Vous êtes sur la page 1sur 68

N° 43 • REVUE DU CINÉMA ET DU TÉLÉ-CINÉMA • N° 43

Jean Marais dans L e C o m t e d e M o n t e - C r i s t o , tourné pour l a première


fois e n couleurs par Robert Vernay, d ’après le roman d ’Alexandre Dum as,
adapté et dialogué de Georges Neveu ( S t r i u s ).
NOTRE COUVERTURE
Cahiers du Cinéma
JANVIER 1954 TOME VIII — No 43

SOMMAIRE

*** Editorial ................................................... 2


J. Rivette et F. Truffaut Entretien avec Abel Gance ................... ........ 6
Silvana Fam panini dans LA Philippe H e s n a u lt........ Filmographie d’Abel Gance ............... ........ 18
TOUR DE NESLES, d ’Abel
Jaeques Audiberti ........ Billet V ..................................................... ........ 24
Gance. (F ilm s F ernand Hi­
vers). C’est avec u n grand Mario Verdone ............. Néo.réalisme et films documentaires ........ 28
plaisir — et en p ub liant « l’en­
tretien » et la filmographie Gilbert Salachas ......... Lettre d’Athènes ...................................... ........ 30
de ce numéro — Que nous Pierre K ast ................... Petit Journal intime du cinéma ........ 36
saluons la « rentrée » d'Abel
Gance. Nous rendrons compte
en détail de La ToUr de Nesîes
lors de sa prochaine sortie. Les Films
Disons d ’ores et déjà notre
joie devant ce film extraordi­
nairem ent jeune, alerte et André Bazin ................. Le style c’est ie genre (Les Diaboliques) .. 42
en traînan t. On frém it en pen­
sa n t à ce que to u t au tre eût Jacques Siclier .............. Le rossignol et l’alouette (Roméo et Juliette) 44
fait de ce vieux mélodram e !
Jacques Doniol-Valcroze Elle mourut au troisième <Le Dernier Pont) 47
U tilisant intelligem m ent la
verve de Pierre Brasseur, Abei Philippe Demonsablon . L’Aventure (Les R ats du Désert) ............. .. 49
Gance a brillam m ent gagné
un e partie qui, souhaitons-le, Jacques Doniol-Valcroze Ma mère, je la vois (Okasan) ....................... 50
lui ouvrira, toutes grandes,
les portes des studios français.

Louise de Vilmorin Le. Violon de Crémone (II) ........................ .. 52

*
DERNIERE MINUTE .
Films sortis à Paris du 34 novembre au 11 janvier 1955 ........................58
Au m om ent de m ettre sous Table des matières du Tome "VII .............................................................. ...61
presse nous apprenons la dé­
cision d ’expulsion prise à
l’égard de la Ciném athèque
CAHIERS DU CINEMA, revue mensuelle du Cinéma et du Télé-cinéma,
Française. Il est inadmissible
146, Champs-Elysées, PARIS (Se) - Elysées 05-38 - Rédacteurs en chef :
que ce précieux et prestigieux
André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze et Lo Duca.
organisme soit mis à la rue
Directeur-gérant : L. Keigel.
sans que lui soit assuré u n
autre local et- le tem ps de
s ’y installer. Nous y revien­
drons. Tous droits réservés — Copyright by les Editions de l’Etoile.

1
ÉDITORIAL

Tout d'abofd, bons vœ ux à nos lecteurs et très particulièrement à nas


abonnés dont la fidélité depuis près de quatre ans nous a permis de pour­
suivre notre tâche.
Ensuite, la tradition voudrait qu’en cette aube d'une année nouvelle
nous fassions le bilan de Vannée cinématographique écoulée. Nous ne sacri­
fierons qu’à moitié à la tradition. Quotidiens et hebdomadaires, en effet,
ont déjà dressé ces listes, constaté les profits et pertes; nous-mêmes, en
ce qui concerne le cinéma français, avons récemment fait un large tour
d'horizon. Nous nous contenterons donc de 'd onner une liste récapitulative
des principaux événements cinématographiques de 1954.
Les voici pêle-mêle : écrasement du « relief » par le Cinémascope ;
succès financier certain et succès to ut court assez étendu des différents
procédés d* « écran large »; lent démarrage en France des film s « larges »;
légers progrès dans le niveau moyen de la couleur ; redressement économi­
que sensible du cinéma hollywoodien après la crise T. V, - procédés nou­
veaux ; succès croissant du cinéma japonais; développement de la produc­
tion dans des pays comme l'Inde, la Chine nouvelle ; départ de la produc­
tion dans d'autres comme le Brésil, l ’Indonésie, etc... ; statu quo en A ngle­
terre, stagnation en Allemagne, prospérité en Italie, etc...
E n France : le problème de la censure et de la pré-censure demeure
entier, la loi d'aide demanderait toujours de nombreux aménagements et
encore, même améliorée, ne ferait-elle rien pour les films audacieux et ori­
ginaux, rien pour les jeunes réalisateurs ; on Va déjà dit, le phénomène
le plus caractéristique et le plus désastreux de la production française,
outre la diminution du nombre total de film s (y compris les coproduc­
tions) et du nombre des film s purement français (moins de 50 en 1954),
est la disparition de la production moyenne (où Von trouvait en général
l’audace et l'originalité) écrasée entre le petit film sans ambition et la
super coproduction ; un dernier problème est né avec la fin de l'année :
avec le système 'd'une distribution de primes à la qualité une solution

2
paraissait trouvée pour sauver le court métrage de la ruine ; la suspen­
sion des travaux du ju ry chargé de répartir ces primes fait naître les plus
légitimes angoisses. E n ce début d’année notre premier souhait sera donc
que le ministre tuteur du cinéma ne revienne pas sur le principe de cette
aide à la qualité et permette qu’échoient enfin les récompenses si juste­
ment et depuis si longtemps attendues.
Signalons aussi les débuts dans les studios français de Jules Dassin,
la rentrée de Jean Renoir et d’Abel Gance, les premières chances données
à Norbert Carbonau et Jean Mousselle... mais rabsence de productions de
René Clair, Jean .Grémillon, Robert Bresson, Alexandre Astruc, Jacques
Tati, Jean Cocteau, Nicole Védrès, Roger Leenhardt et Paul Grimault ( où
e s t le dessin animé français ?)
Nous avons vu un nombre kdnorable de bons film s cette année. Quels
sont-ils ?. A cette question répond notre petit référendum de la page 5.
Nous en verrons sans doute encore un grand nombre de bons ou d’in­
téressants cette année. Parmi ceux qui vont sortir, ceux qui sont en tour­
nage ou ceux qui vont être tournés, bref parmi ceux que vous avez une
chance de voir en 1955, on peut, outre Les Diaboliques de Clouzot, La Stra-
da, de Fellini e t On the W aterfront de Kazan, film s dont on sait déjà la
valeur, signaler sans trop de risques cdmme devant retenir Fattention par
leur excellence ou pour, au moins, leurs intentions : French Cancan de
Renoir, Du R ififi chez les hommes de Dassin, La Tour de Nesles de
Gance, Monsieur Arkadin de W elles, Le pain vivant de Mousselle, Les
belles années d’Astruc, Lola Montez d’Ophuls, La pointe courte d’Agnès
Varda, Senso de Visconti, Voyage en Italie, Jeanne au bûcher et La peur
de Rossellini (dont on espère voir également Amore et Où est la liberté),
Moby Dick d’Huston, Sabrina et Sept ans de réflexions de W ilder, Car­
men Jones de Preminger, A Star is born de Cukor, La comtesse aux pieds
nus de M ankiewicz, Dial M for Murder et Rear Window d’H itchcock, La
terre des pharaons d’Hawks, Johny Guitare de Ray et Les Hauts de Hur-
levents de Bunuel.

Cette année des concurrents nous sont nés ou se sont affirmés. Posi­
tif a quitté Lycfn pour Paris et s’appuie maintenant sur une solide maison
d*édition, et, avec les premières brumes de l’hiver, Cinéma 55, organe de la
Fédération Française des Ciné-Clubs, a pris son essor. Positif est une
revue bien faite, mordante, et la formule de Cinéma 55 devrait lu i valoir
un large succès populaire. Nous ne nourrissons pas de sentiments aigres
à Végard de ces deux entreprises, nous estimons qu’il y a place aujour­
d’hui p&ur une coexistence pacifique et profitons de l’occasion pour leur
adresser nos meilleurs vœ ux pour 1955.

3
Nous ouvrirons un jour le dossier des lettres des lecteurs des Cahiers.
De renthousiasme à l'injure, du compliment aux plus vives critiques, les
opinions les plus diverses circulent sur le compte des Cahiers. Tel nous
reproche d'être de gauche, tel autre de droite, tel autre encore nous fé li­
cite de soutenir certains réalisateurs„ pendant qu’un quatrième nous en
blâme... etc.
C'est un fait que nous ne prônons pas ici une théorie unique et stricte
sur le cinéma. Les principes les plus démocratiques régnent à l’intérieur de
notre équipe où les aînés s’en voudraient d’imposer leurs croyances à leurs
cadets. Un seul critère — l’amour du bdn cinéma — nous guide dans nos
efforts. La progression régulière de nos abonnements et de notre tirage
nous donne à penser que la majorité de nos lecteurs nous suit dans notre
recherche et que nous n’avons pas fa illi dans notre but qui fu t en 1951 de
donner une suite à La Revue du Cinéma, aussi bien la « jaune » de 1946,
que la « rouge et blanche » de 1928. Prenons donc rendez-vous,' si vous le
voulez bien, pour notre numéro' 50.

L E S C A H IE R S DU CINEM A.

D a n s n o tr e p r o c h a in n u m é r o v o u s a u r e z le b o n jo u r d ’A lfred e t de G ro u c h o . (P a s s é a u
îïl d u m a g n é to p h o n e H itc h c o c k « a v o u e » à T ru f f a n t e t C h a b r o l ses in te n tio n s p ro fo n d e s :
D é b u t d e l'encyclopédie-feuilletot! qu*A ndré M a rtin a c o n sa c ré a u x M a rx B ro th e rs .)

4
LES DIX MEILLEURS FILMS DE L’ANNÉE

Les voici selon seize de nos amis à qui nous avions adressé la liste des films
parus à Paris en 1954 :

H enri A g e l. — O kasan ; La V ie de O ’H aru ; Les Portes de l’E nfer ; Le M anteau ; El ;


Father Biown ; L ’E quipée sauvage ; Monsieur Ripois ; Les Vitelloni ; L a Moisson (ordre non
préférentiel)
Jacques A tidiberti. — 1. T a n t qu'il y aura des hom m es ; 2. Si Versailles m 'é ta it conté ;
3. Okasan ; 4. Le M anteau ; 5. Monsieur Ripois ; 6. P ain, am our et fantaisie.
A n d r é Bazin. — L e s p o r te s de l ’enfer ; El ; RobinSon Crusoé ; C hâteaux en E spagne ;
T ouchez pas au grisbi ; T a n t q u ’il y aura des hom m es ; Rom éo et Juliette ; Désert vivant
L ’équipée sauvage ; M onsieur Ripois. (Pas d ’ordre préférentiel;)
Pi erre Braunberger. — 1. Monsieur Ripois ; 2, T ouchez pas au grisbi ; 3. P ain , amour
et fantaisie ; 4. T a n t q u ’il y aura des hom m es ; 5. V acances rom aines ; 6. O k asan ; 7. L ’équi-
aée sauvage; 8. L a louve de C a la b re ; % Le blé en h e rb e; 10. Com m ent épouser un mil-,
{ îonnaire ; 11, Robinson Crusoé ; 12. Les Vitelloni.
Claude Chabrol. — J. U n e Fem m e qui s ’affiche ; 2. T ouchez pas au grisbi ; 3. Les .
H om m es préfèrent les blondes : 4. La Fem m e au gardénia ; 5, El ; 6. Rivière sans retour ; -
7. Robinson Crusoé ; 8. Ecrit dans le ciel ; 9. Les rats d u désert ; 10. Q u a n cl la M arabunta
gronde.
Jacques Doniol-Valcroze. — 1. El ; 2. Rom éo et Juliette ; 3. Plus fort qu e le diable ; .
4. T ouchez pas au grisbi ; 5, Monsieur Ripois ; 6, Les Vitelloni ; 7. Châteaux en E spagne ;
8. Les enfants d ’H iroshim a ; 9. Vacances rom aines ; 9 bis. R obinson Crusoé ; 10. L a Mois­
son ; 10 bis. Le Rouge et le Noir.
Pterre K ast. — I . L* équipée sauvage ; 2. R obinson Crusoé ; 3. Plus fort que le diable ;
4. Monsieur Ripois ; 5. R om éo et Juliette ; 6. O k asan ; 7. L es 5,000 doigts du D r T . ; 8. El ;
9. T ouchez pas au grisbi ; 10. Les V itelloni,
A d o Kyrd'X. — 1. El ; 2. L ’E quipée sauvage ; 3. Les Vitelloni ; 4. Plus fort qu e le
diable ; 5. Les Portes d e l’E nfer ; 6. Le Rouge et le Noir ; 7. L a Louve de C alabre ; 8. Le
Navire des Filles p erdues ; 9. T ous en scène ; 10. Barbe-noire le pirate.
Roberf Lachenay. — 1. U ne Fem me qui s’affiche ; 2. Barbe-Noire le pirate ; 3. Les
H om m es préfèrent les blondes ; 4. La Furie d u désir ; 5, Rivière sans retour ; 6. La P ro ­
fessionnelle ; 7. Drôle d e m eu rtre ; 8. Les Corsaires d u Bois d e Boulogne ; 9. Le Port des
Passions ; 10. Fille d ’am our ; II. Q u a n d la M arabunta gronde.
Claude M auriac. — L es Portes de l’E nfer ; Le M anteau ; R obinson Crusoé ; Châteaux
en E spagne ; T ouchez pas au grisbi ; T a n t q u ’il y aura des hom m es ; Rom éo et Juliette ;
L ’E quipée sauvage ; M onsieur Ripois ; L a Provinciale. (Pas d ’ordre préférentiel.)
A lain Resnais. —■ I. Les V itellonni ; 2. L ’E qu ipée sauvage ; 3. M onsieur Ripois ; 4. O ka­
san ; 5. Le M anteau ; 6. Plus fort que le Diable ; 7. T ous en scène ; 8. U ne Fem m e qui
s’affiche ; 9. T ouchez pas a u grisbi ; 10. Châteaux en Espagne.
Jean-José R icher. — 1. El ; 2. L a F em m e au gardénia ; 3. Les V itelloni ; 4; La Vie
d e O ’H aru ; 5. M on G ra n d (So Bîg) ; 6. L ’A m ou r d ’une fem m e ; 7. T ouchez pas au grisbi ;
8. Les H om m es préfèrent les blondes ; 9. Robinson Crusoé ; 10. La T our des ambitieux.
Jacques R ivette. — 1. Les H om m es p ré fère n t les blondes ; 2. E l ; 3. Nous les femmes
{le sketch d e R. Rossellini) ; 4. U n e F em m e qui s ’affiche ; 5. Robinson Crusoé ; 6. La
F em m e au gardénia ; 7. Rivière sans retour ; 8. T ou ch ez pas au grisbi ; 9. C upïdon photo­
graphe {1 love Mëlvin) ; 10. T e m p ê te sous la m er.
Maurice Scherer. — 1. Les Hom m es préfèrent les blondes ; 2. La F em m e au gardénia ;
3. T ouchez pas au grisbi ;■ 4. 'Rivière sans retour ; 5. M ogam bo ; 6. U ne Fem m e qui
s’affiche ; 7. Les Portes de l’E nfer ; 8. La Furie du désir ; 9. Monika ; 10. Monsieur Ripois.
François T r u ffa u i. — I. Nous les femm es (un iq u em en t le sketch d ’Indgrid Bergm an et
Roberto Rossellini) ; 2. Les H om m es préfèrent les blondes ; 3. U n e Fem m e qui s'affiche ;
4. T ouchez pas au. grisbi ; 5. Rivière sans retour ; 6. La F em m e au gardénia ; 7. E.1 ; 8. So
big (Mon grand) ; 9. Rom éo et Juliette ; 10. La Furie d u désir ; 11. N aufragé volontaire
(d’A lain Bombard).
A n n eite W a dem an t. — 1. Les Vitelloni ; 2. El ; 3. T ouchez pas au grisbi ; 4. V acances
rom aines ; 5. L e Blé en herbe ; 6. Pain, am our et fantaisie ; 7. U ne F e m m e qui s ’affiche ;
8. C om m ent épouser un m illionnaire ; 9. Les 5.000 doigts d u Docteur T ... ; 10. Ecrit dans
le cifel.

5
ENTRETIEN
AVEC ABEL GANCE

par Jacques Rivette


et François Truffaut
Abel Gance.

L'élaboration et la réalisation de ces et Entretiens avec..' » sont régies far deux


réglés. D'abord ne choisir que des réalisateurs que nous aimons. Ensuite les laisser
s'exprimer à leur guise sans jamais les embarrasser far des questions « gênantes »
ou insidieuses. Faut-il donc nous excuser de n'anjoir réussi à obtenir de Vauteur de
Napoléon aucune anecdote ? Abel Gance dit quelque part dans ces entretiens : « On
ne parle de moi que sur hier, rarement sur aujourd'hui, jamais sur demain. » Si le
metteur en scène du Droit à la vie et de Beethoven n'a pas vidé tout son sac, c’esi
qu’il a plus d'un tour dedans et que Vun. des plus fautéu-x s'appelle la Polyvision.
Monsieur Abel Gance, Vavenir est à vous ; parlez=nous de La Tour de Nesle...

- Qu’il me soit permis ici de remercier mon vieil ami Fernancl River s qui, en
souvenir, des grands succès commerciaux que nous avons eus ensemble il y. a vingt ans
avec Le Maître de Forges et La Dame aux camélias, m’a remis le pied à l ’étrier
en me permettant d ’exécuter La Tour de Nesle alors que tous les producteurs sans
eexception avaient organisé contre moi une sorte de conspiration du silence qui
m'amenait tout droit au tombeau. La Tour de Nesle, certes, cela sonne « périmé s
mais si Alexandre Dumas s ’était appelé Shakespeare nous aurions eu une très belle
tragédie de plus et un mélodrame de moins. Ne pouvais-je sur le plus humble barreau
de mon échelle essayer de revigorer ce vieux drame ?
Le postulat étant ce qu’il est — je n ’ai évidemment pas pu le transformer à
ma guise — il conserve nécessairement un accent paroxystique <r 1830 » mais soutenu
par l ’interprétation de Sylvana Pampanini et Pierre Brasseur, par une photographie
homogène de qualité, je crois avoir fait de ce sujet difficile une œuvre éminemment
commerciale.
— Avez-vous choisi de prendre au sérieux la pièce de Dumas ou, au contraire,
celui de la traiter ironiquement ?

6
— Au sérieux, bien sûr ; parce que si je l’avais traitée sur un mode; ironique, elle
serait devenue sa propre caricature et nous savons trop que notre scepticisme à force
de se moquer de tout finit par ne plus pouvoir rien prendre au sérieux. Cette fausse
honte des grands* sentiments passionnels nous vaut cette forme hybride d ’exténuation
moderne, remarquable par un appauvrissement effectif et un dessèchement des sources
naturelles de la sensibilité par crainte d ’être en retard sur la mode.
Et pourtant ne fait-on en fin de compte pas. jouer dans la vie cette partition
involontaire des misères et drames humains qu’on refuse à la scène ? Et notre chef
d ’orchestre le cœur ne dirige pas toujours et partout pour tous, à la même cadence,
cette même mesure dont le cerveau cherche en vain à modifier le cours ? On a peur
de paraître en retard sur son temps. Mais qu’est-ce que le temps ? Je vis dans une
sorte de quatrième dimension ; le temps et l ’espace ne comptent pas pour moi, je
suis aussi à. l ’aise avec une tragédie grecque qu’avec une pièce de Sartre. Je ne vois
pas que les siècles aient changé grand-chose au cœur humain ni à l ’émotion elle-même.
Seulement un forme d ’impuissance s’est habillée à la dernière mode et a faussé
jusqu’aux très belles trouvailles du surréalisme ; ce qui est dommage, car c’est très
beau, le surréalisme, mais en passant dans les esprits secs, il s’est affadi et a perdu
son étincelle.
— Ce qu'il y avait de meilleur dans le surréalisme, n’est-ce pas ce qui lui venait
du grand romantisme allemand...
— C’est çà, n ’est-œ pas ? Je relisais ces jours-ci « Arcanes 17 » de Breton, c’est
formidable, j ’aimerais quon revint à une forme artistique dans l ’esprit que Breton
souhaitait voir se former : l ’Art, l ’Amour, la Poésie, je n ’ai pas l'impression que
l ’on prenne ce chemin ; on se dirige vers des culs-de-sacs ou des fosses communes.
— 'Vous les arts sont assez malades en ce moment et le cinéma est encore cdui
qui aurait la meilleure santé.
— Eh oui ! Il a tellement de virtualités dans tous les sens, il est tellement
magique ! c’est un ogre qui dévore tous les autres arts et de cette nourriture il se fait
des ailes. J ’ai confiance dans le cinéma, dans l ’avenir du cinéma, pas dans le cinéma
d ’aujourd’hui ni dans celui que j ’ai fait, ni dans celui d ’hier, mais dans le cinéma
tout court ; c’est vraiment îe langage de demain, le langage idéographique entre les

U n e vision é ro tiq u e de L a T o u r d e N esie (v ersio n désh a b illée ).

7
U n e sc è n e d ’a m o u r de L a J o u r d e N c sle (v e rsio n h ab illée).

peuples qui évitera ce que Schiller redoutait : « Il est malheureux d ’être obligé de
transformer ses images en mots, lesquels mots doivent également être transformés en
images pour revenir au cerveau. » Le mot n ’est qu’un interprète, l ’image n’est plus
un interprète : elle est la représentation fidèle du désir de l ’artiste.
A travers le cinéma, cette image directe nous évite un aller-retour que la littérature
nous oblige à effectuer.
—■ Nous aurions aimé vous faire farter de vos films anciens...
— Je n ’aime pas beaucoup ce que j ’ai fait ; ce n'est pas de la présomption,,
mais avec le recul cîu temps je m’aperçois que j ’ai fait relativement très peu d ’efforts
adroits ; les contingences du cinéma sont telles qu’entre les idées belles qu’on peut
avoir et celles qu’on est obligé de réaliser, il ÿ a un précipice dans lequel on tombe
le plus souvent. Quand il reste dix pour cent de ce q u ’on a pensé dans un film, c'est
encore exceptionnel ; les autres quatre-vingt-dix pour cent, où sont-ils ? Ils se sont
égaillés parce que nous avons trop de portes fermées, trop d'aveugles, trop de
sourds à convaincre et de ce combat inégal nous sortons exténués. Personnellement,
j ’ai eu des idées de très loin supérieures à celles que j ’ai réalisées, elles sont toutes
dans des cercueils, elles dorment dans des tiroirs, je ne veux plus même les réveiller,
ce sont des momies et je ne sais pas si j ’aurais la force d ’opérer des résurrections.
-— Ce qui est important, c’est que vos films, avCc seulement Us dix four cent
de vous-mêmes, comptent plus four nous ci four VHistoire du cinéma que certains
autres films dans lesquels leurs auteurs mettaient a cent four cent » d'eux-mêmes.
— Parce que vous avez ouvert pour moi des portes de sympathie qui vous font
voir ma personne sous un joür plus favorable ; mais je me juge plus sévèrement
que vous ; je ne vois pas suffisamment dans mes films ce que je suis, et je vous
assure que je suis très sincère en le disant ; j ’ai de la peine à voir des gens de qualité
s’efforcer de me mettre sur un pavois alors qu’ils ne peuvent apprécier qu’une frac­
tion infime de ce que je crois que je pouvais faire.
—- Om\ maïs nous ■préférerons toujours un film inachevé, mutilé, manqué même,
mais qui contient quelques plans extraordinaires. à ûn film honnête, terminé, réussi,

8
mais dépourvu de souffle et de sincérité. Cela ne suffit fas de réaliser un film
brillant sur un scénario astucieux, une mise en scène adroite, une interprétation homo­
gène; c’est trop facile.
— C ’est toujours assez facile, en effet, extérieurement, seulement s’il n ’y a pas
de radium, il n ’y a pas d ’esprit... Je disais l ’autre jour à je ne sais plus qui : vous
prenez deux metteurs en scène qui tournent exactement la même scène, avec les
mêmes acteurs, et qui font jouer exactement le même jeu ; eh bien, dans l ’une de
ces prises vous serez bouleversé et dans l ’autre vous resterez froid, parce que dans
l ’une il y aura eu apport d ’ondes psychiques, qui scientifiquement existent, et dans
l ’autre cas il n ’y a qu’un pastiche.
—- Ainsi, la surimpression, far exemple, est un procédé qui peut être exécrable
ou magnifique selon celui qui Vemploie...
— Oui, c ’est très difficile, la surimpression ; j ’ai retrouvé des négatifs de
Napoléon, j ’ai eu jusqu’à seize images l ’une sur l ’autre ; je savais que l ’on ne verrait
plus rien à la cinquième image, mais elles y étaient, et du moment qu’elles y étaient,
leur potentiel y était, comme en musique, quand vous avez cinquante instruments
qui jouent, et qu’on ne peut distinguer les sons des instruments, c’est l ’organisation
de ces sons qui compte, car vous êtes entouré ; ces surimpressions aussi étaient orga­
nisées, parce que je n’aurais jamais fait partir ces seize images en même temps ; il
y en avait une, puis la deuxième quelques secondes après qui se terminait au ving­
tième mètre, alors que la troisième commençait au quatrième mètre et finissait au
vingt-sixième mètre, la quatrième commençait au septième mètre et finissait au
douzième mètre, etc... Je prenais un temps très, très précis, très précieux, à organi­
ser quelque chose que je savais qu'on ne comprendrait pas. En art, on ne peut pas
faire autrement. On ne veut pas modifier la technique, mais la technique d ’art, c’est
important, il faut chercher dé nouveaux instruments et ce n ’est pas parce qu’on a
agrandi le cadre qu’on a trouvé quelque chose d ’extraordinaire ; on a enlevé les
oeillères du cheval, la belle affaire ! mais il ne court pas plus vite, et moi je ne crois
qu’aux chevaux emballés. C ’est pourquoi j ’ai inventé la Polyvision !
— Pendant ce long silence, entre le Capitaine Fracasse et La Tour de Nesle,
vous avez eu de nombreux projets avortés ? par exemple Gisèle...
— Oui. J ’ai regretté de ne pas faire Gisèle ; c’eût été un beau film sur la danse.
Ah ! oui, j ’avais beaucoup travaillé, ce sujet me plaisait énormément. Je n ’ai pas
pu trouver un producteur et pourtant c’était deux ans avant Les Chaussons Rouges qui
offrent un .singulier parallélisme avec Gisèle; j ’assure que cinématographiquement,
cette œuvre pouvait être bouleversante. J ’ai préparé aussi le Vaisseau Fantôme, para­
phrase moderne de la célèbre légende. Pas de producteurs. J ’ai préparé encore
Christophe Colomb, un travail énorme... En vain. Et tant d ’autres!-..
— Dans la presse, on parlait récemment de Till lîulenspiegel...
— Ah ! oui, ça aussi, c’est alors Gévacolor qui m’a parlé de ça, et c ’est un sujet
que j ’avais dans l ’idée il y a longtemps. C ’est un film difficile, très joli. Il est
difficile comme Don Quichotte parce qu’il n ’a pas de centre, c’est une suite d ’anec­
dotes ; le personnage lui-même est un frondeur, et puis il y a un côté assez dange­
reux car on ne sait pas jusqu’où on peut aller ; imaginez Rabelais supervisé par le
Vatican. J ’ai en préparation un autre film qui m’intéresse, beaucoup plus audacieux
que tous les autres, très en avance, très puissant, très saisissant : Le Royaume de- la
Terre.
— Il s’agit d ’un scénario original ?
— Oui.
—- De vous ?
— Oui. Parce que c ’est en moi que je puise mes images. Il m’est difficle de les
trouver ailleurs ; Le Royaume de la Terre. c’est vraiment une incursion totale dans la

9
quatrième dimension, utilisant les apports de la parapsychologie, tout en restant très
évident pour l’homme de la rue, car il m’intéresse beaucoup plus, l ’homme de la^rue
Oberkampf ou Ménil mon tant, que le promeneur des Champs-Elysées qui a des pré­
tentions et croit s’y connaître en cinéma. J ’aime bien le petit public, je n ’ai jamais
eu peur de lui. Il y a quelque chose — je ne sais l'expliquer —- qui chez lui rue
traverse pas. le raisonnement, va directement à la sensibilité. Et puisque je parle
du public et là je ne sais pas si vous partagerez mon avis, je considère que le cinéma
devrait revenir à la formule grecque du grand spectable, devant 15.000-20.000 per­
sonnes. Tant qu’il ne sera_ pas un spectacle collectif, empoignant des foules énormes,
et pouvant bouleverser des masses, il ne répondra pas à ce qu’on est en droit .d’atten­
dre de lui. Je voudrais que des grands films puissent aller dans les arènes espagnoles
avec un écran de 60 mètres de large, en polyvision, avec ma perspective sonore. Oui,
ce public susciterait des auteurs, comme les Grecs suscitaient Sophocle et Eschyle ;
les auteurs ne viennent que parce que la foule les suscite, vous savez, les procrée par
son enthousiasme. On a le théâtre de son époque, j ’en suis persuadé... Ce qui m ’inté­
resse, c’est de voir la tête des gens qui sortent du cinéma ; ils entrent, souriants,
contents, ils viennent vraiment acheter du rêve ; regardez-les sortir, vous verrez comme
ils sont plus voûtés, moralement n ’est-ce pas, ils s’interrogent, ils ne savent p as's'ils
doivent avoir un avis, s’ils en ont un ils n ’osent pas le formuler, ils écoutent un avis
pour en avoir un, et puis iis rentrent chez eux, et trois jours après, on leur dit :
« Quest-ce que vous avez vu, quel film ? — Je ne me souviens pas ils citent quel­
quefois le nom de l ’acteur et puis le film, c’est déjà fini, c’est de la fumée ; mais
je m’aperçois que je suis très caustique pour mes confrères, j ’ai déjà pas mal d ’enne­
mis, je vais m’en faire d ’autres. ’
I l est une question qui nous tient ires à cœur : elle concerne La Divine
Tragédie...
— Permettez-moi de n’en rien dire pour l'instant car j'ai le cœur serré lorsque
j ’en parle et ne veux point m’attendrir. Quatre ans de travail, des espoirs fous, une
souffrance énorme, des centaines de milliers d ’images éblouissantes qui dorment dans
lé cercueil d ’un tiroir,.. Les histoires du cinéma relateront plus tard le terrible drame
que j ’ai vécu avec cette œuvre. Pour l’instant, la blessure est trop vive...
— Nous aurions mauvaise grâce d'insister, cependant quelques précisions tech­
niques sur la conce-piion de cette œuvre...
— Dans l ’écriture de La Divine Tragédie je m’étais aventuré très loin dans les
problèmes techniques nouveaux, et bien avant que le Cinémascope et le Cinérama ne
sortent aux Etats-Unis ; j ’étais en mesure de devancer, et très probablement — ne
voyez pas de présomption dans mes paroles — de dépasser d ’assez loin tout ce qui
a été fait jusqu’ici dans ces domaines. Malheureusement, un pilote maladroit a fait
échouer à l’embarquement cette caravelle de La Divine T rage die, qui s’apprêtait à
voguer vers des terres inconnues. Je n ’ai plus d ’idées aussi précises en ce qui concerne
l ’exécution, que celles que j'avais quand j ’ai terminé l’écriture de cette œuvre, mais
je reste cependant avec cette grande nébuleuse qui tourne en spirales dans mon esprit,
et qui pourrait en se refroidissant, créer vraisemblablement un film d ’intérêt mon­
dial qui vaudrait être, si je trouvais l ’équipe d’ouvriers et d ’artisans dévoués qui me
serait nécessaire, une de ces cathédrales de son et de lumière dont le monde moderne
me semble avoir besoin.
— Votdez-vons nous raconter en détail le scénario de La Divine. Tragédie ?
— Non, car j ’ai trois malles pleines de documents, de dossiers, de tentatives
dans tous les sens pour essayer de canaliser ce grand effort de mon esprit vers
une forme concrète que le cinéma demande ; et c’est tellement complexe, que si je
vous parlais d ’un détail j ’aurais l ’air de donner un sur mille de ce qu’il serait
nécessaire de dire. C’est de très loin le plus grand effort que j ’avais fait au cinéma,

10
A n d ré e B r a b a n t e t V e rm o y a l d a n s L e D ro it à la v ie (1917).

et mon regret vient de ce que je suis à l'automne de ma vie et que j ’ai peur de nt
plus avoir les forces vives que j ’avais il y a quatre ou cinq ans, pour mener à bien
une tâche aussi gigantesque. J ’ajoute et je répète que mon évolution, depuis, a pris
un tour particulier, surtout depuis que je fais des recherches importantes sur la qua­
trième dimension et il se peut qu’à relire attentivement cette œuvre,-je me trouve
obligé de transformer des scènes, ou de modifier leur intérêt.
— La Divine Tragédie était un film sur la foi, sirr la nécessité de la foi ?
— Oui, mais je crois que celui ou ceux qui arriveront à faire comprendre que le
paradis peut être aussi sur terre rendront un service énorme à une humanité qui cherche
sa signification. Je crois que le cinéma est un langage magique, qui peut transformer
les mentalités, il le peut avec les moyens nouveaux dont je parle ; de même que la
désintégration de l ’atome bouleverse les fondements de voûtes, les philosophies. A
notre tour, cette recherche d ’une sorte de désintégration cérébrale de nos habitudes
de penser doit s’opérer par le cinéma et nous remettre en état d ’euphorie afin que nous
retrouvions des éléments de bonheur là où nous ne le supposions plus possible ; j ’ai
l’impression que les miracles sont terrestres mais il faut que nous les aidions à se mani­
fester. Nous commentons vers la fin du muet à acquérir des armes qui étaient capables
de bouleverser les consciences et ces armes nous les avons laissées se rouiller. Ensuite
on s’est aperçu très vite que la parole na nous a pas avancés souvent sur la terre ;
ce ne sont pas les orateurs qui gagnent les batailles. Les ondes sonores sont en
retard sur les ondes lumineuses ; une image et nous avons déjà tout compris alors que
la parole vient très souvent, faire du pléonasme ou dire tout autre chose que ce qae
nous aurions imaginé avec l ’image seule. Or, le fait de n ’utiliser l ’image qu’avec une
sobriété qui devient de l ’indigence, est cause que le cinéma a perdu une partie de sa

11
radiation ; et il faudrait la lui rendre, cette radiation car en fin de compte toutes les
idées, même abstraites, se forment en images, et les paroles ne peuvent en être que les
conciliaires.
— Pour réveiller le public, le bouleverser vous pensez que tous les moyens sont
bons et d ’abord les plus violents ?
~ Oui, le fouet aussi est bon. Je trouve qu’il faut d ’abord connaître toutes
lés formules de boxe et ,de lutte afin de juguler le sens critique qui en Europe et
surtout chez nous a atteint son point culminant. Tarit que vous n ’aurez pas jugulé le
sens critique après la première bobine d'un film, vous ne gagnerez jamais une vic­
toire, vous donnerez de très belles impressions, les gens sortiront peut-être ravis mais
ça ne creusera pas un sillage profond dans leur esprit. Dans le cas contraire nous
prenons dans les esprits la place que le sens critiqüe y occupait. C’est une Bastille
qu'il nous faut délivrer. C*est pourquoi les moyens violents peuvent être employés ;
j'entends par moyens violents des moyens, techniques qui désorientent par l'inattendu
de leur révélation. Evidemment il nous faudra apporter au public cette forme nou­
velle de poésie avec un peu plus de prudence qu’on ne le fait en peinture par exemple
ou en littérature, car les arts modernes se sont extraordinairement émancipés des
contraintes qui les régissaient jusqu’en 1910 ; cela me paraît aussi indispensable pour
révolution du cinéma de demain que Ta été le surréalisme pour l ’évolution des arts
modernes. Avec le recul du temps je m’aperçois que j ’ai été perpétuellement en équi­
libre instable sur les rails d ’un Decauville. A quoi peut servir une locomitive puis­
sante si vous ne pouvez marcher vite quand les rails ne sont pas solides. J Jai dû, ron­
geant mon frein, mettre pendant des années ma locomotive au garage ; j ’essaie de
construire de nouveaux rails plus solides pour lancer la polyvision, cette locomotive
surcompressée du cinéma de l ’avenir.
— E t cefendant l ’audace de vos films lancés sur les « rails de Decauville »
est surprenante, si l ’on songe à la timidité des autres films français de Vépoque.
— Je vais vous donner la raison : c’est que pendant dix ou douze années de ma
vie, j ’ai eu à mes côtés, pour me soutenir, un homme qui ne s’occupait pas du tout
de moi, l’homme le plus fort qu'il y ait eu dans le cinéma international : Charles
Patbé ; C’était un industriel, un commerçant, et qui ne s ’occupait de moi que pour
me dire : a Faites le film qui vous plaît, quand vous Vaurez fini nous Vexploiterons
il n ’a jamais voulu lire un de mes scénarii parce qu’il disait : « Si je le lis, peut-être
qu’il ne me plaira pas, et s’il ne me fiait pas je vous influencerai, par conséquent,
vous êtes artiste, moi je suis commerçant, faites votre film ». A partir du moment où
j ’avais trouvé cet homme-là, je pouvais commencer à faire des films, encore que je
les réalisais avec beaucoup d ’inquiétude car, étant maître de l ’argent, j ’avais trop
de scrupules et ne voulais pas m’avancer trop loin; mais cependant j ’ai pu tout de
même tourner quelques films intéressants uniquement parce que j’avais trouvé un
homme comme, hélas ! il n'y en a plus ! Après lui, j ’ai dû reprendre le Decauville... et
encore, pendant plus de dix ans on m’a refusé ce train-train !
— Pour autant que nous sachions, vos films muets ou sonores n'ont jamais été
des désastres financiers ?
— Mais du tout, parce que... comment voulez-vous qu’ils soient des désastres
financiers quand; vingt ans, trente ans après, on en exploite encore» un assez grand
nombre et quelques-uns dans le monde entier.
— Quels sont les fihns de vous que vous saliveriez ?
— Je sauverais le premier accuse, je sauverais La Roue et Napoléon qui sont
mes trois efforts les plus importants et aussi Beethoven.
— E t La Dixième Symphonie, qu'en faites-vous ? C’est un film que noits aimons
beaucoup.
— La Dixième Symphonie aujourd’hui paraît vétuste ; je l'ai revue ; évidem­

12
ment, les éléments sont bons, mais elle est trop a ramassée - a pour faire un film
actuel. Vous savez que j'ai fait La Dixième Symphonie en huit ou neuf jours pour
60.000 francs, et je n'ai pas mis plus de deux jours à écrire le scénario, parce qu'à
ce moment-là avec notre instrument neuf, un écran vierge, pas de critiques ou très
peu, nous nous sentions libres comme des chevaux sauvages. Nous n'avions pas d ’ar­
gent, pas de moyens, nos appareils qui étaient faits avec des bouts de ficelle, cepen­
dant l ’enthousiasme d'une part, le dévouement des collaborateurs, et la nouveauté
d ’images jamais vues accomplissaient le miracle. Chaque fois que nous allions en
projection, c’était un monde que nous découvrions, on poussait des cris en voyant ce
qu'on avait voulu faire, cris de joie ou de désillusion mais enfin c'était là, sur l'écran,
alors qu'il n'y avait rien eu de ce genre préalablement. Ces terres inconnues dans les­
quelles nous pautaugions comme les découvreurs d ’un nouveau monde, nous donnaient
des ailes pour nous désembourber de la routine qui commençait déjà à sévir avec ses
semelles de plomb et nous faisions, en peu de temps, ce qu’aujourd’hui il nous faudrait
des mois pour réaliser. Nos accouchements d ’aujourd'hui sont laborieux. La peur de
tomber dans le déjà-vu, le déjà-fait, le déjà-dit, et puis il y a tellement de critiques
autour de nous : les C hamp s- El y sées qui ne pensent pas du tout comme Romorantin,
et puis il y a Cuba qui a une mentalité tout à fait différente de Tokio ; alors finale­
ment ce pauvre auteur est dans une espèce de Tour de Babel où, obligé de parler toutes
les langues il prostitue sa sensibilité et son instinct.
— Le droit à la vie est l ’un de nos films préférés ; vous souvenez-vous de cette
sc'ene extraordinaire où un homme caresse les cheveux d'une, femme évanouie ?
— Ah ! oui ? cétait Vermoyal; 1111 très bon acteur; il a envie de coucher avec

L a F in d u M o n d e (1930). A u c en tre, A bel G a n c e d a n s le rô le d u C h rist.

13
H an-y ÏSaur d a n s Un g r a n d a m o u r d e B e e th o v e n

elle quand1elle est évanouie. Dans La Tour de Nestes vous verrez des scènes qui sont
assez poussées dans le domaine de l'érotisme. J 'a i l'impression que la censure les lais­
sera, car elles sont très acceptables esthétiquement.
— Quel est selon vous le meilleur de vos films parlants ?
■— C'est Beethoven. E t le Beethoven entier, pas le Beethoven mutilé qu'on passe...
oui, parce que quelques-unes des plus belles scènes ont été coupées par ces... je ne
dirai pas ce que je pense.
—- Il reste, crâyons-nous, quelques copies non coupées. Par exemple, nous avons
vu une version qui contenait la scène de la « Pathétique »...
— Oui, mais il y a une des plus belles scènes peut-être, qui n’existe plus ; celle
de Schubert et Beethoven ; lorsque Beethoven est tout à fait sourd et que Schubert
vient pour lui faire des compliments, une sorte d ’orgue mécanique désagféable se
fait entendre dans l ’auberge ; c’est un morceau d ’une Symphonie de Beethoven tout à
fait abîmé, comme un disque usé, crispant; Beethoven, évidemment, n’entend pas mais
les buveurs se plaignent: « Ah! on1nous embête avec cette musique, on ne peut pas
mettre du Rossini ? ». Alors Schubert écrit sur le carnet que Beethoven promène accro­
ché sur sa poitrine: a Si on allait sur la tombe de Mozart? d. Beethoven le regarde et
acquiesce 3 ils arrivent au cimetière devant la fosse commune où était Mozart ; ils se
regardent tandis qu’on entend « Mon cœur soupire », de M o z a rt, pendant ce temps-là.
Ce n ’était rien, il n'y avait pas dix paroles dans cette scène, mais elle" créait une
émotion incroyable et, quand nous l'avons tournée nous avions tous les larmes aux

14
yeux. Ces trois grands génies musicaux qui se trouvaient réunis là, représentant trois
drames affreux. Schubert était lui aussi très pauvre à cette époque, il vendait 5 francs
ses lieder. Eh bien i cette scène on ne l ’a pas laissée dans le film et pour nous, pour
les auteurs... nous nous sentons atteints dans les endroits où notre sensibilité est la
plus aiguë; 11e pas être capable d ’obliger les producteurs à respecter de telles séquences
nous décourage. Alors peu à peu, dans notre travail, nous descendons volontairement
les marches de l'inspiration, nous essayons de ne pas retomber dans quelque chose
de trop beau puisqu’on sait d’avance qu’il faudra le supprimer ; c’est ce qui limite
notre horizon; il y a des barbelés partout, autour d ’un film, les barbelés de l ’habitude,
de la routine, de l ’incompréhension, et de la bêtise.
— E t cependant si nous jugeons admirables tous vos film s, c’est qu'il y a tou­
jours, dans les plus hâtivement réalisés, quelques plans, quelques gros plans qui
rayonnent, illuminent soudain Vœuvre entière, témoignant de votre si?icérité et de
votre sérieux.
— Certes, j ’essaie sporadiquement de retrouver l ’étincelle utile, l'allumage pour
mettre en état de transes les gens, les choses, dans l ’image, je fais mon possible...
j ’essaie de me rendre dupe, mais vous savez, c'est comme lorsque on ne vous offre
qu'un piano désaccordé, la belle musique est difficile. L ’art ne commence qu’à
qu’à partir du moment où l ’on ne peut plus l’expliquer, sans cela tout le monde
réussirait ; souvent, je sais très bien ce qu’il faudrait faire, mais je sais aussi que
je ne peux y parvenir parce que je n’ai pas le texte, je n'ai pas l'image, je n ’ai pas
l ’acteur et je n ’ai pas la foi. Dans Le Crépuscule des fées,, j ’essaierai de montrer
ce que des vibrations lumineuses peuvent faire sur l'entendement ; l ’art est dans
l'inextinguible, il est dans ce qui est inexplicable, ce qui est entre les
images, ce qui est en dehors d ’elles, et pour créer de côté mystérieux, il
faut être comme Toscanini lorsqu'il dirige un orchestre, il faut avoir une conviction
tellement profonde qu’on transmute les choses les plus ordinaires et qu’on les fait
étinceler. On parle de moi sur hier et personne 11e parle de moi sur demain, alors
que demain seul mJintéresse. C’est pourquoi des gens comme vous m ’intéressez
beaucoup, pourquoi j ’ai beaucoup de sympathie, d ’affection pour vous, car avec le

A bel G a n c e d ir ig e a n t L a V é n u s a v eu g le (1941).

15
peu que j ’ai fait vous sentez probablement que je pourrais faire et dire 'beaucoup
plus que je n ’ai fait jusqu’à présent, malgré ma fatigue et mon désencbenteraent.
—- l'u n de vos films parlants les fins décries Lucrèce Borgia, contenait- une
quinzaine de flans les plus beaux du cinéma français de 1930 à 1940/ tous les plans
de Savonarol. ' ' '
— Parce que j'avais trouvé avec Artaud quelqu’un qui comprenait. J ’avais
établi un contact, mais c’était trop fragmentaire,, trop mince par rapport à tout l ’en­
semble ; on devrait obtenir cela d ’un bout à l ’autre du film, car si les gens ne sont
pas tous, debout dans la salle, avec la figure bouleversée et les yeux pleins de larme,
mon spectacle est manqué. Nous avons besoin de traits- d ’union, pas de mécènes puis-
qu ^en fin de compte, ce sont ces fil ras-là qui gagneraient le plus d ’argent, mais
qu’on nous fasse au moins crédit et confiance. Beaucoup de mes amis auraient pu
faire des films extraordinaires, mais ils sont passés par les mêmes processus et petit
à petit ils ont, fléchi devant l ’incompréhension, non du public, mais de l ’effroyable
parasitisme qui rôde constamment entre nous et le public; quelques gens dans la
corporation méritent qu'on ait du respect pour eux, c’est certain, il ne faut pas
mettre tous les crabes dans un même panier, mais en général je dois dire que nous
sommes mal servisi et si j ’étais Saint-Just, je placerais quatre-vingts pour cent des
gens qui s’occupent de cinéma, dans toutes sortes de professions où., vraisemblable­
ment, ils réussiraient à merveille, parce qu’ils ont l ’habitude d ’utiliser les restes ; le
public, on lui supprime le très bon vin, il s’habitue au vin mauvais, on lui supprime
le bon pain, eh bien ! il mange lé pain qu'on lui donne, et il finit par distinguer dans
les pains cacas qu’on lui donne.’: « Tiens, celui-ci est meilleur que celui-là, » C'est
la vérité puisqu’on ne lui en donne pas d ’autre. En somme on fait peu de progrès
dans cette profession. ,
—- D ’une certaine manière, ou -peut considérer que le cinéma )iha pas fait beau­
coup de « progrès » depuis Griffith. . . .
— Remarquez que Griffith .je Tai connu personnellement, eh bien, si après lui
on avait fait des progrès correspondants, petit à petit, imaginez-vous ce que serait
le cinéma aujourd'hui, quel instrument gigantesque, s’il n ’était tombé dans les mains
de professionnels intéressés et pour lesquels l ’artiste était avant tout le danger, et
l'ennemi ? Les crucifier : voilà leur formule ; la plupart des grands metteurs en
scène ont sombré relativement vite dans cette grande bagarre, qu’il faut livrer sans
arrêt lorsque l ’on veut faire un grand film s’ils n ’ont pas sombré effectivement, ils
ont échoué dans 'leurs façons de procéder, ce qui est une chute ; regardez des gens
comme Von Stroheim, c ’est un cas. Voilà un homme de très grande valeur, il en est
réduit à être acteur avec souvent de très mauvais metteurs en scène, pour vivre ;
ça n ’est pas croyable. Mais il faut conserver l'obstination, la ténacité, la résistance,
et les jeunes amis que vous êtes, c’est très important. Si vous saviez combien dans
la lutte que je mène solitaire, cela me donne du courage de penser que quelques
amis fidèles ont les yeux ouverts, s'intéressent à ce que j'a i fait et à ce que je
peux faire ! Ce sont pour moi de petites lanternes dans le noir qui me font énormé­
ment d eb ie n : cest vrai. Quant à'la corporation même, que de sourds, d'aveugles, et
que de nains > je ne sais pas trop ce que penseront les gens qui m'écouteront, mais
s’ils sont coupables, ils se sentiront visés. J ’espère que personne ne prendra cela
pour soi. C’est toujours pour « les autres ». Je crois que je vous ai dit, tout au moins
ce soir parce que je suis très fatigué, quelques idées générales et je reste tout de
même à votre disposition si, un jour où je serai plus lucide, vous voulez que je vous
donne des détails plus précis, des détails qui pourraient captiver davantage un audi­
toire que ce ton de lamentation, ce ton pleureur que j ’ai pris depuis que je vous parle
pour me plaindre d'un métier où je n ’ai pas pu fairei-tout ce que j ’aurais voulu.
Enfin, il faut surtout voir là une sensibilité affectée qui n'a pas perdu son énergie
de fond, et qui peut-être trouvera quelques oreilles attentives non pas pour panser
les blessures que le cinéma lui a faites car je ne demande ni pitié ni compassion, mais

16
A b el G a n c e d irig e le je u n e a c te u r K e r n e r d a n s les e ssa is p o u r La Divine Tragédie,
film non réalisé.

pour essayer de canaliser autour de moi les forces vives des jeunes surtout afin de
faire du cinéma de demain ce qu’il doit être.
J ’aspire à une liberté artistique et esthétique qui me permettrait d ’employer des
moyens nouveaux techniquement et aussi de dire des choses nouvelles à l ’écran, seule­
ment, si vous faites dire par des personnalités du cinéma des idées nouvelles, elles sont
tout de suite affolées parce qu’il n ’y a pas de précédent, alors, sans précédent, l ’inquié­
tude commence à régner en maîtresse et c ’est fini. Et puis alors : a Si vous n ’avez
pas Gérard Philipe, qui aurez-vous ? S i vous n ’avez -pas Martine Carol, comment
voulez-vous qu’on vende le film ? ». Nous en sommes là, toujours, c’est terrible ; les
quatre ou cinq vedettes de valeur jouent, on jongle avec, et si vous ne les rattrapez
pas dans une de vos mains, le film ne vaut rien à priori parce qu’on n ’a pas eu de
vedette ; c’est complètement stupide ; la véritable vedette c’est l’idée, la forme, et
l ’artiste qui donne à cette forme une personnalité ; cette forme peut être aussi bien un
enfant, un végétal, un artiste, une histoire, un paysage...
— ...Une Roue /
— Oui, une Roue ! et nous en sommes tous là, on a tellement codifié notre métier
que c'est aussi compliqué de faire un film que de lire îa fiche du percepteur. : ce qu’il
faut faire et ce qu’il ne faut pas faire ; on a perdu d ’avance ; le résultat ? on arrive
à ne plus payer ses impôts et à ne plus faire de films !

(Propos recueillis au magnétophone par Jacques Rïveüe et François Truffant.)

17

2
FILMOGRAPHIE D ’ ABEL GANCE
par Philippe Esnault

A b e l Gance est n é le 25 octobre 1889 à Paris, rue M ontm artre, d 'u n e famille m odeste.
11 a passé sa jeunesse, en partie, dans le Bourbonnais dont il est originaire. Form ation d a u to ­
didacte acquise après sa fréquentation de l'école prim aire et (comme boursier) du Collège
Chaptal.
Il déb u ta com m e poète, <f U n doigt sur le clavier », avant d ’écrire pour le théâtre « La
Dame du lac » (musique de Roland M anuel), puis u n e pièce en cinq actes et en vers, dans
le style d e d 'A n n u n z io ; a L a Victoire de Sam othrace », retenue p ar Sarah B ernhardt en
1914 et reçue au T héâtre Français. 11 a p u blié en 3922 « J ’accuse » (La Lam pe m erveilleuse,
éditeur), en 1927, le découpage de N apoléon (Pion, éditeur). A bel Gance est enfin l'au te u r
d ’un volume dans lequel il s’est livré totalem ent : « P rism e » (1930, N .R .F. éditeur). Ses
n om breux textes de théoricien du ciném a restent dispersés dans des journaux, et revues.
C ertains textes im portants restent inédits.
A u ciném a, il com m ence com m e acteur, ayant déjà joué de petits rcLes à la scène : il
fait ses débuts au studio en jouant le rôle de J.- B. P oq uelin dans le Molière de Léonce P e rre t
(1909) ; Max Linder en fait son frère d a n s un e bande de la série des Max, etc...
Puis G ance se fait scénariste; citons, p o u r G aum o nt ; en 1910, Paganini, L a Fin de
Paganini, Le Crim e du grand-père (réalisé p ar Louis Feuillade) et L ’A u berg e rouge (sans
d a te ); pour la S .C .A .G .L . (filiale d e Pathé) : en 1911, U n tragique amour de M ona Ltsa
(ou L a Joconde), Cyrano et d ’A ssoucy, Un Clair d e lune sous Richelieu (ces trois film s
réalisés par A . Capellani) ; il écrit surtout d es scénarios pour Camille Morlhon (travaillant
pour Pam é), notam m en t L ’Electrocuté (réalisé p ar De Morlhon).
Il réalise son prem ier film en 1911, en fondant sa propre m aison d e production.
Ces diverses activités poursuivies dans u n e m êm e carrière font d ’A bel Gance un des
créateurs les plus complets d u ciném a; auteur unique de la p lu p art de ses films, d o n t il
assure pleinem ent la réalisation, avant d ?en assurer personnellem ent le m ontage; acteur, car
il joue dans certains de ses film s : il incarne notam m ent Saint-Just dans Napoléon, l’acteur
de la passion dans L a Fin du m o n d e ; p ro ducteur m êm e quelquefois, Abel Gance tend à être
le m aître absolu de sa création ; ii déclare : « Com m e cinéaste, je me ssns autocrate »■

C A R R IE R E D U C IN E A S T E (auteur et réalisateur)
— Les dates des films sont celles de leu r production et non de leur mise en distribution ;
l ’ordre de citation est l’ordre probable de tournage.
— Sauf indication spéciale, tous les scénarios des films cités sont de l ’auteur.
— Les points d'interrogation concernent des dates ou des détails que Gance lui-m êm e a
oubliés.'

1911- — L A DIGUE.
Production : L e film français (directeur-
fondateur A. Cance).
Interprétation : Pierre Renoir, R oger Lé-
vy, M m e Noizeux.
1912. — L E N E G R E BLANC.
Production : Le film français.
Interprétation : A b el Gance, Jean T ou -
lout.
1912. — IL Y A DES PIE D S A U P L A F O N D .
Production : Le film français.
Interprétation : Jean Toulout, M athilde
T hizeau.
1912. — L E M A SQ U E D ’H O R R E U R .
Production ; Le film français.
Interprétation : De Max, Jean T oulout,
Charles de Rochefort.
1913-1914. — Scénarios pour Le Film d ’A it
dont : L ’infirm ière (1914) réalisé p a r H enri
Pouctal.
Mobilisé : A o û t 1914-Septembre 1915, a u
Service ciném atographique et photogra­
phiqu e de l ’armée.

18
1914 ou 1915. — L E S M O R T S R E V IE N ­
N EN T-ILS ? (ou : U n dram e au château
d ’A c re).
Production : Le film d ’art (directeur Louis
Nalpas). Ce film tourné en cinq jours
coûta 5.000 francs.
Interprétation : A u rèle Sydney, Maillard,
Volnys, Mlle Y vonne Briey.
1915 ? — L A FO L IE D U D O C T E U R TUBE-
Production : Le film d ’art.
M étrage : deu x bobines.
Opérateur : L .H . Burel (?)
Film d ’essai, avec miroirs déform ants, in ­
terprété p ar un clown.
Janvier 1916 ? — L ’ENIGM E D E D IX H EU-
RES.
Production : Le film d ’art.
Opérateur : L-H. Burel.
Film policier avec : A urèle Sydney, Mail­
lard, K eppens, Doriani, Mme Noizeux.
Février 1916- ? — L A FL E U R DES RUINES.
Production : Le film d ’art.
Opérateur : L. H, Burel (?) L/Ss m o r ts re v ie n n en t-ils ?
interprétation : A u rèle Sydney, Mlle
Louise Colliney,
S eptem bre 1916 ? — L E S G A Z M O R T E L S
Mars 1916 ? — L ’H E R O ÏS M E DE PA D D Y . (ou : Le brouillard sur la ville).
Production : Le film d ’art. Production ; Le film d'art.
Opérateur : L. H . Burel (?) Opérateurs : Burel, Dubois.
Interprétation : A lbert Dieudonné, Ra.u- Interprétation : L éon Mathot, K eppens,
lin, Louise Colliney. Doriani, Maillard, M aud Richard.
Avril 1916 ? — FIO R IT U R E S (ou ; La a Vous rappelez-vous ce film , avec une
source de beauté). prem ière partie vivante et simple et une
Production : Le film d ’art. seconde partie essoufflée, pom peuse et
Opérateur : L .H . Burel (?) natüe. parce que le s m oyen s n avaient
Interprétation : Jeanne M aïken, M aud pas égalé l’intention ? » (Louis Delluc).
Richard, Léon M athot. Janvier 1917 ? — LE D R O IT A L A V IE .
« Délicieuse œuureffe où ï'o n sent que P roduction ; Le film d 'art.
l ’imagination de l ’auteur s’&n est allée, Opérateur : L. H. Burel (?)
Vagabonde, butiner sur toutes les roses Interprétation : Léon Mathot, V erm oyal,
de la fantaisie ». (Un critique de l’épo­ Paulais, Gildes, Mlle A n d ré e Brabant.
que, cité par R e n é Jeann e et Ch. Ford).
Mars 1917 ? — L A Z O N E D E L A M O R T .
Juin-Juillet 1916 ? — L E FO U D E L A F A ­ Production ; Le film d 'art.
LAISE. O pérateur : Burel.
Production : Le film d ’art. Inetrprétation : L éon M athot. Verm oyal,
Opérateur : Burel et Dubois. Gaston M odot, A n d ré e Brabant.
Interprétation : A lbert Dieudonné, R au- « La zone, de m ort » est un événem ent
lïn, Maillard (?), Y vonne Sergyl. dans les annales du ciném a français...
E t si jamais vous entendez dire• que
1916 ? — C E Q U E L E S F L O T S R A C O N ­ vous voyez trop grand, je pense que
TENT. oous rirez - tra nqu illem ent... Merci,
Production ; Le film d ’art. Gance, ne cessez jam ais de Oàir trop
Opérateurs : Burel, Dubois. grand ». (Louis Delluc).
Interprétation : A lb e rt Dieudonné, P a u ­ O ctobre 1917 ? — M A T E R D O L O R O S A .
lin, Maillard, Y. Sergyl. Production : Le film d ’art.
1916 ? — LE P E R IS C O P E .f Couf ; 45.000 francs. T o urnage 1 se­
Production : Le film d ’art. m aine (?)
Opérateurs : Burel, Dubois. Opérateur : B urel.
Interprétation ; A lbert D ieudonné, Paulin, Interprétation : Firm in G ém 'er, A rm and
M aillard, Y . Sergyl. Tallier, Gaston Modot, E m m y Lynn.
(Ces trois films furent réalisés ensem ble à Février 1918 ? — L A DIX IEM E SY M PH O N IE .
F lo u m an ach et T ré g a ste l). Production : Le film d ’art.
A o ût 1916 ? — B A RBE RO U SSE. Tournage : 12 jours. Coût : 60.000 fr.
Production : Le film d ’art. Opérateur : L- H . Burel.
O pérafeur Burel (?) et Dubois- M usique de MM, Lévy {dit Betove).
Interprétation : L éon M'athot, K eppens, M ontage avec M arguerite Beaugé. (colla­
Maillard, Doriani, M aud R ichard, Mlle boratrice fréquente).
Y . Briey. Interprétation : Severin-Mars, Jean T ou-

19
lout, A n d ré L efaur, E m m y Lynn, 1920-1921. — EN T O U R N A N T L A R O U E .
A rian n e H u gon , Mlle Nizan.
1923, — A U SECOU RS.
1918-1919. — J'A C C U S E . Producteur ; A b e l G ance.
Production : C harles P a th é (avec l ’app ui Tournage : 1 sem aine (?)
d u service ciném atograph ique de l a r­ Métrage : 3 bobines (?)
mée). Scénario d ’A b e l G ance et M ax L in d e i.
C oût 456.000 francs (?) Opérateur : Specht.
A ssistant : Biaise Cendrars, Interprétation : Max L inder, Jean T ou lou t,
Opérateurs : Burel, Bujard, Forster. G ina Palerm e.
M ontage avec A n d ré e Danis. j
Interprétation : Séverîn-M ars, R o m u ald -1 1925-1926. — N A P O L E O N a V u p ar A bel
Joubé, Desjdrdins, Biaise" C endrars, Ma-' Gance ».
ryse D auvrây. ■ :' Production : W esti (W engoroff et H ugo
«...Le film m e souffle a u x r ÿ ç u x un»a^ Stinnes),
atm osphère d ’âm e q u e j ’ai retenue Y- Tournage interrom pu de novem bre 1925 à
c ’était la deuxièm e partie de « J’Ac-, mai 1926.
cu3e (Jean Epstein), Production reprise par la « Société gén é­
a...La naïveté a ici son p rix ... Il faut rale de films ».
accepter ou rejeter Gance en bloc Métrage ; 32 b obines ? Coût 19 m illions.
{Léon Moussinac). Prises de vues : Jules K ruger. (II cons­
truit le Brachyscope pour Je film), Jean-
1920. — Abe l G ance p roduit pour P ath é P aul M undw iller, L. H . Burel avec
L 'A tr e , réalisation de R obert Boudrioz, Lucas, E m ile Pierre, Roger H ubert.
avec Charles V anel. Briquet. (Sam m y Briff ?)
« Un des premiers f i l m s où la Vie de la Service artistique (assistants) : H e n ry
cam pagne était dépeinte . (René Krauss (pour l ’interprétation) W lad im ir
C la ir). T ourjansky, A n d ré A d re an i, Volkoff,
1920-1921. — L A R O U E . Pierre Danis, Georges L am pin.
Producteur : Charles P athé. Stagiaires : Jean A rroy (autour d e « En
Coût : 1.250.000 (?) tournant N apoléon), Jean M itry, Sacher
M étrage : plus de trente bobines, Purnal.
ylsstsfanf : Biaise Cendrars. ^d m in isfrafe u r ef régisseur général : L.
Opérateurs ; Burel, Bujard, D u verger. Osmont, régie : Pironnet.
M usique d'acco m pagn em ent : A rth u r Ho- M usique d ‘accom pagnem ent : A rth u r
negger. Honegger.
M ontage avec M arguerite Beaugé, Décors : A lexandre Benois, Schildnecht,
Interprétation : Séverin-M ars, (Sisif) Ivy Jacouty, M einhardt, L ourié.
Close (Norma), G abriel de Gravone M ontage avec M arguerite Beaugé et H e n ­
Ælie), Pierre M agnier (L'Ingénieur), riette Pinson-
T eroff (le chauffeur), M axudiaii, Gil Interprétation ; Bonaparte : A lb e rt Dieu-
Clary. donné ; R obespierre ; V a n Daele ;
L e f:lm sortit au G aum ont-P aïace en avril D anton ; K oubitsky ; M arat ; A nto-
1923. nin A rta u d ; Saint-Just ; A b e l G an c e ;
« L a eonüicfion qui tom ba de La R oue Hoche ; Pierre Batcheff ; Barras ; Ma-
est écrasante. D e ce film naît le p re ­ xudian ; Pozzo di Borgo ; C hakatou-
m ier sy m to /e cin ém atographique... Je ny ; Saîicefti : P hilip p e Hériaf ; T ris­
Serais désolé s'il ne se trouvait au tan Fleuri ; Nicolas IColine ; F réron :
m oins quelques personnes qtci se sen­ M endaille î D ugom m ier : A lexand re
tissent éclaboussées, la R o u e les frô­ Bernard : Maaséna : P h ilip p e R olla ;
lant (Jean E pstein, Photo-ciné 1927). Camille Desm oulins : V idalin ; T a lm a :
« L a R ou e est le typ e parfait d u film Roger Blum. ; Fouquier-Tinville : Paul
d'esprit rom antique. C o m m e dans un A m iot ; La Fayette : B oudréau ; Jo ­
. dram e rom antique, vous trouvez dans seph Bonaparte : Georges L a m p in ;
,-J. R ousseau : A lberty ; D esaix : R.
L a Roue des invraisem blances, de la
psychologie superficielle, u n e recherche i e A nsorena ; Louis X V l : Jack R y e ;
Bonaparte e nfan t ; R o u d e n k o et :
constante de l ’e ffe t visuel — comm e
ailleurs de l’e ffe t verbal — et vous y A rm a n d B ernard, Blin, Bonvallet, A .
trouvez des passages lyriques extraordi­ Bras, D aniel Burret. Georges C ahuzac,
naires, un m o u v e m e n t inspiré, on pour- Silvio Gavicchîa. Caillard, M. de Ca-
rait dire du su blim e et du grotesque, nolle. C habez, R oger C hantai. M. P é ­
mais pas dans le m êm e sens q ue Vont rès, P ierre Ferval,
dit les rom antiques qui évoquent sou­ La Marseillaise : D am ia ; Joséphine r
ven t le grotesque là où ils avaient vou­ Gina M anès ; V ioline : À n n a b e lla ;
lu créer le su blim e... Nous avons déjà M arie-A ntoinette : Suzanne Blanchetti ;
ou des trains rouler sur des rails à une Laetitia : E ugénie Buffet ; Charlotte
vitesse accélérée par les complaisances Corday : Mareruerïte G ance ; Mlle Le-
- de la prise de vue ; mais nous n e nous norm and : Mlle C arvalho ; T h éro ig n e
étions Pas encore sentis ha ppés les de M éricourt : Sylvie Gance,
fauteuils, Vorchestre, la salle et tout ce .Prem ière projection à l ’O p é ta sur le tri­
qu i notes entourait. Par l'écran, com m e ple écran.
tin gcm//re ». (R ené Clair). a Je me suis servi d u triple écran en y

20
com binant trois expressions ; physiolo- V iolaine Barry, Betty Daussxnond, Ca­
ique, cérébrale et effective... M a ten- therine Fontenay, Constant R ém y, Pierre
ance générale dans N apoléon a été L arquey, R om ain Bouquet, A lexandre
celle -ci : faire du spectateur un acteur ; D 'A rcy, Marcel Delaître, Pierre Finaly,
le mêler à l ’action ; l ’emporter dans P ierre Dac.
le rythm e de s images... Napoléon est un 1934. — L A D A M E A U X CAM ELIAS,
paroxysm e dans son époque, laquelle P roduction : F e rn a n d Rivers.
est un paroxysm e dans le tem ps. E t le Tournage à partir d ’août- Coût : 2 m il­
ciném a, pour m o i, est Ie paroxysm e de lions.
la oie 7>. (Abel Gance). Scénario d ’A b e l G ance d ’après A le x an ­
dre Dum as fils.
1925-126. — EN T O U R N A N T N A PO L E O N . O pérateu r : H arry Stradlîng (et R oger
H ubert ?)
FILM S SO N O R E S Interprétation : Y vonne Printem ps, Jane
M arken, Irm a G énin, A n d ré e Lafayette,
1929-1930. — L A FIN D U MONDE. Pierre Fresnay, L ugné-P oë. A rm and
Production : L ’Ecran d ’A rt (Ivanoff). Luïville, A n d ré Dubosc, Arm ontel.
Scénario d ’A b e l G ance sur u n thèm e de M usique ; R eynaldo H a h n , livret de
C amille Flam m arion. A lbert W illem etz.
Réalisé avec la participation de Jean 1934, — N A P O L E O N .version sonorisée).
Epstein, W alter R uttm ann, Popoff,
Etievant, Sauvage, E dm ond T . Gré- Production : A b e l G ance.
Cofif : 725.000 francs.
ville. .4ssï'stanfs ; C laude V erm orel, Robert
Opérateurs : K ruger, Forster, R oger Bossis.
H ubert. M usique : H enri V erd u n .
Décora : Lazare Meerson, Interprétation : les acteurs d u film m uet
M ontage : Mme Bruyère. et r Marcel Delaître (Capucine), A r­
Interprétation : Victor Francen, Sanson m an d Lurville, voix de Sansôn Fainsil­
Fainsilber, Georges Colin, Jean D ’Yd^ b er et de Sokoloff, avec Sylvie Gance,
A b el Gance, Colette Darfeuil, W an d a Squinquel, Moloy. Jan e M arken, Gaby
Gréville, M onique Rollan, Sylvie G re ­ T riq uet, Rivers cadet.
nade.
Sorti au ciném a P a ra m o u n t avec la pers­
Peut-être le prem ier film français tourné pective sonore,
pour le « parlant » avec m ixage artifi­ n II avait réalisé une invention' ; celle
ciel. de la perspective sonore, grâce à des
Utilisation d ’un objectif d ’anam orphose : appareils répandus dans la salle et qui
le P O L Y T 1 P A R . font surgir le s on tantôt devant noms,
Prem ière utilisation des ondes Martenot. tantôt à côté de nous, tantôt derrière
13 août 1929 prem ier brevet -de P E R S ­ nous, nous m êlant à l ’action, et nous
P E C T IV E S O N O R E Gance-Debrie. forçant presque à chanter la Marseil­
1932. — M A T E R D O L O R O SA (Nouvelle ver­ laise avec la Convention... d (Bardèche
sion, sonore). et Brasillach, histoire du cinéma).
Production : S .E .D .l.F . (Arcy Films!. 1935. — L E R O M A N D ’UN JE U N E H O M M E
Tournage 16 jours ? — Coût 1.050.000 fr. PAUVRE.
Opérateur : Roger H ubert. Production : M aurice L ehm ann.
Décors : R obert Gys. Tournage : juillet-août. Coût : 1.600.000
M usique d ’accom pagnem ent au pianola francs.
(avec ondes). Scénario d ’A bel Gance, d ’après Octave
M ontage : A n d ré e Danis. Feuillet.
Interprétation : 1 ine Noro, G aby T riquet, , Dialogue de Claude V erm orel.
Sanson Fainsilber, Jean G alland, G as­ Opérateur : Roger H ubert.
ton Dubosc, A ntonin A rtaud. Décors : R oberf Gys.
1933. — LE M A IT R E DE FO RGES. Interprétalion : M arie Bell. Pauline Car­
Production ; F rrn a n d Rivers. ton, Marcelle Prince, M arthe Mellot,
Coût : 1.500.000 francs. Pierre Fresnay. Saturnin Fabre, Jean
Scénario d ’A b e l Gance d ’après Georges Fleur, A n d ré Baugé, Marcel Delaître,
O hnet. A n d ré Dubosc, Mnrnay.
Opérateur : H arrv Stradlîng. 1935. — L U C R E C E BO RG IA
M usique ; H enri V erdun . Production : H enri U llm ann.
ln te rpréVjfion : G ^bv Morlav. Jane Mar. Coût : 2-100.000 fran c s.
ken, P aule A ndral, Christiane Delyne, Scénario de Léopold M archand et H enri
H enri R ollan, Jacques Dumesnil. V endresse.
1934. - PO LIC H E. Opérateurs : Roger H u b e rt (et Boris Kauf-
Production : Films Critérium. m an n ?)
Tournage février-mars. M usique .• M. Lattes. ..
Scénario d ’A b e l Gance, d 'a p rès H enri Interprétation : Edw ige Feuillère. ce film
Bataille. la lance), Josette Day. Jacques Dum es-
A ssistant : H enri Decoin. nil, Maurice Escande.. A im é Clariond,
O pérateur : Roger H u bert ? Roger Karl, G abriel Gabrio, R en é Ber-
Interprétation : Marie Bell, E dith Mera, geron, Gaston Modot, A ntonin A rtaud,

21
Daniel Mendaille, P hilippe Hériat, Max 1936. — L E V O L E U R DE FEMMES.
Michel, Georges Prieur, Jacques Cossin. Production : Films Union.
Tournage en Italie à partir du 25 n o vem ­
1936. — U N G RA N D A M O U R D E B E ET H O -
bre.
VEN
Production : G énérales Productions.
Scénario d ’A be] Gance, d ’après P ie rre
Tournage : juin. Durée : 6 sem aines ? F rondaie.
O pérateur : Roger H ubert.
Coût : 2 millions. Interprétation : Jules Berry, Jean M ax,
Scénario et découpage d ’A bel Gance Jaq ue Catelain, Gilbert Gil, T h o m y
, Dialogue de Stève Passeur.
Bourdelle ? : A nn ie Ducaux, Lise Ma-
/Issisitants : Jean A rroy (et Le Pelletier ?) trey, Sylvie Gance.
R ég ie : Louis D aquin ?
Opérateurs : Robert Le Febvre (et Marc 1937. — J ’A C C U S E (nouvelle version, sonore).
Fossard). Production : Star Films (Société d u film
Décors : Jacques Colombier. J ’Accuse).
Costumes : H enri M ahé. T ournage ; du 14 m ai au 31 août- C o û t :
Montage avec M arguerite Beaugé. 4.300.000 Francs.
A daptation musicale : Louis Masson. S cénario d 'A b e l G ance et Stève Passeur.
Orchestre du Conservatoire t dirigé par Opérateur : Roger H ubert.
Philippe Gaubert; Décors : H enri Mahé.
Interprétation : H arry Baur, Jean Debu- M usique : H enri V e rdu n.
court, Jean-Louis Barrault, Pauley, Interprétation ; Victor Francen, Jean M ax,
Lucas Gridoux, Lucien R ozenberg, Da- M arcel Delaître, Pau l Amiot, A n d r é
lio, Roger Blin, A n dré Nox, Gaston Nox, G eorges Saillard, R enée Devil-
Dubosc, P h ilipp e R ichard, Radifé, lers, L in e Noro, Sylvie G ance. M . Ca-
A nnie Ducaux, Jany Holt, Jane Mar- huzac (?)
ken, Y olande Lam on Nadine Picard, 1938. — L Ç U ISE .
Sylvie G ance... Production : W eyler et Goldinberg.
« Mais co m m e il est toujours donné à T ournage ; novem bre et décem bre.
A h e i Gance d'avoir iune fois, dans cha­ Coâf : 7 millions.
que film , un m o m en t d ’invention, ce Scénario d ’A b e l Gance et Stève P asseur,
privilège nous Vaut au m oins un e scè­ d 'a p rè s Gustave C harpentier.
ne assez bel/e. L e maùin où Beethoven O p érateur : K urt Currant.
s’aperçoit q u 'il est devenu sourd, noua Décors : George W akhevitch.
pénétrons avec lui dans son univers M usique ; Gustave C harpentier.
nouveau. L e m onde des bruits, devenu M ontage avec Léonide Azar.
muef. ne se traduit plus, pour lui Interprétation : Grâce Moore, S u z a n n e
com m e pour nous, que par les images. D esprées, G inette Leclerc P auline C ar­
M uets, av^c ceffe perfection, ce relief ton, Jacqueline Prévôt, Georges T h ill,
qu e prête le silence au* choses, Ven­ A n d ré P ernet, Robert Le V igan, R a g e r
clum e, le verre, le violon _ les d oc\s, Blin, Marcel Pérès, E dm ond Beau-
les laveuses, la roue du m ou fin, suggè­ cham p .
rent tout à coup avec une force éton­ 1938 — Brevet G ance-A ngénieux pour le P IC -
nante Vidée d ’un m onde mconmu, inso­ TOGRA PHE.
nore. En rentrant de sa promenade,
alors, Beef/ioueti compose la Pastorale. 1939. — L E P A R A D /S PERDU .
L ’idée est î>e //e. » (Bardèche Brasillach, P roduction : Joseph T h a n (Taris Film ).
histoire d u cinéma). Tournage dé b u t avril à début juin,
Scénario : Joseph T h a n et A bel G ance.
1936. — JEROM E P E R R E A U , H E R O S D E S Dialogues : Stève Passeur.
BARRICA D ES. Opérateur : Christian Matras.
Production ; Georges Milton. Décors : H enri Mahé.
Tournage : du 5 août au 7 septem bre. M asjque : H ans May.
Coût i 2.400.000 francs. R é g ie : Louis D aquin ?
j4düfj(afion cinématographique d e Paul M onta ge avec L éonide Azar-
F^îçété d ’après le rom an d 'H e n ri Dupuy Inierprêiation : F e m a n d Gravey, R o b ert
Mazuel. Pizani, R o bert Le V igan, G érard L a n ­
Opérateurs : Roger H u b e rt (et Lucas). dry. A lerm e, J e a n Brochard, E d m o n d
. Assistants : C harpentier et Lalier- Beaucham p, Palau, Micheline P resle,
Décors : G arnier et Bonomy, EIvîre Popesco, Jane M arken, M onique
Régie .* Max Dorigny, R ollan. G a b y A ndreu.
Directeur technique : Baudouin.
Ingénieur d u son Royné. 1940-1941. LA VENUS AVEUGLE.
Partition musfca/e : Maurice Y vain. Production : Ffance-Nouvelle (F ernan d
Lt/rics : Lucien Boyer. Rivers ?)
• Interprétation : G eorges Milton. R obert C o ût : 4.100.000 francs.
L e V igan. Sanson Fainsilber, A bel T ar- Opérateur : B.H. Burel (et A lekan).
ride, Georges Moloy, F e m an d Fabre, Décors : H enri M ahé et Paul B ertrand.
Bernard Lancret, Saint-Ailier, Seller M usique .• Raoul Moretti.
MMo. Jean Bara, Serge G rave. T an ia Interprétation, : V iviane R o m an c e , L u ­
F édor, V alentine T essier, Irène Bril­ cienne L em archand, Sylvie G ance. Ma-
lant, Janine Borelli. Jane L am y, Saint- rion Malville, Georges Flam ent, H e n ri
Hilaire, M'ad Siame Guisol. A quistapace, Roland P é ru g ïer.

22
1942. — L E C A P IT A IN E FR A C A S SE .
P roduction ; Lux-films.
Tournage du rant l’été.
A d aptation et dialogues d ’A bel G ance et
C laude Verm orel d'après T héophile
Gautier.
Opérateur : Nicolas H ayer.
Décors : H en ri M ahé,
M usique : A rth u r H onecger.
Int&rprêtation : Fernancf Gravey, Jean
W eber, P a u l Oettly, Maurice Escande,
R oland T outain, R oger Blin, Lucien
Nat, Assia Noris, V ina Bovy, M ona
Goya, A lice Tissot, Sylvie Gance,
A n d ré e Guize,
1944. — M A N O L E T E : film inachevé (en
E spagne).
O pérateur : G uerner,
1953. — 14 JU IL L E T 1953.
P rem ier essai de Polyvision en couleurs.
D urée 20 minutes.
P roduction : Georges Rosetti avec G au-
m ont et A n d ré Debrie.
A ssistant : Jean Debrix.
M ontage : Jacques C-has tel. R o b ert Le V iyan e t M icheline P re sle
Prem ière projection au G aum ont-Palace le d a n s L e P a ra d is P erdu .
15 juillet 1954.
1954. — Scénario de L a R ein e Margot, a d a p ­
té d 'A le x an d re Dum as père {réalisation de O pérateur ; Burel.
Jean Dréville). Interprétation : Berthe Bady, Mme Dour-
1954. ■— C om m entaire d e L um ière de, P a u l gas, Silvio de Pedrelli.
Paviot. — La Terre, avec R obert Boudrioz.
1954. — L A T O U R DE NESLES. N apoléon : suite de son Bonaparte de
Prot/wcfion : F ernan d Rivers, 1926, prévue en cinq films ; le der­
T ournage : août-septembre. nier : Sainte-Hélène fut réalisé une pre­
A daptation ciném atographique d ’A bel m ière fois par L upü-Pick en 1928.
G ance. — Christophe Coîomi» (1939). — Produc­
A d a pta tion du dialogue d ’A bel G ance, tion Colum bus. Scénario et dialogue de
F ernand Rivers, E tien ne Fuzellier- Steve Passeur. Décors d e H enri M ahé.
Assistants ; Michel Boisrond, Yvan Jouan- Costum es de Robert Baldrich. Musique-
net. d e Joaquin Rodrigo et Henry^ V e rd u n .
Opérateiar : A n d ré T hom as. Prem ier tour de m anivelle prévu le 12
Décorateur ; R ené Bouladoux. juin 1939 à Grenade.
Costum es : Mme Martinez,
M usique ; H enri V e rdun . — Trois grandes oeuvres sur la religion :
M ontage : Mme T averna. L es grands initiés (Bouddha, Krishna,
Interprétation : Pierre Brasseur, Paul Confucius, Moïse, le Christ, et M aho­
G uers, Jacques Toja, Michel Bouquet, met)- Ce film conçu vers 1928 devait
Marcel Raine, Etchevery, Maffioly, affirm er la com m unauté des religions
Rivers Cadet, Paul D ém angé, Gabriello, au-delà de leurs luttes.
Rellys, lacques M eyran. Sylvana Pam - —■ Le royaume de la terre, qui devait par
panini, Lia di Léo, Christina Grado. l ’entrem ise du ciném a créer u ne syn­
C laude Sylvain. thèse nouvelle de la Foi.
C ouleur par Gévacolor,
— L a D ivine Tragédie : épisode du
Deux rem arques term inales s ’im posent
pour éclairer pleinem ent cette œ uvre Christ, détaché des Grands Initiés* Ce
capitale : film énorme, préparé durant cinq ans,
devait imposer la Polyvision. Resteront,
1° A b el G ance a dû tourner souvent très po ur figurer cette oeuvre insolite, les re­
vite. A part ses plus grands films (J’ac­ m arquables m aquettes du décorateur
cuse, L a roue, N apoléon. L a fin du
m o n d e ), sa production est donc b e a u ­ Mazereel.
[] m 'est agréable de remercier ici M.
coup plus ramassée q u ’elle ne le paraît.
A bel G ance dont j ’ai compulsé libre­
2° S 'il a dû réaliser des films « alim en­ m ent les archives ainsi n ue les histo­
taires » qu ’i\ renie, s il est resté douze
riens du cinéma et les adm irateurs _du
ans (1942-1954) sans faire un seul film, cinéaste, particulièrem ent Jean Mitry
A b e l G ance n 'a p u faire aboutir d e et Pierre Philippe. Je remercie par
nom breux projets grandioses, q u elq ue­
avance tous ceux qui pourraient m ’aider
fois au stade de la réalisation surtout :
à parfaire cet im portant travail de base.
—■ L e Soleil Noir (mars 1918).
Production : Le Film d 'A rt. Philippe E SN A U L T.

23
JACQUES AUDIBERTI

BILLET V

)Le Rouge et Je N o ir en rose et lilas

Une détente familière et spontanée de l’esprit met le cinéma dans


le sac de Scapin. Certes, le cinéma se confond au théâtre, en gros, par le
dispositif des établissements. La scène ou l’écran, d’une part. D’autre
part, en face, les fauteuils. Toutefois, les modalités exploitantes respec­
tives diffèrent par maints détails. Entre autres, chaque représentation
théâtrale s'accomplit à sa date propre, elle arrive, elle est arrivée, une
fête ! une cérémonie ! à telle enseigne que, juxtaposées, la matinée et la
soirée du dimanche, consacrées au même programme, engendrent quel­
que malaise, telles deux personnes sur un seul tabouret.
Le cinéma, lui, tend à se dérouler à côté du temps. Quand il est
permanent, il ajoute, à cette intrinsèque propriété, la faculté, concédée
au spectateur, de prendre le film au vol, à n ’importe quel endroit. Consé­
quence, au fur et à mesure que s’approche le retour au point de départ,
notre spectateur éprouve le même émoi que s’il lui fallait abandonner les
délices d’un songe profond. Il veut, mais en vain, il veut suspendre et
retarder les images annonçant l’inéluctable endroit du film oü, deux
heures auparavant, il aborda celui-ci. Restitué, d’un coup, à sa vie res­
ponsable, hésitant à p a rtir en dérangeant ses voisins, c’est en toute luci­
dité critique, avec, déjà, l'émotion du souvenir, qu’il verra, pour la seconde
fois, le restant du film. .
En sa substance spectaculaire, le théâtre n ’est utilisé, t e l . quel, p ar
le cinéma, qu’au niveau musical, à la faveur d’opérettes et de revues
introduites, lambeau par lambeau, dans une histoire m ettan t en relief
Marilyn Monroë ou Ninon Sevilla, m a vieille amie, assorties, chacune, d’un
partenaire falot que l’héroïne dépasse jusqu’au vertige, tel, jadis, l’hyper-
gorille King-Kong, accouplé, fantaisie monstrueuse ! à la blonde Fay
Wray, qui lui venait au genou. Le théâtre littéraire à dialogues, Parents
terribles ou Tramway, ne dégage pas, pas une seconde, l’odeur des plan ­
ches. Shakespeare, quand le happe la caméra, devient du cinéma, ta n tô t
merveilleux (Henri V, Laurence Olivier), ta n tô t fatigant {Hamie t, idem),
ta n tô t panaché (Le Songe d’une nuit d’été, Max R einhardt), Il n ’est
guère, en cinéma, que Sacha Guitry pour évoquer, dans ses comédies,
mais, aussi, dans ses épopées, à la faveur d’une parfaite et brillante
imperfection, associée à l’incomparable autorité des mots d’auteur, un
ton carrém ent théâtral, en même temps factice et du meilleur aloi.

24
Devenant cinéma, le théâtre devient récit, devient roman. Invinci­
blement, la lumière, surtout la noire et blanche,' qui si longtemps fu t la
seule à compter, la lumière articulée à même l’écran entraîne et combine
décors et personnages dans une intime matière homogène qui rappelle
davantage l’hallucinante rivière typographique d’une suite de chapitres
que les immédiates allées et venues d’acteur^ en chair et en os.
E t le roman, devenant cinéma, devient roman.
Désert vivant à part, n ’importe quel grand film, d’ailleurs, même
construit à partir d’une dizaine de lignes dactylographiées, devient, à
tout coup, roman. Il raconte, en effet, une histoire avec des gens.
Rien n ’interdit aux lecteurs de Césare Zavattini ou de Heinrich
Mann de retrouver dans Miracle à Milan et dans L’Ange bleu, les bou­
quins dont furent tiréa ces films. On peut les regarder sans davantage
se préoccuper de leurs soucis littéraires imprimés que des conversations
sténographiées qui présidèrent à l’élaboration des Vitelloni. Tourné par
Robert Bresson, Le Journal d’un Curé de campagne lui-même, tout en
affirm ant, avec un poids triste, la haletante présence invisible de Geor­
ges Bernanos, transpose l’admirable livre de celui-ci dans la ménagerie
des formes cinématographiques.
Il faut remonter aux plus antiques et vénérables Misérables et Trois
Mousquetaires pour dépister les antécédents du travail que vient de faire,
avec beaucoup de mérite, Claude Autant-Lara. Il a, pour ainsi dire, copié
Le Rouge et le Noir. Il l’a copié en rose et lilas. Avec une vieillotte et clas­
sique prévention à rencontre du cinéma, procédé sacrilège, barbare et

C la u d e A u ta n t- L a ra d irige G é r a r d P h ilip e dans. L e R o u g e et le Noir.

25
mécanicien, les fanatiques de Stendhal ne m anquent pas de se plaindre
que cette copie, pour ainsi dire d’après nature, ait été entreprise. Ils
déplorent, en outre, contradictoirement, qu’elle soit incomplète- Le
témoin sans passion s’amuse, lui, de voir ce même cinéma si bien s’appli­
quer à reproduire la bizarrerie de Stendhal, où barbote en vase clos tout
un jeu d’allusions et de manies à base de solitude chiffrée. Au Rouge et
le Noir, en effet, pour écrit qu’il soit avec clarté, on n e . peut adhérer
complètement qu’au prix d’être Stendhal en personne.
Un échantillon de ses ruses ?
Le paragraphe du chapitre quinze, où, pour la première fois, le jeune
héros, faisant l’homme, pénètre dans les bonnes grâces d.e Mme de Rénal
(circonflexe de rigueur) est d’une décence parfaite. Mais chaque phrase
s’arrange pour se terminer par un mot plus relevé. Ces mots, dans l’ordre,
sont : bras, caresses, jouir, déchiraient. Et qu’est-ce que c’est, au juste,
que le dépôt de mendicité ? Qu’est-ce que c’est que le directeur du bureau
de loterie ? Qu’est-ce que c’est que ce roi de (points de suspension) si
pompeusement reçu dans cette petite ville ? Une foule de détails de ce
genre donnent, au roman, sans doute à dessein, un cachet d’anomalie où
se tradu it avec subtilité l’étrangeté d’un génie provincial fasciné par les
salons, les boudoirs et les complots. La perspicacité du m etteur en scène,
ou son ingénuité, sut rendre à la perfection la machiavélique atmosphère
poisson d’avril où Stendhal place ses intrigues.
Tout le livre baigne dans les problèmes de l’antagonisme social,
reflété dans les vicissitudes d’une brève carrière ambitieuse, celle de
Julien Sorel, que joue Gérard Philipe. Le spectateur qui n ’a pas lu
Stendhal, et qui cherche son plaisir ailleurs que dans l’exacte photo­
graphie des fantômes d’un texte célèbre, n ’a pas la moindre chance
d’imaginer que Le Rouge et le Noir soit autre chose que le deuxième épi­
sode de Monsieur Ripois, s’il a vu ce film. Lequel Monsieur Ripois, tout
compte fait, serait, bel et bien, l’authentique adaptation cinématogra­
phique moderne du chef-d’œuvre de Stendhal. Sous les diverses défro­
ques de Julien Sorel, notre très sympathique jeune premier national
poursuit, le visage une fois pour toutes immobilisé jusqu’au vide dans une
synthèse d’indifférence et de gentillesse, son destin de séducteur sans
concupiscence ni conviction, qui tombe les femmes parce qu’il fau t bien,
mais avec une telle veulerie intérieure qu’il finit, à la lettre, ici Ripois,
là Sorel, par tomber lui-même, aplati dans un cas, dans l’autre guillotiné.
Pour ce même spectateur, les travestis du Rouge, mitres, shakos, les cou-
cheries, les lingeries, ces m ains frôlées, ce pied léché, cette échelle noc­
turne, ces parents burlesques et ce rageur m ari cocu se résolvent dans
un comique inédit, le comique grave, que la salle accueille par un rire
continu, mais discret, mal sûr de ses droits. Les deux coups de pistolet
dans l’église, la condamnation à mort, l’assassinée invulnérable, parée de
la ravissante physionomie, elle-même circonflexe, de Danielle Darrieux,
venant, à la dernière heure, aimer son assassin dans son cachot, tout
cela peut se rapporter à l’histoire vécue, du temps de Stendhal, à Gre­
noble, par le séminariste Berthet, mais ne s’en situe pas moins aussi loin
'de notre commune expérience du réel que de l’efficace et vertigineuse
logique de la fantaisie.
; Moi, de tout le magnifique album en couleurs d’Autant-Lara, ce qui
me toucha le plus, peut-être comme l’unique témoignage de notre
folklore dans cette bande plus exotique, que n ’importe quelle japonaise
ou brésilienne, c’est, l’avouerai-je, l’uniforme garance et bleu foncé de
Jean-Pierre Grenier, sergent-m ajor à lunettes d’infanterie écarfcelant,

26
dans le corps de garde de la prison où Monsieur Ripois se dispose à finir
comme Monsieur Verdoux, un poulet rôti, pour voir si s’y dissimule une
scie. De même, d’un tableau lentem ent visité par la caméra de Pierre
K ast ou de Luciano Emmer, puis repeint, sur l’écran, par la projection,
notre regard enregistre plus volontiers tel fragment, jusqu’ici délaissé
p ar les critiques d’art, que les artifices grossisseurs rendent plus total
que le tout.

Gustave Doré

Cette aptitude reconstituante de notre lanterne magique sur les tré ­


sors de l’art plastique vient de s’exercer, avec le plus grand bonheur, sur
Gustave Doré.
Gustave Doré n ’est pas inégal aux plus grands, Goya, Botticelli. Sa
pire infirmité, c’est dans sa force qu’elle réside, celle d’un fleuve se
noyant lui-même dans le large je t continu d'une abondance féconde que
l’on finit par porter au crédit de la prodigalité de la nature.
Dante, Rabelais, Cervantès, La Fontaine, Balzac, l'Arioste, Londres,
l’Espagne l’induisent à des œuvres graphiques qui, toutes à l’envie, vont
illustrant, non seulement leurs thèmes respectifs, mais l’alliage absolu
de l’imagination et de l’exécution. J ’éprouve de la colère quand, à cette
écrasante foison de lignes justes, toutes frappées d’un style à ne confon­
dre avec aucun, je compare la prétentieuse marmelade de ta n t de pein­
tres qui se perm ettent implicitement de se dire et de se croire les
confrères de ce G argantua créateur, abstrait à l’infini de la miniature
quand il saisit la géométrie mystique des mosquées andalouses, surréa­
liste en ses laboratoires de monstres non moins viables qu’ahurissants,
académique, si l’on veut, par la puissance exacte de ses nus.
L’objectif ne magnifie pas forcément tout ce qu’il touche. Les pay­
sages qui bordent l’interminable course cycliste, qui, depuis ta n t d’an ­
nées, traverse, sous la pluie, les actualités, sont plus sinistres et déses­
pérés que dans la réalité. J ’ai vu, ces jours-ci, La Naissance de Vénus en
personne participer de la médiocrité générale d’un court métrage où
figurait cette merveille des merveilles. Peut-être quelque opérateur insuf­
fisant fût-il parvenu, de même, à restreindre Gustave Doré. Mais Ray­
mond Voinquel a bien servi le géant rhénan du crayon, dans les pro­
fondeurs duquel, infernales et surnaturelles, nous entrons, jusqu’à la
sublime horreur, à la suite de notre regard aspiré par les dénivellations
d’espace indiquées par le jeu perspectif des valeurs dessinées.

M agnifiant le magnifique, cette réussite, venant après déjà quelques


autres du même genre à l’actif du cinéma, montre que, si celui-ci a partie
liée avec le roman^ il n ’a pas oublié l’a rt graphique dont, tout a u ta n t que
du théâtre, il descend et qu’il sait retrouver pour en être exalté tout en
l'exaltant.
Jacques AUDIBERTI.

27
NÉO-RÉALISME ET FILMS DOCUMENTAIRES

par Mario Verdone

Quels rapprochements peut-on faire entre le néo-réalisme et les films documen­


taires ? Prenons les films qui introduisent au néo-réalisme : Osscssioue et sa route brû­
lée par le soleil, Alfa Tan et ses « vrais » Bersaglieri descendant du train à leur
retour du pont, Ultima Carroszelîa, Avanti c'è fosto, Campo dVF iori avec les cochers
de fiacre, les conducteurs de tramway et les marchandes de poisson, arrivons enfin à
S dus cia, Paisa, Rome citia a aperta et l ’occupation : nous nous apercevons bientôt
que le film néo-réaliste tout en n ’étant pas un documentaire, naît du documentaire
et vit grâce à lui, enfin trouve en lui ses thèmes les plus profonds. Il transforme en
fiction, interprétation, transposition, ce qui est document, qu’il soit authentique ou
reconstitué. Il décrit la réalité telle qu'elle est, les hommes tels qu’ils sont, tels qu'ils
vivent, les lieux tels que nous lès voyons. Ne tenons pas compte du fait qu’ils soient
ou non importants, célèbres, surestimés : sans leur intrigue, les" films que nous avons
cités seraient des documentaires. A partir du moment où dans ces milieux déterminés
une intrigue se noue, que des passions prennent naissance, que des personnages entrent
en jeu, la partie purement documentaire perd son rôle de protagoniste et se trans­
forme en décor pour servir de cadre aux phases d ’un drame, d ’une fiction.
Mais jamais la force dramatique ne sera si puissante qu’elle anéantisse ce qui
est document. Ainsi, les films que nous avons rappelés, de même que Voleurs de bicy­
clette et Umberto D avec leurs mille recoupements, de même que Miracolo e Milano
avec ses « barboni » sont pourtant des films qui utilisent dans une grande mesure le
documentaire. Ceci dit sans nier dans ces films la part incontestable d ’imagination.
On peut affirmer que le réalisme français, l ’âge d’or de Renoir, Carné, Duvivièr,
etc..* n ’aurait pas existé sans la littérature et le théâtre naturalistes, d ’abord sans Zola
et Antoine, enfin sans des auteurs mineurs tels que Carco et Mac Orlan. Le réalisme
a en effet une origine .littéraire. On peut soutenir ceci aussi fermement : il n ’y aurait
pas eu de néo-réalisme (nous choisissons ce terme pour la commodité de l ’expression)
à savoir le réalisme italien de l’après-guerre, sans une inspiration « documentariste »
qui par la suite est également celui de Gustavo Sereha qui, dans Assunta Spina nous
montre les rues de Naples pleines de mares d ’eau, celui de Blassetti qui dans « 1860 »
exige pour tourner d ’authentiques « Picciotti » (1). Sans l ’inspiration documentariste
de Visconti dans La Terra tréma, de Rossellini dans Pàisa, de De Sica dans Sciuscia,
ce réalisme cinématographique qu’on a convenu d ’appeler néo-réalisme n'existerait pas.
La différence entre le film d ■'inspiration néo-réalisfe et le documentaire est toute dans
le fait que le documentaire ne « falsifie » pas ; on ne peut naturellement pas refuser
au film à scénario le droit de reconstituer les faits, même si l ’on tourne sur les lieux
où les événements se sont déroulés et si c’est avec la collaboration des hommes qui ont
pris part à. l ’action, ou qui pour le moins, ont des caractéristiques physiques et morales
semblables à celles des protagonistes vrais ou fictifs de l ’histoire racontée.
Mais outre les éléments extérieurs, il y en a d ’autres, qui eux, sont les véritables
composantes du mouvement néo-réaliste italien. En se plaçant derrière la caméra avant
tout comme des « documentaristes », comme des chroniqueurs, et même si par la suite
ils ont eu recours aux intrigues, aux scénarios, aux mises en scène minutieusement pré­

28
établies, les réalisateurs néo-réalistes sont restés des « documentaristes » dans leur
position vis-à-vis de la société et vis-à-vis des sentiments de ceux qui la composent.
En ce sens, le réalisme italien d ’après guerre a donc été un réalisme social spé­
cifiquement italien, d ’inspiration parfois libérale, parfois catholique, plus rarement
marxiste ou en tous cas, différant beaucoup de la conception de Poudovkine dans par
exemple Le Retour de VassÜi Bortnikov. Le sien était un réalisme qui ne découvrait
pas les sentiments des hommes qui composent cette société ou du moins, laissait-il un
doute sur ceux-ci- Il est possible que ces sentiments aient été justement les mêmes que
ceux de ces trois êtres qui, autour d ’une table, pensaient aux tracteurs,- à la cellule,
au progrès comme à un suprême idéal, en laissant au deuxième plan tous les autres
aspects de la vie, qu’ils soient doux ou cruels, angoissants ou joyeux. Je rectifie : peut-
être ces sentiments et cet idéal pouvaient-ils réellement être ceux de ces hommes, de
cette femme couverte de décorations, que les deux hommes élisaient à la tête de la cel­
lule. Idéaux et sentiments qui vont avec les fermes isolées dans les plaines, avec les
kolkhoses perdus dans les steppes. Mais au regard de nos réalisateurs se présentaient
des raisons de vivre bien plus généreuses et des hommes aux sentiments bien plus variés
et riches d ’humanité. Leur réalisme fut donc un réalisme d ’origine documentaire, com­
prenant une prise de conscience sociale avec tous les aspects non camouflés de ce qui
était et reste encore notre société : mais surtout il a été et il reste encore un réalisme qui
n’a pas exclu les sentiments véritablement humains, qui les a traités avec cette spon­
tanéité qui, par le passé, n ’appartient qu’au documen taris te Flaherty. Voilà pourquoi
le néo-réalisme a des rapports si considérables avec le documentaire, voilà aussi pour­
quoi il entraîne naturellement avec lui nos meilleurs documentaristes qui par leurs réa­
lisations : Barboni) Pugilaton, S-port minore, Amoroso, menzôgna, Cristo non si t
fermato a Eboli, et plus récemment le film-enquête Amore in c itià , participent tous,
eux aussi, au mouvement néo-réaliste-
Mario VERDONE.
CT ra d u it de l'it a lie n p a r L a u ra M a u r i.)

(1) Les « picciotti » ce so n t le jeunes siciliens qui se son t ralliés à Garibaldi en 1800.

Im a g in i p o b o la rî sicilane. de M ario V e r d on e, qu i a o b te n u a u F e stiv al


de B ru x e lle s le p r e m ie r p rix d u film s u r le folklore.

29
LETTRE D’ATHÈNES

par Gilbert Salachas

L e G re c e n g é n éra l, l ’A th é n ie n e n p a rtic u lie r, a im e le c in é m a . L es s ta tis tiq u e s n o u s


a p p r e n n e n t q u 'il y v a e n m o y e n n e c in q fois p a r an, ce q u i e s t a s s e z c o n s id é r a b le p r o p o r ­
t io n n e lle m e n t à so n bud get-loisir. O n ne s a u r a it, e n eiïet, i n s is te r s u f f is a m m e n t s u r la
p a u v r e té d u p e u p le grec. Il ne f a u d r a it p o u r ta n t p a s en d é d u ir e a u to m a tiq u e m e n t q u e le
c in é m a lu i se rt, selo n la b o n n e vieille fo rm ule, de stu p é fia n t. L e G re c n e c h e r c h e p a s à
s’é v a d e r d e sa c o n d itio n m is é ra b le d a n s la c o n te m p la tio n fug itiv e d ’u n r ê v e d o ré . J e n ’e n
veu x p o u r p re u v e q u e le su c c ès c r o is s a n t d e s film s ita lie n s n é o -réa liste s a u d é tr im e n t d e
c eu x des a u tr e s pays, d o n t la F r a n c e h é la s, m a is p lu s p a r tic u liè r e m e n t l ’A m é riq u e .

J e t o n s u n c o u p d ’œ il s u r les c hiffres officiels qui n o u s re n s e ig n e n t t r è s p ré c is é m e n t


s u r la c o u r b e d ’a ssid u ité d u sp e c ta te u r à l’é g a rd des d iv ers p a y s p ro d u c te u rs .

N o m b re S o it B illets S o it R a p p o rt des
F ilm s de p ro d u c tio n O
de films }0/- réa li ses O /
/O p o u rc e n ta g e s

S a is o n 1950-1951

G re c q u e ................................... 14 3,65 3.352.903 13,51 +270 %


I t a l i e n n e ....................... .. 22 5,73 1.740.(31 7,01 + 22 %
A m é ric a in e .......................... 255 66,41 14.632.274 58,94 — 12,6 %
A nglaise ................................. 38 9,90 1.736.481 7 » — 41,4 %
F r a n ç a is e .............................. 32 S,33 1.2S6.2J2 5,18 — MIS %
Sm'-son 1951-1952

G re c q u e .................................. 15 3,83 3.843.970 14.53 + 279,3 %


I ta lie n n e ................................ 31 7,91 2.038.435 7,71) — 2,7 %
A n g la ise .................................. 31 7,91 1.889.680 7,14 — 10,7 %
A m é ric a in e .......................... 253 64,54 14.521.365 54,88 — 19,4 %
F ra n ç a is e .............................. 43 10,97 2.189.912 , 8,28 — 32.4 %

S a is o n 1952-1953

G re c q u e .................................. 22 5,70 3.946.204 14,47 + 153,8 %


I ta lie n n e ................................ 37 9,59 3.607.473 13,22 + 37,8 %
A m é ric a in e ............................ 236 61,14 14.542.633 53,31 — 14,6 i%
F r a n ç a is e .............................. 32 S,29 1.824.171 9,69 — 23,9 %
A n g laise ................................ 31 8.03 1.258.862 4.62 — %

E n c o r e faut-il a jo u te r qu e la d is trib u tio n d e s film s a m é ric a in s (n o u s y re v ie n d ro n s ) est


m ie u x o rg a n is é e q u e to u t a u tr e et qu e çle ce fait le s G recs, qu i p o u r t a n t les b o u d e n t, se
tro u v e n t d e v a n t la c a r te forcée d e s p r o g r a m m a tio n s . C e p e n d a n t il s e r a it in ju s te d e n e p a s
so u lig n e r q u ’il existe, to u t a u m o in s à A th è n es, u n e fo rte p r o p o rtio n de c in é p h ile s intelli­
g e n ts et a ssid u s. L es c ritiq u e s des q u o tid ie n s so n t en g é n é ra l t r è s é c o u té s (il n ’e x iste p a s

30
de re v u e spécialisée e n G rè c e à l ’e x ce p tio n d u c o rp o ra tif a K in im a to g r a p h ic o s A s tir »).
D e plus, le sp e c ta te u r év o lu é p o ssèd e u n c e r ta in flair qui lui p e rm e t, dit-o n , de d é te c te r
d ’e m b lé e les film s d e v aleu r.
B ie n e n te n d u , le g r a n d p u b lic r e s te c o n fo rm e a u x n o rm e s in te r n a tio n a le s e t le film
c o m m e r c ia l a, c o m m e p a r to u t ailleurs, p rise s u r lui, su rto u t d a n s les c a m p a g n e s.
C e tte lettre, o n s’e n a p e rç o it s a n s do ute, n ’est p a s le r é s u lta t d ’u n e e n q u ê te sc ru p u le u ­
se m e n t m en é e . L es op in io n s a v a n c é e s s o n t p e rso n n e lle s; elles p r o v ie n n e n t d ’u n c e r ta in n o m ­
b re de d isc u ssio n s a v e c des A th é n ie n s (ou d e s A th é n ie n n e s) qu e j’ai e u l’o c c a sio n de r e n ­
c o n tr e r d u r a n t u n m o is d e séjour. L es in fo r m a tio n s g é n é ra le s (chiffres, sta tistiq u e s, etc...)
m ’o n t é té o b lig e a m m e n t fo u rn is p a r Mlle A lice L ik o u , c o r r e s p o n d a n te d e « U n ifra n ce -
Film » à A th è n e s e t q u e je tie n s à r e m e r c ie r ici p o u r son a id e c h a le u re u s e e t efficace. J ’a i
re n c o n tr é M lle L ik o u p re s q u e p a r h a s a r d d a n s u n b u r e a u d e r A n i b a s s a d e d e F r a n c e e t
a p rè s u n e d e m i-h e u re d ’e n tr e tie n je m e suis re n d u compte- q u ’elle é ta it a u c o u r a n t d e to u t
ce qui to u c h e le c in é m a . D ’u n e a ctiv ité f a ro u c h e e t d ’u n e ge n tille sse to u te g re cq u e , elle a
p o u r m issio n de d iffuser n o s film s e t je n e c ro is p a s qu e les in té r ê ts f ra n ç a is p u is s e n t tr o u v e r
m e ille u r a v o c a t. C ’e s t elfe qu i m ’a facilité les e n tre v u e s a v e c les p r in c ip a u x p ro d u c te u rs ,
ré a lis a te u rs , d is tr ib u te u r s e t im p o r ta te u r s p r é s e n ts à A th è n e s, q ui a , e n d e s te m p s re c o rd s,
a r r a n g é des sé a n c e s priv ées. C ’e s t elle enfin q u i m ’a m is e n r a p p o r t av ec u n e a u t r e p e r ­
so n n a lité é to n n a n te : M m e A glaë M itropo ulo s, fo n d a tric e d ire c tric e d u c in é -clu b d ’A th è n es.

L li C IN E -C L U B

C a r il e x iste u n c iné-clu b à A th èn es. II fo nction ne depu is 1950 et c o m p te e n v iro n 500


m e m b re s . L es sé a n c e s so n t h e b d o m a d a ir e s (d im a n c h e m atin ), et to u t à fa it se m b la b le s à
celles de n o s C.C. fra n ça is. A sig n a le r q u e c h a q u e a n n é e est o rg a n is é p a r m i les a d h é r e n ts
tvn c o n c o u rs d e la m eille u re c ritiq u e d o té de prix. P o u r v ou s d o n n e r u n e id ée de la sélec­
tio n des p ro g ra m m e s , je m e b o r n e r a i à c ite r c eu x p ré se n té s a u c o u rs d u d e r n ie r e x e rc ic e :
u L a p a ssio n de J e a n n e d ’A rc », « C a p ita in e P a r a d is », « Q u a i d e s O rfè v re s », « U n c h a ­
p e a u d e paille d ’Italie », « L a je u n e folle ». « V ille in te rd ite », te C r in b la n c », « S o u s le
soleil d e R o m e », « C ity L ights », « Le d ia b le a u c o rp s »i « T e m p ê te s u r l’A sie », a T h e
fo u r p o ste rs », « G lin k a », « L es o rg u e illeu x », « N oblesse oblige », « A n o u s la lib e rté »,

G e o rg e s P a p a s e t Elli L a m b e ttî d a n s L e R é v e il d u D im a n c h e .

31
« E l b r u t o », « T h e im p o rta n c e of b e in g E a r n e s t », « L ’h o m m e a u c o m p le t b la n c », « T h e
a s to n is h e d h e a r t » et « J e u x in te rd its ».
O n a u r a re m a r q u é . le m é la n g e de p r o g r a m m e s c la ss iq u e s e t d e film*; ré ce n ts. E n elTet,
il n ’e s t p a s r a r e qu e le C.C. p ré se n te e n a v a n t-p re m iè re d e s œ u v r e s d e stin é e s à l'ex p lo ita ­
tio n c o m m e rc ia le , s u r to u t d e s filins ré p u té s « difficiles ». L e u r c a r r i è r e e s t a lo rs fo rte m e n t
ép au lé e, p a rfo is sau v ée, p a r u n re te n tis s a n t su c c è s en C in é -C lu b ( c o n tr a ire m e n t à ce qu i se
p asse ici av ec le C in é m a d ’E ssai).
A th è n e s c o m p te a u ssi u n C in é m a d ’E ssai. Il p r o g r a m m e e n c e m o m e n t E d o u a rd et
C arolin e.
M m e M itropo ulo s, qui c o n n a ît d ia b le m e n t so n a ffaire, e t s’y d o n n e av ec le m ê m e zèle
q u e Mlle L iko u, e s t m a in te n a n t s u r le p o in t d e la n c e r d e u x n o u v e a u x C.C. : u n à P a t r a s
e t u n à S a lo n iq u e . Elle m ’a confié so n d é sir de p r é s e n te r d a v a n ta g e d e film s fra n ça is,
bien q u ’à m o n a v is le p o u r c e n ta g e soit déjà su ffisa m m e n t fla tte u r p o u r n o u s (50 % d e s
p r o g r a m m e s p o u r c e tte d e r n iè r e a n n é e ). Il p ro u v e e n to u s c as que la F r a n c e c o n tin u e à
in té re sse r u n e c e r ta in e p a rtie d u public.

LE C IN E M A F R A N Ç A IS EN G R E C E

P o u r les chiffres, se re p o r te r a u ta b le a u ci-h au t. A jo u to n s q u e la saiso n 1953-1954


e st e n c o re p lu s d é s a s tre u s e p o u r la F r a n c e q u e les p ré c é d e n te s : u n e v in g ta in e d e film s
a u m a x im u m . Il faut se re n d re à l’évid e n c e : n o tre p o p u la rité e st en p e rte de vitesse,
su r to u t p a r r a p p o r t a u x a n n é e s d ’a v a n t-g u e rre . A c e tte époque, o n p o u v a it v o ir p a r
e x e m p le d e s film s a m é ric a in s , ita lie n s ou a u tr e s d o u b lés .en fra n ç a is, le fra n ç a is é ta n t la
lan g u e é tr a n g è r e la p lu s p a rlé e a v a n t l’in v a s io n a n g lo -s a x o n n e d e 1945.
A u jo u rd ’h u i, la m o d e est à l’a n g la is o u p lu tô t à l’a m é r ic a in . N ou s n e bén éficio n s
plus q u e d ’u n p re stig e p re sq u e d ésu et, ré se rv é a u x é lites e t e n to u r é d e resp ect, b re f c lassé
à jam ais. O n n o u s c o n sid ère , à p ré se n t, à t r a v e r s le p r is m e d e s lieux c o m m u n s en c irc u ­
la tio n d a n s la p lu p a r t d e s p a y s é tra n g e rs ; on p a r le a v e c a d m ir a tio n d e : la tra d itio n de
la q u a lité, l’ex cellen ce e t Ja p ré cisio n d u ra is o n n e m e n t, îe n o n -c o n fo rm ism e d e l’a ttitu d e
et... la g a illa rd ise d u c o m p o rte m e n t. J e ne nie p a s qu e c e tte r é p u ta tio n stylisée soit, e n
c e r ta in s c a s justifiée, m a is d é p lo re s e u le m e n t que n o t r e p a y s, si p ro c h e d e la G rè c e
n a g u è r e , se tro u v e r é d u it a c es q u e lq u e s clichés.
C o rr o la ir e m e n t, les film s f ra n ç a is im p o rté s e n G r è c e a u r o n t u n e a u d ie n c e e t u n e
r e n ta b ilité e n r a p p o r t d ir e c t a v e c la n o u v elle situ a tio n . S e r o n t de p ré fére n ce a p p ré c ié e s
les oeuvres m o n tr a n t la F r a n c e so u s so n a s p e c t le p lu s c o n fo rm e à sa légende. O n p e u t
en p ro fite r p o u r b lâ m e r a u p a ssa g e u n e c e r ta in e te n d a n c e d u c in é m a fra n ç a is ré s e rv é à
l’e x p o rta tio n . C ’e s t a in s i q u ’a u c o u rs d e s d e r n iè r e s a n n é e s les p lu s g ro sses r e c e tte s so n t
allé es à :
1950-1951 : « S in g o a lla » ...................................................... S I.365 e n tré e s en exclusivité.
» « A u ro y a u m e d e s cieux » ........................ 43.073 » n
» te L a ro n d e » .................................................... 36.667 » »
» oc L ’épave » ............... *...................................... 34.284 d »
1951-1952 : « L es n u its de P a r i s y> ................................ 95.294 « »
» <r J u s tic e e st faite » ....................................... 38.516 » »
» « B o îte d e n u it » ........................................... 36.128 » »
» « B e a u té d u d ia b le » .................................... 33.357 » »
1952-1953 : « A d o ra b le s c r é a tu r e s » .................... . . . . 63.828 » »
» « M essaline » ................................................... 59.509 j* »
» * C a ro lin e c h é rie » ............. ............... 57.824 n »
» oc F a n fa n la tulipe » ....................................... 48.942 » ‘ »
1953-1954 : cc L u c rè c e B o rg ia » ............................ ............ 87.320 » »
» « D on C a m illo » ............................................. 49.556 » »
j> « V io lettes im p é ria le s » ............................ . 23.514" » „ »
» a J e u x in te r d its .............................................. 19.036 » »
Bien e n te n d u la p o p u la rité des in te r p r è te s e n tr e p o u r b e a u c o u p d a n s le su c c ès d e s
film s pré cités. M a rtin e C a ro l p lu s q u e C h r is tîa n - J a q u e e st re sp o n sa b le d u trio m p h e de
L u c r è c e B orgia e t d e A d o r a b le s c réa tu res. Il est d ’a ille u r s c u rie u x d e c o n s ta te r q u e
les G re c s ont, c o m m e on dit, le u rs têtes. Us e x è c r e n t e n g é n é ra l F re sn a y ou R o u le a u m ais
a d o r e n t M. C a ro l, S. S ig n o re t, G. M a rc h a i, D. G é lin e t s u r t o u t G . P h ilip e. Ne n o u s
h â to n s p a s p o u r a u t a n t d e ju g er le g o û t d u p u b lic d ’a p r è s les r é s u lta ts é n u m é ré s . Il fau t

32
a jo u te r e n effet q u e ce n ’e s t p a s to u jo u r s la fine fleur d e nos p r o d u c tio n s qu i le u r e st
e nv oyée. P o u r q u o i ? Il s e r a it c o m m o d e d e r é p o n d re p a r d ’in c re v a b le s lie u x c o m m u n s :
L a q u a lité n e pa ie p a s (011 to u t a u m o in s c o m p o rte d e s risq ues), les F r a n ç a i s p ré fè re n t
e x p o r te r —■ e t les G re c s im p o r te r — d e s p r o d u its d e tr a ite d o n c des p ro d u its sû rs, etc...
E n r é a lité le p ro b lè m e e st b e a u c o u p p lu s c o m p le x e e t re p o se s u r l’o rg a n is a tio n d e s
im p o rta tio n s d e films. Q u a n d j ’é c ris o rg a n is a tio n c’e s t p re sq u e d e l ’iro n ie .

I M P O R T A T I O N - D IS T R IB U T IO N .

L e m a r c h é d e s film s é ti'a n g e rs e n G r è c e d é p e n d de l ’in itiativ e e t d e s c a p ric e s d ’im p o r ­


t a te u r s iso lés q u i s o n t e n g é n é ra l é g a le m e n t d istrib u te u rs .
L e s g r a n d e s firm e s a m é ric a in e s , elles, o n t le u r s re p r é s e n ta n ts a ttitr é s qu i e x p lo ite n t
le u rs film s ra tio n n e lle m e n t s u iv a n t u n sy s tè m e d e c o n tr a t « a u p o u rc e n ta g e » (le ta u x e s t
v a r ia b le m a is g ra v ite a u to u r de 50 % ). P l u s m éfia n ts, les p r o d u c te u r s f r a n ç a is p r é fè re n t
v e n d re a a u fo rfait » la lic e n ce d ’e x p lo ita tio n d e le u rs films (d e 300.000 à 1 m illion d e
fra n c s p a r film ). L ’é v e n ta il d e s p ro d u c tio n s fr a n ç a is e s p ro je té e s e s t d o n c s u b o rd o n n é à d e s
m a r c h é s o c c a s io n n e ls c o n c lu s s a n s le m o in d r e e s p rit de suite. D ’où l’in c o h é re n c e de c e r ­
ta in e s p r o g r a m m a tio n s {L es b a teliers d e la V olg a ex p lo ité e n 1951, L e to m b e a u h in d o u
en 1952 !). ^
M a is il s e m b le q u e d e p u is p e u u n e p o litiq u e plus efficace se d essine, g r â c e e n p a r tic u ­
lie r à l’a c tio n d e Mlle L ik ou qu i te n te de g r o u p e r les im p o r ta tio n s c in é m a to g ra p h iq u e s e t
d ’in tr o d u ir e u n m in im u m d e p la n ific a tio n d a n s le c h a o s actuel. II e s t é v id e n t q u e to u t le
m o n d e , p r o d u c te u rs , im p o r ta te u r s , pu blic, tr o u v e ra son a v a n ta g e d a n s u n e po litiqu e plus
c la irv o y a n te b a s é e s u r l'o r g a n is a tio n d e s a c h e te u r s e t la c o n fia n ce d e s v e n d eu rs.
D ’a ille u r s l’o rg a n is a tio n n ’e st p a s le fa it d e la G rèce, d a n s le d o m a in e c in é m a to g r a ­
p h iq u e e n c o r e m o in s q u ’ailleurs.

L E C IN E M A G R E C

N o us to u c h o n s ici le vif d u sujet. E xiste-t-il u n c in é m a grec ?


N ou s a v o n s v u p a r les c hiffres d e n o tre p re m ie r ta b le a u q u e la p ro d u c tio n g re c q u e
acc u se , q u a n tita tiv e m e n t, u n c r e s c e n d o c o n s ta n t (8 film s e n 1948-1949, 25 e n 1953-1954),
c re s c e n d o justifié p a r la r e n ta b ilité d u film grec. L e p u blic r u r a l e n p a r tic u lie r su p p o rte
m a l les so u s -titre s (les film s é tra n g e rs n e s o n t ja m a is do ublés).
Q u ’o n n ie p e rm e tte ici u n e p a r e n th è s e p o u r d ire d e u x m o ts d e la te c h n iq u e d u sous-
titra g e . S a u f e x c e p tio n s r a r e s , le s s o u s -titre s s o n t p ro je té s h o rs de l’im a g e , s u r u n e b a n d e
b la n c h e p la c é e au -d esso u s d e l’é c r a n . A v a n ta g e s : l'im a g e n’est p lu s m a n g é e p a r le texte.
— L es c a r a c t è r e s s o n t b e a u c o u p p lu s g r a n d s d o n c d ’u n e lec tu re p lu s facile e t s u r to u t plus
ra p id e . I n c o n v é n ie n t : le s y n c h ro n is m e te x te -im a g e s n ’e st p a s to u jo u rs p a rfa it. E n effet
les s o u s -titre s n e s o n t p a s p ro jeté s à 24 im a g e s-se co n d e m a is so n t c o n stitu é s p a r u n e su ite
d e c a r to n s fixes d o n t le c h a n g e m e n t e s t confié à u n o p é r a te u r spécialisé. C e d e r n ie r — c o n ­
n a is s a n t ou n o n la lan g u e d e la v ersio n o rig in a le — s’aide, p o u r o p é re r, d 'u n e so rte d e
liv re t o ù s o n t p a r a llè le m e n t c o n sig n és les d é ta ils d e la m ise e n sc è n e e t les n u m é ro s d e
c a r to n s c o rr e s p o n d a n ts . Il p a r a î t q u e le r é s u lta t d e v ie n t b o n à p a r ti r d e la tro is iè m e
sé a n c e ; le G re c s ’a d a p te vite. F e r m o n s la p a re n th è se ,
C e tte p r o d u c tio n n a tio n a le q u i s’a c c r o ît d ’a n n é e e n a n n ée , q u e vaut-e lle e x a c t e m e n t ?
S i l’o n in te r r o g e les p ro d u c te u r s e t les r é a lis a te u r s ils b a is s e n t le nez. L ’h u m ilité c h e z eux
frise le c o m p le x e. Ils se sa v e n t te c h n iq u e m e n t in fé rie u rs a u x a u tr e s p a y s e t le d é p lo re n t
av ec u n e s in c é rité s u r p r e n a n te p o u r u n peuple fier. J ’ai lo n g u e m e n t d isc u té a v e c p lu sieu rs
p e rs o n n a lité s c in é m a to g r a p h iq u e s e t é té stu p é fa it d e la c o n c o rd a n c e d e le u rs pro pos.
M. Z erv o s, p r o d u c te u r - ré a lis a te u r, a y a n t b e a u c o u p v oyagé a b e a u c o u p e n re g istré . S o n
e x p é rie n c e e n A n g le te r r e lui a p e r m is d ’o se r a b o r d e r la m ise en scène. Il a sign é « L es
q u a tr e m a r c h e s », a N oël sa n g la n t », a La lib é ra tio n d ’A th è n es », etc. S o n r y th m e a c tu e l
e st d e 3 à 4 film s p a r a n (en t a n t q u e p ro d u c te u r) to u rn é s d a n s ses p ro p r e s stu d io s du
P i r é e q u ’il m ’a fa it visiter. C e s stu d io s se tro u v e n t e n é ta g e e t se c o m p o s e n t d ’u n u n iq u e
p la te a u p a rfo is divisé en d e u x d é c o rs 011 les p rise s de vu e o n t lieu a lte r n a tiv e m e n t..L ’in d i­
g e n c e m a té r ie lle e s t n a v r a n te e t il fa u t to u t le génie g re c d u b ric o la g e p o u r y su p p lé er.
M. Z e rv o s se r e n d p a r f a ite m e n t c o m p te d e la situ a tio n m a is e n p a rle s a n s a m e rtu m e .

33

3
Q u ’y p e u t- il? L e c in é m a est u n e a v e n tu r e p riv ée q u i ne bénéficie d’a u c u n c o n c o u r s g o u ­
v e rn e m e n ta l, b ie n a u c o n tr a i r e (les ta x e s so n t é v alu é es à e n v iro n 47 % d e s r e c e tte s , d e
p lu s ia c e n s u r e sé v it c o m m e a ille u rs ). P a r la fo rc e d es choses, il se c o n te n te des m o y e n s
d o n t il dispose, p o u s s a n t le p a r a d o x e ju sq u 'à p r é te n d r e qu e ses stu d io s so n t s u ffisa m m e n t
équ ipés, c a r , ajoute-t-il, la m a jo r ité d e s p rise s d e vu e so n t d e s e x té rie u rs. Il c r o it a u
c in é m a g re c e t c o n s ta te so n é v o lu tio n . Il c ro it aussi e n l'influen ce d e la c ritiq u e e t m e
c o n firm e q u ’elle est, e n G rè c e , tr è s b ie n form ée.
U n a u tr e p ro d u c te u r, M. L a m b ir is , qu i tra v a ille e n éq u ip e a v e c le p ro p r ié ta ir e
d e S tu d io , Mr. S k o u lik id e s, tie n t à q u e lq u e c hose p rè s le m ê m e lan g ag e. Il c o n n a ît b ie n
le m a r c h é p u isq u 'il e s t é g a le m e n t im p o r ta te u r de film s (fra n ç a is e t h o n g ro is ) e t d is tr i­
b u te u r.
Il r e c o n n a ît l’in o rg a n is a tio n t o ta le d u c in é m a g re c, la qu alité m é d io c re d e la p r o d u c ­
tion. T o u te fo is il affirm e que, d a n s u n e pe rsp e ctiv e s tric te m e n t c o m m e rc ia le , la s itu a tio n
n ’a rie n d e c a ta s tro p h iq u e p u isq u e les film s g recs, c o m m e n o u s l’a v o n s vu, c o n v ie n n e n t
a u m a r c h é tels q u’ils sont. M a is il v o u d r a it a lle r de l’a v an t, d é g a g e r sa p ro d u c tio n d e s
se rv itu d e s c o m m e rc ia le s et lui d o n n e r u n c a c h e t qui lui p e r m e tte d e s’a lig n e r s u r les
c o n c u r r e n ts im m é d ia ts. C e tte p r é te n tio n à la qualité, il s a it q u ’elle ne s ’o p é r e r a p a s d u
jo u r a u le n d e m a in : « Nos te c h n ic ie n s , n o s m e tte u r s e n sc è n e n ’o n t é té fo rm é s p a r p e r­
s o n n e . Ici n ’im p o r te q u i p e u t s’im p ro v ise r r é a lis a te u r (les sc é n a riste s n e s’e n p riv e n t p a s)
e t le -cu m u l des fo n c tio n s e s t p a rf o is excessif. U n e g é n é ra tio n sp o n ta n é e n ’a c q u i e r t sa
v é r ita b le fo rm e q u ’a p rè s u n te m p s d ’é p re u v e s e t d e t â to n n e m e n ts e x tr ê m e m e n t long.
C ’e st la d u r é e d e c e t a u to -a p p re n tis s a g e q u’il fa u d ra it éviter. L’idéal s e ra it qu e n o s
c in é a ste s , à to u s les é c h e lo n s de la p ro d u c tio n m a ïs s u r to u t les tec h n icie n s, fa sse n t le u r s
a r m e s à l’é tr a n g e r selon les m é th o d e s a d o p té e s p a r les p a y s c in é m a to g ra p h iq u e m e n t é vo­
lués. U ne solide fo rm a tio n de b a se d ’a u m o in s q u e lq u e s jeun es su ffirait à d o n n e r le d é p a r t
à u n v é r ita b le c in é m a n a tio n a l ».
C e tte c o n v e rs a tio n a v a it lieu d a n s les S tu d io s S k o u lik id e s qui p o s s è d e n t tro is p la te a u x
d o n t u n en p lein a ir e t u n d a n s u n e c a v e tr è s b a sse d e plafond où l’o n a c c è d e p a r u n e
tr a p p e 1 C e tte c a v e e st é tr a n g e ; e lle r e sse m b le à u n e vieille c ry p te d é la b r é e a u x v o û te s
é c ra s é e s s o u te n u e s p a r d ’é n o rm e s piliers. O n m ’exp liqu e q u ’il s’ag it d ’u n d é co r. E n effet
les c o lo n n e s s o n n e n t c re u x à la p e rc u s s io n m a is a u c o u p d 'œ il l’illu sion y est. J e m ’y
su is laissé p r e n d re . R é u ssite d ’a u t a n t p lu s s u r p r e n a n te q u e le b u d g e t a c c o rd é a u d é c o ­
r a t e u r e s t to u jo u rs d é riso ire . J ’ai v u , d a n s d ’a u tr e s stu dios, d e s o u v rie rs tra v a ille r s u r u n
film en c o u r s av ec d e s m o y e n s to u c h a n ts . D u p a p ie r k r a f t te n d u su r d e lég è res c a r c a s s e s
e n b o is suffit à r e p r é s e n te r u n m u r , e t to u t à l’a v e n a n t.
M. S k o u lik id es, q u i n o u s a c c o m p a g n e d a n s la visite e n ne n o u s é p a r g n a n t a u c u n
r e c o in d e son d o m a in e , se m o n tr e assez fier d ’a illeu rs de c es b rico la g es. D a n s so n la b o ­
r a to ir e de d é v elo p p e m e n t, le c o n d itio n n e m e n t de l’a ir e s t o b te n u à l’a id e d ’u n a p p a re il
fo rt c u rie u x m a is efficace : u n v e n tila te u r d e c a m io n s u r m o n té d ’u n v a ste e n to n n o i r
c o n te n a n t d e la glace, to u rn e , p u lv é rise et... ra fra îch it.
C ’e st a u ta n d e m L a m b iris -S k o u lik id è s qu e l’on d o it le film qui a r e p r é s e n té la G rè c e
a u d e r n ie r festival d e C a n n e s : L a R ê v e îï d u D im a n c h e .
O n m ’a v a i t p e u t- ê tr e tr o p p r é v e n u c o n tre le c in é m a g r e c ; tb u jo u fs est-il q u e c e film
m ’a s e m b lé to u t à fa it h o n o r a b le e n d é p it d e c e rta in s a la n g u isse m e n ts m é lo d ra m a tiq u e s ,
c o n te n a n t m ê m e çà e t là d ’e x c e lle n te s séqu ences, a le rte s e t b ie n m e n é e s. J e peinse s u r t o u t
aux; im a g e s d ’e x p o sitio n qu i c o n s titu e n t u n e ’s o rte d e d o c u m e n ta ire v iv a n t s u r A th è n e s
le d im a n c h e . L e s c é n a r io e s t fa it d ’u n c e rta in n o m b r e d e ré m in is c e n c e s — o u d e r e n ­
c o n tr e s ? — a lla n t d e « S o ü s le ciel d e P a r i s » à « D im a n c h e d ’a o û t » e n p a s s a n t p a r
« A n to in e e t A n to in e tte », le t o u t tra n s p o s é à A th èn es, b ie n e n te n d u . C e tte b a n d e e st
re v e n u e à e n v iro n 10.000 d r a c h m e s (soit 12 m illio n s d e fra n cs), ce qui, là-b as, e s t e x o r ­
b i ta n t ! E lle s o r tir a d ’a ille u rs v ra is e m b la b le m e n t à P a r is b ien tô t.
M a is la g ra n d e su rp rise m ’a é té p r o c u ré e p a r u n ex ce lle n t c o u rt m é tra g e : D a p h n is.
E n p a r t a n t d e s m a g n ifiq u e s m o s a ïq u e s n o ir, b la n c e t o r d e la c é lè b re église b y z a n tin e ,
o n n o u s p r é s e n te l’h is to ir e d u C h r is t av ec u n e sim plicité, u n e n e tte té e t u n e soup lesse
d a n s le t r a i t qui s o u tie n d r a ie n t la c o m p a ra is o n av ec n o s p ro p r e s film s s u r l’a r t. L e p r i n ­
c ip e e s t d ’a ille u rs id en tiq u e. J e su is h e u r e u x de sig n a le r c e tte r é u ssite c a r elle p ré sa g e
la p o ssib ilité d ’u n e é c h a p p é e v e r s l a qu alité. M ais cette q u a lité e st liée à l’é te rn e l p ro b lè m e
de l a 'f o r m a t i o n de b a se d e s c a n d id a ts cin éastes.
A th è n e s po ssèd e p o u r t a n t u n e « E cole de C in é m a », c o m p a ra b le d a n s sa fo r m u le à

34
n o tre I.D .H .E .C . e t d o n t elle se ré c la m e . C e tte é cole p riv ée e s t d irig é e p a r le m e tte u r
e n sc è n e G ré g o ire G ré g o rio u . D e son p r o p r e a v e u ses film s n e s o n t p a s cc d e s film s », n iais
il fa u t t e n i r c o m p te d e la p a r t d e m o d e s tie qu i e n tr e d a n s c e tte a u to c ritiq u e . C ’e s t u n
h o m m e jeu ne, in te llig e n t e t d ’u n e g r a n d e é ru d itio n c in é m a to g ra p h iq u e . S e s a u te u r s p ré -
férés s o n t E isen ste in , C la ir e t D e S ic a. C e n e s o n t p a s ses « m a î t r e s », affirm e-t-il, c a r
il n e se se n t p a s dig n e de le u r p a tr o n a g e . Il s a it q ue l’e n s e ig n e m e n t q u ’il d o n n e e s t su r­
to u t th é o riq u e . L ui a u ssi v o u d r a it qu e se s élèves p u is s e n t s 'e x p a tr ie r q u e lq u e te m p s p o u r
a p p re n d r e le m étier. Il se b o rn e à le u r c o m m u n iq u e r so n a m o u r d u c in é m a e t les o r ie n te
to u t de m ê m e te c h n iq u e m e n t d a n s la m e s u r e d u possible.
Q u e c o n c lu re de to u t ceci ? P e u t- o n a ffirm e r q u ’il e x iste en p u issa n c e u n c in é m a g re c ?
C ertes, il fa u t b ie n a v o u e r qu e c e r ta in s p a y s e u ro p é e n s s’o b stin e n t, o n n e s a it pou rq u o i,
à n e p a s se m a n ife ste r c in é m a to g r a p h iq u e m e n t (l’E sp a g n e , le P o rtu g a l, la S uisse, la B el­
gique). M ais si l’o n e n jug e p a r les p ro p o s in te llig e n ts d e s d iv e rse s p e r so n n a lité s r e n c o n ­
trées, rie n n e s’op p o se t h é o r iq u e m e n t à c e qu e la G rè c e a c c è d e u n jo u r à u n e p lac e
h o n o ra b le a u sein d es n a tio n s é m a n c ip é es. D e lo n g u e d a te elle p o ssèd e d e u x a to u ts q u ’elle
p o u r r a it fo rt bien m e ttre a u se rv ic e d u c in é m a : le se n s d u c o m m e rc e e t la v ig u e u r in te l­
lectuelle.
S o n d r a m e e st d ’ê tr e lim itée p a r d e s s t r u c tu r e s é c o n o m iq u e s qu i lui b o u c h e n t b ien
des h o riz o n s : ind iffé ren c e to ta le d e s p o u v o irs p u b lic s ; in e x iste n c e d ’u n e o rg a n is a tio n
d ’e n se m b le qu i tie n d ra it le rô le d e c e n tr e d ’é la b o r a tio n d ’u n e p o litiq u e collective ; im p o s­
sibilité p o u r le p a rtic u lie r d ’in v e s tir à p e r te .d es c ré d its qu i n e fru c tifie ra ie n t q u ’à trè s
lon gue é c h é a n c e (fo rm a tio n d e te c h n ic ie n s à l’é tr a n g e r p a r e x e m p le ) ; lim ita tio n d é ris o ire
d u prix d e r e v ie n t d ’un film ; ex ig u ïté d e la zo ne d ’e x p lo ita tio n (la G rè c e e t C h y p re , p a r ­
fois l a ï u r q u i e , l’E g y p te e t l’E th io p ie ) ; e m p iris m e e t a n a r c h ie d e la p ro d u c tio n , etc...
M ais a u se in d e ce d é s o rd re d es in d iv id u s c h e r c h e n t et tra v a ille n t. D es c o u r a n ts d e
pensée — q u i n e so n t e n c o re q u ’a u sta d e v e llé ita ire — se fo rm en t. L o rsq u e la cinéphilie
p assiv e e t c o n te m p la tiv e se c ris ta llis e ra e n fo rc e d isciplinée, lo rsq u e les p r o d u c te u rs d é c i­
d e ro n t d e se so lid a rise r d a n s le c a d r e d ’u n e p o litiq u e d ’e n se m b le , lo rsq u e l’E ta t enfin
c o m p r e n d r a q u ’il est de son in té r ê t de se p e n c h e r s u r le p ro b lèm e , a lo rs p e u t-ê tre des
v a le u rs se ré v é le ro n t e t des « œ u v r e s » n a îtr o n t. D e cela je suis à p eu p rè s sur.

G ilb e rt S A L A C H A S .

Elli L a m b e tti d a n s Le R é v e il d u D im a n c h e .,

35
PETIT JOURNAL IN TIM E DU CINÉMA
(du 4 décem bre 1 9 5 4 au 10 janvier 1 95 5)

par Pierre Kast


P i e r r e K nst

4 d é c e m b re lonne de gauche, où Soldati décrit les cou-


peuses de roseau au travail dans les m arais,
V isiblem ent, l ’agilité intellectuelle des cen­ etc. L e texte se term ine p ar : toutes ces scènes
seurs italiens vaut celle des censeurs fran­ sont inacceptables d u point d e vue m oralité.
çais. U n e des tâches principales de l ’assis­ Je pense qu e dans toutes les productions,
tant italien de French-Cancan, L ino Matas- m aintenant, il y a de cette m anière u n su r­
soni, sem ble être la surveillance des décolletés. veillant attentif, qui épluche les découpages.
T o u rm e n té, m élancolique, portant directem ent O n peut toujours penser que c’est plus drô le
sur la peau un gilet d ’orties, il vient de temps que m échant. 11 y a toujours, au d é b u t, un
à autre dem ander une nouvelle prise- L e nom ­ aspect com ique d an s les m esures de police.
bril d e Maria Félix, au jou rd'hui, est le sujet
d e son cas d e conscience. Les Français, déjà,
le verront bien peu ; mais on tourne une autre
prise, avec ceinture pailletée. Les co-produc- S d é ce m b re
teurs italiens seront rassurés ; si les Italiens
veulent se renseigner sur la structure m uscu­ Je passe tout le d im anch e au m arché aux
laire de la ceinture abdom inale des femmes, puces, où Preston Sturgess nous entraîne,
ils n ’auront q u ’à se rendre dans leurs églises. France R oche et m oi, A la nuit nous rentrons
cîiez lui, exténués, chargés de chaises, d e bo u­
Matassoni passe son tem ps à sortir de sa tons de portes et d e séchoirs pour le linge de
poche de petites notes q u ’on lui transm et sans son fils, qu i a u n an, et répo nd « one » q u a n d
arrêt pour rafraîchir son zèle, j e reçois une on lui d e m a n d e son âge. StuTgess, très déçu,
petite note du m êm e genre, à propos d e n ’a pas trouvé le ciseau à bois don t il avait
l’adaptation française d e Ja Fille d u Fleuve, d e le plus urgent besoin, et a u ’il a d e m a n d é à
Mario Soldati, qu e nous term inons, France cent m archands de la cité Biron, q u ’il connaît
R oche et m oi. O n nous prie de nous souvenir tous, p ar leurs nom s, avec leurs histoires de
entre autres choses que, page 2, il faut éli­ famille.
m iner l ’impression o faciès levantins » se ré­ L a gentillesse, l’am abilité, la cordialité, la
férant aux habitants de Comacchio, page 26 vraie b o n té d e Preston Sturgess, qui sont im ­
m odifier la réplique d ’un des personnages menses, ne sont rien à côté d e sa volubilité.
principaux, G ’no, qui voulant prouver son C om m e u ne m itrailleuse il dévide m ille his­
honorabilité, dit : a T ous m es papiers sont toires en u n e après-m idi. Puis, étourdi, fas­
en règle, j ’ai un frère prêtre, m es parents ciné, on le regarde frotter au m îror u n e des
sont connus, » — , pages 165-166, a supprim er vingt lam pes de cuivre, — qui avec un ban c,
les répliques des gardes qui exprim ent peu tin ba*n d e siège transform é en fauteuil, un
d e respect pour la tâche des douaniers v — , bidet Louis X IV d evenu table-bureau, consti­
et enfin, p a ee 301, <t rem placer par u n e autre tuent le fond d é l'am e u b le m en t d u studio où
plus chaste l’exclamation d ’une bohém ienne », il s’installe, — en atte n d an t qu e com m e A la-
qui im itant l ’A ve Maria, disait, dans le texte dîn, il en fasse surgir un dém on esclave.
italien, en s’adressant à u n e autre fémme,
« m au d ît soit le fruit de tes entrailles ». Je Sturgess, après de prodigieux succès com ­
passe sur les interdictions qui frap pent la co­ m erciaux, s’est délibérém ent brouillé avec

36
Z an uck . Il achète u n théâtre, m onte une série d 'u n e élégance de îa pensée et d e la forme.
d e pièces, quitte les U .S .A ., et vient enfin tour­ Je m e sens fournir aux partisans de ce fijm
n er à P aris L e s Carnets d u Major Thom pson. l ’im age du natif-type d e la Béotie, voire d ’un
L ’adaptation, term inée, est sur le bras du siè­ sous-jdanov am ateu r d ’am ours kholkhosiennes
ge-bureau. T o urnage en février, je crois. Les constructives. L ’intérêt de sentim ents nuancés
d é b u ts d ’O bjectîf 49 furent un grand festival de personnages épais, en qui on ne p re n d
Sturgess. Depuis nous avons vu à peu près m êm e pas l’élém entaire précaution de vous
tous ses films. Mais tout se passe comme si faire entrer, m 'éc h a p p e totalem ent. Ce cou­
un e m od e d u m étaphysique entraînait à l’igno­ ple d ’anglais victimes du m alen ten du classi­
rer. J ’im agine q u e p o u r l ’école Schérer. il est que, et qu e les sentim ents poétiques que leur
une sorte de vaudeviliste- Pourtant, The lady inspire l'Italie et les processions italiennes ré ­
Etie, Sullivan, T h e C onquering hero, avec leur vèlent à leur am our, m e paraît hélas d u plus
a m ertu m e gouailleuse et volubile, leur inso­ p u r style Marie-Claire, L e s ailes de la coïombe
lence burlesque, ont été pour beaucoup, à leur sont loin.
sortie en France, com m e la révélation d ’un
visage inconnu d u ciném a américain. La vita­ Jean T huilier, et Georges Rosetti, qui nous
lité et la séduction de l ’hom m e q u ’il est m e accom pagnent regardent avec stupeur cette b a ­
confirm ent absolum ent dans cette vue aérienne taille de chiffonniers talm udistes.
de son œ uvre q u ’on a m aintenant : le seul
auteur satirique d ’Hollywood. L e truisme h a ­
bituel : com m e il est facile d ’attrapper sur 8 d é c e m b re
un rayon un E velyn W au g h q u 'o n veut re­
lire, et difficile de revoir à son gré u n Freston Du MONDE : « M. Je a n M édecin, m aire
Sturgess, m ’accable toujours autant. de Nice, fait dresser contravention à un
Je m e sens pour un e fois, bien d ’accord exploitant qui ne tenait pas com pte d ’un
avec Sadoul, qui, dans la revue des ciné- arrêté m unicipal interdisant Monifya et L e
clubs. C iném a 55, fait u n grand papier sur Feu dans la P eau. De Co.MBAT : « M. Jean
les conditions d a n s lesquelles s’exerce la cri­ Nocher pose un e question écrite sur l’incroya­
tique ciném atographique : le souvenir varia­ ble im m oralité d 'u n film de gangsters fran­
ble et changeant pris à une projection q uelque­ çais-.. et d e m and e à la censure d ’appliquer
fois unique. désormais le principe qu e « seront censurées
toutes les productions qui incitent au m al en
le rendant aim able s.
7 d é c e m b re
Les pères de famille sont protégés.
Les dirigeants des « Journées du Ciném a »
organisent une petite fête-récital intim e. Nous 9 d é c e m b re
voyons d ’abord un m erveilleux film publici­
taire d ’Alexeief pour Mon Savon, Pure Beauté,
qui ne séduit pas seulem ent P ar son aspect Jean T h evenet, de la P .A .C . proteste vio­
perform ance (faire un film publicitaire éroti­ lem m ent dans un hebdom adaire corporatif,
que), m ais par son audace paisible. Je vou­
drais b ie n le voir dans un e salle, entre les
esquim aux et les pastilles mentholées-
L a petite assistance ne goûte pas trop Le
braOe soldat C hveick de T rn k a. O n s ’accorde-
à le trouver trop volubiîe. Ainsi les Tchè-
iuea resteraient-ils de glace au plus drôle des
?ilms de poupées tiré du Train ae 8 h. 47 qui
en serait pourtant l’expression la plus baroque
et la plus juste.
E nfin, L e Voyage en Halte. de Rossellini,
avec B ergm an et Sanders, suscite u n m arathon
de discussions, qui se prolonge des heures
dans un bistrot. Le propos est clair, faire du
H enry Jam es, en m ontrant les variations de
sentim ents im perceptibles et informulés, et en
finissant d a n s un grand m ouvem ent de l ’âme.
Les rossellinistes, après les Fioretti, StromboJi
et E urope 51, sont comblés. A struc et Doniol
d ’u n e part, L eehnard t et moi d ’autre part,
nous accrochons férocement ; L eeh n ard t plus
sensible au bâclage, au trucage, à l ’épaisseur
d ’u ne form e réputée subtile et parfaite. -—•
la vulgarité, la grossièreté et le m arécage d u
p iétinem ent d ’un e pensée censée exprim er d e
subtiles nuances d e sentim ents infinitésim aux,
m ’apparaissant plus clairem ent. A struc parle
un pe u vite des Dernières Vacance s, où pour­
tant la délicatesse d u propos s’accom pagnait P r e s to n S tu r g e s s e t F r a n c e R o c h e.

37
contre l’attribution de primes à la qualité, 13 d é c e m b re
qu r d a n s le dom aine d u court-m étrage, re m ­
place l'ancienne loi d ’aide. T hevenet, qui, P o ur la prem ière fois depuis sept mois, je
je crois, n ’a que des opinions désintéressées n ’ai pas à travailler aujourd’hui. Sorti d ù
eir la m atière, et sous couleur de défend re couvent, je m e précipite joyeusem ent d a n s le
drôlem ent le ciném a plaisant et commercial siècle. D éjeuner avec Doniol-Valcroze ; lon­
q u ’il aime, contre de p réten dus esthètes, se gue conversation sur L andernau. sur la colo­
fait ainsi le complice des fabricants d e films nisation d es Cahiers par le parti prêtre, sur
sur le Périgord touristique. considérablem ent l'in tense rigolade d u num éro spécial Hitchkock
favorisés par l'ancienne loi d ’aide. C om m e qui réjouit beaucoup tous ceux qui ont eu
s ’il y avait des esthètes d a n s le ciném a — ou directem ent ou p ar personnes de confiance
bien, q uel esthétisme ? — et com m e si le d a n ­ interposées des contacts avec Hitchkock, et
ger principal qui m enace le ciném a français jaugent ainsi l'au n e de sa m étaphysique.
était u n envahissem ent par l'abstraction.

15 d é c e m b re
11 d é c e m b re
Lo Duca m ’invite à la projection q u ’il orga­
Pour m arquer la fin d u tournage de French- nise pour le directeur d u V endôm e de L a
Cancan, Jean Renoir fait venir deux petits Strada de Fellini. Je n ’ai pas eu depuis des
tonneaux sur le plateau, et le film se term ine mois de pareil choc devant u n film. L e film
dans une bonne hum eur générale. A cteurs, sortira sans doute d a n s les m ois à venir, et
tous revenus pour un e fois, techniciens, m a ­ les Cahiers en parleront abon dam m en t. T o u t
chinistes et électriciens, ont l'air d ’avoir gagné ce qui dans l ’am bition, dans l'intention d u
un e étape. Ainsi en h a u t d ’une m ontagne, film de Rossellini était visible, m ais d isp a ­
trinquant joyeusem ent, un e cordée est-elle raissait du film, est ici sur l ’écran. La noblesse
censée oublier les fatigues de la route. U n e et la délicatesse du sentim ent, la disparition
grande m achinerie industrielle qui produit un de l'intrigue au profit des m ouvem ents d e
film comme French-Cancan brise cependant l ’âm e, l'inexprim é, la retenue, la n u a n ce infi­
les sherpas com m e aucun Everest. Le film nitésimale trouvent leur expression, dan s u n
artisanal sem ble paradisiaque à côté des le- m élange de truculence, de baroque et d ’inso­
m ous entraînés par une grosse pièce d ’artil­ lence, avec une incroyable justesse d u ton, et
lerie financière. J’aim e et j ’adm ire beauco up perfection d e la forme. Les forains m isé ­
l ’au teu r Jean Renoir, son goût du baroque, rables de L a Strada ont pour moi la m êm e
sa m anière de guetter l'instant providentiel, sa im portance q u e les motocyclistes d u W iJd
patience pour obtenir des acteurs ce q u ’il veut Orte. Voir e n m oins d ’un an, deux films quç
u ’ils lui donnent. L a période de préparation je puisse adm irer aussi totalem ent est exacte­
u film reste une de celles de ma vie où je m en t ce q u ’il faut au m om ent où en re m o n ­
me suis le plus amusé, où j ’ai vu régner le tant les Champs-Elysées le fer-blanc ou la
plus de gaieté dans le travail. Le tournage bassesse sont les alim ents qui vous sont le
est une route plus m ontueuse ; enfin, une plus souvent proposés, dans la vague des
expérience de sept mois d e travail à côté de mises en scène à grand spectacle, qui déferle
lui com pte et m arque. Je com prends m ieux sur les program m es de Noël. L e soir, d a n s
m aintenant l’em preinte qui a m arqu é ceux u n petit ciném a près de l'O péra, où passe
de ses anciens collaborateurs que je connais, u n assez curieux film burlesque intitulé T o u t
et qui m ’ont parlé de lui, Jean Castanier, F-ou, Toah Flam m es, je me trouvé à côté
A n d ré Z w o bad a et les autres, et la richesse d ’A do Kyrou. Nous cherchons longtem ps,
de com m entaires q u'il provoque chez les plus sans trouver lequel des comiques, gros et
m uets d ’entre eux. maigres, tous déjà vus dans des courts m étrages
burlesques de la période où Pete S m ith et
Devant Je panoram a q u 'o n découvre en Fitzpatrick ne saturaient pas le m arché, p e u t
haut de la m ontagne, riche, divers, curieux, bien être Spike Jones, annoncé, en vedette.
exaltant ou désespérant, je m ’étonne d ’abord
q ue personne n ’ait écrit le journal d ’un film.
Je croîs que Paul G uth, qui l’a fait p o u r u n
film de Bresson, n ’était pas m em bre de l'é q u i­ 16 d é c e m b re
pe. Puis, dans la cohue aux yeux brillants
qui trinque joyeusem ent, toutes rancœ urs, J ’ai entre les m ains le texte com plet d e la
toutes m anœ uvres, toutes m esquineries ou ­ lettre de démission d e Charles Spaak, prési­
bliées, je m e dis soudain que c'est le type dent d u _Syndicat des Scénaristes, Derrière
m êm e de l'entreprise impossible. Fabrice ne une ironie aim able, on sent u n e am ertum e
voyait rien de la bataille de W aterloo, m ais inattendue. Deux points principaux d a n s son
le chef canonnier en voyait-il davantage, et argum entation : système des contrats qui
Napoléon, finalem ent ? 11 y a une espèce de tient -les scénaristes, et en conséquence, dis­
sagesse à la V aléry dans le fait, tout bien p e ­ parition des sujets originaux. Lettre convain­
sé, de ne considérer que l’œ uvre en elle- cante, et, m êm e, en somme ém ouvante, m ais
m êm e, de ne jam ais s’arrêter au x travers où m anque un e peinture sym étrique d e s rai­
de l'hom m e, pour ne s’attacher q u 'à l'auteu r. sons nobles, ou m oins nobles qui font q u ’un
Et com m e on dit en langage parlem entaire, producteur m ise sur tel sujet plutôt qu e sur
cette question préalable, qui est celle de la tel autre- C harles Spaak qui devient m a in ­
critique du tém oignage... tenant producteur, aura ainsi la m atière d ’u n e

38
Guilletta. M assin a et A n th o n v Q u in n d a n s L a S tra d a de F e d e ric o Fellini.

autre lettre sur les a tondeurs » après avoir des Producteurs de C.M. et T richet, pré­
si courageusem ent tançé les e tondus ». sident du Syndicat des Exploitants exécu­
tent u n duo rassurant et inattendu. Les exploi­
Générale des Sorcières de Salem . Le doigt- tants, par la bouche d e M. T ric h e t, se d é­
sur J’escopette une grande partie de la salle clarent d ’u n e grande b o nn e volonté pour
attend les débuts au théâtre de deux acteurs accueillir la « saine distraction » q u e peut
d e ciném a. O n flaire le soufre d u progres­ devenir le court m étrage. E nfin, le m ythe de
sisme, m algré Marcel A ym é. Derrière moi, la b o n ne soirée est couronné sur la scène ;
un jeun e écrivain célèbre de la droite litté­ on dît qu'il ne faut p as bo u d e r sur ses com ­
raire apolitiaue ricane sévèrem ent à chaque pagnons de route ; tout le m onde applaudit.
faiblesse. L ’habileté diabolique d e la pièce,
la conviction des deux acteurs principaux,
l'extraordinaire création de Pierre Mondy, et
finalem ent la noblesse du propos m e tou­ 18 d é c e m b re
chent beaucoup.
D îner avec Georges Rosetti, producteur du
film de Jean Mousselle L e Pain V ivant, scé­
nario de François Mauriac- U ne polém ique de
17 d é c e m b re vacances m enées avec Rosetti dans C o m ba t, au
m om ent de l ’enquête d ’A rla u d sur la crise
Salle Pleyel. Gala annuel du Syndicat des d u ciném a, m e faisait attendre u n garçon
Producteurs d e Court-Métrage. O n passe, plus sensiblem ent boy-scout q u ’il ne l ’est en
com m e d ’habitude, u n oü deux de ces films, fait. U ne passion violente pour le ciném a,
subventionnés, qui sont les produits inévita­ en général, pour l’art de R o bert Bresson en
bles de la crise qui anéantit lentem ent et particulier p eut donc conduire à produire des
sûrem ent le court m étrage indépendant. On films. Rosetti. après quelques expériences de
présente aussi les P antom im es de Marceau, court-métrage se lance dans un e entreprise
où la cam éra s’efface h onnêtem ent et dign e­ d ’u n singulier courage. U n m etteur en scène
m en t derrière le com édien, et d ’autres films don t c’est le prem ier film, un opérateur idem,
intéressants du type exploration, François le des acteurs, en vedette, qui n 'o n t jamais tour­
Rhinocéros et le Canal de Suez. A l’entracte né, un scénario enfin, qui joue délibérém ent
Marcel d e H ubsch, président , d u Syndicat la difficulté, recherche systém atiquem ent

39
l’am bition et la grandeur, plutôt que l ’au ­ trage m ondial, le cycle du ciném a italien,
dience, il y a de quoi être estom aqué. E t la projection estivale des classiques sont
Georges Rosetti, parfaitem ent conscient de des titres d e gloire qu’aucune m a n œ u ­
ses actes, ajoute avec le sourire que le m é­ vre ne peut faire oublier. Il sem ble q u ’une
tier ne l'intéresse que dans ces conditions. fois encore L anglois soit à m êm e de parer
A vec d e notables différences dans le com por­ le coup. C o m m e chaque année, les fidè­
tem ent et dans l’attitude, dans les préoccu­ les se retrouvent, Elie Lotar, Braunberger, les
pations et dans les m éthodes, je m e dis Prévert, Franju, Mitry, et tant d'autres, com ­
q u ’u n Stanley K ram er doit un peu être cela. plices, et heu reux d e la seule occasion a n ­
nuelle de se trouver ensemble. Les conversa­
Si on veut bien considérer que le cinéma tions à la sortie d urent presque autant q ue
est u n art de com m ande, où la réunion d ’un la réunion. A la in Resnais m ’explique le d e r­
certain nom bre de m oyens m atériels en vue nier et désolant état de ses conversations pour
de la poursuite d ’un certain bu t devient aussi essayer de faire sortir son film L es sfafues
essentielle que l’exécution de l’œ uvre et la m eurent aussi toujours scandaleusem ent in ­
déterm ine Je plus souvent, je com prends com­ terdit. A p rè s une brève flam bée de protes­
m e n t un Rosetti peut, dans l ’exercice m êm e tations sans résultat tout s'est arrêté, en l’état.
de sa volonté de création, se fixer sur !e L a m achine administrative, chaque fois q u ’on
travail surhum ain de forcer la m achinerie la trouve en face de soi, est comme un e m é ­
financière pour en tirer des élém ents utilisa­ duse gigantesque, que rien ne peut soulever.
bles dans sa propre perspective. Finalem ent,
la réussite d ’entreprises com m e la sienne con­ Georges Sadoul m ’attaque longuem ent et
ditionne la survie d ’u n certain genre de ciné­ affectueusem ent à propos d u petit film sur
m a que nous aimons. L ’intelligence et l ’esprit Callct q u e j ’ai fait en 1951. Mon erreur est
d e finesse appliquées à la recherche des d'avoir pris les dessins de Callot sur les hor-
m oyens de produire m éritent un sérieux coup -eurs de la guerre com m e l’une de ses activi­
de chapeau, tés, sans dire q u ’il y m ettait son cœur en
entier et l ’essentiel de son message. Mon cri­
m e est la litote : Callot, correspondant d e
19 d é c e m b r e guerre, m e paraissait plus accablant pour le
m ilitaire, que Callot, prêcheur contre la gu er­
Indigné, un d e m es bons am is m e d it que re. Sadoul p ré p are un livre sur Jacques Callot,
dans P apa, la bonne et m oi L e C hanois a où les valeurs seront remises dans la bonne
reproduit sans en rien changer la scène du hiérarchie.
com plim ent m uet « m on cher, je ne vous dis
rien, rien, rien », qui était dans le film A
nous d eu x Paris qu e France R oche et 20 d é c e m b re
moi avons fait il y a’ deux ans, et qui s t
trouve dans le livre d e France, d u m êm e
titre. Je n e sais pas si le Chanois a vu notre Je passe Ih. m atinée chez Louis Daquin qu i
film, m ais il a reçu le livre d e France. E n m ’explique les détails de l’affaire B el-A m i,
proie à la rage sacrée, les yeux obscurcis par film q u ’il a fait avec des techniciens et des
la colère, je m e précipite chez France, qui acteurs français, en A utriche. La nationalité
souriante, m e dit : « Je suis a u courant* Le française —■ m ais non le bénéfice de la loi
Chanois m ’a téléphoné hier que son film m e d ’aide, à la d em ande expresse du producteur
rendait à un m om ent un discret et amical ■— avait été accordée a u film par le Centre
hom m age ». Les grands sentim ents, l’h om ­ du cinéma* La commission de censure, à la
m age et l’amitié, il n ’y a encore qu e çà de d em an de d u m inistère d es affaires étrangères,
vrai. interdit le film . Le Centre, pris de vitesse,
pulbie un com m uniqué embarassé pour reti­
* rer au film la nationalité française, q u ’il ne
* * m érite sans d oute plus.
Des négociations tortueuses sont en cours.
Fin de la journée, à l’A ssem blée générale Les coupures dem andées ne touchent ni à
annuelle de la Ciném athèque- Form é en la m oralité puérile et honnête, ni m êm e
carré, les amis de Langlois viennent à la b a ­ essentiellem ent à l’aspect anticolonialiste d u
garre qui n ’a pas lieu, heureusem ent. L an­ film , étroitem ent fidèle au rom an de M au-
glois, tel qu’il est, inim itable, épique, décon­ passant. E n tout cas pas a l ’aspect anti­
certant, génial, bat <3e mille coudées tous les colonialiste en général. Les capitaux seraient
capitaines pris dans toutes les tem pêtes. L ’état investis dans la lune, sans doute personne n ’y
objectif du m arché du film est tel q u ’une trouverait-il à redire, sauf les Sélénites. Mais
administration m arm oréenne à la bibliothèque au M aroc... ‘
nationale est impensable dans le dom aine d u L e principal des coupures dem andées tou­
ciném a. On frémit à la pensée de ce qui arri­ che aux rappo rts étroits qui sont m ontrés
verait si un com m erçant était chargé de l’énor­ entre la b a n q u e et le journalisme, entre la
m e capital de la C iném athèque. Les m éthodes finance et l'autorité. L a censure, parm i toutes
de Langlois. peu acceptables sur le plan de les choses q u ’elle n 'aim e pas, et oui sont
la philosophie kantienne, trouvent leu r jus­ nom breuses, déteste très fort les explications
tification dans le travail q u ’il fournit dans
le dom aine de préservation de la culture m écaniques.
ciném atographique. L e cycle d u court m é ­ Je m ’étonne — à vrai dire, pas trop, — de

40
certaines réticences devant l’action de la cen­ 28 d é c e m b re
sure ; com m e si l ’oeuvre et la personne de
Daquin. dont chacun est bien libre de p en­ Je d éjeun e paisiblem ent avec Michel Kelber,
ser ce q u ’il veut, étaient en cause. Le fait q u an d ap paraît A struc, qui ^ vient nous re­
de la censure, à qu i q u ’elle s ’applique, d e ­ joindre. U n e légère teinte d ’inquiétude, de
vient chaque jour un peu plus pesant, un tension, II va com m encer un film tiré d ’t/n^
peu plus intolérable. sacrée salade d e Cécil Saint-Laurent, et tra­
vaille com m e un dém on à son découpage. Il
* m ’en avait déjà récité rapidem ent un extrait
* * l’autre soir. II entre cette fois dans la p ré p a ­
ration active. Ivan Desny, P hilip pe Lem aire,
A nno uk A im ée sont dé jà retenus. Son op éra­
teur aussi. E n ferm é avec son assistant, Camus,
Projection du Picasso, de Luciano Em m er, il travaille tout le jour, j ’aim erais lui sou­
habile et séduisant, avec u n com m entaire d e haiter b o n voyage ; la partie q u ’il joue, et sa
Guttuso u n pe u rigidem ent « réaliste » dans réussite, conditionnent un certain climat des
son interprétation de l’oeuvre d e Picasso, mais producteurs devant les sujets et les projets à
adm irable. L a dernière séquence, où Picasso eux soumis. Il s’en va en coup de vent, avant
devant u n im m ense m u r blanc trace à gros que j’ai p u lui parler. V oilà qui est fait.
traits u n e fresque géante vous coupe le souffle.

3 ja n v ie r
22 d é c e m b r e
Le groupe des T ren te publie une lettre
M. Dana, de la T rib u n e de Paris, m e d e­ ouverte au m inistre d e l ’industrie et d u C om ­
m ande de venir faire l ’ennem i dans une merce. Je l ’approuve entièrem ent, dans son
émission consacrée à M artine Carol. Cette principe sinon d an s sa form e, q u a n d on m e
da m e ne m ’ayant rien fait, et com m e je ne la présente.
l ’ai ni vue dan s la vie. ni pratiquem ent jamais Pou r rem placer l’ancienne loi d ’aide, qui
vue dan s des films, je m e récuse ; je vois accordait autom atiquem ent un pourcentage de
bien le rôle d e l ’intellectuel mal gracieux 1 % de la recette nette d u grand film à tout
ue je devrais jouer, et je ne m e sens pas film qui sortait u n nouveau systèm e de « pri­
oué- D ’abord je ne suis q u ’à peine un quart mes à la qualité » doit fonctionner. 80 films
d ’intellectuel, et ensuite, je trouve cette dam e ch aque an née recevront une prim e qui ne
plutôt agréable à regarder, bien (et surtout) pourra être inférieure à un m illion. U n jury
q u ’elle n ’incite guère à la m éditation. de pré-sélection, choisi parm i des candidats
désignés par les associations d e producteurs
désigne 150 films, parm i lesquels le jury défi­
nitif désigne les lauréats. U n certain nom bre
23 d é c e m b re de producteurs et d e réalisateurs, notoires po ur
✓ leur sens d u comm erce, évincés de la liste, ti­
L ’émission d e M. D ana devient un débat rent argu m ent de l’absence de délégués d ’une
«. pour ou contre les vedettes ». Pierre L aro­ nouvelle association par eux form ée, dans le
che, C laude A utant-L ara, Favalelli, Doniol et jury de pré-sélection, pour saisir le Conseil
moi, discutons ferme, et, je crois, terne, avec d ’Etat, qui frapp e — provisoirem ent. ? — de
M. Bodin, qui m ène le débat, et pose la nullité les travaux des deux jurys. La lettre d e
question d ’une m anière à m on sens absurde. la loi sem ble respectée, m ais, b ien tardive­
Est-ce q u ’on d e m a n d e aux joueurs de bridge ment. puisque d 'in term inables négociations de
s’ils sont pour, ou contre, la règle d u jeu de repêchage ont lieu avant q u e leur échec (pour
bridg e. L a vedette n ’est pas u n phénom ène douze titres) ne déterm ine le grand m ouve­
artistique', mais économ ique. Le problèm e ne m ent des consciences. En fait, tout sem ble
se pose q u ’à peine dans le cadre d u film prouver que ces m an œ u vres dilatoires ten den t
d ’enseignem ent industriel, par exem ple. Nous à em pêcher le fonctionnem ent de la nouvelle
tournons tous autour d u pot, en m êlant joyeu­ loi, et à imposer dans les faits le retour à
sem ent deux questions : à la m atière d u bac­ l’ancienne.
calauréat, on nous parle d u ciném a tel q u ’il Comme à l'accoutum ée tout se passe donc
devrait être, et nous parlons d u ciném a tel dans la clarté.
q u ’il est. C om m ent s’entendre.

* 10 ja n v ie r
* *■
L a lettre ouverte publiée sam edi dans cinq
Quotidiens déclenche: la colère m inistérielle.
Le soir dans la petite salle de la C iném athè­ C om m u niq u é à la presse, lectur&s à la radio,
que. program m e Mack Senett. V ers le m ilieu rien n ’y m a nque.
d e la projection, deux om bres se glissent au L ’a rg vm en t principal inüo q uê contre la pro­
prem ier rang. Langlois et Mary M'eerson, qui testation est en som m e que le groupe des
ont chacun vu les films cinquante fois, re­ Trente veut éliminer des concurrents. O n voit
vien n en t se faire u n petit plaisir. Expliquez ça d'ici ce q u ’il Vaiut.
à un inspecteur des finances. Pierre K A S T .

41
LES F I L MS

V era C louzot, S im o n e S ig n o re t et P a u l M eu risse d a n s L e s D iab o liq u es de H.-G. C lo u zo t.

LE STYLE C’EST LE GENRE

LES DIABOLIQUES, film français de H e n r i- G e o r g e s C lo u z o t. Scénario . et


dialogues : H.-G. Clouzot et G. Geronimi d’après un rom an de Pierre Boileau
et Thomas Narjecac. Images : Armand Thirard. Décors : Léon Barsacq. In te r­
prétation : Simone Signoret, Vera Clouzot, Paul Meurisse, Charles Vanel, Je a n
Brochard, Noël Roquevert, Pierre Larquey. Production : Filmsonor (1955) dis­
tribuée p ar Cinedis.
Il est probable que Les Diaboliques n aît d’une exacte appropriation des
seront classés dans l'œuvre de Clouzot moyens aux fins. Le Salaire de la veivr
parmi les productions mineures : un était à côté des Diaboliques une œuvre
divertissement. C’est cependant sans m onum entale mais où l’on pouvait re ­
doute son film le plus parfait. Que ce procher à Clouzot de n ’avoir pas su
soit aux dépens de l’ambition du sujet dominer les proportions épiques qu’il
n ’est pas nécessairem ent un défaut avait données au récit initial. Une ir­
s’il est vrai que le plaisir esthétique ritan te absencê de nécessité présidait

42
sinon au choix des épisodes du moins tique impeccable. Du Feydeau on pour­
à leur durée et la fin qui se voulait ra it dire qu’il est immoral aussi sot­
tragique dem eurait dans un principe tem ent que l’on pourrait soutenir que
conventionnel et littéraire. Avec Les le Clouzot est malsain, mais leur m a­
Diaboliques Clouzot semble vouloir tière est complètement transfigurée par
prouver qu'il peut lorsqu’il le veut cons­ sa forme. La fameuse opération aristo­
truire un récit à chaux et à sable. télicienne n ’est point vraie que pour
On sait déjà qu’il s’agit d'un film la tragédie. Chaque genre, fût-ce le
policier de type classique, je veux dire plus modeste, comme le policier ou le
dont l’intérêt essentiel est centré sur vaudeville, a sa noblesse et engendre
l’algèbre policière, le pittoresque de sa catharsis dès l'in stan t qu'il est un
mœurs et la psychologie y demeurent genre vrai c’est-à-dire qu’il a son style
subordonnés à l'intrigue. Ce n ’est donc propre et que ce style est exactem ent
ni le Corbeau ni Quai_ des Orfèvres accompli.
bien que l’action soit très précisément De tout ce qu’on peut adm irer dans
localisée dans un collège libre des envi­ Les Diaboliques, je retiendrai deux
rons de Paris. On retrouve là un décor exemples. Le premier relève de la cons­
scolaire cher à Clouzot, mais les élé­ truction dramatique. La clef qui nous
ments réalistes sont fragm entaires. Ce est livrée dans les dernières secondes
sont des détails limités poussés en du film pourrait n'être, comme dans
trom pe-l’œil pour servir d ’appât au beaucoup de policiers où l’on s’est
piège policier où le spectateur doit tom ­ efforcé de trom per le spectateur jus­
ber. Du scénario, le futur spectateur qu’au bout, qu'une astuce peu vraisem­
me sera reconnaissant de ne rien lui blable dont la faiblesse logique ou psy­
dire qui puisse le m ettre sur la voie. chologique est rapidem ent escamotée
Pour m a p art je n ’ai commencé à devi­ p ar les commentaires du détective et le
ner que 30 secondes avant la fin et le m ot « fin ». Le spectateur à ce m oment-
mystère est ici essentiel. Il m ’est tout là n ’est plus très exigeant. On adm irera
de même permis de révéler les données au contraire ici dans la solution du
du problème. Le directeur d’un collège problème policier à la fois sa simplicité
à la fois bourgeois et minable terrorise et sa solidité rétroactive. Je veux dire
sa femme et sa maîtresse. Celles-ci qu’il ne se borne pas à résoudre l’im ­
ont fini par se lier de complicité. La broglio m ais qu'il lui donne un sens
maîtresse qui est plus énergique per­ nouveau, c’est comme si un autre film
suade la femme de les libérer toutes renaissait de cette révélation.
deux en assassinant leur tortionnaire.
Le crime sera camouflé en accident J 'a i dit aussi qu’il ne fallait pas cher­
parfait. Tout se passe apparem m ent cher dans Les Diaboliques un drame
bien... m ais je m’aperçois qu’à aller psychologique ou une satire de mœurs.
plus loin je vous priverais déjà de plu­ Les personnages sont volontairem ent
sieurs surprises agréables, restons-en typés comme les pièces d’un échiquier.
donc là. Ce qui est sûr c’est que Clouzot Mais Clouzot ne s’est évidemment pas
a attein t son but à 100 % et que le privé de tous les alibis réalistes de son
spectateur doit en passer par toutes univers particulier et si ses personnages
les émotions qu'il lui a ménagées, sont conventionnels c’est dans une con­
comme au scenic-railway. On sait du vention proposée par Clouzot et en tout
reste que Clouzot s'entend à jouer de cas insolite. De cette distribution je dis­
nos nerfs. On sort de là brisé, écartelé, tinguerait po u rtan t un personnage fort
rompu, mais, et c'est la preuve de la singulier et dont l’invention me paraît
réussite, soulagé et ravi. La catharsis adm irable : c’est celui du policier in ­
est totale parce que l'a rt dépensé dans carné p ar Charles Vanel. H n ’était
le film n ’est ni au-delà ni en deçà de guère commode de renouveler l’emploi.
son sujet. Le genre est accompli à la Je ne dirai pas la solution de Clouzot
perfection et c’est cette perfection, mais le spectateur verra qu’il a su com­
l’absence totale, de reste dramatique, me porter au carré le personnage trad i­
qui détend l’esprit après l’avoir si ru ­ tionnel de l’inspecteur de police ainsi
dem ent secoué. J'ai vu à peu de temps que son rôle dramatique, peut-être
d ’intervalle le Fil à la patte de Feydeau devrais-je dire plus exactement, pour
p ar Noël-Noël et ces deux* filins si dif­ rester dans les m étaphores algé­
férents m’ont au fond laissé dans le briques qu’il l’a affecté du signe négatif
même état de jubilation intérieure dans l’équation policière : Maigret m ul­
parce que tous deux réalisent l’exact tiplié p ar — 1.
déroulement d’une mécanique dram a­ A n d ré BAZIN.

43
LE ROSSIGNOL ET L’ALOUETTE

ROMEO ET JULIETTE, film anglo-italien en Technicolor, conçu et réalisé


p ar R e n a to C a s t e l l a n i d’après la pièce de William Shakespeare. Images : R obert
Krasker. Costumes : Léonor Fini. Décors : Gastone Simonetti. Musique : Rom an
Vlad. Interprétation: Laurence Harvey (Roméo), Susan Shentall (Juliette), Flora
Robson (La Nurse), Mervyn Johns (Frère Laurent), Bill Travers (Benvolio), Enzo
Fiermonte (Tybalt), Aldo Zollo (Mercutio), Giovanni Rota (le Prince), Sebastien
Cabot (Capuïet), Norman Wooland (Paris), Lydia Sherwood (Lady Capulet),
Guilio G arbinêtti (Montaigu), Nietta Zocchi (Lady Montaigu), Dagm ar Josipovici
(Rosaline), Luciano Bodi (Abraham), Thomas Nicholls (Frère Jea n ). Coproduc­
tion : Universalcine-Verona Production Ltd, 1953.
En réalisant Henry V, Laurence Oli­ se traduit, plastiquement, p ar des ro ­
vier renonça délibérément à la recons­ chers de carton ruisselant d'eau des ca­
titution historique pour adopter une vernes préhistoriques où grouillent des
mise en scène théâtrale dans des décors êtres mal dégagés de la barbarie, ra m ­
d’enlum inures médiévales ignorant la pant dans les limbes de la conscience.
perspective. L'histoire d’Othello, mouton noir des
Cet excellent spectacle utilisait les palais de Venise, a pour cadre les m urs
moyens du cinéma — et en particulier fortifiés de Mogador. La splendeur de
le Technicolor, sans faire oublier un la mer et du ciel de l’Adriatique, les
in stan t Shakespeare, que Laurence Oli­ grilles, les escaliers et les rem parts,
vier et sa troupe servaient selon la tra ­ composent une symphonie rugissante â.
dition en honneur à Stadford-sur-Avon. l’image même des tourm ents amoureux
La réussite à ’Hamïet fut moindre. Si le du More. C'est l'enfer de la jalousie.
clim at tragique de la pièce se trouvait Décors de studio dans le prem ier film ;
renforcé p ar la composition en noir et décors réels dans le second. Dans les
blanc des images, les prises de vue à deux cas, décors-acteurs recom posant
la grue, les longs travellings dans les Shakespeare en un autre langage. Celui
corridors gothiques d’un Elseneur de du cinéma à Fétat pur.
studio s’accordaient mal au jeu et à la Il faut d’abord se garder d’une con­
diction des interprètes, leur donnant, fusion critique imputable à la seule p er­
paradoxalem ent, une lenteur ampoulée. sonnalité du m etteur en scène. R enato
Castellani (l'un des auteurs italiens les
Avec Macbeth comme dans Othello> plus accomplis dans cet exercice qu’An­
Orson Welles fit une dém onstration dré Bazin définit comme le cinéma « à
toute différente. Plutôt que des adap­ l ’indicatif présent »), n ’a p as tourné un
tations, ces deux films étaient des in ­ film néo-réaliste sur le texte de S h a­
terprétations personnelles du monde kespeare mais plutôt, en usan t des p ro ­
shakespearien. Orson Welles s’intéressa cédés habituels au néo-réalism e, une
moins à la dram aturgie élisabéthaine synthèse des recherches de Laurence
qu’aux m ythes des pièces qui lui ser­ Olivier et d’Orson Welles. Laurence Oli­
v irent de modèle, où il puisa des thèmes vier cherchait à, briser le cadre scénique
susceptibles de s ’adapter à sa propre en conservant l’intégralité théâtrale.
mythologie. L'im portant, pour lui, était, Orson Welles faisan t évoluer Othello,
sous le visage du ty ran Macbeth, comme loin du th éâtre dans un vrai décor de
sous celui du More de Venise, de faire pierres, de ciel et d’air pur. C astellani a
apparaître le sien : le visage de Citizen brisé le cadre scénique jusqu’à rejoin ­
Welles. Shakespeare, dans ces deux dre les vrais paysages italiens et l’a u ­
films échevelés et tum ultueux comme le thentique ville de Vérone. Sa form ation
génie de leur auteur devint le miroir l’am enait tout naturellem ent à oser ce
d’Orson Welles. Pourtant, ces visions qui ne serait venu à l’esprit d'aucun
subjectives dans lesquelles on ne trouve m etteur en scène anglais : il a fa it
jam ais un morceau « de th éâtre » sont interpréter, en langue anglaise, p ar des
plus révolutionnaires que les adapta­ acteurs anglais, cette pièce anglaise
tions de Laurence Olivier, en donnant dans un cadre italien. Castellani s’est
p ar une m atière essentiellement ciné­ d’ailleurs expliqué sur cette adaptation.
m atographique et en dehors du jeu de Il avait trouvé, dit-il, dans l’histoire de
l'acteur principal, la correspondance Roméo et Juliette, un thèm e qui lui est
d’atmosphère spécifique de Shakes­ cher et qu’il a développé progressive­
peare. Le clim at d’horreur de Macbeth m ent depuis 1946 dans Sous le soleil de

44
S u s a n S h e n ta ll e t N o rm a n W ooland d a n s R o m é o <et J u lie tte de R c n a to C a stellan i.

Rome, Primavera, et Deux sous d’es­ films italiens, des acteurs non profes­
poir, celui des « aspirations de la jeu­ sionnels pour les rôles de Roméo et de
nesse h eu rta n t les préjugés d’une so­ Juliette qu’au th éâtre l’on confie d’or­
ciété à son déclin ». Il voulait tirer un dinaire à des comédiens chevronnés.
scénario des chroniques italiennes ra p ­ La blonde et nordique Juliette qu’il
p o rtan t la légende des am ants de Vé­ nous propose, le Roméo bondissant et
rone. Il en serait résulté tout naturelle­ enflammé sont des débutants et ont
m ent un film em preint de sa concep­ l'âge de leurs personnages. Dans la
tion personnelle du néo-réalisme. Orf ce version américaine de 1936, Leslie
film, s’il ne l ’a pas tourné, c’est qu’il Howard ten tait de faire oublier, par
s’est rendu compte qu’à moins d'opérer la précision de son jeu, le physique
une transposition semblable à celle de sâ quarantaine, en face d ’une Nor-
tentée déjà par Pré vert et Cayatte Cl), m a Shearer qui semblait être sa sœ ur
il lui serait impossible de ne pas se ré­ aînée. Il fau t la convention scénique
férer à Shakespeare, lequel avait puisé et to u t le prestige des monstres sacrés
le sujet de sa pièce dans un long poème pour que disparaissent ces apparen­
anglais d’A rthur Brooke, « Romeus and ces. Le cinéma ne peut rajeu nir que
Juliet », publié en 1562, à un moment les êtres jeunes, en cap tu ran t dans les
où la légende, devenue populaire, avait rets de la cam éra leur beauté et leur
depuis longtemps échappé à l ’Italie. inexpérience, cet instinct qui les pousse
Ainsi, ayant compris que « Roméo et à vivre le rôle qu’on leur donne sans
Juliette » avait pris grâce à l’Anglais avoir appris à le jouer. C’est ainsi que
Shakespeare une forme éternelle, Cas- Laurence Harvey et Susan Shentall, ces
tellani lui a-t-il conservé d'abord son inconnus d ’hier, deviennent pour nous
caractère anglais, s'est-il appliqué en­ les am ants de Vérone. Les autres rôlçs
suite à lui trouver simplement une ont été confiés à des acteurs anglais
forme ciném atographique en rapport éprouvés, ce qui nous vaut en particu­
avec le thèm e qu'elle développait. Il a lier, un père Capulet « très Henri III »
choisi, comme il le faisait pour ses et une nourrice confidente de bonne
tradition. Nécessités de la co-produe-
(1) Avec Les Ajnants de Vérone. tion, sans doute. Mais à travers lesquel-
posséder. Dans la célèbre scène de la
nu it d'am our éclate Iç déchirement des
corps. Dans la merveilleuse séquence
des hésitations de Juliette au m om ent
de boire le narcotique passe 1$ frémisse­
m ent d'angoisse de la jeunesse qui
crain t la mort, les réticences de la jeune
fille qui a peur de la n u it du tombeau
et qui ne se résout enfin à la sombre
m ascarade que pour retrouver Roméo.
L'amour de Roméo et Juliette, c’est
bien cette furie, cette avidité, ce désir
qui n 'a pas le temps de se satisfaire,
cette flamme qui n ’a pu s'éteindre,
parce que les querelles de famille ont,
to u t de suite, empêché les rencontres.
N'oublions pas que, chez Shakespeare,
l’histoire se déroule en quatre jours. Et
que les jeunes gens n'ont eu, pour s’ai­
mer, qu’une seule nuit.
La couleur, utilisée aussi subtilem ent
que dans Le Carrosse d’Or, quoique de
m anière différente, les costumes de
Léon or Fini, épousant les corps jeunes
comme une seconde peau, une écorce
d'étoffe derrière laquelle se devinent
tous les tum ultes et tous les élans, la
musique de Roman Vlad, concourent à
la perfection formelle de l'œuvre. Et
cependant l’accueil de la critique, re ­
D a n s le rô le d u p rin ce de R o m é o e t J u lie tte p re n an t la plupart des arguments ex­
G iov ann i R o ta qui n ’e st a u tr e q u e l’é c riv a in posés lors du Festival de Venise, reste
Elio V itto rim . quelque peu réservé. Les Shakespeariens
s’étonnent de cette italianisàtion de
les Castellani trouve un moyen qui s’ac­ leur auteur favori. Les partisans du
corde à son propos. Autour de cette néo-réalism e n ’acceptent pas des p e r­
jeunesse ardente les comédiens de m é­ sonnages disant des vers lyriques a n ­
tier créent un entourage qui a dépassé glais sous le ciel italien. On soulève, de
l'âge de l’amour et ne connaît plus que nouveau, à propos de ce film, le problè­
des passions d’intérêt, alors que les jeu­ me de la coproduction. On parle de le n ­
nes gens, mêlés à des luttes qu’ils ne teur, de maladresse.
com prennent pas, ne songent qu'à être Et pourtant, si l ’on adm et que le -Ro­
eux-mêmes. méo et Juliette de Castellani est un
N’est-ce pas justem ent ce qui est au poème cinématographique donnant une
cœur de la pièce écrite p a r Shakes­ vision totale et exacte de l’œuvre du
peare ? Shakespeare fougueux de la trentièm e
A p artir de cette conception du décor année (cet âge qui est celui de la vraie
et de la distribution, Castellani fa it jeunesse des poètes), les critiques qui
apparaître, au-delà de la trégédie, le l’envisagent à p artir d'une conception
caractère essentiel de cette pièce qui néo-réaliste du théâtre filmé doivent
est d'être, avant tout, un poème tomber. Celles qui lui cherchent une
d’am our charnel. La passion dévorante querelle de nationalité n ’ont plus de
qui lie Roméo et Juliette jusqu’à la raison d ’être. Les films de Laurence Oli­
m ort ne sau rait s'accommoder des sou­ vier sont anglais ; ceux d’Orson Welles
pirs romantiques. Le sang et la peau sont des films d’Orson Welles ; celui de
déterm inent les élans du cœur. Dans la Mankiewicz est américain. Ils ont tous
scène du bal chez les Capulet où Roméo, des caractères propres à leur pays d ’ori­
lancé à la poursuite de l'inconstante gine ou à leur créateur.
Rosalinde, voit pour la première fois ' Le film de Renato Castellani n ’est ni
Juliette et en tombe éperdum ent amou­ anglais ni italien. C'est d ’abord un film
reux, une danse masquée lie les m ains shakespearien, donc un film de poète.
de deux êtres qui, déjà, rêvent de se Parce qu’il s’évade des conceptions éla­

46
borées avant lui et se sert du ciném a­ kespearien et non plus du th éâtre film,é
tographe pour « débourgeoiser » une ou du cinéma à p artir de Shakespeare.
pièce qui a besoin du soleil, de la lu­ La formule est trop originale, trop
mière, de la couleur, des vraies pierres, Inattendue surtout, pour être acceptée
des vraies maisons de Vérone pour d ’emblée. Il faudra que tom bent bieii
prendre à l’écran tout son sens. Pour des préjugés pour que cette oeuvre soit
redevenir ce que Shakespeare en avait comprise. Surtout celui qui veut qu’un
fait : un poème à la gloire de l’amour m etteur en scène italien s'attache n é­
fou qui ne saurait se priver du lyrisme cessairement à convertir en images l'ac­
de son langage original. tualité de la vie quotidienne. ;
Voici donc, enfin, le vrai cinéma sh a­ J acques S i Cl ie r .

ELLE MOURUT AU TROISIEME...


DIE LETZTE BRUCKE (LE DERNIER PONT), film autrichien d ’HEUviur
K a u t n e r . Scénario : H. K autner et N. Kunze. Musique ; Cari de Groof. In ter­
prétation : M aria Schell, B ernhard Wicki, B arbara Rutting, Cari Mohner. Pro­
duction : Cosmopol-Filmproduction, 1953.
Le destin du cinéma allem and d’après tié suisse, moitié allemande, la pro­
guerre m ’échappe complètement. Deux duction est autrichienne et il a été
noms seulement pour moi signifient tourné en Yougoslavie. Il conte l’his­
quelque chose : K autner et Staudte. toire d’une jeune doctoresse de l’armée
Je sais qu’il y en a d ’autres — à allemande en opération du ran t l’été
l’ouest : Vicas (que je n ’aime pas), 1943 contre les partisans yougoslaves.
Neumann, Verhoeven ; à l’est : K urt Au moment où elle va retrouver son
Maetzig — mais ils m ’apparaissent en­ presque fiancé, sergent de l’armée n a ­
core, faute de les mieux connaître, zie, elle est enlevée par les partisans
comme relevant du domaine des abs­ pour soigner leurs blessés. Raidie
tractions. d'abord dans une farouche attitude
Helmut Kautner, qui m onta au th éâ­ de refus, elle finira p ar faire ce qu’elle
tre à Hambourg des pièces de G irau­ considère comme le plus élémentaire
doux, Sartre, Cocteau et Anouilh, n ’est devoir hum anitaire. Puis les partisans
pas un nouveau venu et sa carrière l'em m èneront avec eux dans leur re ­
cinématographique est déjà bien rem ­ traite vers la m ontagne et elle p a rta ­
plie : 1938 : K itty und die W elt-Kon- gera, entre la sympathie du chef et
ferenz ; 1941 : Frau nach Masse et l’hostilité d’une sorte d’amazone, leurs
Aufwiedersehen ; ■ 1942 : Wir Machen souffrances, leurs combats et leurs
Musïk, Anouchka et Romance in Moîl ; joies. Plus tard, malgré un retour pro­
1944 : Grosse Freheit n° 1 ; 1945 : ütî- visoire de l'autre côté des lignes, elle
ter den Briicken ; 1946 : In Jenen retournera chez les partisans, non par
Tagen ; 1943 : une comédie sur Adam trahison, mais pour accomplir son de­
et Eve dont j ’ai oublié le titre ... et en­ voir... et trouvera la m ort en ayant
suite j ’avoue hum blem ent ignorer les entrevu l ’espoir d’une fin à toutes ces
films qu’il a faits jusqu’à ce Dernier sanglantes tragédies.
Pont qui nous occupe aujourd'hui. Il y a dans le développement à
Les films de K autner que j ’ai vus, l’écran de ce scénario, de nombreux
Unter den Brücken, In Jenen Tagen points faibles, des invraisemblances,
et Le Dernier Pont, suffisent am ple­ un peu de mélo et parfois un côté
m ent pour déceler en lui un réalisateur prêchi-prêcha parfaitem ent déplacé
très doué, ayant un style personnel et dans ces rudes affrontements de plein
varié, allant de la poésie d‘Unter den air. Les origines m ultinationales de
Brücken à la puissance du Dernier l’entreprise ne sont pas pour rien dans
Pont. ces défauts : on a visiblement, sinon
Ce film qui fu t justem ent prim é au cherché à faire plaisir à to u t le monde,
dernier festival de Cannes (avec une du moins à déplaire au minimum de
m ention pour son interprète principale gens. Ce revers de la médaille a pour­
Maria Schell) est le résultat d’étranges ta n t un bon côté, c’est que — sans jeu
associations : son réalisateur K autner de mots — cette histoire de maquis
est allemand, son interprète est moi­ est dépouillée d'esprit partisan, ce qui

47
titudes de l'héroïne, messagère et
transfuge, en équilibre sur une corde
raide dont l’ombre trace comme une
fragile séparation entre les saigne­
ments du cœur et les dures persuasions
de l’esprit. La structure en trois
« ponts » n ’est p o u rtan t pas sans g ra n ­
deur ni sans habileté dram atique : au
premier pont Helga Reinbeck, enlevée
p ar les partisans, est arrachée à son
destin tout simple ; au second pont,
mitraillée p ar ses compatriotes, elle
échappe m iraculeusem ent à la m o rt ;
au troisième... au dernier pont, rê­
vant toute éveillée d'un impossible p a r­
tage, née soudain à une fratern ité nou­
velle qui ne se reconnaît plus à la
marque des fusils, elle tombe...
La mise en scène de K autner, si
elle faiblit quand le scénario a tte in t
ses zones les plus faibles, est d'une
grande force quand culmine le récit.
La description tout entière de la vie
des partisans est simple, convaincante,
donne une grande impression d ’au ­
thenticité. La bataille du second pont
est un des meilleurs m om ents de vio­
lence et de combat de to ut le ciném a
d’après guerre. Admirable in stan t que
celui où Helga, terrifiée sur le p o nt de
bois mitraillé et à moitié écroulé, se
B e r n b a r d W ic k i e t M a ria S c h e ll d a n s
raccroche à n ’importe quoi au milieu
des éclatements de balles... point ici
L e D e rn ie r P o n t d ’H e lm u t K a e u tn e r. d'héroïsme spectaculaire, de vierge des
combats défiant la m ort le sourire aux
nous vaut une sorte de clim at d’h u ­ lèvres... juste une jeune femme secouée
m anité objective qui eû t été absent p ar la peur et essayant de faire face
de tout autre film sur le même sujet, du mieux qu’elle peut. Une juste image
mais entrepris délibérément à la gloire du courage et qui ém eut par sa m esure
de l'un ou de l'au tre parti. Il n ’est même, dém ontrant s ’il en était besoin
évidemment pas très agréable de voir que le pathétique ne n aît pas d’un
présenter les troupes nazies comme des agrandissem ent de la géométrie des
soldats à l'image de tous les autres, gestes, mais de la concentration du
ta n t un certain uniform e reste pour moyen d’expression sur un invisible
nous tout imprégné d'images horrifian­ point d’im pact intérieur.
tes et révoltantes ; il est po urtan t évi­ Helga c’est M aria Schell. C’est le peu
den t aussi que les bataillons alpins satisfaisant Fond du problème de Carol
que Ton voit ici ne devaient pas être Reed qui nous fit connaître cet éton­
exclusivement constitués de tortion­ n a n t visage d'adolescente m ûrie p ar
naires à la solde d’Himmler et ces sor­ la vie, irrigué d’un perpétuel frém is­
tes de troupes recrutées en général sement et qui, même lorsqu’il s’éclaire
•parm i les m ontagnards jouissent d'une d’un éclatant, d ’un émouvant sourire,
m anière de privilège international de garde comme le stigm ate d’une ingué­
sympathie qui n'est pas sans jouer son rissable, d’une mystérieuse souffrance.
rôle ici ; pour une des premières fois Je pense qu'il est ra re que le meilleur
depuis la Libération qu'on nous pré­ des acteurs sauve un m auvais film et
sente des troupes allemandes sous un Le Dernier Pont est de toute façon un
jour sirïon sympathique du moins neu­ bon film, m ais je doute que sans le
tre, on n ’est pas trop m al tombé en regard têtu, la touchante anim alité
choisissant des «chasseurs alpins ». civilisée et la voix sourde, brisée à
Cette histoire donc manque de ri­ chaque fin de phrase, de M aria Schell;
gueur. Il en eût fallu beaucoup pour il nous eût procuré, à travers ses im ­
donner sa beauté profonde aux incer­ perfections, cette émotion de bon aloi

48
qui fa it que nous ne l’oublierons pas. rence plus sophistiquée mais en fait
Est-ce disposition naturelle ou bien aussi nue aux yeux de qui sait reg ar­
comble de l'a rt et du m étier ? Elle p a ­ der, je ne lui-connais qu’Audrey Hep-
ra it absolument sans apprêt, sans a rti­ burn comme rivale dans le pouvoir de
fice et, telle, abolit toutes les conven­ déchirer la toile blanche d ’un regard,
tions de l’écran. A une autre extrém ité d’un soupir...
du ciném atographe de 1955, en ap p a­ Jacques D o n io l- V a lc ro z e .

L ’ A VENTURE
i
THE DESERT RATS (LES RATS DU DESERT), film am éricain de R o b e r t W is e .
— Images : Lucien Ballard. Musique : Leigh Harline. Décors : Fred Rode.
Interprétations : R ichard Burton, Robert Neroton, Jam es Mason, Robert
Douglase, Torin Thatcher, Chips Rafferty, Charles Tingwell, C harles Davis.
Production : 20th Century Fox, 1953.

Les Rats du Désert m éritent plus l’essentiel, ici affirmé sans contrainte,
qu’une réflexion hâtive, car s’il est bien et la richesse y coïncide avec le refus
des m anières de faire un « film de de se reposer sur le détail ou sur la
guerre», j ’en sais peu de le réussir. notation, sur tout ce schématisme p ar
Egrenant au hasard nos souvenirs, lequel trop de cinéastes pensent expri­
nous voyons se dessiner un genre h é ­ m er la réalité quand ils ne lui ont
roïque et sanguinaire, le plus souvent qu'imprimé quelques signes de recon­
assujetti à la propagande du moment, naissance utiles à la construction d’un
et qu’illustre Okinawa aussi bien que récit. La réalité est abstraite, et le
La Bataille de Stalingrad ; nous dis­ maximum de réalisme exige d'abord
tinguons bientôt en contrepoint un le m aximum d ’abstraction — je veux
genre cérébral et non moins irrita n t dire de cette opération de la connais­
qui acquiert à bon compte la vertu sance grâce à laquelle la signification
du courage en décalquant ses thèmes, apparaît comme indissoluble de la ré a­
par contraste, sur ceux du prem ier lité et substance elle-même de la ré a­
— genre sans doute plus rare car cette lité. La première partie des Rats du
m alhonnêteté seconde suppose un m i­ Désert est l ’a rt poétique de cette esthé­
nim um d’intelligence qui rend im pro­ tique. Des fragm ents de réalité sans
bable une telle insincérité ; j'y ra n ­ apprêt de liaison dram atique sous
gerai The Red Badge of Courage ; l'unité harm onique du récit nous y
entre l’un et l ’autre enfin se distribuent, h eu rten t violemment, et plus p ar leur
avec des bonheurs divers (depuis A densité cosmique que p ar une violence
Walk in the Sun jusqu’à Twelve O’Cloclc extérieure im putable aux seuls événe­
high) des réalisations qui se proposent ments. Bientôt cet aspect fragm en­
d’étudier plus particulièrem ent les ra p ­ taire, non contradictoire à une pro ­
ports de l’homme avec la guerre consi­ gression continue du mouvement,
dérée comme donnée de fait, dans u n s’épanouit dans l’ubiquité de la sé­
registre où fréquem m ent la sociologie quence de bataille, qui, au m om ent
se tein te de rudim entaire psychologie. où elle recompose la réalité à p artir
Or tous ces genres, dans leur suite de ses divers éléments, rend à chacun
continue d'un extrêm e à l’autre, res­ d’eux leur solitude unique.
ten t subordonnés dialectiquement à la Alors se produit le m iracle de cette
guerre qui de quelque façon en condi­ œuvre ou plutôt se m anifeste le très
tionne la structure et les développe­ grand talen t de Robert Wise. Au lieu
ments. Le film de Robert Wise ne res­ de céder à la ten tatio n d’un brillant
semble à aucun autre parce qu’il m ais oh! combien facile développement
échappe com plètement à cette subordi­ sur la relativité des actes et des mobi­
n ation ; avec une audace qu'il fau t les, l’œuvre débouche sur la solitude,
louer, la guerre y est reconnue non la rigoureuse incommunicabilité de
pas indifférente, m ais aussi secondaire l’Aventure. Vivre dangereusement, cette
d’un certain voint de vue que le th éâtre libération n'est absurde que dans la
du Carrosse d'or. Ce point de vue m esure où elle croit résulter d’un défi
m ’intéresse, n y a chez Wise un goût de ou d ’une révolte. Mais elle peu t au

49
4
contraire exiger de l'homme le plein est moins le fru it d'heureuse rencontre
emploi de ses facultés, m ultiplier ses que d'instinct sûr, se fait jour dans
relations avec le monde extérieur et une p araphrase étonnam m ent poétique
accroître la nécessité de leur perception qui occupe toute la partie centrale,
immédiate. Cette liberté apparaît alors rigoureusem ent hawksienne, des Rats
comme la recherche d'un équilibre plus du Désert il). Si je tentais c!e définir
difficile en face de l’inconnu, et l ’équi­ la Beauté, je ne m anquerais pas de la
libre lui-même, au lieu de jeu gratuit, citer pour sa nécessité stricte réalisant
devient nécessité de sauvegarde sans un accomplissement pressenti puis ap ­
cesse remise en question, avec ce que pelé, pour ce que recouvre de styli­
ce mouvement du devenir peut avoir sation sa plane simplicité. Si la réalité
de fascinant. L’une de mes plus pro­ est abstraite, l'acte essentiel de la créa­
fondes émotions cinématographiques, je tion artistique consiste à en découvrir
la dois à Big SJcy, plus précisém ent à la les éléments les plus naturels pour la
séquence d’ouverture, qui s'achève par faire apparaître autre, c’est-à-dire elle-
l’em barquem ent et le départ sur le même enfin. Comme plusieurs m etteurs
« M andan » ; une belle progression de en scène am éricains (2), Robert Wise
l’abandon et du réflexe, l ’un à l’autre rejoint ici le dessein de-tout le cinéma
mêlés et trouvant l ’un par l ’autre un allemand, que le sèul M urnau a en
objet plus grave à mesure, s’y installait son tem ps réalisé parce qu'il fut seul,
peu à peu dans la stabilité de l’Aven- sans doute, à en comprendre la dua­
ture. Cette attitude qu'il importe moins lité. , .
d ’adopter d'emblée que d ’acquérir, qui F h i l i p p e D emonsablon .

(1) n est facile de m arquer les lim ites exactes de cette partie, traitée comme une fugue
sévère : commençant par la séquence des commandos nocturnes, elle en développe le m otif
dans le récit continu d u raid puis l’iniléchit, transposé, dans le retour des deux hommes
à travers le désert.
(1) Ainsi avec des moyens divers autou r cîe la même idée, Hitchcock, Dassin, Premlnger,
Antony Mann.

MA MÈRE, JE LA VOIS...

. OKAZAN (LA MERE), film japonais de Mnao N a r u z e . Scénario : Yako Mlziki.


Images : Hiroshi Suzuki, Interprétation : Kinuyo Tanaka, Massao Nishima,
A. Kihito K atayam a Keijo Enamin. Production : Zhin-Toho, 1952.
Dans un lycée de jeunes fijles de moderne. C'est pourquoi une sombre
Tokyo on avait demandé aux élèves histoire de cheveux coupés est plus
comme sujet de narration, d'écrire le développée que la m ort du père.
plus joli souvenir qu'elles avaient de Un seul thèm e m ajeur, celui de la
leur mère. La copie de l’une d'elles fu t mère ; m ais il n ’est pas posé à priori ;
jugée si remarquable que l ’on décida il émerge peu à peu de l ’addition des
de s'en, inspirer pour réaliser un film. épisodes, non pas parce qu’il est sou­
Ainsi, paraît-il, naquit Okazan. ligné, non pas parce qu’on lui fa it
Le film de Mikio Naruse est construit une place privilégiée, mais parce que
plus comme une chronique que comme la m ère est vraim ent la personnalité
un récit romanesque de type classique. m ajeure dé la famile : son m otif s’im ­
La jeune Toshi-Ko, fille aînée de la pose naturellem ent et même si nous ne
famille Fukuhara, raconte la vie de savions pas qu’ « okazan » signifie « m a­
tous les jours de son foyer. Au fil des m an » nous comprendrions vite que
semaines les graves événements et les c’est elle qui est l'héroïne. A bien y
menus incidents ont à ses yeux une réfléchir le procédé n'est pas tellem ent
im portance égale. Il convient donc de usuel et si on en trouve m aints équi­
ne pas oublier que c'est à travers un valents dans la littérature, on en cher­
regard de jeune fille que nous voyons cherait en vain beaucoup d'exemples
cette tranche de vie du petit peuple dans le cinéma dont c'est le plus habi­
japonais :■ joies et peines, petites et tuel — et triste — destin que d’être
grosses difficultés, affrontem ent conti­ cousu de fils épais comme le petit
nuel et interpénétration des traditions ’ doigt.
séculaires et des problèmes de la vie On a prononcé cent fois déjà le mot

50
de « néo-réalism e japonais » à propos cousinage : ces terrains vagues, ces
(L'OJcazan. Encore qu’un peu facile, maisons de planches, ces petites rues
l ’étiquette n ’est pas inexacte, mais le encombrées puis en u n in sta n t déser­
nép-réalism e italien est bien plus éla­ tes, ne sont pas typiquem ent japonaises,
boré, concerté et — s’il a d'autres qua­ nous les avons déjà vues, en Italie, en
lités — n ’a jam ais eu cette fraîcheur, France ou ailleurs. L’intention de ré a ­
cette naïveté adulte, cette réserve, lisme aboutit à ce résultat paradoxal :
cette pudeur résignée, ces continuels la disparition de l’exotisme. J ’ai vu deux
glissements d’une dem i-teinte sur une fois OJcazan : à la seconde vision j’avais
autre dem i-teinte. Le phénomène qui complètement oublié que l’histoire se
se produit à la vision d’Okazan est passait au Japon.
esthétiquem ent plus im portant que ce Jacques D o n io l- V a lc ro z e .

UBRAIRBE DE LA FONTAINE
13, rue de Medïcis, PARIS (6e). — DAN. 7 6 -2 8 * — >M é tro : L uxem bourg et Odéon

Neuf — Occasion
La plus forte organisation d ’achat1e t de vente de livres et revues de
w
Français CI N EN A Etrangers
Cata logue s u r d e m a n d e au x lecteurs e ï abonnés des CAHIERS DU CINEMA

C A H IE R S DU CINÉMA
Revue mensuelle du cinéma
— et du télé-cinéma —
Rédacteurs «n Chefs : A. BAZIN.
J. DONIOL-VALCROZE et LO DUCA
Directeur-gérant : L. KEIOEL

Tous droits réservés
Copyright by « Les Editions de l'Etolle »
25, Bd Bonne-Nouvelle - PARIS (2«)
R.C. Seine 328.525 B

Prix du numéro : 250 Frs

mm PUBUGiïAini
Pr oduct i on Distribution
Abonnement 6 numéros :
France, Union Française .......................
Etranger ............................ .....................
1.375 Frs
1.800 Frs
Abonnement 12 numéros :
France, Union Française ...................... 2.750 Frs
Etranger ........................ .......................... 3.000 Frs
«

CHAMPS-ELYSÉES 7 9
PARIS 8e
'lSt Adresser lettres, chèque ou mandat aux
CAHIERS DU CINEMA, 146, Champs-Elysées,
PARIS-8® (ELY 05-38).
Cheques postaux : 7890-76 PARIS

Les articles n’engagent que leur auteur.
Tél. : BALZAC 66«95 et 00-01 Les manuscrits ne sont pas rendus.

Le Directeur-Gérant : L. K eigel.
Imprimerie C e n tra le du C ro is s a it, Paris — Dépôt lég al : 4* trimestre 1954.

51
LE VIOLON DE CRÉMONE
(Scénario d'après Hoffmann)

par Louise de Vilmorin

II
L e co nseiller K re s p e l est de re to u r d a n s sa p e tite v ille et d a n s s a m aiso n . O n le
vo it e n tre r a u P a la is d u P rin c e e t en so rtir. O n le v o it d a n s la ru e . L a p l u p a r t des
p a ss a n ts le salue. Q u e lq u e s-u n s l ’a b o rd e n t : i
— E h l M o n sieu r K re s p e l, n o us avons cru q ue vous n e revien driez ja m a is !
— D e u x m ois d ’a b sen ce... A h ! l 'I t a l i e ! d it un a u tre p a ssa n t.
— H e u re u x v o y ag eu r, d it u n tro isièm e-.., e tc ..., S tc ...
K re sp e l p a rle p eu. I l so u rit. I l sem ble m é lanco liqu e e t n a tu re lle m e n t n e s o u f f le
m ot d e so n m a riag e.
*

H u i t m ois a p rè s il reçoit d ’A n g e la u n e le ttre des p lu s te nd res. E lle lu i an n o n c e


la n aissan ce d ’u n e p e tite f i ll e e t l'e n g a g e à rev en ir à Venise. L a b elle ita lie n n e é c rit
avec h u m o u r :
a U n e jo lie p e tite f ille q u e j ’a i a p p e lé e A n to n ia n o u s e st née la n u it d e rn iè re .
Q u e tu es d is tra it ! T u a s v o u lu te d é b a rra sse r d e m oi, m a is la co lère t ’a f a i t o u b lie r
q u e la fe n ê tre p a r o ù tu m 'a s je té e n ’é ta it, heureusem ent, q u ’à q u e lq u es p ie d s a u -
dessus d u sol ! U n m a s s if d o u ille t a a m o rti m a chute. R eviens, je t ’e n su p p lie , m a is
ne t'é to n n e p a s si je tiens les fe n ê tre s fe rm ées ».

K re sp e l f a i t a tte le r sa v o itu re. I l p a r t ; m ais en ro u te il hésite. « Si p a r h a s a r d


la d am e n 'é t a i t p a s g u érie d e ses ca p ric es fu r ib o n d s, m u rm u re-t-il, se ra it-il p r u d e n t d e
la je te r u n e seconde fo is p a r la f e n ê tr e ? »
I l f a i t a rr ê te r la v o itu re, d o n n e l ’o rd r e au cocher d e f a ire d em i-to u r e t re to u rn e
d an s sa p e tite v ille d ’A lle m ag n e.
D e reto u r chez lui, K re s p e l se b orn e à écrire u n e lo ng ue le ttr e d e fé lic ita tio n s à
sa fem m e- I l la rem ercie d ’avoir a p p e lé le u r fille A n to n ia e t d e lu i p ro u v er a in si q u 'e ll e
n ’a v a it p a s o u b lié q u 'il s 'a p p e l a it A n toin e.
E lle lu i répond! u n p eu fro issée d e le voir tr a ite r si légèrem en t « la v en u e d 'u n
e n fa n t, f r u i t d ’u n e u n io n si secrète ».
Ce te rm e « d ’union, secrète » lu i ra p p e lle ses m a lh eu rs e t le c o n firm e d a n s sa
décision d e n e p a s re to u rn e r en Ita lie . I l é c rit à A n gela q u 'u n e « fem m e q u i b r û le de
vivre e n m é n ag e p e u t fr a n c h ir la ro u te q u i la sé p a re d e l ’o b je t d e son a f f e c tio n ».
O n assiste a lo rs à u n e su ite d e scènes ra p id e s illu s tra n t le p assag e des années. A
la m in e et a u x costum es des p e rso n n a g e s, o n co m p ren d que le te m p s p asse et q ue l 'i n d i f ­
férence s'accro ît e n tre K re sp e l e t sa fem m e.
E x e m p le s :
1) A gnès, la g o u v e rn an te d e K re s p e l, lu i rem et un e le ttre en d is a n t :
— U n e le ttre d 'I t a l i e .
II s 'e n em p a re vivem ent.
2) E n Ita lie , le ja rd in ie r a p p o rte à A n g ela u n e le ttre d e K re sp e l a u m om ent où
elle p a r t en p ro m e n a d e av ec des am is. E ll e s ’en sa isit e t c o u rt à sa ch am b re p o u r la
lire.
3) K re sp e l (a u tre costum e) e st en tr a in d e c o n stru ire u n violon. S o n co u rrier est
su r sa ta b le. U n e le ttre d 'A n g e la n 'e s t p a s encore o uv erte. O n co m p ren d a in si q u 'il
est p lu s intéressé p a r son tra v a il q u e p a r c e tte lettre- I l o u v re la le ttre avec in d i f ­
férence. I l lit : « A n to n ia g ra n d it... » e t reste rêveur.
4) A n g e la (a u tre robe) lit en b â illa n t u n e le ttre de K re s p e l. I l éc rit : « J e n 'a i
rien d 'in té re s s a n t à vous raco n ter ; je ne vois q u e d es personnes qu e vous n e co n n ais­
sez p a s ».
5) K re sp e l (a u tre co stu m e) so rt d e chez lu i en o u b lia n t d ’o u v rir un e le ttre
d 'A n g e la .
6) A n g ela (a u tre rob e) d échire, sans l a lire , u n e le ttre d u conseiller.
7) L e con seiller s ’e n d o rt e n lis a n t u n e le ttr e d JA n g ela, etc., etc.

O n assiste à la f in d'un e, visite q u e le c o n seille r f a i t a u m é n a g e K e lle r. O n vo it


q u 'il est u n g ra n d a m i d e c e m én ag e. L es K e lle r o n t d eu x fille s, F r i d a â g ée d e onze
an s et R ose âgée d e h u it ans- I l a des a tte n tio n s p articu lière s p o u r R o se q u i a le
m êm e âg e q ue A n to nia . I l fa b riq u e p o u r elles d e p e tits jo u e ts, m o u lin s e t b a te a u x d e
bois, q u e les e n fa n ts se d is p u te n t.
— A llon s, p etites fille s, le u r d it M m e K e lle r, rem erciez M . K re sp e l a u lieu de
vous q u ereller.
A u m om ent o ù le c o n seiller p re n d co ng é, le D r K e jle r lu i d it :
— A d im an che, san s fa u te , n ’est-ce p a s ?
— N o us com ptons s u r vous, com m e to u jo u rs, a jo u te M m e K e lle r.

*
V ers la m êm e époq ue, K re sp e l, u n m a tin , lit d a n s la g a z e tte q u e la s ig n o ra
A n g e la est a rriv é e en A lle m ag n e e t q u 'e lle f a i t f u r e u r su r le g ra n d th é â tre d e
F ra n c f o rt. S a f ille e s t san s d o u te av ec elle. K re s p e l m e u rt d 'e n v ie d 'a l l e r em b rasser
cette e n fa n t. I l p a r t p o u r F r a n c f o r t.

53

4
L ’O p é ra de F ra n c f o rt.
K re s p e l e st assis a u p rem ier ran g d ’o rchestre. A n g e la e st en scène, to u jo u rs au ssi
b elle q u ’a u tre fo is e t c h a n ta n t à rav ir. (E lle n ’a p a s tre n te ans). E ll e est f o r t
ap p la u d ie -
. D ans, u n e avant-scène, K re sp e l rem arq u e u n e p e tite f i ll e d e h u it ans. E lle est
p â le , trè s b ru n e , ses lon gs cheveux noirs tom bent s u r ses ép au les. S a robe bla n ch e,
d éco lletée, e st o rn é e d e n œ u d s de ru b a n . E ll e p o rte a u cou u n c o llie r q u e K re sp e l a ,
au tre fo is, d o nn é à A n gela. I l n e p e u t détacher son re g a rd d u v isag e d e c e tte e n fa n t.

A l ’e n tra c te , il co u rt à l ’avant-scène où l ’e n f a n t é ta it assise- M a is l ’av an t-scèn e


est vid e. I l cherche A n to n ia p a rm i la fo u le q u i v a e t v ie n t d a n s les g a le rie s d u
th é â tre et, to u t à cou p, la recon naît. A ccom pagnée d }u n e am ie d e s a m è re, elle .se
p ro m èn e tra n q u ille m e n t en fa is a n t des m o ulin ets avec u n e p e tite b o u rse d e p erles su s­
p e n d u e à de lo ng s co rdo ns.
K re s p e l s ’a p p ro c h e d ’elle. E lle s ’arrê te et, ainsi q u e le f o n t so u v en t les g ra n d e s p e r­
sonnes q u i v eu len t se m ettre à l a ’ ta ille des e n fa n ts, il s ’a c c ro u p it d e v a n t elle et lu i
ad resse u n so u rire q ue l ’ém otion contenue, l ’angoisse et le d é sir de p la ire tra n s fo rm e n t
en u n e assez e f f r a y a n te grim ace. I l f a u t a jo u te r qu e K re s p e l, â g é alo rs de, cin q u a n te -
n e u f a n s, p o rte p lu s q u e son âge.
I l e s t p â le , ses cheveux, ab o n d a n ts au-dessous d e s a c a lv itie , son t tr o p longs,
é b o u riffé s et fo rm e n t des to u ffe s au-dessus de ses oreilles- V ê tu d ’un vie il h a b it no ir
d 'u n e é lég an ce b iz arre, il o f f r e u n asp e c t assez te rrifia n t.
L a p e tite A n to n ia p r e n d ‘p e u r et s ’e n fu it en c ria n t :
— A u secours ! a u voleur 1 c ’est u n voleur d ’e n fa n ts l
U n m u rm u re s ’élève. T o u t le m o n d e re g a rd e K re s p e l en m a u g ré a n t. T r is te et
co n fu s, il se redresse, s ’esquive et se d irig e à p a s pressés vers les coulisses d u
thé âtre.
- I l p a sse e n h é sita n t d ev an t p lu sieu rs p ortes et s ’a rrê te à celle où s ’in sc rit le no m
d ’A n g ela. C e tte p o rte est en trou verte. I l e n p o u sse d o ucem ent le b a t ta n t et v o it
A n g e la deb o u t, d e p ro fil, les m a in s posées sur les é p a u le s d ’u n b el hom m e q u i la
re g a rd e te n d rem en t.
I l fe rm e les yeux u n e seconde, p u is soupire e t désolé, q u itte le th é â tre .

54

8
K re sp e l est d e reto u r d a n s sa p e tite ville.
O n vo it q u e les ann ées p a ss e n t, a u nom bre toujo urs cro issa n t, d e violons q u ’il
su sp en d aijx m u rs d e son cab in et d e tra v a il.
Un jo u r il décroche u n de ces violons e t va ■ jouer chez les K e lle r à l ’occasion
d u m a ria g e d e leur fille F r i d a avec u n bel o ff ic ie r d e m arin e. F r i d a a d ix -sep t ans.
S a sœ ur R o se e n a quinze. T o u te l ’a ssista n c e s ’em presse a u to u r d u co n seiller d o n t la
p résence est to u jo u rs u n e attractio n- S a ré p u ta tio n d ’homm e' rich e, o rig in a l e t m y s té ­
rieux est b ien é ta b lie . I l e st brusqu e, nerveu x, fan ta sq u e . I l s ’h a b ille com m e s ’il é ta it
resté a tta c h é à un tem p s ancien ou com m e s ’il é ta it inco nscient d u te m p s. I l in sp ire
une lég ère c ra in te . I l f a i t aussi p itié à cause d e sa i rie solitaire.

L a v illa d ’À n g e la en Ita lie .


C ’est le soir. L a ta b le q u i est m ise d ev an t la m aiso n, à la m êm e p la c e q u ’a u tre ­
fo is, n ’est p a s en co re desservie. L e sa lo n q u e l ’on voit p a r les fen êtres ou v ertes est
do ucem en t éclairé. D a n s c e tte pièce on d istin g u e A n g e la e t p lu sieu rs p ersonnes.
L a je u n e A n to n ia s o r t d u salon. E lle a p p a r a ît seule devant, la m a ison e t f a i t
quelques p a s d a n s le j a r d in pour re s p ire r l ’a ir fra is de la n u it. U n je u n e hom m e,
q u i tie n t dans u n e m a in un arch et et u n violon, a p p a ra ît à son to u r, s u it A n to n ia de
loin, p u is la re jo in t.
— O h ! restons dehors, lu i d it-elle, e t jouez-m oi q u elq u e chose q u i ne soit
q ue p o u r m oi.
— 'S u r ce m a u v ais violon ?
' M a u v a is ? V ou s le trouvez m a u v a is p a rc e que m a m ère ne veut p a s vous
p rê te r son précieux violon d e C ré m o n e ? d it-elle en rian t.
— V ous n ’avez d onc au cun e in flu e n c e su r e lle ? lu i de m an d e le je u n e hom m e.
— Si, j 'e n a i, e t m êm e j ’en a i p a rfo is b eauco up , m ais en ce q u i co ncern e le
violon de C rém o ne je n ’en a i pas d u to u t. G iovanni, croyez-m oi, je lu i ai souvent
e t to u jo u rs san s succès d e m an d é d e vous p rê te r ce violon. J e sais q u ’e lle l*a fa it,
a u tre fo is, ré p a re r à g ra n d s fr a is . B re f, elle n e p e rm et à p e rso n n e d ’y toucher.
— Q u e c ’est m y stérieux !
— M y stérieu x t O u i, m y stérieu x c ’est le m ot. D ’où vient ce violon ? P o u rq u o i
est-il chez n ou s ? Ja m a is m a m ère ne rép o n d aux q uestion s q u e je lu i pose à ce suie t.
E ll e a p e u t-ê tre aim é, vous savez ? M ais q u i a-t-elle aim é ? C e violon, j ’en su is sûre,
est lié à u n secret.
I ls fo n t q u elq ues p as en silence.
— E h b ien ! G iovanni, jouez-m oi q u e lq u e chose. M o n trez-m o i q u e vous m ’aim ez.
G io v an n i ne ré p o n d p a s. I l p re n d A n to n ia d an s ses b ra s et le n te m e n t l ’em b rasse
avec beaucoup d ’amour.
U s s ’en re to u rn e n t m u e ts vers la m aiso n.
C om m e ils v o n t re n tre r, G io v an n i s ’a rrê te et sé cam pe sur la terrasse. L a lum ière
d es c h a n d e lle s q u i b rille n t d a n s le salon l ’éclaire. I l jo u e p o u r A n to n ia .
E lle va s 'a d o s s e r à la fa ç a d e e n tre d eu x fe n ê tre s éclairées. U n in s ta n t elle écoute,
p u is elle p re n d son s o u ffle e t se m e t à c h a n te r.

55
\

L ’in té rie u r d u salon.


L e violon de C rém o ne e st p osé su r u n coussin de velo urs au centre d 'u n e p e tite
ta b le.
• A n g e la et ses in vités se lèvent sur la p o in te des p ieds, so rten t du salon et v o n t
d a n s le ja r d in p o u r m ieu x e n te n d re e t p o u r m ieux voir les je u n es gens.
Q u a n d A n to n ia se ta it les a p p la u d isse m e n ts éclaten t.
— V oix a d m ira b le ...
— U n iq u e ! In s u rp a ssa b le !...
— O n n e p eu t rien e n te n d re d e p a re il, d é c la re u n vieil im présario. C 'e s t un
fle u v e , c 'e s t u n to rre n t de délices-..
— A h ! vous ferez bien des ja lo u x , je u n e hom m e. H e u re u x fian cé !
— V o tre fem m e c h a n te ra a u th é â tre , n 'e st-c e p a s ? ...
— Q u a n d vous m ariez-vous ?
— L e m a ria g e ? s 'é c rie A n g ela, c 'e s t m o i q u i en fix e ra it la date. A nto nia n ’a
q u e q uinze an s !
L e s fiancés s'é lo ig n e n t enlacés.

A u cours d e cette m êm e n u it, A n g ela é c rit à K re sp e l p o u r lu i an no ncer les fia n -


çialles d ’A n to n ia avec u n je u n e violoniste d e g ra n d ta le n t et lu i fixe la d a te d u
m a riag e.

K re sp e l reçoit la lettre. S a p h ysion om ie s'é c la ire au f u r et à m esure que la lec­


tu re avance.
— U n vio lo n iste ! U n vio lo niste ! Q u e lle m e rv eille ! T itre , fo rtu n e , rien d e to u t
ce la n ’existe, il n ’y a d ’im p o rta n t qu e d ’ê tre vio lo n iste ! d it-il à A gnès, s a fid è le
gouvernante.

56
A gnès, la g o u v ern an te de K resp e l fa it son m arché. E lle ja se avec les com m erçants.
C hez la crém ière :
— L e con seiller ra je u n it d e jo u r en jo u r.-.
— N o u s l ’av ons rem arqu é.
C hez 3a f r u itiè r e :
— S a vie n e ch an g e p a s et, to u t à co up , il a ch ang é.
— C ’est c u rie u x ...
— O u i, on d ir a it q u e M . K re sp e l se p ré p a re à q u elq u e g ra n d événem ent.
— T ie n s .., tie n s ...
C hez le b ou ch er :
— D on nez-m o i v o tre m e illeu r m orceau, bien fin . bien te n d re, M- K re sp e l est
g o u rm a n d ces jo u rs-ci.
— P e rs o n n e en ville n e sera m ieux servi.

O K re s p e l est im p a tie n t. I l b a rre tous les soirs un jo u r sur son c a le n d rie r.

A gnès chez l a crém ière :


— M . K re sp e l v a p a r t ir en voyage.
— V ous aviez raison d am e A gnès de soup çon ner q u elq u e chose. O ù va-t-il d o n c ?
— M ystère.
*

C hez les K e lle r. L e D r K e lle r d it à sa fem m e :


— J ’ai ren co n tré K re sp e l ; il p a r t p o u r l'I ta lie .
L e m a tin d e son d é p a rt, a u m om ent où K re sp e l va m o n ter en vo iture, il reçoit
d 'A n g e la u n e le ttre su p p lia n te :
« V enez, venez vite. A ccourez, je mê m eurs. P en sez à votre fille , pensez à noire
A ntonia- J e lu i a i d i t qu e j ’a p p e la is près d e m oi u n vieil am i q u i la recueillerait
e t p re n d r a it soin d ’e lle si je d ev a is... ».
L O U IS E D E V IL M O R IN .

(A suivre.)
{Trèfles de Louise de Vilmorin. Vignettes de J. Doniol-Valcroze}
FILMS SORTIS A PARIS
DU 24 NOVEMBRE 1954 AU 11 JANVIER 1955
FILM FRANCO-ITALIEN
L a R ein e M argot, film en Eastm ancolor d e Jean Dréville, avec Jeanne M oreau, F ra n ­
çoise Roaay, A n n a n d o Francioli, H en ri G enès, A n d ré V ersini, Vittoxio Sanipoli, de F un ès. —
C’est un joli m élod ram e historique que l ’on su it avec am usem ent. Regrettons sim p lem en t
qu e Dréville ait hésité entre la stricte convention du m élo et u n e intention de satire histo­
rique. E n tre les deux le film souvent hésite et trouve m al son équilibre. Certains décors so nt
très jolis ainsi q ue, très souvent, la couleur. L ’in terp rétatio n est dans l’ensem ble bonne, d o m in é e
p ar Jeanne M oreau, à la fois a com édie française » et très déshabillée, nous cachant p e u u n
sein qu e n o u 3 som m es ravis d ’avoir vu. A noter la perform ance qui consiste d a n s u n e
coproduction franco-italienne à avoir fait jouer tous les rôles d ’italiens par des acteurs français.
FILM ANGLO-ITALIEN
R om eo and Juliet {R om éo et Juliette), film en T echnicolor d e R énato Castellani, av ec
L aurence H arvey, Susan Shentall, Flora R obson, M ervyn Johns, Bill Travers, Hjizo Fier-
m onte. — V o ir critique d a n 3 ce num éro, p age 44.
FILM AUTRICHIEN
D ie L e tzte B riffe (Le D ernier Pont), film d e H elm u t K autner, avec M aria Schell, B ernhard
W icki, Barbara R utting, Cari M ohner, — V o ir critique d a n s ce num éro, page 47.
FILMS FRANÇAIS ' '“
L e F eo dans la pea u, film d e Marcel Blistène, avec Gisèle Pascal, R aym ond P ellegrin ,
P h ilipp e Le m aire, N adine Basile, M ichel A id a n , Suzy Prim . — D ans le dialogue d e ce
film le m ot « cocu » n e revient pas m oins d e dix-neuf fois. C ’est do nc d ’u n e
histoire d e cocu q u ’il s’agit. L es intentions d e Blistène noua dem eurent parfaitem ent m y sté ­
rieuses. M élodram e paysan ? D u sa n g et d e la volupté du côté de F arrebique ? Signalons
l ’excellence d e la photo, le jeu toujours convaincant d e P h ilipp e Lem aire et le sein, c h a r­
m ant, de Gisèle Pascal.
Papa, m am a n , la bonne et m o i, film d e Jean-Paul L e Chanois, avec Robert L am oureu x,
Nicole Courcel, F e m a n d L edoux, G a b y Morlay, Jean Tissier. — L e grand succès de ce film
prouve q u e le public aim e ça, com m e disait La Palice. A l’intérieur de cette m êm e form ule,
ne pourrait-on pas, tout d e m êm e, trouver quelqu e chose d e m oins « facile » ?
L a R a fle e st pour ce soir, film d e M aurice Dekobra, avec Blanchette Brunoy, Jane S ourza,
Jacqueline Pierreux, G régoire A slan, Je a n Tissier, A rm a n d Mestral. — U n conte d e M au-
passant entre deux histoires de D ekobra. Le M aupassant finit p ar ressem bler aux D ekobra.
Votre d évo u é B la \e , film d e Jean Lavïron, avec E d d ie Constantine, Danièle G odet,
Colette Deréal, Jacques D y nam , Dora Doll, R obert D alban, Gil D elam are. — L a fo rm u le
série noire qu i a p lafo nné avec L e s 'F e m m e s s’e n balancent, s’use dangereusem ent. Celui-ci
pèche surtout p ar la faiblesse d u scénario. Il n e s’y passe pas grana-chose qui n e n o u s
paraisse gratuit. L e m o m e n t est venu d e renouveler la recette sous peine d ’irfdigestion.
L e V icom te d e Bragelonne, film e n Eastm ancolor, d e Fern and o Cerchio, avec G eorges
M archai, D aw n A d am s, Jacques D um esnil, Louis Arbessier, R ob ert Burnier. — L à c a p e et
l’épée n ’ont p a 3 fini d e tentfer les producteurs. F e rn a n d o Cerchio ne nous paraît pas d ig n e
d e Dum as m ais à cause d e D aw n A d a m s il lui sera beaucou p pardonné.
Gtitffoue Doré, film de R a y m o n d V oinq uel, préface de Jean Cocteau, com m entaire de
A lexandre A rno ux dit p ar Jean M archat. — L o ais Lum ière, film d e P . Paviot, c o m m e n ­
taire d ’A bel Gançe. —- D eux courts m étrages qui constituent un excellent prog ram m e.
L e Doré, fait d e façon u n pe u scolaire, a le m érite d e m ieux faire connaître aux jeu n e s
générations u n très g ra n d artiste. L e L u m iè re est excellent d e b out en bout.
L e Congrès des belles-mères, film en Gevacolor de E m ile Couzinet, avec Pierre L arq u e y ,
Jean ne Fusier-Gir, M axim ilienne, G eorges R oi lin, R ay m ond Cordy, Colette R égis. — U n
titre qui est tout u n program m e.
B onnes à tuer, film d e H enri Decoin, avec D anielle Darrieux, Corinne Calvet, M ichel
Auclair, M yriam Petacci, L yla Rocco. — S ur u n sujet p o u r Hitchcock, et en p ensant à lui,
D ecoin a raté son affaire. Il y a u n e économ ie d ra m a tiq u e d u policier qui sup porte m al
cërtaines fantaisies, surtout q u a n d elles sont gratuites. E garée sur la terrasse du crime, D anielle
D arrieux d em eu re un e vraie com édienne d e l ’écran.
H uis Clos, film d e Jacqueline A u dry, avec A rletty, G a b y Sylvia, Frank V illard, A rie tte
T h om as, R e n au d Mary. — U n e gageure ? Oui, sans doute, m ais le résultat m alaisé d e l ’en tre­
prise fait se d em an d er si cela valait la p e in e de la tenter.. Sartre sérait-il aciném ato graphiq ue
p ar essence ?
A li Baba e t le 5 quarante voleurs, film en Eastm ancolor de Jacques Becker, avec F e in an -
del, Dieter Borsche, Sam ia G am al, H enri V ilbert, Delmont. — V oir critique d an s notre
prochain num éro. ^

58
FILM JAPONAIS
Ofcasan (La M ère), film d e Mikia Naruse, ayec Kinuyo T anaka, Massao M ishim a, Kyoko
K agaw a. — V oir critique d a n s ce num éro, page 50.
FILMS ITALIENS
Drôles de bobines, film en Ferraniacolor d e Sténo, avec Jean R ichard, M aurice T eynac,
W alter Çhiari, L ea Padovani, P e ter T ren t, L uigi Pavese. — R arem ent drôle.
S u l P onte d e l Sospiri (S u r le p o n t des soupirs), film d e A ntonio Leonviola, avec Frank
Latimore, Eivi Lissiak, M aria Frau , A n d ré a Checchi, Françoise Rosay. — L e clou d e ce m élo
italien est u n duel nocturne en plein air qui oppose deux jeunes fem m es en chemise d e
nuit. Le fleuret effleure, sans les endom m ager, les pointes des seins des adversaires aux
charm es révélés p ar transparence sous la lune, complice des gloutons optiques.
Ulysse, film en T echnicolor d e Mario Çam erini, avec K irk Douglas, Silvana Mangano,
A nthony Q uin n, Sylvie, R ossana Podesta, D aniel Ivernel, Jacques DumesnU. — L 'o m b re ■
de H om ère doit passer de m auvaises nuits. A vec u n pe u d ’hum o ur et d e bonne volonté on
aurait u n burlesque... m ais non, m êm e pas.
Fr'tne, Çortîgina d 'O rien te (Phryné, courtisane d ’Orient), film de Mario Bonnard, avec
Pierre Cressoy, E lena K leus, T am a ra Lees, Jo hn K itzm iller, R oldano L u p i. — P h ry n é —
u n e des plus jolies anecdotes d e l ’antiquité — m éritait m ieux qu e cette bleuette paillarde,
artificielle et plate m alg ré d ’agréables rotondités.
FILM FRANCO- ESPAGNOL
U ne balle suffit, film d e Jean Sacha, avec Georges Ulm er, V é ra N orm an, Jacques Cestelot,
A n d ré V alm y, M ercedes Barranco. — Ce film, qu i tém oigne des progrès d e Jean S acha est
plus agréable à voir qu e tous les E ddie C onstantine d u m om ent. Georges Ulm er est m eilleur
com édien et plus sym pathiq ue. V era N orm an, à croquer.
FILM ALLEMAND
Die .Stmr F ührt nach Berlin ÇTaate la ville trem ble), film d e Paul-H . R am eau, avec Irina
G arden, G ordon H o w ard , Curt Meisel, B arbara R utting. — Cette ville était crédule. L e P ari­
sien l’est m oins. Mais il y a Barbara R u ttin g d o n t Le D e m ie r Pont, Siegfriedï et ce film
affirment la personnalité. p|LM S A[v|CLA[S

T h e Maggie. (M aggie), .film d e A ies an d ei M ackendiick, avec P a u l Douglas, A lex M ackenzie,


Jam es C opeland, A b e Barker. — Aussi am usan t q u e W hisfyy à gogo et plus fin. L ’interpré­
tation laisse à désirer. Il y a d a n s le talent d e M ackendrick qu elq ue chose de m ou m ais aussi
d e séduisant.
H o b s o n s Choice {Chaussure à son pîecD, film de D avid L ean, avec C harles L aughton,
John Mills, Brenda d e Banzie, D ap hne A nderson, P ru n e lla Scales. — Paradoxalem ent dans
ce film fait pour Charles L aughton, Laughton est en trop. Il m asque le reste : u n e astucieuse
comédie avec quelques résonances pîrandellîennes.
FILMS AMERICAINS
}it>aro { U A p p e l de l’o r), film en T echnicolor d e E d w a rd L udw ig, avec Fernan do Lam as,
R honda Flem ing, B rian jK eith. — Mineur d an s ses intentions, ce récit d ’aventures u n peu
naïf et naïvem ent colorié, n ’en est pas m oins u ne réussite qui a passé trop inaperçue, il y
a dea m om ents qui — toutes proportions gardées — font penser à Conrad. R hon da Flem ing,
qui enflam m e le T echnicolor, est d e celles qu e l ’on aim erait rencontrer au coin d ’un bois.
Cripple CrecJi (La Folie de Vor), film en Technicolor de R ay Nazzaro, avec G eorges Mont-
gomery, K arin Booth, Jerom e Courtland, W illia m Bishop. — W estern classique très solidem ent
charpenté'. Réalisation rem arquablem ent m usclée.
K in g R ichard a n d ihe Crusaders {R ichard C œ u r de Lion), film en C iném ascope et en
W arnercolor d e D avid Butler, avec Rex H atriso n, V irginia Mayo, G eoige Sanders, L aurence
H arvey, R obert Douglas, Paulu R aym ond. — G eorge Sanders est drôle en Roi R ichard, mais
Rex Rarrison est encore plus drôle en crooner sarrasin.
Foreoer Fcm ale (L ’E ternel F ém inin), film d e lrving R apper, avec Ginger Rogers, W illiam
H olden, P aul Douglas, P a t Crowley. — M ince dém arqu ag e de T h e M oon is blue. L es acteurs
s’ennuient. Les spectateurs aussi.
H o n d o {Hondo, l’h o m m e du désert), film en W arnercolor d e John Farrow , avec John
W ayne, G eraldine Page, L ee A aker. — E xploitant le succès de S hane, ce film, tourné e n relief
et présenté en plat,' présente en définitive plus d ’attraits et m oins d e prétentions qu e son
m oaèle. Jo hn W a y n e est plein de sage autorité et la figuration indienne nom breuse et active.
E le ja n t H^aïfe {La Piste des éléphants), film en T echnicolor de W illiam Dieterle, avec
E lizabeth T aylor, D ana A ndrew s, Peter F inch, A b ra h am Sofaer, Mylee H aulani. — Eliza-
beth T aylor d a n s la féerie cinghalaise. T ravail soigné d e W illiam Dieterle et u n e charge
d ’éléphants très saisissante.
Scared S tiff (Fais~mot peur), film de G eorge M arshall, avec D ean M artin, Jerry Lewis,
L izabeth Scott. — Nouvelles aventures comico-terrifiantes de M artin et Lewis. L izabeth Scoot
est charm ante en pyjaveste.

59
P iy m o u tk A d vent ute {Capitaine sans Îc4), film e n T echnicolor de C larence Brown, avec
Spencer T racy , G ene T ierney, V a n Johnson, Léo G enn, Dawn A d d a m s, B airy Johns. —
P e u raccrocheur, austère, digne et agréable travail de Clarence Brown. Jo lie histoire. E n
faisant u n effort on p e u t se passionner pour ce film qui en vaut la peine. C urieu x hom m e
qu e ce C larence Brown qui sait encore, à l’époque d es « digest » p re n d re, pour raconter u n e
histoire, le tem p s q u ’il faut,
. H all a n d H ig h W aler (Le D ém on des eatix troubles), film e n C iném aScope et en T e c h n i­
color d e Sam uel Fuller, avec Richard W idm ark, Bella Darvi, V ictor Fran cen, C am eron
M itchell, G eno Evans, D avid W ayne. — O n n ’a pas trop gâté Sam uel Fu ller p o u r son prem ier
m ier C iném aScope : Bella Darvi, plus u n bu gdet trop m ince et un e histoire égalem ent trop
m ince. L e résultat est peu encourageant. L a couleur est parfois am u sante, m ais c ’est b ien
tout.
R h a p so d ÿ (R hapsodie), film en Technicolor de Charles V îdor, avec EJizabeth T aylor,
Vittorio GaBsman, Jo hn Eric son, Louis Calhern, M ichael Chekhov, B arbara Bâtes. — R achm a-
h in o tt triom phe, d a n s le c œ u r d e la ravissante E lizabeth T ay lor, des violons conjurés d e
T chaïkovsky et Paganin i. Vittorio G assm an prête son m asque tou rm en té a u violoniste, John
Ericson est le pianiste paresseux.
W in g 3 o f th e Hawfy {Révolte au M exique), film en T echnicolor d e B udd B oetticher, avec
V a n H eflin, Julia A dam e, A bbe Lane. — Solide w estern m exicain réalisé p a r u n m etteur
en scène qu i com m ence à solliciter l ’attention des cinéphiles, Bud Boetticher.
F irem an save m y Ç hild {T o u t fe u tout fla m m e /), film d e Leslie G oodw ins, avec Spike'
Jones, B udd y H ackett, H u g h O ’Brian, T om Brown, H arry C heschire. — D igne d e M ack
S ennet d isent certains ; pénible et laborieux disent les autres. E n vérité il est difficile d ’é m e t­
tre u n e opinion objective devant u n burlesque am éricain sur la b a n d e sonore du q u el vient
s’installer R om éo Caries,
R ing o f Fear (Les Géants du cirque), film en C iném aScope et en W arn e rco lo r d e Jam es
E d w a rd G rant, avec Clyde Beatty, P a t O ’Brien, Mickey Spillane, S ean M cGlory, M arian
Carr. — D u bo n , d u m oins bon et d u Mickey Spillane. Q uelques rem a rq u ab le s num éro s de
cirque et u n personnage assez fascinant de fou hom icide, re m a rq u ab le m e n t interprété p ar u n
nouveau venu qui peut aller loin : Sean McGlory,
Saskatchetüan (La Brigade héroïque), film en Technicolor d e Raoul W alsh , avec A la n
L ad d , Shelley W inters, R obert Douglas, J. Carrai Nâish, R ichard L ong, A ntonio M oreno. —1
Q u e ce film aéré, plein d e paysages extraordinaires, soit u n des m eilleurs w esterns de l ’a n n é e
n a rien pour su rpren dre ceux gui adm irent depuis longtem ps le tale n t d e Raoul W alsh .
V oici u n film dont nul plan n'est indifférent, d ont chaque im age d é b o rd e d e vie et d e
m ouvem ent.
R ide Clear o f D tablo (Chevauchées avec le Diable), film en T echnicolor d e Jesse H ib b s,
avec A udie M urphy, D an Duryea, Susan Cabot, A b b e L ane, — Bâti com m e R a n ch o Notorioas,
ce film est loin, évidem m ent, d ’en avoir les qualités, m ais p erm et au m oin s à D an D uryea
d e faire un e d e ses m eilleures créations.
Tarzan s Savage F ury (Tarzan, défenseur de la jungle), film d e Cyril E nd field, avec Lex
B arker, D orothy H art, Patrie Knowles, Charles K orvin. — Bras d ’acier, poitrine de fauve,
T a rz a n a du Binge la dextérité et la sottise. Interdit aux plus d e sept ans.
• W fiite Chrislm as (Noël blanc), film en VistaVisîon et en T echnicolor d e M ichael CurJiz,
avec Bing C rosby, D an ny K aye, Rosem ary Clooney V e ra Ellen, D ean Jagger, M ary
. W icke3. — Som ptueux spectacle. L a V istaVisîon sem ble bien am éliorer la « définition » d e
l ’im age. Nous avons apprécié plus spécialem ent D anny K aye et l’exquise, la féerique V e ra
Ellen.
Carnîval Story {Ceu x d u voyage) , film en T echnicolor# d e K u rt N eum ann , avec A n n e
Baxter, Steve C ochran, Lyle Bettger, Georges N ader. — D ’u n sentim entalism e exacerbé, ce
film est à voir. Curieuse A n n e Baxter qui cède sitôt q u ’on l'em b rasse. E n tre la bib lioth èq ue
d e « N ous d e u x » et les « Jeunes filles » d e M ontherlant se situe C eux d u voyage, tou rné
d a n s des décors naturels en Allem agne. Couleur agréable,
K n ig h ts o f th e R o u n d Table (Les Chevaliers de la table ronde), film e n C iném aScope
et en Eastm ancolor d e Richard T h o rp e, avec R obert T aylor, A v a G ard ner, M el Ferrer, A n n e
Craw ford Stanley Baker, Félix A ylm er. — L e p lu s b eau sujet d u m o n d e traité p ar l'h a b ile
R ichard T h o rp e com m e u n super Iv a n ko ê ... et la belle A v a en C iném aScope... et le tra ­
velling d e H e n ry V en presque m ieux. La couleur : quelquefois, très belle, souvent m oins
belle.
Jam aica R u n (Le Courrier d e la Jamaïque), film en T echnicolor d e Lewis R. Foster,
aVec R a y M illand, A tlen e Dahl, Kendell Corey, Patrie K now les. — R a y M iiland enfile u n
scaph an dre pour aller chercher au fond de l'e a u un héritage qui se trouvait tout bon n e m e n t
chez Je notaire. Histoire compliquée, m ise en scène u n pe u laborieuse. 1
T h e Veils o f B agdad {Le Prince d e Bagdad), film en T ech n ico lo r d e G eorge S h e rm an ,
avec V ictor M ature, Mary Blanchard, V irginia Field, G u y Rolfe. — L a tradition des Mille
et u n e nuits passe aujo urd'hu i p a r Hollywood. S h erm an le dém o n tre u n e fois d e plus avec
dextérité, en lum inures choisies et l ’im posante présence d e V ictor M ature.
M e (M ademoiselle Porte-Bonheur), film en C iném aScope et e n W arn erco lo r d e
Jack D onohue, avec Doris Day, R ob ert Cum m ings, Phil Silvers, Marcel D alto. — Souhaitons
qu* a elle » portera b onheur au film : il en a besoin...

60
TABLE DES MATIÈRES

Tome V II - du numéro 37 (juillet Î9 5 4 )


au numéro 4 2 (décembre 1954)

ASTRUC Alexandre
Q uand u n homme ........................................................................................... N° 39 P. 5
AUDIBERT1 Jacques
BiUet 1 (L'Ecran rétrospectif) ....................................................................N° 37 P. 14
Billet 2 {Conga.3 bantous et ancestral apporté) ......................................N° 38 P. 20
Billets 3 e t 4 (Public et Public — Histoire naturelle partout ) ---- ----- N 0 40 P. S6
L ’am our d ans le ciném a ........................................................................ ....... N° 42 P. 17
BAUDROT Sylvette
H itch, au jour le jour ..................................................................................N° 39 P. 14
BAZIN André
P e tit journal intim e d u cinéma ..................................................................N° 38 P. 36
Hitchcock contre Hitchcock ................................................................ .......N° 39 P. 25
L’autre « Festival de Cannes » ........................................................... .......N° 40 P. 51
Des caractères (Le Rouge et le Noir) .........................................................N° 41 P. 38
R écitation épique (Lettres de mon Moulin) .................................... .......N° 41 P. 44
Pour contribuer à une érotologie de la Télévision ................................N° 42 P. 23
BOUSSAC DE SAINT MARC
Eros, le bien-servi ............... .................................................................... .......N0 42 P. 58
CHABROL Claude
Hitchcock devant le m al ...................................................................... .......N° 39 P. 18
H istoire d ’une interview ...............................................................................N° 39 P. 39
DEMONSABLON Philippe
A propos du Carrosse d'or ......................................................................... N° 38 P. 16
Le pire n ’est pas toujours sû r (Boois Malone ) ................................... N° 3fl P. 51
Le fil d u rasoir (Executive Suite ) ..................................................... .......N° 40 P. 48
DESTERNES Jean c
Venise 54 .................................................................................................... ...... N« 39 P. 63
Venise 54 (Compte rendu ) .................................................................... ...... N° 40 P. 3
Après u n com bat (L'Air de Paris) ..................................................... ...... N° 40 P. 43
L ’am our en couleurs ............................................................................... ...... N° 42 P. 27
BOMARCHI jean
Une tragédie de la vanité (La Provinciale ) .................................... ...... N» 37 P. 41
Alceste est dans le sac (Les Hommes préfèrent les blondes) — N° 38 P. 45
Le chef-d’œuvre inconnu .................................................................. ......... N° 39 P. 33
DONIOL-VALCROZE Jacques
Post-scriptum sur El .................................................................................... N° 37 P. 47
De Verga à Moravia (La Lupa) ................................................. . N° 37 P. 50
Fiera comme des hommes (Robinson Crusoé) ................................ ...... N° 38 P. 46
P etit jou rn al intim e du ciném a (du 21 octobre au 23 novembre). Na 41 P. 16
E crit et réalisé p ar (Châteaux en Espagne ) .................................... ...... N° 41 P. 41
Marie-Lou e t les loups (Escalier de service) .................................... ...... N° 41 P. 42
Problèmes e t perspectives d u ciném a français .............................. - N» 41 P. 48
Enquête su r la censure e t rérotism e ...................................................... N° 42 P. 46
DORSDAY Michel
D u révolutionnaire au m oraliste (El) ............................................... ......N® 37 P. 44
EISNER Lotte H.
La semaine d u film à Vienne .....................................................................N° 37 P. 30
Encore l’O péra d e Q uat’Sous .............................................................. ......N° 37 P. 32

61
Au Lido : Deux festivals avants-coureurs ........................................ .......N° 38 P. 23
L a rétrospective du ciném a allem and au Festival de Venise •______ N° 40 P. 24
L ettre de Bas Ems (Rencontre avec les ciné-clubs allemands —
- Rencontre avec Piscator) ....................................................................... ........N ° 41 P. 21
GANCE Abel
D épart vers la Polyvision ................................................................... N<> 41 P. 4
GUEZ Gilbert
R encontre avec Stellio Lorenzi ........................................................... N0 41 P. 34
GRITTI Jules
Le congrès « néo-réaliste » de P arm e (En feuilletant les comptes
rendus) ................................................................................................ N» 41 P. 53
FORLAN! Remo
Le mystérieux Docteur Seuss (Les 6.000 doigts du Docteur 2e...) .. N° 41 P. 46
FRANK Nino
Au Lido : M étrages de pellicules ....................................................... N° 38 P. 27
HITCHCOCK Alfred
Préface .......................................................................................................... N° 39 P. 11
JOÀCHIM Robin jon
Brève rencontre avec Steinbeck .............................................. . N» 37 P. 28
LACHENAY Robert
P etit journal intime du ciném a (du 22 septembre au 20 octobre) n ° 41 p. 10
E ros’ Time ......................................; .......................... ............................. N° 42 P. 32
LEMAITRE Maurice
Les vrais et les faux pionniers du cinéma ...................................... N° 40 P. 54
LICHTIG Renée
En travaillant avec Stroheim ............................................................... N° 37 P. 17
LO BUCA
Le « Pool » du cinéma, etc................................................................ . N° 40 P. 56
LOINÜD Etienne
Ava for ever (Mogambo) ...................................................................... N° 41 P. 40
Tristesse oblige (Father Brown ) ........................................................ N° 41 P. 45
MICHAUT Pierre ?
Promenade parm i les films d 'a rt : de Venise à Cannes ............. N° 37 P. 20
A Berlin e t à Locam o : quelques films .............................................. N" 38 P. 29
O’BRADY Frédéric
Vous êtes volés .............................. ........................................................ N “ 42 P. 43
RENOIR Jean
Mes rêves ..................................... - *....................................................... N» 38 P. 2
Après la chasse (E xtrait de « La Règle du jeu, ») ........................ N° 38 P. 10
RICHER Jean-José
La Fayette nous voici I {La Porté de VEnfer) ................................ ...... N<> 37 P. 39
Boulimie de Julien Duvivier (L'affaire Mauritzius) ........................... N° 37 P. 49
Venise 54 ?............................................... ......................................................... N° 40 P. 3
. Remords ou défi (The Caine M utiny ) .............................................. ...... N° 40 P. 45
Aventures rom aines (Thfee Coins in the Fountain') ..................... N» 40 P. 47
L ettre de Bêle (Le Cinéma de demain ) ............................................. .......N° 41 P. 29
Pain, amour et fantaisie ................. ................ .................................. .......N° 42 P. 4
RIVETTE Jacques
Filmographie d’Alfred Hitchcock ....................................................... N° 39 P. 53
SADOUL Georges
Petite chronique du festival inconnu ................................................ N° 40 P. 26
SCHAEFFER Pierre
Les nouvelles techniques sonores et le ciném a ................................. N° 37 P. 54

62
SCHERER Maurice
E n tretien avec Roberto Rossellini ..................................................... N° 37 P. 1
« L ’am our du ciném a » de Claude M auriac .................................. N° 37 P. 56
Le meilleur des mondes (Les Hommes préfèrent les blondes) ___ N» 38 P. 41
A qui la faute? ......................................................................................... N° 39 P. 6
TALLENAY Jean-Louis
Le congrès « néo-réaliste j>de Parm e (Présentation) ................... .......N° 41 P. 52
TRUFFAUT François
E n tretien avec Roberto Rossellini ............................................................. N° 37 P. 1
P e tit journal intim e d u ciném a .......................................................... .......N» 37 F. 34
Les nègres de la rue Blanche (River of no return, Prince Vtfü-
lant, Capitaine. King) ...................................................................... .......N° 38 P. 48
U n trousseau de fausses clés .............................................................. .......N° 39 P. 45
Enquête su r la censure e t l’érotisme ........................................................N° 42 P. 46
VILMORIN Louise de
Le Violon de Crémone (1) .................................................................... N° 42 P. 61
WEINBERC Heriron G.
L ettre de New-York ............................................................................... N0 41 P. 24
NOTES SUR D’AUTRES FILMS
J.-J.R., J.D.-V. et R.L. (Par ordre du Tzar, Glinka, Vol sur ■
Tanger) ................................................................................................ N« 37 P. 52
J.D.-V., Ph. D. e t R.L. (Orage, The Band Wagon, Les Indifèles,
Les Frontières de la vie, Les Amants de la Villa Borghèse, ■
Les Hommes ne regardent pas le ciel, La Chasse au gang> N° 38 P. 53
CORRESPONDANCE
Claude M auriac à André Bazin ........................................... ............. N° 37 P. 58
Georges Sadoul à Doniol-Valcroze ....................................................... N° 37 P. 59
TABLE DES MATIERES DU TOME VI ......................... .................................. . . . N» 37 P. 60
LIVRES DE CINEMA
Robert Lachenay : « Vedettes sans maquillage » de Georges
Baume . .............................................................. ................................. ...N° 38 P. 55
R.L. « Le public n ’a jamais tort » d ’Adolphe Zukor ..................... N° 38 P. 57
F,H. « Motion Pictures 1940-49 Catalog of Copyright Entries » N° 38 P. 59
André Rossi. — Les livres .................................................................... 41 P. 62
PETIT CATALOGUE DES AMOURS CINEMATOGRAPE-ilQUüS ..................... N° 42 P. 8
LES FILMS
Liste des films sortis en prem ière exclusivité à Paris du 30 juin
au 17 ao û t 1954 ............................................................................... N° 38 P. 60
Liste des films sortis en prem ière exclusivité à Paris d u : 18 août
au 26 octobre 1954 ........................................................................... N° 40 P. 58
Liste des films sortis en première exclusivité à Paris du 27 octo­
bre au 23 novembre 1954 ................... ; ......................................... N° 41 P. 60

NOS RELIURES
Nous ayons fait étudier un nouveau système de reliure, plus souple, plus résistant
et d’un maniement plus facile, que nous proposons à nos lecteurs au même tarif
que l'ancien.
Cette reliure à couverture jaune e t noire, dos noir titré CAHIERS DU CINEMA
eu lettres or, prévue pour contenir 12 numéros, s’utilise avec la plus grande
facilité.
PRIX DE VENTE : A nos; bureaux : 500 francs. Envoi recommandé : 600 francs.
Les commandes sont reçues : 146, Champs-Elysées, PARIS (8°) — C.C.P. 7890-76,
PARIS.

63

X)
LES E N T R E T I E N S PUBLIÉS D A N S
LES C A H I E R S D U C I N E M A A V E C
Jacques Becker,Jean Renoir, Luis Bunuel
R o b e r t o R o s s e l l i n i et A b e l Gance

ONT ÉTÉ ENREGISTRÉS A L’AIDE DU


MAGNÉTOPHONE PORTATIF MUSICAL

DICTONE “ JEL”

Dem ander à DfCTONE , 18 et 20, Fg du Tem ple, PARIS


Tél. OBE. 2 7 -6 4 et 3 9-88

La d o c u m e n ta tio n générale N° I se r a p p o r ta n t à ses

• MAGNÉTOPHONES A HAUTE FIDÉLITÉ MUSICALE


qui permettant la sonorisation et synchronisation de films
• MACHINES A DICTER
LOCATION
LOCATI ON - VENTE
VENTE-CONDITIONNELLE

3 ANS DE GARANTIE - 9 ANS DE RÉFÉRENCES


i
1819-1955

Toute technique évolue...


y compris celle de la garantie
C o m m e s o n 'a r r i è r e - g r a n d - p è r e , l ’h o m m e
d e 1955 s o u s c r it d e s c o n t r a t s d ' a s s u ­
ran ce. M a is ces c o n tr a ts s o n t a d a p té s ■
a u x c i r c o n s t a n c e s a c tu e lle s . I ls a c c o r ­
d e n t d e s g a r a n t i e s illim ité e s . I ls *ne
c o m p o r te n t pas de d é c la ra tio n de
c a p ita u x .

L ’homme moderne s'adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à l’avant-garde du progrès technique

Ses références le prouvent :


C’EST L A COMPAGNIE D'ASSURANCES DU CINÉMA
E T DE L ’ÉLITE ARTISTIQUE F RA N Ç AISE

33, RUE LAFAYETTE - PARIS-IX e - TRli. 08-00


= = = = = SERVICE P. A. I. p o u r P A R IS — P. R. I. p o u r la P R O V IN C E = = = = =
BROADWAY
LA SALLE DE L ’ ÉLITE

36, CHAMPS-ÉLYSÉES, PARIS-8" - ÉLYsées 24-89


i ’ •

Printed in France PRIX DU NUMÉRO : 250 FRANC

Vous aimerez peut-être aussi