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omme, des amants
idéo de création
Festival de Montbéliard.
©ksec/Cacm 86

L’Esec est une école


: professionnelle
: de haut niveau. Elle
| opére sa sélection
: dans plus de 70 pays.
: Ses prog
sont soutenus par un
Collége de profes-
: sionnels.
Les étudiants de
lEsec réalisent des
filiis et des video:
Ils sont récompensés
ar des sélections et
les prix internatio-
aux.
’Esec. décerne.un
: César du meilleur film Dipléme validé L'Automobile
international de Cannes : francophone 1985, : par les Universités : Festival d'Angers, Festival
Reportage pour la TV César du meilleur court : de Créteil. ©Bsec/L V 88
i étrangéres.
soviétique. ©Esec 89 métrage
Nominations 85, 86, 87 | LEsec est un dépar-
: tement de l’Acadé-
mie. Internationale...
Une journée des Arts. Elle orga-
Festival de Chicago: ler prix : nise des stages avec
‘estival d'Aix: Grand prix i : des sociétés
Festival de Prades; Grand
: prix. ©Bsec/Aapa 88 | internationales.

Festival Fi
international de Cannes _ des réalisateurs, des
Sélections officielles 84 et 88 | directeurs de pro-
: duction, des techni-
' ciens de l'image, du
son et du montage.
: Chil-Sou et Man-Sou
? Locarno 1990: Prix de la direct: Bact2; Accs sur Festival de Cologne, Festival
Critique, Nantes 1990; Prix dossier: Bac ou niveau bac; de Chicago, Festival d'Aix.
: spécial du Jury. Dipl. Esec 8 date limite d'inscription: ©E£sec/Péroueme 87
troisiéme semaine d'octobre

Trintuxo
: Vidéo de création, Ultima : supérieur libre.
: Ratio/13@me Art.
: ©Esec/Péroueme 90 21 rue de Citeaux
75012 Paris
tél. 1-43 42 43 22
juilletfoat 1991 [ss]
n°446
COURRIER DES LECTEURS ACTUELLES
Distribution : Entretien avec Jean-Marc Bertrix,
par Jean-Frangois Pigoullié
EDITORIAL Billet : America, America, par Thierry Jousse
par Serge ‘Toubiana Court métrage : Cadavre exquis, par Frédéric Strauss
Le cycle de l’eté : Le Japon fait son cinéma
8| Reprises(s) de l’été : Reine d'un jour,
NOUVELLES DU MONDE par Nicolas Saada
Quimper, Strasbourg, Paris : Vent d’Est,
par Amina Danton Pedro Almodovar
Lettre d’ltalie, par Anna Samueli sur le tournage de LETTRE DE NEW YORK
Tacones Lejanos Sex, race and credit cards,
Nouvelles de Budd Boetticher, par Bill Krohn
par Bérénice Reynaud

PORTRAIT
Winona Ryder, par Vincent Ostria CAHIER CRITIQUE
All the Kings Men,
Dieu vomit les tiédes, Akira,
IMAGE DU MOIS Dans la peau d’une blonde, Cherokee,
Olivier Assayas tourne Goutte d’or, Scénes de ménage dans un centre commercial, Sushi,
par Thierry Jousse sushi, Une époque formidable, La Reléve,
New Jack City, Delicatessen,
Les Anges de la nuit, Veraz
L’ETE DES TOURNAGES
PEDRO ALMODOVAR A MADRID HORS SALLES
Madrid-sur-scéne, par Frédéric Strauss Télévision : Le polar psychotrope par Vincent Ostria
Le désir de brilure, par Camille ‘Taboulay Les livres de l’été :
« Devant la recrudescence des vols de sacs 4 main »,
VITALI KANEVSKI par Sylvie P ierre. « Jacques Doillon »; « Une encyclopé-
DE LENINGRAD AU FLEUVE AMOUR die des cinémas de Belgique »; « 50 ans de cinéma
Le foutoir de Kanevski, par Laurent Daniélou américain », par Joél Magny

DAVID CRONENBERG A TORONTO 80 |


Sur les terres de Cronenberg, par Serge Griinberg HOMMAGES
Don Siegel : Feu le roi de l’action,
par Bill Krohn,
GROS PLAN SUR UN ACTEUR Lino Brocka : L’homme de Manille,
Entretien avec Claude Brasseur par Charles ‘Tesson

En pages centrales |
| LE JEU-TEST DE L’ETE |
Etes-vous « Cahiers » ? |
...et le programme, jour par jour, |
des films de « ’Eté des Cahiers» |
| au Palais de Tokyo

DIRECTEUR DE LA REDACTION, Serge ‘loubiana REDACTEUR EN CHEF, Thicrry Jousse SECRETAIRE GENERALE DE LA REDACTION, Claudine Paquot SECRETAIRES DE REDAC-
TION, Jacqueline Mariani, Delphine Pineau COMITE DE REDACTION, Antoine de Baecque, Iannis Katsahnias, J él Magny, Frangois Niney, Nicolas Frédéric Sabouraud, é
Strauss CORRESPONDANT LOS ANGELES, Bill Krohn NEW YORK Bérénice Reynaud Ont collaboré a ce numéro, Amina Danton, Laurence Giavarini, Vincent Ostria, Jean-Frangois
Pigoullié. Camille Taboulay CONCEPTION GRAPHIQUE, aul-Raymond Cohenet Nata Rampazzo MAQUETTE, Nicolas. Tirard PHOTOTHEQUE ICONOGRAPHIE, Catherine réchen ADME
NISTRATION, Didier Costagliola DIRECTEUR LITTERAIRE, Patrice Roller SERVICES GENERAUX, I'lorence |.c Meur RELATIONS AVEC LA PRESSE, Ghislaine J¢gou ABONNEMENTS,
46. 56. 89. 00 DIRECTEUR DE LA PUBLICATION ET GERANT, Serge ‘loubiana
PUBLICITE, GENERIQUES 40.13.00.00 - PAX : 42.33.41.62 Axel Briicker - Christophe Pinguet - Merryl Rouchon assistées de Nadine Duval 10/12, ruc Vauvilliers 75001 Paris

Cahiers du cinéma, 9 passage de la Boule-Blanche 75012 Paris. Tél. : 43.43.92.20. ‘Télécopicur : 43.43.95.04. ‘Telex : 215 092K. Publi€ avec le concours du CNL. Edité par les Editions
de l'Etoile SARL au capital de 367 500, RC PARIS B572 193738. Commission paritaire n° 57650. Dépot légal. ‘Tarif d'abonnement : France - un an 310 francs (TVA 2.1%) 5 ger un an
400 francs. PAO: PRC Flashage: F dit-Press. Photogravure : Fotimprim et Mailing, Imprimé par Maury et RAS, Brochage SAP.
COURRIER

En lisant, en €crivant
@ Vout d’abord merci pour ces 40 ans des jamais présent, fidéle a ses principes. Baecque, plusieurs émissions et quelques
Cahiers du cinéma. Je nm’ habitue, petit a Comme Bresson. Mon plus grand désir articles ont rendu son actualité a la
petit, au nouveau format bien que je est de voir ce Prix Spécial de Cannes ; fondation d’une revue qui semble avoir
Tegrette un peu l’ancien, Je trouve Rivette mérite une diffusion un poids dans l’univers du cinéma. Mais a
également que vous étes avares internationale. [...] part l’extréme et permanente objectivité
informations quant aux tournages ou Je vous envoie un amical bonjour de dun Jacques Siclier ou d’un Louis
projets de films. Un de mes grands Barcelone. Marcorelles, j’ai df constater un manque
plaisirs, dans les volumes de Cahiers Alain Hidoine presque total d’information. On discute,
Jaunes que j’achéte réguliérement, c’est Barcelone bien entendu, entre nous et je me garde
de lire justement que tel réalisateur a tel d’amalgamer les plumitifs improvisés
projet et de savoir que celui-ci ne s’est incapables d’une déduction élémentaire
jamais réalisé. ‘Vous ces films jamais @ Chers Cahiers, ou capables de confondre quelques mois
tournés par Welles, Renoir et tant [...] Je me souviens du numéro du et quelques aunées. Voutefois, en parlant
d'autres font partie d’un monde premier Cahier acheté : 382. En de témoins, sinon @historiens, je dois
imaginaire. Imaginer par exemple ce couverture, Depardieu qui attarde sa main rappeler que j’en suis, et 4 la source, car
qu’aurait pu étre le Don Ouichoue de sur le contour du sein de Blane : Tenue de fondateur avec Jacques Doniol-Valcroze
Welles congu par lui-méme au moment soirée. Mon attachement au film dépassait et André Bazin de cette fameuse revue. Il
idoine est un réel plai [...] Je voudrais le cadre cinéphilique, et simultanément est vrai que je pousse l’outrecuidance
que vous félicitiez chaleureusement pour la seconde fois (la premiére suivit la jusqu’a étre un témoin encore vivant.
Jacques Rivette de ma part. Il mérite, j’en projection d’A nos amours), il me semblait Mais je n’y puis rien.
suis stir, la Palme d’Or. Ila eu le Prix que je pergevais un peu la magie du Premier rappel: i\ doit exister une raison
Spécial du Jury, comme Bresson avec cinéma. Avec le 382, j’entendis parler pour que, malgré l’ordre rituel et courtois,
L Argent. La référence a Bresson n'est pas d'un certain Nanni Moretti qu’Alain mon nom soit a la premiére place dans
gratuite, Rivette est, pour moi, le Philippon hésitait a qualifier de Pénoncé des « rédacteurs-en-chef ».
successeur de Bresson. Cinéaste jusqu’au bufiuelien... et d’une certaine Aurelle J-arrivais avec un petit bagage, entre
bout des doigts, un artiste, un vrai, sans Doazan que Mare Chevrie peignait en autres, d'une Histoire du Cinéma wraduite
concessions, fidéle a ses convictions, a la vierge immaculée. en onze langues (dont le japonais !),
fois tendre et exigeant. Cinq ans aprés, j’achéte mon 443-382 : minuscule, comme disait Sartre, mais
Il a été (et peut-étre le restera-t-il) le 61° Cahier. Je n'ai plus seize ans mais suffisante selon lui pour servir de livre de
vilain canard de la nouvelle vague. vingt et un. Blier remercie la vie, Moretti texte dans le lycée ot il donnait son cours
Beaucoup moins célébre et fété que se fait porter sa serviette et je n’ai pas préparatoire pour ?IDHEC., J’avais aussi
Godard, Chabrol, ‘Truffaut, Rohmer, revu Aurelle depuis LAmoureuse. Vous dirigé la rubrique cinéma (et spectacles) a
Resnais. I] a moins tourné aussi, et voila & quarante ans dans une éniéme Cité-Soir (socialiste) et au Monde Illustré
toujours des films trop longs pour le jeunesse qui repousse bien loin la menace (démocrate-chrétien). Puis, je faisais
business, ou trop compliqués. de la ménopause. partie du jury du Prix Louis-Delluc et
N’empéche, plus de trente ans aprés son Dés que je monte a Paris, je viens vous javais été prés de notre prédécesseur J.-
premier court demander des nouvelles d’Aurelle. G. Auriol. J'avais aussi « subi la contagion
métrage, il est Bon anniversaire du cinéma militant (Bazin dixit) par la
toujours 1a, plus que Christophe Honoré direction du Cinéma d’Essai pendant quatre
Rennes ans». J étais enfin connu pour mon gotit
immodéré de la bonne mise en page et je
l’ai assurée dés le premier numéro, y
Mise au point de Lo Duca compris la maquette de la couverture.
@ Certes, on peut toujours [...] Si Bazin ne nous a rejoints qu’au n° 2,
compter sur les témoins, c'est par son extréme honnéteté
quarante ans aprés. Moins, intellectuelle (incompréhensible
sur les historiens. Surtout aujourd’hui) qui ne voulait pas son nom
si la formation de ces en son absence (hélas ! forcée). Le
derniers, avouée ou dernier des crétins admettra que Doniol
tacite selon leur (la droiture et la bienveillance incarnées)
honnéteté, leur fait et Keigel (notre financier) n’auraient pas
trouver naturelle la laissé passer un tel « oubli » de ma part !
régle stalinienne de Je suis done resté co-rédacteur en chef de
Pomission. 1951 4 1957 (février). Malgré ce que De
Un premier tome Baecque affirme, je n’avais pas encore
dune étude Vheur d’étre spécialisé dans I’érotisme,
considérable (318 issu du premier congrés de Filmologie en
pages, et le tome II est Sorbonne (195 55), au point que je n’ai
attendu) d’Antoine de méme pas participé 4 notre numéro
DES LECTEURS

spécial « L’amour au cinéma ». Je vaquais [...] Les Cahiers se trouvent tout Zarifian et Vincent Pinel (actuel
4 mes occupations professionnelles, et on naturellement impliqués dans les débats responsable de la Cinémathéque), Alain
me doit quelques intertitres des articles du monde des arts mais également dans Bergala qui a contribué a redonner une
les plus féroces de Doniol, de ‘Truffaut et les contradictions sociales qui agitent pertinence aigué aux articles des Cahiers.
de Pierre Kast (avec ce dernier j'ai partagé notre société. Votre fagon de relater la Nous pouvons avoir un sens critique de
une foule de marottes et quelques chronologie pour les années 1969/1974 est notre propre histoire, mais citer Philippe
scénarios...). Dans ma tyrannie de la mise unilatérale comme extérieure, un peu « Pakradouni » de cette fagon-la, reléve
en page, il m’est arrivé de demander... « yvoyeuse » et surtout donneuse de legon. du coup bas et de l’esprit de vengeance a
deux lignes supplémentaires aux auteurs Elle édulcore ce qui a toujours été un des posteriori en utilisant abusivement les
pour « caler » plus facilement une page ! traits fondamentaux de la revue, cette pouvot que vous confére votre « statut ».

Second rappel: ily a aussi Vaffaire de la confrontation, cette complicité, sans Si je peux sourire a la relecture de l'article
« rupture », consommée six ans aprés. confondre les réles ; 4 savoir que l’équipe paru dans les Cahiers, auquel jai participé
Notre confrére Georges Sadoul — nous rédactionnelle avait un projet et un avec lui et d’autres, a l’époque de votre
avions été cooptés ensemble au Prix engagement pratique avec la réalisation « reprise personnelle » de la revue, je
Louis-Delluc — venait d’écrire une méme de films (écriture et/ou mise en reste persuadé que, comme pourrait le
étrange et inénarrable histoire du cinéma scéne). Cette liaison directe avec le dire L.-F. Céline :
espagnol, inénarrable jusqu’a un certain cinéma, ces initiatives culturelles envers « Vous étes FAUX ! »
point, car j’y avais glané — moi, non- le public ont donné aux Cahiers une place Il appartient aux Cahiers d’exister encore
spécialiste — de quoi remplir 16 pages particuliére. longtemps... au-dela de l’épisode des
serrées de corrections. Sadoul exigeait [eel Ecrire comme vous le faites que hommes qui les dirigent.
une contre-mise-au-point et les Cahiers l'ensemble de l’équipe est passée en Jespére qu’ils ne deviennent pas
seraient devenus illisibles. On y renonga, masse chez les maoistes est simpliste ! Les seulement une « affaire ».
non sans aigreur de ma part. D’autant que points de vue n’étaient pas homogénes. Que nos souvenirs n’effacent en rien la
javais été ulcéré par les réactions de Quelles différences entre vous mémoire.
Sadoul 4 une dénonciation que je venais « honorable représentant de Libération » Joél Lopes
de faire : une publication officielle et Oudart, Comolli ou Narboni. Votre Pontault-Combault
@URSS accusait le surréalisme d’avoir été amalgame est facile et irrespectueux.
une émanation de la Gestapo (sic) ! Ce qui m’effraie le plus dans votre La chronologie en question est signée
L’énormité et l’ignominie de la chose chronologie, c’est le cété honteux de votre A. de Baecque et T. Jousse. Sauf a croire a
n’avaient pas révulsé sa cellule, ton et donc sentencieux sur cette période, la thése du complot, je n’en suis donc pas
I’« omerta » aidant. Et pourtant Sadoul surtout lorsque vous vous assimilez a un Vauteur. Mais je vous réponds volontiers.
n’avait pas été étranger au surréalisme a « commissaire » qui désigne le coupable : Vous n’avez raison que sur un point : toute
l'époque ot il était libre. « Les Cahiers maos se sont adjoints les V'équipe des Cahiers n'est pas « passée en
[...] Je prie MM. les Nécrologues de services d’un militant professionnel, masse chez les maoistes », comme
service de bien vouloir, en son temps, se Philippe Pakradouni. C’est la période la l'écrivent de maniére abusive mes deux
souvenir de cette note. plus noire d’une revue en pleine crise, qui amis. Syivie Pierre vivait alors au Brésil ;
J.-M. Lo Duca parait de plus en plus irréguliérement ; les sans doute aurait-elle été plus vigilante
temps sont durs ». que nous, pour éviter a la revue cette
J.-M. Lo Duca met en cause le travail de Récrire histoire ainsi, c’est le fait de dérive « maoiste ». Pascal Kané résistait
Dudley Andrew (sa biographie d’André celui qui se croit vainqueur et qui efface des quatre fers mais il était isolé.
Bazin) auquel je me suis frequemment les témoins génants sur les photos. [...] Heureusement, il lisait Roland Barthes, ce
référé. Il est vrai que I’historien du cinéma En fait c’est tout simplement un manque qui le consolait... Vous prenez la défense
américain le traite s¢vérement, rejetant sur de considération pour les personnes qui de la mémoire de Philippe Pakradouni.
Lo Duca l’oubli du nom de Bazin parmi les pendant ces années ont contribué C’est votre droit. Pour moi, il incarne une
co-rédacteurs en chef fondateurs du également au rayonnement de la revue, a période sinistre (au sens littéral du mot), la
numéro historique d’avril 1951, puis parlant élargir le cercle des lecteurs, 4 devenir un plus triste de I'histoire des Cahiers.
de « quelques mois » a propos de sa outil pratique et théorique, a étre un Rassurez-vous, je n'ai aucune envie
participation aux Cahiers. En fait, Lo Duca exemple pour accéder au cinéma. d’effacer les temoins génants des photos.
écrit dans la revue jusqu’a l’automne 1954. J’en veux pour preuve ceux qui ont D’ailleurs, a cette triste époque, il n’y avait
Cependant, sans voler au secours participé a mettre sur pied « les plus de photos dans la revue !
d’Andrew, il reste a mesurer l’influence rencontres non-professionnelles du Vous parlez de ma « reprise en mains ». Ce
réelle du journaliste sur la ligne de la cinéma », les premiéres au Havre, fut plus compliqué, et heureusement plus
rédaction... Merci en tous les cas 4 Lo Duca les secondes a Strasbourg. collectif. Je profite de ma réponse pour
pour ces précisions méthodiques. A. de B. J’en veux pour preuve tous les ciné-clubs, citer au passage tous ceux qui ont relancé
tous les ateliers de réalisation qui cette revue, vers 74-75 : Daney (first),
suivaient attentivement les débuts de Bonitzer, Le Péron, Daniéle Dubroux,
@ Monsieur Serge ‘Voubiana, la revue. Bergala, Thérése Giraud, Kané, Narboni,
Le 40 anniversaire des Cahiers par-dela J’en veux pour preuve bien sir ces Skorecki, Oudart...
les festivités, réjouissances qui rencontres 4 Avignon, mais également Rebatir les Cahiers fut une entreprise plus
accompagneront cet événement, est a avec les réalisateurs engagés sur ces vivante, plus douloureuse aussi, et surtout
l’évidence un signe matériel, au sens questions. plus complexe que vous semblez le croire.
historique, que la revue existe bien. Cette période a permis des rencontres qui ll est vrai qu’avec les stéréotypes
Je tiens l’existence méme des Cahiers ont été utiles au développement des socio-culturels et politiques que vous
comme une réalité importante sur le activités cinématographiques, mais au énoncez, votre « histoire » ne vous méne
champ culturel qu’est le cinéma. pour la revue ; que ce soit Christian pas loin... S.T.

Cahiers du cinéma n°446 5 |


EDITORIAL

L’ été des tournages

& par Serge ‘Voubiana

Cv du hasard ou coup de chance : trois cinéastes qui nous importent étaient en tour-
nage au moment de confectionner le sommaire de ce numéro d’été. Pedro Almodo-
var, le Madriléne bien connu, David Cronenberg, qui vit et travaille 4 Toronto, et Vitali
Kanevski, qui réalise son second film en URSS, entre Leningrad et l’Asie centrale.
‘lrois reportages importants sur ces tournages constituent ainsi le corps d’un numéro
quil est recommandé d’emporter sur les plages comme a la montagne. Mais, si vous
n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, encore moins la ville, et que vous
ne voulez pas aller vous faire foutre, il vous reste a le lire ot: que vous soyez, bien calé
dans votre fauteuil.

Imodovar a fait de Madrid son studio. C’est ce qu’a vérifié notre ami Frédéric
Strauss en se rendant sur place ot il a pu aisément constater que |’« Almodovar’s
touch » n’est pas un vain mot. A travers magazines, livres, émissions de télévision,
affiches publicitaires, le cinéma d’Almodovyar, avec son style bariolé
> Toronto-Leningrad, en = &t touche-a-tout, diffuse a travers toute la ville. Cela excéde le ciné-
ma car cela reléve d’un mode de vie. Ce qui nous intéresse avant tout
passant par Madrid, ces que le cinéaste espagnol, loin d’étre grisé par le succés interna-
tional de ses derniers films et sa notoriété désormais acquise, conti-
trois tournages, Cronen- nue de travailler au milieu de sa troupe. C’est-a-dire a sa fagon. Il
berg, Kanevski, Almodo- tournait en juin-juillet son nouveau film, Zacones Lejanos. Son frére
produit (a travers leur maison de production « El Deseo » : cela veut
var, trois reportages qui tout dire), ses actrices fétiches l’entourent, et ses techniciens l’aident
a obtenir le meilleur de lui-méme. Almodovar, ¢’est un micro-systé-
renouent avec une cer- me de cinéma madriléne, directement branché sur les grandes villes
taine idée du journalis-
du monde entier. Voila ce qu’a réussi 4 mettre en place P.A., relayé
financiérement par une importante et toute récente société de pro-
me cinématographique. duction frangaise. Devinez laquelle ? Celle de Francis Bouygues en
personne: Ciby 2000. Allez savoir pourquoi le roi du béton s’intéres-
se a un cinéaste qui, @ priori, n’a rien a voir avec l’univers culturel de TF 1. Encore
que... Il y a chez Almodovar une telle énergie 4 retourner ou a dynamiter les formes
populaires de « culture » — type jeux, feuilletons, pubs — qu’on se dit que peut-étre,
F. Bouygues a cru reconnaitre en cet étrange lutin espagnol un adepte du « prime-
time » a la francaise. Aprés tout, tant mieux si de tels malentendus existent...

g Cahiers du cinéma n°446


EDITORIAL

avid Cronenberg devait en partie tourner Le Festin nu 4 Tanger — si la guerre du


Golfe n’était venue contrecarrer son projet — produit par Jeremy ‘Thomas. Grace a
un sens de l’organisation impeccable, le tournage
s’est enti¢rement déroulé a ‘Toronto, ville-fétiche du
cinéaste canadien le plus célébre aujourd’hui, dont
les studios ont permis de reconstruire un ‘Tanger fac-
tice mais parait-il trés convaincant, et quelques
décors new-yorkais dans le pur style années 50.
Naked Lunch est sans conteste le film le plus ambi-
ticux du plus doué des cinéastes nord-américains de
la nouvelle génération. D’abord et surtout parce
qu’il s’agit de adaptation d’un livre-phare des
années 60, écrit par un auteur génialement tapageur,

MIMMOCATTARINICH
William Burroughs. Modeste, je me permets de
m’effacer devant un ami « spécialiste ». En effet, il
devait arriver 4 Serge Griinberg ce qui lui est arrivé.
Journaliste, écrivain, également grand traducteur
devant |’éternel des articles américains de notre cor-
respondant Bill Krohn, il est non seulement un
admirateur de Burroughs, qu’il connait en personne,
mais également un fan de l’ceuvre de Cronenberg. II
devait se jeter a l’eau. C’est fait. Nous publions son
premier article écrit pour les Cahiers. Le bougre a
fait long mais l’enjeu en valait la chandelle. Et son
compte rendu de tournage est formidable (c’est mon
avis, il est de mon devoir d’en avertir le lecteur),
parce que bourré d’informations et, grace a un sens
inné de l’anticipation, son auteur nous donne déja
une idée de ce que sera le nouveau film étrange de

FABIAN/SYGMA
David Cronenberg.

ro ! Vitali Kanevski ne sera pas l"homme d’un


seul, mais génial film, Bouge pas, meurs et ressuscl-
ze. 1] tournait en effet, en juin et juillet et depuis déja
de longues semaines, son second : Une vie indépen-
dante. Laurent Daniélou, notre correspondant en
URSS (meilleur informateur pour tout ce qui touche
au cinéma soviétique actuel) a visité le tournage a
Leningrad, ot se situe une grande partie de ce film
qui se déroule 4 la méme époque que le précédent :
les années 50. Les personnages, sauf Galia qui est
morte, ont grandi. Ils découvrent l'amour dans une
Russie dévastée, quasi moyenageuse. Comme le dit
la légende, Kanevski fait tout sur son plateau, et son
comportement a tout du tyran. Ce que confirment
les images vues lors de la derniére émission de
« Cinéma, cinémas ». Vitali Kanevski a une telle
@ Almodovar,
ardeur a retrouver les conditions mémes de son
5 i ‘ as ia . si Cronenberg,
enfance, qu’il en martyrise tout son entourage. Intrépide, Philippe Godeau, jeune pro- _anevski,
ducteur et distributeur (Pan-Européenne) est le partenaire frangais de cette coproduc- en tournage
tion attendue.

Voila de quoi vous mettre en appétit pour ce numéro d’été, qui renoue avec une certai-
ne idée du journalisme cinématographique : curiosité et exigence, information et analy-
se. Bonnes vacances !

Cahiers du cinéma n°446


Exact), Sail DIE STORY

Vent d’Est, force 6 a 7, mer belle son cinéma qui défie le


temps. On a revu Chronique
morave, de Vojtesch Jasny et
Cérémonie funebre, de Zdenek
& par Amina Danton. Sirovy, deux classiques parmi
les « films du trésor », tournés
STRASBOURG. Le festival en 1968, qui ont enfin trouvé
> La France traversée par les cinémas
proposait donc, outre une chacun un distributeur en
rétrospective consacrée 4 Rai- de l’Est. De Strasbourg a Quimper en France. Vies pri LES, film
ner Werner Fassbinder et cou- inquiet et rigoureux, aura-t-il
ronnée de succés, (35 films passant par Paris, les films gardent la méme chance ?
réunis grace au travail opinia- Frangoise Gros et Daniel
toute leur puissance méme si les
tre d’Eugéne Andréanszky), Coche nous proposaient une
une ouverture vers I’Est (du cinéastes expriment de vives inquie- rétrospective consacrée a
Rhin a /’Oural), avec d ix films Karpo Godina, cinéaste you-
en compétition. Dusan tudes pour l’avenir. goslave (pour ne pas dire slo-
Hanak, l’un des membres de véne) qui fait aussi la lumiére
la nouvelle vague tchécoslo- et le montage de ses films.
vaque, était venu négocier la Strasbourg, en festival pion-
coproduction de son prochain nier, lui a donné le Grand Prix
long métrage Tére de papiers en 1984 pour Le Boogie rouge
dont lé tournage a commencé (1982). Un cinéaste pour
le premier mai a Prague et lequel la musique et la pein-
présenter son dernier film, ture jouent un rdle fondamen-
Vies privées (prix du Jury a tal, comme des moteurs agis-
Strasbourg). Un film qui sant le rythme et le contenu
déjoue la frontiére entre des plans, leur donnant cet
documentaire et fiction en élan vital qui peut se passer
révélant un sens de la mesure de toute sensiblerie et ne gar-
et de la distance (on pense a der que le nerf du sujet : sa
VLADO VAVREK

Dreyer pour la fluidité des reconstitution des « happe-


plans es coulés les uns dans nings dadaistes » dans Le
les autres) qui permet d’en- Radeau de la Méduse (1980) en
trer sans forcer dans l’intério- 8 Vies privées de Dusan Hanak. Yougoslavie dans les années
rité des personnages. La lim- 20 laisse une impression de
pidité et intelligence de formes prises par J’intériorisa- victime de ses idées sur lui-méme. vérité : dés les premiéres
lémotion s’imposent alors tion de la terreur. Hanak A un rythme tres rapide qwil ne images on s’installe dans le
comme des qualités sensibles, explore le versant privé,au peut bientot plus maitriser, il vit film comme si on y était, et on
dans un espace stylisé par la travers de la relation entre alternativement des sentiments de y reste, sidéré par cette
lumiére qui supprime la vio- deux demi-sceurs, l’exil en grandeur et de dépre jon. » Il maniére propre 4 Godina de
lence des couleurs. Hanak a soi-méme qui rend difficile la témoigne aussi a travers Mar- saisir les élans de jeunesse, le
choisi le cinéma pour rester possession de sa propre iden- tin — un écrivain qui choisit voyage, l'amour, la solitude ou
proche de la vie, (il est allé fil- tité, compte tenu des idées de résister A la censure, dont la mort, avec I’énergie puis-
mer les personnages de son qu’on se fait de soi et des ses livres sont l’objet — de sante, sobre et stire de son
documentaire /mages du vieux autres ; le narcissisme étant a ses conditions d’existence et geste : « Je souhaite atteindre un
monde, sorti en 1972, aprés ses yeux une forme d’oppres- de travail en tant que cinéaste stade ot l’émotion est si intense
avoir vu leurs visages sur les sion qui entrave la liberté de pris dans un régime fondé sur quelle ne peut plus étre exprimée,
photographies de Martincek). homme civilisé : « Dans Vies la terreur abstraite d’une seu- quelle devient réflexion. Jessaie
Dans Vies privées, il a cherché privées, je parle du theme du le norme, d'une seule vérité, de faire passer des idées claires
4 explorer le probléme de la sme, Cest une maladie de d’un seul sens. Dans le film sans fioritures ou “remplissa-
pression idéologique qui la société civilisée, symptomatique Martin se tue en voiture mais ge” avec des sentiments, Je les éli-
déchire les personnes en dune organisation de Pisolement on est heureux de constater a mine expres ». « Détruire la net-
deux. II faut donc aller loin, qui existe sous un régime totali- quel point Hanak, qui n’a pu reté par la netteté » écrivait
au-dedans des tres, pour taire. L’homme, qui est narcis- tourner que cing films en Bazin a propos de ‘Tati. C’est
s’approcher de cette scission Sique, Ne peut pas t fore authenti- trente ans, est resté rattaché a aussi la haute et musicale pré-
forcée entre vie privée/ Guement Ses SENTIMENTS OU Si Joies Pacuité d’un regard posé sur cision du systéme de Godina,
publique qui est l'une des intérieures, i est prisonnier et Vhomme, le grand sujet de qui concrétise l’abstraction de

8 | Cahiers du cinéma n°446,


DRE Sit OsR

themes par le pective. En tant EAST SIDE STORY. Le


biais de lellipse et que conseiller cinéma L’Entrepét, dans le
du hors-champ. A technique, Gyérgy cadre d’un long panora-
ce titre, la fin du Fehér a sans doute mique étalé sur un an (avril
Boogie rouge est un considérablement 1991-1992), devient une
morceau d’antho- influencé le noir et terre d'accueil du cinéma de
JEAN-LOUP MANCEAU

logie. blanc et la mise en neuf pays de I’Est. L’occa-


QUIMPER. Les scene du jeune sion est belle d’en finir
journées hongroises metteur en scéne peut-étre avec des a priori
des 9° rencontres Bela Tarr dans négatifs, de bousculer pré-
jugeés et idées recues
Art et Cinéma se WCrépuscule de Gyérgy Féher. Perdition (1987),
sont ouvertes avec un film fondé sur concernant un cinéma trés
Dieu marche & reculons, \e der- le corps des spectateurs. C’est la lenteur et l’austérité des vaste, fait de films trés
nier film de Miklos Jancso, une enquéte sur la mort d’une travellings latéraux ou des divers. Préjugés souvent
qui a jeté un froid dans le petite fille qui sert de fil plans fixes. Raréfaction du liés a une opposition
public venu nombreux dans la conducteur au film, La trans- mouvement 1a aussi qui archaique entre I’Est et
salle du Chapiteau rouge. Pas- position sur le plan métapho- emplit espace (une ville l'Ouest. Le gris sévére
sons vite sur cette vision rique lui donne toute sa pui miniére Jessivée par la pluie, serait d’un céteé, I’arc-en-ciel
mégalomaniaque et didac- sance. Il s’agit pour un poli- enfoncéé dans la boue) d’un de l'autre. Beaucoup de
tique de retournements et cier de rechercher le sens et temps ouvert qui n’a ni début, cinéastes de I’Est sont,
détournements politiques auteur du crime dans un ni fin. Clest un cri qui se fait outre d’excellents techni-
plus ou moins fictifs en Hon- paysage de montagne et de entendre, celui d’un homme ciens (dans la lignée de
grie, traitée selon des stéréo- foréts envahi par la pluie. Le aux abois, tué par sa lucidité, Polanski), des cadreurs et
types narratifs archi-usés, (par gris de image rend bien et prét j tout pour se faire des monteurs hors pair
introduction d’écrans de télé- Vépaisseur sale du monde, a aimer d’une femme qui chan- c’est-a-dire capables de
vision dans l’écran du ciné- Vintérieur duquel la recher- te au bar Titanic, la téte incli- donner de I’épaisseur, de
ma). Jancso est devenu un che de la vérité se fraie un née surjun chambranle de lVintensité, et la netteté,
donneur de legon trés lourd et long chemin, dessiné par les porte, « tout est fini... vérité du temps réel a des
mép: sant 4 l’égard du specta- mouvements trés lents de la Une rétrospectiveae cinéma histoires, soutenus en cela
teur. Ses mouvements circu- caméra et rendu sensible par muet hongrois et un pano- par une pléiade d’acteurs,
laires de caméra (Silence et cri, le plan séquence (le film est rama des films produits par le actrices qui savent vivre et
1967) ont perdu leur raison fait de quarante-quatre plans Studio Bela Balazs (fondé en composer leurs réles. Une
d’étre (s’ils en ont jamais eu) séquence trés construits, 1959 & Budapest par des ci- rétrospective a lieu cet été
et la relation sadomasochiste jouant sur la latéralité, mais néastes) battaient leur plein sur les grands noms (ou
entre victimes et bourreaux aussi sur le mouvement parallélement au colloque sur étoiles) de l'Est. Ne crai-
s’est durcie, ne montrant plus ascendant ou descendant). la lumiére congu par Fabrice gnez pas d’étre englouti par
qu'un radotage et une gesti- Rarement forme et sens, Revault d’Allones (qui la vague estivale. Elle sou-
culation insensés dans un uni- durée, vitesse et grosseur des publié La Lumiere au cinéma, léve a profusion un grand
vers carcéral traversé (évi- plans auront-ils été soudés par aux éditions des Cahiers du désir de cinéma (les pre-
demment !) par la nudité et dans une coexistence si Cinéma). Lidée était bonne miers films de Skolimovski,
pseudo-allégorique d’une radicale et organique. Une dinviter a la parole les Wajda, Has, Zulawski, Kus-
jeune femme. Mais trés vite telle science du rythme et du hommes de l'image (certains turica, Parajdanov, Chyti-
on retrouve la lumiére, l’émo- son, jointe a une profonde d’entre eux faisaient montre lova, et bien d’autres...) et
tion et la chronique du temps. tendresse pour chaque per- d'une vocation certaine de donne a réfléchir. Suite
Le Hongrois Gyérgy Fehér sonnage, font de ce film un metteur en scéne), mais a sera donnée a East Side
nous donne avee Crépuscule voyage dans le dedans-dehors souffert dans l'ensemble d’un Story, au fil des prochains
(1990) (déja projeté au festival de homme, a lheure indis- manque de cadrage et de numéros. Bon vent a
de Strasbourg, ot il a rem- tincte d’un crépuscule. Dés direction. = VEntrepét.
porté le Grand Prix) un pre- que la durée ou la fixité dun
mier long métrage a couper le plan risque de provoquer une
souffle, un film dont le saturation chez le spectateur,
cinéma réve depuis long- a la seconde prés, une voix,
temps (depuis Rossellini ou
‘Tarkovski). Il capte et il mai-
un geste, une goutte de pluie
sur le pare-brise dune voiture
AIP Ay
trise du temps « a l'état pur »,
tant et si bien qu'il en arrive a
toucher la vérité du cinéma et
viennent infléchir le rythme a
Vintérieur du plan (du
et ouvrir une nouvelle pers-
sens) Paris SES ke
Cahiers du cinéma n°446 9 |
Lakeee = XCAe Lal E BREVES

La commeédia non é finita GEORGE LUCAS va mettre


en scéne les trois prochains
films de la saga Star Wars.
L’action y sera située

> Le cinéma italien, reprend des avec Fellini La Voce della Luna, chronologiquement avant
est revenu pour la septiéme celle des épisodes déja
couleurs, celles de la vie, celles de la fois, 4 son personnage légen- connus. Lucas s’est donné
comédie néo-néo-réaliste. daire : le comptable Fantozzi, entre cing et sept ans pour
incarnation grotesque et venir a bout de cette
Histoires de rire. hyperbolique de l'employé de nouvelle aventure.
bureau petit bourgeois. La
Avec pas moins de trois Ours metteur en scéne. Cette ten- véritable surprise de la saison a SPIELBERG, qui termine
récoltés au festival de Berlin dance, apparue au début des été le film que Villagio a inter- Hook, son Peter Pan
par Ferreri, Bellocchio et années 80, a débouché, aprés prété aux cdtés de Renato Poz- moderne, enchainera sur
‘Tognazzi, sans compter une de longues années d’hégémo- zetto, Le Comiche (Les séries Cross my Heart, le remake
nomination a V’Oscar du nie romaine, sur une redécou- comiques) de Neri Parenti, qui a de La Fracture du myocarde
meilleur film étranger pour A verte des dialectes locaux et été accueilli triomphalement qui, distribué outre-
Porte Aperte de Gianni Amelio, des identités culturelles régio- par le public : quinze milliards Atlantique par MK2 USA, a
le cinéma italien peut étre fier nales. de lires de recettes et dix-sept été trés bien accueilli par
de lui. A Vinstar de la veine Les ‘Toscans par exemple sont ble s furieux d’avoir trouvé la presse. Spielberg
néo-réaliste qui trouve parmi les plus nombreux et les portes closes. Villagio et Poz- passera ensuite a Jurassic
aujourd’hui un second souffle, plus originaux avec pour chef zetto, deux personnages volon- Park, un film de science-
la comédie 4 Vitalienne donne de file Roberto Benigni qui, tairement privés didentité, se fiction ot les dinosaures
aussi de multiples exemples aprés Le Petit Diable, a décidé livrent, avec des dialogues d’un parc d’attraction se
de vitalité. I] faut voir la un de s’accorder une période de réduits 4 leur plus simple rebellent, et 4 une nouvelle
exemple complexe de la silence et de réflexion. Un expression, a une réinterpréta- version des aventures
continuité d’un genre qui, exemple qu’imite Francesco tion joyeuse et originale des de Zorro.
nourri de influence améri- Nuti, acteur rude et lunaire, gags les plus classiques du
ce ine, a donné naissance aux passé derriére la caméra aprés cinéma muet.Autant que BARRY LEVINSON va diriger
seules oeuvres capables, sur le quelques films charmants diri- lhommage rendu aux vieilles une mini-série sur le
marché italien, de battre en gés par Maurizio Ponzi. séries comiques, c’est le fondateur de CBS pour
bréche ’hégémonie des films ‘Toujours du cété de Vironie rythme de Le Comiche, repro- HBO, chaine cablée
d’outre-Atlantique. mordante made in Toscane, duisant consciemment ou non américaine. D’autres
L’hiver dernier a vu le triom- Benvenuti in casa Gort, pre- les schémas du zapping télévi- metteurs en scéne le
phe de Vacanze di Natale 90 de miére comédie d’Alessandro suel, qui explique le tri mphe suivent sur le méme
Enrico Oldoini. En mettant en Benvenuti, célébre acteur de dun film fondé sur la rapidité chemin : pour une série
scéne les vices et les travers théatre et qui fait figure de et le refus de toute forme basée sur des nouvelles
les plus grotesques d’un révélation de l’année. Le dengagement. Le Comiche fait d’auteurs célébres, Mike
groupe de nouveaux riches Napolitain Massimo ‘Troisi a en quelque sorte l’effet d’un Figgis tournera avec Scott
dans une station de ski a la renoncé depuis un certain avertissement lancé aux Glen et Juliette Binoche
mode, il s’approprie la critique temps a réaliser ses propres auteurs italiens qui s’obstinent d’aprés une histoire de
de moeurs caractérisant la films pour travailler sous la a chercher dans le pass s de Henry Miller. Gale Ann Hurd
comédie a litalienne de la direction d’Ettore Scola qui leur cinéma national une force (la productrice de Abyss)
grande époque, substituant a lui a confié le réle de Scapin et une originalité que ne pos- fait, quant a elle, ses
Vimpitoyable sarcasme social dans son Capitaine Fracasse. séde guére pour l’instant que débuts derriére la caméra
de ces années-la un regard iro- Le parcours d’un Carlo Verdone le seul Nanni Moretti. avec Lovecraft, un film
nique et complaisant porté est plus complexe : ultime Anna Samueli. fantastique pour HBO.
sur les yuppies 4 Vitalienne. tenant du comique déchainé a la
Le fait d’accorderaux acteurs romaine, cet auteur-réalisateur
la primauté est une des régles est passé des sketches hila-
du genre. Il suffit de songer rants de ses premiers films au
aux fameux « mattatori » ton a la fois calme et amer de
(mélange de m/’as-tu-vu et de
tueur...). Ceux d’aujourd’hui
occupent une position privilé-
son récent succés : Sfasera in
casa di Alice. Le représentant
par excellence du comique a
FIP Ally
giée au point d’absorber les
fonctions de scénariste et de
Vitalienne demeure Paolo Vil-
lagio qui, aprés avoir tourné
| Paris SEBS kHz

Cahiers du cinéma n°446


UVELLES DU MO

BREVES

pour HBO, chaine cablée film musical serait pour


américaine. D’autres les années 90 ce que le
metteurs en scéne le film d’action fut pour les
suivent sur le méme années 80 : un genre plus
chemin : pour une série que rentable. Il a aussité6t
basée sur des nouvelles engage le chorégraphe de
d’auteurs célébres, Mike Dirty Dancing, Kenny
Figgis tournera avec Ortega, pour travailler sur
Scott Glen et Juliette Newsies, histoire d’un
Binoche d’aprés une groupe de jeunes turcs
histoire de Henry Miller. qui, a la fin du siécle
Gale Ann Hurd (la dernier, se battent contre
productrice de Abyss) les magnats de Ia presse
@ La Fracture du myocarde fait, quant a elle, ses et gagnent.
débuts derriére la caméra
SPIELBERG, Rocket, un de ses plus avec Lovecraft, un film KEVIN REYNOLDS,
qui termine Hook, son vieux scénarios dont le fantastique pour HBO. le réalisateur de La Bére de
Peter Pan moderne, héros est un nain. Le film guerre et du Robin des Bois
enchainera sur Cross my est produit par Francis DANIEL BERGMAN, interprété par Kevin Costner
Heart, le remake de La Bouygues (Ciby 2000) qui le fils d’ Ingmar, vient de faire devrait diriger Julia Roberts
Fracture du myocarde qui, vient de signer avec ses débuts dans la mise en dans Renegade, un western
distribué outre-Atlantique Lynch un contrat de 60 scéne avec un film intitulé tant histoire d’une
par MK2 USA, a été trés millions de dollars pour L’Enfant du dimanche dont son métisse Peau rouge qui
bien accueilli par la trois films pére a signé le scénario. braque les banques pour
presse. Spielberg passera enrichir les Indiens : le
ensuite 4 Jurassic Park, RON HOWARD JEFFRY KATZENBERG, chainon manquant entre deux
un film de science-fiction qui fait un malheur avec le directeur des studios succes, Danse avec les loups et
ou les dinosaures d’un Backdraft au box-office améri- Disney, a prédit que le Robin des Bois.
parc d’attraction se cain et vient juste de termi-
rebellent, et a une ner un nouveau film (Far and
nouvelle version des Away, une épopée roman-

DIGNE-LES-BAINS
aventures tique avec Tom Cruise et
de Zorro. Nicole Kidman) va produire
(via la société qu’il dirige,

17 - 21 JUILLET 1991
JEFFRY KATZENBERG, Imagine Films) Szreet Racer, le
le directeur des studios Dis- prochain film d’action de
ney, a prédir que le film Mario Van Peebles, réalisa-

4 CINE D'ETE
musical serait pour les années teur de New-Jack City.
90 ce que le film d’action fut
pour les années 80: un genre GEORGE LUCAS
plus que rentable. Il a aussi- va mettre en scéne les
tot engagé le chorégraphe de trois prochains films de la
Dirty Dancing, Kenny Ortega, saga Star Wars. L’action y

LES MONDES DE
pour travailler sur Newsies, sera située
Phistoire d’un groupe de chronologiquement avant
jeunes tures qui, a la fin du celle des épisodes déja
siécle dernier, se battent connus. Lucas s’est

MICHEL LEGRAND
contre les magnats de la donné entre cing et sept
presse et gagnent. ans pour venir a bout de
cette nouvelle aventure.
TWIN PEAKS
s’est mal vendu a KATHERYN
V’étranger : aucun nouvel BIGELOW Avec le concours de :
épisode ne sera donc (Blue Steel), dont le nouveau e La Ville de DIGNE-LES-BAINS,
tourné. Mais un projet de film, Point Break sortira en e le Conseil Général des Alpes de Haute-Provence,
long métrage, inspiré de septembre, envisage de tour- e le Conseil Régional Provence Alpes Céte d'Azur,
la série, est a l'étude ner une vie de Jeanne d’Arc
e le Centre National de la Cinématographie.
pour lequel David Lynch avec, dans le réle-titre, la
et son producteur, Mark chanteuse Sinead O’Connor. RENSEIGNEMENTS
Frost, feront a nouveau
Rencontres Cinématographiques de Digne-les-Bains
équipe. D’ici la, le BARRY LEVINSON
et des Alpes de Haute-Provence
réalisateur de Sailor et va diriger une mini-série
Lula aura tourné Ronnie sur le fondateur de CBS Tél. 92.32.29.33

Cahiers du cinéma n°446


We
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HIS TOUR E D’ARRUZA

Nouvelles de Budd Boetticher


ondu sur lintérieur d’une die cet environnement claus- miére mouture de son scéna- Le tandem Reynolds-Boetti-
prison 4 Mexico City. La trophobique ; soudain il se rio, en est a l’élaboration du cher sést formé il y 2
caméra s’avance et ter- tourne vers la caméra. C’est plan qu'il compte suivre quelques mois, quand Rey-
mine sur le gros plan d’un rat Bradley Benton, un_ bel quand il commencera le tour- nolds lut le livre que Boetti-
bien nourri qui détale dans un homme d’aspect un peu rude, nage de I’histoire tumultueuse cher a consacré aux années-
couloir ténébreux. Panora- d’une quarantaine d’années. des années qu’il a « perdues » Arruza — When in Disgrace.
mique sur une silhouette en On entend sa voix séche et au Mexique en faisant Avruza, Burt Reynolds est pourtant un
manches de chemise qu’on ironique : « Je me demande ce mais lorsque, dans un an, la aficionado de longue date ;
pousse dans le champ, suivie que Randolph Scott aurait fait caméra filmera ce projet-tou- lors de leur premiére ren-
par deux flics mexicains dont dans cette situation... ». Les afi- jours-sans-titre, deux autres contre, il luia dit: « Je connais
Vhaleine exhale de la buée cionados Wauront aucun mal a « B » auront ajouté leur talent plus dhistoires sur Budd Boetti-
dans lair froid de Vaprés- reconnaitre, sous le pseudo- a cette expérience inédite cher que vous ! » Cavalier émé-
midi; sa nouvelle demeure : nyme, le héros et auteur-réali- d’autobiographie cinématogra- rite, il aura donc l’occasion de
une cellule minuscule illumi- sateur du film : Budd Boetti- phique : Burt Kennedy, le scé- montrer sa valeur en jouant le
née par une seule fenétre, a cher, créateur de The Rise and nariste des meilleurs westerns role de Boetticher, torero
trois métres de haut ; il n’y a Fall of Legs Diamond et de de Scott, sans étre cité parfois gringo & cheval, qui devint un
rien pour s’asseoir ; exacte- Pimmortelle série de westerns au générique (toujours en col- grand cinéaste et quitta Holly-
ment au centre de la piéce, un avec Randolph Scott, connue laboration avec celui qu’on ne wood pour f: ire un film sur
trou répugnant pour satisfaire sous le nom de « cycle cite jamais : Boetticher lui- Carlos Arruza, le plus grand
ses besoins. La caméra reste Ranown ». Boetticher, qui m’a méme), et la star du film, qui matador mexicain ; le film
sur le dos du nouveau locataire donné la permission de citer en est également le produc- couvre la période qui suivit la
de la cellule tandis qu’il étu- quelques passages de la pre- teur : Burt Reynolds. retraite d’Arruza, lorsqu’il

Notre hétel ne fera rien pour


démystifier Los Angeles, ville de toutes les fantaisies.

PLUMAGE, BOB MACKIE. LIEU, THE REGENT

AUCKLAND BANGKOK BEVERLY HILLS. CHICAGO. FIJI. HONG KONE


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j12| Cahiers du cinéma n°446


TB ie Ae UE ae a
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soos ; oe. == —UMmUmMUMh
_ ee eS ee ee

S T Os ReE DesAR RUZ A

retourna a l’ar¢ne comme 7¢/o-


neador, torero a cheval.
L’amour que Reynolds porte
aux chevaux, sans parler de
Vesprit ironique qu'il infuse
dans tous ses réles, font de lui
le héros idéal du western boet-
ticherien. Le cinéaste et la star
feront équipe a nouveau dans
deux ans pour le premier wes-
tern de Boetticher depuis A
Time for Dying — un conte
comique sur les cowboys qui
s’exhibaient en Europe 4 la fin
du XIx* siécle, A Horse for Mr.
Barnum.
I penchant de Boetticher et 4 votre serviteur qu’il allait ainsi que son second livre de récit dans lequel son incarcé-
pour l’autobiographie ne produire le film. Depuis, tous mémoires, Where Are the Ele- ration dans un pénitentier
devrait pas constituer une sur- les projets de Boetticher ont phants ? Mais ce livre étrange mexicain est loin d’étre l’épi-
prise pour les lecteurs des été centrés sur l’autobiogra- devra sans doute attendre sode le plus noir. Le tournage
Cahiers qui ont été les pre- phie le livre sur Arruza, le quelques années avant de est prévu pour le printemps
miers 4 apprendre que le réali- semi-documentaire My King- paraitre, maintenant que Boet- 1992, au Mexique.m
sateur comptait faire un film dom for, qui traitait de l’éle- ticher se remet au travail sur le
sur le cauchemar d’Arruza dés vage de chevaux dont il récit du plus grand désastre (et Bill Krohn
1982, quand Peter Bogdano- s’occupait avec sa femme du plus grand triomphe) de traduit de Vaméricain
vich déclara 4 Olivier Assayas Mary, a Ramona, Californie, son existence aventureuse — par Serge Griinberg

Le Regent Beverly Wilshire est


si grandiose qu’il dépasse tout ce
que l’on peut imaginer. Le
méme pourrait étre dit de
certains de nos hétes.

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Cahiers du cinéma n°446


PORTRAIT

14) Cahiers du cinéma n°446


PORTRAIT

Winona Ryder
& par Vincent Ostria

ette fréle jeune fille aux traits déli- pas pratiquement pas payée : « J'ai fait
Cc. qui n’a pas tout a fait vingt ans, plusieurs films sans étre payée parce quils
est le contraire d’un sex-symbol. Et pour- me plaisaient vraiment. ».
tant, c’est l’actrice la plus 4o¢ du moment Winona Ryder refuse d’étre une star —
aux Etats-Unis. Jusqu’a Edward Scisso- ce qu’elle n’est naturellement pas — et,
rhands elle est passée un peu inapergue, c f rares sONt ses @ Winona Ryder 4 travers son approche des rdles et le choix de ses films,
films parvenus en France. Et puis on ne la reconnait pas en blonde, on décéle une attitude de cinéphile. Elle tourne en
forcément. Un vrai caméléon... C’est la meilleure (sans et Johnny Depp priorité avec des cinéastes qu'elle admire, comme ‘Tim
doute la seule) actrice de composition de sa génération. dans Edward Burton, et aussi Jim Jarmusch, sur lequel elle ne tarit
Punk suicidaire dans Beetlejuice, elle devient la dulcinée Scissorhands. pas d’éloges. Sa participation au dernier film du réalisa-
éthérée d’Edward, ou l’épouse trés teenager du rocker teur de Down by Law (« mon film préféré ») est sa
Jerry Lee Lewis dans Great Balls of Fire ou dans Mer- « meilleure expérience » Vitre provisoire de ce film a épi-
maids, banale, sa mise est stricte et classique. Brune, rous- sodes Rome, L.A. Helsinki. « 11 n’y a pas @intrigue
se, blonde ? Son apparence physique varie constamment. proprement dite, mais surtout des personnages... Ele emmeée-
Premier réle a treize ans (dans Lucas, film inédit), co: ne A l’aéroport Gena Rowlands, comédienne que Wino-
quence de sa fréquentation d’un cours d’art dramatiqt na admire particuli¢rement, tout comme John Cassa-
Entourée par une famille attentive (des parents écri- vetes, un de ses cinéastes favoris. « J'ai commencé tres
vains, amis des papes du mouvement hippie) Winona Jeune, avec ma mere, avoir les films de Gassavetes, bien avant
Ryder acquiert, tot, un sens des responsabilités, inhabi- de comprendre quoi que ce soit aux problemes des adultes,
tuel 4 son age et un discernement artistique certain : Mais je me sentais tres proche des personnages, j'avais
« Péais déja tres difficile, tres jeune, ce qui fait que je wai pas Vimpression @étre avec eux dans la méme piece. »
a rougir aujourd'hui de ce que jai tourné ily a des années. Je Une question sur sa non-participation au Parrain 3 nous
nai jamais fait de films dont les scénarios ne me convain- améne a €évoquer son prochain film : « Je tourne avec
quaient pas ». Des ses débuts, les réles qui VPattiraient le Francis Coppola cet 4 dans Dracula, ce qui prouve qwil n’y
plus étaient ceux qui différaient radicalement de sa per- a pas de brouille entre nous a cause de mon role manqué dans
sonnalité et de son expérience, comme dans Square Le Parrain 3 » Dracula ? Encore un Dracula ! « Ce west
Dance (1987, inédit), de Daniel Petrie : « Je venais Cun pas un film de plus sur les vampires, mais une adaptation du
milieu archi-libéral de San Francisco, avec des parents intel- roman originel (de Bram Stocker). C'est tout a fait diffé-
lectuels, et je jouais le réle d'une fille bigote du Texas, tres rent ! » Winona semble trés motivée par le contexte
refoulée, naive, a lopposé de ce que j Eas ». socio-historique du roman : « Ca se passe au XIX®, en
Un des réles qui I’a le plus marquée est celui de Hea- Angleterre, dans un climat d oppression sociale. Je suis une
thers (sortie le 31 juillet, sous le titre de Matal Games), maitresse d’école anglaise, ce qui va me demander de prendre
comédie noire de Michael Lehmann, qui lui a collé une un accent, de me tenir d'une maniere tres particuliere... »
image de fille bizarre et un peu morbide aux Etats-Unis. La fiancée de Dracula ! Aprés avoir été celle d’ Edward-
« On ma beaucoup critiquée pour Vavoir fait. Les meres de Frankenstein ? L’actrice versatile serait-elle en train de
Jamille américaines ont protesté contre le film parce qu'il parle se spécialiser, mine de rien, dans la veine macabre et
de crimes dans un lycée. Mais idée du film Gait justement de gothique ? Message 4 ‘Tim Burton : Priére de faire tour-
faire une satire des films pour adolescents, sur le suicide, qui ner Winona Ryder dans une version filmée de Blanche-
donnent presque envie de se suicider a son tour...» Elle a Neige, ce qui vous conviendrait idéalement a tous les
tourné ce film contre l’avis de ses agents et en n’étant deux. Suggestion sérieuse. RSVP. =

Cahiers du cinéma n°446


IMAGE DU MOIS

& par Thierry Jousse

outte d'or,
c'est le titre du dernier
film d’Olivier Assayas,
son troisiéme apres
Désordre et L'Enfant de
l'hiver. Chiffre trois
encore puisque Adrien
(Thomas Langmann),
Louise (Judith Godreche)
et Clément (Jean-Pierre
Léaud) sont les trois cétés
d'un triangle équilatéral et
sentimental tracé en plein coeur du Paris
d'aujourd'hui. Chiffre trois toujours pour un
chassé-croisé de générations avec, au centre,
un metteur en scene déja mar. Ici, un soir de
tournage, dans ce décor nocturne de graffitis et de
16) Cahiers du cinéma n°446
IMAGE DU MOIS

ISABELLE WEINGARTEN/SYGMA

squatt, Judith Godreche, métamorphosée,


Thomas Langmann, attentif, Olivier Assayas,
réveur, entre deux scénes, respirent le présent.
Ils attendent. Nous aussi. Et nous comptons sur
vous a la rentrée. Promis,juré.
Gahiers du cinéma n°446 /17|
TRAVERSES

Almodovar :

! Pedro Almodovar, en habit d’Arlequin, avec Marisa Paredes


lf That’s entertainment

18} Cahiers du cinéma n°-46


ALMODOVAR EN TOURNAGE

ndes de choc
dd... de cinéaste
qu'Almodovar.
D'abord, il fut taxé de
post-moderne et
d'auteur a la mode. Puis,
de film en film, on se
rendit a l'évidence : ce
lutin plus latin que
nature avait d'autres
tours dans son sac.
Aujourd'hui, nous
sommes allés rendre
visite a l'exubérant
Ibérique sur le tournage
de son dernier film,
Tacones Lejanos.
L'occasion était donc
trouvée pour revisiter
sentimentalement la
trajectoire toute
personnelle du brdalant
Madriléne. Portrait d'un
indépendant fétichiste.

Cahiers du cinéma n°446 19)


TRAVERSES

EL DESE9
TACONES LEJANOS
P ALMDOOVAR
MIMMO CATTARINICH

@ Speakerines de choc : Victoria Abril et Myriam Dias Aroca.

Madrid-sur-scene
& par Frédéric Strauss

MADRID, le métro: bien plus rigolo que celui de Paris, sur les affiches bariolées de nouvelles comédies espa-
on y croise des jeunes filles qui ont du chien, look pop gnoles qui essaient désespérément de prendre en
rock aux couleurs vives en baskets ou talons hauts. Pas marche ce train du suc lancé, depuis dix ans, a tra-
de doute, la chica madriléne est une vraie « Almodovar’s vers l’air du temps. Le visage malicieux du cinéaste-
girl» qui, fire d’avoir inspiré le cinéaste espagnol le symbole de la movida ait, de plus, en ce mois de juin, la
plus célébre du monde, s’amuse visiblement beaucoup couverture de La Esfera, un nouveau magazine culturel
4 vivre désormais sous son influence esthétique déca- bien en vue dans tous les kiosques, et, dans les librai-
pante. Arrivé 4 l’hétel, je me remets de ce choc visuel ries, on trouve la réédition de son livre, Paty Diphusa,
en regardant la télé. Canal + Espagne est la copie parfai- confessions d’une star internationale du roman-photo
te de Canal + France et la 5 (qui, ici, a gardé son ancien porno qui ne dort jamais, expérimente toutes les joies
logo) ressemble a la 5 avec, toutefois, une tendance au du sexe, court les discotheques et les galeries d’art et
délire plus sympathique. Ainsi a Vip Corazon, le jeu dif- réfléchit ainsi, 4 sa maniére, sur la condition humaine.
fusé en début de soirée, on peut empocher quelques Almodovar est partout. Mais s’il est déja une légende,
milliers de pesetas en répondant par vrai ou faux aux elle est bien vivante et vit, encore simple et quotidien-
affirmations de (petites) célébrités nationales parmi les- ne, semble-t-il, au rythme de la capitale espagnole.
quelles, ce soir-la, une certaine Dofia Clota, travesti Jen ai dailleurs la preuve, dés le lendemain, en me ren-
grassouillet d’un age respectable, trépignant sous son dant a la maison de production d’Almodovar, El Deseo
chignon piqué de fleurs, comme Julieta Serrano sous ses (le Désir), pour y rencontrer son frére et producteur,
chapeaux Courréges sixties dans Femmes au bord de la Agustin (qui a fait quelques apparitions dans les films
crise de nerfs. Et, dans les rues de Madrid, c’est encore de son ainé, agent immobilier dans Femmes au bord de la
une copie de I’ «Almodovar’s touch» que l’on retrouve crise de nerfs, pharmacien dans Attache-moi!). C’est au

j20) Cahiers du cinéma n°446


ALMODOVAR TOURNAGE

coeur du quartier extrémement populaire des grandes quaient pas forcément une alliance professionnelle si
arénes de Madrid qu’un taxi me dépose, dans une petite efficace. «// y a plusieurs facons de rentrer dans cette profes-
rue tout a fait quelconque, devant un immeuble noirci sion, pour nous ce fut par les liens du sang, dit Agustin. Mon
qui ressemble 4 une HLM des années 50 et sur lequel Srere est trop indépendant et trop soucieux de sa liberté pour
on cherche en vain la plaque dorée tristement chic du aimer travailler avec des producteurs qui fonctionnent sur des
producteur. «/ci comme en France, les producteurs ont en relations de pouvoir. J apporte l'argent mais je ne suis pas le
général leurs bureaux dans des quartiers plus riches, me dit chef et je wWimpose rien a Pedro. Je lis les scénarios qwil
Agustin Almodovar. Nous, nous aimons cet endroit populai- mapporte, nous en discutons, parfois il me demande de me
re, tres vivant, ol personne ne se prend pour ce qu'il nest pas. documenter sur les réactions quest supposé avoir un person-
C'est dans notre nature et, pour Pedro, cest tres important nage qui a une profession particuliére, et, quand il me raconte
@étre en contact avec les gens de la rue. Il s'intéresse @ ce qui Te film qu il veut faire, Cest un moment d’émotion qui me
arrive a la secrétaire ou a la concierge, il se nourrit de ga, Cest transporte vraiment car Pedro est un grand conteur. IT sait
sa facgon de vivre». tourner de facon tres visuelle mais il est aussi tres littéraire et
ses dialogues, qui sont souvent en langage quotidiens, sont tou-
SUR LES MURS jaune paille et vert d’eau des bureaux jours écrits avec Enormément de soin. Il n’y a pas de hiérarchie
de El Deseo, les affiches espagnoles, frangaises, alle- ict. Sil y avait un producteur, ce serait Pedro. Je suis produc-
mandes, américaines ou japonaises des films d’Almodo- teur extcutif et, au générique des films, le producteur cest E1
var et, sur des étagéres discrétes, la somme impression- Deseo. C’est-a-dire aussi, au sens littéral, que c'est le désir,
nante des trophées internationaux du cinéaste. physique, intellectuel, créatif, qui est le moteur de tout pour
L’ensemble rappelle les décors joyeux de ses films mais nous », Cette recette familiale du succés est trop person-
ce n’est évidemment pas ici qu’a commencé l’aventure nelle pour pouvoir étre reproduite et Agustin Almodovar
des deux fréres venus de La Mancha (un coin ne craint donc pas les imitations. «J'ai vu, au Marché du
d’Espagne déja rendu célébre par Cervantés et son Don film de Cannes, une comédie calculée pour avoir Pair détre
Quichotte), comme le raconte Agustin. «Je suis arrivé a une suite de Femmes au bord de la crise de nerfs mais ce
Madrid juste apres mon bac, en 1972. Pedro était dja la. n était pas sincere, ni ressenti de facon vitale. C'est exactement
C était encore Vépoque de Franco et ma chance a #é de pou- le contraire de ce que fait Pedro et ca ne marche pas. Il y a
voir Gvoluer, grace a Pedro, dans des cercles underground tres quelques mois, des producteurs mexicains ont offert a Pedro un
Jermés ott circulaient des livres, des disques, toute une culture scénario que Bunuel avait écrit sans pouvoir le tourner. Nous
qui ait interdite ici. Pedro est tres tendre et généreux et, sans avons dabord cru a un canular mais il s'agissait bien Pun
vouloir me dicter ma conduite, il a toujours &é un frére pro- scénario original. Pedro a refusé de le tourner car il ne pou-
tecteur pour moi. Pendant que je faisais mes études de chimie a vait s'approprier sans trucages, ni mensonges un univers qui
Luniversité, Pedro travaillait aux PTT espagnols et, dans ses wappartient qua Bunuel et a sa mise en scene». Plus @un
moments de liberté, écrivait des histoires, faisait des romans- réalisateur espagnol aimerait, aujourd hui, travailler avec
photos et commencait a tourner des courts métrages en Super 8 EI Deseo, et parmi tous les scénarios qui leur arrivent,
avec une caméra prétee par des amis. Nous les projetions avec plutét qu’une comédie dans le genre de la maison,
un appareil prété, dans des appartements prétés, et personne Agustin et Pedro Almodovar ont choisi de produire le
ne croyait que cela pourrait un jour aboutir a un vrai projet premier film de jeunes francs-tireurs qui ont écrit une
de cinéma. Fin 1978, Pedro s'est lancé dans le tournage de son histoire de science-fiction violente. Le film sera en pré-
premier long métrage, Pepi, Luci, Bom et autres filles du paration en novembre prochain, juste aprés la sortie de
quartier, /out en continuant a travailler aux PTT. Quand le Tacones Lejanos dont Almodovar terminera le tournage
Jilm est sorti, en 1980, ce fut un énorme scandale mais, dans en juillet. L’activité du El] Deseo ne cesse de se déve-
les milieux intellectuels et artistiques, ce fut un succes et le début lopper. Question de désir, bien sir, mais aussi de
dune reconnaissance. Pedro a alors travaillé pendant plu- moyens. Avec le temps du succés est arrivé, pour Almo-
sieurs années avec des producteurs qui voulaient lui faire tour- dovar, celui de budgets plus confortables. Tacones Leja-
ner des petites comédies traditionnelles ou lui imposer des nos est la premiere coproduction de E] Deseo : Ciby
actrices. Il n’avait pas avec eux une relation heureuse. De mon 2000 (la société de Francis Bouygues) est entrée a la
coté, je me morfondais dans une école ott je donnais des cours hauteur de 30 pour 100 environ dans le financement du
et, le moment venu, j'ai préféré accepter un poste de coursier film. Une progression qui, pour Agustin, ne confond pas
sur le tournage de Matador. J'ai ainsi pu avoir quelques sa logique avec celle de la surenchére gratuite et du
contacts avec les gens derriére la caméra et cela sest tres bien coup d’éclat. «Je veux protéger Pedro financiérement et lui
passé. Un an apres, sans méme en avoir les moyens, nous permettre de travailler comme il Tentend. Comme nous en
avons décidé avec Pedro de créer El Deseo. J'ai ainsi eu la avons les moyens, Pedro peut tourner dans la continuité, en
carriere de producteur la plus rapide du cinéma espagnol! ». suivant la progression de ses personnages. C'est pour lui une
Le premier film produit par El] Deseo (de fagon trés question de raccord émotionnel. Cela cotite cher: le budget de
artisanale et avec la plupart des salaires en participation) ‘Tacones Lejanos est de 450 millions de pesetas (soit un peu
sera, symboliquement, La Loi du déir. La chance sourit plus de 25 MF), le double dun film standard espagnol. Mais
aux deux fréres audacieux: sélectionné au festival de Vimportant, pour moi, est que Pedro soit content». Véxifica-
Berlin, le film y remporte un vrai succés et se vend un tion le soir-méme: sur le tournage de son nouveau film,
peu partout dans le monde. Ayant fait ses armes de pro- Almodovar n’a pas l’air au bord de la crise de nerfs, un
ducteur, et sur des bases financiéres plus solides, bien peu préoccupé seulement, mais heureux.
qu’encore insuffisantes, Agustin enchaine avec Femmes
au bord de la crise de nerfs dont le triomphe marque la PALAIS DE JUSTICE DE MADRID. Je traverse le grand
consécration définitive de El Deseo et de l’association hall ob est installée la cantine du tournage puis emprun-
des fréres Almodovar, unis par des liens affectifs te un long couloir triste avant d’arriver dans I’anti-
intenses qui, dans la vie, sautent aux yeux, mais n’impli- chambre grise d’un bureau austére. Au moment oi, per-

Cahiers du cinéma n°446


TR AVERSES

plexe face a ce décor d’un réalisme terne, je commence


a me demander si je ne me suis pas trompé de tournage,
japercois enfin trois femmes dont l’élégance spectacu-
laire porte l'authentique griffe Almodovar: une blonde
B Jeu de
platine en chemisier rouge sang, une petite brune en miroirs : la mére
tailleur chanelissime rose shocking et la troisiémé, aux et Ia fille
cheveux chatains, en mini-short et caraco vert électrique (Marisa Paredes
trés prés du corps. Ce sont les trois héroines de 7acones et Victoria Abril)
Lejanos. Par ordre d’apparition: Becky Del Paramo admirent la
(Marisa Paredes, actrice de théatre, elle avait un petit réplique de la
role dans Dans Jes ténébres), une célébre chanteuse des mére sur
années 60 qui, dixit le sysnopsis d’Almodovar, «@ eu Vaffiche de son
presque autant de maris que de disques dor». Quinze ans spectacle.
aprés avoir quitté l’Espagne, sacrifiant tout 4 sa vie de
star, elle revient 4 Madrid pour y donner un show et
retrouver sa fille, Rebecca (Victoria Abril. Almodovar,
qui tenait 4 marquer une rupture avec le personnage
qu'elle jouait dans Avache-moi! \ui afait couper les che-
veux. Ga lui va trés bien). Sans le savoir, Rebecca a
épousé un ancien amant de sa mére, Manuel (Féodor
Atkine), directeur de la chatne de télé ott elle présente
le journal du soir, Elle ignore aussi que Manuel a une
maitresse, Isabel (Myriam Dias Aroca) qui a tout fait
pour obtenir de lui un poste important a la télé mais doit
se contenter de traduire les infos de Rebecca dans la
langue des signes des sourds et muets. (C’est le seul
cadeau que Manuel pouvait lui faire car il n’aime que
son corps). Si les trois femmes sont réunies, ce jour-la,
au Palais de justice dans le bureau du juge Dominguez
(Miguel Bosé), c’est parce que Manuel vient d’étre
assassiné et que chacune a été en contact avec lui le jour
de sa mort. En pleine séquence d’interrogatoire, Almo-
dovar m’accueille chaleureusement. Nous nous étions
rencontrés pour la premiére fois il y a plus d’un an au
festival de Berlin, ot il présentait Avache-moi ! et, apres
MIMMO CATTARINICH

m/avoir rassuré (ce décor est, en fait, la seule note bana-


lement réaliste de 7acones Lejanos, tout le reste est au
moins aussi haut en couleurs que les costumes de ses
actrices), il me demande mon avis sur les deux films de
Cannes qu’il meurt d’envie de voir, celui de Rivette,
d’abord, et celui des fréres Coen. A mon tour, sachant sait devant sa chambre et s loignait dans le couloir pour aller
quwil accorde beaucoup d’importance aux titres de ses se coucher. Cest Paspect dramatique du titre. A un niveau
films, je Vinterroge sur la signification de ce Tacones plus réaliste, ce titre est en relation avec ma propre enfance,
Lejanos qui, traduit littéralement, donne en frangais un mais de fagon inversée: ma mére nous disait quelle ne pouvait
Talons lointains assez mystérieux. «Je suis tres content de ce dormir quapres avoir entendu nos pas devant sa chambre.
titre car il signifie plusieurs choses pour moi. Cela me rappelle Elle nous savait alors en sécurité a la maison. Cest la rfé-
@abord un western d’Anthony Mann dont le titre espagnol rence vitale du titre». \ntraduisible donc, Tacones Lejanos
éait’Vambores Lejanos (‘Vambours lointains). Le western est devenu High Heels (Hauts Talons, tout simplement)
est un de mes genres favoris, mais je ne me sens malheureuse- pour la publicité qui annongait le début de son tournage
ment pas capable d’en tourner un, en particulier a cause du dans Variety et sur laquelle Almodovar pose, seul, en
nype décriture que cela demande. Si j avais réalisé un western, talons aiguilles.
cela aurait Gé un western plus féminin que masculin, comme
Johnny Guitar. En accentuant un peu cette référence, on peut AVANT LA PRISE, Almodovar relit la scéne avec ses
dire que Vacones Lejanos est un duel entre deux femmes, une actrices. Sur l’exemplaire de travail de son scénario, des
mere et sa fille, et cela m’amuse que le souvenir de Johnny ratures, des ébauches de story-board et des dialogues
Guitar soit ainsi, d'une certaine maniére, présent dans mon écrits a la main témoignent qu’il ne s’agit pas la d’une
Film. Vacones Lejanos est aussi un titre qui Goque la chan- simple répétition d’orchestre mais, véritablement, d’un
son populaire et sentimentale espagnole, le rapprochement de échange propice a |’émulation, et de la phase ultime
ces deux mots ala musicalité dun titre de boléro ou de tango. d'une création encore en pleine ébullition. Pour Pierre-
A un niveau plus profond, les talons sont le symbole de Louis ‘Thevenet, le décorateur du film (frangais, rési-
Vangoisse principale du personnage que joue Victoria : Vabsen- dent espagnol) qu’Almodovar a choisi aprés avoir vu son
ce de la mere. Cest une fille qui, depuis ce jour de son enfance travail sur Ze Mad Monkey de Fernando ‘Vrueba, ce work
ou sa mere Va abandonnée, prend des somniferes pour dormir in progress est «une invention perpétuelle et passionnante.
car, quand elle était petite, elle ne pouvait trouver le sommeil Pedro travaille nuit et jour, ce qui peut étre un inconvénient
avant d'avoir entendu le bruit des talons de sa mére qui pas- car, en Vespace de six mois, depuis que nous sommes allés en

22] Cahiers du cinéma n°446


ALMODOVAR TOURNAGE

> Tacones Lejanos,


cela rappelle d’abord
Tambores Lejanos
(Tambours lointains
d’Anthony Mann) et,
a un niveau plus
profond, c’est
l’angoisse d’une fille
qui, petite, ne
pouvait trouver le
sommeil avant
d’avoir entendu le
bruit des talons de
sa mére dans le
couloir.

repérages ensemble, il a écrit trois versions de son scénario et tl dant la prise, qu’il écoute en compagnie de sa scripte
faut s'adapter a ses nouvelles idées au fur et a mesure. C'est avec un casque portatif. C’est au tour de Myriam Dias
un tres grand décorateur, il s’occupe de tous les détails on Aroca d’expliquer au juge ce qu’elle faisait avec Manuel
passe énormément de temps a faire des échantillons de couleur quelques heures avant sa mort: l'amour. Almodovar a
pour tout, des murs aux accessoires, il m’apprend beaucoup de découvert cette ravissante créature a la télé espagnole
choses ». Le temps que consacre Almodovar a enrichir ot elle anime le méme genre d’idioties que notre Doro-
encore et encore sa mise en scéne est rattrapé par sa thée nationale. Mais Almodovar parvient a tirer des mer-
rapidité d’exécution finale: aprés avoir lancé le fameux veilles de son homologue ibérique. Non sans mal, visi-
«Motor, Accion!» , il dépasse rarement quatre ou cing blement, mais avec une passion si généreuse et si
prises. Avec treize semaines de travail, la durée du tour- encourageante que Myriam Dias Aroca, qui doit
nage de Tacones Lejanos reste, malgré tout, supérieure a reprendre plusieurs fois sa réplique, est de plus en plus
la moyenne, le respect de la chronologie narrative se convaincante, transformée, au lieu de perdre confiance
jouant en effet davantage dans le détail (d’un plan a en elle-méme. Aprés la prise, le metteur en scéne regar-
autre) qu’au niveau d’un suivi global (certains blocs de de le plan tourné sur le moniteur vidéo avec son actrice,
histoire situés aprés l’épisode du Palais de justice ont arrétant l'image sur les passages oli son jeu peut encore
ainsi déja été tournés). Cela signifie, par exemple, pour étre amélioré, mimant pour elle Pattitude qu'il veut
cette scéne d’interrogatoire, qu’Almodovar ne tourne donner 4 son personnage dans ces intants pré is. C’est
pas d’affilée tous les champs puis tous les contre- une superbe legon d’art dramatique. La caméra tourne a
champs, mais passe alternativement d’un axe a l'autre, nouveau. Soudain, ceux qui écoutent la scéne ave leurs
en suivant la progression du dialogue. Dans un espace si casques éclatent de rire et tous les autres se précipitent
réduit, les manipulations techniques (caméra, lumiére, pour voir ce qui se passe sur l’écran vidéo. Pas grand-
décor) qu’implique cette méthode prennent nécessaire- chose, en vérité: Myriam Dias Aroca, en gros plan,
ment du temps. Sur un écran de contréle vidéo instal raconte son aprés-midi avec Manuel. Mais, cette fois,
lextérieur du bureau, Almodovar regarde la mise en elle a parfaitement restitué ce qu’Almodovar lui avait
place du plan et, assez souvent, reste a cette place pen- indiqué, une maniére bien particuliére de dire «Amor»

Cahiersdu cinéma n°446 23]


TRAVERSES

du bout des lévres. La scéne est, du coup, 4 mourir de toujours a la liberté de Vindividu mais je sais combien la
rire. A force d’affinement, la diction donne tout son drogue peut étre dangereuse et, si fen parle dans mes films, ce
relief 4 un dialogue qui n’a donc pas besoin de souligner nest plus avec la méme allégresse. Je vis plus retiré, et mes
artificiellement ses effets. C’est 1a, a ’évidence, un des idées me viennent maintenant beaucoup plus de ce que jai en
enjeux essentiels du travail d’Almodovar. « Pour moi, la moi-méme. Ma fagon de voir le monde est de plus en plus
voix représente 50 pour 100 de Vinterprétation. C'est parfois conditionnée par cette espece de star system ot le succes m’a
une obsession qui peut sembler excessive mais quand les acteurs conduit. Je n’aime pas que la réalité me parvienne a travers ce
acceptent Caller au bout de ce travail, ils sont toujours tres Jiltre déformant car jen perds forcément certains éléments.
contents. Je ne sais, et Cest dammage, construire des gags phy- Mon inspiration est donc plus en relation avec ma vie person-
siques, tout le comique réside donc, pour moi, dans la diction. nelle mais fespere que la réalité espagnole reste quand méme
Les critiques remarquent davantage la place de la caméra présente dans mes films». C’est sans nul doute a cette évo-
avec, en téte, cette fameuse idée selon laquelle il y a Enormément lution que l’on doit Attache-moi! 4 ce jour le film le plus
@endroits on la placer mais une seule maniére juste de le faire. secret, le plus profondément a vif et le plus beau
Je crois qwil y en a plus @une. Par contre, sil y a cent fagons d’Almodovar. La valeur intimement émotive que le
de dire une phrase, une seule, selon ce que l'on veut exprimer, cinéaste rattache au titre de son nouveau film dit assez
sera la bonne. De film en film, Carmen Maura était peu a peu que, sous des apparences d’insouciante comédie,
devenue experte dans cet art de la diction. Victoria est dans Tacones Lejanos sera aussi une exploration douloureuse
cette lignée. Elle a beaucoup souffert sur Attache-moi! carje de l’Ame. La séquence qu’Almodovar me montre le len-
la torturats tout le temps avec mes exigences de phrasé mats, demain sur sa table de montage (il y travaille tous les
aujourd hui, elle n'a plus peur de cet exercice. I1 est tres impor- jours avant ou aprés le tournage) est un succulent avant-
tant pour moi que les acteurs parviennent a modeler leur dic- goat de ce mélange détonant. Rebecca y emméne sa
tion tout en restant naturels, surtout pour les scenes drama- mére et (contre son gré) son mari dans une boite de nuit
liques qui, jouées sur un mode quotidien et simplifié, devien- madriléne of un travesti nommé Femme Letal imite a
nent encore plus dramatiques. Mon obsession pour la voix des la perfection Becky Del Paramo. Almodovar filme inté-
acteurs est donc 100 pour 100 narrative. C'est mon point de gralement l'un de ses play-back sur une chanson de la
vue sur U'histoire qui s'exprime dans ce travail avec eux ». mére de Rebecca. Le show est trés drdle et trés specta-
culaire mais le cinéaste ne se contente vraisemblable-
LA TELEVISION a une place de choix dans Tacones Leja- ment plus d’un tel choe visuel et il introduit dans cette
nos. Pedro Almodovar, qui a tou- séquence plusieurs glissements.
jours aimé en détourner les En filmant, d’abord, les imita-
séquences publicitaires dans ses teurs de l’imitateur qui, dans la
films, n’est pourtant pas un fana- > Aujourd hui, mon inspira salle, reproduisent fidélement
tique du petit écran. S’il l’aime, tous les gestes du numéro de
c’est en le révant, et d'une manié tion est plus en relation avec Femme Letal qu’ils connaissent
re toute personnelle. « La télévision par coeur, et démultiplient ainsi
représente un langage populaire, c'est ma vie personnelle mais le comique. Ensuite, en donnant
la seule raison valable de Putiliser a la chanson qu’interpréte
dans un film et la seule chose que jespére que la réal té espa- Femme Letal (Un aio d’amor)
Jaime bien regarder a la télé, ce sont une dimension sentimentale
les news. J'adore les présentateurs gnole est quand méme pré- Bienen cette Année
s froids qui annoncent des catas- @amour que Becky Del Paramo
trophes avec une votx posée et, en sente dans mes films chantait est celle qu’elle a passé
général, tout ce qgwil y a de passif dans les bras du mari de sa fille.
dans Vimage télé, comme, (autre jour, En révélant, aussi, que Femme
la lecture des votes au concours de 1 Eurovision. J imaginais Letal joue un rdle complexe dans Vhistoire de Rebecca:
depuis longtemps un présentateur des infos qui annonce un elle est devenue l’amie du travesti car c’était pour elle
crime et confesse aussitot quwil en est (auteur. Cette scene me une maniére d’étre prés de sa mére dont elle ne suppor-
fascinait par son rapport avec la vérité, avec la dramatisa- tait pas l’absence.
tion, et par son pouvoir sur le spectateur. Cest de la qu’est En réglant, enfin, définitivement son compte a l’inno-
partie Vhistoire de Vacones Lejanos ». Sur cette télé espa- cence de carte postale de ce spectacle de cabaret : dans
gnole rendue a sa morne réalité, rentré a hotel, je sa loge, Femme Letal demande a Rebecca de l’aider a
regarde un reportage, mauvais mais atterrant, qui dis- se déshabiller et la souléve soudain pour dévorer amou-
s¢que les ravages de la cocaine en Espagne. Un peu reusement son sexe sous sa jupe tandis qu'elle se débat
plus tard, je sors casse-crotiter et croise sur Gran Via une langoureusement. Avec une élégance achevée, Almodo-
foule de junkies et de dealers allumés, avec l’impression var passe de la scéne aux coulisses, du faux-semblant a
bizarre d’avoir quitté le réjouissant cinéma d’Almodovar la vérité, du texte au sous-texte, du jeu didentités a la
pour tomber dans un film de zombies. L’époque ott les névrose identitaire, de l’assexué au sexuel hard. 7acones
bonnes soeurs de Dans les ténebres sniffaient la poudre Lejanos nous réserve done plus d’une surprise (devinez
d'un délire paradisiaque semble soudain bien loin, et un peu qui est Femme Letal!) mais, le film auquel
Almodovar un peu dépassé par le virage de cette réalité Almodovar pense le plus pendant ce tournage étant le
espagnole. Il en est conscient et ce décalage, lié a celui fameux Leave her to Heaven (Péché mortel) de John M.
provoqué par son entrée dans le cercle fermé des célé- Stahl avec Gene ‘Tierney, on peut parier, sans attendre,
brités, n’est pas sans conséquence sur son cinéma. «Au que le réalisateur espagnol ne manquera pas, avec ce
début des années 80, la drogue Gait un élément ludique @indé- nouveau long métrage, de redonner au mélodrame de
pendance, de libération et de plaisir. Avec le temps, Je crois somptueuses lettres d’or.

[24] Cahiers du cinéma n°446


28 Calories aux 100 ml.
*1/3 de moins qu'une biére 45% Alc. vol.

SIERE 2,9 % ALC. VOL. L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTE. A CONSOMMER AVEC MODERATION.
TRAVERSES

Le désir de brtlure
& par Camille Taboulay

Mancha, a Calzada de Calatrava. T'andis qu’il regoit une


sombre et horrible éducation chez les prétres, Pedro va au
» Les deux murs de la chambre
cinéma se faire une éducation paralléle clandestine, il
aime particuliérement les films adaptés de ‘Tennessee
d’ Attache-moi affichant les ephebes en Williams. Le cinéma est alors lié 4 un sentiment de cul-
pabilité, de péché. « La Chatte sur un toit brillant m’a
érection de Cocteau et une Nativite absolument corrompu » dira-t-il, mais dans son premier
film Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier ily fait un
résument le cinéma selon Pedro Almo- clin d’ceil amusant et tonique (monologue excité de la
femme a barbe). La base de son cinéma est la, oublicux
dovar : la loi du désir, le face a face semble-t-il de la culpabilité comme de Vhistoire, il ne
transgresse pas, mais transcende le tout par la sponta-
entre l’érotisme et la sainteté néité, ’humour, quéte la passion et la liberté, mélange
les genres a l’air du temps d'une ville (Madrid), supé-
ricurement flairé. Car Almodovar ressemble au person-
nage de Labyrinthe des passions dont Vodorat est extraordi-
Se nairement développé, gag du film mais signe aussi de son
principal dessein : humer latmosphére madriléne de
a l'image de cette phrase flamméche « Ce fut alors que V'époque. Il ajoute aux bagages délétéres du cinéma,
Vincendie »...qui allume un poéme de Cocteau, les films fébrilement découvert, la magnétique atmosphére d’une
d’Almodovar ont embrasé le cinéma. Si Cocteau est idéal ville, du réel. Le cinéma d’Almodovar est toujours récep-
pour inaugurer un texte-tour (ou jeu) de piste de lPuni- tif a une réalité urbaine, humaine, sensible a la peinture,
vers d’Almodovar c’est qu’il est une des figures qui le aux chansons ou a la publicité dont la forme et le langage
hantent. Sa Voix Humaine est derriére deux films (La Loi sont typiques de I’époque, mais aussi joueur hétéroclite
du désir, Femmes au bord de la crise de nerfs), ses dessins des moyens et genres du cinéma. Cinéphile quoiqu’il
érotiques du Livre blanc décorent le mur de la chambre s’en défende, alors disons « inspiré », il explore ses obses-
@Attache-moi, \a chambre au grand lit doré, ot Ricky sions (désir, abandon, possession, autonomie, machisme
transporte Marina comme La Béte transporta La Belle. et féminité) dans obsession qui lui révéla toutes les
Face au mur qui affiche les €phébes callipyges en érec- autres : le éma. Ses films sont constellés de souvenirs
tion de Cocteau, un mur qui affiche la Vierge Marie et le de cinéma, articulés sur ses différentes influences mais
Christ. Partons de ces deux murs pour évoquer l’enfance absolument neufs et personnels a force d’associations
modeste et provinciale de Pedro, né en 1949 dans la incongrues et d’imagination débordante.
Owest-ce que fai fait pour
meériter ca ? commence com-
me un film Nouvelle Vague.
L’actrice traverse une place
ot toute l’équipe du film
prépare le tournage, leurs
noms paraissant simultané-
ment au générique. Dans ce
film, le monde infernal de la
ménagére, source de la cul-
ture pop, flirte avec le néo-
réalisme (mais tourné en
studio), tandis qu’une fil-
lette télékinésique introduit
la_ science-fiction dans le
quotidien. Le mélo plane
grace 4 une chanson alle-
mande des années 30. Zarah
Leander chante lamour
comme un hymne militaire
et rappelle les films de Mar-

[26 Cahiers du cinéma n°446


ALMODOVAR ET LE DESIR

léne Dietrich. La grand-mére et son petit-fils vont voir


Splendor in the grass en révant a leur village perdu ; un
lézard court comme un fil vert surréaliste. Enfin, Almo-
dovar s’immisce dans le petit appartement par le biais de
la télévision et d’une chanson de Miguel Molina La bien
paga, tout le décor du sketch télévisé (tableaux, affiches)
vient de chez lui, il fait done ainsi une inerustation de son
univers personnel actuel dans l’histoire du film qui ren-
voie a ses racines. Dés l’enfance, Almodovar a confondu
le cinéma avec sa vie. II dit lui-méme que son passé est
dans les films et qu’il construit son futur passé en faisant
maintenant ses propres films. Faire apparaitre sa mére (in
Ow'est-ce que... et Femmes au bord...), reproduire la scéne
d’un pére qui apprend 4 son fils a imiter les écritures ou
citer Splendor in the grass contribuent également a la
mosaique de son univers, au puzzle des origines du désir
et l’on verra l'inextricable lien du cinéma au désir dans
Matador par exemple ott les amants vont voir leur fin
mortelle-passionnelle annoncée dans celle de Duel au
soleil de King Vidor c’est-a-dire comment ils vont confor-
mer leur fin A celle du film, réaliser le fantasme qu’il leur
arévélé... Matador nous raméne un instant au labyrinthe
des influences et passions d’Almodovar car on y croise
Hitchcock qui filmait déja les seénes d’amour comme des
scénes de meurtre. Hitchcock est encore dans l’évanouis-
sement de Carmen Maura (Femmes au bord...) filmé au
sol au travers de ses lunettes tombées (méme plan in
L'Inconnu du Nord Express) ow dans la tagade dun
immeuble ot une nouvelle miss torso et un jeune
homme éploré, écho de Miss Lonelyheart, rappellent
Fenétre sur cour, Cela dit, en deux personnages et citant
Hitchcock, Almodovar exprime aussi deux thémes
majeurs du film et de son
cinéma : le désir et la solitude.
En désordre : Billy Wilder, Dou- Ce .
glas Sirk, Frank ‘Tashlin, Rossel- Y
lini, Renoir, Bufuel... errent Chu Lampreave
aussi dans ce labyrinthe, brillent
le temps d'un clin d’ceil qui fair
sens, distillent une couleur, un
son, alimentent ce feu chan-
geant comique, liste, stylisé,
mélodramatique. Comme des
films de Renoir, il n’est pas un s
a
film d’Almodovar sans chanson. Sy
Almodovar emploie la musique,
les chansons comme les acteurs. Angel de Andrés-Lopez
ou les extraits de film : tous por-
tent un monde qui s’attache au
sien. Helga Liné qui a joué les
femmes vampires et les esclaves romaines véhicule la
série Z dans Labyrinthe... un air de Nino Rota (Twist de
La Dolce Vita) souffle un moment fellinien dans le méme
film. Des morceaux choisis de Chostakovitch ou Bela
Bartok évoquent Herrmann et done Hitchcock (in La
Loi... et Femmes au bord...). WV est arrivé aussi qu'un
theme spécialement composé par Bernardo Bonezzi pour
Ow'est-ce que... devienne le théme d’une actrice, Carmen
Maura, qui resurgit avec elle dans La Loi du désir.

sine: une chanson, c’est convoquer une histoire


et inversement dans le cinéma d’Almodovar. C’est aussi
convoquer une voix... Soy infellz. la chanson de Lola Bel-
tran, avant d’étre le leitmotiv de Femmes au bord... Erait

Cahiers du cinéma n°446 27]


Carmen Maura y

eee
ALMODOVAR ET LE DESIR

celui d’un projet non tourné qui devait s’ouvrir sur des pluie, sable des songes, sur cette image. Pablo écoute Ne
lévres chantantes remplissant I’écran. Cette image était me quitte pas de Brel, réinterprété par Marisa Matarozzo.
pour Almodovar « /a pure abstraction de lorigine physique de Cette image est une superposition des sentiments — élé-
/a voix ». En fait cette chanson tenace convoquait un ments qui président au désir de mettre en scéne... Une
autre film : Memmes au bord... @aprés La Voix humaine... situation, un livre, une chanson... et plus tard au théatre,
Agglomérat d’influences et d’ondes grondant d’un feu nous voyons l’amalgame concret de ces éléments, la dou-
intérieur le style Almodovar est résumé dans les pre- leur réelle de Tina écorchant son jeu, sa fille mimant la
miéres images du générique de ce film : le collage et la chanson de Brel sur un chariot-travelling avec de vraies
griffe. Une salade d’univers fait le sien, briilé au fer de larmes aux yeux.
ses hantises. Nécessité et jeu s’entremélent dans la mise en scéne, le
travelling est un mouvement qu’Almodovar aime prati-
quer. Ainsi le trés beau plan dans Femmes au bord... : le
ae fait des films sur le désir, sur le désir de travelling rapide en adéquation avec le mouvement de
faire des films parce que le cinéma n’est rien d’autre patineurs dans une rue et l’entrée dans le champ du per-
qu’un médium du désir, voire un forcing pour le concréti- sonnage en mouvement contraire crée un flottement
ser. Dans A/fache-moi, le metteur en scene Maximo fait un dans le glissement. Superbe.
film pour entrer dans la vie de Marina. Le cinéma relaye Dans La Loi... comme dans Femmes au bord..., Aimodovar
4 la fois son désir et son impuissance. Ricky est un autre « cinématographie » d’une fagon formidable le théme de
type de metteur en scéne qui force les événements de sa la voix par Pidée du doublage. Pepa et Ivan, le couple en
vie, enléve l’actrice pour lui soumettre son scénario : elle rupture, doublent des films et notamment Johnny Guitar
sera sa femme et la mére de ses enfants. Dans les deux de Nicholas Ray. La phrase a doubler s’inscrit parfaite-
cas il ya la volonté de réaliser un fantasme, lequel est une ment dans la thématique d’Almodovar : « Mens-moi— Dis-
actrice. Dans La Loi du désir on retrouve cette situation. moi que tu mas attendu, dis-moi que tu maimes comme je
Antonio veut entrer dans la vie de Pablo, metteur en Fraime».
scéne qu’il admire et s’en faire aimer comme il l’aime.
L’ouverture de ce film définit le personnage de Pablo et
son drame (linsatisfaction) ainsi que les rapports metteur Cc. un extrait de film mais c’est aussi une phrase de
en scéne/acteur. Pablo paye pour s’entendre dire « Je # metteur en scéne, dirigiste, en demande et en création
désire », il paye pour qu’un acteur dise et fasse ce qu'il dillusions. Les films d’Almodovar sont un précis dosage
veut. C'est le cinéma. Antonio, sortant du film de Pablo de géométrie et de folie, maitrise narrative et technique,
ob il a vu cette séquence d’onanisme commandée par la habile apiécement de signes qui enchassent un monde
voix off du metteur en scéne, descend aux toilettes se débridé, spontané, audacieux, de l’ordre de Vinconscient
masturber, reproduire la scéne. L’image a éveillé son et de lintuition. Cinéma hyper-physique, sophistiqué
désir. Cercle vicieux. Dans Matadoron Ia vu, les amants mais réaliste, hilarant mais dramatique qui intégre la reli-
reconnaissent dans Due/ au soleil le reflet de leurs aspira- gion aux décors et pulsions hardies de ses personnages,
tions et s’appliqueront a les concrétriser. Matador on I’a souvent taxé de provocation, « Dans chaque artiste il
s’ouvrait aussi sur une scéne d’onanisme devant les yale chat du diable » a dit Vennessee Williams, corrupteur
images et le torero filmait ses éléves en vidéo. Que Mara- de l’enfant Almodovar dont les films pourtant sanctifient
dor concerne le plaisir et La Loi... le désir, chaque fois le soufre et qui semble habité plutdt par le chat de Dieu !
Vimage en cristallise la dimension fantasmatique et Repensons aux deux murs de la chambre d’A/ache-moi
asymptotique. Dans les deux films, ¢’est par la mort qui mettent face a face I’érotisme et la sainteté. A la fin
quest atteint le comblement, et dans les deux fins il y a de La Loi du déir, Pablo tient dans ses bras son amour
des flammes. Flammes qui visualisent cette « possession mort au pied de l’autel original construit par sa soeur et
totale qui se fait, comme le disent certains alchimistes, avec la figure ainsi exactement une Pieta. A la fin de Matador, les
verge du feu » (Bachelard). En 1981, Almodovar écrit une amants morts sont enlacés dans une expression de béati-
nouvelle, Meu aux entrailles qui contenait déja la puissante tude que leur envient les policiers qui font irruption trop
image de La Loi... : Varrosage de Carmen Maura livrée, au tard pour empécher « le drame ». Bataille écrit dans
hasard des rues bralantes de Madrid, a son insatisfaction L’Erotisme: « Le passage de l'érotisme a la sainteté a beaucoup
et sa solitude. « Cette image est devenue l'embleme du film » de sens. Cest le passage de ce qui est maudit et rejeté a ce qui est
dira Almodovar. Image du désir suspendu dans le vide Saste et béni. »
qu’un torrent d’eau ne saurait apaiser. Almodovar qui découvrit fébrilement le cinéma comme
Explorateur du désir, le cinéma d’Almodovar est aussi un péché et souffrit d'une éducation machiste inhibitive
celui de l’'abandon, dans les deux sens. Ses personnages libére ses personnages qui vont aussi haut que leur pas-
s’abandonnent a leurs désirs librement, mais sont aus sion le réclame, échappent au jugement, obtiennent
dans une situation d’abandon par rapport a l’intensité exi- lengouement.
geante de ces désirs. Tina, figure de l’abandon dans La Et nous sommes comme ces personnages qui grimpent
Loi... est la soeur (frére transexuel) de Pablo qui la met en aux échafaudages 4 la fin de La Loi du déir... Almodovar
scéne au théatre dans la piéce de Cocteau : le cri d'une nous entraine ainsi dans le sillage de ses passions libres,
femme abandonnée. fantasques et saines ; tourbillons de couleurs, chansons,
La Voix humaine traverse ce film comme un faisceau éclai- cinéma ; tourbillons de la vie, jamais provocant, car
rant des conditions de création des films d’Almodovar. comme I’a dit Cocteau en exergue a ses poémes espa-
Un plan magnifique montre d’abord la couverture du gnols bien sir: « L’art est un attentat contre la pudeur qui
livre avec en surimpression l’amant du metteur en scéne S'exerce hex les aveugles >.
(objet du désir) qui s’éloigne 4 moto comme les anges de Texte écrit a l’aide du livre de Nuria Vidal
la mort de Cocteau et une poudre de coco tombant en E/ Cine de Pedro Almodovar

Cahiers du cinéma n°446 [29]


TOURNAGE

Le foutoir
de Kanevski
& par Laurent Daniélou

n dimanche de juin 1991, fin de nuit trés blanche a


> L'auteur de Bouge pas, @ Pavel Nazarov :
« Pacha est un Léningrad dans l'appartement de Vitali Kanevski :
meurs et ressuscite ne sera ange, au sens
supréme du
un petit deux-piéces avenue Kirov, dont le succé mon-
dial de Bouge pas, meur: s et ressuscite n'a pas modifié le
pas I'homme d'un seul film. terme... »
doux foutoir. Pour entrer, il faut franchir trois portes : la
premiére ne ferme pas a clef, ni sans clef, car bloquée
La preuve, il tourne Une Vie par la seconde, une grille de fer récemment installée
indépendante entre Leningrad dont un puissant cadenas « négocié a un gardien de pri-
son » dévoile Kanevski, assure la sécurité ; la troisitme
et le fleuve Amour. Cette fois- serta tre une porte, puisque la premiére ne fermant pas
et la seconde n’étant qu’une grille, il en faut bien une.
il a un coproducteur fran- On devine tout de suite la justification de ce
« blindage » en entrant. L’appartement est devenu le
cais, ce qui garantit sa liberte. centre nerveux d’« une vie indépendante », son second
Kanevski en pleine action. film. A droite, la cuisine est le QG de la production. Au

30) Cahiers du cinéma n°446


milieu, la chambre de Katia, sa fille de 7 ans, est entié- d’aide aux coproductions avec I’Europe centrale et
rement occupée par un portique : « Un coup de foudre en orientale et d’une importante subvention du Bureau du
France, mais il est peu grand ». Enfin, la chambre de Vitali Cinéma du ministére des Affaires Etrangéres, Philippe
et de Varia, sa (charmante jeune) femme, qui sert pré- Godeau, heureux distributeur (Pan-Européenne) de
sentement d’entrepét : sur, sous et autour du lit sont La Discréte, Toto le héros, assure 75 pour 100 (10 MF) de
entassés caméras, magnétophones et une montagne de la production. « En 1990, a Cannes, j'ai eu beaucoup de
pellicule : « J’assume l’indépendance de ma production propositions qui m’ont paru malhonnétes » explique
jusqu’au bout. Ne voulant dépendrede personne, j'ai décidé de Kanevski. « Si /‘avais travaillé avec ces grosses soctétés, Je me
prendre moi-méme en charge la part soviétique de la coproduc- serais senti avec eux comme le parent pauvre de la famille,
tion de mon film ». Mais Vheure n’est pas au bavardage, Vorphelin que Pon traite gentiment. Tous ces gens qui mont
puisque Philippe Godeau, le coproducteur frangais doit fait des propositions savent sans doute plus de choses que mot
arriver d’un instant a l’autre : Kanevski, entouré de son sur le cinéma et sur Vart, maisje voulais jeter un regard plus
opérateur et de son preneur de son, recompte un a un primitif sur cette vie indépendante et non par leur regard,
les différents éléments qui repartent a Paris : pellicule a qu ils voulaient mimposer. Le seul qui meait donné une telle
évelopper ou Nagra a réparer. Bénéficiant du fonds possibilité, Cest le jeune Philippe (Godeau). De mon coté, Jai

ahiers du cinéma n°446 31


LONGUE DISTANCE

creé une sorte de société anonyme en devenant un petit capita- deux mémes acteurs — trois ans aprés. Ils ont 15 ans et
liste. Si favais voulu coproduire avec Lenfilm, ou avec un découvrent l'amour. « Je ve sais pas si on peut parler de vie
autre studio, tout aurait cotté cing fois plus cher et un temps indépendante, mais jai impression que la vie est en dehors de
énorme aurait été perdu. J'ai donc utilisé Lenfilm comme pres- nous, comme un train composé d'un nombre infini de wagons
tataire en payant moi-méme tout ce dont j'avais besoin. C'est dans lesquels tu entres, et dou tu sors pendant que la vie
un gros tournage, puisque C'est une reconstitution eux avance. Beaucoup de scenes sont des souvenirs, recouverts de
wagons, vieilles péniches Tout cela est cher, méme faut Sumée. Méme si cettefois je ne suis pas dans le film, 7 aimerais
avoir la cue percante pour voir la difference entre un train quand méme qu'en sortant de la salle, le spectateur comprenne
@époque et un train Caujourd’hui. Cest un film historique qui est a Vorigine de ces images. Il y a un lien tres fort entre le
dans un pays ott le temps s’tcoule, visuellement, infiniment héros principal et moi-méme. A la derniére scene, il se tourne
moins vite qu ailleurs. Un pyléne électrique planté avant guer- vers moi, vers le spectateur et il comprend qwil aborde une
reen est aujourd'hui @ sa cinquieme génération en Occident, ici autre période de sa vie : il est adulte ». Kanevski parle
Cest le méme : un coup de peinture suffit souvent a rendre plus autant de son enfance, du jeune héros du film que du
neuf, done d’“époque” ». La pat- jeune acteur lui-méme :
tie francaise de la coproduction le tout est trop lié.
finance |’« indépendance » de « Pacha est un ange, au sens
la production : outre la clas- supréme du terme, mais il
que fourniture du matériel est aujourd'hui perdu,et
image et son, une Renault pour la vie ; rejeté par ses
Espace, une fourgonnette et parents, renvoyé de toutes les
un camion ont été nécessaires écoles professionnelles de
« afin que nous puissions nous Leningrad, sans domicile
déplacer partout, sans négocia- Jixe et ne parlant qwargot ».
tions interminables avec des chauf- Kanevski hésite a le loger
Jeurs. Le studio, c'est mon appar- chez lui, « de toute facon, il
tement et les camions ». ne peut rester deux jours au
méme endroit ».
k seul Frangais 4 participer
et seulement de loin — au our la premiére fois
tournage est Joél Chapron, p:: 1990, Kanevski est
qui, un jour par semaine, sorti d’Union soviétique
passe prendre a Leningrad les pour aller au Festival de
négatifs et rapporter les pelli- Quimper. Ensuite, ce fut
cules développées de Paris. Car si l’action du film se @ Dinara le tiomphe cannois et, en quelques mois, et beaucoup
déroule en Asie, dans le Soutchan de Bouge pas, meurs et Droukarova de festivals, le tour du monde. Cette nouvelle vision du
ressuscite, \es deux tiers du film ont été tournés dans la monde a-t-elle influencé la préparation de son nouveau
région de Leningrad. Mais a la cuisine, pour le petit film ? « Bien &idemment, puisque cela n'a fait que retarder le
déjeuner, Kanevski prépare les poissons rapportés des début du tournage. Sinon, rien de changé, je suis toujours
dix jours du tournage en Extréme-Orient soviétique, 4 aussi ¢... ». Bouge pas, meurs et ressuscite a été un succes
Nikolaevski, sur le fleuve Amour : « La-bas, les gens sont un peu partout, en Europe et en Amérique, mais n’est
tellement désabusés que rien west possible. Il n'y a pas un pas sorti en Union soviétique ou trés peu : quelques
hotel a plusieurs centaines de kilometres a la ronde. Je milliers de spectateurs. « Personne ne l’a acheté et cela ne
retrouve toujours le Moyen Age de mon enfance : dans la ma pas surpris : je connais mon peuple. A partir du moment
chambre ott nous étions, les responsables locaux nous espion- oi, dans un pays, il y a une dictature de la médiocrité, cette
natent par la fente sous la porte. Un jour, fai sauté par la dictature s‘étend a toutes les spheres de la vie : les gens ont
Senétre pour venir les surprendre. Ils étaient tous allongés peur de tout perdre, puisque d’autres, plus intelligents,
par terre, pour tenter de voir quelque chose et quand j'ai devraient avoir leur place. Si on instaurait ici les régles en
poussé un grand cri dans leur dos, ils ont cu tellement peur vigueur en Occident et suivant lesquelles les pays fonctionnent,
qils mont dénoncé a la milice pour sorcellerie... » alors, Gidemment tous ces gens n’auraient plus leur place.
Cest pour cela quils ont peur et pensent étre sauvés par la
omment est Kanevski sur le tournage ? « Dictateur », médiocrité. De toute fagon, cela ne m’intéresse pas vraiment de
Coriiime Godeau. « Je préfere tout faire seul : les assis savoir ce qui se dit sur mot en Union soviétique : je suis un peu
tants — en URSS — sont des incapables qui retardent tout. Mes comme une sardine @ Vhuile dans sa boite, et je tourne dans
dialogues sont entierement écrits, Je Wimprovise jamais. Il y a mon huile. Ici les journalistes ne disent du bien Pun film qua
peu de répétitions, mais je me prépare longtemps @ chaque partir du moment ot il a Gé décrété chef-d’euvre a Vétranger.
scene avant le tournage. Le caractere brut, presque grossier, du Ils en sont encore a un stade ott ils obéissent a@ des gens et ne
tournage est tres proche de l'atmosphere de l'époque ot se situe disent pas ce qu'ils pensent. Tout simplement parce que ¢a ne
Vaction. Avoir des acteurs non professionnels permet souvent se fait pas. De toute fagon, le seul lien que j'estime avoir a
de mieux exprimer ce que on veut dire ». entretenir, Cest avec le Tres-Haut, pas Gorbatchev, mais au-
Le tournage dure depuis cing mois car, les deux jeunes dessus. »
héros du film, — Pavel Nazaroy et Dinara Droukarova — Nous le croyons quand il dit que le cinéma est pour lui
sont a l’école et ne peuvent se libérer que le week- une question de survie. Ne tolérant aucune défaillance
end. Bouge pas, meurs et ressuscite se terminait par de son équipe sur le plateau, il court, hurle
Vassassinat de Galia, Une vie indépendante, suit la desti- aujourd’hui, comme dans son enfance, Vitali Kanevski,
née de Valerka‘et de la sceur de Gal — évidemment les cinéaste ressuscité, se débat pour sauver sa vic. @

32] Cahiers du cinéma n°446


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LES CAHIERS DU CINEMA LANCENT UNE SOUSCRIPTION SUR LA PUBLICATION DES 6


DERNIERS TOMES DES FAC-SIMILES : LES ANNEES MYTHIQUES, LES FAMEUX
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DU CINEMA

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NOM) sicecacs REA


bee he LE UConn
aeRO RS PRENOM & ..cececceceseeseeeeee
» par Serge Griinberg

@ Peter Weller,
a Tanger dans
Naked Lunch

Pazeure : apres
Dead Ringers, le
Canadien qui n’a
peur de rien, tourne
a Toronto, Naked
Lunch, @apres
Vinsoutenable
roman-culte de
William Burroughs.
Ce qu’on appelle les
affinités électives...
Voyage au pays des
fantasmes et des
effets spéciaux, en
compagnie du plus
doux des sorciers.
(Les photos illustrant cet article ont été prises pendant une journée de tournage) <
a
a2
34] Cahiers du cinéma n°446 2
<Fs
Fs
LONGUE DISTANCE

FABIAN/SYGMA

LE FESTIN NU. @ Peter Weller Jeremy ‘Thomas se déclare pourtant satisfait des condi-
‘Toronto, capitale économique du Canad , a failli, ily a et David tions économiques qu’il a trouvées ici. On sent, chez le
quelques années, devenir La Mecque de substitution du Cronenberg producteur de Furyo et du Dernier Empereur, un amour
cinéma américain. Malgré le climat frisquet du lac Onta- militant des auteurs et d’une «nouvelle qualité interna-
rio, On venait y tourner, cofits obligent, un nombre sans tionale » qui se marie trés bien avec le savoir-faire finan-
cesse croissant de films. Les temps ont changé. Peter cier. Ilayoue néanmoins avoir eu les plus grandes difficul-
Weller, la star de Naked Lunch — Vadaptation du célébre tés 4 monter I’affaire. Cing ans, sept ans? En tout cas un
roman de William Burroughs que termine en ce moment travail de longue haleine pour réunir quelque 17 millions
David Cronenberg— avoue que c’est par amour du réle de dollars, principalement fournis par les distributeurs
(celui de Bill Lee, premier nom de plume de Burroughs) américains, 20° Century (30 pour 100), des préventes en
qu il est «venu se geler les fesses ici! ». De fait, on parle Europe et de «financiers japonais qui lui font confiance ».
beaucoup de récession dans cette mégalopole tistou- Ces Nippons qui, selon ‘Thomas, « vorent @ long terme » et
nette ; certains insistent sur la hausse artificielle du dollar ne se montrent nullement terrorisés par «/intellectua-
canadien par rapport au dollar US; d’autres sur l’extréme lisme» de Ventreprise, contrairement aux Américains.
dépendance de I’économie locale envers le grand frére du Quand je le questionne sur le risque de « cinéma littéraire »
Sud. Personne ne sait exactement. Dans ce contexte, Jeremy Thomas, que Pinsuccés relatif d’Un thé au Sahara
David Cronenberg, le cinéaste canadien le plus célébre et n’a pas refroidi, me lance, trés sir de lui, qu’aujourd’hui
le plus célébré, fait figure de saint pour les membres des «les films contiennent /a littérature ». D’ailleurs, il persiste
syndicats de techniciens, lui qui a tourné l’intégralité de et signe: il produira le prochain Oshima, le prochain Ber-
son ceuvre non seulement au Canada, mais encore a tolucci et méme le prochain Cronenberg, sans doute
‘Toronto (parfois 4 Montréal). Tout le monde sait qu’il a Padaptation du Crash de Ballard. Thomas est globalement
refusé d’alléchantes propositions de Hollywood — The optimiste « /es grandes compagnies se sont renforcées, ces der-
Beverly Hills Cop ou Total Recall! La vérité est pourtant nieres anné , mais ily aura toujours de la place pour les indé-
moins ou plus héroique, selon le point de vue ou l’on se pendants ! »
plac ¢’est surtout pour préserver sa liberté d’auteur que Au cours du déjeuner, le distributeur canadien me dit
le champion du film «d’horreur» n’a pas cédé aux sirénes qu’avec 220 salles, Naked Lunch aura la plus grosse sortie
californiennes. Inutile d’aller chercher explication dans canadienne jamais vue! II est vrai que, de la conférence
les maigres subventions ontariennes ou nationales au de presse qui réunissait Burroughs et Cronenberg, sur
cinéma, méme le G/obe and Mai/, quotidien des milieux fond d’immense photo de ‘Tanger, jusqu’au flux ininter-
d’affaires éclairés, dénonce l’enterrement de la produc- rompu des journalistes yankees sur le plateau, tout
tion canadienne. semble témoigner que le film sera un événement. ‘Tho-

[36 Cahiersdu cinéma n°446


CRONENBERG EN TOURNAGE

mas m’assure qu’on évitera le classement « X » — la nou- fait. Peut-étre méme de l’enfermement. Peter Suschitzky
velle €pée de Damoclés pour les films ambitieux — et se déclare: «Jai rarement travaillé avec un cinéaste sur une base
rassure de la présence du mythique « pape de la dear gene- aussi instinctive». Cronenberg tourne ses 640 plans sans
ration » soutenu par ses éditeurs de Grove Press qui en storyboard; il sait parfaitement ot il va mais improvise
profiteront pour rééditer le roman, ainsi que deux ou trois sans cesse, réécrit des bouts de dialogues, s’isole longue-
fascicules promotionnels avec photos exclusives. ment avec les acteurs, en particulier Peter Weller, pour
obtenir ce «regard étrange, lugubre, percant, hanté... comme
celui de Burroughs». \\ faudra relire les Lettres de Tanger a
IL. risque est cependant important; Le Festin nu est plus Allen Ginsberg et Interzone, chez Christian Bourgois, ces
qu’un livre-culte, c’est aussi un geste de rupture avec la archives que Ginsberg a offertes 4 la bibliothéque de
tradition américaine, non seulement avec son puritanisme Puniversité de Columbia, pour trouver Pune des clés du
(le roman comporte au moins un chapitre digne du mar- film qui est moins l’adaptation du Festin nu quwune sorte
quis de Sade, qui lui valut, dans les années 60, un rettn- de biographie fantasmatique de Burroughs — que la mort
tissant procés pour « obscénité » ), mais aussi avec toute sa de sa femme et la toxicomanie ont dévasté — en train
tradition naturaliste, humaniste, sociologique et psycholo- décrire Le Festin nu (Dans ses Lettres de Tanger Burroughs,
gique. Une sorte d’OVNI littéraire dont l’auteur refusait en train d’écrire le roman dans un état de transe, confie a
méme qu’il fit qualifié de romanesque (un des sous-titres son vieil ami Ginsberg «J éeris comme sous la dictée», de
étant « rapport sur une maladie» ). Bien sir, ce rapport est a méme qu’Orphée, dans le film de Cocteau, trouve son
Venquéte sur la toxicomanie ce qu’Une saison en Enfer inspiration en écoutant la radio dans une voiture, Bill Lee
serait 4 la brochure touristique. Comme beaucoup d’ceu- transcrit les «rapports » que lui dicte sa machine a €crire).
vres-phares, en outre, tout le monde parle du Festin nu, Le Naked Lunch de Cronenberg sera done une sorte de
mais |’a-t-on vraiment lu? (Peter Weller me conte une work in progress, sa premiére ceuvre qui explore directe-
anecdote plaisante: pour célébrer sa présence a Toronto, ment les mystéres de la création artistique.
le patron d'une boite sop/ess, que le titre du film a induit
en erreur, lui propose d’organiser un /uach dans son éta- NEW YORK/TANGER
blissement — avec serveuses en wu intégral, évidem- Durant la conférence de presse, Burroughs affirmait: «Je
ment!). Comment transformer cet objet en film? Com- suis conscient qu'il ne peut s'agir que d'une adaptation par-
ment en restituer la violence sans sombrer dans la tielle... Tourner Le Festin nu intégralement demanderait 400
pornographie ? Comment, surtout, faire passer sa vision de millions de dollars!» Cronenberg a done choisi un axe
la drogue — dont l’ambiguité pourrait faire objet de cen- directeur: le mystére de la création, ou comment Bill Lee,
taines de pages — sans fréler l’apologie ? On imagine que marginal et toxico new-yorkais, en est venu a la littéra-
toutes ces questions ont da hanter Cronenberg lorsqu’il ture. Deux décors: le New York des années 50, restitué
rédigea son script (et que Jeremy Thomas n’y fut sans dans une ambiance de «film noir», et Interzone (Zone
doute pas indifférent). Le deuxiéme jour, le maitre me internationale), ce Tanger, disparu et mythique, d’aprés-
confie le précieux objet: Naked Lunch (Varticle a sauté guerre qui restait le refuge des apatrides, des trafiquants,
pour marquer la différence d’avec le livre), Fifth Draft des homosexuels et de tous les drogués de la planéte.
(cinquiéme version). Ici, le hasard a bien fait les choses, avec l’aide active de
Peintres et menuisiers travaillent sur le plateau voisin Saddam Hussein, personnage 6 combien burroughsien
d'Interzone oii l'on prépare la scéne finale: au centre, un (qu’on relise, dans Le Festin nu, les passages sur le « /eader
véhicule chasse-neige Bombardier de toute beauté, nationaliste») ec de George Bush («conspirateur Nova »
comme un ceuf kaki sur d’énormes chenilles (dans un patenté, puisqu’ancien patron de la CIA), la guerre du
coin de l’énorme hangar, l'un des « téléporteurs » de The Golfe a rendu impossible le tournage prévu en extérieurs
‘/y, recouvert de poussiére, me rappelle, par sa forme a Tanger. Qu’ cela ne tienne! Epaulé par sa décoratrice
ovoide, que l'une des interrogations principales de Cro- attitrée, Carol Spier, Cronenberg a fait reconstruire ‘Tan-
nenberg porte sur l’origine). Les deux gardes-frontiéres ger en studio en l’espace de deux mois, ce qui, selon
d’Annexia, vétus d’uniformes qui évoquent des gardiens J. Thomas s’avérait « plus facile et moins cher». Vrois avan-
de camps de concentration nazis et staliniens, encadrent tages, dans ce coup de théatre de derniére minute:
cette espéce de tank. Dans le fond, Joan Frost (l’Austra- d’abord, les habitués de Cronenberg le savent, le cinéaste
lienne Judy Davis) allongée, dort, tandis que Bill Lee n’a jamais particuliérement aimé les grands espaces — en
(Peter Weller) tend son passeport; les deux gardes-fron- fait, dans la majorité de ses films, c’est a peine si l’on voit
tiéres sont les acteurs jouant les flics new-yorkais qui per- une scéne de rue; son univers est avant tout claustro-
sécutent Bill. Ils vont lui demander de prouver qu’il est phobe, intérieur, menta/. Ensuite, grace a limmense
un écrivain. Bill sortira un stylo-plume de sa poche, mais talent de Peter Suschitzky, qui avait déja signé la photo
les gardes veulent quelque chose de plus. Alors, Lee de Faux-Semblants (ainsi que celle de Leo the Last, L’Em-
extrait son revolver et demande au sosie de sa défunte pire contre-attaque, The Rocky Horror Picture Show, etc.),
femme de se mettre un verre d’eau sur la téte. La scéne cette Interzone prend réellement l’aspect d’un paysage
est trés découpée. Tous les axes sont util La caméra mental et rappelle méme les villes exotiques de Joseph
sera successivement placée dans le fond du véhicule, Von Sternberg. Enfin, comme le dit Cronenberg lui-
devant le pare-brise, et devant chaque portiére. Le pay- méme, «/e Tanger de 1953 n’existe plus... Celui que jai fait
sage alentour se compose d’une immense reproduction construire est plus fidele a la ville completement artificielle
photographique et de toiles peintes qui représentent des qu trait alors Tanger». On \'a compris, Cronenberg aime la
bouleaux. Lumiere froide, hyperboréale aprés la lumiére toute-puissance dés qu’il s’agit de sa création. C’est
chaude d’Interzone. Quelque chose évoque les paysages dailleurs, j'y reviendrai, une des clés les plus passion-
surréalistes aux immenses perspectives, paysage assez nantes de son ceuvre.
rare chez Cronenberg, cinéaste de la claustration s’il en Ce qu'il y a de magnifique, dans son approche du Festin

Cahiers du cinéma n°446 Ed


LONGUE DISTANCE

nu, est qwil a superbement évité les faux problémes de inventée de toutes piéces et l’on y retrouve sa maniére. Il
adaptation littéraire. On le sait aujourd’hui, Burroughs est fort possible, en effet, que les aveux de Tom Frost ne
est une de ses plus anciennes passions. Sa proximité avec soient qu'une hallucination auditive; comme toujours, le
Poeuvre est telle que, pour les lecteurs assidus du vieux héros cronenbergien est confronté a son imaginaire.
Bill, il est toujours allé de soi qu’il était prioritaire pour
porter son grand oeuvre a l’écran. Burroughs lui-méme
avoue qu’aprés avoir visionné Scanners, il en fut égale- *ailleurs |’Interzone est sans doute elle aussi. une
ment convaincu. II y a donc eu, dans cette reconnaissance création de son cerveau. Au dernier moment, Cronenberg
mutuelle, ’évitement d’un piége. Puisque les films de a tenu a ce que la décoratrice «laisse trainer» dans le
Cronenberg ont toujours été burroughsiens (jusqu’a ses champ des accessoires ayant servi au tournage des scénes
deux premiers essais undergroundqui, sous V'influence de new-yorkaises. Le décor devient donc une simple exten-
son acteur-fétiche d’alors, Ron Mlodzik, étaient carré- sion de la psyché du héros, de sa confusion.
ment homo-militants), Cronenberg pouvait aborder Bur- Je confie 4 David Cronenberg que, plus que jamais peut-
roughs avec une certaine sérénité. C’est ce qu’il a fait, étre, on a, dans Naked Lunch, ce sentiment de schizophré-
préférant au respect (impossible) de la lettre, une fidélité nie: le monde ne serait qu’un décor et les étres humains
globale fondée sur l’empathie (peut-€tre méme la télépa- de simples automates anthropomorphes, disposés sur le
thie), et sur le respect de soi en tant qu’auteur: il faut en passage du héros a seule fin de l’égarer; mais qui est le
effet étre sir de soi pour lancer, en présence de Bur- deus ex machina? Un grand architecte sadique ou, plus
roughs, une phrase comme: « C’est une sorte de fusion entre mplement, le héros lui-méme, cette taupe enterrée du
Vewvre de M. Burroughs et la mienne » | Terrier de Kafka qui ne cesse, intérieurement, de s’ouvrir
des issues de secours et de les refermer aussitét. Soudain,
L’ENDROIT DU DECOR ce ‘Tanger totalement artificiel ot le ciel est constellé de
A la périphérie de ‘Toronto, d’immenses hangars en bri- puissants projecteurs et dont les portes n’ouvrent que sur
que, jadis propriété de la General Electric. Une porte de des charpentes en bois nu, apparait pour ce qu’il est — un
dix métres de haut a double décor précisément, un vaste
battant; une affiche annon- labyrinthe qui, vu d'une
ce: «Interzone, défense ab- grue, ressemble a un cer-
solue de fumer!» C’est 1a veau en coupe. Mais qu’on
que Carol Spier, aprés des ne compte pas sur Cronen-
repérages minutieux, a re- berg. pour introduire dans
constitué la Casbah de Tan- son image un élément de
ger. Décor hyper-réaliste grossiére distanciation
avec ses venelles étroites, brechtienne; il n’y a pas
ses boutiques obscures, ses d’envers du décor dans ses
moucharabiehs et ses fon- films puisqu’il n’y a pas
taines. Pour ce long plan- dendroit.
séquence de quatre minutes Le cinéaste déclare: « Wi/-
utiles, une grande partie des liam Lee apprend par Vinter-
figurants (porteurs d’eau < médiaire de tous les écrivains
=
marocains, femmes voilées, Ss qu'il rencontre ce qu'est [écri-
enfants arabes qui traver- g2 ture et se met a écrire presque
=
sent les ruelles de la mé- Fa inconsciemment. S’il avait
&
dina, touristes occidentaux conscience d’étre un écrivain, il
bardés d’appareils photo) entame, aprés de longues répé- @ La Casbah de se pétrifierait! Il s'arrange donc pour halluciner un monde dans
titions, des parcours aussi divers que complexes. ‘Tout Tanger lequel il est un agent secret qu'on a forcé @ participer a une vaste
limmense plateau est éclairé par d’innombrables sources reconstituée conspiration ; c'est dans ce cadre qu'il écrit ses « rapports » pour
lumineuses. Cronenberg, comme tant de cinéastes, tra- des maitres dont il ne connait méme pas la position politique...
vaille beaucoup au «Combo», ce moniteur-vidéo monté Eta la fin du film, il niera toujours avoir écrit un livre intitulé
sur la caméra, qui permet de tout repérer durant les répé- Naked Lunch ».
titions. Il a décidé d’utiliser le Steadycam, harnaché sur Dans cet ordre d’idée, Cronenberg a mixé des éléments de
l'un des « deux meilleurs opérateurs dans le monde ». La VPoriginal, bien sir, mais également de Junkie, d’ Extermi-
scéne est importante: Lee va avoir une longue conversa- nator, et de Queer. En outre, il a introduit plusieurs idées
tion avec ‘Tom Frost (lan Holm), au cours de laquelle et plusieurs personnages qui, tout en étant évidemment
lécrivain (inspiré de Paul Bowles) va lui avouer qu’il associables 4 Burroughs, ne figurent pas dans son oeuvre.
compte assassiner sa femme Joan (Judy Davis), réplique Je résume done le scénario de Naked Lunch: Bill Lee tra-
de la défunte Joan Lee. Lee s’étonne de la cruauté de ce vaille 4 New York comme exterminateur de cafards. Il est
projet, mais Frost lui demande alors de suivre le mouve- marié a Joan, intellectuelle déclassée comme lui; le
ment de ses lévres et il découvrira (avec le spectateur, sur couple est trés lié 4 Hank et Martin (respectivement Jack
la bande son) que les lévres de Frost tiennent un discours Kerouac et Allen Ginsberg). Bill et Joan s’accrochent a la
tout a fait anodin et que le crime projeté ne lui est avoué poudre insecticide et sont surveillés par les flics. Afin de
que par communication télépathique. Durant toute la décrocher, Bill ira consulter le Dr. Benway, redoutable et
scéne, les deux personnages marchent dans les rues de la diabolique charlatan. Les hallucinations sont maintenant
Casbah. Une organisation parfaite permet de boucler le lot quotidien de Bill: cafards et machines a écrire par-
cette scéne en deux jours. lent, la réalité tangue et sombre tout a fait quand, per-
On la chercherait en vain dans le roman. Cronenberg I’a suadé que Joan est un centipéde, déguisé faisant partie

[38] Cahiers du cinéma n°446


CRONENBERG EN TOURNAGE

entre les deux yeux. II s’exile en Interzone ou il rencontre il était rassurant d’étre adulé par des fanzines, apprécié,
le couple Frost (Paul et Janet Bowles) et Kiki, adolescent serait-ce pour des raisons pas toujours « bonnes » par des
avec qui il aura une liaison. Presque tous les personnages inconditionnels), et surtout une liberté peu commune en
du film sont des écrivains qui entretiennent d’étranges Amérique: celle d’étre auteur de ses scénarios et de
rapports avec leurs machines a écrire; ce sont elles qui pouvoir développer ce qui, dans un autre contexte, passe-
«dictent» les «rapports» que les écrivains, simples rait pour des expérimentations (ce que l’on demande
«agents», transmettent 4 une mystérieuse organisation avant tout 4 un spécialiste de horreur, ce sont de bons
d’espionnage. Joan Frost est bien entendu la soeur effets spéciaux et un public fidéle). Ainsi, dés son premier
jumelle de Joan Lee. Je passe sur la conspiration para- film commercial (Shivers, 1975), Cronenberg abordait des
noiaque, sur les monstres divers — insectes, Mugwumps, zones réputées inabordables (une sexualité agressive, rei-
centipédes géants, «sex b/obs» — sur cette «routine chienne, sous un regard exempt de tout jugement morali-
Guillaume Tell», autrement dit la mort de Joan, sa sateur), multipliait les provocations, tout en refusant
femme, en 1951, d’une balle dans la téte, «...cet accident qui Vapproche humaniste ou psychologisante pour laquelle, a
@ orienté ma vie...» comme le disait Burroughs a propos de Vévidence, il n’éprouve que peu d’intérét.
Black Rider, Vopéra dont ila écrit le livret, et qui fut créé a
Paris cette année par Bob Wilson. Reste un scénario
admirable, inspiré de la vie de Burroughs, centré sur I... furent ceux qui voyaient une intention délibérée
lécriture et les mystéres de la création, mais profondé- dans ces films toujours trés aboutis mais oti aucune cita-
ment ancré dans son univers et dans cet univers paralléle tion, aucun clin d’ceil «culturel » n’étayait ’hypothése
qu’est celui de l’auteur de Videodrome. Une fusion réussie; dun détournement avant-gardiste (sauf, il faut le dire,
sur le papier au moins. Phebdomadaire londonien Zime Out qui, a la sortie de
Lorsque j’aurai ajouté que les rapports dictés par les Rabid, (1976) lui consacrait sa couverture et un article
machines sont des extraits du Festin nu, on aura une idée assez réjouissant, plein de références situationnistes et
approximative de la distance entre roman et scénario, structuralo-lacaniennes). Le fait est, en soi, plutot positif,
mais aussi des innombra- puisqu’il permit 4 Cronen-
bles correspondances qui berg de tester son univers
existent entre les deux, sur le «grand public » plutét
d'une sorte de cut up a partir que dans les revues et les
des thémes des deux festivals « sérieux »
auteurs, de leurs obsessions. Avec Faux-Semblants, cest
Cet enchevétrement conti- vrai, plus personne n’invo-
nuel de plusieurs niveaux que Vinnocence d’un bon
de lecture — dont un faiseur ou l’inconscient d’un
réservé aux connaisseurs de acharné de la série B. ‘Tant
Burroughs — n’empéche mieux! Car la tentation,
nullement la permanence hier, fut bien entendu de
dune émotion typique- faire de Naked Lunch un film
ment cronenbergienne, qui sans effets spéciaux, par
gravite autour d’une déses- < exemple (ce que m’a avoué
pérance froide devant le Fe Cronenberg en me préci-
ia
fatum, \a solitude, absence. ie2 sant que, sur l’insistance de
On se souviendra, en = J. Thomas, il en était finale-
contemplant — l’extraordi-
z ment venu a reconsidérer la
naire composition de Peter Weller, des autres naufragés chose). C’est cette fidélité 4 un « penchant» a une vision,
de la vie, torturés par les machines, manipulés par leurs qui fait de Cronenberg un metteur en scéne inclassable et
instincts ou leurs pulsions, incapables de vivre dans leur irremplagable. Ne me disait-il pas, il y a quelques mois,
labyrinthe...
corps et toujours avides de trouver cette « chair nouvelle » qu’en toute modestie, « aucun cinéaste ne (1°) avait influencé
qui répond, sombrement, au «mot nouveau » dont Bur- » | La spécificité de Cronenberg est en effet de concevoir
roughs souhaitait l’avénement dans Les derniers mots de ses films de fagon littéraire, cérébrale méme et, en méme
Dutch Shultz: James Woods (Videodrome), Christopher temps, de les réaliser 4 partir d’images trés fortes, obsé-
Walken (The Dead Zone), Jeff Goldblum (The F/y), et dantes, et directement lisibles par le public, un peu
Jeremy Irons (Dead Ringers). comme Hitchcock en son temps. « Certains critiques me
reprochent le fait que tous mes films aient un air de famille...
THE DEAD INTER ZONE pour moi, Cest plutét un compliment!» Je ne retiendrai
Il faut, je crois, revenir succintement sur ce qui constitue qu’une formule de Burroughs qui s’applique parfaitement
la thématique de Cronenberg pour comprendre son a Cronenberg: «//n’y @ pas de réalité vraie ou réelle!», en
acharnement a faire Naked Lunch. D’une certaine fagon, il quelque sorte la continuation du « peu de réalité» V André
est heureux qu’on n’ait — a de trés rares exceptions prés Breton. Ainsi, dans Videodrome, le spectateur ne sait-il
— commencé a prendre le cinéaste canadien au sérieux jamais s’il assiste aux hallucinations de Max Renn (James
qu’avec Dead Ringers. Cet ambitieux jeune homme, fils Woods) ou a des faits «réels » ; le monde de Cronenberg
d’écrivain et étudiant en lettres, s’est, pour ainsi dire, se réduit souvent a des images vidéo, 4 des apparences,
enfermé volontairement dans le ghetto du film d’horreur des ombres platoniciennes directement projetées sur
— le plus méprisé de tous les genres? — il y a vingt ans; notre cerveau. Contrairement a ce qui s’est tant fait,
il y a gagné un savoir-faire certain, une indépendance aucune hypothése (magique, psychanalytique, scienti-
réelle (il me confiait, il y a quelques mois a Paris, combien fique méme), ne nous donnera une clé d’interprétation,

Cahiers du cinéma n°446 [39]


LONGUE DISTANCE

de Cronenberg avec V’impression de «confusion » ou de Rabid, The Brood, Scanners, Videodrome, The Fly) et toujours
«fausse fin en queue de poisson». Il y a souvent des ces manipulations empruntent le corps ou l’esprit dune
réves, dans le film, mais jamais pour aboutir au fameux femme. Un vaste « roman familial » congu comme un par-
«ce n’était qu’un réve!» qui est toujours un constat cours onirique, semé d@’innombrables chausse-trappes,
d’échec narratif. Au contraire, tous les films de Cronen- faux-semblants, miroirs truqués. Naked Lunch, ov accou-
berg témoignent d’une foi mallarméenne en la toute- chement d’un livre passe par le meurtre de la mére, repré-
puissance de l’acte créateur, mais aussi d’un matérialisme sente donc une continuité et un approfondissement de
impénitent, tout a fait unique dans le genre fantas- cette thématique. « Rien n'est vrai, tout est permis |», C est
tique/horreur. C’est un matérialisme qui se fonde sur le par cette citation de Burroughs que s’ouvrira le film. Ce
doute, sur la suspicion méme. Comme si la derniére chose sera l'une des « pistes » que nous offre Cronenberg pour
en quoi on pat avoir confiance était l'image. Cette image comprendre son oeuvre. Il est évident qu'il n’attache pas a
de Nicki Brand (Debby Harry) qui devient, dans Video- cette «compréhension» une importance particuliére.
drome, un pur écran a fantasmes; ou celle du Dr. Oblivion, Vieille attitude anglo-saxonne pour qui une ceuvre d’art
qui n’existe que sur bande vidéo; ou celle de Barry doit étre acceptée et non commentée.
Convex, PDG de la multinationale, qui n’est peut-étre,
lui aussi, qu’une machine; ou celle du héros lui-méme, TOUTE-PUISSANCE DE LA PENSEE ?
qui n’arrive plus a se voir que sur l’écran d’un téléviseur, Une confession majeure, durant cette semaine sur le tour-
supréme avatar de I’hallucination, de lillusion. nage de Naked Lunch: alors que j’insiste sur la profonde
déréliction de ses héros, sur leur parcours tragique, et sur
le sort du dernier, Bill Lee, manipulé du début a la fin,
orsque Cronenberg affirme que « /a évision fait partie non seulement par tous les autres personnages, mais aussi
intégrante de notre systéme nerveux», il rejoint Burroughs par des insectes, des machines, voire ses propres visions
pour qui mot et image sont des virus, des parasites qui se hallucinées, Cronenberg me répond que, d’un autre cété,
donnent l’aspect de la «réalité» (des cellules malignes cest toujours ce héros qui tire les ficelles, puisque,
qui, pour envahir notre organisme, se font passer pour des romancier, tout ce que nous voyons et entendons sort
cellules saines). On rejoint ici la base de la réflexion carté- directement de son cerveau! Réflexion qui m’évoque la
sienne qui se fondait sur l’hypothése des animaux- confession d’Hitchcock 4 ‘Truffaut, 4 propos de Psycho
machines; et on ne peut que constater, a la fois chez Cro- (film @horreur également), ou celui-ci se félicitait d’avoir
nenberg et chez Burroughs, la fortune qu’une telle manipulé le public avec un «film pur», de avoir amené
hypothése a connue dans la modernité: une espéce de 14 ot il le voulait avec des moyens purement cinématogra-
paranoia défensive contre une « réalité » , coupée de toute phiques. Cronenberg, qui connait parfaitement les méca-
pensée scientifique ou méta- nismes du film d’horreur, c’est-
physique, qui se réduit 4 un flux a-dire de la nudité de Vimage et
ininterrompu de mots et lic Un enclos, ou moutons et son action sur le spectateur,sa it
dimages manipulés. On com- qu’il n’y a pas de film pur ni de
prend mieux la joie presque dromadaires machent du foin, moyens techniques infaillibles.
enfantine de Cronenberg devant En ce sens, avoir choisi le
son Tanger-décor « plus vrai que le marché recouvert de toile a roman contemporain avec
le vrai». Le monde ne serait-il lequel il ressent une familiarité
pas lui aussi un décor? presque excessive ne repré-
Presque tous les personnages
sac ou Il’on a disposé les fruits, sente pas une reculade, un refus
secondaires, dans l’ceuvre de de ce cinéma pur dont Hitch-
Cronenberg, se dévoilent a un légumes, épices, viandes et cock annonce — un peu hative-
moment ou a un autre — Ils sont ment, semble-t-il — lavéne-
soit des ennemis ignorés jusque- plantes médicinales... ment. Car Thorreur, chez
la, de pures apparences, soit car- Cronenberg, n’est ni un genre
rément d’une nature inhumaine. vulgaire d’ou il faudrait s’6chap-
Mais les dévoilements ne sont jamais des explications, per, ni un ensemble de s#imu/i qui permettraient de mani-
plutét des complications. Il y a toujours un narrateur ou puler un public, c’est, comme il le dit, une « passion ». Car
une figure centrale, dont les épreuves débouchent si Cronenberg a choisi le cinéma, ce n’est pas pour y faire
presque toujours sur la mort, la disparition, l’'anéanti du «naturalisme», mais pour en explorer toutes les res-
ment. Le doute envahit alors le spectateur: et si c’était un sources narratives, toutes les possibilités plastiques et
de ces personnages secondaires qui « tirait les ficelles » ? structurelles, surtout celles qui permettent d’entrer dans
N’est-ce pas Claire Niveau (Genevieve Bujold) qui, dans la « logique du réve », cette logique qui donne a certains
Faux-Semblants, reve ces jumeaux; y a-t-il vraiment des plans de Naked Lunch une qualité poétique qui rappelle
jumeaux, d’ailleurs? N’est-ce pas Veronica Quaife Cocteau ou Orson Welles.
(Geena Davis) qui, dans La Mouche, réve elle aussi dun
accouchement monstrueux? (On remarquera la perma- LA METHODE DE CRONENBERG
nence du théme de l’accouchement monstrueux depuis Cronenberg, c’est avant tout une «famille » , une équipe
The Brood, en passant par Scanners ; autre piste, Cronen- trés soudée, dont tous les membres se connaissent, ont
berg joue, dans La Mouche, le role de l’accoucheur!) Les Phabitude de travailler ensemble et savent par coeur ce
scénarios de Cronenberg sont toujours des interrogations que le « maitre » attend d’eux. Cette famille n’inclut pas
sur les origines: souvent un médecin ou un scientifique les acteurs. Gabriella Martinelli, la coproductrice, avait
en est l’initiateur, qu'il engendre un organisme parasitaire déja travaillé sur Faux-Semblants pour le compte de Mor-
ou une lignée nouvelle par une manipulation (SAivers, gan Creek. Ainsi que Peter Suschitzky, gentleman anglais

40) Cahiers du cinéma n°446


FABIAN/SYGMA CRONENBERG TOURNAGE

qui parle un frangais parfait. «David découpe beaucoup ; @ Peter Weller d’Interzone, érigé sur 700 tonnes de sable. Aprés un
mais il se lais e une tres grande marge de liberté. Ce n'est qu'une fait une enclos, ot: moutons et dromadaires machent du foin, on
Jois les acteurs cadrés dans le plan qwil décide si on le tourne ou extraordinaire entre dans le marché recouvert de toile 4 sac ott l'on a di
composition.
pas. II réécrit sans cesse... Pour Naked Lunch, j'ai fait une posé les fruits, légumes, épices, viandes, plantes médici-
lumiére expressionniste mais aussi romantique». Entre lui et nales et batteries de casseroles bon marché qu’on trouve
le metteur en scéne, il y a, a l’évidence, une osmose partout au Maroc. Le tout donne d’autant plus une
esthétique. Carol Spier, la décoratrice, en est a son hui- impression d’hyper-réalisme que des grappes de poissons
ti¢me film avec Cronenberg. Elle fait surgir le paysage séchés dégagent une odeur si difficilement soutenable
mental d’un coup de baguette magique. La compagnie pour des narines nord-américaines que la plupart des
CWI, qui a obtenu l’Oscar des effets spéciaux pour La machinos ne se déplacent qu’avec un masque de gaze sur
Mouche, s’occupe du bestiaire burroughsien. Le monteur le visage! La caméra est braquée sur un stand ot
Ron Sanders en est 4 son septiéme opus cronenbergien, le d’énormes centipédes de plusieurs métres de long sont
compositeur Howard Shore a son cinquiéme; Denise pendus a des crocs métalliques; ils sont en caoutchouc,
Cronenberg, la sceur, 4 son quatri¢me; mais il faudrait mais il faut s'‘approcher et les palper pour s’en convaincre.
citer la plupart des techniciens, l’ingénieur du son, la
script, etc. Le rythme de travail est intense. Cronenberg
reste immuablement d’un calme olympien; il plaisante Coreiss découpés a la machette, laissent échapper
avec les techniciens, passe de longs moments avec ses des entrailles sanguinolentes auxquelles des assistants
acteurs et son directeur de la photo; jamais il n’éléve le viennent donner un dernier coup de pinceau avant le
ton. Il me dira méme que le superviseur des effets spé- tournage. C’est la « viande noire », cette « poudre de cen-
ciaux s’était inquiété de son calme (Cronenberg est pour- tipéde aquatique géant» dont Burroughs a fait, dans The
tant le premier a clamer que le tournage des effets spé- Naked Lunch, Vune des métaphores de héroine. Les ven-
ciaux est insupportablement laboricux). deuses de «viande noire» sont des femmes berbéres
De nouveau, d’immenses entrepéts sur les bords du lac tatouées, dirigées par la sorciére Fadela (la Québecoise
Ontario. C’est une ancienne armurerie. Un véritable Monique Mercure). Peter Weller et Judy Davis s’appro-
embouteillage (les voitures des figurants) ralentit la circu- chent du stand. On tourne. Un assistant met en marche
lation. Aprés une grande salle ot est dressé un buffet ad un ventilateur qui projette sur le décor de la poussiére
hoc (spécialités moyen-orientales — les figurants sont, artificielle; l’air est devenu littéralement irrespirable.
pour l’essentiel, palestiniens), on pénétre dans le souk Pour certaines scénes, Cronenberg a fait appel a un « dres-

Cahiers du cinéma neate EY


LONGUE DISTANCE

seur» de centipédes du Texas; les vraies créatures sont classique et ambitieux ? C’est une tentation qui passe —
tout aussi horribles que leur sceurs en latex. De dos, on il en est conscient, et on sent qu’il s’interroge — par
dirait des moelles épiniéres dans leur cage de vertébres. l'abandon des effets spéciaux. Est-ce souhaitable ? C’est
« Les effets spéciaux, me dit Cronenberg, portent uniquement un tout autre probléme.
sur les créatures — Mugwumps, centipedes géants, machines a Ce qui définit la thématique de Cronenberg ou, si l’on
écrire, «sex blobs » — toutes jouent des roles a part entiere et préfére, ses obsessions polies et retravaillées par vingt ans
donnent la réplique aux acteurs. Presque toutes les scenes a effets d’expérimentations, c’est une certaine horreurdu corps, de
speciaux ont &é tournées a part, pendant les trois premiéres lorganique, des fonctions naturelles, de la sexualité et de
semaines de tournage... C'est assommant ! » l'enfantement. Certains critiques primaires ont d’ailleurs
ai théorisé leur dégoér de cette imagerie: groupes de femmes
qui l’'accusent de «misogynie», «gays» radicaux qui
Fi est clair que David Cronenberg est un peu las des laceusent de «machisme réactionnaire », sans compter
effets spéciaux, mais que la pression est telle qu’il est peu tous ceux qui, silencieusement, espérent que l’auteur de
probable qu’il y renonce dans un La Mouche abandonnera bientét ses
avenir proche. ‘ant que son imagi- images dérangeantes pour aborder
naire et sa thématique resteront ce des thémes plus convenables (car
qu’ils sont, on ne voit pas pourquoi il personne, que je sache, ne lui nie la
se priverait de ces techniques parfai- qualité d’artiste majeur du sep-
tement rédées qui lui permettent la tiéme art), Dans son introduction
genése de ce qu’on a nommé au Festin nu, William Burroughs
«l’écran viscéral», Mais la tentation prévient le lecteur: «Ce /ivre ne
est grande! Le prochain projet, le conviendra pas aux estomacs déli-
Clash de Ballard, classique de la cats!» Comment ne pas imaginer la
science-fiction, devrait pourtant exi- méme formule en exergue de
ger de lui qu'il y ait, une nouvelle l’ceuvre de Cronenberg? On pourra
fois, recours. Son idéal serait certai- indéfiniment gloser sur la force
nement ces «effets spéciaux invi- d’évocation comparée du mot et de
sibles» qu’on a pu admirer dans Pimage, opposer les conventions
Dead Ringers. Mais les créatures de qui ordonnent littérature et cinéma,
Naked Lunch, «machines céliba- remarquer que, si chez Burroughs
taires» ou «machines molles » accé- le mot perd de sa force par le jeu
dent, par leur pertinence, au stade od des permutations et des montages
elles deviennent de véritables hasardeux, l'image, chez Cronen-
acteurs et participent pleinement au berg, perd également de sa
signifiant du film, alors que Bill Lee, «vérité » par l'utilisation méme des
véritable «corps sans organe », « fan- effets spéciaux, les deux ceuvres
tome a la recherche d’un corps» tel gardent un capital de fascination et
que se définissait lui-méme Bur- de répulsion puisque, justement,
roughs lorsqu’il écrivait son magnum elles se développent toutes deux
opus a Vanger, s’installe clairement sur un autre niveau, presque pu/-
dans la disparition, se présente sionnel. \horreur _ fonctionne,
comme une machine. D’ot le choix comme chez tous les grands créa-
(inconscient?) de Peter Weller, la teurs, par la magie de la résonance
créature bionique de Robocop ! («Phénoméne par lequel un systeéme
Ona pu admirer, dans Dead Ringers, physique en vibration peut atteindre
la fluidité fascinante du style, une une tres grande amplitude, lorsque la
intégration parfaite des trucages et de la partition musi- @ Ces films vibration excitatrice se rapproche d'une “fréquence natu-
cale, sans parler dune direction d’acteurs tellement ne conviendront telle” de ce systéme » — Petit Robert). L’idéal cronenber-
Pas aux estomacs
magistrale que Jeremy Irons, en recevant son Oscar gien ne serait-il pas, finalement, d’atteindre 4 des méta
délicats
d'interprétation pour Le Mystere Von Bulow, a tenu a (Jeff Goldblum phores physiologiques, 4 un discours en images qui
remercier le metteur en scéne canadien de lui avoir confié dans provoquerait une résoénance non pas émotionnelle ou
le role des fréres Mantle. Cette plénitude participe certai- La Mouche intellectuelle, mais somatique ?
et James
nement de la « passion », de cet entétement calme a tra- Burroughs écrivait, dans Le Festin nu, a propos de la
Woods dans
vailler continuellement le méme matériau. Si un «air de Vidéodrome). période ott ’héroine avait si totalement pénétré son orga-
famille » existe bien dans tous les films de Cronenberg, si nisme, qu'il se sentait étranger dans ce corps ot! une
lambiance familiale des tournages contribue 4 retrouver entité parasite s’était substituée a lui, 4 propos de cet
Vesprit artisanal du cinéma des origines, chacune de ses ultime voyage jusqu’au «/erminus blanc du temps» ovr il
ceuvres n’en reste pas moins unique, spécifique et sans était arrivé, voyageur sans bagage, dans un état de si com-
compromission. Aprés avoir profité pleinement de l’abri pléte vudité que les gamins de ‘Tanger l’avait surnommé
protecteur que constitue le « genre» , de cet autre havre «lHomme invisible » — «Je suis un fantome a la recherche
de paix qu’est le Canada, Cronenberg tenterait-il une d'un corps ». Le manque, l’absence, le trajet fantomatique
échappée vers un autre cinéma? Naked Lunch, @est vrai, des images jusqu’au cerveau, le verbe qui se fait chair ou
pourrait devenir l’ultime consécration d’un parcours sans la chair qui se fait verbe, le prochain film de David Cro-
faute. Verra-t-on notre cinéaste adapter La Métamorphose nenberg risque bien de nous hanter longtemps. @
de Kafka? Devenir le spécialiste d'un cinéma 4 la fois Serge Griinberg

@ Cahiers du cinéma n°446


L’ETE DES CAHIERS
Une exposition Une programmation
au Palais de Tokyo
du 28 juin au 20 septembre.

A L’-ASSAUT DU CINEMA
Ou comment les Cahiers ont changé
la critique dans les années 50

142 films
pour 40 ans de Cahiers du cinéma
EXPOSITION PROGRAMMATION
Foyer Jean Renoir Salle Jean Epstein
De 9h45 a 16h45 Séances a 18 heures et 20 heures
et de 17h30 a 20 heures tous les jours, sauf mardi.
tous les jours, sauf mardi. voir page 41

Jobs La Cinematheque Francaise ENS


Avec le soutien du Centre national du cinéma et du ministére de la Culture.
et le partenariat du Grand prix de la création cinéma Gervais et de Kodak

Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson 75116 Paris


Lexposition, par la suite, sera itinérante et pourra venir dans votre ville.
Contact : Didier Costagliola au (1) 43 43 92 20.
L’ETE DES CAHIERS DU CIN
La Cinémathéque Francaise
au Palais de Tokyo
du 28 juin au 20 septembre 1991

Mercredi 26 juin Soirée d’ouverture : LA BELLE NOISEUSE Samedi 20 juillet. §=18h : LE77RE DE SIBERIE de C. Marker ;
de J. Rivette 20h : A BOUT DE SOUFFLE de J.-L. Godard

Vendredi 28juin = 18h : Suse BOULEVARD de B. Wilder ; Dimanche 21 juillet 18h : Lz Bex Ack de P. Kast;
20h : LIMELIGHTILES FEUX DE LA RAMPE de C. Chaplin 20h : L’Eav ALA BOUCHE de J. Doniol-Valcroze

Samedi 29 juin 18h ; LE Carros “oR de J. Renoir ; Lundi 22 juillet 18h : LE TESTAMENT D'ORPHEE de Jean Cocteau ;
20h : MADAME DE... de M. Ophuls 20h : Lota de J. Demy

Dimanche 30 juin 18h : 7 Conress/L.A Lol DU SILENCE d’A. Hitchcock ; Mercredi 24 juillet 18h : Ratzy Rounp TE F146, Boys}
20h : THE BiG Sky/LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRS LA BRUNE BRULANTE de L. Me Carey ;
de H. Hawks 20h : BREAKFASTAT TIFFANY’S/DIAMANTSSUR CANAPE
de B. Edwards
Lundi Ler juillet 18h : Rusy GENTRY/LA FURIE DU DESIR de K. Vidor ;
20h : [7 SHOULD HAPPEN 10 YOU/UNE FEMME Jeudi 25 juillet 18h : PARIS NOUS APPARTIENTde J. Rivette ;
QUIS’AFFICHE de G. Cukor 20h30 : CLEODE5A7 @’A. Varda

Mercredi 3 juillet. §=18h : UN £7é propicicux de B. Barnet ; Vendredi 26 juillet. 18h : Le Signe pu Lion d’ E. Rohmer ;
20h : VoyaGk EN ITALIE de R. Rossellini 20h : THE ERRAND Boy/Lk ZINZINDE HOLLYWwooD
de J. Lewis
Jeudi 4 juillet 18h : ALI BABA ET LES QUARANTE VOLEURS de J. Becker ;
20h : LES MAUVAISES RENOONTRES a’ A. Astruc Samedi 27 juillet. §=18h : 7H£ MiRACLE WORKER/MIRACLE EN ALABAMA
d’A. Penn;
Vendredi 5 juillet. = 18h: 7## Bic Knire/LE GRAND CouTEAl de R. Aldrich ; 20h : WiLD RWVER/LE FLEUVE SAUVAGE dE. Kazan
20h : THE MAN FROM LARAMIE/L’HOMME DE LA PLAINE
d’A. Mann Dimanche 28 juillet 18h : Kopieé Sacus A INDIANAPOLIS de R. Leacock ;
20h : POUR LA SUITE DU MONDE de M. Brault
Samedi 6 juillet 18h : MAN WITH THE GOLDEN ARM/L HOMME AU BRAS
Dor d’O. Preminger ; Lundi 29 juillet 18h ; LES ANNEESDE FEU de J. Solntseva
20h30 : Ca77L£ QUEEN OF MONTANA/LA REINE DE LA et A. Dovjenk
PRAIRIE dA, Dwan 20h : LE COUTEAU DANS L’EAU de Roman Polanski

Dimanche 7 juillet. 18h : /7°s ALways Fark WEATHER/BEAU FIXE SUR Mercredi 31 juillet. 18h : L’ANGE EXTERMINATEUR de L. Bunuel ;
New YorK de S. Donen et G. Kelly ; 20h : ZL DESERTO ROSSO/LE DESERT ROUGE
20h : BIGGER THAN LIFE/DERRIERE LE MIROIR de N. Ray de M. Antonioni

Lundi 8 juillet 18h : BOB LE FLAMBEUR de J.-P. Melville ; Jeudi Ler aoit 18h : ADIEU PHILIPPINE de J. Rozier ;
20h : ASSASSINS ET VOLEURS de Sacha Guitry 20h : SHock Corripor de S. Fuller

Mercredi 10 juillet. 18h : Hoxiywoop oR BusT/UN VRAICINGLE DE CINEMA Vendredi 2 aot = 18h : Priva DELLA RIVOLUZIONE de B. Bertolucci ;
de F. Tashlin ; 20h : IL VANGELO SECONDO MATTEO/LEVANGILE SELON
20h : JET PILOTILES ESPIONS S’AMUSENT SAINT-MATTHIEU
de P. P. Pasolini
de J. Von Sternberg ; of
Samedi 3 aout 18h : SEVEN WOMEN/FRONTIERE CHINOISE de J. Ford ;
Jeudi 14 juillet 18h : BEYOND A REASONABLE Doubt / 20h : GeRTRUD de C.'T. Dreyer
L’INVRAISEMBLABLE VERITE de F. Lang ;
20h : Toucn or Evit/La SOF bu MAL a’O. Welles Dimanche 4 aolt = 18h : La Passacere d’A. Munk ;
20h : WALKOvER de J. Skolimovski ;
Vendredi 12 juillet. 18h : és AMANTS CRUCIFIES de K. Mizoguchi ;
NOITS BLANCHES de L. Visconti Lundi 5 aoat 18h : LES AMOURS D'UNE BLONDE de M. Forman
20h : MIGHT VERSOHNT/NON RECONCILIES
Samedi13 juillet. 18h : SomarLeK/EUX D’ETE de I. Bergman ; de J.-M. Straub ;
20h : THE QUIET AMERICAN/UN AMERICAIN BIEN
TRANOUILLE de J. Mankiewicz Mercredi 7 aout 18h : BRIGITE ET BriciTE de L. Moullet ;
20h : .PUGNI IN TASCA/LES POINGS DANS LES POCHES
Dimanche 14 juillet 18h: 7aRwiSHED ANGELS/LA RONDE DE L’AUBE de D. Sirk ; de M. Bellochio
20h : SoME CAME RUNNINGICOMME UN TORRENT
de V. Minnelli Jeudi 8 aout 18h : Le DIEV NOIR ETLE DIABLE BLOND de G. Rocha ;
20h30 : L’HOMME N’EST PAS UN OISEAUde D. Makavejev
Lundi 15 juillet 18h: LE SERGE de Claude Chabrol ;
20h : LA TETE CONTRE LES MURS de Georges Franju —-Vendredi9 aot. =. 18h : Les Peres MarGuerires de V. Chytilova ;
20h : LE REVOLUTIONNAIRE de J.-P. Lefebvre
Mercredi 17 juillet 18h : Ao/, vv Noir de Jean Rouch ; Bis
20h : PicKPockETde Robert Bresson Samedi10aoit = 18h: "ou vik d’A. Tanner ;
20h : / de Jean-Daniel Pollet
Jeudi 18 juillet 18h : LES QUATRE CENTS CouPs de F. Truffaut ;
20h : HiROSHIMA MON AMOUR @’A. Resnais 18h : Notre-Dame DES Turcs de C. Bene ;
20h : Faces de J. Cassavetes
Vendredi 19 juillet 18 h : La REVOLTE DES GLADIATEURS de V. Cottafavi ;
20h 2 TIME WITHOUT PITY[TEMPS Si i$ PITIE de J. Losey
EMA 142 FILMS (1951-1991)
Programmation composée
par Antoine de Baecque
et Bertrand Giujuzza

Lundi 12 aoiit 18h : LE ManpaT d’Ousmane


; Sembene
: Samedi 7 sep- 18h : Lés FEUX D'HIMATSURI de M. Yanagimachi
8 ;
20h : La PENDAISON de N. Oshima ; tembre 20h : Raw d’A. Kurosawa

Mercredi
14 aoit 18h : SO7701. SEGNO DEL. ScoRPIONEISOU ISLE SIGNE DU Dimanche Ssep- = 18h : DouBiLé MESSIEURS de J.-F. Stevenin ;
SCORPION de P. et V. T: tembre 20h : GINGER E FRED de F. Fellini
20h : IL ETAIT UNE FOIS DANS 1. ‘Ours'de S. Leone
Lundi 9 septembre 18h : Jsvvais Sanc de L. Carax ;
Jeudi 15 aoiit 18h : LE DETACHEMENT
FEMININ ROUGE 20h : La MESSA E FINITA/LA MESSE EST FINIE
(anony inois) ; de N. Moretti
20h : Venrp’EsTdu Groupe D. Vertov
Mercredidisep- 18h : Le Sacririck d’A. Tarkoyski ;
Vendredi 16 aoat. = 18h : /vpia Sonc de M. Duras ; tembre 21h : YEELEN de S. Cisse
20h : LA MAMAN
ET LA PUTAINde J. Eustache
Jeudi 12 septembre 18h : /) /LAVENTURE INTERIEURE de J. Dante ;
Samedi 17 aoit. = 18h : News rou Howe de C. Akerman ; 20h: JACKETde S. Kubrick
20h : MILESTONESde R. Kramer
Vendredii3sep- 18h : 36 FieTTEde C. Breillat ;
Dimanche 18 aoit. 18h : La Céci de J.-L. Comolli tembre 20h : L’ENFANTDE L’HIVER dO. Assayas
20h : L’Ouvier de Coll. Ciné Vincennes
Samedi 14 sep- 18h : Do Tue Ricut Tune de S. Lee ;
Lundi 19 aoiit 18h : LE THEATRE DES MAmIERES de J. C. Biette tembre 20h30 : Baruan de T. Burton
20h : LES ENFANTS DU PLACARD de B. Jacquot ; v
Dimanche
15 sep- 18h : 7’ NE 7UERAS POINT de K. Kieslowski ;
Mercredi 21 aot §=18h : 1.4 MacHine de P. Vecchiali tembre 20h : LE TEMPS DES GITANS VE. Kusturica
20h : L'HYPOTHESE DU TABLEAU VOLE de R. Ruiz
Lundi 16 septembre 18h : BOUGE PAS, MEURS ET RESSUSCITE de V. Kanevski ;
Jeudi 22 aoiit 18h : L’Aw AMERICAIN de W. Wenders ; 20h : CRIMES AND MISDEMEANOURS/CRIMES ET DELITS
20h : LE MARIAGE DE MARIA BRAUN de W. Allen
de R. W. Fassbinder ;
Mercredii18sep- = 18h : LA CAMPAGNE DE CICERON de J. Davila ;
Vendredi 23 aoit. = 17h : H/7LER, UN FILM DALLEMAGNE de H. J. Syberberg tembre 20h : Le PETIT CRIMINEL de J. Doillon

Samedi
24 aout == 18h : ReporTERS de R. Depardon ; Jeudi 19 septembre 18h : 1.4 CTE DES DOULEURS
de H. Hsiao Hsien ;
20h : ALEXANDRIE pouRQUO! ? de Y. Chahine 21 h: MILLER’ CROSSING dE. et J. Coen

Dimanche 25 aot 18h : HzAvEN’S GA7E/LES PORTES DU PARADIS


de M. Cimino

Lundi 26 aoiit 18h : DORA ETLA LANTERNE MAGIQUE de P. Kané a zi papel eas
20h : FRaNcIscA de M. de Oliveira E ne
Mercredi
28 aout 18h : 7/z# Twinede J. Carpenter ; Ce programme est donné titre indicati et susceptible
20h ; Sayar Nova de S. Paradjanov de modifications de détail pour motifs techniques.

Teudi 29 aout ‘18h : Hore pas Avérioues PA. Téchiné ;


20h ‘ Brow our de B. de Palma
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Ginemat Bue:
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% x ‘ (1)45 53 21 86 Poste
eas oe Les séances ont lieu au Palais yo,
Vendredi
30 aoit 18h : L’Ewranr secre? de P. Garrel 13, av du Président Wilson, 75116 Paris. Métro : Iéna
20h : LES AMANTS TERRIBLESde D, Dubroux ;
= Prix des places 22F, Abonnés 15F
Samedi 31 aout = 18h: bps Somes VALSE DES PANTINS Un abonnement d’un, deux ou trois mois donnant droit
le COTSESE au tarif abonné est vendu aux salles.
20h : RUMBLE FisH/Rusty JAMES de F. F. Coppola

Dimanche 1° 18h : A Nos auoursde M. Pialat ; La Cinémathéque Frangaise remercie vivement pour
tembre 20h : Un JEU BRUTAL de J.-C. Brisseau leur collaboration Mesdames et Messieurs :
Claude Beylie, Laurence Bierne, Freddy Buache, Jean-Max Causse,
8h: : Faux
18h Facx Fuyants
Fuyan7s de de A. Bergala
ala et J.P.
-P. Lim
Limosin Robert Croenne, Olivier Depecker,
Pp Patrick Eustache, Frangoise
iG
Lundi2 septembre 20h : “TON de S. Le Peron Kerlizin, Jean-Paul Gorce, Galeshka Moraviov, Jean Henoschberg,
Richard Magnien, Luc Moullet, Sylvie Richard, Guy Rochemont,
Mercredi 4 sep- 18h ‘: VipEODROME
5
dere D. Cronenberg -; Jean-Daniel Pollet, Simon Simsi, Andrée Tournés, André Valio.
tembre 20h : SUDDEN Iupact de C. Eastwood thas socisie cn ea beanie,
= ED | Aceacias, Action Films, Argos Films, Ambassade de Chine, Ciné-
Jeudi 5 septembre ae i ee a Bi ee te Classic, la Cinémathéque $ la Cinémathéque de Toulouse, la
- LOG eNO LS Cinémathéque Universitaire, la Cineteca Nazionale di Roma, I’Insti-
a tut National de l’Audiovisuel, Films du Losange, National Film
Vendredi 6 sep- 18h: RAINING IN ae is de K. Hu $e | Archive, Turner France, Films sans frontiéres, Warner Bros, AMLF,
tembre 20h : Les FAvoRIS
DE LA d’O. Tosseliani AAA, Ciclop films, Amorces Diffusion.
ETES-VOUS CAHIERS ?

‘|, Quels sont les Rivette travelling » ? a) Michéle Mercier posant


réalisateurs qui, en 1951, d) Les patins a glace a) Luc Moullet nue
1964, 1970, 1978 et 1989, suisses de Jean-Luc Godard b) Jean Delannoy b) Monica Vitti, enruhmée,
ont été placés en (jeune) c) Claude Lelouch avec une grosse écharpe
couverture des Cahiers a d) Jean-Luc Godard c) Sheila et Francoise Hardy
l'occasion du premier chantant en duo
numéro de leur nouvelle ©. Aux Cahiers, dans les d) Elizabeth II d’Angleterre a
formule successive ? années 50, comment peut- Si vous voliez une l'occasion du dixiéme
a) Huston, Zinnemann, on étre... seule photo de film... anniversaire de son
Lelouch, Costa Gavras, a) stalinien a) Michéle Morgan dans Les couronnement
Tavernier b) hitchcocko-hawksien Orgueilleux d’Yves Allégret
b) Wilder, Antonioni, c) sartrien b) Harriet Anderson dans
Oshima, Chaplin, Moretti d) gaulliste Monika d'Ingmar Bergman (5. Si vous voulez en finir
¢) Hitchcock, Bunuel, c) Brigitte Bardot dans Et avec la vie...
Godard, Truffaut, Chabrol Dieu créa la femme de a) La dynamite fait voir la
d) Wilder, Antonioni, /. La Prisonniére du Roger Vadim mort en bleu pétant
Eisenstein, Chaplin, Moretti désert de John Ford, a eté d) Gloria Grahame dans The b) Le cyanure est propre et
salué, en octobre 1956, Big Heat de Fritz Lang rapide
par un: c) Hare-kiri c’est exotique
2, Rohmer, Godard, a) « Sublime, forcément d) Sous le pont Mirabeau
Rivette, Truffaut, Chabrol, sublime »... “-. Un flic tue votre coule la Seine
c'est... b) « Un bon scénario héros, vous tournez la
a) La Nouvelle Vague par gaché »... séquence
ordre de taille c) « Le plus beau western a) A la station Chatelet du \/> Chappaqua, c’est...
b) La Nouvelle Vague de ‘ RER a) Une réplique de Godard :
classée par age tous les temps »... b) Rue Campagne-Premiére « Qu’est-ce que j’peux
‘c) La Nouvelle Vague par d) « Voici a l’ceuvre le génie c) A Chicago faire ? Chappaqua faire...»
ordre d’entrée aux Cahiers de l’évidence »... d) Au commissariat de b) Le nom du chapeau
d) La Nouvelle Vague police de votre quartier mexicain dont aimait se
classée par nombre de couvrir Jean Eustache
films projetés au Saint- « Ils sont pourris, et c) L’alcool (trés fort) qui
Germain-des-Prés pourris par l’argent »... “> Lorsque, en septembre circulait dans la rédaction
a) Claude Chabrol a propos 1963, les Cahiers décident lorsque Louis Marcorelles
des flippers du café Les de faire moderne, ils vont revint de Cuba, en
3, Monkey Business de Champs-Elysées voir : décembre 1965
Howard Hawks est un film b) Jacques Rivette a propos a) Jacques Séguela d) La premiére couverture
a) amusant de Clouzot, Clément, Autant- b) Brigitte Bardot en couleur, en octobre
b) génial Lara c) Roland Barthes 1966
c) intéressant c) Jacques Doniol-Valcroze a d) Paul VI
d) commercial propos de |'équipe de
Positif 43> Quelle est la couleur
d) André Bazin a propos des > Le « gang des Corses des yeux du Pére Noél ?
“> Le titre d’article le plus films de Hitchcock », c'est a) Vert
célébre des Cahiers a) le groupuscule qui joue b) Bleu
a) « Le roi est mort, vive le aux cartes dans Les c) Il porte des lunettes
roi » © Le point commun entre Carabiniers de Jean-Luc noires
b) « Nous ne nous Robert Lachenay et Godard d) Demandez au Pére
masturbons plus » Francois de Monferrand b) Le titre d'un court Fouettard
c) « Une certaine tendance a) Deux présidents du métrage d’Eric Rohmer
du cinéma frangais » conseil sous la IV® c) Une erreur géographique
d) « Le trou de la vierge ou République : il s’agirait plutot d’une “Le), Une « Barbinthéque »,
Marie telle que Jeannot la b) Deux personnages tendance pied-noir des c’est...
peint » typically French de Cahiers (Comolli, Narboni, a) Une exposition itinérante
Hitchcock dans To Catch a Fieschi) de postiches en tous
Thief (genre Dupont et d) Les auteurs d’un hold-up genres
=. « Dictone Jel », c’est la Dupond) célébre, sur les Champs- b) Une réforme proposée
marque de... c) Deux pseudonymes de Elysées, en mai 1963 par les Cahiers en 1968
a) La gomina d’Eric Rohmer Truffaut pour remplacer |'IDHEC
(jeune) ., d) Le nom des deux cousins c) Un lieu (de « barbin » :
b) Le liquide refroidisseur du film de Chabrol Le premier numéro vieillard académique dans
de la voiture de Claude des Cahiers, lorsque Daniel la langue cinéphile) ou
Chabrol (jeune) Filipacchi en devient enfermer le « Ministre de la
c) Le magnétophone de oJ), Qui a écrit: « La propriétaire, en novembre Kultur » (selon Godard),
Frangois Truffaut et Jacques morale est affaire de 1964, porte en couverture André Malraux, en 1968

Cahiers du cinéma n°446


LE JEU-TEST DE L’ETE
d) Un projet de remplacer Henri des ascenseurs 2). Le premier numéro en septembre 1986 ne s’est
Langlois par Pierre Barbin a la b) Un texte de Pascal couleur pas encore penchée sur...
téte de la Cinémathéque en Bonitzer a) Il n'y en a jamais eu... a) Jean-Luc Godard
février 1968 c) Deux mécénes b) En mai 1981, pour féter b) André Téchiné
américains, voulant l'élection de Mitterrand c) Andrei Tarkovski
demeurer anonymes, qui c) En décembre 1982, pour d) John Cassavetes
“0, Sur quel film porte la ont renfloué les Cahiers en colorier Identification d’une
critique qui consomma la février 1976 femme et E.T.
rupture des Cahiers avec d) Les initiales des deux d) En novembre 1989, a <5. Un seandale éclate
Filipacchi, en octobre 1969 chats adoptés par la l'occasion de la derniére dans le courrier des
? rédaction au printemps nouvelle formule lecteurs de l’'automne
a) Z de Costa Gavras 1988 1989, car...
b) La Siréne du Mississipi a) L’on découvre que Michel
de Francois Truffaut <\)), Un homme politique a Ciment signe dans les
c) Pravda de Jean-Luc 42. Le retour en fait la couverture des Cahiers sous un
Godard et du Groupe Dziga couverture du cinema Cahiers, il s’agit de... pseudonyme
Vertov ameéricain date a) Lénine b) Les Cahiers ont fait une
d) La Pendaison de Nagisa a) De l’été 1979, avec b) Mao-Tsé-Toung couverture sur Batman,
Oshima Apocalypse Now de Francis c) Valéry Giscard d’Estaing jugé trop commercial
F. Coppola d) Jack Lang c) Il n'y a toujours aucune
b) De |’été 1980, avec The femme parmi les
7). « Les yeux ne veulent Deer Hunter de Michael rédacteurs réguliers
pas en tout temps se Cimino Il n’a pas écrit aux d) Les Cahiers ont placé
fermer, ou peut-é6tre qu’un c) De l’'automne 1980, avec Cahiers : Sophie Marceau en
jour Rome se permettra de The Big Red One de Samuel a) Jean Eustache couverture
choisir 4 son tour », c’est... Fuller b) André Téchiné
a) Le titre d’un film de Jean- d) Du printemps 1981, avec c) Patrice Leconte
Marie Straub et Daniéle Raging Bull de Martin d) Léos Carax Il existe un mot a ne
Huillet Scorsese pas prononcer devant un
b) La premiére phrase d’un rédacteur
article de Jean-Pierre ©”, Les Cahiers des des Cahiers
Oudart 23, Le réalisateur le plus années 1980 ont beaticoup a) Mythique
c) Une réplique de Jean- cité dans les pages des voyagé. Quel est b) Conceptuel
Pierre Léaud dans Le Cahiers (sur quarante ans) Vitinéraire de leurs c) Kitsch
Départ de Jerzy Skolimovski a) Marcel Carné huméros spéciaux ? d) Sexué
d) Un extrait de |’allocution b) Alfred Hitchcock a) Inde. Brésil. URSS.
prononcée par le général de c) Federico Fellini b) USA. Hong-Kong. URSS.
Gaulle lors de son départ d) Jean-Luc Godard c) USA. Italie. USA ©), En mai 1990, le
en 1969 d) Italie. Japon. Angleterre. magnétophone n’a pas
voulu marcher durant le
77/. Quelle est la couleur premier entretien réalisé
22), Quel est le terrain de de votre grande écharpe ‘\. En octobre 1987, la avec... tae
maneuvre privilégié du durant I’hiver ? rédaction a confié son a) Claude Lelouch
Groupe d’intervention a) Noire numéro 400 a... b) Claude Berri
idéologique Lou Sin ? b) Grise a) Jean-Luc Godard c) Isabelle Adjani
a) Saint-Germain-des-Prés c) Rouge b) La Cicciolina d) Bertrand Tavernier
b) Renault-Billancourt d) Rose c) Wim Wenders
c) La rue Coquillére d) Mick Jagger
d) La jungle sino- ‘s), Qui est en couverture
vietnamienne 743), Les Cahiers ont du premier numéro des «
interrompu une seule fois “4, Les Cahiers n’ont Cahiers Japon » ?
leur parution en quarante réussi a déshabiller qu’un a) Akira Kurosawa
22, $i vous créez une ans seul acteur dans leur b) Béatrice Dalle
association, vous l’appelez a) En octobre 1957, a histoire c) Yoichi Umemoto
a) Au Bar des bons copains l'occasion du mariage de a) James Dean en 1955 d) Kenzo
b) Le Front Culturel Francois Truffaut b) Marlon Brando en 1961
révolutionnaire b) En novembre 1958, c) Serge Reggiani en 1988 ), Votre voiture...
c) Les Amis de Marilyn lorsqu’André Bazin est mort d) Gérard Depardieu en a) Une Rolls Royce
d) Le Club des cing c) En avril et mai 1968, lors 1990 b) Une 4L ’
de |’Affaire Langlois et des c) Une Ferrari Testa Rossa —
manifestations de Mai d) Vous n’avez pas de
20 « SoM S. et JL. G », d) Durant trois mois, a partir de =}6) La collection « permis...
c’est novembre 1969, pour régler Auteurs » lancée par les
a) Une société fabriquant le conflit avec D. Filipacchi Editions des Cahiers en

Cahiers du cinéma n°446


REPONSES
1. B : Sunset Boulevardde B. Wilder en avril 13. C : Entretien reproduit dans le N°147. régénérer le cinéma sous I'impulsion des 38. A: L’entretien est finalement passé en
1951 ; Le Désert
rouge de M. Antonioni en Cahiers mao. mai 1990.
14. C : Sumom amical du groupe Comolli-
novembre 1964 ; Petit Garcon de N. Oshima
Narboni-Fieschi (ce demier étant le seul 24. B: Texte sur Straub et Godard, les deux
en mats 1970 ; Monsieur Verdoux de C.
Chaplin en février 1978 ; Palombella Rossa
« vrai » Corse , puisque natif d’Ajaccio), qui piliers du choix Cahiers, février 1976.
contribua a renverser Rohmer en mai 1963. 40. D : C'est le cas de tous les rédacteurs
de N. Moretti en novembre 1989. actuels (exception faite de Serge Toublana)
25.A
15. B : Monica Vitti dans Le Désert Rouge
2. C ; Rohmer (Schérer) au numéro 3 ; d’Antonioni, N°160.
Godard (Lucas) au 8 ; Rivette au 20 ; 26. D : Godard, a titre d'exemple, a fait 23
Truffaut au 21 ; et Chabrol au 28. 16. A : Revoyez Pierrot le Fou de J.-L.Godard. fois la couverture des Cahiers., sans
compter les deux numéros spéciaux par lui
3. B : Texte de Jacques Rivette : « Géniede 17. D : Chappaqua est un film, bien oublié, dirigé (N°300) et & lui consacré (novembre
Howard Hawks », N°22, de Conrad Rooks, imposé en couverture par
Filipacchi.
1990). Si vous avez
4. C : Texte de Francois Truffaut, N°31.
18. B : Revoyez Le Pére Noél a les yeux 27. A: Lire les nouvelles « Any Where out of Plus de 33 bonnes réponses :
5. C : Le magnétophone Dictone Jel, bleus de Jean Eustache. the World » et « Cinéma » dans Petits Une telle osmose ne doit pas étre
malentendus sans importance d'Antonio gachée : écrivez immédiatement
portable, a été utilisé pour la premiére fois
19. D: « Non a la Barbinthéque » fut l'un Tabucchi, Editions Bourgois, Paris, 1987.
par les Cahiers en février 1954, pour un votre premier article et envoyez-le
des slogans favoris des manifestations de
entretien avec Jacques Becker. 28.D sans tarder. Autre solution : épousez
soutien a Langlois entre février et avril 1968
6. B ; Expression d’André Bazin, « Comment 20. B : Il s'agit d'un texte de Jean-Pierre
un rédacteur.
29.C
peut-on étre hitchcocko-hawksien ? » pour Oudart : » Réverie bouclée ».
désigner les « jeunes turcs », N°44, 30. C : Cahiers n°306. V.G.E. filmé par Entre 20 et 33 bonnes réponses :
21. A: Ce sont ces deux vers de Cormeille
7. B : Notule de Francois Truffaut, N°63. Raymond Depardon dans le documentaire : Une petite révision s'impose. Vous
qui servent de véritable titre 4 Othon de
Straub et Huillet. Ce film fut l'un des fers de
50,81%. devriez suivre attentivement la
8. B : Expression employée lors de la table- rétrospective des 142 films Cahiers
lance du gotit Cahiers au début des années SLA
ronde « Situation du cinéma frangais » en
70 (N°224). de l’6té plut6t que d’aller trainer sur
mai 1957.
32.B les plages.
22. C : Au 39 de la rue Coquillére, prés des
9. C : Robert Lachenay est I'ami d’enfance Halles, se tenait le bureau des Cahiers
33.C
de Truffaut ; « Monferrand » est le nom de
lorsqu’ils virérent au maoisme en octobre Entre 8 et 19 bonnes réponses :
Jeune fille de sa mére, 1971, Lou Sin, écrivain chinois engagé et Une seule solution, lire a haute voix
34, Serge Reggiani se retrouve nu sous I'ob-
10. A: « Sam Fuller sur les brisées de érudit (1884-1936), fut le pseudonyme du Jectif de JeanLoup Sieff au cours du numéro et sans sauter de chapitre, les
Marlowe », par Luc Moullet, en mars 1959. « groupe d’intervention idéologique » ‘spécial « acteurs » de mai 1988, p. 86. (bientot) deux volumes d’ Histoire
Godard reprendra ensuite l'expression en (Aumont, Bonitzer, Comolli, Daney, Kané,
Oudart, Narboni, Toubiana) qui écrivit 35.A d’une revue, le paveton d’AdB.
Vinversant.
collectivement la plupart des textes entre le
11.B : Revoyez les Quatre
Cents coups de printemps 1972 et I'automne 1973. 36. B : Batman est en couvertureen Moins de 8 bonnes réponses :
Francois Truffaut. septembre 1989 La cause Cahiers semble perdue.
23. B : Le Front Culturel révolutionnaire
fut
12. B : Revoyez A bout de souffle de Jean- Vorganisation « de masse » (entre soixante 37. C : Revoyez Palombella Rossa de Nanni Abonnez-vous a Positif. (qu’il faut
Luc Godard. et cent-cinquante militants) qui devait Moretti. féliciter pour sa nouvelle formule).

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48] Cahiers du cinéma n°446


EDITION
40¢ ANNIVE
S ATR
R

HISTOIRE D'UNE REVUE - TOME 1


LES CAHIERS A L'ASSAUT DU CINEMA -
1951-1959

Antoine de Baecque

L'histoire des Cahiers est celle d'une génération enthousiaste et injuste, brillante et provo-
catrice, conviviale et divisée, qui va donner naissance a la Nouvelle Vague.

320 pages + 32 pages photos


Broché : 149 F
Relié pleine toile : 185 F
ENTRETIEN AVEC CLAUDE BRASSEUR

[50] Cahiers du cinéma n°446


GROS PLAN SUR UN ACTEUR

Entretien avec

Claude Brasseur

Sale comme un ange marque une qui, apparemment, n’ont pas de faille, loin l’'avantage sur V’intrigue policiére. Le
étape dans votre carriére, un c’est justement de trouver quelle était background, c’est la description de ce
changement d’image. C’est notre leur faiblesse, 14 ob ils pouvaient déraper; milieu.
sentiment, est-ce le votre? car, personnellement, je trouve que les Le dialogue de Sale comme un
Certainement. Les films que l’on fait gens sont moins intéressants par leurs ange est assez réduit et souvent
sont toujours des petites 6tapes mais qualités que par leurs défauts. Avec assez banal. La présence que
d'autres sont effectivement plus impor- Deblache, j’étais servi. C’est un policier vous y affirmez repose donc
tants, comme celui de Catherine qui dans un film qui n’est pas un policier, davantage sur des éléments plus
marque, pour moi, une évolution en tant c’est ce qui m’a plu dans le scénario de intangibles, sur la nécessité de
qu’homme. C’est un autre age, un autre Catherine. En le lisant, j'ai eu pour la faire corps avec une certaine
aspect physique et ce n’est pas pour me premiére fois l'impression de voir un film atmosphére. Comment s’est
déplaire. La mort et la vieillesse ne me a lenvers. Dans les polars qu’on me pro- construit ce travail?
tracassent pas, c’est donc trés bien de pose, l’intrigue policiére est générale- Je crois que le cinéma a évolué, comme
s'adapter maintenant a ce nouvel age. On ment au premier plan et, en background, Vart en gér éral, vers ce qu’on pourrait
m’a beaucoup vu dans des personnages il y a histoire sentimentalo-érotique appeler la banalité. La peinture a com-
différents de celui-la mais ga ne corres- pour aérer, comme on dit. Dans Sa/e mencé par s’intéresser a des sujets sacrés,
pond pas toujours 4 un choix de ma part comme un ange ©’ est exactement l’inverse: on représentait Dieu, la Vierge, les saints,
car, lorsqu’on dit qu’a un certain stade une histoire d’amour qui prend de trés puis on est descendu d’un cran et on a
d’une carriére on peut choisir peint les rois, les princes et les
ses films, il ne faut pas oublier reines. Peu a peu, on s’est en-
qu’on ne choisit jamais qu’a core rapproché de sujets plus
Pintérieur de la palette qu’on > Le flic qui aimait les fem- banals et il est sir que Raphaél
vous propose. On m’envisage serait tombé de son échafauda-
surtout dans des réles d’action, mes, c’est le dernier role de ge si on lui avait dit qu’un jour
un tableau pourrait représenter
j'aime bien ga mais c'est vrai
un plat de pommes ou un bou-
que je préférerais pouvoir tra- Claude Brasseur dans le film quet de fleurs et étre un chef-
vailler plus souvent dans ce
d’ceuvre. Au cinéma, les per-
genre d’approche que Catherine
a su avoir, et me glisser dans la
de Catherine Breillat : Sale sonnages ont longtemps été
peau d’un flic qui fait autre des grands héros, des princes
chose que tirer des coups de comme un ange. Ou lon part qui emballaient une bergére ou
revolver. une princesse et, de la méme
Ce flic, comme le film, sur la piste d’un flic machiste fagon, par l’intermédiaire aussi
dérive vers autre chose des acteurs qui n’ont plus un
que le polar. Il a des fai- et misogyne pour rencontrer physique extraordinaire, je
blesses, des failles, ce pense aux Pacino, De Niro, on
qui n’a pas toujours été un amant aux accents tragi- est arrivé a des personnages
plus ordinaires. Ce qui est inté-
le cas pour les person-
ressant, c’est de chercher ce
nages que vous
jouer dans les polars
avez pu
ques. Le courage authentique quil y a derriére ce quotidien.
francais. Cette fragilite Avec des auteurs comme
ne vous a pas fait peur?
d’un acteur en pleine posses- atherine Breillat, il y a effec-
La chose qui m’a toujours le tivement des choses trés
plus intéressé, méme pour ces sion de ses (grands) moyens. banales dans le dialogue mais
personnages dont vous parlez aussi beaucoup de non-dit et

Cahiers du cinéma n°446 [54


ENTRETIEN AVEC CLAUDE BRASSEUR

cest ce qu’il y a de plus agréable pour un sion a changé beaucoup de choses pour Vintérieur de la fourchette qu’on nous
acteur. Dans I’art dramatique, de deux les acteurs. Le s/ar system dans sa version propose. C'est vrai aussi, et c'est mon
choses l'une: ou l’on dit les choses, ou on américaine qui consistait pour les major choix — est-il bon, ne l’est-il pas — que
les joue mais il ne faut pas faire de pléo- companies 4 engager des acteurs et a les je ne veux pas penser mon métier avec le
nasme. Si on doit les dire, on ne peut plus maintenir sur des personnages donnés, vocabulaire des jeunes cadres dynz
les jouer, ce qui n’est pas trés marrant c j toujours avec les méme costumes et la miques, planification, objectifs, politique
ce n’est plus qu’un probleme de mémoi- méme facon d’étre photographiés, fone- de carriére. Je suis heureux de faire mon
re, on balance ses répliques et c'est tout. tionnait, a raison d’un film par an et par métier trés sérieusement mais je tiens a
C’est vrai que dans le film de Catherine acteur 4 peu prés, ainsi on n’était jamais ne pas prendre au séricux. Plus les
si l'on s’en tient a ce que l'on dit, surpris pas John Wayne, Cooper ou acteurs de ma génération étaient com-
noffre pas grand intérét. Mais il y a tou- Bogart. La version frangaise de ce star merciaux, plus ils étaient évidemment
jours, a c6té de ga, la possibilité de nour- systéme n’était pas si différente. enfermés dans un certain type de person-
rir le personnage et le film avec des quan- Aujourd’hui, la télévision a compléte- nage. Ayant toujours été moins commer-
tités de choses. C’est sans doute plus dif- ment changé cette perception que le cial que Belmondo, j'ai quand méme pu,
ficile et plus délicat mais cela fait en tous public pouvait avoir des acteurs, ils sont non pas faire de vrais zigzags, mais lou-
les cas appel a ce qui, pour moi, est indis- présents tout le temps, méme quand ils voyer dans des genres un peu différents.
pensable, l’imagination. Celle de la ne tournent plus ou qu’ils essaient de La comédie et le polar, des genres
cinéaste, des comédiens et du public. C’est faire autre chose au cinéma. Quand, d’un ou vous avez beaucoup travaille,
par la qu’on peut atteindre l’émotion. seul coup, avant la sortie d’un film, on se semblient aujourd’hui un peu a
Beaucoup de vos films, en particu- retrouve, en l’espace de quelques bout de souffle au cinéma et sont
lier ceux des années 80, passent semaines, sur toutes les chaines de télé maintenus en , de facon un peu
réguliérement a la télév nen dans des réles plus ou moins récents, il y artificielle, par la télévision. Cette
début de soirée. Est-ce que cela a toutes les chances pour que le public ne frontiére mouvante n’est-elle pas
ne rend pas plus forte, pour vous, voit pas tellement lutilité d’aller voir ce dangereuse pour un acteur
la nécessité d’échapper a Claude que vous venez de faire de nouveau. comme vous?
Brasseur afin de donner toutes C’est pour ga qu'il faut habituer le public Ce n’est pas le genre des films qui est a
ses chances a un personnage 4 avoir une image de nous qui bouge. bout de souffle, c’est la fagon dont on les
comme celui de Deblache, par Vous n’étes cependant pas un fait. C’est un peu la raison pour laquelle
exemple ? acteur qui semble aimer les je suis de plus en plus ouvert aux propo-
Vous avez tout a fait raison. C’est une virages trop affirmés. Aprés avoir sitions que l’on me fait au théatre. La
situation qui existe et qu il faut contre- tourné Détective avec Godard, télévision fait beaucoup de mal au ciné-
carrer en essayant le plus possible de faire vous avez enchainé sur des films ma et au théatre, moins sans doute au
des choses différentes et en donnant une d’un genre que vous connaissiez niveau de la compétition audimat-box-
image vraie des films que l’on tourne. déja. Il n’y a rien de radical dans office — qui a changé quelques données
Quand on me dit: «Alors, Sa/e comme un votre progression. beaucoup trop économiques pour que je
ange, encore un policier!» je ne le la se Non, il n’y pas de virage trés fort mais puisse m’en méler — que dans le domai-
pas passer. La c'est surtout, je le ne de l’écriture. L’individu, par nature, et
télévi- répéte, parce plus encore dans la société ot! nous
qu’on choisit vivons, est attiré par la facilité et les
toujours a jeunes auteurs qui se retrouvent dans la
situation de passer deux ans a leur table
pour écrire une piéce, sans savoir si elle
sera jouée, ou un scénario, sans savoir si
ce film sera produit ni, s’il Pest, comment
il sera pergu par la presse et le public. Par
contre 4 la télé, il y a un tel besoin
@images, qu’en quinze jours, ils peuvent
torcher quinze pages et exploiter leur
@ « Alors idée pour un téléfilm en touchant tout de
Sale suite de l’argent, ce qui les incite évi-
comme demment a poursuivre dans cette voie.
un ange, Crest 1a ott la télévision fait et fera encore
encore un longtemps beaucoup de mal au cinéma et
policier ! » au théatre. Je trouve trés bien que la vraie
star d’un film, aujourd’hui, ce soit sa qua-
lité. Le public est moins confiant dans le
simple nom d’une vedette, le vedettariat
ne déclenche pas forcément la confiance
et le non-vedettariat ne déclenche pas
non plus la fuite. Cela nous oblige a étre
plus exigeants sur la qualité de notre tra-
vail. Je crois que le cinéma s’est toujours
fait et se fera toujours avec des histoires
et des personnages, done avec des
acteurs. Mais, pour jouer la comédie, il
GROS PLAN SUR UN ACTEUR

faut du temps et les tat final m’apporte moins


meilleurs acteurs du monde que le travail préalable. Je
ne peuvent que balancer leur me souviens avoir eu un jour
réplique a toute vitesse avec une conversation avec Bruno
les neuf minutes utiles par Nuytten, le directeur de la
jour que l’on doit mettre en photo sur Déective, qui m’a
boite a la télévision. La télé- dit une chose qui résume
vision que j’ai aimée, c’est parfaitement ce que je
celle du Don Juan de Bluwal. pense de Godard: « Diew sait
C’était tout a fait remar- si fai eu des problemes émo-
quable, et pour moi c’était tionnels, personnels et profes-
idéal car je pouvais joindre stonnels avec Jean-Luc. Dieu
ce que j'aime le plus dans ce sait Sil ma fait chier, mais je
métier, le théatre et le ciné- voulais aller au bout et pour
ma. Quel dommage que ga moi ily a maintenant un avant
ne se fasse plus! C’est d’ail- et un apres Godard. Je ne ferai
leurs un peu incompréhen- plus de la photo de la méme
sible qu’on en soit arrivé 1a facon », C’est la méme chose
car, méme sur le plan com- pour moi. Je ne crois pas que
mercial, c’était tout a fait Jean-Luc travaille avec ses
valable. J'ai fait aussi la série acteurs de maniére objective
des Vidocq. C’est d’ailleurs mais, au contraire, trés émo-
peut-étre ca qui — les pro- tionnelle. S’il aime quel-
ducteurs manquant souvent qu’un, il le filme de fagon
dimagination — m’a collé trés différente que s’il ne
une telle image de flic! Vaime pas, et comme ses
Est-ce que par votre sentiments a l’égard des
pére, Pierre Brasseur, autres changent sans cesse,
vous vous sentez lié c’est trés difficile de s’y
a la tradition de ces retrouver. C’est surtout, en
comédiens francais fait, dans le domaine de la
des années 30-40 technique et de la mise en
dont Belmondo, par scéne, que je ne contréle
exemple, semble trés pas, que j’ai appris de Go-
admiratif ? dard. Aujourd’hui, beaucoup
Je crois qu’on est beaucoup @ Détective avec Nathalie Baye. de metteurs en scéne font
plus influencé par le cinéma de grands discours sur leur
international et en particulier amé n. pour moi liée au plaisir et celui-ci n’est respect et leur amour pour Godard et une
J'ai beaucoup moins de références fran- pas lié a la performance. J'ai envie de fois sur le plateau, agissent compléte-
¢aises que Jean-Paul, qui aime effective- m’intéresser aux personnages que je joue ment a l’opposé. Je me demande sur quoi
ment évoquer la lignée des Jouvet, et ne pas les trahir, cela n’empéche pas ¢a débouche de connaitre Godard par
Raimu, Michel Simon et Brasseur. Je suis qu'on puisse parfois parler de performan- coeur puisqu’ils n’essaient méme pas de
trés sensible a ces acteurs mais ce sont ce mais ce n’est pas un objectif en soi. Il s’inspirer de ses méthodes de travail
souvent des personnages trés €crits et y a des personnages qui sont, quel que quils trouvent remarquables.
extravertis. En tant que spectateur, mes soit l’angle sous lequel on les aborde, des On a l’impression que Godard
yeux sont depuis toujours tournés vers le performances vivantes. Cyrano est un vous laissait plus de liberté dans
cinéma américain qui est plus prés de personnage qui fait lui-méme un numéro, Bande a part.
Vauthentique. La vérité me fait chier, je avant Depardieu. On sait trés bien rendre Non, il n’y avait pas une grande différen-
n’ai jamais essayé de trouver la vérité cela dans le cinéma américain parce ce. La fameuse liberté que Godard,
d’un personnage, je préfére trouver son qu’on sait trés bien y faire un casting, en parait-il, laisse aux acteurs, est en grande
authenticité. La vérité, c’est dans la rue, confiant ces personnages de stars du quo- partie une chose inventée. II s’autorisait
ce n’est pas pour les gens du spectacle. tidien aux vedettes. Dans Les Incorrup- effectivement a lui-méme toutes sortes
Avec les Américains, on a impression de tibles de De Palma, c’est évident: ils font d’improvisations mais quand il nous don-
rentrer dans histoire des personnages, jouer Al Capone par une star et pour nait nos dialogues, il fallait les respecter.
méme les nples polars de série B ont Eliott Ness, qui dans le scénario n’est pas Sur Bande @ part, on a tourné pendant
une force qui nous implique davantage. une star, ils engagent un acteur extraodi- deux jours une poursuite en voiture.
Alors qu’il y a une sorte de distance naire mais que personne ne connait, alors C’était le mois de novembre, le ciel était
brechtienne dans les films de Carné, Gré- que le flic irlandais qui est une vedette gris et bas, on a commencé la séquence
millon. C’est virtuose, jubilatoire mais on de la police est joué par Sean Connery. et, en revenant le lendemain pour la
ne se sent pas vraiment concerné. Tourner Détective, est-ce que suite, on a trouvé le directeur de produc-
Vous n’étes visiblement pas attiré c’est aussi lié 4 un plaisir pour tion désespéré parce que, pendant la
par les performances, c’est un vous? nuit, il était tombé vingt centimétres de
type de jeu qui semble vous étre Je trouve que les tournages de Godard et neige et que ga ne raccordait plus avec la
étranger. ses conférences de presse sont beaucoup veille. Jean-Luc a dit que ¢a n’avait aucu-
Complétement. L’approche d’un réle est plus intéressants que ses films. Le résul- ne espéce d’importance et on a tourné

Cahiers du cinéma n°446 53]


ENTRETIEN AVEC CLAUDE BRASSEUR

normalement puis il est parti avec son métier avec lui. C’est moins miso que de Von pourrait croire que le vieux routier
décorateur pour filmer deux panneaux. draguer des gonzesses dans des clubs 4 la que je suis les a aidées et c’est le contrai-
Sur le premier, en blane sur fond noir, mode pour les troncher et les jeter. Il se re qui s’est passé, surtout pour ces scénes.
était écrit Zone Sud et il a monté ce plan conduit comme un enfoiré avec son Catherine m’a aidé par l’authenticité de
au début de la poursuite. Sur autre, on copain, ¢’est sir, mais il ne se réjouit pas sa mise en scéne, elle filmait avec une
lisait Zone Nord et Jean-Luc a placé ce du tout de lui mentir et la femme n’est caméra vraiment impudique, c’est-a-dire
deuxiéme panneau au début de la secon- pas heureuse de tromper son mari. Ce beaucoup plus que si on voyait un cul.
de partie de la poursuite. Aprés, les gens n'est pas un vaudeville. Cette passion qui Qu’est-ce qu'il y a de plus impudique
criaient au génie mais ses idées, qui sur- leur tombe sur la gueule, ce destin qu’on que le visage des amants quand ils
prenaient toujours, étaient souvent ne peut que subir et que seule la mort s’envoient en lair? C’était filmé sans
dabord utiles pour résoudre des pro- peut dénouer, c’est une vraie tragédie. géne. Lio, de son cété, a, comme elle le
blémes pratiques. Quand je dis la mort, ce n’est pas un dit elle-méme, la nudité joyeuse et elle
Pour en revenir au personnage de piége, un meurtre: c’est Dieu qui leur a était tout a fait a Paise, on jouait la comé-
Deblache, il me semble que vous foutu ga sur la gueule et il n’y a que lui die de amour comme la comédie tout
représentez pour le public un vrai qui peut l’enlever. Deblache est un type court. Quand deux acteurs doivent jouer
personnage de la société fran¢ai- bien, il conseille a la fille de divorcer pour des amants, pas seulement dans les
se, vous avez joué des réles de pouvoir l’épouser. Il y avait une chose scénes physiques, il est indispensable
pére, dans La Boum en particulier, trés importante pour moi — j’en ai parlé qu’on puisse imaginer qu’ils le sont réel-
des flics, des hommes ancrés avec Catherine et nous étions d’accord — lement, au conditionnel. Le fait que ga
dans le quotidien. Avec Sale c’est que dans la scéne d’arrestation a la soit possible est trés important. S’il y a
comme un ange, c’est une image fin du film, il soit bien clair que ¢’était une répulsion émotionnelle ou physique,
moins évidente de vous qui appa- une situation tragique pour qu’en aucun ¢c’est dramatique.
rait, est-ce que vous vous étes 2aS on ne puisse penser que Deblache Ce que vous cherchez au théatre,
demandé si votre public allait s’y faisait tout pour que le méme créve. ce sont d’abord des réles diffé-
retrouver? Deblache rentre le premier, il n’y a donc rents ou une autre maniére de tra-
Cela ferait partie de ce que j’appelle la pas de doute sur le fait qu’il est honnéte vailler?
politique de carriére, je n’avais done pas jusqu’au bout. Le théatre est plus difficile émotionnelle-
peur de ga. Je pense d’ailleurs que Vous aviez peur que le person- ment et physiquement. On s’apergoit trés
Deblache est un personnage accessible nage soit trop négatif? vite sur un tournage si ga ne se passe pas
pour le public, ce qui lui arrive peut arri- Non, je me fous qu’un personnage soit comme on l’avait espéré, mais c’est assez
ver 4 n’importe qui, il est émouvant, il est négatif. Ce n'est pas mon probléme, mais facile 4 supporter car cela ne dure pas wés
a la portée des gens. c’est parce que, dans ce cas, ce n’était longtemps et on vit sur des horaires nor-
Il n’est quand méme pas tout plus le méme film. Si Deblache essaie de maux. Au théatre, cela fait deux ans que
blanc et méme, par certains faire tomber son copain dans un piége, le je vis avec mon personnage et mon parte-
cétés, assez minable, malhonné- film devient un vaudeville, et le person- naire, pour Le Souper. ll faut donc étre
te, menteur. Il couche avec la nage devient une crapule. C’est le cété beaucoup plus exigeant sur le choix de
femme de son copain et il a lair tragique qui m/’intéressait le plus, le fait ses réles car si ¢a se passe mal, c’est un
de s’arranger pour que celui-ci se de vivre une histoire d’amour qui vous véritable supplice. Au théatre, par contre,
fasse tuer. Il n’est pas antipa- rend malheureux. les acteurs sont les patrons. I] faut beau-
thique mais, si on va au fond des Vous avez souvent incarné des coup travailler avec le metteur en scéne
choses, il n’est pas trés reluisant. machos frangais plut6t marrants mais le soir, quand le rideau se léve, c’est
Je ne suis pas de cet avis mais c’est bien et pas antipathiques ou un peu nous les patrons. On est ingénieur du son,
que vous réagissiez ainsi car ga prouve héroiques. Mais, avec Deblache, on a le potentiométre dans la gorge, on
que l’on fait appel 4 imagination des vous passez au macho ordinaire, est monteur, on donne a la piéce le ryth-
gens. Si, personnellement, je regarde et en méme temps plus dur, dont me que l’on veut, on est cadreur, on a
Deblache au-dela de image qu’il ren- tout le plaisir est d’avoir fait jouir toute la responsabilité du public et du
voie, c’est pour moi le contraire d’un cette femme. Il semble assez irré- spectacle entre nos mains.
misogyne. Il est vrai que beaucoup de cupérable. Y a-t-il des metteurs en scéne
scénes qui renforgaient cette impression Il dit ga dans un coup de colére car c’est avec qui vous avez spécialement
ont disparu au montage. Au cinéma, il quelque chose qui est trés important pour envie de tourner aujourd’ hui?
ués difficile de contréler ce qu’on fait et eux deux. Pour lui, c’est certainement Il y en a beaucoup. Les trois B d’abord:
je pense assez souvent que c’est davanta- une des toutes premiéres fois de sa vie ob Besson, Blier, Berri. J’ai envie d’étre un
ge le métier des techniciens que des il jouit réellement en tant qu’homme, pas peu plus attentif aux gens avec qui je vais
acteurs. Si on enléve une scéne, cela peut avec une pute, et oti il éprouve aussi le travailler et 4 leurs sujets, quitte 4 moins
changer complétement la psychologie et plaisir d’avoir donné du plaisir. Il peut se tourner. Ce n’est pas désagréable non
les motivations d’un personnage. Dans permettre autant de violence que j’en ai plus d’imaginer travailler avec des jeunes
ces séquences, donc, on voyait Deblache is en disant cela, justement parce que réalisateurs qui essaient de monter leur
interroger un jeune fille jouée par une ga s’adresse 4 eux deux: il n’a jamais pris premier film. J’en regois pas mal, beau-
actrice remarquable, Isabelle Noah, on le son pied comme ga et elle non plus, voila coup me tombent des mains aprés trente
voyait parler avec une pute que jouait le drame. pages, mais il y en deux ou trois qui sont
‘Tina Aumont, avec une vieille clocharde Comment s’est passé, pour vous, vraiment bien. L’univers de ces jeunes se
et, face 4 toutes ces femmes, il avait un le tournage de ces scénes de pas- rapproche un peu de celui de Catherine,
comportement trés aimable et gentil. On sion physique ? c’est ce qui m’intéresse. m
le prend pour un miso parce qu’il se fait Lio et Catherine n’ont pas tourné, a elles Entretien réalisé par Thierry Jousse
des putes qui, en fait, ne font que leur deux, la moitié des films que j'ai faits, et et Frédéric Strau

[54] Cahiers du cinéma n°446


Delsey BUT ON

Entretien avec Jean-Marc Bertrix

Assonance sort cette > Assonance, petite structure de distri- de l'autre céré, le systéme des
année quatre films quotas qui protége les films
représentatifs de la bution, montre des films d’Asie. Jean- frangais, m’empéche d’avoir
diversité du cinéma de Marc Bertrix en est le fer de lance. Expli- accés a la télévision. En sor-
Taiwan. On a !l’impres- tant des films de Taiwan, je
sion que ce qui vous cations d’une politique. savais que je n’avais rien a
intéresse dans la distri- attendre des chaines publi-
bution, c’est plus de public cultivé, curieux de cul- aux salles indépendantes, ques. Pour les films étrangers,
faire découvrir une cul- tures étrangéres sans étre elles sont de moins en moins il n’y a pas de créneau sur la 2
ture que de révéler des véritablement cinéphile. Vout nombreuses. Bien que les ou sur la 3. Le seul interlocu-
auteurs. le probléme est de trouver un salles avec lesquelles je tra- teur possible, c’est la SEPT,
Ce que je reproche a la notion film qui concilie ces deux exi- vaille aient accepté de C’est dramatique parce
d’auteur, c’est la tendance a prendre des risques et sou- qu’une vente télé représente
extraire un cinéaste de son tiennent mes films, il faut pour moi plus que les recettes
contexte. Il y a une espéce de bien reconnaitre qu’il est diffi- en salle.
nivellement qui s’opére. Des cile de trouver un lieu adapté Il faut rompre ce cercle
films aussi différents que des a une politique de découverte, vicieux en donnant plus de
films indiens, sud-américains telle que je veux la mener sur libertés aux chaines, méme si
ou du Maghreb, sont tous le long terme. De tels lieux cela doit se traduire par des
jugés a l’aune de l’auteuris- susceptibles d’accepter mes coupures. Et si les gens ne
me. Cela aboutit a des contre- quatre films, n’existent plus a veulent plus de coupures, ils
sens. C’est particuligrement quelques exceptions prés dans retourneront en salle. ‘Tant
flagrant avec les films asia- le circuit Art et Essai. Ce tra- qu il n’aura pas été compris
tiques. Un film, c’est d’abord vail de recherche est que le cinéma et la télévision
le produit de son contexte : il aujourd’hui uniquement assu- ne sont pas ennemis mais
n’est pas possible d’extraire mé par les cinémathéques. alliés, on continuera a faire du
King Hu de quatre mille ans Que pensez-vous de la surplace. Les ciné-clubs d’A2
de tradition chinoise. C’est
Ton Fong dans All the politique audiovisuell ou de FR3 ont formé des
King’s Men de King Hu.
pourquoi je m’efforce, par un des pouvoirs publics ? générations de cinéphiles.
travail d’édition, de donner Méme si tenir un discours C’est pourquoi je ne com-
des points de repére, d’inscri- gences souvent contradic- libéral peut paraitre paradoxal prends pas que la publicité
re le cinéma dans une pers- toires. C’est aujourd’hui le de la part d’un petit distribu- pour le cinéma soit interdite a
pective culturelle plus large. seul moyen de survie pour un teur, je considére le systéme la télévision. Une publicité
Prenons le cas de Pous- petit distributeur. Peut-étre la des subventions et de redistri- pour un film comme Cyrano
siéres dans le vent de comédie, parce qu’elle fait butions comme un constat aurait touché un public qui a
Hou Hsiao Hsien, film rire et parce qu'elle est trés d’échee. Il y a quelque chose perdu lhabitude d’aller au
d’un auteur reconnu par ancrée dans une culture, est- de fonciérement conservateur cinéma. C’est finalement ne
la critique, bénéficiant elle une solution ! dans l’interventionnisme de pas encourager les gens a
d’un succés d’estime En ce qui concerne les I’Etat, une logique de l’échec prendre des risques. A la limi-
avec la Cité des Dou- salles, quels sont les qui n’est pas saine. Du te, je suis plus indulgent avec
leurs, primé a Venise. problémes auxquels moment ov l’on impose une le secteur privé, compte tenu
Comment expliquer que vous avez été confron- culture, c’est qu’il y a proble- des contraintes avec les-
le film ait fait sur Paris tes? me, qu’elle ne correspond quelles il travaille, qu’avec le
7000 entrées ? Jaurais aimé sortir ces films, plus a une réalité. Si la distri- secteur public qui n’aide pas
Pour un film chinois, ce n’est dans deux ou trois salles, pour bution n’est pas viable, il faut mieux le cinéma. Je me
déja pas si mal. Mais le pro- toucher un public plus diver- qu’elle se réforme. Ce qui me demande méme si toutes ces
bléme de Poussiéres dans le sifié que le public strictement choque le plus, ¢’est incohé- initiatives publiques ont été
vent, c'est qu’il n’a pas con- cinéphile du Quartier Latin. rence de la politique des pou- réellement salutaires pour le
quis un public au-dela de Mais je ne I’ai pas fait pour un voirs publics. On prend d’une cinéma et s’il ne faudrait pas
celui des cinéphiles. C’est un probléme évident de choix. main ce qu’on a donné de changer complétement de
film qui a été pergu comme Les circuits, ¢a ne les intéres- Vautre. D’un cété, il y a le philosophie. =
relativement difficile et qui a se pas. Ils ne connaissent Fonds d’aide aux cinémato- (Propos recueillis par Jean-
rebuté toute une frange d’un méme pas King Hu. Quant graphies peu diffusées, mais Frangois Pigoullié)

Cahiers du cinéma n°446 155)


ss 6 4 Bo

BER OE VEE US Bele

America, America
SOS film en panne : aprés
avoir produit et tourné un
pilote d'une heure de son
premier long métrage avec
Hippolyte Girardot, L'Envie "annonce apparemment lus au beau milieu de la chro- grosse machine idéologique
de vivre, Aissa Ben Yagh- ie période d’anti-amé- nique de Jean-Paul Fargier, américaine. Le genre de film
lane se retrouve financiére- ricanisme, non plus tellement ex-rédacteur des Cahiers, dans absolument impropre a la
ment a bout de souffle, en primaire, mais plutét intellec- le mensuel Art Press, une atta- moindre propagande.
attendant de pouvoir rentrer tuel et sophistiqué. Un col- que frontale et non dissimu-
dans la course. loque a la Sorbonne vient lée contre la revue que vous est toujours ridicule
tout récemment de le confir- tenez dans les mains et qui is ict un film sur sa
DECAMERON. Marie-Chris- mer, ainsi qu’un article vient d’avoir quarante ans. nationalité. Sans tomber dans
tine de Questerbert prépare publié dans Le Monde qui ten- Précisément, le symptéme du la bigoterie américanolatre,
son premier film qui, produit tait de faire le point sur les déclin des Cahiers consistait genre André Halimi, on peut
par les Films de I'Atalante, a fantasmes qui vont bon train en une couverture, celle du tout de méme reconnaitre
recu une aide de la région des deux cétés de I’Atlan- numéro d’avril, ot s’affichait que de Hollywood nous vien-
Languedoc-Roussillon. Tour- tique. Dans le méme quoti- Edward Scissorhands du jeune nent encore aujourd’hui des
nage en septembre pour La dien du soir, Daniéle Hey- et talentueux ‘Tim Burton, films passionnants et nova-
Comtesse et I’anneau, adap- mann avait cru bon de croiser accusé d’étre un vilain teurs. Et qu'il n’y a rien de
tation d'une nouvelle du le fer et d’engager une polé- « concepteur de films » et qui choquant a les voir recevoir
Décameron avec Florence mique incertaine avec Roman plus est américain, tandis que une palme d’or 4 Cannes ou
Darel, Hippolyte Girardot et Polanski, président du jury la pauvre Kira Muratov: faire la couverture des
Andrea Ferréol. de Cannes, a propos d’un pal- quoique défendue ici-méme, Cahiers. Je rappelle a Jean-
marés parait-il scandaleux, et restait sur la touche. J’en étais Paul Fargier que les fameux
CINEMA EN LIBERTE. C'est la de l’attribution gracieuse de d@autant plus déconcerté que Cahiers jaunes, dont il est
devise des Ateliers de Créa- trois prix a un méme film, en le méme Jean-Paul Fargier semble si nostalgique, ont
tions Audiovisuelles de Som- Voccurence Barton Fink, des avait, quelques mois aupara- construit une grande partie
miéres (I'ACAS) que Berna- éminents fréres Coen. Le vant, dans le méme journal, de leur « politique des
dette Lafont anime depuis un tout provoqua une réponse de pris le parti de défendre le auteurs » autour de cinéastes,
an. Ces stages de formation Polanski, qui elle-méme dernier film de David Lynch, méprisés en leur temps et
aux métiers de l'image déclencha une réaction de Sailor et Lula en en faisant souvent américains.
entendent rompre avec la Daniel ‘Voscan du Plantier, une sorte de digne successeur
routine pédagogique en inté- juge (en tant que président de Shakespeare et Godard 1 anti-américanisme rampant
grant dans un méme élan d’Unifrance) et partie (pro- réunis (excusez du peu !). est trop souvent le signe
toutes les disciplines (son, ducteur de Van Gogh, « cri- dun rétrécissement du
lumiére, scénario mais aussi tique » au Fig-Mag) dans b: sar, toutes ces réac- champ de pensée pour ne pas
costumes, musique, peintu- cette affaire. Ailleurs, dans les tions outragées ne se s’en défier trés vite. D’autant
re) qui ont un sérieux réle a colonnes et sur la couverture valaient pas et ne visaient pas qu il est parfaitement envisa-
jouer pour que, devant la de ’hebdomadaire bien-pen- obligatoirement la méme geable de faire une différence
caméra, il n'y ait pas qu'une sant culturel ou mieux-disant cible. Qu’on attaque Polanski féconde entre la civilisation
idée du cinéma mais quelque cathodique (et peut-étre dans sa volonté forcenée de et la culture américaine, atta-
chose qui, réellement, se méme catholique) 7é/érama, signer le palmarés de Cannes, quant l'une sans complaisan-
passe. Cette méthode anti- Claude-Marie ‘Trémois s’en je veux bien. Mais qu’on trai- ce aucune pour mieux recon-
conformiste a déja porté ses prenait, elle aussi, au méme te ce palmarés-ci d’« impéria- naitre la force et la séduction
fruits : présentés il y a Barton Fink, taxé de film sur- liste » (Daniéle Heymann) de autre. D’ailleurs, depuis
quelques mois au festival de estimé au regard des quel- me paraic rigoureusement longtemps le cinéma holly-
Belfort, les premiers films ques « chefs-d’ceuvre » injuste pour Barton Fink qui woodien produit le meilleur
vidéo des ACAS téemoignent incontestables qui parsemé- est autant un film d’auteur ou antidote 4 son propre encras-
d'une vivacité et d'une rent cet exceptionnel festival un film indépendant que sement idéologique. Voila
richesse d'expression tout a de Cannes, par exemple La beaucoup d’autres. D’autant pourquoi, tant que le cinéma
fait convaincantes. Double vie de Véronique de que ce conte fantasmatique américain produira des films
Le prochain stage des ACAS Krzystof Kieslowski, ou pour adultes est le contraire et des auteurs de cette cl ic,
aura lieu du 11 au 21 juillet. mieux encore, Anna Karama- dun film majoritaire, em- nous persisterons et signerons

Renseignements et inscrip- 20ff de Roustan Khamdamov. pruntant plus sdrement la quitte 4 déplaire aux gardiens
tions : Béatrice Kahn, 2 rue Ce qui ne manquait pas de route d’un cinéma mineur, dun temple culturel déja
Nollet, 75017 Paris. Tél : me laisser réveur. Quelle ne pervers, et done rigoureuse- bien ébranlé. =
42 93 23 35. fut pas ma surprise quand je ment irrécupérable par la ‘Thierry Jouss

[56 Cahiers du cinéma n°446


COURT METRAGE

Cadavre exquis romantique doué


pour le surnatu-
rel, il parvient a
préserver, d’un
> Qu’en savent les morts ? C’est la bout a Vautre de
son film, un lien
meilleure surprise du dernier Festival saignant avec la
du court métrage de Brest. réalité. Quen
savent les morts ?
tient du cadavre
n foulard blane que le fureur physique : un pére de exquis surréaliste
Ul... emporte, un soulier famille la viole, ou, peut-étre, comme de la
qui écrase une pomme pour- est-ce l’inverse car, quoi qu’il comptine enfan-
rie : souillure d’un pas fautif, en soit, innocence, en route, tine et, dans ce
innocence et pureté envolées, s'est définitivement perdue, déséquilibre au
une jeune fille part au cime- évanouie dans la nature bord de la dérai-
tiére ot homme qu’elle comme la jeune fille qui, un son, déborde de
aimait est enterré. Elle n’y peu plus tard, tombera dans vie. C’est Lau-
parviendra pas sans embai- les pommes aprés avoir bu un rence Cote qui
ches : ces premiéres images verre de vin rouge avec des nous guide,
de Owen savent les morts ? sont fossoyeurs rencontrés au magnifiquement
la pour nous l’assurer. C’est a cimetiére, autour d’une @ Laurence Cote dans Qu’en savent les étourdie et illu-
tombe fraichement creusée, a morts ? de Laurent Achard minée, sur ce
une promenade libre et inat-
tendue que nous invite Lau- quelques métres de celle de vu surgir. Iconoclaste, Lau- drdle de chemin de traverse.
rent Achard avec son premier lamoureux déja enfoui. Cet rent Achard sait évoquer Elle n’a jamais été aussi sur-
film. Au croisement des che- univers est l’un des plus Vemprise quasi religieuse de prenante, et €mouvante, au
mins, le chemin de croix de bizarres et des plus enyot- Vamour sans se soucier des cinéma. m
son héroine bascule dans la tants que le court métrage ait images picuses réveur Frédéric Strauss.

CoE Cayce We

Le Japon fait son cinéma au Max Linder


> De Mizoguchi a
Haruki Kadokawa, en
passant par Ozu,
Kobayashi ou le
méconnu Ken
Misumi, gerbe de
films japonais a
découvrir dans la
plus belle salle de
Paris, du 10 juillet
au 6 aoit. Ici, le plus
jeune de la bande,
Portrait d’un criminel
de Hideo Gosha
(1989), entre Oshima
et la série B...

Cahiers du cinéma n°446


RoE POR WSSTE“G
S:) DUB abrs

Reine d’un jour


mnédit depuis 1937, date de sans empécher non plus un
> Réédition d’un film rare de Frank
| a derniére ressortie en malaise réel, le notre et celui
France, Lady for a Day est un Capra, Lady for a day, ou comment jouer des personnages témoins :
film rare appartenant a la pre- Annie, déclassée grace a un
miére période de l’ceuvre de sur les apparences. A ne pas manquer. simple jeu de maquillage
Capra qui culmine en 1934 nous apparait encore plus tra-
avee New-York Miami. On ignorant la vérité (et gique. La mise en scéne rend
connait mal en France cette qui restera sur cette cette métamorphose specta-
période de son ceuvre ponc- impression postive culaire et en méme temps
tuée de films marquants tels jusqu’au bout). Ce qui futile. Surtout, Capra met en
Platinum Blonde ou The Bitter distingue cette comé- avant l’injustice flagrante de
Tea of General Yen, C’est un die « a l’'américaine » la situation d’Annie avant ce
Capra tonique, peut-étre de beaucoup de films changement physique.
moins lyrique que celui des de l’époque est done
films postérieurs mais tout cette omniscience du I film est avant tout un for-
aussi profond. Inspiré d’un regard de Capra qui midable jeu sur les appa-
récit de Damon Runyon, écri- n’hésite pas a nous rences et les convenances du
vain américain réputé auteur montrer d’abord le social réduits ici justement a
de nouvelles ayant trait au pire. Lady for a Day un simple jeu de réles (un jew
monde de la pégre et du n’est plus simplement de société), un scénatio pris en
milieu (il inspirera plus tard le une bonne idée de mains par une pléiade de per-
Guys and Dolls de Mankie- scénario. Et si le sonnages sidérants, petits
wicz), le film débute dans un mécanisme de la truands en tous genres déci-
climat social ot Capra décrit comédie est ici on ne dés 4 mener jusqu’au bout la
avec soin la rue et la ville en peut plus rédé, il est supercherie : aux yeux de ces
& Glenda Farrel et Warren Willlams
proie a la crise économique : dans Lady for a Day. sans arrét nuancé par hors-la-loi, le déclassement
c’est une galerie de person- le réalisme déprimant d’Annie est un pari de plus,
nages désabusés et miséreux, Annie lit la lettre lui appre- des premiéres séquences. l'escroquerie supréme a réali-
une sorte de cour des miracles nant l’arrivée imminente de ser aux dépens du systéme.
qui n’est pas sans rappeller sa fille et de son riche fiancé apra investit ici deux des Chacun d’eux endossera done
Vatmosphére des films de et s’évanouit. Ce premier Sea phares du une personnalité imaginaire
Chaplin (The Kid, City Lights). quart-d’heure, —construit cinéma hollywoodien de (consuls, président, gouver-
Comme le Charlot de City comme un petit court métrage l’époque : le film social, incar- neur) pour prouver (au cours
Lights, Vhéroine de Lady for a a deux fonctions : celle, non né par des ceuvres dures et @une féte organisée par
Day dissimule sa condition négligeable de prés nter aux denses comme / am a Fugitive Annie et son mari fictionnel)
sociale a sa fille, installée en spectateurs les différents From a Chain Gang de Mervyn a la famille snob et installée
Europe : vendeuse de pom- héros du film, autre, de se Le Roy ou Little Caesar et la du fiancé de Louise qu’Annie
mes 4 la criée, elle utilise le dédouaner d’un genre, d’une comédie sophistiquée (Haute est bel et bien la coqueluche
papier a en-téte d’un luxueux attente. ‘Tout comme Annie, Pegre par exemple). Cette ren- de la haute société new-yor-
hdtel de Manhattan pour désireuse de cacher le tra- contre entre deux tendances @ kaise. Le film progresse done,
envoyer a sa fille une corres- gique de sa situation, Capra priori opposées du cinéma rythmé par des gags superbes
pondance qui décrit une vie décide enfin de recouvrir le américain est a la clef de Lady et un dialogue brillantissime
mondaine imaginaire et réel d’un luxueux enduit : for a Day. Le film est de ce qui met en opposition le voca-
révée : autant de scénarios Annie deviendra, grace a point de vue profondément bulaire bourgeois et l’argot
impossibles qui font écho iro- Vaide de ses amis gangsters, troublant : pour preuve cette des bas-fonds. A partir de
niquement a la fonction occu- une Lady pour un jour. Capra séquence bouleversante ot cette prise en main de la
pée a l’époque par le cinéma. réussit 4 créer une dynamique Annie apparait pour la pre- machine scénarique, Lady For
C’est done dans une atmo- paradoxale qui joue dans la miére fois sous les traits d’une a Day semble parti pour deve-
sphére de mélodrame popu- tension entre notre regard de lady en interrogeant désespé- nir une véritable bombe a
laire que Capra installe le spectateur, déja informé de ce rement du regard l’assistance retardement préte a voler en
récit. Cette introduction quasi qui s’est passé auparavant et pour savoir si sa métamorpho- éclats. Capra ne va pourtant
tragique se conclut sur une le regard vierge (mais faussé) se fera effet. Elle produit pas jusqu’au bout, puisque ce
scéne superbe : dans la rue, de la fille d’Annie, Louise, effectivement l’effet attendu sont les représentants officiels

58] Cahiers du cinéma n°446


cre
_ =
ee

et les notables de la société


qui se rendront a la soirée
organisée pour Annie. On
peut reprocher a Capra de
n’étre pas allé aussi loin que
le laissait supposer la mise en
place du récit. A l’anarchie et
la perversion, il préfére un
dénouement bon enfant. Mais
pourtant, lironie n’est pas
loin et le film se cl6t sur une
note pessimiste : on penser
qu’Annie retournera dans son
taudis aprés le départ de sa
fille. Ce faux happy end est aux
yeux de Capra une tréve
sociale, plus qu’une véritable
victoire des bons sentiments
sur linjustice et l’inégalité.
Lady for a Day n’est pas un
drame gai (comme aimait les
appeler Renoir) mais plutét
une comédie triste ott les res-
sorts du genre grincent tou-
jours un peu. Le ton est sans
cesse nuancé par Capra, sans
doute moins dupe qu’il n’y
parait : voir cette séquence
trés ironique ott Capra dé-
monte les rouages de la hiérar-
chie en montrant une suite de
coups de téléphone d’« en bas
a en haut » et d’« en haut aen
bas ». Profondément améri-
cain, réalisé a l'aube de l’ére
rooseveltienne, le film part
dune conviction qui fut celle
de Capra pendant toute sa car-
M@ Ferdinand/Pierrot et
riére : le cinéma peut et doit Marianne Renoir traversent la
nous rendre meilleurs. C’est France comme des apparences.
pour cela que Lady for a Day, C’est comme dans un roman de
au-dela d’une jubilation réel- Raymond Chandler, revisité par
le, nous laisse un arriére-godit Elie Faure. Pierrot le Fou
si amer.
ressort pour l’été, en copie
LADY FOR A DAY (USA 1933).
neuve. Vous savez ce qui vous
Réalisation : Frank Capra.
Scénario : Robert Riskin reste a faire.
d’aprés la nouvelle de Damon Autre événement : Too Late
Runyon Madame la Gimp. Blues, second film de John
Image : Joseph Walker. Direc- Cassavetes, refait surface sur
teur artistique : Stephen les écrans. Pour la craquante
Goosson. Costumes : Robert fragilité de Stella Stevens.
Kalloch. Son : Edward L.
(En haut, Jean-Paul Belmondo et
Bernds. Montage : Gene Hav-
lick. Production : Columbia.
Anna Karina dans Pierrot le Fou.
Distribution : MK2. En bas, Bobby Darin et Stella
Durée : 1h 28. Stevens dans Too Late Blues.)

Cahiers du cinéma n°446 59)


BLACK FILMS

De gauche a droite et de haut en bas :


1 Def by Temptation
@ Straight out of Brooklyn
@ New Jack City
@ Small Time
5 The Five Heartbeats
@ Hangin’ with the Homeboys

60) Cahiers
du cinéma n°446
BLACK FILMS

Sex, race and credit cards


& par Bérénice Reynaud

Peebles, désigne la cible privilégiée de ce


Cannes, pour la troisiéme fois de
suite, Spike Lee vient, étonne,
> Le cinéma black cinéma — le public black — et n’est pas
séduit, irrite et repart en clamant «we wx sans rappeler I’époque héroique du ciné-
robbed», Pendant ce temps on assiste aux
aurait-il atteint l’age ma noir indépendant, celui d’Oscar
Etats-Unis a un déferlement de films Micheaux, par exemple. On peut
black (un de mes collégues de Village Voice de raison. En tout cas s’attendre 4 toute une vague de films sur
en recense 19!), dont Straight Our of le méme modéle (léchement inspirés de
Brooklyn, Aun réalisateur de 19 ans, abandonne la blax- Do the Right Thing, \e succés de Lee don-
Matty Rich. Malgré ses maladresses, c'est nant du courage et fournissant un étalon
un film exemplaire, tant par son mode de ploitation - avec, sous- de référence aux jeunes réalisateurs).
production que par son sujet. Comme Mais non sans un certain coft: celui de la
Boyz’n the Hood de John Singleton (23 jacente, la glorification répression du féminin, et méme d’un cer-
ans), ou Hangin’with the Homeboys de Jose- tain érotisme. Depuis No/a Darling, le
ph Vasquez (28 ans), c’est histoire du de l’étalon noir - au cinéma de Lee est devenu de moins en
age 4 l’Age adulte de teenagers gran- moins ludique, et en chemin, quelque
nt dans le ghetto. Pauvreté, violen- profit de l’intégration. chose de son inspiration originale s’est
drogues, armes 4 feu, drague compul- perdu. Le moment le plus fort en était
sive — mais aussi humour, énergie, rap, Et la femme dans tout peut-étre le «viol» de Nola par un Jamie
le rout couronné d’un «message » : oul, le exaspéré. Violemment critiquée (a tort, je
racisme existe, mais les (hommes) Noirs ca ? Elle est un peu pense) par les féministes noires, la scéne
sont aussi responsables de leur propre montrait le personnage de Jamie vaciller:
malaise social. Ce sont eux qui s’entre- délaissée bien qu’avan- il avait aimé «ca» ; Nola avait révélé a ce
jeune homme convenable un aspect de
détruisent par la vente du crack, les
lui-méme qu'il ne pouvait supporter. On
fusillades du samedi soir, leur fuite
devant les responsabilités sexuelles et
tageusement représen- retrouve un semblable moment d’ambi-
familiales. On aura rarement vu autant de guité morale a la fin de Do the Right Thing,
films souligner a ce point le role de l’édu-
tée derriere et devant quand Mookie, impuissant de rage, jette
cation pour améliorer le sort des minori- la poubelle sur la pizzeria. Mais I’énergie
tés (alors que, depuis Le Lauréat jusqu’au la caméra. a été transférée du sexuel au social. Dans
comique Rodney Dangerfield, le cinéma School Daze, ily avait aussi un viol perpé-
blane adore satiriser le syst¢me universi- bourse qu’il prendra son avenir en main. tré, presque a corps défendant, par Half-
taire). Dennis hésite entre entrer en fac Orin, la jeune Noire de Jungle Fever, atti- Pint (Spike Lee), qui devait prouver sa
ou faire un casse pour «sortir de Brooklyn » re l’attention de Paulie en essayant de le virilité, sur Jane (Tisha Campbell), mise
(le film prouve, un peu lourdement, que convaincre qu'il devrait aller en fac. au défi de prouver son amour pour le chef
le casse n’est pas la bonne solution. ) Tre, Quant a Flipper et Drew Purify, ils sont des Gammas (Giancarlo Esposito). L’acte
un des «boy’s in the hood», finit par les produits d’une éducation supérieure, se passait hors-champ, et sa «crapulerie»
entrer 4 Morehouse College (c’est la fac ce qui les distingue non seulement de déclenchait la révolte ultime du militant
noire qui a inspiré le controversé School Gator, le frére clochard et camé, mais Dap (Larry Fishburne). Mais lalternative
Daze de Spike Lee — jamais sorti en aussi du Bon Révérend, et de la secrétaire — les rapports amoureux entre Dap et sa
France). Johnny, jeune Portoricain sen- italienne. copine, une fille « politiquement
sible, comprend, a la fin d’une nuit pas- Ce cété pédagogique, que l’on retrouve correcte » — n’était pas folichonne. Ce
sée i «frainer avec les homeboys », que ce jusque dans un produit de pur divertisse- n’est pas donc pas un hasard si Fishburne
n’est qu’en faisant une demande de ment comme New Jack City de Mario Van tient le réle de Furious, le pére-modéle

Cahiers du cinéma n°446 61


BLACK FILMS

de ‘Tre dans Boyz’n the Hood. Malgré le


sarcasme de la mére de ‘Tre, « 7 est tres
mignon, mais ce que tu as fait (lever ton fils)
na rien dexceptionnel». Furious est un
héros positif qui enseigne a son fils com-
ment se comporter en homme, et en par-
ticulier qu’il faut mettre une capote
«méme si la fille te dit quelle prend la pilu-
le». La sexualité de Furious semble limi-
tée au fait d’avoir engendré ‘Tre: malgré
son attirance pour la mére de Doughboy,
on ne le voit avec aucune femme (pas
plus que la mére de ‘Tre, séduisante mais
«responsable », n’a d’amant).

I faut y voir, me semble-t-il, une ruptu-


re quasi didactique avec la «b/axploita-
tion» des années 70, films commerciaux
destinés au public noir, ot sur les traces @ Hangin’ with the Homeboys.
du superbe Sweerhack de Melvin Van
Peebles, de Shaft et de Superfly, le héros dans Do the Right Thing et Mo’Better Blues, et attirer les spectateurs blancs. La d/ax-
s’envoyait joyeusement en l’air, avec une les copines de Dap, de ‘Tre et de Dennis) ploitation, sa paillardise, sa violence, son
puissance qui défiait celle de ’homme ou la Career Woman (Clarke, Drew Purify, langage «ethnique» glorifiaient de fagon
blane. (On y trouvait aussi des super- la mére de Tre). Le personnage d’Ima- militante la vie du ghetto — vue comme
nanas a la sexualité luxuriante, comme belle, joué par Robin Givens «é//e a un Vessence, l’Ame de la culture noire — et
Coffy ou Cleopatra Jones) Mais le héros beau cul, mais, bon dieu, elle sait jouer!» son folk hero, le mac, le gangster, le hors-
black des années 90 refuse d’étre une dans A Rage in Harlem (Miramax) réalisé la-loi qui faisait chier les Blancs. Ce n’est
«sex machine». Il y a eu trop de gamines par l’acteur Bill Duke (le militant de Car plus viable 4 une €poque ov les films
enceintes 4 14 ans, trop de morts du sida, Wash), apporte une diversion réjouissan- cofitent de plus en plus cher a produire et
trop d’enfants sans logis. Alors que la te. Elle évoque image de Dorothy Dan- 4 distribuer. Le ghetto devient l’endroit
petite frappe des ghettos drague comme dridge, dans Carmen Jones \a dimension dont il faut sortir, la sexualité noire est
un idiot, traite toutes les femmes de tragique en moins. Car, contrairement au bridée, les trafiquants de drogue sont
salopes et se fait flinguer avant livre original de Chester Himes (La Reine punis.
d’atteindre la majorité, celui qui va faire des Pommes en frangais), le film est une
«progresser la race» choisit une copine qui comédie, et Imabelle, qui a la fin prouve mbiguité profonde de New Jack City
étudie et le pousse a étudier. Résultat: son amour pour Jackson (Forest Whita- ai. Mario Van Peebles (le fils de Mel-
les scénes d’érotisme sont un peu coin- ker, coproducteur du film), est une good vin), qui, les premiers jours de sa sortie, fit
cées, Nola Darling n’est nulle part en girl qui avait mal tourné. On peut s’inter- plus de recettes que Le Parrain 3. Vourné
vue, et, vers la quarantaine, le héros roger sur la trivialisation de Chester 4 Harlem, il s’inspire des films de gang-
diplémé, bien marié, installé, craque et Himes par les cinéastes black (déja pré- ster classiques de la Warner, mais s’adres-
commet l’impensable: il trompe une sente dans Cotton Comes to Harlem, se aun public jeune et urbain. Le rapper
Noire d’éducation supérieure avec une d’Ossie Davis). C’est comme si l’écrivain Ice-T’. y joue le réle d’un flic un peu anar-
petite secrétaire de Bensonhurst. (dont on sait qu’il fut publié en traduc- chiste qui, avec l'aide d’un ancien camé
tion francaise avant de |’étre en anglais) blanc, va détréner le Black qui s’est taillé
epuis le scandale racial provoqué par revivait un second exil au sein de sa un empire du crack (Wesley Snipes). Ins-
Naissance @une nation, la question de propre communauté. L”aspect sombre et piré dun article du Village Voice sur le New
la sexualité noire n’a cessé de hanter, en amer de ses intrigues disparait derriére Jack Swing — mélange de rap, de hip-hop,
négatif, le cinéma américain. Les films leurs éléments comiques, lambiguité du langage de la rue et de drug culture le
«non racistes» des années 60 sont bien sexuelle est gommée (dans le livre, le film est truffé de musique. Snipes y est
proprets: le héros n’y a pour ainsi dire pas frére de Jackson se déguise en bonne swur, un méchant fascinant, une figure iconique
de sexualité. La b/axp/loitation fit exploser pas en précheur), et Harlem est montré du pouvoir, chez qui l’érotisme coo/ se
ce tabou, mais permit le retour a un autre comme une galerie d’individus pitto- méle a la méchanceté. L’historien black
cliché raciste, celui du super-étalon black, resques qui sont souvent une version Donald Bogle note que ‘Tracy Camila
le buck. Les films de Lee ont osé montrer (parodique et subversive bien sir) du cli- Johns (jadis No/a Darling) y incarne le réle
des brothers qui n’étaient pas des sur- ché raciste du coon (idiot black). Le classique de la chipie sexy qui sépare
hommes faire l'amour aux sés/ers, mais la dilemme actuel de la culture black améri- deux amis, ce qui marque une régression
représentation de la femme continue caine c’est qu’elle veut entrer dans le dans la représentation de la sexualité de la
d’étre un point, si ce n’est aveugle, du mainstream en tant aussi comique ou aussi femme noire. Car ce qui est érotisé, c’est
moins difficile, du cinéma black. Entre la hip que possible, suivant les traces de la violence, le style de vie des trafiquants.
Mammy désexualisée (r6le hélas trop sou- Richard Pryor, de Whoopi Goldberg et et cela va a l’encontre du message mora
vent repris, dans une version révisionnis- Eddie Murphy d’un cété, ou de Prince et sateur affiché a la fin du film.
te par Whoopi Goldberg) et la garce, le de Michael Jackson de autre. Pour étre Alors que New Jack City fut produit pour
cinéma des années 90 n’a su inventer que rentable, un film doit réussir son cross- Warner Brothers, Straight Out of Brooklyn
le personnage de la good girl (Joie Lee over, Cest-a-dire dépasser le public black de Matty Rich répéte la success story du

@ Cahiers du cinéma n°446


BLACK FILMS

Les femmes aussi


Hollywood Shuffle de Robert ‘Vownsend
(comme ce dernier, Rich a passé un accord
de distribution avec Goldwyn). Diplomé de
NYU — comme Spike Lee et Michael
Mayson — Rich finanga le film avec si Les femmes noires ne sont pas satisfaites de la maniére dont on les
carte de crédit et celle de sa soeur, produis montre au cinéma. Mais «I’industrie» ne leur ouvre guére ses portes, et
une bande-annonce qu’il sortit du labo elles expriment le plus souvent leur créativite dans la litterature (comme
avant de l’avoir payée, et, grace a l’amitié en témoignent les evres de Toni Morrison, Toni Cade Bambara et Alice
d’un animateur de radio, organisa des pro- Walker). Sur leurs traces, des irréductibles s’acharnent a faire du cinema
jections dans la communauté noire, ce qui
pour transcrire leur vision et ayant moins a perdre (ou moins a prouver)
lui permit de se procurer des fonds. Puis
que les hommes, explorent une veine plus poétique, plus ludique, plus
Jonathan Demme s’intéressa au projet, et
mit Rich en rapport avec le producteur expérimentale, comme dans Rags and Old Love d’Ellen Sumter (55 mn),
indépendant Ira Deutchman. Ce dernier Cycles de Zeinabou Irene Davis (17 mn) ou Hairpiece d’Ayoka Chenzira
trouva le reste du financement chez Ameri- (10 mn). Peintre et sculpteur, Camille Billops a, en trois moyens métrages
can Playhouse (une filiale de la télévision (Suzanne, Suzanne, Older Women and Love, et Finding Christa), inventé un
publique qui aide les cinéastes indépen- style unique combinant documentaire, drame et autobiographie. Dans le
dants, comme Wayne Wang pour Kata dernier elle met en scéne ses retrouvailles avec sa fille, qu’elle avait
Bowl of Tea et Julie Dash pour Daughters of laissée a l’orphelinat vingt ans auparavant...
the Dust). 1991 vit l’achévement tant attendu du premier long métrage de Julie Dash,
Malgré la vague de sympathie qui accom- Daughters of the Dust. En 1982, son court métrage Illusions renouvelait le
pagne Svraight Out of Brooklyn, je doute
théme de la « mulatre tragique ». Une jeune Noire a la peau claire (Lonette
que le film ait le méme succés qu’Hol/y-
McKee) «passait» pour blanche dans le Hollywood des années de guerre,
wood Shuffle, cette déconstruction spiri-
tuelle et imaginative des clichés auxquels et se trouvait confrontée a des choix politiques douloureux. Puis ce fut la
sont soumis les Blacks travaillant 4 Holly- traversée du désert. Aprés avoir en vain cherché un producteur a Los
wood. Aprés avoir réalisé Raw, le film- Angeles, Julie s’établit 4 Atlanta en 1987 et tourna des films éducatifs
concert d’Eddie Murphy, Townsend a pour le Black Women’s Health Project et des films de danse. Elle parvint
repris son personnage de p’tit-mec-rigolo- finalement a produire Daughters..., tourné en dialecte gullah. Lancinant,
mais-tendre-qui-travaille-dans-le-showbiz impressionniste, musical comme un long poéme, avec des images d’une
pour The Five Heartbeats (Universal). C’est beauté envoiitante (ce qui a valu un prix au chef-op et au coproducteur du
Vhistoire des épreuves, du succés et des film, Arthur Jafa), le film évoque la subtile désintégration d’une famille
amours de cing jeunes Blacks, qui, dans d’anciens esclaves 4 Ia fin du siécle dernier. Ils ont décidé de quitter leur
les années 60, créent un groupe qui res-
ile, au large de la Caroline du Sud, pour aller dans le Nord, alors que la
semble vaguement aux Platters. La
matriarche s’oppose a ce départ, qu’une des filles est courtisée en silence
connaissance intime que ‘Townsend a du
métier d’acteur le sert, car il sait s’entourer par un Indien, qu’un jeune mari questionne sa paternité et la fidelite de sa
de personnages forts, dont le splendide femme enceinte... Peu ou pas de structure narrative : les rapports
Michael Wright (Lion d’Or 4 Venise pour interpersonnels sont esquissés d’un trait fin, les hommes disparaissent
son role dans Seamers) dans le role dun a V'arriére-plan. La caméra
chanteur flamboyant mais détruit par la sculpte sensuellement des
drogue, et Leon (le partenaire de Madon- visages de femmes, tous
na dans Like a Prayer) dans celui d'un dra- différents, tous beaux, créant
gueur invétéré. Lui-méme incarne Duck, une atmosphére de féminité
compositeur de talent et /oser sympa- lumineuse. Point de miévrerie:
thique, dont la romance avec une siréne
ces femmes ont survécu a
café au lait tourne mal. La patine rétro du
V'esclavage, mis des enfants au
film n’est pas son moindre charme, la cra-
pulerie de l'industrie musicale est bien monde, et lutté pour leur
vue, on ne s’ennuie jamais, mais on pou- dignité. Le film suscite
vait s’attendre 4 plus d’innovation de la V'enthousiasme de la
part de ‘Townsend. communauté black ( «Il scrute
V'A4me de I’Amérique noire,
es nouveaux films black racontent des divisée entre une soif de
histoires d’>homme et remplissent une modernité et la recherche de
fonction essentielle — qu’on aurait tort de ses racines» , écrit Greg Tate
sous-estimer dans un pays aux multiples
dans le Village Voice) et la
facettes ethniques comme les Etats-Unis:
résistance que lui oppose
marquer le territoire du jeune male noir.
lV establishment est une preuve
Celui qui y réussit le mieux est
Hangin’with the Homeboys (New Line), d'un de plus de son originalite.
ARTHUR JAFA,

réalisateur mi-black-mi-portoricain (un N’aura-t-il pas fallu des années


homme de couleur, comme on dit ici), au génial Killer of Sheep de
Joseph Vasquez. Sa force est non seule- Charles Burnett pour atteindre
ment d’explorer les tensions semi-tribales le public blanc ?... B.R. @ Julie Dash

Cahiers du cinéma n°446 je3|


BLACK FILMS

entre Aomeboys, jeunes types du méme En dehors de ces productions majeures, plit le cadre, comme si c’était lui la victi-
quartier (le Bronx en l’occurrence), on a pu voir aussi toute une série de films me), le tout, hélas, desservi par une
quand l’un est afro-américain et l’autre indépendants. Chameleon Street de Wen- volonté démonstrative un peu lourde.
portoricain, mais aussi de montrer avec dell Harris Jr. (tourné en 1989, mais sorti C’est d’ailleurs le probléme de nombre
finesse la «connerie » sexuelle sur laquel- au printemps 1991) est un film ambitieux de films indépendants black: le réalis
le de tels rapports sont fondés. Johnny sur les différents réles adoptés (médecin, teur doit exprimer son message dans un
(John Leguizamo), employé de supermar- avocat, etc.) par un Noir de Detroit a seul film, n’étant pas sir de quand il se
ché qui en pince pour une belle mysté- Vavenir bouché. Interprété avec brio par retrouvera 4 nouveau derriére la caméra.
rieuse, et Vinnie (Nestor Serrano), qui se Harris lui-méme, Street est un homme Mais lintérét de Sma// Time est de se
prétend italien et vit de ses multiples dintelligence supérieure (dans une scéne situer résolument a contre-courant de
conquétes, sont portoricains. Willie étonnante, il réussit une opération, a tous les films A/p-hop qui romantisent la
(Doug E. Doug), fauché, au chémage, Padmiration d’un professeur de médeci- violence urbaine.
accusant le racisme de la merde dans ne), mais que son origine sociale et son
laquelle il se trouve, et Tom (Mario Joy- bagage intellectuel médiocre condam- ar contre le succés de Def by Tempta-
ner), apprenti-acteur, sont black. Le ven- nent au parasitisme, 4 la délinquance. Pp... de James Bond II] (qui interpréte
dredi soir, ils vont trainer (Aangin’) Cependant le film, qui a, de temps en le héros naif du film) c’est qu'il ne
ensemble. Qa consiste 4 s’engouffrer dans temps, des étincelles de génie, est plus cherche a 7/en prouver, si ce n’est que les
la voiture de ‘Tom en avalant force biéres, une démonstration des talents de /’acteur Blacks peuvent faire des films d’horreur
siffler les nanas qui pa is Harris que du scénariste ou du réalisa- comme tout le monde (de la démone
dans une soirée portoricaine pour s’en teur Harris: de mise en scéne il n’y a sexy au flic dragueur, il n’y a pas un seul
faire jeter avec perte et fracas, roder dans guére, et Chameleon Street finit par s’effi- Blane dans la distribution). Produit par
les sex-shops de ‘Times Square, et, bien locher sous nos yeux, ce qui n’en fait pas ‘Troma, la compagnie new-yorkaise reine
entendu, chercher a baiser une fille. Sorte moins un des films les plus originaux sor- B de type Toxic Avenger, Surf
dAmerican Graffiti pour la jeunesse urbai- tis récemment. is Must Die et autres joyeusetés dont
ne des années 90, le film confronte ses le cofit n’atteint pas «10 pour 100 de
anti-héros au réel avec humour, punch et hangement de cap avec Smal/ Time celui d’un film de studio», et superbe-
énergie: la voiture rentre dans un mur, de Norman Loftis, sur les déboires ment tourné par Ernest Dickerson, le
les flics du métro les arrétent, et les filles d’un petit voleur de Harlem. ‘Tout est chef-op de Spike Lee, Def by Temptation
ne sont jamais ce a quoi on s’attendait. dans la mise en scéne «d’auteur» : image cite avec humour Nola Darling (la
On retiendra le personnage troublant de en noir et blanc, référence au néo-réalis: chambre d’amour), Psychose (la maison
Daria, qui aborde, sans complexes mais me, récit dépouillé (quelques trouvailles isolée, la douche), Vidéodrome (la mort
gentiment, un Johnny déprimé: «Je ne heureuses: les agressions commises par spectaculaire de K. ) et tous les films de
veux pas teépouser... Je veux juste jouer au Vince sont toujours hors-champ, et aprés vampire de la création. Sans prétentions,
billard avec toi. » le meurtre final, c’est sow visage qui rem- le film a du style, du swing et de l’éner-
gie, servi en cela par d’excellents acteurs:
Kadeem Hardison (du «Cosby Show» a

Les jeunes turcs: la télévision), Bill Nunn (Radio Raheem


de Do the Right Thing), Cynthia Bond (de
la troupe «off Broadway» Negro
Laurence Carty et Michael Mayson Ensemble Company) et Samuel Jackson
(Gotor dans Jungle Fever). La place me
manque pour insister sur le role joué par
Alors que Hollywood cherche a dénicher «le nouveau Spike Lee», deux
la télévision ou sur l’importance de
courts métrages indépendants font pas mal de bruit. Dans Oreos with Pindustrie musicale dans la formation
Attitude Laurence Carty (28 ans) explore avec humour et élégance la dune classe de professionnels blacks des
vulnérabilité profonde de la bourgeoisie noire. Ne voulant pas mettre au média. Ce qui est certain, c’est que les
monde un bébé a la peau aussi noire qu’eux, car il risquerait de souffrir du choses bougent. Hollywood, ayant senti
un filon rentable, invite de jeunes scéna-
racisme, ses héros décident d’adopter un petit Blanc. Mais leur désir secret
ristes et réalisateurs noirs. Charles Lane,
est que leur nouveau rejeton les aide a entrer dans la haute bourgoisie
aprés le succés de Sidewalk Stories — et en
blanche. Hélas le méme est sans préjugés aucun, et fait copain-copain avec attendant de tourner son vieux projet,
les gamins les plus noirs de sa classe... Carty espére célébrer le cinquiéme Skin, récit d'une histoire d’amour intera-
centenaire de 1492 en creusant ses propres «racines» par un premier long ciale, ot «/es partenaires seront vraiment
métrage décrivant une famille noire américaine en voyage d’affaires au amoureux l'un de l'autre» — est en train de
terminer True Identity. Ayant acquis un
Libéria. Billy Turner’s Secret de Michael Mayson (26 ans) s’attaque a un
scénario dans lequel un Noir devait se
sujet tabou: I’homophobie de la communauté black. Deux copains partagent déguiser en Blane pour échapper a un
un appartement. L’un est macho comme les héros des films hip-hop. L’autre mafioso, Disney demanda a Lane de le
agonise a l’idée de lui révéler qu’il est gay. La confrontation est inévitable, remanier et lui confia la réalisation, avec
méme violente. Les amis parviendront a s’accepter I’un l'autre, ainsi qu’a le comique black anglais Lenny Henry
dans le rdle principal.
concilier les facettes de l’identité sexuelle et raciale, oh combien
A New York, Ernest Dickerson vient de
fragmentée, du male noir. Mayson prépare lui aussi son premier long réaliser son premier film, Juice, tourné par
métrage, Throwing Base, sur la vie amoureuse et professionnelle d’un un autre chef-op noir de talent, Larry
bourgeois black. B.R. Banks. =

@ Cahiers du cinéma n°446


Cahier critique
@ All the King’s Men
@ Dieu vomit les tiedes Hi Akira
@ Dans la peau d’une blonde MH Cherokee MH Scénes de
ménage dans un centre commercial HM Sushi, Sushi
@ Une époque formidable H La Reléve HM New Jack City
@ Delicatessen @ Les Anges de la nuit H Veraz
@ Sean Penn
et Gary Oldman
dans Les Anges
de Ia nuit.
CRITIQUES

il Tchang Kie, le peintre dont l'art est com: ime un symbole de celui de King Hu.

Le dernier des empereurs


> par Jean-Francois Pigoullié

> ALL THE KING’S MEN. Ce qui est pa on- la tragédie est vue non par les hommes mais par les
nant chez King Hu, c’est son travail sur les genres. Alors dieux. C’est la définition méme, au sens grec, de la
que les arts martiaux, avec Touch of zen, étaient un pré- comédie (GEdipe, vu par les dieux, est un chef-d’ceuvre
texte pour parler du bouddhisme, King Hu, avec A// The W@humour noir). Le regard qu’adopte King Hu est celui
King’s Men, s’attaque cette fois-ci 4 un genre réputé du Destin qui as iste, goguenard, aux efforts des
sérieux, le récit historique, et plus précisément a Pun humains pour lui échapper. Aucun personnage
des thémes-clés de la culture chinoise : |’Empereur n’échappe au jeu de massacre : pendant que les maitres
décadent. Au X® siécle, l’empereur de la dynastie des abusent du pouvoir, les serviteurs s’en disputent les
‘Tcheou, dont la vie est en parfaite contradiction avec miettes. Le scénario n’est pas non plus épargné par
les lois du Ciel, sombre dans la folie sous l’influence humour gringant de King Hu: Vintention la plus noble
dun charlatan, le taoiste Li. Pour sauver le royaume devient pathétiquement triviale. Derriére les belles
menacé par les Kitans, les plus grands esprits de résolutions, le réalisateur nomme les véritables moteurs
l’Empire vont essayer de soigner I’Empereur, d’empé- de l’action humaine : le sexe et l’argent.
cher la punition du Ciel de s’accomplir. On est ici au All The King’s Men procure une sensation platonicienne.
coeur méme de la tragédie et celle, en particulier, Celle de rencontrer pour la premiére fois ’idée de
d’GEdipe : croyant, par leurs subtils stratagémes, trom- comédie dont on n’avait vu incarnation que sous les
per la fatalité, les brillants dignitaires de l’Etat ne sont formes dégradées de la Morale ou du ‘Temps (comédie
en fait que la main du Destin. Au lieu de guérir ’empe- italienne) ou de ! Homme (comédie américaine). Ce
reur, ils le tuent. Sauf qu’ici, différence fondamentale, retour aux origines ne pouvait se faire qu’en Orient : ce

66 Cahiers du cinéma n°446


CRITIQUES

n’est qu’un changement radical d’espace qui pouvait de leur propre logique. D’ot ALL THE KING'S MEN (Taiwan, 1983)
accomplir ce que le ‘Temps n’avait pas permi son gofit pour les genres. C’est Réalisation : King Hu. Scénario : King
Si l'art de King Hu se limitait 4 un exercice de distan- en cela que la mise en scéne Hu et Siao Ye. Directeur artistique :
ciation, il manquerait l’essentiel. Ce serait une farce, un de King Hu s’apparente aux Wang Tong. Lumiére : Tche Siue-fou.
vaudeville, bref, une forme moderne de comédie. C’est- arts martiaux. Musique : Tcheng Sseu-sen. Monta-
a-dire tout le contraire de ce qui touche a l’essence Le spirituel passe donc, non ge : Wang Kin-tchen. Interprétation :
oubliée de la comédie a spiritualité. D’ot Pimportan- par la transgression comme en T'ien Pong, Ts'ao Kien, Mou Sseu-
ce capitale de la scéne finale ott, aprés la mort de Occident (Pasolini, Dreyer), tch'eng, T'ang Pao-yun, Li k'ouen,
P'empereur décadent, un nouvel empereur monte sur le mais par un retour a lordre. Tsouei T'ai-king. Production : Sunny
trone, annongant ainsi une époque de stabilité. Espé- ‘Tout simplement parce que la Overseas Corporation. Distribution :
rance qui donne au film toute sa profondeur, qui sauve spiritualité renvoie non pas a Assonance. Durée : 99 mn.
les personnages de la pure caricature. ‘Tout le désir du un hors-champ, a un arriére-
film, longtemps contenu, s’exprime dans cette scéne : monde, mais a une intériorité. L’espace est ici un lieu
supprimer toute distance et retrouver I’Unité entre les de méditation qu’il ne faut point déranger. C’est pour-
hommes et le Ciel. Mais pour en arriver la, King Hu sait quoi le déplacement transversal qu’exige le scénario,
que lon doit forcément passer par son contraire : un dans la société chino! e verticale, cloisonnée, s¢me le
le de dualité exacerbée, de conflit. Et qui dit conflit, désordre : la rencontre entre le peintre et le médecin ne
dit sci sion : le monde devient double. ‘Toute lintelli- peut étre qu’explosive. Chacun veut surtout rester a sa
gence de King Hu est d’avoir traduit cela cinématogra- place. Pas besoin de voir ailleurs, puisque la liberté est ”
phiquement, c’est-d-dire par un dédoublement de intérieure. ‘Tel est le sentiment que donne la figure du
Pespace et du temps. L’agitation, les mouvements en peintre étranger a l’agitation du monde. Mais la fascina-
périphérie des acteurs de la machination concurrencent tion du vide a ses limites.
Vimmobilité de la cour. De méme, la vitesse, l’adresse Car le peintre, pour achever son tableau, doit faire
des membres du « complot » cherchent a devancer la appel a un modeéle ; autrement dit, réintroduire du réel.
marche immuable des cérémonies. Ce qui fe la force Exactement comme I’art de King Hu, partagé entre la
de la scéne finale avec l’empereur (et qui provoque sa plus grande abstraction et le réalisme des détails, la
mort), c’est le télescopage de ces deux espace-temps : reconstitution historique précise.
mélange explosif de rituel et de surprise, de pesanteur Au moment ot, en méme temps que le politique, se
et de légéreté. Si la chute de cette scéne est si abrupte, pose au cinéma le probléme crucial de laltérité, c’est
a tous les sens du terme (on peut méme se demander si dire la présence de quelque chose qui résiste, qui ne soit
cela n’a pas été exigé par les producteurs), c’est parce pas simplement la vérification d’une pensée préexistan-
que la friction, le conflit en soi n’intéresse pas King Hu. te, tout le prix (et la difficulté) de A// The King’s Men est
Celui-ci recherche méme le contraire : par sa fagon de se présenter comme un bloc d’altérité : unité, ordre,
d’anticiper, d’annoncer les scénes suivantes, le réalisa- cloisonnement, autant d’idéaux qui constituent le
teur se plait 4 désamorcer tout choc. Ce qu’il préfére, contrechamp naturel de l’Occident. Voila un reméde
c’est s’appuyer sur la force de l'autre pour parvenir a ses radical contre 'uniformisation qui menace le paysage
fins. D’ot son attirance pour des personnages victimes cinématographique. C’est de plus en plus rare. =

Retour a l’Estaque
& par Laurence Giavarini

> DIEU VOMIT LES TIEDES. Quatre enfants apposée a la découverte de quelques cadavres flottant
et un chien : pas exactement un club, mais une tribu. dans les eaux de I’Estaque, vingt ans plus tard, en
Quatre indie ns, Cochise, le Frisé, ‘Tirelire et Quatre 1989. Année du bicentenaire, année des retrouvailles
(ils, bruns de peau et de chevelure, liés par un ser- pour les quatre indiens vieillis, malheureux, solitaires.
ment de fidélité a leur glorieuse origine de pauvres. A Elles ont lieu autour de Cochise devenu parisien,
lage ott l'on scelle la promesse écrite de son doigt devenu é€crivain, elles ont lieu en pays natal, quand
entaillé, avec une telle puissance de ritualisation, une Cochise quitte la capitale et sa femme, et revient a
si forte certitude de qui l’on est, et que c’est bien, que l’Estaque, chez sa mére.
lon peut choisir la meilleure mort pour le chien, pu C’est un film évidemment obsédé par la perte (de la
la donner. pureté plus que de l’innocence), et par la trahison. Ce
Cette histoire n’est pas le temps plein du film de Gue- dont le désengagement politique, voire le reniement,
diguian, mais un souvenir qu’il découpe en pointillés, ne sont qu’un premier degré inscrit aux origines (« /i/s
par reprises et prolongements, comme une enquéte de pauvres ») et raconté au présent sur un mode humo-

Cahiers du cinéma n°446


@ Gerard ristique — quand le bistrotier doit faire passer le portrait « jumeaux », Cochise et le Frisé se sont enfin séparés,
Meylan dans de Che Guevara pour celui de son grand-pére ; ou avec une plongée exactement inverse du souvenir. Comme
Dieu vomit plus d’inquiétude, et de dérision, quand les organisa- dans les combats de dieux méditerranéens aux origines
les tiédes: teurs du bicentenaire prétendent nettoyer la ville (des du monde, l’ordre humain ne peut se fonder qu’a partir
le « Frisé », ala
clochards, des’ Arabes). Mais sur le strict plan politique, de la juste place donnée a une transcendance, c’est-a-
recherche de
son enfance, le film garde le ton libertaire, parfois potache, des dire d’abord 4 une bonne définition du haut et du bas.
peint le pont années anars — chansons et pétards sous la conduite Et du dehors, et du dedans : de l’espace en un mot —
comme il le vit délurée de ‘Virelire. travail de peintre plus que de héros fondateur. Devant
autrefois. La question de engagement politique est avant tout sa baraque de t6les, le Frisé peint le pont tournant a
ici celle du lien, dans l'amour, de la volonté surhumaine Pentrée du port, la ot passaient les grands bateaux ;
de l’indissoluble ; question tragique de la démesure, et mais il le peint tel qu’il le vit autrefois, comme s’il cher-
du risque de la folie posée 4 partir de l’enfance. L’origi- chait a retrouver par l’extérieur la salle des machines de
nalité de Guediguian tient en partie 4 ce que son inves- Venfance. Sa folie n’est peut-étre pas de peindre ce
tigation est visuelle autant que narrative. Le souvenir quwil ne voit plus, mais de ne plus pouvoir voir ce qu’il a
d’enfance réserve en effet des indices en forme d’appa- devant lui. Aussi l’'achévement du tableau coincide-t-il
ritions, il tient le récit par une série de suspens plus que avec la mort, et la fin du film.
par un véritable « suspense ». Il ne s’agit au fond que Le modéle pictural vaut pour la démarche de Guedi-
de voir voir cette vertigineuse contre-plongée a guian, « cin ste de quartier » comme il se titre lui-méme.
Pentrée des enfants dans une Lequel travaille depuis quatre films, dix ans, dans ce
DIEU VOMIT LES TIEDES (France, salle des machines (la salle du pays de Marseille, avec le risque de l’effet pittoresque —
1990) Réalisation : Robert Guedi- Serment), qui les fait grands le soleil, accent, la légéreté, la violence du Sud. Avec
gian. Scénario : Sophie Kepes et comme des titans, puissants les mémes quatre acteurs — ce qui signifie leurs corps
Robert Guediguian. Image : Bernard comme des dieux. Puis les voir changeant de film en film, comme une montagne sous
Cavalie. Musique : Kurt Weill, Pergo- adultes, dans une église désaf- la lumiére. Dieu vomit les titdes West pas pittoresque,
lése. Interprétation : Ariane Ascari- fectée ot ils peuvent a nou- mais contemplatif ; et dréle, et mystérieux comme la
de, Pierre Banderet, Jean-Pierre Dar- veau se lier par une tache voix allemande de la chanson qu’écoute le Frisé, sur
roussin, Gérard Meylan. Production : impossible, énorme et artisana- laquelle on n’aura aucune explication. Car il n’est pas
Alain Guesnier, Gilles Sandoz. Distri- le. Voir enfin, au dernier ins- besoin d’explication, simplement de trouver la forme
bution : K. Films. Durée : 100 mn. tant du film sur le lieu ot les dune fidélité vivante. =

Cahiers du cinéma n°446


CRITIQUES

La puissance de la matiere
& par Vincent Ostria

> AKIRA. Contrairement au cinéma américain, les dant que la tension sociale croit dans des rues gardées
quelques films japona 5 qui nous parviennent annuelle- par une milice urbaine a la solde des nantis. Otomo
ment sont surtout des films « nobles » et humanistes — décrit l’évolution logique, pas si futuriste que ga, de la
des films d’auteur —, dus a des maitres respectés d’age société de type capitaliste et industriel que nous
respectable (Kurosawa, Yoshida, Imamura), qui restent connaissons. L’apreté du propos est bien stir Eémoussée
trés distants de la réalité du Japon moderne. Cette réali- par la stylisation inhérente au dessin. Heureusement,
té sociale et triviale doit donc, se dit-on, apparaitre dans parce que le sang gicle tous azimuts. (On remarque tou-
des films japonais moins ambitieux, jugés trop « com- tefois que la dimension sexuelle est rigoureusement
merciaux » et trop régionaux pour concerner le public absente de I’histoire, peut-étre une concession au
occidental. Aéira, dessin animé de long métrage (qui n’a public occidental).
pas grand-chose a voir, formellement du moins, avec les L’emprise du psychisme sur la matiére (les pouvoirs de
séries baclées du petit écran) me semble participer de ‘Tetsuo, en qui s’incarne cette puissance illimitée nom-
ce courant plus populaire. ‘T'rés violent, ce film au gra- mée « Akira », sont mentaux) prend un aspect démiur-
phisme extrémement travaillé (pous é jusqu’a Phyper- gique. La matiére devient une idée métaphysique.
réalisme pour certains décors), est aussi le plus com- Dans Akira, Vétre humain devient lui-méme la matiére
plexe dessin animé, narrativement parlant, que j’aie vu en agissant sur son corps et sur les choses, puis il se
Ace jour. fond avec le Cosmos.
Le contexte social du début du film est similaire a celui Incidemment, tout ce phénoméne matérialiste mys-
des Contes cruels de la jeunesse @ Oshima : des bandes tique, si étranger a la pensée occidentale, pour qui
rivales de loubards (motoris , progrés oblige) s’affron- esprit et matiére sont deux entités peu conciliables, fait
tent sans merci sur fond de gratte-ciel futuristes et de apparaitre le traumatisme post-atomique, si fréquent
bas-fonds délabrés qui rappellent Blade Runner et Rank dans le cinéma japonais, sous un autre angle. Akira,
Xerox (célébre BD de Liberatore). Puis Phistoire évolue symbole de la puissance absolue, est d’ailleurs confon-
graduellement vers une résolution métaphysique qui du dans le film avec la destruction atomique : histoire
emprunte quelques effets (les visions psychédéliques se déroule aprés une troisitme guerre mondiale et ato-
d’accélération vers l'infini) et méme une partie de sa mique liée 4 (ou provoquée par ?) Akira. Chose étrange,
problématique au 200/ de Kubrick. ‘Tout ceci pour dire la destruction atomique, stigmatisée légitimement par
qu’au-dela du graphisme aseptisé des personnages prin- les Japonais comme une des pires expériences
cipaux (ados proprets), Ag/ra, adaptation cinématogra- humaines, entre également en résonance avec une
phique du plus célébre manga (BD violente) japonais dimension cathartique qui nous échappe. La destruc-
par son dessinateur, Katsuhiro Otomo, marque une date tion totale de la matiére entraine aussi la fusion définiti-
importante dans lhistoire du dessin animé, done du ve des choses avec le grand ‘Tout. C’est sur cette base
cinéma. symbolique d’une annihilation totale que le Japon a pu
Reprenant le trait lisse et les contours cernés du dessin renaitre de ses cendres et édifier une idéologie plus
animé américain, Otomo dépasse ses influences par ses matérialiste que jamais.
audaces formelles, ses incursions dans la philosophic Le vertige de cette BD de science-fiction devenue des-
orientale intégrées a une SF a la Blake et Mortimer, et sin animé, au style et aux effets de filmage calqués sur
son constat clairvoyant de la situation sociale du monde le cinéma en prise de vues
industriel occidentalisé. Car ce des in animé tombe réelles (zoom, travelling, profon- AKIRA (Japon, 1988). Réalisation :
curieusement en concordance avec une actualité euro- deur de champ, flou...), est done Katsuhiro Otomo. Scénario : Katsu-
péenne récente. d’une richesse conceptuelle hiro Otomo, Izo Hashimoto, d’aprés
Car c’est dans Afira, dessin animé japonais de pure ima- inédite. Au-dela d’un certain la bande dessinée Akira Directeur
gination qu’on trouve un reflet du bouillonnement de kitsch de surface, typiquement artistique : Toshihari Mizutami.
nos banlieues dif iles ignoré par le cinéma frangais japonais (certains décors, objets Image : Katsuji Misawa. Chef ani-
(seule exception : De bruit et de fureur de Briss eau). Un et les images de destruction), le mateur : Takashi Nakamura.
comble... ‘Vhéoriquement, Adsra décrit une société film d’Otomo nous offre une Musique : Shoji Yamashiro. Produc-
urbaine du futur (proche : 2019) : des bandes de voyous, vision synthétique et stylisée de tion : Ryohei Susuki, Shunko Kato
dopés aux amphés, s’affrontent, au mépris de la police, la civilisation orientale dans ce pour le comité Akira. Distribution :
sur les autoroutes d’une mégapole archi-urbanisée, pen- qu’elle a de plus profond. = Forum distribution. Durée : 2 h 04.

Cahiers du cinéma n°446 @


Notes sur d’autres films
DANS LA PEAU D’UNE BLONDE (Switch) connu comme un standard de jazz (Char- versaire de mariage le temple du mode de
(USA, 1991) de Blake Edwards, avec lie Parker, 1941), a partir de la rhéto- vie américain, un centre commercial dont
Ellen Barkin, Jimmy Smits, Lorraine Brac- rique propre 4 une forme. La version ils ne pourront s’échapper. Ce qui a bien
co, Jobeth Williams. qu’Ortega donne de Cherokee — Jean sfr intéressé Mazursky, c’est cette forme
Echenoz, 1983 — emprunte done sa unique de fusion de sentiment et d’argent
our faire un homme d’une femme, ligne narrative au roman, la simplifie et qu’a produit la société américaine : le
Blake Edwards n’avait besoin, dans fait paraitre 4 l’écran tout un monde de couple, en vue d’un improbable divorce,
Victor Victoria, que du gay Paris et de figures familiéres, de petits roles juste- entreprend, avec amour, de comptabiliser
quelques chansons. Pour transformer un ment incarnés par d’excellents comé- son patrimoine jusque dans le moindre
macho en blonde pulpeuse dans Swizcf, il diens, de théatre pour beaucoup d’entre détail. Mais au lieu d’une tension cons-
lui faut un crime sexiste (le phallocrate eux, mais sous garde de la « petite fiancée tante entre vie privée et so été, lindivi-
est liquidé par trois de ses conquétes), du cinéma ». du, ici, au contact de la pression sociale
Dieu (qui renvoie l'infame en pénitence Cette mince histoire de faux fréres s’évapore ; Woody Allen et Bette Midler,
sur ‘Terre avec le devoir de s’y faire vrai- s’amuse a déranger la reconnaissance, a victimes d’un phénoméne terrible d’en-
ment aimer d’une femme) et le Diable jouer le trouble des identités, 4 égarer des tropie, se vident au fur et a mesure de
(qui complique sa tache en lui collant personnages désorientés autant que « loo- toute vie, jusqu’a devenir transparents,
done tous les attributs de l’autre sexe). kés » : on est bien en 1991, méme si la figés dans leur image de star. Triste para-
Réfugié sous lautorité des arbitres référence visuelle concerne les années doxe (ou supréme ironie) que celui de
suprémes du Bien et du Mal, Blake d’aprés-guerre. On aime bien d’ailleurs traiter deux monstres sacrés comme
Edwards laisse d’emblée apparaitre les que les plus jeunes, les deux héros, soient ni nporte lequel produit en vente dans
limites de son propos : flatter le scabreux ainsi promenés de séquence en séquence un centre commercial : avee Scénes de
alléchant pour mieux nous asséner une comme dans les vignettes styli ées dune ménage, Vesthétique de la grande distribu-
fable sérieusement morale. Quand la bande dessinée. Que le touble naisse de tion et celle du cinéma ne font plus
blonde au tempérament de mec (Ellen ce Paris des 10°, 4° et 5° arrondissements qu’un. Constat plutét inquiétant d’un
Barkin, attachante bien qu’elle en fasse que l’on croyait familier et qui se brouille, cinéma dont l’esthétique se limite 4 une
des tonnes) se fait draguer par une les- devient étrangement étranger comme communication par le packaging. —_J.-F.P.
bienne de choc (la formidable Lorraine dans les romans de Modiano, exotique
Bracco), le film ne donne pas a cette comme dans le dernier film de Dupeyron,
étrange situation le temps de vraiment fabriqué comme la ville de Poussiére Tange SUSHI, SUSHI (France, 1991) de Laurent
exister et préfére offrir 4 son héroine une de Niermans. De 1a qu’il faille, a la fin, Perrin avec André Dussollier, Sandrine
rédemption dans la souffrance : enceinte, remordre a la province... Dumas, Jean-Francois Stevenin, Michel
elle mourra en couches et gagnera ainsi Reste qu’on n’a pas seulement envie Aumont, Eva Darian.
son paradis. Les conventions rétrogrades qu'un film ne cesse de nous « faire penser
de cette fable ne sont, a vrai dire, pas trés a » — plaisir solitaire de collectionneur, vec son troisiéme film, Laurent Per-
surprenantes de la part de Blake Edwards, un peu le pire de la cinéphilie. C’en est a rin essaie une veine toute différente
éternel faux libéral qui a toujours su jouer trop, peu a peu, des variétés de la distan- de Buisson ardent et Passage secret : il
avec le feu en prenant soin de ne briler ciation, des dialogues post-synchronisés emprunte a la comédie américaine ce sys-
personne. Mais, que la méche y soit si vite derriére les pare-brise, des reflets dans les téme qui consiste 4 placer un personnage
vendue, 6te beaucoup de piquant, fut-il glaces, les vitrines, les miroirs. A force sociologiquement typé dans un milieu qui
artificiel, 4 cette nouvelle toute petite apparitions fantémes, l’interprétation ne lui est étranger, voire qu'il réprouve. Ici,
comédie, l’élégance habituelle de la mise prend pas corps ; pellicule et photo- un intellectuel au dilettantisme distingué
en scéne de Blake Edwards n’étant plus grammes, Cherokee n’a que l’enveloppe dans un role d’hommes d’affaire — tout ce
qu’une maniére supplémentaire d’arron- d'un film de cinéma. LG. que sa jeunesse avant-gardiste a pu vitu-
dir les angles. F.Str, pérer. Pour la beauté du plat, et la gratuité
du geste — car la comédie se joue a l’om-
SCENES DE MENAGE DANS UN CENTRE bre de l’Art — il monte une société qui
CHEROKEE (France, 1991) de Pascal COMMERCIAL (Scenes from the Mall) livrera 4 domicile... des pizzas ? Pouah !
Ortega, avec Bernadette Lafont, Roland (USA, 1991) de Paul Mazursky, avec De l’esthétique en barquette : des sushis.
Blanche, Gérard Desarthe, Jean-Paul Bette Midler, Woody Allen, La premiére séquence fait symptéme
Roussillon. quant a l’échee du film : inversant la
i e piége dans lequel sont pris Nick pédagogie enthousiaste du séduisant
i adapter signifie interpréter un (Woody Allen) et Deborah (Bette Mid- Robin Williams (dans lVinénarrable
genre (l’enquéte policiére), un theme ler), un couple qui féte son seiziéme anni- Cercle...), \e professeur Hartman, beau

EE) Cahiers du cinéma n°446


blond quadragénaire, joue les anciens Une époque formidable est une comédie LA RELEVE (The Rookie) (USA 1990) de
combattants pour ses étudiants en histoi- féroce et gentille 4 la fois, qui nous racon- Clint Eastwood, avec Clint Eastwood,
re de I’art, et leur sert le discours de mise te en deux temps trois mouvements la Charlie Sheen, Raul Julia, Sonia Braga.
sur ce que l’époque et lart ne sont plus. dérive d’un cadre an chémage. II suffit
Il joue, il se force, au fond ; cela Pintéres- qu'il rencontre trois paumés sur le pavé a premiére heure du film est un régal :
se peu ; son constat de crise, la chute luisant. Et hop, ¢a fait quatre en bordée, reconnait, dans la nonchalance du
nous l’apprend, est a peine un état emportés dans un petit voyage atmosphé- style et l’'agencement des séquences, ce
dime, et lui semble moins ironique que rique aux pays des SDF ou des nouveaux qui fait le meilleur du cinéma d’East-
lache, moins dilettante que mou. Comme pauvres, comme on dit aujourd’hui. Gare wood (on pense souvent a Sudden Impact).
lui, le film souffre d’un probléme de défi- de l'Est, le métro ouvert la nuit, les entre- Mais, hélas, le film sombre ensuite dans
nition, d’un brouillage de cadre qui dilue pots de frusques, un négrier moderne un climat de violence et de brutalité
les personnages et alourdit les situations. (formidable Roland Blanche), avec en indigne de I'auteur de Bird : de courses
Ceux-la précisément qui fondaient I’éclat prime deux personnages secondaires plu- poursuites en scénes de tortures, voire de
du modéle américain. tét bien dessiné Mimosa (Chick Ortega) viol (la jeune compagne de Charlie Sheen
Une mollesse de point, mais sans doute et Crayon (Ticky Holgado). Plus c'est agressée par un méchant tueur), 7/¢ Roo-
aussi un défaut de position : le monde de concret, plus c'est réussi. Le café-théatre sie se complait dans une sauvagerie qui
Sushi, ce sont les industriels en mal de n'est pas toujours trés loin mais il y a finit par lasser... Peut-étre par excés de
spirituel, les journalistes obtus, les cou- davantage. zele, Eastwood en donne trop au public
ples jeunes/vieux, et puis |’édition, la Sans étre un chef-d’ceuvre, Une époque et laisse ses personnages en rade, a |'érat
faculté, les salles de vente, avec, en guest formidable est une bonne surprise car d'esquisse : la relation Eastwood-Sheen
star, la culture orientale dans le réle du Jugnot a pris son sujet au sérieux — ce qui aurait pu ét plus intére:
vide spiritualisé contre le vide matérialis- est aprés tout la moindre des choses pour La grande vedette du film demeure la
te. Malgré la présence cabotine d’un raté une comédie — et ne s'est pas contenté de photographie de Jack Green, en /ow-hey
« sympathique » (Stevenin virevoltant, la parodie, du second degré ou encore de digne des grands films noirs des années
c’est lui le vrai Robin Williams de lhistoi- l'antienne un peu démago, du genre « la 40. Fidéle aux directives d’ Eastwood, a
re), Sushi s'est un peu mal planté, si l'on zone ¢’est sympa ». Jugnot n'esquive pas savoir tout faire pour que ses films soient
ose dire, pour parler de la modernité. L.G. les scénes dramatiques, bien au contraire. invisibles a la télévision et en c settes,
La mort de Mimosa, par exemple, est un Green accumule les plans totalement
moment de basculement du récit tout a sombres ou €clairés en partie ; offrant au
UNE EPOQUE FORMIDABLE (France 1991) fait convaincant. Bret, Une Gpoque formi- spectateur un magnifique festival de
de Gérard Jugnot avec Gérard Jugnot, dable est une comédie A tendance grave clairs-obscurs. Mais Green est aussi a I'ai-
Richard Bohringer, Victoria Abril, Ticky sur la déglingue, la dérive la déprime ot se en plein soleil, renforcant les contras-
Holgado, Chick Ortega, Eric Prat. les lieux, les personnages pésent leur tes entre les séquences nocturnes et les
petit poids de réalité. Ce n’est pas la scénes de jour, filmées en extérieur:
ela commence trés mal : des Frangais moindre des surprises de ce petit film qui Los Angeles : du grand art, quoiqu’un
Cc sont dans un bateau, Jugnot tombe a capte quelque chose de l’air du temps. peu décalé et vain dans ce film long et
Peau. Qu’est-ce qui reste ? Je vous le De quoi espérer une légére éclaircie dans inégal. N.S.
donne en mille : pas grand-chose. Heu- le paysage plutét maussade de la comé
reusement, cela s'arrange trés vite. Car a la franga Sis TJ
NEW JACK CITY (USA 1990) de Mario Van
Peebles, avec Ice-T, Wesley Snipes.

w Jack City était le film manquant


ni. la sélection cinéma black de
Cannes 1991. C'est dire qu'on attendait
avec curiosité et impatience ce polar
auréolé d'un succés record aux Etats-
Unis. Le film s’ouvre sur une idée extra-
ordinaire : un long travelling aérien en
hélicoptére qui se termine sur les bords
du Brooklyn Bridge, un tueur suspend
par les pieds un mauvais payeur devant le
regard et les cris affolés de sa petite amie.
Ce plan laisse espérer beaucoup de New
Jack City : wn mélange entre un réalisme
urbain, type policier semi-documentaire
(Panique dans les rues) et un regard un peu
fou. Hélas, Mario Van Peebles se canton-
ne trés vite dans une esthétique trés styli-
sée et héritée du clip. Le style pompier

Cahiers du cinéma n°446


CRITIQUES

du film en tue a la fois le réalisme, ludiques qui font de l’espace un person- sur tout le film —le personnage de Gary
l'ambition et le discours : la dénonciation nage comique 4a part entiére. Jonglant Oldman, trés proche du Johnny Boy de
est lourde, la violence gratuite et omni- avec les références et les influences Mean Streets en est un exemple— il est
présente. New Jack City est en fait un (péle-méle : la bande dessinée, la télé de aussi révélateur des qualités de cinéaste
remake rap de La derniére rafale et des papa, le réalisme frangais et le fantastique de Phil Joanou : malgré ses emprunts, le
Bas-Konds new-yorkais (un néo-flic « new- graphique américain), Caro et Jeunet film reste visuellement irréprochable,
jack cop » s'infiltre dans un redoutable réussissent, c’est peu commun, a étre remarquablement monté et filmé. Ma’
gang de dealers qui terrorise tout un nouveaux sans étre amnésiques. Partis de on retient surtout une excellente direc-
quartier), la poésie en moins, le message tout, ils ne sont, en effet, revenus de rien tion d’acteurs qui réussit a rendre Sean
en plus. Voir ce dénouement inattendu et il y a dans le spectacle qu’ils nous Penn crédible et émouvant en flic tiraillé.
qui présente bien des points communs offrent, et jusque dans ses artifices, un Méme soin dans le traitement des per-
avec celui du Jungle Fever de Spike Lee : attachement sentimental et une convic- sonnages secondaires, comme le parrain
un vieillard religieux abat le méchant tion qui donnent a ce qui risquait de italien bienveillant et effrayant ou le
dealer en citant la Bible. Dans le genre, n’étre qu’un travail de créati s la mesure supérieur de Penn, interprété par John
on préférera le King of New York d’ Abel Wun véritable acte de création. (Chatiliez ‘Turturro. Autant de détails qui contri-
Ferrara qui utilisait plus judicieusement la n’a plus qu’a bien se tenir : Delicatessen buent 4 la réussite de Svare of Grace et
musique rap et la violence urbaine. Reste prend une avance qui pourrait bien, trés prouvent le talent de son auteur. N.S
la présence du rappeur Ice-T’, és sobre vite, le démoder). Si Caro et Jeunet tien-
en flic vengeur, sans doute aussi bon que nent leur pari, c’est pourtant au prix d’un
son camarade Ice-Cube dans Boy's in The lourd sacrifice : on a peine a s’attacher a VERAZ (France, 1991) de Xavier Castano
Hood. Derniére remarque a ce sujet : son leur scénario-prétexte, a leurs person- avec Kirk Douglas, J.-M. Portal, Marie
nouvel album, Original Gangster, est formi- nages fourre-tout (un grand bravo a Fugain, Richard Bohringer, Imanol Arias.
dable, plus évocateur et plus puissant que Dominique Pinon qui sauve la mise en
les images de New Jack City N.S. ‘Tintin naif), et leur incapacité totale a ’est un premier film ou l'on apprend
faire tenir une scéne sur la durée finit par Cc en toute simplicité que chacun peut
provoquer un certain ennui (le film est trouver ici-bas ailleurs dont il réve.
DELICATESSEN (France, 1991), de Jean- entiérement construit en montage paral- Conviction posée dés louverture, quand
Pierre Jeunet et Marc Caro, avec Domi- léle mais cela ne suffit pas 4 masquer sa on entre plein cadre dans les images de
nique Pinon, Marie-Laure Dougnac, Jean- vraie nature : une compilation de courts Veraz, la planéte de synthése — l’ersatz de
Claude Dreyfus, Karin Viard, Jean-Fran- métragi s mis bout 4 bout). Le culot de famille — que s’est inventée ‘Théo, ado-
cois Perrier, Howard Vernon, Edith Ker. Jeunet et Caro est encore trop méticu- lescent solitaire et génial. Il ne lui faut
leux pour trouver son souffle. F. Str. dailleurs que quelques séquences, une
ffirmer un ton singulier, imposer un dispute avec son pére, une fugue, un peu
a univers unique, revoir et corriger la d’auto-stop, pour arriver dans son pays
comédie sur un mode radicalement per- LES ANGES DE LA NUIT (State of Grace), d’Oz. Ce n’est pas bien loin, c’est en
sonnel : c’est la toute l’'ambition de De/i- (USA,1990), de Phil Joanou, avec Sean France, dans le Sud, le vrai — les Pyré-
Cale. ssen, projet d’emblée sympathique Penn, Gary Oldman, Robin Wright, Ed nées, inquiétantes sans doute, pour un
dans un jeune cinéma frangais enclin au Harris. citadin, mais beaucoup plus maternelles
suivisme. Pour Jean-Pierre Jeunet et qu’un logiciel d’ordinateur. Pas plus que
Mare Caro, parfaits touche-a-tout de t roisiéme film d’un jeune cinéaste de son héros, Veraz n’a de réels problémes
Vimage qui ont passé les dix derniéres 28 ans, State of Grace est un lointain de filiation. D’un Annaud (qu’il admire),
années a jouer aux inventeurs de formes cousin de Mean streets auquel il emprunte dun Berri, dont il fut Passistant, Castano
dans la pub, le clip ou le court métrage, univers (virées nocturnes, décors tient sans doute cette maitrise d’une
ce pari d’inovation, on le sent trés vite, urbains) sans éviter certains poncifs grosse machine de cinéma : des pointures
nest pas difficile 4 relever, leur conscien- visuels : bars enfumés, ruelles sombres, au casting (outre Kirk Douglas imposant,
ce de ce qu’est une image différente étant salles de billard. Mais si effectivement le Bohringer, les Pyrénées, un chien, des
a Vévidence forcément aigué. Tant film n’évite pas les pi¢ges du genre, il rapaces et des ours) ; le Scope a l'image,
mieux car c'est done avec beaucoup révéle un projet authentique et propose et quelques effets spéciaux ; dont une
délégance et de naturel qu’ils nous gui- un traitement assez pa sionnant des rap- utilisation sans complexe d’extraits d’Acr
dent dans le royaume du jamais vu de ports entre communautés ethniques a of love de Litvak pour servir de souvenirs
Delicatessen, un immeuble de banlieue New-York. Situé dans le quartier du a Kirk Douglas. Aux Américains, Veraz
vieillot ot) quelques personnages excen- Hell’s Kitchen, Stave of Grace raconte les doit d’ailleurs une totale absence d’état
triques survivent 4 Pheure indéfinissable déboires d'une taupe de la police inté- d’4me quant a sa morale d’une mort aris-
(hier, aujourd’hui et demain) de la pénu- grée dans un gang de truands irlandais a tocratique, sa représentation esthétisante
rie et du cannibalisme. Chaque étage de la solde des Italiens. Le scénario progres- dun suicide grandiose comme un sport
cette auberge espagnole est une vitrine se en jouant sur de fausses pistes habiles de haute voltige. LG:
des dons de Caro et Jeunet, assez ordi- jusqu’a un dénouement sanglant, hom-
naires dans le registre comique mais plu- mage de Phil Joanou au réglement de Ces notes ont été rédigées par Laurence Giava-
t6t extraordinaires dans celui des trou- compte final de 7axi Driver. Si le poids rini, Thierry Jousse, Jean-Francois Pigoullié,
vailles visuelles, jolies chorégraphies du cinéma de Scorsese se fait done sentir Nicolas Saada et Frédéric Strauss.

72] Cahiers du cinéma n°446


tes

BREVES

impression de pris sur le vif, BERGMAN vient d’obtenir le


« La culture en chantier » Vhumour en plus. Les conser- Preamium Imperiale du ciné-
vateurs, restaurateurs, sont ma, prix créé avant sa mort,
I commande ministérielle terrains vagues de Bois-d’Arcy, comme des stars occultes en 1987, par le prince Nobu-
st, avec le film de Robert aux Archives nationales du interrogées a ciel ouvert, dans hito Takamatsu et qui se veut
Kramer, Sous /e vent, interro- film, c’est du nitrate, « /es films le feu de laction. ‘Tous ces un Nobel des Arts. Avant
gée et actualisée i/lico presto ont la méme formule que les organisateurs de spectacles, Bergman, c’est Fellini et
dans une pratique du cinéma bombes » dit Kramer, et la ces imprésarios de la mémoire Carné qui avaient été réecom-
reliée a histoire. La vallée de métaphore continue de filer culturelle qui veulent sauver pensés par ce prix doté de 15
la Seine, les industries por- jusqu’a ce plan fixe de la ou ressusciter le passé sont millions de yens (600 000 FF
tuaires, les bateaux, les chambre d’hétel ot Genet est des chercheurs d’or, et des environ). Cette rondelette
falaises de craie, les vestiges sages (il aura fallu, par somme aura sans doute
du chateau des Andelys, exemple, deux ans et demi contribué au retour de Carné
réveillent la mémoire du fleu- > ... ou comment pour restaurer /es Noces de au cinéma, annoncé pour trés
ve et des fumées d’usine de Canaan de Véronése au bientét. Mais de la a imaginer
Venfance en Amérique. se fait la culture, Louvre, et 4 millions de celui de Bergman derriére la
L’actualité de la guerre du francs), situés 4 mi-chemin camera...

Golfe perpétue une certaine en France, sous entre Kafka et Jacques ‘Tati.
horreur, qui fascine Kramer. Ainsi cette jeune femme qui JERRY LEWIS dans ses shows
La voix puis le visage de l’ami le soleil de la inspecte aux jumelles un télévisés inédits réalisés
Serge Daney viennent arréter immeuble aux alentours de la pour NBC entre 1967 et
et relancer cette question de décentralisation Garennes-Colombes « é/é- 1968 : c’est sur Canal +
la guerre en la démultipliant, ments en saillie triangulaire chaque week-end, et en clair,
pour la faire rebondir sur celle faience en wuf cassé, motifs pendant tout I’éete, dans une
de 39-45, dont sa génération a mort, a la fin, ot l'on entre his- blancs et or » dit-elle en sub- version doublée (damned !)
hérité, nous dit-il, et ot un toire de s’accorder aux lectures stance, qui montre bien un et remontée plan par plan par
mode mineur (est-ce un Age et au désir d’aller voir sur savoir-voir la culture, un les studios de Boulogne pour
d’or ?) se dégage du cinéma a place, au lieu d’allumer la télé. savoir-lire une histoire, et sa étre plus efficace.
ce moment-la, qu’il a toujours Sous le vent invente la culture valeur, tout cela pris dans le
eu la force d’aimer. Il Evoque au lieu d’en parler, avec un art courant du présent : sous un SCENARIO 1. Le Grand Prix du
le réle de la télévision, le du cinéma qui se fait 2 bout marché couvert du XIX° meilleur scénariste qui,
comparant a une politique de portant, avec un « tu » (« toi siécle, pendant les repérages depuis 1986, était décerné a
Voccupation, occupation du Richard » ou Daney) qui sert de nos joyeux conservateurs la Closerie des Lilas, a démé-
vide du temps. de point de subjectivation au des monuments historiques, nagé au coeur de la Cité des
La guerre a quelque chose a « je » qui parle. une jeune fille au premier Papes pour une manifesta
voir avec la politique culturel- plan remplit un pot de créme tion, Les Manuscrits d’Avi-
le et Pindustrie du cinéma, erge Le Péron, lui, a fait fraiche... Le film met bien en gnon. Le lauréat est Yvon
Vomniprésence de la télévi- Ss: film tragi-comique, valeur le cété fantastique et Marciano (auteur d’un court
sion, les rapports entre l’art et genre épopée burlesque et inénarrable des historiens et métrage remarqué, La Face
largent, abstraction des documentaire sur le patrimoi- autres sentinelles de la cachée de la lune) pour son
guerres économiques qui ne francais (toujours 4 propos mémoire, tous ces gens trés scénario Le Bleu du ciel qui
empéchent de voir, qui cou- de la culture). Restaurer, sérieux qui rangent le trésor raconte la relation étrange
pent la parole. La commande conserver, repérer, classer, culturel de la France. m= liant un psychiatre du début
chez Kramer relance un ranger, sauver lhéritage cul- Amina Danton du siécle, attiré par les rela-
témoignage sur une maniére turel de la patrie, c’est une tions des femmes avec les
de vivre la culture comme un activité obscure et mal tissus, 4 une jeune prisonnié-
« La Culture en chantier », série de
risque ot les livres de Jean connue qu'une atmosphére six films commandée par le minis- re accusée de plusieurs vols
Genet, dans la chambre de film policier, installée par tére de la Culture, de la Communi- de coupons de soie. En atten-
@hétel, pésent encore contre la musique solenelle et cation et des Grands ‘Travaux et dant de voir ce film, on lira
coproduit avec les Films d’Ici, A2.
le flux rélévisuel. Kramer d’amples mouvements de Diffusée sur Antenne 2 chaque donc avec intérét l'étude de
déclare aussi la guerre au caméra, se charge de nous jeudi soir entre le 16 mai et le 20 ce psychiatre, Gaétan Gatian
faire connaitre d’un peu plus juin, aprés le journal de 23 heures. de Clérambault, Passion éro-
temps, en allant filmer une
Sous le vent, de Robert Kramer. Cul-
certaine mort du cinéma, la prés. Serge Le Péron installe tures, Communes, de Stan Neumann. tique des étoffes chez la
mort physique. Des pellicules les lieux du patrimoine, et les Devenir, de Frédéric Compain. Co/- femme, publié par les Labora-
forment des blocs de temps gens qui travaillent dans ces lections privées, Art public, de Pascal toires Delagrange dans la col-
Kané. Patrimoine, de Serge Le
morts qui tombent en poussié- lieux, avec une mise en scéne Péron. L’Homme de thédtre, Christian lection Les Empécheurs de
re et qu’on fait braler dans les drolatique, qui redonne une Schiaretti, de Jean-Louis Comolli. penser en rond.

Cahiers du cinéma n°446


TEE
IS O2N

Le polar psychotrope
& par Vincent Ostria

> Qui a tue Laura Palmer ? L’enquéte de Dale Cooper destruction du vivant... En
cela, Tin Peaks devient net-
n’en est pas une et le téléspectateur est fasciné d’étre tement plus inquiétant que
Blue Velvet ou Wild at Heart.
manipulé d’une main (de maitre) a la fois legére et per- Dans la routine feuilleton-
nesque, l’épisode (réalisé par
verse. Lynch, comme Hitchcock sait faire durer le plaisir. Lynch) de l’assassinat de
Mady, la cousine de Laura
I corps nu de Laura Palmer, utilise une fagade morale et ou croient voir plusieurs pro- Palmer par Leyland Palmer,
jeune lycéenne assassinée, incorruptible (agent du FBI) tagonistes de histoire. Bob, transformé en Bob par inter-
est retrouvé, emballé dans un pour nous laisser entrevoir a sorte de Hell’s Angel aux che- mittences agit comme un
plastique transparent, 4 “Twin Parriére-plan les pires abimes veux longs, apparait a divers électrochoc (libératoire) sur le
Peaks, petite ville anodine de du mal. Mais c’est chose cou- personnages ct va méme spectateur. Aux antipodes de
état du Washington. Dale Vangélique Cooper, il y a ce
Cooper (Kyle MacLachlan), fantasme de brutalité, Bob, le
agent du FBI, est envoyé sur loup-garou moderne.
place pour enquéter. A partir
de la, tout est possible. Et i force de ce feuilleton est
tout arrive... (ALysi ere a) Twin kyle son irrationalité affichée
MacLachlan
Peaks, soap opera un brin per- et Michael comme un style, en un mot sa
vers qui se double d’une Ontkean Fantaisie, au sens fort. Bien
intrigue policiére, est tout le que respectant une construc-

contraire du film d’action ; les tion télévisuelle convention-


déplacements les plus nelle (voir les nombreux sub-
notables qui s’y déroulent plots ou intrigues paralléles) et
sont d’ordre psychique. Car le les classiques débordements
psychisme et ses aberrations psychologiques du soap opera,
sont le sujet méme de Twin Twin Peaks est loufoque et
Peaks. Les jeux mentaux a délirant. Les détails de la
Voeuvre dans ce feuilleton tapisserie sont plus impor-
ménent, au bout du compte, a tants que la tapisserie elle-
la poésie et a abstraction qui méme (tout le monde se
le rendent si attachant. Une contrefout de qui a tué Laura
poésie noire, édifiée sur la Palmer). La singularité de
dégradation morale et la per- Twin Peaks réside dans son
version. rante... La ot: Lynch dépasse prendre possession de l’un hypnotique écheveau d’ab-
pour la premiére fois, avec d’eux, Leyland Palmer, pére surdités. Une folie dréle et
vec les films Blue Velver et Twin Peaks, cette combinatoi- et assa sin de Laura (et de sa gringante parcourt les épi-
Wild at Heart (Sailor et re explicite, c’est en illustrant cousine). La similitude avec sodes et lave l’esprit du téles-
Lula) \e feuilleton Twin Peaks de maniére fascinante cette le Docteur Mabuse est frap- pectateur accablé par la lour-
forme une sorte de trilogie de assertion : le mal n’est pas pante... A une différence deur des fictions pseudo-réa-
la paranoia. David Lynch, une entité dissociable du prés : Bob n’a jamais existé. listes. L’intérét des auteurs
Ame de ce projet collectif, part reste, il est en nous. L’Autre C’est la meilleure idée de (Lynch et Mark Frost) est
du principe que l’Amérique est en nous (ou « Je est un Twin Peaks : le véritable assas- hors-morale. Leur vision de
moyenne recéle un enfer de autre »). Notre imaginaire se sin n’existe pas concrétement, ’étre humain reléve presque
turpitudes. A instar de son repait de ce mal, inhérent a puisqu’il est en quelque sorte de labstraction lyrique, tant
alter ego, Vinspecteur Dale toute fiction. Il le reconnait une émanation de l’incons- la caractérisation des person-
Cooper, Anglo-Saxon flegma- comme un poison familier. cient collectif, une personnifi- nages semble parfois théo-
tique jusqu’a la caricature, Dans Twin Peaks, \e mal est cation de l’instinct de destruc- rique (tous ménent une
Lynch affecte un idéal de personnifié par un personnage tion présent dans toute entité double vie amoureuse, cer-
pureté et d’ordre. Pervers, il chimérique, Bob, que voient vivante... Le principe d’auto- tains une triple). Entre les

74) Cahiers du cinéma n°446



ae
——
ly HE ne INO MEP re es

BREVES

doigts de Lynch, les étres tion pour les déviances SCENARIO 2. Dans le cadre
humains deviennent une pate délires sado-masos qu’on nous du prochain festival interna-
informe, modelable a V’infini. fait miroiter dans Twin Peaks tional du film d’Histoire de
Son audace est de négliger les comme le domaine interdit de Pessac, un concours de scé-
canons (de pure convention) la transgression absolue. La narios est organisé sur le
de la narration vraisemblable manipulation est également theme de la guerre froide.
et dillustrer textuellement ligée au suspense, qui passe Deux prix recompenseront
ses fantasmes. Outre le fait par une attente insoutenable deux scénarios inédits, long
1B Joan Chen
qu il est un excellent manipu- comme par la multiplication et court métrage, documen-
lateur des pulsions du public, comme Jeanne d’Are. Outre des obstacles et des fausses taire ou fiction. Manuscrits
Lynch est un ///ustrateur le fait que ensemble des solutions. Lynch, plus encore a adresser en quatre exem-
visionnaire (des siennes). Les phrases cryptées qu’on distille que Hitchcock, sait faire plaires avant le 20 sep-
visions, réves, messages ga et 1a (« les hiboux ne sont pas durer le plaisir jusqu’a laga- tembre au Festival Interna-
sybillins, qui abondent dans ce que l'on croit ») forment un cement) en accumulant les tional du film d’Histoire, Rue
Twin Peaks sont le souténe- poéme rudimentaire pai en faux in i Mais contraire- des Poilus, 33600 Pessac
ment artistique de cette his- contrebande dans le feuille- ment a Hitchcock, le suspen- (Tel : 56 46 25 43,
toire, irrationnelle avant toute ton. Ce pied de nez a la se de Lynch s’appuie rare- Francoise Alonso).
chose. Les digressions surna- logique policiére anglo-saxon- ment sur l’annonce d’un dan-
turelles constituent sa poé- ne, (of. Sherlock Holmes), est ger inexorable, mais plutét sur SCENARIO 3. Jusqu’au
sie... Comment bouder son véritablement exotique. D’ot un redoublement de I’épais- 6 septembre, des stages
plaisir devant I’« écriture un ludisme permanent du seur du mystére, soutenu par scénario axés a la fois sur
automatique » de Lynch, qui feuilleton, ainsi qu’une com- une musique trompeuse, la technique d’écriture et
est peut-étre un des cinéastes plexification progressive éthérée et ja y, lancinante, les perspectives profession-
les plus proches de l’inno- d’une intrigue toute en ara- aux moments les moins atten- nelles (ventes, suivi indivi-
cence cruelle et de lPiconola- besques. dus. Lynch nous noie dans duel du projet pendant
trie baroque des contes de D’autre part, cette histoire Verreur et le doute, 4 notre douze mois aprés le stage)
fée ? Contrairement a un pré- devient poétique par le fait grande satisfaction. Comme sont organisés
jugé répandu, Lynch n’est pas que celui qui interpréte ses ses personnages, il sait exploi- a Strasbourg.
un pur dandy recherchant la oracles est, sous son apparence ter le masochisme dans Rens : 88 64 38 17.
bizarrerie pour choquer le dinspecteur calamistré, un Pinconscient du public.
bourgeois. Non, il ne traite mage inspiré par le Ciel, done, PATRIMOINE. Dés Ia rentrée,
que de la réalité. Il la triture, en fin de compte, un véritable oe que le suspense les Mercredis du Patrimoine,
la torture, la tord, et en fausse artiste, absent au monde réel. lest partiellement dé organisés par la Cinéma-
légérement le sens pour lui Si Cooper est obligé de com- morcé dans la version frangai- théque Francaise et les
faire retrouver une force muniquer avec le Ciel, c’est se de Twin Peaks par le décou- Archives du Film du CNC,
d’évocation disparue. Du que ses semblables ne lui page hasardeux de La Cing reprennent a la salle du
coup, paradoxe supréme, cer- « disent » rien, voire le dégot- (diffuseur du feuilleton) quia Palais de Chaillot. Chaque
taines scénes ou situations en tent. Son confident est un dic- porté, pour de mauvaises rai- semaine, a 16 et 19 heures,
acquiérent une froublante taphone appelé Diane (une sons commerciales, la durée rendez-vous avec la mémoi-
impression de vérité... hypothétique secrétaire) ; son des épisodes de 48 minutes a re restaurée du patrimoine
L’enquéte de Dale Cooper supérieur du FBI est sourd environ 90 minutes. Les €pi- cinématographique.
n’en est pas une et c’est une comme un pot (apparition sodes étant dus a des réalise
des choses les plus réjouis- hilarante de David Lynch) ; et teurs différents (Lynch, Frots,
A VENDRE
santes de Twin Peaks : la sub- la Pythie locale parle avec une Caleb Deschanel, ‘Tim Hun-
version absolue du genre poli- biache... L’autisme les guette, ter, etc.), il y a maintenant des PENICHE
portions d’épisodes différents
cier, On a le sentiment
Lynch et Frost ont transfor-
que a Twin Peaks.
artificiellement collées
HOLLANDAISE
16,50m x 4
mé des faiblesses en atout oo Hitchcock, Lynch ensemble. Cela dit, les
Entiérement remise & neuf.
majeur. Ne sachant pas com- tire son pouvoir de mani- quelques épisodes majoritaire-
Intérieure teck.
ment faire évoluer une pulation du public, de ment réalisés par Lynch sont
enquéte de fagon originale, ils Vexploitation de sa vision de loin les plus imaginatifs, et Appartement de 50m?
mettent en scéne leur impuis- puritaniste de la sexualité révolutionnaires, en matiére BEAUCOUP DE CARACTERE
sance en faisant intervenir des (puritan sme de feuilleton de télévision américaine. m Visible & Paris 3
solutions totalement surnatu- télé auss , qui préte des vices 850.000 F. *
relles. C’est a la fois choquant horribles 4 ses héros, sans win Peaks : tous les
et génial : Cooper ne déduit avoir l’air d’y toucher) et bien vendredis soirs cet été,
4729.88.77 - 39.12.19.87
pas, il est inspiré, « visité » sar, corollaire, de sa fascina- 4 22 h 30 sur La Cinq.

Cahiers du cinéma n°446


ES URE 8° Due mE Ee

De la critique comme mise en scene


& par Sylvie Pierre

erge Daney a raison de et cohérent qui est l’énergie notes a ses 23 pages, et dont @idolatries proposés 4 mon
Ss. a ce que ses Ecrits sur méme de son travail. Vauto-consistance €écrite ne désir de voir, qui lui non plus
le cinéma et la télévision Serge Daney parle beaucoup, s’autorise que des emprunts ne se tient pas tranquille.
soient repris périodiquement ses amis le savent, des films qu’il a faits a écrit ou a la On nous fait de Voeil, dit
dans des livres. Devant la recru- et de la télévision, et méme parole de lautre ? Daney. Et comment nous
descence des vols de sacs @ main de tout, du monde comme il Lequel autre sait trés bien, armer du nétre pour un regard
est le quatri¢me de ces livres, le voit aller. « Le cinéma, pour quand il veut, se rendre la un peu plus utile et plus juste ?
apres La Rampe, Ciné-Journal, moi, C'est enchainement, plus ou parole : ce qu’il a fait dans le
et Le Salaire du xappeur moins réusst, de trois moments : trés beau texte 4 deux voix 3. Ce qui m’intéresse et
La question des poches qu’on me touche le plus, dans
vous fait, — de celles aussi les écrits de Serge Daney,
que la télévision fait au ciné-
>» Dans les livres de Serge Daney, on cest leffort qu’ils font, avec
ma — est pointée par l’auteur, sent l’intelligence d’un sujet qui de plus en plus de bonheur,
dans le titre de son livre, avec pour substituer au sérieux
un humour as z mélanco- aime et connait la valeur des images pompeux et péte-sec de la cri-
lique. Il est bien clair qu'il y tique quelque chose qui
pose, par la méme occasion, filmées, au point que son texte s’approcherait d’une pure
celle de Pattention qu’il faut poétiqu , ou dune pure
porter a ses affaires, et parti- devient une affaire d’images justes. esthétique ou éthique du rap-
culi¢rement a la propriété de port aux images, lesquelles
ses affaires d’écriture. voir-parler-écrire. » Mais des intitulé « Le Passeur », ot s’énonceraient en actes de
Une complicité amicale de trois temps de cette ciné-vie, tout art de la fugue ne regarde textes, plutét qu’en principes
plus de vingt ans me lie a ce qu'il souhaite « passer », aprés tout que lui. contenus dans les textes.
Serge Daney, et je le connais en public en tout cas, c’est Ainsi dans la série de ses
trop bien (ce qui ne me rend sément la trace écrite. Je ne me sens plus trop chroniques sur les ilms a la
@ailleurs pas cet article plus insi quil trouve, il me ule ni trop paumée, télévision (pour laquelle il a
facile), pour ne pas étre sen- semble, le moyen étrange de lo jue je m’interroge sur le emprunté 4 Jean-Claude Biet-
sible 4 Pimportance person- rattraper le temps qu’il perd a pourquoi diable de ce que je te le beau titre « Les Fan-
nelle qu’il donne aux lieux ot (tout) voir et a (trop) parler. fabrique ici, 4 parler de, écrire tomes du permanent »), j’ai
il écrit, s¢ revue et son journal, Comme s’il le mettait de cété, sur, la télévision, alors que, bien un faible particulier pour
le possessif étant entendu, au fur et 4 mesure, dans ses évidemment, c’est de cinéma cette forme nouvelle, par lui
bien sir, comme une question articles, a l’abri de la disper- qu’il est encore question. inventée, pour parler des
d’histoire familiale : les sion du zyeuté trop expert, et « O assunto é kinema » : \a films qui « ne valent pas tri-
familles qu’il s’est choisies. du parloté trop malin, et question est le cinéma, disait pette », et qu'il regarde
Et ce sentiment que j’ai, que généreux. Et par conséquent : le cinéaste-journaliste Glau- quand méme, histoire de voir.
important, pour Serge ber Rocha, qui, vingt ans Il fait revenir le mauvais film
Daney, c'est d’abord d’écrire 1 Je ne trouve pas trop avant tout le monde (dans les a la barre de son procés en
aux Cahiers, ou a Libération, fine, ni vraiment extréme- années 60), affirmait déja que appel, ou l'un de ses person-
que dans ce hasard il se joue ment délicate, implacable plus aucun cinéaste n’avait le nages comme témoin, de
quelque chose de sa nécessité, piété avec laquelle le dénom- droit de réfléchir Pexistence- fagon 4 le contre-interroger.
et que cette « singularité quel- mé Philippe Roger (qui a le production, ni le devenir-pro- Ce qui, soit dit en passant, est
conque » (pour reprendre les mérite d’étre linitiateur de la jection de son ceuvre filmée une forme typiquement ciné-
termes du philosophe italien publication de opus IV de sans penser 4 la télévision. matographique, qui nous rap-
Giorgio Agamben) fait partie Daney) a voulu, dans sa Mais surtout je me demande, pelle tant de beaux procés des
essenticlle de ce qui le rend pesante postface, récupérer aussi, oi est ma place de sujet films américains, de Party Girl
aimable, me fait mieux com- les chutes de la conversation devant image qui bouge a Anatomy of a Murder, film
prendre aujourd’ hui pourquoi enregistrée qu'il a cue avec (kinema), qui bouge devant pour lequel Daney avoue
il est nécessaire que ses textes Pauteur. Et comment prendre moi qui bouge aussi, et ce @ailleurs un culte personnel
lui soient rendus, au pied de au séricux ce texte passoire, devant la recrudescence (toutes particulier, et une identifica-
leur lettre écrite, et qu’ainsi perforé constamment de les chaines, les canaux, les tion de toujours a son héros
soit respecté le dessein tenace guillemets, boursouflé de 300 cables...) @imaginaires et avocat, James Stewart.

76] Cahiers du cinéma n°446


HORS-SALLE
3 gkat

Il crée ainsi une continuité dia- d’un sujet qui aime, et qui
loguée dont l’effet comique est connait, et qui sait peser la Secrets d’auteur
irrésistible (voir le texte « A valeur des images filmées, au
Peau », a propos de l’immortel point que son texte est deve- bese mais aprés vingt ans de carriére et dix-huit longs
Continent des hommes-poissons). nu lui-méme une affaire métrages, il semble étonnant, presque prématuré, de consa-
Entre l’accablement et la com- d'images justes. crer un livre a Jacques Doillon. Est-ce pour cette raison qu’Alain
passion, Daney joue tous les Philippon, aidé de Jacques Deniel et Jacky Euvrard, a choisi une
roles dans ce procés, celui de *est-a-dire ? Car des éter- triple approche — introduction 4 l’ceuvre, série d’entretiens, scé-
lavocat du pauvre diable de C..:: regards des godar- nario intégral de La Vengeance d'une femme — ? A Vévidence, il
film, celui du Ministére Public diens, l’onde est si lasse... s’agit bien d’un choix délibéré : appréhender la démarche d’un
de la critique, celui de l’accusé C’est-a-dire que le texte de cinéaste en se tenant au plus prés du quotidien, du concret, du
pathétique, et méme celui du Daney, et c’est la son mystére, travail de création, plus labeur que surgissement.
juge chargé de prier messieurs est devenu la mise en scéne, A travers réflexion et entretiens — avec Doillon lui-méme, Jane
les jurés téléspectateurs montage compris, de son regard Birkin, Jean-F rangois Goyet (scénariste) et Jean-Claude Laureux
dapprécier, ou pas. sur les images dont il parle. (son) —, c’est l’irréductible singularité du cinéaste et de sa
Je vois ici un progrés (retors), C’est-a-dire qu’il sait trouver démarche que ce livre tente de cerner. Une attitude que Doillon
et non une régression (chichi- langle, la distance, le cadre, décrit en ces termes, parlant des films de commande, « des films
teuse et racoleuse) de l’intel- le champ, l’éclairage, le rac- qu'on wa pas envie de faire ». Ce que Jean-Frangois Goyet traduit
ligence critique, par rapport a courci dans le mouvement, le asa fagon, parlant d’une scéne que Doillon refuse, non en la
une plus-value affichée de vrai-faux raccord, le jeu, tenant pour « bonne ou mauvaise », mais en disant : « Je ne me vois
Vexercice de la critique. Car il V’émotion, la couleur (ah ! le pas me lever le matin pour aller tourner ¢a. »
serait bien vain, en effet texte sur Cecil B. technicolo- Pour passionnant et révélateurs que soient, de bout en bout, ces
aujourd’hui, de passer son riste, « De Mille couleurs »), propos divers, ils aménent a s’interroger. En déclarant délibéré-
temps 4 reconsidérer critique- le dialogue, la diction, le ment vouloir « révaluera la hausse » \a notion d'auteur de film en ce
ment les films qui passent a la tempo, la respiration, et début des années 90, Alain Philippon ne fait-il pas, 4 son corps
télévision, puisque, a vrai dire, méme, ¢a compte, les bonnes
chacun sait comme ils y ser- conditions — enfin les
vent d’interludes a la publicité. meilleures qu’il peut — de
La critique mfrit cependant, production, de distribution et
dans ces textes, ot Daney en d’exploitation de ses textes.
Bt Isabell
développe, parodiquement, 5°- C’est-a-dire qu’il travaille Huppert,
mais sérieusement sur le ses textes comme un cinéaste, Jacques Doillon
fond, les potentialités dialec- et qu'il voudrait bien que la et Béatrice
MOUNE JAMET/PROD

Dalle sur le
tiques, et la finesse télé en fasse autant de son tournage de
Et, par la méme occasion, pro- info. Et c’est cela, au fond, qui La Vengeance

le travaille et le fait travailler. d'une femme


grés, je dirais génétiques, du
métalangage critique, dans son « Le cinéma est un bel outil pour
accession 4 l’autonomie d’une regarder ce qui succede peut-étre
vraie création de texte : ce que au cinéma » tépond Daney a défendant, la démonstration des limites du concept — et non plus
jappelle la poétique de une question, que sans nul de la politique ? Passer de la notion-caoutchouc extensible a tout et
Daney. Qu’il ait assimilé et fait doute il s’est toujours posée a tous des années 80 a celle qui se fait jour ici — liée aux particula-
siennes l’éthique et l’esthé- lui-méme, sans s’y mettre de rismes et aux singularités d’un au/eur quasi divinisé et dont la
tique baziniennes, on s’en dou- point d’interrogation, tant il moindre décision, habitude, manie, voire superstition, est élevée
tait un peu. Mais son lecteur a est sir qu’elle-méme ne peut au rang de principe méthodologique — n’est qu’un renversement
surtout la chance de pouvoir s’écrire qu’au_ condition- que l’analyse d’une pratique ne suffit pas a justifier. Sans doute
lire avec autant de plaisir des nel :« Le cinéma devrait étre un s’agit-il la d’un effet pervers de l’interview de collaborateurs de
textes sur image qui ont leur outil pour penser le monde ». Et création : l’amitié, admiration, la complicité idéalisent le moindre
fagon bien 4 eux d’étre aussi question télé, tout est 1a. = processus qui risque de devenir une fin en soi. La description des
beaux que ceux de Bazin. mécanismes de création de Doillon — ou d’un autre — ne suffi-
1. La Rampe et Ciné-journal sent pas a dire ce qu’il en est, pour le spectateur, de l’intérét de
4. Car c’est bien cela la ont été édités par les Cahiers son ceuvre. Pour irremplagable que soit cet ouvrage, il ne peut
plus importante, la plus du cinéma, Le Salaire du xap- étre que la préface 4 un travail 4 venir sur Doillon. Je ne doute
précieuse, et la plus spécifi- peur est paru chez Ramsay, pas que Philippon nous le livre un jour.
quement irremplagable, des Devant la recrudescence des vols Joél Magny
qualités du texte de Daney : de sacs @ main chez Aléas Edi- Jacques Doillon, entretiens pat Alain Philippon
qu’a les lire on y sente teur, 15, Quai Lassagne, et scénario de La Vengeance d'une femme,
constamment Il’intelligence 69001, Lyon (110 F.). Ed. Ciné 104/Ed. Yellow Now/Studio 43, 160 pages, illustré.

Cahiers du cinéma n°446 /77|


LES ESN RES Dek. Ese) Tae

Une encyclopédie des cinémas de Belgique


i on vous demande a > Entre « sillons » et « Monsieur Fanto- tal Akerman, Michel Khleifi,
brale-pourpoint si vous Manu Bonmariage, André Del-
aimez le cinéma belge, vous mas » quel est le lien ? Le cinéma belge, vaux, Thierry Michel, Luc De
restez, comme moi, sans voix. Heusch, Emile Degelin,
Puis des noms vous viennent a original et méconnu nous est expliqué. Robbe de Hert... Le plus
Pesprit : Delvaux, Akerman, représentatif est sans doute
Stork... Le regretté Jacques Si, fidéles 4 cette tradition, les dune tres jeune adolescente pro- Boris Lehman, partout présent
Ledoux pour ceux qui ont fré- auteurs donnent l’impressi on. mise au droit de jambage du dans cette encyclopédie, y
quenté la petite salle de la de ne pas se prendre au patron », et Dé&ja s'envole la fleur compris comme rédacteur.
Cinémathéque de Bruxelles sérieux, leur travail n’en est maigre (1960), sur « la premiere Pourquoi lui ? « Parce que tout le
Pour beaucoup, cela ne va pas pas moins remarquable, a la Journée @une famille de mineurs cinéma belge, ou presque, est dans
plus loin et Une encyclopédie des fois, selon lexpression de siciliens dans une cité charbonniére Boris Lehman » (P. Leboutte).
cinémas de Belgique vient a point Patrick Leboutte, « manifeste du Borinage en déclin », un des Son ceuvre majeurs ? Babel,
nommé pour rappeler que le pour un cinéma vivant » et tout premiers films belges a vaste projet tétralogique qui
cinéma belge est un ciném « exploration d'une terre incon- retentissement international. devrait durer 24 heures et dont
étonnamment original, indiffé- nue ». Au fil des pages, on C’est encore le cas de Marcel un premier volet de 160
rent aux normes et aux classifi- découvre, plus souvent que Broodthears, cinéaste expéri- minutes a été achevé en 1986:
cations. De cette « exempla- Yon ne redécouvre, des mental venu du surréalisme et Lettre a mes amis restés en Bel-
rité » — allant parfois jusqu’a cinéastes dont on aimerait décédé en 1976, ou du pion- gique.« Babel est un exemple tres
Punicité, comme pour La Perle, mieux connaitre l’ceuvre. C’est nier Charles Dekeukelaire, remarquable, écrit Dominique
unique film de Henri d’Ursel Paini, de cette métamorphose d'un
en 1929 — résulte un ouvrage documentaire sur sot, autrement
congu par ses responsables, dit un journal intime filmé, en un
Guy Jungblut, Patrick récit imaginaire absolu ».
Leboutte et Dominique Paini, ne démarche aussi singu-
a lime > de leur objet : totale- litre, qui n’est pas sans
ment libre dans son ton faire songer a celles dun
comme dans son organisation, Joseph Morder ou dun Gérard
ot §=©Particle consacré a Courant, mais est bien plus
« L’écran du séminaire des susceptible d@échapper au
arts » voisine avec « Erec- ghetto ex imental, est-elle
tion », ot! « Soutanes » a sa encore possible aujourd’hui en
place au milieu de « Sillons Belgique ? Un cinéma « /ait
« Canulars », « Monsieur Fan- dexemples irréductibles et singu-
tomas », « Littoral »... fiers » peut-il continuer a se
Dadaisme et surréalisme ont développer dans les « années
toujours trouvé dans le pays de commissions, qui développent un
Magritte et de Knokke-le- 1 Le Mariage de l'eau avec le fou de Boris Lehman cinéma fait de régles, de proce-
Zoute — qui abrite le festival dures et de marches a suivre sur le
Exprmntl (comme ga se pro- le cas d’Edmond Bernhard, mort en 1971 aprés une cen- voie du nouvel académisme euro-
nonce) — une terre et une cul- responsable seulement de cing taine de films, d’abord expéri- péen » ? Yelle est la question
ture de prédilection et courts métrages qui ont suffi a mentaux, puis documentaires, qui court de page en page der-
qu’aujourd’hui encore, leur asseoir sa réputation, parmi industriels, voire publicitaires, riére le ton gloupinesque ou,
esprit survit — certains diront : lesquels Lumiere des hommes et une importante activité de glouponique, de certaines
hélas ! — au travers des « atten- (1954), au scénario simple et critique et de théoricien. notices (cf. « Le Gloupier »,
tats pati ers » du collectif tout construit, ou Warerloo ais cet ouvrage ne se p. 165)
Georges Le Gloupier, plus (1957), digne de VHérel des limite pas 4 exhumer Joél Magny
connus sous le nom d’« entarte- Invalides de Franju dans le des cinéastes disparus ou ayant Une encyclopédie des cinémas de
ments », inaugurés en 1969, détournement de la com- cessé leur activité depuis des Belgique, par Guy Jungblut,
avec Marguerite Duras, mande officielle. C’est celui de années, il consacre nombre de Patrick Leboutte, Dominique
dautres figures médiatique: Paul Meyer, avec K/linkaart notices aux contemporains, Paini, Ed. Yellow Now/Musée
Marco Ferreri, Jean-Luc (1956), sur « la premiére journée connus ou moins connus : Eric d’Art Moderne de la Ville de
Godard, ou Edouard Poullet. de travail, dans une briqueterie, Pauwels, ‘Thierry Zeno, Chan- Paris, 280 pages, illustré.

Cahiers du cinéma n°446


ESEeS E LW RES [P=

50 ans de cinéma américain


ingt ans qu’on lattendait ! fondément remaniée. Les quement justifiable — mais Poriginale ? Et pourquoi
Parce que la précédente notices primitives ont été regrettable pour un ouvrage Pomettre systématiquement
édition — Trente ans de cinéma conservées, avec leurs insuffi- destiné 4 faire date et qui lorsque cette traduction est
ameéricain, \a fameuse « brique sances ou leurs erreurs, mais risque ainsi de se démoder a la éditée par... les Cahiers ?
rouge » du Coursodon-Taver- largement complétées par des moindre erreur de parcours des
nier — avait été trés vite épui- rectificatifs ou ajouts. Selon les privilégiés. lus grave, parce que rele-
sée et jamais rééditée. cas, les textes se font plus ou p vant moins de la mesqui-
L’attente en valait la peine, moins informatifs, historiques oC: ne saurait non plus pas- nerie que de la stratégie, est
puisque cette réédition n’est ou analytiques, mais consti- er sous silence d’autres Pattitude qui se fait jour au
rien moins qu’un nouvel tuent souvent de véritables parti pris qui gachent un peu travers des notices. Pourquoi,
ouvrage, mieux, deux nou- essais sur tel ou tel cinéaste. notre plaisir et empéchent en affirmant leur pas sion et
veaux Ouvrages, revus, Com- Hélas frappe tout autant leur notre adhésion totale. A quoi leurs partis pris, les auteurs
plétés, étendus, élargis. inégalité. Dans ce type sert, dans un ouvrage de cette donnent-ils une image a la fois
Cette nouvelle édition douvrages, leurs longueurs importance, d’offrir une biblio- caricaturale et académique de
confirme les qualités de la respectives sont méticuleuse- graphie tronquée, superfi- la cinéphilie pro-américaine ?
précédente : sérieux, préci- L’analy e quils proposent est
sion, concision, exhaustivité trop souvent la plus convenue
(autant que faire se peut), > Deux dictionnaires sérieux, et la plus attendue, dénuée
maniabilité (malgré les deux des surprises que l’on pouvait
volumes), avec les multiples précis mais des notices a géomeé- attendre d’écrivains qui ne
tables, index et lexiques, et cachent pas leurs choix et se
fiabilité historique, cette der- trie variable. Adhésion mitigée refusent a l’objectivité ency-
niére qualité n’étant pas obli- clopédique. C’est ainsi que
gatoirement l’apanage de ce pour la “brique rouge” du tan- Papproche de cinéastes tels
type d’ouvrage. Pour qui ne que Coppola ou De Palma ne
connaitrait pas la formule, rap-
dem Tavernier-Coursodon. débouche que sur une doxa
pelons que 50 ans de cinéma dune rare platitude : rien ne
américain propose une situa- leur permet de comprendre
tion du cinéma US en 1939 ment discutées. On n’imagine cielle, cachant malhabilement Pintérét d’un film tel que
(date liminaire) — prétexte a pas qu’elles aient été laissées ses a prior’? Pourquoi négliger Peggy Sue Got Married dans
développer en méme temps la au hasard. Woody Allen se voit d’indiquer, dans bon nombre Poeuvre et, 4 ce moment, la
connaissance des années 30, ainsi attribuer douze pages, de cas, la traduction francaise carriére du premier ou de
encore bien méconnue voici Altman six, Capra cing, Hawks douvrages anglais ou améri- Scarface dans celles du second,
vingt ans —, une histoire des quatre, Chaplin seulement cains, pourtant plus accessible dailleurs presque exclusive-
studios hollywoodiens et de la trois et demi, comme Hitch- au commun des mortels que ment envisagée dans le sempi-
censure, un état du cinéma cock et Mankiewicz, c’est-a- ternel rapport a Hitchcock.
américain d’aujourd’hui, et, dire moins que Kazan ou Gre- Exemples parmi d’autres qui
corps de l’ouvrage, deux dic- gory La Cava, et presqu’autant m’ont particuliérement
tionnaires : des scénaristes et qu Irvin Kershnerou ‘Ted Kot- frappé. Ils ne remettent pas en
des réalisateurs. cheff, eux-mémes bien mieux cause l’intérét global de cette
lotis que... Fritz Lang. Pour- édition, mais lui restituent ses
I premier de ces diction- quoi pas ? Il suffisait alors justes proportions : pas vrai-
naires, unique en son genre d’annoncer la couleur : ce dic- ment 50 ans de cinéma ameéri-
dans |’édition de langue fran- tionnaire, malgré les gages cain, mais seulement (et tout
gaise, est, 4 80 pour 100, renou- quil donne d’objectivité et de méme) « Nos 50 ans de
velé par rapport a l’édition pré- @historicité, est destiné a la cinéma américain par ‘Taver-
cédente, méme si peu de noms consommation immédiate nier et Coursodon >.
nouveaux apparaissent : on ne cinéastes nés avant 1940, sauf J.M.
demeure pas longtemps scéna- exception mythique, s’abste-
riste aujourd’hui et on passe nir ! Au-dela, la qualité 50 ans de cinéma américain, par
rapidement dans la liste des importe moins que la notoriété = Bertrand ‘Tavernier et Jean-
réalisateurs. ou lair du temps... Voila une @ Peggy Sue got Married Pierre Coursodon, Ed. Nathan,
Celle-ci a été également pro- conception éditoriale économi- de Coppola 2 vol., 950 FF.

Cahiers du cinéma n°446


@ Sur le tournage des Rédeurs de Ia plaine avec Elvis Presley

|80} Cahiers du cinéma n°446


DON SIEGEL

eu le roi de Vaction

ette interview de Don Siegel a été réalisée en 1982, peu aprés la


fin du tournage de son dernier film, qui avait été une expérience
difficile parce que Bette Midler, qui jouait le réle principal, avait,
a toute force, voulu réécrire et improviser sur le tournage, ce qui est
absolument antithétique de la facon dont travaille Don Siegel. Lorsqu’il
consentit a étre interviewé, il déclara qu’il ne voulait pas du tout parler
de ce film, et ne cessa d’y faire allusion sans en prononcer une seule
fois le titre : Jinxed (La Flambeuse de Las Vegas).
J’exhume cette anecdote afin de clarifier cet entretien, qui illustre
parfaitement lironie de Siegel, et aussi parce que je regrette encore ce
HH >, x é
qu’il advint 4 Jinxed. Cela aurait pu étre un trés bon film si le choc entre 1 L'Invasion
des profanateurs... Don Siegel 4 gauche.
deux formidables talents ne l’avait ruiné. Tout le monde peut le confirmer
aujourd’hui, aprés avoir regardé les scénes entre Ken Walh et Rip Torn, ot
Siegel s’obstine a tourner le film qu’il avait prévu : une fable amére a propos
d’un joueur, jeune, a la poursuite d’un joueur plus 4gé qui lui a dérobé sa
chance, et qu’il essaye de récupérer en séduisant la femme de ce dernier.
AVinverse, le testament personnel de Siegel reste Charley Varrick, dans
lequel un escroc a la petite semaine (Walter Matthau) qui, involontairement,
a dérobé de I'argent a la pégre, dresse son jeune assistant, une téte brilée, En regardant Escape from Alcatraz
(Andy Robinson qui jouait Scorpio le tueur dans Dirty Harry), contre un — nous avons dii le voir deux fois,
exécuteur de la Mafia (Joe Don Baker, qui ressemble a, et joue comme Clint ces derniers jours — nous nous

Eastwood dans Coogan’s Bluff, en francais Un shérif 4a New York), pulvérise sommes apercus que le film était
construit comme une composition
le survivant et s’enfuit avec le butin, laissant derriére lui sa signature se
musicale. Qu’aviez-vous en téte
consumer dans les flammes : « Charley Varrick, le dernier des Indépendants »
avant de commencer?
— Charley Varrick est évidemment une doublure de l’insaisissable Don Je ne m’en souviens pas. Je l’écris.
Siegel. Lui qui travailla, sur Dirty Harry, pour les réles de Harry Callahan et Vous l’écrivez?
Scorpio le tueur, avec deux dialoguistes, totalement opposés Oui, je fais des listes; la premiére est une
idéologiquement parlant, quand il filma le conflit entre les demons de gauche liste de montage, la fagon dont j’envisage
et de droite durant I’une des années les plus horribles de la guerre du que le film doit étre monté. La deuxiéme
Vietnam. Dirty Harry choqua les critiques libéraux qui oubliaient que c’était définit Pordre dans lequel je compte tour-
le méme réalisateur, expert en ironie qui nous avait offert L’Invasion des
ner les plans. Evidemment, si j’arrive a
m/’arranger pour pouvoir filmer, raisonna-
profanateurs de sépultures, film de science-fiction, tourné a l’epoque du
blement... C’est, bien sar aprés les répé-
maccarthysme, et que I’on peut interpréter aussi bien 4 gauche qu’a droite,
titions, quand j’ai mis mes acteurs dans
bien que Siegel ait toujours affirmé qu’il pensait seulement aux « huiles » qui lambiance, autant que faire se peut...
dirigeaient les studios, en le réalisant. Alors je tourne tout ce qui a lieu dans une
Siegel, qu’autrefois j’ai décrit comme un « paranoiaque lucide » est, aux direction et ensuite je tourne tout ce qui
Etats-Unis, pratiquement I’héritier le plus intelligent d’Hitchcock, qui aurait se passe dans la direction opposée. Il y a
certainement goiité I’humour sous-jacent du cadavre sur la table de billard un moment oii je les fais bouger, disons,
dans L’Invasion... Aussi n’est-ce pas surprenant que, lorsqu’il consentit a de ce coin du plateau jusqu’a lautre coin.
Souvenez-vous que je travaille avec quel-
s’asseoir pour s’entretenir avec nous de sa carriére — dans une cafétéria de
qu’un* qui adhére totalement 4 ma fagon
studio, oii le vacarme des plats et des conversations rendait l’enregistrement
de mettre en scéne. Il m’approuve parce
presque impossible, tant il chuchotait ses réponses sur le ton de la qu'il aime économiser les dépenses
confidence — il en vint rapidement a penser au Maitre du Suspense, dont il inutiles. Il va sans dire que je sais tra-
n’avait pas grand bien a dire. vailler vite. J’ai découvert que, si je me
Bill Krohn
traduit de l’américain par Jacqueline Mariani *probablement Clint Eastwood

Cahiers du cinéma n°446 @


HOMMAGE

suis bien préparé, il devient tres facile de vous mettiex ce film en scene, mais je tenais a influencé par les décors naturels. Je m’en
travailler avec Clint; il est complétement vous prévenir queje mets toujours mon wil a sers €normément. Disons que nous allons
ouvert, et quand je lui explique ce que Veilleton de la caméra et que je veux qu'on faire un film en studio, 2 la MGM ou, au
nous allons faire, il aime ga. suive les croquis» ... Le bureau était enco- contraire, que nous allons tourner en
Le grand probléme, quand on travaille re plus grand que l’antichambre et, lui plein centre-ville, dans une rue sordide et
avec quelqu’un avec qui 07 ne sentend pas aussi, entiérement recouvert de ces des- que nous mangeons un hot-dog... La
c’est qu’on ne peut pas devenir aussi sins, et de croquis de gros plans aussi. scéne sera complétement différente, sans
dingue que d’habitude; on ne peut Alors, je lui ai dit: « Kcoutex, je ne crois pas méme parler du fait qu’on ne la tournera
d’ailleurs pas faire d’erreurs non plus. Or, que vous ayes besoin d'un metteur en scene. Ce pas de la méme fagon, Donec, je ne com-
moi, j'aime faire des erreurs; les gens qui dont vous avex besoin, c'est d'un monteur. » prends pas du tout Hitchcock sur ce
ne font pas d’erreurs ne font rien du tout! Et sur ce, je suis sorti de son bureau a point-la. P'aimerais comprendre... mais je
Ils yent simplement de la jouer facile cloche-pied. ne suis pas d’accord avec lui. En plus, il
du début a la fin. Mais dans ce dernier Vous aimez donc garder l’esprit n’a aucune considération pour ses acteurs.
film VUJinxed), j'ai commis assez d’erreurs libre avant le tournage. D’aprés ce C’est vrai ou c’est juste une
pour me sentir parfaitement heureux. que vous dites, il semble que légende?
Est-ce que vous vous servez d’un vous prenez beaucoup de déci- ‘Tout a fait vrai! Il dit que c’est du bétail.
storyboard? sions a la derniére minute, une Mais je dois avouer —j’aimerais qu’on ne
Pratiquement jamais. A mon avis, des tas fois que vous avez les décors, les me cite pas— que je ne respecte pas cer-
de types bidon le font. J’ai pris tains acteurs; en méme temps,
un train de la compagnie Amtrak c’est vrai qu’ils m’aident beau-
jusqu’a New York, et je tra- coup... vraiment beaucoup. Et
vaillais avec un scénariste; il j'aime énormément que nous
avait tout un tas de papiers de formions tous une équipe.
couleurs différentes; ensuite, il Escape from Alcatraz utili-
me montrait les séquences en se un spectre de couleurs
coupant le papier en morceaux trés réduit. C’est bleu,
de formes et de tailles différents. blanc, noir, avec des tons
Je n’ai jamais compris a quoi ¢a couleur chair.
pouvait bien servir. «Voici notre Ecoutez, il y a un film de moi,
storyboard » Il regardait ga et, il Riot in Cell Block 11, que j'ai tour-
pouvait probablement déclarer né en noir et blanc; pour moi,
«Ici, on va mettre notre bagarre c’est comme ga qu’on devrait
et 1a, a partir de 1a, ils s’enfuient tourner un film de prison. Mais
en voiture!» Peut-étre que la aujourd’hui, ce sont des facteurs
voiture c’était ce long bout de économiques qui m’obligent a
papier. Je n’ai strictement rien tourner en couleur. Alors, on a
compris. Rien! D’une maniére é de faire ce film noir et
générale, d’ailleurs, les dessins. Don Siegel, perplexe face a son comédien préféré blane en couleur. Je ne dis pas que
les trucs qu’utilisent les script- dans Play Misty for Me de Clint Eastwood. nous ayons totalement réussi,
girls, je n’en ai rien a foutre; mais au moins on a fait en sorte
jaime pouvoir imaginer les choses moi- acteurs et que vous avez une idée que ¢a produise cette impression sur le
méme. Je ne dis pas ¢a par arrogance. Je de ce qui va se passer. spectateur.
ne dis pas que je n’ai pas besoin qu’on Je ne sais absolument pas ce que je vais Est-ce que, d’une facon ou d’une
CA

m’aide. Mais pour moi, c’est du temps faire. Je ne serais probablement pas autre, c’était di a l’influence de
perdu. Qui est ce type qui fait des effets capable de vous dire la moitié des idées Surtees*?
spéciaux? Irwin Allen... J’avais un petit que j'ai pour le lendemain, car je prends On appelle Surtees le Prince des
caniche noir a qui j'avais donné un coup beaucoup de plaisir 4 les mettre en forme ‘Ténébres, parce que, souvent, au final,
de pied; et je m’étais fait mal au pied. Et a la derniére minute, sans qu'il y ait aucu- on n’a que de l’amorce noire... (vires). Il
j'avais rendez-vous avec Irwin Allen pour ne indication dans l’esprit de quiconque fait des efforts incroyables pour nous
mettre en scéne des trucs qu'il voulait, et sur ce que je vais faire finalement. C’est donner des noirs et des blancs trés durs.
je suis entré en boitant dans lanti- difficile d’en discuter sans entrer dans le Mais ga ne nous trouble pas, parce que
chambre de son bureau; les murs étaient détail. Tout ce que je peux vous dire nous nous y attendions
enti¢rement recouverts de dessins que c’est que ce sont parfois des idées folles Il y a une question que je brile de
jétais en train de regarder en Pattendant qui ne sont pas seulement différentes en vous poser. De quelle genre de
et j'ai commencé a me poser des ques- apparence, mais vraiment trés différentes famille venez-vous? Est-ce que
tions: il y avait méme des croquis pour de ce que les gens attendent... Une fois votre pére était musicien ou est-
les gros plans. «Est-ce que le gros plan sur deux, les acteurs et les actrices ne ce que vous avez été musicien, un
est orienté de ce c6té? Non. Il est cadré savent absolument pas ce que je fais. Ou jour?
plein centre!» Et je me suis dit que pourquoi je fais ce que je fats. Je ne suis Mon pére était le plus grand joueur de
c’était une fichue perte de temps. Done pas d’accord avec Hitchcock, méme si mandoline du monde. II jouait de cet ins-
je rentre en boitant dans son bureau et, j’admire beaucoup son ceuvre, quand il trument comme personne n’en a jamais
ne sachant pas s’il aime les chiens ou s'il dit qu'une fois que les croquis du story- joué avant.
Tes déteste, je lui dis que j'ai foutu un board sont terminés (ce qu’il savait faire a Il en jouait comme du violon. Et quand
coup de pied 4 mon chien et que je me la perfection), son travail est terminé.
suis fait mal. Il me dit: «/’aimerais que Vous comprenez, moi, je suis trés “Bruce Surtees, directeur de la photographie

82| Cahiers du cinéma n°446


DON SIEGEL

j'ai eu quinze ans, je devais faire des devenu le metteur en scéne le plus igno- dis en moi-méme: «Voila! Aujourd’hui,
études de guitare. rant du travail des autres. Je n’ai jamais on va découvrir que je ne sais rien de
De guitare...? vu aucun film. Il faut se souvenir que je rien... absolument rien! »
Mon pére jouait aussi de la guitare. Je m’étais vraiment passionné pour le mon- Avez-vous changé de méthode
devais aller en Espagne pour étudier la tage; c’est moi qui avait créé le départe- depuis vos premiéres wuvres?
guitare avec Segovia. Mais ce qui m’a ment 4 la Warner Bros. J’avais l’impres- Oui, je dors. Je fais un petit somme et je
toujours inhibé, c’est que mon pére était sion d’avoir violé toutes les lois et toutes me réveille soudain et je crie: «Action! »...
un tel virtuose... La seule virtuosité a les régles qui régissent le travail a la Et quand je regarde les rushes... Une fois
laquelle j’aspirais, c’était celle de draguer caméra. Je faisais n’importe quoi av que vous avez fait le plan d’ensemble,
les filles, de boire de la biére... des trucs je pouvais la jeter au plafond, dans l’eau, méme si vous avez commencé sur un gros
comme ga! Alors, j’ai arrété. Mon pére n’importe quoi. Mais ¢a, je ne le fais plus; plan qui vous raméne au plan d’ensemble
n’était pas du tout un garde-chiourme, mais j’ai fait quelque chose de trés dan- et qu’une petite difficulté vous en
pas du tout! Il était trés dégu... Mais le gereux que je ne recommande a person- éloigne, eh bien moi, maintenant, je com-
désenchantement était trop grand pour ne. J’ai complétement cessé d’aller voir mence par tout remettre an cause; et
moi, ga ne m’intéressait plus du tout de des films. Je ne voulais tre influencé par méme si je ne découpe pas trop mes
devenir instrumentiste d’un calibre tel personne. Par exemple, si on faisait un films... Vous savez je n’utilise pas beau-
que j’aurais été forcé de faire des exer- film dans le genre de quelqu’un de coup de pellicule, en général dans
cices toute la journée. Ga ne me génait connu, je me forgais a aller le voir pour ne mon dernier film, V//axed), j'ai été obligé
pas de m’amener et de faire de tourner beaucoup plus
tout un tas de trucs bizarres que ce que j’aurais
avec la main droite, mais je souhaité — je commence
ne voulais absolument rien donc a m’endormir quand on
faire avec la main gauche. en vient au champ-contre-
Vous avez vraiment le champ, puis au plan au-des-
sens de la forme musi- sus-de-l’épaule, et ensuite
cale. C’est pour cela c'est la routine, quoi! Je
que je vous posais de mon mieux pour ne pas
cette question. Par avoir 4 tourner ces plans,
forme musicale, je mais j’y suis bien forcé et, la
veux dire qu’une note plupart > du temps, je
de musique, en soi, ne m’endors... J’ai maintenant
signifie rien. C’est la un producteur associé qui
structure entiére qui n’est autre que ma charman-
produit l’effet; et, a te épouse, je lui dis de
notre avis, c’est comme s’asseoir 4 mes cOétés et,
cela qu’un film comme quand elle m’entend ronfler,
Escape from Alcatraz elle a le droit de me donner
sembleétre construit. wae un grand coup de coude dans
Je ne me permets pas d’étre 1 L'Inspecteur Harry (Clint les c6tes. Ces choses que je
conscient de mon style. suis en train de vous révéler,
Jessaye de mon mieux de n’étre absolu- pas le copier inconsciemment... je peux sont trés importantes; c’est la premiére
ment pas conscient de mon style person- dire que jamais de ma vie je n’ai copié un fois que j’en parle. Trés important!
nel. Mais je connais des tas de gens qui plan d’un autre metteur en scéne. Cela Jamais dit!
me copient. Ils me l’ont dit. Je crois ne veut évidemment pas dire qu’il ne Vous avez fait vos premiéres
qu'une des raisons de mon attitude, ¢’est mest pas arrivé de filmer un plan qu’on armes dans le systéme des stu-
que, quand j’ai commencé, a part le mon- avait déja fait mille fois, mais je fais cout dios, dans le bon vieux temps, le
tage, j’ai fait des centaines de films pour éviter ga... Par exemple, je suis 1a, la temps des «mogols».
comme metteur en scéne de seconde caméra est la, et je filme au-dessus de Je ne suis pas d’accord avec vous; ce n’est
équipe. Quand je faisais des secondes l’épaule de la jolie jeune femme qui est pas vrai. J’ai toujours pensé que, lors de
équipes, j’essayais de filmer comme le la-bas; or, quelqu’un a déja filmé la scéne mes débuts, en 1934, le systéme était
metteur en scéne principal... Je faisais de exactement de la méme fagon. Moi, ga ne exactement ce qu'il est aujourd’hui.
mon mieux, en tout cas. Je lui donnais un m/’arrive pas. Les seules fois ott je vais au Vraiment?
bout du film qu’il aurait pu faire. cinéma, c’est quand il y a quelque chose Ils dirigeaient des studios fermés. Si vous
Vous voulez dire, dans son style? de trés bon. Je vais voir le film pour me vouliez travailler, il fallait prouver que
Ouais! En d’autres termes, il était évi- faire du mal, si vous voulez: «Pourquoi vous aviez de l’expérience —toujours les
dent que si je faisais la seconde équipe est-ce qu’on ne m’a jamais donné l’occa- mémes conneries. Rien n’a changé.
pour Michael Curtiz, je faisais beaucoup sion de faire un film qui veuille dire Mais on peut dire que c’était du tra-
de travellings. Si je le fa s pour quelque chose?» Mais je sais que je suis vail a la chaine, comme a la Warner
Howard Hawks, je faisais beaucoup de en train de faire ce que je pense que vous Bros. o¥ l'on produisait beaucoup
plans fixes... Ainsi, quand je suis devenu pensez que je suis en train de faire — plus de films qu’aujourd’hui; dans
metteur en scéne a part entiére, je me c’est-a-dire que j’en fais des tonnes pour cette mesure,on vous imposait sou-
suis rendu compte que je n’avais pas de prouver que je suis complétement ignare. vent des commandes qui étaient
style 4 moi. Je ne savais pas qui j’étais. Mais c’est vous qui me forcez a cela. Je trés éloignées
de vous; maintenant,
C'est alors que j’ai fait quelque chose de ne sais ni comment ni pourquoi je fais un c’est vous qui générez vos projets,
trés dangereux. Je suis certainement film... Je commence le tournage et je me et vous les produisez vous-‘méme

Cahiers du cinéma n°446 &


HOMMAGE

(méme si vous affirmez ne rien principal. Si j’ai tellement dirigé de de pression, trop de complications. Je
faire). Quels étaient les aspects secondes équipes, c’est que j’avais la préférerais faire des petits films. Mais
positifset négatifs
de ce systeme? réputation d’un metteur en scéne oui, j’aimerais avoir assez d’argent pour
Disons simplement: comparé a d’action. J’ai done impression que ¢a a investir et en dépenser un peu sur un
aujourd’hui, qu’est-ce qui était un peu déteint sur ma carriére au sens ot, petit film; mais les gros films ne m’inté-
mieux et qu’est-ce qui était pire? toute modestie mise a part, j’étais plucot ressent plus, Si je veux voir un spectacle,
On avait la garantie de manger, de boire. bon dans ce domaine-la. Je n’ai jamais je vais dans un stade et je vois cent dix
On avait un boulot. Je trouve que la éprouvé les peurs que ressentirait un mille personnes et je m’amuse comme un
majorité des gens qui travaillent dans autre cinéaste, qui peut étre bien fou, méme si je sais que ga n’a aucune
cette étrange industrie ont toujours peur. meilleur que moi, mais qui ne trouverait signification. J’aimerais faire une comédie
Ils ont tout le temps peur de perdre leur pas le sommeil 4 V'idée de devoir tourner et des films d’amour, etc. Je refuse telle-
boulot. Je peux dire — et j’espére que ga une scéne avec trois mille cavaliers com- ment de films. Vous seriez étonné
ne sonnera pas comme si j’avais la grosse battant un millier d’Indiens, vous voyez d’apprendre, vu mon age, mon poids et ma
téte — que je n’ai jamais eu peur de le topo. Moi, ga ne me génerait pas, parce taille, combien de films d’action je refuse
perdre mon travail. Jamais! Et c’est pour- que j’ai dirigé tant de scénes de ce genre! tous les ans; a l’évidence je dois étre le
quoi je n’en perds jamais. Souvent, Ce qui m’a vraiment nui, ¢c’est que j'ai meilleur metteur en scéne au monde pour
quand je décide de faire un film intéres- vite eu la réputation d’un metteur en
sant — j’aimerais, par exemple, faire une scéne d’action. Donec, quand il y avait Si vous faisiez, disons, une
poignante histoire d’amour ou une comé- beaucoup d'action, on pensait a moi. comédie romantique aujour-
die — et que je me retrouve avec un scé- Aujourd’hui, je fais tout ce que je peux d’hui... est-ce que c’est a cela
nario affligeant ot il n’y a strictement pour me sortir de cette réputation... que vous faites allusion?
rien (j’en profite pour signaler que la plu- Paction pour l’action. J’en ai tellement Dans tous mes films, je mets beaucoup
part de mes films traite de ga: de rien du assez des voitures qui font un téte-a- de scénes comiques qui n’ont strictement
tout) — je demande un salaire énorme, queue et qui s’écrasent en contrebas. Je rien a voir avec le scénario original. Vous
ou un pourcentage énorme sur le film crois que les gens en ont marre. En tout allez étre surpris par mon dernier film,
qu’évidemment ils ne me donneront cas, moi, je n’en peux plus. Dans chaque cette ceuvre innommable, la derniére, qui
jamais. Eh bien, ils me l’accordent. A par- feuilleton rélévisé, aujourd’hui, il y a... sera la derniére sur mon épitaphe, eh
tir de 1a, je suis coincé. Ils m’ont eu une (imitation de voitures dont les pneus crissent bien il y a des scenes comiques dedans.
fois de plus et je suis bien forcé d’assu- dans un virage)... C’est devenu ennuyeux. Pensez-vous avoir un point de vue
mer ma vie normale de pute. C’est ce qui Il arrive bien sir qu’on me propose particulier pour ce type d’his-
s’est passé pour la plupart de mes films. quelque chose d’intéressant, mais de toires — enfin, si vous en réali-
Ce n’est vraiment pas trés délicat de dire mon point de vue, je ne m’intéresse pas siez plus — qui n’ait jamais enco-
¢a, mais c’est malheureusement la stricte beaucoup a l’action. Je n’ai rien contre re été exploite?
vérité. Méme si je n’ai pas un besoin vital action dans la mesure oj elle est provo- Oh, mais oui! Je suis devenu un metteur
d'argent, il y a toujours le fait que je suis quée par quelque chose, qu'elle signifie en scéne d’action par accident; c’est une
flatté quils pensent a moi. Je ne supporte quelque chose, qu’elle vous mystifie, absurdité. Je ne connais pas d’escrocs...
pas qu’on ne m’aime pas. Je ne peux méme, ou peut-étre qu’elle vous fasse je veux dire que je ne les connais pas ev
done me permettre de dire: «C’est le scé- rire. Mais ferroriser les gens ou faire un film tant quescrocs. Je ne connais pas de flics.
nario le plus béte que j’ai lu de ma vie et comme The Blues Brothers... je n'ai jamais Je ne suis jamais allé en prison. Je suis a
il faut que vous soyez au moins aussi béte vu autant de voitures se faire Vévidence bien mieux taillé pour les
pour en étre responsable, que ce soit vous écrabouiller! C’est des motion pictures*. Il comédies. Je crois avoir un certain sens
qui l'ayez écrit ou non». Il arrive que ce y a du mouvement, des sensations. Mais de humour. Je vous fais rire, par
soit le producteur qui lait écrit. C’est pour ma part... (// murmure quelque chose exemple, non? Et pourtant, c’est trés dur
alors que je demande un somme d’argent Cironique et Cindéchiffrable). de vous faire rire, vous autres! Quant aux
extravagante et que je l’obtiens. Je me Quelle direction voudriez-vous histoires d’amour, a l’évidence, je ne
suis rendu compte qu’ils viennent sou- prendre, a présent? connais personne qui ait autant d’expé-
vent me voir 4 la fin de l’année et si je La vérité, c’est que j’aimerais faire un rience que moi dans ce domaine. J’en ai
réponds oui a une offre de boulot, je n'ai film ot je puisse jouer mon Alfred Hitch- fait une carriére, croyez-moi! Je crois que
pas 4 commencer avant le mois d’avril — cock: je n’aurais qu’a m’asseoir et il y je suis un amant, pas un «dur». C’est vrai
si je travaille! Alors, je vais les voir et je aurait un salon, une chambre et une salle que je peux devenir violent en amour,
parle du temps. Ils me demandent: de bains et je n’aurais jamais 4 me lever mais nous nous éloignons du sujet. Oui,
«Qu’est-ce que vous en pensez?» et je de ma chaise. Ce serait... mais je ne crois je crois que je devrais faire des comédies
leur réponds: «Eh bien, pour cette partie pas que le bon dieu... Surtout avec mon sentimentales. Mais mon probléme,
du script, il fait un peu trop froid, mais pedigree, je ne crois pas que le bon dieu voyez-vous, c’est que je suis une pute!
pour celle-la, il fait un peu trop chaud. » me donnera un coup de main. Mais Au moment méme oti je dis que je vais
Et ils me confient le film. jaimerais faire des films différents, des faire un film d’amour, je fais la pute. Je
Est-ce que le concept de film films au concept original, qui ont quelque ne vais pas écrire histoire d’une pute.
d’action, est-ce que ce mot repré- chose a dire — mais c’est une chose La pute, c’est moi. Parce que je sais que
sente quelque chose pour vous? inconnue en Amérique. J’aimerais faire je ferais n’importe quoi pourvu qu’on me
Avez-vous envie d’en parler? des films sans vedettes. On est forcé de pave assez. C’est une situation désespé-
Je vous ai un peu tendu la perche au faire trop de concessions. Je ne me plains rée. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
début de notre conversation en vous par- pas. Je ne fais que des films avec de Moi, ga m’ t plaisir de vous parler.
lant de mon travail en seconde équipe; je grandes stars, mais j’en ai assez. Il y a trop Propos recueillis
vous ai dit que je réalisais dans le style par Bill Krohn et Barbara Frank,
qu’aurait adopté le metteur en scéne (*littéralement = images en mouvement) traduits de Vaméricain par Serge Griinberg

[84] Cahiers du cinéma n°446


BON DE COMMANDE
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HOMMAGE

Lino Brocka : hon

Cahiers du cinéma n°446


LINO BROCKA

Lino Brocka fut


un formidable
journaliste cinéma-
tographique de son
pays, les
Philippines. Sans
pour cela renier
Vhéritage du ciné-
ma américain . Une
maniére de faire
bouger les images
Pm par Charles Tesson qui va nous manquer.

En haut : ino Brocka est mort dans un accident de voiture, la


Dans les ruelles nuit, dans les rues de Manille. Une fin stupide, tra-
du film noir : gique, comme celles qu’on croise dans les films noirs. A
Lino Brocka en
tournage dans
la toute fin des années 70, c’est avec ses films venus
les bidonvilles jusqu’a nous grace a Pierre Rissient, que nous avons
de Manille rencontré un pays, les Philippines, entendu parler sa
langue (le tagalog) et nous sommes intéressés a sa réali-
té sociale et politique. A sa réalité cinématographique
aussi car homme, sous de multiples facettes, était ciné-
phile et collectionneur de vieux films philippins. C'est a
travers lui et ses films qu’on a vu que le cinéma philip-
violence et pin avait une histoire, une tradition solidement établie
hors-champ
(Philip Salvador
dés les années 30 (le film d’opérette, la « zarzuela », des
dans Bayan-Ko). cinéastes attachés a la notion de genre et a la série B,
trés dignes (Manuel Condé), et d’ot émerge Gerardo de
Leon, a situer entre le Lang américain et le Bufuel
mexicain, découvert 4 Nantes en 1981, l'année ot le fes-
tival rendait hommage a4 Lino Brocka en sa présence.
Dans les couloirs, Lino Brocka arborait un badge qu'il
distribuait 4 ses amis : « Re ign ». Il ne s’agissait pas de
signer une pétition, encore moins de se résigner mais
(de l'anglais « resign » : démission) d’en appelera la
chute du couple Marcos. ;
Derriére le badge, i y avait homme. Généralement,

Cahiers du cinéma n°446 i87|


HOMMAGE

Williams), passe au cinéma dans les années 70 tout en


gardant le théatre — en cela proche de Fassbinder dont
il partage la prolixité — le fonctionnement de la troupe,
la fidélité aux acteurs (Philip Salvador, Nora Aunor,
Bembel Rocco). Il réalise un nombre incalculable de
films de genre (petits budgets, tournés en deux
semaines), strictement commerciaux, et d’autres, mon-
trés dans les festivals et distribués ici (/asiang, Manille,
Jaguar, Bona, Bayan-Ko). \\ nest pas sir, 4 entendre
Brocka sur le sujet et pour avoir vu quelques films
« locaux », que la coupure soit aussi nette et tranchée
qu’on ait voulu le dire. La ot il est de bon ton, pour un
cinéaste du tiers monde, de fustiger le cinéma améri-
cain, sans méme parler de la qualité de la production
locale, jugée le plus souvent infréquentable, Lino Broc-
ka n’était pas du genre a jeter le bébé — (l'amour du
cinéma américain, le cinéma populaire) — avec l’eau
du bain — (sa réalité économique de diffusion). En ce
sens, il a été un empécheur de filmer en rond. Il m’a
toujours fait penser, méme si sa personnalité était bien
différente, 4 quelqu’un comme Chahine chez qui on
retrouve l’amour de son pays, de sa culture, l’attache-
ment et l’enracinement de son cinéma au coeur des tra-
ditions populaires et commerciales « made in Cairo » et
qui ne s’est jamais fait prier pour dire, le temps d’un
pas de danse, son émerveillement d’adolescent devant
lusine a réves « made in Hollywood », quitte 4 en dérou-
ter, sinon hérisser, plus d’un.

d:; autre cété, on retrouve chez Lino Brocka


(Manille, dans les griffes du néon) \e scénario-type du
tiers monde, valable en Afrique, en Inde ou en Chine,
qui raconte le passage de la campagne 4 la ville, avec les
désillusions qui l’accompagnent. Sur le mélodrame, les
sentiments, on n’a pas fait mieux que Satyajit Ray avec
sa trilogie. Lino Brocka a repris ce scénario a son compte
en l'infléchissant du cété du film noir (Fuller, Nicholas

quand on a affaire 4 un cinéaste dit du tiers monde, et a L’espace de Ia ville : Lespace


a Son A a ead ae 1a maison) des personnages:
fortior’ Wun pays sous dictature, s’établit implicitement ( 5 mudiels dala
un contrat ot il est demandé au cinéma de témoigner Entre l'amour impossible pause,
{ Pa ore Arne ire Tape e chen ce (Bona) et le foyer de inns
du monde ou tl vit. Attitude « surmoique » Chez cer- tous les dangers Pp i.

tains, et geste réflexe, vital, sinon viscéral chez Brocka (Bayan-Ko) (Jaguar, Bona).
qui relevait plus largement d’une morale de cinéaste.
Ambassadeur du cinéma philippin, ambassadeur d’une
cause politique, Lino Brocka a été le passeur de tout
cela, D’ot une position parfois difficile 4 tenir, entre des
partisans d’un cinéma « connaissance du monde » et
ceux qui attendent d’un film, quel qu’il soit, le degré
d@envie et de plaisir a faire du cinéma. En effet, com-
ment peut-on hair le couple Marcos, vouloir faire des
films, vouloir qu’ils soient montrés dans les festivals
étrangers, avoir la reconnaissance qui |’accompagne —
ainsi que des appuis pour pouvoir travailler chez soi sans
étre inquiété — montrer 4 chaque plan qu’on aime le
cinéma américain, qu’on le respire et qu’on le transpire
du point de vue des Philippines, de sa sensualité concréte
et violente, faire aussi des films commerciaux pour le
marché local et aimer profondément le public qui se
nourrit de ce cinéma ? Homme de tous les fronts, Lino
Brocka ne s’est jamais laissé réduire 4 un seul, trop
insa able, trop rapide pour cela.
Cet ancien missionnaire mormon a Hawai, ce metteur
en scéne de théatre 4 Manille (Sartre, Tennessee

iss] Cahiers du cinéma n°446


LINO BROCKA

Ray, son cinéaste de che-


vet). Et c’est en étant le
plus fidéle au genre, (per-
sonnages, décors, arché-
types narratifs et visuels),
que Lino Brocka a été
finalement le vrai /ourna-
liste cinématographique
de son pays. Il n’a pas
montré, témoigné, dit les
Philippines a cété du
genre, dans ses paren-
théses, mais 4 travers son
expression. De toute évi-
dence, le film noir a
d’abord été pour Lino
Brocka une pleine expé-
rience du cinéma qui est
devenue, de ce fait
méme, une expérience de
la réalité.

e cinéma de Lino Broc-


ka repose la sempiter-
nelle question du journa-
liste confronté 4 un cinéma non américano-européen.
Comment évaluer, aimer d’ici ce qui nous vient
dailleurs ? Au-dela d’un exotisme primaire, classique,
qui verrait dans le cinéma un moyen d’étre voyagé, il y
aurait un exotisme second, plus complexe, plus moti-
vant, qui reposerait sur un autre principe : voir com-
ment le cinéma américain a été voyagé de par le monde
par ceux qui l’ont regu et aimé, comment il a atterri sur
de curieuses planétes et a donné lieu, cinématographi-
quement, a de dréles de greffes : au Mexique, au Caire,
a Bombay, Shanghai et 4 Manille. Lino Brocka a été
SERGE DANEY
Vhomme de ce pari, de cette expérience. De fait, la ren- Devant la recrudescence
contre entre un modeéle précis, avec ses codes, ses situa-
tions, ses clichés et une réalité trés matérielle, trés phy- des vols de sacs a main
sique, ne peut que provoquer des ruptures, des effets
étranges, visibles 4 tous les niveaux (la langue, l’intona- Sous ce titre pathétique se cache un recueil de textes, parus entre
tion, le débit de la voix, la gestuelle du corps, la non- 1988 et 1991 dans le journal Libération. L’auteur n’a cessé
soumission du réel a des codes préétablis provoquant d’y traquer un fil rouge qui va du cinéma a la
télévision en passant par
des accents de vérité, des dérapages chorégraphiques,
l'information. Cela va des
tout un surgissement ethnographique a contrecoup, au « fantémes du
retour de la fiction. Cette scénographie particuliére, permanent »
dans l’impossible surimpression du cinéma américain, (que deviennent
était belle a voir dans les films de Lino Brocka. Cette les films
marque majeure de son cinéma faisait de lui, somme lorsqu’ils passent
toute, un cinéaste marginal et minoritaire & une Epoque a la télé 7) au bilan
qui encourage plutét les cinéastes d’ailleurs a revendi- visuel de la récente
quer fiérement une identité culturelle et artistique, « guerre du Golfe ».
nationale et spécifique. Autre pari, tout aussi exigeant, Est-ce bien
raisonnable? En tout
tenu par certains (Souleymane Cissé, Chen Kaige, Hou
cas, c’est écrit et c’est
Hsiao Hsien) mais qui sert le plus souvent a nous four- lisible.
guer le catalogue muséographié des arts et traditions
populaires locaux érigé piteusement en esthétique sin- AUX EDITIONS ALEAS
15, QUAI LASSAGNE 69001
guliére. Lino Brocka n’était pas homme de ce touris- LYON
me culturel et son pari (Manille versas Hollywood),
radical et immodéré — au sens aussi de en dehors des EN VENTE PAR CORRESPONDANCE SUR DEMANDE
modes — était tout aussi passionnant. Avec sa dispari- AUX CAHIERS DU CINEMA.
tion brutale, il va nous manquer non seulement un 9, Passage de la Boule Blanche 75012 Paris.
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Cahiers du cinéma n°446 &


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tionales cinématographiques Douarnenez fait le point sur ma indépendant de Chateau- la réalisation et les moyens
rendront hommage A David les images des Aborigénes roux, l'association organisatri- qu'ils comptent mettre en
Lean avec une rétrospective d'Australie : des réalisations ce, Bande a part, propose un ceuvre. Les projets doivent
de son ceuvre en présence de cinéastes aborigénes mais concours de courts métrages étre envoyés avant le 30 sep-
d'acteurs et de techniciens aussi des films du cinéma aus- sur le théme du jeu (a traiter tembre 1991 au CAP, 18 rue
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sélection de courts métrages logues. Un hommage sera en c'est-a-dire avee équipe et Les Cahiers du cinéma
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