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Presse

de livres venus d'une dizaine de pays


étaient en compétition. La participa-
tion française était particulièrement
faible.

La tribu
Le soir, dans la cour d'honneur du
musée Réattu, Edouard Boubat et
Lucien Clergue présentent à un vaste
public l'essentiel de leur oeuvre pro-

de la Freep
jetée sur un écran. On a la preuve
une fois de plus qu'il est possible de
retenir et de passionner un public
non spécialisé simplement par une
suite de vues fixes. Les photos n'ont
qu'à être admirables, et elles le• sont.
A quelques mètres de là, de l'autre * Une floraison
côté du mur, le Rhône fait un coude
de 90 degrés et abandonne sur de petits journaux qui ne veulent
une sorte de plage boueuse des ni grandir ni vieillir
débris végétaux et animaux


qu'il charrie. C'est là que Lu-
cien Clergue a fait ses premières Ça s'appelle « Guili-guili », pie », on est devenu une équipe, on
photos, des charognes en décomposi- « l'Egout », « le Torchon a fait boule de neige. Souvent, on UN DESSIN
tion dont il revenait de jour en jour brûle », « la Botte », « le ne connaît même pas le nom du DU
fixer la lente digestion par le limon. ; Parapluie », « le Béni-oui- copain qui nous apporte un texte. a PARAPLUIE »
Mais des chats, des chiens, des fla- oui... » Il débarque, il fait des critiques, il L'image
mants, ce n'était pas assez, et il priait veut participer. On avait commencé empêche...
Et puis aussi « Crève salope
le ciel pour que le hasard lui dépêche « l'Antimerde s, « le Partageux », une série surles communes. On a dû
un jour un modèle humain, une fem- s'arrêter. Le gars qui l'écrivait a dis-
« la Veuve joyeuse », la Viande »;
me de préférence, étranglée ou « Rien », « Rufus », « le Journal
-
paru dans la nature... » Ils dénon-
noyée, dont les formes blanches se cent a la vie chiante s, la fausseté
des Transparents ». Ça va du bulle-
seraient incrustées dans la boue noi- des moindres rapports, la vie couloir- qui permet d'ajouter son tract, sa
tin ronéotypé au magazine à quarante
re. Rien ne vint, et il fallut qu'il de-métro, couloir-de-lycée, de C.E.T. note personnelle, d'encarter sa bande
mille exemplaires. Près de cent titres
trouve une victime, une fille qu'il la vie-nuit-au-poste : « Dix minutes dessinée. La Freep est vendue par
en France. Depuis un an, ils prolifè-
fit déshabiller et baigner dans les de free-press, ça nettoie dix heures ceux qui lui ressemblent. Les fron-
rent. Le contenu : des dessins sur-
eaux lourdes et grasses ; on n'est de télé... s tières s'effacent. On ne sait plus bien
tout, des bandes desssinées, des tex-
jamais si bien servi que par soi-mê- si c'est le journal qui engendre le
me. Telle fut en tout cas l'origine tes autobiographiques et des attaques
violentes contre les aliénations de réseau ou le réseau qui engendre le
de ses fameux nus marins lavés par Le téléphone arabe journal. Beaucoup de ronéotés
des flots limpides et miroitants. Je « la vie moderne s.
Leur leitmotiv : rassembler contiennent des listes d'adresses com-
persiste à leur préférer leurs ancê- Il y a quelques jours, les auteurs munes, .restaurants, bistrots écono-
de cette presse « underground s se « créer un réseau parallèle, qui tou-
tres, ces ventres et ces seins — pri- chera des types parallèles — c'est miques, lieux où dormir. C'est une
vés de tête, de bras et de jambes. — sont retrouvés aux Halles pour échan- manière de vivre qui se diffuse, une
ger leurs impressions (1). Ils ont réa- tout ». « Pour réaliser l' « Œuf .»,
à demi-recouverts par un liquide pa- explique Eric Jeanmonod, de Genève, ambiance : le monde n'est plus un
ludéen, opaque et nauséeux... lisé un journal ensemble — une ma- désert. a Quitter sa famille, autre-
nière de faire connaissance. je me suis fait aider par les gens
de « Hotcha s, l'underground suisse- fois, c'était la fugue, le drame. A u-
Le rire blanc 11 y avait de tout dans la grande jourd'hui, on a des points de chute,
allemand. Ils m'ont donné des
salle de la rue de Viarmes : des doux conseils techniques et des encourage- des filières. s
ARLES, JUILLET. Les plus récen- barbus et des femmes fortes, des
tes photos d'Edouard Boubat ont ments. On avait les mêmes objectifs: Selon Max Peteau, du « Pop »
maçons, des architectes, des musi- grouper les isolés, leur montrer que « Les gars passent, viennent cher-
pour sujet le cirque d'enfants espa-
gnols, 4: Los Muchachos », que l'on ciens pop' et des gauchistes, des mi- leur malaise, leurs dégoûts n'étaient cher des tuyaux, un contact pour
litants du Front homosexuel d'Ac- nullement un hasard, une singularité, A msterdam ou pour Londres. Sou-
vit l'hiver dernier à Paris. Les meil-
i on révolutionnaire (F.H.A.R.). qu'il y avait d'autres types comme vent, ils couchent sur place, ils habi-
leures rapprochent et opposent le
Parmi eux, beaucoup de lycéens che- eux — même si le « Journal de tent avec nous un moment avant de
clown blanc et l'Auguste ou clown
.

rouge. Elles pourraient illustrer un velus de treize à dix-neuf ans, qui Genève » n'en parle jamais... » repartir... s Le réseau s'élargit à l'é-
ont grandi dans la défonce et la chelle internationale grâce à l'U.P.S.
essai auquel je songe sur l'esthéti- Archaïques ? Fiers de l'être
que du clown blanc, je veux dire contestation : « On se met à trois ou (Underground Press Syndicate) qui
quatre, on fait un truc qui ne res- « Mieux vaut mille journaux à mille
sur la restauration du rire blanc exemplaires qu'un seul journal à un assure de New York la rotation de
perdu depuis l'origine du cirque. semble à rien avec des taches et des l'information et des journaux. C'est
dessins, genre W olinski ou Crumb. million. Puisqu'on nous refuse la
J'imagine volOntiers en effet qu'au grande technologie, la grande presse, bon de savoir que partout où ils vont,
début seul le clown blanc existait.
On tire à cinq cents. Et puis, on en Hollande, en Allemagne, en Suisse,
améliore. Quand on a commencé, on reste plus qu'à réinventer le téléphone
C'était un seigneur du raffinement arabe, le colportage... » en Grande-Bretagne ou à San Fran-
et de l'esprit: ',Son bel habit pailleté, n'a plus envie de s'arrêter ». Un gar- cisco, leur journal sous le bras, ils
çon de quinze ans rédige à lui tout Il y a aussi ceux qui ont grandi, vont trouver d'autres groupés, d'au-
ses bas de soie, ses fins escarpins la grosse artillerie : « Charlie-
vernis noirs, mais surtout son teint seul un organe apprécié des connais- tres membres de la tribu qui feuillet-
seurs : « Hebdo 2000 »,. A Toulouse, Hebdo », le modèle, a Tout s, l'or- teront leur production avec chaque
blanc — par opposition aux visages gane de l'ex-V.L.R., « le Cri du
basanés des paysans — et ce sourcil des jeunes ont lancé le « Contre- fois le même regard pénétré, amical
Journal », il est collé au mur à Peuple u, « le Pop », commencé et connaisseur qu'ils ont tous, cette
relevé en interrogation sceptique et en mars 1970 : « Nous équilibrons.
ironique, tout en lui imposait le res- la disposition des passants : « Nous même culture hip à base de musi-
ne voulons pas vendre du papier mais On ne voudrait pas dépasser les cin- que pop' et de comics.
pect et l'admiration. Du haut des quante mille copies. Trop lourd.
tréteaux ou du fond de la piste, il raconter notre façon d'être pour tou-
cher ceux qui nous ressemblent, qui A lors nous en lançons des nouveaux : Brûlots 1880
prenait pour tête de turc un specta- « Freaks », le Zinc ». Quand on
Mur particulièrement nigaud, et fai- sont coincés entre leur boîte et leur
famille, asphyxiés, enfermés dans la voit un correspondant, un gars de Henri-Jean Eau, du « Parapluie s
sait rire le public des traits qu'il lui Strasbourg ou de Carcassonne, on
décochait, des réponses balourdes monotonie quotidienne, qui ne savent « On est en train de s'organiser.
pas comment s'en sortir. » lui dit : a Ne nous fais plus d'arti- A vec « le Pop », a Freaks », « la
qu'il en tirait. Puis ce fut un compè- cles. Fais ton canard toi-même, parle
re qui assuma ce rôle ingrat, jusqu'au La plupart ne vivent pas de la .
V euve joyeuse », c Tout », « le Cri
Freep (2). Ils sont employés de ban- de ta ville, de tes copains... s du Peuple » et « le Parapluie », on
jour où; grimé et grotesque, il est
monté à son tour sur le pôdium. qite, attachés de presse, ils peignent Pour se diffuser, les plus gros se va mettre en commun nos réseaux
L'Auguste, le clown rouge, était né, les appartements. « Petit à petit, rapprochent des formules tradition.- de distribution, nos affiches et même
et il devait bientôt refouler le clown explique Jacques, du « Cri du Peu- nelles. Ils sont distribués en grande créer un collectif de copains avo-
blanc, devenu son simple faire-valoir. partie par les N.M.P.P. Pour les cats... »
Mais le rire blanc, disparu avant Invités par IUnité .d'enseigne- •autres, les petits, c'est le circuit Trop petite pour survivre, la
d'avoir donné sa mesure, connaîtra ment et de Recherche sur l'Environ- parallèle. Des réseaux se constituent, Freep ? Ils vous répondent qu'au
peut-être un renouveau surprenant... nement. .
un ou deux « Freaks is par ville, de siècle dernier, il circulait encore en
MICHEL TOURNIER (2) Free press = presse libre. la main à la _main. Formule souple France, par colportage, neuf millions

Page 28 Lundi 26 juillet 1971


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Enseignement alors qu'il était instituteur à Bar-
sur-Loup en 1920. Fini le bourrage
de crâne, l'enfant s'épanouit, les élè-
ves discutent, s'interrogent, devien-
nent responsables. « Mais, disent les
1
nii,
III
11111 La traditionalistes, ce n'est pas le rôle
de l'école. »
Paul Queromain est directeur du

bataille de
C.E.G. Ses amis e II s'est mis à la
pédagogie Freinet à l'âge où d'au-
tres songent déjà à la retraite. »
D'une voix posée, il explique

Douvres « Nous avons trois règles : respec-


ter l'enfant ; supprimer le rapport
de force entre l'adulte et l'élève ; ne
pas couper l'école de la vie. »
Quelques professeurs sont volon-
tairement polyvalents. Le prof' d'an-
* Maintenant les C.D.R. glais enseigne aussi la poterie. Il a
construit un four à grès. Le prof' de


s'en prennent à français enseigne le dessin et la pein-
BANDE • la méthode Freinet ture. Un autre professeur enseigne
DESSINÉE la danse. Le directeur, débonnaire et
D'e ANATHEME » Douvres - la - Délivrande, passionné, se débrouille depuis qua-
-

le ton
...
2 300 habitants, un petit tre ans pour conduire au B.E.P.C.
prêcheur • village enfoui dans la cam- le maximum d'élèves : « A insi ils
pagne de Caen. Deux égli- peuvent continuer... » Des autres, il
ses du mi' et du xix° siècle, le four- tente de faire e des hommes libé-
millement d'un chef-lieu de canton, rés ».
de brochures chaque année (3). Ils On se cherche surtout dans le style un marché, des usines, des écoles.
mentionnent les brûlots anarchistes parlé, l'antiphrase. « Les mots aussi, 1 500 élèves. « Gauchiste obsédé »
des années 1880, rappellent le suc- ils sont volés, lit-on dans un ronéoté Et toujours la concurrence école
cès de l'underground aux Etats-Unis. lycéen. Ils ne servent plus qu'à pen- publique - école privée. Un vrai vil- Une des bdses de la méthode,
Ils pensent qu'il y a de la place pour ser,. jamais bien à s'exprimer. Putain lage de l'Ouest. Mais le C.E.G. mixte c'est l'apprentissage de la démocra-
une presse qui obéit aux cinq idéaux tout ce qui nous a été piqué! » D'où est devenu le centre d'une querelle tie, « la réunion coopérative ». Tou-
de l'underground : pas de publicité, l'importance du dessin. Il leur paraît pédagogique et politique : le Minis- te la classe se remet en question,
pas de rentabilité, pas de périodicité, plus franc, moins truqué, moins en- tère de l'Education nationale va-t-il les professeurs comme les élèves. Des
contre la fausse actualité, contre la crassé de culture. C'est le langage profiter de l'été pour tuer une expé- enfants qui ailleurs ne s'adaptaient
signature. d'une génération d'aphasiques qui rience pédagogique originale ? pas, soudain trouvent un équilibre.
Lecteur, distributeur, •auteur refuse d'employer notre vocabulaire Le C.E.G., 350 élèves, quatre Quelques psychologues envoient à
tout se mélange. Pas de spécialistes pourri, selon eux, jusqu'à l'os. Ils ont classes de transition et deux clas- Douvres des élèves « asociaux ».
intimidation interdite. L'ex-profes- seize ans, ils nous regardent en ses pratiques. Dix-neuf profes- Tout a commencé dans une autre
sionnel cherche plutôt à se faire silence et dans leurs yeux froids, seurs dont seize plus ou moins ac- école, à Caen. En janvier, un élève
oublier. La virtuosité, ça sépare. Tout nous nous métamorphosons en per- quis aux méthodes de Célestin Frei ; de treize ans a lu un texte libre,
le monde doit pouvoir s'exprimer. sonnages de Crumb et de Reiser. net. C'est la cause du scandale. Frei- c'est-à-dire écrit par lui, sur un sujet
-

Quelques fautes d'orthographe ne Crumb, Shelton, r év 61 és par net (1896-1966) a commencé à je- .choisi par lui. Thème, la mort de
gâtent rien, au contraire. « Faut « Actuel » (42 pages de bandes des- ter les bases d'une « pédagogie po- De Gaulle : « La mort du singe. »
faire sauter la langue française, au sinées dans le numéro de juillet), pulaire » et toujours révolutionnaire,
lieu de la réserver aux mandarins. Willem, Wolinski (l'équipe de « Char-
A ssez de monopoles. La parole est lie ») sont les inspirateurs. Le des-
à tout le monde... » sin envahit le texte, des figurines —
Côté dessin : certains sont du fusil cassé, narguilé, symboles paci-
niveau des graffiti d'enfants. On les fiques — flottent dans les marges,
publie quand même. Le message de des onomatopées à la dérive vien-
la Freep : du pop' et du gau- nent ironiser sur le sérieux du dis-
chisme. A « Tout », à « Charlie », cours. L'image empêche le ton prê-
au « Torchon brûle » (M.L.F.), on cheur. Le plus terrible pour un ete -?onde,
s'en prend directement, violemment, « freak » : se prendre au sérieux, m.uio
aux aliénations du capitalisme. Pour retomber dans le logos. Autre
Ro /end t■ f
les petits de l'underground, c'est plus influence : la presse anglo-saxonne.
confus. « La politique, c'est l'immé- Surimpressions, effets psychédéliques
ou tantriques — tout une imagina- td.Uo
diat, tout ce qui empêche de vivre »,
les parents répressifs, l'école-caserne, tion graphique se déploie ici que le
l'usine sans espoir. système commercial a tôt fait d'ab- :tien
sorber à travers ses affiches, ses
mises en page, ses pochettes de dis-
Dans les marges ques.
Michelet voulait sauver la litté-
Thèmes dominants : la sexualité,
la scatologie, la drogue, la pollution, rature populaire parce que, disait-il,
« elle est une forme de l'action ». La 13.1ate,
la musique. Autant de mots de passe, Un(
de signes d'appartenance. Le corps Freep vaut moins par son mes-
sage souvent confus, infantile, régres- une "muet .
est l'ultime refuge, l'ultime revendi- . k
sif, que par la pratique sociale qu'elle Je
cation, l'ultime argument contre les
implique. Se réunir, faire un jour- Rond.
mécanismes du « système ». On -

affirme le droit d'en disposer comme nal, s'exprimer, diffuser ses préoc- s
cupations et ses rêves, c'est déjà
on l'entend. Protestation confuse, bio-
logique, mêlée à des retombées de réagir contre l'abrutissement du quo-
Marcuse, Lefebvre, Wilhelin Reich, tidien, l'intoxication des media, la
parcellisation programmée.
Rosa Luxembourg, Kerouac, Artaud,
« On y verra plus clair, disait un
Vaneigem...
jeune aux journées de la « free
press », quand cinquante millions de
(2) Voir la « Bibliothèque bleue », Français feront cinquante millions de
une étude de Geneviève Bollèm&. sur
la littérature .populaire en Prame du
journaux. Ça les obligera à penser
XVIe au XIXe siècle. Julliard. par eux-mêmes... 2 , DESSIN ET POÈME D'ODILE (SDCIÈME III A)
« Archives ». CHRISTIANE DUPARC Laisser les enfants se libérer de leurs fantasmes

Le Nouvèl-Obsaviiteui Page 29

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