Vous êtes sur la page 1sur 68

CAHIERS

N°. 3 3 . A PROPOS DU CINÉMA ITALIEN . N.


D eborah. ICerr et B u rt L an caster dans F R O M H E R E TO E T E R N IT Y (T a n t
q u i l y aura des hom m es) d e F re d Z in em an n d ’après le célèb re ro m a n de
Jam ès Jones, a d ap té e t d ialo g u é p a r D an iel T a ra d a sh . Les a u tre s in te rp rè te s
s e n t M ontgom ery C lift, D onna R e e d et F ra n k S in atra (C olu m b ia).
CAHIERS DU CINÉMA
REVUE ME NS UE L L E DU CI NÉMA ET OU T É L é C f N Ë MA
146, CHAMPS-ÉLYSÉES, PARIS (S«) ' - ÉLYSËES 05-38
RÉD A C TEU R S EN CHEF : A . BAZIN, J .D O N IO L -V A IX R Û Z E ET LO D U C A
DJRECTEUR-GÉRANT : L. KEIGEL

TOME VI MARS I954 N° 33

SOMMAIRE
A propos du cinéma italien
Henri Langloîs Destin du Ciném a Italien ................. ................................. 3
Maria Adriana Proie Naissance d'un musée ........................................................ 18
Nino Frank ................. L'Exposition Italienne à la cin ém athèque . . . . . . . . 21
C e sa re Zavattini Thèses sur le Néo-Réalisme .............................................. 24
Philippe Demonsablon N ote sur V îs c o n tî.......... ........................................................... 32
André Bazin ................. N ote sur De S i c a ........................................... .......................... 36

J. D.-V................................... Petit journal intime du cinéma ................. ................... 40


XXX. .................................. Les Trois -Journées d e la C.C.T.V. ..................................... 44
Chronique de la F.F.C.C. Merci, Monsieur Zavattinî ......................................., .. : 52

LES FILMS :
Philippe Demonsablon . . La conjuration (Ruby G e n t r y ) ...................., ........................ 54
Philippe Demonsablon . . Qui naquit à Newgate... (La vie de O'Haru, femme ,
galante) .................................................................................. 57

Nino Frank Livres e t Revues d e Ciném a italiens 60

Nous nous excusons d 'ê tre obligés de rep o rte r à notre prochain numéro la suite de l'article
de Barthélémy Amengual, L'Etrange C om ique de Monsieur Tati.

K . v .

NOTRE COUVERTURE

G/no LoJJo.bng/da dans Pane, amore e fantasia de Luigi Gomencini.

- - _ . 1

I
Les deux L a m b in s de S p erdu ti Wel B n io d e Nino M artiglïo (191*1) et de Vo/e»r.9 rfe B ic yclettes
de Vittoi'io De Sien (1948} sy m b o lis e n t d eux p o in tes <le la douM c destinée d u c in ém a ita lie n .

2
DESTIN DU CINEMA ITALIEN

p a r H enri Langloîs

A deux reprises, dans les avinées ro et 40, le C iném a Italien a jo u é u n rôle déter­
m inant. e
L orsqu’en 1946, les fortes personnalités d ’A m idei et de Rossellini im posèrent
Rome> Ville ouverte le C iném a Italien p a ru sortir d u néant.
Il en fut exactem ent de mêm e 30 ans au p arav an t.
E n 1906, le C iném a existait depuis près de 10 ans. Son évolution, q ui nous p a ra ît
a u jo u rd ’hui avoir suivi alors u n cours presque insensible, a v ait été en réalité m arquée
p a r des découvertes, des révolutions, des étap es1beaucoup m oins nuancées, b e a u ­
coup plus différenciées, plus évidentes que ne peuvent être à nos yeux celles de ces
dernières vingt années de ciném atographie.
P our un contem porain, avoir vu l’im age anim ée sortir de la boîte des K ine-
toscopes et se poser sur l’écran, avoir vu la photographie anim ée de Louis L um ière
devenir m agie anim ée.grâce à Méliès, avoir v u le spectacle d u G ra n d Gafé devenir
celui d u T h é â tre R o b ert H oudin, avoir vu les films passer de la Foire dans les salles
de spectacles spécialisées, l’avoir vu passer de 20 m. à 30 m ., puis à 150 et à 300,
avoir assisté à la transform ation des terrains vagues des prem ières prises de vues en
plein air en studios, à ré c ra n géant, au ciném a parlant^ au C ycloram a de l’Expo-
sition 1900, avoir vu les prem ières cam éras et les prem iers films stéréoscopiques,
les prem iers essais de réduction et d ’agrandissem ent de l’im age p a r l’anam orphose,
to u t cela en q uatre ans ten ait déjà du prodige.
M ais que dire de ce qui suivit : Le Voyage dans la Lune de Méliès, La Grande Pas­
sion de Zecca et N onguet, The Great Train Robbery de Porter, les films poursuites et
le réalism e fantastique des films Pathé, le naturalism e et l’esprit des films G aum ont,
la découverte du gros plan p a r les Anglais, d u dessin an im é p a r les U , S. A. et de
tous les trucages p a r Méliès ?
A u ta n t de bonds en av an t, a u ta n t d ’ém otions nouvelles p o u r qui croyait déjà
au C iném a.
U n hom m e a su m ieux que personne définir cette prem ière période expéri­
m entale d u C iném a q u ’il a qualifiée de m étaphysique, Salvador D ali, dans sa préface
de B a b a o u o , et c’est ce m êm e hom m e, au m êm e m om ent, dans le m êm e livre, qui
a su, à une époque qui lui é tait p articu lièrem en t opposée et hostile, trouver les
phrases les plus éloquentes sur le C iném a Italien, d o n t il n e connaissait p o u rta n t
q u ’un des aspects.
Q uels q u ’en soient les motifs, ce n ’est pas un h asard c a r enfin il é tait norm al
que l’hom m e qui élève la voix le prem ier en faveur d u C in ém a Ita lie n fû t le m êm e
dont la définition du C iném a p rim itif allait s’avérer être celle de l’Histoire.
E n 1906, q u a n d A lberini to u rn a La Prise de Rome le C iném a Italien ne sortait
pas du néant, pas plus que le C iném a Ita lie n des années 40. I l é ta it p o rté p a r toute
u n e trad itio n q u ’il s’é tait assimilé et d o n t il allait être la fleur.
C om m e le C iném a Français de notre prem ière av ant-garde, il s’explique p a r
l’acquis d ’une culture ciném atographique qui le fait'bénéficier d ’efforts q u i av aien t
épuisés les prom oteurs.

3
E n 1906, le C iném a en France, aux U . S. A., en A ngleterre, a nécessité ta n t
d ’inventions, ta n t de génie créateur, a brûlé ta n t d ’étapes, a co u ru si vite, a g ra n d i
si vite, q u ’il doit s’asseoir.
Bien sûr to u t cela nous est à peine perceptible, deux années à peine sép aren t
1906 de VAssassinat du Duc de Guise en France, et des débuts de G riffith a u x U . S, A.
deux années pleines de chefs-d’œ uvre, car s’asseoir signifie digérer, répéter, d onc
réfléchir, mais ces deux années, q u i co m p ten t si p eu à nos yeux, sont capitales e t
com ptent terriblem ent alors.
Il y a u n vide, et ce vide doit être comblé. Ce fut l’h eure d e l’Italie.
C ’est ainsi q u ’à trente ans de distance, à deux reprises^ le C in ém a Ita lie n c o n n u t
u n destin parallèle.
E n 1940, le C iném a Français est, à son tour, après le C iném a A llem and,
condam né à m o rt sous prétexte de sollicitude. Les œuvres de R e n o i r d e C arné-
Prévert, de D uvivier q u ’on n ’avait que châtrées sont interdites sous p rétexte q u ’elles
dém oralisent la n ation et c’est la fin b ru tale de cette gran d e étap e d u réalism e n a tu ­
raliste q u i av ait perm is au C iném a Français des années 30 de s’im poser au m onde
e t de com bler le vide laissé en E urope p a r l ’étranglem ent d u C iném a A llem and.
Presqu’au m êm e m om ent, Hollywood capitulait à son tour. E n 1941, l’arrivée
d ’O rson W elles et Citizen Kane m a rq u a it la fin de ce ciném a v iv an t des dernières
années 30 en pleine renaissance, où les chefs-d’œ uvre succédaient aux chefs-d’œ uvre.
L e C iném a Soviétique, à son tour, é tait bouleversé p a r l’invasion à l’h eu re où il
v en ait de trouver la form ule et se dégager des souvenirs épuisants qui av aien t m a r ­
qué l’aboutissem ent de l ’a rt m uet.
N ous attendions une suite à La Règle du Jeu, au Jour se Lève, à Seuls les Anges
ont des Ailes, à la trilogie de Gorki e t nous n ’avions plus rien.
T o u t cela est alors insensible car le m onde est quasi désœ uvré m ais quelle
surprise, quel désarroi à la libération de l’Europe, à l’o uverture des frontières, au x
■ prem iers contacts. N ous avons vécu dans l’espoir de nouveaux Stage Coach et l’A m é­
rique v enait chercher chez nous u n nouveau Quai des Brumes, u n e nouvelle Grande
Illusion et, de p a rt et d ’autre, nous n ’avions à m o n trer que le form alism e d ’œ uvres
qui ne ch erch aien t plus leur inspiration dans la vie mais dans la litté ra tu re et les
souvenirs ciném atographiques.
I l fau t avoir considéré ce vide avec des yeux ouverts, des yeux sans préjugés,
p o u r com prendre l’im portance historique du C iném a Italien.
Il surgit dans ce vide, le comble, achève une période en la renouvelant. Nous,
l’E urope, ch erchan t à Hollywood les suites des grands J o h n F o rd et l’A m érique, à
Paris, celles des grands R enoir, e t c’est R o m e qui répo n d it en envoyant Paisa, Scius-
cia, Il Sole Sorge Angora, Il Bandito, La N uit porte conseil.
Ces années sont à la fois l’aboutissem ent de toute une p ériode m on d iale d u
C iném a élaboré hors d’Italie et le résultat de trois années de recherches, de décou­
vertes, d ’essais entrepris sur place et inconnus à l’étranger.
L e C iném a Ita lie n ne sortait donc pas du néant, mais à la fois d e lui-m êm e et
d ’u n effort m ondial q u i l’avait précédé et qui lui a v ait perm is, après u n e co u rte
p ériode d ’ad ap tatio n , de b rûler les étapes et de surclasser tout.
Il en fu t de m êm e jadis.
Le film d ’A lberini, ap p arem m en t sans plus d ’im p o rtan ce que les Roses Ecarlates
et les Navire blanc, ouvre une nouvelle ère dans VH istoire d u C iném a m ondial,
celle de son adolescence.
N ’ay an t aucune expérience, le C iném a Italien des années 1906-7-8 et 9 v a
pouvoir s’assimiler toutes les découvertes de la F rance, d e la G rande-B retagne,
des U . S. A., sans épuiser son génie créateur.
N ’ay an t aucune trad itio n , a u cu n préjugé acquis, a y a n t appris le m étier d ’a b o rd ,
en reg a rd a n t les films des autres sans être im portunés ou gênés p a r les recettes d u
m étier, les m etteurs en scène italiens des années q u i p récéd èren t la prem ière guerre
m ondiale, ap p ro ch ero n t de la cam éra avec des yeux d ’hom m es adaptés à son a rt,

4
Caiun Ju litis Ctesar d ’E n rico G uazzoni (1914).'

à ses découvertes, éduqués p a r l’effort des autres sans en être gênés p ar les routines.
Paris est alors encore la cap itale où C iném a forain, Pathé, G aum ont, sont déjà
des entreprises industrielles im portantes, en pleine transform ation, m ais fortem ent
m arquées p a r leur passé, avec l’étroitesse de vue ;d’un artisan at trop a rb itra ire ­
m ent lié à l’origine au com m erce des vieux chiffons.
A T u rin et dans toute IT talie, le ciném a est égalem ent u n a rt artisanal, mais ses
artisans sont déjà ceux d ’u n com m erce plus évolué. Le ciném a a 13 ans en F rance
q u a n d va s’opérer la révolutions q u i m a rq u e ra la naissance d u système de location
directe et la fin de la période foraine. Il n ’en a que trois en Ita lie et, à T u rin , puis à
R o m e, q u a n d le ciném a v a p ren d re très vite l’aspect d ’un ciném a industriel.
E n 1914, les Studios de l’A m brosio et de IT ta la préfigurent déjà ceux d ’H ol-
lywood et de Babelsberg avec leur atelier de décors, leurs magasins, leurs menuiseries,
leurs grands terrains destinés au x extérieurs, leurs ateliers de m ontage, de tirages, etc.
Sans doute to u t cela existe aussi chez P athé, G aum ont, et m êm e chez Méliès,
mais avec quelle au tre largeur de vue, quelle am p leu r de moyens, inconnus chez
P athé et chez G aum o n t et q u i a u ra ie n t été celles de M éliès s’il n ’é tait pas Phdrnme
d u ciném a p rim itif des années 95. .
A l’Ambrosio, des tuyau x laissent couler, l’été, le long des vitrages, des nappes
d ’eau glacée p o u r clim atiser le studio.
A lT tala, le studio a été b âti en fonction d ’un em placem ent choisi p o u r per­
m e ttre d ’y avoir à la fois des espaces plats et accidentés. Il est suffisamment spacieux
p o u r p erm ettre d ’y faire en trer sous tous les angles u n choix de paysages variés,
d ’y jo u e r à la fois des arbres et des toits de la ville.
D ans ces Studios, des plate-form es mobiles m o n ten t et descendent les décors
to u t construits. O n utilise des m atériau x industriels, les décors sont en reliefs, les
chevaux sont dans les écuries, une m énagerie touche aux ateliers de laboratoires
de recherches et d ’essais.
D ans ce m onde d ’a v a n t 1914, T u rin fait figure de ville m odèle.
T o u t cela n ’a u ra it certainem ent pas existé si le C iném a Italien é tait né dix ans
plus tôt, en 189.6 au lieu de 1906.
Il B a n d ito d ’Alhei'lo L a ttu a d a (19-16).

Lorsque Gaston Velle, Segondo de C hom on, Charles L epine q u ittè re n t Paris
p o u r l’Italie, ils ab an d o n n aien t des Studios et des Sociétés où com m ençait à s’instau-
rer la sclérose d ’un canon, d ’un dogme de prise de vue qui allait brim er tous les
homm es de v aleur capables en F ran ce de faire progresser l’a rt de la mise en scène.
1 Ils en avaient sans doute été déjà m arques, m ais il en sortaient riches d ’une
g ran d e expérience acquise, c a r déjà à l’époque, presque to u t av ait été trouvé dans
l’a r t de la prise de vue, y com pris le gros p la n qui a llait être systém atiquem ent b a n n i
com m e m oyen d ’expression d u C iném a Français.
P a r contre, à rebours de P ath é et des futurs m aîtres de la S. C. A. G. L. et
du Film d ’A rt, les hom m es qui s’étaient assuré leur concours étaient beaucoup plus
jeûnes et d ’une culture à la fois plus évoluée et plus h ard ie q u e celle de leurs m aîtres
français. Il n ’y avait ni un Zecca, ni un P athé, ni u n e Alice G uy, po u r venir to u t
co n trarier et im poser la d ictatu re de l’analphabétism e ; les ingénieurs de l’Ita la
et de l’Ambrosio avaient u n e ' culture littéraire et hum aniste qui faisait to talem en t
défaut au petit.bourgeois des Arts et M étiers q u ’é tait l’ancien fabricant d ’appareils
photographiques G aum ont et d o n t les préjugés b rim èren t u n hom m e aussi raffiné
que Jasset qui d u t ab an d o n n er l’E lgé-G aum ont, ce d o n t d u t tenir com pte un hom m e
aussi cultivé, aussi instruit que Feuillade.
E n Italie, le destin du C iném a était entre les m ains d ’hommes q u i ne s’é taien t
pas fait avec le cinéma, m ais q u i y étaient venus avec la volonté de le considérer
com m e une industrie et le désir d ’en faire u n a rt. J a m a is Pathé ne s’est essayé à
la mise en scène. T o u te la carrière d ’hom m e d 3affaires et d ’industriel d e P astro n e
a b o u tit à la création, à la volonté de s’im poser dans u n art. U n Frusta, le Zecca
de l’Ambrosio, est u n hom m e cultivé, p o u r qui écrire est une fin en soi. M ais cela
suffit-il p o u r tout expliquer ? Après to u t P athé, Ga.umont, ne vo n t plus être seuls,
le b a n q u ie r LafHtte, les bourgeois français qui v o n t aid er à la form ation de la S. C.
A. G. L. ne sont pas des Zecca, mais ce sont des bourgeois.
Les m aîtres du C iném a Italien ap p a rtie n n e n t à u ne a u tre race, celle des p io n ­
niers. Il faut chercher leur équivalent p arm i les prom otteurs de l’in d u strie a u to ­
m obile et aéronautique. L e u r é ta t d ’esprit est différent. Ce sont des sportifs et l’o n
sait ce q u e symbolise le sport à cette époque. C ’est en plein x ix e siècle le prem ier
geste d ’u n nouvel esprit, l’annonce d ’une nouvelle époque.
C’est cet esprit de jeunesse q u i explique la hardiesse du C iném a Italien, elle

6
en est le m oteur. C’est elle qui fait de T u rin et de l’Italie p e n d a n t quelques années
le cerveau du C iném a m ondial d o n t Paris deviendra cependant la capitale.
A u contact de ces hom m es nouveaux, un Segondo de C hom on, u n Charles
L épine, v o n t bien vite se libérer de tous les préjugés et le C iném a Italien va connaître
en 190g et 1910 ses prem iers triom phes : Les Derniers Jours de Pompéi, Inferno, La
Caduia di Troia de Pastrone.
Il suffit de co m parer ces années avec celles d u Film d ’A rte, P athé de R om e
p o u r saisir tout ce qui différencie les films produits po u r satisfaire les hom mes qui
o n t conservé l’h ab itu d e du C iném a forain, de ceux'-que d irigaient les ingénieurs,
intellectuels et cinéastes trav aillan t p o u r les m aîtres de l’in d u strie Italienne, hantés
p a r la tra d itio n de la litté ra tu re et des arts plastiques.
Le Lorenzaccio du Film d ’A rt Pathé est une oeuvre grossière, vulgaire, sans style,
aux acteurs déguisés avec la défroque m isérable de comédiens am bulants. Le Bru-
tus de l’Ita la est, au contraire, to u t peuplé déjà de ces im ages q u i faisaient écrire,
en 1926, à Elie Faure, que l’on pou v ait trouver dans chaque film des images évo­
q u a n t les grands m aîtres de la peinture.
Ceci déjà est la gran d e caractéristique de l’A rt m uet italien . '
Il n ’oublie jam ais q u ’il est le ciném a d ’u n pays qui a été p e n d a n t des siècles
la patrie des arts plastiques.
Il saura transposer d ’étape en étape, de m ieux en mieux, toutes les traditions
et acquisitions qui m ènent à l’a r t d u x ix e siècle et sous toutes ses formes.
L a plastique des peintres naturalistes, celle des peintres d ’histoire m ène à
l’a rt et se retrouve dans ses films.
Les grands thèm es littéraires adoptés p a r le x ix e siècle ou qui furent de ce siècle,
o n t profondém ent m arq u é l’inspiration de ces sujets et de ces mises en scène. Les
grands courants du ?axe, d u rom antism e au symbolisme, se font jo u r au ciném a grâce
à eux. Zola, F laubert, M aupassant, sont les auteurs préférés de leurs m etteurs en
scène. Ils les co m p ren n en t et ils savent les in terp réter m ieux q u ’un C apellani à
Paris ; le souvenir de Baudelaire, ignoré du C iném a français des années 10, h an te ra
le C iném a italien de la m êm e période.

Il sole sorge ancora d ’Aldo Yevgano (194G).

7
T o u t le m ouvem ent d ’avant-garde de la fin d u siccle d ern ier trouve u n e expres­
sion ciném atographique grâce au C iném a italien.
Les symbolistes, les préraphaëlistes et ju sq u ’aux futuristes in flu en cero nt cet
art.
Pathé, G aum ont, E clair,' ignorent com plètem ent les ballets Russes e t D ia ­
ghilev. Les Italiens n e v o nt pas ta rd e r à s’en inspirer et finiront p a r faire appel à
I d a R ubinstein. L a S. C. A. G. L, sacrifie à M aurice D onnay, l’Italie à H en ry
Bataille et ceci m o n tre bien toute la différence de génération.
C ’est à T u rin et à Venise que M a x R e in h a rd t v a tourner, en 1913 et 1914,.
les films an n o n ç a n t l’exprès sionisme allem and avec cinq ans d ’avance. Paris ignore
Saint-P étersbourg et M oscou et les hom m es de th é â tre avec lesquels T u rin colla­
bore, et lé p rem ier film d ’A ntoine n ’est pas un film français, m ais italien, a rriv a n t
avec q u a tre ans d ’avance sur ceux q u ’il réalisera à la S. C. A. G. L.
E n somme, lorsque l’historien futu r v o u d ra connaître, non pas le visage ' de
la réalité quotidienne de la vie, mais le reflet de la pensée d ’u ne époque, lorsqu’il
v o u d ra savoir quels étaient les grands courants du x ix e et ju sq u ’au visage de l’aca­
démisme, il n ’e st-q u ’u n ciném a, en tre 1909 et 1915, auquel il puisse se référer,
c’est le C iném a Ita lie n et si, p a r la suite, il d oit éten d re son investigation à la p ro ­
d uction d ’autres pays, c’est toujours dans des pays q u i furent fortem ent influencés
p a r l ’exem ple d u C iném a Italien : la Russie, l’E urope centrale, la Scandinavie
ou l’A m érique.
D ans l’H istoire d u C iném a, l’a r t m u e t Ita lie n est l’a rt d ’u n e époque, d ’un
m onde, d ’une culture : celle du xix° siècle.
C ’est ce q u i fit sa grande force, ce qui explique son expansion, sa portée m o n ­
diale à u n e époque où le ciném a qu itte la foire p o u r essayer de devenir u n spectacle,
o E t c’est aussi ce qui explique sa faiblesse et, en gran d e p artie, la désaffection
subite d u p ublic aussi soudaine, après la guerre de 1914, que son succès av an t cette
gùérre q u i clôt une période et délim ite l’a r t d u x ix e de celui d u x x e.
; Ainsi, et p o u r les raisons q u e j e viens d ’exprim er, le C iném a m u e t Italien a
constitué une étape capitale, nécessaire, indispensable dans l’évolution du Cinéma
m on d ial ; en cela il a préparé l’étape suivante qui n ’a u ra it jam ais p u avoir lieu sans
lui.
Si nous avons connu, à Paris n o ta m m e n t entre 1916 et ig ig, cette découverte
d u C iném a p a r les élites, grâce à laquelle le Septièm e A rt se fit et s’im posa, c’est q u e
l ’élite av ait com m encé à venir au ciném a, à s’h a b itu e r au C iném a à la faveur d u
C in ém a Italien .
Si l’avènem ent d u film d ’a rt en 1908 e t U Assassinat du Duc de Guise ab o u tit à
Forfaiture, c’est grâce au Ciném a Italien q u i s’é tait trouvé en 190g p rê t à faire sien,
à prolonger, à accom plir la révolution du film d ’art.
Si Griffith à son to u r, après six années de gestation, ouvre avec Judith de
Béthulie, l’a r t d u 7e a rt, il le doit égalem ent aux Italiens, et c’est là l’essentiel.
Il ne; fau t pas s’im aginer que le rôle historique du C iném a Ita lie n d ’alors se
borne à d o n ner satisfaction à une nouvelle couche de spectateurs.
7Jam ais le C iném a Italien n ’a u ra it p u im poser ses sujets, ses m étrages in h a b i­
tuels (2 et 3.000 m ètres n ’effrayaient pas dès 1911 les producteurs Italiens) si son
rôle s’é ta it limité à m ettre le C iném a, p a r ses sujets, au service d ’u n e classe.
Si ses m etteurs en scène s’étaien t contenté de p laq u er cette façade à leurs
films, s’ils n ’av aien t pas fait progresser à la faveur de leur mise en scène l’a r t d u
ciném a lüi-m êm e, s’ils n ’avaient p u pressentir ef deviner ce q u e le ciném a p o u v a it
être et devenir, leurs films n’a u ra ie n t jam ais p u s’im poser au public p o p u laire,
l’ém ouvoir, le tran sp o rter hors de lui-m êm e e t le faire com m unier avec ces nouvelles
couches de spectateurs qui, au lieu de chasser le p ublic populaire des salles, v e n a it
com m unier avec lui dans une m êm e adm iration.
C ’est p arce q ue le ciném a m u et italien sut découvrir des vérités cin ém ato g ra­
phiques essentielles e t parce q u ’il sut m ettre la culture de ses m etteu rs en scène, de
P in a M cnjchclli ditns L e J ar di n de la Vo lu p té (1916).

ses acteurs, de ses scénaristes, de ses décorateurs et de ses acteurs au service d u ciném a
lui-m êm e, q u'il réussit à nous toucher.
O n ne peut se n o u rrir de la pensée et des trav au x des m aîtres de l’a rt et de la
philosophie contem poraine sans en tirer soi-même profit dans l ’expérience quoti­
dienne, la m anière de considérer le m onde, le m étier q u ’on exerce s’il exige de vous
une création.
O n ne p eut com prendre et p a rta g e r le bénéfice des novateurs sans être nova-:
te u r soi-mêm e dans son pro p re m étier. E t c’est ainsi que Cabiria n ’évoque pas
F la u b e rt et Salam bo p a r l’extérieur, mais aussi p a r l’intérieur. Pastrone n ’a pas
fait de Cabiria une g ran d e m achine carthaginoise év oq u an t p a r cela seul et l’am p leur
aes moyens, l'œ u v re de F laubert. Il a su retro u v er avec sa cam éra e t dans sa mise
en scène l’inspiration et P a rt à la fois précis et surchargé, visionnaire e t réaliste, qui
ju stifient le livre de F lau bert.
C ’est ainsi que les cinéastes italiens firent surgir des données limitées de l’a r t
ciném atographique prim itif, des moyens d ’expression en ra p p o rt avec les sujets
évolués q u ’ils désiraient transposer sur l’écran ; il n ’est pas un film italien de cette
époque où l’a r t ciném atographique italien ne gagne du terrain, n ’explore d u nou­
veau.
Les pionniers français d ’avant 1906 avaient to u t découvert à l’é ta t b ru t, les
Italiens tirent p a rti de ces découvertes d ’ordre techniques p o u r les a d a p te r e t s’en
servir com m e moyen d ’expression.
L a com position des images, l’a r t des cadrages de leurs films n ’o n t pas alors
d ’équivalent. Ce ne sont pas seulem ent des yeux d e cinéastes q u i les o nt composés,
mais des yeux d ’habitués de Musée et de spectacle d ’O p éra.
Si les Français et les Italiens se rencontrent souvent dans certains effets plas­
tiques, les Français y atte ig n e n t uniquem ent p a r leur pro p re expérience, p a r l’enri­
chissement de leur m étier, les Italiens p a r la volonté d ’u ne transposition littéraire. .
Si les Français, grâce à leurs décorateurs, transfuges du théâtre, réussissent à
évoquer p a r m om ent le théâtre ou l’opéra, c’est toujours p a r l’extérieur e t p a r hasard ,
a u contraire des Italiens qui ne rejoignent pas P O péra, mais obligent le C iném a à
s’enrichir des expériences et de la tradition d ram atiq u e et plastique de la g ra n d e
mise en scène.
Com parez P erret, l’hom m e qui dans le C iném a français se rap p ro ch e le plus
dans ses recherches de celles du C iném a italien. Q uelle que soit l’ad m iratio n q u e
nous ayons p o u r V E nfa nt de Paris, peut-on dire q u e ce soit a u tre chose que le souci
d ’être vrai qüi fasse jo u e r ainsi P erret de la profondeur de cham p, d u je u de lum ière
alors que la m êm e année Caserini nous entraîne déjà avec le prologue de U Enfer
de Dante, vers le m onde des Suédois e t des Allem ands.
Peut-on dire que Feuillade soit à la h a u te u r de lui-m êm e lorsqu’il essaie de
com poser un. film d ’après Bouguereau et fasse alors au tre chose q u ’u n ta b le a u
vivant, alors q u ’au contraire, lorsqu’en Italie l’esprit seul de la p ein tu re qui souffle
sur la com position de la p lu p a rt des films porte souvent le cinéaste, l ’op érateu r,
au-dessus de lui-m êm e.
Les grands F rançais d ’alors, u n Feuillade, u n Perret, ne sont grands, ne nous
sont proches, ne dépassent les Italiens p a r la certitude d ’u n m étier qui les m a in tie n t
toujours au cœ u r m êm e du problèm e et de ce qui constitue l’essence m êm e d u
ciném a, que p arce q u ’ils dem eurent fidèles à l’esprit des films de Louis L um ière,
que parce q u ’ils ne veulent voir du ciném a q u ’une m achine à refaire la vie, q u ’ils
s’en tiennent à l’essentiel, à u n dépouillem ent q u i nous éblouit a u jo u rd ’hui, q u i
nous éblouira toujours dem ain, m ais d o n t u n historien d oit reconnaître q u ’il n e
rép o n d ait pas alors au x besoins d u progrès ciném atographique.
Voyez au contraire vers quoi ten d en t les Italiens dans leur volonté de faire
d u ciném a u n a r t égal aux autres.
Le C iném a est, p a r essence, u n a rt photographique.
En France, l’a rt des opérateurs est incom parable, mais se lim ite à l’exercice
d’u n m étier. E n Italie, opérateurs français transfuges ou opérateurs «italiens, d an s
leur volonté de faire progresser l’a r t ciném atographique, trav aillen t la p h o to g ra ­
phie avec u n to u t au tre esprit. .
L a p hotographie é tan t essentiellement basée sur les blancs et les noirs, d o n c
sur les jeu x d ’om bres et de lum ière, opérateurs et'm etteurs en scène italiens v o u d ro n t
dans les grands studios à verrière se com porter déjà com m e les futurs cinéastes
de 1920 ; p o u r aller plus loin que les Français ils' ne v o n t pas hésiter à bouleverser
toutes les données du décor de ciném a p o u r pouvoir jo u e r avec les surfaces, avec
les courbes des colonnes, avec les reliefs des sculptures, avec les reflets des étoffes
et des drapés, avec les perspectives, avec les transparences des voiles à contre jo u r,
avec les seuls effets possible de lum ière artificielle "et n aturelle com binée : torches,
incendies. ■ ■>
Les masses de figurants qui, en France, emplissent l’im ag e'd an s les films histo­
riques com me sur la scène à la fin de la Revue, q u a n d tous ceux qui o n t pris p lace
à la pièce vien n en t s’aligner d ev an t le public, sont utilisés p a r le cinéaste italien
com m e une masse sur laquelle jo u e n t l’om bre et la lu m ière e t l’a cteu r lui-m êm e.
L a photogénie, ce m o t clef de Louis D elluc, est une invention des Italiens.
Ce sont eux les prem iers qui l’ont exigée de leurs interprètes, ce sont eux les prem iers
qui ont su les trouver en fonction de l’objectif.
C om m e cela est loin des préoccupations de nos m etteurs en scène d ’alors.
Ils p ren n en t à Paris, sur les Boulevards, ou ailleurs, des acteurs rem arq u ab les q u i
d o ten t le ciném a du n atu rel de leur a r t sans ap p o rter rien d ’au tre que la perfection
et l’absence de défauts.
Po u r les Italiens, au contraire, ils sont toujours dom inés p a r la ' lu tte e n tre ­
prise p o u r créer l’A rte m uto, p o u r l’enrichir de toutes les possibilités de l’a r t d ra m a ­
tique.
E t com m e le ciném a n ’est pas seulem ent à leurs yeux l’a r t d e la photo grap h ie,
mais le th éâtre m uet, ils vont, avec Iè° concours de leurs acteurs et su rto u t de leurs
actrices, choisir en fonction de leurs dons plastiques uri je u a d a p té au m utism e de

10
E le o n o ra Duse d an s Ceimi'e de- Febo M ari (1916). _

l’écran, mais capable d ’exprim er toutes les nuances, toutes les richesses, toutes les
ém otions. . ,
Si les prem ières stars du ciném a m ondial sont Italiennes, c’est à cause de cela.
Si dans le m onde entier les plus grandes actrices furent, e t sont encore, influen­
cées dans leurs je u x p a r les prem ières dive du C iném a Italien, c’est parce q u ’incon­
testablem ent, entre 1910 et 1915, les Italiens je tè re n t les bases d ’u n certain nom bre
de règles de mise en scène et d ’in terp rétatio n qui m a rq u è re n t profondém ent l’a r t
m u e t et à travers lui, le p arlan t.
Ces règles ne sont jam ais sorties du dom aine de l’im age anim ée et du th éâtre
m uet.
Est-ce à dire c ep en d ant que les Italiens ne su ren t pas aller plus loin que C al­
m e tte ou Méliès ? Ce serait faux. Les cadrages, ancêtres de nos angles de prise de
vue, les rap p o rts rythm iques, les changem ents de plan à plan, le découpage, les
actions parallèles ou simultanées, le contrepoint o n t été connus des Italiens qui
com plétèrent ainsi e t achevèrent la mise au p o in t des règles de base d u ciném a,
m ais m êm e q n a n d u n Pastrone p énétrait dans l’im age à la faveur du travelling,
c ’était beaucoup plus p a r intuition, p a r une prescience géniale ou p a r un acquis
de science q u i vous p o rta it déjà plus loin q u ’on ne le pensait. Jam ais le ciném a italien,
p arce q u ’il a été essentiellement F art des pionniers, n ’a su franchir u n certain stade
q ui exigeait un sens du ciném a plus évolué, il avait m is.au point toutes les pièces
d u puzzle, mais c’est ailleurs, dans u n autre pays, q u ’allaiènt surgir celui e t ceux
q ui sauraient l’assembler, en fixer la synthèse, en codifier les lois et ce n ’est certai­
n em ent pas u n àccident si le bond en a v a n t fut effectué aux U. S. A.
C ependant, jam ais Griffith n ’a u ra it p u parvenir à Birth o f a Nation et à Intolé­
rance, et Ince à ses grands films de la guerre de Sécession, si le ciném a Italien S a v a it
pas- existé.
M ais il y a m ieux, si nous quittons le dom aine de f a r t ciném atographique
p o u r pén étrer dans celui de la profession, de l’industrie et d u spectacle ciném ato­
g rap hiq u e pro p rem en t dit, nous nous apercevons que si Hollywood a rem placé
Sciu scià de V itto rio De Sicîl (1045),

Paris dans sa suprém atie m ondiale, c’est en gran d e p artie p arce q u ’il su faire sienne
la leçon de T u rin .
Il suffit de se p rom ener à travers l’Exposition Italienn e d e l ’A venue de M es­
sine po u r s’en apercevoir. T ous les m ythes, tous les thèmes de p ro d u ctio n dont ne se
sert pas encore H ollyw ood et la plus g ra n d e p artie de l ’industrie d u film d ’alors ont
été élaborés et fixés p a t la p ro d u ction italienn e des années 10.
r A. une époque où les cinémas français e t am éricains se co n tentaien t de fabri­
q u er des films su r des généralités : comiques, dram atiques, historiques, légers, les
Italiens avaient déjà découvert le m ythe de la feiïime fatale et celui d u séducteur*
fatal, celui du gangster eu g ra n d cœ ur, d u policier apache, du je u n e p rem ier spor­
tif, de T a rz a n , celui de la gran d e mise en scène e t celui d u film noir.
G arbo sort de B ertini, Bette Davis de Borelli, D ouglas de M aciste et G hione,
Sternberg et L u b itsch sortent de L u cio d ’A m b ra et G. B, de M ille de Quo Vadis,
Ainsi le C iném a Italien, entre 1910 e t 1914 et, plus tard , entre i g r 5 e t i g i j 7
jo u e u n rôle aussi capital, influence a u ta n t le ciném a m ondial q u e le ciném a italien
d ’a u jo u rd ’hui. r . . .
U n vide d u ra n t deux ans, entre 1906 et 1908, lui a u ra perm is de p ren d re cette
avance et d ’être le tra it d ’union en tre la découverte française et la révélation am é­
ricaine de 1916. ;
- Il y a quelques années, on n ’en connaissait rien sinon Quo .Vadis e t Cabiria,
Francesca Bertini et Pina M enichelli et si B ertini e t Cabiria tro u v aien t encore grâce
aux yeux de la postérité, ciném a italien é ta it devenu synonim e â p a rtir de 1920 d e
iïiauvais ciném a. Seuls, p o u r quelques jeunes, les souvenirs d ’enfance réussissaient
à m a in te n ir au tréfond de la conscience de quelques-uns u n p en ch an t secret, inavoué,
p o u r le ciném a italien. D ix années de recherches historiques, vingt-cinq ans de recul
nous p e rm e tte n t enfin d ’èn m ieux co n n aître l’évolution et d ’en pén étrer l’essence.
S’il é ta it adm is en 1929. q u e les Italien s av aien t inventé la femme fatale et q u e
Brigitte H elm p ro cédait d e Bertini, q u ’ils avaient été les prem iers à s’être servi
des foules à l’écran, quel est l’hom m e qui, sans s’exposer au x quolibets, se serait
perm is d ’écrire q u e La N u it..de la Saint-Sylvestre, l’œ uvre de M u rn a u , Le Montreur
d.'Ombres, F ritz L ang, celui d u -Tombeau Hindou e t de Mabuse, des Trois Lumières
e t d e Metropolis, dérivaient de l’Ecole Italien n e, que Siegfried e t Faust n ’étaient pas

12
la m anifestation d ’u n esprit en réaction contre l’Ecole Italienne, mais bien a u
co n traire l’aboutissem ent de celle-ci et q u ’il ne fallait pas ju g e r le C iném a Italien
sur les films de l ’U nion ciném atographique italienne, mais sur ceux q u i précèdent
l’arrivée d 'Intolérance en E urope, que Ince lui-m êm e, le g ra n d Ince de D elluc, avait
fait siens dans le Désastre et dans Le Gondolier de Venise, le m eilleur du C iném a I ta ­
lien. E t p o u rta n t to u t cela est a u jo u rd ’h ui l’évidence m êm e po u r tous ceux que
passionne F H istoire d u Ciném a.
J ’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de voir de ces films sur le R esorgim ento
où les images o nt la beauté, la précision des daguéréotypes et des calotypes. où
to u t a l’a ir si vrai q u ’il fau t sans cesse se souvenir que le C iném a est n é en r 895 et
non pas en 1845, où la b eau té des paysages, les m ouvem ents de troupes, les chevaux,
la situation d ram atiq u e d ’u n e Italie déchirée évoquent sans cesse l’épopée du
C iném a am éricain sur la guerre de Sécession.
Ainsi, p a r exem ple, u n h om m e est obligé, p a r son serm ent p atrio tiq u e à la
M affia, d ’aller tuer, dans M ilan occupée, u n tra ître qui travaille avec les Im p é ­
riaux, puis c’est la guerre, la victoire, le re to u r des troupes e t dans T u rin les bals
des officiers e t les fiançailles d e sa fille avec un je u n e héros. Cet hom m e v a passer
en conseil de guerre, accusé d ’u n crim e crapuleux. L a dernière p artie d u film est
absolum ent bouleversante, celle du trib u n a l où le p rin cip al interprète découvre
q u e l ’hom m e qui aim e sa fille est accusé du m eu rtre de l ’h om m e q u ’il a tué.
Il fau t avoir vu ces im ages où le m e tte u r en scène et l’acteu r essaient de tr a ­
d u ire dans cette scène en p lan fixe e t sans l’aide de gros plan, toute l’agitation,
toutes les pensées, toutes les hésitations, tous les refus, tous les rem ords de cet hom m e
q u i se dem ande s’il doit ou non se dénoncer, p o u r com prendre que ce n ’est pas p a r
g o û t d u paradoxe que j ’ai évoqué plus h a u t La N uit de la Saint-Sylvestre q ui a tte in t
au m êm e paroxysm e avec la m êm e économ ie de moyens.
E t que dire de Tigris aux. cadrages si savants, q u ’ils devan cen t l’époque de ,
dix ans et d o n n en t l’illusion d ’angles de prises de vue ; que dire de ce film de gangster
qu i nous fait p én étrer dans u n m onde tra ité déjà avec l’accent du Club 73. C ’est
u n des prem iers films consacrés au x bas-fonds q u i com m encent à surgir en Ita lie et
dans cette œ uvre a p p a ra ît un phénom ène nouveau à l’écran d o n t seule l ’œ uvre de

P aïsa de R ob erto R o s sellin i (1946).

13
Bourgeois, Les Victimes de VAlcool, offre u n équivalent hors d ’Italie, celle d ’u n n a tu ­
ralism e si dense, si expressif, qu’il attein t à la réalité la plus m atérielle et la plus
cruelle, celle d ’u n naturalism e si intense q u ’il fau d ra atte n d re les dernières années
d u g rand ciném a allem and et Le M audit de F ritz L an g p o u r en retro u v er l’é q u i­
v alen t dans u n autre clim at plastique, car ce q u i frappe, ce q u i bouleverse e t ce qui
fera de Sperduti Nel Buio u n des sommets d u ciném a a e tous les tem ps, c ’est q u e cela
baigne dans une lum ière, sous un soleil q u e nous n ’avons plus jam ais retrouvé dans '
a u c u n film, pas m êm e chez Bunuel. D u m onde des bas-fonds au m onde des hom mes
d u peuple, de la cru au té des criminels à la souffrance des exploités de la société,
d u fantastique du C iném a policier au fantastique social le pas est vite franchi,
et le ciném a italien m u et a été le prem ier à to u rn e r dans les Studios et les rues de
N aples, de M ilan, de T u rin , ces films de m isère et d ’opulence, de désir et de p riv a­
t io n qui o n t fait le triom phe, dix ans plus ta rd , des cinéastes allem ands.
R ien n ’est plus près de La Rue, de G rune et rien p ô ü rta n t n ’est plus loin de
cette h u m an ité recreée a u studio, ' .
Le m iracle d u ciném a italien, h ier comm e au jo u rd ’hui, e s t 'd ’avoir su faire
sortir la réalité d ’elle-même, de l ’avoir transfigurée en film ant la rue.
Puis c’est la rue, d a n s son aspect le plus quotidien, le m oins pittoresque qui
s’em pare du C iném a Italien , avec Sperduti Nel Buio qui dem eure au x yeux de tous
ceux qui l ’o n t vu un véritable phénom ène cin ém atographique ; c’est déjà le C iném a
Italien contem porain, c’est déjà le m onde dé Scimcia et d u Voleur de Bicyclettes. T o u t ce
q ue le m u et a v a n t de m o u rir essaiera d’exprim er, tout ce que nos critiques de 1929
tro u v aien t dans le dépouillem ent de certains films soviétiques, toute cette volonté
de trad u ire la réalité la plus quotidienne q u i s’exprim a au m êm e m o m en t dans
Telle est la Vie, dans Finis Terme, dans Les Hommes du Dimanche est dans ce film,
m ais quels accents f et quelle divination d u C iném a ! J e suis de ceux qui o n t eu le
b o n h eu r de voir Sperduti Nel Buio. V ous dire m a stu p eu r q u a n d les images d u pro­
logue m e saisirent à la gorge avec leur sobriété, leur découpage qui frisait le m o n ­
tage. Jam ais u n hom m e n ’avait été si loin en 1914 dans la découverte du ciném a
et le p o u v o ir d’ém otion.
I l fallut attendre M u rn a u p o u r trouver u n pareil a rt de la com position, Grif-
fith et L ilian Gish, Le Lys brisé, p o u r trouver une telle intensité dans l’expression
d ram atiq u e, et VAtalante pour retrouver avec des moyens aussi simples u n e tran sp o ­
sition aussi ciném atographique d u réel.
Sperditi Nel Buio, m ais c'était la justification, l’explication de tou t l’effort, de
to u t ce q u ’avait cherché le C iném a Italien [
Com m e son message ultim e et le plus essentiel, com m e son aboutissem ent,
ce film tém oignait com m e le cri d ’-ürie nation, de ce q u ’elle a u ra it voulu dire et de
ce q u ’on lui avait ôté le d ro it d ’exprim er. E t c’é tait bien cela le véritab le message,
la trad itio n de la ciném atographie italienne que l’on nous av ait toujours caché, car
dès que le bâillon lui fû t arraché, 30 ans après, to u t se passa com m e si SperdutiNel
Buio é tait d ’hier. • ^ ’
Ainsi le C iném a Ita lie n n ’av ait q u ’u n ennem i, u n seul, et ceci explique pour-
■ quoi il a fallu attend re trente ans po u r q u ’il puisse s’accom plir. T re n te ans o ù ch aq u e
fois que le prisonnier essayait de parler, de bouger, de signaler sa présence, le geôlier
s’em pressait d e le cacher à nos yeux.
Pouvait-on voir hors d’Italie Musco et Petrollihi, « 1860 » et Le Ventre de Rome qui
est à n o tre Sang des Bêtes ce que La %one est à Aubervilliers ?
E t c’est ainsi q u ’au hasard d ’un voyage, nous pûm es voir presque clandesti­
nem ent, la m êm e année, en 1940, Sperduti Nel Buio et II Pianto Delle £itelle, d e Pozzi
Bellini qui fu t ainsi le prem ier bourgeon d u C iném a no u v eau aussi vite prim é à
Venise q u ’in terd it en Italie.
Dès lors on p o u v ait to u t prévoir : le g ra n d ciném a d ’après g uerre serait l’Italie.
D ieu sait si l’on s’est m oqué de nous lorsque nous l’annoncions et p o u rta n t cela fut.
Si Ton p eu t em pêcher le m onde extérieur d ’app ro ch er u n prisonnier, on ne
p e u t em pêcher le prisonnier de vivre, on ne p eu t l’em pêcher d e respirer le m êm e

14
Theodavn d e C a rlu cci (1919).

air que les hom m es libi’es, on ne peut Fem pêcher de devenir si sensible que les bruits
les plus étouffés parv ienn ent toujours ju sq u ’à lui.
Ni de Santis, ni Castellani, ni L attu a d a , n ’étaient sortis d ’Italie, mais si on po u ­
vait les em pêcher de voir les grands chef-d’ceuvres de la ciném atographié m ondiale,
pouvait-on les em pêcher de savoir q u ’un Prévert, un Eisenstein, un Ben H echt
existaient, pouvait-on les em pêcher de lire et, à défaut de films, de reg ard er les
photos.
Pouvait-on em pêcher Visconti de se souvenir de R en o ir ; Am idei, Z av atù n i,
de Sica, de se souvenir de leur enfance et de leur passé.
Ainsi le C iném a néo-réaliste ne surgissait pas plus d u n éan t en 1946 que le
vieux C iném a Italien en 1906. Il avait pris à la fois racine à l’étran g er p a rto u t où
le ciném a et la littératu re avaient su exprim er la réalité sociale de notre temps,
au x U . S. A. et à M oscou, à Paris et à Berlin, mais aussi et su rto ut sur le sol m êm e
de cette Italie, où selon le code de la censure, il n 5y av ait plus de m endiants, plus de
m ouches, plus d ’inondations du Pô, plus de misère, plus d ’affamés, plus d ’orgues de
B arbarie, plus de vie populaire, mais des Palaces, d ’élégants officiers, des M inistres,
des téléphones blancs et des hom m es qui, tous les m atins, se m ettaien t en toge
p o u r m ieux cacher le sexe q u ’on leur avait ôté.
Ainsi dans cette Italie prisonnière la jeunesse s’accrochait à Venise, aux cri­
tiques des jo u rn a u x étrangers, au x bibliothèques, au x « C iné-G uf » où l’on p o u ­
v ait étudier le p atrim o in e historique du Ciném a, à Sperduti Jsfel Buio conservé au
C entre E xpérim ental de R o m e com m e la flamme toujours vivace du C iném a I ta ­
lien. Les A llem ands l’em p o rtèren t avec eux en q u itta n t R om e et le film disparut,
peut-être hélas p o u r toujours. Ils espéraient ainsi tu er dans l’œ u f le néo-réalism e
italien, mais com m ent puisque l’esprit de M artaglio é tait l’esprit m êm e d ’u n peuple
que leur fuite et l’anarchie du d é b u t de l’après-guerre libérait enfin de toute
contrainte, de tou te censure et les chefs-d’œ uvre succédaient au x chefs-d’œuvre,
de 1946 à ces tous derniers jours.
Dès q u ’un hom m e faiblissait et, grisé p a r son succès, se laissait p rendre au
piège de ce ciném a q u ’un e société de m illiardaires oisifs croient profond parce

15
iïlaciste a u x E nf e rs de G uido Brignognc (1326).

q u ’elle n ’arrive pas à en rire ni à en pleurer, de no u veau x venus surgissaient p o u r


poursuivre la tâch e où ils l’avaient laissée e t des hom m es q ui av aien t d éb uté dans le
plus p u r form aliste venaient ajo uter leurs chefs-d’œ uvre a u nco-réalism e italien.
Il n ’est pas dans notre intention de p arler d e ces films e t de ces hom mes car
nous voulions sim p lem en t'd ém o n trer p a r ces quelques lignes le parallélism e de la
double destinée de la G iném atographie Italienne.
N otons c ep en d an t le côté de p h énom ène collectif de cette Ecole. Le C iném a
français des années q u i p récéd èrent la g uerre fu t grand; m ais p a r quelques hommes.
Il reposait entièrem ent sur deux ou trois m etteurs en scène, deux ou trois scénaristes.
Le néo-réalism e italien d ’après-guerre repose, au contraire,, à la fois sur des hom m es
et sur u n m ouvem ent de fond, pu isq u ’il influence tous les m etteu rs en scène, souvent
m êm e contre leur style et leur passé.
Hélas,- voici q u e com m e jadis' réapparaissent Messaline et Fabiola, Quo Vadis et
Les Derniers Jours de Pompei, Ulysse et JVausicaa. M ais, cette fois, sans l’excuse que
p o u v aien t in voquer lesF eb o M a ri, les G uazzoni, les G abriellino d ’A nnunzio ( i ) , qui
tu è re n t la ciném atographie italienne à coup d e forum de p lâtre, d ’im pératrices
dém oniaques e t de souvenirs d ’école prim aire.
C a r Cabiria le u r é tait to u t pro ch e e t ils cherch aien t à en renouveler le succès en
s’a p p liq u a n t à la lettre sans en saisir l’esprit. C ar Cabiria, qu i a p p a rtie n t à l’histoire
m ondiale, en ferm an t u n e étape et en en o u v ran t u n e autre, a eu p o u r curieuse desti­
née d ’o u v rit la voie à la C iném atographie m o n d iale et d ’écraser, p a r son exem ple,
le C iném a Italien.
L à où G riflîth av ait v u le piremier geste d ’u n ciném a nouveau e t s’é tait laissé
en traîn er p a r Pastrône vers l’a r t ry th m iq u e d ’Intolérance, l’Italie n ’a v ait vu q u ’un
film historique plus riche, plus som ptueux que tous lés autres, d o n t l’am pleur d u
décor justifiait le succès.
Q u a n d donc com prendrez-vous, Italiens, q u e ce n ’èst pas Sophonisbe mais

(l) Fils du poète, devenu acteur de cinéma, pour le Film d’Arte îlaliam) filiale de Paihé.

16
l ’aube dû ciném a m oderne que nous saluons dans ce film. Q u a n d donc com pren­
drez-vous que c’est la n u d ité de M aciste et non la toge de Scipion, que c’est le Bri­
seur de chaînes et non le général ly m p h atiq u e qui est la clef de ce film.
Q u a n d donc com prendrez-vous que Pastrone n ’a couvert de ses temples, de
ses escaliers, de ses colonnes, de ses statues géantes à feuilles d ’or, de ses figurants
e t de ses m achines de guerre ses collines'de T u rin que p o u r m ieux écraser le passé.
G om m e un général qui s’assure a v a n t d ’engager une bataille q u ’il surclassera de
to u te m an ière l’ennem i, fut-ce avec ses propres armes.
Q u a n d donc com prendrez-vous, Italiens, q u ’il est tem ps d ’oublier R om e et
les miasmes m ortels accum ulés dans ses égoûts. Q u an d donc com prendrez-vous
q u ’en to u rn a n t Cabiria, Pastrone n e c h e rc h a it pas à glorifier R om e, mais: à m ieux
nous ren d re proche de l’hom m e m oderne égaré dans ce film et qui, à lui seul, p a r
son vouloir e t sa force individuelle, suppléait au Destin.
Vous n ’êtes to u t de m êm e pas de la race de cet hom m e qui, p o u r avoir tro p vu
Cabiria sans en saisir l’esprit, av ait cru se conform er au Scipion de ce film et,chaque
fois q u ’il paraissait au balcon d u Palais de Venise, le g ra n d Pastrone éprouvait
le rem ords, à voir ses attitudes copiées des R om ains d ’opéra de Cabiria, de se sentir
responsable de la m ascarade q u i écrasait l’Italie,
Ce n ’est to u t de m êm e pas à l’h eure où le néo-réalism e guide le C iném a J a p o ­
nais, où )a Perse veut q u e sa perm anence ciném atographique soit néo-réaliste, où
l ’In d e envoie à Venise des films qui tém oignent de la portée de votre influence o u
Liitle Fugitive m o n tre q ue l’A m érique vivante a compris la leçon de vos films, que
nous allons voir renaître le règne des téléphones blancs avec je ne sais quoi d ’a n ti­
septique, de sophistiqué et de châtré, q u i a tué ailleurs le m eilleur d u C iném a.
Q u a n d o n d o it to u t a u néo-réalism e, on n ’a pas le d ro it de le rejeter sous le
faux prétexte de néo-rom antism e et de psychologie, on n ’a pas le d roit de décevoir
le m onde et de confondre l’Excelsior avec le P alatin et S uburre avec le Ciném a.
H enri L a n g l o is

Cabiria de G iovanni P a stro n e (1914).

17
2
NAISSANCE D'UN MUSEE
(Le Musée du Cinéma de T u rin )

p a r M ario A d rla n a Profo

M aria A d rin n a Prolo i n s t a l l a n t son exp o sitio n à la C iném athèque f ra n ç a ise .

Écrire sur mon petit Musée, qui aura "bientôt treize ans, c’est pour moi comme
si j'écrivais sur un p etit garçon dont je me serais occupé et qui aurait grandi en me
valant bien des soucis et des sacrifices mais aussi bien des joies. Seule différence entre
un enfant et lui : il n’a pas eu "besoin de chromosomes étrangers î II est né joyeuse­
m ent d’une idée, d’une idée qui m’est venue le 8 juin 1941. Sur un petit agenda où
j’écrivais mes rendez-von s avec les gens que j’avais besoin de voir pour rédiger mon
H i s t o i r e du C in é m a I t a l ie n m u e t , on peut encore lire quelque part : « Tensato il Museo
Ûel Cinéma ». C’est "tout. Mais si l’on veu t savoir pourquoi j’en suis venue à m’occuper
de l ’histoire du cinéma, voici « mon histoire » qui explique celle du Musée.
A yant obtenu le diplôme de professeur de Lettres et d'Histoire, je décidai de me
spécialiser dans la période du « Risorgimento » (1815-1870). Mes premiers efforts furent
soutenus par le général-prince N icolas Brancaccio di Ruffaho, directeur de la B iblio­
thèque Royale de Turin, historien m ilitaire de valeur dont les méthodes de tra­
v a il étaient d'une grande rigueur. Ensemble nous publiâmes une histoire de la
Maison de Savoie intitulée : Daï- N i do Savoiardo a l Troko d’Ita lia . P u is grâce
à un prix du Rotary Club de Turin je partis pour Londres, en vue d ’effectuer au
« Public Record Office » des recherches sur L’Alabama Claims qui avait été présidé
en 1871 par un grand jurisconsulte turinais, le comte Federico Sclopis de Salerano, dont
j’étais en train de rédiger la biographie. Mais à la même époque je m’intéressais aussi à,
l’histoire de la littérature et publiai un choix de poésie d’une « romantique » niçoise,
A gathe Sophie Sassemo, précédée d’une Introduction sur l’histoire de la poésie fém i­
nine Piémontaise jusqu’en 1860. Cette nouvelle orientation fû t encouragée par un des
plus aimables historiens italiens, l’académicien Federico P atetta que j ’appelais « oncle
Federico », comme j ’avais appelé « Oncle N ie », le général Brancaccio, hélas trop tôt
disparu de mon existence. « Zio Federico », qui me reprocha dans des le ttr e s délicieuses
ma trahison avec son homonyme . . le comte Sclopis — me persuada de persévérer. H
fû t Pun des premiers parmi mes amis à connaître le projet du Musée. Il regrettait seu­
lement, me disait-il avec un sourire malicieux, de ne pas avoir parmi le s trésors

18
de sa bibliothèque — dont il fit don à la Bibliothèque du Vatican — un scénario de
Pétrarque ou du Tasse.
Durant l ’été de 1938 je recherchai avec ardeur des documents pour une histoire de la
littérature piémontaise de 1890 à 1914. C’est alors que je rencontrai le poète Carlo
Chiaves et Guido Volante, qui avaient tout deux écrit des scénarios et, parmi de jeunes
écrivains, Ernesto Maria Pasquali qui avait abandonné le journalisme pour la mise en
scène. Ne réussissant pas à trouver de la documentation sur eux, je feuilletai, volume
par volume, les revues de cinéma muet que j’avais trouvé à la Bibliothèque N ationale
et j'esquissai à la diable un article in titu lé « Totino cinematografica prima e durante
la guerra », plein de faute et que, à tout hasard, j ’envoyai à B ianco e N ero. Je ne
connaissais alors ni l ’Histoire du Cinéma de P asinetti (parue l’année d’avant), ni la revue
« Cinéma », ni l’important article de Mario Gromo « A scesa del cinéma subalpino »
publié par S c.f.nakio en 1933. Mes notes furent acceptées par Luigï Chiarini et parurent
en octobre 1938. L ’Argus de la Presse me révéla que mon article avait été favorablement
accueilli et c’est alors que je décidai d’écrire mon histoire du cinéma italien muet.
Ce fû t alors la connaissance et la précieuse am itié de Giovanni Pastrone et d’Arrigo
Trusta (le ciel me le conserve en vie de longues années encore !), la rencontre avec
Charles Lepine, qui du petit lit où il était cloué, me racontait comme un conte les pre­
mières années du cinéma français. Puis ce furent des metteurs en scène, des acteurs,
des actrices, des décorateurs, des affichistes, tous avec le même regret : l ’âge d’or du
cinéma turinais avait aussi été celui de leur vie. Presque tous avaient des documents,
des photos, des appareils et c’est pour cela que ce fam eux S juin 1941 j ’écrivis sur mon
agenda « Pensaïo i l M m eo del Cinéma ». J ’achetai alors les premiers objets avec mes
économies mais j’en vis vite venir la fin et m’adressai aux autorités et aux industriels
de la ville. La Podestà m’assigna un salon dans la Mole Antonelliana où je pus abriter
tout ce que j'avais pu acquérir avec mes neuf mille cinq cents lires en fouillant caves
et mansardes ou le « Balun » (marché aux puces) de Turin.
Le 22 avril 1943, le critique de cinéma de la G a ze t t a i>e l P o po l o pouvait publier
un article sur cette nouvelle institution : un Musée du Cinéma à Turin. A Kome aussi
on venait de fonder un Musée de Cinéma, le « R icciotto Canuûo » grâce à l ’importante
donation d’un Italien du Luxembourg, Dante Vannuchi, (Des collections très importantes
ont disparu depuis au profit sans doute de ceux qui avaient intérêt à les faire d is­
paraître.) Je fus alors in vitée à fondre les deux musées mais il était déjà clair pour moi
que le musée de Turin d evait rester à Turin et la chose n ’eut pas de suite. La guerre
devint menaçante et je descendis tout mon matériel au rez-de-chaussées de la Mole
dans un « rifugio » que la Podestà avait fa it construire spécialement dans ce but.

Le M usée du ciném a de T u r i n (à d r o ite le « Mondo Niovo »).

19
Pendant trois longues et désespérantes années, en regardant le ciel rouge sur Turin
bombardée, j’avais dans le cœur mon petit m usée prisonnier et en grand danger. Au
printemps de 1946 il fu t possible de disposer les objets les plus précieux dans un salon du
deuxième étage avec l’espoir d'un p etit cercle de visiteur. Pour avoir les moyens d’acheter
de nouvelles pièces (l’urgence de la reconstruction rendait difficile une aide financière
officielle) je me mis à enseigner dans un in stitu t industriel. Pourtant j'avais des amies
qui, longtemps sevrées par la guerre, s’achetaient des rotes, de jolis chapeaux ; moi
j'avais... le Musée. M ais ceci est un chapitre secret.
Après une vaine ten tative d’inclure une exposition cinématographique dans les fêtes
du centenaire de 1948, le président de la « Pro Torino » me proposa de faire une
exposition de cinéma à la Galerie M étropolitaine. Le 19 mars j’avais "brusquement perdu
ma mère, unique amour de mon existence et c'est presque sans réfléchir que je me suis
jetée dans la préparation frénétique d’une exposition rétrospective qui eut beaucoup de
succès m ais qui fû t gâtée par des sections un peu trop commerciales. Pourtant cette évo­
cation du glorieux passé cinématographique de Turin me permit de faire connaître le
Musée et d ’acheter de nouveaux objets. Chacun d’eux a sa p etite histoire propre. Je
voudrai seulement esquisser celle du « Mondo N iovo »,
En allant à Venise en août 49 pour faire une conférence au congrès des « Circoli
del Cinéma », sur la nécessité d’un Musée N ational du Cinéma, j’avais aussi l ’intention
de rechercher un tableau de Magnasco où l’on v o y a it une lanterne magique foraine dont je
possédais une reproduction. Le propriétaire éta it un des plus importants antiquaires
de Venise et de toute l’Italie. Le tableau n’éta it plus en sa possession m ais il me d it avoir
dans ses magasins un objet similaire également p eint par Magnasco. A vec un magasinier
muni d’une lourde clé je me rendis en gondole dans un « rio » mystérieux. E t c’est là,
au delà d’une épaisse porte de bois, parmi une multitude de jolies choses, au-dessus d’une
grande armoire que je v is la partie centrale du « Mondo N iovo ». J ’en découvrais aus­
sitôt la partie annexe et admirai l’ensemble avec une convoitise passionnée tout en
me répétant que c'était folie de penser l’acquérir. L’antiquaire était parti en avion
sans m’en révéler le prix et je dus repartir bredouille pour Turin. Mais le « Mondo N iovo »
éta it dans mon cceur et, à bout de patience, en janvier 1950, j ’écrivis à un ami vén itien
qui connaissait bien l ’antiquaire en question. Je sus alors le prix qui était très élevé et
n ’en dormis pas de deux nuits. J ’obtins une p etite réduction pour parvenir avec mes
moyens et le prêt que m’avait consenti là Banque d’Ita lie à acheter le « Mondo N iovo ».
II arriva bientôt à ïu r in ; c’était ma première grande folie secrète, j’en étais à la fois
épouvantée et heureuse. Je le montrai pour la première fo is à l’exposition de cinéma du
Premier Salon International de la Technique Cinématographique au petit palais de la
Société promotrice des Beaux-Arts de Turin. En 1951 je publiai le premier volume de mon
H istoire du Cinéma muet italien — le second est presque achevé — tout en continuant
à m’occuper du Musée. Le 22 ma£ 1953 un orage épouvantable détruisait une partie de la
Mole Antonelliana. Il est impossible d'écrire ce que j’éprouvais avant d’apprendre que
le Musée était sain et sauf. Mario Giorno écrivit alors un important article sur le
Musée. Henri Langlois dont l’exposition au P alais Madama avait connu un v i f succès
arriva à son tour à TuTin pour le film sur Chagall. A vec son aide amicale j ’ai emporté
la décision de l'institution du Musée. Le 7 juillet, septième mois de l ’année, à sept heures
du soir, l’acte de constitution du Musée éta it signée par sept fondateurs : Arrigo Trusta,
Carlo Gi a chéri, Mario Giorno, Leonardo Mosso, Giovanni Pastrone, Maria Adriana
Prolo et Bruno Venfcavoli. L e 3 octobre, dans le cadre des m anifestations du IIIe Salon
International de la Technique, on inaugurait l ’Exposition du Cinéma dans le Salon de la
Stampa. C’était la première m anifestation officielle du Musée ainsi que la présentation
des objets qui allaient partir pour Paris pour répondre à l ’invitation du Musée du
Cinéma de la Cinémathèque Française. Le 24 octobre, au congrès de la F.I.A .p. à
Vence, le Musée du Cinéma de Turin était nommé membre provisoire et le 9 janvier
l’Exposition des collections turinaises à Paris, inaugurée par S.E. l ’ambassadeur d’Italie
Pietro Quaroni et Madame Bidault, devenait une réalité,
E t que se passera-t-il après les « trois m ois parisiens ? » Nous avons un président
précieux, dynamique, grand industriel du cinéma, propriétaire des meilleurs cinémas
de la ville, le commandeur Carlo Giacheri ; nous avons comme conseiller Mario Groin o,
avocat émérite, directeur adm inistratif de la Stampa et grand critique de cinéma.
Comment, dans ces conditions, comment ne pas avoir l ’espoir de voir un jour de nou­
velles salles et une p etite salle de projection naître au sein d'un ancien palais de Turin
ou d’un moderne gratte-ciel ?
M a r ia A d r ia n a P rolo.

20
L'EXPOSITION ITALIENNE
A LA CINEMATHEQUE

p a r Nino Frank

M. A. Pvolo i n s ta l la n t son « Mondo


N iovo » à la C in ém athèque fra n ç a ise .

Il faut tenir pour providentielle la rencontre entre Mademoiselle Prolo et notre ami
Henri Langlois, « monstres choisis » (comme dirait André Salmon) du cinématographe,
qui ont consacré leur existence à l ’une des plus charmantes archéologies qui soient,
l’archéologie du septième art, de la huitième merveille, de la dixième muse et du quatre-
vingt-dix-neuvième vice impuni.
Le chemin de Damas de Mademoiselle Prolo commence à être connu : de cette
Turinaise, on sait que, historienne d’art, elle rencontre un jour, sur la route de son étude,
le cinéma et s ’y voue aussitôt corps et âme. Depuis, elle a réussi à rassembler des trésors
— documents, appareils, textes et "bandes, — qui apportent la preuve que le cinéma
italien a» ses lettres de noTolesse. Iî ne manque à cette collection qu’un siège social (et
le gouvernement de Rome ferait bien de s ’en préoccuper, entre une crise et l ’autre), pour
qu’il devienne un musée prestigieux.
Quant à Henri Langlois, si le roman de sa v ie n’est pas encore écrit, tout le monde
sait qu’il est l’un des héros secrets de notre temps : se vêtant de pellicule, se nourrissant
de pellicule, dormant sur de la pellicule, copulant aussi sans doute dans de la pellicule,
pour consacrer ses rares loisirs à visionner, comme on dit, des films. Je suis des rares
qui ont eu le privilège de voir surgir ce phénomène : il y a 'bien une vingtaine d’années
qne Langlois adolescent, flanqué de son vieux complice Georges Franju, m’apportait <
timidement à les premiers programmes hebdomadaires de son Cercle du
Cinéma, origine quasi mythologique de la Cinémathèque. II bafouillait déjà et recueillait v
des images précieuses : il a continué, contre vents e t marées (auxquels il m’est arrivé de
joindre mon p etit courant d’air), et il a réussi à mettre debout l’une des collections les
plus vivan tes du monde.
De la rencontre entre cette Italienne et ce Français est née l’une des Expositions qu’il
faut voir : un panorama du cinéma italien, installé présentement à la Cinémathèque, et
qui s'accompagne d’une série de projections de films péninsulaires de tous les temps. Je
suppose que cette Exposition va enfin ouvrir les yeux à tous ceux qui ont longtemps cru
que, de l ’autre côté des Alpes, le cinéma ne s’était m anifesté valablement que depuis
1945 et Borne ville ouverte.
L ’histoire du cinématographe tien t en un peu plus de cinquante ans. Mais tels sont

21
ses prestiges, et si miraculeux son déroulement, — à tel point' éphémères, par ailleurs,
ses produits, constamment menacés par l’anéantissement, — qu’il fournit, ce cinéma, l'un
des exemples les plus pathétiques de la très récente accélération de-l'histoire. Les caméras
ou affiches d’avant 1900 sont déjà recouvertes de la même patine que les ruines datant
de l ’époque romaine ; le temps du film d'art paraît aussi loin de nous que le Moyen-Age ;
l’apogée du cinéma muet prend désormais des allures de Grand Siècle, avant la Révolution
de 1789, je veu x dire l’avènement du « parlant » ; e t le E isorgm ento se trouve coïncider
avec les lendemains de la lib éra tio n . Pour la ‘bombe atomique, je crains "bien qu'il ne
faille pas la chercher du côté du Cinémascope et autres 3 D, mais dans les antres ténébreux
de la Télévision.
Comme toujours, c’est de la préhistoire que nous viennent les émotions les plus
mystérieuses. On peut voir, à la Cinémathèque, ces prodigieux appareils vénitiens, dotés
de « perspectives » ou images fixes, que trois vieux vers en dialecte présentaient au
chaland en ces termes :
« C’est un monde nouveau que je montre dans cette boîte :
On y voit des lointains et des perspectives.
Je réclame un sou par tête : vous me le donnerez, »
J ’engage vivem ent les, amateurs d’images à considérer avec attention les sites
citadins exposés : chacun s’inspire vagueinent d’un paysage réel, — Venise, Versailles,
etc., mais, l’artiste anonyme les a transfigurés avec un art fantastique délicat et extraor­
dinairement prenant. La représentation lumineuse de ces vues ressuscite à la perfection
un style parfait, le style du X V IIIe siècle vénitien. Je donnerais tous les technicolores du
monde pour ces plaques qui restituent son sens à l ’expression « lanterne magique »,
Eh "bien, si l’on part de ce jeu miraculeux de la préhistoire, la succession des époques
du cinéma italien décrites par l’Exposition ne déçoit guère : on y découvre la constance
d’une inspiration, — et, pour la mettre convenablement en relief, il fa lla it le goût et
l ’intelligence avec lesquels Henri Langlois et ses collaborateurs, ces poètes, ont opéré
leur choix et disposé les objets. Si je dis que la v isite de cette Exposition est un voyage
au pays des merveilles, on peut en croire un homme 'qui manie avec la plus grande pru­
dence certains mots.
Rapprochez, par exemple, de ces « "boîtes magiques », un document très contemporain
tel que le projet de décor de Miracle à Milan, dessin d'une élégance minutieuse qui fa it
penser aux Japonais. Au charmant p etit théâtre d’ombres qui fonctionnait à Turin aux
environs de 1840, opposes les pittoresques affiches polychromes de soixante-dix; ans plus
tard, qui jalonnent l’Exposition, et parmi
lesquelles il faut remarquer to u t parti­
culièrement celles qui portent la signa­
ture du peintre Graude, — l ’une sur un
film intitulé Suicide, l ’autre sur le comi­
que Polidor. Enfin passez, des plaques de
lanternes magiques du X IX e où figure P oli­
chinelle au long nez à la Pinocchio, à
cette extraordinaire photographie extraite
de Saturnino Farandoïa (1915), décrivant
une charge de « M artiens » sortant de
Peau. Dans tous ces objets infiniment sin­
guliers, vous retrouverez le sentiment qui
fa isa it écrire, dès le X V IIIe siècle, au Che­
valier Marino, cette règle première et
souveraine :
« Le seul "but du poète consiste à
émerveiller.
E t qui ne sait point étonner n’est
bon que pour les écuries ».
D ès lors, vous ne serez guère surpris
par la présence de ces cages à oiseaux
mécaniques, que l’on trouvait à la porte
de certaines salles italiennes vers 1911,
et qui, pour deux sous, débitaient le chant
La caméra portative utilisée en 15)08 en A frique qui manquait encore aux im ages ttlOU-
par îiobcrto Omegna paur son documentaire
L a Chas.te an léopard.

22
Une vue de i'E x p o sitio n ita lie n n e à la C in ém athèque.

Au visiteur que' j’espère absolument attendri, je conseille à présent un long arrêt


dans la salle consacrée à Cabiria de Pastrone ; il y trouvera des autographes de
d’Annunzio dépourvus de grandiloquence (le poète s’y dit constamment « fatigué » : au
cinéma, il demandait beaucoup d’argent pour peu d’efforts.,.), mais aussi des maquettes
qui révèlent le soin avec lequel travaillait Pastrone, et les « terribilités » conjuguées des
biceps de M aciste et des rictus du dieu Mol o ch. L’influence de cette illustre christo-
phagîe, et des autres qui l’ont précédée ou suivie, sur certaines conceptions monumen­
tales du cinéma américain, est indéniable* aussi bien que l’élan qu’elles ont pu donner à
l’inspiration plastique d’un Eisenstein, de son aveu même.
Les critiques consacrées aux comiques « italiens » (Deed, — M. P etit Crétin, — et
Guillaume, — Polidor, —- étaient Français,) aux dive, Bertini, Bovelli, M enicbelli (qui
signait en 1917 un superbe contrat de 6.000 lires par m ois), à Lucio d’Ambra, précurseur
direct de Lubitsch et de la comédie hollywoodienne, à Za la Mort (Emile Chione) et à
Za la Vie (K etty Sambucini), dieux du Serial péninsulaire, au film Sperduti nel buio
de Martoglio, archétype du néo-réalisme (1914), rappellent les grandes époques d’une
production, sur lesquelles les critiques qui ont découvert le cinéma italien à partir
de 1945 feraien t bien de méditer.
Mais, justement, le néo-réalisme ? La caméra portative d’Omégna, l’un des premiers
globe-trotters du cinématographe, ne suffît guère à le représenter, pas plus qu’un décou­
page de la Terre tremble. Manquent, dans cette Exposition, les témoignages de la produc­
tion du temps fasciste. M ais ces tém oignages sont vivants : il faudra les chercher, jour
après jour, dans la petite salle de projection que connaissent bien tous les habitués de
la Cinémathèque. Ils y découvriront, à travers les premiers films de Blasetti, de Camerini
et de leurs successeurs, que ce réel si avidement convoité par les caméras nouvelles n’est
pas moins m erveilleux que l ’irréel guetté par les chercheurs d’images du passé...
Je m’attendris devant les affiches du « Film d’Art Italien », rédigées en un italien
approximatif, parce qu’imprîmées à Paris, par les soins de la Société P at hé frères,
laquelle contrôlait quelques-unes des entreprises de la Péninsule. Je trouvais à ces
affiches un caractère vaguement symbolique : elles me faisaient penser aux nombreuses
co-productions actuelles entre Rome et Paris. E t j ’en revenais à l ’heureuse rencontre,
célébrée au début-de cet article, entre les collections de Mademoiselle Prolo et la passion
cinématographique d’Henri Langlois...
Je ne sais pas si une union douanière ou politique entre la France e t l’Italie
convient à la nature des choses : mais je sais que s ’il est deux pays qui peuvent s’unir,
cinématographiquement parlant, c’est bien ces deux-là.
NINO FRA NK

23
THESES SUR LE NEO-REALISME

p a r C e s a r e Z av a ftin i

Nous aurons Voccasion de revenir sur les congrès réunis à Parme le 4, 5 et 6 Décembre
pour fa ire le point sîir te « . néo-réalisme » et auxquels ont participé les meilleurs réalisa-
teurs, scénaristes et ■producteurs italiens ainsi qu’un certain nombre de délégués étrangers.
Soulignons-en à’ores et déjà Vimportance et l'originalité.
On sait le rôle qu'a tenu Cesare Z avattini dans la composition de quelques-uns des
principaux film s qui ont illustré Vécole néo-réaliste. A l’occasion du Congrès de Parme,
Z a va ttin i a eu l’occasion à m aintes reprises de préciser ses points de vue sur le néo-réalisme,
dont il s’est fa it en quelque sorte l’apôtre. N ous publions ici un choix de ses textes : on
verra que la conception que Z avattin i se fa it du néo-réalisme est extrêmem ent personnelle.
ï,es textes en question sont ; JJne interview de Z avattini prise par Michele Gandin et
parue dans la K ivista d e l Cinéma Ita lia n o de Décembre 1952 ; un article de Z a vattin i
lui-même paru dans la revue E n ilia , numéro de N ovem bre 1953 ; la conférence prononcée
par le scénariste au Congrès de Parm e, le 4 décembre 1953. N ous désignons les trois te xtes
par les lettres A ), j?) et C).

Sans le moindre doute, notre première réaction et la plus superficielle à, l’égard de


la réalité quotidienne est l’ennui. Tant que nous ne réussissons pas à surmonter e t à
vaincre notre paresse intellectuelle e t morale, la réalité nous paraît dépourvue de tou t
intérêt. Il ne fau t donc pas s'étonner que le cinéma a it toujours ressenti tout naturelle­
ment et presque inévitablem ent la nécessité d’une « liistoire » à insérer dans la réalité,
afin de la rendre passionnante, spectaculaire. Il est évident qu’on pouvait ainsi s’évader
sur-le-champ de la réalité comme si on n e pouvait rien ta ire dans l ’intervention de
l’imagination.
La caractéristique la plus importante du néo-réalisme, sa nouveauté essentielle, me
semble donc être la découverte que la nécessité de 1’ « liistoire » n’éta it qu’une manière
inconsciente de déguiser une défaite humaine, e t que l ’im agination, de la façon dont
elle s’exerçait, ne fa isa it que superposer des schêmes morts à des fa its sociaux vivan ts.
En substance, nous nous sommes aperçus que la réalité éta it extrêmement riche :
il fa lla it seulement savoir la regarder. E t que la tâche de l’artiste ne consistait pas
à porter le spectateur à s’indigner et à s’émouvoir par d es transpositions, m ais à réfléchir
(et, si l’on veut, à s’indigner même et à s’émouvoir) sur les choses qu’il fa it e t que les
autres font, c’est-à-dire sur la réalité telle qu’elle est très précisément.
D ’un manque de confiance inconscient et profond à l’égard de la réalité, d’une
évasion illusoire et équivoque, on est passé à une confiance illim itée dans les choses, les
faits, les hommes.
Cette prise de position exige naturellement la nécessité de creuser, de donner à la
réalité cette puissance, cette faculté de communiquer, ces reflets que, jusqu’au néo­
réalisme, on ne croyait pas qu’elle pourrait avoir. (A.)

Il a été souvent écrit que la guerre a été la clef de voûte du néo-réalisme. Ce f a it


énorme a bouleversé l ’âme des hommes et, chacun à sa manière, les cinéastes ont essayé
de transposer dans le cinéma cette émotion grandiose. Pour nous, Italiens, la guerre nous
avait paru particulièrement monstrueuse, puisque nous ne voyions aucun raison d’y
participer, nous avions même beaucoup de raisons de ne pas y participer. M ais il ne
s’agissait pas d'une révolte lim itée à cette guerre : c’était quelque chose de plus,

24
c’éta it la révélation absolue, je dirais presque éternelle, que la guerre offense toujours les
besoins fondamentaux et les valeurs humaines qui nous sont tellem ent chères : et cette
révélation était à mon avis le point de départ d’un vaste mouvement humain. On pourrait
me dire que cette révélation n’a pas été un privilège de l’Italie. Je crois que oui. Dans ce
que quantités de gens désignent comme les défauts de notre peuple, et qui sont au
contraire ses vertus, — la carence sociale apparente, l ’individualisme, etc... — nous pou­
vons trouver les raisons d’une vocation, c’est-à-dire la réaction pleine et passionnée
contre l ’injure suprême qu’est la guerre. E t ce n ’était pas tellem ent l’homme historique
qui réagissait, l’homme abstrait des livres situé dans une trajectoire sans fin de dates,
qui sont les dates des guerres passées, présentes et futures, mais l’homme plus profond
et secret. Vous pourriez objecter que l’homme historique et l ’homme sans épithète coha­
b iten t continuellement : admettons-le, m ais ils cohabitent utilement quand, par le prin­
cipe des vases communicants, ils tendent à se placer au même niveau, le premier avec
sa conscience, et le second avec son besoin originel de vivre. Le besoin de vivre, quand
il est riche et heureux peut mieux franchir ses lim ites que lorsqu’il s’étiole, car dans ce
dernier cas, un peuple déchoit et ne peut plus apporter la moindre contribution à
l ’humanité. J ’ose penser que d’autres peuples, même après la guerre, ont montré qu’ils
continuaient à considérer l ’homme en ta n t que matière historique, déterminée dans son
mouvement, fatale même, et que c’est pourquoi ils ne noua ont pas donné un cinéma de
libération» comme a commencé à le faire le cinéma italien ; c’est que pour eux, justement,
tout continuait, alors que pour nous tout commençait ; pour eux, la guerre a v ait été une
des guerres qui affligent notre planète, pour nous elle avait été la dernière des guerres.
Quelles pouvaient être les conséquences de ces découvertes, de cet élan de pionniers,
nouveau non parce que jamais connu auparavant, mais parce que jamais ressenti d’une
manière aussi collective et tenace ? Les conséquences étaient que nous voyions s’ouvrir
devant nous une étude sans fin de l’homme, une étude non abstraite, mais concrète,
comme étaient concrets les hommes qui avaient provoqué et subi la guerre. C’était la
nécessité de connaître, de voir comment ces événements terribles avaient pu avoir lieu,
et le cinéma était le moyen le plus direct et le plus immédiat pour cette sorte d’enquête,
meilleur que les autres moyens de culture ; le langage de ces derniers n ’était pas prêt
à exprimer nos réactions contre les mensonges des vieilles idées générales, dont nous nous
étions trouvés vêtus au moment de la guerre et qui nous avaient empêchés de tenter
la moindre révolte. (C.)

L a Terra T rcm a de L uchino Visconti.

25
A m orc fil Ci lia 7. L ’épisode « S to rïa cli C aterina » m is en scène par
Z a v a ttin l et Jla se lli.

Ce désir puissant du cinéma de voir et d'analyser, cette faim de réalité, .est en


quelque sorte un hommage concret aux autres, c’est-à-dire à tout ce qui existe. E t, entre
autres choses, c'est ce qui distingue le néo-réalisme du cinéma américain. En effet,
la position des Américains est aux antipodes de la nôtre : alors que nous sommes
sollicités par la réalité qui nous touche, alors que nous voulons la connaître directement
et à fond, les Américains continuent à se contenter d’une connaissance édulcorée, par le
truchement de transpositions.
C’est pourquoi, si l’on peut parler, pour l’Amérique, d’une crise de sujets, cette crise
est impossible chez nous. Il ne peut pas y avoir carence de thèmes pour nous, puisqu’il
n’y a pas carence de réalités. Toute heure de la journée, tout lieu, toute personne, peu­
vent être racontés s’ils sont racontés de telle façon que l’on révèle e t Von m ette en
relief les éléments collectifs qui les façonnent continuellement.
C’est pourquoi on ne peut pas parler de crise de sujet (les faits) mais, le cas échéant,
de crise de contenus (c’est-à-dire, l’interprétation de ces fa its).
Cette différence essentielle a été fort "bien soulignée par un producteur américain
qui me disait : — Chez nous, la scène d’un avion qui passe est conçue de cette manière ;
XJn avion passe... tir de mitrailleuses, ... l’avion tombe. Chez vous : U n avion passe...
l’avion passe à nouveau... l’avion passe une troisième fois.
C’est parfaitem ent vrai. Mais c’est encore trop peu. Il ne suffit pas de faire passer
l’avion trois fois, il faut le faire passer vin g t fois, (A .)

Nous travaillons donc pour sortir des abstractions.


Dans un roman, les protagonistes étaient des héros ; le soulier du héros était un
soulier spécial. Nous, au contraire, nous cherchons à trouver ce que nos personnages ont
de commun : dans mon soulier, dans le sien, dans celui du riche, dans celui de l ’ouvrier,
nous retrouvons les mêmes éléments, le même labeur de l ’homme.
E t venons-en au style. En d’autres mots, comment ferons-nous pour exprimer cinéma­
tographiquement cette réalité ? Je voudrais d’abord répéter, comme je l’ai souvent dit,
qu’un contenu que l ’on veut exprimer apporte toujours sa propre technique. Par ailleurs,
il y a l ’imagination, mais sous condition qu’elle s’exerce dans la réalité e t non dans
les limbes. ' Mais, que l’on me comprenne bien, je ne voudrais pas donner à croire
que les fa its divers soient pour moi les seuls fa its qui comptent. J’ai essayé de fixer
mon attention sur les fa its divers, dans l ’intention de les reconstituer de la manière la

26
A inore in CAtta’. L ’épisode « Gli I ta lia n i si Voltano 3> m is en scène p a r
Alberto L a ttu a d a .

plus fidèle, en me servant de ce peu d'imagination qui peut venir de la connaissance par­
fa ite du fa it lui-même. H serait évidemment plus cohérent que les caméras les sur­
prennent au moment même où ils arrivent, — et c’est mon intention, quand on réalisera
mon film sur l’Italie. Bien entendu, il ne faut jamais oublier que tout rapport avec la
chose que l ’on veut communiquer implique un choix et, par conséquent, l ’acte créatif du
sujet : mais ce sujet est composé en quelque sorte sur place, au lieu d’être une reconstitu­
tion successive. C’est là ce que j ’appelle le cinéma 'de rencontre. Cette méthode de travail
devrait aboutir, à mon avis, à deux résultats : d’abord, en ce qui concerne le point de
vue éthique, les cinéastes sortiraient, chercheraient, lé contaçt direct avec la réalité ; par
ailleurs, nous créerions une production qui apporterait la nouveauté d’une conscience
collective. Car le nombre joue aussi: si nous faisons 100 films par an qui s’inspirent de
ce critère, nous changeons les rapports de la production si nous n ’en faisons que trois,
nous subissons les rapports de la production tels qu’ils existent aujourd’hui. (B.)
La prise de conscience de la réalité qui caractérise le néo-réalisme a deux consé­
quences en ce qui concerne la construction strictem ent narrative. :
1) alors que le cinéma d’autrefois racontait un fa it d’où il en découlait un autre, puis
un troisième, et ainsi de suite, chaque scène étant conçue et fa ite pour être aussitôt
oubliée, aujourd’hui, quand nous imaginons une scène, nous ressentons le besoin de
« rester » dans cette scène, car nous savons qu’elle porte en elle toutes les possibilités
de se répercuter très longuement. Nous pouvons donc dire tranquillement : donnez-nous
un fa it quelconque et nous parviendrons à le transformer en spectacle. La force centrifuge
qui constituait (aussi bien du point de vue technique que du point de vue moral) la carac­
téristique fondamentale du cinéma s’est transformée en force centripète ;
2) alors que le cinéma avait toujours raconté la vie dans ses fa its les plus extérieurs,
le néo-réalisme affirme aujourd'hui qu’il ne faut pas se contenter de l ’allusion, mais tendre
vers l’analyse. Ou plutôt vers une synthèse à l’intérieur de l’analyse.
Donnons un exemple : l ’aventure de deux êtres qui cherchent un appartement. Alors
qu’autrefois on l’aurait mis comme point de départ, en prenant en considération le simple
prétexte extérieur qu’il comporte, pour passer aussitôt à autre chose, aujourd’hui on
peut affirmer que le simple fa it de chercher un appartement devait constituer tout le
sujet d’un film, si, bien entendu, ce fa it est scandé dans tous ses moments, avec tous les
échos e t les reflets qui en dérivent.
On comprend aisément que nous sommes encore loin de la véritable analyse ; on

27
peut parler d’analyse simplement par opposition aux synthèses grossières l e la production
courante. Pour le moment, nous ne connaissons qu’une « a ttitu d e » analytique, m ais
d’ores et déjà, cette attitude comporte un puissant mouvement vers les choses, un désir
de compréhension, d’adhésion, de participation, et somme toute, de cohabitation, (À.)
Ce principe d’analyse se retrouve dans la considération du style, dans son sens plus
étroit, et s'oppose à la synthèse "bourgeoise. La synthèse 'bourgeoise perm ettait de rechercher
la nourriture la, meilleure, la partie choisie du filet : les cinéastes cueillaient les aspects
les plus représentatifs d’une situation de "bien-être et de privilège. Or, pour préciser
critiquement la portée du néo-réalisme, il fau t souligner la part qu’y prend toujours plus
largement la culture italienne (e t il ne pouvait en être autrement, étant donné la colla­
boration de plus en plus large des écrivains véritables à la création cinématographique.)
Quant à cette collab oration — qui ne doit pas se borner à fournir des romans, mais doit
contribuer à enrichir le langage cinématographique, riche d ’autant de possibilités que le
langage littéraire, — il est hors de doute qu’il fera faire de grands progrès au cinéma,
pour peu que les écrivains s’y intéressent d’une manière moins « provisoire » que ce qu’ils
fon t d’habitude. (B.)
De ce que j’ai dit, il ressort que le néo-réalisme, contrairement à ce que l’on avait fa it
jusqu’à la guerre, a compris que le cinéma devrait raconter de p etits faits, sans y intro­
duire la moindre im agination, en s’efforçant de les analyser en ce qu’ils ont d’humain,
d’historique, de déterminant et de définitif.
Je crois assez fermement que le monde continue à aller mal parce qu’on ne connaît pas
la réalité : et la tâche la plus authentique d’un homme d’aujourd’hui consiste à s’engager
pour résoudre le mieux qu’il pourra le problème de la connaissance de la réalité. C’est
pourquoi la nécessité la plus urgente de notre temps est V attention sociale, mais cette
attention doit être directe, comme je l’ai dit, et ne pas se m anifester à travers des
apologues plus ou m oins réussis. Un affamé, un humilié, il fau t le montrer avec son nom
et son prénom, et ne pas raconter une histoire où il y a un affamé ou un humilié, car à ce
moment tout change, tout est moins efficace, moins moral.
La vraie fonction de tous les arts a toujours été celle d’exprimer les nécessités de
leur temps ; et c’est à cette fonction qu’il fau t les ramener.
Or, aucun autre moyen d’expression n ’a les possibilités qu’a le cinéma de faire con­
naître ces choses rapidement et au plus grand nombre de gens...
...Il était naturel que ceux qui avaient compris ces choses, bien qu’encore obligés
poux toutes sortes de raisons (les unes valables, les autres non), de composer des récits
« inventés » selon la tradition, chercheraient à introduire dans le récit quelques éléments
de ce qu’ils avaient découvert,
-C’est cela qu’a été effectivem ent le néo-réalisme en Italie, par le truchement de quel­
ques hommes.
Païsà, Home ville ouverte, Sciuscià, Voleurs de bicyclettes, L a Terre tremble, sont des
films qui contiennent des passages d’une signification totale et qui s’inspirent de la
possibilité de tout raconter ; mais, dans un certain sens, ils comportent encore des
transpositions, puisqu’ils racontent une histoire et n ’appliquent pas simplement l’esprit
documentaire. Dans certains films tels que Umberto D, le fa it analytique est beaucoup
plus évident : mais le cadre est toujours celui du récit habituel, et nous n ’en sommes pas
encore au vrai néo-réalisme.
Le néo-réalisme est aujourd’hui une armée prête à se mettre en marche. Les soldats
sont prêts derrière Rossellini, Sica, V isconti. Il faudra qu’ils partent à l’assaut : c ’est
seulement alors que la bataille pourra être gagnée.
M ais ce qui importe, c’est que le mouvement ait commencé : ou l’on va jusqu’au bout,
ou l’on manquera une grande occasion, car devant le néo-réalisme s’ouvrent des pers­
pectives plus vastes que tout ce que l’on peut imaginer...
Transformer en spectacle les fa its quotidiens de la v ie n’est pas chose facile :
on réclame une intensité de vision aussi bien chez celui qui fa it le film que chez celui qui
le voit, II s'agit de donner à la v ie de l ’homme son importance historique de tous les
instants. (A .)
En ce qui concerne les autres films récents auxquels j’ai collaboré, je puis dire,
par exemple, que je ne tiens pas Stm io ne Term ini pour un document important de ma
carrière de néo-réaliste, car le fa it de la co-production a réduit presque à néant l’ins­
piration prim itive, qui portait sur l’examen d’un moment e t d’un lieu très lim ités.
Parmi mes prochains films, Ito lia mia a un départ néo-réaliste dans le sens le plus
précis : il part du besoin de connaître profondément mon pays et de ma confiance absolue
dans les rencontres que je ferai. D es « aspects » du néo-réalisme figurent dans l ’idée

28
centrale de mon « film-enquête » Amore in Citta (qui sort ces jours-ci) ; et j ’en dirai
autant de Siamo donne, au moins par le fa it que l’on y retrouve un sens moral dans le
besoin de communication qui inspire les ved ettes qui se confessent au public. En présence
de ces confessions, le spectateur devrait se libérer du complexe d’infériorité qu'il éprouve
à l’égard du mythe de la vedette. (A .)
On a porté toutes sortes d’accusations contre le néo-réalisme. Voici les principales :

1) L e néo-rcalisme décrit uniquement la misère.

Le néo-réalisme peut et doit étudier la misère aussi bien que la richesse ; nous avons
commencé par la misère simplement parce qu’elle est une des réalités les plus vivantes
de notre temps : je défie quiconque de me démontrer le contraire. Croire ou feindre
de croire qu’après une demi-douzaine de films sur la pauvreté le thème ait été épuisé
est une très grande erreur. Le thème de la pauvreté (les riches et les pauvres) est de
ceux auxquels on peut consacrer toute une vie. Nous venons à peine de commencer. E t si
lès riches ont froncé les sourcils devant Miracle à Milan, qui n’est qu’une fable, ils
verront mieux. Je me place moi-même parmi les riches : ce qu’il y a en nous de riche,
ce n ’est pas seulement la richesse en tan t qu'argent (l’argent n’en est que l’aspect le
plus fastueux et le plus apparent), mais toutes les formes d'injustice et de violence qui
en découlent. Il existe une position « morale » de l ’homme qu’on appelle riche.

2) L e néo-réalisme n ’o ffre pas des solutions, ne montre pas des routes nouvelles : les conclu­
sions des film s néo-réalistes sont absolument évasives.

Je repousse cette accusation de toutes mes forces. Chaque moment d'un de nos films
est une réponse continuelle à des interrogations. Quant aux solutions, ce n’est pas à
l’artiste en tan t que te l de les envisager : il lui suffit, et c’est déjà beaucoup, d’en faire
sentir la nécessité et l'urgence.

In g rid B ergm an d a n s l’épiso de de S ia m o D onne dirigé p a r Roberto R ossellini.

29
3) Les fa its quelconques %’intéressent pas, ne constituent pas un spectacle.

Quand ils éludent l ’analyse du « fa it quelconque », les cinéastes n’obéissent pas


seulement aux desiderata plus ou moins exprimés des m ilieux capitalistes du cinéma
et du public lui-même, mais ils succombent à une espace de paresse, car l'analyse d’un fa it
est toujours plus difficile à effectuer que l’énumération à la queue leu leu d’un fa it après
l'autre. ‘ En d’autres mots, c'est le problème de l ’approfondissement qu’éludent les
cinéastes. (A.)
Le vrai cinéma néo-réaliste devient tout naturellement un cinéma moins cher que
le cinéma actuel car son contenu peut être exprimé plus économiquement. La consé­
quence la plus importante est qu’il pourra se libérer ainsi du capitalisme. En fa it, tous
les arts cherchent à s’exprimer par le moyen le plus économique : plus un art est moral
et moins il implique de frais. L’immortalité sociale du cinéma vient de son prix élevé.
Le cinéma n’a pas encore trouvé sa morale, sa nécessité, sa qualité, car il coûte trop
cher, (A.)

N ou s avons l ’illusion, — appelez-la ainsi, si vous voulez, — qu’avec nous commence


quelque chose de tout à fa it différent. En effet, l’homme qui souffre devant moi est abso­
lument différent de l’homme qui souffrait il y a cent ans. Je dois concentrer toute mon
attention sur l’homme d’aujourd’hui. E t le bagage historique que je porte en moi, et dont
d’ailleurs je ne voudrais pas — et ne pourrais pas — me libérer brutalement, ne doit
pas m'empêcher d’être tout à mon désir d’affranchir cet homme de sa souffrance en me
.servant des moyens dont je dispose. Cet homme (c'est une de mes quelques idées fixes)
a un nom e t im prénom, il fa it partie de la société d'une façon qui nous concerne sans
erreur possible : je sens sa fascination, il fau t que je la ressente d’une manière si
pressante, que je sois obligé de parler de lui, de lui et pas d’un personnage d’invention,
car à ce moment-là l'imagination s’interposerait entre la réalité et moi...
...Il m’est souvent arrivé d’expliquer que je n’entends nullement interdire aux
acteurs de jouer au cinéma : je dis que les acteurs doivent jouer au cinéma, m ais qu’ils
n’ont pas grand’chose à faire avec le nêo-rêalisme. L e cinéma néo-réalisme ne demande pas
aux hommes auxquels il s'intéresse d'avoir des dons d’acteurs professionnels ; leurs aptitudes
professionnelles tiennent à leur profession même d’hommes, dont il faut leur donner la cons­
cience la plus approfondie. Mais il est évident que cette conscience ne pourra être
créée ou renforcée qu’à travers la connaissance qu'on leur donnera d’eux-mêmes et des
autres, connaissance qu’on ne saurait m ieux atteindre que par le cinéma néo-réaliste. (G.)
M ais alors, me dira-t-on, comment et quand intervient l’imagination ? Il s’a g it
d'une im agination très particulière et d’une nouvelle méthode de l'utiliser.
Voici un exemple : une femme va chez son cordonnier acheter des souliers pour
son fils, Ces souliers coûtent 7.000 lires. La femme cherche à les p ayer moins cher.
La scène dure dix minutes. Il fa u t que je fasse un film de deux heures. Comment ?
J'analyse le fa it dans tous ses éléments constitutifs, ce qui vient avant, ce qui viendra
après, ce qui se passe entre temps.
L a femme achète les souliers: que fa it son fils pendant ce temps-Ià? Que se passé-t-il
dans l ’Inde, qui puisse avoir un rapport avec cette paire de chaussures ?
Les souliers coûtent 7.000 lires, comment sont-elles venues entre les mains de cette
femme, quelle peine lui ont-elles coûté, que représentent-elles pour elle ?
E t le cordonnier qui marchande les chaussures, qui est-il *? Quel est le rapport qui
se crée entre ces deux êtres ? Il a aussi deux fils qui mangent, qui bavardent. Voulez-
vous entendre leur discours ? Les voilà.
E t ainsi de suite. H s’agit d’aller au fond des choses, de montrer les relations entre
les fa its et le processus duquel naissent ces faits. Si l’on analyse de la sorte « l ’achat
d’une paire de chaussures », nous voyons devant nous un monde complexe et très vaste,
riche de poids et de valeur, dans ses m otifs pratiques, sociaux, économiques, psycholo­
giques. Le banal disparaît, car il n’existe pas.
Je suis contre les personnages exceptionnels, les héros, j’ai tou jours éprouvé une
haine instinctive à leur égard. Je me sentais offensé par leur'présence, exclu d’un monde
en même temps que des millions d’autres êtres.
Nous sommes tous des personnages. L es héros créent des complexes d’infériorité
chez les spectateurs. Le moment est venu de dire aux spectateurs que c’est eux' les
vrais protagonistes de la vie. Le résultat sera un rappel constant de la responsabilité
e t de la dignité de chaque être humain. Telle est l'ambition du néo-réalisme : fortifier tou t
le monde, donner à chacun la conscience qu’il est un homme. (A.)

30
Le terme néo-réalisme, dans son sens le plus large, implique même l ’élimination
de la collaboration technico-professionnelle, y compris celle du scénariste.
Les manuels, les grammaires, les syntaxes n ’ont plus aucun sens, pas plus que. n'en
ont les termes premier-plan, contrechamps, etc...
Chacun de nous m et en scénario à sa façon. Le néo-réalisme rompt tous les schèmes,
repousse tous les dogmes. H ne peut pas y avoir de premier plan ou de contrechamp à priori.
Le sujet, l’adaptation, la réalisation ne devraient pas être trois phases distinctes d’un
même travail : ils le sont aujourd’hui, mais c’est une anomalie.
Le scénariste et l ’adaptateur devraient disparaître : il faudra en arriver à l ’auteur
unique, le réalisateur, qui finira ainsi par n’avoir plus rien de commun avec le metteur
en scène de théâtre.
Tout devient mobile, quelqu’un fa it son film, tout est continuellement possible,
tout est plein de ces possibilités infinies, non seulement pendant les prises de vues mais
encore pendant le montage, le mixage, etc... (A .)
Depuis 1934 je travaille pour le cinéma italien, et je sais que j ’ai contribué à détruire
quelques-uns des schèmes habituels. Si je me place parmi les quelques-uns qui croient au
néo-réalisme comme à l’un des appels les plus puissants que nous puissions adresser aux
choses, ce n ’est certes pas un défaut d’imagination, car, au contraire, je dois me retenir à
deux mains pour ne pas me laisser entraîner par mon im agination. De l ’im agination
au sens traditionnel, j ’en ai à revendre ; mais le néo-réalisme exige de nous que notre ima­
gination s’exerce in loco, sur l’actuel, car les fa its ne révèlent leur force im aginative natu­
relle que lorsqu’ils sont étudiés et approfondis. Ce n’est qu’alors qu’ils deviennent
spectacle car ils sont révélation,
E t je sais très bien que l ’on peut faire des films m erveilleux comme ceux de Charlie
Chaplin, et que ce ne sont pas des ouvrages néo-réalistes. Je sais très bien qu’il y a des
Américains, des Russes, des Français, et ainsi de suite, qui ont fa it des chefs-d’œuvre
qui honorent l’humanité ; ils n ’ont certainement pas gâché la pellicule. E t Dieu sait
combien d’œuvres magistrales ils nous donneront encore, suivant leur génie, et avec des
vedettes, tournant en studio, d'après des romans. Mais les hommes du cinéma italien, pour
conserver et fouiller leur style et leur inspiration, après avoir ehtr’ouvert courageusement
les portes de la réalité, doivent maintenant, je crois, les ouvrir toutes grandes. (B.)

A ntonella L u a ld i et tiiu lia n o M ontaldo d a n s Cronuche d i p o t>eri a m u n ti

31
L u ch in o V isconti

Le nom de Rossellini a pu susciter des controverses, de même ses in te n ­


tions ont-elles longtemps soulevé des doutes. Son œ u v re les justifiait : D esiderio
ne laissait pas espérer Europe 5 ï et, com m e Païsa, S trom boli ne contenait pas
seulem ent le m eilleur —L que ces co ntrad ictio ns à tra v e rs une ascension inégale
dans le détail mais constante laissent voir après coup la m arq u e d’un génie qui
s’affirme, j’en veux bien convenir.
P e u t'ètre les adm irateurs de Bossellini p re n d ro n t-ils om brage de devoir
parta g e r cette adm iration avec u n tenant de V isconti : car il sem blerait que
l’accord dût se faire autour de celui-ci, m ais il n’en est rien. Considéré p a r les
uns comme un am ateur surtout SQiicieux d’éblouir m ais dédaigneux de son art,
critiqué p a r d’autres qui lui refusent tou t génie cré a te u r et ne lui laissent le
c ré d it que d’une im itation im puissante, p ra tiq u em e n t p riv é d ’audience puis-
qu ’Ossessïone n ’a pas été exploité com m ercialem ent et que La T erra T rém a ,
m utilé p a r J a distribution, a vu ré d u ire de p rè s de m oitié sa version intégrale,
V isconti reste en pro ie à des controverses qui, p re n a n t p o u r objet une m atière
ra re , tra d u ise n t au moins le choc éprouvé au co ntact de sa création.
Mais si Ossessione est un clief-d’œ uvre et La Terra Trém a une œ uvre belle
et difficile, il est perm is de s’interroger sur leu r auteur. Ces quelques notes
n ’ont d'a u tre am bition que tra c e r le p lan d’une étude dont le développem ent
serait à faire.
La leçon de Visconti semble d’abord être de m ise en scène, m ais les p ro ­
blèmes posés sont aussitôt résolus en term es de nécessité. 'La création au th en ­
tique se signale à ce qu ’elle invente en même tem ps l'expression et la signifi­
cation ; l’intention dem ande une m atière absolum ent nouvelle, même et surtout
si elle ne p ré ten d pas m odifier l ’ap paren ce du m onde qu’elle s’applique à in te r­
p réter. La dim ension de l’œ uvre ou sa durée n ’y fait rien, les tro is heures de
La Terra Trém a, ni les quelques m inutes de notes su r un fait divers. Il ne
s*agit pas d June construction m inutieuse accum ulant des éléments analytiques :
p a r un effort d’ascèse, Visconti recrée totalem ent la réalité sous des apparences
intactes, lui m odelant p a r l’in térie u r un visage im m anent, d o nn ant un style à
l’ino rganique ; refusant tout effacement, d’ailleurs illusoire, devant l’ap parence
brute comme tout intim ism e du quotidien, il lui fa u t o b ten ir une rep résen tatio n

32
L a T erra T rém a de L u chin o V isconti (194S).

33
objective qui soit aussi la somme inépuisable de ses significations possibles m ais
non exprimables. La conscience aiguë.' d’un au-delà des ap parences se double
de l’intuition qü ’il ne p eu t être appréhendé qu’à travers elles, notion d'un certain
réalism e qui ne soit pas appauvrissem ent m ais m oyen de connaissance. Dans
cette synthèse révélatrice réalisant l’identification existentielle du signe aux
significations, l’idée abstraite s ’in tro d u it dans l’image astreinte à un m axim um
d ’efficacité concrète, autonome, m ais co n ten an t p o u rta n t l’idée indicible.
Que l’œ uvre de Visconti ait un aspect social, il ne faut p o u rta n t pas l'e n fe r­
m er dans cette intention. Elle m ontre d’abo rd une sorte d’em prise du m ilieu
sur l’être, la fatalité d’un accablem ent, soit-il héré d ita ire , d’un étouffement de
la conscience individuelle, soit-il provoqué p a r une condition m isérable ; clans
sa volonté de synthèse, elle ne pouvait sép arer les personnages de leur entourage,
de leur m ilieu — non p o u r les décrire p a r là, m ais bien p a rce que leur dram e
se joue entre eux-mêmes et cette portio n p a rtic u liè re de l’univers. S’il me fallait
la c a ra c térise r d ’un seul m ot, je dirais que cette œ uvre ap p o rte un nouveau sens
du tragique. Non asservis à des stru ctu res dram atiques, les personnages sont
considérés p a r delà les contingences de leurs actes ; mais en même temps, à
le u r insu, Fen-deliors leur est refusé, l’aventure ne les appelle que p o u r ten ter
le u r désespoir ou m ettre en m arche leur destin. Cette fatalité interne dispensée
de p ré c ise r ses attaches, ces pouvoirs qui ne connaissent leurs limites qu’à
vouloir s’exercer, b re f cette association où l’hom m e ne m esure sa relation au
m onde que p a r l’écho souvent fatal de ses actes, ne sont-ils pas les p rem isses
d ’un dialectique de la liberté ?
Visconti n ’a pas voulu ne re te n ir qne cet aspect du débat, ni m ain te n ir
celui-ci ôfi Rossellini peu à peu l’a porté. Mais sa poétique, p ro p re à saisir la
ré alité aux diverses p ro fo n d eu rs de ses diverses acceptions, justifie d’y éveiller
de telles résonances — que Bellissima, puis Senso em pêchent un jour de géné­
ra lise r les jugements énoncés ici, les deux prem ières œ uvres de Visconti n ’en
dem eureront pas m oins, m ultiform es, voulues dans leurs extrêmes ram ifications,
portées p a r une forme c réatrice passionnée m aïs surtout dp rigueur, lucide m ais
a l’opposé de l’observation glacée.
P h il ip p e D em onsablon

A n na M agnan i d a n s B ellis sim a de L u ch in o V isco nti (1952).

34
Anna -Magnani d a n s l ’épisode de S ia m o Donne d irigé p a r L u ch in o V isconti (1953).

35
NOTE SUR DE SICA

p a r A n d ré Bazin

V o leu rs de Bicyclettes, 1948, (Scénario de


Z avattin i, r é a lis a tio n de De Sica,)

On est im p é rie u se m e n t co n d u it p o u r définir de Sica au p rin c ip e m êm e de


son a rt q u i est tendresse et am our. Ce qu’o nt en tous cas de co m m u n M iracle à
M ilan, V oleurs dG B icyclettes et U m berto D. en d é p it des oppositions p lu s a p p a ­
re n te s que réelles, q u ’il est tro p facile d ’é n u m ére r, c’est l ’in é p u isa b le a m itié d e
l’a u te u r p o u r ses personnages. I l est significatif que dans M iracle à M ilan aucun
des clochards n e soit a n tip a th iq u e , pas m êm e les orgueilleux et les tra ître s. Le
J u d a s de te r r a in vague q u i v end les cabanes de ses cam arad es au v ila in M ob hi,
n ’in sp ire n u lle m e n t la colère au spectateur. I l nous am use p lu tô t dans ses o r i­
p e a u x de m é c h a n t de m é lo d ram e q u ’il p o rte avec u n e gêiie m a la d ro ite : c’est u n
«. b o n tra ître » e t d’ailleurs u n tra ître inefficace. D e m êm e les n o u v e au x p au v res
q u i g a rd e n t ju s q u e dans le u r déchéance la m o rg u e des b e a u x q u a r tie rs ’n e sont
q u ’u n e ^ r i é t é p a rtic u liè re de cette fa u n e h u m a in e , ils n e so n t p o in t re je té s
p o u r a u ta n t de la c o m m u n a u té dès vagabonds, m ê m e s’il le u r f o n t p a y e r u n e
lir e 2e coucher d u soleil. E t n e faut-il pas aim er plus encore le co u ch e r d u soleil
p o u r avoir l ’id ée d’en faire p a y e r le spectacle que p o u r ac c ep te r ce m a rc h é de
dupe. O n re m a rq u e ra que dans V oleurs d e B icyclettes il n ’y a u c u n p e rso n n a g e
essentiel a n tip a th iq u e . M êm e pas le voleur. Q u a n d enfin, B ru n o m e t p a r
ch a n c e la m a in su r lu i, le p u b lic serait p r ê t m o ra le m e n t à le ly n c h e r, com m e la
foule to u t à l’h e u r e m a n q u e ra de le faire aux dépens de B ru n o . M ais, c’est la
tro u v aille géniale de cette scène d e nous co n tra in d re à ra v a le r n o tre h a in e à
p e in e form ée, de n ous fo rc e r à ren o n cer à n o tr e ju g e m e n t com m e B ru n o
à sa plainte. Les seuls personnages a n tip a th iq u e s de M iracle à M ila n sont M o b b i
e t ses accolytes, m ais c’est q u ’au fo n d ils n ’ex isten t pas, q u ’ils n e so n t .que des
sym boles conventionnels. E t encore dans la m e su re m êm e o u de Sica n o u s les
m o n tre parfois d’u n p e u p lus près c’est to u t ju ste si n o u s n e sentons pas

36-
n a îtr e à le u r égard u n e curiosité atten d rie. « P au v res riches, dirions-nous,
les voilà b ien déçus ! »
Mais il est b ien des façons d ’a im e r — ju sq u e e t y com pris l'in q u isitio n -—.
Les m orales e t les p o litiq u es de l’am o u r sont m enacées des p ire s hérésies. À ce
com pte la h a in e est souvent plus sûre. L ’am itié qu e de Sica dispense à ses
c réatu res ne le u r fa it p o in t c o u rir ces risques, elle n ’a rie n de c a p ta te u r et
de m en açan t, elle est u n e gentillesse courtoise e t discrète, u n e générosité
lib é ra le et q u i n ’exige rie n en échange. II n e s’y m êle ja m a is de p itié,
fut-ce p o u r le plus pau v re et le p lu s m isérab le car la p itié est u n e violence
fa ite à la dignité de celui qui e n est l’ob jet, u n e prise su r sa conscience. La
tendresse d e Sica est d ’u n e q u alité ab solum ent p a rtic u lière e t q u i résiste p a r
là a u x généralisations m orales, religieuses ou politiques, plus encore q u ’elle
n e s’y prête. Les am biguïtés de M iracle à M ilan, de Voleurs d e B icyclettes et
U m berto D. ont été a b o n d a m m e n t sollicitées dans u n sens c h ré tie n ou com m u­
niste. T a n t m ieu x c a r c’est le p ro p re des vraies p arab oles d’a p p o rte r à c hacu n son
com pte. I l ne m e sem ble p as q u e de Sica et Z av attin i ch e rc h e n t à en dissuader
quiconque. J e n ’aurais pas l’o u trecuid ance de so u ten ir que la gentillesse de Sica
v a u t en soi m ieu x que la troisièm e v e rtu théologale ou que là conscience de
classe, m ais je vois p o u rta n t à la m odestie de son propos u n avantage
a rtistiq u e certain. II en assure à la fois l'a u th e n tic ité e t l’universalité. Il est
m o in s affaire de m o ra le que de te m p é ra m e n t p ersonnel et e th n iq u e . U ne
h eu re u se disposition n a tu re lle développée dans u n c erta in c lim a t n a p o lita in
voilà p o u r l’au th e n tic ité, mais ces racines psychologiques précises tro u v en t à
p é n é tre r plus p ro fo n d é m e n t dans n o tre conscience qu e les idéologies partisanes.
P a ra d o x a le m e n t et ju ste m en t en raison de le u r q u alité singulière, de le u r
saveur in im itab le , parce q u ’elles ne sont p e in t cataloguées dans l ’h e r b ie r des
m oralistes et des politiciens, elles é c h a p p e n t à le u r censure e t la gentillesse
n a p o lita in e de Sica devient p a r la v e rtu du ciném a le plus vaste message d ’a m o u r
que n o tre tem ps a it eu la b o n n e fo rtu n e d ’écouter depuis C haplin. A. q u i

Miracle à M ilan, 1950. (Scénario de Z av attin i, r é a lis a tio n de De Sica.)

37
d o u te ra it d e son im p o rta n c e il ne se ra it beso in que de m o n tre r l’em p ressem en t
de la critiq u e p a rtisa n e à l ’e n tra în e r dans ses cam ps, ca r quelle cause p o u rr a it
se passer de l ’a m o u r ? E t n o tre épo que n e to lère plu s l ’a m o u r lib re . M ais
c h a cu n p o u v a n t re v e n d iq u e r avec a u ta n t de vraisem blance la p ro p rié té de
celui-ci c’est a u ta n t d ’am o u r a u th e n tiq u e , d ’a m o u r frais q u i p é n è tre dans les
m u r s des citadelles idéologiques ou sociales. R endons grâce à Z av attin i et
d e Sica de l ’am b ig u ïté de leu rs positions e t gardons-nous d’y v o ir u n e
h a b ile té in telle ctu e lle au pays de d o n C am illo, le souci négatif de d o n n e r à
ch a c u n des gages p o u r ob ten ir tous les visas de censure, elle est au c o n tra ire u n e
volonté positive de poésie, u n e ruse d ’a m ou reux q u i s’ex p rim e dans les m é ta ­
p h o res de son tem ps m ais qui les choisit telles q u ’elles o u v ren t tous les cœ urs.
Si Ton s’est p e r d u dans l ’exégèse p o litiq u e de M iracle à M ilan c’est que les allé­
gories sociales certaines de Z av attin i n e sont p o in t la d e rn iè re instance de son
sym bolism e, ses symboles ne son t eux-mêmes qu e l’allégorie de l ’am o u r. Les
psychanalystes nous d isent que nos rêves sont to u t le c o n tra ire d ’u n lib re
ja illissem e n t d ’im age. S’ils tra d u ise n t q u e lq u e désir fo n d am en tal c’est n éces­
sairem en t, p o u r fr a n c h ir le « su r m o i » en p r e n a n t les form es que le u r im p o se n t
u n d o u b le sym bolism e : général e t ind ividu el. Mais cette censure n ’est pas n é g a ­
tive. Sans elle, sans la résistance q u ’elle oppose à l ’im agin ation , le rêve
n ’existerait pas. N e peut-on considérer M iracle à M ilan com m e la tra d u c tio n ,
au niv eau d’u n o nirism e social e t à trav ers u n sym bolism e h isto riq u e
co n te m p o ra in , d u b o n c œ u r de V itto rio de Sica. Ainsi s’e x p liq u e ra it p e u t-être
ce que p e u t avoir de décousu e t a p p a re m m e n t in o rg an iq u e ce film étra n g e et
d o n t on c o m p ren d m al les solutions d e co n tin u ité d ra m a tiq u e , l’indifférence à
la logique d u récit.

J ’ai p a rlé d’am our, j ’aurais aussi b ie n p u d ire de poésie ? Les d eux m ots
chez de Sica sont synonym es ou d u m oins com plém entaires. La poésie n ’est
q u e la fo rm e active, créatrice de l’am ou r, sa p ro jec tio n su r l ’univers. Si tarée,
ravagée p a r le d ésordre social que soit l’enfance d e Sciuscia elle a enco re le
po u v o ir de tra n sfo rm e r en rêve sa m isère. Le pouvoir m ira cu le u x de T oto
que lu i a tran sm is sa g ran d ’m è re adoptive, c’est d ’avoir gardé d e l’en fan ce
u n e in é p u isa b le capacité de défense po étique. L e gag de M iracle à M ila n
q u e je trouve le plu s significatif est p e u t-être celui où l’on voit E m m a
G ra m m a tic a se p ré c ip ite r vers le la it qui a débordé. T o u t a u tre g ro n d e ra it
T o to p o u r son m a n q u e d’in itiative, é p o n g e rait le lait, m ais la p r é c ip ita tio n
d e la b o n n e vieille n ’a d’au tre b u t q ue de d o n n er à T oto la joie de tra n sfo r­
m e r la p e tite cata stro p h e en u n jo u e t m erveilleux, u n ruisseau dans tin
paysage à son échelle. I l n ’est pas ju s q u ’à la tab le de m u ltip lic atio n , a u tre
te r r e u r in tim e de l’enfance d o n t la b o n n e vieille n ’ai su fa ire u n rêve. T oto
u rb a n iste b ap tise les rues et les places 4 fois 4 fo n t 16 , 9 fois 9 fo n t 31 ,
p a rc e q ue ces froids symboles m a th é m a tiq u e s sont plus b e a u x poxir lu i q u e
des nom s m ythologiques. Ici encore la com paraison avec C h a rio t s’im pose,
lu i aussi d o it à l ’esp rit d’enfance u n e e x tra o rd in a ire capacité de tra n sfo rm e r
le m o n d e p o u r u n m e ille u r usage. Q u a n d la ré a lité ta i résiste e t q u ’il n e la
p e u t m a té rie lle m e n t changer, il en dévie le sens. A insi dans L a R u é e vers
VOr, des p e tits p ain s d ansant ou des godillots pot-au-feu. Mais p o u r C h a rio t
to u jo u rs su r la défensive ce p o u v o ir de tra n sm u ta tio n est réservé à son usage,
e t to u t au p lus au seul bénéfice de la fem m e q u ’il aime. C hez T o to a u

38
c o n tra ire il ra y o n n e vers au trui; T o to ne songe pas u n in sta n t à l’usage q u ’il
p o u rra it faire p e rso n n e lle m e n t de la colom be, sa jo ie s’identifie à celle q u ’il
ré p a n d . Q u a n d i l n e p e u t rie n p o u r son p ro c h a in , il lu i re ste de se tra n sfo r­
m e r à son im age, b o ite u x p o u r le pied-bot, p e tit p o u r le n ain , aveugle p o u r
le borgne. L a colom be n ’est que le p o u v o ir su p e rfé ta to ire de réaliser m a té ­
rie lle m e n t la poésie car la p lu p a r t des hom m es o n t besoin d e co m plém ent
à le u r im ag in atio n , m ais T o to p e rso n n e lle m en t n ’en a q ue faire sinon p o u r
le b ien d ’autru i.
Z av attin i m ’a d it : je suis com m e u n p e in tre d e v a n t u n ch am p et q u i
se d em and e p a r q u el b rin d ’h e r b e com m encer. De Sica est le m e tte u r id éa l
de cette profession de foi. I l y a l’a r t d e p e in d re les cham ps com m e des
rectangles de couleur. C’est aussi celui des d ra m atu rg e s q u i divisent le tem ps
de la vie en épisodes lesquels so nt à l’in s ta n t vécu ce que le b r in d ’h e rb e
est au cham p. P o u r p e in d re ch a q u e b r in d ’h e rb e il fa u t être le d o u a n ie r
Rousseau. A u ciném a il fa u t avoir p o u r la créa tio n l’a m o u r de De Sica.

A n d r é B a z in .

(E x tra it d e « V U torlo D e Sica », d 'A n d ré B a zin — Piccola


liiblioteca del Cinéma', E d itio n G uando.)

Um berto D, 1051.' (Scénario de Z av attin i, r é a lis a tio n d e De Sica.)

39
PETIT JOURNAL INTIME DU CINEMA

p a r J . D.-V.

Sur la demande de nombreux lecteurs nous avions institué une rubrique intitulée « N ou­
velles du Cinéma ». Depuis quelques mois nous Valions supprimée. Nous avions constaté en
effet que, sous la forme que nous lui avions donnée, elle était de peu d'intérêt et dépourvue de
toute efficacité. Notre parution mensuelle et les délais que nous demande notre imprimerie (la-
majorité de nos textes sont « envoyés » trois semaines avant parution) rendaient périmée voire
inexacte une bonne partie des nouvelles publiées. Cependant de nombreux lecteurs nous ont à
nouveau signalé leur regret de cette disparition et nous-mêmes nous rendions bien compte de la
lacune qu'elle constituait. Nous tentons donc à nouveau l'expérience sous une forme nouvelle,
en tenant au jour le jour le compte des événements concernant le cinéma qui nous paraissent
dignes d'attention et, certains, de commentaires, si brefs soient-ils. Leur suite, replacée ainsi dans
un contexte temporel, y gagnera peut-être une cohérence ou du moins une valeur — toute rela­
tive -— de récit, qui, nous l’espérons, en facilitera la lecture et lui donnera quelque intérêt. Nous
pensons aussi qu'il serait bon que'le choix de ces nouvelles et leur commentaire soit propre à
leur rédacteur et que celui-ci varie avec les numéros. En « essuyant les plâtres » de cette nou­
velle formule, je ne prétends qu’en'indiquer Vorientation et toutes les suggestions des lecteurs
seront les bienvenues. A eux de dire si le titre choisi « Petit jo u rn a l intim e du C in ém a »
leur paraît modeste ou prétentieux. Ils verront dans ce premier essai ‘que la vie même des
Cahiers du C iném a et les réactions provoquées par certains de ses articles jouent un rôle
incontestable. A eux encore de dire s’il leur paraît déplacé ou non de tenir un peu notre journal
en même temps que celui de leur muse favorite, j. d .- v .

26 Janvier. — Le froid polaire qui a sévi sur raison invoquée —: appel à la lubricité du spec­
Paris fin janvier^ début février a très défavora­tateur (sic) — me paraît de pure fantaisie.
blement influencé les recettes des salles durant Certes l ’œ uvre incriminée n ’est pas u n chef-
plus de deux semaines... et du même coup la d’œuvre et le ton souvent vulgaire du com men­
vente des esquimaux. Nul n’est prophète en taire s’aggrave de l’accent grasseyant avec
son pays. Les films qui ont commencé leur car­ lequel le dit Pierre Dac. Mais il s’agit de savoir
rière à cette époque — Destinées, U Etrange si oui ou non l’ordre public est troublé e t les
Désir de M . Bard, Histoire de Trois Amours, Les bonnes mœurs en danger. Le prétendre n ’échappe
Fruits Sauvages — n ’ont pas eu de chance. pas à un certain ridicule. II semble plutôt que
l’on reproche à ce film d’avoir le même pro­
28 Janvier. — Au déjeuner inten-professionnet ducteur que L a Neige était sale qui tourm enta
mensuel il y a déjà des réactions assez vives
beaucoup la commission l’année dernière.
sur l'article de François Truffaut « Une cer­ Semblable souci ne deviâit jouer aucun rôle
taine tendance du cinéma Français » paru seule- dans les décisions de cette assemblée.
ment depuis deux jours dans notre numéro de
Janvier. Denis Marion est contre, Claude M au­ 4, 5 et 6 Février. — journées d’études organisées
riac pour... etc. par la C. C. T . V. au siège de la société des
3 Février. — La commission de contrôle des Auteurs avec la participation de toutes les
films interdit à une large majorité un court- Sociétés d’Auteurs. Problèmes examinés : La
métrage de Jean-Claude Huysman et Jacques co-production, la censure, les rapports cinéma-
Audiberti intitulé Par le trou, de la palette. La télévision. (Voir notre compte-rendu page 44).

40
7 Février. — O n apprend la mort subite du moins ravissante Ma rie-Claude Mauriac et son
producteur André Aron qui était l’actuel pré­ mari Claude... (d’ailleurs elles sont toutes ravis-
sident de la Commission de Sélection des santts dans cette délégation)... et puis aussi l’ami
films au C. N. C. Il fut, entre autres, le produc­ Bazin qui a renoncé à emporter son crocodile
teur de Drôle de Drame (1937), Route sans issue familier... et pour diriger cette petite troupe
(194.7), La Souricière (1949), La Belle Image (1950). turbulente Oncle Henri (Langlois) Dragon avec
quelques-uns de ses trésors. Vive la France, le
Brésil, la Cinémathèque et les jolies femmes.
11 Février. ■— U n journaliste zurichois ayant
critiqué sévèrement Les Miracles n'ont lieu qu'une 13 Février. — Le Figaro ayant annoncé que
fo is, s’est vu refuser ensuite l’accès de la salle Robert Bresson tournerait en juillet La Prin­
qui l’avait présenté. Il a porté plainte, mais cesse de Clèves, Jean Delannoy répond dans le
le Tribunal Fédéral l’a débouté. Il paraît que même journal qu’il a priorité, préparant lui-
la solidarité et la puissance des exploitants est même depuis dix ans, avec Jean Cocteau, une
redoutable en Suisse. D’ailleurs j ’ai parlé de la Princesse de Clèves.
chose à un exploitant parisien : il était de l’avis
de ses confrères. Personnellement j ’aime beau­ Dans Co-nbat de ce matin un article de Jean
coup le film d ’Yves Allégret, mais je reconnais Pelleautier révèle q u ’à Saintc-Anne on ignore
à mon confrère Cari Seelig le droit d ’en penser la nymphomanie. O r le prologue de La Rage
ce qu’il veut. Les Helvetes perdraient-i’s le au Corps où l’on voit un médecin expliquer la
goût de la liberté ? Q u’ils aillent donc méditer gravite de ce « problème social » est censé se
un peu sur les mânes de Guillaume Tell et du passe)? à Sainte-Anne et la chose est identifiée
bailli dont j ’ai cublié le nom. Etant un peu par un plan du porche de l’Hôpital. Voilà un
Vaudois, je me sens autorisé à ce conseil (la alibi de plus qui tombe. Cela a son importance
devise du Canton de V aud est : Liberté et dans la petite histoire de la tendance soi-disant
Patrie). Q u’en p e rs; le zurichois Nino Frank ? sociale, style Compagnes de la Nuit. Il eut été
plus élégant de ne pas déguiser La Rage au Corps
en croisade... d ’autant plus que le film n ’est
12 Février. —■ « Le Groupe des Trente » a pas plus mal fait q u ’un autre.
tenu une conférence de presse au Théâtre de
Babylone. O n se souvient sans doute de ce 14 Février. — L’U. R. S. S. a accepté de parti­
q u ’est ce groupe : une réunion de producteurs, ciper au Festival de Cannes 1954, où elle s’abs­
de réalisateurs, de techniciens et d ’amis du tint depuis 1951. Elle enverra trois longs métrages,
court-métrage qui, sans renoncer en rien, à deux courts métrages: et une importante délé­
la diversité de leurs goûts, de leurs opinions et gation de vedettes.
de leur conviction, se sont assemblé pour défen­
dre le court-métragc menacé. A la suite de son 15 Février. — Dans Le Figaro de ce jour,
manifeste du 20 décembre, promesse formelle Bresson répond à Dclannoy. Citons : « J e ne
lui avait été faite par M. Flaud qu’il serait sais pas ce qui vous pousse. Vous partez tout
pris avant le 20 janvier un règlement d ’applica­ seul, d u pied geu :he et avec des armes fausses.
tion publique rendant obligatoire dans chaque Il n ’y aura pas de guerre et je tournerai « mon
programme de cinéma la projection d ’un court- film » cet été comme l’a annoncé Le Figaro. »
métrage français d’au moins trois cents mètres. Qui connaît Bresson conviendra q u ’il doit être
Ces promesses n’ayant pas été tenues, « Le très fâché pour élever a.'nïi la voix.
groupe des Trente » proteste. Nous sommes de
cœur avec lui. 17 Février. — La polémique Bresson-Delan-
noy continue. Ce dernier répond à son tour,
Inauguration du Festival de Sao Pauto dont toujours dans Le Figaro. « L ’affaire, dit-il,
on a beaucoup parlé comme'devant être éblouis­ relève du Conseil supérieur des auteurs de films
sant et qui comme tous les autres débute dans et de la Direction générale du Cinéma. » On
les plâtras et les inp.-ovisations. La. France m ’apprend en effet qu’il y a des « usages »
présente Julietta de Marc Allcgret, L’Amour entre producteurs pour ne pas toucher à une
d ’une Femme de Jean GrémÜIon, Le Guérisseur œuvre — même du domaine public — dont
d ’Yves Ciampi et Le Blé en Herbe de Claude s’occupe un confrère. Mais, dix ans... n’y a-t-il
Autant-Lara. ' Parm i les autres : Fane, amore pas prescription? L ’affaire bien sûr se réglera
et fantasia de Luigi Comencini, La Conquête de très au-dessus de nos têtes, mais je ne puis
l ’Everest, Mondo, en trois dimensions, de John Far- m’empêcher de penser que Delannoy a réalisé
roy, Comment épouser un Millionnaire de Jean Negu- dix films depuis 1945 et Bresson deux (dont un
lesco, en cinémascope... etc. Dans la délégation commencé en 1944). Bresson est vraiment le
française : Sophie Desmaret, Blanchette Biunoy, moins gênant des collègues pour les autres réali­
Eric von Stroheim, Abel Gance, Ivan Desny, sateurs. Sa lutte solitaire et opiniâtre pour
Je an de Baroncelli, France Roche, Etchika œuvrer dans la voie rigide qu’il s’est tracé
Choureauj la ravissante Lise Bourdin, la non devrait peser dans la balance.

41
18 Février. — Jea n Renoir fait une conférence Mais tu dis : « qui sç veut légère ». Dois-je
extrêmement intéressante et vivante au Cinéma comprendre q u e cette illustration ne l’est pas
Lux sur « L ’Art Français aux Etats-Unis ». réellement ? J e vais faire un effor?.
Il vient par ailleurs de terminer une picce de
25 Février. — Au déjeuner de la D. I. P., le
théâtre intitulée Orvet.
désormais fameux article sur Aurenche et
19 Février, — Encore une réponse de Bresson à Bost est de nouveau sur la sellette. Il y a là le
Délannoy. « J e vais, je VO'JS le répète, tourner mon directeur général du cinéma Jacques Flaud,
film de La Princesse de Glèves... » O n pourra Charles Spaak, Georges Cravenne, Jacqueline
discuter de cette affaire dans tous les sens — Audry, Pierre Laroche, Kast, Astruc... etc... et
et j!ai rencontré cet après-midi un réalisateur la discussion va bon train. Ni Bazin, ni moi,
que j ’estime qui était « p o u r » Délannoy — je qui avons pourtant beaucoup réfléchi avant
ne vois pas ce que l’on peut logiquement objec­ de publier cette étude, aurions jamais cru que le
ter, en dépit de tous les « usages » ou de tous les « boum » serait aussi sonore. Une abondante
arrangements, à ce qüe disait Bresson dans sa correspondance également arrive aux Cahiers.
lettre du 15 février : « Parce qu’une personne tient Dans l’ensemble elle est indignée. Il serait trop
dans ses tiroirs l'adaptation d ’une œuvre qui est dans le long de répondre ici. Je signalerai pourtant à
domaine public (/’annoncerait-elle chaque année, à la M . Jacques Hebenstreit que le Carosse d ’Or n ’est
face du monde) elle ne peut prétendre empêcher pour pas un film de commande et que Renoir lui-
toujours m e autre personne de tirer un film de cette même nous a dit qu’il en était enchanté et
œuvre. Si cela était possible, toute la littérature serait qu’il y pensait depuis très longtemps. Il y a
blaguée). aussi une lettre signée de façon quasi-illisible
(quelque chose comme Pierre Theff) qui mérite
M . Eric Johnston, président de la Motion Pic- deux mots car elle est du genre injurieux. U
ture Association of America a déclaré : « J e me y est dit « Il faudra bien un jour évoquer des his­
réjouis de ce que la Cour Suprême des U. S. A . ait , toires de gros sous » ; et ceci à propos des Cahiers
dans deux cas de plus {dont celui L a Ronde), mis en accusés p ar ailleurs d ’être « répandus aux fra is
échec la commission de censure du Cinéma... j'espère de X ». Mystère ? Or il n ’y en a pas. Les Cahiers
proche le jour oit la Cour ira plus loin et éliminera ne sont financés par personne et vivent (mal)
toute censure a caractère politique des films. » U n uniquement de ce qu’ils rapportent (peu).
grand bravo à M . Johnston. Cela est facile à vérifier. Nos « livres », comme
On dit, sont à la disposition de notre aimable
20 Février. —■ En annonçant le Festival de correspondant. En somme nous sommes accusés
Cannes ( 2 5 mars-9 avril). L a C i n é m a t o g r a ­ d’être réactionnaires et calotins. Je n’aurais
p h i e F r a n ç a i s e , parle de la sélection fran­ jam ais pensé à cela quand je me promenais en
çaise et dit : « ...on parle comme favoris de Tou­ Ï952 dans les rues de Moscou. Le plus am usant
chez pas au Grisbi, de VAffaire M am izius, et du c’est qu’il y a quelque temps après la publica­
Grand Jeu ». Curieux, étant donné qu ’à la date tion d ’article de Sadoul, Kast, Moussinac... etc...
de parution de ce journal (20 février) la commis­ après notre Editorial sur l’affaire Aristarco,
sion de sélection n ’avait encore vu aucun de après mes « Feuillets soviétiques », après nos
ces films. attaques contre la censure, nous avons reçu
des lettres indignées de lecteurs prétendant que
23 Février. — Dans L e F i g a r o L i t t é r a i r e du nous étions tous communistes et anti-cléricaux !
20 février, sous le titre « Aurenche etBost ou le Le concept d’une revue « libre » semble échapper
masque soulevé », Claude Mauriac approuve complètement à certains de nos lecteurs.
le fameux article de Truffaut. II dit par exemple.
« A un certain ton moralisateur près, que nous ne O n annonce que Fritz Lang va réaliser un
partageons pas entièrement (on est de tendance puri­ « remake » de La Bête Humaine de Jean Renoir,
taine aux Cahiers du Cinéma, et un recours de plies avec Gloria Grahatne dans le rôle de Simone
en plus fréquent à une illustration qui se veut légère Simon, Glenn Ford dans celui de Jean Gabin
camoufle cette tendance sans rien y changer), à l'excep­ et Broderick Crawford dans celui de Fernand
tion dis-je de ce côté prédicant, force vous est de faire Ledoux. 4
nôtres les conclusions de M . Truffaut. » Truffaut 26 Février. — Louis Daquin va réaliser à
décidera lui-même s’il est prédicant ou non Vienne en Avril une nouvelle version de Bel
(l’extrême jeunesse l’est toujours un peu) mais A m i de Maupassant. Adaptation et dialogues
moi qui choisit les illustrations de ces Cahiers de W ladim ir Pozner et Roger Vaillant.
et suis censé, avec Bazin, veiller à leur tendance, H ow ard Hughes, propriétaire d ’une partie
j ’apprends que je suis à la fois grivois et puri­ de la R. K. O vient d’annoncer qu’il rachetait
tain. Ce n ’est pas « de jeu », mon cher Claude à 6 dollars pièce toutes celles qu’on lui propo­
tu me connais trop bien. D ’ailleurs entre deux serait. D’où immédiatement une forte hausse
photos de jolies filles, j e choisirai toujours la sur les actions.
moins vêtue : goût du soleil, héritage de mon bon
m aître J . G. Auriol, vice de conformation... etc. 27 Février. — Truffaut rencontre André

42
Michel le réalisateur de Trois Femmes sur les 5 Mars. — Orson Welles tourne maintenant
Champs-Elysées. M ister Arkadin sur la côte d’azur... le film d’ail­
Que préparez-vous ? leurs s’intitule maintenant The Last iVitness,
— Un film que je tournerai en Laponie et
dont je suis en train de chercher le titre.
— Quel genre de film est-ce ? 8 Mars. — Rossellini a terminé Jeanne au bûcher
— Quelque chose entre Tristan et Yseult et d ’après Claudel, avec Ingrid Bergman qui vien­
Laurel et ILardy chef d'ilôt... plutôt tout de même dra en ju in interpréter la pièce à l’Opéra de Paris,
du côté de Tristan J e vous préviendrai quand dans une mise en scène de son illustre mari.
j ’aurai trouvé un titre,

29 Février. — Myriam, la meilleure monteuse 9 Mars. — Une centaine de manifestants appar­


du cinéma français est morte. Rappelions qu’elle tenant à l’Action catholique et à l’Association
signa avec Pierre Braunberger la remarquable des familles catholiques de Caen ont demandé
Course de taureaux. à M . Guillou, maire de cette ville que soit inter­
dite la projection du B lé en herbe.
i^r Mars. -— Le 31 Mars notre confrère
Georges Sadoul sfera ju g é pour « injures et
diffamation de l’armée », à cause d’un article 10 M ars. — Faisant suite à la demande des
paru dans L'Humanité du 14 Février 1953 sur Associations familliales de Nice, le préfet des
le film Crève-Cœur réalisé à la gloire du bataillon Alpes-Maritimes à recommandé aux municipa­
français de Corée. Le Cabinet de M. Pleven et lités du département de ne pas laisser projeter
de M- de Chevigné qui est à l’origine de la les films La Rage au Corps, Avant le déluge et Au
plainte a fait citer 22 témoins dont un lieute­ diable la vertu. Le maire de Nice a aussitôt inter­
nant-colonel, deux; mutilés et une infirmière. dit les films p ar arrêté.
Nous en reparlerons. Disons simplement pour
l’instant qu’il existe théoriquement une certaine
« liberté d’expression » dans la IV e République 11 Mars. — M . René Monti, député U- R . A. S.
et qu’elle postule entre autres le droit de dire de la Seine a demandé à interpeller : d’une part
que la réalisation d’un film sur le bataillon de le secrétaire d ’É tat chargé de l’information qui
Corée est une manière de provocation et n ’ajou­ a cru devoir interdire l’exportation d 'Avant le
tera rien à la gloire de l’armée française. déluge, d ’autre p art le ministère de l’intérieur
sur les conditions dans lesquelles un préfet a pu
J e m ’aperçois tout d’un coup, avec quelque prendre un arrêté d’interdiction avant même
retard, q u ’Orson Welles est en train de tourner en toute projection publique dans son département.
Espagne un film intitulé Mister Arkadin. Chaque
fois que Welles tourne, c’est un événement pour
beaucoup... mais aucun son de trompe, n ’a 13 Mars. -— L a commission de sélection du
annoncé le fait. Il s’agit de l’histoire d’un C. N. C- a choisi pour représenter la France au
aventurier racontée par plusieurs épisodes dans Festival de Cannes : Le Grand Jeu (coproduction
des villes différentes. Welles joue lui-même Arka­ franco-italienne, réalisateur germano-américain
din, entouré de Marlène Die tri ch, Michael Robert Sîodmack, principale interprète italienne :
Readgrave, AJida Valli, A 1dm Tamirov et Peter Gina Lollobrigida) ; Avant le déluge (coproduction
Van Eyck. franco-italienne, deux interprètes italiennes dou­
blées en français : Isa M iranda et Délia Scala),
3 Mars. —-Voici quelques nouvelles du Cinéma Sang et lumières (coproduction franco-espagnole,
soviétique. La première co-production sovîéto- principale interprète féminine américaine dou­
albanaise Skanderberg vient de sortir à Moscou. blée Zsa Zsa Gabor, nombreux interprètes
Son réalisateur Serge Ioutkcvîlch m ’avait espagnols doublés). Dans les courts métrages ne
parlé de ce film quand je l’avais rencontré en sont pas retenus le fascinant Astrologie de Jean
1952 à Moscou. Il venait d’en tourner les exté­ Grémillon et l’admirable François Mauriac de
rieurs en Albanie sur les lieux même où vécut Roger Lecnhardt.
Skanderberg, héros de la libération Albanaise
au xve siècle. Les studios « Mosfîlm » ont entre­
pris la réalisation de : Des hommes sévères (Réali­ 15 Mars. — Dans un journal corporatif on peut
sateur : A. Stolper), L'Epreuve de la fidélité (I. Py- lire : « M. Ba chaud recherche des mélodrames
riev), Les Vieux amis (une comédie. Réalisateur : français ou doublés même datant de plus de quinze
Kalatozov), L ’Ecole du Courage (V, Bassov), ans (jusqu’en 1935) à condition qu’ils soient
L ’Examen de maturité (T. Loukachevilch), Les inédits au Canada... »
Joyeuses Etoiles (V. Stroïva). J- D.-V.

43
LES TROIS JOURNEES

d e la C.C.T.Y.

Les 4, 5 et 6 Février, sur l’initiative de VAssociation Française de la critique


de Cinéma et de Télévision et de son président André Lang, les délégués officiels de
huit Sociétés d ’Auteur se sont réunies au siège de la « Dramatique ». pour examiner
les problèmes de la co-production, de la censure et des rapports Cinéma-Télévision.
Primitivement ce débat avait été prévu avec la participation de toutes les associa­
tions représentant les différentes branches professionnelles et syndicales de la profession.
Pour des raisons sur lesquelles il serait trop long de s'étendre et que nous ne pou­
vons ici que déplorer cette réunion « large » n'a pu s'effectuer. Cependant les trois
motions adoptées à Vunanimité ont été soumises aux vingt-cinq groupements qui
avaient été primitivement invités en leur proposant de les approuver ou d'indiquer leurs
amendements. Signées le 27 Février les motions ont été remises au ministère de VIndus­
trie et du Commerce, au secrétariat à VInformation, à la direction générale du centre
National du cinéma, aux Commissions parlementaires de VAssemblée Nationale et du
Conseil de la République puis rendues publiques par une conférence de presse en date
du 2 Mars.

Nos liens sont ici trop étroits avec la C. C. T . F, dont deux de nos rédacteurs
en chef sont respectivement trésorier et secrétaire général, pour que nous soyons à la
fo is juges et parties. Nous nous permettrons cependant de féliciter André Lang de son
initiative et nous espérons en publiant ici: 10 un résumé— hélas trop bref / — de
chacun des débats et 20 le texte complet des motions votées, attirer Vattention de
nos lecteurs et des Pouvoirs Publics sur trois problèmes, souvent mal connus, qui
conditionnent Vexistence actuelle du cinéma français aussi bien dans ses données éco­
nomiques que dans ses perspectives artistiques.

44
JOURNEE D'ETUDE DU 4 FEVRHER 1954
LES CO-PRODUCTIONS

A la séance d u 5 fé v rie r 1054 a s s is ta ie n t L o u is Q iuv an cc, P ie r re Laroclie, J e a n Dre vil le,


J e a n -P a u l Le C han ois, A ndré B erthom icu (pour ('Association des A u te u r s de F ilm s ) , J e a n Ricux
(po u r la Société des A u te u r s , E d ite u rs et Com p o siteu rs), F ra n c is D idelot, E tie n n e G ril (p our la
Société des Gens de L ettres), P ie r re L aroche, Claude A ccursi (p o u r le S y n d ic a t N a tio n al des
A u te u rs et des C o m p o s iteu rs de m u s iq u e ), A lbert Pliera (p o u r le S y n d i c a t des M etteurs en scène
de R a d io et ti<î Télévisio n ), A ndré L ang, A ndré Bazin, P ie rre L aroch e , Georges S ad oul et
Ja cq u es D oniol-Y alcroze (po u r l ’A sso ciatio n F rançaise de la Critique de C iném a et de T élévision).

La séance est présidée p a r Jean Délannoy qui donne la parole à P ierre


Laroche p o u r la lecture de son rappo rt. Ce ra p p o rt insiste sur le fait que,
jusqu’à présent, les co-productions ne satisfont personne, sauf dans ceiiain s
cas les c a is s ie rs ; qu’elles donnent des œuvres hybrides, sans personnalité, sans
nationalité, sans âme, et p a rla n t l’effarant langage du doublage. 11 condam ne
form ellem ent la post-synchronisation et indique le système du jumelage comme
seule solution possible au problèm e artistique des co-productions.
Après la lecture du rap p o rt, le prem ier orateur inscrit, Roger Fernay, insiste
su r le grave danger que les films réalisés en co-production font co u rir aux films
de réalisation p u re m en t française et ce, p a r le m écanism e de la loi d’aide. Il
envisage d’abord le cas des co-productions du type franco-italien ou une légis­
lation est déjà en vigueur, et constate que les films faits dans ces conditions
bénéficient d’avantages dans les deux pays. La loi italienne étant différente de
la loi française (8 vo p o u r les films courants et 18 % po u r les films de grande
classe — ce uniquem ent sur les recettes du système italien. E n F ra n c e 7 % sur
les recettes françaises, 30 % sur les recettes à l’étranger), que peut-il se p ro ­
duire ? S’il n ’y a pas de problèm e pour les films réalisés en France, il n ’en est
pas de même avec les films d’initiative italienne ; on en arriv e au résultat
p arad o x al que des films italiens à gran d spectacle conçus p o u r des m archés
extérieurs, notam m ent am éricains, ne p résen tant pas la m oin dre caractéristique
française et, en outre, ne faisant pas un sou en F rance, bénéficient, s ’ils sont
exploités en Am érique et font p a r exemple un m illiard de recettes, de trois cents
à quatre cents millions de la loi d’aide française. Puis l’o ra te u r envisage le cas
des pays ,avec lesquels il n ’y a pas d’accord de réciprocité, il signale des projets
de co-production avec l’Egypte, l’Argentine, le Brésil, etc..,, et estime que le
système du jumelage serait le m oindre mal. Il cite également le cas des Orgueilleux
corinne un exemple sain : scénario français, réalisateur fran çais, vedettes fra n ­
çaises : il est no rm al que ce film bénéficie des mêmes avantages que les films
français. P a r contre, il n ’en est pas de même p o u r le d ern ier film de René Clément,
M onsieur R ip o is, réalisé, hors accord, avec l’Angleterre et qui, m algré la p ré ­
sence de deux com édiens français, a été enregistré en anglais et est destiné
en fait au m arché anglo-saxon. Doit-il donc bénéficier de la nationalité française
et passer dans le quota français ?
Après l’in tervention de Roger Fern ay, la discussion s’engage. Jean D élannoy
fait rem arq u er que, sous des noms français, les produ cteu rs italiens s’installent
en France, touchent les 18 % en Italie et, ici, bénéficient de la loi d’aide ; au
p o in t de vue artistique, la pensée française est de plus en plus éliminée au
profit de la pensée italienne ; que même quand les p rodu cteurs fran çais ne se
fo nt pas avancer leur inart p a r les producteurs italiens, ils sont tentés p a r la
perspective du m arch é am éricain qui les fera bénéficier de l’aide su r les recettes
étrangères. P ierre Laroche ind iqu e que 40 % des m aisons de p ro d u c tio n françaises
sont des m aisons italiennes déguisées, qu’en outre, les films faits en co-production
avec l’Italie subissent la censure Vaticane et que les ouvrages mis à l’index ne
eu vent être tournés. A ndré Lang rappelle le système de surim pressio n sonore
qui avait été expérim enté il y a cinq ou six ans, et qui co n stitu erait peut-être
un rem ède au danger d u doublage. Jean-Paul Le Chanois p ré c ise que, dans son
d ern ie r film, Le Village Magique, il a, dans la version française, des scènes
italiennes sous-titrées en français et que, dans la version italienne, ces scènes
qui p o u rtan t avaient été enregistrées directem ent en italien, ont été post-synchro-
nisées sur, ce qui est plus grave, un texte souvent très différent.

45
Des interventions suivantes de P ierre Laroche, Jean Delannoy, Roger F ernayj
Jean Néry, E tienne Gril, Jean-Paul Le Chanois, A ndré Lang et Jacques E noch,
il resso rt que, si le M inistre des Finances dégrevait de m oitié le ciném a français,
il n’y au ra it plus de problèm e mais que, cette détaxation étant im possible à
obtenir, les films devenant de plus en p lus chers, et inam ortissables en F ran c e
seulement, la co-production demeure la seule solution, hélas ! au détrim ent de
la qualité. Il faut donc am énager ce système qui est un m al nécessaire. P a r
ailleurs, Jean-Paul Le Chanois fait rem a rq u er que le Crédit N ational n ’a pas
joué son rôle norm al cette année, 380 m illions seulem ent ayant été utilisés. P o u r­
quoi la p ro d u c tio n française n’a-t-elle p as bénéficié des ü20 millions restants ?
A 17 heures, la séance est interro m pue p o u r p e rm e ttre à Roger F ernay et
P ie rre Laroche de réd ig er la m otion finale ; à 17 h. 30 , après quelques m odifi­
cations de détail, celle-ci est approuvée à l’unanim ité.

M OTION
R éunis le 4 février 1954 à la Société des Auteurs et Compositeurs D ram a­
tiques, 9 , ru e Ballu, sur l'initiative de l’A ssociation F rançaise de la Critique de
Cinéma et de Télévision,
Les délégués soussignés,
de l’Association des Auteurs de Films,
de l'A ssociation des Auteurs de Télévision,
de l’Association F rançaise de la Critique (le Cinéma et de Télévision,
de la Société des Auteurs et Com positeurs D ram atiques,
de la Société des Auteurs, E diteurs et Com positeurs de Musique,
de la Société des Gens de Lettres,
du Syndicat des Metteurs en scène de R adio et de Télévision,
du Syndicat N ational des Auteurs et Com positeurs de Musique,
Après avoir exam iné le problèm e des c o p ro d u c tio n s ciném atographiques
internationales et ses incidences sur la p ro d u c tio n p urem ent française,
D éclarent à l’unanim ité ne pouvoir souscrire au p rin c ip e même de ces co­
pro ductions p o u r les deux raisons p rincipales suivantes :
1°) Le développem ent incessant des co-productions — mcmc dans le cadre
des accords de co-productions franco-italiennes qui peuvent être considérés
comme les plus judicieusem ent réglem entés — ten d à provoquer d’une m anière
inéluctable la disp arition progressive de la p ro d u c tio n spécifiquement nationale.
2 °) Les im pératifs économiques dont on tire argum ent p o u r conclure à la
nécessité des co-productions ne peuvent être invoques que p a r suite de l’insuf­
fisance des m esures gouvernem entales de soutien de la pro duction nationale
française.
En conséquence, les rep résen tan ts des organism es ci-dessus :
a) F o n t appel aux Pouvoirs publics p o u r le u r dem ander d’in stau rer d ’u r­
gence des m esures de protection analogues à celles appliquées p a r certains
gouvernements étrangers — notam m ent p a r le G ouvernem ent italien — m esures
qui devraient consister prin cip alem en t en une détaxation des spectacles ciném a­
tographiques composés de p roductions ç u re m e n ts nationales ;
Signalent en p artic u lier que c’est grâce à ces m esures que le ciném a italien
connaît au jou rd’h ui une fortune grandissante alors que le cinéma français est
en proie à un malaise financier qui risque d ’e n tra în e r sa perte à brève échéance ;
Concluent enfin que de semblables mesures, sans faire d isp araître les co-pro-
ductions, en su p p rim e raien t néanm oins le danger p rincipal, car elles perm et­
traie n t à la p ro d u ctio n nationale de subsister p arallèlem ent et de p o ursuivre
son essor.
b) D’ores et déjà, et en atten dant q u ’une telle action puisse être menée, les
rep résentants des organismes soussignés estim ent indispensables :

46
1 °) Que les co-productions revêtent exclusivem ent la îorm e d’association
de capitaux ne p ouvant e n tra în er aucune aliénation du c a ractère artistique
national, qui est un élément indispensable de la qualité d’un film ;
2 °) Que, dans ce but, le système de jumelage intégral (c’est-à-dire : un film
p u rem en t français correspond ant à un film purem en t éti'anger) soit pratiqué,
comme étant le" seul rationn el du p o in t de vue artistique ;
3 °) Qu’à défaut de jumelage total, on adopte au moins le p rin c ip e de la double
version, qui peut aussi, dans certains cas, satisfaire aux préoccupations précitées ;
4 °) Qu’en tout état de cause, les acteurs enregistrent toujours dans la
langue' des dialogues originaux et que soit radicalem ent p ro sc rit tout doublage ;
5 °) Qu’en cas de jumelage, les avantages accordés p a r la F ran ce aux films
d’initiative étrangère ne puissent jam ais être supérieurs aux avantages accordés
aux films d ’initiative française p a r le pays co-producteur ;
5 ° bis) Que d'autre p a rt, afin de garantir le trav ail des techniciens et des
ouvriers des studios et des laboratoires français, les films réalisés en dehors de
tout jumelage n e puissent bénéficier des avantages accordés aux films français
que sous réserve d’un équilibre qualitatif annuel entre les p ro d u ctio n s des deux
pays intéressés.
6°) Qu’en l’absence d’un accord bilatéral prévoyant le jumelage, ou de
l’établissem ent d’une double version, les films réalisés en co-productions ne
puissent bénéficier des avantages accordés aux films français que s’il s’agit d ’un
film tourné p ar un réalisateur français, com portant un scénario, un découpage,
des dialogues et une p a rtitio n m usicale d ’auteurs français et enregistrés direc­
tem ent en langue française p ar des acteurs français.

Cette m o tio n a été ap p ro u v ée et signée p a r : L a F é d é ra tio n N a tio n a le d u S pectacle, le


S y n d ic a t des T echniciens de l a P ro d u c tio n C iném ato g rap h iq u e, la F é d é ra tio n F ra n ç a is e des
Cinés-C lubs et la F é d ératio n C entrale des C inés-C lubs.

JOURNEE D'ETUDE DU 5 FEVRIER 1954 :


LA CENSURE

A la séance d u 4 fé v rie r 1954 a s s is ta ie n t : J e a n D elan noy, Je an Dt'évillc, P ie rre L aroche,


Je a n -P a u l Le Clianois (po u r l ’A sso c ia tio n d es A u te u r s de film s), P a u l A ch ard (p o u r la. Société
des A u te u r s et C om p o siteu rs d ra m a tiq u e s), Jacq u es E noch, René S y lv ian o , J e a n R ieux (pour
la Société des A u te u rs , E d ite u rs et C o m p o siteu rs), E tie n n e G ril, F ra n c is IMilelot (po u r la Société des
Gens de L ettres), Roger F e r n a y , M au rice Ililé ro (p o u r le S yn d ica t n a tio n a l des A u te u r s et des
C o m p o siteu rs de m u s iq u e ), A lbert R ié ra (pour le S y n d ic a t des Metteurs en scène (le R a d io d iffu s io n
et de T élévisio n), A ndré L ang, J e a n Néry, P ie r re Laroclie, Georges S adou l et Jacques DqiiîqI-
Y alcroze (po u r l'A ssoeiaïiûii F rançaise d e ' l a C ritique de C in ém a et de T élévisio n ).

La séance est présidée p a r F ran c is Didelot (président du Syndicat des E c ri­


vains) qui, après avoir lu un texte d ’Emile Zola (La République et la littérature),
stigm atisant la censure en République, donne la p aro le à A ndré Lang qui v a lire
le ra p p o rt d ’A ndré Bazin. Ce ra p p o rt est constitué de quatre points p récis :
1°) Présence à la Commission de Censure (arguments p o u r et co ntre cette
présence. P o u r : lim iter les dégâts. Contre : cautionner p a r notre présence une
institu tion que nous récusons).
2 °) Censure (l’ordonnance du 3 juillet 1945 in stituan t la Commission de
Contrôle et p récisan t son rôle — respect des bonnes m œ urs et de l’ord re pub lic —
n ’est pas respecté. La censure devient u n organism e de contrôle gouvernemental,
chaque m inistère rep résenté défendant les préoccupations du m om ent de son
m inistre).
3 °) Pré-censure (danger d’un système que l’on vo u d rait re n d re obligatoire
et qui l’est en fait, tendant à stériliser la p rod uctio n au stade du scénario). -

47
4 °) Ginés-Clubs (scandale de l’arrêté du 6 juillet 1948 , in stitu ant u n visa
p o u r les séances non commerciales).
Lecture est ensuite donnée d’un texte sur la liberté des théâtres et la censure,
texte obligeamment com m uniqué p a r Jean Matthyssens, délégué général de la
Société des Auteurs ; il en ressort que le décret du 2 février 1874 , rem ettan t en
vigueur la censure, n ’a jamais été aboli m ais qu’en fait elle ne fonctionne plus
depuis 1905 . .
Sur la dem ande d’André Bazin, Georges Sadoul rappelle que le « T h é â tre
libre » d’Antoine s'in sp irait du même p rin c ip e que les cinés-çlubs. A ndré Lang
donne ensuite lecture de sa lettre de dém ission de la Commission de Contrôle
adressée au P résid en t H enri de Segogne, puis précise sa position : a) il est
scandaleux que le réalisateur ne soit p a s'a u to risé a défendre son œ uvre devant
la Commission de Contrôle ; b) scandaleux également' qu-’aücüne m ention ne figure
au générique in d iq u a n t qu ’il y a eu coupure Pœ uvre est ainsi défigurée au
détrim en t de la réputation de l'auteur. '■ /
h a discussion s’engage alors sur le problèm e de la «. présence ». P ie rre
Laroche estime qu’elle e s t . intolérable. A ndré Bazin pensé que le danger est
m o indre en y dem eurant, à condition toutefois d’établir une doctrine com m une
aux associations représentées. Georges Sadoul est du même avis. Sont évoquées
au passage les questions de la « discrétion » sur les délibérations de la Commis­
sion et du règlem ent intérieur.
La discussion s’engage ensuite sur le problèm e du libre arbitre, c’est-à-dire
de la liberté de vote des rep résentants de la profession à la Commission de
Contrôle. Aux partisan s du m andat im pératif (toujours voter po u r les films),
A ndré Bazin objecte que, d’un p o in t de vue tactique, la formule de l’abstention
p eu t p erm ettre à la profession, en lui évitant d’a p p a raître aux yeux des fon c­
tionnaires comme u n bloc m onolythique, d ’obtenir dans certains cas des résu ltats
efficaces. Il est admis p a r les présents que cette lib erté p o u rra it être accordée
à la lim ite aux représentants de la presse, mais pas à ceux de la profession qui
ne peuvent, en aucun cas, se poser en juges de leurs confrères. E n résum é,
l’opinion com m une est que, si présence il y a, il faut avant tout ra p p ele r à la
Commission que son dom aine se borne exclusivem ent aux bonnes m œ urs et à
l’o rd re public.
A propos de la pré-censure, A ndré Bazin indique que si les argum ents
m atériels m ilitent en sa faveur, elle est inadm issible sur le p la n artistique.
Jean-Paul Le Chanois précise que la Commission d’agrém ent constitue une censure
de plus, les financiers ayant leur m ot à dire sur le sujet des films p rop osés à
leu r examen. Cette m ultiplication de contrôles explique la baisse des niveaux
des scénarios et des films, qui n’est .im putable n i aux scénaristes, ni aux ré ali­
sateurs. .
A pro p o s du scandale de l’arrê té du 6 juillet 1948 , in stitu ant un visa p ou r
les séances non commerciales, A ndré Bazin rappelle qu’il fut p ris en pleine
cam pagne électorale p our des m otifs spécifiques à cette campagne, qu’en tout
état de cause il est infâm e, et qu’il faut p re n d re à ce sujet une position très
^ s t r i c t e : des films arclii-classiques ont é té 'sa isis ou interdits et tou te l’activité
culturelle et indispensable des Ginés-Clubs p eu t à tout m o m en t se tro u v e r entravée
p a r ce procédé inqualifiable.
Avant d’<en passer à la rédaction de la motion, .Tean-Paul Le Chanois re p re n d
son intervention de la veille au sujet du Gré dit National, et explique que
si 380 m illions seulement s u r .u n m illiard ont été versés à la p rodu ction , c’est
p a rc e que le Crédit National, à son toiirj joue le rôle d’une censure supp lém en ­
taire, ce qui porte à quatre le nom bre des contrôles dont souffre le ciném a :
pré-censure, commission d’agrément, censure et Crédit National.
La séance est interro m p ue po u r p erm ettre à A ndré Bazin, A ndré B erthom ieu,
Jean-Paul Le Chanois et A ndré Lang d ’élaborer la m otion finale qui, après
quelques m odifications de vocabulaire, est approuvée à ru n an im îté.

48
MOTION
Réunis le 5 février 1954 à la Société des Auteurs et Compositeurs D ram a­
tiques, 9, ru e Ballu, sur l’initiative de l’Association F ran çaise de la Critique de
Cinéma et de Télévision,
Les délégués soussignés,
de l’AssoGiation des Auteurs de Films,
de l ’Association des Auteurs de Télévision,
de l ’Association Française de la Critique de Cinéma et de Télévision,
de la Société des Auteurs et Compositeurs D ram atiques,
de la Société des Auteurs, E diteurs et Compositeurs de Musique,
de la Société des Gens de Lettres,
du Syndicat des Metteurs en scène de Radio et de Télévision,
du Syndicat N ational des Auteurs et Compositeurs de Musique,
Ayant exam iné le problèm e posé p a r l ’existence d’une commission dite
de contrôle des films,
Réaffirm ent solennellement et catégoriquem ent qu’ils condam nent toute cen­
sure, quelque form e qu’elle revête, quelque appellation qu’elle se donne.
Ils rapp ellent que la liberté d’expression dans tous les dom aines de l’a rt
et de la pensée est reconnue et garantie p a r la Constitution et la Loi.
Ils constatent au surplus que le fonctionnem ent de cette commission a fait
naître à tous les échelons une cascade de censures préalables :
— pré-contrôle dés scénarios,
— com m ission d’agréinent,
— commission du Crédit National,
qui engendrent la tim idité et la p e u r chez les p rod ucteu rs et les distributeurs,
et l ’inhib itio n des auteurs.
• Dans l’état actuel des choses, ils sont résolus à agir p our lim iter au m axi­
mum les effets de ces censures.
Ils rappellent que l’ordonnance du 3 juillet 1945 ne vise que le m aintien
de l’ord re public et la sauvegarde des bonnes moeurs. Ils constatent que ces deux
m odalités sont aujou rd’hui dépassées et qu e la Commission de Contrôle devient
u n in strum ent de censure gouvernementale.
Ils constatent, d ’autre p art, que les pressions m atérielles tendent à re n d re
obligatoire la pré-censure qui devance en l’aggravant l’action finale de la
Commission de Contrôle.
Ils d em andent instam m ent que soit abrogé l’arrêté du 6 juillet 1948 , insti­
tuant un visa p o u r les séances non com m erciales qui frappe d’abord en fait
les projections culturelles et em pêche ainsi les films non agréés d ’atteind re un
public, si restre in t soit-il.
En attendan t la suppression effective de la censure, les soussignés déplorent
que la F ra n c e n ’ait pas de politique culturelle à l’égard de la jeunesse, seul
dom aine où les restrictions à la liberté du com m erce ciném atographique puissent
être envisagées.
Ils dem andent enfin qu’à tout le m oins aucune décision de censure relative
à des films français ne puisse être p rise sans que les auteurs ne soient entendus.

Cette m o tio n a été app ro u v ée et signée p a r : La F é d é ra tio n N a tio n a le d u Spectacle, le


S y n dicat des T echn icien s de l a P ro d u c tio n C iném ato g rap h iq u e, la F é d é ra tio n F ra n ç a ise des
Cittés-C lubs et la F é d é ra tio n C entrale des C inés-C lubs.

49
4
JOURNEE D'ETUDE DU 6 FEVRIER 1954
CINEMA ET TELEVISION

A l a séance d u 6 f é v rie r a s s is ta ie n t : L ouis C havance, A n d rc B e rth o m ieu , P ie rre L aroche,


J c a n -P a u l L e Chanois (p o ur l 'A s so c ia tio n des A u te u r s de F il m s ) , Ja cq u es C h a b an n es, P ie r re
T c h e rn ia (po u r l’A ssociation tics A u te u r s de T .V .), M arc-Cab (po u r la Société des A u te u r s et
C o m p o s iteu rs d ra m atiqu e s), Jacq u es E n o c h , René S y lv ian o (po u r la Société des A u te u r s et C o m p o ­
siteu rs), E tie n n e Gril (pour ta Société des Gens de L e ttre s), P ie r re L aro che , C harles S p aak ,
M aurice H iléro (po u r le S y n d i c a t N a tio n a l des A u te u r s et d es C o m p o siteu rs de m u s iq u e ), René
W ilm e t, M aurice Cazencuvc, A lb ert R ie r a (p our le S y n d ic a t des M etteurs en scène d e R a d io
et de T.V.), P ie rre L aroche, A ndré L an g , J e a n T h cv cn o t et J . D oniol-V alcroze (p o u r la C.C.TW.).

La séance est présidée p a r Charles Spaak qui donne la paro le à Jean T hévenot
p o u r la leçture de son rapport. Celui-ci exam ine les raisons de la crise h o l­
lyw oodienne provoquée p a r la télévision et m et en garde contre les leçons
hâtives que l’on en p o u rra it tire r à propo s de la situation en F ran ce. Il explique
ensuite les règles qui régissent actuellem ent les ra p p o rts entre le Cinéma et la
Télévision et estime que le ciném a aurait g ra n d to rt de s’en te n ir à une attitude
de défense et de lim iter ses relations avec la télévision à une réglem entation
sur l’exploitation des ûlms déjà existants. En etfet, le ciném a n ’a q u ’à gagner à
une coopération plus étroite avec la télévision q ui :
1 °) Représente un débouché considérable p o u r les techniciens du ciném a ;
2 °) Peut lui fo u rn ir des instrum ents de tra v a il qui n’ont guère été utilisés
jusqu’ici ;
3 °) Peut être le p oint de d é p a rt de co-productions Cinéma-Télévision in té ­
ressantes po u r les deux parties ;
4 °) P a r le système des bandes-annonces, p eu t jouer u n rôle de p u blicité
efficace en substituant la program m ation-p ropag ande à la pro gram m atio n-concur­
re n c e ;
5 °) La télévision des salles devant rem placer un jour la télévision des
salons, c ’est-à-dire devenant distrib u trice de films, un système nouveau de d istri­
bution est à étudier, qui abou tira à une gigantesque industrie commune Cinéma-
Télévision.
Il conclut qu’entre le ciném a et la télévision un m ariage est inéluctable, do n t
on vou d rait qu’il fut d’am our a u ta n t que de raison. Toutefois, il reste encore à
la télévision a être dotée d’un statut assurant son in d é p en d a n c e et sa liberté.
Après lecture du ra p p o rt, A lbert R iera p re n d la p arole et préconise p o u r
la Télévision un statut lui d o nn ant des responsabilités et lui autorisant des
apports privés, du type p a r exemple de la Régie autonom e des E tablissem ents
Renault. Après que P ie rre L aroche eut indiqué que, depuis le 28 février,
la Télévision m arocaine fonctionne avec in terventio n de la publicité, et après
qu’il ait été discuté des trois form es de statuts possibles (privé, d ’Etat, régie),
l’unanim ité se fait su r l’urgence de faire dép endre le Cinéma, la Télévision et la
R adio d’un seul m inistère. A ndré Lang p ro p o se la présidence du Conseil et
Louis Chavance l’E ducation N ationale ou les Beaux-Arts, dont l’esprit est plus
lib éral et la form ation plus artistique. L’accord se fait sur l’E ducation Nationale.
Louis Chavance donne lecture du p a ra g ra p h e c o n cern an t la T.V. dans
la m otion votée p a r 35 pays au d ern ie r congrès de la Féd ération Internatio nale
des Auteurs de Films, signalant le danger p o u r la T.V. de d evenir le m ono­
pole de certaines organisations qui ont déjà une énorm e réserve de films p o u r
T.V. Maurice Cazeneuve in terv ien t longuem ent et de fa ç o n , très efficace p o u r
expliquer la situation actuelle de la T.V. de plus en plus placée devant l’obli­
gation d’augm enter la durée de ses program m es (dem ain, le spectateur d em an­
dera douze heures d’émission p a r jour). Souffrant d ’un m anque de sujets, et
d ’une absence de moyens, la T.V. a besoin de la collaboration du ciném a. Le
problèm e de l’am ortissem ent des films à la T.V. est ensuite évoqué (innovation
am éricaine des program m es de T.V. payan ts), puis celui de la constitution d ’un
ré p e rto ire et celui des droits de rep ro d u ctio n .

50
La séance est interrom pue p o ur perm ettre à Jean Thévenot, Maurice Cazeneuve
et A ndré Berthomieu, de m ettre au p o in t la m otion finale qui est adoptée à
l'unanim ité, après discussion p o rta n t sur la façon d ’énoncer le danger signalé
p a r Louis Chavance quant à la protection du ré p e rto ire français. La form ule
suggérée p a r Maurice iïiléro est adoptée po u r la réd actio n définitive.

MOTION
Réunis le 6 février 1954 à la Société des Auteurs et Compositeurs D ram a­
tiques, 9, rue Ballu, sur l’initiative de l’Association F rançaise de la Critique de
Cinéma et de Télévision,
Les délégués soussignés,
de l’Association des Auteurs de Films,
de l’Association des Auteurs de Télévision,
de l’Association Française de la Critique de Cinéma et de Télévision,
de la Société des Auteurs, E diteurs et Compositeurs de Musique,
de la Société des Gens de Lettres,
du Syndicat des Metteurs en scène de R adio et de Télévision,
du Syndicat N ational des Auteurs et Compositeurs de Musique,
Constatent que les intérêts du Cinéma et de la Télévision qui, jusqu'ici,
avaient pu p a ra ître opposés, sont, en fait, communs et appelés à se confondre
dans des structures nouvelles ;
Estim ent qu ’une action coordonnée du Cinéma et de la Télévision im plique
d’abord que le Cinéma français, restant ind ustrie privée, et la Radiodiffusion-
Télévision française, devenant régie autonome, soient rattachés à une seule adm i­
nistration : le Ministère de l’Educatxon Nationale, qui leur semble l’autorité la
m ieux désignée en raison des intérêts culturels et artistiques dont elle a la
charge ;
Décident de créer un Comité perm anen t de coo rd in atio n Ginéma-Télévision
chargé d’étudier les problèm es communs, artistiques, techniques et économiques,
notam m ent :
— l’exploitation des films ciném atographiques à la Télévision,
— l’élaboration des films à la Télévision,
— la diffusion des spectacles, ciném atographiques et autres, p a r la Télé­
vision,
et, d’une façon générale,
— les possibilités offertes p a r les techniques nouvelles.
Ce Comité a po u r mission d’assumer, en liaison avec les Sociétés d’Autcurs,
la défense du droit des auteurs sous toutes ses form es (notam m ent le droit d'exé­
cution et de reproduction) ainsi que la défense du ré p e rto ire national et de la
culture française.

• Cette m o tio n a été ap p ro u v ée et signée p a r : La F é d é r a tio n N a tio n a le d u Spectacle, le


S y nd icat des T echniciens de la P ro d u c tio n C in ém a to g rap h iq u e, l a F é d é ra tio n F ra n ç a ise des
Cinès-Clubs et la F éd ératio n C entrale des C inés-C lubs,

51
MERCI MONSIEUR ZAVATTINI !

(C h ro n iq u e de la F.F.C .CJ

Les Cinés-Clubs de Jeunes sont moins connus que les Cinés-Clubs d’adultes.
Le plus ancien d 'en tre eux date de 1946 , Une grande p a rtie du public, s’il en
con naît l'existence, voit dans leur réunions des séances p e u différentes (le celles
que d onnent les patronages. Ces notes voudraient situ e r dans le cadre d’un
Ciné-Club de Jeunes un essai significatif p our tire r de Fornière habituelle un
public exclusivem ent composé d’adolescents.
Le Ciné-Club des A pprentis du Bâtim ent et des T ra v a u x Publics a 750 a d h é­
rents ayant de 15 à 20 ans. Ils sont apprentis ou jeunes ouvriers se destin ant
à être maçons, plom biers, carreleurs, couvreurs, m enuisiers, serruriers, dessi­
nateurs, etc.,. Un Conseil de jeunes délégués joue un rô le très im p o rtan t dans
le choix des program m es, l’anim ation des séances,' etc... Mais venons-en à la
d ern iè re séance où Miracle à Milan fut projeté.
Un m ois avant la séance, les délégués écriv iren t à Cesare Zavattini (1 ). En
term es simples, non exempts de naïveté, ils d em andaient au « p ère de Toto »
les raiso ns qui l’incitèrent, lui et Vittorio de Sica, à ré a liser Miracle à Milan,
Huit jours avant la séance, les délégués a p p rire n t l’arrivée de M. Z avattini
à Paris. La semaine qui s’écoula fut celle des grandes lièvres. Viendra-t-il ? Ne
viendra-t-il pas ? Coups de téléphone, pneus, question nnaire rédigé p o u r le cas
où il viendrait, furent les points m arquants de cette agitation.
Heureusement, le dim anche suivant, au cours de la projection, M. Zavattini
accepta de venir. Laissant à un des deux vice-présidents (18 ans, m enuisier)
le soin de diriger la séance, le p ré sid en t p a rtit avec l’autre vice-président (17 ans,
a p p re n ti m étreur) le ch erch er en taxi à son hôtel.
M. Zavattini, accom pagné de deux amis Italiens, dont l’acteur Orfeo T am buri,
a rriv a quelques instants plus tard, à temps p o u r e n te n d re l ’ovation qui accueillit
la fin de la projection de Miracle à Milan. Avec bonne grâce et un grand sérieux,
M. Z avattini a bien voulu ré p o n d re et donner ainsi des précisions sur Miracle
à Milan qui ne sont pas sans intérêt.
— Que pensez-vous des Cinés-Clubs et, en particulier, des Cinés-Clubs de
Jeu nes ?
— Le public des jeunes a la plus grande influence. Il fau drait qu’il y ait
dans chaque ville, au même titre qu’une bibliothèque, un ciné-club. C’est tout
aussi im portant.
— E tiez-vous présent lors du tournage de Miracle à Milan ?
— J ’assiste très rarem ent au to u rn a g e 'd ’un film. Je tais surtout le scénario,
mais j’assiste au montage avec le réalisateur. Je peux ainsi essayer de c o rrig er
le film comme on corrige les fautes d ’orthograph e d ’u n texte, dans la m esure
où on p eu t corriger un film. .
— Com m ent avez-vous préparé le scénario de M iracle à Milan ?
— J’ai écrit en 1940 , à l’intention du grand com ique italien Toto, un scé­
nario intitulé : « Toto il buono ». Le film ne se" fit pas. J ’en ai tiré un livre en
1943 . Puis, en 1948 , açrès avoir réalisé Le Voleur de B icyclette nous avons,
de Sica et moi, cherché un sujet de filmv Nous avons tiré un scénario de m on
livre et c ’est ainsi que se fit Miracle à Milan.
— Les acteurs du film étaient-ils connus et c o m m e n t ont-ils été choisis ?
— Certains acteurs étaient connus, mais nous avons utilise des acteurs non
professionnels, en p a rtic u lie r deux anciens boxeurs célèbres. Ils sont dans le
film deux des p rin c ip a u x auxiliaires de Toto. Eux aussi sont habituellem ent des
gens très pauvres.
— L e film a-t-il connu le succès en Italie ?
— Les opinions étaient très partagées. Certains y ont vu une tendance de
gauche, d’autres une tendance de droite, surtouL p o u r la fin du film. Q uand les

(1)" M’. Z a v a ttin i'■ est P ré s id e n t d e Ja F é d é ra tio n I ta lie n n e d es C inés-C lubs.

52
pauvres s’envolent, certaines personnes les ont vus p a r tir vers le P aradis, d’autres
vers un certain pays de l’Orient... vous comprenez ? Nous aurions voulu finir
d ’une autre m anière (mais nous avons crain t les difficultés) : les pauvres p a rte n t
mais redescendent sur terre. Ils vo ient : « P ro p riété privée, défense d ’entrer. »
Ils vont à un autre en droit et voient encore : « P ro p rié té privée >... alors ils
re p a rte n t dans le ciel vers un pays où « bonjour p veut surtout dire travail.
— Est~ce que Miracle à Milan a été un film rentable ?
— Je crois qu’ils n ’ont pas p e rd u d’argent avec le film p a rce qu’il a eu beau­
coup de succès à l’étranger.
—- Pourriez-vous définir plus particulièrem ent le personnage de Toto ?
— Toto est surtout un personnage optimiste, très optim iste, trop peut-être-
Cependant j’attire votre attention sur un épisode du film. La police attaque le
cam p et un des aides de Toto veut se battre avec un gros bâton. Toto le lui
p re n d et lui en donne un plus petit. Puis il se ravise et lui redonne sa p rem ière
arme. Vous voyez il est optimiste, mais il reste tout de même réaliste.
— Que pensez-vous du p rin cip e des co-productions franco-italiennes ?
— Ce ne devraient pas être uniquem ent des solutions économiques. Elles
devraient être surtout le fruit d’une collaboration d’idées entre la F ra n c e et
l’Italie. Les deux pays ont ensemble de grandes possibilités artistiques et intel­
lectuelles. Ils reflètent en même temps ce que Ton peut attendre de l’esprit
européen. Il faut que des films soient faits ensemble car nous avons à résoudre
des problèm es sociaux semblables ? E t nous sommes en m esure de rivaliser
avec la productio n am éricaine, qui fait du cinéma p o u r le spectacle et non pas
p o u r abord er les problèm es de notre temps.
En cela Miracle à Milan n ’est qu’un essai qui ne p eu t avoir de suite. Il faut
re to u rn e r axi néo-réalisme qui reflète les problèm es sociaux actuels.
— Que pensez-vous des films en relief et du Cinémascope en particulier ?
—■ Je n ’ai pas vu le Cinémascope, mais j’ai vu des petits films en re lie f
avec des lunettes. C’est bon. E t je suis d ’accord avec ces nouvelles techniques
d an s la m esure où on les emploie po u r dire quelque chose. Sinon, elles seront
inutiles et Von fera encore du cinéma am éricain.
— A votre avis est-il m ie u x de voir an film en version originale ou en version
doublée ?
— Il n’v a pas de question, il faut voir le film en version originale, avec
au besoin de petits sous-titres. C’est le seul moyen de bien suivre la pensée de
l’auteur du film. La version doublée tra h it l’auteur,
— Pourquoi travaillez-vous en ce m o m en t avec Jacques Beclcer ?
— J ’ai connu Becker en Italie. Il m’a dem andé de collaborer avec lui. Mais
je n ’ai pas fait de scénario. Becker est un grand m etteur en scène. II est très fin
et a déjà beaucoup élaboré son scénario d’Ali-Baba. Nous ne faisons que discuter
du sujet ensemble et je n ’appo rte qu ’un concours m odeste et rapide.
— Je voudrais cesser de rép o n d re à vos questions u n m om ent p o u r d ire
toute m on amitié et la profonde adm iration que j’ai p o u r mon ami De Sica. Je
veux l ’associer à tout ce que vous avez dit de Miracle à Milan. C’est un très
grand homme de cinéma.
Je veux aussi vous dire l’émotion que je ressens ce m atin. Vous n e saviez
pas que j’étais là et j’ai été très touché p a r vos applaudissem ents à la fin de la
projection de jMiracle à Milan. Ils m’ont p ro c u ré une grande joie.
— Quels sont vos projets ciném atographiques ?
— Je voudrais pouvoir faire un film en F ran ce p e n d a n t u n séjour de trois
mois.
En ce moment, je p rép are un scénario p o u r Blasettx : dix petites histoires
dans le style des films Heureuse Epoque et Notre Tem ps qui sont aussi de Blasetti.
Je pense ensuite p a rtir au Canada p o u r y p ré p a re r un film sur les Italiens
qui émigrent.
M a u t iic e B o u r g e s
Secrétaire Général A d jo i n t
de la F éd éra tion Française des Cincs-Clubs de Jeunes*


LIS FILMS

J c n n ife r Jon e s et Cluirlton H eston d an s u n e des scènes finales de R tib y Gentry de King V id o r.

LA CONJURATION
RUBY GENTRY (LA FURIE DU DESIR), film am éricain de K ing Vid o r .
Scénario : Silvia R ichards, adapté p a r A rthur Fitz-Richard. Images : Russell
H arlan. Musique : Heinz Roemlield. Interp réta tio n : Jennifer Jones, Charlton
Heston, K arl Malden, James A nderson, B e rn a rd P hilipps, Tom Tully, Joseph ine
Hutcliinson. P roduction : Joseph B ernhard-K ing Vidor, 20 th Century Fox, 1952 .

Le caractère excessif des sujets est p o u rta n t dépassait celle (l?un style : les
une nécessité prem ière p our King deux thèm es se rejoignaient, d ’une p a s­
Vidor, lin m oteur initial. On a pu sion qui détruit si on ne la laisse co n s­
s’étonner de la dém esure du scénario tru ire, et avec Rubij Gentry King V idor,
de B eyond the fovest (La Garce), adm i­ cette fois p rod ucteur et m etteur en
r e r celle de The F ountainhead (Le R e ­ scène, re p re n d le thème, l’amplifie, en
belle) : cet étonnem ent, cette a d m ira ­ fait le m otif unique, sans vouloir s ’a r ­
tion ne pensaient pas s’adresser au rê te r à ce qu’il com porte de possibilités
réalisateur lui-même. Leur p aren té de déclam ation dram atique : celles-ci

54
ne constituant que l’étincelle autour de gées, leur richesse est liée à une cer­
quoi s’organise une véritable danse du taine liberté du créateur aux acteurs
paroxysm e. en qui il ne désire que provoquer le
Ce n ’est sans doute pas la prem ière déchaînem ent sans p rétendre le con­
fois qu’un personnage accapare une trôler.
œ uvre au p oint d ’absorber les autres Qu’un hom m e répète p e n d an t vingt
et ne leur laisser d’existence qu’en fonc­ ans la m êm e œ uvre ne m arque pas
tion de soi-même : déjà Laura, Mrs p o u r autan t ses limites ; l ’on se hâtera
P arad in e y avaient vocation; m ais elles de m ’opposer de Mille, mais n ’est-ce
rie différaient des personnages hab i­ pas aussi ce que font HawKs, Fritz
tuels que p a r l’am pleur, l’unicité peut- Lang, King Vidor ? Un tel entêtem ent
être, non p a r l ’essence. Quoiqu’excep­ appelle plutôt la considération. Si dans
tionnelles, elles restaient soumises à un un cas il m arq ue l’absence de p e rs o n - .
mode universel d ’existence. Le person­ nalité créatrice p a r ra tta c h e m e n t à des
nage de Ruby, au con traire, est insé­ recettes éprouvées de spectacle (non
parable du m ythe qui le transcende et nécessairem ent déplaisant, là n ’est pas
où il s’incarne à nouveau. Ce serait peu la question), dans l’autre son excès jus­
d’en dire la sauvage splendeur am ou­ qu’à l’hy perbole tra d u it la persistance
reusem ent exaltée p a r un réalisateur d’une vision personnelle préexistant à
attentif à suivre toutes les inflexions l’œ uvre comme à tout moyen de réa li­
d’un corps, à le décrire p a r toutes les sation, et qui veut peupler le m onde
courbes dont il est susceptible, comme d’objets â l’image de quelque obsession
un visage p a r tous ses regards, ses sou­ intim e. On le v o it bien à ce que cette
rires, ses crispations mêmes et ses gri­ œ uvre sans cesse recom m encée ne
maces — car une telle opération lui subit que peu l’influence des innova­
confère un caractère surnaturel* Son tions techniques. Sans doute est-il aisé
resplendissem ent physique, sa m ultipli­ de déceler quelque différence de Only
cité surtout, indifférente à la beauté Angels Have W ings à The Big Skij, de
comme à la laideur, ca r elle les contient F u ry à The Big heat ; elle est dans
tous les deux, en tourent Ruby d ’une l ’enrichissem ent d’une substance, dans
aura qui manifeste sa nature et re n d une m aîtrise toujours plus affirmée de
possibles les associations les plus fan­ la m atière, dans la plus grande m obi­
tastiques : si Ruby se fait le foyer lum i­ lisation des éléments de l’œ uvre à la
neux qui la dérobe à l’hom m e fasciné, volonté d’expression : non dans l’objét
si elle sursaute assez vite sous un b ai­ qu’une telle volonté s’est proposé
ser po u r tuer un cerf qui s’enfuit, c ’est d’abord. La m atu rité du créateur aug^
qu’il lui suffit en effet d’a p p araître, m ente les pouvoirs signifiants de l’œ u­
comme Laurcn Bacall dans The big vre sous une app arence presque im m ua­
sleep, p our que se modifie le cours des ble, l’engage sur la voie du classicisme.
choses. Qu*importe si les rap p o rts Le cas de King Vidor est à vrai dire
secrets, sitôt entrevus, sont repris, in term éd iaire : d ’abord p a rc e que s’il
signifiés ; il en faut poursuivre jusqu’à est exact de p a rle r d ’une vision dans
l’emphase le développement, l’emphase son oeuvre, le spectacle n ’y est pas abso­
a le privilège de les exprim er, et s’ef­ lum ent in d ifféren t ; ensuite et consé-
face à les exprim er. Aucune lim itation quem m ent p a rce que son enrichisse­
dès lors ne peut être assignée à Ruby ; m ent s’est accom pli davantage dans le
les éléments n ’en sont que les p ro lo n ­ sens de l’expression et moins dans le
gements et entrent dans les mêmes sens de la substance. King Vidor se
délires visuels : la m er où, plus sen­ caractérise moins, p a r une << Weltan-
suelle que jamais, u ne voiture,, la p o rte schauung » que p a r une ivresse de
se faire éclabousser d ’em bruns, l’avant- visualisation avide de se satisfaire, King
m onde du m arais où se confondent la Vidor est d’abord un lyrique,, comme
brum e, l ’eau, la boue, le feu et la m ort. Eisenstein et surto ut comme de.Santis.
Je ne crois pas que Jen n ifer Jones, Sa vision n ’est pas une intuition des
qui trouve ici son m eilleur rôle, soit ra p p o rts de l’hom m e au m onde ou des
une excellente actrice, de même que êtres en tre eux ; mais, p uisant son ali­
King Y idor n’est pas u n gran d direc­ m ent dans l’im m édiat, elle-l’assimile, le
teur d ’acteurs : on n ’a tten d ra pas de transpose dès q u’elle résonne à ses
lui ces regards voulus au degré p rès, puissances latentes de visualisation.
ces gestes au centim ètre ; m ais ses p e r­ Son œ uvre se fonde sur une exaltation
sonnages existent p récisém ent à travers perm anente. On p eu t douter qu’un tel
des outrances qui ne peuvent être d ir i­ grossissem ent soit profitable : l ’invi-

55
3 4

J e n n ife r Jo n e s et G harlton H eston d a n s « n e des scènes A nales d e R u b y G entry de K ing V id o r.

5A
sible ne va-t-il pas s’y refuser, et le fester ; alors surgissent une ménatle
lyrism e se p riv e r ainsi de prolonge­ en jambières noires dressée dans lés
m ents m étaphysiques directs ? Mais rizières, une M other Gin Sîing p arm i
qu’il atteigne l ’affirm ation véhémente, ses dragons de p ap ie r et ses cages à
et il plonge ses racines dans les p u is­ filles, une Rubv Gentry sinueuse, l’œ il
sances magiques de l’art qui devient étincelant, la lèvre retroussée, prête à
conjuration, mise en dem eure de l’ia- b o n d ir et à m ordre.
visible provoqué, sommé de se m ani­ P h il ip p e D em onsablon '

QUÏ NAQUIT A NEWGATE...


LA VIE DE O’HARU, FEMME GALANTE, film japonais de K e n j i M i z o g u c i i i .
Scénario : Yoshitaka Yod a, d’après le rom an de Saikaku Ib ara : « Koslioku
Ich id ai Onna «. Images : Yoshinii Hirano. Musique : Ichiro Saito. Décors :
Hiroslai Mizutani, Interprétation : Kinuyo Tanaka (dans le rôle de O’H aru),
Ich iro Sugai, Tsukie Malsiuira, Toshi Mifune, Mazao Shimizu. P roduction : Sliin.
Toho Kabusliiki Ivaisha, 1952 .

Comment la fille d’un sam ouraï Dans l’ignorance presque totale où


encourut la disgrâce en aim ant au- nous sommes en F ran ce de' la p ro d u c ­
dessous de sa condition et fut envoyée tion japonaise, dans l’im p o ssib ilité 'd e
en exil avec sa famille ; comment elle démêler des tendances, des courants,
fut achetée p a r un seigneur p o u r m ettre des influences dans un ciném a national
au m onde le fils que ne pouvait lui don t les rares œ uvres vues à l’occasion
don ner sa femme ; comment elle se vit des présentations de la Cinémathèque
a rra c h e r son enfant et comment, s’at­ apparaissent toujours d ’une exception­
tachant trop au seigneur, elle fut re n ­ nelle qualité, mais à qui il est peu p ro ­
voyée à ses parents qui la vendirent bable cependant que l’E urope veuille
au q uartier des courtisanes ; comment, un jour o uvrir son m arché, se p riv an t
rachetée, elle fut placée chez un m a r­ ainsi de quelques chefs-d’œ uvre qui
chand, tom bant en butte à la jalousie pou rraient exercer une influence sti­
de la femme, à la convoitise de l’homme mulante p a r leurs conceptions origi­
une fois découverte sa condition pas­ nales et vivifiantes des problèm es de
sée ; comment elle se vengea ; com­ plastique et de mise en scène : bref,
m ent, sitôt mariée, elle p e rd it son jeune dans un état de fait qui em pêche de
m ari assassiné (1) ; com m ent elle dé­ saisir dans sa généralité le phénom ène
cida d’en trer en religion mais, com pro­ du ciném a japonais et de situer ses
mise p ar le m archand , fut chassée du œuvres, il ne peut non plus être fait
tem ple ; comment s’enfuyant avec un de celles-ci de critique au tre que p a r­
voleur elle se retrouva seule k nou­ tielle, privée de toute référence, con­
veau (2) ; com m ent elle devint m en­ trainte d’ignorer la personn alité des
diante, puis prostituée, et fut recueillie auteurs et leurs préoccupations, de
p a r son fils que p o u rta n t elle n ’eut le renoncer à la re ch erch e passionnante
d ro it de v o ir que de loin, et une seule des liens qui unissent l’homme à sa
fois ; comment ensuite elle s’enfuit, création.
usant ses jours à m endier : telle est, Mais la substance du ré c it de La Vie
fidèlement transcrite, la tram e de celte de O'Haru nous préserve de nous éga­
Vie de O’H aru, et je ne l ’ai pas relatée re r dans les laby rinthes du dépayse­
p o u r la m oquer en l’enferm ant dans ment. Déjà, la singularité des aven­
quelque schém a simplifié ; j’ai voulu tures abolit l’irrita n t et vain pro pos de
d ’abord in d iq u er le charm e à la fois reconstituer la société que refléterait
lin éaire et sinueux d ’une structure qui l’œ uvre ; elle p re n d à son com pte ce
ne tard e pas à susciter le désir de qui, dans quelque existence moins sur­
gagner la fam iliarité de l’œ uvre et, une prenante, re tie n d rait l’attention à
fois gagnée, en récom pense la fréquen­ l’égard d ’une société plus pro ch e de la
tation. nôtre (heureuse indifférence : car le

(1) J e p a r le d e l a v e rsio n in té g ra le telle q u e l ’a p résentée la C iném athèque. La v e rsio n q u i


p asse a u Ciném a d ’E ssa i est a m p u té e de cet épisode d é lic a t et fra is .
(2) Même re m a rq u e ; l ’épiso d e est p lu s b re f.

57
ôte tout tragique à la n arratio n d’aven ­
tures assez proches de celles que co n n u t
cette Moll F landers « qui n a q u it à
Newgate et au cours d ’une vie incessam~
m ent variée qui dura soixante ans sans
com pter son enfance, fu t mariée cin q
fois (dont une à son propre frère), d ix
ans prostituée, douze ans voleuse, et
déportée en Virginie où elle connut la
prospérité et m ourut repentie> »
Si l’on tente d’analyser les ressorts
de l’œ uvre p our déterm iner à quelle
p a rt de nous-mêmes elle s’adresse, si
l’on cherche ce qu’elle sollicite en nous,
on constate (avec surprise en p e n sa n t
à l’énoncé de la fable) que ré m o tio n
n’y a aucune p a rt : le rom an p ic a ­
resque ne rejoint-il pas le conte p h i­
losophique, et Voltaire le savait b ien ;
il n ’y a entre eux que l’épaisseur d ’une
intention, non avouée ici, et là co n c e r­
tée. Mais l’aventure appelle la réflexion,
non la com passion ; aucune n ’étant
fatale, l’accum ulation attendue et p r é ­
vue des vicissitudes réalise une sorte
de statistique où s’établit une solide
confiance dans leur fil c ondu cteur :
la vie. Il est caractéristique que le récit,
p ris à sa fin et p a r conséquent situé au
passé, n ’im prim e p our au tan t aucun
caractère tragique à l ’enchaînem ent des
épisodes. Le héros du rom an p ic a ­
L a vie de 0 ’tf n n t, f e m m e galante, resque ne se sent l’objet d ’aucune fa ta ­
de K cn ji Mizoguchi. lité : essentiellement absurde, il ne vit
que dans la succession de l'e x tra o rd i­
collectif, bien sûr, reste toujours p a r ti­ naire.'M ais il n’en pren d pas conscience
culier ; l ’individuel seul est universel). et jamais ne s’assume, il ne peut être
Si sa construction lui acquiert notre tragique ; e t l ’auteur ne désire pas faire
sym pathie avant que l'exotism e n ’ait de nous cette conscience dont il a p riv é
p u jouer de n o tre désorientem ent, c ’est le héros : à nous aussi il com m et le
que nous n’avons pas re m b a rra s de lui rôle de Sisyphe, au fond indifférents
chercher vin nom : nous connaissions aux v irtualités émotionnelles, avant tout
bien cet univers de O’Haru, l’univers curieux de mouvement im m édiat,
du rom an picaresque. Le personnage curieux d ’éventualités nouvelles s u r un
c entral n ’a d’autre distinction que ré u ­ itinéraire où l’on n’en attend plus.
n ir en lui une suite d’aventures extra­ On a u ra com pris la difficulté du
ordinaires, mais rie n dans sa vie ne genre, et qu’il exige beaucoup de
sc noue, ni ne se dénoue. Chacune de rig ueu r ; il nous tient éloignés des
ces aventures uniques suffirait à em plir êtres où il refuse de nous laisser p é n é ­
une vie, mais la cristallisation n ’a le trer, mais veut nous en faire p a rta g e r
tem ps de se faire autour d’aucune, toute l’existence ; il accumule les plus
aucune ne jette sur l’ensemble un éclai­ grands m alheurs et s’in terd it de nous
rage privilégié, ne le m arque d ’un sens émouvoir, m ultiplie lés aventures
qui l’infléchirait. Leur réunion en un incroyables et nie qu’elles soient fan­
même personnage ôte à chacune son tastiques. Je ne me dissimule p as q u’il
caractère de fatalité singulière : comme .y ait quelque im posture à un tel p ro ­
si le cours de la vie, dont l’a rb itra ire pos : p u isq u ’il ne p réten d p as offrir
les assembla, les em portait, l’une après de l’hom m e un visage donné p o u r v é ri­
l’autre, irrésistiblem ent, tandis qu’un table, p u isq u ’il en refuse V invention,
visage peu à peu se flétrit, qu’une voix puisqu’il im plique u n e convention' ré ci­
lentem ent se casse. En dépit de la p ré ­ proque de l’auteur au spectateur, quel­
sence de l’image, une telle succession que jeu qui veut qu’on s’y p rête

58
d’abord. Mais il est intéressant de voir ne p ré te n d pas résum er, symboliser,
comment l ’imposture- est acceptée, et je mais rassemble, concentre et finalement
rem arque la cohérence de l’œ uvre à emporte. L’économie des moyens se
ce qu ’elle y parv ient avec les moyens signale p a r l ’em ploi systém atique du
qu’elle s’est donnés et selon sa p ro p re plan long qui intègre la durée, accroît
inclination : s’abstenant de pénétration, le relief tem porel des scènes et donne
éludant la révélation, elle dem ande à leur im portance aux m ouvements dé
la prolifération de l’im m édiat ; enten­ cam éra : m ouvem ents sans m ystère,
dant b o rn e r toute échappée vers le fan ­ mais dont le dynam ism e prolonge le
tastique, elle reco u rt à un traitem ent m ouvem ent in tern e de l ’action, le m ou­
réaliste du contenu objectif. vem ent des personnages p rovoquant le
Mais s’il convenait d’assigner à La m ouvem ent de la cam éra qui le relaie.
Vie de O’Haru - les références rom a­ Dans une rem arq u ab le adéquation, cha­
nesques qu ’appelait sa structure, et de que épisode tro u v e' ainsi son rythm e
la placer dans les perspectives d ’un sans se confo ndre en un mécanisme
genre littéraire bien déterminé, c ’est à arb itra ire ; le réalisateur a su décou­
un style de mise en scène que je viens v r ir le rythm e de l’em pressem ent
de faire allusion, c’est de lui seul que comme du calme, du dénuem ent comme
j ’entends p a rle r — style dont la sou- de la hâte, de l’o p in iâtre té comme de
plesse ap p a rait en même temps que la la délicatesse, et c’est à chaque fois
nécessité, et qui ne se veut pas illustra­ une invention dans l’exploration du
tion m ais s’impose p a r des solutions de décor ou son utilisation, dans le peu­
mise en scène. La prolifération de l’im­ plem ent du cham p que n ’arrête aucune
m édiat rejaillit dans une observation convention de com position, aucun souci
multiple et précise qui possède et la de cadrage (ainsi les cadrages s’éti­
faculté de racco u rci et le don de syn­ rent-ils en larg eu r au gré du mouve­
thèse : le foisonnem ent ne cesse d’y ment, ou se resserren t au contraire en
être clair. Nul éparpillem ent malgré les une p ortio n restreinte du champ). Le
nom breux personnages que suscite mouvement des scènes, leur expression
autour d ’elle O’H aru et dont chacun se se voient sacrifier les commodités d’un
trouve dans de courtes scènes porté h récit, les clauses d ’un langage.
un m axim um d’expression ; le détail Si l’on convient d ’appeler réaliste

L a vie de O’lia r u , fe m m e galante, d e K cn ji M izoguchi.


l ’a rt qui s’abstient de toute sollicitation Si la poésie de l’image a p p a ra ît à
extérieure à son objet, qui laisse les chaque instant, on sent bien qu’elle est
choses se prése n te r d’elles-mêmes sans une expression aussi naturelle (le la
que la pensée y intervienne autrem ent vision que la noblesse du geste est
qu’à effacer son em preinte et donner l’expression naturelle des sentim ents
plus d ’efficacité aux objets qu’elle p ro ­ des acteurs. D’ailleurs, l’une éclaire
pose, la mise en scène de La Vie de l'a u tre ; les acteurs ne sau raient ré d u ire
O’Haru. ap p a raît donc résolum ent ré a ­ les sentim ents à une m im ique im m é­
liste. Mais la sim plicité exige le plus diate : cela dem ande plus de soin, et
d 'a rt et cette œ uvre réussit le p a ra ­ p a r u n a rt extrêm e que la p u d e u r
doxe d’être dépouillée sons Faccumu- m asque mais qui suit des lois strictes
lation de m atière, raffinée sous la tru ­ encore que compliquées, ils s’em ploient
culence, et de se soucier peu que ce à m odifier autour d’eux l’atm osphère,
dépouillement, ce raffinement soient l’a cco rd an t à un sentim ent qui, peut-
rem arqués. Gomme les cadrages se être, p réfé rera encore n’y p o in t éclore.
soum ettent d'abord aux lois du m ou­ De même l’image, restant en-deçà du
vement, et non à la plastique, dont la foisonnem ent du récit, en exprim e-t-elle
rigueur p o u rtan t reste étonnante, ainsi un sens second, d’autant plus saisissant
la beauté des images passe-t-elle ina­ qu’il ne déploie nulle instance à re q u é ­
perçue. Nulle enflure baroque, nulle r ir l’attention, m ais trace des ra p p o rts,
intention ne vient s’intro d u ire dans ajoute des accents, sème l’irrée l dans
l’image qui ne veut nous toucher que le réel, l’étrange dans le dram e ou la
p a r sa substance même : ni comique, comédie, et débouche à tout in stan t
ni fantastique, ni poétique, mais p a r ­ sur un fantastique q u ’on ne voulait pas
ticip an t le plus souvent de ces caté­ évoquer, mais qui est aussi le p ro p re
gories, se refusant à tout classement des choses, et donné pour tel : La Vie
univoque. Ce caractère m oderne, très de O’Harn p rép are à recevoir le ré c it
direct et infinim ent complexe, est ce des m erveilleuses aventures de la p r in ­
qui frap pe le plus dans La Vie de cesse W akasa, et fait atten d re avec
O’Haru, œ uvre très supérieure à Rasho- im patience ces Contes de la Lune vaque
mon, ca r un tel résultat ne p eu t être que réalisa également Mizoguchi.
acquis que grâce à un sens plastique P h il ippe D em onsarlon
consommé que seuls quelques-uns,
comme Murnau, ont possédé.

Livres et Revues de Cinéma italiens


IL CINEMA ITALIANO, p a r C a r l o L i z z a n i (Editions P a re n ti, à Florence)*
Ce livre n ’est pas une h istoire m éthodique : pas d’inform ation détaillée, pas
de chronologies rigoureuses (il est v rai qu’il s’accom pagne d’une film ographie
nom breuse, établie p a r L. P aciscôpi et G. Signorini), et l’analyse des structures,
et des formes est à peine esquissée. Il se p résente plutôt comme un essai d ’un
c aractère généralem ent sociologique, — le ciném a vu en fonction de l’h istoire
du j)ays. Le passé de la pro duction italienne, — des origines, som m airem ent
décrites, aux succès m ondiaux d ’avant 1914 et à la crise des années 23 , puis
le développem ent en vase clos d u ran t la p ério d e fasciste, — n ’est évoqué qu’en
ses grandes lignes, en tant que prém isse, « antefatto ^ de l'épanouissem ent
actuel. En d’autres mots, Lizzani rejoint la p lu p a rt de nos critiques, qui font
d ater de 1945 la présence réelle du ciném a italien. C’est une prise de po sition
que contredit p a r exemple l’Exposition de la Cinémathèque.
L’étude est consciencieuse, généreuse, sans doute influencée p a r la consi­
dération m arxiste du phénom ène, si à la m ode parm i la jeune (et la m eilleure)
critique de la Péninsule, m ais, toute politique mise à p a rt, le ciném a, m ieux
que les autres expressions artistiques, se prête à cette sorte d ’analyse. On regrette
seulem ent chez ces écrivains un jansénisme de la form e qui est excessif, car,
après tout, un livre est un livre et il faut qu ’il se fasse lire.
De même que m aints critiques (tels Santis, Lattuada, etc...), Carlo Lizzani a
fini p a r m ettre lui-même les m ains à la pâte : son S chtung banditi, en 1951 , a
été le p re m ie r et beau témoignage de son talent, suivi, ces temps-ci, p a r Aux-
bords de la grande ville. Nous sommes p arfo is désorientés p a r ce qu’a de

60
L a Pattugliu. P erdu ta de P iero N elli (1953).

fumeux, p a r moments, la littérature ciném atographique italienne, mais nous


devons reconnaître que la ferveur dont elle s’accompagne est un m eilleur Gradus
ad Parnassum que n otre p ro p re goût de la discussion esthétique.
IL WESTERN MAGGIORENNE, textes recueillis p a r T u l l i o K e z i c h (Edit.
Ziziotti, à Trieste).
Si nous en croyons le litre de ce recueil d’études ,1e « w estern » atteint sa
m ajorité, — il l’atteint bien tard, puisque The Great Train ü o b b e ry date de 1903 ...
E ntendons que ce genre de films commence à avoir, une traditio n si copieuse,
qu’il est possible de lui re n d re un hommage réfléchi, ce à quoi s’em ploient les
textes passionnés et souvent passionnants rassemblés ici p a r le ré d a c te u r en
chef de C i n é m a Nuovo. P a rm i les pages les-plus curieuses, celles où Renzo Renzi
retrouve l’influence directe des w estern chez le Pietro Germi d’Au nom de la loi
et du Chemin de l’Espoir, celles où K erich lui-même étudie l’œ uvre de John F ord
en fonction, du F a r West, et encore les essais de Guido A ristarco, d ’Antonio
CUiattone (spécialiste tessinois, auteur d’un livre sur ce sujet), et le panoram a
historique de Donald Wayne. Il faut a d m ire r la connaissance (et la mémoire)
qu’ont cette poignée d ’am ateurs d ’un genre de films auquel les anciens que
nous sommes vouaient leur adm iration, mais non leurs fiches. Les jeunes, en
fin de compte, ont toujours raison contre les vieux.
IL CINEMA PE R RAGAZZI A LA SUA STORIA,' p a r M a r io V e r d o n e (Cahiers
de la R iv ista » el C i x e i u a t o g r a k o ).
Bien qu’édîté p a r un périodique rigoureusem ent confessionnel, cette étude
de Mario Verdone, com plète et p arfaitem ent documentée comme tout ce qui
vien t de cet écrivain, dem eure tout à fait objective. On a dit que l’âge moyen
du spectateur de ciném a était à peu de chose près celui de l’adolescence :
p o u rta n t, une grande p a rtie des films que consom m ent habituellem ent les salles
so n t dépourvus d ’intérêt po u r les enfants, qui ont un goût plus exigeant que le
sp ectateur ordinaire... De Méliès à Grimault, à T rnka, à Mary Field, aux spécia­
listes scandinaves, Verdone décrit ce qui s’est fait de m eilleurs à l’intention des
petits (et grands) enfants.
VITTORIO DE SICA, p a r A n d r é B a z i n ; ROBERTO ROSSELLINI, p a r
M a s s i m o M i d a (Edit. Guanda, à Parm e).
Dans une charm ante « Petite bibliothèque du Cinéma », où ont déjà p a ru

61
u n Clouzot et u n Flahcrty, voici deux Italiens parm i les plus notables : étude,
courte biographie et une filmographie détaillée.
A l’essai de Bazin, on a rep ro c h é qu ’il ne considère que les films réalisés
p a r Sica depuis la Liberation. La densité et la rigueur de l’étude n eutralisent
ce défaut, qui n ’en est pas un : aurait-il connu Roses écarlates, M adeleine,
Zéro de conduite, Teresa Venerdi, Un Garibaldien au couvent, je doute que Bazin
eût renoncé à p o rte r principalem ent son attention sur les films d’après la guerre.
Non que ces anciens ouvrages soient indifférents : mais l’intérêt du critique
se concentre sur l’oeuvre de Sica fécondée p a r l’inspiration de Z avattini, et, à
cet égard, seuls Les Enfants nous regardent eussent pu com pléter sa docum en­
tation. Comme toujours dans les textes de Bazin, on cueille au passage des
form ules assez frap pantes (« Au « tem ps perd u et retrouvé » de Proust, corres­
p o n d le « tem ps découvert » de Zavattini : ce dernier est, dans le ciném a co n tem ­
porain, quelque chose comme le P roust du présent de Vindicatif... s>)
Plus linéaire, et quelque peu polém ique, est le Rossellini de Mida. Tout en
soulignant le poids d’un ouvrage tel que celui que Rossellini a consacré à
F rançois d’Assise, le critiquet m et au relief la contradiction' foncière qui c a ra c ­
térise désorm ais la carrière de l’illustre im provisateur italien, qui, re n o n ç a n t à
réagir sentim entalem ent comme dans ses p rem iers grands films, se".mêle de
penser, ce qui ne lui cônYient guère. \

RIVISTA DEL CINEMA ITALIANO (Edit. Bocca, à Rome et à Milan).


Fondée et dirigée p a r Luigi C hiarini, cette revue, en l ’espace d ’un an, s’est
imposée comme la meilleure des p ublications italiennes su r le cinéma, p re n a n t
ainsi la suite du glorieux Biancô e N e ro (ancienne série), qu’anim ait égalem ent
Chiarini. Elle compte désormais p a rm i les rares périodiques d’intérêt in te rn a ­
tional qu’in sp ire l’art des films. Dans les derniers numéros, quelques textes de
qualité : (8) un essai d’E nrico Fulch'ignoni sur la Psychologie du com ique et
une courte étude de Vito Pandolfi sur le ciném a dit populaire ; ( 9 ) une analyse
assez im portante de l’œuvre de Jean Vigo p a r Corrado Terzi, G. C. Pozzi et
Glanco Viazzi ; un num éro double ( 10- 11 ) sur les ra p p o rts entre ciném a et édu­
cation, d’une densité rem arquable ; (12) un autre num éro extrêm em ent divers,
où l’on rencontre, entre autres,- une étude de Pio Baldelli sur les textes de scéna­
rios récents, une discussion entre Hans R ichter et A. G. Bragoglia sur les films
d’avant-garde de jadis, et, à p ro p o s de quelques ouvrages récents (Le ciném a
a-t-il une âme ? S ep t ans de ciném a fra n çais, etc...), un essai de V. Stella sur
La spiritualité du Cinéma français.
’ • A signaler encore, dans le d ern ie r num éro (II, 1954 ), le texte des diffé­
re n ts états du scénario d ’Umberto D.
N ino F rank

CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

Janvier-Avril
MUSÉE DU CINÉMA
7, A venue de Messine. Paris

CINQUANTE ANS DE CINÉMA ITALIEN


Exposition
des collections du Museo del Cinéma de Turin

62
Tous ouvrages (neufs ou d ’occasion), tous documents et photos
S’ACHETENT, SE VENDENT, S’ECHANGENT

à L'OFFICE du LIVRE de CIN ÉM A


4, rue Robert-Estienne - PARIS-8e (Champs-Elysées)
TÉL. ELYsées. 35-24 - G.C.P. PARIS 1038386
C A TA LO G U E SU R D E M A N D E

EN PRÉPARATION
L 'A N N U A IR E DU CINÉM A
19 5 4
Prix de Souscription : 2.000 fr.
Editions B E L L E F A Y E
29, rue Marouslan, Paris 12e
DIDerot: 85.35 à 37
C. C. P. Paris 5985-47

CAHIERS DU CINÉMA
R evue mensuelle du cinéma e t du fêlé-cinéma
Rédacteurs en Chefs : A. 8AZIN,
J. DON’.OL-VALCROZE et LO DUCA

&
Directeur-gérant : L. KEIGEL

Tous droits réservés.
Copyright by <c Les Editions de I1Etoile »
. 25, Bd Bonne-Nouvelle - PARIS (2e) R.C. Seine 326.525 B

Prix du numéro : 250 Fis
Abonnement b numéros :

FILMS PUBLICITAIRES
A bonnement 12 numéros :
Production Di s t r i b u t i o n France, Union française ........... ..........., ........... 2.750 Frf


Adresser lettres, chèque ou m andat aux CAHIERS
CHAMPS-ELYSÉES 79 **£ DU CINEMA, 146, Champs-Elysées, PARIS-# (ELY 05-38)
Chèques postaux ; 7890-76 PARIS
P AR iS 8e •
Les articles n 'eng agen t que leur auteur.
Tél. : BALZAC 6 6 - 9 5 et 00-01 Les manuscrits ne sont pas rendus.

Le Directeur-Gérant : L . K e i g e l .
Im prim erie H é r is s e y , Evreux, N° 1158 . — Dépôt légal : 1 er trim estre 1954 .
Jam es Stew art, le talentueu x in te rp rè te du T e c h n ic o lo r U n iversal T H E G L E N N
M IL L E R ST O R Y (R om ance In a c h e v é e ) q u i o b tie n t a c tu e lle m e n t u n im m ense
succès au x Etats-U nis, au J a p o n et en Suède. ... . . . . . .
AMPRO PREMIER 30 AMPROSONORE
REPEATER
PROJECTEUR \ b % SOHORE
Très l u m in e u x . Lecteur A é c ra n in c o rp o ré a défile*
s o n o r e d e h a u t e q u a lité . m e n t continu d e I 5 0 m è tr e s
Bobines d e 6 0 0 m. L am pes d e f i l m s p o u r l ' u s i n e , (a
d e 7 5 0 e t 1 0 0 0 w a tts. v e n te , la publicité e t ('ensei­
Autres modèles ; g n e m e n t.
AMPR0 PREMO20 AMPRO ARC20

A AT E R l E L

AMPRO IMPERIAL AMPRO FUTURIST


1 6 " * MDET . 8 '<■ MUET
L am p e :7;50 w a tt s , e x t r a P ro je cteu r id é a l d e l ' a m a ­
lu m in e u x . P o r t a b l e e n te u r. L am p e 7 5 0 w atts.
u n e valise. M ax im um d e lum ière.

M A T E R I E L

AMPRO 30 D AMPROSONORE
STYUST16%
M o d è l e d o u b le p o u r
p ro jectio n fi x e d e films Avec l a m p e 7 5 0 ou 1.000
- e t d e diapositifs. w atts, Compact, e x t r a - l é g e r .
En u n e valise. Le p ro je c te u r
butte tDsdfcU AMPRO 30 A d e l'a m a t e u r .
pour clichés feulement.

M A T E R I E L

AMPRO 731 CAMERA AMPRO 8%


ENREGISTREUR
REPRODUCTEUR n o u v e a u s y stè m e d e v is é e
su r r u b a n m a g n é ti q u e d ir e c te p e r m e t t a n t d e s g ro s
P e rf o rm a n c e s n o u v e l­ p la n s p a rf a its , c h a rg e u r
l e s et Inégalées, in s ta n ta n é . Tourelle c o rrec teu r
u s a g e s m ultiples. d e p a ra lla x e .

6, RUE GUILLAUME TELL - PARIS (17')


B OR D E A U X : 2 9 5 , c o u r s ü e la S o m m e ★ MA R S El L UE : i 0 2 / L a C a n e b i è r e
LI L LE ; 3 1 ^ a v e n u e C h a r l e s S a i n t - V è n a n t * A L G E R : 6, r u e d ‘ 1s 1y
CASABLANCA : 208, b o u l e v a r d d e la G a r e
BROADWAY
LA SALLE DE L'ELITE

36, C H A M P S - E L Y S É E S , P A R I S - 8 ’ - ÉLYsées 2 4 - 8 9

Prlnted in France PR IX DU NUMÉRO : 250

Vous aimerez peut-être aussi