of ihe Incas (Le Secret de3 Incas), fiïm en Technicolor de Terry H opper, avec
Charlton Heston, Nicole Maurey, Thomas Mitchell, Robert Young, Glenda Farrel, Y m a
Sumac. —> Un trésor incas, deux hommes qui le cherchent... ce qui fait du vilain. La distri­
bution est bonne.
t
Black. Widoxa {La Veuve noire), film en CmémaScope et en Technicolor, de N unnaîly
Johnson, avec Ginger Rogers, V an Heflin, Gene Tierney, George RaFt. Peggy A nn Garner,
Reginald Gardiner. — Drame policier original : c’est la victime qui, de la tombe, tend un
piège à son assassin présumé. La mise en scène est habile, rigoureuse et la direction d ’acteurs
de premier ordre.,, acteurs qui sont d ’ailleurs excellents.

FILM ANGLAIS

. Laughing A n n (Tropique dti désir), film en Technicolor (de H erbert W ilcox, avec Mar-
garet Lockwood, W endelï Corey, Forrest Tucker, Ronald,Sinne. — D ’après Conrad, paraît-il...
Malaga (La Rousse m ène Yenquête), film en Technicolor de Richard Sale, avec Maureen
O ’Hara, McDonald Carey, Binnie Barnes. — A part îe jeu de mot d u titre et la beauté de
Maureen O’Hara, cetite histoire de contrebandiers n’appelle aucune réflexion.
ParJz Plaza 605 (Doubla crime â minuit), film de Bernard Knowles, avec Eva Bartok, Tom
Conway, Sidney James. — Histoire policière tout à fait banale,
One: Good Ttîrrx {Plus om esf de fous..,), film de John Paddy Carstairs, avec Norman
iWisdom, Joan Rice, Shirley Abicair, Thora Hird. — Nous sommes fatigués de ces braves
garçons qui veulent offrir des jouets aux enfants» Une des pires tendances du cinéma anglais.

FILM ITALIEN

L a Fille d e Mata Harî, film en Ferraniacolor d e Carminé Gallone et R enzo Merusi, avec
Ludmilla Tcherina, Erno Crisa, Inkîjinoff, Milly Vitale, Frank Latimore, V alentine Tessier. —
11 faut le voir pour y croire. Cette alliance entre le débutant Merusi et le vieux Gallone a
donné d e piètres résultats.

60
Gtouenftf OHa Sbarra (Jaortesse dépravée), film de F . Cerio, avec Massimo Serato, Isa
Barzizza, Délia Scala. — Toujours la jeunesse délinquante. Beaucoup de bons sentiments,
moins de talent dans la réalisation,
Dramma délia Casbah {Le Secret de la Casbah), film, de Edoardo Anton, avec George
Raft, Gianna-Maria Cahale, Massimo Serato, Irène Papas. — Le titre est tout un programme.
Médiocre.

FILM TCHECOSLOVAQUE*

L e Boulanger de VEmpereur, film de Keizerijke Bakker, ^avec Tan Verich. — Le despo­


tisme n e paye pas et le brave boulanger montera sur le trône. Savoureuse comédie histo­
rique où Verich brille dans un double rôle.

FILM BRESILIEN

Naf^ed Amazon. (U A m a zon e nue), film en Eastmancolor d e Zygm unt Sulistrowski, com­
mentaires de Marcel Bljstène. — Exploration au cœur de l’Amazone. Conçu à l'origine comme
film romancé; tout ce qui n ’est pas authentique choque. De bonnes choses mais: l’ensemble
irrite et déçoit.

FILM CHINOIS

Amours de Liang Shan-Po et d& Chu Y ing Tai, film en couleurs de Sang Hu et Huang
Sha, avec les membres de la troupe d ’Opéra Shao Siog et de l ’institut d ’A rt Dramatique. —
Une révélation tout à fait extraordinaire. Sadoul en a déjà parlé ici dans son étude sur le
cinéma chinois (nos 46 et 47), Richer en parle dans ce numéro à propos de Cannes... et nous
y reviendrons.

FILM ESPAGNOL

Marcalino, Pan y Vino {.Marcelin, pain et vin), film d e Ladislao Vajda, avec Pablito
Calvo, Rafaël Rivelles, Antonio Vico, Juan Calvo, José Marco Davo, Adriano Dominguez. —
Un des succès du Festival de Cannes, (Voir dans ce numéro page 17.)

FILM POLONAIS

Piatfya 5 VHicy Barsfcie/ (Les Cinq de la rue Barskçi), film en Aglacolor de Alexander
Ford, avec Aleksandra Slaska, Tadensz Janczar. — Excellent! film du meilleur réalisateur
polonais. Belle mise en scène large, ample, rigoureuse. Excellentes couleurs. Nous y revien­
drons {Il s ’agit des aventures de cinq lascars lâchés dans la Varsovie nouvelle et qui ne com­
prennent pas tout de suite que les temps ont changé ).

RECTIFICATIF

Sh. Clarke, que nous avions étourdiment décliné au masculin lors du


deuxième Festival du Film de Demain à Baie, s’est révélée être en fait
M r s S h i r l e y G l a r k e , , « épouse, mère e t femme )), comme elle le précise
elle-même dans la lettre véhémente qu’elle nous a adressée à la suite du
compte rendu de cette manifestation paru dans le n° ki de ces CAHIERS.
G est avec la meilleure volonté du monde que nous corrigeons ici cette
erreur sur le sexe : il n est donc que d’inverser les signes de l’équation pour
que tombe de lui-même le désobligeant préfixe (homo) qui indigna si fort
notre correspondante. Dont acte. Les lecteurs redresseront deux-mêmes.

61
\

JU IN -S E P T E M B R E
MUSEE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
(Avçnîie du Président-W.üson)

A L'OCCASION DU 125» A N N IV ER SA IRE DE MAREY


E T DU GO" A N N IV ERSA IRE DU CINEMA

EXPOSITION

3 0 0 ANS DE C I N É M A T O G R A P H E
6 0 ANS DE C IN É M A
ORGANISEE PAR LA CfNEMATHEQUE FRANÇAISE ET LA FEDERATION INTERNATIONALE
PES ARCHIVES DU FILM

Ouverture le 16 juin 1955, de 10 il. à 22 h.

C ycle $ e pr o jectio n s ; 35 an s d e m a i s d ’a v an t-g a k d E j 25 a n s de cinéma français


iC hefs-d’ceuvke d u ciném a m u e t

De ju in à septembre, Paris va ab riter u n e m anifestation sans précédent à l'occasion d u


60? anniversaire dp Cinéma, La ville de Paris & m is à la disposition de la Fédération in te rn a ­
tionale des Archives d u FJîm et de la C iném athèque Française les salles d u Musée d'A rï
Moderne de la ville de Paris pour y organiser le prem ière exposition internationale de l’A rt
"Cinématographique des origines &, nos jours.

D ocum ents précieux de tous les musées de Cinéma du. Monde entier : m anuscrits de G riffith,
René Clair, Eisenstein, etc..., m aquettes de décors, de Caligaria, On th e W aterfront, costum es
de Chaplin, William H art, Asta Nielsen, etc... ; affiches d e film s de Dovjenko, Cabiria, p ar­
titio n s d'Erik Satie, Jaubert, Britten, Shostalsovitch, études tïe mise en scène de Stroheim ,
de Ince, Viscontl, H uston, F ritz Lan g ; dessins de Méliës, Emile Cohl, correspondance de
Demeny, Marey, Lumière, Eisenstein, Fudoukine, etc...

D ans le cadre de cette exposition 90 films français retracero n t l’histoire de 25 années de film s
m u ets dç n o tre cinéma. 100 films choisis parm i les grands classiques du m u e t nous perm et­
tro ns de découvrir le passé du ciném a 200 film s d ’avant-garde e t docum entaires y sero n t
projetés à p a rtir d u mois de juillet! La période p arlan te sera égalem ent représentée.

(Le ‘p rogramme des projections paraîtra clans la presse qxtotidienne)

6Z
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HISTOIRE
DE L ’ART
DU

CINÉMA
DE LO U IS LU M IÈRE A LA STRADA
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15e m i l l e
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d'art et de littérature Au sommaire du n° n
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