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CAHIERS

■:
DU CINEMA
| V|î»


100
*1
Cahiers du Cinéma
OCTOBRE 1959 100 TOME XVII

SOMMAIRE
Jacques F lau d ............... ....Libération .................. ................................................... 1
Jean Cocteau ................. ... Le T e sta m e n t d'O rphée (extrait) ................ 3
A lexandre A struc .... Qu’est-ce que la m ise e u scène ? ................. 13
Jacques B e c k e r .................. Le T rou (extrait) ..................................................... 17
J ean R e n o i r ......................... Pourquoi ai-îe tourné « Cordelier )> ? . . . . 23
Roger L een hardt .............. A m b igu ïté du c in é m a ............................................ 27
Claude Chabrol ............. ...Les p etits su jets ............................................ .... 39
Jacques Audiberti ............Le tem p s d es c a illes .......................................... .... 42
In gm ar B e r g m a n ..............C hacun de m e s film s est le dernier ............. 44
André B a zin .......................L es églises rom anes de Sain ton ge ................. 55
Jacques D oniol-Valcroze L'histoire des « Cahiers » .................................. 62

V enise 1959, par J ea n D ou ch et, Louis M arcorelles et M ichel Mayoux. 70

F ilm s so r tis à P aris du 32 a oû t au 22 septem bre 1959 ............................ 78

Ne m anquez pas de prendre, p a g e 69, LE CONSEIL DES D IX

CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle de cinéma


146, Champs-Elysées, Paris (8e)
Rédacteurs en Chef : Jacques Doniol-Valcroze et Eric Rohmer,

T ous d ro its réservés — Conyright by (es E ditions de l’E toile


Hiroshima mon amour ; la gifle.

LIBÉRATION
par Jacques Flaud

— Parlez-nous de cette « nouvelle v agu e » du ciném a français,


m'ont demandé, depuis la « révélation » cannoise (...) d'un certain renouveau, quel­
ques dizaines de journalistes de tous p ays. Quel en est le programme ? Q uelle est sa
plate-forme ?

— J'ignore de quoi vous voulez parler, à m oins qu'il ne s'agisse d e cet


effort de libération cinématographique, à laquelle — parmi d'autres — je m'honore
d'avoir participé.

Si oui, il en va de beaucoup plus que d'une vague, celle-ci supportant m al — on


l'a noté sans com plaisance — la com paraison a vec la mer ou le sable. Il s'agit d'un
mouvement, non d'un parti. D'une aspiration à la libre création, non d'une réclusion
aux limites d'une « école », fût-elle généreuse ou bien inspirée.

1
— Mais alors, pourquoi avoir parlé de « vague « ? Pourquoi cette écum e
tapageuse ?

— Vous n'empêcherez p as une certaine presse d'abuser, consciemment


ou non, des simplifications publicitaires, pas plus que vous n'éviterez à une certaine
« maturité » cinématographique de succomber à l'envie ou à la jalousie vis-à-vis des
« nouveaux •».

Beaucoup n'ont p as compris ou voulu admettre que les conditions d e la création


cinématographique devenaient plus insupportables à mesure que se sclérosaient ceux
dont dépendent les m oyens de lcr production cinématographique.

Et ce, en un temps où les chances de .survie du ciném a — plus précisément du


ciném a français — s'inscrivent de toute évidence dans l'aire du courage, du risque
et du mouvement.

— Ainsi le cinéma est-il sau vé ?

— Absolument pas ! Il peut l'être, si cette tentative de libération, laquelle


doit redonner souffle aux créateurs, aux auteurs, aux valeurs profondes de la cinéma-
tographie nouvelle, n'est p as victime de ses premiers sucàès.

Mais comme toute libération, celle-ci a se s « ultras », qui espèrent donner créance
à leur arrivisme impuissant, ainsi que se s censeurs, qui ne lui pardonneront p as
facilement d'avoir bouleversé les habitudes du « prêt à porter » et de la stérilité.
Elle doit être défendue avec enthousiasme par ceux-là qui l'ont conquise, par ceux
qui y ont aidé.

— En se constituant en « association de défense » ?

— Bien au contraire ! En évitant tout ce qui peut donner aliment à la


confusion, ou m atière à l'équivoque. A cet égard, le s « tables rondes » et autres
confrontations — aussi bien intentionnées soient-elles — me paraissent dangereuses.
On se réunit m al pour ne constater que d es divergences et ne souscrire qu'à des
carences.

Par contre, le recours systématique à l'information et à la formation d es cinéastes,


à celles d es cinéphiles et du public m e sem ble indispensable : le s journalistes, sp écia­
lisés ou non, les revues telles que celle-ci (honneur à son centième numéro !) doivent
dégonfler les faux slogans en cours, dénoncer le s profiteurs de cette fausse « v a g u e »,
et restaurer les saines conditions de la poursuite d'une expérience de libération éco­
nomique et artistique, qui donnera à notre ciném a les chances que lui méritent son
p assé et sa jeunesse.

— Serait-il plus jeune que le s autres ?

— En tout cas plus neuf que la plupart de ses concurrents, en une époque
où, la démographie aidant, tout ce qui n e répond p as — cinématographiquement par­
lant — aux exigences de la jeunesse du jour, et plus encore du lendemain, est impi­
toyablement appelé à disparaître.

Jacques FLAÜD.

2
LE T E S T A M E N T D ’O R P H É E
film de Jean Cocteau
(extrait)

« Je l’ai bientôt cru et j’ai eu la volonté de le croire. »


JEANNE (Procès).

Préface c

Un homme qui somnole, la bouche entrouverte, devant un feu de bois, laisse s’échap­
per de lui quelques secrets de cette nuit du corps humain qu’on appelle « Pâme » et
dont il n’est plus le maître.
Le concierge de la bouche s’est imprudemment et profondément endormi et des
paroles sortent qui ne possèdent pas le mot de passe.
Le Testament d'Orphée n’est autre qu’une machine à fabriquer des significations.
— Le film propose au spectateur des hiéroglyphes qu’il peut interpréter à sa guise et de
la sorte, étancher sa curieuse soif de cartésianisme.

3
(J’ai dit, dans « Le P&tomak », que si on laissait une iemine d’intérieur ranger un
chef-d'œuvre de la littérature, on retrouverait le dictionnaire Larousse.)
Ce film n’a rien d'un rêve sauf qu’il emprunte au rêve son mécanisme, c’est-à-dire
sa manière de rendre, la nuit, aux mensonges du jour, une sorte de fraîcheur que fane
notre routine, — Il est, en outre, réaliste, dans la mesure où le réalisme consiste à
dépeindre avec exactitude les intrigues d’un univers propre à chaque artiste et sans lé
moindre rapport avec ce qu’on a coutume de prendre pour la réalité. Il est une désobéis­
sance aux règles mortes, un hommage à tous ceux qui veulent rester libres. Il met à
l’œuvre une logique étrangère à la raison. Bref, il est cartésien à force d’anticartésianisme.
Ma première tentative de cet ordre fut Lç SangSd’un Poète. — Ce vieux film intrigue
encore un peu partout. L’exégèse, qui est une muse, le met toujours à l’étude et le psy-
chanaliste y découvre ce que ma part d’ombre exprimait jadis sans le savoir.
J’ai ensuite orchestré cette méthode, avec Orphée. Seulement* le recul me prouve
qu’il existe un considérable public, curieux de passer outre les histoires d’amour et qui
ne cherche aucune excuse à l’obscur. Apte au contraire à y trouver sa route sans crainte
ou bien avec une délicieuse peur enfantine.
C’est pourquoi j’abandonne le métier de cinéaste que les progrès de la technique
rendent accessible à tous. Ce sont d’autres progrès internes qui m’intéressent. Et je me
flatte de croire que grâce à mes anciennes recherches je ne suis plus mon seul archéo­
logue.

*
L a v o i s . “ Son nom était Jean, il n’était pas l'ombre mais il parut
pour rendre témoignage à Vombre.
Pendant ce, texte, on voit la "main du poète tenant un couteau de boucherie tellement
affûté qu’il ne reste qurun fil de lame. Avec la pointe de ce couteau et en plein ciel
(ralenti à Yenvers) j7 donne naissance à une bulle irisée,
Toute cette première séquence sera soutenue par un très léger et lointain roulement
de caisse qui s’éloigne jusqu’au silence à chaque disjmrition du poète et reprend à cha­
cune de ses réapparitions, {il n’y aura pas d’autre musique.)
Le décor de la première séquence est un coin du studio sans la moindre recherche.
On verra même, au fond, les machinistes et les électriciens qui passent.
On découvre un pupitre noir d’écolier et à ce pupitre, un jeune garçon de quatorze
ans en train d ’écrire.
L ’appareil recule de manière'à cacher ce jeune garçon au pupitre, sur la gauche, et,
sur la droite, un vide.
Brusquement apparaît dans ce vide, le poète (moi-même) en costume de voyage
Louis XV — bottes hautes, perruque blanche, manteau à pèlerines, tricorne à la trtain.
Le jeune garçon lève la tête et Yaperçoit avec surprise.
Le poète s’approche du pupitre.
L’appareit cadre, de derrière te jeune garçon, le poète qui arrive devant le pupitre.
Le poète. — Je désirerais parler au professeur.
Le je u n e garçon. — Pouvez-vous m’expliquer....
Le p o ète. — Impossible. Qui êtes-vous? Son fils?
Le j e u n e g a r ç o n . — Mon père était architecte et il est mort. C’est
moi qui voudrais devenir un professeur célèbre. Mais ce n’est pas pour
tout de suite.... 1

4
« Soit nom était Jeail. »

5
Le poète. — Allons bon... (// disparaît au tour de manivelle.)
-, Le jeune garçon reste figé, la bouche ouverte. Le poète réapparaît. Il avait posé ses
gants sur le pupitre. Il les prend, dit : « Excusez-moi » et redisparaît. C’est alors que
le jeune homme se dresse en criant ; « Monsieur ! Monsieur ! » et disparaît en fondu avec
son pupitre.
L’appareil cadre un autre coin du studio. Le poète apparaît au tour de manivelle,
A peine est-il apparu que (par la droite — il est apparu cette fois à gauche) entre un
vieillard poussé dans un fauteuil par une infirmière.
L’infirmière s’arrête avec stupeur. Le poète s ’approche.
L e , p o è t e . — N’ayez pas peur, mademoiselle. Mon costume est le
résultat d’un pari,,. Serait-ce le professeur que vous poussez dans ce
fauteuil d’infirme ?
L'im-’Irmièkk. — Oui, monsieur. Mais pouvez-vous m’expliquer.....
Le po ète, — Impossible. Puis-je lui poser une question ?
L ’i n f i r m i è r e . — Le p ro fesseu r ne p o u rra it vous e n te n d re ni vous
r é p o n d r e : l o r s q u ’il é t a i t e n f a n t s a m ère a eu peur de i e "ne s a i s q u o i
(.îur « je ne sais quoi » flash d’une grimace du poète) e t e l l e l ’a la is sé
t o m b e r s u r l a t ê t e . Il a v é c u s a n s s o u f f r i r d e c e t t e ch u te , m a is un
jo u r...

Jean Cocteau a donné le premier tour de manivelle du Testament d’Orphée le 7 sep­


tembre, dans les carrières des Baux en Provence.
Au cours du Testament d'Orphée, on reconnaîtra quelques visages familiers (ici Yul
B ry n n er).

Le p o è t e . —■ Maldonne ! (// disparaît au tour de manivelle après


avoir fouetté sa botte avec son stick.)
L'appareil cadre l’infirmière qui recule d’un bond en abandonnant fauteuil et pro­
fesseur.
L ’appareil cadre la main droite du vieillard qui lâche une petite boîte ronde. On
devine qu’il meurt.
Plan sur son visage mort, les yeux blancs, la bouche ouverte.
L'appareil cadre l’infirmière qui revient en hâte, et tire le fauteuil à reculons hors
du champ. Le poète réapparaît, ramasse la boite, l’empoche et redisparaît sur place.

*
JOUR-SOLEIL
JJappareil cadre un banc de square où est assise une jeune femme en robe 1900.
Elle lient dans ses bras un bébé qu’elle berce. L’appareil recule et cadre plus large, de
telle sorte qu’on puisse voir le poète apparaître derrière le banc et toucher l’épaule de la
jeune femme. Elle se lève brusquement. L ’enfant tombe. Elle pousse un cri en portant
les mains à sa boucke.
Gros plan du bébé au sol et les mains de 1a mère qui le ramassent.
Gros plan sur le poète.
Le p o è t e . — Charmant ! (Il disparaît dans le même plan, au
tour de manivelle.)

1
*

L’appareil cadre une table couverte d’éprouvettes et de bocaux. Fauteuil.


On voit entrer le professeur dans le champ. C’est un homme d’une quarantaine
d’années assez mal en point. Il porte une blouse blanche. Il est soutenu par un jeune
interne également en blouse blanche, masqué par un linge. Il dirige l’homme vers le
fauteuil et l'aide à s’y 'asseoir.
Le p r o f e s s e u r . — Ce n’est rien. Je vais fermer les yeux et je
pourrai reprendre nos recherches.
L ’i n t e r n e . — Voulez-vous, professeur, que je vous fasse une piqûre?

Le p r o f e s s e u r . — Non merci. Laissez-moi seul. J’irai mieux dans


, quelques minutes. C’est à cause de cette chute. On ne sait jamais ce
que ces accidents stupides peuvent produire un jour.
(Le jeune interne quitte le champ. Le professeur ferme les yeux. L'appareil se rap­
proche jusqu’à ne plus cadrer que le fauteuil.)
Sur les épaules du professeur, les deux mains du poète apparaissent. Le professeur
sursaute, ouvre les yeux et se retourne d’un bloc.
L ’appareil cadre ce qu’il voit : le poète penché vers le professeur et souriant.
Le poète. — Salut. Vous ne me connaissez pas?
L’appareil sur le visage, ahuri, en contre-bas, du professeur. (Le visage levé vers celui
du poète').
Le p r o f e s s e u r , — II me semble...
Le poète (Off). — Faites un effort.
Le p r o f e s s e u r . — N’êtes-vous pas le personnage bizarre qui m’est
apparu dans ma jeunesse ?
L’appareil cadre la scène sous le même angle mais plus large.
Le po ète (fermant sa tabatière après avoir prisé). — Vous y êtes...
L e p r o f e s s e u r . — J’avais treize ans... Je m’en souviens comme si
c’était hier. Vous m’aviez fait une peur épouvantable... J'aimerais
comprendre...
L e p o è t e . — Professeur, vous êtes sans doute la seule personne
au monde capable de ne pas chercher à comprendre et capable aussi
de comprendre l’incompréhensible. J’ai voulu en savoir trop long. J’ai
commis une grave imprudence. Je la paye. Je me suis égaré dans
l’espace temps. J’étais à votre recherche et non sans peine. Ce cos­
tume n’est pas un costume de théâtre. C'est le costume de la période
où une dangereuse escapade m’a conduit, (Pendant ce texte l’appareil
tourne et montre, derrière le fauteuil, le poète qui fait le mouvement
inverse et s’arrête face au professeur.) En quelle année sommes-nous ?
Le p r o f e s s e u r . — En 4959.
Le po ète. — Diable ! Si mes calculs sont exacts, nous devrions
être en 2209...
Le pro fesseur. — Alors, je ne serai plus de ce monde...
Le poète. — L e professeur Langevin...
Le p r o f e s s e u r (lui coupant la parole). — Le professeur Langevin
était fort naïf comme tous les savants et il n’y a eu que le xix* siècle

8
D eux e n fan ts face à T iré sia s, la s ta tu e a u trip le profil qui r e n d célèbre.

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pour croire qu’il existe des sciences exactes. Le professeur Langevin
ignorait que les perspectives du temps obéissent aux mêmes lois que
celles de l’espace. 11 est vrai que deux cent cinquante ans se sont
écoulés depuis votre départ. Mais votre retour les annule et ces deux
cent cinquante années là ne nous concernent ni l’un ni l’autre. Puis-
je vous demander comment vous y êtes-vous pris pour voyager dans
le temps ?
L e poète . —• Les poètes sa v e n t p a s m a l de choses redoutables.
L e p r o f e s s e u r . — Il m’arrive de croire qu’ils en savent plus long
que nous.
L e p o è t e . — Il est difficile d’expliquer l’intemporel et d ’y vivre.
On s’embrouille. Pensez que je viens de vous voir coup sur coup et
sans ordre chronologique à plusieurs âges de votre vie. Je vous ai
même connu très vieux il y a quelques minutes, mon cher professeur.
Votre main malade a laissé tomber cette boîte. Je l’ai prise. Je crois
en la ramassant vous avoir et m’avoir rendu service.
{Il sort la boîte de sa large poche et la montre au professeur qui s'en empare avec
passion.)
L'appareil ne cadre que les mains, la boîte qui change de mains et celles du profes­
seur qui l’ouvre. On voit que c'est une boîte de balles de revolver.
On entend la voix off.
Voix d u p r o f e s s e u r . — Voilà qui est admirable. La preuve que
vous n’êtes pas un fumiste et que ie réussirai à vaincre les obstacles
qui m’épnisent. Mais îe devine, hélas î qu’il ne me sera plus possible
de faire connaître ma découverte. Sans vous elle serait dans les mains
d’un infirme et morte avec moi. Je me trompe ?
De nouveau sur le professeur.
L e p r o f e s s e u r , — Oui, voilà qui est admirable... {Après un temps)
Dites-moi, cher monsieur, d’homme à homme, suis-je mort en votre
présence ?
5iir le poète Qietit salut).
L e poète, — Excusez-moi, professeur, fai une très mauvaise
mémoire de l’avenir.
L'appareil cadre large les deux hommes. Le professeur se lève en face du poète.
Le professeu r . — Vous connaissez la propriété de ces balles ?
Le p o ète. — Oui. Elles peuvent donner le change au premier
abord.
Le p ro fesseu r. — Ce n’est que la poudre qui compte.
L e p o è t e . — C’est à cause de vos balles que ie suis à votre recher­
che dans cet épouvantable capharnaüm de l’espace temps. Si je ne
m’abuse, elles se déplacent plus vite que la lumière. Professeur, je
compte être votre cobaye. C’est ma seule planche de salut. Le seul
moyen de rentrer chez moi.
L e p r o f e s s e u r {Il tourne autour du poète et se trouve placé à sa
gauche). — Avez-vous une arme à feu ?
L e p o è t e . — Vous oubliez qu’il ne m’est possible de vous fournir
qu’un pistolet d’arçon.

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Jean Cocteau alimente Tirésîas : « On /ui enfourne du papier dans la bouche cl il en
sort des romans, des discours, des mots, des poèmes-. y>

Le p r o f e s s e u r . — Où avais-je la tête ? J’ai ce qu’il nous faut dans


mon tiroir. Les savants doivent être armés à notre époque. (// va
sortir du champ à gauche et se ravise. îl tire de sa blouse un paquet
de gauloises.) Vous fumez ?
Le p o è t e (// allait priser. Il remet sa tabatière dans sa poche). —
Ce n’est pas de refus. {Le poète se sert, le professeur allume un
briquet.)
{L’appareil, derrière le ^rojesseur, montre le poète de face, en gros plan et la main
du professeur qui allume la cigarette.)
Le p o è t e (Pendant qu’il allume sa cigarette). — Pour pouvoir
fumer en 1770, j’ai dû faire semblant d’inventer la cigarette. Ils m’ont
dit que c’était une invention absurde et qui n’aurait aucune chance de
réussir.
L e p r o c e s s e u r (Pendant que le poète parle, il quitte le champ et
y entre en plan large, un revolver à la main). — Vous n’ignorez pas
le processus de mon expérience et que je dois d’abord vous tuer. (Il
montre son revolver.)

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Le po ète CT ê t e seule). — R elativem ent...
Le professeur (Tête seule, il sourit). ~ Relativement...
Le poète (Tête seule). — Vous êtes sûr de la réussite?
Le p r o f e s s e u r (Plan moyen). — Sans aucun doute. Je déplierai
un repli du temps. Tout ce que vous venez de vivre sera supprimé,
comme on torche des chiffres sur une ardoise.
L e poète (Plan moyen). — Je c o n n a is la m u siq u e.
(L’appareil recule et montre le poète à mi-corps tourné vers la gauche).
Voix du professeur (Off). — Alors n’ayez pas peur. Vous y êtes?
Le poète (levant la main droite). — Feu !
Bruit de coup de jeu. Le poète, s’effondre sur lui-même et disparaît en bas de Fimage.
Entre dans l’image par le côté, le professeur, son arme à la main. Il regarde le corps du
poète invisible en penchant la tête.
Ici, commence la musique. Celle du Concerto N° 1 de Beethoven.
(La scène suivante sera tournée à Venvers et à l'accéléré pour le ralenti).

*
Une porte du studio coulisse et on voit le soleil extérieur. Le poète en costume
moderne (celui qu’il porte dans la suite du film) entre à reculons. Il recule jusqu’à une
place auprès du professeur, debout, son révolver à la main. C’est en reculant ou panorami-
quant que Fappareil rencontre le professeur le visage tourné vers le poète. Arrivé près du
professeur le poète fait halte et se laisse choir mollement aux pieds du professeur. Il
reste immobile au sol.
A la projection, on verra donc le poète en costume moderne, immobile au sol, se rele­
ver bizarrement au ralenti et se diriger vers la porte du studio suivi par le professeur. On
verra ensuite le poète ouvrir la porte et disparaître. La porte se refermer.
En venant chercher le professeur qui s’élance vers la porte, Vappareil revient au style
normal. On voit le professeur ouvrir la porte coulissante.
L’autre côté de la porte. Le professeur apparaît.
L’appareil sur le poète qui s’éloigne et se retourne vers le professeur.
Plan américain du professeur dans le cadre de la> porte. *
Le professeur (criant). — Bonne chance !
Plan américain du poète retourné vers le professeur.
Le p o è te (criant et dressant le pouce). — Je vous d o is une fiè re
chandelle I
Plan américain du professeur à la porte.
Le p r o f e s s e u r (criant). — Mais par exemple, je ne réponds pas de
ce qui peut se produire par la suite...
Plan où Voit voit, de fas place du professeur, le poète arrêté sur la route.
Le po ète (criant). — Ce sont les risques de notre métier,
(Il fait un geste d’adieu avec la main, se retourne et s ’éloigne).
Plan du professeur qui le regarde longuement, disparaît et ferme la porte coulissante-

Jean COCTEAU.

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Les Contas de la tune vague, de Kenji Alizogucïii.

QU’EST-CE QUE LA MISE EN SCÈNE ?


par Alexandre Astruc

I] n'est pas besoin d'avoir fait beaucoup de films pour se rendre compte que la
m ise en scèn e n'existe pas, que les acteurs se dirigent très bien tout seuls, que
n'importe quel chei opérateur sait où placer l'appareil pour obtenir un cadrage
convenable, que les plans raccordent bien tout seuls, etc. Mizoguchi et Ophuls ont
dû comprendre ça très vite, puis sont p assés à ce qui le s intéressait, A regarder les
gen s agir? Pas exactement. A les présenter, à les regarder à la fois agir, et en
m êm e temps être agis.
La différence du cinéma a vec n'importe quoi d'autre, roman y compris, c'est
premièrement l'impossibilité du m ensonge, deuxièmement l'absolue certitude, partagée

13
Hiroshima mon amour, d’Alain Resnais.

par le spectateur et l'auteur, que sur l'écran tout s'arrangera avec le temps. Si le met­
teur en scène, le réalisateur, intervient quelque part dans la réalisation d'un film,
il intervient là, avant tout. Il est à cheval entre ces deux évidences : l'image par
où il guette, le temps par où il conclut.
Non p as par où il détruit : la lente érosion de la vérité qui est l'art d'un Proust,
son éclatement comme chez Faulkner, supposent d'abord que le roman est écrit a v e c
des mots, fragments d'éternité. S'il fixe le- réel, c'est au prix d'un effort constant
de décomposition, destruction de formes, mouvement en avant lancé à l'assaut d'un
vocabulaire et dont le fleuve charrie les débris.
La caméra fixe, ne transcende pas, regarde : il faut être naïf pour croire
que l'usage systématique d'un 18,5 changera le cours des choses. En échange de
quoi, elle ne ment pas. C e qui est surpris par l'objectif est le mouvement du corps,
immédiatement révélateur, comme l'est tout ce qui est physique, la danse, un regard
d e femme, un changement de rythme dans une démarche, la beauté, la vérité, etc.
Le ciném a suppose une certaine confiance faite a u monde, tel qu'il est. M êm e
au sein de la laideur, m êm e au sein d e la misère ; il y fait découvrir cette étrange
et cruelle tendresse, la douceur terrible d'Hiroshimcr, où il suffit, après l'évocation de
tant d’horreurs, de quelques travellings rapides au cœ ur d'une ville, d'une voix d e
femme, pour que tout naturellement le s lignes d'un p a ysage s'organisent selon une
perspective humaine, comme si tout naturellement et par quel étrange piège, tout ce
qui ici était attente devait un jour être comblé...
Un des plus beaux films du m onde a été réalisé par un vieux metteur en sc èn e
japonais, auteur de près d'une centaine de films, a vec sans doute nul autre désir que
celui d'exercer convenablement son métier. Après cinq minutes de projection, Les
Contes de la lune vague font clairement comprendre ce qu'est la m ise en scèn e —

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du moins pour quelques-uns : un certain m oyen de prolonqer les élans de l'âme*
dans le s mouvements du corps. Elle est un chant, un rythme, une danse. Mizoguchi
sait bien que ce qui s'exprime* dans la violence corporelle est une chose a v ec laquelle-
on ne peut p as mentir : non pas le caractère, non pas la compréhension de soi,
mais cet irrésistible mouvement en avant qui rejette toujours dans les m êm es che­
mins à la poursuite de ce qui comble — ou de ce qui détruit. J'imagine assez que
ce qui l'intéresse — après tant de films — ce n'est m êm e plus ce spectacle, m ais le
fait de ne pouvoir détourner les yeux de ce spectacle : un auteur écrit peut-être pour
se délivrer, un metteur en scèn e jamais tout à fait. Dans la tendresse ou l'horreur
de l'univers qu'il exploite, il faudra bien qu'il rencontre ce qu'à la rigueur on peut
appeler une certaine com plaisance ou une complicité, mais qui pour l'artiste n'est
jamais que la source de la grandeur qui l'obsède et qu'il croit pouvoir révéler.
Que devient dès lors la technique ? Elle cesse d'être une façon de montrer —
ou de cacher. Le style n'est pas une certaine façon de rendre beau ce qui est laid et:
vice versa : aucun metteur en scène au m onde ne fera confiance à la photographie,
si son ambition n e se borne p as à faire concurrence à Yvon. M êm e p as une prise
de conscience : les travellings ne sont pas des notes, ni d es renvois au b as des
pages. II m e sem ble assez qu'elle n'a pour but que d e faire naître cette distance
mystérieuse installée entre l'auteur et ses personnages dont les m ouvements d'appa­
reil semblent accom pagner si fidèlement les oscillations et le s courses folles à travers,
la forêt.
Sem blent ; car la force et la grandeur de cet univers qui réapparaît d'œuvres
en oeuvres, vient de ce que l'auteur en domine constamment les éléments. Il les.
plie, non p as peut-être à sa vision propre — Mizoguchi est un metteur en scène,
pas un romancier — m ais à un certain besoin de prendre du recul par rapport à
eux : sa g e sse ou volonté d e sagesse. Ainsi le poèm e tragique prend-il sa force dans
l'insensibilité et la froideur apparente de l'artiste qui sem ble installé, sa caméra à la
main, au détour du fleuve, surveillant la plaine d'où déboucheront les acteurs du.
drame.
L'exquise et 'touchante douceur d es Contes d e la lune vagu e est faite comme dans

L e s C o n te s d e la lu n e vague, de Kenji Mizoguchi.


certains w esterns de cette lenteur irrémédiable qui pousse, fût-ce à travers la violence
et la colère, une poignée d'individus dont le destin est insignifiant.
Mais Mizoguchi sait bien qu'en définitive il importe peu que ses films finissent
bien, pas plus qu'il ne se soucie de savoir si, de lui à ses personnages, les liens les
plus forts auront été ceux d e la tendresse ou ceux du mépris. Il est com m e le voyeur
qui cherche le reflet du plaisir sur le visage de celui qu'il guette, bien qu'il sache
tout aussi bien que ce n'est p as ce seul reflet qu'il poursuit : peut être tout simplement
la confirmation lassante de quelque chose qu'il connaît depuis toujours, m ais qu'il ne
peut s'empêcher de vérifier.
J'imagine ainsi la m ise en scène comme un m oyen de se donner à soi-même le
spectacle — m ais quel artiste ne sait pas à son tour, instinctivement, que ce qui est_
vu importe moins, non pas que la façon de voir, m ais qu'une certaine façon d'avoir
besoin de voir et de montrer.
Entre la toile et les figures qui l'obsèdent, ce que la main du peintre introduit
n'est pas une m anière différente de regarder, m ais une dimension nouvelle. Un
iableau de Manet, ce n'est pas la « nature vue à travers un tempérament », c'est
le lieu de p assage d'une volonté esthétique, irréductible au ssi bien aux thèmes qu'aux
motivations secrètes de l'artiste, dont elle se nourrit peut-être, qui ne l'épuisent
jamais. La m ise en scèn e n'est p as forcément la volonté de 'donner un sens nouveau
au monde, mais, neuf fois sur dix, elle s'organise autour de la certitude secrète de
détenir une parcelle de vérité sur l'homme d'abord, sur l'œ uyre d'art ensuite. Liés
indissolublement. Mizoguchi se sert d e la violence, de la rapacité ou du désir sexuel
pour exprimer sur l'écran ce qu'il ne peut délivrer qurà condition d e rencontrer ces
éléments. Mais il serait absurde de dire que la violence soit le sujet de ses films :
s'il en a besoin, c'est comme l'alcoolique a besoin de boire : pour alimenter son
ivresse, non pour la combler. Chez lui, comme chez les grands maîtres de l'écran, ce
ii'est jamais l'intrigue qui compte, ni la forme, ni m êm e l'effet, ni encore la possi­
bilité de mettre en présence dans une situation extrême d es personnages forcenés :
Mizoguchi, com m e tous les Orientaux, se moque de la p sychologie et de la vrai­
sem blance. Il a besoin de la violence comme d'un levier : pour basculer dans un
autre univers. Mais comme dans la peinture baroque, la pluie d'orage qui tombe
sur ces v isages grimaçants et ces corps démantelés est annonciatrice d'apaisement.
Au-delà du désir et de la violence, le monde du Japonais, com m e celui de Mumau,
laisse retomber le voile de l'indifférence par où, dans un ciném a « exotique », la
m étaphysique fait tout d'un coup intrusion.
Entre un réalisateur japonais assez habile dans son métier pour se voir proposer
par Hollywood un contrat de sept ans, et qui ressem ble beaucoup en somme à
l'idée que l'on peut se faire d’un ingénieur p ayé au mois, et un poète « maudit »
façon fin du XIXe, y a-î-il — à la limite — une telle différence ? L'opium d e Baude­
laire et le métier de Mizoguchi ont en définitive le m êm e rôle : c e sont des prétextes,
com m e l'asthme ou l'homosexualité de Proust, comme le jaune dont Van Gogh s'eni­
vrait — mais qui dira que le jaune ait jamais été le sujet d es tableaux de Van
“Gogh, ni son but. L'artiste cherche là où il croit pouvoir le s trouver le s conditions de
■sa création : le réalisateur au studio, au bordel ou au musée...
L'univers d'un artiste n'est p as celui qui le conditionne, m ais celui dont il a
Tsesoin pour créer, et le transformer perpétuellement en quelque chose qui l'obsède
plus encore que ce par quoi il est obsédé.
L'obsession de l'artiste est la création artistique.
Alexandre ASTRUC.

16
LE TROU
film de Jacques Becker
(extrait)

Adaptant à l’écran un roman de José Giovanni, Jacques Becker a tourné aux studios
de Billancourt et dans les souterrains du Fort d ’Ivry L e Trou, histoire du Judas, histoire
d’un homme que rien ne distingue des autres jusqu’à l ’ultime seconde où il trahit, inter­
prété par des. inconnus et photographié par Ghislain Cloquet, q u ’on entrevoit derrière la
caméra sur le document ci-dessus. Voici un extrait du scénario, la scène des sous-sols.

17
*
375 — ...Un instant après, ils réussissent enfin à enlever le barreau...
Les deux amis, tout transpirants, échangent un sourire de triomphe...

376 — C ad re ix g r a n d s o u p i r a i t . , v u d e l ’a u t r e c ô té ...

Manu, se faufile aisément entre les barreaux et se penche pour examiner le terrain en
contre-bas.
Roland passe également là tête.

ROLAND (bas). — Allez, saute !... et puis tu me feras l’échelle...

Manu passe complètement de l’autre côté de la grille.. .

377 —■ C ad re la scène e n se m b le . R a c c o r d sur le m ouvem ent de M anu...


Manu passe de Vautre côté de la grille... 5e retourne face au mur... et saute...
Roland franchit le soupirail et s’arc-boute aux barreaux...

378 — P la n ra p p ro c h é ...

Roland, arc-boùté aux barreaux, replace adroitement le barreau supprimé.


Celai fait, il saute à son tour...

379 — R e p rise du p la n d 'e n s e m b le ...

...Roland saute et rejoint Manu... Tous deux s’avancent ensuite dans le sous-sol
éclairé dé loin en loin par des ampoules de faible puissance...
Us marchent l’œil et l’oreille aux aguets et parcourent ainsi l’étendue d ’une grande
salle voûtée.
La salle en question sert visiblement d’entrepôt. Des objets de toutes sortes sont
rangés de part et d’autre : vieux lîts métalliques, vieilles fenêtres, tabourets, lavabos hors
d’usage...
Dans un coin, des planches, des poutres et des tuiles empilées...
Roland désigne les 7natériaux en question.

ROLAND (bas). — Ils se servent de ça pour réparer la toiture..»


Ils poursuivent leur chemin...

380 — ...et parviennent au pied d’un escalier abrupt gui monte vers l’étage supé-
rieur... Roland désigne l’escalier.

ROLAND. — Les rondes doivent descendre par îà...


...il entraîne M'a nu par le bras...
...Viens !...
Tous deux s’enfoncent dans les profondeurs du sous-sol...

18
Le Trou,

381 — ...et parviennent à la hauteur d’une porte en bois munie d’une forte serrure...
Roland désigne la porte,

ROLAND (bas). — Tu vois, ça c’est une porte de galerie...


continuons...

Ils reprennent leur inspection des sous-sols...

382 — ...et découvrent une seconde porte analogue à la précédente...

383 — ...puis une troisième porte du même modèle.

38+ — Us parviennent enfin à une dernière porte, celle-là entièrement métallique et


munie d’une serrure de sûreté.
ROLAND (bas). — Celle-là elle ne serait pas facile à ouvrir...
MANU (bas). — Et s’il le fallait ?...

19
ROLAND (souriant). — T’inquiète pas ! En attendant l'aut ouvrir les
autres et pour ça faut que je fabrique un passe...
ïl s'approche des vieux lits métalliques...

385 — ...et commence à tes inspecter un à un...


Manu Véclaire avec le lumignon... Roland abandonne les lits pour inspecter les
fenêtres hors d ’usage... Il finit par trouver un morceau de fer plat, mvc branches parallèles,
qui sert de guide au coulisseau de la fenêtre. La pièce ne tient plus que par un rivet
assez mince et déjà tordu.

3 8 6 — Les grosses mains de Roland s’acharnent sur la pièce en question et, d ’un
violent effort, réussissent à l’arracher au montant de la fenêtre.

387 — S u p p rim é .

388 ■— Manu regarde Roland comme s'il découvrait chez lui an personnage encore
inédit.

389 — C ad re R o la n d e t M anu (R o la n d fa v o risé )...

ROLAND (chuchotant). — Pourquoi me regardes-tu comme ça?.„


Tu n’as pas confiance ?...
MANU (chuchotant). — Au contraire... T’as l’air tout content...
c’est pour ça que je te regarde... je suis sûr que tu vas la réussir cette
évasion...
ROLAND (confus). — Remarque... on n’est pas encore sortis...
Il tend la main...
...passe-moi la scie...

Manu tend la scie à Roland. Celui-ci s’en empare...

390 — ...prend appui sur le bord du cadre d’un lit métallique et se met en devoir
de façonner le passe-partout annoncé.
...Un bruit de pas résonne soudain en arrière-plan...

3 9 1 — Roland tressaille.,. Manu tend l’oreille... Les deux hommes s’interrogent un


instant du, regard... Mais l'hésitation de Roland ne dure pas : il saisit Manu par le bras et
l’entraîne vers un haut pilier, large de près d’un mètre, qui occupe le centre de la galerie.

392 — C a d r e l ’e s c a l i e r . . .

Deux surveillants descendent les marches, le premier tient une torche électrique, le
second porte en bandoulière une boîte-horloge de pointage.
( N o t e ; Cet appareil sert à contrôler la vigilance des gardiens de nuit; en argot on le
nomme « le mouchard »).
Us s’arrêtent au bas de l'escalier. L’homme au « mouchard »> qui a sorti un paquet de
gauloises de sa poche, offre une cigarette à son confrère et s’en offre une autre... L’autre
lui offre le feu de son briquet...
Les deux hommes se remettent en roule en fumant... Ils s’éloignent de dos à l’appareil
dans les profondeurs de la grande salle, et dans la direction du pilier central.

20
Jacques Beckev retouche un petit détail de la découverte.

393 — C ad re le s s u rv e illa n ts d e fa c e ...

Ils marchent Vun à côté de Vautre dans la direction de la caméra ( s e n s d r o i t e g a u c h e ) . . .


Le surveillant muni du « mouchard » (horloge de pointage) marche au centre de la galerie;
Vautre surveillant marche à sa droite et se trouve plus éloigné de la caméra. Ce dernier
promène, mi passage, Je /aiscewii de sa 1arche électrique sur les objets entassés le long de
la paroi de la salle...
Le surveillant au « mouchard » avance tout droit jusqu'au pilier central au milieu
duquel se trouve fixé le poste de pointage. Il s’empare de la petite clé de contrôle reliée
au poste par une chaînette et Vintroduil dans la serrure du « mouchard »...
Le cadrage is o l e les m a in s du s u r v e i l l a n t ... manipulant le « mouchard » , p u i s s e
déplace v o l o n t a i r e m e n t ... pour [s o l e r s o n v is a g e : ...ses yeux sont fixés sur son instrument.

21
.U n TROISIÈME MOUVEMENT d ’aPPAKE/C, DÉPLACE l .'o iU F .C T IF V L li.AS EN H A U T HT DE GAUOJJE A
pour découvrir une fraction du visage de Manu : ...son œil droit el une partie de
d r o it e
son front dépassent tout juste l’arête de la face intérieure du pilier.

3 9 4 — C a d r e l e s u r v e i l l a n t a u « m o u c h a r d » qui rejoint son collègue... Tous deux,


poursuivant leur chemin, p a s s e n t d e l ' a u t r e c o t é d u p i l i e r p a r r a p p o r t a l a c a s i e r a ...
Le corps dé Roland, plaqué contre le pilier, apparaît au même instant.., R o l a n d s e
PRÉSENTE FACE A L JAPPARE1L ET SE DEPLACE DE GAUCHE A DROITE...

La cam éra, su r c h a r io t , recule dans le même mouvement et prend du champ pour

Manu juché sur les épaules de Roland ; Manu est également écrasé contre le
d é c o u v r i r ...

pilier, mais il lui fait face e t t o u r n e p a r c o n s é q u e n t l e d o s a l a c a m é r a .


Nous comprenons alors par quel stratagème les deux amis ont échappé « l’attention
des surveillants...
La cam éra, oui a re c u lé o b liq u e m e n t p a r rap p o rt au p ilie r et de g a u c h i: a d ro ite ,
d éco u v re les deux surveillants qui s’éloignent de dos... On les voit se dépla­
m a in te n a n t...
cer dans le fond de la galerie, ou plutôt on tes devine grâce « JVt lampe torche du premier
surveillant... .
...Ils évoluent un peu... su iv is par le cadrage oui a aba ndo nné, h o r s -c h a m p a d r o it e ,

Manu, R oland puis reviennent sur leurs pas tout en inspectant la partie
et le pil ie r ...
gauche de la galerie... Ils croisent finalement de nouveau le pilier central, m a i s p a s s e n t
cette fo is entre c e l u i- ci et l ' o b jec t if avant de so r t ir du champ, d r o it e cam éra.

C e l l e - ci cadre fin a l em en t le pil ie r apparemment nu et désert...


...Le bruit des pas des surveillants décroît dans les profondeurs
du souterrain...

395 — C adre une autre pa r t ie de la grande s a l l e ,...

r*es surveillants s’avancent vers la caméra... puis la dépassent pour s’arrêter finale­
ment devant une des portes en bois que nous connaissons déjà. L’un d’eux introduit
une clé dans la serrure et ouvre la porte, découvrant ainsi l’entrée d’une galerie...
Les deux siwveülants pénètrent dans la galerie...
...la p o r t e Se r e f e r m e .

3% — C adre une p a r t ie du p il ie r central ain si que M anu et R o l a n d .,.

...le premier toujours juché sur les épaules du second.


...Quelques secondes s’écoulent, puis Manu se laisse glisser ou plutôt tomber jus­
qu’au sol... Rotand se redresse péniblement et s’éponge le front avec son mouchoir...
Manu pousse un énorme soupir.
MANU. — Eh ben !...
Roland sourit largement.
ROLAND. — Oui... mais maintenant on est tranquille pour trois
heures...
Il entraîne Manu vers le lit-établi...

397 —- ...et reprend la fabrication du passe-partout...

Jacques BECKER.

22
Jean-Louis Barrault et Jean Renoir pendant le tournage du Testament du Docteur
Cordelier.

P O U R Q U O I A I - J E TOURNÉ
“ CORDELIER ” ?
par Jean Renoir

Les entreprises hum aines aboutissent presque toujours à des résultats qui diffè­
rent, tout au moins en apparence, des buts primitifs.
Je crois m êm e que cette infidélité au plan préalablement tracé est une condition
de la réussite artistique.
Les architectures anciennes nous émeuvent plus que les bâtiments contempo­
rains, non seulement parce que les années leur ont ajouté du mystère, m ais surtout
parce que les hasards d e l'exécution sont venus corriger la froideur du tracé idéal.
Cela permet de supposer que la perfection technique, la puissance et la précision des
outils nuisent à l'œuvre d'art en permettant aux techniciens d e suivre fidèlement la
p en sée de l'architecte. Bien entendu l'infidélité dans l'exécution n e suffit p a s et bien
d es oeuvres de qualité inférieure peuvent se targuer d'une exécution fantaisiste.
11 existe des gen s qui considèrent que chaque phase de notre existence doit être
une bataille. Les m êm es gen s avaient prétendu que le phonographe tuerait le s entre­
prises de concerts symphoniques et que le cinéma tuerait le théâtre. Ils ne se rendent
p as compte que toutes le s différentes catégories de notre métier, j'entends « le Spec­
tacle », sont solidaires et que leur ennemi commun est, non p as l'une d e ces catégo­
ries, mais cette grande découverte que viennent de faire les homm es grâce à la vespa
et à la 2 C.V., cette découverte étant la nature.
Croyez-moi, cet adversaire est de taille et ça n'est p as en nous entredéchirant
que nous arriverons à rappeler aux hommes qu'un champ de b lé peint par Van Gogh
peut être plus passionnant qu'un vrai champ de blé. Evidemment ce la nous met
devant -une obligation redoutable : celle d'essayer dans nos films, dans nos ém issions,
dans n os p ièces de théâtre, dans nos exercices de cirque d'être des V an Gogh.
Ma première idée était de tourner Coidelier pour la Télévision seule. Je m'en
ouvris aux responsables de cette organisation qui me firent un excellent accueil.
Je rêvais d'une émission « directe » et ne pensais p a s du tout au cinéma.
Bientôt ‘m es associés et moi-même nous aperçûmes que l'ém ission directe n e
permettait p as certains truquages. Les scènes de ce genre, indispensables a mon
récit, représentant un fort pourcentage de l'émission, nous décidâm es de l'enregistrer
sur pellicule.
L'obligation de tourner cette histoire sur film amenait naturellement l'idée d'une
exploitation cinématographique.
L'espoir d e cette exploitation cinématographique permettait d'augmenter légère­
ment le devis et de soigner mieux le film.
Mais d'autres aspects du problème m e passionnaient avant tout : par exem ple,
l’envie d'essayer un style nouveau.
Je sais bien que tout changement valable dans cet ordre doit venir d e l'inté­
rieur, m ais je suis influençable et les nécessités d'une technique nouvelle provoquent
chez moi une transformation de sentiments. La technique que je m ourais d'envie
d’expérimenter est tout simplement b asée sur la division du film en scèn es et non
p as en plans.
Ma tentative réclamait la collaboration d e la Télévision étant donné que les
studios de ciném a ne sont en général p as équipés pour em ployer en m êm e temps
un grand nombre de micros. Or, dans certaines de m es scèn es d e Cordelier, j'ai eu
jusqu'à huit cam éras et douze micros.
Ce systèm e, en relâchant l'influence constante du metteur en scèn e sur l'acteur,
implique par com pensation d e nombreuses répétitions. Pour Cordelier, nous avons
répété quinze jours. A mon avis c'est insuffisant. J'ai tourné le film en dix jours et
demi. A vec plus de répétitions, je l'aurais tourné plus rapidement.
Ces répétitions, tout au moins à partir du moment où le jeu et la m ise en scène
sont débrouillés, sont d'ailleurs aussi bien à l'usage d es techniciens qu'à celui d es
acteurs et du metteur en scène.
Bien entendu une telle méthode ne répond pas à toutes les exigences. Elle ne
s'applique qu'à une certaine catégorie de films. Elle dem ande u ne transformation du
systèm e sonore d es studios et un personnel entraîné à ce genre d e prises de vue.

24
Jean Renoir et les interprètes de son Déjeuner sur l’herbe.

Là aussi la Télévision m'a aidé dans cette première tentative en m'affectant


quelques techniciens habitués aux ém issions directes.
Maintenant m es collaborateurs et moi-même, surtout après Le Déjeuner sur
l'herbe, connaissons suffisamment la question pour mettre au courant rapidement
nos camarades du cinéma non habitués à ce procédé.
Le changement commence d'ailleurs avec l'écriture du scénario qui, pour être
tourné de cette façon, doit être conçu et libellé en tenant compte de ce groupement
par scènes et non plus par plans.
En m e permettant cette expérience, la Télévision a fait un très beau cadeau au
cinéma. Pour toute industrie la possession d'une méthode nouvelle, m êm e si elle
ne s'applique qu'à un petit nombre de cas, est un enrichissement et j'en arrive à la
grande raison qui m'a poussé dans cette aventure et dont je voulais réserver l'énoncé
pour conclure : cette m éthode en abaissant le prix de revient de certaines produc­
tions peut, peut-être, apporter une arme à la lutte contre les films doublés.
Le doublage, nécessaire et recommandable dans certains cas spéciaux (par
exem ple dans celui de super-productions dont la valeur plastique d épasse la valeur
littéraire ou celle de l'interprétation), m'apparaît trop souvent comme une trahison.
L'auteur du sujet peut ne p as trop en souffrir, m ais pour le dialoguiste, le
metteur en scèn e et les interprètes, surtout pour ces derniers, c'est un assassinat. La

25
voix est un d es éléments les plus sym ptomatiques de la personnalité humaine. En
substituant une voix à une autre on détruit cette personnalité. Laissez-moi croire a v ec
P ascal que la seule chose qui intéresse l'homme c'est 2'homme.
La méthode Cordelier offre un inconvénient : elle élimine le travail d'amateur.
Les acteurs, le s techniciens, l'écrivain, le metteur en scène deviennent complètement
responsables de leur partie. L'erreur d'un cadreur ou d'un machiniste peut faire
rater une scène que, en principe, on ne tourne qu'une fois.
Ce genre d e travail n'est concevable qu'avec des gen s de métier. Or, nous savons
tous ce que le s non-professionnels ont apporté au cinéma. Nous, devons à la jeune
fille sans expérience rencontrée dans la rue par un metteur en scène de génie quel­
ques-uns de nos meilleurs moments dans le s salles obscures. Mais n'oublions p as
q ue la méthode Cordelier ne prétend p as se substituer à quoi que ce soit.
Le cinéma est libre, heureusement, et chaque réalisateur pratiquement invente sa
propre méthode. II la réinvente m êm e à chaque film et je ne m e serais pas permis
d e me répandre dans toutes ces explications si certains am is ne s'étaient émus de
m es tentatives, croyant y voir un danger pour le cinématographe, alors .qu'il ne s'agit
de ma part que d'un essai que j'espère pouvoir inscrire comme une toute petite phase
de la lutte que nous m enons tous pour notre survivance.

Jean RENOIR.

Jean-Louis Barrault et Michel Vitold dans Le Testament du Docteur Cordelier, de Jean


Renoir.

26
La découverte du nouveau cinéma américain : Citizen Kane, d’Orson Welle*s.

A M B I G U I T É DU C I N É M A
par Roger Leenhardt

Ce texte est celui d'une conférence qu e prononça Roger Leenhardt au IXK Congrès
d es Sociétés de Philosophie d e Langue Française, Je 2 septem bre 1957 à Aix-en-
Provence, et qui n'a rien perdu de son actualité.

*
Je prendrai le mot de cinéma au sens limité d'art cinématographique. Sans
doute le cinéma est-il plus généralement un m oyen d'expression, un langage. Le
savant utilisant la cam éra pour l'expérimentation, le pédagogue réalisant- un film
pour son enseignement, n'ont pas une activité artistique. Le film ne devient œuvre

27
d'art que fait par un artiste, dans le but d'exprimer un style ou une vision, du monde,
et de produire sur Je spectateur un effet moral accom pagné de plaisir esthétique.
Ce n'est p as que je minimise la part extra-artistique du cinéma — c'est m êm e mon
domaine professionnel courant — m ais dans un sujet aussi vaste que l'homme et
l'œuvre cinématographique, il faut dès l'abord se limiter.
D ès qu’on veut réfléchir a vec rigueur sur le cinéma, on se heurte à une difficulté
majeure. A la différence des arts classiques il est né tout récemment, et son év o ­
lution encore en cours — a été si rapide et si considérable, qu'on n e sait quand
et où saisir le ciném a en soi. L'acharnement de ses exégètes à parler de la « sp é­
cificité » du ciném a trahit précisément, je crois, l'ambiguïté ou l'équivoque qui p èse
sur la nature essentielle de l'art de l'écran.
■ Car le s errements de la p en sée critique, toujours aussi péremptoire que m ou­
vante, n'ont p as suivi parallèlem ent l'évolution de la technique et du style ciném ato­
graphiques.

Une inflation de la pensée cinématographique

A l'époque que certains appellent encore l'âge d'or du cinéma, entre 1920 et
1930, la philosophie ne s'intéressait pas encore à l'écran. Et l'esthétique académ ique
refusait même le titre d'art au cinématographe, simple reproduction, disait-on, et
non transposition de la réalité. Contre elle, une jeune école avant-gardiste découvrait
et baptisait le septième art, comme langue universelle de l'im age, et expression
privilégiée du monde moderne. Le tout sur un mode littéraire, effusif, assez baroque,
qui constituait moins une philosophie qu'une mystique. Elle aurait dû s'écrouler
avec l'avènement du parlant, où l'on vit en un clin d'œil, et m algré l'épouvantail
du théâfre filmé, ce curieux art d e l'image, orgueilleux de s a mutité, intégrer le
verbe avec la plus grande aisance.
Le pouvoir des mots — comme celui de photogénie, par exem ple — est tel, que
côtte conception primaire (au m oins au sens historique) du ciném a, a d es résur­
gen ces jusque dans des études contemporaines sur le cinéma, entreprises pourtant
avec une rigueur scientifique.
• Après la guerre en effet — je m e cantonne à ïa France — la découverte d es
nouveaux cinémas américain et italien a provoqué un renouvellement, un bouillon­
nement, je dirai presque une inflation de la pensée cinématographique. Le nombre
des textes et des ouvrages sur le cinéma est brusquement multiplié par vingt. Le
mouvement s'est produit sur deux axes. D'un côté ce qu'on a appelé la nouvelle
critique, de l’autre, la filmologie.
A partir de 1949, la toute jeune école, ardente et érudite, des C ahiers du
Cinéma abandonne la critique impressionniste, psychologique et m êm e historique,
pour une critique à la fois technique et on peut même dire philosophique. André
Bazin, le leader d e cette génération, a prouvé à quel niveau d e p en sée peuvent
être analysés d es problèmes précis de découpage ou de prises de vue, tels que
par exem ple le flashback ou la pîofondeur de champ.
Certains de ses disciples ont poussé un peu loin la méthode. Et on ne peut p as
ne pas éprouver une certaine inquiétude, lorsque le moindre com pte rendu d'un
western un peu curieux (car ces jeunes t o c s font de préférence leur m iel des films
de série B plutôt que d es grandes œ uvres évidentes) am ène à parler d'ontologie et
. d'aliénation, ce genre de termes étant parfois m anié avec un bonheur inégal.
On est évidemment rassuré en retrouvant ce vocabulaire sous la plume plus
sûre d es filmoîogues. M ais c'est une inquiétude inverse que l'on éprouve parfois.
Certes il faut louer Cohen-Séat d'avoir am ené de grands spécialistes d e disciplines
intellectuelles comme l'esthétique, la sociologie ou la psychologie à se pencher,
avec la rigueur scientifique qui leur était familière, sur le,fa it filmique. Et il ne faut

28
p as s'étonner si, les réalités de l'écran leur étant, elles, moins familières, les pre­
miers résultats ont été incertains. Un article d'André Bazin, intitulé assez drôlement,
si j'ai bonne mémoire, « Prolégomènes à toute film ologie », explique admirablement
le phénom ène. Je suis malheureusement, je l'avoue, assez ignorant du développe­
ment de la filmologie, ayant précisément cessé mon activité de critique après sa
naissance. Mais je ne doute pas que la méthode, maintenant rodée, n'ait donné et
ne donne des travaux remarquables.
Un ouvrage récent que je viens de lire, dont je n e'sa is s'il appartient à l'ortho­
doxie filmologique, m ais qui est en tout cas le type actuel m êm e d'une an alyse
philosophique dense et brillante du cinéma par un homme averti, a pourtant renou­
v elé chez moi un sentiment d'équivoque qu'il me sem ble utile de dissiper.
C'est 1' « Essai d'Anthropologie Sociologique » d'Edgar Morin intitulé : « Le
cinéma et l'homme imaginaire. » Je m'excuse donc de donner pour quelques instants
à mon exposé un tour critique un p eu déplaisant. Mais un certain déblaiement est
parfois nécessaire pour rendre plus net lé tém oignage concret.
Q uelle est la thèse centrale de Morin ? Elle consiste à démontrer que le cinéma,
naissant dialectiquement du cinématographe, simple reproduction optique et objec­
tive d e la réalité, établit une vision subjective, parente d e l'imaginaire, de l'onirisme,
de la m agie. Il y aurait comme une « vertu surréalisante de l'écran ». La formule
d e Valenün, qu'il cite, est caractéristique : « L'objectif confère à tout ce qui l’ap­
proche un air de légende, transporte tout ce qui tom be d a n s son champ hors de la
réalifé. »
Mon propos n'est pas de discuter cette thèse. En un sens, c'est d'ailleurs une

Un tour de force d'Alfred Hitchcock : La Corde.

29
simple évidence. Toute vision esthétique, que ce soit en peinture ou en littérature,
consiste à transposer une donnée réaliste, à l'affecter d'un certain coefficient de
subjectivité, de surréalité.

L ’évolution du style

L'intéressant est l'analyse des éléments constitutifs et spécifiques du ciném a qui


déterminent cette transfiguration. Selon l'auteur, cela vaut la peine de rentrer pour
un instant dans la technique. II étudie successivem ent la « fantomalité » de l'im age
cinématographique, aérienne, transparente, avec la stylisation première du noir
et blanc ; l'importance des truquages du temps — accéléré ou ralenti — ou de
l'espace — volet, fondu, enchaîné ou surimpression — ; l'obligatoire accom pagne­
ment du déroulement des im ages concrètes par une m usique expressive et affective ;
la fragmentation de l'espace et du temps par le montage ; le découpage par
plans avec des angles fascinants, com m e la plongée ou la contre-plongée ; le
cadrage lui-même, cette composition arbitraire dans l'étroit rectangle de l'écran;
la m acroscopie enfin, c'est-à-dire l'emploi systém atique du gros plan, psycho-
analytique quand il se rapporte au visage, et animiste quand il montre d es objets.
Or, l'extraordinaire est que tous ces éléments, sans doute spécifiques du ciném a
muet de 1928, correspondent à des modalités d'expression que l'évolution du style
cinématographique a dépassées, et m êm e définitivement abandonnées. Je les
reprends rapidement. Tout l'effort technique a tendu, depuis vingt ans, vers une
projection de plus en plus fixe, nette et dense. Et si l'on fait encore d es film s en
blanc et noir, ce n'est p as pour des impératifs esthétiques, quoi qu‘on en dise,
m ais purement budgétaires. On serait bien embarrassé de citer, en dehors du
documentaire, un seul film récent qui emploie dans le cours du récit l'accéléré
ou le ralenti. Je p asse sur la musique. V ous savez qu'on fait maintenant d e grands
films sans musique, que les compositeurs cherchent toujours à avoir des interventions
de plus en plus brèves, généralem ent justifiées. Je p en se à un exem ple : vous
allez voir dans un instant le film de Clouzot (1). Eh bien ! mon ami G eorges Auric
est très affecté du fait que la critique qui a aim é le film, a en général attaqué
la m usique qu'il avait faite à la requête de Clouzot et dans le style dem andé.
Je crois qu'en fait cela n e portait p as du tout sur la nature de la musique, m ais
sur l'existence m êm e de cette m usique un peu venue là comme par habitude et
qui non seulement n'était pas essentielle au film, m ais lui était étrangère.
Quant au truquage, si l'on em ploie encore le fondu au noir ou l'enchaîné (tout
en cherchant au maximum à les éliminer), le volet, le glissement d'im ages, toutes
ces soi-disant ponctuactions 'syntaxiques du film, ont pratiquement disparu. La
surimpression, elle, cette « figure essentielle de ia stylistique cinématographique »,
procure aujourd'hui à tout spectateur de goût un profond sentiment de m alaise.
Le montage lui-même est devenu dans le récit cinématographique un élém ent
secondaire. On sait que depuis environ dix ans, le montage par plans successifs, cham p
et contre-champ, tend à être rem placé par la m ise en scène en profondeur, utilisant
la profondeur de champ et donnant dans un seul plan de longue durée une
vision globale où c'est le spectateur, qui, comme devant la réalité, fait le travail
d e, sélection dévolu spécifiquement, pensait-on, à la caméra. Mais l'on s'aperçoit
m êm e aujourd'hui que les deux m éthodes peuvent être em ployées concurremment
sans que rien d'essentiel soit changé. Il y a cinq ans, Hitchcock a réalisé un tour
d e force : La Corde, en un seul plan. Dans le souvenir, sî le film reste très présent
dans son ton et dans son atmosphère, il n'apparaît p as différent de ce qu'il eût
été, réalisé avec un découpage classique. C ela me paraît diminuer l'intérêt d e la
fam euse expérience de Koulechov (le m êm e visa g e de Mosjoukine prenant des

(1) Il s5a git du Mystère P ica sso (N .D .L .R .).

30
Tout visage de femme, en gros plan et sans fard, ressemble à Fatconetti dans La Passion
de Jeanne d’Arc, de Cari Dreyer.

expressions différentes devant un cercueil, une petite fille ou une assiette de


soupe) rituellement citée en tête de tous les ouvrages, sur le cinéma.
Quant aux an gles de prise d e vues, bien entendu, le metteur en scèn e continue
de les calculer soigneusem ent, mais, sauf pour de rares effets, il d élaisse toute
vision extraordinaire que n'utilisent plus que les néophytes ou les attardés.

Le sacro=saint gros plan

A vrai dire, les créateurs eux-mêmes, car il faut toujours se méfier du tém oignage
d es artistes, sont pour beaucoup responsables de la perpétuation, chez leurs exégètes,
de points de vue qui sont au fond périmés. Dans leurs déclarations, et non p as dans
leur comportement, ils se sont constamment trompés sur l'évolution du cinéma.
A l'apparition du parlant, ils ont unanimement prophétisé la fin de l'art de l'im age
en m êm e temps d'ailleurs qu'ils, se précipitaient pour expérimenter la caméra
sonore.
Quand vint la couleur, chacun a déclaré q u il ne l'utiliserait que de façon
stylisée, comme un peintre. En fait, elle s'est généralisée dès qu'elle a été suffi­
samment vériste.
Il y a seulement quatre ans, après la première projection à Paris du Cinéma-
Scope, Le Figaro a dem andé à quelques metteurs en scène français leur avis sut
l'avenir artistique du procédé. La majorité, de Becker à René Clair, a condamné

31
Les conquêtes du cinéma : les paysages simples, le désert CStagecoach, de John Ford)...

l'écran large, comme rendant très difficile, ce qui est certain, la composition
plastique. Je croîs avoir été, avec Alexandre Astruc, le seul à p en ser que le
format large s'imposerait, comme un progrès inévitable dans cette inévitable
évolution vers une vision toujours plus réaliste qui est celle de l'écran.
Un des arguments majeurs contre le CinemaScope a été le suivant : il fera
disparaître le gros plan, le sacro-saint gros plan. On oubliait simplement que
le gros plan, com m e figure majeure de l'expression cinématographique, avait en
fait disparu comme de lui-même, comme les angles spéciaux, le m ontage rapide
ou la. surimpression, toute une stylistique abandonnée et définitivement abandonnée
parce qu'en fait elle était extrêmement limitée, puissante, m ais pauvre.
L'analyse en gros plan du visage, a-t-on dit et redit-on encore, est le m oyen
pour le cinéaste de fouiller psychologiquement un personnage, d'aller par la
vision de la caméra, jusqu'à l'âme. Totale erreur. Certes le comportement physique,
l'expression de l'acteur est l'équivalent du commentaire du romancier sur le
personnage, m ais précisément quand il est vu normalement à l'écran, com m e
aujourd'hui, en plan m oyen. Un très gros plan de visage, n'est p as psychologique
et complexe, m ais lyrique et élémentaire. Tout visage de femme, pris en très gros
plan, ressem ble — si le visage est sans fard et montre m ille fois grossi le grain

32
... et puis la grande ville, la foule (Street Scène, de King Vidor).

de la peau — à Falconetti dans Jeanne d'A ie, et s'il est pris dans le chatoiement
d'un sunlight sur un fond de teint, il ressem ble à Grêla Garbo. Alors que les
sculpteurs ne se lasseront jamais de traduire à travers un visage de marbre une
réalité infinie, les cinéastes se sont lassés d'exprimer sur la pellicule le même
visage, se sont lassés de faire ce qu'on appelle du cinéma pur. Car il en est de
mêm e de toute la stylistique classique. Par exemple, tout m ontage rapide d'une
scèn e de danse exprime d e façon surprenante le fait danse, mais traduit de
façon identique une danse espagnole, russe et écossaise. Ce qui ne permet guère
le renouvellement. En bref, ce sont les limites de l'expression dite spécifiquement
cinématographique, l'étroitesse du dom aine qui lui est propre, qui ont entraîné
l'évolution de l'art d e l'écran.
Nous venons de passer là au deuxièm e point de vue sous lequel on peut
exam iner le cinéma, comme toute création et toute œuvre, celui du contenu, du
fond, dans la mesure où on peut, en art, le séparer de la 1forme.
Je m e rappelle, en 1946, avoir essayé, à la dem ande de Sartre, dans le premier
numéro des Temps Modernes, de dresser un bilan du cinéma, sans préoccupation
d e problèm es esthétiques et formels, dans ce qu'il avait apporté de nouveau, de
profond à notre connaissance du cosmos et de l'homme. La liste des conquêtes
du cinéma n'allait pas loin. C e sont essentiellem ent les grands p aysages simples.

33
le désert, la: m ontagne, la neige, la mer (mais allez chercher à l'écran une traduction
de la subtilité, de l'humanité d e la cam pagne aixoise par exemple !), Et puis la
grande ville, la machine, la foule, l'enfant, l'animal, les grands sentiments élém en­
taires, la violence, la terreur, le sublime amoureux, bref les catégories du lyrique
et de l'épique, alors que dans le psychologique ou la vision m étaphysique nuancée
du monde son apport restait très en dessous d e celui de la littérature ou du théâtre.
Eh bien je ne parlerai plus d e la m êm e façon aujourd'hui. Car c'est précisément une
fois d ég a g ée d'un style formel qui limitait se s possibilités, que la création ciném ato­
graphique a progressé en profondeur dans son appréhension du monde et de
l'esprit.

Une personnalisation de Ja création

C'est pourquoi jJai du analyser, un peu longuement peut-être, pour la rejeter


nettement, une conception du ciném a trop fréquemment adm ise encore, non seu le­
ment chez les philosophes, m ais parmi le s plus fervents adeptes de l'écran,
notamment les ciné-clubs. Elle ressem ble un p eu à une philosophie du roman à
partir de l'épopée, son ancêtre. On y parlerait encore de la métrique, comme une
com posante essentielle du style romanesque, et on verrait la fonction rom anesque
principale, comme la création du héros tendant au mythe. H y a d'ailleurs, dans
cette conception esthétique du cinéma, une arrière-pensée sociologique et quasi
politique. Ce langage de l'image, universel, était un art de la foule, retrouvant le
contact avec un large public, perdu par le s autres arts individualisés, em bourgeoisés.
Or, il faut bien le constater, qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse, il sem ble
que dans toutes les formes d'expression artistique un m êm e mouvement nous
entraîne d'un art formel, a vec des canons précis, d es genres définis, une inspiration
puissante m ais simple, destiné aux émotions collectives, vers des arts polymorphes,
de style plus libre, d'un ttiessage plus com plexe et plus subtil, destiné à la jouissance
esthétique d'un lecteur et d'un auditeur ou d'un spectateur individualisé. C'est
l'évolution de la fresque rigoureuse s'offiant religieusement sur un mur à la
foule, au tableau de chevalet destiné aux d élices de l'amateur. C'est le p a ssa g e
de la récitation lyrique au poèm e e n vers libres, de l'amphithéâtre à la petite
scène du drame ou de la com édie bourgeoise, de l'épopée au roman.
L'œuvre cinématographique a évolué de la m êm e façon. Certes, bien des
films populaires n'ont pas obéi à cette loi, com m e le roman d'aventure et le
feuilleton, résidus du récit épique, ont subsisté à côté du roman psychologique
moderne. Meus les nouveaux films valab les correspondent bien à cette forme
contemporaine de l'œ uvre d'art. le pense par exem ple aux dix meilleurs films
de l'année dernière qui, selon un référendum établi par un ensem ble de critiques,
allaient de Senso à Sourires d'une nuit d'été, d'Un Condamné à mort s'est échappé
au Mystère Picasso précisément. Je crois que huit sur dix de ces films sont des
films difficiles destinés à un spectateur individuel et averti ; tous représentent des
tons ambigus, des genres m élangés. Nous som m es très loin d es -trois m asques
antiques, selon lesquels on classait im placablem ent les films d'il y a vingt ans,
comme le fait encore m a concierge, en drames, comiques bu policiers.
Et si l'on me dem ande quelle est la nouveauté cinématographique la plus impor­
tante depuis dix ans, je répondrai peut-être : c'est l'utilisation du flash-back et
l'introduction du récitant. Elles ont donné à la construction cinématographique la
souplesse et la complexité du récit littéraire. Elles lui ont ouvert les nuances les plus
subtiles de l'expression personnelle.
Car ce mouvement général d es arts dont je parlais tout à l'heure, a été en
m êm e temps qu'une individualisation du public, une personnalisation de la création
(sans mettre en cause le génie personnel d'Homère), des créateurs eux-mêmes.
Plus exactement il v a vers l'expression de plus en plus poussée par le créateur,
non plus de valeurs communes, m ais d e leur différence.

34
Même signé Cayatte, un scénario de Prévert donne un film de Prévert (Les Amants de
Vérone).

L'évolution actuelle du ciném a se produit donc dans le sens général d'une


personnalisation de la création. Certes Stroheim, ou Murnau, ont fait une oeuvre
personnelle. Mais ne nous faisons-nous pas illusion sur certains grands noms du
cinéma classique — ou primitif, comme vous voulez — qui incarnent plus un
stade de la technique qu'une vision originale du monde ? Eisenstein et Poudovkine,
malgré leur différence de tempéraments, n'expriment-ils pas avant tout un certain
style formel qui est celui de l'école russe d'après la guerre de 14 ? Tandis qu'après
la guerre de 40, au contraire, la prétention du néo-réalisme italien à exprimer
essentiellement une réalité sociale, et à se fonder sur une méthode commune, comme
l'abandon du ciném a d'acteur, a bien vite éclaté pour laisser apparaître des person­
nalités aussi irréductibles que Rossellini, Visconti ou Fellini.
Puisque nous som m es arrivés après l'œ uvre à l'homme, avant d'essayer de
décrire le créateur de ciném a contemporain, dominant une technique enfin fixée
et se servant de ce souple instrument pour délivrer un m essage intérieur ^— tout
comme le romancier qui ne se préoccupe p as d'abord ou essentiellem ent de
technique littéraire — je dois faire pourtant une réserve, effectuer une sorte de
recul sur ce que je viens de dire.
Il m'est arrivé quelquefois de définir la conception du ciném a que je viens
d'exposer, et qui v a objectivement, je le crois du moins, dans le sens de l'évolution
du septième art, par une formule un peu provocante : le ciném a n'est p as un
spectacle.
Or, si esthétiquement, dans ses meilleures tentatives, le film cherche en effet
à ne pas être spectaculaire, pratiquement, sociologiquement, économiquement, il
reste actuellement un spectacle. D'où le drame du cinéaste. Je voudrais ici prendre

35
un exemple. J'ai travaillé récemment pendant plusieurs m ois a vec René Clément
à l'adaptation pour l'écran du Hussard sur 2e toit, de Giono. C'est le type du
récit picaresque, construit par ailleurs, dit Giono, comme un opéra italien. Or,
Clément, qui a une grande finesse de sensibilité, voulait bien conserver l'inattendu
du récit et l'originalité de ton, m ais il voulait en m êm e temps — et c'était là
l'origine de notre conflit — urne construction serrée, une progression dramatique, un
suspense... etc. Vous comprenez, me disait-il, mon film doit aussi être applaudi à
Tokio et à Buenos Aires. C'est là l'écartèlement du créateur de cinéma, non p as
seulement entre l'art et le commercial, mais plus exactem ent entre l'envie d e liberté
et de profondeur dans la représentation que p ossède le roman et la nécessité
d'efficacité immédiate que doit avoir tout spectacle.
Et puis le film serait trop long, me disait très justement Clément. C'est je crois
Thibaudet qui distinguait dans les arts du temps, le s arts limités comme le sonnet,
la nouvelle ou la pièce, comportant par cela même des contraintes de forme, et plus
dramatiques que les arts illimités comme le roman.
Par vocation esthétique, le cinéma est un art illimité (les quelques grands films
d e plusieurs heures nous font pressentir les perspectives temporelles qu'il peut
déployer, avec la mémoire jouant, comme dans un livre à l'intérieur de l'œuvre). En
fait, c'est un art limité où en une heure quarante le metteur en scène doit saisir et
retenir un vaste public.

L ’auteur de film
Nous pouvons maintenant terminer en abordant plus concrètement le problème
de l'auteur de film, c'est-à-dire du rôle d e l'homme dans la création cinématographi­
que. J'écarte tout de suite le faux problème du film création collective. Que l'apport
de nombreux techniciens spécialistes, m êm e si on le s appelle collaborateurs d e pro­
duction, concoure à la réussite d'un film, n'est p as du ressort de la création m ais
simplement d e la production d'un film.
Capital au contraire, mais insoluble à vrai dire, est le problème du droit moral
d'auteur qui revient dans un film au scénariste et au metteur en scène. Problème
qui voisine sans se confondre avec le problème des rapports de la conception et de
la réalisation dans la création cinématographique. On a quelquefois parlé du couple
scénariste-metteur en scène. En fait dans le s œ uvres valab les il y a toujours subor­
dination, dans un sens ou l'autre à un créateur-leader. Qu'il soit m is en scèn e par
Christian-Jaque, Cayatte ou Carné, un scénario de Prévert donne, plus ou m oins
réussi, un film de Prévert. Inversement, quel que soit le scénariste, m is en scène par
John Ford, un film est un film de John Ford.
C e qu'il y a d e certain, c'est que l'évolution du ciném a donne une importance
professionnelle de plus en plus grande cru scénariste. Il n'y a qu'à voir dans les chif-
fres le montant de se s honoraires. D'autre part, les metteurs en scèn e qui font aujour­
d’hui figure d'auteurs sont plus ou moins auteurs complets. En France, René Clair,
Clouzot sont des écrivains. A vec des bonheurs différents, Bresson et Becker écrivent
maintenant eux-mêmes leurs dialogues. En Amérique, le metteur en scèn e le plus
plasticien, celui qui dans l'image est revenu aux sources de l'expressionism e, est
d'abord un hom m e du verbe, un homme de radio et de théâtre : j'ai nom m é Orson
W elles.
Il est pourtant sûr qu'il y a loin du scénario le plus élaboré au film a ch ev é et
que si l'on voulait esquisser une caractérologie du metteur en scène, définir une
« conduite » du cinéaste parallèlement à celle de l'écrivain, on serait am ené à mettre
en premier plan des valeurs d e tempérament, d'autorité, d e décision, de com m unica­
tion qui sont à l'opposé des valeurs de scrupule, d e rêve et d e solitude qui caractéri­
sent communément l'écrivain.
Car un film, dans son tournage, est une division blindée qui n e doit jamais
s'arrêter. Sur le plateau au m oins la création cinématographique ne peut connaître

36
La nouvelle « aventure » de Jean Renoir : Le Déjeuner sur l’herbe.

le s hésitations, les ratures, les repentirs qui sont des démarches norm ales de la
création littéraire. En ce sens l'architecte ou l'orateur auraient plus de points com­
muns avec le cinéaste que le romancier ou le peintre.
C es qualités sont d'ailleurs, tout autant que du metteur en scène, celles du
« director », qui, en Amérique, on le sait, est l'auteur d'un film. On dit « dirigé par »
et non « mis en scèn e par ».
La terminologie américaine m 'am ène à un autre aspect de l'homme d e cinéma :
le directeur d'acteurs. Au théâtre les acteurs jouent la com édie entre eux. Au studio
chaque interprète a pour partenaire principal le metteur en scène. Dans le souvenir
concret d'un cinéaste, un film est m oins la m ise au point d'un scénario, le réglage
d'une prise de vues, que la bataille charnelle sim ultanée m enée pendant dix sem ai­
n es avec d es visages, des regards, des gestes et des voix de quatre ou cinq acteurs
et actrices. Il est curieux, et bien significatif des contradictions et des ambiguïtés du
cinéma, de noter qu'au moment où, en Italie et en France, De Sica et Bresson cher­
chent à éliminer les comédiens professionnels, à Hollywood, la nouvelle et brillante
génération de metteurs en scène, de N icholas Ray à Logan, sort tout entière des
recherches d e l'Actors' Studio de N ew York.
Il suffit de réunir les divers caractères que je viens d'esquisser sur le même indi­
vidu pour faire le portrait de l'homme de ciném a type : ce pourrait être celui de Jean
Renoir. Grand animateur, un peu aventurier (il a vendu des tableaux de son père
d ans sa jeunesse pour produire lui-même ses films), dialoguiste, écrivain de théâtre,
ayant gardé en trente films la m êm e thématique, prodigieux directeur d'acteurs (ne
s'imposant p as au comédien, comme un Clouzot, m ais au contraire le poussant dans

37
son sens), il est par-dessus le m arché le plus grand plasticien de l'écran, ce qui,
quoi que je m e sois laissé aller à dire, est un attribut essentiel de l'homme d e
cinéma.
Renoir a aujourd'hui soixante ans. Car au cinéma, la création qui paraissait
l'apanage de la jeunesse, comme pour le s m athématiciens et les poètes, s'épanouit
aujourd'hui comme chez les peintres, avec la maturité.

Crise et régression ?

C'est pourtant à la vocation qu'on devrait saisir le mystère humain du cinéma.


Pourquoi mon ami Alexandre Astruc, qui aurait pu être un brillant romancier ou un
grand essayiste, a-t-il voulu absolument faire des films où il s'exprimera beaucoup
plus difficilement ? Chez beaucoup d e jeunes c'est essentiellement, je crois, le désir
d'une audience élargie (avec ses conséquences impures qui s'appellent la gloire et
l'argent).
Georges N eveux m e faisait remarquer qu'il y a une échelle irréversible. A la
base, le poète, le plus pur et le plus isolé. Il devient normalement, à 30 ans, roman­
cier, p asse de la plaquette à cinq cents exem plaires au tirage à cinq mille. M ais un
romancier n e se met jam ais à publier d es poèm es. Le romancier qui a connu le suc­
cès p asse souvent au théâtre, comme Mauriac et Montherlant. Mais on n e voit
jamais un Anouilh avoir la tentation d'écrire un roman. Pagnol, enfin, p asse du
théâtre au cinéma. Mais il faut la folie m erveilleuse de Jean Renoir pour opérer le
mouvement inverse.
N eveux m e disait cela il y a cinq ans et, encore une fois, ce n'est peut-être
déjà plus aussi vrai. Je connais nombre de scénaristes qui, comme Prévert, revien­
nent à la littérature, qui aujourd'hui, m êm e matériellement, est aussi intéressante.
Car la fam euse crise du ciném a est bel et bien une réalité, économique et artis­
tique. Il est plaisant, à l'époque où les sociologues s'intéressant au septièm e art,
parlent de l'ère de l'homme cinématographique, que le s banquiers, dont la vision est
souvent plus juste que celle d es sociologues, se demandent si l'industrie ciném a­
tographique, dont on a toujours d'ailleurs exagéré l'importance {le chiffre d'affaires
total du cinéma français, 55 milliards, est inférieur à celui des Galeries Lafayette),
si l'industrie cinématographique, dis-je, n'est p as en régression définitive.
Régression au profit de la télévision. Car ce succédané de l'écran est en train
d'écarteler la production et l'art cinématographique. A l'absorption par la télévision
du film courant et populaire, le ciném a a répondu par le s superproductions à grand
spectacle en CinemaScope, dont le s prix de revient ne s'amortissent que par un
choix de sujets et une facture faciles excluant le plus souvent les œ uvres valables.
Entre le s deux il n e reste qu'une faible marge, économiquement fragile, pour le s
films d'auteurs, tels que j'ai cherché à le s définir, s'adressant au spectateur évolué
et qui, par-delà un formalisme étroit et dépassé, avaient enfin rejoint la noblesse et
la profondeur des arts traditionnels.
Mais ne soyons p as trop pessim istes. Qui sait, un changement dans le m ode
unique de distribution de films, un amortissement en profondeur sur dix ou vingt
ans, permettront peut-être aux film s d'auteurs de subsister à côté de la télévision et
des superproductions, comme en édition, l'excellent livre à faible tirage im médiat
reste m algré tout possible, entre le best seller et la série noire.
le regrette de terminer ainsi sur un point d'interrogation, et de vous avoir
apporté une vision du cinéma comportant plus d 'analyse que de synthèse, plus
d'ambiguïté que de clarté. C ela tient je crois à la nature du cinéma, peut-être au ssi
à celle de mon esprit plus à l'aise en tout cas dans la discussion que dans l'exposé.
Roger LEENHARDT.

38
LES P E T I T S SUJETS
par Claude Chabrol

A qui veut tourner un sujet de son choix, deux solutions sont offertes. Selon ses
aspirations, le cinéaste peut conter la révolution française ou une querelle de voisins,
l'apocalypse de notre temps ou l'engrosse ment d'une servante d'auberge, les dernières
heures de héros de la résistance ou l'enquête sur le meurtre d'un prostitué. C'est une
question de personnalité ; l'important est que le film soit bon, n'est-ce p as ?, bien
conduit, bien construit, et que ce soit du bon cin ém a La seule différence que l'on
pourra se permettre de faire entre l'apocalypse et le prostitué, la révolution et la
servante d'auberge, les héros et les voisins querelleurs se situe a u niveau de
Vambition du sujet. Tant il est vrai qu'il existe d es petits et des grands sujets. Que
celui qui n'est p as d'accord lève le doigt.
Dès lors, tout est simple : il est aisé de deviner quel film est digne d'estime et
quel ne l'est pas. Je prends deux feuilles de papier et j'écris sur l'une :
L'A pocalypse d e notre tem ps. —- Scénario : « Après une guerre atomique totale, la
vie a disparu de la surface de la terre. N e suivit qu'un Noir qui se retrouve seul dans
New York, Il organise sa vie, du mieux qu'il peut, m ais souffre de son isolement.
Au bout de deux mois, il se rend compte qu'un autre être, une fem me blanche, a
survécu au désastre. Il la rencontre. Bientôt, il l'aime, m ais ses com plexes de race
lui rendent le bonheur impossible. Deux mois plus tard, un Blanc apparaît dans un
cris-craft. Lui aussi veut la fille. Le Noir tend d'abord à s'effacer, puis réagit et se
pose en rival. Le Blanc décide un duel à mort, et dans la ville déserte, face au palais
de l'O.N.U., les deux derniers hommes se livrent la dernière guerre. Tant il est vrai
que la guerre, folie des hommes, est bien « l'A pocalypse de notre temps ».
Sur l'autre feuille de papier, j'écris :
Une qu eielle entre voisins. — Scénario : « Dans une région perdue d es Causses,
un pauvre fermier vit seul. Il a organisé sa vie, du m ieux qu'il a pu, m ais souffre
de son isolement. Un jour, un autre être humain, une fem me de la ville, a une
panne de moteur et subit le charme de la cam pagne. Le paysan lui fait les honneurs
de sa terre et lui révèle sa vie rude. Bientôt il l'aime, m ais son état de paysan, face
à la citadine, lui rend le bonheur impossible. Un peu plus tard, un ancien paysan,
qui a beaucoup vécu à la ville, décide de retourner à la terre. Il s'installe à côté
du premier paysan, et bientôt, lui aussi, veut la fille. Notre premier p aysan décide
d'abord de s'effacer, puis réagit et se pose en rival. L'autre décide un duel à mort,
et dans la C ausse désertique, battue par le vent, face aux sau vages Cévennes, les
deux hommes de l'endroit se livrent bataille. Tant il est vrai que les p aysans se
complaisent dans les « querelles entre voisins ».
le compare les deux feuilles, le s fais lire autour de moi, le s propose à des
producteurs. Aucun doute : V A p o ca lyp se d e notre tem ps est un grand sujet, La
Q uerelle entre voisins, une histoire banale et sans intérêt. Je tourne, comme je
l'entends, L'A pocalypse d e notre temps, et je ponds le plus sublime navet de la
décade. Tout le m onde est étonné, moi le premier. Pourtant, certains s e laissent
abuser : le film est peut-être imparfait, maïs le sujet est tellement grand qu'il ne
peut laisser personne indifférent. On proclame : « L'Apocalypse de notre temps
est intéressant à plus d'un titre. » Mais moi, qui sm s un imbécile, mais m e rends
compte de la qualité d'une pellicule impressionnée, je sa is que l'œuvre de m a vie
est une pauvre chose.
Dans un éclair de lucidité, je reprends La Q uerelle entre voisins et je vois que
le sujet est le même, et je vois aussi qu'il n e tient p as debout. Libérée de son décor

39
L e s g r a n d s su je ts : L a s N ie b e lu n g e n , d e F r itz L a n g .

apocalyptique, les deux pieds sur la terre, L'Apoccrlypse d e notre temps n'est ni de
notre temps ni d'un autre : elle ne tient compte, La Q ueielle entre voisins le prouve,
d'aucune vérité, ni sociale, ni psychologique, ni même ontologique. Cette A pocalyp se
était une ânerie, au m êm e titre que La Querelle entre voisins.
Voici où je voulais en venir : en dehors même de toute considération ciném a­
tographique qui n'a rien à faire ici, le grand sujet n e vaut p as m ieux que le petit.
C'est un miroir aux alouettes qui sert encore, de temps en temps, d'attrape-nigauds.
Allons plus loin. En définitive, ce n'est pas le sujet qui est grand, dans cette
histoire d'Apocalypse, puisque la m êm e trame donne le plus inepte d es drames
paysans. C'est le trompe-l'œil : le décor. Une ville déserte n'offre p a s de possibilités
cinématographiques plus grandes qu'un coin des Causses, bien au contraire, m ais
elle impressionne le crétin, qui n'en a jamais vu.
O crétin, voici les p ièges où tu tombes : voici les grands sujets.
Nomenclature exhaustive d es grands sujets.

a) GRANDS SUJETS HISTORIQUES :


Adam e t Ève (surtout si on n e les montre p as à poil). Certaines allégories sont
permises, à condition que le nom d es personnages soit explicite : Eve ou Eva, Adam
comme nom de famille. Le serpent est bien sûr le séducteur.
Les A lbigeois, aussi ap pelés Raison d'Etat.
Jeanne d'A ïc, et par extension : la sainteté, la putain au grand cœ ur ou héroïque
(infirmière Marthe Richard au service, résistante, elle couche a v ec Hitler pour lui
faucher les documents, victime de la guerre froide), d es enfants, d e s m ères et un
général.

40
Les petits sujets : Le Retour de Frank James, de Fritz Lang.

La Révolution française, et celle qui se continue à travers le monde, la lutte


d es classes, les grèves, les suffragettes, l'égalité de la femme.
Les guerres, que l'on déteste, m ais qui font les héros, les bonnes causes et les
m auvaises. A ce sujet, s'ajoute facilement Jeanne d'Arc.
La b om be atom ique, apocalypse de notre temps.

b) GRANDS SUJETS HUMAINS :


L'Amour, caractérisé par le problème du Couple (sans l'intervention du serpent) :
brèves rencontres, subtiles variations du cœur.
La fraternité virile : je suis le gardien de mon frère, et je le sauve d e la
déchéance.
Mon propre bourreau ; descendu au fond de l'abîme, homme, il trouve la force
d e remonter.
Le vert Paradis ; le s mystères de l ’enfance et de la vie, les heurts entre l'inno­
cence et le Monde des Adultes.
Lcr Morf : il revoit sa vie et pourrit de honte. Il était sec, il n'aimait pas les
Hommes.
Dieu : je m e défroque, tu te défroques, il se défroque. Pourquoi nous défroquons-
nous ?
C'est tout.
i
A mon avis, il n'y a pas de grands ou de petits sujets, parce que plus le sujet
est petit, p lus on peut le traiter a vec grandeur. En vérité, il n y a que la vérité.
Claude CHABROL.

41
LE TEMPS DES CAILLES

par Jacques Audibexti

Il est donc arrivé, le temps des prunes mûres, le temps où les cailles rôties tra­
versent le ciel où marchaient autrefois l<3s strictes hirondelles ! Peut-être, en fait d e
prunes et de cailles, s'agit-il seulement d e ce long boulot découpeur et manipulant
par quoi le poète se flatte d'en avoir fini avec la période sonnet de sa vie pour
aborder enfin aux adultes plateaux.
J'ai connu la dernière diligence et le premier avion. « }e ne monterai p as d a n s
cette chose bleue », disais-je aux environs d e trente, trente-deux. J'y suis monté. De
même, au-delà de l'encre noire et de la plum e métallique, elle vient, elle est là, la:
saison du celluloïd, des coups de marteau sur les parquets de Boulogne et de cette
machinerie optique qui est en elle-même une réussite de nos âges, non m oins
impressionnante, quoique en plus froid, que n os — je d is nos I — longs métrages.
En fait, l'auteur de La Poupée, puisque Poupée il y a, c'est Jacques Baratier.
Moi, je ne suis que le fournisseur du romandou, du romandon.
Esquissons ici le portrait de Jacques Baratier, avant que se s films se soient
chargés de le dévoiler tout entier. Cet esprit étincelant atteste deux siècles d e civi­
lité pointue. En Baratier se dessine la France en ce que contiennent de convention­
nellement authentiques des notions telles que la galanterie française, la politesse fran­
çaise et, en toute simplicité, le génie français. A la m anière d es gardes républicains
à cheval qui, lorsqu'ils montent leur moto d'ordonnance, les jours de fête diploma­

42
tique carillonnée, abandonnent le casque à crins et les éperons pour conserver le
bleu habit à revers écarlate et le s culottes de daim blanc d e Rocroy, de même Bara­
tter, par le travers des Sahara, des festivals et des m ontages, garde et maintient 1er
tournure m entale d'une sorte de devin marquis. Perspicace, en effet, psychologue en
diable, toujours en avance d'une seconde, ou de deux, aux rendez-vous d e la conver­
sation, a u risque, quelquefois, qu'on ne le trouve plus, il prolonge jusque dans son
ouvrage maghrébin Goha, la tradition talon rouge d e « Candide » et des « Lettres
Persanes ». Metteur en scène de m a Poupée aztèque, il m'entraîne hors de m a charn-
bre du cinquièm e arrondissement. C'est ainsi que La Fayette, autre motocycliste
ambigu, édifiait les premiers gratte-ciel de New York sous prétexte d'amener Rous-
seau au cinéma. Je tremble d'ailleurs que mer Poupée lui joue de m auvais tours.
Il est bien difficile de se faire à l'idée qu'une histoire sortie de votre tête (je veux
dire la mienne, ô miroirs du la n gage !) aboutisse pour de bon à des labyrinthes de
responsabilité traduits par quarante kilomètres de pellicule,, sans parler des pistes
de son et d e tous les serpents, contre-ordre et contre-champs du tournage.
Je suis bien trop modeste pour imaginer que les CAHIERS se soient arrangés
pour faire coïncider leur centenaire avec m a naissance au cinéma. Comme tous les
rédacteurs des CAHIERS parviennent tôt ou tard et tôt que tard à la gloire par la
caméra, trois cents mètres - sans doute mon p a ssa g e che 2 eux m e vaut-il de
prendre à mon tour place parmi les criquemouleurs de la tacatac.
Que mon euphorie néophyte vous salue, m es chers anciens ]
Jacques AUDIBERTI.

Goha, de Jacques Baratier.

45
Inginar Bergman (à gauche) et son opérateur Sven Nykvist lors du tournage de son
dernier îilm, JungjnikaUan (La Fontaine de la jeune vierge).

CHACUN DE MES FILMS


EST LE DERNIER
par Ingmar Bergman

L'expérience doit s'acquérir avant d'avoir atteint la quarantaine, affirmait Un


sage. Passé cet âge, on peut se permettre d'avoir des opinions.
T'ose prétendre que dans mon cas c'est plutôt le contraire qui s'est produit.
Personne n'était plus convaincu que moi du bien-fondé de ses théories ni plus d écidé
à en faire part aux autres- Personne n e s'y connaissait mieux ni ne savait s'expliquer
avec plus d'aisance.

44
Aujourd’hui que j'ai quelque peu vieilli, je suis devenu plutôt circonspect. L'expé­
rience déjà acquise, sur laquelle je voudrais m'étendre, est d'une telle nature qu'il
m'est difficile de m ’exprimer sur l'art du cinéaste. Certes mon métier suppose une
certaine habileté technique et d es qualités intellectuelles, m ais l'essentiel de mon
expérience demeure incommunicable, sauf peut-être à des cinéastes en puissance.
Je suis en outre convaincu que la seule véritable contribution que l'artiste puisse
apporter au débat réside dans son oeuvre.
Autrefois l'artiste demeurait incognito, et c'était une chose excellente. Son anonymat
relatif le protégeait des influences extérieures néfastes, lui évitait d e se perdre dans
les considérations matérielles et d e prostituer son talent. Il accomplissait sa tâche
selon son inspiration et sa conception d e la vérité, et laissait au Seigneur le soin
de juger. En conséquence, il vivait et mourait sans s'être cru ni plus ni moins impor­
tant que n'importe quel autre artisan. Des m ots comme « valeurs étem elles », « im­
mortalité » et « chef-d'œuvre » n'avaient aucun sens pour lui.
Son travail était dédié à la gloire de Dieu. Son habileté de créateur était à la
fois un don et un accomplissement. Dans un tel univers s'épanouissaient le talent
naturel et la plus profonde humilité, deux qualités rares indispensables pour faire
œuvre d'art.
La vie actuelle rend la position de l'artiste d e plus en plus précaire; l'artiste
est devenu objet de curiosité, une esp èce d e com édien ou d’athlète perpétuellement
en quête d ’engagem ent. Son isolement, son individualisme de plus en plus sacré,
sa subjectivité artistique le prédisposent aux ulcères d'estomac et aux névroses. Il
lire fierté d'un goût de l'exclusivism e qui ressem ble à une malédiction. L'exceptionnel
est à la fois son tourment et s a joie.
Il se peut que je tende à ériger en règle générale m es seuls com plexes'personnels.
Il se peut égalem ent que le poids d es responsabilités s e soit accru et que les
problèmes moraux soient si m alaisés par suite de la dépendance d e l'artiste à l’égard
des réactions populaires et des contraintes économiques.
Quoi qu'il en soit, j’a i maintenant le sentiment que le temps est venu de mettre
de l'ordre dans m es pensées, de définir m es principes de b ase et l'essentiel de ma
position. Je n'ai nullement l'intention d e présenter ces réflexions com m e des jugements
catégoriques, n'y voyez que d es appréciations personnelles, avec quelques remarques
très objectives sur les problèmes techniques et moraux qui se posent au cinéaste.

Naissance du scénario,

Le script souvent prend naissance à partir d’un détail insignifiant, m al défini :


une réflexion formulée à l'improviste ou un brusque changem ent dans la phrase, un
événement obscur m ais séduisant, san s rapport précis avec la situation qui vous
occupe. Ce peuvent être quelques notes de musique, un rayon de lumière en travers
de 3o rue. Il m'est arrivé au cours de m es m ises en scène de théâtre de voir des
acteurs fraîchement m aquillés dans d es rôles encore injoués.
Dans l'ensemble, il s'agit d'impressions fugitives qui disparaissent aussitôt qu'elles
ont surgi, m ais laissent derrière elles le sentiment d'un rêve plein d'attrait.
Elles ressemblent si l'on veut à un fil brillamment coloré émergeant des pro­
fondeurs de l’inconscient. Si je déroule ce fil a v ec infiniment de précaution, il en
sortira un film achevé.
J'aimerais préciser qu'il ne s'agit nullement d'une P àllas Athénée jaillîe toute
armée du cerveau d e Zeus, m ais d ’un phénom ène incohérent, quelque chose comme
un état d’esprit plutôt qu'une histoire véritable, pour cette raison m êm e débordant
d'associations et d'images.

45
Birgitta Petersson et Gunnel Lindbloin dans Jiingfnikallan.

Tout ceci se traduit en cadences et en rythmes irès particuliers, propres à chaque


film. A travers ces rythmes, les séquences prennent une forme précise, en harmonie
avec l’idée de départ et le motif central.
Dès le début, cette cellule primitive aspire à vivre, m ais ces progrès sont souvent
irès lents, parfois m êm e quelque peu désordonnés. Si, à c e premier stade, elle se
lé v è le avoir assez de force pour se transformer en film, je décide de lui donner vie
et me mets au travail sur le scénario.
Le sentiment d'échec se produit surtout au moment où l'on se met à écrire son
histoire. Les rêves s'effilochent comme des toiles d'araignée, les visions s'estompent,
deviennent ternes et insignifiantes, les cadences se taisent, le tout ressem ble au jeu
m inable d'une im agination fatiguée, sans force ni réalité.
J'ai donc décidé de tourner un certain film et je m'attelle maintenant à la tâche
délicate et com plexe de rédiger le scénario. Il me faut convertir rythmes, impressions,
atmosphères, tensions, séquences, tonalités, parfums, en mots et phrases d'un script
facile à lire ou du m oins à comprendre.
Difficile m ais non impossible.
Lè plus important est le dialogue, mais le dialogue, matière sensible, offre parfois
de la résistance. Nous savons par expérience (ou nous devrions savoir) que le
dialogue de théâtre, dialogue écrit, est presque incompréhensible au lecteur ordinaire.
L'interprétation du dialogue de théâtre exige un réel brio technique et une bonne
d ose d'imagination, qualités peu fréquentes dans la profession théâtrale.

46
Birgitta Petersson, Axel Düberg et Tor Isedal dans JiiugjrukalUjn.

On écrira ses dialogues, mais les indications quant à leur manière de s'en servir,
tout ce qui concerne le rythme et le mouvement, la vitesse du débit et la m anière de
remplir les silences, tout cela, pour les raisons pratiques, sera exclu du script qui
risquerait de devenir illisible a v ec une telle m asse d e détails.
Dans mon scénario, je puis comprimer indications de m ise en scène, positions des
personnages, détails de jeu et d'atmosphère, en termes suffisamment clairs, pourvu
que je sache tenir une plume et que le lecteur veuille bien se donner la peine de
lire (ce qui n'est pas toujours le cas !).
Mais j'en viens maintenant à l'essentiel, c'est-à-dire le montage, le rythme, et
le rapport d'une im age à l'autre — cette « troisième dimension » vitale sans laquelle
le film n'est plus qu'un produit usiné, sans vie. Je ne puis ici rendre compte des
recherches d'intensité dramatique ou indiquer les cadences à utiliser ; il est presque
impossible de communiquer à un tiers ce qui donne vie à l'œuvre d'art. Je me suis
souvent efforcé d e trouver une forme de notation qui m e permettrait d'enregistrer
les nuances et les tonalités conceptuelles, la structure interne du film.
Une fois plongé dans l'ambiance désolée (au sens artistique) et laborieuse du
studio, les m ains et la tête pleines de ces détails futiles et irritants, inséparables de
la production cinématographique, je dois faire le plus grand effort pour m e souvenir
de ma vision originale, de la façon dont j'avais conçu telle ou telle séquence, et du
rapport entre une scène tournée quatre semaines plus tôt et celle d'aujourd'hui. Si
je pouvais m'exprimer clairement, ce facteur d'irrationalité serait pratiquement éliminé

47
de mon travail, j'œuvrerais en toute liberté et n'aurais aucune pein e à établir, chaque
fois qu'il m e plairait, la liaison entre les parties et le tout.
Une dernière fois, répétons donc que le scénario est une b a se technique fort
im parfaite pour tourner un film.

A chacun son rôle

A ce propos, je voudrais attirer l'attention sur un autre fait par trop méconnu.
Le cinéma n'est p a s la littérature. Le plus souvent le caractère et la substance de
ces deux formes d’art s ’opposent. Il est m alaisé de dire pour quelle raison, m ais à coup
sûr cela dépend en grande partie de la façon dont nous réagissons à chacune d'elles.
Le mot écrit se lit puis s'assim ile par un acte conscient, et p eu à peu influe sur
notre imagination et nos sentiments. Tout change radicalem ent a vec le film. Quand
nous nous rendons au cinéma, nous savons parfaitement qu'une illusion nous y attend,
nous nous laissons aller et l'acceptons. Le déroulement d es im ages agit directement
sur notre sensibilité san s affecter notre intellect. Il y a d'innombrables raisons pour
ne p as porter à l'écran des œ uvres littéraires, m ais la plus importante est, en général,
l'impossibilité d'y retrouver cette dimension irrationnelle qui est au cœ ur de toute
œ uvre littéraire et à son tour tue la dimension propre au cinéma. Si nous voulons
néanmoins transposer une œ uvre littéraire en termes filmiques, nous som mes obligés
d'effectuer un nombre considérable de transformations com pliquées pour aboutir à
un résultat médiocre, très limité, sans rapport avec la som me d'énergie dépensée.
Je sais ce dont je parle parce que j'ai été soumis au soi-disant « jugement litté-
téraire ». Laisser critiquer un film par un spécialiste de la littérature me paraît aussi
peu raisonnable que d e confier le compte rendu d'une exposition de peinture à un
critique musical, ou celui d'une nouvelle pièce à un reporter d e football.
La seule raison qui permette d'expliquer pourquoi tout un chacun se croit capable
de porter des jugements de valeur sur des films est l'incapacité du ciném a à
s'affirmer comme une forme d'art, son besoin d'un vocabulaire artistique définitif, son
extrême jeunesse par rapport au x autres arts, sa dépendance étroite des réalités
économiques, s a façon d^en appeler avant tout aux sentiments. Pour tous ces motifs
le cinéma est considéré comme quantité négligeable, sa puissance expressive le rend
suspect aux yeux de certains, et il en résulte que n'importe qui s'estime compétent
pour dire n'importe quoi n'importe comment sur l'art cinématographique.
Moi-même, je n'ai jam ais nourri l'ambition d'être écrivain. le n'écris p as de
romans, p a s de nouvelles, ou d'essais, ou de biographies, ou d'articles sur d es
sujets particuliers. le ne désire p as écrire des pièces pour le théâtre. Seule m'intéresse
la création cinématographique. l e veux faire des films pour exprimer les états d'âme,
les émotions, les im ages, les rythmes et les personnages qui s'agitent au fond d e moi-
même, et qui d'une façon ou de l'autre me préoccupent. Je sm s un cinéaste et non
un écrivain, l'im age mouvante est mon instrument, non le mot écrit. C'est par l'im age
filmique et son délicat procédé d'enfantement que je veux transmettre mon m essa g e
à m es frères humains. Je trouve humiliant de voir juger m on travail com m e s'il
s'agissait de livres, alors que je crée d es films. Sinon pourquoi n'appellerait-on pas
un oiseau un poisson, le feu de l'eau ?
La rédaction du scénario est donc un travail difficile, m ais fort utile, qui m e
force à prouver logiquement la valeur de m es idées. En cours d'exécution, je m e
trouve pris dans le difficile conflit des situations. Penchant tantôt pour une situation
très embrouillée, tantôt pour la simplicité la plus totale. Comme je ne prétends pas
œuvrer uniquement pour mon bon plaisir ou celui de quelques h a p p y few, m ais poui
le grand public, je ne dois pas perdre de vue les exigences de ce public. Parfois je
m e risque à quelque alternative audacieuse, et il a été prouvé que les spectateurs
sont cap ab les d'apprécier les développements les plus subtils et les plus compliqués.

48
Il y a longtemps que j'ai désiré utiliser le cinématographe pour raconter des
histoires. C ela n e signifie p as que je trouve à redire à la forme narrative, m ais que
je considère le ciném a comme idéalem ent adapté à l'épopée et au drame.
Evidemment, je n'oublie pas que le film permet de faire surgir des mondes
préalablem ent inconnus, des réalités dépassant toute réalité.
Il est d'une grande importance pour notre industrie si m al en point de produire des
rêves rares, des fantaisies légères, d es paradoxes venimeux comme le serpent, des
bulles étincelantes et multicolores.
Je n e prétends p as que ces choses ne se matérialisent jamais, mais elles sont trop
rares et le cœ ur n'y est qu'à demi.

L’épreuve du gros plan

Parfois, tandis que je me trouve là, dans la pénombre du studio, avec ses bruits,
son agitation, sa saleté, son atmosphère suffocante, je m e dem ande pourquoi j'ai
choisi pour m'exprimer cette forme difficile entre fouies de 1er création artistique.
Les règles en sont multiples et accablantes. le dois chaque jour « mettre en
boîte » trois minutes de film utilisables. Je dois m'en tenir au plan de tournage, qui
est si draconien qu'il exclut presque tout sauf l'essentiel. Je suis entouré d'un appa--
reillage technique qui avec une ruse infâme s'efforce de trahir m es meilleures
intentions. Je suis constamment sur la brèche, forcé d e mener la vie collective du

JungjrukSltan : la salle commune chez Messire Tore.

49
Tor Iseclal, l’enfant, et Axel Düherg dans Junjrukallan.

studio. Au milieu de tout ce tumulte s e déroule un processus délicat, qui ex ige le


maximum de tranquillité, d e concentration et de'confiance.
Je veux dire que je dirige d es acteurs et des actrices.
Trop de gens de théâtre oublient que notre travail au cinéma com m ence avec
le visage humain. Nous pouvons certes nous laisser complètement absorber par
l'esthétique du montage, nous pouvons assembler objets et êtres inanimés en un rythme
éblouissant, nous pouvons faire d es études d'après nature d'une beauté indescriptible,
m ais la possibilité de s'approcher du v isa g e humain est sans aucun doute l'origi­
nalité première et la qualité distinctive du cinéma. N ous pourrions de là en conclure
que la vedette est notre instrument le plus précieux et que la caméra n'a d'autre
fonction que d'enregister les réactions de cet instrument. Dans beaucoup de cas,
c'est le contraire qui se produit : les positions et les mouvements de la cam éra sont
considérés comme plus importants que l'acteur et le film devient une fin en soi —
ce qui ne sera jamais qu'illusion et gasp illage artistique.
Pour donner le plus de poids possible au jeu de l'acteur, les m ouvem ents de
cam éra doivent être peu compliqués, libres d e toute contrainte et parfaitement
synchronisés avec l'action. La cam éra doit n'être qu'un observateur impartial et n'a
le droit de participer à l'action qu'en de rares occasions.
Nous devrions réaliser que le meilleur m oyen d'expression que l'acteur a ce
sa disposition est son regard. Le gros plan, objectivement composé, parfaitement
dirigé et joué, est pour le metteur en scèn e le plus extraordinaire m oyen d'investi­
gation, en m êm e temps que la preuve la plus flagrante de sa com pétence ou de

50
son incompétence. L'abondance ou l'absence des gros plans révèlent sans le moindre
doute le caractère du metteur en scène et le degré de son intérêt pour autrui.
Simplicité, économ ie d es m oyens, maîtrise du détail, perfection technique, seront
les piliers sur lesquels reposera chaque scèn e ou séquence. Elles n e sauraient pourtant
suffire à elles seules.

Vient l ’étincelle
Supposée l'existence de tous ces facteurs — et ils sont indispensables — l'élément
essentiel manque encore, l'étincelle qui donnera vie au tout. Cette étincelle m ystérieuse
jaillit ou reste cachée selon son bon vouloir. Cette étincelle de v ie joue un rôle
crucial, m ais ne se laisse jam ais domestiquer.
Par exemple, je sais parfaitement que chaque élément d'une scène doit être
préparé jusqu'au moindre détail, chaque branche de l'organisation collective doit
connaître sur le bout d es doigts le travail qui lui incombe. Toute la m écanique
doit fonctionner sans accroc. Ces préparatifs peuvent prendre ou non beaucoup de
temps, m ais ils ne doivent p as traîner en longueur ni fatiguer ceux qui y participent.
Les répétitions pour chaque prise doivent s'effectuer avec une précision mathématique,
chacun connaissant ce qu’il a à faire.
Voici venu le moment de tourner. Par expérience, je sais que la première prise
est souvent la plus réussie, ce qui va de soi. A la première prise, le s acteurs
s'efforcent de créer quelque ch o se; ce besoin créateur fait jaillir l'étincelle de vie et
s'explique par un phénom ène d'identification spontanée. La cam éra enregistre ce
processus intime de création, guère perceptible à l'œ il nu ou à une oreille peu
entraînée, m ais qui ne s'en trouve pas moins capté et fixé sur la pellicule photogra­
phique et sur la bande son.
le crois que c'est là précisément ce qui m'incite à faire du cinéma et m e fascine
dans ce m ode d'expression. La création et la conservation d'une étincelle d e vie
soudaine m e récompensent amplement de milliers d'heures de profond désespoir,
d'épreuves et de tribulations.
L'acteur doit s'identifier inconditionnellement avec son rôle. L'identification doit
être comme un costume. Une concentration trop poussée, un perpétuel contrôle de
ses émotions et vin travail à haute tension sont complètement exclus. L'acteur doit
être capable, au sens le plus purement technique (et si possible avec l'aide du metteur
en scène), d'entrer dans la p eau d'un personnage et de l'abandonner à volonté. La
tension m entale et les efforts prolongés sont fatals à toute expression filmique.
Le metteur en scène n e doit p as submerger l'acteur sous le s consignes, m ais,
s'efforcera plutôt d e se faire comprendre au bon moment. Il ne gaspillera ni n'écono­
misera se s paroles. L'acteur tire peu de bénéfice d'une an alyse intellectuelle. Ce
qu'il désire, ce sont des instructions précises en temps utile et certaines corrections
techniques sans enjolivements ni digressions. le sa is qu'une intonation, un regard
ou un sourire peuvent lui être souvent d'un bien plus grand secours que l'analyse
la plus pénétrante. Cette façon d'agir évoque un peu la sorcellerie, m ais il n'en
est rien ; ce n'est qu'une méthode sûre et éprouvée pour le metteur en scène de
contrôler l'acteur. A vrai dire, moins nous discutons, causons, expliquons, mieux nous
nous comprenons par nos silences, notre bon sens réciproque, notre loyauté naturelle
et notre confiance.

Mes trois commandements


Beaucoup de gens s'imaginent qu'une industrie cinématographique fondée sur
le commerce ignore toute morale, ou que cette morale est à c e point édifiée sur
l'immoralité qu'une éthique artistique ne saurait exister à partir d'éléments aussi

51
impurs. Notre travail est entre les m ains des homm es d'affaires, qui parfois le
considèrent avec appréhension étant donné que les films ont une certaine affinité
avec quelque chose d'aussi incertain que l ’art.
Même si notre activité apparaît douteuse à bien des gens, je dois insister sur le
fait que la morale qui y préside n'est ni pire ni meilleure que la m oyenne. Par certains
côtés, je me sens un peu comme l'Anglais des tropiques, qui se rase et s'habille chaque
jour avant dîner. Il ne veut nullement séduire le s animaux sau vages, m ais agit
pour son propre bien-être. S'il abandonne sa discipline, la jungle prend l'avantage.
Je sais que la jungle aura triomphé de moi si j'adopte une position morale de
faiblesse ou si je relâche m a discipline intellectuelle. C'est pourquoi j'ai acquis une
sorte de foi, b a sée sur trois commandements d'une efficacité imbattable. Ils sont
devenus indispensables à mon activité dans le monde du cinéma.
Le premier paraîtra un peu indécent, m ais relève en réalité de la morale la
plus noble. Le voici : Le spectateur, à chaque instant, fu divertiras.
C'est-à-dire que le public qui vient voir m es films et m e fournit mon gagne-pain
a le droit de s'attendre à être diverti effrayé ou amusé, à vivre une expérience pleine
d'entrain. Je suis responsable de la qualité de cette expérience. C'est la seule justi­
fication de mon activité.
Il ne faut p as pour autant en déduire que je dois prostituer mon talent, du m oins
pas n'importe comment, sinon j'irais à l'encontre de mon deuxièm e commandement,
qui dit : Les im pératifs d e ta conscience d'artiste, toujours tu suivras.

Tor Isedal, l’enfant, et Axel Düberg dans Junfrukallan.

52
M ax von S y d o w , B irg itta P e te r s s o n e t B ir g îtta V n lb e r g d a n s JungfrukiiU an.

C o m m a n d e m e n t tr è s p é r il l e u x , c a r i l m 'in t e r d it m a n i f e s t e m e n t d e v o le r , d e m e n tir ,
d e p r o s t i t u e r m e s t a l e n ts , d e t u e r o u d e f a ls if ie r . P o u r t a n t, j 'a j o u t e r a i q u e j 'a i le
d r o i t d e f a ls if i e r si j e s u i s a r t i s t i q u e m e n t ju s tif ié ; j e p e u x é g a l e m e n t m e n t i r s 'il
s 'a g i t d 'u n b e a u m e n s o n g e ; je s u i s m ê m e a u t o r i s é à t u e r m e s a m i s , o u m o i- m ê m e ,
o u n 'i m p o r t e q u i, si c e f a i s a n t j 'a i d e m o n a r t ; j e p e u x a u s s i m e p e r m e t t r e d e
p r o s t i t u e r m e s t a l e n t s s i d e l a s o r t e j e f a c i l it e l e t r io m p h e d e m a c a u s e ; e t, à v r a i
d i r e , j 'a i le d r o it d e v o l e r s 'i l n 'y a p a s d 'a u t r e m o y e n d e m 'e n so rtir.
S i l 'o n o b é it à s a c o n s c ie n c e a r t i s t i q u e j u s q u 'a u b o u t, e n t o u te c ir c o n s t a n c e , o n
s e t r o u v e e x é c u t e r u n n u m é r o d 'é q u i î i b r i s t e s u r l a c o r d e r a i d e , e t l 'o n a u n e te l l e
s e n s a t i o n d e v e r t i g e q u 'à c h a q u e s e c o n d e o n r i s q u e d e t o m b e r e t d e s e r o m p r e
l e c o u . A l o r s to u s l e s s p e c t a t e u r s , p r u d e n t s e t m o r a l i s a t e u r s , s 'e x c l a m e r a i e n t : « R e­
g a rd e z , v o ilà c e q u i a rriv e au v o le u r, a u crim in el, a u d é b a u c h é , cru m en teu r. Bien
{ait ! » P a s u n e s e c o n d e n e l e u r v i e n d r a i t à l 'i d é e q u e to u s l e s m o y e n s s o n t p e r m i s ,
s a u f c e u x q u i m è n e n t à l 'é c h e c , q u e l e s m é t h o d e s d a n g e r e u s e s s o n t l e s s e u l e s
q u i s o i e n t a c c e p t a b l e s , q u e -la c o n t r a i n t e e t l e v e r ti g e f o n t t o u s d e u x p a r t i e i n t é g r a n t e
d e n o t r e a c t i v it é . P a s u n e s e c o n d e n e l e u r v i e n d r a i t à l 'i d é e q u e l a jo ie d e c r é e r ,
s o u r c e é t e m e l l e d e b e a u t é e t d e j o u i s s a n c e , e s t i n s é p a r a b l e d e s a f f r e s d e l a c r é a tio n .
O n p e u t p r o n o n c e r to u te s l e s f o r m u le s m a g i q u e s q u 'o n v o u d r a , e x a l t e r s o n h u m ilité
e t r a b a i s s e r s o n o r g u e il t a n t e t p lu s , l e f a it d e m e u r e q u e s u i v r e l e s I m p é r a t if s d e s a
c o n s c i e n c e a r t i s t i q u e e s t u n e p e r v e r s i t é d e l a c h a i r , le r é s u l t a t d e l o n g u e s a n n é e s d e
m o r ti f i c a t io n e t d e q u e l q u e s i n s t a n t s s u b l i m e s d e v é r i t a b l e a s c è s e e t d e c o m b a t. A l a

53
longue pourtant, c'est la m êm e chose, nous le reconnaissons ; au point de fusion se
situe cette zone entre la croyance et la soumission, qu'on peut appeler l'évidence artis­
tique. Je voudrais préciser à cet endroit que ce n'est en aucune façon mon unique but,
m ais simplement que je m'efforce de mon mieux de ne jamais dévier de la direction
choisie.
Pour bien durcir m a volonté et n e p a s glisser de l’étroit sentier dans le fossé,
je suis un troisième commandement, savoureux et bon : Comme s'il était le dernier,
chaque film tu feras.
Certains s'imagineront peut-être que ce commandement n'est qu'un aim able
sophisme, ou un aphorisme gratuit, ou simplement u ne jolie phrase sur la parfaite
vanité de toutes choses. Pourtant c e n'est p as le cas.
C'est la réalité.
Kn Suède, la production cinématographique s'est interrompue pendant une an née
entière, il y a de cela quelque temps. A u cours de mon inactivité forcée, j'ai appris
que, par suite de complications financières, et san s en être le moins du m onde
responsable, je pouvais m e trouver à la ru e'avant m êm e d'avoir eu le temps de
dire ouf.
Je n e proteste pas, je n e suis ni effrayé ni amer, j'ai simplement tiré d e cette
situation la conclusion logique et hautement morale que chaque fiJm est mon dernier.
Pour moi, il importe seulement d'être loyal envers le film sur lequel je travaille.
C e qui se produit par la suite (ou ne parvient p as à se matérialiser) n'a pas
d'importance et n e m e cause ni anxiété ni désir. J'en tire assurance et intégrité
artistique. L'assurance matérielle est apparemment limitée, m ais l'intégrité artistique
m e paraît infiniment plus importante, et c'est pourquoi je suis le principe que ch aqu e
film est mon dernier.
■ J'en tire force d'une autre façon. J'ai vu trop souvent d es gens de cinéma morts
d'angoisse et tenant m algré tout jusqu'au bout leurs obligations. Epuisés, crevant
d'ennui, et sans le moindre plaisir, ils accom plissaient leur tâche. Ils enduraient
humiliations et affronts de la part d es producteurs, des critiques et du public sans
flancher un instant, sans renoncer, sa n s quitter la profession. D'un haussement d'épaule
fatigué, ils apportaient leur contribution artistique jusqu'à l'effondrement ou au
renvoi.
Je l'ignore, m ais peut-être un jour le public ne voudra-t-il plus de moi, peut-être s e ­
rai-je dégoûté de moi-même. La lassitude et la sensation du vide m'envahiront com m e
un sac gris et poussiéreux qui recouvrirait tout, la peur paralysera m es réflexes. Le
néant m e regardera dans les yeux.
Il sera alors grand temps que je dépose m es outils et que je quitte la scène
sans m e faire prier, libre d e toute amertume, évitant de méditer sur l'utilité d e m on
oeuvre et se s mérites en perspective d'éternité.
S a g es et avertis, les homm es du m oyen â g e avaient l'habitude de p asser la
nuit dans leur cercueil afin de n e jamais oublier l'exceptionnelle importance d e
chaque instant et le caractère fugitif de l'existence elle-même.
Sans recourir à des mesures au ssi draconiennes et peu confortables, je m'endurcis
contre l'apparente futilité et l'inconstance cruelle de mon métier de cinéaste en me
convaincant très sérieusement que chaque film est mon dernier.

Ingmar BERGMAN.

(C o p y rig h t b y FILM -NYHETER, S toc k h o lm , mai 1959. T ra d u c tio n de J ea n D é ra n g e r e t Louis


A larcorelles.)

54
Saint-Jouin-de-Marnes (Deux-Sèvres).

LES EGLISES ROMANES


DE SAINTONGE
projet de film dAndre Bazin
« Nulle part en France, Vart roman n’a connu plus de
séduction . » Emile MALE,

La richesse, la force e t la variété sim plem ent touristiques ou délibéré­


de l'a r t ro m an su r le te rrito ire f r a n ­ m e n t savantes, le dom aine m a je u r de
çais ju stifie ra ie n t a p riori ce n t films l’archéologie française.
d ifféren ts qui n ’ép u iseraien t pas le
sujet. Qu’on le p ren n e de h a u t e t p a r O n peut, dans ces conditions, se
ses ensem bles ou selon telle ou telle poser d ’abord le problèm e de la ju s ­
incidence, l’a r t ro m a n est p a r sa tificatio n p articu lière d ’u n film sur les
n atu re, a u ta n t que p a r ses ressources, églises de Saintonge.

55
L’école romane saintongeaise. de F ran ce la densité des p etites églises
de village, conservées d an s leur vraie
Ne le cachons pas, en effet, l'a r ­ physionom ie ro m a n e ,, n ’est san s doute
ch itecture religieuse de S aintonge ne plus forte q u’ici. M. de C hasseloup-
f a it pas p a rtie des grandes écoles L au b at en a relevé plus de cinq c e n ts
rom anes. On y c h e rc h e rait en vain dans les deux d é p a rte m e n ts et l'expé­
l’équivalent des célèbres ch efs-d 'œ u ­ rience prouve qu'il n e s’a g it p a s de
vre de l'a rc h ite c tu re bourguignonne vagues ruines, d 'u n pilier ou d 'u n c h a ­
ou au vergnate, plus encore de ces piteau. C’e st p e u t-ê tre deux à tro is ce n ts
fam eux ensem bles scu lp tu ra u x qui font de ces chapelles de cam pagne qui o n t
la gloire des ty m p a n s de Moissac, de gardé p a rfa ite m e n t la silh o u ette si
Vezelay ou d'A utun. 'A ussi bien les caractéristiq u e de l'église ro m an e sa in -
grands m o n u m en ts m an q u en t-ils en tongeaise, nichée au fond de son m ail
Saintonge, soit qu’ils a ie n t été démolis de tilleuls. E t le voyageur curieux, qui
(comme à S ain t-Jean -d 'A n g ély ), où s’enquerra de l a clef p o u r visiter, fera
larg em en t m utilés (comme à Saintes) ; presque to u jo u rs en ch acu n e d’elle de
les grandes églises so n t su rto u t sur merveilleuses découvertes su r les piliers
le pourto u r, à Poitiers, à Angoulême, en du chœ ur ou les c h a p ite a u x de la nef.
Vendée ou au S u d d an s le Bordelais La prospection de ce tréso r éparpillé
et le Périgord. au détour des ch em in s vicinaux a p p a ­
E t p o u rta n t, nulle p a rt m ieux qu’en- r a ît inépuisable.

Le porche de l’hospice, à Pons.

tre la Vendée et la Gascogne, l’Aunis et Il im p o rte ra san s doute d ’indiquer au


l'Angoumois, F a rt e t l ’arc h ite c tu re ro­ m oins les p rin cip ales causes historiq ues
m an s n 'a p p a ra is se n t sûrem ent, de fa ­ de cette floraison rom ane. L ’évocation
çon plus co n sta n te e t plus subtile, du g ra n d c a rre fo u r sain to n g eais de
e n tre te n ir avec la géographie physique S a in t- J acques- de- Comp ostelle s’im po­
e t h u m ain e de relatio n aussi nécessaire sera évidem m ent, e t d 'a u ta n t que la
e t n aturelle. ville de Pons conserve sous le porche
de son hospice la ro u te m êm e de S a in t-
Une abondance extraordinaire. Jacques devenue ro u te n atio n ale. O n y
peut encore découvrir sous la poussière
Pourquoi ? P a r l’abondance d’abord. les g raffiti gravés p a r les p èlerin s
Si, comme je l’ai dit, ra re s so n t les venus se reposer ou se soigner a v a n t
g rand s m on u m en ts, e n aucune province de rep ren d re la ro u te d’Espagne.

56
L’église saintongeaise possède une physionomie bien caractéristique. Témoin ces façades
(de g. à dr. : St-Symphorien, Corme-Ecluse, Echillais) où M. le Chanoine Tonnelier a
cru pouvoir discerner une réminiscence de l’arc de triomphe romain.

Précisons d ’ailleurs m a in te n a n t que, quité aux églises du x i r est-elle p a r ­


s ’il n ’est p as question de faire oeuvre ticu lièrem en t sensible sur cette terre
savante, les n o ta tio n s historiques indis­ où les vestiges rom ains abondent, e t ce
pensables n e devront pas n o n plus n ’est pas u n h a s a rd si, dans sa petite
être exclues. Il su ffira de les p ren d re église de T haim s, le m ême chanoine
exem plaires et de savoir leu r d o nner T onnelier a pu m e ttre à jo u r la pis­
u n to u r concret. La tâ c h e ju ste m e n t cin e de la villa gallo-rom aine sur
nous se ra facilitée p a r les cara c tè res laquelle l’église av ait été co n stru ite et
de l'a r t saintongeais : son u n ité a rc h i­ retro u v er ici e t là dans la m açonnerie,
te c tu ra le et géographique, son u n ité les restes des m urs rom ains, puis m éro­
h istorique aussi. vingiens e t carolingiens.
M ieux v au d ra san s doute que de dis­
Caractères particuliers au roman p erser l’a tte n tio n sur de m ultiples
saintongeais. exemples, m êm e plus caractéristiques,
développer celui-ci, fru it de la passion,
Bien que, p e u t-ê tre , dérivée de l’école de la té n a c ité e t de l’ingénosité d’un
poitevine d o n t elle conserve évidem ­ archéologue local d o n t la com pétence
m e n t quelques tra its d ’ensem ble et est d’ailleurs indiscutée.
m arquée n o ta m m e n t d ’influences péri- De m êm e en ce qui touche à la
gourdines, l’église saintongeaise pos­ sculpture, nous avons d it qu’à quelques
sède p o u rta n t une physionom ie qui la adm irables exceptions près (celle su­
distingue au prem ier coup d ’œil de ses blime d ’A ulnay n o ta m m e n t et celle de
sœ urs. S an s én u m érer ici les caractères S a in te s), la scu lptu re saintongeaise
spécifiques de son arch itectu re, cons­ n e p o u v ait se co m parer p a r la qualité
ta to n s qu’ils ap p a ra isse n t vite, m êm e aux g ran d s m orceaux de bravoure
au profane, p a r le simple ra p p ro c h e ­ célèbres de la sculpture rom ane. Aussi
m e n t des photographies de quelques- bien l’absence de tym pan, c a ra c té ris­
u n es de ces façades à pignon, avec leur tique de ses façades, c o n stitu a it un
ra n g é e d ’arc a tu re s au p rem ier étage h an d icap . Mais, de m êm e que nous
e t leurs faux p o rtails du rez -d e -c h au s- avons trouvé le ch arm e de son a rc h i­
sée e n c a d ra n t la gran d e porte sans tectu re d an s sa to n alité m ineure et
tym pan. Il y a de la vraisem blance dans u n e u nité générale qui n ’exclut
d an s la th èse de M. le C hanoine T on­ pas u n e in cessan te variété, ce so n t aussi
nelier qui discerne dans l’h arm o n ie si les qualités discrètes, intim es, m odestes
p articu lière de ces façades u n e rém in is­ de cette sculpture fam ilière, blasonnée
cence de Tare de trio m p h e rom ain. p o u rta n t p arfo is de symboliques m ys­
Aussi bien la c o n tin u ité de l’a n ti­ térieuses, qu’il sera aisé de m e ttre en
valeur. Le sculp teu r sàlritongeais ré p u ­
gne aux g ran d s su jets dram atiques,
c'est u n observateur de l a vie quoti­
dienne, tr a ita n t avec le m êm e réalism e
la vie p ro fan e e t les thèm es sacrés. Ce
f a it est sans doute com m un à to u te
•la sculpture rom ane, mais, nulle p a rt,
p e u t-ê tre plus qu'en S aintonge, l’a r ­
tiste n e s’est te n u d an s cette zone d 'h u ­
m a n ité fam ilière, à distance des g r a n ­
des te rre u rs et aussi des g ran d s sym ­
bolismes m ystiques qui a n im e n t ta n t
de ch a p ite a u x ou de ty m p an s rom ans.
On d ira it qu’une sorte de sagesse p ay ­
sanne, associée à ce génie de la m esure
et de la sérénité qui se dégage de la
Saintonge, en h arm o n ie avec son h is­
toire comme avec son paysage, a
hum an isé et tem p éré ici l’âm e reli­
gieuse médiévale.
Là encore, u n seul exemple bien déve­
loppé p eu t être préférable à u n c a ta ­
logue m êm e restrein t. O n re tie n d ra
alors n a tu re lle m e n t de préférence celui
du Combat des Vertus et des Vices
inspiré de la Fsychom achie de Prudence
et que M. le C hanoine T onnelier a si
p a rfa ite m e n t décrit, n a u ra l’a v a n ­
tag e de révéler aussi quelques-unes
des données fondam entales de la déco­
ra tio n du porche sain to n g eais aux m u l­
tiples voussures sculptées et qui re ­
cueille en quelque sorte, en le déployant Le grand’gonle dévoreur de colonne (à
sur ses arcades, l’hé rita g e du ty m pan Èehillms).
absent. L’adm irable portail d ’Aulnay
de S aintonge fo u rn ira pour cette sé­
quence une m atiè re idéale. N éanm oins, e t comme pour m ieux
m e ttre en valeur la m esure, le réalism e
et la prudence de la sculpture s a in -
tongeaise, on ne devra pas négliger ce
qui su rg it p arfo is de m ystérieux, de
fan tastiq u e e t de lointain. P a r exem ple,
cette étran g e figure de g ra n d ’goule
diabolique, dévoreur de colonne, aux
piliers gauches de m a in ts portails, où
le m arquis de C hasseloup-L aubat es­
tim e avec vraisem blance re c o n n a ître
un a v a ta r du T ’ao T ’ié, le glouton
chinois. Ce n ’est donc p as seu lem en t
l’A rabie p a r l’Espagne de S a in t- J a c ­
ques, e t le P ro che-O rient p a r les
Croisades, les m anuscrits, les ivoires et
les tissus, m ais à trav ers l'O rie n t,
l’E xtrêm e-O rien t m êm e dont la sym bo­
lique vient e n rich ir la sage ico no g ra­
phie du bestiaire saintongeais.
Aussi bien d an s l’arch ite c tu re n ’a u ­
rons nous g arde d’oublier non plus les
énigm atiques la n te rn e s des m o rts et
su rto u t celle de Fenioux qui dresse, au
Le Combat des Vertus et des Vices, inspiré m ilieu du cham p où p aissen t les m o u ­
de la Psychomacliie de Prudence (à Cha- tons, sur u n faisceau de colonnettes,
denac). son p e tit clocher d’écailles.

58
raison de la férocité des guerres de
religion, les églises o n t été démolies,
m ais surtout dans le s villes, car il sem ­
ble au contraire qu’à, la cam pagne elles
a ien t p arad oxalem en t bénéficié, et sur­
to u t depuis le x v i i f siècle, de la rela­
tive in d ifféren ce religieuse de la popu­
lation charentaise. On les a laissé vieil­
lir en paix, se ruiner san s doute, m ais
n on se défigurer. A insi préservées, en
partie, des destructions fanatiques
com m e des in tem p estifs « em bellisse­
m en ts » qui on t dénaturé irrém édia­
b lem ent à la fin du XIXe ta n t d'églises
de V endée, par exem ple, sous u n zèle
n éo-goth iq ue, des cen tain es de ces
b âtim en ts discrets ont pu attendre,
san s trop de m al, la séparation de
l’Eglise et de l'Etat et la protection
des M onum ents Historiques.
Je voudrais voir d ans ce respect,
fû t-il à base d’indifférence, d avantage
qu’une con jonctu re heureuse et for­
tu ite : la bonn e in telligen ce de l’hom ­
m e et de ses m onum ents. Ce qui frappe,
presque à chaque nouvelle découverte
d’une église sain tongeaise, c’est le n a ­
turel de son im plantation, non seule­
m en t architectural, m ais hum ain. En­
dorm ies d an s les villages depuis des
siècles, m ais n on point m ortes, elles
se son t laissé investir et com m e
absorber par la vie d’alentour et jus­
La lanterne des morts de Fenioux. qu’à la vie végétale. Nom breuses sont
les églises en vah ies de verdure, si m êm e
L’église dans sa relation avec le e l le s 'n ’e n - s o n t pas absolum ent p én é­
village. trées com m e cette ch apelle de S ain t-
Ouen dont les pierres ne tien n e n t plus
Mais quelle que soit la part qui que par les racines du lierre et de
devra être faite à l ’h istoire e t - à l'ar­ la vigne vierge.
chéologie, je pen se que l ’axe d 'intérêt
du film , son centre de gravité et d’équi­
libre devra se situ er dans l'actualité.
Il s'agira de révéler et d’expliquer le
ch arm e incom parable de ces églises,
m ais leur charm e con tem p ora in , dans
la vie quotidienne sain ton geaise m o ­
derne, charm e d ont je voudrais essayer
m a in ten a n t de dégager quelques-uns
des facteurs déterm inants.
J'ai déjà évoqué la densité, l’u nité
e t la variété qui font de la p etite église
rom ane un attribu t presque inévitable
du village sain ton geais, une donnée
p erm an en te de l’architecture rurale.
Où, m ieux qu’en Saintonge, avoir la
révélation de ce que sign ifie encore
aujourd’h u i et com m e caresser de la
m ain, la « b lanche robe d'églises » qui
s ’éten d it au x XIe et x ir 8 siècles sur la
ch rétien té occidentale. S an s doute
n ’e st-elle pas sa n s déchirures. Ici, com ­
m e ailleurs, plus p eu t-être m êm e en La chapelle de Saint-Ouen.

59
fian te symbiose de la p ierre séculaire
e t m ém orable e t des tra v a u x e t des jours
du paysan c h a re n ta is d ’a u jo u rd ’h u i ;
n o tre tâch e n ’est p a s de nous substi­
tu e r aux B eaux-A rts, m ais au c o n traire
d ’enregistrer, p e n d a n t qu’il en est
tem ps encore, cette h a rm o n ie n a tu ­
relle et ancestrale où la vie ru rale
contem poraine p a r a it en quelque sorte
poursuivre avec l’église une am itié
si vieille q u’elle en a p e rd u s a n a tu re
religieuse. Nul se n tim e n t de sacriliège
p o u rta n t d an s cette p ro fa n a tio n , p e u t-
être ju stem en t p arce que quelque chose
d an s l ’a r t ro m an sain to n g eais le p ré ­
disposait à c e tte le n te e t insensible
hu m an isatio n pay san n e.
D ans le m êm e cadre d'idée, m ais
aussi comme u n exem ple d’évolution
sym étrique, il f a u t évoquer le cas
de l'église ab and o n n ée so litaire au m i­
lieu des c h am p s e t des bois, telle
l'ex trao rd in aire abbaye de C h â tre avec
ses q u atre coupoles, d o rm a n t, ouverte,
L'abbaye de Trizay transformée en ferme. béante, offerte au x oiseaux e t a u visi­
teur perspicace qui a u r a su découvrir
ce p e tit tem ple d'A ngkor saintongeais.
L’église pénétrée par la vie paysanne. La solitude e t l’ab a n d o n presque
p ath étiq u e de C hâtre serv iro n t u tilem en t
de co n trep o in t à l’exem ple des abbayes
Mais c’est su rto u t au commerce ferm ières de T rizay e t de S ablanceaux.
quotidien, à la fam iliarité quasi orga­
nique de l’église e t de la vie p ay san n e
que je voudrais faire allusion ? J ’ai
d éjà évoqué « la rech erch e de la
clef » indispensable pour visiter la
p lu p a rt des églises ferm ées to u t au
long de la journée, fa u te d ’u n culte
quotidien ou m êm e hebdom adaire. Cette
inévitable enquête, d ’u n pittoresque
to u jo u rs renouvelé, est u n m oyen in ­
direct de p eindre le cadre r u r a l ch a-
ren tais. M ais il y a plus, souvent l'église
m êm e est en castrée d an s la ferm e, son
abside n ’est visible qu’en p é n é tra n t
d an s le ja rd in p o tag er ou dans la cour
e n tre les ta s de bois ou de fum ier.
E nfin, et m êm e, à la lim ite, le m o n u ­
m e n t religieux a été to ta le m e n t absorbé
p a r l’organism e ru ral, comme d an s
cette prodigieuse abbaye de T rizay in té ­
g ralem en t tran sfo rm ée e n ferm e où les
poules couvent d an s les niches des
saints, où les arcs polylobés so n t aveu­
glés de grillage pour servir de p o ulail­
ler, où le bois est entreposé d a n s les
m agnifiques absidioles en cul de four,
où la salle cap itu laire est devenue la
grange à foin, c e p en d an t que d’u n c h a ­
p ite a u à l'a u tre les h arico ts a ch èv en t de
sécher su r des fils de fer. Nulle question
de s’indigner certes d e v a n t cette stu p é ­ L ’a b b a y e de C h â tr e .

60
Le charme des pierres. si caractéristique des églises fortifiées.
Si le film est en couleur, tout un
J'ai surtout in sisté jusqu’ici sur les cham p d ’observation nous est o ffert
facteu rs sociologiques de la géogra­ par les harm onies adm irables de la
p hie h u m ain e de l ’église saintongeaise, pierre sain ton geaise « si tendre à
m a is le film d evra n atu rellem ent sculpter, mais que Vair salin du large
exp loiter les autres élém en ts plus tra ­ durcit ensuite comme du bronze et
d ition n els de son charm e. La situ ation patine en teintes mauve ou orange
de l’église dans le village, presque tou ­ d’une douceur infinie s> (Chasseloup-
jours encadrée d ’u n m ail de tilleuls, Laubat). M ais quelque chose m êm e de
quelquefois encore flanquée de son ces harm onies, ou du m oins de la

Talmont sur sa falaise.

cim etière. Cet encad rem en t végétal m atière de cette pierre, pourra passer
m asque du reste en été la plupart des d an s le noir et blanc. Je pen se n otam ­
façad es, il p eu t déterm iner l ’époque de m en t à la façon d ont elle s’est laissée
la réalisation du film : soit l ’autom ne, ronger, durcissant par place, tom b ant
soit m ieu x encore le printem ps après à d’autres en poussière et superposant
la taille des arbres. ain si curieusem ent au grouillem ent de
O n ne négligera pas n on plus les la sculpture originale les en trelacs h a ­
sites plus exceptionnels et sp ectacu ­ sardeux de l’usure et du vent.
laires, com m e celui de T alm ont sur sa
falaise. Non plus que la silhou ette André BAZÏN,

61
L’H ISTO IRE
DES
“ CAHIERS ”

par Jacques Doniol-Valcroze

62

/
ORIGINES Hélas, personne d an s l’honorable
m aison ne s’in téressait beaucoup à L a
Il fa u t faire re m o n te r l’arbre généa­ R e v u e d u C in é m a ... horm is M. G aston
logique des C a h i e r s d u C in é m a à ce'ui G allim ard lui-m êm e. C’est grâce à son
de la R e v u e d u C in é m a . Les C a h i e r s am icale bienveillance que J e a n George
ne so n t q u’u n ra m e a u greffé sur les Auriol p û t poursuivre, p e n d a n t trois
branches : D u C in é m a , L a R e v u e d u ans, u ne publication fin an cièrem en t
C in é m a , série blanche et rouge (1929- déficitaire, se v e n d a n t assez m al, et
1931), et L a R e v u e d u C in é m a série dont les frais de fabrication, alignés
ja u n e (1946-49). D ans l’esprit des fon­ sur les ta rifs habituels de la m aison (et
dateurs des C a h i e r s , il n e s'est jam ais pour des entreprises ren tab les), é ta ie n t
agi d ’a u tre chose que de continuer trop élevés. Le p rem ier glas sonna donc
l’œ uvre entreprise p a r J e a n George pour nous q uand nous dûmes d ém én a­
Auriol. ger de n o tre beau bureau e t le céder
à M arcel D uham el qui v en ait de faire
De façon plus précise, c’est aux p re ­ d é m a rrer en flèche la « Série Noire ».
m iers prodrom es de fléchissem ent de Nous nous installâm es dans u n to u t
La R e v u e que commence l’histoire. p etit bu reau à l’étage d ’en dessus, p e tit

J e a n G e o rg e A u riol J a c q u e s D oniol-V alcroze, S ta n le y K ra m e r , A n d ré B a z in a u jury


e n 1928. L a c y K a s tn e r et L éo n id e lveigel en 1952. de V enise 1956.

C’é ta it en septem bre 1948. L a R e v u e , m ais curieux puisque son d ern ier occu­
après avoir été hébergée place de la p a n t n 'é ta it a u tre que le R.P. B rück-
Madeleine dans les bureaux de Denise berger que ses supérieurs dom inicains
Tuai, é tait l'hôte de son éditeur (la v e n aie n t de re tire r à la vie m ondaine
N.R.F.) depuis près de deux ans. Un pour l’envoyer d an s quelque re tra ite
hôte d’h o n n eu r d’abord, logé dans le africain e m éditer su r les vanités d ’ici-
plus beau bureau de la maison, une bas. Nous avions encore un e petite te r ­
gigantesque pièce vitrée, contiguë à rasse que nous partag io n s avec Albert
celle où l’on faisa it L e s T e m p s m o d e r n e s Camus... m ais Cam us ne s’in téressait
et p a rta g e a n t avec ces derniers une p as au ciném a et nous n ’échangeâm es
m agnifique terrasse qui d o n n ait d 'u n p as trois p h rases en plusieurs mois.
côté sur la rue S ébastien-B otin et de Le deuxièm e glas sonna donc en sep­
l’au tre sur le ra v issan t ja rd in qui a b ri­ tem b re 1948. Les revues n ’av a ie n t plus
ta it au printem p s les « cocktails » de la la cote d an s la m aison : L e s T e m p s m o ­
m aison et vit les derniers p as d’André d e r n e s tra v e rsè re n t la ru e de FUniver-
Gide, bonze so u rian t drapé dans une sité pour aller chez Julliard, m ais p e r­
cape grise. sonne ne songeait à rep ren d re l’austère

63
i et organisa à Biarritz, sous la p rési­
dence de Cocteau, « L e F estiv a l du Film
M audit » qui d éfraya la chronique. En
décembre 1949 parut le num éro spécial
de L a R e v u e d u C iném a sur le costum e,
qui fit l’adm iration des am ateurs san s
susciter d ’offres d ’éd iteu r d ésireux de
donner u ne su ite à la publication. Au
printem ps 1950, le 2 avril, J ea n George
Auriol fu t tu é sur la route de Chartres,
victim e d’u n accid en t stupide. C’e s t ce
jour, pour m a part, que Je p ris la réso­
lution de donner u ne su ite à L a R e v u e
d u Ciném a.

TENTATIVES
Mais la chose n 'éta it pas sim ple. Il
fu t question d’abord d'une revue d’ « Ob-
jectif 49 s>, et Jean C octeau dem and a à
Roger L een hardt de b ien vouloir en
Claude Chabrol (chapeauté) s'entretient prendre la direction. P ’-isieurs éditeurs
avec Jacques Dacqmine et Antonella Lualdi furent con tactés; R ^ c L eenhardt, An­
pendant le tournage (VA double tour. dré Bazin, Jacques r>uurgeois e t moi
effectu èren t de n om b reuses dém arches.
R e v u e d e G é o g r a p h ie , n i la m alch an ­
C ertaines fu ren t très près d’aboutir,
ceuse R e v u e d u Cintim a . Jean George m ais le m auvais b ila n fin a n cier de La
R e v u e im p ression n ait les éd iteu rs et
Auriol lu tta de son m ieux, m ais san s
beaucoup d’illusions, aucun ne voulut courir le risque. P en ­
dant quelques m ois le p rojet fu t au
point m ort ; B azin, m alade, é ta it parti
OBJECTIF 49 ET MORT D ’AtTRIOL se reposer d an s les Pyrénées, « O bjec­
P ourtant ailleurs, quelque chose n a is­ t if 49 », après u n secon d festival à
sait, qui eut son im portance et devait Biarritz beaucoup m oin s réussi, ava it
con stituer le prem ier m aillon de la fa it son tem ps et d isparut sa n s bruit,
ch a în e qui se term in e aujourd’hui par m ais n on san s avoir déposé d an s cer­
ce qu’il est convenu de nom m er « la tains esprits u ne sem en ce fertile.
n ouvelle vagu e le prem ier sursaut C’est alors, à l ’au tom n e 1950, que
contre un ciném a devenu trop trad i­
tion n el : « O bjectif 49 », u n ciné-club
pas com m e le s autres et qui sous la h ou ­
le tte de Jea n Cocteau, Robert B res-
son, Roger Leenhardt, ' R ené Clém ent,
Alexandre Astruc, Pierre K ast, R ay­
m ond Q ueneau etc., groupait tous
ceux, critiques, cin éa stes ou futurs ci­
n éastes, qui rêvaient d’u n ciném a d ’au­
teurs. Ce m ouvem ent, dont Auriol fa i­
sait bien sûr partie, au rait pu épauler
L a R e v u e d u C iném a, m ais les dés éta ien t
jetés : vers le m ilieu de décem bre 1948,
la cessation de p aru tion de L a R e v u e
d u C iném a éta it décidée. Il é ta it ques­
tion de faire paraître to u t de m êm e
un num éro sp écial sur le costum e dont
nous avions com m en cé la préparation
avec Jacques M anuel, question aussi v a ­
gu em en t de faire paraître des C a h ie r s
trim estriels, m ais ce dernier projet n e
prit jam ais corps. C’en éta it fa it d’une
belle aventure. François Truffaut face aux turbulents éco­
P en d an t l’an n ée suivante, « Objec­ liers des Quatre cents coups (au centre et
t if 49 » se développa, connu le succès au fond, Robert La ch en ay).

64
M. Léonide Keigel v in t m e proposer de
faire u n e revue de ciném a. Je le con­
n aissais depuis quelque tem ps, car il
a v a it été le « tréso rier » bénévole
d ’ « O bjectif 49 » et nous avions tous
été conquis p a r sa gentillesse et la
sy m p athie qu'il m a n ife sta it pour le
je u n e ciném a e t les jeunes cinéastes. Le
goût de la vérité m ’oblige à confesser
qu’au d ébut je fus, san s le lui m o n ­
tre r, u n peu ré tic e n t dev an t sa propo­
sition. N on pas que je doutasse de son
bon goût : la façon d o n t il rem plissait
son rôle de directeur d’u n circuit de
salles et d on t il pro g ram m ait le
« B roadw ay », qui é ta it u n des m eil­
leu rs ciném as de Paris, p rouvait son
intelligence et sa connaissance du' très
bon ciném a ; m ais il é ta it aussi hom m e
d ’a ffaires avisé e t dynam ique et qui
estim ait qu’une entrep rise devait être
ren tab le. Il n ’a v ait pas to rt, m ais j’étais Eric Rohmer, téméraire metteur en scène
p o u r m a p a r t tellem en t persuadé à du Signe du Lion.
cette époque qu’une telle revue n e pou­
v a it être que déficitaire,que j ’avais peur,
soit qu’il se décourageat vite d’une
av en tu re fin an cièrem en t tro p h a s a r ­ FONDATION
deuse, soit que, pour assain ir lesdites fi­
nances, il eut de cette publication une Nous fondâm es donc, en ja n v ie r
conception tro p com m erciale p a r r a p ­ 1951, Les E ditions de l’Etoile. Puis nous
p o rt à ce que nous voulions faire. Je cherchâm es u n titre . Je dem andai,
m e tro m p ais com plètem ent : Léonide sans espoir d ’ailleurs, à M. G asto n G al­
Keigel av ait p a rfa ite m e n t com pris n o ­ limard! le d ro it de rep re n d re le titre
tr e propos et pas une fois, du jour de L a R e v u e d u Ciném a. Il refusa : il ne
sa proposition à celui de sa m ort, nous v oulait plus faire L a R e v u e , m ais c’é ta it
n ’eûmes, Bazin, lui e t moi, le m oindre u n titre N.R.F. et devait le rester; p a r
désaccord sur la gestion e t la réd ac­ contre, il m ’au to risa à pren d re le titre
tio n des C a h ie r s. D u C iném a qui av ait été celui des trois
prem iers exem plaires de L a R e v u e , et
su rto u t il m ’autorisa à rep ren d re la
form ule de L a R e v u e et la couleur de
sa couverture. Cette au to risa tio n é ta it
indispensable, car il est év id ent que
les prem iers num éros des C a h ie r s p o u ­
v aien t tom ber sous le coup de l ’accu­
sation de plag iat. F o rt de ce p a r r a i­
nage, nous n e risquions rien. Ceci dit,
nous n e prîm es p as le titre D u Ciném a
qui fa isa it tro p 1925. N otre choix se
p o rta sur C a h ie r s d u Ciném a. E ta it-il
bon? E ta it-il m auvais? L’av en ir seul
p ouvait en décider.
Comme l’entreprise n e disposait au
d é p a rt que de moyens trè s lim ités et
qu’il n e p o u vait ê tre question d e payer
ses an im ateu rs, je gagnais m a chienne
de vie ailleurs, en fa is a n t u n e revue
de m ode m asculine (sic!)... Cela m e
p re n a it du tem ps, Bazin é ta it toujours
éloigné de P aris p a r la m aladie; K ei­
gel me d em an d a donc de trouver pour
A bout de souffle : de part et d’autre de nous aider quelqu’u n d ’efficace et de
ln caméra, Jean-Luc Godard et Jean Seberg. connaisseur en la m atière «revue d-e

65
Sur les toits du Sarah-Bernhardt, Paris nous appartient ;
à la caméra Jacques Rivette, à la cellule Charles Bitsch.

ciném a». Nous fîm es appel à Lo D uca de L a R e v u e d u Ciném a, qui é ta it en


qui p o rta it au souvenir de Jean. George sa possession e t qui co n stitu a le fond
e t à celui de L a R evue un culte fidèle précieux de n o tre fu tu re iconographie.
e t d o nt la com pétence e t le dynam ism e Nous décidâm es de faire p a ra ître le p re ­
é ta ie n t indiscutables. m ier num éro le 15 m a rs 1951. U ne d if­
Nous n ous mîmes donc au travail. ficulté de dernière h eure d ev ait su rg ir :
D ans les locaux de « C inéphone », K ei- le titr e C a h ie r s d u Ciném a, s a n s que
gel no u s d o n n a u n beau bureau, avec nous le sachions, existait e t a v a it été
vue s u r les Champs-Elysées, et se m it celui d 'une revue éphém ère dirigée p a r
en quête de pages de publicité. Nous M. Jacques Enfer... m ais K eigel é ta it
tra itâ m e s avec u n im prim eur, u n cli- fin diplom ate e t a rra n g e a la chose.
cheur, u n e messagerie, nous engageâ­ Nous n e pûm es te n ir la d ate du 15 m ars,
m es A ndré Rossi, tran sfu g e de la Ciné­ m ais le 1er avril 1951, u n a n m o in s u n
m athèque, e t le jeu n e R enaud de L a- jo u r après la m o rt de J e a n G eorge
borderie comme secrétaire de ré d a c ­ Auriol, p a ra issa it le n “ 1 des C a h ie r s
tio n . M. G aston G allim ard m e d o n n a d u Ciném a. Une nouvelle av e n tu re com ­
la trè s im p o rta n te collection de photos m ençait.
Jacques Doniol-Valcroze et une héroïne de L’Eau à ïa
bouche, Françoise Erîon,

PREMIERS PAS Lo D uca qui a v ait fa it p ra tiq u e m e n t le


prem ier num éro to u t seul e t d o n t l’effi­
Des prem iers num éros des C a h ie r s cacité — e t le goût d ’en avoir — dépen­
ne se dégage pas u n e te n d a n c e trop d a it beaucoup du fa it d'exercer l’a u to ­
n ette. U ne certain e période s 'é ta it écou­ rité à lu i seul. Or la disparition. d'Au-
lée en tre la fin de L a R e v u e et le début riol é ta it tro p proche pour que l'u n de
des C a h ie r s e t d an s laquelle la critique nous p û t p réten d re, à lui seul, re p re n ­
av ait p lu tô t piétiné. Le relai é ta it d iffi­ d re le flam beau. E n fait, Bazin é ta it
cile à p ren d re e t le problèm e de la d éjà l'in con testab le m a ître à penser des
réd actio n en chef des C a h ie r s e t de son C a h ie r s, m ais nous ne nous en rendions
o rie n ta tio n é ta it délicat. Dès le second p as to u t à fa it com pte e t il n e fa isa it
num éro, A ndré Bazin, revenu de son rien n o n plus pour nous en persuader.
erm itage pyrénéen, v in t p re n d re sa Les p rem iers n um éros des C a h ie r s
place n orm ale de co -réd acteu r en chef n 'a p p a ra isse n t donc, avec le recul du
auprès de Lo D uca et de moi. A u ta n t tem ps, que com m e u ne suite d ’études
la collaboration e n tre Bazin e t m oi f u t sérieuses sur le ciném a dont les points
facile, a u ta n t elle l'é ta it m oins avec saillan ts so n t l’article de Bazin su r « La
stylistique de R obert Bresson », celui de e t co n tre X, Y et Z. Désormais, il y
R ohm er « V anité que la p ein tu re », le av ait u n e doctrine, la « Politique des
n° 8 consacré à Renoir, l’en trée dans au teu rs », m êm e si elle m a n q u a it de
l’équipe de nouveaux venus, Jean -Jo sé souplesse ; désorm ais, c’est to u t n a tu ­
Richer, M ichel Mayoux, H ans Lucas (qui rellem en t q u ’a lla it se faire la série des
n ’é ta it a u tre que Jean -L u c G odard), « E n tretien s » avec les g ra n d s m e tte u rs
M ichel Dorsday, les ri0 17 e t 18 consa­ en scène et qu’u n c o n ta c t réel allait
crés en p a rtie à C haplin à l’occasion s’étab lir e n tre eux e t nous.
de Limelight, quelques fu lg u ran ts a r ti­ On p u t dès lors d au b er sur les
cles d’Astruc, la prem ière étude de Do- « hitchcocko-haw ksiens », s’ind ig n er
m arch i su r M u m au , la prem ière c riti­ des a tta q u e s con tre « la q ualité f r a n ­
que de T ru ffa u t, le prem ier article de çaise », déclarer d an gereu x « les je u ­
R ivette su r Hawks, le prem ier num éro nes tu rcs » de la critique... u n e « idée »
spécial sur « La Fem m e e t le Ciném a », s’é ta it m ise en m arch e e t qui alla it
etc. C’est alors que p a r u t dans le n° 31, chem iner o b stin ém en t ju sq u ’à sa con­
après bien des h ésitatio n s de la p a r t de clusion la plus logique : l’accession de
Bazin e t de moi, u n article de François presque to u s ses a n im a te u rs à la mise
T ru ffa u t in titu lé : « Une certaine te n ­ en scène.
dance du ciném a français. »

LE DEPART A SUIVRE...

J e n e cherche p as ici à fla tte r T ru f­ La suite de l’histo ire des C a h ie r s n ’a


fa u t qui s’en moque bien, n i h persua­ plus besoin de se ra c o n te r. Elle est tro p
der que ses écrits sur le ciném a sont fraîche, e t l’on n e p eu t tire r aucune
pour to u jo u rs gravés dans le m a r­ conclusion d an s le désordre actu el qui
bre. Je co n state objectivem ent que la consiste à to u t m élan g er d an s le fo u rre-
publication de cet article m arque le to u t commode de la « nouvelle vague ».
po in t de d é p a rt réel de ce que re p ré ­ C ette suite n ’est jalo n n ée que de deux
se n te n t a u jo u rd ’h u i à to r t ou à raison, tragiques p o in ts de repère : la d isp a ri­
les C a h ie r s d u C iném a. U n sa u t éta it tion de Léonide Keigel e t celle d ’André
fran ch i, u n procès é ta it in te n té dont Bazin. S an s l’u n com me sans l’autre,
nous étions tous solidaires, quelque il n ’y a u ra it p as eu de C a h ie r s d u C in é ­
chose nous rassem blait. Désormais, on ma. Ceux-ci co n tin u en t.
sav ait que nous étions pour Renoir,
Rossellini, Hitchcock, Cocteau, Bresson... Jacques DONIOL-VALCROZE.

Alexandre Astruc en visite dans la salle de rédaction-administration-


expédition d es C ahiers du C inéma.

68
COTATIONS
0 in u tile de se déranger.
$ à voir à la rigueur
à voir
LE C O N S E I L D E S D I X à voir absolum ent
chefs-d'œuvre
Case vide : ab sten tio n ou : pas vu.

TITRE ^ DBS n u e s LES DIX 4L—w Henri Charles Pierre Claude Jean Jean Pierre Luo Jacques Georges
Agcl Bitsch Braun berger Chabrol Domarchi Douchet Kast Moullet Rivette Sadoul

Le Procès (M. Ro bs on) ..................................... * * * ★ * * ★ ★ + ★ + ★ + -k

Tout près de Satan (R. A ldr ich ) .............. ★ ★ ★ ★ + ★ ★ ★ * * * * ★ ★ ★ ★ ★ ~k

Passez muscade (E. Cline) .......................... ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

L’Otage du gang (D. Friedkin) ................. .. * * . * * •k ~k -k *

Le Pigeon (M. Mon ice lli) .......................... ★ * ★ ★ ■k ic -k • ★ ★ iV ★ O ★ ★ ★ ★

Les Liaisons dangereuses (R. V a d i m ) . . . . * * * * * * e • * ★ * 0 * ★


----------------
La Nuit des espions (R. Hossein) .......... •k * * * ★ ★

Le Journal d’Anne Frank (G. S tev en s) . . ★


• ★ ★ ★ ★ * ★ ic 0 ★ ★

Le Courrier de l’or (B. B o e tt ic h e r ) .... * 'k

Babette s’en va-t-Cn guerre (C. Ja qu e) . . ★ * * * • •k 0 * 0 *

L’Amour coûte cher (J. Ferrer) ............ ★ • •k k & 0


Les Yeux du témoin (J.L. Thom pson) . . * * * • )© « 0
— —
Le Monde, la chair et le diable (R. M e
Dougall) ...................................................
0 k o ★

Dans la Souricière (N. P a n a m a ) ................. • • • •k ★ • 0 0


L’H o m m e dans le f ile t (M. Curtiz) .... ★ • • 0
Le Brigand au grand cœ u r (H. K â u t n e r ) • • 0
-------------------
La M en eu se de jeu (J. A n t h o n y ) .............. 0 • • • 0
Julie la Rousse (C. Boissol) .......................... • • • • • 0
V E N IS E 1959

PALMARÈS

LION D ’O R : Il GENERALE DELLA R o v ERE [Le Général délia Rovere), de R oberto


Rossellini (Italie).
L a GRANDE G u e r r a (La Grande Guerre), de Mario Monicelli (Italie),

P R IX SP E C IA L D U JU R Y : A n s ik t e t {Le Visage), d ’Ingm ar Bergman (Suède).

C O U P E S V O L P I : M adeleine R o b i n s o n pour A DOUBLE TOUR, de Claude Chabrol


(France).
Jame3 Stewart pour A natom y OF A MuRDER (^4ufof>sie d ’un meurtre), d 'O tto
Prem inger (U.S.A,).

P R IX D ’IN T E R P R E T A T IO N ; Caria G ravina p o u r EstERJNA, d e Carlo Lizzani


(Italie).
Lucyna W innicka pour PociAG (Tram d e n u it) , de Jerzy Ka'walerowicz '(Pologne).
H annes M essem er p o u r I I GENERALE DELLA ROVERE,
A lberto Sordi pour L a G rande GUERRA,

PRIX DE l a FipRESCI : P opiol { diam ant (Cendres et diamant), d ’A n d r z e j W ajd a.

P rix d e l ’O f f i c e C a t h o l i q u e : Il Générale délia R o ve re .


P rix k C in é m a N t j o v o » ; A n sik te t.

PRIX S a n G i o r g i o : Il T e m p o si e f e r m a t o (Le T em p s s ’e s t a r rê té ), d ’E i m a n n o O lm i
(Italie).
P r i x P asinet ti : / 4 n Sifcfet.

P r i x G e o r g e s M é u è s : P o c ia g .

T RA IN DE N U I T (Pociag) su iv r e les p a s sa g e rs d ’un w a g o n - l i t s le t e m p s


d ’u n t r a j e t n o c t u r n e e n t r e le c e n t r e d e la
Le c i n é m a po lo n ais n ’e s t plus u n e r é v é ­ P ologne e t la Baltique. C e qui i m p o r t e e s t
l a tio n . S i m p l e m e n t c e Festival e n a c o n f i r ­ c e t t e f a ç o n t r è s p e r s o n n e lle q u ’a K a w a l e r o w i c z
m é la v i g u e u r , le n o n c o n f o rm i s m e e t la q u a ­ d ’é t a b l i r le u rs rap p o rts . Se r e f u s a n t à t o u t e
lité. Le d e r n i e r f i lm d e J e r z y K a w a le ro w ic z , d r a m a t i s a t i o n , so n b u t e s t d e m e t t r e . e n p r é ­
d é jà c o n n u e n F ra n c e p a r L’O m b r e , e s t u n e s e n c e d e s p e r s o n n a g e s e t d e f a ire r e s s e n t i r
oeuvre a t t a c h a n t e , t o u t e e n r e c h e r c h e e s t h é ­ le c o u r a n t s e c r e t q u i s ’é t a b l i t e n t r e e u x . Il
t i q u e . Le s u j e t d e T ra in d e N u tf e s t v o l o n t a i ­ em p lo ie, p o u r y parv en ir, ce q u e j’a p p e l l e ­
r e m e n t d ’u n e m i n c e u r e x t r ê m e . Il s ’a g i t d e rai le « n o n - r e g a r d » , c ’e s t - à - d i r e le r e f u s

70
Vïttorio De Sica et Giovanna Ralli d an s Le Générai délia Rover a, de Roberto Rossellini.

q u ’o n t se s p e r s o n n a g e s d e s e r e g a r d e r p o u r m o n t r é e avec a u t a n t d e v é r i t é , e s t le m e i l l e u r
In d iqu er l’i n t é r ê t q u 'i l s se p o r t e n t . é p is o d e d u film .

J’aim e aussi, d a n s c e film , c e t t e tr is te ss e La N u it d e s Espions d é r o u l e se s f a s te s e t


q uasi d é s e s p é r é e q u i s ’e n d é g a g e , c e t t e s e n s i ­ se s m ira g es loin d u f ra c a s d e s c a n o n s . La
bilité à la fois t e n d r e e t cr u e lle . Je lui r e p r o ­ g u e r re n ’e s t q u ’u n p r é t e x t e à c o n f r o n t e r la
cherai p a r c o n t r e s o n p e n c h a n t à I' e s t h é - v é r i t é e t le m e n s o n g e d ’u n h o m m e e t d ’u n e
t i s m e . S» K a w a le ro w ic x p ê c h e , c ’e s t p a r e x ­ fem m e. Œ uvre am bitieuse e t d écevante, sin ­
cès d e g o û t , p a r v o lo n té d 'e f f e t s su b tils, c è r e e t artificielle, le film d e R o b e rt H ossein
s a v a n ts m ais tr o p jolis p o u r ê t r e v r a i m e n t m é r i t e l’a t t e n t i o n , m a i s n ’a t t e i n t q u e p a r in s­
sincères. -— ■ J. Dt. t a n t s à l’ex p ressio n d e ce v e r t i g i n e u x d ésarro i
q u'il se p ro p o se d e c r e u s e r e n t r e d e u x a m a n t s .
— M. M.
LA N U IT DES ESPIONS e t L'ENFER DE
STALINGRAD (H unde, WoIIt Ihr Ewig
Leben ?) ESTERINA

D eu x film s d e g u e r re , d e u x h isto ires d o n t Esterîna, c o m p l a i n t e d u p e t i t p e u p l e i t a ­


le h éro s p o r t e l’u n i f o r m e a l l e m a n d . Ici s ’a r r ê ­ lien, av ec p a y s a n n e d 'o p é r e t t e , c a m i o n n e u r s
t e n t les r e ss e m b la n c e s . L’en fer de S talin g ra d , z a v a t t i n i e n s , e t d es d éco rs « vrais » s u r le
d e F ra n k W i s b a r , v e u t ê t r e u n p la id o y e r m o n d e d u travail p o u r d o n n e r l’a c c e n t voulu
p o u r les b o ns so ld a ts c o n t r e les m a u v a is , s u p ­ à la fa b le , relèv e d e la pire d es g entillesses,
p ô ts d e H itler, p o u r la f r a t e r n i t é h u m a i n e celle qui a p e u r d e r e g a r d e r le m o n d e bien
c o n t r e la g u e r re . P laido y er p e u c o n v a in c a n t, e n fa c e , e t p o u r c o m p e n s e r se r é fu g i e d a n s
qui d e m e u r e c o m m e p l a q u é s u r la r é a lité d e les a b s t r a c t i o n s c o n s o la tric e s . Si le m o n d e
la g u e r re , e l l e - m ê m e f o r t b ie n d é c r ite . La d o n t rê v e C arlo L iz z a n i, c ’e s t ça, il y a d e
b ata ille d e S ta lin g ra d , qui n ’av a it jam ais é t é quoi avoir la n a u s é e . .— L. Ms.


André Jocelyn et Bernadette Lafont dans A double tour, de Claude Chabrol.

S O NATAS t r a h i r les r é s i s t a n t s . Il s u f f i t d e se s o u v e n ir
d es s u j e t s d u Miracle ou d ’Europe 51 p o u r
A v e c Sonatas, B ard em a reçu l’accueil [e d é c o u v r ir ce q u i a p u a t t a c h e r Rossellini d a n s
p lu s glacial q u ’u n festival puisse faire à u n c e t t e h isto ire : la cro y a n c e , f u t - e l l e e r r o n é e ,
m e t t e u r e n s c è n e . A ccu eil p a r t i e l l e m e n t j u s ­ d é b o u c h e s u r l’a c c e s s io n à u n e v é r i t é s u p é ­
tifié. B a rd e m n ’a p a s r e tro u v é la g râce q u e rieu re q ui e n g a g e t o t a l e m e n t le h éro s. R o s sel­
Lucia Bose co n f é r a jadis à Mort d'un Cycliste. lini s ’é t a n t q u e l q u e f o i s tr o u v é g ê n é p a r l’o b l i ­
La d e u x i è m e , e t la plu s i m p o r t a n t e d e s d e u x g a t i o n d e r e s p e c t e r l’a g e n c e m e n t d u s c é n a ­
h is t o i r e s q u e r a c o n t e Sonatas, to u r n é e au rio, l’o n e s t e n d r o i t d e p r é f é r e r V o y a g e en
M e x i q u e a v ec M aria Félix, e s t m ise e n sc èn e Italie o u I n d ia. Il n ’e m p ê c h e que Le
d e fa ç o n a s s e z c o n s t e r n a n t e . Le p r e m i e r é p i ­ Général Délia Rovere e s t u n e œ u v r e d ’u n e
so d e p a r c o n t r e , plus d e n s e , dirig é d ’u n e m ain h a u te noblesse e t d 'u n e g ran d e b e a u té . —
s û r e , n ’e s t p a s t o u t à f a i t i n d ig n e d e so n | . Df.
é v i d e n t m o d è l e , Sen so. Francisco Rabal s ’y
m o n t r e u n é t o n n a n t a c t e u r , A u ro ra Bautista
e s t t r è s belle e t s t e n d h a l î e n n e à ravir — A DOUBLE T O U R
M. M.
Le Beau Serge e t Les Cousins é t a i e n t d e s
LE GENERAL DELLA ROVERE (II generale film s d ’a u t e u r . A Dou b le Tour e s t e s s e n t i e l ­
Délia Rovere) l e m e n t u n film d e m e t t e u r e n s c è n e , j ’e n ­
t e n d s p ar là q u e C h a b ro l s ’e s t e f fo r c é d a n s
Le film d e Rossellini, t a n t a t t e n d u , s ’est ce film à s ’e x p r i m e r p ar la s e u le p l é n i t u d e
révélé ê t r e , c o m m e p r é v u , le m e ille u r d u d e sa m is e e n s c è n e . S a n s n o u s a t t a r d e r à.
Festival, m ê m e si o n fui p r é f è r e d ’a u t r e s u n fifm q u i sera l o n g u e m e n t a n a ly s é lors d e
œ u v r e s d e son a u t e u r . !i n o u s c o n t e l’a v e n ­ sa so rtie, je p e u x d é jà d ir e q u e C h a b ro l n o u s
t u r e a u t h e n t i q u e d ’u n escroc, m is e n prison d o n n e ici s o n m e i l l e u r fiim e t q u ’il se c las se
p a r les A l l e m a n d s p o u r servir d e m o u t o n e t d é f i n i t i v e m e n t d a n s la c o h o r t e d e s g r a n d s
qui p r é f é r a m o u r ir e n h é r o s p l u t ô t q u e de cin é a s te s. — I- D t.

72
AUTOPSIE D’U N MEURTRE (A n a lo m y o f a LE VISAGE (An siktet)
murder)
Il n ’e s t p e u t - ê t r e p lu s p e r m is e n 1 9 5 9
A u to p s ie d ’un Meurtre d i s s è q u e u n p ro cès d ’ê t r e r o m a n t i q u e c o m m e W e r t h e r ou René,
p e n d a n t d eu x heures q u a ra n te -c in q , non sans d e d i r e e t r e d ire q u e le m o n d e n ’a g u è r e d e
l o n g u e u r , h élas ! Il e s t aisé d e d éco u v r ir ce q u i se n s si les jolies filles n ’e n g a r d e n t pas
a p u p a s s io n n e r le m a c h i a v é l i q u e O t t o d a n s m o in s le u rs t o u r n u r e s a g u i c h a n t e s . L 'i m p o s ­
c e t t e h is to ir e : c o m m e n t d e s indiv id us p lu s t u r e r è g n e s o u v e ra i n e , e t p lu s d ’u n b e r g m a -
m a lin s les u n s q u e les a u t r e s s e r o u l e n t e n t r e n ie n se ra d é r o u t é qui v e r ra m e t t r e c a r t e s s u r
e u x e n se s e r v a n t d e la j u s tic e . C ’e s t t e r r i b l e ­ ta b l e s le p lu s f a r c e u r d e s m e t t e u r s e n s c è n e
c o n t e m p o r a i n s . D ’a b o r d B e rg m a n t u e l’e s p r i t
m e n t lucide, cruel, v o ire sa d iq u e , e t l’o n c o m ­
p r e n d a i s é m e n t q u e le d e r n i e r p l a n d u film se d e s é rie u x , sy n o n y m e d e lou rd eur. C h a c u n
t e r m i n e s u r la v u e d ’u n e p o u b e lle . Je suis i n t i ­ e s t u n p e u t o u t , e m b e r l i fi c o t é d a n s se s b elles
m e m e n t c o n v a i n c u q u e P r e m ïn g e r a a t t a c h é p a r o le s, d é f e n s e u r d es g r a n d e s ch o ses, l 'o r ­
u n e e x t r ê m e i m p o r t a n c e à c e t t e A u to p s ie d’un d r e social o u l'invisible.
M eurt re, o ù l’e f f i c a c i t é d e v i e n t la v a l e u r p r i ­ U n disciple d u f a m e u x M e s m e r q u e n ous
m o rd ia le. C e t t e e f fic a c ité , o n la r e t r o u v e d a n s v o y o n s d o u é d e p ouvoirs m a g n é t i s a n t s réels,
le sty le q u i p r o c è d e avec u n e rare é c o n o m i e se r év èle u n p a u v r e h istrio n , c h e r c h a n t à
d e m o y e n s . Le d é c o u p a g e e s t u n m o d è le d u g a g n e r son p a in a v a n t t o u t e s ch oses, n ’i m ­
g e n r e , t o u j o u r s e x a c t , p r é c is c o m m e u n s c a l ­ p o s a n t se s c o n v ic tio n s q u e p a r d es p r o c é d é s
pel q u i m e t t r a i t à n u le c œ u r p e u r e l u i s a n t in d ig n es m ê m e d ’u n collég ien (« Hou, f a i s -
d e s h éros. M a l h e u r e u s e m e n t , le film n ’e s t pas m oi p e u r ! » ) . O n p a r le b i e n d e ia vie e t d e
s a n s e n n u y e r e t u n e p r e m i è r e vision m e fo rc e la m o r t , d u se n s d e la vie e t d e l 'i n é l u c t a ­
à p e n s e r q u ’il s ’a g it d ’u n e e r r e u r r e g r e tt a b le b ilité d e la m o r t. M a is t o u t e p r é t e n t i o n au
b ie n q u 'e s t i m a b l e d a n s l’œ u v r e d e P re m ïn g e r. r é a lis m e a d is p a ru . B e rg m a n q ui s e m b le p r o ­
— ). Dt. c é d e r p ar cycles, a p r è s u n d é b u t repris du

James Stewart et Lee Remick dans Autopsie d'un meurtre, d’Otto Premïnger.

73
Lars Ekborg, Ingrid Thulin et Max von Sydow dans Le Visage, d’Ingmar Bergman.

S ep tièm e Sceau, r e t r o u v e le r y t h m e d e fa rc e clich é, e s t ici b e a u , s i m p l e m e n t , c o m m e ç a ,


d e Sourires d’une N u î t d’é t é , t o u t e n f r ô l a n t p a r c e q u ’a u d é b u t d ’u n e h isto ire u n t a n ­
e n m i n e u r , s a n s s ’a p e s a n t i r , le d r a m e d e La t i n e t f a n t a s t i q u e , il e s t b o n d e n ou s m e t t r e
N u it d es forains. d a n s l’a m b i a n c e .
F a u t - il o u non a t t a c h e r d e l’im p o r t a n c e C e t t e f ois n o t r e a u t e u r c o m p l e t n e v e u t
a u t i t r e m ê m e d u film ? Si oui, e t j’e n suis a b s o l u m e n t p a s ê t r e p ris a u sé rieu x , sa s e u l e
c o n v a i n c u , Le V isa g e n 'a c q u i e r t t o u t e sa r é u s s i t e e s t , à t r a v e r s le f u t il e p a t h é t i q u e d e s
sig n ific a tio n q u e d a n s la p e r s p e c ti v e d ’u n e v isa g e s saisis d a n s l e u r m o m e n t d e p lu s
m ise à n u d e l’h o m m e e t so n d o u b le . A v e c u n g r a n d e d é t r e s s e , d e n o u s r e la n c e r ces i n t e r r o ­
m i n i m u m d e gros plan s, le m e t t e u r e n s c è n e g a t i o n s in sid ieu ses, in s é p a ra b l e s d e la m y t h o ­
n o u s d é m a s q u e t o u t u n c h a c u n , essaie d e lire lo gie b e r g m a n i e n n e . Farce d e c o llég ien s u é ­
s u r les se u ls v isa g es pris a u p iè g e d e l’a n ­ dois, p e u t - ê t r e , m a is s a n s a r r i è r e - p e n s é e ,
goisse d ’ê t r e . Ici la f i l l e t t e à q u i la vieille c o n t é e se lo n u n e d é m a r c h e s o u v e r a i n e m e n t
c h a n t e u n e rito u r n e l l e , là le p r é f e t é b o u r iff é libre , s a n s le m o i n d r e souci d e f l a t t e r le p u ­
g r o t e s q u e , o u le d o c t e u r s c e p t i q u e , p a r a n g o n b lic o u la c r i t i q u e a m o u r e u x des s c h é m a s .
d e v a in e d ig n i t é , ou la c o m p a g n e d e V og ler, — L. Ms.
le c h a r l a t a n , lasse e t t e n d r e s o u s s o n m a s q u e
d ’im passibilité. Si B e rg m a n prêchait, si LA CRANDE GUERRE (La Grande Guerra)
B e rg m a n v o u l a i t p r o u v e r, n ou s f u irio n s c o m ­
m e la p e s t e ce f a u x p r o p h è t e . L’a d m ir a b le , T r è s g r a n d e s u p e r p r o d u c t i o n e n no ir e t
c ’e s t q u e B e rg m a n n e f a i t q u e jo u er e t se b l a n c c o m m e les a i m e D e L a u re n tis , La Grande
j o u e r e n n o u s d iv e r t i s s a n t . Le r é c it a v a n c e G u e r re e s t u n e x c e l l e n t film c o m m e r c ia l. A v e c
avec cette assurance dédaigneuse des u n g o û t r e m a r q u a b l e , M a rio Monicelli a u t i l i s é
c o n v e n t i o n s qui l’a t o u j o u r s c a r a c té r is é . Un les é n o r m e s m o y e n s m is à sa d isposition p o u r
s o u s - b o is i n o n d é d e lu m i è r e , ailleu rs le pire c o m p o s e r u n film in t i m i s t e . C ela le p a s s i o n n e

74
d e m o n t r e r a u milieu d ’u n e a r m é e d e f i g u ­ jours s e u l e m e n t . R e n o ir s ' e s t d é c la r é e n c h a n t é
r a n t s !e s o l d a t q u i r e c o u d son b o u t o n de d u p r o c é d é , e t l'a utilisé à n o u v e a u c e t é t é
c u l o t t e . Le film se v e u t u n e e s p è c e d e g e s te p o u r t o u r n e r Le Déjeuner sur l’Herbe ( d o n t
p o p u l a i r e i s u r les s o u f f ra n c e s e t les gaie té s du le m o n t a g e n 'e s t p a s e n c o r e a c h e v é ), m a is en
soldat. P o ur le j u g e r c o m p l è t e m e n t , il f a u t a u g m e n t a n t le n o m b r e d e s r é p é t i t i o n s e t e n
a t t e n d r e d ’e n c o m p r e n d r e les d ialo gu es qui p o r t a n t la d u r é e d e t o u r n a g e à v i n g t e t un
font u ne p a rt capitale a u x dialectes et accents jours.
italiens. Je n ’e n r e t i e n s p o u r l’i n s t a n t , m alg ré Le T e st a m e n t n e m a n q u e r a p a s d e s u r p r e n ­
n o m b r e d ’e f f e t s faciles, q u e la finesse, l’i n t e l ­ dre c o n s i d é r a b l e m e n t les a d m i r a t e u r s d e R e ­
ligence e t la sen sib ilité d e son r é a lisa te u r . — noir. On s ’é t o n n e r a d e lo u rd eu rs , d e m a l a ­
J. Dt. dresses, d 'i n s u f f i s a n c e s d a n s le jeu des a c t e u r s
ou le d é c o u p a g e . P u is o n s’a p e r c e v r a q u ’a v e c
HORS FESTIVAL se s d é f a u t s e t so n i n c o m p a r a b le liberté, ie
T e st a m e n t e s t p r é c i s é m e n t c e t t e C o m ed ia
C o m m e à l’a c c o u t u m é e , le F estival a p e r m is d e l l ’A r t e a u t o u r d e laq u elle les film s de
d e voir, à c ô t é d e s film s e n con cou rs, un R e n oir n ’o n t cessé d e t o u r n e r , d e La Règle
ce rta in n o m b r e d ’œ u v r e s q u e n o u s n e c o n ­ du Jeu au Carrosse d ’Or, en p a s s a n t p ar La
n aissions p as e n c o r e e t d o n t c e r t a i n e s p r é s e n ­ Partie de Cam pagne e t Le Fleuve. Et p our
t e n t u n i n t é r ê t m o in s c o n t e s t a b l e q u e p l u ­ i n a u g u r e r c e t t e n o u v e lle « m a n i è r e » , ce
sieu rs d e s films e n c o m p é t i t i o n . n o u v e a u m o d e d ’ex p ress io n — c a r c ’e s t b ien
Renoir, ap rès avoir p r é s e n t é e n m a t i n é e la d e cela q u ’il s ’a g i t p o u r R e n oir — ■ c e l u i- c i n e
v ersion e n fin i n t é g r a le d e La Règle du Jeu, p o u v a i t t r o u v e r m e i l l e u r i n t e r p r è t e q u e Bar-
a m o n t r é le soir i’a v a n t - d e r n i e r - n é e t n o n le r a u lt, lequel fa it de C o r d e lie r -O p a le
( j e k y ll-H y d e ) u n m î m o - p e r s o n n a g e é t o n n a n t
m o in s c h e r d e se s e n f a n t s , Le T e st a m e n t du
Docteur Cordeiier, réalisé o n le s a i t se lo n ta d e s û r e t é e t d ’im p ro visatio n .
t e c h n i q u e T V , av ec p lu sieu rs c a m é r a s e t prises P a r a illeu rs, il s e m b le b i e n q u ’e n p e r s if la n t
d e son, e t u n e d u r é e d e t o u r n a g e d e o n z e la sc ie n c e e t les p o s t u l a t s m o r a u x s u r lesquels

Je an-L ouis Barrault — Opale dans Le Testament du Docteur Cordeiier, d e Jean Renoir.

75
r e p o s e la l i t t é r a t u r e d ’a n t i c i p a t i o n e n g én éral policiers, p e t i t s b o u r g e o i s , c o m m e r ç a n t s a u x ­
e t « D o c t e u r JekyJJ e t M. H y d e » e n p a r t i ­ q u e ls le h é r o s s e t r o u v e c o n f r o n t é , Le Généra)
cu lier, Renoir a i t p o u r b u t de n o u s a m e n e r à nu e s t d ’u n e v e r v e c o m i q u e o r igin a le, re n d
p e n s e r q u e d u s a v a n t e t d u m o n s t r e , le plus u n son t r è s n e u f d a n s le c i n é m a j a p o n a i s tel
laid n ’e s t p as celui q u ’o n p e n s e . Le p a n ­ q u e les f e stiv a ls n o u s le m o n t r e n t h a b i t u e l l e ­
t h é i s m e qui d e f a ç o n p lu s ou m o in s d if fu s e m e n t . — M. M.
i m p r è g n e l’œ u v r e e n t i è r e d e R enoir, m o n t r e
ici u n e p a t t e n o ire q u e n o u s r e tro u v e r o n s d a n s Le M anteau (Shinel), v e r sio n ru ss e c e t t e
Le D é j e u n e r s u r T H e rb e , o d e à la gloire d u fo is d u c o n t e d e G ogol, a p o u r m e t t e u r en
g r a n d P an , t o u r n é à C a g n e s, d a n s le jard in s c è n e l’i n t e r p r è t e d e La Mère e t Quand
d e s oliviers où A u g u s t e Renoir a s o u f f e r t e t a pass en t les cig o g n es , A le x is B atalo v . A - t - o n
p e i n t la b e a u t é p a n i q u e d u m o n d e. en c o r e le d r o i t d e f a ire f a i r e d e s g r im a c e s à
so n a c t e u r p rincip al c o m m e d a n s Caligari,
Cendres et Diam ants (Popiol i Diamant),
sa n s p o u r a u t a n t c h a r g e r les é c la ir a g e s ? La
film p o lo n ais d ’A n d r z e j W a j d a , a su s cité des p e r f e c t i o n d e fa t e c h n i q u e cfe j e u d u T h é â t r e
p o l é m i q u e s o p i n i â t r e s . Un e s t h é t i s m e - s u r r a n n é
d ’A r t d e S ta n is la w s k i, aussi a c a d é m i q u e soit~
y r ecou v re u n s e n s t r è s sû r c e p e n d a n t d e la
elle, m é r i t e - t - e l l e n o t r e r e s p e c t q u a n d ap p li­
m ise e n s c è n e e t u n e r e m a r q u a b l e d ir e c tio n
q u é e av ec u n e te l l e e f f i c a c i t é ?
d ’a c t e u r s . W a j d a , d ’év id en ce , s ’est p as sio n n é
p o u r l 'œ u v r e q u 'il réalisait e t celle-ci ne p e u t Le réalism e e n t a n t q u e t e c h n i q u e e s t
laisser i n d i ff é r e n t . p e u t- ê tre co n d a m n é , m ais q u a n d t a n t de
A V arsov ie, t o u t a u long d e la d ern ière m i n u t i e d a n s le d é t a i l , t a n t d ’i n t e n s i t é e t d e
n u i t d e la g u e r re , u n reg ard b r û l a n t mais c o n c e n t r a t i o n d a n s le j e u , u n tel r a f f i n e m e n t
lu cide se p o se s u r [es h é r o s d 'h i e r , (es p r o fi­ d e la m i m i q u e e t d u g e s t e , f o n t p a s s e r s u r
t e u r s d e d e m a i n , les d é s e s p é r é s d ’a u j o u r d ’hui. n o u s le frisson g lacé d u f a n t a s t i q u e gogolîen,
A u - d e l à d ’u n e b e a u t é fo rm e l l e q u i n ’a d h è re q u e le m e t t e u r e n s c è n e p o r t e v i s i b l e m e n t e n
pas to u j o u r s e x a c t e m e n t à son pro p o s, ce lui so n s u j e t a v e c u n e t o t a l e c o n v i c t i o n , les
film e s t u n c o n s t a t , u n cri n o ir d e d o u leu r co n v e n tio n s s ’e n v o l e n t , o n a p p l a u d i t à u n t r a -
e t d e colère. vail d e p r e m i è r e g r a n d e u r q u i, a v e c u n e f o rce
e n c o r e p lu s p e r c u t a n t e q u e celle d u Visage,
The S avage Eye, d e S id n ey M e y ers, e t n o u s r e s t i t u e l’ironie i m p i t o y a b l e d 'e x i s t e n c e s
Corne Back Africa, d e Lionel Rogosîn, r e p r é ­ d a m n é e s . Le p r e m i e r pas v e r s le v é r i t a b l e n o u ­
s e n t a i e n t la p r o d u c t i o n i n d é p e n d a n t e a m é r i ­ v e a u c in é m a , s a n s f a t a l i t é s , t o u t m y s t i f i c a ­
ca in e . Ici la c o n d i t i o n d e s noirs e n A f ri q u e tio n . — ■ L. Ms.
d u Su d, là q u e l q u e s - u n s d es b a s - f o n d s d e
N e w Y o rk , sa lle s d e c a t c h , m i n a b l e s st r i p -
te a s e s o b s c è n e s , c o u r des m ira cles é v a n g é ­
RETROSPECTIVE
listes, b o î t e s p o u r h o m o se x u els. Ici e t là le
m ê m e désir d ’a u t h e n t i c i t é , m ais a b o u t i s s a n t
chez. S id n e y M e y e rs à f a ire v isiter a u s p e c ­ N o t r e am i Giulio C e sa r e C a s te llo a mis
s u r p ied la p l u s d é s o r d o n n é e e t la p lu s riche
t a t e u r u n e s o r t e d e m u s é e d e s h o r re u r s d ’u n
d ’e n s e i g n e m e n t d e s r é t r o s p e c t i v e s ; les films,
i n t é r ê t s t r i c t e m e n t d o c u m e n t a i r e , alors q u e
d a n s les m e ille u r s m o m e n t s d e Corne Back t o u s an c ie n s ch o ix d e s F estiv als d e V en is e
Africa, u n e c e r t a i n e c h a l e u r h u m a i n e p a r v ie n t e n t r e 1 9 3 2 e t 1 9 3 9 , s ’y r a m a s s e n t à la pelle,
à p as ser d u film a u s p e c t a t e u r , grâce au parfo is e n s é q u e n c e s , e n b o b i n e s . M o m e n t s
m é d i u m d e s i n t e r p r è t e s no irs n o n p r o fe s s io n ­ g lo rie u x d e ce p a s s é r e s s u s c i t é : J o h n Barry-
nels. P ar c o n t r e , les p ro t a g o n i s t e s s e m i - p r o ­ m ore, inspiré, d é l i r a n t , e n s e i g n a n t à C a ro le
f e ssio nn els s o n t m al à l e u r aise d a n s d es L o m ba rd l’a r t d u t h é â t r e d a n s T w e n t i e t h
sit u a t i o n s so c io lo g iq u e s e t a n e c d o t i q u e s c o n s­ Century, d e H o w a r d H a w k s . S é q u e n c e an th o ~
t r u i t e s p a r l’a u t e u r e t o ù le souci d e faire lo gique q u e t o u t a p p r e n t i - c o m é d i e n e t e n c o re
e x e m p la ir e a c o n d u i t à p r e n d re t r o p de plus c i n é a s t e se d e v r a d ’av oir v u e . R o u b e n
l ib e r té s av ec la ré a lité . Je an R o u ch d e m e u r e M a m o u li a n , m e t t e u r e n s c è n e m é d i o c r e , m a is
le seu l a u t e u r d e film s à avoir mis a u jour p lastic ie n é t o n n a n t , f a i s a n t n a î t r e la vie o u
la v é r ité d é r o u t a n t e d e l’â m e no ire, sa ns p l u t ô t l’illusion d e la vie p a r le seu l d é p l o i e ­
c h e r c h e r à inflé chir se s su b t i l i t é s p o u r les m e n t d e la c o u le u r ( B e c k y Sharp, c h e f - d ’œ u ­
b e s o in s d ’u n e c a u s e q u e lc o n q u e . vre i n é g a lé d u T e c h n i c o l o r ) o u d u m a q u i l ­
l a g e (Docfor Jekyll and Miste r H yde). Les
Un festival é t a n t co m p o s é à 9 5 % de b a u d r u c h e s d é g o n f l é e s : Le Chem in de la
film s s é r i e u x o u e n n u y e u x , l’é c l a t d e rire
vie, s o m m e t d u film b o y - s c o u t (av ec c o n v i c ­
i n a t t e n d u y e s t t o u j o u r s b ie n v e n u . C e t t e d ou ce
t io n ), o u Les jo y eu x Garçons, d ' u n h u m o u r
s u rp rise, n o u s la d e v r o n s c e t t e a n n é e au
éléphantesque.
Général nu (Kadaka N o Taisho), film japonais
d e Hirom ichi H o r i k a w a . A v e n t u r e s b u r le s q u e s L o n g u e m e n t p r o m is e t o f f e r t à l’u l t i m e
d ’u n p e i n t r e n a ï f e t m ê m e a s s e z d e m e u r é , m i n u t e , T h e D evil is a W o m a r t , a v e c S t e r n -
p r é t e x t e à s a t i r e b o u f f o n n e d es m ilitaires, b e r g e t D ietrich , s u r s c é n a r io a s s e z f a n t a i s i s t e

76
La Manteau, d’Alexis Btitalov.

d e Joh n Dos Passos. A v ec T h e Scarlet Em- s ’orchestre se lon une musique secrète. A u ­
press, n o u s tr o u v o n s ici à l 'é t a t p u r l’a r t jourd’hui Hollywood ne perm et plus de tra­
s t e r n b e r g i e n , l 'a c tio n n ’e x is te q u ’en f o n c t i o n vailler dans le clim at de liberté dont nous
d u d éco r, le d é c o r l u i - m ê m e se r é d u i s a n t le jouissions vers 1 9 3 0 - 1 9 3 5 . On ignore que
p lu s so u v e n t à u n e x t r a o r d i n a ir e e n c h e v ê ­ le ciném a doit être l’œuvre d’un seul hom m e,
t r e m e n t d e lignes, d e c o u r b e s , d e v o lu te s, le m e tt e u r en sc èn e. La jeu ne génération
le t o u t c o u r o n n é p a r u n e M a rl è n e e n p ain n ’a pas à aller chercher des e x e m p le s parmi
d e su cre, irréelle, m é t a p h o r i q u e , e t p o u r t a n t les doctrines, les credos de t o u t e o b éd ien ce.
ô c o m b i e n f e m m e , ê t r e ac c o m p li, a p p a r e n c e Des h om m es m a lho n n êtes nous gouvernen t.
d é s ira b le co nstam m ent r e fu s ée. S t e r n b e r g Je voudrais faire des films pour apprendre à
n o u s c o n d u i t d a n s u n e E spag ne d e s c i e n c e - connaîtr e notre prochain, en se igner le véri­
f i c t i o n , r a c o n t e l’h is to ir e la p lu s i n v r a i s e m ­ ta b le amour. U n e source intarissable à laquelle
b lab le, à f aire s u r g i r P ierre Louys d e sa nous ne puiserons jamais a ssez : l’antiquité.
t o m b e . Q u ’im p o rt e q u a n d t o u t e s t grâce, T o u t y e s t écri t, t o u t y es t m o ntré. »
q u a n d t o u t n ’e x is te q u e p o u r le plaisir d e L ’h o m m e qu i m e t i e n t ces p r o po s n ’e s t p a s
l’a r t i s t e , q u e plus e n c o r e q u e chez. L u b its ch u n b o u f f o n , m ais la b o n t é , la g é n é r o s i t é , la
la f u t il i t é r è g n e t r i o m p h a n t e . m o d e s ti e m ê m e s . On p e n s e à l'A ld o u s H u xley
ou à l 'H e n r y M iller d e r n i è r e m a n i è r e , u n
Un q u a r t d e siècle a p r è s T h e Devil is a p e u p r o p h è t e s , passifs, e n f e r m é s d a n s leur
W o m a n , Josef v o n S t e r n b e r g in c a r n e t o u j o u r s sa g ess e. T he Saga o f An atahan d e m e u r e ,
l’e s t h è t e d a n s sa s p l e n d e u r , e n n e m i des m e s - p o u r S te r n b e rg , l’a c c o m p l i s s e m e n t d e sa c a r ­
sageSj a m o u r e u x d es se u le s f o r m e s . « Un rière, m a l g r é le t o ta l é c h e c f i n a n c i e r d u
film , m e d i t - i l , est harm onie, contrepoints, film . — L. Ms.

Ce com pte re n d u d u festival a été rédigé p ar Jean D Ou CHET, Louis M a r CORELLES et Michel
M àyoux.

77
FILMS SORTIS A PARIS
DU 12 AOUT AU 22 SEPTEMBRE 1959
11 FILMS FRANÇAIS

Les A ffre u x , film d e Marc A llégret, avec P ierre Fresnay, D arry Cowl, Louis Seigner,
Jacques C h arro n, A n d ré Brunot, Michel G alahru. — U n bra v e caissier, un inventeur farfelu,
u n réalisateur fatigué, tous moins affreux q u ’on nous l’annonce. Plutôt bien anodins.
L es A m a n ts de dem ain, film de Marcel Blistène, avec E d ith Piaf, Michel Auclair, A rm a n d
Mestral, Joëlle Bernard, Olivier Hu3senot, R a y m o nd Souplex, — L e pïem ier film de Blistène
était avec Piaf, le dernier aussi. U n film d ’avant-hier à tout le m oins.
Babette s’en Va-t-en guerre, film en Cinem aScope et en Eastm ancolor de C h ris'ian -Jaq ue,
avec Brigitte Bardot, Jacques Charrier, H annes M essem er, Y ves V incent, Ronald H ow ard,
Francis Blanche, R ené H avard, Jacques Hilling. — B.B. la T u lip e ou les aventures de Bardot
volant au. secours d e la France L ibre e t de la C inquièm e R épub liqu e. Francis Blanche, plus
brim é qu e dans L e s Motards, vole a u secours d u film, m ais ce burlesque gestapique n ’est
q u ’u n pâle reflet d e To B e Or N ot T o Be.
125, rue M ontmartre, film de Gilles Grangier, avec L in o V e n tu ra, A n d ré a Parisy, D ora
Doll, A lfred A dam , Robert Hirsch, Jean Desailly, Lucien R aim bourg, — U n crieur de jo u r­
naux est injustem ent accusé d ’un m eu rtre. D ’u n e rare laideur.
Le C onfident de ce s dames, film d e Jean Bover, avec Fernande I, Denise Grey, Ugo
T ognazzi, Sylva Koscina, Lauretta Maziero, Bice V alori. — A près C oiffeur pour dam es et Le
Couturier de ces dam es, et en attendant L e M aque de ces dames.
Julie ïa Rousse, film de Claude Boissol, avec Pascale Petit, Daniel Gélin, R ené-Louis
Lafforgue, M argo Lion, L iliane Patrick, Jocelyne Darche, G abrielle F ontan. — U ne piètre ro u ­
quine dans u n e triste bagarre.
Les liaisons dangereuses I960, film d e Roger V a d im . — V oir critique dans notre p rochain
num éro.
Maigret et Vaffaire Saint-Fiacre, film d e Je a n D elannoy, avec Jean G abin, Michel Auclair,
V alentine T essier, H élène Tossy, R obert Hirsch, P aul FVankeur, Gabrielle Fontan, Jacques
Morel, A rm a n d e Navarre, — D ’u n des plus ternes M aigret de l'ép oqu e A rthèm e Fayard,
D elannoy a fait u ne adaptation encore plus terne.
[La N uit des espions, film de R obert Hossein. — V o ir compte rendu du Festival d e
V enise dans ce num éro, page 71.
L e Père et }’E n fa n t [ex-Premier M ai), film d e Luis Saslavsky, avec Yves M ontand, B erna­
dette Lange, Nicole Berger, Yves Noël, "Walter C hiari, A ldo Fabrizi, Georgette A nys. —■
Som bre histoire d ’accouchem ent çaitîcu lièrem en t difficile, puisque ce film a attendu trois
ans pour trouver la sortie. Nous étions prêfs à attendre u n pe u plus.
V ous n ’avez rien à déclarer ? film de C lém ent D uhour, avec D arry Cowl, Jean R ichard ,
Jean P oiiet, Michel Serrault, Jac q u elin e _Maiïlan, M adeleine L ebeau. —■ V audeville classique
que D uhour a tenté d e rajeunir en le traitant à la m anière d ’un Crazy-Show. Pas très convain­
cant.

15 FILMS AMERIC AINS

T h e Dtary of A n n e Frank. (Le Journal d ’A n n e Frank), film en Cinem aScope de G eorge


Stevens. — V oir note d a n s notre prochain num éro.
Fort Massacre, film, en C inem aScope et en D eL uxe de Joseph M. N ew m an, avec Joël
McCrea, Forrest T ucker, Susan C abot, John Russell. — P our v eng er sa fem m e tuée p ar les
Indiens, u n sergent exterm ine tous ceux q u 'il rencontre. L e fort ne tient guère debout, le
m assacre est confus. E n souvenir de ses hom m es tom bés au com bat, le sous-of? trim bale tout
u n lot de m ontres en or ; c’est égalem ent le seul souvenir q u ’on conserve du film.
T h e Golden A g e o / C om edy (La Grande E poque), film de m ontage com m enté par R ené
Clair. — Voir critique dans notre prochain num éro.
T h e H ig h Cosi of L o oing (L’a m o u r coûte cher), film en C inem aScope d e jose Ferrer, avec
José Ferrer, G ena R ow lands, Joanne G ilbert, Jim Backus. — L e titre le plus trom peur d u
ciném a. 11 s’agit d ’u n em ployé d e b ureau qui a p e u r de perdre sa p lace... En tout cas, le
film n ’a pas coûté cher.
H o t S u m m e r N igh t (V O ta g e d u gang), film de David Friedkin. — V o ir note dans notre
prochain num éro.
T h e Last Blitzkrieg [Esfoions en u n ifo rm e ), film d ’A rth u r Dreifuss, avec V a n Johnson,
K erw in Ma^hews, Dick Y ork, Larry Storch. — U n espion allem and ^ en uniform e am éricain
est pe u à p eu révolté p ar la barbarie nazie. H autem ent moral et soporifique.

78
T h e M an in the N e t (L ’H o m m e dans le filet), film d e Michael Curtiz, avec A la n L add ,
Carolyn Jones, C harles M cGraw. — U n Homme injustem ent accusé d u m eu rtre de sa
fem m e. C ondam né pour médiocrité.
T h e M a r \ o j the Hawl^ (La M arque du faucon), film en SuperScope et en T echnicolor
de M ichael A udley, avec E arth a Kitt, Sidn ey Poitier, Juano H ernandez, John Mclntire. —
N ’est pas Brooks q u i veut et ce dram e d 'u n noir qui n e sait dans quel cam p se ranger,
celui d es Blancs ou celui d e son frère terroriste, est loin d ’égaler S o m e th in g o f Value. Mais
les intentions sont louables.
Neoer Give a Suckfir an Eüen Break. (Passez M uscade), film d ’E dw ard CHne. — Voir note
dans notre prochain num éro,
S h a ^e H ands W ith the De ail (L’E popée dans l’om bre), film de Michael A nderson, avec
Jam es Cagney, Don M urray, D an a W ynter, G lynis Johns. — Episode de la résistance irlan­
daise. L aborieux et académ ique.
T e n S econds T o HeJl (Tout près de Satan), film de R obert A ldrich. — V oir critique dans
notre prochain num éro,
T h e Trop (Dans la souricière), film en Technicolor d e Norm an P a n a m a , avec Richard
W id m ark, Lee J, Cobb, T in a Louise, Earl H ollim an. — Scénario de w estern arebi-rebattu
auquel un cadre m o derne n ’a pas réussi à d o n n e r la m oindre vigueur non plus que la balour­
dise d e cette canaille de P an am a.
Trial (Le Procès - M on fils est innocent), film de M ark Robson. — V oir critique dans
notre prochain num éro.
W e stb o u n d (Le Courrier d e Vor), film en W arnercolor d e Budd Boetticher, avec Ran-
dolph Scott, V irginia Mayo, K a re n Steelle, Michael D ante. — L a G uerre d e Sécession ram enée
à un problèm e de circulation de diligences. R ien de révolutionnaire, m ais u n e agréable bonne
h u m eu r et une saine observance des traditions.
T h e W o rld , the Flesh an d th& D e vil (Le M onde, ïa Chair et le Diable), film en Cinem a-
Scope d e R anald McDougall, avec H arry Belafonte, Inger Stevens, Mel Ferrer. — V oir, dans
l’article de C laude Chabrol, page 39, ce qui concerne L ’A pocalypse de notre tem ps.

6 FILMS ITALIENS

I Battellieri del V olga (Les Bateliers de la Volga), film en TotalScope et Eastm ancolor d e
Victor T ourjansky, avec John D erek, Eisa Martinelli, D aw n A ddam s, R ik Battaglia, Charles
V anel. — T a n t on tire sur la corde q u ’à la fin elle se casse. E puisant.
Ercole e la R egina di Lidia {Hercule et la R eine d e Lydie), film en Dyaliscope et T ec h n i­
color d e Pietro Francisci, avec Steve Reeves, Sylva Koscina, Sylvîa Lopez. — Piètre Francisci.
trop fainéant pour réussir à illustrer les travaux d e son héros.
JI Pirafca deîfo Sparüiero N ero (Le P i rate d e YEperoïer Noir), film en T otalScope et en
Ferraniacolor de Sergio Grieco, avec G érard L andry, M ijanou Bardot, Ettore Manni. — Le
croiriez-vous ? Il s’agit d ’u n m ystérieux corsaire qui com bat u n vil usurpateur, Il est recom ­
m andé d e s ’abstenir.
L e R oi crueî, film en T otalScope et Eastm ancolor de Victor T ourjansky, avec E d m u n d
Purdom , Sylvia Lopez, Sandra Milo, Massimo Girotti. — H érode massacra peut-être les Inno­
cents, m ais d e quels crimes T ou rjansky n ’est-il pas coupable ?
/ Soliii Ignoti (Le Pigeon), film de Mario Monïcelli. — V o ir note d a n s notre prochain
num éro.
V enezia, la L una e Tir {Fenfse, la lune ef foi), film en Eastm ancolor de Dino Risi, avec
A lberto Sordi, Marisa Allasio, Inge Schoener, N ino M anfredi, — O n aim ait bien Sordi : q u ’a-
t-il été faire dans ce‘te gondole ?

5 FILMS ALLEMANDS
A llé S ü n d e n Dieser E r d s (La Loi d u üice), film d e Fritz Um gelter, avec Barbara Rütting,
Ivan Desny, H annelore Bollm ann, P aul Dahlke., — U ne jeune fille, ab an d o n n ée par celui
q u ’elle aime, som bre dans la déchéance. Ce Fritz n ’est pas notre ami.
B îitzm âdels an die Fronf (Les Souris grises), film d e W ern er K lingler, avec A n tje Geerk,
E dith Elm ay, Bert Fortell, H orst F ran k . — L a vie des fem m es soldats d ’après l ’auteur des
08/15. H uit fois plus bête, quinze fois plus en nuyeux " 0.
L ie b e K a n n W ie G ift Sein (Impudeur), film de V eit H arlan, avec Sabina Sesselm ann,
W illy Birgel, Joachim F uchsberger, H elm ut Schm id. — U ne jeun e fille, aband onn ée par
celui q u ’elle aime, som bre dans la déchéance. Ce V eit est un vaurien.
P eter Koss, der M illionendieb (Peter Foss, le üoleur de millions), film en Eastm ancolor
d e "Wolfgang Becker, avec Q .W . Fischer, Ingrid A ndrée, M aigit Saad, M ara L ane. — U n
A rsèn e L upin a u petit pied. N otre Jacques, au plus b as d e sa form e, vaut encore m ieux
qu e ce W olfgang.

79
Der Shinderhanne» (Le Brigand au grand cœ ur), film e n Eastm ancolor de H elm u t K au tner,
avec Curd Jürgens, Maria Schell, C hristian Wolff, Fritz T illm ann. —. Un grand sujet, u n tout
petit film. On attend les scènes avec Maria Schell p o u r se réveiller ; c’est tout dire.

4 FILMS ANCLA1S
T h e Gipsy an d the G entlem an {Gîpsy), film en E astm ancolor de Joseph Losey. -— V o ir
critique dans notre prochain num éro.
T h e O ne T h a t Goi Avoay {L’E va dé d u c a m p I), film d e Roy Baker, avec H ard y K ruger,
Colin Gordon, M ichael Goodliffe, T erence A lexander, — L es évasions successives de cet as
d e la L uftw aîîe incitent bientôt le spectateur à gagner discrètem ent îa sortie.
Tiger Bay {Les Y e u x d u tém oin), film d e J. L ee T h o m p so n , avec John Mills, Horst
Buchholz, H ailey Mills. — U n e gam in e tém oin d ’u n m eurtre. Pusillanim e.
T h e W in d C annot R e a d (Le V e n t ne sait pas lire), film en V istaV ision et Technicolor d e
R a lp h T h o m as, avec Dirk Borgade, Y oko T an i, R onald Lewis, John Fraser. — L e Sayonara
anglais. Il n ’y avait déjà pas lieu de féliciter Logan, encore m oins T hom as.

2 FILMS FRANCO-BELCES
L ’H o m m e i du gang, film d ’Yvan Govar, avec R aoul de M anez, Anne-M arie M ersen,
Roger Dutoit, Georges R an dax, — U n m édecin m arro n au service de gangsters, un réalisateur
odieux au service a une m échante cause.
Y ’en a marre (Le Gars d’AnVers), film d ’Y van 'G ovar, avec Barbara Laage, Pierre T ra-
baud, Dom inique W ilm s, Danielle Godet. — Y 'e n a m arre — m archandise — discontinue —
continue don c — dont auquel ■— quel navet !

1 FILM ESPAGNOL
E l Cerca (Le Cercle, rouge), film d e M iguel Iglesias, avec /sabel de Castro, José G uardiola.
— Le cercle vicieux d u cinéma standard.

C AH IE R S
Revue mensuelle de cinéma
DU C IN É M A
R é d ac t e u r s en Chefs :
PRÉSENCE DU CINÉMA REVUE MENSUELLE
Jac q u e s D 0N 10 L -V A L C R 0 Z E et Eric ROHMER
D ire c tio n -R é d ac tio n :
• Jean C u rte lin et Alichel P arsy.
T o u s d ro its ré s e rv é s
C o p y rig h t by « Les E d itio n s de l'E to ile » 127, Ch am ps-Elysées - Paris (8e)
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F r a n c e , U nion F r a n ç a is e ......................... 1.700 F rs N ” 2 - 3 : Ju illet-se p te m b re :
Etranger ............................................................. 2.000 Frs « S ituation du W e s te r n » . . . . . . 500 »
A b o n n e m en ts 12 n u m é ro s :
France, Union Française ......... .. 3.300 Frs N" 4 : O ctobre : « Le Ci n é m a
E t r a n g e r .................................... ........................ 3.800 Frs des Blousons noirs » ....................... 300 »
S fiM ila m is e t C i n é - C lu b s ;
2.800 f r s (France) e t 3.200 fr s (é tr a n g er ) N° 5 : N o v e m b r e : « La
• S c i e n c e - f i c t i o n eu C in é m a » . . . . 300 »
A d re ss e r le ttre s , c h èq u es ou m a n d a ts aux N“ 6 : D écem bre : « Petite
CAHIERS DU CINEMA, 146, C h am p s-E ly sées,
PA R IS-80 (ELY. 05-38). 300 »
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Les a rtic le s n ’e n g a g e n t que le u rs a u te u rs. . C.C.P. - Présence du C inéma - 1 3 0 6 7 -0 5 - Paris
L es m a n u sc rits ne s o n t pas. re n d u s.

Le G érant : Jacques Doniol-Valcroze


Im prim erie Centrale <±u Croissant, Paris — D épôt légal 4e trim estre 1959
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L'hebdomadaire
littéraire et artisii que
qui accorde la p l u s
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