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CINEMA305

CAHIERS
1979
MENSUELLE/NOVEMBRE
SOMMAIRE/REVUE
DU
teR Ee?
Vip a phe
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. Sevatsead 5)
“An, Peiabee sh Tbrivetoes : in

“Ge]
wae Tv. tabs or reneCota ai awh edi Lhe chntts
«C'est un événement. C'est un monument fittéraire et
artistique qui revit. C'est un trésor de connaissances qui
LA REVUE se rouvre, Bret : cette ddilion du Cinquantenaire avec tous

DU CINEMA
ses index, ses tables, ses introductions et 368 témoignages
aujourd'hui fera date. if taut se dépécher de se fa pro-
1928-1931 1946-1949 curer avant qu'elle soit, eile aussi, introuvadle. »
Direction : Jean George Aurlol Le Figaro

Réédition du Cinquantenaire « Cette superbe ef luxueuse réédition de ia célabre revue


en fac-similé de Jean-George Auriol constitue un é6vénement sans pré-
cédent dans I'histoire du livre de cinéma. D'une consul-
tation pratique grace & une pagination complémentaire et
PREFACES des tables, c'est & fa fois un outil de recherche précieux,
de Jean-Paul Le Chanois la réunion de textes théoriques essentiels, mais aussi un
et Jacques Donicl-Vatcroze acte de foi. On achéte fant de choses inutifes qu'if vaut
INTRODUCTIONS mieux ici faire un eftort particulier (quitia & étre ailleurs
d'Odette et Alain Virmaux beaucoup plus sévére) pour ne pas manquer cette édition
Témoignages exceptionnalle @ laquelie nous n'osions réver. »
image et Son
5 iomes reliés, sous jaquette et étui
« Aucune déceplion ne vient troubler le plaisir de feuilleter
et un index général
cetle luxueuse édition. Entin & portée de main quelques-
3 TOMES PARUS uns des plus beaux et des plus rares textes de i'histoire
(série 1928-1931) de fa critique et de la recherche cinématographiques.
C'est un événement sans précédent dans I'histoire de
Fédition cinématographique. » Cinéma 79

« Une aubaine pour les colfectionneurs qui s‘errachaient


ces numéros & prix d'or chez les bouquinisies. Nées de
la passion et de I'enthousiasme des premiers cinéphiles,
ces revues inventarent fa critique de cinéma. La Revue
du Cinéma, ou le septiome art exalté. » Télérame
En souscription
« Une entreprise considérable & faqueife tous les cinéphiles
jusqu'a l’'achévement prévu
devraient faire un succés. Cette “éddition du Cinquante-
de l'édition
{30 novembre 1979) naire” est bien un événement. » Le Monde

5 tames + Index général : 1180 F «if nous faut saluer bien bas te courageux éditeur qui met
ou 5 versements de 270 F a@ notre portée un ensembie dont iédition originale se
ou 10 versements de 142 F négocie plusieurs centaines de milliers de centimes ; et
dire & tous fes cinéphiles sérieux : vous ne pouvez pas
Documentation sur demande vous passer de cet ouvrage | » Ecran 79

38 rue Chanzy 75011 Paris - CCP 3479510 S La Source - Tél. 371.68.98

PIERRE LHERMINIER EDITEUR


COMITE DE DIRECTION
Serge Daney Ne 305 NOVEMBRE 1979
Jean Narboni
Serge Toubiana DE LA NUEE A LA RESISTANCE
Le plan straubien, par Serge Daney p.5
REDACTEUR EN CHEF
Serge Daney Un recueil de matériaux, par Manfred Blank p. 8
Entretien avec Jean-Marie Straub et Daniéle Huillet,
COMITE DE REDACTION
par Serge Daney et Jean Narboni po. 14
Alain Bergala
Jean-Claude Biette
Bernard Boland
CINEMA SUISSE DOCUMENTAIRE
Pascal Bonitzer
Jean-Louis Comolli Présentation, par S. D. et S. T. “p21
Daniéle Dubroux
Thérése Giraud Entretien avec Richard Dindo, par Serge Daney et Serge Toubiana p. 23
Jean-Jacques Henry
Pascal Kané . Entretien avec Fredi Murer, par Louis Skorecki p. 28
Yann Lardeau
Serge Le Péron CINEMA FRANCAIS: OU EST LA CRISE ?
Jean-Pierre Oudart
Louis Skorecki Table ronde avec Luc Béraud, Serge Daney, Eduardo de Gregorio, Pascal Kané,
Serge Toubijana et Bertrand van Effenterre p. 34
EDITION
Jean Narboni CRITIQUES
Winifred Wagner (H.-J. Syberberg), par Jean-Claude Biette p. 46
DOCUMENTATION,
PHOTOTHEQUE
Claudine Paquot
Adolf et Marféne (U. Lommel) et
Jane sera toujours Jane (W. Bockmayer), par Louis Skorecki p. 48

CONSEILLER SCIENTIFIQUE Don Giovanni (J. Losey), par Louis Skorecki p. 49


Jean-Pierre Beauviala
La Dérobade (D. Duval}, par Daniéle Dubroux p. 50
MAQUETTE
Daniel et Ca Tapage nocturne (C. Breillat), par Pascal Bonitzer p. 51
NOTES SUR D'AUTRES FILMS :Aace a’Ep, Le Tambour, La Lettre écarlate, Premier Secret,
ADMINISTRATION Heroes, The Big Fix, L'Ecole est finie, La Vedette, Le Point douloureux, Rue du Pied-de-Grue,
Clotilde Arnaud
Courage fuyons, Moonraker, Movie Movie, il y a longtemps que je t'aime, Charles et Lucie,
Au revoir a lundi, La séduction de Joe Tynan p. 53
ABONNEMENTS
Patricia Rullier PETIT JOURNAL

PUBLICITE Rencontre avec Otar losseliani p. 60


Media Sud
1 et 3, rue Caumartin 75009 Festivals : Telluride, Lille p. 64
742.35.70
Télévision : Aue des Archives (Ruiz), Paris-Berlin, Berzosa p. 68
GERANT Livres : « Eloge du cinéma expérimental » (Noguez), « Ciné-Rock » etc.
Serge Toubiana
Numéros Zéro : un film de Raymond Depardon sur /e Matin de Paris
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Serge Daney informations : Festival Super 8 a Caracas, Cinéma polonais a Paris etc.

Les manuscrits ne sont pas


rendus.
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Etoile. ;
CAHIERS DU CINEMA - Revue
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Blanche (50, rue du Fbg-St-Antoine),

Administration - Abonnements -
343.98.75.
Redaction : 343.92.20. En couverture : Mauro Monni dans De /a nuée a /a résistance de 3.-M- Straub et D. Huillet.
La
DE LA NUEE A LA RESISTANCE

LE PLAN STRAUBIEN
PAR SERGE DANEY

Le dernier Srraubfiim (4 mon sens le plus beau et le plus stimulant depuis longtemps. le plus
accessible aussi) est composé de deux parties distinctes, l'une mythologique, lautre moderne,
les deux sans rapport apparent. Cété nube: six dialogues parmi les vingt-sept « Dialogues avec
Leucd », écrils par Cesare Pavese en 1947. Cété resistenza: des extraits d'une autre livre de
Pavese, « La Lune et les feux », publié en 1950, quelques mois avant son suicide. Ce dernier
cété ne surprendra pas. Chaque Straubfiim est un relevé — archéologique, géologique, ethno-
graphique, militaire aussi — d'une situation historique ob des hommes ont résisté. La of Nictzs-
che disait que « le seul étre que nous connaissons est I’étre qui représente », les Straub pour-
raient dire: n’existe pour sar que cc qui résiste. A la nature, a la langue, au temps, aux textes,
aux dieux, 4 Dieu, aux patrons, aux nazis. A la mére et au pére. Le texte de Manfred Blank qui
ful assistant sur Dalla nube ct que nous publions dans ce numéro (p. 8) explique bien comment
le plan, atome de base du cinéma straubien, est le produit. le reste plutét, la restance, d'une tri-
ple résistance: des textes aux corps, des lieux aux textes et des corps aux lieux. Et vice versa.
I] faudrait y ajouter une quatriéme: celle du public au plan ainsi « taillé » (pour reprendre la
métaphore du silex), résistance obstinée du public de cinéma a quelque chose @iniraftahble et
qui le nie comme public (voir, infra, Ventretien avec les Straub. p. 14).
Je ne reviendrai pas la-dessus. D’abord parce que la-dessus, les Ca/tiers depuis quinze ans ont
J, Narboni « La vicariance du pou- beaucoup écrit (1). Ensuite parce que ce qui frappe dans ce « Nicht versdhnt italien » qu’est
voir » (sur Oshon, Cahiers N° 224) et Dalla nube, C'est autre chose: la sensualité, le goat du récit, le bonheur de la langue (litalien)
«La» (sur Fortin’ Caui, Cahiers Ne et aussi unc volonté d’élucider, un « quoi qu'il en soit, i] faut y aller» qui me feraient presque
274), Bonitzer: «J-M. § ct J-L. G»
(Cahiers Ne 264) ct moi-méme : « Un
dire que ce film charrie les éléments d’une psychanalyse des Straub par cux-mémes, Comme
tombeau pour l"ceil » (sur fife, si au sortir du triptyque juif (composé, rappelons le du « petit » Schonberg, de Moise ef Aaron
Cahiers N° 258). et de Fortiné Cani), aprés avoir brandi le signifiant « résistance » comme un absolu (car sans
doute, tre juif. c’est résister (2)), ils en entreprenaient la généalogic. Lu résistance est le point
2, Crest résister aussi au Livre,
comme le retrave Moise ef claran et
Warrivéc d'une histoire qui commence ailleurs. plus t6t, avec la nuée. Quelle est cette histoire
comme le signale Sibony (dans qui enjambe deux millénaires, enlace les hommes et les dieux, puis les hommes a la plus terrible
«L’Autre incastrable », p, 23): —la plus moderne aussi — des divinités, l'Histoire? A partirde quel moment a-t-on résisté? Pour-
La Bible, cétatt passtonnément Misi- quoi résister? Et a quoi résiste-t-on, au juste?
ble. e¢(...) pemt-érre le peuple du Livre
nwa tenu que de se rehiffer et de se rai
dir a cette écriture et di coup den Contre le spectacle. Mais quel spectacle? — Les six dialogues qui composent la premiere partie
retenir les marques secréics », prennent acte d'un événement unique: les dieux se sont séparés des hommes. Tout voisinage
entre cux est rendu caduc, ct aussi l’alliance, la promiscuité, le mélange. C'est la nouvelle loi
qu’au premier plan du film, la nymphe Néphélie, la nuée. assise dans son arbre, annonce a
Ixion. « // ¥ a des monstres », dit-elle. Désormais, ceux qui (tels les Centaures) participaient
dune double nature savent qu’ils sont des monsires et se cachent. Chaque dialogue marque un
approlondissement de Ja séparation. Je résume (et grossis): les dieux se désolidarisent des hom-
mes, les abandonnent (deuxiéme dialogue: La Chimeére). ils séparent les hommes des choscs en
donnant a cellés-ci un nom (troisiéme dialogue: Les Aveugies), ils les séparent d’eux-mémes et
les transforment en bétes (quatriéme dialogue: L’Hommiec-loup), ils les séparent les uns des
autres a travers les sacrifices (cinquiéme dialogue: L ‘Jnvitc) et la séparation est totale quand ils
se contentent, oisils, de regarder ces sacrifices (sixiéme dialogue: Les Fenx).
Ce dernier dialogue marque (chez Straub, pas chez Pavese), en méme temps que la fin de la
premiere partie, le début de la résistance, sinon de la révolte, et préfigure la seconde partic, a
travers lc theme des fer. H vaut la peine de s’y attarder un moment. A son pére qui lui explique
que ces feux, il faut quand méme les allumer, un jeune paysan répond: « Afoi. je ne veux pas.
ne comprends, je ne veux pas, Us font bien, les patrons, de nous manger la moélle, si nous avons
616 aussi injustes entre nous autres, Ils font bien les dieux de nous regarder souffrir ». Signifi-
cativement, Straub coupe le reste du dialogue de Pavese (le fils ajoutait « Siamo tutti cattivi »
— nous sommes tous méchants - et le pére le traitait ignorant avant de renouveler son offrande
4 Zeus). de méme qu’il en avait coupe les deux premiéres phrases (Pavese commencait par faire
dire au fils: route fa montagne briile) pour entamer le dialogue avec la constatation par le fils
gue: nos feux. personne ne ley voit.
On a trop parlé du respect méticuleux des Straub aux textes pour ne pas noter ici dans quel
sens ils savent aussi les violenter. Car ces coupes ne sont pas faites au hasard, ni le fait que ce
6 DE LA NUEE A LA RESISTANCE
soit justement le théme du regard qui est ainst privilégi¢. La résistance commence au moment
ou. achevée leur séparation d’avec les dieux. les hommes s'imaginent étre le spectacle auque!
les dieux prennent plaisir. de loin. Début de la résistance, mais aussi de la pose. du théatre(3), 3. Comme chez tous les modemes,
de la complaisance, de l'esthétisme. d"une « plus-value figurative » réservée au corps humain. le thédtre est exclu du cinéma striu-
bien. Le thédtre comme technique.
Entre l'insouciance d'Ixion qui ne prend pas trés au scrieux ce que la nymphe tui dit (premier comme savoir-faire. Mais pas comme
dialogue) et le premier non! (sixiéme dialogue: la caméra se porte alors au niveau de la main imaginaire. [| y aun pout du théatre
du gargon, une main qui hésite encore a se faire poing, mais une main qui a un devenir-poing). antique chez Straub, de la toge et du
la distance entre les dieux et les hommes, a force de se creuser, est devenue l°espace de la contem- drape. qui renvoi nt a Cecil B,
de Mille qu’aux situations de Terreur
plation esthétique. Le fils: £1 les dicux?Hs sont injustes les dicux. Le pére: Sice n était pas ainsi, qu'il connote.
ils ne seraient pas des diewx. Qui ne travaille pas, conmment veux-te qu'il passe le temps? Quand
if n'y avait pas encore de patrons et quéon vivait avec justice, i fallait tuer de temps a@ autre
quelqu'un pour les faire jouir. Is sont faits ainsi. Mais de netre temps, ils n’en ont plus besoin.
Nous sommes si nombreux @ aller mal qu'il leur suffit de nous regarder, C’est donc une seule
et méme chose que le malheur
des hommes et leur transformation en objets de jouissance esthe-
tique pour des dieux oisifs. Bien str, les dieux. ce sont aussi les patrons. les spectateurs - tous
ceux qui ne travailient pas. Et leur résister, c’est d’abord refuser d’étre regardé. C'est, par exem-
ple, leur tourner le dos.
Refus du spectacle. honte faite au spectateur- dieu, cet entant gaté? Peut-étre. Mais plus que
de refus, c'est d’accomodation qu'il s‘agit dans les films des Straub. Pour décrire les dieux a
Ixion, Néphélic dit: [ds tatens tout de loi. avec les vei, les narines, les levres. La fabrication
du plan straubien est tout entiére dans une pratique du cadrage qui casse ce lointain, qui
apprenne a regarder « de prés », qui torde I'cspace homogéne de la contemplation paranoiaque,
par oti les dicux-spectateurs dépossédent les hommes de leur malheur et par ou les hommes.
pour leur complaire, se muent en histrions de Icur sort, devenu un destin, C’est ce refus d'un
arriére-monde, d'un au-dela, d'un arriére-p/an. qui confere a Dalla nube cette sensualité immé-
diate, pathétique. ott le souvenir d'un monde « ow !’on serait chez soi », d’une intimité avec les
choses, c’est aux sens les mieux liés a la périphérie du corps— louie, le tact - qu’il faut le confier.
Pas au regard.
Inscription yraic ou surimpression? - [| n'y a pas d‘arriére-plan. soit. Mais y a-t-il pour autant
un plan? Qu encore: quel est le consent de ce qu'on appelle, par commodité, un plan? Contenu
est a prendre tci 4 la lettre. Dans un court film intitulé Toure révolution estun coup de deés, les
Straub font dire un poéme de Mallarmé au cimetiére du Pére-Lachaise: les « acteurs » (un par
caraclére typographique) sont dissémineés — écriture vivante — sur la pente d'une petite colline.
Sous cette colline furent enterrés des victimes de la Commune. Mais cela, le film ne le dit pas.
Dans Fortini Cani, la caméra parcourt plusieurs fois une campagne italienne ou, pendant la
seconde guerre mondiale, des populations civiles furent massacrées. Le contenu du plan, c’est
alors, stricto sensu, ce qui s’y cache: les cadavres sous la terre. De quoi conclure 4 une sorte de
piété nécrophile, dirigée par les Straub contre le spectaleur, sommé de savoir ou de se taire au
nom du respect di aux morts, ct surtout 4 ceux-la. Coalescence impossible entre le percu et le
su, le contenu d'une perception ct la perception d'un savoir. En ce sens, la politique (et la
morale) des Straub est une politique (et une moralc) de la perception. En ce sens, elle est maté-
ste (mais a la fagon de Lucréce, ou de Diderot). Dalla nube permet de revenir sur cette ques-
tion. La aussi, Jes plans ont un « contenu », mais ce n'est pas le méme, ni la méme horreur. C'est,
par exemple, le champ de blé que l'invité (Héraklés) regarde et admire (cinquiéme dialogue):
mais i] sait qu'on le fertilise chaque année avec le sang de Ia victime d'un sacrilice et qu'il est
désigné pour étre cette victime. C'est le plan magnifique de « I"herbe et des acacias » devant
lequel, a la toute fin du film, Nuto révéle au batard que c'est I’endroit ou Santa fut tuée, puis
brulce par les partisans. C’est enfin le plan du loup (quatriéme dialogue) dont les chasseurs se
demandent quoi faire puisque, de leur propre aveu, « Ce n'est pas la premiere fois que Fon tue
une bite / Mais cest la premiére fois que nous avons tué un homme ». Ce sont la trois exemples
remarquables. Ils suffisent a instiller un doute. Doute quant a ce qu’on voit. Car que se passe-t-il
dans ce « passage » du polythéisme au monothéisme — qui intéresse tant les Straub — sinon que
nous savons de moins en moins discerner les méramorphoses? Du sang en blé. de Phamme en
loup. de la femme en feu. etc.
Si bien qu'il ya deux limites au plan straubien. L’une, interne, c’est ce qu'il contient (le plan
comme tombeau). L’autre, irréprésentable. indécidable, c’est que toute chose filmée, cadrée. ris-
que aussi d’étre autre chose. Lycaon, I"homme-loup qui pleure, ne serait pas si bouleversant
si. dans le commentaire, les chasseurs ne parlaient de lui comme d'un homme f« f/s est défendu
comme un vieux, avec les yeux ») et si leur embarras ne venait pas d’un doute plus profond, d'un
doute quant 4 leur propre identité (« Es-1u stir tui-méme que tune te sentes parfois Lycaon
commie lui?»). Risque soudain d’étre un et l'autre. En ce sens. pour reprendre la probléma-
tique de « l’inscription vraie » ouverte aux Cahiers (par Pascal Bonitzer). on peut dire quit y
a bien quelque chose qui s‘inscrit matériellement, indiscutablement. hic et nunc. sur le film et
sur la bande magnétique. satf gion ac sait pas ce que cest, au juste.
Crest pourquoi le théme de la résistance est si essentiel pour les Straub. I] a aussi valeur conju-
ratoire: la résistance est le seul jndice qui ne trompe pas, qui atteste d'une réalité quelconque,
7
LE PLAN STRAUBIEN
d’un neeud de contradictions. Elle est, au sens freudien aussi. un symptéme. La ou ca résiste.
il faut filmer, bien qu'on ne sache jamais vraiment quoi (et micux on peut le décrire, moins on
le sait). Dans Pinscription vraic, il n’y a que les traces de inscription dont on soit sir. Le reste
est métamorphose, avatar, double identité et double appartenance, erreur, frafison. C’est ce
soupcon, mieux: le désir de dire ce soupgon qu'il me semble pereevoir pour la premiére fois
4. Plus loin dans ce numéro, un avec une telle franchise dans Dalla nube.(4). ,
admirateur de Straub, le cinéaste
suisse Richard Dindo, auteur de Un plan sans image ou deux images par plan? — Il y a des trucages que les Straub n'utilisent
L'Exécution du traitre a@ ta parne jamais - et qui semblent la négation méme de leur cinéma - comme la surimpression ou le
Ernest S. est amené a aborder ce
théme de la trahison. Force nous est
fondu-enchainé, c’est-a-dire toutes les fois qu'une image en recouvre une autre (4 moins qu'elle
de constater que ce théme est a@ peu ne la contienne). qu’elle en est le souvenir(a moins qu’elle ne la préfigure). Le temps de la surim-
pres la seule fiction a laquelle le pression est celui du travail actifde loubli: une voix nous y dit: tu oublieras, tu as déja oublié...
marxisme a donné sinon naissance, Ces empiétements d'une image sur une autre sont une des deux limites du plan straubien. l'autre
du moins consistance.
étant l’écran noir (ou vide). Dans Afvise et Aaron par dela la fixité des images, il y avait ’éblouis-
sement d'un plan vide, D'une non-image. Dans Dalla nuhe, il s‘agit de bien autre chose, i] s’agit
d'une mise en garde: quoi que vous regardiez, un champ cultivé, une colline. une béte, 7 oubliez
pas que cest toujours de Vhumain que vous voyvez, Deux images. Si voir un film, dans la version
Godard-Mieville, c’est assimiler papa 4 lusine et maman a un paysage (ou vice versa). dans la
version Straub-Huillet, c’est assimiler l’usine et — de plus en plus — le paysage 4 papa et maman.
Humanisme donc, au sens d’une prévalance, d'une prégnance de image humaine en toutes
choses. C’est en ce sens-la que ces films « nous regardent »: un homme nous regarde au fond
de chaque image, dans une impossible surimpression. Le cinéma, ce scrait alors ce qui permet
de rompre lenchantement par Icquel nous pensons voir autour de nous autre chose que de
Vhumain, alors que ce ne sont que champs cultivés, arbres taillés, cimetiéres ignorés, animaux-
qui-sont-peut-étre-des-hommes (d’ou !"interdit de les tuer), Huminisme vieux-marxiste aussi,
au sens ou Brecht disait qu’une photo des usines Krupp n’apprend rien sur les usines Krupp.
Qu’y manque-t-il? Le travail des hommes et les hommes au travail. Et qu’y a-t-i! a apprendre?
Toujours la méme chose: les hommes créent les dieux (ou Ics ouvricrs les patrons, les acteurs
les spectateurs) et en retour ces dieux les dépossédent de leur monde, le leur rendent étranger,
le leur aliénent. Car il s’agit bien d’aliénation et de réappropriation (et aussi d’expéricnce et de
mauvaise conscience, themes existentialistes auxquels le cinéma des Straub se rattache). On
comprend du coup Icur horreur pour les catégories esthétiques toutes faites: trouver « beau »
un plan de paysage est. a la limite, blasphématoire. parce qu’un plan. un paysage. c'est, au bout
5. ne sagit pas danthropomor- du compte, quelgu'un. Mais pas le contraire (5). I] n’y a de beauté que morale.
phisme. I] y a prégnance de la figure
humaine en toutes choses, mais pas Humanisme ou hommanisme? - Au moment de la sortie de Fortin’ Cani, Straub avait déclaré
inverse. Si l'on considére qu'un que son film ressemblait 4 du Hawks. Cette comparaison n‘avait convaincu personne et avait
cinéaste n’est important que dans la
mesure oil i] étudie, de tilm en film,
choqué. En voyant Dalla nube, je me suis demandé s‘il ne fallait pas la prendre au sérieux. Les
un certain état du corps humain, les deux cinéastes ont un point commun, leur humanisme, c’est-a-dire un inintérét a peu pres total
films de Straub resteront comme des pour tout ce qui n’est pas le corps humain: un corps bavard et en mouvement (ce sont deux
documentaires sur deux ou trois pasi- cinéastes du réflexe), Un corps male. Aussi, leur humanisme repose sur un jeu de langage: s‘agit-
tions du corps: étre assis, se pencher
pour lire, marcher... c'est deja beau- il de homme (espéce animale), de l'Homme (essence humaine) ou de Phomme ("humain sous
coup. sa forme male)? On a beaucoup parlé de la misogynie hawksiennc mais on a peu parlé des
Straubfilms sous l'angle de la différence des sexes. Pourtant il est clair que nous sommes, au
moins depuis Lecons d'histoire, dans un monde héroique, guerrier, ov les femmes se sont raré-
fiées, au point de disparaitre (presque) enti¢rement de Dalla muhe. Pas de femme dans les Straub
films, j'entends pas de figuration de la femme. Pas de mére non plus (tout comme chez Hawks).
Sans doute parce qu’au regard d’une mere, « Vhumanisme » (I’héroisme sans objet que son reje-
ton partage avec ses petits camarades) sera toujours un peu dérisoire, touchant et sans grande
6. Lhumanisme marxisie ne fai- portée (6). L’humanisme, cela se sait de plus en plus, est unc invention des hommes. c'est un
sant, bien entendu, pas exception. « hommanisme », la version sympathique de lalliance des hommes contre les femmes.
Voircomment La Afere est le persan-
nage dont tl est essentiel qu'elle mar- Dalla nube alla resisienza s‘ouvre sur Pimage un peu irréelle d'une déesse (admirable Olim-
che dans Vidéal du fils, qu'elle en pia Carlisi) et se clét sur le récit de la mort d’une femme, Santa, que les partisans ont dd tuer.
comprenne quelque chose. Voir la
version pieuse et dégotitante de Gorki parce qu'elle les trahissait, eux aussi. Au début de la nuéc et a la fin de la résistance, il y a donc
(puis Poudovkine ct Donskoi) et la un double-jeu, une double appartenance. qui ont. par deux fois, figure feminine. Une figure qui
version perverse de Brecht. matérialise ce autour de quoi les Seraubfilms tournent : lappartenance simulianée aux deux
camps, la trahison. Au-dela de ces histoires de dieux oisifs et d’hommes révoltés, il me semble
que Jean-Marie Straub ct Daniéle Huillet partent sourdement de quclque chose qui demeure
largement méconnu parce que cette méconnaissance garantit le lien social: qu ‘il y a une indif-
ference profonde des femmes pour toute crovance, tout idéal, Une indilférence qui contraste
sechement avec la pi¢té un peu mélodramatique dont sont tissés les rapporis entre hommes
(voir le pathos dans la saga pére-fils de Fertini Cani, ou encore, dans Dale niche, Vamitié entre
le batard et Cinto, le petit garcon au couteau). Voila ce qui resiste 4 l’humanisme et dont l"hom-
manisme, en retour, se nourrit: la femme. La femme: ce qui résiste a ce qui résiste: "homme.
La femme, la roche, Car « fa roche ne se touche pas en paroles » (troisiéme dialogue). La roche:
élément indestructible que Straub, pas du tout panthéiste. se garde bien d’appeler la nature.
« Les choses du monde sont roche » dit Vaveugle Tirésias — qui fut femme sept ans — a un futur
aveugle — qui s’appelle CEdipe. S.D.
DE LA NUEE A LA RESISTANCE

UN RECUEIL DE MATERIAUX
PAR MANFRED BLANK

Oedipe et Tirésias sont assis sur un chariot, on les voil de derriére. dini. Tiresia Ennio Lauricellau./ 4. prinio cacciatore Andrea Bacci,
Deux vaches tirent le chariot, il avance sur un chemin, le long de prai- secondo cacciatore Lori Cavallini / 5. Litferse Francesco Ragusa, Era-
ries, de champs de mats, des champs moissonneés. [ls discourent sur cle Fiorangelo Pucci / 6. Padre Dolando Bernardini, Figlio Andrea
ce que c'est, lorsqu’on parle des dicua: l’espace dans Icquel ils se meu- Filippi / SECONDA PARTE / i/ bastardo Mauro Monni, Nute Car-
vent est lait par les hommes, nature travaillée. melo Lacorte, Cintu Mario di Mattia, f/f Valine Luigi Giordanello, il
Cavaliere Paolo Cinanni, quelli nel bar Maria Eugenia T.. Alberto
Un chéne sur une montagne. Dans Ie chéne est assise Néphélie, la Signetto, Paolo Pederzolli, Ugo Bertone, Gianni Canfarelli, Dome-
nuée. Devant l'urbre se tient Ixion. Ixion avait poussé son beau-pére nico Carrosso, Sandro Signetto, Antonio Mingrone, i parroce Gianni
dans une fosse pleine de charbons ardents, Zeus lui avait pardonné ce Toti / Musica diretia da Gustav Leonhardt / Sueno Louis Hochet,
crime ct "avait méme admis a la table des dicux. Lorsqu’ Ixion fait des Georges Vaglio, Trascrizione FONO-RETE-/ Fotografia Saverio
avances 4 la femme de Zeus. Héra. Zeus lui envoie une nuée qui # Diamanti, Gianni Canlarelli / Eleuricista Francesco Ragusa, Macchi-
Paspect d*Héra. Nuée se dit en grec « nephele ». Qu'lxion et la nuée nista Gianfranco Baldacci / Parruechiera Silvana Todero, Costiant
aicnt engendré la race des Centaures, étres a demi bétes, avec Ie haut CANTINI, Calzature POMPEI / Ayyistenti Leo Mingrone, Isaline
du corps d’un homme et le bas d'un cheval, cela Pavese cn doute dans Panchaud, Manfred Blank, Rotraud Kiihn / Vincent Nordon, Stépha-
sa préface au dialogue: mais qu’lxion doive expier éternellement son nie de Mareuil, Paolo Pederzolli / Sviduppo e Stampa di LUCIANO
crime, lié 4 une roue de feu qui tourne continuellement, tui parait VITTORI.
vriisemblable.
Deux choses, a premiere vue tres différentes, sont ici entrelacécs. La
séparation du monde des dieux d’avec celui des hommes, l’interdic- De quoi traite le film (deuxie¢mement)
tion de se mélanger, l’etablissement en dehors de la nature ct indépen-
damment des hommes de lois toutes faites: et la magic météorologi- Un film quia pour base dew textes. IE n’en sera fait ni montage nt
que, le sacrifice pour la pluie. La nuée apporte lu pluie, Ie feu éveille adaptation. Des 27 Dialogues 6 passent dans Ic film:de ce dont traite
fe sol, et quand le feu brale, vient la pluie. Et le feu a quelque chose La luna ei falo, peut-8tre un tiers. C’est un film sur: comment deur
a faire avee répandre le sang. avec le sacrifice humain. textes d’un auteur sont en rapport lun avec l'autre, et un film ou deux
Deux pauvres bergers, pére et fils, allument un feu, un fa/o, dans la textes d’un auteur ont été employes comme mateériau. Certes ils ont
nuil sur une montagne. Ils prient Zeus pour la pluic. Le fils demande été écrits 4 peu de temps d'intervalle, mais ils ne sont pas traités
uu pre pourquoi ils font cela, ct le pére raconte "histoire d’Athamas comme un morceau de la vie de f'auteur. Ce qu’était Pavese passe
et comment les sacrifices humains prirent naissance. Pendant qu'il dans unc attitude, unc position; et dans la maniére dont les images,
raconte, on voit la lune. Avec les dicux, dit-il, c’est comme avec les les cadrages sont en rapport aux mots.
patrons. sont les patrons ou ils sont comme les patrons.
20 fovrier
Le bdtard, qui est parti pour l’Amérique — il a fui devant les fascis- (Préfjace aux « Dialoghetti »)
tes— et son ami Nuto, le menuisier, marchent a travers les collines Le pouvaat on aurait fan volontiers a moins de tant de mythologie
couvertes de vigne prés de Santo Stefano Belbo. Celui qui revient au Mais nous sommes convaincus que fe mythe est un langage, un moyen
foyer veut apprendre ce qui est arrivé pendant son absence. Pendant eXpressi @-dire non pas quelque chose darbitraire mais une
l'une de ces promenades, la caméra est devant ceux sur la route pépiniére de symboles auxquels appartient. commie @ tous lex langa-
sinucuse, Nuto dit que cela a déja sa raison d’étre, avec les feux — que wes, une substance particuliére de sienifications que rien d autre ne
cela donne une meilleure récolte — et avec la lune. Superstition ne pourrait rendre. (...) Ici nous nous sommes contentés de nous servir de
serait que ce qui fait du mal. Celui qui userait de la lune et des feux mythes helléniques étant donnée la vogue populaire pardonnable de
pour voler les paysans, ce serait lui Fignorant et i] faudrail te fusiller ces mivthes, leur réc eplion immediate et traditionnelle. (...) Nous som-
publiquement (sur da place). mes convaincus qu'une grande revelation peut sortir seulement de
Pinsistance tétue sur une meme difficulté. Nous navons rien en com-
De quoi traite un film? mun avec les voyageury, les expéerimentateurs, les aventuriers. Nous
Les films des Straub traitent du rapport des textes & des lieux, des savons que le moven le plis stir — et le plus rapide — de s’Gronner est
paysages: et de ceux-ci a des hommes, aux hommes en géncral ct a de fixer, intrépides, toujours le méme objet. Un beau jour cet objet. it
cers qui dans le film représentent / jouent / récitent, nous semblera — miraculeux -— ne avoir jamais vu.

Les Dialogues ne sont pas dramatiques, ce ne sont pas des dialogues


Dalla Nube alla resistenza théatraua, ils ne traitent pas non plus de philosophic 4 une table. Qui
(de la nuée a fa résistance) parle la, a son histoire, et clle cst connuc, ct on sail aussi comment cela
de quoi traite le film — 104 minutes — finit. Les Dialogues ont une situation et un theme. Ils parlent toujours
(premiérement) de deux choses en méme temps; le mythe est présenté et il est analyse.
Comme si ld une personne parlait ct que ta personne qui parle soit en
Générique méme temps représentéc. Les deux choses sont également prises au
L'INSTITUT NATIONAL DE L’AUDIOVISUEL présente / una sé€rieux. Que quelque chose soit en méme temps la vie et un modele
produzione di Daniéle Huillet ¢ Jean-Marie Straub / con la RAI-TV, de la vie et les deux dans la téte.
tr JANUS Film Fernsehen e ARTIFICIAL EYE / DALLA NUBE Ne pas analyser, mais représenter, Mais d'une fagon tres vivante
ALLA RESISTENZA / Testi di Cesare Pavese DIALOGH] CON selon une analyse incluse.
LEUCO Einaudi 1947, LA LUNA EI FALO Einaudi 1950/ PRIMA
PARTE / |}. La aube Olimpia Carlisi, /ysione Guido Lombardi / 2. Ixion remet sa hache dans sa ceinture, lorsquil arrive devant
{ppoloco Gino Felici, Sarpedorne Lori Pelosini / 3. kKdipo Walter Par- Népheélie, comme s‘il venait juste de tuer, Il est debout prés de I’a-pic,
UN RECUEIL DE MATERIAUX
et les plans sur lui montrent les pentes brusques de la montagne. Le
premier plan, dans lequel on les voit tous les deux, est pris d’en bas,
trés bri¢vement on le voit au premier plan ct derriére en haut la nuée,
assise dans le chéne. Tous les plans sutvants montrent chaque fois seu-
lement un des deux, depuis une hauteur moyenne, Néphélie toujours
légerement den bas, [xion d’en haut. Une ére est passée, celle du
melange des créatures les plus diverses; dans la téte des hommes les
dieux deviennent des étrangers: ils échappent 4 la perception —
Néphélie dans le chéne est une image incorporelle ayant l’aspect
d’Hera, plutét une représentation qu'une forme et ils sont dans la téte
des hommes comme une loi. ff ¥ a une foi, Ixion, & laquelle il faut
abéir, Cest la premiére phrase du dialogue La nubv, La nuée.
Hippolochos est le fils de Bellérophon, de celui qui —sur l'ordre des
dicux — a tué la chimére, monstre avec le corps de trois bétes: le
devant du lion, le milieu de la chévre. le bas du serpent. Elle avait
dévasté le pays avec son haleine de feu. Bellérophon est le fils de Glau-
cos, qui nourrissait les chevaux avec des hommes, et le petit-fils de
Sisyphe, qui, apres avoir trompeé la mort plusieurs fois, 4 cause de son
changement de vie ou bien parce qu’il avait trahi un commerce amou-
reux de Zeus, fut condamné 4 la mort que l’on sait. Sarpédon, un
neveu d"Hippolochos, donc un petit-neveu de Bellérophon, a vu son
grand’oncle, errant a travers la campagne abandonnée. vieux, en hail-
lons, et accusant les dieux. [Is lui auraient fait tuer la chimére et main-
tenant qu’il est devenu vieux, ils l’en punissent. Sarpédon fait son rap-
port 4 Hippolochos — dialogue La chimera, La Chimére.
Oedipe. qui a tué son pére et épousé sa meére sans le savoir demande
au prétre Tirésias, qui Urera au clair son histoire. quel est le réle des
dieux dans ce qu’on raconte sur lui, Tirésias. Tirésias décrit cela -
devenir aveugle, vivre femme sept ans - comme un processus de
connaissance, auquel les dieux ne font que donner un nom — / cechi,
Les Avcugles.

Deux chasseurs ont abattu un loup. C’est Lycaon, roi d’Arcadie,


que Zeus a changé en loup. [l avait été fameux pour sa cruauté. Quand
Zeus avait visité la terre sous forme humaine. Lycaon lui avait pré-
senté la chair d'un enfant. Les chasscurs se demandent s‘ils n‘ont pas
tue un homme et se décident, aussi parce que l’existence de loup de
Lycaon leur parait quelque chose d’humain, 4 enterrer le cadavre
écorché: L‘vento-lupo. L’'Homme-Loup.
Héraclés, le vainqueur, l'invaincu, est |"héte du souverain phrygien
Lityerses. Celui-ci veut lui donner I"hospitalité, mais ensuite le faire
tueret fumer le champ de blé aprés la moisson avec son sang. Héraclés
pose des questions sur la naissance et le déroulement de ce sacrifice
humain et veut déller Lityerses 4 la moisson. Celui qui perd sera sacri-
fic. Ce sera Lityerses et ce doit étre le dernier sacrifice humain — le dia-
logue L'espite, L’H6te.
“ é
L’action d‘olfrande des deux bergers dans le dialogue / frochi, Les #fuochi. Andrea Filippi {le fils) et Dolando Bernardini (le pére)
Feux. est presque une parodie. Comme, lorsqu’il pleut, i] pleut par-
tout, dit le pére. le lait et le miel suflisent, les bétes, on peut les sacri-
f cechi: Walter Pardini (CEdipe) et Ennio Lauricella (Tirésias)
fier, oui, dans les grandes fermes. Et I"histoire d’Athamas, qu‘il
raconte ensuite, est une sorte de piéce satirique avec le roi Athamas
en héros pantouflard et sa jeune femme Ino en dragon du foyer.
Néphélie, la nuée, la premiere femme d’Athamas, apparait en petit
nuage au ciel, qui donne a Ino l’idée de sacrifier Athamas a la place
des beaux fils enfuis; et qu’ensuite, lorsqu'Athamas va étre sacrifié.
arrive aussitét la pluie qui éteint les feux, c’est pour le peére le signe
évident de la complicité des dieux et des patrons.
13 mai (1948)
Recueillir toutes les situations typiques propres (pour cela tu es ne):
violence et sang sur les champs
fete en colline
promenade sur la créte
mer depuis la rive...
Par chance ily en a beaucoup.
26 novembre (1949)

N’est-ce pas le theme de la Lune ef feux?


Quelqu'un, qui se nomme un bastardo, un batard — et les notables
du licu le nomment aussi ainsi. Ce sont tous des bdtards. f notre
argent qu ils veulent. La terre et l'argeat, comme en Russie— il revient
d’ Amérique, ou il est devenu quelque chose, en Italie la guerre fasciste
est finie. {f était un enfant trouvé, des paysans [ont élevé en échange
DE LA NUEE A LA RESISTANCE
d'un dédommagement, des paysans du Piémont. II est revenu parce
qu’il cherche ses racines, le morceau de terre avee lequet il a quelque
chose a laire. Peut-étre gua présent surgira aussi mon pere. Peut-étre
qu'il veut s‘acheter un morceau de terre. Ceux qui étaient dans la
petite ferme ou il a été élevé sont tous morts. La ferme est a présent
exploitée par Valino avee sa femme, la grand’mére et son fils Cinto,
ila une jambe raide, c’est un infirme. La terre appartient 4 une grande
propriétaire terrienne, et elle a pris la place des maitres chez qui le
batard a travaitlé comme valet, avant de partir pour Génes, devenir
technicien et ensuite partir t¢te baissée sur un navire, a cause des fas-
cistes. Avec Nuto, le menuisier-musicien — quand il était gamin, il
Vadmirait — il va par les chemins et les collines, et Nuto lui raconte
ce qui s’est passé pendant qu'il était loin. Nuto a cessé de faire de la
Musique, Jes uns se sont arrangés avec Jes fascistes, cela a commencé
avec les partisans: Nuto n’était pus chez les partisans, ov nt aurait
briilé la maison, mais il avait un contact avec eux. Deux cadavres sont
découverts, des traitres, que les partisans ont exécutés. Il ya du remue-
ménage au village. le curé fait un discours funebre contre les rouges.
Le batard achéte au Cinto un couteau, Cinto veut le conserver pour
lui tout seul. Le Valino et la propriétaire entrent cn dispute 4 cause
de haricots et de pommes de terre. Valino furieux bat sa femme et met
le feu da la maison eta la grange. Tout brite, fa femme ct la grand’mére
meurent dans les flammes. Cinto peut se sauver, il a son couteau.
Valino se pend. Le batard donne Cinto comme fils adoptif a Nuto. I
Mauro Monni (te batard) he veut plus rester, peut-étre qu'il va retourner en Amérique. Nuto lui
po : re © raconte comment Santina, la plus jeune et [a plus jolie fille de ses
. . os anciens maitres. est morte. Elle a été. pour trahison, fusillée et briilée
par les partisans. -
Ce n'est du roman complet qu'une petite partie, celle du récit au
temps présent et des souvenirs que le batard et Nuto se racontent.
Dans le film il n’y a pas de retours-arriére, les souvenirs sont racon-
tés:est racontée aussi la nuit ou fa ferme brife et ott la famille de Cinto
meurt. On voit /e ane/, film noir, un morceau de film d’horreur de
quatre minutes et demie. Le batard raconte cela. comme dans le
roman, au passe.
Le film, dit Straub, seratt une sorte de Non réconciliés, mais sur
Fltalie et en deux parties.
Et comment la pensée mythologique la devient déchiffrable en tant
que fugon du peuple d'écrire "histoire, c’est aussi un morceau de
Muise et slaron.

De quoi traite le film (trvisi¢mement).


Dans Moise ef Aaron Vamphithéatre cst un lieu ou un opera est
filme. ct c’est fe désert que traverse le peuple juif. un plateau de sable.
Dans FortinieCani il y a de longs panoramiques. on voit des monta-
pnes, des rues, des villages dans des paysages ow les fascistes allemands
Mauro Monni et Mario di Mattia (Cinto). ont massacré la population civile. Aucun texte n'est posé sur ces
panoramiques, unc fois seulement on voit une plaque commémora-
Carmelo Lacarte {Nuto) et Mauro Monni.
tive. Le cadre, que fc film entier feur donne. laisse les paysages parler
eux-mémes, Dans Toute révoltition est un coup de dés neut personna-
ges récitent, assis sur une petite butte dans le cimetiére parisien du
Pére-Lachaise prés du muir dey federcs. un poeme de Mallarmé. Le
cimetiere et son histoire et ce qu'il a a faire avec la Commune, c'est
comme une clé au pocme et au film.
Trois fois des lieus dans les films des Straub, trois exemples oll les
Heux nous apparaissent comme lobjet du film.
Tout au sud de la Toscane, au sud de Grosseto, le long de la céte,
ily aun pays plat. la Maremme. Ce [ut autrefois un pays marécageux,
inaccessible: foisean, qui v vole, perd ses plumes, et j’y ai perdu une
personne chere.
Dans le village d'Alberese, la off commence une chaine de collines
qui va vers le sud, divisant pendant quelques kilometres ta plaine cn
deux : une a l’eatérieur du pays vers la montagne ct une vers la cdte,
il y a. juchée sur unc colline, une maison avec une grande terrasse du
haut de laquelle on domine d'un cété Ia terre a présent cultivée, tra-
versée de petits canaux. et de autre la chaine de collines. Vers la
plaine est assis, dans un grand fauteuil de paille accosté a la balus-
trade, Lityerses. et devant la balustrade, du cdté des collines, est
debout Héraclés. Dans le deuxtéme plan on voil le champ de ble que
regarde Héraclés, il s’étend jusqu'aux collines au-dessus desquelies
voguent dans le ciel quelques petits nuages: on entend les grenouilles
gh

UN RECUEIL DE MATERIAUX Ul
coasser dans les canaux d‘asstchement. Un plan comune par Murnau, De quoi traite le film (quatri¢mement}
City girl? Non, absolument Murnau, Cela a couté du travail de faire
de cette terre cnnemie, menacante. de la terre cullivée, la terre porte Ceux qui jouent dans Dalla nube alla resistenza sont, a une excep-
encore les marques de son histoire. Cela a couté du travail et des vies tion -pres.-des « laiques » (se dit en allemand pour « amateurs »). Un
humaines. laique est. d'un cété, quelqu’un qui n‘a pas la consécrution de prétre:
de l'autre cété c’est quetqu'un qui dit de lui-méme qu'il ne comprend
Le mont Serra, haut d'environ 900 métres. se trouve juste entre Pise rien aux choses scientifiques. Un laique est quelqu’un qui appartient
el Lucques. C'est une montagne sans route, qui s¢ refuse. A environ au peuple.
600 metres de hauteur il y a auprés d'une baraque de tle un parking,
dou partent deux chemins qui longent sinueusement a pente. Aprés (1) Liste.
600 ou 700 metres on arrive, devant une maison de picrres en ruine, Guido Lombardi (Ixion) est un faiseur de vidéo de Ligurie, Fioran-
4 un chéne au pied duquel poussent de hautes herbes. C'est larbre de gelo Pucci (Héraclés) enscigne dans une école de Fano. Gianni Toti
Néphélie, dans lequel elle qui vient du sommet, est assise; ct elle (le prétre) est journaliste 4a Rome, Carmelo Lacorte (Nuto) enscignant
regarde d’en haut Ixion, debout en dessous, la-pie & e6té de tui. dans un institut de marxisme d’Urbino. Olimpia Carlisi (la nuée) est
actrice depuis quelques innées, Ennio Lauricella (Tirésias) était pro-
Un peu plus loin vers le haut il y a un plateau herbeux carré, fesseur de Irancais 4 Rome. il est a la retraite; Walter Pardini (Ocdipe)
entouré de tous les cétés par des buissons peu élevés. C'est ici, avec est institutcur a Pontedera. Francesco Ragusa (Cecco, Lityerses) est
une vue dégayée sur le ciel et sur la lune, que les deux bergers allument électricien et paysan pres de Pise. Mario di Mattia vient d’Alba
le feu du sacrifice et que le pére, en contemplant la lune, raconte I"his- Fucense dans les Abruzzes: il a joué le réle de Cinto et comme lui il
toire d’Athamas. aide son pere a la ferme. Luigi Giordanetlo (Valino) est un paysan de
Torre Bormida dans le Piémont. Gino Felici et Lori Pelosini (Hippo-
Au bord du plateau la roche sort de terre et forme sur trois cétés un lochos et Sarpédon). les deux chasscurs Andrea Bacci et Lori Caval-
mur autour dune saillie située plus bas. Dans une crevasse sur lini, et le pére et le fils Dotando Bernardini et Andrea Filippi viennent
celte saillic de terre les deux chasseurs ont allumé un feu dans la nuit, de Buti sur le mont Serra, ils sont ouvrers el employés. Mauro Monni
ils sappuient au rocher devant le feu et parlent: de cété, devant cux, {le batard) est aussi de Buti. I] est employé-technicien. Paolo Cinanni
git le loup abattu sur un fragment de rocher, comme sur une pierre de travaille 4 Rome dans unc organisation qui s‘occupe des travailleurs
sacrifice. émigrés, la FILEF.

De autre c6té, vers Lucques, se trouvent dans la montagne des bois (2) Remarques.
Woliviers en terrasses. Derriére une maison rabougrie se tient un bois Olimpia Carlisi ct Ennio Lauricella nous sont familicrs @ travers
épais. Il monte jusqu’a la maison, en gradins de terre, disposés comme Othon. Olimpia était Camille, la fille adoptive de l'empercur Galba,
s‘ils étaient des banes de gazon. Hippolochos et Sarpédon sont assis chez laquelle la politique et l'amour ne se consument pas, incarnation
sur un de ces degrés. Ie dos tourné a la maison. A travers le euillage de fa Rome a qui personne ne demande son avis: dant tous semblent
vert-argent le soleil frappe les troncs, le sol, les visages: un moment avoir le bonheur en téte, et c’est ce qui lait galoper les intrigues. Et elle
de repos estival. était, en un mélange original de proximité et d’éloignement. ce que
quelqu’un d’Europe Centrale imagine pour une italienne. Ennio Lau-
ricella a joué l‘empercur Galba devant les yeux duquel. quand il est
De Pontedera en direction de Livourne, entre Tripalle ct Viechio,
assis sur son fauteuil-tréne devant le muren ruines. l’action de la piece
il ya une petite route de limon jaune. jonchée de petiles pierres poin-
devient une comédie. II est le souverain de Rome et, avec un grand R
tues. La s'avancent vers Thébes. Oedipe et Tirésias. La route va un
qui roule et un francais distingué et ronflant, un comique séricux ct
certain temps tout droit le long des champs. un cyprés fait une ombre
digne.
élroite et tranchante, c'est une route poussiéreuse qui rélléchit Je
soleil, trés bri¢vement on passe une fois a travers un sombre chemin Olimpia Carlisi porte une robe et un voile d'un rouge clair, Iéger,
creux, puis 4 nouveau, Iégérement courbe. le long des champs; la et elle parait, avec son teint clair. Gtre presque transparente: l'image
caméra reste toujours dans la méme position, les plans sont separés d'une déesse, une sorte d‘illusion des sens en forme de personne. Par-
par un bref bout de film noir, Puis on n'entend plus que le bruit des tant de l'image trompcuse d'une deéesse, en laquelle le processus de
roues de bois sur les pierres et le gémissement du chariot - un chemin communication directement corporel entre les dieux et les hommes
impitoyablement uniforme. semble ne faire qu'un, ot Ies uns ne sont plus que l"incarnation d'un
systéme moral pour les autres étres — les dieux deviennent une cate-
Le Piémont est le paysage de Pavese, un pays accidenté, avec des gorie idéaliste —, une ligne directe parait conduire 4 la construction du
croupes de montagnes rondes. étroitement échelonnées, recouvertes destin en tant que développement du domaine de l’expérience — dans
de vignes jusqu’au sommet. de champs de noiseliers. de plantations le dialogue de Tirésias: c'est la continuation historique de la penséc
d'urbres Iruitiers. Dans la vallée des fleuves. du Belbo, de ta Bormida, ou son modeéle.
se trouvent les plus gros villages et les petites villes. reliés par des rou-
tes droites qui longent les fleuves; entre [es collines et sur les collines Mario di Mattia vient de ’endroit ou, dans l'amphithéatre, la plus
les petits villages avec une église et une taverne, Ics routes serpentent grande partie de A/oise et Aaron a été tournée. Son pére est paysan ct
le long des colines, s‘en vont sur unc croupe de montagne et c'est déja en plus surveillant de Pamphithéatre, de ta chapelle romane au-dessus
le prochain tournant. Sur ces routes — du coté de fa montagne les citer- de Pamphithédtre et de la colonic romaine dont on fait les fouilles en
nes emmurées, dans lesquelles les paysans recueillent eau de pluic dessous.
pour l"époquc de la sécheresse, puits étroms avec unc ouverture voulée Alba Fucense est un village de peut-étre cent habitants: i] est cons-
vers le haut — Nuto et le batard se racontent leurs souvenirs. truit tout entier a angles droits, Les maisons ont presque toutes Ie
méme style, en contraste étrange avec le paysage. dans lequel le village
Et quand le curé fait son préche anticommuniste devant I"éplise a
se trouve: vers lest une plaine fertile et vers loucst Ie mont Vclino,
Santo Stefano Belbo - juste en face le bar s‘appelle maintenant Lu le mont Sinai dans Moise ef Aaron, qui s’éleve brusquement de la
Luna ei fald, des dessins d'enfants d'une lune et d’un feu pendent A plaine, jusqu’é 2800 métres. Le village a été détruit par un tremble-
derriére le comptoir 4 cé1é d'une photo de Pavese dans un journal - ment de terre en 1916. Les fascistes ont fait don aux habitants d'un
on voit a gauche les collines. ces collines oft on a fait briler les feux nouveau village.
et ou! les partisans étaient.
Lorsque Mario avait onze ans, il a cessé de grandir — un dérange-
A Santo Stefano on peut acheter une carte postale d'un monument ment de croissance di aux hormones, disent les médecins. Lorsque
que la ville a dédié a Pavese: devant des muisons en fer a cheval qui Cinto est questionné sur ce qu'il ferait si son pére lui prenail Ie cou-
ont l’aspect de casernes construites trop petites. se trouve sur une teau que le batard lui a offert, il fait la réponse qu'il tuerait son pére,
pelouse une colonne avec une téte de Pavese dessus: la patine du une determination impitoyable. Le point of Pexpérience d’étre étran-
Métal, érodée. ressemble a du sang et le photographe a exposé l'image ger a son entourige - une experience de souflrance - engendre une
de sorte que l'on ne voit quelque chose que des muisons: la téte de volonté de s‘alfirmer qui s‘oppose 4 cet entourage. La personne de
Pavese se trouve dans Ie noir. Cinto parait avoir quelque chose a faire avec fa Johanna Fihmel de
I2 DE LA NUEE A LA RESISTANCE
Nou réconciliés, la vieitle femme qui vit dans une clinique neurologi- Sur la perfection technique on ne peut sans doute dire quelque
que et seule comprend qu'il n’y a que la violence qui aide, ot la vio- chose qu’en parlant des langages cinématographiques.
lence régne. Ses réactions au fascisme l’ont conduite dans cette clini-
que et maintenant. ou quelque chose recommence qui lui ressemble Le film hollywoodien, et la on peut de nouveau dire « Ie film hol-
comme un ceufa un autre. elle ne peut plus avoir en téte qu'un revol- lywoodien de tous les pays » ou ce que Godard a appelé l’impéria-
ver. lisme du cinéma américain. done quelque chose que nous aimons. a
pour unité de base la seéne, dans les films de Straub il y a une primauté
Buti est une commune de peut-étre 4 4 5000 habrttants: juste au du plan isole.
bout du village commence la montée abrupte vers le mont Serra, La
il ya un terrain qui s‘appelle circolo primo magaty, quelque chose qui Lorsqu‘aprés une coupure, laquelle n‘est lié ni un changement de
aujurd’hui en Allemagne serait inévitablement appelé un centre de licu ni une saute de temps, le caractére de la lumiere change ou bien
culture alternative. A Buti iln’y a rien en face de quoi ceci serait une il y a une saute dans le son concernant le niveau des bruits de fond,
alternative. Le circoto est ouvert toute l'année, ce qui y a lieu, c'est onest habitué 4 considérer cela comme une laute artistique ou comme
une léte de F Unita permanente. Mauro Monni, qui avec sa femme et génant, suuf dans des films B, ou cela a un charme étrange.
sa fille s‘occupe encore a Buti d'un bar, rendez-vous de tous les moins
Dans Othon le son est comme dans un film en son original des
de vingt ans, est l'un des organisateurs du circolo. Tous ceux de Buti années trente ou quarante; tout ce que l'on entend est ce que lingé-
qui jouent dans Ie film participent aux activilés du cercle, soit en fai- nieur du son a enregistré ct mixé en lieu et place. il n’y a pas de pas-
sant des groupes de théatre, en jouant de la musique, en veillant a la
sages adoucis, et au mixage plus rien n’y a été change. Le décor sonore
nourriture ou cn organisant le programme. Le pourcentage électoral du film est Ie bruit du trafic 4 Rome, toujours présent, continuclle-
du P.C.1. a Buti oscille entre 60 et 64%. ment montant ct descendant. C'est un film avec un mixage ramenant
Paolo Cinanni vient de la Calabre. Aprés un grave accident il devint au son photographique. dit Straub.
chémeur, purtit s’établir au Piémont et recommenga 4 apprendre. La séquence finale de De fa nice a la résistance a été filmée en une
L'un de ses professeurs d'anglais fut dans les années trente Pavese. joumée. Nuto raconte au batard comment Santina est morte, la plus
alors sans travail ct sans ressources. Paolo Cinanni a combattu en jeune fille des maitres chez lesquets le batard était valet. On voit Nuto
Calabre et, plus tard. au Piémont. comme lun des organisateurs des racontant en plan rapproché, de face. le batard qui écoute, aussi de
partisans. Sur les luttes paysannes en Calabre il a écrit un livre dont. devant, en une sorte de plan américain; une fois un champ avee des
disait Straub, on n’a méme pus parlé dans I’ Gad. Le chevalier, quil arbres, qui se trouve devant cux, dans le champ de leur regard. et a
interpréte, est un vieil homme solitaire qui ne poss¢de qu*un petit
la fin — & nouveau dans la direction vers laquelle ils regardent - la
morceau de terre; mais il y tient commeau ticu ol tla ses racines: un
croupe d'une colline derriére laquelle le soleil disparait. Pendant que
petit morceau de terre, qu'il voulait conservera sa famille comme une
tout cela a été filme, Ie soleil s*est mu de I’est vers Mouest et a éclairé
terre libre, mais sa famille est morte, les personnes, que l"on voit toujours a la méme place, depuis un autre
angle pour chaque plan. Avec le plan sur le soleil ¢’est méme la cou-
(3) Paralipomeénes
leur de la lumiére qui change.
Les interprétes viennent des professions les plus diverses et de lieux
trés divers. Le film parle de I'ltalie. un pays dont la société est encore Dans Afvise ef Aaron les durées des plans isolés, les endraits on
agraire. Si la mythologie grecque est le récit devenu Histoire de la viennent les coupures, sont déduits de la structure du texte musical.
société agraire. ct n’appartient pas sculement aux professcurs de lycée. Un changement de plan est comme un paragraphe dans un texte écrit.
alors ce que ce film met ensemble dans ses deux partics. c'est le present Seulement pour autant que la structure musicale a a faire avec : com-
de I'Italic avec une facon collective d’écrire Histoire. Il met aussi cela ment, dans une situation dramatique. des hommes sont en relation les
ensemble cn amenant les interprétes aux textes. uns avec les autres — le plan isolé devient partie de ta composition
d'une scéne.
Les Straub ont été un an avant le début du tournage ici et la en [ulie Le concept de composition c'est, en langage technique devenu théo-
et ont répété les textes avec les interprétes. [len est sorti des pages de rie. comment on parle 4 travers la cinématographic.
textes qui ont l’aspect de longues poésies en rythme libre. dans les-
quelles la structure des textes, la résistance des interprétes contre tes Une svéne a son licu et ses personnages. A partir de positions don-
textes et lidentitication des interprétes avec les textes sont li comme nées une fois pour toutes de personnages dans un espace — dont la
une partition. Entre les diufogues il y a un titre. ct au début de la perspective est le plan d’ensemble - chaque image de personnages
deuxiéme partic il y a un long tambour. Y est écrit qui joue quoi, le recoil un earactére propre de surdétermination: lespace total et le
réle et Finterpréte: comme dans les films mucts, oo il y a un insert rapport des personnages ct des choses les uns avec les autres revient
quand quelqu’un de nouveau arrive. pour ainsi dire dans chaque plan fragmentairement: c'est cc qui s‘est
condensé dans les notions d’axe et d*air dans le discours sur les images
Fairc un film, c’est vivre un morceau de vic: ct dans ce que et les sequences.
quelqu'un jouc. représente, récite. i] écrit sa vie, sa biographie.
Deux personnes parlent ensemble et l'on voit tantét lune, tantot
Les pens de Buti qui jouent dans la premiére partic, parlent avec
Fautre. Elles doivent regarder toujours vers le méme bord de limage.
Faccent toscan: ils font des dialogues qu’ils disent leur chose person-
Un systéme d’images nail ainsi. et les images sont soumuses 4 la
nelle: ils changent le texte, ils y montrent un aceés pratique.
contrainte d'un syst¢me. C'est ce sysléme — et tout ceci ne se veut pas
Mauro Monni, lorsque lui. Je batard. racontant Ie travail a Génes une critique — que les soi-disant bons artisans maitrisent en dormant.
et la fuite devant les fasctstes, monte une rue cn pente, il ne peut, a
cause de l’effort. parler qu’en respirant lourdement. Cvest l’et¥ort. Que les films de Straub ne fonctionnent pas ainsi, cela vient juste-
lorsqu’on grimpe en montagne, et c’est Feffort de raconter des souve- ment de ce que leur unité de base est te plan.
nirs, qui pésent sur vous.
Un plan. cela revient toujours dans les entretiens, est une pensée,
et le mot /insteflung aurait au moins deux dimensions: technique.
Ce qu’est un plan choisir une position, cadrer, et morale, représenter un point de vue.
Qui, if existe une technique légendairement partaite de Straub et il
existe la perfection technique du film hollywoodien de tous les pays. Mais gue cela ne soit pas ajoulé aux images comme un commen-
taire, mais détermince leur manieére d'exister, est aussi difficile a décrire
Puis il existe encore beaucoup d’autres choses, et ceci n'est pas a que facile 4 voir: parce qu'il n'y a pas la un surplus d*abstraction
cote; et la technique des films hollywoodiens n’est pas un raflinement comme dans les inrages de Herzog, qui spéculent sur un réflexe, nous
routinicr. Elle sait ce qu’il faut faire pour impressionner; et ceux qui loffrant comme Pavlov a son chien fa viande avec la cloche.
lont en main utilisent souverainement Ie grand stock que seule une
usine peut avoir. Pourtant la notion de chose fisye est le résultat du Dans les films de Straub. ccla a été dif. on parle du rapport des tex-
coup de poing sur I’ceil que la conception de l'autcur-artiste et de la tes aux lieux et aux personnages. Chaque plan particulier en parte
critique a donné aux critiques de film. aussi. Ol commence un plan et ob if s‘arréte, a été déduit de la struc-
Lori Pelosini et Gino Felici dans De /a nuée 4 /a résistance

ture d'un texte, un texte musical, épique, dramatique, lyrique. Le fascistes, plus tard partisane et puis elle a trahi les partisans, a été fusil-
morceau de texte qu'un plan determine, est un fragment. Le plan. tel Iée par les partisans et son corps a été brulé sur le champ.
qu’on le voit ensuite sur l’écran, montre, dans la relation d’une per-
sonne a un lieu, l’analyse du fragment. Le batard veut savoir ce qu'il est advenu de Baracca, le comman-
dant des partisans. Ila été pendu par les chemises noires, dit Nuto, il
Dans la séquence finale de De la nuée a la résixtance on voit Nuto enléve ses lunettes et regarde devant lui. On voit la colline et le soleil,
qui raconte et le batard qui écoute. Nuto, rapproché, est 4 gauche du qui disparait derriére elle. De Ja musique commence.
champ. assis, il a été ici tout le temps. il a tout vécu, et il restera ici:
4 sa droile on voit un buisson avec des feuilles d’un vert sombre, une Le chatiment d’Ixion — ceci vient du premier dialogue du film ~
plante qu’on utilise dans les oceastons officielles pour décorer, aussi serait, disent tes philologues de I‘Antiquité, une image de la roue du
au cimetiere. {la ses luncttes et il lit le rapport sur Santina. soleil. Et ce soleil est le feu, le feu qui va dans la terre et éveille la terre,
pour qu'elle donne une bonne moisson. C'est un coucher de soleil et
Avant, dans le roman et dans le film, il y avail toujours eu des occa- un plan paralléle au plan du champ, quand est racontée la mort de
sions données pour qu'un se souvienne; devant le bar, en promenade, Santina: parulicle, comme le feuillage de cimetiére vert-sombre dans
venant de fa sittation. Maintenant ceci est dans la construction du les plans sur Nuto et le batard était svérrigue, le cadre de la scéne.
roman une place, la premiére et la derniére, ob Nuto veut rapporter La musique continue sur le générique final, puis elle s’arréte et appa-
quelque chose au batard. Pendant tout un chapitre il n'y a pas de récit rait le mot Fine. fin, pour la premiére fois dans un film des Straubs.
4 la premiére personne: un changement dans la maniére du récit. M.B.
dirait un spécialiste de littérature; quelque chose va étre raconlé qui.
pourrait-on dire, résume dans sa structure encore une fois tout le
roman,
Ce texte a été publié dans la revue allemande Fifmkritik (n° 268,
Le batard l’écoute. debout, il avait dit que peut-étre il allait retour- avril 1979). Traduction de Daniéle Huillet.
ner en Amérique, ce pays semble lavoir décu: i] est plutét 4 droite
du champ. a gauche un arbre de nouveau avec ces feuilles de cime- Rappelons qu'il a déja été question de De /a nuée a /a résistance
tiere. dans les Cahers, numéros 297 (Fieschi) et 302 (Oudart).

Lorsque Nuto raconte la mort de Santina, comment le comman- Le film sort le 7 novembre 1979 a ia Pagode.
dant des partisans a briilé son cadavre, on voit un champ, limité der-
riere par une coltine: un plan comme le champ de blé dans le cin-
quiéme dialogue. ot Lityerses voulait tuer Héraclés pour que la mois-
son soit meilleure, Santina, la jolie fille des maitres, une putain des
DE LA NUEE A LA RESISTANCE

ENTRETIEN AVEC JEAN-MARIE STRAUB


ET DANIELE HUILLET

Tournage de Dalla nube.. ‘!e choix du couteau

Cahiers. Fos films sont en général produits etfen Allemagne de 1954 et qu’a ce moment-la, on ne songeait absolument pas
even Halie au moins) difftsés par des chaines de télévision, Est- a la télévision.
ce que vous pensez que. bon an malan.on s‘achemine vers une
situation ott des films commic les vétres. en amont comnie en Cahiers. C'est quoi un film pensé pour la télévision pour
aval. nauront dautre débouché que les programmes culturels vous? Ca se passe au niveau du sujet, du theme, du traitement?
de la télévision? Est-ce que vous envisages une telle evolution
de gaité de ceur? Straub, C'est avant tout le traitement. Ici, il faut faire une
petite parenthése. Lecons d'histoire jusquici n’a été retransmis
Jean-Marie Siraub, Legons a histoireest le premier film que que deux fois et 4 des heures assez bizarres, dix heures. dix heu-
nous ayons fait en songeant réellement 4 la télé. C’était un film res trente du soir. Le Bach a été programme finalement quatre
dont on savait au départ qu'il ne sortirait jamais dans une salle fois par quatre chaines différentes, a une heure normale, en
de cinéma. Méme pas en Allemagne ou i] n'est sorti que dans dehors des programmes culturels et sans introduction, Par ail-
quelques cinémas communaus, comme a Francfort. leurs. le Bach « circulé dans des cinémas en Allemagne dans
des villes grandes et moyennes et il a été vu par 50 000 pari-
Daniéle Huillet. Cela dit. on s’est battu pour que le film passe siens dans des petits ghettos d’Art et Essai, C’est important de
aussi dans des cinémas communaux. préciser cela parce que les gens ont toujours impression que
nos films, personne ne les voit. On ne fait pas des films pour
Straub. Cétait un produit fait et imayiné en fonction de la quils restent dans une armoire mais pour qu’ils soient vus et
télé. Mais Nicit Fersdhni n'a pas été du tout produit, ni méme on met plus de temps encore pour lutter une fois que le film
co-produit. par la télé, et le Bach ne Va été que pour 150.000 est fait que pour le faire. Mais tu nas qu’a prendre ce numéro
marks sur les 470 000 qu‘il a couté. II n’était pas du tout ima- du Cinématographe qui vient de sortir: on nous traite de
giné pour la télévision, d’autant plus qu'il s‘agissait d°un projet « purs, durs et seuls ». C'est I'étoile jaune. méme si. de la facon
ENTRETIEN AVEC J.-M. STRAUB ET D. HUILLET Is
dont c'est écrit. c'est des compliments mi-figue. mi-raisin. Huillet. On a essayé avee Le Fiance, la comedienne et le
Maintenant, une autre parenthése: méme les Italiens qui maquercau, C’était fin 1967 pour un programme en Allema-
avaient racheté Nicht Versdhat pour seulement deux millions gne qui sappelait « Le petit jeu de télévision ».
de lires ont fini par le diffuser au bout de deux ou trois ans.
C’était la premiere fois qu‘ils passaient un film avec des sous- Straub, Un créneau ou ils présentaient des petites fictions
titres Gusque fa. il n’y avait eu que Les Paraplities de Che breves.
dbourg, mais c’était a cause de Valibi musical). Le film est passé
@ une heure ou, sur une autre chaine, il y avail Rischia Tutto Hiuiller. is ont demandé de quoi il s‘agissait. On feur a
ou Canzonissima, jé ne sais plus. Ha été présenté, pas du tout envoyé un découpuage. Ils n’ont jamais repondu. Un vrai tom-
comme un film de Straub (absolument inconnu du public de beau. On a fait le film quand méme.
télévision), ni méme comme tiré dune cuvre de Heinrich Boll
qui. entre temps, avait eu le prix Nobel... rien, aucune publicité Cahiers. A/ais n'est-ce pas aussi parce que vous pensiez que
de ce genre. Pourtant, il va cu trois cent mille spectatcurs qui vous naviez pas a vous adapter a quelque chose de préexistant
ont vu le film jusqu’au bout, ce qui est Gnorme pour I'Italic. Is et de familier pour le téléspectateur, la série, le feuilleton, cer-
se sont intéressés 4 quelque chose qui leur élait parfaitement tains themes ?...
étranger et pour lequel il n’y avait aucun attrait publicitaire.
Ces trois cent mille postes, ca représente au moins cing cent Huillet, Ca ne veut pas dire grand chose parce que pour le
mille personnes. Alors, quand on a pu dire, pour Le Confor- «petit Schonberg », on s'est adapté. Le fait de faire quelque
misie Qui avait été vu par a peu pres deux cent mille personnes chose contre quelque chose, c’est une adaptation.
dans onze salles 4 Paris, « voila le premier succes commercial
de Bertolucci»... on peut juger... Straub. Pour revenira la question de la différence entre spec-
tateur de cinéma et télespectatcur, ce n’est pas seulement une
Huilter. Pour que des gens voient Chronique dans d'autres aflaire numérique. La télévision, ¢a a un autre avantage, en
pays que l'Allemagne et le voient dans Icur langue, on s'est plus du nombre, par rapport au type de films que l'on fait et
donné la peine de faire un truc qui nousa torturés pendant plus au type de sortie qu'on peut avoir (et qui est le seul qu'on aura
d'un an, ona fait des commentaires en italien, en anglais, en jamais dans ce type de société). c'est la possibilité que les films
francais et en néerlandais. Méme si ga nous amusail d’expéri- soient vus et entendus par des gens qui n‘iraient jamais dans Ics
menter, de voir ce que ca donnait, c’était un travail énorme de ghettos d’Art et d’Essai des pays étrangers a la langue des films,
traduction, de montage ct de mixage pour que les gens soient oti passent ces films. ghettos fréquenteés seulement. en tous cas
touchés dans leur propre langue par le commentaire et par les les deux premiéres semaines, par les ciné¢philes. qui ne sont pas
informations que véhiculait ce commentaire. Ceci pour répon- les gens pour lesquels on travaille. On n’aurait jamais le cou-
dre a ceux qui nous traitent de fanatiques ct qui ne sont pas de rage de faire un film si c’était seulement pour les cinéphiles.
bonne foi... Je crois que méme Afoise ef Aaron, qui n’était pas Done, a la télé, on trouve un public socialement diversifié ct
non plus un film pensé pour la télé puisque c’est un projet qui qui ne fréquente pas ces ghettos...
remonte a 1959 ct qu’a cette ¢poque-li on ne pensait pas a la
télévision, ga passe quand méme trés bien. Saufcette provoca- Huillet... qui codtent aussi de plus en plus cher.
tion du moment oti il n’y a plus d‘image. au point qu’en Alle-
magne ils ont été obligés de prévenir: attention. ce n'est pas Straub. Alors la, un grand mot: je prétends que les films
votre poste qui est cassé! Mais ca passe: la télévision devient qu'on fait sont des films pro/étariens et la seule chance qu'on
un moyen d'information et de surprise. Cela dit, Afoise et ait de toucher une partie du public qui n’appartient pas au
Aaron, c'est quand méme un film qui est fait pour étre vu du public dit cultivé et a la classe dominante, c'est justement la
début jusqu’a la fin. tandis que Lecuns d‘histoire, les gens peu- télé. Ca ne veut pas dire que l'autre public ne nous intéresse
vent prendre le film en cours de route, arréter quand ils en ont pas. Nicht Versdhnt, c’était un film pensé pour la bourgeoisie.
marre, aller s’occuper de leurs gosses, aller chercher une biére. Mais de plus en plus, c'est ce queje viens de dire. C'est trés pré-
ouvrir la porte... tentieux, mais c'est comme ca. Et je pense que ce ne sont pas
seulement les sujets mais la fagon de les traiter qui font que ces
Straub. Ce n'est pas une structure dramatique, c'est autre films sont ce que je prétends. La télé, c'est ga pour nous.
chose.
Cahiers. Qu est-ce que ¢a veut dire pour toi des films « pro-
Cahiers. Vous semblez penser qu'un spectateur de télévision lérariens » y compris dans leur facture?
équivaut @ un spectateur de cinéma. Dans ce cas, pourquoi ne
pas faire carrément des films de télévision? Straub. Je ne suis pas stir queje ne sois pas le plus mal placé
pour essayer de définir ca. J’étais seulement peut-étre le seul
bien placé pour lancer une affirmation pareille. 1] est bien évi-
Straub. On Va fait une fois parce que ¢a nous a été propose.
dent que l’obsession culturelle, le fait de partir souvent d’une
Le résultat c’est un film de 14 minutes 30 4 25 images/seconde
cuvre préexistante, qu’elle soit littéraire ou musicale, c'est
qui s'appelle Introduction a la « musique d‘accompagnement
déja un point. La facture c’est un autre point ct ca a deja élé
pour une scene de fila» d@Arnold Schinherg.
dit ~ alors pourquoi ne pas le répéter? — « Leur scule difliculté,
c'est qu’ils sont trop simples ». Enfin, étant donné qu‘ils par-
Huilfet. 15 minutes.
tent chaque fois d’une ceuvre préexistante, le pari consiste en
unc opération, disons léniniste, en une entreprise d’cxpropria-
Straub. Non. quatorze minutes trente. C'est la seule fois que tion. C'est d'essayer de proposera unc classe des choses qu’on
la télé nous a proposé quelque chose. a eu la chance de rencontrer — qu‘il s‘agisse de Pavese, de
Brecht, de Bach, ou méme d’Heinrich BOI], c'est pareil — ct
Cahiers. Mais vous, vous mavez pas envie de proposer des qu'elle ignore.
sufets?
Cahiers. Quand tu tenais ces mémes propos, a Uépoque
Straub. A vrai dire, non, Jusqu’a présent, non. d Othon, ¢a bouleversait pas mal de gens parce quon se disatt:
16 DE LA NUEE A LA RESISTANCE
peut-étre, oui parce quavec le cinéma, if peut y avoir des cri- dune telle accélération est Beaubourg), ces mémes chiffres
tiques, des textes, des polémiques, brefun certain feed-back, refletent moins de vérité qu'avant. Est-ce que, par une sorte de
dans les revues ou méme dans les quotidiens. Mais quest-ce fuite en avant, vous ne déplacez pas votre ancienne attitude face
que ¢a@ veut dire par rapport @ un public de télévision? Est-ce au cinéma vers un médium — la télé — ott la « frequentation »
que fa télévision, justement, ne prive pas les cinéastes de tout du public est encore plus difficile a interpréter? Est-ce que ¢a
feed-back, plus encore que le cinéma? Quwest-ce qui se passe ne vous permet pas de rendre cette catévorie de « spectateur »
quand un film passe a@ la télévision? encore plus idéale, voire plus idéalisée qu'avant? Je veux dire
par speciateur quelqu’un qui est plongé dans une salle de
Straub. Ah ca, on ne sait rien! On sait quand méme des peti- cinéma et @ qui, de ce fait. on ne peut plus s'adresser seulement
tes choses. Les gens qui ont programmé Legons d’histoire la comme @ un ciloven...
premiére fois nous ont dit: c’est la premiére fois qu’on a regu
tant de lettres de téléspectateurs, des lettres qui demandent: Straub. Mais ga existe plus depuis belle lurette, un tel spec-
qu'est-ce que cette ceuvre dont le film est tiré? Comment tateur! Au moins depuis les premiers films parlants de Cha-
s’appelle l’auteur de ces textes? Les gens n’avaient pas fait plin...
altention au générique — c’est normal : qui fait attention aux Cahiers. Peux-tt préciser ce que tu entendais tout a Cheure
génériques? — et c’était des gens qui ignoraient jusqu’a l’exis- par « prolétarien »? S-agit-il du vieux theme léniste de lexpro-
tence de Brecht! Ca, c'est intéressant. On a l’impression de ne priation déléments culturels au profit d'une classe qui ne les
pas avoir perdu son temps. Jusque la. donc, on sait quelque connait pas et @ qui on bourre la té1e d‘idées fausses?
chose: au-dela, on ne sait rien, tu as raison.
Straub. Pas du tout. Ca n’a rien a voiravec une volonté. C'est
Cahiers. Afais vos films ne s 6putsent pas dans le fait de don- une question de conditions de vie. On vit dans des conditions
ner aux gens Uenvie de se reporter aux textes de base! qui ont quelque chose en commun avec celles du prolétariat.

Straub. Oh non, pas du tout. Un autre élément qu'on Huillet. Des conditions de survie.
apprend ensuite, c’est quelques lettres de gens qui nous disent:
je suis secrétaire ou je fais tel ou tel boulot et ce qui m’a touché Cahiers. // a effectivement un ahime entre un paysan, un
dans votre film. c'est que c’est tres pessimiste et qu’en méme ouvrier et un bourgeois au niveau de ses conditions de vie ou
temps, ca donne envie de lutter et de vivre, de défendre la pla- de survie, au niveau aussi des luties qu ‘il va mener ou réprimer.
néte sur laquelle on vit. Ou encore. aprés une vision de Furtini, Mais c'est précisement dans [clement de la culture que se fait
quelqu’un qui écrit: je suis allé me promener avec ma Volks- de plus en plus le bain lénifiant et réconciliateur.
wagen le long du Main et je me suis demandé en voyant ces col- Straub. Qui. Mais ce n'est pas en tant qu‘objects culturels
lines ce qui s’y était passé. C’est ca qui nous intéresse. que ces textes ou ces partitions-la sont recomposés dans nos
films. Ca ne nous intéresse pas. Ce qui est Intéressunt, ce n'est
Huillet. Mais sur les formes. les gens ne parlent pas. D'ail- pas de parler de Schoenberg, de Pavese ou de Brecht. c’est ce
leurs qui est-ce qui parle des formes? En tout cas. jusqu’a pré- dont il parlaient.
sent, on croit plus au systeme Legons d’histoire qui consiste a
faire quelque chose et 4 l’insérer ensuite a la télé, en ayant Cahiers, Et est-ce que la culture, ce n'est pas une médiation
pensé pour la télé. [I vaut mieux trailer avec la télévision sur dont vous avez besoin pour étre trois: vous (les cinéastes). cur
un produit fini ow ils savent ce qu’ils ont et of il n’y a pas de fle public) et la culture?
malentendu. plut6t que ga craque 4 la derniére minute parce
qu’on leur livre autre chose que ce qu‘ils attendaient. Le Huillet. L’idée du trois, elle est intéressante, mais ce n’est pas
« Nicht Verséhnt » italien » qu’ils réclamaient de nous est fuit ga du tout: la culture. eux et nous.. C’est justement le refus de
maintenant (Dalla nube...), va savoir s‘ils vont le diffuser ou nous enfermer et de les enfermer, comme essaye de le faire tout
non... l'appareil culturel, et pas seulement culturel. de les enfermer
dans « ce moment la », avec rien avant, rien aprés. uniquement
Straub. Us avaient co-produit le Bach (a l’époque, c'était dans le temps présent.
quinze millions de Jires). 1] nous a fallu dix ans, parce qu’on a
besoin de beaucoup de temps - on nest pas trés intelligents — Straub, La, on retrouve Bufiuel, c’est-a-dire faire sentir aux
et qu’on a besoin de vivre dans le pays et de se heurter a la réa- gens par des films qu’on ne vil pas dans le meilleur des mondes.
lité d’un pays. pas seulement la réalité quotidienne, sociale et L'obsession de la télévision et de tout pouvoir en place, c'est
de faire croire aux gens, 4 chaque seconde, 4 chaque minute,
économique, mais aussi géographiquc, géologique, climatique,
pendant dix ans avant de pouvoir faire un film comme Dalla que le monde dans lequel ils vivent, le scul dans lequel on leur
nube, Quant 4 Godard, qui dit que la télé ca oblige un cinéaste permet de vivre, est justement le meilleur des mondes possi-
a repenser sa pratique, ¢a luia réussi, a lui. une fois. Pour Tour bles.
Detour, i] a certes repensé sa pratique, mais !a solution qui Cahiers. Sur ce point, ilsemble qu'il y ait une évohition dans
consiste 4 la programmer au ciné-club d*Antenne 2, c’est catas- votre auvre. Dans vos premiers films — comme Machorka-MulP
trophique! Il n’était pas du tout fait pour ce créneau-la. Cest — iv avait davantage la tentation d'une intervention imme-
absurde! S‘il avait fait un film pour le ciné-club d’Antenne 2, diate.
il aurait fait un autre film. Ila fait des expériences, ¢a a marché
une fois sur deux et pourtant, au départ, if avait un nom qui Straub, C’était dix ans aprés. Pas plus immeédiate done que
simposuit plus que le nétre. Alors, je crois que nous, on per- le Potemkine. Le film a été fait en 62-63 ct le réarmement alle-
drait notre temps... mand a été entériné en 1957 et on avait commencé a marteler
lidée du réarmement dans la presse et ailleurs dés 1950.
Cahiers, H nous semble quavec la télévision, le spectateur Cahiers. Ce retard, c'est quelque chose qui tient @ vous, au
devient encore plus vague ef utopique quau cinéma. Pendant temps dont vous avez hesvin. ou est-ce que ¢a tent au cinéma?
longtemps. tenir compte du nombre entrées qu'un film faisait.
ca avait un sens. Aujourd hui, vu Faccélaration qui est donnée Straub, Les deux. Et puis Godard, en fait dintervention
par Cindustrie cutturelle aux « wuvres dart » (an bon exemple immediate, le fait beaucoup mieux que nous. Pourquoi est-ce
ENTRETIEN AVEC J.-M. STRAUB ET D. HUILLET
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Mario di Mattia et Mauro Monni dans De fa nuée 4 /a résistance

qu’on essaierait de faire moins bien ce qu’il fait? Nous, je le dis - un sujet en fonction de ce que l'on est 4 un moment précis,
trés modestement et trés orgueilleusement, on fait beaucoup et de ce qu’on est devenu. I! s’agit des contenus traités par des
mieux ce qu'on fait qu'il ne Ie ferait. Alors, pourquoi ne pas objets culturels. Qu’est-ce qui a changé depuis dix ans? Mai,
faire ce qu'on fait? personnetlement, je n’en sais rien, peut-étre qu'il y a des gens
qui en savent plus. On fe saura dans deux siécles, I"histoire ne
Huillet. En plus, it y a chez Godard un aspect qui renforce travaille pas comme ca, sur dix ans.
cet enfermement dans l’ici-maintenant dont on parlait tout a
l'heure. Ce n'est pas une critique, mais enfin, c'est quelque Huillet, Prenons l'exemple de Pavese. A la limite, Pavese !ui-
chose que je ressens. méme, on s’en fout pas mal quand on arrive a la fin du film,
Ce qui nous intéresse, c’est les bonshommes qui disent les tex-
Cahiers. Dunc, fe sens de la culture, c'est bien de sortir de cet tes de Pavese. ce qu’ils font dans la vie, comment ils disent ces
ici-maintenant, cest un heritage? C'est bien le vieux theme textes, les problémes qu’ils ont avec ce qu’ils disent, ce qui fait
leniniste? que ce qu’ils disent tout d'un coup, ca n’appartient plus a
Pavese mais au bonhomme qui le dit qui, lui-méme, ne savait
Srraub, Oui. pas au départ qui était Pavese. Le seul intérét du texte ou de
ce que tu appelles la culture, c’est que le type qui la écrita fait
Cahiers. Ev cette assimilation critique de la culture hour- un certain travail. ila produit quelque chose qui nous a tou-
geoise par la classe qui na pas du tout participé de cette culture. chés cl qui ensuite a résisté — ce a quoi on juge qu'il a bien fait
he penses qu aujourd hut ¢a avance, ¢a reciule? son travail.

Straub, Je Cai dit oui quand tu as parlé de la vieille these Straub, Et encore. on ne lui fait pas confiance sur toute la
léniniste mais maintenant je dois te dire non. Ce n'est pas du ligne: on en coupe pas mal.
tout l’assimilation de la culture bourgeoise qui nous intéresse,
c'est des interventions pointillistes et particuliéres, ce dont par- Huiller. Ce qui se passe avec le bonhomme qui dit ce texte,
lent certains textes. C'est parce que ¢a nous intéresse, nous, cc de par sa vie, par ce qu'il est. sa fagon de réagir. de marcher,
Test pas parce que c'est de la culture bourgeoise et qu'on aurait de s’asseoir. c’est en fait beaucoup plus que la critique du texte.
envie de la présenter de maniére critique. C’esit parce qu'on Parce qu'il en fait sa chose et, cependant, quelque chose qui
rencontre par hasard — et tout sujet de film est une rencontre reste a cdté..,
DE LA NUEE A LA RESISTANCE

Paolo Pederzolli. Alberto Signetto, Riccardo Carrosso, Gianni Canfarelli, Ugo Bertone,
Sandro Signetto, Maria Teresa T., Antonio Mingrone dans la scéne du bar de De /a nuée a fa résistance.

Straub. On se retrouve du cété de la maieutique de Monsicur méme les films prétendus culturels. Et puis, ce qui nous inté-
Jean-Luc, simplement elle est pratiquée d'une autre maniére. resse, c’est également de faire passer ce qui devrait étre évident:
C’est une opération différente, mais avec quelque chose de Ic parti auquel avait adhéré Pavese, le Parti Communiste Ita-
commun, lien, n’acceptait pas certaines choses. Or, il ne faut pas qu’un
des aspects soit sacrifié au profit d’un autre. C’est la qu’on
Cahiers. Duns Dalla nube... cette idée d'un écart temporel, rejoint le probleme du suicide de Pavese et. a coté, en deca et
d'un avant ct dun aprés est dans la forme méme du film. au dela de "histoire d‘amour, le suicide de Maiakowski.

Straub. C'est le film, C’est pourquoi on est un peu orgueil- Cahiers. fei, une question un peu abrupte: est-ce que tous vos
leux de ce film la. Je pense que les gens qui travaillent dans le films ne sont pas traversés par cette idée: if fit un temps on les
champ artistique doivent. sans glisser dans l’enflure et sans Partis Communistes européens étaient purs, durs et violents -
quitter d'un poil l’idée qu'il ne faut jamais provoquer des sen- et ls ne le sont plus, Doow, la aussi, un cété avant et apres:
sations. doivent traduire des sensations qui correspondent a avant, on regarde en arriére vers le PC et apres vers le désespoir,
des expéricnees, fabriquer des objets de plus en plus écartelés. le terrorisme, Baader etc.
Et ¢a devrait étre le cas aussi au niveau des sentiments. I n’y
a pas un film plus écartelé que celui-ci au niveau des senti- Straub, Ov est le film de nous qui insinue que le PC était pur
ments. Déja, au niveau de Pavese. il y a un écartélement et dur? Que, pour étre grossier, on lorgne. nous, vers la terreur,
extréme entre Ic Pavese de 1947, auteur des « Dialogues avec c’est une affaire personnelle qui tient 4 nos conditions de vie.
Leuco » et le Pavese de 1950, auteurde « La Lune et les feux ». Je ne vois pas pourquoi on le nierait ou on le cacherait. Mais
Ce qui est important, c’est que c'est le méme bonhomme et que l'autre aspect,je ne vois pas du tout d’oll vous le tirez. Pour se
ces deux aspects, il les voulait indissociables. 1] faut essayer de limiter au Pavese, c’est vraiment un film qui répond par la
fabriquer des objets qui traduisent un éventail de plus en plus négative. Il ne faut pas confondre les personnages et le film...
large, un éventail de sensibilité et de sentiments, de sensations,
au sens ou Cézanne disait qu'il essayait de matérialiser des sen- Cahiers. On te pose cette question parce que souvent, dans les
salions. Je tiens a ca dans la mesure ot 99 % des films actuel- débats & propos de tes films, ily a quelqu‘un qui te demande
lement sont des objets destinés a provoquer des sensations, sinces « stalinien » et que tune réponds jamais non. Ona le
ENTRETIEN AVEC J.-M. STRAUB ET D. HUILLET 19
sentiment a la fois que tu veux provoquer et que ti nas pas immédiatement capable de dire ce qu'il a vu ou de décrire ce
envie den parler sérigusement. qucil a ressenti, justement parce qu'il est aussi un spectateur.

Straub. Stalinicn,je le suis peut-étre au niveau de la vic quo-' : Suaub, C'est une forme d’amitié, de respect. Je m‘intéresse
tidienne, des décisions pratiques, concretes. particuliéres. Ca a lui pas seulement en tant que spectateur mais en tant que
n’a rien a voir avec des principes ou une stalinisation générale. citoyen, individu, personne humaine. Le probléme, c’est que
« Stalinien », je le serais exactement dans la mesure ou le per- nous on n’a jamais fait de film pour les spectateurs de cinéma.
sonnage — attention.je dis bien le personnage du film - de For- C'est en cela aussi que le travail qu'on fait est différent de celui
tini l’est dans ses moments de terrorisme: l’immense farce de de Godard et le sien différent du nétre. Lui, il fait malgré tout
la coexistence pacifique et tout le reste... dans ce sens la, oui. des films pour des spectateurs de cinéma. Nous, ga ne nous
intéresse pas, des spectateurs de cinéma. Ca ne veut pas dire
Huillet. Moi, cst un vocabulaire que je n’emploie pas. que ca ne nous intéresse pas d'aller discuter de pourquoi on a
Quand Straub dit « je suis stalinien », dans un débat de type fait tel ou tel choix. Ca nous intéresse beaucoup. au contraire.
ciné-club (jamais dans une aréne politique). je l’entends Francois Albéra nous a fait venir a son cours a Genéve, on y
comme quelqu’un qui dit non et qui est capable de dire non est resté six heures et c’était trés intéressant, surtout quand
dans certains cas ot on a inculqué qu’il ne fallait pas dire non. c’était trés concret.
C'est une descendance historique extreémement particuliére,
partiale.., Quant 4 entrer dans une discussion pour savoir s'il Cahiers, Mais ni fuis des films pour qui alors, des citoyens?
faut penser ou non que la classe ouvriére doit avoir un Parti...
c’est autre chose. Mais alors, ce nest pas une nostalgic, parce Straub, Oui. Pourquoi?
que cest quelque chose qui n‘a pas encore existé.
Huillet. Ce que vous décrivez qui provoquerait l'agressivite
du spectateur, ca nous arrive entre nous, mais pas pour un film.
Cahiers. Afais le Parti réel, celui qui a bel et bien existé et qui
Quand i! essaie de me faire préciser des trucs que je n'ai pas
a suscité tant de réves et tant de morts, quest-ce que c'est? Un
envie de préciser parce que je suis fatiguée ou que ca
simulacre, une annonce, une prophétie, une farce? m’emmerde, c'est aussi « occupe-toi de tes affaires ct non des
micnnes »... Mais c’est le contraire du stalinisme parce que
Huillet. Farce, oui! On vit d’une farce 4 l'autre. La Révolu- c’est le contraire du mépris.
tion francaise, c'est aussi une farce quand on pense que main-
tenant on a plein de ministres qui sont des princes! Et Straub, Mais moi,je ne vois jamais un film en tant que spec-
l'Europe! Quand on pense au nombre de mecs qui se sont fait tateur de cinéma. Peut-étre que ca correspondait 4 quelque
trouer Ia peau pour la farce qui a lieu maintenant! chose pour moi il y a vingt ans, mais il m’a lallu vingt ais pour
voir concrétement un film,
Straub. Pour répondre au niveau du terrorisme, j‘aime beau-
coup les vingt-cing minutes de France Tour Détour qui trai- Cahiers. Tu as dit tout a Vheure quelque chose qui parait
tent du tcrrorisme; ca me touche beaucoup et ca me fascine, énorme: il faut matérialiser des sensations, ne pas en produire.
comme tout ce que fait le citoyen Jean-Luc, mais ce qu'il se Mais quel autre mode d'action aun film que de produire des
permet la, sa proposition d’enlever n’importe qui,je ne suis pas sensations chez le spectateur? Hy a tun moment ott le choyen
d’'accord. Méme a ce niveau de provocation morale et a l‘inté- que tu vises devient spectateur. Quand Renoir dit: « les acteurs
rieur d’un film, donc esthétique,je ne me serais jamais permis créent un pont, le cinéma est fait pour créer un pont», quelle
ga, la suggestion qu'il fait aux terroristes... est la nature du pont que tu recherches dans tes films?

Huillet. Ce qui fait souvent que dans les débats on a l’impres- Straub. Laissons pour Vinstant la division de classes et
sion que Straub est agressif. c’est qu'il se défend en attaquant essayons de raisonner comme ga. Les gens qui attendent des
et que ca c’est quelque chose que les gens admettent difficile- sensations au cinéma ne nous intéressent pas. Je ne me prends
ment. pas pour Cézanne mais si tu vois une toile de Cézanne, ¢a ne
provoque pas des sensations chez toi, tu vois la des sensations
matt¢rialisées,
Cahiers. Ce qui rend les gens violents, c’est plus que ga, c'est
aussi que vous leur dites que bien quiils soient les seuls @ voir
vos films, ils sont les derniers @ pouvoir en parler et que dail-
Cahiers. Finalement, on aun peu fe sentiment que vous vou-
lez faire réfléchir les gens (en tant que citovens) en operant chez
leurs, ils n’on rien vu. C'est ¢a qui fait partie de ce qu'on appe-
enx wrcourt-cirenit entre ce qu ils percoiyvent fou devraient per-
fait rout @ Cheure te « stalinisme », une solide tradition de
cevoir) etce quiils savent (ou devraient savoir) et en faisant ainsi
meépris pour lintellectuel bourgeois ou petit-bourgevis,
Peconomie du stade des sensations qui est aussi cehii du sen-
sationnel, dit spectacle, du jeu avec le spectateur... Dans Dalla
Straub. Je ne dis jamais ga qu’a des gens qui m’ont déja nube, ¢a apparait trés netement: ily aun plaisir dans la per-
agressé ou qui m’ont dit: votre truc, vous prétendez que ¢a ception, dans le fait de percevoir des choses, au niveau des
sadresse a des gens qui que... et moi qui ne suis pas qui que... SCHS...
mais qui suis beaucoup mieux, j'ai rien compris, alors? Mais
je ne pratique jamais cette attitude-la avec quelqu’un de timide Srraub. Si ce nest pas ce qu'on appelle le cinéma, qu'est-ce
ou qui me dit: quand méme, c’était un peu dur... que c'est, nom de Dieu?

Cahiers. Mais tu fais alors quelque chose qui revient au


meéme: tit dis a ce timide. explique ce que tt nas pas compris.
Donec. tu le nies comme spectateur, Cest-d-dire comme (Propos recueillis par
quelqu'un qui est encore pris dans ce quil a vu, qui nest pas Serge Daney et Jean Narboni)
Ein Film von Fredi M. Murer

D/A

JANET HAUFLER - PETER SIEGENTHALER - MATHIAS GNADINGER- MICHAEL MAASSEN


ERNST STIEFEL - und als Nachtwachter WALO LOOND
Regie FRED! M. MURER - Kamera HANS LIECHTI - Ton FLORIAN EIDENBENZ - Schnitt RAINER TRINKLER
Produktion Nemo
&
CINEMA DOCUMENTAIRE SUISSE

LES DERNIERS ARPENTEURS

PRESENTATION
PAR SERGE DANEY ET SERGE TOUBIANA

Le « cinéma suisse », c’est-a-dire des films faits par des Suisses (francophones ou alémani-
ques) fut « découvert » a Paris vers le milieu des années soixante. La vogue passa. Pourtant. de
temps 4 autre, un oubli était réparé: on « découvrait » Goretta, Reusser, d’autres encore...
Aujourd’hui, a l’occasion des Perites fugues, c’est Yersin qui est enfin consacré auteur et, a tra-
vers les deux films de Richard Dindo et ceux de Fredi Murer (qu’on ne peut que souhaiter voir
bientdt), ce sont deux exemples de cinéma suisse alémanique. Ces « découvertes » qui nous ont
pris une quinzaine d’années nous ont caché le fait qu'il s’agissait en fait d’une seule et méme
génération de cinéastes qui ont commencé 4 travailler ensemble, au méme moment, qui se
connaissent et qui, méme aujourd’hui, continuent a se voir— et a parler entre eux de ce qu’ils
font. Pas de quoi constituer une vague ou une école, mais bien un lac, un vivier, toujours plus
riche qu'il n'y parait. Premier décalage donc, di aux aléas de la distribution puis de la produc-
tion en France (une partie du « jeune cinéma suisse » vient vieillir en France et s’adapter plus
ou moins bien 4 d’autres normes de production).
Sous le label « jeune cinéma suisse » (et sur la base d’une solide ignorance de ce qu’a pu étre
le « vieux cinéma suisse »), le public francais croit voir exprimés, mis en images et en sons, avec
une justesse et une minutie dont le cinéma francais semblait étre devenu incapable, des themes
et un style liés a ’époque et 4 lair du temps (l’aprés-68) : intimisme, délicatesse des sentiments
ct précision méticuleuse d’un cété (une sorte de « complexe de horloger »), révolte calme, uto-
pic radicale et poétique de l'autre (et les deux conciliés 4 un moment chez le Tanner de La Sala-
mandre et du Milieu du monde). Second décalage : dés qu’il s‘agit d’analyser, de ralentir, de
décomposer, c’est - 4 travers la médiation de Godard qui, lui aussi, entre Grenoble et Rolle,
chevauche une frontiére- vers la Suisse que l’on se tourne. Aussi bien pour requinqucr la pro-
duction commerciale (l’aventure Gasser / Action Films, des films comme La Dentelliére de
Goretta) que pour ne rien céder d’une contestation assez desespérée (Le grand soir de Reusser).
Or-—c'est le troisiéme décalage — en découvrant aujourd'hui le premier long métrage de fiction
d’Yves Yersin, les deux enquétes filmiques de Richard Dindo et, espérons-le, le Grauzone de
Fredi Murer, nous prenons soudain la pleine mesure d'un cinéma qui a tiré sa précision, son
calme, son gout de Il’analyse, d’une solide tradition documentariste. C’est le cas de Dindo et de
Murer (voir les deux entretiens qui suivent), comme de Yersin (voir entretien dans le prochain
numéro et un texte de Y. Lardeau), Paradoxalement, nous faisons cette découverte au moment
ou ces cinéastes amorcent un passage vers le film de fiction, leur expérience de documentariste
ne leur ayant pas, de leur propre aveu. permis d’aller jusqu’au bout d’eux-mémes. Et nous enre-
gistrons ce passage 4 la fiction avec une certaine appréhension.
Le documentaire était sans doute le point de départ obligé pour des cinéastes vivant et tra-
vaillant dans un pays dont I"identité nationale est depuis toujours problématique. Pays des ban-
qucs. place-forte du Capital, milieu du monde, la Suisse et ses cinéastes s’affrontent a une tache
que l’on imagine mieux étre celle des pays neuls, des pays du tiers-monde : arpenter (c’était le
titre d'un film de Michel Soutter : Les Arpenteurs), décrire, faire un relevé des richesses (popu-
lations ct paysages) d’un pays qui n’aurait pas de passé. Point zéro ou amnésie? Le documen-
taire est alors la forme, mais aussi le rapport social, 4 travers laquelle un cinéaste peut parler
de son pays tout en se mettant sur la touche. Responsabilité sociale des cinéastes suisses : ils
ausculient leur pays. I! faut évidemment une bonne dose de méfiance envers sa propre culture
Be CINEMA DOCUMENTAIRE SUISSE

Richard Dindo

(ou un profond désarroi devant sa non-culture) pour camper dans cette position. tournant le
dos au public, toujours couvert par exactitude des faits, l'inscription vraie des gestes et des
accents. Pas de contrat entre le cinéaste suisse et son public (ou des producteurs suisses — inexis-
tants), mais inverscment et pour cette raison méme, l’exacerbation d‘un contrat personnel,
moral, soit avec son séticr, soit avec la matiére premieére des films, les gens que l'on va chercher
pour les disposer devant une caméra. L’entretien avec Fredi Murer (avec l'extraordinaire pas-
sage ou il raconte comment il s'est mis dans la position d'un aveugle pour faire un film) dit bien
lexigence d'un cinéuste envers la qualité de son métier. L'entretien avec Dindo dit bien, avec
une lucidité assez terrifiante. comment les gens qu'il filme constituent — imaginairement - son
seul public - et sa famille.
Il va donc des cinéastes opérant en Suisse et nourrissant envers ce « pays au-dessus de tout
soupcon » un rapport des plus soupconneux. Il n'y a pas de cinéma national suisse quoique les
films suisses permettent de cerner — un peu par analogie — pourquoi, un peu partout dans le
monde, les cinémas nationaux reculent. Ou plutét: comment ils ont le plus grand mal a se
maintenir. Le foss¢ sc creuse chaque jour d’avantage entre les modéles internationaux (améri-
cains, sauf que ce sont aussi les modéles américains nationaux) et les expériences singuliéres.
les pratiques focales du cinéma. Le cinéma se lézarde par le milicu. La ot des codes et une his-
loire communs rendaient, il n’y a pas si longtemps (cf. I'Italie), les cinéastes solidaires de leur
public, un divorce s ‘approfondit, un « chacun pour soi » se creuse. Du cété intemational, nous
avons a faire 4 un cinéma sur-codé (4 un cinéma de genres. d’effets spéciaux, l’eflet « film
d'auteur » métant que le dernier venu, venu d'Europe dailleurs). Du cdté local, nous nous trou-
vons face a un cinéma suis-codé, qui doit inventer ses codes ~ ses lois ct ses interdits — au fur
et a mesure, ct qui doit les inventer dans un cadre de plus en plus institutionnalisé. Entre les
deux : ce qu'on appelle la crise.
Les cinéastes suisses parlent volontiers en moralistes. C’est compréhensible. Hl ya aujourd'hui
deux morales au cinéma. Dans le cas du cinéma a vocation exportatrice {valeur d’échange, spec-
tacle), il y a une morale du spectacle (ce souci nous revient par quclqu’un comme Coppola.
régisseur de yénie, 4 la maniére de Ceci! B. De Mille. mais n’ayant rien a dire de précis). Dans
le cus d'un cinéma inexportable (valeur d’usage, pédagogie), une morale du rapport fil-
meur/filmé (ce souci-la, les Ca/iers l'on toujours eu, inutile de citer de noms). D'un cété on
refait le Vietnam aux Philippines, de l'autre on s’en voudrait de toucher 4 un cheveu de ceux
qu’on filme. Deux violences aux deux bouts de la chaine. Quelque part dans un maillon incon-
fortable, les cinéastes suisses, dans leur exil intémieur, résistent.
S.D et S.T.
CINEMA SUISSE

ENTRETIEN AVEC RICHARD DINDO

Je suis content qu’un distributeur ait bien voulu program- sculement de ne pas avoir réussi 4 tirer profit de mon expé-
mer mes films documentaires parce qu’on connait mal en rience parisicnne, mais aussi de me rendre compte que j'étais
France le cinéma documentuire suisse qui est, en plus, déja devenu plus étranger encore, que j’avais fait un film pour per-
pratiquement essoufflé, puisque presque tous mes amis cinéas- sonne, que je me suis décidé a faire du cinéma documentaire.
tes en Suisse alémanique se mettent a faire des films de fiction. Je me suis dit: je vais apprendre a faire du cinéma en faisant
I] m’a toujours semblé qu'’en France, ot je vis depuis 1967, ob des films documentaires, c'est plus facile. Je dois réapprendre
je lis les Cahiers ou je vais a la Cinémathéque —j'y suis allé pen- le langage des autres, le langage simple des gens du peuple, me
dant des années tous les jours - je n’ai pratiquement jamais vu mettre 4 ’écoute, avant de parler. Ceci dit, je fais bien la dif-
de films documentaires suisses ou autres. Je me souviens qu’a ference avec la Suisse romande, car c’est en Suisse alémanique
cette époque, qui va de 67 a 72, avant de faire moi-méme des que le cinéma documentaire a commenceé a exister. Ceux qui
films,je n’ai pas vu plus de trois films documentaires, un film travaillent dans le cinéma documentaire le font parce que les
de Buriuel. un film de Dreyer et un film de Ivens. Aujourd’hui Suisses ont toujours eu un probléme fondamental d'identité :
je trouve cela dramatique. I] y a une espéce de, disons-le, de ils n’ont cette assurance qu’ont les Frangais de leur propre
mondanilé du cinéma (francais) qui est peut-étre a l’origine de culture qui est autrement riche. Nous. nous n‘avons pas de
ce refoulement du cinéma documentaire. J’ai revu récemment culture; en fait, nous sommes soit dans l'ombre allemande. soit
un film dIvens, La Seine a rencoutré Paris, iln’y a pas de film dans lombre (francaise, ce qui fait que la Suisse a une espéce
plus beau que celui-la, et dans tous les genres. Je trouve dom- de complexe d’infériorité culturelle, que tu vois surtout chez
Mage qu'on refoule a ce point en France le cinéma documen- les écrivains. L’artiste suisse se pose d'abord le probléme « qui
taire qui a une dimension sociale qui par certains cétés man- suis-je?, pour qui je travaille? » et ila tout de suite une espéce
gue au cinéma francais d’aujourd*hui. Je ne l'entends pas au de responsabilité sociale. Par exemple, Gottfried Keller qui est
sens politique, mais dans la maniére de regarder le réel qui notre grand écrivain suisse, c'est quelqu’un qui a été éduqué
nous entoure. Pur exemple, j'ai rencontré René Allio il y a par la bourgeoisie. la nouvelle bourgeoisie naissante, pour
quelques jours, ct nous avons discuté: il a envie de faire un devenir écrivain : tl a été engagé comme employé municipal.
documentaire sur ses origines familiales et ca lui a beaucoup ila écrit les comptes et proces-verbaux du parlement ziirichois.
appris de parler avec nous, cinéastes documentaires, et je Les artistes suisses ont toujours buté sur ce type de responsa-
trouve que cela serait bien si des cinéastes qui ont habitude bilité sociale.
de la fiction, de la mise en scéne, des acteurs, se tournaient de
temps en temps vers le documentaire, cela nous apporterait Cahiers. Et en quot fe documentaire peut-if peut apporter
beaucoup et cela leur apporterait beaucoup. a eux aussi. une réponse a cee question de Pidentite? Lidentité. justement
est-ce que ga nest pas plutét Paffaire de la fiction?
Cahiers. Afais comment tu expliques queen Suisse, il se soit Dindo. Comme nous avons une culture simple, pour ne pas
développe une tradition documentaire? Qucest-ce qui fait qu'il dire simpliste, nous abordons les choses d'une maniére plutét
sest créé la-bas, phis quici en France, et peut-étre plus que immédiate, simple, le documentaire nous a semble instinctive-
partout ailleurs en Europe des conditions qui ont produit wi ment - et aussi pour des raisons matérielles— une voic a suivre :
cinéma documentaire que paradoxalement, nous découvrons C'est une espéce de non-culture cin¢matographique qui nous
tres tard, au moment ou les gens sont de nouveau happes par a fait croire que le documentaire c’était plus facile a faire, que
la fiction? Ga nous permeitait d’aller plus vite a la rencontre de notre réa-
Dindo. Je voudrais dire deux mots sur ma propre évolution lité immédiate.
puisque j'ai justement donné une réponse, avec mes films, a Mon premier film documentaire était sur des peintres nails :
cette question. Je suis arrivé a Paris en 1967, et, a la Cinéma- Javais lu dans un journal un article sur des peintres naifs, j’étais
théque, les films qui m’ont marqué sont les films de fiction que assez désespéré, je pensais queje ne ferais jamais de cinéma, je
vous avez aimés vous-mémes, pas parce que je lisais les me suis dit: je vais faire quelque chose de trés simple,je vais
Cahiers, mais parce que je les aimais de moi-méme. Mon pre- faire un film sur les peintres naifs. Et j'ai inventé mon cinéma
mier projet de film était le résultat de mon séjoura Paris et de documentaire en évitant de me poser de vrais problémes. C'est
mon éducation parisienne en quelque sorte (des lectures, de une espéce de peur, peut-étre due au fait que les intellectucls
Mai 68, etc.) et je suis rentré en Suisse pour faire un premier suisscs sont en général des autodidactes et que nous aussi.
film avec de l'argent prété par des amis cinéastes, C’était un cinéastes suisses alémaniques sommes tous, sans exception,
film un peu straubien, maladroit, et je me suis rendu compte des autodidactes, Avec cette psychologie de l'autodidacte. cette
que, du fait de mon éloignement de la Suisse, du fait de ma envic de savoir... d’apprendre.
nouvelle éducation, jétais devenu doublement étranger a mon
pays. Ce film ne s’adressait 4 personne : non seulement juvats Cahiers... d expérimenter, de se votr avancer par svi-mtéme.
mal assimilé ma nouvelle expéricnce intellectuclle maisjc me Mais ily a ence moment en Suisse alémanique un film qui hat
suis rendu compte que cet apprentissage intellectuel parisien tous les records de recettes, un film comique. Tu as vice film,
ne me servail a ricn en Suisse. J*étais tellement choqué, non i provient de quelle tradition?
24 CINEMA SUISSE
Dindo, Oui, Les Faiscurs de Suisses. Alors la, il faut dire
deus choses... le sujet du film, c’est les naturalisations, les
étrangers qui veulent devenir suisses. Ce quil faut savoir, c’est
qu'on a toujours refoulé. nous cinéastes suisses alémaniques, le
fait qu'il y avait cu un cinéma suisse, qui produisait douze films
de fiction par an. des fois plus, avant et pendant la guerre, dont
la qualité était assez bonne. mais que nous n‘avons pas voulu
prendre en compte: ct quand nous avons commencé. ona tout
réinventé, et on a fit notre cinéma compléetement. économi-
quement et culturellement, en dehors des structures pos¢es a
cette Gpoque-la. C'etait fa un cinéma commercial. purfois de
bonne qualité, et nous avons fait notre cinéma de fagon arttr-
tisanale, en commengunt au point zéro, en niant ce cinéma,
Maintenant. a travers ce film, Les Fuiseurs de Suisses, et quel-
ques autres, on redécouvre une ancienne tradition. en méme
temps qu'on retombe dans toutes les limites et les aspects néga-
tifs de ce cinéma-la. Car if n'a pas notre volonte, issue de 68.
dupprofondir.. notre relation avec la Suisse, C’étaient en géne-
ral des films patriotiques. et nous avons évidemment une autre L'Exécution du traitre a fa patrie Ernest S. (Tournage, automne 75), de face le frére
dErnest S assis, de dos, R. Oindo
relation avec la notion de patrie. It faudrait développer un cer-
tain type de documentaires qui correspondraient mieux 4 la
réalité de la Suisse wlémanique. 4 sa culture et a son langage.
plutét que faire des films commerciaus qui. méme s‘ils permet-
tent de eréer des nouvelles structures de production, ne vont
pas plus loin que ce quia ¢té fail dans le passé ct qui nient, fina-
lement. acquis du cinéma documentaire. Evidemment, du
fait du succes méme des Faiyeurs de Suisses, tout le monde est
tenté de suivre cetle bréche, l'ancienne génération qui sent de
nouveau qu'il vy a de argent 4 gagner. et les vieux producteurs
qui se réveillent. car ils vivent toujours. :
Et puis, une autre raison qui m’a fuit préférer faire des films
documentuaires, c'est qu'on avait beaucoup de problémes tres
pratiques : parexemple il n’y a pas d’acteurs, chez nous, ou tres
peu: il ya unc langue que fondamentalement on n‘aime pas.
qui nous a toujours paralysé. choqué, qu’on ne peut pas écrire,
quilest difficile de faire parler aus gens. etc. Toutes ces raisons
ont lait que, objectivement, on était poussés a faire autre chose.
Et le danger. c’est qu’actuellement on retombe en arriére, on
perd l'acquis d’un certain cinéma documentaire, qui a quand
méme son intérét. ct on perd aussi toute volonté d’aller vers du
nouveau, vers autre chos¢ qui serait a la fois une continuation
de l'acquis documentaire et la recherche d'une fiction nou-
velle.

Cahiers. Tout @ Vheure, tu citais lvens, Bufuel et Dreyer...


mais Mune manicre générale, dans Uhistoire du cinéma, a de
ues rares exceptions pres, les documentaires Wont jamais eu de
succes public Des films comme Terre sans pain, les films de
Flaherty, aujourd hui on tes voit dans les cinématheques, dans Ernest S.
les musées, ils wont jamais contribueé a résoudre les probleémes
didentité, mais au contraire @ les rendre encore plus cruels, a
les exacerber. Est-ce que tu es conscient de ca, out Est-ce que it
veux néanmoins toucher, avec des filnis documentaires, de plus
en plus de gens:
Dindo. Ca peut paraitre arrogant, maisje ne me pose jamais
le probleme du public. II faut dire que nous avons distribué
nous-mémes nos films, nous avons créé nous-mémes notre cir-
cuit paralléle parce que Ies distributcurs refusaient de prendre
nos films, ce qui fait qu’on a beaucoup de contacts avec le
public: un film comme Ernest S. a été montré dans un certain
nombre de salles parce que la presse en avait beaucoup parle.
Et nous avons l’habitude, assez artisanale. d'accompagner les
films et de rencontrer le public : et mon premier public, c'est
les gens avec lesquelsje filme. Par exemple, dans Les Combat-
rants d' Espagne. c'est ceux que je filme.je voulais faire le film
pour cux. ou pour Ernest S$. Mon public c’est la famille S., en
quelque sorte. Je me pose toujours les problemes de cette
ENTRETIEN AVEC RICHARD DINDO 25
maniére, individualiste artisanale, je ne pense jamais a un j'ai aussi fait plusieurs films sur la pratique artistique propre-
public,je pense aux gens avec lesquels je fais le film par sym- ment dite. j'ai toujours aussi posé le probléme, en quelque
pathie. Pour moi, le cinéma documentaire c'est une manicre sorte, « du sujet dans Phistoire ». Pour moi, faire du cinéma,
de rencontrer les gens que j'avais envie de connaitre, et c'est etait ne pas intervenir. prendre les choses comme clles sont.
pour cux queje fais les films. Si eux s’y reconnaissent. pour moi ne rien ajouter (ce serait la définition que fait Engels du « maté-
le travail est fait et je passe 4 autre chose. Voila mon option, rialisme »). De Ja, les plans simples de ces « combuattants
et finalement nos films sont vus par pas mal de gens en Suisse, d' Espagne » : en les mettant dans unc image, on les met dans
parce que la télévision finit en général par les acheter. Un film «Histoire »..... I n’y a rien a ajouter, ce n'est pas au cinéaste
comme Ernest S. a eu un taux d’écoute de 20 %, ce qui n’est (ni a sa caméra) de faire croire 4 une présence qui n’aurait pas
pas mal. Je vois le public comme des gens précis, avec qui on de poids en face des autres. La ot il y a effacement du sujet-
a envie de discuter, des gens qu’on rencontre, et comme la cinéasic, il y a aussi effacement du sens. Les combattants
Suisse est un petit pays, c'est possible. Quand j'ai lu le récit de d’Espagne sont filmés comme s‘ils se photographiaient eux-
Meienberg qui a écrit le texte d’Erues: S., je me suis imaginé mémes, c’est fait comme avec une caméra Selbstiausldser. Ce
tout de suite une mére de famille. la mére de Ernest S. qui était que j'ai appris chez Straub ; tout ce qu'on n‘a pas le droit de
morte mais queje m‘imaginais derriére un rideau blanc... C’est faire, tout ce qui serait faux et artificiel. On n’apprend pas chez
d‘abord ¢a qui m‘a touche. Je me suis dit : il faut la filmer, mais lui comment faire du cinéma, mais comment ne pas faire cer-
de maniére a ce qu'on ne la reconnaisse pas, parce qu’elle aura tuines choses. C’est avant tout un enseignement de la rigueur.
sirement peur de se montrer, elle parte de son fils derri¢re un
rideau blane poussé par le vent, avec une voix tremblante, et ai Pimpression jusqu’a présent d’avoir fait des films en
hésitante : c’est comme cu que j'ai abordé ce film. A la fin, on attendant de me retrouver sujet dans ma propre pratique, et de
finit toujours par retomber sur l'appareil d’Etat, comme on commencer vraiment 4 travailler, ce qui fait que ce qui domine
l'on dit des critiques et on finit toujours par s’insurger contre mes films. et je vois ca aujourd"hui comme une énorme lacune.
lui, mais ce n'est pas le sujet de mes films. C’est ce qui définit comme une espéce de vide. c'est l’effacement du cinéaste. En
un peu le cinéma suisse alémanique, l'amour. la sympathic face des combattants d’Espagne.je suis la comme paralysé, une
pour les personnages, non des acteurs, mais des vrais hommes paralysie volontaire. introvertie, il ya une telle sympathie pour
et des vraies femmes de notre vécu. cux, une tetle volonté de les mettre devant la caméra. cn face
des autres, que le sujet cinéaste n'a plus besoin d’exister en face
deux. il n’est que Vorganisateur de leur rencontre avec les
Cahiers. Er tu nvas pas fe sentiment que le public qui voit le
autres. J'ai impression d’avoir fait des films pour revenir au
Jilm, on lui demande au lieu détre spectateur, détre le temoin
pays, moi, doublement étranger. d’une part de par mes origines
d'une certaine qualité de rapport entre toi ct tes objets-sujets?
italiennes, d'autre part de par mon passage a Paris qui m’avait
Finalement cest une conception tres morale, et ménie un peu
compléetement transformé intellectuellement: quand je pense
moraliste du cinéma quon trouve par exemple chez Godard ou
a la Suisse, j'ai impression qu'elle ne m‘a rien donne, rien
chez Srrauh,... Curieusement, une forme de narcissisme extre-
apporté sinon un apprentissage par le négatif. Un jour, je me
mement exigeant, quelque chose comme « regardez commie je
suis rendu compte que tous mes personnages avaicnt un cer-
me comporie bien avec eux !»,
lain dye. une soixantaine d’années ou plus,je n’avais jamais eu
Dindo, C'est peut-étre vrai. Les choses de la morale sont tou- conscience de cela, je crovais avoir fait mes films un peu par
jours ambigués. Ce que jaime dans le cinéma documentaire hasard, ct finalement, sans le savoir. javais été pendant tout ce
par rapport 4 un certain type de cinéma de fiction, commercial temps a la recherche de quelque chose de tres précis ct qu'un
ou autre. c'est qu'il y a toujours aussi une attitude morale. Je jour il fuudrait le nommer et aller plus loin dans cette direc-
parle ici d’une autre morale. Pour moi. le grand cinéaste exem- tion-la. Il y avait, a mon insu. un travail. sur ‘absence du pére
plaire, celui que j'aime le plus, c’est Ivens, parce que c'est un et actuellementje fais un film sur une figure de pére. consciem-
homme d’une intégrité absolue. et j'ai toujours cru que le ment. ct a travers lui je ressors tous ces problemes tcls que je
cinéma documentaire permettait mieux, du fait de son cété les ai découverts dans mes films en les regardant : le probleme
artisanal. de garder une morale « propre » en quelque sorte. Si de la mémoire du lieu. de la mémoire de la parole. de la
jaime quelqu’un comme Straub par exemple, c'est pour Ics mémoire du paysage, de la mémoire de gens disparus, de la
mémes raisons. C’est un homme d’une exigence unique qui n'a mémoire politique...
pas une morale comme les autres. C’est peut-étre narcissique.
C'est un film sur lécrivain Max Frisch (ou plutét une lecture
mais c’est en étant le plus exigeant avec soi-méme qu'on
de certains de ses textes) qui était pour moi pendant longtemps
apporte le plus aux autres.
le seul lien au pays, un homme queje connaissais, 4 travers son
écriture, tellement bien, queje m’étais dit : puisqu'il est suisse
Cahiers. On a vu hier ton film Des Suisses dans la guerre je suis suisse aussi. Ce sera une réflexion sur loutil documen-
d’Espagne : conunent choisis-t tes swets? On a Limpression taire et sur la fonction de l’intellectuel dans la société. a partir
que ce qui preside @ ton choix releve plus d'une probléematique de cet écrivain qui est en quelque sorte « le premier intellec-
ahistorien, Carchiviste, qui par ailleurs utiliserait le cinéma tue] » de notre pays. C'est en devenant « fils d’écrivain » queje
conune son instrument de travail, qui défricherait avec le me constituerai enfin « sujet-cinéaste »...
cinéma comme dauires avec un sivlo. L’urgence du travail
cinématographique serait secondaire par rapport @ Turgence
dune mise a jour de Uhistoire de la Suisse qui semblerait étre Cahiers. Quand tu dis tes « amis cinéastes », tu parles de
refoulée en Suisse meme: commie si tu voulais dire que la cinéastes suisse alémaniques, des gens comme Murer par
Suisse a une histoire propre, qivelle a vécu, comme tous les exemple?
autres pays d'Europe. des phénomeénes importants, la Guerre
d'Espagne (et les Brigades Internationales) ou le nazisme. la Dindo. Je parle toujours des suisses alémaniques. Murer,
trahison. Et dans tes films, les plans nous arrivent conime sus- oui. Je suis venu de Paris en Suisse en voulant faire du cinéma,
cités par cette exigence morale d’historien. javais un scénario sous le bras. ce scénario parisien, intellec-
tualiste dont j’ai parlé tout 4 l'heure. et j’avais envic de rencon-
Dindo. Nous nous considérons ellectivement un peu comme Irer un cinéaste suisse,je ne connaissuis personne:je lis le jour-
des ethnographes et des archéologues. En ce qui me concernc. nal le premier jour de mon uarrivée : il y avait unc photo de
CINEMA SUISSE

Des Suisses dans fa guerre civile espagnole

Murer. il animait une discussion publique dans une école, j'ai en Suisse, que cette idylle qui cache la violence; et en face de
trouvé son numéro de téléphone dans le Bottin. et Je méme cette absence, on voit sa famille d'une part, et le paysage
jour nous nous sommes rencontreés. et je lui ai parlé de mon d’autre part, il n’y a rien d’autre a montrer, et 4 partir de 1a il
expérience parisienne qui l‘a beaucoup intéressé et c’est a tra- met en route un mécanisme qui n’arréte pas de combler un
vers lui que j'ai rencontré les autres cinéastes suisses alémani- vide; c‘est ce mécanisme qui m’‘intéresse dans Ernest S, c'est
ques qui m’ont un peu plus tard donné de l’argent pour mon le déroulement, le tapis compresseur, le film n‘arréte pas de
premier film. Ce qui fait que jai impression d'avoir fait mon savancer au bord du goulfre. pour finalement lentement le
chemin avec les autres, dans une démarche spécifique du fait remplir comme pour mettre une couverture de neige par des-
de ma différence. mais dans un esprit de solidarité. avec sus la blessure.
Vimpression de participer a un effort de mise en place d’un
cinéma documentaire suisse.
Cahiers. Ce ‘est pas tout a fait ca, parce qu Gta fin de Ernest
S. aa un moment ott revient quelque chose de la rhétorique
Cahiers, in vovant tes dew films (Ernest 8. et Les Combat-
marxiste raditionnelle, une maniere de dire : oui, mais Ernest
tants d’Espagne) of a Fimpression que les gens qui parlent sont
S. ce nest qucun petit dans (Histoire, est-ce quill n'y avait pas
des anciens acieurs de quelque chose. des gens qui ont ce au
des responsables plus importants? Ca relativise quand méme
ceur d'un événement, et que tt les filmes comme des gens sini-
pas mal limage de Ernest S. qui, a la fin du film, devient un
ples. en essayant de faire réapparaitre leur passe glorieux, leur Jeune tepe quia été manipule par PHistoire, par tour le monde.
héroisme., le fait que eux-meémes se soient vécus comme dans er qui sert aussi ad amener la dénonciation finale. Cette rhéto-
une fiction, Ernest S. comine les gens des brigades sont des rique, ce nest pas ce quiil ya de mieux dans le film selon moi.
gens qui, par idéahsmre ou aveuglement, naiveté, se sont crus
comune dans une fiction: ils ont Ge tout saufles documentaris- Dindo. Tout a fait d’accord. C’est beaucoup venu de Meicn-
tes de leur vie. Ettot te viens, quarante ans apres, pour faire des berg qui cst co-auteur du film, quia écrit le livre a partir duquel
documentaires sur des gens qui ont vécu leur vie conume une le film s'est fait et le commentaire, et jétais d'accord, pas 4
fiction, Diott ce calme, cette sérénité, de part et d'aurre, cette cause du murxisme, mats par logique : on s‘est apercu en tra-
ahsence d‘hysterte... vaillant sur le film que cette idée selon laquelle Ernest S. était
un lampiste était tres répandue dans le peuple, mais sans que
Dindv. Ce sont des films sur une blessure, sur une absence, ga aille plus loin — il y a une certaine lacheté en Suisse. une
sur un vide; dans ma propre vie, la Guerre d'Espagne a tou-
manieére de ne pas aller au bout des chases. comme une médio-
jours é1é une blessure : fhabitais chez un oncle qui avait un crité. On s‘est dit si Ernest S. était un lampiste, qui sont les vrais
livre sur la Guerre d’Espagne dans sa bibliothéque et a partir coupables? Mais ce qui m’a intéressé d’abord c'est la famille S..
de lage de douze ansje lisais sans arrét ce livre et cela pendant el puis jessayais de me mettre au niveau du mouvement
des années, mais au débutje ne comprenais pus et jai toujours
ouvrier:je me suis dit. si ses fréres étaient de gauche, et lui non,
interrompu la lecture en route et un jourje Mai lu jusqu’a la
cela permet de comprendre beaucoup de choses.., et tout dé
détaite de la République et gaa été tellement douloureux que
suile on risque de tomber dans une rhétorique qui cache des
sai arrété et je ne Mai plus jamais relu. Pour moi la Guerre
choses plus importantes mais c’étail une ¢poque ou nous
dEspagne est unc blessure fictive.
étions assez dogmatiques...

Cahiers. Done fa. fe doctunentaire vient au moment ott la fic-


tion est blessée, ott elle est arrétee dans le temps... Cahiers.
La figure du traiire dans le mouvement ouvrier est
quelque chose de passionnant, il faudra un jour eu faire Uhis-
Dindo. Exact. Et la démarche par rapport a Emest S. est toire, Le marxisme a besoin de cette figure du traitre. elle va
semblable : ¢’est un film sur un homme qu'on ne peut plus une place. ily a toute une rhetorique depuis Marx mais surtout
montrer parce qu'il n’existe plus, qui a été meurtri. et on ¥ depuis Lénine... Et puis ily a aussi cette idée qu'on trouve chez
montre le paysage de lidylle car il n’va rien de plus meurtrier Brecht : on est traitre, dans le bon sens, a sa classe d'origine. On
ENTRETIEN AVEC RICHARD DINDO 27
est bourgeois ou petit-bourgeois et on devient. non pas prolé- battants d’Espagne, c’était une maniére de rencontrer les Suis
taire mais on se met sur les positions du proletariat: donc la ses avec lesquels j'avais envie de vivre et queje n’aurais jamais
trahison est aussi une figure positive. connus autrement, De méme Frisch, c'est un homme pour qui
je me serais Goupé une main il y a vingt ans pour le connaitre.
Dindo. Dans Ernest S. cette dimension presque mythologi-
faire un film un jour avec lui, c’est pour moi aujourd'hui dans
que de la trahison est abordée a travers son aspect le plus sim-
lu logique des choses. Le film sur Ics combattants d’Espagne.
ple le plus superiiciel : sil avait cu une conscience politique, je l’ai fait pour la génération de 68; savoir qu’il y a des gens en
il n’aurait pas trahi, Jes vrais traitres c'est les autres...
Suisse qui ont risqué leur vie contre les fascistes, ca les fait
Il y a quelque chose que je voulais ajouter par rapport 4 ce
aimer...
que nous disions tout a l'heure. Ce qui m’a complctement
paralysé, démoralisé, pendant des années, c’est le fait méme de
Cahiers. Ca fait aimer la Suis
revenir en Suisse; 4 [époque je rentrais en voiture ct chaque
fois le passage de Ia frontiére m’angoissait: on arrivait a Bale, Dindo. ... non, ca fait aimer un type de Suisses différents des
et je regardais les gens dans !a rue par la fenétre, et 4 chaque autres...
fois favais un choc terrible. J'ai perdu des années de ma vie a
me demander comment, moi. tel que j'étais.je pourrats lire du Cahiers. ... ta veux faire alliance avee les meilleurs Suixses?
cinéma pour ces gens-la...
Dindo, Je veux faire alliance avec les Suisses avec qui on
Cahiers. C'est lié au refs de la fiction. Quand tt vois ce pourrait construire un pays dans lequel! il vaudrait la peine de
public. tu nas pas envie de lui raconter une histoire, ut as envie vivre. A la limite il est faux de dire queje ne fais pas mes films
de lui faire la morale. Si les Américains sont aussi bons pour pour un public,je veux dire en faisant mes filmsje ne pense pas
raconter des histoures, c'est qutls wont pas ce probleme, que au publicje pense aux gens qui sont dans le film. a eux eta moi
ce probléme leur est méme incomprehensible. Eux, ils nauront ensemble. C’est aux gens qui sont dans le film queje le montre
jamais honte d'éve américains. au contraire c'est leur réve cn premier et quand ils sont contents j'ai Fimpression d’avoir
détre toujours plus américains parce qua Vorigine, ils ne le rempli mon contrat; s'il y a des gens en plus qui veulent le voir.
sont pas, C'est une position privilegiée. tant mieux. C'est comme des films de commande qu’on sc
commande 4 soi-méme.
Dindo, C'est tout a fait exact, quand Max Frisch dit: la
patrie ce n'est pas ou je suis né par hasard. la patrie c’est la rue Cahiers. Hs ont priorité, ils ont un droit de preemption sur le
ow je suis né, mais c'est aussi des ruelles a Rome ot j'ai vécu, film?
ou un port 4 New York ou une plage en Allemagne du Nord,
ou une ile en Gréce: c’est la-dessus que le film se fera, cn quel- Dindv. Quand on est a la recherche du pére, if est normal que
que sorte sur les pavsages de patrie, et sur le rapport de lintel- les personnages des films se constituent en famille. le public
lectuel suisse avec ses propres origines a travers son écriture. pour moi, cest une famille; la famille, comme lieu de recon-
naissunce, Un sujet se constitue de pur la reconnaissance au
Cahiers. Tu nas pas le sentiment que tes films sont des films sein de la famille, J’ai toujours travaillé la-dessus, inconsciem-
qui sont faits dans une partie du monde ot il n'y a plus de ment, ce n’est qu'avec le temps que je m’cn suis rendu compte.
guerre, mais ou ily ena eu, et quand tin'y a plus de guerre la Donc recherche du pére absent, mort depuis toujours, et cons-
Jiction « prend mal », Ce sont des films qui sont un peu dans titution d’une famille de rechange qu'on se choisit soi-méme.
le deuil de la guerre - les deux tiens ont la guerre commne toile c'est ca pour moi, le cinéma. Donc je me fous du public dans
de fond - et qui sont aussi dans laprés-coup d'un cinéma qui la mesure of le public ne peut pas étre ma famille, non seule-
pouvait coller a la guerre, un cinéma agressif, patriotique, d'un ment parce que je ne le connais pas, mais aussi parce qu'une
cinéma de défense; et quien ce sens il s'agit d'un cinéma spe- famille ne peut pas étre si nombreuse que ca. Le « grand
cifiquement ancré dans le centre de FEurope? public » sa n’existe pas, c'est des gens dans !e grand noir qu'on
ne connaitra jamais. Un goulfre.
Dindo. Les combattants d’Espagne, étaient tres touchés du
fait que quelqu’un veuille faire un film avec eux. Comme je
venais d'un pays qui ne m'avait rien donné, ot j‘étais double- Propos recueillis au magnétophone par Serge Daney et Serge
ment étranger, revenir en Suisse et faire un film sur les com- Toubiana

Filmographie de Richard Dindo.


1976. Die Erschiessung des Landesverraters Ernst S. (L’Exé-
1970. La Répérition (16 mm, 60 mn.) cution du traitre 4 la patrie Ernst S.) 16 mm, | h 39, Réalisa-
1971. Dialogue (16 mm, 45 mn.) tion: Richard Dindo. Scénario: R. Dindo et Niklaus Meien-
1972. Peinires natfs en Suisse alémanique orientale (16 mm, berg. Images: Rob Gnant, Robert Boner. Son: Beni Lehmann.
60 mn.) Montage: Georg Janett.
1973. Schweizer im Spanischen Burgerkrieg (Des Suisses dans 1976. Raimon: chansons contre la peur (16 mm, 52 mn.)
la guerre d’Espagne). 16 mm, 1h 27. Réalisation, scénario, 1977. Hans Staub, reporter photographe (146 mm. 45 mn.)
montage: Richard Dindo. Images: Rob Gnant. Son: Robert 1977. Clément Moreau, graveur utilttaire (16 mm, 50 mn.)
Boner. Extraits de Terre d'Espagne, de Joris Ivens. 1978-80. Journal I a Hl.

Les Cahiers ont déja parlé de L Exécution du traitre 4 la patrie ErnstS. dans leur numéro 290-291, page 50 (article de Sylvie
Pierre a l'occasion de la « Troisisme semaine des Cahiers » a Paris. Dans le numéro 304, Serge Toubiana a fait la critique
des Petites fugues (p. 57) et Louis Skorecki a rendu compte de Grauzone dans son texte sur le festival de Locarno (p. 30).
Les deux films de Richard Dindo sont disponibles chez « Hors-champ Diffusion », 28, rue du Faubourg du Temple a Paris.
Ceux de Murer devraient étre programmés, au début de l'année 1980 a la Porte de la Suisse, rue Scribe, a Paris.
CINEMA SUISSE

ENTRETIEN AVEC FREDI MURER

Cer entrenen a Gté réalisé avec la collaboration active de Georg Janet. On peut ici ouvrir unc parenthese, plus géné-
Richard Dindo (qui traduisait au fur et @ mesure ley propos, en rale. I] existait a 'époque une industrie cinématographique qui
aHemandou en suisse-alémanique, de Fredi M. Murer, et qui produisait encore quelques films, en 35 mm bien entendu, et
Autervient aussi dans fa discussion) etde Georg dane, montenr Fredi Murera été l'un des premiers 4 utiliser le 16 mm qui était
eto multi-technicien du cinéma suisse, dans lequel il travaille encore, cing ans avant, plus ou moins un jouet pour million-
depuis de nombreiuses années. Quily soient ici remerciés de naires. La carriére de Murer est un peu paralléle a l’introduc-
leur participation. tion du 16 mm et des facilités qu'il a apportées avec Jui.

Murer. Le cinéma queje faisais alors était fortement marqué


par la double influence dont je vous parlais, Flaherty et
Bufiuel. une influence largement inconsciente. Je m*étais en
Fredi M. Murer. Ma premiére grande rencontre avec Ic
quelque sorte trouvé des nouveaux péres, ce mélange d’ethno-
cinéma a été une exposition 4 Ziirich en 1959. Elle retraguit,
graphie et de recherche...
a l'aide de photos, de textes. et de projections de films. unc
bonne partic de l'histoire du cinéma. J’étais alors étudiant en
photographic dans cette méme école, celle qui organisait cette Cahiers. Mais n'est-ce pas vrai aussi de Grauzone? C'est
rétrospective. J‘avais 20 ans. j'ai découvert le cinéma queje ne une fable avec un réalisme photographique, tres appuye, allie
connaissais pas. cclui qui ne passatt pas dans les salles. Jai été aun cote surréel...
trés impressionné par deux cinéastes. Le premier, c’est Fla- Murer, Oui, c’est absolument vrai. Et trés conscient. Mon
herty, dont jai immeédiatement pensé queje pourrais me rap- précéedent film. un film sur les montagnards de cette Suisse cen-
procher un jour, a cause de cette sorte de simplicité qu'il a... trale dot je suis originaire, qui sont les habitants les plus
Venant de la photographie, je pensais que Flaherty s’y appa- anciens du pays. était un film documentaire/ethnographique.
rentail, avec quelque chose de dynamique en plus: if élail pres- réalisé au retour d’une sorte d'exil en Angleterre, suite a beau-
que seul, avee sa caméra., faisant un travail quasi-cthnographi- coup de frustrations. J’ai essayé. apres des recherches, d’instau-
que... Le second cinéaste dont jai eu la réveélation, c'est rer une dimension de misc en scéne 4 Ja fois avec les gens de
Bunucl. I] faut dire queje viens de la Suisse centrale, catholique la région et avec I"équipe technique. d‘impliquer les techni-
et profondément conservatrice et que, par mon éducation, je ciens dans le tournage. Avante film-la, j'ai filmé des amis, trés
me sentais proche de lui. de son surréalisme aussi. J'ai décide souvent. et pour m‘amuscr je Icur faisais jouer des rdles qui
ace moment-la que jallais faire du cinéma. A I’époque, de allaient a l'encontre de leur personnalité, par exempleje faisais
grands changements étaient en train de se passer dans le jouer le rdle de quelqu’un qui nétait pas du tout conscient
domaine culturel; musique, peinture. le « new american politiquement a un amt militant. Cela donnait aux films un
cinema » (des gens comme Shirley Clarke, Cassavetes) faisait aspect un peu familial. avec des allusions, des connexions
son apparition, ct le mouvement « underground » aussi. A qu'on comprenait sans doute mal si on n’appartenait pas 4 la
Knokke-le-Zoute, ou je présentais Chicorée. fai pu voir un famille, si on n’en faisait pas partie. Ou plutdt: ceux qui
film de Warhol qui durait toute une nuit. ca a été une expe- connaissaient ces rapports, ces connexions, trouvaient une
rience ¢motionnelle et physique trés profonde. En méme dimension de plus au film.
temps qu “ailleurs unc nouvelle époque commengait. en Suisse
célait Minverse: une époque venail de se terminer, Le cinéma Janell. Une précision au sujet du film sur les montagnards,
suisse, qui arrivait a sa fin, datait de la guerre et d’avant la qui devrait vous intéresser. Mis 4 part les interviews comme on
guerre. ¢’ctait un cinéma national et indépendant (la Suisse les pratique habituellement, des gens qui racontent des histoi-
était le seul pays indépendant d’Europe). Ce cinéma « du res, il y a des images qui montrent des gens en train d’écouter
pere » en quelque sorte, je te refusais, je pensais qu'il fallait sur un appareil l'enregistrement des interviews qu "ils viennent
faire quelque chose de nouveau. L’ancicen cinéma ¢tail forte- de donner, et qui en font une sorte de commentaire mimé, au
ment patriolique, avec une dimension de résistance envers les second degré. Ca se rapproche de cerlaines techniques vidéo,
cultures ¢trangéres, mais il copiait une symbolique étrangere. mais ga concerne l’écoute.
pour mieux la repousser; ca restait tres ambivalent. [ fallail
dépasser le cinéma traditionnel suisse, en inventer un autre, Afurer Une fois.je me trouvais a Londres. j'ai cu Pimpres-
pratiquement tout réinventer, J'ai commencé a lire des écrits sion que les esquimaux de Nanouk étaient aussi loin que les
de Poudovkine, ct mon premier film était un plagiat d°Eisens- montagnards de la Suisse centrale. Ca m’a poussé a rentrer,
tein en super 8. Apres, j'ai refusé violemment, d'une maniére pour faire enfin mon Nanouk a moi. Pour revenirau probléme
presque anarchiste. tout ce qui me rappelait une certaine tra- de faire des films avec ses amis, ai aussi fait, a mes debuts, un
dition cinématographique et dramaturgique. et jal fait des film sur un poéte et un autre sur un peintre'’, des amis a moi,
films purement selon mes sentiments. mes émotions. mon et favais construit des fictions autour d’eux, autour de leurs
intuition. Je cherchais 4 avoir des contacts, 4 travers ces films personnages. Cela donnait un duel, une rivalité entre eux et
que je Lvisais, avec des gens de chez nous qui penseraient un moi quant a la conduite du film. Et finalement. je me suis
peu de la méme lagon que mai. rendu compte avec ces gens qui sont plutét muets, sans lan-
ENTRETIEN AVEC FREDI MURER 29
gage, qui parlent peu, et que jai fait parler quand méme,je me
suis rendu compte a travers ce film ct a travers cux que dans
mes films j'avais toujours cherché des images et que moi, je
m'étais toujours tu,je m"étais toujours un peu caché derriére
la caméra.

Cahiers. Et dans Grauzone? On a Pimpression que utes un


pewle gardien chez qui Alfred s'endort, dans la forét, et aussi.
quelquefois, Alfred lui-méme.

Murer. A un moment donné Alfred, qui est un chasseur de


sons, qui fait le flic en enregistrant ce que disent les autres. et
qui a enregistré pour lui ce que raconte le type au mégaphone,
le « prophéte ». va se servir de ce discours, Mais il ne l'utilise
pas en tant que tel, il le découpe, il s’en sert, une fois découpé,
pour lui-méme et pour tous les gens de l"entreprise a qui il le
fait entendre. Ce que fait Alfred 4 cc moment-la avec ce dis-
cours de l‘autre. c’est un peu ce que j’ai 'impression d’avoir fait
Grauzone
tout au long du film. Alfred aussi ulilise des matériaux étran-
gers, le langage des autres. pour en faire autre chose. quelque
chose de lui-méme.

Cahiers. Si Grauzone est tn film trés travaillé (et cela vaut


auiant pour image que pour le son) je n'ai pas Vimpression
que fe avail sur le son, soit travaillé de la méme facon.

Murer. Jai travaillé beaucoup plus longuement le son que


l'image. D‘abord j'ai toul tourné en son synchrone. L'image
devait étre comme un documentaire de fiction, quelque chose
de bien observe... I] fallait que cette image, méme si on enlevait
la bande-son, putsse se présenter comme la description minu-
ticuse du week-end d'un couple. Pour la bande sonore. il ya
la partie radio et télévision, les sons des media, qui doit instau-
rer un climat, qui raconte une autre histoire paralléle, une his-
toire qui existe par elle-méme, ct j'ai voulu que ces gens détrui-
sent un peu histoire racontée par les images. ou tout au moins
qu‘ils tui donnent une autre dimension. Le son vient toujours
@une source précise et reconnaissable, ce deuxiéme son qui
raconte une autre histoire, il vient toujours de quelque part. Ce
qu'il faut dire, et qu’on ne sait pas forcément si l'on n’est pas
suisse allemand, et cela cxplique cn bonne partie les rires
appuyeés du public, c’est que les voix de radio et de télévision
sont toujours les voix originales, des voix que nous, on entend
tous les jours. J’ai fait un mixage extrémement compliqué, avec
douze bandes séparées, parce que je voulais 4 travers ce natu-
ralisme d’espace qui vient des images, garder toujours les sons
précis qui correspondent.

Cahiers, Pourtant le son, aussi travaillé qu'il soit. est plus


proche du « son standard » que Fimage, tres claborée, Un son
« travaillé » a peut-étre plus de mala se démarquer dun autre
qu'une image, meme si celle-ci est approximative, c'est plus
facile pour une image de se distinguer Mune autre.

Murer. Je ne sais pas. Dans Padre Padrone par exemple, il


y a quelque chose que j'aime beaucoup, c’est quand une voix
unique, par un effet d‘étrangeté, se transforme en un cheeur
enticr. Jaime beaucoup cela. Dans Grauzone j'ai un peu pris
comme référence la fameuse émission d‘Orson Welles sur les
muartiens, avec ce renfort d'authenticité que donne la radio:
plus on disait aux gens, « ne vous en faites pas, ce n’est qu'une
émission de radio, une fiction », ct plus les gens se méfiaient de
ces avertissements, de ces « corrections », de ces mises-au-
point de la radio. J'ai cherché 4 utiliser cette psychologie de
lauthentique. Si je prends une distance par rapport au natu-
ralisme Ge parle toujours du son). c’est sans doute davantage au
niveau de ce qui est dit, au niveau du contenu, qu’au niveau
de la qualité technique du son, de lenregistrement. Je ne pense
CINEMA SUISSE

Vision of a Blind Man, de Fredi Murer

pas que j'aurais pu aller plus loin dans la distanciation. Si domaine industriel ob l'on a plus de moyens pour l’expérimen-
Javais été plus loin. au niveau de la technique, le film serait tation, on a bien stir tendance 4 s’appuyer sur ce qui a toujours
devenu surréel ct incompréhensible. é1é fait... Moi, aprés mes cing premiers films. tous post-syn-
chronisés. et avant les films suivants, avant mon premier film
Dindo. Je veux ajouter quelque chose. Fredi est quelqu’un synchrone, jai fait un film expérimental, La Vision de
qui “un langage trés riche quand il parle en suisse-allemand. Fhomume aveugie. J'ai choisi la journée la plus longue, je me
c'est un tres bon conteur, ct stant toujours tu pendant toutes suis bandé les veux, j'ai installé une caméra sur mon épaule, un
ces années de cinéma, il avait finalement un peu envie de se Nagra autour du ventre, j'ai demandé a des amis de me choisir
défouler avec son langage, sur ce qu'il avait envie de dire ct de des lieux de lournage. vingt et un endroits différents. bien sar
formuler, et ca a peut-étre trop rempli. trop alourdi le film. sans me dire ot ca se trouvait. A quatre heures du matin ils
Murer. Grauzone est mon quatorziéme film, c'est la pre- sont arrivés chez moi, ils mont promen¢ ici et la, j'entendais
mitre fois que je parle moi-méme, que mon propre langage maisje ne voyais rien, et je me suis rapidement apercu que
apparait dans un film, que je mets mes propres phrases dans jientendais des choses que je n’aurais jamais entendues si
la bouche des autres, Avant, javais estorqué le langage des Javais pu voir. J'ai essayé de raconter sur magnétophone ce
autres. Mon prochain film se concentrera plus sur l’image,je tien- que je ressentais, ce que je voyais... non ce que jentenduais, le
drai la caméra moi-méme. il n'y aura pratiquement pas de sol sur lequel jétais, et ai essayé selon mes impressions sen-
paroles, ce sera pratiquement un film muet. avee sonorisation, sorielles de décrire le paysage. de décrire ce que j'aurais di voir
bruitage, musique, ce sera plutét un langage du geste et du si j'avais vu. Quand j’entendais des pas avec un écho,je disais
corps que j" essuierai de saisir avec les images. Dans Grauzene «tiens, c’est un tunnel»... Et apres j'ai fait des images pour
javais enviec de me décharger d'une sorte d’'accumulation de faire la preuve de mes descriptions sensorielles,je suis allé plus
langage... loin encore, utilisant la caméra comme une deuxieme téte en
quelque sorte, en sachant parfaitement comment fonctionne le
Dindo. C’est un probléme fondamental du cinéma suisse-
zoom ct le reste. par coeur. j'ai done cherche des images tout
alémanique. C'est pour nous une période de mutation: nous
en essayant de décrire ce que j‘étais en train de filmer. Vingt et
avons cnvie de mettre nous-mémes nos sujets en pratique et en
un tieux de tournage, de quatre heures du matin a neu! heures
questionct ceci. aprés une période de long mutisme. C'est un
du soir. Dans mon imagination, Ztrich est devenue une ville
probléme qui vient de trés loin et qui touche 4 notre maniére
complétement nouvelle ct étrangére, et quand j'ai vu le film je
de parler, de communiquer etc... Ca touche aussi au probléme
me suis rendu compte que le son était infiniment plus riche que
de la limite du'cinéma documentaire.
ces images. plutat plates que j'avais tournées en méme temps.
Murer. Par exemple. pour en revenir au son. dans Ie cas de Jen ai tiré quelques rétlexions: en ayant par exemple filmé
Skolimovski (The Shout), il est sir que ce type de recherche interview de quelqu’ un dontj’ ‘avais coupé la moitie du visage,
sonore risque de déboucher sur lartistique. Partificiel. ga ris- J'ai compris qu’on avait toujours tendance a idealiser la réalité
que de se renverser. Dans le cinéma, contrairement au avec une espéce de culluralisme photographique, on met en
Tournage de Grauzone. A droite, Fred: Murer, a la caméra Hans Liechti.

quelque sorte en ordre le monde. J‘ai compris qu'il fallait faire Cahiers. \Wais est-ce que ce nest pas le méme réflexe de tech-
des expériences, pour retrouver le sens tacite, tactile, des cho- nicien qicon trouve partout, en plus « propre» peut-étre, en
ses, de ce qu’on peut toucher avec la main, et qu'il fallait en plus soigné?
faire plus. Je n'ai malheureusement montré ce film qu’une
seule fois, if y avait un tel fond d’incompréhension de la part Janet. Iya certainement la une volonteé de « travailler pro-
des gens. peut-étre a cause de la mentalité suisse qui refuse tout pre», mais pas du tout dans des directions prédéterminées,
ce qui est expérimentation, nouveauté, qui est une mentalité plutdt dans des codes que l'on travaille chaque fois de nouveau.
trés traditionnaliste, En Allemagne. par exemple. vous n‘arriverez jamais 4 faire ce
que l'on_fait en Suisse, du fait que pratiquement tous les tech-
Cahiers. Done nites mis la place du spectateur de cinéma, niciens viennent de la télévision, et méme s'ils arrivent a
celui qui est dans le noir. Car le spectateur entend davantaxe oublier leurs codes-télé, ce n’est pas dit qu’ils arriveront a créer
un film qu iil ne le voit: sil peut fermer les yeux, il ne peut pas autre chose 4 la place... Tandis que nous, nous n’avons prati-
(il n’v pense jamais) se boucher les oreilles... Quant @ Grau- quement jamais travaillé sur des produits industrialisés, alors
zone, au lien détre Vhistoire d'un photographe qui passe @ la on y arrive.
mise en scene de films (c'est ton itinéraire), Cest Chistoire d'un Dindo. Une laut pas sous-estimer ce coté artisanal en Suisse,
écouteur de sons qui passe & la mise en scene des sons... amour du travail bien fait, if ya la une richesse... surtout dans
Afurer. Je ne m’en étais pas rendu compte, mais ¢’est vrai fe cinéma documentaire. Par exemple, a Paris j’ai été inter-
qu’il s’agit dun chasseurde sons et pas d'un chasseur d ‘images. viewé par des maoistes du groupe Foudre, et ils aiment beau-
Pour en revenir au son de Grauzone, j'ai travaillé avec des coup nos films documentaires suisse-alémaniques., [ls veulent
micros trés directionnels, avec la perche qui suit les gens de trés faire des films et ils étaient trés surpris de la qualité de nos films
prés, souvent avec deux micros parce quavec le Nagra 4 deux documentaires. Il y a ce cété la, chez Godard aussi. Je suis allé
pistes on peut faire au fur et 4 mesure de Ja prise du son un dans son studio récemment, et c'est un bricoleur, pas tres doué
mixage. probablement, mais il a une volonte... I] est passionné par ce
type de travail, par le personnage de Marcel (dans 6 fois 2) si
Dindv. C’est une technique que l'on emploie souvent en tu veux, c'est un coté peut-étre trés silisse...
Suisse. Les Suisses sont des artisans. ils ont l'amour du petit
travail bien fait, ils sont perfectionnistes, patients (pédants Afurer. Le perfectionnisme technique des Suisses a aussi des
aussi), et il est normal que nous, on travaille le son. Je ne suis limites. des revers. Souvent ga cache un manque de fantaisie,
un manque de créativité...
pas d’accord avec Murer, les Suisses sont des maitres du son,
il n’y a qu’a voir les documentaires suisse-alémaniques,.. Les Jane, On fait un cinéma @horloger. Méme les petits films.
techniciens ici sont des ultra-professionnels. Si Murer enregis- les petits produits, ils sont assez bien faits si l'on compare avec
trait un entretien avec le micro au beau milieu, avec un son ce qui se passe souvent dans le cinéma. Avec un film basé
non-directionnel, jamais ils n“accepteraient ca. essentiellement sur des interviews par exemple, sur le contenu
32 CINEMA SUISSE
de ce que disent les gens. si on ne parvient méme pas 4 piger
te son alors moi je m’emmerde... Ici, méme dans les films pas
chers, les films de débutants, on ie au moins d'arriver a ce
que ca soit compréhensible. Le risque est bien clui dont
parlait Fredi. nous avons a vivre avec cette contradiction, avec
le mal et fe bien, et chacun doit s‘en tirer a sa fagon...

A/urer. ly a une névrose nationale de l'ordre. de la proprete.


de la perfection, et j'aimerais bien, plus souvent. voir son
contraire au travail. Je me rappelle, a Zdrich, dune affiche qui
disait « Tenez la ville propre! », et c’était justement — la ville
est impeccable. tout est en ordre — c’était la seule chose, cette
affiche. qui venait casser cet ordre! Quand on va aux « Jour-
nées du cinéma suisse », ol on montre la production de
lannée. on a l'impression que les premiers films des jeunes
cinéastes sont d’ores et déja aussi parfuits, techniquement par-
lant, que nos quatriémes ou cinquiémes films 4 nous. C'est un Grauzone. de Fredi Murer
probléme national, peut-étre faudrait-il consciemment essayer
de le transgresser, d'aller ailleurs.

Janen. Ce que vous appelez en francais une « forme utile »,


dans le batiment par exemple, ce que vous appelez « fonction-
nel». en allemand et aussi chez nous on ne dit pas ca. on dit
«c'est bon, c’est la bonne forme»... avec toutes les connota-
tions quasiment religieuses ou éthiques. Dans le développce-
ment de Fenvironnement, dans lexpérience du Bauhaus alle-
mand qui a encore des répercussions aujourd hui, ¢’était car-
rément dit: la « bonne forme ». pas la « forme utile » comme
disent déja chez nous les Vaudois, les Romans.

Cahiers. Comment peut-on définir Grauzone?

Murer. Grauzone, Cest un « low-budget film». il a couté


450.000 francs suisses (soit un peu moins de 120 millions
anciens), c’est un «challenge » de faire un film avec si peu
d'argent. je pense d‘ailleurs qu'on ne devrait pas faire ici de
films qui codtent plus cher que ga...
Janent. Sur Grauzone Saimerais ajouter que lentreprise,
indépendamment du résultat, est en soi trés sympathique dans
la mesure ob pour une fois, et ca n'arrive malheureusement pas
souvent, surtout en Suisse alémanique, un réalisateur se lan-
cant dans une nouvelle aventure, sur une nouvelle voie, malgré
lexpérience quil a derriére lui (et faire un premier long
métrage est toujours une aventure), a su bien définir les limites
dans lesquelles il voulait se lancer. Moi je me meéfie des gens
qui, pour une aventure similaire, s’entourent d’une part d’une
équipe technique trop grande, d’autre part d'une distribution
ambiticuse. des gens qui des qu’ils savent qu‘ils vont réaliser un
film se mettent a chercher des acteurs qui ont un nom. qu‘ils
ne connaissent méme pas, et qui en plus. ont un budget tel qu’il
a des répercussions néfastes sur le tournage. Murer a su élimi-
ner ces dangers en écrivant une histoire dense et concentrée. en
utilisant le noir et le blanc, en évitant la trop grande entreprise
qu’en général on n‘arrive pas a maitriser.

Murer. Des gens ont critiqué mon film, ily le disaient trop
chargé. trop lourd, ils lui reprochaient de nécessiter une
deuxiéme vision. C'est une critique queje ne partage pas: dans
un orchestre symphonique on nentend pas chaque instru-
ment, il nest pas nécessaire d’étre en mesure 4 chaque instant
dentendre distinctement chaque instrument. J'ai parlé 4 des
gens qui avaient trés bien retenu des phrases entiéres du dia-
logue mais qui ne sc souvenaient pas bien des images. et inver-
sement...
Dindo, La je voudrais intervenir pour essayer de situer
Murer. Ila en quelque sorte un peu inventé le nouveau cinéma
ENTRETIEN AVEC FREDI MURER 33
suisse, il a été le premier 4 effectuer cette fuite en avant pour rience dans cette direction, une expérience riche d’enseigne-
inventer quelque chose de nouveau, et il s'est créé une espéce ments. Inversement,je n’avais pas non plus confiance en moi
de mythe autour de lui. Quand les gens vont voir ses films. ils dans la mesure ou je ne partais pas te langage du théatre, ce jar-
ne les voient pas comme les autres films, ils attendent de lui gon de la mise en scéne,je parlais plutét comme n‘importe qui
certaines choses, et ca lui crée des problémes dans la mesure ot avec eux... Les rapports affectifs dont les acteurs ont souvent
ila comme un contrat a remplir. A chaque nouveau film les besoin. cette demande d'amour. cette attente du pére, de ia
gens disent « tiens, ce n’est pas typique de Fredi Murer». Ca. figure du pére... je ne sais pas les donner.
ca le paralyse un peu.
Cahiers. Au début de Grauzone. ces plans des toits de la ville.
Cahiers. Erle cinéma suisse? Quels sont les rapports avec les cd me faisait penser @ Ozu, et puis ut fais ce long mouvement
autres cinéastes? de caméra pour te rapprocher de la fenétre d' Alfred, je me suis
dit: fa, Ozu aurait coupe. tf aurait « CConUMiIe » toul Ce MOU
Mfurer. Je connais Yves Yersin depuis longtemps. il a fait le
vement...
montage de Passage. Reusser et Tanner, on a commence 4 peu
pres en méme temps... Actuellementje fais un film 4 épisodes Murer. Ce que je voulais, c’était montrer lusine et le type
avec Tanner, Reusser. Yersin, Lyssy et Koerfer. [I existe une qui travaille hors de lusine. qui est comme extérieur au terri-
Association des Cinéastes Suisses, une espéce de syndicat. et on toire de lusine: il va chercher des sons a lintérieur, mais de
se voit souvent. on se montre nos films, on discute. Avec ce Vextérieur; il fallait montrer espace autour, espace qui va de
film a épisodes on a l'occasion de se voir encore plus. de parler Vusine jusqu’a la maison. Le commentaire du début explique
de la pratique du cinéma. Avant, on discutait surtout de pro- cela.
blemes techniques...
Cahiers. Que veut dire « Grauzone »?
Janet. ... et politiques, culturels, vis-a-vis de "Etat, com-
ment faire augmenter les crédits, les questions relatives aux Afurer. C’est la « zone grise ». cette zone intermédiaire, le
procédures de demandes de subvention. Ce sont des questions pays de nulle part, le vo man's land. C’est une image que je
qui prennent beaucoup de temps, qui sont plus ou moins donne de la Suisse. mais ¢a pourrait étre ailleurs. des gens ni
bureaucratiques. mais qui sont utiles, encore qu’elles n’aient tres riches. ni trés pauvres, entre les deux. C’est une couche tres
rien aaaa voir avec les discussions sur le travail de chacun, qui nombreuse de la population, c’est cette classe moyenne 1a,
ont licu chez nous dans des cercles plus restreints, entre amis. peut-étre plus quaillcurs, qui domine la civilisation sociale en
Pour la liaison avec la Suisse romande, le fait qu‘ils produisent Suisse. La société capilaliste fit tout pour satislaire ces gens-la,
selon d‘autres schémas, comme par exemple Tanner avec elle est presque unilatéralement construite selon les besoins de
Citel, et du tail de la séparation par les langues. une psycho- cette nouvelle classe moyenne. En Suisse, if n’y a jamais
logic un peu différente, tout cela rend ce genre de travail en dalternative réelle cntre deux idées opposées. mais toujours
commun un peu difficile. entre deux compromis, C'est toujours un compromis entre
deux compromis en quelque sorte. L’espace vital se rétrécit,
Cahiers. Reparlons de Grauzone, du travail avee les acteurs ators on a le choix entre le pire et le moins pire.
par exemple... Zone Grise, C'est le contraire de la dialectique. le contraire
de la lutte entre les contraires. En Suisse, tout se ressembie,
Murer. Avant, javais travaillé avec des gens que je connais c'est une métaphore de Pimprécis, des formes qui glissent Ics
bien. dontje connais les limites, les possibilités, J‘ai cru queje unes sur les autres sans vraiment devenir elles-mémes. Zone
pourrais faire ec méme travail avec des actcurs « lou¢s » en grise ne montre pas du lout image traditionnelle de la Suisse,
quelque sorte. Comme beaucoup de cinéastes, jai une relation il montre une Suisse future qui faute de place, construit et de
ambigué ct méme inexistante avec le thédtre. maisje croyais ce fait détruit cn méme temps son paysage. Ce pays pourrail
que je pourrais continuer, avec des acteurs. 4 avoir le méme devenir un modéle de ce qui attend peut-étre les autres socictés
type de relation. Je crois que je me suis lourdement trompé. post-capitalistes.
Les deux acteurs n’avaient aucune expérience du cinéma ou de Propos recueillis au magnétophone
la télévision, de plus ils avaient tendance, comme toujours les par Louis Skorecki
acteurs, a exagérer le « gestus ». et j’ai pratiquement di leur
désapprendre tout ce qu’ils avaient appris 4 I’école de theatre,
pour qu’ils deviennent plus naturels, quils n’en assent pas de 1. Ce peintre, Giger, va bientat faire parler de lui. IE est en effet Pauteur des
trop. Lacteur principal. celui qui joue Alfred. me disait: « Si costumes. maquettes et décors d"fien, le second film de Ridley Scott (le pre-
mier etait The Duellists)
je ne peux rien faire, ce n'est pas la peine queje sois la. tu peux
prendre n’importe qui dans la rue, tu n’as pas besoin d'un
acteur qui sorte d'une école de théatre ». Je voulais un peu for-
cer, upprofondir cette phrase de Renoir, «un film de fiction
avec des acicurs est aussi un documentaire sur ces acteurs », Filmographie de Fredi M. Murer
mais comme les réles n’étaient pas trés sympathiques je me
1962. Marcel (8 nun, 335 min.)
suis heurté a une résistance de leur part, j'ai cu des problémes
1965. Pazifik. — Oder die Zufriedenen. (16 mm, 60 min.)
duns mes rapports avec eux, des tensions, J’aurais aimé appro-
1966. Chicorce. (16 mit, 27 min.)
fondir mes rapports avec eux, sentimentalement, allective-
1966, Bernhard Luginbuehl (16 min, 23 min)
ment, mais du fait méme de cette résistance ga a été difficile.
1968. Vision ofa Blind Man. (16 mm, 60 mind
ils sont restés peut-élre un peu schématiques comme person-
1969, 2069 (an épisode de Swiss Made). (35 nun, 32 min)
nages...
1969. Sad-ts-Fiction. (16 mm, 43 min.)
1971. Passagen. (16 mim, 50 min.)
Cahiers. Le cote « documentaire sur les acteurs », ily est
1973. Christopher und Alexander. (16 mim, 46 min.)
dans le film...
1974. Wir Bergler in den Bergen sind eigentlich nicht schuld,
Murer. Ga s'est glissé dans le film, du fait de ce rapport que dass wir da sind. (16 man, 108 min)
Javais avec eux, mais pour moi ce n'est qu'une premiere expe- 1978. Grauzone.
CINEMA FRANCAIS

OU EST LA CRISE?

Une rumeur de plus en plus persistante circule dans le milieu cinématographique et trouve
un écho qui l'amplifie considérablement dans de nombreux relais mass médiatiques : elle se
résume a un « Vive le cinéma américian qui fictionne tous azimuts ! » (succés de Apocalypse
Now, de Alien, Veffet-Holocauste. etc) ct a un « Ras-le-bol du cinéma francais qui piétine dans
le récit, le genre littéraire. incapable de fictionner !... ».
D’ou lidée de cette table-ronde sur le cinéma francais, la crise des fictions, la crise écono-
mique.
Cette table ronde a une histoire : la rencontre entre nous — Luc Béraud. Eduardo de Gregorio,
Pascal Kané et Bertrand Van Effenterre : cinéastes, et Serge Toubiana : critique aux Cahiers -
sest faite a Cunnes, durant le dernier festival international du film. Son objet, sa cible journa-
listique : parler du Geune) cinéma frangais au moment (ct en plein centre d'un lieu) ov tout le
cinéma mondial s’affiche sur un écran féérique qui cache les profondes fissures qui lézardent
l'édifice cinématographique (CI. l'article « Festival, tribune, vitrine », Cahiers n° 302), au
moment of Cannes recompense deux superproductions (Apocalypse Now et Le Tambour) dont
on imagine mal qu’clles pourraient naitre du cinéma frangais.
Quelques semaines plus tard, chacun ayant lu le décryptage de cette discussion. il nous a sem-
blé important de revenir sur les questions de fond abordées la premiere fois, en essayant de
mieux structurer les axes d'une problématique. Une nouvelle discussion s’est organisée (a
laquelle s'est joint Serge Daney) d’ou ressortent Ies interventions qui suivent. Les axes de cette
problématique — que chacun aborde avec son angle de vue propre — sont les suivants :
1. Qu’en est-il des fictions dans le cinéma francais? Comment disposer opposition « cinéma
américain construit a partir de fictions/cinéma frangais travaillant le récit, ’écriture »? Quelle
est l'économie de cette différence-opposition, son historique, l‘avenir qu'on lui entrevoit?
2. A partir de la, comment situer le débat autcur/metteur en scéne? La notion d'auteur.
aujourd'hui généralisée, est-elle une catégoric inflationniste qui cache cette crise généralisée du
récit fictionnel dans le cinéma francais (ou européen)? La méme question, vue d'un autre angle :
est-il possible aujourd "hui de réexaminer la notion de mise en scene, en la réévaluant, au détri-
ment de celle d'auteur qui n’a plus son sens puisqu’elle mystifie le dispasitif symbolique — ct
son économie — de la création cinématographique (réle des scénaristes. des productcurs, des
acteurs, ctc).

3. Le réle de la télévision : sila télévision américaine, grace aux multiples docu-drames, feuil-
letons. qu'elle produit ev série (les serials) fournit au cinéma une matrice fictionnelle populaire
(rdte qui était celui de la série « B » dans le cinéma classique). sil existe entre le cinéma amé-
ricain et la télévision américaine une sorte de « trone commun » au niveau économique - uti-
lisation des mémes studios, systéme de relais ou de tremplins entres les acteurs, les producteurs,
les scénaristes ef les metteurs en scenes — ef au niveau du récit : comment raconter des histoires,
qu’en est-il de cette rclation en France? La télévision francaise (le fait qu'elle sc méfic des
auteurs de cinéma ct que ceux-ci soient rebutés a l’idée d’y travailler) n’est-clle pas responsable
de cette crise de 'imaginaire qui affecte le cinéma?
C'est autour de ccs axes que s'est organiséc. empiriquement, a batons rompus, cette tuble
ronde avec des cincastes francais. Ce sont des axes de travail qu’une revue comme les Cafiers
nest pas préte de quitter de sitdt. S. D. et S. T.
CINEMA FRANCAIS

TABLE RONDE
Crise des fictions Duney. J'ai eu tort d’assimiler récit et fiction. Effectivement,
le cinéma francais est un cinéma de récits, de récits d’expé-
rience: quelqu’un dit: il mest arrivé ceci, i! mest arrivé ca,
avec une voix off et des effets littéraires dans la bande-son. Le
cinéma de fiction. c'est disons Holocausie... On nous montre
Serge Daney. Tout le monde arrive a la conclusion sui- des choses comme si il n’y avail jamais eu personne pour en
vante : le cinéma francais est a la fois : pittoresque (par rapport rendre compte déja. Alors disons qu'il y aurait une crise des
aux U.S.A.), marginal. et en méme temps nivelé. Tout cela est récits et une libération des fictions.
un peu contradictoire. I] y a des raisons économiques, que l’on
peut décrire : on ne sait pas vendre le cinéma frangais 4 l’étran- Béraud . Quandje dis récit.je n’en parle pas du tout par rap-
ger. on n'est pas aidé par le systéme de distribution. etc. Et il port a des références littéraires mais par rapport a ce qu’est le
y a peut-étre des raisons plus profondes. Alorsje vous pose une récit, c’est-a-dire comment raconter quoi?
question que vous n’abordez pas dans votre premiére table
Daney. Eh bien, a la limite, un récit. c’est quelqu’un qui
ronde : est-ce qu’il n'y a pas une crise des récits, des histoires
récite!
que I’on raconte, des fictions? Est-ce qu’on peut dire a la fois
« on va résister » (disons, pour aller vite, son direct contre effet Béraud. Ah non,je ne crois pas...
« dolby ») et en méme temps vouloir té6ucher un public dont
on constate depuis quelque temps que. lorsqu’on lui raconte Danev , C’est toute une tradition Trangaise, chez Guitry déja.
des histoires avec un souffle épique. des fictions conradiennes chez Bresson, etc, La voix off dans la Nouvelle Vague, les pre-
4 la Coppola ou méme des vieilles science-fictions du genre miers films de Rohmer...
Alien, il marche. Et pas seulement parce que les films améri- Béraud . Quandje dis que le cinéma frangais est un cinéma
cains sont mieux distribués. mais parce qu'il y a un rapport du récitje veux dire par la que c’est un cinéma qui s*interroge
heureux a la fiction, au récit. qui semble étre préservé aux sur la fagon de raconter quelque chose alors que les fictions
U.S.A. et qui semble étre complétement en crise en France? Et américaines marchent toutes grosso modo de la méme facon.
cette question de la fiction qui, en ce moment, m’intéresse non seulement sur lidentification mais aussi sur la linéarité,
beaucoup, je la trouvais absente de cette table ronde. Et je méme si il y des flash-backs et d'autres choses comme ¢a. Elles
pense a une question subsidiaire : vouloir Videntification, c’est ne se posent jamais la question de savoir comment elles vont
en général ne pas vouloir de personnages contradictoires. Or. raconter. En France. comme il s’agit d’un cinéma beaucoup
tout le cinéma moderne que l'on a aimé (en tant que cinéphile plus ouvert sur la réalité et sur la société que le cinéma amé-
ou apprenti cinéaste) est un cinéma qui a démoll les fictions, ricain - contrairement a ce qu'on dit facilement-, la premiére
démonté, cassé, ou démultiplié Pidentification, et ce cinéma-la question que se pose l’auteur, c'est : comment moi je vais faire
aujourd'hui, d'un cété on I’a derriére nous, et on ne peut plus passer cette chose commune qui est notre regard sur notre civi-
le faire aussi bien que quelqu'un comme Godard Ia fait 4 un lisation.
moment donné. et de l'autre. on ne retrouve pas le plaisir de
.

raconter des histoires, le goiit de la fiction. Daney. Ma question est évidemment un peu trop générale.
Ce n’est pas seulement le cinéma frangais qui n’a plus de fic-
Luc Béraud. Effectivement, fe plaisir de la démolition, du tions, c'est peut-étre aussi toute la culture francaise, la France.
contre, du anti et ainsi de suite est quelque chose qui mainte- C’est pour ca que le récit, qui est peut-étre la forme littéraire.
nant n’a plus lieu d’étre puisque cela a déja été inventorié et francaise de la fiction, la forme ot la fiction est passée dans la
réussi. Mais la ou je ne suis pas d’accord avec ce que Daney voix de quelqu‘un, ga a triompheé avec la Nouvelle Vague...
vient de dire, c’est queje pense que le cinéma européen et sur-
tout le cinéma francais est un cinéma du récit, et qu’un de ses De Gregorio. Mais a ce moment-la, a quoi est-on
soucis principaux est d’interroger le récit. de lui trouver une condamné? A essayer d‘imiter le modéle de fiction aménicain?
forme, et quand tu parlais tout a l'heure de récit conradien a
Béraud . Est-ce que Hollywood s’est posé la question? Nous
propos de Coppola. d’accord, mais c’est ce qui fait qu’a l’inté-
qui arrivons aprés Godard et Bresson, qui se sont posé des
rieur méme de son film. il y a quelque chose de pas du tout
questions et les ont résolues d'une certaine fagon, on n’a
ameéricain : le trajet, qui vient du « Coeur des ténébres ».
aucune envie — ce ne serait pas trés honnéte — de repartir
Eduardo de Gregorio. Ce qui est curieux, c’est que moi j'ai comme si rien ne s‘était passé, alors que Hollywood ne s’est
entendu dire aux Etats-Unis que ce qui dérangeait les gens dans jamais posé cette question et continue...
Apocalypse Now, surtout les critiques, c’était la voix off, et les
Daney. Iln’y a pas vraiment eu de cinéma moderne en Amé-
gens étaient trés violemment contre. Ce serait peut-étre inté-
rique...
ressant de savoir pourquoi. Est-ce que c’est littéraire par rap-
port 4 une idée purement spectaculaire du cinéma, oti tout ce Béraud. Si, il ya des films influencés par le cinéma européen.
qui est introspection doit étre laissé de c6été? Je ne sais pas. par Resnais; Portrait d'une enfant déchue par exemple, il y a
Crest la qu'il y a un cété européen dans ce film et qui doit sans Welles, mais a part des choses extrémement ponctuelles,
doute géner. Mais le reste, les personnages, on ne peut pas dire comme ca. disons que le cinéma américain ne s’est pas beau-
qu‘ils ne soient pas américains,.. coup interrogé sur sa fagon de raconter ses histoires...
36 CINEMA FRANCAIS
Daney. Ila une fiction, c’est-a-dire une dérive. Et nous on a
bien des réponses, mais plus personne ne pose de questions.
Qu’est-ce qu’‘il faut faire ?
kan Effenterre. Je ne pense pas que l'on puisse généraliser
De Gregorio. Mais alors, qu’est-ce qu'il faut faire? comme ¢a. Si on prend les films américains qui arrivent en
France. puisqu’on voit le vingtiéme de la production au maxi-
Bertrand van Effenterre. Je crois que ce que dit Eduardo, mum. on retombe toujours sur les mémes. Tu cites Coppola et
c'est que nous sommes condamnés a imiter le modéle améri- c'est 4 peu prés tout ce que l'on pourra citer. La production
cain. américaine qui envahit la France, c'est plutét The Big Fix, le
dernier Schatzberg, ot il ne s'agit pas du tout de questions sans
. De Gregorio. Non, la tu exageres... réponse.
Fan Effemerre. Bon, fexagére, mais c'est une autre fagon de
poser fa question de Daney. Effectivement, je crois que la dif- Fiction, scénario
férence avec ce qui s’est passé jusqu’a present, c'est que le
modéle américain est maintenant le modéle qui a-réussi a Serge Toubiana, Il y a des scénarios. Des scénarios au sens
simplanter. Je commence a penser qu’il y a eu une influence le plus général du terme. Au sens oll scénario, c’est plus qu’un
des séries de télévision américaine a haute dose sur la percep- scénario de film, au sens ou un fantasme, c’est aussi un scéna-
tion du spectateur en France. Le modéle ameéricain est main- T10...
tenant completement intégré dans les mceurs du spectateur
francais. Ha tout bouffé, Je crois que c’est un probléme de De Gregorio. Ces scénarios vont au-dela du film, tu as raison.
récit-fiction. c’est 4 peu pres le nceud de la question. Je crois Je n’ai pas vu le China Svudrome. mais le scénario. la, c'est la
qu’on est devant une alternative : ou bien s’adapter
aux normes réalité américaine. Le film est en prise avec cette réalité, méme
ameéricaines, et la le probléme se pose en d’autres termes, c’est- sil est médiocre ou conventionnel,je ne sais pas, et tout ce qui
a-dire : est-ce qu'on en a les moyens. la capacité... se développe apres, 4 partir du film, c'est: comment ¢a peut
mobiliser une certaine tranche du public américain.
Daney. le désir...
Béraud. Tu veux dire que l’équivalent en France, ce serait
Fan Effenterre... Ou bien est-ce qu'il y a la place pour autre Boisset qui prend une réalité... une réalité policiére...
chose a c6té? Daney dit que c’est un probléme de culture natio- De Gregorio. Queje sache. le film sur Ben Barka n’a pas été
nale. comme Si cette culture s’était vidée de son sens, n’existait fait au moment de lassassinat. Il y a eu un décalage historique.
Plus. Le probléme ne se pose pas comme ga. Est-ce qu'elle a
encore les moyens de s‘exprimer par rapport a ce modéle amé- Béraud. Oui, mais Le Juge Favard a été fait un an apres, le
ricain omnivore ? Et c'est la ot peut-étre notre réle intervient. temps de mettre en branle la production. Effectivement,je n'ai
pas vu le Svadrome chinvis mais j'ai vu le film de Martin Ritt
Daney. En tout cas, cest une vraie question. Elle n’a pas du (Norma Rae) qui est un film que j’aime bien, qui est un film
tout de réponse, en tout cas, moi je n’en ai pas. Mais elle me qui pose des questions et qui a des réponses a apporter, qui sait
semblait manquer dans la premiére table ronde, on y parlait ou il va, etc. comme les films de Boisset. C’est-a-dire qu’ils font
beaucoup de choses techniques. comme le son direct, — ou de une lecture d'un phénoméne particulier en sachant trés bien
problémes de statut : « est-ce qu'on est des auteurs ou des met- quel sens ils veulent lui donner; il y a la quelque chose qui cor-
teurs en scene »? respond un peu a un certain état d'esprit dans lequel je suis
plongé, et je sais que pas mal de mes camarades y sont plongés
De Gregorio. Le désir de fiction... C'est peut-étre trés sub- aussi, c’est-a-dire essayer de trouver un sens ou au moins lais-
jectif aussi. Je ne nie pas la possibilité Paimer un cinéma qui ser planer un peu de sens sur la réalité que l'on pergoit. Non?
existerait en dehors de cet espace-la. qui est celui des fictions,
et qui me parait important. Je crois que javais quand méme Toubiana. Cest intéressant parce que quand on parle des
posé une question un peu idiote: ot sont les sujets dans le cinéastes américains, effectivement, on dit Coppola et puis,
cinéma frangais? bon, on n’en trouve pas d’autre. A mon avis. on peut rajouter
Scorsese. mais i] n’y en a pas beaucoup. I] y a un peu une
Daney. Moi je suis d’accord pour poser cette question de fonction de mythe du cinéma ameéricain, qui fait qu'il occupe
maniere idiote. te marché, les esprits, les fantasmes, le terrain, et que dés qu’on
essaie de le décrire. de dire qui. quel film. on cherche et on ne
Fan Effenterre. Ou sont les sujets? trouve pas grand chose: or ce ne serait pas faux de dire que le
cinéma américain n'est pas trés bon aujourd*hui.
De Gregorio. Qui. trés souventje me pose la question, pour
moi-méme aussi. De Gregorio. Ce nest pas un probleme de qualité.

Béraud. Oui mais si tu poses la question : ou sont les sujets, Toubiana. Donec c'est autre chose, ce n’est pas effectivement
ga veut dire aussi oU sont aussi les réponses? C’est-a-dire que la qualité d'un film, c’est la capacité d’une machine a mettre
en branle le public. les fantasmes, l'économie, les ouvriers du
poser une question. a laquelle le film va apporter une réponse.
cinéma. Et impression que l'on a d'ici. c’est que ¢a fonctionne.
en principe cela suppose une approche du monde qui prétend
détenir des clés ou, tout au moins, avoir des choses a dire. Je Daney. C'est partager avec un grand public des scénarios de
crois que nous, cinéastes européens, sommes plongés dans un simulation, comme China Syndrome, qui mont pas besoin
doute qui est peut-étre historique... d’étre trés raffings au niveau dune écriture de cinéma car ils
ont une autre vocation...
Daney. On na plus de questions. Coppola pose des ques-
tions. et il se moque bien de ne pas avoir de réponses a la fin Van Effenterre. Non.je ne crois pas; a la limite c"est un scoop
VApocalypse. journalistique. Il n*y aurait pas eu Three Mile Island. China
Syndrome peut-étre s‘écrasait. Les qualités intrinséques du
Béraud. Je ne pense pas qu'il ait des questions non plus. film ne sont pas trés...
OU EST LA CRISE?
ee
p

La Tortue sur fe dos, de Luc Béraud A droite: Virginie Thévenet et J.-F. Stevenin A gauche, au milieu, Luc Béraud

De Gregorio. Je ne parle pas de qualité... télévisuel trés fortement présent. A la télévision, dans //olv-
causte, par exemple, on ne perd pas de temps sur les relations
Van Effenterre. Ce qui peut nous fasciner et en méme temps
amoureuses du jeune couple, quand il en est question c'est
nous poser des questions, c'est essentiellement pour moi
absolument mauvais, cela ressemble a de la pub sur un couple
loccupation du terrain, et une occupation du terrain en pro- qui prend un plan d’épargne-logement. trés images d‘Epinal.
fondeur. Indépendamment de quelques phénoménes extraor-
Cette absence de sexualité est un syptome. au sens large du
dinaires du style Coppola, il y a une permanence du cinéma
terme, qui prouve que c’est un film (China Syndrome) fait pour
américain, une permanence d'un type de récit qui est un truc
passer a la télé trés vite aprés sa fabrication, et il aurait eu un
fondé sur un enchainement linéaire. primaire. d“une histoire...
formidable impact médiatique grace au canal télévisuel dont il
Danev. Ce sont des fictions. Au sens de feindre, faire sem- épouse fa rhétorique. Mais ila eu la chance de précéder de peu
blant. Quand on dit fiction, on dit aussitél que ¢a s‘oppose au lévénement de la centrale nucléaire...
rée] mais que ca s’en rapproche de trés trés prés, par exemple
China Syndrome. Mais ca me parait trés logique dans un pays Daney. C’est toujours plus facile de s ‘identifier 4 un person-
ou le mode de gouvernement consiste a faire des scénarios de nage qui n’a pas de sexualité, qui n’a pas de rapports au désir.
simulation politique sur le reste du monde. L°Amérique crée Des qu'un personnage est par exemple pris dans le désir, c’est
des fictions pour le reste du monde, des fictions politiques. dur de s‘identificr 4 lui. On le voit bien chez Pialat, c’est dur
Pour des raisons politiques et culturelles évidentes, ce n’est de s*identifier dans ses films, c’est limite. Mais j‘aimerais reve-
plus du tout la fonction d'un cinéaste européen de simuler des nir a cette hésitation que j'ai pergue en lisant la transcription
comportements (« si eux font ga. nous on fait ¢a »). Les Amé- de la table ronde : est-ce qu’on est des auteurs, point a la ligne?
ricains, jouent aux échecs avec le reste du monde, donc ils Ou est-ce qu’il y aurait une commande imaginaire a laquelle
créent des fictions, et il semble que leur cinéma, via la télévi- on aurait envie de se soumettre, mais qui n’existe pas? Ou est-
sion, est en train d'étre synchrone avec ces fictions, que la bou- ce qu'on va faire comme Hollywood. sauf qu'on ne peul pas ou
cle se boucle. Et nous, on est un peu paumés par rapport 4 ¢a. qu’on ne veul pas le faire? Ca semblait refléter une sorte de
matheur dans la recherche de son identité de cinéaste. Et c'est
Toubiana. Je pense que le fait que la télévision fonctionne ca qui me frappe le plus, indépendamment des dillerences
en permanence sur des « serials », et que ces « scrials » sont entre vous.
vus. diffusés a I'étranger, en Amérique Latine, en Europe, c’est
¢a qui deéfinit la base, le point d’appui de tout le cinéma amé- Alors la, on a envie de demandera Bertrand ce qu'il veut dire
ricain. Cest la que ca invente, en fait... quand il affirme qu’il faut résister. Ce que ca veut dire, concré-
tement, comme horizon ; « cinéma de résistance », Ou deman-
Van Effenterre. Oui, c'est offre, maintenant, qui crée la der a Eduardo ce que ga veut dire de renoncer au statul
demande par le canal de la télévision. A force de balancer des d'auteur pour se revendiquer simplement comme metteur en
« serials », les gens demandent ca, méme au cinéma. Le prin- scéne, c’est-a-dire de se limiter soi-méme. Ou demande a Pas-
cipe de China Syndrome, c’est exactement fait, au niveau du cal comment il voit la télévision par rapport au cinéma, com-
filmage, comme une série américaine. Moi ca me faisait penser ment elle change le statut du cinéma. Chacun semble avoir un
aux séries du genre Les Ruey de San Francisco. Cest la méme début de solution pour continuer a travailler...
facon de filmer. Chaque série est faite par un type différent en
fonction de ses disponibilités et en fonction de ses capacités a Béraud. Moi je serais plutdt de avis de Bertrand, c’est-a-
faire ca de mieux en mieux et de plus en plus vite. dire de la résistance. Tu vas nous parler de Videntité culturelle
et de tout Ga, maisje crois que c’est notre seul point d’attache
Toubiana. Ce qui m’a frappé dans China Syndrome, c'est et que c'est en revendiquant cela que !’on a peut-étre des chan-
que c'est un film qui ne laisse aucune place a l"érotisme ou a ces de devenir compétitifs par rapport aux autres. De toutes
toute forme, méme banale, de sexualité. C'est un film qui ne fagons, c’est la seule chose, la seule pratique qui me permet de
perd pas de temps a décrire des attitudes psychologiques, des ne pas trop changer de peau entre ma vie quotidienne et le
poches de relation amoureuse ou ambigué entre Jane Fonda et moment ou je me mets au boulot. Il y a des gens en France qui
Michael Douglas. C’est sur ce point que j'ai percu le modeéle visent le modéle américain. Je pense a Verneuil ou méme a
38 CINEMA FRANCAIS
Zidi. Des gens qui visent la fiction pure. Je suppose qu’'ils doi- Jopposais ca au terme d’auteur parce que le terme d’auteur me
vent, lorsqu’ils descendent de l’'autobus ou referment leur jour- paraissait incapable aujourd’hui d’exprimer cette différence
nal pour entrer dans le studio, changer de peau, qu'il doit se dans la mesure ou tout le monde se revendique comme auteur
passer quelque chose, une métamorphose, parce qu’il n'est pas sur le marché frangais ou parisien. Tout le probléme, c’est
possible de faire les films qu’ils font et, en sortant du studio, de comment, 4 partir de la revendication de cette différence, arri-
voir ce quils voient. Moi, personnellement, j'ai impression ver quand méme a un public, 4 un public qui est par ailleurs
qu’entre les films que j’essaie de faire et la vie queje mene, c'est bombardé par cet autre cinéma queje refuse. Je crois qu'il ya
la méme chose. avec simplement un filtre de récit fictionnel. la une contradiction essentielle dans laquelle on devrait étre
pris. Au moment ou tu veux arriver a un public, tu te poses le
probléme du sujet, forcément. Tu te poses justement le pro-
Tout le monde fait des films d’auteur bléme des fictions. Est-ce qu'il faut faire fictionner le specta-
teur? Est-qu‘on peut?
Pascal Kané. J'ai relu la table ronde, et je me suis rendu
compte qu’il y avait un malentendu sur le débat que l'on avait Kane. Je suis d’accord avec tout ce que tu viens de dire. La
entre le théme de I’« identité culturelle » qu'amenait Bertrand. question que j'aimerais te poser, c'est que lorsque tu dis que tu
qui est un théme incontournable, et celui de «la mise en aimerais te siluer contre ce « cinéma filmé » qui est le cinéma
scéne » dont Eduardo et moi parlions. Il me semble, cflective- que les gens voient, est-ce que tu as l"impression que c'est un
ment que cela peut préter a malentendu, et on devrait. en tout probléme de sujets?
cas a la lecture de la premiére mouture, donner raison 4 Van De Gregorio. C'est aussi un probleme de sujets, mais cest
Effenterre sur le fond. C’est méme une évidence. aussi le probléme du comment c'est fabriqué. Les deux choses
sont peut-étre imbriquées maisje ne pourrais pas définir cette
I! me semblait vouloir dire qu'on ne peut plus se battre sur imbrication. A mon avis. elle existe a plusieurs niveaux.
le terrain : on fait des filnis d'auteur contre des films commer-
ciaux. Tout le monde fait des films d'auteur, aujourd’hui. Kane, Ce qu’on disait a Cannes, c'est que c’était le rapport
d'une certaine facon. ou ils sont tous appelés et catalogués cinéma-télévision qui était en jeu. Parler de mise en scéne,
«auteur». C’est dans la fagon dont l’auteur passe dans le film, c’était se situer contre le filmage télévisucl du cinéma. C'est en
la fagon dont il sy investit, qu'il y a des diflérences. Alors que ce sens queje comprends I’expression « cinéma filmé »: quand
la Nouvelle Vague amenait des sujets différents (les auteurs se la télévision enregistre le cinéma. C’était jouer le cinéma
démarquaient aussi en ce que leurs sujets étaient différents), contre la télévision, Le cinéma d’aujourd "hui devenant juste-
aujourd'hui, je ne suis pas stir que les sujets soient différents. ment minoritaire contre la télévision, méme s‘il peut devenir
Peut-étre que le point de vue change mais les sujets, pas telle- tres puissant quand c’est Coppola qui filme la place de la télé-
ment. Et c’était pour essayer de trouver un autre espace de défi- vision, qui se substitue a tout l'appareil télévisuel.
nition aux auteurs qu'Eduardo et moi. pas obligatoirement
dans le méme sens, on parlait de mise en scéne. Mais, proba-
blement,-la définition de mise en scéne ne doit pas étre suffi- Cinéma de scénario contre cinéma de mise en scene ?
sante. [! faudrait l"expliquer autrement. Enfin, j'ai impression
que ce n'est pas tellement dans le sujet que ca se passe. |’apport De Grégorio. Oui, c’est sans doute la télé qui est a la base de
du cinéaste. cet aplatissement. Pour moi le probleme se pose ainsi : com-
ment réconcilicr un cinéma de scénario et un cinéma de mise
Van Effenierre. Je suis assez d’accord avec toi dans la mesure en scene? Et le terme « auteur» me parait la compléetement
oul j'ai impression que les deux choses se passent effective- inopérant.
ment a deux moments différents, Pour moi. c’était une appro-
che générale, une espéce de constatation; devant le laminage Daney. Parce qu'un auteur. dans le sens plein du terme, c'est
américain, est-ce qu'il y a encore une place pour quelque chose quelqu’un pour qui c’est indissociable. Le cinéma francais qui
de différent’ ? Effectivement, a un autre niveau. a un niveau pra- a toujours été un cinéma d’auteur, majorilairement. ca tou-
tique, se pose le probléme d'une approche différente, d'une jours é1é plulét: « concu, écrit et réalisé par... ». comme les
conception. A la limite, c’est de savoir pourquoi on se pose en films de Guitry que je voyais étant yosse. C'est encore vrai
lant que cinéaste qui est important. Par exemple, si tu lis aujourd’hui. C'est un cinéma qui a toujours ¢té hexagonal,
l'interview de Martin Ritt Ge ne sais plus dans quelle revue), minoritaire et difficilement exportable. Ca ne date pas dhier.
tu te rends compte qu’i! ne se place pas du tout de la méme De Gregorio. En méme temps, if y avait un cinéma de sceé-
facon que nous. Lui, effectivement, son probleme c'est de fabri- narisles, ¢a existe et ca a toujours existe.
quer, comment faire fonctionner le mieux possible avec une
« idéc-bloc » sur laquelle il a écrit son scénario et qui avance Danev. Oui mais pas tres bon... Prévert... L’dage d’or de
comme ga. Il ne pose pas son travail en termes de responsabi- lentre-deux guerres mais si on prend toute lhistoire du
lité sociale, cc que font en général les cinéastes curopéens. cinéma, du début jusqu’a maintenant. a part /époque du Front
Populaire ct trois ou quatre scénaristes. le cinéma francais, du
Kané, Oui, mais alors si le mot de mise en scéne n’était pas moins celui auquel nous nous sommes rélérés et qui nousa fait
suffisant, de méme, parler de l’identité culturelle. ne lest pas ce qu’on cst, c’est un cinéma d'auteur, dans le sens arrogant et
non plus. Parce qu'une identité culturelle, ca peut recouvrir litteraire du terme.
beaucoup de choses, une politique de sujets trés précisément.
Actucllement, ce n'est pas derriére la banniére de nouveaux De Gregorio. Oui, mais le mot auteur, aujourd “hui, n'a plus
sujets que l’on peut se poser en « autres » du cinéma dominant. du tout la méme valeur. Dans les années cinquante, ¢a avait
une valeur de rupture. Aujourd’hui, c’est dans ce sens-la que
De Gregorio. Vai le sentiment. comme ¢a, qu “ity a une tu es contre le cinéma d’auteur. contre l’expression « cinéma
contradiction absolue. Pour moi, « mise en scene », c'est poser d’auteur».
un certain cinéma que je vois aujourd’hui et qui n'est pas du
cinéma ou qui est, pour reprendre le mot de Biette du « cinéma Béraud. Ecoutez, le film de Losey. Don Juan, cest le type
filmé ». C’était établir, proposer un droit a la difference: dire méme du film de commande. D’ailleurs, l'autre jour, on nous
justement « on a le droit d’étre différents » et on le revendique. a dit « te film de Gaumont ».
OU EST LA CRISE?

Dore et fa fanterne magique. A guahce’ Valérie Mairesse. A droite, au milieu, Pascal Kané

Van Effenterre. Le film de Mozart! Ce que tu définis en Daney. Ce que tu décris la, est-ce que ce n'est pas l’échec
disant qu’il faudrait concilier la mise en scéne et le scénario. cu d'un type de producteurs ni chair ni poisson qui voulaient a la
pourrail étre recouvert par un terme qui serait Vevigence. fois jouer la carte des auteurs parce qu’eux-mémes respectaient
et admiraient ces auteurs (comme Tchalgadjieff par rapport 4
De Gregorio. Oui, mais cest un terme moral. Bresson. qui l’a ruiné) et qui avaient aussi leur orgueil. qui vou-
Van Effenterre. C’est pour ca que tout a Vheure je parlais de laient impuser feur marque, mais sans aller jusqu’au bout?
responsabilité carje crois que c’est la-dessus que lon débouche Parce que les producteurs auxquelsje pense, ce sont plutdt les
en definitive. anciens producteurs améericains, les dinosaures qui n’avaient
aucun respect pour les metteurs en scéne qu’ils faisaient tra-
Dane. Vous ne pensez pas qu'il y a des raisons profondes vailler.
qui font que, quelle que soit l'exigence dont tu parties, c'est
objectivement difficile aujourd’hui en France d’étre a la fois Béraud. On aga en France, c'est Alain Poiré a la Gaumont
quelqu’un qui est l'auteur de ce qu'il fait, qui « écrit » avec sa qui est un dinosaure. J'ai eu l'occasion de travailler comme
mise en scéne el qui en méme temps est capable de susciter, de assistant sur un film de Poiré : il a son droit de veto sur le cas-
se laisser mener par des fictions la ow elles naissent, c’est-a-dire ling, il intervient relativement peu au stade du scénario mais
4 fleur de peau et partout dans le corps social. C’est de 14 que il choisit les scénaristes, les sujets et ainsi de suite; c'est un pro-
jétais parti. Pour moi, quand tu parles d’exigence, il ya quand ducteur a l’américaine, mais regardez le produit que ga donne !
méme un cdoté voru pieux... Kane. Cela dit. est-ce que ce n'est pas aussi l’échec de cette
Kane, Le cinéma d'auteur contredit complétement le conception de ‘auteur ou entre une dimension complétement
schéma américain dont on parlait au sujet de la fabrication paranofaque et morbide que ton film (La Tortue sur le dos)
dun film comme China Svadrome qui est un film de produc- montre d'une facon précise. Car c’est vraiment le sujet de ton
teur. film,je trouve, ce rapport presque maladifa l'idée et a la notion
d'auteur.
Béraud. Est-ce que n’intervient pas 4 ce moment-la un fac-
teur économique précis, a savoir le fait qu’on n‘arrive pas a Béeraud. Oui, c'est vrai mais je pense aussi que cela est da,
faire de films? Pour quelqu’un qui n’a pas de box-office person- c’est ce que j’essayais de dire tout 4 Mheure, 4 un probléme éco-
nel. mener & bien un projet va lui prendre deux. trois, quatre nomique. Je trouve que les gens qui tournent beaucoup se
ou cing ans. Il est donc obligé de se transformer en marketing posent moins le probléme. Un type comme Boisset, qui n'a pas
personnel, obligé d’cxacerber tout ce qui va le diflérencier de trop de problémes 4 faire des films, ne se pose plus les problé-
lautre. mes d’autcur, il a des problémes d’actualité, des problémes de
sujets,

Les producteurs

Kane. Mais en méme temps, i] veut étre un auteur. C’est-a- L’expérience Duval ?
dire qu’ici il n‘y a personne qui ait la pulsion de dire : je veux
étre producteur, je veux imposer ma marque comme produc- Toubiana, Et Vexpérience de Duval, comment la voyez
teur, comme l'impose de facon trés forte Michael Douglas, On vous?
ne parle que de Michael Douglas dans le film; fe réalisateur,
on n’en parle pas. Or, chez nous cette pulsion passe unique- Beraud. C’est un auteur quia du bol, non? Tu parles de La
ment a travers l’élément de la culture : je suis un auteur. Dérobade?
Béraud : Les deux ou trois producteurs qui existaient (je dis Toubiana. De la petite carriére qu'il fait et quia l'air de pas
qui existaient parce qu’ils sont tous en faillite actuellement), mal se monter. Il y a un producteur, la.
cest Jean-Serge Breton, c'est Hubert Niogret et d'autres
Béeraud. Je Wai pas vu La Dérohade mais j'ai Vimpression
comme Stéphane Tchalgadjieff, dont le mérite n’était pas
que c’est un auteur qui a de la chance, cest l'un de nous qui
d'imprimer leur marque sur le film mais au contraire - (méme
aurait eu du bol.
si Ga revient au méme) — d'essayer d’exacerber lidentité du
metteur en scéne qu'il appréciait. Toubiana, Mais en méme temps, ce n’est pas un sujet de lui,
40 CINEMA FRANCAIS
c'est un sujct de producteur, un best-seller. C’est done un film De Gregorio, Cest done un producteur plutét dans le sens
de producteur qui choisit le metteur en scéne. traditionne! du mot, comme il en existait avant.
Béraud. Absolument, d’ailleurs il y avait plusieurs person- Kané, Comme il en existe encore. a la limite. aux Etats-Unis.
nes sur fa liste. Juimerais revenir a ce qu’Eduardo semblait dire quand il par-
lait de retour a la mise en scéne. J’avais compris ca un peu dans
Toubiana. Cest donc une expérience heureuse de metteur ce sens: a ’intéricur d'un espace qui m’est donné, mon espace
en scene... 4 moi sera la mise en scéne. En gros. ce que j'avais compris,
c'est que tu revendiquais un peu la liberté de Douglas Sirk
Béraud. Attends de voir... quand il avait un contrat de sept ans avec la Columbia et qu'il
Toubiana. Non, non, je ne parle pas du contenu. avait le droit de refuser deux fois un sujet par cxemple; mais
ca n’avait aucune espéce d'importance puisque. de toutes
Kané. Crest basé sur La Denrelliére, si tu veux. fagons, son territoire, c’était la mise en scéne et que, finalement
il acceptait le premier scénario qu'on lui donnait car cétait
Touhiana. Je pense aussi a Leterrier et a son film, Ke voir
toujours le support d'un autre travail. Je caricature un petit
maman, papa travaille ; C’était un livre de Frangoise Dorin, peu, mais c’est ga que j'avais compris de ton intervention.
une productrice avait acheté les droits, et devait choisir un
metteur en scéne: lui, pas lui. non lui va mettre en scéne. et De Gregorio. Non, non, ce Métait pas Ga el je crois que j'ai
puis. bon, le film fait quatre cent mille entrées. Ce sont des précisé avant cc que jentendais par mise en scéne par rapport
eapericnces qui existent dans le cinéma frangais, a autcur. A mon avis. ce qui va se passer en France. c’est qu'il
y aura quand méme des producteurs a la recherche de bou-
Kané. Ce que tu dis rentre duns la catégorie des producteurs
quins, el de gens pour les adapter: les autres. les films qui com-
qui ont un sujet et qui ensuite vont se cacher derriére Vimage
mencent a partir de quelqu‘un qui cst auteur deviendront
de marque du metteur en scéne pour le sortir. minoritaires. malheureusement. A ce moment-la Ic probleme
Toubiana. A monavis, c'est Pimage de marque du « package se pose: comment faut-il réagir par rapport a ca. $i on accepte
deal ». ce n'est pas l'image de marque de Duval. de rester, si on accepte cet espace-li et si on est accepté dans
eet espace-la. Quelle tactique adopter pour nc pas faire du
Kané, En Amérique, ¢a ne se passerait pas comme ¢a, au «cinéma filmé»? Je m’exprime peut-étre en des termes trop
contraire, on joucrait 4 mort le sujet. vastes ou trop génériques, mais j'ai l'impression que c’est ce
Béraud. Qui, dans la rue, sait qui est Daniel Duval? Per- vers quoi on va. Il faut se cramponner. Je vais continuer a faire
sonne. des films. Je trouve ca formidable, mais il y aura de moins en
moins de possibilités pour les faire. Parce que si le cinéma
De Gregorio. Un jour, j'ai fait une expérience, j'ai fait un d'auteur existait en France, c’est parce que « l"avance sur recet-
pari : qui connait le nom d’André Téchiné dans la rue? Je suis tes » existait aussi. Je dis le cinéma d’auteur tel qu’on lenten-
allé un samedi soir sur le boulevard Montpamasse pour dait dans les dix derniéres années. Ce sont des vérités de base.
demander aux gens. Personne. C'est intéressant de savoir ¢a.
Les gens, ce qu'ils connaissent, c’est le nom de Fellini. Béraud. Tu penses que lon peut continuera faire des films.
Mais comment?
Toubiana. Juste pour finir la-dessus. Je n'ai pas vu le film de
* Duval mais j‘ai vu l'affiche. Cest un film qui sort avec Pimage De Gregorio. At’ mais j’en sais rien (rires). Je pense qu'il y
que le cinéma lrangais, au vu de ce film, se porte bien, qu'il aura un espace plus traditionnel. qu'on reviendra vers des for-
nest pas malade et qu'il n’a pas beoin de Amérique : un best- mules plus traditionnelles. Que Daniel Duval ait cu du pot
seller, une star. (enfin une star francaise, pas plus) un metleur pour faire un film qui marchera peut-étre, soit, mais cette offre
en scéne qui a fait ses prcuves avant, puis un producteur qui du producteur ne me parait pas exceptionnelle.
au départ a du fric et quia confiance. Je pensais au Leterrier, Beéraud. Je crois qu'on oublie un phénomene trés important.
mais il ya de temps en temps des cas qui te donnent I’idée que Disons que La Dérobude, ca correspond a un marché poten-
le cinéma lrangais est bien portant. Par ailleurs, le film d’André tiel. Qu’est-ce qui s’est passé. disons autour de la Nouvelle
te prouve le contraire : tu as un auteur, quelqu’un qui a une Vague, et jusqu’a une date récente, jusqu’a il y a trois Ou quatre
prétention a signer et qui te fait un film qui est un gouflre dans annécs, et qui est en train de s‘arréter a cause de la politique
tous les sens du terme, est un bide, et qui te prouve que le actuclle de « l'avance sur recettes ». c’est que des gens ont dit :
cinéma francais voulant concurrencer Fellini ou Visconti ou nous aussi. on veut faire des films et on saura créer l’espace
l’Amérique est malade, structurellement. Il va un cancer dans pour qu’ils soient diffusés. L’espace, on ne l’a pas trouvé. Le
ce film. probléme. c'est que le public va moins au cinéma et que
De Gregorio. Entre le producteur Benjamin Simon (qui a espace est occupé soit par ces grosses machines, soit par les
produit La Dérehade) et les autres producteurs dont ona parlé, films américains qui ont comme atout d'une part Pimpéria-
il ya une difference de base. Je ne le connais pas mais quand lisme de la pensée américaine. d’autre part “occupation des
méme, il est allé vers un bouquin qui est un best-seller. il a media. Mais le cinéma dit d’auteur, le nétre, c’est un cinéma
monté le coup !ui-méme d’une facon traditionnelle, tandis que qui se fait'en ne répondant 4 aucune donnée de base du mar-
tous ces producteurs dont on parlait avant, c’étaient des pro- ché. Tout simplement, on les fait et on essaie apres de les dif-
ducteurs de lavance sur recettes. fuser.
Kané. A la limite, ona envie de dire que c'est ca la definition
du cinéma d’auteur aujourd hui. C’est-a-dire quand un film est
Auteur ou metteur en scéne? fait sans la moindre préoccupation du marché potentiel qu il
peut rencontrer.
Toubiana. Et souvent des directeurs de production...
Bérand, Et c'est des producteurs 4 qui l’on apportait un scé- Le contrat
nario. La, il est parti d‘un bouquin, il est allé chercher un
cinéaste, Toubiana. Sans commanditaire. sans contrat de départ.
OU EST LA CRISE?

A gauche, Brigitte Fossey dans Erica Minor A droite, J-F. Stevenin et B. Fossey dans Mais ou est donc Ornicar?. de Bertrand van Effenterra

Béeraud. On arrive a les avoir a Vusure, a avoir un contrat tout ca mais malheurcusement, ga me parait un fail de la réa-
avec Klaus Helwig qui est un allié allemand. On arrive, sur la lité. Je ne dis pas du tout qu'il faille ’accepter comme ¢a.
mauvaise conscience, a obtenir de F.R.3 une petit obole. On
arrive un peu a élargir la somme de « l’avance sur recettes ». Van Effenterre. Je la constate,je constate que tout concournt
Il y aun phénoméne, c’est qu'il y a trop de films cn France par acette disparition du cinéma dans lequel l'auteur est l"élément
tapport au public et en plus, c'est le pays le plus ouvert a la de départ, mais qu'il y a encore - et c’est pour cela queje parle
cinéphilie, c'est le pays ou l’on projette le plus de films4 la fois. de résistance — un certain nombre d‘armes, d’atouts. Cela part
c’est le pays qui découvre Je plus de metieurs en scéne. Les de « l'avance sur recettcs » qu'il faut 4 tout prix préserver. ca
Allemands sont venus se faire reconnailre ict, par exemple... part aussi du fait que maintenant on commence a s‘occuper.
nous, de production, a yérer nos propres films. Cela part pcut-
Kané. Je ne suis pas d’accord. Hi ne faut pas dire que l’on pro- étre aussi du fait qu'un jour, il va falloir faire ce que les Alle-
duit trop. ce n'est pas vrai. On produit plus que les autres, mands ont fait, c‘est-a-dire s'‘occuper de distribution. En cari-
voila. [I faut réduire le nombre de films produits, quoi, c’est ca? caturant, on peut dire, a la limite, que c'est la démarche de
Coppola. Et je dis, il n°en reste pas moins que le point de départ
Béraud. Mais évidemment en faisant ga, on réduit la créati-
du projet, c'est, pour prendre un terme trés général, ton désir.
vite.
Et si jessaie de trouver les moyens pour résoudre ces problé-
Daney. C'est carrément idiot. mes et d’échapper a cette disparition, c'est que, trés profondé-
ment,je pense que I’autre solution dont tu parles est quelque
Van Effenterre. Je crois que le début tel que tu le poses, c’est chose qui va m’enlever mon identité.
celui devant Iequel on se trouve maintenant. Effectivement.
des opérations commerciales. sans que cela soit péjoratif, style De Gregorio. Pour moi, ce que disait Serge tout a Pheure :
La Dérobade. dans lesquelles on peut éventuellement s‘inté-
c'est aussi un probléme de contrat avec quelqu’un d’autre qui
grer. avoir des propositions de travail. nest pas Moi-méme, et qui puisse représenter Ic public: > est
capital. C’ -dire que lorsque je fais un film, que je di
Toubiana. D'accord, mais il faut désirer ga. [Il ne faut pas de m’asseoir 4 ma table et de commencer a écrire. je n’ai pas
croire que Duval a recu un coup de fil. un beau matin,je suis d’interlocutcur, d'une certaine facon; pas d‘interlocuteur qui
sr qu'il désire fondamentalement ce lype de situation. puisse représenter le public Ge ne parle pas de linterlocuteur
complice que serait un co-scénariste). C’est [a ott les produc-
Van Effenterre. Par rapport a ga, ta position, Eduardo, en teurs n’ont pas joué leur réle, celui qu’on leur a donné. Ce sont
caricaturant un peu, c'est de dire : j'ai impression qu‘a l’inté- ces producteurs-la qui sont en train de disparaitre. Ils l’ont
rieurde ce genre d’opération,je peux trouver ma place. Et moi, joué d'une autre fagon et on peut leur étre trés reconnaissant
ma position, tout aussi abstraite, elle est de dire : a Nintérieur d’avoir produit ces films-la. Mais ils étaient simplement des
de ce genre d'opération, je suis certain de ne pas trouver ma opérateurs.
place.
Beraud. Mais tu sais trés bien aussi qu’on leur refusait ce
De Gregorio. Ma position, ce n’est pas de dire que je crois droit...
queje peux trouver de la place dans cet espace-la. Ma position,
De Gregorio. Absolument.
cest de me dire : 'autre espace ne va plus exister: C'est ce dont
j'ai peur. Je caricature, la aussi. Qu'est-ce qu'il faut faire d par- Van Effenterre. ls étaient de notre cété, comme disait
tir du moment ou, effectivement, ce ne sera plus moi tout seul Godard.
qui sera au début du projet mais éventuellement quelqu'un
De Gregorio, Mais le probleme, c'est que ces intermédiaires
d‘autre? Comment laudra-t-il procéder a partir de ce moment
ont disparu ou disparaissent. C’est ce désir maintenant de trou-
ta? En supposant qu'il y ait cette demande. Ce quin “est pas du
ver un interlocuteur qui putsse représenter autre chose que
tout le cas pour instant.
moi-méme.
Van Effenterre. Tu entérines déja la disparition... Toubiana, Cela peut étre des institutions comme la télé
aujourd’hui, mais ce ne sont pas de vrais commanditaires. Ce
De Gregorio. Ce West pas que je l'entérine, c'est que je la qu’Eduardo dit va peut-étre contre le désir de Van Effenterre
constate. Je veux bien avoir une attitude volontariste devant de contréler toute la chaine, contre son projet d’indépendance.
42 CINEMA FRANCAIS
Crest important, parce que le projet d’indépendance, a la Béraud. Tu oublics quand méme qu'elle avait un aval terri-
Duras, est un projet qui est absolument contradictoire avec ble, que c’était une des stars du dit « nouveau roman ».
Vidée d’avoir déja, au moment de I’élaboration du projet filmi-
que, les contraintes du marché qui se symbolisent dans la pré- Danev. Visiblement pas. Les premiers films ont été complé-
sence d'un producteur, c’est-a-dire quelqu'un qui dit oui ou tement ignorés.
non, Il ya un autre exemple, c'est Clair de femme de Costa
Gavras. Ce n’est pas un film désiré. si on veut, au sens ou un Toubiana. Elle a cu « l'avance » au départ, dés le départ?
enfant peut l’étre. Et c'est vrai qu’on lui tombe dessus a bras Béraud. La Chaise longue, oui. La Musica aussi je crois...
raccourcis — puisque le film est mauvais et que, d’une certaine
maniére, ce systeme de production est mal vu par nous. Est-ce Daney. Ce qui, a un moment, me paraissait un point com-
que ce n'est pas négatif. pour des cinéastes comme vous. de mun aux films que nous aimions bien dans le (jeune) cinéma
continuera véehiculer cette idée qu'un film imposé, un film fait francais — je me rappelle que Pascal était d’accord avec ca -.
parce qu'il faut crouter comme on dit, ca ne peut que donner c’était une certaine cohérence dans le rapport entre leur sujet
un film mauvais? et leur économie. C’est-a-dire que, vu les données concrétes
dont ils disposent, les cinéastes ont ou n’ont pas ce Nair de
Beéraud. A priori,je pense que La Dérobade. ga va étre bien. savoir jusqu‘a quel budget ils peuvent étre Fauteur complet de
Duval était en train d’écrire un scénario pour lui ct quil va leur film. Et ils se moquent du reste. Quelques uns y sont par-
faire maintenant. Quand il a eu ce coup de téléphone, on lui venus: i] y a Duras, il y a Garrel, a sa maniére, il y a Straub.
a propose de faire ca. Ila dit : oui.je veux bien, a condition que etc. Ce sont toujours des cas tres singuliers et méme tératolo-
je fasse I’autre aprés. Et ainsi de suite. Maisje ne crois pas que giques.
le fait que l'on vous appelle au téléphone fasse que les films
soient mauvais, puisque tous les films américains étaient faits Béraud. Non mais regarde ! C’est formidable ! IIs ne sont que
comme ca. L’exemple de Costa : on I'a appelé au téléphone, il trots !
a dit oui, puis i! s’est planté. parce que ce film n’était peut-étre
Kane, Straub est un assisté. Il a un réseau de gens qui
pas fait pour lui. croient...
Kane. On tourne un peu en rond sur la méme question et on Daney. Oui, mais il la créé ce réseau. Straub produit ses
retombe sur lidée qu'un auteur, aujourd’hul. doit étre un met- films. [I fait ses films avec différentes télés, allemande, autri-
teur cn scéne pour pouvoir s’en sortir. La preuve. c'est que le chienne ou italienne, qu'il méprise ou qu‘il séduit. I] leur prend
Demy qui est un pur ftlm de commande (Lady Oscar) est un de argent. Ul sait parfaitement gérer un budget. C’est certaine-
film admirable. ment fe seul cinéaste qui, sur un gros budget comme Moise er
Aaron, sait exactement ou chaque centime va. C'est exem-
plaire. en tout cas limite. Donc il produit son film. I] le produit
Duras, Straub, etc. de A jusqua Z. Et aprés, il m’envoie méme des notes prises par
un assistant pendant le toummage du demier film pour que jc
Toubiana. Le seul auteur accompli, en ce sens, c’est Duras. m’en serve éventuellement pour une critique. I] pense absolu-
Elle n’est pas dans un rapport malheureux a la commande, ment 4 tout. Il est attachéde presse, etc. Bon,on pense ce qu'on
comme vous. veut de ses films. Mais ils les produit vraiment. Ce soir, on
parle plutét des films faits par des gens qui, comme Straub. ont
Van Effenterre. Duras? La commande? un narcissisme d’auteur mais veulent faire des films avec une
idée beaucoup plus fluctuante de leur économie. C'est vrai que
Toubiana. Sirement, elle nen a pas et elle sen passe.
le cinéma « d'auteur » et |’inflation de ce terme, ga a corres-
Béraud. Parce que sa seule commande, c'est elle, c'est son pondu a: « avance sur recettes » + LINA, + les télés. Et la. il
ego. faut revenir a ce que l’on disait sur les contrats. Ce n’étaient pas
de vrais contrats. « L’avance », ce n'est pas un vrai contrat,
Toubiana. Et c'est un cinéma d’institution. c'est personne, ou c’est un peu de copinage qui change. Les
Daney. Duras, c’est un auteur trés trés francais. Dans le sens télés. on sait trés bien que la télé allemande a de I'argent, elle
que je définissais tout a Iheure. C’est-a-dire uvec un ego a une politique de la marge et du gaspillage. Et INA. on a vu
dartiste trés fort, absolu, et les moyens cet égo, de ce narcis- ce que ca avait donné. L’INA a contribué a ce que de bons films
sisme. Et surtout avec une intelligence de I’économie dans se fassent, mais elle n’a pas pour autant appris a produire...
laquelle elle peut fonctionner. Van Effenterre. Si, eflectivement. on pouvait travailler dif-
Beraud. ly aun bluff terrible chez Duras. Vu qu'elle est une féremment. on le ferait. On a pour l’instant cette seule possi-
institution, elle peut aller chercher des stars, des choses comme bilité, je crois. C'est ca qui est dramatique. Savoir si cela va
ga. bon, qu'elle détourne. nous permettre, 4 un moment donné, soit de rentrer dans un
systéme économique qui existe mais qui, pour l’instant, ne
Daney. Pas n’importe quelle star. C’est assez limite. veut pas de nous, et d’y rentrer avec suffisamment d‘atouts en
Toubiana. Elle peut séduire des institutions. Ce n'est pas mains pour étre relativement maitre du jeu plus tard, cest une
question, ou savoir si, 4 un moment donné, la résistance qu'on
pareil.
aura apporté par la fabrication de nos films et par la perma-
Béraud. Mais enfin, Duras téléphone 4 Frangois Périer qui nence du cinéma qu’on a envie de faire ou qu’on représente,
arrive une demie-heure aprés pour faire un commentaire, par permettra de garder un lien avec le public et de continuer. C’est
exemple. cela le probléme et l’enjeu actuel.
Daney. Oui, mais si tu veux. on peut dire que Duras, a fait De Gregorio, En fait, ce que l'on est en train de dire, c’est
des films qui n’ont été vus par personne, méprisés par tout le que. que ce soit unc solution ou lautre, la situation qui ¢lait
monde, avant /ndia song. Je veux dire qu’elle a cu sa part valable il y a cing ans en France ne lest plus aujourd hui. Ce
Wobstination pour. comme dit Bertrand, contréler toute la cinéma d’auteur produit avec « l‘avance sur recettes », d’unc
chaine. certaine fagon, n’existe plus.
OU EST LA CRISE?

La Mémoire courte. d’' Eduardo de Gregorio A gauche: Philippe Léotard et Nathalie Baye. A droite: Bulle Ogier et P. Léotard

Spectacle ou musée ? je dis que ce n’est pas du spectacle.je ne le dis pas d’une fagon
pejorative. Fobserve simplement : ces films-la ne remplissent
Kané. Mais avant ca, ne faudrait-il pas que quelqu'un se pas les conditions qu'un spectacle demande.
fasse l'avocat du diable? Sinon on risque de passer a cété de la
question que tout le monde se pose, a savoir: est-ce qu'il faul Daney. C’est vraiment une question de posture de specta-
encourager un cinéma d’auteur comme on le pense en France teur. Moi j'ai vu Alien, sur la 42* rue a New-York, et j'étais
aujourd’hui? Est-ce que c’est une bonne chose, unc bonne 4 peu prés comme n’importe quel spectateur. J’ai revu ce
politique? On est les premiers a aller voir des films dont on sort matin le dermier film des Straub, il m’a compléetement boule-
furieux en disant ; mais vraiment, ce con qui se prend pourje versé et je lai trouvé magnifique, mais j’étais plut6t tendu vers
ne sais pas qui... On se dit: mais ce type, il aurait eu un pelit I"écran que rivé A mon siége. comme pour .Alien, Ce n'est pas
peu des contraintes de production, un contrat, il ne se pren- lun contre l'autre. Ce sont deux postures de spectateurs qui,
drait pas pour un grand littérateur, ce serail une situation dré- tendanciellement. s’éloignent lune de lautre: et moi, ¢a
lement plus saine. m’angoisse assez parce que je participe des deux. Et ce débat
que l’on a sur le cinéma d'auteur francais, eux en Amérique,
Daney. Attention, c’est le discours qui devicnt dominant ils ne l’ont jamais eu, parce que ca ne s"est pas posé, ca s'est
dans les media. réglé avec le cinéma « indépendant » qui va directement dans
les musées. Alors est-ce qu'aujourd’hui, avec un certain retard
Kané. Oui mais il faut qu’on laffronte, d’autant plus que et vu la spécificité du cas frangais, on n'est pas en train de se
nous... enfin, moi, personnellement, il m‘arrive de dire: poser cette question-la? C’est-d-dire: ce petit bloc de cinéma
merde, a tout prendre, je préfére un film comme China Syr- d‘auteur créé par « l'avance sur recetles » dans des conditions
drome qui est un film ou il n’y a pas d’auteur mais ot il ya une précises il y a quelques années est en train de se scinder en
fagon d‘amorcer une communication avec quelqu‘un, il y a deux. Une partie est préte a résister cn se prenant en charge
unc fagon de ne pas prendre les gens pour des cons, il y a une elle-méme avec toute l’exigence nécessaire, et sait qu'elle va
fagon d’essayer de remplir un contrat, On est trop souvent en étre marginalisée. Une autre partie essaie de se raccrocher au
présence d'un cinéma d'auteur en France qui se fout trop de ca. spectacle, compte tenu du fait que le retour du spectacle et le
retour au spectacle, n’est pas un phénomene-dt au hasard.
Crest redevenu fondamental, 4 notre époque, en Europe...
Daney. Un contrat n'est pas fait pour étre rempli, il est fait
pour existerau départ. Apres, ce qu’on en fait, c'est aussi toute De Gregorio. On a envie pcut-Gtre de faire ca. Si tout se
Vaventure de l'art. China Syndrome, c'est un contrat régulier... scinde, il faut aussi accepter que dans le cinéma indépendant
Kané. Quand tu dis ga, tu annules la question. On peut direc : américain, la fiction ait a peu pres disparu.
est-ce que Mondrian a rempli son contrat avec les spectatcurs
de son temps? Probablement pas... Kane. Il faut dire qu’il y a une oppression terrible en Amé-
rique. Il n’y a pas tout I’éventail qu’on trouve en France.
Dancy. Non sans doute parce que Ia peinture ce n'est pas un Daney. C’est les ghettos. C'est trés tranché. Et nous, on est
spectacle. Tout a l’heure, on parlait du manque de contrat au justement au milieu.
départ. Quand Godard filmait Le Mepris pour Carlo Pont, il
élait assez malin pour inscrire et le contrat et comment il Ic Van Effenterre. Cest pour cela qu'il faut se défendre.
tournait en le prenant a la lettre. C’était un moment ou il y
avait encore du jeu entre un gros producteur et un auteur petit Daney. Mais en méme temps, tu ne peux pas défendre le
malin qui voulait jouer au plus fin. Aujourd’hui, ca ne semble milieu parce que le milieu est un licu miné.
méme plus possible.
De Gregorio. Une faut pas se dire qu'il faut choisir entre A
De Gregorio, Tuas dit un mot qui était intéressant quand tu ou Z parce que Ga ne se pose pas comme ¢a d'une facon abso-
as dit en‘parlant de la peinture que ce n’était pas un spectacle. lue. Ca se pose peut-étre historiquement. d’un point de vue
Le cinéma d'auteur frangais nest pas un spectacle. Et quand dhistorien, mais ca ne se pose pas dans la pratique.
4a CINEMA FRANCAIS
Van Effenterre. Absolument, Ce n‘est peut-étre pas ton cas, entiérement soumis au cinéma américain. I] y a quelque mots.
mais moi jai envie d'étre précisément 4 la fois d'un cété et de il n'y en avait que pour le cinéma italien, puis il y a eu des exces
Vautre. dans les importations italiennes, et du coup on n‘en parle plus,
Comment veux-tu, dans ces conditions, que nous arrivions a
De Gregorio, C'est mon cas aussi. trouver un public la ov. partout, dans la rue. dans les véte-
ments, dans ce qu’ils lisent, on ne parlé que des Etats-Unis.
Béraud. C’est le cas de tous les quatre.
Kané. In’y a que les films américains qui fassent événement
Van Effenterre. Et cest ga que lon doit arriver a protéger. Méme un gros film frangais, cher. ne fait pas événement. Flic
cetle possibilité d'étre a la foiset d'un cété et de l'autre. La réfé- ou vovou, ce West pas un film-événement. c'est un film quia
rence au spectacle, c'est toute l'ambiguité du spectacle. En marché, c’est tout. Apocalvpse, cest un événement.
méme temps, quand on dit spectacle, c’est quelque chose qui
a tendance a devenir actuellement de luniversel. Et moi, ce
que j’entends par spectacle. c'est précisément de ne pas tendre
vers cet universel. [I y a une espéce de contradiction. Quantité/Qualité

De Gregorio. lly aun énorme décalage historique. C'est que Danev. Il faudrait plutét prendre le tout venant de la pro-
l'on vit maintenant dans le temps des caricatures. Donc, on est duction des séries américaines; des docu-drames du genre
complétement déphasés. N’importe quelle subtilité dans le Holocauste, il y ena plein, C’est eux qui sont la matrice. C'est
spectacle n'est plus percue comme telle ou elle est percue la que les cinéastes apprennent leur métier en Amérique, ou
comnic obscurité plutdt. Je ne parle pas de la France mais chez Corman, Coppola le premier. Ca n’arréte pas. Il y a un
quand tu vas 4 New York. tu montres tes films, tu le pergois bombardement fictionnel constant... a partir de la télévision...
trés vite, Il faut étre linéaire, i] faut étre trés simple...
Kane. C’est la ot les gens apprennent a regarder.
Si Herzog ou Fassbinder ou méme Syberberg (bien que ce
soit un autre cas) ont réussi a s*imposer, c’est parce qu’ils ont Daney. Si bien qu’aprés, ils ne pourront méme plus voir
caricaturé 4 un moment donné, trés fortement. Ce que le autre chose. C’est la o8 le crime se commet. Il y a une produc-
cinéma francais nest pas capable de faire. En tout cas, un cer- tion énorme quantitativement; dans la masse, il y a quelques
tain cinéma francais, celui qui nous intéresse. bons films mais, en général. ils sont assez fuibles. Alors qu’ici
nous sommes en train de défendre un cinéma qui, qualitative-
ment, se veut trés exigeant, mais qui, quantitativement. n'est
Le cinéma francais anomique ou anémié... pas assez important pour qu'tl se crée dialectiquement un rap-
port entre la qualité et la quantité. Quand ona cinquante films
Beraud. ll n'a pas envie de le faire, d‘auteur faits par des jeunes cinéastes frangais qui sont tous
ambitieux., il y ena deux ou trois qui logiquement sont réussis :
Daney. Je suis sir que dans le cas francais, il s‘agit d'un
on dit formidable, un nouvel auteur! ou alors : trés intéressant.
cinéma absolument anomique. Le cas allemand est tout a fait
le scénario, mais il n’a pas eu assez de moyens ni assez d*expé-
différent. Moije n’aime pas du tout Le Tamibour que je trouve
rience... Ca ne fait jamais masse. c’est ga qui est décevant. Alors
tres académique mais c’est un grand sujet, c’est une grande fic-
qu’en Amérique, le feuilleton, le docu-drame. aussi faibles.
tion... Et puis, ca raconte la grande affaire de ! Europe du X X*
aussi débiles qu’ils soient, font masse. Ca forme des gens. Ca ne
sitcle : qu'elle ait accouché du nazisme. Qu’on ait couronné a
forme pas seulement des spectateurs. ca forme aussi des gens
Cannes cette année Le Tambouret le film de Coppola. a la fois
a faire des images. Et dans la masse, aprés, i! y a Coppola, il
documentaire ct fiction sur la guerre du Vietnam, et que la
y a Scorsese. Il y a des gens qui ont plus de talent que les autres.
France n’ait eu que Doillon, Corneau et Téchiné c'est assez
révélateur de ce par quoi j'ai commencé, c’est-a-dire l'absence
Béraud. Tu as parlé d'auteur et tu as parlé de série. Effecti-
de de grandes fictions dans le cinéma francais, ce en quoi il est
vement, il y a des séries. puis tout 4 coup, dans une série, on
particulier (et, par ailleurs, tout 4 fait passionnant).
se rend compte qu'il y a un mec qui les fait mieux. On le remar-
Béraud. Est-ce que tu ne penses pas que ces trois éventails que par rapport a d‘autres. [1 commence a lever le front et puis,
(Doillon. Corneau, Techiné) sont tout aussi dignes d’tntérét petit a petit, tl devient le mégulo qu’est Coppola. Alors que
que Schléndortfou Coppola. qui nous offrent la méme chose nous, on part d'un « moi je » et puis on essaie. sans machine.
mais avec des moyens différents?
Kané. C'est ce qui ne va pas,
Daney. Bon il y a VEmpire américain réel et il y a le Reich
allemand imaginaire, mais en France, quoi? La culture, l’écri- Beéraud. Ce qui est trés étrange en France, c'est que la télé-
ture... vision ne défriche pas de talents,
Béraud. Est-ce que ce n’est pas une erreur de vouloir juger Toubiana. C'est la télé qui est la catastrophe du cinéma fran-
et apprécier le cinéma francais avec les données de base du cais.
cinéma am¢ricain? On est tous en train de baver devant lui. On
est lous en train de se dire : si nos films ne se vendent pas'aux Béraud. Je peux vous raconter Ie cas précis d'un type a qui
Etats-Unis, si ceci, si cela... mais finalement... Les Américains un producteur avait proposé de faire un film (plus exactement.
sont xénophobes. ils ont un marché qui est tres fermé, tres pro- a partir d'un bouquin). Le producteur va voir le chefde ta troi-
tégé. stéme chaine en lui disant: voila, j'ai ce bouquin (c’était un
Toubiana. Mais il faut qu’ils se vendent d’abord en France, classique, un trés beau livre d’ailleurs) et le type qui va le faire.
Le directeur de la troisiéme chaine, Contamine, a dit non:
vos films. Aux spectateurs, pas aux marchands, au un par un,
si tu veux. Si un film se vend en France. i! peut se vendre cn allez me chercher des gens connus (il a parlé de Moltnaro et de
Amérique. Chabrol). C’est-a-dire allez chercher des stars du cinéma pour
faire de la télévision. Ce qui est insensé. C'est une aberration.
Beéraud. Les carles sont truquées puisque les media sont Résultat : tous. autant qu’on est, on ne fait pas de télévision.
OU EST LA CRISE? 45
Daney. C'est trés important. C'est une réponse a tout ce tique que ¢a se passe. mais c'est simplement au niveau d’un
débat que on au sur ‘auteur et le narcissisme d'auteur. S‘il professionnalisme du travail. Quand Eduardo dit : on n’a pas
y avait a la télévision quelque chose qui vraiment pousse les de techniciens qui ont ces exigences, moije dis : les gens qui ont
gens, qui les fasse travailler tout le temps. il y aurait une chance ces exigences au niveau des techniciens ne rentrent pas 4 la télé.
au moins statistique pour qu'il y ait, 4 un moment, des gens qui
fassent des films de mieux en micux, qui s’émancipent, etc. Kané. Ce n’est pas vrai qu'Eduardo, Luc, toi et moi, nous
L’autre systeme. c’est celui de la rareté. On a quelques méga- puissions dire que nous n‘avons pasenvie de travailler a la télé-
lomanes fous qui tiennent a leur projet et qui lc ménent a bien, vision. Je dis qu’aujourd"hui si on se met a dire qu’on a envie
de plus en plus marginaux d’ailleurs. de travailler et qu’on rentre a la télé, on est pris.

Toubiana. Symboliquement. le nom de Il’auteuren prend un


La TV francaise : dramatique sacré coup. Est-ce que tu connais l’auteur d’Holocausie? C’est
un certain Chomsky, C’est anonyme.
Kané. Pourquoi est-ce que l’on ne fait pas de télévision?
Van Effenterre. J'ai vécu en Suisse ot les types travaillent
Béraud. Parce qu’il y a 4 la téte des chaines de télévision des tout le temps au cinéma et a la télévision. Un type comme
fonctionnaires qui ont une carriére a mener. Goretta fait une dramatique chaque année a la télé.
Toubiana. La culture cinéphilique vous en empéche. Je Toubiana, Ce qui permet d’avoir un nom, d’avoir une signa-
parle pour vous. votre culture cinéphilique. votre amour du ture.
cinéma américain.
Kané. On n'y a pas acces, tout simplement. Van Effenterre. Tanner et Soutter font des matches de foot-
ball a la télé.
Béraud. Les types qui font des dramatiques télévision ont
beaucoup plus de moyens, ont des moyens qui doivent étre a Daney. Syberberg va avoir une émission a la télévision autri-
peu prés voisins de ceux que tu as cus sur ton dernier film. chienne.

De Gregorio. Absolument. Mais combien de minutage utile Touhiana. Chez ces gens, il y a un petit culot qui fonctionne.
il faut que tu fasses par jour, par cxemple? II y a deux choses Ils savent qu'il faut 5% pour la recherche. Ce raisonnement
fondamentales. La premiére : on ne peut pas désirer la télévi- qui est évident dans un capitalisme qui fonctionne. a savoir
sion. Je sais effectivement que l'on doit faire dix minutes utiles mettre un peu d’argent dans du non-profit. en France. ca ne se
par jour. ce qui veut dire que tu ne fais qu’une prise. La fait pas.
seconde : c’est que tu dois travailler trés souvent avec des tech-
niciens qui n’ont aucun désir de travailler. Et ca, c’est trés dur. Van Effenterre. Je suis prét demain a travailler sur des feuil-
letons, méme un scénario que l'on me donnera et sur lequel on
Toubiana. Un'ya pas d’émulation a la télé, c'est un service, me laissera travailler. C'est ca qu'on ne veut pas. Les exigences
queje peux avoir par rapport au récit, par rapport a la fiction,
Béraud. Troisieme chose, et il faut le dire, c'est qu'il y a un ne sont pas comprises par le public. C’est en gros ¢a qu’ils vont
contréle trés violent sur ce que tu fais. II y a une censure, au me dire. Mais ce n’est pas vrai.. Des que tu ne fais pas la soupe,
niveau des feuilletons. on ne veut pas de toi.
Toubiana. lly a un exemple qui est intéressant, c'est le cas
Kane. On va te dire : tes normes de production ne sont pas
de Moatt qui a essayé de passer de la (élé au cinéma et quia
celles de la télé.
échoué. Donc quelqu’un quia été « l'enfant terrible » de la télé
avec la liberté de faire ce qu'il voulait sur des budgets colos-
saux, quand il a voulu sortiret se risquer au marché et non plus
au service public, il a chuté. Encombrant, l’auteur

Kane. Tous les cing ans,.il y a un type de la télé qui essuie. Béraud. Mais en fait, on peut s’y adapter. Méme les huit
Je ne crois pas que cela soit un exemple. Ce qui est plus éton- minutes, on doit pouvoir y arriver, i] n’y a pas de raison. Seu-
nant. c’est qu'il n’y ait pas l"excmple de gens venant du cinéma lement, on nous plaque des désirs d’auteur et a la télévision. il
qui passent a la télé. I y a un vicux préjuge: faire de la télévi- ne faut pas d’auteurs,
sion, pour un cinéaste de cinéma, c'est déchoir.
Daney. Vous ne croyez pas que l’on est tous responsables, y
Béraud. Tout ca n’existe pas parce que les émissions de télé- compris les revues de cinéma (les Cahiers, etc.). pur cette pra-
vision se font avec les moyens du cinéma. tique systématique de l’entretien, des propos d'auteur, @avoir
créé cette sorte d’inflation? La ou finalement les gens sont préts
Kané, D'accord, dans un premier temps,je pense que c’est a dire: la commande. oui, ca nous intéresse, on en réve tous.
ca. Dans un premier temps, c'est déchoir. Aujourd’hui, les Est-ce qu'il n’y a pas une sorte de décalage pénible — nous, on
choses sont en train de changer mais il y a toujours des préju- le sait parce que ga s'est créé un peu aux Casriers et que main-
ges. D'abord les gens de cinéma répugnent un petit peu a faire tenant, on commence a prendre du recul.
de la télévision et lorsqu’ils changent d’avis, qu‘ils acceptent,
ils déchoient aux yeux des gens de la télévision. Ils sont donc Kané. Ona parlé de deux choses trés importantes. Il me sem-
mis dans des conditions de production ot on dit : merde, vous blait que javais essayé de montrer comment fonctionnaient les
nallez pas faire votre cirque d’auteur, faites dix minutes par rapports a la télévision et toi, tu as parlé de la politique de la
jour! Donc il y a un cerele vicieux..,. télévision. Et ce sont deux choses un peu différentes. C’est vrai
qu‘il faudrait qu'on mette la politique de fa télévision sur la sel-
Van Effenterrce. On oublie une chose, c’est qu'il y a une lette.
volonté, a la direction des chaines, d’empécher des gens
comme nous de rentrer. Ce n'est pas forcément au niveau poli- De Gregorio, C’est un autre débat.
CRITIQUES

WINIFRED WAGNER de "Histoire. Du cété de I'Histoire, le pathos? De ce cdté-ci de


(HANS JURGEN SYBERBERG) Cécran. lironie? Peut-étre. Est-ce par cette confiance dans ce
dévidage de contes et de légendes qui nous parviennent (his-
toire merveilleuse des coléres de Toscanini contre Furtwiingler
qui dépasse son temps de répétition - peu probable qu'il
Winifred Wagner, qui était anglaise, fut la femme de Sieg- s’agisse ici d'un ralentissement de tempo puisqu’on sait que
fried, fils de Richard ct de Cosima Wagner. Siegfried fut chef Furtwiingler dirigeait au moins « Parsifal » beaucoup plus vite
d'orchestre (moyen, 4 en juger par ses disques) et metteur en que Toscanini; histoire quasi-brechtienne des trains spéciaux
scéne du festival de Bayreuth. [ mourut en 1930. Winifred. de blessés acheminés vers le sanctuaire de Bayreuth; histoire
veuve, dirigea les destinées de Bayreuth jusqu’a la fin de la chaplinienne ou fubitschienne de Hitler en voiture etc...) que
guerre, et cul pour associé Tietjen, lui aussi chef d’orchestre Syberberg entend construire cette « mythologisation positive »
moyen. Mais laissons cela, car Syberberg ne s’intéresse pas aux qui n’aurait alors pour appui qu’une connaissance. supposée
qualités musicales des chefs d’orchestre qui ont dirigé 4 Bay- chez le spectateur, de tous les hors-champs. Le pathos envahit
reuth, ce qui l’intéresse — il le dit dans les intertitres ou plutét lappartement de Winifred et en chasse l’ironie: les plans of
dans les questions qu'il pose a Winifred dans son interview- Winilred prend seule son repas au bout de cette longue table
fleuve (le film que nous voyons est la réduction d’un vaste film discrétement ornée ct évoque une éventuelle apparition de
de cing heures) —c’est la banalité du mal et le mal de la banalité Hitler dans sa salle 4 manger, fut-il sous ses yeux le meurtrier
représentés ici en la seule et unique personne de Winifred immeédiat d'une fillette. ainsi que l'accucil qu'elle Jui ferait
Wagner, grande amie de Hitler. Plus exactement c’est Winilred comme autrefois, sont émouvants comme un carillon qui
qui prophétise a froid tout un passé et c’est dans le fait méme sonne l'heure (et comme un effet de montage réussi: ici la
qu'elle ne voit pratiquement pas le mai en ce qui concerne parole enregistrée est placée sur des plans muets ou de toute
Hitler que Syberbery, lui, capte le caractére banal du mal. En évidence Winifred ne parle pas). et le décor bientdt figé par
effet Hitler, pour Winifred qui l’évoque, est un brave oncle. l'absence soudaine du personnage-titre se charge alors de toute
Voncle Wolf (il fut — ce n'est plus elle qui le dit — un peu le pére la mémoire qui vient d’étre traduite cn mots devant nos yeux
qui manquait, a partir de 1930, a Wieland agé de 13 ans et a et a nos oreilles patientes et soumises. Le plaisir de la fiction
Wolfgang dgé de 11 ans. Tantét on l’appelait 'Oncle Wolfavec se serait-il aujourd’hui réfugié dans les sillons de I’Histoire
un revolver dans la poche, tantét le Kapelimeister (chef qu’il ne resterait pour faire renaitre cclle-la que de laisser la
d’orchestre) Wolf, Wagner étant probablement I"homme que parole aux témoins de celle-ci, sacrée nouvelle grande foumis-
Hitler vénérait le plus (et a qui plus tard Syberberg arrachera seuse de fictions, ef @ fey en croire sur cette parole?
ce privilége culturel qu’il compte bien articuler 4 Brecht), il
Est-ce vraiment une force du cinéma, fiit-il destiné 4 la téle-
était juste qu'il reportat toute son admiration en temoignant de
vision, aux cassettes ct aux vidéo-disques. que de reléguer a
affection pour ses descendants et sa famille. Et si Hitler fut
lintertitre, comme au bon vicux temps du cinéma muet ou
antisémite. nous dit Winifred, c’est parce que Streicher le har-
des films télévisuels de Godard, la fonction d‘éclairer un vécu
celait avec ses idécs, jui un homme si plein de tact — et de tact
brut pour leque!l on postule ici presque ouvertement un spec-
autrichien, Ici done nous avons le portrait de Hitler par Wini-
tateur savant et inattentif?
fred, Syberberg ayant fait plus tard (en 1977) son propre « por-
Certes la conscience de Winifred Wagner est légére devant
trait » de Hitler.
Paction dont Hitler est porté responsable, et il est probable que
Qu'en est-il dans Winified Wagner de cette éventuelle le mal a bien cette banalité-la ou plutét cette faniliarité-la, car
« mythologisation positive filtrée par le contrdle spirituel de Winifred n’est pas banale, aucun étre humain ne lest. Elle lest
ironie ct du pathos » dont parle Syberberg dans un texte ter- cependant parfois dans son apparition, cinématographique-
miné a Munich le 1* mars 1978 et paru dans un numéro de la ment. Vieille pour vieille, dautres images nous traversent
revue Change, « Allemagne en esquisse »? Je ne sais pas, car lesprit pendant que nous !écoutons parler dans ces gros plans
on écoute volontiers jusqu’au bout cette suite interminable rocailleux, celles par exemple de Ia vieille de Now réconciliés
d'histoires que nous raconte cette gaillarde grand-meére. I] est totalement dépourvue dironie et de pathos. mythique a grand
probable que son rire et sa franche assurance sont ce que Syber- peine, et dont les gestes. les positions, les litanies nous font obs-
berg nous donne pour leffet visible, par nous spectateurs, de tacle et mystére. Elle accroche, comme une personne qu’on
la banalité du mal, dans la mesure ou il tient pour escompté pourrait toucher. La connaissance que nous avons de Winifred
le fait que nous sommes assez mars (politiquement?) morale- est, elle, immédiate, pleine, entiére dés les premiéres images.
ment pour faire nous-mémes I’aller et le retour entre ce que Cette femme est en quelques minutes Ie support indiscutable
nous voyons et entendons et ce que nous connaissons des faits de son vécu. Elle est la preuve vivante de ce qu'elle dit mais pas
WINIFRED WAGNER 47
(1) Le mot apocalypse a été universellement compris dans le sens de destruction
totaleet son sens premierde « révélation » a été refoulé au plus profond du film
de Coppola.

{2} En effet ces personnages sans failles, ignorent les lapsus, les gestes révéla-
teurs, les comportements ambigus, tout ce qui physiquemient signale une lutte.
un corps a corps. ou un corps 4 ceeuravec Ie récl. D’ou le refoutement du men-
songe. C'est alors sur ta quantité d'informations livrécs qu'il faut juger les per-
sonnages et sur omission de certaines informations. C’est de ce fait. 4 Taune
de ce systéme que l'on peut reprocher 4 Syberberg — méme si c'est significatif
de son obsession a constituer une mémoire dans laquelle il s‘identifierait a la
culture allemande et 4 son irationalisme - d'avoir privilégié la persécution
contre des morts au détriment de fa persécution contre des vivants: il s'attarde
en effet sur l‘ostracisme contre Mahler mort depuis 1911 et dont la musique
finirait bien par vivre, et oublie l'ostracisme contre Schnberg ainsi que tous
les musiciens dits « décadents », allemands, autrichiens, et des pays occupés qui
curent a vivre soit I'exil soit le silence.

WINIFRED WAGNER, R.F.A., 1977. Réalisation ; Hans


Jiirgen Syberberg. 16 mm noir et blanc. /nterprétation : Wini-
fred Wagner.
H. J. Syberberg et Winifred Wagner

de plus que ce quelle dit. Syberberg assume uniquement sa sub-


jectivité. et l'assume totalement: il accomplit cette opération
ADOLF ET MARLENE
minimale que Coppola accomplit lorsqu’il fait se tapir dans (ULLI LOMMEL)
l'ombre le personnage effrayant de Kurtz. L*un par insistance
et dévidage, l'autre par procédé de caches imposent aux spec-
tateurs des subjectivités absolues sur lesquelles le cinéaste qui JANE SERA TOUJOURS JANE
Nous occupe ticnt un discours (les intertitres et l'énoncé des (WALTER BOCKMAYER)
questions) et l'autre suspend tout discours, mais auxquelles
Fun et autre (on peut espérer que c’est circonstancicl, lié a un
seul film) n’opposent pas d'autres subjectivités si ce n'est sur le
mode de la fascination et de la quéte. Une telle anxiété a rem- Qu’est-ce que ces deux films ont en commun? Adolfer Mar-
plir espace d'un film par une seule identité précipite la fasci- fene raconte (en 35 mm) la rencontre imaginaire entre Hitler
nation chez tout spectateur en quéte de son identité de spec- et Marléne Dietrich, Jane sera toujours Jane est le portrait (en
tateur, Il y a peut-étre la une démarche étrangement hitchco- {6 mm) d'une veille dame qui dit tre la femme de Tarzan. En
ckienne. d'une dialectique transversale et non interne au film. fait, tout rapproche ces deux films, excessivement dissembla-
Le spectateur paisible postulé par Griffith, Ozu, Ford, Lang ou bles. D’abord. tous deux traitent de l'imaginaire et de son rap-
Straub est légerement floué au profit du spectateur dynamique port au réel. Ensuite. ils ont attendu pour sortir 4 Paris, ils ont
qui attend aujourd’*hui du metteur-en-scéne qu’il lui désigne di autendre : Jane date de 1977, le film d°Ulli Lomme! de
son fauteuil — un fauteuil avec son nom de spectateur imprimé 1976. (IIs sortent au Afarais, d'autres sont annoncés, de ce
sur le dossier - et qu'il le cloue dessus. jeune cinéma allemand dont tout le monde dit qu'il est le plus
Tiche de nouveaux talents mais que personne ne va voir: la
Si c’est un personnage qui dit tout (ou presque) ou si a faute 4 qui?). Enfin, il est impossible de ne pas voir qu’il s’agit
inverse (comme dans Apocalypse Now (1)) il fait suspense de la d'oeuvres d’artistes (c’est comme ca), deux artistes en conilit
son silence au point de faire pensée totalisante de son mutisme, avec le réel, deux cinéastes d’Allemagne. :
et qu'il monopolise ce que le spectateur doit percevoir d’inlor-
mations et que toutes les instances de la mise en scéne— cadra- [Ine s’agit pas de dire ici ce qu'on dit abusivement du cinéma
ges, découpage, montage - ont été domestiquées en faveur de italien, a savoir qu'il est « le meilleur», « le plus en prise sur
ce personnage (tels ici ces effets de zoom lent qui viennent véri- ta réalité quotidienne, tout en restant un spectacle de qualité ».
fer -— et sursignifier. dans la mesure ot! la nouvelle rhétorique Non. Il y a de tout dans le nouveau cinéma allemand. et c'est
nous a rendu cette opération naturelle -— /‘Ghsence démotion précisément le fait qu'il y ait de tout qui le rend passionnant.
chez Winilred lorsqu’elle évoque tel épisode de sa vie), si le Un cinéma qui nait de rien (la grande époque est loin, elle ne
spectateur s*habitue si bien au fauve (dans Apocalypse Now, a doit avoir d’autre incidence que symbolique). qui voit de jeu-
Kurtz) que celui-ci lui devient familier au point qu’il conta- nes réalisateurs travailler dans une fiévre que méme la Nou-
mine, dans sa « subjectivité absolue », tout le film ct ecflace velle Vague n’a pas connue (Bockmayer, par exemple. a réalisé
ainsi le moindre signe de culpabilité (planche de pathos pour quatorze films entre 1970 et 1978, tous inédits). un cinéma
le spectateur) (2), chez le personnage au profit d'une aura paradoxal (il n’y a pas d’équivalent. en Allemagne, de nos cir-
mythifiante qui rejettc la faute au coeur du spectateur (ce coeur cuits « art et essai »). En fait, mis 4 part tous ces petits films qui
plein de ténébres!) et lui ordonne d'adorer le film, pur de toute parasitent le systéme, qui restent marginaux (produits par la
faute, régénéré de subjectivité, comme une star d’antan, n'est- television le plus souvent, c’est Jd aussi qu‘ils passent). le
ce pas 1a, dans Ie cadre strict de la projection cinématographi- cinéma allemand a proprement parler n’existe plus: il est
que, que s‘accomplit le cérémonial puritain, que le mal devient mort. Extraordinaire situation : un cinéma qui renait fébrile-
banal, lorsque le film commence par tuer les personnages, en ment de ses cendres, sans infrastructure véritable pour Ie rece-
les plagant sur un piédestal? voir. ni un public au sens ou on l’entend habituellement. Un
cinéma lantéme, avec des spectateurs anonymes, Cinéma de
Jean-Claude Bictte taupe. dans le noir complet. incessant. Le modéle de ce cinéma
Ag CRITIQUES
souterrain, trop inquiet pour cesser de tourner, ne manquant lespagnol en prévision d'un départ pour Amérique du Sud,
pas de se tourner lui-méme en dérision, se prenant au séricux on écoute des chorales d'enfants, on va voir chanter Marlene
Lrop vile pour que Ga porte 4 conséquence, ce modéle me sem- une derniére fois dans un club de Casablanca, on se marie avec
ble étre Fassbinder. Deésespoir, désillusion, complaisance : Eva Braun. On s‘envole en fumeéc, briile par trois fidéles, pour
dans un univers clos parviennent les échos pourtant proches que lhistoire finisse en beauté, comme il faut. Des militaires
du monde en marche (mais pas en réyle: il a des dettes et des Noirs américains esquissent un pas de danse, Marlene passe en
papiers truqués). Bandes d‘urtistes dans les blockhaus aux jeep en chantant une derniére chanson. Elle n“a pas voulu voir
murs transparents. malades de paranota créatrice : 4 laff du le film, quelle accuse de tous les noms, On ne peut pas l’en bld-
neufet du vif (Mair du temps, lépaisseur des choses}, mais aussi mer. Tout comme on ne peut pas vraiment faire de critique 4
exposés, épiés, vulnérables. Modéle admirable que Fassbin- ce film: comme L‘Ombre des anges (Schmid/Fassbinder). un
der: lourdement artiste. n’ayant pas peur du ridicule, faisant poéme moisi et malaisant vaut plus pour ceux qui l’ont fait
réellement c:uvre: les films se suivent. imprévisibles, autant (avee raison) que pour ceux, passublement interloqués et per-
daccidents non prémédités qui constitueront un tout hétéro- plexes. qui le regoivent. C’est un film sophistique dont les
clite. un jour, Lommel! et Bockmayer ont tous les deux a voir sophismes, pour une lois de bonne foi, ne peuvent que nous
avee Fassbinder: Lammel a joué dans plusieurs de ses films couper le sifflet. Fin.
(Fassbinder tut rend la pareille en jouant dans Adolf e¢ Mar-
lene), il est un peu un de ses disciples: quant 4 Bockmayer, Jane sera toujours Jane.
Fassbinder en a fait un éfoge vibrant dans un bel article. Ce Encore un melodrame malaisant, mais d’une autre nature.
sont deux cinéastes qui ont du culot : ils choisissent des sujets Walter Bockmayer avait fait (en 1974) une adaptation de la
forts et risqués (ct d'un }). ils les traitent jusqu‘au bout (on aime « Traviata » : des hommes inadéquats y mimaient maladroite-
ou on n‘aime pas. c'est un autre probléme), sans se préoccuper ment les roles de femmes, pour Ie plus grand inconfort du spec-
de filmer « comme il fuut » (et de deux !), ils s’exposent cux- luteur (ce film = super 8 gonflé en 16 — montré 4 Thonon, est
mémes cn méme temps quilts exposent leurs fictions, leurs resté inédit). Si) fallait chercher un rapport entre Jaue et cette
points de vues (el de trois '). Films infiniment critiquables qu'il Traviata (un rapport qui n’est pas évident). il ne pourrait étre
nest pas question de confondre, ni dans sa téte, ni dans un que 14: dans Tinconfort et Minadaptation des personnages
texte. autant que des spectateurs. Il ‘agit d’une histoire contempo-
raine, trés sociale en méme temps que complétement imagi-
Adolf et Marlene. naire, une histoire impossible 4 avaler et que pourtant on avale
Pas commode le sujet, plutét énorme! I] s‘agit, a travers commie de la purée (mais ga fait mal, ca ne passe pas si bien que
deux ou trois rencontres Adolf/Marlene (inventées, mais plau- ga). Une vieille dame arrive dans un asile de vieillards beau et
sibles), de démonter Hitler, de casser la fascination que les
documentaires « wagneriens » (comme Hitler. ine carriére)

Be
continuent a cxercer sur les jeunes Allemands. Du moins est-ce Johanna Konig dans Jane sera ‘oujours Jane, de W. Bockmayer
ainsi que Lommel definit le projet. If est clair qu'il a voulu
montrer Hitler dans quelques moments de sa vie quotidienne,
sans les apparats de la mise en scéne de propagande. dans unc cone “4
espece de domesticité béte, une domesticité non hérorque. La
fascination pour Marlene. le désir fou de la rencontrer : aulant
dangles intéressants pour aborder le petit-bourgeois minable
qu’est Hitler. La ot ¢a se gate un peu, c’est qu'Hitler n'est pas
n'importe qui: c'est sous-eslimer notre propre rapport a lui
que de penser qu’on peut le débarrasser si facilement de ses ori-
peaux tragico-héroiques. Lui enlever sa moustache . celle qu’il
avail volée d Chaplin, ne sulfit pas a le rendre inoffensif. Le
montrer mou, veule, et béte. ne permet de le juger ni pour ce
qu'il fut. ni pour ce qu'il reste. Mais peut-on vraiment repro-
cher a un jeuncjcinéaste allemand de vouloir joueravec Hitler?
N’est-ce pas le signe. encourageant, du désir ludique d’en finir
avec le monstre ct son image écumante, un désir de se jouer de
lui en jouant ses propres fantasmes? Le film est done cela:
lensemble des bavardages quotidiens de Monsieur Hitler et de
son entourage,ses marches dans la nature avec son chien, ses
poses. Ce qui est intéressant, c’est que Lommel ne montre pas
un Troisigme Reich de pacotille ; tout semble se dérouler
aujourd’hui, dans un no man’s land a lécart de tout. sur la
scéne de quelque theatre contemporain, quelque part en Alle-
magne. Mélodrame ouate autour de quelques personnages en
quéte d‘identité et de destin, en quéte d*histoire : rien ne par-
vient de l’extéricur (du monde réel) que quelques images dunce
pseudo-Martene en noir ct blanc, images stylisées d’un dehors
qui n’existe que sous forme d'archétype révé. C'est plus net
encore dans la bande sonore : rien ne vient déranger les mono-
logues interminables du Fiihrer, mis 4 part. a la fin du film, le
bruit des bombes et des balles. Lommel n‘impose rien. il trans-
pose : i filme irrévérencieusement les poses d'un tyran/pocte,
les dist pos tropibrillantes d’un monde stylisé. immonde, au par-
fum conling (apocalypse douillette. On mange des gateaux,
on consulte des voyantes, on regoit son médecin, on apprend
JANE SERA TOUJOURS JANE 49
propre. Elle fait de sa chambre une jungle en miniature, avec
un perroquet, des palmiers. des tissus qui imitent le léopard. DON GIOVANNI
Tres vite, une scéne infiniment cruelle donne le ton de lhis- (JOSEPH LOSEY)
toire: dans la boutique ou elle achéte son perroquet (qu'elle
baptise Loretta). elle tombe en admiration devant un magni- L'adaptation au cinéma de l’opéra de Mozart et Da Ponte
fique python, Elle se le passe autour du cou, pose des questions repose sur un principe simple: comment faire « passer» a
sur son régime alimentaire, envisage de l'acheter. On lui mon- Pécran une ceuvre lyrique sans pour aulant abandonner ce qui
tre Ie repas du reptile : un petit rat blanc. bien vivant, soudai- fait sa singularité scénique et musicale, autrement dit : trouver
nement happé par les crocs, se débattant de moins en moins, le dosage adéquat entre un spectacle ralfiné ct réservé a une
lentement digéré jusqu’a ce qu‘il disparaisse complétement a élite (lopéra) et un divertissement plus populaire (le cinéma)?
Vintérieur du python, au museau taché de sang vermillon. On Si le principe est simple (et plutot démocratique), l’entreprise
ne nous a ricn épargné de ce lent et inexorable avalage qui tas- est pour le moins hasardcusc (est-elle seulement possible”), et
cine et dégotte la vicille dame, aussi horrifiée et frissonnante le résultat décevant — pour ne pas dire catastrophique. L'idée
que nous. Tel est le cheminement du film: une inexorable de Losey est la suivante : puisque « chanter demande un effort
identification a Jane. la compagne de Tarzan. va mener la physique ». il faut travailler 4 « rendre lelTort vraisemblable
vieille dame vers des mésaventures sociales (elle devient la risée sans €tre aussi déroutant qu'une véritable performance 4
des autres pensionnaires, incomprise de tous) et des aventures l'Opéra le serait si on la regardait lout le temps en trés gros
exotiques (elle s*envolera pour l'Afrique. revétant dans lavion plan », (in « Le Livre de Losey », de Ciment. Stock).
son maillot en simili- \Gopard). Caurait pu étre grotesque et Idée— limite, compromis batard : comment peut-on vouloir
gringant: Cest terriblement émouvant, sec ct plausible. On a la fois (effort et la vraisemblance. le corps démesurément
apprend tout des différents maris de Jane (Lex Barker. Johnny tendu dans sa tdche et ce méme corps harmonieusement inté-
Weissmuller, etc.) par un reporter (Peter Chatcl), gentiment gré a la fluidité d'une fiction limpide? Le probleme que,pose
amuse par ses excentricités. « Ce sont tous vos maris ? » « Oui, ce film, le seul probleme. c’est celui de la post- “synchronisation
c'est Tarzan ». Jane upprend dans les bandes dessinées Ie lan- (mettre des voix sur des images) ou du play-back (mettre des
gage de: singes, elle va parler aux orangs-outans du zoo, elle images sur des voix). deux procédés qui nen font qu'un, qui
discute avee Loretta pour passer le temps. La performance de reviennent en fait sensiblement au méme. Don Juan en play-
lactrice qui jouc Jane, Johanna Kénig. est d’autant plus sur- back prouve par l’absurde, par l'évidence de son ratage (encore
prenante (elle est admirable) qu'il semble qu'elle soit un équi- que c’est le type méme de ratage qui ne manquera pas d’étre
valent allemand de notre « Mére Denis », une actrice non-pro- unanimement salué comme un succés), que le parti pris de
fessionnelle’ célébre pour ses publicités télévisées. Bien qu'il Straub/Huillet, aussi aride et inconfortable qu'il puisse étre. est
repose largement sur ses épaules ct sur son jeu, rieur et Gmou- complétement incontournable : seul le son direct ne chatre pas
vant a la fois, Johanna K6nig n'est pas unique raison de un opéra, il n'y a pas moyen de faire autrement. Est-ce a dire
Thomogénéité étrange de ce film. C'est lattention qui que lopéra est pour toujours condamné a étre ce spectacle
importe: dés le premier plan (trois femmes sur un banc, qui pour initiés, codé et sublime pour les uns (ceux qui en possé-
causent), un plan fixe et soutenu, an est duns le document brut, dent le code). ridicule et démesuré pour les autres (ceux qui
recréé. La caméra virevolte dans certaines scenes, s'immobilise nen sont pas des familiers)? Non. Il fut ici apporter quelques
dans d’autres, avance et recule quelquefois. toujours pour saisir nuances. Si l’entreprise de reconstitution cinématographique
au vol un peu de réve tétu, pour faire avancer la mise en image d’un opéra (sa restitution transposée) n'est qu'une formule
dune lumpen-mémoire faite de romans - photos populaires. hybride, imparfaite et frustrante, il y a des degrés dans l'insuc-
pour ta faire s'imposer contre vents et gens, pour que cette his- ces: tout est affaire d’ambition. tout est dans la pertinence du
toire Midentilication naive ct impossible se termine sur un dosage. Losey a choisi la démesure tempérée, la luxuriance
happy end.'en dépit du bon sens. contre le bon sens. Pour insis- lyrique (larges mouvements, nombreux figurants, beaux palais.
ter dans celte direction, Bockmayer n‘a pas craint d'utiliser la bande sonore écrasante) et l’aller ct retour entre des intérieurs
musique pop aussi loin qu'il le pouvait: elle souligne les ctlets. baroques et des extérieurs beaucoup plus naturalistes (la
fait fondre les réticences devant l'invraisemblable, ajoute quel- nature est moins datée que le décor: comment faire autre-
ques larmes 4 l’Gmotion du spectateur, déja mise a mal. Est-ce ment?)! C’est comme une bande magnétique qu'on collerait
que Sirk fisatt autre chose? /ane yera toujours Jane est une derriére une carte postale en cinémuascope : la carte, si elle est
maniere d’¢quivalent actuel au flamboyant Afirage de la vie. sulfisamment affranchic, arrivera toujours, et la bande magné-
En plus petit. en plus étrique, en plus allemand. Depuis Tors tique avec elle, mais elles arriveront séparément, Un montage
les autres sappellent Ali, on Wavait pas vu ga. audio-visuel est tout saufun film. plus ca y ressemble et moins
Louis Skorecki cen est un: if tui manque toujours quelque chose, la parole en
mouvement. Losey envoie donc une lettre a quelques centaines
ADOLF UND MARLENE (ADOLF ET MARLENE), de milliers de spectateurs, pour les convaincre que la culture
R.F.A., 1976. Scénario et réalisation ; Uli Lommel. Copro- a du bon. qu'elle peut passer comme une lettre 4 la poste. On
duction: Albatros et Trio. Directeur de production» Harry pourrait presque parler de puste-stuchronisation « «je fais le
Baer. Décorateur: Curd Melber. Directeur de fa photo: Uri. vous n’avez plus qu’a vous laisser porter». Vers ou? Une
Michael Ballhaus. Afonrage - Thea Eymes. Afusique » Wagner fiction transparente et démagogiquement pré-révolutionnaire
et Liszt. Jaterprétation ; Kurt Raab, Margit Cartensen, Ila Von (avec son valet noir. ridicule muect de histoire, mignonne
Hasperg, Harry Baer. addition inutile en signe de signature)? Une comédie musicale
au son trop fort, arbitrairement transposée dans Jes décors et
JANE BLEBT JANE JANE SERA TOUJOURS JANE),
les éclairages des deux Casanova (Comencini, Fellini)? Un
R.F.A., 1977. Reéafisation : Walter Bockmayer et Rolf Buhr-
tapis de luxe pour voyageurs volants, peu soucieux de faire en
mann, Seénario: Walter Bockmayer. Coproduction : Enten
fait du sur-place en technicolor/dolby? Une parodie de culture
Produktion et ZDF. Directeurde production : Rolf Buhrmann.
pour cadre moyen 4 qui on fait doublement honte : « vous
Décoratcur : Norbert Schaub. Directeur de la photo: Peter
navez pas ce dernier enregistrement du « Don Juan» de
Mertin. Wontage : Inge Gielow. Musique : David Bowie. Asha
Mozart qui rend a la fois tous les autres vicillots et lait fone-
Puthli, Mandigo ct Stomu Yamashta. /aterprétation ; Johanna
lionner votre chaine stéréophonique a plein rendement ! »
Konig, Peter Chatel, Karl Blomer,
Losey'a péché par orgueil et démagogie, ifedt été mieus inspire
CRITIQUES

DON GIOVANNI], France. 1979. Realisation : Joseph Losey


en collaboration avec Frantz Salieri, concu par Rolf Lieber-
mann. Coproduction - Gaumont-Camera One-Opera Film Pro-
duzione - Janus Films - Antenne 2. Producteur délégue :
Michel Seydoux. Assistant réalisateur > Jean-Michel Lacor.
Scénographie: Alexandre Trauner. Directeur de la photo:
Gerry Fischer. /ngénicur du son: Jean-Louis Ducarme. Jac-
ques Maumont, Michéle Neny. Avontage : Reginald Beck.
Musique; W. A. Mozart, Orchestre et choeurs de l'Opéra de
Paris dirizés par Lorin Maazel, /aterprétation » Ruggero Rai-
mondi. John Macurdy, Edda Moser, Kiri Te Kanawa, Ken-
neth Riegel, José Van Dam, Teresa Berganza, Malcolm King.

LA DEROBADE
(DANIEL DUVAL)
Ruggero Raimondi dans Don Giovanni, de Joseph Losey
Au demier conseil des Ca/iers, un rédacteura |’humour sar-
castique langa cette question 4 la cantonnade : « Pourquoi n’a-
t-on pas confié la réalisation de La Déruhade 4 Mizoguchi.
de rester simple. modeste: sur le méme type de parti pris puisqu’il a toujours travaillé 4 la commande? ». Quelqu’un et
(transposition découpée d'un opéra), Jean-Pierre Ponnelle peut étre le méme qui avait posé la question répondit : « C’est
avait fait pour la télévision une adaptation de sa propre mise vrai, il a déja traité ce sujet dillicile avec La Rue de la hone !».
en scéne de « Noces de Figaro ». Elle était vivante, pas du tout Je m‘apprétais 4 ajouter: « Et parce qu'il est mort aussi... »
encombrée de gadgets inutiles, figurants ou décors. Il y passait. Maisje fus prise d'un doute impardonnable pour une critique
trés simplement, un peu du mouvement et de la vivacité des de cinéma : je ne savais plus. non je ne savais plus, si Mizogu-
opéras de Mozurt. Sans plus, mais c’était déja ca. Losey s’est chi était vivant comme Abel Gance, ou mort comme Chaplin.
trompé. Complétement. Quand il dit (op. cité): « Je crois qu’a Jen conclus que ce genre de bourde ou trou de mémoire
aucun moment on ne pense quwils ne chantent pas vraiment », devait s‘interpréter, non comme une manilestation de ligno-
il réve. C'est tout Ie contraire : des le début on sait, on sent que rance, mais plutét comme un hommage a des auteurs dont il
ces chanteurs doublés d’acteurs font effort vain (c’en est est bien plus facile doublier la mort que la vic.
génant de les voir s’appliquer) de simuler un direct stylisé, le
présent d*une représentation improbable. Pire : le son assour- Cette parenthése refermeée, il ne s'agil pas de comparer ici La
dissant. saturé et électrique (méme les voix des chanteurs sont Rue de la Honte et La Dérobade, ni Mizoguchi et Daniel
bétement délormées, artificielles, sans chaleur), cette bande Duval, bien qu’ils aient tous deux traité du sujet de la prosti-
sonore fait qu'on décroche complétement (et littéralement) de tution et que l'un comme l'autre ne fussent pas les auteurs ori-
Faction en images. Le son ne vient de nulle part, les voix sont ginaux du scénario qu’on leur proposait de traiter. C'est Ben-
définitivement condamnées a ne sortir d'aucune bouche (et jamin Simon, un producteur, pouss¢ par Miou-Miou, une
ajouter quelques « sons d’ambiance ». pris en direct ou pas. n’y actrice qui voulait absolument étre "héroine d'un film adapté
changera rien). Ceci dit, si !'on accepte lartificialité batarde du du roman de Jeanne Cordelier, quia décidé de choisir Daniel
spectacle (ct si on reste trois heures dans un cinéma, on accepte Duval pour réaliser ce film. Pourquoi lui? On lit dans le press-
bien quelque chose, il arrive inévitablement qu’on se laisse book que La Dérobade est une marginale par rapport « aux
entrainer quelque part). on doit bien convenir qu'il y a quel- paumés » que rassemble chaque fois l’univers de Duval, car
ques jolis moments : la longue liste des conquétes de Don Juan clle, se sortira de sa condition ».
qui se déroule sur Ie sol. la figure en forme de masque de Cette assertion met les choses au clair, il faut entendre par
létrange Kiri Te Kanawa, la belle performance (c'est de loin la: Daniel Duval. cinéaste. auteur de sujets singuliers, tente
le meilleur) de José Van Dam dans le réle de Leporello. Et sur- avec La Dérobade de sortirde la marginalité, du ghetto des jeu-
tout les quelques scénes frontales, celles qui restituent tant bien nes réalisateurs-pleins-de-talent-aux-films-qui-ne-marchent-
que mal !’espace scénique tout simple de la représentation lyri- pas. en se frayant une voie dans Ie cinéma commercial. notam-
que. Et un épisode savoureux, le seul a étre (modestement) ment en répondant 4 une commande de producteur. Il serait
réussi : celui o Don Juan, pour se débarasser d’Elvire et cour- mal venu. a l"heure ot !’on ne cesse de se lamenter sur Ja pénu-
tiser sa femme de chambre, oblige Leporello 4 prendre sa rie de producteurs frangais, de disqualifier un tel projet,
place et a lui chanter une aubade. Tapi dans l"ombre, portant comme si la commande ¢tait un piége pour I’art. Elle n’a pas
le masque de son valet pendant que celui-ci porte le sien. Don empéché toute une frange de réalisateurs commandités par
Juan'chante des doux mensonges pour égarer la crédule Elvire. Hollywood d’étre reconnus 4 posteriori. comme de grands
Le valet Leporello mime tant bien que mal les ardeurs de auteurs.
l'amour, pendant qu’en coulisses. en play-back, Don Juan y va Le cadeau piégé dans cette affaire, c’est offre d’adaptation
de sa‘ voix irrésistible. Double play-back donc (celui de la scéne du roman de Jeanne Cordelier, dont le sujet (Vitinéraire de
et celui du film), qui est davantage qu’un private-joke au Vinnocence a la prostitution) est un sujet bateau. «le plus
second degré : quelques accents de vérité y passent, qui don- vieux du monde », qui se doit plus qu‘aucun autre d’étre porté
nent la mesure de ce qu’aurait été une adaptation honnéte, une par la spécificité d'une écriture littéraire (a vifet inscrite dans
adaptation ot! l'on aurait décidé de faire preuve (et non pas sa chair chez Jeanne Cordelier) et/ou cinématographique, ce
signe) d'intelligence. qui manque précis¢ment au film de Daniel Duval. On a
Louis Skorecki Cimpression qu‘a force de vouloir éviter les écueils (le risque du
LA DEROBADE SI
naturalisme salace ou de la caricature) lécriture cinématogra- dent et normatifsur le registre des perversions, qui sont, il faut
phique s’en tient & une panacée prudente dans laquelle on bicn le dire, les pires moments du film.
décéle toutefois plusicurs tentatives avortées. A force de prudence, le film sen tient donc. au parcours
Par exemple. fa tentatton de renouer avee une tradition oblige, mis sur rail, du chemin de peine de la prostitution. A
mélodramatique du cinéma populiste francais des années 40 a cette fiction sans surprise, if aurait fallu pour létoffer. la
la Carné : la musique de Cosma, le personnage archétypal de consistance d'un personnage a la Eugéne Siie. ou Fambiguité
Marie, jeune fille de province vulnérable et douce tombée dans équivoque d'une Catherine Deneuve dans Belle dv your. Or le
le piége de la prostitution par amour du beau mac. Cette personnage de Marie (Miou-Miou) est a la fois transparent et
amorce de parti pris fictionnel est hélas court-circuité par la suns €quivoquc. Dés te début du film. elle parait déja avoir tout
recherche d'une distanciation de bon ton pour un sujet tabou, compris sur la question avec ce petit sourire étudié d‘acteur
par laquelle Duval tente sans doute de préserver sa spécificité Pro qui a trouvé son truc, si bien qu’on ne croit nia sa naiveté,
d'auteur. Cette retenue s‘avére dans un premier temps opéra- ni surtout a son amour pour Gégé, le seul personnage intéres-
toire, car elle permet de démystifier la fantasmagorie qui sant du film avec Maloup, grace 4 Maria Schneider (et non a
entoure la prostitution dans un procés de banalisation du cause du scénario) dont on attend sans cesse l’apparition sur
« mal ». On voit en effet Marie, sujette aux mémes contraintes lécran.
el petites vexations (se faire jauger par un patron ou une En réalité. le film est fait du point de vue de Gégé, le beau
patronne) que dans la recherche de nimporte quel emploi de mac, interprété avec talent par Daniel Duval. L’ambivalence
bureau ou de vendeuse. La facilité du glissement au passage a de son personnage, 4 la fois lache et violent mais animé d°un
lacte; le: « Vous commencez demain », de la patronne du bor- amour fou pour Maric, fait a lui seul consister la fiction. Son
del, ressemble a s’y méprendre 4 'embauche d‘une apprentice amour eluant une maniére de plaider non coupable pour le mac,
présentée par son pére (Ie souteneur en |’occurence). on comprend qu'il Wait pu devenir le héros principal et le sujet
Cependant. cette direction fictionnelle., qui aurait pu jouer veritable du film, a cause du cété un peu scandaleux d'un tel
sur le registre de la répétition (on imagine comment Chantal, parti pris.
Akerman aurail traité le sujet), en mettant accent sur les lieux Crest donc laspect constat des diverses situations rencon-
morts de la fiction (entrées et sorties des chambres d’hétel, trées par les prostituées dans un milieu donné, qui l’emporte,
montées ct descentes d'escalier, attente, reconduction des cest-d-dire en derniére analyse le point de vue sociologique
mémes actes jusqu’a I’étouffement, l’exaspération), cette direc- émanant d'une recherche réaliste, qui n’a pas su trouver dans
tion n'est pas tenue, méme s'il se dessine une intention de pla- son rapport au réel le moyen de « fui faire signifier davan-
cer le spectateur dans une position de frustration voyeuriste tage ». (selon lexpression de Bazin). Une espéce de prudence.
analogue ou comparable a celle du client de bordel; analogie amorcée aujourd*hut dans le cinéma frangais. semble en étre la
impossible 4 pousser plus avant il est vrai puisque le client cause, commie si te retour d'une politique de producteurs, dont
connait et désire le type de sa frustration, alors que Je specta- La Dérobade est le signe, ne pouvait s’effectuer qu’a ce prix.
teur visé par Ic film (celui des films de Sautet, i] me semble), C’est unc vue 4 court, terme, une vue d’économe.
doit en avoir pour son argent. Dés lors on va le distraire en le
Daniéle Dubroux
promenant dans tous les lieux possibles ou sévit la prostitu-
tion : de bar ou I’on danse, en bar ob I’on boit, de maison close
en hétel d'abattage. Un véritable voyage organisé avec juste ce
qu'il faut d’exotisme codé, un peu comme dans ce petit train LA DEROBADE, France, 1979. Réalisation : Daniel
des studios Universal a Hollywood. ot l'on vous fait faire dans Duval. Scénario et dialogue - Christopher Frank, d'aprés le
un temps record, sans mettre le pied a terre, le tour de la grande récit de Jeanne Cordelier, Coproduction » A.T.C. 3000 et
machine hollywoodienne, agrémenté au tournant du spectacle Societé Nouvelle Prodis. Producteur délégué: Benjamin
de quelques trucages qui font frisonner les foules. Dans La Simon. Assistant réalisareur : Jean-Pierre Vergne. Directeur de
Dérobade, on aura aussi quelques frissons de fete foraine par la photo: Michel Cenet. Ingénieur du son: Michel Vionnct.
lentremise du spectacle de perversions majeures, exéculées Deécorateur ; Francois Chanut. Montaxe : Jean-Bernard Bonis.
vile fait bien fait par le sado et le maso de service, filmées pour Interpretation » Miou-Miou, Maria Schneider, Daniel Duval.
le grand public juste au-dessus de la ceinture. Panorama pru- Niels Arestrup, Brigitte Ariel, Jean Benguigui, Martine Fer-
riere, Marie Pillet, Regis Porte.

Au milieu: 0, Duval, Miou-Miou et M. Schneider dans La Dérobade

TAPAGE NOCTURNE
(CATHERINE BREILLAT)
On sail que le mui. dans sa petile rotondité pathologique, et
a travers les cffets de capture qui le constituent, est tradition-
nelicment en France un objet de narration privilegié. Avant-
guerre, cette tradition égotiste s°est trouvée enrichie (on a pu
dire 4 tort: contestéc) des conceptions érotiques nées de
influence de la psychanalyse et du surréalisme; c'est de la que
Leiris a pu formuler sa théorie de la corne de taureau, qui exi-
geait du moi, pour paraitre sur la page en habit de lumiére. des
prestations de matador. I! s’agissait de fonder ses prétentions a
la dignité littéraire, par une notion de « danger » appuyée sur
le roe de la castration, Tentatives pathétiques ou tragiques,
empreintes d'une immense vanité virile pour la plupart
(« L’Age "homme », « L’Arrét de mort », « Le Bleu du ciel».
52 CRITIQUES
« Le Bavard »), mais fascinantes, de déchirer la petite rotondité dans tous ses propos— elle sail que ca ne peut que lui faire plai-
pathologique pour atleindre une dimension plus cruelle. plus sir, théoriquement parlant. Cest également censé faire plaisir
essentielle, de jouissance. aux speelaleurs. Soumise 4 des petites humiliations par son
partenaire, le personnage (et non moins I'actrice. et par le tru-
Ces récits difficiles devaient donner lieu. comme il se doit. chement de celle-ci auteur, coalescente de la narratrice) y
un peu plus tard. a des facilites. L’érotisme étant une notion triomphe sourdement, les fesses couvertes de griffures, c'est la
ambigué, (malgré la définition radicale de Bataille). 4 cheval pelite touche d'Histoire d’O.
sur le sybaritisme et l'ascétisme. l'expérience n‘ayant d'autre De ce récit comme de tant d'autres, on peut tirer la morale
autorité qu’elle-méme et lexpiation de cette autorité étant au qu’une femme a toujours besoin d’un petit voyou pour étre
choix du sujet. la moindre expérience érotique (par exemple le touchée de la [leche de l’ange. La grace dont il s’agit est ici toute
dépucelage par la bonne espagnole) pouvait donner un petit restreinte ct parisienne. symbolisée par un envol de pigeons de
livre (Ph. Sollers, « Une curieuse solitude ». d’ailleurs sans jardin public figé par arrét sur image. Dans les larmes de trois
doute ce qu'tl a écrit de mieux). jours que Solange. «7 cauda et off avoue verser apres la rup-
On a maintenant, dans le méme esprit, des petits films. Ainsi ture, if ya toute la revanche symbolique que l'on sent passer
Tapage nocturne, qwiln’y a sans doute pas lieu d’écraser sous dans ce film : pleurer (soulfrir) est une supériorité par rapport
trop de moralisme esthétique. Le film de Catherine Breillat na 4 la lacheté affective de homme: inversement. le fait que ces
pas d'autre prétention que de raconter une histoire d’amour un larmes soient éphémeres et superticielles, signifie que le petit
peu acide (l'amour, l'histoire), qui prend reliefactuel moins de moi de Solange n’a pas été entamé, que son « orgucil » est
ce qu'on y snifte de la coke. baise dans les escaliers et dine au intact, Les sentiments sont bien réciproques, ils ont toujours
Buin-Douche, que de ce qu’une femme s’y raconte a la pre- été. Solange est la méme chose que Bruno. On ne peut qu’en
miére personne. prendre acte ct se dire que tout ga ne nous a guére mené plus
Qu‘une femme— une jeune fille, peu importe - se réfléchi loin que quelques marques de griffes et d’escalier sur les lesses.
en tant que telle dans le miroir dun film, ga c’est D’autant moins loin qu'il y a a l’évidence un personnage
d'aujourd’hui. On se souvient qu’a I’époque de la Nouvelle sacrifté (peut-étre deux), et sacrifié précisément a la vanité de
Vaguc ilsuffisait. pendant un temps. qu'un cinéaste se présente la narratrice. dans Tapage nocnirne, c’est celui de la femme de
avec Vétiquetle «jeune» pour trouver une production. Bruno, vaguement lesbienne et contidente de Solange. II fallait.
Aujourd'hui, c'est « femme », pour que Solange garde son rayonnement central, que ce per-
Sil ya un film auquel celui de Catherine Breillat me fait sonnage soit secondarisé et humilié (par le film, j’entends)
penser, peut-Gtre par contraste. c'est Luniére de Jeanne comme est seccondarisé et humilié le riche protecteur de
Moreau. La aussi, une femme dont c’est le premier film, par le Solange. Le film aurait eu plus de force et de vérité. me semble-
truchement d*un personnage Ia actrice. ici cinéaste (dans les t-il, si Catherine Breillat avait su donner plus de réalité et de
deux cas 4 trés courte distance de Pauteur), expose ses amours, complexité aux relations de Bruno et de sa femme (ou d'une
ses hommes, ses appartements, avec une tranquille impudcur autre), La rupture elit peut-étre semblé moins arbitraire : tclle
et fa calme certitude de rayonner du feu divin. La différence est qu’clle est exposée, il n’y a aucune raison pour qu'elle inter-
dans l‘éclat voulu : Jeanne Moreau ne craignait pas de nommer vienne ai tel moment plutét qu’a tel autre, alors que « dans la
son personnage Sarah Dedieu et de se poser en rivale du soleil vie » (il me semble qu’on est en droit, ici, d’utiliser cet argu-
(« le soleil m’emmerde ». textuel). D’ailleurs son film était plus ment). il y a toujours une raison concréte pour que le lien soit
ambitieux. Plus modeste peut-étre. ou plus jeune ou plus tranché, et quand la rupture vient de homme, elle vient d*unc
adroite ou plus subtile. Catherine Breillat choisit léclat autre femme. Mais il semble consubstantiel au propos de
lunaire. comme le suggérent le titre et Vaffiche du film. Catherine Breillat quil n'y ait pas autre femme.
D'un narcissisme dont on aura compris. je pense. quil
Fen reviens done a lirritation que javouais un peu plus
nVirrite un petit peu, le film se veut lucide cependant. L’argu-
haut. Cette irritation vient. en définitive, de ce que la facilité.
ment du récit, la formule « les sentiments sont toujours réci-
une facilité multiple, est partout dans Tapage nociure ; facilite
proques» (elle revient en leitmotiv dans la bouche de aux sens divers de plume facile. facilités monétaires. esprit
Bruno/Bertrand Bonvoisin, famant sadique. timoré ct habile
facile, vie facile... sens divers et ambigus mais que dominc
de Solange/Dominique Laffin), est troublante, puisqu’on ex pé- lidée dauto-satislaction. de pas la peine de se fatiguer, de « on
rimente quotidiennement le contrairc. On croit géenéralement est comme on est». 1a ou on est. et bien content comme ga.
que « réciproques » veut dire « simultanés ». La sentimentalité
Dans le genre aulobiographie morale a base d’érotisme, genre
a minima que le film expose montre bien comment fonctionne désormais bien ancré dans le cinéma francais (de Rohmer a
la réciprocité en question : en chicane. Si tu ne m’aimes pas je Eustache)., 4 la tradition fonciérement réactionnaire mais ¢a
Uaime car si tu m’aimes je ne Caime pas — « jamais tu ne me existe, on peut attendre un peu plus. On ne souhaite évidem-
regardes 1a d’ou je te Vois » — et toutes les miséres bien connues ment pas que Catherine Breillat en bave davantage, ce serait
de chacun. {A chacun sa chicane). stupide, simplement qu'elle se laisse fasciner un peu moins par
Plus simplement. la dimension ott évolue (si l'on peut dire) elle-méme. Elle sait raconter une histoire. choisir ct diriger des
le couple de Tupage nocturne est celle de ce que Stendhal comeédiens (B.B. ect D.L. sont vraiment bien). Reste Ie reste.
appelle I’« amour de téte », fondé sur un double narcissisme, Pascal Bonitzer
ow la régle pour chacun des partenaires est de feindre lindif- TAPAGE NOCTURNE. France, 1979. Réalisation, adapta-
férence et le retrait, pour mieux piéger l'autre et lui faire avouer tion, dialogue : Catherine Breillat. Coproduction - Axe Films et
son attachement, son engagement. French Production et producieur délégué: Pierre Sayag.
Hest vrai que chez l'un, chez Bruno, l’aliénation narcissique assisiqar réalisateur ; Olivier Jacquot. Décorateur : Domini-
et la tactique de retrait attcignent un tel degré que Solange est que Anthony. Directeur de la photo; Jacques Boumendil.
presque exonérée de toute initiative: elle ne peut que se sou-
Invénieur du son: Alain Curvelier. Mfontage : Annie Charrier,
mettre A un caprice un peu sadique qui n'est que lécran d'une Musique: Serge Gainsbourg, interprétée par « Bijou ». ater-
visible inhibition, Inutile de dire qu’elle y puise une nette supé-
préraion ; Dominique Laffin, Marie-Héléne Breillat, Bertrand
riorité, lors de inévitable rupture. En attendant. elle jouit, et
Bonvoisin, Joc Dallesandro. Dominique Basquin, Daniel Lan-
d'autant plus votontiers que. comme Bruno est un snob lecteur gict.
de Lacan, — ce n’est pas dit explicitement mais ca transparait
NOTES SUR D'AUTRES FILMS

NOTES SUR D‘AUTRES FILMS

lous types, y compris les non-homoscxucls. C'est 14 of le film cloche :


RACE D'EP de Lionel Soukas et Guy Hocquenghem. (France, 1979). il est trop parisien pour avoir un impact trés large, trop confus et foi-
sonnant pour avoir un réel impact parisien, particulier, privé.
Ce qui sauve Race d'Ep ! (pédéraste en Verlan. a I'envers donc), Sutve par fe désir ! De quoi est fait ce film? D'un désir de recons-
c'est le désir. Mais de quoi ce film doit-il étre sauvé? Peut-étre de la lituer quelques moments de l’Histoire peu connus (le photographe
complaisance: il y a une ambigiité. qui n’était pas nécessaire. a vou-
Von Gloeden et ses modcles costumes au début du siécle en Sicile. le
loir se situer 4 tout prix sur un double terrain. celui de [Histoire de
mouvement homosexuel allemand de Fentre-deux guerres), ainsi que
Vhomosexualité ct celui de I"homosexualité en histoires. Par ailleurs, des histoires plus personnelles (une histoire d‘amour dans les années
il est impossible'de faire abstraction de cette confusion des genre: 60, une nuit de drague aujourd'hui). Reconstitution : elle ne se sou-
dabord elle a a voir, métaphoriquement, avee homosexualit tient que d'une formidable soil de liction, une envie irrépressible de
ensuite c'est elle qui donne son ton au film, qui le structure, pour le
jouer ct de faire jouer tout, n'impone quai. N‘importe quoi peut fie-
meilleur et pour le pire. Comtplaisances publiques et complaixances uonner, faire plaisir, faire jouir. Il y a, dans cette jubilation a porter
privées. L‘ambition ambigué du propos est donc de mélanger, de a fécran des fictions incarnées par des corps qu'on aime, un désir de
mixer des considérations générales (historiques, esthétiques, sociolo-
mise en scéne qui n’existe plus ailleurs, dans les froides fantaisies des
giques, politiques) et des considérations particuliéres (au sens ot l'on films « d'auteur » : méme dans les passages les moins évidents (les épi-
é
dit. trop poétiquement. « amitiés particuliéres »), ce qui se traduit a sodes pré-nuzis par exemple, kitschement rétro et alanguis), i] passe
la fois dans le découpage (quatre « histoires ») et dans le style du film un trés fort sentiment de vérité. vérilé des corps, des décors. de
(embrasscr plusicurs choses a la fois, fuire fresque). Cette tentation du lambiance, une vérité qui ne vient que de l'invention pure : gestes,
general, cette compulsion a parler de plusicurs choses a ta fois. au ris- démarches, couleurs, voix, tout participe d'une spontanéité inventive
que (exaltant, neuf) de sc mettre 4 bredouiller, est stirement la carac- dont il va peu d’équivalents (Vecchiali ct Fassbinder peut-étre). C'est
léristique principale du nouveau cinéma homosexuel; les films de
une nouvelle crédibilité : cruelle, douce, musicale. Elle ne doit pas
Fassbinder (et d'autres jeunes cinéastes allemands) courent sans cess
faire oublier pour autant les errances travesties au gout du jour : nos-
ce risque du trop-plein, conséquence logique (et courageuse) du fait
talgies théatrales et photographiques, tentation de la scientificité para-
que la pensée/sensibilité homosexuelle n’a pas encore pu sexprimer doxale (instaurer un contre-savoira allure encyclopédique), tentation
en tant que telle. Mais fa ob Fassbinder fonce, réussissant ou ratant
aussi de la démesure (sous-titre du film: «Un Siécle d'images de
complétement un film, Soukaz et Hocquenghem ne réussissent qu’a
Vhomosexualité »).
moitié. Peut-Ctre parce quils sont deux : Soukaz seul. avee ses films
Le dernier épisode pourtant, « Royal Opéra », est au-dessus de lous
en super 8 (Boy-Fricnd fet 2), des films qui s‘adressatent done a un ces soupcons. Le seul 4 étre enti¢rement contemporain, il raconte la
public plus restreint, parvenart a se faire plaisir tout en fuisant plaisi nuit de deux hommes, un ameéricain de passage ct un homoseauel
@ ses spectatcurs qui pouvaient se compter un a un; le narcissisme
parisien. Le premier est marié, if est tombé par hasard dans un bar
extréme de amateur, celui qui aime, 4 montrer ses collections pri-
homosesuel de Vavenue de l'Opéra. C’est la tentative de séduction qui
vées. 4 étaler les imayes ct les sons de ses fantasmes, ce nurcissisme en trace litinéraire du film : sur les quais. aux Tuileries. prés d’une pis-
rencontrait un autre, celui de gens qui pouvaient se reconnaitre. se
soliére au petit matin, un jeune Francais homosexuel Goué par Hoc-
rencontrer, sur I’écran, dans la salle. Le spectacle devenait drague
quenghem) tente de draguer un ¢tranyer qui n’y comprend rien. S’il
bariolée, la complaisance se justifiait totalement de n’étre que cela, le
n'y avait que cet itinéraire exotique et documentaire (le voyage est
prétexte 4 une projection privée: circulation éphémeére des désir animé, vif, constamment surprenant), le film serait déja assez émou-
miniiturisation du monde, remise en question de la place problémua- vant, ethnographiquement parlant. It y a plus: une voix trés effémi-
tique de chacun des spectateurs. Race d'Ep ! vise un public plus large. née, une votx de « folle », censée étre celle du dragueur, commente les
qu'tl s‘agit suns doute de mobiliser, un public trop grand. Je ne veux
images: elle raconte au téléphone la version fausse de l'histoire : la
pas dire qu'il est interdit 4 un cinéaste homosexuel de faire un film drague a marché, laméricain a c1é séduit, ils ont couché ensemble.
homosexucl a grand public. Au contraire. Simplement, ce type de film
Cette voix, exagérée par rapport au corps qui est supposé la porter,
nécessite unc analyse de la diversité hétéroclite du public (Ics homo-
donne a [histoire un aspect contradictoire. un lon qui déconcerte et
sexuels ne se ressemblent pas, ils sont aussi différents entre cux que oblige a y regarder a deus fois. plus attentivement. Et c’est ant mieux:
n'importe quel groupe). un public qui doit pouvoir Gtre composé de
on voit alors, avec une évidence crue, que l"image elle aussi raconte
en fait "histoire d'une drague réussic: deux hommes jouent a se
G. Hockenghem et P. Stanislas dans Race d'£p! de Lionel Soukaz et Guy Hockenghem, séduire, s‘olfrent tantot, se refusent ensuite, échangent des regards.
marchent céte 4 cote, paralléles ct symétriques, pareils ‘un a l'autre.
Hy a dans ces frélements progressits du plaisir une vérité qui ellace
la fable de la fiction: cette fable. qui est cn plus.en trop.n"apporte plus
dés lors -— mais c’est considérable - que élément de [ragilité qui man-
quait aun conte trop clair, Quelque chose de tragique nait de ce déca-
lage : pus entre une voix qui ment et une image qui dit vrai, mais bien
de l'adéquation décalée entre une image qui ne peut mentir et une
voix qui dit la vérité dérisoire du desir. Un désir assez fort pour contre-
dire son propre scénario vaut qu'on s‘y arréte. Les signes en sont par-
tout, épars, brilants: le désir désigne, sauve. L. S.

DES BLECHTROMMEL (LE TAMBOUR). de Volker Schléndorif.


(R.F.A.. 1979) d'aprés le roman de Ginter Grass, avec David Ben-
nent, Mario Adorf. Angela Winkler, Danicl Olbrychski.

Face au géant Apocalypse Now. Vautre Palme d’Or du lestival de


Cannes, Le Tambour, prosse production franco-allemande, reléve
apparemment plus dun calcul politique soucicux de préserver une
image d'indépendance et doriginalité du cinéma européen (moins de
la vieille Europe que de la C.E.E.} I s’agit de renforcer unc certaine
CRITIQUES
I. Cette opposition, on le sait. est truquée. I est vrai aussi que le nazisme
— el tout ce qui y touche - est la seule grande fiction contemporaine que
l'Europe puisse opposer aux superproductions umericaines. Ce n'est assuré-
ment pas ici le rapport du cinéma a la fittérature qu’on a voulu primer a Can-
nes: sinon Avneur de perdinen aurait e1é retenu par la sélection ollicielle.

DIE ROTE BUCHSTABE (LA LETTRE ECARLATE). de Wim


Wenders. (R.T.A. 1973). W’aprés le roman de Nathaniel Hawthorne,
avec Senta Berger, Lou Castel, Hans Christian Blech, Yella Rottlan-
der, Yelna Samarina, Rudiger Vogler.

Voici un étrange Wenders: sans dérives automobiles, sans pola-


roid. sans cinéma ni télévision. Tourné. qui plus est. en costumes
d’époque (X VII¢) puisqu’il s‘agit d'une adaptation fidele du roman de
Nathaniel Hawthorne, réalis¢e en 1972
Un film anachronique done, par son sujel, par sa sortie en salle, et
surtout par son projet : on sent en cllet. dans ce parti pris de filmerau
plus prés. sans fioritures de style, sans clins d’ceil a la modernité, sans
meétaphorisation, un sujet déja-la et suffisamment pris dans sa propre
fiction pour se soutenir d*une lecture littérale — on sent comme la nos-
A. Winkler, D, Bennent, D. Olbrychski et M Adorf dans Le Tambour ltalgie dun temps oli les films se soutenaicnt de raconter (plus ou
moins bien) une histoire (plus ou moins bonne), sans que I’« auteur »
vienne lui ravir la premiere place. Wenders ici semble s‘elfacer der-
conception prévalente de ce cinéma qui vcut qu’a la prétendue crise riére Hawthorne, et plus encore derritre le souvenir de ce cinéma-la.
du cinéma. la solution soit dans un juste mélange du culturel (de la dont les « auteurs » ne le sont devenus qu’aprés coup. Je crois n’étre
alittérature, de l'écrit)et du spectaculaire (du théatre). (1). Le Tambour pas la seule 4 avoir flairé une odeurde Afoonfeci dans ce film. qui peut
est un beau fleuron de ce mode de production. Pourtant, en dépit de pitsser pour un exercice un peu mimétique d‘intégration du patri-
son succés commercial vraisemblable et de ses lettres de noblesse moine cinéphilique. Cest principalement ce qui lui vaut. semble-t-il
culturelle, Le Tambour est d'abord un échee cinématographique. le dedain largement partage dont il fait Pobjet. Un dédain certes légi-
Dans son roman. Giinther Grass avait réussi ce paradoxe de fire time pour peu qu'on se situe en amont de la position occupée par le
de la mesquinerie petite-bourgeoise une cpopée. de verser i film. c’est-a-dire dans la cinéphilic: il n’a alors ni les qualités de
minutieuse comptabilité dans la démesure du baroque. De l"écriture Vauteur daujourd’hui qu’est Wim Wenders. ni celles des auteurs
charnelle du Tambour, de la cruauté de son rire, de la virulence de ec hier, Lang et tous ceux qu’on peut s‘exercer a citer. Mais lorsqu’on
délire, de cette destruction vive par le sculpteur de ordre premier et se Lrouve, comme moi-méme et comme d'autres (de plus en plus nom-
monumental de la pierre, i] ne reste rien sur !"écran, rien que des ima- breux sans doute) qui, par exemple. itbordent Meonfleer pur Pinter-
ges irréprochables, mais aseptisées, lisses, egalisées par une commune meédiaire des Enfants du placard et de La Letre ecartare — lorsquon
absence d’alfects, de tensions et, par suite. vouées a une cgale désaf- sc trouve done en ave/ de Phéntage cneéphilique - le film vient oecuper
fection un spcctateur réduit a Vindifférence. Du récit par Oscar de une place d’ou il gagne. je crois. 4 dire vu: non tant comme préfigu-
son refus de grandir, la férocité de l’énonciation subsiste seulement rauion des futurs Wenders. ou comme simulacre un peu nostalgique
dans lintonation du commentaire off de David Bennent: mais d'une cinéphilie qui ne vil plus que dans la mémoire des autres. que
Vabsence d‘écho dans "image la rend un peu dérisoire. En fait. Le comme un film racontant. avec des moyens simples. une histoire trés
Tambour Woftre pas de prise 4 Vimaginaire du spectateur, une faille belle et qu’a mon sens il ne trahit pas. Le scénario en eflet serre et sert
par ow i] puisse linvestir ou un obstacle sur tequel il soit inévilable- au plus prés le roman. et méme si le personnage de la femme adultére
ment appelé a buter : de ce qui se passe ici font a cre écrit, il ne peut saplatit a étre condensé dans l'incarnation de la «belle femme »
rien arriver de plus, ct a nous non plus. En ce sens, Le Tantbour est (nterprétée par Senta Berger, par ailleurs béetement maquillée). méme
un succes du cinéma académique : un récitembelli parsa présentat si da fillette, malgré le charme de Yella Rotlander. perd aussi de sa
mais dont rien dans sa forme ne vient contrarier l’évidence. Acadéemi- complexité, par contre le médecin s’enrichit d’°une ambiguité que ne
que: un cadre que son contenu ne sounret @ aucune violence. lui aecordait pas le roman (figure a la fois de l"a-social et de la Loi
bafouée qui cherche a se venger par-deld la justice des hommes, il
Crest toujours sur une résistance premitre que s‘appuie la séduc- devient le véritable pivot de la narration). tandis que le personnage du
tion. Oscur ne gagne pas son speetateur parce qu'il n'y a pas dadver- pasteur acquiert une présence, une lorce tragique assez impression-
saire @ sa hauteur dans le film et qu'il vaine sans péril. defiut majeur nantes. (Lou Castel, avee son regard fixe. a-t-il jamais été aussi bien
oll se ruine son inutile volonté de puissance. La petitesse d’Osear ne utilisé?) Tout cela, certes. ne sulfirail pas 4 faire du film autre chose
conteste nullement Vordre hiérarchique du grand et du petit, celle-ci qu'une plate adaptation, sil n’y avait dans Ie scénurio des inventions
est renvoyee 4 la voix eff au hors-champ, Ce renvoi trahit une carenee troublantes: par exemple lorsque. apres la scéne du début ot la
scénographique inhérentea l’économie réaliste du film, Bref. ila man- femme est publiquement sommeée de prononcer fe nom de son amant,
qué 4 Schléndorff
les moyens de son entreprise. Lors de la rédaeuon le médecin demande 4 un homme de lui dire qui habite dans la cabane
du scénario du Yanbour, Grass juge (correctement) Schléndori? qu’on apercoit la-bas 4 léeart - la cabune de la femme - et que
« trop protestant ef cartésien »; le second.dit Qustement) du premier homme tui repond: « On n‘a pas le droit de prononcer le nom »
qu'il est « un catholique ies paien ». De fait, le rationalisme protes- (réplique qui n’est pas dans le roman. et qui fait circuler l"interdit sur
tant dominé dans Ie texte est revenu, intégralement, dans application le nom avec un eltet de tabou en écho qui donne une autre dimension
de la mise en cadre. Volker Schléndorff'a été indéniablement un des 4 Vostracisme atroce de la femme adultére): ct sil n'y avait aussi, dans
pionnicers de la jeune génératton du cinéma allemand: il la été en por- une mise en scéne pourtant dépouillée d’eflets de style. la manifesta-
tanta Vécran de grands livres contemporains (de Musil. Yourcenar, tion parfois dune écriture par laquelle le film échappe constamment.
B6ll...): chacun de ses films le montre particuliérementattentif'a Phis- bten que sans ostentation. au degré 2¢ro de la narration. Je pense par
toire de "Allemagne d’aprés-guerre. Mais il est 14 doublement prison- exemple a ces chutes qui étrangement se répetent. hors de toute néces-
nier: de Mécrit et de sa rationalité classificatrice parce qu'il Jui faut sité psychologique ou de toute intention comique (Ies chutes du pas-
passer par des ceuvres littéraires: de sa compétence de régisseur qui, teur. la double chute du gouverneur courant au petit matin vers le
lui assurant la trop grande maitrise technique de son sujet. bloque bricher): je pense surtout a fa malicieuse habilere avec laquelle Wen-
dans ses réalisations la dynamique propre de l'image 4 déborder de ders désumorce les atientes quit a lui-méme créées : si l'on attend dés le
son cadre. Cette double dépendance. en le soumettant aux eréations début a ce que l'objet de lattente porte sur Fidentité de Famant,
dautrui, Vempéche de constituer son ceuvre personnelle de cinéuste. celle-ci nous est indiquée trés vite par la chute du pasteur lors du juge-
Aujourd’hui. c'est au tour du Tambour de souffrir cruellement de ment public, et Vattente se déplace sur une autre question : non plus
cette limite — de cette trop grande modestie. Y¥.L. « qui est-ce? » mais «comment apprendra-t-on que c'est lui?» De
NOTES SUR D'AUTRES FILMS 55
méme avec le faux suspense de Ia tin, quand [a petite fille force sa mére
a s’arréter 4 cause d'un caillou dans sa chaussure : on s‘attend 4 une
course-poursuite, attraperont-elles le bateau, montage alterné sur les
deux femmes et le médecin a leurs trousses— eh bien non, tout se passe
le plus simplement, et 'ombre du meédecin s‘arréte au bord de l"écran
tandis qu’elles s‘embarquent au loin. If y a, aussi, cette petite musique
ala Wenders, un peu trop présente peut-étre mais utilisée parlois avec
des effets dramatiques si appuyés qu’ils relevent moins de la mala-
dresse que dune déconcertante liberté d’écriture: ce plan trés court
sur le pasteur of survient un fragment de phrase musicale, aussit6t
coupé par le contre-champ, comme un ellet d‘index : « c'est lui». II
y a méme Riidiger Vogler, qui a lair tout content de retrouver sa
petite compagne d'dlice dans les villes, mais la je vais trop vite. Je
nvarréte done a ceci : un sujet magnifique, serré au plus pres avec, en
pointillés, la marque d’une écriture qui doit tout au réalisateur—cela
suffit, lorsqu'on baigne dans cette innocence cinéphilique qui empé- Marina De Graaf et Gérard Cox dans Premier secret.
che d’apercevoir ce qu'il peut y avoir, dans cette forme de fidelité aux
auteurs, de velléitaire et de mimétique - cela suffit 4 capter le plaisir,
un point de vue forcément plus léger. que vient préciser et relativiser
lémotion de se voir conter, comme avant, une belle histoire. Plaisir
Vattention perspicace et douce, uimante, de la mére. Tout cela pour
et émotion augmenteés du frisson nostalgique qui circule 4 lidée qu’on
dire quil s’agit d'un film sensible, agréable 4 suisre (méme s'il man-
se réapproprie la, comme par délegation, un peu de l"héritage, imparti
que singuliérement de rigueur formelle : la scene ot !'héroine est vio-
aux anciens, d'un monde qu’on n’a pas connu. N. H.
lée, par exemple, sans étre une partie de rince-l’ceil comme c'est sou-
yent Ie cas dans les films. y compris ceua qui veulent « dénoncer le
viol», n'a pas été assez pensée pour échapper au stéréotype, ce qui
THE DEBUT (PREMIER SECRET), de Nouchka Van Brakel, (Hol-
uurait été la seule fagon = il est vrai que ce nest pas facile a faire — de
lande. 1977), d’aprés te roman de Hester Halbach, avec Marina De
justifier sa présence dans le scénario et le fait qu'elle soit effectivement
Graal, Gerard Cox.
montrée), un film quia des qualités 4 ne pas négliger. Relativisons les
choses : si l’on compare ce film a certains de ses équivatents frangais
« Elle a quatorze ans. Elle adore les grosses pommes vertes. Elle (je pense en particulier aux filme de Charlotte Dubreuilh et aussi a
écoute les Village People. Elle s*éclate au « Palace ». Et elle aime un quelques scénes entre parents et enfants du Divercement, le film de
homme de quarante ans». Voici le résumé publicitaire du film. It Barouh), alors on peut crier: « vive la hollandaise ». En regrettant
pouvait faire craindre le pire, tel n’est pas le cas: s‘il y a bien une fille toutefois qu'elle ne vole pas davantage.
de 14 ans, des pommes vertes, de la musique disco. et un homme de LS.
40 ans (il en fait plus). ces ingrédients ne sont ni au centre de I"histoire.
ni arrangés de la maniére (un peu perverse. un peu émoustillante)
qu’on veut bien laisser entendre. D’abord. ca se passe en Hollande HEROES, de Jeremy Paul Kagan, (U.S.A.. 1979}, avec Henry Win-
(c'est tres précis sur ce pays. on en apprend beaucoup — psychologi- kler, Sally Field, Harrison Ford.
quement parlant), ensuite c'est le film d’une femme, et ga se sent : sans
que ce soit ce qu'on appelle (souvent abusivement) un «film de Heroes donne le sentiment désagréable d'une série TV éparée dans
femme », ce n’est pas non plus un film fabriqué selon les normes fic- le cinéma. Le flottement du cadre et la performance narcissique des
tionnelies Ics plus courantes. Entendez que le voyeurisme. qui est un acteurs. un verbe omniprésent proche parfois du verbiage, viennent
élément moteur de ce type d’histoire- et ici, i s’agit autant du voyeu- directement de Ja télévision. Reprises telles quelles, ces recettes sup-
risme du spectateur devant la nudité et la hardiesse d'une petite fille, portent mal le passage au grand écran. Elles lassent vite, elles afladis-
devant les scénes d'amour physique. que du voyeurisme au travail sent (humour de J.P. Kagan, elles neutralisent l'objet de ses films (1).
dans "économie de la fiction: surveillance des parents, strip-tease Comme dans The Big Fix, Kagan filme ici le reflux des années 70.
provocateur de la petite devant le grand homme. désir de s’exposer, Enfermé dans un hépital psychiatrique militaire de New York a la
envies de voir, ce « voycurisme » nen est pas (tout a lait) un. Qu'est-ce suite d’une expérience traumatisante de la guerre du Vietnam, Jack
a dire ? Cette histoire d’amour et d‘éveil (amour est partie d'un jeu Dunne (Henry Winkler) s*évade pour monter avec ses anciens com-
pour une petite fille, méme les sentiments les plus forts ont une pagnons de guerre un élevage de vers de terre en Californie. Lorsqu’il
dimension ludique et se trouvent relativisés par un mode de vie, de retrouve les traces de ceux-ci, son réve s’effondre et, finalement., il
pensée, qui ne peut pas changer radicalement du jour au lendemain revit le traumatisme qui est 4 l’origine de son délire.
fit-ce sous influence d’un amour fou). cette histoire d’éveil de la sen-
sualité est tout entiére racontée et montrée avec une grande prudence : Ce moment dernier de ta rencontre (rencontre avec soi-méme), est
c'est un élément, majeur mais pas fétichisé comme le grand saut dans le temps fort de Herves. Elle apparait quand, dans la progression du
autre chose, du lent (et rapide a d'autres égards) passuge a lage ado- film, elle a pratiquement perdu tout son sens pour nous. Elle fixe en
lescent/adulte. Cette prudence de la réalisatrice se double (et sc ren- quelque sorte la situation de la génération de la Convention de Chi-
force) d‘une attention trés subtile aux rapports, que ce soient les rap- cago dix ans aprés, quand la mutation n'est pas encore véritablement
ports familiaux. amicaux, ou méme amoureux. Attention toute psy- accomplie. Mais pour produire l"image de cette mutation, il faut a
chologique, faite de détails, de regards, de gestes esquissés, d’humour Kagan rivaliser avec trop d’images de on the road, de « lage du flic
aussi. Il est dommage que cette attention et cette prudence ne se burlesque » 4 Monte Hellman, pour que leur retour ne soit plus qu'un
retrouvent que trés partiellement dans le travail de mise en scéne, qui, effet de citation et désigne autre chose que Fépuisement de la veine.
sans étre plat ou quelconque, n‘est cependant pas a la hauteur du Kagan se trouve ainsi réduit 4 montrer la folie de Jack Dunne, assez
sujet: c'est un filmage discret, pas déplaisant. mais somme toute douce pour réconforter des familles, fa o deux générations sont
banal. qui vient contredire souvent les subtilités de la fiction. Ainsi les conviées 4 se réconcilier aujourd hui pour se transmettre les armes de
scenes d'amour, sans étre trop appuyées ou grivoises, manquent-elles gestion de la société, aprés effacement du contentieux du Vietnam. La
de coloration propre : elles hésitent sans cesse entre le porno mou et parenthése se ferme. La continuité est assurée par, outre la puérilité
tes notations humoristiques, sans jamais atteindre 4 une unité, sans du délice innocent de Jack Dunne, ses interminables querelles de
jamais atteindre pleinement la densité de l’instant, qui est pourtant meénage qui ponctuent le film et of se perd intérét de son sujet. recon-
leur moteur fictionnel. On ne peut pas ne pas penser au Lofita de duisant, sous des couleurs pop. le schéma le plus conformiste.
Nabokov/ Kubrick (plusieurs scénes identiques se retrouvent dans Ices YoL.
deux films) qui avait un ton caustique. tragique et drdle 4 la fois, et
|. Alors que Cassavetes emploie ces procédés comme autant de modes de
qui rend passablement dérisoires et inconsistantes les amours enfan- brouillage du sens, de dilution du réel, Kagan lui sen sert aux fins classiques
tines telles que Nouchka Van Brakel les filme. Ceci dit. ce n’est pas dex position, de monstration. C’est la toute la dilférence entre un usage norma-
le méme sujet : Kubrick filmait la passion délirante (et mortelle) d'un tif de techniques nouvelles leignant fa spontanéité et la création authentique
vieil esthete, Van Brakel filme plutét du point de vue de Ia petite fille, @une esthétique neuve. D'aillcurs Cassavetes joue un médecin dans Herovy.
6 CRITIQUES
ea
AU REVOIR A LUNDI, de Maurice Dugowson, (France. 1979), ce Dugowson ot I’on sent par ailleurs une certaine considération du
d’aprés le roman de Roger Fournier « Moi, mon corps, mon ame. réalisateur pour ses personnages et pour son public. on n'est pas dégu :
Montréal, etc. », avec Miou-Miou, Carole Laure, Claude Brasseur. Carole Laure est brune et charmante. Miou-Miou est blonde et char-
David Birney. mante, "histoire avance sans surprises, au Canada il fait froid et le
couple. eh bien le couple...
CHARLES ET LUCIE, de Nelly Kaplan, (France, [979), avec Le couple est 4 la mode cet automne. Le petit Frangais aussi : gentil,
Daniel Ceccaldi et Ginette Garcin. tellement gentil qu’il n’y a vraiment pas de quoi étre méchant. N.H.

IL Y A LONGTEMPS QUE JE T’AIME, de Jean-Charles Tac-


THE BIG FIX, de Jeremy Paul Kagan. (U.S.A., 1979), avec Richard
chella. (France. 1979), avec Jean Carmet. Marie Dubois.
Dreyfuss, Susan Anspoch, Bonnie Bedelia, John Lightgow. Ofelia
Medina.

Le petit Francais de la rentrée fait recettes. Recette : les avatars d’un Moses Wine, la trentaine passée depuis peu, ex-étudiant a Berkeley
couple séparé (// y a longiemps que je Caime, de Jean-Charles Tac- el ancien contestataire, conserve des glorieuses années 60 un héritage
chella): les avatars d*un couple cherchant couples (in revoir a hindi, hétéroclite: un manque cruel de situation (« espion industriel »,
de Maurice Dugowson). Le couple est a la mode cet automne. vaguement détective : on le voit en réalité au début du film calculer
Recette : du frangais d°exportation (Tacchella, qui cherche évidem- le rendement d’un abattoir de poulets, ce n’est pas une situation !). un
ment a exploiter le créneau de Cousin Cousine, succes assuré outre mariage assez évidemment rate (sa femme suit maintenant les desti-
Atlantique): du francais d’importation (Dugowson, une co-produc- nées d’un gourou prétentieux et mou), deux enfants en bas age. et une
tion franco-canadienne, un ton bien de chez nous qui nous revient du vieille tante Sonya ayant gardé pour sa part son accent yiddish et ses
froid); du frangais de transhumance (Kaplan, voyage nord-sud et idées léninistes. Par l"entremise d'une gentille copine et ex-camarade,
retour, une petite virée a lintéerieur de nos frontiéres). Recette : fran- Moses se trouve investi de la mission de retrouver les traces d°un dan-
ais, frangais. francais. Bien francaise la comédie familiale de Tac- pereux gauchiste passé a la clundestinité, et dont le nom (Howard
chella, cadres movens et sentiments modernes. Bien frangaise mais un Eppis) se trouve malencontreusement mélé (par des adversaires poli-
peu ringarde. la comédie a gags de Kaplan, le peuple ct les sentiments tiques, pense-t-on) a celui du candidat démocrate Hawthome 4 la pré-
de toujours. Bien frangais le ton de Dugowson, la légéreté qui n’exclut sidence des Etats-Unis.
pas 'émotion (d’ailleurs c'est une « comédie dramatique », je Vai lu La film de Jeremy Paul Kagan est l’adaptation du roman du méme
dans Pariscepe), sentiments d’avant-garde et jeunes femmes nom (titre francais, « Le grand soir», éd. Alta), écrit par un nouveau
d'aujourd’hui. journaliste de l'eacellente revue américaine Rolling Stone, dont le
Dans hy a longtentps que je Caime, un couple (Jean Carmet, Marie moindre intérét n’cst pas d’avoir donné naissance a une génération
Dubois) qui vient de féter ses noces d'argent décide « d'un commun d‘authentiques écrivains (leurs noms sont maintenant connus: H.S.
accord » de se séparer pour vivre de nouvelles aventures. En fait Thompson (« Lus Vegas parano »): Tom Wolfe (« Acid Test »}: R.L.
d’aventures on n’aura droit qu’a des situations bien banales, enfin pas Simon (qui a écrit The Big Fix) etc. Leur inspiration (les années 60
trés folichonnes. les moments les plus exaltants restant ¢videmmment eLaprés)et leurs méthodes (application a Vactualité politique des pro-
céux qui marquent le retoura la vie familiale : naissances, maladies. cédés de la fiction) comme leur talent et leur succés. ne pouvaient
ruptures, réconciliations, bref tout ce qui réunit ct qui soude. C'est la manquer attirer les cinéastes. The Big Fix—le film est la pour nous rap-
bien sir te vrai sujet (mais s’agit-il réellement d'un sujet?) du film. On peler que les ceuvres littéraires dés qu’elles sont accomplies
baigne alors dans I‘ambiance un rien débilitante mais toujours chaleu- gagnent rarement a étre adaptées au cinéma (Cl. Hitchcock : « Pour-
reuse du consensus domestique. On se moque gentiment de l'un. de quoi je ne tournerai jamais Crime et chdtiment? parce que !osto-
Pautre. de soi-méme (un cinéphile s*est égaré 1a), tout ¢a est bon Tevski l'a déja parfaitement réussi cn littérature »).
enfant. un peu plus francais que nature - témoin la sceéne-choc du
film, destinée a faire rire les Américains et eux seuls sans doute: le De face: Richard Dreyfuss dans The Big Fix.
rituel des bises qui s’échangent 4 chaque nouveau visiteur autour du
lit de Paceouchée. Voila qui est bien de chez nous.
Dans Charles et Lucie, un couple (Daniel Ceccaldi, Ginette Garcin)
de concierge-brocanteur, victime dune escroquerie, part dans le midi
pour prendre possession d'un fabuleux ct faux héritage. Croyant trou-
ver la richesse, ils tombent au plus bas du dénuement pour, coup de
theatre, réaliser une fortune 4 la fin du film. On ne peut pas dire qu’ils
vont d’aventures en aventures, plutét de gags en gags. Ca a un petit
gout de réchauffé, de comédie d’avant-guerre dont on ressort, sans
beaucoup de succes, les ficelles. Les personnages secondaires sont
vraiment secondaires, les numéros d’acteurs trainent toujours un plan
de trop, les dialogues sentent cncore la page blanche. J'ai retenu les
trois « bons » mots du film : le premier, c'est sur Ja plate-forme dun
camion qui les emmene vers Marseille; il lui fait des avances: Non,
proteste-t-elle, pas en roulant! Lui: Pourquoi? Elle : Parce qu’en rou-
lant, ga va trop vite! Le deuxi¢me. c'est dans la mer ot ils se baignent
tous nus: elle entreprend: Lui : Non. pas dans "eau! Elle : Pourquoi?
Lut: Purce que dans Feau., ga fait des bulles. Le troisieme, c'est dans
la forét pendant qu'elle essute de limer le piége ot i] s‘est pris le picd:
il la lutine: Elle : Non, pas en limant! Lui : Pourquoi? Elle : Parce que
quand je lime, je lime!
Dans Au revoir a lunadi, deux jeunes femmes (Curole Laure, Miou-
Mtou) se désolent de ne connaitre que des hommes mariés ( «Les
hommes. ou bien ils sont cons, ou bien ils sont moches, ou bien ils
sont mariés »). L’une se fait faire un enfant et prend un autre amant
(marié), l'autre part en Floride jouer la femme au foyer auprés de
homme de sa vic (pas marié) enfin déniché. Elles craquent chacune
de lcur cété, et se retrouvent. Comme on sat a l'avance de quoi il
s‘agira (difficile aujiourd’ hui de découvrir un film a partir de rien, sans
Pariscuope, sans critiques. sans conseils d’amis: est-ce que ca existe
encore, le cinéma au hasard, entrer téte baissée dans une salle. payer
pour du pur inconnu?) -— comme on sait done, en gros, de quoi est fait
NOTES SUR D'AUTRES FILMS 57
The Big Fix fait partie de ces films dont on voil le scénario courir aujourd’hui et de s‘aimer. Plus exactement, une affligeante romance
a da surface de l'image et du son, sur le corps des acteurs, dans lali- bourgcoise (notre temps. autres cspaces), avec son cortége de joies et
gnement d'une séquence a lautre. sans parvenir a prendre sur la de peines, d’amour et de haine. Finalement, dans I'écceurement de ce
mali¢re cinématographique: ainsi laneé. le récit tui-méme dérape film, on finit par se dire, malgré tout, que pour s‘offrir une telle his-
complétement vers la fin et verse dans unc histoire peu crédible de chi- toire d'amour, c'est non seulement une aflaire de culture (ou d’édu-
nois conduisant 4 distance (grace 4 un dispositif vidéo) une camion- cation) mais surtout une question de moyens. Peu de place done pour
nettle remplie d'explosifs. A ce moment d‘ailleurs, le pari du film les dlans naturels, 4 coups de sentiments exprimés et de psycholo-
(dosage du reportage et de la fiction) est definitivement perdu; et il y gisme, commie on voudrait bien nous le luisser entendre.
a longtemps que Richard Dreyfuss. « toujours-déja-la » dans le réle de Aprés le ratage scolaire. i] y a bien ectte courte minute ob l'on fait
Pétudiant génial qui n'a pas su grandir ne fait plus que de la figuration Ja queuc (sans succes) pour trouver de l'embauche, mais cela ne sau-
dans une aventure de Moses Wine. rait avoir de graves incidences sur leur vic amoureuse. C'est 14 (dans
Hy a pourtant unc scéne réussie dans ce film, dont il était logique le film) parce que ga existe (dans le réel), reflet paresseux d'un esprit
d'attendre beaucoup plus (trap?), celle ol: Wine retrouve Eppis-le comptable étriqué, encart qui ne pése pas lourd dans l’économie du
dangereux dans une villa du cété de Beverly Hills: rasé de pres, che- film.Comme s'il ne s’agissait aussi que de poids et de mesures. D‘ail-
veua coupes ct famille fondée (une femme, deux enfants lui aussi): leurs, aprés ces injections a petites doses. on enchaine bien vite sur de
reconverti depuis longtemps. sous un pseudonyme. dans [a publicité, longues séquences champétres : parcs du dimanche avec attractions
grace a sa propension ¢prouvec a lancer des slogans qui font courir les pour enfants, promenades en barque, etc.
foules (Ho. Ho. Ho Chi Minh, F. N. L is goin'to win! qui a bien da A se laisser bercer par la musique du film, 4 se laisser emporter par
etre traduit dans une demi douzaine de langues. toujours avec succes). son tempo (ses accés de colére et ses débordements de tendresse), les
Lracteur qui joue Eppis est trés bien, Richard Dreyfuss est alors images ct les étres suivent leur cours. Ainsi va Ja vie. Ainsi va ce
emporté par la situation, la manif qu'ils miment avee les enfants cinema, C. T.
autour de la piscine est réellement dréle, ct la fusillade qui suit est
enfin du bon thriller. La se condensent les capacités fictionnelles
dune époque sous l’ellet conjugue d‘un genre cin ématographique qui DER HAU V!DARSTELLER (LA VEDETTE), de Reinhard Haul,
lui est antéricur (le policier) et d'une distance critique (comique) qui (R.FLA.. 1977), avee Mario Adorf. Vadim Glowna, Michael Schwei-
est possible maintenant. IL y a effectivement la, les ingrédients néces- ger.
suires 4 la réalisation de fitms qu’on n‘irait pas seulement voir pour
leurs intentions. S.L.P. Engagé comme acteur principal d'un film de fiction retragant sa vie.
un adolescent compte sur l‘aide du cinéaste pour échapper a la domi-
nation brutale de son pére, un ferrailleur grossier et borné. Décgu dans
L'ECOLE EST FINIE, de Olivier Nolin, (France, 1979}. avec ses attentes, désemparé, Pépé se révolte et. trés vite, sombre dans la
Corinne Dacla, Bertrand Waintrop, Catherine Rouvel, Héléne Vin- délinquance.
cent. Reinhard Hauif se refuse de juger. Il se contente, en principe, de
montrer objectivement les différentes faces de la relation de Pépé
Une touche de mélancolie, un accent quelque peu rétro, le titre {Michael Schweiger) au cinéaste Max Schneider (Vadim Glowna), a
laisse a lui seul préesager une fiction qui sonne au creux de nos propres sa brute épaisse de pére (Mario Adorf). Il constate la brusque aggra-
souvenirs. Il y a bien un collége, une salle de classe (avec l'inévitable vation de lassocialité de Pépé apres Ie lournage du film. Comme Le
petit gros joufllu rigolard), mais l'action se déroule aujourd'hui. Et Coutcau dans la téte (réalisé apres), La Fedete tient du film clinique.
dans ce décor, lui seul importe: lui, adolescent au corps d‘éphébe. I tente de lixer le moment ou un comportement socialement ou psy-
jeune gargon bien propret (du cdété de Passy-la Muctte) qui, chez un chologiquement pathologique devient Juridiquement condamnable.
artiste ot il adonne a la sculpture, rencontre elle, fille de commer- Selon la conception libérale du film, c’est au spectateur de tirer la
Gants, a ses legons de piano. L'idylle suit tranquillement son cours conclusion en pleine indépendance. Ce spectateur idéal a la neutralité
Jusq| ‘au Jour ou la mére du garcon perce le secret de leur enfant dé- présupposée d'un juré dans un procés. Or tout procés stipule un cou-
siré. La. quitte a s’attirer les foudres des parents. au prix de fugues et pable.
dun chantage au suicide, on s‘obstine a te garder- et par conséquent. Pépé est un piétre coupable. qui poursuit dans la ville le cinéaste et
respeclubilité oblige. on les incite a se marier. A la naissance, méme multiplic les agressions et actes de vandalisme. En fait, c'est. par psy-
les esprits les plus réticents s‘attendrissent. Déja. au sein du couple. cholique interposé, au proces de Mart, 4 la vieille malédiction de la
quelques remous (une bréve aventure entre elle ct le professeur du col- creation que nous assistons. La Vederte nest qu'une version de plus,
lege, lui aussi artiste}, mais 4 la faveur d'un agréable séjour a la mon- réaliste ct purtlaine, de Frankenstein, sur fond de lutte de classe. Entre
tagne (la derniére s¢quence). tout rentre paisiblement dans Vordre : la paleur, les lévres pineées de Michacl Schweiger ct le masque livide
bien-étre ct bon vivre. de Boris Karloff, la parenté n'est pas doutcuse : Max a intitulé son film
Sous couvert d'une légére odeur de scandale au regard des conve- Lehens Pepe.
nances bourgeoises (si jeunes quand méme !), paradosalement, une Le theme du double a toujours été celui d’une relation forte
soif d'amour et de pureté avec une bonne dose de normalité. L’un fai- d'amour et de haine, d’un retournement violent de la vie en désir de
sant habilement passer l'autre. Champ plutét étroit pour ce qui aurait mort. Michacl Schweiger 1offre de son personnage que l*image froide
pu prendre une tournure de film a these (entre Afeurir d'aimer et Les dun étre amorphe, sans émotion. Surlécran il n’existe pas. Max reste
Risques du métier), D’un cété, une pile revendication : sur une pente totalement Gtranger a Pépé, aucune intensité entre lui et Pépé. Rien
rétrograde. 4 contre-courant, le droit de s‘aimer, le droit a la différence n’est plus grave pour une image que de laisser son spectateur indilfé-
ou 4 lindiftérence. De autre, l'approbation molle du sens commun : rent. Pas de passé, pas de présent, sans désir, sans passion, neutre dans
de notre temps. certes, mais de nos jours, micux vault ca que... son expression, sans conviction, La Mie de Pépé-La Vedette nous
Traiter ce sujet. ce serait peut-Ctre, pour le cinéaste, filmer chez de laisse indiflérents. Y.L.
jeunes adolescents l'emprunt de modéles adultes, qu'ils soient réels ou
fictifs : mimer des gestes et des comportements dictés par. un code,
tenir et réciter des propos amoureux (déja lus, déja perous). Pour tout LE POINT DOULEUREUX, de Marc Bourgeois, France, 1979.
dire, s’aflubler de romanesque. jusqu’a tremper dans du théatre de avee Jean-Luc Bideau, Victor Garrivier, Prudence Harington.
boulevard. A cet égard, quand le professcur annonce au gargon sa cou-
pable liaison, i! lui parle d homme a homme, le traite en rival (en Le Point douloureux de Marc Bourgeois commence par un trés long
adulte) alors qu'il n’a devant lui qu'un corps d’cnfant. La of ga cloche plan-séquence, caméra portée d la main, dans les dortoirs d'un col-
dans le codage de la scéne, la ob ca ne peut visiblement pas coller (ga lége : auscultation des lieux que désertent les éléves, lente avancée
creve méme les yeux), on s'arrange pour taire passer la chose : joucr entre les lits, murs crasseux, la cage d'escalier que dévalent les retar-
sur un registre naturel ol chaque parole doit sonner juste, o& chaque dataires, demi-tour vers les dortoirs vides et silencieux, effraction du
réaction doit faire vrai, comme si de rien n’étail et que tout allait de regard dans la chambre du surveillant qui, assis dans la lumiére bla-
soi. Avant tout, pour l'enfant, se hisser et se montrer a la hauteur que tarde de la fenétre, se met a la flte; une fois le morceau fini, crt de
la situation Jui confére. Un enfant? Oui. mais pas vraiment. Voyez ! Vimage. Ce premier plan semble porteur d'une forte idée de cinéma,
Reste alors un film de plus sur la relative difficulté d'étre jeune dun travail sur la durée, sur la place du spectateur qui évolue dans
58 CRITIQUES
le bougé. le tremblé de la caméra. Mais comme les plans qui suivent _
ressemblent tousa celui-ci, ce parti pris apparait vite comme un pari
systémalique ci un peu creux, qui se réduit aux prouesses techniques
du chel-opérateur et cameraman (Yves Lafayc) sans vraiment ré-ali-
menter le propos narratif (Phistoire d"un professcur qui démissionne
de l’enscignement apres que. ayant dit 4 un ¢cleve d‘aller se faire pendre
ailleurs, 'éléve se fut effectivement pendu). La tiction d’aitleurs s‘effi-
loche vite au fil des errances du personnage (Jean-Luc Bideau),
comme si elle n*était qu'un prétexte a la dérive de l'image, ponctuce
de dialogues et de morceaux de textes qui restent des idées de scénario,
des projets décriture qui n’ont pas pris le temps de se muer en projets
de cinéma. Cette dérive de l'image, la véritable matrice du film, aurait
pu se développer. faire systeme comme, par exemple, chez Garrel
(dont Mare Bourgeois fut lassistant), mais ta béquille de cette fiction
avortée semble I’en empécher : l'une se frotic a l'autre sans jamais s'y
noucr, et le parti pris anti-naturaliste d'une camera presque subjective
ct d'un son décalé par rapport 4 image (toujours enregistré du point
de vue du personnage, méme si celui-ci est filmé de trés loin) ne fait
pas vaciller une fiction quasi inexistante. ne fait pas avancer la pure Jean Rochefort et Catherine Deneuve dans Courage fuyons
exploration d'un monde visuel. Comme un désir de filmer arrété a lui-
meéme, n’exprimant pour le cinéma qu'une fascination un peu glau- mage, consistance des personnages (plus physique que psychologi-
que. N. H. que), acuité des situations (plus impressionniste que réaliste). Les
séquences qui se situent en mai 68 par exemple (et qui étaient ris-
queées) réussissent. malgré Ja charge ct la satire, a bien rendre la fra-
RUE DE PIED-DE-GRUE, de Grand-Jouan, (France, 1979), avec
gilité béte de cette Epoque, un climat — au sens météorologique — qui
Philippe Noirct, Pascale Audret. Jacques Dufilho, Jean Dasté, Gui- it presque toujours échappe au cinéma. qu'il soit militant. documen-
liana De Sio, Jacques Chailleux.
taire, ou de fiction. Un cinéma météorologique et populaire, bien
écrit, bien construit (malgré des laiblesses vers la fin), solide, sans chi-
«fl pleut sur Nantes, et je me souviens...»: il y a de ca dans le chis: Yves Robert est un amuseur qui ne méprise pas son public.
Grand-Jouan., sans la chanson. Reste la mélancolie : trois générations LS.
occupées scricusement a boire ct 4 causer, le pére a son roman, le fils
4 son piano pour faire plaisir au pére, le vieux « tonion » a ses sou-
venirs et a sa virilité hésitante. Les femmes vaquent : la jeune épouse THE SEDUCTION OF JOE TYNAN LA VIE PRIVEE D'UN
4 la maison. la grand-mére aux waters, plus une prostituée au grand SENATEUR, de Jerry Schatzberg, (U.S.A. 1978) avec Alan Alda,
ceeur pour luprés-boisson des hommes. Mélancolie embrumée Barbara Harris, Meryl Streep.
Calcools et de misogynie molle: un sujet gringant qu‘un cinéaste
davant-guerre, méme sans grand talent, aurait eu des chances de réus- A propos de cette Vie privée d'un sénateur (c'est le sous-titre fran-
sir. Aujourd*hui : fa mélancolie hésitante ne suffit plus a structurer un ais) je \oudrais seulement relever ce paradoxe: comment se fait-il
film; manque un certain type d’acteurs, de dialogues, d’image. de son, que ce film qui réunit toutes les conditions pour pluire aujourd’hui,
el surtout: des salles, des spectatcurs, D'un tel sujet, que peut-il rester pour salisfaire 4 la rumeur @amour qui nous assourdit, nous soit
aujourd hui: une lourde virée déplaisante dans la province frangaise. insupportable jusqu’au dégotit? Pourtant, je le répéte, toutes Ices
une comédie anachronique? Si l'anachronisme y est, la virée a été évi- conditions exigévs sont réunies : une bonne direction d’acteurs, une
téc de justesse, peut-étre par te ratage - intéressant - du film, par le bonne histoire, actuelle 4 souhait, unc bonne mise en scéne, souple et
désir — non négligeable - de ne pas le « réussir ». Ratage : on est a mi- charmeuse, Mais voila: Schatzberg, pris dans I’hystérisation nais-
chemin entre "histoire pittoresque bien découpée et une suite sante du cinéma moderne (je lance le mot en passant. i] faudra évi-
dimpressions, ou les personnages auraient rendu toute histoire super- demment y revenir) ne fait que s*y vautrer au lieu de s’y alfronter :
fluc. Désir de ne pas réussir: ne pas coincer les comédiens dans un impossible de savoir sil dirige les acteurs ou est dirigé par eux. Impos-
conte trop ordonné et édifiant, refuser les regles de la nouvelle « qua- sible de savoir si ce film nous monire toute horreur de ere Carter
lité francaise ». aceepter de s égarer. Pas assez heélas : les impressions - le ciel américain vide du politique, de toute vie publique - ou n'est
d'ivresse et la logique alcoolique sont moins fortes que la logique du qu’une manilestation, parmi d’autres. de cette horreur.
spectateur. Pourquoi? Parce que le film est encore trop raisonnable :
il aurait — peut-étre - dt suivre davantage le comportement des per- Je veux bien qu'il y ait (4 un défi au regard critique, analogue 4 celui
sonnages, se mettre 4 leur diapason, On aurait cu une ceuvre zigza- que vous lance dans le cinéma francais, un film comme celui du cou-
guante et un peu Jolle, erratique : un film a l'image - difficile - de son ple Breillat-Laffin. Sauf que Schatzberg ne peut soutenir jusqu’au
sujel. L.S. bout son talent, son métier: il échouc 4 filmer 4 peu prés toutes les
scénes ou il est question de vie publique jusiement (jusqu’a cette récep-
tion mondaine chez « les politiques » qui sombre dans la platitude).
COURAGE FUYONS, de Yves Robert. (France. 1979), avec Jean Quant aux scénes de la « vie privée ». quelle sinistre réussite ! Une
Rochefort, Catherine Deneuve, Philippe Leroy-Beaulieu. Robert sorte d’exacerbation maladive, nausécuse de lintimuté. importée
Webber, Michel Beaune. d'Europe (dun Truffaut dé-nervé) lui tient lieu de griffe: ah ces
regards qui n’en finissent pas de sc faire signe, ces févres de se joindre !
lis sont rares les films auxquels on prend plaisir a prendre plaisir, Pour nc pas parler des scénes amourcuses qui témoignent d’un étrange
plus rares encore les films francais qui restituent un peu de |’émotion retour du potnt de vue puritain, de cettc audace honteuse qui s‘appelle
idiote qui étreignait trop souvent dans les trop grandes salles des vulgarité : favoue avoir été surpris par ces peu ragotitantes « baccha-
années 60; Courage Fuvons est de ceux-la : un bon film sans lourdeur, nales » sexo-alimentaires entre Alan Alda ct Meryl Streep. Si c'est ga
dréle, sentimental. Ecrit par Dabadie (pas étonnant qu’on retrouve 1a le talent... B.B.
couardise du personnuge de Bedos dans ses sketches, en plus nuance),
c'est Phistoire d'un grand amour de hasard entre un pharmacien
coincé (Rochefort)et une chanteuse émancipee (Deneuve). amour que Les Cahiers ont deja parlé de : Camouflage de Krzystof Zanussi, n°
ni la lacheté de l'un, ni les mensonges de Mautre ne parviendronta bri- 284 page 39, critique de Jean-Paul Fargier. -i Child is Waiting de
ser, pour la bonne raison que le liche se met 4 mentir et la menteuse John Cassavetes, n® 290-291 page 49, critique de Nathalie Heinich
aavorr peur. Plaidoyer pour la faiblesse. idéalisation des vertus natio- el Patrice Pinell. -t/vai. Avani de Ahmed El Maanouni, n® 290-291
nales Ics moins reluisantes (égoisme. licheté. pctitesse d’esprit, etc.), page 28. critique de Serge Le Peron. Northern Lights de John Hanson
Courage Fuvons ne réussit pourtant pas a se rendre detestable. sauvé et Bob Nilson, n° 302. page 34. critique de Serge Le Peron. Sais Aucs-
de justesse par un anarchisme enfantin qui ne se prend pas au sérieux thésie de Andrzcj Wajda, n° 302. page 30. critique de Danictle
et, surtout. par un sens certain du cinéma : frontalité classique du fil- Dubrous. La Luna de Bernardo Bertolucci, n° 304, P. Bonilzer.
NOTES SUR D'AUTRES FILMS i)
MOONRAKER, de Lewis Gilbert, d'apres [‘ceuvre de lan Fleming les deux. De toutes fagons fe fait que le deuxiéme film soit une come-
1979) avec Roger Moore. Lois Chiles, Michael Lonsdale. die musicale m’a plutét fait penser a une reconstitution de l'itinéraire
d Kiel. esthétique d’un cinéaste ameéricain connu juste aprés la guere. Dans
cette perspective. le premier film (en noir et blanc) se présente exac-
Voonraker
Cest une navette, spatiale bien sar. La navette du retour tement comme un musée vivant et articulé de ce qui faisuit (et fait
de James Bond. ce mythe pour sociologue de tous calibres. Presque encore) le plaisir des amoureux du cinéma ameéricain du « bon bieux
vingt ans, déja! La baucle « mode/démodé’retour » va vite dans les temps ». Ce que Donen met en évidence et « monte » (comme on dit
sociétés post-modernes. Le phallo-macho de Intelligence Service « monter » une piéce, un bijou) avec un savoir faire admirable, ce sont
fonectionne maintenant au second degré. Cette fois, la onzieme, les des « ficelles », des trames scénariques, Exemple : le petit gars parti de
aventures du britannique multinational ne relevent plus tant de la rien devient boxeur pour les beaux yeux de sa seeur. puis devient avo-
lutte contre le Mal - ce vieux truc un peu guerre froide - que du com- cat pour faire triompher la bonne cause. Il y a aussi des situations.
bat contre la pesanteur. Bond peut voler a travers ‘espace. sauter figures archétypiques. comme imprimées en caractéres gras (ainsi la
d'avion sans parachute. Il devient lui-méme pur signe [lottant, physionomic ¢garce du boxeur lors de la prestation de la chanteuse de
Comme le dollar, il flotte ct entraine dans l'apesanteur tout ce qu'il cabaret). et des procédés formels jouant sur Ja dissociation entre un
eflcure. contenu au passé et une énonciation au present (le cadre se rétrécit et
Pendant les deux premiers tiers du film, une collection de voyuges. dessine un ceeur, un cerele entoure la joviale et émouvante trombine
de déplacements terrestres, trés agence de tourisme. Un joura Venise. de George C. Scott. le « pére mort » dans la fiction et renaissant dans
un carnaval de Rio. un chateau frangais (celui de Vaux-le-Vicomte) Vénonciation etc). Le tout, je le répéte parfaitement articulé, empa-
transporté en Californie, un tour dans la jungle amazonienne. A cette queté (c’est aussi nous, cinéphiles, que Donen emballe) comme un
Vitesse le voyage aventureux s‘annule, devient hyper-réel. Le trajet du cadeau de Noél. Ce premier film. je lavoue. m’a troublé. un peu
film consume l’exotisme en une mécanique au rythme de gag. Un pay- inquiété méme. Impossible de ne pas penser que ce que j'aimais par-
sage. un probleme, un gadget. « On trouve tout dans les tiroirs des Ser- dessus tout dans le cinéma ameéricain, ce fabuleux filon de réel, cette
vices Secrets de Sa Gracieuse Majesté ». Et plus que les méchants, circulation secréte et harmonieuse entre le fond social ct économique
c’est plutdt le temps lui-méme qu’il s‘agit de tuer. Ainsi, la montre et histoire individuelle, le voici maintenant sorti de terre, trésor mis
bracelet qui trucide au curare fait paradigme. Elle est ’arme absolue au jour, avec le mélange d’euphorie et de déception que comporte
qut casse les fuseaux horaires... D’abord done, quatre ou cing petits toute découverte importante.
documentaires, sans grands liens les uns avec les autres. La narration
n'intéresse vraiment personne, if s’agit seulement de changer de conti- Second temps (uprés la guerre, dérisoire). la comédie musicale en
nent. Ilya bien un méchant, Michel Lonsdale. pour tisser un fil mais couleurs. La machine se remet en marche et d’une certaine fagon c’est
il na, lui non plus. pas lair d’y croire beaucoup. Acteur durassien il encore plus cuphorisant que la premiére fois. Le pére (George C.
répete « Deétruire dit-il ». Il réve d’exterminer [‘humanité pour recons- Scott) est revenu et va devoir encore mourir, une [ois le spectacle
tituer une arche de Noé — tres nouvelle droite — dans espace. réussi. Sa mort fait plus mal - et plus plaisir. D'abord on la connait
Mais ce qui imporie, en fait, c'est de prendre lair. Car le film ne d‘avance. ensuite elle est d'avantage inscrite. gravée cn lui. George C.
décolle que lorsqu’il perd toute référence terrestre, quand i] se met a Scott attend sa fin et celle du spectacic avec de véritables poses de sta-
flotter dans des espaces oll tous deviennent interchangeables. Dans la tue, Pendant ce temps, pour les protagonistes du spectacle c'est vrai-
galuxie, le super macho, qu'on a Manqué d’une super machette pour ment la folie. Les rouages scénariques ne se contentent plus d'appa-
fuire «in» et féministe. dérive sans points de répéres, il a — tout raitre (et de mourir) a Pair libre mais ils sont gagnés secondairement
comme nous — perdu ses coordonnées. Les étoiles font la guerre et par l’effervescence de la couleur de la musique et de ta danse. Avait-on
lamour, les rencontres sont de tous les types. On emprunte et Ion suffisemment remarqué que chez les maitres du musical d’aprés
méle de grosses rétérences : la un Frankenstein aux dents d‘acier sourit guerre (Minnelli, Walters, et bien sur Donen) c'est en quelque sorte
Aune petite fille, ict James Bond se déguise en Clint Eastwood, ailleurs la narration elle-méme qui se coloriait dansait, et chantait dans ses
Corinne Clery méle histoire d'O et 007. Et puis il y a ces maquettes cheminements les plus inattendus: // a justement un piano sur le
spatiales belles comme des sculptures de Duchamp (décorateur: Ken foit, Plus d’espaces ni de temps laissés tranquilles: le comptable
Adam). Purement ludiques, elles déjouent toute intrigue. Tournoyan- devenu compositeur embrasse littéralement la piéce de ses promesses
tes, elles minent le sens de toute Ihistoire, neutralisent toute signili- de chansons et de ses imitations d'instruments.
cation. Ces petites machines flottantes sont déja en vente duns les
hyper-marchés électroniques. Elles se branchent directement sur les
récepteurs de télévision. James Bond démultiplie l'eifet Pif Gadget sur Et pourtant, 4 mesure que le film avance, que George C. Scott sent
grand écran. Movnraker joue moins avec !'écran du fantasme, celui le mal le gagner, une idée s'impose qu’on pourrait exprimer comme
que l’on décore de tout prés, qu’avec de petites manettes imaginaires ceci: Stanley Donen, ce cinéaste d'aprés guerre, est (auteur de la
qui, du fond de Ja salle jouent sur des commandes d'appareils télévi- comédie musicale, mais seulement /e servitcur du film en noir et
sés. Plus machinique que mécanique, Bond est moins un héros qu'un blanc. Conviction fragile, difficile a prouver, parce qu'elle surgit au
embrayeur éphémeére de touts petits récits indifférents les uns aux cceur méme de la folie de cette seconde Folie (pour reprendre le titre
autres. Cette indifférence stellaire rend obsolete les références uu Dom frangais). Et pourtant: sila fille du metteur en scéne-producteur, cette
Pérignon mais aussi le cortege des Bond’s girls. Ici tout court, glisse. actrice qui ressemble a Liza Minnelli, qui ne sait ni danser ni chanter
fuit. Réalisé sur six plateaux, dans plusieurs studios utilisés simulta- au début, devient la triomphante vedette du spectacle final, ce n'est
nement, le montage ne prend pas vraiment soin d'eflacer ces aléas. pas par « magie » (ou par clin d’ceil » vet « on-sait-bien-que » qui dis-
Bond passe d’une séquence a l'autre sans que rien ne le retienne. simule toujours la plus folle des croyances) mais par métaphore.
Dans Goldfinger c'est la femme qui était recouverte d'une pellicule Métaphore du travail d’auteur, et pas de confiseur, de Stanley Donen
dor. Aujourd’hui c’est le corps de Bond qui est recouvert d'un sca- sur la comédie musicale a laquelle il a imprimé un style, qu'on peut
phandre d'acier, alors que ses compagnes sont dévétues. Dans cet retrouver ici dans cette élégance souriante et tonique des trois princi-
echange-la, il y a plus que de lérotisme familial. il se réalise une vé paux acteurs. Cette impression qu’ils donnent d’étre embarqués dans
table permutation, Les petites machines chromées ont gagné, on ne un spectacle dilficile a jouer: entre la magie et le clin d’ceil. trouver
s‘intéresse plus qu‘a elles. la métaphore. De méme le personnage de l'actrice qui ressemble a
C.D. Liza Minnelli se trouve, comme par hasard, étre la fille du producteur
de spectucle. Ce n’est pas par miracle: tl a fallu qu'elle le gugne ce
peére : quelle Jui rende l'argent qu'il lui avait donné. Pas pour des pru-
MOVIE-MOVIE (FOLIE-FOLIE), de Stanley Donen, (U.S.A.. nes: un spectacle a eu lieu. Le producteur-mtteur en scéne peut—cette
1979), avec Georges C. Scott, Trish Van Devere. Barbara Harris, Red fois — mourir en pa B.B.
Buttons, Barry Bastwick.

Au départ le projet de Vovie Afovic'a de quoi agacer avec son allure


de bonne idée publicitaire : reconstituer une séance de cinéma amé- Ces notes ont été rédigées par Bernard Boland, Christian Des-
ricain de l’entre-deux guerres, Deux films. donc, Pun en noir et blanc, camps, Nathalie Heinich, Serge Le Péron, Louis Skorecki et Charles
autre en couleur, avec un interméde documentaire sur la guerre entre Tesson,
PETIT JOURNAL

RENCONTRE AVEC OTAR IOSSELIANI


Otar losseliani, cinéaste géorgien, était de passage a Paris a 'occa- A moins que ce véto s‘explique pour des raisons artistiques ; les
sion de ‘hommage qui fui était rendu a fa Cinémathéque (Chaillot et films, passionnants, d‘Otar losseliani ne relevent pas d'un genre
Beaubourg) dans la premiére semaine du mois doctobre, ou deux mineur qui serait ‘adaptation d'un texte littéraire — n’oublions pas
films sur trois étaient présentés : || était une fois un merle chanteur qu’en U.R.S.S. ie mot d‘ordre du réalisme socialiste est toujours en
(1973) et La chute des feuilles (7967), Manquait son dernier film, vigueur, et fait de fa littérature l'art dominant, le cinéma venant loin
Pastorale, pourtant programmé par la Cinémathéque, mais dont la derriére et devant se mettre au service des grands textes littéraires —,
copie fut bloquée par les autorités soviétiques pour des raisons mais bien d'une pratique cinématographique entiére, d'une écriture
d‘autant plus absurdes que fe film est sorti dans les salles 8 Moscou poétique et musicale parfaitement maitrisée. losseliani filme la vie
depuis quatre mois. Disons le simplement, mais nettement: il n'y a quotidienne (a Tbilissi, ow i] habite) et son cinéma n’embaume pas la
pas de raisons valables, logiques, rationnelles ou compréhensibles réalité (on est loin d'un cinéma hagiographique), au contraire il la
pour que /es autorités soviétiques en matiére de cinéma continuent caresse, en effleure les contours, en suit le mouvement et le tempo
4 mettre un véto sur ce film que de nombreux critiques étrangers ont musical.
pu voir — dans une salle périphérique — lors du dernier Festival de
La liberté de ton de son cinéma donne au réalisme poétique toute
Moscou. Le fait que ces autorités ne donnent aucune explication a
sa force et fait de losseliani un cinéaste de premier plan.
leur geste est bien la preuve que cette censure reléve d'une politique
(culturelle) absurde. ST.

Cahiers. Vous avez dit un jour dans une interview quill y avait un sifiée. Actuellement, l'Eglise géorgienne a retrouvé sa souverai-
mythe du cinéma géorgien, qu'est-ce que ca veut dire ? neté, la Géorgie retrouve peu 4 peu Sa Culture, sa langue, mais mal-
heureusement certaines choses sont perdues a tout jamais.
Otar losseliani. Les Géorgiens sont connus comme des gens en Les cinéastes géorgiens ont beaucoup exploité l'exotisme de
principe nonchalants ; en réalité ils essaient de comprendre la vie leur pays. Dans leurs films on chantait, on était poli, gai, noncha-
et ses mystéres: nous ne pouvons rien retirer de ce monde-la, on lant, on s’occupait seulement de la forme sans voir l’'essentiel de
arrive nu, on repart nu, voila pourquol il faut toujours se séparer des l'esprit, de la mentalité géorgienne. Ces réalisateurs ont beaucoup
objets, de la fortune, de l'argent, c'est plus agréable de donner que de talent, mais jamais ils ne se confrontaient a un probléme
de prendre, et, en vivant ensemble, on partage la tristesse qui vient sérieux. Seuls Giorgi Changuelaia et son frére Eldar, Merab Kokot-
de la compréhension de ce phénoméne, on s’assoit autour d’une chachvili et Rezo Tchreidsé et Lana Gogoberidzé ont agi autre-
table et on regrette que le temps passe et que Ion ne fasse rien, ment, ca se termine la. Mais l'exemple de ces derniers a servi; la
on sait qu'il n'y a rien a faire. génération de jeunes réalisateurs qui va terminer cette année la
La seule chose importante c'est d'étre poli, de ne pas déranger faculté de cinéma semble préte a prendre la reléve.
les gens autour de sci, ils sont déja dérangés par le fait qu’ils sont Voila pourquoi il était trés important pour moi et mes collégues
vivants. Lutter pourquoi? Pour garder sa terre, pour garder son de lutter pour que Pastorale soit montré, c'est un film fait dans les
mode de vie, sa culture. La Géorgie, chrétienne depuis le quatriéme régies de la culture ou j'ai essayé de toucher certaines questions
siécle, était entourée par les géants musulmans, la Perse, la Tur- morales de la vie quotidienne. On n‘a rien pu dire contre et finale-
quie, le Caucase du Nord. Elle aurait di étre avalée tout de suite ment le film est sorti sur les écrans 4 Moscou. Pour faire sortir un
mais elle a résisté jusqu’au début du dix-neuviéme. Toute seule. A film comme le mien, il faut dépenser de I'énergie pendant trois ans,
cette époque nous étions 800.000 habitants. C’était de plus en ala fin ca marche.
plus difficile. C'est pour ¢a qu’on a traité avec la Russie orthodoxe Un exemple: le deuxiéme film de Kontchalovski aprés Le premier
un pacte de protection mutuelle contre les Musulmans. Tout d'un maitre, Le Bonheur d‘Assia, était formidable. On ne voulait pas qu'il
coup le tzarisme a profité de l'occasion, il a colonisé la Géorgie. On sorte. Il edt pourtant suffi de deux ans de lutte de la part d’ Andrei
a tué toute la famille royale, acheté |'aristocratie, déchu les évé- et le film serait sorti. Au lieu de quoi il a voulu tourner tout de suite,
ques et les patriarches de |'Eglise, ils ont colonisé l’Eglise géor- impressionner de la pellicule (Once Vania, Nichée de gentifshom-
gienne qui était ancienne, plus ancienne que I|'Eglise russe — une mes, etc.), et aprés retrouver des forces pour Assia. Mais aprés, on
différence de six siécles — ils en ont fait une Eglise provinciale, rus- le sait bien, c’est le Rubicon, on ne traverse pas.
PETIT JOURNAL
On parle ici de lutte. Mais contre qui, contre quoi devons-nous
lutter ? Précisément, on le sait bien. Les bureaucrates, les fonction-
naires partout dans le monde, incarnent « l'esprit petit-bourgeois ».
Ils ne peuvent pas nous aimer. C'est presque normal. Mais chez
nous les fonctionnaires doivent en principe défendre des choses
telles que I'humanisme, le progrés, l'amitié, la paix, des choses
nobles, généreuses. Nous pouvons donc-— mais il faut parfois beau-
coup de temps-— toujours argumenter, raisonner ces fonctionnaires
logiquement. A {a fin, its doivent bien céder.
Pirosmani, un autre exemple, un film merveilleux. Combien
d’années il_a fallu lutter pour qu'il sorte? Deux ans. Giorgui Chan-
guelaia aussi est fatigué, mais aujourd’hui, il tourne toujours des
choses honnétes, et Tarkovski, c’est pareil.

Cahiers. Lorsqu‘on n’est pas au fait de fa situation, on pense que


pour ennuyer un cinéaste, les autorités 'empéchent de tourner ses
films ; or d’aprés ce que vous dites, on n’a pas limpression que les
autorités vous empéchent de tourner, mais qu’elles tentent de dévier
votre qeuvre vers des ceuvres mineures. Pour moi c'est une décou-
verte, parce qu’en fait il n'y a pas de censure.
/osseliani. La censure, pour te cinéma, est a mon avis assez rai-
sonnable; il est interdit de tourner des pornos, il est interdit de tour-
ner des films méchants, il est interdit d’étre inhumain, c'est ¢a la
censure, trés simple; mais a partir de la tu peux choisir ton chemin.
Etre putain, orthodoxe, mentir, dire que chez nous c’est le paradis
sur terre, qu'il n'y a pas de problémes, c'est de la mauvaise propa-
gande: un pays sans problémes est un pays mort, mais chez nous
on vit. J'ai découvert qu’en France ce n’est pas du tout le paradis
non plus. Ca va mal en France, peut-étre que chez moi c’est mieux,
peut-étre, je ne sais pas. Moi je pense que c'est mieux dans le sens
que les relations entre les gens se font sans complexes. Nous ne
nous embarassons pas de savoir si « tu es plus riche que moi, con
Ou pas con ». Les cons sont associés entre eux, les gens honnétes
sont associés entre eux, les gens qui travaillent de leurs mains sont
toujours honnétes, il n'y a pas de lutte pour étre dix fois plus riche
que les autres. Quand tu parles avec quelqu‘un, tu détermines en
cing minutes ce qu’il est, c'est I'expérience de notre vie qui nous
donne cette possibilité. Si tu n'a pas envie d’avoir des relations
avec quelqu’un, tu n’es pas obligé de faire semblant de |'aimer pour
la bonne marche de tes affaires, tu peux toujours choisir l'affron-
dram ate bh,

tement et garder !’espoir de gagner. En France le rapport de forces


est différent et ce genre d'espoir est mince. De ce point de vue
notre facon de vivre en Géorgie me convient mieux, parce que cela
me débarrasse de plein de faux problaémes. A mon avis en France,
Pa

les gens travaillent du matin au soir comme des fous, pour avoir un La chute des fetes, de O. losseliani
déjeuner et un diner, puis, dormir et se réveiller, travailler comme
des esclaves. Et dans votre milieu du cinéma par exemple, savoir cest la discussion entre eux. Finalement on dérange ce pauvre
avec qui on déjeune, avec qui on dine, c‘est aussi une affaire, cela cadavre, on le met sur la place, il y a des orchestres, les gens plan-
signifie que la vie est perdue, ratée. tent des arbres autour et les deux femmes perdent ce qui leur don-
Je pense que l'on ne peut nulle part sur la terre créer de paradis, nait une raison de vivre.
méme si pour ce faire on n‘avait a tuer qu'une seule personne. Les
gens sont des pécheurs. Mais si tu ne veux pas t embarrasser de Cahiers. Et La Prime?
cette absurdité, il faut découvrir tes vrais problémes, les vrais pro-
blémes de la vie. De ce paint de vue, le cinéma géorgien c'est de Josseliani. C'est con. Pour Les deux veuves, il faut tout de méme
la légende. L’avant-garde et tout ca, c'est faux. Dans ce pays préciser quelque chose; a la fin de son film, Mikaetian, pour sortir
immense qu’ est l’Union Soviétique, il n'y a peut-étre que cing met- de cette situation, efface tout ce qu'il a raconté: on voit les vétérans
teurs en scéne qui essaient de suivre la ligne qu’ils ont choisie, Pan- de la guerre qui s‘embrassent, on voit les femmes qui pleurent en
filov par exemple, qui est trés bien, c'est un type trés honnéte; Tar- regardant le tombeau officiel en regrettant les morts, et a la fin cela
kovski, c'est un personnage pur, mais les conditions |‘ont poussé devient une chose trés importante, ce tombeau reconstruit, ca
a tourner des films sur I’Histoire, le passé, des histoires dans les signifie que le cinéaste a contourné l'obstacle, c'est aussi une
nuages, ou alors le fantasme, il n'a jamais touché le contemporain. facon de mentir, il fait les choses a moitié, et il efface tout; c'est
Avec Le Miroir, un peu. C'est un film de qualité, en m&me temps mon avis. Parce qu'il faut un peu de courage, tu as peur, tune seras
c'est une pensée qui existe, qui pulsionne, il y a des idées, des idées pas payé, mais le film sera créé, il existera, le film sera peut-étre
bien articulées, c'est trés important. Mais on ne peut pas demander caché, peut-étre interdit, mais il faut étre un peu optimiste, le
que tous s’occupent de l’actualité, chacun a sa méthode; Panfilov temps viendra ou nous serons tous appelés au jugement, on nous
a essayé de faire une satire merveilleuse dans Je demande la demandera alors ce qu'on a fait.
parole. On peut discuter a ce niveau-la, on peut parler, mais je ne
peux pas parler avec les autres potiches, ca n’existe pas pour moi. Cahiers. Et toi? Ta logique c'est d'attendre, de te battre pour Pas-
torale?
Cahiers. Et ce/ui qui a fait La Prime ? Mikaelian ?
/osseliani. Ma logique est simple. Je ne prends pas au sérieux ce
fossetiani. \\a fait un autre film, Les deux veuves, un film trés bien, métier, je ne suis pas admirateur de mon métier. Il y a des gens qui
un film merveilleux. Deux femmes russes, deux vieilles qui gardent adorent le cinéma et pour avoir la possibilité de crier « moteur » et
la tombe d'un soldat inconnu, et les officiels cherchent le cadavre « coupez » feraient n’‘importe quoi. Pour moi c’est plus sérieux de
d'un soldat inconnu pour le mettre sur la place sous la flamme et passer trois mois sans rien faire avec des amis que j admire, dans
62 PETIT JOURNAL
ce monde-la on passe trois mois mais ca vaut une quinzaine
d’années, c'est ca l'essentiel de notre vie. Voila pourquoi je suis
absolument iranquille, je ne souffre pas, je lutte pour Pastorale,
mais tranquillement, sans hystérie.

Cahiers. Que devient Paradjanav?


fosseliani. Paradjanov, c'est Dali, tu comprends. Si Paradjanov
arrive ici, I'étoile de Salvador Dali tombe 4 zéro. II est bien main-
tenant a Tbilissi, il est entouré d'admirateurs. On lui a proposé de
faire quelque chose mais il n’en a pas trés envie. II va bien, c'est
un type formidable. II a tellement de talent et d’imagination, il sait
comment habiller une femme pour qu'elle soit dix fois plus belle,
il sait arranger une table pour que cela soit formidable, méme s‘il
y a deux ceufs a manger, il adore les objets d'art, les produits arti-
sanaux, il connait admirablement la valeur de tout ca. C’est un véri-
table artiste, un peu fou, il faut seulement ne pas lui demander
d’étre responsable de ses actions. Je |’aime bien.

Cahiers. Tu disais au début, « parlons métier », mais tous les gens


qu’on a cités, et toi compris, finalement vous tournez assez peu dans
fa mesure ou pour tourner un film il faut se battre, attendre. Comment
un cinéaste...
fossefiani. Mais il n'y a pas de secret dans ce métier, ce n'est pas
comme pour étre violoniste ot! il faut jouer pendant 15-20 ans
avant de jouer vraiment, et en méme temps tu perds le rapport
avec la musique car tu commences a la détester. Le seul moyen
pour étre proche de la musique, c'est dé chanter, la tu recois tout
ce quelle peut donner, mais quand tu deviens professionnel, tu
perds. Notre métier est formidable parce que il n'y a pas de secret,
n'importe qui peut tourner demain, monter un film ca signifie avoir
du gol, avoir le sens du rythme, c'est comme chanter, Voila pour-
quoi ni moi ni Pascal ne prenons le métier de cinéaste trés au
sérieux. Beaucoup de cinéastes qui nous entourent font croire aux
gens... ils sont habillés étrangement, ils s’entourent d'un secret, ils
font croire qu'ils pensent, ce n'est pas vrai tout ca, le seul instru-
ment que nous avons c'est notre conscience, voila pourquoi il faut
y faire attention.

Cahiers. Un musicien, s‘il ne peut pas jouer du violon, if peut chan-


ter, mais un cinéaste, s'il ne tourne pas, il ne fait pas de cinéma. Tournage de Pastorale. O losseliani (l'homme 4 casquette}.

Josseliani. Quand on n‘a pas tourné pendant longtemps dans des as des problémes: « non, non, ¢a ne passera pas, attention », alors
petits détails, on s’apercoit qu'on a oublié, comment il faut faire tu rases les acteurs, tu les habilles propre, et ils ne trouvent plus
telle ou telle chose, mais c'est mieux, Car tu ne suis pas les habi- rien 4 redire... et tu continues a tourner... et le résultat: « c'est quoi,
tudes, tu découvres de nouveau les régles, par exemple j’oublie qu’est-ce que vous avez tourné? Il y a quelque chose de mysté-
comment il faut planifier mon travail, comment faire pour qu'il soit rieux dans ce film... il faut bien réfléchir, on peut faire une faute et
plus pratique, mais tu découvres, en un mois, des régles nouvelles. perdre son fauteuil ». Celui qui te contréle est responsable et peut
Tu ne perds pas le métier parce qu'il n’existe pas. perdre son fauteuil s‘il fait une erreur. Et la seule chose qui I'inté-
Si tu veux dire queique chose, ce qui est important c’est de savoir resse, c'est son fauteuil, alors si tu insistes, si tu es logique, s'il
quoi dire. Quand tu commences 4 parler, tu peux faire des fautes, découvre qu'il peut répéter ton raisonnement devant les autorités
ce n'est pas Ca qui est important. Si tu as un acteur qui parle for- supérieures, il est pour, iln’est pas humainement contre toi, il te fait
midablement le francais, mais qui n‘a rien a dire... un signe: « comme ¢a Ga peut passer ».
Et voila pourquoi tu es entouré par de gens qui veulent t aider, il te
Cahiers. Mais finalement ces films sont produits...
respecte, mais la seule chose c'est que ce ne soit pas dangereux
Josseliani.\ls sont produits malgré la situation. C'est partout dans pour lui.
le cinéma comme ¢a. Le cinéaste ressemble 4 Chariot qui traverse Par exemple, je ne comprends pas pourquoi mon ministre du
la salle de restaurant avec son plateau plein de choses et ou tout cinéma refuse d’envoyer Pastora/e pour une projection privée dans
le monde le bouscule dans tous les sens. C’est le seul métier ou le cadre de la Cinémathéque a Beaubourg, 150 places, c'est quo
méme en tombani, tu dois tenirle coup et aprés c'est la joie quand ¢a? Il ne s'agit pas de distribution, il peut garder sa politique, dire
tu y arrives et que tu donnes a boire aux gens, c’est ca le métier. qu'il n'est pas d‘accord pour distribuer ce film-la, mais il a montré
ce film 4 Moscou a tous les étrangers qui le voulaient, a titre de
Cahiers. Concrétement. ¢a se passe comment sur un tournage? démonstration. Le film était distribué dans des salles de cinéma
normales autour du centre du festival, pendant le festival. Je sais
fosseliani. Tu as toujours le Conseils des Artistes, comme ca trés bien qu'il n'est pas mon ennemi, il ne me déteste pas, en prin-
s'appelle, tu as les rédacteurs qui arrivent... cipe il m'aime, parce que je suis un personnage avec qui il lutte,
Pascal Aubier. Rédacteur, c'est une profession qui n’existe pas c’est comme un partenaire de jeu. On ne déteste pas ses partenai-
ici. Dans un film il y a un quelqu’un, qui est d’ailleurs trés bien placé res... Il y a peut-étre une raison mais je ne l’ai pas encore décou-
au générique, qui doit en principe surveiller qu'on fait bien les cho- verte, je ne comprends pas.
ses, comme prevu dans le scénario et comme Il se doit.
Cahiers. Qu’est-ce que /e grand public soviétique voit? Quel est
fosseliani. Par exemple, le conseil des rédacteurs du studio dit fl équivalent la-bas de De Funes, de Deton, est-ce que ¢a existe, qu‘est-
qu'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas rasés, mal habillés, il est ce qui fait rire les gens?
trés umpartant que tous les citoyens soviétiques soient « trés bien
habillés avec une chemise blanche propre. bien rasés et souriants, fosseliani. Le Comité de cinéma adorart ca. Le public est nourri
ce qui signifie qu’on vit bien ». S‘il n'y a pas ces signes-la, alors tu de Fantomas, de De Funes, de films arabes sentimentaux a pleurer:
PETIT JOURNAL
des petites filles abandonnées par leurs parents, qui grandissent, Cahiers. Et Boris Barnet?
qui tombent amoureuses de leurs fréres et aprés on découvre le
pére qui souffre beaucoup, qui est blessé pour la vie d’avoir perdu fosseliani. Je pense que c'est le meilleur cinéaste en Union
sa petite fille, c'est immense, a peu prés deux cents films par an et Soviétique, qu'il n'a jamais sali ses mains. || a fait de Iégéres béti-
tout le monde les voit, et les films indiens aussi... Le Vagabond de ses a la fin...
Rechgapour, etc., des westerns aussi...
Cahiers. // a fait un film sur la vie de Stakhanov.
Cahiers. Y a t-i/ aussi des films soviétiques dans ce registre? fosseliani. Ah ga je ne sais pas... la vie de Stakhanov... peut étre,
c’était un type qui vivait, il ne se posait pas de problames dans son
lossaliani. On essaie, mais on ne sait ni danser ni chanter, c'est cinéma... ll a fait deux ou trois films: Au Bord de /a mer bleue, bleue,
moche, alors on fait des films policiers, la qualité des criminels est
Okraina, La Maison de fa rue Troubnaia, vous avez vu, c'est formi-
une norme trés étroite, si tu es policier, tu dois étre trés honnéte,
dable, c’était produit en méme temps qu Eisenstein, La Ligne géné-
tu ne peux pas étre criminel-policier. Si tu es un fonctionnaire ce rale, Eisenstein ?
n’est pas possible, alors si tu es un criminel tu peux étre un
A |'époque ou il travaillait, il savait tres bien ce qu'il faisait, il
déclassé, un artiste, ¢a c’est bien artiste, il est toujours criminel.
n’était pas idiot, il appartenait a un certain milieu, il a vu tout ce qui
On n’arrive donc pas non plus a faire des vrais films policiers, c'est
se passait autour de lui, et en méme temps il en faisait I' apologie,
difficile.
dés son premier film. L’escalier, tout ca, des mensonges. Mais
c’était bien fait, il s’occupait de la forme en mentant sur |essentiel.
Cahiers. Et fes comédies 7 Lhistoire de lvan le Terrible, c'est l'apologie du moustachu, il en
était amoureux, il le soutenait mais il a été un petit peu trop loin,
Josseliani. Les comédies, ca veut dire qu'on peut se moquer un
ilen a fait trop. Dovjenko était naif, il était paysan, il y croyait, c'est
tout petit peu de certains et c'est clair que tu peux te moquer d‘un
pardonnable. . epee
directeur de club populaire qui est rétrograde, mais pas d'un res- Entretien réalisé par Serge Daney et
ponsable, jamais. Les comédiens ca ne marche plus. Qu il y a un Serge Toubiana, avec la collaboration
chien, deux amoureux et un chien qui les réunit. de Pascal Aubier

tre vingt dix ans: présenta Telluride. il prétérait parler, plut6t que de
FESTIVALS ses films passes, de celui qu’il projette encore de réaliser: un film sur
Christophe Colomb.
Etaient aussi venus d‘autres cinéastes européens (Alain Tanner,
Jacques Demy. Barbet Schroeder, Werner Herzog). et-un réalisateur
japonais Shuji Terayama dont Ie eélebre Empercur Tomato Ketchup
a plus mal vieilli que celui de Gance. A célé une activité littéraire

TELLURIDE (une vingtuine de romans) ct thédtrale (il dirige la prolixe compugnic


Tenjosaiki a Tokyo) débordante. Terayama continue a réaliser des
films expérimentaus (expérimentations 4 partir de la pellicule film ou
Du cadre legendaire de cette petite ville du Colorado tout a été jus- de la vidéo) qui sont plus qu’estimables, méme s‘il manque 4 ces ex pé-
tement dit par Serge Toubiana dans son compte rendu du festival 78 riences un projet général de cinéma (inestimable avance de Godard
(Cahiers nv 294), Sajouterai simplement. concernant le site, que lair. sur ce point).
d'une pureté absolue, y modele un style de vie a ce point écologique Chuck Jones. Avec Robert Wise. Chuck Jones représentait cette
qu’atlumer une cigarette dans certains lieus de la ville. provoque des génération de cinéastes américains i de l'aprés-guerre. Nombre de
réserves comparables (idéologiques). 4 celles qu'aurait pu susciter le projections étaient précédées de courts cartoons réalisés par lui et
fait d’entamer une bonne partie de roulette russe dans un soviet c“était trés agréable (le festival tui avait consacré un hommage en
d‘ouvriers ct soldats en pleine Révolution d’Octobre. Harmonie du 1977). Jones est, avec Tea Avery, le plus genial réalisateur de dessins
lieu et du festival: celui-ci avait ménagé des séances de nuit en plein unimés depuis trente ans. Ila fail vivre toutes ces années Bugs Bunny.
air, ou dés le premier soir une foule nombreuse venait assister, dans Daffy Duck, Elmer, Coyotte, Road Runner etc, Oeuvre unique a
une ambiance décidément bactériostatique,4 la projection du Napu-
leon A Abel Gance a qui était rendu un sérieux hommage. Tournage de Napoléon {au centre Abel Gance)

Gance. C’est ainsi qu'on a pu voirsurun écran géant en polyvision


et Siar

(projection simultanée de trois images : conditions proches de celles


de sa premiere mondiale a !'Opéra de Paris en 1927), une version pra-
tiquement intégrale du film (prés de cing heures). Comme Griffith
YASS ves

(dans Neaissence d'une Nation) et Eisenstein (dans Le Cuirassé


Potembkine ou ivan le Terrible) ausquels on pense d’emblée a cause
de leur commune et démesurée envergure épique et de leur nationa-
lisme, Ganee réalise [4 un véritable sermenr d'allégeance a son sujet
(le génie humain incarné dans le personnage de Napoléon rencontrant
le génie de Histoire incarné dans Ja Révolution Francaise : ¢’est-i-
dire la marque de Dieu), et en méme temps défire le récit de ce ser-
ment. La of un film simplement a la gloire de Napoléon méme méga-
lomane (un film de propagande : c’est ce qu'il [era ~ct ratera —en 1960
avec -fusterfifz) se serait contenté de filmer la destinée exceptionnelle
de 'Empereur. Gance reerée littéralement Napoleon selon un scéna-
Tio ostentatoirement repris de Dicu lui-méme: ‘enfant venu (de
Corse) pour suuver les hommes (la France}. Défi a ordre originel du
monde lance aussi dans J accuse, film antimilitariste of, littérale-
ment, le personnage passe une alliance avec l"au-dela pour changer le
cours des choses (délire scientiste : empécher les hommes d'etre tues
par Vinvention d’yne armure en plastique qui se trouve dépassée
quand la Seconde Guerre approche). Auiourd’hui. Abel Gance a qua-
64 PETIT JOURNAL
tere tnattendu de ses cadrages, mouvements d’appareils zooms,
Vinsistance diabolique sur un détail, qui procurent une torsion de
espace filmé comme Sydney Sokhona avait réussi a cn produire dans
Nationalité : hmmigré Saul que son statut par rapport a ce qu’il filme
est exaclement inverse de celui de Sokhona qui, lui. filmait les siens
de Vintérieur, la of Les Blank filme espaces (villages. salles de hal.
lieux de recréation. de divertissement) cl personnages (musiciens,
chanteurs, artistes) eatéricurs a sa culture (méme si en Amérique le
rapport des minorités a la majorité est plus complesc. moins mani-
chéen que dans un pays comme la France). De la sensualité qui se
dégage d'une voix, d'une musique, dune couleur, d’une odeur, Les
Blank donne une approche un peu perverse qui fait penser, en pity
Joyeux, au systeme mis en place par Moullet.

Gates of Heaven. Ce premier long meétrage de Errol Morris a pour


sujet les cimetiéres d’animaux domestiques. En réalité c’est ta névrose
de la classe moyenne americaine qui se trouve ici radiographice, a tra-
vers sa particuliére passion pour les animaux domestiques. Ce sujet
est d’actualité; on dit qu’a New York le nombre de bétes d’appartement
atteint le nombre d*habitants et, derision ou solution, le gadget
de masse a la mode aux U.S.A. est une laisse de chien... sans chien (par
la se trouvent rassembleés les avantages de Vanimal-asoir quelqu’un a
protéger, 4 promener: avoir un sujct de conversation ct un fidele com-
pagnon 4 qui parler —. sans les inconvenients — le nourrir, avoir a
ramuasser ses excréments). Logique ultime de simulacre (de commu-
nication, Pamitic, dhumanité plaquéc sur les animaux domestiques)
de ne plus avoir besoin pour fonctionner d’éire méme visible.
Morris se présente comme un fanatique de anti cinéma-veérité. Ses
Débat en plein aira Telluride {de dr. a g.: Tom Luddy, Klaus Kinski et Werner Herzog). cadres sont elfectivement construits selon un principe de condensa-
tion de Funivers mental (i) s’agit bien de radiographies) de linter-
cause de lintelligence proprement cinématographique dont elle fait views : i filme généralement les gens chez cus. dans leurs décors, avec
preuve : curactére tenu des scénarios et des personnages (dans le dessin leurs objets, leurs photos, leurs couleurs. leurs vétements damiliers. Il
animé, le « tout est possible » est souvent synonyme de perte d’intérét Iest pas Gtonnant qu'avec un sujet pareil et de tels partis prts de repré-
et d’ennui), cadrages rigoureux et jeu avec le hors champ (cela aussi sentation, la somme obtenue soit particuligrement tératologique. Le
c'est plutét rare dans les cartoons, qui ont tendance 4 ne privilégier moment le plus terrifiant est celui of l'on réalise qu'une vieille dame
que le champ). traitement du jeu des personnages relevant autant de frisée ct pale, intervicwée dans un fauteuil rouge prés de sa lJampe en
ta direction d’acteurs que du pur graphisme, référence au cinéma des bronze a la lumicre jaunatre, posséde une ressemblance plus que trou-
origines (et en particulier aux burlesques du cinéma muct, a Chaplin, blante avec le caniche en photo, situé derriére elle sur le mur rose de
4 Keaton...). Nous publierons dans le prochain numéro des Cahiers la salle 4 manger (animal défunt qu'elle affirme ne pas pousoir
un entretien avec Chuck Jones. oublier). Plus Join un couple raconte qu'il communique avec son
fidéle berger allemand passé dans l’au-dela. Le maitre mot du film est
celui de Ja réincarnation, méme si personne n’ose le prononcer : réin-
Les Américains. Les Blank. Les autres cinéastes américains pré- carnation du réve américain en substituts dérisoires. Gates of Heaven
sents a Telluride opérent dans les marges du systéme de production. pointe ainsi la véritable tentation du cinéma ethnographique pour un
Ron Taylor n'est pas un inconnu pour les lecteurs (attentifS) des genre cinématographique : fe fantasaque.
Cahiers - il fut « découvert » il ya deux ans lors d'un festival de Deau-
ville ou il n’était pas invité (Louis Skorecki, Cahiers n° 282) avec un Red Skin. L’histoire (authentique) de Red Skin pourrait bien en
film-saga Suckalo. Ita passé ce temps a Monter une entreprise de relever elle aussi. Ce film muet et en couleurs réalisé en 1929 par Vie-
bains diététiques 4 Boulder— Colorado {ce qui faisait de Jur ici Yenfant tor Schetzinger était porté disparu. Ha été miraculeusement retrouvé
du pays). ct réalisé un petit film (Taps) sur les facéties dune danseuse lors du creusement d'une piscine sur un terrain ayant appartenu a une
(de claquettes) de ruc (sobriquet : Rosie Radiator) qui ne bouleverse Major Company. L'histoire (qu'il raconte cette fois) est celle de Wing
pas les regles du genre. Foot (de la tribu des Navajos) et de Corn Blossom (la femme qu'il
aime, de la tribu des Pueblos), arrachés depuis leur plus jeune age a
Stan Brackhage étatt aussi present (mais il n’avait pas de film au les- leur entourage et éduqués selon les codes américains. Rejetés par la
tival) comme Les Blank avec trois courts métrages (As Good As société blanche, ils veulent revivre chez cua mais les deux tribus,
Mother, Del Mero Corazon, ct un film sur une exhibition de Werner depuis toujours rivales, s‘opposent au mariage des deux jeunes gens,
Herzog en train de manger sa chaussure). Blank est le promoteur La fiction nouée a la maniére des grandes tragédies classiques (situa-
actuel (sinon linventeur) du cinéma odorilére. Tandis qu'il fait voir tion effectivement comélienne : comment accomplir ses passions sans
et entendre des éléments de culture populaire (musicaux surtout, voir trahir les siens), se dénoue d*une surprise quasiment divine. Dans sa
Cahier n° 304), il donne a sentir des odeurs présentes dans ces cultu- quéte éperdue, Wing Foot découvre du petrole, précicux liquide qui
res: les odeurs de cuisine exclusivement. [] a ainsi organisé dans une permettra aux indiens d’étre plus forts face aux blanes, qui réconci-
des salles de la ville une garfic session qui consistait a fuire cuire de liera les deus tribus (Wing Foot faisant don de cette richesse aux deux
Pail pendant la projection de ses films. et a répandre parmi les spec- tribus a la fois) et permettra le mariage des deux jeunes gens.
tateurs l'odeur de ce liliacé frit qui connait par ailleurs aux U.S.A. un Outre le caractére d’actualité de la morale politique (qui aurait pu
certain nombre d'udeptes, organisés comme un véritable groupuscule servir de credo aux pays producteurs de pétrole), on reste étonné par
politique (avec une revue, un comité central, des idéologues etc.). la modemité du théme (cclui de la double appartenance de culture,
Ceux qui le souhaitaient pouvaient a la fin manger le produit de sa situation de nombre d’intellectuels du tiers monde), le caractere sou-
cuisson sur du pain. Difficile aprés tout ga de préetendre que le travail tenu du rythme narratil (situations extremes, emb ge fictionnel
de Les Blank est plus intéressant qu'il n’y parait. Et pourtant, pourvu permanent, véritables coups de dés scénariques), la beauté des images
qu’on ne marche pas trop dans le discours édifiant qui accompagne (le sens du décor et des costumes qui déterminent toutes les situations
ces projections, sa manicre de filmer vaut la peine d’étre remarquée + du film), De plus, la primauté des sentiments, alliée a la nécessité
étrange en vérité, pas toujours paradoaale mais suffisamment cons- absolue de justice, en fait l'un des rares mélodrames de l'histoire du
tante, pour parvenira imprimer d'un film a l'autre une vision person- cinéma qui ne soit pas du tout réactionnaire. Autant dire qu'il s‘agit
nelle et obsessionnelle de ses sujets. Le retour incessant des mémes d'un modéle du genre qu’on aimerait pouvoir montrer ici.
preoccupations d’abord (la musique et la cuisine), mais aussi le carac- Serge Le Péron
PETIT JOURNAL 65
LILLE 79 viennent pas a masquer lindigence ou
labsence de direction d’acteurs.
la minceur du scénario ni

COURT-METRAGE:
_ Deux films a faire exception peut-étre : sans échapper a la totalité
PANORAMA INCOMPLET de ces défauts, ils bénéficiaient d'interprétes remarquables et bien diri-
gés. L'extraordinaire ascension de Maurice Bellange, de Bruno
Decharme, film d@’un maniérisme irritant et qui veut raconter trop en
trop peu de temps, est en grande partie sauve par le (rés grand talent
de Daniel Emilfork, parfaitement a l'aise en moraliste maléfique et
Huitiéme festival international du film de court-métrage et docu- sentencieux. La Confesse, de Pascal Remy. se distingue par un scéna-
mentaire. La municipalité de Lille, tres peu aidée par le C.N.C., ne rio bien adapté au court-métrage, une utilisation intéressante de la
ménage pas ses efforts pour donner du retentissement a cette manifes- voix off, et une prestation remarquable du comédien Philippe Tho-
tation au cours de laquelle sont projetées quelques 50 heures de docu- mine en travesti.
mentaires, de courts métrages de fiction et de films d’animation. Le
public lillois ne s’est guére dérangé. Et le soleil presque méridional qui
remplissait les terrasses de calé du centre piétonnier n’explique pas
tout. Du cdté des professionnels, on critiquait la sélection ou le
mélange des genres qui oblige a tout voir. Mais chacun sentait confu-
sément que, st le coeur n‘y était pas, ¢'¢tait sans doute pour des raisons
plus graves : impasse de fa formule festivaligre qui ne débouche sur
rien que d'autres festivals, médiocrité remarquable de la production
frangaise (presque absente de la competition) crise de la machine ciné-
matographique traditionnelle - celle qui. pour parler vite, est prise
entre Apocalypse Now et la vidéo.
A ce conmpte, les pays de lest. du moins la Pologne et la Hongrie,
nMavaient pas de mal a faire assez bonne figure. Des films conime
@une part Les fenunes qui travaillent de Piotr Szulkin, La Fenéire de
Piotr Andrejew, Cinéma vérité d’Andrzej Warchat pour la Pologne,
ou d’auure part La Saliére d'Istvan Orosz et Fétonnant document-fic-
tion Intersee tion de Peter Fabry pour la Hongric. témoignent incons-
testablement qu'existent dans ces pays des écoles de cinéma vivantes
et ouvertes a la recherche. On reste pantois en découvrant dans ces
films les tics les plus récents de l’avant-garde européenne : ralentisse-
Daniel Emilfork dans L’extraordinaire ascension de Maurice Belgane, de Bruno
ments godardiens, fondus au blanc, ctc. Les productions précédem- Decharme.
ment cilées savent cependant éviter suflisamment les piéges du forma-
lisme pour étre d'une qualité moyenne honorable. Ricn de plus mais Pour en finir avec les films frangais, i] faut mentionner ici ce qui fut
cetait deja beaucoup a Lille cette année. Au reste. c'est sans doute par {ce fuux évenement du festival. a savoir la demande de saisic (restéc
reconnaissance de spectateur que fe jury a distingué deux films de pays vaine a ce jour) par la rédaction en chef du Afatin de Paris du film
socialistes, choisis non parmi les plus intéressants mais du moins Numeéros zéru de Raymond Depardon.
applaudis par le public. II s‘agit d*un documentaire bulgare: Le Ber-
ger de Christo Kovatchev — mais qu’est-ce que le cinémia bulgare? - Je renvoie le lecteur a l'article publié dans ce méme numéro des
et d'un court métrage animé du polonats Warchat, Le petit pigeon. Cahiers.
Du cédté des pays capttalistes. deux ou trois films seulement ont Parmi les autres documentaires, le film Un réfiugié du Fietnan
semblé s‘intéresser a la recherche d'un langage nouveau. Ces tentati- d’Heynowski et Scheumann (R.D.A.) atteint le spectateur avec vio-
ves. A demi réussies seulement, sont 4 chaque fois issues des techni- lence et aurait certainement remporteé le prix d’« obscénité ontologi-
ques d’animation ou video. Citons le films japonais Les Chants de que » s'il existait a Lille (1). C’est un ciné-tract de quatre minutes qui
Maldoror de Shuji Terayama, film assez prétentieus dans l"ensemble. décompose quatre fois de suite au ralenti la célébre séquence ow |’on
mais ow les calligrammes qu’une plume venue de nulle part inscrit voit le chef de la police de Saigon exécuter un prisonnier 4 bout por-
parfois sur (image. produisent un indéniable effet d’étrangeté. Les tant dans la rue. L‘image du policier se décafe un peu et par un rapide
animatrices canadiennes Caroline Leafet Veronica Soul ont réussi, fondu-enchainé, on retrouve le méme homme, sourire aux lévres, en
dans leur film a la premiére personne /nferview, 4 mélanger habile- train de prendre les commandes dans son restaurant prés de Washing-
ment techniques d’animation et cinéma-verité. Enfin La Promenade, ton. La mise a mort documentaire indéfiniment répétée est bien ce
film frangais de Jacques Barsac, temoigne de recherches sur la super- « spectacle intolérable » dont parle André Bazin (2) et je ne connais
position d*imayes (grace a la vidéo) et le coloriage de pellicule noir et guére pour ma part de film plus traumatisant que celui-la.
blanc. Le résultat est intéressant sur le plan formel mais n’est pas sou-
tenu par un projet assez cohérent. I] puise trop dans l"imagerie surréa- fl faudra un jour se pencher de plus prés sur l’usage intensif du
liste et 'embrayage de la fiction reste maladroit. Dans le contexte tabou de mort dans les films d'Heynowski et Scheumann qui prati-
actuel. de telles recherches ont le mérite de vouloir sortir de impasse quent un cinémaa l’estomac tout droit issu de I"« Agitprop » (Allema-
et se distinguent avec bonheur des produits pour la plupart mort-nés gne, années 30),
présentés pur ailleurs a Lille sous label francais. L’événement véritable du festival, fut la projection hors compéti-
Il convient pourtant de distinguer parmi ces derniers, deux courants tion du film d°‘Orson Welles Fi/ating Orhello (malheureusement a une
qui me paraissent avoir fortement valeur de sympt6me. Dans le heure fort tardive ct avec une traduction simultanée vite noyée sous
« panorama de la production frangaise », curieusement placé hors le flot wellesien). Ce film important méritera qu'on y revienne abon-
compélilion, se retrouvaient en effet deus films représentatils de ce damment sil trouve en France un distributeur assez courageux pour
cinéma ethnographique a la frangaise qui si volontiers s’attache 4 des prendre le risque de sa nouveauté. C’est un des premiers vrais films
personnuges condamneés a la marginalité ct 4 la solitude pur la société de télévision comme on peut lentendre de certains Godard récents.
daujourd hui. Cinéma du déja-fini dont la nostalgie tourne trop sou- Tentons de donner briévement une idée du dispositif scenique : Wel-
venta vide. De quel autre cinéma porte-t-on [a le deuil? les, assis 4 la table de montage, régle un jeu complexe de questions et
de reponses, de vérités et de mensonges. a propos de son film Oshello.
Les courts métrages de fiction portaient quant a eux trés visible- Au cours de ce jeu, il perd a plaisir le spectateur sous
ment le deuil des longs métrages qu'ils auraient révé d'étre. Cela abou- labondance d'anecdotes sur le film, puis convoque successivement a
tit a une sorte de gontlement généralisé du produit, une mobilisation Mécran de sa table de montage une discussion entre lui et les acteurs
accrocheuse de toute la machine 4 artifices (bunde son pour sourds, vicillissants qui acceptent ici de risquer leur image, des extraits mucts
écluirages esthétisants, couleurs, effets-choc au montage) qui ne par-, du film commentés aujourd hui (véritable nouveau montage)... el sur-
66 PETIT JOURNAL

TELEVISION
RUE DES ARCHIVES:
L'HISTOIRE DE FRANCE
A LA TELEVISION
VUE PAR RAOUL RUIZ
ll y avait Marie (9 ans), Cécile (10 ans}, Valérie (13 ans) et
Sophie (17 ans). Nous ne les voyions pas, mais nous entendions
leurs voix. Elles lisaient les manuels d'Histoire de France d’A. Cal-
vet (1903), d'A. Aymard (1929), de D. Ferré Poitevin (1956),
d’Audrin et Dechappe. Ceux-la disaient tous a peu prés la méme
chose: que ‘Histoire de France, c’est I’Histoire des Droits de
I'Homme. En-dessous de ces voix, il y avait une Histoire de France
faite avec des séquences des dramatiques de la télévision, en deux
époques: 1. De nos ancétres les Gaulois 4 la prise du pouvoir par
Louis XIV; 2. De la révocation de Edit de Nantes a4 linvention du
cinéma. Ces bandes vidéo n’‘ étaient pas tout 4 fait d’accord avec les
Bin propos antérieurs des manueis sur le sens de I Histoire : elles mon-
traient qu’en fait de libération, I'Histoire de France c’était plutat
Vietnam — I'6mancipation de I’ Etat moderne, sa libération en bas des factions
flichtling féodales, en haut de la juridiction divine. Elles ne prétendaient
qu'illustrer d'images vidéo ces vieux manuels et elles laissaient
entendre que ces images du passé, ces fragments de dramatiques,
c'étaient peut-étre autant de célébrations présentes du culte de
A Refugee l'Etat industriel sous le travesti des guerriers, rois et chefs religieux
défunts.
from Viet Nam

L‘Historre de France et la Télévision Francaise : un corps problématique (Lous X/, de
Jean-Roger Cadet, 1966} Photo Jean Abba.

Studio
HsS

Un réfugié du Vietnam: photo distribuée par le service de presse lors du festival


(assassin devenu restaurateur vu par Heynowski et Scheumann).

tout Welles lui-méme. acteur et metteur en scene retotalisés pour ce


jeu inédit ou (homme entier se risque. Jeu sur le temps mais aussi
mise en scéne de l’activité cinématographique par la télévision, quand
le vieux Welles aprés avoir projeté des extraits de son film d'il y a 24
ans, rejoue devant nous des scénes d’Ovfedlo, rencontre des éetudiants
cinéphiles de Boston qui « savent » tout sur lancien film, et entin fait
semblant de résumer cette pseudo-interview de lui-méme avant de
sortir du champ en laissant la machine seule. Comme si le temps du
cinéma‘ avait fait place au temps de l’entretien avee le cinéma.
Dominique Bergouignan

1. Le prix de la Te eusre est alld a Ports fa grdve de Diew de Vespagnel Curlos Tuillefer
Yar manqué la projection): le prix special du jury a éte déeumne a Jana Bokova pour Ren-
conpes, un honnéle reportage Lele sur une agence matnmoniwle de Londres caperle en
video.
2 Voir Panalyse de Yann Lardeau dans les Cahiers du Cinéma nv 289 guin 1978).
PETIT JOURNAL
L'Histoire de France est pleine de bruit et de fureur : L’Eglise bri-
lait les Cathares, les Croisés reprenaient Jérusalem aux Infidéles,
Philippe te Bel exterminait les Templiers, les Anglais condamnaient
Jeanne d’Arc au bicher, les Catholiques assassinaient les Protes-
tants la nuit de la Saint-Barthélémy, ils recommencaient un siécle
aprés, lors de la révocation de I'Edit de Nantes. En janvier 1793,
les Francais « gui-guillotinaient » Louis XVI... « Et ifs dansaient tou-
jJours, et ils dansaient toujours... ». Les guerres de religion. La guerre
comme religion.
L’Histoire est une éternelle répétition. A la longue cette répéti-
tion se fait infernale; c'est que nous sommes pris dans sa derniére
spire. Les dramatiques de la télévision francaise répétent toute
'Histoire de France. Chaque dramatique répéte toutes les autres.
Chaque plan d‘une dramatique répéte tous les plans de toutes les
dramatiques. Etienne Marcel était un bourgeois de Calais; les
Anglais le tuérent lachement avec ses cing compagnons. En 1357,
le marchand Eustache de Saint-Pierre, maire de Paris, voulut ren-
verser le Dauphin Charles (Charles V); son copain Maillard jugea
plus prudent de l'occire. Louis XIII, Philippe Le Bel et Jean-Pierre
Marielle y étaient une seule et méme personne. Philippe le Bel
Paris-Berlin : Freud, Galigari.
s'appelait aussi Jean Rochefort. A I'époque, le TNP jouait a la
Comédie Francaise et le théAtre de boulevard remplissait Chaillot.
der au théme; un peu comme si on avait arbitrairement décidé d'un
En 1966, avec Les Cathares, Stellio Lorenzi confondait la télévision
style avant que le projet ne se précise, un style qu’on aurait plaqué
avec la Cour des Papes d’Avignon. I} persista longtemps dans sur le propos.
erreur {encore au moment de La Mort de Marie Antoinette, 1973). Une exception: Un Déjeuner au Bauhaus (n° 3) donne une idée
Louis XIV n‘était pas un souverain absolu: il avait un maitre de de ce qu’aurait pu étre la série tout entiére. Le cadre central (un
cérémonie sans égal qui savait rigoureusement diriger ses pas - décor du Bauhaus dans un studio de télé), avec ses spécialistes
Roberto Rossellini.
allemands, 2 demeure, donne un centre de gravité logique au reste
de |'émission, l'empéchant de se répandre dans la nature: dés
C'était I'Histoire de France. C’était Histoire de la Télévision. qu’on y va, dans cette nature, c’est pour une ballade dans l'espace
C’était Rue des Archives, \es dimanches 23 et 30 septembre, a
des architectures, une ballade qui explore vraiment quelque chose.
20 h, 30 sur FR3. Une heureuse récréation proposée par |INA. Ca Les mouvements de caméra incessants, qui n‘avaient aucune rai-
s'appelait Le Petit Manuel d'Histoire de France. C'était signé Raoul
son d’étre quand il s’agissait de parler d'histoire, de folklore ou de
Ruiz.
politique, trouvent ici une pertinence qui vient de leur objet: des
Y. Lardeau batiments, des constructions, des volumes que la caméra enve-
loppe. qu'elle livre peu a peu au regard, et qui se découvrent. On
apprend un peu a voir, on regarde. Méme la surabondance de la
musique ne parvient pas a brouiller le plaisir de la rencontre : archi-
Petit Manuel d'Histoire de France (1 et 2), émission réalisée par Raoul Ruiz, dans ja tectures inédites, cachées, émouvantes.
série « Rue des archives », produite par FINA. diffusion 1 . De nos ancétres fes Gaulois
d fa prise du pouvoir par Louis XIV, le 23 septambre 1979: 2 ° De fa révocation de I'édit
lin‘en va pas de méme pour tes trors autres parties. Le style néo-
de Nantes & invention du cinéma, le 30 septembre 1979, sur FR3. syberbergien de la premiére n'est pas crédible, malgré les interven-
tions de Syberberg lui-méme, et les ballets autour de Freud/Cali-
gari n’expliquent pas grand-chose (pas plus qu’'ils ne divertissent
PARIS-BERLIN (A2) vraiment). On ne communique qu’avec {es enfants (la petite fille
qui chante un chant patriotique est a la fois crédible et émouvante).
PLAISIR ET DECEPTION Ce sont également les tableaux qui sauvent les épisodes 2 et 3 de
ennui: Matisse, Mondrian, Schwitters, le « Blaue Reiter». Initia-
tion et plaisir : on voudrait en voir davantage, on se désespére que
J'ai eu l'occasion de dire (Cahiers n° 286), 4 propos d‘une émis- ¢a finisse trop vite. Surtout que dés qu'on quitte les peintures, c'est
sion sur le Photojournalisme qu elle avait faite avec Michel Pamart, pour tomber dans I'approximatif: 'emphase des commentaires,
tout le bien qu’il fallait penser du travail de production de Teri Wen- leur ton « Comédie Francaise » (impossible de comprendre vrai-
Damisch. (Rappelons qu'elle a notamment été responsable du ment, d’entendre autre chose que le ron-ron d’une voix d’acteur),
magazine mensuel d'information artistique Z/g-Zag : films sur Pica- l'expressionnisme maladroit et rétro des images, etc... Le pire est
bia, Malevitch, Duchamp, Chardin, Cézanne, Ben Shahn etc...). peut-étre la reconstruction des gags/événements dadaistes qui
Toutes ces émissions sont intelligentes, vives, et donnent au docu- deviennent, par la mollesse du filmage, d'inconsistantes plaisante-
mentaire de création artistique une valeur didactique qu'il n'a pra- ries de potaches, vidées de leur signification, vaines. Travail de
tiquement jamais a la télévision. Loin des messes culturelles copiste qui vide |'original de tout ce qu'il pouvait avoir de subversif,
confuses et pompeuses, des images d'art en forme d'interlude d'étrange, de daté, D’autant plus que l'insertion de documents et
pour boucher les trous des programmes, l'approche de T.W.D a de films de I'époque ne permet pas qu'on soit par trop approxima-
toujours été celle de la clarté, de la recherche patiente et modeste, tif. La comparaison, le contraste, sont des armes absolues:
en un mot: ne jamais faire l'économie du sujet a traiter, respecter contrairement a ce que l'on pense, le ridicule tue.
Yceuvre d'art autant que Je public auque! on Ja présente. Comment L‘heure :21h.30 fait problame. Quand on a |'habitude de travail-
se fait-il que ce Paris-Berlin (diffusé en octobre sur A2.) ne rem- ler pour des créneaux horaires qui se situent aux alentours de
plisse pas le contrat qu'on espérait? Quelles sont les raisons du 22h.30, gagner une heure est une victoire dont il est difficile
ratage (partiel) de ce qui aurait dO étre une « parure visuelle et d'assumer les implications : un public plus vaste, moins accoutumé
sonore, spectaculaire, inédite dans le domaine du documentaire »? a l'histoire de l'art. et donc un autre type d‘approche (moins rébar-
Le sujet : les rapports (1900-1933) entre l'Allemagne et la France, batif) a inventer. Probablement persuadés qu'il ne fallait surtout
envisagés d'un point de vue politique, culture}, artistique, voire pas ennuyer le public, les auteurs ont choisi un ton hybride : vague-
anthropologique. Vaste programme. Trop vaste peut-étre. Mais le ment inspiré des « cabarets » bertinois des années vingt, addi-
découpage en quatre épisodes d‘une heure aurait pu aider, alors tionné de séquences dansées, parsemé de saynétes scolairement
qu'il dessert presque entreprise. Pourquoi? Parce que, si les « brechtiennes ». Le résultat est inévitable : si l'on a un sentiment
auteurs ont bien découpé le sujet en quatre tranches distinctes, ils assez fort de |'époque, du décor, le plus important est noyé, dilué
n‘ont pas su le faire avancer d'une partie a l'autre: A chaque épi- dans une fresque multiforme; les informations (trop nombreuses)
sode tout recommence, le raisonnement se clét sur lui-méme, qui se perdent, les peintures (trop rares) s‘oublient. Tout était sans
n'introduit pas vraiment a une suite, et le ton piétine sans s‘accor- doute une question de dosage : quelle quantité de style « variétés »
68
peut-on injecter dans le documentaire sur l'art sans que ¢a
devienne carrément du music-hall? Trop c’est trop: Teri Wen-
Damisch et Pierre Desfons avaient pourtant mieux réussi (mieux
dosé) avec Paris New-York, conservant l’essentie! du documentaire
contre la musique et la danse. Ici c’est |'inverse qui se passe: la
musique l’emporte, elle gagne sur les images. Est-ce que cela veut
dire que |’émission elle aussi gagnera des spectateurs? Je n’en
suis pas sdr: le nouveau public, celui qu'on vise, aime trop peu
changer d’habitudes, un dimanche soir qui plus est, pour venir a
une célébration baroque et chantante de I’art et de la culture. Et si
cela était? Si un nouveau public se constituait, friand dart a bon
marché, satisfait de voir l'affiche (rouge) plutét que le détail du pro-
gramme? Ce serait bien pour la promotion des « émissions cultu-
relles 4 une heure de plus grande écoute », mais nous perdrions
quelque chose de plus précieux : approche patiente d'une ceuvre
dart, hors de I’étouffoir des musées ou des galeries, la rencontre
rare avec le travail d'un artiste, I'égale importance accordée a la
liberté de celui qui regarde et a la chose regardée: toutes carac-
téristiques d'une véritable télévision. Mais qui peut dire vraiment
ce qu'on découvrira au prochain détour des chemins de zig-zag?
Louis Skorecki

Paris-Beriin, rapports et constrastes {1900-1933}, série de quatre émssions propo- autant): il est japonais ! Stupeur, rires : qu’est-ce qu'on peut bien
sée par Teri Wehn-Damisch, réalisées par Pierre Desfons, produites par Antenne 2 faire devant ce gag vivant? Etre stupéfait bien sar, rire, et puis, c'est
dans la série Ping-Pong, diffusions 4 2 1 h 30 Jes dimanches -7 octobre 1979, Le Cabi-
net du docteur Caligari, 14 octobre 1979, Un Soir au cabaret. 21 octobre 1979, Un inévitable, écouter notre propre rire qui meurt (mal) dans notre
Déjeuner au Bauhaus, 28 octobre 1979, Une Enquéte sur fe Landwerkanal gorge. Entendons nous bien : il n'y a nulle volonté didactique de dis-
tanciation chez Berzosa, nul effet de prof pour faire une lecon plus
PORTRAIT/MOSAIQUE DE originale que celle de son coliégue. C'est plutét un irréductible
étonnement devant la variété des types humains, leurs maniéres,
BRETAGNE leurs maniérismes, leurs parlers, allie a un refus violent, viscéral, de
lier fe tout, de lier la sauce pour qu’elle « passe ». Ce n'est pas non
APROPOS D'UNE EMISSION DE J.-M. plus une galerie de tableaux (encore qu'il y en ait} ou de monstres
(il y en a aussi), c’est le tac au tac d’un ton précis, qui va droit au
BERZOSA (LN.A/A.2) but: 1) je filme. 2) je colle. 3) on regarde.
Il n'est pas indifférent de rappeler que Berzosa parle |'espagnol,
Voila une émission pas comme les autres, singuliére, une émis-
la langue de Luis Bufuel et Raoul Ruiz: peut-étre cette langue a-
sion d'auteur. Au moment ou les cinéastes, dés leur premier film,
t-elle une maniére (thé&trale) de se mettre en scéne elle-méme qui
se gonflent d'importance et aspirent (un peu vite) 4 ce statut mal
expliquerait (un peu) ce rapport unique qu’ ils entretiennent avec le
compris, vécu de facon somme toute trés littéraire, il est rassurant
systéme du comportement et de la parole ? Ils ont tous es trois une
de voir qu’a la télévision, au milieu de f anonymat grisétre que ne
logique de l‘illogique qui ne leur serait pas aussi particuliére si elle
viennent éclairer nulles étoiles louangeuses, quelques personnes
ne passait pas toujours par le langage, et par la production de
travaillent, et de maniére tétue. Berzosa est a I'évidence une de ces
signes. Plutét que de surréalisme, il faudrait peut-étre parler
personnes. Pour quelqu’un qui n’aurait vu que ce film, et qui le
daccumulation de preuves: des preuves qui pleuvent, qui
regarderait avec un peu d‘attention, il n'y aurait nul besoin de lui en
s‘enchainent, qui font corps. Et qui font sens: méme |'absurde
montrer dix autres: la preuve est d’ores et déja faite que c'est la
obéit 4 des régles, ne serait-ce que la premiére et la plus simple:
le maillon d’une aeuvre Qu’est-ce qui se cache (a peine} derriére ce
la régle de l'addition
(un plus un égale deux).
titre curieux ? Un portrait/mosaique de la Bretagne, une accumu-
Dans laddition: les deux vieux jumeaux (un peu Dupont et
lation de visages et d’accents, une exploration a la lettre de ce
Dupond de Hergé), leur litanies et gestes symétriques, les deux
qu'on appelle la « couleur locale ». Au début c’est déroutant, tant
sceurs Coadec qui leurs chantent deux blues bretons dans un
le ton est heurté, cassant, presque cacophonique. On ne sait plus
champ au milieu des vaches, le jeune chanteur a casquette et che-
a quel saint se vouer: faut-il ricaner devant la naiveté des person-
veux longs et son copain (casquette et cheveux longs), un journa-
nages, figés dans une attitude photographique ? Doit-on s'émou-
lier qui casse des biches et qui parle peu, un beau vieux a mous-
voir de quelque accent de vérité ? Aussitét qu’on croit avoir com-
tache trés serein devant un chateau, Jean Edern Hallier qui en sort,
pris, qu'il nous semble enfin suivre le fil de l'histoire, voila le ton qui
le vieux qui l'appelle « patron », Edern Hallier pas content qui tient
change du tout au tout : un train miniature construit et conduit par
a dire que le vieux est son second pére, on recommence Ia « prise »
un anglais, deux vieux jumeaux qui récitent leur texte en choeur, un
pour « effacer » la hiérarchie qui fait hiatus, etc. De deux en deux
jeune chanteur et folkloriste qui fait de la propagande pour une
on additionne les scénes dréles, d'un en un les scénes plus sérieu-
culture qui s'émiette. Au bout d’un quart d’heure, on y est {a peu
ses, mais il y a toujours un respect extréme de la personne que l'on
prés : les surprises ne cesseront pas pour autant de manquer) : il
filme, une personne a qui l'on se confronte, que |’on montre, et un
s'agit d'un voyage organisé, d'une visite a une région, avec guides
point c'est tout. Cette émission passera 4 la télévision le 21
et commentaires. Pas du tout comme Le Cuisinier de Ludwig de
novembre, sur Antenne 2. C’est la seconde de la série Frances (pro-
Syberberg (o0 il y avait un humour constant, un humour qui ne
duite par Pascale Breugnot). La premiére est La Derniére chasse de
dérapait pas), plutét un voyage en dents-de-scie, une visite en
M. Fricous (Denis Chegaray, 17 octobre), une émission un peu
contrastes, dans une cariole aux roues qui grincent. Le rire se fige
naive et maladroite, insistant trop sur la protection de la nature,
dans la gorge, on nous renvoie sans cesse notre réaction immé-
alors que le plus intéressant est le portrait des chasseurs: pas
diate entachée de suspicion. lmpossible d’échapper a la réalité :
besoin de réquisitoire, fit-ii en forme de conte de Daudet, quand
nous sommes bel et bien des (télé)-spectateurs, des juges, avec ce
les chasseurs se chargent eux-mémes de se dénoncer, dés qu’ils
que cela comporte d‘arbitraire, d'usurpé. Un exemple: une jeune
se montrent). Berzosa, quant a lui fait plus que faire parler des
femme face a des adultes a qui eile enseigne le breton. Elle parle
gens : il les laisse... Il est l'auteur de la série Chili Impressions. || sait
de ses difficultés, du fait aberrant que le breton ne peut étre ensei-
ce que cela veut dire.
gné que de maniére bénévole. Un a un, plusieurs de ses vieux élé-
Louis Skorecki
ves se présentent, nom, prénom, profession, raisons pour lesquel-
les j apprends le breton, etc. Passages simples, émouvants, précis.
Des Choses vues et entendues — ou révées — en Bretagne, 4 partir des quelles Dieu
L‘institutrice explique alors que son mari, pourtant dipl4mé, ne peut nous garde de généraliser, érrussion réalisée par José-Maria Berzosa, dans la série
pas enseigner le breton, qu'il en est réduit a travailler comme Frances proposée par Pascale Breugnot, produrte par Antenne 2 — INA, diffusée le 21
macon. On voit le mari qui s‘explique (et on |'entend au moins novembre a 22 h 35.
PETIT JOURNAL 69
sur l’essentiel ct Pinutile. Aussi le filmage, et le montage qui a suivi.
se font-ils guider par le son, et opérent selon les mémes régles : ils tran-
chent dans la chair de la salle de rédaction (la pellicule, legérement
poussée pour des questions de lumiére, offre un grain qui s’accorde
tres bien avec la désquamation réalisée), ils vont 4 l’essentiel, vers
ceux qui décident en derniére instance (Perdriel, Colombani, De
Virieux, Kidel), car la se condensent de maniére exemplaire (sur des
visages, des corps, des comportement : de fagon quasiment anthropo-
logique), ce qu’on appelle génériquement, fes pouvoirs de PInforma-
Hon,

Ici le film qui pourrait n’étre alors qu’une entreprise de propagande


(pour ou contre fe Afatin de Paris), ajoute au registre didactique qu'il
ne cesse de dérouler, un intérét proprement cthnologique qui finit de
lui donner son prix. Sans doute a cause de l’unité de ficu, du coduge
extreme qui régit les modalités (de langage. de maniéres. dShumour...)
de cette profession, du fait qu'il s’agit aussi d’une premi¢re, d'un
enfantement, on a le sentiment d’assister 4 la découverte (elle-méme
autant que par l’ceil-oreille de la caméra) d'une tribu, via la caste de
ses chefs, experimentant encore un peu maladroitement les rituels qui
Photo de tournage de Numéros 2éro, de Raymond Depardon {Claude Percriel dans les
locaux du Matin de Paris).
vont lui servir de loi, Ce rituel n’est pas encore rodé, poli, éprouve:
il est abrupt, tl tatonne, if est encore un peu bancale. il bégayve. Aussi
sa representation est-elle parsemée d’exces de langage, de jugements
4 l'emporte-piéce vis 4 vis de tel ou tel (souvent d'ailleurs non dénués
de fondements). Ces aspérités provoquent chez Claude Perdriel (direc-
« NUMEROS ZERO » teur du Afatin de Paris) les réserves que l'on sait. Elles sont pourtant
la condition de la crédibilité d‘une telle entreprise. S‘il faut en défen-
UN FILM DE RAYMOND DEPARDON dre le maintien dans le film, ce n’est pas seulement 2 cause de prin-
cipes généraux sur la censure, mais parce qu‘ils sont autant d’accents
SUR «LE MATIN DE PARIS » de vérité de la liberté de pensée d’un quotidien qui se veut de gauche.
Et les accents de vérité finissent toujours par se verser au crédit de
Du travail des journalistes (comme des hommes politiques), on ne ceux quien ont été capables, méme si (et c'est bien fa leur caractéris-
peut généralement voir que laboutissement (articles finis, journaua tique), i] est sur le moment douloureux de se les entendre prononcer.
télévisés, déclarations, etc), jamais le processus de réalisation. C’est un Serge Le Péron
peu comme sil n’était possible de connaitre du travail des ouvriers
d'une usine de voitures que les véhicules finis. Or s'il y a une question
importante 4 traiter aujourd’hui c’est bien celle-l4 : comment s‘effec-
tue I'Information? qui fagonne, ordonne, interpelle cette autre caté-
gorie floue qu'est opinion publique? Comunent ca va et comment ca
ne va pas dans cette institution (c"est la question qu’Odette pose dans
le film de Godard a propos de la Révolution portugaise au journa-
liste : « qu'est-ce qu'il devient, le Portugal, entre le moment ou i] ren-
tre dans ta machine et le moment ou il en sort? »:
LIVRES.
C’est ce qu’a pu filmer Raymond Depardon., photographe d’agence
(il est fe fondateur de Gamma), déja rompu a la pratique du cinéma « Eloge du cinéma expérimental »
direct (le fameus film sur Madame Claustre qui devait lancer l'affaire.
un film sur la campagne de Giscard, et de nombreua reportages avec (Dominique Noguez.Centre G.Pompidou)
son umi Gilles Caron), C’était i] ya deux ans au Afatin de Paris, Aux
taches qui allaient devenir quotidiennes de la fabrication d'un journal. Ce livre (sous-titre : Définitions, jalons, perspectives) est un peu la
s’ajoutait le fait qu'il s’agissait de la mise en ceuvre des premiers numé- suite, radicalisée, d'un autre livre de Dominique Noguez, « Le
ros, des Nuiéros Zére (cest Ic titre du film), d°un journal en train de Cinéma, autrement (10-18. 1977), qui essayait. en son temps, de
naitre. Peut-étre sous le coup de la jubilation, les journalistes ont parler « aulrement» d’un «autre» cinéma. S‘il y faut autant de guil-
accepté de laisser paraitre la partie cachée de leur métier. lemets, c’est que ce terrain d’investigation (le cinéma marginal, diffé-
rent, autonome, indépendant. underground, expérimental, en un
Aussi le film fonctionne d’abord 4 la maniére de ces coupes géolo- mot: aire) est un terrain largement inexploré, vierge. dans lequel on
giques reproduites dans les manuels d'enseignement, ou |’on voit dif- trouve de tout. Le mérite de Noguez a toujours été de s‘attacher,
férentes strates, courbes, crevasses, secousses, constantes du sous-sol, modestement et méthodiquement, sans a priori critique ou subjectif,
constituer lassise de paysages que l’on connait. Se trouvent donc a faire connaitre l'ensemble le plus représentatifde ce cinéma passion-
représentés, ce qui donne lieu a ces titres, ces « unes », ces mises en nant (autant que passionné, cest-a-dire souvent sectaire). L’entreprise
pages. ces articles, ces accrochages qui constituent le paysage quoli- est gigantesque, utopique diront certains : comment laissera larriére-
dien de Information: une ambiance un peu fébrile. une quantité plan ses godts et préférences, comment distinguer ce qui fait référence
importante de cigarettes. des discussions animées, des jeux de mots de ce qui est secondaire, mineur? Car entreprendre un tel travail
plus ou moins bons, des essais, des ratés... a brouhaha singulier doué demande en méme temps, exige méme, que ]’on soit passionné, que
d'une finalité professionnelle (ce qui fe distingue du brouhaha des l'on soit guidé par une subjectivité a l’épreuve des balles. du temps.
cafés) et immédiate. Seul pour filmer ct enregistrer le son (un micro des gens. C'est cette double contrainte (conjuguer fe travail d‘historien
Canon fixé sur la caméra), véritable machine audio-visuelle branchée minuticux a celui d’exégéte enthousiaste. communicatif) qui fait le
sur le corps de cette machine d'écriture qu’est un quotidien, Depar- prix de ces recherches (a peu prés uniques en France) et relativise
don (professionnel Jui aussi de Information) u pu mettre a vif les considérablement les critiques particuliéres qu'on peut avoir a faire a
lignes de fond qui structurent un tel milicu : Ja dureté implacable des leur auteur. Critiques rendues encore plus problématiques par l’igno-
relations de travail, le caractére abrupt des rapports de pouvoir, et rance dans luquelle nous sommes d'une grande partie des @uvres et
finalement la violence, la violence verbale, la violence du verbe, a des artistes dont il est fait éloge. Comment présenter ce livre? H indi-
Veeuvre dans un tel métier. Car chaque mot est prononcé (ou écrit). que d’emblée, dans son prologue, qu’on ne peut « accéder au cinéma
pour trancher ou étre tranche, pour mettre en cuvre son propre pou- expérimental autrement que par l’enchantement d'une projection ».
voir a tous les niveaux : chacun (le journaliste. le responsable de la (précaution qu’il n’est pas inutile de prendre: aucun livre. si savant
rubrique, le rédacteur en chef, le box office...) tranchant et légiférant ou émouvant soit-il, ne dispensera jamais de la vision pure et simple
Ww PETIT JOURNAL
des films), Noguez replace ensuite Ie cinéma expérimental dans le
champ plus vaste de (histoire des genres, s’attachant 4 mettre en évi-
dence les différentes formes qu'il peut prendre : éelaté, formaliste, fic-
tionnel, abstrait. etc. Ceci sans jamais coller d’¢tiquettes arbitraires. MUSIQUES DE FILMS
classifier arbitrairement ou simplifier outre mesure ce qui ne peut pas
Vétre: un ensemble de films de toutcs Ics époques et de tous les pays.
essenticllement divers et hétéroclite. C'est ce qui explique aussi que A quoi cela peut-il servir d’éditer, sous forme de disques. la musi-
le livre soit un peu « éclaté », revenant plusieurs fois sur les mémes que de films? Qui cela intéresse-t-il? Difficile de répondre. Ce qui est
q@uvres, he se contentant pas de les placer sagement dans le chapitre sur, c’est qu'il existe un public d’amateurs, limité sans doute, pour ce
qui leur convient le mieux. Si "on parle longuement de underground « type » de musique. Le plus souvent, on publie les bandes sonores de
ameéricain dans une partie autonome, on ne manque pas de l’évoquer films récents : s'il y a un air a succes dans le film ou. mieux, une chan-
ailleurs, par exemple dans ses liens de ftlation avec le mouvement son‘rengaine qui a été promotionnée par les radios. le disque peut
futuriste italien des années dix, Ifen va de méme pour le cinéma fran- esperer depasser le petit cercle des spécialistes. Que penser des parti-
sais: si une étude s’attache a en définir les tendances actuelles. il se tions de films déja anciens, celles que vient de rééditer United Artists
retrouve aussi dans d’autres chapitres: « Célébration de quelques (distribution : Sonopresse)? I] y a la: La grande évasion et Les Chas-
@uvres nouvelles », « Un cinéma de la durée» etc. L’index permet seurs de scalps (musique Elmer Bernstein), Taras Bulha (Franz Wax-
heureuscment (et utilement) de trouver tres vite un film ou un cinéaste man). Salomon et fa Reine de Saba (Mario Nascimbene), Goldfinger
en particulier, et les études qui s’y ratlachent. Quant aux photos. elles QVohn Barry). Elmer Gantry (André Previn) et Jugermment d Nuremberg
he sont pus seulement belles, elles sont rares. Le tout forme un ensem- (Ernest Gold). On s‘apergoit, hélas. que la musique hollywoodienne
ble abondant : considérations historiques, linguistiques. ou relatives s‘essoullle depuis vingt ans, batarde de plus en plus, a propulser tant
aux problémes de la figuration: nombreuses approches, souvent tres bien que mal (c'est de la « grosse musique ») des films eux-mémes lar-
pertinentes, d’ceuvres particuliéres (Dwoskin. Akerman, Theuring. gement indigestes. Si elle fait passer la soupe, une fois les images reti-
Snow, Nekes, Duras, Kirchhofer, limuru. Mekas, Kubelka, Marko- rées, il ne reste plus qu’une anecdotique soufflerie d'orchestre, a peine
poulos, McLaren. Bokanowski., etc.). réminiscente des films que ces musiques ont, dans leur temps. seute-
Voila un précieux instrument de travail pour ecux quit décideront nus, Est-ce a dire qu'il faut décourager la publication des musiques de
aller y voir de plus prés, en ne se contentant pas de s‘ellaroucher de films? Certes non. Seulement. il faut choisir : ou de bons films (que la
la distanee souvent radicale qui sépare ces petils films des grandes bande sonore. 4 coup sir, ne manquera pas d'évoquer), ou de bonnes
machines hollywoodiennes. Ce livre est un guide pour un voyage inor- musiques (il y ena peu. mais i] y ena quand méme), ou. mieux encore,
ganisé aua pays des éparpillements : dans mille et un lieux du monde, les bonnes musiques de bons films: l'eacellente partition de Duke
du plus grand musée a Ia plus petite salle souterraine, on peut encore Ellington pour Adwopwe dun meurtre (Otto Preminger) en est un
partir 4 Vayenture. Hy a maintenant un atlas pour cela. exemple parfait (Le 25cm existe-t-il encore?).
Louis Skoreck: Que retenir de ces sept disques? Ni « Goldfinger » (le vicux « tube »
de Shirley Bassey pour le film du méme nom”: encore que, pour les
«Eloge du cinéma experimental» de Dominique Noguez — Musée nostalgiques...), ni les autres musiques, fades, lourdes. encombrantes.
National d’Art Moderne - Centre Georges Pompidou. Quoi alors? Juste deux choses: la partition de Previn pour Eimer
Ganiry (Richard Brooks), non qu'elle soit sensiblement meilleure.
simplement elle rappelle un peu un film plutét bon. Et surtout, dans
le disque de Juxement a Nuremberg (Stanley Kramer), deux « narra-
tons »: Burt Lancaster (8 minutes I!) et Spencer Tracy (5 minutes
43). On se demande si la n'est pas la formule idéale : donner si pos-
« Ciné-rock » sible, au milieu des partitions d’orchestre, quelques voix d’acteurs;
cela a au moins le mérite de donner un accent de vérité, un accent que
(Jonathan Farren) la musique de film seule ne procure pratiquement jamais.

Dans le foisonnement des livres qui cherehent 4 explorer un theme Louis Skorecki
ou un domaine que le cinéma a largement illustré, ce « Ciné-Rock »
se distingue par sa modestic érudite. On ne se rendait pas bien compte
du nombre impressionnant de films qui ont a voir, de prés ou de loin,
avec la musique rock. C'est le premier mérite de ce livre que de pré-
senter, clairement et chronologiquement. une sélection cohérente qui
va des années cinquante 4 aujourd “hui. Pour ne pas rendre l’énumé- FESTIVAL DE SUPER 8 A CARACAS
ration indigeste, Farren a choisi trente films caractéristiques, dont il
présente le résumé suivi d'une analyse (assez Vivante quoique souvent
bavarde), et flanqué de quelques notes sur des films qui s'apparentent. En 1979, pourla quatriéme lois, du tre se déplace pour le ¢léturer et
A fa fin, une annexe: interviews de Ken Russel, Nicholas Roeg. 22 au 26 aout. Caracas est devenu le qu'on refuse du monde tous les soirs
Bruno Nuytten, et fiches techniques. Cette classification. toute arbi- centre mondial d'un moyen d’eapres- aux projections: un millier de per-
traire qu'elle soit, permet de se retrouver facilement dans la jungle du sion tlou, gigantesque et infinitésimial sonnes peuvent étre aussi féroces
tock cinématographique. On peut ne pas étre d’accord sur telle ou appelé le Super 8. Paris n’a plus de qu'enthousiastes devant une ccuvre
festival de Super 8 (ni de films en 16, qu’elles jugent ratée ou réussie, méme
telle préférence, mais approche géncrale sur la maniére de filmer la 35 ou 70mm, ailleurs, puisque le si parlois elles se trompent.
musique est cohérente, les illustrations sont bien sir nombreuses, et Festival de Paris animé par Pierre-
la connaissance du sujet est sans failles (nombreux inédits, films de Henri Deleau est « ajourné »), Téhé- Le Super 8. cc format, minuscule
série Z., ete) C'est un livre qui se lit et se regarde avec plaisir et qui rana dispar pour des rarsons islami- pourtant. est envahi aussi par le
devrait plaire a la fois aux amateurs de rock et aus passionnés de quement révolutionnatres, TH ne nes- monstre californien {ou new-yor-
cinéma. Pour ceux qui aiment les deux, c’est (comme disent les amé- tart que Caracas. qui avait deja orpa- kais). Nombre des films vénézuéliens
nisé unc telle manifestation en 1976, en Super 8 sont des hommages atten-
ricdins) un « mus». dris, avec Vindispensable note
pour recueillir Mhéritage de ces festi-
vals défunts. humour « distancié », au « grand »
Louis Skorecki cinéma, celui qui voyait l'Amérique
Cette année: une quinzaine de latine a travers les yeux ronds et les
pays (membres pour la plupart d’une chapeaux de Carmen Miranda ou les
Ciné- Rock (Jonathan Farren. Rock & Folk: Albin Michel) Fédération Intemationile de Super 8 cohortes de Panche Villa, Pourtant, a
fondée en 1975). Inntérieur de ces films, on dénote
quelque chose de différent: un
A Caracas. le Super 8 n’est pas un rythme, une respiration quia un
parent pauvre du 35 mm: Fexistence souMle latin... tropical, Les films de
de ce festival fait qu'il a droit aux Julio Nen compartent cette caracté-
manchettes des journaus, que la 1élé-
vision en rend compte, qu'un munis- (sutte page 71}
onmuree
HRenNay

oe

Francois Pain, inculpé, arrété sur identification 4 partir d'une photo de manifestation. Métro Couronnes, de F. Pain.

UN CINEASTE EN PRISON
Frangois Pain est cinéaste. On en a parlé ici, début 78, au moment de l’entretien avec Jean-Pierre Beauviala:: il est l'un des premiers expérimen-
tateurs de la « paluche » avec laquelle il a réalisé, pour 'INA, une bande vidéo qui travaille les contradictions associées aux innocences supposées
d'un cinéma de pur enregistrement et aux hypothétiques malversations d'un cinéma de la manipulation.
D'uncété la diserétion— et l'indiserétion - de 1a caméra invisible captant les allées et venues d'un couloir de métro— pas n’importe lequel, Couronnes,
prés de Belleville -, de l'autre la pratique sur cette image, l'exercice d'un bon arsenal d’interventions électroniques: irisations, colorisations...

26 septembre 70 interpellé aux abords du Palais de Justice 4 Paris. au moment de l’audience d’examen de la seconde demande d'extradition for-
mulée par les autorités italiennes a ’encontre de Francesco Piperno, Frangois Pain est inculpé, incarcéré ce jour-la - « curieuse contamination d'une
affaire par l'autre » dira Le Monde — au titre de la loi anti-casseurs : il est identifié sur une photo prise le 28 mars, six mois plus tot, par un photographe
de l'agence Associated Press et parue dans le numéro de <« Minute » diffusé dans la semaine du 28 mars au 8 avril.
A partir de ce seul instantané — la place de l'Opéra, Frangois Pain, un sac de chez Lancel —4 partir de ce mince prélévement de réel, les services
de police ont construit la séquence qui fait de Frangois Pain le casseur A enfermer.
Beau travail de passage 4 la fiction.
Réel (23 mars) — Arrét sur image — Renuse en mouvement programmeée (quoi qu'arbitraire) — Fiction — Inculpation (26 septembre)
Retour au réel: 4 l'heure du bouclage de ce numéro Frangois Pain a déjé passé 16 jours en prison.

Photo de tournage de Numisuite page 71).


RETROSPECTIVE DU CINEMA
tristique: dans Electofrenia, long-
meétrage sur les derniéres élections POLONAIS
présidentielles au Vénézuela (démo-
cratie hi-partite dont les Vénézue- A partir du 23 octobre et jusqu’au
liens sont tres fiers. leur pays étant 21 novembre se déroulera a la Ciné-
Pratiquement le seul en Amérique muthéque frangaise (Chaillot) une
latine 4 l'avoir retrouvée sans inter- rétrospective concernant la récente
ruption depuis plus de vingt ans). il production polonaise. La premiére
mantre des candidats en compagnie, semaine, dile «semaine olliciclle »
filmant avec une apparente neutra- 7.V 0, de Carlos Castillo. parce qu‘établie par Film Polski, sera
lité (mais cette neutralité me peut pas composée de films de ces deux dernié-
exister : quelque part, il y a un point cinéuste (on peut citer Gianni Del res unnees.
de vue, un regard personnel), leurs Maso et Y Vole fa uz, Carlo Cas-
gestes, nous faisant entendre Icurs tillo et TKO, Rolando Pena et La De cette premiére semaine, Andr-
promesses inévitablement démagogi- Cotorra ne’ 2, Diego Risquez et El zej Wajda, lors dune conférence de Andrze) Wajda
ques. Le nthme de ce film, qui n’a Hombre de Maiz, Ricardo Jabardo et presse ou était présenté ce pro-
aucune dillérence avec un reportage Fetos, el d'autres encore). gramme, sest contenté de signaler
Sinon. Wajda a démenti le projet
d'une chaine de télé nord-améri- quelques manques (La Chance. Les
d'un film sur le pape Jean-Paul IL Ce
caine, c'est la « salsa», cet air musi- Il n’y a pas que le Vénézuéla: on Acteurs provinciaux), den distinguer
cal qui emporte les esprits, qui fait pouvait aus i voir des films brésiliens, quelques uns (Le Profane de Kristof serait Jerzy Kawalerovicz qui s’en
argentins, portoricains qui uttlisent Kieslowski, remarque au Festival de chargeratt,
que le vent de la caméra souffle ott il
le veut. On s'apergait que la forme souvent la parubole pour Sexprimer, Moscou, © ‘Hopital
de ta transfigura-
du fuit des lascismes ambian tion de Edward Zebrowski) et d'affir- Viendrail ensuite, du 31 octobre au
Wun cinéma tient aussi a la géogra-
Il y avait aussi dans ce festival des mer surtout qu'il s‘agissait moins de 20 novembre, la rétrospective pro-
phie: son mouvement dépend de la
films d'Europe ct d'Afrique: ces films Tespression d’individus (d’auteurs) prement dite, Mablie par la Cinéma-
topographie, du climat sous lequel il theque, et qui permettra de voir ou de
est fait. avaient leurs qualités propres, et, que d'un courant fort et homogéne
meélangés aux autres, ils perdaient {auquel il souhaiterait d’aillcurs que revoir des films d°Andrzej Munk fLa
Le cinéma en Super 8 vénézuelien toute nationalité, ce qui n’est pas un lut soit donné, a Vissue de ce fest Passagere), de Jerzy Skolimowski
est fait pour étre vu par un public. S'y mal, La vie et la mort sont des themes un nom). Courant qui se caractérise- (Signe partienticr nean, de Zulawski
impriment les charges culturelles du universels et touta fait personnels. Le rait par un abandon général des et de Zanussi, ete,
monde entier. En plus de la force Super 8 est par excellence le cinéma uduptations littéraires pour l’éeriture
hypnotique du géant du nord, il ya, dune personne: par consequent, il de scénarios origimaux (la seule litté- Le 20 et le 21 novembre se tiendra
plus fine, la trace du bagage curo- est le cinéma le plus universel qui raiture actuelle de la Pologne a-t-il dans le récent Institut Polonais une
péen : comme dans les livres de Ciar- soit. précisé), Loheure serait done aus réunion de travail qui rassemblera
cia Marquez ou de Borges, il y a ce Joseph Morder enquctes de style joumnalistique. Ne journalistes et professionnels (distri-
mystére, ce surréalisme ambiant qui Ciné Suite Action Super 8 serait-ce qu'a la Iumiére de buteurs...) des deus pays.
habite les esprits. qui inonde les ima- 71, bd de la Vilette L*Homme de marhre, une alfaire par
ges, qui hante univers de chaque 75010 Paris. Tél. : 205.05.40 canséquent a suivre. {suite page 72}
72 PETIT JOURNAL
Rétrospective du cinéma polonais fsuite)” Pour tout renseignement: Ecole Jean Gremillon, des films trangais
Polytechnique, Carsse des dleéves, ayant mal rencontré leur public. des
En outre, sera publié un catalogue Morgenstern (1972), Le Doigt de 91128 Palaiseau. tél: 941.82.00, inédits, des courts métrages et les
concernant tous les films de la rétros- Dieu de Antoni Krauze (1972), flue bandes vidéo réalisées par Godard
pective, comme il est désormais minations de Krzystof Znussi (1973), Hommage a Alfred Hitchcock pour TINA.
d'usage pour ce genre de manifesta- Hubal de Bohdan Poreba (1973) Villeneuve-Saint-Georges (7-11
tion. Bilan trimestricl de Krzystof Zanussi novembre 1979}: Une série de
(1974), Hotel pucifique de Janusz films en V.OQ.: Frenzy (1971), Le Cinéma ct politique II’ un
A. signaler enfin qu’en janvier, Mesweski (1975). La Guerre ef mon Rideau déchiré (1966). L’Etau
alors que sera présentee la pitce de cinéma d’allemagne
amour de Janusz Nasfeter (1975), (1969), La Mort ain tresses (1959), Besangon (26 novembre—2
Witkiewicz (Evy) que Wajda monte Shes Nuits ef les jours de Jerzy Antes Psychose (1960), une exposition
actuellement aux Amandiers, aura zak (1975), Biller de retour de Ewa et décembre 1979):
d'affiches, de photos, de livres, et des Le groupe cinéma du Cercle bison-
licu conjointement une rétrospective Czeslaw Petelski (1978). débats avee des critiques de cinéma. tin de la Nouvelle Critique organise
compléte de son ccuvre. Quelques jours sous le signe d’ Hitch-
Ch. Tesson cette année sa troisieme semaine
cock, orgamsés par le Centre Culturel Cinéma et Politique. consacrée 4 une
Municipal, 21, avenue Camot 4 Vil- réflesion sur les tendances du cinéma
Rétrospective des films polonais leneuve-Saint-Georges 94: tél: Weapression allemande de ces demié-
a la Cinématheque 389.70.70. res années, @ partir d'une program-
Vidéos du jour a Cergy mation consacrée a des (déya) classi-
Condres de Andrzej Wajda (1965), ques des années 70: Le Coup de
Besa de Alexsander Herz (1916), (13-15 décembre 1979): grace de Schléndorfl, Les Larmes
Erotca de Andrzej. Munk (1958), LA T.A.C, et le CALC. de Cergy ameres de Petra von Kant de Fassbin-
Train de mat de Jerzy Kawaleroviez Pontoise proposent trois yours de der, L Ani ameéricain de Wim Wen-
(1959), Les Inaocenis charmeurs de réflexion. un bilan prosisoire des uti- den, Ludwig, reqiiemt pour un roi
Andrzej Wajda (1960) Mere Jeanne lisations de la vidéo légére, dix uns verge de Syberberg, La Paloma de
dex anges de Jerzy Kawalerovicz. aprés son introductian sur le marché Schmid, L’Angeisse du gardien de
Train de nuit’ de Jerzy Kawalerovicz avee bien sir une programmation
(1960), Punique dans un iain de {1960} Aut uu moment du penaliy de Wen-
Kazimierz Kutz (1961), L tre dire importante de bandes vidéo. ders, Auspar Hauser de Herzog.
aimé de Woycieck Jerzy Has (1962), Pour toul renseignement : Hitler, an film d Allemagne de Syber-
La Passagere de Andrzej Munk AT.AC., J-J. Henry, 2356.81.47. berg.
(1962), Reqitient pour 500,000 de
Jerzy Bossak et Waclaw Kazmierc- Pour tout renseiznement : s’adres-
zak (1963), La lot ef la foree de Jerzy Cinéma expressioniste alle- ser au Cerele bisontin de la Nouvelle
Hoffman ct Edouard Skorzewski mand: Connaissance du Cinéma Critique. 10 rue de I'école 25000
(1964), Signe particulier néeant de sort dans quelques salles parisiennes Besancon.
Jerzy Skolimowski (1964), Lze Sel de le 8 novembre 1979 un programme
la terre noire de Kazimierz Kutz de 7 films: Le Cahurer due decieur
(1969), Lze Forage de Marek Caligari (Wiene), Lex trois hantiores
Piwowski (1970), Curdiogramme de (Lang), Nosferane fe vanipire (Mur- Cinéma d'animation au festi-
Roman Zaluski (1971), La weisiome nau) Vahuse. fe demon di crime val d‘automne
parte de la nuit de Andrzej Zulawski Les Innocents charmeurs, de Andrzej (Lang). Afahuse, Je souettr (Lang), Le
C971), Tuer cet amour de Janusz Wajda {1960} dernier des hommes (Murnau), Paris (1° novembre — 2 décem-
Metropolis (Lang), copies neuves et bre 1979):
Vv. O. Une bonne oceasion de les Le cinéma sera présent cette année
revoir, au lestival d'autommne prace au pro-
gramme de films d’'animation propo-
sés par Henri Uguen avec le concours
Festival du cinéma frangais a du service des Archives du film
INFORMATIONS Grenoble (27 novembre-9 (Frantz Schimtt) et l’Association
francaise pour Ja diffusion du film
décembre 1979):
Des précisions sur ce testival danimation :
annonce dans le n° 304 des Cahiers. - deux bandes de dessins animes
Week-end du cinéma francais 1974). La Pendaison (Oshima, S‘ayouteront a la sclection de films d’Emile Reynaud, restaurés el trans-
Paris, (17 et 18 novembre): Le 1968), Histoire d’'Ogin (Kumai. francais : une rétrospective Jean Gre- férés sur film standard a Bois d’Arey:
Groupement régional parisien de la 1977), L’kmipire de la passion millon proposée par la Cinémathe- - présentation d'une partie du
fédération frangaise des c (Oshima, 1977), La Fer de Gion que, Venregistrement public de musée d'histoire du cinéma d’anima-
programme neuf films du jeune {Yamanuchi, 1972), Derzeu Ouzala lémission Le Masque et la Plume le tion de Bois J'Arey;
cinéma frangais groupes sur un week- (Kurosawa, 1976) et des dessins ani- 24 octobre sur le theme du cinéma — sélection de films étrangers primés
end, 17 et 18 novembre, 12 ha 24h. mes inédits. frangais, les | et 2 décembre : assem- au Festival d’Anneey:
au cinéma Jean Renoir, avec des blée générale du Mouvement Audio- — films du département d’animation
débats en présence des réalisateurs : visuel d'Intervention, une série de de la S.F.P.
Pour tout renseignement s’adresser — Matisse ou Tinserre dune auvre de
Mais ott ext donc Ornicar, La Tortue 4 Sigma Entrepot Laing, rue Ferrere,
débats a l'Institut d’Expression et de
surledos, Passe montagne, Passe ton Communication de l'Université Gre- Max Pol Fouchet (A2)
43000 Bordeaux: Tél. 44.60.27. Séances tous les jours de 14h 304 18
bac dahord, Les belles maniéres, La noble IIT: le cinéma et la V* Républi-
Question, La Fille de Prac avec un que (J-P. Jeancolas), Cinéma et Etat h (les samedis de 14 h 30-4 15 h 30)
sac trés lourd. L’Hypothese du Féte de la Bande dessinée et du (R. Predal), Mutation du cinéma en au Grand Pulais porte H.
tableau vole, Corps a@ car. dessin animé Isere (NIM. Alibert et Wong), Etat et
Palaiseau (23-25 novembre utilisation de la sémiologie, Cinéma
Pour tout renseignement : télépho- et nouveaux produits audiovisuels (P. Recherche Ne 1a 100 des Cahiers
her au 206.96.06 et 08. 1979): Une féte done, une rencon- du Cinéma, Tél. y soir ou week-end a
tre aussi. une confrontation peut-étre
Flichy), Cinéma d'intervention
sociale (G. Hennebelle), Sylvie Pierre ou Georges Ulmann.
entre réalisateurs de dessins animés 808-43-42
et dessinuteurs de B.D.. udeptes de Pour tout renseignement : Maison
Cinéma japonais d*hier et eclles-c1, de ceux-la, un programme de Ja culture, 4 rue Paul Claudel.
d’aujourd’hui Bordeaux, (6-9 de films d’animation : 38100 Grenoble, tél. 24.10.25,
novembre 1979) : Dans la richesse — yendredi 23, 18 h: films canadiens, Le film de notre collaboratrice
de la programmation de Sigma 15. le nouveau cartoon 4 Hollywood. les Daniéle Dubroux, Les detx dle-
dix films: une rétrospective de Shadar Vive le cinéma francais.
ves préferés dt professeur Fran-
cinéma japonats, des classiques qu’ll — samedi 24, de 1] ha 20h: pien- Bagnolet (21 novembre - 4 eine Brouda, passe en avant-pro-
test pas toujours facile de voir dés niers du dessin animé, dessins animés décembre 1979): L’Association gramme du film de Jean-Marie
gu’on sort de Paris, et quelques iné- franeais, La Plancte sauvage. festival Bagnolétaise du cinéma et la S.F.P.. Straub et Daniele Huillet Oshon
dits, Fevage d Tokyo, (Ozu. 1953). comique: consacrent encore une fois cette au cinéma Le Seine a partir du 7
Duel & mort (Uchida, 1971). Les - dimanche 25, de [1 ha 18 he fes- année une quinzaine du cinéma fran- novembre 1979,
ebnanty erucities (Mizoguchi. 1954), tival Woody Woodpecker, films tché- gais, rétrospectives et perspectives :
Le Chateau de sable (Nomura. ques, chinois... deux hommages a Jacques Demy et _|
CAHIERS
DL
CINEMA
Numéro Hors-Série

JEAN RENOIR
ENTRETIENS ET PROPOS
Ce volume réunit les entretiens de Jean Renoir publiés dans
cing numéros des Cahiers du Cinéma épuisés depuis longtemps, et les déclarations
du cinéaste au cours d’un certain nombre d’émissions télévisées, encore jamais publiées.

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CINEMA AMERICAIN N° 1 LE CUIRASSE POTEMKINE (nov.)

N° 54 NOEL 1955-94 PAGES Ne 2 LA RUEE VERS LOR (janv.}


SITUATION DU CINEMA AMERICAIN
: Ne 3 CITIZEN KANE
Ne 150-151 - DECEMBRE 1963/JANVIER 1964
258 PAGES - SITUATION (Il) DU CINEMA AMERICAIN Ne 4 LA REGLE DU JEU

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diverses charges des Editions de l'Etoile nous mettent dans I’obligation *
d’augmenter, a partir du 1& janvier 1980, le prix de vente des Cahiers du
Cinéma, et, en conséquence, les tarifs d'abonnements.

Le prix de vente — qui n’a pas augmenté depuis janvier 1978 — sera porté
de 15 4 18F.

Cette augmentation permettra aux Cahjers de continuer a paraitre en


toute indépendance, et de poursuivre I'édition de publications annexes
(numéros « hors-série », etc), tout en maintenant un équilibre financier
indispensable.

Nous ne saurions trop conseiller a nos lecteurs de profiter, avant la mise


en vigueur des nouveaux tarifs, de la campagne d’abonnemenis qui se
poursuivra jusqu’a la fin du mois de décembre 1979 (voir notre encart-
abonnement au milieu de la revue).
VIENT DE PARAITRE nouvellei formule
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Un dossier établi sous la direction de Jean Domarchi et Olivier Eyquem. Etudes de Jean-Loup
Bourget, Jean Domarchi, Olivier Eyquem, Eliane Florentin, Alain
nalres des cinéastes et des acteurs
Garsault, Marion Vidal. Diction-
{114 notices blo-fil!mographiques et eritiques). 150 tlustratio
in-texte. 208 pages ns
21x 25 (nouveau format}, couverture en quadrichromie. Ce numéro 38 P.
Publication trimestrielle. Abonnement 4 n-« 98 F (¢tcanger 110
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DE LA NUEE A LA RESISTANCE
Le plan straubien, par Serge Daney p.5

Un recueil de matériaux, par Manfred Blank p.8

Entretien avec Jean-Marie Straub et Daniéle Huillet, par Serge Daney et Jean Narboni p. 14

CINEMA SUISSE DOCUMENTAIRE


Présentation, par S. D. et S. T. p. 21

Entretien avec Richard Dindo, par Serge Daney et Serge Toubiana p. 23

Entretien avec Fredi Murer, par Louis Skorecki p. 28

CINEMA FRANCAIS: OU EST LA CRISE?


Table ronde avec Luc Béraud, Serge Daney, Eduardo de Gregorio, Pascal Kané, Serge Toubiana et Bertrand van Effenterre p. 34

CRITIQUES : _
Winifred Wagner (H.-J. Syberberg), par Jean-Claude Biette. Don Giovanni {J. Losey), par Louis Skorecki p. 46

Adolf et Mariéne (U. Lommel) et Jane sera toujours Jane (W. Bockmayer), par Louis Skorecki p. 48

La Dérobade (D. Duval}, par Daniéle Dubroux, Tapage nocturne {C. Breillat), par Pascal Bonitzer p. 50

NOTES SUR D'AUTRES FILMS :Aace d‘Ep, Le Tambour, La Lettre écarlate, Premier Secret,
Heroes, The Big Fix, L'Ecole est finie, La Vedette, Le Point douloureux, Rue du Pied-de-Grue,
Courage fuyons, Moonraker, Movie Movie, /l y a longtemps que fe taime, Charles et Lucie,
Au revoir 2 lundi, La séduction de Joe Tynan p. 53

PETIT JOURNAL ‘

Rencontre avec Otar losseliani, Festivals : Telluride, Lille . p. 60

Télévision : Rue des Archives (Ruiz), Paris-Berlin, Berzosa p. 68

Livres : « Eloge du cinéma expérimental » (Noguez), « Ciné-Rock » etc.

Numéros Zéro- un film de Raymond Depardon sur /e Matin de Paris

Informations ; Festival Super 8 & Caracas, Cinéma polonais a Paris etc.

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