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Jacques Thomet

La Pédocratie
à la française
La chute des intouchables

10 années d’enquêtes
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Éditions FABERT
79, avenue de Ségur
75015 Paris – France
Jacques Thomet

La Pédocratie à la française
La chute des intouchables

Préface de Joseph Ancel


Président de Chambre honoraire à la Cour d’appel de Paris

Postface de Gérard Lopez


Psychiatre
Maquette et mise en page : Atlant’Communication
Couverture : Pascal Steichen

DIFFUSION/DISTRIBUTION
CEDIF / Pollen

COMPTOIRS DE VENTE :
Éditions Fabert (ouverts du lundi au samedi de 9 h 30 à 18 h)
79 avenue de Ségur, 75015 Paris.
Tél. : 33 (0)1 47 05 32 68 

Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle,


faite sans le consentement des auteurs, ou de leurs ayants droit ou ayants cause,
est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation
ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Éditions Fabert, mars 2021, Paris.


ePDF ISBN : 978-2-84922-629-2
SOMMAIRE

Préface par Joseph Ancel................................................. 9


Prologue........................................................................ 11

Chapitre I
Les élites, gangrène de l’innocence............................... 15
A/ Sartre – Beauvoir, diables sans bon Dieu..........................15
B/ Le cloaque de l’après-mai 68.............................................19
C/ Paris 2021 : bienvenue à Pédoland...................................21
D/ Les nourritures terrestres de Matzneff..............................23
E/ Quand la pédophilie scatologique s’invite à la direction
du Monde.................................................................................23
F/ Les troubles amitiés de François Mitterrand.....................26
G/ Les rubans et les ordres font désordre...............................27
H/ Les « vérités » de Christophe Girard..................................28
I/ La complicité du monde littéraire.......................................29
J/ L’omerta dans la presse........................................................31
K/ Les lenteurs de la justice et de la police............................32
L/ Un Coral sans ko.................................................................33
M/ Une exception culturelle : Jack Lang.................................36
N/ Jack Lang à table… avec Jeffrey Epstein...........................42
O/ Zandvoort : une Formule 1 de la pédocriminalité.............43
P/ De Zandvoort à Toulouse...................................................47
Q/ L’idole de 68, Dany le Rouge, vert pédophile...................48
R/ Frédéric Mitterrand : un touriste sexuel ministre
de Sarkozy...............................................................................50
S/ Hamilton : la défloration de nymphettes,
principal objectif.....................................................................52
T/ La plume jette le masque...................................................53
U/ Le prince des arts casse un diamant..................................57
V/ L’héritage négatif de Freud.................................................57
W/ L’héritier de Freud : un Sir violeur....................................58
6 La Pédocratie à la française

X/ Françoise Dolto, biberon des pédophiles...........................59

Chapitre II
La pédophilie, cactus intouchable................................. 61
A/ 0,3 % des viols d’enfants devant la justice........................61
B/ 50 % de tentatives de suicide............................................62
C/ Les petits pas du pouvoir...................................................62
D/ Les craintifs disciples d’Hippocrate..................................64
E/ Haro sur l’Église…..............................................................67
F/… Et omerta pour école.......................................................68
G/ Une justice souvent complice............................................72
H/ Le scandale du Mur des Cons.............................................74
I/ Un inspecteur de l’enfance accusé de viol mais libre.........75
J/ Le sursis du général Germanos...........................................76
K/ Un SAP pour saper la vérité des victimes.........................76
L/ Le procès en hérésie de Martine Bouillon.........................78
M/ Une presse porte-parole de la pédophilie.........................79

Chapitre III
Outreau, « Hiroshima de l’enfance ».............................. 87
A/ Un non-lieu pour cinq crimes présumés d’enfants............89
B/ L’« erreur judiciaire » n’en était pas une.............................90
C/ L’ex-avocat général jette le doute sur neuf acquittés.........92
D/ Un accablant rapport de l’IGAS........................................93
E/ Un docteur et l’infirmière passent entre les gouttes..........94
F/ L’aveu oublié d’Alain Marécaux.........................................95
G/ Le pouvoir bâillonne les vérités d’Outreau.......................96
H/ L’Europe étouffe le cri d’un enfant d’Outreau............... 101
I/ « Tous coupables »............................................................. 103

Chapitre IV
Lolita en France........................................................... 105

Chapitre V
La pédocratie à la française : les pédophiles se cachent
à la vue de tous........................................................... 113
Sommaire 7

A/ Les lignes du « prince de la coke »................................... 113


B/ L’affaire Olivier Duhamel, symbole de la pédocratie..... 115
C/ « Sacrée soirée » pour Gérard Louvin et son mari........... 116
D/ « La gifle » de Coline à son père Richard Berry.............. 117
E/ Le dur combat des ONG pour l’enfance......................... 117
a- Une patineuse raye le miroir des prédateurs..................... 118
b- Un rugbyman, lui aussi victime, dans la mêlée................. 118
c- Les failles de l’Aide sociale à l’enfance.............................. 118

Épilogue...................................................................... 121

Postface par Gérard Lopez.......................................... 123

Annexe I
La 121e journée de Sodome........................................ 127
1 – Sabine, victime de réseaux en Europe........................... 128
2 – Les tunnels de Nina....................................................... 136
3 – Clémence, en laisse........................................................ 143

Annexe II
Dysfonctionnements : 13 ans de calvaire judiciaire
pour Séverine Moulin................................................. 149

Annexe III
Le « blanc » des Renseignements généraux
sur Jack Lang.............................................................. 157

Annexe IV
Quand une psychothérapeute terrasse
l’avocat Dupond-Moretti............................................ 159

Bibliographie.............................................................. 163

Principales associations de défense de l’enfance......... 167


« Il est temps de faire un grand nettoyage. »
Bruno Solo, comédien, ambassadeur de La voix de l’enfant.
(Sur France Bleu, après l’affaire Matzneff, en février 2020.)

« Combien de filles enfin ont scellé leurs barreaux


Et protégé en vain leurs bourreaux. »
La jeune fille en feu. Chanson de Julien Clerc et Jeanne Cherhal.
Préface
Par Joseph Ancel1

Après avoir lu le dossier judiciaire d’Outreau (environ


30 000 pages), vu le film très pédagogique Outreau. L’Autre
Vérité de Serge Garde, lu le livre bouleversant Je suis debout de
Chérif Delay, l’aîné des enfants d’Outreau, lu le livre instructif
Outreau. La vérité abusée de Marie-Christine Gryson, l’experte
psychologue qui a examiné les victimes, et les deux livres de
Jacques Thomet, Retour à Outreau. Contre-enquête sur une mani-
pulation pédocriminelle et l’actuel La Pédocratie à la française. La
chute des intouchables, j’ai été convaincu de la pertinence des
révélations de ce dernier.
Comme l’écrivait dès le mois de juillet 2010 Pierre Joxe,
Premier Président honoraire de la Cour des Comptes : « La
Cour d’Assises de Paris a proclamé le 1er décembre 2005 une
autre vérité judiciaire que celle de Saint-Omer… Ce fut une
bonne chose pour les innocentés, particulièrement ceux qui
avaient avoué publiquement leurs crimes en 2004. C’est une
moins bonne chose pour les enfants victimes : ils sont toujours
reconnus victimes mais on ne cherche plus les coupables qui
les ont maltraités. »
Jacques Thomet, dans ce livre, a coché toutes les cases de
la bonne foi du journaliste telle qu’elle est prévue comme fait
justificatif dans l’article 29 de l’antique loi du 29 juillet 1881
sur la liberté de la presse.
Tout d’abord la légitimité du but poursuivi. L’auteur a voulu
réhabiliter la parole de l’enfant qui a singulièrement régressé
depuis le procès Outreau. Le travail de sape et les coups de

1. Président de Chambre honoraire à la Cour d’appel de Paris.


Président des Assises de Paris de 2000 à 2013.
10 La Pédocratie à la française

boutoir de l’avocat Éric Dupond-Moretti, devenu garde des


Sceaux, n’ont pas peu contribué, à l’époque, à décrédibiliser la
parole des enfants, victimes d’abus sexuels, et fait ainsi la part
belle au poison de la pédocriminalité.
NON, les enfants d’Outreau n’ont pas menti. Simplement,
enfants déshérités, ils n’ont eu droit ni à une assistance judi-
ciaire efficace ni à une justice équitable ni à des relais média-
tiques indépendants et importants comme en ont connu, et
c’est légitime, Vanessa Springora et Camille Kouchner, autrices
de livres marquants et nécessaires.
Jacques Thomet a élargi la focale de sa vision et épinglé des
Puissants et d’autres avec une enquête sérieuse et approfondie,
une prudence et une mesure dans l’expression, ainsi qu’une
absence d’animosité personnelle, qui sont les autres éléments
constitutifs de la bonne foi journalistique.

On ne peut donc que rendre hommage ici, à son courage, à


sa rigueur et à son humanisme.

Joseph Ancel
PROLOGUE

Quand on achève Les 120 journées de Sodome, de Donatien-


Alphonse-François de Sade, si l’écœurement n’en a pas abrégé
la lecture, on ne peut imaginer l’avènement de telles abjections
dans la vie réelle.
Les messes noires avec viols, émasculation, exécution de
bébés, les séances d’anthropophagie sous la houlette d’un haut
dignitaire ceint d’une aube blanche, le maintien dans des cages
souterraines d’enfants avant leur fin programmée, et l’impli-
cation de hautes personnalités dans leur enlèvement puis leur
supplice, toutes ces horreurs n’appartiendraient donc qu’à
l’imaginaire du « Divin marquis ».
Et pourtant, elles existent, toutes sans exception, selon les
témoignages que j’ai recueillis de petites victimes devenues
adultes. En France en tout cas, comme le révélera cette enquête
(cf. Annexe I). Si de telles abominations perdurent, dans un
secret bien gardé jusqu’ici, elles ne représentent qu’une partie
du véritable pédocide que constituent le viol de mineurs et l’in-
ceste, avec plus de quatre millions de victimes dans notre pays,
un chiffre reconnu y compris par le gouvernement français en
2020. Selon une enquête Ipsos publiée le 20 novembre 2020
pour l’association Face à l’inceste, un Français sur dix affirme
avoir été victime d’inceste.

Ces martyrs ont subi un ersatz de mort psychique, quand


ils ont survécu, dans l’indifférence généralisée du grand public.
Nombre des victimes souffrent de dissociation cognitive, parfois
longtemps, pour reléguer ces horreurs dans leur subconscient,
faute de pouvoir les effacer. Aucun adulte n’ignore l’existence
d’abus sexuels sur mineurs, mais l’immense majorité préfère
regarder ailleurs, car c’est trop sale, sans en imaginer l’ampleur.
12 La Pédocratie à la française

Chaque année, 165 000 victimes supplémentaires sont


recensées, selon une enquête Ipsos du 7 octobre 2019 pour
l’association Mémoire traumatique et victimologie, fondée
par la psychiatre Muriel Salmona. Ces enfants vivent dans la
terreur, tombent dans l’aboulie, se scarifient, dépriment, se
sentent coupables, refoulent ces cauchemars qui remonteront
un jour à la surface, craignent les moqueries s’ils parlent, et
éprouvent une peur panique de ne pas être entendus, quand
ils ne mettent pas fin à leurs jours. Quand ils osent sauter le
pas, en se confiant à leur mère, puis aux autorités, policiers,
gendarmes et juges éprouvent souvent du mal à les croire,
encore aujourd’hui. Sur cent enfants mineurs victimes de
violences sexuelles, 0,3 % seulement verront un jour leur préda-
teur jugé par un tribunal et condamné, à des peines modérées,
voire avec sursis, sauf rares exceptions, selon l’enquête citée.
Quand un procès d’Assises juge un prédateur sexuel, l’infor-
mation ne fait en général que quatre lignes dans les journaux,
si elle est relatée.
Cette sorte de tolérance par omission, comme un déni de
la réalité, a permis jusqu’ici aux pervers dans l’élite d’échapper
aux foudres de la justice.
Le rôle des réseaux sociaux s’est révélé primordial pour
faire sauter cette serrure. La pression des lanceurs d’alerte, sur
Twitter, Facebook, Youtube, Instagram, les sites internet ou les
blogs, a contraint les rédactions, souvent rétives, à embrayer
sur cette dynamique. Le créneau des violences contre l’enfance
est moins porteur que l’héritage de Johnny…
Une telle lame de fond a commencé à ramener sur le rivage
des dossiers de haute volée, jusque-là jetés dans le puits de
l’oubli ou censurés, comme le scandale Gabriel Matzneff/
Vanessa Springora, l’affaire Jeffrey Epstein aux États-Unis avec
ses retombées en France, et surtout le maelstrom de La familia
grande, le livre de Camille Kouchner (Seuil) sur le viol de son
jumeau par le tout-puissant Olivier Duhamel, leur beau-père.
Depuis la révélation de cette ignominie, des milliers de victimes
ont rendu publics leurs viols sur twitter avec le même slogan :
« #metooinceste ». C’est une première dans l’histoire de cette
tragédie.
PROLOGUE 13

Cette investigation ne se limite pas à décrire les ravages,


chez les prépubères, de la pédophilie, qu’il convient désormais
de dénommer pédocriminalité puisque nous parlons de crimes
normalement jugés aux Assises. Elle révèle l’ampleur des barba-
ries commises, y compris au plus haut niveau de la société, et
cherche à expliquer les raisons d’une telle impunité.
La République ressemble à une pédocratie.
Gabriel Matzneff a pu ainsi publier ses insanités pédo-
criminelles pendant cinquante ans, être reçu à l’Élysée par
l’ancien président François Mitterrand, sans être poursuivi
par la justice, avant d’être enfin débusqué en janvier 2020
grâce à l’ouvrage de Vanessa Springora, Le Consentement
(Grasset). L’écrivain a été soudain voué aux gémonies… par
un livre. Selon la Bible, « qui tue par l’épée doit périr par
l’épée (Apocalypse 13,10) »…
Mes recherches n’ignorent pas les avancées réelles déjà enre-
gistrées contre ce fléau, comme la loi de 2018 sur l’étendue à
trente ans, après la majorité, du délai d’imprescriptibilité des
viols sur mineurs. Il n’a été que de dix ans pendant longtemps,
avant de passer à vingt ans en 2004. Une imprescriptibilité
totale devient indispensable, pour toutes les associations pour
l’enfance.
CHAPITRE 1

Les élites, gangrène de l’innocence

Quand un auteur reçoit un prix prestigieux pour décrire sa


sodomie de garçons et fillettes, qu’un cinéaste est couronné
malgré le viol d’une mineure et les plaintes de cinq autres,
qu’un pape de la philosophie et la prêtresse du féminisme
s’échangent impunément des élèves dans leur couche, qu’un
médecin peut abuser de 312 enfants sur leur lit d’hôpital, que
souvent la justice n’ouvre pas d’information judiciaire sur la
putréfaction sexuelle de hautes personnalités dans tous les
secteurs sociétaux, que des violeurs d’enfants sont laissés libres
sous couvert du « consentement » de leurs petites victimes, que
des médias occultent de telles déviances, et quand moins d’un
enfant victime sur cent voit un jour son agresseur condamné,
parfois avec sursis, il est temps de tirer la sonnette d’alarme.
C’est le tableau de la France contemporaine.
Seul un nettoyage des écuries d’Augias mettra fin à une
telle pratique. Un énième livre sur ces enfances brisées serait
inutile sans révéler crûment les dimensions de la catastrophe,
les contours des horreurs, et les identités de ceux qui gravitent
autour de cette planète de la honte quand ils ne l’habitent pas
eux-mêmes.

A/ Sartre – Beauvoir, diables sans bon Dieu

Pour une étude de Jean-Paul Sartre revue et corrigée à l’aune


pédophile, Les jeux sont faits. Si « l’enfer ce sont les autres », l’idole
existentialiste en peau de chagrin aura été l’un de ceux-là. Il fut
Le diable et le bon Dieu pour tant de jeunes filles mineures, encore
16 La Pédocratie à la française

vierges, jetées en pâture dans leur Huis clos par sa compagne de


trios nullement métaphysiques, Simone de Beauvoir…
Aucune thèse n’a jamais été entreprise pour analyser la
phénoménologie du succès pubère sartrien. Son strabisme
voyait converger dans un hôtel minable du Quartier Latin, vers
l’existentialiste à la denture noircie par la pipe, jusqu’à sept
de ses victimes dans la même période, à l’aube de l’invasion
nazie. « J’étais plus un masturbateur de femmes qu’un coïteur »,
avouera-t-il un jour, comme pour atténuer la portée de son
forfait. Le matin où il allait déflorer Bianca Bienenfeld, 16 ans,
il lâcha devant elle, sans vergogne aucune : « La femme de
chambre va être bien étonnée, car hier j’ai déjà pris la virginité
d’une jeune fille. » Entre L’Être et le néant, le « très cher Maître »
(ainsi traité par De Gaulle dans un échange épistolaire) se trou-
vait réduit au priapisme.
Face à la stature internationale de ces deux crânes d’œufs
(Sartre premier et de Beauvoir seconde à l’agrégation de philo-
sophie), le mutisme de l’intelligentsia et des médias fut de
règle, même après leur mort dans les années 1980, quant à
leurs actes licencieux.
Écrire aujourd’hui : « Jean-Paul Sartre, le plus grand philo-
sophe français, et son égérie Simone de Beauvoir, furent des
pédophiles patentés », ne va pas manquer de choquer dans les
chaumières. J’ai ressenti la même stupéfaction à la lecture des
écrits révélateurs sur ces dérives sexuelles, même si dix années
d’enquêtes sur ce fléau m’ont appris à ne plus m’étonner de rien.
Future icône du féminisme naissant, la professeure de philo,
obnubilée par Le deuxième sexe autant que par le premier, sédui-
sait ses élèves les plus attrayantes et en abusait avant de les
rabattre dans les griffes de celui que ses ennemis surnommaient
« le gnome ». Ses Mémoires d’une jeune fille rangée lui auront servi
d’écran de fumée pour cacher son intense activité bisexuelle de
pédophile et, celle-ci non justiciable, d’hétéro polygame.
Sans le livre de Bianca Lamblin, Mémoires d’une jeune fille
dérangée1, publié en 1993, les admirateurs du Castor (surnom
donné par Sartre à Simone) n’auraient connu que sa face

1. Lamblin Bianca, Mémoires d’une jeune fille dérangée, Paris, Balland,


1993.
Les élites, gangrène de l’innocence 17

compassée d’ancienne élève d’un collège catholique, le cours


Desir (prononcer : Deusir). Ils lui auraient peut-être tenu
quelque rigueur d’avoir étrangement fait partie en 1977, avec
Sartre et la mouvance gauchiste, des signataires d’une pétition
en faveur de trois pédocriminels détenus à Paris (cf. infra).
Née Bienenfeld dans une famille juive polonaise émigrée
en France, Bianca Lamblin tombe en 1937, à 16 ans, sous
le charme de sa professeure de philosophie au lycée Molière,
Simone de Beauvoir, puis de Sartre. Elle ne sera que l’une
des multiples conquêtes collégiennes du couple, mais dans la
funeste certitude que leur passion pour la « petite Polak » – le
surnom qu’ils lui avaient donné – éclipsait leurs autres liaisons
passagères. Son premier choc survient avec la brutale rupture
de Sartre avec elle en 1940, peu avant l’avènement du régime
de Vichy et de ses lois anti-juives. Victime d’une forte dépres-
sion, elle se marie avec un élève de Sartre, Bernard Lamblin, un
actif résistant dans le Vercors. Plusieurs membres de sa famille,
dont la mère de l’écrivain Georges Perec, sa tante, périront en
déportation. À la Libération, elle reprend contact avec Simone.
Les deux femmes renouent pour une chaste amitié de quarante
ans, jusqu’à la mort de l’écrivaine en 1986.
Un second coup de poignard la terrasse quand sont publiées
en 1990 les Lettres à Sartre (Gallimard), de Simone de Beauvoir,
par sa fille adoptive. Elle y apprend avoir été le jouet du couple
désormais maudit pour elle, leurs mensonges, leur duplicité,
les moqueries à son encontre avec des tiers, leur méchanceté et
surtout l’hypocrisie d’une féministe qu’elle « croyait droite ». Ces
lettres venimeuses vont distiller chez Bianca un contrepoison :
la relation de sa vérité avec ces mémoires, « sans aucun esprit
de vengeance », ni acrimonie, mais dans une profonde douleur :
« Sartre et Simone de Beauvoir ne m’ont fait finalement que
du mal […] Leur perversité était soigneusement cachée sous
les dehors bonasses de Sartre et les apparences de sérieux et
d’austérité du Castor. En fait, ils rejouaient avec vulgarité le
modèle littéraire des Liaisons dangereuses. » Trompée, elle justifie
sa naïveté : « J’étais comme Madame Bovary, dans une sorte
de rêve ébloui qui m’empêchait de déchiffrer les indices des
mensonges qu’ils me faisaient ». Bafouée, abandonnée, humi-
liée, elle se contente de s’interroger : « Que dire d’un écrivain
18 La Pédocratie à la française

engagé comme elle dans la lutte pour la dignité de la femme et


qui trompa et manipula, sa vie durant, une autre femme ? » Si
Simone mérite le titre de proxénète des lettres, Bianca se garde
bien d’utiliser ce qualificatif pourtant justifié : « J’ai découvert
que Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles
une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou
faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre. »
Une autre entorse, occultée par ses adulateurs, calamine
l’image idéalisée de la grande prêtresse féministe. Si elle a été
radiée de l’Éducation nationale en 1943, ce n’est pas pour
l’enseignement d’auteurs « subversifs comme Proust », ainsi
qu’a osé l’écrire un journaliste, mais après une plainte pour
détournement de mineure déposée par la mère d’une de ses
élèves, Nathalie Sorokine, et restée sans suite pénale.
L’abandon de Bianca par les deux écrivains, en pleine
chasse à l’étoile jaune en Europe, mérite un retour sur leur
attitude pendant l’occupation allemande. Dans l’une de ses
lettres à Sartre, de Beauvoir tombe dans l’infamie à propos
de leur victime : « Elle hésite entre le camp de concentration
et le suicide ». Jamais le couple ne tentera de lui venir en aide
pendant qu’elle se cachait de la Gestapo.
En l’absence, par ignorance ou autocensure, d’investiga-
tions en France, il aura fallu attendre le livre Beauvoir dans
tous ses états1, publié en 2005 par… une chercheuse allemande,
Ingrid Galster, pour apprendre le pire : Simone de Beauvoir
a travaillé depuis 1943 jusqu’à la fin des hostilités à… Radio
Vichy ! (« Radio Paris ment, Radio Paris est allemand », répé-
tait Radio Londres…). Elle avait même accepté de signer un
document pour certifier qu’elle n’était pas juive. Ses émissions
y alternaient avec les diatribes du Goebbels français, le mili-
cien Philippe Henriot, ministre de la Propagande de Laval,
abattu en 1944 par la Résistance. Elle n’avait fait qu’une
brève allusion dans ses mémoires à ce poste obtenu, selon
elle, « par je ne sais quel truchement […] car il fallait bien
vivre ». Il le fut, nous révèle Mme Galster, par les bons offices
du collaborateur René Delange, directeur de l’hebdomadaire
culturel Comoedia.

1. Galster Ingrid, Beauvoir dans tous ses états, Paris, Tallandier, 2007.
Les élites, gangrène de l’innocence 19

N’en déplaise aux hagiographes de Sartre, le pape de l’exis-


tentialisme avait lui aussi Les mains sales. C’est dans ce même
média Comoedia, contrôlé par la Propagandastaffel, qu’il devait
écrire à trois reprises des articles. Sur Les chemins de la liberté,
sa prétendue résistance à l’occupant se limita à présenter en
1943 sa pièce Les mouches, prétendu appel à la liberté, dans un
théâtre parisien garni d’officiers allemands, qui n’y détectèrent
pas le moindre souffle subversif. Il n’avait pas hésité à accepter
le poste de professeur de khâgne à la place d’un enseignant juif
radié par Vichy, sans parvenir à imposer ses démentis.
« Autres temps, autres mœurs », répéteront la clique et la
claque de la tolérance face aux dépravations pédophiles du
couple Sartre-De Beauvoir.
Sartre, avec sa complice de Beauvoir, donnent La nausée.

B/ Le cloaque de l’après-mai 68

À défaut d’avoir agrafé le « dictateur » Charles de Gaulle à


son palmarès, le charivari de mai 1968 a dégrafé les braguettes
autant que la parole dans une France qui dormait. « La France
s’ennuie », écrivait un éditorialiste du Monde moins de deux
mois avant la déflagration estudiantine. Longtemps admira-
teur du régime soviétique et de Fidel Castro, Jean-Paul Sartre,
« l’agité du bocal » mis en boîte par Céline, a été l’une des
égéries du mouvement estudiantin.
Dans un pied de nez à ses aînés, une jeune génération
spontanée a renversé les valeurs d’une société figée, sans avoir à
remonter la guillotine, dans une jouissance libertaire collective
proche de l’extase.
Pour avoir été bref, ce soulèvement n’en a pas moins
provoqué une révolution dans les têtes puis dans les mœurs,
avec la revendication du droit à disposer de son corps, la lutte
pour la légalité de l’avortement et contre l’homophobie. Un pas
positif à marquer d’une pierre blanche.
Mais le génial slogan « il est interdit d’interdire », peint sur les
murs de La Sorbonne et devenu universel dans la marée juvénile
mondiale, a laissé sur le sable des scories indélébiles dans le reflux
de ses vagues. Anarchiste à sa naissance, ennemi du totalitarisme
20 La Pédocratie à la française

communiste et de l’impérialisme américain, le mouvement a été


gangrené par une frange de pervertis admis sans la moindre réti-
cence dans la nouvelle intelligentsia de gauche à la mode.
L’appel à « l’imagination au pouvoir » a ainsi enfanté une
apologie grandissante de la pédophilie dès les lendemains de
mai 1968.
Sous le prétexte alléchant du « soyez réalistes, demandez
l’impossible », ses promoteurs ont réussi à persuader une élite
intellectuelle activiste du bien-fondé de leur combat contre un
Code pénal à leurs yeux rétrograde, pour légaliser les relations
sexuelles avec les mineurs. L’intelligentsia de gauche aura ainsi
fait office d’accélérateur de particules pédophiles.
S’ils n’ont pas obtenu satisfaction sur le plan légal, leur
propagande a été couronnée de succès dans les milieux litté-
raires. Matzneff a pu débagouler pendant quarante ans ses
écrits répugnants sur ses galipettes dans tous les sens avec
des garçonnets et des fillettes, grâce à des éditeurs de renom
aveuglés par sa plume selon eux éblouissante, et devant une
confrérie ébahie par un prétendu art sans ellipse.
Modelée par les euphémismes de la bienveillance complice,
la sémantique érigée en art délétère a anesthésié pendant un
demi-siècle la définition des atteintes à la pureté enfantine,
grâce à l’usage systématique du qualificatif pédophile. Le sens
littéral de ce mot d’origine grecque (qui aime les enfants) n’a
rien de répréhensible, puisque tout le monde aime les enfants.
Mais son application quotidienne dans les affaires pénales a
banalisé ces mœurs, réduit les peines infligées aux violeurs de
mineurs, quand il s’agit dans tous les cas de pédocriminalité et
de pédocriminels. Encore aujourd’hui, ces deux mots restent
inconnus sur le traitement de texte Word et s’affichent en
rouge, comme une tache, dans le vocabulaire !
Cette apparente digression n’en est pas une. La corruption
sémantique joue un rôle considérable dans le refus d’affronter
les réalités pour le moins déplaisantes. L’intelligentsia dite de
gauche (dite, car comment qualifier de progressiste un appui
aux auteurs de viols ?) a ainsi catalysé la perversion.
À propos de Gabriel Matzneff, le constat dès 1990 du
psychiatre français Bernard Cordier, alors membre du groupe
de travail interministériel santé-justice sur le traitement des
Les élites, gangrène de l’innocence 21

délinquants sexuels, reste plus que jamais d’actualité. « Ce


type d’écrits cautionne la pédophilie et facilite le passage
du fantasme à l’acte chez des pédophiles latents », selon ses
conclusions. « Ils rassurent et encouragent ceux qui souffrent
de leur préférence sexuelle, en leur suggérant qu’ils ne sont
pas les seuls de leur espèce. D’ailleurs, les pédophiles sont
très attentifs aux réactions de la société française à l’égard du
cas Matzneff­. Les intellectuels complaisants leur fournissent
un alibi et des arguments : si des gens éclairés défendent cet
écrivain, n’est-ce pas la preuve que les adversaires des pédo-
philes sont des coincés, menant des combats d’arrière-garde ?
Ils veulent croire et prétendre que la société libérera un jour la
pédophilie, comme elle l’a fait pour l’homosexualité, au nom
de la défense des différences. Rien n’est plus faux ! Dès qu’il y
a un enfant et un adulte, il y a un abuseur et un abusé. » Son
analyse, implacable de justesse, est restée lettre morte.
Dès octobre 1970, le quinzomadaire Tout, première vente
dans la presse d’extrême gauche à l’époque, annonçait la
prochaine création du FLIP (Front de Libération Pédophile).
En mai 1977, Libération, fondé par Jean-Paul Sartre et Serge
July, annonçait avec gourmandise la « naissance du front de
libération des pédophiles ». Son programme : « S’associer à la
lutte des enfants qui veulent changer leur mode de vie et de
tout groupe politique qui vise à l’établissement d’une société
radicalement nouvelle où la pédérastie existera librement.
Développer une culture pédérastique qui s’exprime par un
mode de vie nouveau, et l’émergence d’un art nouveau. » Selon
le FLIP, la « tyrannie bourgeoise fait de l’amoureux des enfants
un monstre de légende qui croque les chaumières. Nous casse-
rons ensemble monstres et chaumières. »
Le coup d’envoi d’une longue campagne pro-pédocriminels
était donné.

C/ Paris 2021 : bienvenue à Pédoland

Le scandale Matzneff a fait figure de premier tremblement


de terre, et pas uniquement dans le monde des Lettres. La
secousse n’a pas fini de provoquer des répliques à Paris. Le
22 La Pédocratie à la française

parquet a ouvert le 17 août 2020 une enquête préliminaire


pour viol sur mineur par personne ayant autorité contre Chris-
tophe Girard, adjoint de la maire Anne Hidalgo et ancien maire
du IVe arrondissement. L’affaire avait été dévoilée la veille par
le quotidien américain The New York Times, avec une interview
de la victime.
Avant cette étape judiciaire, l’élu, pourtant soutenu par
la maire, Anne Hidalgo, avait été contraint à la démission de
son haut poste municipal, sous la pression d’une poignée de
féministes résolues, le 24 juillet 2020. Elles avaient manifesté
devant l’Hôtel de Ville avec le slogan « Mairie de Paris : bien-
venue à Pédoland ». La raison ? Girard avait aidé matériellement
Matzneff lorsqu’il vivait dans un hôtel parisien avec la jeune
fille mineure Vanessa Springora dans les années 1980 (cf. infra).
Après avoir été entendu par la brigade de protection
des mineurs de la direction régionale de la police judiciaire,
Girard a bénéficié d’un classement sans suite pour pres-
cription des faits. Si le maire adjoint de Paris est tombé, c’est
à cause de faits survenus il y a plus de trente ans, en 1986
et 1987, et qu’il a reconnus après sa démission.
Deux mois après cette démission, un autre maire adjoint
(chargé de la Seine) et maire du IIIe arrondissement, Pierre
Aidenbaum, était contraint au départ, y compris du Conseil
de Paris. Ancien président de la LICRA (Ligue internatio-
nale contre le racisme et l’antisémitisme) de 1992 à 1999, il
avait été mis en examen pour « viol et agressions sexuelles » le
9 octobre 2020. Ce même mois d’octobre 2020, un troisième­
scandale secouait l’Hôtel de Ville. Un collaborateur d’Anne
Souyris, maire-adjointe à la Santé, a été accusé de viol, commis
dans son propre bureau, par une jeune femme. Son identité n’a
pas été révélée.
Au-delà de ces trois cas, c’est la galaxie pédophile de
Paris, longtemps intouchable, invisible à l’œil du profane,
mais soutenue par une élite complice, qui rentre dans l’orbite
terrestre, grâce à ce rebondissement (ou à cause de, pour ses
thuriféraires). Du beau monde, il y en a, dans ces milieux inter-
lopes, que les poursuites judiciaires en cours contre Matzneff
pour viol de mineure pourraient faire accuser de non-dénoncia-
tion de crime s’il est condamné.
Les élites, gangrène de l’innocence 23

D/ Les nourritures terrestres de Matzneff

À la suite de dénonciations anonymes, pour ses relations


avec Vanessa Springora, alors âgée de 14 ans, Matzneff est
entendu à cinq reprises en 1986 par la police parisienne. Grâce
à ses hautes relations, il échappe à la justice mais se cache et
va se terrer dans un hôtel de la capitale avec sa jeune soumise.
Pendant deux ans, sur ordre de son patron Pierre Bergé, amant
d’Yves Saint-Laurent et fondateur de sa maison de couture,
Girard va régler les frais d’hôtel et de nourriture de l’écrivain, à
ses aises pour maintenir son emprise sur l’adolescente. Dans son
livre, Vanessa Springora évoque « un généreux mécène, incon-
ditionnel de son œuvre, (qui) finance cet investissement subs-
tantiel ». Il s’agit bien de Pierre Bergé. « Nous nous occupons de
tout, les repas, tout. Pour nous, c’est une goutte d’eau, ce n’est
rien, nous vous aimons beaucoup », avait confié Christophe
Girard à Matzneff, selon les révélations faites par l’écrivain au
New York Times le 11 février 2020, depuis son exil italien. L’élu
parisien avait ensuite confirmé dans un communiqué : « Dans
le cadre de mes fonctions et au titre du soutien que la société
apportait à de nombreux artistes en difficulté momentanée
(Marguerite Duras, Tsilla Chelton, Hervé Guibert, Patrick
Thevenon, Rudolf Noureev…), l’écrivain Gabriel Matzneff a
bénéficié, selon les instructions de M. Bergé, d’un soutien pour
le règlement de frais d’hébergement, à la suite d’une opération
chirurgicale des yeux. » Plus on gratte la gangue depuis l’écla-
tement de cette affaire, plus on met au jour les mensonges,
apostats, avilissements, lâchetés, dépravations, purulences
et complicités de la puissante mouvance pédophile. L’un de
ses hérauts n’est autre que l’ancien compagnon d’Yves Saint-
Laurent, Pierre Bergé.

E/ Quand la pédophilie scatologique s’invite à la direction


du Monde

Les admirateurs de la haute couture française dans le


monde auront du mal à imaginer comment Yves Saint-Laurent
a pu créer sept collections par an malgré l’alcool, la drogue et
24 La Pédocratie à la française

l’avilissement­nocturne permanent sous la badine en bambou


d’un monstre des déviances sexuelles, Pierre Bergé.
Mécène du gotha socialiste sous l’ère Mitterrand, militant
homosexuel du mariage pour tous, fondateur du Sidaction et
du magazine homo Têtu, ce petit homme râblé, aux lèvres en
lames de rasoir, usait de son autorité naturelle jusque dans
ses débauches. Il est mort en 2017, neuf ans après Saint-
Laurent.
Sans sa poigne, son sens des affaires et sa fortune, recon-
naissent ses ennemis, jamais Yves Saint-Laurent, timide, intro-
verti et dépourvu du moindre esprit d’entreprise, n’aurait pu
enfanter à lui seul une maison de haute couture connue sur
toute la planète et cotée en Bourse.
Son omnipotence partisane devait s’exercer y compris à la
tête du quotidien Le Monde, racheté en 2010 avec deux autres
hommes d’affaires, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, comme
en témoignent ses conflits avec la rédaction quand un article
défavorable à la gauche, et à François Mitterrand en particulier,
y était publié.
Du côté vie privée, ses amants, YSL le premier, subissaient
les outrages les plus dégradants. « Un jour, après l’avoir attaché
sur une chaise, il a forcé le créateur de mode à avaler ses propres
excréments », m’a assuré Fabrice Thomas, ancien employé et
amant d’Yves Saint-Laurent, auteur du livre Saint-Laurent et
moi – Une histoire intime (Hugo Doc-2017), dans un entretien
téléphonique.
Cet épisode coprophage avait mis fin à leur vie commune,
sans rompre leurs liens professionnels. Bergé avait retrouvé sa
Jaguar rayée par Saint-Laurent avec le mot « fumier ».
Chauffeur de Bergé puis du couturier – surnommé la
« patronne » par le personnel –, Thomas était devenu lui aussi
le jouet sexuel du patron, selon son témoignage. Leurs relations
intimes s’étaient limitées au début à des fellations réciproques,
avant le début des séances sado-maso que Bergé organisait à
l’hôtel Lutetia en compagnie de son assistant, un « Maghrébin
bien monté ». Après avoir été soigneusement lavé à genoux
dans une baignoire par ce complice de l’orgie à venir, il était
conduit en laisse, à quatre pattes, jusqu’à Monsieur, menotté
dans le dos, fouetté jusqu’au sang par Bergé, les tétons enserrés
Les élites, gangrène de l’innocence 25

dans des pinces, et enfin violé, à plat ventre sur un banc, par
les deux hommes. « Alors, ils urinaient sur moi », révèle l’auteur,
désormais expatrié au Québec.
Le trio se rendait souvent à Marrakech. Bergé et le couturier
avaient acheté le Jardin Majorelle et deux maisons, baptisées
Villa Oasis. Ils y reçurent le gratin des arts et de la musique
(Andy Warhol, les Rolling Stones, Catherine Deneuve, et bien
d’autres). « Cette ville était à l’époque le bordel de l’Europe
pour des gens très riches, avec un tourisme sexuel tourné vers
les mineurs », m’a indiqué Fabrice Thomas. Dans son livre,
il relate l’impensable : une scène de fellation qu’il aperçut
entre un enfant et l’intendant de la Villa Majorelle en pleine
place publique, sans que Yves Saint-Laurent ne réagisse à un
tel dévoiement. Mais le couturier, soumis aux bacchanales
du milliardaire rose, ne touchait pas, lui, aux mineurs, m’a
assuré l’auteur.
Ce n’était pas le cas pour l’homme d’affaires : « Yves Saint-
Laurent m’a dit et répété que Pierre Bergé se tapait des gamins
au Maroc. Il était très attiré par les prépubères », m’a affirmé
Fabrice Thomas. L’ex-patron du Monde s’en est ouvert, sous
une forme de démenti qui n’en est pas un, dans un entretien à
Marrakech en 2016 avec Léa Salamé sur France 2 : « À l’époque,
les mœurs étaient plus libres qu’aujourd’hui, dit-il, spéciale-
ment au Maroc. La sexualité était plus débridée, et on y faisait
moins attention. Quand on dit que je faisais des partouzes à
Marrakech avec Jack Lang et des petits garçons, j’aurais même
pas voulu car j’aime pas les petits garçons. »
Puis, interrogé sur un extrait d’une de ses Lettres à Yves
à propos des « rapports qui ne sentaient ni l’argent ni la
vulgarité » avec des garçons marocains « gentils et beaux », au
« corps musclé », Bergé confirme : « C’est vrai, j’en ai connu
beaucoup, on avait de très agréables relations, on buvait du
thé à la menthe, ils nous invitaient à déjeuner dans leurs
familles » […] « Il n’y avait aucune prostitution. Il y avait
probablement de la prostitution, mais moi je n’ai pas un
grand goût pour le tourisme sexuel. C’était juste une manière
de vivre sa sexualité. »
Chacun peut décoder comme il l’entend ces commentaires,
même s’ils paraissent dépourvus du moindre sous-entendu.
26 La Pédocratie à la française

En dépit de ce parcours peu conforme aux normes socié-


tales, Pierre Bergé a été nommé ambassadeur de bonne volonté
par l’Unesco en 1993. Il a reçu de multiples décorations :
Grand officier de la Légion d’honneur, Commandeur des arts
et lettres, Grand-croix de l’Ordre du Ouissam alaouite. Il est
resté un admirateur de Matzneff après la parenthèse hôtelière
de 1986-1987, comme le montre une photo AFP de 1990, où
les deux hommes posent en compagnie de Harlem Désir.
Cinq mois avant sa mort survenue le 8 septembre 2017,
il s’était marié avec le paysagiste américain Madison Cox,
devenu son héritier. Ce nom fait partie de la liste de centaines
de contacts trouvés dans le carnet noir de Jeffrey Epstein, le
milliardaire américain pédocriminel retrouvé pendu pendant
sa détention provisoire à New York le 10 août 2019, après
avoir été arrêté une nouvelle fois pour viols de mineures
(cf. infra).

F/ Les troubles amitiés de François Mitterrand

Gauche et droite ont glorifié Matzneff. Aucun parti poli-


tique n’a élevé la voix contre les écrits du pédocriminel avoué.
Tous les bords de l’hémicycle l’ont honoré dans la remise de ses
médailles. Même François Mitterrand.
Quand un président de la République a reçu chez soi le
criminel de guerre René Bousquet cinquante ans après la rafle
des juifs au Vel d’Hiv, on ne peut être surpris de découvrir son
acoquinement avec un émule de Sade.
Lorsque Matzneff a été entendu à cinq reprises par la
police en 1986, il ne craignait rien, ainsi que le relate dans
son livre Vanessa Springora. Dans son portefeuille, il gardait la
coupure d’un article de presse à sa gloire signé par le président
Mitterrand quelques semaines auparavant1. Avide lecteur, le
chef de l’État n’ignorait rien du soufre contenu dans les livres
de Matzneff, et l’avait même invité à déjeuner à l’Élysée à
plusieurs reprises…

1. Revue Matulu, juillet 1986.


Les élites, gangrène de l’innocence 27

G/ Les rubans et les ordres font désordre

Gauche et droite ont surenchéri pour décorer Matzneff.


Pendant dix-huit ans, les rubans de toutes couleurs vont
tomber dans son escarcelle.
Dès mai 1995, Jacques Toubon, alors ministre de la Culture
d’Édouard Balladur, avait remis à l’écrivain l’insigne de cheva-
lier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Le 8 janvier 2020,
en pleine affaire Springora, Toubon fait amende honorable
sur TMC : « Il est clair que je n’aurais pas dû remettre cette
décoration dans cette circonstance et je le regrette. » Sans le
dire, l’ex-ministre signifie par circonstance une connaissance
qu’il avait des livres de l’auteur. L’empressement de Toubon
à rétropédaler s’explique par une volonté de couper court à
toute critique, puisqu’en sa qualité de Défenseur des droits
depuis 2014 (jusqu’en juillet 2020), il était censé lutter contre
les violences et les viols commis contre les enfants. Pendant
ses six années à la tête de ce comité Théodule grassement payé
(Jacques Toubon cumulait alors avec ses retraites une mensua-
lité de 30 000 euros), aucune initiative d’envergure n’a été au
demeurant prise par lui pour endiguer le pédocide français.
Lors de la cérémonie de remise de cette décoration au Salon
du livre, Toubon avait « rendu hommage à ces écrivains et
éditeurs qui font honneur à ce qu’est la culture française, à ce
que sont les valeurs de la culture universelle, et la place parti-
culière (de Matzneff) dans la République des lettres »…
En février 2002, sous la présidence de Jacques Chirac, avec
Lionel Jospin comme Premier ministre de la cohabitation,
l’écrivain est fait chevalier dans l’ordre national de la Légion
d’honneur. Il est promu comme officier de la prestigieuse
décoration en janvier 2013 par le Premier ministre Jean-Marc
Ayrault, sous la présidence de François Hollande, avec Aurélie
Filippetti comme ministre de la Culture. Aucune de ces person-
nalités n’a réagi après la sortie du livre Le Consentement. En
2003, Jean-Pierre Raffarin étant Premier ministre du président
réélu Jacques Chirac, et Jean-Jacques Aillagon ministre de la
Culture, Matzneff avait encore pris du galon dans l’ordre des
Arts et des Lettres, en devenant officier. Là encore, aucun des
politiciens concernés n’a désavoué le pédocriminel.
28 La Pédocratie à la française

H/ Les « vérités » de Christophe Girard

Inconnu du grand public, l’ex-maire-adjoint de Paris a dirigé


la Culture dans la capitale. Il y a notamment créé la Nuit
blanche, spectacle artistique annuel avec ouverture de tous les
musées durant une nuit entière.
Les enquêtes du New York Times ont mis au jour la perma-
nence de son soutien à Matzneff jusqu’à l’éclatement du scan-
dale en janvier 2020. Elles ont aussi montré comment un
homme peut renier une amitié quand elle ne sied plus à ses
propres ambitions, et jouer avec la vérité. C’est en effet grâce
à l’ancien factotum du tandem Bergé-St-Laurent que l’écrivain
a obtenu :
–  Une allocation du Centre national du livre (CNL),
réservée à quelques auteurs âgés ou en difficulté financière, pour
un montant total de 165 000 euros depuis 2002. L’ex-directeur
du CNL, Vincent Monadé, a assuré au quotidien L’Opinion,
le 3 janvier 2020, que Gabriel Matzneff avait « remué ciel et
terre » pour l’obtenir. « Au final, la pression a été telle qu’il a
obtenu cette allocation annuelle pour les auteurs. » L’écrivain
criait sur tous les toits sa bonne fortune, y compris d’un ton
provocateur dans ses Carnets de 2007-2008 : « Je suppose que
le CNL ne serait pas rassuré par la manière insouciante dont je
brûle l’argent que j’ai ». Depuis le scandale, le CNL a demandé
à l’État la suppression de son allocation.
–  Un appartement à bas loyer de la ville de Paris. Il lui a
été octroyé en 1995 par le maire de l’époque, Jacques Chirac.
–  Des invitations à déjeuner par Christophe Girard, confir-
mées par la mairie.
En guise de remerciement, Matzneff avait dédié à l’élu, en
page 3, son livre La prunelle de mes yeux (Gallimard-1993). Au
journal Le Parisien, Girard a reconnu en avoir lu quelques pages.
Puis au quotidien américain, il avoue ne pas l’avoir lu, et nie
avoir été l’ami de l’écrivain. L’élu avait d’abord assuré n’avoir
appris la pédophilie de Matzneff qu’en janvier 2020, avec le livre
de Vanessa Springora, avant de situer sa prise de conscience en
2013, lors du prix Renaudot reçu par l’écrivain. Un dessillement
aussi tardif, depuis 1986 et malgré la cinquantaine d’ouvrages
déjà publiés par l’écrivain, laisse pour le moins perplexe.
Les élites, gangrène de l’innocence 29

L’art de l’apostasie devient ici un régal de la lecture. Le


23 juillet 2020, ce père de deux enfants, qui vit désormais avec
un cinéaste, justifiait ainsi sa démission1 : « J’ai 64 ans, une vie
de famille épanouie, et de nombreux engagements culturels,
politiques et associatifs, et n’ai nullement envie de pourrir ma
vie plus longtemps et de m’emmerder à me justifier en perma-
nence pour quelque chose qui n’existe pas. »

I/ La complicité du monde littéraire

« Les jurés littéraires en France sont totalement corrompus »,


a assuré François Busnel, animateur de l’émission télévisée La
grande librairie sur France 5, dans l’article déjà cité du New York
Times, titré : « Un écrivain pédophile – et l’élite française –
sur le banc des accusés ». Le présentateur faisait allusion au
Prix Renaudot obtenu par Matzneff en 2013 pour son essai :
Séraphin, c’est la fin ! (La Table Ronde). Seules les associations
de protection de l’enfance avaient à l’époque protesté sur
les réseaux sociaux. Scandalisé, j’avais moi-même dénoncé
cette hérésie dans un article sur mon site internet, et cité
quelques lignes de son livre Un galop d’enfer (La Table ronde,
1985) : « (Orlando, 14 ans) Son petit dos, ses jolies petites
fesses semblables à des pommes, ce délicieux petit trou du cul,
quelle divine étroitesse, quelle chaleur, quelle fermeté ! Après
l’amour, il se plaint que je l’ai possédé trop brutalement…
(page 281). Vendredi soir. Journée délicieuse entièrement
consacrée à l’amour, entre ma nouvelle passion, Esteban, beau
et chaud comme un fruit mûr, douze ans, le petit que j’appelle
Mickey Mouse, onze ans, et quelques autres, dont un huit ans
(page  286). »
Huit ans…
Le président du Renaudot n’est autre que Franz-Olivier
Giesbert. Cet ex-patron du Point avait gardé Matzneff comme
chroniqueur de son hebdomadaire, contre vents et marées,
jusqu’au scandale Springora. Il n’a jamais regretté l’attribu-
tion du prix Renaudot à cet écrivain. Une telle fidélité est

1. Communiqué à l’AFP.
30 La Pédocratie à la française

d’autant plus étonnante que le journaliste a été lui-même


victime, enfant, d’un viol commis par un voisin, selon son
propre témoignage. L’aréopage du Renaudot, ébranlé par les
soubresauts du Consentement, a vu deux de ses membres démis-
sionner respectivement en mars et avril 2020 : Jérôme Garcin
et le Prix Nobel de littérature, Jean-Marie Le Clézio.
En 2000, il s’en est fallu de peu que le Grand prix de l’Aca-
démie française – trophée décerné par la République et non par
un organe privé – soit attribué à Matzneff. Un lanceur d’alerte
avant l’heure, Pierre Lassus, psychothérapeute, administrateur
de l’Institut de victimologie, avait alerté les autorités sur le
danger d’une telle récompense. Il fut entendu, mais, comme il
l’a révélé à la radio Europe1 en janvier 2020, « un grand éditeur
(lui) a alors annoncé qu’il (le) mettait sur liste noire ».
Mon enquête ne me fera pas d’amis dans ces milieux, mais
comment ne pas ajouter que les mêmes jurés et les éditeurs
n’ont éprouvé aucun scrupule à encenser et publier les abomi-
nations de cet individu. M. Busnel avait lui-même invité le
lauréat sur son plateau dans le passé.
Connu au demeurant pour sa signature au bas de la pétition
pour la libération de plusieurs prévenus pédocriminels en 1977
(cf. infra), l’écrivain Philippe Sollers, directeur de collection
chez Gallimard et spécialiste de Sade, n’a cessé de publier les
manuscrits de Matzneff jusqu’au scandale de janvier 2020,
sans jamais s’offusquer de son contenu. Depuis l’affaire Matz-
neff, Gallimard a fait l’objet de multiples visites policières pour
perquisitionner les lieux et saisir les productions de l’écrivain.
L’éditeur a interrompu la diffusion de ses livres, et Le Point a
mis fin à sa collaboration.
Le goût du lucre aux dépens d’une éthique en capilotade a
touché nombre de maisons d’édition. Là encore c’est une autre
enquête du New York Times qui en démontre la réalité. Le quoti-
dien a publié le 31 mars 2020 un entretien avec Francesca Gee,
ex-journaliste américaine qui réside en France. Elle y affirme
avoir été l’une des multiples victimes de l’emprise de Matzneff,
de 15 à 18 ans, à partir de 1973. Depuis la sortie du livre Ivre
du vin perdu (Folio, 981), Mme Gee n’a jamais pu obtenir de la
maison Gallimard que sa photo d’adolescente, en couverture
de l’ouvrage, soit retirée. Il a fallu la sortie du livre de Vanessa
Les élites, gangrène de l’innocence 31

Springora pour que cet éditeur l’accepte enfin. Ses lettres y ont
été publiées par Matzneff sans son autorisation. Certaines sont
aussi utilisées dans Les moins de seize ans, un plaidoyer pédo-
phile, sans accord non plus de la victime.
En 2004, Francesca Gee avait écrit un manuscrit sur sa
relation avec l’écrivain, y pointant un « cataclysme qui s’était
abattu sur moi à 15 ans, et qui devait changer le cours de mon
existence », et la laissant « honteuse, amère, confuse ».
Aucun des éditeurs contactés n’avait accepté de le publier,
soit Albin Michel, Bayard et… Grasset, la maison qui a édité
Le consentement. Les directeurs de collection interrogés par
le New York Times ont évoqué la puissance de Matzneff dans
l’élite comme contre-feu à toute tentative de l’attaquer via
un tel ouvrage. Dans son entretien à Europe1 déjà cité, Pierre
Lassus a révélé qu’une de ses patientes, également victime de
Matzneff, avait renoncé à publier son histoire sous les menaces
de l’écrivain.
Francesca Gee révèle aussi que l’auteur l’emmenait chez une
gynécologue, Michèle Barzach, pour obtenir une prescription
de pilules contraceptives, alors que le faire sans autorisation
parentale était alors illégal. Mme Barzach fut ministre de la
Santé de Jacques Chirac sous la présidence Mitterrand de 1986
à 1988. « Dans ses autres journaux, M. Matzneff écrit que le
Dr Barzach devint la gynécologue chez qui, après sa rupture
avec Mme Gee en 1976, il a continué pendant des années à
emmener des jeunes mineures », note le New York Times.

J/ L’omerta dans la presse

Quand Matzneff publiait ses déjections, il était courtisé


par les télévisions, les radios et même les journaux de renom
comme Le Monde. Ses anciennes interventions, notamment sur
le plateau d’Apostrophes, l’émission culte de Bernard Pivot, sont
encore visibles sur Internet. La violence criminelle de ses écrits
n’y était jamais mise en cause. Ils passaient pour de menues
fredaines, sous le ricanement pervers des présents.
Seule une personne, étrangère, l’écrivaine québécoise
Denise Bombardier, a eu le courage de critiquer Matzneff,
32 La Pédocratie à la française

face à lui, dans un Apostrophes de 1990. Elle fut alors démolie


par l’élite parisienne (cf. infra), y compris par la cheffe du
Monde des livres de l’époque, Josyane Savigneau. Depuis le
livre de Vanessa Springora, aucun grand débat n’avait encore
eu lieu un an plus tard, dans l’audiovisuel ou la presse écrite,
sur la puissance de la pédocriminalité en France y compris
dans les Lettres.
Seul un quotidien étranger, le New York Times déjà cité, a
osé y faire allusion, puis assuré un suivi sur l’affaire Matzneff
et ses conséquences. C’est la preuve d’un adoubement d’une
bonne partie de la classe journalistique aux élites en place.
Comme ses intérêts, sauf de valeureuses exceptions, priment
le plus souvent sur les idées, personne ne veut indisposer
personne, l’un attend de pouvoir être publié, c’est un prêté
pour un rendu, l’autre ne déteste pas offrir des bonbons aux
petits garçons, on ferme les yeux, et ainsi de suite. Le corres-
pondant du New York Times en France, Norimitsu Onishi,
signataire des trois reportages cités, n’est pas tendre pour son
pays d’accueil : « La France a beau être un pays profondément
égalitaire, son élite tend à se démarquer des gens ordinaires
en s’affranchissant des règles et du code moral ambiant, ou,
tout au moins, en défendant haut et fort ceux qui le font. […]
M. Matzneff était de ces figures transgressives que les élites
ont toujours aimées. »

K/ Les lenteurs de la justice et de la police

Sans tomber sous la loi de Godwin, on ne peut que s’étonner


du temps mis par le ministère public pour mettre un terme à
la dysenterie pédocriminelle de Matzneff. Six mois après la fin
de la dernière guerre le 8 mai 1945, le procès de Nuremberg
jugeait puis condamnait les principaux dignitaires nazis à la
peine de mort. Il aura fallu quarante-sept ans, depuis Les moins
de seize ans, premier brûlot de l’auteur désormais maudit, publié
en 1974, jusqu’au 21 septembre 2021, date fixée le 12 février
2020 par la XVIIe chambre du tribunal de Paris, pour que
l’auteur soit jugé pour apologie de crime. Comme ses viols sur
mineurs sont apparemment tous prescrits, il sera poursuivi
Les élites, gangrène de l’innocence 33

pour des articles récents faisant l’apologie de la pédophilie, à la


suite d’une plainte de l’ONG L’Ange bleu. Ce délai illustre la
puissance des réseaux pédophiles dans la Ville Lumière.
Malgré une série de dénonciations anonymes en 1986 sur
ses relations avec des enfants, jamais l’écrivain n’a alors fait
l’objet de poursuites pénales. Un climat bon enfant entourait
ses auditions par la police des mineurs. L’article élogieux sur
Matzneff écrit par François Mitterrand dans la revue Matulu
évoquait le « séducteur […], son goût extrême de la rigueur et
[…] la densité de sa réflexion ». Avec une copie de ce sésame
dans sa poche, qu’il exhibait aux enquêteurs, l’auteur se sentait
au-dessus des lois. « Un des inspecteurs m’avait dit, ‘Mais ça
c’est des genres de jalousies, ces lettres anonymes, c’est certai-
nement de la jalousie’ », a révélé Matzneff dans son entretien
au New York Times le 11 février 2020. Vanessa Springora relate
dans son ouvrage leur première rencontre avec la Brigade des
mineurs dans l’escalier lorsqu’ils sortaient de l’appartement de
l’écrivain :
–  Nous voudrions vous parler, Monsieur ?
–  Bien sûr, seulement je dois me rendre à une signature
dans une librairie, pourriez-vous revenir une autre fois ?
–  Bien entendu Monsieur.
–  Ah ! vous ne venez pas m’arrêter, si je comprends bien
(rires).
–  Bien sûr que non, enfin, Monsieur. Nous pouvons revenir
demain, si cela vous arrange.
L’auteure commente ensuite cette rencontre : « Pourquoi
aucun des deux inspecteurs ne fait-il attention à l’adoles-
cente que je suis. Les lettres mentionnent Une “petite V. de
treize ans” […]. Tout de même, aussi peu de soupçons laisse
sans voix. »

L/ Un Coral sans ko

Le Coral… Un terme de western qui sent encore le soufre


près de quarante ans après les dérives pédocriminelles décou-
vertes dans un foyer du même nom, destiné à des enfants en
difficulté et à des handicapés mentaux.
34 La Pédocratie à la française

Cette affaire de pédophilie à grande échelle a émaillé le


premier mandat de François Mitterrand, à partir d’octobre
1982. Le viol d’enfants en difficulté au Coral, un centre
dénommé « lieu de vie » à Aimargues (Gard), est alors mis au
jour dans l’enquête ouverte par le juge Claude Salzmann, après
les plaintes de plusieurs parents contre les éducateurs et le
directeur, Claude Sigala.
Dans cette période post-soixante-huitarde propice à tous
les dérèglements, l’antipsychiatrie connaît sa période de gloire.
Contre l’enfermement et la camisole de force ou chimique, la
direction du Coral prône une thérapie ouverte pour les jeunes
handicapés, débiles légers et autistes, afin de réaliser leur réinser-
tion. Ces nouvelles techniques furent pour certains confondues
avec une liberté sexuelle entre visiteurs et mineurs internés.
Cinq ans plus tôt, en 1977, un jeune handicapé de 11 ans
avait été retrouvé tué dans ce lieu de vie, la tête plongée dans
un seau d’eau de javel, après avoir été sodomisé, selon les
conclusions de l’enquête. Son meurtrier, un jeune éducateur,
avait été réintégré ensuite au Coral sans avoir été jugé, en
raison de son irresponsabilité mentale.
340 adultes, dont des personnalités de la politique et des
intellectuels connus, auraient alors été suspectés d’avoir rendu
visite au Coral, selon de multiples informations non confir-
mées, et pour certains d’avoir abusé des jeunes pensionnaires.
Le principal dénonciateur de ces activités criminelles, Jean-
Claude Krief, un stagiaire, avait alors fourni au juge Salzmann
une liste de treize noms de personnalités, accusées par lui
d’être des pédophiles. Si les adultes cités avaient tous été
poursuivis par la justice, l’affaire aurait tourné à un scandale
de taille. Le directeur du Coral, Claude Sigala, fut inculpé
et condamné à trois ans de prison dont un avec sursis pour
attentats à la pudeur. Six employés dont Alain Schiapello, le
médecin psychiatre, et Roger Auffrand, éditeur de Possible, la
revue officielle du centre, furent également condamnés à des
peines de prison en 1986. L’existence d’une manipulation poli-
tique contre le nouveau pouvoir de gauche fut évoquée, mais
elle ne fut jamais démontrée, même si Jean-Claude Krief fut
étrangement accusé d’avoir utilisé un faux procès-verbal pour
étayer ses accusations. Il revint sur ses mises en cause pendant
Les élites, gangrène de l’innocence 35

son séjour en prison, après trois tentatives de suicide. Son frère


Michel, son complice selon lui, fut retrouvé mort peu après.
La police conclut à un suicide, mais sa réalité continue à faire
l’objet de doutes encore aujourd’hui.
Un pionnier de l’enseignement alternatif par la pratique
aux dépens de la connaissance théorique, Leonid Kameneff,
fut mis hors de cause au Coral. Il va alors pouvoir continuer
d’exercer ses talents à la voile et son emprise criminelle sur
ses élèves, dans le cadre de l’École en bateau créée en 1969.
Nombre de ces jeunes gens ont été violés par ce professeur
pendant des années, impunément. Malgré les plaintes de
parents pour violences sexuelles, il faudra attendre 2002 pour
que Kameneff soit arrêté, et son École définitivement fermée.
Il sera condamné pour viols à douze ans de réclusion criminelle
en… 2013. Trente et un ans après le scandale du Coral.
Parmi les autres noms cités par le stagiaire figurait un mili-
tant en pointe de la pédophilie, le philosophe René Scherer, à
nouveau sur la sellette aujourd’hui, à 97 ans. Auteur du livre
Émile perverti1, une apologie de cette déviance, il a été de tous
les combats pour autoriser les relations sexuelles entre mineurs
et adultes, et signataire des pétitions de 1977 pour faire libérer
des pédophiles détenus. En janvier 2020, le collectif féministe
Némésis a lancé un appel pour que « René Scherer perde son
titre de professeur émérite et que l’université Paris-VIII s’excuse
d’avoir fait sa promotion pendant des années. Nous savons
que cette université, haut lieu du gauchisme universitaire, ne
tolérerait pas un professeur professant des idées racistes ou
sexistes, donc nous imaginons qu’ils feront la même chose pour
un apologiste de la pédophilie […]. Il est avéré que René Scherer
était l’amant de Guy Hocquenghem lorsque ce dernier n’avait
que quinze ans… »
Journaliste à Libération de 1975 à 1982, Guy Hocquenghem
est mort du sida en 1988. Il avait été l’élève de Scherer au
lycée Henri-IV, puis militant du Front homosexuel d’action
révolutionnaire (FHAR) dans les années 1970 (cf. supra). Il
avait signé lui aussi toutes les pétitions de 1977, et enseigné

1. Scherer René, Émile perverti. Ou des rapports entre l’éducation et la


sexualité, Paris, Laurence Viallet, 2006.
36 La Pédocratie à la française

comme son maître la philosophie à Vincennes-Paris-VIII, avant


de publier des romans.
Hocquenghem fut un ami de Gabriel Matzneff, lui aussi
cité par Jean-Claude Krief dans le dossier Coral. Le futur Prix
Renaudot fut interpellé le 20 octobre 1982 à l’aube par la
police – et son appartement perquisitionné – pour être entendu
comme témoin, malgré ses hauts cris. Il fut blanchi, mais
Le Monde mit fin à la collaboration qu’il poursuivait depuis
1977 avec le quotidien.
Un autre adulte désigné par Jean-Claude Krief, Bertrand
Boulin, fils de l’ancien ministre Robert Boulin retrouvé mort
dans un étang de la forêt de Rambouillet en 1979, ne fut
pas davantage inquiété. Il avait confié à la garde du Coral
deux mineurs de l’association SOS-Enfants qu’il présidait. Le
fils de l’ex-ministre avait lui aussi signé les pétitions de 1977
en faveur de détenus pédophiles.
Le plus connu des noms cités aura été un autre signataire
de la pétition de 1977, Jack Lang, alors ministre de la Culture.

M/ Une exception culturelle : Jack Lang

Son activisme forcené, des tags au rap en passant par la


Marche des fiertés (gay pride) et des milliers d’interventions sur
tout et rien dans les médias, ont maintenu l’ancien professeur
de droit au summum de la popularité et de la richesse pendant
près de quarante ans. Nul n’ignore qu’il a toujours rêvé de la
magistrature suprême, mais personne n’a jamais expliqué pour-
quoi cette envie n’a jamais été concrétisée par une candidature.
Ce feu follet de la mitterrandie, créateur de la Fête de la
musique, a lui aussi échappé à des poursuites dans le procès
du Coral, mais pas à la vindicte persistante de ses adversaires,
comme Roger Holeindre, l’un des fondateurs du Front national
avec Jean-Marie Le Pen.
Entré à 15 ans dans la Résistance contre les nazis, Holeindre,
futur volontaire dans les deux guerres d’Indochine et d’Algérie,
avait enlevé deux mitrailleuses aux Allemands à Noisy-le-Sec.
Devenu journaliste puis député, ceint de multiples décorations
militaires, il avait pris à partie Jack Lang lors de l’université
Les élites, gangrène de l’innocence 37

d’été du FN en 1998 : « […] Monsieur Jack Lang, qui prétend


être candidat à la présidence de la République, que l’on m’arrête­
à la sortie si ce que je dis n’est pas vrai, a été compromis dans
l’affaire des lieux de vie et dans un lieu de vie tenu par des socia-
listes, qui s’appelait le Coral, et là des gamins étaient prostitués
à des gens comme Jack Lang […]. Je veux que tous les Jack Lang
de France et d’ailleurs soient pendus haut et court, et aient des
comptes à rendre […]. »1 À notre connaissance, l’ancien ministre
n’a jamais porté plainte contre Roger Holeindre, décédé le
30 janvier 2020, et cette accusation gravissime n’a pas provoqué
le moindre remous politique, comme si l’élite n’avait aucune
envie d’ouvrir une dangereuse boîte de Pandore sur tous les
bords de l’hémicycle.
L’affaire du Coral n’avait rien d’anodin, malgré les faibles
résultats du juge Salzmann, si l’on en croit le capitaine Paul
Barril, un ancien de la cellule antiterroriste de l’Élysée créée par
François Mitterrand. Le 19 février 1997, la DST avait découvert
à Plaisir (Yvelines) des dossiers secrets, dont une pochette bleue
avec la mention « coral ballets bleus », dans un garage du comman-
dant Christian Prouteau, ex-patron de la cellule. Le 29 avril
suivant, devant un tribunal, Paul Barril fit une déclaration reten-
tissante, là encore peu suivie d’effets : « Je me rappelle qu’on
nous avait alertés pour stopper l’enquête sur le réseau pédophile
“Coral”, à cause des personnalités mises en cause. » Trois juges
d’instruction furent nommés pour enquêter sur ces affaires, mais
vingt-quatre ans après, aucune issue n’a été rendue publique.
Le nom de l’ancien ministre est revenu sur le devant de
la scène le 30 mai 2011, après une intervention sur Canal+
de Luc Ferry, sans qu’il n’eût été nommément cité par l’ex-
ministre de l’Éducation nationale : « Un ancien ministre s’est
fait poisser dans une partouze à Marrakech avec des petits
garçons. Probablement nous savons tous ici de qui il s’agit.
Moi je le sais, et je ne suis pas le seul. L’affaire m’a été racontée
par les plus hautes autorités de l’État, en particulier par le
Premier ministre », avait-il alors affirmé. Trois ans plus tard,
Ferry a maintenu ses propos sur France 5 : « Ce que j’ai dit était
vrai […], je ne regrette rien et je ne retire pas une virgule. »

1. Disponible sur YouTube.


38 La Pédocratie à la française

Une telle déclaration ne pouvait que déclencher une


avalanche de commentaires offensifs contre Luc Ferry, pour ne
pas avoir porté plainte, et également contre l’ancien ministre
de la Culture. Elle allait ricocher dans les médias avec d’abord
une évocation de vieilles rumeurs ou de ragots, puis la publica-
tion d’extraits des carnets d’Yves Bertrand, l’ancien patron des
Renseignements généraux entre 1992 et 2004.
L’un de ces documents, daté de 2001 et publié par Libération
le 22 juillet 2011, était affirmatif, et sans le moindre additif
restrictif : « Lang à la Mamounia en nov. s’est tapé des petits
garçons. » La Mamounia est un palace de Marrakech.
Une enquête judiciaire avait été ouverte après les déclara-
tions de Luc Ferry, puis classée sans suite en novembre 2012.
Une vingtaine de personnes, dont Jack Lang, furent entendues
comme témoins. Cette décision ne fit l’objet que de quelques
lignes dans la presse, sans même que soit révélée l’identité de
l’ex-ministre. Ni micros ni caméras ne firent le siège du procu-
reur pour demander des éclaircissements sur ce scandale.
En mars 2013, l’hebdomadaire VSD revenait sur les scan-
dales de pédophilie au Maroc, avec le témoignage d’un prêtre
du sud de la France sur la « prostitution de mineurs à la villa
Majorelle, propriété d’Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé,
où Jack Lang était régulièrement invité ». Aucun nom de préda-
teur n’avait été cité.
Les rumeurs n’auront cessé de frapper aux portes du
luxueux appartement acheté en 1984, place des Vosges à Paris,
par l’actuel président de l’Institut du monde arabe. Lui-même
avait contribué à les alimenter dans un surprenant entretien
à l’Express le 22 septembre 2005. Il y évoque les luttes intes-
tines au sein du parti socialiste en janvier 1995 avant la prési-
dentielle de la même année, gagnée par Jacques Chirac face
à Lionel Jospin. « On m’a traité alors de pédophile. C’était
immonde. J’ai trouvé les deux personnages qui racontaient
cela. Le premier a fait amende honorable. Le second, je ne lui
parle plus », révèle-t-il. L’hebdomadaire fait séparément état
d’un « blanc » des Renseignements généraux l’année suivante,
en 1996, sur « une vraie affaire de pédophilie survenue en 1988
dans le sud-est de la France, (qui) évoque, avec force détails
scabreux, le couple Lang ». L’Express évoque enfin la campagne
Les élites, gangrène de l’innocence 39

présidentielle de 2002 : « Quelques chiraquiens racontent une


arrestation de Jack Lang au Maroc, dans une affaire de mœurs,
suivie d’une exfiltration discrète organisée par l’Élysée. Pas la
moindre preuve mais les missiles anti-Jospin se préparent, que
le 21 avril rendra caducs. »
La saisie des Carnets d’Yves Bertrand le 16 janvier 2008 va
relancer une nouvelle fois les rumeurs. Interrogé le 27 novembre
2008 pendant l’émission de RMC Les Grandes Gueules, Yves
Bertrand est mis sur le gril. À son commentaire sur le « devoir
de tout citoyen, de tout responsable de l’ordre, de dénoncer un
pédophile auteur de relations avec un mineur », les animateurs
rétorquent :
« –  Vous n’avez pas fait votre devoir de policier si vous
connaissiez un tel ministre.
–  Je n’étais pas officier de police judiciaire. Il est probable
que verbalement j’en aie rendu compte à mon autorité hiérar-
chique.
–  L’affaire a été étouffée », concluent les Grandes Gueules.

Un an plus tard, le 9 septembre 2009, toujours aux Grandes


Gueules, un dialogue identique reprend avec Yves Bertrand :
–  J’ai eu des informations sur la pédophilie supposée d’un
ministre de la République.
–  Il faut dénoncer un crime ou alors vous êtes complice.
–  Je ne suis pas complice, c’est vieux, ça remonte aux
années 1980, j’en ai fait une relation verbale, ça s’arrête là.
Il n’y a pas eu de poursuite pénale. Cette information ne m’a
pas été fournie par n’importe qui, mais par deux magistrats qui
n’étaient pas saisis du dossier. Deux magistrats qui vous parlent
de ça, on est obligé d’en rendre compte.
–  On a étouffé l’affaire d’un ministre coupable de pédo-
philie, soulignent les responsables de l’émission.
Yves Bertrand acquiesce à cette affirmation.
Devant un tel fatras d’insinuations, affirmations, sous-
entendus et démentis depuis quarante ans, seul un exposé de
faits établis peut éclairer la réalité.
Si je voulais affirmer que Jack Lang a été exfiltré un jour
du Maroc à bord d’un avion de la République française après
avoir été trouvé en présence de mineurs, pour compléter le
40 La Pédocratie à la française

billet de Libération déjà cité, je déclinerais sa publication. Ces


confidences d’un patron des services secrets français, dont j’ai
obtenu la teneur, n’ont pas été couchées sur papier.
Si je confirme par contre l’allusion de l’Express au « blanc »
des RG concernant le couple Jack Lang, je puis le faire, sans
médire, en publiant son contenu, pour remplir le non-dit dans
cet article. Étrangement, l’hebdomadaire avait interviewé l’ex-
ministre sans l’interroger sur cette accusation que le média
évoque quelques lignes plus loin, sans en citer un seul passage.
Cf. la copie du « blanc » en Annexe.
Daté du 2 septembre 1996, le « blanc », tapé à la machine à
écrire, s’intitule « Prochaine relance médiatique d’une affaire de
pédophilie dans laquelle seraient cités Jack et Monique Lang ».
Il s’agit d’un scandale de pédophilie, avec suicide d’un enfant
victime, au sein de la célèbre école de danse Rosella Hightower à
Cannes. Ironie du sort, c’est dans ce centre qu’Andrea Bescond
ira apprendre le pas de deux à l’âge de douze ans, en 1991.
Devenue metteure en scène, elle a relaté le drame de son viol,
quand elle avait neuf ans, dans le film Les chatouilles (2018).
Le texte du « blanc » tient dans une page : « À la suite du
suicide en 1988 d’un jeune pensionnaire de 15 ans du Centre
international de la danse sis à Cannes, éclatait une affaire de
pédophilie impliquant plusieurs responsables du Centre parmi
lesquels Rosella Hightower et son concubin, un nommé Rabier,
artiste peintre pédophile. (Souligné dans le texte.)
« L’enquête était confiée à la Section Recherches de la
gendarmerie d’Aix-en-Provence (adjudant Candela) agissant
sur commission rogatoire du juge Renard, à l’époque juge d’ins-
truction au TGI de Grasse (aujourd’hui doyen des juges d’ins-
truction du TGI de Nice). Le procureur qui a suivi le dossier
était le procureur adjoint Farre, toujours en fonction au TGI
de Grasse. Il a été établi par l’enquête que l’un des professeurs
de danse, un nommé Jean-Luc Barsotti, mettait des adoles-
cents, élèves du centre, à la disposition d’adultes pédophiles.
Et c’est parce qu’il refusait de céder aux avances de Barsotti
que l’enfant se serait suicidé. Pourtant Barsotti fut relaxé par le
TGI de Grasse, relaxe confirmée en appel à Aix-en-Provence. La
décision, à l’époque, fit scandale dans les familles des victimes
et plus particulièrement l’un des attendus : “Les jeunes garçons
Les élites, gangrène de l’innocence 41

n’avaient pas compris que ce qu’ils avaient interprété comme


des gestes obscènes étaient en fait des gestes affectueux.”
« Mais suite à l’affaire Dutroux mettant à jour (sic) le réseau
pédophile belge, les langues commencent à se délier.
« Des sources proches de l’enquête livrent des informations
qui, si elles étaient vérifiées, révéleraient des dysfonctionne-
ments accablants de la justice grassoise.
« En premier lieu il apparaît que Barsotti, qui n’avait pas
d’avocat, s’est vu suggérer par le juge d’instruction de choisir
le cabinet Badinter pour le défendre, en la personne de Maître
Henrisey (avocat assassiné peu après dans des circonstances
non élucidées) qui était effectivement à l’époque le corres-
pondant de Maître Badinter à Cannes. Le deuxième avocat,
Maître Saint-Esteban (voir pièce jointe), était lui membre du
cabinet Badinter.
« En outre, l’adjudant Candela, chargé de l’enquête, aurait
confié en privé à l’époque des faits que les écoutes judiciaires
faisaient ressortir les noms de Jack et Monique Lang, cette
dernière prenant les rendez-vous pour son mari avec des
pensionnaires du Centre. Le militaire de la gendarmerie aurait
même évoqué des détails scabreux concernant les penchants
du ministre de la Culture. Dans l’une des écoutes, Monique
demandait que soit installée une table de verre afin que
son mari puisse visualiser les ébats de son épouse avec un
jeune adolescent.
« Or, les écoutes n’ont pas été versées à la procédure. Mais il
se dit que les cassettes d’enregistrement devraient en principe
être enregistrées au greffe de Grasse. Toutefois il paraît plau-
sible que les instigateurs de “l’enterrement” de l’affaire auront
pris soin de faire disparaître toute “mémoire” susceptible de les
compromettre, sauf à interroger l’adjudant Candela. »
À la lecture de ces éléments, on pouvait s’attendre à l’éclate-
ment d’un scandale de taille mêlant pédocriminalité et corrup-
tion judiciaire. Il n’en a rien été. Aucune trace de l’affaire
n’existe dans la biographie de la danseuse étoile américaine
ou du juge Jean-Paul Renard. Et pourtant, le seul nom de ce
magistrat, cité dans le dossier, sent la dynamite.
Le procureur de Nice, Éric de Montgolfier, a fini par avoir
raison de ce franc-maçon véreux, complice de la pègre, et cloué
42 La Pédocratie à la française

au pilori pour avoir fait acquitter un membre de la mafia cala-


braise. Il a été révoqué et mis à la retraite par le Conseil supé-
rieur de la magistrature en 2004, pour « violations graves et
répétées aux obligations de prudence, de diligence, de neutra-
lité, de loyauté et de rigueur professionnelle », et pour avoir
« perdu les repères éthiques indispensables à l’exercice des
fonctions de magistrat en même temps que tout crédit juridic-
tionnel à l’égard des auxiliaires de justice et des justiciables ».
Il a été aussi poursuivi pour faux, usage de faux, et violation du
secret professionnel pour transmission d’informations confi-
dentielles à la Grande loge nationale de France, son obédience,
et condamné à 5 000 euros d’amende par le tribunal correc-
tionnel de Paris en 2006.
Dans l’affaire Hightower à Grasse, on pourrait s’étonner
de la disparition de cassettes audio au greffe, s’il n’y avait déjà
le précédent d’Outreau (cf. infra). Tous les enregistrements du
procès en 2004 se sont évanouis dans la nature, ainsi que je l’ai
révélé dans un livre1. Il est à jamais impossible de faire entendre
aux Français l’interminable calvaire subi par les enfants violés,
dans les hurlements, les moqueries ou les insultes des dix-huit
avocats des accusés, dont Éric Dupond-Moretti, Frank Berton
et Blandine Lejeune.
Aucune enquête n’a été ouverte dans les deux cas pour
soustraction de pièces judiciaires, et les petites victimes ont
subi une double peine à chaque fois.

N/ Jack Lang à table… avec Jeffrey Epstein

Un scandale pédocriminel d’ampleur mondiale a éclaté en


2019 aux États-Unis avec l’arrestation pour trafic sexuel de
mineurs, puis la mort en prison un mois plus tard, du milliar-
daire américain Jeffrey Epstein.
Une enquête de France TVInfo a révélé la présence de
« ministres, en fonction ou pas », parmi les amis français du
criminel, déjà condamné et incarcéré en 2008 pour trafic de

1. Retour à Outreau. Contre-enquête sur une manipulation pédocrimi-


nelle, Kontre Kulture.
Les élites, gangrène de l’innocence 43

mineures. L’un d’eux n’est autre que l’ancien ministre de la


Culture et fondateur de la fête de la musique. « Je suis tombé
de l’armoire en apprenant toutes ces histoires », a confié
Jack Lang à France Info, le 30 août 2019. Il a reconnu avoir
déjeuné une fois dans le gigantesque appartement d’Epstein à
Paris, au 22, avenue Foch (XVIe arrondissement). Jeffrey était
« charmant, courtois et agréable […], souvent accompagné de
quelques jolies femmes, mais qui n’étaient pas à l’évidence des
mineures », avait-il ajouté.
Peu avant cette arrestation, le président de l’Institut du
monde arabe avait convié le pédocriminel en mars 2019 aux
célébrations des trente ans de la pyramide du Louvre. L’existence
d’un don de près de 60 000 euros, par la fondation Epstein, à
une mystérieuse association culturelle française « composée de
proches de Jack Lang », a été révélée le 14 octobre dernier par
Les Dernières Nouvelles d’Alsace. C’était « pour financer un film »,
a indiqué Lang, sans fournir d’autre précision.

O/ Zandvoort : une Formule 1 de la pédocriminalité

Réputée pour son circuit de F1, cette ville proche d’Ams-


terdam a surtout défrayé la chronique en 2000 après la décou-
verte, au domicile du pédocriminel néerlandais Gerrit Ulrich
– assassiné en 1998 –, d’un CD-Rom contenant dix mille
photos pédopornographiques. Au fil des années, vingt
CD-ROM ont été mis au jour, avec plus de cent cinquante
mille documents, y compris des vidéos, sur des viols suivis de
meurtres d’enfants.
Si les réseaux de prédateurs ont mis les gaz pour accumuler
une telle masse d’images abjectes et prendre la « pôle position »
dans la chasse aux mineurs, la justice, notamment la nôtre,
a ralenti puis abandonné dès le premier tour de l’enquête
ouverte, comme en ont témoigné deux journalistes d’investi-
gation français, Laurence Beneux (Le Figaro) et Serge Garde
(L’Humanité).
Le Grand Prix de Zandvoort devrait servir de piqûre de
rappel pour remettre à la Une ce scandale d’un dossier criminel
étouffé par le gouvernement socialiste de l’époque.
44 La Pédocratie à la française

Dans un entretien vidéo diffusé le 23 janvier 2020 par


MK-Polis, Laurence Beneux revient avec détails sur l’affaire, et
dénonce « la façon dégueulasse dont a été orchestré ce déni de
justice ». Cette journaliste a écrit de nombreux articles sur les
ravages de la pédocriminalité chez les enfants, et publié Le livre
de la honte (Cherche-Midi), avec Serge Garde.
En 2000 donc, la journaliste réussit à se procurer le premier
CD-Rom « quelque part ». De retour à Paris, elle publie une
enquête fouillée dans Le Figaro. Une information judiciaire
est ouverte, mais, au lieu d’envoyer une commission rogatoire
pour faire toute la lumière sur le dossier, la ministre socialiste
de la Justice, Elisabeth Guigou, temporise. Cet attentisme,
pour ne pas dire désintérêt, se reflétera dans un faux pas de la
ministre devant les caméras de télévision : « Je ne veux pas que
rien soit laissé au hasard » !
L’affaire étant désormais médiatisée, les deux journalistes
sont assaillis d’appels de parents dont les enfants ont disparu
ou ont été victimes du réseau criminel. Quatre-vingt-un enfants
seront repérés comme possibles victimes par leurs familles
grâce aux deux lanceurs d’alerte.
Le quotidien communiste remet finalement le CD-Rom
au procureur général de Paris, Alexandre Benmaklouf, à la
demande du magistrat. Mais rien n’est fait pour lancer une
enquête tous azimuts dans l’Hexagone. Aucune copie du
CD-Rom n’est envoyée par la Chancellerie aux procureurs
de province, comme ont pu le vérifier les deux journalistes. Il
faudra la pression de familles pour que la juge d’instruction
chargée de l’enquête consente à envoyer des exemplaires dans
des commissariats et gendarmeries.
La même léthargie judiciaire a laissé dans les tiroirs une
somme d’adresses saisies dans les carnets de Gerrit Ulrich
et remises aux juges par le duo. Il s’agissait de contacts dans
plusieurs pays (Hollande, Grande-Bretagne, Espagne, Suède,
États-Unis, Bulgarie, Pologne, Lettonie et France), ainsi que de
comptes bancaires (Banque nationale d’Ukraine, Crédit Agri-
cole, Crédit Lyonnais). Ces photocopies n’ont pas été envoyées
pour recherche dans les départements français ni à Interpol.
Un coup de théâtre survient alors. Laurence Beneux
apprend par une source à l’Élysée que la présidence avait reçu
Les élites, gangrène de l’innocence 45

des Pays-Bas ce CD-Rom… un an plus tôt. Aussitôt contactée,


la Chancellerie dément. « Vous traitez l’Élysée de menteur,
je vais leur en faire part ! », lui répond la journaliste. « Non,
attendez, on vérifie… »
Un peu plus tard, un porte-parole du ministère de la Justice
la rappelle, pour reconnaître la réception du CD-Rom un an
plus tôt. Il s’avérera qu’un classement sans suite avait été
décidé à l’époque « faute d’incrimination pénale ». Sur ces
photos, il y avait y compris des viols de nourrissons… Une
ONG suisse, le Comité international pour la dignité de l’enfant
(CIDE), avait elle aussi adressé les CD-Rom à Interpol à la fin
1998, avec un courrier, dont j’ai la copie.
La nouvelle enquête n’ira pas plus loin avec la nouvelle
garde des Sceaux, Marylise Lebranchu. Elle s’achèvera en
2003 par un non-lieu. Pour la police et les juges, il s’agissait
de photos anciennes. Cette surprenante justification oubliait
quatre éléments cruciaux :
1 –  Un enfant victime, à l’époque, pouvait porter plainte
jusqu’à dix années après sa majorité, soit jusqu’à 28 ans, ce
qui laissait du temps aux mineurs qui s’étaient ou avaient été
reconnus sur les clichés.
2 –  Durant l’enquête, deux condamnations avaient été
prononcées pour viol après qu’une fillette, s’étant reconnue
sur le CD-Rom, eut dénoncé ses agresseurs. Elle avait reconnu
le domicile des prédateurs, et mis en cause d’autres personnes.
Celles-ci échappèrent à la justice pour ne pas donner l’impres-
sion qu’il y avait bien existence d’un réseau, assure Laurence
Beneux. « Ça se voit que c’est moi, regarde le grain de beauté,
sur ma joue », s’était exclamée la petite fille devant une photo
du CD-Rom. « Je veux qu’on sache que je ne me suis pas tue »,
avait-elle ajouté. Vingt ans après, la journaliste n’a pu cacher
son émotion devant la caméra à l’évocation de ce moment
fort, survenu alors que la victime venait d’apprendre qu’il
était alors impossible de supprimer sur Internet les copies de
ces images infectes.
3 –  Sur le CD-Rom, de nombreuses photos pédoporno-
graphiques étaient signées Jacques Dugué. Il s’agit du même
violeur en série dont Libération avait couché sur papier avec un
certain délice une page d’excréments verbaux en 1979, et que
46 La Pédocratie à la française

Matzneff avait défendu avant sa condamnation à six ans de


prison lors de son premier procès en 1981 à Bobigny (Seine-
Saint-Denis). Le même Dugué venait d’être arrêté à Cham-
béry (Savoie) en pleine enquête sur le CD-Rom, avant d’être
condamné en 2002 à trente ans de réclusion criminelle pour
de nouveaux viols d’enfants. Anciennes, les photos ne l’étaient
pas là non plus.
4 –  Les errements judiciaires : pour justifier son non-lieu, la
juge Danielle Ringot évoque entre autres la prétendue erreur
d’une mère qui avait cru reconnaître son fils, alors qu’il s’agis-
sait, selon elle, d’un jeune Néerlandais, Bjorn Nijkamp, dont
les violeurs avaient été arrêtés. Laurence Beneux s’insurge
contre une telle version. « Le patron de l’enquête hollandaise
m’a confirmé dans son bureau qu’il ne s’agissait pas de Bjorn,
dit-elle sur MK-Polis. Quand je l’ai relaté aux policiers français,
ils n’ont pu me présenter une seule preuve écrite. Selon eux,
leurs homologues hollandais leur auraient fait cet aveu dans
un couloir… »
La journaliste a souvent été interrogée par la police, y
compris pour confirmer sur PV qu’elle ne révélait pas ses
sources, sans comprendre pourquoi les enquêteurs lui ont
demandé un jour de vérifier si le CD-Rom qui leur avait été
donné par la Chancellerie était bien le même que le sien. Ce
doute avait-il un rapport avec les mises en cause par plusieurs
sites internet, encore visibles aujourd’hui, d’un haut magistrat
français, qui serait sur l’une des photos du CD-Rom, nu, avec
un enfant lui aussi dénudé sur ses genoux ? Les policiers envi-
sageaient-ils un possible effacement de ce cliché compromet-
tant ? Selon la journaliste, ce document n’était pas le bon, et
il manquait beaucoup de clichés. Dans l’affaire du Coral, l’une
des photos examinées par les enquêteurs aurait correspondu
à ce même homme de loi, ami de Claude Sigala, et favorable
aux lieux de vie, mais cette hypothèse ne fut pas confirmée. Le
magistrat avait été conseiller au cabinet de Georgina Dufoix,
secrétaire d’État à la famille, de 1981 à 1984.
La réussite d’une telle enquête était condamnée d’avance.
Il suffit pour s’en persuader d’écouter la déclaration du subs-
titut du procureur de Paris pour les affaires de mineurs, Yvon
Tallec, le 16 mai 2000, soit peu après les premières révélations
Les élites, gangrène de l’innocence 47

de Laurence Beneux : « Les mineurs ont été photographiés,


la plupart du temps, avec leur accord ou l’accord de leurs
parents […]. Il faut aussi minimiser, en tout cas en France, la
portée de cette affaire, dans la mesure où de nombreux enfants
présentés ici ne sont pas des enfants français. »
Si l’on en croit cette autorité chargée de la protection des
petits :
–  un enfant peut consentir à se faire sodomiser et même
tuer, et la police peut déterminer sur une photo d’identité qui
est Français ou étranger…
–  des parents étaient consentants. Il s’agit de crimes, mais
Tallec n’a ouvert aucune information judiciaire contre ces
pervers…
« Nous nous sommes rendu compte qu’on allait vers l’étouf-
fement de l’affaire », a commenté Serge Garde pour le site
suisse Orgonite. Il y dénonce les mensonges de la justice et une
véritable pratique de la désinformation.
La version Bjorn Nijkamp, mise en pièces par les lanceurs
d’alerte, en aura été l’une des illustrations. Elle sera pourtant
accréditée par le quotidien Libération, encore pris dans un
carcan de tolérance avec la pédophilie, dans un article du
4 avril 2003. Son titre : « Le fichier douteux finit en non-lieu »,
aurait pu être écrit par la Chancellerie.

P/ De Zandvoort à Toulouse

Deux maires de Toulouse, devenus de hauts personnages


de l’État, ont été cités par la presse dans des affaires de pédo-
criminalité, mais sans subir les foudres de la justice. Dans les
CD-Rom de Zandvoort, un enfant de 11 ans, violé par son père
et un réseau, a été reconnu par sa mère lors d’un entretien au
CIDE de Lausanne en 2002 (cf. supra). « Le père de l’enfant
aurait dit un jour à sa belle-mère qu’elle ne pourrait de toute
façon rien faire contre lui parce qu’il était protégé par Domi-
nique Baudis », relève un rapport du Comité suisse. Cet ancien
maire de la Ville rose, devenu président du CSA (Conseil supé-
rieur de l’audiovisuel), avait été accusé en 2003 dans l’affaire
Patrice Alègre, avant d’être mis hors de cause, d’avoir participé
48 La Pédocratie à la française

avec le tueur en série à des soirées sadomasochistes, mêlant


actes de torture et de viol, y compris sur des mineurs. Baudis
avait été ensuite nommé président de l’Institut du monde
arabe puis Défenseur des droits. Ses obsèques ont été célébrées
aux Invalides en 2014 en présence du président Hollande.
Son successeur à la mairie de Toulouse, Philippe Douste-
Blazy, devenu ensuite ministre à plusieurs reprises, n’a quant
à lui jamais pu effacer la rumeur sur un épisode pédophile le
concernant en 2005 à la Mamounia, palace de Marrakech.

Q/ L’idole de 68, Dany le Rouge, vert pédophile

Le leitmotiv « Jouissez sans entraves », né sur les barricades


de la Sorbonne, a joué de biens mauvais tours au principal
animateur de mai 1968, Daniel Cohn-Bendit, pour avoir surfé
aux limites du Code pénal dans ses relations avec des enfants
après son expulsion de France le 21 mai 1968. Sa pédophilie
avouée, comme celle d’autres patrons des Grünen (Verts)
d’Outre-Rhin, reviendra comme un boomerang en pleine figure
sur ce rouquin allemand, naturalisé français ensuite, dont la
gouaille avait fait trembler le régime du général De Gaulle.
Éducateur dans une crèche alternative à Francfort (RFA),
il accorde une interview à la RTS (Radio-Télévision-Suisse) en
septembre 1975. « En ayant des expériences avec les gosses, en
jouant avec eux, en ayant des rapports émotionnels et même
sexuels, sexuels dans le sens émotifs, caresses, etc., j’ai appris
beaucoup sur ma propre personne », avoue-t-il alors.
La même année, il publie chez Belfond Le Grand Bazar,
désormais introuvable. Sans aucune gêne apparente, il se
confie : « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses
ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je
réagissais de manière différente selon les circonstances, mais
leur désir me posait un problème. Je leur demandais : “Pour-
quoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous
choisi, moi, et pas d’autres gosses ?” Mais s’ils insistaient, je
les caressais quand même. » « J’avais besoin d’être incondition-
nellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie
de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi. » Il
Les élites, gangrène de l’innocence 49

écrit aussi : « Mon flirt permanent avec tous les gosses prenait
vite des formes d’érotisme. Je sentais vraiment que les petites
filles, à cinq ans, avaient déjà appris comment m’emmener en
bateau, me draguer. C’est incroyable. La plupart du temps,
j’étais  désarmé. »
À l’époque, signe de ces temps obscurs hostiles à tous les
interdits jusqu’à l’abjection, aucun critique français n’avait
trouvé quoi que ce fût à redire sur ces jeux pour le moins aven-
tureux d’un révolutionnaire devenu député européen pour le
parti des Verts. Il fallut attendre… vingt-six ans, pour que cet
extrait soit mis sur la place publique en 2001, et en Allemagne,
par Bettina, la fille de la terroriste de la Fraction armée rouge
(FAR), Ulrike Meinhof, décédée en 1976 par suicide dans sa
prison de Stuttgart-Stammheim.
La reprise du texte dans de nombreux médias déclencha
une violente polémique en Europe, et notamment en France,
marquée par sinon le soutien, du moins une tolérance encore
solide dans l’intelligentsia parisienne. Comme tous les trans-
gresseurs de ces années-là, Cohn-Bendit invoquera, auprès
de l’hebdomadaire français L’Express, « l’humeur du temps,
(qui) était à la révolution sexuelle ». Même s’il y reconnaît son
« inconscience insoutenable », et qu’il se prenait pour le « carre-
four du gauchisme » à lui tout seul, il tempère son propos par le
fait qu’il aurait « raconté ça par pure provocation, pour épater
le bourgeois », mais finit par un aveu : « Sachant tout ce que je
sais aujourd’hui des abus sexuels, j’ai des remords d’avoir écrit
tout cela. »
Pour de nombreux observateurs de la vie politique fran-
çaise, cette épine a infecté sa biographie au point de gangrener
des ambitions supérieures à celles de député des Verts, ce qu’il
fut en France (1994-1999) puis en Allemagne (1999-2014).
Pendant la campagne des élections européennes en 2009, Fran-
çois Bayrou, président du MoDem, avait attaqué Cohn-Bendit :
« Je trouve ignoble, moi, d’avoir poussé et justifié des actes à
l’égard des enfants que je ne peux pas accepter. »
Cette offensive se poursuivit avec intensité en 2013. En
Pologne, le député dut renoncer en avril à participer à un
colloque à Wroclaw pour éviter une confrontation avec des
manifestants hostiles.
50 La Pédocratie à la française

En Allemagne, toujours en avril, il subit un affront public


retentissant. Andreas Vosskuhle, président de la Cour consti-
tutionnelle fédérale, renonce à lui remettre le prix Theodor
Heuss, avec une justification écrite : « Le Président ne pouvait
pas associer la Cour avec des écrits parlant de la sexualité
entre les adultes et les enfants. » Le quotidien de renom Frank-
furter Allgemeine Zeitung (FAZ) a révélé le 29 avril 2013 que les
archives sur Le Grand Bazar, y compris des lettres de parents
favorables ou non à son travail d’éducateur, avaient été mises
par l’auteur sous embargo pour une période de 60 ans.
Une telle décision ne peut qu’alimenter les rumeurs sur
d’autres commentaires ou documents gênants pour Cohn-
Bendit, d’autant que les Verts allemands ont donné à la
même époque libre cours à un appui formel à la pédophilie.
La FAZ révèle dans le même papier l’existence d’un texte
scabreux publié dans une revue d’extrême gauche de Franc-
fort, Plasterstrand, dont Dani le Rouge était le directeur de
la publication. « L’an dernier, une fillette de six ans m’a
séduit. Ce fut l’une des plus belles et des plus inimaginables
aventures que j’aie vécues », peut-on lire sous la plume d’un
militant.
Dans cette même année 2013, l’un des porte-parole des
Grünen, Hans-Christian Stroebele, ex-avocat des FAR, a
proposé de légaliser l’inceste, et un député du même parti
écologiste, Volker Beck, a une fois de plus demandé de dépé-
naliser la pédophilie.

R/ Frédéric Mitterrand : un touriste sexuel ministre de


Sarkozy

À l’image de Pierre Bergé, le neveu de François Mitterrand,


qui n’a jamais caché son homosexualité, louvoie quand il s’agit
de reconnaître ou démentir un attrait pour la pédophilie. En
tout état de cause, les rumeurs persistantes sur ce penchant,
attisées par son livre La mauvaise vie (Éditions Robert Laffont,
2006), ne l’auront pas empêché d’être nommé ministre de la
Culture par Nicolas Sarkozy en 2009, et d’y rester jusqu’à la
fin du mandat présidentiel.
Les élites, gangrène de l’innocence 51

Avant d’obtenir cette prestigieuse fonction dans le gouver-


nement de François Fillon, Frédéric Mitterrand, producteur
et homme de télévision, avait laissé planer un doute en 2005
dans une émission de l’animateur Thierry Ardisson sur le petit
écran : « Au-delà de quatorze ans, c’est dégueulasse ! », s’était-il
exclamé sous les rires des autres participants à propos des âges
jugés adéquats pour des relations sexuelles. Dans un pays où les
ballets bleus ou roses continuent de ponctuer les pages torves
de l’actualité, aucun des présents n’a émis la moindre protesta-
tion contre une sortie aussi contestable.
Son livre publié un an plus tard avait accentué les inter-
rogations. Comme ce n’est pas un roman, ni une fiction
déclarée, Mitterrand a éprouvé beaucoup de mal, face aux
violentes réactions négatives, à convaincre sur une confusion
entre la réalité de son tourisme sexuel et son imaginaire. Il
y évoque ses relations tarifées en Thaïlande, dont quatre
en vingt-quatre heures, avec des « garçons », terme qui prête
évidemment à confusion quand on parle de sodomie, ce
qui est le cas. Quelques extraits en témoignent : « Le garçon
marche dans la nuit à quelques pas devant moi. […] C’est
le quatrième depuis hier soir. […] J’ai tellement envie de lui
que j’en tremble. […] Tous ces rituels de foire aux éphèbes,
de marché aux esclaves m’excitent énormément. […] La
morale occidentale, la culpabilité de toujours, la honte que
je traîne volent en éclats ; et que le monde aille à sa perte,
comme dirait l’autre. […] Il me faut l’inconnu, la terre étran-
gère, le pays sans repère. Là où l’on ne saura jamais rien de
moi, il existe une chance, si ténue soit-elle, que j’obtienne
l’abandon et l’oubli, la rupture des liens et la fin du passé.
[…] Je pense souvent à lui, j’espère que personne ne lui a fait
de mal ; chaque fois que je vais avec un garçon, je le revois au
moins un instant, devant moi, dans l’affreuse chambre fermée
comme un bunker et j’ai l’impression de le trahir, lui, là-bas,
si loin, mon garçon de Patpong. »
Avec l’éclatement de l’affaire Matzneff à la fin de 2019,
Mitterrand a été invité à s’expliquer dans l’émission les Grandes
Gueules, sur RMC : « Je n’ai jamais été pédophile, je n’ai jamais
tenu de propos pédophiles. » « Je ne cherche pas l’absolution, je
ne cherche pas le pardon. J’essaye simplement de pouvoir me
52 La Pédocratie à la française

regarder dans la glace en me disant que je n’ai pas fait de mal »,


a-t-il assuré le 30 décembre 2019.
Mais sa position ambiguë sur le scandale déclenché par
le livre de Vanessa Springora, et son appui réitéré à Roman
Polanski malgré les multiples accusations de viol portées par
des victimes du réalisateur, ne contribuent pas à éloigner le
soupçon, aux yeux de ses contempteurs, et ils sont nombreux.
Mitterrand avoue ainsi au micro qu’il lui arrive assez souvent
d’être insulté dans le métro.
Dans cette émission, il ne condamnera à aucun moment les
horreurs pédocriminelles commises par Gabriel Matzneff, et
se contentera d’un subterfuge : « Je me méfie des phénomènes
de meute. »
La meute, cet ancien ministre en a été pourtant un membre
actif lorsqu’il s’est agi de défendre en 2009 le cinéaste franco-
polonais Roman Polanski après sa détention à Zürich (Suisse),
dans le cadre d’un mandat d’arrêt international délivré par les
autorités américaines. Le réalisateur avait fui des États-Unis en
1978, la veille de sa condamnation pour avoir eu des relations
sexuelles avec une fillette de 13 ans, Samantha Geimer. À cette
occasion, Frédéric Mitterrand, mis en cause pour La mauvaise
vie, avait reçu l’appui de médias comme L’Express. « La fachos-
phère accuse Frédéric Mitterrand de pédophilie », avait titré
l’hebdomadaire le 6 octobre 2009.

S/ Hamilton : la défloration de nymphettes, principal


objectif

Dans la chambre noire de son Leica, David Hamilton a


enfermé les premiers contours féminins de multiples jeunes
filles nubiles, avant de les coucher sur le papier, puis en plein
jour dans sa chambre, sans se limiter à leurs photos.
Autre succédané de l’héritage libertaire de mai 1968, ce
photographe anglais a failli finir sa vie sans avoir à rendre de
comptes sur ses menées pédocriminelles à l’issue de ses séances
de pose avec des filles prépubères.
Avec la libération de la parole sur les réseaux sociaux, les
victimes ont été de plus en plus nombreuses à sortir de leur
Les élites, gangrène de l’innocence 53

enfermement psychique pour révéler leur martyre. Ce fut le


cas de Flavie Flament, animatrice de télévision. En 2016, elle
révèle dans un livre, La consolation (Éditions JC Lattès), son viol
en 1987 à l’âge de treize ans, au Cap d’Agde (Hérault), par un
photographe mondialement connu.
Tous les regards se sont immédiatement portés sur le
Britannique, 83 ans. Sa victime n’avait pas révélé son nom,
mais le scandale a éclaté quand l’identité de Hamilton a été
donnée en direct par le présentateur d’un programme télévisé,
Thierry Ardisson.
Malgré ses démentis, le photographe a été rapidement mis
en cause par trois autres femmes, elles aussi violées à l’âge de
13 ou 14 ans. « Maintenant, tout passe pour porno. Un mot
qui n’a jamais rien eu à voir avec moi. L’érotisme, oui », avait-il
affirmé en 2013.
Ses clichés légèrement flous de jeunes filles en fleurs, nues
sous des gazes soyeuses, dans des tons pastel intimistes, ont
alimenté des calendriers, posters, cartes postales et livres par
millions. Un énorme succès avait accueilli son premier ouvrage,
Rêves de jeunes filles (Ed. Robert Laffont).
L’auteur du texte n’était autre que le pape du Nouveau
Roman, Alain Robbe-Grillet, lui-même un pédophile affirmé
(cf. infra).
Le 25 novembre 2016, David Hamilton était retrouvé mort
dans son appartement parisien, dans d’étranges circonstances.
Sa porte d’entrée étant ouverte, ses voisins l’avaient trouvé
sans vie, un sac en plastique sur la tête, dans un apparent
suicide.

T/ La plume jette le masque

Dans l’élite pro-pédophile protégée au nom du talent, les


écrivains tiennent une place de choix. Une thèse universi-
taire sur ce thème s’impose. La littérature contemporaine
continue de véhiculer une cohorte d’amateurs de petits garçons
ou fillettes depuis la fin du siècle dernier, avec Henry de
Montherlant, André Gide, Jean Cocteau, Roger Peyrefitte, et,
déjà évoqués, Gabriel Matzneff, Tony Duvert.
54 La Pédocratie à la française

a –  Michel Tournier : Président de l’Académie Goncourt


pendant 38 ans, décédé en 2016, le père du Roi des Aulnes,
Michel Tournier, éprouverait quelques difficultés aujourd’hui à
trouver un éditeur pour son imaginaire pédophile, comme dans
ce passage du même livre : « À l’opposé des fesses des adultes,
paquets de viande morte, réserves adipeuses, tristes comme
les bosses du chameau, les fesses des enfants vivantes, frémis-
santes, toujours en éveil, parfois haves et creusées, l’instant
d’après souriantes et naïvement optimistes, expressives comme
des visages ».
b –  Le duo Pascal Bruckner-Alain Finkielkraut : signataire
de la pétition pédophile de 1977, l’essayiste et romancier Pascal
Bruckner a accédé au fauteuil de nouveau juré à l’Académie
Goncourt le 11 février 2020, dans une totale indifférence
médiatique. Il est à l’évidence compliqué pour les critiques litté-
raires de remettre en cause l’image d’auteurs reconnus. C’est
encore plus difficile quand un personnage comme Bruckner,
fils chrétien d’un père pro nazi, est inséparable d’un Immortel
d’origine juive, Alain Finkielkraut. Les deux amis d’enfance,
outre leurs « folles soirées communes sous LSD », selon les révé-
lations de Bruckner, ont notamment coécrit Le nouveau désordre
amoureux (Ed. Le Seuil) en 1977, l’année même de la pétition
déjà évoquée. Les deux académiciens y encensent le pédophile
Tony Duvert : « Le corps de l’enfant demeure aujourd’hui en
Occident le dernier territoire inviolable et privé, l’unanime
sanctuaire interdit : droit de cité à toutes les “perversions”, à la
rigueur, mais chasse impitoyable à la sexualité enfantine, son
exercice, sa convoitise. La subversion, si l’on y croit encore, ce
serait de nos jours moins l’homosexualité que la pédérastie, la
séduction des “innocents” (d’où les scandales que provoquent
les livres de Tony Duvert alors qu’ils devraient stimuler, susciter
des vocations, dessiller les yeux). »
c –  Michel Polac : anarchiste dans l’allure, censeur à l’ar-
rière-plan, le fondateur de l’émission-culte Le Masque et la
Plume, sur France Inter, a animé une série d’émissions télévisées
polémiques, comme Post-scriptum et Droit de réponse, toutes deux
censurées. La première l’a été en 1971 pour apologie de l’inceste
dans un débat en soirée après le film Le souffle au cœur de Louis
Malle. La seconde s’était convertie en foire d’empoigne bien
Les élites, gangrène de l’innocence 55

arrosée entre invités éméchés avant sa suppression en 1987.


Polac détestait qu’on lui rappelle des écrits pédophiles pour-
tant publiés sous sa propre plume. Dans son Journal (Éd. PUF),
il faisait cet aveu : « Oui, j’ai vécu cela à 14 ans avec I. J’ai
défailli comme on disait au xviiie siècle, rien qu’en frôlant son
ventre nu avec mon ventre. De même avec un autre I. à 28 ans,
il avait 18 ans environ, mais ce fut moins foudroyant car je
l’avais pris pour un tapin : et enfin à 40 ans, avec ce curieux
gamin un peu bizarre, sauvage, farouche, un rien demeuré,
fils de paysan, orphelin peut-être, qui devait avoir 10, 11 ans,
peut-être moins, et qui m’a si étrangement provoqué jusqu’à
se coucher nu dans ma chambre d’hôtel en me racontant une
obscure histoire de relation sexuelle avec un homme de son
entourage et je me suis rapproché de lui, et il était nu sur le
côté, et j’ai seulement baissé mon pantalon et ai collé mon
ventre contre son cul, et j’ai déchargé aussitôt, en une seconde,
dans un éblouissement terrible, et il a eu un petit rire surpris
comme s’il s’attendait à ce que je le pénètre, il paraissait si
expérimenté, si précocement instruit, tout en ignorant ce que
cela signifiait, tout en étant capable de préciser ce qu’il savait
ou voulait. » Ce passage était cité en 2000 dans une émission
préenregistrée de Serge Moati, Ripostes. Polac, décédé en 2012,
avait demandé et obtenu qu’il fût censuré avant sa diffusion.
d –  Robbe-Grillet : l’auteur de Les Gommes1 n’a jamais effacé
sa pédophilie. Davantage connu à l’étranger qu’en France, le
romancier et cinéaste a abandonné sa formation d’ingénieur-
agronome pour cultiver sans aucun tabou sa passion pour
l’enfance. Le titre de son film de 1974, Glissements progressifs
du plaisir, pourrait servir d’illustration au dérapage collectif
des intellectuels de gauche français trois ans plus tard. Le pape
du Nouveau Roman en fait partie. Il est l’un des signataires
de la fameuse pétition dans Le Monde pour exiger une décri-
minalisation des relations sexuelles entre adultes et mineurs.
Dans la revue Lire, en 2001, il avoue : « Depuis l’âge de douze
ans, j’aime les petites filles et les adolescentes. Je ne l’ai jamais
caché, je n’ai jamais changé. » Son dernier roman, La Reprise

1. Robbe-Grillet Alain, Les Gommes, Paris, Les éditions de Minuit,


1953.
56 La Pédocratie à la française

(Édition de Minuit, 2001) s’attarde sur « des petites filles


érotiques », une « prometteuse nymphe en herbe », ou encore
une « adorable jeune fille (qui) fait la joie de messieurs ».
Il n’a jamais démenti avoir eu des relations sexuelles avec
des mineurs. Quand des journalistes du Monde lui ont posé la
question, avant sa mort en 2008, il les a expulsés de son domi-
cile en refusant de répondre.
Scénariste de L’Année dernière à Marienbad, réalisé par
Alain Resnais, Robbe-Grillet a même justifié indirectement la
pédophilie en 2001, dans la revue Lire, par des comparaisons
avec des personnages célèbres : « Quand j’ai connu le peintre
Balthus, il vivait avec Laurence Bataille, la fille de Georges et
Sylvia Bataille. Laurence avait douze ans et cela ne choquait ni
la petite fille, ni ses parents, ni Balthus. […] Goethe, à la fin de
sa vie, écrivit la célèbre “Élégie de Marienbad” pour son dernier
grand amour, une petite fille de treize ans et demi. La Juliette
de Shakespeare avait le même âge ! » Il convient de préciser que
la fille de Laurence Bataille, Sandra Basch, avait aussitôt réagi
en affirmant que sa mère avait dix-sept ans, et non douze, lors
de cette rencontre.
e –  Roger Peyrefitte et Françoise Giroud : en 1967, l’écri-
vain Roger Peyrefitte publie Notre Amour (Flammarion), qui
raconte son « histoire » avec un enfant de 12 ans. « Ce n’est
pas sans réflexion qu’un homme de mon âge livre au public
une pareille confession », dit-il, installé à côté de la journaliste
Françoise Giroud.
La féministe et future secrétaire d’État à la condition fémi-
nine sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, loin de s’en
émouvoir, va dans son sens : « Pour être singulier aujourd’hui,
il faut dire toute sorte d’autres choses. Mais dire “Je préfère
les petits garçons aux dames”, ça n’est véritablement pas scan-
daleux. » L’écrivain avait eu le temps, en 1943, de publier
un autre roman sulfureux, Les Amitiés particulières, en pleine
occupation allemande, alors qu’il travaillait au Quai d’Orsay
comme diplomate sous les ordres du collaborateur François de
Brinon, fusillé en 1947.
Les élites, gangrène de l’innocence 57

U/ Le prince des arts casse un diamant

Marchand d’art, galeriste, éditeur, et fondateur de la célèbre


revue Cahiers d’art, créée en 1926, l’immigré grec Christian
Zervos a rassemblé autour de lui, dans l’entre-deux-guerres,
les futurs grands noms de la peinture moderne, de la sculp-
ture, et de la littérature. La renommée de Picasso entre autres
doit beaucoup aux monographies, illustrées de photos, de son
œuvre en cours de création. Il sera aussi l’un des fondateurs du
Festival d’Avignon.
Quand son épouse et lui rencontrent à Vézelay, en 1942,
une pupille de la Nation, Yvonne Thomas, placée dans une
famille d’accueil, ils n’ont qu’un cri : « C’est un diamant brut ! »,
et ils l’adoptent sur-le-champ. La jolie petite fille, illettrée, n’a
que treize ans. Au contact des futurs géants des arts à Paris,
elle révèle des dons pour la peinture, se perfectionne sous la
houlette de… Picasso, compose de nouveaux « cadavres exquis »
avec Georges Bataille et Jean Giono, se confie à Paul Eluard,
reçoit une œuvre de Giacometti. Elle assiste aux beuveries de
ce gotha artistique, voit Picasso signer des faux pour aider un
ami, et échappe aux entreprises du poète René Char.
Mais Zervos casse vite le diamant brut. Un jour, il lui
demande de « moucher l’outil à pipi ». C’est le premier d’une
longue série de viols sur l’adolescente. Encore mineure, elle
fuira cet homme méphitique pour passer le reste de sa vie
en Israël avec son futur mari, l’avocat Sacha Szuczupak. Les
grands noms de l’art contemporains continueront d’aller
savourer l’eau-de-vie chez Zervos sans oublier de fermer les
yeux sur ses pratiques criminelles.
Yvette Thomas a raconté ce drame dans ses mémoires
Un diamant brut, (Éditions Métailié) publiées en 2008, cinq
ans après sa mort.

V/ L’héritage négatif de Freud

Une enquête sur les perversions sexuelles d’ordre criminel


ne peut occulter le rôle néfaste du fondateur de la psychanalyse
58 La Pédocratie à la française

dans la vision des rapports affectifs entre adultes et enfants.


Il est désormais acquis que Sigmund Freud a renié sa « théorie
de la séduction », sur l’attribution de la plupart des troubles
psychiques de l’adulte à des agressions sexuelles dans l’enfance,
au profit du contestable complexe d’Œdipe et des prétendus
« fantasmes » sexuels infantiles.
Cette mutation s’explique certainement par le propre refou-
lement de son enfance, marquée par l’empreinte d’un père
incestueux, Jakob, et a fortiori par la hantise de choquer le
milieu bourgeois auquel il aspirait d’appartenir. S’il est passé
de « je crois les enfants » à « je crois que les enfants inventent
des histoires », selon l’ancien codirecteur des Archives Freud,
l’Américain Jeffrey M. Masson, c’est parce qu’il s’est trouvé
« dans une position trop inconfortable vis-à-vis de ses collègues,
et de toute la société viennoise d’ailleurs. Il aurait fallu un
courage formidable pour demeurer du côté des victimes inno-
centes face à leurs agresseurs, un courage que personne n’avait
jamais eu à cette époque ».
Si Freud n’est bien entendu pas responsable d’une pédocri-
minalité millénaire, ses théories en la matière ont pour le moins
figé la pensée au détriment de l’enfance, et favorisé les dérives
constatées dans les années post-soixante-huitardes.

W/ L’héritier de Freud : un Sir violeur

Le Britannique Clément Freud, petit-fils de Sigmund, a


eu le temps de passer trente ans à la BBC comme animateur,
puis quatorze ans aux Communes (1973-1987) comme député
libéral, d’être anobli par la Reine, et enfin de décéder en 2009
sans avoir eu à rendre des comptes à la justice pour les viols
qu’il avait commis sur trois fillettes au siècle dernier. Devenues
adultes, elles ont dénoncé ses agissements dans un documen-
taire diffusé à la télévision britannique en 2016. La veuve de
Sir Freud, effondrée, a demandé pardon aux victimes.
Détail troublant : ce pervers était ami avec les parents de
Madeleine McCann, la fillette britannique de trois ans disparue
en 2007 à Praia da Luz au Portugal, et jamais retrouvée. Il les
avait invités à dîner chez lui quelques semaines plus tard.
Les élites, gangrène de l’innocence 59

X/ Françoise Dolto, biberon des pédophiles

Pour les millions de mères nourries par les ouvrages de la


papesse de la psychologie infantile, il aura été dur, si elles ont
lu ce qui suit, d’apprendre les horreurs sur l’inceste pronon-
cées par Françoise Dolto en 1979. Les prédateurs d’enfants
y auront puisé justifications et encouragements à poursuivre
leurs déviances criminelles.
L’illustre féministe Gisèle Halimi, en passe d’être panthéo-
nisée pour sa lutte contre la pénalisation de l’avortement,
avait fondé le mouvement Choisir. La cause des femmes. Sous
le titre Les enfants en morceaux, le n° 44 de la revue éponyme
consacre un long dossier aux violences contre les mineurs.
Mme Dolto y répond aux questions d’une journaliste : « Dans
l’inceste père-fille, la fille adore son père et est très contente de
pouvoir narguer sa mère […]. C’est sa fille, elle est à lui. Il ne
fait aucune différence entre sa femme et sa fille. La plupart des
hommes sont de petits enfants. Alors la responsabilité de père,
à ce niveau…
–  Donc, la petite fille est toujours consentante ?
–  Tout à fait.
–  Mais enfin, il y a bien des cas de viol ?
–  Il n’y a pas viol du tout, elles sont consentantes.
–  Quand une fille vient vous voir et qu’elle vous raconte
que dans son enfance son père a coïté avec elle et qu’elle a
ressenti cela comme un viol, que lui répondez-vous ?
–  Elle ne l’a pas ressenti comme un viol. Elle a simplement
compris que son père l’aimait, et qu’il se consolait avec elle
parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui. »
CHAPITRE II

La pédophilie, cactus intouchable

L’État, les pouvoirs législatifs et judiciaires, ainsi que les


corps constitués restent un bloc rétif à un combat de front
contre la pandémie des violences sexuelles sur les mineurs. Les
rares exceptions confirment la règle. Que le crime de viol contre
un bébé ne soit toujours pas imprescriptible en 2021 témoigne
d’une tolérance qui bénéficie aux prédateurs et pénalise les
victimes. Que les juges continuent d’invoquer le prétendu
consentement d’un mineur victime dans les prétoires pour
requalifier un viol en atteinte sexuelle – soit non plus un crime
mais un délit –, indigne les défenseurs de l’enfance.

A/ 0,3 % des viols d’enfants devant la justice

Le viol de mineurs en France présente un tableau sans appel :


0,3 % seulement des victimes verra un jour le prédateur affronter
la justice, sans même qu’il soit toujours condamné, selon le dernier
bilan en 2018 de l’Observatoire national de la délinquance et des
réponses pénales (ONDRP). L’ex-secrétaire d’État à l’Égalité entre
les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, avait évoqué le
chiffre de 1 %. Selon le même Observatoire, les condamnations
pour viols sur mineurs ont chuté de 40 % en dix ans.
165 000 enfants – 130 000 filles et 35 000 garçons – sont
victimes chaque année de viols ou tentatives, selon Mémoire
traumatique et Victimologie. Les mineurs sont les princi-
pales cibles de violences sexuelles. 94 000 femmes majeures et
16 000 hommes majeurs souffrent de ces fléaux dans le même
laps de temps.
62 La Pédocratie à la française

Une nouvelle enquête, conduite du 10 au 19 septembre


2019 par Ipsos pour cette association, révèle qu’une fille sur
cinq et un garçon sur treize en sont victimes. 81 % de l’en-
semble des violences sexuelles débutent avant 18 ans, 51 %
avant 11 ans, et 21 % avant 6 ans.
L’agresseur est dans neuf cas sur dix un homme, âgé en
moyenne de 30 ans, mineur dans 30 % des cas, et dans plus
d’un quart des cas les victimes savent qu’il a fait d’autres
victimes.

B/ 50 % de tentatives de suicide

Plus de la moitié des victimes ont souffert d’épisodes dépres-


sifs et de troubles anxieux (55 %), près de 50 % des victimes
de viols dans l’enfance ont fait des tentatives de suicides, plus
de 50 % ont présenté des troubles alimentaires, plus d’un
tiers des conduites addictives, selon le même rapport. Les
situations d’arrêt de travail, d’invalidité, de reconnaissance de
handicap, sont bien plus fréquentes, de même que les situa-
tions de grande précarité (16 %), de période sans domicile fixe
(13 %), et les situations prostitutionnelles (13 %). Il est à noter
que les hommes sont plus nombreux à en souffrir. 

C/ Les petits pas du pouvoir

En plein éclatement du mouvement MeToo contre les


violences sexuelles faites aux femmes, le président Emmanuel
Macron a présenté son plan contre les violences sexuelles, le
25 novembre 2017, comme la grande cause du quinquennat.
Devant les associations de défense des mineurs victimes, il
s’était prononcé pour l’adoption d’un seuil d’âge légal du
consentement dans les relations sexuelles avec des adultes, et
avait même avancé l’âge minimum de quinze ans.
Un an plus tard, son projet, devenu la loi Schiappa, s’est
rétréci dans les faits comme une peau de chagrin. Aucun seuil
d’âge de consentement n’a été fixé, et cette absence a laissé
tout loisir aux magistrats d’interpréter la loi, y compris de
La pédophilie, cactus intouchable 63

qualifier un crime de viol, passible des Assises, en un délit


jugé en correctionnelle. Cette pratique ne cesse de s’intensifier
en France, faute de moyens pour assurer des procès toujours
longs, parfois supérieurs à un mois. Dans le dernier tableau
publié par la Commission européenne en 2019, la France figure
à la 24e place sur les 28 pays membres, en nombre de juges
par habitant.
Les engagements initiaux du président avaient été suscités
par deux scandales judiciaires médiatisés en 2017. Dans des
procès pour viols, deux fillettes de onze ans, Sarah à Pontoise,
et Justine à Meaux, avaient été considérées comme consen-
tantes par la justice. Le Parquet de Pontoise avait déqualifié les
viols en atteinte sexuelle, donc en un délit passible non plus
des Assises mais de la correctionnelle, avec une peine de prison
maximale prévue de 5 ans, au lieu de 20 ans de réclusion crimi-
nelle devant un jury populaire. À Meaux, les Assises avaient
acquitté le prédateur, âgé de 22 ans. Ces décisions avaient
soulevé une vague d’indignation et précipité la mobilisation du
gouvernement. À cette époque, 81 % des Français interrogés
dans un sondage avaient souhaité l’inscription d’un seuil d’âge
du consentement sexuel dans le Code pénal.
À son tour, en mars 2018, Marlène Schiappa annonce que
l’âge minimum de consentement sera fixé à 15 ans, et que
les délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs
passeront de 20 à 30 ans après la majorité, soit jusqu’à l’âge
de 48 ans.
Mais un coup de théâtre survient un mois plus tard. Si la
prescription à 30 ans après la majorité est bien adoptée, le
seuil de présomption de non-consentement irréfragable est
par contre rejeté, après avis du Conseil d’État. En clair, ce
seuil, déjà reconnu en Espagne et au Royaume Uni, consi-
dérait comme victime de viol tout mineur de 15 ans en cas
de relation sexuelle avec un adulte. L’enfant n’aurait pas eu
à démontrer, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans de
multiples procès, qu’il n’était pas consentant. Pour le secré-
taire général du Syndicat de la magistrature (extrême gauche),
Jacky Coulon, cité par l’hebdomadaire Marianne : « L’automa-
ticité qu’induit ce seuil bafoue la présomption d’innocence.
L’inclure dans un texte le rendrait inconstitutionnel. » Un
64 La Pédocratie à la française

colloque organisé à Paris-Assas à la même époque par le


psychiatre Gérard Lopez, cofondateur de l’Institut de victi-
mologie, a démontré qu’il n’en était rien.
Cette interprétation révolte les défenseurs des enfants,
car le texte adopté exige que la victime prouve avoir subi une
contrainte ou été sous le coup de la surprise, dans un contexte
d’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du
discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Ce savant
galimatias laisse entendre que tout mineur en proie aux pour-
suites assidues d’un pédophile n’a guère de possibilité de le voir
un jour lourdement condamné s’il passe à l’acte.
Le réveil des victimes abusées n’intervient souvent qu’après
des décennies de rejet dans l’inconscient. J’en ai eu la démons-
tration lors d’une tournée de conférences dans le sud de la
France en 2013 sur le scandale des enfants violés à Outreau
et violentés verbalement aux Assises par les avocats de la
défense. Nombre de femmes victimes de prédateurs durant
leur enfance, âgées alors de plus de quarante ans, ont pris la
parole, en pleurs, pour révéler que la prise de conscience de
leurs martyres n’était que récente.
Mais le scandale Duhamel a provoqué une volte-face du
pouvoir. Un texte de la sénatrice Annick Billon, adopté le
21 janvier 2021, et visant à retenir l’âge de 13 ans comme
seuil pour le consentement sexuel, a vite été mis aux oubliettes.
« Tout acte de pénétration sexuelle, accomplie par un adulte
sur un mineur de moins de 15 ans, sera considéré comme un
viol », a annoncé le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, le
9 février 2021.

D/ Les craintifs disciples d’Hippocrate

Doute, indifférence, ou peur : ces sentiments expliquent


sans aucun doute la tendance générale du corps médical à
éviter les signalements quand la consultation d’un enfant
révèle de possibles atteintes à son intimité physique. Si le
Sénat, habituellement mesuré, a proposé d’obliger les médecins
à dénoncer les abus sexuels, c’est que leur carence a dépassé les
limites acceptables.
La pédophilie, cactus intouchable 65

La plupart des praticiens se retranchent derrière le secret


médical, comme celui de mon village que j’ai interrogé à ce
propos le 29 février 2020.
« 79 % des professionnels de la santé, conclut un récent
rapport, ne font pas le lien entre les violences subies dans
l’enfance (avec le traumatisme que cela a engendré) et leur état
de santé. Il faut rappeler que les professionnels de la santé sont
très peu nombreux à être formés spécifiquement. »
Mes multiples contacts avec des victimes ont aussi révélé
le cas de signalements médicaux non pris en compte ou perdus
dans des dossiers judiciaires. Le scandale d’Outreau en est
une illustration, parfaite pour les prédateurs et dramatique
pour les victimes, mais l’affaire Joël Le Scouarnec dépasse
l’entendement.
Pendant trente ans, ce chirurgien a violé 312 mineurs sur
leurs lits d’hôpitaux dans une dizaine d’établissements de
l’ouest de la France, filmé ses exactions, et relaté chaque soir
ses crimes dans un carnet, malgré une condamnation en 2005
à quatre mois de prison avec sursis pour recel d’images pédo-
pornographiques et le signalement sans conséquences en 2015
d’un de ses collègues. Il s’agit du pédocriminel n° 1 de l’histoire
française. Son arrestation en 2017, grâce au témoignage d’une
fillette de six ans à Jonzac (Charente-Maritime), a été connue
à la fin de 2019.
« Tout en fumant ma cigarette du matin, j’ai réfléchi au
fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibition-
niste […], voyeur […], sadique […], masochiste […] scato-
logique […], fétichiste […], pédophile […]. Et j’en suis très
heureux », écrivait-il le 10 avril 2004 dans ce qu’il avait baptisé
Mon journal intime, ainsi que l’a révélé FranceTVinfo.
Son épouse a eu des doutes en 1996, mais n’a rien dit,
sa sœur savait mais s’est tue, et le président de l’Ordre des
médecins du Finistère reste alors indifférent aux avertisse-
ments de praticiens de l’hôpital de Quimperlé. À l’hôpital de
Jonzac, le chirurgien a exercé de 2008 à 2017. La directrice
de l’établissement avait pourtant été informée de sa précé-
dente condamnation.
En 2006, un collègue de Le Scouarnec à l’hôpital de Quim-
perlé, le psychiatre Thierry Bonvalot, avait lancé l’alerte, mais
66 La Pédocratie à la française

en vain. Président de la commission médicale d’établissement,


il apprend que le chirurgien a pris la fuite après une compli-
cation pendant l’opération d’un enfant, et qu’il défend un
autre collègue condamné à 18 ans de prison pour viols. Le
psychiatre prévient le directeur de l’établissement oralement
et dans une lettre. Il y met en doute « la capacité du Dr Le
Scouarnec à garder toute sa sérénité au contact de jeunes
enfants ». L’Ordre des médecins du Finistère est informé. Ce
dernier convoque Joël Le Scouarnec le 22 novembre 2006,
prévient le Conseil régional de l’ordre et la Ddass (direction
départementale des affaires sanitaires et sociales, devenue
d’Aide sociale à l’enfance). Rien ne se passe. Le Dr Bonvalot
contacte le maire de Quimperlé, Daniel Le Bras, anesthésiste
à l’hôpital. Le Scouarnec n’est toujours pas inquiété. Thierry
Bonvalot décide alors de parler lui-même à Joël Le Scouarnec,
révèle FranceTVinfo. « Je suis allé le voir, je lui ai formulé le
fait qu’à mon avis il y avait quelque chose de dangereux dans
sa pratique chirurgicale, quelque chose de délétère, raconte-t-
il. Je lui ai dit que sa place n’était pas à l’hôpital, et je lui ai
demandé de démissionner. » Face à lui, le chirurgien marque un
long silence, avant de répondre : « On ne peut pas m’y obliger. »
Conséquence de cette série de couacs : Joël Le Scouarnec a pu
agresser 69 victimes supplémentaires depuis sa condamnation
en 2005, selon un décompte réalisé par Franceinfo et la cellule
investigation de Radio France.
Fondé par le maréchal Pétain en octobre 1940, le conseil de
l’Ordre des médecins s’est à nouveau distingué en février 2021.
Après avoir longtemps fermé les yeux sur le scandale Le
Scouarnec, il a ouvert la trappe sous une pédopsychiatre de
Toulouse qui défend les enfants : Eugénie Izard. Pour avoir
fait en 2015 un signalement à un juge des enfants sur les
maltraitances (non sexuelles) infligées à un garçonnet par son
père médecin, elle vient d’être condamnée par l’Ordre à une
interdiction d’exercer pendant trois mois.
Cette sanction a déclenché une multitude de réactions
indignées, favorables à cette pédopsychiatre qui a créé en 2014
le REPPEA (Réseau de professionnels pour la protection des
enfants et des adolescents). Dans un texte publié le 20 février
2021, elle en justifie ainsi la fondation : « Je fais face seule à
La pédophilie, cactus intouchable 67

un déni socio-judiciaire majeur qui s’est installé après l’affaire


d’Outreau, les enfants sont définitivement considérés comme
n’étant plus crédibles par la plupart des professionnels. Malgré
les signalements opérés, ces enfants sont quasi systématique-
ment renvoyés chez leur parent agresseur. » Son témoignage est
publié sur le site du REPPEA : https://reppea.wordpress.com/

E/ Haro sur l’Église…

La succession de procès, documentaires et films sur la pédo-


criminalité chez les prêtres avait fini, jusqu’à une période
récente, à en faire les boucs émissaires d’une déviance que
n’auraient pas partagée les autres classes sociales.
Avec le succès de Spotlight, Oscar du meilleur film en 2016,
l’image s’était imprimée dans les esprits d’une damnation priori-
taire dans le Sodome et Gomorrhe séculier. Ce long-métrage met
en scène les viols en série commis sur des enfants par des prêtres
catholiques au travers des États-Unis, avec la couverture de l’ar-
chevêque de Boston Bernard Law, exfiltré en 2003 par le Vatican
pour échapper aux poursuites de la justice américaine. Le récent
film français Grâce à Dieu, de François Ozon, dans la même
veine, s’inspire de l’affaire du père pédophile Bernard Preynat,
lui aussi protégé par le cardinal de Lyon Philippe Barbarin.
Le déferlement au premier trimestre 2020 des scandales
Gabriel Matzneff, Adèle Haenel, Sarah Abitbol, ainsi que le
rebondissement des affaires Roman Polanski et Woody Allen,
ont rééquilibré les plateaux de la balance vers une perception
différenciée du contexte pédocriminel français.
Une enquête de la société Mémoire traumatique fournit
ainsi une statistique instructive. Elle révèle que les garçonnets
subissent dans l’ordre des atteintes sexuelles d’abord dans le
milieu familial (35 %), puis pendant les activités scolaires ou
extra-scolaires (30 %), et seulement 7 % dans le cadre d’acti-
vités religieuses.
Ce constat glaçant, bien mal connu des parents d’élèves et
du grand public, confirme l’existence de la loi du silence dans
un milieu de l’enseignement pourtant responsable d’enfants
qui passent la moitié de leur temps sur les bancs de l’école.
68 La Pédocratie à la française

F/… Et omerta pour école

Les exemples fourmillent sur l’indifférence coupable de


professeurs, instituteurs et directeurs face à des élèves en souf-
france, ainsi que j’ai pu le vérifier pendant dix ans dans des
dossiers judiciaires. Comportements sexualisés, anorexies,
douleurs abdominales, énurésies, anémies, fugues, scarifica-
tions, automutilations ou marques de coups constituent des
symptômes probables de violences sexuelles. L’obligation pour
le corps enseignant de procéder à un signalement mériterait
d’être davantage respectée.
Un exemple récent, inqualifiable, concerne le viol en
réunion d’une fillette de treize ans en mars 2019 au collège
Lamartine à Toulouse. Ce crime collectif a été maintenu secret
pendant sept mois, sans un seul dépôt de plainte et sans aviser
la famille, par la direction et le personnel, pourtant en posses-
sion de vidéos de l’agression. Ce n’est qu’en septembre que la
maman a appris le drame, non par la direction, mais grâce aux
confidences d’une employée du collège désireuse de libérer sa
conscience. Les trois violeurs ont été arrêtés et incarcérés en
octobre. Mais il y a pire, raconte la maman : « J’étais allée voir
(la direction) à plusieurs reprises car ma fille allait très mal et
je ne comprenais pas. À chaque fois on me jetait quasiment à la
porte ». Elle a porté plainte contre la direction pour son silence.
Le procès contre ce mutisme coupable d’une entité scolaire,
s’il a lieu, permettra de mettre en lumière une tendance à
l’omerta trop souvent présente.
Cette loi du silence s’exerce aussi dans une connivence de
fait avec les enseignants prédateurs dans une multitude de
dossiers. Quand les procureurs ne les classent pas sans suite, les
plaintes et enquêtes ne sont pas souvent rendues publiques. Si
elles aboutissent, les peines sont bien souvent légères ou assor-
ties du sursis. Même les syndicats de l’enseignement n’hésitent
pas dans certains cas à soutenir la réintégration de collègues
déjà poursuivis.
Les cas sont enfin légion d’enseignants condamnés, mais
maintenus dans l’Éducation nationale, puis mutés dans une
La pédophilie, cactus intouchable 69

autre ville après avoir purgé leur peine, sans même que leur
casier judiciaire ne soit transmis à l’Éducation nationale.
Cette aberration a été dénoncée par Ségolène Royal le
3 janvier 2020 au micro de BFM-TV. Ministre de l’Enseigne-
ment scolaire de 1997 à 2000, elle a évoqué une complaisance
à l’égard des prédateurs, et « cette période de souffrance lors
des premières instructions contre la pédophilie dans le milieu
scolaire. C’était un tabou. Avant, on mutait discrètement les
pédophiles, si possible outre-mer, comme ça c’était loin, on
n’en entendait plus parler ». Elle avait évoqué par la suite
d’autres mutations en milieu rural isolé.
Interrogé à son tour, Jean-Michel Blanquer, à son poste
aujourd’hui, a étrangement démenti son ex-collègue, dans
une méconnaissance démontrée des dossiers antérieurs : « Je
pense que tout ceci n’a pas de fondement », dit-il.
Pourtant, Mme Royal avait été la première dans les milieux
politiques à combattre ce fléau. Son Instruction de 1997
concernant les violences sexuelles, a rappelé Libération, réitérait
l’obligation de signalement aux recteurs, inspecteurs et plus
généralement à toute la communauté scolaire, en cas de remon-
tées de faits pouvant s’apparenter à de la pédocriminalité.
En 2001, l’ex-ministre avait même mis en cause une « loi du
silence » autour des violences sexuelles sur des enfants dans des
établissements scolaires : « Dès notre arrivée rue de Grenelle,
nous avons confié à l’inspection générale une enquête. Elle
a confirmé l’existence d’une véritable “culture de l’étouffe-
ment”. » Un rapport commandé par elle la même année, mais
resté secret et publié en partie par Libération le 12 février
2020, révélait l’existence à l’époque de « vingt-deux muta-
tions pour agressions sexuelles ou pédophilie ». Ce terrible
aveu n’a pas provoqué le moindre remue-ménage dans l’Édu-
cation nationale.
La petite ville de Villefontaine (Isère) a été le cadre en
mars 2015 du plus grand scandale connu de pédocrimina-
lité dans l’Éducation nationale. Un professeur et directeur
de l’école primaire locale, Romain Farina, est arrêté, mis en
examen pour viols aggravés et détention d’images pédoporno-
graphiques, puis incarcéré après les révélations de deux fillettes
de six ans. Il sera par la suite radié de l’Éducation nationale.
70 La Pédocratie à la française

Les policiers vont découvrir que ce père de famille de


45 ans avait été l’auteur de violences sexuelles sur quatre-
vingts enfants pendant ses quatorze années d’enseignement
dans sept établissements différents. Personne jusque-là dans
ses écoles n’avait rien su, rien entendu, rien vu. Son mode
opératoire ? Des ateliers de goût. Les yeux bandés, les fillettes
et garçonnets étaient invités à identifier, derrière un paravent,
ce qu’il leur proposait d’ingérer, soit une fellation. Ces séances
étaient filmées par le prédateur.
La poursuite de l’enquête allait devenir explosive pour les
autorités scolaires et la justice. En 2001, Farina avait déjà fait
l’objet d’un signalement, « qui n’avait pas été considéré comme
sérieux », selon l’avocat indigné d’une victime.
Puis, en 2008, Pédomaster – le surnom qu’il se donnait – avait
écopé de six mois de prison avec sursis pour détention d’images
pédopornographiques. Aucune mesure d’éloignement vis-à-
vis d’enfants n’avait été imposée par la justice à cet homme,
uniquement soumis à une obligation de soins. Il avait pourtant
continué à exercer, y compris ses criminelles turpitudes.
La découverte de ces tolérances à répétition avait contraint
la ministre de l’Éducation de l’époque, Najat Vallaud-Belkacem
à reconnaître que « l’affaire de Villefontaine malheureusement
n’est pas un cas isolé ». « La non-transmission par la justice des
condamnations à l’Éducation nationale est plus fréquente que
nous le pensions », avait-elle ajouté.
Un an après son interpellation, Romain Farina s’était
suicidé dans sa cellule.
Deux mois plus tard, la mansuétude de la justice se mani-
festait à nouveau, cette fois à Maisons-Alfort (Val-de-Marne).
Après quatre plaintes d’élèves et une perquisition à son domi-
cile, un professeur de technologie du collège privé Sainte-
Thérèse de Maisons-Alfort était mis en examen pour des
agressions sexuelles sur une dizaine d’enfants de trois écoles,
et détention d’images pédopornographiques. Suspendu par
mesure conservatoire par le rectorat de Créteil et remplacé,
l’homme d’une cinquantaine d’années n’a pas été condamné à
une peine de prison. Il a été placé sous contrôle judiciaire, avec
obligation de se soigner et de ne plus s’occuper de mineurs.
L’institut de Victimologie, avec Gérard Lopez et la psychologue
La pédophilie, cactus intouchable 71

clinicienne Barbara Chistoni, était intervenu à la demande des


parents d’élèves, contre l’avis de l’académie de Créteil, pour
faire un « débriefing psychoéducatif » en présence des parents
et du personnel.
Un an exactement après le scandale de Villefontaine, en
mars 2016, l’association Innocence en danger (IED) a dénoncé
l’omerta toujours en vigueur dans le milieu scolaire malgré les
mesures alors annoncées par le ministère de l’Éducation natio-
nale pour prévenir les actes de violences sexuelles au sein des
écoles.
Sur dix-huit affaires de pédophilie actuellement suivies par
cette association de protection de l’enfance, trois directeurs
d’école, dix enseignants dont une femme, un assistant maternel
et quatre animateurs sont mis en cause, avec aucune révocation
et seulement trois suspensions.
Un autre scandale, mettant en cause cette fois les syndicats
de l’enseignement, est survenu au moment même où IED
dénonçait ces dérives. On venait d’apprendre qu’un enseignant
en mathématiques dans un collège de Villemoisson-sur-Orge
(Essonne), mis en examen et écroué pour agression sexuelle
d’un mineur, avait déjà été condamné à 15 mois de prison
pour des faits similaires en Angleterre en 2006. À son retour
en France, en 2007, il avait cependant été autorisé à y exercer
son métier par la commission administrative paritaire (CAP)
de l’Éducation nationale, composée pour moitié de délégués
du rectorat et de représentants syndicaux du personnel. La
ministre de l’Éducation avait alors dénoncé un dysfonctionne-
ment insupportable.
Le SNES, principal syndicat d’enseignants du second degré,
avait alors protesté contre cette mise en cause, d’autant plus
justifiée pour la ministre que la réintégration de ce profes-
seur avait été votée à l’unanimité. L’enquête avait révélé deux
mois plus tard que son téléphone contenait « plusieurs milliers
d’images et vidéos pédopornographiques » et « des captures
d’écran mettant en scène le propriétaire de ce téléphone dans
des échanges de nature sexuelle avec un mineur résidant
à l’étranger ».
Dans tous ces dossiers criminels, l’omerta une fois levée
retombe. La preuve en est l’absence de suivi par les médias
72 La Pédocratie à la française

dans chacun des dossiers évoqués. En 2020, la presse ne donne


même plus le nom des pédocriminels quand ils sont incarcérés,
sauf rares exceptions comme le médecin Le Scouarnec.

G/ Une justice souvent complice

Les associations de défense des victimes dénoncent « l’im-


punité scandaleuse » des prédateurs, « qui s’aggrave depuis
dix ans », et l’urgence de « sortir du déni et de rendre justice
à toutes les victimes de violences sexuelles de l’enfance ». Ce
constat unanime chez les ONG en contact avec les enfants
concerne donc d’abord l’écoute des victimes, puis la punition
des prédateurs.
Le viol a été pendant si longtemps rejeté dans l’ombre, au
point de rester encore aujourd’hui « un impensé total », selon
la formule de la journaliste Giulia Fois, elle-même victime,
que son impact n’est pas toujours compris. Un enfant frappé
par une telle monstruosité en sort, quand il n’est plus sous la
coupe du prédateur (comme le père), dans un état dit de sidé-
ration. Il se relève, à califourchon sur deux vies : celle qu’il tente
d’enfouir dans son subconscient, et la vraie déjà couturée de
blessures. Le petit, à moins d’être adolescent – et encore – ne
va pas courir au commissariat ou à la gendarmerie pour porter
plainte. Il se tait, et s’il commence à parler à un proche, la
terreur va l’empêcher d’aller à la police, pour lui réservée aux
bandits. Il a honte, et exige le silence pour ne pas être moqué
par ses camarades. Alors, quand tous ces obstacles d’apparence
insurmontables sont franchis, et que la victime se décide à
franchir la porte de ces fonctionnaires responsables de la sécu-
rité des personnes, un nouvel écueil apparaît. La victime n’est
pas automatiquement crue, sauf exceptions. Elle le sent. Le
policier n’est pas toujours formé à cette écoute, il est en tenue
et non pas en civil, armé, dans un bureau de la maréchaussée,
en contradiction totale avec la réforme instaurée en principe
par Elisabeth Guigou, alors ministre de la Justice, en 2002.
Elle annonçait l’installation de salles Mélanie, avec agent en
civil, dans un cadre ludique, et enregistrement audiovisuel obli-
gatoire de la plainte pour éviter à l’enfant d’avoir à répondre
La pédophilie, cactus intouchable 73

X fois aux mêmes questions et limiter ainsi les auditions. Dix-


neuf ans après, les Mélanie sont loin d’être la loi commune.
Seize d’entre elles ont été installées par une association, La
Mouette, alors que la responsabilité en incombe à l’État.
Plus récemment, le ministère de l’Intérieur a adopté le
Protocole du NICHD (National Institut for Children Health
and Development), introduit en France par Mireille Cyr,
une professeure et chercheuse canadienne, après une série
de colloques organisés par l’Université Paris-Descartes. Cette
méthode est désormais enseignée aux enquêteurs chargés de
recueillir les plaintes concernant les mineurs. Ces colloques
ont également abouti à des recommandations pour améliorer
la protection de l’enfance.
Quand ces étapes ont pu être franchies par une petite
victime, son affaire passe enfin dans les mains de la justice. Là,
tout est possible. C’est souvent parole contre parole, « j’affirme,
tu affirmes ». Si le procureur, « défenseur du peuple » par excel-
lence, et/ou le juge d’instruction renâclent à ouvrir le dossier,
les mois, les années peuvent passer, surtout si le jeune plai-
gnant n’a pas les moyens de se payer un avocat baroudeur à la
différence de son prédateur. Les arcanes judiciaires regorgent
de moyens dilatoires pour annuler ou reporter une décision.
Sans affirmer qu’une bienveillance particulière peut bénéficier
aux personnages « bien en cour », sous peine de provoquer de
l’urticaire dans les prétoires, nul ne peut ignorer les liens de la
franc-maçonnerie. Elle pullule dans les milieux de la magistra-
ture et des avocats. Un exemple frappant a eu pour cadre les
Assises d’Aix-en-Provence en 2017. Condamné à douze ans de
réclusion criminelle pour viol et atteintes sexuelles sur sa fille
Caroline et sa nièce Jessika, l’ophtalmologue marseillais Jacques
Cviklinski avait obtenu huit mois plus tard sa mise en liberté
sous caution (300 000 €). Cet ancien président du Lion’s club
de Marseille avait fait appel. Aux Assises de Draguignan (Var)
en février 2019, il affirme se sentir mal au quatrième jour de
son procès, qui est alors ajourné, et il ressort libre. Ses victimes
ont alors porté plainte contre lui en juin 2019 pour non-respect
de son contrôle judiciaire qui lui imposait de ne pas quitter
sa résidence en Corse. Le médecin venait d’être pris en photo
alors qu’il entrait dans son temple maçonnique Quantum à
74 La Pédocratie à la française

Marseille. Mais il n’avait été arrêté que le 24 février 2020 pour


ce manquement, puis relâché deux jours plus tard. Lors du
dernier procès à Draguignan, il a été condamné le 5 juin 2020
à quinze ans de réclusion criminelle, et, cette fois, incarcéré à
l’issue du verdict. Trois semaines plus tard, le 26 juin, il deman-
dait sa mise en liberté. Elle lui a été refusée. Moins d’un an
plus tard, un nouveau coup de théâtre survient : le détenu a été
remis en liberté le 9 février 2021 pour « raisons de santé », sous
contrôle judiciaire. Les expertises fournies aux juges ont été
rédigées par des médecins amis du criminel, m’a assuré Jessika.
90 % des crimes sont des affaires de viols, donc passibles
des Assises, mais renvoyées pour 90 % d’entre elles devant les
tribunaux correctionnels, dans l’indifférence générale. Cette
contradiction a été facilitée par la loi Perben II de 2004.
Les procédures y sont rapides, et s’ils n’échappent pas à la
prison, les auteurs d’agressions sexuelles s’en tirent dans leur
immense majorité avec de faibles peines.
Pour relater les exemples de mansuétude judiciaire face à
la pédocriminalité, un livre ne suffirait pas. En février 2021,
deux adultes poursuivis respectivement pour viol et inceste à
Tahiti et Quimper (Finistère) ont été laissés en liberté par les
juges. Le premier a été condamné à du sursis, le second relaxé.

H/ Le scandale du Mur des Cons

Ce panneau géant placardé sur un mur du syndicat de la


magistrature (SM) à Paris, et découvert en 2013 par le jour-
naliste Clément Weill-Raynal, était parsemé d’une centaine de
photos de personnages publics moqués par les magistrats du
bureau. Les pères de plusieurs enfants et jeunes victimes de
criminels se sont ainsi retrouvés sur le Mur des Cons, comme
Jean-Pierre Escarfail, président de l’Association pour la protec-
tion contre les agressions et crimes sexuels (APACS). Sa fille
Pascale avait été violée et tuée en janvier 1991 par le tueur en
série Guy Georges. Le général Philippe Schmitt figurait égale-
ment sur ce panneau. Sa fille Anne-Lorraine avait été assassinée
en 2007 dans le RER D par un récidiviste remis en liberté.
Ces pères avaient porté plainte contre Françoise Martres, la
La pédophilie, cactus intouchable 75

présidente du SM, syndicat réputé pour ses positions laxistes


en matière judiciaire. Il a fallu six ans pour connaître l’épilogue,
avec la condamnation de la magistrate en décembre 2019, en
appel, pour injure publique envers le général Schmitt, Robert
Ménard, maire de Béziers, et le Rassemblement national. Ces
poursuites ne l’ont pas empêchée d’être nommée en 2017
première vice-présidente adjointe au tribunal de Bordeaux, sur
instruction de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, alors
qu’il y avait d’autres candidats. Son pourvoi en cassation a été
rejeté le 12 janvier 2021.

I/ Un inspecteur de l’enfance accusé de viol mais libre

La libération d’un ex-gendarme, inspecteur de l’enfance


du Morbihan et accusé de viols, aurait dû faire la Une des
médias. Il n’en a rien été. Seul un journal local, Ouest France,
en a parlé. On ignore toujours son identité. Cet inspecteur de
l’ASE (Aide sociale à l’enfance) du Morbihan a été incarcéré en
février 2020 à Nantes après une première mise en examen en
2018 pour viol d’une mineure de plus de 15 ans et harcèlement
sexuel contre cinq jeunes filles mineures. Il a fait appel de cette
ordonnance de placement en détention provisoire. La chambre
de l’instruction de la cour d’appel l’a infirmée. Après dix jours
de détention à la prison de Nantes, le mis en examen a été une
nouvelle fois remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Cet ancien gendarme de 46 ans n’avait pas respecté une des
obligations de son contrôle judiciaire imposé lors de ces pour-
suites en 2018. Il avait renouvelé des appels malveillants à
l’encontre de deux de ses victimes jusqu’en avril 2019. Recruté
par le Conseil départemental en 2014, son profil d’ancien
gendarme avait déjà interpellé certains membres de la commis-
sion d’embauche, selon Ouest France. Six mois plus tôt, ce
militaire avait participé à l’interpellation musclée d’un évadé,
près de Lorient. L’adjudant lui avait asséné un violent coup de
pied sur la tête alors que l’homme était immobilisé sur le sol.
Jugé en catimini pour ces violences en janvier 2014, selon la
procédure du plaider-coupable, le gendarme avait été condamné
à deux mois de prison avec sursis, peine assortie d’une dispense
76 La Pédocratie à la française

d’inscription au casier judiciaire B2. Ce qui lui permettait de


rester dans la fonction publique. Peu de temps après avoir
démissionné de la gendarmerie, il devenait inspecteur à l’ASE
du Morbihan.

J/ Le sursis du général Germanos

Général cinq étoiles (le plus haut grade dans l’armée),


Raymond Germanos, ancien chef du Service d’information et
de relations publiques des armées (Sirpa) ainsi que de l’Institut
des hautes études de défense nationale (IHEDN), a été chef du
cabinet militaire des anciens ministres Alain Richard et Charles
Millon. Il a été condamné à dix mois de prison avec sursis en
2010 à Paris pour « détention d’images pédopornographiques ».
Le militaire était accusé d’avoir mémorisé plus de trois mille
photos et vidéos d’enfants âgés de six mois à douze ans, victimes
des pires atrocités sexuelles. « Ces images sont parmi les plus
hard que le tribunal ait jamais eu à connaître », avait révélé la
présidente du tribunal. Le général a fait citer comme témoin
son neurochirurgien, qui l’avait opéré de tumeurs au cerveau
à deux reprises, pour tenter d’expliquer cette déviance : « Une
tumeur peut faire sauter les freins » qui empêchent norma-
lement les pulsions d’émerger, dira le médecin. Les policiers
français avaient été alertés en 2006 via Interpol par leurs
homologues autrichiens. Ils avaient identifié son IP (adresse
internet) sur des vidéos à caractère pédopornographiques que
le général importait depuis un site autrichien. D’une étonnante
discrétion, le Figaro a relaté ce procès sans publier ni le prénom
ni le nom de Raymond Germanos, mais ses seules initiales :
R.G.

K/ Un SAP pour saper la vérité des victimes

Au premier procès d’Outreau à Saint-Omer, le président des


Assises a utilisé un faux argument scientifique pour discréditer
la parole des enfants : le SAP (syndrome d’aliénation paren-
tale), inventé par un psychiatre américain devenu fou, Richard
La pédophilie, cactus intouchable 77

Gardner. Il s’est suicidé en 2003 de dix-sept coups de couteau


dans le cou et la poitrine.
Selon Gardner, les accusations d’inceste sont proférées par
des enfants influencés par leur mère, et « la société occidentale
est excessivement moralisatrice à l’égard des pédophiles ». « Les
fausses allégations de ce type sont de l’ordre de 5 à 10 % au
maximum », conteste le pédopsychiatre français Philippe Mazet.
Alors même que le SAP a été rejeté par l’organisation mondiale
des psychiatres, comme non conforme à leur éthique, un disciple
français de Gardner, le psychiatre français Paul Bensussan, a
démoli à la barre de Saint-Omer les allégations des enfants violés
à Outreau, sans avoir jamais rencontré les victimes mineures ni
lu une seule des trente mille pages du dossier judiciaire. Devant
les jurés, il avait conclu qu’à part les quatre enfants du couple
Delay, « les autres enfants devinrent des victimes imaginaires ».
Or tous les douze enfants concernés ont été qualifiés de victimes
par les Assises et indemnisées par l’État.
Le SAP n’a aucune légalité dans les prétoires en France,
mais il est encore utilisé par des avocats et admis par certains
magistrats. Malgré cet interdit, Paul Bensussan est encore
appelé aujourd’hui à donner son avis de psychiatre dans des
procès de violences sexuelles contre des enfants. Il a même
enseigné à l’école nationale de la magistrature, et reste expert
auprès de la Cour de cassation.
Aux États-Unis, pays en pointe dans le combat contre la
pédocriminalité, le guide pour les juges des affaires familiales a
qualifié le SAP de « science pourrie » (junk science).
Un disciple de Gardner, le psychologue belge Hubert Van
Gijseghem, a été à son tour invité par le président des Assises
à donner son avis depuis le Canada, par visioconférence, lors
du nouveau procès à Rennes, en 2015, de Daniel Legrand fils,
l’un des acquittés d’Outreau (cf. infra). Aucun média n’a relevé
cette incongruité.
Les méthodes de Paul Bensussan sont déjà sur la sellette dans
les réseaux sociaux. D’autres mères de mineurs violés affirment
que ce psychiatre a commis des expertises favorables au préda-
teur présumé sans avoir examiné leur enfant, comme à Outreau.
Cette pratique n’est pas conforme au code de déontologie édicté
par l’Ordre des médecins. L’une de ces mamans, dont la fille a
78 La Pédocratie à la française

été remise par la justice à la garde de son ex-mari qu’elle a accusé


d’inceste, m’a transmis les documents judiciaires. Ils prouvent
que l’avis de ce psychiatre a favorisé le père, sans qu’il ait jamais
rencontré l’enfant. Terrorisée par ce climat délétère, elle ne veut
même pas que je publie son prénom.

L/ Le procès en hérésie de Martine Bouillon

La carrière de cette magistrate a été frappée en 2001 d’une


sanction (un déplacement d’office), pour avoir dénoncé l’exis-
tence d’un charnier d’enfants en France, par le CSM (Conseil
supérieur de la magistrature). Le président en était alors le
procureur général de la Cour de Cassation, Jean-François
Burgelin, et Michel Joubrel, substitut du procureur général près
la cour d’appel de Versailles, en faisait partie. Ce Conseil avait
été saisi par la garde des Sceaux, Élisabeth Guigou.
Martine Bouillon, alors substitut du procureur de la Répu-
blique à Bobigny, avait participé à un débat autour de la jour-
naliste Élise Lucet sur France 3 le 27 mars 2000, après la
diffusion du reportage « Paroles d’Enfants » sur les enfants
victimes de viols. « Je peux vous dire qu’en région parisienne,
j’ai effectivement eu connaissance de charnier(s) d’enfants. Je
pèse mes mots. Je n’en dirai pas plus parce qu’il y a une instruc-
tion en cours, mais voilà », avait-elle assuré. Le CSM avait
reconnu toutefois le « dossier professionnel dans l’ensemble
assez favorable et l’engagement que Mme Martine Bouillon
manifeste en faveur de l’enfance en détresse ». Sa punition
avait été par la suite amnistiée.
Cette affaire mérite qu’on s’y arrête pour deux autres
raisons :
1 –  L’émission d’Élise Lucet, avec un reportage de Pascale
Justice, Stéphane Taponier et Cécile Toulec, a disparu des
archives de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) pour une
raison méconnue. Le reportage est encore visible sur certains
sites grâce à son enregistrement initial par des téléspectateurs.
2 –  Michel Joubrel, l’un des hauts magistrats qui ont jugé
Martine Bouillon, a siégé au CSM de 1998 à 2002, après
avoir présidé l’Union syndicale de la magistrature (USM,
La pédophilie, cactus intouchable 79

majoritaire). Ce fils de juge, père de famille, a été arrêté en


2003 pour détention de plus de cinq mille photos et vidéos
pédopornographiques lors de perquisitions à son domicile,
dans son bureau à la cour d’appel de Versailles puis dans sa rési-
dence secondaire de Bretagne. Elles ont démontré que c’était
bien lui qui avait téléchargé ces clichés. Michel Joubrel, mis à
la retraite d’office en 2004 puis radié en 2005, a été condamné
à Tours en 2006 à huit mois de prison… avec sursis.

M/ Une presse porte-parole de la pédophilie

Les jeunes générations ne peuvent imaginer combien les


médias de renom ont longtemps soutenu après 1968 la pédo-
philie et ses acteurs pédocriminels. Elles peuvent déjà en avoir
une idée avec l’analyse du cas Matzneff, qui n’est que l’un des
multiples exemples de cette complaisance.

Le Monde lui aussi, un monde !

Moins de deux ans après la cataclysmique couverture du


quotidien sur la victoire des Khmers rouges génocidaires au
Cambodge « dans l’enthousiasme populaire », Le Monde va
perdre tout repère en janvier 1977 avec sa publication d’une
pétition en faveur de la libération de trois pédocriminels
incarcérés. Ses principaux signataires : Louis Aragon, Jean-
Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Francis
Ponge, André Glucksmann, Bernard Kouchner, François
Chatelet, Patrice Chéreau, Philippe Sollers, Félix Guattari,
Jack Lang. Leur texte s’indignait de leur détention « pour des
caresses et des baisers », alors que la preuve fut fournie du
caractère « sordide » et « abject » de cette affaire, comme le
confirmera bien plus tard, en 2001, en termes éthérés pour
des viols, le chroniqueur judiciaire du journal à l’époque
du jugement, Pierre Georges. Son évocation de l’incroyable
imprudence intellectuelle de l’époque en ce domaine a remisé
au vestiaire le terme impudence qui s’imposait. En 2003,
Gabriel Matzneff­révélera avoir été l’auteur du texte de la
80 La Pédocratie à la française

pétition, signée par 69 personnalités. « J’en suis très fier et,


si je l’écrivais aujourd’hui, je n’en modifierais pas le moindre
mot », avait-il ajouté, en révélant qu’il n’essuya que de rares
refus, dont celui de Marguerite Duras.
Les signataires encore vivants, quand ils daignent s’ex-
pliquer sur leur motivation d’alors, rivalisent d’étonnantes
excuses pour justifier leur appui.
Admirer Castro, les Khmers rouges et Mao ne leur suffisant
pas, ils mettaient du piment dans leur suffisance à soutenir le
viol de mineurs au nom d’un esprit libertaire dénaturé.
Bernard Kouchner, inoubliable acteur en Somalie pour sa
séquence du petit sac de riz sur l’épaule rejouée sans cesse
pour les télévisions (comme un ami photographe alors présent
sur les lieux me l’a révélé), ne quitte pas le cinéma comique.
« Sa pétition ? Mais la pétition de Matzneff, je ne l’ai pas
lue ! Daniel Cohn-Bendit et moi l’avons signée parce que Jack
Lang nous l’avait demandé. C’était il y a 40 ans. C’est une
énorme erreur. Il y avait derrière une odeur de pédophilie, c’est
clair. C’était une connerie absolue. Plus qu’une connerie, une
sorte de recherche de l’oppression. Je regrette beaucoup », a-t-il
avoué au Point.
« Comment expliquer alors que la quasi-totalité des intellec-
tuels de l’époque défendait ou du moins tolérait des pratiques
qui aujourd’hui font scandale », lui demande l’hebdomadaire.
« C’est difficile à expliquer. Autres temps, autres mœurs. La
période était bêtement laxiste, permissive. Les idéologies nous
submergeaient. »
Non, ni autre temps ni autres mœurs ! Ce n’est pas une
question de moralité. La pédophilie, une étrange idéologie…
En 1977 comme en 2020, violer ou sodomiser un mineur était
et reste un crime.
Le même terme, « connerie », a été repris dans un tardif
repentir par Jack Lang le 17 janvier 2021 au micro de la radio
Europe1. Mis sur le gril par la journaliste Sonia Mabrouk, il
avait rugi en finissant par un « basta » sa réponse : « J’ai toujours
combattu l’inceste et la pédophilie ! »
Déjà cité, Philippe Sollers, éditeur de Matzneff chez Galli-
mard, utilise une argumentation similaire : « Ce n’était pas un
problème de société à l’époque. Il y aura bientôt trente ans que
La pédophilie, cactus intouchable 81

je l’ai signée et j’avoue n’en avoir aucun souvenir précis. Il y avait


tellement de pétitions à cette époque-là qu’on ne faisait plus très
attention à ce qui était écrit. La pédophilie est un problème
récent. On n’en parle que depuis quelques années. Mais je
n’ai jamais défendu la pédophilie. » Sa déduction stupéfiera le
lecteur : on n’en parlait pas, donc ce n’était pas un problème !
Il lui conviendrait d’expliquer alors pourquoi, en 1990, il avait
traité l’écrivaine québécoise Denise Bombardier de « connasse »
et de « mal baisée », pour avoir dénoncé les turpitudes de Matz-
neff lors de l’émission Apostrophes évoquée plus haut, devant un
Bernard Pivot frétillant. Chez tous ces affidés, la rupture épisté-
mologique entre les impressions spontanées du moment vécu, et
les faits dans leur réalité objective a été longtemps confinée aux
abonnés absents. S’ils eurent honte pendant ce laps de temps,
ils ne l’ont pas dit, et c’est préoccupant, pour le feu vert ainsi
donné aux tendances pédophiles jusque-là contenues chez leurs
admirateurs. Si la honte ne les a pas effleurés un seul jour, mais
ils ne l’avoueront pas, c’est encore plus grave.

Le fumet émétique de Libération

Quand on connaît les multitraumatismes subis pour une vie


entière par les enfants victimes de viols, la défense de la pédo-
criminalité et des prédateurs par Libération sous la direction de
Serge July, à l’époque des pétitions pro-pédophiles, est compa-
rable à un infanticide moral dans une totale impunité. On n’en
était que plus surpris de voir ce personnage commenter encore
l’actualité en 2020 sur les plateaux de télévision.
Apôtre de la liberté sous toutes ses formes, le journal co-fondé
par Sartre a tout défendu. Même la zoophilie a eu droit à une
chronique pendant deux mois sous la direction de son journa-
liste Jean-Luc Hennig, et July ne cessera de militer contre le
respect de l’enfance, qualifié par lui « d’ordre bourgeois ».
La jeune génération de lecteurs se doit de connaître ces
écrits répugnants. En juin 1981, Libération interviewe Benoît,
un pédophile : « Je faisais un cunnilingus à une amie. Sa fille,
âgée de cinq ans, paraissait dormir dans son petit lit mitoyen.
Quand j’ai eu fini, la petite s’est placée sur le dos en écartant les
82 La Pédocratie à la française

cuisses et, très sérieusement, me dit “à mon tour, maintenant”.


Elle était adorable. Nos rapports se sont poursuivis pendant
trois ans. » Commentaire du journaliste : « Quand Benoît parle
des enfants, ses yeux sombres de pâtre grec s’embrasent de
tendresse. » Il faudra attendre vingt ans, le 23 février 2001,
pour que le quotidien, dans sa première autocritique, qualifie
ce texte, sous la plume de Sorj Chalandon, de « terrible, illi-
sible, glaçant ». Il manque « criminel » dans la liste, ainsi que
des pans entiers de cette purulence.
En 1978, le dessin non flouté d’une fillette en train de
faire une fellation à un adulte illustre une page d’annonces
pédophiles, sous le titre « Apprenons l’amour à nos enfants ».
Libération­ne sera pas saisi, la même page sera à nouveau publiée
deux ans plus tard, toujours impunément, mais, le 11 janvier
2020, l’un de mes textes révélant cette obscénité avec le même
croquis sera censuré par Facebook !
Georges Moustaki, autre pâtre grec, mettra lui aussi la main
à la pâte en signant en mars 1979 un insoutenable texte de
Libération, avec 62 autres intellectuels, dont Pascal Bruckner
et Christiane Rochefort : « Le désir et les jeux sexuels libre-
ment consentis ont leur place dans les rapports entre enfants
et adultes. Voilà ce que pensait et vivait Gérard Roussel avec
des fillettes de 6 à 12 ans dont l’épanouissement attestait aux
yeux de tous, y compris de leurs parents, le bonheur qu’elles
trouvaient avec lui. »
Avec la pleine page accordée deux jours de suite au détenu
Jacques Dugué (Libération du 25 au 26 janvier 1979), le journal
touchera aux tréfonds de l’abomination. À la tête d’un réseau
pédocriminel, poursuivi pour le viol de 17 enfants, dont ses
deux filles, il y reconnaît ses forfaits et fait l’apologie de la
sodomisation de mineurs. Gabriel Matzneff viendra témoigner
en sa faveur à son procès. Après cinq ans de prison, il récidivera
à plusieurs reprises avant une condamnation à 30 ans de prison
en 2002 pour de nouveaux viols (cf. supra).
Ces monstruosités sont tellement dures à digérer aujourd’hui
pour Libération que la nouvelle direction a encore tenté, en plein
scandale Matzneff, d’en atténuer l’impact avec des mensonges
par omission. Il aura fallu la pression de ses lecteurs pour que
les horreurs commises remontent à la surface.
La pédophilie, cactus intouchable 83

Le mea culpa de Laurent Joffrin sur l’ancienne dérive


« coupable […], absolument illégale et moralement inaccep-
table » du journal, dans un éditorial et un entretien avec le
quotidien Ouest-France, le 30 décembre 2019, n’a pas suffi à
sa propre rédaction. Il a été balayé le 11 janvier 2020 par une
longue et percutante mise en cause de la censure en interne,
dans la rubrique Check News du quotidien. C’est une première
dans ce journal. « À trois reprises, ces derniers jours, la ques-
tion nous a été posée sur la plateforme de Check News : dans
les années 70 et 80, Libération a-t-il employé et protégé un
journaliste pédophile ? La réponse est oui. » C’est un coup de
tonnerre. Il s’agit de Christian Hennion, lui aussi signataire de
la pétition pédophile de 1977. Un an après son entrée à Libéra-
tion en 1975, le journaliste a pris sous son aile Franck Demules,
un enfant de dix ans délaissé par sa mère. Le garçon racon-
tera en 2009, dans son livre Un petit tour en enfer (Éditions du
Moment), l’emprise immédiate de cet adulte sur son intimité.
« Ça s’est passé simplement. Je dors, il commence à me caresser.
Je me réveille. “Chut, laisse-moi faire, je vais te faire un câlin”.
Sa main sous les draps, il commence à me masturber. Cet
enfoiré, il me branle en me suçant. » Les relations imposées se
poursuivront presque tous les jours pendant huit ans, explique
Libération. À sa majorité, Franck échappera aux griffes de cet
autre aigle noir 1, pour devenir assistant de Carla Bruni, sans
avoir jamais suscité la moindre révolte dans la rédaction contre
le prédateur. Et pourtant… Tous les jours, Hennion emmenait
avec lui sa jeune victime au journal. Franck y servait de petite
main, avouant aux employés qu’il « prenait un bain tous les
soirs avec Christian ». Le pédocriminel avait même conservé
la garde partagée de l’enfant, contre le gré de sa mère, scan-
dalisée par la découverte de la réalité, et avec l’aval de juges
complices. Christian Hennion était en effet le neveu d’un haut
magistrat, et tenait un café derrière le Panthéon, la Buvette du
Cinquième, où il amenait son « protégé », selon un témoin. Le
Syndicat de la Magistrature, sinistre auteur du Mur des cons,
tenait ses réunions dans l’arrière-salle de ce café.

1. La chanson « L’aigle noir » de Barbara faisait référence à son


père, auteur de viols contre elle.
84 La Pédocratie à la française

Tout ce beau monde a fermé les yeux sur Hennion,


comme au journal. Son patron de l’époque, Serge July, s’en
lave aujourd’hui les mains et affiche une révoltante outrecui-
dance dans sa réponse à Check News : « J’ai souvent croisé cet
adolescent, et il était difficile de dire s’il était seulement le
protégé de Christian Hennion, son fils adoptif ou son amant.
Et je n’avais pas cherché à approfondir. »
Dans son livre, Franck le crucifie sans le nommer : « J’en
veux à leur silence. […] Jamais un : qui est ta mère ? Est-ce
que tu es heureux avec Christian ? Est-ce que ça ne te dérange
pas de dormir dans le même lit ? » Et comme tous les enfants
victimes, il dissèque leur drame, bien connu des psychiatres,
mais ignoré de la société : « Non seulement tu es victime, mais
en plus tu culpabilises d’en parler. C’est ça le problème de la
pédophilie : les victimes sont coupables. C’est la double peine.
Non seulement, on te vole ton enfance, mais en plus tu fais
chier tout le monde à raconter ce que tu as vécu. »
Le successeur de July à la tête du quotidien, Laurent Joffrin,
souffre lui aussi de l’enquête menée par Check News. Un
projet de portrait, évoqué sous son mandat à la sortie du livre
de Franck, avait capoté. « Ça avait bloqué au niveau de la
direction », assure un ancien journaliste de Libération. Laurent
Joffrin « ne se souvient pas de cet épisode », relate sobrement
Check News à propos de cette évidente autocensure.
Non content d’avoir encensé la pédophilie quand il diri-
geait ce quotidien, Serge July avait publié une singulière
nécrologie de Christian Hennion, avec une omission de taille
et une contre-vérité après le décès du journaliste en 1999.
Il évoque « ce fils de juifs, qui apprit très tard ses véritables
origines », sans évoquer ses amitiés particulières ni relever les
vrais motifs de son arrestation au Cambodge en 1997 : une
affaire de pédophilie, et non pas de racket dont il aurait été
victime, comme July le prétend. Un témoin, Gérard Thevenet,
expert au Cambodge, avait écrit ces lignes en 2014 : « Durant
la seconde moitié des années 90 un autre prédateur racolait
ses victimes à Phnom Penh. Il s’agit de Christian Hennion,
alors journaliste au journal Libération. Il avait été arrêté à
Phnom Penh dans son appartement en compagnie de plusieurs
jeunes enfants, et emprisonné dans cette ville. Les services
La pédophilie, cactus intouchable 85

consulaires lui faisaient livrer chaque jour des repas, ce qui me


semblait normal. Quelques mois plus tard, il a été libéré pour
être expulsé vers la France. Je me souviens que le consul de
France de l’époque l’avait récupéré à sa sortie de prison et était
allé déjeuner avec lui dans un restaurant de la ville avant de le
conduire à l’aéroport. »
CHAPITRE III

Outreau, « Hiroshima de l’enfance »

Le pédocide français a été aggravé par la négation du viol


des enfants au profit de prédateurs dans les procès d’Outreau.
Le « droit à l’oubli » ne concerne pas ce dossier. Il reste au-dessus
de la pile dans les annales judiciaires. En témoigne l’intérêt de
Netflix, qui a commencé des enregistrements en février 2021
pour une série télévisée.
L’acquittement aux Assises de Paris, en 2005, de
treize adultes condamnés en 2004 à Saint-Omer, a renversé
les tables de la loi. Pour la presse, la justice, et le Pouvoir, les
dix-huit enfants plaignants ont été des menteurs, les acquittés
des martyrs, et le juge Fabrice Burgaud un « nouvel Eichmann »
dans un « Tchernobyl judiciaire », expressions utilisées par de
grands médias. Les Français croient encore dans leur majorité
en cette abominable contrevérité.
Dans les faits, une cinquantaine d’enfants ont été victimes
de violences sexuelles à Outreau, une soixantaine d’adultes
auraient pu être poursuivis, et le juge d’instruction avait bouclé
un impeccable dossier en béton.
Au premier procès de Saint-Omer, les petites victimes ont
été reléguées dans le box des accusés, comme des délinquants,
et leurs prédateurs installés dans les rangs du public et des
journalistes. Un feu roulant d’interrogatoires violents ou insul-
tants, menés par les dix-huit avocats de la défense, sans aucune
intervention du président de séance ni des deux avocats muets
des enfants, les ont malmenés pendant de longues heures. Éric
Dupond-Moretti, entre autres, a gagné ses galons d’orateur
sur le dos courbé des petites victimes. Devant l’Assemblée
nationale, le 18 janvier 2018, le psychiatre Gérard Lopez a
88 La Pédocratie à la française

violemment mis en cause l’avocat, devenu garde des Sceaux


en juillet 2020 : « M. Dupond-Moretti a interrogé pendant
six heures un enfant de sept ans, et il a trouvé qu’il n’était pas
cohérent. C’est ce qui a changé le procès d’Outreau, où tous les
enfants ont été reconnus victimes. Douze sur douze. Un type
comme Dupond-Moretti, il ne me fait pas peur, ça fait trente
ans que je suis expert. Imaginez le petit Delay qui a subi des
horreurs, avec cet ours qui lui crie dessus, et le président qui
ne dit rien du tout ! »
L’une des rares personnes à avoir résisté à l’avocat Dupond-
Moretti en plein prétoire, la psychothérapeute Hélène Romano,
l’a remis à sa place à Rennes en 2015 lors du second procès
de Daniel Legrand fils, l’un des accusés de viol de mineurs
à Outreau. Elle raconte ce spectaculaire face à face dans un
article publié sur son blog de Médiapart le 7 juillet 2020 (cf.
Annexe IV).
Cette « stratégie de la rupture », adoptée également par les
autres avocats des détenus, Blandine Lejeune et Frank Berton,
a évacué les questions de fond au profit de détails annexes. En
dix secondes, le soudain revirement, le 18 mai 2004, de l’accusée
Myriam Badaoui, à propos des treize autres prévenus : « Ils sont
tous innocents ! », a transformé les monstres en agneaux.
Dès le lendemain, sur cette seule déclaration, sans plus
recourir au dossier judiciaire, Le Monde titre en Une sur « La
vie brisée des 13 innocents d’Outreau », avec caricature d’une
statue de la justice gisant sur le sol, brisée de son piédestal. Ce
quotidien donnait le verdict final, suivi bientôt par tous les
médias… dix-huit mois avant l’épilogue. La pile de preuves,
aveux et expertises resta dans son tiroir.
Condamnée pour viols avec trois autres prévenus, Myriam
Badaoui, mise en vedette par la presse, avait toujours dénoncé
ses coreligionnaires. Même si elle renouvela contre eux ses
accusations six jours après son revirement, le pli était pris.
L’affaire était entendue, malgré le tissu d’indices et le faisceau
d’aveux concluant à leur culpabilité dans l’acte d’accusation. La
plupart des prévenus s’étaient pourtant mutuellement accusés
de viols sur les enfants, trois d’entre eux avaient même reconnu
leurs forfaits, et les petites victimes avaient courageusement
maintenu leurs dires en séance. Un tel climat passionnel jeta
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 89

aux oubliettes, sous une « dictature de l’émotion »1 inversée,


les auditions des enfants et de leurs bourreaux, réalisées par
les policiers pendant l’enquête judiciaire. Les cassettes de ces
enregistrements ont même disparu des archives judiciaires,
ainsi que je l’ai révélé dans mon livre sur Outreau. Le Parquet
de Saint-Omer, dépassé, parvenait à faire limiter les acquit-
tements à six, mais, pour la première fois dans l’histoire des
Assises, ne faisait pas appel incident du verdict. Cette auto-
censure empêchait le jury d’appel d’alourdir les peines de la
première instance. Sans surprise, tous les treize accusés étaient
acquittés l’année suivante à Paris puis reçus à l’Élysée, et une
commission parlementaire d’enquête allait massacrer le juge
Burgaud en 2006 en présence… des acquittés, comme dans
une arène romaine.
Aucun média ne relata la décision capitale des jurés de
reconnaître comme victimes les douze enfants qui avaient
maintenu leurs accusations malgré les menaces ou les pres-
sions, et de les faire indemniser par l’État. Ces douze martyrs
demandèrent eux aussi par la suite à être reçus par les prési-
dents Sarkozy et Hollande. Ils trouvèrent porte close.
Au début du premier procès, les enfants victimes étaient
dix-huit dans le prétoire. Sous les assauts de la défense, deux
d’entre eux se retirèrent, et le dossier du troisième arriva trop
tard. Au second procès, trois autres, menacés ou persuadés de
renoncer, abandonnèrent leurs plaintes.
Dans les procès similaires, depuis 2005, les avocats de
prédateurs sexuels utilisent souvent le verdict de Paris pour
hurler « Outreau ! Outreau ! » et dénigrer ainsi la parole des
enfants victimes.

A/ Un non-lieu pour cinq crimes présumés d’enfants

Quatre des douze enfants – deux garçons et deux fillettes –


avaient également dénoncé le meurtre de trois petites filles
et d’un nourrisson dès l’ouverture de l’information judiciaire

1. Expression vulgarisée par Paul Benussan pour discréditer la


parole des enfants victimes de viols.
90 La Pédocratie à la française

en 2001 à Outreau Un cinquième homicide a été signalé puis


nié par un autre jeune, devenu majeur à l’époque des procès.
Tous ces crimes présumés ont été commis dans la tristement
célèbre Tour du Renard, cet immeuble où eurent lieu nombre
des violences sexuelles contre les enfants.
L’ensemble de ces dossiers criminels a été d’entrée
disjoint, par le ministère public, de l’enquête sur les viols. Ce
saucissonnage­a interdit toute allusion aux meurtres pendant
les Assises. En 2003, un autre juge d’instruction en charge
de cet Outreau-bis a rendu ses conclusions, sans jamais avoir
procédé à la moindre investigation supplémentaire : non-lieu.
Cette décision fut totalement ignorée par les médias, et donc
par le public.
Et pourtant… Les révélations des enfants, absolument
spontanées et non-induites par des questions, d’abord devant
les policiers, puis dans le cabinet d’experts psychologues,
comme Marie-Christine Gryson, n’avaient pu être inventées.
Mais cette dernière, invectivée et calomniée en séance par des
avocats de la défense, ne put achever son témoignage pour faire
triompher la vérité.
Pourtant, même Myriam Badaoui avait dénoncé le crime
d’une fillette par son mari Thierry Delay, dès le 9 janvier 2002,
dans une lettre au juge Burgaud.

B/ L’« erreur judiciaire » n’en était pas une

Le droit à l’oubli souvent évoqué par des avocats pour tirer


un trait définitif sur les affaires criminelles jugées n’interdit
en rien de soulever des questions quand les zones d’ombre
reviennent en pleine lumière, comme les cinq meurtres
présumés d’enfants à Outreau. Je rappelle mon constat après
avoir dépouillé une à une les trois mille cotes judiciaires du
dossier Outreau :
–  66 adultes sont cités nommément par d’autres et/ou des
mineurs comme auteurs de sévices sexuels (inceste, viols, sodo-
mies, attouchements ou complicité) sur des enfants.
–  54 de ces enfants y sont répertoriés nommément comme
victimes de ces sévices.
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 91

–  4 adultes seulement ont été condamnés aux assises :


Thierry et Myriam Delay, David Delplanque et Aurélie Grenon.
Ils avaient avoué leurs crimes.
Il s’agit d’un bilan minimal, car, dans de nombreuses dépo-
sitions, les enfants ont mis en cause des adultes dont ils ne
connaissaient pas les noms. Je n’en ai pas tenu compte dans
ce listage.
Ce dossier reste explosif, et de nouveaux rebondissements
ne sont pas à exclure, même si l’ancien secrétaire-général de
la Commission parlementaire sur Outreau, Philippe Houillon,
est catégorique : « Si tous les accusés avaient été coupables en
vrai, la vérité judiciaire resterait la vérité judiciaire », m’avait-il
déclaré en 2012.
Avec le matraquage politique et médiatique sur les accusés
d’Outreau, mués en damnés de la justice, tenter d’éclairer un
public déjà acquis à leur cause relève du mythe de Sisyphe. À la
moindre critique rationnelle des procès d’Outreau, les effets de
manche prennent le pas sur le dialogue. Ceux qui émettent des
doutes ont été qualifiés de « révisionnistes », et même de « néga-
tionnistes » par Éric Dupond-Moretti, dans une insupportable
analogie avec la Shoah.
Une série de trois documents sur le premier procès de Saint-
Omer, pourtant non classés secrets, le sont restés pour les
Français, en l’absence de la moindre allusion dans la presse.
Il s’agit de rapports officiels, tous réalisés en 2006 après le
dernier procès de Paris, par l’Inspection générale des services
judiciaires (IGSJ), l’Inspection générale des affaires sociales
(IGAS), et la commission parlementaire sur Outreau.
L’addition de ces dossiers contient un faisceau d’indices
accablants pour certains acquittés, et révèle la complicité de
magistrats, avec l’aval de la Chancellerie et donc du pouvoir,
dans le maintien à tout prix, par des moyens discrétionnaires
contestables, de la thèse officielle sur « l’erreur judiciaire »
d’Outreau.
92 La Pédocratie à la française

C/ L’ex-avocat général jette le doute sur neuf acquittés

Dès janvier 2006, la commission parlementaire d’Outreau


va s’acharner sur le juge Burgaud pour démolir son enquête,
dans un abominable climat de chasse à l’homme. Tous les
magistrats invités à s’exprimer sont terrorisés. Dans un
double jeu de haut vol, Gérald Lesigne, avocat général à
Saint-Omer, va réussir, après avoir évoqué le « mythe de
la pédophilie », à distiller ses doutes, voire davantage,
sur l’innocence de neuf des acquittés, avec des citations
ci-dessous des enfants victimes, ainsi que d’accusés ou de
témoins. Ses commentaires à lui, mis entre parenthèses,
ressemblent à un réquisitoire a posteriori :
–  Pierre Martel : « M. Pierre Martel est un homme gentil,
mais il a une double personnalité : quand les enfants lui
résistent, il devient extrêmement violent. »
–  Odile Marécaux : « Elle se contentait de filmer […]. Elle
n’était pas méchante […]. Mme Odile Marécaux portait des
dessous en dentelle. »
–  « Dominique, c’est-à-dire l’abbé Wiel, nous caressait et
nous filmait en présence de mes parents. Il a mis un objet
en plastique dans mon derrière après avoir abaissé mon
pantalon et mon slip. Il en a fait de même à l’égard de Y. et
de Z. […] Il m’a poussé dans le lit. Il a menacé de me frapper.
Je me suis déshabillé. Il s’est mis tout nu, pareil que moi. Il
avait un petit bout rouge au bout du zizi. Il a voulu me le
faire manger. J’ai dit non. C’était dégoûtant. J’ai pensé que
c’était du poison. »
–  Franck Lavier. Témoignage d’une voisine : « Il s’est
approché d’elle (une fille de l’accusé) en me tournant le dos. Il
a baissé son pantalon à environ un mètre de la petite et il lui
a dit : Suce-moi la bite. » (M. Lesigne ajoute : « Franck Lavier a
été pour moi une énigme. Jusqu’à ces derniers jours, je n’avais
pas découvert la clé. »)
–  La boulangère : « Elle utilisait des godemichés. C’était un
sexe en plastique. Je sais qu’il y avait du noir. »
–  (Un autre (enfant) donnait des indications concernant
la localisation de la chambre à coucher de M. Alain Marécaux.
Ces détails faisaient vrais.)
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 93

–  Daniel Legrand fils : (Lorsqu’il dit qu’il s’est accusé du


meurtre d’une fillette dans le but de décrédibiliser l’affaire, le
propos semble un peu convenu.)
–  David Brunet (on déduit son nom) : (P., l’enfant d’un
autre acquitté, dit que son papa, c’est son amour, qu’il partage
son lit et que son père a des attitudes impudiques. Cela est
crédibilisé par son cousin et par un enfant : « il faisait des
trucs malhonnêtes. Il se caressait le sexe en me disant : Tiens,
suce-le ! »)
–  Thierry Dausque : « Il est violent et il frappe. »
À la fin de cette implacable harangue, Gérald Lesigne
conclut : « Nous avons donc les propos des mineurs, corroborés
par des examens médicaux, corroborés par des examens psycho-
logiques, et surtout corroborés par les déclarations d’un certain
nombre d’autres mineurs. » La commission, exaspérée par cette
révision à charge, grogne et s’attend au pire. Pourquoi ce haut
magistrat, dans une enceinte vouée à lapider Fabrice Burgaud,
remet-il en cause la chose jugée avec ces accusations indirectes,
si ce n’est pour dénoncer le verdict d’Outreau ? Mais le procu-
reur fait amende honorable dans un virage à 180 degrés : « Je
voudrais vous dire que, malgré tout cela, je suis profondément
convaincu de l’innocence de toutes ces personnes […]. »

D/ Un accablant rapport de l’IGAS

Ses conclusions ont été remises à la Chancellerie en 2007.


Seul Le Point en a parlé. Le rapport relève les fréquentes
hospitalisations des enfants et les signes d’un viol. « L’IGAS
recommande aux médecins la prise de photo quand un acte de
sodomie est découvert, car la cicatrisation est rapide à cet âge,
afin de pouvoir être utile un jour à la justice. Elle remarque
aussi combien les troubles médicaux sont apparus très tôt,
parfois dès neuf mois, comme chez les (trois) enfants Y, dont le
père fait partie des acquittés. […] Tous les enfants de la famille
Lavier présentent ce tableau. Lucas Lavier avait trois cicatrices
anales à dix mois, et des fissures anales […] Pour les quatre
enfants Lavier, les enquêteurs de l’IGAS ont acquis la convic-
tion que ces enfants ont souffert le martyre, très jeunes, qu’ils
94 La Pédocratie à la française

ont été laissés chez des gens qui leur ont fait du mal, et que ce
sont aujourd’hui des bombes qui courent le risque de devenir,
une fois adultes, eux-mêmes des abuseurs. Frank Lavier, c’est
sûr, sa femme ? Et les deux parents Brunet », relève le rapport.

E/ Un docteur et l’infirmière passent entre les gouttes

Si Fabrice Burgaud est critiquable, c’est pour ne pas avoir été


plus sévère. Dans la seconde partie de son enquête, son échec
médiatisé à découvrir le cadavre d’un enfant, enterré dans un
jardin selon un témoignage, l’a conduit à ne pas poursuivre­
vingt-six autres adultes mis en cause par des mineurs. Il a
surtout épargné un docteur et une infirmière. Ce médecin de
famille, bien connu à la Tour du Renard, avait sodomisé avec
« des bâtons », selon leurs témoignages, cinq de ses jeunes
patients (trois garçons et deux filles), de trois lignées diffé-
rentes. Il avait nié ces pratiques, mais avoué à Burgaud que
son attrait pour les sites pornographiques, sur l’ordinateur de
son cabinet, l’avait fait tomber à plusieurs reprises sur des sites
zoophiles et pédophiles. Lors de sa perquisition, le juge n’avait
pourtant pas saisi le disque dur : « Je ne voulais pas le priver de
son instrument de travail », m’avait-il déclaré en 2011. Même
Philippe Houillon, peu suspect d’empathie pour le juge, a
évoqué devant moi ce côté « inquiétant » du médecin.
L’infirmière n’a pas été davantage poursuivie en dépit
d’accusations précises. Selon les enfants, elle participait elle
aussi aux viols, mais veillait ensuite à surveiller les éventuelles
séquelles : « Elle venait toujours avec son sac noir pour voir si
on n’avait pas mal pour que les familles ne le voient pas. Elle
avait dans sa sacoche quelque chose pour écouter le cœur et
elle mettait un gant blanc transparent à sa main droite, et elle
mettait la main dans le derrière pour voir si on n’avait pas mal
et si on n’était pas blessé. Si X avait mal, on arrêtait tout ça.
Elle a les cheveux frisés, elle a deux jumeaux. » Il est difficile de
mettre une telle description sur le compte d’un enfant affabu-
lateur. Il l’est encore plus de savoir ce couple en liberté.
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 95

F/ L’aveu oublié d’Alain Marécaux

L’huissier de justice, incarcéré puis acquitté, ne bénéficiera


pas de son droit à l’oubli tant que sera diffusé à la télévision
française son film, Présumé coupable, partial et mensonger. Un
spectaculaire coup de théâtre dans le premier procès d’Outreau
s’est produit… vingt mois après le verdict ! Il aura fallu attendre
le 20 janvier 2006 pour apprendre, par la voix du procureur de
Lyon Jean-Olivier Viout, rapporteur de l’enquête de l’IGSJ, les
aveux prononcés à l’époque devant la Cour par Alain Maré-
caux, mais ignorés jusque-là.
Incarcéré en novembre 2001 pour attouchements sur l’un
de ses fils malgré ses protestions d’innocence, condamné à
Saint-Omer à dix-huit mois de prison avec sursis, puis acquitté
en 2005, l’huissier de justice s’était en fait déclaré coupable
pendant une audience à huis-clos en mai 2004. Voici ce
passage du rapport lu par M. Viout devant la Commission
parlementaire d’enquête : « Le huis-clos avait été demandé par
les avocats des parties civiles et M. Monier rappelle qu’il était
donc de droit. Par la suite ces mêmes avocats lui ont demandé
de réinstaurer la publicité, ce qui fut fait par l’intermédiaire
d’une retransmission vidéo dans une autre salle pour la presse
et le public. Il y avait quand même au moins cinquante
personnes dans la salle d’audience. M. Monier ajoute que
pour la seule audition de François-Xavier Marécaux, il a fait
sortir tous les autres accusés, sauf sa mère et son avocat, et
son père qu’il accusait. Son audition s’est donc passée dans
un environnement plus calme et l’enfant de onze ans a dit des
choses très émouvantes en évoquant les attouchements du
père qu’il a confirmés devant celui-ci en le regardant droit dans
les yeux. À ce moment, M. Monier précise que M. Marécaux
s’est effondré en larmes en disant “je suis coupable mais à
cette époque je ne savais plus où j’en étais”. M. Monier ne l’a
pas fait acter car à ses yeux la formule exprimait une mauvaise
conscience plutôt qu’une reconnaissance de culpabilité au
sens  juridique. »
Cette confession du président des Assises interpelle
aujourd’hui encore. L’information ne fut pas rendue publique
par les médias. Rien n’obligeait M. Monier, que sa conscience,
96 La Pédocratie à la française

à la libérer, dans une espèce de combat d’arrière-garde pour


défendre son procès vilipendé par les Français. Sans le dire,
mais en le disant, le président des Assises puis M. Viout ont
confirmé pour le premier et révélé pour le dernier les aveux de
l’huissier. Là encore cette bombe n’explosa pas. Elle ne fut pas
dégoupillée par une presse muette.
Largement indemnisé pour lui permettre de racheter une
étude d’huissier après qu’il eut vendu la première pendant
sa détention provisoire, Alain Marécaux a écrit un livre qui a
donné lieu au film cité, avec l’acteur Philippe Torreton dans
son rôle. Dans ce long métrage déjà diffusé à plusieurs reprises
sur la télévision publique, l’huissier prend quelques libertés
avec la réalité, si l’on en croit Fabrice Burgaud. Selon l’ancien
juge d’Outreau, la police n’a jamais tutoyé le prévenu, ni ne lui
a passé les menottes lors de la perquisition de son appartement
en novembre 2001, et M. Marécaux a pu assister aux obsèques
de sa mère contrairement à ses dires. Le film enfin ne montre
aucune séquence de ses aveux devant la Cour à Saint-Omer.
Cette vision déformante est accentuée par le refus des télévi-
sions publiques françaises de diffuser le film indépendant de
Serge Garde : Outreau. L’autre vérité.

G/ Le pouvoir bâillonne les vérités d’Outreau

L’incompétence des magistrats à Saint-Omer, leur parti


pris à Paris, et l’irrespect de la loi par leur hiérarchie avant le
verdict, ont grossi la pelote faisandée d’Outreau que le pouvoir
veut fossiliser pour ne pas avoir à la dérouler à nouveau. Après
avoir reçu les acquittés à l’Élysée en 2005, les autorités de
l’État préfèrent mettre sous le boisseau toute nouvelle informa-
tion à même de faire ressurgir ce dossier. Le ridicule peut tuer.
Il convient en outre de rappeler qu’un jury d’Assises n’inno-
cente pas, il condamne ou il acquitte. À Saint-Omer, il fallait
au moins huit votes des douze jurés à bulletin secret pour un
verdict de culpabilité, en vertu de la loi en vigueur à cette date.
Si sept voix, soit la majorité simple, décidaient d’une condam-
nation, le prévenu était quand même acquitté. Le terme « inno-
cent » ne correspond donc pas à la réalité.
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 97

Cette hantise explique le maintien de la vérité dans son


puits par des juges aux ordres de la Chancellerie. Et pourtant,
six possibles rebondissements ont déjà été étouffés dans l’œuf
depuis 2005.
1 –  Le premier a trait aux assassinats d’enfants à Outreau
(cf. supra).
2 –  Le couple Franck et Sandrine Lavier. L’homme a
dû rendre à nouveau des comptes à la justice par la suite, à
deux reprises, y compris avec sa femme dans le premier cas,
sans avoir à passer par la case prison malgré la gravité des
charges retenues.
Le 26 janvier 2012, Franck et son épouse Sandrine sont
jugés en correctionnelle à Boulogne-sur-Mer 1 pour violences
habituelles sur mineurs de moins de 15 ans et corruption de
mineurs de plus ou moins de quinze ans. Un an auparavant,
deux de leurs enfants, un garçonnet et une fillette (l’une des
douze petites victimes de viol indemnisées par l’État après les
procès d’Outreau) s’étaient enfuis du domicile parental pour
rejoindre la maison de leur ancienne nounou et dénoncer les
mauvais traitements à nouveau infligés sur eux à la maison.
Ils avaient parcouru six kilomètres à pied.
À l’aide de vidéos et de photos prises par le couple et saisies
par les enquêteurs, l’avocat général va exhiber devant le public
les horreurs subies : les mains et le dos bleuis par les coups de
latte de sommier pour la fillette, les genoux gonflés et ensan-
glantés pour le garçon, contraint de rester agenouillé pendant
des heures sur un manche à balai. Le « supplice de la chaise »
leur avait été également imposé. Ils devaient rester en position
assise mais sans chaise, appuyés contre le mur, jusqu’à épui-
sement et écroulement au sol. Une photo prise par les Lavier
montrait la fillette debout, la tête recouverte de sa culotte
pleine d’excréments. Une vidéo du couple révélait enfin leur
attrait pour le strip-porno. On y voyait un groupe alcoolisé
d’adultes de la famille Lavier dans des scènes mimées de sexe et
de fellation avec une bouteille, filmées en présence des enfants.

1. J’ai assisté à ce procès.


98 La Pédocratie à la française

L’avocate générale, Nathalie Bany, avait dénoncé les


carences de l’Éducation nationale. Nul n’ignorait au collège
les violences subies par les deux enfants. La fillette se lavait
les cheveux dans les sanitaires de l’école car l’eau leur avait été
coupée par les parents, et le garçon avait glissé dans son cahier
de présence, sans résultat, un mot en forme de SOS pour son
instituteur. Mme Bany avait relaté la surprenante réaction du
directeur du collège, M. Lherbie.
Invité par l’inspecteur d’Académie, M. Bouvier, à faire un
signalement devant les autorités, ce principal avait « recom-
mandé, à cause d’Outreau et de l’innocence des accusés, la
plus grande prudence », et demandé « le retour d’informa-
tions » aux autres enseignants. Aucune plainte n’avait été
déposée. Ce mutisme finit par indisposer l’avocate générale :
« Il n’y a pas eu de signalement, car c’étaient les enfants des
Lavier ! »
Malgré l’abondance des témoignages d’autres enfants et
de parents d’élèves sur ces violences dans la maison Lavier, le
tribunal condamna finalement le couple à de faibles peines de
prison : dix et huit mois avec sursis. Assortie de deux ans de
mise à l’œuvre, cette sanction n’a pas contribué à maintenir
l’acquitté d’Outreau dans l’oubli.
Le 10 juin 2016, un coup de tonnerre éclate : Franck Lavier
est mis en examen à Boulogne-sur-Mer pour viols et agressions
sexuelles sur sa fille âgée de seize ans. L’adolescente faisait partie
elle aussi des douze enfants victimes de viols et indemnisés à
Outreau. Le prévenu est laissé libre sous contrôle judiciaire.
Depuis cette date, un couvercle a recouvert le dossier criminel.
Mes relances par courriel et téléphone auprès des procureurs
successifs de Boulogne-sur-Mer ainsi que des avocats de Lavier
et de la plaignante, pour connaître les suites données à cette
affaire, sont restées sans réponse. A-t-il été condamné ? Y a-t-il
eu non-lieu, classement sans suite ou abandon des poursuites1 ?
Ce mystère et la clémence du jugement de 2012 n’ont
pas peu contribué à renforcer l’idée, chez les associations
de défense de l’enfance, que les acquittés d’Outreau étaient

1. Coup de théâtre : le 18 février 2021, j’ai appris de source proche


du dossier que « l’instruction était en voie d’achèvement ».
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 99

devenus intouchables et bénéficiaient d’un traitement de


faveur jusqu’à la Chancellerie.
3 et 4 – Les Daniel Legrand père et fils. Sans le véritable
talisman que leur ont donné les excuses officielles du pouvoir
exécutif en 2005, d’autres acquittés auraient pu avoir maille à
partir avec la justice si l’on s’en tient aux cotes judiciaires des
différentes enquêtes. La force d’inertie dégagée par la pression
d’un pouvoir opposé à toute remise en cause de la doxa donne
l’impression de geler le cours de la justice, encore aujourd’hui. 
Daniel Legrand fils : acquitté en 2005 malgré ses aveux, il
a été de nouveau déféré en 2015 aux Assises, à Rennes, pour
y répondre des mêmes accusations de violences sexuelles, mais
commises cette fois lorsqu’il était mineur, toujours à Outreau.
Sans la médiatisation, auprès du Parquet, des appels lancés
par les associations de défense de l’enfance pour un jugement
du fils Legrand avant l’imminente prescription du dossier, ce
procès n’aurait jamais eu lieu. Il ne restait plus que quelques
jours avant le classement définitif d’une affaire non jugée.
L’avocat Dupond-Moretti s’était insurgé publiquement contre
la tenue de ce procès, en affirmant qu’un accord tacite avait été
passé avec la hiérarchie judiciaire pour laisser prescrire l’affaire !
Cette hallucinante révélation n’a été suivie d’aucune enquête
ni poursuite, pour entrave à la justice, contre le ou les juges
impliqués, ni contre le futur garde des Sceaux.
Garçon balourd, au vocabulaire limité, le visage poupin,
Daniel Legrand fils a paru dormir sur sa chaise pendant le
procès. Les égards du tribunal avec lui ont contribué à ne pas
le faire sortir de son demi-sommeil, encore moins de ses gonds.
Pour sa défense, il bénéficiait de rien moins que des avocats
Dupond-Moretti, Frank Berton et Hubert Delarue, soudés
dans une évidente volonté de reformer le front de robes noires
qui avait tellement effrayé les enfants victimes et la Cour onze
ans plus tôt, à Saint-Omer.
L’un des mineurs victimes à Outreau, Jonathan Delay, osa-
t-il maintenir ses accusations contre le prévenu qu’un contre-
feu fut allumé par la Cour avec l’appel d’un expert au Canada,
via une visioconférence, Hubert Van Gijseghem ! (Cf. supra).
Ce psychologue en retraite à Montréal est lui aussi, comme
Paul Bensussan, un adepte de Gardner et de sa théorie des
100 La Pédocratie à la française

fausses allégations d’abus sexuels par des mères aliénantes.


« La pédophilie est une orientation sexuelle au même titre
que l’hétérosexualité ou l’homosexualité », avait-il affirmé en
2011 devant la Chambres des communes à Ottawa. Pourtant
informés de cette anomalie par l’association Innocence en
danger, partie civile au procès, les deux avocats de Jonathan
Delay ne crurent pas utile de la reprocher au responsable de
cette invitation, le président des Assises.
Dans son réquisitoire, l’avocat général remisa ses gants
au vestiaire et témoigna d’une telle empathie avec Daniel
Legrand fils que les avocats de la défense décidèrent comme
un seul homme de renoncer à leurs plaidoiries. Comme à Paris,
en 2005…
Déjà bénéficiaire du « bonus » de clémence pour tous les
derniers accusés aux Assises de Paris en 2005, Daniel Legrand
fils avait aussi échappé à un autre procès en 2003 grâce à un
non-lieu inespéré. Un enfant de huit ans, Rudy L., avait accusé
en 2002 Daniel Legrand père (son oncle) et fils, ainsi qu’un
autre cousin, de l’avoir sodomisé. Les Legrand se trouvaient
déjà en prison avec les autres accusés de l’affaire d’Outreau au
moment de sa plainte. Comme ces viols avaient été commis
au domicile de la mère de Rudy, le procureur avait disjoint
ce dossier de celui d’Outreau. Terrorisé par Daniel Legrand
père, Rudy avait maintenu mais atténué par la suite ses accu-
sations, pour parler d’attouchements sexuels. Le procureur de
Boulogne-sur-Mer avait pourtant conclu à un non-lieu, même
s’il avait reconnu « la peur de la victime, un syndrome post-
traumatique », et que l’enfant était crédible…
Daniel Legrand père : « C’est l’oncle qui viole tout le
monde », avait assuré Rudy L. dans sa première déposition.
Son non-lieu de 2003 dans cette affaire avait été suivi l’année
suivante de son acquittement au premier procès d’Outreau.
Il est décédé en 2012.
–  5 et 6 – Thierry Dausque et François Mourmand : à
l’image des Legrand père et fils, ces deux accusés ont été cités
dans un autre dossier Outreau méconnu, disjoint du principal.
*François Mourmand, l’un des dix-huit adultes poursuivis
à Outreau, avait toujours clamé son innocence. Il est décédé
en prison d’une surdose médicamenteuse en juin 2002, bien
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 101

avant le premier procès. Sa sœur Lydia est connue pour avoir


posé sans relâche au milieu des acquittés avec une photo
géante de ce ferrailleur, espérant ainsi obtenir pour sa famille
la même indemnisation de 250 000 euros accordée à chacun
des ex-prévenus. Mais s’il avait été en vie en 2004, quand sa
fille Géraldine (son prénom a été changé pour la protéger) a
dénoncé pour viols répétés à Boulogne-sur-Mer une vingtaine
d’adultes, dont son père, François Mourmand aurait eu à
rendre de nouveaux comptes avec la justice. Sa caravane servait
d’exutoire selon elle à des penchants incestueux sur ses quatre
enfants : Géraldine l’aînée, 8 ans, ses deux sœurs et un frère.
« Déchirure hyménale ancienne » et « fissure anale » avaient été
relevées sur elle par la Faculté. Pendant trois ans, Géraldine
ne cessera de répéter devant les policiers ses accusations, y
compris celles de deux meurtres d’enfants. Mais le procureur de
Boulogne-sur-Mer, Gérald Lesigne, malmené au même moment
avec l’ensemble de la Cour par les avocats de la défense au
procès de Saint-Omer, n’ouvrira jamais une information judi-
ciaire contre les adultes mis en cause, malgré les remontrances
écrites de son supérieur, le procureur général près la Cour
d’appel locale, Jean-Jacques Zirnhelt.
*Thierry Dausque : parmi les prédateurs présumés que citait
Géraldine figure un certain « ami de Monique Fouquerolle­ »,
accusé par elle de l’avoir violée avec son doigt. Il s’agit de
Thierry Dausque, l’un des acquittés d’Outreau. Alors qu’il était
aisé aux enquêteurs de déduire son identité, il ne sera jamais
entendu dans ce scandale. Près de quatre ans après sa première
confession, réitérée à plusieurs reprises devant la police, Géral-
dine Mourmand, victime de menaces, terrorisée par la tante
Lydia, finira par limiter ses accusations à des attouchements
sexuels. Le procureur Lesigne n’ira pas plus loin et décrétera
un classement sans suite.

H/ L’Europe étouffe le cri d’un enfant d’Outreau

Le 14 août 2014, Dylan Delay, l’un des douze enfants


victimes à Outreau lorsqu’il n’était qu’un bébé, et devenu
majeur à cette date, a porté plainte contre la France devant
102 La Pédocratie à la française

la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), pour procès


inéquitable à Outreau (article 6).
Dans un total refus du contradictoire, la CEDH a déclaré
irrecevable ce recours, le 17 décembre 2015, sans aucune possi-
bilité d’appel, et sans avoir convoqué l’avocat de Dylan à une
quelconque audience préalable.
Il s’agit d’un déni de justice en droite ligne de l’infamie
commise contre les victimes mineures de viols à Saint-Omer
puis Paris. Leur cri a été étouffé. Dans sa plainte, Dylan
avait relevé une anomalie gravissime pendant les Assises de
Paris : « Le Procureur général, Yves Bot, et son adjoint, Yves
Jannier, lequel avait fait taire les parties civiles durant le
procès, ont organisé dans la salle des Assises, la veille de la
dernière audience, une conférence de presse publique qui a
été très largement relayée dans les médias nationaux. Ils ont
présenté leurs excuses aux accusés avant que le jury de la
Cour d’assises ne délibère le lendemain. Les jurés, qui pour
la plupart ne sont pas des professionnels mais de simples
citoyens, ont été directement influencés dans leur délibéré
par cette intervention, très préparée, qui a été faite par deux
très hauts magistrats qui se sont présentés à la conférence
de presse. Les jurés ont nécessairement eu connaissance de
cette conférence de presse puisqu’ils ont regagné leurs domi-
ciles avant le délibéré et avaient accès aux médias. C’était
d’ailleurs l’objectif de ces deux magistrats : de faire pression
sur la Cour d’assises afin d’obtenir avec certitude une déci-
sion d’acquittement général. Ceci a été rendu possible parce
que le parquet général, en France, est dépendant du pouvoir
politique. En effet, le Procureur général de Paris dépend du
Directeur des affaires criminelles et des grâces qui lui-même
prend ses instructions directement auprès du Ministre de la
justice française. Pression a été faite sur les jurés dans cette
affaire pour faire acquitter des accusés au détriment de nos
intérêts à nous, les victimes. »
Outreau, « Hiroshima de l’enfance » 103

I/ « Tous coupables »

Dans une étonnante coïncidence, une violente tribune


dénonçait sans le nom la pédocratie française le jour même où
Fabrice Burgaud ouvrait son enquête à Outreau, le 20 janvier
2001. « Viols d’enfants : tous coupables », écrivait dans Libération
l’économiste Jacques Vigoureux. « […] J’accuse de complicité
de crime ou de criminelle indifférence : les recteurs d’académie,
les évêques, les ministres de l’Éducation et de l’Intérieur, tous
ceux que le simple exercice de leur pouvoir hiérarchique auto-
riserait pour le moins à écarter aussitôt les bourreaux de leurs
victimes ; les autres ministres, les élus et, jusqu’au président
de la République, tous ceux qui ont le pouvoir de légiférer et
de faire appliquer les lois ; et pour finir, nous tous, citoyens à
nos heures seulement, qui sommes capables de remuer sur-
le-champ les politiques pour défendre nos retraites, mais ne
protestons même pas devant la litanie des vies souillées et
anéanties de nos tout-petits, de nos enfants ! »
Dix jours plus tard, le quotidien publiait une acerbe réponse
à cette attaque sous le titre « Du tous pourris au tous pédo-
philes ». Elle y dénonçait un « délire », un propos « obscène », et
des « contre-vérités sur la pédophilie » alors que « la France est
l’un des pays les plus répressifs en matière d’abus sexuels sur
mineurs ». Son co-auteur : Paul Bensussan.
CHAPITRE IV

Lolita en France

Le milliardaire pédocriminel américain Jeffrey Epstein est


mort à 66 ans, officiellement par pendaison dans sa cellule à
la prison de New York le 10 août 2019, mais l’enquête inter-
nationale sur les complicités du milliardaire américain n’est
pas prête de s’éteindre, avec des ramifications en France et
en Grande-Bretagne. Avant sa chute, il avait reçu une liste
impressionnante de personnalités de tous les milieux dans
ses propriétés de Manhattan, du Nouveau-Mexique, de Palm
Beach ou de son île privée dans les îles Vierges, à l’est de Porto
Rico, dans les Caraïbes.
Fondateur d’une société d’investissements, Epstein avait
bâti sa fortune à la Bourse grâce aux placements des fonds d’un
autre financier, Leslie Wexner, Pdg des vêtements Abercrombie­
et de la lingerie féminine de luxe Victoria Secret. Sa prin-
cipale rabatteuse présumée de mineures, l’héritière franco-
britannique Ghislaine Maxwell, a été arrêtée le 2 juillet 2020
aux États-Unis, et un autre complice, le Français Jean-Luc
Brunel (Ben Chemoul de son vrai nom), fondateur d’agences
de mannequinat, l’a été à son tour à Paris le 17 décembre 2020
alors qu’il s’apprêtait à prendre un vol pour le Sénégal depuis
l’aéroport de Roissy.
Le 23 août 2019, le parquet de Paris avait ouvert contre
Brunel une enquête préliminaire pour violences et agres-
sions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans, et confiée à
l’Office central pour la répression de la violence aux personnes
(OCRVP). Le Parquet ne pouvait pas faire autrement, car
les informations spectaculaires en provenance des États-
Unis avaient révélé les liens étroits du défunt non seulement
106 La Pédocratie à la française

avec Ghislaine Maxwell, mais aussi avec ce même Jean-Luc


Brunel, un Français de petite taille, aujourd’hui âgé de 74 ans.
Quatre jeunes femmes se sont manifestées déjà pour dénoncer
Brunel. Selon l’une d’elles, Virginia Roberts, Brunel avait
proposé à Jeffrey Epstein des dizaines de jeunes filles pour
satisfaire son appétit pour les adolescentes. « J’ai eu des
relations sexuelles avec Jean-Luc Brunel à Palm Beach, New
York mais aussi dans le sud de la France », a notamment assuré
celle qui était mineure à l’époque des faits.
Fondateur des agences Karin Models à Paris puis de MC2 à
Miami, Brunel a été l’un des pontes dans l’ombre de la haute
couture pour son pourvoi de jolies filles aux créateurs interna-
tionaux de la mode. Comme nombre de ses confrères recher-
chés par des mineures en mal de célébrité et de fortune, il a été
accusé d’avoir profité de cette proximité pour abuser d’elles,
et d’avoir fourni à Jeffrey Epstein de multiples proies, dont de
jeunes Françaises. Il avait été présenté au milliardaire améri-
cain par Ghislaine Maxwell dans les années 1980. Des photos
de presse le montrent avec elle en plein éclat de rire sur un sofa
dans la villa d’Epstein sur l’île de Little-St-James. Selon les
carnets de vols de l’aviation civile, le Français s’y est rendu plus
de trente fois à bord du jet privé du pédocriminel.
Une enquête diffusée par Radio-France le 3 octobre 2019
a cité le cas de l’Américaine Courtney Soerensen. Mannequin
à Paris pour l’agence Karin en 1988, elle affirme avoir été
harcelée sexuellement pendant plusieurs semaines puis agressée
sexuellement lors d’une soirée à Paris, par Jean-Luc Brunel.
« Dans son bureau, il me demandait de soulever ma chemise.
Ou encore de me mettre en sous-vêtements. Et ce n’était pas
normal dans la situation où nous nous trouvions à ce moment-
là. » Lors d’une fête au domicile de Jean-Luc Brunel, le patron
de Karin Models adopte un ton encore plus direct : « Nous nous
sommes retrouvés dans sa chambre. Il m’a montré une affiche
de Miss Univers, puis m’a parlé de ses multiples contacts au
Japon. Il se rapprochait de plus en plus de moi, m’a touchée de
partout. Je me suis écartée. Tout à coup, il a tenté de m’attirer
sur le lit, j’ai résisté en lui disant que je n’étais pas intéressée. Je
lui ai rappelé que sa femme était dans le salon. Il a commencé
à arracher ma chemise. Il m’a poussée sur le lit. J’ai résisté,
Lolita en France 107

il a persisté. J’ai réussi à le repousser et je me suis enfuie de


la  chambre. »
Après cet épisode, Courtney Soerensen assure avoir eu « de
moins en moins de contrats, presque plus de séances photos »,
et elle a changé d’agence.
La même année 1988, Brunel avait été mis en cause
avec un autre Français chercheur de pépites en fleur, Claude
Haddad, dans un reportage explosif de CBS, 60 minutes, animé
par Diane Sawyer. Une mannequin y affirme avoir été droguée
et violée par Jean-Luc Brunel chez lui, et que « beaucoup
de gens savent ça au sujet de Jean-Luc ». D’autres jeunes
filles décrivent un marché aux bestiaux, avec ces fameux
dîners auxquels participaient des hommes riches et vieux
avec lesquelles elles étaient encouragées à avoir des relations
sexuelles pour continuer à travailler. L’ancien mannequin Zoë
Brock a certifié au quotidien 20 Minutes qu’elle avait refusé les
avances de Brunel et avait aussitôt été rétrogradée, puis mise
sur liste noire. Dans le reportage de CBS, la toute-puissante
Eileen Ford, patronne de l’agence du même nom, qui avait un
partenariat avec celle de Brunel à Paris, semble tomber des
nues. « Eileen était au courant des accusations mais était dans
le déni, elle était sous le charme de Jean-Luc », a confié à 20
Minutes le photographe américain Clayton Nelson. Le repor-
tage de Diane Sawyer met fin à la carrière de Claude Haddad,
mais Jean-Luc Brunel poursuit alors la sienne aux États-Unis.
Depuis l’explosion de l’affaire Epstein, deux anciens manne-
quins ont accusé l’agent français de viol. Si les faits semblent
prescrits, une autre plainte, pour des faits plus récents de
harcèlement sexuel, a été déposée. Jean-Luc Brunel conteste
fermement les accusations relayées par la presse, avait assuré
en octobre 2019 son avocate, Corinne Dreyfus-Schmidt, et « il
se tient à la disposition de la justice ». Contactée par mes soins
en juillet 2020, l’avocate n’a pas donné suite à mes questions.
Elle a renoncé à le défendre quand elle a appris sa tentative
de fuite à Dakar.
Les enquêtes de la presse américaine ont démontré que
le gotha mondial s’envoyait en l’air dans le « Lolita Express »
d’Epstein. Pour se rendre dans son île, habitée par lui seul, et
y convier ses célèbres amis, Epstein utilisait un Boeing 727,
108 La Pédocratie à la française

surnommé « Lolita Express » en raison de la présence à bord de


jeunes femmes pas toujours majeures.
Bill Clinton a fait vingt-six voyages dans cet appareil. L’an-
cien avocat du milliardaire, Alan Dershowitz, est accusé par
Mme Roberts de l’y avoir violée pendant un vol, ainsi qu’une
autre fille. Les autres voyageurs occasionnels : l’ancien président
colombien Andrés Pastrana, le modèle Naomi Campbell­, l’ex-
président de Harvard, Larry Summers, ou encore l’acteur
Kevin Spacey, mais le plus souvent la franco-britannique
Ghislaine­ Maxwell.
Il s’agit de la cadette et de la préférée des neuf enfants
de l’ancien magnat de la presse britannique Robert Maxwell.
À 59 ans, l’héritière métamorphosée en femme du monde aux
États-Unis, après la mort suspecte par noyade de son père
en 1991, échappe rarement dans les médias au qualificatif
de Madam. Ce nom français sans le « e » final évoque pudi-
quement une mère maquerelle dans les pays anglo-saxons
et latins. Ex-compagne du prédateur, elle avait maintenu un
étroit contact avec lui, et lui avait présenté le prince Andrew.
Ses accusatrices affirment et répètent depuis des années que
Ghislaine les avait violées, et qu’elle dirigeait un réseau de
jeunes mineures, devenues esclaves sexuelles pour les menus
plaisirs d’Epstein, du duc d’York et de hautes personnalités.
Amie intime de Bill Clinton, elle avait été vue avec lui dans un
restaurant huppé de Madison Avenue à New York, peu avant la
mort d’Epstein, et l’a accompagné parfois jusqu’à Little Saint-
James à bord du Lolita Express.
Son père Robert Maxwell avait édifié une fortune considé-
rable comme patron de presse, notamment du groupe Daily
Mirror, après avoir été élu député pour le parti travailliste.
L’un de ces élus du même bord le qualifiera plus tard comme
« l’un des pires criminels du siècle ». Le magnat sera même
accusé d’avoir détourné à son profit le fonds de pension de ses
employés au Mirror. Selon un ex-membre de l’intelligence mili-
taire israélienne, Maxwell et l’éditeur international du journal
appartenaient au Mossad.
D’origine juive, Robert Maxwell avait épousé une
Française de confession protestante, Elisabeth Meynard,
la mère de ses neuf enfants. En France, il avait participé
Lolita en France 109

financièrement avec Bouygues à la privatisation de la chaîne


de télévision TF1 en 1987.
Désormais dans la ligne de mire des enquêteurs, Ghislaine
a réussi à échapper aux foudres de la justice jusqu’au 2 juillet
2020. La veille, on la disait sur la côte Ouest américaine, à
Los Angeles, puis dans le sud de la France, ou encore dans un
luxueux appartement près des Champs-Élysées à Paris. C’est
finalement dans une maison isolée au fond d’une immense
forêt dans le New Hampshire, sur la côte Est des États-Unis,
que la Madam de Jeffrey Epstein a été arrêtée ce jour-là par
le FBI. Nombre d’observateurs n’ont pas caché sur-le-champ
leurs craintes de la voir subir le même sort que son comparse
d’orgies criminelles. « Maintenant gardez-la en vie ! », titrait le
lendemain sur une pleine page le New York Post à la Une.
Jean-Luc Brunel n’est pas le seul Français ou résident français
à avoir connu et fréquenté Jeffrey Epstein. Le lanceur d’alerte
français Pedopolis.com a répertorié un total de 164 contacts liés
à la France dans le petit Carnet Noir du pédocriminel. Comme
l’indique ce site, rien ne dit que l’un ou l’autre des adultes, avec
adresse(s) et numéro(s) de téléphone(s), puisse être mêlé de
près ou de loin aux activités criminelles du milliardaire. Mais la
publication de noms connus dans cette liste s’impose puisque
chacune de ces personnes est susceptible d’être entendue
comme témoin par les policiers.
Outre Jean-Luc Brunel, dont le nom est entouré au crayon
dans le Carnet noir, on y trouve notamment (sans leurs adresses
ni leurs numéros de téléphone que j’ai effacés) :
–  Azzedine Alaïa, créatrice de mode.
–  Pierre de Boisguilbert, figure de la chasse à courre (« je
tue pour le plaisir et j’assume », a-t-il dit en 2018 sur Europe1).
–  Princesse Georgina Brandolini d’Adda, ex-muse du créa-
teur de mode Valentino pendant vingt ans, ancienne directrice
du prêt-à-porter chez Balmain.
–  Son époux Tiberto, ex-directeur de l’EXOR Group, comte
de Valmareno, neveu de Gianni Agnelli, membre du conseil
d’administration de Fiat-Chrysler.
–  Prince Louis Albert de Broglie, fils du député gaulliste
Jean de Broglie, (assassiné à Paris en 1976), créateur du Conser-
vatoire de la tomate en Touraine, surnommé le prince jardinier.
110 La Pédocratie à la française

–  Pamela Boulet, directrice d’Alma Mater Europe.


–  Arpad Busson, milliardaire de la haute finance, fondateur
de EIM (gestion de portefeuille) puis de LumX, en difficulté,
ex-compagnon de Farrah Fawcett, marié à Elle McPherson
(deux fils avec elle) puis Uma Thurman (une fille avec elle).
–  Veronica Toubs, sa femme. Styliste.
–  Alain De Cadenet, fils d’un aviateur français de la France
Libre. Pilote aux 24 heures du Mans, puis directeur d’équipe et
constructeur. Vit à Londres.
–  Le duc suisse Pierre d’Arenberg.
–  Jacques de Crussol d’Uzes, 17 e Duc d’Uzès, Légion
d’honneur, gérant de société immobilière.
–  Patrick de Baecque, directeur du Figaro au début du siècle
et désormais reconverti dans les affaires (Dolead).
–  Princesse Hermine de Clermont-Tonnerre, autrice,
décédée après un accident de moto le 3 juillet 2020.
–  Luigi d’Urso, marchand d’art. Mari d’Inès de la Fres-
sange. Décédé en 2006.
–  Frédéric Fekkai Beauty, coiffeur des vedettes aux USA,
connu pour ses produits haut de gamme pour cheveux.
–  Katie Ford : elle a dirigé l’agence de mannequins
« Ford Models », fondée par ses parents. Reste au conseil
d’administration.
–  Jacques Grange, décorateur et architecte d’intérieur de
stars (YSL, Pierre Bergé, entre autres).
–  Astrid Kohl, épouse du Prince Alexandre du Liechtenstein.
–  Christopher Lambert : ainsi libellé. Il peut s’agir de l’ac-
teur Christophe Lambert.
–  Caroline Lang : fille de Jack Lang, patronne de Warner
Bros en France.
–  Jean-Yves Le Fur, ex-playboy, a fondé des magazines vite
disparus, animateur des nuits parisiennes, ex-compagnon
de Stéphanie de Monaco, du mannequin hollandais Karen
Mulder, et de la réalisatrice Maïwenn avec qui il a eu
un garçon.
–  Christine Maxwell, sœur de Ghislaine, femme du physi-
cien Roger Malina.
–  Marjorie Malina, femme de l’ingénieur et peintre Frank
Malina.
Lolita en France 111

–  Brigitte Ades Panah-Izadi, journaliste, directrice de poli-


tiqueinternationale.com.
–  Olivier Widmaier Picasso : petit-fils du peintre, auteur,
producteur et conseiller en audiovisuel.
–  Sa compagne Alice Evans, actrice britannique.
–  Jean Pigozzi, photographe de la jet set, fils du fondateur
de l’ancienne usine de voitures Simca, collectionneur d’art.
–  Nicholas Rachline, producteur de cinéma, photographe,
petit-fils de Marcel Bleustein-Blanchet, le créateur de Publicis.
–  Edouard de Rothschild, banquier d’affaires, cavalier de
concours hippiques. Il a été l’un des dirigeants du quotidien
Libération de 2006 à 2014. À son arrivée, Serge July a été
contraint à quitter le journal.
–  Caroline Roumugere, créatrice de bijoux.
–  Isabelle de Séjournet d’Hauteville, épouse du comte Eric
de Renusson d’Hauteville.
–  Edward Saint-Bris, musicien.
–  Jean-Paul Mulot, représentant permanent de la région
Hauts-de-France en Grande-Bretagne. Ex-directeur délégué du
Figaro, il a fondé avec de Baecque le Figaro en ligne.
–  Mario Garnero, financier brésilien.
–  Philippe Junot, ex de Caroline Monaco.
–  Marie-Joseph Experton, avocate.
–  Alberto Pinto, décorateur de l’Élysée, décédé en 2012.
Son nom est entouré au stylo dans le registre du Lolita Expess.
–  Albert Bénamou, galériste.
–  Cindy Lopez (Buklarewicz), ancienne de Karin Models.
Son nom est entouré dans le Carnet noir. Elle était à une récep-
tion avec Epstein peu avant l’arrestation de celui-ci.
–  Bill Clinton, ex-président des États-Unis. Il a voyagé sur le
Lolita Express avec Cindy Lopez le 13 juillet 2002, en compa-
gnie d’Epstein, et de Ghislaine Maxwell. Un autre vol enregistré
inclut Cindy Lopez, Bill Clinton, Epstein, Maxwell, Doug
Band, Kevin Spacey, Chris Tucker, Ron Burkle, Sarah Kellen,
Ira Manzinger, Eric Nonacs, Jim Kennez, Chaunte Davis, Gayle
Smith, David Slang, Rodney Swater, Andrea Mitrovich, Casey
et Laura Wasserman.
–  Alexia Wallaert, Pdg d’Albatros et Paw.
–  Vera Wang, styliste.
112 La Pédocratie à la française

–  21 masseuses à Paris. Seul apparaît leur prénom.


–  et bien entendu Ghislaine Maxwell.

et en Grande-Bretagne

Le prince Andrew a plongé la monarchie britannique dans


le scandale pédocriminel Jeffrey Epstein. Moins de 24 heures
après l’arrestation de Ghislaine Maxwell, l’avocate générale
de New York, Audrey Strauss, a demandé le 3 juillet 2020 au
duc d’York, mis en cause par une mineure dans ce dossier, de
se rendre aux États-Unis pour y être entendu par la justice
américaine.
Le prince Andrew, huitième dans l’ordre de succession
monarchique en Grande -Bretagne, a toujours nié avoir eu des
relations sexuelles avec Virginia Giuffre-Roberts lorsqu’elle
était mineure. Il avait pourtant maintenu d’étroites relations
avec Epstein après que ce dernier fut sorti de prison en 2009
après une brève peine pour trafic de mineures. Une photo,
diffusée dans tous les médias américains et britanniques, le
montre enlacé à cette jeune fille, dans l’appartement de Ghis-
laine Maxwell. Malgré ces preuves avérées, le prince n’avait
toujours pas répondu à la convocation de la justice américaine
en janvier 2021.

Cet épisode scabreux n’est pas fait pour redorer le blason


de la Couronne. On se rappelle les liens étroits entre le prince
Charles et le violeur en série Jimmy Saville, mort dans son lit
en 2011.
C’est seulement après son décès que l’on avait découvert la
vie cachée de cet autre pédocriminel honoré du titre de « Sir »
par la reine Elisabeth : un millier de victimes mineures de ses
agressions sexuelles quand il dirigeait ses émissions de télé à
la BBC.
CHAPITRE V

La pédocratie à la française :
les pédophiles se cachent à la vue de tous

A/ Les lignes du « prince de la coke »

Avec les rebondissements en cascade des affaires Matzneff,


Girard, Epstein (en France) et Duhamel, ce titre est en passe de
s’écrire à l’imparfait, grâce à l’avalanche de poursuites en cours.
« Ils se cachaient » à la vue de tous, les amateurs de ballets roses
et bleus, avec en leur faveur puissance, argent ou aura, comme
le démontre un connaisseur de ces milieux.
Dans son autobiographie, intitulée Le prince de la coke
(Nouveau Monde éditions, 2020), l’ancien trafiquant de
drogue Gérard Fauré dézingue à tout va, y compris les élites
pédophiles. Il leur consacre un long chapitre, et a complété
ses accusations dans des entretiens avec des radios. L’omerta
a frappé son livre : aucune télévision publique ou privée de la
TNT ne l’a invité sur son plateau pour commenter ses mises
en cause.
Fauré dénonce notamment Bernard L., « un odieux proxé-
nète qui vendait des enfants aux pédophiles de la haute société
parisienne, au vu et au su de son protecteur, le commissaire du
VIIIe arrondissement. Ce dernier lui demandait, pour fermer
les yeux sur ces activités nauséabondes, des parties de jambes
en l’air avec des enfants, de la coke et bien sûr des “enveloppes”
mensuelles, bien grasses ». Selon l’auteur, Bernard L. « impor-
tait allègrement et sans scrupules de jeunes enfants issus de la
misère, qui venaient le plus souvent du Brésil. […] Ce bourreau
les faisait défiler dans une des chambres de son hôtel, fréquenté
114 La Pédocratie à la française

par des princes arabes et des amis français, qui raffolaient de


jeunes enfants. L. était protégé par toute une clique de puis-
sants pédophiles qui s’en mettaient plein le nez avec la coke
que je leur apportais ». À plusieurs reprises, Fauré assure que la
police des mœurs, au courant, laissait faire.
Dans le milieu politique, il s’en prend à un pervers sexuel,
ministre de François Mitterrand, que l’on trouvait pratique-
ment tous les soirs à l’Adams Club, un club échangiste huppé :
« Dans une ville de province, dans les années 1970, cet homme
était déjà connu très défavorablement des RG locaux pour
ses dérives, la cocaïne aidant, avec des mineurs. Ma source
est un homme des RG, un cocaïnomane invétéré. Pathétique,
ce ministre, quand il entrait dans le club suivi de ses petits
mignons qu’il menait comme un troupeau à l’abattoir. »
Dans le monde du cinéma, il épingle le célèbre acteur A. et
son attrait pour les mineurs dans sa somptueuse villa au Maroc.
Cette discrétion de l’éditeur ne nous empêche pas de deviner
de qui il s’agit. « Dans les années 1970 les allées et venues
constantes de jeunes mineurs se faisaient au vu et au su de tous
les voisins qui considéraient ça d’un très mauvais œil, surtout
venant d’un homme aussi célèbre. […] La police finit par lui
demander, avant que le scandale n’éclate et que le roi Hassan II
s’en mêle, de quitter le pays avec armes et bagages, sans tarder. »
Le chantage aux clichés pédocriminels n’est pas une
nouveauté. Après le coup d’État manqué du colonel Oufkir
contre le roi du Maroc en 1970, des aviateurs rebelles s’étaient
réfugiés en Grande-Bretagne. Hassan II avait utilisé ce subter-
fuge auprès de Londres pour obtenir leur extradition. Fauré
cite sa source : son propre père, médecin du roi marocain.
« Hassan II envoya alors à Buckingham Palace quelques photos
où l’on pouvait voir au moins un membre de la famille royale
en pleine action avec des mineurs », révèle l’auteur. Quarante-
huit heures plus tard, les aviateurs marocains rentrèrent au
Maroc menottés.
La pédocratie à la française… 115

B/ L’affaire Olivier Duhamel, symbole de la pédocratie

Les aveux de Camille Kouchner sur le viol de son jumeau


par Olivier Duhamel entre ses 12 et 14 ans ont mis la France
en état de choc et dynamité les pare-feux habituels de l’intelli-
gentsia au pouvoir. Pour la première fois dans l’histoire contem-
poraine, un grand ponte de l’élite tombait de son piédestal sous
l’accusation de viol sur un enfant, et frappait d’opprobre, par
ricochet, les centaines de notables coupables d’avoir gardé le
silence pendant trente ans. Car l’aréopage de la gauche caviar
– ministres, ex-ministres, artistes, intellectuels – n’ignorait
rien des crimes de cet Intouchable. Le principal d’entre d’eux
n’est autre que l’ex-fondateur de Médecins sans frontières,
ex-ministre de gauche, et comme on le sait signataire de l’hor-
rible pétition pédophile de 1977 : Bernard Kouchner, père de
Camille et de son jumeau victime, « Victor » (son pseudonyme).
Aucune des hautes personnalités de gauche proches de cette
famille n’avait reconnu, jusqu’à la mi-février 2021, avoir eu
connaissance des crimes de Duhamel.
Ce déni surprend d’autant plus que l’actrice Marie-France
Pisier, tante de Camille et de Victor, avait révélé urbi et orbi les
turpitudes du prédateur, avant sa mort étrange au fond de sa
piscine à Saint-Cyr-sur-Mer en 2011. Une énigme, car son corps
était coincé sous une chaise en fer, et ses poumons ne contenaient
aucune goutte d’eau.
Le mystérieux décès avait déclenché une enquête. Les
policiers avaient découvert les échanges de courriels entre
Marie-France et sa sœur Evelyne. Cette ex-épouse de Bernard
Kouchner, et mère des jumeaux, avait toujours refusé d’obéir
à l’actrice qui l’incitait à rompre avec Duhamel. La découverte
de l’inceste beau-paternel sur Victor avait amené les policiers
à entendre les enfants. Victor avait révélé la vérité, mais à sa
demande aucune suite légale n’avait été donnée au viol.
Déjà réputée pour ses absences avec la vérité depuis le
scandale Zandvoort, Elisabeth Guigou a eu l’audace d’assurer
avoir découvert les vices de Duhamel dans le livre de Camille
Kouchner. Personne ne l’a crue, et la clameur d’indignation sur
les réseaux sociaux l’a contrainte à démissionner de son poste
de présidente de la nouvelle commission sur les délits sexuels.
116 La Pédocratie à la française

Si un autre astre du gotha germanopratin a avoué, lui, avoir été


informé bien avant le livre, il a usé d’une stupéfiante excuse :
Jean Veil. Cet autre membre du club fermé Le Siècle, avocat
et fils de Simone, faisant fi du Code pénal sur la non-dénon-
ciation de crime, a invoqué le « secret professionnel » comme
raison de son silence. Comme son ami Olivier Duhamel, il a
dû démissionner du Siècle. Également au courant du parcours
délictueux de Duhamel, le directeur de Sciences Po, Frédéric
Mion, d’abord réticent, a fini par démissionner le 9 février
2021. Quant à François Hollande, il a beaucoup fait rire dans
les couloirs du pouvoir quand il a affirmé n’avoir rien su, lui,
un ancien président de la République.
Fils de Jacques Duhamel – ancien ministre de Georges
Pompidou –, conseiller du Conseil constitutionnel, président
de la Fondation de Sciences Po, président du club Le Siècle, poli-
tologue prompt à donner des leçons de morale à la télévision,
Olivier Duhamel recevait tout le gratin de la gauche dans la
propriété familiale de Sanary-sur-Mer (Var). Camille Kouchner
décrit dans La familia grande le climat de débauche qui y régnait
en été en compagnie des enfants.
Sans revenir en détail sur cette affaire, connue des lecteurs
eu égard à sa puissante médiatisation, elle résume à elle seule
tous les maux relevés dans cet ouvrage :
–  Le refus largement majoritaire dans la famille d’écouter
l’enfant victime, de le croire ou d’entamer des poursuites contre
le violeur, et la terreur de la victime sous emprise.
–  La complicité des proches et des amis avec l’omerta.
–  Les réticences de la hiérarchie policière et judiciaire à
engager des poursuites pénales, et même des enquêtes prélimi-
naires, quand les faux pas pédocriminels touchent « le monde
d’en-haut ».

C/ « Sacrée soirée » pour Gérard Louvin et son mari

Les dominos pédocriminels tombent un à un et de plus en


plus vite depuis le scandale Duhamel. Producteur de renom à la
télévision (Sacré soirée, Ciel pour mardi !), au théâtre ou au music-
hall, Gérard Louvin et son mari, Daniel Moyne, sont accusés
La pédocratie à la française… 117

de viols sur mineur et complicité par Olivier A., le neveu de


l’ex-directeur de la Star Academy. Après la plainte déposée
le 6 janvier 2021 par la victime, quatre autres personnes ont
imité sa démarche.

D/ « La gifle » de Coline à son père Richard Berry

Une violente campagne médiatique pour ou contre la


vedette de cinéma a éclaté après la plainte pour viols, agres-
sions sexuelles et corruption de mineur déposée par Coline
Berry contre son père Richard Berry et son ex-épouse, la chan-
teuse Jeane Manson. Cette plainte remontait à janvier 2021,
et la victime n’en avait pas fait état publiquement. Prenant
les devants, l’acteur du film La gifle a médiatisé la nouvelle
le 3 février à grand renfort de démentis et de soutiens. Son
ami Alexandre Arcady, a cru bon de jeter aussitôt l’anathème
sur C-News contre la victime, accusée « d’allégations totale-
ment farfelues, presque mythomaniaques ». La guerre des mots
entre deux familles déchirées se poursuivait à la mi-février par
gazettes interposées. « C’était ça ou j’en crève », a confié Coline
Berry à France-Info le 15 février 2021.

E/ Le dur combat des ONG pour l’enfance

Longtemps réduites à un combat d’arrière-garde faute de


ressources pour recruter des vedettes du barreau, les associa-
tions de défense des enfants sont désormais en première ligne
grâce à la puissance des réseaux sociaux. Innocence en danger
vient ainsi d’obtenir la réouverture du procès d’un prédateur
en février 2021, après avoir fait de même en 2015 contre
Daniel Legrand fils, l’un des acquittés d’Outreau. Sa présidente
Homayra Sellier, avait financé en 2013 le film Outreau, l’autre
vérité, de Serge Garde. Ses conclusions accablantes pour les
accusés rejoignaient les miennes. Deux autres mouvements se
sont récemment distingués :
118 La Pédocratie à la française

a- Une patineuse raye le miroir des prédateurs

Le sport est gangrené lui aussi par la vague de viols en


France, comme l’a rappelé l’affaire Sarah Abitbol, autrice du
livre Un si long silence (Plon). Cette championne de patinage
artistique, médaille de bronze (couple) au Mondial 2000, a
révélé avoir été violée par son entraîneur à 15 ans, en avoir
informé le ministre des Sports (non désigné par elle), avec pour
réponse que le ministère devait « fermer les yeux ». Son combat
judiciaire a cessé pour prescription, mais son prédateur, Gilles
Beyer, a été limogé, et le président de la Fédération concernée,
Didier Gailhaguet, contraint à la démission.

b-Un rugbyman, lui aussi victime, dans la mêlée

De 11 à 16 ans, Sébastien Boueilh, ancien joueur du XV


de Dax, a été violé par le mari de sa cousine. Devenu majeur,
il a refusé de botter en touche comme on le lui suggérait dans
la famille, et il a porté plainte. Après cinq ans d’escarmouches,
il a obtenu la condamnation du violeur à dix ans de réclusion
criminelle. À 41 ans, ce solide gaillard rentre en mêlée chaque
jour pour aller dans les écoles et mettre en garde les enfants
contre les risques encourus dans les contacts avec les adultes. Sa
fondation, Colosse aux pieds d’argile, ne cesse de faire des petits.
Ses confidences au quotidien La Nouvelle République le 11 octobre
2018 ont valeur de prémonition : « Le jour où un sportif connu et
populaire sortira du silence, vous allez voir le chantier. » Il citait
l’exemple d’un « champion olympique qui a déjà témoigné auprès
de nous mais qui préfère conserver l’anonymat »…

c- Les failles de l’Aide sociale à l’enfance

300 000 mineurs, soit 2,08 % des moins de 18 ans, relèvent


en France de la Protection de l’enfance. 21 000 autres dépendent
de l’Aide sociale à l’enfance (ASE, ancienne DDASS). Le
dévouement dans ses rangs coexiste avec des carences de plus
La pédocratie à la française… 119

en plus dénoncées auprès des ONG et sur les réseaux sociaux.


Mes enquêtes sur le terrain le confirment. Dans de multiples
cas, la conjugaison fatale – surdité des juges, incrédulité de la
police-gendarmerie, cécité des enseignants, mutisme des méde-
cins et faiblesses des ASE – aggrave la souffrance des enfants.
En cas d’inceste, ils sont souvent remis à leur prédateur malgré
les plaintes de la mère.
Le drame de Karine Jambu, 23 ans, illustre ce lamentable
constat. Dans son livre SignalementS (Ring), écrit avec sa tante
Laurence Brunet-Jambu et publié en 2019, on découvre l’hor-
reur : elle fut violée de 4 à 7 ans par son père et un ami des
parents, elle était haïe de sa mère, frappée, mal nourrie, sa
génitrice avait déjà tué un premier enfant de 130 coups de
couteau, sa tante avait fait treize signalements au fil des ans,
sans résultat, le médecin faisait des certificats de complaisance
au père, la gendarmerie restait coite. Pour la faire échapper à
ce calvaire, Laurence avait « acheté » la petite pour la garder
avant de l’adopter à sa majorité. Traitée de « folle » par ceux qui
avaient le devoir d’écouter ses plaintes, elle n’a jamais renoncé.
Le père a été condamné à 30 ans de prison en 2018. L’État l’a
été aussi pour « déni de justice ». Mais cet épilogue ne suffit pas
aux deux parentes. Elles ont fait appel pour obtenir la condam-
nation de l’État pour « faute lourde ».
ÉPILOGUE

Vingt ans après la découverte d’horreurs pédocriminelles


à Outreau, les petites victimes de viol ont commencé à arra-
cher en masse le bâillon du silence que ce procès inique pour
les enfants avait cousu sur leurs bouches. La pédocratie en
vogue depuis l’après-68 a connu son apogée pendant ces deux
décennies, jusqu’à sa chute en cours grâce aux réquisitoires de
deux jeunes femmes connues, Vanessa Springora et Camille
Kouchner, ainsi qu’à l’avalanche de plaintes qu’ils ont suscitées.

L’histoire contemporaine depuis l’après-guerre regorge


de preuves ici relatées sur le gigantesque détournement de
mineurs en France, l’indifférence générale, le mensonge par
omission, la cécité ou autocensure médiatique, la faiblesse
judiciaire, et la protection des prédateurs au sein de l’élite.
Tétanisés par la peur devant un tel mur d’hostilité, l’enfant
victime n’osait parler. C’est une clameur qui sourd de tous les
horizons désormais pour dynamiter l’omerta.

Un coup d’État éthique est en train de faire tomber la pédo-


cratie française. Jusqu’ici, les prédateurs se cachaient à la vue
de tout le monde, assurés de l’impunité. Désormais, les intou-
chables qui ne sont pas encore tombés ne sont qu’en sursis.

Une image symbolise la révolution en cours : le « bourreau »


des enfants aux procès d’Outreau, Éric Dupond-Moretti, a
troqué sa robe noire d’ours mal léché pour un surplis blanc
d’enfant de chœur. Surnommé « acquittator » par ses lauda-
teurs, ou « acquittatort » par ses critiques, l’avocat devenu
richissime a été contraint par le président Macron de proposer
le 9 février 2021 la suppression dans la loi de l’éventuel
122 La Pédocratie à la française

consentement d’un mineur victime de viol. Toute pénétration


sexuelle serait qualifiée de viol. « On est en train de fissurer
cette chape de plomb, notamment idéologique. La société
nous conduit à changer le droit », a-t-il affirmé. Ce « on », le
garde des Sceaux ne précise pas s’il s’y inclut.
Postface
Par Gérard Lopez1

Jacques Thomet, ancien rédacteur-en-chef à l’Agence France-


Presse, est un infatigable lanceur d’alertes, jusqu’à présent…
… dans le désert, ce qui, selon les écritures, augure d’un
changement de paradigme : « C’est la voix de celui qui
crie dans le désert : préparez le chemin […], aplanissez ses
sentiers (Mc 1,3) ». C’est pourquoi je suis heureux que son
livre soit édité chez Fabert, qui publie régulièrement des
livres sur la pédagogie, l’orientation et… la place de l’enfant
dans notre société. Cette fois il sera entendu. Il n’avait pas
eu cette chance pour son ouvrage précédent2, quand seule
Kontre Kulture avait accepté de l’éditer, minant par avance
l’impact de ce livre inévitablement perçu comme « complo-
tiste ». Et pourtant, il avait étudié de fond en comble, comme
personne auparavant, l’énorme dossier Outreau dont il
reprend les grandes lignes dans cet ouvrage. Son enquête
m’avait conforté dans l’idée que cette catastrophe judiciaire
n’est pas celle qu’a retenue la doxa, mais bel et bien « une
manipulation pédocriminelle ».
Car les violences sexuelles subies par les enfants se sont
pendant longtemps heurtées à « l’indifférence générale, le mensonge
par omission, la cécité ou autocensure médiatique, la faiblesse judi-
ciaire, et la protection des prédateurs au sein de l’élite », ce qu’il appelle
la “pédocratie française” ».
Mesdames Vanessa Springora et Camille Kouchner, bruyam-
ment relayées par les réseaux sociaux, puis, pour une fois, par la

1. Psychiatre.
2. Retour à Outreau. Contre-enquête sur une manipulation pédocrimi-
nelle, Kontre Kulture, 2013, 334 p.
124 La Pédocratie à la française

presse et les médias classiques, ont déclenché un tsunami qui


pourrait modifier le regard que notre société et ses « élites »
portent sur les maltraitances et les viols que subissent nos
enfants.
Merci à elles.
Le déchaînement médiatique a libéré la parole à d’in-
nombrables survivantes et survivants jusqu’alors réduits au
silence par peur de ne pas être crus, honte ou culpabilité,
mais aussi pour ne pas détruire leur famille ou risquer d’en
être exclus. D’autres ont soulevé un coin du tapis sous lequel
étaient enfouis, plus ou moins consciemment, leurs souvenirs
pour faire comme si, et survivre. C’est probablement le cas
de Coline, la fille de Richard Berry, qui voudrait que son père
reconnaisse, à tort ou à raison, avoir commis l’inceste sans pour
autant qu’il comparaisse nécessairement devant la justice.
Jacques Thomet n’est pas psychologue. Son livre n’est
pas le énième traité consacré aux conséquences des violences
sexuelles sur les enfants, dont l’inceste : la pire des maltrai-
tances, un crime contre l’humanité sur le plan symbolique
et psychologique. Les anthropologues, depuis Claude Lévi-
Strauss, considèrent en effet que la prohibition de l’inceste a
permis à notre espèce de passer de l’animalité à l’humanité,
de la nature à la culture. Les juristes ne l’entendent pas de
cette oreille. On ne peut comparer l’inceste à la Shoah, selon
Robert Badinter qui refuse l’idée que l’inceste devienne un
crime imprescriptible.
Sans comparer l’incomparable, imaginons l’horreur qu’ont
vécue les enfants violés, séquestrés, engrossés, pendant des
dizaines années par leur père ou un pervers sexuel. Et songeons
aux survivants qui obtiennent des aveux signés après la date de
prescription. J’en connais quelques-uns.
Des victimes, sous emprise, ont assez souvent le sentiment
d’avoir consenti, c’est l’objet du combat actuel des survi-
vantes et des survivants de l’inceste qui luttent pour obtenir
un âge en deçà duquel la justice ne pourra plus prétexter
leur impossible consentement pour minimiser le crime : 18
ans pour le crime spécifique d’inceste, 15 ans pour les autres
agressions sexuelles. Le débat agite nos élus au moment où je
rédige cette postface.
Postface 125

Le travail de Jacques Thomet est profondément original. Il


aborde le problème du déni sur un plan sociétal spécifique à
la France. Dans l’après 68, les fameux slogans « Il est interdit
d’interdire » et « L’imagination au pouvoir » ont, écrit-il,
enfanté une apologie grandissante de la pédophilie à laquelle
l’intelligentsia de gauche a grandement participé.
Avec une précision quasi chirurgicale, l’auteur ose s’atta-
quer aux « puissants » qui font « les opinions de cour ». Il
démontre à satiété que les institutions de la République : l’Édu-
cation nationale, la Justice, l’Ordre des médecins, la Psycho-
logie, la Police, l’Armée, les Pompiers encore très récemment…
ou l’Église, ont préféré sacrifier nos enfants pour préserver leurs
certitudes idéologiques ou leur honorabilité.
Son enquête rigoureuse, parfaitement documentée, éclai-
rera la société et réconfortera les survivantes et les survivants
longtemps méprisés par nos « élites », comme ce fut le cas,
entre mille autres exemples, pour les douze enfants d’Outreau
reconnus victimes par la justice, alors que la doxa médiatique
les décrit encore et toujours comme des menteurs, un autre
champ de bataille de l’infatigable Jacques Thomet.
La permissivité des élites « germanopratines », intolérable
pour les victimes, a renforcé le déni de la fréquence et des
conséquences des violences sexuelles, sans égaler toutefois
l’idéologie familialiste dominante qui plonge ses racines dans
notre culture, reconnaissons-le.
Jacques Thomet nous invite à lutter d’arrache-pied contre
la pédocriminalité et les idéologies qui la confortent pour
qu’enfin les autorités françaises prennent les mesures qui
s’imposent. Pouvait-on compter sur les personnalités dénon-
cées par Jacques Thomet pour lutter contre les violences
sexuelles, quand parfois leurs propres enfants, victimes
d’inceste, étaient réduits au silence ? Est-il tolérable que
la France soit fréquemment sanctionnée par les instances
internationales pour sa calamiteuse politique de protection
de l’enfance ? Très récemment encore, grâce aux associa-
tions Enfance et Partage et Innocence en Danger, la CEDH
condamnait la France pour son inaction dans l’assassinat de
la petite Marina Sabatier. Marie-Pierre Colombel et Homayra
126 La Pédocratie à la française

Sellier, les présidentes de ces associations, auraient probable-


ment « mérité » de figurer en bonne place sur le Mur des cons
du syndicat de la magistrature, à côté de parents d’enfants
assassinés… Ces citoyennes courageuses devraient recevoir
les récompenses républicaines qui furent largement distri-
buées à des pédocriminels couverts d’honneur.

Gérard Lopez
ANNEXE I
La 121e journée de Sodome

[Avertissement au lecteur
Compte tenu de ses révélations effrayantes, touchant à
l’insoutenable, il est recommandé à ceux qui ne sont pas prêts
à supporter les effets de sa lecture d’ignorer cette Annexe. Loin
de correspondre à un doute sur l’authenticité de son contenu,
cette mise en garde s’arrime à la certitude que de tels faits se
sont bien produits, à partir des dossiers judiciaires et médicaux
en possession de l’auteur. Last but note least, les atrocités ici
décrites ne sont pas des cas uniques, comme l’ont confirmé des
juges et des psychiatres à l’auteur.]

Trois fillettes, devenues trentenaires aujourd’hui, figurent


au panthéon de l’horreur et d’abominables crimes impunis
malgré la monstruosité de leurs prédateurs. Elles s’appellent
Sabine, Nina et Clémence. Pour préserver leur sécurité, j’ai
changé leurs identités, celles des autres personnes citées, et
occulté les lieux concernés. J’ai pu rencontrer ces victimes ou
leur parler par téléphone. J’ai lu et vu tous leurs écrits et vidéos.
Dans le pandémonium pédocriminel, on finit par croire avoir
touché aux abysses du mal, quand le pire se fait jour pour
montrer qu’il n’a pas de limites. Leurs confessions « glacent le
sang », comme me l’a écrit un éditeur effrayé par la violence du
texte et hostile à sa publication.
Toutes les trois ont porté plainte. L’une, Clémence, a retiré
la sienne mais a maintenu devant moi ses accusations. Aucun
de leurs prédateurs ne dort en prison ni n’a été condamné.
128 La Pédocratie à la française

1- Sabine, victime de réseaux en Europe

Depuis l’âge de 6 ans jusqu’à ses 23 ans, Sabine, aujourd’hui


âgée de 39 ans, a été violée par ses parents adoptifs, leurs
réseaux en France et en Europe, puis contrainte de tuer ses
propres enfants nés de ces abus sexuels, et enfin enrôlée par
ses prédateurs dans des cérémonies satanistes mortifères. Elle
affirme y avoir rencontré des criminels connus, et de hautes
personnalités complices, françaises et européennes. Sa sécu-
rité est menacée, comme en témoigne le sabotage des freins
constaté un matin sur sa voiture.
Depuis sa première plainte en 2000, elle a dénoncé toutes
ces horreurs devant les policiers et les juges, cité les noms, les
lieux, les dates, en vain. Ses accusations ont terminé en non-
lieux. Il convient donc de balayer d’entrée le doute compréhen-
sible du lecteur.
Jamais Sabine n’a fait l’objet de la moindre poursuite
judiciaire, ni pour diffamation, ni pour faux témoignages, ni
pour dénonciation calomnieuse. De telles accusations devant
commissaires de police, procureurs et juges d’instruction
successifs, confirmées dans des courriers à des ministres, ne
restent jamais sans sanction, voire condamnation, quand une
plainte équivaut à une affabulation. Ce n’est pas le cas pour
Sabine.
Si son état mental laissait à désirer, ce qui n’est pas le cas
non plus, je puis en témoigner pour l’avoir rencontrée à des
époques espacées, elle aurait reçu une ou des injonctions de
soins. Aucune ne lui a été imposée. Elle a gardé la rage de
vivre malgré un nouveau drame survenu sept ans après avoir
échappé à ses bourreaux : son mari s’est tué à moto alors qu’elle
était enceinte de leur enfant, aujourd’hui âgé de neuf ans.
Devant le mutisme judiciaire et médiatique, il convient
de relater le chemin de croix subi dès sa petite enfance par
Sabine, et digne de figurer dans un appendice des 120 journées
de Sodome, du marquis de Sade.
ANNEXE I 129

Chez Folcoche et Thénardier

Comme nombre de victimes de prédateurs, Sabine, née en


1981, a vécu jusqu’à ses 26 ans dans une sorte d’apnée des
crimes et douleurs subis en province, à Paris et à l’étranger.
C’est à cet âge qu’elle a écrit un résumé de sa vie en 49 pages.
Treize ans après ces mémoires de l’enfer, elle les revit, dans ses
cauchemars permanents, et sans pouvoir en changer une seule
lettre dès son réveil.
Sous le titre J’ai mis 26 ans à comprendre, ce document qu’elle
m’a remis avec l’autorisation d’en citer des extraits est dédié à
Nicole, la dame qu’il l’a alors recueillie. La précision des lieux,
des dates et des noms de personnes – enfants ou adultes –
impressionne d’autant plus que Sabine est en mesure de les
rappeler verbalement au jour près, sans commettre une seule
erreur si on l’interroge à l’improviste. C’est ce qu’a fait Nicole
après leur première rencontre. « Elle ne s’est jamais trompée »,
m’a confié cette tutrice de fait. Avec son aide, Sabine a recons-
titué sur papier un tableau géant de sa descente aux enfers,
avec les lieux des crimes sexuels pour chacune de leurs catégo-
ries et époques. J’en ai une copie.
Abandonnée aux services sociaux par une mère erratique,
sans nouvelles d’un père oublié dans une autre région, elle
sera adoptée à l’âge de cinq ans, avec sa sœur Lina, née un
an avant elle, par un jeune couple dans une ville du Grand-
Est français. Sa nouvelle mère a 24 ans, le père, 22. Elle
les surnomme aujourd’hui Folcoche et Thénardier. C’est
une première incongruité dans ce dossier, puisque la loi
impose encore en 2020 d’avoir au moins 28 ans pour être
autorisé à adopter un enfant. Aucune mesure d’exception ne
pouvait être invoquée par la justice dans l’intérêt de l’enfant,
précise-t-elle dans son résumé : « Mes parents biologiques
n’ont jamais signé la moindre déclaration d’abandon. » Elle
a d’abord vécu dans une famille d’accueil, depuis l’âge de
quinze mois jusqu’à cinq ans, ses plus belles années, écrira-
t-elle, chez un couple aimant qui fut comme elle traumatisé
de devoir la laisser à des adoptants. Elle est toujours en
contact en 2020 avec ce père par procuration, dont l’épouse
est décédée depuis.
130 La Pédocratie à la française

Dès ses premiers pas dans cette nouvelle maison, son père
a des gestes bizarres lorsqu’il se lave avec elle. Un an plus
tard, il lui caresse régulièrement le sexe, l’anus avec ses doigts
ou sa langue, raconte-t-elle dans son mémoire. « Il m’apprend
à manger des sucettes d’une façon très particulière. Il me
demande de lui faire des “fellations” (il me dit “mange la
sucette de papa comme le bonbon, ça va me faire très plaisir et
ça va me guérir”). J’ai donc cru pendant de nombreuses années
qu’il était gravement malade. Alors je m’exécutais afin qu’il
guérisse, car s’il mourait ce serait de ma faute. »
Elle vit dans l’horreur et devient énurétique. La violence
contre elle commence. Ses parents la frappent à coups de
martinet et l’obligent chaque matin à laver ses draps à la main
dans une bassine d’eau froide, avant d’aller à l’école. Elle est
toujours en retard en classe, car son père abuse d’elle à son
lever. Sa mère, institutrice, invoque son refus de s’habiller
comme excuse. « Aucune enseignante ne s’aperçoit de mon
calvaire », écrit la jeune femme. « Parfois, je dois dormir dans la
baignoire sans pyjama ni couverture. » Sa sœur, elle, est épar-
gnée par le couple maudit, et participera bientôt aux cérémo-
nies criminelles sans jamais épargner sa cadette.
Elle a 8 ans quand son père lui impose son premier viol par
pénétration, suivi d’une « intense douleur dans le ventre ». C’est
l’été. On l’envoie chez la demi-sœur du père et son compagnon.
Pendant 15 jours, elle est violée par deux bourreaux supplé-
mentaires. Ils la louent à des amis, qui paieront une coquette
somme aux parents adoptifs à son retour.
Un an plus tard commencent avec d’autres enfants des soirées
de viols collectifs et orgies sexuelles, filmées et photographiées.
Les futures autres victimes sont choisies dans un « catalogue de
photos qui circule au sein du réseau et de la secte ».
Le couple adopte un troisième enfant en 1991. Philippe a
huit mois. Lui aussi deviendra leur victime.

La curée

C’est alors qu’une autre sorte de barbarie va débuter, raconte


toujours Sabine, quand elle a 12 ans. Elle est emmenée dans
ANNEXE I 131

une forêt (Rambouillet, me précisera-t-elle) avec une quinzaine


d’autres enfants, pour y retrouver des personnalités et visages
rencontrés lors d’orgies sexuelles. Il leur est interdit de parler
entre eux. « Les enfants, une fois nus, reçoivent un foulard
blanc ou rouge à mettre au bras. La chasse à l’homme peut
commencer. Les balles sifflent, les chiens nous coursent et nos
bourreaux nous poursuivent. La mort s’abat sur les plus faibles,
ceux qui ont hérité d’un foulard rouge. Les rescapés sont violés
dans une cabane de chasseurs. Un enfant est torturé à mort
avec un couteau de survie. Toutes ces scènes sont soigneuse-
ment filmées. Je viens de participer à ma première “battue”.
Puis je commence à voyager. »
Ses pèlerinages, ainsi qualifiés par ses prédateurs quand ils
se déplacent avec elle, consisteront à enlever des enfants, en
France, Italie, Belgique, Espagne, Hollande, puis à les conduire
dans des endroits aménagés. Sabine est aussi louée pour des
soirées dans des hôtels, appartements du XVIe ou boîtes de
nuit à Paris, Nanterre ou à l’étranger (Belgique, Hollande,
Italie, Allemagne, Luxembourg). Elle voyage en voiture, train
ou bateau, souvent accompagnée par des gens qu’elle ne
connaît pas. Elle croisera des centaines d’enfants, qu’elle verra
mourir pour certains, mais aussi des visages de bourreaux que
la société fera passer pour des pervers isolés, ainsi que des
criminels qui font la Une des journaux et qui ne sont pas des
pions. Elle ne cite personne dans cette confession écrite, mais
m’a donné tous les noms et lieux lors de nos rencontres.
Et là, l’horreur monte encore d’un cran. Elle est initiée
aux rituels sataniques. « Je deviens une machine à tuer », écrit
Sabine. Elle est intronisée un soir d’hiver, dans la crypte d’une
église, nue sous un drap blanc, devant 30 adultes, 15 enfants,
et présidée par un homme d’Église dans les odeurs d’encens.
« C’était l’archevêque de X. », m’assurera-t-elle plus tard. Cette
éminence, aujourd’hui décédée, sera impliquée en 2016,
comme le cardinal de Lyon Philippe Barbarin, dans l’affaire
Bernard Preynat, pour ne pas avoir dénoncé les viols sur
mineurs commis par ce prêtre, 75 ans, condamné le 16 mars
2020 à cinq ans de prison ferme. Il a fait appel. Mgr Barbarin,
Primat des Gaules, avait été contraint à la démission, acceptée
le 6 mars 2020 par le pape François.
132 La Pédocratie à la française

Dans la crypte livrée à Satan, et emmurée depuis, les


hommes sont en noir, les femmes en blanc, avec une cagoule
de même couleur semblable à celle du Ku Klux Klan, et un
crucifix porté à l’envers sur leurs aubes. Une cérémonie dite
de procréation va commencer pour les jeunes filles, contraintes
d’avoir des relations sexuelles avec des garçons devant les
présents, pour les forcer à une future grossesse qui sera suivie
de l’exécution des bébés dès l’accouchement terminé. Quand la
jeune fille évoquera plus tard ce fait devant un juge d’instruc-
tion, il se contentera de lui répondre qu’il n’allait pas fermer la
cathédrale pour casser la crypte et ainsi lui faire plaisir.
Cette abjection se perpétuera pendant sept ans pour
Sabine. C’est elle, sous les coups de ses tortionnaires et malgré
ses supplications, qui devra abréger la brève existence de cinq
de ses six enfants. Ces six accouchements eurent lieu entre ses
quatorze et ses vingt ans. « Je ne suis que mort et épouvante,
écrit-elle plus loin. » J’ai commis des crimes pendant seize ans,
me dira-t-elle.
Elle a été déscolarisée en troisième et ne passera pas le
bac. Son troisième enfant, une fille, prénommée Danièle, a
échappé aux massacres commis de ses propres mains sous la
contrainte. Né le 17 décembre 1996, son bébé sera emmené en
Allemagne par la sœur de sa mère adoptive. Ces deux femmes
participaient activement aux cérémonies satanistes, affirme-
t-elle. Lors d’une équipée pédocriminelle de ses tuteurs dans
ce pays voisin, elle pourra même voir sa petite fille à Bonn,
une seule fois, quand Danièle avait quatre ans, sans pouvoir
l’emmener avec elle. La jeune femme ignore tout de son sort
encore aujourd’hui. « Mais je crains le pire » m’a-t-elle dit.
À 19 ans, devenue majeure, elle souhaite reprendre des
études. Elle contacte une assistante sociale, mais se limite à
lui parler de mauvais traitements sans révéler l’atroce réalité.
Elle dépose sa première plainte devant la brigade des mineurs
dans la ville de ses parents adoptifs, sans résultat. Elle sera
encore entendue par un autre officier de police judiciaire à
plusieurs reprises, mais, victime du syndrome de Stockholm,
sans charger ses bourreaux. Porter plainte contre eux engendre
une étrange culpabilité qui grandit peu à peu, écrit-elle. « Je
ressens une peine immense envers ceux qui m’ont torturée
ANNEXE I 133

pendant seize années de ma vie… » : si ce n’était écrit noir sur


blanc par la victime, on aurait peine à imaginer un tel esclavage
mental. À chacune de ses auditions par les policiers, insiste-t-
elle, son père adoptif, prévenu par eux, l’attend devant la porte
avant de lui flanquer une correction à la maison.
Sabine va même bientôt retourner chez ces criminels, qui
lui ont inoculé leur « normalité », alors qu’elle dispose désor-
mais, à 21 ans, d’un logement, et d’une possible autonomie.
Ils lui font subir de nouvelles humiliations corporelles, elle est
tondue, violée, sodomisée, même avec des armes, et doit lécher
un chien.
Avec un cutter, ils lui tatouent sous le sein gauche l’ex-
pression : « Tu m’appartiens », précédée d’une étoile. Seule la
patience de son assistance sociale lui ouvrira peu à peu les yeux
sur la réalité de son état : une victime devenue criminelle. Les
automutilations commencent en lacérant ses bras.
Elle porte plainte à nouveau, avec l’aide d’une ONG spécia-
lisée dans la défense des enfants. Mais quand elle comprend
l’étendue de ce cataclysme, l’avocate de l’association se désiste
et abandonne la victime. Une seconde ONG contactée confie
son dossier à une tutrice de fait, Nicole. La substitute du
procureur ouvre quand même une information judiciaire. Le
couple parental est entendu, mais la perquisition tarde trop,
et ils ont eu tout le temps de faire le ménage dans la maison
des horreurs. Et puis les tortures reprennent. Le 21 août 2004,
dans une nouvelle messe noire, c’est son petit frère Philippe
qui participe à sa première cérémonie de procréation, avec
comme officiante désignée… Sabine. Il n’a que 14 ans. Tombée
enceinte de cette liaison, elle ne peut le supporter, et se fait
avorter avec une aiguille à tricoter. Sa nouvelle tutrice, Nicole,
va alors jouer un rôle fondamental dans sa sortie de l’enfer.
Elle lui envoie de l’argent pour prendre le premier train. En
novembre 2004, c’est fait. Sabine va vivre chez elle pendant
sept mois, puis échapper pour toujours à cet enfer.
Seize ans après, cette retraitée a gardé le contact avec sa
protégée, et ne désespère pas d’assister un jour au jugement de
ses tortionnaires. Nicole a accumulé des kilos de documents et
témoignages qui donnent un réel crédit aux multiples accusa-
tions de Sabine, rejetées par la police et la justice.
134 La Pédocratie à la française

Les mémoires de son calvaire diffusent un lourd malaise à


leur lecture. La froide relation de son progressif martyrologue
chez ses parents adoptifs s’entrechoque avec les cris de déses-
poir, entre deux suffocations, mais sans jamais perdre une lueur
d’optimisme sur l’avenir. Ce document sur sa descente aux
enfers a mis en parenthèses la vie de hors-la-loi menée hors du
domicile familial par une Sabine contrainte à tuer sous la férule
des pédocriminels. Elle n’a cessé de voyager, avec son père
adoptif ou ses complices, en France, mais aussi dans maints
pays européens, pour être prostituée dans des parties moins
fines que satanistes, avec épanchement de sang d’enfants. Elle
m’en a livré le contenu lors de nos entretiens.
Sabine affirme avoir été la victime de personnalités connues
ayant pignon sur rue, comme deux anciens ministres français
– ce dernier ramenait des petits enfants d’Afrique noire dans les
soirées sataniques –, un ancien collaborateur de la présidence
française, l’ancien maire d’une grande ville française, un prince
étranger dont les deux garçons ont été eux aussi violés dans les
années 1995-96, sa maîtresse, deux archevêques pour bénir les
cérémonies, et bien d’autres participants.
Capable de décrire avec précision les salons privés et les
souterrains utilisés par ce prince et ses complices pour violer les
enfants, la jeune femme l’est aussi pour situer les boîtes de nuit
spécialisées qu’elle a dû hanter à Paris et Nanterre.
Pour en avoir le cœur net quand Sabine lui fit cet aveu,
Nicole la confia à Fanny, la mère d’un garçonnet violé par son
ex-mari, Maxime, afin de vérifier l’existence réelle de ces lieux
parisiens. Maxime, chef d’un réseau pédocriminel, en était l’un
des propriétaires. À proximité des deux destinations, Sabine
conduisit Fanny directement à leur entrée, et leur en dépeignit
l’intérieur. Sa description correspondait point pour point à celle
déjà faite à Fanny par son fils, lui aussi un jouet sexuel pour
les prédateurs. Fanny avait reconnu son garçon sur l’un des
CD-Rom de Zandvoort (cf. supra), parmi les milliers de photos
d’enfants livrés à l’appétit de pédocriminels européens. Face à
l’immobilisme judiciaire, la mère avait fui à l’étranger avec son
fils. Sous le coup d’un mandat d’arrêt pour non présentation
d’enfants à la suite d’une plainte du père, elle y est décédée de
chagrin. Son fils est toujours en vie.
ANNEXE I 135

Au long de cette enquête, les divers fils tissés séparément


ont fini par dessiner une toile de réseaux connectés entre eux
dans un patchwork sanglant. L’un de ses points communs est
Viviane, une autre jeune victime, « introduite dans ce réseau
pédocriminel par ses propres parents », selon un document judi-
ciaire dont j’ai la copie. Son père et sa mère furent condamnés
respectivement à 12 et 16 ans de prison en 2001 pour les viols
commis contre elle et sa sœur, toutes deux des fillettes. Viviane
a reconnu avoir été abusée dans les mêmes endroits que ceux
décrits par Sabine dans la région parisienne, selon le CIDE1
chez qui les deux victimes se sont rencontrées. Elle y a aussi vu
le jeune fils de ce Maxime. Cité dans presque tous les dossiers
ici recensés, cet homme n’a jamais été inquiété par la justice, à
ma connaissance.
Sur une disquette enregistrée le 22 janvier 2001 sur l’ordi-
nateur de son père adoptif, Sabine avait relevé une liste de
noms et d’adresses orthographiés en lettres grecques, facile-
ment identifiables. Vérification faite, six des sept premiers
font partie des adultes dénoncés devant la justice par Nina (cf.
infra), une autre fillette victime puis actrice de messes noires, à
700 km de la résidence de Sabine, dans le centre de la France.
Quant au dernier de la liste, Maxime, il n’est autre que le père
incestueux déjà évoqué.
Viviane a révélé, dans le document judiciaire cité plus haut,
avoir été violée et torturée de six à dix-neuf ans chez ses parents
par un adulte, F., et aussi dans des caves en différents lieux,
place d’Italie, Nanterre… Elle le cite aussi sous son pseudo-
nyme, « le Chat ».
J’ai été également violée par F., m’a avoué Sabine lorsque
j’ai évoqué cette liste devant elle. La jeune femme m’a aussi
révélé avoir participé à des soirées satanistes, avec meurtres
d’enfants, dans les souterrains du bourg où Nina a dénoncé ces
pratiques devant la justice sans être jamais entendue. « Mais je
n’y ai pas rencontré Nina », précise-t-elle. Les pérégrinations
de Viviane ont elles aussi eu pour cadre ces tunnels du centre
de l’Hexagone.

1. Comité international pour la dignité de l’enfant. Lausanne.


136 La Pédocratie à la française

2 – Les tunnels de Nina

Personne ne blâmera une fillette victime d’un réseau pédo-


criminel, décidée à combattre durant toute sa vie ce fléau, à le
dire et à l’écrire, si un jour, las du mutisme judiciaire, elle jette
l’éponge et renonce à rester sur le ring.
C’est le cas de Nina. Près de vingt ans après avoir média-
tisé la barbarie dont elle prétendait avoir été la victime puis
l’instrument contre d’autres enfants, dans des souterrains en
France, avant une série de classements sans suite, elle a réussi
selon elle sa résilience à 36 ans. Cette volonté se comprend de
tenter de gommer avec le temps la gravité des atteintes à son
intégrité enfantine.
Mais il n’est nullement besoin d’être psychiatre pour
connaître l’impossibilité d’une telle guérison quand la justice a
laissé son glaive au vestiaire, ce qui est le cas pour cette victime.
En témoignent la centaine de femmes, jeunes ou déjà seniors,
que j’ai rencontrées pour mes enquêtes sur la pédocriminalité,
ainsi que lors de débats ou par courriel à partir de documents
judiciaires avérés.
Nina, que j’ai contactée par téléphone, est épouvantée
à la perspective d’avoir à replonger publiquement dans un
enfer qu’elle souhaite minimiser ou même démentir pour
certains de ses pans, comme sa rencontre, à deux reprises,
avouée jadis par elle avec le monstre belge Marc Dutroux, et
les meurtres d’enfants auxquels elle fut contrainte de participer
avec ses prédateurs.
Comme pour Sabine, et par respect pour sa nouvelle vie
d’adulte et celle de ses frères, je ne citerai pas leur nom de
famille ni aucun autre nom de personne ou de lieu, même si
Nina avait réitéré officiellement ses accusations jusqu’en 2004,
lorsqu’elle avait 20 ans, soit neuf années après ses premières
dénonciations contre quatorze adultes nommément dési-
gnés devant la justice, toujours dans le centre de la France.
C’est dans une lettre recommandée à son avocat – dont j’ai la
copie –, le 23 mars 2004, qu’elle avait assuré avoir rencontré
Dutroux dans le courant de l’année 1993, avec son père, A.,
un charpentier-­ébéniste ; il était question de renforcer certaines
ANNEXE I 137

caches souterraines qui servaient à y cacher et maintenir des


enfants pour un temps.
Elle avait longuement confié son martyre à un canal étranger
de télévision avec son frère Thierry à l’époque. La vidéo est
toujours visible sur internet.
« Si je parle, c’est pour que les gens sachent que c’est vrai,
que des enfants sont violés et assassinés quotidiennement.
C’est une réalité, je l’ai vécue. Pour qu’on arrête de dire que les
enfants sont des menteurs ou des affabulateurs », révélait-elle
dans ce documentaire épouvantable, jamais diffusé en France.
Après une plainte initiale commune avec ses frères et leur
mère en mai 1995 « pour violences sexuelles sur enfants de
moins de 15 ans », classée sans suite, une nouvelle plainte de
mai 1997, déposée par Nina, subit le même sort. Dans une
lettre ouverte distribuée à l’époque aux habitants du lieu, et
dont j’ai la copie, leur mère avait dénoncé cet état de fait :
« Allez-vous laisser ces assassins en liberté ? Si vous savez
quelque chose, ne soyez pas lâche, dites-le ! Que les gendarme-
ries de A., B. et C. fassent autre chose que de tourmenter les
enfants pour qu’ils se rétractent ! »
Nina, alors âgée de douze ans, avait pourtant décrit les
supplices subis avec une précision chirurgicale dans une lettre
dont j’ai également la copie. Voici le texte remanié en fran-
çais  académique :
« Quand j’avais cinq ans, mon père que j’aimais beaucoup
s’occupait de nous le soir, nous baignait, nous faisait des câlins,
surtout avant de dormir. Il a commencé en plus des câlins à me
caresser sur le sexe et à me faire des bisous sur la bouche […].
Vers huit ans, il a commencé à me sodomiser, mais tout douce-
ment, en me disant que c’était normal. Depuis mes cinq ans,
il me disait que j’étais sa petite femme, alors je me suis laissée
faire. Je ne devais pas en parler à maman car il disait qu’elle
serait jalouse. Je l’aimais comme une femme aime son mari.
J’étais son robot. Un jour, il m’a emmenée chez A., avec mes
cousines C. et M., également mineures. Ils ont commencé à
nous sodomiser, c’était chacun son tour. On n’avait pas mal car
ils le faisaient doucement et gentiment, en nous expliquant que
tout le monde le faisait. Alors nous étions d’accord. Nous, on
les adorait et on faisait tout pour eux, à cette époque. C’étaient
138 La Pédocratie à la française

presque des dieux pour moi. Nous avons appris à faire notre
première fellation ; bien sûr pour moi c’était normal, mais
interdit de le dire à maman. À cette époque je la détestais, je la
prenais pour ma rivale.
« Ils ont commencé à filmer les séances sexuelles avec le
caméscope de mon grand-père. E., elle aussi sodomisée, avait
quatre ans. M. fut violée et sodomisée à la fois par son père
et A., JL. vendait les K7. Il avait un carnet avec les adresses et
téléphones de ses clients.
« Un jour, mon père m’a fait découvrir un grand secret : une
cave dans l’un des nombreux souterrains sous le village. Des
enfants y étaient gardés dans des cages. Je leur portais à manger
à la demande de mon père. Je suis devenue sa complice.
« Ces enfants pleuraient et criaient tout le temps, entre
tortures et viols avant leur mort. Mon père et d’autres hommes
venaient un jour de violer une petite fille, Nadia. J’étais un peu
jalouse, mais ensuite j’ai été satisfaite car j’ai pu assister à la céré-
monie. Au lieu d’être seulement abusée, je pouvais participer aux
viols. A. m’a dit que “les lois étaient fausses et qu’il ne fallait pas
les croire, car ceux qui les avaient faites étaient des cons”.
« Ils m’ont ordonné de faire bouillir de l’eau et de la verser
sur l’enfant. Ils l’ont frappée avec des ceintures, des bouts de
bois, et l’ont brûlée avec des cigarettes allumées.
« Ensuite ils m’ont ordonné de couper le clitoris de la fillette.
Je ne savais pas ce que c’était. Ils m’ont montré, et m’ont dit :
“coupe ici”. Je l’ai coupé. J’ai aussi coupé le sexe d’un petit garçon
brun. Dès que les enfants étaient évanouis, inanimés, le docteur
X. prélevait des organes : des yeux, mains, doigts, cœur, foie, et
les mettait dans des bocaux. Ils ont enterré les enfants dans la
nature. Nadia, ils l’ont mise dans une caisse en bois qu’avait faite
mon père. JL., M. et A. mangeaient de la chair humaine. »
Une dizaine de meurtres d’enfants ont été exécutés en un
an, selon Nina. Elle a montré avec précision le plan des souter-
rains sur une carte, dans le documentaire télévisé déjà cité. J’en
ai obtenu copie auprès de l’ONG suisse où s’était réfugiée la
mère de Nina en 1997 avec ses enfants, après le rejet de leurs
plaintes par la justice française.
ANNEXE I 139

« Avec mon père, j’ai enlevé des enfants ; ceux-là étaient


aussi emmenés dans les souterrains pour y être tués », reconnaît
Nina dans ce documentaire.
Mais la justice a nié l’existence de tels tunnels, malgré les
témoignages contraires de l’ancien maire de la ville – devant un
enquêteur de l’ONG suisse déjà citée -, ainsi que de Sabine, de
Viviane et de Nina. Le fait que ces trois adultes ne se connais-
saient pas entre eux renforce considérablement la crédibilité de
leurs assertions.
Nina assure que les vidéos tournées pendant les meurtres
d’enfants, appelées snuff-movies, se vendaient jusqu’à
20 000 euros (en 2002). Elle a décrit sa première messe noire :
« On était dans une salle obscure. Il y avait deux grandes
assiettes sur la table, avec de la viande. C’était de la chair
humaine. Ça faisait partie du culte. Vous faites partie de cette
messe noire sans vous en apercevoir. Tout ce que vous avez
à faire, c’est effectuer certains rituels. Quand c’est arrivé,
je n’en avais pas conscience. […] L’aboutissement, c’est du
cannibalisme ».
Son frère Thierry, violé par son père et son grand-père, a
été initié dès ses cinq ans à ces cérémonies, pour hériter un
jour, selon lui, du titre de grand-prêtre. « Je me sentais bien
en pensant que je faisais ce qui était bien aux yeux de mon
père », a-t-il assuré dans le même documentaire. « La cérémonie
a commencé avec des chants et des prières. On priait sur des
tapis rouges, un pour chaque participant. Ma grand-mère qui
n’a jamais fait partie de la secte a apporté un bébé dans ses
bras et l’a donné à ma marraine C., qui l’a présenté à mon
grand-père. Il a fait quelques signes incompréhensibles pour
moi. Ils se sont passé le bébé l’un à l’autre dans l’assemblée
jusqu’à ce qu’il revienne dans les bras de mon grand-père. Il l’a
passé à ma marraine et a sorti un poignard assez long, avec
des symboles et des pictogrammes gravés sur le manche. Le
couteau passait de main en main. Quand il fut dans ma main,
mes parrains tenaient le nouveau-né. Mon grand-père a pris ma
main, on s’est approché du bébé, et on lui a tranché la gorge. Le
nouveau-né n’a même pas crié. Ils ont récupéré son sang dans
une grande coupe. »
140 La Pédocratie à la française

Une autre révélation de Nina dans sa plainte de 1997 concer-


nait le pédocriminel belge Marc Dutroux, condamné en 2004
à la perpétuité pour viols et assassinats, et qu’elle affirme avoir
connu. « Quand j’ai vu Dutroux à la télévision, je l’ai reconnu
tout de suite, a-t-elle écrit. Je l’ai rencontré deux fois avec mon
père. Il était avec deux hommes que je ne connaissais pas. » Dans
sa confession télévisée, elle précisera : « Nous sommes allés à
Tournai en Belgique. Mon père m’a présenté à Marc Dutroux.
Il m’a dit : “c’est Marc, c’est un de mes amis”. J’ai dû lui faire la
bise puis je suis partie. Quelques mois plus tard, on est retournés
les voir. Mon père et Marc Dutroux ont eu une discussion et
j’ai été jouer à l’extérieur. […] Je devrais témoigner contre Marc
Dutroux. Et mettre à nu ses liens avec la France. Mon histoire
pourrait prouver qu’il y a un réseau européen organisé par des
pédophiles pour tuer des enfants, pour faire des cassettes pédo-
philes. Mon père avec Marc Dutroux a appartenu à ce réseau. »
Nina et ses frères n’auront jamais obtenu réparation. Leur
mère fuira même avec eux en Suisse en 1997. Cette dame a
subi le même sort que les nombreuses mamans que j’ai interro-
gées depuis 2011. Pour avoir dénoncé un père incestueux, elles
se retrouvent dans la position de suspect puis privées de leur
enfant remis à l’ASE (Aide sociale à l’enfance) – avec droit de
visite et même d’accueil domiciliaire pour le prédateur sexuel
de sa descendance.
La mère de Nina écopera à leur retour de huit mois de
prison. Elle avait justifié sa décision de s’enfuir dans une
lettre déchirante adressée en 1997 à Jacques Toubon (cf.
supra), alors ministre de la Justice de Jacques Chirac : « Je
suis en fuite et ne compte pas rendre de mon plein gré mes
enfants à un réseau de pédophiles […]. Que toutes les mères,
et que tous les enfants sachent qu’en France on n’aime pas
la vérité, et qu’il vaut mieux être pédophile qu’innocent. […]
Un certain D. (l’un des adultes dénoncés par ses enfants
comme prédateurs sexuels) est un récidiviste puisque notam-
ment en 1994 il a été condamné à deux ans de prison avec
sursis pour le viol de la fille de sa concubine, mais nous savons
tous que la pédophilie n’est qu’un accident et que seuls les
accusateurs sont de sales individus. […] Depuis deux ans, les
enfants et moi avons été pourchassés, insultés, traités comme
ANNEXE I 141

des prévenus, des rejetés et des repris de justice. La police a


interrogé des enfants de 12, 11 et 8 ans en les harcelant avec
un acharnement digne de la Gestapo durant des heures, sans
l’assistance d’avocats pourtant présents. Alors qu’on le ferait
pour un chien, on ne leur a pas demandé s’ils avaient faim et
soif. À passé minuit, on nous a laissé sortir en rase campagne
alors qu’ils (les gendarmes) savaient que nous avions reçu de
multiples menaces de mort. »
Si l’affirmation de cette maman et la suivante sont confir-
mées dans une éventuelle réouverture du dossier, il s’agit d’un
scandale judiciaire : « Une juge des enfants de T., Mme C., n’a
jamais voulu entendre les enfants, pas plus d’ailleurs que le
juge d’instruction, M. DF. […] Alors que l’instruction continue
après quatre plaintes, avec réticence et un mauvais vouloir
remarquable, le juge des enfants a exigé que les enfants, malgré
toutes leurs accusations, rencontrent leur père. Malgré le fait
que ce dernier ait agressé ses enfants devant le point Rencontre,
leur portant des coups violents. La directrice du centre qui
n’était point présente a fait un faux témoignage étant donné
la grande sympathie qu’elle porte à ce pauvre homme. […] Le
juge des enfants, qui a dit avoir la même sympathie pour ce
gentleman de la pédale, a jugé et condamné à ce que les enfants
soient placés à la DASS, sans possibilités pour moi leur mère
de les voir, donnant toutes possibilités au père de revoir et de
reprendre ses enfants […]. »
Cinq ans plus tard, en 2002, aucune poursuite n’avait été
engagée contre les prédateurs présumés de Nina. Devenue
majeure, elle reprend la plume pour une nouvelle plainte.
La jeune femme y révèle que des dossiers envoyés à P., la ville
où avait été désigné un juge d’instruction, ont mystérieusement
disparu pour ne plus jamais réapparaître. « J’espère, ajoute-t-
elle, qu’en vous confiant ma plainte elle ne subira pas le même
sort. […] Depuis 1995, j’ai fait des déclarations incluant : des
assassinats, des viols, des actes de barbarie, du proxénétisme
et j’en passe sur des enfants. Personne n’a pris en compte mes
dires, et j’ai dû, pour pouvoir vivre, rester cachée, en fuite depuis
juin 1997. Les années qui ont passé n’ont en rien influé sur mes
déclarations, et, s’il le fallait, je les maintiendrai toute ma vie. »
Jamais la justice ne l’a poursuivie pour faux témoignage.
142 La Pédocratie à la française

Pour appuyer sa démarche, Nina affirmait avoir « trouvé


un témoin : Viviane, qui a reconnu les lieux et les personnages
impliqués dans (son) affaire ».
Viviane est cette même jeune femme déjà évoquée plus haut.
Comme Sabine et Nina, elle n’ignore rien des actes barbares
commis sur des enfants dans les souterrains du même village.
Toutes les trois y ont participé. Viviane n’a rien d’un témoin
anodin. Une semaine après la condamnation de ses parents
pour le viol de leurs trois filles, elle s’était rendue à Genève
pour confier son drame à la même ONG 1 suisse contactée
par la mère de Nina, et où les victimes se sont rencontrées.
Viviane avait dénoncé ce réseau devant le procureur général
de la Confédération helvétique, Bernard Bertossa, à cause
des « pressions en France pour qu’elle se taise ». Elle a ainsi
affirmé avoir participé, comme Sabine, à des messes noires à
Nanterre (Hauts-de-Seine), à Bruxelles et à Londres, avec des
enfants pour victimes. Ses parents la « louaient » à de riches
adultes. Comme le fils de Fanny, reconnu par sa mère sur un
CD-Rom de Zandvoort, elle assure s’être vue comme victime
sur plusieurs de ces cassettes pédocriminelles.
Après avoir été auditionnée, Viviane fut hospitalisée en
Suisse à la suite d’une tentative de suicide. « Je m’étonne que
la justice française n’ait pas encore identifié son visage sur le
CD-Rom. Ce n’est pourtant pas difficile à faire », avait alors
déclaré l’avocat de la victime.
Mais, comme on l’a vu, le scandale de Zandvoort n’a jamais
débouché sur une enquête digne de ce nom à la Chancellerie
française.
Les réticences de Nina à revenir sur cette effrayante enfance
ne peuvent occulter la réalité. Un porte-parole de l’ONG suisse
qui l’avait reçue avec sa mère me l’a confirmé : « Nina avait
été suivie à Lausanne par un pédo-psychiatre reconnu, qui a
beaucoup travaillé pour nous. Il avait attesté de la réalité de
son vécu de victime. »
Lors de mon entretien avec elle par téléphone le 21 février
2020, la jeune femme, aujourd’hui âgée de 35 ans, m’a avoué
avoir mis des années pour se réparer. Elle a peur de ce que je

1. Le CIDE. Lausanne.
ANNEXE I 143

pourrais écrire. « J’ai une vie propre en dépit de ce qui s’est


passé, et je n’ai pas à en porter la responsabilité », dit-elle
d’entrée dans un souhait sous-jacent de rejeter un pan de sa vie
qu’elle ne peut dissoudre dans sa totalité.
« Ces années furent très dures. Le documentaire de 2002
me suit partout, jusqu’à il y a deux mois je faisais encore des
cauchemars. Ce film m’a pourri la vie. Un reportage vous fige
dans ce que vous avez été. Mes aveux furent exagérés, faits dans
un contexte propice, mais ce n’était même pas pour me venger
(elle n’a pas voulu expliciter). Avec mon frère Thierry, nous
avons un regard plus nuancé vingt-cinq ans plus tard. Vous
pensez que si j’avais vécu ça je pourrais faire ce que je fais ?
(Elle a un travail que je n’évoquerai pas pour qu’elle ne puisse
pas être située). Ma vraie vie était un enfer. J’étais en fuite, je
n’avais pas été à l’école, j’étais en colère contre la justice. Il n’y
avait pas de preuves, pas de tunnels, je n’ai pas vu Dutroux,
c’est faux. Ceux qui parlent de ça sont plus préoccupés par les
faits que par les personnes. Il y a eu une instrumentalisation
des victimes, ils n’en ont rien à foutre de moi, leur bon cœur
j’en veux pas. J’avais dix-huit ans quand a été fait le documen-
taire, j’étais un bébé. Maman a fait neuf mois de prison pour
non présentation d’enfant. »
Elle refusera de parler de son père et de relater la part exacte
du réel dans son histoire, contribuant à laisser planer un doute
sérieux sur cette étrange apostasie. Elle avait 20 ans lorsqu’elle
a parlé librement devant la caméra, avec des informations
corroborées par mes autres témoins Sabine et Clémence (cf.
infra) sur les mêmes tunnels de la mort dans un village fran-
çais. Ce mystérieux déni qui n’en est pas moins un témoigne
du degré de traumatisme subi par les victimes quand elles sont
contraintes elles-mêmes à tuer par leurs violeurs. Nina n’a pas
eu le courage de Sabine. C’est son choix.

3 – Clémence, en laisse

Ce troisième témoin, une jeune femme également victime


dans son enfance de réseaux pédocriminels, a cessé les contacts
avec moi quand j’ai évoqué une publication de son enfer, même
144 La Pédocratie à la française

de façon anonyme comme ici. J’ai changé son prénom, gommé


tout nom de personne et de lieu, et maintenu l’intégralité de
ses confessions faites à Paris au cours d’une longue rencontre,
et dans des courriers.
Comme la plupart des enfants violés, Clémence a longtemps
gardé un profond mutisme lorsqu’elle a subi les sévices de ses
propres parents et de leur réseau de prédateurs. Elle vivait sous
la terreur, les souffrances, la menace, et quand on est violée dès
la petite enfance – ce qui fut son cas, à trois ans –, la fillette
grandit en croyant que ces déviances faisaient partie de la vie.
C’est à l’âge de 35 ans, en 2011, après treize ans de thérapies,
qu’elle a décidé de porter plainte « pour viols aggravés avec
actes de torture et de barbarie » contre douze adultes, dont ses
parents et un ancien ministre du général De Gaulle. Voici un
extrait de ses confessions :
« J’ai été entendue et filmée pendant trois heures par un
officier de police judiciaire. Mon père, un grand médecin de la
région parisienne, a été convoqué par la justice, mais comme
je souffrais de troubles traumatiques graves, je suis passée pour
instable et folle, et le dossier a été classé sans suite. Mon père,
ma sœur, mon frère et mon beau-frère m’ont menacée de pour-
suites pour diffamation, et j’ai retiré ma plainte. J’avais très
peur des retombées sur mon fils.
« J’ai été diagnostiquée schizophrène par un médecin, mais
je n’ai jamais entendu de voix, et une psychiatre renommée de
l’enfance a remis en cause ce diagnostic en affirmant que je
souffrais de traumatismes. J’ai des flashes de ce passé atroce,
et des douleurs qui me hantent. À l’hôpital Saint-Anne à Paris,
j’ai évoqué mon martyre. Les médecins m’ont crue et j’ai eu
droit à de la sophrologie.
« C’est difficile de me croire, mais j’ai gardé des souvenirs
très anciens. L’horreur a commencé un peu avant mes trois ans,
la nuit de la Saint-Sylvestre. Je l’ai déduit plus tard par recoupe-
ments, car c’était la période de Noël et ma mère était enceinte
de ma sœur cadette. Elle me frappait à coups de martinet sur
le visage, les mains et les cuisses quand j’étais sur ma chaise
haute. Il y a environ dix ans, j’ai retrouvé une cravache de ma
mère, décédée entretemps. Pendant toute mon enfance, mon
père m’a mise sous Atarax et Théralène. Il rédigeait lui-même
ANNEXE I 145

les ordonnances. Je n’ai appris à lire qu’à douze ans. Pendant


longtemps, je n’ai fait que grogner, pendant des heures.
« Pour mon premier rituel sataniste, ma mère m’a réveillée
en pleine nuit, dénudée, et mis un collier de chien. « Je t’arrache
la peau du dos si tu cries ! », a-t-elle menacé. Quand j’ai pénétré
dans le salon, les invités se sont écriés : voilà le dessert ! Je suis
passée de genoux en genoux, j’ai dû danser et me masturber sur
la table. C’est-à-dire qu’ils m’ont demandé de mettre un doigt
dans mon vagin. Je savais déjà de quoi il s’agissait, car mes
parents avaient pris l’habitude de me mettre dans leur lit et de
jouer sexuellement avec mon corps. Il y avait une personne que
j’hésite à citer, c’était un homme qui m’a violé, l’amant de ma
mère, voisin et ami de mes parents, décédé depuis, X, l’ancien
ministre du général De Gaulle.
« J’ai été battue, violée, sodomisée, et contrainte à faire des
fellations aux hommes. Je pleurais très fort et j’avais peur, mais
j’étais persuadée que ma mère pouvait me tuer. Elle me terrifiait
(elle est décédée en 1998) et m’obligeait à manger des boîtes
pour chien. Les femmes me consolaient, sauf une très violente,
mais tout cela les faisait rire. J’ai été déchirée. Mon père m’a
recousue et mis de l’éther, je ne puis oublier cette odeur.
« Jamais je n’ai été hospitalisée, mon père m’a toujours
soignée, seul, et mon carnet de santé est vierge. Récemment,
une rhumatologue a diagnostiqué une fibromyalgie. Mais j’ai
pris peur, je n’ai jamais été faire l’IRM prescrit par elle, car je
sais que j’ai d’anciennes fractures, j’y reviendrai.
« Après mon initiation à ces horreurs, ma mère m’a conduite
chez un homme, dans sa maison dite “de dressage”. Elle m’y
a emmenée chaque fin de semaine et pendant les vacances
jusqu’à mes huit ans. Je manquais aussi souvent l’école. Jamais
aucun signalement n’a été fait par le corps enseignant. Mes
parents étaient considérés comme de très bons éducateurs. Ma
mère et mon père faisaient de faux certificats médicaux pour
justifier mes absences, c’est toujours passé comme une lettre à
la poste. J’ai toujours manqué aussi les visites médicales obli-
gatoires. Mes parents étaient des notables, et les instituteurs se
taisaient. Moi aussi je restais muette, trop terrorisée.
« Je me souviens avoir vu d’autres enfants dans cette maison
du dresseur, un certain Jacques V. Jamais je n’ai oublié son
146 La Pédocratie à la française

nom. Je peux vous dessiner la maison, elle est gravée dans mon
esprit. Mais je ne puis vous dire où elle se trouvait, car on m’y
emmenait en voiture. Ma mère me jetait dans le coffre. Je vivais
totalement nue chez le dresseur, avec un collier de chien au
cou, attachée à un radiateur. Avec moi il y avait un petit garçon
qu’on appelait mon jumeau, Michel. Il vivait chez le dresseur.
« Michel est décédé après une soirée de tortures où l’on
nous a martyrisés avec des poinçons puis enterrés vifs. Nous
portions des aubes. J’ai survécu, pas lui. Ça s’est passé pendant
la nuit de la Saint-Jean. J’ai survécu car j’ai fermé la bouche.
Je me souviens du goût de la terre. On nous a déterrés. Michel
était mort, et il me hante.
« Nous avions sept ans, on nous imposait des rituels. Nous
étions traités comme des bêtes. Le dressage consistait à savoir
satisfaire le client et à résister à la douleur extrême, car dans
ces soirées il y avait des rituels ésotériques à tendance sata-
nistes, comme celui de la Vierge ou des Gémeaux. Gloire à
Satan ! était répété sans cesse pendant qu’on nous torturait.
J’ai dû apprendre à faire le signe de la croix à l’envers, avec ma
main gauche alors que je suis droitière. Je devais cracher sur un
crucifix. On m’a tellement forcée à écrire de la main gauche que
je suis désormais ambidextre.
« Dans la maison du dresseur, je devais faire mes besoins à
heure fixe, dans le jardin, attachée à une longue laisse qu’il tenait
dans sa main. J’étais pire qu’une bête. Il tartinait mon sexe de
nourriture pour animaux, et le chien me léchait. Il me forçait
à manger dans la gamelle de son Malinois. J’ai dû copuler avec
des animaux. Mon tortionnaire m’imposait de l’appeler maître.
Il refusait que nous le regardions en face dans les yeux. Nous
avons été filmés, des cassettes ont été faites, avec des meurtres
d’enfants, ce qu’on appelle des snuff-movies. L’homme utili-
sait aussi une muselière adaptée pour les enfants, une espèce
de harnais que l’on enfile sur la tête avec une boule dans la
bouche. Dans mes flashes, les caméras et appareils me semblent
nombreux. C’est brumeux dans ma tête, mais je sais que je suis
allée dans d’autres endroits avec des adultes très bien habillés.
« Le ministre gaulliste déjà cité est souvent présent dans
mes souvenirs, plus souvent spectateur qu’acteur. Je l’ai vu
dans ces soirées jusqu’à mon suicide manqué à l’âge de huit
ANNEXE I 147

ans, car ensuite il n’y a plus eu de soirées sataniques. Mais mon


père a continué à me violer jusqu’à mes quatorze ans, avec son
pénis. Il préférait l’anus, il était toujours très pressé. J’étais
pour lui son “joujou vivant”, selon ses propres termes. Il m’a
même violée sur sa table d’auscultation. Il mettait un chiffon
imbibé de vinaigre dans ma bouche pour que je ne crie pas.
« À huit ans, je me suis défenestrée de l’hôtel particulier de
mes parents. Une chute de deux étages. Je me suis gravement
blessée, avec certainement des fractures. Je n’en sais rien, en
fait, parce que je n’ai pas été hospitalisée ! Il n’y avait eu aucun
témoin. Mon père m’a attachée à mon lit et m’a soignée dans
le noir, avec une autre personne dont j’ai toujours ignoré l’iden-
tité. On me faisait des piqûres à la cuisse, à heures fixes, avec
une espèce de liquide orange. Je suis restée couchée sur une
planche, avec des attèles de fortune, pendant plusieurs mois.
Désormais je marche avec une canne de façon chronique et
souffre tout le temps de douleurs atroces, mais ça, peu de gens
veulent le voir, le comprendre, l’admettre. J’aurais dû porter un
corset de plâtre après ma chute du second étage, a conclu un
médecin récemment.
« Pourquoi ai-je mis autant de temps à prendre conscience
de ce martyrologue, me direz-vous ? Dans ces rituels répétés,
tous ceux qui détiennent de l’autorité sont dangereux. On
apprend à garder les secrets, à se taire, à ne pas dire un mot.
Tous ces souvenirs sont revenus petit à petit, et de plus en plus
distincts, en parlant avec la même psychologue, avec mon mari,
et sur les forums. J’ai refoulé énormément pendant très long-
temps. Maintenant, c’est très clair dans ma tête. »
Clémence n’a plus répondu à mes appels. Elle m’avait
toujours fait part de sa peur de représailles si elle rendait public
son cauchemar, et redoutait surtout une vengeance contre son
jeune garçon. Une autre de ses amies a refusé de communiquer
avec moi, après un premier accord suivi d’un refus. Elle aurait
été victime de viols par des personnalités connues lorsqu’elle
était mineure dans des orgies à Saint-Tropez. Lorsque nous
nous sommes vus au Jardin du Luxembourg la dernière fois,
le petit garçon de Clémence avait soudain disparu près du
kiosque à musique. Pendant trois minutes, la panique l’a téta-
nisée, avant les retrouvailles.
ANNEXE II

Dysfonctionnements : 13 ans de calvaire


judiciaire pour Séverine Moulin

Pour illustrer les dysfonctionnements de la justice dans les


dossiers pédocriminels, évoqués dans ce livre, le témoignage
ci-dessous en dit plus que tout discours didactique. Le cas de
Séverine est symptomatique des dérives toujours en cours.
Comme il est toujours d’actualité, je l’ai pris pour exemple.
Cette jeune femme a tenu à ne pas rester anonyme.
Toutes les petites victimes de violences sexuelles subissent
en France, selon les cas, des doubles, triples ou quadruples
peines quand, une fois adultes, elles osent sauter le pas pour
dénoncer leur prédateur. Dans tous les cas le jugement du
violeur, si la plainte n’a pas été classée sans suite, se fait
attendre pendant de longues années, soit treize ans déjà pour
Séverine Moulin toujours sans nouvelles, en février 2021,
d’une date pour les Assises prévues à Avignon (Vaucluse) afin
de juger son violeur.
Parfois, c’est encore le cas de cette dame aujourd’hui âgée
de 42 ans, la justice se trompe : une substitut du procureur­,
Caroline­Armand, lui a annoncé par erreur, et à une adresse
erronée, un classement sans suite pour une prescription
inexistante légalement. J’ai contacté à plusieurs reprises
Mme Armand pour qu’elle me donne sa version des faits,
mais elle n’a jamais donné suite. Le procureur d’Avignon n’a
pas répondu non plus à ma demande concernant une possible
enquête sur cette erreur et l’éventuelle sanction prise.
Pour couronner ce calvaire, l’auteur présumé des viols
contre Séverine, et d’attouchements sexuels contre une autre
fillette, Marcel R., n’a jamais été incarcéré. Il vit en liberté
150 La Pédocratie à la française

depuis quatre ans sous le soleil du Luberon, sous contrôle judi-


ciaire, après sa mise en examen.
L’histoire de Séverine symbolise le drame vécu par tant de
femmes et d’hommes lorsqu’ils sortent de l’amnésie trauma-
tique ou du déni, qui a de nombreuses causes à l’âge adulte,
souvent après des décennies de honte, de peur, de cauche-
mars, de refoulement dans l’inconscient, dans des souffrances
émotionnelles indicibles, des automutilations, et des tentatives
de suicide (six pour Séverine).
Fille d’un officier de la Marine nationale, souvent en
mission, Séverine a été la victime de Marcel R. entre ses huit et
douze ans. Elle a porté plainte à la gendarmerie de Rochefort-­
sur-Mer (Charente-Maritime) le 12 octobre 2007. Elle avait
29 ans.
Son père avait été détaché à Djibouti en 1986. Leur famille
y sympathisa avec celle de Marcel R., alors adjudant-chef dans
la Marine également, avant son expulsion de l’armée en 1992
pour détournement de biens.
Séverine a relaté ainsi son drame en 2007 devant les
gendarmes : « Marcel et sa femme disaient à mes parents qu’ils
me considéraient comme leur petite fille. Ils avaient essayé d’en
avoir une, sans succès.
« Je ne peux situer avec exactitude la première fois où il m’a
violée mais je me souviens de ce qu’il a fait. Il est venu me cher-
cher dans ma chambre et m’a amenée dans la salle de bains.
Il m’a demandé de me mettre à quatre pattes et de prendre
appui sur le bidet. Il est venu sur moi et a tenté une pénétration
vaginale. Il avait des difficultés, son sexe ne rentrait pas. C’est
d’ailleurs là qu’il m’a dit que c’était à cause de la taille de son
sexe qu’il n’avait pas de relation sexuelle avec sa femme.
« Je me souviens avoir eu très mal et de n’avoir pas pu crier
car il mettait sa main sur ma bouche. Je ne sais pas s’il est arrivé
à ses fins, je pense que oui. Cela m’a semblé interminable. Je
suppose que sa femme dormait pendant ce temps, personne ne
nous a surpris.
« Je ne me rappelle plus comment j’ai regagné ma chambre
ni si Marcel m’a dit quelque chose.
« Nos familles ont continué à faire des sorties ensemble, à la
plage, au tennis. J’essayais d’éviter Marcel.
ANNEXE II 151

« Je ne sais plus à quelle occasion, je lui avais dit que les
papas qui aiment leur fille ne leur font pas de telles choses.
Il m’avait alors répondu que je n’en savais rien car mon papa
était souvent absent. Il avait ajouté que de toute façon même
si je racontais cela à mes parents, ils penseraient que je raconte
n’importe quoi.
« Je me souviens d’une autre fois où je me trouvais chez lui.
Je me brossais les dents dans la salle de bains. Mes souvenirs
sont flous. Je pense que là aussi, il y a eu pénétration. Je me
rappelle que pendant qu’il faisait ses choses, j’avais du denti-
frice plein la bouche.
« Une fois encore, j’ai dormi dans leur lit. Je pensais qu’il
ne ferait rien à cet endroit. C’est peut-être moi qui ai demandé
à dormir avec eux, pensant être à l’abri car sa femme était
présente. Je me trouvais de dos sur sa gauche. Sa femme se
trouvait sur sa droite, elle ronflait. Il a mis sa main sur ma
bouche et a tenté une pénétration anale. Je serrais les fesses.
N’y parvenant pas, il a effectué une pénétration vaginale.
En même temps, il me caressait partout. Il m’a demandé de
l’embrasser et de me retourner mais j’ai refusé. J’avais un
caleçon rouge à pois blancs, qu’il avait glissé. Sa femme avait
un bandeau sur les yeux.
« Il m’a dit qu’elle n’entendait rien, peut-être avait-elle des
boules Quiès. Les draps de lit étaient bleu marine, il y avait un
palmier dessus. Sur la fenêtre, il y avait un store en bambou.
« Je sais qu’à un moment sa femme a bougé. Je ne sais pas si
elle s’est doutée de quelque chose.
« À la mer, il me faisait passer entre ses jambes sous l’eau et
je le voyais se tripoter. Il répétait qu’il m’aimait. Je pense qu’il
m’aimait réellement mais je ne trouvais pas ça normal. Moi
je ne l’aimais pas, ce qu’il me faisait me déplaisait. Pendant
ses actes, j’étais ailleurs, j’étais absente physiquement. Je ne
ressentais plus rien, je subissais. Je me disais que si c’était ça
aimer, et bien je n’aimerais jamais.
« Je ne peux dire combien de fois cela s’est produit, que ce
soient des pénétrations ou des attouchements.
« Nous sommes rentrés en France en 1988 et nous nous
sommes installés dans le Sud. La famille R. est arrivée à Paris
vers les années 1989-1990. Marcel a téléphoné à ma mère pour
152 La Pédocratie à la française

que j’aille en vacances chez eux. Dans la pièce à vivre, il y avait


un grand canapé. Il m’a amenée dans son bureau et m’a montré
le fonctionnement du Minitel. Je ne sais plus ce que j’y ai vu
mais je me rappelle qu’il m’a assise sur ses genoux et qu’il a mis
sa main dans mon sexe. Une fois, il m’a amenée avec lui pour
nettoyer sa Mercedes 190 E (sièges en cuir). Nous sommes
restés dans le véhicule pendant le lavage et là il m’a demandé
de le masturber. Je me suis exécutée.
« Plus tard, alors qu’il était à Confolens (Charente), je
suis retournée en vacances, j’avais 12 ans. Je pensais être
tranquille car j’étais réglée, j’avais donc pensé qu’il ne me
ferait rien. Lorsque je lui en ai parlé, je lui ai dit : “Tu ne
peux plus rien faire, maintenant je suis une femme.” Il a
répondu “et bien alors tu seras ma petite femme, tu prendras
des précautions”. Un jour, il m’a embrassée, mis sa bouche
sur mon sexe et m’a pénétrée. J’ai aussi le souvenir d’une
fellation que je lui ai faite. Il était debout et moi à genoux et
il me tenait la tête. »
Elle s’explique alors sur le pourquoi de sa plainte si tardive :
« Je suis une thérapie depuis quelques mois car je voulais
retrouver les blancs de mon enfance. Plus je rassemble de
renseignements, plus je m’aperçois que ce que j’ai vécu est réel.
Je voulais avoir des éléments pour être crédible.
« Ce que je veux surtout, c’est protéger d’autres enfants de
cet homme. Je veux faire des démarches pour qu’il ne recom-
mence plus jamais cela avec qui que ce soit.
« Aucun médecin n’a jamais su détecter mon malaise.
À 14 ans, j’avais de terribles maux de ventre. J’ai consulté une
gynécologue à Châteaulin (Finistère). Elle a envoyé un cour-
rier à mon médecin indiquant que j’avais une salpingite aiguë
(maladie sexuellement transmissible. Infection bactérienne
des trompes entre l’utérus et les ovaires), et que cela provenait
certainement des nombreuses relations sexuelles que j’avais
eues. Les seules relations sexuelles que j’avais eues étaient avec
Marcel R. Je n’ai rien voulu dire et j’ai laissé entendre qu’un
copain était à l’origine de cette infection. Je voulais protéger
mes parents et ne rien leur dire.
« Les instituteurs n’ont jamais rien remarqué d’anormal. Ils
n’ont pas dû se rendre compte car nous déménagions souvent.
ANNEXE II 153

« À la suite des viols, je ne parlais plus. C’était le mutisme.


Je ne peux préciser la réaction de mes parents. Ils ont dû me
questionner, je le suppose mais pour rien au monde je n’aurais
divulgué mon secret. »
Son audition par les gendarmes une fois terminée en 2007,
Séverine n’a plus aucune nouvelle de la justice. Les mois puis
les années passent. Ses faibles revenus (1 100 euros par mois)
l’empêchent de contracter un avocat. Au terme de multiples
demandes infructueuses d’information par téléphone dans
divers tribunaux, elle n’apprendra que cinq ans plus tard,
en 2012, l’insupportable vérité : une erreur juridique à ses
dépens. Effondrée, elle recommence à espérer que l’enquête va
reprendre et que c’en est fini de sa triple peine. Son prédateur
va enfin être jugé, se dit-elle. Comme tant d’autres victimes,
l’attente va redoubler de plus belle. Et le compteur des années
continue de tourner… « J’ai écrit à la Ministre de la Justice tout
comme au président de la République en mars 2015, explique-
t-elle. La seule chose qui a été faite, c’est de m’envoyer vers une
assistante sociale. J’ai fait appel à plusieurs médias et chaînes de
télévision, au maire de ma commune, à des personnes préten-
dument influentes et impliquées dans la cause des victimes de
pédophilie auprès du gouvernement. J’ai passé des centaines de
coups de téléphone, envoyé des dizaines de courriers. Personne
n’a jamais répondu à mon appel à l’aide. »
Son désespoir la pousse à écrire au procureur d’Avignon,
également en 2015, pour lui confier son calvaire dans tous ses
détails. En voici des extraits :
« […] Quelques mois (après ma plainte), je suis convo-
quée à l’hôpital psychiatrique Y pour l’expertise du spécialiste
mandaté. Je ne reçois aucune convocation. C’est le gendarme
en charge de l’enquête qui se présente à mon domicile et qui
m’intercepte alors que je pars au travail sur le parking de ma
résidence, à la vue de tous mes voisins… Il a retrouvé mon
adresse grâce à ma carte grise, me dit-il. Il me remet cette
convocation et ajoute littéralement : “on a retrouvé votre
gugusse, ça n’a pas été dur, il n’est pas tout blanc, il est dans
le sud de la France”. Près de trois ans passent et je n’ai aucune
information sur l’avancée de mon dossier. On m’avait dit que
ça pouvait prendre des années mais là je trouve le temps long.
154 La Pédocratie à la française

J’apprends alors que le Tribunal de Grande Instance de Z va


fermer le 31 décembre et que les plaintes vont être traitées
à XX. J’entreprends alors d’obtenir des informations auprès
d’eux. Là, surprise ! Aucune trace de mon dossier. Le numéro
de plainte n’apparaît nulle part. On me dit de contacter Z ; rien
non plus. Alors le greffier me demande de rappeler dans trois
mois pour voir s’il ne s’agit pas d’un problème d’informatisa-
tion du dossier. Les mois passent et enfin j’obtiens un numéro
de parquet. Alors je rappelle et en réussissant à passer tous les
barrages téléphoniques j’apprends que mon dossier n’est plus
à XX et qu’il est à AA pour enquête. Un pas en avant, trois en
arrière et moi je ne sais toujours rien, personne ne me contacte.
À chaque fois des semaines, des mois passent avant que je
retrouve le courage de recontacter le standard. Quand j’y arrive
on me transfère de service en service.
« À chaque fois on vous demande “c’est à quel sujet” et c’est
quand vous dites que c’est une plainte pour viol que le ton
change, enfin quelques fois seulement.
« J’ai les numéros d’énormément de services : standard,
bureau des plaintes, aide juridictionnelle, et même celui du
bureau des procureurs. Je ne sais même plus où j’appelle, et
à chaque fois on m’éconduit de plus ou moins belle manière,
quand on ne raccroche pas directement on me répond que ce
n’est pas le bon horaire, on s’étonne du fait que je possède
certains numéros […].
« Un jour enfin, je tombe sur une greffière qui fait preuve de
compréhension à mon égard. Nous sommes en novembre 2012.
Elle trouve le lien entre Z et AA, et là elle me communique mon
numéro de parquet. À ce moment un lourd silence se fait et
ce qu’elle m’annonce résonne encore aujourd’hui comme un
grand coup de poignard. Inconsolable, je pleure sans pouvoir
m’arrêter et elle passe plus d’une heure à tenter de m’apaiser.
Ma plainte a été classée sans suite !
« Elle prend mes coordonnées et me dit que Madame
Caroline­Armand, la substitut, est en audience, mais que dès
qu’elle reviendra elle lui transmettra.
« Il est plus de 19 heures, le téléphone sonne. C’est elle,
Madame Armand. Là, je sens que quelque chose ne va pas. Elle
me demande pourquoi je ne m’inquiète que maintenant de ma
ANNEXE II 155

plainte après toutes ces années. Je lui explique brièvement tout


ce que j’ai entrepris pour arriver à retrouver les traces de ma
plainte. Elle m’indique qu’un avis de classement sans suite et
sa motivation m’ont été envoyés à mon domicile en 2009. Je
lui certifie que je n’ai rien reçu, et pour cause. Cet avis m’a été
expédié à mon adresse d’il y a cinq ans. Personne n’a vérifié mon
adresse, là non plus je ne comprends pas. Comment peut-on
envoyer des décisions si importantes sans même être certain
du lieu de résidence d’un plaignant ? Puis le ton change. Elle
m’explique. Elle a commis une erreur judiciaire. Elle a classé ma
plainte sans suite selon le délai de prescription de dix ans après
la majorité, au lieu des vingt ans désormais en vigueur.
« Mon agresseur a été auditionné et filmé. Et en plus j’ap-
prends qu’il y a une autre victime qui a porté plainte sans
qu’elle fasse le rapprochement car à l’époque, me dit-elle, ma
plainte avait été “survolée” à cause de cette erreur. Elle se
confond en excuses, me dit qu’elle m’a fait perdre trois ans
de ma vie. Elle m’indique qu’elle reprend immédiatement et
personnellement en charge mon dossier. Elle me dit que je
serai en contact direct avec elle, qu’elle me tiendra elle-même
informée et qu’elle laisse des consignes à la greffière pour que
je puisse, si besoin, la joindre en personne. Ce jour-là elle m’a
même contactée avec son téléphone portable et non en appel
masqué. Confiante, j’attends donc qu’elle revienne vers moi.
À ce jour, je n’ai jamais eu aucune nouvelle de sa part. Rien,
même pas simplement pour me dire que l’affaire suit son cours.
« J’ai fait de multiples tentatives de suicide ainsi que les
séjours à l’hôpital qui en découlent. J’ai suivi deux cures, une
en 2012 et une autre en 2013.
« Le jour où j’ai appris que ma plainte avait été classée sans
suite par erreur, j’ai bu, beaucoup bu. J’ai pris une bouteille
de vodka pour me donner du courage avant d’appeler. Entre
le moment où la greffière m’a annoncé la nouvelle et celui
où Madame Armand m’a rappelée j’en étais à ma deuxième
bouteille dans un seul but, en finir, vraiment. J’ai cherché les
clés de ma voiture pour la prendre et aller me tuer sur la route.
C’est l’une des fois où l’alcool m’a sauvée. J’étais tellement ivre
que je n’ai jamais trouvé les clés. »
156 La Pédocratie à la française

Cet appel à l’aide n’a suscité à l’époque aucune réponse


du procureur, ni verbale ni écrite. Mais en mai 2016, Séverine
sera à nouveau entendue par un juge d’instruction. En août de
la même année, elle sera notifiée du placement sous contrôle
judiciaire du mis en cause, et en octobre 2017 Marcel R. est
renvoyé aux Assises d’Avignon, à une date non encore fixée
en janvier 2021 pour le viol de Séverine commis à plusieurs
reprises, et pour des attouchements sexuels sur une autre fillette,
Célestine, en 2006. Les deux victimes ne se connaissent pas.

Le 29 juin 2020, j’ai contacté le nouveau procureur d’Avi-


gnon, Philippe Guemas, pour savoir quand aurait lieu le procès
d’Assises concernant Marcel R. Il m’a indiqué que la date
n’avait pas encore été fixée à ce jour.
ANNEXE III
Le « blanc » des Renseignements
généraux sur Jack Lang
ANNEXE IV
Quand une psychothérapeute terrasse
l’avocat Dupond-Moretti
(Extrait du papier « Nomination d’un garde des Sceaux
showman des prétoires », publié sur le blog d’Hélène Romano
le 7 juillet 2020)

« […] En mai 2015 je suis donc convoquée par le Tribunal


de Grande Instance [de Rennes] comme témoin par les parties
civiles ou plus précisément comme “expert-sachant” pour expli-
quer aux jurés ce qu’est la mémoire traumatique, pourquoi des
enfants victimes ne peuvent pas témoigner de façon linéaire en
raison des reviviscences traumatiques. Près de trois heures face
à un jury et des magistrats attentifs, sans avoir la moindre note,
pour expliquer toute cette complexité clinique.
À mon arrivée j’avais eu le droit en haut des marches du
tribunal aux sept avocats du mis en cause, en robe noire,
faisant tels des Maoris des prétoires, une sorte de haka pour
m’empêcher de passer. Il avait fallu l’intervention de la gref-
fière pour que je puisse atteindre la salle des témoins non
sans essuyer des propos graveleux de ces hommes qui s’imagi-
nent que leur robe noire leur donne tous les droits. Pendant
mes trois heures de déposition, si la salle, les jurés et les
magistrats ont été attentifs, ces six avocats n’ont pas arrêté
de tenter de me déstabiliser : propos sexistes, diffamatoires,
insultes. Ils ne cesseront pas de piailler tels des poulets dans
une basse-cour dans un mépris total de la professionnelle
que je suis, des jurés, des magistrats et des parties civiles. Ils
n’écoutent rien et ne sont mobilisés que pour m’empêcher de
témoigner. À la fin de mon exposé, je réponds comme cela est
d’habitude aux questions des magistrats puis des jurés avant
160 La Pédocratie à la française

que n’entrent en scène les avocats des parties civiles puis du


mis en cause.
Le premier à se remonter les manches, au sens propre comme
au figuré, est Maître Dupond-Moretti qui vient se planter
juste en face de moi, me faisant bénéficier de son haleine
putride et de ses postillons. Il s’agite, éructe, se fâche, brasse de
l’air, devient tout rouge, transpire à grosses gouttes, a les yeux
qui sortent des orbites, trépigne. Il présente une authenticité
factice qui crée une confusion inévitable face à ceux sommés de
l’écouter. Il impressionne, mais surtout terrorise son auditoire,
car il sait qu’il n’y a rien de plus efficace que la terreur pour
créer la crainte, le doute et obtenir la soumission du public à
sa cause. Il tente donc comme à son habitude de déstabiliser. Il
jubile, jouit même de s’écouter parler, et s’enivre de ses propos
haineux sans même réaliser que je le regarde calmement et que
la salle n’est pas dupe de son numéro de triste clown. Il ment
de façon éhontée, interpelle les jurés en leur affirmant de façon
péremptoire que j’aurais dit que le jugement de la Cour d’Appel
de Paris était une imposture lors d’une émission télévisée. Il me
dénigre, m’insulte, me traite de “fausse psychologue”, tente par
tous les moyens de me faire réagir, mais je reste sereine, impas-
sible, essayant juste d’éviter ses postillons. J’ai en face de moi
un numéro de guignol pathétique, avec l’impression comme
dans les dessins animés d’avoir une sorte de taureau déchaîné,
baveux de haine, mais au final sans le moindre argument. Il ne
sait plus qu’invectiver, sûr d’être adoubé par le public. Mais
il se trompe. Tout ceci n’est que du théâtre, car derrière ses
propos c’est le vide sidéral.
Je réponds calmement aux jurés (à qui depuis bientôt
trois heures j’explique ce que sont en particulier les stratégies
perverses qui conduisent à manipuler les révélations d’en-
fants pour protéger des pédocriminels), que grâce au talent
de Me Dupond-Moretti, nous venons d’en avoir un remar-
quable exemple. Car il a sorti un mot prononcé lors d’une
émission réalisée sur Canal + avant le procès, où j’avais dit que
“prétendre qu’il n’y avait pas eu d’enfants victimes à Outreau
était une imposture, car 12 enfants avaient été reconnus
victimes”, et cet avocat me fait dire que “le jugement de Paris
était une imposture”. Instrumentalisation et manipulation
ANNEXE IV 161

pitoyables de la réalité, mais affirmées avec un tel aplomb et


une telle rage qu’elles avaient pour but de sidérer la Cour, mais
également le témoin que j’étais.
“Acquitte à tort” refuse le débat. Il ne supporte pas qu’on
lui tienne tête et est tellement habitué aux effets de frayeur
qu’il impose à ses interlocuteurs, qu’il est très vite déstabilisé
s’il a face à lui quelqu’un qui argumente sereinement. Au lieu
de mettre son talent oratoire et son intelligence au service
d’une élaboration réflexive, il court-circuite tout échange à
grand renfort d’accusations, d’insultes et de menaces. Dès
qu’il est face à des avis contradictoires, il lance des termes qui
visent à sidérer et à interdire tout échange : ceux qui prêtent
attention aux enfants ne sont que des négationnistes, révi-
sionnistes ou des extrémistes. Lui seul détient la vérité. Il se
comporte comme un prédateur prêt à tomber sur sa proie qu’il
n’hésite pas à massacrer comme il l’a fait au cours des diffé-
rents procès pour les enfants victimes et les témoins. Sauf que
loin de m’énerver comme il devait s’y attendre, je lui réponds
très calmement, démonte ses mensonges et même le remercie
d’avoir illustré si formidablement bien ce qu’était la rhétorique
perverse. La salle est hilare, les jurés et mêmes certains des
magistrats ont du mal à contenir le fou rire général. Akitator
furieux jette alors par terre tout un dossier qu’il avait constitué
à mon sujet et se trouve rappelé à l’ordre par le Président des
Assises quand il s’approche de moi pour me menacer.
À la sortie du tribunal, un des magistrats me dit : “C’était
remarquable. Quel courage. Merci. C’est la première fois que
l’on voit quelqu’un mettre à terre Dupond-Moretti. L’ogre
des prétoires s’est fait dévorer tout cru par une petite souris.
Il a été humilié, mais il va vous le faire payer très cher, soyez
forte. J’espère pour vous, que vous avez une bonne assurance
vie.” Formidable… je croyais que nous étions en France, pays
démocratique des droits de l’homme… erreur. Étonnement la
presse ne fait aucun retour de ce que certains ont considéré
comme une grande première, Me Dupond-Moretti remis à sa
place et pris à son propre piège… Et pour cause le responsable
des journalistes présents sur place n’est autre que son grand
ami du Figaro, Stéphane Durand-Souffland, co-auteur de
plusieurs de ses ouvrages. Qui, lui, va s’évertuer, pendant plus
162 La Pédocratie à la française

d’un mois d’enquête à charge à mon sujet, à essayer de trouver


des éléments pour laver l’affront fait à son complice ; pour au
final en inventer et sortir un papier diffamatoire, indigne d’une
personne se prétendant journaliste, car saturé de mensonges et
de vérités volontairement tronquées. […] »

Hélène Romano
Docteur en psychopathologie, en droit privé et Sciences
criminelles. Psychothérapeute spécialisée dans la prise en
charge des blessés psychiques.
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France 3, Paroles d’enfants. Viols d’enfants, la fin du silence ?
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Serge Garde, Outreau. L’autre vérité, 2013.


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François Ozon, Grâce à Dieu, 2018.

Sites internet

– www.pedopolis.com
– www.dondevamos.canalbog.com
PRINCIPALES ASSOCIATIONS
DE DÉFENSE DE L’ENFANCE

COMITÉ INTERNATIONAL POUR LA DIGNITÉ DE


L’ENFANCE (CIDE), Lausanne (Suisse) – Georges Glatz,
président.
INNOCENCE EN DANGER (IED), Paris – Homayra Sellier,
présidente.
ENFANCE ET PARTAGE, Paris – Marie-Pierre Colombel,
présidente.
FACE À L’INCESTE (EX-AIVI), Paris – Isabelle Aubr y,
présidente­.
LA VOIX DE L’ENFANT, Paris – Martine Brousse, présidente.
L’ENFANT BLEU, ENFANCE MALTRAITÉE, Issy-les-Mouli-
neaux – Isabelle Debré, présidente.
ASSOCIATION ALEXIS DANAN DE BRETAGNE, Rennes –
Laurence Brunet-Jambu, présidente.
Cet ouvrage a été numérisé
par Atlant’Communication
Au Bernard (Vendée)

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