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DU CINÉMA
SOMMAIRE
C laude Beylie ................ R en o ir le con stru cteu r ...................................... 1
Tout créateur cherche, plus ou moins consciemment, à atteindre l'absolu de son art —
Matisse disait l'ut de la couleur. Chaque œ uvre nouvelle correspond dans l'évolution de sa
pensée à un maximum, à un continuel dépassement : synthèse de ses propres recherches anté
rieures' mais aussi assimilation patiente de techniques étrangères, de styles limitrophes dans
la visée — illusoire peut-être mais combien stimulante — de ce que certains ont proposé
d'appeler < î'art total », Effort que l'on pourrait dire encyclopédique s'il n'allait de pair avec
un refus de l'académisme, dans un sens résolument constructif et qui ne se déleste des arbo
rescences annexes que pour mieux s'élever, droit et plein de sève, vers le ciel serein de la
transcendance esthétique. Ce faisant, l'artiste obéit à une crueile exigence intérieure dont,
faute de se renier, il ne devra jamais se départir. Seuls les plus grands parviennent au
sommet sans s'être plus ou moins avoués vaincus. Molière sur la brèche jusqu'au dernier
souffle, Brahms promenant, sans cesse une incurable e{ vaillante nostalgie, Cézanne à la
recherche d'une « sérénité bleue > {encore plus ou moins crispée) <yù formes et couleurs enfin
réconciliées s'harmoniseraient parfaitement, Artaud qui toute sa vie chercha à « avoir un
corps propre » sont de ceux qui ne faillirent pas. A un homme qui dans la pleine maturité de
son art n 'a certes p as fini de nous étonner, et dont nous attendrons encore longtemps le
chant du cygne, à l'un des plus grands créateurs de ce temps, qui a choisi pour s'exprimer
l'art le plus difficile de tous, j'ose adresser le même hommage : à Jean Renoir cinéaste-
romancier, cinéaste-dramaturge, cinéaste-peintre, cinéaste intégral et, aujourd'hui comme hier,
cinéaste du Benouveau. Son œ uvre de ces dernières années contient à cet égard une mine
d'enseignements, quç je ne prétends pas épuiser ici, mais seulement explorer d'un peu plus
piofond qu'on ne l'a fait, dans cette orientation originale d'une synthèse des arts, vieux
rêve que l'on pouvait croire irréalisable et que le Cinéma aura rendu possible.
Mais p ar où accéder à Renoir ? Comme tout grand auteur il se dérobe à l'analyse. Ses
couvres forment un * plein » indissociable. Toute exégèse est vouée ici à l'échec, car elle
laissera échapper l'essentiel : la présence fugitive, et cependant aveuglante, du génie. Com
ment expliquer à ceux qui ne le ressentent p as ce vertige à la fois charnel et spirituel qui
nous saisit à l'audition du * Don Juan * de Mozart, à la lecture de « Sartoris », à la contem
plation de « La Maison du pendu » ou du * Champ de blé aux corbeaux » et qui est de la
même inexplicable nature que celui que l'on éprouve à la cinquième ou sixième vision du
Carrosse cf'or ? Voici pourtant un fil conducteur possible ; le thème de la femme, la quête de
l'amour à travers mille visages et mille formes nouvelles. Nana, Marquitta, Karen, Christine,
Geneviève, Célestine, Valérie, Harriet, Mélanie, Camilla, Orvet, Nini, Elena... que d'orchidées
sauvages, d'aubépines, d'oiseaux des tropiques, de serpents ef de sirènes ! Eenoir est-il, comme .
son père, un sensuel ? Il est aussi, croyons-nous, et peut-être davantage, un intellectuel, comme
Manet. Il manie volontiers la satire, avec une virulence qui s'accommode mal d'un christianisme
naïf d'essence vaguement panthéiste, ou d'un socialisme bon enfant — oripeaux vulgaires dont
certains ont voulu l'affubler. Le bon Renoir, comme le tendre Racine, peut être d'une cruauté
souveraine. (Il sait être lubrique et truculent quand il faut : voyez Le Journal d'une iemme de
chambre). Dirons-nous qu'il est passé de l'ironie révolutionnaire des armées 39 à la fréné
sie charnelle du * French-Cancan », les squelettes de La Règle du jeu envahissant la foule
des invités se transformant en un tourbillon bariolé de danseuses bien en chair ? C'est laisser
de côié tout un aspect critique (ou si l’on préfère, amoureusement critique) de French-Cancan,
qui esquisse, à travers le personnage de Danglard (comme du Georges d' * Orvet s), toute
une psychologie de la création. French-Cancan sous ce rapport n 'a rien à envier à Lîmelight (1).
(1) L'un et l'a utre ont du reste en commun un aspect testamentaire qui ne fait pas leur
moindre charme. Calvero se « réincarne » en une danseuse comme Danglard en Lola ou Nini.
Derrière ces visages apparaissent en filigrane ceux de Chaplin et Renoir. Comme tous les grands
créateurs œ uvrant sur du vivant, ils sont mufles et un peu maquereaux dans la mesure où lis
abandonnent lâchement leur conquête d’un jour après l’avoir portée au pinacle, mais princes aussi
dans leur comportement d'a rtistes jamais satisfaits p ar leur œuvre passée et sans cesse requis par
des aspirations nouvelles.
Ici comme ailleurs l'éthique et l'esthétique s ’entrelacent, se répondent, se combattent jusqu'à
se confondre, réalisant cette adm irable fusion du contenu — psychologique, social, moral —
et de la forme que rarement l'on trouve chez d'autres auteurs (Bunuel, Ophuls, Rossellini,
Fritz Long...)
(2) Répétant en cela la grande histoire du cinéma, qui passe par le 4 îilm d’Art », 5e cinc-
romah, l’impressionnisme et autres avatars.
2
directe, adapté à s a propre fin, purement classique et poétique. Cette œuvre sublime marque,
nul ne le conteste plus, l'aboutissement de la technique cinématographique d'avant guerre.
Film-synthèse p ar excellence, qui résume le passé mais aussi se trouve de plusieurs années en
avance sur son temps, ne serait-ce que p a r l'utilisation révolutionnaire qu'il préconise des plans
longs et du champ en profondeur, au détriment du morcellement habituel des champs-contre-
chainps. Mais surtout La Règle du jeu n'est rattachable à aucune forme d'art traditionnelle : ce
n'est que spirituellement qu'on peut la rapprocher de Beaumarchais, de Mozart, de la Comedia
dell'arte, des impressionnistes. Ce n'est p as une figure plane comme tant de films de la même
époque, mais un volume. Aussi les contemporains, désemparés, en méconnurent-ils la prodigieuse
nouveauté, quand ils n e crièrent pas a u scandale.
Et c'es{ la période américaine, fertile non point en chefs-d'œuvre mais en expériences,
ou au sens de Montaigne, en * essais ». Renoir à ce moment-la est capable de faire rigou
reusement n'importe quoi, et il le fait. Pourquoi telle scène du /ournai d'une femme de chambre
ou de La femme sur icr plage est-elle si rem arquable ? C’est qu'elle brille d'une évidence abso
lue, métafilmique si j'ose dire, comme n'importe quelle idée claire et distincte cartésienne après
le doute méthodique. Il n'est plus possible de la filmer autrement. Elle est pensée en termes
de cinéma, comme un motif de Michel-Ange l'est en termes de sculpture ou une phrase de
Mallarmé en termes de poésie. Pour ceux-ci nous n'en sommes guère surpris, la littérature et
l'art plastique s'appuyant sur des traditions millénaires. Mais alors que tant de réalisateurs
de films en sont encore pour leur part à l'âge de la pierre taillée, que l'un d'entre eux tout à
coup s'exprime avec la rigueur et le naturel d'un artiste de la Renaissance, et nous voilà dérou
tés, voire exaspérés.
En effet Renoir -— et Renoir seul — peut à présent se permettre de regarder en face
les autres créateurs, de les battre sur leur propre terrain. Il n'a plus vis-à-vis du romancier,
du peintre ou de l'auteur dramatique ce complexe d'infériorité qui paralyse tous nos adapta
teurs patentés. La frontière qui sépare le septième art des six autres est allègrement franchie.
Renoir est même capable de se consacrer exclusivement, pour un temps, au théâtre, et le
résultat, en dépit de tous les malentendus, de toutes les cabales, dépasse les espérances :
« Orvet » n'est pas, comme Vont cru quelques neufs, un pastiche de Giraudoux ou de Piran
dello, mais nous renvoie directement à Shakespeare, au Shakespeare du « Songe d’une nuif
d'éfé ». Et voici où je voulais en venir : au terme de cette évolution, nous devons considérer
les oeuvres actuelles de Renoir, Le Fleuve, Le Carrosse d’or, French-Cancan et Elena, non plus
seulement comme des romans, pièces ou tableaux * filmés j, mais comme des multiplications
réellement vertigineuses de tous ces langages p a r le cinéma. Ou pour mieux dire (en prenant
à son sens le plus haut un terme trop galvaudé) : des opéras.
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Ce que nous admirons le plus dans un grand roman, dans toute œuvre littéraire digne de
ce nom, c'est le pur événement, l'aspect à la fois contingent et nécessaire de tout le maté
riel narratif et l'implication pour ainsi dire fatale — en même temps que fortuite — des person
nages dans l'intrigue, l'assomption sereine de leur destinée. Voyez Stendhal, Dostoîevsky,
Faulkner. Renoir dans Le Fleuve a réussi la même gageure, en transcendant la matière
première assez épaisse que lui fournissait Rumer Godden. Le Fleuve est ainsi comparable
terme à terme (bien que de nature radicalement distincte) à < La Chartreuse », aux « Karama-
zoff », à * Lumière d'août ». Il Y circule ce mystérieux frémissement de la vie même, une
sorte de continuité biologique transparaissant jusque dans la chair des acteurs, et cette sensi
bilité spécifique à l'écoulement du temps qui a un caractère essentiellement romanesque, tout
c*îa repensé en termes dé cinéma. Je n'évoquerai que pour mémoire la séquence de la
siwt», quand * l'Eté plus vaste que ïEmpire suspend aux tables de l'espace plusieurs étages
de climats » (3), celle, si librement intercalée — de ces libertés que seul un grand romancier
peut se permettre — de la parabole de Radha et Krishna, où le jeu théâtral et la danse vien
nent rehausser l'élément romanesque, ou celle encore, que nul autre n'eût osé faire, du baiser
d» Valérie, dont La Partie de campagne nous donnait une ébauche, comme la nouvelle peut
être l'ébauche d 'u n . roman. Le Fleuve, à la fois roman pur et spectacle total, est le premier
pas vers cet < art intégral » auquel Renoir, consciemment ou non, nous conduit.
Quelle différence établir d'autre part entre cinéma et théâtre ? Elle tient, ainsi qu'on le
sait, à une dimension, une seule, il est vrai décisive. Le théâtre, organiquement parlant, ne
comporte que trois côtés, le quatrième étant remplacé par < ces centaines de visages blancs
qui tapissent les murs comme des mouches jusqu'au plafond » (4). C'est un parallélépipède
3
ouvert. Lieu naturellement clos, le cinéma au contraire rétablit ce quatrième côté et découvre
la vie p ar en dessus, tel le diable Asmodée soulevant le Soit des maisons, ou plus indiscret
encore, p ar le trou des serrures. Pourtant dans t e Carrosse, il n'y a p as de quatrième mur.
Il n'y en a pas, et il ne saurait y en avoir, dans la mesure où les personnages vivent tous « en
représentation » et sous-entendent, aux mbindres de leurs gestes, de leurs paroles,’ un public
imaginaire. C'est un handicap que leur impose Renoir afin de nous faire pénétrer de plaïn-pied
dans le monde du théâtre. Il pousse même la rouerie jusqu'à nous offrir, de son héroïne qui à
la corrida, d'actrice devient spectatrice, le spectacle de son visage. Il est clair que Le Carrosse
est du théâtre au second degré. C'est du spectacle d'abord, puis du spectacle dans le spec
tacle, et ainsi de suite à l'infini. (De « Hamlet » à Lola Montés le drame a toujours aim é se
prendre lui-même à son propre piège,) En vérité Renoir nous met sous les yeux un kaléidoscope
de théâtres, il fait éclater les cadres rigides de la scène et les disperse en tous sens, avec une
aisance que seule lui permet l'exploitation rationnelle de toutes les ressources de la syntaxe
cinématographique. Imaginez u ne scène vingt fois grande comme celle de Chaillot, avec des
loggias dans chaque encoignure, des escaliers dérobés, des balcons à tous les étages, des
changements à vue sans l'artifice d'aucune machinerie, par simple vertu d'omniprésence, et
vous aurez Le Carrosse cTor. L'écran, ou la scène comme vous voulez, devient sem blable
à un polyèdre à mille faces, que vous pouvez éclairer séparément ou ensemble, au choix. Et
nul besoin d'images composites à la façon des Deux fimides, non plus que d' « introductions »
laborieuses comme dans Henri V ou Occupe-toi d'Amélie, ni de mascarades pseudo-historiques
du genre des Entants du Paradis, tous procédés délibérément primaires (la Poly.vision elle-
même fait figure en regard de jouet d'enfant, et Les Parents terribles d'expérience de lab o ra
toire) : le style le plus simple, le plus familier, le plus classique en un mot. A qui dénierait
encore à Renoir l'épithète de génial cette œuvre magistrale ôterait les derniers doutes.
Mens le progrès décisif accompli p ar Henoir réside, ce me semble, dans le traitement
de la couleur. Comment concevait-on avant lui le cinéma en couleur ? Il y avait d'une perrt le
mythe de la couleur * naturelle » qui triompha avant guerre et ne contribua pas peu à donner
à certaines bandes (westerns entre autres) l'aspect d'imageries d'Epinal, fort séduisant au
demeurant et d'un pittoresque folklorique garanti mais esthétiquement discutable. Ce bariolage
icàscàt penser davantage aux séries dessinées des comic-books qu'à un univers pictural authen
tique. Plus tard l'on trouve un certain nombre de films, relativement plus ambitieux, que
nous pouvons appeler « monochromes », en ceci qu'ils tentent de cristalliser su r une
seule dominante la couleur des paysages ou le « ton s même de. l'ouvrage : c'est ainsi que
l'anglais W estern Approaches apparent comme un film * bleu », Duel au Soleil comme un
film « rouge », L'Homme tranquille comme un film < vert » (sur lequel joue comme un feu
follet la tache rose d e la robe de Mary Kate Danaher), etc. C'était en somme retourner à la
pellicule teintée des premiers âges. Vinrent ensuite ceux qui se dirent : nous allons nous prendre
pour Hubens, Degas ou Vermeer et rechercher des équivalences raffinées : Henry V sera ainsi
colorié dans un style proche de celui des miniaturistes de la Renaissance, Moulin .Rouge
« enchaînera » adroitement sur des toiles de Lautrec (les raccords étant exécutés tant
oien que mal p ar le peintre Vertès), Roméo e( /uiietfe jouera à cache-cache avec les maîtres
hollandais, Till i'espiègle sera « digne de Breughel », etc. Ce maquillage conscient et organisé
n'atteignant que l'apparence la plus extérieure de l'œuvre, jamais s a substance profonde,
pourrait à la rigueur convenir à des arts statiques tels que la photographie ou lct décoration,
mais il se révèle incompatible avec le dynamisme du cinéma. (Feyder avec Lcr Kermesse héroïque
et Dreyer avec Jour de Colère s'étaient heurtés, déjà dans le noir et blanc, aux mêmes diffi
cultés.) Tout au plus pouvait-on dans cet esprit réaliser des < digests » à la manière d'Un Amé
ricain à Paris (5). Bref, entre les deux pôles du barbouillage à l'américaine et du < film
d'art t à l'européenne, le cinéma en couleurs semblait promis à ' la décadence. Et l'on était
tenté de conclure, avec les filmologues étudiant la projection cinématographique sous son
angle physiologique (de stimuli lumineux blancs et noirs) que * l'univers filmique ' est néces
sairement achromatique » (6).
Enfin Renoir vint. Pour commencer il se refusa à tout artifice chimique ou optique, il pros
crivit l'odieuse « picturalisation » (7) et se contenta d'ouvrir les yeux, de regarder. Il revint 'en
quelque sorte au réalisme, mais à un réalisme tellement décanté, tellement sublimé q u 'à nos
(5) Je laisse de côté le cinéma d'anim ation, bien que son exemple ici soit instructif. J’omets
également de faire un sort particulier â certains essais en couleurs d ’fntérêt exceptionnel, m a i s qui
laissent le problème entier, tels que La Moisson, Senso ou la plupart des films ja p o n a is (La P orte
de l'Knfer, Le UOmon doré, etc.).
(6) E. Souriau, « Les grands caractères de l'Unlvers filmique ».
(7) « J’ai failli, dit Claude Renoir, ne pas m ’apercevoir que je faisais un film en couleurs. »
4
La Carrosse d ’o r.
yeux habitués aux décalcomanies son travail apparut comme un diamant étincelant débarrassé
de. sa gangue. Souvenez-vous, dans Le Fieuve, de la symphonie presque abstraite des cerfs-
volants dansant dans le ciel, ou lors de la fête du printemps, des grains de terre rouge vif
que les indigènes répandeni joyeusement en confettis fusant des quatre coins de l'écran comme
des météores. Cette fois les éminents filmologues demeurèrent cois : pour la première fois,
très consciemment, un cinéaste réalisait — pour employer leur jargon — un phénomène de
* stimulation rythmique intermittente colorée ». Dans Le Carrosse, les chromatismes bleu de
'nuit des jardins, la variété infinie des rouges sur les vêtements (incarnat de la résille du
torero, grenats foncés de Camilla, vermillon du pourpoint de Felipe, cyclamen des bas d'Isa
belle), le vert profond du masque de Colombine (de sinople à la bordure de sable), les arle
quins multicolores, symboles du théâtre, toutes les couleurs sont traitées dans le même esprit,
et si elles ont plutôt valeur décorative, c'est qu'il s'agit moins ici de sauvegarder le réalisme
de la nature que le réalisme de l'art. Que si l'on exige à tout prix des équivalences picturales,
celles-ci sont données p ar surcroît : comment ne pas songer p a r exemple, lorsqu'apparaît
Camilla chez elle, attendant le vice-roi, au * charme inattendu d'un bijou rose et noir » de la
Lola de Valence de Manet ?■ De même, les cours chatoyantes de la farandole nocturne d'EIena
ne sont pas sans évoquer les kermesses flamandes de Rubens et de Franz Hais — sans que
jamais pourtant l'on puisse parler de calquage servile. Car ce qu'il importe de bien souligner,
c'est que nous sommes la aux antipodes de la peinture animée, que nous assistons d'abord à
un élargissement naturel (dans l'espace et dans le temps) de l'univers pictural —■ comme nous
l'avons noté plus haut pour la littérature et le théâtre. French-Cancan est, si possible, plus
poussé encore dans ce sens. C'est la réintégration de la plastique dans la vie. On a parlé
pertinemment ds la tache jaune « à éclipse » du chiffon secoué à la fenêtre de sa mansarde
par Anna Amendola. je voudrais signaler que ce même jaune (à nuance crème ou safran, assez
différent par conséquent des jaunes d'or du bouquet final) reparaît à deux autres moments
bien déterminés du film, avec la même irradiante soudaineté : c'est la couleur du gant de
la Belle Abbesse, retrouvé par Prunelle sur un talus près de * La Reine Blanche » et restiiué
5
p ar Danglard à sa propriétaire qui attend dans le îiacre. Et c'est aussi, au début du film, la tona
lité de la porte cochère devant laquelle s'arrête Danglard landis qu'il voit Nini gam bader sur
la Butte, Ou je me trompe, ou ces trois jaunes, conçus non seulement en fonction de leur
éclat momentané dans la séquence, ont en outre une signification symbolique très parti
culière : ils sont la Couleur poite-bonheur des trois femmes, celles-là mêmes dont Danglard
fera ou a déjà fait des vedettes (le moins pur des trois appartient à la vedette sur le déclin).
C'est « l'étoile qui passe », le sillage de la comète qui traverse l'écran et dont nous conserve
rons longtemps dans les yeux la trajectoire. Quant ceux zouges, à nouveau, p as un plan du
film, je crois qui n'en comporte un (8) : notons simplement que ce ne sont p as ici de grands
ensembles, mais plutôt des motifs décoratifs isolés (tels que rubis de cravate, fleurs à la bouton
nière, rosettes de légion d'honneur, liserés de chandail, rubans, drapeaux, etc.) s'intercalant ça
et là dans l'image au milieu de larges masses pastel et faisant chanter la scène comme les
coquelicots du Chemin à travers champs de Renoir (le père) ou les « fioritures » accompagnant
la cadence d'un concerto. Tout cela vibre, virevolte, tourbillonne, en. un fascinant concert visuel
où, selon le vœu de Baudelaire,
« les parfums, les couleurs et les sons se répondent »,
»
donnant naissance à de purs morceaux d'opéra
« qui chantent les transports de l'esprit et des sens ».
11 faudrait analyser enfin la manière profondément nouvelle dont Renoir introduit la musi
que dans ses films, et comment 51 conçoit son utilisation en contrepoint (assez différemment d'un
Eisenstein qui ne croit qu'au synchronisme entre la musique et l'image quand Renoir recherche
volontiers la discordance). Il- s'est expliqué lui-même là-dessus. Rappelons l'orchestration origi
nale sur des thèmes indiens dans Le Fleuve, que vient rompre à une ou deux reprises un rappel
émouvant d'airs occidentaux (1' < Invitation à la valse * chère aux jeunes filles) ; les concerti
de Vivaldi pour Le Carrosse (« La Notte », « Le Chardonneret •», * Les Saisons »), etc., chacun
survenant avec assez d'à-propos et pourtant de manière assez fulgurante pour ne pas donner
l'impression de « concert classique d'accompagnement ») ; les refrains populaires de French-
Cancan — et je n© pense pas nécessairement à la trop fameuse « Complainte de la Butte » mais
plutôt aux savoureux intermèdes chantés de Casimir, le « choeur antique » de Danglard. L'on
préférera sans doute Elena ef les hommes, expressément intitulée fantaisie * musicale » (et non
« dramatique », comme tous les films postérieurs à La Règle du jeu), p ar où Renoir clôt en
beauté son cycle de la synthèse des arts. Car c'est bien sous le signe de la musique — la
grande — que se place sa dernière œuvre, film-somme s'il en fut, dont il serait facile de montrer
qu'il constitue en même temps l'apothéose des recherches entreprises dans les précédents. Le
rôle du chœur (la foule, les bohémiens), le contrepoint sonore, d'une richesse d'invention
constante (Eiena est une sorte de concerto pour cor, piano et orchestre), pcrr-dessus tout le rythme
essentiellement musical des séquences (avec l'adm irable < maestoso » final, succédant aux
« allegro prestissimo » des scènes de chasse ou d'émeute villageoise), tout ici me semble placé
sous l'égide d'Euterpe. Ne parlons pas de ballet, ce qui risquerait d'entretenir la confusion avec
un certain René Clair, lequel ne peut en cette affaire être évoqué que de loin. O péra décidé
ment me satisfait davantage.
Euterpe dis-je, mais aussi (et dès lors nous abandonnons l'esthétique) Dionysos. C'est en
effet à partir de cette œuvre-apothéose, sans doute la plus parfaite, la plus définitive de son
auteur (ceux qui aujourd'hui la sous-estiment font la même erreur qu'avant guerre les specta
teurs grincheux de La Règle du jeu), que je voudrais' à présent tenter de définir l'éthique de
Renoir, Il est aisé de voir — l'auteur prend soin de nous l'indiquer lui-même dans une préface
court métrage jointe à son filni —- que cet opéra (pas si bouffe qu'il n'en a l'air) est d'abord
un hymne à la chair, un© manière de bacchanale aristophanesque où, lorsque tout est aboli
de ce qui s'oppose à la libération totale de la créature, les vertus capitales, qui sont, selon
Renoir : la paresse, la gourmandise et l'amour, peuvent enfin s'épanouir dans un délire de tous
les sens, et régner en maîtresses. V épicurisme le plus délirant serait-il donc le dernier mot d'une
pensée aux mille détours, que nous avons crue, un moment, orientée vers des voies de plus
haute exigence ? Mais ne nous y trompons p as : il ne suffit pas, nous dit Renoir, pour avoir
(S) II* faudrait comparer la conception très personnelle que Renoir a de cette couleur avec
celles d’un King Vidor (L'Homme qui n ’a pas d ’étoile) ou d’un Nicholas Ray (Johny Guitare,
L'ardente gitane). Pour les uns et les autres en tout cas le rouge reste la « couleur forte »
p a r excellence.
6
F re nch-Cancan
(9) « De là vient que le jeu et 1a conversation des femmes, la guerre, les grands emplois soient
si recherchés » (Pascal, « Pensées », Fr. 139).
7
contre la désagrégation du couplç. A ce stade le chrétien et le païen se rejoignent Tous deux
sont à l’extrême pointe d'un certain progrès moral et humain, et voilà qui, nous qui les avons
mis au premier rang de notre admiration, ne laisse pas de nous combler.
Evoque rai-je enfin la mémoire maudit© de certain marquis (que d'aucuns prétendent divin
et qui n'était même pas, peut-être, plus marquis que ce général, cette princesse, ce comte de
comédie), qui dans « La Philosophie dans le boudoir » s'écriait : c Français, encore un ef/arf
si vous voulez être républicains I » et en appelait, par le truchement du paradoxe et de
l'humour noir, à la même totale libération ? le ne. crois pas qu'il faille s'offusquer du rappro
chement ; et du reste la sarabande finale d'EJena, véritable embarquement pour Cythère, n'est-
elle pas avant tout imprégnée de cet érotisme débridé, rustique, arcadien, sans péché parce
que sans nulle honte, dont le XVIII0 siècle, à travers Sade, nous donnait l'exemple ? Tout ce
que signe Renoir est amour.
Faut-il conclure ?
Pour Renoir le cinéma n'est pas un métier mais une fonction : il fait des films parce qu'il
a besoin d'en faire, et parce qu'il prend plaisir à les faire. Ses interprètes le sentent, et chaque
personnage qu'ils incarnent représente peur eux un idéal de bien-être, de vie am ple et
sereine où ils donnent le maximum d'eux-mêmes. Renoir est véritablement un créateur, au sens
le plus élevé du terme. Chacune de ses œ uvres est un monde, un microcosme où s'agile une
humanité grouillante, à la fois légère et pesante, épaisse et gracieuse, fragile et forte, rigou
reusement déterminée et totalement libre. C'est l'irradiation spontanée de la source vitale saisie
dans son plus secret surgissement. Regarder vivre les personnages de Renoir, c'est adopter un
point de vue meilleur sur l'homme, c'est vivre mieux et davantage soi-même, c'est accéder tout
doucement à une sorte de sérénité. Aimer Renoir, c'est un peu la même chose qu'aimer le mou
vement des astres, le chant des oiseaux ou le battement ‘ du cceur sous le sein d'une femme.
Aimer Renoiï d'est aimer tout ce qui dans la nature a un sens et concourt au grand miroitement,
à l'immense et multiple symphonie du Tout. Aimer Renoir c'est aimer la Vie, avec ses défail
lances et ses exaltations, ses joies et ses amertumes, ses mystères et ses métarrtorphoses.
Car Renoir signifie renaître.
Claude BEYLIE.
8
LA SCIENCE FICTION
A L’ÈRE DES SPOUTNIKS
REALITE ET F I C T IO N
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depuis belle lurette que l’irruption du fantastique en pleine réalité b an ale constituait l’inso
lite le plus satisfaisant. Mais une autre constatation, plus tro u b la n te celle-là, s’impose : une
curieuse ressem blance unit les ce extra-terrestres » de la «: réalité » et du « ciném a » ; le
V'énusien d ’A dam ski est la réplique de l’hom m e de l’espace du Jour où la T erre s’arrêta
(1952); les M artiens de Loctudy rappellent ceux de La G uerre des M ondes (1954), etc.
Les élém ents d ’appréciation scientifique m a n q u a n t d a n s les archives des C ahiers, je
ne puis vous proposer d ’explication satisfaisante. Le pourrais-je d’ailleurs que j’hésiterais
à tran sfo rm er la revue en u n lieu de discussion des problèm es com pliqués d e l’astro-physi-
que ! Q uoiqu’il en soit une véritable <c psychose » de la soucoupe volante s’est développée
depuis 1947, elle-même contrebalancée tout d ern ièrem en t p a r la plu s fantastique des réali
tés : les spoutniks.
La révolution que les sateïfites artificiels décrivent a u to u r de n o tre globe a dégelé
les d istributeurs : les films qui dorm aient d an s le u rs boîtes sortent, parfois à la sauvette,
parfois au milieu d ’une publicité déconcertante. E t nous a p p ren o n s que le J a p o n et l’U.R.
S.S., c o m m e les Etats-U nis se m o n tren t friands du genre.
C ependant un exam en m êm e rapide des films vus ces d ern ières années ab o u tit,
po u r l’a m a te u r com m e pour le profane, à un bilan assez décevant. L es œ u v res intéres
san tes se com ptent su r les doigts d ’une seule m ain : L e J o u r où la T erre s'arrêta (T h e
Day the E arth stood still de R o b ert W ise, 1952), Des M onstres a ttaq uen t la ville CT h em
de G ordon Douglas, 1954), L es S u rviva n ts de l'infini {This Island E a rth de Joseph N ew m an,
1955), P lanète interdite (Forbidden Planet de F red McLeod W ilcox, 1956).
Bien construits, assez bien réalisés, ces films suscitent chez le spectateur l’a tten te ou
l’angoisse. Mais leur principal intérêt réside ailleurs : il est, com m e l’écrivait A ndré Bazin»
d ’ordre intellectuel et moral. De telles œuvres portent, parfois consciem m ent, souvent
m algré leurs auteurs, un jugem ent sur l’avenir de toute l'hum anité, san s pour a u ta n t don
n e r dans l’exposé scientifique ou le plaidoyer politique. E t p a r un curieux re to u rn em en t
d es choses nous voyons ces films fantastiques, dits « d ’évasion », agiter quelques-uns des
problèm es les plus troublants de notre époque, alors que les « g ra n d s » films utilisent d e
plus en plus un langage qui sent la « fiction », c’est-à-dire l’irréalité.
L a cause de ce paradoxe m e paraît facile à déceler. L’a v en ir de l’hom m e se tro u v e
plus que jam ais lié à la Science et à la technique, to u tes deux e n plein progrès. P o u r le
m eilleur ou le pire la mise en service de l’énergie nucléaire in a u g u re un énorm e bond
en avant. La cybernétique ouvre des horizons insoupçonnables p o u r toutes les sciences, y
com pris la biologie et la psychologie hum aines, Ces im m enses progrès posent des problè
m es qu’on ne peut ignorer. Il s’agit de conjectures qui ne se p rêten t guère a u tra ite m e n t de
la littératu re rom anesque habituelle. C ’est justem ent ce qui explique l’éclosion et le dévelop
pem ent prodigieux de la science-fiction m oderne. Mais si celle-ci diffère à bien des ég ard s
de to u t ce que la littérature d ’anticipation avait produit à ce jour, le ciném a de S.-F., lui,
reste hybride, à mi-chem in entre le vieux film d’épouvante et la nouvelle littérature.
Animal, végétal ou
m inéral ? se d em an
d en t les officiers e t
savants de l’arm ée
am éricaine devant
la « caro tte » gla-
.cée venue de l’es
pace (La Chose
d ’un autre m onde).
Sym bolism e infanti
le : lu tte de l’esprit
et de la m atière. Ici
les m onstres sont
de pierre ; m ais le
courage de l’arm ée
am éricaine e t des
savants qui s’inspi
re n t de la Bible
sauvera l’âm e des
pauvres pécheurs de
l’em prise de la m a
tière... {La C ité pé
trifiée).
AT TE N T IO N A U « C OD E »
C e d ern ier scénario contient le défaut qui gangrène les a u tre s films du genre, je
veux p a rle r du recours à l’arsenal des vieux m ythes (ici, le m ythe prom éthéen). Les scéna
ristes des histoires se p assan t dans l’avenir bro d en t plus facilem ent su r les transform a-
n
C om m ent les cinéastes font revivre les m on stre s préhistoriques (Le M onde des a n im a u x ).
tions techniques que sur révolution psychologique et sociale, ou sur les ch angem ents de
la n atu re hum aine. Ce défaut se retrouve d’ailleurs d a n s la littérature d’anticipation.
Mais il est beaucoup plus accentué au cinéma. D ans ces conditions, la psychologie des
personnages projetés d an s un c ad re absolum ent nouveau «paraît forcément d’une p a u v re té
déconcertante. Aussi b ie n faut-il applaudir à l’introduction du personnage d’un ro b o t
doué de sens m oral et d ’une certaine conscience ! Robby d o m inait p a r sa présence to u s
les antres acteurs ! Les m ê m es raisons expliquent l’intervention d’idées m orales et religieu
ses simplistes qui, au m ilieu de cet im m ense progrès technique, paraissent encore p lu s
ridicules. Tous les films d ’épouvante hollywoodiens se term in aien t généralem ent p a r u n e
tirad e de ce goût : k II est des dom a ines interdits à l’hom m e. L eur exploration ne p e u t
apporter que des m a lheurs », traduction m oderne du « Ne consomme/, p as le' fru it de
l’a rb re de la connaissance ». H en va de m êm e de la p lupart des films de science-fiction
am éricains et m a in te n a n t japonais. Le C hristianism e som m aire de George P al et B yron
H askin dans Le C hoc des M ondes, la G uerre des M ondes ou C onquête de l’espace d épasse
l’im aginable. C ertes, la nouvelle littératu re d’anticipation connaît d’excellents a u te u rs
catholiques ou mystiques, m a is cela n ’a rien à voir avec le a biblisme » n a v ra n t de b e a u
coup de bandes du genre. Un exemple vous fera com prendre de quoi je veux parler. E n
1952, H arry H orner m it en scène R e d P lanet Mars, d ’après u n e pièce de .1. H oare e t J . Bal-
derston. D eux groupes de savants (russes, utilisant d’anciens nazis, et am éricains) c h e r
chent à établir u n c o n tact avec la planète Mars. Mais l’ém ission m artienne captée n ’est
rien d’au tre que le serm on sur la montagne. L es M artiens sont de très b o n s ch rétien s.
C ette révélation pousse les peuples à se d éb arrasse r des m é ch an ts « m atérialistes » et à
vivre dans une paix éternelle !
Mais m algré ses limites actuelles le ciném a de science-fiction, dans la m esure où il agite
les obsessions fondam entales de l’hom m e, contient une certaine dose de poésie. B ien
plus, il brise — tim idem ent encore —- certaines lim itations concernant la rep résen tatio n
de l ’am our, de la haine et des ra p p o rts des hom m es en tre eux.
12
I M P O R T A N C E DE L A M IS E EN S C E N E
Ceci m ’am ène à p arler d’un au tre aspect de ce genre. Bazin, insistant sur l’im por
tance du scénario clans ces films, reléguait au second plan la mise en scène. J e ne suis
pas tout à fait d ’accord avec lui. J e crois au c on traire que la réalisation pose ici un pro
blème très difficile et qui n ’a pas tcmjour-s trouvé de solution. Le public ignore en général,
les 'théories scientifiques, et le m e tte u r e n scène, souvent, ne les ignore pas m oins. D an s
T hem , p ar exemple, un exposé sur le m ode de reproduction des fourmis était nécessaire
à la com préhension de l’histoire. G ordon D ouglas im agina d’inclure dans son film la pro
jection d ’un docum entaire qu’un savant m o n tra it au x rep résen tan ts de l’arm ée et du
gouvernem ent. Quelques spectateurs ricanèrent. Mais bien à to rt : on leur faisait voir,
pour la prem ière fois su r un écran, le décalage qui existe entre les connaissances scien
tifiques et les hom m es ap p a rte n an t aux « hautes sphères ». Im age déconcertante d’une
époque où, l’insuffisance de l’enseignem ent scientifique, accroît le divorce e n tre la grande
m asse des hom m es e t une poignée d ’initiés.
E ntendons-nous bien : il 11e suffit pas de s’adjoindre un conseiller scientifique, si
génial soit-il, pour résoudre les problèm es de m ise en scène. Le producteur P al fit appel à
V on B raun pour régler la représentation du satellite artificiel et de la fusée d an s L a Con
quête de l’espace, une des bandes les plus ennuyeuses du genre. Les décors étaient plausi
bles, le départ de la fusée vraisem blable. Ce qui accusait encore plus la pauvreté du scé
nario e t surtout de la mise en scène.
A utre exem ple : L ’H o m m e qui rétrécit. C ertes, ici, le <£ déisme » et la « pruderie »
imposés au départ enlevaient souvent leur sens au x situations élaborées d an s le scénario.
A tel point que R ichard M atheson, a u te u r du script, s’en lava les mains, en im aginant
après coup, sous forme de ro m an , le récit que nous 11e vîmes pas à l’écran. Mais tout
spectateur, m êm e sans connaissances techniques, pouvait deviner qu’une mise en scène
mieux adaptée au sujet a u ra it sauvé bien des choses. Seulem ent voilà : J a c k Arnold
m anque de génie. Ï1 avait filmé l’adm irable histoire de M atheson selon les recettes les
plus ordinaires, en se c o n te n ta n t d ’y placer u n ou deux clous : l’inondation du sous-sol,
la lutte avec l’araignée. La phipart des réalisateurs qui ab o rd en t le genre s’en rem etten t
aux truquages, que leurs petits budgets ne p erm e tte n t m êm e pas de soigner. Conclusion :
ils ennuient.
O n ne peut à cet égard dégager des règles générales. A chaque sujet sa recette. P ô u r
le m om ent, de tem ps à autre, on découvre dans un hlm un procédé ingénieux. Ainsi dans
Les S urvivants de l’infini, les dernières séquences sur la planète M etaluna atteignaient
une certaine grandeur poétique. De m êm e, dans la visite de la m achine atom ique sou-
A gauche : La guerre atom ique fait rage sur la surface désolée de la planète Metaluna,
A droite : Le « m u ta n t » mi-insecte, m i-hom m e se m eurt. Les terriens pourront enfin
regagner leur planète d an s la soucoupe du m étalunien (Les S u rviva n ts de l’infini).
13
A y a n t rapetissé,
l’h o m m e ne peut
plus m a n ier les ci
seaux (L ’H om m e
qui rétrécit).
te rrain e de P lanète interdite, W ilcox tirait profit avec intelligence de la couleur, im pri
m a n t une profondeur inattendue à de simples décôrs peints.
O n répète souvent que l’a uteur de Science-Fiction doit à la fois être un excellent
ro m an cier plein d ’im agination et posséder des connaissances scientifiques suffisantes. Il
en va de m êm e pour le cinéma d’anticipation. En a jo u tan t à cela les interd its m oraux
des a codes » et « censures », on com prendra facilem ent que les g ra n d s réalisateurs;
répugnent à faire des films de science-fiction.
LES SERIES M I N E U R E S
M ais la vogue de la S.F. ciném atographique se poursuit. R ien qu’en 1957, l’Amérique
en a pro d u it plus d ’une trentaine. Nous avons pu voir u n e p a rtie d e ces films, p o u r la
p lupart de série B, C ou Z. Ils n e'd iffèren t pas de leurs congénères des westerns, poli
ciers ou épouvante, sinon p ar l’introduction plus ou m oins a rb itra ire de m a ch in es e x tra
ordinaires, de robo ts ou de m onstres divers. C ’est p a r exem ple le c as de T obor, Tarantula,
A des m illions de kilom ètres de la terre, Godziîla, etc.
E n dépit d’un étalage technique certain, l’orientation politique frelatée, l’idéologie
technocratique, la m étaphysique simpliste^ de la p lu p a rt de ces films dén o ten t chez leurs
producteurs et réalisateurs u n analphabétism e sociologique e t u n e incu ltu re philosophique
déconcertants.
Le public des salles dites populaires, friand d e m a g azin es de science et technique
vulgarisés, en consom m e sans déplaisir un e certaine quantité. Les h ab itu és des salles
d ’exclusivité les dédaignent si fort qu’ils rient, m êm e lorsqu’ils se tro u v en t en présence
d’un chef-d’œ uvre du genre. Il est vrai qu’ils n e lisent pas de m agazines de vulgarisation
scientifique.
Au risque de m e faire tra ite r de m aniaque, je dois d ire que ces « petites » Science-
Fictions ne m a n q u e n t pas totalem ent d ’intérêt. O n y retro u v e bien souvent im plicitem ent
quelques-uns des problèm es de n otre temps. P arfois aussi, elles d éb ouchent su r une
poésie inattendue. J e pense p ar exemple à u n e ou deux séquences du M onstre du lac noir
14
.
q ui m ’avaient fait espérer, bien à tort, eu J a c k A rnold. L a S.F, est u n e nouvelle mystique.
E n elle ressurgit le thèm e de toute la poésie épique : l’h o m m e et son dépassem ent -par
lui-m ême, le héros et ses exploits, la lutte avec l’inconnu. Le délh'e des mythologies
anciennes se retrouve parfois dans un ou deux plans par-ci, par-là, m êm e dans les
S u p erm a n et Flash Gordon, sériais inspirés des com ics e t do n t la pauvreté technique
souligne encore plus l'infantilisme.
Au surplus, en p erm ettan t souvent de briser les cadres du conform ism e psychologique*
e t m oral, ces films annoncent, com m e le signalait récem m en t encore m on am i Kyrou,
un g ra n d élém ent d’espoir pour tout le ciném a de dem ain. D’ailleurs pourquoi condam ner
le film de S.F. « gra tu it » et le ciném a « d ’épouvante » ? L’angoisse q u ’ils suscitent n ’est
pas n écessairem ent puérile, com m e le prouve J*a Chose d ’un au tre m onde de Hawks.
Les films re p re n a n t les histoires de S.F. des com ics ont m a in te n a n t ém igré vers la
Télévision, o ù ils form ent une grande partie des p ro g ram m es réservés au x enfants. Il y
a quelques années, la sous-commission am éricaine su r la délinquance juvénile, ém ue par
les im ages brutales qui ém aillent les S.F. de la T.V., se fit projeter qu an tité de ces bandes.
L’acteu r Al H odger qui personnifie le « capitaine Video » de la planète « G anym ède
vint en personne défendre les producteurs. U ne correspondance du journal L e Monde, en
date du 22 octobre 1954 nous apprend que « le sén ateu r H endrickson, p résident de la
com mission, im pressionné, com m ença p a r l’appeler « cap tain ». Le sym pathique acteur
rappela que s’il n ’y avait plus de « vilains », c’est-à-dire de traîtres, de m é ch an ts et de
crim inels, il n ’y a u ra it plus besoin de h éro s jiour les com battre. Ce serait la fin de tous
les spectacles...
Malgré son apparition relativem ent récente, la S.F. ciném atographique a développé un
c e rtain no m b re d e lieux co m m u n s scientifiques que les sp ectateu rs a d m e tte n t aujourd’hui
san s explications préalables : l’absence de pesan teu r dans les espaces interstellaires, les
dangers pour l’organism e h u m a in des effets de l’accélération, les scaphandres spatiaux,
l’autom atisation poussée en toute chose, les robots, etc. C ependant le ciném a de Science-
Fiction est loin d ’avoir utilisé tous les théines que la littérature lui offre. Les films pro
jetés en F ra n c e to u rn e n t autour des situations suivantes :
— V enue d ’h a b ita n ts de l’espace : L e M étéore de la nuit, Les Soucoupes volantes
attaquent, A des m illions de kilom ètres de la terre, etc.
— Voyages dans l’espace : Vingt-quatre heures chez les Martiens, D estination Lune,
C onquête de Vespace, etc.
Le la b oratoire ato
m ique d an s toute sa
splendeur. Les sui
tes de cette expé
rience atom ique se
ro n t désastreuses
{Le M onstre m agné
tique).
15
La créatu re m i-hom m e mi-grenouille veut se m a rier
(La V engeance de la créature).
16
MonJçey Business (Chérie je m e sens rajeunir) .• Howard Hawks, 1951.
T he Day the earth siood stiü (Le Jour où la terte s’arrêta) ; Robert Wîse, 1952..
JVTien Worlds coiîide (Le Choc des mondes) : Rudolf Maté, 1952.
A bbott and CosteJÎo m eet the Invisible Mon (Deux nigauds contre l’hom me invisible) :
Charles L a m o n t, 1952.
T he beast from 2000 fathoms (Le Monstre des temps perdus) : Eugène Louxié, 1952.
T h e Magnetic Monster (Le Monstre magnétique) : Curt Siodmak, 1953.
Premier avril, an 2000 : Wolfgang Liebeneiner, 1953.
T he War of the Worlds (La Guerre des mondes) ; Byron Haskin, 1953,
It came from Outer Space (Le Météore Je la nuit) ; Jack Arnold, 1953.
Tobor the Great (Le Maître du monde) ; Lee Sholem, 1953.
The Créature from the Blacfy Lagoon [Le Monstre du lac noir) ; J. Arnold, 1954.
T hem (Des Monstres attaquent la aille) ; Gordon Douglas, ]954.
Tarantula ; J, Arnold, 1955.
Revenge of the Creature (La Revanche de la créature) ; J. Arnold, 1955,
Conquesf of Space (Conquête de l'espace) ; B. Haskin, 1955.
It came from beneath the Se& (Le Monstre estent de fa mer) .- Robert Gordon, 1955.
Earth vs Flying Saucers {Les Soucoupes attaquent) ; Fred F. Sears, 1956,
Forbidden Planet (Planète interdite) : Fred McLeod Wilcox, 1956.
T he Quatermass X perim ent (Le Monstre) ; Val Guest, 1956.
Godzilla : Ishiro Honda, 1956,
This Island Earth (Les Survivants de l’infini) : Joseph Newman, 1956.
T he Mole People (Le Peuple de l’enfer) ; Virgil Vogel, 1957.
The Jncredible Shrm^ing Mon (L'Homme qui rétrécit) ; J. Arnold, 1957.
Un A m our de poche ; Pierre Kast, 1957.
Le Retour de Godzilla : Hoda, 1957.
L e Satellite mystérieux : Koji Shima, 1957.
Txüentu Million Miles from Earth (A des millions de Jyfomèirea de la terre) ; Nathan
Juran, 1957.
Satellite in the S ky (Les Premiers passagers du satellite} ; Paul Dickson, 1957.
T h e Curse of ’Frankenstein {Fr^nl^enstein ç’est échappé) ; Terence Fisher, 1957.
IT
2
LE JEUNE CINÉMA POLONAIS
Jerzy Kawalerowicz.
18
héros positif et le héros négatif, es! conforme aux principes de la vérité artistique ?' »,
demandait un idéologue du réalisme socialiste. Inutile d ’ajouter que la réponse fut négative.
Qui sait combien d ’œ uvres de valeur ont été étouffées dans l ’oeuf par cette réponse ?
Il n ’y a peut-être pas aujourd’hui de pays où les cinéastes produisent sous le signe
d’un mécontentement aussi général et aussi conscient de l ’échec des œuvres réalisées
au cours des années précédentes. Le passé ne leur a pas donné suffisamment de preuves
que l ’esthétique est une science dont les lois soient aussi infaillibles que celles de la
physique, par exemple. Les idéologues du « réalisme socialiste » partaient du principe
que la théorie générale de l ’arf est, en quelque sorte, toute prête, q u ’il suffit de la décou
vrir, comme on découvre de nouveaux gisements de pétrole. Le plus souvent les forages,
effectués rapidement dans ce but, ne pénétraient pas profondément. On s ’empressait de
voir du pétrole dans le liquide qui jaillissait, sans l ’examiner plus attentivement. Malheu
reusement dans la majorité des cas, ce n ’était que de l ’eau !
Le cinéaste polonais — comme ses collègues dans d ’autres disciplines — fut radicale
ment déçu (probablement îl le fut trop) par la théorie de l ’esthétique, du moins en ce qui
concerne sa conception philosophique et non son application au studio. Déception qui fut
à l ’origine d ’une large discussion, assez empirique, marquée par la crainte de tout juge
ment a priori, la crainte de voir enferm er la création de l’artiste dans le cadre d ’une ortho
doxie quelconque, la crainte du collage d ’étiquettes multicolores.
De la peinture au cinéma
Cette discussion est à peine commencée, mais elle a toutes chances d ’intéresser le
spectateur, et pas seulement .en Pologne. U ne des voix prépondérantes est celle de Jerzy
Kawalerowicz qui, avec Wajda, Munk, Ford et Zarzycki, forme le groupe d ’élite des cinéas
tes polonais.
Jerzy Kawalerowicz a trente-cinq ans, mais il appartient déjà à la génération « moyenne ».
Il a débuté après la guerre, mais sans être passé par l ’Ecole Supérieure du Cinéma fondée en
1947 à Lodz. Comme quelques autres de ses collègues, il a délaissé la peinture pour le
cinéma. Il peignait déjà au lycée, il étudia quatre ans â l 'Académie des Beaux-Arts et
suivit en même temps des cours d ’histoire de l ’Art : <c Mais non, fe ne peins plus, m êm e
le dimanche, répondit-il à une question sur ses anciennes préférences, pour cela il faut
avoir du temps. »
Parallèlement aux études de peinture, Kawalerowicz suivit des cours & l ’institut du
Cinéma de Cracovie, école supérieure indépendante, dont l ’existence fut éphémère, pre
mier centre du cinéma dans l ’histoire de l ’enseignement polonais. Les cinéastes profes
sionnels qui y enseignaient n ’étaient que deux. C ’était en 1945 — et puis où aurait-on
trouvé ces cinéastes ? Il n ’y en avait déjà pas avant la guerre 1 Mais un groupe assez
important de savants humanistes se constitua, qui s ’intéressait à l’esthétique et que le
cinéma attirait en tant que domaine nouveau, encore inexploré théoriquement. A vrai
dire, ce n ’était pas des cours, mais plutôt des séminaires où l ’on discutait, où les profes
seurs comme les auditeurs précisaient pour la prem ière fois les différentes notions de l ’art
cinématographique.
Quelques années plus tard, nous voyons Kawalerowicz dans le rôle d’assistant metteur
en scène les premiers films polonais : Cœurs d ’acier, sur la vie des mineurs, et le mélo-
dramatique Retour. C ’était des mauvais films, mais lorsqu’il fut promu prem ier assis
tant, ceux auxquels il collabora prirent du poids : La Dernière étape, de Wanda Jakubowska
sur le camp de concentration d’Auschwitz, puis L e Défilé du diable, réalisé en collaboration
par le Polonais T. Kanski et l ’italien Aldo Vergano.
Dans ce dernier, Kawalerowicz s ’improvisa acteur. Le rôle d’un des gardes-frontières
était tenu par un montagnard engagé su r place. Pendant q u ’on tournait, le montagnard fut
arrêté, car il s ’avéra que c ’était un contrebandier. A la prière de la direction de la produc
tion, le détenu fut amené sous escorte su r les lieux pour compléter les prises de vues
manquantes, mais c ’est en vain que Kawalerowicz montrait au montagnard apeuré comment
il devait jouer. A la fin, Vergano s ’énerva et dit à son assistant : « Eh bien ! jouez vous-
m ême 1 »
Déjà, Kawalerowicz avait écrit quelques scénarios de films expérimentaux. Un poème
cinématographique d ’après une œ uvre de Julian Tuwin, une étude lyrique La Rose sur la
glace, une étude iconographique, La Bataille de Grunwald, d’après le tableau de Matefko.
19
Mais c ’était déjà l’époque de la poussée du « réalisme socialiste » dont l ’un des mots
d ’ordre était : « l ’artiste n ’a pas le droit de se tromper ». Les projets de Kawalerowicz
restèrent sur le papier. En automne de 1949, dans la station climatique de Wisla, un
congrès cinématographique fut convoqué qui, sous la tutelle du m inistre de la C ulture et
de PArt, proclama Père du <c réalisme socialiste » dans la cinématographie. Des œ uvres
de valeur telles que La dernière étape, La Vérité rtJa pas de frontières e t Robinson de
Varsovie furent jugées comme étant « imprégnées dans une fausse notion de solidarité natio
nale et sans essai sérieux de démontrer la réalité de la lutte des classes ». On déclara mêm e
que le néoralisme italien « ne répondait à la vérité objective dans aucun fragment de choses
vécues ». L ’intervention de l ’un des metteurs en scène exprim ant timidement la crainte
que la politique artificiellement introduite dans le sujet n ’aboutisse au schématisme, fut
qualifié finalement d ’ « adoption de la façon de penser ennem ie ».
Le Moulin du village
C ’est dans une telle atmosphère que fut annoncé, parmi les participants au congrès de
Wisla, un concours pour un scénario sur un sujet contemporain, exprimant les tendances
du « cours nouveau ». Le prem ier prix échut au scénario de Kawalerowicz et Sum erski,
Le Moulin du village, dont la réalisation fut confiée aux auteurs.
Le prem ier film indépendant de Kawalerowicz (t) fut un très mauvais film. Même dans
l'année stérile 1951, la critique polonaise, en général pleine de bonne volonté, pour les
films inspirés du réalisme socialiste, l'accueillit avec réticence et ironie.
C ’était l ’histoire d ’un village pauvre au pied des montagnes, en lutte contre l'arbitraire
d ’un riche m eunier. On reprochait à juste raison au film que pour prouver une thèse
établie d ’avance (la naissance de la solidarité des villageois dans la lutte contre l ’exploiteur),
Il sacrifiait les problèmes humains, à peine esquissés d’ailtetirs. P a r exem ple, à un mom ent
donné, un riche fermier, influencé par le meunier retors, chasse sa fille éprise de l ’adver
saire sans fortune du meunier. Empêtrés dans leur thèse politique, les auteurs abandon
nent la jeune fille au moment critique de sa vie et ne se souviennent d ’elle q u ’à la fin,
quand elle fournit de nouveau une illustration commode de la thèse politique définie.
T out ceci est vrai. Mais il faut ajouter q u ’après avoir été entièrem ent terminé, Le Moulin
du village fut soumis au traitèment connu sous le nom de « retouche ». A ce moment-là,
le Comité Central du parti luttait contre la « déviation » de Gomulka et trouvait que l'é lo
quence politique du film était « manquée ». Le film n e fut pas autorisé à paraître tel quel
et ordre fut donné de le changer. Près de 15 % des scènes furent tournées à nouveau et
beaucoup d ’autres modifiées. Le scénario s ’inspirait d ’un fait authentique qui s ’était produit
en 1949 et avait été raconté par le reporter d ’une revue littéraire : effectivement, dans la
prem ière version, le meunier avait réussi à faire prononcer par un tribunal un jugement
au détrim ent du village. Les autorités du parti décidèrent cependant que la réalité se trom
pait et, dans la deuxième version, le jugement fut supprimé. Dans la version définitive,
au lieu d ’agir en somme légalement, donc avec l’espoir de réussir, le m eunier agit sotte
ment contre son propre intérêt — mais le principe considéré comme « typique » était sauE :
un tribunal populaire ne pouvait pas prononcer un jugement contre un paysan pauvre.
Les « retouches » idéologiques donnèrent satisfaction aux fonctionnaires du parti, mais
ils enlevèrent au film le reste de ses moyens de persuasion. Dans la prem ière version,
par exemple, on voyait l ’inévitable personnage du secrétaire de la cellule rurale du parti.
C ’était un grand paysan morne et taciturne,, fort bien interprêté, qui sê distinguait p ar le
fait que, quand les autres discutaient, il retroussait ses m anches, se mettait au travail, et
entraînait par son exemple. Mais les autorités du parti décidèrent que le secrétaire de la
cellule était la voix du parti et que le parti devait se faire entendre. Aussi, dans les scènes
de la prem ière version, le secrétaire est morne et taciturne et, dans les scènes tournées plus
tard, il est éloquent jusqu’à l’absurdité : « Pendant huit mois j'ai créé un personnage, je
Vai aimé, j'ai cru en lui, disait Pacteur L. Benoit au cours d ’une discussion su r le film.
Est-ce que je peux au cours de quelques retouches en recréer un autre ? Ce que je viens
de voir maintnant, c ’est la nécrologie. du secrétaire. C Jest un personnage mort, y en ai
beaucoup de; chagrin. »
Cependant, un œil attentif aurait pu découvrir dans Le Moulin du village certains traits
( ! ) Kazîmlerz Sumerski, c o a u t e u r du scénario, mort prém aturément, n’était que second m etteur
en scène et son apport dans la réalisation du film est moins Important.
20
L ’O m b re : la scène finale.
positifs développés plus tard dans Cellulose, dangereusement proches du néoréalisme ■mau
dit. Ce film contenait de nombreux extérieurs tournés dans la région montagneuse et était
plein de respect pour là réalité. Beaucoup de rôles, et des plus importants, furent confiés
à des paysans de la région, à certains même qui n ’étaient jamais allés au cinéma. Le met
teur en scène dirigea ses acteurs de fortune avec une précision irréprochable.
Souvenirs de cellulose
Pendant deux ans Kawalerowicz a travaillé à son film suivant, sans se laisser décou
rager par l'accueil glacial de la critique. A vrai dire, c ’étaient deux films, tirés du roman
populaire d ’Igor Newerly « Souvenirs de Cellulose ». Le thèm e était épique, à la mesure
des films muets de Poudovkine : c’était la prise de conscience d ’un jeune paysan qui,
dans la Pologne capitaliste d ’avant guerre, devient un militant actif de la gauche clan
destine.
C e n ’est pas tant le respect du métrage, que celui du sens dramatique du roman qui
décida du partage du sujet en deux films. Dans le premier, Une nuit de souvenirs, le héros
servait tout au plus de prétexte à des pérégrinations dans différents milieux, tels que la
campagne pauvre, l ’usine de cellulose, l ’atelier du menuisier, le monde des bas-fonds de
la capitale, l’arm ée, le bureau des assurances. Le héros était passif ; c ’est la réalité capi
taliste qui l ’induisait en tentation par ses nombreux attraits que le jeune homme rejetait à
tour de rôle. La deuxième partie, Sons Vétoile phrygienne tout à fait différente, # était
l ’histoire du jeune militant illégal, amoureux d ’une jeune fille plus instruite que lui. Au
contraire d 'Une nuit de souvenirs de construction dramatique large et franche, la deuxième
partie était concise, serrée dans sa composition.
A l ’époque où Kawalerowicz travaillait à ses deux films, mûrissait le conflit de la
21
nouvelle génération avec Aleksander Ford, seule autorité indiscutable dont ia grande expé
rience date d ’avant la guerre. Mais, avec la méfiance connue des Polonais pour les auto
rités, la génération formée par Ford s ’est, dès le début, opposée au maître, Ford ne se
lance jamais sans réserve dans le sujet qu’il échafaudé et ne se laisse pas dominer par lui.
Sa grande culture plastique le pousse parfois vers une stylisation expressionniste, vers un
académisme modéré. Beaucoup de ses conceptions et de ses solutions de mise en scène
sont ciselées à un tel point q u ’elles frôlent presque l ’irréalité. « C fesî trop beau pour
être vrai », serait-on tenté de dire (2).
Après la prem ière représentation d ’Une nuit de souvenirs, Kawalerowicz fut proclamé
chef de file de « l’école italienne » en Pologne : cette promenade du prolétaire errant
parmi les tentations du monde capitaliste est construite avec les mêmes éléments que ceux
dont se sont servis De Sica Visconti ou De Santis pour représenter la vérité de l ’Italie
d'après-guerre. En réalité il ne pouvait être question de document de « photo prise par
Ventrebâillement de la porte », mais de reconstitution. C ’était un film historique, bien
qu'évoquant un passé éloigné de vingt ans. Mais la méthode de Zavattini, de procéder à
une enquête complète sur la réalité, avec tous ses bons et ses mauvais côtés, n ’aurait pas
été acceptée à ce moment-là (1953) dans une histoire contemporaine.
Quand on demande à Kawalerowicz lequel de ses films il préfère, il répond toujours :
Cellulose. C ’est là que l ’invention plastique du m etteur en scène a probablement atteint
son apogée. Les petits chapeaux noirs antédiluvions des dévotes de la confrérie du rosaire,
le gramophone à pavillon qui joue d ’un son métallique une rengaine à la mode, les escar
pins à talons hauts que la femme coquette du m enuisier tient à la main en se promenant
dans le bois, tous ces accessoires remplacent en substance des scènes entières et recréent
la couleur d'une époque.
Mais ce n 'e st pas en vain que Kawalerowicz prétend s ’intéresser surtout à l ’homme.
Les chats prétentieux, brodés sur les coussins bourgeois, même s ’ils sont bien assortis,
n'en diront jamais autant sur l ’époque de l’homme. C e sont surtout les riches individua
lités des personnages de roman qui ont intéressé le m etteur en scène. Szczesny, le héros
du film, se présente au cours de ses pérégrinations à l ’atelier d ’un menuisier prospère,
cauteleux et. sans scrupules. C ’est le seul des apprentis qui s ’oppose à la tyrannie de
Partisan. C e dernier, avare et qui exploite ses ouvriers, n ’est cependant pas un person
nage abstrait d ’« exploiteur », comme il en foisonnait dans les films contemporains sovié
tiques, tchécoslovaques ou hongrois. Il peut se perm ettre de favoriser, à la manière des
seigneurs, l'apprenti le plus intransigeant.
Une telle manière de caractériser les personnages était fort éloignée du manichéisme
officiel. Peut-être ne Paurait-on pas perm ise, s ’il s ’était agi d ’un film su r un sujet contem
porain (3). A cette époque, de telles méthodes, attiraient su r le m etteur en scène l ’accusa
tion d’<t objectivisme réactionnaire ». C ar les administrateurs de la culture étaient
absolument convaincus que de tels procédés affaiblissaient l’éloquence idéologique du
film.
La deuxième partie Sous Vêtoïle phrygienne, permit enfin de faire entrer en action
le héros qui aime et qui lutte et se trouve nettem ent au prem ier plan des préoccupations
<i humaines » du m etteur en scène. L ’histoire de P amour de Szczesny et celle de sa prise
de conscience sont également hérissées de dificultés et épurées de tout schématisme
facile. Kawalerowicz insiste su r ces parties du livre qui créent des situations appa
remment sans issue.
Szczesny a tué arbitrairem ent -un provocateur et il comparaît devant un tribunal clan
destin du parti. Apparemment le tribunal a raison. Mais le provocateur allait justem ent faire
une dénonciation, il pouvait perdre beaucoup de gens. Il apparaît que notre héros avait
raison. Après avoir fait naître l ’indécision chez le spectateur, le m etteur en scène compare
discrètement Szczesny à un autre héros dont un coup de feu arbitraire a fait un criminel.
Ainsi il se déclare être du côté du tribunal.
Une autre scène du type « situation sans issue » est construite presque sans le secours
de la trame du roman. La jeune femme de Szczesny, dont il est séparé depuis longtemps,
(2) En 1954, Ford était l'auteur de trois films tournés après la guerre, tous d'une grande valeur
artistique : La Vérité n ’a p as de frontières, La Jeunesse de Cnopïn et Les Cinq de la rue Barska.
(3) Les thèmes pris dans le passé n'échappaient pas, eux non plus, à l’ingérence ministérielle. On
connaît le cas d'un film sur le mouvement de la résistance de gauche, dont le héros, d’après le
scénario soumts à f'acceptatfon, av ait cme maîtresse. L'un des ministres écrivit sur le scénario : « Un
communiste ne p eut pas avoir de m aîtresse ». Le personnage de la femme resta dans le film, se débat
tan t dans un rôle équivoque et absurde.
22
vient à la réunion du comité de grève, dont fait partie son mari. Comment résoudre la
scène de leur rencontre ? Le salut officiel, au nom du parti comme pour les autres ?
C e serait inhumain. Des caresses, des baisers ? En présence du comité ? Ça ne va
pas non plus. Alors Madzia rajuste la cravate de son mari et dit avec un chaud sourire :
« J e dirai bonjour plus tard à ce camarade ».
Evidemment on aurait pu en sortir par une ellipse : ne pas m ontrer la rencontre des
deux époux. Le spectateur se serait bien douté qu’ils s ’étaient salués d’une façon ou
d’une autre. Et, justement, l ’ellipse qui perm et la condensation maximum du sujet,
est l ’objet de l ’intérêt particulier de Kawalerowicz. Ce n ’est pas par hasard que les
cinéastes q u ’il estime le plus : Bardem, Fellini, Zinneman, De Santis (4) sont des
maîtres du raccourci.
U ne des ellipses les plus opportunes est celle dont use Kawalerowicz dans Sous
l’étoile phrygienne, lorsqu’un camarade du parti qui cherche un endroit pour installer
une imprimerie clandestine, vient trouver Szczesny terré à la campagne dans une propriété.
« As-tu vu les caves laissées par les comtes ? » demande Szczesny... Coupure. Puis
viennent immédiatement les scènes du transport de la machine à imprimer. P ar contre les scè
nes sur la visite de ces caves, la décision quant à le u r utilité, furent omises. Chacun sauta
se dire que les caves convenaient. Le trait constant des travaux de Kawalerowicz, c ’est
la condensation au minimum indispensable de la trame de l ’action laissant seulement les
scènes culminantes. Mais les m ètres de pellicule ainsi épargnés sont consacrés aux
rapprochements psychologiques, telle cette scène de la rencontre des amants séparés.
L’Ombre
L 'Ombre, film réalisé en 1955, est, selon son auteur, « un drame policier, porteur de
certains contenus politiques ». Il se compose de trois nouvelles de l ’écrivain Aleksander
Scibor-Rylski, dont la troisième a été spécialement écrite pour le film. Mais le scénario
est l ’œ uvre commune de l ’écrivain et du cinéaste.
Avec ce film d ’une construction dramatique peu banale, Kawalerowicz: réhabilite
les éléments de mystère et de surprise délaissés à l ’époque où le genre épique était
tout-puissant. Un homme tombe d ’un train marchant à toute vitesse. Le visage écrasé ne
permet pas l ’identification du cadavre. Et maintenant, dans les lieux qui ont quelque
rapport avec l ’accident — à l ’hôpital, au poste de milice et à la station de chemin
de fer — trois histoires, absolument différentes et n ’ayant rien de commun entre elles,
nous sont contées. Leur seul trait commun est lé mystère qu’elles cachent, l ’absence
de conclusion.
Ce n ’est que la dernière scène du film qui fournit la clé des trois récits, les unit en un
même personnage et identifie l ’homme tué sur la voie ferrée. Nous avons donc ici, en
quelque sorte, deux plans du mystère : l ’un surprend le spectateur dans chacune des nou
velles et l ’autre pénètre les rapports mutuels des trois récits.
Du point de vue politique, le film est le reflet d’une période définie. En indiquant que
dans les trois cas, il s ’agit du même ennemi finement camouflé, L ’Ombre faisait appel
à la (c vigilance révolutionnaire ». Par cela même le film reprenait la thèse de la publicité
officielle qui voyait la cause de tout le mal en Pologne Populaire dans l ’activité des
« agents à la solde de Vétranger ».
Ij semblerait pourtant que nous ayons affaire ici à un événement politique et artistique
intéressant assez rare, qui nous fait penser au Grand citoyen. C ette œ uvre rem arquable
d’Erm ler servait objectivement de justification aux révoltants procès de Moscou en 1938.
Mais sa vérité subjective a dépassé les buts politiques immédiats et plaît encore par sa
vérité psychologique. Quelque chose de semblable est valable pour le film de Kawalerowicz :
la vision de l ’artiste est véritablement ici un reflet de la propagande officielle et non de
la réalité. Mais c ’est une vision originale et qui convainc.
Kawalerowicz n ’a pas tiré profit jusqu’au bout de l’esthétique du thriller américain.
Le rapport des scènes successives entre elles (la « logique de fer » de Hitchcock)
n ’est pas toujours observé et, par instant, la cadence ralentit : lorsque l ’une des digressions
(pas toujours prévues dans le scénario) l ’intéressera par ses dessous humain.
P ar exemple, il y a dans le film le personnage d’un redoutable chef de bande arm ée
(4) Kawalerowicz, qui faisait grand cas de Onze heures sonnaient de De Santis, avait pu se
convaincre par cet exemple qu'il était possible de charger considérablement le contenu du film sans
augmenter son métrage.
23
réactionnaire, dont l’apparition est précédée du tableau de son activité sanglante : incendies,
cadavres, m ères en pleurs. Le chef porte le pseudonyme de « Petit », Selon les lois de
la conspiration, le spectateur s ’attend à voir un individu de grande taille, large d ’épaules,
au visage rébarbatif. Fidèle à son penchant pour la surprise, Kawalerowicz nous montre
un homme^ réellem ent petit, au visage enfantin. C ’est un rôle secondaire : il aurait suffi
qu’il soit interprété d ’une manière conventionnelle. Mais le m etteur en scène et l ’acteur
se sont pris d ’intérêt pour le personnage. Sans changer en rien le dialogue initial, iis ont
tiré les conséquences du pseudonyme du chef et de son aspect extérieur. Le complexe
de son apparence presque grotesque tourmente le petit homme. Sa cruauté raffinée s ’en
trouve accrue. Exprès, « Petit » ne se lève jamais de sa place pour dire bonjour à quel
qu’un, comme s ’il voulait dissimuler sa petite taille, et il parle d ’u ne voix exagérém ent
douce, tant qu’il n ’est pas ^en rage. Il s ’asseoit dans un fauteuil tournant et dont les
mouvements circulaires extrêmement rapides et visiblement étudies lui perm ettent de se
rendre compte, en un clin d’œil, de chaque situation. Et voici que peu à peu ce person
nage • auxiliaire devient indépendant : il a son passé, ses propres raisons intérieures ;
c’est presque la microhistoire du caractère de ce chef de bande qui commence.
Encore un trait caractéristique du travail de Kawalerowicz : il a l ’ambition de dissimuler
à l ’œil du spectateur tous les trucs techniques, toutes les inventions formelles. Non q u ’il
s ’agisse^ de la crainte métaphysique du <c formalisme », inculquée aux créateurs à l ’époque
du stalinisme. C ’est plutôt une attitude proche de celle de C ari D reyer : « Ce qui
caractérise le bon style, simple et précis, c’est qu’il doit entrer avec le contenu en une
combinaison si intime qu’elle fasse synthèse. S 'iî est trop entreprenant et tente d'attirer
l'attention, il cesse d'être style pour devenir plutôt maniérisme. »
« La coquetterie des metteurs en scène, consistant à êpaier le spectateur par l'ingé
rence de la technique, dit Kawalerowicz, discrédite du coup l ’auteur à mes yeux, surtout
que nous en avons ■f ini avec la période où chaque année complétait effectivem ent la langue
du cinéma. Cette façon de vouloir épater ne peut donc pas être justifiée aujourd'hui
par la prétention de vouloir épater par ses propres inventions. »
Kawalerowicz n ’aime pas les prises de vues courtes et le montage rapide, q u ’il juge
démodé, à l'exception de rares cas, imposés directem ent p ar le sujet. II est partisan du
montage à l ’intérieur du cadre, mais pas dans la forme que donne à ce problème le
m etteur en scène soviétique Michael Romm. Pour Romm (5), le changem ent de plans
dans une prise de vue ininterrompue est fonction du mouvement de l ’acteur qui se rapproche
et s ’éloigne de la caméra. P our Kawalerowicz le changement de plans doit être en prem ier
lieu la tâche de la caméra mais d ’une caméra qui se déplace avec la plus grande précaution,
en cachette.
« Je veu x que la caméra soit invisible dans mes film s » aime à rép éter le m etteur en
scène. Sa conception des longues prises de vues rappelle, sans exagération, le « Ten
Minutes Take » de Hitchcock. Déjà au stade du scénario, Kawalerowicz se soucie
énorm ém ent d ’« organiser — comme il dit — une mise en scène pour les besoins de
Vappareil ». Il veut créer de ces situations dans lesquelles les mouvements de la
caméra découleraient d ’une nécessité absolue, donc resteraient invisibles au spectateur.
Selon quels critères épistémologîques le mouvement est-il organisé ? Il sem ble que nous
touchons ici à l ’essentiel de la création de Kawalerowicz. Mais je commencerai par citer
un exemple pris dans le dernier film q u ’il a term iné en 1957 : La Véritable fin de la
Grande Guerre.
24
La Véritable fin de la guerre : le te flash-back ».
cette prise de vue et, à vrai dire dans un de ces fragments (car elle est ininterrompue),
le tableau objectif du monde s'est transformé insensiblement en tableau subjectif, tel que le
voit la bonne.
On peut approximativement définir à peu près la situation actuelle de l ’art cinémato
graphique mondial comme étant la lutte du cinéma de fait et du cinéma de construction.
Le prem ier, représenté par Zavattîni et sa conception du film-enquête qui abolit la fron
tière entre le spectacle et la vie, est un cinéma objectif. L ’autre, représenté par Fellini ou
Dreyer, n ’observe pas secrètem ent le monde par la « fente d ’un rideau », mais propose
le monde propre de l ’artiste : c'est un cinéma subjectif.
Dans la cinématographie polonaise, Kawalerowicz est le créateur qui a le plus évolué
du cinéma de fait au cinéma de construction. C ’est pourquoi les critiques ont tant de peine
à lui coller u ne étiquette toute faitej Après L e Moulin du village, il fu t comparé à
Guerassimov. Après Une N u it de souvenirs, à De Sica. Après Sous l'étoile phrygienne,
à Becker. Après VOmbre, à Hitchcock. Après La Véritable fin de la Grande Guerre,
à Dreyer.
Ces comparaisons, souvent arbitraires montrent cependant la direction de son
évolution. Aujourd’hui il constate lui-m ême ouvertement q u ’il s ’intéresse aux films qui
« dépassent la ligne », ligne à laquelle arrivent ceux qui présentent des faits. A ce propos,
il se réfère à Hemingway : en effet : Le Vieil homme et la m er » pourrait être conçu dans
les catégories du réalisme populiste : vivier, ligne, menu fretin... Mais les facteurs
quantitatifs : immensité de l ’océan, énormité du poisson, immensité de la solitude,
donnent aux conflits d ’Hemingway des éléments qualitatifs nouveaux q u i' intéressent
l ’écrivain.
Dans la période du « réalisme socialiste », il était impossible en Pologne d ’expéri
m enter le film subjectif. Mais quand, après la réalisation de L JOmbre, Kawalerowicz
cherchait un nouveau sujet, la nouvelle de l ’écrivain catholique Jerzy Zawieyski te La
Véritable fin de la Grande G uerre » l ’attira par son caractère d ’introspection qui incitait
à i 'expérience.
25
Le sujet rappelle un peu Les Enfants d ’Hiroshima de Kaneto Shindo. Quelques années
déjà se sont écoulées depuis h guerre : en apparence la vie est normale, les gens se sont
habitués, ils ont oublié. Et voici que, dans une confortable villa végète un ingénieur,
ancien prisonnier d ’un camp de concentration nazi, épileptique et muet. Durant quelques
années, sa femme se dévoue auprès de lui, bien q u ’il lui soit possible de trouver le
bonheur aux côtés d ’un ex-amant. Mais il n ’y a pas d ’espoir que l’homme à demi conscient
puisse guérir et la femme se décide à l ’envoyer à la campagne. En apprenant cela, l ’épi-
leptique, que seul l ’amour de sa fem m e faisait vivre, se suicide.
Contrairement à ce que fait G raham G reene dans « Le Fond du problème »,
Zawieyski ne m et pas en doute le dogme catholique de l ’inadmissibilité du suicide. Il
s ’en prend seulement aux conséquences morales de la guerre, qui crée des situations
sans issue (6). Dans le drame de ces gens, bons et honnêtes, il n ’y aura pas de fautifs.
Seule la guerre — héros négatifs du dram e — est responsable.
En attaquant cette nouvelle, Kawalerowicz voulait obtenir la tension intérieure en
opposant quelques visions subjectives (allant jusqu’à l ’hallucination) et une vision objective.
La préhistoire du malheureux ingénieur est présentée au cours de quatre courtes rétrospec
tives dans lesquelles la caméra s ’identifie (comme dans Lady în the Lake) à l ’œil du
héros. Le premier flash-back (le prem ier bal des jeunes époux) est vu par les yeux de la
femme, les trois suivants par les yeux du mari, et représentent sa vie au camp de concen
tration. Ils ont un trait formel commun : l ’œil-caméra qui tourne autour de son axe,
c'est le monde vu par un danseur. La justification est dans la narration : l ’ingénieur était
un excellent danseur et, au camp, il a gagné un marathon de danse, inventé par un SS
sadique. L'obsession maladive du héros est précisém ent la suite des tortures subies quand
il participait comme danseur aux orgies des SS. Les crises d ’épilepsie de l’ingénieur qui ont
lieu dans le présent, ont précisém ent l'aspect de cette danse macabre, incompréhensible
pour son entourage. Mais la danse « présente » est déjà photographiée objectivement, de
l’extérieur.
Les quatres rétrospectives en question, l ’élément le plus choquant du film, du point de
vue formel, ont été accueillies par la Critique avec réserve. Elles sont pleinement justifiées
dans le texte, mais n ’introduisent pas dans le drame, H semble que Kawalerowicz soit
ici en contradiction avec son mot d'ordre favori : ne pas faire étalage de technique. Car
celle-ci remonte agressivement à la surface.
C ’est pourquoi je trouve plus universels et aussi plus efficaces les moyens par lesquels
le metteur en scène rend la narration plus subjective, sans aller jusqu’au bout. 11 en est
ainsi, par exemple, dans la scène où l ’ingénieur, fou de douleur, se précipite dans la
rue. L'image de la rue devient subitem ent floue. Nous savons que c ’est ainsi que le héros
voit la rue, mais, en même temps, sa silhouette reste visible dans le cadre, qui reprend
d’ailleurs lentement sa netteté. T out aussi discrètem ent devient subjective l ’image de la
réalité dans la scène, citée plus haut, de la bonne étendant la main vers l ’infusion.
La voie suivie par Kawalerowicz est risquée. Son manque de stabilisation à l ’intérieur
d ’une stylistique définie, son penchant pour l'expérim entation, ne lui permettent pas,
probablement pour longtemps encore, d ’obtenir la perfection q u ’il est plus aisée d’atteindre
aux créateurs qui k ont trouvé le u r voie », comme c’est le cas de Ford, ou même de
Munk et de Wajda. Mais la fonction stimulante de. Kawalerowicz dans la cinématographie
polonaise me semble absolument nécessaire.
En ce moment, en Pologne il est très facile de se lancer dans l ’expérience, même
la plus excentrique. C e qui, il y a trois ans encore, aurait été considéré comme un acte
de courage extraordinaire, peut être au contraire aujourd’hui le chemin le plus facile.
C 'est pourquoi nous ne devons pas applaudir a priori toute expérience, quelle qu’elle soit.
Mais après la période stalinienne, qui a consacré le naturalisme naïf, le vulgaire
mot à mot, la mise de tous les points sur les i — le cinéma polonais, peut-être plus que
tout autre, a besoin de se renouveler et de perfectionner sa forme. Cela l ’aidera à exprimer
avec plus de force un contenu capable de présenter un intérêt universel.
Tel est sans doute le sens du travail de Kawalerowicz, créateur qui préfère l ’inquiétude
à la perfection.
Jerzy PLAZEWSKI. .
{A suivre.)
(6) Cette fois, la situation est — telle que î'aime Kawalerowicz — réellement « sans issue ». Le
suicide de l'ingénieur n’arrange rien. Après la mort de son mari, la femme ne se décide p as à
suivre un autre homme et se renferme dans une solitude désespérée.
26
IX I
o u le c i n é m a de d e u x m ains
27
Peh Peï> jan vier 1950- L e plus chinois des expérim entateurs du C iném a e t les plus expéri
m e n tau x des chinois du C iném a vo n t bientôt devoir se quitter.
Cinq autres, par le procédé des La piste sonore a été im prim ée non seule
m ent au lieu norm al qui perm et la m odula
FEUILLES VOLANTES, simples croquis tion du son mais égalem ent dans la p artie
rapides ne donnant que les contours réservée à l’image. Les spectateurs volent su r
des personnages, tracés sur des feuilles l’écran le dessin de ce q u ’ils entendent.
blanches que l'on tourne ensuite en Workshop Experiment in anim ated sound
noir et blanc, quitte à les tirer fina n ’est pas u n film destiné à. la d istrib u tio n
générale, mais p lu tô t u n m ém ento réservé à
lement en couleurs variables. ru sag e des créateurs q u ’intéressent ces no u
velles méthodes de composition, m usicale et
L’EAU CLAIRE (32 m.). — LES BON de création d’effets sonores. Le film rappelle
NES HABITUDES DE L'ENFANT également les étapes Initiales q u ’il a fallu
(32 m.). — COMMENT SE PROPAGE fran ch ir p our jeter les bases d ’une technique
souple.
LA TUBERCULOSE (32 m.ï. — COM
MENT SE PRESERVER DU CHOLERA 1. SON DESSINE A MEME LA PELLICULE
(64 m.). — LE REGIME ALIMENTAIRE Cette méthode q u i e st la plu s radicale ap
EQUILIBRE (64 m.). p a rtie n t en propre à McLaren. Pas d ’in stru
m ent de musique, pas de micro n i de cam éra
optique ou m écanique, o n u tilise seule
DU SON DESSINE
m ent les outils traditionnels du p ein tre e t du
dessinateur : de l ’encre, u n pinceau et un e
plume.
L'un des domaines de McLaren, On trace des tra its e t des taches de diver
celui du SON ANIME, ne va cesser de ses formes su r la bande sonore d ’u n e pelli-
ciile 35 m m vierge. Le rapprochem ent des
prendre de l'importance. En janvier tra its déterm ine la h a u te u r du son plus
1949, il avait réuni dans une bande Ils son t rapprochés p lu s le son e st élevé.
unique tous ses essais de son synthé L ’épaisseur des tr a its assure le volume : plus
Us so n t gras plus le son est fo rt. D’a u tre
tique, réalisés à intervalles irréguliers p a rt la densité de l ’encre p eu t aussi m odifier
depuis des années, récapitulant ainsi le volume. L’encre de Chine p ro d u it u n son
toutes les méthodes utilisées pour pro fo rt. L’encre pâle u n son faible. Le tim bre
d u son dépend de ia f^rm e des tra its e t des
duire ces sons, avant de les perfec taches. Les formes arrondies pro d uisen t des
tionner encore. sons veloutés et les form es anguleuses des
sons aigres.
On o b tien t p ar ce procédé des sons de per
WORKSHOP EXPERIMENT IN ANI- cussion e t des notes non soutenues qui cons
MATED SOUND, 227 mètres, 35 mm., titu e n t u n p e tit orchestre de cliquetis, de
N. et B., 8 Min., disponible en 16 mm. bourdonnem ents, de flocs e t de roulem ents
de tam bours d ’une portée de cinq octaves
Négatif O.N.F. chrom atiques.
28
Ce film, qui sert d’introduction à
Points et Boucles explique les procédés
employés par McLaren pour réaliser
des sons synthétiques dessinés sur la
piste sonore en montrant les traces
lumineuses que produit sur un oscil
loscope, les. notes d’une guitare, d’un
tuba, du chant du coq et d’une voix
humaine.
N’im porte quelle vibration sonore p e u t être
reproduite su r la bande sonore en m otifs gra
phiques ûe formes variables q u ’une cellule
photo-électrique p e u t transform er de nou
veau en son. « les sons fo n t u n des-
sin sur le film , les dessins sut le film peu
v en t donner un son ». P arta n t de ce principe,
M cLaren dessine devant nous, des sons, à
même la pellicule et nous les fait entendre
su r la moviola.
Mention honorable au Festival Inter
national du Film. Venise 1951.
McLaren commence LE MERLE, mais
l'abandonne...
1950
De retour au Canada McLaren par
ticipe au tournage de A LA POINTE
DE LA PLUME, 35 mm., N. et B., 7 Min.
Neg : O.N.F.
Le gran d final de C halk R iver Ballet envahi p ar les boules v o la n t en perspective n ’a pas
été réalisé. Mais l’année suivante, pour A ro u n d is A ro u n d , M cLaren faisait évoluer les
serpents fascinants d ’un oscillographe d ev an t un ciel en relief peuplé de h u it étages d ’étoiles.
Puis il commence avec René Jodoin, films stéréoscopiques qui seraient pro
CHALK RIVER BALLET, éloge abstrait jetés lors du Festival ide Grande-Bre
d'une rivière canadienne dans laquelle tagne. McLaren entreprend alors, avec
on trouve de l’uranium. Raymond J. Spottiswoade, également
passionné par ces problèmes : Noiv Is
Le film com prenait trois parties : dans la the Time, Around is Around, et super
première une boule solitaire se partage ;
dans la deuxième quelques boules évoluent vise Twirligig de Gretta Eckmann.
dans l’espace, qui, dans la dernière, sont
NOW IS THE TIME. 87 m., 35 mm.
devenues Une m ultitude. Les fonds se tra n s
form ent continuellem ent p ar fondus enchaî
sonore. Technicolor, 3 min. Production
nés ou par modification cïu dessin devant la
caméra. O.N.F. en collaboration avec le British
Film Institute.
Neuf m inutes de ce film o n t été tournées
a v an t q u ’il soit abandonné. E t sur la durée
Production, son, musique synthé
prévue des images les deux tiers du son syn
tique, réalisation par Norman McLaren.
th é tiq u e on t été réalisés. Le vol des boules
de la partie centrale a d’ailleurs été "utilisé
p our Pliantas-y. Animation d'éléments en papiers
découpés (perspective de nuages et de
1950, c’est aussi l'année de la nais soleils), de dessins successifs cadrés
sance de « Gerald McBoing Boing » dessinés à même la pellicule (person
qui devait attirer l’attention sur les nage dansant) et animation par déter
nouveaux styles de cartoons am é mination de la quantité de parallaxe.
ricains. Tourné en noir et tiré en couleurs
déterminées au tirage. Staccato synthé
tique et relief sonore.
1951
A ce film revenait la tâch e difficile de
EN TROIS DIMENSIONS présenter la stéréoscople e t la stéréophonie, à
des non-initiés, d’u n e façon assez séduisante
Depuis de nombreuses années, Me p our réduire la résistance inévitable d u
Laren taquinait, à temps perdu, les pu b lic à to u te nouvelle expérience.
possibilités de divergences et de AROUND IS AROUND. 291 m. 35 mm.
convergences des yeux. Aux murs de sonore. Technicolor anglais. 10 min. 1/2.
son atelier, dans ses cartons, se trou Production : O.N.F., en collaboration
vaient des « dessins en relief » : pou avec le British Film Institute, pour le
les, paysages, abstractions en papiers Festival de Grande-Bretagne.
collés, qui disposés sur des appareils
très simples, retrouvaient leur volume. Produit et réalisé par Norman McLa
En jouant avec des miroirs et des feuil ren, assisté par Evelyn Lambart. Oscil-
les de verre polarisées, McLaren son lographie : Chester Beachell. Conseil
geait sérieusement à appliquer au ler pour la stéréoscople : Raymond J.
cinéma d’animation ces procédés de Spottiswoode. Musique : Louis Apple-
synthèse stéréographique à partir de baum.
dessins plats’ quand le British. Film Dans un infini d’étoiles et entre des
Institute, inspiré par Raymond Spottis- portiques à perte de-vue, se meuvent
woode, lui proposa de réaliser deux les formes en relief d’un oscillographe :
30
objets mathématiques, serpents fasci obscur, la perspective et le trait de
nants dont les balancements réguliers gravure (rendant tous par des moyens
deviennent hypnotiques. différente, la corporalité ides objets
Norman McLaren supervise égale que reproduit parfaitement la photo
ment TWIRLIGIG (de to twirl : tour graphie), Norman McLaren ajoute la
ner). Production O.N.F. Réalisation : Plastique Stéréoscopique et l'Anima-
Gretta EJckmann, supervisé par Nor tion par détermination de la Paral
man McLaren. Musique synthétique, laxe,
composée et photographiée par Mau Créant un relief calculé, en mesurant
rice Blackburn. la quantité de parallaxe sur la surface
Twirligig est consacré à un petit du film ou des dessins qui servent à
personnage en spirale, qui tourne sur son élaboration McLaren obtient des
lui-même et qui, après des apparitions effets ayant la richesse et la préci-
brusques et des étreintes fugitives, sion habituelles de ses films, donnant
perd sa tête comme la poule de Hen des œuvres qui, contrairement à la
Hop. plupart des films en prise de vue di
recte tridimensionnelle, contemporains
G retta Eckniann, jeune cartographe h ab i de Now is the time, ne ridiculisent pas
tu ée au d e s sin m inutieux rencontre McLaren, le cinéma en relief, au contraire.
alors qu'elle se tro uv ait provisoirem ent sans
travail, il a su ffi que celui-ci lu i m ontre La sensation de relief p eu t être obtenue
sa m achine à dessin-direct su r la pellicule et p ar des parallaxes de positions en introdui
lui explique le principe du dessin anim é à s a n t la parallaxe dans le dessin, soit p ar u n
trois dim ensions pour q u ’elle entreprenne et déplacem ent latéral des éléments découpés
mène à bien Twirligig. G retta Eckniann cons du décor qui se situ e n t différem m ent pour
tru isit son propre p u p itre q u i à côté de l’ins les deux images de chaque œil (nuages. So
tru m e n t rustique e t bricolé de McLaren é ta it leils de iVow? is The T im e), soit en perfo
u n e véritable oeuvre d ’art. ra n t deux fois, différem m ent pour chaque
Après ce film unique, G retta Eckniann est œil les ceîlulos ou les fonds (les h u it plans
m alheureusem ent retournée au dessin publi d’étoiles du fond de Around is Around).
citaire inanimé. On p e u t aussi avec u n double tirage d u
même original, effectué pour chaque copie p ar
Au Festival de Grande-Bretagne, les u ne tran slation d’objectif obtenu' les deux
deux films en relief de McLaren rem images réservées chacune à u n œil (le p e tit
portent un très grand succès. Le « Va- bonhomme dessiné su r pellicule de Now is
th e Time).
riéty » titre « Hit of the Festival » et La sensation de relief p eu t être égalem ent
un critique prophétique annonce : obtenue p ar des parallaxes de temps, notam
« Tôt ou tard, les yeux dfHollywood m e nt pour les actions horizontales. Les figu
s’attacheront aux possibilités de la res abstraites de l’oscillographe, les travel
lings de nuages e t d ’étoiles de Around is
chair en trois dimensions. > Around ont été doués du relief p ar décalage
de l'image dans deux copies sim ultanées,
On p e u t lire dans le « B ulletin Mensuel du en perm ettant, quand on voit u n e image de
B ritish Film In s titu te » à propos de Around- l ’œil gauche de voir de l’œil dro it l ’Image s i t
is Around : « Ce film resplendit dans telle uante.
m en t de directions q u ’il est préférable d ’en Pour les figures en ro tatio n se dirigeant
dresser un e liste avant de distinguer celle vers le spectateur ou reculant vers le fond
qui n 'est q u 'u n p etit chem in pittoresque de on combine la tran slation latérale de l’ob
celles qui m èneront très loin. » jectif avec le décalage de l ’Image. Dans
...« L’abstraction qui gagne déjà beaucoup Around is Around e t Twirligig des images
à être douée (tu m ouvem ent ciném atographi o n t été « gelées » optiquem ent en rép étant
que vous fonce littéralem ent dessus grâce à le même dessin au tirage et en faisan t seu
une troisième dim ension, en d o n n an t l’im lem ent varier la diîfêrence de parallaxe ce
pression que du bouleversant mariage des q u i donnait au spectateur l’im pression que
sons et des objets visuels p e u t naître une l ’objet dessiné avançait sans changer de
nouvelle forme d ’art. Les tendances actuellës grandeur, ce qui en fait, revenait à n ’avancer
des peintres à l’exprimer en formes abs que dans la tête d u spectateur.
tra ites et celles de leurs exégètes qui u tili
se n t le vocabulaire et app liq u en t même des
disciplines musicales, m o n tre n t bien dans C A R R E F O U R DES IL L U SI ON S
quelle direction le vent souffle. Mais ju s
q u ’ici les tentatives se sont réduites à de
p etits morceaux de recherches isolées qu i La portée de l’animation en relief
n ’o n t pas eu de su ite et n ’établissent aucune dépasse celle d’un simple spectacle
base solide. Le îilm p e u t avoir plus à. gagner visuel, en pénétrant très audacieuse
im m édiatem ent, en explorant systém atique
m e n t les deux dim ensions p lu tô t q u ’en sau ment dans l’esprit du spectateur, ce
ta n t im m édiatem ent su r la troisième. Nous qui est pour McLaren le plus passion
devons p o u rta n t être recon n aisan t de cette nant des objectifs.
vision captivante des fredaines juvéniles
d ’une a u th e n tiq u e form e d’a rt dans son en « Nous avons voulu éviter certains fac
fance. » te u rs favorisant la profondeur m ais d'essence
non stéréoscopique q u i interviennent cou
Aux procédés classiques de figura ram m ent dans les autres film s en relief :
tion graphique du relief : le clair- lim ite par opacité, lum ières et ombres, pers
31
pective chrom atique des teintes et des tons, Prix Spécial du Film Canadien 1953.
et, dans une certaine m esure le rapetisse
m e n t dans les figures d ’oscilllographe (qui, ESSAIS NOIR ET BLANC, DE PRISE
néanm oins o n t un e perspective dynamique) DE VUES, IMAGE PAR IMAGE, DE
afin de voir à quel po int et com m ent le cer
veau dépend de ces facteurs pour appréhen PERSONNAGES VIVANTS.
der la profondeur. » Cette bande d’essai a servi à la pré
La réalisation de Around is Around m it
en évidence de curieuses contradictions entre paration des Voisins. Quelques-unes
les lois d u dressin perspectif et la sensation des possibilités contenues dans cette
de relief pro du ite par la déterm ination de bande sont encore inédites.
parallaxe.
D ans le générique figure u n anneau qui
doit apparaître comme u n demi-cylindre
puisque la h au te u r de l’objet dessiné est plus CHANTEFABLES
grande au milieu que sur les bords. Il se
révéla qu 'il é ta it possible de contredire pro
gressivement cette évidence en faisan t varier Toutes les œuvres précédentes de
la q u a n tité de parallaxe. Mieux : l’interpré McLaren ont prouvé largement son
ta tio n de la forme pouvait dépendre de l’es aptitude peu ordinaire à soutenir l’in
p rit d u spectateur. D evant le même écran,
les u n s pouvaient parfaitem en t voir la pers térêt avec une matière uniquement
pective convexe d ’u n cylindre, d’autres a u abstraite (Caprice en Couleurs, Fiàdle
contraire ne saisir que la rotondité d’une De Dee, Around is Around) ou une
forme concave, selon q u ’ils se conform aient
plus à leur impression rétinienne ou aux figuration symbolique et décorative
conclusions de leur esprit. privée de liens narratifs (Phantasy,
G rand m a ître de ces fastes tri-dimenslon- Hen Hop). Dans Dots et Loops, des
neLs, McLaren avoue d'ailleurs m odestem ent lignes informes se comportent comme
n ’avoir presque jam ais ressenti l’impression
parallactique : a II m ’était très difficile de des personnages capables d’une psycho
voir la forme concave. Je n e saisîssai to u logie rudimentaire. Neighhours profite
jours que la form e dessinée. Il fa u t croire
que je ne suis pas très fort pour apprécier de cette richesse visuelle propre à enga
l’évidence parallactique. ger et à activer l ’imagination, mais se
présente aussi comme un petit apo
1952
logue dramatique, riche en péripéties et
en prolongements, en signalant un goût
A PHANTASY, 90 m., 16 mro. sonore nouveau de McLaren pour les récits
Kodachrome, 8 min. Original O.N.F. simples et construits que Blinkity
Tiré en 35 mm. Musique de Maurice Blank et Histoire d'une Chaise confir
Blackburn, associant le saxophone et meront.
la musique synthétique. Dans un décor
de rêve des objets presque animés, NEIGHBOURS (LES V O I S I N S ) .
appartenant à des règnes imprécis se 101 m., 16 mm. Kodachrome sonore
meuvent, tandis que des boules au 9 min. Tiré en 35 mm. Chef opérateur
comportement atomique dansent dans Wolf Koenig. Interprété par Jean Paul
l'espace. Ladouceur et Grant Munro. Musique
Film semi-abstrait, composé avec des synthétique et effets sonores, réalisa
dessins au pastel modifiés devant la tion : Norman McLaren.
caméra et des animations 'd'éléments Dans ce film réalisé suivant la
découpés. technique de la stop-motion animation
les principes de l’animation tri-dimen-
sionnelle sont appliqués à des acteurs
dont le réalisateur fixe sur la pellicule
des positions et attitudes successives,
grâce aux instantanés photographiques
d'une caméra, image par image.
Deux voisins vivent amicalement.
Une fleur vient à pousser à la limite
mitoyenne de leur propriété. Pour la
possession de cette fleur, les deux amis
en viendront à se battre à mort, après
avoir détruit les maisons, -tués les
femmes et les enfants, comme à l’ordi
naire.
Oscar pour succès exceptionnel dans
la production documentaire (?). Aca-
M c L a r e n ,’ c i n é a s t e a u f u r e t à m e s u r e , se demy of Motion Picture Arts and
d e m a n d e c e q u ’il v a b i e n p o u v o i r m o d i f i e r Science. Hollywood 1953. Prix spécial au
d a n s so n d e s s in p o u r c o n tin u e r P h a n ta s y . Palmarès du Film Canadien, 1953.
32
L e g e s t e d e l’a n i m a t e u r e s t le m ê m e q u a n d il f a u t f a i r e a v a n c e r d ’u n e i m a g e u n é l é m e n t d e
b a r r i è r e s u r l a t o m b e d e s V o is in s o u l’u n d e s p e t i t s c h if fr e s e n c a r t o n d e O n e T w o T h r e e .
33
Les deux tiers de l’image so nt tournés, TO.N.F., notamment pour des produc
m ais le son n ’est pas commencé. Si le film tions télévisées.
doit être fini, Evelyn Lam bart term inera
l'image p en dant que McLaren composera le
son. 1957
RYTHMETIC. 35 mm couleurs, 8
Min. Neg : O.N.F. , CHAIRY TALE (HISTOIRE D’UNE
CHAISE) 303 m. 35 mm. sonore N. et
Réalisation : Norman McLaren, as B., 10 min. Production : O.N.F.
sisté par Evelyn Lambart.
Direction : Norman McLaren. Co
Réalisé avec des chiffres découpés, direction et interprétation : Claude
Rythmetic est un petit cours énigma Jutra. Direction musicale : Ravi Shan-
tique d’arithmétique élémentaire, im kar (cythare) avec Chatur Lal (tabla)
perturbable et fantaisiste, accompagné et Modu Mullick (cymbale). Assistance
de son synthétique. de production et animation de la chai
Comme dans Fivs for Four, m ais en. res se : Evelyn Lambart. Production et
pectant beaucoup plus, grâce à l'inertie des assistance technique : Herbert D. Tay-
éléments découpés, la rigueur convention Lor. Assistant de production musicale :
nelle des chiffres, McLaren leur donne une Maurice Blackburn. Enregistrement :
Vie hum oristique extrêm em ent originale.
Joseph Champagne. Production : Tho
mas Daly.
Chaîry Taie est l’histoire de la ré
volte imprévisible d’une chaise de cui
sine qui refuse brusquement d’assu
mer son destin de chaise. L’homme
s'étonne d'abord, puis s'indigne, se
met en colère, veut faire violence à
la chaise qui de son côté se défend,
éjecte, bafoue le dominateur. L’homme
essaye la douceur, la ruse, la persua
sion. Il devra presque ensorceler la
chaise, il faudra même qu’il lui accorde
de s’asseoir sur lui rien qu’une fols
pour que celle-ci accepte d’assumer à
nouveau sa fonction de siège. Après
une lutte furibonde ou féline et quel
ques concessions réciproques l’ordre
établi triomphe.
Pour l ’im agination en perpétuelle activité
de McLaren chaque détail d 'u n fUm en réa
lisation p o u rrait devenir to u t u n film .
CïutAry Taie est p a rti de l’entrée des deux
chaises longues de Neighbours pour lesquelles
McLaren a eu to u t de suite envie de susciter
u ne idylle ou un e bataille rangée. C’e st en
ch erchant toujours à simplifier q u ’il a aban
donné les em barrassants jambages des chaises
longues pour choisir la plus simple des chai
P e t i t c r o q u i s in d ie n d e M c L a r e n . 1953. ses de cuisine.
Dépouillé de to u t commentaire et de va
riations de lieu, le film a été tourné san s
Long changement d’air au Mexique. construction musicale préalable, comme u n
film m uet, pas toujours image par image,
A son retour McLaren veut faire ayant recours à, différentes vitesses d ’accéléré;
quelque chose de rapide. H se relance Claude Ju tra , comédien et mime à p eu t-
dans le dessin et la peinture directe être en traîné Chaîry Taie vers la pantom im e
et l'expression corporelle, do n n an t au film
à même la pellicule avec des idées très nn bonheur chapUnien qui ravira to u s les
.nouvelles. Mais après une semaine de publics Mais cette œuvre en assum ant ces
travail il abandonne ce projet. Les élém ents pantom lm iques confirme la n o u
velle tendance narrative que Ion observe
résultats étaient satisfaisants mais chez McLaren, depuis Neighbours.
leur ensemble ne constituerait jamais
un film. PROJETS
C’est alors qu’il entreprend HISTOI
RE D’UNE CHAISE avec Claude Jutra, Après sa présence au Jury du Fes
comédien-mime et réalisateur cana tival de Berlin, son pasage à Paris, à
dien qui depuis 1955 travaille à Rome, à Londres et à Stirling, McLaren
34
s’est retrouvé à Montréal devant ses
projets.
Celui d'un film-ballet dans lequel
deux personnages vivants utiliseraient
et développeraient des mouvements et
des rythmes expérimentés pendant les
essais pour Les Voisins. McLaren sou
haiterait aussi faire un. film sur le
paysage canadien, selon la technique
de C'est VAviron et de La Poulette
Grise, en ayant recours à de grands
contrastes de vitesse, de dynamisme
et d échelle.
Mais derrière ces sages projets s’en
cachent d’autres plus ambitieux. De
puis Les Voisins l'expérience de la
diversité matérielle du cinéma d’ani-
‘ mation n’est plus au premier plan des
préoccupations de McLaren. Mais, bien
que nettement avantagé depuis peu,
le scénario ne va pas non plus mono
poliser toute son attention. Ce sont
les illusions d'optique mises en évi
dence par les films en relief qui pas
sionnent surtout McLaren, ainsi que les
mécanismes de la signification des
signes et de leur compréhension.
« J'aimerai beaucoup réaliser u n film qui
serait consacré aux rapports de la vue et de
la conscience. Il se passe beaucoup de choses
entre la rétine et la conscience. T out se pré
sente à l’esprit et c’est lui Qui choisit. Nous
voyons au ta n t avec notre cerveau q u ’avec nos
yeux. On peut classer les différents chem ins
par lesquels l'esprit groupe. ' sélectionne et
interprète les inform ationst de la pure forme
dépourvue de to u te association ju sq u ’aux
symboles. »
Dès son retour, McLaren s’est mis à
retourner Le Merle, un fim qu’il avait
abandonné et dans l'equel il illustre
une chanson, enregistrée en même
temps que La Poulette Grise, avec une
animation de personnages en papiers
découpés articulés.
Evelyn Lambart, de son côté, cons
truit une machine perfectionnée pour
l’enregistrement du son animé et des
sine une nouvelle collection de cartes
de fréquences et de timbres.
McLaren reprendra sans doute, après
Le Merle, la réalisation de One Two
Three.
P.-S. — Cette bio-filmographie sommaire
établie en vue de faciliter la discussion et
la quête d ’inform ation se p rête certainem ent
à des m odifications e t à ctes compléments
d ’inform ation.
Dans le N» 79, dès la page 7, une erreur de
frappe a transform é Stirling, le nom de la
ville natale de McLaren en Sterling.
B lm k ity B lank e s t p e u t - ê t r e u n p o è m e d é d ié
J’a p p a r i t i o n d e l a a N o u v e lle V a g u e ».
MYSTÈRE D’UN CINÉMA INSTRUMENTAL
C ’e s t, s a n s d o u t e , p o u r r e s t e r fidèle à s o n v id e e s t h é t i q u e q u e M c L a r e n a s u p p r i m é d e
s o n H i s t o i r e d 'u n e C h a i s e c e t t e i m a g e q u i, e ffe c tiv e m e n t, n e p r ê t a i t p a s à c o n f u s i o n .
1. La question du cœur
La pétulante technicité de Norman McLaren peut satisfaire une manie brico
lante semblable à celle des constructeurs de modèles réduits qu'enchantent des
petites subtilités concernant le balsa, la colle ou les bouts de zinc. Mais il lui est
plus difficile d'enthousiasmer certains vaillants humanistes que ces manipu
lations ne peuvent retenir. Aussi, à propos de Hen Hop ou de Fiddle De Dee il
n'est pas rare que soit évoqué le spectre de la science sans conscience et de l’art
pour l’art, à moins que ne soit clairement posée la question du cœur. La cuisine
de McLaren apparaît alors inutile, gratuité, inhumaine et desséchante. Il m’est
arrivé d'en tendre un spectateur scandalisé murmurer, avec la bonne conscience
responsable d’un petit Jdanov : « Cela ne devrait pas être permis. »
Néanmoins l’obstination de McLaren est Intim idante. E t les critiques français, à l’excep
tion de quelques partisans intarissables, n ’ont jamais pris sérieusem ent la peine d’analyser
Leur plaisir ou de détailler leurs réticences. C'est dans un article p aru le 6 m ars 1957 dans
« L’Yonne R épublicaine » que l’on peut trouver la plus belle rapsodie critique n on entiè
rem ent favorable écrite au su jet de McLaren.
1. I N D I F F E R E N C E P O U R LE S « P R O D U I T S D E L A B O R A T O I R E », D E D A I N P O U R L E S
E X P E R I E N C E S P U R E S , L E S E X E R G 1 C E S DE S T Y L E ET LE S S E N S A T I O N S O U I D E L A I S S E N T
L' AME.
« Fiddle De Dee » est u n e expérience de laboratoire. Je ne pense pas q ue cette bande .
puisse prétendre à au tre chose. Le film app araît comme u n plaisir externe, g ratu it. Des
bandçs de couleur passent à u n rythm e échevelé sur u ne m usique assez insolite. Cette
suite de sensations extrêm em ent rapides, pour aussi agréables a u ’elles p u issen t être ne
dépasse jam ais le stade des sensations N’y cherchons su rto u t pas u n sens, u n b u t, u n
objet caché. Il n ’y e n a pas. McLaren a, je crois, cherché avant to u t les lim ites de son
art. Mais il semble bien q u ’il ait débouché sur du vide. « Fiddle De Dée » est u n exercice
de style. »
2. A R T I N - H U M A 1 N E T A -S OC IA L . P O U R Lfe C I N E M A I M - P A S S E .
« Le Cinéma serait to u t de même lim ité s’il s’e n ten ait à cette form ule, et, bien que ce
111m soit, je crois, la plu s belle e t la plus frappante dém onstration de la d éfin itio n d ’Abel
36
Gance : « Le Cinéma c’est la musique de la lum ière ». Au Cinéma, a rt ém inem m ent social,
moins que to u t au tre a Caprice en couleurs » n ’apporte précisém ent rien, liors de simples
sensations esthétiques, alors due l’a rt p eu t et doit donner quelque chose à l’homme.
Considérer le p u r plaisir esthétique comme l i n c’est abstraire l’a rt dans l’homme, en
faire u n absolu, le définir en quelque sorte... Quel message lance McLaren ? Il chante en
couleur et en mouvement, mais il ne d it rien. C’est beau mais très vide. Les préoccupa
tions de McLaren sem blent purem ent esthétiques et, n ’en déplaise à to us les artistes, c’est
ce que je lui reproche. Il est vide d ’autres sens e t l ’insolite, le jamais-vu, la technique stu
péfiante, la virtuosité, le génie du beau même, ne cache rien, n ’offre rien, »
3. EN F IN LE BOUQUET : A P T I T U D E DES E S P R I T S A RAMENER L'INCONNU AU
CONNU ET « B L IN K IT Y BLANK » A M A R T IN E CAROL.
« Dans « Blinkity Blank » pas de couleurs, les dessins é ta n t effectués sur de la pelli
cule noire. Quelques dessins blancs surgissent à intervalles réguliers, avec la plus extrême
soudaineté et absolum ent rie n à quoi le spectateur effaré puisse se raccrocher. Comment
ne pas crier au snobisme et à l’aveuglem ent du jury de Cannes, à l ’im posture et au sur
fait de ceux qui veulent voir ici le Cinéma de demain. L’ESPRIT CRITIQUE NE PEUT
MEME PAS S’EXERCER. Il n ’y a pas à critiquer, La tâche est plus aisée lorsqu’il s ’agit de
Martine Carol. Ici rien de positif n i de négatif. Une simple explosion mais sans conséquence
ni prolongation logiaue. Simple dém o nstratio n d ’u ne éblouissante virtuosité technique au
su jet du vide. Comment ne pas reconnaître l ’im puissance de McLaren à annoncer quelque
chose d ’intelligible, de collèrent ou même quelque chose seulement, quoi que ce soit. B linkity
B lank est le chef-d'œuvre de l’a rt gratuit, sans aucun contexte q u ’il soit social ou simple
m ent hum ain. Si l’inintelligible, la mystification, le vide son t des critères, alors B linkity
Blank est le sum mum . »
E T P O U R F I N I R UN P E U D E P L A T I T U D E SPIR ITU A LITE EXTRAITE DU J O U R N A L
« L ’E S S O R v DU P R I N T E M P S 56.
...Ce critique considère B lin kity Blank... comme le suprêm e aboutissem ent du cinéma
d ’anim ation. Sans doute a-t-il raison si l ’on se place au p oint de vue u niquem ent
technique. Il nous d it ensuite que cette bande parle à tous nos sens. Certes, mais elle ne
parle q u ’à nos sens. E t non seulem ent elle leur parle, mais encore elle les attaque, elle les
brutalise. E t ce faisant, elle brutalise égalem ent to u t ce qui est supérieur en nous. Car elle
nous saisit & tel point physiquem ent q u ’il ne reste rien d ’autre que la douleur physique...
Mais enfin et encore, ne sommes-nous faits que d ’os, de chair et de sang e t de nerfs. Où
reste l’Homme, pas celui qui passe, mais celui qui est éternel ? Celui que j ’ai senti grignoté
p ar ces Images ?... Aucune métaphysique n ’est présente, voire respectée. L'enfer ce pourrait
bien être une séance ininterrom pue de B lin kity Blank.
A C E U X QUI V E U L E N T DE L’ H U M A I N
Que penser d’un rigorisme qui réprime volontiers toute jouissance sensorielle
provenant de l’écran, refusant stupidement au cinéma ce que l’on accorde à la
gastronomie avec une secrète vanité de civilisé. Pourquoi les gourmets de l’oeil
n’auraient pas des droits comme les humeurs de vins fins et les déglutineurs de
volailles ? Est-ce simplement parce que le cinéma courant, surtout celui de prise
de vue directe n’use pas souvent de semblable liberté ?
Le poids des contraintes que supporte l’expression cinématographique
dépasse de beaucoup celui habituellement toléré par les autres arts. On
comprend que le Cinéma passionne les anthropologues en ce qu’il met en vitrine
l’être esclave de tous ses ustensiles et des fonctionnements, de son langage et de
ses formes de sensibilités les plus conditionnées. Pris entre le paraître usiné des
acteurs et les modes, les peurs, notions momentanées du bien et du mal en
usage dans la principauté, il est parfois donné à certains exigeants de se sentir
grignotés comme le critique de Blinkity Blank. Et le cinéma d’acteur et de photo
graphie animée qui pourrait être un prodigieux laboratoire de comportement,
une école du regard, se fige en un produit de tous les dressages et de toutes les
contagions, honorant sans restrictions la vénérable gratuité des routines et des
croyances provisoires.
Certes, les feux d’artifices tirés par McLaren sont aussi des démonstrations
de pure dynamique sensuelle. Mais le Cinéma a-t-il mieux à nous proposer ?
Sans la nécessité de faire court, l’occasion serait bonne d’analyser de près ce
que recouvre l ’impression de réalité procurée par l’image cinématographique. La
confiance immodérée que certains esprits distingués portent à un cinéma pen
sant, humaniste, utile à l’homme mérite d’être critiquée et les rapports ingénus
établis entre le cinéma et l’action contestés. Il ne serait pas inutile de situer
l’enthousiasme de toute une critique cinématographique exhaustive qui prenant
le cinéma, seulement pour ce qu'il est maintenant, admirent et vantent des
« visions du monde » en les accompagnant de rêveries théoriques qu’un petit
progrès de morale ou' de conscience suffirait à rendre irrecevables.
37
D a n s le s f ilm s d e M c L a r e n t o u s l e s r è g n e s
a rriv en t.
Le rôle précurseur cie 3a conscience sensible s'ap p liq u an t aux fables et aux constructions
dram atiques n 'est pas à dédaigner. Mais les émotions qui naissent du flux hypnotique de
l ’image cinématographique sont par trop interchangeables pour être formatrices. Elles p rê ten t
plus au vague à l’âme e t aux régressions émotives q u ’à l’inform ation e t à, la prise de cons
cience efficace.
Parm i les h au tes émotions mystiques, psychologiques, religieuses ou politiques que_ nous
procure le ciném a que de foutaises q u a n t à la mise en acte. Que d ’im posture spirituelle
chez ce janséniste encensé d on t le Port-Royal ne risque pas d ’être démoli, que d’ascèses
tirées à quatre épingles q u ’aucune vision ni te n tatio n incongrue n e viennent jam ais em bar
rasser.
Peut-on appeler politique u n cinéma q u i nous m ontre les spasmes d ’une révolution’, le
path étiqu e des levées en masse ou la passion filiale que l'on porte au chef. Cette boulever
sante éloquence n ’annonce aucune prom otion politique concrète, n e m ontre jam ais les lu t
tes déterm inantes des minorités capables, les dégâts Imprévus, le saute-m outon des notables
su r le dos des conceptions et des pouvoirs.
Social, le cinéma suscite des opinions agréables, n ou s offre des émotions de responsabi
lité sociale ou de charité catholique mais peu de moyens de revendication ou d ’instauration.
Dans toutes les directions le ciném a nous fo u rn it essentiellem ent des Impressions de
valeur égale mais qui ne sont méprisées que dans le film policier. Il nous procure des ém o
tions alors qu’on m anque d ’antagonismes com pétents et de décisions insérées. Il nous pro
pose l’attendrissem ent quand il fa u t la colère, et la colère quand le tem ps des propositions
est venu.
Il est difficile de se contenter de ces gâteries en se ré p é ta n t que le beau est la splen
d eur d u bien. E t q u a n t à s ’en te n ir à la pu re cenesthésle il v au t mieux ne pas te n ter de la
com menter et de la recommander en termes d ’action et de jugem ent, en reconnaissant aux
film s des mérites politiques, religieux ou philosophiques q u ’ils n ’o n t pas. C’est à p artir d ’un e
chorégraphie de signes consciente de sa valeur avant to u t viscérale et de ses lim ites conjec
turales que McLaren légitime son expression.
L A V IE A N O N Y M E
38
Les extravagances de l’amour ont aussi leur part, McLaren n’oublie ni le raptus
amoureux ni la génération, ni le fractionnement en de nouveaux individus.
On a reproché à McLaren de placer l'amour sur le plan de l’oeuf, qui effec
tivement apparaît souvent dans ses œuvres. Mais la mécanique de l’œuf juste
ment peut être jugée aussi importante et moins fugace que les rituels de l'amour
courtois, inventions beaucoup plus récentes et déjà périmées. Parmi tant de
refrains idéologiques ou affectifs que nous présente le cinéma, les petits entractes
de vie fondamentale et irraisonnée de McLaren possèdent bien des charmes. Car
telle est la rassurante généralité de cette comédie humaine sans illusion ; aucun
des personnages ne se croit obligé de nous donner les bonnes raisons de son
appétit, de son agressivité ou de sa peur. Et l’on ne quitte pas l’essentiel :
quelques manifestations organiques ou motrices et la formidable dramaturgie
du biologique : irritabilité, plaisir, douleur, crainte, colère...
DE S O N V IV A N T
D a n s C a p r i c e e n C o u l e u r s , a u x lieu e t p l a c e d e s m o u l e s s o c ia u x , c e t l i y d r o z o a î r e i n é d i t
m a i s j u b i l a n t c a b r i o l e s u r le s a r p è g e s d ’O s c a r P e t e r s o n .
39
sition des dessins successifs effectués à même la pellicule ne peut être aussi
parfaite que lorsqu’on utilise la technique du dessin animé sur cellulo. Aussi,
tous les traits essentiellement kinétiques, sont agités d’un tremblement vivant,
Il semble que rien ne pouvait empêcher les lettres du générique de Hen Ho-p de
vivre et de se quereller pour des questions de préséance. Dans les films de
McLaren, on ne trouve pas de plans coupés ou de fondus reliant une scène à
une autre. Composés d’un très long plan ils se déroulent sans interruption, du
début jusqu’à la fin.
En com m ençant Un film, McLaren ne sait pas toujours com m ent il finira. Il avance
dans l’ordre n atu rel des séquences ce qui lui donne la possibilité d ’IMPROVISER le m ouve
m ent. Ses créations gagnent p ar cette m éthode u n n aturel e t un e spontanéité q u i échappe
a u dessin anim é norm al pour lequel chaque scène passe entre les m ains d’u n grand nom bre
de dessinateurs privés d ’initiative.
« A u m o m en t de dessiner le film , la plus grande part de l’anim ation n ’est pas prém éditée
mais évolue sim plem ent de jour en jour. suivant le m om ent exact auquel je l’ai dessiné.
Les attributs concrets et imaginaires proviennent d’u n courant sitbconscient que je m e garde
bien de contrôler. SEUL LE TEMPS DU MOUVEMENT EST CONSCIENCIEUSEMENT DETER
MINE AFIN D’ASSURER LES RAPPORTS AVEC LA MUSIQUE. » Autrefois, M cSennett, a u tre
cinéaste canadien p a rta it to urn er ses immortelles « two reels » dans les ruelles d ’Hollywood
avec u n simple canevas dans sa poche, qui tenait habituellem ent sur une feuille d ’agenda.
A l ’occasion de chaque nouveau film e t de chaque technique, McLaren doit poursuivre
cette spontanéité avec de nouvelles ruses. Sur son pupitre à dessin sur pellicule, il parv ient
à dessiner les motifs tous différen ts q u i doivent garnir les p etits cadres successifs d u film ,
presque à m ain levée, à une vitesse étonnante.
Mais p o u r Histoire d’une Chaise, la stratégie est bien différente, car il s'agit d ’u n film
d ’anim atio n réalisé avec des éléments de prise de vue directe : u n studio, des objets e t u n
interprète dont les m ouvements devaient être enregistrés image p a r image. A la réalisation,
il app arut que l’inertie de la chaise gênait l'anim ation de ses réactions e t de ses gestes. R ien
ne fu t satisfaisant jusq u’à ce que McLaren se décide à utiliser des fils dont la m an ipu latio n
f u t confiée à Evelyn Lam bart. La chaise f u t anim ée souvent avec des mouvem ents continus,
enregistrés à des vitesses différentes : 3, 12, 34 ou 2 images-seconde, et son com portem ent
devint n e tte m e n t plus naturel.
LIBERTE D ’ I N T E R P R E T A T I O N
40
MCLAREN SOI-M EM E
Il n ’est pas nécessaire de revoir tous les films de Norman McLaren dans leur
ordre chronologique pour sentir Que ce qu’il nous présente n’est pas un jeu de
formes pures et désincarnées. L'innocence à toute épreuve des justiciers de
l’humain n’est pas de trop pour que passent inaperçus des symboles d’une
transparence à ne pas mettre devant tous les fauteuils pensants. La perma
nence des thèmes et des motifs indiquent plus qu’un attrait pour les domaines
de l’inconscient, elle témoigne d’une fidélité d’auteur, comptable d’une réalité
personnelle soigneusement et obstinément exprimée. Aux reproches de vide
incohérent qui sont parfois adressés aux oeuvres de McLaren il serait plus censé
de substituer des diagnostics de schizophrénie ou d’égocentrisme abusif si la
valeur générale dès films ne prouvait pas que l’art de McLaren est bien autre
chose qu’un refuge imaginatif.
Ses images ont des points de départ biographiques précis et sont fondées
sur une réalité personnelle consciente et inconsciente. A l'expression figée,
transcrite, reconstituée du cinéma habituel McLaren oppose un lyrisme d’une
bouleversante franchise qui relie directement l’œuvre créée aux secrets de la
conscience affective. McLaren sait ce qu’il doit à ce qu’il ignore en lui : « Quand
je rate mon travail c’est que f a i mis trop de conscience. »
Ne dépendant que d’un créateur, livrés à un petit nombre d’outils, les
réactions verbales du poète, les élans manuels du peintre parviennent à rendre
compte de synthèses intérieures lyriques qui échappent forcément à l’outillage
et au personnel du Septième Art. En nous communiquant des mouvements intra
duisibles et des signes encore dépourvus de sens, les images immédiates de
McLaren font entrer sur l’écran une expérience poétique qu’aucune autre
forme de cinéma n’aurait pu transmettre.
(à suivre)
André MARTIN
A lo r s q u e les d e r n i è r e s é c r i t u r e s p h o t o g r a p h i q u e s d i s p a r a i s s e n t , M c L a r e n n o u s d i s p e n s e ,
a v e c B l i n k i t y B la n k , d e s jo ie s p a l é o g r a p h i q u e s . P l i a n t s a g r a v u r e a u c a d r e e x ig u d e l ’i m a g e
(les c a r a c t è r e s c h in o i s é t a i e n t t r a c é s d a n s u n c a r r é i d é a l) e t u t i l i s a n t l e s r é a c t i o n s d e
l’é m u l s i o n d é c h i r é e (les c o n t o u r s d e l’é c r i t u r e c u n é i f o r m e é t a i e n t a i g u s p o u r m i e u x r é s i s
t e r à la c u i s s o n d e s b r iq u e s p o r t e u s e s d e t e x te ) , il r e t r o u v e l ’é m o t i o n d e s p r e m i è r e s é c r i t u r e s .
41
CONTRIBUTION A UN R ENO IR GENERAL B artosch. C e film a jo u te c e p e n d a n t q u e lq u e s
lig n es à l’h îsto ire d u r a y o n n e m e n t c in é m a to
P e u t- ê tre n e faut-il p a s o m e ttre d a n s un e g r a p h i q u e d u V ie u x -C o lo m b ie r.
b io g r a p h ie d é ta illé e d e J e a n R e n o ir, d e p a r P a r c e q u e to u t se tie n t, il fa u t d 'a b o r d d ir e
ler d ’u n film d e R o c h u s G liese : A la chasse q u ’en 1923 C ari K o c h (qui se ra co-scénaristg
à la f o r tu n e . C e film n ’entre é v id e m m e n t pas et d ia lo g u iste d e L a M arseillaise, d e L a R è g le
d a n s l’oeuvre c o m p lè te d e R e n o ir, m a is fait d u J e u et q u i te r m in e ra L a T osca) é p o u s e
p a r tie d e l’itin é ra ire d e son existence, m o ti L o tte R e in ig e r, p u is f o n d e av éc elle u n e so
v a n t n o ta m m e n t q u e lq u e s s e m a in e s des d eu x ciété d e p r o d u c tio n : la C o m é n iu s Filrv,
a n s d ’in a c tiv ité q u i sé p a re n t L a P ’tiic Lili q u i p la c e se s a m b itio n s a rtistiq u es so u s l ’in
d e O n P u rg e Bébé. v o c a tio n d u g r a n d p é d a g o g u e t c h è q u e . L e
p r e m ie r filrm p r o d u it se ra L e P rin ce A c h m e d ,
Il est r a re m e n t q u e s tio n d e A la C hasse à film d e s ilh o u e tte s a n im é e s im a g e p a r im ag e,
la F o rtu n e . Et je n e le connais, il fau t b ien
ré a lis é p a r L o tte R e in ig e r, a v e c B e rth o ld
l’av o u e r, q u e p a r q u e lq u e s v ag u es co u pures
B arto sch , A l e x a n d e r K a r d a n , W a l t R u ttm a n .
d e p re ss e e t p a r ce q u e m*en a d ît B erthold
E n 1926, R e n o ir , v e n u p ré s e n te r N a n a à
B erlin fait c o n n a is s a n c e d e L o tte R e in ig e r,
d e K o c k et d e B a rto sch . E n avr.l 1928, L o tte
R e in in g e r, K o c h , B a rtosch, B recht et K u r t
W e il v ont passer d e s v a c a n c e s à. B a nd ol
(W e il et B re c h t y fin ir o n t L ’O p éra d e Q u a t'
S e n s ). M a is ta n d i s q u e B rech t p a r ta it e n voi
tu re p o u r l e M id i, K o c h , B artosch , W e il e t
L o tte R e in ig e r s ’a r rê te n t q u e lq u e s jo u rs à
P a ris, rev o ien t R e n o ir , fo n t c o n n aissan ce d e
J e a n T e d e s c o et d u V ie u x -C o lo m b ie r (où
B a rto s c h to u r n e r a p lu s t a r d L ’Id ée) et v o ien t
les d e r n ie rs film s d e R e n o ir .
E n f i n , en a u to m n e 1929, la C o m é n iu s F ilm
e n t r e p r e n d la ré a lisa tio n d ’u n c u r ie u x p ro je t
L a C h a sse à la F o r t u n e d o n t la m ise e n sc è n e
se ra c o n fié e à R o c h u s G lies e {décorateur d e
p lu sie u rs film s d e P a u l W e g n e r et M u rn a u ).
L e film to u r n é e n p a r tie d a n s le M idi d e
la F ra n c e , e n tr e T o u lo n et C assis et à B er
lin, c o m p r e n a it é g a l e m e n t d e n o m b r e u x p a s
sa g es d e silh o u e tte s a n im é e s réalisés p a r
L o tte R e in ig e r et B e rth o ld B arto sch .
42
C a t h e r i n e H e s s l l n g p a r t a g e a i t la v e d e t t e d e A la c h a s s e à la f o r t u n e , a v e c B e r t h o ld B a rt os c h
q u i, p o u r c e f i l m , n ’a pa s e u plu s d e c h a n c e q u e p o u r L’ Id é e o u Sain t F ra n ço is
so n p a s s a g e . D e p e r p é tu e ls in c id e n ts d e p r o ra ie n t à ce su je t n o u s fo u rn ir d e s p récision s
jectio n r a m è n e n t d e l’a n im a tio n au jeu des ;t des co n firm atio n s utiles. — A .M .
in te rp rè te s viv an ts.
;j 3 ï
lltï
- • L .. « S f.
■ -X ' . -
y , ï. .4
.xM-v
V i c t o r S j o s t r o m d a n s Sm ulstronstaM et
44
d e so n B u ccaneer, a b a n d o n n a n t d é fin itiv e m e n t LECTEU RS, G A RDEZ-VOUS A GAUCHE !
ses p rojets c o n c e rn a n t la G e n è s e et le D e u té -
ron om e, Cecil B. D eM ille v ie n t d e choisir « L a c o m é d ie am é ric a in e ren aît, le w estern
le film q u i te rm in e ra sa carrière, c o n n a ît u n n o u v e a u d é p a r t. M a lg ré la d ic
t a tu r e d es K aza n , R a y , D m y try k . les n u lli
A ta la sera' san s d o u te assez p e u fidèle à tés in tellectuel les d 'u n L o g a n , d es œ u v r e s
C h a te a u b ria n d . P o u r q u o i d o n c A ta la ? U n r a p c o m m e L e S e l d e la T erre et M o by D ic/j o n t
p r o c h e m e n t s’im p o se : l e suje t est le m ê m e v u l e jo u r. » (Sous la p lu m e d e R a y m o n d
q u e celui d e T h e B u cca n eer, d 'U n c o n q u e r e d B e llo u r d a n s J e u n e s d es / I n t e r n e s 1,)
et d e T h e T e n C o m m a n d m e n ts , la d é c o u v e rte
p a r l'in d iv id u d e la T e r r e P ro m is e , id en tifié e
p a r la L ib e rty Bell a u c o n tin e n t a m é ric a in . LECTEU RS, GA R D EZ -V O U S A D RO ITE !
LETTRE D ’ H O L L Y W O O D S U R H O L L Y W O O D
M on cher am i,
S o m m es ren trés d 'u n co urt séjo u r à P a l m S p rin g s cet a p rès-m id i et je v ien s d ’avoir le
plaisir d e lire votre lettre d u 24, arriv ée ici h ie r et d o n t je vous rem erc ie.
Îuuste
a n ta ln e d e g ran d s film s (de films d e c in é m a ) et sa n s d o u te m ê m e m o in s, c h a q u e a n n é e ,
d e q u o i n o u rrir les q u e lq u e s g r a n d e s sa lle s
qu i e x .stero n t en co re d a n s les g ra n d e s villes.
P etites sta tistiq ues : cette a n n é e le c in é m a a m é ric a in a p ro d u it env iro n 150 films (presq u e
tous in d é p e n d a n ts ), d o n n a n t u n total d e film s te r m in é s d e 250 h eu res, p o u r tous les studios
45
e t to us les i n d é p e n d a n ts . L a totalité d e films to u rn és et te r m in é s d e to u s g e n re s, c ’est-à-dire
m ê m e 'p u b lic ita ire s, p r o d u its p o u r la T . V . est d e 16.000 h e u r e s . E n 1957, dix^ film s d e c in é m a
s u r le total o n t Fait leurs frais o u d e s b é n éfices — les films d e g r a n d e ex clu sivité, g e n r e T o u r
dtt Monde e n 80 ;ou rs. L e s g ra n d s stud io s M .G .M . o u W a r n e r qu i p ro d u is a ie n t d e 70 à 75 films
b o n a n m a l an , n ’en so rten t p lus q u ’u n e d iz a in e p a r a n . L e s p la te a u x d e }a M .G .M ., te lle
m e n t e n d éco n fitu re , s o n t loués à d e s entrep rises i n d é p e n d a n te s d e la T . V . U n iv e rsa l v ien t
d e lic e n c ie r 700 te c h n ic ie n s et artistes d u personnel* d ’ici a u p r in te m p s o n n e v a to u r n e r q u ’u n
film d a n s ses im m e n se s studios. Desilu-T ,V . v ie n t d ’a c h e te r p o u r 6 m illio n s d e dollars tous
le s stu d io s R .K .O . à H o lly w o o d et R .K .O . P a th é à C ulv er C ity o ù l’o n n e p r o d u ira p lu s q u e
des sé ries T . V . R .K .O . société p ro d u ctrice n ’existe p lu s. T o u s les p la te a u x d e s S tu d io s R e p u
b lic a p p a r ti e n n e n t à la S ociété T .V . a R e v u e » q u i y p ro d u it 750 films p a r a n . Il est q u e s tio n
d e tr a n s f o rm e r les terrain s et studios F o x en ch a n tie rs p o u r la p r o d u c tio n d e p é tro le , les q u e l
q u e s film s d e v a n t ê tre p ro d u its p a r F o x le se ra ie n t su r les p la te a u x M .G .M . lo u és à c e t effet.
J e p o u r ra is c o n tin u e r à vo u s raco n ter to u tes ces choses, m a is j e n e v e u x p a s vo u s im p o r
t u n e r. 10.000 cin é m a s son t a u jo u r d ’h u i d e s -marchés, d e s b o w lin g s, m ê m e d e s k u n d e r ta k e r
iarlor a {m orgues). L e p rix d e s p laces d a n s les cin é m a s q u i s u b s is te n t o n t e n c o re m o n té et
Ï es p è re s d e fa m ille h ésite n t à p a y e r 4 fois $ L50 ($ 6.00) p o u r p o u v o ir p a s s e r d e u x h e u re s
d a n s u n c in é m a av ec leu r ép o u s e et leu rs e n fa n ts, alors q u e c h e z e u x et sans^ r ie n p a y e r ils
o n t d e m e rv e ille u x p ro g ra m m e s et l e choix d e h u it stations locales. 11 m ’est difficile d e vous
e x p liq u e r to u t cela, m a is a p r è s q u e lq u e s se m ain es en C a lifo rn ie ou à N e w Y o r k , vo us vous
r e n d re z c o m p te q u e je n ’e x a g è re p as en vous p a r la n t d u c in é m a m o r ib o n d ...
L ’a u te u r fa i t e n s u ite allusion a u x film s d ’u n e d e m i-h e itre q u ’il to u r n e a c tu e lle m e n t po ur
le c o m p fe d e la T.V. :
Je v ie n s d ’en faire h u it d u r a n t c es d e u x d e r n ie rs m o is — je n ’ai ja m a is c o n n u a u c in é m a
p a re ille lib erté, n o u s n ’a v o n s p lus le tem p s d ’avoir d e s p r o d u c te u rs o u d e s s u p e rv is e u rs , je
d ir ig e c o m m e je l ’e n te n d s , j e p la c e m o n a p p a re il où cela m e p laît, je fais c e q u e je v e u x et
n ’ai d e c o m p te s à r e n d re à p e rso n n e . D es tas d e je u n e s cré a te u rs ré a lis a te u rs d e 25 an s
d ir ig e n t d e s films e x trao rd in a ires a u p r è s d e sq u els le c in é m a fait figure d e vieillard et je n ’e x a
g ère p a s . L e s « l*ve sho w s » d e N e w Y o r k sont m erv eilleu x . E t q u e d e ta le n t !...
J e lis av ec é n o r m é m e n t d ’in té rê t « A rts fl, vos « C a h ie rs », « C i n é m a 57 » et « P o sitif »
q u e d e s â m e s c h aritab les m e fon t si a im a b le m e n t p a r v e n ir, j e n e sais ja m a is d ’ailleurs qui
e x a c te m e n t r e m e rc ie r p o u r ces envois. C es le c tu re s so n t vivifiantes et r a je u n is s a n te s p o u r le
v ieu x ro u tie r q u e je suis, car en m a je u n e s se je p e n s a is et critiq u ais d e m ê m e . M ais so u v e n t
c h a q u e s e m a in e , q u a n d je c o m m e n c e u n n o u v e a u film d e 30 m in u te s (2 jo u rs e t dem i) o u
d ’u n e h e u r e (5 jours) e t q u e je m e tro u v e au C a n e jo R a n c h à 7 h . 30 le m a tin et à 75 kilo
m è tr e s d e c h e z m oi, d ’o ù d é p a r t d e la m aiso n à 6 h e u r e s — e t q u e je fais face (sans a u c u n e
p ré p a r a tio n p ré alab le) à to u s les techn icien s, à d ix artistes, à d e s tas d e fig u ra n ts , d ’in d ie n s,
d e c h e v a u x , d e w a g o n s couverts d u W lld West] — s a c h a n t q u e je dois, q u o i q u ’il arrive, to u rn e r
m e s 60 o u 70 scènes d u r a n t la jo u rn é e — m ê m e s ’il p le u t — et q u e je d o is m e ttre en p lace
l a p r e m iè re scène, les w a g o n s cou v erts a tta q u é s d a n s u n ca n y o n p a r l e s S io u x , et ceci d a n s
les 15 m in u te s q u i v o n t suivre, je n e p e u x m ’e m p ê c h e r d e so u rire, e n p e n s a n t à tous ces
je u n e s jo u rn a liste s critiq u es au x p e n s é e s p u d o v k ïn ie n n e s , e n m e d e m a n d a n t ce q u ’ils fera ie nt,
s ’ils se tro u v a ie n t à cet in stan t à m a p lace? ...
46
PH O TO DU MOIS
P ro d u it en 1950 p a r le c a p ric ie u x H o w a r d
H u g u e s , J e t P ilo t, l'a v a n t'c le rn ie r film de
Josef v o n S t e r n b e rg v ie n t s e u le m e n t, av ec
six an s d e r e ta rd et c o m b ie n d e tr ip a to u il
lag es su r le s TOoritones d e la R .K .O ., de
sortir à N e w -Y o rk en m ê m e te m p s d u reste
q u ’à B ruxelles o ù j ’a i e u la c h a n c e d e l e v o ir.
Il s ’agissait, pour H ugues, d e satisfaire
e sse n tie lle m e n t tro is d e ses p a s sio n s d u m o
m e n t : l’av iatio n , J a n e t L e ig h et l ’a n ti-co m
m u n ism e . O n p e u t d i r e q u e c es trois v œ u x
f u re n t e x au cé s — et sa n s d o u te a u - d e là d e
ses espoirs, c a r J e t P ilo t est le m e ille u r film
d ’av iation réalisé à c e jo u r, J a n e t L e ig h y
est sim p le m e n t s u b lim e et l ’a n ti-c o m m u n is-
m e d ’u n e r a re p e rfid ie .
J a n e t L e ig h , g r a n d e aviatrice so v ié tiq u e ,
a tte rrit c h e z les A m é r ic a in s e t f e in t d ’avoir
choisi la lib erté. Jo h n W a y n e , g r a n d p ilo te
lu i aussi, est c h a r g é d e la c o u rtiser et a e lui
soutirer to utes sortes d e r e n s e ig n e m e n ts m i
litaires. D e u x iè m e acte : J a n e t L e ig h n ’était
u ’u n e e s p io n n e ; on s ’a p p r ê t e à l’ex p u ls e r
es E ta ts-U n is. J o h n W ayne, ré e lle m e n t
a m o u re u x , l’ép o u s e et s ’e n fu it avec elle en
R ussie. T ro is iè m e acte ; là-b as c ’est l ’e n fe r
ou g u è r e m ie u x . J o h n W a y n e , n e v o u la n t
p a s d o n n e r les r e n s e ig n e m e n ts s u r l'aviatio n
U .S ., su b it u n lessiv ag e d e c erv eau c o m p a
ra b le â celu i d é c rit p a r L a jo s R uff d a n s
L ’Express. A v a n t q u ’il n e soit tro p tard,
Ja n e t et J o h n s enfuienfc vers l’A m é r iq u e ,
m itra illés p a r to u te l ’a v iatio n sovié tiq u e , m a is
le d e r n ie r p la n no u s ra ss u re q u i n o u s les
m o n tre a m o u r e u x à P a l m S p rin g d e v a n t un.
steak.
L ’id é e d e p e in e r G e o rg e s S a d o u l m e d é
sole p a r a v a n c e , m a is je tien s J e t P ilo t p o u r
u n film g é n ia l, p o u r ce q u ’o n y tro u v e co n s
ta m m e n t 3e g r a n d S te r n b e rg é ro tiq u e ; lors
q u e J o h n W a y n e doit fo u ille r J a n e t L e ig h
e m m ito u flé e d a n s u n e c o m b in a is o n m o lle to n
née avec p o c h e s o b liq u e s su r la p o itrin e et
s u r le v e n tre , lo rsq u e avec s o n p ie d elle lu t
envo ie p ar l’e n tr e b â ille m e n t d e la p o rte sa
p e tite culotte à in sp e c te r, J a n e t e n c h e m is e
d e n u it, en av io n , en R u s s ie , p a r to u t Ja n e t
a u m e ille u r d e ses f o rm e s . L a m o itié d u film
n o u s les m o n tr e en a v io n s — c jia c u n la
sie n — et m ê m e d a n s les p la n s les p lu s
g é n é r a u x — les d e u x a v io n s tra v e rs a n t les
n u a g e s — o n perço it l e u r d ia lo g u e p a r ra d io
co m m e s ’ils é ta ie n t là, to u t p r è s d e n o u s.
C ’est u n d ia lo g u e to u t a la fois b a d i n e t
p a s sio n n é , et les a c ro b a tie s e ffe c tu é e s p a r
les d e u x a p p a r e ils so n t ress e n tie s p a r n o u s
co m m e a u ta n t d e caresses. L e to n p a r fo is se
h a u s se et les la rm e s n o u s v ie n n e n t a u x y e u x
d e v a n t ta n t d e b e a u té , q u a n d , p a r e x e m p le ,
les d e u x avio ns c a lm e m e n t p la n e n t côte à
J a n e t L ei g h e m m i t o u f l é e d a n s sa c o m b i n a i s o n côte et s ’e n f o n c e n t d a n s u n ciel coloré q u i
se ra, u n a n p lu s ta rd , c e lu i d ’A n a ta h a n .
m olletonnée
F. T .
47
LES DIX MEILLEURS FILMS DE 1957
1. U n roi à N e w Y o r k , 1 L es N u i t s de Cabiria.
2. La B lo n d e explosive. 2 U n roi à N e w Y or k.
3 . Les N uits d e Cabiria. 3 . 'Le F au x c o u p a b l e .
4. L e Faux coupab le. 4 . S a i t - o n j a m a is .. .
S La V i e c r i m i n e l l e d ’A r c h i b a l d d e la C r u z . 5. A m è r e v i c to ir e .
6. La N u i t de s fo r ai ns . 6. La N u i t d e s fora ins .
1. D e rri èr e le miroir. 7. Po r te d e s Lilas.
8 . La B lo n d e e t m oi . 8. La B lo n d e e t m o i .
9 Invraisem blable vérité. 9. C ote 4 6 5 .
10. D o u z e h o m m e s en colère. 10. Derrière le miroir.
lî. U n h o m m e d a n s la f o u l e . n . La B lo n d e e x p l o s i v e .
12. A m è r e victoire. 12. La V i e c r i m in e ll e d ’A r c h ib a ld d e la C r u z .
13. La M a is o n d e l ’a n g e . 13* F e m m e s e n t r e e lle s.
14. Le P o n t d é la r iv iè re K w a ï . 14. D o u z e h o m m e s en c o lè r e .
15. ex aequo : Sait-on jam ais, 15. I n v r a is e m b la b le v é r i t é .
Les A m a n t s c r u c i f i é s . 16. Ecrit sur du v e n t .
17. P o r te d e s Lilas, 17. Un hom m e da n s la f o u l e .
18. ex aequo : Ecrit sur du vent. 18. Le P o n t d e lai rivière K w a ï .
Un vrai cinglé de ciném a. 1 9 . L es 'Espions.
2 0 . T oro . 20. M o r t e n fr a u d e .
N os lecteu rs tire ro n t d 'e u x - m ê m e s les con clu sio n s qu ; s ’im p o sen t : q u ’ils s a c h e n t to u te fo is
q u e les films figurant u n i q u e m e n t d a n s la LlSTE LECTEURS o n t les p la c e s su iv a n te s d a n s îa
LlSTE C ahiers : F e m m e s en tre e lle s (22e), C o te 465 (29°), M orf en fra u d e (43e), L e s E s p io n s
(non cité). R é c ip ro q u e m e n t, d a n s la LlSTE LECTEURS n o u s tro u v o n s U n m a i c in g lé d e c i n é m a
(21°), T o ro (26°), L e s v4m anfs crucifiés (34e) et L a M a iso n d e l’a n g e (43e). Q u ’ils s a c h e n t e n c o re
q u e b o n n o m b r e d e nos c o r re s p o n d a n ts d e p ro v in c e se p la ig n e n t d e n ’avoir p u voir les films
ex p lo ités u n iq u e m e n t en version o rig in a le et p lu s p a rtic u liè re m e n t ; L e s A m a n t s cru cifiés, L a
B lo n d e et m oi, L a B lo n d e e x p lo s iv e , L a M a iso n d e V ange, L a N u it d e s fo ra in sy L a V ie c r im i
n elle d 'A r c h i b a l d d e la C r u z , etc.
48
COTATIONS
• inutile de se déranger
Jfr: à voir à la rigueur
** à voir
LE C O N S E I L DES D I X à voir absolum ent
chefs-d’œuvre
Case vide : ab sten tio n ou : pas vu.
Henri Pierre Jacoues
IÏT R I I DES F IL M S Les d ix
Jean de Robert Charles Doniol- Jean -L u c Fereydoun Eric Georges
Asel Baroncclli Benayoun Bitsch Braunberger Valcroze Godard Hoveyda Rohmer Sadoul
Le g r a n d c h a n t a g e (A. M a c k e n d r ic k ) . , . ★ ★ •k k k k k ★ ★ * ★ ★ ★ * ★ ★
Stella (M . Cacoyannrs) ★ * k k * k k k ★ ★ ★ *
M a i g r e t t e n d u n p iè g e (J. D elannoy) ★ ★ * * « ★ k k
Pères e t Fils (M . M onicelli) ★ ★
Je a n n e Eagels (G. S idney) ★ ★ ★ ★
Les A v e n t u r e s d e H ad ji (Don W e is s ) ★ * ★
Tam ango y. B e r ry ) • k • ★ k
Les V io le n ts (H. Cale f) ★ k • •
LIS 11MlS
Haute infidélité
THE BRIDGE ON THE RIVER KWAI (LE PONT DE L A RIVIERE KWAI),
film américain en Technicolor et CinemaScope de D a v i d L e a n . Scénario : 'Pierre
Boulle d’après son roman. Images : Jack Hildyard. Montage : Peter Taylor.
Interprétation : Alec Guiness, "William Holden, Jack Hawkins, Sessue Hayakawa,
Ann Sears. Production : Horizon (Sam Spiegel), 1957. Distribution : Columbia.
J’ai vu Le Pont de la rivière Kwaï que j’essaierai de définir, le film de
avec quelque retard, ayant eu tout le David Lean m’a paru, tout compte
loisir de me faire des idées précon fait, nettement plus estimable que ne
çues, à travers d’abord l’imposante me l’avait laissé supposer les dithy
offensive de propagande qui précéda rambes des uns et les réserves mesu
sa sortie commerciale, puis îa lecture rées des autres.
attentive des critiques, enfin celle du Tout d’abord, -il convient de cons
livre de Pierre Boulle. Bref, je me suis tater qu’il est nettement supérieur au
rendu finalement au Normandie avec livre. Ce qui, du reste, puisque Pierre
résignation, persuadé de tout savoir Boulle signe également l’adaptation,
d’avance sur le film et sur l’action. n’est pas forcément pour diminuer
Cette critique sera d’abord l’analyse et les mérites de son auteur. Mais nous
L’explication de ma relative surprise. nous trouvons nettement ici dans
Dans le cadre des limites artistiques l’une de ces conjonctures assez rares
50
où les rapports habituels entre roman lieux et d'action que n’offrait pas le
et cinéma se trouvent inversés. roman. On ne saurait contester l’in
Il est bien connu, en effet, que la telligence de la création du person
durée esthétique du film est plutôt nage de l’Américain dont le caractère
celle de la nouvelle. Même — ce qui donne, par contraste, perspective et
est déjà rarissime — quand le simple relief à celui des Anglais. C’est là une
passage au cinéma n’implique pas un astuce de scénariste, mais justifiée
parti pris d'affadissement et de ré par l’intérêt, de son résultat.
duction intellectuelle de l’univers roma En sorte que, tiré d’un petit livre
nesque, les contingences temporelles de 150 pages, Le Pont de la rivière
du spectacle condamnent l’adaptation Kwai apparaît, à qui ne l’a pas lu,
sinon à l’avilissement, du moins à la comme l’adaptation d’un gros roman
simplification. trois fois plus long.
Or, pour une fois, cette fatalité n’a Certes, la longueur n'est pas a priori
pas joué. Sans doute, grâce au courage synonyme de qualité et le résultat pour
et à la résolution des responsables — rait être mauvais, même dans ces condi
producteur et m e tte u r en scène —, tions. Je ne trouve pas qu’il le soit,
mais aussi et d’abord parce que le parce que ce gonflement, ce nourrisse-
rapport esthétique entre le roman et ment du scénario initial s'est fait pour
le film pouvait s ’inverser. Des deux, une fois, non selon les normes conven
en effet, c’est le roman qui est une tionnelles du spectacle cinématogra
nouvelle et le film qui est un vrai phique commercial, mais dans le res
roman. L’action évoquée par Pierre pect de la logique de l’histoire et des
Boulle est sans doute substantielle et personnages, et à peu près selon la
longue, mais elle l’est dans un style liberté de l’écrivain.
cursif et fort peu descriptif. Il ne Je sais bien que cela a été souvent
s'agit guère que du développement contesté et que Pierre Boulle lui-
logique d’une situation dans un ca même a laissé discrètement percer
dre historique et géographique, posé quelques regrets quant au dénouement
en termes presque abstraits. Quant du film ; mais il ne m’a pas semblé,,
aux personnages, leur psychologie per que ces griefs fussent, à la réflexion,
sonnelle est à peu près limitée aux bien justifiés. Je retiendrai les deux
besoins de l’évolution complète de la principaux : l’intrigue amoureuse avec
situation initiale. Son colonel Nichol- les villageoises indigènes et surtout
son n'est qu’une ganache parée de la la destruction finale du pont, provo
dignité britannique ; seulement un peu quée par la chute de Nicholson blessé
plus entêté et plus bête que la plu à mort.
part de ses semblables ; un peu plus Certes, je ne nierai pas absolument
courageux aussi, mais l’un n'exclut pas qu’il y ait quelque chose d’un peu
l’autre. En tout cas, il ne laisse guère conventionnel dans l’intervention des
dans le souvenir que l’image schéma rapports sentimentaux entre les jeunes
tique d’un type sociologique et moral, personnes qui font office de porteurs
non cette connaissance intime et fa et deux des militaires du commando
milière propre aux héros de romans. (Holden et le jeune Canadien). Cette
En raison même de sa simplicité et petite intrigue permet évidemment au
de sa monotonie, l’action du livre- metteur en scène d’introduire là note
devait être nourrie et variée pour érotique à laquelle ce scénario viril ne
son adaptation cinématographique, se prêtait guère. Je concéderai aussi
mais surtout les personnages ne pou que la grâce physique des jeunes villa
vaient demeurer dans leur état semi- geoises est d’un exotisme qui peut pa
anonyme. Le fait de leur donner un raître provoquant. Mais le prétexte de
visage obligeait le réalisateur à leur la réquisition des hommes valides par
assurer aussi une psychologie que le les Japonais est une adroite justifica
livre n’exigeait pas. Pour Nicholson tion à l’utilisation des femmes, qu’il
d'abord, naturellement, et même pour fallait jeunes pour résister à la fatigue
la foule des soldats anglais dont il du portage. Il n’est plus que d’admet
faudrait justifier, expliquer et nuan tre que toutes les jeunes Birmanes
cer l’attachement à leur colonel. Puis, sont bien faites, ce qui après tout est
il y avait les saboteurs, dont le rôle vraisemblable. En tout cas, et même
devait presque inévitablement être si David Lean arrange ici un peu les
développé, non seulement pour des choses, cette stylisation est justifiée
raisons de symétrie dramatique, mais par l’utilité psychologique et drama
pour saisir l’occasion d’une variété de tique d’une aura érotique préludant
51
à la mort des héros. Il ne s’agit pas en est une autre. On ne peut à la
seulement de satisfaire la libido du fois nous imposer son existence face
spectateur, mais de donner au sacri à face ' et contredire aux évidences
fice des deux jeunes gens son relief et que cette existence personnelle finit
comme son ombre projetée du côté de par imposer. J’ai quant à moi ressenti
la vie. Je pense donc non seulement comme une nécessité aussi bien phy
que les scénaristes n’ont pas eu tort sique que psychologique l’éclair de
d’introduire cette esquisse d’intrigue lucidité final de Nicholson, et je ne
amoureuse, mais qu’ils auraient com pense point du tout qu’il annule ré
mis une faute en y renonçant. trospectivement l’absurdité de son
La question du dénouement est plus œuvre. De toute façon, Nicholson est
subtile, mais plus significative encore incorrigible : il ne peut toujours com
des exigences issues de l’image ciné prendre que trop tard, pour lui, et
matographique. pour les autres.
D’abord, comment donner tort au ■ Mais à partir de là David Lean s’est
producteur qui, s’identifiant à ses spec trouvé coincé dans une contradiction.
tateurs, estime impossible de ne pas Dès l’instant, 1° que le pont devait
détruire un pont qui lui a coûté si sauter, 2° que Nicholson finissait par
cher ? Il est vrai que la réalisation entrevoir sa folie, la seule issue logi
physique, matérielle, du fameux pont que était que ce fût le colonel lui-mê
par les cinéastes place le spectateur me qui appuyât sur le détonnateur.
dans un rapport psychologique diffé Mais ce dénouement est évidemment
rent de celui entretenu dans l'imagi apparu à David Lean comme une ma
nation du lecteur. A la fin du film nière de happy end commercial,
le pont domine vraiment la rivière contredisant l’austérité et la rigueur
Kwaï, ce n’est point une maquette de intellectuelle de l’adaptation, en
studio. Peut-il survivre au film sans même temps qu’un surcroît d’infidélité
créer ainsi une absurdité seconde qui au roman. Aussi s’est-il résigné à cette
annulerait en quelque sorte celle que solution bâtarde et qui cumule les in
veut dégager le scénario, comme s’an- convénients de la concession et de
' nulent deux négations successives ? l’invraisemblance : Nicholson fera
Il fallait choisir : que l’absurdité fût sauter son pont, mais involontaire
dans le film ou qu’elle fût le film lui- ment, en tombant mort sur le déto
même. D’instinct, et pour des motifs nateur.
peut-être moins intellectuels, le pro Je ne crois donc pas que l’on puisse
ducteur a vu juste, en estimant né sérieusement critiquer le film de David
cessaire la destruction de ce pont. Lean sur les adaptations qu’il a fait
Je dirai plus, il n'est pas allé assez subir au livre. D’abord, parce qu’en
loin dans l’infidélité au livre. Il est général elles enrichissent les données
flagrant que scénariste, metteur en originales, ensuite, parce qu’alors mê
scène ou producteur, je ne sais, ont me qu’elles paraissent les édulcorer,
reculé devant ce qu’ils considérèrent elles sont en fait exigées par le sup
avec mauvaise conscience comme une plément de réalisme psychologique
concession indigne de l’audace de leur apporté par l'image.
entreprise. Dans le livre de Boulle, *
Nicholson meurt sans avoir compris
et le pont ne saute pas. Jusqu’aux en En faut-il pour autant crier au chef-
fers le colonel ignorera la folie de d’œuvre et considérer Le Pont de la
son comportement. Or, j e crois que rivière Kwaï comme un idéal cinéma
cette persévérance ontologique dans tographique ? Ce n’est point ce, que
l’absurdité de son être eût été insup mon plaidoyer voulait dire. Mais il
portable au cinéma ; c’est-à-dire in est en effet difficile d’être juste avec
vraisemblable. L’admirable interpré un tel film et de situer exactement ses
tation d’Alec Guiness dans la longue mérites comme ses limites.
séquence finale rend cette vérité sen Le Pont de la rivière Kwai est en
sible. Il est loisible à l’écrivain d’es effet d’une qualité extraordinaire pour
quiver la psychologie au bénéfice de le cinéma, mais cette qualité doit être
la fable morale, il n’a qu’à procéder par remise à sa place qui n’est pas la plus
ellipse et se garder de décrire trop haute. Plus exactement, il n’y a que
précisément les réalités qu’il veut faire fort peu d’exemples chaque année
entrer dans son jeu. Mais écrire le d'entreprise cinématographique menée
nom du colonel Nicholson est une avec cette intelligence et surtout cet
chose, l’incarner devant la caméra te rigueur. On a parlé à son propos
52
de cinéma « adulte » : Fépithète est dition. En bref et pour exprimer le
valable si l’on entend par là le refus phénomène d’une autre façon, la dé
de certaines conventions de ' scénario marche du scénario possède de bout
ou de mise en scène. A le juger sur ses en bout la liberté d’allure et la ri
thèmes extérieurs, Le Pont de la ri gueur interne du roman.
vière Kwaï relève à la fois du film Cette rigueur du scénario
d’aventures et du film de guerre. Cer est doublée et confirmée par une égale
tes le dernier genre a déjà donné des rigueur de mise en scène. Non que
œuvres intellectuelles estimables, mais celle-ci soit jamais plus que précise et
je ne crois pas qu’aucune recèle moins consciencieuse, mais, réalisée presque
de conventions dramatiques que celle- totalement en extérieurs, elle se refuse
ci. J'en vois notamment une illustra aux facilités de la transparence et
tion dans le massacre final qui prive cette seule exigence photographique
le spectateur de la plupart des per confère à l’entreprise une tonalité ex
sonnages auxquels on Fa intéressé ceptionnelle.
pendant le film. Certes la mort du En somme, si l’on compare le résul
héros n’est pas une audace originale, tat final du travail de David Lean à,
mais elle n’intervient généralement ses prémisses, force nous est de cons
qu’au terme d’une préparation dra tater qu’il est effectivement inhabituel
matique qui tout à la fois l'exorcise que l’ambition d'un film se situe à ce
et la rend nécessaire. Rien de tel ici : niveau et surtout qu’il y ait si peu de
la mort de deux sur trois des saboteurs différence entre la qualité de cette
n’est que la conséquence logique des ambition et celle du résultat. En d’au
circonstances. Elle intervient sans tres termes, je dirai volontiers que
tenir compte des rapports moraux qui nous sommes en présence du meilleur
se sont institués entre les protagonis film concevable à partir d’un certain
tes et les spectateurs. Il est par exem type de scénario.
ple indiscutable que, dans tout autre
scénario traditionnel, l'un au moins Mais c’est alors ce type de scéna
des deux saboteurs s’en tirerait de rio qu’il nous faut juger. Et c’est pour
façon à permettre, selon une loi de cela que nous pouvons estimer bien da
compensation toujours respectée, de vantage d’autres genres de cinéma,
reporter le potentiel de sympathie li même s’ils nous offrent malheureu
béré par la mort de l’un des protago sement peu d’exemples d’aussi par
nistes sur le survivant. Ici au contrai faite adéquation entre leur ambition
re on nous prive des deux personnages et leur existence. Et puisque nous avons
les plus sympathiques, après nous parlé de film romanesque disons, pour
avoir rendu leur vie plus précieuse rester dans cet ordre de référence,
encore par une intrigue sentimentale, qu’il faut naturellement préférer Ber
et l’on nous laisse dans la seule com nanos à Rudyard Kipling et Renoir
pagnie d’un survivant affectivement ou Fellini à David Lean.
indifférent : l’Anglais chef de l’expé André BAZIN.
53
Anthony P erkins et Karl Malden dans Prisonnier de la peur de R o b ert Mulligan.
Le second souffle
BAND OF ANGELS (L’ESCLAVE LIBRE), film américain en Warnercolor
de R a o u l W a ls h . Scénario : John Twist, Ivan Goff et Ben Roberts, d’après le
roman de Robert Penn Warren. Images : Lucien Ballard. Musique : Max Steiner.
Interprétation : Clark Gable, Yvonne De Carlo, Sidney Poitier, Ephrem Zimbalist
Jr., Rex Reason. Production : Warner Bros, 1957.
Rocambolesque, péripéties multiples, sonnages guère nuancés, bref mélo-
situations extrêmes, imagerie aux per- drame... Et le spectateur de L’Esclave
55
libre doit, je présume, se sentir déçu épisodes et prépare de longue main ses
s’il pense assister à une nouvelle mou résonances ; le style lyrique et profus
ture d’Autant en emporte le vent : le joint l’étendue du registre à la virtuo
spectacle y est moins fastueux, et sité.
moins sollicitée l’émotion. Mais cette
déception serait fondée sur une mé Rien de tout cela, si ce n'est peut-
prise, car quels qu’aient pu être les être la longueur du roman, ne paraît
propos des adaptateurs, leur travail incompatible avec les exigences de
s’est exercé sur des matières romanes l’écran. Mais les personnages de Penn
ques fort différentes. Il y a peu à dire Warren et leurs actes, par leur côté
sur le roman de Margaret Mitchell, ni symbolique, s’accordent mal avec le
plus, ni moins puéril que la plupart des talent, certes inventif mais direct et
romans de consommation courante. point abstrait, de Raoul Walsh. Ce
Autres sont la personnalité et l'ambi metteur en scène représente à mes
tion de Robert Penn Warren, et je yeux la santé d’un cinéma proprement
demande qu’on m’excuse si je parle 'du américain, son œuvre est d’un conti
romancier qui écrivit Band of Angels nuateur de Griffith que n’aurait tou
avant d’aborder le film qu’en tira ché aucun apport européen : elle
Walsh. ignore la fascination et ses éléments
s’appellent relief, rythme et gravité.
Né en 1905, représentant notoire du Je n’entends pas déprécier par là un
« new critieism x> qui cherche à déga cinéaste que j’admire, mais plutôt ex
ger la critique de l’impressionnisme pliquer un désaccord qui demeure sen
par l’étude du style et de la technique, sible dans L’Esclave libre. Il y manque
tour à tour professeur à ^Université de cette nécessité qui, sans discontinuer
Louisiane et directeur de la « Sou et jusque dans leurs répits, portaient
thern Review », Robert Penn Warren, des films comme La Vallée de la peur
poète et romancier, n’a cessé d’affir ou La Fille du Désert. L’Esclave libre
mer des valeurs spécifiquement litté n’a pas su trouver cette économie pro
raires en face du roman new-yorkais fonde et nullement exclusive d’une
issu du journalisme. Aux écrivains cos riche invention, c’est davantage un
mopolites 'des années 1920 — Heming livre^ d’images qui nous est offert, avec
way, Fitzgerald, Dos Passos — ils s’op ce rien de gratuité d’une œuvre plus
pose par une inspiration étroitement romanesque que dramatique.
liée ail régionalisme du Sud. Les sou
venirs de la guerre civile en sont la La première partie, bien venue, se
source de prédilection, celle qui auto termine par le coup de théâtre qui
rise la fuite et l’immobilisation dans jette en esclavage la fille d’un plan
le passé, car Penn Warren partage teur. L’adhésion se fait plus réticente
avec Faulkner cette nostalgie qui lorsque l’esclave est achetée par un
trahit un sentiment de culpabilité : le gros bonnet de la Nouvelle Orléans,
problème noir s’y présente moins dans philanthrope de surcroît, qu’interprète
son aspect social et métaphysique, Clark Gable. Ce n’est pas l’acteur du
l’esclavage est le péché du Sud. En personnage, nous prenons-nous à mur
héros de l’Ancien Testament, les per murer, ce bonhomme a plus du. trafi
sonnages de Penn Warren portent le quant que du grand bourgeois ; et cet
poids de cette faute et seules leurs air discordant persiste jusqu’à ce que
œuvres, non la rédemption, peuvent l'irruption de la guerre civile amène
les en délivrer. On aura compris que les personnages à se définir à eux-
les romans de Warren (cinq d’entres mêmes, tout en s’expliquant devant
eux ont été publiés en France, dont les nous. Par ces révélations qui les
Fous du .Roi) ont une teneur mytholo dépouillent à mesure de leurs masques
gique. Ils valent par la force drama conventionnels, ils revêtent à nos yeux
tique, par une mise en scène concer une vérité et une noblesse jusque-là
tante et non par l’analyse, par une justement mises en doute. C’est à ce
approche enveloppante et non par le ■moment que le metteur en scène
récit, et cette descente en profondeur trouve son second souffle, et le grand
me remet en mémoire l’admirable Walsh apparaît à l’aisance altière 'du
phrase de Faulkner : « Il faut tenter mouvement, à l’assurance du ton où la
de raconter le passé de l’homme en chaleur est invitée, à une joie créatrice
fonction de son avenir. ;> Des chemins trop rarement perçue auparavant.
complexes appellent une technique
élaborée : la composition ignore la
chronologie, concentre ou intercale des Philippe DEMONSABLON.
56
Le sial et l’éther
THE TEN COMMANDMENTS (LES DIX COMMANDEMENTS), film américain en
VistaVision et en Technicolor de Cecil B. DeMille. Scérarïo : Aeneas MacKenzie,
Jesse L. Lasky Jr., Jack Gariss et Fredric N. Frank d'après Les Saintes Ecritures
et d'autres écrits anciens et modernes. Images : Loyal Griggs, J. Peverell Marley,
John Warren et Wallace Kelley. Musique : Elmer Bernstein. Interprétation :
Charlton Heston, Anne Baxter, Yul Brynner, Edward G. Robinson, Yvonne De
Carlo, Debra Paget, John Derek, Nina Foch, Sir Cedric Hardwicke, Judith
Anderson, Martha Scott, Vincent Price, John Carradine, Henry Wilcoxon, Fraser
Heston, Cecil B. deMille, etc. Production : Cecil B. deMille. — Motion Pictures
Associates, inc., 1956. Distribution : Paramount.
Des préjugés accablent ce film ; par- et de sa thématique ? A quoi bon réfu-
ce que l’entreprise est sur le plan ma-' ter ces critiques, que comblerait ce
tériel la plus colossale de toutes, elle mariage ignoble du conformisme reli
ne saurait avoir de portée spirituelle, gieux, du commerce et d’une certaine
alors qu’en réalité plus le déploiement imprécision spirituelle nécessaire, tel
d’actions et de présences physiques est celui de Green Pastures ou de Mira-
important, de plus de chances dispose cota a Miiano ? ('Comme si la chrétienté
l’auteur d’accéder, par le spectacle de pouvait supporter les injures d’un art
la terre, à l’invisible. Parce que la collectif). Au génie, ils préféreront tou-
lettre et la thématique du Pentateuque jours le bon artisan sans âme, pares-
sont constamment trahies, le film seusement soumis à la propagande ; à
serait lui-même trahison. Depuis quand Rossellini, Sjôberg ou Delannoy.
critiques et spectateurs ont-ils pris ce L’on a le droit, même le devoir, de
droit, à jamais interdit par la raison, de détester The Ten Comm a n dmen ts, mais
juger une œuvre à partir de son sujet seulement si l’on n’en déteste que la
M o ïs e -d e M ille d o n n e l’e x e m p le .
57
direction d’acteurs ou la pauvreté d’in d’amours entre Moïse et Nefretiri, entre
vention. Mais, il est 'de ces rares films Joshua et Lilia, que tout concourt, sauf
qui ne se peuvent jauger à la mesure la réalisation, à rendre humaines.
griffithienne du jeu et de 'l’invention. DeMille a toujours été plus proche
C’est tout le contraire ici : deMille a du protestantisme que du catholicisme
montré maintes fois dans les années — sauf peut-être vers le milieu de sa
passées, — et aussi, autant que son évo vie —, le protestantisme plus proche
lution le lui permettait, dans cet inter spirituellement de rAncien Testament
mède au pays de Madian, coloré et que du Nouveau, de la littérature et des
charmant, référence à l’ancienne ma beaux-arts que du cinéma, de ridée
nière, contrepoint à la nouvelle, qui, que de la chair, à l’opposé de la reli
par l’absurde, en prouve la profon gion romaine. Ces généralités compren
deur —, qu’il n ’avait rien à envier à ce nent leur part d'approximation, mais
cinéma du geste, du trait, chers à Bor- elles permettent de mieux comprendre
zage ou Vidor. Et ce refus volontaire le personnage : deMille est un Achab
des prestiges de l ’invention, efface moderne, un puritain du Massachu
ment plus qu’absence, équivaut à la setts, et tous les puritains de la Nou
forme exactement opposée de la créa velle-Angleterre, faute d’une saine
tion, à laquelle, par là, il se rattache. liberté, fondent leur croyance sur un
Mais ce style a une double origine : individualisme forcené, qui les protège
chaque créateur, avec l’âge, cherche à apparemment de l’empreinte satani
réduire le nombre des effets, propres à que, mais les en rapproche cependant.
la jeunesse. DeMille a subi la même C’est le parfait mégalomane. Voir à
évolution : l ’art tend toujours à s’af ce sujet le numéro 12 des CAHIERS,
firmer par sa propre annihilation. A page 46, l’appellation de sa firme —
cette évolution esthétique normale, se car The Ten Commandments continue
rattache une évolution personnelle, la tradition de la production indépen
qu’il serait malaisé et vain de séparer dante — et toutes les déclarations à
de la première. Après quelques essais la presse : « Mon film est bon parce
et recherches au temps de la Pre qu'il est la Bible. C’est comme ça, et si
mière Guerre Mondiale, deMille réalisa vous ne l’aimes pas, c’est que vous
quelques très belles comédies où Tac- n’aimez pas la Bible » a-t-il déclaré
trice 'était reine, dont l’admirable Maie en substance à RADIO-CINEMA
and Female, Little Tînt réussie, qui (N° 409). D’où le grand spectacle.
aurait pu être signée Borzage ou La morale de l’histoire est d’un ma
Walsh, voire Stroheim ou Griffith. nichéisme extraordinaire. Rien que la
Suit la fureur de The Godless Girl, ligne droite, pas de dialectique : c’est
aussi moderne de conccption qu’un le charme de deMille. Ramsès repré
Ray ou un Fuller, et toute une série sente Mao Tsé Toung et Moïse deMille
de films d’aventures diverses aux mul soi-même, lequel paraît toujours sous
tiples richesses, mais déjà marqués par les traits du plus talentueux des jeu
le jeu très spécial de l ’acteur — fût-ce nes acteurs américains, Charlton Hes-
deMille ou Gary.Cooper qui imposa ce ton (cf. Greatest Show on Earth, auto
style fondé sur la présence et sur le biographie non 'déguisée). DeMille in
visage, non plus sur le mouvement et carne ainsi la civilisation américaine
le regard, je ne le sais : sans doute y contemporaine, et sa forme la plus
eut-il interpénétration. Comparez le décriée, celle qui nie les problèmes, les
lyrisme de Bttccaneer ou â’Union Pa mystères, et résoud tout par l’évidence.
cific à la retenue de la cornélienne Pourtant, chaque forme de civilisation,
Story of Dr. Wassel, à mon sens le même îa plus arriérée, a du bon : elle
chef d’œuvre de deMille. s’inspire de la nature au moins sur un
Avec Samson and Delilah et The certain plan. Et cette civilisation amé
Greatest Show on Earth, cette épura ricaine, qui nous a déjà valu tant de
tion déconcertante s'intensifie, qui chefs-d’œuvre, je la louerai pour deux
trouvera sa pleine justification dans raisons : sa foi en la technique créée
l’adaption biblique. On ne peut repro par l’homme, qui, de ce fait, ne peut
cher à deMille cette nouvelle manière, que l’enrichir, jamais le détruire; sa
si l’on a du goût pour l’ancienne : rudesse, qui refuse la complexité, l’en
tout créateur ne saurait que progresser jolivement, et ne voit que l’essentiel, le
avec l'âge. Ce que nous admirions au f a i t . brut : j’admire spécialement les
paravant se retrouve encore ici, mais truquages car ils sont présentés sans
à l’arrière-plan, à l’état de schème hypocrisie comme des truquages. Cette
inutile : voyez les froides scènes nudité est un crible : a quoi bon la
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sotte vraisemblance ? La Bible n’y ga l’étonnant emploi de la couleur ir
gnerait rien. réelle et symbolique, surtout dans les
Le protestantisme exacerbé devient séquences où apparaît le ciel. Elle rap
vite refus de la chair, de la matière. pelle le côté souterrain ûe Jeanne au
Tout film abstrait ne l’est qu’à l’arri Bûcher auquel Ten Commtnd'tnents
vée, or The Ten Commandments l’est ressemble étrangement, avec cette dif
au départ. Refus du réalisme, de la férence immense que l’un est fondé
vraisemblance, de l’humain : il n’y a sur le mouvement et l’autre sur la
pas de réalité que celle nécessaire à fixité. Les tons brique sont aux Dix
l'existence du film. Tout ce que nous Commandements ce que les bleus pâles
voyons est factice, parce que le réali sont à Larid of the Pharaohs, De Faulk
sateur ne s’y attache pas, fidèle à la ner et Hawks, deMille reprend d’ail
Bible, qui condamne toute reproduction leurs quelques images splendides, dont
et- tout zavattinisme. Nul effet drama celle de la masse de pierre qui glisse
tique dans ce film anticommercial. Il lentement vers la droite pour obturer
rapporte des milliards c’est vrai, mais le cadrage. Ces rappels d’un cinéma
seulement grâce à la publicité, à l’af proprement cinématographique, avec
fiche, au spectacle promis et jamais l’intermède Sephora et les très belles
offert. Si deMille avait confié la réali scènes finales entre Ramsès et Nefre-
sation à“quelque Jerry Hopper, le film, tiri, détonnent dans une œuvre aussi
moins anachronique d’apparence, au peu traditionnelle. Ce sont le parti-
rait rapporté au moins deux milliards pris de style et les adhérences litté
supplémentaires. raires et picturales, seuls, qui justi
DeMille est le réalisateur de l’autre fient notre intérêt : voilà un film qui,
monde, d'où recours à la littérature. par sa nature même, incite plus à la
Ses films deviennent de plus en plus réflexion qu’à la contemplation ; je
prétextes à commentaires supra-cosmi- vais être plus méchant : il laisse mar
ques, lyriques et bibliques (voir aussi que plus durable après la représenta
dans Samson and Delilah où le pre tion que pendant.
mier plan montre la terre qui tourne, Chacun est libre de ses goûts, mais
Greatest Show on Earth, où le cirque j’avouerai pour ma part préférer à de
se voit élevé à une dimension supé Mille les cinéastes qui vivent encore sur
rieure) ou à des dialogues sublimes la terre et par la terre, surtout lors
(The Story of Dr. Wasseïl). A la pein qu’il s’agit de celle des pharaons.
ture, aussi bien à travers les nombreux
et brillants emprunts qu'à travers Luc MOULLET.
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rielle ou morale) nous paraît, ici, res
sortir plutôt à la simple économie —
i.e. l’économie du récit — qu'à l’amour
fervent, ou, à défaut, cette complaisan
ce aimable pour les objets, fétiches,
insignes de classe, caste, bande ou
clan, qui font le charme de Sait-on j a
mais...
Au fond, ce qu’il y a de plus contes
table dans Ascenseur -pour l’échafaud,
c’est la littérature. Au sens le plus
étroit du terme, celui de texte : dans les
moments où l’image essoufflée ne par
vient pas à suivre un oiseux commen
taire. Il est certain que le roman de
Noël Calef a été considérablement amé
lioré (motif du crime, idée du
motel, etc.). Il est possible, aussi, que
le dialogue de Roger Nimier, où l’on
peut relever quelques jolies formules,
rende mieux sur le papier, mais la
plupart du temps, il sonne faux. Et
cette Uttérature-là (si maintenant nous
étendons quelque peu le terme) nous
Je a n n e iMoreau et Félix M arten dans démontre assez, en cette occasion que,
A scenseur pour Véchafaud de Louis Malle. même opportunément reverdie par le
pétrole, les paras d’Indochine, les Mer
entre le parti pris « behaviouriste » cedes 300 S.L., l’autoroute de l’Ouest,
du récit et le soliloque (le plus souvent sa vieillesse n’est guère plus alerte
en travelling-contre-plongée : l'embû que celle du folklore d’entre Porte-
che des embûches !) de Jeanne Moreau. des-Lilas-Canal Saint-Martin. Que le
Ces malencontreuses tranches de style jeune cinéma français, aux pieds sou
subjectif font d’un coup dégringoler de dains allégés, se garde de faire de
plusieurs années l'âge historique du l’Amérique, de ses tours, de ses genres
film et ternissent le chrome, ma foi as et de ses lois, une nouvelle tortue
sez moderne, du corps de l'ouvrage. Car, d'Achille. — E. R.
si la narration boite souvent, la lan
gue, elle, est ferme. Ce qui doit être
mis en valeur — mimique, geste, ob Une tr a g é d ie de l'h um iliatio n
jet — l’est avec précision, sans l’être
trop grossièrement. Les scènes dans
l’ascenseur nous offrent un petit di- S W E E T S M E L L O F S U C C E S S (L E G R A N D
C H A N T A G E ) , film a m é ric a in d e ALEXANDER
gest, pas trop indigne, de l’infrastruc IVIackeNDRICK. S c é n a r io ; Clifford O d e ts et
ture du Condamné de Bresson. L'ar E r n e s t L e lim a n n d ’a p rè s la n o u v e lle d ’E s n e s t
chitecture moderne et les automobiles Lehm ann. Im a g es : Ja m e s W ong H ow e.
ont l'air d’inspirer Malle et Decaë. M u s iq u e : E lm e r B e m s te in . In terp réta tio n :
L’épreuve photographique, révélée dans B u rt L a n c a s te r, T o n y C urtis, S u sa n H a r r i s o n ,
le « bain » est du plus heureux et Je ff D o n n e ll, B a rb a r a N ichols, P ro d u c tio n :
H o w a r d , H e c h t, J a m e s H ill, B urt L a n c a s te r),
dramatique effet. 1957. D istrib u tio n ; A rtiste s A ssociés.
En revanche, mis à part ce dernier
trait, on chercherait en vain ces mo
ments de grâce photogénique épars, Cette œuvre partiellement réussie
mais bien présents chez Vadim. Cela, s’inscrit dans la tradition d’Un
compte tenu du handicap occasionné homme dans la foule, des Blondes de
par l’écran normal et le noir et blanc. Tashlin, des Picnic et Bus Stop de Lo-
La sensibilité n'est pas, jusqu’à nou gan, voire du Roi de Chaplin : une
vel ordre, le fort de notre lauréat, et démystification en forme d’attaque de
les morceaux de pathos d'ouverture et certaines insitutions américaines con
de fermeture ne sont pas là pour nous temporaines. Cette fois-ci c’est aux
contredire. Le choix des notations (elles « columnists » que Clifford Odets rè
foisonnent : pittoresques, sociologiques, gle leur compte avec une violence et
psychologiques, d’atmosphère maté une audace qui laissent pantois dans
60
un pays (le nôtre) où la censure ne et He Ran AU the Way et dans quel
tolérerait jamais que l’on puisse mettre ques plans de Ça va barder et Je suis
en cause, comme ici, la sacro-sainte un sentimental. On ne saurait pour
police ou nos dignes sénateurs... comme tant lui faire grief de s’être éloigné to
si nous ne savions pas que notre presse talement de Mérimée s’il n’en avait
a elle aussi quelques empereurs qui ont gardé le titre. Ce qu’il voulait dire
leur entrée à la préfecture ou au Sé était différent et sans doute plus ac
nat. Ce récit n'a pas pour lui que l’au tuel, Plus courageux aussi. Il l’a dit
dace de son thème, il brille aussi dans et la censure ne s’y est pas trompé.
le détail — comme celui du Grand cou Pourquoi diable ne pas l’avoir fait en
teau, — par la justesse des person se laissant aller à son tempérament
nages, par la vigueur des dialogues, naturel plein de fantaisie et de géné
par la rigueur de la ligne dramatique : rosité ? Cette froide construction théâ
il faiblit toutefois sur la fin, comme trale rendue grinçante par les grima
celui du film de Kazan. Il n’en demeure ces de feu Carmen Jones ne lui res
pas moins un portrait assez déchirant semble guère. Il m’est avis pourtant
d’un homme humilié : l’agent de qu’il faut continuer de lui faire con
presse, incarné admirablement . par fiance.
Tony Curtis. Les images du vieux E. L.
James Wong Howe, arrachées à la nuit
des cœurs et de la ville — sont d’une
grande beauté. Et le réalisateur, direz- Un bon devoir
vous ? C’est le charmant anglais
Alexander Mackendrick. Ce n’était pas THE K 1L L IN G (L ’U L T I M E R A Z Z IA ),
un sujet pour lui, trop discret, trop film a m éricain d e STANLEY KUBRICK. S c é n a
allusif pour ces violences yankees. Il rio ; S ta n le y 'K ubrick d*après le ro m a n
s’en tire tout de même à son honneur. « C ie a n B reak » d e L io nel W n ite . D ia lo g u es :
im T h o m p s o n . Im a g e s : L u c ie n BaLlard.
E. L. nlerprêia iton : S terlin g H ayden, C a le e n
G ra y . V in c e E d w a rd s , Ja y C. F iip p e n , M arie
W in d s o r, T e d D e C orsia, E lis h a C o ok, Joe
Aiche menu S aw yer, T im C arey , J a y A d le r , J o s e p h T u r -
kill, K o la K w a r ia n . P ro d u c tio n ; H a rrîs -K u -
Lrick C o rp . [955. D istrib u tio n ; R .K .O .
T A M A N G O , film fra n ç a is en C in e m a S c o p e
et en E a stm a n c o lo r d e JohM BERRY. S c é n a rio ; C’est le film d’un bon élève, sans
L e e G o ld , T a m a r a H ovey, John B e rry , plus. Admirateur à la fois de Max
d ’a p rè s l’ceuvre d e M é rim é e . D ia lo g u e s ; Ophüls, de Aldrich, de John Huston,
G e o rg e s N ev eu x . Im a g e s ; E d m o n d S é c h a n . Stanley Kubrick est loin encore d’être
D écors : M a x D o u y . M u s iq u e ; J o s e p h ICosma,
fotet'préfaiiort : D o ro th y David n a g e , C u i d Ju i- le fort en thème que nous claironne la
g en s, J e a n S erv ais, A l e x C ressan . P ro d u c tio n : publicité tapageuse faite autour de ce
F ilm s d u C yclo pe, 1957. D istr ib u tio n : D îsci- petit film de gangsters en face du
film. quel même Asphalt Jungle est un chef-
d’œuvre. A plus forte raison En Qua
Tamango ne mérite pas l’excès d’in trième Vitesse. Et je ne citerai pas
dignité que certains lui ont décerné. Ophüls, qui n’a rien à voir dans
A vrai dire le film est assez décevant l’affaire, si Stanley Kubrick ne se
pour que l’on puisse sans parti-pris réclamait de son influence par des
déterminer ce qui, à mon sens, le sau agaçants mouvements d’appareil, tels
vera de l’oubli. Négligeons donc ce qui que les aimait le metteur en scène du
a déjà été dit : les erreurs aberrantes Plaisir. Mais ce qui chez Ophüls cor
de la production et de la distribution respondait à une certaine vision du
des acteurs: la seule présence de Do monde, chez Kubrick n’est qu’esbroufe
rothy Dandridge suffisait à flanquer le gratuite.
film par terre. Si on ajoute Curd Jur- L’entreprise, pourtant, ne laisse pas
gens et le concours de Noirs de couleur d’être sympathique. Production indé
et de morphologie différentes (censés pendante, The Kïlling a été tourné vite
pourtant être tous de la même tribu), et avec peu de moyens. Si le scénario
on verra qu’il n’y avait pas besoin d’un n ’est pas particulièrement original
mauvais scénario et d’un lieu de tour (l’attaque du pari mutuel de Los Ange
nage inauthentique (la Côte d’Azur les) et l’épisode final guère plus (les
avec ses maisons dans le fond) pour billets de banque s’envolent au vent
rater son coup. Dommage pour John par la suite d’un malheureux hasard
Berry qui n’est pas n’importe qui et l ’a bien mal filmé, tout comme dans Le
prouvé dans From this Day Forward Trésor de la Sierra Madré), il faut
61
T im C arey d an s T h e Killing de Stanley K ubrick.
62
[FILMS SORTIS A PARIS
DU 18 DÉCEMBRE 1952 AU 28 JANVIER 1958 J
7 FILMS FRA N Ç A IS
L e C h ô m e u r d e C lo ch e m erle, film d e J e a n B oyer, av ec F e r n a n d e l, G in e tte L eclerc, M aria
M a u b a n , R ellys, — V a u d e v ille b ien p e n s a n t, aussi p a u v r e q u e niais.
E c h e c au porteu r, film d e G illes G r a n g ie r , a v e c J e a n n e M o reau , P a u l M e u risse, S erg e
R e g g ia n i, S im o n e R e n a n t. — S u sp e n s e d e q u a tr e sous.
L a F ille d e j e u , film, en E a stm a n c o lo r d ’A lf re d R o d e , a v ec C la u d in e D u p a is , E r n p C risa ,
A r m a n d M estral. — L e p lu s m a u v a is des films p o ss ib le . D ’u n e in cro y ab le b ê tis e et d ’u n n o n
m oin s in cro y ab le m a n q u e d e soin.
R a fle s su r la ville, film d e P ie r re C h e n a l, a v e c C h a rle s V a n e l, M a rce l M ouloudjt, M ic h el
P iccoli, D an ick P â tisso n , B ella D arvi. — S é rie n o ire d e série.
L e s V io le n ts , film d ’H e n ri C a le f, avec P a u l M e u ris se , F ra n ç o ise F a b ia n , F e r n a n d L ed o u x .
— L e so in d e la m ise en scène, la très b elle p h o to d 'i s n a i d n e font q u 'a c c u s e r l'in c o h é r e n c e
et la sottise d u scénario.
V iv e les va can ces, film d e Je an -M arc T h ib a u l t, a v ec R o g e r P ie r re , J.-M . T h ib a u lt, M ichèle'
G ira rd o n , C la u d e Bessy. — P e u d e g ags, b e a u c o u p d e g entillesse, a u c u n e v u lg arité.
T a m a n g o . — V o ir note d e Ja cq u es D o n io l-V a lc ro z e d a n s ce n u m é r o , p a g e 61.
19 FI LMS A M E R I C A I N S
B a n d o f a ng els (L 'E sc la ve libre). — V o ir c ritiq u e d e P h i l i p p e D e m o n s a b lo n d a n s c e n u m é ro ,
p a g e 55.
T h e B ird s a n d th e bees (M illionnaire d e m o n c œ « r ), film en V ista V isio n et en T e c h n ic o lo r
d e N o r m a n T a u ro g , av ec M itzi G a y n o r, D a v id N iv e n . — R e m a k e d e T h e L a d y E v e . M ais
T a u r o g , m o in s h a b ile q u e P re sto n S tu rg e s, se c asse la figu re av ec son p e rso n n a g e .
F o r e v e t D a rlin g [Son a n g e g a rd ien ), film en E a stm a n c o lo r d 'A l e x a n d e r H a ll, avec L u cile
Bail, D esi A r n a z , Ja m e s M a so n . — In sp iré d e l a c é lè b re sé rie d e T . V . , I L o tie L u c y , m a is
n 'a r r iv e p a s à la ch ev ille d e L a R o u lo tte d u Plaisir.
Jea n n e E a g els (Un seul a m o u r), film e n M e g a sc o p e d e G e o rg e S id n ey , avec K im Novak,
Jeff C h a n d le r, A g n e s M o o reh ea d . — C o n trib u tio n à la c h r o n iq u e r o m a n c é e d ’H oIlyw ocd, d a n s
le style truffé d e clichés et tarab isco té des m a g a z in e s . L e feu illeto n reste feu illeton m a lg r é
q u e lq u e s b e a u x effets p h o to g r a p h iq u e s d e R o b e rt P la n c k , K i m d éçoit.
T h e Joker is w ild (Le P a n tin fcrisé), film, e n V i s ta V is io n d e C h a rle s V id o r , av ec F ra n k
S in atra , M itzi G a y n o r, J e a n n e C rain , E d d ie A lb e r t. ~ F r a n k S in a tra fait c e q u ’il p e u t d a n s
la p e a u d e Joe L ew is, à qu i la v e n g e a n c e d 'u n im p ré sa rio c o û ta les c o r d e s vocales. M itzi
G a y n o r est e x q u ise d ’e x u b éran ce.
T h e K iU in g (L ‘u ltim e razzia). — V o ir note d e J.-L . G o d a r d d a n s ce n u m é r o , p a g e 6 f .
T h e L a d y talées a j ly e r (M ad am e e t son p ilo te ) , film en C in e m a S c o p e et en E a stm a n c o lo r
d e Ja ck A r n o ld , avec L a n a T u r n e r , Jeff C h a n d le r, R ic h a rd D e n n in g . — M o n sieu r, M a d a m e
et B é b é p ilo ten t. Ja ck A r n o ld n a v ig u e m o in s b ie n en a v io n q u ’en m étéo re.
L o v e m e ie n d e r (Le C avalier d u c r é p u sc u le ), film en C in e m a S c o p e d e R o b e r t D. W e b b ,
a v ec R ic h a rd E g a n , D e b r a P a g e t, E lvis P rie sle y , — N u l. P rie sle y d a n s u n p e tit rôle.
L o o in g yo u ( A m o u r fré n é tiq u e ), film d e H a l K a n te r , avec E lvis P rie sley . — N ullissim e.
P rie sley d a n s u n g r a n d rôle.
T h e O kJa ho m an (Fureur su r V O k la h o m a ) , film e n C in e m a S c o p e et en T e c h n ic o lo r d e
F ra n c is D . L y o n , av ec Joël M c C rea, B a rb a r a H a ie . — W e s t e r n à la c h a în e .
P a rd n ers (L e T ro u illa rd d u Far-W^esf), film en T e c h n ic o lo r et en V ista V isio n d e N o rm a n
T a u ro g , av ec D e a n M artin et Je rry L ew is. — B u rle s q u e classiq u e. L e s g ag s d e Je rry L e w is s o n t
m e ille u rs d ’în ten tio n q u e d e facture.
S a tellite in th e slçtf (L es P re m ie r s Passagers d u sa te llite), film en C in e m a S c o p e et e n
E a stm a n c o lo r d e P a u l D ickson, avec K ie ro n M o o re, L o is M a x w ell. — D é m o d é d e p u is le
S p o u tn ik . S cénario b o u r ré d e p o ncifs.
Silki S to c k in g s (L a B elle d e M o sco u ). — V o i r n o te d e J e a n D o m a rc h i d a n s ce n u m é ro ,
p a g e 62.
T h e S tra n g e o n e (D em ain ce se ro n t d e s h o m m e s ) , film d e Ja ck G a rfe in , avec Ben G a z z a ra ,
P a t H in g le . — Il fau t trois co n d itio n s p o u r a im e r ce film ; si vous n e {es rem p lisse z p as,
n ’y allez pas : 10 E tre p é d é r a s te ; 2° E tre m a s o c h is te ; 3° N e p a s a im e r le c in ém a.
S tra n g e r at m y door ( L ’in c o n n u d u ranch), film d e W illia m W itn e y , av ec M ac D o n a ld
C arey , P a tric ia M é d in a . — W e s t e r n à la c h a în e .
T h e S u n also rises (Le S o le il se lève aussi), film en C in e m a S c o p e et en D e L u x e d ’H e n r y
K in g , av ec T y r o n e P o w e r, A va G a r d n e r , M el F e r re r , E rro l F ly n n , E d d ie A lb e rt, Ju liette G reco.
63
— C e n 'e s t pas la p re m iè re fois q u H e n r y K i n g s'e3 t laissé é to u ffe r p a r la ro u tin e d e la
« s u p e rp r o d u c tio n ». L 'e x trê m e f id é lité à la le ttre d u r o m a n d ’H e m in g w a y n ’est p a s le g a g e
d e l a fid élité à l ’esprit. A v a est to u jo u rs A v a . E rro l F ly n n , iv ro g n e g én ial, n ’est pas in d ig n e
d e G e n tle m a n Jim .
Suûeti S m e t l o f S u c c e ss (Le G r a n d C h a n ta g e). — V o ir n o te d e J. D o n io l-V a lc ro z e d a n s
ce n u m é ro , p a g e 60.
T h e T e n c o m m a n d m e n ts (L e s D i x C o m m a n d e m e n t s ) . — V o ir c ritiq u e d e L u c M o u lîe t
d a n s ce n u m é r o , p a g e 57.
T h e w ild a n d w ic k p d {Plaisirs à ve n d r e ), film d e M e rle C o n n e ll. — A b je c t.
7 FI LMS ANGLAIS
T h e B rid g e o n th e river K w a i (L e P o n t d e la rivière K toa ï), — V o ir c ritiq u e d ’A n d r é B azin,
d a n s ce n u m é ro , p a g e 50.
Checfc P o in t (A to m b e a u o u vert), film en E a s tm a n c o lo r d e R a lp h T h o m a s , av ec A n t h o n y
S teele, O d iïe V e r s ors, J a m e s R o h e its o n - Justice, P a u l Tvluller. •—- D u e l à co ups d e cam io n s .
L a violen ce d u su je t au rait m é rité u n e m e ille u re m ise en sc èn e.
G eord ie (G eordie), film, e n T e c h n ic o lo r d e F r a n k L a u n d e r , a v e c A la s ta ir S im , Bill T ra v e r s ,
N o ra h G o rse n , M olly U r q u h a rt. — P a y s a g e s et h u m o u r d 'E c o s s e .
H ig h F H ght [Pilotes d e h a u t vol), film en C in e m a S c o p e et en T e c h n ic o lo r d e J o h n G illin g ,
av e c R a y M illa n a , B e rn ard L e e , K e n n e t h H a i g h . — Film, p u b lic ita ire su r l'a v ia tio n .
, T h e N a f& d T r u th {La V é rité p r e s q u e nu e), film d e M a rio Z a m p i , av ec D e n n is P ric e . —
F a d e cocktail italo-angjais,
S io w a W a y G irl {M anttela)t film d e G u y H a m ilto n , a v e c T ie v o r H o w a r d , P e d r o A r m e n d a r iz ,
E isa M a rtin elli, —■ M ièvrerie q u e n e sa u ra ie n t re le v e r, m ê m e les y e u x d ’E isa.
W i c \ e d as th e y co m e (Portrait d ’u n e a ve n tu riè re ) , film d e K e n H u g h e s , a v ec A r lè n e D a h l,
P h il C a te y , H e r b e r t M arsh all, —• A r lè n e , to u jo u rs A r l è n e , e n c o r e A r lè n e , m a is rien q u ’A r lè n e .
3 FI L M S SO V I E T I Q U E S
O th e llo , film en Sovcolor d e S e rg u e î Y o u tk e v itc h , a v ec S. B o n d a rtc h o u k , A . P o p o v ,
I. S ko b tsév a . — L e p a rfa it film a c a d é m iq u e .
L e s P re m iè re s Jo ies film en S ov color d e V la d im ir Bassov, a v e c M ik h a ïl N azo n o v , V la d im ir
D ro u jn ik o v . — L e s d é b u ts d e la R é v o lu tio n d a n s u n e p e tite ville so n t aussi tristes q u e les
co u le u rs d u film.
U n é té extraordinaire, film en Sov colo r d e V l a d i m i r B assov . — S uite d u p ré c é d e n t.
I FILM GREC
Séel/a, film d e M ic h aël C a c o y a n n ïs, av ec M e lin a M e rco u ri, G e o r g e s F o u n d a s , — Si n o u s
p ré fé ro n s S te lla à L a Fille e n noir, t o u r n é p o s té rie u r e m e n t, c ’est q u e s a te c h n iq u e , p lu s fru s te ,
est m ie u x en a c c o rd av ec la n aïv eté, n o n sa n s c h a r m e , d u sc én ario . E n fait d e c h œ u r a n t i q u e ,
les a irs p o p u la ire s grecs n o u s suffisent. E t p u is M e lin a M e rcouri n e se p r e n d p a s en co re p o u r
M a rie-M a d elein e î
1 FILM ALLEMAND
H a n u s se n , Vastrologae d ’H itler, film d e O . "W. F isc h e r, av ec O . W . F isch e r, L iselotte P u lv e r .
■— N u m é r o d e p u b licité p e rso n n e lle , e n v u e d e c o n tra t à H o lly w o o d .
1 FILM S U E D O IS
R ie n q u e d es b lon des, film d e R o b e rt B ra n d t, a v e c M a rk M iller, L a r s E k b o rg , A n ita E d b e r g .
— P ré te x te à strip-tease. • °
1 FILM I T A L IE N
V a m p ir i (L e s V am p ires), film d e R ic a rd o F r e d d a , av ec G ia n n a M a ria C a n ale, B a lp ê tré ,
P a u l M u ller, C a rlo d ’A n g e lo . — L e c h â te a u d e D ra c u la tra n s p o rté e n Ile-de-F ran ce. R id ic u le !
1 FIL M 1 T A L O - F R A N Ç A I S
M isterio di Parigi {L e s M y stè re s d e P aris), film d e F e r n a n d o C e rch io , av ec F r a n k V i l l a r d ,
Y v e tte L e b o n i Ja c q u e s C astelo t, L o rella d e L u c a . — N u l.
1 FILM A U T R I C H I E N
L e C o ngrès s ’a m u s e , film d e F r a n z H o f fm a n n a v e c P a u l H o r b ig e r, H a n s M oser. __ I n d i g e n t
r e m a k e d u film d ’E rik C h a relL
64
M A R IO , le c é lè b re coiffeur p a risie n , P rési
d e n t d e s « C oiffeurs in s p iré s », e st d e reto u r
d e s Etats-Unis, où s a c o u p e « 6° s e n s » a re m
p o rté le p lu s vif su c c è s (N ew York, Los A n g e
le s et D allas).
On le voit ici, exécutant pour Miss FRANCE,
sa fameuse c o u p e q u i iait o n d u le r les cheveux.
MARIO LEONARDO
3, Fg S t - H o n o r é 1 19, b o u le v a r d
A N J. 1 4 - 1 2 du M ontparnasse
ODE 7 5 - 5 6
PATRIC K
]OSE ARTU RO e t CARLO
G are d e la Bastille 1 3 0 , Fg S t - H o n o r é
DOR. 9 6 - 6 9 £LY. 7 8 - 6 5
CAHIERS DU CINÉMA
R evue m ensuelle du ciném a
Rédacteurs en Chefs : A. BAZIN,
J. DONIOL-VALCROZE et Eric ROHMER