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tE PEUPTE
FRANçAI
REVUE
D'HISTOIRE
POPULAIRE

TrimestrielPrix:2F f\fo2 Avril-Juin


1971
SOMMAIRE
Les clubs sous la commune p.4
La commune de Lyon p.8
L'enseignementprofessionnelet la commune . . p.9
lg Ricamarie- Mineurs en grève : 14 morts . . . . p.l0
f" mai Sanglantà Fourmies p. l2
L'occupation p.15
La presse et la Seconde République p. 19
Saint Domingue: la révolution des esclaves . . . . p. 23
Luttes et littérature-populalre p.27

LE PEUPLEFRANçAIS
BEVUED'HISTOIREPOPULAIRE

Dlrecteur: Gilles RAGACHE


Trésorier: Alain DEtAtE
SecrétariatGorrespondance : Monique BAUDOIN
46, rue Stéphenson- 7$Paris (l8.l
ABONNEMENI DE SOUTIEN:I an . l0 F
C.G.P.: Alain DELALE. Paris 2091.25
lmprimerie N.P.P.- 56, rue des Haies - 75-Paris(20')
CommlssionParitaire: 51 180
Dépôt Légal: 2' trimestre 1971
Tout droit de reproductiondes articles réservé, sauf
accord avec le Comité de Rédaction. Porteurd'eau sous Louis Xlll

AUX LECTEURS
QU',UNROUGE?
QU',EST-CE
Gette revue e3t une euvre collective et 3on3 but
lucrotif. Nout estoieron3de mointenir lo voriété lo Extralt d'un pamphlet (r Les Partageux') clrculant en
France en 1&09.Ges pamphlets,qul clrculalent alors en
plur gronde pol3ible dons les 3uiets, et de foire grand nombre, étaient lus par les curés à leurs parois.
revivre de nornbreur foits oysnt troit à lo vie siens, par les maires à leurs administrés,par les notaires
quotidienne et aur luttes du peuple. Moir, pour à leurs clients. A la veille de l'élection présldentlelle,
remplir pleinement ce rôle, vot?e contribution nour ils agitaient le r spectre rougeD de façon à impressionner
les illettrés:
sero pÉcieuse. Si vous disposez de documents ou
e Les républicains sont d'un rouge tendre ou d'un
li vous ovez connoissonced'événements d'histoire rouge sang ; mals le mellleur des rouges ne vaut pas
locole, de chonsons,de légendes,de poème3 popu- grandchose. Vous sayez, on dit: Tout bon ou tout mau-
loires, etc. corre3pondont à l'esprit ld_ela revue, vais. Et puis un rouge n'est pas un homme, c'est un
foites-les nous psrvenir, en noug indiquont ovec pré- rouge. ll ne raisonne plus, il ne pense plus, il nb nl
le sens du vrai, ni le sens du iuste, ni celui du beau
ci ion vor coulces. et du bien. Ge n'est pas un être moral, Intelligent et
Nous comptons sur yous poul que vive l'histoire libre comme yous et mol. Sans dignlté, sans moralité,
du PeuPle' sans intelligence, il fait le sacrifice de sa llberté, de ses
instincts, de ses idées, au trlomphe des passions les
Lo Rédoction plus brutales et les plus grossières; c'est un être déchu
et dégénéré! ll porte bien du reste, sur sa figure, le
signe de cette déchéance; une physlonomie abattue,
abrutie, sans expression,les yeux ternes, mobiles, n'osant
CAMARADESDE PROVINCE iamais regarder en face, et fuyant comme ceux du
cochon; les traits grosslers,sans harmonie,le front bas,
Devenez diffuseurs. froid, comprimé et iléprimé ; la bouche muette et ansigni-
fiante comme celle de l'â ne ; les lèvres fortes, proémi-
Gommandez.5 exemplaires:l0 F. nentes, indice de passions basses; le nez gros, large et
Les invendus seront remboursés. fortement attaché au visage; voilà les caractères géné.
Le numéro I est encore disponible - demandez.lechez raux que vous trouverez chez la plupart des partageux.
votre libraire. lls portent gravés sur leur figure la stupidité et la
doctrine des idées avec lesquelles ils vivent r.

2
I
I
fI
I

;
I
Le siècle de Louis XlY, modèle de gloire, de
culture, de royonnement, o été pour le peuple des
villes, et surtout dq compognes,l'une des périodes
les plus noires de son eristence : fomines, épidémies,
conscrifiion fiorcée,impôts intolérobles, rien n'y o
monqué.

Inversement,lo défoite de 1870 n'o pos été, pour


le peuple, un désortre. Les voincus de Sedon se
comptent sur les doigts de lo moin et s'oppellent
Nopoléon lll, ses générour, ses hommes de loi, ser
portisons.Pour nous, Sedon msrque le début d'une
onnée héroiïue, où l'on orsiste successivementà
l'ébouche d'une guerre populoire pour lo libérotion
notionole, et ou soulèvementde lo Commune.

Une telle offensive yenue du peuple est à nos


yeur si riche en enseignementsqu'elle vout mieur
que les honneursfugitifs d'un numérospéciold'onni-
versoirei elle sero de notre port l'objet d'une étude
sons cesse renouvelée, d'une réflerion toujours
opprofondie.

L'erpérience nous le montre : les odversoiresles


plus ochornés du peuple ne sont pos, le plus sou-
Ki \--
vent, des étrongers. Lo guerre de libérction notionole
de 1870 n'o pu se développerjusqu'à lo victoire i
mois l'qrmistice fut l'æuvre, moins de Bismorckque
du gouvernement provisoire et de I'Assemblée de
Borrdeour.Quoi d'étonnqnt olors que cette froction
de Fronçois, les ennemis du peuple, se soit forgé
3o propre version de l'Histoire - ce qu'on oppelle
l'histoire de Fronce ?
Sans-Culotte Haitien
Cette version émosculée, qui se prétend seule,
unique et vroie, s'ottcche bien entendu à glorifier
les penonnog$ et les époques qui morquènt, cur
yeur des oppre33eurrr un < sommet > dons leur
t
propre développement économique, politique, mili-

EDITORIAL toire ou ortistique. Elle tente, plus que celo, de foire


disporoître de toutes les mémoires les épisodesqui
jolonnent le cheminement du peuple vers ss lilÉ-
rotion. Quond lo suppressionpure et simple n'est pos
Vouloir resusciter l'histoire du peuplc fronçoie, possible,on o recouri à d'outrcs méthodes,dont lo
ce n'ert po3 simplement se tourner vers ceux qui plus générole reste le rnensongs - ls mensonge
trovoillent et qui souffrent; il fout oussi rcvoir seriné,onnoné, robôchéet qui, à force de ÉÉtitionr,
tenouer ovec toute une culture, des fêtes, des trodi- devient vérité. L'histoire officielle cherche moinr à
tions originoles; il fout rurtout re sentir solidoire enseignerqu'à couper le peuple de son p?ople porré,
der lurlouts de hoine contre l'oppresseur, des pour lui imposer des dotes, des héros, des concep-
révolter succesiiv$, des guerres civiles, de toute tions qui sont cellesde sesennemis.
cette route de victoires et de song qui cimente, à
truverl les siècles,l'unité du peuple fronçois. Même, Nous nous excuson3à ce propoii de n'ovoir pu,
lorque lo Fronce connoît une phose < d'erponsion fsute de ploce, inclure notre rubrique ( Au pilori
coloniole > (ce que nous oppelons l'osseryissement du peuple fronçois>r dons ce numéro 2. Un indi-
d'outres peuples), il fout sovoir reconnoître que lo vidu porticulièrement odieux et gu'on voudroit nous
lstte de ces peuples pour l'indépendonceles unit ou présenter comme un vroi démocrote et un-grond
peuple fronçois polce Çuer l'ennemi leur étont potriote, Clemenceou, ouro prochoinement l'hon-
€ommun, leur3 combots ne font qu'un. neur d'y figurer.

Pour toutes ces roisons, l'histoire populoire n'est Choque fois que nous en ou?onsl'occosion,nou3
pos I'histoire de Frsnce, ovec ses qlternonces de troquerons le mensonge historigue soss toutes ses
< grondeurD et ( d'oboissement>r. formes, et qu'elle qu'en soit l'origine.

3
LES CIT/BS
ET LA COMMTJNE
< Le club comrnunol o pour but de défendre lec droits du peuple, de lui foire son éducotion
politique ofin qu'il puisse se gouverner lui-même, de roppeler oux principes nos mondotsires s'ils g'en
écortoient, de les oppuyer dons tout ce qu'il3 feront pour le solut de lo République. Mois luilout
d'offirmer lc Jouveroineté du peuple qui ne doit jomois obondonner son droit dé surveillonce rut
les octes de res rnondotoires.>
CIUB NICOTASDESCHAMPS
Monifesteou peuple
6 moi l87l

La belle armée impériale à laquelle pourtant ( ne y lever une armée républicaine pourvu que Paris
manquait pas un bouton de guêtres > capitule à Sedan tienne assezlongtemps.Mais dans les clubs, dont le
le 2 septembre 1870après un bref baroud d'honneur. public augmente chaque soir, on va beaucoup plus
L'empire s'écroule et les généraux empanachés doi loin et I'on évoque 1792, Ia levée en masser, la
vent s'avouer vaincus. L'empereur, humilié, perd le "
c révolution >, la Commune...
contrôle des événements. Il I'a pourtant souhaitée,
cette guerre qui, pensait-il, serait un moyen de mettre r<Comorodes, on est en troin de vous foire ovoler
un terme à l'agitation ouvrière et socialiste grandis- les Buttes Montmortre t >
sant très vite dans tout le pays. Depuis plus d'un an,
les grèves dures entraînant souvent l'intervention de Les premiers clubs sont nés des réunions publiques
la troupe se succèdent.Aubin (14 morts) et la Rica- autorisées par Ia loi de 1868oir I'on pouvait discuter
marie (14 morts) en 1869(voir article ci-après),Le de tous les thèmes sauf de religion et de politique.
Creusot en janvier et mars 1870,où les mineurs et Les orateurs, progressistes pour la plupart, tour-
les métallos se battent au coude à coude,etc. nèrent la difficulté en parlant, non pas de sufets
< politiques >, mais de sujets < sociaux)r, en vantant
La bourgeoisie française, mécontente de la tour-
nure prise par lês événements,hésite. Elle pense les mérites du socialisme sans attaquer le régime
impérial. Du règlement de 1868restera l'habitude de
d'abord et surtout à négocier au plus vite avec les
Prussienspour s'emparer du pouvoir, Mais le peuple, nommer chaque soir les membres du bureau, mesure
imposée pour éviter la formation d'associations,et
lui, n'hésite pas, il prend en main sa propre défense
et veut transformer cette guerre impérialiste en une conservéepar la suite comme garantie démocratique.
lutte de libération nationale. Il refuse de capituler, il Les premiers orateurs,de vieux ( quaranthuitardsr,
rejette l'Empire, il s'arme. Les bourgeois affolés et furent vite renforcés par des membres du o Congrès
débordés sont contraints de proclamer bien haut leur de Liège ) préconisant le syndicalisme ouvrier et par
volonté de continuer la lutte et le 4 septembre 1870 les militants de l'< Internationale,. Le public esf
ces démocratesen peau de lapin proclament la Répu- clairsemé et vient surtout pour se distraire, mais
blique. A l'hôtel de ville de Paris occupé par le peuple, tout change avec le siège, et la levée de toute inter-
Jules Favre annonce la constitution d'un ( gouver- diction sur le contenu des interventions.Les militants
nement de Défensenationale duquel les révolution- réfugiés à Londres rentrent et le nombre des clubs
"
naires sont absents. augmente très vite. Ceux-ci prennent généralement le
nom des sallesdans lesquellesils s'installent,salle de
Mais l'armée impériale, prisonnière à Sedan, ou
immobilisée I'arme au pied à Metz par Bazaine, ne danse ou de spectacle : Salle Fairé, Elysée Mont-
martre, Ecole de médecine, Salle Ragache, ou bien
se bat plus guère qufà Belfort. Il faut réorganiser
totalement les troupes. Malgré des communiqués ron- encore le nom du lieu : CIub de la Reine Blanche, d.e
Ia rue d'Arras, du passageRaoul. L'ordre du jour est
flants et une détermination de façade, le gouverne-
ment ne croit pas à une victoire possible et surtout fixé chaque soir, et en ce début d'hiver un sujet
ne veut pas organiser u la levée en masse>. Pendant s'impose presque toujours : n [-a défense nationale r.
ce temps, les Prussiensprogressent très vite, et le Le ravitaillement est le problème numéro un des
19 septembre ils encerclent la capitale. Dans Paris, Parisiens : pour continuer la guerre, il faut manger
on discute ferme derrière les remparts. Une idée cir- et c'est l'aspect le plus discuté de la défense de la
cule et s'impose : la France est grande et I'on pourra ville. Les inégalitéssocialessont plus vivement ressen.

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ties que jamais. Tandis que le peuple mange les des Plantes dans les positions adversesr (ils finiront
chats en civet, les chiens en ragoût, piris en vient à plus prosaïquement dévorés par les assiégés), ou
acheter du rat pour faire bouillir la marmite, encore < de munir toutes les femmes d'aiguilles au
Alexandre Dumas et comme lui bon nombre de bour- curare pour le cas oir les Prussiens entreraient dans
geois décrivent à plaisir dans leurs mémoires u les Paris. p Régulièrement des inventeurs d'occasion vien-
excellents repas du sièger. L'humour et la rancune nent présenter au public, à la fois inquiet et amusé,
se mêlent étroitement dans les interventions des des fusées, des bombes et autres armes secrètes
orateurs : beaucoup plus dangereuses pour I'expéditeur que
pour le destinataire.On réclame aussi I'incorporation
u Savez-vousde quoi est composé le pain des séminaristes dans l'armée ou des perquisitions
.qu'on vous fait manger? chez les jésuites, comme celle partie de la Salle
1" de loin ; 2o de résidus d'avoine; 3" de Ragache à Vaugirard et qtii, dirigée par Flourens,
balayuresde meules; 4" de terre glaise! Sur' permettra de découvrir 1 200 chassepots.Des sous-
tout de terre glaise! On est en train de vous criptions sont organisées chaque soir afin de payer
faire avaler les Buttes Montmartre ! > plusieurs dizaines de canons et les hommes valides
(Elysée Montmartre, 1871.) entrent de plus en plus nombreux dans la Garde
,18 ianvier
nationale qui, de milice bourgeoise, se transforme
' rapidement en armée populaire de 340000 hommes.
Mais le soir dans les çlubs on réclame surtout la
réquisition de toutes les denrées alimentaires, leur Mais surtout chaque soir on évoque le souvenir
juste redistribution et I'on dénonce également les d'une autre invasion, celle de 1792,et la solution qui
moines affameurs et un gouvernementd'incapables. fut trouvée : la < Commune' de 1793,la .,levée en
Les considérationspurement militaires sont cepen' masserr, la ., patrie en danger>. Les noms de Robes-
dant plus nombreuses que les considérations culi- pierre, Hébert, Babeuf résonnent et voisinent avec
naires. Alors, dans les salles enfumées,les proposi' ceux de Garibaldi, Mazzini, Kossuth et surtout de
tions les plus farfelues voisinent avec les idéesjustes. Blanqui, Proudhon et Marx. Les attaques contre
L'imagination est au pouvoir. On propose : . D'em- Trochu (<participe passédu verbe trop choir") et
poisonner la Seine pour priver les Prussiens d'eau contre I'ensemble du gouvernement provisoire se
potable >, u de creuser un tunnel pour prendre les font de plus en plus violentes. Les clubs réclament,
assiégeantsà revers ,', n de lâcher les fauvesdu Jardin puis exigentla o Commune> et la u levéeen masseD'

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Une séance du Club Nicolas-des-Champs

5
A Ménilmontant, on accuse le gouvernement de soire atteignent leur paroxysme le 2l janvier au soir
lâcheté, d'incapacité, et de vouloir affamer le peuple. ou les orateurs appellent à une manifestation place
Salle Favié, le 25 décembre, un orateur déclare : cle l'Hôtel-de-Ville. Le lendemain une fusillade nourrie
général Clément-Thomas, qu'en devons- accueille les manifestants. On relève des dizaines de
" Quant au
nous attendre ? Rien. Une nullité ! C'est lui qui a morts et le soir-même le gouvernement ordonne la
fait désarmer les gardes nationaux. C'est encore lui fermeture de tous les clubs politiques et l'interdiction
qui en 1848 fit fermer les ateliers nationaux, jeta sur de nombre de journaux. Le 28 janvier, c'est la capi-
le pavé des milliers d'ouvriers et les força à descendre tulation, et l'on apprend que les Prussiens défileront
dans la rue ! ' Passage Raoul on voit déjà le dra- dans Paris. Mais le peuple n'a pas enrore dit son
"
peau rouge flotter de Paris à Saint-Pétesbourg o. Les dernier mot...
militants blanquistes passent de club en club recruter
des hommes pour leur < Ligue de défense à outrance u, <<A l'æuvre donc et vive lo Commune ! >r
qui est en fait une armée révolutionnaire à peine
camouflée. A la Cour .CesMiracles, Félix Pyat tonne Le l8 mars au matin, les soldats du général
sans cesse contre le gouvernement. Boulevard Ornano Lecomte, envoyés par Thiers pour s'emparer des
s'organise un club de femmes, et celles-ci invitent les canons des Parisiens, fraternisent avec la foule. Le
ouvriers à u ne pas faire de sortie avant que la général et son compère Clément-Thomas sont fusillés
Commune ne soit proclamée >, faisant ainsi preuve par les soldats mutinés. La Garde nationale bat le
d'une grande maturité politique. rappel dans tous les arrondissements, le peuple prend
le pouvoir, Paris est à lui ! Le soir même on s'assem-
Progressivement, le choix devient clair : d'un côté ble, les clubs se reforment, plus nombreux et plus
un gouvernement capitulard, de I'autre la Commune animés que jamais. Ils reprennent possessionde leurs
révolutionnaire et combattante. Le peuple dans son anciens locaux, mais aussi des églises :
ensemble opte pour la Commune, mais il reste à
préciser ce que chacun entend par la Commune : C'est à vous, citoyens de tous les arron-
"
dissements, que nous faisons appel. Suirtez
u Savez-vous au moins ce que c'est que la notre exemple, ouvrez des clubs communaux
Commune ? Je parie qu'ici même les trois dans toutes les églises, les prêtres pourront
quarts de I'auditoire ne savent pas ce que y officier de jour, et vous, vous y ferez I'édu-
c'est ! cation politique du peuple le soir. >
- Eh bien ! dites-nous le, ce que c'est ! (Proclamation du club Nicolas des Champs.)
- La Commune, c'est le droit du peuple,
c'est le rationnement égal, c'est la levée en Du haut de la caire du curé, les orateurs attaquent
masse et Ia punition des traîtres. La Com- violemment le clergé. A l'Elysée Montmartre, on
mune enfin... c'est la Commune ! demande de ne plus payer de location pour les salles
"
(Club Favié, 6 ianvier 1871.) et d'utiliser les églises, construites avec l'argent du
peuple. Au Passage Raoul, on peut entendre :
Pendant trois mois on va discuter ferme de la je savais qu'il existe un Dieu, je monterais jusqu'au " Si
Commune dans les clubs, d'autant plus ferme que ciel afin de le précipiter sur terre et de le détruire,
les réformistes de tout poil cherchent à récupérer car ce dieu serait pour moi la plus grande canaille
l'idée et à la vider de tout contenu révolutionnaire. que I'on puisse imaginer >, et à la Salle Favié : * J'in-
Ainsi le citoyen Leberquier déclare le 20 octobre 1870, vite les femmes à ne plus aller à l'église, où le valet
au club de la Porte-Saint-Martire : n Alors, citoyens, du pape questionne la pénitente sur les idées poli-
chacun de nous, faisant le sacrifice de ses opinions, tiques du mari, afin de pouvoir le signaler à la police. ,
viendra donner à la ville, à I'administration munici-
pale, ses forces, son zèle, tout ce qu'il pourra lui Mais le clergé n'est pas, et de loin, la préoccupation
apporter de dévouement et d'intelligence. ) Il tente, majeure des communards. Le 19 et le 20 mars, tandis
que les parasites qui encombraient les ministères et
et avec lui tous ses compères, de ramener la Com-
les administrations s'enfuient à Versailles, l'état de
mune à une simple affaire de gestion municipale, refu-
sant d€ poser le problème de I'Etat et du pouvoir. siège est levé et la police supprimée. La sûreté des
citoyens est assurée par la Garde nationale.
Il dénonce toute forme de violence et veut < une
Commune élective, pour que I'ordre renaisse dans nos
finances et nos affaires ), et ( une Commune ne s'occu- < Pos d'ovocots ! Plus d'ovocots ! >r
pant essentiellement que des choses de la ville
". La Les clubs vont alors devenir les lieux les plus actifs
campagne de récupération est bien organisée. Le dis-
politiquement, les cellules de base d'un Etat de type
cours de Leberquier est imprimé et diffusé dans les
clubs. Mais le peuple fait preuve d'une grande clair- nouveau oùr chacun peut exprimer ses convictions.
voyance en faisant taire, quelquefois rudement, les Certains d'entre eux, comme l'Ecole de médecine, la
Rue de la Maison-Dieu, la Rue d'Assas, réclament des
récupérateurs. Le débat idéologique est bien mené et
conduit parfois à la scission. Ainsi les éléments durs élections immédiates à Paris, la garde et I'entretien
quittent le club des Folies-Bergère pour former le des barricades comme garantie démccratique et l'as-
surance qu'il s'agit bien d'une Commune politique et
club des Montagnards qui deviendra vite le plus
non d'une simple municipalité. Ils obtiennent gain
important des deux.
de cause et jusqu'au 26 mars les élections sont à
A la fin janvier circulent des bruits persistants : l'ordre du jour tous les soirs. Les candidats au
Thiers, Trochu et " les Jules o négocient, ils veulent D
" Conseil de la Commune se font connaître et expo-
livrer le pays aux Prussiens pour mieux écraser * La sent leur programme. C'est au cours de cette cam-
Sociale >. Les attaques contre le gouvernement provi- pagne rapide que se précisent les idées qui avaient

6
lentement mfiri pendant le siège. La Commune, qui
n'était qu'un immense espoir, est devenue une réalité
dont il faut préciser les contours. Il ne s'agit plus AL ù'Lr'r'
seulement de paroles en l'air, car Ie peuple en armes .ALSA]I.' r t s \l'
vL rr
a Ie pouvoir; il s'agit d'appliquer concrètement les DI: PARts

principes politiques.
Si les communards aiment les bons orateurs et
expulsent quelquefois les mauvais, s'ils applaudissent
à tout rompre les belles envolées lyriques, s'ils atten-
dent avec impatience les ténors ils ne s'en méfient \
" ",
pas moins. Ils aiment le verbe, mais n'en sont pas ,'- .-';* .r!031 I11 aÊ\la(^i!t

ï,9, r t:l'
dupes, comme en témoigne le slogan adopté dans 'ilf rl.tl
tous les clubs : u Pas d'avocats ! Plus d'avocats ! , fr: t;r ! !E PÀRIS
COMMUT{E
Les communards d'ailleurs ne votent pas pour les 0RDBT:
plus éloquents ou les plus bavards, mais pour ceux
qui ont les idées les plus justes eT, le 26 mars, ce
sont des hommes nouveaux, issus du peuple pour Ia
plupart, qui triomphent.-On les connaît pour leurs
activités militantes, on les a souvent vus dans les
clubs pendant le siège, on leur fait confiance. Une
confiance qui ne signifie pas l'absence de contrôle
politique, au contraire, puisque le principe de Ia < res-
ponsabilité des mandataires, et par conséquent de
leur révocabilité permanente > est adopté. La liste
présentée par le Comité des vingt arrondissements
triomphe et son manifeste deviendra la charte poli-
tique de la Commune (voir dernière page).
Le peuple parisien croit à I'universalité des prin-
cipes révolutionnaires et veut les mettre en pratique.
Il conçoit alors une nouvelle forme d'Etat : la fédé-
ration de communes oir la démocratie vient de la
base et où la fédération est librement consentie. C'est
avec enthousiasme que I'on apprend et commente
dans les clubs l'avènement de la Commune en pro-
vince : 22 mars Lyon,23 Marseille, 24 Narbonne, Tou- L ' a f f i c h e u rd e l a C o m m u n e
louse et Saint-Etienne, 26 Le Creusot. Mais le rêve
s'effondre vite, bientôt Paris reste seul à tenir.
Le club est le lieu privilégié d'information. C'est
au club d.u Faubourg Saint-Antoine que le 23 mars
Pindy et Thoumieux annoncent que I'Internationale, Des querelles éclatent parfois. Le club se trans-
après avoir hésité, soutient totalement la Commune. forme alors en tribunal d'honneur et tranche le débat.
L'ambiance des clubs est extraordinaire. On passe Généralement les accusations portent sur les rela-
de la franche rigolade au plus grand sérieux avec une tions que certains entretiendraient avec la police ou
déconcertante facilité. Dans la salle. les uniformes les Versaillais. Quelquefois même le club devient tri-
(gardes nationaux, mobiles, francs-tireurs, garibal- bunal populaire : Bazaine et ses complices seront
diens, marins, cantinières, etc.) mettent une note de symboliquement condamnés à mort pour trahison
fantaisie, voire de folklore. Les orateurs se succèdent par plusieurs clubs du 4" arrondissement.
et il est surprenant d'entendre dans les églises prê- Les femmes sont nombreuses et souvent accompa-
cher I'athéisme à une foule qui saucissonneet fume gnées de leurs enfants. Elles conquièrent petit à petit
en approuvant. On fait les plus beaux projets pour leurs droits politiques. A Nicolas des Champs, les
les travailleurs : premiers jours, les femmes ne peuvent entrer. Puis
L'ouvrier va devenir le roi du monde elles sont admises, prennent la parole et président
" même à plusieurs reprises au cours du mois de mai.
moderne. L'ouvrier est tout, car il n'y a rien
sans le travail. Que feraient les riches de A la Délivrance, un des clubs les plus importants de
leurs trésors si l'ouvrier ne les faisait fruc- Paris, siégeant à la Trinité, les séancessont présidées
ti't'ier ? à partir du 12 mai par Lodoiska Caweska, ancienne
rédactrice du lournal des citoyenrees. Nathalie Le
Prenez donc un sac de pièces d'or, laites
un trou en terre, ietez le sac dans ce trou, Mel, membre de I'fnternationale, une des fondatrices
arrosez, engraissez - avec Elisabeth Dmitrieft de n I'Union des femmes
Rien ne poussera...
pour la défense de Paris >, y prend très souvent la
L'ouvrier vient, il prend le sac, il s'en sert
parole. Au club des Libres Penseurs, siégeant à Saint-
pour tra.vailler et ce sac devient dix sacs...
Germain-l'Auxerrois, une citoyenne Rondier fait voter
Que donne-t-on à l'ourtrier ? - De quoi ne en mai par les 400 personnes présentes une motion
pas mourir de'faim.
sur l'affranchissement total de la femme, et peu de
Cela va changer ! temps après [a Commune invite les femmes à se
"
(Club de la Cour des Miracles.) grouper en syndicats dans les métiers oùr elles sont

7
i

li
les plus nombreuses (lingères, plumassières, fleuris- combat, et le 21 mai, lors de la dernière réunion du
tes, llanchisseuses,modistes...).Att club Saint-Séve- club Nicolas des Champs, Paysant déclare : < I-a
rin,le 13mai, on vote pour la formation d'un bataillon guerre des rues nous sera favorable. Quoiqu'infirme,
de femmes, et le lendemain une centaine d'entre elles je me charge d'une barricade. Je tâcherai de tuer le
reçoivent des armes à l'hôtel de ville. plus de Versaillais possible. Quant à vous, citoyennes,
votre rôle est tout tracé. Vous avez chez vous des
Pendant ce temps à Versailles, Thiers réunit ses casseroles,de I'huile, du pétrole, jetez tout cela sur
troupes avec la complicité des Prussiens. Malgré les la tête des Versaillais.
efforts d'une foule de comités de conciliation >, de "
" Les fédérés se battent rue après rue, barricade
ligues diverses, comme la Ligue d'Union républi
" après barricade, faisant preuve pendant une semaine
caine des Droits de Paris r et d' < associations pour
la paix r, toutes plus ou moins réformistes et versail- d'une grande détermination. Le 28 mai, c'est la lutte
laises, l'affrontement décisi,f se prépare. Depuis le linale, les cadavres se comptent par dizaines de mil-
5 avril, les obus pleuvent à nouveau sur Paris, un liers, des quartiers entiers de Paris sont à terre. La
secondsiègeest entamé.Les ligues et les associations répression est terrible. Les Versaillais fusillent sans
; capitulardes t€ntent de désorganiser la défense en compter, déportent hommes, femmes et enfants, sans
réclamant de nouvelles élections. a On ne vote pas pourtant réussir à tuer la Commune dont le souvenir
pendant la bataille> lêur répond Vallès. A partir du vit encore dans le cæur de millions de travai'lleurs.
20 mai on se bat dans Paris. Les Versaillais ont Gilles RAGACHE
pénétré dans la ville par la porte de Saint{loud
dégarnie. L'heure n'est plus aux discussions,mais au Sources: ArchivesNationaleset de la ville de Paris.

LA COMMUNEDE LYON
La Commune de Lyon n'a pas été seulement l'ex- Cependant, rien n'était encore joué. L'agitation en
pression d'un soutien populaire au mouvement pari- faveur de la Commune persiste tout au long du mois
sien : son origine se situe à Lyon même, le 4 sep- d'avril, pour aboutir, le 30, à l'affrontement sanglant.
ternbre 1870.A I'annonce du désastrede Sedan, un Comme des électionsétaient prévuespour ce jour-là,
Comité de Salut Public, d'inspiration révolutionnaire, l'avant-garde du peuple de Lyon occupe, dès 4 heures
occupe l'hôtel de ville et proclame l'autonomie du du matin, l'église Saint Louis et sonne le tocsin. Une
département. Le 16 septernbre,un Conseil municipal Commune provisoire se rassemble à la mairie. Dans
lui succède. Son but essentiel : organiser la lutte la soirée, des barricades sont dresséestout autour de
contre l'armée prussienne, en prenant pour base la la place du Pont. Comme le peuple rejoint en masse
Garde nationale, et des Bataillons Ouvriers prati- les révolutionaires armés, le préfet, qui craint d'être
quant l'embuscadeet le harcellement en cas d'avance débordé, donne à la milice bourgeoise et aux mobiles
ennemie. l'ordre d'attaquer. Blessé à la jambe dès la première
Mais le Conseil, en gage de sa reconnaissanceofr- salve, il fait démolir à coups de canon la mairie, où
cielle, avait dû laisser de côté les éléments les plus flotte toujours le drapeau rouge.
déterminés de la classe ouvrière. Ceux-ci tenteront, Vers minuit, les Versaillais ont repris Ie contrôle de
avec la participation de Bakounine, de créer le 28 sep- la ville et les exécutions sommaires se succèdent.Le
tembre une Commune révolutionnaire. Le 4 novem- lendemain, devant I'ampleur de la répression, le
bre, le 20 décembre, d'autres tentatives se succèdent. Comité provisoire qui s'était constitué à la Croix
Et le 22 mars, les bataillons populaires de la Garde Rousse et avait élevé des barricades préfère se reti-
nationale se prononcent en faveur de leurs camarades rer. Le même jour, les bataillons de la Garde natio-
parisiens, occupent la mairie, forment un Comité pro- nale qui s'étaient prononcés en faveur de la Commune
visoire et préparent des élections. sont désarmés, sous les injures des femmes, qui les
Mais le lendemain, une partie de I'ancien Conseil traitent de lâches r et de < feignants >.
"
municipal, qui n'a pas été dispersé, appelle en ren- La fusillade du 30 avril marqua profondément le
fort deux bataillons de mobiles. L'épreuve de force peuple lyonnais, et scella son union avec les commu-
éclate dans la nuit du 24 au 25. Le Comité provisoire, nards croupissant dans les bagnes. En avril 1873,
qui sent les hésitations de la Garde nationale et n'ose malgré la terreur blanche qu'on lui imposait, le
pas engagerla lutte armée, préfère se dissoudre. C'est peuple de Paris élisait comme député l'un des élé-
donc dès le premier jour que la faiblesse du Comité ments les plus durs du Conseil municipal lyonnais
s'était manifestée : instauré pacifiquement, il n'avait de 1870.Cette élection contribua à la chute de Thiers,
pas su prendre en main la tâche primordiale qui lui quelquesmois plus tard.
incombait : dissoudre les organes versaillais de la
ville. Alain DELALE

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. A la mort | ,. 27 mai

PROFESSIONNEL
L'ENSEIGNEMENT
ETLA COMMUNE

Depuis 1789, la question de I'enseignement était idées de Marx et d'Engels, par I'intermédiaire du délé-
devenue une préoccupation importante des classes gué de la Commune à I'enseignement, Edouard Vail-
populaires. Il devait être accessible à tous, c'està-dire lant, qui connaissait leurs écrits, influenceront les
gratuit et obligatoire et permettre I'extinction pro- communards. Il fallait en terminer avec cet ensei-
gressive des inégalités sociales dans le choix des acti- gnement réservé aux classes aisées qui donnait à
vités professionnelles des individus, chaque jeune leurs enfants une instruction essentiellement litté-
s'orientant selon ses aptitudes et ses goûts. Aussi, raire, imprignée d'idées religieuses, méprisant les
des tentatives de réforme furent mises sur pied à sciences et transmettant l'idée que le travail manuel
plusieurs reprises : pendant la période du gouver- est dégradant. La Commune va ainsi proclamer la
nement révolutionnaire (mais la chute de Robespierre nécessité de u I 'instruction intégrale De quoi
".
le 9 Thermidor an II, en même temps qu'elle mar- s'agit-il ?
quait la fin du mouvement populaire, mettait un < D'une réforme de I'enseignement, assurant à cha-
terme aux espoirs d'un enseignement nouveau), au cun la véritable base de l'égalité sociale, l'instruction
cours de la révolution de 1848 (cependant avec l'écra- intégrale à laquelle chacun a droit, et lui facilitant
sement de I'insurrection ouvrière de juin, les projets l'apprentissage et I'exercice de la profession vers
avortèrent). laquelle le dirigent ses goûts et ses aptitudes. )
Il n'est donc pas étonnant que les communards se (E. Vaillant,Iournal fficiel no 138, 18 mai 1871.)
soient également penchés sur ce problème. Mais leurs Fini I'enseignement réservé à une caste. Fini I'en-
réflexions furent enrichies par les idées nouvelles seignement qui visait à perpétuer la division éternelle
apparues pendant la deuxième moitié du xrx" siècle, entre travail manuel et intellectuel et qui refusait,
en particulier des débats sur l'enseignement au cours de fait, l'apprentissage des sciences. Finies les écoles
des congrès de la I'" Internationale. D'autre part les professionnelles (d'ailleurs peu nombreuses) ressem-

9
blant à des prisons destinéesaux fils de prolétaires pattes un bon métier, afin qu'ils soient toujours sûrs
pour l'unique apprentissagedes travaux manuels et de gagner leur pain en travaillant, et qu'ils ne soient
de I'exploitation. Avec l'institution des nouvelles jamais obligés de faire des bassesses pour vivre, ce
écoles,pour garçonset filles, qui complétaientl'école qui arrive trop souvent aux aristocrates quand ils
primaire, I'enseignement passait à un autre âge. n'ont plus un sou.
Comm le dit le numéro 54 du 8 mai 1871 du Père Mais, en même temps, comme l'homme ne vit pas
Duchène à propos de I'ouverture de l'école profes- que par son estomac, et que le cerveau chez lui
sionnelle : compte bien aussi pour quelque chose, on leur
" Plus d'atelier malsain, plus d'atmosphèreempoi- apprendra tout ce qu'il faut pour faire d'eux des
sonnée! Ce sont les enfants du peuple qui vont main- hommes complets, c'est-à-dire capables de mettre en
tenant jouer sous les arbres des grandes cours, étu- æuvre toutes leurs facultés, et de produire non seule-
dier dans les vastessalles,rire comme des fous dans ment par les bras, mais encore par I'intelligence.
Ies préaux, pencher leurs petites têtes sur les livres, En un mot, on leur foutra une éducation scienti-
aspirer à pleins poumons le grand air de la science, fique intégrale ! >
travailler enfin, et se bien porter, nom de Dieu ! Malheureusement, encore une fois, cette réforme ne
comme ça convient à leur âge. Et comme il faut que pourra être appliquée, les Versaillais investiront Paris
ce soit pour qu'ils deviennent plus tard d'utiles avant que les premières écoles professionnelles nou-
citoyens,on ne leuf enseignerapas toutes les bêtises velles aient eu le temps d'ouvrir leurs portes.
et toutes les bondieusesiesque les calotins foutaient Si une telle réforme ne fut pas instituée par la
autrefois dans la cervelle des petits aristos. suite, c'est peut€tre parce que, par celleci, u la révo-
La Commune n'a pas besoin, comme les autres lution communale affirmait son caractère essentiel-
gouvernements, de corrompre de bonne heure les lement socialiste > (E. Vaillant).
jeunes intelligences.On leur foutra d'abord dans les Tristan HEDOUX

LA RICAMARIE
MINEUR.-çEN CREVE 14 MORTS

_-_\/
,

r0
1869.Le SecondEmpireest déclinant.En juin, une ne put déterminerqui en avait donné I'ordre.Profitant
grève commencedans le bassin houiller de Saint- du trouble qui suivit,le capitainepressala troupe et
Etienne; elle se termine par une sanglantefusillade. continuasa route sans s'occuperdes morts et des
blessés.
La grève débute à Firminy puis s'étend dès le
lendemainaux autres agglomérationsminières : La Par terre restaient allongés treize morts et de
Ricamarie,Rive-de-Gier, Villars,etc. Elle s'est déclen- nombreuxblessésgravesdont un mourrapar la suite.
chée spontanément,sans mot d'ordre venu de Parmiles morts : une femmeet une fillettede 11 mois
lfextérieur quoique certains journaux aient accusé tuée dans les bras de sa mère blessée.
rétrospectivement I'lnternationale.Une seule organi- L'impératrice Eugénie qui un peu plus tard
sation ouvrièrea joué un rôle d'encadrement: " la demandaitau comte de Palicao son avis au sujet
CaisseFraternelledes ouvriersmineurs" sociétéde d'une campagnede pressevisantà faire attribuerune
secours mutuel qui en I'absence de syndicats dot à EugéniePetit, 7 ans, grièvementblessée de
(interdits)étaitdevenuede fait le syndicatdes mineurs. deux balles et d'un coup de baionnette,reçut cette
réponse:
Les principalesrevendications sont :
- Une centralisation de l'administration des " Venir en aide à des famillesqui n'ont pas craint
caissesde secourspour-en permettrele contrôleet d'employerI'outrageet la calomniecontre de braves
éviter des variationslocalesde tarifs: soldats qui n'ont fait que leur devoir, serait le plus
- Une augmentationet une uniformisationdes fâcheux exempleaux yeux de cette mauvaisepopu-
salairesdans tout le bassin; lation de Saint-Etienne ; ce serait un blâme jeté sur
- La journée de huit heures ou au moins une l'arméeet ce serait dangereuxpour I'avenir".
réductionsensibledes heuresde travail : la durée de Napoléon lll, soucieux de calmer les esprits,
présenceà la mine était alors de 11 h à 13 h, aussiles amnistiales 90 personnesarrêtéeslors de la répres-
mineurs,surtout I'hiver,descendaientet remontaient sion qui avait suivi la fusillade.Mais par ailleurs,il fit
à la nuit. nommerGausseraud Chevalierde la Légiond'Honneur.

Rapidement, des incidentséclatentavec la troupe Brigitte LAURENÇON.


qui garde les installations,
lorsqueles grévistesveulent
arrêter entièrementla productionet le transport du Bibliographie: PetrusFaure- Histoiredu Mouvement
charbon. Malgré des charges à la baionnette,des Ouvrier dans le Bassln de la Loire.
piquetsde grèvesont installéset les jaunesne peuvent
travailler.
L'atmosphèreest de plus en plus tendue et, le
13 juin, une manifestation aux minesde la Bérauoière
à la Ricamariefaillit se terminer tragiquement.Une MARAT, ANTI-COLON IALISTE
centainede manifestantssont chasséspar la troupe (< Ami du peuple >, 12 décembre l79l)
vers 21 h, mais plus de 1 fi)O reviennentplus tard. La Le fondement de tout gouvernement libre est que
" peuple
troupe ne peut plus contenirla foule, les sommations nul n'est soumis de droit à un autre peuple,qu'll
d'usage sont faites, et la fusilladen'est évitée qu'au ne doit avoir d'autres lois que celles qu'il s'est donné
à lui-même, qu'il est souveraln chez lul, et souveraln
dernier momentpar I'arrivéede nouvellestroupes en indépendant de toute puissance humaine. Tous ont le
renfort. droit de s'affranchir de la Métropole, de se cholslr un
autre suzerain,ou de s'ériger en Républlque.Pour secouer
b Le 16 juin la situations'aggraveencore.Les usines le joug cruel sous lequel ils gémissent ils sont autorisés
I Holtzer d'Unieux envoient une équipe pour charger à employer tous les moyens possibles, la mort même,
dussent-ils être réduits à massacrerlusqu'au dernier de
un stock de charbon au puits de I'Ondaineà Mon- leurs oppresseurs.'
trambert. Les grévistes empêchent le chargem'entet
au momentde la relève des trois compagniesde la
4" d'infanteriepar trois compagniesde la 17', les TAPARTHETD A LA FR,ANçA|SE
rnanifestantssont pris entre les deux détachements. (Bornove
à l'ossembléeConstituonte
Une quarantaine d'entre eux sont capturés. Le 23 septembre 1791)
capitaine Gausseraudprend alors sur lui de les où la population des
emmenerà pied à Saint-Etienne, mais sans passerpar " Salnt.Domingue,est la colonie
hommes libres est en moindre proportion avec ceux qui
la Ricamariepour éviter des incidents. sont privés de leur liberté. Près de quatre cent cinquante
mille esclaves sont contenus par envlron trente mille
La colonneest forméede 40 prisonniersgardéspar blancs, et les esclaves ne peuyent être consldérés
comme désarmés,car des hommes qul ont sans cesse
200 soldatset d'un groupe de manifestants.Le cortège des instruments de travail dans leurs malns, ont touiours
arriveau hameaudu Bois Brtlé par un chemincreux. des armes. ll est donc impossibleque-lc petit nombre
La passerellequi I'enjambeest couverted'une foule des blancs puisse contenir une population aussi considê
rable d'esclavessi le moyen moral ne venait pas à I'appui
de gens de la Ricamariequi avaientapprisla nouvelle. des moyens physiques. Ce moyen moral est dans I'opi-
Que se passa-t-il? Le capitaineGausserauddéclara nion qui met une distance immenseentre I'homm€ noir
par la suite que des grévistesdescendirentle talus et I'homme de couleur, entre I'homme de couleur et
pour arrèter la colonne, que d'autres délivrèrent I'homme blanc ; dans I'oplnion qui sépare absolument la
race des hommes nés libres des descendantsdes escla-
quelquesprisonniers, et que sur la passerellecertains ves à quelque distance qu'lls soient. "
menacèrentles soldats avec de grosses pierres.La
fusilladeeut lieu,sansaucunesommation,et I'enquête

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1.'MAI SANGI.ANT
A FOURMIES
" Car à Fourmies, c'esf su/ une gamine
Que le Lebel tit son premier essai... ,
Chansonde Monthéus.

1889.C'estle centenairede la RévolutionFrançaise; Fourmies,une petite ville du Nod...


mais le 14 juillet a été confisquépar la République A Fourmies,petite ville de Thiérachede 15000
bourgeoise.Ce n'est plus le symboledu peuple en habitants,on s'apprêtedonc,commepartoutailleursen
armesà I'assautdes Bastillesmais la fête patriotarde 1891, à fêter le 1"" Mai. Danscette longueville-rueaux
des bourreauxde la Commune. maisonscouvertesd'ardoisetoute la population est
A Paris,en cette annéeanniversaire, deux congrès employéedans les 37 usines de peignage,filature et
ouvriers proposent d'organiserune journée interna- tissagede la laine.La campagneenvironnante dépend
tionale des Travailleurs,journéede grève généraleet aussitotalementdu textilequi occupeenviron200000
de manifestations pour I'obtention des trois huit. Le personnes.
1"' Mai est choisi comme symbole de la lutte des Or, depuisdix ans, le textilesubit une grave crise
travailleursdes deux mondes,à la suite des manifes- dans la région : les patrons,à la tête d'entreprisesde
tationsaméricainesdes 1"' mai 86 et 87. En 1884-85, 250 ouvriers au plus, subissentla concurrencede
les organisationsouvrières des Etats-Unisavaient régionsplus dynamiques,refusenttout investissement
décidéque le 1o'mai 1886(jour du renouvellement des dans des machinesnouvelleset n'acceptentpas de
loyerset des baux)serait une journéede grève géné- voir diminuerleurs bénéfices.Ce sont les ouvriersqui
rale et de pétitions en faveur de la journée de huit paientla casse: leurssalairessont réduitsde moitié;
heures.La grèvela plus importanteeut lieu à Chicago: le tisseur qui gagnait environ 8 francs par jour ne
dès le matin, 40 000 travailleursdébrayaientet les touche plus que 4 à 5 francs. Devant la résistance
patrons décidaient d'embaucher des jaunes, les ouvrière,les patronss'implantentde plus en plus dans
les campagnes" plus calmes,parmi les ouvriersde
" scabs" ; le 3 mai,7 à 10000grévistes,massésdevant culturequi gagnent1 franc à 1,50franc et pendantune
les usinesMac Cormick,conspuentles scabs,briseurs
de grève. La police charge sans sommation; la partiede I'annéeseulement" (1).
bataillerangéeau révolverdure un quart d'heurepuis Par le fait qu'ils sont les seulsemployeurset qu'ils
arriveI'armée; la foules'enfuit,laissantsix mortssur le ont sousla main une massede sous-prolétaires obligés
pavé. Le lendemainsoir, un meetingde protestation d'accepterdes salairesde misère,les industrielsfour-
réunit près de 150000personnesen plein air; une misiensse sententtrès sûrs de leur force. lls tiennent
bombeéclatedans les jambesdes policiers,une nou- le conseilmunicipalet la mairie; ils créentun ( syn-
velle chargea lieu,laissantde nouveauxmorts.La ville dicat catholiquedes patronset ouvrierschrétiens" :
est en état de siège,cinq militantssocialistes-révolu- les ouvriersadhérentssont tenus de se rendre aux
tionnairessont arrêtés,condamnésà mort et pendus... réunionsles dimancheset fêtes sous peine de renvoi
L'annéesuivante,le 1"' Mai fut une journéede grève de I'usine,chacun d'eux possède un livret avec le
généraledanstoutesles grandesvillesdes Etats-Unis ; montantdes cotisationsqu'il a verséeset s'il lui arrive
elle se déroula avec succès et permit d'obtenir la d'être congédié,il doit, pour être embauchéailleurs,
journéede huit heures. produire sa carte et son livret. Enfin, dans chaque
usine,à la moindre " faute ", I'ouvrierest tenu de
Duranttoutesces années,on assisteà une montée payerune amende; les salairesne sont jamaispayésà
des luttes des travailleursaux Etats-Uniset dans la terme échu (20 jours de retard),ce qui permetà I'em-
plupart des pays d'Europe (Angleterre,Allemagne, ployeurde payeravecles intérêts,son chauffeuret son
France,Belgique,Pologne,Russie,Autriche,ltalie...); mécanicien.
partout,les ouvrierss'organisent.
En France,la loi du 21 mars 1884avait théorique- Une ogitotion récente...
ment autoriséla formationde syndicatsmais en 1890 L'hiver 90-91avait été particulièrement rigoureux.
il n'existaitque 280 groupessyndicauxlégaux contre " La misère s'étaitfait sentir dans un grand nombre de
587illégaux.Parallèlement se fondaientdes boursesdu ménages" (1). Depuisquelquessemaines,trois mili-
travaildans les villes industrielles.
En 1890,les travail-
leurs répondirentà I'appeldes socialisteset cessèrent (11Rapportdu commissariatspécial de Feigniesau
le travail pour manifester,le 1"' Mai... ministèrede I'lntérieur.

t2
tants politiques,Lafargue(socialisteparisien),Renard 3 à 4 heures, celle-ci devient plus houleuse; des
(socialiste de Saint-Quentin)et Culine (anarchiste nuées de pierres tombent sur la place ; vers 4 heures
ardennais)organisaientdes réunionset préconisaient la gendarmeriecharge, les grévistes reculent et la
la créationd'une caissede secoursgarantiepar I'Etat, place est occupée militairementpar une compagnie
d'une boursedu travail et d'un syndicatouvrier.Depuis d'infanterie.La grêle de pierres s'intensifie; le préfet
avril, I'usine du Fourneauétait en grève. Les ouvriers et le procureur de la Républiquetentent une sortie
de Fourmiesavaientdécidé de faire du 1" Mai une mais doiventse repliersous les pierreset les quolibets.
journée chômée de solidarité et de revendications. A 6 h æ, les manifestantsopèrentune pousséeaux
cris de : " C'est nos frères qu'il nous faut. Fonçonssur
Solidorité p,otronole la mairie.'
Le front de la troupe recule. Les grévistessont si
Face à cette menace, les patrons s'unissent. Le près des soldatsque certainssont blesséspar la pointe
fl) avril, ils apposentdans toutes les usinesune affiche des baionnettes.Un lieutenant est pris par les grê
qui atfirme leur solidaritéet leur engagementcollectif vistes.Soudain,au milieu de la confusion,un ordre
à se défendrepécunièrement. La déclarationpatronale fuse : " Feu rapide.Visez le porte-drapeau." La fusil-
se termineainsi : " à I'unanimité sauf un, tous les chefs lade dure une minuteet demi,69 ballessont tirées.La
d'établissements de la régionde Fourmiosont décidé foule se replieen laissantsur la place le porte-drapeau,
que I'on travailleraitle 1"'-Mai commetous les autres atteint de cinq balles,sa femme,porteusede I'arbrede
jours. Tout mouvementcontraireà cette décision sera Mai, sept autresmortset trente blessésgraves.Aucune
sévèrementréprimé ". sommationn'avait été faite...
En réponse à cette provocation patronale, les
ouvriersmaintiennent leur mot d'ordre de grève géné- Les mortyrr de Fourmier
rale pour le lendemain.Le maire, Bernier,industriel
filateur, réclame des troupes à la préfecture et fait Parmi les neuf morts figuraient quatrê jeunes
masserautourde la ville un escadrond'artillerieet cinq femmesde 17 à 21 ans et deux enfantsde 11 et 15 ans.
compagniesd'infanterie. Tous étaient employés dans le textile (cf. tableau).
Le lendemain,à Fourmies, c'est l'état de siège.
A la < Sons Poreille>... Plusieursescadronsde cavalerieont été envoyés en
renfort. Tous les ouvriers sont en grève et celle-ci
A t heures,la grève commence.Les ouvriersse s'étend dans les com'munesvoisines de Sains et
portent vers les usines pour former les piquets de Wignehies.Les famillesdes victimesrefussntde laisser
grève. Devant la filature " Sans Pareille D, quelques emporter leurs blessésdans les ambulances: elles
soldats qui gardent la porte sont vite débordéspar la craignentque les médecinsaientété envoyésnon pour
foule. Une compagniede gendarmerieappelée en soigner les blessés, mais pour étudier les effets
renfort charge les manifestants sabre au clair. produitspar les ballesdu nouveaufusil Lebel.
Quelques femmes sont renversées.La nouvelle se Les ouvriers en grève exigent le départ de la
répand rapidementdans toute la ville. Des groupesse compagnie qui a tiré mais le préfet refuse de les
forment, s'arment de pierres et s'avancent vers la recevoir et réclame même de nouveauxrenforts pour
mairieen chantantsur un air connu : le 4, jour prévu de I'enterrementdes victimes.ll craint
. Bernier,c'est ta tête qu'il nous faut une nouvelle manifestation,car la nouvelle s'est vite
C'est la guerre qu'il nous faut répanduedans toute la France et les socialistesdes
C'est du sang qu'il nous faut grandes villes du Nord projettent d'envoyer de nom-
oh, oh, oh... o breuses délégations aux obsèques. Cependant, le
4 mai, les officiels ont décidé de ne pas se montrer,
Ler c Lebel r ont foit merveille... les socialistesont lancé un appel au calme; 5mO
personnessuiventsilencieusementle cortège.En tête,
La foule grossit d'heure en heure. Le préfet et le les dirigeants socialisteset anarchistesportent deux
procureur de la République,appelés par télégramme, drapeauxrougesgainés de crêpe noir. Une dizaine de
arrivent à midi et se terrent dans la mairie. Jusqu'à discours sont prononcésdont certains appellent à la
3 heures le commissairede police qui maintientles vengeanceet d'autres à la formation de syndicat. La
manifestantsopère des arrestationsdans la foule. De foule se dispersedans le calme.

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tES MORTSDE FOURMIES

l3
il
Comme à lo Ricomorie... LA MARSEILLAISE
FOURMISIENNE
Dans toutes les villes ouvrièresde France, les
réactionssont vives.Des meetingsde protestationsont
organisésen Lorraine,dans le Nord et le bassinde la
Loire; partout, des souscriptionssont ouvertes en
faveurdes victimesou de leursfamilles; des chansons I
exaltentla mémoiredes " martyrsde Fourmieso. Les Allons forçats des filatures
journauxsocialistes,le Stéphanois', le Réveildu Le premier mai vient de sonner.
" " Las enfin de tant de tortures
Var o... comparentsystématiquement la boucheriede Levons-nous pour manifester (bis)
Fourmiesà cellesde la Ricamarieet d'Aubinet mettent Des exploiteurs la race infâme
en parallèleles chassepots de I'Empireet les Lebels Vient de conclure un pacte odieux
de la TroisièmeRéoublique: Affamant nos enfants, nos femmes
Nous réduisant au sort des gueux.

" Camarades, Refrain:


Une fois de plus,aux ouvriersréclamantleur droit
à la vie, vous savez_
commenton a répondu. Debout, vrais travailleurs
Démasquons tous les traîtres
Commeà la Ricamarie, commeà Aubin; à Four- Marchons, marchons :
mies, les Lebels ont troué des poitrinesfrançaises. Le jour viendra où nous serons les maitres.
Travailleurs,noussommesatteints.' tl
(affichede Saint-Amand).
Mais quelle est cette troupe armée
Qui s'avance I'air menaçant ?
Face à ce parallèlequi devientinquiétantpour le Ouoi, la bourgeoisie alarmée
gouvernementrépublicain,le ministèrede l'lntérieur. En voudrait-elle à notre sang ? (bis)
Constans,donne des ordres ( pour que toutes les Pour défendre leurs privllèges
affiches,convocationsde réunions,etc. relativesaux Les capitalistes tyrans
( massacres> de Fourmieset contenantun blâme Vont.ils, horrible sacrilège,
Par le plomb décimer nos rangs ?
contre I'armée et le gouvernementsoient lacérées.
L'affichagedevraêtre empêchépar tous les moyens". Refrain

De plus,Culineet Lafarguesont arrêtéset conduits ill


à la prison d'Avesnes.
lls ont dans leurs sombres colères
Gains sur nous, pauvres Abel,
A Fourmies,lo lulte continue... b Fait essayer aux militaires
Le terrible fusil lebel (bis)
Dès le 5 mai, certainsindustrielsfourmisiensont Par la mitraille meurtrière
Nos femmes, nos enfants fauchés
accordé 1O olo d'augmentation,mais la grève se Sous les cyprès du cimetière
poursuit,totalechez les tisseursqui réclamentl'aligne- Ne serons jamais oubliés,
mentde leurssalairessur les fileurs,partielledans les
Refrain
filatures où les rattacheursdemandent un salaire
uniformede 2,50francspar jour et la réintégration des tv
ouvriersrenvoyésà la suite du 1"" Mai. Dans certains
secteurs,la grève se poursuitjusqu'au21 mai. Les Dormez,dormez,chères victimes
Martyres de l'émancipation.
ouvrierss'organisent en syndicat,dont les statutssont Le vent qui souffle dans les cîmes
déposésle 4 juin. Murmure: " réparationsr (bis)
Un jour viendra où dans vos tombes
Tout semble rentré dans I'ordre pour le ministère D'aise vous pourrez tressaillir
qui envisageenfin de retirer les troupes; mais le Voyant le Capital qui tombe,
15 juin, lors d'une " réjouissance " sportiveorganisée Laissantaux vôtres I'avenir.
par la municipalité,les ouvriersconspuentle cortège Refrain
qui joue la Marseillaise aux cris de " lâches,assas-
sins ". Despierresvolentdans les vitrinesdes journaux v
gouvernementaux.Les troupes seront maintenues
jusqu'au14 juillet. Vous, exploiteurs,dans vos demeures
Au milieu de tous vos festins
Voyez reparaitre à chaque heure
Le symbolede Fourmies Nos morts vous criant " Assassins (bis)
Et quand le jour de la vengeance "
Enfin se lèvera pour nous,
Dansles annéesqui suivirent,le 1'" Mai ne fut pas Ne comptezpas sur I'indulgence
une simplefêtedu muguet,maisune journéede reven- De ceux qui sont tombés pour vous.
dicationset de commémoration. Ce n'est que récem- Refrain
mentque cettetragédieest plus ou moinstombéedans
I'oubli car jusqu'à la premièreguerre mondialeon
rappelaitencore à chaque 1"" Mai le sacrifice des
victimesde Fourmies,tombéespour la même cause
que cellesd'Aubin,la Ricamarie,Chicago...

MonioueBAUDOIN. Sources : Archivesnationales.

14
L'OCCUPATION
Les années 1940-1947ont, en France, été marquées par te dévetoppement d'une vaste lutte populaire
pour la libération nationale, politique et sociale. Il s'agit d'une période particulièrement-riôhe en
événements et en enseignements ; c'est la première expérience de lutte armée gènératisée du peuple depuis
l'écrasement de la Commune.
Le peuple français se propose de présenter un tableau d.'ensemble de cette période, dont nous
sommes encore, à bien des égards, les héritiers. Après l',Exode, voici I'esquisse de ce que
lut ta vie du
peuple pendant l'occupation. Des articles sur Ia Résistance, ta Libération, et les grèves insurrectionrlelles
de 1947 suivront.

Le vol lourd des corbeoux sur lo ploine longtemps possible. Mais les faveurs et les priorités
accordées à cette fraction de la population suscitent
Le 25 juin 1940, le cessez-le-feu entre en vigueur la méfiance de nombreux intéressés. Fendant tout
sur l'ensemble des champs de bataille de France. Pris l'été, une véritable chasse à I'Asasacien-Lorrain s'or-
dans la débâcle ou l'exode, 15 millions de Français ganise. Le l0 septembre, la radio de Vichy peut annon-
au moins se sont dispersés dans tous les coins du cer triomphalement : Il ne reste que 85 000 réfugiés
pays. Pour presque tous, I'armistice est accueilli avec "
alsaciens et mosellans en zone libre. Si tout se passe
soulagement : la guerre est finie, ce n'était qu'un mau- bien, le rapatriement (mais vers quelle patrie ?) sera
vais rêve. Beaucoup, humiliés par la défaite, pensent terminé dans les premiers jours d'octobre. r Tous
à la < revanche >, mais c'est, dans leur esprit, une pers- ces hommes vont se voir imposer pendant quatre ans
pective vague : la paix, le < redressement , doivent et demi la germanisation forcée, la conscription dans
précéder la reprise de la guerre. Seuls quelques civils, la Wehrmacht, l'embrigadement nazi.
une poignée de militaires ne se résignent pas à l'aban- - Créée le 23 juillet, la Zone Interdite comprend
don devant les Nazis. Ils tentent de gagner l'Angle- tout le territoire qui va de la Somme au Jura, en
terre; Ies marins de l'Ile de Sein sont devenus les passant par la Marne et la Champagne : en gros, douze
symboles de cette résistance de la première heure. départements. Les habitants de cette zone qui ont
Pour tous les autres, les nouvelles du mois d'août quitté leur domicile ne seront pas autorisés à y reve-
entretiennent l'espoir d'une paix prochaine. Tout le nir. Les Nazis disent : < Puisque les Français ont
monde semble s'accorder pour accélérer le retour à abandonné leurs terres, c'est à nous de les exploiter. t
la normale, et chacun tire des plans pour rentrer Une compagnie allemande est chargée de la coloni.
chez soi. sation agricole, et, en 1943,pour le seul département
L'illusion durera quelques semaines : le temps, des Ardennes, 110000 hectares ont été expropriés.
pour I'occupant nazi, de prendre en main les leviers Ces terres sont cultivées par 7 500 Français et 5 000
économiques, politiques et militaires qu'il juge indis- Polonais, sous la direction de quelque 500 entrepre-
pensables pour déclencher la < bataille d'Angleterre >, neurs allemands.
puis, I'année suivante, pour forcer la victoire contre Ceux qui veulent malgré tout revenir doivent pas-
les Alliés. La paix, pour les Français, ne viendra ser clandestinement la frontière, et courent sans cesse
qu'après la libération. ie risque de se faire expulser. La Commission d'armis-
tice évaluera, en février 1941, que 120000 personnes
Les cris sourds du poys gu'on enchoîne sont ainsi passées en fraude. Dès le 9 décembre 1940,
225 habitants de Charleville-Mézières sont refoulés,
En premier lieu, le ( retour.à la normale > ne sera avec une demi-heure pour rassembler leurs bagages.
pas pour tout le monde. Le pays est divisé en quatre La colonisation allemande connaît finalement un
zones soumises à des régimes diftérents. échec : à partir de septembre 1941, certaines caté-
- Les trois départements d'Alsace-Lorraine sont gories de réfugiés sont autorisées à rentrer. Le
purement et simplement incorporés au Reich hitlé- 20 mai 1943,la frontière est supprimée.
rien. - Pour les Français de zone occupée, le retour sera
Pour les Alh:mands, il ne sufft pas de prendre un difficile : la remise en marche de la S.N.C.F. est lente,
territoire, il faut aussi que la population qui I'a et seuls les gens indispensables au fonctionnement
quitté y revienne. Les Français nés en Alsace-Lorraine de l'administration et de I'infrastructure économique
sont soumis à une intense propagande en faveui du y ont accès. La grande masse des réfugiés devra ren-
retour. L'annexion n'est pas comprise dans Ia conven- trer par ses propres moyens, refaire souvent la route
tion d'armistice; elle sera donc gardée secrète le plus à pied, dans un pays où nombre de boutiques ont

l5
déjà été pillées, et oir la disette fait sa première Les prisonniers de mai-juin 1940 - 2 millions,
apparition. Beaucoup n'arriveront pas. Les autres disent les Allemands - ne seront pas libérés. Pour
doivent attendre patiemment sur la Loire, jusqu'à la plupart, ce sont des soldats qui se sont rendus au
l'obtention d'un laissez-passer. cours des derniers jours de la campagne : 200 000 le
La ligne de démarcation entre zone libre et zone 19 juin, 200 000 le 22, 500 000 le 23. Ces hommes,
occupée, < la ligne >, comme on dira bientôt, devient complètement désorganisés, sans ravitaillement, sont
l'un des principaux symboles de I'oppression nazie. parqués dans des camps de fortune, où la disette et
Les autorités allemandes s'en servent comme d'un les épidémies font leur apparition. A Verneuil, 5 0(X)
moyen de pression politique permanente; elles peu- soldats sont entassés dans un pré. La ville de Neuf-
vent, du jour au lendemain, . fermer la ligne En Brisach (6 000 habitants en 1939) devient un immense
".
décembre 1940, lorsque Pétain renvoie Laval, le droit caravansérail oir 50 000 prisonniers sont regroupés.
de passage est refusé à tous les hommes de 18 à Partout, c'est I'anarchie, le manque d'eau, I'absence
45 ans. Pétain cède, la,ligne s'ouvre à nouveau. de nourriture. Le marché noir sévit. Et tout cela dure
De toutes façons, passer la ligne pose un problème : une semaine, un mois, par.fois six mois.
seul le cas de maladie ou de décès d'un proche parent Il faudra attendre les premiers jours de 1941 pour
que I'armée allemande réussisse à établir des listes
à peu près complètes des soldats prisonniers. Jusque-
là, pour les familles, maintenant rentrées de I'exode,
c'est l'inquiétude.
Pour finir, c'est le départ vers l'Allemagne. Les
hommes de troupe font connaissance avec le travail
forcé dans les usines. Deux millions de prisonniers,
DDIÀREf,DVE c'est une masse de main-d'æuvre dont I'industrie de
guerre allemande a grand besoin, en cette année 1941,
marquée par I'agression contre I'U.R.S.S. Pour pres-

h que tous, la libération ne viendra qu'en 1945. Ceux


qui ne se résignent pas à servir de bête de somme
chez l'ennemi tenteront de s'évader pour rejoindre
I'Espagne et, plus tard, les maquis.
Quelques-uns pourtant seront officiellement libérés
en 1941et 1942.Ils serviront d'appât dans cette vaste
pêche à la main-d'æuvre que les Allemands pratiquent
sur une échelle toujours plus grande dans les terri-
0uvRrERs
FRÂr{çÂts toires occupés.Dès août 1940,les occupants recrutent
des chômeurs parisiens. Les criminels de droit com-
tE PRÉSIDENT
tAVAt mun, pourvu qu'ils manifestent l'envie de partir, sont
dor ron dttcourr drr 2? Juin aernr"r
libérés sur ordre des Àllemands. Mais cela ne suffit
VOUS A DIT: pas. On invente la Relève, dont le grand chantre fut,
en France, Laval. Le marché est simple : pour trois
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ouvriers spécialisés qui partent, un paysan prisonnier
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sera libéré.
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côté français que du côté allemand. Les volontaires,
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doigts de la main.
c'tsl tÂRfl.ÈyE De nouvelles mesures voient le jour cn février 1943 :
QUtC0l,tl.tEltct
! il s'agit du S.T.O. Très vite, tous les Français âgés de
IT 18 à 40 ans sont susceptibles de recevoir l'appel u,
"
auquel on ne peut se soustraire sans être traité
comme un déserteur. Une gigantesque partie de
permet d'obtenir un laissez-passer.Dès 1940,Ie pas- cache-cache s'organise alors entre les organisations
sage clandestin s'organise : faux papiers et passeurs. négrières (cartels allemands et I'organisation Todt,
Ceux-ci, presque toujours des riverains, prendront qui construit le mur de I'Atlantique) et la plupart des
des risques énormes pour ouvrir une brêche dans ce travailleurs français, principalement les citadins. On
mur qui coupe la France en deux. Des réseaux clan- rafle dans les rues, on recense les ouvriers dans les
destins se créent peu à peu, pour répondre à la sur- usines, les employés dans les bureaux.
veillance, sans cesse renforcée, de l'armée allemands, Au début, les trains du S.T.O. sont bloqués dans
puis de la Gestapo. Presque tous les passeurs de 1940 les gares par des foules de manifestants, et les jeunes
seront finalement arrêtés et déportés entre 1941 et enfermés dans les wagons prennent la fuite. Très vite,
1943. les convois sont surveillés militairement, les gares
Et, en 1943, la suppression de cette ligne, devenue interdites aux familles. Les réfractaires n'ont alors
sans objet depuis que la France est tout entière qu'une seule issue : la clandestinité, ou la fuite à la
occupée, sera l'occasion d'un suprême marchandage : campagne. On peut dire que le S.T.O. a été le premier
Vichy accepte, en échange de sa disparition, la créa- pourvoyeur d'hommes pour la Résistance. De 1940
tion du Service du Travail Obligatoire, avec appel à 1944, l'Allemagne a réclamé 1500000 travailleurs.
immédiat des classes 1920, l92l et 1922. Moins de 800000 sont partis.

16

*-- --
Lo foim qui nour pou3se tickets de figues ou de rutabagas. Les queues ne
tardent pas à apparaître, ces queues interminables
L'été 1940a fait entrer le peuple français dans une qui se forment avant le lever du soleil pour se dislo
longue ère de disette et de rationnement. Les pre- quer à la fin de l'après-midi lorsque, les premiers
mières cartes apparaissent au mois de juin, et la clients ayant finalement été servis, il n'y a plus rien
pénurie se fait cruellementsentir sur certainesroutes à vendre. C'est enfin l'époque oûr un champ de ruta-
de l'Exode. Avec lbccupation,'l'approvisionnement bagas rapporte deux fois plus qu'un champ de pom-
devient l'un des principaux soucis des familles fran- mes de terre.
çaises. Parallèlement, le marché noir s'impose, devient
Quelles sont les causes de cette pénurie ? Vichy omni-présent. Il y a bien sûr les trafiquants profes-
accuse < l'Anglais, qui a coupé la France de ses colo- sionnels, qui approvisionnent l'armée al'lemande ou
nies >. La veritable raison est autre : la production les riches bourgeois des villes. Ceux-là édifient des
agricole et industrielle est en baisse constante par fortunes panfois colossales.Mais il y a aussi les pau-
rapport aux niveaux atteints en 1939.Deux millions vres, qui doivent se débroui'ller pour ne pas littéra-
d'hommes sont prisonniers. D'autre part, les prélè- lement mourir de faim. Certains ont la chance de
vements allemands se font cruellement sentir. Les recevoir de la campagne les u colis familiaux ) que
paysansn'ont plus d'engrais,plus de semencessélec- leur expédient des parents ou des amis. Les autres
tionnées, plus d'essence.pour leurs tracteurs. De doivent, en bicyclette ou en train, organiser des expé-
l94l à 1944,les récoltes baissent de 20 à 50 o/o. ditions dans les villages. I-e troc est ici la forme
'L'armée allemande opère sans cesse des prélève: d'échange privilégiée : des chaussures en carton
ments sur les produits les plus divers : les * com- contre du beurre, de la saccharinecontre des æufs..
mandes D vont du par'fum aux chaussures,en passant Enfin, le marché noir à petite échelle se répand dans
par ,les manohes de pioche, les bétonnières, le sucre, les quartiers : on échange les cigarettes contre du
le blé, les bicyclettes, etc. La plupart des grandes vin, du beurre contr€ des pommes de terre.
entreprisesindustrielles sont transforméesen usines Il va sansdire que;lapolice de Vichy, si elle n'arrête
de guerre allemandes.Enfin, l'occupant sera,jusqu'en que rarement les trafiquants de haut vol qui possèdent
1943,le premier client, et de très loin, du marché noir. de puissantesprotections,s'acharnecontre le marché
Comment s'étonner qu'il y ait pénurie de tous les noir de la misère. Chaque mois, plusieurs dizaines
produits de consommationcourante,si l'on considère de mi,lliers de Français passent par les prisons, qui
qu'un quart au moins de la production française,déjà pour avoir volé une carotte, qui pour avoir détourné
réduite, passe, d'une façon ou d'une autre, en Alle- une douzaine d'æufs.
magne,sans aucune contrepartie ? Si la disette règne en France, elle ne se fait donc
Conscient de cette situation qu'il couwe de .son pas sentir partout de la même façon. Il y a bien sûr
silence,le régime de Vichy tente d'organiserla disette ceux qui s'enrichissentpar le trafic, mais ils ne sont
par le rationnement intensif. Le ., Service du Ravi- pas, et de loin, les plus nombreux. La bourgeoisie
taillement > devient très vite une bureaucratie tenta- aiséearrive de son côté à traverser sans trop de mal
culaire, qui se donne deux objecti'fs principaux. les < annéesdifficiles, : les prix du marché noir sont
- Réduire la consommation. exorbitants et en hausse constante, mais manger à
On peut y arriver, pense-t-on,grâce à un rationne- sa faim et se chaufter I'hiver vaut bien quelques sacri-
ment général assorti d'une taxation des prix. Les fices pécuniers. Il suffit d'ail,leurs d'entretenir des
Français sont divisés en huit catégories,suivant leur amitiés bien placées dans l'administration pour se
âge et le travail qu'ils fournissent. Pour toutes les trouver presque totalement à l'abri du besoin.
catégories, les rations allouées diminuent, alors que Les paysans, eux, mangent à leur faim, car ils ont
le nombre des produits concernésaugmente au fil des toute facilité pour retenir la part de leur production
années. En 1943, Vichy accorde aux adultes une qui leur est nécessaire.Plus de la moitié des récoltes
moyenne de 1200 calories par jour, la moitié de ce n'entrent jamais dans les circuits commerciaux, et
que l'on considèreaujourd'hui comme nécessaire. 20 o/oau maximum sont eftectivement livrés au ser-
Cette véritable politique de famine a pour consé- vice du ravitaillement. Le reste passeau marché noir,
quence immédiate l'apparition du marché noir, qui ou circule sous forme de colis familiaux. Certains
entraîne à son tour une diminution des rations offi- agriculteurs,généralementles plus aisés,parviennent
ciellement distribuées. En 1943, 1 200000 têtes de à s'enrichir considérablement pendant les quatre
bétail sont abattuesà Paris. 200000 seulementpasse- années de guerre.
ront par les circuits offitiols. rl en est de même pour les commerçants des vi,lles.
- Lutter contre le marché noir, en recensant les Il suffit, pour se convaincre de cette relative prospé-
ressources,en interdisant la vente et la fabrication rité, de considérer qu'en 1943, 1 500 épiceries nou-
de certaines denrées,mais surtout, en contrôlant les velles se sont ouvertes, à une époque où il n'y a
transports. Outre la ligne de démarcation, chaque presque plus rien à vendre; et que I 500 entreprises
département devient une unité douanière autonome. de transport ont été fondées,àune époqtç où, faute
Le remède, une fois de plus, s'avère pire que le d'essence,triomphe le gazogène.
mal : la gabegieadministrative est telle que des vi'lles Tout Ie poids du rationnement va donc retomber
ou des régions entières manquent pendant plusieurs sur les épaules des citadins les plus pauvres : les
mois de certains produits de base,comme le charbon ouvriers, les petits fonctionnaires, les personnes
ou la viande. C'est alors qu'apparaissentles premiers âgées,les femmes de prisonniers. Tous ceux.l'à con-
écriteaux : < La boutique est fermée, faute de mar- naissentla sous-alimentationchronique, et, se livrant
chandiser. Et c'est alors aussi que des tickets d'oran- sporadiquement au marché noir, courent le risque
ges se transforment, après six mois d'attente, en permanentede se faire arrêter.

17
Lo hoine à nos trousses * jui,fs >, le même sort est souvent réservé : la desti-
tution, I'arrestation, la déportation.
De 1940 à 1944, l'ordre nazi, avec sa variante Toute l'année 1940 est mise à profit pour constituer
appelée o I'Ordre Moral D, est en vigueur en France. les listes des futurs condamnés. Les . juifs " (au
Le peuple vit dans une atmosphèrede répression,de début, il faut, pour être u jui,f >, avoir au moins deux
censure,d'épuration, d'arrestation. grands-parents juifs; par la suite, le nom, ou la
La presseet la radio sont bien entendu étroitement forme du nez suffiront pour justiûer une dénoncia-
surveillées.Il y a la censure préalable, les articles tion) doivent être recensés dans les mairies. En même
rédigés par les spécialistesde la propagande alle- temps, des listes de militants politiques, syndicalistes,
mande et dont l'insertion en première page est obli- des listes d'instituteurs et de professeurs * laics ,
gatoire. Pour les chiens écrasés,théoriquement lais- sont constituées, d'abord à partir des fichiers de la
sés à l'appréciation des journalistes, les consignes police française, ensuite, au moyen de délations soi-
sont rigoureuses.Ainsi, il est interdit de mentionner gneusement encouragées.
les cas d'adultères,lorsqu'il s'agit de femmes de pri La première mesure prend la forme d'une vaste
sonniers.Mais I'arme la plus efficace,et de loin, que épuration, qui part des administrations, pour attein-
dre peu à peu le monde des usines. Tous les u élé-
ments indésirables D sont rejettés. Alors commence
la répression ouverte : on puise dans les listes de
* communistes D pour constituer les lots d'otages qui
seront fusillés tout au long de la guerre; on impose
aux juifs le port de l'étoile jaune (juin 1942) et on
leur interdit la plupart des professions. Les u juifs
étrangers > sont déportés. A partir de 1943, vient le
tour des n juifs français >, qu'on arrête au cours de
gigantesques ratissages auxquels participe largement
la police de Vichy.
Les indésirables D tentent d'échapper aux mailles
"
du frlet : la fabrication de faux papiers se généralise,
on se réfugie chez des amis, ou mieux, on gagne la
campagne oùr I'on sera, espère-t-on, plus en sûreté.
Certains de ces " juifs o, d'ailleurs, réussiront à
éviter les persécutions en s'alliant aux bureaux de
propagande antisémite. Ils deviendront rapidement
les auxiliaires de la Gestapo, car ils se révèlent
d'excellents indicateurs...
Tout au long de la guerre, Ia pression s'intensifie
contre la population juive. Mais les autres catégories
ne sont pas pour cela négligées. Un a communiste r
est par définition un suspect, passible de l'arrestation
préventive, et sert à l'occasion d'otage, ou mieux, de
bouc émissaire. Les juifs, partant vers les camps
d'extermination allemands, n'étaient pas ser.lls : bien
des résistants, bien des communistes les accompa-
gnaient.

Lo misère

s'assure l'occupant, reste le monopole du commerce La famine, I'occupation ennemie, la répression


du papier. N'importe quel journal peut être, du jour omni-présente, tout cela allait plonger le peuple dans
au lendemain, éliminé, sur simple décision des ser- une misère qu'il n'avait plus connu depuis plusieurs
vices de livraison. générations. Il est à remarquer cependant que cette
misère prit des formes extrêmement diverses suivant
Pour la radio, la chose est plus délicate : toutes les les lieux et les temps. Mais nulle part sans doute elle
stations continentales sont entre les mains des Nazis, n'atteignit autant d'intensité que dans les villes bom-
mais les Français écoutent, dès qu'ils le peuvent, bardées.
Radio Londres. On a recours aux menaces, aux inter-
Relativement rares en 1940, les bombardements se
dictions de posséder des postes récepteurs, à la déla-
généralisent en 1941 et 1942, pour devenir systéma-
tion. Les peines sont théoriquement très lourdes,
tiques au cours des deux années suivantes. Les objec-
mais rarement appliquées, car les < délinquants "
tifs visés sont les gares, les nceuds ferroviaires, les
sont trop nombreux.
concentrations industrielles, les ponts, et surtout les
Parallèlement, la classe ouvrière est durement répri ports, de Dunkerque à Nantes.
mée, les organisations syndicales sont dissoutes, le Après un bombardement parculièrement meurtrier
droit de grève supprimé. à Nantes le 16 septembre 1943, 100000 personnes
Mais I'ordre nazi va surtout frapper les personnes. fufunt la ville quelques jours plus tard, lorsque
Certaines catégories sont'mises au ban de la société. I'alerte retentit à nouveau. La vie devient peu à peu
AUx ( CommunistesD, aux n francs-maçons>, aux un enfer. Les canalisations ont éclaté. il faut se ravi-

r8
tailler en eau par camions-citernes ; l'électricité est nisme), certains policiers, quelques politiciens, des
souvent coupée, les éboueux ont disparu. L,adminis- idéologues.Viennent ensuite les gens qui, sans être
tration aussi. Après la ( semaine rouge ' à Rouen, la ouvertement des fascistes, connur€nt, grâce à I'occu-
ration de pain tombe à 180 grammes. pation, une ère de facilité, de fastes,de haut profits :
Tous les soirs, plusieurs dizaines de milliers de les spéculateursdu marché noir, quelquesgros agrai
Havrais, de Rouennais, de Nantais, vont dormir dans riens, certains patrons d'usine.En troisième lieu, bon
les villes avoisinantes. Chacun emporte, sur une char- nombre de bourgeoissurent, grâce à leurs privilèges
rette ou une remorque, ses biens les plus précieux, acquis, échapperpresque totalement aux ( difficultés
qu'au matin il ramènera chez lui. de cette période malheureuse'.
Au plus fort de la bataille de France, certaines villes Face à cette minorité, le peuple des villes, et, dans
seront même définitivement abandonnées, comme une moindre mesure, des campagnes,fut soumis à
Saint,Lô, après le 6 juin 1944, et Saint-Nazaire en une exploitation et à une répression d'une ampleur
1945. sans précédent. La Résistance,puis l'insurrection
On estime que les bombardements ont fait, en populaire de 1944ne peuvent se comprendre que dans
France, 60 000 morts et 75 000 blessés. ce contexte de sang. Le fascisme n'était plus, pour
Ainsi, rares sont les Français qui, d'une façon ou l'immense majorité des Français,un mot en l'air, un
d'une autre, n'eurent pas à souftrir de I'oppression péril abstrait, mais une réalité quotidienne qui bien
nazie. Il s'agit d'abord des collabos ), ou plus préci- souvent imposait Ie choix : mourir en esclave ou
" vivre en combattant.
sément des fascistes français - miliciens, soldats
de Ia L.V.F. (,Légion des Volontaires contre le Commu- Alain DELALE

LA PRESSE
ET
LA SECoNDE
nÉpUBLtQUE
( UNE GUERRE
SAVANTE La plupart des nouveaux journaux ont adopté le
ET SYSTEMATIQUE
,) format réduit que la presse d'opposition, traquée par
la censure de Louis-Philippe,avait mis à la mode. A
défaut de papier rouge, les organes socialistes sont
r,l.o Fronce ne sero tronquille imprimés sur feuilles roses. De nombreux titres
que lorsqu'il nt ouro plus de journour. >r(l) rappellent la révolution de 1789 : c'est ainsi qu'on
peut lire le lournal des SansCulottes, le Tribunal
Ces paroles, que I'on pouvait entendre à l'Assem- révolutionaire, l'Ami du peuple de Raspail, etc. Un
blée nationale dès août 1848,reflétaient à la fois les grand nombre de ces feuilles n'auront qu'une publi
inquiétudes du gouvernement bourgeois issu de la cation éphémère.Elles vont cependantpermettre la
révolution de février et son désir de muselerà jamais propagation des idées socialisteset surtout la dénon-
son principal ennemi : la presse. ciation de la trahison d'un gouvernementqui devait
En effet, à Ia suite du soulèvementde juin 1848, favoriser la prise du pouvoir par Bonapartb.
Ies réformateurs au pouvoir ont compris le danger Le soulèvementdes journées"de juin 1848,au cours
que représentait pour eux un moyen de propagande desquellesles masses populaires prirent les armes
qu'ils avaient si imprudemment libéré, dans,l'enthou- pour défendreleurs droits, fournit un prétexte oppor-
siasme républicain de février. En rétablissant le tun pour briser la presse : une douzainede journaux
6 mars 1848la liberté de la presse,le gouvernement parisienssont interdits, en même temps que les clubs
provisoire a permis en quelques semaines la nais- socialistessont fermés.
sance d'un grand nombre de journaux, à Paris (près
de 300) comme en province (17 par exemple dans le (1) Paroles rapportéespar V. Hugo - Chosest)ues-
seul département du Nord). Ed. de Ia Palatine1942.

r9
C'est le premier coup d'une répression qui ne va journal et parfois au domicile même du gérant, oir
aller que s'accentuant jusqu'au coup d'Etat de dt'n leader socialiste susceptible d'avoir des relations
décembre 1851.A la force de lois, un systèmerépressif avec le journal. Ainsi, une perquisition est ordonnée
est mis en place afin de tuer la voix de l'opposition contre le Peuple de Dijon en septembre 1850 sous
socialiste. Pendant ce temps, les journaux conser- prétexte que le journal cache la reconstitution d'une
vateurs s'organisent : en septembre 1848,un congrès société secrète, mais on découvre fort à propos que
national les réunit à Tours; dès avril 1849,un comité la déclaration faite à la préfecture est frauduleuse, ce
de liaison est créé. Enûn en janvier 1850se tient à qui permet d'entamer des poursuites.
Paris un congrès de la presse légitimiste. Enfin, lorsque le gouvernement ne parvient pas à
Désormais, aidé avec zèle par l'administration en poursuivre un journal pour délit de presse,il s'atta-
place, le pouvoir trouve tous ,les prétextes pour tra- que de manière moins éclatante, mais tout aussi effi-
duire en justice'les journaux d'opposition. cace aux lecteurs et diffuseurs de celui-ci.
s Lo moin de lo police sur lo bouche < Lo politique honteusede lo police et de lo geôle >
et sur le ceur d,, poys , (Le Franc-Parleurde la Meuse.)
(La Tribune de la Gironde, 6 août 1850.)
Il ne reste plus au gouvernement qu'à éplucher les Les enquêtes de leurs espions permettent aux pre
journaux afrn d'y trouver des motifs d'inculpation. cureurs de connaître les opposantsde leur région, de
Dans cette tâche quasi-quotidienne,les procureurs se rendre compte de l'importance de tel ou tel jour-
généraux des départements lui sont des auxiliaires nal et du danger que constitue sa libre parution. Leur
précieux. Une véritable navette postale se crée entre but est donc d'entraver la diffusion au maximum.
ces derniers et le ministère de I'Intérieur. Par Des saisieschez l'imprimeur sont eftectuées.Numa
exemple, avant d'entamer des poursuites contre le Dufraisne, gérant et rédacteur en chef de la Ruche
Bonhomme Manceau,publié à Angers, le procureur de la Dordogne, est condamné le 20 septembre 1850
juge bon de rappeler < la situation difrcile créée à à trois mois d'emprisonnementet 25 francs d'amende
Angers par la publication de quatre feuilles démago- pour distribution clandestine de quelques numéros
giques destinéesaux départements voisins... c'est à échappésà la saisie de mai 1850.
peine si une centaine d'exemplairescircule dans le La répression touche également les imprimeurs.
départementde Maineæt-Loire., Il s'agit en effet, non En 1850,à Besançon,est imprimé un petit fascicule
seulementde dénoncerles organesd'opposition,mais intitulé <<Catéchismeà l'usage de tout le monde, où
surtout de prendre toutes les précautions avant d'en- le peuple apprend à connaître sesdroits et le bour-
treprendre des poursuites.Un acquittement,selon les geois ses devoirs >, dans lequel on trouve un < Code
propres paroles du ministre de l'Intérieur, ( aurait de de la sociétéfuture > (article premier : u Celui-là ne
fâcheux résultats D et <(lorsqu'il paraît à peu près mangera pas qui ne travaillera pas et un portrait
certain, il vaut mieux s'abstenir de poursuivre... ")
" de Proudhon, ,, le plus grand homme des temps
Pris entre la volonté acharnée de détruire toute modernes qui fondera une ère nouvelle dans l'histolre
opposition dans leur juridiction et la crainte de se du monde >. Aussitôt l'imprimeur est condamné,son
voir reprocher l'imprudence en cas d'acquittement du brevet retiré, et on soupçonnel'auteur de ce fascicule,
journal accusé,les procureurs cherchent avant tout à un certain Paget ,Lupicin, d'être Proudhon lui-même.
obtenir carte blanche de leur supérieur. C'est ainsi Le procureur général Loiseau, afin d'empêcher la
que'le magistrat de la Meurthe passeau crible pen. création d'un nouveau journal, le Peuple de l'Est,
dant plus de deux mois (septembre-octobre1850)le ( que tous les hommes de désordre attendent avec
journal Ie Travailleur de Nancy. A propos d'un article impatience r, fait surveiller dans sa région tous les
du 17 septembre 1850 ( qui contient manifestement imprimeurs favorables au journal. Il obtient le retrait
le délit d'oftense envers M. le Président de la Répu- du brevet de l'un d'eux, sous prétexte de < manque de
blique u, il écrit : Il y a longtemps, Monsieur le Garde moralité > et fait arrêter et inculper un autre impri-
"
des Sceaux, que je vous ai signalé la nécessité d'une meur pour rachat il,licite de son imprimerie. Faute de
lutte à engager contre le journal Ie Trartailleur... ll trouver un imprimeur à Besançon,Alfred Warimon
convient de 'lui opposer avec vigueur'la barrière des tente de faire imprimer le Peuple de l'Est à Paris.
lois, dutclle être impuissante. D Et afin de convaincre journal
" Iæs retards apportés à Ia parution de ce
déûnitivement le ministère de I'urgence du procès, produisent un excellent résultat ; l'absence de toute
l'autorité locale réunit trois articles suspects dans publication révolutionnaire fait perdre chaque jour
une même poursuite. du terrain à l'esprit de désordre. Les souscripteurs
Il est fréquent que le journal accusé,abattu finan- commencentà être fort inquiets de l'emploi de leurs
cièrement par de fortes amendeset des frais de pro- fonds. " (Loiseau.)
cès, soit mis dans l'obligation de se saborder. Les Les diffuseurs des journaux d'opposition sont pour-
procureurs entonnent alors le chant de la victoire. chasséspar la police. < A Reims D, peut-onilire dans
Loiseau,de Besançon,annoncetriomphalement: ,, La la Liberté de penser du 13 octobre 1849,< les agents
Tribune du lura a cessédepuis plusieurs semaines de police traquent les personnesqui se livrent à la
de paraître. Il n'existe plus en ce moment un seul distribution de notre journal >, qui est pourtant très
journal démagogiquedans les trois départementsdu modéré. Ce même journal, dont le principal rédac-
ressort et la tranquillité la plus parfaite règne sur teur, Amédée Jacques,se voit retirer sa chaire de
tous les points... Les populations n'aspirent qu'après philosophie, signa'leque le préfet de police a dénoncé
le calme et le repos." au directeur d'un collège quatre élèves ( coupablesD
Lorsque la preuve ne peut être faite immédiate- d'avoir lu Ia Voix du peuple, le Siècle, îe National,
ment qu'un journal est passible d'un procès, I'auto. et Ia Liberté de penser,
rité a recours à Ia perquisition dans les bureaux du Le gouvernement'fait pression pour le désabonne-

20
ment en faisant détourner par la poste les exem-
plaires des journaux socialistes.
Enûn, les procédés les plus bas sont employés
tE$PROCI$
DE
PRE$$E
contre gérants et journalistes, qui sont traités ,lors
de leurs arrestations en prisonniers de droit com- L'aggravation de la législation en matière de délits
mun : .M. ,Furet, ex-rédacteur du Républicain de de presse a augmenté le nombre des motifs de pour-
Rouen, vient de subir le traitement qu'à présent l'on suite contre les journaux. C'est pourquoi entre juil-
n'avait infligé qu'aur voleurs et aux assassins... des let 1849 et décembre 1851, les procès se font de plus
menottes à un écrivain de la presse | > (La Liberté, en plus nombreux.
l"' septembre 1849.) On peut reprocher aux journaux des contraventions
Cette < guerre savante et systématique , (le Vote à la loi en matière fiscale (non-paiement du caution-
universel,2l novembre 1850) ne vise que les journaux nement ou du timbre), ou en matière juridique (décla-
de gauche et d'extrême-gauche. Les procureurs, qui ration illégale, articles non signés, etc.). Ces motifs
emploient tant de zèle à accabler dans leurs rapports d'inculpation sont de loin ceux que préfère le gouver-
les empoisonneurs publics , que sont les organes nement, car la faute ne peut être contestée ni par
" les jurés, ni par la défense. Ceux-ci peuvent seulement
socialistes, rassemblent au contraire toute leur éner-
gie à défendre les 'feuilles d'extrême-droite, lorsque reconnaître des circonstances atténuantes.
celles-ci dépassent la mesure dans leurs attaques
contre le gouvernement. Ainsi, le procureur général <<Lo presse enchoînée > (l)
de Nantes prend la défense de l'Union bretonne, jour-
nal légitimiste, qui depuis sa fondation, f,ait une Les journaux socialistes, s'adressant surtout au
"
guerre courageuse, quelquefois même trop violente, peuple travailleur des villes et des campagnes, ont à
contre le socialisme et la démagogie. Un journaliste cæur de pratiquer les prix les plus bas. Leur création
"
orléaniste de l'Indépendant de la Mozelle se voit est souvent le résultat de souscriptions, mais cette
adresser un blâme et un avertissement confrdentiels pratique est réprimée, sous prétexte qu'elle cache la
(novembre 1851). La presse de droite était une alliée formation d'associations secrètes. L'abonnement est
trop efficace dans la lutte contre I'opposition de leur principal soutien ûnancier et leur garantie de
gauche pour que I'on voulût la réduire au silence ! survie. C'est pourquoi I'obligation du cautionnement
Toutes ces mesures répressives, en espaçant la (11 juillet 1848)puis celle du timbre (27 juillet 1849)
périodicité des journaux, en retardant ou interdisant sont Ia cause de la disparition d'un grand nombre de
leur parution, ont contribué considérablement à journaux qui doivent augmenter leur prix de vente.
l'aftaiblissement de la presse socialiste. Ce sont La Ioi du 16 juillet 1850 alourdit encore le taux du
cependant les procès qui ont permis au gouverne- cautionnement. Dans son numéro du 6 août 1850,
ment de tuer Ia plupart des journaux d'opposition. la Tribune de Ia Gironde, en annonçant ses nouveaux

(l) Extrait d'une adresse de journalistes anglais révoltés par l'acharnement du gouvernement français
contre la presse.

Mise à
sac
d'une
imprimerie
Parisienne
13 juin
I 849

==F-=----=r=---N.r

21
Prix, s'excuse auprès de ses lecteurs et assure qu'elle < Articles mensongers ,, dans ,laquelle il est facile de
fera le maximum ( pour que les pauvres travailleurs ranger tout écrit suspect.
de la ville et de la campagne ), puissent devenir ses Le ll novembre 1851, un rédacteur de la Voix du
abonnés. Le Démocrate du Var, et à sa suite nombre proscrit ( Saint-Amant-les.Eaux ) est condamné à
de journaux d'opposition, réduisent leur périodicité quinze jours d'emprisonnement et à 3 000 francs
pour maintenir leur prix. d'amende pour ( délit d'excitation au mépris et à la
En septembre 1850, les propriétaires de la Tribune haine des citoyens les uns envers les autres. Le
journal est suspendu deux mois. "
lyonnaise essaient de se soustraire au cautionnement
qui disait ne frapper que les journaux politiques. Ils En décembre 1850,le Phare (La Rochelle) est pour-
déclarent que leur journal traitera désormais . d'éco- suivi pour avoir protesté contre le régime des prisons
nomie sociale Le préfet, considérant * l'économie politiques de Mazas, de Belle-Isle et du Mont-Saint-
".
sociale comme une science éminemment politique >, Michel. L'article est jugé mensonger, injurieux et de
refuse de recevoir la déclaration du nouveau titre. mauvaise ,foi.
Malgré cela, le journal paraît, ce qui lui vaut d'être Tout écrit qui rappelle les troubles soulevés en
cité en jugement : le gérant est condamné à un mois province lors du passage du président sont impitoya-
d'emprisonnement et à 200 francs d'amende. Ce blement poursuivis. Le 27 novembre 1850, le gérant
"
jugement me semble mettre un terme à la publication du Travailleur de Nancy paraît devant la cour d'assi-
connue sous le nom {e Tribune lyonnaise... Son action ses de Metz sous la prévention de trois délits d'injure
dans ce pays-ci était mauvaise, elle tendait à aigrir envers le commandant de la Garde nationale de Metz.
les mécontentements de la classe ouvrière à laquelle u Ces délits se rattachent à la polémique soulevée par
elle s'adressait. L'impossibilité de fournir un caution- les désordres qui avaient eu lieu à Moulins lors du
nement met un terme à son existepçs. (Le procureur passage du président de la République. Ayant été
" "
au garde des Sceaux.) privé de ses témoins grâce à une astuce juridique,
Le Démocrate .du Var, journal r, . un des le prévenu est condamné à quatre mois de prison et
" rouge
plus mauvais >, est durant toute I'année 1850 la cible à I 000 francs d'amende.
du gouvernement. Important organe d'opposition, lu
dans les cafés et les sociétés, il est affaibli par Lo résistonce
des amendes répétées, puis finalement condamné à
la cessation de parution ( pour déclaration 'fraudu- Le gouvernement hésite à engager ces procès pure-
leuse à la préfecture... Il était évident, en effet, que ment politiques, qui se terminent assez souvent par
cette organisation n'était pas une société commer- un acquittement dû à I'indifférence, voire même à
ciale, mais politique... Ce journal agitait les esprits la sympathie des jurés envers le prévenu.
par ses mauvaises publications et tendait à corrompre Les magistrats à la solde de I'Etat, tout en assurant
I'opinion publique. u (Le procureur.) le ministère qu'ils avaient fait leur devoir, accusent
Le 17 février 1851,une poursuite est lancée contre la lâcheté des jurés qui rendent le verdict ( sous
la Tribune de Gironde, pour article non signé: en l'influence de la peur... Un système d'intimidation est
fait, cet article était un appel en faveur d'une sous- adroitement mis en euvre par nos démagogues... les
cription au profit des condamnés réfugiés à Londres. grands mots de justice populaire et de représailles
La répétition des amendes, qui depuis la loi du sont mis en avant. Les jurés effrayés promettent
16 juillet 1850 doivent être payées dans les trois jours d'obéir, et ce qu'il y a de plus pénible, c'est qu'ils
qui suivent le jugement, est un moyen infaillible de tiennent parole. (Novembre 1850 - Lettre du préfet
"
venir à bout des journaux les plus solidement implan- de la Moselle à propos de l'acquittement du Travail-
tés. < Cette procédure serait le seul moyen efficace leur de Nancy.)
de ruiner les ressources de la presse démagogique D'autres pensent que ( la plupart des jurés sont
et de décourager ses véritables directeurs., (Procu- illettrés et incapables de suivre et surtout de résoudre
reur de Dijon.) Au journal reviennent également le une discussion sur des matières aussi délicates que
paiement des frais du procès, et toute souscription des faits de presse.
"
ayant pour but de réunir l'argent est interdite. Il faut dire que la défense est habilement menée.
La plupart des journaux ne peuvent donc résister, Au procès de l'Union républicaine (Paris), jugé pour
telle la Tribune du Jura qui, réduite aux u derniers outrage au président, les socialistes font venir deux
expédients ), ne peut payer ni ses employés ni même de leurs représentants, orateurs de talent, devant les-
ses imprimeurs. ( Il me paraît impossi,ble qu'elle quels les magistrats eux-mêmes doivent reconnaître
puisse consigner dans les trois jours le montant de leur faiblesse. o Lorsque les factieux n'hésitent pas
l'amende dont elle vient d'être frappée, et j'ai lieu à faire appel à leurs notabilités pour impressionner
de croire qu'elle cessera de paraître à la fin de la le jury, il importerait que les intérêts de la société

iI
semaine. (Procureur Loiseau.) fussent confiés à des magistrats ayant l'habitude des
"
affaires de presse et des luttes d'éloquence avec qui
Ler procè3 politiques que ce fût. Et le préfet d'ajouter : o Le talent de
"
M. le Procureur de la République n'a rien de remar-
Quant aux délits de presse purement politiques, ils quable.
"
j sont de nature très diverse. Le crime le plus grave, Adroitement, les avocats de la défense dépassent
I mais aussi le plus répandu, est celui d' o offense le délit en cause et leur plaidoirie devient un violent

I envers M. le Président de la République. > Viennent


ensuite les attaques contre l'Assemblée, les provo-
réquisitoire contre le gouvernement. Le 17 juin 1851,
J. Germa, auteur dans I'Emancipation de Toulouse

I
I
cations aux militaires, < ayant pour but de les détour-
ner de leur devoir >, les attaques contre des hauts
fonctionnaires, etc. Enfin, une rubrique intitulée
d'un article contre le préfet des Pyrénées0rientales
qui ( peuplait la prison, suspendait, révoquait, dissol-
vait cercles et sociétés de bienfaisance D, est défendu
II
22
l
I
IR:
devant le tribunal par Toly. Celui-ci, poussant plus La presse garde donc une certaine vitalité et il
"
loin que fe journal I'Emancipation lui-même, la glori- faut attendre le coup d'Etat pour qu'elle soit brisée.
tication de la personne et des doctrines de Robes-
pierre, aurait déclaré que le parti démocratique n'hé- Le coup de grôce
siterait pas, si cela devenait nécessaire, à reprendre
< Arbitraire, despotisme, illégalité, tels sont les
l'æuvre de la Terreur et à régénérer la France. Le
" caractères les plus brillants du pouvoir présidentiel.
journaliste est acquitté et Emancipation fait paraître
Non, ce n'est pas là le règne de la force, ce n'est pas
la plaidoirie le lendemain.
la politique de la violence; c'est la politique honteuse
Les acquittements sont assez nombreux pour que de la police et de la géôIe... I'imagination de nos sou-
le ministre de I'Intérieur demande la révision de la verains étant à bout, ils vont rechercher dans la
loi du jury n en I'intérêt Ie plus pressant de la cause vieillerie de leur arsenal la menace du coup d'Etat. ,
de l'ordre. o Ce clairvoyant article du Franc-Parleur de la Meuse
Enfin à l'aide de souscriptions, de subventions des (octobre 1850) valut au journal son interdiction.
partis démocrates, de fonds de Londres, nombre de Une des premières mesures de l'Empire fut
journaux parviennent à se reconstituer sous un autre de publier de ,nouveaux décrets contre la presse
titre. Le Représentant du peuple de Proudhon, qui a (17 février 1852).Outre l'obligation de I'autorisation
commencé à paraître le_ 1'" avril 1848, change cinq préalable et du cautionnement, I'Etat impose le sys-
fois de titre. Il disparaît le l3 octobre 1850.Le Peuple tème des avertissements (double avertissement - sus-
souverain, interdit en juin 1849, se reconstitue six pension - suppression). Les délits de presse sont reti-
fois, en ayant pour directeurs successifs les différents rés au jury pour être déférés aux tribunaux correc-
ouvriers de I'imprimerie. Les journaux sont distribués tionnels. De 300 journaux publiés à Paris en 1848,
dans les faubourgs et les quartiers ouvriers de Lyon, il n'en reste que 9, dont 2 pratiquent une opposition
oùr ils ont des lecteurs habitués, ainsi que dans les discrète.
campagnes avoisinantes. Finalement, l'imprimeur se Claude RAGACHE
voit retirer son brevet. Sources : Archives Nationales.

SAINT.DOMINGUE
LA REVOLUTION
DEs ESCLAVES
u Au nom des Noirs et des hommes de couleur, Mais selon les planteurs, cette richesse est confis-
I'indépendance de Saint-Domingue est proclamée. quée par les négociants, bénéfrciaires de I'Exclusif :
Rendus à notre dignité primitive, nous avons assuré seuls acheteurs autorisés de denrées coloniales, seuls
nos droits, nous jurons de ne jamais céder à aucune vendeurs de prodùits manufacturés européens, ils
puissance de la terre. Ce 22 novembre 1803, pour en fixent arbitrairement les prix. Ce qu'il me doit
" "
la première fois dans l'Histoire, une colonie de l'Eu- m'assure sa récolte pour l'année prochaine, et me
rope consacrait le droit des non-blancs à disposer I'assure au prix que je jugerai bon d'y mettre moi-
d'eux-mêmes. Scandale énorme, scandale cher payé ! même > peut dire le négociant du planteur. A ce
compte, le commerce enrichit Nantes, Bordeaux et
< L'orgueil de lo Fronce... >r Le Havre. Abolir I'Exclusif ( spoliateur >, c'est le désir
* Les colonies ne doivent êtres estimées qu'autant du planteur.
qu'elles servent à faire valoir la culture, les arts et
les fabriques de la Métropole, qu'elles lui fournissent Sommet de la société coloniale, le Blanc est un
leurs denrées, soit pour sa propre consommation, soit privilégié et entend le rester. Les mulâtres, o bien que
pour son commerce extérieur : par conséquent la I'emportant souvent par I'opulence et la richesse r,
Métropole doit seule y négocier. sont méprisés et soumis à des vexations. On leur inter-
" En 1762, ce
mémoire nantais définit fort bien le système de dit de s'asseoir dans les salles de spectacle, dans les
< I'Exclusif u. Orgueil de la France , dans les Antil- églises à côté des Blancs, de se vêtir comme eux.
"
les, Saint-Domingue est I'inépuisable pourvoyeuse du L'Edit de 1685 leur accorde bien n les mêmes droits.
commerce colonial. Riche elle l'est : près de huit privilèges et immunités que les personnes nées
cents sucreries, huit cent cotonières, trois mille indi- libres que le Droit ne sera pas
", on leur démontre
goteries. Riches elle rend les négociants français Réalité dans l'île. Les mulâtres ressentent d'autant
redistribuant en Europe près des deux tiers de ses plus fort cet abaissement politique qu'ils s'enrichis-
envois. sent et que de quinze cents en 1715,ils sont près de

23
vingt-huit mille en 1789.Etre reconnu l'égal du Blanc, autorisée à faire connaître son væu sur la Consti-
telle est la revendication de l'homme de couleur. tution, la législation et I'administration qui convien-
Pourtant Blancs et riches mulâtres s'entendent nent à sa prospérité et au bonheur de ses habitants,
pour éviter I'insurrection des six cents mille esclaves A LA CHARGE de se CONFORMER aux principes
noirs de la colonie. Ceux-ci en effet ont de sérieux généraux (l'Exclusif) qui LIENT les colonies à la
motifs de révolte. Parqués dans les plantations par Métropole et qui assurent la CONSERVATION de
cinq ou six cents, sans biens, sans droits, soumis au leur INTERET RESPECTIF. L'Assemblée nationale
travail pénible, à l'arbitraire du régisseur, aux châti- met les colons et leur propriété sous la sauvegarde
ments corporels, ils ressassent ce qu'a prédit un spéciale de la nation. Afin de sauver leurs privilèges
"
< Illuminé le Madhi Makendal : leur délivrance et L'Exclusif est maintenu contre < une petite consul-
",
leur domination sur Saint-Domingue. dans l'île, les colons ont capitulé devant les négociants.
Isolée dans ce Saint-Domingue explosif, l'autorité tation législative >, et la garantie de l'esclavage, base
de tutelle ne maintient l'ordre social colonial que par de la propriété coloniale. Mais la loi étant ( curieu-
la force et la tradition. A plus d'un mois de voyage sement > imprécise sur la composition du corps civi-
de la Métropole, ce pouvoir est fragile face aux inté- que colonial, Blancs et mulâtres en tirent des conclu-
rêts locaux divergents, surtout s'il est contesté à sa sions opposées.
source même : en France. Pendant ce temps à Saint-Domingue les colons
blancs refusent de reconnaître le gouverneur, nom-
Dons lo gueule du loup ment des receveurs financiers et font arrêter le juge
Dubois qui proclame que < I'esclavage est contraire
C'est la révolution française qui va ébranler l'île. à la liberté naturelle
". Le 25 mars 1790, une assem.
Prenant les principes révolutionnaires pour des réa- blée coloniale réunie à Saint-Marc écarte le gouver-
lités, les colonies rêvent. L'assemblée Constituante neur, intercepte le courrier gouvernemental et crée
déclare que la loi est I'expression de la volonté géné- des municipalités ayant tous les pouvoirs. En mai,
"
rale > : I'Exclusif exacécré peut être aboli. Elle pro- elle donne à l'île son autonomie en décidant u que les
clame que <(tous les hommes naissent et demeurent décrets rendus par l'Assemblée nationale française
libres et égaux en droits " : mulâtres et esclaves ne seront exécutés que lorsqu'ils auront été consentis
revendiquent égalité et liberté. par l'assemblée coloniale o. Le 20 juillet, elle ouvre
"i'&
'.t
t!-t-
a*
*9r'

En 1789, bien que non-convoqués aux Etats géné- les ports aux navires étrangers ; c'est la fin de I'Exclu-
raux et interdisant toute représentation aux mulâtres sif. Le 27, elle licencie les troupes royales et les rem-
qui en avaient le droit, les Blancs envoient des dépu- place par une Garde Nationale. Ces mesures créant
tés à Versailles pour y demander I'abolition de de nombreux mécontents : mulâtres tenus à l'écart,
l'Exclusif. Ce faisant ils se jettent dans la gueule du agents royaux évincés, négociants perdant leur mono-
loup car ils reconnaissent alors le législateur français pole, le gouverneur peut riposter et faire dispers;r
comme l'étant aussi dans les colonies. Ils se heurtent le 30 juillet l'assemblée de Saint-Marc.
aux députés des ports qui veulent maintenir I'Exclu-
sif. Ils affrontent les < Amis des Noirs ), partisans Les oppresseurs de l'Amérigue ?
de l'égalité des droits des hommes libres et d'une
lointaine abolition de I'esclavage, ( car un affran- L'autonomisme blanc étant provisoirement brisé,
chissement immédiat serait une opération fatale pour un mulâtre, Vincent Ogé, tente un putsch pour obte-
les colonies et un présent funeste pour les Noirs nir dans l'île l'égalité des droits que la loi du 8 mars
dans l'état d'abjection oùr la cupidité les a réduits. , point o. Accusé de soulèvement, il s'enfuit
" ne lui nie
Dans cette situation, les colons trouvent l'appui chez les Espagnols, qui s'empressent de Ie livrer aux
intéressé des députés des ports qui redoutent Ia fin Français. Le 25 février 1791, après avoir avoué ses
de la Traite des Noirs qui fait leur fortune. Par la torts, il est conduit . sur la place d'armes, au côté
loi Barnave n du 8 mars 1790 chaoue colonie est opposé à l'endroit destiné à l'exécution des Blancs >,
" "

24
roué vif jusqu'à la mort, et décapité, afin que sa tête, vote un Code Noir qui n'a rien à envier à celui de la
exposée au public, calme d'éventuels imitateurs. Rien Monarchie : la mort pour I'esclave volant du bétail
n'est donc résolu. Grégoire, Robespierre veulent ou frappant son maître, le sectionnement du jarret
< légaliser, cette légalité. pour toute tentative d'évasion.
" Quelle étrange contra-
diction ne serait-ce pas, qu'après avoir décrété la Malgré les succès de l'insurrection, les chefs des
liberté de la France, vous fussiez par vos décrets les esclaves, Jean.François Biassou et son second Tous-
oppresseurs de l'Amérique >, déclare l'abbé Grégoire saint-Louverture, font preuve de modération, de réfor-
le 11 mai t791. L'abbé Maury lui rétorque : < Les misme même, quand en septembre l79l ils écrivent
hommes de couleur sont... les fruits honteux du liber- aux colons qu'il serait intéressant que vous décla-
tinage de leur maître... Il serait trop absurde que des "
riez que votre intention est de vous occuper du sort
législateurs convaincus de la nécessité de respecter des eiclaves ; sachant qu'ils sont l'objet de votre solli-
les mæuis publiques accordassent la plus immorale citude et le sachant de la part de leurs chefs, ils
protection au concubinage. > Passant outre à de si seraient satisfaits et cela faciliterait, pour remettre
pauvres arguments, le 15 mai, l'Assemblée reconnaît l'équilibre rompu... > Pourtant ils sont durement écon-
aux mulâtres le droit de siéger dans les assemblées duits. Seule la force pourra satisfaire leurs droits.
coloniales. Pour la première fois un législateur euro-
Début 1793, la situation favorise la cause noire.
péen dénie un privilège à la couleur de la peau.
Louis XVI guillotiné, gouverneur et colons nobles s'in-
Victoire de bien courte durée. Bien orchestré par
surgent contre les commissaires envoyés par la
Barnave, c'est un tollé général chez les colons. Ils
Convention régicide. L'Espagne gueri. contre la
< ordonnent à ceux qui se prétendent leurs députés "n
France tente de gagner le soutien des royalistes,
à I'Assemblée nationale de se retirer, de se rendre "
celui des mulâtres et des brigades nègres, en leur
dans la colonie et de coopérer au grand ceuvre des
assurant à tous, dès à présent et pour toujours,
lois qui doivent la régir dorénavant dans I'indépen-
liberté, exemptions, jouissances et prérogatives >. En
dance de la France. > C'est la sécession, un coup dur
passant aux Espagnols, Toussaint peut créer son
pour le négoce français. Les mulâtres ne peuvent
armée. A quarante-huit ans, instruit, ce cocher de
alors faire valoir leur droit que par la force. Le planteur jouit d'un grand prestige. Il va organiser
7 août 1791, formant un conseil, ils jurent de rester
l'insurrection pour en faire une révolution. < Je suis
unis jusqu'à la victoire. Créant une armée, le 22, ils
Toussaint,Louverture... J'ai entrepris la vengeance. Je
rejettent I'injonction de dispersion du gouverneur.
veux due la liberté et l'égalité règnent sur Saint-
C'est alors qu'entre en scène celui que l'on n'attendait
Domingue. Je travaille à les faire exister. Frères et
pas : I'esclave noir.
amis, unissez-vous à nous. Mais il n'attend rien,
Le 23 août, dans la riche plaine du Nord, les esclaves "
sinon sa liberté de manæuvre, d'une Espagne escla-
se soulèvent. En une semaine, plusieurs centaines de
vagiste. C'est la France qu'il faudra contraindre d'abo-
colons sont massacrés et le Nord est en ruine. Profi-
lir l'esclavage.
tant de la panique, les mulâtres attaquent les Blancs.
Rapidement victorieux, ils leur imposent leur partici- Afin d'obtenir la nécessaire alliance des Noirs pour
pation dans les assemblées coloniales et municipales, rétablir la situation, reprendre Port-au-Prince aux
une garnison mixte dans Port-au-Prince, un Te Deum Blancs insurgés, les commissaires républicains, en
pour la réconciliation des races (octobre). On reçoit particulier Sonthonax, accordent u la liberté à tout
alors à Saint.Domingue I'effarante nouvelle : le 24 sep- Noir qui défend la République. > En août 1793, ils
tembre, sur les conseils de Barnave, la Constituante, déclarent : < Les hommes naissent et demeurent
fevenant sur son vote du 15 mai, a constitutionnalisé libres et égaux en droits. Voilà, citoyens, I'Evangile de
l'esclavage et la diminution politique des mulâtres, la France... Tous les nègres et sangs-mêlés actuelle-
contentant ainsi colons et ports. Les petits Blancs, ment dans I'esclavage sont déclarés libres pour jouir
refusant alors l'accord avec les mulâtres, tentent plu- de tous les droits attachés à la qualité de citoyen
sieurs putschs qui sont matés par I'alliance des plan- français. > Cependant, se méfiant de cet acquis, qui
teurs, qui ont tout à perdre de la poursuite des com- n'engage que les commissaires, qui peut être remis
bats, et des mulâtres. Le 22 avril 1792, I'Union de en cause dès le retour à la normale, la Convention
Saint-Marc consacre cette al,liance. ne I'ayant pas sanctionné, Toussaint reste chez les
A Paris, depuis le 30 septembre, siège une nouvelle Espagnols. Mais, le 4 février 1794,en récompense des
assemblée, la Législative, dominée par les Girondins, services rendus, et non par principe, la Convention
représentants du grand commerce. Pour les négo- abolit l'esclavage.
ciants, le déclin du commerce avec la colonie insurgée Alors, le 25 juin 1794, ayant fait tuer les soldats
est une catastrophe. Il faut changer de politique colo- espagnols de sa région, hisser le drapeau tricolore,
niale : < Le salut des colonies dépend de la réunion Toussaint passe aux Français. Les commissaires reçoi-
sincère des colons blancs et des hommes de couleur vent un précieux renfort, car, avec la complicité
libres... C'est le seul moyen de préserver les Blancs des colons et des mulâtres mécontents de l'abolition
de I'insurrection noire r, affirme le girondin Brissot. de I'esclavage, les Anglais occupent'Port-au.Pfince et
Le 4 avril 1792, les mulâtres obtiennent l'égalité. une bonne partie de la colonie. De 1794 à 1798, Tous-
saint mène contre eux une guerre victorieuse, tqut
< Je suisToussoint-Louverture
)... en éduquant la population : .. Vous êtes entrés dans
le sein de la République... Votre devoir est mainte-
Reste I'insurrection noire ; Ia révolution a < oublié o nant de concourir de tous vos moyens physiques et
les e6claves. En avril 1792, à la suite des Anglais, la moraux à faire vivifier votre paroisse et à y faire
Législative abolit la Traite, mais elle déclare que germer les principes de la sainte liberté >, dit-iL aux
< I'esclavage est nécessaire à la culture et à la pros- habitants des Verrettes qu'il vient de libérer. Mieux,
périté des colonies... > Le 5 mai 1793, la Convention au printemps 1796, libérant le gouverneur Laveaux,

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séquestré par des mulâtres mécontents, Toussaint et des chevaux dans toutes les sources, faites tout
devient le libérateur et le maître véritable de l'île. anéantir et tout brûler écrit Toussaint à son lieu-
",
tenant Dessalines, en février. Les troupes françaises
Foce à lo Fronce colonioliste sont à l'épreuve. Le Français Lacroix rapporte : < La
dislocation des ennemis qui ne présentent plus de
'Cette autorité va lui permettre de résister à la poli- résistance régulière ne fait qu'accroître la difficulté
tique de la France du Directoire. En novembre 1795, de les attendre. Comme I'hydre à cent têtes, ils renais-
au Conseil des Cinq Cents, est élue une clique escla- sent des coups qu'on leur porte. Un ordre de Tous-
vagiste pensant comme Villaret de Joyeuse, celui de saint-Louverture suffit pour les faire réapparaître et
Trafalgar, que ( les colonies sont dans notre poli- pour en couvrir la terre... Vainqueurs partout, nous
tique moderne, des manufactures employées au profit ne posédons rien au-delà de la portée de nos fusils.
de la Métropole; elles exigeront sans doute encore Le mérite militaire n'est pas dans la stratégie... il
longtemps un régime particulier... Il n'y a qu'un seul consiste à gravir un escarpement, à passer un ruis-
régime qui puisse convenir à Saint-Domingue : le seau changé en torrent impétueux, à s'embourber à
régime militaire. > C'est une régression. Pour y parer, mi-corps dans la vase infecte des palétuviers. > C'est
Toussaint envoie comme députés des amis, Laveaux bien la guerre du peuple.
et Sonthonax. Ce dernier, haï des mulâtres, parti, un Pourtant, la situation se détériore. Des renforts
< front haissien > peul se former contre les tentatives
arrivent et Leclerc déclare partout que l'esclavage ne
françaises. C'est pour briser ce front et rétablir sera pas rétabli, que Toussaint est le seul obstacle
l'ordre français que le général Hédouville débarque à la paix. Cette guerre, la population n'en a jamais
dans l'île en mai 1798. Il ne parvient pas à ses fins, vu l'enjeu. Toussaint n'a jamais parlé d'indépendance.
car le 31 août, c'est Toussaint qui reçoit la reddition
Rêvant d'un u Commonwealth français >, il maintient
des Anglais vaincus dans l'île. Cette paix séparée avec que < l'île est une colonie faisant partie de I'Empire
un pays qui continue la guerre contre la France est colonial, mais soumise à des lois particulières. >
le premier acte d'indépendance de Saint-Domingue.
C'est ce que . propose
Le 22 octobre, ayant vainement essayé de dissoudre " Leclerc. Ses lieutenants
I'armée noire, Hédouville doit quitter l'île : c'est Ia capitulant (Christophe le 24 avril), Toussaint, le 5 mai,
fin de la domination effective de la France. accepte le cessez-le-feu afrn de préserver I'armée
noire. Il est arrêté lors d'une entrevue-traquenard
Reste à vivre et à trouver des alliés. Toussaint se
avec les Français et dans la nuit du 7-8 juin 1802
tourne vers les Etats-Unis en leur ouvrant les ports
" embarqué, sur le < Héros )r,pour la France. Son incar-
français en la colonie >. Puis, afin de payer les armes
cération, au fort de Joux dans le Jura, prendra fin
qu'il se procure auprès des Anglais, il réorganise la
par sa mort après des mois de maladie, car, écrit son
seule richesse : l'agriculture. Pour mobiliser les éner-
géôlier, la composition des nègres ne ressemblant
gies, il institue le travail obligatoire : < Tous les culti- "
en rien à celle des Européens, je me dispense de lui
vateurs seront tenus de remplir avec exactitude, sou-
donner ni médecin ni chirurgien qui lui seraient inu-
mission et obéissance leurs devoirs, comme le font
tiles > (7 avril 1803).
les militaires... Les cultivateurs qui se soustraient au
travail de la terre sont tenus de rentrer immédia- En août, l'île aprend que .la loi du 8 mars 1802
temént sur leurs habitations respectives .Tous doivent < maintient dans les colonies l'esclavage et la Traite
prouver qu'ils professent un état libre qui les fasse conformément aux lois et règlements d'avant 1789r.
subsister. > Nécessaire pour éviter l'exode rural, le Bonaparte efface treize ans de révolution. Il faut donc
morcellement des plantations, I'indolence, bref pour reprendre la lutte jusqu'à l'indépendance. Iæ dauphin
retrouver la prospérité, gage de l'indépendance, cette de Toussaint, Charles Belair, reprend le combat, qui
caporalisation excessive déclenche des révoltes que va broyer l'armée coloniale française. Dessalines sera
Toussaint fait réprimer durement. le dernier à rompre avec les Frânçais, après avoir
fait exécuter Belair. La fièvre jaune emporte les sol-
Pourtant, le vrai combat commence. Au pouvoir
dats, Leclerc en meurt en novembre 1802. Son succes-
depuis le coup d'Etat du 18 Brumaire (novembre
seur, Rochambeau, le héros de la guerre d'indépen-
1799), Bonaparte entend récupérer Saint-Domingue.
dance américaine, mène une guerre d'extermination
Les colonies sont indispensables à la naissance de la
des Noirs. Mais le blocus anglais, depuis juin, les
France napoléonienne, car, comme le remarque
bataille en rase campagne le contraignent à capituler.
Thiers, u Une considérable partie des nobles français,
privés de leurs biens en France par la Révolution, Il abandonne l'île le 20 novembre. C'est la fin de la
présence française à Saint-Domingue, dont l'indépen-
étaient en même temps des colons dépouillés. On ne
dance est proclamée le 28 novembre 1803.
voulait pas leur rendre leurs biens en France, mais on
pouvait leur rendre leurs sucreries. u Aussi l'île va Prenant à la lettre Ia Déclaration des Droits de
faire les frais d'une opération de politique française : l'Homme, ce dont s'est trop souvent dispensée la
la réconciliation des nobles et de la " révolution bona- France révolutionnaire, dépassant les révoltes limi-
partiste >. tées et égoistes des colons et des mulâtres, transfor-
Le 1"" février 1802, une flotte débarque le général mant une jacquerie d'esclaves en une révolution pour
Leclerc et vingt-trois mille hommes devant Le Cap l'indépendance, Toussaint est le premier à prouver
en flammes. La guerre recommence. que malgré la couleur de la peau u les hommes nais-
met- sent et demeurent libres et égaux en droits. "
" Si les Blancs d'Europe vienent en ennemis, 1962.C.F.L. et Présence africaine.
tez le feu aux villes or) vous ne pourrez leur résister
et jetez-vous dans la campagne. Songez qu'il ne faut J. SANDRIN
pas que la terre baignée de nos sueurs puisse fournir
à nos ennemis le moindre aliment. Jetez des cadavres B ibtio gr aphie : T o ussaint-Louv er t ur e, Aimé Césaire.

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TUTTES ET
LITTÉRATURE
POPULAIRES
(T848)
LE CHANT DESVIGNERONS

Bons villageois, votez pour la Montagne;


[à sont les dieux des pauvres vignerons,
Gar avec eux, bonnesgens des campagnes,
Seront rasés les impôts des boissons,
Refrain:
Bons, bons vignerons,
Aux prochaines élections,
ll faut campagnards,
Nommer des montagnards.
l{'écoute plus cette aristocratie,
Qui convertit tes sueurs en écus;
Ouand tu Youdras,usure et tyrannie,
Dans un seul iour tout aura disparu:
Refraln CHANSONDU PR,EMIER,
MAI
Pauvreouvrier, tu construls pour ton maitre Gélébrons, frères d'atellers,
De beaux châteaux,de somptueux palais; Le fête internatiomle,
Tu his aussl des prisons pour te mettre, Le premier mai des ouyrlers,
Gar tu le sais, les gros n'y vont iamais : L'aurore de la sociale.
Refrain
I
G'est encore toi, pauvre, qui fait la guerre ; Silence à I'enclume, aux marteaux.
Tu forges ainsi des fers au genre humain; On ne descend pas dans les mines,
A lbccasion c'est toi qui tue ton père, On ne va pas dans les usines,
Et blen souvent tu refoule la falm: G'est jour de fête et de repos.
Refrain Lbuvrier va reprendre haleine
Et se refaire un peu les bras;
Ouvre les yeux, peuple, I'on escamote Mais les machines nburont pas
Les plus beaux fruits de ta riche moisson; A broyer de la chair humalne.
Iu sème, hélas ! c'est l'oisif qui récolte, Refraln
A lui la fleur et pour toi le gros son:
Refrain I
Tous victimes des même lois,
Quand l'élection sera démocratique, Travailleurs qui peuplent la terre,
Tous les impôts des pauvres ouvriers Nous sommes frères de mlsère,
Seront payés, dans notre Bépublique, Tous réclamons les mêmes drolts.
Par les richards et par les gros banquiers: Debout. Debout pour la conquête
Refrain De nos trois-huit... En attendant
Le grand matin resplendissant
De notre émancipation complète.
Refrain
PAMPHLETDU 2 DECEMBRE
ilt
G'est le réveil des exploités,
Dans cett' famille Gontre la faim et le chômage,
On aim' Ie sang français, Le fratricide surmenage,
Et I'on fusille Et toutes ces Inlquités.
Pour en voir de plus près. Salut, c'est la levée en masse
M'sieur Bonaparte(bis) Des travailleurs du monde entier ;
Vous méritez bien votre nom, De l'avenir c'est le levier
M'sieur Bonaparte(bis) C'est le nouveau monde qui passe.
Vous êtes un vrai Napoléon. Refrain

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-COMMUilE DE PAIRIS l87J-

MANIFESTE DU COMITÉ
DES YTNGT ARRONDTSSEMENTS
-'^-Poris,
por lo révolution du 18 morc, por l'effort spontonéet courogeur de so Gorde notionole,
.. o reconquis son outonomie, c'est-à-dire le droit d'orgoniser so force publique, so police et son odminis-
trotion finoncière.
Pour ossurer le triomphe de l'idée révolutionnoire et comrnunole, dont nous poulsuivons le
pocifique occomplissement, il importe d'en déterminer les principes générour et d'en formuler le
progromme que nos mondotsires devront réoliser et défendre.
< Lo Commune est lo bose de tout Etot politique, comme ls fomille est l'embryondes sociétés.>
C'est celte idée communole, poursuivie dès le Xll" siècle, offirmée por lo morole, le drcit et lo
science,qui vient de triompher le 18 mors 1871.
Elle implique, comme forme politique, lo République, seule compotible ovec ls liberté et lo
souveroineté populoire ;
Lo liberté lo plus complète de porler, d'écûrc, de se réunir, de s'ossocier;
Le respect de l'individu et l'inviolobilité de so pensée;
Lo souveroineté du suffroge univercel, restont toujours moître de lui-même et pouvont se
convoquer et se monifester incessomment;
Le principe de l'élection oppliqué ù tous lesfonctionnoires et les mogistlob i
Lo responsobilitédes mondotoires et pol conséquent leur Évocobilité permonenteI
Le mondot imperotif, c'est-à-dire précisont et limitont le pouvoir et lo mission du mondotoire.
En ce qui concerne Poris ce mcndot peut être oinsi déterminé :
- Autonomie de lo Gonde notionole formée de tous les électeurs, nornmont ses chefs et son
étot-mojor génétol, conservont l'orgonisotion civile et fédérotive, représentéepor le Comité centrol et
à loquelle la révolutiondu 18 mars doit son triomphe;
- $uppls3sionde lo Préfecturede police; surveillonce de ls Cité erercée por lo Gorde notionole
plocée sous les ordres immédiots de lo Commune;
- Suppressionquont à Poris de l'ormée permonente oussi dongereusepour lo liberté civique
qu'onéreusepour l'économie sociole;
- Suppressionde toutes les subventionsfsvorisont les cultes, les théôtres ou lo presse;
- pTqpqgqfien de l'enseignement loïque, intégrol, professionnel, conciliont lo liberté de
conscience,les intérêts, les droits de l'enfont ovec les droits et lo liberté du père de fomille;
- Orgonisation d'un systèmed'ossuroncecommunole contre tous les risquessociour, y compris
le chômogeet lo foillite;
- f,s6hslshe incessonteet ossidue des moyens lq plus proples à fournir ou producteur le
copitol, I'instrument de trovoil, Ies débouchéset le crédit, qfin d'en finir pour touiours ovec le soloriol
et l'horrible poupédsme, ofin d'éviter à jomois le retour des revendicotionssonglontes et des guerres
civiles, qui en sont les conséquencesfotoles.

Pormi les signotoires : J. VALLES - LEFRANçAIS - VESINIER- E. POTTIER- AR,,NOULD-


JOURDE-E.VAILLANT-VARLIN-R.RIGAULT-FélirPYAT-EUDÉS-FRANKEL-P.GROUSSET-
J.-8. CLEMENT- RANVIER,etc.

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