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DU CINEMA

126 D E C E M B R E 1961 126


C a h i e r s du Cinéma
DECEMBRE 1961 TOME XXI. — N° 126

S O MMA I R E

LA CRITIQUE
Débat
JYIorvan Lebesque, P ierre M arcabru, Jacques R ivette, Eric R ohm er, Georges S a d o u l.. 1

Textes
P ierre M arcabru ...... ................... ...Il reste u n h o m m e ............................................. ... 28
A ndré S. L a b a r th e .........................La critique en tre d eux ch aise s........................ ... 30
J e a n D o u c h e t.....................................L’a r t d’aim er ....................................................... - • ... 33
François W eyergans .....................Q uatre problèm es .................................................... ... 38
F ereydoun H oveyda.......... ............. A utocritique ____■ - ...41

Enquête
H en ri Ageî, Guy AHombert, Jacques André, M ichel A u b rian t, R ay m o n d B ark an ,
J e a n de B aroncelli, R obert Benayoun, Jean-L ouis Bory, R oger Boussïnot, M ichel
Capdenac, A rm and-J. Cauliez, A lbert Cervoni, G eorges C harensol, F ran ço is Che-
vassu, J e a n Collet, Philippe de Cornes, J e a n D utourd, J e a n F ay ard , R ené Gilson,
P atric e Hovald, Sam uel Lachize, M orvan Lebesque, Louis Maecorettes, M arcel 3 îa r-
tin, F rançois M aurin, Jacqueline Michel, Stèvc P asseur, C laude-Jcan Philippe,
H enry R abine, R oger R égent, F ra n c e Roche, G eorges Sadoul, G ilbert S alachas,
Louis Seguin, Jacques Siclier, R oger Tailleur, Paul-Louis T h ira rd ...................... 48!

Film s sortis à P a ris du 4 octobre au 7 novem bre 1961.......... .............................................. 86

Ne m anquez pas de prendre page 85


LE QONSEIL DES DIX

Dessins de Folon.

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle de Cinéma


Rédacteurs en c h ef : Jacques Doniol-Valcroze et Eric Rohmer.
146, Champs-Elysées, Paris (8e) - Elysées 05-38
Tous droits réservés — Copyright by les Editions de l’EfoiJe
DEBAT

entre Morvan Lebesque

Pierre Marcabru

Jacques Rivette

^îjsr'Pr^-l;
ii;. ; Eric Rohmer

Georges Sadoul

R éunis en conseil restreintt cinq membres des Dix essaient à ‘approfondir les raisons qui.
chaque mois, leur dictent points noirs et étoiles. Tel est, du moins, le point de départ.

R ivette , — Puisque nous sommes tous m embres de ce redoutable conseil, pouvez-


vous donc nous dire suivant quels principes vous attribuez à chaque film un point noir ou
des étoiles ? Est-ce un conseil, un jugement de valeur, un pari sur l ’avenir ? L ’idée qui
était la nôtre au départ — et que personnellement je continue à faire mienne — était de
répondre, comme le titre l ’indique, sous forme d ’un conseil ; c ’est-à-dire : je rencontre
un ami dans la rue, dont je sais q u ’il a en gros les mêmes goûts que moi, et qui me demande
s ’il faut aller voir tel ou tel film ; je 'lu i réponds que c ’est « à voir », ou « à la rigueur,
un soir », ou bien « q u ’il ne faut pas le manquer ». Et finalement, dans cette optique-là,
la seule cote qui serait plus qu’un conseil est évidemment la dernière, les quatre étoiles,
« chef d œ uvre », qui d'ailleurs, plutôt qu'un jugement de valeur, est une sorte de pari
fait sur l ’avenir, sur la future histoire du cinéma.
M arcabru. — C es cotes traduisent plus un jugement d ’intérêt q u ’un jugement de valeur :
vous pouvez ne pas aim er du tout un film et le signaler comme étant intéressant, comme
ayant une valeur de document.
Sadoul. — Quant à moi, j ’ai toujours suivi très exactement la règle du jeu : point
noir, inutile de se déranger ; une étoile, à voir à la rigueur ; deux étoiles, à voir ; trois
étoiles, à voir absolument ; et quatre, chef-d’œ uvre. C ’est toujours là^dessus que je m e
suis réglé.
Marcabru. — Auriez-vous dit « à voir » d ’un film qui vous heurtait, qui vous déplaisait
esthétiquement et êthiquement ?
S adoul. — Cela m ’est arrivé.
Lebesque. — Il m ’est arrivé aussi de m ettre deux étoiles à un film qui était, si l ’on
veut, d ’un genre que je n ’aime pas, mais bien fait dans son genre. Mais à dire vrai, ce
film, je l ’aime forcément un peu. C ’est uniquement une question de genre. P a r exemple,
au théâtre, je n ’aime pas la comédie de boulevard, mais, quand j’en vois une réussie, je
conseille aux gens qui aiment cela d'aller la voir. Le film,- c ’est la même chose... Et, pour
moi, ça ne va jamais au-delà des deux étoiles.
M arcabru. — C ’est aussi un problème d ’ambition. Un film très ambitieux, s ’il vous
heurte, s ’il vous choque, je crois qu'il faut îe refuser par opposition personnelle.
Sadoul. — Je suis bien d ’accord. Un film qui m e dégoûte, je ne conseillerai pas aux
gens d ’aller le voir. Mais un film qui m ’irrite, et contre lequel je n ’ai pas d ’objection majeure,
il se pourrait que je mette « à voir », fouf simplement, par exemple, parce qu’on en parle
beaucoup.
M arcabru. — Il faudrait donc une deuxième forme de jugement au Conseil des Dix,
pour les films qu’on ne soutient pas, q u ’on ne défend pas, qu'il faut aller voir, parce q u ’ils
apportent quelque chose, parce qu’ils engagent dans une voie, mais qui ainsi ne seraient
pas mêlés aux films que l’on aime et que l ’on soutient.
R ivette . — Je crois surtout que l ’erreur est de considérer ce Conseil des Dix comme
quelque chose de définitif, de gravé dans le m arbre. Et quand, après quelques années, on
revoit certaines de ses cotes on n ’est parfois plus du tout d’accord avec ce q u ’on avait m is
à l ’époque. C ’est forcément un jugement dans la contingence.
S adoul. — C ’est un jugement à la petite semaine, cela va de soi. D ’ailleurs, pour ma
part, je n ’ai jamais usé du quatre étoiles autrem ent que pour des films qui étaient déjà
consacrés comme chefs-d’œ uvre : c ’est un principe. Même â un film que j ’admire énorm é­
ment, comme par exemple Hiroshima mon amour, je ne donnerai pas quatre étoiles,
parce que, et je m ’en excuse, je ne peux pas dire dans le mois si un film est un chef-
d ’œ uvre ou non.
R ohmer . — Je suis de l ’avis de Sadoul. Je suis très chiche des quatre étoiles, moi
aussi, au point que je ne les ai encore jamais décernées à un film de la Nouvelle Vague —
sauf La Pyramide humaine. C ette attitude peut paraître trop prudente, mais nos lecteurs
n ’ont que trop tendance à nous accuser de parti pris. D ’ailleurs il m ’est, je l ’avoue, impossi­
ble de faire parmi les œ uvres du nouveau cinéma — je veux dire les œuvres vraim ent
nouvelles — un choix autre que subjectif. A vrai dire, elles m ’apparaissent toutes également
intéressantes, sans que je puisse exprim er autre chose que mon très vif intérêt et ma très
vive admiration. Je cède donc à m on sentim ent le plus sûr en consentent d ’aller les voir
toutes absolument, autrement dit, en décernant, sinon systématiquement, du moins unifor­
mément trois étoiles à tous les films de la Nouvelle Vague. Mais ils ne sont pas très nom ­
breux ceux que je crois dignes du label N.V. Sur ce point, je crois avoir le jugement assez
s û r : pour établir une hiérarchie entre eux, non. Tout ce que je sais, c ’est que Ja N ouvelle
Vague entrera globalement dans l ’Histoire ; je soupçonne que l ’Histoire y opérera un triP
mais je ne peux dire au détriment ou à l ’avantage de qui ce tri s ’opérera.

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MICHELANGELO ANTONIONI

LA NOTTE
L e b e s q u e . — Moi, quand un film m ’enthousiasme, je mets q u a t r e étoiles, pas d ’histoire.
J ’en mettrai quatre* p ar exemple, à Viridiana.
R i v e t t e . — Je mets aussi quatre étoiles dans l ’optique, non plus du conseil, m ais du
pari. Dans l ’année la plupart des m em bres des C a h i e r s — sauf Rohmer — usent du quatre
étoiles entre cinq et dix Fois. C ela peut paraître beaucoup, mais, ma foi, lorsqu’on consulte
une histoire du cinéma, on s ’aperçoit rétrospectivement vingt ou trente ans après q u ’effecti­
vement, dans une année donnée, il est sorti entre cinq et dix films q u ’on peut -— à des degrés
divers — qualifier de chefs-d’œuvre, Et* de toute façon, — et sans d ’ailleurs que cela soit
voulu, mais par la force de l’habitude — il y a quelque chose qui, en fait, corrige le Conseil
des Dix, ce côté irritant q u ’il peut avoir, c ’est l e petit bilan des dix meilleurs films que
nous faisons à la fin de chaque année où chacun étale carrém ent son jeu, révèle ses préfé­
rences. C ’est évidemment plus personnel, et moins dans l’optique des films à conseiller aux
spectateurs.

INFLUENCE DU PUBLIC

R o h m e r . — Mais, une question. Ces « conseils », à qui s ’adressent-ils ? A vos amis,


au public de vos hebdomadaires, de vos quotidiens, aux lecteurs des C a h i e r s ?
M arcabru. — Je pense à mes amis, à mon public,,. Je pense d ’abord à moi-même, très
•. égoïstem'ênt.
R o h m e r . — C e qui différencie l ’optique des C a h i e r s de la vôtre, c ’est q u ’ici nous
^songeons avant tout à nos lecteurs, c ’est-à-dire à des cinéphiles très avertis. Lorsque nous
mettons zéro à un film traditionnel, c’est que, pensons-nous, il n ’est d ’aucun intérêt pour
.,:’ un cinéphile, alors q u ’après tout on ne saurait le déconseiller à...
M a r c a b r u . — Mais je crois q u ’il faut, au départ, toujours penser que le public est
très averti, très intelligent. Poitf moi, c ’est une question de principe.
, L e b e s q u e . — ^Moi, je ne me pose absolument pas la question du public (j’en parle
d’aili.êurs dans votre questionnaire). Je ne suis pas fà pour me mettre à la place du public,
je suis là pôiïr dire ce que je pense d ’un film q u ’on me montre. Le public, lui, est ou beau­
coup plus évolué q u ’on ne le croit, ou beaucoup moins, mais en tout cas il n ’est pas du tout
ce que l ’on imagine. Alors, quand on com mence à dire il y a tel public et il y a tel public,
pour moi on se fout le doigt dans l ’œil.
S a d o u l . — Je me perm ets de dire une chose concrète : ce Conseil des Dix n ’est pas
publié dans C i n é m o n d e ., m ais dans les C a h i e r s . Je suis donc obligé de tenir compte du
public que je suppose aux C a h i e r s . Mais je n e veux pas dire du tout que j ’adopte des points
de vue que je suppose être ceux des C a h i e r s , j ’exprime exactement mes propres points de
vue.
L e b e s q u e . — Si je faisais le Conseil des Dix à C i n é m o n d e , j ’y exprimerais exactement
les mêmes opinions qu’ici aux C a h i e r s . . . o u à L ’E x p r e s s .
S a d o u l . — Vous avez tout' à fait raison d ’adopter ce point de vue en tant que critique,
mais il n'ty à.pas un public, il y a plusieurs publics, il n ’y a rien à y faire.
L e b e s q u e . — C ’est possible, mais je n ’ai à considérer que les films q u ’on me montre
et à dire ce'q u e j ’en pense.
S adoul; — Bon. Je vais essayer alors d ’élargir la question. Comment conceivez-vouâ
les rapports du public et du critique ? Est-ce que vous donnez votre jugement en vous fichant
de ce que peut penser le public ou...

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L ebesque . — Totalement, mais alors à cent pour cent, totalement.
M arcabru. — Je suis de l ’avis de. Lebesque. On donne un jugement affirmatif. Le public
qui suit un critique sait ce q u ’il pense : il prend ses références, ses distances par rapport
à son critique. P ar exemple, au théâtre, il y a des gens qui font de l ’anti-Gautier et qui
lisent Gautier pour aller voir les pièces q u ’il n ’aime pas.
Sadoul. — Moi, je dois dire que je comprend beaucoup moins bien un film quand je
n ’ai pas un public avec moi, Je ne m ’accorde pas toujours avec les réactions du public, je
suis souvent violemment contre, comme lorsque j ’ai entendu le public de Cannes accueilllir
L ’Avventura, Maïs que le public me convainque ou me dresse contre lui, j ’en ai besoin. J ’ai
besoin d ’un accord ou d ’un désaccord.
R ivette . — Oui, on a beau se dire q u ’on juge dans l ’absolu et que l ’opinion que l ’on
se fait quand on voit un film tout seul ou dans une petite projection est définitive, je sais
q u ’il m ’est souvent arrivé de modifier mon jugement, en revoyant dans une salle un film
que j ’avais vu d ’abord en projection privée, et non pas seulement par le fait de revoir le film
{bien que cela se produise assez fréquemm ent aussi), mais par le fait que je sentais autour
de moi le public réagir d’une certaine façon. Il est évident que, si l ’on voit un film comique
tout seul et q u ’on ne rit pas, et q u ’on le revoit dans une salle où le public se marre énor­
mément, le jugement que l ’on porte su r ce film comique est modifié par le sentiment de
son efficacité.
L ebesque. — Ce n ’est plus la critique du film que vous faites, c'est la critique du
public. Je vous assure que, si je vois un film comique en projection privée, tout seul, je ris
et je fais automatiquement, machinalement, mécaniquement, la part de la démultiplication
de ce rire. Et les choses qui ne me feront pas rire, je ne dirai pas qu’elles sont drôles,
même si j ’entends autour de moi cinq cents personnes en rire.
S a d o u l . — Je suis très content que Morvan Lebesque ait cette possibilité, mais moi
je n e l ’ai pas. Et d’abord, un critique n ’est pas infaillible : les critiques, en général, se
trompent souvent, moi le premier. Et je dois dire q u ’avec l ’expérience, depuis vingt-cinq ans
que je fais de la critique de cinéma, j ’ai constaté que les risques d ’erreu r étaient beaucoup
plus grands en projection privée qu’avec une salle autour de moi. Un film est fait pour le
public, pour un public collectif, ce n ’est pas de la télévision, et j ’ai besoin d ’avoir à côté
de moi la caisse de résonance du public, c ’est un des éléments de ma compréhension
critique.
Marcabru. — Mais alors votre jugement est totalement lié aux réactions du public;..
S adoul. — Non, pas totalement. C ’est un élément.
M arcabru. — Prenons Lofa ; je l ’ai vu aux Champs-Elysées au milieu d’un public
épouvantable qui ricanait. J ’ai eu une réaction contraire, inversem ent proportionnelle au
public. On aime encore plus un film que l ’on aime, quand le public est contre lui : il y
a un élément de modification qui fausse le jugement, aussi bien dans un sens que dans un
autre. J ’ai eu avec Lola une réaction assez saine, mais en même temps mauvaise, puisqu’elle
a faussé mon jugement, alors que, si je voyais Lola dans une petite salle, sans public, ma
réaction serait plus nuancée, plus contrôlée.
Lebesque . — Au fond, la question se résum e à ceci : nous faisons un métier de critique
de cinéma dans des journaux, les gens achètent ces journaux en partie pour nous lire. Eh
bien, q u ’est-ce qu’ils achètent ? Pas notre infaillibilité, nous ne sommes pas infaillibles.
Notre intelligence ? Nous ne sommes pas plus intelligents que d ’autres. Ils achètent notre
sincérité. Et je pense que cette sincérité n ’est valable que lorsque le critique fait totalement
abstraction de toutes les contingences autour du film. O n lui présente un film : il le juge
selon son tempérament, très bien. Et peu à peu, comme le disait Marcabru, il y a une adap­
tation, une compréhension qui s ’établit entre le lecteur et le critique, et tel lecteur ira
voir tel film parce que Sadoul ou Morvan Lebesque le trouvent bien, tel autre n ’ira pas
pour la même raison. Mais, avant tout, un critique est un homme sincère, avec son tempé­
ram ent, ses idées, sa culture, ses goûts, etc... C ’est un bloc, un public à lui tout seul.

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R i v e t t e . — J e crois que tout le monde est d ’accord, lorsque vous dites que le critique
doit écarter tout ce qui est contingences autour d ’un film, mais, encore une fois, je n e crois
pas que le public en soit une. Je vais défendre un point de vue qui, de 1a par t d e s C a h i e r s
du Cinéma, va peut-être paraître étrange, puisqu’on nous a toujours pris pour des adeptes
du cinéma pur, mais, si un film existe en soi, il y a quand même un élément qui fait partie
de cet en-soi du film, c’est son efficacité vis-à-vis, non pas du public au sens large, mais
des gens que ce film cherche à toucher. Peut-être que, lorsqu ’on fait Ben-H ur, on cherche à
toucher cent spectateurs su r cent — et je doute que l ’on y arrive — mais tous les autres
cinéastes sont plus modestes : ils cherchent à toucher quatre-vingts ou soixante-dix pour
cent de ces spectateurs, en espérant, si j ’ose dire, que ces quatre-vingts ou soixante-dix
pour cent seront le plus nombreux possible. La question est de savoir si, quand ce cinéaste
a fait tel film, il a effectivement touché les personnes q u ’il essayait de toucher. J ’en reviens
à l ’exemple le plus gros, le plus commode : quand je vois un film comique en projection
privée — et ceci m ’est arrivé plusieurs fois — il se peut que je trouve un gag drôle, mais
que j ’aie l 'impression q u ’il ne portera pas auprès du public, et je regrette que le m etteur
en scène n ’ait pas été assez habile pour le rendre efficace. Puis, je revois le film dans
une salle et je m ’aperçois que les gens rient : je me dis à ce mojnent-là que je m ’étais
trompé, et que le m etteur en scène est beaucoup plus habile que je le croyais puisque, non
seulement il a eu l ’idée de ce gag drôle, mais il a eu l ’efficacité de le rendre effectivement,
objectivement drôle pour le public.
Lebesque . — Mais cela frise la malhonnêteté ! Alors moi, je vois un film comique, je le
trouve drôle, je ris, je suis content, mais, à la réflexion, je me dis que le public ne le
trouvera probablement pas drôle et je déclare donc qu’il n ’est pas drôle : c ’est malhonnête !
Sadoul. — Non. 11 dit qu’il a besoin de vérifier. Je ne vois pas où est la malhonnêteté.
Lebesque . — Vous riez et vous avez ensuite besoin de vérifier votre rire ?
R iveTte. — Non, justement, je n e ris pas. Je me demande si c ’est drôle. Je m e dis : là
il y a une intention de comique que je ne trouve pas tout à fait aboutie, inachevée ; mais,
si j ’entends autour de moi une salle qui rit, je me dis que cette intention est quand même,
d ’une certaine façon, achevée. Il en est de même pour un film qui cherche à ém ouvoir :
il se peut que je reste très froid; mais si je vois autour de moi tout le monde sortir son
mouchoir... Et, dans la mesure où cette efficacité n ’est pas obtenue par des procédés gros­
siers, bas et malhonnêtes (nous savons tous quels sont ces procédés qui font les gens rire
ou sortir leur mouchoir), si nous voyons q u ’i! n ’y a pas ces procédés-là sur l ’écran et
q u ’il y a quand même efficacité sur le publie, nous avons donc le sentim ent de quelque
chose qui se vérifie autour de nous et malgré notre jugement propre.
L ebesque . — J ’ai une autre conception de la critique. C e qui m ’intéresse, c ’est de
savoir si, oui ou non, je sors mon mouchoir. Vous, vous jugez du public qui reçoit ce film
et vous méconnaissez complètement le public qui le recevra, si ce film est repassé dans
quatre, cinq ou dix ans, et qui n ’aura peut-être absolument pas la m êm e optique, qui
peut-être retrouvera la véritable optique du film. Pour vous donner un exem ple 'très
simple, quand j ’étais gosse, les gens disaient de Chaplin : c ’est minable, grotesque, c ’est un
mauvais clown, et puis c ’est tout de même trop bête. Ils s ’efforçaient de ne pas rire,
Il n ’y avait que les gosses et les gens du peuple qui riaient. Maintenant, on trouve ça non
seulement drôle, mais profond. Alors, n ’est-ce pas, si à ce moment-Ià un critique de cinéma
avait fait comme vous, il se serait dit : attention, est-ce que c ’est drôle, puisque les gens
bien disent non ? Ce qui est drôle, c ’est Fiers et Caillavet, mais pas Chariot.
S a d o u l . — Je m ’excuse, mais comme historien, je vous dirais que, si vous lisiez les
bons critiques de ce temps, ils exprimaient un point de vue qui était tout à fait pour
Chariot.
Lebesque. — C ’étaient justem ent de bons critiques. Ils riaient et ne s ’occupaient pas
du reste.
Sadoul. — Si, ils s ’occupaient du reste. Puisque nous parlons de l ’époque de Delluc,
je vous renvoie à P hotogénie : Delluc y a fait de très longues études sur le public et
sur les publics.

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LUIS BUNUEL

VIFUDIANA
L ebesque . — Q u ’on fasse une étude sur le public, d ’accord. Mais q u ’on subordonne
si peu que ce soit son propre jugemen*- au jugement du public, non !
S adoul. — Alors, pour vous, un film n ’est pas fait pour le public ?
L ebesque. — Un film est d ’abord fait pour moi, critique de cinéma, qui le regarde,
Et il est fait pour un'individu, monsieur X, qui s ’installe et regarde ce film, puis pour un
autre individu, monsieur Y, etc... Voilà. Le public en gros, ça c’est autre chose..
Marcabru. — Je voudrais ajouter que je ne suis pas seul, je ne suis pas une seule
unité dans le monde. Moi, critique, je représente un certain nombre de spectateurs qui ont
ma sensibilité, ma forme de voir, ma conception de pensée devant un film. Si je n ’aim e
pas un film, ces gens-là ne l ’aimeront pas non plus, et je les trahis nécessairem ent, si je
me laisse influencer par le public d ’une salle.
S a d o u l , — P ou r prendre un exemple récent, j’avais vu, comme tout le monde,
Marienbad dans une petite salle. Puis, quand j’ai écrit mon papier, j’ai été le revoir avant
de donner mon article à la composiîion. Je dois dire q u ’après cela je n ’ai pas changé
une ligne, mais j ’avais besoin de vérifier.
Lebesque . — Alors, quand Sadoul voit un film, que le producteur, le m etteur en scène
ou le distributeur mettent vingt copains dans la salle qui crieront c ’est un chef-d’œ uvre,
et pour Sadoul ce film sera un chef-d’œ uvre !
S adoul. — Non, justement. C ’est ce qui -me gêne quand je vois les films en pro­
jection privée avec vingt bonshommes. Dans une salle, j ’ai à la fois l ’œil devant et l ’oreille
derrière : j ’écoute attentivement le public et je m ’efforce de discerner,,.
Marcabru. — Mais pour Marienbad, je ne vois vraiment pas l ’intérêt. Je l ’ai vu deux
fois dans une salle publique : il n ’y a aucune réaction, la salle est absolument immobile.
R ivette . — Et ce silence dans la salle est déjà une réaction très importante pour un
film comme Marienbad. Le silence q u ’il y a à .Marienbad n ’est pas de la même qualité
que le silence q u ’il y a à d’autres films : il est d’une qualité, je crois, supérieure et ça
— si on a justement l ’habitude d ’aller au cinéma — on le sent, et je pense que c’est un
bon point pour Resnais,
M arcabru. — Mais je l ’ai vu dans deux silences différents : un silence qui existe aussi
dans des salles de théâtre, qui est un silence de matraquage, de gens qui restent complète­
ment extérieurs, et un autre de gens qui rentrent dans le film. Le public n ’est pas le
m êm e suivant les heures ; celui du samedi soir n ’est p as celui du mercredi à cinq heures.
Donc, cette question du public est absolument Eaùsse.
Lebesque . — Un film comme Moderato Cantcbite a été accueilli assez favorablement
à Paris et est carrément emboîté dans les salles de banlieue.
R ivette . — Parce q u ’elles ont bon goût.
M arcabru. — Lola a été très mal accueilli aux Champs-Elysées et passe très bien dans
les salles de quartier.
R ivette . — Parce qu’elles ont bon goût.
L ebesque . — Et nous, qui allons dans les salles des Champs-Elysées, nous devrions
dire que Lola est un très mauvais film, alors que, pour moi, c’est un très bon film.
Sadoul. — Mais le critique peut être contre le jugem ent-du public. Pour ma part,
je regrette terriblement d ’être obligé de voir les films aux Champs-Elysées.
R ivette . — Je crois que nous nous comprenons mal su r ce problème du public. Je
m 'excuse de parler toujours à la prem ière personne, mais là j ’y suis obligé. J ’aurais peut-
être pu davantage partager votre point de vue, il y a trois ans. Mais depuis que j ’ai mis un
bout de pied de l’autre côté de la barrière, je sais très bien que, quand on fait un film,
il y a un problème qui se pose. On se dit que l ’on a essayé à tel moment de m ontrer ça
et ça, on regarde son film tout seul dans une salle, on le montre même à quatre personnes
qui vous disent que peut-être, effectivement, à ce moment-là, ça y est, m ais alors on a vrat-

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m ent le besoin de savoir si au moins cinquante personnes, au moins cent personnes, trou­
veront également...
L ebesque . — C ’est très légitime, mais cela n ’a rien à voir avec la critique.
R ivette . —■ Si, parce que cela prouve que, dans un film, l ’efficacité est une dimension
du film.
M arcabru. — Oui, mais l’efficacité ne joue pas sur un public unique, universel, elle
joue sur un certain public. Donc, l ’efficacité, nous l ’avons en nous-mêmes. Dès l ’instant où
nous aimons un film, il est efficace pour nous, donc il est efficace pour d ’autres.
R ivette . — Mais ce qui pourrait arriver, c ’est que le critique — s ’il s ’isole trop — soit
dans la situation du cinéaste — s ’il s ’isole trop — c ’est-à-dire q u ’il soit rigoureusement tout
seul de son avis.
L ebesque . — Cela ne serait pas si grave.
R ivette . — Je ne dis pas q u ’il aurait automatiquement tort. Q uelqu’un seul de son avis
peut avoir raison contre cent mille personnes, mais je pense qu’à ce moment-là il est utile
q u ’il sache qu’il est seul de son avis et q u ’il écrive son article, qu’il défende le film, dans
l ’état d ’esprit d ’un homme sachant q u ’il est seul de son avis. Peut-être que le jugement du
critique n ’est pas faussé par ce que dit le public autour de lui, m ais l ’expression de son juge­
ment, elle, l ’est automatiquement. Je suis sû r que cela est vrai pour Morvan Lebesque,
comme pour M arcabru ou pour Sadoul : si vous aimez un film, vous ne le direz pas de la
mêm e façon, suivant qu’autour de vous tout le monde a applaudi ou sifflé.
Sadoul. — Moi, je suis obligé de dire au public : vous avez eu tort d ’applaudir ou
tort de siffler.
M arcabru. — Oui, mais cela fausse l ’objectivité de...
R ivette . — Non, le jugement n ’est pas faussé, seulem ent sa formulation.
L ebesque . — Moi, je me fous éperdum ent que le public siffle ou applaudisse : ça le
regarde. Je vois souvent des films en projection privée et je vous jure que le public ne
me manque absolument pas.
M'ARCABRU. — Le public, c’est un mythe...
R ivette . — C ’est un mythe qui, comme tous les mythes, correspond à une réalité. Un
mythe qui n ’a pas de réalité derrière lui n ’est m êm e pas un mythe, c ’est un fantôme.
AIarcabru. —• Mais, Rivette, un film ne rencontré pas le public, il rencontre son public :
ce public peut très bien exister et le film ne jamais le rencontrer. C ’est comme deux person­
nes qui pourraient s ’entendre et ne se rencontrent pas. Et, en outre, le soir où le critique
est dans la salle, le public du film n ’y est pas nécessairem ent. Dès lors, pourquoi se référer
au public qui se trouve là ? ^
R ivette . — C ’est pourquoi il vaut mieux, dans les cas difficiles, voir un film plusieurs
fois avec plusieurs publics différents. Je dois dire que je n ’ai jamais mis quatre étoiles à un
film avant de l ’avoir revu dans une salle, et, en tout cas, je l’ai toujours vu au moins deux
fois.

CRITIQUES ) ET HISTORIENS

R ohmer . — Si je ne suis pas intervenu plus tôt, c ’était, si je puis dire, pour ne pas
briser l ’unité des C ah iers . Pour m a part, je pencherais plutôt du côté dé Morvan Lebesque.
J ’étais curieux de savoir où Rivette voulait en venir, et je craignais de lui couper son élan.

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Ses prém isses m ’ont pas mal inquiété. Sa conclusion me rassure. Dire q u ’un critique est
impressionnable, ne signifie pas que la critique doive être impressionniste, puisque plusieurs
visions successives corrigent l ’aléa des impressions particulières. Mais avouez, Rivette, que
votre point de départ est paradoxal, de la part d 'u n rédacteur des C a h ie r s . Et paradoxe pour
paradoxe, je préfère, quant à moi, soutenir le paradoxe opposé. J ’aim e de plus en plus à m e
fier à une seule vision, non que je m e croie infaillible, mais q u ’une seconde projection, du
moins trop proche de la première, me désoriente et n e fait le plus souvent que confirm er
' l ’impression première, avec beaucoup de fraîcheur et de force e n moins. S’il m ’arrive de
revoir un' film, c ’est bien plus pour retrouver mon plaisir que pour fortifier mon jugem ent.
Il est certain que les visions multiples ont été et sont encore le dogme numéro un du credo
des C a h ie r s : c ’est parce que nous considérons un film non com me un spectacle éphém ère,
mais comme une œ uvre durable qui est faite pour être revue, d e même q u ’un rom an est
fait pour être relu, un disque pour être réenténdu. Mais enfin, ce dont nous débattions à
l ’instant me semble être, avant tout, question de sensibilité personnelle. Et ce débat, à mon-
avis, devrait confronter m oins nos tem péram ents que nos conceptions respectives du rôle
du critique à l ’égard de son public. Excusez-moi si je grossis les faits. P our les critiques
des quotidiens et des hebdomadaires, le public attend d ’eux q u ’ils lui rendent le service
de lui signaler les films qui peuvent correspondre à ses goûts, à l ’avance bien arrêtés.
Pour nous, gens des C a h ie r s , le public est une chose malléable, Influençable. Ses goûts
sont à faire, et non pas tout faits : ce public attend de nous, non tant que nous le renseignions,
mais que nous l ’éclairions, même s ’il pense que son jugement vaut le nôtre. Il y a certaine­
ment un côté didactique chez nous, nous som m es un peu des pédagogues, du moins telle
est notre ambition. Pour nous, « penser au public » a une signification bien pirécise : cela
veut dire non pas comment le flatter — ou ne pas le flatter — mais comment l ’éduquer.
D ’autre part, nos critiques paraissent beaucoup plus tard que celles des quotidiens et des
hebdomadaires. Nous sommes donc forcés de tenir compte, non seulement du public, mais
de la critique, de ce qui a été dit de ce film. Si nous voulons par exemple défendre un film,
il est évidemment plusx habile de !e faire en considérant ce qui a été déjà dit. Il serait
stupide d ’enfoncer des portes ouvertes. Si la presse unanime et le public unanime ont accueilli
favorablement un film, ce n ’est pas la peine de reprendre les m êm es arguments, il faut en
trouver d ’autres. Inversement* si l ’on fait à ce film des reproches que nous n ’avions pas
prévus, il nous faut en tenir compte.
Lebesque . — Tout cela, à mon avis, manque un peu de spontanéité. Rivette ne donne
quatre étoiles à un film qu'à condition de le revoir et de vérifier s ’il les mérite vraiment.
Vous me dites aussi, n ’èst-ce pas, que, si le public et la critique sont entièrem ent d ’accord
sur un film, il faut chercher d’autres raisons, d'autres motivations, puisque nous paraissons
un mois plus tard. Je ne comprend absolument pas.
M arcabru. — Si. Alors, là, je ne suis pas de votre avis. C ’est tout à fait différent,
c ’est un travail de m ensuel...
R ivette . — Si les mensuels faisaient le même travail’ que les quotidiens et les hebdo­
madaires, ils n'auraient pas de raison d ’être.
Lebesque . — Si un film que nous estim ons être très beau a été mal accueilli, et pour
tels motifs, il est très important de paraître un mois après pour pouvoir dire que ces motifs
étaient mal fondés. Mais si tout le monde a bien aimé le Hlm, que le public et la critique
ont eu les mêmes motivations, je ne vois pas pourquoi on se creuserait la nénette pour en
trouver d ’autres.
R ohmer . — D ’accord, mais ce cas se produit beaucoup plus rarem ent que l ’autre.
Et d ’ailleurs, lorsqu’il s ’agit d ’un film très important, que tout le monde aime, il arrive
très souvent que nous en parlions avant sa sortie, Par exemple, en ce qui concerne Marienbad,
nous n ’avons pas attendu le concert de louanges pour décerner les nôtres.
R ivette . — Pour moi, Marienbad est un exemple typique. La prem ière fois que j ’ai
vu V A n n é e dernière à Marienbad, je lui ai mis, en mon for intérieur, quatre étoiles,
puisque nous sommes forcément ün petit peu obligés de penser en term es de Conseil des
Dix, même quand nous voyons les films en projection privée. Et puis, j ’ai revu ce film

10
JACQUES DEMY

LOLA
dans une salle, j ’y ai repensé et j ’ai mis trois étoiles. Je dois dire que le fait de l ’avoir revu
au P u b lia s — et bien que l ’accueil ne soit pas catastrophique, loin de là, l ’accueil est
attentif — m ’empêche de penser que Marienbad est un chef-d’œ uvre, presque uniquement
à cause de cette dimension du public, qui, pour tout dire, n e me sem ble pas ici tellement
concerné : silencieux, mais intimidé plutôt que touché. Seul à seul avec le film, je crois
que j ’aurais laissé quatre étoiles. Alors q u 'Hiroshima, je lui ai mis quatre étoiles sans
hésiter, parce que non seulement c ’est un très grand film, mais que, de plus, il a touché
les gens.
R ohm er . — Sans en trer dans les détails, je trouve votre point de vue un tout petit peu
paradoxal.
L ebesque . ■— Oui, je vous coince là... Hiroshima n ’aurait pas touché les gens, ce
n'aurait pas été un cheE-d’œ uvre. Un chef-d’œuvre, pour vous, c ’est un film sur lequel
tout le monde est d ’accord !
R ivette . — Non, absolument pas. Mais dans le cas de certains films, comme Hiroshima
et comme Marienbad, je pense qu’il leur manque une dimension, s ’ils ne touchent pas le
public. Alors que, par exemple, Mizoguchi, même s ’il ne touche que cinquante personnes,
à mon avis, fait des chefs-d’œ uvre. Cela dit, si j ’étais critique japonais, je pense que
j ’aurais besoin que le public japonais autour de moi aime les films de Mizoguchi. Mais nous
sommes en France et, bien que, me semble-t-il, les films de Mizoguchi soient les moins
exotiques et les plus universels qui soient, étant donné q u ’ils sortent au Studio de l ’Etoile,
que les cinquante personnes qui les voient, les voient, automatiquement, en tant que films
japonais, je sais que, là, le jugement du public est faussé. Mais Resnais est un cinéaste
français, ses films sortent en France, Il a fait Hiroshima sur un sujet, qui n ’était pas que
la bombe atomique, mais qui était en partie h bombe atomique : c ’est un sujet qui doit
toucher les gens, sinon on s ’est trompé. Et puis, bien sûr, il y a d ’autres films dont, quand
on les voit pour la prem ière fois, on pense que ce sont des chefs-d’œ uvre et, tout le monde
autour de soi peut penser différemment, on sait que l ’on ne changera jamais d ’avis, parce
que c ’est la vérité et on s ’y tient. Cela dépend des films.
R ohmer . — Laissez-moi encore vous contredire, Rivette, parce que je crains que les
lecteurs des C ahiers ne soient quelque peu surpris par votre point de vue. Si vous voulez,
votre point de vue est einsteinien, tandis que le mien serait plutôt euclidien. Quand je
décerne des étoiles et des points noirs, j ’ai toujours cherché à être logique avec moi-même.
C ar je pense q u ’aux C ahiers , nous sommes tenus d ’avoir une certaine logique dans nos
jugements et, du moins, d ’expliquer nos variations. Les C ahiers , je le répète, sont un
mensuel, beaucoup de gens en possèdent la collection. Ils peuvent la consulter et s ’étoriner,
par exemple, que l ’on mette trois étoiles à un film, alors q u ’on en a mis deux, antérieure­
ment, à un autre que l ’on semble maintenant préférer.
L ebesque . — C e n ’est pas de la critique ça, c ’est de la cogitation.
R ohmer . — Non, parce que nous ne sommes pas seulement des critiques, ici, nous
sommes aussi un peu des historiens. Nous pensons que les films sont faits non seulem ent
pour l ’agrément d ’un soir, mais pour être... catalogués, si l ’on peut dire.
L ebesque . — Moi, l ’histoire j ’y crois quand elle est faite. Quand Sadoul écrit une
histoire du cinéma, j ’y crois, parce q u ’elle raconte des faits antérieurs, mais quand vous
dites que tel ou tel m etteur en scène, je ne sais pas... Godard ou un autre, appartient à
l ’histoire du cinéma, moi je n ’en sais foutre rien.
R ivette . — C ’est un pari.
R ohmer . — Mais, vous savez, l ’thistoire se fait à partir de l ’événement même, en
' particulier l ’histoire littéraire. Racine est entré dans l ’histoire dès la représentation dM/i-
dromùque. De toute façon, nous ne prétendons pas avoir toujours raison, quand nous
disons que tel film entrera dans l ’histoire. Mais nous considérons le point de vue de
l ’histoire et cela même fait que nous jugeons différemment que ceux qui ne le considèrent
pas du tout.

12
L ebesque . — On l’a intimement. Quand je vois ce qui me semble être, à tort ou à
raison, un très grand film, j ’ai l ’impression q u ’il survivra : je pense3 par exemple, que des
films comme Lola ou Ce soir ou jamais seront projetés dans de nombreuses années dans
des ciné-clubs et q u ’on en reparlera.. Ç a je le crois, mais c ’est une impression subjective.
II n ’y a pas besoin de chercher de grands mots comme histoire pour ça. L ’histoire, pour
moî, c’est du passé. Quant à celle qui se fait actuellement, elle est seule, elle, histoire, à
savoir que c ’est de l ’histoire. Chariot patine est un film historique, n ’est-ce pas ? Personne
à l ’époque ne pouvait l ’imaginer.
M arcabru. — Il y a aussi un point précis : c ’est que personne n ’est d ’accord sur
l ’histoire. Sadoul trouvera que tel film a eu une très grande importance à telle époque et
moi pas, ou vice versa. Trente ans après, on n ’est pas d ’accord. Donc, votre vision historique
reste subjective.
R ohmer . —■ Mais, si vous voulez, c ’est une subjectivité objective. Nous sommes
subjectifs en tant q u ’équipe, non pas en tant que personnalités. Malgré les dissensions q u ’il
y a entre nous, nous sommes influencés les uns par les autres. Lorsque certains d ’entre
nous écrivent dans des hebdomadaires, je crois q u ’ils tiennent plus ou moins compte de
l ’opinion de leurs amis des C ahiers du C inéma, parce que quelques-unes de nos diver­
gences de goûts doivent s ’effacer devant une certaine façon globale de voir les films aux
C ahiers .
M arcabru. — Mais, Rohmer, il se peut q u ’un film ait une très grande valeur historique­
ment, mais pas artistiquement.
S adoul. — Oui, je suis entièrem ent d’accord.
R ohmer . — Je ne pense pas. Les films que l ’on revoit maintenant dans les cinéma­
thèques sont aussi de belles œ uvres. Une œ uvre qui a pu compter dans l ’histoire simplement
parce que le public s ’est trompé su r elle, aura beau être entrée dans les manuels, en fait
on ne la reverra plus souvent sur l ’écran,
R iv e tte . — Caligari ?
R ohmer . — Caligari est un cas limite et on peut se demander, après tout, si Caligari
ne contient que du mauvais.
M arcabru. — Prenons le film de Rouch, Chronique d'un été, Personnellement je le
déteste, mais il est certain qu’historiquement ce film a peut-être une grande importance.
R ohmer . — Et que dites-vous à votre public ? Surtout que vous le détestez ou bien
q u ’il a de l ‘importance ?
M arcabru. — Que je le déteste. Si j ’écrivais dans un mensuel, je pourrais dire la
même chose, mais en expliquant aussi que ce film a d e l ’importance.
L ebesque . — Le film de Rouch est un bon test. Moi, je l ’aï beaucoup aimé. J'ai été
touché, j ’ai été pris. Bon. Ensuite,., je ne sais pas s ’il a une valeur historique : peut-être
que, dans cinq ans, cela semblera terriblement abstrait et insignifiant ; mais, en tout cas,
pour l ’instant, il en a une. Quand certains personnages du film parlent, ils représentent un
moment, un moment actuel. Mais cela, je vous le répète, c ’est une impression que j ’ai eue,
je ne me suis pas posé des questions d ’histoire.

P OLI TIQ UE DES AUTEURS

S adoul. — Après m ’être opposé à Morvan Lebesque, je voudrais maintenant m ’accorder


avec lui sur une chose. Moi, je crois qu'il y a le film et qu'il y a le cinéma. Il y a le
rapport du film et de l ’homme critique, et il y a d ’autres choses. Et je pense que, dans une

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critique, il y a le côté subjectif et il y g, le côté objectif. Dans l ’idéal, je voudrais pouvoir
tenir compte de certains points objectifs : les' conditions dans lesquelles le film a été fait,
Fauteur, l ’accueil du public, l ’accueil des critiques, etc... Mais en dehors de ça, je tiens
beaucoup au côté subjectif. Je revendique très fort le droit de me passionner pour un film,
indépendamment de tout, de faire même un papier — disons — im pressionniste.
R ohmer . — Attendez ! Quand vous, Lebesque et Marcabru, dites « je », c ’est précisé­
ment ce « je » q u ’il faut définir. Les gens des C ahiers du C inéma sont des gens dont la
vie intellectuelle est mobilisée surtout par le cinéma, qui accordent au cinéma la part la
plus importante, alors que, parmi nos confrères, j’ai l ’impression que le cinéma a moins
d ’importance dans leurs pensées et que leur « je » est — si je puis m 'exprim er ainsi —
plus subjectif que le nôtre, q u ’il fait appel à des goûts qui n ’ont pas nécessairem ent été
formés par le cinéma. Vous avez été, Lebesque, et vous êtes, Marcabru, critique de th é âtre...
Lebesque . — Q u'est-ce que ça peut foutre ? A la base, il y a une œ uvre. On lit des
livres, on voit des films, on voit’des pièces de théâtre. A partir du moment où l ’on décrète
que l ’optique d’un critique ou d ’un public doit être différente du fait q u ’il ne s ’occupe que
de cinéma ou que de théâtre, je trouve qu’on se trompe Complètement. Il y a un ensem ble
de choses dans la vie. L'automobile aussi, c ’est important. Il n ’y a pas de raison de faire
faire chambre à part au cinéma. Les spécialistes sont à fuir comme la peste, parce q u ’ils
secrètent autour d ’eux un nuage de fumée : avec eux, on finit par ne plus com prendre
le cinéma.
- S adoul. — En effet, il ne faut pas se spécialiser. Il ne faut pas faire de critique dans
l ’absolu. Il y a « je » et il y a les autres, et, dans la critique, on ne peut pas être absolument
« je ». U ne critique doit être une espèce de dialogue entre « je » et les autres.
M arcabru. — N ’oublions pas q u ’il y a jugement esthétique, mais aussi jugement moral.
Lebesque . — Et moi, ce qui m ’intéresse dans un film, c ’est ce que l’auteur a à dire.
Et ensuite, c ’est la technique qui n ’est que la domestique dans l ’affaire.
R ohmer . — Mais défendre le cinéma en tant que spécialiste, ce n ’est pas du tout
s ’intéresser à la seule technique. Non, ce que je vous reproche, c ’est de faire appel à des
critères de pure sensibilité personnelle.
L ebesque . — Et q u ’est-ce qu'il y a d’autre ? Non, maintenant, on dit ün peu partout
que le cinéma est sauvé parce qu’un jeune m etteur en scène de vingt-cinq ans, de
vingt-deux ans, peut faire un film, alors qu’autrefois il lui fallait attendre d ’avoir la
quarantaine ou la cinquantaine, q u ’il soit assistant, etc... Cela me paraît monstrueux de
raisonner comme cela, car c’est réduire le cinéma à la seule technique. Quand on me dit
que le cinéma, maintenant, c ’est tout de m êm e mieux qu’avant parce qu'un jeune gars
de vingt-cinq ans peut, a les moyens de faire un film, je réponds non, car ce qui m ’inté­
resse, moi, c ’est d ’abord ce q u ’est le gars, et, souvent, j’aurais préféré qu’il attende
d ’avoir quarante ans pour avoir vécu, pensé, souffert, pour im aginer des choses et les dire
dans son film. La technique, je m ’en fous, c ’est secondaire.
R ivette . — Je ne crois pas du tout que cela soit un progrès que les jeunes fassent
des films, je pense que ça devrait être une loi. C e qui a été u ne erreur, c ’est, pendant
des années, de commencer à faire des films à quarante ans, parce que, si l ’on voit l ’histoire
du cinéma, Eisenstein a fait son prem ier film avant vingt-cinq ans, et Clair, et Dreyer.
C ’était la loi au temps du cinéma muet. Il y a eu peu à peu une fossilisation, venue lente­
ment avec le parlant, qui avait atteint son point culminant dans les années cinquante-
cinquante-cinq; et q u ’il a fallu briser. Bon. M aintenant c ’est fait, mais cela ne sauve rien.
Tout au plus le cinéma a-t-il retrouvé, grâce à cela, un peu de son élan originel.
M arcabru. — Four en revenir aux problèmes de la critique, je ne juge pas du tout
sur le récit. Je crois à un point d ’équilibre idéal entre une m ise en scène, un montage,
une direction d ’acteurs, des dialogues et un scénario. Si l ’équilibre était parfait, le film
devrait être parfait. Mais très souvent je dois défendre des films qui sont déséquilibrés,

14
JEAN-LUC GODARD

UNE F EMME EST U N È FEMME


qui, par exemple, sur le plan de l’écriture sont intéressants, mais qui sur le plan du
scénario et des dialogues n ’existent pas. Prenons Astruc : pour moi, La Proie pour
Vombre, dans le scénario et le dialogue, est un film entièrem ent faux, c ’est du vieux
théâtre, du Bernstein ; par contre, sur le plan de la mise en scène et du montage, }e suis
d ’accord pour dire que c'est intéressant. Mais c ’est un film déséquilibré, parce q u ’il y a
toute une partie qui n ’existe pas, qui est mauvaise en soi, qui date, et qui bouffe l’autre
partie, la partie écriture. En revanche, prenons Fuller : FirJJer n ’a pas les ambitions
littéraires d ’Astruc et ses films sont brusquem ent très beaux en une ou deux séquences
qui valorisent le tout, qui dénotent la valeur du film Au fond, le thème l ’intéresse peu,
c'est l’écriture qui l ’intéresse.
Lebesque . — Moi, Je suis d ’abord séduit p ar ce que le type a à me dire. On aura
beau proclamer que L e Diabolique Docteur Ma&use, c ’est le cinéma fait roi, je trouve
ça très con, parce que l’histoire est niaise. On m e dit aussi : voyez Autopsie d ’un meurtre
de Prem inger, l ’écriture en est extraordinaire. Evidemment, c ’est beaucoup mieux que
La Vérité de Clouzot, mars cela ne m ’apprend rien : c ’est ce q u ’on appelle un film bien
fait, c ’est tout.
R ivette . — Eh bien moi, je trouve dément de dire que, dans un film, il y a d ’une
part le contenu, d ’autre part la technique. Cela dépasse mon imagination. On nous a
souvent accusés de défendre aux C ahiers k mise en scène à l ’état pur : ce n ’est p^s vrai.
C e que nous avons essayé de dire, au contraire, c’est q u ’un film est un tout. Il n ’y a
pas d ’une part un contenu et d ’autre part une technique, il y a une expression, et, si
le film est réussi, cette expression est un tout.
L ebesque. — J ’emploie un autre mot. Pour moi, il y a les films sans dimension
et les films avec dimension. Et ça n ’a souvent rien à voir avec la dimension extérieure
du sujet. P ar exemple, je considère que C e soir ou jamais est un film à dimension,
M arcabru. — Mais la dimension peut naître d ’un dialogue, d ’un sujet, d ’une direction
d ’acteurs. Dans Ce soir ou jamais, c’est la direction d ’acteurs.
R ivette . — Non. La position classique où l ’on dit que tel film a un bon scénario,
que la mise en scène en est quelconque, que le montage par contre est brillant, que la
musique est ennuyeuse et les décors affreux, je trouve ça aberrant.
M arcabru. — Mais c ’est vrai.
R ivette . — C ’est vrai pour L es Trois Mousquetaires de Borderie, pour L es Amours
célèbres de Boisrond 3 Mais quand il s ’agit de vrais films, les films dont on parle et qui
nous intéressent, c ’est faux* parce que l ’auteur du film, même s ’il n ’en a pas écrit le
scénario, a été entièrem ent d ’accord avec celui-ci, a souscrit à chaque mot du dialogue.
Marcabru. — Mais il peut se tromper, être un excellent technicien, un excellent
cinéaste et m etteur en scène, et être un dialoguiste abominable. '
R ivette . — Non. Alors il ne sera pas un excellent cinéaste. Astruc a été un grand
cinéaste dans Les Mauvaises Rencontres, où il y avait accord entre le scénario, les dialogues
et la mise en scène, et je trouve q u ’il est un moins grand cinéaste dans La Proie pour
l'ombre, où il y a hiatus entre les différents éléments,
Lebesque . — La Proie pour Vombre n ’est sans doute pas un bon film, mais entendons-
nous sur la notion de chef-d’œuvre, c ’est-à-dire de « quatre étoiles ». C e n ’est pas forcé­
ment le chef-d’œ uvre dans toute la force du terme. P ar exemple, le Moïse de Mîchet-Ange
est un chef-d’œuvre, mais il me barbe. Il y a parfois des œ uvres ratées qui atîeignent
elles aussi à une dimension, à une puissance, à une émotion, à un art enfin. Et aussi on
oublie que le chef-d’œ uvre est parfois une chose facile à faire...
R ivette . — C e sont de faux chefs-d’œ uvre.
R ohmer . — Mais est-ce que parmi vos critères, le critère du film « parfait » dans
lequel il y a équilibre entre les différents éléments — puisque vous voulez à tout prix voir
différents éléments — doit l ’emporter sur le critère des beautés ?

16
R ivette . •— Ce n ’est pas une question d ’équilibre...
Marcabru, — Pour moi, si.
R ivette . — Il y a une force synthétique de l ’ensemble..
R ohmer . -— Attendez, Rivette. Avouez vous-même que vous êtes plus sensible, dans
un film, à ce qui vous plaît, à ce qui emporte votre adhésion, qu’à certaines choses que
— si l ’on vous poursuit dans un questionnaire de détail — vous reconnaîtrez n ’être pas
très défendables. Et aux C ahiers , ce que nous considérons d ’abord, c ’est l ’élément positif
du film plutôt que l’équilibre, alors que nos confrères, semble-t-il, cherchent avant tout
l ’équilibre des forces, c ’est-à-dire la perfection de l ’œ uvre, et que, dans ce cas-là, beaucoup
de grandes beautés cinématographiques risquent de leur échapper.
M arcabru. — Je ne pense pas.
L e b e s q u e . — Entre l ’écran et moi, il y a une corde. Chacun tire de son côté. Il se
peut qu’un film tire moins bien q u ’un autre, mais s ’il tire la corde à lui, alors le film
est bon. Et peu m ’importe qu’il ait des défauts : il m ’a eu.
M arcabru. — Le point d ’équilibre, c’est l ’idéal, L'idéal, nous ne l ’avons pas : il y a
des points de tension. Imaginez un mauvais scénario et, de l’autre côté, une excellente
mise en scène : si le mauvais scénario est plus mauvais dans le mauvais que la mise en
scène n ’est bonne dans le bon, c ’est le mauvais scénario qui l ’emporte, mais ça n ’enlève rien
aux qualités 'de la mise en scène. C ’est une question de forces.
R ohm er . — Cela revient à faire peu de cas des beautés de la mise en scène e t à
écraser le film sous ce qui paraît mauvais dans le scénario. D ’ailleurs, aux C ahiers , nous
avons souvent affirmé que ce que les autres appelaient mauvais scénarios, étaient en fait
de bons scénarios. Personnellement, je trouve que le scénario de Mabuse est un bon scénario.
Lebesque. — C ’est un scénario puéril. Dans l ’étrange, l'insolite, c ’est petit, c ’est
minable. •
R ivette . — Je crois que là, c ’est le juger en ne se plaçant pas exactement sur le plan
où ce scénario a été conçu.
M arcabru. — En fait, le scénario de Mabuse n ’est pas mauvais en soi...
L ebesque . — D'accord. Un Kafka du cinéma en aurait peut-être fait quelque chose
d ’extraordinaire.
R ohmer , — Il ne faut pas le voir comme du Kafka, mais comme un roman policier...
M arcabru. — Alors, c’est du niveau d ’Edgar Wall ace. Mais nous nous égarons.
S ad o u l. — Tout à fait. Bien. Je ne voudrais pas du tout mettre Lang en cause, mais
ici, aux C a h ie r s , on parle beaucoup de politique des auteurs. J ’ai toujours été pour, à
condition que cela ne se transforme pas en culte de la personnalité. Je révère les auteurs
de cinéma, mais je ne pense pas qu’ils font toujours, automatiquement, de bons films. Et
s ’ils font de mauvais films, je ne vois pas pourquoi je ne le dirais pas, en tenant compte,
d ’ailleurs, q u ’il s ’agit d ’un auteur que je révère et non. pas de Gilles Grangiei.
R ohm er . — La politique des auteurs n ’est pas un axiome, c ’est un postulat.
R ivette . — Un postulat qui, à mon avis, doit être rem is en question à chaque vision
nouvelle.
Sadoul. — Entièrement d ’accord. Et en tenant compte des services rendus.
R ivette . — Cela dit, le principë de la politique des auteurs, c’était tout de même de
compléter ce postulat par le postulat suivant : un cinéaste, qui a fait dans le passé de très
grands films, peut faire des erreurs, mais les erreurs q u ’il fera ont toutes chances, a priori,
d ’être plus passionnantes que les réussites d ’un confectionneur.
Lebesque .^ — Je crois que Lang appartient à une génération d’auteurs capables de faire
des chefs-d’œuvre, mais qui estimaient que leur boulot était de faire des films et qui

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admettaient — tout comme Bunuel d ’ailleurs — de, faire des films purem ent commerciaux.
Et je crois que c ’est le cas de Mabuse.
R ivette . — Peut-être. Mais quand un homme com me Lang Fait un film purem ent
commercial, il ne peut pas faire que, malgré lui, il ne passe dans ce film quelque chose
qui ne passera pas dans le film d ’un artisan. Je trouve q u ’on a tort dans ces cas-là de dire
trop facilement, aux C ahiers , que c ’est génial parce que c’est de Lang ; on devrait nuancer
plus. Mais la règle aux C ahiers , c ’est que c ’est toujours la personne qui aime le p lu s le
film qui en parle.
L ebesque . — C ’est un bon principe.
R iv e tte . — Mais, même si l’on fait les réserves nécessaires, il est plus intéressant de
chercher dans Mabuse — qui, à mon avis, n est pas le plus grand fr'Jm de Lang — ce q u ’il
y a de personnel et l ’évolution possible du cinéaste, plutôt que de chercher ce q u ’il peut
y avoir de moins mauvais dans le dernier Boisrond. Donc, il est évident que la politique
des auteurs consiste uniquement à dire : nous parlerons de Fritz Lang, qui est quelqu’u n , et
non pas de Boisrond, qui n ’est rien. Cela ne consiste pas à dire : tous les film s de
Fritz Lang sont des chefs-d’œuvre. Cela deviendrait une erreur. De même que, quand
on étend la politique des auteurs à des gens comme Minnelli ou dix autres cinéastes am éri­
cains, cela devient une aberration, parce q u ’il est évident que Minnelli est un « director »
talentueux, mais n ’a jamais été et ne sera jamais un auteur. Quand on parle de M innelli, la
prem ière chose à faire est de parler du scénario, parce q u ’il soumet toujours son talent à
quelque chose d ’autre. Tandis que, quand on parle de Fritz Lang, la prem ière chose à faire
est de parler de Fritz Lang, et ensuite du scénario.
S ad o u l. — Mais je serais parfois plus sévère vis-à-vis de quelqu'un que j ’estime, p réci­
sément parce que je l'estim e et que je ne voudrais pas le juger à la petite semaine.
Rohm er . — Je crains que ce ne soit une règle un peu trop répandue chez les critiques.
Par peur de faire de la politique des auteurs, vous faites la politique contraire. L o rsq u’on
lit vos critiques, on en retire très souvent l ’impression què ce n ’est pas la peine d ’a lle r voir
tel film de Fritz Lang ou d ’Hitchcock et q u ’il est plus intéressant de voir le film d ’un au teu r
que vous aimez moins. Pour prendre le cas d ’Hitchcock, L'Inconnu du Nord-Express a été
très mal accueilli, jadis, par la critique et, maintenant, lorsque Psychose sort, o n dit
qu’Hitchcock ne vaut plus ce q u ’il était au temps de L ’Inconnu du. Nord-Express. C ela me
paraît un peu contradictoire !
Marcabru. — Effectivement, par passion, on parle plus brutalem ent de films qui nous
intéressent. C ’est très regrettable, mais c ’est la nature humaine.
R ohmer . — Oui, mais alors attention. Je trouve cela très grave.
M arcabru. — Prenons Une fem m e est une fe m m e...
R ohm er . — Oui, Marcabru. Vous avez été très violent contre ce film, et, finalement,
vous m ’avez avoué que vous Testimiez...
M arcabru. — Je trouve que c’est un film raté, qui me déçoit d ’autant plus q u ’il vient
de Godard^ que j ’estime. C ’est pourquoi j ’ai été très violent.
L ebesque . — Je dirais exactement la m êm e chose. Godard m ’intéresse, mais, avec
Une fem m e est une fem m e, il a fait un très mauvais film.
R ohmer . — Eh bien, dans vos critiques, on n e voit pas assez que Godard vous intéresse,
on voit seulement ce que vous n ’aimez pas dans le film. Peut-être que les C a h ie rs sont
mieux placés pour pratiquer, à tort ou à raison, cette politique des auteurs...
L ebesque . — Ecoutez, je ne pratique absolument aucune politique d ’auteurs. Je reconnais
évidemment ce que je dois aux grands artisans du cinéma, maïs je vais voir des film s à la
petite semaine. Je suis obligé de parler de trois ou quatre films — je préférerais ne parler
que d ’un seul — et je sors celui qui m e paraît être le plus important. 11 se peut que je
fasse un article très long sur un film considéré comme secondaire et quelques lignes
sur le film dont on me disait que c ’était le film important de la semaine : par exem ple, j’ai

18
JOHN FORD

LES D E U X CAVALIERS
mis deux colonnes sur Les D eux Cavaliers de Ford et dix lignes sur La Vengeance de Brando,
alors que tous les hebdomadaires — voyez Arts ■— ont foncé sur le Brando, en m ettant
dix lignes sur le Ford. Parfois, je regrette de ne pas faire plus : par exemple, j'aurais aimé
pouvoir m ’étendre beaucoup plus sur un film russe, L'A m our d'Aliocha. Mais il y a des
impératifs journalistiques. Si je travaillais dans un quotidien, j ’aurais droit à une demi-
colonne ou à un tiers de colonne tous les jours, tandis que, dans l ’hebdomadaire, on me
donne trois colonnes et il faut que je m e débrouille avec ça. Et très souvent on me demande
la critique de cinéma le samedi matin, alors que le journal ne paraît que le jeudi. Quand
j ’ai tous les films dans la main, comme des cartes, le Ford, le Brando et deux ou trois
autres, je sors le Ford, parce que je trouve que c ’est le meilleur. Cela dit, si je vois un
film américain ou soviétique le lundi soir, que c ’est un chef-d’œ uvre et qu’il ne me reste
plus que trois lignes dans ma rubrique, je dirai que c ’est un chef-d’œ uvre en trois lignes.
R ivette . — Je crois que l ’hebdomadaire est ce qui pose le plus de contraintes.
R ohmer , — P our Sadoul, le problème est un peu différent.
S adoul. — Oui, moi, je choisis un film, ce qui est une chose entièrement différente.
J ’ai fait le métier d ’hebdomadaire autrefois, c’est-à-dire rendre compte de tous les films de
la semaine. Cela pose en effet une règle du jeu. très difficile. La pratique du m ensuel est
évidemment beaucoup plus commode : il y a un recul suffisant et on juge les films par
rapport aux autres films.

CINEMA ET TH EA T RE

R ivette . — Je voudrais poser une question très indiscrète à Lebesque et Marcabru.


Vous êtes critiques de cinéma, vous Lebesque, depuis un an, et vous Marcabru, depuis
environ deux ans et demi. Pourquoi êtes-vous devenus critiques de cinéma ?
Lebesque . — J ’ai été parachuté sur le cinéma. J ’aime le cinéma. J ’ai accepté en me
disant que, peut-être, je n e le ferais pas bien, maïs qu’au moins je dirais ce que je pense.
R ivette . — Mais, avant, vous alliez déjà beaucoup au cinéma ?
Lebesque . — Bien sûr.
R ivette . — Et vous ne vous êtes pas posé à ce moment — je m ’excuse encore plus —
la question d ’une certaine impréparation ? Ne vous êtes-vous p a s ’ dit (d’ailleurs, Morvan
Lebesque, vous avez fait un article là-dessus) : je vais voir plus de films que je n ’en ai
jamais vus, donc je vais automatiquement changer d ’optique.
L ebesque . — P as du tout, Je n ’ai pas changé d ’optique. Je dois dire que j'allais moins
au cinéma que depuis que je suis critique et que je m e suis quand même trouvé devant un
domaine assez neuf. En particulier, j’ai été frappé, en sortant du théâtre, p ar une chose
terrible ; c ’est que le cinéma a vingt ans de retard su r le théâtre où j ’ai vu des choses
beaucoup plus neuves, plus profondes, plus adaptées à notre époque.
R ivette . — N ’avez-vous pas eu ce sentiment-là parce que vous étiez plus habitué au
langage du théâtre q u ’à celui du cinéma ?
L ebesque . — Non, ce n ’est pas du tout une question de langage, mais de choses dont
on vous parle. Cela dit, je ne vois pas ce que vous appelez impréparation. Si j ’avais vu tous
les films de ces dix dernières années, je ne crois pas que je ferais une critique différente.

20
R ohmer . — Votre sentim ent que le cinéma a vingt ans de retard sur le théâtre est
resté aussi fort ?
L ebesque. — Oui, parce que je ne trouve au cinéma ni Ionesco, ni Beckett, ni bien
d ’autres choses.
R ivette . — Et si c ’était Ionesco qui avait vingt ans de retard ?
Marcabru. —- Pour moi, j ’allais presque autant au cinéma avant de faire de la critique
qu’après. La seule différence, c’est que je ne voyais pas les très mauvais films que je vois
maintenant. Mais je ne suis pas du tout d ’accord avec Lebesque, parce que je trouve que le
cinéma est très en contact avec un public qui n ’existe plus au théâtre. Mais, Rivette, qu’en­
tend ez-vo us par préparation à un métier de critique ?
R ivette ; — Je pense q u ’à l ’origine il y a une vocation, une vocation d ’amoureux du
cinéma plutôt que de critique, qui fait q u ’avant de commencer à écrire, on peut s ’y préparer
par des années passées dans les salles obscures. Actuellement, dans les journaux — et ce
n ’est pas à vous particulièrement que j ’en ai — on prend de plus en plus comme critiques
de cinéma des gens qui viennent d ’autres cieux. P ar exemple, Bory à A r ts .
L ebesque. — Oui. Vous avez raison sur une chose : par exemple, un critique doit
être capable de voir ce q u ’est une bonne ou une mauvaise direction d’acteurs, un bon
ou un mauvais montage...
R ivette . —■ Et pour cela, il a besoin d ’avoir des repères. On ne devient pas critique de
peinture à la prem ière exposition q u ’on voit.
L ebesque . — Mais à cela, je vous répondrais que je connais des critiques de théâtre
qui font de la critique depuis quinze ans et qui ne sont jamais entrés dans le théâtre, de
m êm e que je connais des critiques de cinéma qui ne sont jamais entrés dans le cinéma.
Alors que quelqu’un peut être projeté dans le cinéma et y entrer en trois mois.
S adoul. — Je crois q u ’au départ, il faut avoir la passion du cinéma. Et avoir la passion
du cinéma, c ’est entrer dans une salle à midi et être encore dans un autre cinéma à minuit
en ayant vu de bons et de mauvais films, Je considère que je vieillis très tristement, parce
que je n ’aime plus voir les mauvais films. Et puis comment devient-on critique de cinéma ?
Eh bien, mon Dieu, en faisant des critiques de cinéma. O n commence en général par en
faire de très médiocres et, au bout d ’un certain temps, on apprend.
R ivette . — Or, actuellement, beaucoup de critiques sont choisis...
M arcabru. — Sur u n critère d ’écriture.
R ivette . — Oui. On choisit une signature, c ’est tout.
L ebesque . — Pour être honnête, je dois avouer que, quand j ’ai fait de la critique de
théâtre, j ’avais un passé de théâtre, j ’avais travaillé avec des gens de théâtre. Et la grande
raison pour laquelle j’ai abandonné la critique de théâtre, c ’est que j’en savais trop, c ’est
q u ’en allant voir une pièce, je m ’en refaisais la mise en scène et je l ’imaginais jouée par
d ’autres comédiens. C ’était une position absurde. Je crois d ’ailleurs que je ne ferai pas long­
temps la critique de cinéma à L ’E x p r ess , sans .doute pas plus de cinq ans, parce q u ’alors
je connaîtrai trop les gens. Il y a aussi ce problème. Au théâtre, il m ’était devenu impos­
sible d’être sincère : voyant des gens monter un spectacle, je savais que, si j ’en disais du
mal, ils ne feraient plus rien pendant quatre ans, que ceci, que cela... Je ne pouvais plus
faire de critique de théâtre.
M arcabru. — C ’est un métier où il ne faut connaître absolument personne.
L ebesque . — Par exemple, Jean-Jacques Gautier, on peut en penser ce q u ’on veut,
mais c ’est l ’honnêteté même : il n ’a aucun contact, il ne fréquente pas les gens de théâtre,
il vient en spectateur et dit ce q u ’il pense.
R ohmer . — Maïs, pour être logiques avec nous-mêmes, nous qui pensons que n ’importe
qui peut faire un film, nous pensons aussi que n ’importe qui peut faire de la critique de films
et q u ’il n ’est pas nécessaire de passer d ’examens pour ça.

21
X

R ivette . — Mais ce n ’est pas du tout à un examen que je pensais en parlant de prépa­
ration, mais à une sorte de passion préalable.
L ebesque . — Préparation ? Cela veut dire que pendant cinq ans j ’aurais vécu sur des
plateaux de cinéma ?
R ivette . — Pas du tout. Cela veut dire que pendant des années vous auriez vu énor­
mément de films.
R ohmer . — Vous pensez que le cinéma a vingt ans de retard par rapport au théâtre et
nous, aux C ahiers (peut-être avons-nous tort), nous pensons plutôt que le cinéma a vingt
ans d ’avance, non seulement par rapport au théâtre, mais aux autres arts.
Lebesque , — J ’ai peut-être trahi ma pensée. Vingt ans, dix ans, six mois de retard, ça
c ’est un chiffre. Mais je veux dire que, quand j ’ai commencé à aller au cinéma tous les
jours au lieu de deux ou trois fois par semaine, j ’ai brusquem ent vu un hiatus terrible entre
les choses q u ’on me disait au théâtre et celles q u ’on me dit au cinéma. Au théâtre, on peut
tout dire, parce que ça coûte trois cent mille francs, tandis que, sans doute, 3a forme indus­
trielle du cinéma vous empêche de tout dire. Je parlais tout à l ’heure de Beckett : on ne
peut pas faire « En attendant Godot » au cinéma.
R ivette . — On Ta fait. Seulement, ce qui se passe au cinéma, c ’est qu’effectivement,
on ne peut pas tout dire de façon explicite, mais, en quelque sorte, par litotes.
L ebesque . — C e n ’est pas tout dire.
R ivette . — Monsieur Verdoux est un film plein de litotes qui dit tout, qui dit autant de
choses que Brecht. Et j ’estime q u ’un film comme Les Bonnes F em m es dit par litotes, en
filigrane, ce que Beckett dit en clair.
R ohm er . — D ’une façon générale, aux C ahiers ., nous pensons que, si Fon juge le
cinéma selon les critères des autres arts, si l ’on prend le cinéma dans son ensemble, dans
ses mauvaises œuvres, il est peut-être en retard, parce q u ’il n ’est pas « du cinéma », parce
qu ’à ce momènt-là c ’est le sujet qui apparaît, le sujet pris d ’une façon abstraite et théorique.
Mais dans ses meilleures œ uvres — et je ne veux pas parler seulement des « chefs-d’œ uvre »
— lorsqu’il est vraiment « du cinéma », on ne peut pas dire qu’il soit en avance ou en retard
par rapport aux autres arts : ça n ’a pas de sens.
L ebesque . — Je vous l ’accorde. Et, d'ailleurs, ça donne raison à Rivette en un sens, ca.r
cela prouve qu’aller au cinéma en simple spectateur et aller au cinéma en critique, ce n ’est
quand même pas la même chose. Par exemple, j ’ai été projeté dans le cinéma à l ’époque de
la Nouvelle Vagué et, de cette étiquette, se réclamait une marchandise vraiment très h été­
roclite. Sur six auteurs de la nouvelle vague, il y en a cinq qui sont, carrément, de vieux
boulevardiers sans intérêt. Et, alors q u ’avant je voyais des films, mais, malgré tout, pas pro ­
fessionnellement, j ’ai été un peu victime de l ’étiquette. P a r exemple, en général, les gens
m ’ont dit : L e Farceur, c ’est un film jeune, c ’est un bon film. Or, pour moi, Le Farceur,
c’est le théâtre q u ’on faisait sous Pétain, avec le décor pittoresque, toutes ces choses q u ’on
a balayées depuis...
R ivette . — Nous sommes bien d ’accord, Dire : Le Farceur est un film Nouvelle Vague,
cela relève de la publicité.
S adoul. — C ’est de l ’escroquerie.
Lebesque . — J ’ai sans doute été victime de beaucoup de choses, mais j ’ai eu l ’im pression
d ’une chute quand je suis passé du théâtre au cinéma. Je me suis dit : « Mon vieux, ils ne
sont pas fortiches. »
R ivette . — C ’est curieux, parce que, quand on va beaucoup au cinéma et peu au théâ­
tre, on a l ’impression contraire.
L ebesque . — Il est possible que je sois d ’un avis contraire dans six mois. Je ne voudrais
pas donner plus d ’importance que cela à cette impression de chute.
R ivette . — Je voudrais revenir sur une idée et savoir si vous êtes d ’accord. Le cinéma,
à cause de toutes les contraintes, que tout le monde connaît et que nous n ’allons pas éna-

22
FRITZ LANG

LES MI LLE YEUX DU DOCTEUR MABUSE


mêrer, est souvent obligé de s ’exprimer sans s ’expliquer. Mais cette forme d ’expression par
litotes n ’est-elle pas aussi forte que n ’importe quelle autre ? Et le rôle du critique ne serait-il
pas justem ent d ’éd airer, de dire : voilà ce que Verdoux, ce que Les B onnes Femm es disent
en filigrane ?
Lebesque . — C ’est tout de même un peu décourageant d ’être obligé de dire : attention t
ici litote*
R ivette . — Toute la littérature française du dix-septième siècle est une littérature de
la litote.
R ohmer . — Oui et non. J ’admets l ’argument : c'est une bonne arm e qui peut porter
sur certains, maïs non, peut-être, sur les lecteurs des C ahiers qui ne sont pas habitués à
nous voir plaider coupable. Aux C ahiers , nous avons toujours plaidé l ’innocence ; nous disons
que le cinéma est sans doute en retard, s ’il veut exprimer les mêmes choses que le théâtre
— et c ’est ce qui a toujours été le point faible du film « d ’avant-garde » — mais que, dans
ses œuvres les plus pures, les plus représentatives, il exprime quelque chose de tellement
différent q u ’on n e peut pas faire de comparaison et que, donc, il est forcément en avance. Je
veux dire q u ’il découvre un certain ordre de rapports que les autres arts n ’ont pas réussi à
exprimer, q u ’ils ignoraient totalement.

C O N T R A I NTËS

2 ET PREJUGES

Marcabru. — Je crois qu’opposer le théâtre au cinéma est une très mauvaise querelle.
Le théâtre parle plus à l'intelligence, le cinéma parie plus à la sensibilité, parce que, sans
aller jusqu’à la distanciation brechtîenne, vous êtes beaucoup moins engagé au théâtre q u ’au
cinéma. Donc, au départ, ce sont deux conceptions totalement différentes, et ça ne me gêne
pas du tout de passer du théâtre au cinéma. Il y a des pièces de théâtre qui, sur le plan de
I-'intelligence et de la réflexion, m e touchent plus que le cinéma. Mais je suis beaucoup plus
sensibilisé au cinéma q u ’au théâtre ; et, en effet, par une forme d ’ellipse, tout est dit dans
un film, mais on le ressent beaucoup plus que le cinéma ne l ’explique.
R ivette . — D’ailleurs, à quelques exceptions près, les grands films ne sont pas des films
explicatifs.
R ohm er . — Et, aux C ah ie rs , nous pensons que le cinéma est grand, non pas malgré
les contraintes, mais avec les contraintes, et peut-être même grâce aux contraintes, parce que
le fait que le cinéma s ’adresse à un public plus étendu que le théâtre, le fait q u ’il se désin-
tellectualise, lui donne une certaine supériorité.
L ebesque . — Mais je trouve q u ’en ce moment le cinéma s ’intellectualisé terriblement.
R ivette . — C ’était une réaction nécessaire. Mais ce qu'il y a de bien, de beau, dans le
cinéma, c ’est que cette réaction nécessaire n ’ira pas plus loin, à mon avis, q u ’un certain
point. Des films comme Marienbad marquent un peu ce poiÿt final. Il y a eu. une fécondation,
qui avait été rendue nécessaire par l ’assèchement du terrain. Le cinéma est un jeu perpétuel
de flux et de reflux.
S a d o u l . — 11 y a un point sur lequel je ne vous suis pas du tout, c ’est dire que le cinéma
est grand à cause des contraintes. C ’était la théorie de Gide, mais je n ’y crois pas du tout. Je
regrette ces contraintes et je lutte contre elles.

24
Lebesque . — Oui, je ne crois pas non plus à l ’esclave qui est plus fort que son maître.
R ivette . — Non, mais il y a deux sortes de contraintes. Il y en a qui sont négatives :
être obligé de soum ettre un scénario à deux cents personnes, q u ’il passe à droite, à gauche,
ceci, cela, bref toutes les contraintes liées à l ’argent, Mais il y en a une que je crois positive :
celle du vaste public, dans la m esure où ce n ’est pas une contrainte, mais une dimension du
film. Il faut ruser avec le public, ou jouer avec lui, et c ’est un bien.
Lebesque . — Et ruser d ’autant plus que le théâtre est un art de niasse et que le cinéma
est un art intime.
R ivette . — Le théâtre est un art de masse qui s ’adresse à cinquante mille personnes et
le cinéma est un art intime qui s ’adresse à des millions de personnes.
Lebesque. — Oui, mais au théâtre on sent le public beaucoup plus q u ’au cinéma.
M arcabru. — Il y a quand même un élément différent au cinéma, un phénomène de pres­
sion visuelle qui est très important et qui n ’existe pas au théâtre.
L ebesque. — On ne peut pas comparer, mais le fait est que les choses sont offertes aux
gens et qu’il y a un moment où c ’est plus excitant d ’aller au théâtre que d ’aller au cinéma.
R ivette . — Il est évidemment plus excitant d ’aller voir « Arturo Ui » chez Vilar que
Les Trois Mousquetaires au Balzac.
S adoul. — Je ne vais jamais au théâtre, mais je crois pouvoir dire une chose : c ’est que,
pris globalement, le cméîna apporte, à l ’h eure actuelle, autant, sinon plus, que n ’importe quel
autre art.
R ivette . — Et d.’ailleurs, actuellement, tl me sem ble que, de plus en plus, tous les arts
s ’alignent les uns sur les autres. Il y a un alignement du niveau du théâtre sur le niveau du
cinéma : Planchon, c’est quelqu’un qui va plus au cinéma q u ’au théâtre, quelqu’un qui fera
sans doute du cinéma. De même, il n ’y a pas tellement de différence entre les sujets que
traite le cinéma, depuis quelques années, et les sujets que traitent les romanciers. Il y a
vraiment une sorte de point d ’équilibre. P eut-être q u ’en 1920, quand des gens comme Delluc
défendaient L e L ys brisé alors que sortaient le dernier livre de Gide ou le dernier Valéry,
peut-être étaient-ils obligés de plaider coupable sur un plan pour pouvoir davantage insister
sur les autres. Maintenant, un critique de cinéma n 'e st même plus obligé de plaider coupable
sur ce plan-là, parce que le sujet, non seulement de Marienbad, mais de dix autres films récents,
vaut bien celui du dernier roman de Robbe-Grillet. Finalement, les écluses se sont ouvertes et
l ’eau est en train de devenir, semble-t-il, égale dans tous les bassins.
M arcabru. — Ce qui n ’est pas tellement heureux.
R ivette . — On ne peut pas savoir encore,, on verra à la longue.
R ohmer . — Mais il y a encore, parmi les critiques, ceux qui aiment le cinéma par-dessus
tout, et ceux qui le considèrent quand même comme une chose un peu moins importante que
le reste...
T out le monde. — N on... Aucun... Pas ici...
Lebesque . — Le type qui dirait que le cinéma est un a rt inférieur est un con, parce que
rien n ’est inférieur à autre chose. Le type qui a fait « Auprès de ma blonde » avait du génie.
R ohmer . — Mais, malgré tout, le cinéma a mis longtemps à se débarrasser d ’un préjugé.
Vous ne l ’avez plus maintenant, très bien, mais...
M arcabru. — Il est certain que ce q u ’a écrit Suarez par exemple sur le cinéma, et sur
Chariot en particulier, il ne serait plus possible de l ’écrire maintenant.
R ivette . — Je voudrais faire une citation de Lao-Tseu, qui a dit une phrase définitive sur
la question : « Quand chacun tient le beau pour beauv vient le laid. »
L ebesque . — Le cinéma a eu une chance extraordinaire, q u ’il n ’a plus maintenant : c ’est
qu’il a fait de grandes choses au moment où il ne savait pas lui-même qu’il était art. A partir
du moment où il l ’a su, c ’est devenu beaucoup plus difficile.

25
R ivette . — Mais Griffith le savait déjà.
L ebesque . — Je n ’en suis pas sûr.
Sadoul. — Moi non plus.
R ivette . — Et Chaplin ne l’a peut-être pas su tout de suite, mais très vite.
Lebesque. — C ’étaient des gens qui faisaient bien leur métier, qui s'am usaient à îe faire
et qui y croyaient. Les gens qui ont cru que le cinéma était un art, ce sont ceux qui ont fait
Le Duc de Guise.
R ivette . — Mais 1 /Assassinat du Duc de Guise est très beau ; c 'est drôlement mieux
que les autres films de l ’époque.
S adoul. — C ’est exactement mort avis.
R ohm er . — Les peintres primitifs n ’étaient pas des critiques d ’art et pourtant ils savaient
qu’ils faisaient aussi de l’art.
R ivette . — Quand Griffith a entrepris Naissance dJune nation, peut-être ne savait-il
pas q u ’il était en train d’inventer le cinéma en tant qu’art — puisque tout le monde vit encore,
maintenant sur Griffith — mais il savait q u ’il était en train d ’opérer une synthèse, qu’il était
en train de se servir du plan rapproché comme jamais on n e l ’avait fait avant lui, de s ’en servir
comme moyen poétique et dramatique. Donc, il savait q u ’il était un cinéaste.
L ebesque . — Oui, mais quand on voit les films de Fairbanks, ou ceux de Pearl W hite,
on est absolument hors de toute logique, alors que maintenant on va m ettre de la logique
jusque dans les Peter Cheney.
R ivette . — Mais quelqu'un qui dirait : je vais faire du Cimabue, se tromperait. Il faut
essayer de retrouver Cimabue à travers autre chose. Quand Picasso peint « Les Demoiselles
d ’Avignon », c’est une tentative pour retrouver Cimabue, mais à travers l ’art nègre.
L e b e s q u e . — Tout de même, le cinéma a été grand, comme le théâtre ou le roman l ’o n t
été, quand il avait l ’âge d ’innocence. Maintenant, il ne peut plus l ’avoir.
R ivette . — Bien sûr. Mais Griffith, c'est comme Giotto. De même que, d ’une certaine
façon, la peinture n ’ira jamais au-delà de Giotto, de même le cinéma n ’ir a ‘jamais au-delà de
Griffith.
L ebesque . — D ’accord, mais je regrette que le cinéma ait perdu toute innocence.
S a d o u l . — Mais faut-il rester toujours innocent ?

(Débat enregistré au magnétophone.)

26
JOSEPH L OSEY

CHANCE MEETING
PI ERRE MARCABRU

Il reste un homme

Jetez d a n s u n puits tous les critiques ciném atographiques de Paris, comblez ce puits :
rien ne bronchera. Le ciném a, libre, tranquille, innocent, continuera s a route.
jetez d ans ce même puits tous les chefs opérateurs de Paris, comblez le puits : tout
se ra bouleversé. Le ciném a, en trav é, inquiet, m enacé, s'arrêtera.
La seule chose q u e je sa is d e la critique ciném atographique, c'est q u 'e lle n e sert à
rien ; q u e c 'est u n jeu, q u e c 'est u n exercice aim able, tantôt humble, tantôt insolent ; q u e
c'est un m oyen d'expression, et non p a s u n m oyen d 'analy se, d'observation, de réflexion ;
que c'est un alibi, u n m asque, u n cam ouflage.
Au-delà du critique, il y a toujours un hom me qui p a rle de lui, qui s e raconte, qui
s’explique. Il s'a g it de; se s goûts, de se s hum eurs, d e s a peau. Et rien d e plus. E n la
matière, l'objectivité n'existe pas. Laissons de côté les critiques impressionnistes, ces paies,
ces galeux.,. Parlons d e s critiques sa g es, des critiques cohérents, des critiques im posants.
Une prem ière fournée, et non la moindre, comprend le s politiques. Le film est une
opinion en m arche. Le m etteur en scène, u n allié ou un ennemi. Au centre est la foi. Et
chaq ue critique est en référen ce à cette foi. Deux histoires du ciném a, celle de Sadoul, celle
de Brasillach, sont ainsi prisonnières, et a v ec q uel aveuglem ent, et avec quel entêtem ent,
de cette option politique q u i com m ande tout, qui ligote tout, qui falsifie tout.
Et qui aurait le culot d e p a rle r d ’objectivité, alors qu'il s'ag it a v an t tout de trouver
des arm es pour se s idées, d e ch ercher des munitions pour l'artillerie politique ? Plus d e la
moitié d e la critique est ainsi disciplinée, mobilisée, conditionnée.
Passons à l'au tre moitié. Et il n'est plus question d'une option politique m ais d 'u n e option
esthétique. Il s'ag it d e soutenir, de défendre, d 'a ssu re r un certain stylo de ciném a, et donc d 'a tta ­
qu er tout c e qui s'opp ose à c e style, tout ce qui ne répend p a s à ce style. Il y a, a u d é p art,
un choix, et ce choix est purem ent subjectif, « Nous aim ons tel ou tel ciném a, et tel ou tel a u te u r
qui s'y rattache. » Toujours on en revient à celte ailirm aiion candide, et sym pathique, m ais qui
ne correspond guère à l'im age q u e l'on se fait d ’u n e critique objective.
Et rapidem ent, on aboutit à ce q u e j’ap p ellera i l'objectivité limitée, l'objectivité d a n s u n
cercle. Celui-ci s e r a objectif en p a rla n t d e l'œ u v re de Lang ; m ais il ne le se ra p a s en p a rla n t
d e celle de Clément. Un au tre ne s e r a équitable q u 'a v ec Losey. Le troisièm e a v e c Fuller. Le
quatrièm e a v ec Prem inger. C 'est l'objectivité èn dam iers.
Prem ier point : le critique n 'est donc jam ais objectif, p a rce q u e l'homm e n 'est jam ais objectif.
Seule u n e m achine pourrait ê tre objective, et le critique électronique n'existe p a s encore.

Si le critique n 'est point objectif, et j'y tiens, il reste u n homme qui écrit sur ce qui lu i plaît
et sur ce qui lui déplaît, m ais avec toujours la volonté profonde d'affirm er s a propre existence.
*
28
Il écrit en citant, suivant s a nature, V aléry, Heidegger, Tintin ou saint Thomas ; il écrit respec­
tueux, il écrit p édant, il écrit farceur ; m ais toujours il écrit p o u r s'im poser, donc pour im poser
ses idées, pour im poser s a sensibilité.
Il n 'y a q u e deux fam illes d e critiques : les critiques d'idées et les critiques de sensibilité,
les critiques raisonneurs et les critiques instinctifs. Mais les uns comme les au tres s e foutent
éperdum ent de l'objectivité. P ar tem péram ent, je me méfie beau co u p plus de l a loyauté des
critiques d 'id ées q u e de celle des critiques de sensibilité. M ais les idées, c'est comme la belote,
ça fait p a sse r le tem ps. Et les critiques d'idées ont u n e b e lle et g ra v e clientèle.
C 'est sim ple : les clients des critiques d'idées pensent comme eux ; les clients des critiques
de sensibilité sentent comme eux. Et puis, c'est tout. Le critique n 'e st q u 'u n com pteur Geiger,
il sonne loTsqu'il p a s s e d e v an t u n film d e telle ou telle m atière, d e telle o u telle complexion,
et le s clients sav en t à quoi s 'e n tenir. Un signal, et rien d'autre.
Puis le critique fait du cirque, du folklore, et si l'on aim e le cirque du critique, on le
lit a v e c u n certain plaisir, sinon on en reste à un e opinion définitive, et brièvem ent
exprimée. De là la nécessité d e n e tenir aucun compte, ni des goûts d u public (le public,
c’est quoi exactem ent ?), ni d e l'esprit du journal dans lequel on g ra tte du p ap ier. D'ailleurs,
l'esprit d'un journal, voilà q uelq ue chose q u i m e laisse rêveur. L'esprit d 'u n journal, c'est
en gén éral son budget de publicité. Ou alors, c'est rien.

*
*

Vous allez m e dire : q u e fait le ciném a dans cette affaire ? Une fois so n rôle d e com pteur
G eiger terminé, le critique n 'a en effet q u 'à la boucler. Jam ais u n critique n 'a donné u n bon
conseil à u n réalisateur, à un créateur. Le critique qui conseille est u n anim al dangereux,
le p lus souvent grotesque, et q u 'il faut ch asser à coups de fusil. Tout ce qui s'e s t fait e n art,
s'e st fait contre l a critique doctrinaire, contre l a critique à principes. Ce sont des im puis­
san ts qui vous a p p ren n en t comment il faut coucher a v e c u n e femme.
La ra c e est exécrable, et le p lus souvent, ra ce d e pisse-froid et d e fesse-m athieu, elle
est bouffée p a r u n e abom inable jalousie qui éclate en p éd an tesq u es discours.

Un film, ç a s ’ad m ire ou. ç a ne s'adm ire p a s, ça. s'estim e o u ç a n e s'estim e p a s. Un


point, c'est tout. C 'est comme u n homme, ou comme u n e fem m e; l'am itié, ou l'am our, n e vient
p a s a p rè s u n e séan ce de psychanaly se. C 'est carré. On ne fignole pas. Ou si l'on fignole,
c'est q u 'o n est p eu doué pour l'am itié et encore moins pour l'am cur.
Un film, ce so n t des tensions, ce sont des détails, et c'est l'accord de ces tensions et
c es détails. Donc u n cara ctè re. Un film, c'est u n caractère. Une certaine m an ière d e voir les
choses, les êtres, et d 'e n accepter la réalité. On est d'accord ou on ne l'est p a s. Si j'aim e
Ford, Renoir, W alsh ou Aldrich, c 'est po-ur des raisons assez voisines d e celles qui me font
aim er Losey, Fuller ou Boetticher. Mais ces raiscms-là, si elles tiennent a u style, tiennent
surtout à u n e amitié d u regard. Ces gens-là reg ard en t d'une façon qui m e plaît. J'entends
p a r là q u 'ils éclairent, soulignent, dénoncent p a r l'écriture ce qui me touche.
Et le sty le n 'e st p lu s alors, vieille balançoire [ q u e l'orgueil et la volonté d 'u n homme.
O n a d é jà écrit ça d a n s toutes les langues. Et que toute esthétique renvoyait à un e m éta­
physique. Au ciném a, toute mise en sc è n e renvoie à l'homme. Et je n e tiens p a s à définir
p a r quoi cette m ise en scène m 'atteint, p a r q uels procédés, p a r quelle technique, p a r quelle
formule, elle s'im pose ; je n e tiens m êm e p a s à savoir ce q u 'e lle ten d à dém ontrer, si elle
dém ontre q u e lq u e chose. Ce qui m 'importe, c'est pourquoi elle m 'atteint ; ce qui m'importe,
c'est de saisir l'hom m e q u i s 'y cache, d'en connaître l a c arrure, d'en p e se r les passions et
les haines, de découvrir u n naturel. Une fois cet hom me b ien cerné, et p lu s il est fort, et
plus l a chose est simple, c'est l'ennem i ou c'est l'am i. 11 faut rejeter u n film comme on
rejette u n homme ; et l'ac c ep ter comme on accepte un homme. Tout le reste est littérature.

Pierre MARCABRU.

29
La critique entre deux chaises

Tout quotidien, tout hebdom adaire, tout m ensuel, qui vise à informer s a clientèle d a n s
l'entière diversité d e l'actu alité po ssède son ou. ses critiques de ciném a. L'existence d e ces
tribunes où s'exprim ent à propos du ciném a ce q u 'il est convenu d 'a p p e le r des « critiques s
n 'a d 'a u tre justification q u e l'au d ien ce de leurs lecteurs. Un journal qui n 'est p a s lu est un
journal mort, une p a g e qui n 'e st p a s lue, le commencement de l a gangrène.

D ans le questionnaire q u e nous avons soumis à nos confrères, nous leu r avons dem andé
d a n s quelle m esure ils se sentent liés, dans l'exercice d e leu r profession, a u public au q u el
ils s'adressent. Chose curieuse : l a p lu p art nous ont répondu (et, je crois, très sincèrem ent)
qu'ils n e composent p a s a v e c leu rs lecteurs et q u'ils écrivent librem ent et en toute franchise
c e qu'ils estiment devoir écrire. C onstatation fort réjouissante, et qu i témoigne d u m oins d 'u n e
h autaine et sym pathique conscience professionnelle.

M ais l a question com portait u n piège (comme, d'ailleurs, a u moins deux autres), et peu
nom breux sont ceux qui l'ont déjoué. Aussi libre, en effet, q u e pu isse se concevoir le critique,
il n 'en est p a s moins lié à son lecteur, et d 'u ne m anière fondam entale. S'il p eut écrire, c’est
qu'il se ra lu ; s'il p eut écrire librem ent, c'est q u e fonctionne à l a perfection cette e sp èce de
contrat qui le lie à son public, comme le pilote à son avion. M aïs ici entre e n jeu, à la
m anière d'une im ag e renversée, u n second type d e rapport : celui du critique à son journal.
C ar ce critique, q u i u se si fort de s a liberté d'expression, a fait — ef continue de faire duran t
tout le tem ps de s a collaboration — l'objet d 'u n choix de l a p art de son journal. Il est
clair — il est indiscutable — q u e c e qui dicte ce choix au x respo nsab les du jo urn al c'est,
a v an t tout, le souci très p rag m atiq u e et très nécessaire de répondre à l'attente, sinon a u
besoin, de sa clientèle : le m eilleur critique s e ra toujours celui q u i s e se n tira d e plaîn-
pied avec ses lecteurs. M ais q u e celui-ci, d 'u n e façon ou d'une autre, déçoive son lecteur
et c 'e n est fait de lui : le voici désorm ais vou é à l'inutile contem plation de sa be lle âm e,
le voici dépourvu d e toute efficacité.

L'histoire de la critique d e ces dernières an n ées fait la preu ve d e cet itinéraire. Peut-
être vaut-il l a peine d 'e n ra p p e le r le s g ran d es lignes.

Au lendem ain d e la Libération, la situation de la critique en France était la suivante.


D eux publics, deux critiques. D 'une p a rt u n public de cinéphiles trouvant à nourrir leu r passion
d a n s d es publications spécialisées (essentiellem ent L'Ecran Français) ; d 'a u tre p a rt l a m asse
indifférente des spectateu rs qui faisait, bien sûr, le succès ou l'échec d es films et qui av ait
KENJI MIZOGUCHI

LE H É R O S S A C R I L È G E
à sa disposition Ja p lu p art d es critiques professionnels. Ceux-ci évoluant d a n s u n e sorte d e
confort qui leu r faisait découvrir c h aq u e sem aine le m êm e nom bre de chefs-d'œ uvre, le
m êm e nom bre d e navets, comme si, b o n a n m al a n , la q ualité m oyenne d es films n e v a riait
pas. Tout se p a ssa it en som m e comme si l a culture n e pouvait cohabiter a v ec le simple goût
d u cinéma, comme s'il existait deux publics, donc deux critiques, donc u n divorce profond
entre le public qui était le v ra i et la critique qui était la m eilleure.
Q uelques a n n ée s p lu s ta rd la situation change. Si L'Ecran F rançais s e sclérose — sous
l'influence d 'u n e ligne politique ab so rb an te — , les revues spécialisées se multiplient. Ce
sont l e s Cahiers du Ciném a, qui relaient 3a défunte B evu ç du Cinéma, c 'e s t L'Age du
Cinéma, c’est Positif, c'est C iném a 54, c'est im a g e et Son, et j'en p a sse . P a r q u el m iracle
un e critique neuve, incisive, souvent provocante, finif-elle p a r rencontrer u n e audience ?
Toujours est-il q u 'e n tre l a critique et son public de nouveaux rapports s'établissent, se conso­
lident. Truffaut à A rts, Doniol-Valcroze à F rance-O iservaieur, B azin. a u Parisien Libéré et à
France-Observateur, q u elques autres, m ènent le com bat vivement, suivis, sinon, soutenus,
p a r u n e fraction a p p réc ia b le d e leurs lecteurs.

La suite est d a n s toutes les mémoires. Au bout d e quelques mois, l'a ile m archante de
l a critique aboutit, en ce qui concerne le ciném a français, à u n im pitoyable constat de
décès. Critique donc essentiellem ent négative qui n e pouvait prolonger s a mission q u 'e n p a s­
sa n t elle-même à l'action. La < Nouvelle V ague * est n é e de ce besoin, égalem ent ressenti
p a r le public et p a r l a critique, d 'u n ciném a différent. Pendant deux a n s on a ssista à une
véritable floraison d e film s d e critiques qui révéla comme l'envers de la négatio n critique
qui p a ssa it jusque-là d a n s les écrits de leurs auteurs. Ce furent Les Misions, Le Beau
Serge, Les Cousins, Les Q uatre C ents Coups, A bout de souffle, tous films cruxquels d'em blée
le public fit u n triomphe.

De son côté, la critique, q u i a v ait, des a n n ée s durant, souhaité u n ciném a français


vivant, la critique se mit naturellem ent à défendre ces films. Pendant p lu sieurs mois ré g n a
u n équilibre extraordinaire entre le public, la critique et les films. C ela n e dev ait p a s durer.

En deux tem ps trois m ouvem ents, c 'est l a rupture. A double tour, Les B onnes Fem m es,
Les G odelureaux déçoivent. Le Petit Soldat est interdit p a r la censure. Truffaut fait attendre
son second film. Ceux qui, d'instinct, s e sont ra n g és à côté d e c es p a ria s d e l a critique
connaissent le m êm e sort. Lola connaît un e exclusivité désastreuse. Enfin deux a u tre s films
de critiques. Le Signe du Lion, de Rohmer, et Paris nous appartient, d e Rivette, n e trouvent
p a s d e distributeur.

Double rupture, inévitablem ent. D 'une p a rt entre le public et les films, d 'a u tre p art
entre ce mêm e public et l a critique q u i poursuivait tout naturellem ent son effort p our soutenir
un ciném a nouveau. R upture qui devait avoir pour conséquence, sur le p la n du rapport
du critique à son journal, le congédiem ent des têtes trop têtues et leur rem placem ent à plus
ou moins bref délai. Le point culm inant de ce divorce éclatant fut sa n s doute atteint lors
de l'exclusivité parisienn e de Une fem m e est une fem m e où l'on vit des directeurs d e Jour­
nau x serm onner leurs critiques, voire les toucher d a n s le u r conscience, en substituant à un
texte trop élogieux u n p a p ie r d e com m ande plus en accord a v ec ce q u 'atten d ait le public.

A ujourd'hui nous en som m es là . L'Express, qui sentait le vent, a v a it pris ses précautions.
A rts, pour être d an s le vent, mit à déboulonner les supporters d e )a no u v elle v a g u e le
mêm e em pressem ent dém agogique qu'il a v a it mis, e u d 'a u tre s tem ps, à se les attach er. Et
comme, m algré tout, c'est au x cinéphiles q u e ce v é n érab le c a n a rd dev ait u n e bonne p art
d e s a réputation, cm. s'efforça d e satisfaire le plus g ra n d nom bre en associan t sous la m êm e
rubrique u n ancien prix Goncourt à u n re sc ap é de L’Ecran Français. A l a poursuite d e son
public. C andide ten ta l a m êm e opération. A llons! le ciném a et son public sont entre de
bon nes m ains. La littérature contrôle aujourd'hui les terres q u 'e lle eut toujours q u e lq u e dépit
d e voir lu i échapp er. En seize ans, cinq mois ef q u elq u es broquiJZes, nous voici rev en u s à
notre point de d é p art : voir plus haut.

André-S. LABARTHE.

32
JEAN D O U C H E T

L'art d’aimer

La critique esi l ’a rt d'aim er. Elle est le fruit d 'u n e p assio n q u i n e se laisse p a s dévorer
p a r elle-même, m ais asp ire a u contrôle d 'u n e vigilante lucidité. Elle consiste e n u n e recherche
in la ssab le d e l'harm onie à l'intérieur du couple passion-lucidité. Q ue l'u n des deux termes
l'em porte sur l'autre, et la critique p e rd u n e grande p a rt de s a valeur. Encore faut-il qu'elle
possèd e c es deux m oteurs. II est évident q u e n 'e n tre p a s d a n s &on propos d'entretenir le lecteur
de ces p a p o ta g e s si répandu s d an s tan t d e gazettes. Ils n'ont d e critiques q u e le nom et. dégra­
dant le mot, avilissent la fonction et a b aissen t ceux qui la pratiquent. C onsidérer le ciném a {puis­
q u e c'est d e cet art q u e nous parlons) comme u n su jet d e conversation et seulem ent comme tel,
me sem ble inqualifiable. L 'envisager uniquem ent comme u n objet d'in térêt personnel (gagne-
pain, occasion de se faire u n nom e i d 'a rriv e r, possibilité d e vendre u n scénario ou de se
vendre), ou l'utiliser pour m ener u n com bat idéologique, politique, religieux, qui lui est
étran g er, bref, gonfler son moi ou u n e cau se, fût-elle la plus noble, fût-ce mêm e l'objection
de conscience, a u détriment du cinéma, trahît u n e m alhonnêteté intellectuelle foncière. L'art
exige d e la critique q u 'elle le se rv e et non q u 'e lle s'e n serve.

C 'est q u e l'a rt a u n b esoin vital de la critique. Sans elle, il n e peut exister. Et cela de
deux façons. D 'abord, une œ u vre d 'a rt se m eurt, tant q u e n e se déclenche pas, p a r son
interm édiaire, un contact entre deux sensibilités, celle d e l'artiste qui a conçu l'œ u v re et
celle d e l'am ateur qui l'apprécie. Le fait m êm e d e ressentir profondém ent u n e oeuvre, puis
de p ro p a g er son enthousiasm e constitue une action critique, mêm e si elle n 'e st q u'o rale. Un
se u l a m ateu r suffit à restituer leur vraie v a le u r aux œ u vres ignorées, comme au x artistes
oubliés. L'existence m atérielle d'une œ uv re d 'art, e n effet, ne vaut rien en soi. Qu'était' pour
nous. Occidentaux, jusq u'en 1952, Mizoguchi, le plus grand, peut-être, de tous les cinéastes ?
Rien, ou tout ju ste un am as de pellicule au ssi p e rd u d ans les studios nippons qu e le fut
Angkor V at d a n s s a jungle. Le h a s a rd a b ie n d a ig n é le s p réserver, comme il le lit pour
Pompej, l a V énus de Milo, Verm eer ou Vivaldi. Son caprice au rait pu a u ssi bien les détruire.
Q u'en resterait-il a u jo u rd 'h u i? Même p a s un so u v e n ir; mêm e p a s l'idée. Seul importe, en
effet, le retentissem ent q u e les œ uvres, et donc l'art, provoquent d a n s la conscience des
hommes. C 'est en elle et p a r elle q u 'elles vivent.

33
La m eilleure preuve vient d e ce q u e les œ u vres les mieux exposées à la vue d e tous,
et mêm e les p lus vantées, sont très souvent a u ssi m éconnues q u e leurs sœ u rs enfouies sous
terre ou é g aré es a u fin fond d 'u n grenier. Là encore, si un e seule sensibilité n 'a p a s é té
touchée a u plus profond d'elle-même, si elle n 'a p a s p uisé la vie ard en te contenue d a n s la
forme et n 'a id e point les autres à p a rta g e r son émotion, l'œ u v re a u ra b e au être m ontrée
a u plus vaste public, elle s'év an o u ira aussi vite qu 'un m irage. La courte histoire du ciném a
abon de ainsi d'exem ples de filins re g ard é s p a r d e s millions de spectateu rs et pourtant complè­
tem ent méconnus. Il a fallu révéler M um au et Keaton, comm e Long (deuxième période),
Hitchcock, W alsh, H awks, Losey, etc. Inversem ent, des fausses gloires. Clair, Feyder, Poudov-
kine, etc., s'enlisent progressivem ent d a n s le m ara is des oublis esthétiques mérités, Consi­
dérée sous cet angle, le seul possible d 'ailleu rs, l a critique devient synonym e d'invention,
d a n s le sens courant du term e et d a n s celui de découverte. La v raie critique * invente >
une œ uvre, comme on le ferait d 'u n trésor : elle cap te, entre tient et prolonge s a vitalité.
Elle découvre, p a r une incessante rem ise en question, la v a le u r des artistes et d e l'art. E lle
appartient indissolublem ent au dom aine de la création et, art elle-même, devient créatrice.

Car, et j'ab o rd e ainsi la deuxièm e façon q u 'a l a critique d'être nécessaire à l'art, elle se
liouvè au principe même de l'activité artistique. * Tout a it doit critiquer queique chose *,
dit Fritz Lang. C'est q u e l'artiste occupe, face a u monde] l a même position q u e l'am a te u r (1>
face à son œ uvre.

Il ne ressent p a s, en effet, le m onde autrem ent q u e comm e u n e œ uvre, q u 'elle soit l e


produit de la n a tu re ou celui d e l'homme, II ne p eu t mêm e p a s éqhapper aux différen tes
explications d e cette œ uv re (le monde) p a r d es systèm es cosm ogcniques, philosophiques ou
religieux, qui traduisent, aux étap es successives de l'hum anité, des moments d'u n e cons­
cience et d 'un e sensibilité collective. Comment l a sensibilité de l'artiste, dont la raison d'être^
est d'exprim er le rapp ort d e son moi a v ec le m onde et qui reçoit ju sq u 'a u p lus profond d e
son être les im pressions extérieures, pourrait-elle éviter u n e mise en question et du m on de
et de son moi et de ses impressions, puisque concevoir une forme constitue justem ent u n
acte d'accord ou de refus ? Pour l'artiste, créer u n e forme, c'est faire p a sse r le tout se n sib le,
conscient et inconscient, d'un sujet réceptif (lui-mêms) d a n s u n o b je t (l'œuvre). P a r un
m ouvem ent dialectique plus senti q u e réfléchi (bien q u e chez les très grands, les deux
aillent de pair), il lui faut considérer tantôt le sujet et p a sse r au crible les sensations q u 'il
désire transm ettre, c'est-à-dire se critiquer, tantôt l'objet et exam iner la qu alité de s a p e r­
ception et de son rendu. C 'est l a m éthode sensible de l a connaissance qui se résout d a n s e t
p a r la {orme.

O r la forme, qui n 'ap p artien t p a s à l'artiste, mais relèv e d e l'a rt d a n s lequel il or


éprouvé le besoin de s'exprim er (on n'im agin e p a s en peinture comme en m usique, et uri
g ra n d écrivain ne peut être, en aucun cas, u n g ra n d cinéaste et inversem ent), est l'élém ent
dynam ique au quel s e livre totalem ent l'artiste p o u r le m aîtriser d e l'intérieur, le « form er »
ju sq u 'à ce qu'il soit le signe sensible et évident d 'u n e existence unique, l a sienne, puis

(1) Je préfère ce terme d'amateur (ceftif qui aime) à celui de critique. Parce qu'un critique a ttitré, hélas,
n'est point forcément un amateur, tandis que l'amateur, même s'il ne soit s'exprimer, révèle par son choix une;
attitude critique. Sauf si sa passion, devenant par trop^ exclusive, tue toute lucidité. Mais il cesse alors d'être un.
véritable amateur pour n'être qu'un maniaque, c'est-à-dire un malade.

34
OTTO P R E MI N G E R

EXODUS
l'ab and onn er a u courant d e cet a rt dont il est issu et d a n s leq uel, être vivant et singulier,
il s'ép an o u ira seul et in dépend an t, désorm ais. Là encore et surtout, la critique s e r a n é ce s­
saire à l'artiste. C ar l a tentation e st forte, et p eu d'artistes y é ch ap p en t à u n m oment d e
leur carrière et quelquefois à jam ais, d 'a rra c h e r la forme à son a rt et d e s e l'ap pro prier,
■ sa n s respect pour la vie p rop re et spécifique d e cet art. Ceux qui contestent Eisenslein,
W elles ou Resnais m e com prendront. Il lui faut être un affluent quj enrichit et m odifie
p a r la qualité originale d e set-so u rce le gros du fleuve d a n s lequel volontairem ent il s e
noie pour mieux vivre. Il lui faut éviter cette tentation m égalom ane d e cap ter les eau x
du fleuve pour fabriq uer u n e su p e rb e p ièce d 'e a u dont il se fait un. miroir qui n e réfléchit
q u e s a p rop re im age, o rgueilleuse et solitaire. La splendeur a p p a re n te d 'u n e telle œ u v re n e
parvient p a s à dissim uler q u 'il s'a g it l à d 'une e au morte. P our l'artiste, plus encore q u e
pour le critique, combien est p érilleu se et difficile cette q u ête incessante d 'u n e h arm onie
entre s a passion et la lucidité !

*$
*

A quelque sta d e qu'o n l'en visage, tout, d a n s l'activité de l'artiste, im plique u n e attitu de
critique. Et j'ai omis volontairem ent les moments où cette attitude se ra m anifeste. En soum et­
tant les influences esthétiques ou a u tre s qu'il subit, comme se s propres œ u vres ach ev ées,
à u n perpétuel et sé v è re exam en, en acceptant ou refusant les élém ents qui lui convien­
nent ou non, en op tant p o u r telles o u telles voies, et, surtout, en e ssa y a n t d'atteind re, e n
s'y soum ettant, l'essen ce de so n art, il en g ag e u n combat dont l'en jeu est l a survie d e s a
sensibilité, a ssu rée p a r l a vie m êm e d e son art. Il transm et à u n e trace, dotée elle-m êm e
d'une sensibilité propre, le soin d e p e rp étu er à jam ais l a richesse d’u n e conscience intim e.
A la critique, le soin de ré v éler so n éclat. A elle le souci d'entretenir la vitalité d e
celte flamme. Comment ? En opéran t la m êm e dém arche qui a perm is l'éclosîon d e c ette
œ uvre. S a sensibilité n 'a p a s à affronter le m onde comme celle d e l'artiste, d'où ré su lte ra
la création d 'u ne œ uvre, m ais sim plem ent, san s rien ab diquer d'elle-mêm e, à affronter
cette œ uvre à partir de laquelle il découvrira le m onde d e l'artiste. L'idéal, évidem m ent,
serait d e rem onter — e n s e fondant toujours, et de l a façon l a plus stricte possible, s u r l a
forme de l'objet, faute d e quoi on glisse irrésistiblem ent v e rs le délire d'interprétation — a u
point sensible, sorte d e point d e fixation v e rs lequel ont convergé toutes le s im pressions
extérieures de l'artiste et qui a imposé un sty le unique a u x m ultiples jaillissem ents d e
formes et d'œ u v re s nouvelles. En vérité, la critique p eut espérer, a u mieux, cerner ce n o y a u
créateur. Vivant, com plexe, unique, u n tel centre n e se laisse point enferm er d a n s u n e défi­
nition. Meus il suffit à la critique d 'e n sugg érer l'idée l a p lus exacte possible. Car ce q u 'e lle
doit chercher, en effet, c'est d 'a b o rd à découvrir d a n s l'objet, non point le sujet a p p a re n t,
m ais le véritable su je t créateur, je veu x dire l'artiste d a n s s a totalité, en tan t q u e cet
objet trahit l a situation d e l'artiste p a r rap port a u m onde ; c'est ensuite à rem onter d u su jet
vers l'objet p our ré v éler l a nécessité de s a forme, no n seulem ent p a r rappo rt à l'artiste e t à
s a pénétration du m onde, m ais surtout p a r rapport à so n a it. La critique n 'est rien d 'a u tr e
q u 'u n e tentative d e communion entre deux sensibilités, celle de l'au te u r et celle de l'a m a ­
teur, d a n s et p a r l'œ u vre, d a n s et p a r l'a rt spécifique de cette œ uvre.

*
* *

Car, au-delà de l'artiste, l a critique vise à com prendre et m êm e à expliquer l'art.


Dans son m ouvement d 'a lle r et retour, en quoi consiste son ap p ro ch e d 'u n e œ uvre, elle tend
surtout à atteindre le gén ie et l a n a tu re d'un art. C 'est a u nom d e celui-ci q u e s'e x p liq u e n t
ses adm irations et ses refus. Pour p e u q u 'elle a il l'im pression q u e l'artiste veut lui im poser
l a survie d e s a sensibilité p a r d e s effets déform ants, contraires à la n a tu re d e son art,
s a p ropre sensibilité se c ab re et re jette l'œ u vre. Ce n 'e st point q u e cette œ u v re n e p u isse
être sujette à l'exégèse, b ien a u contraire. Eisenstein, W elles ou Resnais, sa n s p a rle r d'Anto-
nioni, Bergman et au tres Fellini ont fait couler beaucoup plus d 'e n cre q u e W alsh, L ang,
Mizoguchi, Prem inger ou H aw ks. Et c'est norm al Î2 n 'y a q u e l'a lle r à .faire, c'est-à-dire p a s s e r

36
de l'objet a u sujet, puisque l'objet n 'a é té fabriqu é q u 'e n fonction du sujet, qu'il est un vaste
miroir qui ne renvoie qu e l'im age truq uée de l'au te u r et de s a * vision » artificielle du monde.
Or la difficulté réside d a n s le retour, d a n s l'intelligence d e cet accord harm onieux et naturel
entre l'artiste, son œ uvre et son art.

R évéler e n quoi l'artiste enrichit so n a rt p a r son œ u v re et comment cettô œ u v re est


enrichie à son tour p a r l'a rt m e parent être, en définitive, la p ierre d'achoppem ent de la
critique. C ela s& sent, m ais pour l'expliqu er ! P arvenue à ce sta d e, l a critique entre dans
le dom aine de l'incom municable. Elle plo nge d a n s le m ystère mêm e d e l'art. Il n 'y a q u'une
seule façon, alors, de se faire entendre, et encore, c'est p a r une position négative. Dans
l ’impossibilité d’exprim er p a r des mots en. quoi, d a n s u n e œ uvre, il y a art, lorsqu'il y a
vraim ent art dans cette œ uvre, force lui est d e dém ontrer que, d ans telle autre, il n 'y a
p a s art, ou a u contraire, si elle se trom pe, de découvrir de l'a rt là où il n e s'en, trouve pas,
En c e sens, les films d'Eisenstein, W elles e t Hesnais ont u n e im portance capitale. Us sont
p a in bénit pour la critique, et ce n 'e st p a s p o u r rien q u 'à p artir d'eux principalem ent, soit
pour, soit contre, elle tente d e définir ce q u 'e st le ciném a. De mêm e les cinéphiles, lorsqu'ils
rejettent ces cinéastes, sont p lus unis p a r c e refus q u e p a r leurs admirations. Avoir les
mêmes dégoûts implique des goûts communs, des sensibilités voisines et u n e mêm e m anière,
m algré des variations personnelles, d 'a p p ro ch e r l'art.

Seul l'artiste prouve l'a rt en créant. L 'am ateur et le critique n e peuvent q u 'e n saisir
l'idée, en ressentir intuitivem ent la nature. V oilà une lim itation q u i contredirent ce q u e
j'a v a n ç a is précédem m ent sur la critique créatrice. P a s exactem ent cependant, puisque je
p e n se q u e l'artiste est d 'abo rd et a v a n t tout u n critique... q u i ce réussi, et q u e la critique liée
intimement à l'art ne s'accom plit pleinem ent q u 'e n lui. Un survol historique de l'évolution des
a rts m ontre d'ailleu rs q u e ce sont les artistes eux-mêmes qui sécrètent la critique en tant
q u e fonction indépendante. Au d ébut d 'u n art, o u de la re n aissan c e d'un art, critique et a rt
se confondent. Le véritable créateur est conscient de so n a rt et se soum et à lui. On peut
m êm e dire q u 'u n Giotto, u n Homère, comme u n Griffith, trouvent, d'instinct et d'em blée,
l'étendu e et toutes les possibilités d e le u r art. La critique commence à se détacher de
l'artiste, lorsqu'il s'ag it d'approfondir certaines voies sim plem ent esquissées p a r les pion­
niers, ou q u e des techniques n eu v es v ieim eni m odifter l a conception de l'a rt et ouvrir d e
nouvelles perspectives. L'artiste éprouve alors le besoin de porter son dialogue intime sur
l a plqce publique. D'intérieure, s a critique devient extérieure.
Les prem iers vrais critiques, comme les prem iers vrais théoriciens, sont les artistes
eux-mêmes. Ce furent le Q uattrocento p o u r l a peinture, la P léiade pour la littérature iiccn-
çaise, M onteverdi pour la m usique. Ce furent encore, a u moment du rom antism e, Hugo,
Delacroix et Berlioz, ou aujourd'hui Joyce, Schoenberg, Le Corbusier. C h aq ue fois q u e l'artiste
en v isag e u n e conception différente de son art, c h aq u e fois q u 'il lui faut forger chez le
public u n e sensibilité nouvelle à la q u e lle s'a d re sse ra son œ uvre, on le voit quitter les
sp h è re s olym piennes de l a création et s'e n g a g e r d a n s le com bat, proclam er ses adm irations
et crier ses dégoûts. Enfin, lorsqu'il y a eu accoutum ance à u n e nouvelle façon d e sentir,
l'artiste rentre d a n s s a coquille et laisse à l'am a te u r le soin de la critique. Celle-ci, si elle
est p ratiq uée a v ec noblesse, retrouve s a vocation prem ière, en devenant elle-même u n art.
L a sensibilité du critique d a n s s e s relations avec le m onde s'e n g a g e tout entière, face à
l'œ uvre, face a u m onde. U ne critique tra h it a u tan t, sinon plus, son auteu r q u e l'artiste,
l'oeuvre et l'art dont elle ren d compte. D 'où vient q u e la critique est souvent aussi incom prise
q u e l'art.

Jean DOUCHET.

37
FRANÇOIS WEYERGANS

Quatre problèmes

On croit d 'abord q u e le critique existe p a rce q u 'il est lu. Mais : * Les critiques ? Je ne
lis p a s les critiques, moi >, disait quelqu'un. Cette contestation des critiques n'efface pas
d 'u n coup la critique : elle prouve sim plem ent que celle-ci, a v an t de concerner le lecteur,
se définit p a r rap port à l'art ou à telle œ u vre précise dont elle s'occupe.

P ourtant (plusieurs l'ont dit, et M erleau-Ponty avec beau co u p d'autorité) l'œ u v re réussie
s'enseigne elle-même. Le rôle de l a critique serait d e projeter u n p eu de lumière sur cet
enseignem ent, de le montrer du doigt, d 'écrire sous l a dictée de l'œ uv re. Mais l'œ u v re ne
parle p as, et c'est son silence qu'il faut donner à entendre, ce silence d a n s lequel elle
s'accom plit, seule, avec le secours d u temps, {Ainsi n aissen t aujourd'hui quelques-uns des
plus g ran d s : Murnaù, W ebern, Eeverdy.)

Toute g ra n d e œ uvre se présenterait comme si l'artiste av ait inclus en elle u n e réil exion
à son propos. Le vrai critique s e r a celui qui m et à jou r cette réflexion, ou plutôt celui dont
la réflexion coïnciderait avec les profondeurs d e l'œ u v re (qui ne sont p a s nécessairem ent
celles dont l'artiste est lui-mêmé conscient). Voilà q u i suppose presque un dialogue d 'é g a l à
ég al, et, comme l'alfirm e sévèrem ent l a p e n sé e lucide d e René C har : « Les g ran d s ne se
perpétuent q u e p a r les grands. On oublie. » Il suffit a u gros p lan de Griffith de se prolonger
chez Jean Bouch. Nous, critiques, ne sommes le plus souvent que les conservateurs, sinon
les gardiens, du M usée Im aginaire. Les cinéastes ap p artien n en t aux cinéastes. Que les critiques
se contentent d e recueillir ou d e provoquer leu r dialogue. Puis l'Histoire les oubliera, m ais
c'est eux qui l'écrivent. L'Histoire est le lieu où n a ît et m eurt la critique, et où Iss œ uvres
s'établissent d a n s leu r perm anence.

L 'art sem ble cep en dant réclam er l a critique. L 'artîste en/ouif 1g sens en dem andant qu'en
le cherche, il l'esquisse en dem andant qu 'on prolonge son invention, o u encore il prie les
critiques d e vérifier s a dém arche. Et les critiques (qui sont des gens polis) s'exécutent. C'esl
alors qu'ils se retournent et découvrent derrière eux leurs lecteurs. Le public justifie l’existence
des critiques. (Ceux-ci sa n s celui-là seraient vite ridicules.) Le boulanger donn era du pain,

38
ALAIN RESNAI S

L ’ANNÉE DERNIÈRE A MARIENBAD


m ais ex igera en contrepartie de sa v o ir où voulait en venir l'auteur d u film qu'il a vu hier
soir à la télévision (le docteur d e Jectn P a u lh an somme celui-ci d e s'exp liqu er su r son estim e
pour B raque : « Mais si ce n'est p a s de l'adm iration, alors quoi ? »). Le critique n 'év ite p a s
toujours ici la tentation (il voit trop bien q u e c'est ça qu 'on attend de lui) : il p a rle d u c la n ­
g a g e ». Ah ! c'est qu e le film dit qu elque chose, et q u e d a n s l'im ag e X, il faut com prendre Y 1
Q uelqu'un consacrait récemm ent u n e étude à un ciném a qui e ssaie d'instituer, paraît-il,
« de nouveaux rapports entre le signe et le sen s ». Dix p a g e s s'ap p u y aien t s u r l a distinction
entre la signification esthétique et l a signification discursive, et en lisant ces p a g es, je p e n sa is
tout le tem ps a u dernier p lan de L'Intendant Sansho, ce panoram ique qui est le rê v e d e
Mizoguchi, et je ne voyais p as comment trouver à ce m ouvement u n « sens linguistique ou
discursif ». Il s'a g issait de bien au tre chose. L a gram m aire et le la n g a g e ciném atographiques1
app auvrissent le ciném a p a r c e 1 q u 'ils préten dent le tenir tout entier sous leu r re g a rd . Ce'
reg ard veut définir.

La critique est-elle un e fonction, u n e science, u n e discipline systém atisée, ou b ien parti-


cipe-t-elle de l a création ? A vouloir e n faire u n e science, on aboutit à l'équation art-lan g ag e,
puisque la surface objective de l'œ u v re donne souvent l'im pression de pouvoir être traduite
san s dommages. * La science m anipule les choses et renonce à les habiter. » (M, M.-P.).
L 'am usante expérience de lire différents textes critiques à propos d u m êm e film prouve
qu e la critique n 'a p a s grand-chose à voir avec, l'objectivité scientifique (encore q u e cette
objectivité soit contestée mêm e en science !). Le critique a bien le droit d 'ê tre subjectif s'il
finit p a r retrouver son m odèle a u détour de ses digressions. le lui donne raison s'il p a rle
-dans son texte d 'u n Kandinsïty rouge et noir q u 'il a vu ru e de Seine en re n tra n t chez lui.
Ecrire u n e critique, c'est souvent u n excellent prétexte pour p a rle r de ce q u e nous aim ons
bien, et ce seront am usant d e conclure p a r la liste toujours u n peu reno uvelée d e s dix
plus beaux films. Il s'a g it de p a rle r du m ande de l'art, de m ettre chaq ue film à s a p lac e , par
rappo rt au ciném a d 'a b o rd (subsidiairem ent p a r rapport à nous). Les formes im portent peu :
si la beau té transparaît m algré les formes non réussies, c'est q u'en réalité, lct b e a u té se
suffit (et les formes sont sans douta réussies).

Un petit point dem eure encore obscur : en vertu de quoi les critiques jugent-ils ? Leur
jugem ent est-il donné en connaissance d e cause ? (On pourrait dire encore, de m an ière plus
e m barrassan te : y a-t-il u n e vérité de la critique ?)
L'honnêteté de la critique (disons : s a grandeur), c'est d 'être u n e pen sée questionnante.
Interrogation passionnée des œ uvres et interrogation douloureuse sur s a propre activité. Il
y a d e l'ab su rd e d a n s l a critique, d e l ’instable, d e l'obscur. Pourquoi être critique ? Pour
justifier l'art, peut-être : m ais le critique s'e st vite aperçu q u e l'a it se justifiait seul, ou qu'il
se m oquait d e n'im porte q uelle justification. Tout, d ans la critique et à propos d 'e lls, laisse
insatisfait. (Pour être u n critique san s com plexe, il faut être un c réateu r en gestation.)
On arrive aujourd'hui, semble-t-11, à u n dépassem ent de la critique (comme d 'a u tre s par*
lent d'un dépassem ent de la m étaphysique), à une sorte de non-critique, comm e si e lle avouait
enfin son insécurité et s'ouvrait a u doute, p a s tellement étran gère e n c e la à l'a rt lui-même.
A u moment d 'a band onn er ces petits problèm es, j'aim erais citer le titre d 'u n film qui n'est
p a s très éloigné d'eux (qui incite à les poser), et qui m 'ap p a raît ici, fugitivem ent, comme
leur illustration i c'est (faut-il le dire ?) L'A nnée dernière à M aiienbad. Et que l a référence
à u n film controversé av iv e la controverse.

François WEYERGANS.

40
FEREYDOUN HOVEYDA

Autocritique

Le moindre p aradox e de la critique n e réside p a s dans l'em ploi d e mots pour discuter
d e s filins. Si nous adm ettons q u e le ciném a constitue u n fait nouveau, force nous est d e
considérer le la n g a g e littéraire comme im propre à en ren d re compte d e m anière cohérente et
complète. En effet, nos lan g u e s indo-européennes dont les origines se perdent dans la nuit
des tem ps et dont Aristote codifia les * règ les » vers 350 a v an t J.-C., n e prévoyaient p a s le
septièm e art. Aussi bien les critiques, p u isa n t d a n s le vocabu laire e x ista it, inventèrent (et
continuent d'inventer) d es significations nouvelles, chacun selon ses besoins et ses coordonnées
personnelles. M alheureusem ent, ce faisant, ils ont évité et évitent encore de s e mettre
d'accord sur un lexique commun, ajoutant ainsi à l a confusion gén érale et entretenant une
suite de m alentendus q u i conduisent à m ettre en doute l'utilité même de leu r travail. Les
mots : « écriture *, « style i, * m ise-en-scène », etc,, reviennent sa n s cesse sous leurs
plum es : mais de l'u n à l'a u tre le se n s v a rie sans q u'ils éprouvent le besoin de nous livrer
leurs définitions. P arler ainsi en term es * indéfinis » des films constitue u n e façon bien
commode d'exercer le m étier : le lecteur, à moins de reconnaître son « incom pétence »,
acceptera lçt poudre qu'on lui jette aux yeux et fera sem blant de comprendre.

*
Æ î[i

La description « technique > du film ouvre à la critique u n e deuxièm e voie, assez voisine
de la prem ière, en c e se n s q u e le lecteur n 'e st p a s forcé de connaître les * procédés de
fabrication > et en. fait le s ignore le p lu s souvent. D ans les deux c as il p o u rra n e p a s ’ vouloir
s'a v o u e r béotien. M ais le dan g er dem eure d e le voir se révolter, et bien des quotidiens et
hebdom adaires recourent d e p lus en plus, sous la poussée d u public, à des non-spécialistes
pour noircir leur p a g e d e ciném a. Pour m a p art, je com prends volontiers celte réaction. D'abord,
et je m 'en suis longuem ent expliqué l'a n n é e dernière (1), je considère q u e tout le m onde peut
et doit faire de la critique ciném atographique. Ensuite, j'av o u e q u e la lecture des critiques
* spécialisés », d a n s les conditions qu e je viens d e décrire, m 'ennuie prodigieusem ent. Lors­
qu 'un tel p a rle de « b e au té pure » à propos de Mizoguchi, l'envie me d ém ange de lui
dem ander d'éclairer ma lan te rn e sur la b e a u té « im pure ». Q uand tel au tre m e lance à la
figure Vexpression : « Le p lu s haut degré d e perfection », je m 'interroge sur le « m odèle
de perfection » et * l'échelle des valeurs > q u e su ppo se son affirmation. De m êm e rien n e
me p a raît plus irritant q u e cette m anie de la critique à décréter que l'acteur X e u y < sont »
ou * ne sont » p a s le « perso nnage », qu'ils « jouent » bien ou mal. Par ra p p o rt à q u o i?

(!) Cahiers du Cinéma, 110.

41
Et comment le critique le sait-il ? De telles appréciations donnent en vérité à croire que le
critique se place au-dessus du réalisateu r et en quelq ue so rte à l'extérieur d e l'œ uvre.
O rgueil et présom ption ! On reconnaîtra aisém ent d a n s ces m éthodes les m éfaits d e l'a n a ly se
qui sé p a re les élém ents pour les juger les uns a p rè s le s autres, comme si le tout revenait
à la somme de ses parties. Encore un des pièges de la logique aristotélicienne ! Comment ne
p a s ap p ro u v er les spectateurs dans leu r révolte contre la critique !
Et mon sentim ent se fortifie, lorsque j ’exam ine d 'au tres sentiers où la critique se fourvoie.
Ainsi nom bre d'écrivains de ciném a choisissent d es com paraisons littéraires q u i surajoutent
a u film comme u n e anecdote dont, a u fond, il n e sait q u e faire. Et q u e dire des critiques
* sur-spécialisés » qu'abritent jalousem ent les p a g e s des revues ! O n pourrait qualifier leur
prose d e m étaph-ysteo-esthético-phnosophico-cinématographique. Cette voie, l a plus récente de
toutes, conduit souvent à des articles ronflants et illisibles, et d a n s les m eilleurs des cas, à
des textes herm étiques. II y a aussi, bien sûr, ceux qui s e contentent d e raconter le scénario :
ils font c ertes le moins de m al, m ais je ne vois p a s pourquoi on tradu irait en mots l'histoire
q u e n a rre u n film : c'est p ren d re le spectateu r pour u n av eu g le ! Citons égalem ent les criti­
q u e s dont l'ap port s e résum e en dernière an aly se à : < J'aim e ou je n 'aim e p a s » ; je
1l'ai lie n contre eu x : je respecte trop le droit fondam ental d e tout hom m e à exprim er son
opinion ; je dirai seulem ent qu'ils me sem blent obéir à la logique qui procède p a r oui ou
non et q u e les faits démentent.
Quoi qu'il en. soit, on n e peut s'em pêcher d e com parer la critique ciném atographique à •
u n dialog ue d e sourds. Ht à la voir émettre a u ssi facilem ent des opinions définitives sur des
œ uv res très différentes, citer philosophes et littérateurs, psychologues et sa v a n ts, force est
d'ad m ettre q u 'elle détient le secret de l'universalité. Je ne puis résister a u plaisir de rapp orter
ici u n p a ssa g e d'E rik Satie : * Le cerveau du critique est un g ra n d m ag a sin ; on y tro u v e .
d e tout : orthopédie, sciences, literie, artsl couvertures de voyage, g ra n d choix de mobilier,
papiers à lettres, articles de fumeurs, ganterie, parapluies, lainages, chapeaux, sports, cannes,
optique, parfum erie, etc. Le critique sait tout, voit tout, en tend fout, m an g e de fout, confond
tout, e t n'en p e n se p a s moins... »
Bien sur, les rem arques cï-dessus s'appliquent aussi bien à m es propres pap iers ; au tre ­
ment le p résent article n 'a u rait pu s'intituler : autocritique ! M ais l'autocritique ne v a p a s
sa n s u n e tentative sincère vers la formulation de nouvelles règles. Je profiterai donc de
l’occasion qui m 'est offerte pour e ssa y e r de cristalliser quelques-unes des idées qu i se bous­
culent dans m a tête en cette fin d ’année.

*
# *

Tout se p a sse comme si beaucoup de critiques adm ettaient l'existence d 'u n « texte ori­
g in al » dont le film serait la traduction. Ainsi, lorsqu'ils soulignent la « perfection » ou
« l'im perfection », donnent-ils le sentiment de ju ger p a r ra p p o rt à quelque a b so lu qui se
situerait a u dehors, p a r rapport à des critères éternels. S aussure rem arq uait d é jà à propos
d e l a lan g u e p a rlé e ou écrite, que les signes, pris u n à un, n e signifient rien, q u e chacun
d'eux exprim e moins un sen s qu 'u n « écart » d e se n s en tre lui-même et les au tres, et q u e
c'est le « ra p p o rt laté ral » du sig n e a u signe qui rend chacun d 'eu x signifiant. L'am biguïté
du la n g a g e ciném atographique est encore plus grande. Il convient d e c h asse r loin de nous
ce p ré ju g é a b erra n t qui veut que l'im age soit plus accessible q u e le la n g a g e ordinaire. Rien
n 'e st plus faux ! Et l'on pourrait reprendre en ce qui concerne le ciném a, mot p o u r mot, cette
opinion de M erleau-Ponty : « Le la n g a g e ne p résu p p o se p a s sa table de correspondance, il
dévoile lui-m ême se s secrets..., il est tout entier m onstration. Son opacité, son obstinée réfé­
ren ce à Jui-même, se s retours e t se s replis sur lui-même, sont justem en t ce qui fait de lui
un pouvoir spirituel : c a r il devient à son four q uelque chose com m e un univers, capable de
lo ger en lu i les choses mêmes, a près les avo ir c h an g é es en leu r sens. » A l a limite, on
croirait q u e les critiques auxquels je m e réfère ici con naissent u n e lan g u e ciném atographique
a b so lu e ou, tout a u moins, qu'ils estiment q u e ce qu'ils sav en t d u ciném a représen te un
som m et et que, si le cinéaste se veut artiste, il doit u se r d'instrum ents d e m êm e sorte.

42
JEAN ROUCH

LA PYRAMIDE H U M A IN E
Il existe certes u n fonds de * p rocédés » q u i constitue pour ainsi dire le la n g a g e « empi­
rique » du ciném a et ou les réalisateu rs puisent comm e d a n s un patrim oine commun. Mais,
d a n s l'a p p a re n c e du la n g a g e em pirique de l'écran, se cache u n la n g a g e à la seconde p uis­
sa n c e où, de nouveau, les signes m ènent l a vie « v ag u e » des couleurs du peintre, d e s
notes du musicien, des mots du rom ancier. Bergier et Pauw els ont b ien raison de sig n aler
la réalité d e ce qu'ils appellent les « textes à plusieurs sen s ». Les cinéastes dits * commer­
ciaux > se contentent d 'u n emploi * correct » (conforme au x règ les préétablies) d u la n g a g e
< em pirique » : leurs films se confondent purem ent et simplement avec l ’histoire contée. Ce
sont, d an s les m eilleurs cas, des « m etteurs en im ages ». Ils choisissent les signes pour u n e
signification d é jà définie. Bien que les critiques parlent souvent de tous les films, je tiens à
ra p p eler q u e mes propos n e concernent q u e l'au tre ciném a, celui où la * p a ro le » est
vraim ent « expressive », où elle tâtonn e autour d 'u n e intention d e signifier qui n e s e guide
p a s sur des définitions préalables, où s e profile à ch aq u e minute u n e bonne dose- d e sous-
entendu. Ce cinéma-là impose nécessairem ent d es < torsions * au x « procédés » d u la n g a g e
empirique, en leu r donnant en cours de chem in des significations nouvelles sous leu r a p p a ­
rence habituelle. Un de m es am is rejetait Léon Mbrîn sous le prétexte, entre au tres, q u e le
gran d nom bre d e fondus révélait d e l'infantilism e et, en tout cas, fatiguait ou m ontrait
1 absence d'élaboration d a n s le narration. Certes, ces fondus « signifient » l'écoulem ent du
temps, m ais a u ssi le désarroi d 'u n e conscience et d 'u n e époque, c e à quoi n e les destinait
p a s le lan g a g e * em pirique » du ciném a. le ne veux p a s me lccncer ici d a n s un exam en
critique de Léon Marin. Je veux sim plem ent dire ceci : si nous voulons rendre justice à
Melville, nous nous devons d evoquer quelques-uns des procédés de narration qu'il aurait pu
em ployer et qu'il a rejetés, sentir com m ent ils auraient autrem ent touché la « chaîne » des
im ages, a q u®l point le sty le de Melville était le seul possible, si son propos devait voir
le jour.

*
% *

Il se p a sse pour le ciném a q uelqu e chose qui rappelle p a r certains côtés la * fonction d e
probabilité » des physiciens. D ans ch aq u e c as d'espèce, plusieurs possibilités se présentent
et, si le cinéaste choisit celle qui est la plus probable, il a réussi. A u critique d 'ex am iner
ces probabilités et d e tenter de m ontrer q u e l'a u te u r a ou n 'a p a s saisi la meilleure. Evidem ­
ment, d ans ce travail, d es conditions objectives et subjectives se m élangent, ren dant souvent
difficile e{ hasardeuse toute opinion hâtive. Quoi qu'il en soit, le critique devrait s'efforcer
de -c secouer » l'ap p a reil d u récit ciném atographique pour tenter d e lui a rra c h e r un son neuf,
pour m ettre à nu le sens * latéral » e u * oblique » qu'il cache. M arx a v ait bien com pris
c e la à propos d e Balzac. Que l'on m e perm ette de reprendre ici u n e au tre rem arque de
M erleau-Ponty qui me sem ble s'ap pliqu er p arfaitem ent a u ciném a : « Le rom an comme c o m p t e
rendu d'événem enfs, énoncé d'idées, th èses ou conclusions, comme signification m anifeste ef
prosaïque et le rom an comme opéra/ion d 'u n sfyle, signification oblique ou latente, sont
d a n s un sim ple rapport d'homonymie. » Une certaine m an ière de faire voir l a société m oderne
d a n s nom bre de films am éricains (par exem ple : Comme un torrent, Pazty Girl, A utop sie
d'un meurtre, L'Enquête de ^'inspecteur M organ, etc.) est plus im portante q u e l'histoire q u 'ils
content ou les thèses app arentes qu'ils soutiennent.

On a bien raison de condam ner le formalisme. Mais on oublie q ue, loin de surestim er
la forme, il la m éprise en l a sép aran t du sens. Ce formalisme rejoint le ciném a du « su je t »
qui ignore l a forme. O n n e peut s e contenter de juger Stanley Kram er ou Autant-Lara su r
leurs seules intentions, quelque lo u ab les q u 'elles soient. Il ne suffit p a s de s'élev er contre
le suicide atom ique ou la guerre : encore faut-il produire u n e œ u vre d 'a rt c a p a b le d e
rem uer le spectateur et d e l'am en er à se p o ser des questions. Autrement, ce se ra it nier
l'existence m êm e de l'art, ce serait oublier cette vérité prem ière que le la n g a g e n 'e st p a s
Un simple instrument a u service d 'u n e fin extérieure, qu'il comporte en lui-même sa « m éta­
physique », Le la n g a g e tend de red o u tab les pièges m êm e à ceux qui prétendent s e can-

44
lonner dans le seul dom aine d e l'a rt ou qui se déclarent non eng agés (comme si l'art
pouvait se sé p a re r du reste des activités sociales, comme si le non-engagem ent n'était p a s
d éjà u n engagem ent b ien déterm iné). Les recherch es d'un Lévy-Strauss, en dém ontrant les
relations structurales entre le la n g a g e et les lois sociales, prouvent bien l'inanité d e telles
positions. D ans Le D éjeuner su r l'h erb e (ou bien des films d e la « nouvelle v ag u e ») tran s­
paraît l'im age infantile et inesthétique q u e certains cinéastes, jeunes ou vieux, se font
aujourd'hui d u monde. Il est p lus facile d e jouer sur u n e fau sse naïveté qu e su r l'intelligence,
d e chanter le p a ssé q u e de re g a rd e r l'avenir. La politique des au teurs a vécu : elle n 'était
qu'une é tap e sur la voie d 'u ne nouvelle critique.
Je serais personnellem ent assez d'accord avec M arcabru lorsqu'il distingue plusieurs
sortes de cinéma. Seulem ent, a u lieu de q uatre, j'e n vois un nom bre infini. Mais ceci est
u n e a u tre histoire. Ce q u e je veux dire, c'est qu'il existe des p lan s différents et qu'il convient
de n e p a s les confondre. On n e p eu t p a rle r d'A utant-Lara, de Coitafavï, de Rossellini, d e
Prem ingeî o u de Losey, d e la m êm e m anière. On peut certes les aim er ou les détester tous,
mais il n'em pêche qu'ils se situent à des n iv eaux différents, même lorsqu'ils nous enchantent
ou nous énervent. Ce confusionnisme a u q u el les Cahiers sem blent avoir contribué ces derniers
tem ps a p p elle u n e réaction. Je ne crois p a s <ju'il soit étran ger à ,1a tendance des quotidiens
et des hebdom adaires de faire a p p el au x non-spécialistes.

Ceci m 'am ène à préciser m es id ées su r la fonction du critique. Elle ressem ble à b e a u ­
coup d 'é g ard s à celle d u p sy ch an aly ste. Ne doit-il pas, en effet, rétablir à travers le film
le discours d e l'au teu r (sujet) dons s a continuité, m ettre à jour l'inconscient qui le sous-tend
et en expliquer les « jointures » particulières ? L'inconscient, ainsi q u e le dirait Lacan, est
certes m arqué p a r u n blan c ; il constitue en quelque sorte la séquence censurée. Mais,
comme d an s la p sychan alyse, la vérité peut se découvrir ; elle est écrite a illeu rs q u e d a n s
la chaîne « a p p are n te » d es im ages : d a n s ce q u e nous appelons l a * technique » de l'auteur,
d a n s le choix des acteurs (1), d a n s le décor et le ra p p crt des acteurs et d e s objets a v ec ce
décor, dans les gestes, d a n s les dialogues, etc. Un film est en quelque sorte u n réb us, d e s
mots-croisés. Mieux : c'est un la n g a g e qui in au g u re u n e discussion, qui n e finit p a s a v ec la
vision du film, mais suscite u n e v éritab le recherche.
Bien sûr, de m êm e q u e le p sy c h a n aly ste peut se laisser aller à une interprétation erronée,
de mêm e le critique p eut se tromper- C 'est q u e nous entrons dans les sa lle s obscures avec
tout le poids de nos préjugés, d e notre éducation, de notre hérédité, bref a v e c l'ensem ble
d e notre personnalité. O n n e laisse p a s son p a ssé a u vestiaire et il est v ain d e vouloir
faire le vide en soi. L 'observateur id éa l re lè v e de la fiction ! Le critique p a rle au ta n t du
film qu'il a vu q u e de lui-même. Il n e doit jam ais p e rd re de vue le courant d 'é ch a n g e qui
s'établit ainsi. L 'acte d e critiquer opp ose deux sensibilités possédant chacune son histoire
propre. II serait trop sim ple de porter a u p inacle u n film, parce que les univers du critique
et du cinéaste s e rencontrent. On ne louerait p a s le film. O n se congratuleiait soi-même Tout
critique devrait livrer s a « m étaphy siqu e > a u lecteur, s e situer p a r rapport à lui.

Il ne s'a g it p a s de guider le lecteur, d e se p lac e r en quelq ue sorte au-dessus de lui,


m ais d'expliquer ce qu e nous croyons av oir perçu. Et, à cet égard, il convient d e n e p a s
oublier q u e le film dont nous p arlo n s n 'e st jam ais le film lui-même. La carte, disait Korzybski,
n'est p a s le territoire ! Le critique devrait ériger cette formule en principe d e b ase. Le film,
en tant q u 'œ u v re existant objectivem ent e n deho-rs de nous, é chap pe à tout compte rendu

(1) C'est pourquoi il est vain de dire que l'acteur est ou n'est pas le personnage. Le choix de l'acteur
constitue déjà une intention de signifier. Certes l'acteur peut être imposé. Mais un metteur en scène peut
toujours s'en accommoder en jouant des autres éléments gui sont en rapport dialectique avec les personnages.

45
exhaustif. Quoi q u e nous puissions en dire ne se ra jam ais le film. Nous « a b strayon s » des
détails et nous en laissons d e côté bon nom bre. Jam ais nous n e pourrons en épuiser toutes
le s' significations. Un film, c'est son auteur. Et l'auteur est u n être hum ain. Tout ce que
nous pouvons faire, c'est tenter de le singulariser, de saisir la « structure signifiante » q u 'il
a édifiée.
En un. certain sens, le problèm e d e la critique revient à un problèm e de lan g a g e . Il
s'agit, de « trad uire » en la n g a g e quotidien u n lan g a g e artistique dont l a logique diffère.
C e la devrait inciter les écrivains de ciném a à n'utiliser les concepts hab itu els q u 'a v ec la
plus g ra n d e réserve et la p lus g ra n d e prudence. En p a rla n t d es films, nous nous trouvons
u n p eu d an s la situai ion du « vulg arisateu r > scientifique qui tente d'exposer la relativité
restreinte et la relativité g én érale à u n auditoire qui n e connaît p a s grand-chose des m athé­
m atiques. Le phénom ène ciném atographique im plique tant d e choses sur lesqu elles rien d e
sérieux ou d e définitif n 'a été entrepris, qu'il est im possible à l'heure actuelle de p a rle r
avec sûreté des films. En essa y a n t d 'e n saisir les significations, nous tâ t o n n o n s , nous expéri­
m entons des théories. Nous devons avoir le courage de reconnaître cette situation. Je n e
sa is plus qui a écrit : « La justice littéraire n'existe p a s a u tem porel, et a u spirituel, elle
n 'est jam ais san s appel. » Ceci est encore plus v rai de la critique ciném atographique.

Les problèm es q u e pose la critique ciném atographique, on le voit, sont à la m esure de


ceux que soulève le septièm e a rt lui-même. On n e ' peut p rétend re les résoudre u n e fois pour
toutes. A m esure qu 'on e n élucide quelques-uns, d 'au tres surgissent. La critique ciném ato­
graphiqu e est encore d a n s s a préhistoire ! J'avoue donc, sa n s a u cu n e honte, q u e je me laisse
souvent em porter p a r m es propres préjugés. Maïs je n 'a b an d o n n e p a s pour au ta n t m es
tentatives p our m ettre sur pied u n e méthode d'approche non aristotélicienne en face du
ciném a. Où en suis-je ? C'est u n e au tre histoire q u e j'écrirai peut-être u n jour.

*
* rH

Lorsque les ten an ts du jeu ne ciném a me- disent q u e leurs film s n e s'a d re sse n t q u 'à une
portion du public, je ne puis m 'em pêcher de songer à la littérature pornographique. Elle aussi
n e s'a d re sse , selon se s spécialités, q u 'à d es groupes limités et différents ! Et il est fort ra re
q u 'elle produise des oeuvres v ala b les ! D'ailleurs en a b o rd an t u n livre ou un film, un au teu r
a toujours, a u moins inconsciemment, l'am bition de rem uer ciel et terre. C 'est pourquoi je
me g ard e bien d e rejeter u n e œ uvre sous prétexte dé * frivolité *.'11 arrive plus souvent
q u 'a n n e le croit q u e de gran des choses reposent sur des têtes d'épingles. Mais elles peu­
vent tout a u ssi bien (sinon d av antage) s'a p p u y e r su r des objets plus consistants. V aléry disait
q u e le m onde des id ées est mille fois plus fort, plus rom anesque, plus réel q u e le m onde
du cœ ur et des sens.

D evant tous les pièges qui jalonnent la route du critique ciném atographique, et dont
je viens d 'évoq uer quelques-uns, on est en droit de s'interroger sur l'utilité et l a justification
d e ce singulier exercice p a r lequel on s'a rro g e le droit d'écrire publiquem ent ce q u e l'on
p e n se d 'u n film. Permettez-moi d e recourir u n e fois de plus à u n e citation. On peut répéter
des cinéastes ce q u e M erleau-Ponty disait des littérateurs : « N ous m êm es qui parlons ne
sav o n s p a s nécessairem ent ce q u e nous exprimons mieux q u e ceux gui nous écoutent. »
D ans la m esure où le critique « p a rle », cette p h ra se s'a p p liq u e a ussi bien à lui. Voilà
ouverte l a voie de « la critique de la critique >, ou, ce qui revient a u mêm e, de « l'au to ­
critique ». M ais il est tem ps de m 'arrêter.
F erey dou n HOVEYDA.

46
LUCHINO VISCONTI

ROCCO ET SES FRÈRES


ENQUÊTE

QUESTIONS

h — T en e z-v o u s po u r satisfaisante la place accordée à la critique de cinéma dans


fa Presse par rapport à la critique littéraire, à la critique picturale, etc. ?

2. — ■ Considérez-vous la critique de cinéma com m e d evan t être confiée à des gens


plus o u m o in s « spécialisés » que leurs confrères de» rubriques littéraire, picturale, musicale,
gastronomique, etc. ?
3. — Dans quelle m esure ten ez-v ou s com pte dans l’exercice de votre m étier :

A. des goûts du p u b lic ?

- B. d e l’esprit du journal dans lequel vous vous exprim ez ?


4. — Pensez-vous qu e le en t/que doive se m e ttre dans Jes conditions du spectateu r,
qui ne voit en général le film q u 'u n e fois, ou serait-il souhaitable qu'il puisse bénéficier de
plusieurs visions avant de porter un j u g e m e n t?
5. — Pensez-vous q u ’it soif utile de voir m ê m e les films d o n t vous n'avez pas à rendre
com pte ? Pourquoi ?
6. ■—■ Dans quel ordre d ’importance classeriez-vous les qualités du critique que nous
énum érons cî-dessous ? (Vous êtes fibre de raccourcir o u d 'allon g e r la liste) :
— 'Avoir un talen t d'écrivain ou de journaliste.
— Avoir un e bonne culture générale.
— Avoir beaucoup fréquenté le cinéma.
— Avoir u n e connaissance approfondie de la technique ciném atographique.

*48
7. — Croyez-vous que l’accord sur u n e œ uv re soit plus difficile à obtenir dans le
cinéma que dans les a utre s d o m ain e s?
8. — ■ Pensez-vous que les critères soient plus difficiles à établir dans le dom aine du
cinéma que dans les autres ? Pourauoi ?
9. — . Pen sez-v ou s q ue la critique de cinéma doive s’appuyer sur un « systèm e e sth é-
tia u e » ou refléter l'impression du m om ent ?
1 0. — Pen sez-v ou s q u e la critique de cinéma ait évolué :
A. dans ses b uts ?
B. dans ses moyens ?
C. dans ses influences ?
* 11 . — - Quand vous voyez un film, vous dem and ez-v o us ce q u ’on en retiendra dans
dix ans ?
12. — Pensez-vous q ue la critique air eu ou ait une influence sur le cinéma lu i- m ê m e ?
1 3. — Pensez-vous qu e la distinction e n tre critique de gauche et critique de droite
tend à s’e ffacer ? Si oui, cet e ffac em e n t de l’é th iq u e au profit de l’e sth é tia u e vous o a raît-il
m arquer ou non un progrès ?
H. — ■ Dites fra n ch e m e n t ce que vous pen sez de l’apport — positif ou négatif — des
« Cahiers du Ciném a ».■

RÉPONSES

HENRI ACEL responsables de la ru b riq u e du 6, — Dans c e t o rd re -c i :


ciné m a d o iv e n t ê tre fo rc é m e n t spé­
(La Revue fra n ç a is e , Etudes, cialisés. M y a chez ce rta in s a m ateurs î ' A v o ir une bonne c u ltu re géné­
La V o ix des Parents^ * éclairés » une a m p le u r de vue, une rale ;
d is ta n c ia tio n , u ne souplesse e t e n fin
une bonne fo i, q u i m a n q u e n t à la 2 “ A v o ir beaucoup fré q u e n té le
p lu p a rt des spécialistes. ciném a ;

3. — G o û t du p ub lic : je n'en 3 “ A v o ir un ta le n t d ’é criva in ;


tie ns aucun com pte.
4° C on n a ître la te ch n iq u e.
Esprit du jo u rn a l : je suis bien
o b lig é de m 'a d a p te r a u x longueurs 7 e t S. — > C 'e st îa même ques­
d'ondes du jo u rn a l ou de la revue. tio n . Il s u f f it de lire ré g u liè re m e n t le
V '• • .; S tric t souci péd a g og iqu e d 'e ffic a c ité . Conseil des D ix p ou r v o ir aue l'u n a ­
: '•< ' n im ité est a u a s im e n t im possible
4 . — II fa u t à la fo is (nous som­
; v . ■ même sur des œuvres im p o rta n te s .
: . ~ * •• mes en un tem ps où le p rin c ip e de
n o n -c o n tra d ic tio n s u b it de rudes Les critè res dans le d o m a in e du
assauts) ê tre dans l'é t a t du Specta­ septièm e a r t so n t beaucoup plus o n ­
doya n ts q u'a ille urs. M e tto n s o p a rt
te u r q u i a vu le film une fo is e t bé­
n é fic ie r au m oins d'un e seconde les fa u x critè re s encore si répandus
^scénario, b e a u té des im ages, fid é lité
visio n .
à un te x te a d a p té à l'é c ra n ). Il reste
5. — Il est indispensable de v o ir l'e x trê m e d ive rsité des exigences e t
1. — N on. En dehors de quelques to u s les film s im p o rta n ts , même si on des p o s tu la tio n s . Pour m a p a rt, je
hebdom adaires ou quo tid ien s d o n t n 'a pas à en p a rle r — e t, de tem ps jug e bien ra re m e n t de fa ço n décisive
to u te s les chroniques sont é qu ilibrées, sn te m p s, des film s d o n t on s a it que e t suis to u jo u rs p rê t à m 'o u v rir ô
on sent e ncoie a u jo u rd 'h u i que le ce s o n t des n avets. Hygiène,, e n tre ­ d 'a u tre s p oin ts de vue.
ciném a reste un d ive rtisse m en t a u x tie n de la c u ltu re , m a in tie n du
yeux des directeurs de io u rn a u x . c o n ta c t avec le ciné m a pris dans 9. — Encore le v io l du p rin c ip e
2. — Je ne crois pas q ue les to u te son a m pleur. de n o n -c o n tra d ic tio n . : à la fo is un

49
systèm e e sth é tiq u e e t l'im pression du Cahiers ? ce lu i de [a C in é m ato ? Ce­ de fa ir e u ne ca rriè re , du m oins
m o m e n t. lu i du M a c -M a h o n ou de (a safte d 'ê tr e présentés dans les salles d 'a r t
de q u a r tie r ? M a is y a - t - i l un p u b lic ? e t d'essai.
10. — C e tte q ue stio n est im m ense.
E t q u 'e s t-c e que le « a o û t d u p u ­
Im possible d 'y ré po n d re en d ix lignes. 11. — N on. N i d 'a ilte u rs dans cinq
b lic » ? e t qui p o u rra it en p ré ju g e r?
Et puis il est tro p t ô t p o u r savoir. ou v in g t ans.
Je crois q u 'il est b on —* a v a n t
11. — Cela dépend. Du film . E t de 12. — Sans la c ritiq u e , e st-ce
de décider d 'é c rire dans u n . jo u rn a l
vos d isp o sitio n s d 'e s p rit. A !a c in ­ q u e Resnais a u r a it f a i t un film
— de s'enquérir de son esprit.
q uiè m e visio n d e H iro s h im a mon après H iro sh im a ? a
am our, je me suis en e ffe t dem andé 4 . — Est-on o b lig é de prendre f 3. — Q uand /e c r itiq u e e s t in ­
si a v a n t m êm e d ix ans le film n 'a u ­ q u a tre fo is du bœ u f a u x c a ro tte s te llig e n t e t q ue son o p in io n est jus­
r a it pas te rrib le m e n t v e illi. En re va n ­ p ou r sa voir s'il est bon ? tif ié e a u tre m e n t q ue p a r l'e m p lo i
che, il m 'a s u ffi d 'u n e visio n de
5. — Le c ritiq u e m usical ne d o it- du d ic tio n n a ire des c ita tio n s , ou te
M a rie n b a d p o u r que j'o ie à me poser
il e nte n d re q ue l'eeuvre q u 'il c r it i­ d ésir d 'é p a te r Ja f i l le de sa con­
la même question.
quera ? Son c o n frè re litté r a ir e ne cierge, le p rob lèm e de d ro ite e t d e
12. — Je ne sais pas. C 'est tro p lir e q ue le liv re d o n t il fe ra son gau ch e ne se to s e pas. Cëla d it, je
c o m p liq u é e t p e u t-ê tr e inso lub le . fe u ille to n ? Et l'e sp o ir to u jo u rs pré­ croîs discerner u n e d iffé re n c e e n tre
33. — Ce s e ra it é v id e m m e n t un s e n t de la découverte ? A spects de la fr o n c e e t Les Lettres
progrès si tous les c ritiq u e s é ta ie n t Françaises, e n tre le C a n a rd e n chaîn é
, 6. — Si la q u a lité essentielle, e t les Cahiers, dans la fa ço n , non
d ép olitisés dans leurs o ptio n s. A mon om ise dans la question, l'a m o u r du
avis, c e t a n ta g o n is m e est plu s ou de ju g e r, m aïs de co nce vo ir la c r i­
ciném a, n'est pas acquise, les autres tiq u e .
m oins sensible, m ais aussi p e rn icie u x m e sem blent in u tile s . M a is q u i p e u t
a c tu e lle m e n t q u 'il y a v in g t ans. se p arer du t it r e de c ritiq u e s'il n 'a 14. — ■ Le nom b re des mensuels
14. — Nous devons presque to u t pas le don d 'é c ritu re , s 'il e s t sans de ciném a é ta n t très ré d u it, il se rait
au tr a v a il accom p li p e n d a n t des a n ­ c u ltu re générale, s 'il n 'a pas b ea u ­ d om m age que les C ahiers n 'e x is te n t
nées p a r les Cahiers. M a is a c tu e lle ­ coup fré q u e n té !e ciném a e t s'il n 'a pas.
m e n t le dandysm e, l'h y p e rc é ré b ra lité pas u ne connaissance a p p ro fo n d ie de
e t • la m a s tu rb a tio n in te lle c tu e lle la te c h n iq u e c in é m a to g ra p h iq u e ?
c o m p ro m e tte n t g ra v e m e n t le tr a v a il J 'a jo u te ra is , ce pendant, l'h o n n ê te té
q ue p o u rs u iv e n t les élém ents des in te lle c tu e lle e t u n e m a tu r ité ré flé ­
Cahiers restés sains e t é quilibrés. chie, ce q u i e x c lu t les é te m els lycéens JACQUES ANDRE
de Prem ière m al digérée ou de p h i-
(Le M id i L ibre)
Josophie m al com prise q u i encom ­
b re n t les colonnes de revues, e t, dans
un fra n ça is a p p ro x im a tif, s 'im a g in e n t
G U Y A L LO M BE RT
qu'encenser un film id io t est l'o r ig i­
(L a C in é m o to g ra p h ie Française, n a lité suprême.
Im a g e e t Son)
7 . — N i plus, n i m oins d iffic ile ,
A m oins, bien sûr, de considérer le
ciném a com m e un d ive rtisse m en t
d 'e s th è te ou d 'ilo te .
8. — F a u t-ÎI a bso lu m e n t é ta b lir
des « critè re s » p o u r ju g e r u n e œ u­
vre, q ue lle q u 'e lle s a it ? Pourquoi
pas un mode d'em p to i ? Et si v r a i­
m e n t « critères » il d o it y a v o ir
au sens p ropre de * m a rqu e q ui
f a i t discerner, ju g e r », e n tre lesquels
em prisonnerez-vous M arien b a d e t t e
Signe du Lion, Les Vierges de Rome
e t L'Enclos ? 1. — Il ne m e sem ble pas que
« dans la Presse * , la c ritiq u e de
9. — On tro u v e ra to u jo u rs un sys­ ciné m a fasse fig u re de p a re n te p a u ­
tè m e e s th é tiq u e p ou r ju s tifie r a pas~ v re . M a is la fa ç o n d 'u tilis e r c e tte
te rio ri un ju g e m e n t q u i re flé te ra p la c e ne v a r ie - t- e lle pas nécessaire­
to u jo u rs l'im pression d 'u n m o m en t. m e n t en fo n c tio n du g e n re de p u b li­
10. — La c ritiq u e tend, je crois, c a tio n à la q u e lle on a p p a rtie n t,
1. — Le ciném a n 'e s t pas encore
m ensuelle, h e b d o m a d a ire o u q u o ti­
reconnu p a r la m a jo rité de la presse à u ne plus g ran d e a id e au specta ­
te u r, en m êm e tem ps q u 'à fa ire d ie n n e ?
com m e a r t, la place q u 'o n accorde
à la c ritiq u e m e p a r a ît n orm ale, a d m e ttre l'in é v ita b le é volu tio n du A p p a r te n a n t à u n q u o tid ie n , e t à
p e u t-ê tre un peu fa ib le dans la ciné m a . Les m oyens rè s te n t le c a ra c ­ u n q u o tid ie n de p ro vin ce , c 'e s t-à -d ire
presse q u o tid ie n n e . tè re d 'im p rim e rie . Q uant à d ire a y a n t a ffa ir e à un p u b lic q u i v o it
qu'e lle évolue dans ses influences, il les film s à son heure e t n on à l'h e u re
2. — Oui, c e tte c ritiq u e d o it ê tre
e st d if fic ile de le d ire . En a - t- e lle de Paris, je m 'e ffo rc e , c o m p te te n u
co nfié e à des spécialistes. A m o in s
[orsqu'effe fa v o ris e le snobism e ? d e la p la c e très s a tis fa is a n te qui est
é vid e m m e n t de considérer le ciné m a
Quand elle louange un film excel­ accordée à la ru b riq u e ciné m a dons
com m e m oins im p o rta n t que la ru ­
le n t qui m arche ? Quand e lle tir e à les pages locales, d e d on n e r des c r i­
b riq u e g astro n o m iq u e ...
boulets rouges sur un film qui m a r­ tiq u e s aussi a rflu m e n té e s q u e possi­
3. — De quel « p u b lic » p a rle z - che é ga le m e n t ? Certes, elle p e rm e t b le p o u r les film s q u i les su sciten t,
vous ? C elui de l'À u ro re ? ce lu i des a u jo u rd 'h u i à ce rta in s film s , sinon m ais, p ar a illeu rs, j'assum e u ne tâ ch e

50
de p ure in fo rm a tio n p ou r les autres est m é fia n t, et d 'a b o ra envers lu i- qui ouvre su r le vide de l'a v e n ir, à
film s su r lesquels les lecteurs v e u le n t, m êm e. la q u e lle on est bien inca p a ble do
aussi bie n , ê tre renseignés. ré pondre. Elle e xprim e seulem ent la
5. *— P our la raison q u i m e f a i t
2. — Dons la m esure oü il s 'a g it p la c e r au p re m ie r rang des q u a lité s m é fia n c e v is -à -v is du snobisme e t de
d 'u n e a c tiv ité c ritiq u e , le problèm e l'o b s ta c le q u 'il dresse p o u r le ju g e ­
du c ritiq u e la fré q u e n ta tio n d u ciném a
m 'a p p a ra ît id e n tiq u e quel qu'e n s o it — passé aussi bien q ue présent. m e n t sain e t p o s itif-
l'o b je t. L e rô le d e la C ritiq u e , c'est de
6. — C e tte q u a lité n e tte m e n t dé­
Dans aucu n des cas, il ne s 'a g it tachée, je re tie n d ra i le ta le n t d 'é c ri­ s a is ir dans le ciném a q u i se f a i t de­
d 'u n e sp écia lisa tio n fe rm é e où l'on v a in com m e u ne c o n d itio n sine qua v a n t e lle le v if de ce ciném a, ce qui,
e n tre ra it p a r la p o rte é tro ite d'une non e t u ne chose q u i s 'a c q u ie rt p a r sans e ffa c e r le ciném a d 'hie r, la
école, d ’u ne In s tru c tio n précise e t l'exe rcice — la c u ltu re g én érale déposse d 'u n e ce rto in e m anière.
p a rtic u liè re . Il s 'a g it d 'u n e sp écia li­ com m e une chose q u 'e n tra în e néces­ D ans la m êm e ligne, je ne croîs
s a tio n o u v e rte . A te lle enseigne q u 'u n sa ire m e nt la v ra ie c u ltu re c in é m a to ­ pas que l'in c o n te s ta b le prise de
* n on s p écia liste » p o u rra écrire sur g rap h iq u e . M a is je m e ttr a i en second conscience e s th é tiq u e q u i s'est p ro -
un rom an, sur un film , sur un ta b le a u , pla n , to u t de s u ite après la fré q u e n ­ d u îfe corresponde à « un e ffa c e m e n t
un e x c e lle n t te x te c ritiq u e (à com ­ ta tio n d u ciné m a , la connaissance de l'é th iq u e . » Sans doute, il y a
m e ncer p a r ceux q u i o n t de la chose a p p ro fo n d ie de la te c h n iq u e cin é m a ­ eu des erreurs de ju g e m e n t dans la
une p ra tiq u e e ffe c tiv e }. to g ra p h iq u e en y a jo u ta n t la co nnais­ c r itiq u e c o n sis ta n t à co nsid é re r com m e
Cela d it, la c ritiq u e de ciném a est sance a p p ro fo n d ie de la p ro d u ctio n un g ran d film , un film d o n t le scé­
un m é tie r : on se spécialise p a r la c in é m a to g ra p h iq u e qui m 'a p p a ra ît, n a rio a v a it u ne v a le u r « h um a ine ».
nécessité de l'e m p lo i. e lle , essentielle. C 'est v r a i q u 'a im e r le ciném a, c'e st
Le reproche le plus g ra v e q ue l'on d 'a b o rd a im e r les beaux film s e t non
3. — Il y a un ra p p o rt é tr o it
puisse fa ir e a u x Cahiers du C iném a, les belles histoire s (com m e a im e r la
e n tre « les g oû ts du p u b lic » et
c'est d 'a v o ir n ég lig é d 'é c la ire r leurs p e in tu re c'e s t a im e r les Deaux t a ­
« l'e s p rit d 'u n jo u rn a l », une réactio n
lecteurs sur les c o n d itio n s dans les­ b le a u x e t non les bea u x couchers de
c irc u la ire s'é ta b lis s a n t e n tre n 'im ­
quelles se fa it e ffe c tiv e m e n t le s o le il, M a lra u x d ix it) .
p o rte quel jo u rn a l e t ies gens q u i le
lise n t. Ciném a. M a is c o n tra ire m e n t à ce que j'a i
7. — N i plus n i m oins. s e n ti ou cru s e n tir chez c e rta in s ré­
La réponse à v o tre q u e s t i o n d a cte u rs des Cahiers, l'é th iq u e ne
consiste à d é fin ir ce q ue l'o n d o it 8. — N i plus n i moins. s 'e ffa c e pas devant: l'e s th é tiq u e . Un
e n te n d re p a r * te n ir co m pte de s. bon scénario ne donne pas nécessai­
9. — La c ritiq u e im pressionniste
Dans le cadre d'un e expérience est une p ositio n illu soire . re m e n t un bon film , m ais il n 'y a
personnelle, je sais que lorsque pas de g ra n d film sans un v ra i co n ­
i'écris, je g a rd e to u jo u rs la visée du Sans d o u te le c ritiq u e d o it- il se te n u , si indissociable que s o it ce
p u b lic a uquel ie m'adresse. Les gens d éfe n d re de la te n ta tio n co pe rn icie n ne co nte nu a 'ave c la fo rm e où il s'ex­
q u i m e lise n t n 'o n t ni les mêmes q u i consiste à fa ire to u rn e r i'œ u vre p rim e .
idées, n i les mêmes m étiers, n i les a u to u r de lu i, au lieu de to u rn e r
mêmes cadres de vie, n i les mêmes a u to u r de l'oeuvre.
revenus, e tc . Un a r tic le réussi pour M o is le c ritiq u e e st doué de m é* MICHEL AUBRIANT
m oi est un a r tic le q u i p e u t ê tre lu m o ire . I l n 'e s t pas u n e ta b le rase ou (Paris-Presse)
e ffic a c e m e n t P a r tous — non pay une c ire su r laq u e lle chaque film
a d o p té , m a is e n te nd u p a r tous. laisse rait son e m p re in te ju xta p o sé e à
celle q u 'a u ra it laissée un a u tre film .
Il ne s 'a g it pas de s u b s titu e r à
L 'usage du ciném a, d 'a ille u rs , ne s u f­
ses o pin io n s personnelles celles que
f î t - i l pas à é veille r ch ez le sim ple
l'o n s u p p u te ra it ê tre celles du p u b lic.
s p ecta te ur le g o û t e t le sens c ritiq u e ?
La chose est d 'a ille u rs im possible
dans m on cos, puisque je ne me 10 à 14. — Le f a i t fo n d a m e n ta l
tro u v e ra is alors en accord avec Pierre qui a pesé sur l'é v o lu tio n inco n te s­
que p o u r ê tre en désaccord avec Jean. ta b le de la C ritiq u e depuis la L ib é ra ­
tio n , c'e s t la c o n s titu tio n du musée
H s 'a g it d'exp o se r ce que l'on
im a g in a ire du ciném a, de la C in é m a ­
pense, en d o n n a n t ses raisons d 'u n e
th è q ue . Bon gré, m al gré, l'oeuvre
m a niè re aussi recevable p a r tous que
c in é m a to g ra p h iq u e nous a p p a ra ît
possible.
com m e s 'in s c riv a n t dans ('H is to ire du
A u m o m e n t où j'é cris ces lignes. Je C iném a. Dans sa plus h a u te a m b itio n ,
m e rends co m p te qu'o n p o u rra tr a ite r la C ritiq u e cin é m a to g ra p h iq u e cher­
ce c o m p o rte m e n t de m y th iq u e . C'est che Q d évo ile r, à tra v e rs u ne im ­
p o u r ta n t ce m y th e que, q u o tid ie n n e ­ mense e t h é té ro c lite p ro d u c tio n de 1. — La France c o m p te q u a ra n te
m e n t p o u r Ja T V , heb d o m ad a ire m e nt l'in d u s trie de la p e llic u le , ce q u i est m illio n s de c ritiq u e s de ciném a en
p o u r lë cin é m a , je te n te de réaliser. sa raison d ’ê tre : le septièm e a r t. puissance e t d ix m ille en exercice.
4 . — La p re m iè re vision a sans O u vre z au hasard n 'im p o rte quelle
11 ne s 'a g it pas d 'a ille u rs p o u r le
d o u te le p riv ilè g e de la fra îch e u r, p u b lic a tio n . N udism e e t 5 onté ? La
c ritiq u e de ciném a d 'a v o ir l'in te n tio n
m ais on ne s a u ra it é rig e r ce p rivilèg e V ie des Pavillons ? Le C ourrier du
q u i ne s e ra it qu'u n e p ré te n tio n , de
en p rin c ip e e t s'en te n ir to u jo u rs en m euble ? Vous y tro u ve re z à coup
p o rte r sur l'œ u vre un ju g e m e n t é te r­
to u t à c e tte p rem iè re im pression. nel v a la b le en to u t tem ps, de c o n s ti­ sûr une ru briq ue de ciném a. Il y a
tu e r, lu i e t non la s u ite des tem ps, to u jo u rs à caser quelque nièce (qui
Dès q u 'il s 'a g it d 'u n e œ uvre im ­
p o rta n te , on a envie de la m o tive r, le Panthéon im a g in a ire . Sans d o u te n 'a pas réussi à passer son b a ch o t).
de la creuser, de l'a p p ro fo n d ir. Il y a aussi, qua n d je vois un film , je m e 2. — Bien sûr, il s e ra it p ré fé ­
aussi les cas o ù l'o n n 'e s t pas en dem ande « q u 'e n re tie n d ra -t-o n dans ra b le de c o n fie r la c ritiq u e de ciné­
é ta t de ju s te ré c e p tiv ité . Le c ritiq u e d ix a n s ? » M ais c'e s t u ne q ue stion m a â des jo u rn a lis te s ou des é c ri-

51
VQÎns aussi « co m pé te n ts » — je de m e préoccuper d e « systè m e », ta in s cas, s u rto u t co nce rn a nt des
n 'a im e pas le m o t « spécialisés » — e t c'est bien a in si. M a is j'a im e , en q u o tid ien s que je ne ve ux pas n om ­
q ue les critiq u e s ta u rom a ch iqu e s ou revanche, à tro u v e r dans un h e b d o ­ m er, le m o t « c ritiq u e » d o it ê tre
gastronom iques. (Je vous laisse les m a da ire ou une revue des perspec­ placé e n tre g uille m e ts.
litté ra ire s .} Mars a lle z donc e x p li­ tive s m oins b rou illo nn e s, des ré fé ­
q ue r cela a u x directeurs de jo u rn a u x ! rences à un ordre, u ne a na lyse qui 2. — Il va sans d ire q u 'é m e ttre
ne repose- p o in t sur la seule hum eur. des jugem ents sur le ciném a ne sau­
3. — Si ie connaissais les goûts r a it ê tre le f a i t a ue de gens « spé­
du p ub lic, j'a u ra is f a i t fo rtu n e d e ­ 10. — • La c ritiq u e a fa ta le m e n t cialisés i . A moins, bien sûr, q u'o n
puis b elle lu re tte . Dans le commerce, évolué, p uisque le ciné m a évolue. ne se tro u v e en présence de aue la tie
l'é d itio n ou le ciném a. Et puis, quel Dans ses b uts : elle ch erche m oins B a udelaire de la c ritiq u e de film s !
p u b lic ? Le m ien, le v ô tre ou l'a u tr e ? à c o nva in cre le s p e c ta te u r q u 'à in ­ J'entends p ar spécialisation à la fo is .
Le m ien m e fic h e u ne Daix royale. flé c h ir le cours de la p ro d u c tio n - une se nsib ilité prop re m en t ciné m n -
Quelques le ttre s d 'in s u lte s p a r çi, p a r Dans ses m oyens : e lle a renoncé to g rap h iqu e , u ne connaissance réelle
là . Q u a n t à i'e s p rit du jo u rn a l ? Si a u x m o uve m e n ts de m e n to n des p ré ­ e t a p p ro fo n d ie de l'a r t film iq u e , un
j'é ta is m a lh o nn ê te , je vous d ira is que curseurs. Elle vise à ê tre e ffic a c e - resDect de la fo n c tio n de c ritiq u e e t
ie n'en tie ns aucun com pte. Sim ple­ Dans ses influ e n ces : nous avons vu au p rem ie r ch e f — q ue lle la p a lis ­
m e n t, j'essaie de ne pas m e laisser t a n t de film s, lu f o n t de livres que sade ! — l'o m o u r du ciném a ! J 'a jo u ­
aveu a ler. ne co nn a issaient pas un D elluc ou te ra i que dans la mesure où l'o n p e u t
4. — Cela dépend des œuvres e t un C anudo (lesquels n 'e x e rc e n t plus te n ir c e tte c ritiq u e p ou r un « m é­
des te m p éra m e n ts. Il est é vid e n t a ucu n e in flu e n c é , tie r », ce m é tie r n'est pas de to u t
q u 'il fa u t re v o ir plusieurs fo is M o - 51. — H eu... repos ; il exige de gros e ffo r ts de
rien b ad . En revanche, u ne seule v i­ pensée e t d 'é c ritu re , l'h o n n ê te té e n ­
12. — Dans la m esure où les c ri­ vers soi-m êm e e t le oublie- q ui c o n ­
sion de n 'im p o rte quel L itv a k s u ffit
tiques, eux aussi, o n t f a i t des fiïm s - siste à prendre le risque de « se
p ou r se persuader que c'est un film
e xécrable. Et puis, il y a des gens 13. — Disons a ue la c ritiq u e d e tro m p e r », une in fo rm a tio n cons­
q ui p ig e n t très v ite e t d 'a u tre s plus d ro ite d is p a ra ît — il n 'e x is te pas ta n te de l'esthé tia u e, la te ch n iq u e
le n te m e n t 'a u jo u rd 'h u i d 'h o m o lo g u e d 'u n V in - e t l'économ ie du ciném a, e t aussi,
neu il ou d 'u n B ra sillach — e t que n a tu re lle m e n t, u ne p erp é tu e lle re­
5. — V o ir un film , sans a rriè re - mise en auestion de l'a t titu d e m êm e
la c ritiq u e de g a u ch e j e t t e du lest.
pensée, co ur le seul p la is ir : e t du c ritiq u e en fa c e de l'a c te c r it i­
C et e ffa c e m e n t de l'é th iq u e est f a ­
m êm e s? ce film n 'e s t pas bon, je que.
ta l puisq u 'u n e é th iq u e te n d à l'e m ­
lui tro u v a du charm e. Comme j'o i
p o rte r sur u n e a u tre é th iq u e . Pro­ 3. — A ) Si te n ir c o m p te des
la p lu m e paresseuse, j'a im e le c i­
grès dans ta m esure où Je ciné a ste g oû ts du p ub lic é a u iv a u t à co m po ­
ném a buissonnier.
n 'e s t plus se ule m en t ju g é sur ses ser avec l'in c u ltu re , la v u lg a rité e t
6 . — > L 'im p o rta n t, c 'e s t d 'ê tre a pp a rte n an ce s ou ses in te n tio n s la paresse d 'e s p rit, un te l co m pro ­
lu, donc d 'ê tre lisible. Ne pas tro p
14. — Vous avez donné m auvaise m is é q u iv a u t à u ne « tra h iso n ».
se prendre .au sérieux. Si l'on a la i l s 'a g it plus e x a c te m e n t d 'é ta b lir
conscience à fo c ritiq u e tr a d it io n ­
c u ltu re solide, ne p o in t en assommer u n m in im u m de « co m m u n ic a tio n »
n elle e t ré h o b ilité le p ra g m a tis m e .
le le c te u r — puisque aussi bien l'on avec les lecteurs auxq u e ls on
M a is il ne fa u d r a it pas en a buser.
n 'é c r it pas seulem ent pour é pa ter s'adresse. A p a r t ir du m o m e n t où le
fes confrères. E tre disponible, sincère, c ritiq u e a d a p te son vo c a b u la ire
o u v e rt m êm e à ce qui vous re­ au niveau de c u ltu re des gens qui
brousse. Il va de soi q u 'il fa u t (aus­ le lise n t e t où il e x p lic ite c la ire m e n t
si) a v o ir fré q u e n té le ciném a. La RAYMOND BARKAN ses adhésions, ses réserves, ses refus
connaissance o p p ro fo n d ie de la c u i­ — m êm e en fa c e du film le plus
(Le Progrès de Lyon, R.7.F.,
sine n 'e st pas indispensable. Savez- bassem ent « com m ercial » — il est
vous ce q u 'e s t une a n a c o lu th e ? C iném a 61, C in é -A m a te u rl im possible que c e tte co m m u n ica tio n
7 . — La p lu p a rt des critiq u e s se ne s'établisse dos.
c o p ia n t e n tre eux, l'a c c o rd me sem­ B) Sien entendu, ('e s p rit n 'e s t pas
ble m oins e nrichissant que le désac­ le m êm e au C anard e nchaîné, au
cord. Le désaccord est fécond, dans Parfsien libéré, à La Croix, au F i­
la m esure où il provoque co n tro v e r­ garo, à L'H um anité, à L'Express et
ses, polém iques, mises au p o in t e t a u x Cahiers du C iném a. Ou bien le
m êm e b a ta ille s rangées, a v iv a n t la c ritiq u e p a rta g e les idées e t le to n
c u rio sité du p ub lic. de la * m aison » e t il s'y co nfo rm e
8 . — Et pourquoi se ra ie n t-ils plus a u to m a tiq u e m e n t. Ou bien il é c rit
d iffic ile s à é ta b lir, ces critè res ? là où il p e u t e t il se f a i t une règle
Parce a ue le ciném a est universel in te lle c tu e lle de n 'ê tre fid è le q u 'à
e t que le s p e cta te u r ne l'e s t pas ? son p ropre e sprit. M e tto n s que c e
Parce que nous sommes q ua ra n te s o it là ma p ositio n I
m illio n s de critiq u e s en France, tous
4. — Le c ritiq u e c in é m a to g ra p h i­
d ép o sitaires d 'u n e v é rité unique P
que se tro u v e à ce t é ga rd dans la
Parce q u 'il nous m anq u e encore la
m êm e s itu a tio n q ue le c ritiq u e th é â ­
c a u tio n d 'u n Sainte-B euve ou d 'u n
1. — O ui, il est in c o n te s ta b le que tr a l, litté r a ir e au m usical. La «. spor­
T a ine , q u i a u r a it éta lo n n é les ci­
la p lu p a rt des jo u rn a u x , q u 'il s 'a g is­ tiv ité > de son m é tie r e st précisé­
néastes d 'a u tre fo is ?
se de q u o tid ie n s, d 'he b d om a d aire s m e n t q u 'il d o it ê tre ca pa b le de se
9. — Je collabore à un q uo tid ien . ou de revues, a cc o rd e n t beaucoup prononcer à l'issue d 'u n e seule vision
J'écris — à chaud — mes cin q ou d ’ « espace * e t de « consid é ra ­ d 'u n film . Bien q u 'il puisse a p p ro ­
s ix a rtic le s p a r semaine. Il fa u t tio n » à la c ritiq u e de ciné m a . M a is fo n d ir son ju g e m e n t en re voya n t
fra p p e r v ite . Je n 'a i guère le tem ps il est v ra i aussi, hélas, q ue dans cer­ u ne œuvre, il m e p a r a ît f a r t pos­

52
sible — heureusem ent! — de p re n ­ « a m ateu rism e » au nom duquel de nos « th é o ric ie n s » les plus b a r­
dre la juste m esure d 'u n film après n 'im p o rte quel q uid a m s'arroge le dés de « connaissances s> e s th é ti­
une seule vision. Je d ira i en pas­ d r o it de tra n c h e r du beau e t dû Icid ques.
sa n t que la tendance de ce rta in s dans le ciném a. Un cas v é rita b le ­
de mes confrères à re v o ir successi­ m e n t lim ite nous a é té fo u r n i ré ­ 10. — Il est ind é n ia b le que, depuis
ve m en t d ix fo is une œ uvre p our ce m m e n t dans France O bservateur ses origines, la c ritiq u e de ciném a
m ieu x ÿ v o ir c la ir dans leurs ju g e ­ p a r deu x a rtic le s à propos de La vise à son p ropre app ro fo n disse m en t.
m ents m e p a r a it c o n fin e r à la Fille a u x ye ux d 'o r e t L'A nn é e der­ C ette e nquête en est u ne preuve. A
m a nie ! nière à M a rie n b a d où fa provocante tous ses n ive a u x, elle d e v ie n t plus
e t s u ffis a n te im com pétence c o n fi­ c u ltiv é e , plus scrupuleuse, plus in te l­
5 . — C'est un peu com m e si l'on n a ie n t à l'ob s c é n ité ! lig e nte . La c o m p lic a tio n croissante du
d e m a n d a it s'il im p o rte à un c ritiq u e ciné m a l'o b lig e à s 'in fo rm e r c o n ti­
litté r a ir e de ne lire q ue les seuls 7. — E st-il v ra im e n t indispensable n u e lle m e n t des « m u ta tio n s » qui
rom ans d o n t il a à rendre co m pte. de p a rv e n ir à un accord sur un su rvie n ne n t dans sa te c h n iq u e e t son
Bien entendu, un c ritiq u e c in é m a to ­ film ? Dans un monde où nous v i­ e sth é tiqu e . Les m onographies consa­
g ra p h iq u e d o it a lle r v o ir sans e xcep­ vons dans le r e la tif, com m ent a tte in ­ crées a u x cinéastes, les fich es film O -
tio n tous les film s q u i lui se m blent dre à l'absolu dans la d é fin itio n du g raphiques se m u ltip lie n t. Je n'oseraî
p résenter quelque in té rê t. M a lh e u ­ beau e s th é tiq u e ? La Joconde ne pas p ré te n d re p ou r a u ta n t q ue la
reusem ent, le ch ron iqu e u r de q u o ti­ s u s c ite -t-e lle pas presque a u ta n t de « v a le u r absolue » de la c ritiq u e a it
dien est obligé de v o ir e t de com ­ rican e m en ts q ue les ta b le a u x de a ug m e n té depuis Louis D elluc e t
m e nter des prod u ctio ns q u i ne relè­ D a li ? En d é p it de la divergence irré ­ M oussinac. M êm e lorsq u 'elle en é ta it
vent pas de la c ritiq u e * a r t is t i­ d u c tib le des goûts, un e ffo r t vers à son stade « p r im itif », La Passion
que ». la concordance des jugem ents est, de Jeanne d 'A c c, In to lé ra n c e , P o te m -
ce pendant, p a rfa ite m e n t concevable. kine e t H a rry Langdon n 'o n t pas
6. — En dehors de ce t a m o u r du II y a <l m éta m orp h o se des fo rm e s » été plus mésestimés ou ignorés q u 'a u ­
ciném a déjà m e ntio n n é, les deux au ciném a com m e en p ein tu re . Et jo u rd 'h u i C itiz e n K ane, Lola M o ntés
prem ières q ua lité s indispensables à le ra tio n n e l se m êle à l'irra tio n n e l ou Les Vacances de M onsieur H u lo t.
un c r itiq u e so nt (et je les place dons l'h is to ire des successifs * p a ­ La d ia le c tiq u e des ra pp o rts entre
presque sur le même p lan) : a v o ir liers esthétiques » du ciném a. Une l'é v o lu tio n du ciné m a e t celle de la
b eaucoup fré q u e n té le ciném a e t .c ritiq u e d ig n e de ce nom d o it ê tre c ritiq u e ne s e ra it-e lle pas, au reste,
posséder une fo rte c u ltu re générale. a u ta n t te n ta tiv e d 'é lu c id a tio n p a r la passionnante à é tu d ie r ? L'élargisse­
11 va de soi q u 'é crire co nvenable­ raison q u'appréhension in s tin ç tiv e m e nt de l'in flu e n c e de le c ritiq u e ne-
m e n t est nécessaire e t que, si n o tre p a r la se nsib ilité . On p e u t « a p p re n ­ f a i t aucun d o u te , encore q u 'e lle se
e xégète du ciném a té m o ig n e p a r dre » à a im e r Resnais e t A n to n îo n i, c a n to n n e tro p a u x m ilie u x in te lle c ­
su rc ro ît d'un ce rta in ta le n t jo u rn a ­ nom m e on p e u t a app re n dre » à tuels. Ecrire sur les film s e t le ciném a
listiq u e, vo ire litté ra ire , ses a rtic le s a im e r Paul K lee ou Picasso ! e st devenu un exercice de l'e s p rit de
g a g n e ro n t en e ffic a c ité e t en a g ré ­ plus en plus p ra tiq u é . Et je sais des
m e nt. Q uant à co nn a ître ou non à 8. — Là encore, ce t h o rrib le m o t a rtic le s publiés dans de modestes
fo n d la « tech n iq u e », je pense de * c ritè re » achoppe co n tre ce « b u lle tin s » q u i n 'o n t rien à e nvie r
q u 'u n c ritiq u e inca p a ble de discernei q u 'il y a d' « im pondérable » dans pour la p e rtin e n ce e t l'a c u ité de pen­
la c o n trib u tio n d'un p la n fix e , d 'u n le beau a rtis tiq u e . Pour ne pas é lu ­ sée ô ce ux de nos plus réputés « p ro ­
p a n o ra m iq u e à la g rue ou d 'u n c a ­ d er la q ue stion, disons que la c r it i­ fessionnels » !
d rag e à l'im pression générale q u 'il que de ciném a est app a re m m e n t
tir e d 'u n film , s e ra it in fé rie u r à sa plus « co m plexe » q ue les autres. 11. — La q u e s tio n est p lu tô t
fo n c tio n . Ceci d it, à m oins de s'adres­ En raison, s u rto u t, de la m u ltip lic ité oiseuse. M êm e si je ne me dem ande
ser exclusivem ent à une a ud ie n ce de des clém e n ts m écaniques, chim iques, pas ce q u i restera du film dans d ix
techniciens, une insistance d é lib é ré ­ o ptiq u e s, esthétiques, hum ains, q ui ans, m on rôle de c ritiq u e est
m e n t systé m a tiqu e dans ce dom aine in te rv ie n n e n t dans la ré alisatio n d'un d'essayer de p a rv e n ir à un ju g e m e n t
éloigne de la * bonne c ritiq u e ». f ilm , e t aussi du c a ra c tè re * to t a ­ q u i situ e la v a le u r de l'œ uvre dans
M a is un flé a u me p a ra ît a c tu e lle ­ lita ir e * que re vê t la saisie du m o n ­ I' « absolu ».
m e n t sévir dans la c ritiq u e de c in é ­ de p a r la cam éra. Juger à la fois
J2. — M êm e si les cinéastes v o u ­
m a. Je ne p arle pas de ce t * h u ­ le scénario, le décor, la p h o tog ra ph ie,
la ie n t te n ir co m pte des ré actions de
m o ur » e t de ce « b r illa n t » jo u r­ l'in te r p r é ta tio n , la mise en scène
la critiq u e , les « im p é ra tifs » actuels
n a lis tiq u e q ui, depuis de longues d 'u n film e t s itu e r au surplus l'œ u ­
de la p ro d u c tio n {je ne p a rle pas
années déjà, v o n t de p a ir avec des v re dans un c o n te x te psychologique,
de la Russie e t des d ém o craties p op u ­
jug e m en ts à l'e m p o rte -p iè ce dans les so ciologique ou m é ta ph ysiq ue est é v i­
laires) le leur in te rd ira ie n t. Im a ­
a rtic le s de nom bre de confrères d em m e n t assez com pliqué ! M a is je
g in e -t-o n , au reste, H enri Decoin,
doués, p a r a illeu rs, d'une v é rita b le ne ju re ra is pas q u 'il s o it te lle m e n t
Denys de La P a te llière , H enri V e r-
s e n s i b î I ïté ciné m a to g ra p h iq u e . Je plus fa c ile de c ritiq u e r la lit té r a ­
n eu il, G illes G ra n g ie r ou Jean D ela n-
parte de c e tte a tte r r a n te invasion tu re , te th é â tre , la p e in tu re ou la
noy ch a n g e a n t d 'in s p ira tio n ou de
de la c ritiq u e p ar des hom m es de m u siq u e!
m a nière p ou r c o m p la ire à la c r i t i ­
litté r a tu r e to ta le m e n t im perm éables 9. ■— T o u t systèm e esth é tiqu e est q u e ? Certes, R enoir, C lé m e nt, Ros­
au ciném a e t d o n t les co nsidérations a cc e p ta b le à c o nd itio n que le c r it i­ se llin i, A n to n io n i ou Bergm an (e t
ignares s 'é ta le n t dans des h eb d o m a ­ que ne s'en fasse pas un système. jad is Becker) p re n n e n t p arfois une
daires e t des revues de p re m ie r rang. Une th é o rie esth é tiqu e , o u i, m ais en conscience plus a ig u ë de leur person­
Cet envahissem ent de la c ritiq u e p a r a d m e tta n t à l'a v a n ce sa re la tiv ité n a lité e t de leurs « a m b ig u ïté s », en
la plus crasse incom pétence est d 'a u ­ e t en s'en fa is a n t m êm e un tre m ­ lis a n t ce qu'o n é c r it su r leurs film s ,
t a n t plus dangereuse q u 'e lle est sou­ p lin pour la dépasser, vo tre la dé­ m ais je d o u te f o r t q u 'u n v é rita b le
v e n t le f a i t d ’écrivains au nom pres­ tru ire . Je n 'a i de préjugé co ntre a u te u r cin é m a to g ra p h iq u e a it jam a is
tig ie u x qui savent fo rm u le r avec un a ucu n e a ttitu d e c ritiq u e . Il y a chez été ra d ic a le m e n t in flu e n c é p a r la
g ra n d b onheur d 'é c ritu re les a p p ré ­ c e rta in s un « f l a ir », un ju g e m e n t c r itiq u e .' Situons à p a rt le cas
c ia tio n s les plus ineptes. Très redou­ « a u p ifo m è tre » q u i s u s cite n t’ p a rfo is (hénaurm e !) de to u te (ou presque)
ta b le me p a ra ît aussi un c e rta in des opinions plus sûres q ue celles l'é q u ip e des Cahiers du C iném a in -

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c o rn a n t dans des film s ses positio n s d é ta il de son e sth é tiqu e e t de sa un e xem ple c o n c re t, je p a rta g e e n ­
critiq u e s e t o rc h e s tra n t sa p u b lic ité te c h n iq u e é q u iv a u t à rendre co m pte tiè re m e n t ce q u 'é c r iv a it naguère
dans la revue e lle -m êm e e t avec d'un 'liv r e en ig n o ra n t son é c ritu re . B a z in à propos de la « p o litiq u e
l'a id e de quelques jo u rn a liste s excités A leur a c tif é ga le m e n t, en c o n tre ­ des a u te u rs ».
p a r la « m y th o lo g ie » de la « n o u ­ p a rtie de tro p d 'a rtic le s d 'un e épous-
v e lle va gu e s ! to u fla n t e illis ib ilité , une série de re ­ 10. — Je cro is q ue la c ritiq u e de
m arquables e t irrem p laça b le s e n tre ­ ciné m a a é volué dans la m esure où
13. — Je n 'a i pas l'im pression l'im p o rta n c e so cio log iq ue du ciné m a
tiens avec les plus g rands cinéastes
que la d is tin c tio n e n tre c ritiq u e « de s'est e lle -m êm e accrue.
de ce tem ps !
d ro ite » e t c ritiq u e « de gau ch e »
te n d e à s 'e ffa c e r. On ne p e u t em pê­ D ois-je avouer q ue je pard o n ne 11. — Q uand je vois M a rie n b a d ,
cher les gens de ré a g ir en fo n c tio n v o lo n tie rs à ce rta in s des c o lla b o ra ­ oui. Q uand je vois Le C ave se rebiffe,
non.
de leurs idéologies e t de leurs m o ra ­ te u rs des Cahiers du Cinéma leurs
les. M ais au m oins, c e rta in s (e st-ce tra v e rs les plus ir r ita n ts ' p ou r a v o ir 12. •—- L a c ritiq u e a u ne in flu e n c e
te lle m e n t nouveau ?), s 'e ffo r c e n t- il s eu le ta le n t e t le « c u lo t » de to u r­ su r le c in é m a lu i-m ê m e , dans la m e­
d ’a na lyse r é q u ita b le m e n t l'e s th é tiq u e , n er des film s selon leur cœ ur (si d is ­ sure où elle a id e les sp e c ta te u rs à
même lorsq u 'ils e x è cre n t îe co nte nu c u ta b le s que m 'a pp a raisse n t q u e l­ p ren d re conscience de ce q u 'ils sont
in te lle c tu e l. Com m e p ou r b ie n d 'a u ­ ques-uns de ces film s ) ? En b re f, ces en d r o it d 'a tte n d re d e, ce ciné m a .
tres problèm es d 'a il leurs, il est v a in Cahiers du Cinéma q u i o n t a u ta n t
de cherch e r u ne réponse absolue- à s tim u lé que p e rv e rti la c ritiq u e , il 13. — Rien de plus d a n g e re u x e t
ce lu i • des ra pp o rts e n tre I' « id é o lo ­ e u t fa llu les in v e n te r s'ils n 'a v a ie n t so uve n t rien de plus grotesq u e (dans
gie » e t l'a r t . A ch acu n de fix e r son pas existé I ses conséquences) que c e tte in t r u ­
a ttitu d e personnelle. En ce q u i m e ’ sion de l'é th iq u e dans l'e s th é tiq u e ,
concerne, j'e s tim e q ue l'a c te c ritiq u e q u a n d e lle e st d élibé ré e . Il n 'e n est
im p liq u e à la fois u ne n o tio n lucide pas m oins c e rta in q u e nous ne ju ­
de la s itu a tio n de l'a r t dans la h ié ra r­ JEAN DE BARONCELLI geons ja m a is dans l'a b so lu e t que des
chie des va le u rs e t u ne v o lo n té de (Le M onde) fa c te u rs plus ou m oins conscients e t
dépassem ent de soi-m êm e à p a r t ir de é tra n g e rs au p u r « f a i t » c in é m a to ­
laquelle un c ritiq u e d o it ê tre en m e­ g ra p h iq u e in te rv ie n n e n t dans nos
1, — - C ette place, q u i s'est é la rg ie
sure d 'a p p ré cie r, v o ire d 'a im e r un opin io n s c ritiq u e s . La s e n s ib ilité p o ­
depuis quelques années, m e paraît,
film que son su bje c tiv is m e p o litiq u e , litiq u e e st un de ces fa c te u rs . Elle
a u jo u rd 'h u i é q u ita b le .
m oral ou re lig ie u x refuse. Ceci d it, p e u t s'exercer , dans ce rta in e s c ir ­
tin c ritiq u e q ui p r é te n d ra it ê tre in t é ­ 2 : — ■ Il n 'e s t jam ais in u tile de sa­ constances. L 'a r t cin é m a to g ra p h iq u e
g ra le m e n t « o b je c tif » s e ra it un v o ir de quoi on parle. n 'e s t plus a lo rs q u 'u n p ré te x te .
im bé cile ou un fa rc e u r I 3. — Je tie ns co m pte ■— e t dans 14. — Puisque nous venons de
14. — • Les Cahiers du C in é m a ? u ne mesure im p o rta n te — non pas p a rle r de p o litiq u e , g ard o n s -e n la te r ­
U ne sorte d'excroissance in te lle c tu e lle des goûts du p u b lic en g énéral, m ais m in o lo g ie . L 'éq u ip e des Cahiers du
m o rbide poussée sur l'é p id e rm e de la de ce que je crois savoir des goû ts C iném a e st une é q u ip e de « m ili­
c ritiq u e . Im possible d ’en p a rle r avec de ce p ub lic re s tre in t q ue c o n s titu e n t ta n ts ». Ces m ilita n ts se s o n t f a i t
s a n g -fro id e t o b je c tiv ité ! On les les lecteurs de m on jou rn al. une c e rta in e idée de ce q ue d o it ê tre
a bh orre ou on les adore ! P our m a le ciné m a , com m e d 'a u tre s se fo n t
4. Cela dépend é vid e m m e n t
p a rt..., m e tto n s que je les déteste une c e rta in e idée de ce q u e d o it ê tre
des film s. Il en e st d o n t on a « f a i t
d élicieusem ent ! A leur p assif, une la société. Ils d é fe n d e n t le u r idéal
le to u r = au b o u t d 'u n e d em i-h eu re
dose in c ro y a b le de p a rti pris, d 'in to ­ avec passion, v iru le n c e e t démesure.
de p ro je c tio n . Il en est d o n t on hésite
lérance, de g r a tu ite im p e rtin e n ce , de Ils h o n o re n t leurs g ran d s hom m es e t
à p a rle r sans les a v o ir revus. Il en
n a ïv e m e n t o rg u e ille u se p ro v o c a tio n , v o u e n t les a u tre s o u x gém onies sans
e st e n fin q u 'il f a u t a bso lu m e n t re voir, se soucier de c e tte n o tio n bourgeoise
une propension ou d é lire e sth é tiq u e ne se ra it-ce que p ou r a id e r le spec­
et m é to ph ysiq ue , un m a niérism e qu i s 'a p p e lle l'é q u ité . C om m e b ea u ­
ta te u r à p r o fite r p le in e m e n t de son co up de thé o ricien s, il le u r a rrive de
d 'é c ritu re de p e tit m a ître , u ne te r ­ u n iq u e vision. s 'e x p rim e r dans un c h a ra b ia auquel
m in o lo g ie p ré te n tie u s e m e n t absconse,
une te n d a n ce à se « pousser en 5. — C’est u t i le e t c'e st n orm a l ils se la is s e n t p a rfo is p ren d re e ux-
dans la perspective de la réponse mêmes, M a is ces d é fa u ts ne so n t au
a v o n t » dans chaque a r tic le e t à
na 2. fo n d q ue des d é fa u ts m ineurs. Ce qui
v o u lo ir ê tre plus in te llig e n t que le
c o m p te a v a n t to u t, c 'e s t l'e n th o u ­
ciném a lu i-m ê m e ! 6. — C u ltu re générale, fré q u e n ta ­ siasm e q ui les a n im e , un e n th o u ­
A le u r a c tif, un a m o u r-fo u du tio n des sa/fes, ta le n t de jou rn alis te , siasm e c o n ta g ie u x , q u i a f a i t b oule
ciné m a q u i ne se m o n tre pas to u ­ connaissances techniques. de n eig e e t co n trib u e , pour une
jours aussi fo u q ue ce la , u ne c u ltu re 7 . — • Je ne le pense pas. bon n e p a r t, à développer, m êm e chez
e t u ne co m pé te n ce c in é m a to g ra p h i­ les In fid è le s , l'a m o u r e t l'in te llig e n c e
S. — La seule d if fic u lté est de du ciné m a . J 'a jo u te ra i q ue quelques-
ques inco ntestabtes, u ne d ic ta to ria le
m a in te n ir dans son ju g e m e n t u n juste uns d 'e n tre eux o n t réussi ré cem m e n t
e t a b e rra n te « p o litiq u e des a u te u rs »
é q u ilib re e n tre ses propres exigences
q ui a eu le m é rite de c o n tra in d re a s'em parer du p o u v o ir e t à fo rm e r,
esthétiques e t ce q ue l'o n s a it des sous le nom de * n ou ve lle va gu e »,
c e rta in s c ritiq u e s à o u v rir les ye u x
servitud e s com m erciales du ciném a. un m in is tè re de s a lu t p u b lic d o n t p lu ­
su r des a u te u rs m ol connus ou m é­
connus, u ne s o tte te n dance à ré du ire 9. — Il est so uve n t u tile (e t p a r­ sieurs ré a lisa tio n s fu r e n t re m a rq u a ­
le ciné m a à la seule « m ise en fo is d iv in e m e n t com m ode) de s 'a p ­ bles. Ce m in is tè re a m a lh e ure u se m en t
scène * q u i a n éa nm oins o b lig é pas puyer sur un « système e s th é tiq u e ». te lle m e n t p ro lifé ré q u ’ il échappe
m al de confrères à se re ndre co m pte M a is ce « système » ne d o it jam a is m a in te n a n t a u x m ilita n ts de base.
de c e tte évidence q u 'u n e c e rta in e ê tr e à ce p o in t rig id e q u 'il risque de Les ré s u lta ts a cquis n 'e n s o n t pas
s tru c tu re du découpage, les p a n o ra ­ d é n a tu re r e t de fa ls ifie r ce que vous m oins irréve rsible s. R ésum ons-nous :
m iques, les cadroges, les tra v e llin g s a pp e lez « l'im pression du m o m e n t ». le b ila n est p o s itif. On d o it a u x
fo n t corps avec le c in é m a e t que c r i­ Je s u is -h o s tile à to u te fo rm e d 'a u to - C ahiers du C iném a de bons m om ents
tiq u e r un film sans e n tre r dans le d ic ta tu re in te lle c tu e lle . P our prendre de fra n c h e rig o la d e , que lq ue s-u ns des

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m e illeu rs te x te s q u i a ie n t é té é crits D 'a u tre p a rt, je tro u v e d 'u n e ré­ com prendre, où est le c ritiq u e ? A v o ir
sur le c in é m a e t une d iz a in e d 'exce l­ v o lta n te fa c ilité la p o litiq u e qui beaucoup fré q u e n té le ciném a (c'est
le n ts film s- consiste de la p a r t de c e rta in s ré­ v ra im e n t la m o indre des choses).
d a c te u rs à c o n fie r la ru b riq u e des A v o ir un ta le n t d 'é c riv a in ou de jo u r­
film s à des gens q u i p ré fé ra b le m e n t n a lis te (on to u ch e ici à la a ue stlon
ROBERT BENAY0UN o n t u ne s a in te h o rre u r du ciné m a . Je du « charm e * ou des a to u ts in d i­
tie n s la c r itiq u e n é g a tiv e , ro nch o n ne v id u e ls ). U ne connaissance a p p ro fo n ­
ou s y s té m a tiq u e m e n t p e rs ifla n te p o u r die de la te ch n iq u e me p a ra ît in u tile ,
(P o s itif)
une fo rm e a na c h ro n iq u e du ro n d -d e - e t so u v e n t c o n stitu e ra un h an d icap .
jam b e litté r a ir e . Exem ple : A n d ré A in si T r u ffa u t, depuis q u 'il est passé
Ferrier, d erriè re la cam éra, a v o u e -t-il une
g ran d e indulgence envers ce rta in s
3. ■— 1 Je n 'é c rira i ja m a is dans u n p ro d u its de fa b ric a tio n moyenne q u 'il
p ériodique d o n t je récuserais l'e s p rit. e û t naguère, e t avec raison, dém olis.
Je tie ns à m 'e x p rim e r en te rre amie, Je tiens que le c ritiq u e d o it se ta ire ,
sans re do u te r les voisinages d é g ra ­ dès q u 'il passe dans le rang des c i­
d an ts. E c riv a n t donc a p rio ri dans u n néastes professionnels de long m é­
o rga n e qui m 'e s t id é o lo g iq u e m e n t tra g e . Il a , dans une ce rta in e m esure,
fa m ilie r, j'a i l'h a b itu d e de ré cla m e r perdu sa lib e rté de ju g e m e n t. Le
(e t d 'o b te n ir) la plus e n tiè re lib e rté . té m o ig n a g e é c rit d'un ciné a ste sur un
J'essaie de ne pas verser dans le j a r ­ a u tre cinéaste a p p a rtie n t à la l i t t é ­
g on p rofessionnel, avec ce q u 'il ra tu re de p ure fic tio n .
co m po rte de c a ric a tu ra l, m ais j'a i b e ­
soin de me lancer, lo rs q u 'il le fa u t, 7. — L'accord sur un film est
dans le d é lire d 'in te r p r é ta tio n . Je ne g én é ra le m e n t im possible à réaliser
tie ns aucu n c o m p te de la n o tio n de e n tre des amîs in tim e s a y a n t les
p o p u la rité accordée p ar le p u b lic à m êmes idées p olitiqu e s, litté ra ire s ou
c e rta in s genres, c e rta in s a uteurs, ou a rfis tia u e s. Je crois donc a u 'il fa u t
1. — ' L a place qu'a cco rde la presse c e rta in s in te rp rè te s . Le p u b lic n 'a renoncer à ê tre d 'acco rd , sinon pa*-
à la c ritiq u e de ciném a s e ra it a m ­ pas besoin q u 'o n d é fe nd e ses g oû ts : hasard, avec d 'a u tre s c ritiq u e s , .e»
p le m e n t s u ffis a n te si e lle ne se une in d u s trie e n tiè re s 'y e m plo ie . fo n d e r un système p o s itif sur la p olé ­
m a n ife s ta it le plus so uve n t au d é tr i­ M ais il v e u t, plus so u v e n t q u 'o n ne m iqu e q ui d e v ra it suivre chaque
m e n t de ses moyens. On a utorise le c ro it, s a vo ir où on le m ène. e x c lu s iv ité n o ta b le . Les divergences
c ritiq u e à te n ir une ch ron iqu e des
4. — C ertain s film s com m e N a z a - d'op în ton s o n t passionnantes e t cons­
film s en cours, on le laisse ra re m e n t
rin , l'Â w e n tn r< i, M a rie n b a d , o n t une titu e n t un enrichissem ent de chaque
lib re de p ra tiq u e r une p o litiq u e , de
v e rtu de choc si décisive q u 'u n c r it i­ jo u r. Le lecteu r d o it apprendre à
te n ir des paris, de p rom o u vo ir des
que d o it a bso lu m e n t p o u vo ir les d eve n ir p ira n d e llie n , e t à ja u g e r un
th é o rie s, de se lancer dans u ne p olé­
d ia g n o s tiq u e r 6 p rem iè re vision. C 'est film selon les m u ltip le s visages que
m iqu e . {P a r co ntre, les responsables
m on vice le plus ch éri q ue de c o in ­ lui p rê te la c ritia u e .
d 'u n e pag e litté r a ir e so n t investis de
p le ins p ou vo irs). Lorsqu'il s 'a g it de cer mes co nfrères les plus illu stre s à
la so rtie d 'u n f ilm , en fe s tiv a l, e t g. — Je pense que, d e va n t
fa ir e scandale, e t c 'e s t to u jo u rs p our
d 'a p p ré c ie r l'é lé g a n c e de leurs é ch a p ­ film , le s u b je c tif est roi, que l'h u m e u r,
les plus m auvaises raisons, les ré­
p ato ire s. J 'a d m e ts q u 'u n e analyse la m auvaise fo i e t l'h a llu c in a tio n y
dacte urs p ré fè re n t in v ite r à g rand
a p p ro fo n d ie nécessite so u v e n t p lu ­ jo u e n t un rôle' p rim o rd ia l, e t q u 'il
fra c a s a u e lq ue C oncourt g rin ch eu x à
sieurs visions, m ais un c ritiq u e de n 'e s t pas un seul c ritiq u e hon n ê te
assassiner le ciné m a , ce qui r a v it to u t
q u o tid ie n ou d 'h e b d o m a d a ire d e v ra it q u i n 'a it à plusieurs reprises é té sur­
le m onde e t ne résout rien. Pour ces
p o u vo ir é crire deu x a rtic le s : le p re ­ pris, déçu, au m y s tifié p a r un film
raisons, e t p o u r d 'au tre s encore, les
m ier, g én é ra le m e n t en m a rg e d 'u n e d o n t il c ro y a it p o u v o ir ju g e r a p rio ri.
revues spécialisées sont devenues, e t
c o m p é titio n , p ou r p rendre p ositio n D e va n t ce challenge, les critè res d o i­
c 'e s t d om m age, le seul re fu g e des
sons équivoque, le second au m o m en t v e n t se fa ire plus souples. Un seul
v ra is c ritiq u e s .
de la s o rtie co m m e rc ia le p o u r déve­ subsiste, à m on avis, c'e st celui de
lopper les ré fle x io n s ou th é o rie s que l'im a g in a tio n .
2. — La c ritiq u e ne d o it pas ê tre
lui insp ire le film . Je suis fa ro u c h e ­
d id a c tiq u e , m ais fa ire œ uvre de créa­ 9. — Le c ritiq u e d o it se laisser
m e n t p o u r l'exégèse, q ue la p lu p a rt
tio n . Si le c ritiq u e n 'a aucune idée a lle r à un m o uve m e n t im m é d ia t, lors
des c ritiq u e s en renom re d o u te n t
gén é ra le ou p a rtic u liè re sur le c i­ de la p ro je c tio n , se fa ire « bon p u ­
com m e la peste, parce q u 'e lle le u r ré ­
n ém a , s 'il n 'a pas une p osition pré­ b lic », puis, au cours d 'u n e phase
clam e un m in im u m d 'a p p o rt in d i­
cise sur les écoles en présence, s'il de ré fle x io n (éclairée ou non p a r
v id u e l.
se refuse à é lu c id e r les énigmes que u ne vision u lté rie u re ), a p p ro fo n d ir ou
pose la c ré a tio n film iq u e , s'il p réfère 5. — Je suis persuadé q u 'il f a u t r e c tifie r son ju g e m e n t. G énéralem ent,
au lyrism e e t à l'en g a g e m e n t person­ v o ir tous les film s s o rta n ts , même la th é o rie q u 'il a ffe c tio n n e , si elle
nel une a ttitu d e de p ru d e n te o b je c ti­ m ineurs, ils s o n t to u s in s tru c tifs à un v a u t quelque chose, se tro u ve ra v é ri­
v ité , q u 'il a it ou non f a i t des études degré quelconque, e t r e flè te n t des fié e . Sinon, q u 'il l'ab a nd o n ne . C ha­
d e film o la g ie , réalisé jad is u n c o u rt lig n es de fo rc e ré véla trices de ce q ui q ue film e st le te s t des théories in d i­
m é tra g e sur l'o s tré ic u ltu re , je le n a ît, com m e de ce q u i m e u rt, dans viduelles.
tie n s p o u r un im posteur. Il ne d o it le ciné m a . D 'a ille u rs, j'a tte n d s du
pas s'adresser e xclu sivem e n t a u x gens ciné m a q u 'il me dispense ré g u liè re ­ 10. — La c ritiq u e n 'a pas évolué,
d e ciné m a , é crire pour se fa ire une m e n t l'in a tte n d u . A to u t le m oins, on bien q ue son p u b lic se s o it consid é ra ­
pla ce é v e n tu e lle auprès des prod u c­ p e u t c o m p te r sur ce fa m e u x q u a r t b le m e n t éte n du . Elle co n tin u e à fa ir e
te u rs : on lu i "dem ande d'exe rce r son d 'he u re d o n t p a r la it M a n Ray. v a lo ir l'ukase, l'a ffir m a tio n g ra tu ite ,
im a g in a tio n e t ses fa c u lté s d 'analyse le c h a ra b ia te c h n iq u e , la tîn e a llu ­
en fa c e d 'u n e œuvre q u i se tro u v e 6. — A v o ir une c u ltu re gén é ra le : sion, la référence p erp é tu e lle au cer­
ê tre un film . s 'il n 'e st pas à m êm e de se fa ire cle in tim e des neveux ou cousins de

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la pensée. Elle n 'a pas non plus pris p ra tiq u e m e n t le fo n d , le co nte nu in ­ m onde du ciném a occupe a u ta n t de
d 'im p o rta n c e q u a n t à son em prise sur te lle c tu e l q u 'ils m e tte n t en cause, e t place que celui des le ttre s ou du
le le c te u r. L'abus des fo rm u le s a q ue p erso n n ellem e n t je défends avec th é â tre . C'est ju s tic e . U n iv e rsita ire ,
cessé d'im p re ssio n ne r. Je crois que la l'in sis ta n c e q u 'o n co n n a ît. En fin de je fa is g ran d cas du ciném a dans
c ritiq u e , après les surenchères de la course, on v o it Godard ré aliser des mes classes. L itté r a te u r (soyez gen­
n o u ve lle va gue, a perdu fo u te pos­ film s « à s u /e t », to ta le m e n t privés tils , n 'a c c a b le z pas ce m o t d 'u n sens
s ib ilité ré elle d 'in flu e n c e r la prod u c­ de co n te n u in te lle c tu e l, Resnais, à tro p p é jo ra tif), j'e s tim e croissante
tio n . Par co ntre, e lle a é ta b li une l'opposé, fa ire trio m p h e r le la t e n t sur l'im p o rta n c e « litté r a ir e » du ciném a.
n o tio n a u jo u rd 'h u i é vid e n te : celle l'a p p a re n t d o n t il se jou e . Pour m oi, C 'est la raison p ou r laq u e lle j'a i
q ue to u t c ritiq u e cache u n réalisa» to u t film a p p a rte n a n t à la s o i-d is a n t a c cep té de te n ir pour un tem ps la
te u r v e llé ita ire . Le te s t du c ritiq u e , « école du re ga rd » est l'é q u iv a le n t ch ron iqu e de ciné m a dans A rts —
c Je s t à prése n t fa ré a lisa tio n . M a is d 'u n so nn e t p récie ux, d 'u n p o r t r a it d e e t c 'e s t aussi pou rq u oi je m ‘y e m ploie
je re fuse d 'im a g in e r ce que s e ra it un genre, ou d 'u n e ta p is se rie fo n c tio n ­ avec u ne bonne v o lo n té , to u c h a n te .
c in é m a e n tiè re m e n t réalisé p ar des nelle : u ne fu ite to ta le d e v a n t la vie .
2. — ■ Aussi spécialisés -— co m pte
c ritiq u e s . II est de plus en p lu s n e t q ue deux
te n u de la re c tific a tio n su ivq n te :
genres ennem is de ciném a v o n t d é ­
1 1 . '—— Je me dem ande to u jo u rs ce le c ritiq u e ne discute pas m é tie r
sorm ais se h e u rte r. Ce s e ra it s im p li­
q u 'o n en re tie n d ra dans d ix ans. Dans e n tre gens de m é tie r ; il s e rt d 'in ­
fie r à l'e x tr ê m e q u e d e p a rle r d 'u n
le cas de G odard, je me dem ande ce te rm é d ia ire , e t si possible d 'é c la ire u r,
c in é m a de d ro ite e t d 'u n c in é m a de
q u ’on en re tie n d ra dans deux ans, e t e n tre les gens d 'u n c e rta in m é tie r e t
gauche. M a is j'e s tim e que les o p i­
d 'a ille u rs , je le sais. C 'est le c ritè re des gens q u i ne p r a tiq u e n t pas ce
nions p o litiq u e s (ou l'absence d 'o p i­
p a r fa it, lo rsq u 'il s 'a g it de s itu e r le m é tie r.
nions p o litiq u e s) d 'u n ré a lis a te u r ne
film de m aniérism e, le film à la
so n t pas é tra ng è re s à son e sth é tiq u e 3. — A u cu n com pte.
m ode, ce fr a g ile p ro d u it des ca m pa ­
(y o ir encore Resnais), Il est n o rm a l
gnes de presse e t des c o rp o ra tifs . 4. — Plusieurs visions — du m oins
que la c ritiq u e m e tte d o ré n a v a n t les
pieds dans le p la t. p ou r ce rtains film s . Le c ritiq u e d o it
12. — La c ritiq u e a to u jo u rs été
p o u v o ir * m ieu x » v o ir p o u r a ider le
devancée p ar le ciném a. L 'a c tu e l
14. — Sur te p la n de la c ritiq u e , p u b lic à * bien » voir.
trio m p h e du film ésotérique, de ty p e
(es C ahiers du C iném a o n t eu un
L'A vventuro ou M arlenbad, a déjoué 5. — In d é pe n da m m e nt de to u t
a p p o rt nul. Ils se so n t c o n tre d its tro p
tous les p ronostics de nos p o n tife s . m asochism e, il est so uve n t in s tr u c tif
souvent. Leurs p ositio n s extrê m es (e t
La c ritiq u e a to u jo u rs sous-estim é le de v o ir des navets. M aïs quel tr a ­
fo r t va la b le s) sur H itc h c o c k , Rossel­
p u b lic q u i v ie n t, dans les tro is der­ v a il ! Et puis, on p e u t se tro m p er,
lin i, Donen, H uston , Bunuel, A n th o ­
nières années, de lui donner u n e le­ laisser passer un film cu rie u x. Il m e
ny M a nn e t a utres o n t reçu to u t ou
çon m a g is tra le d 'in tu itio n et de sem ble que d e v ra it jou e r e n tre c r i­
long des ans des d ém e n tis p ar tro p
perc e p tio n . Elle te n te désespérém ent tiq ue s de ciném a (com m e e lle joue
fla g ra n ts pour q u 'il s o it nécessaire à
de se re m e ttre dans le b a in , m ais il so uve n t e n tre c ritiq u e s litté ra ire s )
un in v ité de re m u e r « i n t r a muros »
e st vis ib le q u 'e lle ne com prend pas u n e c e rta in e so lid a rité , X s ig n a la n t
le co u te a u dans la plaie. A u c u n e
encore les raisons de c e tte p rom o tio n à Y tel spectacle. M a is p e u t-ê tre
th é o rie v a la b le n'en e st so rtie , a u ­
soudaine du sp e c ta te u r. L'en q u ête en­ c e tte so lid a rité ja u e -t-e lle ? Il reste
cune te n d an ce précise ne s'y est f a i t
tre p ris e p a r B a ron ce lli sur Morfenbad ce p e n d a n t e ntendu que c e rta in s film s
jo u r. T ro is écoles successives de v a t l-
e st le re fle t d'un désarroi p ro fo n d . ne re lè ve nt pas de la c ritiq u e de c i­
c in a te u rs y o n t exercé leurs p o u ­
Je crois à u ne crise a ctu e lle de la ném a.
voirs, a n n ih ila n t à c h a q u e fois les
c ritiq u e , e t à un é c la te m e n t des rou­
thèses précédentes. 6 . — Les deux prem ières q u a lité s
tin e s professionnelles que v o tre en­
m e paraissent nécessaires à to u t
q u ê te p o u rra p e u t-ê tre d é fin ir. Plus Par c o n tre , su r le p la n de l'e x p re s ­
jo u rn a lis te , q u 'il s'occupe d e cuisine
que jam a is, la c ritiq u e a besoin de sion im m é d ia te , les C ahiers o n t in ­ ou de voyages in te rste lla ire s . La t r o i­
fo ire ses preuves, e t de se dédouaner. c o n te s ta b le m e n t fa vo ris é l'accession à sièm e q u a lité ? De m êm e q ue le c r i­
Je ne connais pas un q u o tid ie n , pas la mise en scène de plusieurs m e t­ tiq u e litté r a ir e d o it a v o ir beaucoup
un h eb d o m ad a ire q u i a it é té à la teurs en scène de g ra n d ta le n t,
* lu », le c ritiq u e de c in é m a d oit
h a u te u r des bouleversem ents profonds com m e P h ilipp e de Broca ou Jacques
a v o ir beaucoup « vu »- M a is u n e
que su bît sous nos ye ux l'e s th é tiq u e Dem y. L'em phase q u 'o n a to u jo u rs
c ritiq u e qui ne s e ra it q u 'u n e c ritiq u e
du ciné m a . Il reste à é ta b lir, dans le placée au 146, Cham ps-Elysées, sur
p ar références n 'é c h a p p e ra it pas
plus b re f d éla i la « ré a lité » d 'u n e l'école de la ré a lis a tio n a a b o u ti à
lon g te m p s au péd a n tism e e t à l'éso-
Jeune C ritiq u e a c tiv e e t co nstruc­ une fo rm e n o u v e lle de ■ m é cén a t,
té rism e. Je me m é fie de to u te d é fo r­
tiv e , d o n t p a ra d o x a le m e n t le p u b lic c o n fid e n tie l e t se m i-m a ço nn iqu e , q ut m a tio n professionnelle ! C elle du r a t
luï-m êm e a ura créé la dem ande. a n e tte m e n t m o d ifié la s itu a tio n
de ciné m a th è qu e ne ris q u e -t-e lle pas
13. — Elle te n d de m oins en moins c o n te m p o ra in e du ciné m a fra n ç a is . d 'ê tre aussi desséchante q u e celle du
à s 'e ffa c e r. M ais v o tre question est De ce creuset, s o n t sortis des film s r a t de b ib lio th è q u e ? Cela posé, une
fo rm u lé e ten d an cieu se m en t, lors­ a u x styles so u v e n t c o n tra d ic to ire s , solide c u ltu re c in é m a to g ra p h iq u e m e
q u 'e lle v e u t séparer l'é th iq u e de q ui a tte s te n t m oins d 'u n e s p rit réel p a r a ît indispensable. Q u a n t à (a q u a ­
l'e s th é tiq u e . L 'e s th é tiq u e selon Hegel que d 'u n e m é th od e , certes nouvelle. triè m e q u a lité .,, Je passe a u x a veu x,
a to u jo u rs é té u ne préoccupation Hélas, c e tte m é thode, f o r t lim ité e , je m 'o ffr e à vos coups : m a co nn a is­
essentielle de la pensée de gauche, semble déjà a v o ir f a i t son tem ps. sa n c e - de la te c h n iq u e c in é m a to g ra ­
e t te n d , c o n tra ire m e n t à ce qui phique est to u t, s a u f p ro fo n d e . Elle
s'opère dans la N o u v e lle V ague, à est livresque. E t ce la m e gêne en
s'associer é tro ite m e n t avec l'é th iq u e . e ffe t . M aïs je ne pense pas que le
Il est bien é v id e n t que Resnais n 'a p ­ fEAN-LOÜIS BORY c r itiq u e d oive se laisser o b n u b ile r p o r
p a r tie n t pas à la N ou ve lle V ague, les problèm es p u re m e n t techniques.
q u 'il précède de loin e t c o n tre d ît (A rts ) Que penseriez-vous d 'u n c r itiq u e l i t ­
to ta le m e n t (avec A n to n io n i). Les té ra ire q u i ne v e r r a it dan s u n liv re
C ahiers o n t c o u tu m e de n ie r friv o le ­ 1. — Dans to u t h e b d o m ad a ire ou que les p rop ositions în fin itiv e s ou les
m e n t l'im p o rta n c e du su je t, mais c'e st q u o tid ie n n o rm a le m e n t co n s titu é , le c o njo n c tio n s de c o o rd in a tio n ?

56
Bref, (es deu x prem ières q u a lité s L 'esthé tism e qui n'est que cela 1. — Je tie ns p ou r à peu près
é to n t sous-entendues, c'est le t r o i­ m 'a ga ce p rod igieusem ent les ongles. s a tis fa is a n te la place accordée à
sièm e que je classerai com m e la plus l'h e u re a c tu e lle , dans la Presse fr a n ­
14. — Très p o s itif. Les Cahiers du
im p o rta n te (fré q u e n ta tio n supposanr çaise, à la c ritiq u e de film s e t de
Cinéma o n t tra v a illé à donner au
a m our). ciné m a , s u rto u t si je la co m pa re â
c in é m a son im po rta n ce , sa d ig n ité , sa
« s p é c ific ité ». La preuve de c e t ce lle que l'on accorde si c h ic h e m e n t
7. — Oui — si j'e n crois m on à la M u siq u e (un scandale !). 11 n 'y
expérience assez fra îch e de c ritiq u e a p p o rt : le nom bre de p ub lica tio n s
spécialisées q u i o n t su ivi (si je ne a pas de h asard : ce n 'e s t pas l'im ­
de ciném a (e t le co u rrie r q ue ça m e p o rta n c e c u ltu re lle d 'u n A r t q u i dé­
v a u t). me tro m p e ). C ritiq u es (personnelles) :
vous donnez p a rfo is un peu tro p l'im ­ te rm in e la place q u 'u n d ire c te u r rfe
8. — Réponse d iffic ile .' Le cin é m a pression d 'a v o ir p ou r c o lla b o ra te u r jo u rn a l lui accorde, m a is son im p o r­
ta n ce économ ique.
s'adresse à to u te la s e n s ib ilité du M oïse descendant du S inaï, dans un
specta te ur, e t pas se ule m en t à sa p oin g la ta b le des lois, dans l'a u tre Je ne d o u te pas, to u te fo is , que si
fa c u lté de com préhension. Il y a les fo u d re s e xcom m uniantes. J'a dm ire , l'in d u s trie c in é m a to g ra p h iq u e b a t ta it
aussi que le s p e cta te u r de ciném a, e t j'e n v ie , v o tre sécurité in te lle c ­ sérieusem ent de l'a ile , la c ritiq u e
isolé p ar l'o b s c u rité et com m e tu e lle . s e ra it sa c rifié e la prem ière, dans les
désarmé p ar !e c o n fo rt des reins jo u rn a u x , e t la p u b lic ité ré d a c tio n ­
r é a g it plus in d iv id u e lle m e n t q u 'a il­ nelle la dernière.
leurs. Simples suggestions. II y a sans
2. — Selon le jo u rn a l — d 'in ­
doute d 'a u tre s raisons. ROGER B0USS1N0T
fo rm a tio n ou d 'o p in io n — la C ri­
9. — J'a i h o rre u r de to u t systèm e, tiq u e d o it ê tre co n fié e à deux sortes
(A rts) . de gens : d'un e p a r t à l'in fo rm a te u r
quel q u 'il so it. Ce q u i n'em pêche pas
ie c ritiq u e de posséder son « échelle qui analyse un film avec le seul
de valeurs ». Q u a n t à l'im pression souci ( u tilita ir e ) q ue le le c te u r puisse
du m om ent, rien de plus c o n te s ta ­ se fo rg e r une o p in io n ; d 'a u tre p a rt,
ble. Le f a it de v o ir un film plusieurs à quiconque, « spécialisé » ou non,
fo is p eu t rem édier à ce que la c r i­ a p p o rte des idées neuves sur ce
tiq u e im pressionniste a de tro p d é ­ q u 'e s t — ou d e v ra it ê tre — le
te rm in é p ar les co njonctures. Ciném a.

10. — ■ Dans ses b uts ? Ils n 'o n î 3. — C ritiq u e de ciné m a , je ne


pas dû ch anger : lu t te r p o u r la crois pas à une g é n é ra tio n spontanée
d ig n ité e sth é tiqu e du ciné m a , a r t du g o û t. Je crois q u 'il se fo rm e , au
m a je u r — c 'e s t-à -d ire lu t te r c o n tre ciném a com m e a illeu rs. Le « g o û t du
le ciném a - d iv e rtis s e m e n t - du p u b lic » est l'e n ie u d 'u n e lu tte . N e
sam edi soir ; de m êm e que la c r i t i ­ pas en te n ir c o m p te — pour le fo r ­
que d ra m a tiq u e lu tte co n tre le tif ie r ou le c o m b a ttre — s e ra it vide r
la c ritiq u e de son co n te n u , en to u t
th é â tre -d iv e rtis s e m e n t - d 'a p rè s -d în e r
ou th é â tre d ig e s tif, e t le c ritiq u e cas la p riv e r de son b u t.
litté r a ir e co ntre la litté r a tu r e p our ...M ais, lecteu r, je compose
b ib lio th è q u e de gare. D éfendre un avec les goûts personnels du C r iti­
ciném a a r t m ajeur, cela s ig n ifie aussi A v a n t de répondre au d é ta il de que de film s que je lis — g oû ts que
défe nd re un ciném a q u i existe in d é ­ v o tre que stio n na ire, e t a fin d 'é c la i- je fin is bien p a r c o n n a ître sans son
pen d a m m en t de la litté r a tu r e e t du rer mes réponses, je d ira i q u 'à mon concours, qua n d bien m êm e il ne
th é â tre . sens la d ive rsité de la C ritiq u e est à les a v o u e ra it pas. Et cela ne me
Dans ses moyens ? Je ne vois pas la fois un f a it e t une nécessité. gêne p o in t.
très bien ce que vous vo ulez d ire.
15 y a deu x sortes de C ritiq u es : 4 . — Cela dépend du film , de la
Dans ses influences ? Oui : in flu e n ­ les « C ritiques de film s » e t les vitesse à laq u e lle fo n c tio n n e n t les
ces croissantes. « C ritiq u e s de Ciném a », e t je crois cellules grises du C ritiq u e , du genre
à la nécessité de c e tte d u a lité , dans d 'é tu d e à laq u e lle il se livre .
11. — R arem ent. Je veux dire la mesure où nous avons une presse
que ce n 'est pas m oi q u i m e pose d 'in fo rm a tio n e t une presse d'op inio n . Il existe ce rta in s film s q u 'u n « c r i­
c e tte question, c'e st le film q u i m 'im ­ tiq u e de c in é m a après a v o ir pris
pose la réponse. On sent l'im p o rta n c e Ce que, lecteur, je dem ande au connaissance de la fic h e te chnique,
d 'u n film , même si on ne l'a im e pas. M onde (* D ois-je ou non a lle r vo ir n'a a u c u n e m e n t besoin de v o ir, e t
Q uant Q d é te rm in e r avec précision ce soir tel film ? ») n 'a rien à vo ir q u 'u n « c ritiq u e , de film s » ne v o it
ce que la p o s té rité en re tie n d ra , cela a vec ce que je dem ande à la c r i­ que p a r o b lig a tio n professionnelle.
me p a ra ît te rrib le m e n t p réso m p tu e ux. tiq u e de A rts ou des C ahiers. En
Dans d ix ans... ta n t que le c te u r — j'in sis te — deux 5. — Je vois so u v e n t des film s
sortes de c ritiq u e s me so n t néces­ d o n t je n 'a f pas à rendre com pte.
12. — Oui. Je le pense. Je le saires : celles q u i m 'in fo rm e n t au Pour mon p la is ir, p ou r m on é d ific a ­
so uh a ite . J'a im e ra is bien. jo u r le jou r, e t celles qui n ou rris­ tio n personnelle, p ou r m ieu x d éfe nd re
s e nt, c o n tre d is e n t, su rpre n n en t ou le ciném a que j'a im e ou auquel je
13. — H orre u r de ces é tiq u e tte s . même ch o q u e n t l'id é e que je me crois.
Je crains bien, sur ce p o in t, de réagir fa is du ciném a. C ritiq u e in fo rm a -
en a ffr e u x bourgeois. A un bon film t iv e e t c ritiq u e m ilita n te . 6. — D 'u n * c ritiq u e de film s » :
de d ro ite (?) je 'p r é fé r e r a is p e u t-ê tre
En ta n t que c ritiq u e , — e t si l'on L'absence de passion, la c la rté de
un bon film de g au ch e (?). M a is Je
v e u t p a r v o ca tio n , ou p ar te m p é ­ l'expression.
p référe ra is à coup sûr un bon film
de d ro ite à un m auvais film de g a u ­ ra m e n t — , j'a p p a rtie n s d a v a n ta g e à D 'un * c ritiq u e de ciném a » :
che. Je n 'a i p o u rta n t pas l'im pression la seconde ca té g orie . La passion a llié e — selon son
de ré ag ir en esthète. Cela d it, te m p é ra m e n t — à l'e s p rit de finesse

57
ou de g éo m é trie . Si sa passion est 11. — Nous n'avons pas, hélas, si sance non m oins nécessaire de l'h is ­
n o u rrie p a r (dans l'ord re ) u ne bonne so uve n t l'occasion de nous dem ander, to ire e t de l'e s th é tiq u e c in é m a to ­
c u ltu r e générale, u n e e x ce lle n te c o n - q uand nous voyons un film , ce q u 'o n g ra p h iq u e . U n excès de « s p écia lisa ­
naissance du «. c in é m a » (pas o b li­ en re tie n d ra dans d ix ans. M a is tio n » a b o u tit so uve n t a u m a n d a ­
g a to ire m e n t des « film s »), u n s ty le quand cela se p ro d u it, je n 'y m a n ­ rin a t, aux chapelles et à leurs
à son service e t, — ■ q u a n d cela est que pas. dogmes, aux fa n a tis m e s et aux
nécessaire à sa d é m o n s tra tio n , — snobismes q ui fo n t o u b lie r le râle
u ne connaissance a p p ro fo n d ie de la 12. — In d is cu ta b le m e n t. Si, e lle du ciné m a e t sa s itu a tio n dans le
te ch n iq u e, elle n'en a q ue plus de n'en a v a it eu aucu n e depuis Louis m o n d e réel.
chances de deve n ir co nta gie use , donc Delluc, e lle n 'e x is te ra it déjà plus. Si
elle ne d e v a it plus en a v o ir, c'e st 3. — F la tte r les g o û ts ou les
e ffic a c e . Dans le m e ille u r des cas,
c e tte passion p eu t je te r les bases que le ciném a fra n ç a is se rait déjà engouem ents du p u b lic re lè ve de la
m o rt. dém a g o gie . Laissons cela a u x p ro d u c ­
d 'u n e école cin é m a to g ra p h iq u e . La
te u rs e t à c e rta in s ré a lis a te u rs q u i
d ive rsité des écoles, des co u ra n ts
13. — Je ré pondrai par une a u tre s a v e n t en tir e r p r o f it . Le c ritiq u e ,
d'idées, m êm e les plus opposés, e st
question : qu’e s t-ce q ue l'esthé tiq u e lu i, s'il a l'a m b itio n d e g u id e r le
nécessaire, in te lle c tu e lle m e n t e t éco­ s p e cta te u r, d e l'a id e r dans ses ch o ix ,
sans l'é th iq u e ? On est to u jo u rs « de
n om iq ue m e n t, ou C iném a plus q u 'à
gauche » ou * de d ro ite » p a r ra p ­ e t, sans p ré te n d re à la pédagogie,
n 'im p o rte quel a u tre A r t.
p o rt à q ue lq u'u n ou à q ue lque chose. d 'é d u q u e r sa se n s ib ilité , d o it savoir,
7. — L 'acco rd sur une œ uvre n 'e s t en re tour, a pp re n dre d u s p e c ta te u r,
n i plus fa c ile ni plus d if fic ile à o b te ­ 14. — Les Cahiers du Ciném a o n t c o n n a ître ses besoins. L orsq u 'on é c rit
n ir dans le c in é m a q ue dans les eu le trè s g ran d m é rite de se s itu e r dans u n jo u rn a l, an tie n t co m p te
a utres dom aines, M a is p e u t-ê tre fa u ­ d élibé ré m e nt, à u ne période récente, de ses lecteurs é ven tue ls. I] e x is te
d r a it- il préciser : e n tre q u i e t q ui ? * à gauche » d 'u n c e rta in ciném a, u n s e n tim e n t de re spo n sa bilité n a ­
E t q ue lle sorte d 'a c co rd ? co nse rva te u r e t ro u tin ie r. Ils c o u re n t tu re l à l'é g a rd des lecteu rs, com m e
Je tiens l'u n a n im ité p ou r d a n g e ­ a c tu e lle m e n t le danger de se re tro u ­ à {'é ga rd du jo u rn a l. L 'in d é p e n d a n c e
reuse, parce que sté rilisa n te . ve r < à d ro ite », conservateurs (des d 'e s p rit ne d o it ja m a is s ig n ifie r
positions acquises) e t ro u tin ie rs par absence d 'e s p rit de re spo n sa bilité.
S. — E ta b lir des critè re s com m uns, ra p p o rt à l'é v o lu tio n a ctu e lle du
c 'e s t fa ir e des concessions. Le « c ri­ 4. — Q uand on l i t u n ro m an , on
ciném a dans le monde.
tiq u e de film s » p e u t en fa ire , en peut re v e n ir avant de l'a n a ly s e r
les so u lig n a n t. Le « c ritiq u e de d 'u n p o în t de vu e c ritiq u e , su r ce r­
ciné m a », s'il en fait., d e v ie n t un M I C H E L CA P D E N A C ta in s passages, y ré flé c h ir. Le c r it i­
o p p o rtu n is te . que de film s , s'il en a la p o s s ib ilité
(Les L e ttre s fra n çaise s) (ce n 'e s t pas to u jo u rs le cas lors­
9. — Si le « c ritiq u e de ciné m a * qu'o n é c r it dans un q u o tid ie n ) ne
n 'a pas son systèm e de références
I . — De q ue lle presse s 'a g it- il ? d e v ra it pas se p riv e r de re v o ir une
personnel — ■ auquel il se ré fè re aussi œ uvre p lu sieu rs fo is sous p ré te x te
Le co nception m êm e de la c ritiq u e
bien que son le c te u r — , il perd sa q ue le sp e c ta te u r, lu i, ne la ve rra
v e rîe selon la n a tu re du jo u rn a l où
q u a lité de c ritiq u e : il d e v ie n t, p our en p rin c ip e q u 'u n e fo is.
e lle s'exerce. Les q uo tid ien s so nt
peu q u 'il a it du ta le n t, un a im a b le
voués à l'in fo rm a tio n rapide, im m é ­ 5. — Que p e n s e ra it-o n d 'u n c ri­
« fa is e u r de b ille ts u n flâ n e u r
d ia te / la c ritiq u e s'y développe — tiq u e lit té r a ir e q u i ne c o n n a îtr a it de
de la plum e. Et très ra p id e m e n t, ses nécessairem ent — sous u ne fo rm e l'h is to ire e t de la v ie lit té r a ir e que
o pinions d e v ie n d ro n t suspectes. A u
lap idaire, impressionniste, so uve n t su­ les ouvrages d o n t il e st appelé à
m ieu x, il am usera {ce n 'e s t pas une p e rfic ie lle . Cependant le prob lèm e rendre c o m p te ? On ne p e u t e xerce r
c o n d a m n a tio n ), m ais m êm e ses polé­
n 'est pas u n iq u e m e n t q u a lit a tif. Il v a la b le m e n t la c ritiq u e c in é m a to g ra ­
m iques se ron t vaines. est de f a i t q ue la presse q u o tid ie n n e , p hique q u 'à la c o n d itio n d e posséder
Si le « c ritiq u e de film s » ne dans ta p lu p a rt des cas, tra it© en­ u ne vue d 'en se m ble d e la p ro d u c ­
s 'a u to rise pas à a vo ir un « systèm e core le ciném a com m e u ne fo ire e t tio n , d 'a u ta n t plus nécessaire q u e
e s th é tiq u e », ses ré actio n s c a ra c té ­ non com m e un a r t. La su rfa c e im ­ le film e st encore p lu s la rg e m e n t
rielles en tie n d ro n t lie u , pour le lec­ p rim ée consacrée a u x échos sur la d iffu s é q ue le livre .
te u r qui d é te rm in e ra son ch o ix en v ie p riv é e e t p u b liq u e des v e d e tte s
6. — Il est a bsurde de v o u lo ir
a ccord ou en désaccord avec elles. est p lu s im p o rta n te q ue ce lle accor­
é ta b lir u n e h ié ra rc h ie e n ir e /es d i­
C 'est un f a i t d 'exp é rie n ce q u o ti­ dée à la c ritiq u e p ro p re m e n t d ite
verses q u a lité s énum érées. L e u r com ­
dienne. — q ui se ra ttra p e un peu à l'o c c a ­
b in a iso n m e p a ra ît indispensable. Il
10. — La « c ritiq u e de c in é m a > sion des Festivals. Q u a n t a u x hebdo­
f a u t s 'e ffo rc e r d 'y a tte in d re , en to u t
évolue (heureusem ent) tous les jours m adaires, litté ra ire s p a r tra d itio n ,
é ta t de cause. J 'a jo u te ra i, q u a n t à
* dans ses b u ts », com m e vous d ites. ou p o litic o -c u ltu re ls , ils se c o n te n te n t
m oi, u n e a u tre q u a lité : la s in c é rité ,
Cela se m a n ife s te de tem ps à a u tre gén é ra le m e nt d 'u n e seule chronique.
e t un don : l'in tu itio n .
p ar de b ru y a n te s ru pture s passion­ La v ie c in é m a to g rap h iq u e y tie n t
m oins de place q ue la v ie litté r a ir e 7 . — Le ciném a é ta n t u n a r t re ­
nelles, e t c 'e s t un bien. la tiv e m e n t jeune, les c ritè re s de
ou a rtis tiq u e . La c ritiq u e de ciném a
Son in flu e n ce s’e s t co nsid é ra b le ­ y a acquis ses le ttre s de noblesse, v a le u r, les repères tra d itio n n e ls y
m e n t a cc ru e p e n d a n t u ne c e rta in e un in d é n ia b le d r o it de c ité , m ais non so n t m o in s é vid e n ts, m oins im p la n ­
période (la vogue des cin é -c lu b s), p o in t encore la p rim a u té q ue d e v ra it tés dans nos h a b itu d e s e t nas réac­
dans la mesure où elle a pu c o n tre ­ lui v a lo ir lo g iq u e m e n t son im p o r­ tio ns, p a r conséquent plus c o n tra ­
b ala n cer les in té rê ts m e rcan tiles e t la ta n ce dans la vie c u ltu re lle . d icto ire s . Un film , m e t en œ uvre
m é d io c rité in te lle c tu e lle de c e u x q u i d a v a n ta g e d 'é lé m e n ts e t d a v a n ta g e
in c lu e n t dans leur b u d g e t de p ro ­ 2. — Une réelle q u a lific a tio n m e de ta le n ts o b lig a to ire m e n t conjugués,
d u c tio n ou de d is trib u tio n u n poste p a ra ît p lu s im p o rta n te q u 'u n e pseudo­ q u 'u n liv r e q ui n 'a q u 'u n seul res­
de p u b lic ité ré d a c tio n n e lle . sp écia lisa tio n. La c ritiq u e du ciné ­ ponsable d e v a n t son p u b lic . Il est
C ette in flu e n ce de ta c ritiq u e est ma im p liq u e u ne nécessaire expé­ donc n a tu re l, q u a n d on dissocie les
a ctu e lle m e n t en sérieuse régression. rience du jou rn alism e, u ne connais­ d ive rs aspects d 'u n f ilm — style ,

58
scénario, in te rp ré ta tio n , e tc ... — que ne se s itu e n t au-dessus des classes, les équipes successives n 'a ie n t p o in t
l'o n se tro u v e en présence d 'a p p ré ­ des p a rtis (e t des p a r tis pris) des to u jo u rs évolué à la m êm e a ltitu d e
c ia tio n s plus diversifiées e t m êm e c o u ra n ts d 'o p in io n , des idéologies n i dans la m êm e u n ité (la d ern ière
a nta go n istes. Le ju g e m e n t g lo b a l que dans lesquelles ils s o n t p lu s ou m ains en d a te est p e u t-ê tre la plus h é té ­
l'o n p o rte su r un film est d éte rm in é fo rm e lle m e n t engagés. P arler d 'u n rogène), on ne s a u ra it n ie r l'a p p o rt
dans u n e la rg e mesüre p a r l'im p o r­ « e ffa c e m e n t » des d is tin c tio n s — des C ahiers en ta n t que source de
ta n c e (e t l'in té rê t) q ue l'on accorde é th iq u e s au e sth é tiqu e s — e n tre d o c u m e n ta tio n riche e t v a rié e , c e n tre
re spectivem ent à ses élém ents cons­ c ritiq u e s relève de l'im p o stu re , ta n ­ de d ébats passionnés e t passionnants
t i t u t i f s . Les p artisa n s de la « fo rm e » dis que la d is tin c tio n , dans ce d o ­ (souvent) encore que ce ux-ci a ie n t
considérée com m e l'u n iq u e c ritè re
m a in e e n tre « gauche * et to u rn é quelquefois a u x controverses
de v a le u r n 'a u ro n t pas la m êm e * d ro ite » risque de cré er la c o n fu ­ b yzan tin e s. IJ est v ra i, d 'a u tr e -p art,
p ositio n que les critiq u e s p ou r qui sion : te l c ritiq u e a ffic h a n t des q ue les Cahiers o n t été le creuset
la fo rm e e t le c o nte nu d 'u n e œuvre c o n victio n s « de gau ch e » a pu où se sont form és quelques a u te u rs
s 'in s c riv e n t dans u ne u n ité d ia le c­ d é m o lir p o u r des raisons « e s th é ti­ de ciném a d o n t les idées fra c a s sa n ­
tiq u e . ques » te lle œ uvre q u i s 'in s c riv a it tes, les coups de gueule, ('a narchism e
p o u r ta n t dans u n c o u ra n t ré volu ­ in te lle c tu e l considéré com m e un des
8. — Dans une société com m e la
tio n n a ire c o n fo rm e à ses p rin cipe s b e a u x -a rts se so n t révélés, à l'é p re u ­
n ô tre — c a p ita lis te — il ne sau­
é th iques. En revanche, le c o n tra ire ve de la cré a tio n , m oins fru c tu e u x
r a it y a v o ir de critè res a rtis tiq u e s
est e x cep tio n ne l : les c ritiq u e s d o n t que le ta le n t p ro p re m e n t d it- L 'a p ­
absolus, pas plus que d 'o b je c tiv ité
les co n victio n s so n t e ffe c tiv e m e n t p o rt des Cahiers, dans le dom aine
absolue. Les critè res sont sous-tendus,
de d ro ite ra te n t ra re m e n t leurs coups de l'exégèse, est beaucoup plus d is ­
consciem m ent ou non, p a r des a t t i ­
e t ne p e rd e n t pas de vu e leurs c u ta b le e t n é g a tif, s u rto u t depuis
tudes idéologiques ou des racines
o b je c tifs . Il est fa u x de penser — quelques années. On a vu s'y déve­
idéologiques plus ou m oins p rofondes.
ou de fe in d re — q u 'il y a i t p u re lopper une n e tte te n d an ce à la fu ite
L 'id é olo g ie d o m in a n te , celle de la
o b je c tiv ité , p ure im p a r tia lité e sthé­ p a n iq u e d e va n t les ré alité s co n te m ­
b ourgeoisie, impose la p lu p a rt de ses
tiq u e . Ce g en re de n e u tra lis m e est poraines. On y a e n fo u rc h é tro p
dogm es esthétiques e t de ses con­
g én é ra le m e n t u ne illu sio n . Les so uve n t le (m auvais) cheval de b a ­
v e n tio n s éthiques. T o u te fo is, l'e x is ­
o ptions, en fin de co m pte, se d é c i­ t a ille du fa u x c o n f lit e n tre les gé­
te n ce d 'u n e lu tte des classes, l'im ­
d en t su r le co nte nu d 'u n e œ uvre •— n éra tio n s . On y a tr a ité , a vec une
p o rta n c e p rise à n o tre époque p a r
je ne dis pas su r le * s u je t » — e xtrê m e com plaisance u ne m u ltitu d e
la lu t te de la classe ouvriè re p our
p a r ra p p o rt à des ré a lité s h istoriq ue s de fa u x problèm es. On y a c u ltiv é
la tra n s fo rm a tio n de la société,
bien précises e t selon la n o tio n que le d ile tta n tis m e e t l'o u tre c u id a n ce ,
l'existe n ce, d 'a u tre p a rt, d 'u n cou­
les c ritiq u e s se fo n t du rôle du le m y th e e t le c a n u la r. On a assisté
ra n t ré v o lu tio n n a ire p a rm i les in te l­
ciném a (sp ectacle e t langage) dans de la s o rte à la c o n s titu tio n d 'u n e
lectuels, in flu e n t d 'u n e m a niè re ou
c e tte ré a lité . v é rita b le fra n c-m a ç o n n e rie (o u si
d 'u n e a u tre sur la d ém arche des
l'o n p ré fè re une fra n c -c a m a ra d e rie )
, cré ateu rs. Il s'e nsu it que beaucoup 10. — A ) A p p a re m m e n t non. avec ses p o n tife s , ses rites, ses e x c lu ­
‘ d'œ uvres so n t traversées p a r des
sives, ses id o lâ trie s saugrenues q u i,
lignes de fo rc e com plexes, c o n tra ­ B) Les m oyens se so n t développés.
de m a la d ie in fa n tile , évolu è re n t
d ic to ire s , d'où p a rfo is u n e a p p a re n te
C) Les ciné -club s, la ciné m a th è qu e m alheureusem ent vers (a psychose
co nfu sio n . Il n 'e s t pas possible, à
o n t eu a u ta n t, sinon plus, d 'in flu e n c e ch ron iqu e (h itc h c o c k ite , c o tta fa v ite ,
m on sens, de se c o n te n te r de critères
sur la fo rm a tio n d 'u n p u b lic de m e lv illite — ■ la plus ré cen te ). C e tte
esth é tiqu e s « Durs ». N u lle e s th é ti­
cinéphiles. M a is la c ritiq u e est à danse a u to u r d 'u n n om b ril co nfo nd u
que, n u lle th é o rie ciné m a to g ra p h iq u e
i'o rig în e d e c e rta in s engouem ents a vec l'o b je c tif p e rm e tta it du m êm e
ne p e u t du reste ê tre élaborée in ­
(passagers au d urables) de certaines coup d 'ig n o re r — p a r exem ple —
dép e n da m m e nt de son c o n te x te so­
modes, p o u r ne pas d ire de cer­ ou de sous-estim er l'ex is te n ce de la
c ia l e t idéologique. Il est évid e m ­
ta in s snobismes. Elle a, sans d o u te , jeu n e école du ciném a polonais, le
m e n t so u h a ita b le qu'u n c ritiq u e fo n d e
a id é c e rta in s ré alisateu rs im p o rta n ts , renouveau du ciném a so vié tia u e, de
son a rg u m e n ta tio n sur des principes
m ais p a rfa is m éconnus. (Bergm an, ne d écouvrir qu'après coup (e t selon
esthétiques, p lu tô t que sur sa propre
Losey, A n to n io n i p a r exem ple) à l'o p p o rtu n ité ) des co urants, des œ u­
s u b je c tiv ité . M a is s'e nferm e r, en la
c o n q u é rir leur p u b lic . vres e t des a u te u rs im p o rta n ts :
m a tiè re dans un systèm e p ré fa b riq u é
in u tile 'd e c ite r, le bon dieu des
e st p a rfa ite m e n t v a in . A n d ré Bazin
11. — Bien sûr ! C ahiers recon n a îtra les siens. Ces
é c riv a it fo r t ju s te m e n t : « Il f a u t se
m u ltip le s a be rra tio n s o n t, sans doute,
g a rd e r d 'id e n tifie r le ciném a avec 12. — Oui, dans la m esure où com prom is la ré p u ta tio n e t le sé­
te lle ou te lle e s th é tiq u e donnée et, l'o n p e u t c ro ire à l'e ffic a c ité de la rieu x de la revue : p o u rta n t, si e lle
p lu s encore1, avec je ne sais quelle c r itiq u e sur l'é v o lu tio n de la c u ltu re n 'e x is ta it pas, il fa u d ra it l'in v e n te r
m anière, q ue lle fo rm e s u bsta ntia lisé e e t de l'e s th é tiq u e c in é m a to g ra p h i­ — q u 'e lle vive donc, m ais p o u r
d o n t le m e tte u r en scène d e v ra it o b li­ que. D 'a u tre p a rt, le passage d 'u n l'a m o u r du ciném a, du vra i.
g a to ire m e n t se servir, au m oins c e rta in nom b re de c ritiq u e s à la
com m e de p o ivre e t de g iro fle . La c ré a tio n a concrétisé c e tte in flu e n c e
« p u re té » cin é m a to g rap h iq u e ou (bonne ou m auvaise, la question
m ieux, à m on sens, le « c o e ffic ie n t » n 'e s t pas là...).
c in é m a to g ra p h iq u e d ’un film d o it
ê tre ca lcu lé su r ce q u i ne s e ra it
A R M A N D - J . GAULIE Z
14. — Il c o n v ie n t de d is tin g u e r
pas d it de la même fa ço n en p e in ­ plusieurs périodes dans l'a c tiv ité des (Télé-C iné, L 'A g e N ouveau)
tu re , au th é â tre ou dans le rom an ». C ahiers du C iném a. II s e ra it p ro b a ­
A u reste, il ne s a u ra it y a voir, dans b le m e n t a r b itr a ir e de p o rte r un
l'é t a t a c tu e l des choses, un systèm e ju g e m e n t g lo b a l. La plus fé co n de ■— 1. — La place accordée à la c ri­
com m un à tous les c ritiq u e s, p our e t la plus im p o rta n te — est à mes tiq u e de ciném a, dans la gran d e
la bonne raison (e t je réponds ici à y e u x ce lle q u i f u t m arquée p a r la p fesse, est peu sa tis fa is a n te et
v o tre question no 13) que lesdits présence e t l'in flu e n c e prestigieuses même in s u ffis a n te p ar ra p p o rt
c ritiq u e s (pas olus que les généraux) d 'A n d ré B a zin . C ela d it, bie n que aux a utres dom aines ( litté r a tu r e ,

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s p écia lisa tio n : celle du ciné m a , — plus social). Cela v ie n t aussi e t sur­
e t celle du jo u rn a l auq u e l if c o lla ­ to u t du c a ractère to ta l e t g lo b a l du
bore. S a uf pour les « té n o rs », ie film : a r t te n a n t de tous les a rts ,
style c o lle c tif d 'u n e g ran d e p u b li­ d o c u m e n t à la fois b ru t e t élaboré,
ca tio n im prègne les nou ve a ux-ve n us. sp ectacle de masse où se cache un
Il y a un e sprit « m aison ». A la rêve in d iv id u e l. E n fin, au ciném a
lim ite , un jo u rn a l log iqu e e t c o h é re n t,’ plus q u 'a ille u rs , le d ivo rc e a p p a re n t
fa is a n t de son équipe le « b ra in - en tre la lib e rté du c ré a te u r et
tru s t » du p ublic, a c q u ie rt un e s p rit l'asp e ct fo n c tio n n e l d 'u n d ive rtisse ­
e t un style tels que les sign a tu re s m e n t c o lle c tif de très la rg e a udience
p a rtic u liè re s d evie n ne n t caduques. On m u ltip lie les m alentendus.
est, certes, plus à l'aise, sinon plus
libre, dans les p u b lic a tio n s m oins 8. — Les critè res en m a tiè re de
im p o rta n te s . M ais, de to u te fa ç o n , ciné m a so n t d 'a u ta n t plus d iffic ile s
il fa u t s'a d a p te r : on ne v o it pas à é ta b lir q u 'ils so n t plus n om breux.
M C ha u ve t a ux « Temps modernes », Cela se dégage du p ara g ra ph e p ré ­
ni M . Duran à * La C ro ix ». On cé de n t. En c e i qui concerne la m u si­
a rts , e tc.}. Les q u o tid ien s o n t p a r­ que ou la peinture,, les c ritè re s so nt
n 'e s t pas seul : il fa u t fa ire équipe.
fo is un su pp lé m e n t litté r a ir e ou précis e t re stre in ts. Cela se co m pliqu e
a rtis tiq u e . A u cu n n 'a encore un 4. — ■ Il fa u t, en to u t cas, v o ir avec le th é â tre e t le rom an. M ais,
su pp lé m e n t cin é m a to g ra p h iq u e . Cela le film avec le p u b lic , non a vec d e v a n t un film , il n 'y a pas seule­
tie n t p e u t-ê tre en p a r tie à la c ra in te les critiqu e s ou, ce q u i est plus d é p ri­ m e n t les a m ateu rs (ceux que l'on
de d é p la ire , p a r excès de lib e rté , m a n t encore, avec les d ire cte u rs de tr a ite de « cinéphiles »), il y a le
a u x annonceurs pubîini to i res. C or si soîîes. Si l'on p e u t, il fo u t re v o ir g ra n d p u b lic (avec la té lé v is io n , le
la c r itiq u e est, non sans douleur, ce rta in s film s . Cela dépend des film s ; cercle est m a x im a l : to u t le m onde
to lé ré e , u ne h y p e rtro p h ie polém ique cela dépend des c ritiq u e s. Cela d é ­ e st concerné).
(c o n d itio n « sine q ua non » d 'u n é ru ­ pend aussi de l'im p o rta n c e in te lle c ­
b riq u e v iv a n te ) ris q u e ra it de peiner, 9. — La c ritiq u e de ciné m a d o it
tu e lle e t q u a n tita tiv e de l'a r tic le à
non sans risques, les dispensateurs c o n c ilie r l'e s p rit de g é o m é trie et
fa ire . Ce q ui est g rave , c 'e s t qu'en
de m anne. l'e s p rit de finesse : fa ire sa p a rt
lis a n t ce rta in s com ptes rendus de la
a u ra iso n ne m e n t * s y s té m o tiq u e »
grande presse, on est p a rfo is frô lé
2 . — La c ritiq u e de ciném a d o it to u t en laissa nt à l'in tu itio n le soin
p a r un soupçon : l'a u te u r du « p a ­
ê tre co nfié e , a u ta n t que possible, à de v iv if ie r l'o b je c tiv ité re la tiv e du
p ie r » O 't- îl vu le film , — en to u t
des spécialistes, com m e pour les ju g e m e n t. L'im pression du m o m e n t
cas, to u t e n tie r ?
a u tre s rubriques. Rien, en e ffe t, n 'est est d 'a ille u rs a ffé re n te à un in d i­
plus v a in ni plus désagréable que 5. —- A la lim ite , un c ritiq u e vidu donné, fo rm a n t à lu i seul un
le « p a p ie r » de to n d ésin vo lte, m al « systèm e * (é d u ca tio n , fo rm a tio n ,
d e v ra it v o ir tous les fitm s . Pas plus
in fo rm é , s 'e n th o u s ia s m a n t n a ïv e m e n t, que l'h o m m e n 'e st seul, un film g o û t, sp écia lisa tio n, e tc.). Le systèm e
ou, ce qui est plus grave, condam ­ n'exîste pas dans l'absolu : il est en e s th é tiq u e n'est que l'a s p e c t a b s tr a it
n a n t sans com prendre ni co n n a ître q uelque sorte annoncé e t su ivi par d 'u n e perso n n alité engagée dans
to u te s les données de l'œ uvre e t du d 'a u tre s œuvres. U n co m p te rendu l'o b je c tif. D 'aille u rs, l'écle ctism e
problèm e. C ela n'em pêche n ulle m e n t e s th é tiq u e (com m e le n e u tra lis m e
sera d 'a u ta n t plus juste, donc u tile ,
Tes « non -sp é cia listes * de s 'e x a lte r p o litiq u e ) c o n stitu e lui aussi un sys­
q u 'if tie n d ra com pte du c o n te x te :
ou de s 'in d ig n e r é ve n tu e lle m e n t e t le film d o it ê tre replacé dons son tèm e. On n 'e st pas seul : les goû ts
e x c e p tio n n e lle m e n t. Ces é panche- com m uns d'un e fa m ille d 'e sp rits fo r ­
époque, dans son « école », dans
m ents seront d 'a u ta n t plus précieux m e n t un systèm e, a p p a re n t ou sous-
sa * tra d itio n ». A v a n t d 'ê tre un
q u 'ils se ron t plus rares. classique idéalisé, un film a une entendu.
v a le u r re la tiv e . D 'a ille u rs, l'é ty m o lo - 10. — La c ritiq u e a évolué dans
3. — - L a salle a beau ê tre obscure,
g ie de c h e f-d 'œ u vre l'a t te s te s u f f i ­ ses b uts, m ais de fa ço n m é can fsfe e t
on n 'e s t ja m a is seul. On v o it un film
sa m m en t. Il y a des n avets « p o in t q u a n tita tiv e : on v o it m ieu x a u jo u r­
avec les a utres. Un d ia log u e sou­
fin a l » et des navets « deux d 'h u i ce qui sépare la g ran d e presse
te r r a in s 'é ta b lit. La p erception d 'u n
p oin ts »... des p u b lic a tio n s spécialisées, le p a ­
film est un phénom ène com plexe
« u n iq u e ». Bien sûr, on est ra rem e n t p ie r b r illa n t (c ritiq u e d 'h u m e u r) de la
6 . — Les q u a lité s e t références
d 'a c c o rd avec le reste du monde. fic h e a n a ly tiq u e . Si l'on v e u t, les
d 'un c ritiq u e sont, selon m o i, dans
M ie u x , u ne ré a ctio n « a c o n tra ­ b u ts é ta ie n t flo us f ils se so n t p ré ­
l'o rd re : 1“ La fré q u e n ta tio n assidue
rio » p rovoque une surenchère dans le cisés en d iv e rg e a n t. De m êm e, les
du ciném a com m ercial e t « c u ltu re l j>
blâ m e ou l'é lo g e , — com m e si l'on m oyens se so n t d ive rsifiés : la c r i­
(ciné-clubs, ciné m a th è qu e ) ; 2 ‘ La
é c r iv a it p o u r ses ® com plices » d 'u n tiq u a s'e st engagée s o it dans le
connaissance des ouvrages e t la lec­
com m erce (c in é m a to g ra p h iq u e ), s o it
sotr. En f a it, il y a un im m ense cïn é - tu re des périodiques ; 3 “ Une c u ltu re
dan s le « sensationnel » (gros tir a ­
c lu b im a g in a ire où to u t ce q u i se gén é ra le com plétée p ar des acquis
d 'o rd re philosophique, e s th é tiq u e , e tc .; ges), s o it dans l'e s th é tiq u e , s o it dans
v o it e st com m e g ard é p o u r ta bonne
la c u ltu re . E n fin, il n 'y a pas une
bouche : on en p arle dans la rue, 4° Des notions d 'o rd re te ch n iq u e, e t
au bure a u , au té lép h o ne . A fo r tio r i, si possible u ne expérience personnelle influence, g lobale, maïs des in flu e n ­
ces diverses : d 'o rd re p o litiq u e , re li­
to u te c ritiq u e est une réponse. Le (en m a tiè re de ré a lis a tio n e t de p ro ­
g ie u x, a rtis tiq u e , o p p o rtu n is te , e tc.
m a lh e u r, c 'e s t que beaucoup de c ri­ d u c tio n ) ; 5° U n c e rta in ta le n t de
En fin de co m p te , le poids du cin é m a
tiq ue s, aveugles e t sourds en dehors jo u rn a lis te e t d 'é c riva in .
de fa pro je c tio n (dans le cas le moins est plus visib le.
d é fa v o ra b le ), fassent les questions e t 7. - — M e st pius d if fic ile de
11. — ■ En g énéral, n on . P o ur les
les réponses. Ils p a rle n t to u t seuls, s'accorder sur un film que su r une film s excep tio n ne ls, o u i. De to u te
ce q u i p e rm e t en général d 'ê tre œuvre ressortissant à un a u tre d o ­
fa ço n ...
'd 'accord avec soi-m êm e. maine. Cela tie n t au c o ra c tè re plus
« ré a lis te » du film (plus c o n te m ­ 12. — Il y a des phases é th iq u e s
Il y a p o u r le c ritiq u e une double p ora in, plus a ctu e l, plus « engagé », et des phases esthétiques. De to u te

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fa ço n , « ça » oroa:esse en spirale-- o b lig a to ire m e n t répondre non. La là se s itu e ce tâ to n n e m e n t, q u i p eu t
Ca fa it boule de neige. L 'id é a l, c'e st preuve : il existe to u te une série ê tre passio n na n t à p ra tiq u e r dans
qua n d to u t co ïn cid e : g ran d e époque d ’hebdom adaires « litté ra ire s » p rio ri­ to u te s les a c tiv ité s de presse, e t q ui
s o vié tia u e, néo -ré a lism e, e tc . B ra s il­
ta ire m e n t « litté ra ire s * où le ciném a consiste à la fo is à se d iffé re n c ie r
lach a im e P o te m kin e , — M oussinac ^'o ccu pe qu'u n e olace secondaire, c e r­ de son p u b lic e t à écrire p ou r lu i.
a im e le JouniD l d 'u n curé de c am - ta in e m e n t en r e tr a it de la place Il est un p r o fil d 'é a u iiib re à to ujours
Dagne. Il n 'y a plus n i d ro ite , ni q u 'il occupe dans la vie in te lle c ­ chercher, à to u io u rs perdre d 'a ille u rs
oauche. Ni l'é th iq u e n i l'e s th é tiq u e tu e lle moderne, ta n d is q u 'il n 'e x is te aussi, e t à to u jo u rs essayer de re tro u ­
ne sont seules. — tes illu stré s sont to u t a u tre chose ver, Le jou rn alism e c ritiq u e est,
— aucun h ebdom adaire de c i­ com m e to u t échanqe h u m a in , l'a m i­
13. — Il y a v a it la Revue du ném a. de Densée e t de c ritia u e c in é ­ tié , l'a m o u r, fo n c tio n de soi, et fo n c ­
Cinéma. Il y a les Cahiers du Cincma. m a to g ra p h iq u e s é q u iv a le n t. Ce qui m e tio n de l'a u tr e ou des a utres. Aussi
Il v a sûrem ent un de ces cahiers p a ra ît le plus im p o rta n t est sim ale- b ie n , s 'il ne s 'a g it que d'un e in fo r ­
q u i est p o s itif (B a zin e t ses c o n ti­ m e n t que la p a rt concédée au ciném a m a tio n g lo b a le , u ne seule vision
n ua teu rs). De to u te fa ço n , les Cahiers e st en progression q u a n tita tiv e . n o u rra p e u t-ê tre s u ffire , même pour
ne so n t « un » n i dans l'espace ni un film im p o rta n t, ta n d is que le
dans le tem ps. Il y a eu une é v o lu ­ 2. — La c ritiq u e d o it-e lle ê tre jo u rn a lis te d isp o sa nt d 'u n e trib u n e
tio n . Le m é rite r\o l des Cahiers : c o n fié e à des jou rn aliste s spécialisés ? p lus a m b itie u s e d o it, dans to u te la
m o n tre r qu'u n c ritiq u e est un c i­ Ici aussi, il fa u d ra it m u ltip lie r les mesure du possible, v é rifie r ses im ­
néaste en puissance... ou en im p u is ­ réponses à l'in fin i, ca r to u te s les f o r ­ pressions prem ières, les é q u ilib re r, les
sance. mules de Dresse p résentent leurs m e ttre en h ié ra rc h ie p a r des visions
a van tag e s p a rtic u lie rs . J'e s tim e to u t successives, de m êm e q u 'il d o it v o ir
aussi ju s tifié e l'a t titu d e du jou rn al de tous les film s s ig n ific a tifs , dans q u e l­
g ran d e in fo rm a tio n q u i donne une q ue ordre de s ig n ific a tio n que ce
so rte de g uid e p ra tiq u e , débrous­ s o it. Et nous savons tous q ue pour
s a illa n t, dons les grandes lignes, les cela nous disposons, m a lg ré to u t
ALBERT CE RV ON I élém ents de ch o ix o ffe rts au g ra n d d 'u n e c e rta in e h a b itu d e , d 'u n e ce r­
p ub lic , q ue la te n ta tiv e d 'e x a m in e r, à ta in e expérience. J 'illu s tre : à mon
(France N ou ve lle ) des degrés de rigueur progressive, avis, au n iveau du jo u rn a lis m e c ri­
l'exa m e n plein e t e n tie r d 'u n film , tiq u e , te l a ue ïe l'envisage, il fa u t
de l'ensem ble d 'u n e œuvre, d 'u n e a v o ir vu des film s de G o u rgu e t ; il
tendance. T o u t dépend du secteur de n 'e s t pas nécessaire de tous les vo ir,
presse, de la fo n c tio n de presse en­ soyons h um ains envers nous-mêmes.
visagée. M a is il fa u t en a v o ir vu. sa voir q u 'il
existe un p u b lic p our c e t ordre de
M a is m êm e p ou r « c o lle r * au ciné m a , ou u n p u b lic pour V e rn e u it.
plus près du p ub lic, de son degré de Il fa u t c o n n a ître les conto urs g éo­
c u rio s ité , il est indispensable que le g raphiques de l'im a a in a ire p ub lic.
c ritiq u e , ne d û t- il écrire q ue q u e l­ M ais il f a u t vo ir, p a r exem ple, tous
ques lignes d 'in d ic a tio n g lo b a le , so it les Resnais, tous les D onskoï aui nous
a u ta n t que possible spécialisé de passent à p o rté e de la vue. Je
fa ço n à se te n ir sur des critè re s sé­ m 'excuse seulem ent de ces la p a lis ­
rie u x e t bien inform és qui d ic te ro n t sades.
ses c h o ix, si som m aire, si lap ida ire
que puisse ensuite en ê tre l'énoncé, 6. — Je suis lib re , nous sommes
libres, p a r a ît- il, de ra c co u rc ir ou
4 e t 5. — C'est dans un e sp rit d 'a llo n g e r la lis te des q u a lité s néces­
vo isin, q u 'il fa u t encore envisager, à saires au c ritiq u e . V oyons d 'ab o rd,
l. — Je vous fe ra i to u t de su ite
m on sens vos deux questions s u i­ oour les m e ttre en o rdre d'urgence,
un reproche : nom bre de vos ques­ celles q ue vous nous so um e tte z.
va nte s. F a u t-il te n ir - co m pte des
tio ns présentent un c a ra c tè re a b u s i­ J 'a lig n e ra i en p r io r ité la nécessité
g oû ts du p u b lic ? M est bien é vid e n t
vem ent a b s tra it. La presse ac- d'un e bonne c u ltu re générale e t celle
a u 'o n ne p e u t se d é te rm in e r, ê tre
c o rd e -t-e lle une place s u ffis a n te au d'un e bonne c u ltu re c 'n é m a to g ra p h i-
d é te rm in é p ar les goûts du p ub lic,
c in é m a ? Quelle presse : les q u o ti­ aue. Si on ne tra v a ille sérieusem ent
ca r on se dem ande alors quelle s e ra it
d ie n s? Les h eb d o m ad a ire s? L 'H u m a ­ a u 'à 4 p a r tir d 'u n c e rta in seuil de spé­
la fo n c tio n du c ritiq u e : il n 'y a u ­
n ité ou R ivarol ? Le Parisien lib é ré c ia lis a tio n , si alors se ule m en t il est
r a it q u 'à laisser le p ub lic ju g e r lu i-
ou Fronce-O bservateur ? On p o u rra it possible de dépasser la b a n a lité e t la
même, dans sa m u ltitu d e d 'in d iv id u a ­
v a rie r ses réponses en e x a m in a n t tous c ritiq u e é tro ite m e n t su bje ctive , il est
lités. M ois il fa u t c e rta in e m e n t se
les jo u rn a u x de France e t de N a ­ d é te rm in e r « en fa ce » des goû ts à l'opposé é v id e n t q u 'o n ne s a u ra it,
v a rre . Grosso m odo, e t encore que sous peine de m o rt in te lle c tu e lle ,
du p u b lic , je ve ux dire q u 'il fa u t en
j'a u ra is préféré m 'en p ren d re plus s 'e n fe rm e r dans u ne d is c ip lin e p a r t i­
te n ir co m p te p ou r essayer de d on ­
en d é ta il à l ‘e x h îb îtîo n n is te m o n ­ c u liè re q u e lle q u 'e lle so it. Bien plus,
ner le plus d 'e ffic a c ité possible à son
d ain de L'Express e n tre te n a n t les in te rv e n tio n , que l'o n accentue l'e f ­ dans la mesure m êm e où l'o n co m ­
« gens bien ■> de ce q u 'il * fa u t * fo rt à c o n tre -c o u ra n t ou, au m ence à se spécialiser de fa ço n réelle,
a v o ir vu , ou p lu tô t de ce q u 'il fa u t c o n tra ire , que le c ritiq u e joue sur la re la tio n de v o tre p ropre discip lin e
p o u vo ir fa ire se m b la n t de penser de un te rra in déjà fa vorable.- L 'esp rit du avec les disciplines voisines vous
ce q u 'il fa u t a v o ir v u , à l'in e x is te n c e jo u rn a l p ou r lequel on s 'e x p rim e pose liv re ra m ie u x la s p é c ific ité de v o tre
de to u te c ritiq u e sérieuse dans to u te encore les mêmes problèm es. Ce jo u r­ essentiel s u je t de p réo c c u p a tio n . Par
u ns p a rt de !a presse q u o tid ie n n e , n a l vous propose le plus souvent un c o ntre, si je crois à l'im p é rie u se né­
grosso m odo j'o p in e ra is à répondre p u b lic a y a n t une perso n n alité , on a cessité, à l'o b lig a to ire e t indispensable
que le plus im p o rta n t n 'e s t pas t e l­ choisi d 'u n co lla b o re r en fo n c tio n de nécessité de la c u ltu re esth é tiqu e , je
le m e n t de savoir si le ciném a occupe c e tte p ers o n n o lité même, p o litiq u e , ne pense pas à la nécessité d 'un e
une place s u ffis a n te . Il fa u d ra it c u ltu re lle , jo u rn a lis tiq u e . A p a r tir de c u ltu re te c h n iq u e , sinon de fa çon

61
a b s tra ite . En m a tiè re de te ch n iq u e, la « ch ro n iq u e * p o u r rejoindre la c e q u i est in fin im e n t plus l im it a t if )
il s u f f it ou c ritiq u e de sa voir les ré elle c ritiq u e , p ou r s'em parer des e t c ritiq u e e s th é tiq u e . C ertes, les
principes, c 'e s t-à -d ire les ressources problèm es de m é tier, du p o in t de vue a rg u m e n ts im m é d ia te m e n t p o litiq u e s
esthétiques apportées p ar te lle ou de la c ritiq u e sur les problèm es de s o n t m oins m aniés q ue dans la pé­
te lle te ch n iq u e, n u lle m e n t ses m oda­ m é tie r, p ou r v o ir le ciném a dans sa riode d 'ap rè s la L ib é ra tio n . M a is te
lité s m a té rie lle s. Un c ritiq u e d o it res­ to ta lit é économ ique; in d u s trie lle , f a i t n 'e s t d 'a b o rd pas a u to n o m e , il
te r un s p e cta te u r spécialisé, non u n idé o lo g iqu e e t e sthétique. C e tte é vo ­ se re lie à l'é v o lu tio n g énérale, plus
p ra tic ie n . lu tio n intéresse au m oins une p a r t p a rtic u liè re m e n t à l'é v o lu tio n p o litiq u e
im p o rta n te de la c ritiq u e . Les moyens fra n ça is e . De plus v o tre que stio n pose
Je voudrais m a in te n a n t a jo u te r une se so n t é vid e m m en t m u ltip lié s : re­ un fa u x p rob lèm e en o pp o sa n t les te r ­
exigence à v o tre liste, e t e lle re jo in t vues spécialisées co nce va n t le ciném a mes a u lieu d 'a p p e le r le u r nécessaire
un peu la question posée à propos com m e une a c tiv ité c u ltu re lle e t in ­ u n ité c o m p lé m e n ta ire . Je m e ré cla m e ­
du « ta le n t d 'é c riv a in ou de jo u r­ te lle c tu e lle essentielle, m u ta tio n re la ­ rais p e rs o n n e lle m e n t d u m a rx is m e .
n a lis te « bien sûr q u 'il v a u t m ie u x tiv e dans la presse q u o tid ie n n e e t Opposer la c ritiq u e de g a u c h e à la
ê tre bon jo u rn a lis te que m a uva is), heb d o m ad a ire (a v a n t querre, je crois c ritia u e e s th é tiq u e me p a r a ît aussi
c 'e s t de l'indispensable refus q u 'il q u 'il a u r a it été im pensable d 'im a g in e r insane q ue le s e ra it la d ém a rch e d 'u n
fo u t opposer au p a p ie r « a e ffe t ». A n d ré Bazin é c riv a n t à P aris-soir ; « m a rx is te » p ré te n d a n t que ce qui
Je v e u x d ire non au p a p ie r où les ju sq u 'à sa m o rt, on a quand m êm e co m pte, c 'e s t (e m a té ria lis m e , q ue la
q u a lité s ré dactionnelles re s titu e n t au a ccep té a ue sa co lla b o ra tio n se p ro ­ d ia le c tiq u e ce n 'e s t rien , rien q u 'u n e
m ie u x la substance de l'é tu d e fa ite , lon g e au Parisien libéré où il p r iv i­ fo rm e ! D 'un cô té , je ne vois pas
m ais au p a p ie r q u i perm et au c r i­ lé g ia it une survie d 'in te llig e n c e dans pou rq u oi il c o n v ie n d ra it de r e m e tttr e
tiq u e d 'é c o u te r vo lu p tu e u se m e n t les le jo u rn a l g lo b a le m e n t le plus bête la d ia le c tiq u e sur la tê te , dan s son
in fle x io n s de sa p ro p re v o ix e t le q u i s o it). a ttitu d e hégélienne. Je ne vois pas
p e tit fra ca s m ondain dans lequel elle plus pou rq u oi le c ritiq u e de gauche,
casse la porcelaine. 12. — Puisque j'é v o q u e B azin, a u tre m e n t d it l'id é o lo g u e r a tio n a ­
l'a c tu a lité me p a ra ît e ntiè re m e n t lis te e t le m a rx is te à plus fo rte ra i­
ju s tifie r , c o n firm e r ses propos parus son m a in tie n d ra ie n t so igneusem ent l'es­
7 e t S. — ■ L'acco rd sur une œ uvre
a u tre fo is dans Ciném a 5... sur (e th é tiq u e hors de le u r p ropre c h e m in e '
film iq u e e s t-il plus d if fic ile que sur
c a ra c tè re à la fois indispensable e t m e nt. Vous m e ré to rq u e re z q u 'u n
une œuvre litté ra ire ? Lapalissade en­
in u tile de !a c ritiq u e . La c ritiq u e est tem ps la c ritiq u e de g au ch e , e t la
core que de répondre que ce la v a rie ra
in u tile , en apparence p rem ière, par c ritiq u e m a rx is te en p a r tic u lie r , on}
selon que vous aurez a ffa ir e à des
ra p p o rt à l'e ffic a c ité de la mise en q uelque peu n é g lig é les aspects e s th é ­
specta te urs butés ou à des lecteurs
c o n d itio n p u b lic ita ire ; e lle n'en tiques ou plus e x a c te m e n t ne les o n t
à l'e s p rit larg e ; on p e u t p e u t-ê tre "y
c o n trib u e pas moins à fo rm e r le p u ­ tenus que p ou r des « apparences »
a jo u te r que la jeunesse e s th é tiqu e du
b lic p ilo te , le p ub lic m o te u r q u i fo r ­ agréables ou non, f a c ilita n t ou non
ciném a f a i t que les discussions à son
gera à son to u r p e u t-ê tre , te g rand l'a b s o rp tio n du « co nte nu ». Les n o ­
s u je t suscitent des engagem ents plus
p u b lic a d u lte de dem ain. Déjà, je tio ns de fo rm e e t de co n te n u so n t des
neufs, plus a rdents, plus assoiffés^ de
crats q ue B azin ne p o u rra it plus é va ­ notions m a rxistes essentielles e t q u i
v é rité e ntiè re . De même, les critè re s
luer a u jo u rd 'h u i à 5 % l'e ffic a c ité d em e u re nt à m on sens p le in e m e n t
en tra in de se fa ire , les critè res d 'u n
im m é d ia te de la c ritiq u e , com m e il valables, à la seule c o n d itio n de plus
a r t qui se f a i t so n t m oins classifiés,
le fa is a it alors, re pre n a nt d 'a ille u rs çn plus re te n u e p a r l'en se m ble des
m oins ind iscutables, donc plus â p re -
les ré s u lta ts d'enquêtes sta tistiq u es. m a rxistes q ue la fo rm e ne s o ît pas
m e n t disputés que ceux d'un e expé­
Sans ê tre devenu m a jo rita ire , la p a rt considérée com m e u ne « a p p a re nce »
rience litté r a ir e m illé n a ire . a d u lte du p u b lic s'est é la rg ie . Il y a m ais com m e le « m ode de c o n d itio n ­
d ix ans C hronique d'un amour., il y nem e n t », « l'a g e n c e m e n t d ia le c ti­
9. — (ci, p a r co ntre, je vais f-tre a b ie n tô t q u in z e ans La te rra trc m a q ue », le ry th m e in te rn e d u co nte nu .
ca té g o riq u e : non se ule m en t la c r i­ re s ta ie n t dans les blockhaus, ou ne Je ve ux d ire q u 'il n 'y a pas à choisir,
tiq u e d o it s'a pp u ye r su r un systèmfc co nn a issaie nt q ue des carrières lim i­ que la c ritiq u e , com m e l'œ u vre, d o it
esth é tiqu e , m ais le c ritiq u e d o it sou­ tées a u x ciné-clubs. L 'a v v e n tu ra , La viser à la to ta lit é . A ce s u je t, on ne
v e n t liv re r avec son o p in io n les ré fé ­ n a tte , Roceo .viennent de c h iffr e r des p e u t que lire avec le plus g ra n d in t é ­
rences systém atiques q u i l'o n t déter­ ré s u lta ts d 'e x p lo ita tio n im p o rta n ts rê t la re m a rq u a b le é tu d e de M a rc Le
minée. C e tte voie est la seule pos­ H iro sh im a mon a m our, M a ric n b a d , B o t sur « Les th é o rie s e sth é tiqu e s de
sible p ou r l'h o n n ê te té c ritiq u e , la les film s de Rouch ne sont plus des­ S. M . Eisenstein » p aru e dans la
seule qui p e rm e tte de ne pas d o n ­ tin é s à la seule s a tis fa c tio n jalouse revue L a Pensée (n° 97 m a i- ju in
ner son ju g e m e n t p ou r u n a rtic le de des esthètes esseulés. C'est, en 1961). H s 'a g it d 'u n e c o m m u n ic a tio n
fo i m ais pour un processus de 'pen­ g ra n d e p a rtie , une v ic to ire ind is cu ­ fa îte au C entre d'E tudes e t de R echer­
sée proposé, e t n on im posé, au lec­ ta b le de la c ritiq u e , le cas é ta n t ches M a rxiste s que d irig e Roger G a -
te u r. Le le c te u r, a v e rti, p e u t alors, p e u t-ê tre plus p a rtic u liè re m e n t d é ­ raudy.
soit adhérer, s o it prendre ses d is ta n ­ m o n s tr a tif pour A n fo n io n i. Q u'on se
ces. En o u tre , chaque film d e vie n t ra pp e lle les réactions à Cannes en 14. — Que penser e n fin de l'a p p o rt
alors le m a té ria u d 'u n e c a p ita lis a tio n , 1960, e t il fa u d ra bien a d m e ttre que des C ahiers du ciném a ? En résum é,
d'un e to ta lis a tio n des ré s u lta ts e nre­ c 'e s t la c ritiq u e q ui a im posé L 'a v v e n ­ v o tre a p p a ritio n m êm e me p a ra ît b é ­
gistrés. Une co nception générale s'en tu ra à l'e x p lo ita tio n . A échéance, il n éfiq u e , p uis q u 'e lle a p olarisé u n p u ­
dégage, des critères. sem ble ce rta in q ue c e tte m a ïe u tiq u e b lic a c t if e t e x ig e a n t a u to u r du fa it
exercée p a r la critiq u e , ré v é la n t un film iq u e . Vos correspondances, vos f i l -
10 e t 11. — l.a c ritiq u e a cer­ p u b lic à lu i-m ê m e , a pp e lle ra u ne p ro ­ m o -b io g ra p h ie s c o n s titu e n t u n a p p o rt
ta in e m e n t évolué, cfans ses b uts, dans gression nouvelle dans la p ro d u ctio n in d is c u ta b le à la co nn aissance du c i­
ses m oyens, dans ses influ e n ces. Elle e lle -m ê m e . A ce p u b lic -là , i! fa u ­ ném a, de son é v o lu tio n . Vos c h o ix c r i­
a pris conscience de sa s p é c ific ité , d ra des film s à sa mesure. tiq ue s, les a rtic le s c ritiq u e s , com m e les
de son d om a ine p ro p re en s 'é lo i­ é tudes su r te l s u je t ou su r te l a u te u r,
g n a n t de la c ritiq u e de c a ra c tè re 13. — Je serais gêné d 'a d m e ttre m é rite ra ie n t é v id e m m e n t d 'ê tre co n ­
« litté r a ir e », si g én é ra le m e n t p ra ­ v o tre c la s s ific a tio n e n tre c ritiq u e testés ou a pp rouvés, jaugés, selon c h a ­
tiq u é e a v a n t guerre. Elle a dépassé idé o lo g iqu e (vous dîtes même é th iq u e . que cas

62
GEORGES CH ARENSOL p re te x te q u 'il n 'a v a it po« à en ren­ de s'en é to n ne r. C e tte é v o lu tio n o,
dre co m p te ? a u moins, l'a v a n ta g e de m ieu x d é li­
[Les N ouvelles L itté ra ire s )
6. — • Il y r les vra is c ritiq u e s de m ite r c e rta in e s sincérités. M a is elle
1 à14. — - L e c ritiq u e é ta n t payé ciném a q u i o n t, à des degrés divers, n'em pêchera pas q ue ch aq u e film
p a r son jo u rn a l p o u r in fo rm e r ses ces q u a tre q u a lité s , p lu s u ne qui soit, d 'u n e fa ço n ou d 'u n e a u tre ,
lecteurs, son p re m ie r d e v o ir est de me p a r a ît au m oins aussi im po r­ engagé. Je s o u h a ite seulem ent q ue
s 'e ffo rc e r
ù l'o b je c tiv ité . ta n te , sinon plus : l'h o n n ê te té . A près c e tte a ttitu d e , conju g ué e à l'a c tio n
il y a les a utres, q ue les rédacteurs m a lé fiq u e de la censure, ne nous
Q uand il a u ra f a i t ce t e f f o r t hon­ condam ne pas 6 re ven ir au ciném a
n ê te rien ne l'em pêchera de s 'a tta ­ en c h e f o n t t o r t d 'em p loye r.
fra n ç a is de 1940.
c h e r à re con stru ire le m onde en g é ­ 7. — N on. A u c o n tra ire , puisque,
n éral e t le monde cin é m a to g ra p h i­ 14. — Très h o n n ê te m e n t je crois
c o m p te te n u des problèm es écon o m i­
q ue en p a rtic u lie r. q u 'il s e ra it d 'a u ta n t plus d isco u rto is
ques, le c ré a te u r cin é m a to g ra p h iq u e
d 'e x p rim e r m on o p in io n s u r v o tre
te n te lu i-m ê m e de s'adresser à un
revue (que d'-aïtieurs je n e Sis p r a t i­
p u b lic large, ce q u i n 'e s t que ra re ­
q u e m e n t plus depuis la m o rt d 'A n d ré
m e n t v ra i p o u r les a u tre s a rts.
F RA NÇ OIS CHEVASSU Bazin) q ue vous-m êm es n 'a v e z ja ­
(L a Saison C in é m atog ra p hiq ue , 8. ■— N on. Parce q ue les critères m ais exprim é la v ô tre dons vos co lo n ­
Im a g e e t Son) en m a tiè re a r tis tiq u e o n t to u jo u rs nes au s u je t d 'im a g e e t Son e t de
é té é ta b lis d'un e m a n iè re su bje ctive la Saison C in é m atog ra p hiq ue ,
p a r des litté ra ire s . J 'a tte n d ra i une
1. — ■ S'il fa u t entendre p ar place
é la b o ra tio n plu« s c ie n tifia u e Dour les
l'espace/ oui. S 'il f a u t ente nd re l'es­
p rendre au sérieux.
tim e , non, s u rto u t dans la presse jE A N COLLET
de p ro vin c e q u i l'ig n o re p ra tiq u e ­ 9. — Les « systèmes esth é tiqu e s », (Téléram a, Signes du Temps,
m e n t. Il est to u te fo is ju s te de s i­ com m e * l'im pression du m o m e n t » Etudes ciné m a to g rap h iq u es)
g n a le r q u'e ü e est encore a va n ta g é e so nt, au m êm e t i t r e q ue les critères,
p a r ra p p o rt à la c ritiq u e de disques. p u re m e n t s u b je c tifs, donc n ég lig e a ­
2 . — ■ Il m e sem ble in c o m p a tib le bles com m e m oyens de ju g e m e n t
d 'ê tre c ritiq u e e t d 'iy n o re r ce d o n t c ritiq u e . Cela é ta n t d it, le c ritiq u e
on p a rle . Cela im pliqu e q ue la c r i­ d o it c o n n a ître les * systèm es » et
tiq u e s o it spécialisée, ce q ui, de m on les « critè res », p ou r s itu e r le film
p o in t de vue, n 'e x c lu t n u lle m e n t une fin a le m e n t, la seule o b je c tiv ité pos-
c u ltu re gén é ra le étendue. Encore la sibie. Le c ritiq u e p e u t to u jo u rs a jo u ­
s p é c ia lisa tio n ne d o it-e lle pas se li­ te r son o p in io n personnelle : c'e st
m ite r à u ne e s th é tiq u e personnelle, un c ritè re com m e un a u tre .
m a is e n g lo b e r la connaissance des 10. — Elle a v a it réalisé un p ro ­
problèm es lé g is la tifs , économ iques, so­ grès in co n te s ta b le naguère. Elle se
cia u x , e tc. du ciném a. couvre a c tu e lle m e n t de rid ic u le en
3. — A . Je ne vois pas co m m ent e m p lo y a n t des tâch e ro n s, jou ve n ­
on p o u r r a it ê tre c ritiq u e sans te n ir ce au x ou é crivains, plus pressés de
c o m p te du p u b lic , la m ission du c ri­ se fa ir e un nom e t u n e s itu a tio n que
tiq u e é ta n t d 'in fo rm e r e t de fo rm e r de re m p lir h o n n ê te m e n t leur fo n c ­
le p u b lic. tio n .
1. — E videm m ent, p a r ra p p o rt à
B. C 'est a v a n t de co lla b o re r à 11. — Pourquoi pas dans c in q ou la c ritiq u e litté r a ir e ou p ic tu ra le , le
u n e p u b lic a tio n q ue je tie ns co m pte q u in z e ? Je ne suis n i p rop h è te , n i ciném a sem ble a v o ir une bonne place.
de son e sprit. v o y a n te e x tra -lu c id e . J'essaie sim ple ­ M ais le film n 'a - t - il' pas p lu s d 'a u ­
m e n t d 'in fo rm e r les specta te urs d 'a u ­ dience a u jo u rd 'h u i q ue le liv re ou la
4. — 1 Le p u b lic ne v o y a n t, en jo u rd 'h u i. Bien e n te n d u , il m 'a rriv e p e in tu re ? Il s e ra it donc n orm a l que
g énéral, le film q u'u n e fo is, le c ri­ de m e poser la q ue stio n , m ais cela la c ritiq u e de ciné m a a it la p rem iè re
tiq u e ne réalise p le in e m e n t sa tâche ne m e sem ble pas un a rg u m e n t c ri­ pla ce dans la Presse. N i le livre , n i
q u e s 'ij p e rm e t au s p e c ta te u r de tiq u e . la p e in tu re n 'y p e rd ra ie n t- T o u te c u l­
tir e r de c e tte uniq u e vision un m a x i­
tu re a u th e n tiq u e , au XX* siècle, d o it
m u m de p r o f it . Cela suppose q u 'il 12. — Sur c e rta in s créateurs, sans
s'o rga n ise r a u to u r du ciném a.
a lu i-m ê m e p a rfa ite m e n t com pris le d o u te , dans la m esure où ils s 'in te r­
film . P e u t-ê tre suis-je in in te llig e n t, ro g e n t e t où, fa u te d e réponse d ire c te 2. ■— Et pou rq u oi le c ritiq u e de
m ais je ne connais pas d'œ uvre d 'a r t du p ub lic , ils tie n n e n t co m pte de ciném a p o u r r a it- il ê tre m oins com pé­
d ie n e de ce nom que l'on puisse t o ­ ce lle de la c ritiq u e . Sur l'in d u s trie , te n t que le c h ron iqu e u r c u lin a ire ou
ta le m e n t sa isir en u ne seule a p p ro ­ a ucu n e ; si ce n 'e s t en fo r m a n t le s p o rtif ? Si la question p a r a it absurde,
che. Je suis donc persuadé q u 'it est gavrt des sp ecta te urs. M a is en ce on p o u rra m é d ite r sur les noms des
m a lh o n n ê te de fa ire la c ritiq u e d'un dom a ine , je crois q u e 'l'in flu e n c e de personnalités litté ra ire s q u i tie n n e n t
film im p o rta n t après une seule v i­ la c ritiq u e est de beaucoup in fé rie u re a u jo u rd 'h u i u ne ru b riq u e de ciném a
sion, ou d 'u n film même très m a u ­ à ce lle des C iné-C lubs. dans les grands jo u rn a u x. A quand
v a is sans l'a v o ir vu. Je n 'ig n o re pas l'in va sîo n de la c ritiq u e litté r a ir e p a r
13. — N on . Je pense ce pendant
q ue l'u n com m e l'a u tre so n t p r a ti­ les cinéastes ?
q ue nom bre de c ritiq u e s (e t de
ques co ura n te s, m ais cela ne cons­
créateurs] de gauche o n t te n d an ce 3 . — A ) le g o û t d u p u b lic c'e st le
titu e pas à mes yeux u ne excuse. Je
à re nie r leur e ng a g em e n t, en p re n a n t g o û t de X , de Y , de m oi aussi. C ri­
pense m ôm e que c'est le déshonneur
p o u r a lib i u ne recherche e sth é tiq u e tiq u e , je suis un s p e cta te u r p a rm i
de la c ritiq u e .
p ure , d o n t ils sa ven t, com m e to u t d 'au tre s. J 'e xprim e e t j'essaie d e ju s ­
5- — Im a g in e z -vo u s un c ritiq u e le m onde, q u 'e lle n 'e x is te pas. Cela t if ie r mon g o û t. Les lecteurs le
m u sica l q u i n 'a u r a it ja m a is ente nd u est c a ra c té ris tiq u e des pays à * ré­ connaissent e t p e u ve n t y c o n fro n te r
d'œ uvres de Bach ou Varèse, sous g im e fo r t ». Il n 'y a donc pas lieu le leur. C'est c e tte c o n fro n ta tio n que

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je provoque. Si je disais ce q ue le d 'un e ré fle x io n su r ce q u 'e s t v r a i­ sion v ig ila n te . « C ritiq u e e st l'u n des
le c te u r d ir a it à m a place, à quoi bon m e n t le ciném a ; u ne déco u ve rte des nom s de l'a tte n tio n » (J. P a ulh a n).
le c r itiq u e ? aute urs ; une école ; u n e e s th é tiq u e ; Ceci est v a la b le pour to u te c ritia u e ,
B) il ne m e v ie n d ra it pas l'id é e de un c o n ta c t v iv a n t, a m ic a l, ch a le u re u x , à plus fo r te raison p o u r ce lle du
a p p ro fo n d i avec les vra is cinéastes ; ciné m a , De plus, l'a tte n tio n est ici
m 'e x p rim e r dans u n jo u rn a l avec le­
des prises de p o s itio n courageuses, m u ltifo rm e , puisque l'a r t est plus
quel je serais en désaccord fo n d a m e n ­
soutenues e t fécondes ; u ne in flu e n c e com plexe.
ta l. Je ne m e préoccupe ja m a is de
l'e s p rit d 'u n jo u rn a l où j ’écris, parce sur le ciném a fra n çais.
3. — ' A ) Ici le c ritiq u e f a i t l'ave u
q ue c 'e s t en q uelque m esure le m ien. N é g a tif : des a rtic le s, trè s in g é ­ q u 'il a u r a it p a rfo is te n d an ce à ig n o ­
4 . — Le c ritiq u e d e v ra it ê tre à lo n ie u x, p ar le u r pensée e t le u r to n . re r su pe rb e m en t tes g oû ts du p u b lic .
fo is le sp e c ta te u r d 'u n e seule vision, Dans les plus m auvais cas, le besoin En vo ici, sinon l'excuse, du m oins
d 'u n e fo r te im pression e t d 'u n e lon­ puéril d'écraser le le c te u r, de d ire en l'e x p lic a tio n : il y a dIus d 'a g ré m e n t
g ue e t solide ré fle x io n . Im pression­ term es sybillins des choses lim p id e s ; à p a rle r de ce a u 'o n a im e , e t à m is ­
nism e e t recul so n t les deu x pôles de un herm é tism e p ré te n tie u x e t v a in te r en fa v e u r d'œ uvres m al reçues au
la c ritiq u e . Donc, plusieurs • visions B ilan très p o s itif néanm oins. q u i ris q u e n t de l'ê tre . La te n ta tio n
s o n t so uh a ita ble s. e st g ran d e de fa ire p a rta g e r ses goû ts
D fu tô t q ue ses dégoûts, de p ro d ig u e r
5 . — Oui. Parce q u 'a v a n t «j'être
la louange p lu tô t que l'in v e c tiv e , de
c ritiq u e chargé d 'u n p ap ie r, j'a im e le P H I L I P P E DE CO M ES
fa ir e e n tre r le lecteu r dans des r a i­
ciném a. (La N a tio n Française) sons d 'a im e r p lu tô t q ue dans des
6. — 1 0 A v o ir u n e connaissance raisons de h a ïr, b r e f de se liv re r a u x
aDDrofondie de la technique. A v o ir ioies de l'a m o u r p a rta g é .
fréauenté le cinéma. Le c ritiq u e est p a rfo is b ie n p un i
2° A v o ir u ne bonne c u ltu re géné­ de c e tte faiblesse p a r de graves m é­
rale. com ptes. C 'est a in si que, récem m ent,
a v a n t eu l'occasion de m 'e n tre te n ir
3o T a le n t d 'é c riv a in ou jo u rn a lis te .
a vec des lecteurs h a b itu e ls , je m e
4 ° Etre engagé dans u ne recher­ suis aperçu q u 'ils te n a ie n t Taxi pour
che, u ne oeuvre personnelle. T o u te T o b ro u k p o u r u n g ra n d film , ce
c r itiq u e d e v ra it ê tre a la fo is J'abou- q u i, é vid e m m en t, n 'é t a it pas m on cas.
tîssem ent d 'u n e œuvre e t le d é p a rt La chose a lla n t de soi, je n 'a v a is pas
d 'u n e a u tre œ uvre. Elle d e v ra it o u ­ p ris la peine de l'e x p liq u e r e t n 'a v a is
v r ir des voies, se donner un rôle pro­ p o in t consacré d 'a r tic le au film .
p h é tiq u e . A in s i A n d ré B azin f u t - i l C 'é ta it une e rreur, e t il a u r a it fa llu
exem p laire . sa isir I 'occasion pour m o n tre r que
co n n a ître e t aim er le ciné m a , c'e st
7. — O ui, p a r r a p p o rt a u x œuvres
a im e r Bresson m ais pas La P a te l-
classiques. N on , p ar ra p p o rt à to u te
liè re ; q ue les deu x a ffir m a tio n s so nt
oeuvre conte m p o ra in e .
c o n tra d ic to ire s e t s 'e x c lu e n t m u tu e l­
S. — Oui, parce que la fo n c tio n — ■ 1. — A ma connaissance, il n 'y le m e n t, b re f, c 'é ta it l'occa sion de
ou les fo n c tio n s — 1 du ciné m a so nt a Das a u jo u rd 'h u i de g ra n d jo u rn a l, ré p é te r, ce q ue ch acu n s a it, q ue « le
encore ma( d éfinies. On explore. Par a u a tid ie n ou heb d o m ad a ire , q u i n 'a i t g o û t est f a i t de m ille d égoûts ». Donc
conséquent, on é ta b lit des c ritè re s à de ru b riq u e ré gulière, e t ne rende l'é re in te m e n t dem eure so uve n t une
m esure q u 'o n avance. co m pte, au m oins de l'essentiel de 1a corvée nécessaire. On ne p e u t p e u t-
prod u ctio n. 5i ta q u a lité de tous ces ê tre pas em pêcher le p u b lic de pré­
9. — Elle d o it s'a pp u ye r su r un
com ptes rendus é ta it p ro p o rtio n n e lle fé re r La P a te lliè re à Bresson, m ais
systèm e e s th é tiq u e ou p lu tô t te n d re
à leur nom bre, il n 'y a u r a it pas de on p e u t to u jo u rs lui d ire q u 'il a to r t,
Vers u n e recherche, la découverte
problèm e de la c ritiq u e de c in é m a . e t lu i m o n tre r pou rq u oi.
d 'u n e e sth é tiq u e , d 'u n p o in t de vue où
to u te b e a u té s'ordonne. Tâ ch e im ­ P o u rta n t, le p ro b lè m e essentiel e s t
B) E crivan t dans un jo u r n a l p o li­
m ense... {m aïs v o ir 4 ). p e u t-ê tre a illeu rs : m ains dans 1a
tiq u e , î'é lu d e ra i d 'a u ta n t m oins la
place accordée à la c rîtia u e de c i­
10. — O ui. A ) Dans ses b u ts (le a ue stio n , q u 'il est plus fa c ile d 'y ré ­
ném a, que dans la p la ce re la tiv e
c iné m a n 'e s t plu s considéré com m e p ondre q u 'o n ne p o u r r a it penser. P o li­
accordée p a r les c ritiq u e s e ux-m ê m e s
« u n o b je t de conso m m a tio n »). tiq u e d 'a b o rd : le c in é m a c o n te m p o ­
a u x film s sélectionnés. U n c e rta in
ra in , s o it pudeur exquise, s o it c ra in te
B) Dans ses moyens (u n peu). c o nfo rm ism e guide les c h o ix e t f a i t
des censures, m e tta n t une sorte
que l'o n consacre un a rtic le e n tie r a u
C) Dans ses influ e n ces (sur le ci­ d 'o b s tin a tio n tê tu e à ne p a rle r de
film de te l ciné a ste s u r fa it, m ais
n ém a p e u t-ê tre plus q ue sur le rien q u i ressemble o un prob lèm e
a v a n t un nom , e t quelques lignes ou
s p e c ta te u r). a ctu e l q ue lque p eü a ig u , il est d 'a u ­
rien du to u t à des film s ou des c i­
ta n t plus fa c ile au c ritiq u e de se
11. — Oui, e t n e u f fo is su r d ix la néastes a y o n t la r é p u ta tio n , à t o r t
ré fu g ie r dans les p ositio n s c o n fo rta ­
réponse est- im m é d ia te . souvent, d 'ê tre m ineurs.
bles de V o rt p ou r l 'a r t e t de la
12. — Oui, q ue s e ra it le ciném a 2. — Le c ritiq u e id é a l, c 'e s t b ea u té pure. S'il se présente une
fra n ç a is sans la c ritiq u e ? l'a m a te u r spécialisé. A m a te u r par e xcep tio n (p a r e xem p le C hronique
g o û t, spécialisé p a r v o c a tio n . D onc, d'un été) je n'esquive pas le d é b a t
13. — Oui, m a is e lle ne s 'e ffa ce
pas e ncore assez. Le seul progrès le p rem ie r c ritè re de sp écia lisa tio n à e t fa is su r le fo n d des réserves qui
re te n ir sera l'a m o u r p o rté à c e t a it . me so n t dictées m oins p a r l'e s p rit
possible en ce d om a ine est évidem ­
F a it de cu rio s ité inlassable, sans cesse du jo u rn a l que p a r mes propres ré ac­
m e n t la recherche d 'u n e é th iq u e û
a lim e ntée e t ja m a is assouvie, il fe ra tio n s . Dans le cas du film de R ouch,
J 'in té rie u r de l'e s th é tiq u e . Ou une
de l'a m a te u r, un sp é cia lis te au sens je co ncluais néanm oins en in c ita n t
e s th é tiq u e q u i devie n ne é th iq u e . •
noble du te rm e : celui q u i a llie le v iv e m e n t les lecteurs à a lle r v o ir te
H. — A p p o r t p o s itif : le fe rm e n t sa voir e t la co m pé te n ce à u ne p a s ­ film , d 'a b o rd {e t cela s u ffir a it ) parce

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q u 'il me s e m b la it le m é rite r to u t à q u e n té le ciném a, encore e t to u ­ Je suppose encore que ce p o in t sup­
fa it, e t ensuite que le m e ille u r m oyen jours, e t sans relâche. C iton s en­ p o rte d 'ê tre d é te rm in é avec rig u e u r ;
de se fa ire une o p in io n est encore s u ite la connaissance de la te ch n iq u e, q u 'il p e u t fa ir e l'o b je t d 'u n e co nn a is­
d 'a lle r y v o ir soi-m êm e. indispensable certes ; e t a p p ro fo n d ie , sance précise. » Cela n 'e s t guère ?
Par a illeurs, en ta n t que l'h é rita g e é v e n tu e lle m e n t, mais jusq u 'où ? Puis­ A p a r t ir de c e tte règle, on p e u t p o u r­
m aurrassien est un h é rita g e non seu­ que le ciném a est un lan gage, e t la ta n t a b o u tir à des c e rtitu d e s : p a r
le m e n t p o litiq u e , m ais e ncore c u ltu ­ te ch n iq u e son é c ritu re , que d ir a it- o n exem ple, re con n a ître un bon film , à
rel, il est é v id e n t q u 'il n ’ in c lu t pas [es d 'u n c ritiq u e litté r a ir e q u i ne sau­ ce q u 'il ne ressem blera ja m a is à un
irta rx Brothers, R ob e rt A ld ric h ni ra it d is tin g u e r une catachrèse d 'un e film d 'A u ta n t- L a r a .. Pour le reste, le
Stanley Donen. M a is D ostoïevski non a ntonom ase ? Enfin, a v o ir un ta le n t ciné m a e s t à ré in v e n te r, tous les
plus, ce q ui n'em pêche pas Pierre B o u - d 'é c riv a in ou de jo u rn a lis te , p ou rq u oi jours — donc la c ritiq u e aussi —
ta n g d 'ê tre l'a u te u r du m e ille u r te x te pas ? Cela m e ttra le lecteu r de bonne P o u rta n t, plus je vais, plus j'a i l'in ­
que je connaisse su r les « Possédés ». h um e u r, e t c'e s t la m e illeu re chance tu itio n q ue le secret de la c ré a tio n
M o ra lité : les h é rita g e s s o n t fa its d 'en ê tre lu. c in é m a to g ra p h iq u e se tro u v e ( enfe rm é
p ou r ê tre enrichis, e t il f a u t s 'y em ­ 7. — O ui, encore plus d iffic ile ... dans ce seul m o t ; poésie. Et je vo is
ployer p ar tous les m oyens. C a r s 'il b ien que c 'e s t ré po n d re à une é nigm e
8. ■— ■ ... parce que les critè res so nt
est bien d 'a v o ir le g o û t de ['E ta t e t p a r un m ystère. M ais, à c e tte m é ta ­
plus d iffic ile s à é ta b lir dans le d o ­
de l'a u to rité , e t d 'a d m ire r « Les m orphose du réel à quoi se livre le
m a in e du ciném a que dans les autres. ciné a ste , e t que nous appelons mise
A m o n ts de Venise » e t « Le Lys
Pourquoi ? Sans d o u te en raison de en scène, qua n d nous pensons « c ré a ­
rouge », il n 'e s t pas m at n on plus
l'é v o lu tio n tro p ra pid e de c e t a r t, tio n de form es », je ne vois pas
d 'a im e r « Soupe au c a na rd », « En
q u i, c o n tra ire m e n t a u x a utres, n 'a
Q u a trièm e vitesse » e t « C hantons d 'a u tre nom à don n e r, p ou r l'in s ta n t
pas p ris le tem ps de d é fin ir ses rè­ du moins.
sous la plu ie ».
gles. T o u t a r t évolue p a r ra p p o rt à
4. — S a uf e xcep tio n , la p rem ière des règles, en les obse rva n t dans un 10. — Dans la mesure où, en
im pression est la bonne, e t il d o it prem ie r tem ps, puis en se d o n n a n t le d is a n t « la c ritiq u e de ciné m a », on
donc être possible de la c o m m u n iq u e r p la is ir de les enfrein d re, dans un p a rle d 'a u tre chose q ue d 'u n m yth e ,
après la prem ière vision, les visions second. « L 'h is to ire de la c ritiq u e est e t si l'on considère c e tte fr a c tio n t u r ­
suivantes a y a n t s u rto u t pour raison ce lle des règles » (J-PO- A u c in é m a , b u le n te de (a c ritiq u e q u i cherche
de fo u rn ir un plus g ran d n om bre il a m anqué un A ris to te , un Scaliger, quelque chose, même si e lle ne s a it
d 'arg u m en ts à l'a p p u i de l'o p in io n un V itru v e . Sans règles, pas d'œ uvres pas bien q u o i, on p e u t p a rle r d'une
émise. T o u t dépend donc de l'im p o r­ classiques, obéissant à des canons re­ é v o lu tio n . Si la fo rm e de c ritiq u e ,
ta n ce du film e t de celle de l'a rtic le connus p ar tous. La p lu p a rt des clas­ q u i consiste â ra c o n te r le film e t à
q u'o n e nte nd lu i consacrer. siques du ciném a so n t de fa u x clas­ d ire : « X jo u e bien, Y ne v a u t
siques, parce qu'o n bap tise in d iffé ­ rien », n 'a pas d isp a ru, p a r co ntre,
Par co ntre, il est très u tile e t re m m en t de ce nom des œuvres se la c ritiq u e disons d 'a v a n t-g a rd e , celle
m êm e indispensable de re voir ré g u ­ ré fé ra n t im p lic ite m e n t à des systèmes qu i p ra tiq u e u ne a na lyse en p ro fo n ­
liè re m e n t les film s anciens, à p lu ­ esth é tiqu e s c o n tra d ic to ire s . Dès lots, deu r e t tâ c h e , à l'occa sion de ch a ­
sieurs années d 'in te rv a lle , sous p eine p ou r un te l, le v ra i ciném a sera selon que film , de répondre a u x in te rro ­
de v iv re sur des souvenirs anciens et Gance, pour te l a u tre , il sera selon g a tio n s essentielles e t de d é c o u v rir
un systèm e de com paraisons périm é. Feyder, e t a in si se perpétue un d ia ­ quelques vé rités solides au s u je t d 'u n
C ar si un film ch an g e peu en h u it logue de sourds, puisq u 'à la seule a r t flo u e t m o u v a n t, c e tte c r itiq u e -
jours, il n'en va pas de m êm e en v ra ie que stio n : q u ’ est-ce q ue le là gag n e du te rra in ch aq u e jour. Elle
q u a tre ou cinq ans. ciném a ? il n 'a p o in t é té a p p o rté de p e u t se tro m p e r, ê tre in ju s te , elle
réponse u n a n im e m e n t admise. p e u t d on n e r lieu à des a b e rra tio n s ,
5. — Oui, bien sûr. Pour le p la i­
com m e le c u lte e x c lu s if e t ja lo u x
sir d 'ab o rd. Quel in té r ê t y a u r a it- il à 9. — La m odestie in c lin e ra it à ré­
de d iv in ité s obscures e t de deu xiè m e
fa ire de la c ritiq u e , s 'il ne re s ta it pondre q ue l'o n p ra tiq u e u ne c r it i­
que im pressionniste. La réponse ne ordre, il lu i sera beaucoup pardonné,
pas le western du N ap o lé o n , pour
résiste pas à l'exa m e n, parce q u 'à la parce q u 'e lle n 'e s t ja m a is en repos
vous consoler du C lo u z o t ou du Z in -
longue un ensemble d'im pressions, {ainsi com prise, la c ritiq u e est un
n em ann de service ? Et puis, c o m m e n t
c o hé re n t, co n tin u , c o n firm é , soutenu activism e } e t q ue l'irre s p e c t des idées
se fe ra ie n t les découvertes, si les
par des argu m e n ts to u jo u rs puisés reçues, le refus du c o n fo rt in te lle c ­
c ritiq u e s n 'a v a ie n t plus l'e s p rit
dons le même arsenal, c o n s titu e , tu e l s o n t le signe d 'u n très g ra n d
p io n n ie r ?
qu'o n le ve u ille ou non, quelque chose a m ou r. Je ne v e u x re te n ir ici que les
6. — R em arque p ré lim in a ire : a v o ir q ui ressemble à un système e s th é ti­ m e illeu rs cas, q ue chacun d o it s a voir
une bonne c u ltu re générale, ce la va que. « Je me suis to u jo u rs f a i t une d is tin g u e r des p ositio n s a be rra n te s et
de soi, ou du m oins, cela d e v ra it ce rta in e idée du ciném a... », v o ilà ce des co qu e tte rie s de la mode : le v é ­
a lle r de soi. Si spécialisé q ue so it que p o u rra it dire to u t c ritiq u e , im ­ rita b le e s p rit d 'a v a n t-g a rd e n 'é ta n t
le c ritiq u e de ciné m a , e t si s in g u ­ pressionniste ou non. C ette idée, en p o in t dans la v o lo n té de se sing u ­
lie r spn a rt, c e lu i-c i n 'e s t que le ce q u 'e lle a ffir m e e t en ce q u 'e lle lariser, m ais dans le désir de tra n s ­
septièm e du n om , e t m ie u x v a u t a v o ir fo rm e r la ch a p e lle où la nécessité
n ie, en ce q u 'e lle approuve e t en
quelques cla rté s su r les six prem iers. vous c lo ître p ro v iso ire m e n t en de
ce q u 'e lle re je tte , p o u rra it bien m é ri­
Il s 'a g it d'un e fa m ille d o n t on ne te r le v ila in nom de système. Quel vastes rassem blem ents de fidèles. Le
com prend bien un m em bre que si on p ropre du c ritiq u e e st dans c e tte
systèm e ? V o ilà q ui est d if fic ile à
c o n n a ît aussi un peu les a utres, il d é fin ir — e t ce n'est pas le lieu fo rm e d 'in g é n u ité q u i consiste à c ro ire
m e semble q u 'A Ia in a f a i t des re ­ d'essayer. M ais j'e m p ru n te encore une d é te n ir la v é rité e t à v o u lo ir la co m ­
m arques judicieuses sur la q ue stio n . m u n iq u e r. S'il est v ra i q u 'il y p a rv ie n t
fo rm u le à Paulhan : « Je suppose
Donc im possible de classer c e tte q u a ­ pa rfo is , il fa u t v o ir, dans ce c ré d it
sim ple m en t, avec le sens com m un,
lité a u tre m e n t q u 'e n en fa is a n t le q u 'il existe p o u r l'œ uvre... un p o in t accordé, le signe d 'u n e é v o lu tio n .
s u pp o rt in v isib le e t 1e co m m un déno­ d'accom plissem ent à p a r tir duquel il Un a u tre phénom ène] à coup sûr
m in a te u r de to u te s les autres. d e vie n t possible de p a rle r — de d is ­ c o r r é la tif : la p ro lifé ra tio n a c tu e lle
Le te rra in ainsi déblayé, disons c u te r aussi bien — d 'e n c h a n te m e n t, des cin é -c lu b s . Dans te lle v ille de
q u 'il fa u t d 'ab o rd a v o ir beaucoup fr é ­ de génie : de bea u té . Ce se rait peu. provin ce (B ordeaux) où, v o ic i d ix ans,

65
un seul v iv o t a it p é n ib le m e n t, a u jo u r­ à sa d ig n ité d 'a r t, qu'envers e t co ntre sible, puisqu'on v o it les C ahiers ré­
d 'h u i on en co m p te tro is , q u i pros­ to u t, nous ne cessons de procla m er, d u its à d éfe n d re l'a f fr e u x * c in é m a
p ère n t.- M a is c o m m e n t m esurer ayec m êm e q u a n d nous éprouvons un cer­ de g la d ia te u rs » q u i nous e n v a h it
précision c e tte c o rré la tio n ? ta in m a l. à y cro ire . p résentem ent sans re n c o n tre r de ré­
11. — C e rta in e m e n t. En d ix ans, 14. — Les Cahiers o n t fo u rn i e ux- sistance.
nous avons v u s'é crou ler tro p de fa u x mêmes la réponse dans le u r n° 100
chefs-d'œ uvre, p our ne pas ê tr e p ru ­ (a rtic le d e D on iol-V a lcro ze ). M a is on
dents. En sens inverse, il y a aussi la p e u t la co m p lé te r p ar le p o in t de
m ésaventure de la Règle du jeu e t v u e d u co nsom m ateur. V o ic i don c en JE AN D U T O U R D
quelques a utres. Nous retro uve ro n s ce quoi le u r a p p o rt, en d ix ans, a été (C a rre fo u r)
q u i f u t la hantise- des critiq u e s l i t ­ p o s itif : d 'u n e p a r t, le tra v a il de
té ra ire s : ne plus laisser échapper c ritiq u e en p rofon d e ur d 'A n d ré B azin,
R im baud. M a is cela n 'a u to ris e pas à de trè s lo in le p rem ie r c ritiq u e fr a n ­
v o ir R im baud p a rto u t, à t o u t hasard. çais depuis Jo guerre, p e u t-ê tre le
12. — > Sur Je ciném a ou sur les seul q u i a it eu une vue d'ensem ble
cïnéostes ? L 'o p é ra tio n N .V . (c o n d u ite e t u ne in tu itio n rigoureuse de to u s
s u rto u t p ar d'anciens c ritiq u e s , sou­ les problèm es du ciné m a . T o u t c r i­
tiq u e , a u jo u rd 'h u i, a u ne d e tte ,
te n u e p ar la c ritiq u e ) in c lin e à ré­
avouée ou non, envers A . B a zin .
pondre o u i. E nsuite de q u o i, nous
D 'a u tre p a r t, le tra v a il de remise en
ayons vu C lé m e nt, cinéaste d u sys­
tèm e, prendre à la N .V . son scéna­ que stio n des valeurs admises f a i t
p a r les c ritiq u e s plus jeunes : A stru c ,
riste, son o p é ra te u r, e t s 'im a g in a n t
Rohm er, T r u ff a u t , e tc. Bien sûr, nos
fa ir e un film N .V . en donner la
p én ib le ca ric a tu re , l i fa u d r a it donc q uin ze ans s 'in d ig n a ie n t lorsqu'on
le u r p ré s e n ta it La Sym phonie pas­
d éplorer ce genre d 'in flu e n c e ? Ras­
to ra le o u Le D iable au corps com m e
surons-nous : la c ritiq u e a de l'in ­
des ch efs-d'œ uvre , e t nous fla irio n s
flu en ce q u a n d , p ar hasard, e lle v a
dans le sens de la mode. Puis to u t l'im p o s tu re , m ais sans tro p oser le
re n tre dans l'o rd re , e t elfe en a de dire. Plus ta rd , les Cahiers l'o n t osé,
nouveau p o u r plusieurs années à p rê ­ e t ce la nous a donné co nfia n ce . Puis m e sem ble q u e fa c ritiq u e
ch e r dans le d ésert. E n fin, ne soyons nous avons appris à re ga rd e r d 'u n d e ciném a dans la presse t ie n t à elte
œ il n e u f, le ciném a p a r excellence, to u te seule a u t a n t de p la c e q ue les
pas tro p pessim iste : dons u n sem i-
le ciné m a a m érica in (avec le num éro c ritiq u e s litté r a ir e , p ic tu r a le , m u si­
désert.
sp écia l q u 'ils fu i o n t consacré, les cale, e tc v réunies. C ela v ie n t sans
13. — • A c e tte question, je répon­ C ahiers o n t p e u t-ê tre a tte in t leu r d o u te de ce q u e le p u b lic du ciném a
drai s u rto u t en ce q u i me concerne, som m et). Et a u x noms de F la he rty, est in n o m bra b le. Les gens s 'in té re s ­
réponse d 'a ille u rs déjà esquissée en R enoir, V îgo, D reyer, Bresson, Coc­ sent v is ib le m e n t a u t a n t a u cin é m a
3 B. T e n a n t la ru b riq u e d 'u n jo u rn a l te a u , q ue nous honorions d éjà , nous q u 'a u x fa its dive rs e t u n p eu de la
e ssentiellem ent p o litiq u e , de d ro ite avons a jo u té H itch c o c k , F ritz Lang. même fa ço n .
e t même d 'e x frê m e -d ro ite , je v e u x W a lsh, H aw ks, M in n e llï, A ld ric h ,
2. — Je n 'a v a is pas re m arq u é que
bien, avec les positions d uquel je m e Ray, e tc ., ce qui m é rite bien quelque
les titu la ire s des ch ro n iq u e s litté r a ir e ,
sens to u jo u rs en é tro ite s y m p a th ie , g r a titu d e .
p ic tu ra le , g a stro n o m iq u e , etc-, fu s ­
je n 'a i ja m a is éprouvé q u 'il y e û t fà
E n fin , en p ro lo n g e a n t leur tra v a il se n t p a rtic u liè re m e n t spécialisés. Je
un o bsta cle à juger sereinem ent d 'u n
de c ritiq u e p ar une a c tio n person­ tro u v e p lu tô t q ue d a n s l'ensem ble
film , pas plus q u 'à p ro c la m e r q ue
nelle, sans q uoi il e û t risqué de de­ ils sont assez p eu fa m ilia ris é s avec
je tie n s Eisenstein p o u r le plus g ra n d
m e ure r sté rile , en d é m o n tra n t que le les sujets q u 'ils tr a ite n t .
nom de l'h is to ire du ciné m a . Je
ciné m a ne se p rouve bie n qu'e n f i l -
m 'e ffo rc e de ne jam ais déplacer le 3. — Dans f'e x e rc ic e d e m o n m é­
m a nt,' plusieurs membres des Cahiers
d é b a t, e t, com m e je l'a i déjà ind iqu é , fie r de c r itiq u e de cin é m a , je ne
nous o n t donné des film s, p arm i les
je ne vois là aucun m é rite puisque, tiens a ucu n c o m p te :
plus bea u x ou les plus intéressants du
n e u f fo is sur d ix , nous avons a ffa ir e a) des g oû ts du p u b lic ;
ciné m a fra n ç a is d 'après guerre : La
à un ciné m a p ru d e m m e n t n o n -e n -
Proie pour l'om b re , T ire z sur te p ia ­
gagé, ce qui fa c ilite les choses. Dans b) de l'e s p rit du jo u rn a l dan s le­
n iste, Les Bonnes Femmes, A b o u t quel j'écris.
l'ensem ble, j'a i l'im pression que mes
de s o u ffle , e t deux m e tte u rs en scène,
confrères procè d e nt de m êm e, e t j'y Cela e x p liq u e sans d o u te p ourquoi
au m oins, de qui l'on p eu t à coup
vois certes un progrès. II s u f f i t de je suis si peu lu e t p o u rq u o i p e r­
sûr, to u t a tte n d re : A s tru c e t T r u f ­
se rappeler les années d 'après g ue rre , sonne ne f a i t a tte n tio n à mes p e tits
fa u t .
e t l'ab su rde a n ti-a m é ric a n is m e q u i sé­ papiers.
vis sa it alors dans u ne c e rta in e presse Pour ê tre to u t à f a i t fra n c , cela
(p a r exem ple L'Ecran fra n ç a is , d e r­ n 'e s t pas a llé sans quelque inco n vé ­ 4 . — Le c r itiq u e lit té r a ir e se m e t-
niè re m a nière)... Cela nous a v a lu des n ie n t, en c o n tre p a rtie , e t il sem ble il — p ou r re p re n d re vos te rm e s —
mines e ffa ro u ché e s e t des co up le ts q ue le d é p a rt de quelques-uns des * dans les c o n d itio n s d u le c te u r * ?
m oralisateu rs non m oins q ue socio- p rin c ip a u x c o lla b o ra te u rs se s o it t r a ­ Le c ritiq u e de ciné m a n 'é c r it pas seu­
logiques (à propos des film s d e guerre d u it, p o u r la revue, p a r un c e rta in lem e n t p o u r le le cte u r o u le specta ­
ou des « film s n oirs ») b ie n ré jo u is ­ désarroi, un léger flo tte m e n t. Bazin te u r, m ais aussi p o u r les a u te u rs des
sants à évoquer a u jo u rd 'h u i. n 'a pas é té rem placé, m ais plusieurs ouvrages d o n t if p arle , p o u r u n e ce r­
a utres non plus. A moins que... ta in e idée q u 'il se f a i t d e fe u r ciné ­
A u tre chose : les occasions de nous m a to g ra p h e , p o u r lu i-m ê m e e n fin .
e n tre -d é ch îre r ne m a n q u a n t p o in t A m oins q ue ce ne s o it le ciném a
p ou r l'he u re, gardons, p ou r nous ré­ lu i-m ê m e qui so it devenu m oins in ­ 5. — • Je pense q u 'il e st p a r fa ite ­
co ncilie r, ce te rra in à l'é c a r t de nos té re ssan t que dans les années c in ­ m e n t i n u tile de V o ir les film s d o n t
guerres civiles '. te ciné m a . Et accor­ q u a n te , e t que te c ritiq u e n 'y s o it je n 'a i pas à rendre co m p te . Le c ri­
d o n s -lu i le respect q ue nous devons p ou r rien. Ce q u i n 'e s t pas im pos­ tiq u a lit té r a ir e c r o it - il o b lig é de

66
lir e les ouvrages des 4 .0 0 0 c a cog ra - 6. — Préséance des q u a lité s du
phes q ue l'o n p u b lie ch aq u e a n n é e ? c ritiq u e :
6. — J 'a llo n g e ra i v o tre liste, si 1« Un bon ju g e m e n t ;
vous le p e rm e tte z . J 'in s c rira i d ’a bo rd :
2 ° Un ta le n t d 'é c riv a in ou de jo u r­
le bon sens e t le bon g o û t, e nsu ite
n a lis te ;
la m odestie, ou si vous p ré fé re z , la
h a in e du genre p ré te n tie u x . 3o Une bonne c u ltu re gén é ra le ;
Lorsque ]ç lis mes confrères, il 4o A v o ir s u ffis a m m e n t fré q u e n té
m 'a rriv e souvent d 'é c la te r de rire le ciném a.
ta n t ils o n t l'a ir de se pvendve o u (Le c ritiq u e n 'a que fa ir e des con­
sérieux, e t ta n t ils fo n t d e belles naissances techniques.)
phrases. Après to u t, le ciném a n 'e s t
q u 'u n e p e tite chose e t le c ritiq u e 7. — N on. P lu tô t m oins q u 'a u
de ciném a est u ne chose encore plus th é â tre , en lit té io tu r e , en m usique
p e tite . e t s u rto u t que dans les a rts plastir-
ques.
7. — Non.
8. — Il f a u t d 'a b o rd ê tre ca pa b le
8. — N on. de s itu e r la c a té g o rie d 'u n film . On
e t je n 'a im e pas q u 'o n m 'im p o se
9. — Les deux. des considérations te ch niques n i un to m b e trè s fa c ile m e n t d 'a c co rd là -
ja rg o n ,é so té riq u e com m e ce lu i qui dessus. A J 'in té rîe u r de ch aq u e c a té ­
10. — Il me sem ble que ce so nt
rend p a rfo is la c ritiq u e d 'a r t p a r­ gorie, on d o it se laisser a lle r à l'im ­
les c ritiq u e s qui o n t évolué. A p a r t
fa ite m e n t rid ic u le e t m oliéresque. pression personnelle. On a le d r o it de
quelques p la isan tin s, ils p a rle n t com ­
d ire , p a r exem ple : « Ce film est
m e des Professeurs de Sorbonne. En f a i t , u n c ritiq u e , m êm e s 'il so rt m édiocre, m ais j ’a vou e q u ’ il m 'a '
11. — D ix ans, cela m e p a r a ît un des rangs des a m a te u rs , se spécia­ amusé. » (Ou : * Ce f i l n e st im ­
déla i bien co urt. Je m e dem ande to u ­ lise au b o u t d 'u n e p ériode assez p o rta n t, m ais il m 'e nn u ie . »)
jours, qua n d je vois un film , ce qu'on brève. Ce q u i est bien, à co n d itio n
q u 'il g ard e to u te sa fra îc h e u r de ‘ 9 . — Là, il y a du m élange. C ha­
en re tie n d ra dons ce nt ans. C 'est sans
ju g e m e n t e t q u 'ii n 'a d o p te ja m a is cun a é vid e m m en t un systèm e plus
d ou te ce q ui me rend morose.
le p o in t de v u e du ré a lis a te u r. C om ­ ou m oins co hérent. M a is il fa u t la is ­
12. — Quand un c ré a te u r se laisse ser sa p a r t à l'im pression e t ne pas
me le p u b lic , il est à l'a u tr e b o u t
in flu e n c e r p a r la critiq u e , q uelle d écré te r au nam d 'u n dogm e.
de la ca m éra .
q u 'e lle s o it, cela s ig n ifie q u 'il e st un
m o uva is c ré a te u r. D 'où il s u it que C 'est bien, pour deux raisons : 10. — A . Oui, ses b uts sont a u ­
si le c ritiq u e a influ e n cé ou in flu e n c e jo u rd 'h u i presque to u jo u rs honnêtes,
A ) Il fa u t so uve n t s itu e r le film a lo rs q u 'il y a tre n te ans, la c ritiq u e
un c e rta in ciném a, ce ne p e u t ê tre d 'u n a u te u r dans l'ensem ble de son
q u 'u n m auvais ciném a, se c o n fo n d a it souvent avec la ru b ri­
œ uvre p o u r le ju g e r é q u ita b le m e n t- q ue p u b lic ita ire .
13. — Je ne vois a ucun progrès B) U ne bon n e c u ltu re c in é m a to ­
dans le f a i t qu'u n systèm e e s th é tiq u e S. Oui. 5es moyens o n t beaucoup
gra p h iq u e e st indispensable p o u r ne
rem place un systèm e p o litiq u e ; ce g ra n d i.
pas sa lu e r com m e u ne nou ve a uté ce
n 'e s t q u 'u n e in to lé ra n ce qui chasse q u i s'e st d éjà f a i t il y a d ix ou C. Oui. Les aute urs e t m êm e les
l'a u tre . Je suis ennem i de tous les v in g t ou c in q u a n te ans. e x p lo ita n ts tie n n e n t c o m p te d e [a
systèmes, s u rto u t quand ils sont écha ­ c ritiq u e .
fa u d és après coup p a r des critiqu e s. 3. — A . Aucun.
Q uant à ju g e r u ne œuvre d 'a r t 11. — N on. Il est déjà assez d i f f i ­
B. A u c u n . c ile de sa voir ce qui est bon dans
(ou q u i se v e u t te lle ) selon des n o r­
mes p o litiq u e s , c'e st une so ttise e t A . Sans c o rre c tif. Le c ritiq u e n 'e s t le m o m en t. M ais c'e st un f a i t que
une m a lh o n n ê te té . pas f a i t p o u r su ivre le p u b lic , m ais la pluDart des film s v ra im e n t bons
p o u r le précé d e r e t q ue lq ue fo is p our à le u r s o rtie o n t d uré . Quand on a
H. — Les Cahiers du Cinéma so n t redonné La B andeta il y a deu x
se b a t tr e c o n tre lui.
u ne s o rte de N.R.F. du ciné m a , avec ou tro is ans, L'Express a tro u v é ce
des d é fa u ts e t des q ua lité s analogues. B. Le seul c o rre c tif e st le s u iv a n t. film a ffa d i e t a p u b lié les critiqu e s,
Les q u a lité s l'e m p o rte n t sur les dé­ Il f a u t tr a v a ille r dans un jo u rn a l selon (ui tro p enthousiastes, de M a r­
fa u ts , e t l'o n est ja m a is to u t à f a i t auquel on e s t accordé d 'a v a n c e (h a r­ cel A ch a rd , de m o i-m ê m e e t de q u e l­
sérieux sans un peu de p éd a n te rie . m o n ie pvéé taM ie ). Sinon, vous vous ques a utres. Fin ale m en t L'Express a
J ’a jo u te que j'écris très so uve n t dans sentez to u jo u rs dans la s itu a tio n du é té presque seul à ê tre de ce t avis.
la N.R.F. m o nsie ur qui chausse du -41 e t à
qui on v e u t m e ttr e des souliers 12. 1— Oui. En p a r tie d ire c te m e n t.
de 38. René C la ir, Jean R enair, T a ti, A n to -
n io n i, M in n e lli, N ich o la s Ray e t pas
4. — En g énéral, o u i. Un film m al d 'a u tre s m 'o n t d it q u 'ils te n a ie n t
JEAN FAYARD q u i dem ande à ê tre v u tro is fo is
co m pte de l'o p in io n des c ritiq u e s.
(La Revue de Paris) p o u r ê tre app ré cié ‘ ou com pris a
m anq u é son b u t. C ependant, il est En p a r tie p a r la bande, c ’e s t-à -d ire
\ . ■— O u i. A u jo u rd ’h u i, dans la p lu ­ to u jo u rs bon, com m e dans la lit t é ­ p ar a c tio n sur le p ub lic . II ne fa u t
p a r t dos jo u rn a u x e t hebdom adaires, ra tu re , de fré q u e n te r les c h efs- pas exag é re r la p o rté e de c e tte ac­
la c ritiq u e de ciném a e st tr a ité e d 'œ uvre, d o n t l'in é p u is a b le richesse tio n , m ais e lle existe.
com m e u ne ru b riq u e m ajeure, à peu a p p a ra ît à la re le ctu re .
13. — La d iffé re n c e e n tre la
près à é g a lité avec la c ritiq u e d ra ­
5. — O ui, dons la m esure o ù il d ro ite e t la gauche n 'a ja m a is été
m a tiq u e .
f a u t ê tre te n u au co u ra n t. M a is sans très considérable qua n d ij ne s'agis­
2. ■— • En p rin cip e , non. Le film est exagérer. L 'in d ig e s tio n de n avets ne s a it pas de film s de pure p ro p a ­
une denrée essen tie lle m e nt p ub liq u e p r o fite à personne. gan d e p o litiq u e . J 'a i é té de fa fo n -

67
d o tio n de la C ritiq u e In d é pe n da n te 2° A v o ir u ne bonne c u ltu re géné­ P ATR IC E H O V A L D
avec Moussrnac de L 'H u m a nité , je rale e t savoir é crire cla ire m e n t, h on ­
suis du ju r y D elluc avec Sadoul (de nê te m e n t, cela v a sans d ire. (L'A lsace)
m êm e a p p a rte n a n c e ) e t nos d iv e r­
gences n 'o n t ja m a is dépassé i'a m p li- 3° La te c h n iq u e ? c o n n a ître pro­
titu d e n orm a le dans un pays de fo n d é m e n t le langage,' l'e s th é tiq u e
fib re discussion. du ciném a, leur é v o lu tio n , cela nous
renvoie au no 1. Ce q u i e st p ro p re ­
14. — A p p o rt p o s itif c e rta in e t m e n t te c h n iq u e ? 11 f a u t b ie n sûr
im p o rta n t. !l fa u t que l'o p in io n a it qu'u n c ritiq u e connaisse les p ro b lè ­
u ne p o in te passionnée. mes de la ré a lis a tio n , q u 'il a it fr é ­
q u e n té e t q u 'il fré q u e n te toujours,
studios e t lie u x d e to u rn a g e . M ais
fin a le m e n t, p ou r la * te c h n iq u e »,
chacun s a it « q u 'il f a u t q u a tre
heures... »
RENE GILSON
7. — N on.
(C iném a 61}
S. — N on, après to u t. M a is les
1. — D ans la presse q u o tid ie n n e critè re s ne so n t pas to u t. P o in t tro p
c 'e s t très iné g a l, m ais ce qui est n'en fa u t, e t il ne fa u t s u rto u t pas
plus grave, dans les hebdom adaires, s'y ré fé rer avec systèm e, m é th od e , e t 1. — C e rta in e m e n t pas. Il est
la c ritiq u e de ciném a e st de plus m êm e tro p consciem m ent. e x tra o rd in a ire de c o n s ta te r q ue des
en plus sa crifié e , te n u e p o u r sus­ jo u rn a u x parisiens t ir a n t à 5 0 0 .0 0 0
p e c te e t s y s té m a tiq u e m e n t co nfié e 9. — L'im pression du m o m e n t, e xem plaires e t s’a d re s s e n t à un p u ­
à des « sign atures », ù des c r it i­ non. Des va le u rs esth é tiqu e s, o ui, u n b lic d o n t on nous d it q u 'il est le
ques litté ra ire s , de th é â tre , ro m an ­ * système, » non. plus c u ltiv é du pays (ce q u i e st p e u t-
ciers, d o n t [a m éconnaissance e t p a r­ ê tre u ne raison, la c u ltu re ne sous-
fo is m êm e le m épris plus o u m oins 10. — Oui A -B -C en bien n a tu re l­
e n te n d a n t pas le cin é m a ...) consacre
c o nscient du ciném a so n t scandaleux lem e n t. M ais, s'il y a eu des essais
à des film s im p o rta n ts des c ritiq u e s
p o u r le c in é p h ile . d ’e sth é tiqu e , i! n 'y a pas eu de c r i­
(ind ige n te s) de quelques lignes, se
tiq u e de ciném a a v a n t 1940. Ce
c o n te n ta n t p ou r le reste de p u b lie r
2. — Les c ritiq u e s litté ra ire s , tes n 'é t a it pas possible d 'a ille u rs . Il s u f­
des photos sur g ran d fo r m a t ou des
c ritiq u e s d 'a r t so n t « spéciafisés ». f î t de lire m êm e les c o m p te rendus
nouvelles d îte s brèves d 'u n e rare
Il im p o rte encore plus q ue le c r i­ de La Revue du Ciném a 2 9 -3 0 ,
nia iserie . Q u a n t à !a presse de p ro ­
tiq u e de ciném a le so it, si l'o n e n ­
11. — Quand je le * vois », certes vince, la c ritiq u e y b r ille g é n é ra le ­
te n d p a r s p é c ia lis a tio n c in é m a to g ra ­
pas. Il y a d 'a b o rd le p la is ir du m e n t p a r son absence, ou bien l'h o m ­
p h iq u e u n v é rita b le a m o u r e t une
ciném a, si c e lu i-c i e st donné. A u m o­ m e qui se décerne ce t i t r e se con­
p ro fo n d e connaissance du ciném a.
m e n t de la ré fle x io n , p a rfo is , s 'il te n te d 'u n tra v a il q u ’ il v a u t m ie u x
3. — A u c u n com pte. s 'a g it s u rto u t de film s très inscrits ne pas q u a lifie r. A lo rs q ue so uve n t
dans un m o uve m e n t d 'é v o lu tio n du (e fe u ille to n de c ritiq u e lit té r a ir e
4. — II m e sem ble im pensable (fo u rn i ou non p a r des agences)
ciném a. S 'il s 'a g it d 'u n film d 'u n
que, p ou r un film im p o rta n t e t un fig u r e en bonne place.
a u te u r qui a d éjà to u te u n e œ uvre,
a r tic le u n peu sérieux, u n c ritiq u e
un style , un u nivers, cela n 'a plus 2.. — La c ritiq u e de cin c m a ne
puisse se c o n te n te r d 'u n e seule v i­
de sens. p e u t ê tre que le f a i t d 'u n « spé­
sion.
c ia lis te ». M a rcel A c h a rd d is a n t
5 . — On a im e le ciném a ou on 12. — O ui... q u a n d les critiq u e s * m ... » à H iro s h im a don n e lo mesure
rte l'a im e pas. Si un c ritiq u e ne va devie n ne n t a u te u rs de film s . A u tr e ­ de ce q ue p e u t ê tre l'in co m p é te n c e
pas v o ir les film s im p o rta n ts ou sim ­ m e n t non, e t e lle n 'a pas à en s e ra ît-c e de la p a r t d 'u n h o m m e
p le m e n t des film s * à v o ir » parce a v o ir. . que l'o n p e u t bien considérer com m e
q u 'il n 'a pas à en rendre com pte, ce « c u ltiv é ».
n 'e s t pas u n c ritiq u e . Il f a i t * m é ­ 13. — > Assez souvent, m ais ce
tie r » de c ritiq u e , il f a i t du jo u rn a ­ n 'e s t pas to u jo u rs fo rc é m e n t un e f f a ­ 3. — Le « g o û t du p u b lic » est
lism e. C om m e n t p e u t-o n concevoir ce m en t de l'é th îq u e a u p r o fît de u ne chose q u i n 'e x is te pas. Le g o û t
q u 'o n ose é crire p ro c h a in e m e n t une l'e s th é tiq u e . T o u t recul des s e cta ­ du p u b lic c'est la sa lle co m ble de
c ritiq u e de Virîdiana si l'o n n 'e s t pas rismes, des e sprits d e systèm e m e Bon Hur e t ce so nt en six jours
sem ble un progrès, le co nfu sio n nism e { □ M ulhouse) les 7 .0 0 0 sp ecta te urs
a llé v o ir ou re v o ir — ca r les souve­
non. du fe s tiv a l B ergm an. Je n 'a i donc
n irs de fe s tiv a l so n t in s u ffis a n ts e t
d a n g e re u x — La J eu n e Fille e t pas du to u t le s e n tim e n t n i de
14. — On d o it a u x C ahiers u n e te n ir co m p te de ce « g o û t », ni
N a z a rin m ais encore si l'o n n 'a pas
grande p a rt de l'a p p o r t c ritiq u e d 'A n ­ m êm e de le fo rm e r. En fa i t , ie
connaissance e n tiè re e t révisée de
dré Bazîn e t de son école, la p ériode m 'e ffo rc e de proposer des élém ents
l'oeuvre de B unuel ? ' E videm m ent, s'il
T r u ff a u t - R iv e tte , d e s tru c tric e et de ju g e m e n t. E ta n t, p a r a ille u rs , c r i­
n e s 'a g ît que de' papiers im pression­
c o n stru c tive , s a lu ta ire e t féconde, e t tiq u e d 'u n jo u rn a l d 'in fo r m a tio n sans
n is te s avec un c e rta in b rin de p lu m e
la prem ière défense e t illu s tr a tio n n ua n ce p o litiq u e , je n 'a i pas non
p o u r p la ire au le c te u r ou Se fa ir e
du ciném a a m é ric a in . Depuis d e u x plus à p ra tiq u e r d 'a u to -c e n s u re . Lors­
« ré a g ir », com m e c'e s t !a mode
ans, les Cahiers s u rv iv e n t p lu s m a l q ue des lecteurs m a n ife s te n t des o p i­
dons les hebdom adaires, c 'e s t a u tre
q ue bien, les équipes q u i, en d eu x nions c o n tra ire s, le jo u rn a l le u r donne
chose.
époques, fir e n t le u r v ita lité , ne s o n t la parole. L o rs q u 'e n fin , des in c id e n ts
6. — lo A v o ir beaucoup fré q u e n té plus. M a is il y a d ix - h u it film s e t publics é c la te n t (Les Lfaisons d a n g e ­
te ciném a e t ê tre un a m a n t du se pt nou ve a ux réalisateu rs q u i co m p ­ reuses), c o m p te rendu e s t donné de
ciné m a . te n t e t re no u ve lle nt le ciném a. ces in c id e n ts e t le ré d a c te u r en c h e f

68
s itu e la p o s itio n du jo u rn a l p a r ra p - p le d ' k H iroshim a », alors q u 'u n 12. — Bien ente nd u . Non seule­
p o rt à ces in cid e n ts e t à leur o b je t. film de bas é ta g e n e le gêne pas, m e n t parce q ue des c ritiq u e s to u r ­
M o i-m ê m e j'e s tim a is q ue le p u b lic Il n'acce p te pas ce que ré clam e Res- n e n t des film s — ce q u i ne s e ra it
b ie n -pe n sa nt — je suis c ro y a n t — nais lorsqu'il d it : « Ce q u 'il fa u t, pas un a rg u m e n t — m ais parce q u 'il
é ta it m al ve nu de s'en p rendre a u x c 'e s t é branler la c e rtitu d e des gens, est du rôje de la c ritiq u e de décou­
« Liaisons », alors q u 'il to lé r a it A u ­ les réveiller, fa ir e q u 'ils n 'a c c e p te n t v r ir u n film dans ses œuvres vives.
ta n t-L a ra . Un colloque qui ré u n it par pas les valeurs reçues com m e in ­ U n f ilm est b ien plus q ue ce que
ia s u ite de nombreuses personnalités, ta n g ib le s , » son c ré a te u r a vo ulu q u 'il so it. A u
d o n t le ré d a cte u r en c h e f du jo u r­ c ritiq u e d 'o o é re r c e tte mise en v a ­
8. — N on. Ou alors dans la m e­
nal e t v o tre s e rv ite u r, nous p e rm it leur. Et, ce fa is a n t, il in flu e n ce le
sure où l'on a l'im pression que le
de c o n fro n te r nos vues. c ré a te u r lu i-m ê m e co nsciem m ent ou
ciném a a évolué beaucoup plus ra p i­
Ce seul « cas » mis à p a rt, je d em e n t que d 'a u tre s dom aines expres­ n on . Ce n 'e s t p o u r ta n t pas u ne règle
suis e t je m e sens a bso lu m e n t libre. sifs. Je dis bien « l'im pression » ca r je g énérale. M a ïs s* la c ritiq u e p erm e t
ne le pense pas. « M a rie n b a d » n 'e s t à A n to n io n i d e créer, e lle in flu e n c e
4. — Je pense q ue le c ritiq u e est
d 'a v a n t-g o rd e q ue dans la mesure é v id e m m e n t le ciné m a , du m oins ce
celui oui d e v ra it en sa voir « plus
où la pensée des aute urs l'est non q ue j'a p p e lle p a r ce nom .
(ong », si j'o s e d ire , que la plus
g ra n d e p a r tie des sp ecta te urs (m ais pas d 'a ille u rs en soi, m ais p a r rap­ 13. — C e tte d is tin c tio n , en ce q ui
pas que tous les specta te urs), parce p o rt à celle d 'a u tre s a ute urs. Nous concerne les m e illeu rs c ritiq u e s fr a n ­
q u 'il est a v e rti de ce d o n t il parle, sommes loin de V oyage en Ita lie . çais, ne m 'a ja m a is p a ru v ra im e n t
q u 'il a souvent vu plusieurs fois (ce En fin de co m pte, m a réponse est a p p a re n te . N i g ê n a n te . Georges Sa­
q ui est à recom m ander) le film , q u 'il n ég a tive . doul re g re tte (e t m oi aussi) q ue Res-
ju g e ce film aussi en fo n c tio n d 'u n 9 . Les deux. Il s e ra it stu p id e n o is n 'a it pu to u rn e r un film sur
a u te u r d o n t il a su ivi J'œuvre a n té ­ de refuser to u t « systèm e e s th é ti- l'A lg é rie . Il n'en a d m ire pas m oins
rieure e t l'é v o lu tio n de son s ty le , de tiq u e » (le te rm e n 'e s t pas heureux) M a rie n b a d . H en ri A g el n 'e s t en a u ­
sa pensée. sinon un bon su je t s e ra it un e xcel­ cune m a nière un c ritiq u e de d ro ite .
le n t film ou, inversem ent, M o lin a ro A lo rs ? Il n 'y a pas à séparer l'é th i­
5. — Les film s passant à une q ue de l'e s th é tiq u e . Pas plus en ce
cadence assez rapide, je suis dans s ig n e ra it des ch efs-d'œ uvre . Q u a n t à
« l'im pression du m o m en t », je dois q u i concerne la c ritiq u e q u'e n ce q ui
l'o b lig a tio n d 'e ffe c tu e r un ch o ix.
d ire q u 'il s 'e g it d 'u n m o m e n t assez c oncerne le ciné m a lu i-m ê m e où,
M a is il est b ie n c e rta in q u e j'e s tim e Godard J'a rappelé, « le tra v e llin g
nécessaire de v o ir des film s d o n t je long e t que je n 'ab o rde la c ritiq u e
d 'u n film q ue plusieurs heures après e st a ffa ir e de m o rale ». La c ritiq u e
ne rends pas com pte, p a rc e q u 'ils
la vision. Une c e rta in e d é c a n ta tio n v é rita b le ne d o it ê tre ni de d ro ite
p a rtic ip e n t de m a connaissance, de
s'opère e t l'im pression p rem iè re est n i de gauche. En fa it , je fa is m ienne
ma c u ltu re — la c u ltu r e é ta n t ce la p a ro le de Bazin : « Si la c ri­
qui nous m o d ifie — e t que p a r « a u to m a tiq u e m e n t » c o n fro n té e ou
« système e s th é tiqu e à to u t ce tiq u e est la conscience du ciné m a ; le
ra p p o rt à ces film s m on ju g e m e n t ciném a lu i d o it d 'a v o ir conscience
évolue. Je m 'excuse d 'e m p lo ye r les qui e st en m oi e t q u i s 'a pp e lle le
ciném a. de lu i-m ê m e . »
grands m ots de « connaissance » e t
de c c u ltu re », m ais il est bien 14. — « Franchem ent », bien sûr.
10. — A . Non. Si ce n 'e s t dons
é vid e n t qu'e n q uin ze années les film s Les C ahiers so n t irrem plaçables. L'es­
des cas individuels. A insi, p ou r m a
que j'a i vus com m e les livre s que p r it des C ahiers est déte sté dans
p o rt, les ciné -club s c o m p te n t b ea u ­
j'a i lus o n t m o d ifié ju s q u 'à m on com ­ c e rta in s m ilie u x — un p ro d u c te u r l'a
coup dons les b uts q ue je poursuis.
p o rte m e n t. Celui qui tra ve rse a im a b le m e n t décla ré en p u b lic ré­
L 'A v v e n tu ra ou M a rie n b a d sons en B. Oui. Les cinémas d 'a r t e t d'es­ ce m m en t — ce q ui p rou ve son e f f i ­
ê tre « a ffe c té », f a u t - i l l'e n v ie r? sai, p a r exem ple, sont nés d 'u n c li­ c a c ité . Les Cahiers p o u r ceux q ue le
m a t créé p a r la c ritiq u e . Les d if ­ ciném a b rûle , so nt, en fin de co m pte,
6. — A . A v o ir b eaucoup fré q u e n té fé re nte s revues (Cahiers, Ciném a 60), la v ra ie référence- C ertain s a rtic le s
le ciném a. c e rta in s hebdos (France O bservateur se m b le n t p a rfo is b y z a n tin s. Alors, je
B. Avoir une bonne culture géné­ lo rsq u 'il ve u t bien rester sérieux, Le m e dis q ue les Cahiers o n t p u b lié
rale. Figaro L itté ra ire , L'Express en ce qui la le ttr e de R iv e tte sur V oyage en
C. A v o ir un ta le n t d 'é c riv a in ou concerne les interview s) o n t accru les Ita lie , l'a d m ira b le « Bergm anoram a »
de jo m n o lis te . Q u a n t à la connais­ m oyens de io c ritiq u e . de J e an -L u c Godard e t la p réface
sance de la te ch n iq u e, e lle découle C. Et, p a r ta n t son in flu e n c e sur le de B azin à l'e n tre tie n avec Orson
du p re m ie r p o in t à m oins q u e l'o n a it pub lic. A n to n io n i, Bergm an, Rossel­ W elles, c 'e s t- à - d ir e l'illu m in a tio n sou­
les y e u x dans ses poches. lin i doive n t beaucoup à la c ritiq u e . d ain e : le B alzac de Rodin. Les
Ce q u i est re g re tta b le , c'est q ue l'u n Cahiers o n t so uve n t a p p o rté au te rm e
7. — Ouï, i'a c c o rd sur u n e œ uvre d 'u n itin é r a ir e obscur l'illu m in a tio n ,
est plus d if fic ile à. o b te n ir dons le ou l'a u tre de ces a u te u rs cessant de
p la ire p a r l'une ou l'a u tre de ses la ré v é la tio n soudaine d 'u n « quod
ciném a que dans les a u tre s d o m a i­
dernières œuvres se v o it rejeté, se- e ra t d em o n s tra n d u m » é c la ta n t. Ce
nes, Pourquoi ? Parce que le s p e c ta ­
r o it- îl l'a u te u r de S om m arleck, ce q u i s u f f i t à leur g lo ire. Dans c e tte
te u r s 'id e n tifie au ciné m a , q u 'il en f a i t
ch e f-d 'œ u vre . II reste à d ire q u 'A n - ré v é la tio n e st le ciném a. T o u t le
sa chose à lu i, q u 'ij a envers une
dré Bazir. n'a pas é té rem placé e t reste e st litté r a tu r e .
œ uvre où s u rto u t envers u n ou une
in te rp rè te un s e n tim e n t possessif a u ­ que, c o n tra ire m e n t à ce que l'on
quel il e stim e q ue l'on a tte n te , lors­ a ffir m e , chacun est indispensable dans
que l'on s'en p ren d à te l ou te l sa s in g u la rité .
film . Il est a lo rs v o lo n tie r a gressif.
SAMU EL L A C H I Z f
11. — Oui. Et non sans in q u ié ­
D 'a u tre p a rt, le s p e c ta te u r m oyen v e u t tu de... M ais il y a M u rn a u , F la he rty, (L 'H u m a n ité )
ê tre « d is tr a it ». Et L 'A v v e n tu ïo ne le Païsa, Voyage en Ita lie , Som m arleck,
d is tr a it pas. E n fin, bien q ue sou­ La Comtesse a u x pieds nus, Senso. 1. — Je crois q ue le ciné m a est
v e n t il a it je té par-dessus les m o u ­ A lors, si je me surs tro m p é que lq ue ­ désorm ais considéré com m e a d u lte .
lins la m o rale tra d itio n n e lle , il n 'e s t fo is, en vo ya n t sept ans après Senso, En t a n t q ue te l les jo u rn a u x lui
pas près d 'a cc e p te r, s e ra it-c e le cou­ je sais que j'a i eu raison u ne fo is. a c co rd e n t m a in te n a n t u ne place

69
beaucoup plus grande q u 'a u tre fo is . En suis c o m m un iste e t m ilita n t. J'écris les critè res s o n t très d iffic ile s à é ta ­
ce qui concerne le jo u rn a l a uquel je dans « l'o rg a n e c e n tra l du Parti b lir en m a tiè re de ciné m a .
me fla t t e de c o lla bo re r, L 'H um anité, C om m uniste », e t je considère que le
9. — Le « systèm e' e s th é tiq u e »
la tr a d itio n e st f o r t ancienne. Léon tr a v a il q ue j'y e ffe c tu e f a i t p a rtie
é ta n t u ne in v e n tio n des Cahiers, je
Moussinac, q u i f u t ayec Louis D eiluc in té g ra n te de m a v ie m ilita n te . C 'est
reste p o li. (Je dis t o u t de m êm e :
le c ré a te u r de la c ritiq u e c in é m a to ­ une vo ie q ue j'a i choisie en to u te
* V iv e C arné ! » ■— A lle z - y , h u rle z !)
g rap h iq u e , y d o n n a it de larges c h ro ­ lib e rté e t que je suis en to u te sin­
niques, alors q ue la p lu p a rt des c é rité . A u c u n e c o n tra in te ne se dresse 10. — Je ré po n d rai à la d o u z iè m e
jo u rn a u x — e n tre les années 2 0 e t d e v a n t m ai. L 'e s p rit du jo u rn a l est que stio n .
3 0 — ne p a rla ie n t guère de ciné m a . donc îe m ien . A u tre fo is o u v rie r, de­ 11. — Ouï. Et q u a t r e - v in g t d ix -
2. — La s p écia lisa tio n e st in d is­ venu in te lle c tu e l, je reste ce que n e u f fais su r c e n t je dis : hélas I
pensable en to u te chose. Il ne p e u t j'é ta is . Je suis c o n tre les film s q ui
in s u lte n t la classe o uvriè re, je suis 12. -— Les s ta tis tiq u e s p ro u v e n t
pas y a v o ir de cordonniers a m ateu rs, q u 'à peine un q u a rt des sp e cta te u rs
pas plus que d 'a ju s te u rs ou de sa ­ c o n tre les film s qui p rô n e n t la
guerre. Ils s o n t rares, e t j'e n suis su iv e n t (a c ritiq u e . Poser la q u e stio n
va n ts am ateu rs. M ais le jou rn a lism e
heureux. Pour le reste, je suis « pour » de l'é v o lu tio n de c e lle -c i me sem ble
a ceci de p a rtic u lie r q u 'il donne v a in . A u tre fo is , on a lla it b e a u co u p au
g én é ra le m e n t -à des a m a te u rs , ou des le cin é m a , m ais pas n 'im p o rte quel
ciné m a ... Nous verrons ça à la ciné m a e t on ne lis a it pas la c r i­
« non-spécialisés », le soin de te n ir
tre iz iè m e q ue stio n ! tiq u e . A u jo u rd 'h u i, on v a beau co up
te lle ou te lle ru briq ue . Il se p e u t
plus au ciné m a , e t on l i t lé g è re m e n t
alors que l'a m a te u r ju s tifie son t it r e 4 . ■— ■ Pas de q ue stio n , je suis p our la c ritiq u e . On v e u t sa v o ir se ule m en t
e t que dans le d om a ine q ui lu i est la m u ltiv is io n ; ce n 'e st m a lh e ure u ­ si c 'e s t « bon » ou « m a u v a is ». Et
c o n fié il devienne un passionné. A sem ent pas to u jo u rs possible p ou r le com bien de m a uva is film s , selon le
p a r tir de ce m o m en t, il d e v ie n t aussi c ritiq u e d 'u n jo u rn a l q u o tid ie n . c ritè re de (a c ritiq u e , o n t néa n m o in s
un spécialiste. N 'e s t-c e pas ce qui
5 . — ’ Oui. Et parce q u 'il fa u t to u t réussi u ne ca rriè re h o n o ra b le ? Si l'o n
se passe pour tous les c ritiq u e s c in é ­
vo ir, puisque ça existe. s a it q ue le record des re c e tte s ja ­
m a to gra p h iq u es ?
m ais b a ttu p ar un film de série B,
3. — A . Les g oû ts du p u b lic ? 6. — ' Question em barrassante. Le l'a é té p a r Inte rp ol c o n tre X..«, sur
Je crois q u 'il fa u d ra it d ire « le g o û t c ritiq u e idé a l d o it posséder to u te s les lequel aucu n c ritiq u e ne s 'e s t penché,
des publics ». J 'e nfon ce u ne p o rte q u a lité s énumérées. M ais il en est il y a de q uo i désespérer. Je crois
o u v e rte , m ais le p u b lic est c o n s titu é une essentielle à m on avis, c'e st que la c r itiq u e a régressé. P o ur q u 'e lle
p a r des m illio n s d 'in d iv id u s d o n t les l'a m o u r des gens. T o u t c ritiq u e qui a u g m e n te son in flu e n c e , il f a u t q u 'e lle
ca ractère s so n t so uve n t opposés. De­ n 'e s t pas un h um a n iste est sté rile . Le progresse dans ses b u ts . E t ses b uts
v a n t un film — e t j'e n a i t f a i t ciné m a e sf l'a r t réservé à des m il­ quels s o n t- ils ? il y a a u t a n t de b u ts
souvent l'expérience, si j'ose d ire lions d 'êtres. N e pas c o n n a ître leurs que de c ritiq u e s . M a is ils ne s o n t pas
« s c ie n tifiq u e m e n t », d ix sp ecta te urs désirs, leurs joies e t leurs peines, to u s c la ire m e n t d é fin is . Le ré s u lta t
q u i possèdent de nombreuses a f f i n i ­ c'e st v iv re dans u ne to u r d'ivoire,, Or, esf que le ciné m a se m o q u e de la c r i­
tés en co m m un, o n t d ix ré actio n s d if ­ le ciné m a n 'e s t pas f a i t pour les c ri­ tiq u e e t q ue les ré a lis a te u rs n'en
fé re nte s. Le ciném a n 'e s t pas d if fé ­ tiques, m ais p o u r les spectateurs. tie n n e n t pas co m p te . Q u a n t a u x a n ­
re n t en cela des a u tre s a rts. C 'est ciens c ritiq u e s q u i, de te m p s à a u tre
7 . — Q uestion absurde ! La q u e ­
J'auberge espagnole. re lle des anciens e t des modernes., des d e v ie n n e n t réalisateu rs, ils b r û le n t ce
q u 'ils o n t adoré, e t ré c ip r o q u e m e n t
C ependant, en t a n t q ue c ritiq u e , a b s tra its e t des fig u r a tifs , e tc. L 'a c ­
je tie ns co m pte, non des « g oû ts » cord ne se f a i t que sur les c h e fs - 13. — G a u ch o ? D ro ite ? C 'est une
du p ublic, m ais des ré actio n s q ue je d'œ uvre, dans le ciné m a com m e a il­ question piège. Il n 'y a pas f o r t lo n g ­
pressens. Je donne d 'a b o rd mon leurs. Encore fa u t - il s'entendre sur le tem ps, dans un n u m é ro sp écia l d 'E s-
a p p ré c ia tio n personnelle — e t je sens du ch e f-d 'œ u vre . M ais Le Pofem - p r it , René G u yo n ne t a v a it a d m ira b le ­
suis « b on p u b lic » — * m ais si je kine ou La Ruée vers l'or o n t moins m e n t a na lysé le phé n o m èn e (No 6 de
d evine q ue la p lu p a rt des lecteurs d'ennem is que « L 'Ilia d e » e t « T a r ­ ju in i9 6 0 ) . Il m 'a rriv e de m 'e n te n d re
de m on jo u rn a l a u ro n t des raisons tu ff e », a lo rs ? fo r t bien avec des c ritiq u e s réputés
d iffé re n te s des m iennes d 'a p p ré cie r « de d ro ite » e t de m 'in d ig n e r c o n tre
8. — Les c ritè re s sont é vid e m m en t
ou de ne pas a pp ré cie r te l ou te l des gens q u i s 'a ffir m e n t « de g a u ­
plus d iffic ile s à é ta b lir dans le do­
film , je m 'e ffo rc e d'en te n ir co m pte. che ». A in s i, lorsque dan s P o s itif,
m aine du ciné m a q ue dans les autres,
Por exem ple, j'a i é c r it plusieurs fo is jo u rn a l « de g a u c h e », je lis sous la
pour la seule raison — e t c'e st en­
s u r L 'A n n c é d ernière à M a rie n b a d , en plu m e d 'u n c ritiq u e , à propos d 'u n
core u n lie u co m m u n — que le ciné ­
a ffir m a n t m on e nthousiasm e p o u r ce film quelconque, des in ju re s à {'é ga rd
m a e st u ne te n ta tiv e de re pro d u ction
film . T o u te fo is , m on dern ier a rtic le du P a rti C om m u n iste, d ig n e s de Ri-
de la ré a lité , e t q ue le sp e c ta te u r, p a r
é t a it d ix fois plus p ru d e n t que les v a ro l, a lo rs que ce film n 'a rien de
conséquent, s 'id e n tifie plus fa c ile ­
précédents : les raisons en so n t é v i­ p o litiq u e , ça m e c h a g rin e . Je p ré fè re
m e n t a u x héros de l'é c ra n , q u 'à ceux
dentes, e t to u s les c ritiq u e s en o n t s a v o ir où s o n t mes enn e m is. M ais
des rom ans e t — ■ bien entendu —
f a i t l'expérience. Le p u b lic v a * v o ir » c 'e s t to u t d e m êm e là q ue le c ritè re
qu'à ce ux qu'o n p eu t représenter au
L 'A n n é e dernière, m ais il en v e u t au in te rv ie n t, e t q u 'il f a u t p a rle r à la
th é â tre . En v é rité , d 'u n m élodram e
c ritiq u e de * son » jo u rn a l de ne fois d 'é th iq u e e t d 'e s th é tiq u e , de
com m e Le Dernier des hommes, à un
pas l'a v o ir p révenu e xa c te m e n t de « fo n d » e t de « fo rm e ».
a u tre m élodram e, plus com plexe,
ce q u i l'a tte n d a it. Que ceci nous serve
com m e P a ïs a, il n 'y a guère de d if fé ­ Pour m o i, un c r itiq u e de g a u c h e —
à tous de leçon : lé c ritiq u e d o it
rence. Pour m oi, le c ritè re essentiel ré­ p o u r em plo yer v o tre d é te rm in a tio n —
ê tre h u m b le . Son rôle est de v u lg a ­
side dans le réalism e soigneusem ent e st ce lu i qui se p ré o ccu p e du
riser le c in é m a auprès du p u b lic , le
recherché ou sim p le m e n t im provisé — « fo n d ». Je sais q u 'u n b o n scé nario
plus s im p le m e n t d u m onde. A f f ir m e r
saisi sur le v if . M a is si, q u itte à fa ire m al m is en scène d o n n e u n m a u va is
n 'e s t pas s u ffis a n t. Il f a u t encore
h u rle r D ou ch e t, je dis q ue j'a im e le film . M a is un m a ü v a is scé na rio b ien
e xpliqu e r.
dern ier film de C laude A u ta n t-L a ra , réalisé donne aussi u n m a u v a is film .
B. « L 'e s p rit du jo u rn a l ». Pour Tu ne tu e ra s point, pour son réalism e, C 'est m a th é m a tiq u e : -f- X — = •— ,
m oi c'e s t u ne fo rm u le creuse. Je je p rou ve a u x lecteurs des Cahiers que — X + = — • T o u te fo is , il fa u t

70
sa voir renverser le problèm e. Q u 'e st- vée. Q u a n t a u x autres, u ne seule exclu sivités cham ps-élyséennes. J'en
ce q u 'u n bon scénario, p ou r m oi ? Un v isio n s u f f i t a m p le m e n t. suis, cro yez-m o i, le p re m ie r surpris.
su je t h um a in, généreux, v o ire révo­
5. — l| me p a r a ît non seulem ent 13. — Pour q u 'il y a it v ra im e n t
lu tio n n a ire q u a n t à ses b uts. Un s u je t
u tile , m ais ind ispensable de v o ir tous u ne c ritiq u e de d ro ite e t u ne c r i t i ­
qu i vise à l'é m a n c ip a tio n de la
les film s , y co m pris ceux d o n t je q ue de gauche, il fa u d r a it q u 'il y
classe ouvrière, q ui lu tte c o n tre le ra ­
n 'a i pas à rendre c o m p te (e t d 'a il­ a it c a rré m e n t des film s de d ro ite e t
cism e, le colonialism e, c o n tre les con­
leurs, en ce q u i m e concerne, j'a i de gauche (ex. : Brecht, a u th é â tre ).
tra in te s en tous genres imposées a u x
dem andé à m on jo u rn a l de m e la is ­ Or, la p o litiq u e é ta n t censurée a u
hommes, qui dénonce l'o b scu ra n tism e ,
ser c o u v rir to u te la c ritiq u e cin é m a ­ ciném a, c o m m e n t la c ritiq u e s'e xer-
la bêtise, etc. Ht m êm e * m al fo u tu »,
to g ra p h iq u e ). Un film , p o u r m o i, ne c e ra it-e lle à son s u je t ? Que l'o n
selon vos critè res, ce film a ura m a
p e u t ê tre d é ta ché de l'ensem ble de nous donne un film su r la gue rre
p référence sur un film « bien f a i t »,
la p ro d u c tio n . Ig n o re r ceux q u i l'e n ­ d 'A lg é rie , e t nous verrons.
m ais c o n tra ire à m a co n ce p tio n de la
to u re n t, c'e st ig n o re r la p la ce q u 'il
v ie e t l ' a v e n ir de l'h u m a n ité . En g é n é ra lis a n t le problèm e, je
tie n t/ c 'e s t se p riv e r d ’u ne échelle
crois d 'a ille u rs que la q ue stio n est
Ce q ui ne v e u t pas d ire que la de va leurs. Le c ritiq u e n 'e s t pas
m al posée. L 'e sth é tiq u e d 'u n film m e
fo rm e ne d o it pas in te rv e n ir. E t en sim ple p u b lic : il p a rtic ip e de l'h is ­
p a ra ît in tim e m e n t liée à son co nte nu
v é rité , elle est inséparable du fo n d . to ire en cours du ciném a. Il d o it
m o ral ou idé ologique. Si ce f ilm est
M a is là n 'y a - t ' i l pas un désaccord to u t vo ir.
réussi e s th é tiq u e m e n t, s 'il est trè s
e n tre vous e t nous, les critiqu e s beau, q u 'il s o it de « d ro ite » ou de
6. — Q u a lité s du c ritiq u e , à m on
com m unistes ? Pour co nclu re, je suis « gauche », on p e u t ê tre sûr q u 'il
avis :
p o u r un ciném a de progrès, même im ­ u tilis e idé o lo g iqu e m en t des élém ent»
p o r t a it, e t non pour u n ciném a réac­ 1 v Le ju g e m e n t ; Valables : la p a r t de v é rité q u 'il
tio n n a ire , même b r illa n t. T o u t le 2 ° La fa c u lté de discerner l'im p o r­ y a dans to u te p o sitio n p o litiq u e .
reste n 'e s t que litté r a tu r e , querelles A l'e x trê m e , qua n d la p ositio n e st
ta n ce e t la dim ension d 'u n film ;
d 'esthètes e t coupage de cheveux en absurde il n 'y a pas de bon cinéma.
h u it. 3o Le c o u r a g e ;
A u cun b on film sta lin ie n , aucun bon
Ao La rig u e u r des c o n v ic tio n s ; film h itlé rie n .
1,4. — J'a i p arfois un p la is ir cer­
ta in à lire les Cahiers. M ais fra n c h e ­ 5o La c la rté ; P our le reste, je c ro is q ue l'é t h i­
m e n t... je reste courtois. que n 'a n u lle m e n t à s 'e ffa c e r d e ­
6a Le souci de se rvir le p u b lic en
v a n t l ’esth é tiqu e . Je ne suis pas
lui d é s ig n a n t ce q u 'o n c ro it ê tré le
m e illeu r. p a rtis a n de l'a r t p o u r l'a r t . Il f a u t
d 'ab o rd q v o ir quelque chose à d ire .
Ensuite v ie n n e n t — dans l'ordre La b e a u té est un s o u s -p ro d u it, q u e l­
MORVAN LEBESQUE —* les q u a lité s secondaires, celles que chose com m e (e f r u i t de l'a rb re .
(L’ Express) que vous avez énum érées. O ccupons-nous de l'a rb re d ’a bo rd .

7 . — L 'acco rd su r u ne œ uvre me 14. — P o s itif. Qui p e u t d eve n ir


sem ble un peu plus d if fic ile à o b te ­ n é g a tif en v ie illis s a n t. Toutes choses
n ir au ciné m a a u 'a u th é â tre , sans v iv e n t e t m e u re n t.
d o u te p arce que chaque c ritiq u e y
re ç o it c e tte œ uvre plus isolém ent,
e t aussi parce q ue quelques c r it i­
ques de ciném a ne so n t que des
LOUIS MARCORELLES
h a u t p arle urs de chapelles. En ce
sens, le ciném a p o u rra it to m b e r un (France-O bservateur,
jo u r dans la co n fu s io n de la p e in ­ C ahiers du Ciném a)
tu re ou de la poésie où l'échelle
des valeurs a é té désintégrée.
8. — N on, pourquoi?
9. — La v é rité e st e n tre les deu x:
p a r ti p ris e sth é tiq u e , m ais h o n n ê te té
d e v a n t l'œ u v re présentée. Ce q u ’on
« a p p e lle » « im pression » est, au
t. — S a tisfa isa n te . ciném a, so uve n t très v a la b le : on
* re ç o it » un film très sensiblem ent.
2. — La sp écia lisa tio n e st évid e m ­
m e n t u ne bonne chose. Je m& d e ­ 10. — Je m e fo u s de l'é v o lu tio n
m ande dans quelle m esure elle ne de la c ritiq u e . Ce q ui m 'intéresse,
c o rro m p t pas le ju g e m e n t à la lon- c 'e s t l'é v o lu tio n du ciném a.
gue. 11. — Pas e x a c te m e n t. Je suis
3. — ■ Je ne tie n s c o m p te ni sensible, je le répète, à la « d i­
des g oû ts du p u b lic (?); 2o ni de mension » du film ce q u i m e donna
l'e s p rit du jo u rn a l dans lequel je à penser q ue ce film su rv iv ra . M ais
m 'e xprim e . ces calculs de d ix ou v in g t années
1. — T o u t dépend du jo u rn a l a u ­
ne so n t q ue vues de l'e s p rit. Que
4 . — Je ne pense pos Qu'il est bon quel vous co lla bo re z. A France-O bser­
sera le m onde dans d ix ans ?
de re voir c e rta in s film s — ceux que v a te u r, p a r exem ple, le ciné m a oc­
l'on ju g e d 'em blée im p o rta n ts , plus 12. — Si j'e n crois les a m a b ilité s cupe u ne place h on o rable, m ais n u l­
b ea u x, plus o rig in a u x , plus p rofonds de c e rta in s p rod u cte u rs ou e x p lo i­ lem e n t en ra p p o rt avec son im p o r­
q ue les a u tre s — a fin de le u r rendre ta n ts, je présum e q ue la c ritiq u e a ta n c e dans la v ie c u ltu re lle e t sociale
jus tice p a r une c ritiq u e m ie u x m o ti­ une in flu e n c e , en p a rtic u lie r p ou r les du pays. Les « litté ra ire s s, perdus

71
dons leurs querelles de clocher, n 'o n t liste tra în e chez B ra sillach, Ford fra te rn e lle , e tc. M a is à m esure que
p ou r lu i q u 'in d iffé re n c e , sinon un (C harles), 5adoul, etc. m o n te !a tension in té rie u re , q ue vous
fra n c m épris. Ils n'en, m o no p o lise nt E n fin, selon ses goûts, a v o ir lu visez un b u t, q ue vous vous p ro ­
pas m oins la q u a s i- to ta lité des r u - p o r e xem ple N ie tzsch e , M a lla rm é , posez des a m b itio n s , vous risqu e z d e
b riq u es du jo u rn a l. Joyce. deve n ir un v ra i ours.
2. — D 'où la te n ta tio n de c o n fie r Le style , c'est l'h o m m e • la Donc la c ritiq u e e st un m é tie r
le poste ciné m a au p rotég é du ré dac­ « te c h n iq u e » vous sera donnée de im possible e t achoppe in é v ita b le m e n t
te u r en c h e f ou au d e rn ie r laissé s u rcroît. sur la c ré a tio n .
pour co m p te des p r ix litté ra ire s . On 7. — Une q u a s i-u n a n im ité s'e st L 'a u te u r de « G é n é alo gie de la
ne d ira ja m a is assez le rôle c a p ita l fa ite p o u r L'année dernière à M a r ie n ­ m o ra le » n 'a u r a it ja m a is songé à
jou é p a r A n d ré B a zin e t François bad , u ne large m a jo rité c o n tre Une « e ffa c e r * l'é th iq u e a u p r o f it de
T r u f f a u t p ou r c o n fé re r à la c ritiq u e fe m m e e s t u ne fem m e. l'e s th é tiq u e , ou vice versa. Q uestion
c in é m a to g ra p h iq u e un se m b la n t de Qu'en déduire ? oiseuse. Les esthètes « purs ris­
d ig n ité . Nous sommes tous leurs dé­ M o i, je déte ste le Resnais, j'a d o re q u e n t d 'ê tre aussi raseurs q u e nos
b ite u rs . le G odard. M on d e v o ir de c ritiq u e est béotiens de gauche.
de m 'e x p liq u e r là-dessus en to u te « T o have a nd h a v e n o t. T h a t's
3 . — La c ritiq u e de q u o tid ie n e t th e que stio n î » (H e m in g w a y , Joe
fra n chise avec m on lecteu r.
d 'h e b d o m a d a ire est fo rc é m e n t liée à Losey).
Par ailleurs, dans u n a r t aussi
l'a c tu a lité , m ais n on a u x courbes des
jeune e t n e u f que le ciné m a , il est
recettes publiées p a r Le Film F ran ­
in é v ita b le que le snobism e joue u n
çois. Pour to u c h e r le ch er p ub lic , sup­
'rôïe c a p ita l.
posé « de gauche » à Fronce-O bser­
On défend to u jo u rs seul ce q u'o n MARCEL M A RTIN
v a te u r, m ais composé p rin c ip a le m e n t
a im e possionném ent.
d 'a d m ira te u rs d u Baron de l ’ Ecluse e t (C in é m a 61, Les L e ttre s Françaises)
des C ano ns de N a v aro n c, plus les 8. — On n'ose plus ré p é te r q u e
fid è le s de P a vio t e t A u ta n t- L a r a , le les confrères, dans leur é crasa n te
c ritiq u e a le d e v o ir im p é rie u x de m a jo rité , ne vont chercher au
s 'e x p rim e r c la ire m e n t, log iq u e m e n t, ciné m a que le m iro ir fid è le de le u r
e ffic a c e m e n t, il laissera au v e stiaire c u ltu re litté r a ir e , sinon de leurs p ré ­
les fo rm u le s to u te s fa ite s , la dém a ­ jugés p olitiqu e s. Il fa u d ra it le u r
gogie ta n t e s th é tiq u e que p o litiq u e . apprendre dès l'â g e de sept ans à
Il v o u d ra c o n v a in c re à la loyale, fe ra ne pas lire , à ne pas s 'in to x iq u e r
c o n fia n c e à (•‘in te llig e n c e d u lecteur. de m ots. A lors les « critè re s » se
Il sèm era inla s sa b le m e n t' le d ou te, d ég a g e ra ie n t d 'eux-m êm es.
selon la v é rita b le tr a d itio n de 9. — V a pour le * système esthé^
gauche. tiq u e » au sens où A la in p a rle d u
4 . — > Dans la m esure du possible, * S ystèm e des B eau x-A rts ».
le c ritiq u e reverra le film im p o r­ Le ciném a e st à lui-m ê m e son
t a n t ' d o n t il a à rendre co m pte. com m encem ent e t sa fin . Il suppose
Pour ê tre m ieu x à m êm e d 'é c la ire r une fa ço n ra d ic a le m e n t neuve de
son lecteu r. M a is ces visions suc­ p ercevoir le m onde (Eisenstein, seul,
l‘a n oté dans ses é crits th é o riq u e s). 1. — E ta n t donnée l'é n o rm e im p o r­
cessives ne re m p la c e ro n t ja m a is le
tr a v a il personnel de ré fle x io n sur le 10. — ■ On n 'a rrê te pas une c e rta in e ta n c e du ciné m a com m e f a i t c u ltu re l
film , e ffe c tu é dans la so litu d e du fo rm e de « progrès », on n'ech a p pe e t social, la place qui lu i est accor­
c a b in e t de tra v a il. pas à u ne c e rta in e rem ise en q ue s­ dée dans la presse est en gén é ra l n e t­
tio n des norm es in te lle c tu e lle s e t sen­ te m e n t in s u ffis a n te . Il sem ble que
P ar la som m e de connaissances
sorielles qui nous g u id e n t encore. dire cte u rs e t rédacteurs en c h e f sous-
q u 'e lle exige, p ar la v iv a c ité des
Les buts, ou p lu tô t le b u t, se p ré ­ e s tim e n t assez so uve n t l'im p o rta n c e
ré fle xe s q u 'e lle suppose, la c ritiq u e
cise (un N irv a n a de la p e rc e p tio n , la ré elle du ciném a p ar ra p p o rt a u x a u ­
de ciném a est, m e s e m b le -t-il, in f i­
g r a tu ité absolue ?) tre s disciplines in te lle c tu e lle s e t a rtis ­
n im e n t plus d é lic a te à exercer que
Les moyens s 'a ffin e n t, du m oins tiq ue s.
la c ritiq u e litté r a ir e ou d ra m a tiq u e .
se dégrossissent. 2. — Le c ritiq u e de ciné m a d o it
5. — Id é a le m e nt, Je c ritiq u e de Influence, in flu e n c e s ? R ap p e le r ê tr e aussi spécialisé q u e ses c o n frè ­
c in é m a a l ’ indépendance nécessaire Bazin e t T r u ff a u t . Plus près de nous res des a u tre s rubriques, m ais sa spé­
e t la c u ltu re c in é m a to g ra p h iq u e s u f­ ta c ritiq u e « im pose » A n to n io n i e t c ia lis a tio n d o it ê tre en o u tre fo n d ée
fis a n te p o u r, c h o is ir les film s d o n t Resnais. sur u n» la rg e e t sérieuse c u ltu re g én é ­
il p a rle ra . A q u in z e ans, le m o rdu de A u x c ritiq u e s d 'a v o ir encore plu s ra le . Il e st d 'a u tre p a r t a n o rm a l e t
c in é m a v o it , tous les film s , s u rto u t d 'a m b itio n . fin a le m e n t v o in de c o n fie r la c r it i­
a m érica in s. A tr e n te -c in q ans, il n'en
11. — ■ Com m e on d ît en a n g la is q ue de ciné m a à des « litté ra ire s * .
v o it q ue !q m o itié , to u jo u rs en m a ­
jo r ité om éricoins. * vyho cares ? ». 3 . — Je crois q u 'il f a u t te n ir c o m p ­
Seule co m pte l'in te n s ité de l'é m o ­ te des g a û fs <ju p ub lic, ne s e ra it-c e
De to u te fa ço n le c ritiq u e de c i­
tio n ressentie. que p our les c o m b a ttre - Il est sans
ném a ne s a u ra it ê tre un fo n c tio n ­
d o u te u to p iq u e de p ré te n d re em pê­
n a ire . Il d o it a lle r au c in é m a p o u r En m aths, tro is siècles, m ille s iè ­
c h er le succès de film s médiocres
son p la is ir. Sinon il perd son tem ps cles, divisés p a r l'in fin i, é g a le n t zé ro.
m a is q u i p la is e n t ; m ais il est ind ign e
e t ce lu i de ses lecteurs.
12. — C ite r encore B a zin e t T r u f ­ de c a p itu le r sans c o m b a ttre , c 'e s t-à -
6. — D 'a b o rd , o v o ir vu pour son fa u t, e t à l'a u tre e x tré m ité Resnais. d ire sans dénoncer la m é d io c rité e t la
p la is ir des ce nta in e s de film s a m é ri­ s o ttis e p a r to u t où elles se tro u v e n t.
13. — Nous sommes en u n sens
cains, de to u te s les époques.
tous de gauche si nous croyons à Q u a n t à te n ir c o m p te de l'e s p rit d u
E nsuite c o n n a ître d 'u n e fa ço n ou a u tre chose q u 'a u co up de poing sur jo u rn a l dans lequel on é c rit, cela m e
de l'a u tre ces « classiques » d o n t la la ta b le , si nous aim ons l'e x p lic a tio n p a r a ît a lle r de soi : d'aileu rs. si

72
j'écris dons te l ou tel jo u rn a l, c'e st C ependant, il me sem ble q ue la c>i>* c e tte respo n sa bilité q u 'u n c ritiq u e de
que je suis d 'acco rd avec l'e s p rit de tiq u e e sth é tis a n te se place à d ro ite c in é m a c o m m un iste e stim e de son
ce jo u rn a l. c a r l'a t titu d e q u i consiste à négliger d e v o ir de c o m b a ttre avec énergie to u t
4. — ■ Il e st s o u h a ita b le que le c ri­ les problèm es de co n te n u est ty p i­ c e q u i te n d , dans les film s , à a v ilir la
tiq u e a p p o rte au s p e c ta te u r un ju g e ­ q ue m e n t de d ro ite : u ne n o tio n com * n o tio n de l'h o m m e , to u t ce q u i
m e n t m o tiv é e t circ o n s ta n cié e t non me ce lle de « mise en scène », érigée d é fo rm e le visage de la classe o u ­
pas une sim ple im pression. Si p o u ' en absolu, f i n it p a r déboucher, bien v riè re , de la jeunesse, c o n s titu e (d'une
cela plusieurs visions lu i s o n t néces­ q u 'e lle s o it p u re m e n t e s th é tiq u e oum a n iè re o u ve rte ou ca m ouflée) de la
saires, dans les cas les plus im p o r­ d é p a rt, sur une a ttitu d e de droite , p ro p a g a n d e de g uerre ; avec la m êm e
ta n ts , il est é v id e m m e n t so uh a ita ble parce q u'e lle te n d à t o u t justifie» conscience, la c ritiq u e co m m uniste
q u ‘ii puisse en b é n é ficie r. d 'u n p o in t de vue u n iq u e m e n t fo rm e l.v e ille à conserver e t à e x a lte r (es
tr a d itio n s hum anistes, so u tie n t les
5. — Certes, c a r il est in d is p e n ­ 14. — L 'a p p o rt des Cahiers du Ci*
œ uvres r e flé ta n t la d é cré p itu de e t la
sable p o u r un c ritiq u e de sc te n ir au ném a est e x trê m e m e n t p o s itif en ce
c o rru p tio n de la bourgeoisie, l'a t r o ­
c o u ra n t de d é v o lu tio n générale du q u i concerne les « E n tre tie ns » e t le
c ité de la guerre, lu t te pour la d é ­
ciné m a . dom aine in fo r m a tif. Il l’e st beaucoup
fense du ciné m a fra n ç a is e t p o u r le
moins, à m on avis, du p o in t de vue
6. — Bonne connaissance du ciné-- ré ta b lis s e m e n t des principes essen­
de la c ritiq u e , ca r ce lle -ci y est tro p
m c e t bonne c u ltu re gén é ra le sont tie ls de la d é m o cra tie en a r t com m e
souvent a tte in te du virus de ('esthé­
4 g a le m e n t indispensables ; le ta le n } dans tous les a utres dom aines.
tism e ou du d é lire d 'in te rp ré ta tio n
est é v id e m m e n t s o u h a ita b le ; la cor» C ependant, dans la mesure où les 4. — Tous les c ritiq u e s se p la i­
naissance de la te c h n iq u e n 'e s t pa» C ahiers, de p ar leurs excès mêmes, g n e n t assez so uve n t d'un e fa ço n
indispensable. o b lig e n t souve n t les a utres à se d é fi­ a m è re d 'ê tre obligés d 'é c rire leur a r t i ­
~i et 8. — • Je crois q u 'il en est n ir p a r ra p p o rt à eux, on ne p eut cle quelques in s ta n ts après la séance.
souvent a in si, sans d ou te du f a i t que n ie r que le u r rôle ne s o it im p o rta n t. Il s e ra it, bien sûr, so u h a ita b le de
ce que les gens « d e m a n d e n t » au v o ir un film (les bons n a tu re lle m e n t,
c in é m a v a rie beaucoup d 'u n specta­ c a r une seule p ro je c tio n est de tro p
te u r à l'a u tre (sim ple d ive rtisse m en t, p o u r un tro p g ran d nom bre) plusieurs
p la is ir e s th é tiq u e sp écifiq u e, e tc.) e t fo is a v a n t de p o rte r un jug e m en t.
F RANÇ OIS MA1URIN
parce que, plus q ue dans aucu n a u tr» M a is ('A c tu a lité ?... (A n o te r q ue dans
a r t, fo n d e t fo rm e p e u ve n t ê tre dis­ (L 'H u m a n ité -D im a n ch e ) b ie n des cas, les critiq u e s d 'he b d o ­
sociés au ciné m a , ce q u i e n tra în e des m a da ires ne so n t pas plus favorisés
n iv e a u x e t des c ritè re s de ju g e m e n t 1- — ■ Une mise au p o in t p ré a la ­ q u e ce ux des q u o tid ie n s !)
trè s va rié s (c o n te n u ou sty le ). ble s'im pose sur cè q ue représente 2, 5, 6. — A v a n t ce lle de v o ir
— T o u t c r itiq u e a pp u ie in é vci­e tte presse d o n t les p réo ccupations, le plus g ra n d n om b re possible de
ta b le m e n t ses jug e m en ts sur un sys* Jbs b uts, so n t aussi dive rs q ue les film s , il m e sem ble que la p rin ­
tèm e e s th é tiq u e plus ou m oins cohé­ co ura n ts d 'o p in io n ré s u lta n t eux- c ip a le q u a lité d 'u n c ritiq u e d o it ê tre
re n t, m êm e s'il ne le fo rm u le pas ou mêmes de l'exis te n c e des classes d 'a im e r le ciné m a . L 'a im e r non pas
D'en a pas conscience e t bien q u 'il sociales e t de le u r lu tte . V ie n n e n t se u le m e n t p ou r la somme, le p a t r i­
s o it f o r t d if fic ile d 'a p p liq u e r le même s 'a jo u te r à cela des d iffé re n c e s de m o in e c u ltu re l q u 'il représente déjà,
systèm e e s th é tiq u e au Potem kine e t p ré s e n ta tio n , de style , e tc., elles- p ou r le p la is ir q ue pracure te l c h e f-
à La N o tte . mêmes fo n c tio n du p u b lic auquel d 'œ u v re ou te l film im p o rta n t, mais
chaque jo u rn a l s'adresse. Or il se l'a im e r dans son d evenir, se ré jo u ir
10. — Il sem ble que la c ritiq u e sotl tro u v e que, d 'u n e fa ço n générale, la in te n s é m e n t de ce que A n to n io n i, par
devenue, depuis la guerre, plus sé­ q u a s i-to ta lité de la presse accorde à e xem p le, vie n n e de c o n q u é rir une
rieuse, plus sp é c ifiq u e e t plus in ­ la c ritiq u e de c in é m a u ne im p o r­ v a s te audience, de ce que A la in Res­
flu e n te . A n d ré B a zin a é videm m ent ta n c e à la m esure de sa v a le u r réelle nais p oursuive des recherches res­
é t é p our b eaucoup dans c e tte évo dans le co n ce ït de l'a c tu a lr té q u o ­ senties p a r un nom bre cro issa n t de
lu tio n vors l'a p p ro fo n d iss e m e n t e t I» tid ie n n e ou h eb dom adaire. s p e c ta te u rs ; ê tre ca pable de s 'in d i­
sens des responsabilités.
3. — Q u a n t au fo n d de c e tte g n e r des tabous fra p p a n t tous les
11. — Oui, e t c 'e s t un te rrib le c ritiq u e — • en ce q u i concerne to u t s u je ts c o n tra ire s à la p o litiq u e g ou ­
c ritè re de ju g e m e n t. au m oins l'ensem ble de la presse non v e rn e m e n ta le , com m e des in te rd ic ­
12. — Le succès co m m ercia l p a r­ com m un iste — il a p p a ra ît q u 'e lle est tio n s fr a p p a n t ce ux q u i o n t déjà été
fa ite m e n t in a tte n d u de film s te ls quâ in flu e n cée à la fois p ar les opinions to u rné s (quand elles ne s'é te nd e n t
Hiroshima e t M arienbod, L'A vventur» personnelles du c ritiq u e e t celles du pas à des film s é tra ng e rs, te l V ir i-
Dt La N o tte , g ra n d e m e n t a id é p ar la jo u rn a l dons lequel il s'exprim e. d ia n a , de Bunuel, q u i ne p e u t ê tre
c ritiq u e , p e u t in c ite r les p roducteurs Un te! p rob lèm e ne se pose pas p r o je té 1 en France en raison de la
ù plus d'au d a ce. p ou r un c ritiq u e co m m un iste , p u isq u 'il peine q ue ce la ca u se ra it à Franco).
p a rtic ip e , dans ce secteur d éte rm in é , La défense d 'u n e juste cause
'B . — il n 'y a pas de d is tin c tio n au c o m b a t général du P a rti auquel il
n e tte e n tre c ritiq u e de gauche e t c ri - c o m m e c e lle -là esf d 'a u ta n t plus
a odhérê p o u r liq u id e r l'e x p lo ita tio n e ffic a c e q u 'e lle e st exprim ée en des
tiq u * de d ro ite , pour la sim ple raison de l'ho m m e p a r l'h o m m e sous to u te s
que les idées p o litiq u e s ne d é te rm i­ term es plus co nva in c a n ts . La plus
ses form es e t l'a v è n e m e n t d 'u n e so­ ju s te e t la m e illeu re des causes a
n e n t pas fo rc é m e n t l'a t titu d e e sth é ti* c ié té nouvelle.
que des ind ivid u s. Il y a eu, depuis to u jo u rs besoin de bons se rviteu rs. Une
q u in z e ans, un épanouissem ent dû la C 'est p ourquoi ta n o tio n de consi­ m a uva isè défense d 'u n e bonne cause
c r itiq u e e s th é tiq u e : ce la n 'a pas e n ­ d é ra tio n envers le g o û t du p u b lic (en­ n ’ enlève rien à la q u a lité intrin sè qu e
tra în é un e ffa c e m e n t de l'é th iq u a tendue dans le sens de « concession ») de c e tte dernière, m ais lui re tire des
(c a r le cin é m a a re flé té plus que to u t? ne correspond pas' à la v é rité . chances de trio m p h e r.
a u tre a c tiv ité a rtis tiq u e les remou» C 'est de re sponsabilité envers le p u ­ Il a rriv e ce pe n d an t p a rfo is que le
p o litiq u e s de c e tte période), m ais une b lic q u 'il s 'a g it dans ce cas e t plus c r itiq u e ne tro u v e pas les m eilleurs
v a lo ris a tio n co n sid é ra b le de la c ri t i ­ p a rtic u liè re m e n t envers la classe o u ­ a rg u m e n ts p o u r in c ite r son lecteu r à
que en g é n é ra l. ■ vriè re . C 'est avec la conscience de v o ir u n bon film ou sim p le m e n t un

73
film inté re s sa n t p a r des côtés p a r t i­ nel d ile m m e dans lequel pour m a ê tre développée p a r r a p p o rt à la
cu lie rs. Le plus souvent, c 'e s t parce p a rt je me re fu se à m e laisser en­ c ritiq u e litté r a ir e , qui to u ch e un
q u 'il n 'a pas réussi à ê tre c /o ir. Car, fe rm e r : ce lu i d u fo n d e t de la m oins larg e p u b lic ou à la c r itiq u e
dans u ne ce rta in e mesure,, le c r i t i ­ fo rm e. Il v a sans d ire que to u te d 'a r t, q u i en to u ch e u n trè s m ince.
q ue se tro u v e placé p a r ra p p o rt à e s th é tiq u e p e u t ê tre p rise en considé­ C ependant, on p e u t s o u te n ir l'o p i­
son le cte u r dans une s itu a tio n ide n ­ ra tio n à lo c o n d itio n q u 'e lle s o it é tro i­ nion inverse e t penser q u e , précisé­
tiq u e à ce lle de l'a u te u r de film s te m e n t a d a p té e à la m a tiè re du su je t. m e n t, si le g ran d p u b lic l i t peu e t
p a r ra p p o rt au sp e c ta te u r. 5es in te n ­ Quelle q ue s o it, p a r exem ple, l'im ­ ne fré q u e n te guère les g a le rie s de
tio ns, son bon désir, fo n t p a rtie cfe po rta n c e accordée personnellem ent p e in tu re , il im p a rte q u 'ii s o it, a u
son bien personnel e t s u b je c tif A p ar Resnais a u x recherches esthé­ m oins, te n u au c o u ra n t de ces d is ­
p a r tir de l'in s ta n t où l'a r tic le est tiques q u 'il a poursuivies dans M a - c ipline s p a r son jo u rn a l. Q uand au
é c r it e t q u 'il est lu , sa s ig n ific a tio n rien b ad , quelles q ue s o ie n t les ciném a, les lecteurs des jo u rn a u x
se d é te rm in e non pas selon le a pp ré c ia tio n s q ue l'o n se c ro it fo n d é p op u laire s y v o n t; ils o n t des idées
s o u h a it q u i ('a inspiré au s ig n a ta ire , à p o rte r s u r l'a v e n ir du lan g a ge u ti­ sur la question, e t p e u t-ê tr e e s tim e -
« m ais d'après les ra pp o rts des fo r ­ lisé p a r lu i p o u r ce film — d o n t t-o n q u 'il v a u t m ie u x ne pas les
ces sociales, les ré actio n s objectives il n 'e st pas c e rta in q u 'il ne soit, c o n tre r tro p souvent d a n s ces îdées-
e n tre les classes »... après to u t, q u 'u n film de la b o ra to ire là. Ceci nous c o n d u it t o u t d r o it à
com m e c e rta in s l'a f fir m e n t, la suite la question no 3. V o ir p lu s lo in .
C e tte rem arque, e m pruntée à
nous le d ira — on ne p eu t n ie r
Lénine, e st é g a le m e n t va la b le p o u r 2 . — Je ne vois p a s p o u rq u o i la
que, dans c e tte expérience, fa fo rm e
un film com m e p ou r un rom an, un c ritiq u e de ciném a d e v r a it ê tre plus
est si é tro ite m e n t liée au fo n d que
poèm e ou to u te a u tre œuvre d 'a r t. spécialisé que le c r itiq u e m u s ic a l,
le s u je t lu i-m ê m e ne s a u ra it ê tre
C 'est pourquoi il me sem ble que les p ar exem ple. Je crois m ê m e le c o n ­
ju s tifié sans elle. U n phénom ène s im i­
q u a lité s énumérées à la sixièm e tr a ir e : le ciném a e st u n a r t b e a u ­
laire se re m arq u e dans les film s d 'A n -
que stio n ne s a u ra ie n t g â te r la v a le u r coup plus o u v e rt à to u s q ue la m u ­
to n io n i, de T c b o u k h ra ï ou de W a jd a ,
d 'u n c ritiq u e — bien au c o n tra ire — sique ou ta p e in tu re , le c r i t i q u e tro p
ta n d is que, ch ez B u nu e l, la virule nce
à la c o n d itio n to u te fo is qu'elles ne te ch n icie n risque t o u t b o n n e m e n t (à
des im ages p ulvé rise le classicisme du
s o ie n t pas détachées de fa v ie e t m oins d 'é crire dans les C ahiers) de
ré cit.
que leur ré su lta n te s o it la c la rté . se c o up e r de son p u b lic , de ne plus
(D eux p a rtic u la rité s q u i so uve n t fo n t 7 e t 8, — V o ilà b ie n ' des idées intéresser q ue lu i-m ê m e , ses c o n frè ­
d é fa u t a u x Cahiers du Cinéma.) sujettes à discussion q u i p e rm e tte n t res, ses om is.
d 'im a g in e r a isé m e n t la réponse dé­
C om m e le ciné m a lu i-m ê m e (e t 3. — A) Les g oû ts du p u b lic :
c o u la n t de ces questions.
quels que so ie n t les moyens e s th é ti­
Sans doute f a u t - il en te n ir co m p te
ques em ployés p ar le c ré a te u r p our 10. — Dans ses m oyens, f o r t peu.
ju s te assez p ou r l'a m e n e r, peu à
s 'e xprim e r) la c ritiq u e ne s a u ra it, en Dans ses b u ts ? Ils so n t si divers I
peu, à s’en d éco u vrir d 'a u tre s , p e u t '
e ffe t, ê tre d éta ché e de la vie. S'il En vo ici Ja p reuve é c la ta n te . Dans
ê tre m eilleurs.
est v ra i, com m e l'id é e en a été ses influ e n ces ? S a uf e rreu r, u ne s ta ­
ém ise plus h a u t, que la résonance tis tiq u e du C .N .C ,, f a i t a p p a ra ître Il fa u t sa voir aussi tâ c h e r du lest
d 'u n film se d é te rm in e p a r ra p p o rt que 25 % du p u b lic va au ciném a en certaines occasions : ne pas don­
a u x c o n d itio n s de la vie elle -m êm e sous l'in flu e n c e de la c ritiq u e . Quand ner à l'ava n ce m a u v a is e conscience
dans un m o m e n t donné — ce lu i a u ­ la c ritiq u e se re tro u v e a u to u r d 'A n - au p ub lic , si l'o n s a it q u 'il v a a im e r
quel le film e st liv ré au p u b lic ■— > to n ia n l (p o u r des raisons q u i ne so nt un f ilm o u v e rte m e n t co m m ercia l,
il est to u t aussi v ra i q ue le ju g e m e n t pas fo rc é m e n t les mêmes) e t de Res­ m ais honnête.
du c ritiq u e ne s a u ra it ê tre é tra n g e r nais (m êm e re m arq u e), cela donne Dans d 'a u tre s cas, a u c o n tra ire ,
à ces co nd itio ns, puisque le c ritiq u e les ré s u lta ts p o s itifs q ue l'o n s a it. ré veille r la conscience du p u b lic qui
a p p a rtie n t, en fa it , à la * fra n g e » Q u a n t A u ta n t- L a r a to u rn e « T u ne ne se d o u te pas à q u e l p o in t est
la plus évoluée des spectateurs. Je tu e ras p o in t c 'e s t la b ag a rre entre g ra n d , à son é ga rd , le m épris de
d ira i m êm e que la plus grande p a rt les c ritiq u e s , m ats le p u b lic ne p e u t ce rta in s p rod u cte u rs e t ré alisateu rs.
de sa re sponsabilité réside dans la pas v o ir le film I
Dans des cas rares p o u r des c a u ­
m a nière d o n t il aborde ce ra p p o rt, 12. — O ui, dans la mesure où la ses très bonnes : (R esnais ou A n to -
qui d o it ê tre replacé dans le c o n te x te c ritiq u e s'a vè re ca p a b le d'intéresser n io n i p a r exem ple), s o r tir la ta c ­
des c o ura n ts divers q u i a g ite n t le le p u b lic à ce rta in s film s . Ce der­ tiq u e des g rands jours, p ré v e n ir dans
m o nde in te rn e du ciném a d'un e p a rt, n ie r, e nsuite, e s t so uverain. le s ty le ; * a tte n tio n , film d i f f i ­
e t l'o p in io n d 'a u tre p a rt. C ette lia i­ cile , d éco n ce rta nt, m a is c h e f-d 'œ u v re
son d ire c te du c ritiq u e avec la vie, 13. — A u p o in t où nous en som ­
mes, ce n 'e s t plus à m oi, m a in te n a n t, d 'in te llig e n c e , ou d e s e n s ib ilité ... »
avec les problèm es q u i se posent au Il y a des chances p o u r am ener
plus g ra n d nom bre, e s t l'u n e des q u 'il a p p a rtie n t de répondre, maïs à
vous I ainsi vers u ne oeuvre u n e la rg e p a r t
c o n d itio n s indispensables à la c la rté d'un p u b lic q u i lu i s e ra it resté
de son jug e m en t. 14. — M a lg ré to u t l'in té r ê t que é tra n g e r, v o îre h o s tile , sous l'e f f e t
Q u 'im p liq u e -t-e lle , c e tte liaison ? je prends à les lire , je ne peux dé­ d 'u n e c ritiq u e d é lir a n te d 'e n th o u ­
N on seulem ent la conscience des ce m m en t pas re v e n ir sur nos p o in ts siasme.
c o n d itio n s générales dans lesquelles de désaccord I
le m onde évolue, m ais encore la pos­ B) L 'e s p rit du jo u r n a l.
session d 'u n ensem ble de q u a lité s de 11 s e ra it tro p long, tro p com pfexs
cœ ur q u i le lib è re n t d'em blée de e t, p rob a b le m e nt tr o p s u b je c tif de
l'a b s tra c tio n to u t fen lui o f f r a n t la JACQUELINE MICHEL d é fin ir l'e s p rit d 'u n jo u rn a l, e s p rit
fa c u lté de re m p lir au m ieu x son rôle (Le Parisien Libéré) qu i p e u t, d 'a ille u rs , s u b ir des flu c ­
de « c h arn ière » e n tre l'œ uvre d o n t tu a tio n s a uxq uelles le c r itiq u e de
il p a rle e t le public. ciné m a a t o u t , in t é r ê t à re stef
1, — O ui, e lle m e sem ble to u t à
9. — Certes, il est v ra i que ces f a i t h o n n ê te dans les hebdom adaires. é tra n g e r, dans la m e sure où sa
lib e rté d 'o p in io n e st re spe cté e .
quelques idées d 'o rd re très général Dans les q u o tid ie n s p opulaires à fo r t
n 'a p p o rte n t pas de réponse à l'é te r­ tira g e , e lle g a g n e ra it, p e u t-ê tre , à A. — Tout dép e n d du ftim . Il

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est é v id e n t q ue le c ritiq u e n 'a pas fa ire a im e r le bon ciném a e t de tio n te n d à s 'e ffa c e r, s a u f devant
besoin de v o ir deux fo is Les Lions fo rm e r des ciné p h ile s e xig e a nts su» des film s q ui m o b ilis e n t l'hom m e
s o n t lâchés p ou r e xp liq u e r, a u spec­ la q u a lité des spectacles qui ie u i to u t e n tie r e t non seulem ent son
ta te u r qui v e u t bien l'e n te n d re , com ­ sont proposés. P e u t-ê tre , en deve­ « système e s th é tiq u e ». Le ju ry de
m e n t économiser six cents francs. n a n t plus m ilita n te , la c ritiq u e m o­ la « N ou ve lle C ritiq u e » en e st une
D 'a u tre p a rt, il e st c e rta in que, pour derne a tte in t- e lle m ie u x ce b u t. Je preuve.
d égager les m é rite s im m enses d'une crois, en to u t cas, q u 'il ne lu i s u ffit
14. — • N e m e d ite s s u rto u t p ar
œ uvre com m e Roeco, les s u b tilité s plus de renseigner le p ub lic , elle
q u 'i l ’ est n é g a tif à (a f in de ce long
des fiim s de Losey ou ta fo rc e de cherche v ra im e n t à le g uid e r, p a r­
pensum. La q u a lité de vos lecteurs
V irid io n a , plusieurs visions v a le n t fo is m ê m e à le convaincre.
prouve, d 'a ille u rs , Je c o n tra ire .
m ie u x q u'une. Cela p e rm e t de t r a ­ 6. D ans ses m oyens :
quer le film dans ses recoins secrets
e t d 'é c la ire r v ra im e n t m ie u x le p u ­ Oui, elle a p ris ses distances avec
b lic , en l'a le r ta n t sur Jes d é ta ils l'in d u s trie , e t je crois q u 'e lle est,
q u 'u n e seule vision ne lu i e û t p e u t- dons l'ensem ble, beaucoup plus libre
STEVE PASSEUR
ê tre pas révélé sans le concours du q u 'a v a n t gue rre . Plus audacieuse,
c ritiq u e . e lle e st aussi plu s respectée. (L 'A u ro re )
5. — E videm m ent. Un v é rita b le C. Dans ses influ e n ces :
a u te u r f a i t son œ uvre à tra v e rs to u s A uprès du p u b lic l'a u d ie n c e s 'é la r­ 1 e t 2. — Nos c ritiq u e s sp é c ia li­
ses film s ; en m a n q u e r un c 'e s t se g it to u s les jours, Pour s'en con­ sés o n t, dans nos q u o tid ie n s, bien
p riv e r d 'un élém ent im p o rta n t pour va incre, il s u f f i t de v o ir com bien assez de p la ce p o u r m o n tre r q u 'ils
a pp ré cie r ce t a u te u r. Et puis, c'est les d is trib u te u rs u tilis e n t les e x tra its re s te n t de g rands esth è te s trè s im ­
u ne sim ple question de conscience d e c ritiq u e en guise de p u b lic ité p o rta n ts . S'ils se d o n n a ie n t la peine
professionnelle, la p rin c ip a le q u a lité Il y a u ra it, d 'a ille u rs, beaucoup à de m o n tre r aussi, d 'u n e fa ç o n n e tte ,
d 'u n c ritiq u e é ta n t de fré q u e n te r d ire sur c e tte u tilis a tio n , souvenl s'ils a im e n t o u d é te s te n t les film s,
beaucoup Je ciném a. gbusive. iis s e rv ira ie n t un peu m ie u x leurs
lecteurs.
6. — ]o A v o ir b eaucoup fré q u e n té A u prè s de la p ro d u c tio n , l’ in flu e n ­
to ciném a. ce de la c r itiq u e a été d é te rm i­ 3 e t 4 . — J'a i p ro b a b le m e n t to r t,
n a n te : c 'e s t l'o p p u i de la c ritiq u e m ais le g o û t d u p u b lic e t l'e s p rit
2o A v o ir une bonne c u ltu re gé­
à la n ou ve lle v a g u e q u i a engagé du jo u rn a l a y a n t [a g en tillesse de
nérale.
c e rta in s p ro d u c te u rs à fa ir e con­ m 'e m p lo ye r ne m e p ré o c cu p e n t n u l­
3 ° A v o ir un ta le n t de jo u rn a lis te fia n c e à d e jeunes réalisateurs qui lem e n t. Je vois les film s , a u d e rn ie r
( p lu tô t que d 'é c riv a in ). a v a ie n t q ue lq ue chose à d ire (à rang, e t v in g t secondes après le
4o A v o ir de l'e n th o u s ia sm e , e t de d 'a u tre s aussi, hélas sous le seul m o t « fin », je suis sur le chem in
bons yeux. p r é te x te qu'ils, é ta ie n t jeunes). d 'u n b is tr o t où je p o u rra i é crire
m on p a p ie r te plus t ô t possible, e n
5 ° Etre lib re {C o ro lla ire : N e pas 11. — Si je vois M a rie n b a d , oui. essayant d 'e x p rim e r ce q ue j'a i res­
a v o ir de scénario à caser.) Si je vo is Le Passage du R hin, je
se nti, mais, s u rto u t, sans a v o ir con­
me d em ande p lu t ô t ce qu'o n en a u ­ fr o n té mes im pressions a vec p e r­
A v o ir une connaissance a p p ro fo n ­ r a it pensé il y a d ix ans,
d ie de la te ch n iq u e m e p a ra ît, sous sonne.
un c e rta in aspect, p lu tô t n uisible. 12. — Oui. Dans les dernières a n ­
Ces dernières lignes vous d isent
Cela donne une race de m aniaques nées, ta n o u v e lle va gu e , la ré véla ­ c la ire m e n t que, selon m o i, un c r i t i ­
q ui se servent souvent de ta c r it i­ tio n de B ergm an e t d 'A n ta n io n i au
que ne d o it ê tre q u 'u n s p e c ta te u r
q ue com m e d'un tre m p lin p o u r a b o r­ g ran d p u b lic s o n t d ire c te m e n t is­ e x a c te m e n t com m e les a utres, mais
der la mise en scène e t q u i p a rle n t sues du tr a v a il de la c ritiq u e .
c o nn a issan t ta chance de p o rte r un
un lan g a ge c h iffr é a bso lu m e n t in ­ Il est p ro b a b le aussi q ue la n ou ­ ju g e m e n t.
in te llig ib le à leurs lecteurs, lesquels v e lle c r itiq u e don n e assez m auvaise
sont, on l'o u b lie tro p , leur raison 5 e t 6 . — Ce p riv ilé g ié d o it vo ir
conscience à ce rta in s a u te u rs pour e t s u rto u t a v o ir vu des q u a n tité s
d 'ê tre . q u 'u n souci d e q u a lité un peu plus de film s p ou r a v o ir pu fo rm e r son
7. — Assurém ent pas plus d i f f i ­ n e t se dessine. g o û t. A m on avis, il d o it ê tre plus
cile q ue dans le d o m a in e de Iq R é fle xio n fa it e , c'e st p e u t-ê tre là jo u rn a lis te q u 'é c riv a in , se co n te n te r
p ein tu re , p a r exem ple. I l s u f f i t de une vue tro p o p tim is te . d 'u n vo cab u laire c o u ra n t e t ressentir
v o ir quel désaccord soulève to ujours, u ne s a lu ta ire e xa sp é ra tion devant
13. — 11 y a des hom m es do
dans n 'im p o rte q ue lle assemblée, le to u t p la g ia t.
g a u c h e q u i s o n t des critiq u e s réac­
seul énoncé des noms de Picasso»
tio n n a ire s e t des hom m es de d ro ite 7 e t 8. — Oh o ui, c'e st s u rto u t
D a li, M a th ie u ou D u b u ffe t, pour
q u i s o n t des c ritiq u e s progressistes au ciném a q u 'il est d if fic ile de se
n 'en c ite r que quelques-uns.
II y a des jo u rn a u x de gauche qui m e ttr e d'accord, ca r on s'y rend
8. — En e ffe t, p o u rq u oi ? e m p lo ie n t des critiq u e s ré a c tio n n a i­ encore e t, h eu reusem ent, â peu près
9 . —- O u tre l'id io s y n c rà sie (com ­ res e t des jo u rn a u x de d ro ite qui com m e on prend l'a u to b u s e t en
m e d ira ie n t les Cahiers), ['im p re s ­ o n t des c ritiq u e s progressistes. A tro u v a n t que, m êm e dans les m a u ­
sion du m o m en t n 'e s t-e lle pas es­ cela prés, je crois que critiqu e s vaises prod u ctio ns, il y a de longs
se n tie lle m e n t d éte rm in é e p a r cer­ progressistes e t ré actionnaires d e ­ m om ents agréables. C 'est insensé ce
ta in s soucis d 'e s th é tiq u e et de m e u re n t très lo in les uns des a u tre s : q u e l'é t a t d 'e s p rit d 'u n c lie n t de
m o ra le q ui sont p a rtic u lie rs à c h a ­ u ne d is p o s itio n d 'e s p rit fo n d am e n ­ sa lle obscure, d ix m inu te s avant
cun, e t d o n t îl v a u t p e u t-ê tre m ieux ta le e t irré ve rsib le les oppose. q u 'il y e ntre, p e u t in flu e n c e r son
ne pas fa ire un systèm e ? C ep endant, p a rm i les c ritiq u e s p ro ­ ju g e m e n t to u te la soirée.
gressistes (p a r o pp o sition à ré a c tio n ­ 8, 9, 10 e f 11. — Je crois que
10. — A . Dans ses b uts :
naires) on c o m p te à la fo is des la c ritiq u e c in é m a to g ra p h iq u e a
Je suppose que le b u t essentiel hom m es de d r o ite e t des hommes beaucoup tro p de résonance, q ue ses
de la c ritiq u e a to u jo u rs é té de de gau ch e e n tre (esquels la d is tin c ­ m em bres ne d e v ra ie n t a v o ir aucune

75
e s th é tiq u e e t se passionner a u ta n l tu a tio n s'am éliore à ce lu i des hedbc d é fin itio n . C elle du c r itiq u e d o it ê îro
p our u ne com édie m usicale, un v a u ­ m adaires e t des revues spécialisées a c tiv e e t c ré a tric e p a r v o c a tio n .
deville, un w estern, que p o u r un film Q u a n t aux grandes revues, elles sem­
5. — Réponse c o n te n u e dans te 4.
a b s tra it. Je suis sû r q u 'il e st im ­ b le n t ign o rer Je cinéma.
possible de p ré v o ir ce qui sera en­ 6. — I" A v o ir b eaucoup fré q u e n té
core v is ib le dans d ix ans. 2. — Il y a deu x sortes de c r iti le c in é m a e t a v o ir une b o n n e c u ltu re
ques ciné m a to g ra p h iq u e s, com m e i' oén é ra le .
12. — Oh non, o h non, la m u ­
y a deux sortes de cinéphiles : ce u * 2 " A v o ir une connaissance a p p ro ­
ra ille de C hine se dressant e n tre ta
qu i e nvisagent la c u ltu re c in é m a to ­ fo n d ie de te ch n iq u e.
gauche e t la d r o ite e st de plus en
g ra p h iq u e à p a r tir de la c u ltu re géné­
plus h a u te p o u r les m a lh e u re u x ren­ 3° A v o ir le ta le n t d 'é c riv a in .
ra le e t ceux qui considèrent la con­
d a n t co m pte des spectacles ciné m a ­
naissance des film s com m e une c o n ­ 4 ' A v o ir le p o in t de v u e d 'u n c i­
to g rap h iqu e s. C 'est d om m a g e e t c'est
naissance en soi, nécessitant u ne q ua ­ néaste en puissance {sons p o u r auta n?
grave.
lité sp éficiq u e d 'a tte n tio n . Il y a, n o u rrir de p a rtic u liè re s a m b itio n s c in é ­
13. — On d o it, selon m oi, oublie» d 'u n cô té , I' « a fic io n a d o » selon Re^ m a to g ra p h iq u e s ).
ses opinions p o litiq u e s au ciné m a où, n o ir e t, do l'a u tre , l'h o n n ê te hom m s
en ta n t q ue c ritiq u e , on n 'e s t pas 7. — : Que l'a cc o rd s o it d if fic ile à
Le p o in t de vue de l'h o n n ê te hom m e
a u tre chose q u 'u n h o n n ê te représen­ o b te n ir p a rm i les c ritiq u e s , nous en
n 'e s t jam ais n ég ligeable. Il dem eura
t a n t du sp ecta te ur. ce pe n d an t to u jo u rs in s u ffis a n t par avons la preuve à la s o rtie de ch aqua
film im p o r ta n t. Le p ire e st q ue l’ im ­
)4 . — Je serais beaucoup tro p ra p p o rt aux recherches de l'a fic io n a ­
p o rta n c e m êm e de c e rta in s film s n'est
d ise rt, si je d evais d ire « fra n c h e ­ do, q u i nous e n tra în e n t que lq ue fo is
pas u n a n im e m e n t reconnue. Beaucoup
m e n t » ce q ue je pense des Cahiers a u -d e là des film s, m ais q u i nous o nt
de c ritiq u e s c o n s id è re n t encore lea
du Cinéma. Je ies tro u v e à la fo is perm is souvent de serrer de très près
film s de H aw ks, P re m in g e r ou W alsh
p é n ib le m e n t p ré te n tie u x e t, m a lg ré ce rta in s secrets de c ré a tio n {C f. « Re­
com m e des « p ro d u its de c o n fe c ­
cela, u tile s p a r le u r véhém ence. n o ir fra n ça is » de B azin ou « Le Génie
de H ow ard Hawks, » de R ive tte ). La tio n ».
M a is c e tte d ern ière q u a lité ne les «critique d o it a p p a rte n ir a u x « a f i ­ Dans les a u tre s dom aines, le désac­
em pêche pas de m o n tre r u ne inju s­ cionados ». c o rd sur les œuvres récentes d o it c tr a
tic e rid ic u le quand, dans le m êm e fo u t aussi p a te n t. C ep e n da n t, il y a
num éro, ils co nsacrent des pages et 3. — A . Les « goûts du public » La S orbanne, les musées, les é d itio n s
des pages 6 u n trè s bon m e tte u r so n t très d iffic ile s à d é fin ir. Je crois c ritiq u e s . A u b o u t d 'u n c e rta in lapa
en scène com m e Je an -P ie rre M e lv ille que le c ritiq u e , com m e d 'a ille u rs le de te m ps, les œuvres b é n é fic ie n t
e t e x é c u te n t, en un to u rne m a in, un cinéaste, d o it s 'a tta c h e r à respecte; d*une c a u tio n u n iv e rs ita ire . M ê m e si
re m a rq u a b le o u vra g e com m e Taxi le p u b lic dans ses ré actions sainea l'on n 'a im e pas te l liv re ou te l a u ­
pour T o b ro u k , puis c é lè b re n t les Son rôle est de r a ffin e r les im pre s­ te u r, on e st b ien o bligé de considérer
m é rites de la « d é d ra m a tis a tio n * sions b rutes reçues au sp ectacle c in é ­ la place q u 'il occupe dan s l'h is to ire
q u i tu e ra le ciném a. m a to g ra p h iq u e . litté r a ir e . Les h ié ra rc h ie s litté ra ire s ,
En e ffe t, pensez à ce que nous p ic tu ra le s ou m usicales s o n t p ra tiq u e ­
Il est un te rra in cepe n d an t sur le­
allons s u b ir q u a n d les im ita te u rs de m e n t figées. Les h ié ra rch ie s c in é m a to ­
quel le c ritiq u e (m oderne) p e u t d i f f i ­
L'A nnée derniè re à M arienb a d nous g rap h iq u e s so nt m o uva n te s. H eureu­
c ile m e n t suivre la m a jo rité du p ublic
im poseront leurs p la g ia ts de ce c h e f sem ent, p e u t-ê tre .
fra n ç a is, très a tta c h é ( j'a i pu h
d'œ uvre. • c o n s ta te r en de nombreuses séances 8. — Ce sont les œuvres qui
de ciné-clubs) à la vra isem blance c ré e n t les critè re s e t n on pas l'in -
psychologique. Je cro is que le g o û t dg verse. Or, le ciném a é vo lu e sans cesse
fa psychologie e s t aussi d if fic ile à e t,d e s c ritè re s n ou ve a ux app a ra isse n t.
e x tirp e r que celui de la p e in tu re fig u ­ La « p o litiq u e des a u te u rs » é ta it
C L A U D E -I E A N P H IL IP PE ra tiv e . M a lh e u r a u x cinéastes qui Fondée sur R enoir, H itc h c o c k , Rossel­
(T é léram a, Télé-C iné } s'en é c a rte n t (R enoir, A s tru c, Rossel­ lin i. Elle ne s u f f it p lu s à rendre
lin i) e t q u 'it nous fa u t cependant c o m p te des film s de Losey ou to u t
défe nd re c o n tin u e lle m e n t à contre-- sim p le m e n t d ’ Exodus.
co u ra n t.
9. — Je pense q ue les critiq u e s
B. La n a tu re du jo u rn a lis m e v e u t im pressionnistes s o n t b ea u co up plus
que ch aq u e p ériodique a it sa person^ s ysté m a tiqu e s q ue fes a u tre s dans
n a lité , son e sprit. N e pas en te n ir le u r passivité . T o u t c r itiq u e sérieux
co m pte s e ra it u ne e rreur. La consigna d é tie n t u ne ou p lu sieu r g rille s esthé­
de s im p lic ité e t de c la rté , dans un tiq ue s. Il ne d o it pas se s e n tir cepen­
jo u rn a l comme T é léram a est, je crois, d a n t p ris o n n ie r de son sytèm e. U ne
une bonne c o n tra in te . pensée c ritiq u e p e u t e t d o it é volu e r
sans p erdre de son h o m o g é n é ité . Une
4. — ■ Qu'on le v e u ille ou non, il y a se n s ib ilité o u v e rte d o it lui fo u rn ir
dans to u te c ritiq u e u ne p a r t d e péda­ sans cesse de n o u v e a u x a lim e nts.
gogie. Or, le professeur n 'e s t pas un
10. — La c ritiq u e a c e rta in e m e n t
élève p a rtic u liè re m e n t b r illa n t ou in ­
é volué dans le sens d 'u n e app ro ch e
t u i t i f . C'est un hom m e q u i a pensé,
plus e xacte de la c ré a tio n c in é m a to ­
c la rifié , classé des connaissances s o li­
g ra p h iq u e . La m u ltip lic a tio n des en­
d em e n t acquises. N on seulem ent le
tre tie n s , des in te rvie w s de cinéastes
c ritiq u e d o it a v o ir v u plusieurs fois
en est le signe le plus c la ir . On ne se
1. — Je ne pense pas que, q u a n ­ le film d o n t it rend co m p te , m aïs ij
c o n te n te plus de re cevo ir un film , on
tita tiv e m e n t, la c r itiq u e de ciném a d o it ê tre oussi en m esure de le re­
v e u t encore co n n a ître , e t si possible
soiH ésé® ,,C 'est ( q u a lita tiv e m e n t q ue sa pla ce r dans la c o n tin u ité d 'u n e œ uvre,
in tim e m e n t, l'a u te u r de ce film .
faiblesse é cla te , au n ive a u de la d 'u n genre, d'un e école, e tc . L 'a t ti
presse q u o tid ie n n e en to u t cas. La si­ tu d e du s p e c ta te u r est passive pai La te c h n iq u e n 'e s t plus u n m ystère

76
p ou r le c ritiq u e o ui s a it a u jo u rd 'h u i 14. — Les Cahiers fu r e n t excel­
d is tin g u e r la m a îtrise fo rm e lle de lents (c f. A n d ré B a z in ). Ils le sont
l'é c la t fa ctice . encore quand, d 'a v e n tu re , entra
M a is ia v é rita b le é v o lu tio n m e p a ­ deu x a rtic le s en « lan g u e é tra n g è re »
ra ît être, depuis 1955, l'a c c e n t mis (I = I confess = la loi d u silence...
sur la n otio n d 'a u te u r, au d é trim e n t on est e n tre soi, dear, te chniciens,
de la n o tio n d'école. Dans ce sens, un a ffra n c h is e t to u t e t to u t...) se
pas d éc is if a été f a it. Je crois q ue le glisse un a r tic le en fra n ç a is . De
p u b lic lui-m ê m e se préoccupe b ea u ­ te m p s en tem ps, ça aide, e t puis
coup plus de l'exis te n c e du m e tte u r ça f a i t p la is ir.
en scène.
11. — Je me dem ande s u rto u t si,
dans d ix ans, je p ourrais encore v o ir
ce film . Les copies de Big Sky e t de ROGER REGENT
Red R iver o n t été d é tru ite s . En v e r-
(R.T.F., La Revue des D eux M ondes)
rons-nous jam ais de nou ve lle s?
12. — La c ritiq u e a eu c e rta in e ­
m e n t une influence sur la naissance e t 5. — T h é o riq u e m e n t o ui. Pouf
la p ro g ra m m a tio n des salles de ré pe r­ m ie u x a p p ré c ie r les bons. M a is c'est
to ire , d o n t la m u ltip lic a tio n p o u rra it d u r, c'est d ur...
p ro m o u v o ir un m ode de p ro d u c tio n
plus libre. 6. — Il s e ra it bon que le c r îti-
que, a y a n t d û m e n t fré q u e n té le ci*
Q u a n t au ciném a lu i-m ê m e , il me
ném a, o u b liâ t un peu, beaucoup, la
semble d iffic ile m e n t in flu e n ç a b le .
technique q u 'il c r o it co nn a ître, a fin
13. — « L'en g a ge m e nt p a rtic u lie r q u e ses a rtic le s, lisibles, même p our
de l'a r tis te en ta n t que te l, c 'e s t de ce u x qui ne so n t pas agrégés de la
c descendre a u x e n tra ille s des c h o ­ p e llic u le (ou q ui se l'im a g in e n t),
ses » e t de « rendre » e x a c te m e n t ce puisse n t e n ric h ir la c u ltu re générale
q u 'il y a découvert. Si l'on v e u t abso­ des lecteu rs-sp e cta te urs.
lu m e n t q u 'il soit u tile , ce sera p ré c i­
sém ent en m e tta n t le réel à nu dans 1. — N on, à c o n d itio n que les
to u te s ses profondeurs, ce q u i, p a r « spécialistes » ne se cro ie n t pas
d é fin itio n , ne p e u t se rvir que les obligés de d é te s te r les film s q ue to u l
causes justes. * (Roger V a illa n d ). le monde a im e . E t v ic e -v e r sa. 1. — ■ N on. Dans l'ensem ble les
d ire cte u rs de jo u rn a u x n 'o n t aucune
Rem plaçons le m o rt « a rtis te » p a r S. — Pas plus q ue dans les autres co n s id é ra tio n p o u r leur ru b riq u e de
le m o t « c ritiq u e » e t nous aurons a rts du spectacle, e t à la co n d itio n ciném a e t ils se ra ie n t v o lo n tie rs prêts
la m e illeure d é fin itio n d'un e c r itiq u e (bis) d 'a v o îr le co urage de d ire ce à la c o n fie r à n 'im p o rte q u i, ce
de gauche, c 'e s t-à -d ire généreuse e 1 que l'o n pense e t d e penser ce que q u 'ils ne se p e rm e ttra ie n t ja m a is de
o uve rte . l'o n d it (cf. réponse à la question 7). fa ire p o u r la c ritiq u e litté r a ir e , la
H . — • A p p o rt p o s itif ir\o p p ïé cio b le : c ritiq u e d 'a r t ou la p o litiq u e é tr a n ­
la connaissance des aute urs (e n tre ­ 9. — N i l'u n n i l'a u tre . M a is entre gère.
tie ns, écrits divers, film o g ra p h ie s ). le « système» e t l'im pression, j'a im e
encore m ie u x l'im pression : c'est 2. — Oui, sî vous e nte nd e z p a r
Très p o s itif é gulem enl : P in v e n lu ire p lu s fra n c (c f. réponse a u x ques­ « spécialisés » des gens q u i sa ven t
du ciném a a m érica in . tions 7 e t 8 ). de quoi ils p a rle n t. N on, si « spécia­
lisés » v e u t d ire te chniciens. En un
R eproche généra) : l'a f fe c ta tio n du
10. — A . Ouï, c a r au jo u r d'aü - m o t, il fa u t sa voir q u i s o n t G r iff it h
s ty le e t le refus de la c la rté .
(o u rd 'h u i, e lle p ré p a re so uve n t l'a v e ­ e t Sjostrom e t se fo u tre é pe rd u ­
n ir (le sien bîen sûr, des film s à m e n t de la p ro fo n d e u r de ch am p .
fa ire p a r e xem p le !)
3. — A . Je tie n s c o m p te d e mes
B. V o ir A . goûts personnels, m ais je pense —
HENRY RABINE C. V o ir B. e t j'espère — q u 'ils correspondent à
ceux du p u b lic.
(La Croix) 11- — O ui... d ix ans après! U
f a u t alors a v o ir beaucoup de cou­ B. On p e u t s 'e x p rim e r d iffé r e m ­
I . — Oui. rage p ou r re lire ses propres a rticle s. m e nt selon le jo u rn a l dans leq u e l on
S ouvent p lu m e v a rie ... ç f l'o p in io n é c rit — c 'e s t-à -d ire selon le p u b lic
2. — N i plus, n i moins. F lu ctuante des C ahiers su r Bergm an. à q u i on s'adresse — m ais c e tte d if ­
3. — Ça ne d e v ra it pas poser dû E t ça ne f a i t pas d ix ans... férence ne d o it concerner q ue la
problèm es. Ça en pose. R arem ent. fo rm e . Pour le fo n d , l'o p in io n du c r i­
De to u te s façons, beaucoup moins 12. — O ui, hélas! suivez mon tiq u e ne d o it pas v a rie r. En ce q u i
que vous ne l'im a g in e z . re g a rd ... On p e u t répondre aussi : me concerne, mes chroniques de La
« non, hélas! su ivez m on regard... » Revue des Deux M ondes e t celles de
■3. — C'est bien là u ne q uestion M a is personne ne regarde les mêmes. la ra d io ne s o n t pas é crites de la
d e « mensuel ». Dans un g q u o ti­ même encre, m ais p ou r le fo n d , pas
d ien » e t à la cadence a c tu e lle de 13. — > L 'id é al s e ra it évidem m ent la m o indre d iffé re n c e . Je suppose
s o rtie des film s , on ne' p e u t les voir des c ritiq u e s m a nch o ts. M ais alors q ue A n d ré B a zin p e n sa it a in si e t
q u 'u n e fo is . C 'est so uve n t très s u f­ ils ne p o u rra ie n t plus é crire. Leurs que, s 'il e x p r im a it e x a c te m e n t la
fis a n t (c f. L'Année derniè re à Ma- ennem is in tim e s n e s'en console* m êm e o p in io n dans Les C ahiers du
rienbad). r a ie n t pas. C iném a e t dans Le Parisien Libéré,

77
il le fa is a it en a d o p ta n t deux fo r ­ q u a lité — e t l'h o n n e u r — du c r i­ C ep e n da n t, p o u r c o m p lé te r la ques­
mes d 'é c ritu re d iffé re n te s . tiq u e est de pou vo ir v a n te r une tion on p o u rra it d ire q ue la c r itiq u a
œuvre, si elle est belle, q u i va à n 'e s t pas f a i t e p e u r ê t r e a p p ro u v â o
4 . — On ne d e v ra it to u jo u rs v o ir
l'e n c o n tre de ses o pin io n s. La presse p a r le le c te u r, m ais p o u r le con
un film q u 'u n e fo is. M êm e les plus
d iffic ile s . Je fa is to u jo u rs mes a r t i ­ est assez encom brée de p o litiq u e v a in c re .
pour que l'on n'en m e tte pas encore
cles sur u ne seule visio n (m êm e M a ­ D onc, sj elle ne d o it pas o b é it
dans Jes rubriques a rtis tiq u e s .
rie n b a d ). Q uand il m 'e s t a rriv é en­ a u x g o û ts d e c e le c te u r, e lle d o it
s u ite de re v o ir un film , j'a i c o n sta té 14. — V o ir para g ra ph e 12. ê tre e xprim é e en te rm e s com pré h e n
que je ne changeais presque jam a is sibles p o u r ce lecteur.
d 'avis. (Je ne suis p o u r ta n t pas en­
Les jug e m en ts ne d o iv e n t pas
tê té ).
c h a n g e r en fo n c tio n d u jo u rn a l dans
5. — C e rta in e m e n t. Si un c ritiq u e leq u e l ils s o n t e xprim és, m ais le u r
ne lis a it que les livres d o n t il p arle, FRANCE ROCHE te rm in o lo g ie , leur style , d o iv e n t ê tre
il ne s a u ra it rien du m o u v e m e n t l i t ­ (France-Soir ) a u t a n t q ue possible, accordés au
té ra ire de son époque. reste du jo u rn a l.
6. — ■ Je suis in ca p a b le de fa ire 4 . — La sim ple h o n n ê te té v e u t
un te l classem ent. Je pense q u 'il f a u t q ue le c ritiq u e donne son o p in io n ,
a v a n t to u t a im e r p assio n né m e nt le après u ne vis io n , pour le s p e c ta te u r
c in é m a (ce q u i so us -e n te n d l'a v o ir q u i n e va q u 'u n e fo is au cin é m a
b eaucoup fré q u e n té ) e t s a vo ir écrire. Pour les h eb d om adaires ou mensuels
spécialisés il p e u t ê tre in té re s s a n t
7. — N on .
de re ndre co m p te de p lu sieu rs v i ­
S. — N o n . Les critè re s d o iv e n t sions.
to u jo u rs ê tre spécifiques ; en lit t é ­
ra tu re , en p e in tu re , en m usique Le c r itiq u e de q u o tid ie n n 'é c r it pas
com m e en ciné m a . p ou r l'H is to ire du C iném a, m a is p o u r
la d uré e — to u t au p lu s — d 'u n e
9. — Je ne suis ni p ou r les e x c lu s iv ité sur les Cham ps-Elysées.
systèmes ni p ou r la m ode, c 'e s t- à -
d iro le su p e rfic ie l. Une œ uvre n 'est 5. — O ui. Car le c r itiq u e q u i v o it
d ig n e de ce nom e t n 'a de chances peu d e film s f i n it pas n e p lu s p o u ­
de re ste r q ue si e lle a u ne p ro fo n ­ v o ir in té g re r les film s q u 'il a vus
d eur, u n e d e n s ité e t un s ty le . Cela dans le c o u ra n t de la p ro d u c tio n
d it, il y a beaucoup de film s légers, m o n d ia le . En o u tre , il p e u t ra te r des
1. — S a tis fa isa n te dans les h e b ­
su pe rficiels, du genre L'Espace d 'u n film s m a l d istrib u és, des d éb u ts dans
dom adaires, un peu tro p m ince dans
m a tin q u i s o n t ch a rm a n ts e t a u x ­ la m ise en scène in tére ssa n ts, e tc ..
c e rta in s q uotidiens. M a is il y a les
quels je prends le plus g ra n d p la isir. jo u rn a u x qu'en p rin c ip e on l it v ite 6. — 10 A v o ir b ea u co up fré q u e n té
10. — A . J'espère que non. La e t ceux qu'o n fît plus le n te m e n t. le ciné m a .
v ra ie c ritiq u e de cin é m a , ce lle a u ­ Dans les premiers, u ne c ritiq u e tro p 2o Beaucoup l'a im e r (im p o rta n t).
tre fo is des Louis D elluc, M oussînac, longue risque de n 'ê tre ja m a is lue
Lucien W a h l ou René C la ir a v a it les « ïn extenso ». Reste à sa voir si les 3° C o n n a ître la te c h n iq u e .
plus h au te s a m b itio n s . critiqu e s, quelles qu'elles soient, so nt 4o A v o ir du ta le n t de jo u rn a lis te
B. La c ritiq u e est a u jo u rd 'h u i trè s jam ais lues « in extenso ». ou d 'é c riv a in q ui ne ch erch e pas à
écoutée, m êm e si u n fossé se creuse 2 . — De plus en plus les ro m an ­ b r ille r a u x dépens du s u je t tr a ité .
p a rfo is e n tre e lle e t le p u b lic. ciers é crive n t sur le ciné m a ou la 5° A v o ir ce ta le n t quand m êm e
C. Je crois que l ’ in flu e n c e de Ja th éâtre, sans que p o u r cela les c r i­
tiques de ciném a se m e tte n t à la 6o Etre h o n n ê te in te l !ec tu e 1Jemen I
c ritiq u e est g ra n d e p ou r les œuvres
d iffic ile s au su je t desquelles le p u b lic c ritiq u e litté ra ire . C'est n o rm a l. C ha ­ e t ne pas su ivre les m odes.
a besoin d 'ê tre é c la iré . M a is e lle n 'a cun se considère c ritiq u e de ciném a 7o C u ltu re générale é c le c tiq u e .
jo m a is em pêché un m auvais film trè s quand il a vu d ix film s e t a f r é ­
11. — O ui. Et so uve n t je m e ré-
co m m ercia l de ra p p o rte r beaucoup quenté tro is fo is la ciné m a th è qu e .
oonds : Rien.
d 'o rg e n t. En un m o t, e lle aide la Et pourquoi pas ?
c a rriè re de M a rie n b a d e t n 'e n tra v e 12. — Le c ritiq u e a u ne in flu e n c o
La sp écialisation v ie n t à fo rce
pas ce lle de... ( M e tte z vo us-m ê m e un 1— niée le plus so uve n t, m a is p ro ­
d 'a lle r au ciném a. Ht puis, il y a
t it r e : il n 'y a q ue l'em b a rras du fo n d e — sur les gens de ciné m a
to n t de « spécialistes s , é c riv a n t
c h o ix !) D onc, sur le ciné m a . (Je p a rle pour
sur le ciném a depuis quelques lus
la France. Il en est a u tre m e n t en
11. — M a réponse à c e tte ques­ très, qui ne sa vent to u jo u rs pas ce
A m é riq u e , je crois).
tio n e st au p a ra g ra p h e 9. que c'est q ue la m ise en scène.
13. — Ouï. H eureusem ent.
12. — N on , en gén é ra l ; m ais il . B. — I l n 'y a pas à « te n ir
est in d é n ia b le q ue le m o uve m e n t com pte * des g oû ts du p u b lic dans 14. — Les Cahiers du C in ém a on)
c ritiq u e p a rti des C ahiers a engen­ son jug e m en t. M ais i] m e semble eu u n e in flu e n c e sur le ciném a fr a n ­
d ré to u t le « nouveau ciné m a fr a n ­ que, dans, ce rtains cas (film s p o p u ­ çais en se cou a n t — n ag u è re — le
çais ». Dans ce cas l'a c t io n de Ja laires, comiques) il co n v ie n t, s u rto u t co co tie r, e t en s o u te n a n t le ciné m o
c ritiq u e a é té d é te rm in a n te e t f u t s'il d iffè re beaucoup de celui du c r i' in te llig e n t. C e tte revue a d e m o rnf
fa c ilité e d 'a ille u rs p a r un c e rta in tique, de les « c o n s ta te r » en m a rge en m oins te n d a n c e à secouer ce co­
e s so u ffle m e n t e t p ié tin e m e n t du c i­ de la c ritiq u e . c o tie r — sans d o u te p a rc e q ue cer­
n ém a tra d itio n n e l. ta in s de ces membres so n t en tra in
Il n 'y a pas (ou peu) « d 'e s p rit
13. — J 'a i to u jo u rs été co n tre d 'y g rim p e r.
d'un jo u rn a l C et e s p rit n'esl
l'in g ére n ce de to u te p o litiq u e dans jc m a is q ue Ja ré s u lta n te de l'e s p rit D epuis quelques années on s'y
les questions esthétiques. La p rem iè re de tous ceux qui y é c rive n t, je crois. passe tro p la rh ub a rb e e t le sené

78
Jocques d it du, bien (d 'un e p lum e jours depuis que je ne ve u x plus v o ir GILBER T S ALA CHAS
un p eu em barrassée) des film s dg c e rta in s m auvais film s ?
Pierre, q u i loue les film s de Paul» (Télé-C iné, Téléram a)
6 . — 1° A v o ir beaucoup fré q u e n té
qui a d m ire à son to u r les film s do
le ciném a.
Jacques (film s q u i ne s o n t q u 'in te l­
lig e n ts). 1“ bis. A v o ir un ta le n t d 'é c riv a in
ou de jo u rn a lis te .
Les C ahiers ne so n t plus une c h a ­
pelle. C 'est u ne fa m ille ro yale aù 2° A v o ir une bon n e c u ltu re géné­
personne n 'a Je d r o it d 'e n tre r e t où rale.
l'o n v i t dans l'o d e u r de l'encens A v o ir une connaissance a p p ro fo n ­
b rû lé p a r ses frè re s . D e te m p s er» d ie de la te ch n iq u e c in é m a to g ra p h i­
temps, en p e n sa n t au passé, o n y que : sans g ran d e im p o rta n c e . Cela
e xé c u te sans risque, quelques m e t­ s 'a c q u ie rt en v o y a n t les film s . E t la
te u rs en scène d éjà m orts. syn ta xe du film est, com m e ce lle du
P. S. — I l m a n q u e des questions tangage, dans le dom aine p ub lic.
Par exem p le celles o u i com bine­ 7 . — * Nous é tio n s d 'a cc o rd sur
ra ie n t les ré actio n s des lecteurs a u * to u t, s a u f sur les film s » a d i t un
« papiers » des c ritiq u e s — e t les jou r, à peu près, Paul E luard, évo­
ré actions des « gens du m é tie r » q u a n t nos am is su rréa listes vers 1930.
e t des gens de ciném a. C 'est presque to u jo u rs aussi v ra i en
1961.
1. — Q u a n tita tiv e m e n t, oui.
8. — Je ne crois pas les « c ri­
2 . — I l est c e rta in q ue le bon
tères » c ritiq u e s plus d iffic ile s à
c r itiq u e c in é m a to g ra p h iq u e d o it ê tre
CEORCES SADOUL é ta b lir pour le ciné m a que p o u r les
spécialisé. A u tre m e n t, ce n 'e st q u 'u n
a utres a rts .
s p e c ta te u r p a rm i des m illio n s d 'a u ­
(Les Lettre s Françaises) 9. — L'im pression est précieuse, tres à q ui l'on donne a rb itra ire m e n t
qua n d elle révèle une passion, le sys­ la p o s s ib ilité de d iffu s e r son p o in l
tèm e, qua n d il s'a p p u ie sur les de vue. M a is a tte n tio n : se m é fie f
c o nvictio n s sincères du c ritiq u e . des spécialistes p ré te n tie u x qui
a d o p te n t le la n g a g e délibé ré m e nt
10. — Elle est h eureusem ent d é ta ­ h e rm é tiq u e des sociétés secrètes a fin
chée (s a u f e xceptions rares) des
d'écraser le le c te u r ou de l'in tim id e r
c o n tra in te s p u b lic ita ire s , e t p ar là,
p a r un systèm e de références, a llu •
d é fe n d a n t l'a r t du film , e lle a auprès sions e t a u tre s brim ades.
de ses lecteurs plus d 'in flu e n c e que
jadis. E tre sp écialiste s ig n ifie p o u r moi
non seulem ent c o n n a ître l'h is to ire ,
1 1 . ' — Oui, je suis h is to rie n . M ais la géo g ra ph ie, la sociologie e t l'es­
je suis bien peu c e rta in de sa voir p ré ­ th é tiq u e du ciné m a , niais é galem ent
d ire son a ven ir. les a u tre s aspects de la c u ltu re , in ­
12. — Bien sûr, puisque, de D el- dispensables à u ne saine app ré cia -
lue à T r u ffa u t, de n om b re u x c r it i­ tio n du ciném a.
ques so n t devenus réalisateurs. Etre spécialisé — oui — mais
fa ir e en s o rte q ue c e tte spécialisa­
13. — N on , ta n t q u 'il y a u ra une
tio n s o if in vis ib le au lecteur, ou
d ro ite e t u ne gauche. M aïs beaucoup
to u t a u m oins tra n s p a re n te .
sont ou se c ro ie n t en to u te bonne
1 ■ — T o u t juste, m ais n o tre place 3. — A . Le g o û t du p u b lic est
fo i, in d iffé re n ts à la p o litiq u e . Des
e t n o tre rôle se so n t beaucoup a f f i r ­
critiq u e s ca ta logués à d ro ite p e u v e n t un m y th e . Personne ne le co nnaît
més depuis 1945.
p a rfo is ou so uve n t e x p rim e r des e t l'o n co m m e t bien des servilités
2- — Dans le cas où ils o n t la p oin ts de vue « à gauche » (ou in ­ en son nom . La d ém agogie est l'une
passion du ciném a, e t p r a tiq u a n t si versem ent) e t les critiq u e s de d ro ite des plaies de la c ritiq u e .
lon g te m p s la c ritiq u e , q u 'ils fin is se n t p euvent évolu e r vers la gauche (ou B. J'a î é c r it dans des jo u rn au x
p a r s 'y spécialiser. inve rsem ent). E n fin, p ou r c ite r {de d 'id é olo g ie s trè s d iffé re n te s sans ja ­
m ém oire) une c ita tio n du P e tit Sol­ m ais me soucier d 'a lig n e r mes o p i­
3- — A . C e rta in e m e n t, P our e t
C ontre. d a t, * l'e s th é tiq u e de l'a v e n ir, c'e st nions su r la c lig n e » desdits jo u r­
l'é th iq u e ». n au x. Je p ou rra is m êm e a jo u te r, en
B. Je n 'a c c e p te ra is pas d 'ê tre le
fo r ç a n t le m ouvais e s p rit, « au con­
c ritiq u e d'un jo u rn a l d o n t je n 'a p ­ 14. — Je serai donc fra n c ju s q u 'à
tr a ir e ». Je ne m e fa is pas gloire
prou ve ra is pas l'e s p rit. la b ru ta lité . A leur a c t if : la passion
de c e tte a u to n o m ie ; e lle m e sem­
du ciné m a , un sérieux tr a v a il de c u l­
4. — On ne com prend v ra im e n t un b le ê tre un des aspects fo n d a m e n ­
tu re c in é m a to g ra p h iq u e , le rôle d 'u n
film q u 'a ve c un p u b lic . Pour les ta u x de la d ig n ité e t de la lib e rté
fe rm e n t en France e t à l'é tra n g e r,
œuvres im p o rta n te s , il s e ra it u tile du m é tie r.
le f a i t q u 'ils o n t suscité de n o m ­
(m ais il n 'est pas to u jo u rs m a té rie l­
breuses vocatio n s, e tc , A le u r p a s s if : 4 . — Cela dépend e t du film et
lem e n t possible) de les re v o ir deux
tro p de p a ta fo u illis , de « grues m é ta ­ du jo u rn a l. Pour un q u o tid ie n , pour
ou plusieurs fo is.
physiques », de p éd antism e d é lira n t, un film sans g ra n d ca ractère , une
5- — Oui, la q u a lité e st fo n c tio n d'équivoques e n tre « la p o litiq u e des seule vîsîan s u ffit. On p e u t se tro m ­
de com pa ra iso n , n a tio n a le m e n t e t in ­ aute urs » e t le c u lte de diverses p e r­ per, é m e ttre des jug e m en ts h â tifs ,
te rn a tio n a le m e n t. Et puis, il y a la sonnalités (ou non), de c o nfu sio n en­ a v o ir des rem ords. C 'est le risque
passion du ciné m a . M ais l'a i- je to u ­ tre les vessies e t les lanternes. du m é tie r, il f a u t l'acce p te r.

79
En revanche, l'onoJyse e xha u stive tu e à l'a û te u r ou à l'œ u vre q u 'ii e st rale (ou si l'on y tie n t, d é m o c ra tiq u e
p u b lié e dans u ne revue spécialisée censé analyser. et progressiste) qui co nsiste à
nécessite plusieurs visions. Cela me a d m e ttre que la n o tio n d e c u ltu re
sem ble te lle m e n t é v id e n t que dans B et C Ses m oyens et ses in ­ n 'e s t pos un p riv ilè g e à p a rta g e r
Je revue que je d irig e , T é lé-C iné , les fluences. e n tre in itié s . C e tte te n d a n c e s 'e ffo rc e
longues exégèses, sont le f r u i t de Ses moyens se so n t in c o n te s ta b le ­ de fa v o ris e r Ja re n co n tre e n tre l'a r ­
plusieurs visions, de plusieurs m em ­ m e n t développés. Les rubriques s 'a l­ tis te e t la masse du p u b lic . L 'accos-
bres de l'é q u ip e de ré da ctio n , ta n d is lo n g e n t e t se m u ltip lie n t, les revues sion à la c u ltu re é ta n t u n e co n q u ê te
q u e les notu le s co nce rn a nt d 'a u tre s spécialisées a u g m e n te n t en nom bre. sociale fo n d a m e n ta le , la v é rita b le
film s sont rassemblées sous le titr a En conséquence, son in flu e n ce c r o it * m ission » de la c r itiq u e « e n g a ­
gén é riq u e « A prem ière vue ». p ro p o rtio n n e lle m e n t. Elle n 'e s t pas gée » relève de l'o p tiq u e d é fin ie
Cela d it, les * co nd itio n s du spec­ encore d é te rm in a n te p o u r la c a rriè re plus h a u t.
ta te u r » so n t p r a tiq u e m e n t les d 'u n film , m a is e lle est de plus en
L 'a u tre te n d an ce est le f a i t d 'un e
mêmes. Il p eut, com m e le c ritia u e , plus sensible.
secte fa ro u c h e m e n t c o n se rv a tric e qui
v o ir un film plusieurs fois. e n tre tie n t Ja n o s ta lg ie , p lu s ou m oins
11. — N on, ou to u t ou moins
5. — Bien sûr. Pour m on p la is ir pas e x p lic ite m e n t (sa u f exceptions ; consciente, des b arriè re s c u ltu re lle s .
(m oi, j'a rm e ie ciném a) ou mon p a r e x e m p le U ne fe m m e est une
Par fo u t un systèm e d e références
é d ific a tio n , ou p ou r des raisons de fe m m e e t L 'A n n é e dernière à M a-
e t d 'allusio ns q u i se v e u le n t s u b ti­
conscience professionnelle. rie nbad).
les, p a r un la n g a g e c h a n to u rn é e t
6. — La p rem iè re des q u a lité s 12. — In flu e n c e fa ib le e t passa­ incom préhensible q u i se v e u t a ris to ­
n 'e st pas dans v o tre liste. Elle est gère, non pas fo n d a m e n ta le , mis & c ra tiq u e , !a c riq u e q u e /'a p p e lle ra is
d if fic ile à d é fin ir c a r c'est p lu tô t un p a rt le cas du c ritiq u e q u i d evie n t ré tro g ra d e e n tr e tie n t u n e v é rita b le
é ta t d 'e s o rit, u ne a ttitu d e p ar ra p ­ ciné a ste e t q u i p e u t a p p liq u e r c o n ­ ségré g a tion d e la c u ltu re .
p o rt au film e t au lecteu r. Le c ri­ c rè te m e n t ses th éories.
tiq u e est a v a n t to u t un m é d ia te u r, 14. — Puisque vous m 'y in v ite z ,
son h um b le fo n c tio n consiste à es­ Pour le reste, les c ritiq u e s a b o ie n t ie p a rle ra i fra n c h e m e n t. L 'in flu e n c e
sayer d 'é to b lir le c o n ta c t e n tre l'oeu­ ou fr é tille n t, les locom otives passent des Cahiers du CIncma dan s le d o ­
vre d 'a r t e t le p ub lic, ou à fa v o ris e r avec le u r tr a in de w agons. m a in e de la c ritiq u e e st g ra n d e . Son
ce c o n ta c t. C e tte q u a litê -là est d 'o r­ Le pessimisme de c e tte réponse a p p o rt, p a rd o n n e z -m o i, m e sem ble
dre s p iritu e l e t non p ra tiq u e . d o it se n ua n ce r d 'u n a spect c o ro l­ n é g a tif. Les m éthodes c ritiq u e s de
la ire de la que stio n que je schém a­ c e tte revue reposent su r l'in tim id a ­
Dans v o tre liste, je p lacerai ex
tise . Q uand la c ritiq u e a ura rendu tio n e t le te rro rism e , ce q u i corres-
aequo les tro is prem ières v e rtu s du
le s p e c ta te u r e x ig e a n t (voeu p ie u x ponc^ à une c e rta in e fo r m e d e m é pris
c ritiq u e et, un peu derrière, la q u a ­
m ats à lon g u e échéance v ra is e m b la ­ p ou r le lecteu r. Les p a n é g yriq u e s ou
triè m e . Une connaissance a p p ro fo n ­
ble), le s p e c ta te u r n 'o b é ira plus o u x les ré quisitoires s p e c ta c u la ire s p re n ­
die de la « te c h n iq u e » ne m e sem­
réflexes co nd itio nn é s o a r la seule n e n t la fo rm e p é re m p to ire de m o ts
b le pas indispensable à l'exe rcice
p u b lic ité . La foi de l'o ffr e e t de la d 'ord re . Le c ritiq u e d e v ie n t trib u n .
de la critique-.
d em ande sera donc m o difié e. T o u t Il a im e ceci, il d é te s te c e la . Il ne
7. — N on. l'e x p liq u e pas, il l'a f fir m e . E t p ou r
ceci est à m e ttre au co nd itio nn e l
8. — N on. Parce que to u t o r t est, p ru d e n t. donner p lu s de fo rc e à ses p ro c la ­
heureusem ent, com plexe, q u 'il a ses m a tion s, il u tilis e l'é c la t ta p a g e u r
)2 . — Te lle q u 'e lle est posée, c e tte m ais a r tific ie l de la rh é to riq u e .
lois, ses conventions, son o rig in a lité .
que stio n m e p a r a ît absurde. Q u 'e st-
9. — N i l'u n ni l'a u tre . La c r it i­ ce q ue la c r itiq u e de d ro ite e t de Décontenancé, le le c te u r ou bien
q u e e st u ne recherche» non un a r t g a u c h e ? Il y a des « supports » adhère de c o nfia n ce , sans c h erch e r
d o g m a tiq u e . Le « systèm e e s th é ti­ qui p rofessent des opinions do Iî t i ­ à c o n te s te r de si m y sté r ie u s e s th é o ­
q ue » est u ne n o tio n tro p e xclu si­ ques. il y a des c ritiq u e s q ui ccri ries, ou bien renonce à se considérer
ve, donc in s u ffis a m m e n t a c c u e illa n ­ v e n t sur ces supports. De deu x choses com m e un s p e c ta te u r d ig n e des film s
te. Q uant à * l'im pression du m a ­ l'un e : qui lui so n t o ffe rts . IJ a b d iq ue , se
rnent » q u 'e s t-c e à d ire ? désintéresse d u c in é m a c o m m e d 'u n e
— Ou bien les c ritiq u e s obéissent d isc ip lin e trè s c o m p liq u é e e t réservée
L'im pression du c ritiq u e ? J 'a i à des m o ts d 'o rd re e t ils é c riv e n t à des é lite s prédestinées.
déjà d it q u 'il f a lla it se m é fie r de dons le sens d e !a lig n e d é fin ie
la ré actio n h â tiv e de la prem iè re p a r Ja d ire c tio n (s o it p a r c o n v ic tio n , Il est très fa c ile de se sin g u la ris e r
vision (s u rto u t en ce q ui concerne s a it p a r lâ ch e té ou in d iffé re n c e ). du co m m un des s p e c ta te u rs p a r la
les grandes œuvres). L'im pression seule m a g ie d 'u n la n g a g e h a u ta in e t
— Ou bien, s'ils lé peuvent, ils
gén é ra le de to u t un chacun ? le spécialisé. C 'est ce q u i f a i t la fo rce
■co u ran t de pensée m o m en ta n é ? le é c riv e n t n 'im p o rte quoi n 'im p o rte où,
e t p a rfo is la réussite des cu istres.
ce q u i est le plus so uve n t le cas.
c lim a t tra n s ito ire de l'op inio n ? Il
f a u t l'ig n o re r. Les modes se dém o­ In d iv id u e lle m e n t, le c ritiq u e p e u t il reste que les m o rc e a u x d 'a n th o ­
d e n t. a v o ir des o pin io n s e t les e x p rim e r à log ie de ces d élires obscurs possèdent
propos d 'u n fiJm q u i s o llic ite p a r t i ­ des v e rtu s ré créa tive s. M a ïs ces v e r­
10. — Oui a u x tro is questions. c u liè re m e n t « l'e n g a g e m e n t ». C 'est tu s so n t éphém ères e t l'on se lasse
son a ffa ir e . M a is ce c ritiq u e ne se v ite de la le c tu re m a so ch is te de cer­
A. Dans ses b uts. La c ritiq u e d e ­ ta in s te x te s devenus in u tile m e n t
se n t n u lle m e n t s o lid a ire d'un grou p e
v ie n t m alheureusem ent u n exercice agressifs, de m êm e q ue l'o n se lasse
c o n s titu é q u i a u r a it sa d o c trin e e t
personnel, un m oyen d'expression. On des d é c la ra tio n s p itto re s q u e s des p ro ­
ses règles.
se s e rt de plus en plus d 'u n film v o c a te u rs com m e S a lv a d o r D a li.
p ou r a ffir m e r son p o in t de v u e sur A m on avis, le problèm e se pose
l'a r t , sur le m onde, sur ce q ue vous à un a u tre n ive a u . Il existe deux Je grossis, m ais c 'e s t pour m ie u x
vo ud re z. On respecte m oins l'a r tis te m anières * p o litiq u e s » d 'en visag e r le m e fa ire com prendre. C ar les C ahiers
e t le lecteu r. Le c ritiq u e se s u b s ti­ m é tie r de c ritiq u e . La m a niè re lib é ­ du C iném a o n t aussi des m é rite s :

80
1) C elui d 'a v o ir donné naissance A . Je n 'a i ja m a is m a ngé de p u ­ tions, « ce que le mot système, dans
à u ne nouvelle g é n é ra tio n de cinéas­ b lic . J 'ig n o re donc to u t de ses goûts, son vrai sens, exDrïme assez bien ».
tes ( j’a im e les film s de T r u ffa u t, d ivers sans d o u te selon l'â g e e t
10. — Si je sais ce que « é voluer
j'a im e A b o u t de s o u ffle , j'a im e Le l'assaisonnem ent.
dan s ses b u ts » s ig n ifie p o u r un
Farceur).
g o a l, je vois assez m o l ce q ue ce
B. C o n tra ire m e n t à u ne idée re­
2) Celui de p u b lie r, de te m p s en je u représente p o u r la c ritiq u e . Pour
çue e t e n tre te n u e plus ou m oins m a ­
tem ps, des e n tre tie n s intéressants ce q u i e st des m oyens e t des in ­
lig n em e n t, le seul p o in t com m un en­
avec des cinéastes, e t, plus ra rem e n t, tr e les m em bres de la rédaction flu en ce s, je ne com prends plus du
des te xte s dem andés o des a ute urs de P o s itif est leur id e n d ité de vue t o u t co m m en t q ui q ue ce s o if ou
n 'im p o rte quoi puisse s 'y m o uvo ir.
é trangers ô la maison. q u a n t à l'in d ép e n da n ce du Peuple
A lg é rie n e t à la Guerre q u i lui est P e u t-ê tre avez-vo u s em ployé
Pour le reste, la lit té r a t u r e e t la fa ite . Com m e c e tte o pin io n ne sau­ * dans » avec le sens de « q u a n t
logorrhée qui é m a n e n t de c e tte revue r a it in te rv e n ir à to u t m o m en t dans à », ce a ue rien n i personne, ô m a
me paraissent m oins propres à se rvir ce q u 'ils p e n se n t de te l ou te l film , connaissance du m oins, n 'a u to ris e e t
le septièm e a r t q u ’à eng e n dre r une je ne pense pas que l'on puisse p a r­ « évoluer » cyec le sens de « c h a n ­
g é n é ra tion d 'in te lle c tu e ls é b o u riffé s le r d 'u n » e sprit » de P o s itif e t g e r ». Dans ce cas, je pense en a v o ir
e t de p la is a n tin s p ré te n tie u x . Je n 'a i m oins encore en te n ir com pte. assez d it en ré p o n d a n t à la ques­
n u lle m e n t le g o û t de la p olé m iq u e : tio n précédente.
je réponds quand on m 'in te rro g e . 4 . — Ou bien j'a im e un film et
11. — Jam ais.
va is le re v o ir p a r p la is ir, e t aussi
p o u r é c lo r a r ce rta in s avis de dé­ 12. — La c ritiq u e e st a ffa ir e de
ta il, ou bien je ne l'a im e pas e t ne p ro v o c a tio n p lu s que de c o n v ic tio n .
re to urn e pas le vo ir. Une seule vision Le m e ille u r rôle q u 'e lle puisse a v o ir
s u f f it à d ég o û te r du cave q u i se e st de susciter, à propos d 'u n film ,
LOUIS SEG UIN
re b iffe e t de la fem m e q u i est une des réactions, de p référence v io le n ­
(P o sitif) fe m m e , non ? tes, chez le s p e c ta te u r q u i est
5. — Com m e la c ritiq u e n'est pas m a in te n a n t son lecteu r. Il n 'e s t pas
m on m é tie r, je vais v o ir tous les e x clu que ce le c te u r puisse ê tre le
film s que, p o u r diverses raisons qui ré a lis a te u r du film en question.
ne tie n n e n t pas to u te s à l'hu m e ur, 13. — 11 n ’y a pas, il n 'y a ja ­
j'a i envie de vo ir. I l m 'a rriv e e n ­ m a is eu, de « c ritiq u e de d ro ite *
s u ite d 'é c rire sur certains. e t de « c ritiq u e de g au ch e » m ais
b ie n des critiq u e s q ui, avec plu s ou
6. — Ce s e ra it fa ire là un a u to ­
m oins de c o n vic tio n e t d 'e ffic a c ité ,
p o r tr a it, ou une a u to c ritiq u e . M a
so n t des hommes de g au ch e ou de
m o de stie n a tu re lle m 'em pêche de ré­
d ro ite e t q u i, à l'occasion e t s'ils
pondre.
o n t un m in im u m d 'h o n n ê te té , laissent
p a ra ître e t m êm e u tilis e n t leurs con­
7 . — De quels « autres d o m a i­
nes » ? Du D om aine d 'A rn h e im ? v ic tio n s en c ritiq u a n t.
De L qcus Solus ? Il fa u t aussi d ire q ue :
lo La d ro ite , en p o litiq u e , a lla n t
8 . — Je ne crois pas que l'on a it
ja m a is réussi à é ta b lir des critères de p a ir avec la m a uvaise conscien­
solides d cns quela.ue d om a ine que ce, personne, à p a r t quelques irré ­
d u c tib le s, n'ose plus se d ire de
ce so it. Ce n 'e s t certes pas fa u te
1. — Q u'est-ce que la Presse ? d 'a v o ir essayé, m ais chaque fois ces , d ro ite . C ertain s, com m e récem m ent
Des jo u rn a u x, sans dou te, e t des re­ C laude Hlsen, v o n t m êm e ju sq u 'à
critè res d u re m e n t obtenus o n t b ie n ­
vues. Dresser leu r liste, c o m p te r les a ffir m e r c e tte c o n tre -v é rité lo g iq u e
t ô t révélé le u r insu ffisa n ce . T o u t au
lignes a ttrib u é e s à la c ritiq u e de e t h is to riq u e q ue le m o t « fa sc iste »
p lus d é fin is s e n t-ils ce rta in e s écoles
ciném a, puis les lignes a ttrib u é e s e t p e rm e tte n t-ils dg v é rifie r si une n 'e s t ja m a is em ployé q ue p a r les
a u x autres rubriques, poser Jes fr a c ­ œ uvre, u n film , a p p a rtie n t ou non ennem is des fascistes.
tio n s e t com parer les p ro p o rtio n s, à te lle d 'e n tre elles, tr a v a il q ue l­ 2o N 'a y a n t pas ou n 'a y a n t plus
vo ilà un tra v a il tro p long p o u r m a q u e fo is u tile m ais d 'u n in té rê t seu­ le courage de s 'a ffir m e r p o u r ce
paresse. Et qu'en déd u ire ? Un a li­ lem e n t p a rtie l. q u 'ils sont, les hom m es de d ro ite
m ent nouveau pour les jalousies c h e rch e n t des a lib is d o n t le plus
professionnelles ? Une échelle du 9. — L'im pression du m o m en t, im m é d ia t e t le p lu s so t est la p ra ­
respect accordé aux d iffé re n ts q u i p e u t e t m êm e d o it se fo r tifie r tiq u e d 'u n c u lte de l'a p p a re n c e seu­
m oyens d'expression par M onsieur de solides raisons form elles, m orales, le, q u 'ils b a p tis e n t à contre-sens es­
L a z a re ff, M onsieur Boussac o u M o n ­ p o litiq u e s ou sexuelles, est, de par th é tiq u e ,
sieur G a llim a rd ? sa souplesse, to u jo u rs p ré fé ra b le à
la rig id ité d 'u n systèm e e s th é tiq u e 14. — Peu de bien, m is à p a r t
assez fe rm e p o u r p e rm e ttre l'ap p ui. c e rta in s « E n tre tie ns ». Je ne crois
2. — ■ C om m ent une espèce p e u t-
A u c u lte d ‘ e une idée supérieure m êm e pas q ue les C ahiers a ie n t
e lle ê tre plus une espèce q ue d 'a u ­
a p p o rté q ua i q u e ce so it.
tres espèces ? V o tre q u e stio n re­ d 'a b o rd posée », com m e d it A la in ,
v ie n t à cela. Vous m 'excuserez donc je p ré fè re , m e ré g la n t « a u ta n t que M ats pou rq u oi v o tre suspicion ?
de ne pas y répondre. p e u t fa ir e la c ritiq u e su r les œ u­ Y a u r a it- il v ra im e n t des critiq u e s
vres elles-m êm es, d o n t chacune s 'a f­ assez pusillanim es, assez im pres­
3. — La c ritiq u e n 'e s t pas p o u r firm e si bien e t n 'a ffir m e q u 'e lle », sionnés p a r un te rro ris m e p o u rta n t
m oi un m é tier. T o u te fo is , je puis d énouer l'e n la c e m e n t des influences, assez d ébile, p o u r ne pas oser p a r­
vous répondre que : des ra pp ro ch em e n ts e t des d is tin c ­ le r ici « fra n c h e m e n t » ?

81
JACQUES S1CLIER q u i p a rle n t au nom du p u b lic . Les les désaccords fla g r a n ts e t so lgneu-
s ta tis tiq u e s des jo u rn a u x spécialisés 's e m e n t c u ltiv é s so n t m o n n a ie cou­
<Têlêrama, Cohiers du C iném a) ou les référendum s populaires (les ra n te .
» V ic to ire s du ciném a fra n ç a is »
8. — En raison de l'é v o lu tio n cons­
p a r exem ple) nous d on n e nt p a rfo is
ta n te de la te c h n iq u e e t du la n g a g e
des ré s u lta ts cu rie u x... e t découra­
e t du c a ra c tè re p ro v iso ire de chaque
geants. Je crois qu'on n 'a rriv e ra ja ­
œ uvre. A u ciné m a , t o u t p e u t to u jo u rs
m ais à em pêcher le p u b lic d 'a lle r
ê tre rem is en que stio n du jo u r au le n ­
v o ir u n m auvais film (ce q ue nous
d em a in. C 'est p o u rq u o i il f a u t se
appelons un m auvais film : un De-
g a rd e r des ju g e m e n ts d é fin itifs .
lannoy, un. Decoin, un (àrangier, etc.).
A lors, en te n a n t co m p te e ffe c tiv e ­ 9. — Si e lle v e u t ê tre co hé re n te ,
m e n t de ce g o û t que le g ran d p ub lic c o n s tru c tiv e , e lle d o it s'a p p u y e r sur
a p ou r les prod u ctio ns to u jo u rs dites u n systèm e e sth é tiq u e . Si e lle /aue
de q u a lité , c 'e s t-à -d ire p o u r un cer­ un sim ple rô le d 'in fo r m a tio n , c'e st
ta in ciném a com m ercial, il f a u t lui la m é th o d e im pre ssion n iste (ce lle qui
e x p liq u e r en to u te occasion q u 'il se rapp ro ch e du p o in t de v u e du spec­
e x is te aussi un a u tre ciném a e t p o u r­ ta te u r) q u i l'e m p o rte . Du m oins, c'e st
q uoi il e st intére ssa n t. Il ne s 'a g it m on cas. En to u t cas, r e flé t e r l'im ­
pas d'essayer de re tire r des sp ecta ­ pression du m o m e n t ne d o it pas v o u ­
teurs à D elannoy ou à C lo u zot, m ais lo ir d ire s u iv re la m ode du m o m e n t
d'en a m ener à... disons Losey. La com m e c 'e s t le cas d epuis quelques
?. — N on. La c r itiq u e d e ciném a c r itiq u e a bien régssi à fa ir e décou­ années (la m ode A ld ric h , la m ode
v ie n t généralem ent' après les outres. v r ir H itch c o c k au p ub lic. F e llin i, la m ode B e rgm an, la m ode
En to u t cas, la presse accorde plus B) Le f a i t d 'écrire dans te ! ou A n to n ïo n i, e tc .).
d 'im p o rta n c e à la c ritiq u e th é â tra le te l jo u rn a l ou te lle ou te lle revue 10. — A ) O u i. E lle n 'é t a it a u tr e ­
e t à la c ritiq u e litté r a ir e . Seule, la suppose que l'on est d 'acco rd (à fo is q u 'im p re ss io n n is te . D epuis 1945,
c ritiq u e de té lévision e st p lu s d é fa ­ m oins q u e l'o n o i t e nvie de caser on a vu a p p a ro ître la c ritiq u e de
vorisée ! II n e fa u t pas se f ie r au sa prose à to u t p rix ) avec l'e s p rit q ui stru c tu re s .
f a i t que la p lu p a rt des jo u rn a u x p a ­ les a nim e. Pour m o i, il n 'y a pas B) O ui. Des revues com m e Les
risiens o n t une ru b riq u e c in é m a to g ra ­ de p rob lèm e sur ce p o in t. C ahiers du cin é m a . C iném a €1 e t
p hique. En provin ce, la c r itiq u e de P o s itif n 'a u r a ie n t pas réussi à dure r
4 . — La c ritiq u e d e v ra it d 'a b o rd
ciném a n 'e x is te p r a tiq u e m e n t pas e t n i sû rem e n t à e x is te r a v a n t la g ue rre .
se m e ttre dans les co nd itio ns du
lo s itu a tio n de P a tric e H ova ld à C) Sur le p u b lic des C in é -C lu bs
sp e c ta te u r. C'est ce que je ch erche à
L'A lsa ce (M ulhouse), p a r exem ple, s u rto u t. C o n tra ire m e n t à ce q u i se
fo ire e t c'est pourquoi je ne va is
est u ne e x c e p tio n p rivilég iée . passe p o u r le th é â tre , ce n 'e s t pas
presque ja m a is a u x p ro je c tio n s p r i­
2, — ■ A b so lu m e n t. Sous p ré te x te vées, p ré fé ra n t d éco u vrir un film , la c ritiq u e qui d é te rm in e un succès
q ue la c ritiq u e de ciné m a n 'e s t pas com m e to u t le monde, au m ilie u d run ou un insuccès, s a u f si e lle se re n ­
un m é tie r (e t c 'e s t v ra i dans la m e­ p u b lic anonym e. Si, ju s te m e n t, on c o n tre avec le snobism e.
sure où l'on ne p e u t que ra rem e n t est un sp écialiste du ciném a, on 11. — N on. C om m e n t le sa voir ?
g ag n e r sa v ie en é c riv a n t des c r i t i ­ p ou rra , m êm e dans ces co nd itio ns,
ques de ciné m a , ju s te m e n t à cause p o rte r un jug e m en t sur u n film . Bien 12. — C e rta in e m e n t. Exemples t y ­
de la s itu a tio n évoquée ci-dessus), •e nte nd u , cela n 'e x c lu t pas l'a u tr e m a ­ piques : le n ô o -ré a iis m e ita lie n n 'a u ­
on s'est h a b itu é à penser q ue n 'im ­ n ière de fa ire . C ertains film s d em a n ­ r a it p e u t-ê tre pas « p ris » sans la
p o rte q u i é ta it ca pable de donner d e n t à ê tre revus plusieurs fo is (te l c ritiq u e fra n ç a is e . La ré v o lu tio n du
son avis sur un film , ce q u i se f a i t M a rie n b a d ). C ependant, même si cela * jeu n e ciné m a fra n ç a is » s'e st fa ite
de plus en p lu s, il e st v r a i. M ais p a r a ît relever d 'u n e a ttitu d e im pres­ aussi g râ c e à son in flu e n c e (je p arle
p a rle r d 'u n film ne v e u t pas d ire sionniste, je crois que le p rem ie r avis de la r é v o lu tio n e s th é tiq u e ).
fo rc é m e n t q ue l'o n s o it c ritiq u e de est to u jo u rs le bon. 13. — Il fa u d r a it d 'a b o rd savoir
ciné m a . 11 fa u t p ou r cela u n e fo r ­ ce q ue s o n t e x a c te m e n t la g au ch e
5. — Bien entendu. Le ciném a
m a tio n , u ne cu ltu re , u n a p p re n tis ­ e t la d ro ite . Je crois q u 'il y a u ra
n 'e x îs te pas que p a r quelques film s
sage. A v a n t guerre, on c o n f ia it la to u jo u rs u ne o p p o s itio n e n tre ce u x
privilég ies. Il fa u t, je ne d ir a i pas
c ritiq u e de ciném a a u x hom m es de q u i s 'in té re s se n t au co n te n u des film s
to u t v o ir, m ais en v o ir le plus pos­
lettre s, parce q ue le ciné m a é ta it (v a le u r îd é o loqique, sociale, p o litiq u e ,
sible. Pour son in fo rm a tio n person­
encore jeune e t que l'on c o n s id é ra it e tc.) e t ce u x p o u r lesquels le ciném a
nelle e t aussi p arce que c'e st un
q ue !a c ritiq u e é ta it u n e sim ple b ra n ­ e st d 'a b o rd u n e q ue stio n d 'e s th é ti­
aspect im p o rta n t de la c u ltu re c in é ­
che de la litté r a tu r e . Depuis, on a que. M a is co m m e il ne p e u t y a v o ir
m a to g ra p h iq u e .
« a pp ris » le ciné m a e t il s'est es­ d 'e s th é tiq u e v a la b le sans é th iq u e ... En
quissé u ne s p é c ia lisa tio n q u 'à m on 6. — A v o ir un ta le n t d 'é c riv a in f a i t , je n e vo is pas trè s b ien co m ­
avis on n 'a pas encore assez déve­ ou de jo u rn a lis te . A v o ir beaucoup m e n t on p e u t ré po n d re à c e tte ques­
loppée. Ce n 'e s t pas p arce q ue to u t fré q u e n té le ciném a, donc a v o ir u ne tio n .
le m onde p e u t v o ir to u s les film s connaissance a p p ro fo n d ie de la te c h ­
que to u t le m onde p e u t é c rire à niq u e , si l'on a su re ga rd e r. A v o ir
propos du ciném a. A ce co m pte, u ne bonne c u ltu re générale.
q ue lq u'u n q u i lir a it to u s Tes rom ans 7. — Oui. Et d e plus en plus. T o u ­
parus dans u ne année ou q ui a u r a it ROGER TAILLEUR
jou rs en v e rtu de ce p rin c ip e que ch a ­
v u to u te s les e xp o sitio n s de p e in tu re (P o s itif, Les L e ttre s N ouvelles)
cun p e u t Juger un film . I l p o u r r a it y
d e v ra it d e ve n ir a u to m a tiq u e m e n t c r i­
a v o ir a u ta n t d 'op inio n s d iffé re n te s
tiq u e litté r a ir e ou c ritiq u e d 'a r t. q ue d 'in d ivid u s . Et com m e les c r i t i ­ 1. — ■ U n peu in s u ffis a n te , sans
3. — A ) Les g o û ts d u p u b lic . Il ques o n t tendance à se g rou p e r en d o u te . T rè s in s u ffis a n te si l'o n co nsi­
fa u d ra it d 'a b o rd p o u v o ir les d é fin ir. cercles a y a n t chacun son systèm e, en dère le g ra n d nom b re de c ritiq u e s
O r ce so nt, en g énéral, les e x p lo ita n ts p e tite s coteries, en chapelles fermées, sans trib u n e .

82
lectuelles p o u rra ie n t aussi n 'ê tre pas pections peu rentables, grap illa ge s dé­
superflues. sordonnés q ui ne ré c o lte n t que du
7. — ■ Je ne sais pas. Ce que je v e n t (Fuller, U lm er), annexer au co n ­
tra ire sans vergogne les gloires consa
sais e t c'est ce q u i m o tiv e la te n ta ­
tio n d o n t je p arla is en réponse 5, c'est crées e t to u t e xtérieures (Fellini,
Franju, Resnais, Â n to n io n i, b ie n tô t
q u'en m a tiè re de ciném a au m oins on
W a jd a , dem ain p e u t-ê tre A u ta n t-L a ro
ne p e u t ja m a is fa ire c o n fia n c e à q u 1
ou Le Chanois), susciter tro p de m au­
que ce soit.
vais cinéastes à la v o c a tio n incer­
8. — C ertain em e n t, p uisque le ci ■ ta in e , m al armés bien plus que m al-
néma é ta n t l'a r t le plus s y n th é tiq u e larm éens (il s u f f it de leur com parer
q ui so it, il fa u t co m bin er les c ritè re s les « é tra ng e rs K a st à D o n io l-V a l-
de chaque co m po sa n te (p ic tu ra u x , croze, Resnais à C habrol ou 6 Go­
d ram a tiq u es, litté ra ire s , m o ra u x , p o li­ d a rd ). B re f, après d'in té re ssan ts sur­
tiques, etc.) sans bien e n te nd u re­ sauts, ê tre to m b é dans le tra ve rs du
noncer à la p ou rsu ite non c o n tra d ic ­ sérieux p ou r a v o ir sim ple m en t (e t à
to ire d'un c ritè re d 'a u to n o m ie esth é ­ ju s te titre ) vo ulu fa ire prendre le
tiq u e glo b a l e t tra n s ce n d a n t, auprès ciném a a u sérieux, em baum er le c i­
2. — A u m oins aussi spécialisés. duquel les * sp é cificité s > de l'heure néma au lieu d'en révéler les p a r­
(de Losey ou de Bresson) ne s o n t que fum s, ro u p ille r au lieu d 'éve ille r, être
3. — A . N u lle .
propositions boîteuses. bien m oins c ritiq u e s q ue conservateurs,
B. N u lle su r le p la n é th iq u e (e t cela 9. — V o ir réponse précédente. Le m énager pour cela la chèvre e t le
p e u t é c o u rte r s in g u liè re m e n t des c o l­ * système » n ’ est ja m a is définissable, chou, l'éc le ctis m e e t l ’engagem ent,
la b o ra tio n s ), m ais c e rta in e q u a n t au to u jo u rs p e rfe c tib le . Et, en re to u r, son l'a v a n t-g a rd e e t le b o x -o ffic e ; mais
degré de sp é cia lis a tio n , ju s te m e n t (un é la b o ra tio n p erm a n e nte nous tr a n s ­ vous m 'a v e z dem andé de n 'ê tre pas
p a p ie r d estiné à u ne revue « de form e, modèle nos réactions, nos p rolixe.
ciné m a », co m m e P o s itif ou les C a­ * impressions ». C om m e d is a it Bau
hiers, p e u t d iffé r e r p ar son style , son delaïre, on m e t lon g te m p s à devenir
é ru d itio n , d 'u n a rtic le é c r it p ou r une in fa illib le . Ceci acquis, vive la c r iti
revue litté r a ir e ou un heb d o m ad a ire que d'im pression ! PAUL-LOUIS THIRARD
p o litiq u e ). T o u t ceci est bien connu,
10. — La c ritiq u e a évolué en v ie il* (P o s itif, Les Lettre s Françaises, Les
e t b ien assez reproché p ar les o u ts i­
lissa n t, corne le s p e c ta te u r in d ivid u e l
ders a u x d ite s revues « de ciném a ». Lettre s N ouvelles, Revue d 'E sth étiq u e )
d o n t je viens de p a rle r. M a in te n a n t,
4. — C 'est selon é vid e m m en t la elle p ullule d 'in fa illib ilité s c o n tra d ic ­
q u a lité des film s . A te lle ou te lle toires. M aïs elle n 'a u ra ja m a is sur les
in s ig n ifia n c e , la visio n uniq u e est bie n film s le q u a rt de l'in flu e n c e que les
s u ffis a n te , si elle ne f u t pas to u jo u rs film s o n t sur elle. Sur le p u b lic , cei
nécessaire. M a is un film d if fic ile ou ta in p ublic, son p o u v o ir est devenu
sim ple m en t beau exige, se ra it-c e pour très sensible : e lle renouvelle le fonds
le seul p la is ir, les visions m u ltip le s . de la C iném athèque, a lim e n te les s a l­
Dans ce cas, fa ire to u jo u rs bénéficie) les « d 'a r t e t d'essai », « n o y a u te *
$on a r tic le d e c e tte in tim ité crois­ l'ave n ue de l'O péra e t les Champs
sante. Elysées.
5. — V o ir réponse précédente. D i­ 11. — Jam ais. E t d 'a b a rd , q u i est
lem m e v a u t - il m ieu x c u ltiv e r les ce « on » d o n t vous p a rle z ?
riches dom aines ou se risquer au d é ­
fric h e m e n t des terres sté rile s ? Le 12. — Oui, m ais v o ir plus h a u t (ré
c in é p h ile com m ence to u jo u rs p ar la Dense 10).
seconde o c c u p a tio n (il f a i t son Tour tS . Au c o n tra ire , e t René Guyon-
du M o nde), puis s 'a p e rç o it p a rfo is q u 'il n e t a f a i t une bien m auvaise a u to ­
a m ieu x à g ag n e r à la prem ière. Qui c ritiq u e à rebours dans c e t a rtic le du
ne p ré fé re ra it à lo « déco u ve rte » de num éro spécial d 'E sprit, q u i a dû ins­ 1. — Presse q u o tid ie n n e : oui.
quelques d iza ine s de M ic h e l de S a in t- p ire r votre question. Les revues se H e b d o m a d a ire : le ciném a est n a ­
Pierre la re le c tu re de P ro u s t ou de m u ltip lie n t, avec a u ta n t d r * écoles » tu re lle m e n t v ic tim e du préjugé qui
Stendhal ? P o u rta n t la te n ta tio n de*- c ritiq u e s, q u i tir e n t à h ue e t à dia v e u t q ue s o it accordée d 'a u ta n t
m eure v iv e ; c 'e s t q u 'il est d iffic ile e t donc selon d 'a b o rd des critè res m oins de p la c e à un a r t q u 'il est
de re v o ir sans a v o ir a u p réa lab le vu. politiques. Lisez un peu, so rte z de plus p op u laire .
D 'a ille u rs , q ue f a u t- îl p ré fé re r : la chez vous, re g c id e z le m onde.
re nco n tre de W a d ja ou lo fré q u e n ta ­ 2 . — Aussi spécialisés. Nécessité
tio n d 'A n to n io n î ? Il fa u t p ré fé re r les 14. — A p p o rt p o s itif : l'in fo r m a ­ de te m p s en tem ps de donner la
deux. tio n , la recherche (film o g ra p h ie s , e n ­ p a ro le à un n on -spécialiste.
tre tie n s ), l'h u m o u r in v o lo n ta ire . N é­
6. — A . A v o ir beaucoup fré q u e n té g a t if ’. l'o rie n ta tio n de ces recher­ 3. — ■ On é c r it p ou r un p u b lic :
le ciném a. ches, les « systèmes » qui en décou­ on e st o b lig é d'en p révo ir les réac­
B. A v o ir un ta le n t d 'é c riv a in ou dp le n t, prém aturés, p a rtie ls , fa u x . tio n s . Si on v a c o n tre le « g o û t du
jo u rn a lis te . L 'ave u g le m e nt e t la m auvaise fo i qui p u b lic » c 'e s t qu'o n en « tie n t
en ré sulte n t : d issim u le r les erreurs c o m p te ». La question v e u t-e lle
La c u ltu r e g é n é ra le e t (es. con­ d ire : se c ro it-o n o bligé de d ire du
d 'a ig u illo g e (R ossellini), m al com pen­
naissances te ch niques é ta n t données bien d 'u n film sï on s a it q u 'il p la ît
ser les e n fa n tilla g e s (H itc h c o c k ) el
p a r s u rc ro ît au sp e c ta te u r cu rie u x au p u b lic ? A lo rs m a réponse est
l'em p irism e a gressif p a r un t o t a lit a ­
re m plissan t la c o n d itio n A . non — m ais q u i donc va répondre
risme académ ique de plus en plus
Quelques q u a lité s m orales e t in te l­ envahissant, e n tre p re n d re des pros­ oui ? — Pour l'e s p rit du jo u rn a l :

83
la s itu a tio n est e n tiè re m e n t d if fé ­ Ce sera sans d o u te ce que vous a p ­ e nquête p a rm i ce q u 'ils a p p e lle n t
re nte selon qu'on c h o is it ou non le pelez « re flé te r l'im pression d u m o ­ -« nos confrères les plus im p o rta n ts ».
jo u rn a l où l'o n é c r it ; p ou r m oi, j'a i m e n t » •— m êm e si fe d it c ritiq u e La m a nière d o n t s o n t sélectionnés
le p riv ilè g e de choisir (la critiq u e est, p a r exem ple, co m m u n is te , à les nom s des h eureux élus fe ra a p ­
de ciném a n 'e s t pas m on p rin c ip a l p a r t ir du m o m e n t où il ne s 'a pp u ie p a ra ître des trous, des noms d o n t
g a g n e -p a in ) e t /es diffé ren ce s de... pas su r u n systèm e e s th é tiq u e (il on rem arquera avec é to n n e m e n t
disons * d 'e s p rit », p o u r reprendre f a u t co m pre n d re : « exclusivem ent l'absence — p a rie z q ue les absents
v o tre m o t, ne dépassent pas c e rta i­ e s th é tiq u e ? » ). s o n t à qauche. D 'u n e m a niè re plus
nes lim ite s trè s fa ible s. générale, v o ir réponse à la ques­
10. — Oui. tio n 9.
4 . — Idéal : pou vo ir revoir * cer­
ta in s » film s . Pour la p lu p a rt une A . Là, pas te lle m e n t. 14. — A p p o rt im p o rta n t e t n é g a ­
seule visio n s u ffit. M a is il me sem­ t i f : o n t réussi, p a r l'om niprésence
B. E t C — e lle a p lu s d 'in flu ­
b le nécessaire de p o u v o ir ju g e r le e t (a ré p é titio n , à fa ire p re n d re des
ence sur le p ub lic, donc plus de
film après u ne seule vision (q u itte m auvais film s p o u r des bons e t v ic e
moyens.
6 re voir p o u r a p p ro fo n d ir e t n u a n ­ versa. (Ex. du p rem ie r cas : A
ce r). L 'a lib i des visions ^successives L 'é v o lu tio n v ie n t s u rto u t de ce b o u t Je s o u ffle , Une fe m m e est une
m asque tro p so uve n t l'in c e rtitu d e e t q u 'il y a b eaucoup p lu s de gens qui fem m e, l'Eau à la bouche... Ex. du
la v e rs a lité (j'a tte n d s de sa voir ce en fo n t. 11 est to u jo u rs aussi ardu second : Tu ne tu e ras p o in t). C om ­
que va en penser X ... e t je n'ose d 'en v iv re , m a is à p a r t ir du m om ent me la te n dance sem ble se re nve r­
pas le d ire — raisonnem ent de bien où un nom b re cro issa n t de gens la ser, ce rta in s p re n n e n t Jeurs p ré c a u ­
plus de c ritiq u e s qu'o n ne c ro it). p r a tiq u e n t com m e hobby, les chan­ tions, a ttitu d e q u i f a i t songer de
5. — Sans aucun d ou te. Et puis, ces d 'u n e é v o lu tio n fa v o ra b le a u g ­ m a nière a m usa n te a u x re to u rn e m e n ts
m e n te n t. de M . Guy M o lle t v is -à -v is du g é ­
c 'e s t aussi a gré a b le .
néral. V o ir ainsi le sort réservé, dans
6. — En n u m é ro ta n t : d 'ab o rd 3, 11. — Q uelquefois, p a r curiosité. les sate llite s, a u x derniers C ha b rol.
p ui 1 e t 2 e x aequo, e n fin 4. Je ne crois pas q ue cela in flu e sur V o ir aussi co m m en t le ré d a c te u r en
m on ju g e m e n t. c h e f des « Cahiers » c rie à la t r a h i­
7. — N on. A u ta n t, p e u t-ê tre ;
c'e st déjà pas m a l. 12. — ■ D ire c te m e n t, très peu, et son e t au co m p lo t c o n tre la N ou ve lle
Vague. M a in te n a n t, dans q ue lle m e­
8. — N on. V o ir ci-dessus, c 'e s t ta n t m ie u x . In d ire c te m e n t,
sure, é ta n t donné l'é t a t a c tu e l de
beaucoup, p a r la p o s s ib ilité de sou­
9. — Faux dilem m e. Si le c r it i­ te n ir c e rta in s film s aud a cieu x. la société fra n çaise , le phénom ène
que a u n e a ttitu d e g lo b a le e t cohé- Cahiers du C iném a é ta it - il é v i­
e n te d e v o n t la vie, l'a r t, la p o liti­ 1B. — N on . M a lg ré ce qu'e n d i­ ta b le ? C'est u ne a u tre q u e s tio n .
que ou la se xua lité , il ré ag ira aussi sent ce rta in s. Un e xem p le : les Efle d e m a n d e ra it, p o u r y répondre,
selon c e tte a ttitu d e d ev a n t un film . C ahiers du C iném a o rg a n is e n t une ùn h is to rie n ou un sociologue.

TABLE DE S MATI ÈRES


des

CAHIERS DU CINEMA

Les d e u x tom es (nos J à 5 0 e t 51 à 100) sont en vente à nos bureaux.


T o m e 1 : 2 ,5 0 NF. — T om e 2 : 3 NF. — Les 2 tom es : 5 NF.

84
GOTAT I ONS
in u tile de se déranger,
* à voir à la rig u eu r
** à voir
LE CONSEIL DES DIX à voir a b so lu m e n t
c h efs-d ’œ uvre
Case vide : a b ste n tio n ou pas vu.

Henri Michel Jean de Jean-Luc André S. Morvan Pierre Jacaucs Eric Georges
T itre ^ des fi l m s L es D ix )l$— >- Agol Aubriant BaronCelli Godard Labartho Lebesoue Marcabru Rivette Rohmer Sadoul

* ★ * * ★ ★ ★ ★ ★ * * * * * * * ★ ★ ★ * ★ * ★ * ★ ★

* * ★ ★ * * ★ * ★ ★ * * * ★ ★ ★ ★ ★ ★

Chronique d’ un été (]. Rouch) ............. • * * * * * ★ ★ ★ ★ * * • * ★ . * * * * ★ *


Les Rôdeurs de la plaine (D. Siegel) .. * ★ ★ ★ ★ • * ★

★ ★

★ ★ ★ ★ ★ • • ★ • • * ★ -K

★ ★ ★ ★ • • * * *
Les Menteurs {E.-T. Gréville) .................. 'k * •

La Vengeance aux deux visages (M .


* ★ ★ • * • • ★
Horizons sans frontières (F. Zin nem ann) * • • *

La Pendule à Salomon (V. Ivem el) .... • • ★ • * • ★


Amours célèbres ( M. Boisrond) ...... ★ • • « ★ * ©
Amour sauvage (Ph. Dunne) .................. • • ★
La Grande Bretèchc (C. Barma) .............. • • • • ★

Le Rendez-vous ( j. Delannoy) ............. • • • • • • •


Les L au riers son* c o u p é s (j. Ferrer) .. • G • • • •

L’Espace d ’un m a tin (S. Gobbi) .............. 0 • • •

D y n a m ite Jack (J. Bastia) ........................ • A


FILMS SORTIS A PARIS

OU 4 OCTOBRE AU 7 NOVEMBRE 1961

14 FILMS FRANÇAIS

Amours célèbres, film en Scope et en couleurs de Michel Boisrond, avec Jean-Paul Bel­
mondo, Simone Signoret, Edwige Feuillère, Annie Girardot, Biigitte Bardot, Alain Delon. —
Formule traditionnelle du film à skêtches où la nullité cinématographique recouvre indifférem­
ment, tantôt Ja banalité ou la bêtise, tantôt l’adresse d'une intrigue ou d’une interprétation
(épisodes deux et quatre).
Auguste, film de Pierre Chevallier, avec Fernand Raynaud, Valérie Lagrange, Jean Poiret.
— Pièce de boulevard filmée, sur les méfaits de la publicité.
Chronique d’un été, — Voir article de Fereydoun Hoveyda, dans notre précédent numéro»
p a g e 33.
Dans î’eaa qui fait des bulles, film de Maurice Delbez, avec Philippe Olay, Marthe Mer-
cadier, Louis de Funès, — Pseudo-policier conçu en fonction d'un pseudo-chanteur.
Dynamite JacJz, film de Jean Bastia, avec Fernandel, Lucien Raimbourg, A drienne Cor ri,
Eléonore Vargas. — Pseudo-western à la sauce Fernandel.
L ’Enclos. — Voir critique dans notre prochain numéro.
L,’Espace d ’un matin, film de Sergio Gobbi, avec Sergio Gobbi, Sophie Réal, Claude Goaty.
— Film d ’un adolescent prolongé qui a cru pouvoir, du jour au lendemain, faire son petit auteur
complet. L’inanité de l'œuvre touche à l’indicible.
La Grande Bretèche, Hlm réalisé pour la télévision, de Claude Barma, avec Françoise Chris­
tophe, André Versihi, Jean-Marc Bory. — Rassemble tous les stéréotypes de la mauvaise adap­
tation mal modernisée. Ce que Baïma aurait pu à la rigueur sauver, en s’abandonnant au style
T .V ., il Ta irrémédiablement gâché par une ambition <îe « faire cinéma » qui ne pouvait abou­
tir qu’à Faire <t mauvais cinéma ».
L es Menteurs, film d ’Edmond T . G réville, avec Dawn Addams, Jean Servais, Claude
Brasseur. — Gréville réussît à conférer à un scénario standard le minimum de climat qui lui
est propre,
Napoléon II, VAiglon, film en couleurs de Claude Boissol, avec Bernard Verley, Daniel e
Gaubert, Jean Marais, Georges Marchai. — Une lacune est comblée : la France a enfin son
Stssi.
La Pendule à Salomon, film de Vicky Ivernel, avec Daniel Ivernel, René-Louis Lafforgue. —
Ce curieux film à contre-courant qui, en opposant le compagnonnage au syndicalisme, va délibé­
rément dans le sens contraire aux aiguilles de 1’ <t Histoire », est précisément trop délibéré et ne
réussit jamais à être plus que curieux.
L e rendez-vous, film d e Jean Delannoy, avec Annie Girardot, Jean-Claude Pascal, A ndréa
Parisy, Odile V er sois. — A la nullité cinématographique, ajoute la malhonnêteté ; il ne fau­
drait pas confondre suspense et trucage.
Tout l’or du monde, film de René Clair, avec Boutvil, A nnie Fratellini, Colette Castel,
Philippe Noiret. — Voir article de Cari T. Dreyer, dans notre prochain numéro.
Les Trois Mousquetaires, film en deux époques, en Scope et en couleurs, d e Bernard Bor-
derie, avec Gérard Barray, Georges Descrières, Mylène Demongeot, Perrette Pradier. — Ces
braves mousquetaires sont toujours aussi à l’étroit dans des scénarios toujours aussi étriqués.

6 FILMS AMERICAINS

Days of Thrills and Laughter (Rires et frissons de papa), film de montage de Robert
Youngston. — Le principe même de ce genre de film est déjà contestable. Ici, le montage de
fragments de slapsticlcs et de sériais de la « grande époque » aboutit au massacre des uns et
des autres. U ne certaine beauté, cependant, ne pouvait pas ne pas subsister.
Flaming Star (Les Rôdeurs de la plaine), film en Cinémascope et en couleurs de Don
Siegel, avec Elvis Presley, Barbara Eden, Steve Forrest, Dolorès del Rio. — A partir d 'u n

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scénario intéressant, mais non exploité à fond, Siegel grâce à la justesse de notations pourtant
sporadiques, a su nous rendre sensibles le décor, les nommes et la tension qui les anime, sans
toutefois parvenir à surmonter les handicaps conjugués de Piesley et de la rox.
One-eyed Jacfys ( Vengeance aux deux visages), film en Vistavision et en Technicolor de
Marlon Brando, avec Mar]!on Brando. Karl Malden, Pina Pellicer. — Combinant une sophistica­
tion et un exotisme exacerbés. Branao après'un début intéressant (1/2 h.) se prend tout à coup
pour Hamlet et, philosophant trois fois par idée, se fige dans un hiératisme verbeux 0 h. 45) dont
rien ne le fera sortir sinon les toutes dernières (5 m.) images.
Refum ta Peyton Place (Les Lauriers sont coupés), film en Cinémascope et en couleurs de
José Ferrer, avec _Caro] Lynley, Jeff Chandler, Eleanor Parker, Tuesday Weld, —- Moina
déplaisant, car moins prétentieux, que le premier Peyton Place, est, curieusement, construit
entièrement par référence à celui-ci, ce qui est parfois amusant.
Tw o Rode Together (Les Deux Cavaliers) . — Voir critique de François Weyergans dans
notre prochain numéro.
W ild in the Country (Amour sauvage), film en Cinémascope et en couleurs de Philip
Dunne, avec Ëlvis Presley, Hope Lange, Tuesday Weld, Millie Perkins. — Un « jeune délin­
quant a et trois aspects de la féminité : le scénario de Clifford Odets a, semble-t-il, été mutilé
et remanié, la mise en scène est scolaire. Cependant, par bouffées, une certaine vérité...

Z FILMS ANGLAIS

T he Ourse oj the Wereiaolf (La Nuit du loup-garou), film en couleurs de Terence Fisher,
avec Clifford Evans, Oliver Reed, Yvonne Romain. — Le moins bon Fisher, disent les ama­
teurs, le plus mauvais, dirons-nous.
Victim (Lo Victime), film de Basil Dearden, avec Dïck Bogarde, Sylvia Syms, Dennis Price.
-— Inconsistant au possible, les homosexuels britanniques étant exactement aussi ennuyeux que
les hétérosexuels.
2 FILMS ITALIENS

L a donna dei jaraoni {La Princesse du Nil), film en Scope et en couleurs de W. Tour-
jansky, avec John Drew Barrymore, Linda Cristal, Armando Francioli. — Une de ces grandes
mises en scènes apatrides dont Tourjansky s’est fait une spécialité. A quand L es Bateliers du
Nil et La Princesse de la Volga ?
Maciste nella terra dei ciclopi (Maciste contre le cycîope), film en Scope et en couleurs de
Leonviola, avec Mitchell Goidon, Chelo Alonso. — Conjuguant les prestiges de leurs antiquités
historiques et cinématographiques les Italiens redécouvrent Maciste et l'opposent maintenant à
un bon vieux cycîope que trois films ont un peu défraîchi, mais qui pourra sûrement resservit.
Espérons que les champions feront mieux la prochaine fois.

ï FILM SOVIETIQUE

La Dame de pique, film en Sovcolor de Roman Tikbomîrov, avec Oleg Strijenov, Olga Kras-
aina, l’orchestre et les chœurs du théâtre Bolchoï. — O péra de Tcbaïkovsky filmé dans toutes
les règles d ’un romantisme désuet, mais, parfois, non sans charme.

I FILM AUSTRALIEN

T h e Sundotoners (Les Horizons sans frontières), film en Technicolor de Fred Zinnemann,


avec Deborah Kerr, Robert Mitchum, Peter Ustinov, Glynis Johns. — Moutonnements incon­
sistants, sans commencement ni fin. Et pas l’ombre d*un mouton noir.

1 FILM ISRAELIEN

Heytn hayu Assara (Ils étaient dix), film de Baruch Dienar, avec Nïnette, Oded Teomi,
Léo Filler, Yosef Safra. — Epopée, fin X IX e, bons juifs contre méchants turcs. Se réfère scolai-
rement au cinéma russe « grande-époque » : ]° quant au fond, 2° quant à la forme : a) pour
les cadrages, b) pour le montage, c) pour le reste.

1 FILM ALLEMAND
Le Vengeur défie Scoiland Yard, film de Karl Anton, avec Hemz Drache, Ingrid
van Bergen, Ina Duscha. — Concurrence déloyale.

87
CAHIERS DU C I N E M A
Revue mensuelle de cinéma
Rédacteurs en Chef : JACQUES DONIOL-VALCROZE e t ERIC ROHMER

Tous droits réservés


Copyright by « Les Editions de l'Etoile »
146, Champs-Elysées - PARIS (S°)
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66, 67.

TABLES DES MATIERES

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Les 2 T ables ensem ble : 5 ,0 0 NF
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Les envois e t l’inscription des a b o n n e m e n ts seron t faits dès réception des chèques,
chèques postaux ou m a n d a ts au x CAHIERS DU CfNEMA.
146, C h a m p s -E ly sé e s. P A R I S-S* (ELY. 05-38)
Chèques postaux : 7890-76 PARIS

Les articles n’engagent que leurs auteurs. Les manuscrits ne sont pas rendus.

Le G érant : Jacques Donlol-Valcroze


Imprimerie centrale au Croissant, Parla — Dépôt lésai 4* trim estre 1991
1819-196 I

Toute technique évolue...


/ compris celle de la garantie
Comme son arrière-grand-père, l'homme
de 1961 souscrit des contrats d'assu­
rance. M ais ces contrats sont adaptés
aux circonstances actuelles. Ils accor­
dent des garanties illimitées. Ils n e
comportent pas de déclaration de
capitaux.

L'homme moderne s'adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à l’avant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent :


C'EST L A COMPAGNIE D’ASSURANCES DU CINÉMA
ET DE L'ÉLITE ARTISTIQUE FRANÇAISE

33, RUE LAFAYETTE - PARIS-IXe - TR1 3 . 9 8 - 9 0


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