« Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai

l’épanchement du songe dans la vie réelle ».

Gérard de Nerval, Aurélia.
 Auteur, écriture des textes et développement :
Yann Lefebvre
Conception du système de règles et développement :
Christophe « Victorio » Chaudier
Relecteur principal :
Florent Martin
Comité de relecture :
Raphaël Andere, Aurélie « Udju » Guillout-Rossi, Camille Guirou,
Olivier Morro, Cédric Stéphan Udréa Ibn Abdelkrim
Documentalistes :
Florent Martin, Philippe Rat, Madclicker
Conception graphique et maquette :
Christophe Costard, Cécile Costard, Yann Lefebvre, Christophe Chaudier
Logos :
Cécile Costard, Benoît Guillaumot
Illustration de couverture :
Benoît Guillaumot
Illustrations :
David « Ysha » Bauwens, Pierre Charentus, Vincent « Yogh » Devault, Aurélien Gillard
Greg « Lowfé » Guilhaumond, Benoît Guillaumot, Matthias Haddad, Judicaëlle Live-lun
Julien Vachal, Frédérick Rambaud, Aurélie « Lili » Saulnier

Crimes est une création des Écuries d’Augias.

Copyright (c) 2006 les Écuries d’Augias.
Retrouvez nos créations sur notre site :
www.ecuries-augias.com

Crimes est édité par les éditions Caravelle. Tous droits réservés. Toute reproduction sans permission écrite de l’éditeur est expressément
refusée, sauf dans un but de présentation. Les joueurs peuvent reproduire les feuilles de personnage et les annexes des scénarios pour un
usage personnel exclusivement. La mention ou la référence à une quelconque entreprise ou produit dans ces pages n’est pas une atteinte
aux labels ou marques déposés concernés.
www.caravelle-edition.com
Remerciements :
A tous ceux qui ont dépensé leur temps sans compter pour la cause « criminelle »,
pourvu que ce présent livre soit l’objet de leur fierté et un bon tremplin pour leurs projets.
A tous les testeurs des CJDRA, conventions, membres du forum de Crimes et autres acharnés
qui nous ont harcelé sans relâche dans une situation proche de la séquestration.
A tous les souscripteurs qui ont permis à Crimes d’exister. Merci à vous qui avez cru en nous.
Ce livre est aussi dédié aux auteurs amateurs : puissiez-vous, comme nous, avoir un jour le bonheur de voir édité votre propre jeu !
Dédicaces :
A tous ceux qui ont disparu dans l’entourage de l’équipe, et en particulier :
— de Yann à son père dont l’ombre plane sur toute cette oeuvre,
— de Christophe à son frère, dont la mort restera à jamais une énigme.

Avertissement :
Tous les partis pris, idées et thèses développées dans ce livre se basent sur un fondement historique. Il ne s’agit, en aucun cas, de l’opinion
des auteurs. Ils ne sont destinés qu’à retranscrire l’ambiance et l’idéologie d’une époque, sans aucune finalité propagandiste.
Bien au contraire, les auteurs s’inscrivent en porte-à-faux avec ces idées macabres qui chantent la décrépitude d’un monde. Nous préfé-
rons la lueur du soleil à la pénombre des crépuscules. Clairement : nous condamnons l’ensemble des idéologies racistes, antisémites ou
colonialistes exposées par certaines figures du dix-neuvième siècle.

Crimes est certifié sans tentacules.

Première édition.
Première impression à 1 000 exemplaires.
Dépôt légal : Septembre 2006

Imprimé en France
Imprimerie Chirat
744, rue de Sainte Colombe
42540 Saint-Just-la-Pendue

Imprimé sur papier FSC

www.fsc.org
 Avertissement : ce sommaire regroupe toutes les pièces de ce
présent livre. Si vous le consultez comme un simple lecteur de
roman, passez ce sommaire pour conserver l’effet de surprise.

Prologue P.6
2 Déposition d’une jeune recrue au sujet de l’agression ayant causé sa mise en retrait
de l’affaire (dernière pièce justificative du dossier).

Chapitre 1. P.10
Arrivée à Paris
2 Information sur la nature du jeu de rôles en général et de ce livre en particulier.
2 Suite de la déposition : témoignage de la recrue sur ses premiers pas de policier à Paris
et sur la nature de la mission à l’origine de sa perte : retrouver l’agent britannique
Craig Carter, son prédécesseur disparu.

Chapitre 2. P.18
Les Bas-fonds de l’ère industrielle
2 Où notre bleusaille, aidée d’un ancien, se rend à Saint-Lazare afin de poursuivre son enquête.
2 Récit de sa première rencontre avec les petites mains de l’Armée du Crime.
2 Interrogatoire du prêtre officiant à Clichy, une connaissance de Carter.
2 Détail de son enquête dans la Route de la Révolte et les bas-fonds de la banlieue.

Chapitre 3. P.48
Lumières sur les personnages
2 La recrue échoue dans un troquet malfamé.
2 Les Notes de Carter présentent les fiches détaillées des personnages de l’enquête.
2 Le Manuel de l’Enquêteur renseignera le lecteur sur la création
et les caractéristiques des personnages fichés.

Chapitre 4. P.96
L’ enquête de Carter
2 Rapport sur la fuite de la recrue hors de la Route de la Révolte.
2 Le Manuel de l’Enquêteur encore, où sont définies les règles régissant l’univers de Crimes.
2 Les Notes de Carter présentent les précieuses fiches détaillées (mises sous scellé)
de criminels notoires.
Chapitre 5. P.152
Les méandres de la folie humaine

2 Récit de l’arrivée dans la prison de Sainte-Pélagie, avec un cadavre et un aliéné sur les bras.
2 Détail de l’entretien avec l’aliéniste et le légiste de la prison.
2 Mémento sur les maladies mentales.
2 Les Notes de Carter, où sont passées en revue les créatures légendaires d’un curieux bestiaire
et les déchéances qui frappent l’humanité.

Chapitre 6. P.198
Une fin de siècle dans le monde
Collections de documents et de témoignages retrouvés dans le bureau de l’agent Carter
(les thèses contenues dans certains écrits peuvent heurter les plus humanistes de nos lecteurs).
Voici les sujets abordés :

2 La France et les menaces planant sur la République.

2 L’Angleterre victorienne et ses deux facettes.
2 Le souvenir des révolutions de 1789, 1848 et 1871.
2 L’impérialisme européen : panorama du monde colonisé.
2 L’inégalité entre les races et l’antisémitisme.
2 Le nationalisme et la marche à la guerre.
2 L’esprit de décadence frappant notre fin de siècle.

Chapitre 7. P.236
A la poursuite d’un mouton noir
2 Rapport d’enquête sur l’affaire de « La Fée Verte ».
2 Conclusions de l’enquête « Amour à Mort », concernant les trafics de momies égyptiennes.
2 Dossier sur l’affaire « Résurrection », terminée par des retrouvailles avec l’agent Carter.

Index P.312

Fiche de renseignements P.317

 Prologue

EL
CONFIDENTI
Une position bien fâcheuse de l’agent
e par le remplaçant drame)
gé du
Lettre rédi les lieux
rouvée sur
Jugement Dernier Carter (ret

Le 15 février 1899 au soir

La cavale de deux policiers

— Pas si vite, vous allez m’faire avaler ma chique !

— Hé bien, Gueslin, on dirait que vous n’avez plus les jambes de votre prime jeunesse !
Nous dévalions les ruelles désertées de Paris sur nos bicyclettes, telles des hirondelles en patrouille.
— Et dire que l’omnibus rouge va directement du Jardin des Plantes au bout de la rue Saint-Martin... On
n’est quand même pas si fauchés, ça serait moins fatiguant que de pédaler !
— Vous n’êtes sans doute pas contre un peu d’exercice, Gueslin ? De plus, vous semblez en avoir bien besoin...
Décidément, l’entraînement des sergents de ville n’est plus ce qu’il était !
— Dites plutôt que vous préférez nous crever avant d’arriver à Montmartre, la cité des plaisirs ! J’espère
que les catiches de votre maison close savent masser les jambes douloureuses...
Gueslin éclata d’un rire gras que je ne pus imiter, trop perclus que j’étais dans mes sombres pensées. Je
songeais à cette descente aux enfers initiée par mon affectation sur Paris, un mois et demi plus tôt. Je ne
m’attendais guère à ce que la traque de Carter m’amène dans les murs
d’un vulgaire bordel...
Au moins, ici, les pauvres filles avaient un toit, et on imaginait mal
un Jack l’Éventreur des beaux quartiers leur courir après... Pourtant,
j’avais du mal à imaginer ce Craig Carter partir faire un levage dans un
bordel, fut-il de luxe. Voilà que je me mettais à parler comme Gueslin ! La
débauche de mes copailles de collègues commençait à déteindre sur moi...
Mes pensées s’interrompirent avec l’inclinaison de la route, quand il
fallut vaincre les contreforts de la butte et le cahot de ses pavés à la
force des mollets. Je vis, en jetant un coup d’oeil en arrière, mon collègue
descendu de selle. Peu importait : le Cléopâtre et ses dames de compagnie
ne devaient plus être très loin à présent. Nous étions arrivés dans la rue
du Paradis : ça ne s’invente pas...

La rue du Paradis jouxtait l’hôpital Saint-Lazare, à quelques lieues

des Gares du Nord et de l’Est. C’était l’endroit idéal pour installer une
maison d’accueil destinée aux touristes ivres des charmes parisiens, et de
quoi concurrencer le très sélectif Chabanais. Nous longeâmes une fumerie d’opium, la Fée Grise, d’où les clients
sortaient dans un état lamentable. La ville avait beau être illuminée par les halos des lampadaires au gaz, et la
lune briller de mille feux dans le ciel crépusculaire, la rue n’en paraissait pas moins inquiétante. Cependant, malgré
cette débauche de lumière, je ne parvenais pas à me rassurer : le spectacle de ces loques humaines n’avait pour
moi rien de risible. Pour Gueslin non plus. Exténué, aussi sensible que moi à l’atmosphère du Paris nocturne, il
semblait s’être considérablement renfrogné.
— En y resongeant, je ne suis plus si chaud que ça. Vous savez, la plupart des filles employées dans ces
maisons sont des enfants abandonnées ou vendues venues de la Route de la Révolte. De formidables indicateurs,
quand elles ne sont pas dévouées corps et âme au milieu qui les a vues naître. En plus, le lieu est contrôlé par
le Génie du Crime. Si nous sommes confondus, je ne donne pas cher de nos...

6
 Prologue

— Allons... Vous, mon mentor, allez trembler devant d’inoffensives donzelles ? Voulez-vous la vérité ? Vous
voyez le mal partout~! Pour vous, le fils de la Reine d’Angleterre serait capable des plus horribles crimes, et sa
mère avec !
— A propos, en parlant d’Anglais, ce Carter ne m’a pas l’air d’être un enfant de cœur...
— Parce qu’il fréquentait le Cléopâtre ? Vous pensiez le retrouver dans une sordide maison d’abattage ?
Au Choléra, à la Puce-qui-Renifle, ou au Monte-à-Regret ? Notre proie donne dans le trafic d’antiquités, il a
sans doute des goûts d’esthète ! Joindre l’utile à l’agréable, c’est dans la logique de ce trafiquant de statues
égyptiennes...
— Je vois que je n’ai plus grand-chose à vous apprendre des nuits parisiennes, me répliqua Gueslin avec dépit.
J’ai déjà eu affaire aux jeunes rebuts des maisons closes, vous connaissez les pauvres moyens des policiers comme
nous... Croyez-moi, faire son affaire debout dans une ruelle sombre n’est pas des plus reposants !
— Franchement, mon cher ami, je crois que nous n’avons pas les mêmes fréquentations.
Happés par notre dispute, nous faillîmes louper la glorieuse façade du Cléopâtre.

Les délices de l’Orient

Glorieux frontispice, s’il en était. Nous faisions face à un long mur en aveugle, avec pour seule décoration
un linteau de porte dont la mosaïque représentait le visage de la reine d’Égypte. Un gros numéro peint en vert
indiquait la fonction du lieu. Tout cela n’avait rien à voir avec les descriptions enchanteresses du légiste de
Sainte-Pélagie... Je frappai résolument à la porte. Le gardien entrouvrit l’entrée pour voir à qui il avait affaire.
J’identifiai une ancienne terreur du quartier, le visage couturé de cicatrices, reconvertie dans les activités légales.
Il opina du chef : c’était gagné. Nous étions invités.
Mon expérience parisienne m’avait habitué aux façades luxueuses derrière lesquelles se tapissaient les
immeubles fatigués, étroits... Cet éternel masque avenant posé sur les plaies de la Ville Lumière. L’exemple inverse
s’offrait ici à mes yeux : dans un immense salon s’affichait un décor digne des fastes de l’Antiquité, quoique
les stucs et les apparats rococo eussent juré avec la pureté des vrais trésors jadis entreposés dans ce genre
d’antre. Des imitations de Sphinx bordaient l’allée qui menait à l’escalier central, riche de sa belle ferronnerie. Des
miroirs dupliquaient ces vues gracieuses à l’infini, imposant aux visiteurs une impression d’espace dans une pièce qui
n’en disposait pourtant pas. Les boiseries ornées de motifs mythologiques rehaussaient le style de la maison ; les
fauteuils eux-mêmes singeaient les couches pompéiennes qu’il était donné de voir seulement dans les musées ! La
lumière tamisée répondait aux mêmes exigences de respect de l’époque et d’intimité pour les clients : des torches
factices jetaient un voile impudique sur les gentilshommes affalés, occupés à goûter aux plaisirs du vin avant de
consommer ceux de la chair. Les hôtesses de ces lieux arboraient des tenues légères et exotiques, comme si la
couturière avait souhaité revisiter les costumes les plus enjôleurs de l’Afrique et de l’Orient.
Gueslin, bouche bée, ne ratait aucun détail de cette scène paradisiaque. Quant à moi, tel Ulysse résistant
à l’appel suave des sirènes, je me dirigeai vers la seule succube qui me laissait de marbre : l’ogresse chargée
d’assumer ici le rôle de tenancière. Elle restait rivée à son bureau comme un Cerbère à la porte des enfers.
J’engageai la conversation avec elle, conscient qu’il me faudrait user de toute ma persuasion pour qu’elle accepte
de me livrer un de ses clients : l’agent Craig Carter.
— Mes hommages, Madame.
La dame en question me toisa. On aurait dit qu’elle tentait de rivaliser de beauté avec ses dégrafées en se
maquillant à outrance, mais sans résultat. Sa peau ridée m’évoquait, au mieux, une momie apprêtée, et s’avérait
moins attirante que la plus hideuse -mais y en avait-il une ?- de ses employées.
— Avant de goûter aux plaisirs de la maison, je voulais retrouver un ami à qui j’avais donné rendez-vous
ici...
— Pas de tarif préférentiel pour les groupes. On en restera à dix francs pour les services les plus
communs.

7
 Prologue

— Mais Madame, nous cherchons Craig Carter, et on nous a certifié qu’il était l’un de vos habitués...
— Allons donc, ce cochon d’Anglais ! La dernière fois que je l’ai vu, il était vautré sur les pavés devant mon
établissement ! J’ai d’ailleurs ramassé des feuilles sans intérêt qu’il a laissées tomber, après que les filles de la
rue l’aient ramassé.
Mes yeux s’écarquillèrent à la vue des feuillets issus des notes de Carter qu’elle me présenta. Gueslin prit
la parole.
— Des filles ? A l’extérieur ? Ne travaillent-elles pas pour vous ?
— Ici, on vous garantit des filles qui passent toutes les quinzaines au dispensaire de Saint-Lazare, et de
première jeunesse. Elles ne dorment pas dehors, elles ont leurs papiers en règle et une hygiène de vie qui feraient
pâlir toutes les recluses des monastères d’Île-de-France. Elles ont même reçu la vaccine, c’est vous dire !
Je vis Gueslin porter la main à sa poche. J’arrêtai, d’autorité, son geste.
— Vous garantissez, Madame, qu’aucune de vos merveilles n’a contracté de maladie honteuse ?
La maquerelle sourit.
— Non point, jeune loup. Toutes nos beautés sont absolument saines. Nous renvoyons nos brebis galeuses dans
les rues d’où elles sont issues. Si vous donnez dans le médical, vous les trouverez dans les ruelles adjacentes.
Elles sont régulièrement rejetées loin des avenues prestigieuses, des écoles et des édifices religieux. Mais je crois
deviner que ce n’est pas votre tasse de thé, non ?
Je m’abstins de lui répondre. J’empoignai mon compagnon et tournai les talons pour quitter cet endroit de
perdition.

Les âmes perdues du trottoir parisien

« Elles ont toutes les yeux démesurément agrandis dans des faces trop pâles, couleur
de camphre ou de nacre, des chairs d’hostie, et dans leurs longs cols exsangues, dans leurs
silhouettes de voyantes ou trop onduleuses ou trop droites, des souplesses de reptiles tour à
tour érigés et rampants. Comme d’invisibles mains les poussent en avant dans l’ombre et dans
le glissement de leur éternelle robe noire, elles entraînent, Dieu sait où, les mâles haletants de
désir et muets d’épouvante. »

Jean Lorrain, Le Journal, Princesses des Ténèbres

— Mais vous êtes malade ! Nous étions proches du but et vous partez ! Il n’y a guère que les petits jésus
pour résister à l’appel de ces dames !
— Gardez vos insultes pour vous. Ça n’est pas ici que nous trouverons notre disparu. Le légiste était formel :
Carter lui a amené des patientes atteintes de la syphilis.
— Vous voulez dire que Carter a chopé un « souvenez-vous » et qu’il voulait que le légiste le guérisse ?
— Non. Il voulait simplement guérir ces demoiselles. Ils ont tenté de leur administrer du bois de gaïac d’Amérique
du Sud, le seul médicament efficace contre cette syphilis, mais sans succès.
— Ah... On n’emploie plus les sels de mercure ? Mais quel rapport avec Carter ?
— Je ne sais pas encore, mais nous approchons de la solution. Regardez ces pauvresses, elles tentent de se
réchauffer à côté de leurs fourneaux de terre, dans la rue, en faisant cuire des harengs...
Trois pauvres marcheuses, exclues des lupanars, cherchaient en vain un réconfort auprès de leur feu mourant.
L’impasse de la Cité du Paradis où elles avaient élu domicile était sombre, humide et visqueuse. Nous faillîmes chuter
plusieurs fois, victimes des dalles glissantes qui nous séparaient d’elles. Les aléas de l’éclairage urbain voulurent
que les lampadaires soient en panne, et nous étions incapables de discerner le fond de l’allée.
— Mesdames...

8
 Prologue

Les catins avaient conservé leurs costumes du Cléopâtre, désormais

salis et élimés, qu’elles maintenaient tant bien que mal en état. Elles ne
répondirent pas à ma salutation. Dépités, nous approchâmes davantage.
— Je suis désolé de vous importuner dans votre repas. Nous sommes
à la recherche de l’un de nos amis, l’agent Carter...
Je leur montrai mon accréditation de la préfecture de police ;
elles ne parurent nullement effrayées. Nous aurions tout aussi bien
pu être des pervers, les légendes urbaines n’avaient visiblement pas
prise sur elles. Les trois filles, qui ne semblaient pas âgées de plus
de vingt ans, s’avancèrent sans un mot vers Gueslin pour lui enlever
son manteau.
Je n’étais pas en reste : de l’obscurité de l’impasse s’avança la
créature la plus harmonieuse qu’il m’ait été donné de voir. Eugène
Sue n’aurait pu trouver modèle plus éloquent pour dépeindre sa
candide Fleur de Marie... La belle avait maquillé son teint blafard
de façon tapageuse, mais je ne pouvais pourtant détourner
mon regard de cette chair blanche comme une incarnation de
la pureté. Ses vêtements bouffants révélaient, à chacun de
ses pas, un déhanché envoûtant et sa grâce féline la faisait
avancer vers moi comme flottant au-dessus des pavés, comme
un ange céleste qui ne pouvait décemment être souillé par
la fange du sol.
Au-delà de son allure délicieuse, c’était surtout son
regard qui aimantait mon attention aussi sûrement que le charmeur
hypnotise le serpent. Ses yeux gris impénétrables trahissaient une immensité intérieure, comme si
l’âme de la muse avait emprunté un masque d’innocence pour occulter de profonds tourments.
Je ne pouvais m’arracher à cette contemplation. Le moindre de mes muscles était tétanisé et refusait les
diktats de ma volonté. Tous mes sens sonnaient l’alerte, mais mon esprit s’était dissocié de mon corps. A ma
droite, je vis du coin de l’œil les trois empuses entourer mon compagnon de fortune. Un éclat métallique réfléchit
la splendeur de la lune : un couteau à la lame énorme et sinueuse pénétra dans le bas-ventre de Gueslin, lui
arrachant un hoquet de douleur.
La sirène blonde, sans remuer les lèvres, m’adressa ces mots d’une voix cristalline :
— Votre ami a été puni par là où il a péché.
Elle sourit largement, puis se ravisa :
— Vous pensiez que nous vous livrerions notre sauveur ?
La belle esquissa une moue de dépit.
— Carter nous a prodigué des soins contre notre maladie, et vous le traquez comme un vulgaire criminel ?
Le procès fut bien péremptoire. Était-ce pour moi l’annonce du Jugement Dernier ? Je ne disposais d’aucune
faculté pour défendre ma personne. J’avais suivi les traces de ce diable d’inspecteur Carter sur les pentes de
la folie, et j’avais oublié la première de ses leçons : la réalité n’est jamais ce que l’on pense, surtout pas dans
le monde du crime. Les monstres n’étaient jamais aussi dangereux que lorsqu’ils croupissaient derrière la nature
humaine et son masque d’innocence.

D’horribles bruits de succion résonnèrent. Je crus ma dernière heure arrivée. Apparaissais-je à leurs yeux aussi
coupable que mon satyre de collègue ? On dit que l’on voit sa vie défiler dans les dernières secondes précédant
la mort... Attendre la sentence restait la seule chose que je pouvais faire, le temps de ressasser l’enchaînement
des évènements qui m’avaient conduit de mon premier jour à Paris jusqu’à mon imminente disparition...

9
Un jeu semblable mais différent
Roman ou jeu de rôles ?
Nous vous souhaitons la bienvenue sur les sentiers
tortueux du monde de Crimes. Ce jeu de rôles ancré au coeur
de la Belle Époque a été conçu suivant l’idée que néophytes
et initiés puissent y trouver leur compte. Par ailleurs, ce
livre a été réalisé de manière à ce que vous preniez plaisir à
sa lecture, même si l’aspect ludique de son histoire ne vous
intéresse guère. Ainsi, Crimes n’est pas uniquement destiné
aux habitués du jeu de rôles : les passionnés d’histoire et
les amateurs de romans noirs découvriront tout au long de
ces pages une intrigue labyrinthique impliquant une jeune
recrue de police, tout à fait lisible en dehors de son cadre
strictement ludique.
Pour son baptême du feu, notre homme écope d’une
enquête liée à un collègue anglais, Craig Carter, lui aussi
missionné par la préfecture de Paris. Sa disparition soudaine
et l’absence totale de trace seront le point de départ d’un long
voyage terrifiant pour notre narrateur, accompagné d’une
terrible initiation aux arcanes de la réalité criminelle...
Mais ça n’est là qu’un commencement. Vous pensiez
pouvoir, confortablement installé, profiter de cette lecture
sans y participer ? Vous aviez tort, et c’est ici qu’intervient
la particularité du jeu de rôles : il vous est possible de
vous impliquer directement dans le monde et l’histoire de
Crimes.
11
« Le monsieur qui a écrit Les Mystères de Paris, je ne sais
pas son nom, doit nous protéger. »
« Je me trouve à Paris sans argent et sans ouvrage. Je pense
qu’en m’adressant à vous vous pourriez me faire connaître
le grand-duc de Gerolstein, c’est à dire Rodolphe (...) Il est
impossible qu’il ne m’aide pas en quelque sorte. »
Lettre d’une lectrice de Charenton datée du
5 mars 1844, suivie d’un certain E. Bazire
dans une lettre du 4 septembre 1843.
Un livre d’enquête
La criminalité et l’homicide sont les sujets principaux
de ce livre. En tant que joueur, il est tout à fait envisageable
de vous limiter à l’enquête en évoluant dans les couloirs de
sombres manoirs victoriens, en une reproduction du célèbre
jeu Cluedo. C’est possible. Cependant, vous perdriez alors
la quintessence d’un jeu où l’intrigue et la psychologie sont
prédominantes, où des héros tragiques combattent l’hydre
du crime sous ses multiples formes, des plus sournoises aux
plus fantastiques.
Généralement, les scénarios de Crimes commencent par
la révélation d’un assassinat odieux, se pimentent ensuite par
la dangereuse traque des coupables et s’accompagnent d’une
récolte parcimonieuse d’indices et de déductions géniales
sur le déroulement des faits. Elles se concluent finalement
– quand tout se passe bien – par la capture d’un odieux
 Chapitre 1
Fiction ou réalité ?
Ces quelques extraits de lettres envoyées à Eugène Sue,
l’auteur des Mystères de Paris, sont assez éloquents. Loin de
nous l’idée de vous expliquer la différence entre la fiction
du roman et la réalité des faits ; cependant, comme bon
nombre des lecteurs de ce roman-feuilleton, vous attendez
sans doute d’avantage qu’un rôle passif, et espérez peut-
être vous immiscer dans l’intrigue tels ces admirateurs qui
ont submergé l’auteur de lettres pour lui reprocher la mort
d’un héros, la rupture d’un couple émouvant, ou le destin
injuste subi par Fleur de Marie. Si vous désirez devenir un
arbre dans cette forêt de personnages inoubliables, sanguins,
vitaux, emblématiques, faux et exemplaires, le jeu de rôles est
fait pour vous.
Concrètement : il vous permet de participer activement
au déroulement de l’histoire en incarnant ses personnages
principaux. En substance, il vous permettra d’interpréter l’un
d’entre eux à la condition de respecter les limites imposées
par sa personnalité, ses capacités et son histoire décrites dans
la feuille de personnage. Ensuite, le but du joueur sera de le
faire évoluer au fil des aventures qu’il vivra.
personnage. Vous l’aurez compris, il ne s’agit ni plus ni
moins que d’une relecture des affaires relatées par la presse
« populaire » de la Belle Époque, affublées de ces gros titres
racoleurs placés sur la première page
de journaux comme Le Détective,
Crimes et Passions, Le Journal Illustré
ou Le Colporteur.
Néanmoins, votre personnage
ne sera pas pour autant forcément
policier, détective ou criminologue...
Crimes est moins restrictif que cela,
et notre vision de l’enquête plus
ouverte : ici, le crime touche tout
le monde. Personne n’est à l’abri.
Vous pourrez ainsi choisir n’importe
quel archétype au sein de la galerie
que nous vous proposerons, et
vous pourrez constater la variété
de personnages qu’il est possible
d’impliquer dans nos intrigues.
Un livre d’horreur
Un jeu d’« horreur » ? Oui, car le crime est abominable,
contre-nature, un cloaque immonde sur l’avenante face de
l’homme. Des siècles se sont pâmés de réprobation devant le
meurtre mythique d’Abel par son frère Caïn. Une première
famille sur Terre et, déjà, un assassin parmi eux... Les religions,
unanimes, ont toujours condamné l'agression de l’homme
par son frère et, pourtant, une longue chaîne de crimes lie ce
drame symbolique à notre objet : le XIXème siècle.
12
Maîtriser un environnement
aux contours fluctuants
L’un des joueurs sera pompeusement baptisé
« maître du jeu » (MJ) ; il mérite pourtant ce titre,
car sa tâche s’avère à la fois sublime et ingrate. Voici
quelques unes des ses attributions :
Il dirige la partie, et il est le seul à connaître l’histoire
(le scénario) proposé aux joueurs. Lui seul en
connaît les tenants et les aboutissants. Ce scénario
peut provenir de ce livre (le chapitre 7 en compte
trois), glané sur Internet, ou bien composé par ses
propres soins.
A ce titre, il gère les règles de simulation et arbitre
les dilemmes qui émaillent le déroulement du jeu.
Il n’incarne pas un personnage : il joue le rôle de
tous les protagonistes autres que les personnages
joueurs (PJ).
Il est donc l’interlocuteur privilégié des joueurs, en
tant qu’interface entre eux et le monde de Crimes.
Il décrit l’environnement, les situations et les actions
entreprises.
Vos enquêteurs sont perméables à tout ce qu’ils voient, à
tout ce qu’ils vivent. Pourtant, passés leurs premiers émois, il
est possible que les personnages banalisent l’effroi causé par
la vue de leur premier cadavre. C’est
pourquoi Crimes se devait d’aller plus
loin. L’horreur naît la plupart du
temps d’une confrontation avec un
élément extérieur : l’épouvante sera ici
provoquée par une situation, ou par
une aversion face à la véritable nature
des meurtriers (un simple « délit de
faciès » cache parfois le visage d’un
monstre bien plus horrible). Il en
résulte cette peur lancinante de sortir
blessé d’un conflit, de souffrir, voire
d’y laisser sa peau.
Mais tout cela n’est rien comparé
à l’horreur qui minera les joueurs
de l’intérieur. Chaque personnage
possède ses abîmes qui, une fois
incarnés, deviennent les toiles de
fond des aventures qui vous seront contées dans ce livre. Ces
membranes fragiles subissent de plein fouet un environnement
sordide qui ne fait qu’aggraver leurs problèmes personnels. La
corruption n’est pas qu’un vague concept moral ; la folie guette
les plus fragiles, la décadence du siècle transpire et contamine
les contemporains. Il n’y a pas d’opposition classique entre
bons et mauvais. L’homme est seul maître de son destin : à lui
d’en faire bon usage. A vous de déterminer si l’humanité, sur
son chemin de croix, est en majesté ou en convulsion...
 Premiers Pas
Comment ? Vous refermez déjà ce livre trop sombre ?
Ne savez-vous donc pas que chaque hiver contient en lui les
promesses du printemps ? De cette apparente fange jailliront
peut-être les roses de demain ! Chaque protagoniste de Crimes
découvrira ses propres voies de rédemption, de libération et,
si sa volonté s’avère suffisante, de transfiguration. Il est en
votre pouvoir (et en votre devoir) d’infléchir le destin des
personnages et le cours de cette histoire, que ce soit par une
chute douloureuse ou par une ascension...
Un jeu d’ambiance historique
Crimes est un livre d’ambiances. Envers et contre tout. Et
un jeu vivant. Au cours des parties on parle, on débat et on
s’interroge. On dépeint des lieux réalistes ou fantasmagoriques,
les sensations et les ressentis des personnages sont décrits avec
un grand luxe de détails. On s’y accroche, on s’y attache, à ces
alter ego si fragiles... On tente de ménager leur peine, de leur
préparer un avenir le moins douloureux possible.
Soucieux de vous offrir un cadre suffisamment dense,
nous avons choisi de retranscrire au mieux cette société de fin
du XIXème siècle dans ses dimensions politiques, sociales et
sociologiques. Nous avons ainsi préféré nous éloigner d’une
vision stéréotypée de l’époque en nous évertuant à réinvestir
autant que possible des évènements, des personnages et des
situations ayant réellement existé. Plus qu’un jeu, Crimes peut
également devenir un objet d’inspiration pour les historiens
amateurs et les rôlistes épris de Belle Époque. Que les chantres
du réalisme historique nous pardonnent : nous avons toutefois
pris de nombreuses libertés avec l’histoire pour coller au mieux
à l’ambiance du jeu ; et pour citer Alexandre Dumas : « Tout
n’est pas historique dans cet ouvrage. Mais on peut violer l’histoire
si les enfants sont beaux. »
Le jeu s’appuie sur un arrière-plan idéologique ; l’« esprit
fin de siècle » propre au crépuscule du XIXème siècle y est
soigneusement décrit. La civilisation entrait alors dans une
phase de décadence irrémédiable : la corruption des mœurs,
la décadence des valeurs traditionnelles, la dégénérescence
de l’espèce humaine représentaient les préoccupations
d’une intelligentsia dont nous allons ici relayer les craintes.
La dimension ésotérique, fantastique ou surnaturelle
développée dans la littérature et le cinéma fera également
partie de ce voyage vers l’insondable, tout en restant cependant
en coulisses de la « réalité » que nous vous proposons.
Au final, nous n’abuserons pas plus de votre patience
que de votre temps, amis lecteurs. Il n’appartient qu’à vous
de savoir ce que ce livre est, ou ce qu’il n’est pas. Jeu policier,
historique, d’épouvante ou de mystères ? Après tout, il
n’appartient qu’à vous de trancher, ou bien de composer votre
propre recette après sa lecture.
13
Se faire plaisir, évoluer, coopérer
Voilà, en quelques mots, les buts définis par le
jeu de rôles. Crimes appartenant au genre horrifique,
son ambiance se propose de distiller toute une gamme
d’émotions, de sensations propres à vous laisser un goût
amer dans la bouche... Du frisson qui vous parcourt
l’échine à l’angoisse connue quand votre personnage frôle
la mort, de la satisfaction quasi-paternaliste éprouvée
quand il évolue dans le sens souhaité à l’apaisement
ressenti quand les fils de l’enquête se dénouent... Tel est
le premier précepte du jeu : offrir, à l’instar des contes de
notre enfance, la délectation provoquée par la découverte
d’une belle histoire. Et si vous ne parvenez pas à résoudre
l’affaire, tant pis et qu’importe ? Vous comprendrez
rapidement que la satisfaction vient d’ailleurs !
Nous avons évoqué Les Mystères de Paris,
roman-feuilleton qui tint en haleine un vaste public sous
la Seconde République. De la même manière, notre jeu
prend toute sa dimension quand les enquêtes se suivent
et que les personnages des joueurs restent. C’est ce qu’on
appelle une « campagne », dans le même sens qu’un
feuilleton.
Ainsi, une réelle complicité se créé progressivement
entre le joueur et son alter ego, qui évolue selon ses choix
dans cet environnement dangereux. Le but premier
consiste à le préserver des dangers dans l’optique de le
faire survivre. Une fois cet écueil franchi, il faut ensuite
enrayer sa possible déchéance, et lui proposer les moyens
d’accéder à sa plénitude. L’évolution du personnage est un
élément déterminant si l’on veut profiter au maximum des
capacités offertes par le jeu de rôles. Il ne s’agit pas d’une
quête effrénée de puissance. Le joueur est seul à établir son
propre référentiel, dont les caractéristiques détermineront
la manière dont il va se transformer.
Néophytes, vous pour qui le jeu de rôles est une
découverte, nous comprendrions votre désarroi : un jeu où
il n’y a pas de conditions précises de victoire, voilà qui n’est
pas habituel ! En cela, le jeu de rôles est un cas unique. Ici,
tous les joueurs coopèrent dans le but commun de résou-
dre leur enquête ; mais cela ne signifie pas qu’une concorde
sociale, qu’une Union Sacrée doit être scellée entre eux
dès le début du jeu. Vous constaterez que certains carac-
tères, ou convictions inconciliables, ne manqueront pas
d’instaurer un climat des plus tendus au sein du groupe.
Pourtant, les dangers qui guettent nos héros s’avèreront
assez consistants pour les inciter à laisser de côté leurs
querelles intestines. Collaborer malgré tout devra rester
leur mot d’ordre pour éviter une déroute totale.
Collaborer se fait aussi avec le MJ, qui n’est pas votre
ennemi. Son but est de vous proposer des embûches
proportionnées aux capacités des personnages, et non de
vous précipiter dans les abîmes de la mort. Son pouvoir
démesuré lui impose une forte dose d’objectivité, mais la
mort est pourtant inéluctable pour les PJ qui la cherchent,
pour les auteurs d’actes suffisamment inconsidérés pour
mériter une telle sanction.
 Chapitre 1
Le matériel nécessaire
Crimes est aussi, et avant tout, un jeu de rôles.
A ce titre, il nécessite quelques menus accessoires.
Quelques photocopies des fiches de personnages
fournies dans cet ouvrage.
Plusieurs dés à dix faces (D10), que vous pourrez
vous procurer dans les magasins spécialisés.
Des feuilles de brouillon, pour prendre des notes sur
l’avancée de l’enquête.
Des victuailles pour les parties les plus longues
(contactez votre traiteur si vous avez prévu de vous
livrer à un repas bourgeois gargantuesque...).
Remarques sur la forme
Ce livre n’est pas destiné qu’aux pratiquants du jeu de
rôles mais à un lectorat plus large. Pour faciliter votre lecture,
nous avons adopté ces quelques partis pris.
Premier mode de lecture : la narration
Le roman
En tant que roman, Crimes se suffit à lui-même. Par
défaut, tous les textes principaux concernent la même histoire
et mettent en scène les mêmes protagonistes. Ils permettent
de poser l’ambiance et le cadre de notre univers. Certains
chapitres (les 3, 4, 5 et le prologue) échappent toutefois
à ce cadre en s’attardant sur les systèmes de simulation.
Les scénarios du chapitre 7, quant à eux, peuvent être
appréhendés comme des histoires interactives.
Citations
Des citations émaillent les différentes parties du texte.
La plupart sont d’époque, d’autres sont empruntées à des
personnages de Crimes afin de renforcer la coexistence du
réel et du fictif.
Notes de Carter
De même, certains passages font référence aux notes
de Carter. Il s’agit du carnet d’enquête de Craig Carter, cet
agent disparu dont le narrateur suit la trace. Ce « carnet de
bord » livre une vision précise des protagonistes de Crimes
et de la déchéance qui œuvre au sein de son univers. Ces
fragments sont mis à jour au fur et à mesure de l’enquête,
et l’ensemble des pages retrouvées serait disponible quelque
part, réservé à quelques privilégiés... Mais gardons-nous de
faire courir les rumeurs !
14
Manuel de l’enquêteur
Enfin, le manuel de l’enquêteur du narrateur compile les
techniques d’enquête en usage à cette époque. Il vous sera un
précieux auxiliaire de jeu. Les règles de simulation utilisées
pour Crimes, en tant que jeu de rôles, y sont également
abordées.
Second mode de lecture : les infos pratiques
Retrouver facilement une information
Ce livre a été conçu de manière à vous fournir des
informations pratiques sans vous perdre dans les méandres
de son histoire. Référez-vous aussi souvent que vous le
désirez à notre table des matières et à notre index, qui recèle
un glossaire du vocabulaire spécifique de la Belle Époque et
du jeu de rôles.
Documents et précisions sur l’époque
Devant l’impossibilité d’être totalement exhaustifs, nous
avons choisi d’accompagner nos textes d’encadrés pour
proposer des approfondissements du contexte aux plus
exigeants d’entre vous. Voyez-les comme des précisions,
mais aussi comme des pistes de recherche pour aller plus loin
dans l’exploration des thèmes. Vous les reconnaîtrez grâce à
l’idéogramme suivant, toujours situé en haut à gauche de
l’encadré :
Apprendre à maîtriser Crimes
Ces pages fourmillent de conseils pratiques et de docu-
ments instructifs sur l’époque, afin de faciliter le travail d’adap-
tation du maître du jeu. Ils sont mentionnés dans les encadrés
identifiés par l’idéogramme suivant :
La création des personnages et le système de simulation
seront accompagnés de nombreux exemples tirés de l’aven-
ture, et des notes de cet étrange agent Carter...
En définitive, vous voilà l’heureux propriétaire d’un
hybride dont tous les éléments sont inextricablement liés,
où vous pourrez suivre un dialogue permanent entre sa face
romanesque et sa face ludique. Et nous vous ménageons bien
d’autres surprises !
Je vois. Vous semblez impatient de commencer, et d’en
découdre dès la fin de votre lecture. Installez-vous confor-
tablement au fond de votre fauteuil. Il est temps pour vous
d’apprendre comment notre pauvre narrateur en est venu à
se faire piéger par les prostituées du Cléopâtre...
 Premiers Pas

Arrivée au temple de l’ordre

Angoisses du premier jour

Le 30 janvier 1899, seize jours avant la descente au
Cléopâtre.

Nous cheminions à vive allure dans les rues de Paris,

la caresse du vent frais embrassait mon visage. J’époussetai
mes vêtements déjà noircis par l’âcre fumée de la locomotive
à vapeur. Je sortais de la gare de Lyon, encore émoustillé par
ce voyage en train ; je resterai pour toujours le plus fervent
admirateur de cette incroyable machine...

Je me sentis soudainement épié par le cocher du cab qui,

assis derrière moi, cinglait les rênes de son attelage pour en
accélérer la course. Les parisiens avaient-ils donc tous cette
faculté d’identifier les provinciaux ? J’inspirai une grande
bouffée d’air : le voyage depuis ma Loire natale m’avait
épuisé, mais il m’importait de faire bonne figure une fois en
présence de mon intraitable employeur.

Le préfet Lépine régnait en maître incontestable sur la

police de Paris. Je conservais précautionneusement mon
icône : une photographie sur laquelle « Louis le Juste »
posait les bras croisés, débonnaire, l’air sévère et la moue
à peine dissimulée par son bouc grisonnant. Son front
large, caractéristique des individus cérébraux, son costume
impeccable et bien mis lui donnaient l’allure d’une allégorie
parfaite de la police qui traque et de la justice qui tranche.
Je souhaitai secrètement être dérobé à son regard inquisiteur :
la réputation de mon parangon s’avérait épouvantable quand
il s’agissait de recruter les futurs agents de l’ordre parmi les
quatre mille provinciaux qui briguaient chaque année cet
honneur. Il fallait espérer que mes excellentes références
scolaires plaident en ma faveur...
Devant les façades monumentales de l’édifice, je ne
pus réprimer un frisson en adoptant un instant l’état
d’esprit des criminels convoyés vers ce majestueux temple de
l’ordre. La préfecture dominait la Seine, comme un pendant
séculier des flèches de Notre-Dame, promesses muettes de
la rédemption céleste des hommes. Je voyais en eux des
symboles, des lieux de sauvegarde de la civilisation d’où l’œil
de Dieu et celui de l’État surveillaient un troupeau empreint
de duplicité.

Les collègues de Saint-Étienne m’avaient recommandé

de me laisser pousser la moustache, chose appréciée du grand
seigneur mais difficile vu mon jeune âge. Je bombai le torse,
répétant mon numéro de séduction afin d’offrir au médecin
de la préfecture -qui avait coutume de palper les jeunes
recrues- des muscles d’acier plutôt que de coton. Mon mètre
soixante-dix devait me permettre d’officier dans Paris intra
muros ; quant aux plus brefs, ils étaient destinés à errer dans
les banlieues comme « sergents de ville », condamnés à éviter
les coutelas des surineurs.
Ce qui m’attendait n’avait rien de comparable avec ma
paisible retraite stéphanoise et ses quelques mineurs grévistes
à faire rentrer dans le droit chemin. Encore perdu dans mes
pensées, je commençais à peine à m’acclimater aux charmes
de la capitale qui défilait à toute vitesse autour de moi.
C’est alors que la silhouette imposante de la préfecture
centrale se révéla brusquement, après un virage rondement
négocié par mon chauffard de cocher.
La préfecture de police de Paris
Le cadre idéal pour commencer vos aventures
dans le monde de Crimes. Vous pourrez puiser vos
personnages parmi le vivier des quelques 4 000
nouvelles recrues intégrées chaque année, toutes âgées
de 21 à 30 ans, la plupart provinciales. Autant de
jeunes ignorant encore tout de l’enfer urbain, avec
lesquels vous partagerez la même innocence...
L’encadré suivant vous fournira des indices pour
interpréter une recrue affectée à telle ou telle brigade
spécialisée. A cette époque, l’îlotage octroyait à chaque
arrondissement quatre commissariats avec des effectifs
fixes, afin de mieux cerner le milieu de la pègre locale.
Vous pouvez donc rattacher votre personnage à un
quartier de Paris. La préfecture sera détaillée lors d’un
prochain supplément.

15
 Chapitre 1
Le temple de l’ordre
Le hall d’entrée de la préfecture ressemblait davantage
à une Cour des Miracles qu’à la succursale empreinte d’une
ambiance feutrée que j’avais pu imaginer. Des concerts de
cris accompagnaient l’enlèvement d’une fille de joie aux
vêtements ensanglantés, secourue par ses compagnes de
fortune que peinaient à contenir une poignée d’agents. Les
gardiens de la paix semblaient davantage la traiter en suspecte
qu’en victime innocente... Un interpellé – manifestement
ivre – tentait de se dérober à la matraque d’un agent, le
gratifiant de toute la collection d’insultes que pouvait lui
permettre son infâme gouaille banlieusarde. Des ouvriers
vietnamiens attendaient près d’un bureau, visiblement
perturbés par cette démonstration de force, alors qu’un
secrétaire remplissait un quelconque formulaire d’un regard
impavide, comme si la scène se rejouait ici chaque jour à
l’infini.
Je dépassai, interloqué, son collègue toujours occupé
au passage à tabac du malfrat. Il le maltraitait de son bâton
blanc, ce « jujube » tant décrié par les détracteurs de la
police : le « sucre d’orge » menaçait de rompre sous la dureté
de la caboche du malheureux ivrogne. Ce remplaçant du
sabre semblait moins inoffensif que de prime abord...
Une hôtesse d’accueil me dépouilla de mon pardessus
et, sans que je n’ai le temps d’ouvrir la bouche, accéda à ma
demande informulée de rencontrer le préfet pour me sou-
16
mettre à son « examen de binette ». Je me voyais de nouveau
trahi par mes couleurs provinciales, bien loin du teint blafard
de cette femme entre deux âges visiblement anémiée.
Une fois de plus livré à moi-même, j’errai dans les
couloirs afin de retarder l’échéance tout en assouvissant ma
fascination à l’égard de cet endroit. Je n’hésitai pas à dresser
une oreille discrète afin de profiter des cours assénés aux
futurs gardiens de la paix : la dictée était au programme, un
élève officier se faisait tancer par son supérieur...
— Voici la perle du jour ! Voyons voir : « Le médecin que
nous avons été chercher a constaté que le blessé avait des esqui-
maux sur tout le corps ». Des ecchymoses, crâne d’œuf ! Cela
vaudrait bien une mutation vers les banquises du Grand
Nord, avec les pingouins écervelés de votre espèce !
C’est au moment où j’essayais d’entr’apercevoir le
tableau noir que les molosses de la brigade cynophile
déboulèrent dans le couloir, tenus court par des gardiens
aussi larges que hauts. Je pressai le pas et parvins finalement
au dernier étage du bâtiment, face à une double porte en
chêne entrouverte sur laquelle était fixée une pancarte : «
service anthropométrique ». Impatient d’apaiser ma curiosité
insatiable, je m’avançai quand...
— Ne vous trompez pas de porte, jeune homme, notre
système de fichage ne concerne pour l’instant que les criminels.
Une voix caverneuse avait retenti sur ma gauche ; je
découvris, en tournant la tête, son propriétaire
: Louis Lépine, figé dans la même expression
que sur ma photographie fétiche. Son flair
légendaire lui avait permis de déceler mon
imprudente escapade...
— Cent mille cartes détaillant les mensu-
rations de nos délinquants croupissent dans
cette pièce. Leur auteur, Bertillon, a besoin
de calme pour travailler. Mais il ne s’agit sans
doute pas de la raison de votre venue en ces
lieux, mon jeune ami ?
Bertillon ? Le grand prêtre de l’anthro-
pométrie, ce personnage dépeint comme
« atteint d’aliénation mentale » par l’ancien
préfet, avant que Lépine ne s’attache ses ser-
vices ? C’était assurément l’étage de tous mes
fantasmes de jeune policier ! L’Olympe des
réformateurs du beau métier !
— Avancez-vous dans mes bureaux, jeune
recrue, pour que je puisse vérifier si vous
concordez bien avec l’image fournie par vos
supérieurs provinciaux.
Lépine ordonnait, je m’exécutai.
 Premiers Pas
Les innovations sous Lépine
 1893 : nomination du préfet Louis Lépine. Il déclarera
dans ses mémoires qu’il « s’y ennuya copieusement » ;
et pourtant, quelle activité !
 Dès sa nomination, la police municipale se voit
spécialisée dans le maintien de l’ordre, et la police de
rue adopte l’uniforme. Le « préfet de rue » emploie
de grandes masses policières rapides et mobiles. Ainsi,
les anciens sergents de ville, désormais gardiens de la
paix, sont près de 15 000 à rester mobilisés en cas de
force majeure. La création de ce corps datait de 1829,
il devient sous Lépine la première police en tenue avec
redingote en drap bleu, boutons aux armes de Paris et
chapeau à corne.
 C’est dans ce concept de mobilité accrue que les
gardiens cyclistes, surnommés « hirondelles », voient
le jour.
 Des avertisseurs téléphoniques sont installés pour
appeler plus rapidement les services de pompiers.
 Il promeut le système de fichage de Bertillon avec près
de cent mille cartes consultables à la préfecture.
 Au diapason de l’évolution de la société, c’est à lui
que revient, en 1896, la création du bâton blanc pour
les agents de circulation, rapidement surnommés
« agents-biberons » pour leur obligation de faire
traverser la rue aux écoliers.
 1900 : création de la Brigade Fluviale destinée à la
sécurité de la navigation, assortie de chiens sauveteurs
et d’embarcations motorisées.
 L’Unité Cynophile, affectée à Neuilly-sur-Seine, lutte
contre la recrudescence des cambriolages dans le
secteur. Rapidement, la moitié des commissariats de
banlieue se dote de ces animaux aussi bien dressés
pour l’attaque que pour la défense.
 1901 : Lépine créé le célèbre concours-exposition qui
deviendra une pépinière d’inventeurs.
 Cependant, malgré ses apports, la police reste inféodée
aux communes et aux départements qui les payent. Le
commissaire reste sous la tutelle d’un patron qui n’est
autre que le maire. Il faudra encore attendre pour les
voir passer fonctionnaires d’état, comme c’est déjà le
cas à Lyon (1851) et Marseille (1908).
 Pas de brigade à moto avant 1920, de service radio
avant 1926, ni de femmes policiers avant 1935.
 Pour les besoins du jeu, Lépine est ici le promoteur
d’un rapprochement avec la police londonienne (d’où
la présence de l’agent Craig Carter sur le sol français).
Il est aussi à l’origine des Brigades Citoyennes décrites
dans le chapitre 3, et hérite des affaires les plus
étranges que le monde de Crimes pouvait lui léguer.
Dans la peau d’un autre
Le bureau du préfet était un véritable capharnaüm, aux
antipodes de l’ordonnancement pointilleux qui devait pourtant
régir ces lieux. Des piles de dossiers trônaient dans un équilibre
précaire sur l’immense bureau teinté acajou, menaçant de
s’écrouler sur un poste de radiotélégraphie on ne peut plus
moderne. Quelques objets incongrus, de probables inventions,
jonchaient le peu d’espace disponible et une partie du sol. Le mur
situé derrière Lépine était constellé de coupures de journaux,
17
pour la plupart des unes dédiées à des crimes crapuleux. Cet
ensemble étonnant oscillait entre le classicisme impérial de son
mobilier et le baroque des ajouts personnels du préfet.
Il se mit à tourner lentement tout autour de moi : ce petit
manège ressemblait étrangement à celui du maquignon jaugeant
la bête...
— De très belles mains, une constitution solide, un dos
bien droit... De bon augure. Vous feriez un parfait gardien de
la paix.
Il ne me laissa guère le temps des réjouissances, passé ce
relatif succès.
— Néanmoins, je vous destine à d’autres travaux bien plus
pressants. Pour cette affaire, ce diable d’anglais, j’ai vraiment
besoin de quelqu’un.
Tout en continuant à soliloquer, Lépine jeta vers moi ce
qui semblait être l’uniforme réglementaire porté par les policiers
en service... Une capote bien chaude pour supporter l’hiver,
une jolie tunique, un pantalon dernier genre, un coutil gris très
élégant : il y en avait pour au moins soixante-dix francs, soit la
moitié d’une solde !
— Je vous confie également ce plan de la préfecture, afin de
vous éviter des errances malvenues (imaginez mon inconfort à la
suite de cette remarque !). Vous allez vous diriger vers le bureau
de Craig Carter, une aide de camp venue d’Angleterre. Carter
enquêtait sur une affaire de trafic de stupéfiants dirigée par
quelques uns de ses compatriotes à Paris. Nous avons conservé
son bureau en l’état, vous y trouverez de quoi débuter. Je suis
désolé de ne pouvoir vous offrir l’apéritif mais je suis... assez
occupé, voyez-vous. Revenez donc me voir en fin de journée.
Une fois congédié, je me levai précipitamment, mon
uniforme dans les bras, puis dévalai les escaliers après avoir
obséquieusement salué le préfet. Je l’entendis alors m’interpeller
du haut de son promontoire :
— N’oubliez pas votre manuel de l’enquêteur : il vous
apprendra les rudiments indispensables à vos nouvelles fonctions !
Puis il tourna les talons, et disparut en bougonnant.
Le manuel, sous une couverture rigide, expliquait avec force
détails les procédures à suivre lors d’une enquête. Un précieux
auxiliaire, me dis-je, tout en cheminant vers une autre aile du
temple de l’ordre.
Liste de prix pour les policiers
 En 1886, la moyenne des appointements s’élève à
140 francs par mois pour onze heures minimum de
service par jour.
 Un ouvrier quelconque gagne autant, sans les dangers
inhérents au maintien de l’ordre.
 Location du vélo par les « hirondelles » : 10 francs
par mois.
 Équipement fourni à l’embauche : capote (30 francs),
tunique (24 francs), pantalon dernier genre (12 francs),
coutil gris pour les élégances d’été (4 francs).
18
Les bas-fonds
de l’ère industrielle
Saint-Lazare : la nouvelle Babel
Sortir de la médiocrité
« Jamais la police n’aura d’espions comparables à ceux qui
se mettent au service de la haine. »
Honoré de Balzac, Les Paysans
En marge de la préfecture
Bureau de l’agent Carter. Quinze jours plus tard, dans
l’après-midi.
J’exerçais mes fonctions depuis maintenant deux
semaines au sein de la préfecture de police. J’ouvris, comme
à l’accoutumée, la porte cochère qui nous séparait de ses
bâtiments annexes, devenus depuis peu mon nouveau lieu
de travail. Ces édifices, qui figuraient parmi les oubliés
des bouleversements d’Haussmann, se verraient rénover en
dernier par les gratte-papiers de Lépine. Cette relégation peu
élogieuse n’était pas étrangère à la nature de leurs occupants :
agents fatigués en fin de carrière, indic’ en disgrâce exilés de
leurs quartiers et policiers amochés y avaient élu domicile.
Quelques visites de la pègre aux « allumeurs », ces agents
provocateurs mis au placard, avaient en outre laissé des
traces de saccage. Au registre des souvenirs, plusieurs brûlots
enflammés anti-Lépine restaient visibles sur les murs.
19
La préfecture avait littéralement phagocyté le vieil immeu-
ble. L’intérieur semblait pourtant cossu, en souvenir d’un
temps glorieux où la bâtisse faisait encore office d’hôtel :
des lampes faméliques révélaient un hall étroit, décoré par des
portraits de gloires locales, qui menait droit à une porte relé-
guée au fond. Sous des abords accueillants, le vestibule témoi-
gnait d’un laisser-aller à même de faire rougir la plus crasseuse
des concierges du centre de Paris. La lumière déclinante de
l’éclairage m’empêcha presque de remarquer la présence du
portemanteau qui supportait ma tunique recouverte de suie
et mon coutil gris neuf, parfaits symboles de mon passé pro-
vincial et de ma nouvelle vie policière. Rien n’y faisait, je me
sentais toujours autant écartelé entre ces deux existences...
Suivre la trace de l’agent Carter s’était jusqu’alors limité à
un travail de gratte-papier. La totalité de mes enquêtes sur le
terrain s’étaient soldées, au mieux, par le silence, et au pire par
un mépris affiché. Une chape de non-dits s’était abattue sur la
disparition du policier et je ne disposais d’aucun appui depuis
mon dernier rendez-vous avec Lépine, le soir de mon arrivée.
J’avançai en montant les marches de l’escalier d’un pas feutré.
J’ouvris ensuite une porte, puis gravis un second escalier du
plus bel effet.
Derrière la première porte de l’étage, l’atmosphère du
bureau de Carter ne dénotait pas du hall. Un endroit
particulièrement petit, s’il en était, cerné de murs d’un gris
sale qui ne rehaussaient guère une faible lumière tamisée par
les rideaux de l’unique fenêtre du lieu, grande baie ouverte sur
les rues populeuses du centre-ville. Un immeuble en vis-à-vis
 Chapitre 2
interdisait aux rayons du soleil d’inonder les lieux. Le mobilier
de la pièce se réduisait à une petite table calée dans un coin,
dont la rusticité rivalisait avec celle du vieux tabouret de
mon logement. Je poursuivis l’enquête, absorbé par la lecture
d’une suite de lettres manuscrites dépouillées à la va-vite sous
la lueur d’une lampe. Son faible éclairage demeurait la seule
note de lumière d’une pièce particulièrement lugubre. Je posai
les yeux sur un portrait dépeignant les traits fins de Craig
Carter, représenté de trois-quarts, le visage figé en un regard
inquisiteur qui me transperça.
Un premier mentor
Je me sentais particulièrement mal à l’aise devant le
portrait de l'agent Carter, comme si j’étais coupable de
mettre mon nez dans ses écrits les plus intimistes.
Un râle de gorge retentit dans
l’huis de la porte restée entrebâillée.
Je me retournai soudainement,
furieux d’avoir ainsi été surpris par
une intrusion bien peu amène.
M’étais-je déjà emparé des lieux,
défendant telle une bête mon nou-
veau territoire ? Il fallait croire que
je m’étais accaparé cet espace, après
l’avoir défloré avec acharnement en
retournant un à un les tiroirs de mon
prédécesseur pour finalement mettre
la main sur ces curieux dossiers de
Carter, camouflés sous des piles de
coupures de presse. La découverte
fut précieuse : les protagonistes de
son enquête s’y voyaient minutieu-
sement détaillés. Je refermai à la hâte
la reliure de cuir marquée du sceau
de Carter pour faire face à l’intrus.
Il me fut difficile d’appréhender le visage du contrevenant,
à moitié dissimulé par une ombre pesante qui ne laissait paraître
qu’un visage buriné mangé par d’épaisses moustaches (sans
doute un des mignons de Lépine). Une casquette était vissée
sur son crâne lisse, à partir duquel des favoris gris partaient pour
parsemer des joues crevassées. Une veste de cheminot trop grande
pour lui, des godillots de cuir cloutés dépassant de braies fatiguées
et un billet en main porté à la tempe en guise de salutation com-
plétaient le tableau. S’agissait-il d’un contrôleur de train trop zélé
venu me rapporter mon billet ?
— Hé ben, le cipal, vas-tu lâcher ta babillarde pour chercher
la bourrique ? Laisse ta bourlingue où t’as été balancé, on va
promener pour aller voir défiler les dragons !
Je tentai de décortiquer sa phrase, analysant vainement
l’horrible vocabulaire de ce rustre pour tenter d’en dégager
un simulacre de sens. Mon étonnement n’échappa guère au
lourdaud, qui fronça les sourcils en enlevant sa casquette.
— Agent Joseph Gueslin. On me connaît aussi en tant que
Joseph Ponchon, ou encore Sulpice Batty. Je suis sergent de ville,
20
envoyé par Lépine pour vous servir de guide. Ne vous trompez
pas sur mon âge : la promotion donnée au gardien de la paix
que j’ai longtemps été ne dépendait ni de ma taille, ni de mes
compétences, ni même de mes moustaches ! Désolé pour le
langage : parfois, on s’habitue à la bassesse plus que de raison. Le
berger s’attache à son troupeau, au point de ne vouloir échanger
ses cochons contre de blanches brebis. La gouaille, va falloir s’y
faire !
Ses traits se détendirent : il était visiblement satisfait du petit
effet produit.
— Je disais, en gros : Monsieur le Garde de Paris, allez-vous
abandonner votre lettre pour rechercher un indic’ ? Laissez
donc ce bureau, nous allons nous promener pour aller manger
en chemin. Vous devriez apprendre l’argot des voleurs si vous
souhaitez passer inaperçu. Je vous en ferai une note.
A ces mots, il jeta une tunique à mes pieds.
— Votre déguisement de pro-
vincial vous ira très bien là où
nous allons, pourvu que vous vous
taisiez. Je vous conduis à la gare
Saint-Lazare. On nous a transmis ce
ticket utilisé par Carter, juste avant
sa disparition : il a été retrouvé
sur le siège d’un train de banlieue.
Nous allons remonter sa piste grâce
à cela.
Son discours, plus soutenu, ne
l’était qu’au prix d’une prononcia-
tion laborieuse : je soupçonnai mon
interlocuteur de ne pas être aussi
coutumier du beau langage que je
pouvais l’être.
Je ramassai hâtivement les dos-
siers de Carter, mon manuel de
l’enquêteur et mes effets personnels
pour me lancer à la poursuite de
mon guide, qui dévalait déjà l’escalier afin de héler un fiacre dans
la rue. C’est ce que je pensais du moins, avant de le découvrir
juché sur une bicyclette.
— Nous allons nous transformer en « hirondelles » avec nos
bicyclettes. Un essai de Lépine, pour éviter les embouteillages de
fin d’après-midi. Ne prenez pas cet air étonné, vous allez voir :
c’est simple comme bonjour !
Les hirondelles
« Oui, monsieur, l’étranger nous envie. La preuve,
c’est que Berlin, Budapest, Vienne, Bruxelles, Turin ont
marché sur nos traces et que ces grandes villes possèdent
aujourd’hui des services cyclistes copiés presque exactement
sur le nôtre... Et le jeune Amérique ? Croyez-vous que New
York tarde à marcher sur les traces de Paris ?... A tous les
points de vue nous ne pouvons que nous féliciter... Nos
agents, vous le savez, vont par deux, sauf à la Villette où ils
vont par trois... Un agent cycliste fait la besogne de quatre
agents à pied ! »
Article du journal satirique La Lanterne.
 Le Contexte
Petit dictionnaire d’argot des rues
L’argot vous permet de pénétrer dans les coulisses du
décor, en pleine immersion dans le monde des criminels.
Ce langage secret, complexe, peut être décrypté grâce à la
compétence « intrigues ».
Le MJ souhaitant renforcer l’ambiance de ses parties
pourra glisser quelques extraits savoureux de ce dialecte, qu’il
convient toutefois de préparer à l’avance. Si vos joueurs pensent
que seules les langues hermétiques leurs sont indéchiffrables,
ils risquent de rapidement changer d’avis !
Les lieux
 Un bouibouis : un endroit mal famé
 Un boxon, une claque : une maison de tolérance, un bordel
 Une banque : terme générique pour le monde des forains
 Un beuglant : un café-concert avec moult bruit
 Une landière : la baraque des forains
 Un tapis : le débit de boisson où se réunissent les malfaiteurs
Le peuple et les quidams
 Des eaux grasses : un gradé, un personnage important
 Un contrecoup : un contremaître
 Un empoisonneur : un marchand de vin, un restaurateur
 Un birbe : un vieillard
 Un frisé, un guinal : un juif
 Un romané : un bohémien
 Une guette-au-trou : unesage-femme
 Un lapin de corridor : un domestique
 Une largue, ménesse, lemmefuche, lésée :
termes génériques pour désigner la femme
 Un ratichon : un prêtre
 Un trottin : une jeune ouvrière ou apprentie à Paris
 Un zéphyr : un soldat des bataillons d’Afrique
Les représentants de l’Ordre
 L’arnaque, l’arnif, la raclette : la police
 Un cipal, un sergot : un garde de Paris
 Une butte : un échafaud
 Le ballon, le collège, la gerbe : la prison
 Le corcifé : la conciergerie, prison de Paris
 Pélago : la prison et l’hôpital de Sainte-Pélagie à Paris
 La Nouvelle : la Nouvelle Calédonie, pour ceux
qui échappent à la Guyane
 La boîte, la judée : la préfecture (de police)
 Un quart d’œil : un commissaire de police
 Un gâfe de sorgue : un garde de nuit
 Un gâfe à gail : un garde à cheval
 Les hirondelles de potence : les gendarmes
 La peste, la pestaille, la vache :
les agents de sécurité en général
 Une souricière : un piège tendu par la police
pour faire une rafle
 Un bavard, un cuisinier : évidemment, un avocat !
 Un curieux, un enjuponné : un juge
 Le bêcheur, la crosse : l’avocat général
 Un champigneul : un garde-champêtre
 Le charlot, le faucheur : le bourreau
Argot des voleurs
 Un cafard, une casserole, un fleure-fesses :
un mouchard, un espion
21
 Arçonneur : voleur faisant le guet pour son complice
 Il pleut ! : expression signifiant aux complices
le danger qui s’approche
 Doubleur de sorgue : un voleur de nuit
 Ermite : le voleur agissant seul
 Un haricot vert : un voleur jeune et audacieux
 Une carre : voleuse de magasin chic opérant avec une complice
 Un poivrier : un voleur qui dévalise les ivrognes
 Un roulotier : un voleur dans les voitures
 Un maître chanteur : fripouille qui utilise
un déguisement de policier pour leurrer sa victime
 L’escarpe, un troussier : un assassin
 Une fripouille : une canaille
 Un faiseur : un escroc
 Les charrieurs : individus portant les effets
d’un voyageur dans une gare avant de les lui dérober
 Un orphelin : un bandit
 Un battaudier, un manchiste : un mendiant des rues
 Un giverneur : un vagabond
 Un batteur de dig dig : mendiant qui simule
des attaques d’épilepsie avec du savon dans la bouche
 Un sabouleux : faux estropié
espérant apitoyer les cœurs sensibles
 Un polisseur de pieds de biches :
un mendiant à domicile
 Goupiner : arranger, apprêter un vol
 Un fric-frac : une effraction
 Vol à la flanc : cambriolage commis
par un monte-en-l’air
 Les cadets : les outils du cambrioleur
surnommé le chevalier grimpant
 Une carouble : une fausse clé
 Un lachard : un diamant à couper le verre
 Le dombeur, le jacques : la pince monseigneur
 Déménager à la cloche de bois : partir furtivement, sans payer
 Albache : un faux nom, toujours utile
pour les couvertures
 Passer à tabac : forme d’interrogatoire tolérable
et tolérée pour la police
 Aller à la crosse, se défarquer : avouer un méfait
au détriment d’un complice
 Musicien : celui qui dénonce ses complices
 Un fagot : un récidiviste
Sous la ceinture
 Les boîtes à lait : les seins de la femme
 Un copaille : un homme aux mœurs plus que douteuses
 Une dabuche : une mère ou une bourgeoise
 Une panuche : une femme élégante
 Faire un levage : coucher avec une femme
 Alphonse, ou bouffeur de blanc :
homme vivant de la prostitution (ça existe)
 Jésus : jeune homme de mœurs pédéraste
 Un brochet, un mac : un souteneur des prostituées
 Le macrotin, l’urbin : le jeune ou l’apprenti souteneur
 Une maquecée ou maquerelle, une ogresse :
une tenancière de maison close
 Une catiche, une grue, une odalisque, une ponante :
une prostituée
 Une marcheuse : une prostituée qui « fait le trottoir »
 Aller à montretout : la prostituée visite le client
 Une dégrafée : une prostituée élégante
 Une pouffiasse : une vieille prostituée
 Une dégringoleuse : une prostituée qui cambriole ses clients
 Une paillasse à soldats : une fille de garnison
 Chapitre 2
Les poings et le sang
 La terreur : le chef d’une bande d’apaches
contrôlant un quartier
 Abatis : membres du corps humain
 Une torchée : une bataille rangée, comme sur une barricade
 Boire, écopper : recevoir des coups
 Donner une danse : donner des coups
 Cherrer : serrer, étrangler une personne
 L’amiral, le surin : le couteau, selon les bagnards de Cayenne
 Envoyer à l’as ou à la dame : jeter quelqu’un à terre
 Linguer : frapper à coups de couteau
 Le raisiné : le sang
 Avaler sa chique, dévisser son billard : mourir
 Dégeler, estourbir, saigner, refroidir, suriner : assassiner
 Le macchabée : le cadavre, le plus souvent un noyé
Le bas ventre
 Défiler les dragons : se passer de manger
 Le jus de chapeau : le café noir
Le temple de la déesse Vapeur
« La rêverie est la vapeur de la pensée. »
Victor Hugo, Faits et Croyances
Les vertiges de l’architecture
La gare Saint-Lazare offrait son immense façade classique
à la vue des badauds qui infestaient la populeuse rue de Rome.
Mon regard de provincial ne la différenciait guère des autres
immeubles jusqu’à ce que l’immense oeil cyclopéen de la
grande horloge ne se braque sur moi, me figeant littéralement
22
 Avoir la barbe, une biture : être ivre
 Étrangler un perroquet : boire une absinthe
 La bleue, la purée, la verte : l’absinthe
 Un cric : une eau-de-vie
 Déballer, débourrer : se soulager les entrailles...
 Cracher un renard : vomir en étant ivre
 Une fusée : une déjection d’ivrogne
La peur
 Le boulanger, le rabouin : le diable des superstitieux
 La frousse : la peur
 Un loufoque : un fou
 L’omnibus à crôni : le corbillard
 La veuve : la guillotine
La tête
 Une babillarde : une lettre
 Un marron : un document imprimé clandestinement
sur place. Le globe semblait imposer son diktat à une populace
pressée de se voir soumise aux vicissitudes du voyage.
Le rez-de-chaussée était creusé de nombreuses arcades
stylisées qui donnaient au bâtiment les allures d’un pseudo
temple grec, si l’on faisait abstraction des étages percés d’im-
pressionnantes fenêtres. Des blasons de la IIIème République
en constellaient la paroi, démontrant s’il le fallait à quel point la
gare s’était inféodée au bon fonctionnement du pays.
 Le Contexte
Cette véritable osmose entre Saint-Lazare et la capitale se
confirma dès notre entrée dans l’édifice. L’ampleur infinie du
hall provoqua chez moi un sentiment de vertige : il me sembla
entendre mon pouls, accéléré par cette course à bicyclette, bat-
tre au diapason imposé par des millions de parisiens déchaînés.
Mon regard se perdit vers le plafond, que soutenait des dizaines
de colonnes corinthiennes comme autant de volutes de fumée.
On y trouvait assemblées des planches rougeâtres sculptées
comme un parterre de fleurs inversé ; ces allures de « jardin
à l’envers » se voyaient renforcées par les gravures florales qui
parcouraient les lourdes armatures d’acier en quadrillage.
Délire impressionniste
Mon nouveau collègue s’en alla authentifier le billet de train
attribué à Carter. Je pus alors divaguer tranquillement, flâner la
tête en l’air, fendre la foule en mouvement tel un fétu de paille
malmené par le vent. L’éclat des boiseries pâlissait à mesure que
j’approchais du ventre du bâtiment. Les quais me parurent
innombrables ; je fus frappé par la multiplicité des trains de fret
qui attendaient le signal du retour, une fois le ravitaillement de
la cité assuré.
Petite fourmi en admiration face à cette énorme ruche,
je retrouvai mes esprits en étant bousculé par un voyageur
patibulaire qui maugréait le retard d’un train. C’est à peine si
j’eus le temps de broncher qu’il avait déjà disparu dans la foule.
Une fois remis de la surprise, je trouvai à ma gauche un peintre
installé devant son chevalet, le bras levé dans une image figée,
l’espace d’un instant où le temps semblait suspendu. Il avait
peint la gare d’une bien curieuse façon, ceinte d’une lumière
23
éclatante, véritable nimbe descendant en colonnes par l’immense
baie vitrée. Sa composition m’évoquait une cathédrale gothique
un jour de printemps. Il n’attendait plus que l’officiant pour
terminer son oeuvre, quand celui-ci finit par survenir sous la
forme d’un panache de fumée noire précédant l’arrivée d’une
locomotive brune dont le conducteur activait frénétiquement
les sifflets. L’artiste captait la noirceur de la vapeur par des gestes
rapides et précis. En approchant de plus près, afin de mieux
apprécier sa dextérité, je pus voir que le tableau se composait en
fait d’une multitude de points si bien agencés qu’ils formaient un
superbe trompe-l’œil, une perception alternative et éclatée de la
réalité, vision intimiste du peintre sur le monde qui l’entourait.
Ce peintre déguenillé, à mille lieux des clichés véhiculés par les
Manet et autres artistes renommés, devait probablement survivre
dans son atelier miteux niché dans un faubourg de Paris...
Prendre de la hauteur
Ma contemplation fut interrompue par un second
sifflet, pourtant moins strident. Joseph Gueslin, juché sur
une galerie haute, m’adressa un signe de la main. J’éprouvai
bien du mal à discerner sa silhouette à contre-jour, contraint
de protéger mes yeux de la lumière du soleil encore bien
trop perçante malgré les dépôts de suie qui s’accumulaient
sur les vitres de la grande galerie. Cet inconvénient se révéla
particulièrement gênant lorsque je gravis les escaliers à sa
rencontre, tout en humant l’air frais chargé des relents
de vapeur qui stagnaient en altitude. Il était grand temps
que l’aménagement de la gare d’Orsay, vouée aux nouveaux
trains électriques, vienne nous délivrer un jour de cette
odeur âcre et persistante !
 Chapitre 2
Du haut de ma passerelle, l’altitude me permettait
de jauger les lieux sur la base d’un autre point de vue.
Au-dessus de moi, deux baies vitrées découpées dans un
encadrement noirâtre distillaient un halo lumineux sur
les quais. Les entrelacs des poutrelles d’acier figuraient une
gigantesque toile d’araignée métallique, qui ne tarda pas à
prendre au piège mon regard rêveur. Je m’arrachai à cette
exquise absence pour scruter, à la manière de Joseph, le peuple
de la gare. Du haut de ce promontoire, les déplacements
semblaient réglés par un métronome invisible.
— C’est bon, nous avons pu retracer le voyage de Carter :
il est parti dans un train de banlieue voici trois semaines.
Son billet a été payé avec les subsides de la préfecture, il nous
suffisait de retrouver quand il l’avait utilisé.
— Et qu’est-il allé faire là-bas ?
— Carter devait penser que les petites mains du trafic
d’antiquités sur lequel il enquêtait se trouvaient dans cette
lointaine banlieue. Il a également des contacts là-bas :
un prêtre, mais aussi son indicateur y habitent.
Il ne nous restait plus qu’à attendre le prochain train
pour la même destination. Ce sursis me permettrait de
prolonger ma rêvasserie, du haut de ma passerelle. La gare
était un cœur et les voies ferrées se développaient sur le
territoire comme autant de longues innervations. Les lignes
transcontinentales étaient devenues des colonnes vertébrales
capables d’articuler d’immenses contrées comme les États-
Unis d’Amérique. Le clapotis des wagons sur les rails
d’acier, l’éclairage des compartiments au gaz, les systèmes à
crémaillère, les freins automatiques à air comprimé... Tout
concourrait vers une impression de bien-être et de sécurité
pour le voyageur moderne, dont le rêve ultime demeurait de
parcourir l’Europe à bord du prestigieux Orient Express. Les
déraillements, accidents à quai et autres mal fonctionnements
n’entameraient guère cet enthousiasme : l’ouverture du
chantier du Métropolitain de Paris était là pour le prouver.
Le règne des deux fées :
Vapeur et Électricité
« Les globes électriques pareils à des lunes éclatantes et pâles, à
des œufs de lune tombés du ciel, à des perles monstrueuses, vivantes,
faisaient pâlir sous leur clarté nacrée, mystérieuse et royale, les filets de
gaz, de vilain gaz sale, et les guirlandes de verre de couleur. Je m’arrêtai
sous l’Arc de Triomphe pour regarder l’avenue, la longue et admirable
avenue étoilée, allant vers Paris entre deux lignes de feux et les astres. »
Guy de Maupassant sur les Champs Élysées (1887)
Le règne de la vapeur s’était déjà imposé grâce aux conquêtes
de ses lieutenants que furent les locomotives et les steamers, sans
compter les premières ébauches d’automobiles, prémices d’une
révolution électrique déjà prophétisée. Des ouvriers jouaient
aux funambules pour installer des câbles volumineux, préparer
l’électrification des lignes ou l’éclairage des quais. D’autres
changeaient les antiques lampadaires fonctionnant encore à
24
Le culte de la science dans Crimes
Le XIXème siècle se définit comme une ère de
progrès. La confiance faite aux chercheurs est immense :
la tâche de bâtir une société idéale leur est dévolue. Le
MJ consciencieux retiendra cette idée. Le savant semble
incarner, par essence, un nouveau messie oeuvrant pour
le bien général ; Pasteur pourrait en être le symbole le
plus éclatant. Pour aller plus loin dans ces conceptions,
redécouvrez les concepts du positivisme.
Pourtant, la fin de siècle voit les premières remi-
ses en cause de cette pensée scientiste. Des écrivains
pamphlétaires entrevoient les maux engendrés par la
société industrielle. Les décadents et les romantiques
lui préfèrent, pour les uns, l’artifice superflu et, pour les
autres, le retour à la nature originelle.
Vous pouvez oublier toute vergogne pour décrire
cette adoration sans partage comme une forme de
spiritualité. Par la science, l’homme tente de découvrir
des secrets jusque-là inaccessibles. C’est là que le bât
blesse : en voulant rationaliser ce qui ne peut l’être, il
se confronte à une somme de savoirs occultes que notre
héros découvrira à partir du chapitre 5. La science
contre l’ésotérisme, voilà une des grandes oppositions
du présent livre.
l’huile de baleine, l’éclairage au gaz étant alors proscrit pour des
raisons de sécurité. Les agents de la Nouvelle Fée s’activaient
pour préparer son règne.
L’électricité avait de beaux jours devant elle : des zoologues
évoquaient sa présence dans le corps de certains animaux, soup-
çonnés d’en user comme moyen d’orientation ou de défense...
Elle induisait le mouvement, créait des champs magnétiques,
expliquait la nature des ondes radio, fondait la théorie des
rayons X et permettait de communiquer à distance ; les plus
éminents spécialistes étaient eux-mêmes encore incapables de
pouvoir déterminer l’exacte étendue des pouvoirs de sa baguette
magique. Son magnétisme s’avérait tel que les poètes rivalisaient
d’inspiration pour trouver des surnoms à cette nouvelle muse !
Une « électroaffinité » s’emparait de notre société industrielle
électrisée par sa beauté, victime d’un « électrotropisme » si enjoué
qu’il s’apparentait davantage à une apposition d’électrochocs...
Le Palais de la Lumière et l’illumination de la Tour Eiffel
devaient incarner les clous de l’Exposition Universelle de
1900. Les hommes ne fuyaient plus cette foudre céleste : ils la
recherchaient même, au cours d’audacieuses expériences telle
celle de la cage de Faraday.
J’aimais passionnément la vitesse, cette sensation de
fendre l’air et de dévorer l’espace. La ville s’avérait bien plus
fabuleuse que la morne campagne de mon enfance. Un pouls
semblait y battre, animé des pulsations de millions de citadins
frénétiques. C’était la vie foisonnante qui défilait sous mon
 Le Contexte
Petit répertoire des inventions
de la Révolution Industrielle
Cette liste vous permettra de vous représenter la quantité
exponentielle d’inventions dues à cette époque, où le progrès n’a pas
de frein. Vous éviterez également de fâcheux anachronismes ou des
visions trop stéréotypées de vos décors.
Objets de la vie de tous les jours
 Ampoule électrique : connue depuis 1811, présente encore des
problèmes de durabilité à cause de l’oxydation du filament.
Utilisée pour l’éclairage domestique et les rues des grandes
villes. L’éclairage électrique public se généralise à Paris à partir
de 1878.
 Cabines téléphoniques : elles apparaissent dès 1884 dans les
grandes villes, dans les bureaux des Postes et des Télégraphes,
ainsi que dans les bureaux de quartier de la Société Générale
des Téléphones.
 Le chauffage central : rarissime puisqu’il apparaît aux États-Unis
en 1899, fait d’éléments assemblés et reliés par un système de
plomberie résolument moderne.
 Machines à écrire : la Remington date de 1873, popularisée
par l’usage qu’en fait Mark Twain.
Au service de la santé publique
 L’anesthésie : l’éther est couramment utilisé, en dehors du
champ médical, dans des parties qui dispensent une ivresse
toute en gaieté. Le chloroforme lui emboîte le pas avec les
accouchements sans douleur, dont bénéficiera la reine Victoria.
La cocaïne apparaît vers 1884 pour l’anesthésie locale, grâce au
célèbre Sigmund Freud.
 La crémation : un moyen hygiénique de se débarrasser des
cadavres. Promu à Londres par la Society for Promotion of
Cremation qui l’instaure dans la loi en 1884.
 Les épidémies : bien sûr, elles ne datent pas seulement de
cette époque... Le choléra fit des ravages en 1854 et quelques
retours en force en 1892 et 1893 dans la capitale. Le typhus
est aussi remarqué. La peste est résiduelle dans quelques pays
asiatiques aidés par la formidable équipe de Pasteur.
 Les microbes : Pasteur débroussaille le chemin. La dénomi-
nation est adoptée en 1878. La fin du XIXème est l’époque
où l’on dresse l’état civil des grandes infections : typhoïde,
tuberculose, choléra, diphtérie, tétanos, peste, dysenterie,
coqueluche et bien sûr, la rage, qui fait l’objet de la première
vaccination en 1885.
 Le froid artificiel : les trains et cales frigorifiques circulent
dès 1876. La production industrielle du froid fait tomber
en désuétude la récolte hivernale des glaces des bois de
Boulogne.
 L’hypnose : souvent associée aux travaux de l’alchimiste
Paracelse. Mesmer en reprend la théorie avec le magnétisme
animal, qui sera tantôt vanté, tantôt conspué par des médecins
échaudés par l’utilisation abusive faite par certains charlatans
de foire.
Les moyens de transports
 Ascenseur : le premier monte-charge est installé à New York
dès 1856, destiné à l’usage humain, ce qui conforte
l’incompressible paresse de l’homme moderne. Le modèle
électrique français date de 1889, année de construction de la
Tour Eiffel.
25
 La bicyclette : la revue du Vélocipède Illustré est heureuse de
présenter aux 30 000 usagers français ses nouveaux modèles à
deux roues de diamètre égal, munis de pneumatiques Dunlop.
Un modèle pliable vous permet de le porter dans votre dos
pour vous livrer ensuite aux joies de la marche.
 Autobus : les versions à vapeur, système Serpollet, sont mis
en place à Paris dès 1905, faisant disparaître rapidement les
omnibus à chevaux.
 Automobiles : la voiture à vapeur Serpollet (1887) résiste mal
aux moteurs à explosion de Daimler, relayés en France par
le constructeur Panhard. Notables avancées de ce temps :
l’allumage électrique, les pneumatiques en 1895, puis le levier
de vitesse Renault en 1898.
 Le macadam : une invention d’origine française, améliorée par
un écossais. Commence doucement à s’imposer à Paris où on
l’installe prudemment en 1849. Ce n’est encore qu’un système
d’empierrement des routes sans asphalte.
 Avions : c’est le temps des précurseurs avec Clément Adler
qui expérimente son aile de chauve-souris tractée à la vapeur
dans l’est parisien (1890). La stabilité ne viendra qu’en 1903
grâce aux frères Wright. Blériot traverse la Manche en 1909.
Cependant, une fois de plus, les avancées décisives viendront
avec la guerre, en l’occurrence celle de 1914.
 Le Métropolitain : ou nécropolitain pour ses détracteurs.
La Metropolitan Line de Londres, fonctionnant au charbon,
date de 1863 et la ligne électrique de 1890. A Paris,
l’autorisation est donnée en 1898 et la première ligne est
inaugurée en 1900.
La société des loisirs
 Bains de mer : le tourisme de riches (engoncés dans leurs
maillots et leurs bottes pour éviter les attaques des crabes) se
développe après 1848, quand un train relie Paris à Dieppe.
 La Caisse d’Épargne : la version nationale, au succès populaire
jamais démenti, est installée dans tout le territoire à partir de
1881.
 La carte postale : oseriez-vous partir en vacances sans
donner de vos nouvelles par nos cartes postales illustrées ?
Des photographies accompagnent ces courriers bien spéciaux
à partir de 1891.
 Le cinéma : première représentation mondiale le 28 décembre
1895, boulevard des Capucines, par les frères Lumière. Les
premiers spectateurs furent médusés par l’arrivée d’un train
en gare de la Ciotat. Depuis, les hommes se sont adaptés et le
succès ne quittera plus ces images animées.
 Le phonographe et autres gramophones : ils feront la joie des
mélomanes à partir de 1877.
 La photographie : les daguerréotypes sont dépassés par les
celluloïds américains de 1889. Le temps d’exposition est bien
moins conséquent que celui de la première photo de Niepce
(huit heures). Des sociétés de photographes, dont celle de
Delacroix, commencent à fleurir à Paris.
 L’escrime : le fleuret et le sabre ont les honneurs des
jeux olympiques de 1896, commentés par la revue
L’Escrime Française. Un championnat annuel est mis en place
la même année.
 L’institut de beauté : le premier du genre ouvre ses portes à
Paris en 1867, au nom de Rachel l’Émailleuse.
 Les grands magasins : le péché mignon des parisiennes. Dans
la ville de Paris, la première cité commerciale apparaît en
1843. Le Second Empire voit la naissance des Bon Marché,
Printemps, Samaritaine et autre Bazar de l’Hôtel de Ville.
 Chapitre 2
regard ébahi. Il n’y avait nul repos pour mes yeux scrutateurs :
des lithographies placardées sur les murs aux voitures emballées
dévalant les boulevards, en passant par l’obscurité des cinémas
et le kinétoscope, cet appareil à visionnage individuel que je
comptais bien acquérir un jour... Seule la photographie semblait
capable d’immobiliser ce mouvement perpétuel, si rapide qu’il
peinait à imprimer ses ombres sur ma rétine. La nuit n’échappait
plus à la lumière, les réverbères transfiguraient un Paris délivré
de ses ténèbres médiévales. Il me tardait de découvrir les
fêtes foraines nocturnes et leurs miroirs déformants ainsi que
l’Exposition Universelle qui se tramait pour 1900, avec sa
grande roue de cent mètres ! Ce changement de siècle nous
promettait plein d’espérances !
Et le panorama géant sur les grilles du jardin du Luxembourg
retraçant la tragédie de Pompéi, et le musée Grévin et ses tableaux
sur le crime ! Et la lanterne magique, cette boîte qui recelait des
vues imprenables de Paris, les pantomimes lumineuses, les
petites femmes qui dansait à Montmartre !
Je me laissais ainsi aller à mes fantasmes sur le progrès
quand, interrompant mes rêveries, je vis mon collègue toujours
aussi sombre. Interrogé sur son humeur, il me révéla être
préoccupé par un tout autre problème. Il enchaîna ensuite en se
lançant dans une diatribe contre les criminels de Saint-Lazare,
dont je n’avais pas même soupçonné l’existence.
Le pouls de la canaille
« Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais
autant que les honnêtes gens. »
Octave Mirbeau, Journal d’une Femme de Chambre (1900)
Les trente-six manières de voler
— Visez ces farceurs faire leur numéro de Jésus : ils
ont fait alliance avec ces canailles pour détrousser les
voyageurs naïfs. Et les sergots en patrouille, ils n’y voient
goutte ! Si ça ne tenait qu’à moi, je ferais renquiller tous
ces malfrats au franc carreau.
Joseph Gueslin fixait la populace sans ciller. Je
m’habituais peu à peu à sa gouaille, qu’il personnalisait
d’un fort accent picard. Le raseur se ravisa subitement,
émergeant de ses sombres pensées en s’apercevant qu’il
s’adressait à une passante pour le moins surprise. Il
s’excusa petitement, chercha ma présence du coin de l’œil
et se tourna vers moi. Je ressentais l’intime conviction que
Paris imprimait ses atmosphères si profondément dans
ses habitants que ceux-ci, comme possédés, en voyaient
affectés leur parler et leurs habitudes.
— Désolé, monsieur, je peste de voir ces sans-le-sou
débouler à Saint-Lazare pour y parfaire leur science du
vol. Regardez-moi cette Cour des Miracles qui s’invite au
carrefour de Paris !
26
Il pointa du doigt un parterre de mendiants, essen-
tiellement composé de faux épileptiques, de malformés
et de mutilés qui tentaient d’apitoyer le passant par leur
disgrâce. J’abaissai mes jumelles : ce formidable outil me
permettait de saisir l’envers du décor, tout en me laissant
guider par l’expérience d’un Gueslin pressé de me conter
les trente-six manières de voler du criminel parisien.
— Et visez-moi cette esbroufe : le voleur heurte le
pauvre voyageur, s’excuse et poursuit sa route en courant.
Le pante n’a même pas noté que son portefeuille avait
disparu dans la manœuvre !
A ces mots, je portai les mains à mes poches, crai-
gnant d’être victime de la même mésaventure après avoir
été bousculé de la sorte près du peintre. J’éprouvai une
certaine satisfaction en constatant qu’il n’en était rien, et
savourai la douce sueur glacée qui me parcourut l’échine
un bref instant.
— On raconte même que des chevaliers grimpants ont
pratiqué le vol à la flan, escaladant les poutrelles jusqu’à
l’étage de l’appartement du chef de gare, le soulageant
d’une partie des recettes des billets !
Il s’interrompit pour m’arracher les jumelles des
mains.
— Oh, la jolie dame que voilà ! La garce ! Une belle
carre, s’il en est... C’est un vol peu coutumier, mais
ingénieux. Cette dame fort élégante vient de glisser un
bijou dans les langes de son enfant, après l’avoir escamoté
sous sa dentelle. La bonne, complice, vient de pincer son
enfant qui pleure et s’éloigne de l’étal pour le consoler. Je la
lèverais bien, cette lésée, pour lui passer le goût du vice !
Fous et lépreux à la Belle Époque
La gare Saint-Lazare représentait le point de conver-
gence des sergents de ville banlieusards et des gardiens
de la paix parisiens. C’était le point de passage privilégié
entre l’ouest bourgeois et l’est des classes laborieuses,
entre richesse et pauvreté, entre vertu et vice. Mes ins-
tructeurs stéphanois utilisaient une parabole pour décrire
cela : l’histoire de la léproserie et de l’asile de fous.
Dans une ville forteresse, l’agent de l’ordre doit se
prémunir de deux types d’ennemis : les fous et les lépreux.
Les premiers se terrent intra muros et sont parqués dans
ces asiles que sont les prisons, les ghettos, les quartiers
miséreux et les établissements psychiatriques. En écho à
cette population remuante, les lépreux venus de l’extérieur
donnent le change, les trains de banlieue et de province
charriant ce flot ininterrompu de migrants sans terre,
arrachés au sol de France ou de l’étranger, contribuant
au métissage éternel de la capitale pour le meilleur et,
surtout, pour le pire.
Les voyageurs sortis des wagons, parés de leurs
augustes tenues provinciales, représentaient bien mieux
l’éclatante diversité du terroir français que toutes les
denrées exposées au Marché des Halles. Cette nourriture
 Le Contexte
s’avérait si riche que le ventre de Paris semblait trop petit
pour digérer les vies trépidantes de ses nouveaux enfants.
La gare Saint-Lazare, c’était un peu les léproseries des
banlieues et de la province s’invitant dans un gigantesque
asile de fous. Les bagarres qui éclataient de-ci de-là entre
les bandes rivales, agglutinées autour de leur terreurs aux
attitudes de gladiateurs, témoignaient de cette difficile
reconnaissance des territoires de chacun. Une jungle dont
le seigneur serait remis constamment en cause.
— Voilà des gens qui ne perdent pas de temps.
Gueslin attira mon attention sur un groupe qui hélait l’un
des provinciaux descendus du train.
— Ces malfrats sont des charrieurs. Ils lisent sur l’habit
du sot provincial – ne vous en déplaise, Monsieur – son
origine et se posent en compatriote. L’infortuné a tôt fait
de leur confier ses bagages, puis de se laisser entraîner au
cabaret pour être grisé, délesté et abandonné.
— Pourquoi nos hommes n’interviennent-ils pas ?
demandai-je, soucieux du sort de ce voyageur auquel je
m’identifiais.
— Celui-là ne craint pas pour sa sécurité. Il échappe
à l’autre variété de charrieurs que sont les faux cochers de
nuit, qui attirent les voyageurs à la sortie de la gare dans
Interpréter un voleur dans Crimes
Vous avez pu constater à quel point la frontière
entre police et délinquance est ténue. Des agents
cèdent facilement aux sirènes de la corruption, d’autres
mènent une double vie : il s’agit là des « allumeurs »,
qui traquent les criminels en utilisant leurs méthodes.
Dans le camp opposé des indic’, des taupes aident la
police en dénonçant leurs pairs pour faire fructifier leur
propre commerce, quand ce n’est pas pour alléger les
peines que le tribunal pourrait leur infliger.
Il est tout à fait possible d’incarner un criminel
dans le jeu, il suffit de l’intégrer à une équipe
d’enquêteurs. A titre d’exemple, un archétype d’ancien
bagnard est décrit au chapitre 3 comme choix de
personnage joueur. Cela vous permet de dépasser
le simple jeu des « gentils gendarmes aux trousses
des méchants voleurs ». Inspirez-vous des différentes
classes de criminels décrites dans le dictionnaire d’argot
pour personnaliser votre création.
En poussant plus loin, rien ne vous empêche de
former une équipe uniquement composée de crimi-
nels. Il est toujours intéressant d’adopter le point de
vue adverse, surtout dans la mesure où l’univers de
Crimes n’est pas manichéen. D’autres antagonistes
peuvent fédérer les ambitions de policiers et des
hors-la-loi. Vous en trouverez des exemples dans les
archétypes décrits aux chapitres 4 et 5. Souvenez-vous
de M le Maudit, poursuivi à la fois par la maréchaussée
et par la Cour des Miracles locale, offensées par les
crimes abjects qu’il avait commis...
27
quelque coupe-gorge pour les dépouiller et les assassiner.
Nos collègues sont sur le pied de guerre pour démasquer
les maîtres-chanteurs qui se font passer pour des policiers
afin d’exploiter les dupes.
— J’espère seulement que Carter n’a pas été victime
de ces parasites.
— Carter n’était pas né de la dernière pluie, comme
vous : il connaissait parfaitement les dangers de la
capitale, peut-être mieux que les criminels eux-mêmes.
Je ne relevai pas la petite pique, consterné par
l’imagination débordante de l’homme dès qu’il s’agit de
détrousser son prochain. Si j’avais entraperçu la toile
métallique dressée au-dessus de nos têtes, je connaissais
désormais l’araignée qui dormait en ces lieux, agitant
silencieusement ses pattes velues autour de ses victimes
impuissantes, charmées par l’aura de Paris. Cela n’entama
guère mon enthousiasme ; je me remémorai les récitations
de Montaigne : « J’aime Paris tendrement jusqu’à ses verrues
et ses taches... »
Les classes dangereuses
Mon opinion n’était guère partagée par mon
comparse.
— Je ne peux supporter le fait que des policiers puissent
pactiser avec ces diables pour arrondir leur fin de mois.
Entre les criminels et nous, c’est un jeu de domination, de
subjugation, d’exclusion, voire d’extermination. Pensons à
toutes les veuves de la police dont les enfants piaillent après
leur père, et vous comprendrez qu’il n’y a nulle pitié à leur
accorder. Très sérieusement : en voyant cette marmaille, je
ne peux qu’être d’accord avec Malthus et ses propositions
visant à stériliser la population la plus pauvre. C’est une
question de survie pour nous.
— Pensez-vous que Carter soit l’un de ces policiers
véreux que vous dénoncez ?
— Je dis simplement qu’on peut difficilement évoluer
dans la boue sans se tâcher.
Le ton grave pris par Gueslin m’incita à répondre
pareillement :
— Je pense que vous ne saisissez pas la subtile différence
entre un rival et un ennemi. Les ennemis sont hors de nos
frontières. Ici, je ne vois que des compatriotes qui ont versé
leur sang aux côtés de la maréchaussée, sur les champs de
Crimée et contre la Prusse pour défendre la mère Patrie. La
République veille justement sur chacun de ses enfants.
— Vous oubliez les évènements de la Commune,
encore visibles dans tout Paris. La Semaine Rouge, c’est
bien une guerre civile entre ces pseudos patriotes et
nous-mêmes. Regardez, là-bas...
Il me désigna un passant costaud, vêtu chichement, qui
arborait un tatouage sur l’épaule.
— Ça, c’est un ex-bagnard qui vient de rentrer
de Cayenne. Il annonce la couleur par son tatouage.
Il cherchera un temps à se réinsérer, et puis il replongera
rapidement.
 Chapitre 2
— Sans doute, peut-être... Mais si vous les considérez
comme des ennemis, il n’y a plus de règles du jeu à
observer. Plus de pitié, comme vous disiez, seulement
un jeu de massacre entre la pègre et les représentants de
l’ordre. Je crains, sous votre éclairage, que le combat soit
inégal pour nous.
A ces mots, nous contemplâmes nos criminels à demi
masqués par un panache de fumée qui s’élevait vers les
voûtes, bien au-dessus de notre passerelle. Joseph Gueslin
me tira par le bras, m’exhortant à descendre vers les quais :
le train de banlieue qu’il nous fallait prendre venait d’entrer
en gare.
28
Dans le cheval-vapeur
« Le train : un grand corps
mythique, monstre gigantesque gisant
couché sur la terre avec la tête à Paris,
les pieds et les mains au Havre et dans
d’autres villes où il s’arrête. »
Emile Zola, La Bête Humaine
Délit de faciès ?
Un sentiment d’insécurité
m’envahit à l’instant où nos
silhouettes se fondirent dans la
foule. Je dévisageais chaque personne
croisée, essayant d’appliquer les
rudiments de physionomie que je
maîtrisais déjà. Je parvins ainsi à
déceler, dans certains regards, des
nids douillets où pourrait se nicher le
cancer du crime, cette hydre terrible
dont les mille visages semblaient se
braquer sur moi.
La barrière invisible que j’étais
progressivement parvenu à instaurer
entre la foule et moi me permit de
remarquer sa singulière étrangeté...
Cette altérité se voyait renforcée par
les multiples dialectes employés par
les provinciaux et les étrangers, qui
devraient bientôt adopter l’immonde
bagout parisien.
Nous atteignîmes le quai pour y
découvrir notre train, encore immobile. Les passagers vomis
par les wagons achevaient leur descente, accompagnés de lourds
bagages. A cette cadence, dans quelques décennies, la vie du
parisien deviendrait inconcevable sans ces sempiternels chemins
de fer... Nous patientâmes, jusqu’à ce que la colonne nous
dépasse.
L’homme-au-charbon
Un instituteur avait regroupé ses élèves près de
l’inquiétante machinerie à vapeur. Mon collègue, Gueslin,
partit en quête de quelques places disponibles : la gare
Saint-Lazare, par ses multiples liaisons avec la banlieue,
s’avérait de loin la plus populeuse de la capitale. J’en profitai
pour m’arrêter près de cette classe d’origine bretonne, à en
juger par les costumes de la marmaille. L’instituteur demanda
à un enfant âgé d’à peine dix ans de décrire ce train.
— Pour moi, sa locomotive est le cheval noir et personne ne l’a
appelé autrement dans mon village, sauf à l’école. C’est un animal
suant, vivant, humide, avec une panse, un souffle et des crachats.
 Le Contexte

des refroidissements et des rhumatismes. Le chef lui répliqua

Rails et chemins de fer
Selon une loi de 1842, l’État se doit de prendre
en charge les travaux d’infrastructure (expropriations,
ponts, tunnels), et de confier à des compagnies privées
la réalisation des superstructures (rails et gares).
D’énormes sociétés par actions sont constituées sous
l’œil avisé des grands banquiers (Rothschild, Pereire).
L’État rachète une partie de ces droits d’exploitation
dès 1878 avec pour ambition d’étendre le réseau de
20 000 kilomètres supplémentaires. De quoi faire
de l’ombre aux compagnies privées et amorcer une
exigence de sécurité nouvelle.
Entre 1870 et 1914, on passe d’un réseau ferroviaire
de 17 500 à 50 000 kilomètres, ce qui en fait l’un des
plus grands d’Europe. A partir de Paris, vos voyageurs
peuvent rallier en :
que la pénibilité de son travail n’était pas du même ordre que
celle du mécanicien, l’élite des cheminots issue des écoles
d’Arts et Métiers, rompue à toutes les exigences de sang-froid,
de décision et d’initiative et que cela justifiait les rotations
journalières qu’il devait subir, ainsi qu’un salaire double de
celui des simples agents de l’ordre. Le chauffeur, sourd à ces
arguments, répliqua qu’il en ferait mention à son syndicat.
Par chance, je croisai alors un de ces mécaniciens, occupé
à s’activer énergiquement sur la locomotive. Ce « seigneur
du rail », emblème d’un siècle épris de voyage et de vitesse,
était depuis peu devenu l’objet d’une étude scientifique
pointilleuse visant à optimiser sa fonction. Celui-ci préparait
sa machine en chargeant le tender en briquettes dans des
casiers spéciaux. Une fois le charbon préalablement disposé,
il ne lui restait plus qu’à remplir le tender d’eau grâce à une
grue hydraulique. Cette symbiose entre le cheval noir et son
cavalier m’impressionna grandement.

 3 heures : Lille, Le Havre

Le mimétisme se voyait poussé jusqu’à la couleur
 4 heures : Calais, Mézières
 6-7 heures : Besançon, Belfort, La Rochelle et
empruntée par l’homme : son torse nu était recouvert d’une
Strasbourg suie rendue collante par la sueur. Les énormes lunettes
 11-13 heures : Brest, Bayonne, Toulouse, protectrices achevait la transformation du mécanicien en un
Montpellier, Marseille puis Nice animal curieux, juché sur l’encolure métallique de son fringant
destrier. L’énorme cylindre central, paré de ses coupe-fumées,
Indices kilométriques des coûts du voyage était égueulé pour recevoir le coke carburant. La forte chaleur
qui se dégageait de là m’incita à reculer ; je fus alors surpris
 11,20 centimes le kilomètre en première classe, avec
tout le confort permis par les trains de l’époque par la résistance physique du mécanicien qui, tel Vulcain, ne
 7,56 centimes en seconde classe, dans des semblait guère se soucier de la fournaise. Bien au contraire :
compartiments médiocres ses mouvements rapides et précis n’étaient en rien affectés par
 5,928 centimes pour la troisième, sur de simples la vapeur qui déformait pourtant ma vision.
banquettes rembourrées
 Si vos bagages sont trop lourds, vous pouvez les laisser
à la consigne ou à un employé de gare, moyennant un
pourboire (une dizaine de centimes par jour)
 Exception notable des trains de luxe de la Compagnie
Internationale des Wagons-lits (CIWL), qui
agrémentent leurs services d’un surcoût en sus des
déjeuner et des dîners (de 2 à 6 francs). Nous vous
souhaitons de participer à cette formidable aventure
humaine et technologique que sont les mythiques
Orient, Bombay et Le Caire Louxor Express, ainsi
que le Transsibérien inauguré en 1898

Le cheval noir a ses humeurs, ses jours de fatigue et de

bouderie quand on a trop chargé ses wagons de patates. On
entend dire parfois qu’il est resté en panne en bas de quelque
côte et l’on s’inquiète de sa santé. On dit que c’est la faute du
froid ou de la chaleur pour l’excuser. Il est enrhumé, dit-on,
quand il a un sifflet poussif. Il arrive en retard et l’on demande
de ses nouvelles à son serviteur : l’homme-au-charbon.
Cet « homme-au-charbon » restait, pour l’heure,
indisponible. Il vociférait avec ses compagnons, exigeant
du chef de gare qu’on baisse la durée légale du travail
de dix à neuf heures par jour. Le chauffeur invoquait
les conditions sanitaires de son labeur qui l’exposait aux
intempéries, développait des maladies de voie respiratoire,

29
 Chapitre 2

Je me souvins des examens médicaux draconiens

présidant à l’intronisation du mécanicien : vision nocturne,
résistance à l’éblouissement, sensibilités tactile et auditive,
réflexes, attention et mémoire étaient testés. Cette robustesse
physiologique qui arrachait des cris admiratifs aux passantes ne
pouvait se départir d’une vue d’ensemble, toute intellectuelle,
pour analyser les situations d’urgence et doser le freinage
empirique de leur machine infernale. Tour à tour centaure,
salamandre et faucon, ce mécanicien tendait à prouver que
ce n’est pas la machine qui s’adapte à l’homme, mais bel et
bien l’inverse. En route vers la banlieue

Joseph Gueslin m’arracha à mes pensées en me secouant
l’épaule, puis m’entraîna vers les entrailles du monstre.
Le coeur de la bête me sembla bien plus avenant quand je
fus niché dans une voiture close aux sièges de bois spartiates,
où il me suffisait de rester coincé contre une fenêtre pour
ne rien louper du démarrage. Je comptais bien profiter du
spectacle, surtout dans la mesure où les billets payés par le
contribuable appartenaient à la première des trois classes
proposées !
J’entendis résonner les deux échappements, un nuage
de vapeur s’échappa des groupes-moteur hautes et basses
pressions de la locomotive compound. J’observai le chauffeur
actionner les volants du servomoteur, en bon passionné de
technique depuis ma plus tendre enfance. Je fermai les yeux
pour soutenir l’effort de mon imagination, sentant le wagon
patiner doucement puis se laisser couler sur les rails, conscient
de la formidable puissance de cette locomotive 141P, fleuron
de l’industrie française.
Le court voyage vers Clichy-Levallois me permit d’apprécier
le gouffre qui séparait le centre de Paris de sa banlieue. Malgré
la vitesse de la locomotive lancée tel un cheval au galop, je pus
distinguer de modestes employés à l’uniforme bleu et au chapeau
de cuir bouilli estampillé « Chemin de Fer » sur une bande de
cuivre. Ils agitaient leurs petits drapeaux rouge pour signaler la
voie libre de bestiaux, d’éboulements, de coke renversé ou de
ballots échappés, sans oublier la bonne tenue des rails parfois
sabotés par des riverains colériques ou par des anarchistes
déments. Tout au long du voyage, ces gardes-voie se voyaient
progressivement remplacés par des femmes en guenilles postées
aux passages à niveau stratégiques, fidèles veilleuses injustement
méprisées par les conducteurs qui ne leur accordaient qu’une
confiance relative.
L’étrange bâtisse d’un garde signal se profila sur l’horizon,
comme une dernière barrière d’octroi, un ultime bastion avant
de pénétrer, à nos risques et périls, dans la dangereuse banlieue
nord-ouest de Clichy.

30
 Le Contexte
Dieu est-il mort ?
Le refuge des proscrits
« As-tu pénétré dans le charnier terrible
Où gît défiguré tout ce que l’homme a cru ?
As-tu le passé, vicié, tombé, décru ?
As-tu du grand néant pu crocheter les portes ?
As-tu compté les peaux des religions mortes,
Et parcouru, dans l’ombre où l’âme n’a plus d’yeux,
La morgue énorme où sont les cadavres des dieux ? »
Victor Hugo, Les Cadavres des Dieux
Une église bien éclectique
« J’ai toujours été étonné qu’on laissât les femmes entrer dans
les églises. Quelle conversation peuvent-elles tenir avec Dieu ? »
Charles Baudelaire,
Journaux Intimes, Mon Coeur Mis à Nu (1887)
Une heure plus tard, à une lieue de la gare de Clichy
Levallois.
— Voici l’église en question, me lança Gueslin, désignant
du doigt un bâtiment qui relevait plus du temple que du
sanctuaire catholique.
31
— C’est donc là que Carter venait se recueillir...
— Oui. Et malheureusement, bon nombre de secrets
restent coincés dans les confessionnaux sans arriver à nos
oreilles. Le prêtre a peut-être des choses à nous apprendre.
Ensuite, on dénichera l’indicateur de votre prédécesseur.
— Drôle d’église, tout de même...
— Ne soyez pas étonné par son architecture. C’est
vrai que les colonnades, ça fait plus temple protestant que
clocher de village... Et c’est d’ailleurs un ancien lieu de culte
protestant reconverti à la sauce catholique, après les guerres
de religion.
Je me demandai quelle sorte de britannique pouvait bien
être Craig Carter, à s’acoquiner avec le catholicisme plutôt
qu’avec la religion anglicane de rigueur chez les sujets de
la reine Victoria. Avait-il ressenti le besoin de prolonger la
croisade d’ancêtres français partis défendre la foi papale sur
les terres de la lointaine Écosse ? Je réajustai mes moufles ;
la neige commençait à tomber finement sur la place de
Levallois. Une petite marchande de fleurs en guenilles
s’approcha de moi, irréelle figure juvénile aux pieds nus
prise dans l’étau d’un hiver glacial. Elle tremblait de tout son
corps. Gueslin reprit la parole sans lui accorder la moindre
attention.
— Quel froid de canard, pardieu ! Ne nous attardons
pas ici. Malgré notre déguisement, nous serons vite repérés
par les barons de la pègre locaux qui ont un sixième sens
dès qu’il s’agit de débusquer les agents en civil. J’entre dans
l’église pour me protéger du grand froid, mais ne comptez
 Chapitre 2
pas sur moi pour faire la causette avec le prêtre. Ce n’est pas
que je sois... anticlérical, mais je pense avoir mieux à faire
que d’écouter des discours qui tournent en rond.
Ses paroles s’envolèrent avec la bise naissante. Il s’installa
sous le tympan du portail, tendant la main comme un
vulgaire mendiant. Il m’avait certifié que le prêtre qui officiait
en ces terres mécréantes assurait ici une présence constante :
le vieil homme s’occupait d’enfants laissés à la rue, battus
par leurs parents, une violence légale qui n’offusquait que
ceux qui n’en avaient jamais été victimes. L’église était
remplie d’enfants, comme le signe charmant d’un nouveau
printemps. Je me souvins de l’ancienne coutume médiévale
autorisant les criminels à trouver asile dans les églises dès
qu’ils portaient les mains sur son autel.
Le berger des âmes
L’intérieur souffrait d’une grave déficience de lumière :
l’architecture toute gothique affichait une profusion de
colonnes noirâtres, jaillissant ça et là comme les arbustes
morts d’une forêt rachitique. L’absence de décor conférait
au lieu un aspect austère et sinistre. La seule lueur présente
provenait d’un confessionnal éclairé par une bougie, qui
projetait la silhouette de l’officiant sur les murs intérieurs
dépouillés de tout artifice. Les deux portes s’ouvrirent :
une jeune femme d’environ quatorze ans dont les rondeurs
trahissaient la future maternité s’en échappa en courant,
toute guillerette. Je me retrouvai face au confesseur.
Sa figure me laissa immédiatement un a priori défavorable.
Sa silhouette se révélait haute et mince, ses jambes et ses
bras d’une grandeur démesurée. Comment avait-il bien pu
pénétrer dans la petite alcôve du confessionnal ? Sa chasuble
de prêtre lui conférait une démarche lente et coulée,
marquée d’un je-ne-sais-quoi de terrible et d’inhumain.
La faible lumière jetait une ombre sur la pâleur livide de son
visage, ajoutant à la sévérité de sa physionomie et octroyant à
ses grands yeux une mélancolie dont l’effet s’avérait des plus
horrifiques. On y décelait les vestiges de multiples passions
qui semblaient avoir jadis formé et fixé des traits qu’elles
n’animaient désormais plus. Seules la tristesse et la sévérité
dominaient aujourd’hui son faciès. Ses yeux étaient si
perçants qu’ils semblaient pénétrer, d’un seul regard, dans
les profondeurs du cœur des hommes pour y lire leurs plus
secrètes pensées. Peu de personnes pouvaient supporter son
coup d’œil ; et après l’avoir subi, on évitait de le croiser de
nouveau.
Pourtant, le sourire qui se dessinait à présent sur son
visage démontrait une capacité insoupçonnée à s’accommoder
de l’humeur et des passions de ses interlocuteurs, quand il
souhaitait se les concilier ou bien les subjuguer.
— Mon père.
— Vous venez pour une confession, n’est-ce pas ?
Surmontant mon appréhension, je livrai au prêtre les
raisons de ma venue : retrouver les traces de l’agent Carter
et poursuivre sa mission de démantèlement des réseaux de
32
marchandises illégales. Le prêtre m’écouta, imperturbable,
puis m’invita à m’asseoir dans le confessionnal, prétextant le
confort de ses sièges molletonnés. Il appela ensuite l’un des
enfants qui se réchauffait près d’une chapelle et lui demanda
de servir un verre de vin chaud.
Je pris place dans le confessionnal, soulagé de ne plus
avoir à faire face à ce géant. Je pouvais cependant distinguer
ses traits à travers la fenêtre grillagée de ma « cabine ».
— Voilà bien longtemps que je n’avais eu l’occasion de
discuter avec quelqu’un d’autre qu’une fille mère épouvantée
par l’enfer, un ouvrier perdant la foi aussi sûrement que
sa santé à l’usine, ou un sergent de ville à l’élocution
aussi mécanique que ses tournures d’esprit. Si vous suivez
les traces de Carter, il faudra faire vôtre ses charmantes
habitudes lorsqu’il venait ici, dans la maison de Dieu.
— Et de quelle nature étaient ses habitudes ?
— La dispute, mon cher, la dispute. L’agent Carter
est un homme très sceptique quant aux vérités révélées.
Pourtant, il a une soif de spiritualité insoupçonnée : un
besoin irrévérencieux de se rapprocher du divin. Je suis, pour
ainsi dire, son intercesseur privilégié avec le Ciel.
Il remarqua mon air gêné à l’évocation de ce début de
sermon. Mon éducation religieuse n’avait guère dépassé le
stade de la prime enfance, plus amusé que j’étais par les
nattes de mes voisines que par les somnolences de notre
instructeur ès religion. Je cramponnai la serviette où se
trouvait rangé mon manuel de l’enquêteur, avant de le
présenter à sa vue. Il sourit enfin.
Le fléau de l’incroyance
au XIXème siècle
Dans les alcôves feutrées du Vatican, les intran-
sigeants tempêtent encore sur le nom de ces blasphé-
mateurs qui ont renié une partie des vérités bibliques.
Voici quelques pistes pour donner du relief aux théories
anticléricales et irréligieuses :
 Freud défend la thèse de l’illusion de la religion : pour
lui, l’idée de père céleste est une sorte de névrose col-
lective aberrante mais nécessaire à la communauté.
 Darwin, agnostique après la mort de sa fille chérie,
n’exclut d’abord pas l’existence de Dieu, mais sa
théorie de l’évolution des espèces ébranle le magnifi-
que édifice de la création du monde en sept jours...
Bergson relayera sa théorie avec l’idée d’une force
supérieure oeuvrant dans l’évolution. Pour Crimes,
cette force semble précipiter l’humanité à rebours...
 Herbert Spencer substitue à la foi traditionnelle
l’idée que la science apportera un progrès perpétuel,
jusqu’à ce que la Première Guerre Mondiale prouve
le contraire.
 Auguste Comte, chantre du positivisme, croit en la
rationalité de la science, et pourtant... Il institue sa
propre « église » avec ses saints humanistes. La conta-
gion Raison/Religion ne fait que commencer !
 Le Contexte

— N’ayez crainte, je parlerai ouvertement et sans

parabole. La parole n’est rien sans la main d’un copiste
qui les immortalise. Dieu souffre parce qu’une partie de
son troupeau ne peut être atteint par sa Parole Sacrée ; la
vérité est captive dans un petit nombre de manuscrits dont
ils sont privés. Même les prêtres officiants n’arrivent plus à
appréhender cette vérité.
Il emprunta alors un air des plus solennels, levant les
yeux au ciel pour fouiller un pan de sa mémoire :
— « Qu’ils ne soient plus manuscrits à grands frais, par des
mains qui se fatiguent, mais qu’ils la volent, multipliés par une
machine infatigable, et qu’ils atteignent tous les hommes. »
Je le vis noter mon air admiratif au moment où
j’acquiesçai l’évocation de cette juste pensée.
— La citation n’est pas de mon cru mais de Jean Gensfleisch,
que vous reconnaîtrez sous le patronyme de Gutenberg.
Beaucoup de mes coreligionnaires abhorrent ce personnage,
qui a donné les moyens aux luthériens de contester les dogmes
de la Sainte Église. Les doctrines des réformés protestants
suintent encore des murs de ce temple, trois siècles après la
Contre Réforme catholique. Les spectres des anciens pasteurs
hantent encore ce lieu. Certains sont morts ici même, près du
chœur, frappés par les dragons de Louis XIV.
Mon interlocuteur s’interrompit. La fenêtre grillagée
interne au confessionnal ouverte, je pouvais distinguer ses
traits. Il se baissa ensuite du mieux que sa physionomie le lui
permettait, puis laissa échapper un cliquetis discordant.
— Ce que l’agent Carter signifiait dans ses discours c’est
que si l’Écriture est une référence, il est néanmoins nécessaire,
pour ne pas marcher comme un aveugle, de savoir lire entre
les lignes. Il faut aller au-delà, chercher, expérimenter, vivre
sa foi, quelle qu’elle soit, par l’expérience directe.
— Le sang de ce calice vous a-t-il plu ?
Je manquai de m’étouffer, espérant une plaisanterie
La Sainte Église contre l’incroyance déplacée. Pour les prêtres, ce vin était censé figurer le sang de
la Passion du Christ quand je n’y voyais qu’un petit cru de la
« Aujourd’hui, ni l’Église emprisonnée dans son dogme, région parisienne hâtivement réchauffé. Il était, d’ordinaire,
ni la Science enfermée dans la matière ne savent plus faire inconcevable de consommer si familièrement un liquide
des hommes complets. L’art de créer et de former les âmes s’est chargé d’un tel symbole...
perdu et ne sera retrouvé que lorsque la Science et la Religion, — Ce que vous venez de boire est un fidèle miroir de
refondues en une force vivante, s’y appliqueront ensemble et d’un notre monde tiraillé entre le pouvoir temporel et le pouvoir
commun accord pour le bien et le salut de l’humanité. » spirituel, entre la réalité et l’au-delà. La Révolution a présenté
cet avantage de nous pousser à choisir notre camp. D’un
Édouard Schuré, côté, on trouvait des hommes prêts à accepter les nouveaux
préface des Grands Initiés principes sociaux, une certaine idée anthropocentriste du
monde, un peu comme des séculiers vivant dans le siècle
Le vin, le sang, la vie parmi les laïcs. Ce sont les assermentés qui acceptèrent
de prêter serment de fidélité à la Révolution, et donc à la
Il est sûrement inutile de préciser que je ne me sentais nation. J’ai l’outrecuidance de faire partie de ce bord.
guère dans mon élément entre les cloisons de cette cage
à bigot. Si les paroles du prêtre s’écartaient du verbiage Le ton posé, monocorde de ce prêtre épousait
ennuyeux de mon vieux curé de paroisse, je restais cependant parfaitement la teneur de ses propos. D’après ce que j’avais
sur mes gardes : en ces temps incertains, on se méfiait autant aperçu en délivrant cette future fille mère des affres de la
de ces tentateurs d’ecclésiastiques que du diable. contrition, ses actes s’accordaient au diapason de ses paroles.
Il aurait fort bien pu rejeter cette pécheresse sans hésiter,
L’enfant revint m’apporter de quoi me réchauffer ; je bus plutôt que de la réintégrer au sein du troupeau telle une
avec avidité. brebis égarée.

33
 Chapitre 2
— De l’autre côté, il y avait ceux qui refusaient
la soumission à l’État, soutenant les principes d’une
transcendance supérieure à l’immanence de ce monde,
fidèles à l’idée de théocentrisme, refusant en bloc tout
compromis : ceux qu’on dénomma réfractaires. Le Pape fut
leur chef de file. Pie VI condamna la Déclaration des Droits
de l’Homme qui, selon lui, était un droit monstrueux qui
accordait toute licence de pensée, d’écrire et même de faire
imprimer impunément, en matière de religion, tout ce que
peut suggérer l’imagination la plus déréglée.
En bref, le Vatican aurait souhaité que s’exerce un
droit de censure sur les thèmes religieux, comme aux bons
temps de l’Inquisition médiévale. Ma réaction provoqua
un froncement de sourcils du bavard impénitent, sûrement
le plus grand trouble que l’on puisse causer à son visage
impassible.
— Vous verrez plus tard que ma position n’est pas
aussi tranchée. Mais reprenons notre fil de discussion sur
ces intransigeants de réfractaires. Parmi les erreurs qu’ils
dénoncent on trouve la liberté religieuse, le libéralisme,
le socialisme et la civilisation moderne. Autant stopper
des chevaux au galop, il est clair qu’ils vont droit dans
le mur ! Le modernisme est pour eux le canal collecteur
charriant les immondices de toutes les hérésies. Ils se
raccrochent au Syllabus comme des pécheurs intégristes
au bras droit du Sauveur. Intégristes, c’est le bon mot : ils
prêchent un catholicisme intégral, valable pour toute la
société et plus seulement cantonné à la sphère privée.
Réfractaires contre assermentés, intégristes contre
modernistes, intransigeants contre séculiers : ce vocabulaire
si usité par la presse se voyait éclairé par ces justes propos.
— Les partisans du Sacré-Cœur, lors des pèlerinages
organisés à Lourdes, clament la défense du Roi et du Pape
comme relevant de leur mission sacrée. Vous comprendrez
les connivences entre ces intransigeants et les complots
monarchistes... On retrouve de nombreux catholiques
intégristes parmi les illuminés nostalgiques de l’Ancien
Régime ou de la Restauration. Leurs idéaux en font des
ennemis de choix pour la République, grande fille de la
Révolution et ce n’est pas leur déconfiture aux élections de
1871, après la chute de Napoléon III, qui les déboutera.
Le prêtre fit passer à travers l’huis de ma porte un
numéro de la revue Regnabit, dont la couverture réclamait
un retour à l’ordre moral instauré par le roi Charles X.
— Sachez, à la décharge de notre église, que nous
passons sans transition d’un monde régi par Dieu à l’univers
social des hommes égaux. Pourtant, certains d’entre nous
ont réussi ce passage abrupt. Des prêtres ont embrassé les
idées positivistes en se faisant les chantres d’un âge d’or
scientifique qui apporte des réponses aux contradictions
de l’homme. Un moyen de réconcilier la science et la foi,
très en vogue dans le milieu fermé des barons d’industrie.
Ils ont lâché notre dernier bastion, l’éducation, aux coups
34
L’intégrisme religieux à la Belle Époque
Le mot « intégrisme » n’a pas le sens péjoratif actuel :
il vient d’« intégral », par opposition au catholicisme
minimal (sens de 1900). Voici une petite revue des mouve-
ments religieux « intégristes » de cette ère de doute.
 Les intransigeants sont les catholiques qui refusent
tout compromis avec le monde moderne et la société
en voie de laïcisation. On parle également de
doctrinaires dénonçant les déficiences, les illusions,
les périls adoptés par la modernité. Leur revue
Regnabit présente leur programme résumé dans cette
phrase : « L’Église est le bien sans mélange de mal, la
Révolution est le mal sans mélange de bien ».
 Le Syllabus est l’annexe de l’encyclique Quanta Cura
de 1864, promulguée par Pie IX. Elle répertorie les
erreurs de son temps du point de vue du Vatican,
comme par exemple « La raison humaine ne peut se
faire l’arbitre du vrai et du faux, il est faux que l’Église
ne peut employer la force ni avoir de pouvoir temporel
», témoignant du relais que le Vatican pouvait faire
des idées intransigeantes.
 Les fondamentalistes en sont la version protestante :
il s’agit de croyants luttant pour sauver la « vérité
inaltérée de la Bible » ; le sens est restrictif à cette
époque et ne qualifie pas d’autres religions.
 Les puritains sont des dissidents anglicans prônant le
respect d’une stricte morale appliquée à l’ensemble
de la société. A tort, on associe le puritanisme à
l’Angleterre de Victoria, mais ces valeurs étaient
plus le fait de son défunt mari que de cette reine
souvent espiègle.
 Les loubavitch concluent notre petite étude : ces juifs
ultra-orthodoxes sont groupés en communautés
soudées, notamment à New York, depuis le début du
XIXème siècle. Ils prônent un renouveau de la foi,
éloigné de la tradition intellectuelle traditionnelle,
par le retour à une mystique simple et joyeuse mais
d’une ferveur intransigeante.
de boutoir de Jules Ferry, soutenant les nouvelles idées de
morale, de patriotisme et de civisme dont les instituteurs se
font les habiles propagandistes. Militer pour une Église libre
dans un État libre, et survivre à la vague d’anticléricalisme
chapeautée par les loges maçonniques, les libres-penseurs
et les sociétés secrètes. Nul doute que l’attachement de
certains de nos prélats au camp anti-Dreyfus, au nom d’un
antijudaïsme rétrograde, portera un coup fatal à notre église
aux yeux de la population.
— Excusez mon empressement, mais mon collègue
attend mon retour dehors dans le froid. Je voudrais
simplement connaître le lien entre votre explication et
l’homme que je cherche.
— Malgré ses défauts, Craig Carter est un homme de
bien, souhaitant assouvir ses idéaux de justice et d’ordre.
Cependant, comme beaucoup de ces hommes qui effleurent
leurs limites, il est en passe de devenir l’opposé de ce qu’il
voudrait être.
 Le Contexte

Mon silence lui fit deviner mon incompréhension.

— Carter a sombré du catholicisme le plus pur vers
les déviances occultes les plus sombres. Son idéal de justice
s’est mu en un fanatisme bien dangereux. Je vous livre
l’impression qu’il m’a faite hier, à notre dernière rencontre.
Vous le trouverez probablement dans les environs : il avait
une affaire personnelle à régler.
Le prêtre laissa passer une longue pause. Son silence
témoignait sans doute de l’intense combat qui avait dû être
le sien pour choisir définitivement entre les deux camps,
et sa verve me rappela que les ennemis qu’il vilipendait
aujourd’hui n’étaient autres que ses compagnons d’hier.
Les yeux mi-clos, le regard perdu vers le crucifix posé
sur ses genoux, l’homme semblait crucifié, subissant à
l’image de ce monde écartelé une pression des plus extrêmes.
Soupçonnant cette tension, je me hasardai à lui en demander
la cause.

Survivances de l’Inquisition

L’habile prêcheur esquissa un sourire de Pierrot triste.

Il tourna pour la première fois les yeux vers moi et je ne pus
que détourner le regard face à cette insistante inquisition.
Malgré la petite fenêtre grillagée qui nous séparait, j’eus
l’impression qu’il parvenait à sonder mon âme.
— Ne considérez pas le Pape comme un pantin
gesticulateur, qui fourbirait ses armes à coup d’encycliques

Dans les alcôves du Vatican
Le Pape vit une époque des plus troublées. En 1870,
l’unification de l’Italie et sa défaite à Civitavecchia sonne
le glas de son pouvoir temporel. Pie X, le locataire du
Saint Siège de l’époque, se sent comme prisonnier du Vatican.
Cela explique sans doute ses dérives théocratiques.
En effet, le Vatican, Cité Léonine, s’est posée en pilier de
la Contre Révolution, contre les idées véhiculées par 1789.
C’est une citadelle contre les nouveaux barbares. Léon XIII,
son successeur (1878-1903), perpétue ses combats contre le
rationalisme, le libéralisme, la laïcité et la franc-maçonnerie.
Le Pape règne sur la Curie romaine, subdivisée en congréga-
tions, secrétariats et tribunaux. Cependant, son intransigeance
ne fédère pas tous ses fidèles. Voyez plutôt :
« L’Italie avait sa capitale, le drapeau national flottait sur le
Capitole. Au moment où les troupes pontificales quittaient la
cité, Pie IX, pâle, défait, s’arrêta pour les bénir une dernière fois
et les délier de leur serment. Le Saint Père se considéra dès lors
comme prisonnier. Il remit des protestations aux ambassadeurs.
Les déclarations du pape furent affichées à la porte des basiliques,
sous les yeux des autorités italiennes, qui avaient ordre d’éviter
tout conflit. »
G. Rothan, Souvenirs Diplomatiques (1870-1871)
Pour les besoins du jeu, l’Inquisition est réactivée dans le
plus grand secret. Depuis longtemps interdite en France où le Roi
voyait d’un mauvais œil cette justice concurrente, disparue du foyer
espagnol depuis 1843, inadaptée aux besoins de l’État et rejetée
par l’opinion publique, elle retrouve dans Crimes une utilité :
la recherche et la rationalisation du surnaturel, avec pour maxime
« savoir lire entre les lignes ».
Ne vous imaginez pourtant pas une horde de dominicains
munis d’eau bénite, prompte à brûler tout ce qui pourrait
ressembler de près ou de loin à une sorcière. Il n’y a plus de
marteaux à hérétiques, au grand dam de certains nostalgiques. La
torture est abolie depuis longtemps.
L’Inquisition Pontificale a perdu sa forme de tribunal
pour reprendre sa mission originelle d’enquêtrice. Ce qui faisait
la spécialité des franciscains, ces moines mendiants, est devenu
la lubie de quelques fonctionnaires du Vatican qui épluchent la
presse en quête d’évènements inexpliqués. Rien de bien aventureux
cependant, quand on sait que le Vatican préfère louer les services
de personnes extérieures pour rendre compte des phénomènes
survenus sur les lieux même, évitant soigneusement de recourir aux
services de l’état italien...
Ces inquisiteurs d’un genre nouveau ont délaissé les procès
de canonisation, les enquêtes de moralité, la consigne des excom-
munications pour se plonger dans ce surnaturel, ainsi que dans les
milieux nauséeux où croupissent les brebis galeuses du Vatican, les
prêtres satanistes et lucifériens qui commencent à se manifester.
Et là encore, pas de bûcher : leur solide formation en aliénisme,
couplée désormais au rituel d’exorcisme, leur permet de faire la
part des choses. C’est la grande nouveauté de ces prêtres souvent
progressistes : aboutir à un équilibre entre la foi et la raison.

35
 Chapitre 2
rageuses. Il n’y a ni ange ni diable parmi les deux tendances
que je vous ai décrites. Connaissez-vous le nom de
« Saint Office », jeune homme ?
Je me souvenais de ce nom synonyme d’Inquisition, ce
tribunal d’exception qui siégeait aux temps moyenâgeux et
dont certaines procédures civiles contemporaines s’étaient
amplement inspirées.
— En d’autres temps, ce seul nom aurait suffi à vous
terroriser à un point tel que vous en auriez souillé votre siège.
Chevalets de tortures, fers et roues dentelées auraient envahi
votre imaginaire au point de vous glacer le sang, que vous
auriez alors pensé perdre dans d’abominables souffrances. La
légende est tenace, mais non dénuée de fondement. Le corps
des exorcistes existe encore, bien que tenu à l’écart depuis
que l’armada d’aliénistes s’est emparée du filon des possédés
pour n’y voir que des manifestations d’épileptiques. J’ai moi-
même œuvré dans ce Saint Office.
Me retrouver face à un inquisiteur dans ce temple de
la Foi et de la Raison me provoqua des frissons. Je préférai
mettre cela sur le compte de l’hiver, renforcé par la froideur
sépulcrale de l’édifice.
— Je vois que vous n’êtes pas exempt d’une certaine
appréhension, dit-il avec large sourire. Peu me chaut cette
réaction. J’ai œuvré auprès des dominicains, ces anciens
marteaux à hérétiques, pour enquêter sur la foi et traquer
les déviances doctrinaires, ces opinions contraires qui sont
l’essence du mot hérésie. Mon activité était bien moins
coercitive que pastorale ; je remplaçai le pénal par le purgatif,
le répressif par le médical. Soigner l’âme comme un aliéniste
en soutane. Nous étions convaincus de l’utilité de notre
œuvre, mais il fut bien difficile de ne pas sombrer dans la
folie contaminatrice de certains de nos patients...
Je laissai transparaître mon soulagement en faisant part
au curé de mon scepticisme quant aux récits monstrueux
de ces hordes de démons déchaînés assiégeant de pauvres
ursulines, proies d’incubes lubriques venues chasser leur
vertu. Je ponctuai finalement ma réflexion par un rire
tonitruant, mais non partagé.
Savoir lire entre les lignes
« La plus belle des ruses du diable est de vous persuader
qu’il n’existe pas. »
Charles Baudelaire,
Le Spleen de Paris, Le Joueur Généreux (1864)
Vers une nouvelle lecture de la réalité
— Réfléchissez à votre propre mission, jeune agent.
Nous faisons, sans le savoir, le même métier : j’enquête
également sur les âmes de mes concitoyens, et l’agent Carter
l’avait bien compris. Ne soyez jamais dédaigneux envers
le discours de la personne interrogée ; vous recueillerez
au mieux son mépris, au pire sa colère. Le message de
notre souverain pontife est pourtant
clair : entre croyants et mécréants,
à chacun sa réalité. Aucune ne
peut se prétendre meilleure,
elles sont complémentaires. J’ai
assisté à des évènements occultes
qui battent en brèche toutes les
réfutations scientistes. En déniant
ces phénomènes, vous êtes un idiot,
dans le sens où vous vous soumettez
à la réalité collective qui est
l’aboutissement d’une tromperie. Le
fruit de votre éducation parcellaire
est en cela mensongère.

Je me recroquevillai au fond
de ma chaise, comme un enfant de
chœur surpris en train de boire le
vin de messe (ce qui, force est de le
reconnaître, était bien le cas).
— J’ai rencontré le diable, mon
cher agent. J’ai vainement tenté de
l’extirper du corps de ceux qu’il
torturait.
— Monsieur, votre discours
était jusqu’à présent posé, et cassait
toutes mes idées reçues sur votre
profession. Et voilà que vous me
dites avoir rencontré le diable...

36
 Le Contexte
— Peu importe la forme de ce qui habitait ces pauvres
hères, il lui faut bien un nom ! Que ce soit le diable, la
Déchéance ou la perfide Névrose, cette entité nous fait
entrevoir une réalité bien trop rude pour que notre pauvre
cerveau puisse la filtrer. Elle nous fait sombrer dans les folies
les plus singulières. Venez, quittons cet abri dérisoire du
confessionnal, je vais vous présenter quelqu’un.
Nous nous levâmes pour entrer de nouveau dans le
chœur. Je ne l’avais pas encore aperçu, mais un homme
massif se recueillait auprès de la chapelle dédiée à la Sainte
Vierge. Le prêtre marmonna ses mots afin de ne pas troubler
la prière de ce fidèle.
— Cet homme s’appelle Martin Stranozy. C’est un
boucher, coupable du massacre de sa femme sur les conseils
d’un esprit malavisé. Il a pu échapper à la justice des hommes
grâce à un diagnostic qui a démontré son irresponsabilité, et
il tente de se concilier désormais la justice divine.
En effet : l’homme en question, par sa stature, son
teint et ses mains calleuses, affichait tous les stigmates de sa
profession.
— J’ai tenté un exorcisme, mais j’ai failli. Malgré son
fond intègre et sa profonde dévotion, il semble le jouet
d’une influence extérieure que je n’ai pu déterminer. J’ai
moi-même déjà subi les assauts de tels adversaires qui m’ont
laissé exsangue.
Dieu, la bourse et le diable
Je croisai de nouveau le regard du prêtre, y décelant une
lueur quasi diabolique. Ou bien s’agissait-il d’un reflet de
la lumière ? Ses yeux se plissèrent, puis se détournèrent. Je
l’imitai, parcourant les ombres dansantes des ogives en quête
d’un signe, quelle que soit sa provenance.
— Il n’y a pas de voie vers le Très-Haut qui ne passe par le
très bas. Nous côtoyons le diable quotidiennement sans même
nous en douter, sous ses apparats de boursicoteur, d’anar-
chiste, de colon ou de poète nationaliste... Nous en sommes
arrivés à un tel point de scepticisme qu’un pacte avec le diable
pourrait faire l’objet d’un négoce en Bourse ! Je n’hésite pas à
comparer Dieu ou le diable au capital : ils jouissent tous trois
de millions d’adorateurs dont les vies reposent entre leurs
terribles mains ! Certains de mes confrères sont même passés
de ce côté sombre par le biais du satanisme et des lucifériens.
L’abbé Van Haecke, chapelier sataniste de Bruges, toujours en
vie, est connu depuis longtemps. L’abbé Boullan, malgré sa
droiture morale, n’en exerce pas moins le métier de mage. Ses
prodiges sont bien réels et certains prédisent un monstrueux
réveil de la magie qui, avec le matérialisme en négatif, est le
signe annonciateur d’une fin de notre monde.
Abasourdi, je vis mes fébriles conceptions religieuses voler
progressivement en éclats au fur et à mesure que les paroles
du prêtre s’envolaient et résonnaient dans l’acoustique du
confessionnal. Il était de coutume, dans ma famille, de séparer
les sphères profanes et religieuses, tant et si bien qu’aucune
confusion entre les deux n’était possible. La perspective de
rencontrer le diable en redingote me semblait bien plus
éprouvante que de l’imaginer apparaître dans un nuage de
37
fumée au cours d’une cérémonie paillarde. Cependant, je lui fis
part de mon scepticisme quant à la perspective prochaine d’une
fin apocalyptique, digne des tableaux dépeints par Saint Jean.
— Vous devez vous départir de l’opposition simpliste entre
la Lumière et les Ténèbres. J’ai pour ma part pris l’habitude
de raisonner en terme d’ordre et de chaos. Vous pouvez vous
moquer de la religion, privilégier la Science comme nouveau
messie mais soyez un minimum critique : beaucoup prient le
Saint Progrès sans réaliser qu’ils fondent un culte scientiste.
Quant à l’Apocalypse, elle n’est pas destruction mais Révélation :
selon les traditions byzantines, elle s’effectuera comme une
série de morts solitaires qui s’achemineront vers la disparition
du genre humain. Voyez ces vagues de crimes étranges qui
déciment notre ville sous un angle plus métaphysique...
Il observa une minute de silence. L’ambiance était si
étouffante qu’elle me parut durer une heure.
— Nous autres, exorcistes, enquêtons sur ces étranges
affaires où nous voyons quantité de signes métaphysiques.
D’autres y verront un étrange voyage vers l’inconscient, l’infra
ou le suprasensible... Peu importe, tant que vous comprenez
qu’il existe une réalité alternative qui explique de nombreux
mystères contemporains.
Traiter de la foi dans Crimes
« Pauvres mortels, parmi vous, rien n’est constant si
ce n’est l’inconstance. »
Abbé Coyer
Crimes se déroule dans une période de déchris-
tianisation qui touche surtout les villes (trois quart
des citadins anglais selon le Religious Census de 1851).
Les personnages, quand bien même athées, possèdent
tous des convictions religieuses. Le fait religieux est
une toile de fond importante pour notre période : on
négocie alors en France la loi de 1905 sur la séparation
de l’Église et de l’État. Une vague d’anticléricalisme
secoue certains de nos personnages ; le progrès matériel
et les connivences des clercs avec la monarchie n’y sont
pas étrangers.
Pourtant, sous-estimer la religion dans Crimes
serait dommageable. Les prêtres sont des personnages
incontournables du roman gothique. La plupart de nos
ecclésiastiques, sur le modèle de l’exorciste, adaptent
leur foi à leur temps, quand ils ne retournent pas leur
veste pour adopter un ton ouvertement diabolique.
Cependant, nous ne postulerons pas sur l’existence
ou la non-existence de Dieu. C’est un choix de la part
du MJ et des joueurs : cette idée du divin dépend
largement du concept littéraire que vous voulez utiliser
pour vos aventures.
Enfin, si vous souhaitez concilier l’idée de Dieu et
celle de la décadence développée dans Crimes, traitez-
les en porte-à-faux. Le monde n’est plus l’univers
statique de la Bible, mais évolue vers la déchéance,
à rebours de l’idée de plénitude suivant le Jugement
Dernier. L’homme n’est pas apparu tel quel : les espèces
évoluent, la dégénérescence mine l’idée qu’il se fait de
sa propre transformation.
 Chapitre 2
Dieu est-il mort ?
Une nouvelle pause survint dans son récit, suite à l’entrée
de mon collègue dans le sanctuaire.
— Voici la conclusion de ce sermon : ne remettez pas
votre destin dans les seules mains de Dieu, mais croyez en
l’homme envers et contre tout. Remplacez le lendemain
par aujourd’hui, puisque la vie n’est pas une promesse
post-mortem. Dieu est en vous, il vous appartient de vous
réaliser sans verser dans la mélancolie de l’être menacé par
la damnation. Perdez votre volonté de conservation dans
ce monde et dans le prochain ; n’ayez plus cette notion
manichéenne du bien et du mal. Passez outre ce que l’on vous
a appris, une tâche que votre prédécesseur a réussi à pleine
mesure. Si vous suivez l’Église papale, Dieu semble dégénéré
jusqu’à contredire la vie. Dieu est mort ! Si vous suivez l’agent
Carter, vous commencerez dès à présent votre propre chemin
de croix. Que votre Passion soit génératrice des plus grandes
révélations. A présent, vous êtes libre de partir.
Je le saluai et quittai le choeur en vacillant. Ma maladresse se
faisait l’écho des doutes qui m’assaillaient désormais. Je me portai
au devant de Joseph Gueslin, qui me chuchota à l’oreille :
— Venez, j’espère que le bourrage de crâne n’a pas été trop
rude. J’ai déjà du mal à encaisser le curé ordinaire alors celui-là,
avec ses idées aussi bizarres que la devanture de son église, il
me sort par les trous de nez ! J’ai appris que Carter, après sa
visite ici, est descendu chez son indic’. J’ai l’adresse. Bon sang,
vous avez l’air éprouvé ! Cherchons un petit troquet pour que
vous puissiez m’y attendre en toute tranquillité. Même les rats
pourraient sentir à deux lieues que vous êtes de la police !
38
Sans paraître obséquieux, Gueslin gratifia le prêtre d’un
signe de tête qui dénotait sa crainte respectueuse de cet être
étrange et fascinant. Nous sortîmes de là pour affronter
le grand froid.
La Route de la Révolte
Un enfer sur terre
« Les classes pauvres et vicieuses ont toujours été et seront
toujours la pépinière la plus productive de toutes sortes de
malfaiteurs ; ce sont elles que nous désignons plus particulièrement
sous le titre de classes dangereuses ; car, lors même que le vice
n’est pas accompagné de la perversité, par cela qu’il s’allie à la
pauvreté dans le même individu, il est un juste sujet de crainte
pour la société, il est dangereux (...) Ces malheureux qui, par
l’exercice de leur profession, se rattachaient encore en apparence
à la masse des ouvriers honnêtes et laborieux, dépouillent
peu à peu, sous la maligne influence de leurs compagnons de
désordres, les habitudes de travail qui leur restaient et finissent
par embrasser leur vie fainéante et criminelle. »
Frégier, médecin,
Des Classes Dangereuses de la Population dans
les GrandesVilles et des Moyens pour
les Rendre Meilleures (1840)
 Le Contexte
Une nouvelle Tour de Babel ?
Nous quittâmes l’église, dont aucun signe extérieur
ne trahissait l’appartenance à un quelconque patronage.
La décoration de sa façade ne détonnait pas de l’ambiance
dépouillée affichée à l’intérieur, si ce n’est par la présence
d’un magnifique tympan à la gloire du Jugement Dernier. Je
m’accordai un instant pour contempler cette porte, ajoutée
bien après la construction du lieu de culte. Le Jugement
Dernier y était peuplé d’un bestiaire médiéval bien éclectique.
L’artiste, encouragé par la bienveillante complicité du clerc
local, avait dessiné des justes à qui le Seigneur avait octroyé
le droit de se reposer dans le sein du bienheureux Abraham.
A la gauche du Christ, la bouche de l’enfer drainait des
êtres contrefaits et malformés, côtoyés par des créatures de
cauchemar qui surpassaient les canons médiévaux du genre.
Cependant, je n’y vis nulle trace de réprouvés humains...
De quoi laisser circonspect tout croyant habitué à ce genre
de scène stéréotypée.
Comme un signe du destin, Gueslin m’emmena vers la
gauche dès que nous fûmes emmitouflés dans nos grossières
pèlerines de cheminots. Cette couverture, dans tous les sens
du terme, était notre viatique pour entrer dans le monde de
la misère sans courir le risque d’être reconnus. Enfin, à la
condition de nous dépêcher...
Derrière nous, la silhouette tantôt honnie, tantôt adulée
de la Tour Eiffel, cette épingle dressée au centre de la capitale,
rappelait à la banlieue tumultueuse la proximité des autorités
centrales. Cette vision se révélait étrange : le ciel était empli
de lourds nuages noirs amoncelés autour de la gigantesque
aiguille, signe que l’orage se préparait dans le centre ville.
Le Tour était bien trop éloignée pour nous permettre
de distinguer sa teinte rouge vif Venise, et encore moins
les soixante-douze noms de ses savants inscrits en lettrines
dorées, lisibles à plus de soixante-dix mètres. Je songeai aux
projets alternatifs enterrés par l’audacieux Gustave Eiffel :
une guillotine géante, sinistre mémorial de la Révolution à
rapprocher de l’antique colline à gibets de Montfaucon ; une
tour cylindrique surmontée d’un phare granitique, destinée
à projeter sa lumière blafarde sur la cité comme la statue de
Bartholdi dans la rade de New York... Au lieu de cela, une
dentelle de fer se hissait vers les cieux, comme un rappel
concret de ma récente discussion avec le prêtre au sujet du
messianisme de la science et du progrès...
La mare aux miasmes
Monté sur la petite butte surplombée par la place
de Levallois, je distinguais les ruelles couler comme des
ruisselets vers le contrebas pour se heurter aux boulevards,
vastes rivières qui creusaient leurs lits à coup de rasages et
d’expropriations afin de dégager les perspectives. Il était
d’usage, dans les temps anciens, de faire courir les rejets
et tous les autres immondices le long de ces venelles, dont
le centre était sculpté en forme de rigole : ces ordures
accomplissaient ensuite un voyage vers la destination finale
39
de cet égout naturel que formait la Seine. Ceci expliquait la
cohue des riches qui souhaitaient migrer vers les hauteurs
pour échapper à la puanteur délétère des ordures en
décomposition, ces détritus ayant la fâcheuse habitude de
stagner quand la pente se faisait faible. C’est de là que venait
l’expression : « tenir le haut du pavé ».
La formidable entreprise initiée par le baron Haussmann
aérait considérablement les veines parisiennes, repoussant
pour un temps les spectres de la Pandémie. En dégageant les
poumons d’une capitale asthmatique, il contribua à l’annexion
des banlieues proches promues au statut d’arrondissements, du
treizième au vingtième, comme les cités romaines pérégrines à
qui l’on accordait le souverain droit latin.
Levallois s’inscrivait presque dans cette lignée : la place
de l’église arborait un mobilier novateur à base de fontaines,
d’urinoirs et de candélabres. Au loin, en bas, une voiture à
vapeur Serpollet crachait son venin vers le ciel nuageux de
Paris ; timide nuage en comparaison des cirrus filamenteux
des cheminées d’usines en pleine expectoration. Cette
artère industrieuse longeait le canal Saint-Martin, visible à
l’horizon, aux rivages constellés d’usines à gaz, d’entrepôts
et de hauts fourneaux. Je n’étais pas sans savoir que le même
genre de spectacle m’attendait derrière, dans ce nid de
l’hydre du crime que nous nous apprêtions à visiter.
Joseph me fit signe d’avancer vers une arcade qui
achevait le flanc gauche de l’église. C’était un pont-levis,
vestige d’un ancien corps de garde, dont les chaînes avaient
été disposées de part et d’autre de l’entrée pour être arrimées
à des pots de fleurs gelées. La maréchaussée avait depuis
longtemps quitté les lieux : au-delà, la ruelle se terminait par
une barricade érigée à la hâte au moyen de débris de bois,
derrière laquelle on devinait une vie insoupçonnée dont
les bribes faites de cris et de conversations me parvenaient,
véhiculées par le vent glacial de l’hiver. Mon collègue me
pressa de le suivre.
— Cette barricade est une des nombreuses cicatrices de
la Commune. Le petit peuple a farouchement défendu ses
illusions face aux troupes versaillaises. On prétend même
qu’elle daterait de 1848, dernière révolte réussie face à la
monarchie restaurée. Comme un aimant, elle attire les scories
de la révolution industrielle : voyez plutôt les poubelles qui
s’amoncellent sur ce monument historique.
— Les poubelles ? Vous voulez dire, les boîtes à ordures ?
— Si vous voulez, répondit Joseph en se gaussant. Nous
on dit « poubelle », du nom du préfet qui nous a pondu des
arrêtés sur le ramassage des ordures. Et attention ! Collecte
en trois parties : les verres et coquilles d’huîtres d’un côté,
les chiffons de l’autre, le reste pour les matières putrescibles !
Encore faut-il que cet arrêté soit appliqué...
En effet. Toutes les lois du monde ne valaient rien si
l’on n’imposait pas les moyens de les faire appliquer ; et vu
l’état du quartier, cela faisait belle lurette que les pouvoirs
publics avaient capitulé, pour le plus grand bonheur des
chiffonniers.
 Chapitre 2
Le paradis des gastronomes
« Les barbares qui menacent la société ne sont point au
Caucase ni dans les steppes de la Tartarie : ils sont dans les
faubourgs de nos villes ! »
Saint Marc Girardin, Journal des Débats,
Sur la Révolte des Canuts de Lyon (1831)
La ruelle n’avait pour unique habitant qu’un aimable
chasseur de rats, fringuant marchand assis près de son étal
ambulant, la toque et le tablier de cuisinier impeccables,
le couteau tiré, dépeçant le produit de sa traque sous le
patronage d’un petit drapeau tricolore. Derrière lui, les murs
fatigués se voyaient recouverts d’affiches vantant les mérites
de tel candidat, ou de tel produit absolument indispensable
à toute ménagère qui croirait en leurs slogans. Maelström de
couleurs tranchant agréablement avec l’obscurité ambiante,
mais autant de miroirs illusoires reflétant la cruelle désillusion
des habitants du quartier à mille lieues de la société
de consommation. Nous restâmes sourds aux appels du
bonimenteur, la viande de rat ne m’apparaissant pas des plus
goûteuses, pour escalader la barricade et découvrir l’envers
du décor parisien.
La Cour des Miracles
« Nous avons accumulé plus de richesses qu’aucune autre
nation avant nous, nous en avons tiré moins de bienfaits
qu’aucune nation avant nous, et notre peuple est en train de
périr au milieu de cette surabondance phénoménale. »
William Booth, fondateur de l’Armée du Salut
40
Jouer un ouvrier dans Crimes
« Mais Paris, sans Lumière, sans théâtres, sans jour-
naux, sans boulevards éclairés, sans magasins lumineux,
Paris dans la nuit et dans l’effroi, c’est là une leçon de
choses que le plus obtus comprend. »
Un journaliste,
au sujet d’un appel à la grève des électriciens
C’est tout à fait possible, voire recommandé.
L’ouvrier est un témoin privilégié des injustices et des
violences de la société de Crimes. Il aura fort à faire
avec les idées reçues formulées à son sujet : tire-au-flanc
jouant au grippe-sou avec son pauvre patron, âne bâté
débarqué de sa province, tout dans les muscles et rien
dans la tête, agent anarchiste venu de l’étranger pour
ébranler l’édifice républicain...
L’ouvrier est l’archétype de la mobilité et de
l’adaptation à laquelle bon nombre de personnages de
Crimes n’arrivent pas à se faire. Ne croyez pas qu’il soit
attaché à sa pénible condition : malgré les efforts de
certains patrons dits philanthropes pour les fidéliser,
les ouvriers jouissent d’une grande liberté, changeant
aussi facilement d’usine que de lieu. Nul doute qu’ils
collaboreraient à des enquêtes si un dédommagement
améliorait leur ordinaire.
Soup, soap and salvation
La pauvreté, la pauvreté et encore la pauvreté venue de
toutes les directions, de tous les horizons : la misère et le
malheur titubaient et se tenaient par le bras sur les pavés des
rues les plus sordides... Les trottoirs demeuraient néanmoins
débordants d’agitation, de cette vie urbaine qu’affectaient
tant les misérables rejetés en ces lieux. Des volutes de fumée
s’échappaient d’un chaudron : je reconnus à son odeur la
soupe populaire distribuée par l’Armée du Salut. Englués
dans cette pauvreté endémique, ils n’avaient même plus le
cœur d’entonner leur credo « soup, soap, salvation ! »
Des badauds à l’âge indéfinissable hantaient ce lieu, se
frôlant aimablement pour profiter d’une chaleur quelconque.
Drapés de leurs châles monochromes, on les voyait économiser
leurs gestes pour ne pas défaillir, errant dans une sarabande
bien fatiguée sur un sol de terre battue. Des femmes faisaient
la queue devant des colonnes d’alimentation en eau, des
gamins ramassaient les excréments égarés qu’ils pourraient
vendre en guise d’engrais.
C’était donc ça, les héritiers des remuants sans-culottes,
le terreau fertile des révolutions ; responsables, dans leurs
déchaînements, des deux cent trente-huit édifices rasés
pendant la Semaine Sanglante de la Commune ? Ces
gouttes d’eau qui, une fois rassemblées, avaient déferlé en
un raz-de-marée pour détruire les symboliques hôtel de ville
et palais de justice du cœur de Paris ? Qu’ils avaient l’air
désarmés, dans leurs habits mélancoliques, le visage hagard
et perdu, comme une source flétrie !
 Le Contexte

Le tout est de rester incognito. Si Carter s’est fait repérer,

Représentations sociales
des classes dangereuses
On constate à quel point la notion de classe sociale
se fraie un chemin dans l’imaginaire des contemporains.
Elle se double d’une appartenance géographique : celle qui
deviendra la « ceinture rouge » communiste, la banlieue,
devient le lieu de tous les dangers pour le parisien de
souche qui habite à l’abri, vers le centre. Un MJ éclairé
gagnera à utiliser ce thème de la discrimination entre cou-
ches sociales, quitte à diviser ses PJ sur le sujet.
Exemple : lorsqu’en 1869, le député Girault
commença son discours en se réclamant de la classe
ouvrière, il provoqua un tollé sans nom, étant donné la
connotation subversive du terme.
Ce quartier de la Route de la Révolte apparaît comme
une cocotte-minute qui ne demande qu’à exploser ; l’idée
d’une nécessaire lutte des classes a déjà pointé le bout
de son nez chez Marx. Certains anarchistes, sans pour
autant adhérer à ses idées, partagent ses moyens d’action
violente.
On y cultive l’image d’une élite gouvernante, petit
groupe non représentatif de la masse, qui s’est substitué aux
élites décadentes de la monarchie et de la noblesse. Bref,
une nouvelle hiérarchie s’est fondée sur l’ancienne, sans
pour autant être plus juste. Il ne reste plus qu’à attendre
ou provoquer ce Grand Soir que les marxistes espèrent
tant, cette sorte de Jugement Dernier qui, renversant les
possédants, aboutira à une société plus égalitaire. Une
Apocalypse de plus se profile dans le monde de Crimes...
il a dû se faire dézinguer, mais connaissant sa réputation de
passe-partout ça m’étonnerait beaucoup.
Plus loin, la neige s’interrompit enfin. Les nuages
commencèrent à se disperser, laissant place au dernier éclat
de soleil qui précédait sa disparition.
Paris crasseux, Paris fangeux
« Une société où le talent et l’esprit n’ont aucune cote
officielle, où la politique devient l’emploi des déclassés et des gens
de troisième ordre, où les récompenses de la vie vont de préférence
à l’intrigue, à la vulgarité, au charlatanisme qui cultive l’art de
la réclame... »
Ernest Renan (1883)
Ma peur évolua vers un sentiment de pitié : d’une rue à
l’autre, l’ambivalence des spectacles qui s’offraient à moi me
firent réaliser que, loin d’aboutir au monde unifié suggéré
par la République, la prospérité économique se révélait
plutôt « im-monde » tant elle était mal répartie. A quelle
Bastille pourrait s’attaquer ce menu peuple, concentré sur
sa simple survie ? Les légions déferlantes des culs-terreux
avaient été repoussées vers les banlieues, sans que leurs
problèmes ne soient résolus ; le Paris crasseux et fangeux du
centre avait été détruit mais s’était reformé à la périphérie.
Et le crime avec lui.
Les cahutes à cinq étages représentaient autant de
repaires aux implacables profondeurs où de pauvres hères
attendaient la fin comme une malédiction, quand ils ne
prêchaient pas mollement une prochaine révolution. Réduire
ici la mendicité aurait sans doute été moins aisé que de
nettoyer les écuries d’Augias.

— Pressons-nous. Ne les
regardez pas. Celui qui surveille
la distribution de nourriture je l’ai
reconnu, c’est Atlas : la terreur
locale. Les petites mains du
crime sont à ses ordres.
Mes pensées philanthropes
s’envolèrent à l’évocation de
ce personnage. Je m’hasardai à
jeter un œil sur lui : très grand,
musculeux, torse nu malgré le
froid glacial, la poitrine couturée
de cicatrices. Il regarda en ma
direction, je tournai la tête droit
devant. Un frisson me parcourut
l’échine.
— Ce n’est pas tant Atlas
que tous ses vassaux qui me
font peur. Les gamins les plus
innocents peuvent devenir des
surineurs sanguinaires si lui et son
patron leur ont promis du pain.

41
 Chapitre 2
Les revenus quotidiens des ouvriers de
Paris selon le Voleur (second semestre 1882)
 Bijoutiers, orfèvres : 14 francs
 Tailleurs de pierres : 12 francs
 Boulangers : 10 francs
 Ferblantiers, lampistes : 10 francs
 Tanneurs : 9 francs
 Chaudronniers : 9 francs
 Forgerons : 8 francs
 Fleuristes (homme) : 8 francs
 Chapeliers : 8 francs
 Tailleurs d’habits : 8 francs
 Maçons : 7 fr. 50
 Bouchers : 7 francs
 Culottières : 6 francs
 Horlogers : 6 francs
 Serruriers : 6 francs
 Charrons : 5 fr. 50
 Charbonniers : 5 francs
 Brasseurs : 5 francs
 Tisserands : 4 fr.15
 Blanchisseuses : 3 fr. 50
 Corsetières : 3 fr. 50
 Fleuristes (femme) : 3 fr. 50
Il fallut nous arracher à des batteurs de dig dig trop
entreprenants, et je voyais déjà un sabouleux nous attendre
sur le parvis d’un immeuble délabré. Il esquissa un sourire
des plus édentés pour nous conduire à l’intérieur. Joseph
refusa poliment la proposition de ce faux béquillard (quoique
je fus incapable de distinguer le moindre artifice dans son
infirmité) ; de dépit, il referma le rideau d’entrée avec
suffisamment de retard pour que je puisse apercevoir une
énorme dame exhibée dans le plus simple appareil, sous le
titre peu glorieux de « plus grosse femme du monde ».
Malgré le froid qui me paralysait l’odorat, je pus sentir
les miasmes qui s’échappaient de l’endroit, ce cloaque au
loyer bas qu’il nous fallait partager avec ces dames qui
souffraient d’affections typhoïdes ou de phtisie pulmonaire.
La banlieue, c’était comme aux colonies : il fallait s’acclimater
pour survivre. Accélérant le pas, nous esquivâmes un vendeur
de café ambulant malgré l’envie qui nous tenaillait, soucieux
de ne pas faire l’étalage d’un pécule qui ne manquerait pas
d’attirer les cuiseurs d’artichauts, les ramasseurs coupeurs
de cigares, les éleveurs d’asticots et les chiffonniers attirés
par l’argent comme des moucherons par un morceau de
viande. Nos cent quarante francs mensuels suffisaient à nous
transformer en de potentiels bienfaiteurs dans ces quartiers
malfamés. Pourtant, notre statut d’employé ne faisait pas
de nous les privilégiés les plus riches du tout Paris, loin s’en
faut !
Armés d’une infinie patience, nous avançâmes à pas
feutrés pour atteindre le sommet de la colline, évitant
précautionneusement la bête d’un montreur d’ours endormi
à même le sol. Le plantigrade semblait de fort mauvaise
humeur, sûrement contrarié dans ses vœux d’hibernation,
42
veillant sur son maître comme sur sa première progéniture.
La bête m’évoqua ces images d’Épinal qui représentaient des
dresseurs souriant à des parterres de badauds ébahis... A côté,
une pancarte figurait naïvement le dompteur et son monstre,
un dessin qui devait probablement attirer les enfants. C’était
là un nouveau décalage entre une imagerie surréaliste et
cette réalité crasseuse qui s’imposait à mes yeux ! Un passant
me bouscula. Il reprit derechef sa route en beuglant, sans
s’excuser.
— Un ouvrier padleur, celui-là ! Vu sa tunique de
travail et les éclats métalliques qui la constellent... Il aurait
pu s’arrêter ! Hé, mais j’ai déjà vu son faciès sur nos fiches
anthropométriques ! Adrien Joly, le syndicaliste ! Voulez-vous
que je le rattrape ?
— Ce ne sera pas nécessaire, nous avons encore du
chemin.
— Méfions-nous tout de même. Ce quartier est la base
du recrutement des criminels du tout Paris. Même si le
préfet le conteste, un génie du crime a fondé un véritable
empire dans le coin. Ce que je crains le plus, c’est son réseau
d’informateurs. Chaque habitant du quartier relayera notre
présence jusqu’à ce qu’elle parvienne à ses oreilles.
Une inquiétante perspective, s’il en était. Passé ce dernier
obstacle, un panorama des plus désolés nous attendait.
La couronne de feu
« Que de fois les journaux ont occasion d’en parler !
A chaque instant, en effet, il y a dans l’un des villages qu’elle
traverse une attaque nocturne, un crime, un vol. Elle a hérité
de tous les malandrins de la Cour des Miracles, de tous les
bohémiens de la Petite Pologne. En plein jour, on y court au
risque d’être dépouillé ; le nuit, on n’y peut pas faire un pas sans
voir brandir les gourdins ou scintiller les couteaux... »
La Route de la Révolte vue par Georges Grison (1882)
Les périphéries du crime
Nous contemplions un paysage quasi surnaturel
du haut de notre promontoire. La suite de la banlieue
ressemblait à un champ en friches d’où jaillissaient des
demeures atypiques, toutes construites à la va-vite avec des
matériaux de récupération. Je voyais là un paradis pour les
ogres industrieux qui, aidés des piqueurs (nous parlons là
des chiffonniers), avaient repris le flambeau laissé par les
maçons. Des baraques de tôles froissées et de vieux lambris
mal isolés illustraient un enfer construit avec les peaux sales
de la capitale. Ces maisonnées peu accueillantes avaient été
désertées par les propriétaires que nous avions croisés en
chemin, ou par ceux descendus en contrebas.
L’anarchique poussée du mobilier qui hérissait les pentes
que nous dévalions avec prudence céda la place à une large
route : la fameuse – et malfamée – Route de la Révolte ; un
 Le Contexte

nom déplaisant parfaitement

adapté à cette chose sinistre.
Cette route droite, plate, mal
pavée, boueuse, reliait Saint-
Denis à Neuilly comme un
trait d’union au doux nom
administratif de « Chemin
n°11 », sans doute destiné à
rejeter sa triste condition vers
les oubliettes administratives.
Dans les faits, celle-ci se
résumait à une voie innervée
par des boyaux étroits, mal
aérés, rarement nettoyés, où les
rafles quotidiennes des autorités
viraient bien souvent au jeu du
gendarme et du voleur.

J’avoue ne pas avoir regretté,

et ce pour la première fois,
la présence de mon mentor.
Ses opinions tranchées, son
savant mélange de rudesse et de
subtilité m’avaient finalement
préparé à cet univers déroutant. Car c’était là le lieu suprême L’usine-providence
de l’égarement humain, siège de tous les faits divers atroces
relatés dans les journaux de Saint-Étienne, ces graines fétides Nous progressions doucement vers le crépuscule. Le soleil
qui avaient nourri mes fantasmes d’ordre et de justice. Il en flamboyant laissait des traînées irisées dans un ciel plus que
était ainsi de ce Georgel qui écrasa la tête de sa mère à coup nuageux. Le spectacle offert par le coucher était magnifique,
de talon de botte, par un beau jour de printemps 1877 ; malheureusement gâché par les masses noires formées sous l’ac-
comme de Dubois, un cas d’école de 1868, qui assomma cumulation des fumées d’usine. Par-delà les taudis de banlieue,
sa fille de dix-huit ans pour lui scier le cou avec un vieux un plan géométrique servait de cadre aux industries qui avaient
couteau ébréché. C’était ici, dans ce lieu de perdition, que fui la fiscalité de Paris pour renaître, tels des phénixs enflam-
la fange apparente recueillait les oripeaux de la respectabilité més, dans ses marges autrefois rurales. Cependant, ces oiseaux
humaine. Un lieu dévolu à cette entité maléfique évoquée fabuleux, promesse d’un avenir radieux, toussotaient en livrant
par le prêtre. une haleine des plus fétides. Des rangées d’usines sidérurgiques,
allongées à l’extrême, imposaient leurs toits monotones et
leurs cheminées de briques
à mon regard inquiet.
Le ciel encombré me
La condition ouvrière fin XIXème siècle
donnait l’impression d’un
 1869 : la grève de La Ricamarie est durement réprimée : 14 morts. paysage industriel perdu
 1872 : après la Commune de Paris, une loi est votée contre l’Internationale Socialiste. dans les horizons lointains ;
 1874 : le travail des enfants de moins de 12 ans est (en principe) interdit. alors que le crépuscule
 1881 : avec la scolarisation obligatoire vient la loi sur la liberté de réunion. s’installait timidement
 1884 : liberté de réunion parachevée avec la liberté syndicale.
alentours, de brèves
 1890 : première Fête du Travail organisée le 1er mai.
 1894 : une loi instaure les retraites pour les mineurs.
étincelles témoignaient de
 1898 : loi sur les accidents du travail et la responsabilité patronale en matière de sécurité. l’activité ardente des hauts
fourneaux, des laminoirs,
 Les femmes touchent 43% du salaire masculin et sont donc privées d’autonomie financière. de ce déluge de feu qui
Elles forment pourtant 37% de la population active française de 1906. semblait se répandre le long
 A la quarantaine, bon nombre d’entre elles deviennent ménagères si elles sont usées par leur pré- des chemins de fer. Gueslin
cédent travail. Qu’importe, la machine à coudre reste de mise à domicile.
jouait au chien de garde.
 Les ouvrières les plus jeunes, faute de moyens, sont régulièrement poussées à la prostitution.
 Si en 1900, 35% des ouvriers ont déjà fait grève, la discipline des « couvents » industriels pour Rassuré par la faible activité
femme est telle que la grève ne concerne que 3,7% d’entre elles. 15% des ouvriers sont des étran- perceptible autour de notre
gers, d’abord belges, italiens puis polonais, et souffrent de l’isolement et du rejet. refuge, il me demanda ma
paire de jumelles.

43
 Chapitre 2
— Visez ce refuge de malandrins ; c’est dans ces taudis
que se terre l’indic’ de Carter. Je vais aller le chercher, je pense
que nous avons déjà attiré l’attention sur nous. Les vermines se
reconnaissent entre elles ! Il faut vous mettre à l’abri. A mon
avis, même Carter ne s’aventurait pas jusqu’ici.
J’obliquai les jumelles pour focaliser mon attention vers
les usines. Des colonnes d’ouvriers quittaient ces fourmilières
humaines en rangs disciplinés ; sans cet instrument, on eut
plutôt cru voir des bataillons de soldats quitter le Champ de
Mars. Peu à peu, la masse se désorganisait au fur et à mesure
qu’elle regagnait sa tanière, comme si le conditionnement d’une
sévère discipline de travail s’estompait avec l’éloignement de
l’usine-providence.
J’avais entendu parler de ces patrons aux airs paternalistes
qui s’intéressaient de près à la condition de leurs employés dans
un but philanthrope, s’occupant de leur logement, de leurs
loisirs et de leur éducation en les accompagnant du berceau
jusqu’à la tombe. C’était le cas de Le Play qui tentait de pallier
l’inertie de l’État, rappelant à tout va que la condition des
hommes n’était que la conséquence de leurs mœurs et que
la religion, la famille et la propriété personnelle en étaient
les panacées. La philanthropie restait soluble dans la raison
économique : la fatigue générée par une vie dissolue devint un
objet de science destiné à améliorer la productivité des ouvriers.
On tenta donc de domestiquer les rythmes, d’éloigner la menace
de la tuberculose ou du péril vénérien. Les médecins rattachés
aux usines tentaient de comprendre la mécanique du corps de
l’ouvrier, charpenté comme un Hercule de foire, le corps viril
dévoué à la surenchère et dont les tatouages dénonçaient les
mœurs réprouvables et réprouvées.
Je songeai à ma jeune sœur, Jeanne, qui avait tenté l’aventure
parisienne dans les usines de filature. J’espérais secrètement que
son employeur était de cet acabit, et qu’il l’avait enfermée dans
le cocon protecteur d’un gynécée. Puis je songeai à l’incendie
du magasin parisien où avaient péri bon nombre d’employées,
alors qu’elles dormaient sur les lieux enfermées à clé. J’étais
clairement inquiet à son sujet, un sentiment aggravé par ce que
j’avais ici l’occasion de voir.
L’usine-tombeau
« Une multitude de femmes pâles, maigres, marchent pieds
nus au milieu de la boue et qui, faute de parapluie, portent,
renversé sur la tête lorsqu’il pleut, leur tablier et leur jupon
de dessus, pour se préserver la figure et le cou. »
Villermé, témoignage sur la manufacture de Mulhouse
(1840)
Ici, rien de tout cela. L’existence de l’ouvrier s’arrêtait
au seuil des lourdes portes de sortie. Le miracle de la raison
n’agissait plus : il retournait à son état naturel. Hommes
et femmes rejoignaient donc leurs pénates maudits, et
je constatai avec étonnement que le nombre d’ouvrières
égalait celui des ouvriers. Autant de mineures ayant échappé
44
à la scolarisation obligatoire, et autant de jeunes femmes
livrées aux patrons satyres dont les affaires relatives à
leur droit de cuissage faisaient le régal des journaux.
Certaines passeraient au cinquième quart de la journée, doux
euphémisme qui signifiait leur prostitution.
— Dites-moi, Joseph, est-il possible d’obtenir un répertoire
qui regrouperait les ouvrières d’une usine donnée ?
— Non, je ne pense pas. Les contrats de travail sont une
exception, et beaucoup d’ouvriers changent constamment
d’employeur. Vous recherchez quelqu’un en particulier ?
— Non, non. Juste une idée.
J’évitai de céder à la tentation de dévisager ces femmes,
malgré certains traits gracieux qui avaient résisté à l’outrage
de la fatigue et de l’indigence. Les masses laborieuses
passaient sous la statue du fondateur du complexe industriel,
le doigt pointé vers le ciel, semblant tenter de guider ses
ouailles vers un futur des plus radieux. Le démiurge mettant
à genoux la nature, domestiquant ses ouvriers par les
semonces des contremaîtres... Tous ces travailleurs acharnés,
surnommés par Gueslin les « sans-culottes de l’an 79 » en
référence à la Commune, redressaient peu à peu l’échine en
rentrant dans leurs quartiers, reprenant leur rôle de vivier
des « classes dangereuses » aux yeux de l’Ordre, la civilisation
des élites.
Sous l’effet d’une intense crispation, je compris que
Gueslin m’emmènerait dans leur refuge, un tripot où je
pourrais patiemment attendre qu’il interpelle l’indic’ de
Carter.
En approchant, je constatai que l’endroit était parfai-
tement intégré à l’environnement : le minable caboulot
suintait l’alcoolisme par tous les pores de sa « peau ». Il fallait
espérer que mes manières guindées ne me trahissent pas dans
l’antre de la bête...
Idées de scénarios
Les anarchistes commencent à saboter les chemins
de fer, mais les accidents mécaniques préoccupent
davantage les voyageurs : bon prélude à une enquête
sur ces milieux révoltés contre le progrès.
L’Orient Express est un cadre idéal pour un roman
policier, à la frange de l’Europe et de l’inquiétante Asie.
Les gares, cathédrales du Progrès, sont aussi les cryptes
où nichent de nombreux trafics en tout genre, détour-
nements et pactes entre organisations criminelles.
La Route de la Révolte est une toile de fond
inépuisable pour vos aventures : complots contre la
bourgeoisie, bandes rivales, tueurs fous souffrant de
delirium tremens ou, pour les plus sournois, inspirés de
l’Éventreur, patrons sans foi ni loi pratiquant l’esclavage
moderne, industrie démente source de pollution et de
problèmes d’hygiène démesurés...
 Le Contexte

Boire dans le quartier latin Le nouveau cochon fidèle

Nous privilégions ici les établissements les moins
courus pour nous intéresser plus particulièrement aux plus
pittoresques.
Le café Médicis
Près de l’Odéon, peuplé de jolies serveuses en toilette
de ville. Jadis en uniforme romain, les dérives de la clientèle
aguichée ont conduit les autorités à remettre de l’ordre dans
la tenue de ces dames. Le dimanche soir voit l’affluence d’une
assemblée de collégiens, de polytechniciens et de saint-cyriens
prompts à déclencher le plus assourdissant des tintamarres.
Selon la légende locale, une jolie demoiselle de comptoir
– au nez si retroussé qu’il y pleuvait dedans – était devenue
la coqueluche des étudiants du coin. Parmi ses prétendants
se trouvait un porc (oui, vous avez bien lu, un porc) très
intelligent, ce qui lui valut sûrement la grâce d’un charcutier
sensible à son intellect. L’animal venait renifler avec passion
l’une des vitres du troquet chaque soir et gambadait, quand
cela lui était permis, devant le comptoir. Il mourut de
chagrin quand la belle blonde partit. Cette anecdote a dû
dérider les Courbet et les Manet qui écumaient les lieux. On
dit que Thimotée Trimm, chroniqueur du Petit Journal, y
composait ses colonnes les plus populaires...

Le Sénat Le Gil-blas
Malheureusement, les autorités morales de la ville sont ... et son célèbre rocher magique protégé par un carreau,
ici aussi passées dans le coin : les habits d’andalouses ont été café attitré des précieuses de Montmartre (il y en a encore !)
raccrochés au placard pour laisser place à des tenues plus dont le passe-temps consiste à déclamer des locutions latines
décentes aux couleurs de la France. Bigre... aux pauvres gueux qui les invitent : « Timeo Danaos et dona
ferentes ! » ; « Je crains les grecs, même quand ils font des
Café Delphine présents. »
Rue de Vaugirard. Le rendez-vous des
gommeux : ces jeunes arrogants, snobs et
ridicules. Encore un produit abâtardi du
fumier parisien, pire encore que ces dandys
de la Restauration.

Les Écossaises
Au boul Mich’. Le boulevard
Saint-Michel, quoi. Si vous passez les
molosses de la salle du haut, vous descendez
à la cave et là, bienvenue au café-concert
piano avec des chanteurs sortis du public !
Évidemment, la qualité n’est pas au rendez-
vous mais convenons que les petites serveuses
en costume de Flora Mac Grégor vous
donneront du baume au cœur... Quand on
les distingue à travers la fumée du tabac.

Le Bas Rhin
Toujours au Boul Mich’. En ces murs
plane la légende de Nini la Démocrate qui
avala, un soir de 1868, cinquante-cinq
bocks de bière, enterrant par-là même le
sot qui lui avait lancé le défi. Une stricte
hiérarchie entre buveurs d’ordre inférieur
et supérieur s’y est installée depuis.

La Taverne Alsacienne CAFÉ MÉDICIS

Allez y faire un tour pour un
brin de causette avec la propriétaire Dans une ambiance ROMAINE et
strasbourgeoise, rue Saint-Séverin. Elle a un cadre LUXUEUX, venez déguster
bien évolué depuis son arrivée en 1870 où nos boisons variées servies par de
elle n’alignait que deux mots : choucroute CHARMANTES serveuses.
et parapluie. Au moins une qui a fait
le bon choix entre nous et les casques à
pointes !

45
 5Prix des consommations courantes 6

dans les cabarets

yVin (le litre) yApéritifs

Rouge pur, « qui tache » : 0 fr. 15 à 0 fr. 71 Muscat : 2 fr. 50
Blanc pur, « qui tache » : 0 fr. 20 Quinquina : 2 fr. 30
Rouge ordinaire : 0 fr. 76 Vermout : 1 fr. 50 à 2 fr. 30
Rouge ou Blanc bon supérieur : 0 fr. 86 Madère : 2 fr. 80
Rouge Bourgogne honnête : 0 fr. 96 Grenache : 1 fr. 60
Algérie - Tunisie : 0 fr. 86 Porto : 2 fr. 75 à 5 francs
St Émilion (Bordeaux rouge) : 1 fr. 25 Anisette : 2 fr. 40
Château-Latour (Bordeaux rouge) : 6 francs Guignolet : 1 fr. 70
Morgon (Bourgogne rouge) : 1 fr. 75 Cherry Brandy : 2 fr. 90
Nuit St George (Bourgogne rouge) : 3 francs Bénédictine : 5 fr. 25
Chambertin (Bourgogne rouge) : 5 francs Bière : 0 fr. 50
Clôt de Vougeot (Bourgogne rouge) : 6 francs Eau de Vie : 0 fr. 50 à 2 fr. 50
Château-Yquem (Bordeaux blanc) : 9 francs Cognac : 3 fr. 80 à 14 fr. 80
Sauternes (blanc) : 2 francs Rhum : 1 fr. 20 à 3 francs
o
Meursault (Bourgogne blanc) : 4 fr. 50 Absinthe 65 : 1 fr. 75
o
Hermitage : 3 francs Absinthe 68 supérieure : 2 fr. 40
Genièvre : 1 fr. 80 à 2 fr. 80
yChampagne (la bouteille) Whisky Irlandais : 2 fr. 90
Whisky Écossais : 3 fr. 60
Moët et Chandon : 5 fr. 50
Veuve Clicquot-Ponsardin : 8 fr. 50 yDivers
Ordinaire marque « Phénix » : 3 francs Limonade : 0 fr. 55
Eau minérale Évian : 0 fr. 55
Eau minérale Vichy : 0 fr. 85
Eau minérale St Yorre : 0 fr. 43
 5Prix des consommations courantes 6

au café du coin
yPrix moyen, à majorer ou minorer jusqu’à
50% selon l’endroit
Café : 0 fr. 20 à 0 fr. 75
Supplément cognac dans café :
+0 fr. 10 la mesure
Thé : 0 fr. 40 à 0 fr. 50
Chocolat : 0 fr. 60
Bière brune (le bock ¼ litre) :
0 fr. 30 à 0 fr. 35
Bière Blonde (le bock ¼ litre) :
0 fr. 35 à 0 fr. 40
Absinthe : 0 fr. 25 à 0 fr. 50
Apéritif (Amer Picon, quinquina
Dubonnet, Guignolet, Byrrh) :
0 fr. 30 à 0 fr. 60
Chartreuse : 0 fr. 60
Verre de vin (le « ballon ») :
0 fr. 20 à 0 fr. 40
Glace : 0 fr. 75 à 1 fr. 50
Sirop à l’eau : 0 fr. 20
5Prix du tabac 6

yCigare
de luxe (la pièce) : 0 fr. 50 à 5 fr. 00
Cazadores (la pièce) : 0 fr. 20
Opéra (la pièce) : 0 fr. 30
Ordinaire (la pièce) : 0 fr. 12
yCigarettes (le paquet de 20)
Maryland : 0 fr. 60
Caporal : 0 fr. 60
Bastos : 0 fr. 80
Levant : 1 franc
yTabac à pipe
Scaferlati ordinaire (40 gr) : 0 fr. 50
Scaferlati supérieur (40 gr) : 0 fr. 80
Maryland (50 gr) : 0 fr. 80
Levant (50 gr) : 1 franc
Lumière
sur les personnages
Il était temps de se mettre à table !
« Quand je viens le soir à l’Académie,
Que j’demande un verr’, on m’le sert gaîment,
Et j’entends causer droit, anatomie,
Par des homm’s qui caus’, mais caus’ savamment.
L’un vous lit un poème, un autre deux odes,
C’n’est pas toujours gai, mais c’est amusant,
Il faudrait courir jusqu’aux Antipodes,
Pour trouver des gens qu’en puiss’ fair’ autant ! »
Paragot, ingénieur et poète habitué des caboulots
Dans l’antre du Rat
Un caboulot comme des centaines d’autres...
« Le Rat ». Un nom ma foi fort approprié pour le bouge
où j’avais échoué. Comme attendu, j’avais tout de suite été
dévisagé par les sinistres occupants de ce taudis, qui se tar-
guait pourtant d’être le meilleur bar du coin. Mieux valait ne
pas en savoir plus sur les autres : au royaume des aveugles...
L’atmosphère enfumée m’avait immédiatement agressé la
gorge. L’odeur si âcre des Maryland rendait l’air irrespirable,
sans pour autant incommoder les indigènes. On y buvait et
on y discutait mais calmement, comme si la pesanteur des
habitudes avait flétri l’élan fêtard de cette fin de journée. La
pénombre régnait au fond de la salle, contrastant avec les
lumières du côté bar.
49
Des gens de tous bords s’étaient donnés rendez-vous ici.
On y rencontrait quelques employés accoudés au comptoir,
servis par un cabaretier peu avenant qui grommelait sans
cesse dans sa barbe. Je m’installai à une table, dans un coin,
afin de ne pas attirer les soupçons et contempler l’ensemble
de la scène. Il faut dire que le discours sécuritaire de mon
collègue m’avait distillé le poison de la paranoïa.
Et pourtant... Les employés assis au bar semblaient
perdus dans leurs pensées. Le barbu regardait sur sa droite,
comme pour éviter de croiser le regard de son camarade qui
fumait sa pipe en fronçant les sourcils, songeant sans doute
à sa journée de travail acharnée dans un quelconque bureau.
Son troisième collègue n’était pas plus éveillé, le regard noir
sous l’ombre de son chapeau rond ; sa figure ne respirait
guère la sérénité d’un repos bien mérité.
C’était la misère en blouse, aussi laide que celle habillée
par les habits noirs des mineurs et des ouvriers. Ces employés
miséreux, d’apparence soignée, déjeunaient avec un petit
pain d’un sou, soucieux de ne pas grappiller sur leur budget
vestimentaire ou sur celui de leur épouse. La redingote, les
bottines et les chapeaux de soie n’étaient pas donnés, loin
de là. Il fallait faire le bourgeois sans en être un, subir les
réprimandes, les invectives et les grognements du patron
sans rechigner, de peur de ne retrouver aucun emploi avant
longtemps.
Le renvoi n’avait pas bonne presse dans le cercle fermé
des employeurs. La sagesse populaire assurait que, pour être
heureux, il valait mieux regarder non pas au-dessus mais
au-dessous de soi. Ces pauvres hères ne pouvaient même
plus délester leur peine sur les ouvriers qui les entouraient :
il n’y avait plus d’écart de richesse entre eux.
 Chapitre 3
Une étrange feuille de chou
Un client indélicat avait laissé sur place les reliefs de
son repas ; son pain avait été emballé dans un papier
journal maintenant sali. Heureusement, les tâches de gras
n’en altéraient pas la lecture. Il s’agissait du Colporteur, un
quotidien vendu à la sauvette à cause de son mordant satirique
qui déplaisait fortement aux autorités politiques et policières.
A en lire quelques lignes, je compris vite que Lépine semblait
être leur cible favorite.
Les gros titres insistaient sur les exploits de ces criminels
qui échappaient sans peine aux limiers du préfet. Le ton
employé m’amusa, alors qu’il aurait pu me décourager. Je ne
devrais pas chômer dans ce nouveau métier.
— On fait une remise sur les verres d’absinthe à soixante–
huit degrés, on a un nouvel arrivage en fin de semaine !
Les fonds de cuve doivent être vidés, un franc symbolique
le litre !
— On préférerait avoir la chanteuse de l’aut’ soir !
La Femme Fatale ! Au moins, c’est une meilleure compagnie
que la Fée Verte !
— Vous devrez attendre la prochaine venue du député.
Vous savez bien que l’une ne va jamais sans l’autre !
La remise annoncée ne déchaîna pas les foules. Seul un
homme se leva pour se diriger vers le bar, avant de héler le
tenancier. Il commanda un verre dans l’indifférence générale.
La figure du crime
« Vivre en cette fin de siècle, c’est n’être plus responsable,
c’est subir d’une façon presque fatale l’influence des temps et
du milieu ; c’est comprendre tout simplement sa petite part de
la lassitude et de la corruption générale ; c’est pourrir avec son
siècle et déchoir avec lui... Les consciences, complaisantes et
molles, trouvent une complicité bienfaisante dans l’affaissement
universel. C’est le règne des passions lâchées à toute bride, le
triomphe insolent de la perversité. »
L. Sérizier, Le Voltaire (4 mai 1886)
Je constatai une nouvelle fois à quel point les individus
sans vergogne aimaient à profiter de la détresse de leur
prochain. L’homme s’était avancé, un haut-de-forme vissé
sur le crâne, les mains camouflées le long du corps dans un
ample manteau. Il bouscula légèrement l’employé barbu qui
ne rechigna point. Un mouvement bref, quasi-invisible et
l’éclat de l’argent scintilla un moment à la lueur des lampes
à huile.
Cet homme, que je soupçonnais d’être un voleur,
pressentit ma curiosité malsaine ; il braqua son regard sur
moi pour me scruter. L’éclat maléfique qui s’en dégageait
me cloua sur mon siège. J’éprouvai du mal à me détacher
de ces yeux hypnotiques, terribles, et le temps parut se figer
pendant ce bref échange. A grand renfort de volonté, je
brisai le contact et baissai le regard, sortant maladroitement
mon manuel de l’enquêteur et les notes de Carter, comme
50
si rien ne s’était passé. La sueur perlait sur mon front. Je me
hasardai, bien plus tard, à relever les yeux. Le voleur avait
disparu, à mon plus grand soulagement.
Qui était-il ? Un simple tire-laine ? Un de ces gentlemen
dévoyés par la passion kleptomane ? Un détrousseur sans foi
ni loi, capable de toutes les extrémités pour satisfaire les exi-
gences de son art ? Je me plongeai dans la lecture des notes de
Carter pour me focaliser sur ma mission. Joseph était parti
chercher l’indic’ ; il était grand temps de me familiariser avec
les accointances de ce diable d’anglais.
Il avait établi des fiches anthropométriques de quelques
individus bien éloignés des figures de la criminalité.
Un député colonialiste, un médecin aliéniste, un prêtre
exorciste... Tiens, tiens... Voilà qui s’avérait intéressant. Il
avait établi la fiche descriptive de ce curieux prêtre que je
venais de quitter. Chaque fiche était copieusement annotée
d’éléments biographiques, comme si mon prédécesseur
prenait un malin plaisir à « croquer » les personnes qu’il
rencontrait.
Ses recherches constituaient un savant mélange entre
le travail de l’anthropomètre, du peintre et du romancier.
Chaque personnage y était décrit, mesuré, soupesé, et sa vie
personnelle était jetée en pâture aux lecteurs qui auraient
accès à ce dossier bien intimiste. On eut dit les marionnettes
d’un jeu étrange dont seul Carter définissait les règles. Je
sortis alors mon manuel de l’enquêteur qui me permettrait
de comprendre les caractéristiques de ces individus.
Je ne sais si les résidus de ma peur ou si les tiraillements
causés par ma curiosité en furent à l’origine, mais je me
plongeai dans cette auscultation pointilleuse de mes
concitoyens, faisant abstraction du reste.
Manuel de l’enquêteur :
création de personnages
« L’homme est formé d’une véritable confédération de
citoyens multiformes, hétérogènes et indépendants. »
Docteur Jekyll dans Docteur Jekyll et Mister Hyde,
de R.L. Stevenson
Les personnages de Crimes prennent toute leur
dimension dans le cadre de campagnes qui leur permettent
de se développer, de se nuancer et de gagner en profondeur.
La méthode développée vous guidera dans la métamorphose
de votre alter ego. Cependant, nul besoin d’une telle
introspection pour les simples parties indépendantes : votre
créature pourra se passer de ces apparats en demeurant
jouable. Vous seul décidez de l’accessoire et de l’inutile.
En cela, nous avons fixé des étapes optionnelles qui
serviront surtout aux PJ de campagne destinés à une certaine
longévité. Elles sont indiquées en italique dans le résumé.
 Les Personnages

Résumé de la création de personnage En effet, malgré les balbutiements de quelques féministes

pionnières, les femmes sont encore prisonnières d’une
N’oubliez pas que ce chapitre comporte des archétypes société qui les considère soit comme des mères vertueuses,
prêts à jouer ! soit comme des prostituées. L’importance accordée à la vertu
et à la virginité les écartèle entre ces deux extrêmes.
1. Déterminer une origine
2. Se faire un nom La fille publique détruit le patrimoine de son client
3. Choisir une profession bourgeois : fortune, honneur, lignée et sang sont mis à mal
4. Trouver un concept par des problèmes de coucherie. Les dandys fustigent les
5. Déterminer les convictions et la dimension sociale parisiennes, affolées par le luxe et l’élégance, faunesses des
6. Choisir un tempérament et une soupape psychotique temps modernes. Coincée entre la sacralisation de la chasteté
7. Choisir une passion principale, secondaire et tabou et la débauche la plus complète, entre une prétendue
8. Répartir les potentiels et les compétences faiblesse et la puissance d’une
9. Se munir d’un équipement approprié succube, la femme représente
un excellent défi pour les
joueurs exigeants.
Historique des personnages
Adoptez le même
Se faire un nom type de considération
si vous souhaitez
La première question à se poser peut sembler jouer un enfant, dont
incongrue, mais elle est néanmoins fondamentale : l’existence ne vaut que par
incarnerez-vous un homme ou une femme ? celle de ses parents. Le droit
lié à l’enfance commence
à voir le jour, mais votre
personnage devra subir
le patronage d’un adulte
Une vision référent.
de la femme ...
par un homme Ensuite, il vous faut un
prénom et un nom aisément
« On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme n’est
que réceptive. Elle est productive aussi par son influence sur identifiables. Peut–être ce
l’homme, et dans la sphère de l’idée, et dans le réel. Mais son idée patronyme figure-t-il déjà sur les fichiers de la préfecture de
n’arrive guère à la forte réalité. C’est pourquoi elle créé peu. police ? Il est d’usage, dans certaines communautés, d’affubler
son camarade d’un surnom moqueur ou affectueux. La liste
La politique lui est généralement peu accessible. Il y faut indicative de la page suivante est prévue pour soulager vos
un esprit générateur et très mâle. Mais elle a le sens de l’ordre, pannes d’inspiration.
et elle est très propre à l’administration. Les grandes créations
de l’art semblent jusqu’ici lui être impossibles. Toute œuvre
forte de civilisation est un fruit du génie de l’homme.

On a fait fort sottement de tout cela une question

d’amour-propre. L’homme et la femme sont deux êtres incom-
plets et relatifs, n’étant que deux moitiés d’un tout. Ils doivent
Bien choisir son patronyme :
s’aimer, se respecter.
Le nom d’un personnage est une étiquette qui
Elle est relative. Elle doit respecter l’homme, qui créé
permet, sans même le connaître, de l’associer à une
tout pour elle. Elle n’a pas un aliment, pas un bonheur, une
origine, à une appartenance professionnelle ou sociale.
richesse, qui ne lui vienne de lui. Tout est relatif. Il doit
Choisissez-le avec soin. Les personnages de Crimes
adorer, respecter la femme qui fait l’homme, le plaisir de
cachent souvent un passé trouble : le MJ peut accepter
l’homme, qui par l’aiguillon de l’éternel désir a tiré de lui,
les changements d’identité, les noms d’emprunt, ou les
d’âge en âge, ces jets de flammes qu’on appelle des arts, des
pseudonymes pour les filatures. Être dénué d’identité,
civilisations. Elle le refait chaque soir, en lui donnant tour à
c’est souvent avoir sombré dans la marginalité, se voir
tour les deux puissances de vie : en l’apaisant, l’harmonie ; en
coupé du tissu social.
l’ajournant, l’étincelle.
Enfin, choisissez un âge pour votre personnage et
Elle créé ainsi le créateur. Et il n’est rien de plus
terminez de remplir sa « carte d’identité ».
grand. »

Jules Michelet, La Femme (1859)

51
 Chapitre 3
2 Liste des patronymes de la Belle Époque
Noms de famille (sans inclure ceux, nombreux, repris
sur un prénom) les plus répandus :
Martin ; Petit ; Durand ; Richard ; Dubois ; Roux ;
Moreau ; Leroy ; Garcia ; Lefebvre ; Blanc ; Foumier ;
Girard ; Bonnet ; Morel ; Lambert ; Faure ; Rousseau ;
Martineau ; Dupont ; Leroux ; Mercier ; Lefèvre ; Garnier ;
Chevalier ; Guérin ; Legrand ; Gauthier ; Muller ; Perrin ;
Lopez ; Clément ; Boyer ; Robin ; Brun ; Masson ; Roy ;
Da Silva.
Quelques autres :
Delafaye ; Dumont ;
Gassonville ; Rigolet ; Cornet ;
Giquel ; Benaux ; Collin ;
Maistre ; Armangaud ; Nouvet ;
Parchevaux ; Bouché ; Rivry ;
Griselle ; Garandelle ; Beauvillain ;
Pavie ; Lenoir ; Millois ; Eméry ;
Lavet ; Daumain ; Levasseur ;
Mounier ; Fumeron ; Henry ;
Meurisse...
Noms de famille plus
guindés :
Favry de Saligny ; Fulgence
de Bury ; de Waziers...
Surnoms :
Louvre ; Clérac ; Bras d’Or ;
Momorency ; Tempère ; Belisle ;
la Cuisine ; Dupluque ; Pied ferme ; Saint Pourçain ;
Rencontre ; Casque d’Or...
Prénoms (masculins) classés par ordre de fréquence :
Jean ; Louis ; Pierre ; Joseph ; Henri ; Marcel ; Georges ;
André ; Paul ; René ; Charles ; François ; Émile ; Maurice ;
Albert ; Eugène ; Léon ; Lucien ; Jules ; Auguste ; Robert ; Fernand ;
Gaston ; Raymond ; Antoine ; Roger ; Marius ; Alfred ; Victor ; Ernest ;
Julien ; Gabriel ; Alphonse ; Camille ; Jacques ; Édouard ; Marie (prénom
composé, ex : Pierre-Marie) ; Gustave ; Edmond ; Alexandre ; Etienne ;
Adrien ; Félix ; Armand ; Michel ; Yves ; Claude ; Arthur ; Raoul ; Élie.
Prénoms (féminins) classés par ordre de fréquence :
Marie ; Jeanne ; Marguerite ; Germaine ; Louise ; Yvonne ;
Madeleine ; Suzanne ; Marthe ; Marcelle ; Maria ; Anne ;
Joséphine ; Eugénie ; Berthe ; Henriette ; Alice ; Hélène ;
Lucie ; Georgette ; Lucienne ; Renée ; Juliette ; Gabrielle ;
Anna ; Fernande ; Augustine ; Angèle ; Thérèse ; Catherine ;
Rose ; Blanche ; Andrée ; Léonie ; Antoinette ; Françoise ;
Élise ; Pauline ; Cécile ; Raymonde ; Mathilde ; Émilie ;
Léontine ; Charlotte ; Marie-Louise ; Julie ; Adrienne ;
Denise ; Claire ; Émilienne.
52
Recherche de noms étrangers
La base des patronymes français provient d’une
profession, d’une origine géographique ou d’une
particularité. Il en va de même pour les noms étrangers.
Il est aisé de trouver des sites de généalogie qui regorgent
de patronymes pour tous les pays. Cependant, en vue
d’une meilleure intégration, certains immigrés francisent
leur nom de famille. Ou alors, en témoignage d’une
nouvelle vie qui commence, ils inventent un patronyme
dérivé de leur surnom.
Par exemple,
pour les migrants italiens :
Barbabianca (l’homme à
la barbe blanche) ; Boccadoro
(bouche d’or) ; Gobbi (le bossu) ;
Grossi (le gros) ; Mancini
(le gaucher); Tozzi (le trapu) ;
Zoppi (le boiteux).
Ou encore, pour les juifs :
Jafé (le beau) ; Tarica (le fort) ;
Attar (le parfumeur) ; Schneider
(le tailleur).
L’origine
La société industrielle a rompu une partie des liens
communautaires traditionnels. Elle promettait à l’homme
moderne un brassage social sans précédent mais le voilà
finalement seul, abandonné, souverain de son propre malheur.
Nous vous proposons ici des origines sociales, mais
aussi géographiques. Les racines de votre personnage sont
déterminantes, car l’origine ouvre et ferme de nombreuses
portes dans la société policée du XIXème siècle. Elle révèlera son
statut dans les milieux qu’il sera amené à fréquenter. Les origines
sociales conditionnent souvent les convictions et les passions des
héros, qui n’ont plus que cette ancre pour ne pas sombrer dans
les eaux agitées d’un monde moderne sans repères.
Pourquoi l’origine est-elle déterminante ? Parce qu’un
orphelin aura du mal à s’intégrer chez des nobles, pour qui la
famille et les liens du sang sont essentiels. Parce qu’un immigré
sera probablement la proie de groupuscules xénophobes,
comme peut l’illustrer la rencontre du juif et de l’antisémite.
Ainsi, l’origine se révèlera un bagage tantôt positif, tantôt
négatif, toujours essentiel pour construire un personnage typé.
Il vous appartient de la choisir avec soin. Pour cela, quelques
exemples...
 Les Personnages

2 Origines sociales
« La classe moyenne est toujours un ferme champion de
l’égalité, quand il s’agit d’abaisser une classe située au-dessus
d’elle, mais elle en est un ennemi invétéré, quand il s’agit d’éle-
ver une classe située en dessous d’elle. »
O. Brownson (1840)
 La noblesse
Vous êtes issu de la noblesse, qu’elle soit d’épée en
remontant à l’époque féodale, ou de robe grâce aux largesses
octroyées par l’Ancien Régime. La fortune de votre « caste »
varie énormément selon le pays d’origine. En France, l’heure
est plutôt à la disgrâce. En effet : les nobles furent mis à
genoux, émasculés sous Louis XIV, qui les avait ravalés au
rang de vulgaires courtisans. Puis, finalement, le couperet
s’abattit sous la sanglante Révolution.
Aujourd’hui, sous la République, rien ne s’est arrangé.
Pour conserver la noblesse héréditaire, beaucoup de vos
comparses se sont enfermés dans les affres de la consanguinité,
prélude à une irrémédiable déchéance. Au pire montré du
doigt, au mieux ignoré, vous avez cessé d’être une élite de
la société ; pour cette raison vous cherchez à vous distinguer
par tous les moyens, afin de réconcilier noblesse sociale et
noblesse spirituelle.
Notez que l’appartenance à la noblesse n’influence pas
les convictions, qu’elles soient politiques ou religieuses.
Option pour le maître du jeu : un noble gagne 1 point de
potentiel social dans certains milieux huppés et le perd dans des
milieux plus indigents, républicains ou antimonarchistes.
 L’atavisme familial
Nous avons évoqué les ravages de
la consanguinité dans certains milieux
nobiliaires. Les théoriciens du déclin
de la race humaine ne manquent
pas d’évoquer ces curieux troubles
qui se transmettent des parents aux
enfants, pour se manifester ensuite
mentalement ou physiquement.
Ces stigmates laissent à penser que
Dieu a voulu punir leur lignée pour
quelque sacrilège oublié.
 La paysannerie
Écartons-nous des villes étouffantes pour se rappeler que
l’Angleterre est le seul pays au monde à rassembler autant de
citadins que de ruraux. L’agriculture est toujours une manne
pour la main d’œuvre du pays. Le « bouseux », le « plouc »
est tantôt tourné en dérision, tantôt porté aux nues par des
écrivains en mal de racines. On le voit volontiers naïf et
rustre : il n’en est rien. La scolarisation, le service militaire,
la généralisation de la presse et des chemins de fer achèvent
de désenclaver bon nombre de campagnes et d’ouvrir bon
nombre de consciences. Certes, l’homme des campagnes
est encore victime des images d’Épinal qui le situent entre
l’éternel paysan, la brute mal dégrossie, le bon sauvage et le
« Jacques » révolté. Il n’appartient qu’à vous de prouver votre
véritable valeur.
Option pour le maître du jeu : offrir au paysan 1D de
pénalité en social, pour représenter cette condescendance du
citadin envers son compatriote rural. En revanche, le personnage
a un point de moins en psychose de base, car il n’a pas encore été
corrompu par les vices urbains.
 L’ancienne aristocratie du travail
Cette origine se confond avec un panel de professions. Le
machinisme du XIXème siècle a enterré toute une aristocratie
du travail manuel, incarnée par les maîtres de corporation,
les artisans et les ouvriers qualifiés. Votre famille a traversé
cette douloureuse mutation avec regret, et vous conservez
toute votre rancoeur envers ce système industriel qui broie
l’individu et bâcle l’amour du travail bien fait.
Option pour le maître du jeu : les spécialisations en
compétence pratique (mental) coûtent un point au lieu de deux,
et les spécialisation de sciences du vivant (mental) coûtent trois
points au lieu de deux.

Option pour le maître du jeu :

vous faites partie de cette lignée. Vous
devez choisir soit un état psychologique
chronique conforme à votre inclinaison,
soit une déchéance. C’est le prix de
cette hérédité gênante. Vous pouvez
procéder au choix d’une déchéance dans
le chapitre 5. Vous avez, de surcroît,
une soupape psychotique de base.

53
 Chapitre 3
 La classe des déracinés
En insistant sur la mobilité des salariés, notre époque a
jeté sur les routes bon nombre de déracinés. On y trouvera
des étrangers, des bohémiens, des indigents, ou des immigrés
sans lien social rassurant. Ces classes dangereuses, présentées
comme telles par les autorités sont très surveillées, mal
accueillies et mal cernées.
Option pour le maître du jeu : un déraciné obtient 1D
de pénalité pour les compétences basées sur le social quand
son statut de déraciné est connu. En revanche, il a 50 points
de compétences à répartir, grâce à son expérience, contre
45 normalement.
2 Origines géographiques
 L’Allemagne
Un personnage allemand suscitera la méfiance des
français, avides de revanche face à leur débâcle de 1870. Cette
peur du rival teuton est à peine calmée par la démission du
chancelier de fer, Bismarck, en 1890. Le jeune Reich exige
maintenant une place au soleil sur l’échiquier colonial. Pour
information : de nombreuses allemandes étaient employées
comme domestiques dans les maisons parisiennes.
 L’Angleterre
Elle suscite plus la jalousie que le ressentiment. L’anglais,
perçu comme pédant et sophistiqué, se heurtera à un mur
d’incompréhension face aux français. Pourtant, un embryon
d’« Entente Cordiale » et une coopération policière naissante
entre les deux nations entraînent l’envoi de nombreux
sujets de Sa Majesté destinés à renforcer les commissariats
parisiens. L’agent Carter pourrait en témoigner.
 L’Irlande
L’irlandais est plutôt chéri par l’opinion publique
française, qui soutient ouvertement les appels au soulèvement
contre l’emprise britannique en se proposant comme terre
d’asile pour les indépendantistes devenus indésirables
outre-Manche.
 La Belgique
Ce pays, qui reconnaît enfin son bilinguisme
franco-flamand, est considéré de façon paternaliste par la
république tricolore, à l’inverse d’un Luxembourg ayant
préféré le Zollverein (Union Douanière) allemand.
 L’Italie
Encore une jeune nation en construction, encouragée
par le soutien français dans sa lutte pour l’unification.
Le démantèlement des états du Pape, réduits au seul Vatican,
jette les dévots du souverain pontife sur les routes de l’exil.
De même, la surpopulation et la pauvreté du sud font émi-
grer nombre d’italiens vers la France et l’Amérique.
54
 L’Espagne
Enlisée dans sa guerre contre les États-Unis, la perte
de ses colonies génère un fort appel à la renaissance
intellectuelle et morale d’un pays qui s’est reposé des siècles
durant sur ses rentes coloniales. Des espagnols migrent vers
la France, et certains tentent de prendre modèle sur lui pour
moderniser leur pays.
 L’Autriche
L’empire austro-hongrois tente de masquer sa décadence.
Le meurtre de son impératrice Sissi, le suicide de l’héritier à
Mayerling font craquer le stuc qui recouvre les palais de
Vienne, au crépuscule de sa grandeur. Nombre de nationa-
listes serbes, croates et macédoniens s’installent à Paris pour
semer, depuis leur exil, les germes de la sédition.
 La Pologne
L’immigrant polonais fait le deuil d’une nation qui
n’existe plus, essayant vainement de préserver son identité
face à la germanisation et à la russification qu’elle doit subir.
 La Grèce
Les nationalistes exultent depuis la proclamation de la
paix avec l’empire ottoman, qui met fin à la querelle des
frontières ayant suivi l’indépendance du pays. Paris regorge
d’hétairies grecques, très actives dans les milieux politiques
et culturels.
 L’Afrique du Sud
Encore des transfuges échappant à la domination
anglaise... Il s’agit cette fois des boers, des émigrants
hollandais qui ont déclaré la guerre à l’Empire pour préserver
leurs territoires du Transvaal. De nombreux boers déportés à
Ceylan et Sainte-Hélène ont trouvé refuge dans notre pays.
 L’Afrique coloniale
Les immigrés des colonies européennes sont peu nombreux
sur le continent. Ils sont souvent l'objet d’une curiosité
malsaine de la part de nos compatriotes. Quelques résistants
soudanais ou somaliens sont parqués dans nos prisons.
Cela est aussi valable pour les ressortissants de Madagascar et
de nos protectorats du Maghreb.
 L’Égypte
Elle reste sous la coupe britannique depuis 1882, bien
qu’elle héberge quelques quinze mille ressortissants français.
Une poignée d’égyptiens peuvent être rencontrés dans la
capitale, accompagnant les missions de nos plus fameux
archéologues et antiquaires.
 La Chine
Elle nous offre peu d’immigrants, plus occupés à
construire les chemins de fer américains. Pourtant, quelques
intellectuels ont visité notre pays, missionnés par l’empereur
pour moderniser la Chine. Les habitants du Siam français
sont plus nombreux, employés comme ouvriers dans les
expositions universelles.
 Les Personnages

 Le Japon
Il vous faudra beaucoup de chance pour croiser un
représentant de l’Empire du Soleil Levant, encore timide
dans son ouverture sur l’occident, mais à l’aube d’une
nouvelle ère (le Japon venant de mettre un terme à la guerre
menée contre le voisin chinois).
 Les Indes
Le parti du Congrès envoie ses étudiants les plus
brillants dans nos universités. Quelques maîtres spirituels
sont amenés par les sociétés religieuses comme l’Aryasamaj
et la Théosophie.
2 Déterminer les origines du personnage
Devant ce choix, le joueur peut éprouver certaines diffi-
cultés à se décider. Le hasard peut alors entrer en action grâce
aux tables suivantes.
La profession
Votre gagne-pain se limite rarement à l’enquête.
La plupart du temps, votre personnage se voit embrigadé
dans les aventures de Crimes à cause de ses compétences, de
ses rapports avec la justice ou par ses relations avec tel ou tel
milieu. Parfois, les évènements lui tombent dessus : même
sans avoir la fibre d’un Sherlock Holmes, il est alors bien
obligé d’y faire face.
Aussi, les PJ possèdent tous une profession, symbole de
leur insertion professionnelle et sociale. Certes, les équipes
d’enquêteurs et de criminels paraîtront bien éclectiques,
et vous pouvez légitimement vous demander ce que vient
faire votre loueur de viande face à un génie du crime, mais
la profession démontre bien que tous ces acteurs font partie
intégrante de la société du dix-neuvième siècle. Crimes
plonge des figurants ordinaires au coeur de situations
extraordinaires. Vous pourrez aussi piller, parmi ces
professions, des idées pour créer des PNJ « bien du cru ».

Pour vous faciliter la tâche, nous avons établi des

Origine sociale catégories de métiers. Pour s’écarter des images d’Épinal, nous
avons placé des activités saugrenues et oubliées par le lecteur
Lancez 1D10
du XXIème siècle. La liste n’est bien sûr pas exhaustive, mais
elle fourmille d’idées décalées pour pimenter votre création.
1-3 : famille d’employés
4-5 : famille d’ouvriers
6 : famille de petite bourgeoisie
7 : origine nobiliaire et/ou atavisme familial
8 : paysannerie
9 : ancienne aristocratie du travail L’influence de la profession dans Crimes
10 : déraciné
Considérer la profession comme un détail
pittoresque serait passer à côté d’un atout de Crimes.
Le métier détermine non seulement la classe sociale
du personnage – et conditionne, à ce titre, ses
rapports avec les autres (surtout dans la mesure ou
vos PJ proviendront de toutes extractions) – mais
il possède aussi des exigences avec lesquelles le PJ
Origine géographique devra composer : comment va-t-il gagner son pain ?
Lancez 1D10 Honorer ses commandes ? Évoluer dans sa carrière,
occupé qu’il est à chasser le coquin ? Certes, on ne
1-3 : personnage français (Ile de France) parle pas ici de super-héros, mais cette double vie est
4-5 : personnage français (province) essentielle à respecter. C’est là un point commun que
6 : Europe du Nord nos archétypes partagent avec les héros masqués.
De plus, le fantastique et l’horreur dans Crimes
7 : Europe méditerranéenne
jaillissent toujours de la routine, si possible la plus
8 : Afrique morne qui soit. D’où l’intérêt, en jouant des campagnes,
9 : Asie d’approfondir le quotidien de votre alter ego pour vous
10 : colonies émancipées (Amérique du Sud, en imprégner... afin de mieux le faire basculer.
USA, Canada, Australie)

55
 Chapitre 3

2 Choisir sa profession au hasard optionnel, et toute proposition de la part du joueur qui ne

Veillez à ce que votre tirage ne soit pas incompatible
avec l’origine de votre personnage, que vous déterminerez
juste après. Le joueur peut tirer autant de fois qu’il le
souhaite, jusqu’à ce que le résultat le satisfasse. Cette table
reprend uniquement les professions proposées. Ce tirage est
figurerait pas dans les choix proposés doit être examinée avec
attention.
Lancez 2D10, le premier dé indiquant le domaine et le
second le métier. Consultez ensuite la table ci-dessous.

1-3 : métiers de l’ordre

1 : porte-clefs
2 : rondier ou chasse-coquin
3 : sergent de ville 6 : commerce 9 : métiers de service
4 : gardien de la paix 1-4 : vendeur ambulant 1 : musicien ambulant
5 : moblot 5 : brocanteur 2 : artiste de cirque
6 : militaire 6 : camelot 3 : montreur d’animaux
7 : avocat 7 : chiffonnier 4 : théâtre
8 : huissier de justice 8 : fripier 5 : profession médicale
9 : juge de paix 9 : cabaretier non reconnue
10 : consul 10 : antiquaire 6 : profession médicale reconnue
7 : chemins de fer
4 : métiers des affaires 7 : paysannerie, alimentation 8 : autres transports
1-3 : secrétaire 1 : berger, boucanier, 9 : centraliste, gazetier
4 : intendant langueyeur ou homme affiche
5 : fort des halles 2 : charron et assimilés 10 : autres
6 : ménagier 3 : autre métier
7 : collecteur de l’industrie animale 10 : métiers indigents
8 : changeur 4-5 : boucher et assimilés 1 : mendiant
9 : agioteur 6 : fabrication d’alcool 2 : chemineau
10 : maître des forges 7-8 : vente d’alcool 3 : autre métier de misère
9-10 : restauration sur la voie publique
5 : domaine des connaissances 4 : lessiveuse
ou ordres religieux 8 : l’industrie et l’artisanat 5 : proxénète
1 : bachelier 1-2 : mineur 6 : voleur
2 : libraire 3 : métier de l’électricité 7 : fille de confiance ou nourrice
3 : journaliste 4-5 : artisanat 8 : ex-bagnard
4 : maître d’école 6-7 : métier du textile 9 : métier insolite
5 : précepteur 8 : travail du métal 10 : huissier de service
6 : directeur de conscience 9 : métier du bâtiment ou jocquier
7 : prêtre 10 : boulanger
8 : missionnaire
9 : bourdonnier
10 : ubiquiste ou ultramontain

2 Monde des affaires  Collecteur d’impôts : l’administration fiscale, ne

 Intendant : vous êtes chargé de l’administration d’un
établissement public (école, hôpital, commune...). Pour des
entreprises privées commerciales on parlera de caissier, et
d’économe pour une école privée religieuse.
disposant pas encore d’implantations suffisantes, doit
encore faire appel à des collecteurs privés chargés de la
répartition des assiettes sur une juridiction particulière.
Comme vous l’imaginez, un métier des moins appréciés par
la population...

 Agioteur : agent de change. Vous achetez des billets,  Ménagier : personne non domestique qui gère les
notamment sur les fonds publics, pour spéculer et en tirer profit. biens d’une famille ou d’une dynastie bourgeoise.

 Changeur : vous jonglez entre les francs et les monnaies  Fort des halles : non seulement manutentionnaire dans
étrangères, mais aussi avec les équivalents en or et en argent. des entrepôts, mais également responsable des marchandises,
L’or reste l’étalon de toute monnaie digne de ce nom. de la répression des fraudes, du contrôle de qualité, de
l’encaissement et de la facturation des taxes.

56
 Les Personnages

 Maître des forges : directeur financier d’une usine 2 Domaine des connaissances
métallurgique ou sidérurgique, aux ordres d’un baron de
l’industrie.  Bachelier : titulaire du diplôme phare de l’éducation
française (le baccalauréat) inscrit à la faculté.
 Secrétaire : nous terminons par la porte d’entrée de
ce monde, le secrétariat au service d’un financier ou d’un  Libraire : détaillant en nourriture intellectuelle.
banquier important. Éditeur et imprimeur occasionnel de livres avant la forte
concurrence de la presse. A rapprocher avec un autre métier
tout aussi passionnant : archiviste.
2 Métiers liés au maintien de l’ordre
 Journaliste : parfois peu enclin à la déontologie, traque
 Consul : surnom des juges occupés à régler les conflits les faits divers qui resteront les empreintes de ce siècle.
dans le monde du commerce.
 Maître d’école : hussard de la République, apporte
 Juge de paix : magistrat siégeant dans un tribunal à la jeunesse les vertus civiques, patriotiques et les clefs
d’instance, sur les affaires relatives au Code Civil. du développement de l’intelligence. On parle de recteur
d’école quand il a passé un contrat avec les membres de la
 Huissier de justice : il s’occupe de l’instruction des commune.
affaires de dettes et de leur exécution effective.
 Précepteur : chargé de l’éducation et de l’instruction
 Avocat : un agitateur défendant la plupart du temps générale des rejetons de la noblesse et de la bourgeoisie.
son client avec verve, et empêchant accessoirement les
magistrats de dormir aux audiences.  Directeur de conscience : écclésiastique dirigeant la
vie spirituelle de familles bourgeoises dévotes.
 Militaire : le bras armé de la République, tant pour les
guerres extérieures que pour les conflits intérieurs.
2 Domesticité
 Moblot : garde mobile, détaché spécialement pour les
risques d’émeutes. Cousin du prévôt des maréchaux, quant  Huissier de service : personne très loquace chargée
à lui brigadier de gendarmerie. d’annoncer le nom et les qualités des invités d’une soirée
mondaine. On le dénomme « aboyeur » quand il doit
 Gardien de la paix : premier grade du policier ayant appeler les voitures à la porte, et avertir ses maîtres de
l’honneur d’exercer dans Paris. l’arrivée des hôtes.

 Sergent de ville : honneur moindre de la police, qui  Fille de confiance : dame de compagnie, confidente
cantonne le sergent aux tristes banlieues. d’une dame ou d’une damoiselle de haute société.

 Chasse-coquin : une survivance médiévale ; employé  Nourrice : même rôle que la précédente, mais destinée
chargé de chasser les pauvres, mendiants et autres indésirables à veiller sur une personne d’un âge bien moindre ! Souvent
du territoire d’une commune. Plus généralement nommé envoyée par les bons services d’une recommandaresse.
garde-messier dans les campagnes.
 Jocquier : sorte de cocher conduisant une voiture en
 Rondier : vigile, gardien, employé par des entreprises postillon, monté sur l’un des chevaux de l’attelage.
privées.
 Lessiveuse : payée pour faire bouillir le linge avec les
 Porte-clefs : sobriquet désignant le gardien de prison. nouveaux détergents issus de la chimie moderne. La lessi-
veuse est souvent une camériste, simple femme de chambre.
 Exécuteur des sentences criminelles (ou guillotineur) :
nom officiel du bourreau, à l’heure de la toute puissante
guillotine. Accompagné d’un maître des basses œuvres qui
effectue ses tâches subalternes. Le dénommé « photographe »
veille quant à lui à la bonne tenue de la tête dans l’appareillage.

« Bourreau : dans certains états d’Amérique, ses fonctions

sont désormais assurées par un électricien. »

Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable

57
 Chapitre 3
2 Monde du spectacle
 Musicien ambulant : généralement solitaire, encore
appelé « chabretaire ». Peut être combiné au métier de
cirquassien, un artiste de cirque lui aussi ambulant.
 Prestidigitateur, ou encore escamoteur : petit magicien
vivant des quelques tours qu’il peut connaître. A rapprocher
des diseuses de bonne aventure bohémiennes.
 Ubiquiste : docteur en théologie formé à l’université
 Montreur d’animaux : on distingue le faiseur de tour de de Paris, mais libre de ses mouvements.
geai, qui fait parler son oiseau comme un mainate, le dresseur
de puces savantes, ou le montreur de singes et d’ours pyrénéen
(plus dangereux). La liste complète est bien plus longue...
 Le théâtre et ses acteurs : qu’ils soient dramaturge,
ouvreur de loge ou souffleur de textes, qu’ils donnent dans les
drames shakespeariens ou le Grand Guignol, les comédiens
de scène ne sont pas encore les victimes de cette incongruité
qu’est le cinématographe.
2 Les pratiques médicales
 Démonstrateur : éminent enseignant spécialisé dans une des figures de proue.
des disciplines telles que la botanique ou l’anatomie. Souvent
consulté pour des cas de maladies graves ou inconnues.
 Droguiste : épicier expert en plantes médicinales, et
surtout purgatives. Plus « pointu » que l’apothicaire qui, lui,
ne prépare que des remèdes généraux.
 Aliéniste : médecin de l’âme, en charge des affections
nerveuses et mentales.
 Médecin : individu titulaire de diplômes faisant de lui
l’héritier d’Hippocrate.
 Rebouteux : soigneur exerçant ses dons de guérison
sans aucune accréditation professionnelle. On l’appelle
également l’« adoubeur de corps humain ».
 Matrone : surnom de la sage-femme, très occupée en
ces temps de forte natalité.
 Désaireux : tâche ingrate consistant à désinfecter la
maison des malades en quarantaine (victimes du choléra, de
la tuberculose, de la peste...).
58
2 Ordres religieux
« Les missionnaires, mon cher ! Ne croyez-vous pas que les
missionnaires sont une nourriture dispensée par la Providence
aux cannibales indigents et sous-alimentés ? Chaque fois qu’ils
sont sur le point de mourir de faim, le Ciel, dans sa miséricorde
infinie, leur envoie un gentil missionnaire dodu. »
Paul Masson
 Prêtre : avec ses divers niveaux allant de l’acolyte au
prêtre, en passant par le diacre, le sous-diacre et le sacristain,
en charge de l’entretien et du culte d’une église.
 Bourdonnier : pèlerin ayant (ou pas) reçu les ordres,
et cheminant entre divers lieux saints.
 Ultramontain : sobriquet désignant un agent
diplomate du Vatican.
 Missionnaire : s’occupe autant de l’incroyance des
villes que de l’évangélisation coloniale, dont il est devenu
2 Métiers de service
 Ambulant : agent chargé de l’acheminement du
courrier postal, parfois trieur de lettres dans les trains. Relayé
par les courriers, qui apportent les lettres à domicile.
 Métiers liés au chemin de fer : l’ingénieur en reste
l’aristocrate, maître de la formidable machinerie à vapeur.
Chauffeurs et mécaniciens assurent le relais sur le terrain.
Les contrôleurs de billet, les lampistes et les gardes-barrière
parachèvent le dispositif. Quant au garde-frein, il aide
le chauffeur à actionner les freins qui ne sont pas encore
automatisés sur tous les wagons. Le bagottier, quant à lui,
porte les bagages des voyageurs fourbus dans les gares.
 Centraliste : opérateur qui connecte les usagers du
téléphone entre eux.
 Gazetier : distributeur des feuilles de nouvelles et
autres journaux, en concurrence avec les gamins des rues
qui revendent les feuilles de chou jetées sur la voie publique.
A relier avec les métiers du journalisme.
 Homme-affiche : ou sandwich, comme disent ces curieux
anglais. Déambule dans les rues avec une pancarte vantant les
mérites d’un produit ou d’un évènement particulier.
 Falot : service agréé par la mairie pour raccompagner les
passants, la nuit, à la lueur d’une lanterne. On croise souvent,
au petit matin, l’allumeur de réverbères.
 Les Personnages

 Les transporteurs urbains : d’abord, le cocher

généralement immatriculé en mairie, puis les louageurs de
voiture pour particuliers et plus rare, le wattman debout
dans son tramway, et le sémaphoriste réglant la circulation.

 Le marin : n’a pas forcément écumé d’autres mers

que... la Seine. Et pourtant, nombre de ses concitoyens le
considèrent comme un aventurier accompli.

 Les savoyards : des ramoneurs habiles, souvent

mineurs, qui évitent les problèmes d’intoxication dus aux
cheminées mal ramonées (la plaie de ces temps modernes
pourtant bien chauffés).

 Tireur et maître d’armes : font profiter aux bretteurs,

escrimeurs et combattants de leur science des armes blanches.

2 Les petits commerçants

 Le cabaretier : présente des mets simples qui vous

sauveront de la famine, basés sur la cuisine de sa région natale.

 Le brocanteur : spécialisé dans les vieux tableaux.

Le camelot s’intéresse aux bibelots sans importance, et
le chiffonnier va jusqu’à récupérer les vieux objets désuets, du
verre aux peaux d’animaux. Le fripier a, quant à lui, la bonne
idée de remettre en état des vêtements d’occasion, oubliant à
l’occasion l’interdit portant sur les fripes ayant appartenu aux
malades, aux victimes de meurtres ou aux noyés. Les coquettes de vie, revendue ensuite à leurs détaillants. Pour goûter
auront la bonne idée de courir après le marchand de modes à ce formidable artisanat qui fait la gloire de la France,
qui leur proposera taffetas, rubans, coiffes et d’autres objets rendez-vous chez un bouteiller pour déguster les vins, ou
affriolants, à moins qu’elles ne préfèrent attendre la visite bien chez le cabaretier ou le buvetier, patron de café.
à domicile des revendeurs à la toilette. Les hommes, plus
bricoleurs, se rendront chez le quincaillier ou le marchand de
ratières pour se débarrasser des rongeurs indésirables. 2 L’industrie animale et ses dérivés

 Les vendeurs ambulants : également appelés
« colporteurs », diffèrent selon les denrées qu’ils proposent.
Le caïffa essayera de vendre son café brésilien, ou le marchand
de coco ses tisanes (à compléter avec le marchand de darioles
et ses pâtisseries à base de flans).
 L’antiquaire : il tiendra avec le plus grand soin sa
caverne d’Ali Baba, où se côtoient ferrailles et trésors.
2 Les métiers de bouche
 Les bouchers : spécialisés dans le bœuf et le mouton.
Ils offrent parfois les invendus aux loueurs de viande qui
conservent les plus beaux morceaux pour les vitrines des
restaurateurs, et les mauvais pour l’intérieur du restaurant...
 Le charron : fabrique et répare les voitures hippo-
mobiles. Il est en contact étroit avec le maréchal ferrant, et
soigne occasionnellement ses bêtes avec l’aide du bistourneur
qui castre les chevaux d’équipage (ce qui lui permet de louer
ses véhicules). Au bout de la chaîne, les dépeceurs de
carrosses récupèrent les pièces des véhicules hors service.
 Le berger : monte parfois en ville pour vendre
son cheptel dans les grandes foires saisonnières, souvent
accompagné des boucaniers venus vendre la viande fumée
de bouquetins. Il y rencontrera le langueyeur, qui examinera
la bouche de ses porcs pour déterminer leur état de santé.
 La chasse est lucrative pour les braconniers, ainsi que
les pour empailleurs réalisant les trophées des plus grands
chasseurs.

 Les gosiers vides seront comblés par les brassiers :  L’hirudiniculteur : celui-là tient des contacts étroits
les fabricants de bière, les fabricants de blanc et leur avec le monde médical, pour lui vendre les sangsues qu’il a
fabuleux vin ; puis les brûleurs, qui oeuvrent dans l’eau pris soin d’élever.

59
 Chapitre 3
2 La paysannerie
 Le monde rural prédomine encore dans une France
à l’aube de son industrialisation. Les campagnes, greniers
des villes, recèlent leur panoplie de propriétaires terriens,
de fermiers et de laboureurs, qui emploient une manne
de journaliers et de manouvriers, véritable armée de « petites
mains » de l’agriculture.
 Les nourrisseurs de bestiaux : ruraux les plus communs
en ville, en raison des marchés à bétail qui pullulent à Paris.
 Les taillandiers : affûtent ou réparent les instruments
tranchants utilisés en agriculture.
2 L’artisanat et le monde ouvrier
 Le bluteur : seconde le boulanger dans son ouvrage,
offre le pain tant attendu par les hordes affamées.
 Pour le bâtiment, les carriers amènent les pavés si
souvent descellés par les manifestants en quête de projectiles
à jeter sur la police. Le briqueteur seconde le maçon dans
la construction et la réfection des immeubles. Le couvreur
assemble ou répare les toitures composées de tuiles, d’ardoises
et de pierres diverses.
60
 Le textile emploie les corsetiers, très courtisés par les
femmes. Ceux-ci ont recours aux coupeurs de cheveux,
qui assemblent de savantes perruques. Le parfumeur n’est
jamais loin d’eux. Le bougeonneur contrôle la qualité des
tissus fabriqués par les ouvrières du textile. Au sommet de ce
secteur, les canuts lyonnais sont les experts du travail de la
soie. Le mouton noir du textile reste le juré crieur, chargé
des manteaux noirs, draps et linceuls qui accompagnent les
morts dans leur dernier voyage.
 Le triomphe de l’industrie fait naître des métiers comme
celui du batteur d’étain, chargé de réduire ce métal en feuilles
très minces. Le padleur a la lourde charge de remuer le métal ou
le verre en fusion dans les creusets des fonderies. La plupart des
ouvriers sont encore itinérants et détiennent un livret, visé par les
autorités, où figurent leurs compétences.
 A part, mais également prisé des bourgeois : les fameux
culotteurs de pipes, qui travaillent main dans la main avec
les vendeurs de tabac. L’horloger et le faiseur d’instruments
(compas, montres, porte-crayons) sont des artisans raffinés, à
l’écoute de leur clientèle ivre de luxe.
 Une place de choix est à réserver au serrurier, si
souvent employé par les policiers dans leurs perquisitions.
 Enfin, pour vivre avec son temps, le réparateur de
câble électrique est une activité prisée de notre jeunesse,
bien que l’électricité demeure une technologie encore bien
dangereuse pour les têtes en l’air.
2 La mine
 La révolution industrielle se bâtit sur le charbon.
Le haveur extrait le précieux minerai des veines ; le bouteur
déblaiera les résidus après son passage. Aucun des deux ne
saurait travailler sans le bouveleur, qui creuse et entretient
les galeries, garant de la sécurité de chacun.
 Parfois, la dureté de la pierre nécessite le concours du
boutefeu, un manieur d’explosifs.
 Le galibot apprend le métier en effectuant des tâches
subalternes.
2 Les métiers de misère
 Les hordes de mendiants écument les villes, sous la
vile appellation de bribeurs. Il y a pourtant des moyens de
subsister par un travail honorable comme celui des...
 Chemineaux, qui errent de ferme en ferme pour louer
la force de leurs bras.
 Les Personnages
 Décrotteurs : ils enlèvent la boue de la voirie, activité
plus saine que celle du gadouard qui vidange les matières
fécales. Le décrotteur cire parfois les souliers des passants
endimanchés.
 Les souliers peuvent être réparés grâce au travail du
carreleur, qui raccommode les vieilles chaussures.
 Les écorcheurs de chiens et de chats récupèrent la
viande nécessaire aux restaurateurs les moins scrupuleux.
Avis aux plus gourmets d’entre vous : les tueurs de chiens
se chargent aussi de débusquer les animaux errants qui
pourraient véhiculer la rage.
 Plus pacifiques, les ramasseurs et trieurs de crottes
revendront les déjections de ces pauvres canidés pour
ensemencer les champs, ou faire macérer les peaux destinées
aux gants de soirée.
2 La voie de la délinquance...
 Métiers honteux et éhontés tel que celui du proxénète,
qui rançonne ses filles soumises jetées en pâture sur le
trottoir. La honte du métier, en comparaison des honorables
tenanciers de maisons closes.
 Les voleurs, ou arnaqueurs, prennent des formes
tellement diverses que nous ne pourrions vous en livrer un
aperçu satisfaisant...
 Une condition plus qu’un métier, mais qui colle à la
peau : celle du bagnard, ancien forçat ou récent évadé, qui
tente éperdument de retrouver une vie normale. Vous pouvez
relancer le dé pour déterminer sa profession antérieure.
2 Le royaume de l’insolite
 L’écouteuse de trépassés : une coutume bretonne con-
sistant à entrer en contact avec un mort récemment trépassé
pour transmettre ses conseils à la famille survivante.
 L’emballeur de refroidis : un surnom injuste conféré à
l’irremplaçable croque-mort.
 L’orpailleur : un doux rêveur qui passe son temps à
chercher de l’or dans les rivières.
61
Le fabricant d’asticots
— Que fait M. Salin ? Demanda M...
— Oh ! Il n’est pas au bureau de l’Assistance
Publique ! (être au bureau est une honte pour un
homme, dans ces quartiers de travailleurs.) C’est un
homme qui gagne joliment sa vie : il est fabriquant
d’asticots.
Nous avouons que nous ne nous y attendions pas.
Cette industrie nous parut exorbitante. Le fabricant
d’asticots dépassait de cent coudées notre imagination.
Nous craignions de n’avoir pas bien entendu, mais
certainement nous ne comprenions pas. Il nous fallait
une explication.
— Fabricant d’asticots ! Dis-je avec surprise.
— Mais oui... Vous savez bien, ces petits vers qui
servent â pécher.
— Je sais. Mais comment les fabrique-t-il ?
— Ah voilà ! Ce n’est peut-être pas trop propre,
cet état là, mais on y gagne sa vie. Il y a à Paris plus de
deux mille pêcheurs à la ligne : beaucoup de gamins et
pas mal de bons bourgeois établis ou retirés des affai-
res. Le père Salin a fait connaissance avec ceux-ci sur
le bord de l’eau. Il leur fait des asticots pour amorcer
toute l’année Pour cela, il a loué tout le haut de la
maison, un ancien pigeonnier. Il y fait macérer des
charognes de chiens et de chats que lui fournissent les
chiffonniers. Quand c’est en putréfaction, les vers s’y
mettent ; le père Salin les recueille dans des boîtes de
fer-blanc qu’on nomme calottées et il les vend jusqu’à
quarante sous la calottée. Vous voyez que ce n’est pas
bien malin à fabriquer. Mais dame ! Il faut un fier
odorat pour faire ce métier-là ! Tout le monde ne le
pourrait pas. Aussi ses journées sont-elles très bonnes
au commencement de la saison : il ne gagne jamais
moins de dix à quinze francs par jour et tout le reste de
l’année sept à huit francs. Mais ça n’a pas d’ordre, ça
aime trop à lever le coude (boire).
Alexandre Privat d’Anglemont, Paris Anecdote
 Chapitre 3
Le concept
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
Crimes puise ses racines dans la littérature du XIXème
siècle, que ses concepts ont pour but de retranscrire. Ils sont
utilisables par :
 Le MJ, qui peut s’en inspirer pour poser l’ambiance de sa
campagne et son style de jeu.
 Les joueurs souhaitant développer leur personnage sur plu-
sieurs aventures en lui offrant une direction, une voie, des
difficultés à surmonter et un objectif vers lequel tendre.
2 Décadent
« Le décadent est une vérité habillée de manière bizarre, un para-
doxe apparent qui ne veut pas être coudoyé par la foule, et qui court à
l’Extrême-Orient quand le feu d’artifice se tire au Couchant. »
Charles Baudelaire, L’Art Romantique
Cette fin de siècle est placée sous le signe du
décadentisme : l’Affaire Dreyfus, l’agitation politique, le
scandale de Panama montrent bien les craquelures fissurant
le vernis d’une République triomphante. Le scientisme trop
poussé et sa métaphysique, le matérialisme sont incapables
d’étancher la soif de spiritualité de certaines élites.
Le roman décadent est une désespérance teintée
d’humour noir, volontiers provocateur. Une déréliction
tragique, un pessimisme sur cette époque et ses relents
d’Apocalypse. Le personnage décadent ne cultive aucune
opinion, aucune valeur, aucun patriotisme. Il va même
jusqu’à renoncer à l’absurdité de son existence. Pour pallier
ce manque d’entrain, il se réfugie dans le spiritualisme,
l’occultisme ou les paradis artificiels, substituant à cette
réalité qu’il rejette un monde issu de son imaginaire.
Le héros décadent est donc une inversion du héros
épique : il est harcelé par la culpabilité, la mauvaise conscience
et ses désillusions. Il n’y a aucun Graal pour le sauver de ses
errances et de ses tâtonnements. Il est à la fois la victime
(par son goût de la nouveauté) et le vil contempteur de son
siècle, qui s’élève contre le positivisme et la bêtise ambiante.
Bien que porté sur le monologue intérieur, le personnage
s’investit parfois dans des situations à même de mettre ses
nerfs à vif : anarchie, révolte, mysticisme, exotisme...
62
Le personnage décadent ne possède pas de
convictions politique ou religieuse : il est trop
cynique pour cela.
La passion principale de prédilection restera la
« ruine » ou « soi ».
Le personnage possèdera au moins un point dans la
compétence mentale d’« occultisme ».
2 Naturaliste
La galerie des personnages naturalistes est gigantesque et
s’étend à toutes les classes sociales, avec une préférence au
« vulgaire » peuple que l’on décrit sans complaisance dans les
romans naturalistes. Ce type de littérature fut décrié comme
« sale » car il abordait sans romantisme aucun la dimension
sexuelle, voire animale de ses personnages. Ce versant
de Crimes correspond aux tonalités parfois désabusées,
sombres, pessimistes qui se dégagent de ces œuvres.
Les romans naturalistes prennent leur substance dans
l’actualité, dans cette Belle Époque où éclosent des fleurs
vénéneuses telles que Crimes. Paris en demeure le cadre
privilégié : siège des pouvoirs, des vices et des vertus, lieu de
toutes les tentations. Les milieux les plus élégants y côtoient
les plus sordides, sans véritable prédilection entre bourgeois,
domestiques, ouvriers ou aristocrates.
Il s’agit quasiment là du « mode par défaut » des
ambiances de Crimes. Le réalisme est poussé à l’extrême,
pour ne plus seulement donner une simple « illusion du
réel ». La littérature devient une grande vulgarisatrice des
progrès, en s’appuyant sur les dernières découvertes en vogue.
Mieux encore : le roman s’arroge le pouvoir de découvrir le
processus menant à la marginalité, les fondements d’une
âme désormais privée de Dieu, mais dont on ne veut pas
totalement se défaire. Pour disséquer les personnalités, on
a recours aux travaux de Charcot, à l’anthropométrie et à la
physiognomonie, à des raccourcis mathématiques : si A est
affecté du trouble 1 et que B est dévoré par la variable 2, dans
quelle mesure le croisement de A et de B sera-t-il touché par
ces déviances ?
Cette auscultation du social, du familial et de l’historique
des personnages épouse parfaitement le travail de nos
enquêteurs. La déchéance à l’œuvre dans Crimes prend
ses racines dans les théories de l’hérédité, qui viennent
contrebalancer le libre arbitre de chacun des protagonistes.
Le narrateur aime à classer, à expérimenter cette réalité avec
ses personnages qu’il traite comme des rats de laboratoire, des
espèces conditionnées par leur milieu. Cependant, le roman
arrive parfois à s’extraire de cette réalité « scientifique » pour
présenter une ébauche de légende des siècles. Le fantastique
est donc présent en filigrane, prenant sa source dans les
hypothèses parfois fantaisistes de la science de l’époque.
 Les Personnages
L’origine « atavisme familial » est grandement
encouragée.
Le MJ encouragera la composition d’une équipe
mixte quant à ses professions et ses origines sociales.
Le personnage devra posséder au moins un point en
compétences « sciences de l’homme » ou « société ».
Le recours aux monstres du chapitre 5 est en
revanche déconseillé.
2 Gothique
Les héros sont des victimes, les jouets de forces qui les
dépassent, l’enjeu d’une lutte d’où le diable sort souvent
vainqueur. Les personnages emblématiques du roman noir
sont souvent des prêtres, des nonnes, des garçons naïfs en
devenir, de jeunes filles éplorées jetées dans des cloîtres, des
diables incarnés sous des masques de tentateurs.
Les décors sont stéréotypés : donjons, souterrains,
cloîtres, châteaux sont les parangons de l’univers gothique,
basé sur la claustration de ses héros conduits sur les voies
obscures et terrifiantes d’un surnaturel qui va les engloutir.
A l’instar de l’époque médiévale, principale source
d’inspiration, les sentiments sont violents et démesurés.
On apprécie le jeu des masques, des déguisements et de
la duplicité qui révèle à un moment ou à un autre la vraie
nature des tentateurs. La foi en Dieu est mise à rude épreuve.
63
Vous trouverez sûrement ici un hiatus avec Crimes, terre de
scrupules ou d’incroyance. Il est peut-être temps de distiller
une nouvelle terreur religieuse à vos joueurs... Vous pouvez
également adapter le contexte pour le transplanter au début
du XIXème siècle, en pleine période post-révolutionnaire.
Ce type de roman est idéal pour développer le sel horrifique
de notre jeu.
Les convictions religieuses sont obligatoirement
chrétiennes.
Les personnages commencent l’aventure avec un
état psychotique intermittent à choisir dans le
chapitre 5.
2 Romantisme
Les personnages romantiques, dans la continuité
de leurs créateurs et auteurs, forment une génération
de contestataires survoltés qui refusent toutes les règles
politiques ou sociales. L’Homme est placé au centre des
préoccupations de ces jeunes nobles et bourgeois déclassés,
héritiers de la Révolution, qui estiment avoir le droit de
changer le cours de l’Histoire. Certes, leur vision du peuple
est idéalisée et condescendante : la femme y demeure la
victime consentante et crucifiée par l’amour, n’agissant le
plus souvent que dans le cadre de la sphère intime.
 Chapitre 3
Le Moi des personnages est mystérieux : ils souffrent
d’un trouble existentiel né d’une fissure dans l’édifice de
leur raison. Qui suis-je, que fais-je ? Ce Moi est torturé,
bombardé d’ennui, d’insatisfaction, d’impuissance, de
complaisance narcissique. Le personnage aime à se bannir
de cette société qui néglige les préoccupations personnelles
au profit des problèmes collectifs.
Les héros romantiques
restent foncièrement
malheureux et désabusés.
Les sentiments y sont
toujours extrêmes, voire
violents, même dans
leurs nuances. On n’est
jamais médiocre mais
sublime ; si on s’ennuie,
c’est « prodigieusement ».
On a bien souvent envie
de mourir, et d’ailleurs
on finit souvent par
le faire : que ce soit
d’amour, de désespoir,
d’incompréhension, d’une rage de dents...
Bref, on cherche à prouver par tous les
moyens qu’on existe, qu’on souffre, qu’on est heureux et
l’amour (pas forcément pour la femme) devient un passage
obligé pour cela. Il s’agit surtout d’une façon de se regarder
et d’apprécier la vision presque théâtrale que l’on offre de soi
aux autres. Le risque de sombrer dans le ridicule n’est pas
loin, et les auteurs de ce mouvement ne se privent pas pour
infliger ce traitement à leurs héros.
Les décors romantiques épousent les interrogations
des personnages : ils ont besoin de grands espaces. Gardez
l’image d’un être esseulé perché sur un promontoire rocheux,
bravant l’orage déchaîné, en exil dans un pays exotique... Il a
l’intuition d’une unité mystérieuse entre lui et le monde, et
cherche à réconcilier l’Histoire, la Nature et l’Humanité.
Contemporain de la veine gothique, le romantisme
agonise à l’époque de Crimes. Cependant, c’est un concept
parfait pour les campagnes historiques basées sur des
périodes glorieuses et troublées.
Les personnages ne peuvent choisir la conviction
« apolitique » (qui, malgré les apparences, est une
conviction politique à part entière).
La passion principale sera « l’amour » ou « soi ».
Le personnage commence avec 0 en psychose, mais
son seuil névrotique est abaissé de 1 point pour
compenser.
64
2 Romantisme noir
« Ici a commencé pour moi ce que j’appellerai l’épanche-
ment du songe dans la vie réelle. »
Gérard de Nerval, Aurélia
Ce courant, qui
relaye en partie la veine
gothique, possède des
connections fortes
avec les illuministes
tels que Swedenborg et
Hoffman. Il affiche un
certain goût pour les
atmosphères médiévales,
une fascination pour
les superstitions, une
dérive obsédante vers le
pittoresque, l’insolite,
le surnaturel voire le
fantastique.
Cette écriture, traversée d’angoisses et
de cauchemars, tente de capter nos terreurs enfantines en
réveillant ses superstitions et ses phobies. Un évènement
inexplicable survient dans le monde bien policé du réel,
et entre en conflit avec la raison du personnage. S’agit-il
d’une illusion des sens, du tribut d’une folie quelconque ?
Est-ce la traduction d’une réalité jusqu’alors inconnue du
personnage ?
Cette incertitude mine le héros et le fait pénétrer dans
le domaine de l’étrange. En doutant de la sorte, le personnage
ressentira souvent un sentiment de perte d’identité, une
défaillance de la mémoire, et il s’adonnera à une quête sur le
sens de son existence. C’est une descente aux enfers non plus
par le péché, mais par le songe et la folie.
L’identité du héros peut être dissimulée au joueur
qui doit, par tâtonnement, retrouver des éléments
de son historique et de ses passions. Pour ce faire,
le MJ décide des convictions et des passions du
personnage qui devra remplir sa feuille au fur et
à mesure de l’aventure. Le décor passe souvent
en second par rapport aux interrogations des
personnages. La clé de la résolution de l’enquête
passe davantage par la redécouverte d’eux-mêmes.
Les personnages commencent avec un état psycho-
tique intermittent à choisir dans le chapitre 5.
 Les Personnages
2 Roman réaliste
« Un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin. »
Stendhal, Le Rouge et le Noir
On y évoque un réel brut composé de fait-divers,
d’anecdotes tirées de l’actualité dans le but de dépeindre
une fresque historique et sociale. Le monde présenté se veut
une métaphore de la réalité, plutôt triste depuis qu’on a
abandonné les illusions révolutionnaires de 1848.
Les personnages évoluent essentiellement dans le milieu
bourgeois ou petit bourgeois, et ils sont décrits de manière
objective et sans complaisance. C’est le règne du paraître sur
l’être, avec l’importance soulignée de la réussite sociale et de
l’argent.
Les sentiments perdent de leur superbe : ils ne servent pas
à grand chose, et ridiculisent ou affaiblissent plus l’individu
qu’ils ne le grandissent. Les personnages n’idéalisent plus rien.
La femme peut être au centre de l’histoire, mais elle n’est pas
gâtée pour autant : on la démonte comme une mécanique
surfaite. On n’hésite pas à décrire le trivial ou l’abject sous
le prétexte du « réalisme ». L’ambiance est donc grise de par
l’ennui qu’elle distille, sans rédemption possible.
Utiliser un tel cadre pourrait s’avérer payant pour installer
une enquête policière classique dans un milieu aisé. L’horreur
viendrait alors de l’affadissement de cette société, de sa vilenie,
prenant corps dans les alcôves des bourgeois en mal d’idéaux.
Les personnages ne peuvent utiliser leur passion comme
moteur de dépassement pour améliorer leurs jets.
Les passions principales de prédilection sont « soi »
ou « ruine ».
Ne faites pas intervenir directement les monstres ou
les déchéances du chapitre 5.
2 Symbolisme
Nous avons gardé pour la fin un dernier concept
plus ardu à maîtriser dans l’univers de Crimes : le monde
symboliste. Il cherche à établir des correspondances, des
« synesthésies » entre le monde sensible et le monde idéal.
Tout y devient symbole, signe à déchiffrer, avec pour
postulat l’existence d’un monde « supra-naturel » autorisant
une lecture surnaturelle des évènements.
Les romans symbolistes ne comportent pas de lieu de villé-
giature particulier ; tout s’y estompe et se confond dans l’onirique
et le diffus. L’art devient la source de tout : voyez Maupassant et
son obsession de créer le Livre, unique, absolu, total, définitif,
avant qu’il ne sombre dans la plus obscure des folies.
65
Le personnage doit avoir au moins un point dans la
compétence mentale « occultisme ».
Il doit choisir un état psychotique intermittent dans
le chapitre 5.
Le MJ doit développer les thèmes sur la déchéance
décrits dans le même chapitre 5.
Les convictions
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
La glorieuse, mais néanmoins lointaine révolution de
1789 a eu deux conséquences heureuses : les hommes
devinrent des citoyens, et ils purent dès lors exprimer leurs
choix politiques ; en outre, la société se désacralisa et la foi
retourna dans la sphère privée de chaque individu.
Ainsi, les personnages possèdent des convictions qui les
situent parmi les multiples courants philosophiques d’une
époque versatile. Cela évitera de se retrouver avec des équipes
monolithiques, unies par une seule communauté de pensée.
Il serait dommage de priver votre personnage de ces libertés
chèrement acquises, et sans cesse remises en question. Nous
distinguerons donc les deux versants politiques et religieux
de ces convictions.
Interpréter ses convictions
dans Crimes
Le joueur est seul décideur concernant la vigueur de
la conviction religieuse revendiquée par son personnage.
Nous n’avons donc pas indiqué s’il devait être pratiquant,
croyant ou simple sceptique. Relisez l’article sur la foi du
chapitre 2. Cette foi n’a pas d’influence dans le jeu, le
chrétien du XIXème siècle n’étant pas plus préparé à une
confrontation avec le surnaturel qu’un autre personnage
(exception faite, bien sûr, de l’exorciste).
Les convictions politiques suivent ce même principe :
au joueur de décider s’il est un fanatique ou un simple
sympathisant. Plus la conviction est forte, plus les lignes
de conflit sont virulentes et plus le personnage doit s’y
préparer. Par exemple, un personnage antisémite sera
rapidement mis au ban de son équipe si sa conviction
n’est pas partagée ou si elle met en danger l’équipe.
Dans la réalité, rares étaient ceux qui avaient une
idée claire, limpide et déterminée de leur engagement
politique. L’antisémitisme primaire était réservé à des
élites qui distillaient leur venin à travers leurs journaux
de propagande.
Si un personnage est réellement extrémiste dans sa
conviction, le MJ peut décider qu’il ne pourra utiliser ses
compétences sociales face à quelqu’un qui ne partage pas
son opinion. Cela limitera la véhémence de certains !
 Chapitre 3
2 Convictions politiques
 Apolitisme : pour vous, la politique ne résout aucun
des défis de la modernité. Vous accueillez ces discours au
mieux par le silence, au pire par vos sarcasmes.
 Républicain : vous défendez ardemment les valeurs
véhiculées par la République et les droits fondamentaux de
l’homme.
 Boulangiste : vous êtes un ancien admirateur du général
Boulanger mis à la retraite depuis 1888, farouche adversaire
de l’Allemagne, général revanchard adepte d’un pouvoir
exécutif fort. A ranger dans la catégorie des populistes, ces
démagogues qui instrumentalisent le ressentiment de la
foule pour servir leurs propres intérêts.
 Bonapartiste : vous regrettez les beaux jours du
Premier et du Second Empire, encore attaché à la dynastie des
Bonaparte, selon vous synonyme de grandeur pour la France.
 Versaillais : vous êtes effrayé par les débordements
de la Commune de Paris et par ses relents révolutionnaires.
Vous défendez âprement les intérêts de votre République, sa
légitimité et son recours à la force pour mater les déviances
qui pourraient la menacer.
« Mourir pour son pays est un si digne sort
qu’on briguerait en foule une si belle mort »
Pierre Corneille
 Nationaliste : vous défendez envers et contre tout votre
idéal de peuple et de nation, en l’érigeant au-delà de tous les
autres. C’est un équivalent du patriotisme, mais avec une
connotation légèrement péjorative, dans le sens où votre nation
est amenée à se placer au-dessus de toutes les autres. Un côté
« offensif » que ne partage pas le patriote « défenseur » de sa terre.
 Militariste : vous faites preuve d’une dévotion
particulière pour l’héritage lointain de la Grande Armée, et
pour l’auréole de gloire qu’elle a laissée dans l’Histoire. Sans
pour autant accomplir un pèlerinage quotidien à l’Arc de
Triomphe, vous êtes convaincu de son infaillibilité et rêvez
d’une revanche contre la perfide Allemagne.
 Colonialiste : vous soutenez cette idée d’une France
rayonnante à l’étranger, partisan de sa mission civilisatrice
dans ses colonies et de leur nécessaire exploitation
économique.
 Blanquiste : malgré la disparition de son apôtre
Blanqui, vous défendez cette doctrine selon laquelle la
justice sociale passe par un syndicalisme révolutionnaire
afin d’améliorer la condition ouvrière. Vous n’êtes pas prêt
à passer 36 ans de prison comme lui, mais vous défendez
vaillamment vos positions humanistes. De nombreux
anarchistes ont déjà rejoint ses rangs.
66
 Communard : parce que vos parents ou vos proches
ont participé à la Commune, parce que vous vous y êtes
investi, vous regrettez cette expérience insurrectionnelle à
Paris, en 1871, qui vit la capitale gérée par des délégués
ouvriers et socialistes sans l’aide d’un quelconque état.
Malgré la grâce des prisonniers, cette révolte est toujours mal
vue par les pontes du pouvoir en place.
 Nouvelles doctrines sociales : le socialisme et le
communisme. L’un désire une amélioration des conditions
de vie ouvrières par les lois, l’autre par une révolution qui
abolira les classes sociales. Nombre d’entre eux se sont
retrouvés dans les rangs communards.
 Régionaliste/centriste : deux opposés démontrant votre
penchant pour les intérêts régionaux (visées autonomistes ou
autre), ou pour une défense acharnée du droit absolu de
l’État sur tout le territoire de la République.
 Antipatriotique : le traitement que vous a réservé cette
République, censée intégrer ses ouailles, vous a profondément
déçu. Vous comptez saisir la moindre opportunité de trahir
les intérêts de ce pays dévoyé.
 Antisémite : vous pensez que les juifs français, bien
loin d’être intégrés, sont une menace pour la survie de la
République dans laquelle ils se sont immiscés. Il vous faut
lutter contre ces maîtres de la conspiration !
 Cléricalisme : de par vos convictions religieuses, vous
êtes favorables à l’intervention du Clergé dans les affaires
publiques, malgré ces tendances persistantes à la stricte
séparation de l’Église et de l’État.
 Ultramontain : catholique fervent, vous prônez le
pouvoir absolu du Pape de Rome dans cette époque
gangrenée par le scepticisme religieux.
 Monarchiste : après le détachement de l’Empire
Romain, la France fut une monarchie et elle aurait dû le
rester. Vos profondes convictions chrétiennes font d’elle
la fille chérie de l’Église, battue à mort par l’Apocalypse
Révolutionnaire. Dieu a marqué du sceau de l’infamie
le régicide de Louis XVI, avant de plonger le pays dans
une succession de sanglantes convulsions. La Restauration
aurait pu lui redonner sa splendeur primitive, mais le virus
révolutionnaire était bien trop présent dans ses veines pour
en être définitivement extirpé. Vous composez tant bien que
mal avec cette République maudite mais vous espérez bien
un jour, par le sort des armes ou des urnes, restaurer un roi
sur le trône de Paris.
 Utopiste : doux rêveur ou visionnaire, vous êtes attaché
à définir une société parfaite, en générant des communautés
heureuses aux antipodes de ce qui existe dans la réalité.
 Les Personnages

2 Convictions religieuses

 Athée : déçu par votre éducation religieuse

et par vos attentes envers Dieu restées sans
réponse, vous niez en bloc l’existence de toute
divinité.

 Agnostique : pour vous, l’absolu est

inaccessible à l’esprit humain. La réelle nature
des choses lui est fermée à jamais et ce ne sont
pas les rites désuets de la religion qui aideront
à les percer.

 Chrétien (catholique, protestant,

orthodoxe) : votre appartenance aux grands
courants chrétiens correspond généralement à
votre origine géographique. Être catholique,
protestant ou orthodoxe dépend généralement de
la confession des parents.

 Anthroposophe : chrétien à l’origine,

vous n’avez de cesse de vous imprégner des
philosophies et croyances orientales pour
approfondir votre culture spirituelle (le système
anthroposophique est abordé dans le second
scénario du chapitre 7). La dimension sociale

 Mystique : vous recherchez activement le contact
physique avec toute forme de divinité. Votre religiosité passe
par la sensation et la transe.
 Juif : vous honorez la religion de vos ancêtres, celle issue
d’Abraham, malgré les vagues antisémites qui secouent certains pays.
 Animisme, chamanisme : issu d’une culture non
européenne, vous conférez une âme et une force spirituelle
aux animaux, aux phénomènes et aux objets naturels.
Le chamanisme vous incite à établir un contact avec ces
esprits par la transe, l’extase et les initiations propres à votre
culture.
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
L’urbanisation galopante n’a pas encore détruit toute
forme de sociabilité. Votre personnage n’a pas forcément
rejoint la horde de déracinés errant, hagards, dans les
boulevards de Paris. Ces individus ont un énorme handicap
puisque nous vivons à une époque où la famille, la fraternité
et le réseau de solidarité demeurent de précieuses aides pour
la survie. Être seul, c’est devenir une proie facile pour la
marginalité, le vice, la déchéance et la corruption. Voici des
pistes pour égayer la vie sociale de votre héros.

 Zen, Bushido, confucianisme, brahmanisme, yoga :
ressortissant de la gigantesque Asie, vous avez intégré ses sys-
tèmes spirituels tels que le Zen, forme de bouddhisme basée
sur la méditation active du corps et de l’esprit. Vous avez
adopté la voie du guerrier japonais, le Bushido, ou adopté
la doctrine de Confucius sur la soumission de l’individu à la
collectivité. Venu d’Inde, vous faites partie des brahmanes,
première caste du système hindou chargée de rites, ou bien
vous pratiquez le yoga, une discipline alliant divers exercices
physiques dans le but d’en tirer des bénéfices spirituels.
2 Déterminer ses liens sociaux par le hasard
Lancez 2D10, comme pour les professions, si le joueur
a du mal à choisir parmi la liste. Vous pouvez lancer deux
fois les dés pour avoir une base de deux liens différents.
Éliminez les jets contradictoires (mariage/célibataire), et
adaptez certains résultats selon l’âge et la profession de votre
personnage.
L’environnement social est distinct de l’origine,
qui concernait les ascendants du personnage et non ses
contacts.

67
 Chapitre 3

 Membre d’un cercle ou d’un club : la bourgeoisie

formait des assemblées de notables locaux, hebdomadaires ou
Liens sociaux mensuelles, afin de discuter politique ou économie à l’abri des
Lancez 2D10 regards inquisiteurs des femmes. En Angleterre on parle de clubs,
dans lesquels on ne peut être introduit qu’à l’aide d’un parrain.
1-3 : célibataire
4-5 : mariage  Membre d’une coterie : vous avez intégré un groupe
1-4 : aucun enfant de personnes peu recommandables : bande de voyous,
5-6 : un seul faux monnayeurs, trafiquants, voleurs organisés... Cette
7-8 : deux enfants appartenance vous engage à respecter un code de l’honneur
9-10 : au choix (voir le code viril dans les passions tabous) afin de protéger
6 : paria l’intérêt de cette communauté.
1-3 : bâtard
4-7 : déraciné  Club sportif : le sport en question dépendra de votre
8-10 : clandestin classe sociale (tennis, golf, lutte, vélo, boxe, haltères ou
7 : lien professionnel football). La culture physique aide à maintenir l’homme dans
1-3 : basoche une forme guerrière et à exalter ses attributs masculins.
4-7 : compagnonnage
8-10 : autre à déterminer  Conscrits du contingent : le service militaire est un
8 : membre d’un club certificat de virilité qui vous a fait connaître d’excellents
1-3 : club camarades, avec lesquels vous avez gardé contact. Grâce à
4-6 : coterie cette solidarité de caserne, vous vous êtes fait de précieux
7-10 : club sportif ou ludique alliés qui vous aideront en cas de problème.
9 : camaraderie
1-5 : conscrit  Camaraderie de chambrette : habitué de la « cham-
6-8 : chambrette
brette », cette arrière-salle de cabarets où les habitués se
9-10 : autre à déterminer
livrent à l’ivrognerie et aux grossièretés pour le plus grand
10 : membre d’un culte : à choisir en fonction
bonheur du voisinage, vous avez quelques camarades certes
de la conviction du personnage
peu recommandables, mais solidaires par les vertus de la
bouteille...

2 Liste des liens sociaux
 Le mariage : vénérable institution à la base de
l’ordonnancement de la société. D’amour ou d’intérêt, il
instaure une communauté de biens, cadre profitable pour
accueillir de possibles héritiers. Le conjoint est un allié
précieux dont la destinée dépend étroitement de la vôtre. Le
veuf et la veuve ont un statut particulier, car choyés par la
famille survivante.
 Le bâtard : que vous en soyez le produit ou le géniteur,
c’est une fêlure dans votre carapace sociale. Les liaisons
adultères sont sévèrement réprimées, menaces sérieuses pour
la paix sociale et l’économie des ménages. Le problème de
l’adultère est moins grave s’il met en cause une prostituée,
mais la progéniture n’a pas fini d’entendre des quolibets...
 Alliance : par le mariage, votre naissance ou un service
rendu, vous avez contracté une alliance avec une famille, une
fraternité, une secte religieuse qui pourraient vous aider dans
leurs domaines respectifs. Le joueur doit noter la nature de
cette aide.
 Basoche : fréquenter les gens de lois est une excellente
entrée dans le monde secret et confiné de la justice et de la
police de votre région.
 Compagnonnage : votre maîtrise d’artisan vous a fait
entrer dans un cercle d’élite composé des compagnons de
votre profession, un cercle de métier qui exalte les vertus de
solidarité entre ses membres.
 Membre d’un culte ou d’une société secrète : votre
recherche spirituelle ou votre engagement politique vous a
conduit à pousser les portes d’une société secrète dont vous
avez réussi l’initiation (les sociétés secrètes seront décrites
dans un prochain supplément de Crimes).
 Déraciné : après avoir fui votre lieu d’origine, vous
vous retrouvez sans lien social, libre de tout mouvement,
mais orphelin de toute possibilité de secours extérieur.
 Clandestin : immigré en France, volontairement ou pas, vous
ne pouvez compter que sur la solidarité de quelques compatriotes
pour vous soustraire au regard inquisiteur des autorités.
Ensuite, le joueur détermine la qualité de ses contacts.
En effet : plus le lien est fort, plus le contact aidera le
personnage en cas de coup dur. Pour débuter, un des deux
contacts possède 2D et l’autre 1D. L’utilisation de ce trait
fonctionne de la même façon que les compétences et se fait
avec le potentiel social (les règles sur les tests simples sont
approfondies au chapitre suivant).

68
 Les Personnages

Psychologie des personnages Le joueur choisit le caractère en déterminant les

Le tempérament, seuil de la psychologie
« Il n’y a plus d’opinions, il n’y a que des névroses ! Il n’y a
plus de vocations, il n’y a que des besoins ! Il n’y a plus d’appétits,
il n’y a que des gloutonneries ! »
trois paramètres. Inscrivez l’adjectif correspondant au
tempérament de votre personnage sur votre feuille d’aventure.
Il est souhaitable de l’interpréter dans ce sens. Une bonne
interprétation ne manquera pas d’être récompensée par le
MJ, ce qui vous donnera la chance de le faire évoluer plus
rapidement dans le sens que vous souhaitez.

Maurice Talmeyr, Les Gens Pourris, En Décomposition

Gérer le tempérament du personnage

2 Nomenclature de Jung
Même conseil que pour les
convictions : le tempérament
Comment définir un tempé-
est une indication, et non une
rament sans trahir l’infinie com- obligation d’interprétation du
plexité de l’esprit humain ? Nous personnage. Le tempérament a
avons pour cela décidé d’adapter deux fonctions.
la classification de l’éminent savant
Carl Gustav Jung, destinée à recen- 1. Dramatique : il permet de
ser les principaux caractères de nos jauger comment le personnage
se comporte et réagit aux
contemporains.
évènements, sachant qu’une
bonne interprétation globale est la
Trois paramètres entrent en clef de son évolution entraînée par
compte : les points d’expérience.
2. Simulationniste : car
1. L’émotivité du personnage : il détermine l’inclinaison
psychologique et donc les folies
sa capacité à s’émouvoir, à céder
possibles, et fixe les seuils de névrose
à ses sensations, à exprimer ses et la psychose de départ. Il n’y
sentiments de façon voyante. aura pas de « jet de tempérament »
2. Son activité : elle mesure sa dans le jeu, le tempérament étant
propension à agir ou à laisser les la matrice de tous les paramètres
problèmes se régler d’eux-mêmes. psychologiques du jeu.
3. Sa réactivité primaire ou
Il n’existe pas de « meilleure
secondaire : réagit-il au quart de
façon de jouer à Crimes », entre
tour ? Contient-il sa réaction pour adopter son propre tempérament
l’exprimer plus tard, après l’avoir ou tenter d’interpréter une
somatisée ? personnalité opposée. Les deux manières d’aborder
son personnage peuvent se révéler aussi satisfaisantes.
La détermination de ces paramètres nous mène à huit Seulement, mettre en scène son propre « caractère »
sera plus facile pour les joueurs débutants. Il serait
combinaisons possibles :
d’ailleurs amusant d’essayer de déterminer celui-ci
grâce à la classification de Jung...
 Émotif actif primaire = colérique, qui réagit vivement
dès qu’il est agressé ou offensé.
 Non émotif actif primaire = sanguin, au caractère
impulsif.
 Émotif non actif primaire = nerveux, facilement Le tempérament est théoriquement non modifiable, sauf
irritable. si des états psychologiques ou des traumatismes profonds
 Non émotif non actif primaire = amorphe, sans énergie s’attaquent aux tréfonds de la personnalité du PJ.
apparente, réagissant peu.
 Émotif actif secondaire = passionné, très impliqué par
ce que l’intéresse. 2 Inclinaison psychologique : l’épée de Damoclès
 Non émotif actif secondaire = flegmatique, gardant sa
sérénité de façade en toute circonstance. Le MJ et le joueur décident de l’inclinaison psychologique
 Émotif non actif secondaire = sentimental, avec une du personnage. Cette inclinaison est son tendon d’Achille : on
sensibilité parfois excessive. sait ainsi quel type de folies le menace. Cependant, le MJ peut
 Non émotif non actif secondaire = apathique, indolent très bien préférer dissimuler cette tendance afin de surprendre
et passif. le joueur, et laisser planer un doute quant à la nature de ses

69
 Chapitre 3
déviances. Si tel est son choix, nous avons établi – par souci
de cohérence – des rapports entre les types de tempéraments
et les tendances présentées ci-dessus :
 Colérique : paranoïaque, personnalité limite,
 Sanguin : personnalité limite, schizophrénique,
 Nerveux : paranoïaque, schizophrénique,
 Passionné : maniaque dépressif, anankastique,
 Amorphe : dépendant, anxieux,
 Flegmatique : anxieux, schizoïde,
 Sentimental : maniaque dépressif, dépendant,
 Apathique : schizoïde, anankastique.
Le MJ n’aura plus qu’à choisir parmi les inclinaisons
proposées. Afin de comprendre les subtilités de ces
inclinaisons et les états psychologiques qui en dépendent,
nous vous invitons à explorer le chapitre 5 dédié à la
psychologie et au surnaturel dans Crimes.
2 Détermination des seuils et des bases
Suivant leur tempérament, les
personnages ne réagiront pas de la
même façon aux stimuli extérieurs.
Face aux épreuves, certains bâtiront
une carapace difficile à briser, mais
une fois leur défense rompue les
chocs s’avèreront plus profonds. Le
total de psychose de base sera alors
plus important, représentant ces
traumatismes du passé.
Pour d’autres, habitués à
décharger leurs névroses plus
régulièrement, les blessures seront
plus bénignes. Néanmoins, cela
implique un faible seuil de névrose.
Ces personnages, plus nerveux,
souffrent également d’une angoisse
légèrement plus élevée.
 Colérique : angoisse de base : 2 ;
psychose de base : 1 ; seuil de névrose : 6
 Sanguin : angoisse de base : 2 ;
psychose de base : 1 ; seuil de névrose : 6
 Nerveux : angoisse de base : 2 ;
psychose de base : 1 ; seuil de névrose : 6
 Passionné : angoisse de base : 1 ;
psychose de base : 2 ; seuil de névrose : 7
 Amorphe : angoisse de base : 0 ;
psychose de base : 3 ; seuil de névrose : 8
 Flegmatique : angoisse de base : 1 ;
psychose de base : 2 ; seuil de névrose : 7
 Sentimental : angoisse de base : 1 ;
psychose de base : 2 ; seuil de névrose : 7
 Apathique : angoisse de base : 0 ;
psychose de base : 3 ; seuil de névrose : 8
70
Reportez les totaux correspondants à votre tempérament
sur votre feuille de personnage.
2 Soupapes psychotiques : la boîte de Pandore
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
Les soupapes psychotiques permettent d’amortir les
gains de psychose. Elles représentent des pratiques qui visent
à s’échapper de la réalité, ou au contraire à s’imposer une
discipline de fer indispensable pour se constituer un refuge
face aux évènements traumatisants.
Ces soupapes peuvent être des perversions, des conduites
additives ou des moyens de sublimation pour votre héros.
Nous les avons décrites intégralement dans le chapitre 4
pour ne pas heurter dès maintenant la sensibilité de nos plus
jeunes lecteurs. Vous pourrez y faire votre choix.
2 États psychologiques
et déchéances
« J’ai la terreur non pas de l’in-
visible mais de la réalité... C’est dans
la réalité que je deviens visionnaire...
C’est le passant, c’est la passante, les
anonymes même de la foule coudoyés
qui m’apparaissent dans des attitudes
de spectres, et c’est la laideur, la bana-
lité même de la vie moderne qui me
glacent le sang et me figent de terreur...
Je n’ai jamais vu nulle part plus igno-
bles caricatures du visage humain. »
Jean Lorrain, Le Possédé (1885)
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
Un nouvel enquêteur, dans Crimes, est en théorie
exempt de corruption. Pourtant, vous pouvez décider
de le créer avec certaines tares d’« origine », des « vices
de fabrication » dirait-on pour un objet. Ces tares sont
également décrites dans le chapitre 5, où sont compilés de
nombreux états psychologiques et déchéances qui pourront
être attribués à votre création.
N’oubliez cependant pas que ces troubles sont des traces
indélébiles et douloureuses, des marques de Caïn que votre
personnage traînera avec lui comme une lourde malédiction.
Sachez en user avec parcimonie, et n’y recourez qu’une fois
familiarisé avec les règles et le monde de Crimes.
 Les Personnages
En effet, souffrir de tels maux signifie que le personnage
entrera à coup sûr dans une exploration sans retour du
surnaturel de Crimes. De nombreux héros traversent encore
les zones lépreuses, urbaines et artificielles de ces territoires
chéris de la décadence. Ces errances leur font découvrir un
monde à l’agonie, sans espoir de rémission. Ils en deviennent
les pèlerins du néant, en quête d’une improbable et absolue
vérité. A vouloir trop évoquer les esprits, on finit par créer
ses propres démons...
Opter pour un modèle toute option ?
Il est déconseillé de créer, pour une première
participation à Crimes, un personnage affublé de
soupapes psychotiques, d’états psychotiques et de
déchéances. En effet : le joueur néophyte aura assez à
faire en se concentrant sur les autres paramètres de sa
feuille d’aventure, sans devoir déjà freiner le déclin de
son personnage.
Cette création « totale » est réservée à des joueurs
confirmés qui souhaitent débuter le jeu derechef
avec des personnages aboutis. En outre, il est plus
intéressant de découvrir ces faiblesses au fur et à mesure
des aventures : cela permet de mieux s’approprier les
évènements qui les ont causées. Une campagne sera le
cadre parfait pour tester ces « règles secondaires » de
Crimes, qui font basculer le jeu dans l’horreur pure.
Les passions ou l’élan romantique
« L’amour est un épouvantable jeu où il faut que l’un des
joueurs perde le gouvernement de lui-même. »
Charles Baudelaire, Fusées
2 Les six passions cardinales
La passion principale correspond à la grande orientation
du personnage. En effet, les héros de Crimes sont bien plus
expansifs que bon nombre de nos contemporains, et même
que de leurs contemporains : les êtres passionnés sont plus
nombreux dans les périodes révolutionnaires, sûrement exaltés
par l’idée du changement immédiat, du chamboulement et
du chaos instantanés. Les révolutions sont finies : désormais,
c’est l’ère de la duperie. Même les amants mentent, feignent,
et ce dans le plus grand des cynismes.
Ça n’est pas le cas de nos personnages. Ils sont ballottés par
les grands mouvements de leur âme, tels de grands romantiques.
Dénués de talents exceptionnels, ils ne peuvent compter que sur
leur opiniâtreté pour faire pencher la balance du destin. C’est là
qu’interviennent les passions comme moteurs de dépassement
du personnage. Les passions peuvent influencer le résultat de
certains jets, et transformer un échec en réussite.
71
Cela présente un avantage, mais aussi un inconvénient :
ne pas assouvir sa passion expose le sujet à des désordres
psychologiques. Ces passions sont comme le Rouge et
le Noir de Stendhal : dans le Rouge, elles se dévoilent et
légitiment les violences ; dans le Noir, elles se cachent pour
finir par exploser aux moments inopportuns.
Six passions principales sont disponibles dans Crimes :
 La ruine
Une tendance vers le chaos, vers la destruction de l’ordre
établi, de ce qui est beau ou trop bien construit. C’est une
passion terriblement humaine qui convient aussi bien à
l’Anarchiste qu’au Savant Fou. Cette passion se conçoit
comme une pulsion inconsciente, ou comme une réelle
propension au mal.
 L’absolu
Une passion qui semble absconse, une réponse au
matérialisme étouffant de cette société née de la Révolution
Industrielle. C’est une envolée métaphysique, philosophique
vers un absolu, une quête au-delà du monde tangible, une
attraction vers tout ce qui est occulte et mystérieux. L’absolu
rassemble aussi bien les membres de sociétés secrètes et leurs
gourous que les artistes visionnaires boudés par les galeries
d’art trop classiques.
 L’intrigue
Une attirance retorse pour la résolution d’énigmes dans
lesquelles le personnage, aimanté par l’enquête, approfondira
ses investigations pour assouvir sa curiosité inextinguible.
L’intrigue est l’apanage du criminologue... et des concierges
de bon nombre d’immeubles parisiens.
 Soi
Dans la solitude des grandes villes européennes, faire
attention à sa personne est-il forcément un désir coupable ?
Beaucoup de déracinés et de misanthropes ont choisi
de s’adonner à l’hédonisme et au narcissisme, dans un
monde où l’on doit souvent défendre ses propres intérêts.
L’heure n’est plus à la charité, on peut gonfler son Moi aux
proportions de l’univers ! Vous retrouverez pêle-mêle dans
cette catégorie le dandy, la figure politique et la courtisane
des salons guindés.
 Le don de soi
A chaque passion son contraire. Le don de soi répond à
l’élan de générosité qui tiraille les bons chrétiens, les classes
charitables, certains hommes politiques ou les médecins,
tous conscients du douloureux problème du partage des
richesses et de l’injustice sociale.
 L’ordre
De même, l’ordre représente l’antagonisme de la ruine.
Qu’elle lui soit préférable n’est qu’un détail philosophique. Les
personnages portés sur l’ordre sont enclins au conservatisme,
au traditionalisme. Certains aimeraient même revenir à
 Chapitre 3
des époques antérieures, comme les monarchistes, les
fondamentalistes religieux et consorts. L’ordre peut être le
trait des agents de police ou des simples cultivateurs, mais
nous ne souhaitons pas cultiver les stéréotypes...
nombreux autres. Vous pouvez être chauvin, cet attachement
à votre pays résultant d’une secrète admiration pour le camp
opposé. Nombre de nos compatriotes français sont chauvins
car ils jalousent les progrès de l’Allemagne.

Mis à part l’importance de son rôle dans le système, la
passion est une indication capitale pour le joueur. C’est grâce
à elle qu’il saura à quoi tient réellement son personnage ;
il pourra ainsi l’interpréter correctement. La passion
principale constitue un idéal : un député doté de convictions
monarchistes, avec une passion principale pour l’ordre, sera
un personnage particulièrement cohérent dont le verbe, sans
doute acéré, lui permettra de défendre son point de vue.
 La bibliophilie : les livres sont votre refuge depuis
votre adolescence. Clefs de la compréhension de l’univers,
ils sont vos fidèles compagnons de route au sein de mondes
imaginaires ou bien réels.
 L’activisme politique : vous comptez bien sur la
(relative) liberté d’expression pour imposer vos vues politiques
sur la société qui vous a vu naître.

Il est possible de changer de passion principale.  Les loisirs : si on abaisse le temps de travail, pourquoi
Cette possibilité est décrite dans le chapitre suivant, avec les ne pas en profiter pour s’adonner aux menus plaisirs de
gains de points de développement. l’existence ? Sport, jeux, discussions entre amis sont vos
principales sources d’enrichissement personnel.

2 Passions secondaires  La bamboche : du lundi au dimanche soir, la fête

Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.
La passion secondaire n’est pas un succédané de la
passion principale. C’est une caractéristique plus précise qui
correspond à une situation passagère, et qui peut varier avec
le temps. Contrairement à la passion principale, elle peut être
subie et non choisie ; elle peut aussi être assouvie, à l’inverse
d’un idéal jamais atteint. En voici des exemples.
 Le personnage possède une soupape psychotique comme
une perversion, une sublimation ou une conduite additive :
celle-ci devient automatiquement sa passion secondaire.
demeure la soupape grâce à laquelle vous évacuez votre
pulsion de noceur invétéré.
 Le confort matériel : vous comptez bien profiter de
la prospérité pour organiser votre petit confort. La richesse
et l’opulence n’ont jamais fait de mal à personne, bien au
contraire...
 Votre carrière : s’épanouir dans le travail, gravir les
échelons de votre métier, afficher une rigueur sans faille sont
les principales ambitions de votre personnage.

 Une passion principale qui vient nuancer la première.

 Le personnage, au cours de ses aventures ou dans son
historique, avoue une passion particulière pour une
personne, pour sa famille, pour une idée : elle devient
alors sa passion secondaire, tant qu’elle dure. Ça peut
être un sentiment d’amour particulièrement fort, une
haine, une jalousie ou un désir de vengeance dirigé vers
une personne, et non une inclinaison globale comme la
passion principale « don de soi ».

Il est parfaitement possible de combiner les deux, la

soupape psychotique étant classée à part sur la feuille de
personnage. Dès qu’une passion secondaire est atteinte, elle
est désacralisée et s’écroule, laissant la place à une autre...

Voici quelques pistes pour trouver des passions

secondaires, hors des cadres précédents.

 Le patriotisme : vous êtes attaché à votre pays ou,

s’il n’existe pas encore, réceptif aux discours nationalistes.
Ce pourrait être le cas des peuples de l’empire austro-hongrois
(serbes, macédoniens, bosniaques...), des irlandais et de

72
 Les Personnages

fin’amor des chevaliers, cet amour platonique est destiné

à masquer l’odieux spectacle d’un désir charnel dévoilé.
Gestion de la passion secondaire Ce tabou empêche donc le personnage de se livrer à tout acte
de nature sexuelle.
Il est préférable de limiter ces passions secondaires
à une, voire deux au grand maximum. En effet : on  L’érotisme : l’érotisme du XIXème siècle est basé
ajoute déjà à la passion de base des soupapes psycholo- sur le surhabillage et sur les parfums violents arborés par
giques, certains états psychologiques et des déchéances,
ce qui rend suffisamment compliquée la composition
les femmes de petite vertu. La brigade des mœurs veille :
du personnage ! Imaginez votre héros obnubilé par son la nudité est rare, mis à part dans quelques endroits peu
travail, épris d’un sentiment de culpabilité, appréciant recommandables de Montmartre. Dans le langage usuel les
la morphine et avec pour péché mignon le canniba- termes grivois sont bannis, le
lisme ! Le MJ devra choisir les passions à conserver. corps garde une grande partie
de son mystère. S’embrasser
sur la bouche en public
2 Tabous était encore répréhensible
il y a vingt ans. L’étau
« L’amour fait de l’homme d’aujourd’hui, dans sa hâte des interdits religieux et
de jouir, un damné effroyable au corps miné par les névroses, puritains empêche donc
aux chairs suppliciées par les luxures, qui halète sans cesse sous les personnages avec ce
la passion qui l’étreint et lui enfonce les griffes dans la peau. » tabou de s’abandonner à
leur curiosité naturelle
Octave Mirbeau, Le Calvaire, (1886) envers l’amour
charnel.
Inutile si vous ne jouez pas en campagne ou avec les règles
complètes.  Donner la
mort : fidèle au pre-
La société européenne du XIXème siècle est extrêmement mier commande-
codifiée. La rigidité de la séparation entre classes sociales ment, vous accordez
transparaît dans l’éducation des enfants et les codes sociaux une grande valeur
qui régissent ce que l’on peut ou ce que l’on ne peut pas à la vie humaine,
faire. Cela génère un ensemble de passions interdites, quelle que soit la
honteuses, qu’un aliéniste autrichien du nom de Freud perversion et la
dénomma « tabous ». Certains tabous concernent une bonne décrépitude de
partie de l’humanité : l’inceste, le cannibalisme en sont de votre victime
bons exemples. D’autres sont réservés à des sociétés ou à des potentielle.
groupes sociaux particuliers.

Le tabou doit être choisi avec soin : c’est un acte que

le personnage doit absolument éviter s’il ne veut pas entrer
en conflit avec lui-même ou avec la société qui l’entoure.
Parfois, les circonstances l’y contraignent (comme le fait de
devoir tuer quelqu’un), quand ce ne sont pas ses pulsions
(tabou sur le sexe). Le tabou peut même entrer en contra-
diction avec la passion principale, ce qui ne manquera pas
d’occasionner des dilemmes cruels pour le joueur... et de
pimenter son interprétation !

Voici des exemples tirés des codes sociaux de la Belle Époque :

 L’acte sexuel : force est de constater que l’éducation

en la matière est lacunaire. Les credo de la société puritaine
voudraient faire de la femme une bonne mère, et de
l’homme un père responsable éloigné de ses tendances de
satyre. Une certaine hypocrisie tolère pourtant les écarts
de ces messieurs avec les prostituées afin de préserver
l’harmonie conjugale. L’acte sexuel est souvent sublimé,
tout abandon à l’érotisme doit être évité. Comme dans le

73
 Chapitre 3
 La traîtrise : trahir les intérêts de ses amis, de ses
réseaux de solidarité est bien la dernière infamie dans
laquelle vous désirez sombrer.
 L’honneur (sens masculin) : il consiste à ne pas tolérer
un affront qui porterait atteinte à tout ce qui fonde la dignité
de l’homme. En effet, l’honneur est une vertu essentielle
dans la vie professionnelle et sociale, où les positions se font
et se défont aussi vite que les réputations.
 L’honneur (sens féminin) : il concerne la vertu,
la dignité de la femme respectable. Cet honneur lui est
accordé par un homme, qu’il soit le père ou l’époux.
Beaucoup de femmes s’érigent contre cette domination, mais
ont néanmoins conscience de l’importance de la réputation
au sein de leur maisonnée. La plupart d’entre elles joue donc
avec cela, contre bon vent mauvaise fortune.
 L’honneur (filial) : de nombreuses familles se saignent
pour offrir à leur rejeton une éducation destinée à conserver
une certaine condition sociale, ou bien au contraire à s’en
affranchir. L’honneur filial repose sur la crainte de s’être
montré ingrat envers sa famille, qui s’est ainsi sacrifiée.
 Le code viril : il reprend les canons de l’enseignement
des garçons pour l’appliquer aux adultes ; défense de
moucharder, savoir endurer des conditions difficiles, éviter
le lèche-botte, être solidaire envers sa fraternité...
 La sentimentalité (masculin) : aucune passion, émotion ne
doit transparaître du garçon ou de l’adolescent. La sentimentalité
doit rester l’apanage des filles et de ces imbéciles de romantiques.
Pleurer est la dernière chienlit qui puisse vous arriver.
Résumé : les passions
 Avantage : moteur de dépassement améliorant les réussites
aux jets de dés, source de points d’expérience.
 Désavantage : si elles sont inassouvies, causent des gains de
névrose au personnage.
 Passion principale : parmi 7 générales, un idéal vers lequel
tendre, unique.
 Passion secondaire : peut être assouvie, on peut en avoir
deux maximum.
 Tabou : à éviter absolument, sinon : cause des troubles
psychologiques graves.
Deux mesures : potentiel et compétences
Les potentiels comme sommes de possibilités
Le potentiel représente la somme de possibilités pour
votre personnage dans un domaine particulier :
74
 Le physique comprend sa force, sa résistance, son agilité,
sa souplesse, sa coordination musculaire.
 Le mental résume ses aptitudes intellectuelles, sa volonté,
sa résistance psychique, sa vivacité d’esprit et son astuce.
 Le social est un subtil mélange entre son apparence phy-
sique, son charme et l’aura qui se dégage de lui.
Ces potentiels indiquent ce que le personnage est
capable de faire dans l’absolu, mais le monde de Crimes
est éprouvant et ses valeurs pourront baisser au cours de
l’histoire.
Votre personnage disposera d’un potentiel à 3, d’un
second à 4, et d’un dernier à 5 points, à répartir comme
vous le souhaitez entre ces trois domaines. La moyenne
humaine étant de 3, votre alter ego est au-dessus de celle-ci,
mais il ne soutient pas la comparaison avec d’autres hommes
d’exception (sans parler de certains êtres au-delà de son
imagination...)
Les compétences
Les compétences représentent les savoir-faire du
personnage : elle s’utilisent avec un potentiel particulier.
Ce n’est pas forcément une relation d’inné et d’acquis. La
logique et la mécanique du système plaident en faveur d’un
équilibre entre la compétence et le potentiel associé. A quoi
bon faire l’acrobate, si votre potentiel physique vous limite ?
Pourquoi vouloir apprendre la cryptographie si vos facultés
mentales ne suivent pas ?
2 Degrés de maîtrise
Il y a 3 degrés de maîtrise des compétences accessibles
aux humains normaux.
1. Novice
2. Pratiquant
3. Maître
Pour vous représenter le niveau de maître, voici quelques
experts au sommet de chaque discipline.
 Combat physique : Vidocq
 Cirque : Robert Houdin
 Sport : Alvin Kraenzlein
 Traque : Dr Ian Livingstone
 Larcin : Arsène Lupin
 Sciences abstraites : Pierre et Marie Curie
 Sciences du vivant : Louis Pasteur
 Sciences de l’homme : Jules Michelet
 Occultisme : Charles Fort
 Pratique : Gustave Courbet
 Intrigues : Sherlock Holmes
 Société : Mata Hari
 Les Personnages
2 Spécialisation et compétence hermétique
Une spécialisation indique votre domaine de prédilection.
Vous ne pouvez être spécialisé que dans un domaine où
vous êtes maître. Vous obtenez automatiquement une
spécialisation gratuite lorsque vous passez maître dans une
compétence, les autres doivent être achetées.
La compétence hermétique représente un savoir-faire
qu’on ne peut utiliser sans posséder la compétence adéquate.
En terme de jeu, on ne peut tenter une action qui relève
d’une compétence hermétique.
2 Coût
Un personnage dispose de 45 points à répartir de la
manière suivante :
Degré de maîtrise désiré Coût en points
Novice 3  Larcin (physique)
Pratiquant 9 Utilisable pour les actions discrètes
Maître 18
Nouvelle spécialisation 2 - Camouflage : rester immobile, tapi, ou bouger discrè-
Liste des compétences (avec le potentiel par défaut) et de leurs
spécialisations. Les compétences hermétiques sont en italique.
 Combat (physique)
Utilisable pour n’importe quel conflit physique
- A mains nues : lutte, savate, arts martiaux orientaux, etc.
- Armes blanches : comprennent toutes les lames
utilisables, y compris les armes de jet
- Armes à feu : extensibles théoriquement au matériel de
guerre et à l’artillerie
 Sport (physique)
- Équitation : prévoir un degré de maîtrise supérieur
pour les cascades
- Escalade : consiste autant à se hisser le long d’une
façade qu’à l’ascension des pentes enneigées
- Natation : ne pas être compétent signifie être capable
de se débrouiller en milieu aquatique, mais risquer la
noyade dès que les conditions deviennent difficiles
75
 Cirque (physique)
Utilisable pour les « cascades » physiques
- Acrobatie
- Jonglage
- Funambulisme : être capable de tenir en équilibre sur
n’importe quelle surface étroite ou glissante
- Évasion : réussir à dénouer ses liens ou à s’échapper
d’un endroit clos
 Traque (physique)
Utilisable pour des jets impliquant la vigilance
- Chasse : applicable dans des contrées naturelles avec un
animal comme proie
- Survie : résister dans les milieux difficiles
(désert, contrée glacées, forêt tropicale, etc.)
- Pistage : trouver et interpréter des traces physiques
(empreintes et autres)
- Piégeage : fabriquer des pièges pour attraper, blesser sa
proie
tement dans un endroit sombre ou une cachette
- Crochetage : déverrouiller des serrures avec le matériel
adéquat
- Discrétion : passer inaperçu, ne pas se faire repérer
parmi la foule
- Mimétisme : se faire passer pour quelqu’un, imiter une
personne du cru et, à l’inverse, détecter quelqu’un grimé
sous un déguisement
 Sciences abstraites (mental)
Utilisables pour tout raisonnement intellectuel abstrait
- Mathématiques : esprit de logique
- Cryptographie : étude et résolution des codes secrets
- Astronomie
 Sciences du vivant (mental)
Utilisables tant pour la théorie que pour la pratique
- Sciences naturelles : le monde du vivant, dans
ses aspects théoriques ou pratiques, est la souche
des autres compétences ou spécialisations possibles
(botanique, zoologie, physique)
- Médecine
- Pharmacie : discipline de l’apothicaire, préparation
d’onguents et détermination des composants de produits
naturels ou chimiques
- Aliénisme : étude et soin des maladies et affections
mentales. Demande une forte dose d’empathie et de
psychologie
 Chapitre 3

 Sciences de l’homme (mental)  Société (social)

Combinent toutes les sciences étudiant l’homme et sa société Implique toute compétence liée aux relations sociales

- Administration : fonctionnement, organisation de - Journalisme

l’état français et de ses fonctionnaires, de la vie civique
d’autres pays, des statuts de grandes entreprises...
- Anthropologie : combiné à l’ethnologie, étude pratique
des cultures extra-européennes et de leur système
d’interprétation du monde
- Histoire : comprend également des notions de
géographie, peut être fragmentée selon des périodes
précises (Antiquité, Moyen-Âge, époque moderne ou
plus contemporaine)
- Théologie : exégèse des textes sacrés chrétiens, mais aussi
éléments d’étude de religions comparées
- Diplomatie : autant dans sa dimension institutionnelle
(le Quai d’Orsay) que dans son aspect pratique de
négociation
- Politique : connaissance des mouvances politiques,
et surtout articulation d’idées convaincantes en la
matière
- Rhétorique : produit un discours élaboré ou un simple
baratin
- Séduction : utilisable non seulement dans sa dimension
amoureuse, mais aussi pour séduire quelqu’un par sa
prestance, par son charisme intrinsèque

 Occultisme (mental)
Pratiques ésotériques hermétiques
- Magnétisme : science des fluides, des énergies invisibles
(magnétisme, radiesthésie, tellurisme) à relier avec la
physique
- Spiritisme : étude et invocation d’esprits morts ou
désincarnés
- Bonne aventure : terme générique pour les techniques de
voyance (l’horoscope zodiacal, les tarots, la chiromancie
sont d’autres spécialisations possibles)
- Langues hermétiques : langages ésotériques oubliés ou
codés destinés à déchiffrer les écritures occultes
 Pratique (mental)
Implique tout savoir-faire manuel
- Art : qu’il soit peinture, poésie, architecture, sculpture...
A rattacher ou non avec un mouvement artistique de
l’époque
- Conduite : des divers moyens de transport de l’époque
(a la base, inclut les voitures hippomobiles ou
motorisés à l’électricité, à la vapeur ou à l’essence)
- Photographie : le matériel est très lourd et les temps de
pose très longs (photographie artistique ou plus pratique,
pour immortaliser la scène d’un crime, par exemple)
- Contrefaçon : fabriquer, reproduire un objet à
l’identique
Accompagner le joueur dans ses choix
Le joueur disposera d’une latitude restreinte pour
ajuster ses potentiels et ses compétences après la
création de son personnage. Il est donc primordial qu’il
réfléchisse longuement à ce que son personnage saura
ou ne saura pas faire.
Veillez à ce que ses choix s’accordent avec la
profession qu’il aura choisie, afin d’obtenir un alter
ego cohérent. De même, le concept offre des pistes
importantes : un héros de roman noir ou décadent
devrait avoir des notions d’occultisme, quand le héros
naturaliste aura à cœur d’acquérir des notions scientifi-
ques pour soutenir sa confiance dans le progrès.
C’est aussi de votre responsabilité de MJ. Si vos
scénarios portent davantage sur l’enquête indiquez-le
aux joueurs, qu’ils privilégient les notions d’intrigue...
Enfin, il subsistera toujours des situations où
la compétence ne pourra être associée au potentiel
correspondant. Votre bon sens vous dictera alors le
meilleur choix !

 Intrigues (social)
Combinent toutes les compétences liées à l’enquête

- Connaissance du milieu : corruption, argot des rues,

monde criminel local...
- Criminologie : connaissance des clés du phénomène
criminel et de certaines théories criminelles,
répertoriées plus loin dans ce chapitre
- Méthodes policières (ou criminalistique) : inter-
rogatoires, balistique, graphologie, anthropométrie,
chromatographie...

76
 Les Personnages

L’équipement
L’équipement, rançon
de la civilisation matérielle ?

Voici un aperçu de l’équipement

disponible pour les enquêteurs de
Crimes. Afin d’éviter de vous perdre
dans les méandres de nos listes, nous
vous offrons des « compositions »
selon quelques profils types, plutôt
que de vous faire perdre du temps
à composer un choix souvent
fastidieux.

2 Le dandy mondain,
prédateur des salons
bon chic bon genre

 Habillement
- Gilet en tricot de coton fin (3 fr. 25)
- Cravate en satin (1 fr. 60)
- Brodequins élégants en cuir (23 francs)
- Souliers en daim (12 fr. 25)
- Chapeau haut de forme (15 francs)
- Costume de ville en drap fort genre anglais (46 francs)
- Pardessus de ville : drap fantaisie à rayures,
forme droite (40 francs)
- Complet de conduite auto en tissu vosgien
imperméable (70 francs)
 Produits d’hygiène et de beauté (prix de 1891)
- Eau de toilette intime (2 fr. 40)
- Huile superfine pour cheveux (2 fr. 50)
- Poudre de riz contre le hâle (2 fr. 25)
de 8 chevaux Dion Bouton (8 200 francs)
avec pharmacie de bord (9 francs), couverture
en laine (16 fr. 50), carte routière Taride (2 francs),
guide de voyage Baedeker (6 à 18 francs l’unité),
livre Les Pannes en Automobile (1 fr. 75)
2 La fille de bonne famille, échappée de sa gynécée
 Habillement
- Costume féminin genre « touriste » (40 francs)
- Canne-cravache pour parfaite écuyère (13 fr. 50)
- Pyjama en flanelle (12 fr. 50)
- Parapluie élégant (9 fr. 25)
 Produits d’hygiène et de beauté

 Journal (prix de 1900) - Cosmétique fixateur Le Bâton (2 francs)

- Le Journal des Débats Politiques et Littéraires,
quotidien (10 centimes) : 17, Rue des Prêtres
St-Germain – L’Auxerrois
- La Lanterne, quotidien (5 centimes) : 18, rue Richer
 Armes et assimilés
- Canne-épée (9 francs)
- Fleuret d’escrime (8 francs)
- Pistolet de duel : calibre 44, 1 coup (75 francs)
 Divers
Moyens de transport à disposition (prix vers 1901)
- Phaéton (véhicule découvert sans capote,
avec deux sièges parallèles tournés vers l’avant)
- Glycérine pour peaux délicates (2 francs)
- Savon dulcifié Les Trois Pains (5 fr. 75)
 Journal
- Le Courrier du Soir, quotidien (5 centimes) :
30, Faubourg Saint-Honoré
- Le Figaro, quotidien (15 centimes) : 26, rue Drouot
 Armes et assimilés
- Aiguille à cheveux (1 franc)
- Cravache (3 fr. 75)
- Éventail japonais avec lames d’acier effilées camouflées
(48 francs)
- Pistolet de poche Gaulois : pour l’autodéfense,
petite taille, calibre 8, 5 coups (40 francs)
- Cartouches inoffensives, lot de 25 (2 francs)

77
 Chapitre 3

 Armes et assimilés
 Divers
- Couteau de chasseur (8 francs)
- Lanterne magique (projection d’images animées) - Piège à fauves (78 francs)
- Piège pour petits animaux (11 francs)
 Moyens de transport à disposition - Mousqueton Lebel Africain pour gros gibier
(éléphants), calibre 405, 5 coups (220 francs)
- Voiture à deux chevaux (5 000 francs)
ou coursier seul (3 000 francs)  Divers

- Lit pliant
2 Le chasseur engagé dans un safari africain - Bandage élastique
- Lanterne
 Habillement - Guide Baedeker sur le pays visité (18 francs)

- Costume colonial en toile kaki grand teint, inusable,  Moyens de transport à disposition
avec poche revolver à droite, veston à col droit
et ceinturon (22 fr. 50) - Chaise à porteur
- Casque colonial en liège recouvert de toile (8 francs)
- Pardessus Pelisse en fort drap feutre imperméable,
doublé de fourrure d’opossum (130 francs) 2 L’ouvrier ayant fini sa journée de travail

 Produits d’hygiène et de beauté  Habillement

- Brillantine pour la barbe (2 fr. 50) - Bleu de travail (15 fr. 50)
- Élixir dentifrice des Chartreux, grand flacon (2 fr. 90) - Casquette en drap sergé (1 fr. 25)

 Journal  Journal

- L’Univers et le Monde, quotidien (10 centimes) : - L’Aurore, quotidien (5 centimes) :

17, rue Cassette à Paris 142, rue Montmartre
- La Patrie, quotidien (5 centimes) : - Le Colporteur, quotidien propre à Crimes
12, rue du Croissant à Paris (10 centimes) vendu à la sauvette dans la rue
(interdit de publication)

78
 Les Personnages
 Divers  Journal

- Cure antialcoolique - La Croix, quotidien (5 centimes) : 8, rue François 1er

- Armes et assimilés - Le Temps, quotidien (15 centimes) : 5, Bd des Italiens
- Barre à mine (5 fr. 80)
- Couteau de boucher, 19 cm de lame (1 fr. 40)  Divers
- Hachette (3 francs)
- Poignard (12 fr. 25) - Laudanum (analgésique dérivé de l’opium)
- Trousse de médecin
 Moyens de transport à disposition - La règle et le compas à glissière indispensables
à l’anthropométrie
- Transports en commun

2 L’enquêteur en mission

 Habillement

- Costume de ville en drap léger

avec veston et pantalon long (38 francs)
- Pardessus de ville en laine (50 francs)
ou manteau de voyage avec
pare-poussière en gabardine (26 francs)
- Canne-matraque (11 fr. 50)

 Journal

- La République Française, quotidien

(10 centimes) : 24, rue Chauchat
- Le Petit Journal, quotidien (5 centimes) :
61, rue Lafayette

 Armes et assimilés

- Sabre, dotation militaire (34 francs)

- Pistolet de brigadier municipal (police) :
calibre 8, 6 coups (43 francs)
- Cartouches, lot de 25 (2 fr. 75)

 Divers

- Appareil photo « portable »

- Menottes

 Moyens de transport à disposition

- Transports en commun : pris en charge

par la préfecture en temps de mission  Armes et assimilés

- Parapluie-ombrelle élégant (9 fr. 25)

2 Le prêtre dans sa cure
 Moyens de transport à disposition
 Habillement
- Transports en commun
- Chasuble de prêtre d’apparat (50 francs)
- Costume civil de prêtre à col fermé (25 francs)
- Gants à manchettes (3 fr. 40)
- Canne de promenade moyenne,
en bois de Macassar (3 fr. 50)

79
 Chapitre 3

2 Le monte-en-l’air dans sa routine illégale  Moyens de transport à disposition

 Habillement - Transports en commun, gratuitement

quand c’est possible
- Chemise en tissu grossier (3 francs)

 Journal Liste de prix complémentaire

- Le Colporteur, quotidien propre à Crimes

(10 centimes) vendu à la sauvette dans la rue car interdit 2 Quelques prix en 1914
de publication (acheté seulement pour les caricatures)
 1 kg de pain : 0 fr. 42
 Divers  1 kg de pommes de terre : 0 fr. 17
 1 kg de beurre : 3 fr. 02
- Diamant pour couper les vitres  1 kg de margarine : 2 fr. 40
- Nécessaire pour crocheter les serrures  1 douzaine d’oeufs : 1 fr. 24
- Allumettes  1 litre d’huile d’olive : 1 fr. 47
- Corde de chanvre  1 kg de gruyère : 2 fr. 78
- Chaussures escamotables  1 litre de lait : 0 fr. 27
- Valises de cambrioleur  1 kg de sucre : 0 fr. 86
 1 kg de boeuf : 2 fr. 01
 Armes et assimilés  1 litre de vin de pays : 0 fr. 46
 1 paire de chaussures : 16 fr. 50
- Poudre noire (1 kg = 15 francs) avec mèche  1 ressemelage complet : 4 francs
lente imperméable (1 fr. 50)  1 complet pour homme : 50 francs
- Sarbacane (3 fr. 80) avec fléchettes soporifiques  1 manteau dame : 30 francs
(unité = 1 fr. 50)  1 paire de drap fil de coton : 16 francs
- Revolver de stand de tir, calibre 6, 12 coups,  400 gr de savon de Marseille : 0 fr. 35
tir au coup par coup (42 francs)  100 kg de charbon : 5 fr. 20
- Cartouches, lot de 250 (3 francs)  Journal quotidien : 0 fr. 10
- Coup de poing américain (1 fr. 70)  Le kilomètre de train en 3ème classe : 0 fr. 05
 Le timbre pour lettre : 0 fr. 10
 Le m3 de gaz de ville : 0 fr. 20
 Le paquet de tabac gris de 40 gr. : 0 fr. 50
 La coupe de cheveux : 0 fr. 30
 Le m3 de bois de sapin : 1 fr. 95

2 Quelques indices de richesses

Dépenses annuelles de la famille :

couple bourgeois de Seine-et-Oise (vers 1885)

 Alimentation : 7 000 francs dont vins

et liqueurs 1 300 francs
 Frais d’entretien de la maison (éclairage,
chauffage, blanchissage, repassage...) : 6 000 francs
 Gage des 8 domestiques : 5 000 francs
 Cadeaux et charité : 3 000 francs
 Chevaux et voitures : 2 000 francs
 Bibliothèque : 500 francs
 Divers (dont habillement) : 6 500 francs
 Total : 30 000 francs

80
 Les Personnages

 Dépenses annuelles de la famille ouvrière de base,

quatre personnes dont un fils apprenti (1885)

 Alimentation : 1 800 francs dont pain 432 francs,

avec en plus viande pour ragoût : 234 francs,
pommes de terre, légumes et fromages : 594 francs,
déjeuner des enfants hors du foyer : 540 francs
 Blanchissage : 62 fr. 40 avec en plus linge
et vêtements : 200 francs
 Chauffage et éclairage : 80 francs
 Loyer : 200 francs
 Total : 2 342 fr. 40

 Le budget d’une famille ouvrière de Lille

Un ouvrier chevilleur qui gagne 2 francs par jour. Sa

femme est dentellière et gagne 1 franc par jour. Ils ont quatre
enfants, l’aînée a dix ans.

 On mange 24 kg de pain : 5 fr. 40

 La viande est trop chère ; ils ne mangent
que des débris de viande, 3 fois par semaine : 0 fr. 75
 II n’y a que le père qui mange du beurre, 250 g
par semaine : 0 fr. 50
 Mélasse et des fruits : 0 fr. 80
 Pommes de terre et haricots : 1 franc
 Lait (un demi-litre par jour) : 0 fr. 50
 Loyer (il habite une cave à 3 mètres au-dessous du sol) :
1 fr. 50
 Charbon : cette consommation est un peu forte, parce
qu’il faut faire sécher le linge au feu : 1 fr.35
 Savon et éclairage : 1 fr. 10
 Malgré leur travail, ils vivent en mendiant
et la loi le défend !
Cité dans Auguste Blanqui,
De la Situation des Classes Ouvrières en 1848
Les armes de la Belle Époque
2 La question du port d’armes
« De 1728 à 1885, un nombre considérable de règlements,
ordonnances, décrets et lois divers avaient apporté leur contingent
d’entraves à l’arquebuserie française... »
Discours liminaire à l’assemblée
avant le vote de la loi dite « Farcy » (14 août 1885)
La loi du 14 août 1885 autorise en France la fabrication
et la détention d’armes blanches et de certaines armes à feu,
annulant ainsi les précédentes interdictions concernant leur
port. La seule restriction concerne la longueur de l’arme à feu
(158 mm). De toute façon, les amendes (à hauteur de 200 francs
maximum pour la détention d’armes prohibées) ne sont pas
assez dissuasives. Seule une discrimination envers les mendiants
et les vagabonds, plus sévèrement punis (de 2 à 5 ans de prison
en cas de port d’armes) rend cette loi réellement sévère.
Bref : c’est une libéralisation du commerce des armes à feu qui
fait suite aux pénuries mal vécues lors de la guerre de 1870, où il
fallut importer les surplus de la Guerre de Sécession des États-Unis.
L’esprit revanchard qui parcourt la France jusqu’en 1914 favorise
l’émergence de sociétés de tir, du principe (certes réglementé) de la
légitime défense et, bien sûr, de ce loisir sain qu’est la chasse. Bien
que les duels soient interdits, ils demeurent un sport national auquel
se livrent des hommes politiques. Clemenceau était redouté pour sa
plume, sa verve, mais aussi pour son épée. Des antisémites comme
Drumont s’avéraient des bretteurs émérites, nécessité oblige...
Mais encore faut-il savoir utiliser ces armes. Étant donné la
justice expéditive appliquée aux auteurs de meurtres, prémédités
ou pas, ou les preuves nécessaires pour invoquer une légitime
défense, et ainsi repousser l’ombre de la peine de mort et du
bagne, le passage à l’acte ne sera pas aussi simple qu’il n’y paraît
pour les joueurs. Le MJ devra garder cela à l’esprit.
Le coût de la vie humaine dépend évidemment de la qualité
de la victime. Essayer une mitrailleuse sur des indigènes africains
n’aura pas le même impact public que de canarder une armée
européenne, ce jusqu’en 1914.

81
 Chapitre 3

2 Tableau des armes blanches

Nom Dégâts Type Prix courant Dissimulation

Coup de poing Potentiel physique Épuisement 1 fr. 50 Main
Aiguille à cheveu Potentiel physique Épuisement 1 franc Main
Rasoir Potentiel physique Blessure 1 fr. 50 Main
Bâton Potentiel physique + 1 Épuisement Rien Non
Matraque en caoutchouc Potentiel physique + 1 Épuisement 2 fr. 50 Non
Canne cloutée Potentiel physique + 1 Blessure 10 francs Non
Couteau de boucher Potentiel physique + 1 Blessure 2 francs Veste
Scalpel Potentiel physique + 1 Blessure 1 fr. 50 Main
Baïonnette Potentiel physique + 2 Blessure 10 francs Non
Canne de combat Potentiel physique + 2 Épuisement 15 francs Non
Canne-épée Potentiel physique + 2 Blessure 10 francs Non
Épée d’escrime Potentiel physique + 3 Blessure 20 francs Non
Sabre militaire Potentiel physique + 3 Blessure 35 francs Non

2 Tableau des armes à feu

Nom de l’arme Portée Cadence Nombre Dégâts Prix Dissimulation Date de disponibilité
par assaut de coups courant géographie

Revolver Clic-clac 20 m 1 6 4* 35 francs Main Dès 1880 Belgique

Revolver Revol-cycle 20 m 1 6 4* 40 francs Main,
adaptable sur un guidon Dès 1880
Dague pistolet Dumonthier 10 m 1 2 4 * 120 francs Confusion Dès 1860 Paris
avec une dague
Coup de poing poignard Apache 10 m 1 6 4* 55 francs Confusion Dès 1881 Paris,
avec un coup de poing Amérique du Sud
Poivrière coup de poing My Friend 10 m 1 7 4* 40 francs Confusion Dès 1870 New York
avec un coup de poing
Pistolet Derringer Remington Elliot 20 m 1/4 4 5* 40 francs Veste Jusqu’en 1888
Revolver Deprez 30 m 1 6 5* 50 francs Veste Dès 1860 Belgique
Revolver à 12 coups Chaineux 30 m 1 12 5* 60 francs Veste Dès 1870 Belgique, Paris
Revolver Galand 40 m 1 6 5* 45 francs Veste Dès 1880
Armée impériale russe
Canne-fusil 10 m 1 2 5 ** 25 francs Confusion 1880
avec une canne
Revolver SW Silver & Co 30 m 2 (éjection 6 5 55 francs Veste Dès 1884 Angleterre
des cartouches)
Revolver Webley Fosbery 40 m 2 (réarmement 6 6 60 francs Veste Dès 1901 Angleterre
auto. du chien)
Pistolet semi-automatique Bergmann 50 m 2 5 6 60 francs Veste 1890 Allemagne
Pistolet semi-automatique Pieper 50 m 2 6-1 6 70 francs Veste 1908 Autriche
Fusil de guerre Chassepot 200 m 1 6 7 ** 100 francs Non 1870 France
Fusil de chasse calibre 10 100 m 2 6 7 ** 120 francs Non Dès 1870
Fusil de chasse calibre 20 150 m 3 6 8 200 francs Non Dès 1880
Fusil de guerre Lebel 400 m 1 (2 pour 10 9 215 francs Non 1890 France
(amélioration Kropatcheck) les maîtres)
Mousqueton Lebel africain 150 m 1 5 10 ** 220 francs Non
- Gros gibier (éléphants)
Cartouches 0,1 fr. l’une

82
 Les Personnages

2 Explications du tableau

 Portée
La portée indiquée est la portée utile, la portée maximale
est considérée comme le double de cette dernière. Tirer
au-delà de cette portée utile enlève une réussite au résultat
final.

 Nombre de coups
Le joueur doit tenir un compte précis de ses munitions.
Recharger une arme dure normalement un assaut. En cas de
circonstances difficiles (sous le feu ennemi, avec un stress
particulier), le MJ peut ajouter de la névrose au PJ. 2 Règles complémentaires pour les armes à feu

 Prix Pour terminer, voici une règle complémentaire que le

Le catalogue de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne
nous a permis de vous livrer cette estimation des prix : au MJ
de les faire varier à son gré, comme nous l’avons nous-mêmes
fait.
 Dégâts
* Ces armes nécessitent deux assauts pour leur recharge-
ment au lieu d’un seul. De plus, un échec critique signifie
que :
1. L’arme est enrayée (un « 1 ») et doit être réparée par un
spécialiste.
2. L’arme explose (plusieurs « 1 »), le retour des gaz risquant
de brûler le visage du tireur (1 réussite + 4 pour les dégâts,
voir le chapitre 4 pour les explications sur les blessures).
** Ces armes cumulent les remarques précédentes, mais
il est nécessaire de les recharger en station debout.
Pour les autres armes, un échec critique signifie
qu’elles sont enrayées, mais réparable par un maître dans la
compétence. Cela nécessitera 3 assauts complets.
MJ peut inclure pour intégrer le facteur psychologique dans
les tirs, dans des situations très dramatiques.
Le tireur doit retirer de son potentiel un nombre de dés
équivalent à son total d’angoisse, jusqu’à un minimum de
1. Son anxiété se répercute sur sa capacité à se concentrer
pour mieux viser. Ainsi, il multiplie les chances d’obtenir un
échec critique.
Vos joueurs se jetteront probablement sur les
armes que vous leur distribuerez. C’est le moment
de calmer leurs ardeurs : aussi, nous avons choisi de
remettre cet armement dans son contexte historique,
histoire de retourner cet avantage en défaveur des
va-t-en-guerre. La philosophie de notre système est
basée sur la prise de risque, et se servir d’une arme en
est une à part entière.
Tout d’abord, les combats se voulant réalistes et
par conséquent parfois meurtriers pour les personnages
fragiles, les armes à feu sont à utiliser avec précaution.
Ensuite, leur utilisation place l’usager en
porte-à-faux vis à vis des autorités : nous sommes ici
dans la Belle Époque, pas au Far West !
Enfin, ces armes ne sont pas aussi maniables,
sûres et pratiques qu’aujourd’hui, d’où les problèmes
inhérents à leur utilisation.

83
 Chapitre 3
De la noirceur fleurira l’aurore
Vers une joyeuse Apocalypse
« Ce temps est révolu où l’homme se pensait en terme
d’aurore ; reposant sur une matière anémiée, le voilà ouvert à son
véritable devoir, au devoir d’étudier sa perte, et d’y courir. »
Cioran
Vous voilà donc avec une feuille de personnage complète
incorporant des profils psychologiques, des déchéances
possibles, des armes et des passions dévorantes... Bref, de
quoi craindre pour l’avenir.
On pourrait penser, comme notre comparse Barbey
d’Aurevilly, qu’il ne reste plus à votre personnage « qu’à
choisir entre la bouche d’un pistolet ou les pieds de la croix »,
mais détrompez-vous. Il n’est que le reflet d’une époque
décadente qui revendique sa part de crépuscule et de doute.
Vous pensez peut-être que votre PJ est destiné à mourir
prématurément, ou à rejoindre les anges déchus qui ont
échoué à garder leur équilibre, mais il existe pourtant
toujours une échappatoire pour limiter sa chute. Si l’époque
est décadente, les héros peuvent s’en extraire pour surpasser
cette descente aux enfers collective.
Vous avez maintenant besoin de connaître un minimum
de règles qui permettront à votre personnage de survivre et
de se développer dans le monde de Crimes.
Notes de Carter : archétypes
Avant-propos : notion d’archétype
Le moment est venu de vous présenter les différents
archétypes décrits par Carter dans ses dossiers. Mais avant
cela, commençons par définir ce qu’est un archétype...
Il s’agit d’un personnage complet, « prêt à jouer », pour les
joueurs les plus pressés. Il présente l’avantage d’approfondir
un aspect du contexte et de fournir une manne d’idées pour
concevoir ensuite ses propres personnages. Si vous préférez
procéder à une création de toutes pièces, leur lecture vous
donnera de précieux conseils pour faire aboutir votre
alter ego.
Ne vous formalisez pas avec la présentation très
policière de chaque archétype, grandement influencée par la
rigueur toute britannique de notre agent de Scotland Yard.
Sa tendance à ficher et classer systématiquement toutes les
personnes placées par le destin sur sa route vous sera ici
très utile. Vous en verrez également certains apparaître dans
84
Comment réunir une équipe éclectique ?
Comment concilier autour d’une table des per-
sonnages parfois trop disparates ?
Voici quelques pistes...
Le crime « tombe sur la tête » des PJ (par exemple,
tous sont témoins d’un meurtre et doivent, en
tant que suspects, s’intéresser à la résolution de
l’enquête)
Donner à chacun un prétexte particulier et secret
(dans l’Institut Pasteur de notre kit de démo : lors
du crime initial, tous les PJ sont présents pour des
motifs différents ; certains sont des souscripteurs,
d’autres attendent une vaccination, d’autres sont
des « sous-traitants », etc.)
Frapper là où ça fait mal (un des contacts ou un PJ
est directement menacé)
Les PJ font partie d’une brigade particulière fictive
créée par Lépine (le sujet est abordé rapidement
dans le prologue)
Les PJ sont membres d’un club d’enquêteurs,
d’une société secrète, ou des affinités les poussent
à courir le crime comme passe-temps ou en tant
que missionnés
les scénarios en tant que personnages non joueurs (PNJ).
Ce sacré Craig Carter... Ne soyez pas surpris de le voir aussi
faire irruption au détour du récit tel un diablotin sorti de sa
boîte : après tout, c’est lui le héros de Crimes !
D’autres archétypes, présentés dans les chapitres 4 et 5,
feront écho à ceux-là. Il s’agit de criminels et de monstres.
Un œil averti remarquera la correspondance entre certains
archétypes d’enquêteurs, de criminels et même de monstres.
Ces liaisons sont volontaires : le prêtre exorciste verra
dans le sorcier son pendant maléfique, et trouvera dans
le tourmenteur une occasion de tester la profondeur de
sa foi. Le légiste sera sans doute scandalisé par la science
décomplexée du savant fou, mais que pourra faire la
médecine face aux créatures que sa Némésis aura produite ?
Il n’y a donc pas opposition entre nos trois catégories,
mais complémentarité. Le criminel -qu’il soit monstrueux ou
pas- est l’intercesseur de l’enquêteur, un guide destiné à maté-
rialiser les visions et les rêves qui lui dévoileront le monde de
Crimes. Les monstres jouent le rôle d’exorcistes des peurs et
des désirs des personnages, en leur permettant de maîtriser
leurs angoisses. Grâce au monstre extérieur on dompte le
monstre intérieur, d’où les multiples correspondances entre
ces galeries de personnages ! Pour résumer, c’est un « passage
à travers le miroir » que nous vous proposons ici.
 Les Personnages
Chaque archétype se décompose de la façon suivante :
1. Une fiche signalétique reprenant les paramètres prêts
à jouer,
2. Une description générale replaçant l’archétype dans le
contexte de l’époque,
3. Un dossier secret expliquant son rôle dans l’« Affaire
Carter ». Ce dernier permet de le lancer directement
dans la première aventure du chapitre 7. Si vous
utilisez ces archétypes, il vaut mieux vous accordez
avec les joueurs, afin de savoir si les personnages
possèdent les renseignements et les contacts précités.
Les archétypes qui suivent représentent à la fois les héros
littéraires de l’affaire Carter et des personnages prêts à jouer.
Si vous maîtrisez Crimes pour la première fois, beaucoup
de renseignements vous seront tout bonnement inutiles :
le concept, les archétypes associés et le tempérament sont
optionnels. La déchéance est vivement déconseillée : elle
introduit déjà une contrainte difficile à assumer pour un
débutant.
Toujours dans la perspective de s’éloigner du classique
« gendarmes contre voleurs », il est tout à fait possible
d’incarner des criminels dans Crimes. Ils sont présentés à la
fin du chapitre 4.
Les criminels sont généralement plus proches de leur
déchéance, étant donné que les joueurs disposent d’un
personnage qui a déjà commencé à « lâcher du lest » sur sa
morale et ses limitations, d’où une avalanche de névroses
et de psychoses à gérer dès le début du jeu (pour joueurs
confirmés, donc...)
85
Niveau intrigue, les criminels peuvent être amenés à
résoudre une affaire locale avant que des enquêteurs ne
s’y attellent. Le thème des criminels justiciers apparaît par
exemple dans M le Maudit. L’apothéose de cette approche de
Crimes consisterait à organiser deux tables en parallèle, avec
les enquêteurs et les criminels en compétition : une option
testée et approuvée, mais délicate à mener !
Note au lecteur
Pour des raisons que vous comprendrez, nous avons
préféré « digérer » les fiches établies par Carter. Le
jargon technique et austère pratiqué par l’agent britan-
nique s’avérait en effet des plus pénibles à suivre dans
le cadre d’un jeu.
Ne vous étonnez donc pas des tournures plus littéraires
utilisées pour vous décrire cette galerie de personnages
hauts en couleur, plus à même de faire travailler votre
imagination que le charabia administratif de cet éternel
psychorigide !
En outre, vous retrouverez dans le roman et les scénarios
plusieurs des archétypes cités dans ces fiches. Nous avons
choisi de leur attribuer une majuscule dans la mesure où
des appellations comme la Femme Fatale, le Savant Fou
ou le Sorcier désignent ces personnages plus que leur
propre nom. Ainsi, vous trouverez une majuscule à la
Momie dès que celle-ci sera éveillée, en tant qu’actrice de
l’histoire, mais son cadavre immobile sera simplement
désigné en tant que momie, sans majuscule.
 Identité : Sulpice Chenu
Métier : professeur à la Facult
Origine : fille d’émigrants fra é d’Anthropologie
L’Anthropologue

Concept : roman naturaliste nçais en Égypte

Archétypes associés : Femme Fat
Convictions : anticolonialist ale, Lycanthrope
Dimension sociale : célibatai e, chamaniste
re
Potentiels
* Physique : 3
* Mental : 5
* Social : 4
Compétences
* Novice en sport, traque et
* Pratiquante en société et pra sciences abstraites
* Maîtresse en sciences de l’homme,tique
spécialisée en anthropologie
Psychologie
* Passion principale : l’abso
* Passion secondaire : la bib lu
* Tabou : l’acte sexuel liophilie
* Déchéance possible : métamo
* Tempérament : colérique rphose (folie louvière)
« C’est pour tenter d’éloi
je me transforme en vam gner l’ennu i que * Tendance : paranoïaque
m’abreuve du sang vicié pire intellectuel et * Angoisse : 2
des civilisations. »
* Psychose : 1
Anonyme * Seuil de névrose : 6

Description générale

Vous êtes la première femme

en France. Cependant, vous par (et oui, votre prénom est mixte) à occuper un poste d’a
de toutes les cultures humain courez le monde dès que vous le pouvez afin de partir à nthropologue
es. la rencontre
Vous êtes issue d’une famille
napoléonienne. La conquête ang de nég oci ant s fra nça is émi grés en Égypte à la suite de
d’origine. Pendant que vous pou laise vous a chassé, vous et votre sœur aînée, versl’expédition
le monde du spectacle où elle rsu iviez la passion de votre votre pays
semble s’en tirer à grand pei défunt père, votre sœur échouait dans
L’anthropologie et l’histoir ne.
renforça votre intérêt pour e sont vos deux marottes. La fascinante religion des ancien
dieux polymorphes. les rapports entre l’homme et s égyptiens
la nature lors de votre étude
de ces
Ce savoir vous a incitée à aba
c’est la nature qui détermine ndonner l’approche anthropocent
autrement que par une adaptatiola cul ture des hommes, et non l’inveriste de votre science. Pour vous,
n inc omplète des instincts bestiaux rse. Comment expliquer la vio
len
de retourner dans la lointaine
Afrique pour comprendre les de vos concitoyens ? Vous brû ce
avec la Nature, et repousser rap por lez
ts de ces peuples
des pygmées allait en ce sen la ligne de démarcation entre l’humain et le non humain. pré-modernes
fait que chaque être possède s. Les expériences mystiques menées parmi eux vous ont conVotre étude
de la tribu. Vous avez ressenson double animal, et que certaines entités influençaient vaincue du
vos rêves et vos cauchemars. ti – et ressentez encore – cette dualité en vous : elle hanla destinée
Il vous est difficile de partag te souvent
du terrain fait de vous une er les con clu sio ns de vos collègues dogmatiqu
actrice incontournable des déb es, mais l’expé
Paris. ats de la Faculté d’Anthropolo rience
gie de
Dossier secret

Vos relations avec votre soe

égard. Cette quête d’absolu ur aînée n’ont jamais été faciles, d’où votre désintéresse
est sans doute née avec la per
que vous considériez comme vot te, dès votre naissance, d’u ment à son
relations avec le sexe opposé re double. De plus, cette communion perdue a rendu dif ne jumelle
laisser l’espoir de la retrou. Vous avez l’impression qu’on vous a arraché votre moitiéficile vos
ver sans vous
Sans doute à cause d’un tra un jour.
parfois ce rêve d’une transform vai l int ell ect uel intense et de ce traumatisme
d’enfa
la journée, au cours de vos divation en animal... Ces cauchemars récurrents se prolon nce, il y a
aga tio ns phi los ophiques et scientifiques. gent ensuite
Votre maîtrise de l’histoir
pour des affaires retorses impe est précieuse pour la préfecture de Lépine, qui fait
liquant des cultes exotiques app
Récemment, vous avez appris et des dérives scientifique el à vous
nouvel amant, Carter, a pris con que votre sœur connaissait quelques problèmes avec la s.
bel anglais est parti dans une tact avec vous pour faire la lumière sur cette néfaste infpègre. Son
peut-être vous pencher sur cet masure de la Route de la Révolte. Il semble en cavale. luence. Ce
te affaire, avant que les cho Vous devriez
ses ne s’enveniment...

– 86 –
 Identité : Michel Royer

Le Chasseur Colonialiste
Métier : juge de paix à Amiens
Origine : baie de la Somme
Concept : roman naturaliste ie du Crime
Archétypes associés : Bête, Génholique pratiquant
Convictions : boulangiste, cat
x enfants, basoche
Dimension sociale : marié, deu

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 3
* Social : 5

Compétences
sciences du vivant
* Novice en combat, sport et ences de l’homme
* Pratiquant en traque et sci
é en politique
* Maître en société spécialis

Psychologie
* Passion principale : ordre sme politique
* Passion secondaire : activi
* Tabou : honneur masculin ivi par une créature
* Déchéance possible : poursu
* Tempérament : flegma tiq ue plus noble des ivresses,
: anx ieu x « Le goût du sang est la f est meurtrier. La lutte
* Tendance cti
puisque tout être instinpour la vie exigent parfois
* Angoisse : 1 pour l’amour, la lutte res. »
* Psychose : 2 la suppression des créatu
* Seuil : 7 Huysmans, A Rebours
J.K.

Description générale

ée
s. On vous connaît à l’Assemblne,
là qui nze ans que vou s occ upez vos fonctions républicaine de Jau rès . La pre sse vou s bic hon
Voi
« grande gueule » de la trempe scandale
comme un orateur confirmé, uneterre qui ne ment pas ». Cette intégrité vous a écarté du
vous qui rep rés ent ez cet te « es.
bonne partie des parlementair eur coule
de Panama qui éclaboussa une priétaires terriens accrochés à cette terre dont la savde chasse.
Iss u d’u ne dyn ast ie de pro ard lor s de vos jou rné es
enter le splendide littoral pic rdre et
dans vos veines, vous aimez arpla carrière de magistrat afin de réaliser votre idéal d’o
Vous ave z sou hai té emb ras ser e.
préservée du chaos de l’histoir notion de
de stabilité, dans une région différents entre les propriétaires, c’est imposer la
Jug er, c’e st arb itr er les
s. premier
propriété privée et de limite ntière entre le criminel et le bon citoyen, remettre le ser les
Juger, c’est établir la fro rôle paternel que de red res
sser l’indésirable. C’est un
dans le sillon du second, cha tifie vos
fils perdus de la République. si superviser le déroulement d’une enquête, ce qui jus s en la
Être juge de pai x, c’e st aus r sur les der niè res tec hni que
Paris afin de vous renseigne
multiples déplacements vers
ntières pour
matière.
vou s a tra nsm is un aut re idé al : franchir ces saintes fro Vous êtes
Votre passion secondaire vous ont ouvert l’esprit.
res inviolées où vos safaris mène là-bas ; vous avez arpenté les
voyager dans les colonies, ter n civilisatrice que la Fra nce s êtes.
conscient de la haute missio liers pour repousser les limites de l’explorateur que vou
territoires les plu s inh osp ita

Dossier secret rrier

tiné à la criminologie. Le cou
te foi s, vot re dép lac eme nt sur la capitale n’est pas des is, vous a alerté d’un commerce
Cet à Par
uêteur détaché par Londres :
d’un certain Carter, un enq ennes. Voici un extrait de sa lettre du 11 décembre 1898 fouilles
erl ope d’a nti qui tés égy pti égy pti enn es iss ues de
int que le trafic d’antiquités les preuves
« Vous n’êtes pas sans savoir dep uis le Pre mie r Emp ire. Or mon enquête établit du matériel
illégales est puni par la loi r convoyer des momies et
lisent la baie de la Somme pou
formelles que des passeurs uti Paris. »
archéologique à destination de
lé en vous
t que la let tre soi t ina chevée et arrachée ont réveil com ptez bien
Son ton pressant, le fai Vou s déb arq uez fraîchement de la Gare du
Nord et
us dans
de l’i ntr igu e. s ave z ren dez -vo
les vieux démons afi n de tir er cet te aff aire au clair. Vou
ur,
retrouver la trace du délate saviez à quoi il ressemble...
un cabaret. Si seulement vous

– 87 –
 Identité : Prudent Boutroux
Métier : enquêteur de police
Origine : Lorraine spécialisé
Concept : roman réaliste ou déc
Le Criminologue

Archétypes associés : Tueur Mét adent

hodique, Génie du Crime,
Vampire Revenant
Convictions : socialiste, pro
Dimension sociale : célibatai testant
re, basoche
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 3
Compétences
* Novice en sport, sciences de
* Pratiquant en combat l’homme et société
* Maître en intrigues, spécia
lisé en criminologie
Psychologie

* Passion principale : l’intrigu

« Tout journal, de * Passion secondaire : l’ordre e
la dernière, n’est qu’ la première ligne à * Tabou : la négligence dans le
Guerres, crimes, vols, un tissu d’horreurs. * Déchéances possibles : fat travail
crimes de prince, crimesimpudicité, tortures, um, poursuivi par
des particuliers, une des nations, crimes * une créature, androgynie
ivresse d’atrocité Tempérament : flegmatique
universelle. » * Tendance : schizoïde
* Angoisse : 1
Charles Baudelaire * Psychose : 2
* Seuil de névrose : 7
Description générale
Vous opérez comme consultan
travaillez à votre compte dan t auprès de la préfecture de police de Paris. Pour le
les maris infidèles que des épos votre propre cabinet de dét reste, vous
ect
uses éplorées rêvent de vitrioive privé, où vous traquez sans relâche
ler.
Cette vocation est née lors
vous avez pu assister à la rév du Second Congrès d’Anthropologie
Criminelle de Paris,
manifestation éclatante du gén olution des méthodes utilisées pour la lutte contre le en 1889, où
ie policier accompagnait logiqu crime.
vantés de l’Exposition Univer
selle, non loin de là. ement les progrès scientifique Cette
s tant
Certes, tout était loin d’être
avez ainsi dû lutter contre les parfait, et les règles du métier restaient encore à perfec
irrémédiablement criminel. Vou thèses défaitistes des disciples de Lombroso, pour quitionner : vous
publication, la Revue des Deu s êtes particulièrement fier de figurer dans la liste l’homme naît
x Mondes. noire de leur
Pour vous, la priorité doit
subjective. Vous êtes rompu aller à l’analyse objective des indices, et non à leur
doubles portraits, les fichesà la photographie grâce à laquelle vous pouvez établir interprétation
infimes traces du passage d’u anthropométriques des suspects, et qui vous permet d’anal d’innombrables
malgré les refus répétés d’A n cri min el. Vou s avez été initié à la yser les plus
lph ons e Ber til lon dactyloscopie en Argentine,
concurrente de la sienne. C’e qui vou s a formé, et qui dénigrait cet
votre taux de résolution a pu st en alliant les côtés techniques et scientifiques de te technique
atteindre des résultats sans la police que
commune mesure !
Dossier secret
Victime du rejet de vos col
facilement vous faire passer lègues, vous avez adopté une tenue des plus excentriques
vous incombe de vous préserverpour un dandy. Votre approche du crime n’a rien de passioqui pourrait
certaine distance. Votre intérêde l’horreur omniprésente dans votre travail, tout en nnelle : il
t pour la chose est purement conservant une
méthodologique.
Votre réputation de fin limier
pour pister leurs femmes inf est parvenue aux oreilles de
nombreux citoyens qui
Mais il n’y a guère de petitidèles, ou pour retrouver leur cabot fétiche. O tempus !vous emploient
déf i pour un homme aussi conscienc O mores
assassins alcooliques qui ter
rorisent le tout Paris sont dev ieux. Et pas de gros non plu !...
enus votre gagne-pain actuel. s. Les
En parcourant voter courrier,
Seine. vous trouvez une missive fra
ppée du sceau de la préfectur
« Tiens, un message de Lépine e de la
Ma foi, s’il me paye sur les ... Il a besoin d’une assistanc
deniers de la République... e pou r retrouver l’un de ses agents
.

– 88 –
 Identité : Martin Stoppes
Métier : médecin aliéniste
Origine : Irlande
Concept : roman naturaliste ciste, Médecin Légiste,

L’Aliéniste
Archétypes associés : Prêtre Exor
Tueur Possédé
Convictions : nat ion aliste, chrétien pratiquant
Dimension sociale : déraciné
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 3
Compétences
occultisme et société
* Novice en sciences abstraites, omme et intrigues
* Pratiquant en sciences de l’h spécialisé en aliénisme
* Maître en sciences du vivant,
Psychologie
igue
* Passion principale : l’intr de soi
* Passion secondaire : le don
* Tabou : honneur filial prendre la folie des autres
, égrégore, cauchemar fondamental,
* Déchéances possibles : lucidité
* Tempérament : nerveux
* Tendance : paranoïaque Pou r
s le meilleur des
prévenir le crime, dan le pire... »
: 2 «
* Angoisse cas. Pour éliminer la bêt
e, dan s
* Psychose : 1 Anonyme
* Seuil de névrose : 6

Description générale
e cabinet afin de
disp osez d’un e clie ntèl e nombreuse qui se presse à votr itoyens.
En tant qu’aliéniste, vous n, ce mal de vivre qui s’étend
à l’ensemble de vos conc r vous
soulager les névroses du quotidie par ent s à sac rif ier une partie de leur patrimoine pou , vous
ssé vos étu des
La famine irlandaise a pou nce. Profitant d’une prédisposition certaine pour les te réussite
Fra pour devenir médecin. Cet
permettre de migrer vers la rs scolaire puis universitaire jours ressentie envers vos parents,
avez mis à pro fit vot re par cou z tou
ri la culpabilité que vous ave
indéniable a peu à peu amoind lai s.
morts dans un pays étranglé par le jou g ang n de la police s’avère, en
on en Fra nce fut rel ati vem ent facile. Votre tâche au sei e de 1810 sur le principe
Votre intégrati rticle 64 du Cod
incombe de faire appliquer l’a qu’à vous de
revanche, difficile. Il vous e ou internement ? Châtiment ou pardon ? Il n’appartient e...
d’irresponsabil ité : gui llo tin dans le sys tèm e jud ici air
enfants chéris de Dieu, même z ainsi connu
décider. Les fous demeurent lesla santé mentale de la folie reste indistincte. Vous avey a deux ans,
Pourtant, la cés ure sép ara nt le célèbre Lac ass agn e, il
où il vous a fallu seconder onze bergères.
le doute, autrefois, au momentJoseph Vacher, ce tueur fou responsable du meurtre de la tête contre
dans le but de dia gno sti que r du soleil : il se cog nai t
iste de Dieu et il avait peur
L’assassin se proclamait anarch Vous l’avez pourtant déclaré sain d’esprit... choses. Votre
les murs en poussant des cris.troublée où il est bien difficile de faire la part des ènes étranges
Vous vivez dans une époque édé il y a six ans, vous l’avait signifié : des phé nom
déc
maître le regretté Charcot, gnostics les plus simples.
sse r les dia que sont l’hypnose, le
ne ces sen t de fau
psy cho log ie int ègr e dor éna vant ces phénomènes de foire de vos confrères succombent
Le cursus de sio n. Mêm e les plus intégristes
somnambulisme, la catalepsi e et la pos ses criminelle, ne cesse de louer
l’é tra nge : Ces are Lom bro so, théoricien de l’hérédité la science éclairera un jour
aux charmes de Pour vous, il n’y a pas de dou .
te : seule
le spirite Eusapia Palladino. plus obs cur s de l’i nex pli qué
de ses lumières les recoins les

Dossier secret
s le but de discerner
la pol ice vou s att ach e à l’h ôpital de la Salpetrière, danque jour.
Votre contrat avec vent, internés cha
des de forcenés qui s’y retrou inépuisable
les maladies mentales des hormenées avec votre collègue légiste constituent une source et l’esprit
Les conversations ani mée s les rapports entre le cor ps
, votre pensée progresse : oration d’une
d’enrichissement. Grâce à luis ne le pensiez initialement. Vous êtes à l’aube de l’élab précédentes
s’avèrent plus étroit s que vou révolutionner les app roc hes
sique et mentale qui pourrait
théorie de la corruption phy avec
de votre époque. ponible, mais ses entretiens
met tre au poi nt, il fau dra it que le légiste soit plus disus...
Pour la plupart de vos habituels rendez
-vo
un certain Carter entravent la

– 89 –
 Identité : Père Toussaint Len
Métiers : ubiquiste, docteur estour
en théologie
Le Prêtre Exorciste
Origine : Vatican (états de l’É
Concept : roman gothique glise)
Archétypes associés : Sorcier,
Tueur Possédé,
Vampire Mâcheur, Tourmenteur
Convictions : cléricalisme, cat
Dimension sociale : célibatai holique pratiquant
re, ancien membre de
congrégation d’exorcistes du la
Vatican
Potentiels

* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 3
Compétences
* Novice en combat, sport et
société
* Pratiquant en sciences de l’h
* Maître en sciences du vivant omme et intrigues
, spécialisé en médecine
Psychologie
* Passion principale : le don
* Passion secondaire : la sub de soi
« Si l’oeil pouvait voi * Tabou : l’acte sexuel limation
qui peuplent l’univers r les démons
, l’existence * Déchéances possibles : sainte
serait impossible. » té, messianisme,
prendre la folie des autres
* Tempérament : sentimental
Le Talmud * Tendance : dépendant
* Angoisse : 1
* Psychose : 2
* Seuil de névrose : 7

Description générale

Vous êtes le prêtre d’une

Vous prenez soin des âmes éga paroisse de la banlieue nord de Paris, du côté de
rées qui abondent dans ces lie Levall
échappatoire d’un passé des plu ux délaissés par les autorités ois.
Le bouillant séminariste que s mouvementés... , en
dont la réputation le fit vit vou s éti ez jad is ne tarda pas à devenir un éminen
t
participer aux débats sur la e mander par les autorités pontificales. Vous craigniezthéologien,
mod
rien. On préféra vous divulguer ern isa tio n de l’É gli se face à l’ère industrielle, de devoir
mais
ou vous faire part d’actes sat les travers de certains prêtres dévoyés adeptes de l’oil n’en fut
on vous instruisit ensuite dananiques et de cas de possessions avérés. Puis, une fois ccultisme,
s l’art tant spirituel que psy jug
Puis il y eut ces cas troubl chologique de l’exorcisme. é prêt,
bourgeoises en quête de mystic ant s, qui dép ass aient les habituelles hystér
ies de quelques
qui prenait un malin plaisir isme à bon marché. Il y eut cette confrontation avec
les incitant à cracher et ges à inf lue nce r ses vic tim es crédules, mais toujours poi un sorcier
nt
semblait vous guetter, qui vouticuler dans leur lit. Et, enfin, il y eut cette figure de diable
apparue... Pourrait-il s’agir s par lai t ava nt de dis paraître aussi rapidement qu’ étrange qui
d’u elle vous était
Cette besogne physique vous a n Tourmenteur ?
fonctions au profit d’une par prématurément vieilli ; vous avez finalement choisi de
combattez sont bien différent oisse sinistrée de la banlieue nord de Paris. Les fantôm quitter vos
s maintenant : les spectres de
vous sont autrement plus diffic es que vous
iles à conjurer. la misère, du chômage et du dés
espoir

Dossier secret
Vous avez vu, à plusieurs rep
renouvellement de votre ferveu rises, votre foi chanceler.
Le
votre caractère en vous opp r, mais ce sentiment-là s’avère doute aboutit généralement à un
vacillement de vos convictio osa nt aux plus intransigeants pré bien différent. Vous avez forgé
ns vous a déjà laissé à nu et lats du Vatican ; pourta
que certains de vos frères n’o
nt épouvanté plus d’une fois. Vou nt, le
pu résister à cette pression et s sav
mutisme, pour les autres dans
l’explosion criminelle. ont sombré pour les uns dans ez
Malgré vos doutes, vous ête le
entité destinée à mettre votres persuadé d’avoir été la cible d’un redoutable tourmente
Récemment, l’agent Carter, foi à l’épreuve. Jusqu’à votre prochain face à face... ur, d’une
de ses théories ésotériques qui venait régulièrement vous voir en confession, vous
sombre tableau de la destinéesur la déchéance et la corruption de l’homme, en vous a fait part
sous votre aile, jusqu’à l’annohumaine. Sa mystique étant sincère, vous avez tenté dedressant un
inquiété, et vous souhaitez oeunce récente de sa disparition. Ses penchants occultist le prendre
vrer au plus vite pour le ret es vous ont
rouver...

– 90 –
 Identité : Auguste Wanloo et de chats
Métier : écorcheur de chiens ennes
Origine : paysan ner ie des Ard
Concept : héros romantique

L’Ex-Bagnard
Tourmenteur
Archétypes associés : Gourou, ipatriotique, athée
ant
Convictions : apolitique et re, membre d’une coterie :
Dimension sociale : célibataié entre ex-bagnards
fraternit

Potentiels
* Physique : 5
* Mental : 4
* Social : 3
Compétences
intrigues
* Novice en sport, pratique etcin
* Pratiquan t en com bat et lar
é en chasse
* Maître en traque, spécialis
Psychologie
soi
* Passion principale : don de ne
* Passion sec ond air e : la rui
* Tabou : code viril me, bosse de la criminalité,
égrégore
* Déchéances possibles : surhom
* Tempérament : sanguin
* Tendance : personnalité lim
ite r le temps et la sienne
« Ma mission est de tueest tout à fait à l’aise
r. On
* Angoisse : 2 de me tuer à son tou
* Psychose : 1 entre assassins. »
* Seuil de névrose : 6 E.M. Cioran

Description générale rues parisiennes de ces

et de chats : vous débarrassez les peu
Vous êtes un éco rch eur de chi ens leur viande à des restaurants
x err ant s et enc omb ran ts, pour revendre à la sauvette
animau tanneurs avertis.
scrupuleux et leur cuir à des
campagnes ardennaises,
e vou s a cau sé bie n des enn uis. Paisible manouvrier des t en fait d’un repaire
Votre apolitism t : il s’agissai
ce troquet... Mal vous en pri bagne, au
vous aviez fait bombance dansale n’a pas fait de détail et vous avez été condamné au
d’anarchistes. La mil ice loc
d’un soir. Direction Cayenne.
même titre que vos camarades ut,
dans l’archipel des Îles du Sal
s ave z pat ien té cin q lon gue s années sur l’Île du Diable, s, d’une incroyable insalubrité,
Vou s mur
. Cinq ans dans une prison san son où les
en face de la ville de Kourou e où les plus faibles tombent comme des mouches. Une primétropole.
dans une atm osp hèr e éto uff ant ts san s rel âch e par la
tact des pires assassins produi ge » qui
innocents s’endurcissent au conlibération... C’était sans compter la coutume du « doublala ville
Cinq ans de pat ien ce, ava nt la s-c i en Guy ane , à Cay enn e,
cinq années de plus, cette foi l’éthique
vous contraint à rester captif à payer une dette injustifiée, bien au-delà de ce que
sans loi . Dix ans de vot re vie
ilisée pouvaient exiger.
et l’humanité d’une nation civ

Dossier secret rouver les miliciens,

s pro mis , les pre miè res années de détention, de retnce s’est affadie, vous
Vous vous ête s la vengea
de cette erreur tragique. Puiune place d’honneur dans la société
magistrats et jurés à l’origine de Paris en rêv ant de ret rou ver
errez désormais dans les rues
ique, mais vous avez
fra nça ise .
ten té de rej oin dre les ran gs des agitateurs de la Républ
Vous avez été
autorités
assez payé. Plus jamais ça. de paria vous aura-t-elle servi, dans le sens où les sur mesure
Au moins, cet te con dit ion des missions ill éga les : du
votre passé pour vous confier protection
locales ferment les yeux sur re endurance extrême. En échange, vous jouissez d’une
pour vos nerfs sol ide s et vot
décente. demeure
et d’une rémunération plus que soupape à votre révolte intérieure, mais votre existence basculer
Cet altruisme con sti tue une n de temps évi ter ez- vou s de
e judiciaire en place. Combie
vouée la condamnation du systèm
vers de sombres extrémités ?

– 91 –
 Identité : Constance Marihaure
Métier : ancienne dame de com
Origine : paysannerie de Nor pagnie
Concept : roman symboliste mandie
Archétypes associés : Sorcier,
Convictions : communarde, ant Spectre
La Médium

Dimension sociale : célibatai hroposophe

re

Potentiels
* Physique : 3
* Mental : 5
* Social : 4

Compétences
* Novice en sciences de l’homme,
* Pratiquante en société et pra intrigues et sciences du vivant
* Maîtresse en occultisme, spé tique
cialisée en spiritisme

« Notre vue de l’univ
l’effet du cauchemar ers est purement
sommeil qu’est la vie. de ce mauvais
» * Déchéances possibles : médium
Anatole France, Le Jardin
d’Épicure
Description générale
Psychologie
* Passion principale : la rui
* Passion secondaire : le con ne
* Tabous : la traîtrise et le fort matériel
mensonge
les esprits et les clients envers
* Tempérament : nerveux , Cassandre, hanté
* Tendance : paranoïaque
* Angoisse : 2
* Psychose : 1
* Seuil de névrose : 6

Vos parents, un couple d’inst

métier de correspondante pour ituteurs, vous ont donné le goût de la lecture et du réc
de sa plume demeure un luxe un journal, (Le Colporteur), vous a permis de monter à Parit. Votre
mis à profit un don particuliréservé à une élite, souvent masculine ; aussi, vous ave is. Vivre
er : celui de communiquer ave z également
c les esprits.
Votre famille ne s’est jamais
ignorait que celui-ci n’étai inquiétée de vous voir parler
t pas à un camarade imaginaire, mai
affolés quand vous avez commen le fruit de votre imagination. s elle
cé à rapporter les paroles de Les vôtres ne se sont pas
le compte d’un deuil mal réglé. vos ancêtres. Ils mettaient cel plus
a sur
Il existe pourtant des corres
les puissances visibles et inv pondances entre le monde naturel et le « supra-nature
ponts entre ces deux univers isibles. Par votre don et vos recherches, vous avez pu l », entre
par l’emploi d’objets et de rit établir des
uels symbolistes.
Ce don, loué par vos client
subissant quotidiennement ces s, est aussi votre malédiction : comment trouver le
La plupart claquent la porte visions de malheur, signes d’un destin indéchiffrable repos en
faisant de vous la nouvelle Casde vot re cab ine t, sou rds aux noirs avertissements et inique ?
sandre. de la destinée,
Votre foi a vacillé depuis lon
qu’assumé... gtemps : ce rôle d’oracle de
la décadence du monde est plu
s subi
Dossier secret
C’est devant l’inflation de
est venue à consulter les har meurtres étranges et sans mob
usp iles que la police, dés
confier des photos, des docume ices. Des inspecteurs, mi-honteux mi-admiratifs, vie armée, en
nts
ces visions, quand elles surgis cen sés déclencher vos visions. Vous nnent vous
sen t, vou s acceptez à contrecœur tant
et de la folie des coupables. plo nge nt dans les affres de la souffranc
e des victimes
Récemment, un agent anglais
photo d’une superbe jeune fem du nom de Carter vous a contac
me. tée, vous pressant de réagir
Un cortège d’images basées
douleur et la claustration
vous a littéralement tétanisée sur la violence, l’agression,à la
sourde aux appels d’une âme en
pei ne.
. Mai s vous ne pouvez jamais res la
de l’avenir ». .. Et com me dis ait Léon Bloy : « Les prophètes se ter
souviennent

– 92 –
 Identité : François Aubert sculpteur
Métiers : artiste peintre et

L’Artiste Maudit
Origine : Paris
Concept : roman symboliste ale, Momie
Archétypes associés : Femme Fat tiq ue
Convictions : apolitique, mys
e : veu f (ex -fe mme emportée par le choléra),
Dimension social
une fil le

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 3
Compétences
e et société
* Novice en combat, occultism omme et intrigues
* Pratiquan t en sci enc es de l’h
é en arts
* Maître en pratique, spécialis

Psychologie
um)
* Passion principale : absolu dans l’art (soupape psychotique), toxicomanie occasionnelle (opi
* Passions secondaires : se réfugier profit d’un mercenariat allant contre ses idéaux
* Tabou : sacrifier son art aumar fondamental
* Déchéance possible : cauche
* Tempérament : passionné t
* Tendance : phobique notre course au réel son
: 2 « Les conséquences de et con crè tes que vos
* Angoisse les
bien autrement terrib et pseudo-pythiques. »
* Psychose : 1 exe rcices dialectiques
* Seuil de névrose : 6 te André Breton
réalis
L’artiste Daumal, au sur

Description générale réduit

et vous partagez cet espace
s pos séd ez un pet it cab ine t de peinture à Montmartre, avez ainsi fondé un petit groupe
Vou rcent le même métier. Vous
avec des colocataires qui execadémisme du moment.
d’artistes en rupture avec l’a
iste,
er à l’esprit dualiste, scient
réf ugi er dan s l’a rt : voi là votre seule issue pour échapp les démons qui vous habitent. La
Se Le seul moyen de domestiquer tableau paradisiaque ou infernal,
réductionniste de votre temps. er une juste vision du réel en un
seule possibilité de représ ent
re
c’est selon. t des portes ouvertes pour vot
voy anc e, les pro jec tio ns ast rales, les rêves éveillés son é invisible, peuplée de monstres
La lit
alité est de dévoiler une réa peinture
création artistique dont la fin z contribué à créer une école de visionnaires pour qui la le d’une
et de for mes tor tur ées . Vou s ave re arb itr e, mai s aus si cel
lement l’expression d’un lib ormation
et la sculpture sont non seu ouvez tous la nécessité de montrer la mutation, la transf
libéra tio n. En eff et : vou s épr fro nti ère s et le tem ps.
gage universel, par-delà les
de l’homme en utilisant un lan
cela beaucoup aidé. Vos
if des soc iét és afr ica ine s et océaniennes vous a en listes », comme si elles
L’art primit nt vos œuvres qu’ils qualifien
t de « réa
cure des
quelques bienfaiteurs s’arracheleur cadre pour adopter une forme palpable. Vous n’avez au mieux
semblaient prêtes à sor tir de ent en elles que des for mes
lègues académiques qui ne voi
quolibets persiflés par vos col es... quête de
grotesques, au pire subversiv ente l’horreur de ces temps modernes. Vous êtes en er qui y
Pou rta nt, vot re art rep rés thé ori e du pro fes seu r Lai stn
fondamental de l’homme, cette la réalité
l’Uralptaum : le cauchemar mythologies. Vous voulez substituer au rêve de la réalité
voyait la source de toutes les l’édifice de votre raison ...
quête d’absolu n’ébranle pas
elle-même. Espérons que cette

Dossier secret te trop cherché dans la

moi s, vot re ins pir ati on s’e st tarie. Vous avez sans dou vous a commandé une
Ces derniers puissant méc ène
osi té amb ian te des tra ces de la Vérité. Pourtant, un e jeune femme dont vous avez aperçu
mor avec pour modèle une superb rit dans
sculpture « à l’égyptienne », de théâtre. Elle vous a inspiré, plongeant votre esp . Cette
le portrait sur des affich es tie des grandes pyrami des
si elle était directement sor dont vous
la lointaine antiquité, commeèle et création a insufflé une âme dans cette statue
communion entre créateur, mod
oir
n’êtes pas peu fier. s. Il souhaitait ardemment sav
emm ent , un age nt nom mé Car ter a fait irruption chez vou qu’il est reparti bredouille, la
Réc -il
Un mari jaloux ? Toujours est
où se trouvait cette œuvre. es heures plus tôt chez son commanditaire...
statue ayant été livrée que lqu

– 93 –
 Identité : Bertrand René Giquel
L’Enquêteur Avant-gardiste
Métier : enquêteur de police
Origine : Paris
Concept : décadent
Archétypes associés : Tueur Pos
sédé,
Vampire Revenant
Convictions : utopiste, agnost
Dimension sociale : orphelin ique
recueilli
par les services de l’État
Potentiels

* Physique : 5
* Mental : 4
* Social : 3

Compétences

* Novice en traque, larcin et

* Pratiquant en combat et occ sciences du vivant
ultisme
* Maître en intrigues, spécialis
é en méthodes policières

Psychologie

« On tient pour suspec * Passion principale : ordre

l’intuition ; l’induction, tes l’induction et * Passion secondaire : addict
la logique ; l’intuition, le grand organe de * Tabou : donner la mort ion à l’opium
la conscience. » le grand organe de
* Déchéances possibles : oniris
* Tempérament : apathique me urbain, alter ego
Victor Hugo * Tendance : schizoïde
* Angoisse : 0
* Psychose : 3
* Seuil de névrose : 8
Description générale

Vous êtes membre de la pré

irrésolues ou inclassables. fecture de police mais remisé à ses marges, spécialiste des
On vous décrit comme quelqu’un aff
groupe. de taciturne, inapte au travaiaires
Orphelin abandonné sur le par l de
services de l’État puis élevé vis de l’é gli se Sai nt-Étienne, vous avez été rec
ueilli
trouver votre voie. Votre eng à la dure. D’une nature introvertie, il vous a été dif par les
votre reconnaissance à cette age men t dan s la pol ice fut sans doute un moyen pour vou ficile de
pat s de témoigner
Vous avez réussi de peu l’« rie qui vous a permis de survivre.
centimètres manquants. Sans dou examen de la binette » imposé par Lépine, malgré vos
Car vous avez d’étranges vision te vous aurait-il rejeté s’il avait eu vent de vos autres quelques
s. Vous percevez parfois des obj défaut
involontaire. ets irréels, fantastiques, de s...
Maîtriser ces cauchemars, qui façon
se révéla un parfait outil pou vou s han ten t dep uis l’e nfance, n’est pas chose aisée.
La
quasi surnaturels, au-delà de r vous transporter dans ces états de nervosité jusque làtoxicomanie
facultés : l’éther parfait vot sim ple s tra nsp ort s physiques. Ces drogues semble inconnus,
re nt décupl
D’où proviennent ces visions raisonnement, la morphine calme vos nerfs et vos névros er vos
Possédez-vous des dons d’ubiq ? L’opium en est-il à l’orig es.
uité qui vous permettent d’imag ine, ou en est-il devenu la
cur
troublant ? Le sommeil, le som
nam bul
ine r ces tableaux d’un réalisme e ?
ne le savez guère et vous con ism e ser aie nt- ils des explications plus rat aussi
ten ionnelles ? Vous
Vous êtes un héros décadent, tez d’en recueillir l’usufruit.
de vos dons vous a causé plu harcelé par la culpabilité et les désillusions. La mise
de la triste contrepartie de s de tort que de bien. Vous y prenez-vous mal, ou bien s’a en pratique
de vos conclusions vous laisse ce don ? Les quo lib ets de vos collègues et les échecs git-il là
de
du préfet Lépine, semblent le nt bien amer. Ces étranges missions, proposées par les certaines
seul moyen de dénouer cette spi bons soins
rale d’échecs...
Dossier secret
Vous avez connu l’agent Car
de son enquête sur la dispar ter au moment où il lui fallut recourir à vos service, dan
ition d’une personne de sa con s
de la préfecture ne vous a guè naissance. Mener une affaire le cadre
ont été accordés jusqu’ici parre posé de problèmes, vu les remerciements et la gratitude en marge
Carter avait ce je-ne-sais-q les aut ori tés pol ici ères. qui vous
sérieux vos talents visionnai uoi qui le rendait sympathique : il était le seul à
l’agent britannique ayant dis res. Il vous a cependant été impossible de poursuivre prendre au
paru peu après le relevé d’indi l’affaire,
ces...

– 94 –
 Identité : Peter Affener

Le Médecin Légiste
Métier : médecin accrédité
Origine : Afrique du Sud (boer)
Concept : roman naturaliste , Savant Fou, Momie, Bête
Archétypes associés : Aliénisteer), athée
Convictions : nationaliste (bo )
s enfant, club sportif (rugby
Dimension sociale : marié san
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 3
Compétences
société
* Novice en combat, sport et omme et intrigues
* Pratiquant en scienc es de l’h
ialisé en médecine
* Maître en sciences du vivant, spéc
Psychologie
igue
* Passion principale : l’intr rière
* Passion secondaire : la car
* Tabou : donner la mort isme, plasticator
* Déchéances possibles : scient
* Tempérament : amorphe
* Tendance : dépendant Le gra
ns, quand ils
nd avantage des médecil’enterrent. »
: 0 «
* Angoisse commettent une erreur,
c’est qu’ ils
* Psychose : 3
Jules Renard
* Seuil de névrose : 8
Description générale iété
blèmes d’insertion dans la soc
s ave z ren onc é à vot re cab inet médical, miné par des pro uper le poste de légiste en chef
Vou occ
rer à un travail de titan : grâce aux
française, afin de vous consac ie. Dorénavant, vos « patients » vous seront fournis
dans la pri son de Sai nte -Pé lag
ice parisienne.
macabres découvertes de la pol
glantes survenues entre
eig né les rud ime nts du mét ier au cours des guerres santaient pas encore de la
On vous a ens moment où les tribus locales
zoulous n’é
é.
colons anglais et boers, à unde guerre vous a appris à mettre votre sensibilité de côt
partie. La vie de chi rur gie n
ues déviants disparus
end ant pu tom ber plu s bas , tels certains de vos collèg , qui doit maintenant
Vous auriez cep carnoplastie
r Wolfgang Lerne, adepte de la nque bourgade de Normandie. Votre
dans la nature. Comme le docteu lques coq uet tes dan s une que lco ir pour
retravailler le visage de que en fait de vous l’exact inverse : vous travaillez la cha irs .
talent en mat ièr e d’a uto psi e en ret rav ail lan t les cha
ide nti tés , et non rec ons tit uer des identités
reconstituer des
livre les cadavres
lem ent con nai ssa nce de la légende du Fiacre de Nuit qui ressusciter ou les
Vous avez éga souhaitent les
lques collègues dérangés, qui crapuleux
des noyés de la Seine à que caricatures d’êtres humains. Un peu comme ces assassins eux de la
utiliser pour cré er de pâl es spéculer sur le mar ché jut
assassinent des passants pour
londoniens, les burkers, qui
viande fraîche...
aillé entre la police
ile de ray onn er ave c un tel métier. Sans cesse tir ues d’anonymes avides
Il est diffic farfelues ven
et les propositions les plus
« scientifique » en gestation est régulièrement mise à dure épreuve.
de cadavres frais, votre morale
Dossier secret ia tel
pour s’acoquiner avec un par
re aur a imp res sio nne : il n’y a guère que l’Aliéniste confond avec ces chiens d’anglais,
Vot s
ricain, à cause duquel on vou ts et aux
que vous. Votre accent sud-af Vous avez dédié la caresse de votre scalpel aux morig Carter,
rra nge guè re les cho ses . à vos yeu x : l’a gen t Cra
n’a l’un d’entre eux trouve grâce presque
britanniques mais, pourtant, s alimente depuis peu en cadavres bien étranges, pourrait
cet étrange individu qui vou
int de vos amis.
faire partie du cercle restre
résentent un véritable
mes , mon str es hum ain s, emp oisonnés... Ses livraisons reper ces curieux sujets,
Êtres diffor ps à épluch
s êtes. Vous passez votre tem aine. Mais
défi pour l’anatomiste que vouniste au sujet de l’essor d’une possible décadence hum ait pour
tout en disser tan t ave c l’A lié naître, la seu le sol uti on ser
de bibliothèque ? Pour la con
que peut y comprendre ce rat guerre !
lui de participer à une bonne
rvenir à son domicile.
rec evo ir un app el de Cra ig Carter, qui vous demande d’inteblez immédiatement vos
Vous venez de e. Vous rassem
grave, à une heure si tardiv
Ce doit être particulièrementourir...
effets personnels pour le sec

– 95 –
Une enquête qui tourne mal
L’enquête de Carter
Une interpellation bien sordide
Caboulot « Le Rat »,
quelque part sur la Route de la Révolte
2 Nulle possibilité de lire sans être dérangé...
Je refermai le dossier de Carter et mon manuel de
l’enquêteur. Leur lecture s’était avérée passionnante, et
j’avais l’impression d’avoir oublié la raison pour laquelle je
me trouvais ici : attendre Gueslin et l’indicateur de Carter.
Ces documents représentaient des mines de renseignements
pour mon métier en général, et pour ma recherche de l’agent
britannique en particulier. Craig Carter avait habilement
mêlé les fiches concernant son entourage et celles liées à
ses investigations : il me paraissait maintenant clair qu’il
était personnellement impliqué dans cette affaire qu’il avait
menée avec tant de méthode.
D’autres feuillets complétaient son dossier, ne différant
du reste que par une petite annexe parafée avec la mention
« suspect ». Je m’étonnai de constater que mon glorieux
97
prédécesseur réservait la même systémique à ses contacts
et aux suspects les plus patibulaires du milieu. Était-ce là
une preuve de son cynisme patenté, ou une fausse piste
supplémentaire ?
Tout en méditant sur cette manie de disséquer les traits
de son prochain je m’aperçus que, si l’on s’en fiait à sa
numérotation, il manquait une dizaine de feuillets à la suite
de l’onglet réservé aux « monstres ». Ils avaient été arrachés et
il n’en restait pas la moindre trace, même dans les documents
épars glissés à la fin de l’ouvrage. Si seulement j’avais pu
mettre la main sur les notes personnelles de Carter, où il
consignait tous les éléments de ses enquêtes... Il m’aurait été
facile d’éclaircir les zones d’ombre qui subsistaient encore
sur cet individu.
L’inspecteur Carter, quel mystérieux personnage... Mon
regard inquisiteur demeura suspendu sur les clients du bar,
essayant de percer les mystères de leur personnalité, les coins
sombres de leur âme, tentant (j’avoue, maladroitement)
d’appeler la science physionomiste à mon secours. Cette
vigilance me permit de scruter les agissements d’un raton
qui exerçait son art du vol à la tire auprès des piliers les plus
éméchés du bar. Encore un voleur, bien moins inquiétant
que le précédent. C’était un lieu de villégiature pour cette
espèce endémique. Tiens, je commençais à parler comme
Joseph, la gouaille en moins...
 Chapitre 4
Pas très dextre, le tire-laine. Il ne réussit pas à flouer un
ouvrier saoul, qui manqua de la clairvoyance nécessaire pour
lui flanquer une bonne fricassée. Cette graine de potence, un
abandonné comme il en existe une dizaine de milliers dans
le grand Paris, s’était sans doute exercée sur un mannequin
garni de grelots : il n’y a point de formation plus académique
pour ce genre d’expédient. Celui-ci avait dû manquer
plusieurs de ses cours. L’enfant me vit.
Je baissai les yeux. Le voyou gardait le regard fixe, le corps
animé de gestes mécaniques qui me firent frissonner. Les
rumeurs les plus nauséeuses couraient sur ces jeunes terreurs
bourrées à l’absinthe, dont le comportement meurtrier
pouvait poindre à la moindre contrariété. Ce genre de raton,
dix ans à peine, assez mince et fluet pour passer dans les
trous de caves ou les impostes, pouvait dissimuler un stylet
et en user avec habileté. Je rangeai mes documents à la hâte,
souriant à la volée à une serveuse charnue qui passait devant
moi. L’enfant s’approcha de moi.
— Vous n’avez pas la moustache réglementaire de
Lépine, Monsieur.
Je pris l’air étonné : le mouflet avait de l’aplomb à revendre.
— Vous inquiétez pas. Je suis qu’un fleure-fesses, un
mouchard si vous préférez. Vot’ collègue m’a donné du fric
pour vous filer un rencard. Il vous attend dehors.
Le ton monocorde épousait sa démarche chancelante,
comme une récitation bien apprise. Quand il se retourna
pour prendre la poudre d’escampette, je vis que le malheureux
avait souillé ses misérables braies. Je me levai précipitamment
pour sortir de ce bouge, avec le sombre pressentiment que
quelque chose ne tournait pas rond avec mon collègue.
2 Le terrible témoignage du sergent
La neige faisait son retour et la nuit était tombée. J’eus
du mal à reconnaître mon collègue, grimé à la mode locale.
Il guettait les alentours, tenant fermement l’épaule d’un
compagnon accroupi contre un mur (sans doute l’indic’ de
Carter). Ce dernier avait le regard fixé sur un chien errant
qui jouait avec un débris de bois. Le sac informe qui gisait à
leurs pieds attira mon attention.
— Pas le temps de vous expliquer, collègue. On a man-
qué Carter de peu. Au moins, j’ai récupéré ce monte-en-l’air
qui lui sert d’indic’. Pas très causant, l’animal. Pas le temps
de vous expliquer pour le sac, je le ferai en route. C’est juste
qu’il faudra le traîner, c’est une pièce à conviction. Je connais
un cocher dans le coin, le môme se charge de le prévenir de
notre arrivée pour qu’il affrète son carrosse.
Je tirai le lourd fardeau en écoutant la suite de son
discours. Personne ne nous prêta la moindre attention, trop
préoccupés qu’ils étaient à quérir un abri pour échapper aux
morsures de l’hiver.
— Y’a eu du grabuge chez l’indic’. Une belle mêlée qui
s’est terminée par une fuite généralisée. Deux n’ont pas eu les
jambes pour suivre. Je tiens l’un d’eux, vous tenez l’autre.
Je grimaçai en jetant un coup d’œil à mon colis.
— Les roublards du coin sont enragés comme des
hyènes. Ils vont revenir avec des renforts : j’espère que nous
serons partis d’ici-là, on a très bien pu me suivre.
98
Regardant fiévreusement tout autour de moi, je tentai
de me rassurer en vain... Nous nous efforçâmes de rester
discrets, aidés par le vent dont les bourrasques étouffaient les
bribes de notre conversation.
— Dès que je suis arrivé près de la cahute de l’indic’,
j’ai dû me cacher à la hâte. Des gars s’étaient postés à
l’entrée et aux fenêtres, et communiquaient par gestes. Et
pas du genre simples cambrioleurs. Il y avait là un ramassis
de charrieurs – ces criminels qui attirent les innocents
dans les coupe-gorges – et des chevaliers du brouillard, des
poinçonneurs de la pire espèce que j’ai vu placardés sur
les avis de recherche. Une dizaine de costauds dépêchés
là par je-ne-sais-quel seigneur du crime. Les saigneurs du
seigneur... Enfin, vous me comprenez.
Nous descendîmes la Route de la Révolte pour rejoindre
plus loin les quais de la Seine. Un fiacre s’y trouvait. Nous
quitterions grâce à lui cet endroit maudit pour nous rendre
à la préfecture.
— Ils se sont introduits dans la baraque en ouvrant
la porte à la volée et en prenant soin de la refermer pour
masquer leur futur forfait. Je me suis dit : voilà l’escouade
des justiciers du coin venus régler le sort de cette taupe, et
me voilà arrivé trop tard. J’ai attendu dix bonnes minutes,
avec pour seul compagnon le silence. Le froid m’engourdis-
sait, mais je résolus de garder ma position, histoire de ne
pas tomber nez à nez avec ces apaches une fois leur œuvre
terminée.
Il y avait peu de monde dans les rues. Je crus pourtant
reconnaître l’ouvrier qui m’avait bousculé plus haut. Effet de
ma paranoïa ? Il me sembla qu’il me dévisageait.
— Soudain, tout s’accéléra. Un hurlement retentit et
des cris de terreur lui firent écho. Une mêlée commença
dans ce réduit où je ne voyais rien. C’est là que j’ai compris
mon erreur de vous laisser au chaud et à l’abri. Je n’ai pas pu
surveiller toutes les entrées et seuls trois compères, parmi la
demi-douzaine qui avait investi les lieux, en réchappèrent. Si
vous les aviez vus détaler comme des lapins, ventre à terre,
on aurait dit qu’ils étaient poursuivis par toutes les légions
de l’enfer ! Je me suis dit : l’indic’ a sorti sa dernière carte, un
molosse de bon aloi qui lui a sauvé la mise. J’ai cru aperce-
voir une silhouette de gros chien sortir par l’arrière, du genre
chien de guerre, ceux qu’on rencontre dans les combats
illégaux d’animaux. Vous savez, les ours contre les chiens, les
rats entre eux, les coqs... Les cris des fuyards se sont perdus
dans les ruelles du quartier, dans l’indifférence générale, avec
comme seuls témoins les chats errants et moi-même.
Je me rapprochai de mon collègue. La présence de son
revolver me rassurait. Son expérience aussi. La populace était
de plus en plus nombreuse aux abords du fleuve.
— Armé de mon revolver fétiche je suis entré dans le
taudis, espérant trouver un survivant. Peine perdue. J’ai
trouvé celui-là (il me désigna mon encombrant chargement)
et celui-ci (désignant l’indic’), replié en état « catatomachin »,
psychologiquement mort. Je vous déconseille d’ouvrir le
colis, j’ai commis cette erreur qui m’a fait rendre la petite
collation prise dans le train. Au moins, j’ai pas chié dans
mon caleçon comme ce loupiot, le gamin chargé de vous
alerter. Tout était sens dessus dessous, les chaises et la table
 Système de Règles
renversées, des vêtements réduits en charpie, dont certains
féminins, du sang maculait les murs... Le molosse avait
bien fait son boulot de destruction, à en juger les morsures
franches qui ont eu raison du roublard.
Nous obliquâmes vers une ruelle terminée par une
impasse. La lune rousse projetait une lumière telle que
l’endroit me parut irréel.
— J’ai retrouvé des impacts de balles. L’indic’ n’est pas
armé. D’après les douilles, je suspecte un de nos gars d’avoir
été sur les lieux. Peut-être que votre gibier, Craig Carter,
rendait une visite impromptue à sa taupe. En tout cas, il a
vidé les lieux en oubliant cela.
Il me tendit un ramassis de
notes maculées de sang. La suite
du dossier secret de Carter et le
calepin retraçant son enquête, soit
tous les documents que je réclamais
à corps et à cri depuis une bonne
demi-heure ! Mon collègue s’était
arrêté à l’entrée de l’impasse, les
traits détendus : nous arrivions à
notre destination. La courée qui
servait de dépôt au fiacre était là.
Et pourtant, nous n’étions pas au
bout de nos peines...
2 La fuite des justiciers
C’était l’idée que je me faisais
du Far West. La sauvagerie qu’il
m’était donné de contempler
avait peu de rapport avec un lieu
dit civilisé. Le fiacre avait été
renversé et vidé de son contenu. Ses débris étaient encore
attelés au cheval qui le tractait ou, du moins, à ses restes.
L’animal avait été littéralement disséqué, sacrifié sous les
coups de coutelas maniés par une armada de bouchers en
quête de marchandises gratuites. A moins que ce ne soit la
Bête qui sévissait à Paris-même... Peu de parties charnues
subsistaient sur l’animal, certains os avaient été emportés
pour être revendus à une fabrique de noir animal.
Ce charbon animal était obtenu en chauffant au rouge le
blanc des os pour obtenir une substance propre à décolorer
les liquides, à raffiner les sucres ou à masquer les odeurs de
substances en décomposition. Rien ne se perd...
Nous partîmes immédiatement, avec la soudaine inquiétude
d’être surveillés. Mon compagnon pesta contre le gamin qui
avait dû vendre la mèche. C’est dans cette atmosphère de para-
noïa que nous convînmes de retourner vers le centre de Paris par
le moyen de transport le plus proche : les barques de la Seine.
L’indic’ se laissait guider comme un jeune chiot, et
le cadavre glissait aisément sur le sol verglacé. Les quais
étaient occupés par une assemblée de joyeux drilles qui
rendaient un culte aux dieux de la boisson. Ces bacchantes
chantaient à tue-tête des hymnes révolutionnaires agrémentés
de paillardises. Je reconnus plusieurs femmes parmi eux,
99
habillées comme des bourgeoises de seconde zone. Tandis
que nous étions affairés à couper l’amarre d’une barque, le
cortège arrêta son manège pour nous fixer de façon haineuse.
Fort heureusement, notre embarcation fila rapidement sur le
cours du fleuve, maniée de main experte par mon comparse
qui actionnait frénétiquement les rames.
Nous disparûmes rapidement, aidés par les dernières
lueurs de cette journée d’hiver, en mettant le cap vers l’ouest.
Il était inutile de retourner à la préfecture. La prison de
Sainte-Pélagie, qui faisait office de mitard politique et d’asile
d’aliénés, était l’endroit idéal pour interroger l’indic’ dérangé
et pratiquer l’autopsie du cadavre.
Le silence s’installa, pesant,
alors que le crépuscule tombait
sur la ville. J’eus le sentiment
d’échapper à une présence
malfaisante laissée sur les quais de
la Route de la Révolte. Les frissons
qui me tenaillaient étaient dûs à
l’angoisse. Je résolus de combattre
cette sourde inquiétude par la
raison. A la lueur de la lampe qui
trônait sur l’esquif, je parcourus
les notes de Carter pour suivre
le déroulement de son enquête.
Cette lecture des plus instructives
me replongea dans les règles de cet
univers bien macabre...
Manuel de l’enquêteur :
système de jeu de Crimes
Considérations d’ensemble sur le système
Notes de Carter (10 décembre 1898)
Me voici de nouveau reclus dans ce troquet pourrissant,
envahi d’une langueur qui n’a d’égal que l’extase procurée par
cet élixir parégorique qui coule lentement dans mes veines. Il
est rude de constater que, même dans cette atmosphère douce-
reuse, je ne suis pas à l’abri des gêneurs qui peuplent la fumerie
d’opium, à la recherche d’un partenaire pour leurs élucubrations
insupportables.
C’est aujourd’hui un instituteur, le costume souillé par la
craie, qui vient m’arracher aux doux murmures de la Fée Grise.
Ne voit-il donc pas que je suis occupé à rédiger mon journal ?
— Ça vous dit une partie de poker avec mes camarades ?
La mise de départ est d’un franc...
— Laissez-moi tranquille. Je n’ai pas envie d’abandonner
mes rêves pour un vulgaire jeu de hasard.
 Chapitre 4
— Le rêve est une chose, mon bon monsieur, mais il est
tellement grisant de tenter sa chance... Ce n’est pas interdit,
que je sache ?
Je maugréai à l’encontre de ce fonctionnaire qui pensait
que la vie se jouait sur un coup de dé, incapable de trouver
la volonté nécessaire au contrôle de sa destinée. Je rechignai de
nouveau.
— Je suis de ceux qui ne croient pas au hasard. La seule
vérité, Monsieur, réside dans mon libre arbitre. Je n’ai pas besoin
de jouer pour avoir l’impression de pimenter ma vie. Mon ima-
gination me suffit.
Le quidam refoulé s’en retourna à sa table. Je les entendis
rapidement pérorer sur leurs malchances respectives. Je pus
quant à moi tranquillement repartir vers mon voyage onirique,
dont la teneur dramatique me suffisait largement sans que je ne
me sente obligé de tenter ce diable de hasard.
A quoi bon des règles ?
2 Un système à tiroirs
Crimes est un jeu d’ambiance intensément dramatique.
Il pourrait, à la rigueur, se pratiquer sans jets de dés : il
suffirait au MJ de se contenter des seules règles de narration
pour mener l’intrigue. Mais comme tout jeu de rôles, Crimes
comporte des règles mécaniques, une concession que certains
trouveront peut-être condamnable, et pourtant...
Le système que nous vous proposons est un compromis
entre les souhaits des joueurs qui abhorrent les mécaniques
compliquées et ceux qui leurs vouent un culte. Nulle place
ici pour un système générique inadapté à l’univers particulier
de Crimes, ni pour un système révolutionnaire qui ferait
fantasmer les statisticiens. Simplement des propositions
pour pousser l’ambiance dans ses derniers retranchements,
d’où la présence de ce passage critique sur la place des règles
dans vos parties.
Vous seul décidez de la profondeur des règles que vous
désirez adopter.
Le système a été conçu en tiroirs, afin de vous permettre
de mener rapidement une partie. Les dés ne servent qu’à
décider de la réussite ou de l’échec d’une action, rien de
plus trivial. Après vous être familiarisé avec ce niveau de
base, vous pourrez intégrer les passions, qui vous ouvriront
consécutivement les portes de la psychologie et de la
déchéance, cruciales pour l’évolution du personnage sur le
long terme.
Vous pouvez très bien vous arrêter au premier niveau. Vous
pouvez très bien laisser vos dés chez vous. Vous pouvez très
bien adapter le système, l’enrichir de vos propres créations. Le
système n’est pas le centre du jeu : il n’en est que le moteur.
100
Règles de base et règles avancées
La tâche du MJ est délicate. Il doit se concentrer
sur l’intrigue tout en évitant les incohérences de
l’histoire. Il doit décrire les lieux et les personnages
pour distiller l’ambiance. De plus, il doit connaître les
personnages-joueurs pour jouer avec leur profil. Un
vrai travail d’équilibriste !
Afin de ne pas lui compliquer la tâche, prévoyez de
jouer à cinq joueurs maximum avec les règles de base,
et à quatre maximum avec les règles avancées. Dépasser
cette limitation vous fera négliger l’un ou l’autre de
ces aspects et compliquera le jeu, au détriment de son
atmosphère si particulière.
Jeu dramatique et jeu de simulation
« Le hasard est le plus grand romancier du monde : pour
être fécond, il n’y a qu’à l’étudier. »
Balzac, Avant-propos (1842)
Crimes se base sur deux catégories de règles : les règles de
simulation et les règles dramatiques.
2 Tout jet de dé est dramatique
Je vois déjà vos dés chauffer dans votre main... Pourtant,
vous ne les lancerez qu’une douzaine de fois au cours
de votre partie. Frustrant ? Pas tant que cela. Les jets ne
doivent pas briser l’atmosphère que vous allez installer. Ils
ne prennent en charge que les actions les plus difficiles. Jeter
un dé dans Crimes est rarement anodin. Il existera toujours
un risque et une contrepartie. Le dé est le représentant d’un
destin tortueux qui hante l’existence des personnages : ne lui
faites guère confiance.
Mais alors, faut-il faire son deuil des caractéristiques
chiffrées, sans pouvoir amener les PJ au faîte de leur
puissance ? N’est-ce pas illogique, à une époque où l’on
mesure tout, du physique au mental, où l’homme est sans
cesse confronté à des jauges, à des normes, où il faut sans
cesse faire preuve d’excellence ? Oui et non. Les personnages
de Crimes peuvent évoluer, mais vous comprendrez vite que
toute évolution se fait aussi... vers le bas. Par l’expérience,
la puissance peut être acquise, mais c’est au détriment de
l’équilibre du personnage. La puissance sans la maîtrise le
pousse inexorablement vers sa chute. Je ne vous souhaite pas
d’apprendre cette leçon à vos dépends, mais notre système
est plus dépressif qu’héroïque.
 Système de Règles
Donc, peut-on considérer que les personnages sont libres,
le hasard ayant perdu sa toute puissance ? Nullement. Une
partie du système se concentre sur des règles dramatiques,
c’est-à-dire sans jet de dés : votre personnage évoluera aussi
selon ses actes. La simulation par les dés n’est pas l’unique
moteur des changements de la fiche de personnage. Ses
réussites ou ses échecs dans le scénario, dans ses aspirations,
les contacts acquis au cours des scénarios en sont partie
prenante.
C’est par cette entrée que nous aborderons notre
panorama des règles de Crimes.
La mécanique du système
Notes de Carter (17 février 1898)
Elle n’était pas là ; nous avions pourtant rendez-vous... Il
me fallait la voir, absolument. Tout de suite. Peut-être était-elle
sortie ? Qu’à cela ne tienne, j’étais résolu à pénétrer dans
cette antichambre de l’amour que représentait l’appartement
d’Hannah, bien décidé à découvrir la nature de ses relations
avec Nicolas de Marcilly, ce maître de la pègre. Il me fallait
agir discrètement, en l’absence de mandat. Je décidai d’appeler
à la rescousse un raton de ma connaissance, ce genre de gamin
des rues dont on s’attachait facilement les services en échange de
quelques piécettes.
Le pauvre hère se présenta avec une demi-heure d’avance,
une bonne chose pour mes affaires. Il était accompagné d’un
petit rongeur (probablement une belette ou une fouine),
101
porte-bonheur du délinquant mais aussi souffre-douleur des
apaches plus âgés. Il opina du chef quand je lui fournis son
« avance » sur solde. Il entreprit alors de se faufiler à l’intérieur
du soupirail de la cave : tel un pantin désarticulé, se tortillant
comme un beau diable, il ne put reproduire les exploits d’un
Houdini et dut renoncer à poursuivre sur cette voie.
Il s’avança, penaud, prétextant n’avoir pu se déboîter
l’épaule pour rétrécir sa carrure, malgré toute sa maîtrise de
la contorsion. Je m’amusai des gesticulations de cet enfant,
qui avait dû battre l’air de ses jambes pour tenter vainement
de se faufiler dans l’espace souterrain. Je lui suggérai alors de
fracturer la serrure, me souvenant l’avoir entendu se vanter du
maniement des pinces et du passe-partout. Nous patientâmes
une bonne dizaine de minutes, sans succès. Mon empressement
abaissait mon attention et il s’en fallut de peu pour que
m’échappent les bruits de pas qui s’approchaient de notre ruelle
obscure. Je compris facilement, à leur rythme et à leur résonance,
qu’il s’agissait d’un gardien de la paix effectuant sa ronde.
Résolution des actions
2 Les fondamentaux
Avant de vous emparer de votre batterie de dés,
questionnez-vous sur l’intérêt du jet dans votre partie. Voici
les questions à se poser :
 Cette action est-elle difficile à accomplir
pour le personnage ?
 Cette action présente-t-elle un intérêt
dramatique particulier ?
 Chapitre 4

Si vous répondez oui à l’une d’entre elles, le test est

justifié. Sinon, décidez simplement la réussite de l’action.
Degré de maîtrise Nombre de dés Seuil
Pour effectuer un test avec les dés, voici la procédure à à garder
utiliser.
Incompétent (0) 1D 9
Déterminez d’abord quel est le potentiel mobilisé ainsi Novice (1) 1D 8
que la compétence testée. Le potentiel donne le nombre Pratiquant (2) 2D 8
de dés à 10 faces (D10) que vous pourrez jeter, le niveau Maître (3) 3D 8
de compétence, et le nombre de résultats que vous pourrez Maître (3) spécialisé 3D 7
garder. Ce système de base s’appelle Potentiel GARDE Exalté (4) 4D 8
Compétence. Les résultats des autres dés non gardés ne Exalté (4) spécialisé 4D 7
seront pas pris en compte pour la résolution de l’action.

Vous devez ensuite déterminer le seuil de difficulté du 2 Réussites automatiques

test. Celui-ci est, à la base, de 9.
 Cette difficulté baisse de 1 point
si le personnage est compétent.
 Elle baisse de 2 points quand le personnage
possède une compétence spécialisée appropriée.
Chaque dé indiquant un résultat supérieur ou égal au
seuil est appelé « réussite ».
Une fois les dés jetés, vous devez choisir ceux que
vous garderez : tous les « 1 » doivent être impérativement
conservés. Chaque résultat de « 1 » prend donc la place d’un
succès. Vous pouvez conserver les résultats n’ayant pas atteint
le seuil, afin d’échouer volontairement à l’action entreprise.
Les actions faciles ne nécessitent pas de jet de dés :
elles réussissent automatiquement. Une action est jugée
facile quand un homme normal a de grandes chances de la
concrétiser, ou si le personnage est suffisamment compétent
pour l’accomplir.
Les actions non dramatiques ne nécessitent pas de jet de
dés : ainsi, les personnages arriveront toujours à ouvrir une
porte s’ils ont l’éternité devant eux pour le faire, sans danger
d’être pris sur le fait, sans urgence les contraignant à fournir
une performance.
Application

Voici les bilans envisageables :
1. Vous conservez plus de « 1 » que de réussites, votre
action échoue lamentablement : on parle d’échec
critique.
 Vous êtes victime du destin qui s’acharne sur votre
sort : une maladresse, un résultat inverse à celui
escompté...
 Le MJ décide alors de la tournure « fatidique » de
l’évènement. L’échec critique installe une tension
importante qui rend chaque jet de dés risqué et
angoissant, puisqu’il s’applique autant aux novices
qu’aux personnages expérimentés.
Déceler l’arrivée du gardien de la paix n’était pas
difficile pour Carter, qui possède la compétence de
« traque » : aucun jet n’aurait été nécessaire.
Se faufiler dans le trou représentait par contre
un défi pour le raton, aussi menu soit-il. Avec son
potentiel physique de 3D, et en tant que maître dans
la compétence « évasion », il aurait dû réussir, avec
un seuil de 7 (9-2 : sa spécialisation en évasion) et en
conservant 3 résultats.
Cependant, ses jets (6, 3, 2) anéantissent ses
espoirs : il n’a aucune réussite. Il peut s’estimer heureux
puisqu’il a évité le 1 et donc la désillusion de l’échec
critique, qui aurait pu se traduire par une blessure au
niveau de l’épaule qu’il a tenté de se déboîter.

2. Vous n’avez aucune réussite : votre action échoue. Test en opposition

3. Vous conservez autant de « 1 » que de réussites,
votre action réussit de justesse : on parle de « réussite
mitigée ».
4. Vous conservez plus de réussites que de « 1 », vous
réussissez votre action. Le nombre de réussites peut
éventuellement représenter l’importance de votre
succès.
Notes de Carter, suite (4 décembre 1899)
Nous nous terrâmes sur le seuil de la porte, profitant des
ombres stables qui masquaient la façade. Notre respiration
suspendue, raidis comme des statues de cire devant un visiteur
distrait, nous ne fûmes pas inquiétés par la vigilance de cet
agent zélé.

102
 Système de Règles
Notre système simule, pour l’instant, les actions délicates
d’un héros face à un obstacle passif.
Il se peut qu’un personnage rencontre un obstacle actif
qui lui résiste, qui lui oppose sa force ou ses compétences.
Nous entrons alors dans le cas d’un test en opposition, qui
se résout très facilement.
Chaque protagoniste fait un test simple. Celui qui
cumule le plus de réussites remporte l’opposition. Sinon, les
deux opposant se neutralisent mutuellement.
Attention toutefois : un échec critique entraîne un
évènement grave qui brise l’enchaînement de l’action. Dans
ce cas, on peut même ajouter le nombre de « 1 » au nombre
de succès de l’adversaire.
En effet, un test en opposition peut se prolonger dans le
temps, comme sur le modèle d’un bras de fer.
Application
Carter doit se dissimuler aux yeux du policier. Il
s’agit là d’un test en opposition.
Carter a 4D en potentiel physique et il est maître
en larcin [camouflage] ; il garde donc 3D. Le policier
a 3D en potentiel mental et est pratiquant en traque,
il garde donc 2D.
La difficulté de base pour les deux est de 9 (que
le MJ aurait pu moduler si, par exemple, l’endroit
était mieux éclairé, en donnant une difficulté de 7 au
policier).
Résultats de Carter : 6, 8, 4, 7, son seuil étant de 7
(9-2 : il est spécialisé en camouflage), il a 2 réussites.
Résultats du policier : 8, 6, 2 avec un seuil de 8
(9-1), ce qui donne une réussite. Carter parvient donc
à cacher sa présence au policier pourtant vigilant, et ce
grâce à sa maîtrise dans la compétence utilisée.
2 Actions de groupe et réussites retardées
Notes de Carter, suite (4 décembre 1899)
Après le départ du vigile, je m’assurai que les rues étaient de
nouveau désertes. Tous nos moyens avaient échoué ; il ne restait
qu’une seule solution : la manière forte. Il n’était pas nécessaire
de nous concerter. Le raton sortit son pied de biche, alors que je
prenais mon élan pour défoncer cette porte que j’espérais fragile,
ou du moins plus fragile que mon épaule. Notre travail d’équipe
peu discret n’eut cependant pas raison de l’obstacle. Pourtant, je
refusais l’idée de tout échec...
103
L’enquête est surtout un travail d’équipe et les tests soli-
taires peuvent parfois, devant la difficulté, devenir l’exception.
Le système peut facilement s’adapter à la résolution d’actions
de groupe. Vous pourrez, bien entendu, appliquer vos propres
recettes lorsque vous en aurez maîtrisé les bases. Nous vous
proposons nos propres adaptations pour vous faciliter la tâche.
Ces recettes dépendent de la façon dont le groupe s’entraide.
2 Tests individuels
Chaque membre du groupe peut être amené à faire le
test individuellement. Chaque protagoniste de l’action fait
un test en opposition, pour savoir s’il réussit individuelle-
ment ou pas.
Dans l’exemple précédent, le raton aurait dû faire son
test de dissimulation, puisqu’il était caché comme Carter,
et obtenir au moins deux réussites pour neutraliser les deux
réussites en vigilance du policier. Dans le cas contraire, le
policier l’aurait aperçu, ce qui aurait modifié la donne même
si Carter, lui, avait réussi.
2 Prêter main forte
Plusieurs personnages peuvent également se prêter main
forte en décomposant une tâche pour en faciliter l’achève-
ment. Ainsi, lors de travaux de recherche, les enquêteurs
peuvent se répartir le travail entre eux. On additionne alors
leurs réussites individuelles.
Cela est particulièrement intéressant lorsqu’ils se trou-
vent face à un obstacle qui ne cédera pas à la première réus-
site. Ici, la porte est suffisamment solide pour demander un
cumul de 3 réussites avant de s’ouvrir. C’est ce qu’on appelle
une « réussite retardée ».
Application
Dans notre exemple, le raton doit forcer les gonds
de la porte avec son outil. Cela ne sera pas évident
car contrairement à la prédiction de Carter, la porte
est solide.
C’est un test réalisé avec son potentiel
physique (3D) mais en gardant un unique dé, puisqu’il
n’a pas de compétence adéquate. Il réalise une réussite
en sortant 5, 4 et 9.
Carter tente de défoncer la porte avec son
physique (4D) et en retenant lui aussi 1D. Il sort
4, 6, 9 et 9. Il est particulièrement déçu du résultat
car, avec une réussite supplémentaire (donc une
troisième pour l’équipe), la porte aurait cédé. Il peste
de ne pas avoir été assez compétent pour garder un
9 supplémentaire. Avec le bruit qu’ils ont fait, ils ne
pourront pas faire un test de plus pour avoir raison
de cette porte. Et pourtant, il existe un moyen de se
surpasser...
 Chapitre 4
2 Résumé : les tests
Test inutile si action facile, personnage assez compétent
ou pas d’enjeu dramatique.
Test simple
 Jeter autant de D10 que son potentiel, en garder
autant que sa compétence.
 Garder impérativement les 1.
 Difficulté= 9 (-1 si compétent, -2 si spécialisé).
 S’il garde au moins une réussite, il réussit. S’il garde
plus de 1 que de réussites, échec critique ; sinon,
avec un nombre égal, réussite mitigée.
Test en opposition
 Les protagonistes font leur test séparément avec des
difficultés modulables (en fonction de la situation
et de leur niveau de compétence).
 Celui qui a le plus de réussites gagne.
 Même nombre de réussites ou d’échecs : statu quo.
 Un échec critique : le nombre de « 1 » s’ajoute à la
marge de l’adversaire.
Test prolongé
 Le personnage doit accumuler un nombre minimum
de réussites pour vaincre l’obstacle.
Test de groupe
 Chacun fait son test séparément, puis on cumule
le nombre de réussites.
Utilisation de l’historique
Notes de Carter (2 décembre 1898)
Il m’était difficile d’accepter ma nouvelle situation
sentimentale, de rester attaché à cette femme par les liens
indéfectibles du cœur... Né dans la ville crasseuse de Liverpool
d’une mère prostituée chassée d’Irlande et d’un père inconnu,
un lâche incapable d’assumer ses actes commis sous l’emprise
de l’alcool, mon amour s’était reporté vers la Couronne
Britannique qui avait fait de moi l’homme que j’étais devenu.
L’amour et l’amitié ne pouvaient représenter pour moi que
des occupations secondaires, tant mon histoire personnelle en
était vide.
Derrière le paravent de ma prétendue foi chrétienne, je
cultivais mon agnosticisme. Et pourtant, aujourd’hui, je trouvais
une mystique incarnée dans les yeux de cette Femme Fatale. Ma
chère Hannah ! Tes yeux de braise aimantent mon regard et
mes pensées, tu es l’empuse qui me vide de ma substance vitale.
J’aimerais tant passer l’éternité à te contempler... Tout en toi
104
Jouer avec un historique vide
C’est un excellent dérivatif pour les joueurs
intéressés par la quête d’identité. L’amnésie, l’orphelinat
sont des points de départ pour construire un PJ sans
passé. Le MJ introduit des intrigues secondaires dans
ses scénarios, qui distillent des indices sur cette identité
à reconstruire comme un puzzle. L’agent Carter, élevé
par sa mère irlandaise sur le sol anglais en l’absence de
père en est un parfait exemple.
Pour cela, il faut escamoter la détermination de
l’origine et des liens sociaux pendant la création du
personnage.
ébranle mes convictions les plus profondes. Mon flegme me permet
de dissimuler mon désarroi, sauf quand je suis dans tes bras.
Après avoir découvert tes liens avec ce Génie du Crime que
je recherchais, je résolus de t’arracher à son emprise mortelle.
J’ai utilisé tous mes contacts dans le monde du crime, afin
d’approcher celui qui tirait les ficelles de la Route de la Révolte.
En parvenant à intéresser ton protecteur au trafic des antiquités
égyptiennes grâce au réseau que je connaissais depuis Londres, je
lui ai fixé un rendez-vous qui pourrait me permettre d’atteindre
mon but : te conquérir enfin en coupant le fil de la Parque qui
te retient à cet odieux personnage...
L’histoire personnelle
L’historique est important pour déterminer l’évolution
personnelle de votre personnage. Le XIXème siècle est
atteint d’une véritable frénésie introspective ; l’histoire de
chacun est une base sur laquelle on construit son identité.
L’avenir est conditionné par la naissance, l’hérédité, les liens
sociaux. Et pourtant, on ne se connaît jamais soi-même.
L’historique n’est pas exhaustif : des héros peuvent être privés
de leurs origines par leur statut d’orphelin, et posséder des
marques de naissance censées éclairer leurs héritages.
L’histoire personnelle est donc utilisée pour le dévelop-
pement du personnage, à travers la quête de son identité.
C’est un réservoir à intrigues secondaires pour le MJ.
Les convictions
C’est l’idéologie profonde d’un personnage. Ces
convictions peuvent évoluer en cours de campagne, si
ce changement est motivé par la tournure prise par le
personnage.
Ces convictions, qu’elles soient d’ordre politique,
philosophique ou religieuse, sont moins profondes que
les passions et ne sont pas utilisées lors des jets de dés.
Néanmoins, le MJ peut les introduire dans la mécanique du
 Système de Règles
système si le personnage entre en contradiction avec l’une
d’entre elles. On agit alors comme lorsqu’un personnage
cède à une passion taboue (voir le paragraphe sur les
passions).
Par exemple, Carter est profondément agnostique malgré
son admiration pour la morale protestante. S’il vivait une expé-
rience qui remettrait en cause cette conviction, comme un prêtre
opérant un miracle, le MJ pourrait lui demander d’effectuer un
test psychotique. Une expérience mystique l’autoriserait alors à
changer de conviction avec des points d’expérience.
L’environnement social
Avantage : le personnage peut
appeler à la rescousse un de ses con-
tacts disponibles. Pour cela, il réalise
un test simple avec son potentiel
social en gardant le nombre de dés
indiqué à côté de son contact. Le
seuil est de 8. En cas de réussite,
le personnage perd un dé dans ce
total pendant la durée du scénario.
S’il échoue ou si le total du contact
devient nul, le contact ne peut plus lui
venir en aide pour des raisons diverses.
A contrario, le contact peut demander
un service au personnage ; si le joueur
fait ce que ce dernier attend de lui,
le total augmente d’un dé pour la
durée du scénario.
Inconvénient : ces contacts sont exposés aux dangers
de l’enquête et peuvent mourir. Une telle perte provoque
inévitablement un traumatisme qui engendre le gain d’un
point de psychose. S’il est déjà délicat de sauver la peau de
votre personnage dans Crimes, il faut en plus protéger son
entourage !
Pour Craig Carter, la Femme Fatale s’ajoute à son his-
torique en tant qu’amante. Elle possède de nombreux atouts
d’actrice et de séductrice, et ses renseignements sur le Génie
du Crime sont précieux. Cependant, s’il venait à la perdre,
Carter en deviendrait probablement fou et la psychose l’y
aiderait grandement !
2 Résumé sur l’historique
 Convictions : à interpréter. Test psychotique si le
personnage entre en contradiction avec l’une d’entre
elles.
 Contacts sociaux : chaque contact peut être appelé,
chaque appel le met en danger. Intervient en fonction
de la réussite du jet de social GARDE valeur du
contact.
105
Intervention des passions
« En dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassem-
blant les principaux faits des passions, en peignant les caractères,
en choisissant les évènements principaux de la société, en com-
parant des types pour la réunion des traits de plusieurs carac-
tères homogènes, peut-être pourrais-je arriver à écrire l’histoire
oubliée par tant d’historiens : celle des mœurs. »
Balzac, Avant-propos de la Comédie Humaine (1842)
Cette règle est notée comme
avancée : vous pouvez fort bien
considérer que les passions ne sont
qu'une aide pour interpréter le
personnage, tout au plus un apport
dramatique.
La création des personnages
vous a ouvert à la notion de passion.
Elle est essentielle à cette époque
balayée par les vents de l’Histoire.
L’amour, la haine, la vengeance ou
la mélancolie sont des empires dans
lesquels se perdent des personnages
qui réagissent à la moindre sollicita-
tion du cœur.
Vous pouvez aussi faire des
passions du PJ un moteur de
dépassement qui lui permet
de transcender ses limites. Cela présente le risque d’être
submergé par ces émotions trop fortes, ce qui peut le
faire chavirer dans des tourments psychologiques jusqu’aux
affres de la déchéance. Si c’est votre choix, lisez les passages
ci-dessous.
Utilisation des passions dans le système des dés
Notes de Carter (3 novembre 1898)
Passer à l’acte avec cette lionne d’Hannah me posa plus d’un
problème. Le sexe était pour moi une affaire de reproduction, ou
un plaisir coupable effectué à la va-vite avec les prostituées pour
éviter toute condamnation embarrassante. Un acte purement
égoïste, réglé comme une procédure judiciaire la lumière éteinte,
sans se déshabiller. Je découvris avec elle l’échange, le partage, le
don du plaisir. Je m’étais toujours interdit de céder aux sirènes
du « don de soi ». J’avais échoué.
Au cours de la déclaration d’intention (quand le joueur
définit ce qu’il veut faire), le MJ décide si le test projeté fait
intervenir l’une des passions de son personnage.
 Chapitre 4
Quand une de ses passions entre en compte dans la
situation résolue par les dés, le personnage peut garder
les réussites supplémentaires qu’il avait réalisées mais qu’il
n’avait pas pu garder, en raison d’un niveau de compétence
trop faible. Cela représente le dépassement dont il est
capable quand l’enjeu devient une affaire de coeur.
Cependant, le recours aux passions est épuisant :
le personnage subit en retour une fatigue qui fait baisser
de 1 point le potentiel utilisé par réussite supplémentaire
gardée, et ce jusqu’à la fin de la scène. Il n’est pas possible de
se dépasser plus d’une fois par scène.
De plus, l’utilisation de cette règle a d’autres
contreparties : un échec critique à ce jet lui occasionnera un
point de psychose et non plus de névrose.
Application
Quand il tentait désespérément de forcer la porte
de l’appartement de son amante, Carter aurait pu
invoquer la passion qu’il lui portait pour recourir
au dépassement de son score par la passion. Cela
aurait été un choix judicieux : puisqu’il avait réalisé 2
réussites (avec ses deux 9), la passion lui aurait permis
de garder la seconde réussite et donc de vaincre cet
obstacle.
Utilisation des passions dans la dramatique
du scénario
L’utilisation des passions n’est pas toujours un acte
volontaire et planifié. Elle n’est pas réservée aux simples
jets de dés. Le personnage subit l’influence de ses passions
tout au long de son aventure. Non seulement elles donnent
au joueur une base pour l’interpréter, mais elles peuvent
aussi déclencher les névroses et les psychoses sans recours au
moindre jet, sous le jugement éclairé du MJ.
Résumé : utilisation des passions
 Jets de dés : si l’action est concernée par une passion,
possibilité de garder une ou plusieurs réussites laissées
de côté. S’il le fait, il subit un point de fatigue par
réussite gardée en plus dans le potentiel utilisé.
Échec critique = perte d’un point de psychose
 Dramatique du scénario : si action concernée par
une passion, le personnage risque des problèmes
psychologiques et subit des névroses ainsi que des
psychoses.
106
Application
Carter possède une passion principale pour
l’absolu, la quête métaphysique qu’il s’est fixée pour
s’affranchir de sa simple condition humaine.
Cette quête de l’absolu n’intervient pas dans tout ce
qui est relatif à ses histoires de coucherie, mais sa passion
particulière pour cette femme pourra lui permettre de se
dépasser quand l’intérêt de la belle sera en jeu. En contre-
partie, il sera sujet aux débordements de sa psychologie.
Enfin, Carter souffrant d’une aversion pour le
« don de soi », en bon égoïste, son aventure sentimen-
tale basée sur le don et le contre-don risque fort de lui
attirer quelque névrose indésirable, puisqu’elle entre
en contradiction avec sa passion taboue...
Il pourra donc se dépasser à chaque fois qu’il
intervient pour la Femme Fatale, mais ses ébats amou-
reux lui occasionneront 1 point de névrose tant qu’il
ne change pas de passion taboue.
Règles de psychologie
Intérêt de cette noble science dans le tragique
de vos héros
Toutes les règles de psychologie sont des règles
avancées.
Notes de Carter (17 février 1898)
Et dire qu’il m’avait fallu trouver une accréditation de
la préfecture de police pour faire appel à un serrurier ! J’étais
humilié, tant je me sentais d’ordinaire sans égal dans mes
activités nocturnes. Là, au soleil de midi, je devais m’en remettre
à un ouvrier pour m’ouvrir les portes du Saint Graal... Les soucis
qui m’accablaient n’affectaient plus seulement mon ego, mais
aussi mon flegme : je ressentais une bouffée d’angoisse depuis
mon échec de cette nuit quand, faisant le guet sous sa fenêtre
comme un amant éconduit, je n’avais décelé chez elle pas le
moindre signe de vie.
Ce bon aliéniste de la Salpetrière, Martin Stoppes, m’avait
déjà confié qu’il était indispensable d’avoir de solides points
d’ancrage pour ne pas s’éloigner de la réalité. J’avoue qu’en plus
des tracas causés par ma double profession et l’étrangeté des anti-
quités égyptiennes collectées, l’angoisse de perdre cette donzelle
minait singulièrement ma santé mentale.
 Système de Règles

2 Les tourments de la déraison

Les progrès en psychologie permettent de comprendre

les tourments dont sont victimes nos enquêteurs. Leurs
aventures troublantes mettent à mal l’édifice de leur raison,
et leurs passions prennent parfois le dessus en les soumettant
à des affections mentales dont nous appréhendons mieux la
nature.

Cependant, nous ne voulons pas vous perdre dans le

labyrinthe de la psyché humaine. Ces règles sont avancées,
comme celles des passions. Leur intérêt principal est de
simuler l’évolution de chaque personnage dans sa longue
quête initiatique : se réaliser pleinement et garder son équi-
libre. Nombre d’entre eux, après avoir expérimenté les failles
de leur pensée trop sûre, échoueront au seuil de la folie dans
un tourbillon de non-sens. Leur raison vacillera, au fur et
à mesure que les liens qu’elle entretenait avec la réalité se
rompront. Le personnage ne sera plus jamais lui-même ;
en atteignant les tréfonds de son âme et de son corps, il
expérimentera tantôt la déchéance, tantôt la sublimation de
sa condition humaine.

Au diapason avec la pensée de son temps, Crimes pro-

pose donc des règles de psychologie abouties qui simulent la
descente aux enfers de personnages en proie à leurs démons
intérieurs. Cette déchéance les amène parfois à devenir de
vrais monstres, aussi bien mentalement que physiquement.
2 Théories sur la psychologie
Crimes se base sur les études non anachroniques de
Freud, qui établissent pour l’esprit humain trois tendances :
 le « ça », domaine des instincts animaux, de l’incons-
cient, des pulsions amorales (ni bonnes, ni mauvaises)
que l’on nomme Ombre dans Crimes. C’est la person-
nalité du docteur Jekyll qui s’incarne en Hyde,
 le « sur-moi » qui représente l’idéal du personnage, ses
aspirations, la pression sociale pour domestiquer les ins-
tincts du « ça », important quand on songe à la société
puritaine et moraliste du XIXème siècle,
 le « moi », personnalité consciente du personnage qui
fait l’arbitrage entre les deux précédents.
Tout déséquilibre entre ces tendances amène des
désordres mentaux aux conséquences diverses...
Les règles de psychologie prennent en compte trois
paramètres :
 l’angoisse qui représente le calme, la maîtrise qu’a le per-
sonnage de lui-même face aux évènements angoissants,
 les névroses, affections conscientes qui peuvent dégéné-
rer en psychoses,
 les psychoses, affections inconscientes et profondes qui
génèrent des troubles psychiques durables.
Ces trois paramètres génèrent des états psychologi-
ques, autrement dit des folies, qui sont le prélude de la
déchéance.
L’angoisse
« Le courage, c’est de comprendre sa propre vie... Le courage,
c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquil-
le... Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »
Jean Jaurès
Le frisson dansant sur l’échine, l’ardeur née du courage...
Ces sensations physiques traduisent la peur, cette oppression
douloureuse qui envahit le personnage en défiant sa raison
et en perturbant sa maîtrise.
Le score varie de 0 à 5. L’angoisse de base varie selon le
tempérament du personnage (voir le chapitre 3).
Le score d’angoisse évolue de deux façons :
1. Il augmente lorsque le personnage est confronté à une
ambiance ou à un évènement angoissants. Ces moments
sont signalés dans nos scénarios. L’angoisse peut être
la conséquence d’une confrontation perdue avec les
adversaires des héros, et traduira les appréhensions
éprouvées à la suite de ce premier échec.
2. Il diminue lorsque le danger est dominé ou mieux connu.
C’est la conséquence d’une confrontation réussie avec les
sbires de l’ennemi, ou quand ils collectent des indices
essentiels qui les prépareront à la confrontation finale.
Par l’intellect et le courage, les héros peuvent dépasser
leurs peurs pour affronter de grands dangers.
L’évolution de l’angoisse se fait donc dans le cadre dra-

107
 Chapitre 4
matique de l’histoire, et n’est pas la conséquence d’un jet de
dés. Ce score, afin de ne pas déséquilibrer le jeu, varie de
1 point maximum.
L’angoisse influence la névrose, puisque les deux jauges
évoluent au diapason : quand l’une baisse l’autre aussi, et
inversement.
Enfin, l’angoisse joue un rôle important dans le bascu-
lement dans la folie, dans le cadre des tests déterminant les
états psychotiques. Nous vous présentons ces deux fonde-
ments de la psyché du personnage dès à présent.
2 Résumé sur l’angoisse
Application
Carter aurait accumulé 1 point d’angoisse et
donc 1 point de névrose suite aux désagréments subis
par cette nuit d’attente du retour de sa promise, car il
s’est torturé l’esprit en s’interrogeant sur la raison de
son absence.
+1 pt lors des moments angoissants
ou lors d’un échec contre l’antagoniste
-1 pt avec un indice permettant de le vaincre
La variation de l’angoisse est répercutée sur le score de
névrose. Ce score ne peut en aucun cas être négatif.
La névrose
2 Une rupture d’équilibre
Nous avons identifié plus haut les trois tendances de
l’esprit humain : le « ça », le « moi » et le « sur-moi ». Quand
le « sur-moi » écrase le « ça », il établit une dictature sur
le « moi » qui amène la névrose. En gros, le personnage
est frustré de ne pas atteindre ses idéaux. La névrose est
consciente, contrôlée par le personnage, jusqu’à ce qu’elle
atteigne un certain seuil.
La névrose augmente dans les cas suivants :
 Quand le personnage échoue à un jet de dés, il gagne 1
point de névrose.
 Lors d’un jet de dés, quand le personnage a des réussites
supplémentaires qu’il n’a pas pu garder, il gagne 1 point
par réussite non gardée.
 Au cours de l’histoire, quand le personnage est frustré,
c’est à dire quand il ne parvient pas à satisfaire l’une de
ses passions, ou quand il est contraint d’assouvir une
passion qui lui est taboue.
 À chaque point d’angoisse gagné au cours du scénario.
La névrose du personnage baisse dans les cas suivants :
108
 Au jet de dés, quand le personnage enregistre un succès
important (au moins 3 réussites gardées), sa névrose
baisse d’un point.
 Quand son angoisse baisse.
 Au cours de l’histoire, quand le personnage accomplit
un but important qu’il s’était fixé.
2 Dépassement du seuil de névrose
Application
Dans notre exemple, où Carter et le raton
tentent une effraction dans le nid douillet de la
belle, il n’y a pas de modification de l’angoisse. Cela
aurait pu être le cas si Carter avait reçu un message
indiquant sa muse en danger. Mais ce n’est pas le
cas, le stimulus n’est ici pas suffisant pour faire varier
cette jauge. Carter voue une passion à cette femme,
ce qui justifie le recours aux règles psychologiques.
D’abord, il aurait gagné 1 point de névrose : en effet,
il a échoué dans sa tentative de fracturer la porte.
Même en réussissant, il aurait pris ce point de
névrose, puisqu’il avait une réussite non gardée (un 9
de trop). Carter se serait vu légèrement frustré de ne
pas avoir pu exprimer totalement son potentiel. Pour
éviter ce gain il aurait fallu qu’il se dépasse (moteur
de dépassement), mais ça l’aurait fatigué.
Dans sa lettre très confidentielle, où il mentionne
sa nuit d’amour, le fait d’avoir cédé à sa passion taboue
(le don de soi) lui aurait valu 1 point de névrose.
Cependant, le joueur aurait pu arguer qu’en faisant
cela, il accomplissait une autre de ses passions (l’amour
de cette femme), et donc que cet assouvissement
(-1 en névrose) pouvait compenser cet écart de ses
tabous (1 - 1 point de névrose = 0). Cela illustre les
situations où plusieurs passions se contredisent, qui
aboutissent à des dilemmes très intéressants que le MJ
devra trancher.
Chaque personnage possède, selon son tempérament, un seuil
de névrose noté sur sa feuille d’aventure. C’est le score maximum
qu’il peut supporter avant de subir des effets indésirables.
Quand le personnage atteint ou dépasse ce score :
 Ce dernier est ramené à la moitié (arrondi à l’inférieur).
 Le personnage gagne 1 point en psychose, affection
plus importante et durable que la névrose qui n’est que
passagère.
 Le MJ déclenche un état psychotique aigu chez le
personnage qui ne durera que jusqu’à la fin de la scène, cet
état étant choisi selon son inclinaison psychotique.
 Si le personnage a au moins 6 en psychose, il subira
les effets de son état psychotique intermittent ; le MJ
peut choisir de déclencher celui-ci plutôt que l’état
psychotique aigu choisi au hasard. Cela démontre la
permanence de certaines affections mentales.
 Système de Règles
2 Résumé sur la névrose
Elle varie en fonction :
 Des succès et insuccès dramatiques des personnages
(but personnel, passion à assouvir).
 Des succès importants (3 réussites) et des échecs au dés
impliquant des passions.
 Des variations de l’angoisse.
 Une fois le seuil atteint, le score diminue de moitié,
la psychose gagne 1 point, un état psychotique est
déclenché pour la scène.
Ce score ne peut en aucun cas être négatif.
Application
Carter possède un seuil de névrose de 6. Il avait déjà 5
points et en accumule un de plus, vu son incapacité à frac-
turer la porte. Il atteint son seuil névrotique et ramène son
score à 3 (6 divisé par 2). Il gagne 1 point de psychose.
Carter n’a pas d’état psychotique particulier.
Cependant, la frustration qu’il éprouve est telle qu’il
cède à un état névrotique que le MJ définit comme étant
une crise mélancolique : l’agent, devant son insuccès, est
désemparé et s’assied sur le parapet, le regard vide, pestant
contre l’acharnement du sort. Le raton devra attendre
cinq bonnes minutes (la fin de la scène) pour que son
employeur retrouve ses moyens. Ils décident d’interrom-
pre leur virée nocturne pour trouver un autre moyen de
pénétrer dans cette satanée bâtisse.
Les psychoses
Notes de Carter (17 février 1898)
Je remerciai le serrurier avant de pénétrer dans le vestibule
de ma bien-aimée. Tout était sens dessus dessous. L’appartement
du rez-de-chaussée, d’ordinaire rangé selon un sens scrupuleux de
l’esthétique, n’avait plus rien d’attrayant : le guéridon renversé,
la peinture sur les murs, le miroir brisé, les fleurs flétries jonchant
le sol... Un cambriolage avait eu lieu. Ou autre chose de bien
pire.
Je gravis à la hâte l’escalier. Dans la chambre, le nécessaire de
toilette avait été renversé sur le tapis d’Orient, mon dernier cadeau
en date. Son journal intime gisait par terre, des pages arrachées.
Le grand miroir était brisé, des robes découpées. Il me sembla que
deux parties de moi-même luttaient l’une contre l’autre : l’amant
paniqué sombrait dans la précipitation et l’enquêteur méthodique
évaluait la situation. Pas de corps. Soulagement...
Je descendis dans la cuisine. La fenêtre était ouverte et claquait
avec le passage d’un courant d’air. Les volets étaient mi-clos,
l’absence de lumière donnait à l’ensemble l’aspect d’une cave. Je
distinguais difficilement la nature des objets qui reposaient, brisés,
109
sur le sol carrelé. Parmi eux, la morte. Il ne me fallut pas longtemps
pour comprendre que la vie avait quitté sa chair, envolée sous la
pression des doigts de son agresseur sur sa gorge délicate. Je tombai à
genoux, sans me soucier des éclats de verre. Mon état psychologique,
fragilisé par ma quête occulte et mes tourments intérieurs, ne
pouvait résister à pareille surprise. J’étais arrivé trop tard...
Je m’écroulai à la renverse, les bras en croix. Ma perception de
l’environnement se remplit de troubles, de vrilles et de chimères.
Les objets entamaient une sarabande autour de moi : leur nature
était déformée, des esprits malins les possédaient, les implosaient,
et d’autres bris se firent entendre. Leur danse démoniaque faisait
écho aux déchirures qui s’opéraient en moi, à la culpabilité qui
me réduisait, moi aussi, en pièces. Je ne sus combien de temps je
restais, interdit, à contempler ce monde soudain éclairci, sans
cesse en mouvement, le mouvement du diable. Je n’avais plus
aucune raison d’espérer. J’étais arrivé trop tard.
Vers une nouvelle appréciation de la réalité...
La psychose est un second niveau d’atteinte psychique.
En effet, la névrose induit un état déviant aigu mais limité
dans le temps. La psychose est le début d’authentiques trou-
bles menant vers la folie véritable et les désordres les plus
graves de la personnalité.
La psychose représente des états mentaux où le
« sur-moi » et le « moi » sont décalés par rapport à la
réalité. On parle alors d’états psychotiques. Le pire est que
le personnage reste inconscient de ces troubles. La psychose
étant très difficile à soigner, seuls des succès importants
dans la vie du personnage, ou des thérapies d’aliénistes
peuvent l’amoindrir.
La psychose augmente dans les cas suivants :
 Quand le seuil névrotique a été atteint, le joueur ajoute
un point de psychose à son personnage.
 Quand le personnage échoue à un test psychotique face
à un évènement effrayant ou traumatisant.
 Quand le personnage subit un échec critique soit sur les
jets impliquant une passion, soit dans le cours de l’histoire
dramatique (échec d’une mission, mort d’un proche...).
La psychose du personnage baisse dans les cas suivants...
 Quand le personnage suit une thérapie avec un aliéniste
compétent (la baisse se fait sur la base d’un point par
mois de traitement ; un test de compétence est requis
pour l’aliéniste, cela se fait bien sûr hors du cadre d’une
aventure).
 Quand le personnage accumule un succès important
dans le jeu : la réussite d’une campagne, la réussite
d’un but personnel primordial. La récupération de sa
psychose devient alors un but en soi.
Quand la psychose du personnage arrive à 10, il doit
subir une déchéance (voir les paragraphes suivants).
 Chapitre 4
2 Déclenchement des états psychotiques
Tout scénario d’horreur possède ses propres climax, des
moments d’intensité dramatique qui plongent le lecteur dans
le désarroi sous le coup de l’épouvante, d’une révélation, de
la perte d’un être cher. Ces moments font vaciller la raison
trop fragile, et c’est là qu’intervient la jauge de psychose. De
tels moments sont signalés dans le scénario.
Lorsqu’un personnage est confronté à un évènement
traumatisant de ce genre, il doit résister à la poussée de
ces psychoses inconscientes ou céder aux affres de la folie.
Le MJ lui fait effectuer un test psychotique :
Potentiel mental GARDE X contre
un seuil de (psychose + angoisse)
 X est un chiffre compris entre 1 et 3 qui représente
l’intensité de la scène. 3 représente les évènements
les moins traumatisants (la mort d’un inconnu),
1 représente ceux qui les touchent le plus (la mort d’un
proche, une créature surnaturelle les tenant à sa merci).
 Le seuil combine la jauge de psychose et la jauge
d’angoisse. Ainsi, les personnages préparés aux horreurs
qui les attendent, avec une angoisse faible (voire
nulle), résisteront facilement en rendant ces tests moins
arbitraires.
Il est impossible d’utiliser le moteur de dépassement par
les passions. Une seule réussite permet de conserver son calme.
En cas d’échec, un état psychotique se déclenche, avec de
surcroît le gain d’un point de psychose supplémentaire. Cet
état est choisi par le MJ selon l’inclinaison psychologique
du personnage. Sa durée varie selon l’état contracté et à la
discrétion du MJ.
Le niveau de psychose indique l’intensité de la crise.
A partir d’un niveau de psychose de 6, l’état devient
intermittent : c’est à dire que le personnage subit les mêmes
effets à chaque fois qu’il atteint son seuil névrotique. En
dessous, la crise est aiguë et n’a pas de postérité particulière.
Les psychoses sont donc de formidables épées de
Damoclès dans la tête des personnages les plus fragiles.
Heureusement, il existe quelques soupapes qui permettent
de limiter cette montée (ou descente, devrait-on dire) aux
enfers : nous vous les présenterons plus loin.
2 Résumé pour les psychoses
+1 pt si le seuil de névrose est atteint,
+1 pt lors d’un échec au test psychotique,
-1 pt par mois de thérapie avec le succès d’un aliéniste,
-1 pt par réussite de campagne ou réalisation d’un but personnel.
Test psychotiques (évènements traumatisants) :
 Potentiel Mental GARDE (1 à 3D) contre (psychose
+ angoisse).
 Pas de moteur de dépassement possible;
 Tout échec implique le gain d’un état psychotique à
appliquer immédiatement.
Ce score ne peut en aucun cas être négatif.
110
Application
Dans notre exemple, Carter subit un choc important
lié à la mort de l’être aimé. Il doit donc procéder à ce test
psychotique.
Son score est de 6, son angoisse de 2. Il teste donc son
potentiel mental (5D) et garde 1 résultat, il s’agit de l’amour
de sa vie ! Les dés indiquent 1, 6, 9, 5 et 4. Il garde 1 car il
n’a guère le choix.
Le MJ décide de déclencher un état psychotique inter-
mittent, puisque Carter a 6 en psychose. Ce sera une
métamorphosie, une altération de la perception qui entraîne
une déformation des objets, leur animation et qui prendra
des proportions dramatiques sur l’instant. Carter aura des
rechutes dès qu’il aura dépassé, un peu plus tard, son seuil
névrotique. Cela peut lui occasionner de graves malus lors des
scènes de combat ou lorsqu’il manipulera des objets.
Les soupapes limitant les gains psychotiques
Cette option permet de limiter les gains de psychose,
applicable une seule fois par scénario et uniquement pendant
une aventure.
On ne peut avoir deux soupapes psychotiques à la fois
car celles-ci constituent une passion secondaire.
Les soupapes psychotiques sont un moyen de fuir la
réalité des choses en se reconstruisant son propre monde.
Ainsi, la folie engendrée par la psychose est limitée par le
personnage qui se construit ses propres codes.
Malheureusement, ces procédés particuliers vont à l’encontre
de la morale dominante ou menacent la santé des héros. Il s’agit
des perversions, des drogues et des sublimations.
2 Les perversions
L’emprise de la morale est omniprésente dans Crimes.
En Angleterre, la société victorienne constituait un véritable
carcan où la justice se faisait très répressive pour tout
manquement à la morale. Nous sommes à une époque où
des embrassades publiques appuyées vous valent les foudres
des agents de police.
Comme tout prisonnier trop brimé, l’homme est ivre
de liberté. Il s’assujettit à une perversion contraire à l’or-
dre moral, mais parfaitement acceptée par lui-même. Son
« sur-moi » accepte cette transgression nécessaire pour
calmer les ardeurs du « ça ». Le personnage se bâtit ses
propres codes de moralité. Voici quelques idées à creuser des
perversions que peut adopter un personnage, perversions se
substituant à sa passion secondaire et donc à noter sur sa
feuille de personnage.
 Les perversions d’ordre alimentaire : boulimie, anorexie.
 Les perversions d’ordre sexuel : bestialité, nécrophilie,
fétichisme, vampirisme sexuel, satyrisme, nymphomanie.
 Les perversions d’ordre relationnel : sadisme, maso-
chisme, froideur affective.
 Système de Règles
Jouer un individu pervers : avertissement
Les perversions sont un moyen de pousser la
psychologie du personnage dans ses derniers retran-
chements. Vous seul décidez des traits que vous
proposerez aux joueurs, avec un droit légitime à la
censure.
Cette liste vous arrachera probablement un
sourire. Pourtant, la perversion est un défi pour
l’interprétation du personnage. Il reste conscient
que sa conduite est répréhensible, délictuelle, mais il
ne peut s’empêcher de se laisser aller à ses vices. Le
joueur soucieux de l’interprétation de son alter ego
restituera cette lutte entre la pulsion et l’éducation,
entre la maîtrise de soi et son absence, véritable con-
flit intérieur du personnage.
Pour « casser » les stéréotypes tenaces liés aux
perversions, nous vous donnons la description de
certaines d’entre elles.
L’effet d’une perversion est certes libérateur,
dans le sens où un personnage, en l’assouvissant,
perd un point de psychose. Loin de nous l’idée de
faire de Crimes un jeu amoral : vous imaginerez sans
peine les conséquences plus que fâcheuses causées par
la perversion d’un personnage, quand elle est connue
par d’autres et portée sur la place publique ou sur la
tribune judiciaire...
111
Sadisme et masochisme au XIXème siècle
Ce sont les deux versants d’une même tendance à se poser
en maître ou en esclave d’un tiers. Cela va au-delà de la simple
déviance sexuelle. Le masochiste recherche le malheur, condition
de sa quête d’expérience métaphysique. Il veut être considéré de
la race des maudits en se détournant de ceux qui éprouveront
de la compassion pour son cas. Il est une vague qui se fracasse,
suicidaire, contre le rocher, contre l’obstacle insurmontable qu’il
s’impose. C’est sa manière d’exister.
Le sadique est son renversement. Il joue le rôle d’une divinité
persécutrice dans cette étrange communion. Le sado-masochisme
est ce pacte négatif de la haine à laquelle les hommes adhèrent
pour leur destruction mutuelle.
Le « partenaire » doit être noté dans les contacts du

personnage.
Fétichisme
« Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. »
Molière
Cette perversion sexuelle dénote un attachement érotique
particulier aux objets, appartenant si possible à un être aimé.
Elle convient particulièrement à notre société où l’amour
du beau rime avec l’amour matériel. Elle peut concerner
des détails insignifiants du corps
humain, auxquels l’individu est

sacrifié dans son intégralité.
Bestialité
« La caresse est le produit d’un
long polissage de la bestialité. »
Pierre Reverdy, En vrac
(1889-1960)
La bestialité, attirance sexuelle
envers les bêtes, prend ici une
connotation particulière. Il s’agit
d’une déviance, certes, mais
étant donné la nature de certains
êtres fantastiques (lycanthropes,
vampires, spectres), elle peut être
la résultante des manipulations ou
des transformations inhérentes à ces
formes de déchéance humaine.
Cette perversion remplace la
passion secondaire avec un type de
partenaire (sous sa forme animale).
Toutes les règles inhérentes aux pas-
sions s’appliquent à elle.
 Chapitre 4
Confessions du sergent Bertrand,
pervers nécrophile ayant sévi
à partir de 1847 près de Tours
« Il était midi ; étant allé me promener dans la
campagne avec un de mes amis, la curiosité me fit entrer
dans le cimetière qui se trouvait près de la route (ceci eut
lieu sur la fin du mois de février) ; une personne avait été
enterrée la veille, les fossoyeurs, d’après ce qui m’a été dit
le lendemain, ayant été surpris par la pluie, n’avaient pu
achever de remplir la fosse et avaient de plus laissé leurs
outils à côté. A cette vue, les plus noires idées me vinrent,
j’eus un violent mal de tête, mon cœur battit avec force,
je ne me possédais plus. Je prétextai un motif pour rentrer
de suite en ville. M’étant débarrassé de mon camarade,
je retournais au cimetière et, sans faire attention aux
ouvriers qui travaillaient dans les vignes qui touchaient
au cimetière, je saisis une pelle et me mis à creuser la fosse
avec une activité dont j’aurais été incapable dans tout
autre moment.
Déjà j’avais retiré le corps mort ; ne me trouvant
muni d’aucun instrument tranchant pour le mutiler,
je commençais à le frapper avec la pelle que je tenais à
la main, avec une rage que je ne puis encore expliquer,
quand un ouvrier qui travaillait tout près, attiré par le
bruit que je faisais, se présenta à la porte du cimetière.
L’ayant aperçu, je me couchai dans la fosse à côté du
mort et j’y restai quelques instants. L’ouvrier étant allé
prévenir les autorités de la ville, je profitai de cet instant
pour recouvrir le corps de terre et sortir du cimetière en
escaladant le mur. »
Extrait d’un manuscrit autographe, repris
dans Le Musée des Vampires de Roland Villeneuve
et Jean-Louis Degaudenzi (Henri Veyrier éditeur,
Paris, 1976)
2 Les conduites additives
« Un souffle d’alcool sortait des restos et des cafés, émasculait les
hommes, détraquait les femmes, empoisonnait l’enfant dans l’œuf. »
Émile Zola, Fécondité (1899)
L’importance de l’usage des stupéfiants, à l’aube du siècle
nouveau, n’est plus à démontrer. Ce qui aurait pu être une
réelle perversion a pourtant pignon sur rue. Quand sonnent
les quatre heures de l’après-midi, l’absinthe inonde les verres
des terrasses de Montmartre. L’alcoolisme est un fléau bien
réel ; les hygiénistes anglais parlent de 50 000 victimes
annuelles par le gin. Au Danemark, on consommerait
65 litres d’eau-de-vie par an et par habitant. Le vin est
devenu rare et cher depuis les ravages du phylloxera et il a
été remplacé par de dangereux substituts comme les eaux
de vie (de grains, de pommes de terre) et leurs ferments
putrescibles, des huiles essentielles de fabrication douteuse,
des alcools de bois...
112
La préfecture de police de Paris annonce, sans doute
en forçant le trait, le chiffre de 60 000 opiomanes dans la
capitale.
Cette toxicomanie allège le poids des tourments
psychologiques en obscurcissant le jugement du personnage,
mais les effets indésirables (consignés dans un cadre du
présent chapitre) en sont les contreparties redoutables.
L’alcool, l’absinthe, l’opium, la marie-jeanne, les
hallucinogènes, la morphine sont des terres d’élection pour
ceux qui refusent la réalité des faits.
Les effets complets des drogues sont décrits dans le
chapitre 4.
2 La sublimation
Beaucoup considèrent les psychoses comme des salissures
sur le blanc immaculé de leur âme. Certains personnages
entreprennent de véritables quêtes de rédemption pour
essayer de pallier à leur évolution mentale déficiente.
Nous avons rassemblé ici ces démarches sous le vocable de
« sublimations ».
Voici un aperçu de sublimations plausibles...
 L’ascétisme : posséder une ligne de conduite stricte
peut mener à des conduites ascétiques, propres aux
mystiques et aux plus rigides de nos puritains. La vie
de l’ascète est une longue liste d’interdits, comme un
enfermement, une clôture rigide entre l’acceptable et
le tabou. C’est la résistance de cette clôture qui leur
permet de mieux résister à la psychose. Certains adeptes
prétendent qu’à la énième clôture, ils trouvent la liberté
absolue. Cette révélation n’engage qu’eux...
 Le fanatisme : se fondre dans un idéal politique ou
religieux autorise toutes les entorses à la moralité.
Le personnage détermine l’objet de son fanatisme et
adapte ses convictions en fonction.
 L’altruisme : en s’oubliant soi-même, on fait abstraction
de ses troubles profonds. Le don de soi devient la passion
principale. L’altruisme exige d’être au service des autres
en toutes circonstances.
 Se réfugier dans l’art : matérialiser ses démons dans
une œuvre artistique est un moyen de les exorciser.
Le personnage devra faire un test mental de pratique[art]
pour perdre sa psychose.
Résumé des soupapes psychotiques
 On ne peut en avoir qu’une seule, précisée dans
« passion secondaire ».
 Elle est utilisable une seule fois par scénario et
uniquement dans le cadre d’une aventure.
 Elle autorise, si correctement utilisée, une perte de
1 point de psychose.
 Système de Règles
Application
Carter souffre d’une passion secondaire bien
coupable : il aime à « chasser le dragon » en prenant de
l’opium, sous forme d’héroïne. Après avoir recouvré sa
raison, il rentrera chez lui pour s’administrer une dose de
ce puissant psychotrope. Nous n’en détaillons pas ici les
effets ; sachez simplement que ce voyage dans les paradis
artificiels lui permettra de revenir à 5 points de psychose
au lieu de 6. Ce procédé fonctionnera une seule fois dans
le scénario : gare au prochain gain de psychose... Espérons
que l’Aliéniste de la Salpetrière pourra faire quelque chose
pour lui, à moins que sa déchéance ne soit inéluctable...
Ouverture vers la déchéance
Notes de Carter (17 février 1899)
Mon pardessus engonçait ma silhouette, ainsi protégée des
regards fugaces adressés par les rares passants. La brume verdâtre,
en suspension au-dessus de la chaussée, formait un voile
protecteur pour celui qui souhaitait se dérober aux yeux
inquisiteurs. Et d’ailleurs, comment être sûr que l’on me
regardait ? Comment être sûr de cette brume par une nuit
de pleine lune ? Cette pensée, qui aurait tétanisé n’importe
quel homme de raison, m’arracha un sourire moqueur.
Depuis la macabre découverte de l’appartement, je n’étais
plus sûr de rien. Les bâtiments tortueux qui se dressaient
comme les arbres d’une forêt hantée prouvaient ma
rupture avec la réalité. Mais avec quelle réalité ?
Mes pas laissèrent des traces sanglantes
derrière moi. L’air était empli d’ondes
magnétiques, comme si la ville toute entière
formait un gigantesque réseau de neurones.
L’électricité crépitait autour et je sentis la
chaleur dégagée par ces badauds aveugles
et bornés qui déambulaient, alimentant de
leur angoisse l’écume de terreur qui présidait
à cette nuit d’hiver. J’étais devenu un corps étranger, ne
participant plus guère aux pulsations humaines de cette cité.
J’errais désormais tel un spectre ivre de vengeance ; ce don
de saisir les écumes transcendantes de la marée humaine me
permettrait bientôt d’accomplir ma mission.
Étais-je fou ? Ma putride chrysalide avait-elle finalement
éclos, sous l’impulsion de mes expériences occultes ? Qu’en
savais-je et qu’importait : la métamorphose était là, et cette
énergie nouvelle qui parcourait mon corps et décuplait les
facultés de mon esprit en portait témoignage. J’étais déjà mort
moi-même et quelqu’un d’autre devait mourir. Le visage rieur
d’une entité perverse semblait s’animer dans les nuages éventrés
par l’éclat lunaire. Le Génie du Crime devait payer la mort
d’Hannah, dont je vis le visage lisse s’afficher sur la lune...
113
La déchéance, voir à travers le voile
« Disparut la splendeur terrestre et mon deuil avec
elle – la nostalgie s’épancha en un monde nouveau, insondable –
toi, ferveur de la Nuit, sommeil céleste, tu vins sur moi – le
paysage s’éleva doucement dans les airs ; au-dessus du paysage
planait mon esprit libéré, renaissant. Le tertre devint nuage
de poussière – à travers le nuage je vis les traits radieux de la
Bien-Aimée. »
Friedrich Novalis, Hymnes à la Nuit (1800)
Les états psychologiques montrent à quel point les
personnages ont une faible maîtrise d’eux-mêmes. Ils sont
le jouet de leur inconscient, de leur Ombre, de leur Anima,
mais qu’importe le nom de cette influence archaïque qui les
jette hors des sentiers de la civilisation... Il existe en chaque
personnage de Crimes un fond ténébreux, une part d’ombre
à contenter qui, faute d’avoir été abreuvée, devient le repaire
de la Bête Immonde.
Subir la déchéance, c’est entrer de
plein pied dans la réalité de l’univers
de Crimes ; c’est acquérir un savoir
halluciné arrachant les voiles pudiques
disposés par la société, au-delà de sa
réalité première. Le héros perd son
identité psychologique et sociale afin
de mieux comprendre le vertige qui le
hante, et rejoint les hordes de damnés
qui errent en cette fin de XIXème
siècle.
Subir la déchéance, c’est
atteindre cette limite, ce
moment d’égarement sublime
où l’on pense embrasser
l’univers alors que l’on est
entraîné dans un tourbillon
de vide. Y goûter une première
fois, c’est se mordre la queue et
persévérer dans une voie sans issue.
La déchéance n’est pas le Mal. C’est une réaction contre la
civilisation, contre la société policée du monde. En mettant en
exergue les passions et les états psychologiques les plus extrêmes,
elle répond à la violence intérieure du personnage : celle qui
exerce une formidable pression menant à l’explosion criminelle.
La déchéance ne signifie pas la fin d’un personnage.
Enquêteurs et criminels sont faits de la même chair, du même
sang. Le chasseur devient la proie. En revanche, l’enquêteur
risque de se mettre au ban d’une société qu’il défend.
 Chapitre 4
Dégénérescence physique
La déchéance s’attaque principalement au corps.
Ce corps, dont les coquettes ne sont pas peu fières, dévoile
sa corruptibilité. L’homme comprend qu’il n’est qu’un objet
quelconque aux mains de la destinée, que la chair qu’il
souhaiterait éternelle n’est qu’un jouet dont il est facile de se
débarrasser. Si Dieu a fait l’homme à son image, il n’a sans
doute pas prévu qu’il devienne immortel.
Pour certains, nous sommes à l’aube du déclin de la race,
et on n’hésite pas à retourner vers les travers du Moyen Age
quand les almanachs compilaient les naissances monstrueuses,
les maladies inconnues, les forfaits du choléra et de la
dysenterie ou les hérédités dévoyées par la consanguinité... On
guette ainsi les moindres signes d’un affadissement du genre
humain.
Décadence du corps social
La déchéance n’est pas seulement acquise, l’hérédité
y joue un grand rôle. L’hérédité est une syntaxe des
personnages, une loi scientifique sur laquelle on greffe des
termes mécaniques ou thermiques : on parle de « famille
détraquée », brûlée par la corruption de ses mœurs... Les
tenants de la théorie de l’évolution vous expliqueront que de
telles lignées ne sont pas viables et vouées à disparaître. Et
pourtant... Le corps du héros de Crimes est percé de noires
galeries, c’est un labyrinthe à fièvres, une porte d’épouvante
qui subit de plein fouet les errements de la raison. Le délire
et le fantastique qui atteignent les personnages se greffent
dans l’hyperréalisme de leurs chairs. L’inexorable déchéance
humaine renvoie l’homo rationalis à sa plus pure bestialitas.
Acquérir des déchéances
C’est le fruit d’une longue évolution du personnage, qui
prend à contre-pied les théories de Darwin sur l’amélioration
des espèces. L’acquisition d’une déchéance intervient à la fin
du scénario. C’est une règle avancée qui ralentit la décrépitude
mentale du personnage en lui ouvrant de nouvelles possibilités.
Lorsque la psychose d’un personnage de Crimes atteint
10, il acquiert alors une déchéance. Cela lui confère les
avantages suivants :
 La psychose de départ est majorée de 1 jusqu’à un
maximum de 5.
 Son total actuel de psychose retombe à ce nouveau total
de départ.
 Son seuil névrotique est augmenté de 1 point, jusqu’à
un maximum de 10.
 Il peut augmenter, avec les points de développement,
l’un de ses potentiels et se hisser au quatrième niveau de
maîtrise des compétences exaltées, avec l’aval du MJ.
114
Le personnage déchu s’affranchit de ses limites humaines
et devient moins sensible aux dérèglements psychologiques.
Cependant, son nouvel état le met en marge de l’humanité
et développe son côté surnaturel.
Le MJ choisit la déchéance parmi la liste du chapitre 5
en la gardant secrète. C’est le début d’une intrigue secondaire
où le joueur tentera de cerner son nouveau pouvoir et la
malédiction qui lui est associée. Pour soulager le travail du
MJ, un personnage ne devrait avoir qu’une seule déchéance
secrète à la fois, mais il peut cumuler autant de déchéances
connues que le MJ souhaitera.
De plus, quand le joueur augmente ses caractéristiques,
le MJ a le droit de modifier ou d’ajouter une passion, une
conviction ou un contact à son personnage sans dépenser
de point de développement. Si le PJ est optimisé dans
la mécanique du système, il perd ces avantages dans la
dramatique du jeu. Imaginez un apprenti-sorcier perclus de
déchéances qui se voit imposer une passion pour la ruine,
une conviction religieuse orientée vers le satanisme, et un
contact concernant un cénacle de nécromants : cela risque
fort d’être difficile à assumer...
Garder l’équilibre
Voici quelques pistes pour éviter aux PJ de sombrer
trop rapidement dans la folie ou la déchéance...
Pour éviter d’échouer aux tests psychotiques, soignez
votre niveau d’angoisse. Chaque scénario vous donne des
indices qui domptent l’angoisse éprouvée face à tel ou tel
antagoniste. Plus vous récoltez d’indices et plus vous serez
préparé la confrontation finale : en conséquence, plus vous
dominerez vos nerfs.
Pour éviter les échecs critiques, veillez à équilibrer
vos potentiels et vos compétences. Il est plus difficile
d’échouer lamentablement quand on conserve 2 ou 3D
que lorsqu’on en garde un seul. De même, tentez des
actions difficiles dans vos domaines de prédilection, plutôt
que de jouer à la roulette russe avec des tests dans lesquels
vous êtes incompétent.
Fixez à votre personnage des buts personnels en
accord avec le MJ. Une fois remplis, ils abaisseront votre
total de psychose sans que vous ayez à sombrer dans la
perversion, la drogue ou la sublimation. Entourez-vous
d’aliénistes compétents ! Tout succès de moindre impor-
tance agit également sur votre total de névrose.
Choisissez soigneusement vos passions afin de les
dominer plutôt que de les subir. Un personnage passionné
par l’absolu sera sans cesse sollicité si le scénario donne
dans l’occultisme. Un autre versé dans le don de soi se
transformera en risque-tout pour sauver ses camarades sur
un champ de bataille de la première guerre mondiale. Le
système est fait de telle sorte que vos points forts soient
également vos talons d’Achille : ne mettez pas tous vos
œufs dans le même panier !
 Système de Règles
Gestion de l’évolution du personnage
Votre personnage évolue au diapason du monde de
Crimes. Le monde de la Révolution Industrielle est un
cheval au galop qu’il est difficile de rattraper. Une symbiose
naît entre cette société décadente et les personnages qui
la façonnent : une chute inexorable vers la déchéance, la
dégénérescence... Tous ces mots issus du vocabulaire des
spécialistes convergent vers une seule direction : celle des
abysses !
L’expérience est un foyer dans lequel trempent les
personnages endurcis. Elle peaufine leurs capacités, innées
ou acquises. Voici donc la voie que nous avons tracée pour
améliorer la condition de ces héros privés d’une évolution
héroïque, au sens où nous l’entendons généralement.
Nous distinguons deux possibilités d’évolution :
 Celle liée aux potentiels et aux compétences de votre
personnage.
 Celles qui concernent la modification de sa psychologie
en fonction de ses actes.
Toutes ces modifications se font au moyen de points de
développement.
Gains des points de développement
Les problèmes liés au personnage
 L’accomplissement d’un but personnel (un objectif ou la
résolution d’un problème) amène un gain de 3 points
de développement maximum.
 Le joueur qui réussit à faire évoluer son personnage
en accord avec son concept se voit attribuer 1 point
supplémentaire.
 Un joueur qui interprète correctement un changement
de conviction en traduisant une évolution réelle de son
personnage se voit gratifié d’un bonus de 1 point de
développement.
 La façon dont a été interprété le personnage est
récompensée par un point de développement. Elle
dépend non seulement de la manière de jouer, mais
aussi de la façon dont on a respecté le « cahier des
charges » du PJ.
 Enfin, une ultime rétribution se base sur l’évolution
proprement dite du personnage, c’est-à-dire la distance
entre ce qu’il était au départ de l’aventure et ce qu’il est
devenu ensuite. Elle est récompensée par un point de
développement. En effet, Crimes étant un jeu basé sur
des révélations, des traumatismes et des bouleversements,
un personnage n’évoluant pas est condamné à vivre à
rebours de l’Histoire.
115
Les problèmes liés au scénario
 La réussite d’une enquête dispense 6 points
supplémentaires selon sa longueur et sa complexité. Cette
variable dépend non seulement de la réussite finale du
groupe, mais aussi de l’apport personnel du personnage à
ladite réussite. Ce gain est donc nominatif.
Ces gains se font à la fin d’un scénario. Le MJ en est le
seul juge.
Application
Si Carter était parvenu à libérer la Femme Fatale
de l’emprise du Génie du Crime, il aurait gagné 3
points de développement en parachevant un objectif
personnel. Ses amourettes auraient mal collé à son
concept (roman symboliste) mais son changement de
passion lui en aurait valu un autre, puis un dernier pour
le changement drastique d’orientation du personnage,
passé du cynisme amoureux à l’idylle passionnée.
Cependant, Carter n’a pas réalisé son objectif et
n’aurait gagné aucun point au titre du scénario. Dans
les faits, il aurait gagné :
1 point éventuel pour l’interprétation du
personnage par le joueur,
1 point pour le changement d’orientation du
personnage qui bascule complètement dans la
déchéance.
Nous vous proposons une méthode pour répartir
la responsabilité entre le maître du jeu et le joueur.
1. Le joueur fait une auto-évaluation de ses gains de
points de développement dans chacune des caté-
gories susdites et le MJ fait de même.
2. Cette base sera discutée par les deux parties, ce qui
alimentera la réflexion du joueur sur cette ques-
tion cruciale : comment évolue le personnage ?
Quelle inclinaison, quels buts lui donner pour la
suite de sa vie aventureuse ?
3. Le MJ a le dernier mot pour harmoniser les deux
totaux, qu’il va falloir maintenant réinvestir. Pour
faciliter son travail, nous lui conseillons de réaliser
un tableau permettant d’évaluer les joueurs en cours
de partie.
 Chapitre 4
Utilisation possible de ces points de développement
Notes de Carter (13 décembre 1898)
Afin de ne pas éveiller les soupçons, je décidai de disparaître
de la circulation et de ne plus retourner à la préfecture. Mon
absence fera sans doute vriller les moustaches de Lépine, mais
ma présence attirerait immanquablement l’attention de mes
pairs et je ne peux courir un tel risque. Mon entrevue avec
le prêtre exorciste n’avait fait que confirmer mes craintes, ou
mes espoirs ! J’étais devenu l’un de ces damnés dont notre belle
époque regorgeait ; avant que le feu du ciel ne s’abatte sur moi,
je devais accomplir ma sentence : être le néant qui engloutirait
l’univers de ce fameux Génie du Crime, être le barbare qui
saperait les fondations de son empire décadent.
Telle était ma nouvelle mission et je travaillais depuis
longtemps à la mutation de tout mon être. Je n’avais de cesse
de m’exercer en répétant les mêmes gestes. Ma gâchette devenait
des plus fines ; ma science de la filature approchait celle des
maîtres de la discipline ; mais il y avait maintenant plus. Cette
nouvelle condition m’autorisait des performances physiques que
nul entraînement ne m’avait jamais fait atteindre. Ces sommets
vertigineux me donnaient une hauteur inespérée, de laquelle il
m’était aisé de lire dans les pensées immédiates les plus secrètes
de mes interlocuteurs. J’étais Faust en payant, certes, un lourd
tribut, mais ma corruption n’avait-elle pas le noble but de
débarrasser ce monde d’un être plus abject que je ne le serai
jamais ?
Niveau Points de Temps
à atteindre développement d’apprentissage
Novice 3 3 mois
Pratiquant 6 6 mois
Maître 9 9 mois
Une nouvelle 2 2 mois
spécialisation
Exalté 16 aucun
2 Investissement des points de développement :
puissance et connaissance.
Ils visent uniquement à améliorer ce que le personnage
peut réaliser.
Les compétences générales peuvent être améliorées. Cela
demande non seulement de l’expérience, mais aussi du temps.
Le total à dépenser est fonction du niveau que l’on espère
atteindre.
116
 Pour les niveaux de compétences basiques (néophyte,
pratiquant et maître) et les spécialisations, le coût est
le même que pour la création du personnage ; mais les
points de développement seuls ne suffisent pas, il faut
y consacrer du temps. Ce temps est dédié à l’apprentissage
et à l’entraînement, et il ne peut être combiné avec
une aventure qui mobilise toutes les énergies ou avec
l’augmentation d’une autre compétence. Il convient
d’écrire, sur la feuille de développement, la date de la
fin de cette période d’acquisition.
 Pour atteindre le niveau supérieur d’exalté, il faut
justifier d’une déchéance. Il faut alors 16 points mais
aucune période d’acquisition n’est requise, étant donné
la nature surnaturelle de cette évolution.
Les potentiels peuvent évoluer, mais justifier d’une
déchéance est la seule excuse qui permette de franchir les
limites que la nature humaine a conféré aux personnages, à
savoir 6 dés de potentiels. Le coût est le suivant :
 Pour les niveaux humains (1 à 6), il faut dépenser un
nombre de points équivalent au niveau de potentiel
directement supérieur que l’on veut atteindre.
 Pour dépasser ces limites humaines, il faut non seulement
avoir une déchéance, mais aussi dépenser le double de
points de la normale.
Le potentiel augmente immédiatement après la dépense
des points de développement. Encore une fois, le MJ est
le seul juge qui puisse vous
accorder cette augmentation
de potentiel.
Pré-requis
aucun
être novice
être pratiquant
être maître
être maître
Application
Comme héritage colossal de ses précédentes expé-
riences, Carter dispose de 22 points de développe-
ment. Il en profite pour améliorer sa compétence com-
bat pour passer pratiquant en la matière (6 points), sa
compétence de traque pour devenir maître (9 points).
Il choisit la spécialisation gratuite : pistage. Profitant
-mais en profitera-t-il longtemps ?- de sa déchéance
qui implique chez lui une transformation mentale, il
acquiert en plus un potentiel mental de 5D (pour un
coût de 5 points). Il lui reste donc 2 points qu’il pourra
dépenser plus tard.
 Système de Règles
2 Évolution psychologique et historique
Nous avons souligné à quel point les personnages de
Crimes sont tributaires de leurs passions et de leur équilibre
psychologique. Voici les autres variables de la feuille de
personnage modulables avec ces points de développement...
Changement du concept
Vous êtes fatigué de restreindre votre interprétation au
concept de votre personnage et, pourtant, vous savez que de là
dépend une partie de vos gains en développement. Changer de
concept vous coûtera 2 points de développement.
Changement des convictions
Il se fait automatiquement s’il est motivé par une
modification radicale de la façon de penser du personnage.
Social
L’ajout d’un contact amical, professionnel, familial
doit être validé par une dépense de 1 point pour figurer sur
la feuille d’aventure. Et pour chaque niveau de confiance
supplémentaire, il faudra dépenser 1 nouveau point de déve-
loppement. Cela n’est pas anodin, dans le sens où la liste de
contacts est utilisable en cours d’aventure pour solliciter une
aide extérieure.
Passions
 Changer sa passion principale coûte 4 points et doit
être motivé par le joueur. Cette modification est
directement issue des aléas vécus par le personnage au
cours du scénario.
 Changer sa passion secondaire coûte 2 points. Cela
inclut les possibles perversions qu’acquiert votre héros,
si bien sûr il en a fait préalablement l’expérience.
Parfois, cette mutation est automatique, puisqu’elle
est héritée de troubles psychotiques ou de déchéances
acquises.
 Changer sa passion taboue coûte 4 points et doit
aussi être argumenté par le joueur.
117
Application
Carter décide que son concept réaliste ne corres-
pond plus du tout à son évolution. Il dépense 2 points
de développement pour adopter le concept plus appro-
prié de « héros de roman noir ».
De plus, il abandonne sa conviction de royaliste,
ce que le MJ accepte, vu que sa qualité d’agent de la
Reine est désuète au vu de la déchéance compromet-
tante qu’il subit. Il ne dispose pas des points nécessaires
pour changer sa passion, et il ne peut de toute façon
modifier sa passion secondaire qu’est la toxicomanie.
Par contre, il peut changer sa passion taboue pour l’acte
charnel, puisqu’il l’a de toute façon transgressée avec la
Femme Fatale qui n’a jamais si bien porté son nom. Il
adopte alors la pitié comme tabou en raison de sa rage
vengeresse, devenue le moteur de son existence.
La chasse aux points de développement
Crimes n’est nullement un jeu héroïque où le
plus fort, le plus agile, le plus intelligent survivra. La
sélection des spécificités des PJ se fait non pas par une
échelle de valeur mais par un équilibre. Pour harmoni-
ser vos scores, une fois que vous êtes familiarisé avec la
mécanique du système, vous pourriez être grandement
intéressé par la quête du développement. Voici quel-
ques conseils.
Il faudra vous faire une raison : toute évolution
dépend de vos réussites dramatiques dans les
scénarios. Se focaliser sur la réussite de l’enquête
est une chose, résoudre les intrigues secondaires
en est une autre qui permet de gagner autant,
voire plus de points de développement.
Changer les convictions, passions et concepts peut
vous sembler inutile et onéreux. Pourtant, si vous
consultez la grille d’acquisition des points, s’y
conformer et en user amène un gain de 6 points
par scénario ! Autant les conformer avec votre
style de jeu.
En tant que MJ, n’hésitez pas à porter des éva-
luations sur l’évolution des PJ, tendez quelques
perches aux joueurs pour les concerner person-
nellement dans ce qu’ils font. C’est l’objectif de
ce système d’évolution !
 Chapitre 4
Exemples d’application du système
Notes de Carter (2 mars 1899. Enfin... il me semble.)
Les quais de la Seine, illuminés depuis peu grâce aux
directives de la préfecture de police, offraient une vue mirifique
sur le fleuve scintillant. La persistance de mes visions s’estompait
depuis la veille, sans pour autant dissiper le contraste qui
accentuait chaque détail de mon environnement. Cette acuité
nouvelle présentait un avantage certain pour la surveillance
de l’entrepôt où s’affairaient les sbires du Génie du Crime. Six
hommes encadraient les ouvriers africains qui déchargeaient la
péniche de ses trésors, des antiquités égyptiennes inestimables,
sans que les pauvres hères ne se doutent de la profonde déchéance
par laquelle ils se dépossédaient eux-mêmes de leur héritage.
Subtiliser les momies constituait une mission périlleuse, mais
je gardais dans la manche un atout maître en prévision de
l’affrontement qui aurait inévitablement lieu ici.
Je quittai mon abri improvisé, abandonnant l’ombre des
caisses de bois. Je visai le premier des séides et lui logeai une balle
dans la nuque. La détonation créa un effet de surprise suffisant
pour que je puisse en assommer un second avec le pommeau lesté
de ma canne-épée. Encore quatre. Les coquins dégainèrent leurs
coutelas, le moment était venu : j’expulsai l’air contenu dans mes
poumons en un long sifflement strident.
Je m’excuse de consigner ici cette altercation sous la forme
d’un rapport administratif, mais le sang me laisse désormais
indifférent. L’excitation provoquée jadis par la violence s’en est
allée. Tout au plus, je me souviens du frisson éprouvé en consta-
tant l’absence de mon allié malgré mon appel. Je reculai devant
les quatre trafiquants, tout en essayant de les tenir en respect
avec ma lame effilée. Je sifflai de plus belle.
118
Ma patience et ma prudence trouvèrent leur juste récompense
lorsqu’un cri guttural jaillit de la promenade près du fleuve,
accompagné du hennissement des chevaux effarouchés. La surprise
fut totale quand la forme hirsute fondit sur un malfrat impressionné
par ce feulement surnaturel. J’en profitai pour renverser son
compère, qui tomba lourdement en contrebas. J’essuyai alors un tir
qui me déchira l’épaule : le dernier trafiquant levait encore vers moi
son canon fumant. Pas pour longtemps. Son bras fut arraché par la
gueule de la bête qui m’accompagnait. Tout était fini, les africains
avaient vidé les lieux depuis belle lurette. Seul le brigand assommé
avait repris ses esprits, pour s’enfuir pitoyablement afin de quérir
secours. C’était sans compter l’attelage incontrôlable qui renversa
le malheureux. Soit ! Six délinquants de moins dans l’armée
innombrable du crime. Ranimer le blessé mutilé s’avéra délicat, et
l’opération se solda par un échec. Qu’importe, nous pouvions enfin
charger la barque de notre précieux butin... Je ne connaissais pas
encore la nature du poison répandu par la balle, ce poison insidieux
destiné à terrifier les égyptiens qui modifierait durablement mon
état de santé : la mumia, encore et toujours elle !
Le combat
On ne compte plus le nombre de valeureux enquêteurs
disparus dans les traquenards les plus vicieux. Pourtant,
l’honnête homme a les moyens d’assurer sa défense face à
l’armée du crime. Les auxiliaires de police ont tous accès aux
armes à feu, mais sans toujours savoir bien s’en servir...
La prudence est de mise : l’homme est une créature de
constitution fragile, et il succombe facilement aux blessures
infligées à sa chair délicate. Cette application du système
envisage le déroulement du combat sous un angle à la fois
tactique et meurtrier. Voici le protocole d’un combat dans sa
plus petite unité de temps appelée « assaut ».
1. Déterminer l’initiative : qui portera le premier coup ?
2. Annoncer les actions entreprises
3. Résoudre les actions
4. Interpréter les résultats et les dégâts
2 L’initiative
Elle vaut surtout en cas de combat à distance, les mêlées
étant résolues en simultané.
Elle est déterminée selon les circonstances dramatiques et
le bon sens du MJ. Si l’un des protagonistes prend l’autre par
surprise, il frappera nécessairement le premier. Le déroulement
de l’histoire indique généralement qui ouvre les hostilités.
En plus de la surprise, celui qui a blessé l’autre aura
l’initiative de l’assaut suivant.
Pourtant, quand les circonstances ne sont pas aussi
claires, on peut résoudre l’initiative avec les caractéristiques
des personnages : on calcule alors la somme du potentiel
utilisé + compétence utilisée - son angoisse, ce qui donne
un ordre précis des actions. En cas d’égalité, les personnages
agissent en même temps.
 Système de Règles
Application
Dans notre scène, Carter tire avant même d’avoir
été repéré, ce qui lui donne l’initiative. N’étant pas
blessé, il la conserve tout au long du combat : son
total potentiel + compétence est de 4 + 3 = 7, face au
meilleur de ses adversaires (5). L’animal qui lui vient
en aide prend également les brigands par surprise, avec
l’initiative de la mêlée.
2 Le combat à distance
Les personnages peuvent tirer dans l’ordre déterminé lors de
l’initiative. Pour tirer, on utilise un test simple de potentiel physique
avec la compétence de combat. Le seuil de base reste de 9.
Ce seuil peut être modulé en fonction des conditions
de tir :
 Selon la distance (de -1 à +1 maximum).
 Selon les obstacles, le couvert qui protège la cible
(+2 maximum).
 Selon la mobilité de la cible en question
(de -1 à +1 maximum).
 Selon la taille de celle-ci (de -1 à +1 maximum).
Le MJ peut décréter qu’un tir est tout bonnement
impossible ou qu’il est simplement immanquable. Si le seuil
modifié excède 10, le tir est trop difficile pour être tenté.
Tout succès indique que la cible est touchée. Référez-
vous à la localisation des coups portés. Un échec critique
peut être interprété comme la blessure d’une cible voisine ou
l’enrayement de l’arme.
Application
Carter a bien fait de s’entraîner au tir. Sa première
cible est proche (-1) et immobile (-1). Carter étant
pratiquant en combat (garde 2D), le seuil est de 9 - 1
- 1 - 1 = 6. Avec un potentiel de 4D (9, 6, 6, 3), il
réalise 3 réussites.
2 Résolution des mêlées
Une mêlée oppose deux protagonistes au corps à corps.
L’initiative n’a plus d’intérêt dans le sens où les deux enne-
mis peuvent échanger leurs coups : il n’y a pas qu’une seule
attaque et qu’une seule parade possibles. Cependant, avoir
la meilleure initiative permet d’engager, si l’on est assez
prêt, un adversaire en mêlée sans que celui-ci ne puisse faire
autre chose. Ainsi, un tireur qui ne peut agir avant que le
personnage ne lui tombe dessus offrira un bonus confortable
à l’attaquant : comme il avait prévu d’utiliser sa compétence
de tir, il n’a pas le temps de se préparer aux circonstances
d’une mêlée (on le considère alors comme incompétent : il ne
gardera qu’un seul dé).
119
La mêlée est une application des tests en opposition.
 Celui qui cumule le plus de réussites gagne l’assaut et
applique ses dommages.
 En cas d’égalité, aucune blessure n’est infligée.
 Un échec critique doit être interprété par le MJ comme
une maladresse particulière qui fait perdre irrémédiablement
l’assaut. Une arme brisée, la perte de l’arme de poing,
une chute, une blessure infligée à soi-même ou à
un personnage proche de la cible sont des pistes
possibles que le MJ devra interpréter selon l’intérêt
dramaturgique de la scène.
On peut appliquer la règle de dépassement de réussite
pendant l’affrontement. Attention : cela n’est possible qu’une
seule fois pendant tout le combat ! En cas de blessure portée, le
blessé perd automatiquement l’initiative de l’assaut suivant.
Application
L’assaut de la Bête contre le tireur est brutal. Voyez
plutôt : l’homme ne peut qu’opposer 3D de potentiel
et garder un dé (il est tireur et non préparé à la mêlée)
avec un seuil de 9. Il échoue. La bête, avec son poten-
tiel de 5D et gardant 3D accumule, avec un seuil de 9 -
2 = 7, les résultats suivants : 10, 9, 8, 7, 6. Elle conserve
3 succès plus un quatrième, utilisant sa passion pour le
sang comme moteur de dépassement.
2 Combat entre groupes
Ces duels simples sont rares. Les enquêteurs sont souvent
groupés et solidaires et leurs ennemis nombreux et organisés. Il
faut donc redoubler d’attention lors des déclarations d’actions,
savoir qui s’en prend à qui, puis bien déterminer les initiatives.
En cas d’attaque à distance, on résout simplement les
actions dans l’ordre d’initiative.
En cas de mêlée, on peut décomposer l’action en petits
duels si les groupes sont de taille égale. C’est une exception.
Il faut donc songer au cas où plusieurs compères se prêtent
main forte contre un adversaire. Tout le monde fait alors un
test en opposition et le camp qui cumule le plus de réussites
inflige des blessures, réparties équitablement entre les cibles
préalablement déclarées.
Cependant, pour ne pas désavantager les combattants
exceptionnels (niveau de compétence = maître ou exalté), le
MJ peut recourir à l’option suivante : le combattant fait un
test en opposition avec chacun de ses adversaires et compare
son résultat aux leurs.
 Chapitre 4
Application
Les gredins font rapidement face à Carter après
le premier tir, sûrs de leur supériorité numérique. Ils
décident de combattre en masse, à quatre contre un,
jugeant Carter comme quantité négligeable. Mal leur
en prend...
Avec la première possibilité, Carter et la Bête
cumulent 5 succès et les quatre malfrats n’en comptent
que 2. Ces derniers prendront donc 3 blessures (voir le
calcul des dégâts ci-dessous).
Avec la seconde option, Carter cumule deux
réussites à son jet en opposition, face aux scores des
malfrats (1, 2, 3 et 0 succès). Le troisième malfrat est
le seul à blesser Carter mais ce dernier parvient à en
blesser deux.
2 Options de combat
Nous rappelons à nos enquêteurs que le mot option
signifie « possibilité en plus » et qu’une attaque simple, bien
portée, vaut toutes les tactiques que vous pourrez inventer,
maintenant que vous maîtrisez notre système de règles. Ce qui
suit n’est qu’une application de ce que vous avez déjà appris.
Feinter
En mêlée, vous pouvez tenter de déstabiliser l’adversaire
en simulant une attaque. Elle n’engendre aucun dégât mais
peut aggraver les dommages suivants. Si vous gagnez votre
test en opposition, votre compétence augmentera d’un
niveau au prochain assaut et votre seuil de difficulté baissera
d’un point supplémentaire. Si vous perdez, vous encaisserez
les dommages adverses augmentés d’un point.
Assommer
En mêlée, vous devez impérativement viser et toucher la
tête. Si vous touchez, votre marge de réussite est doublée et
les blessures infligées seront considérées comme de la fatigue.
Cela peut vous permettre de maîtriser un adversaire en
réduisant son potentiel physique à 0, sans devoir le tuer.
Immobiliser
Au contact et à mains nues, ajoutez votre nombre de
réussites à votre potentiel physique. Ce chiffre doit être
supérieur au potentiel physique de votre adversaire. Il ne
pourra se défaire de votre emprise qu’en gagnant un assaut
suivant.
Intimider
On dit souvent que le vainqueur se détermine avant le
premier coup, au cours de cet affrontement psychologique
précédant le combat où chacun jauge son adversaire.
Intimider l’ennemi est une bonne solution pour amoindrir
ses capacités. L’intimidation se fait avec un test d’opposition :
potentiel social avec la compétence appropriée pour les deux
opposants. Le seuil de base est de 9, auquel on soustrait
le total d’angoisse de l’adversaire. Tout succès permettra
d’amoindrir les potentiels physique et mental de l’adversaire
120
(la répartition se fera de façon équilibrée) pour la durée du
combat. Cette option n’est possible qu’une fois par combat
et par personnage.
Déséquilibrer
Cette tentative est possible à distance ou en mêlée. Il
faut viser les jambes et cumuler autant de succès que la
différence de potentiel physique des deux ennemis, si celui
de la victime est supérieur. Déséquilibrer l’adversaire le rend
incompétent tant qu’il est à terre. Il ne peut se relever qu’en
gagnant un assaut suivant.
Défendre totalement
Ne pas attaquer, se défendre contre tous ses adversaires
avant de trouver une porte de sortie. Lors du test en opposition,
le défenseur abaisse son seuil de 1 point et relève celui de
l’attaquant de 1, ce qui lui permet de le tenir plus facilement
en échec. Par contre, il n’infligera aucun dommage.
Battre en retraite
Le personnage bénéficiant de l’initiative peut se retirer
du combat sans subir de désagrément particulier. La mêlée
est alors rompue.
Fuir
Un personnage n’ayant pas l’initiative doit quant à lui
fuir de façon désordonnée : l’attaquant peut le frapper une
nouvelle fois avant que la mêlée ne soit rompue. Le fuyard,
dans cet ultime test d’opposition, sera considéré comme
incompétent, sauf s’il réussit un test de cirque [acrobatie].
2 Localisation des coups portés
Dans quel intérêt ? D’abord parce que Crimes est un jeu
d’ambiance, où les combats sont des moments dramatiques
essentiels qu’il faut décrire de la façon la plus scénique
possible. Il est donc préférable de connaître les parties du
corps touchées, ne serait-ce que pour simuler les blessures
qui en résulteront.
Ensuite, parce que le but du combat n’est pas forcément
la mort de l’adversaire. Le maîtriser, lui faire lâcher son arme,
l’assommer ou le mutiler nécessite de le blesser à des endroits
bien précis de son anatomie.
Dans une action de combat simple, cette localisation est
déterminée aléatoirement. Il suffit de réunir les résultats du
jet de combat et d’en déduire les plus fortes occurrences : le
chiffre indiqué par cette occurrence donne une localisation
en fonction du tableau ci-contre. En cas d’égalité, le
vainqueur choisit la localisation de l’attaque.
Cependant, si le personnage vise dans sa déclaration
d’action une partie bien précise du corps, il devra sacrifier un
succès en cas de réussite. Dans un test en opposition, c’est un
risque qu’il vaut mieux calculer, ce sacrifice pouvant faire la
différence entre la blessure et le statu quo.
 Système de Règles

2 Calcul des dégâts La santé physique

Une fois le coup porté, on calcule les dégâts subis selon
la formule suivante :
nombre de succès de l’attaquant + dégât de l’arme*
– nombre de succès du défenseur
– son potentiel physique – sa protection
« Tu me demandes pourquoi je m’obstine à n’offrir que des
idées de mort, sache que cette pensée est un levier puissant qui
soulève l’homme de la poussière et le redresse sur lui-même. »
Carl Gustav Jung

Ce résultat est au minimum de 1. Cela veut dire que

l’adversaire touché subira toujours au moins un point
d’épuisement ou de blessure, quelle que soit sa condition
physique ou sa protection.

* Les armes à feu font des dégâts fixes, les armes de poing
dépendent en partie du potentiel physique de l’attaquant (voir
les tableaux des armes pour de plus amples explications).

Application

En préparant l’attaque de sa première cible, Craig

Carter estimait qu’il avait largement la compétence et
le temps de viser la tête. Ce geste fut très bien calculé
puisque avec un total de 3 réussites, il lui en restait 2
après la visée.
Il surpassa ensuite son second adversaire de 2
réussites, réussissant là encore à placer son coup à
l’endroit souhaité : la tête.
— Cible 1 : 2 (réussites de Carter) + 6 (arme à feu)
- 0 (réussite de la victime) - 3 (son potentiel) - 0
(sa protection) = 5. Avec un potentiel physique
de 3 elle est certainement tuée sur le coup.
— Cible 2 : 2 + 4 (potentiel physique de Carter)
+ 1 (bonus canne-épée) - 1 (réussite adversaire)
- 3 (potentiel physique adverse) - 0 (protection)
= 3, ce qui assomme l’ennemi.
Et voilà la moitié de ses antagonistes hors de
combat, en deux coups !
Les règles de santé physique vous permettent de simuler
les effets de telles blessures, mais aussi ceux des poisons et
des maladies qui jalonnent l’histoire du XIXème siècle. Votre
personnage est fragile, ne l’oubliez pas : il serait tellement
dommage de le perdre...
Il faut maintenant distinguer trois types d’atteinte à
votre intégrité physique : la fatigue, l’épuisement et les
blessures.
2 La fatigue
Il convient de gérer les fatigues qui ne durent qu’une
seule scène, comme celles causées par les états psychotiques
ou le dépassement par les passions. Ces fatigues très tempo-
raires sont notées d’un simple trait oblique.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Localisation Score
Thorax 1, 2 Les potentiels sont des jauges : ce n’est pas le total de
Abdomen 3 départ qui varie, mais bien leur niveau actuel.
Bras droit 4, 6 Le joueur doit toujours utiliser le total actuel qui les
Bras gauche 5, 7 prend en compte dans les tests ; cela montre à quel point la
Jambe droite 8
fatigue peut compromettre ses chances de succès, même si
Jambe gauche 9
Tête 10 son niveau de compétence reste inchangé.
A la fin d’une scène, on efface tous les points de fatigue
acquis durant celle-ci.

121
 Chapitre 4

2 Les blessures

Les blessures sont représentées par une étoile dans

les cases de la jauge physique (ou mentale dans le cas des
combats psychiques). Comme précédemment, les blessures
remplacent les croix d’épuisement et les traits de fatigue qui
ont été préalablement notés.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Quand le potentiel physique arrive à 0, le personnage est

hors de combat en raison de son épuisement physique (il est
à bout de souffle) ou d’une douleur intense invalidante. Il est
donc à la merci de son vainqueur, à moins qu’on ne l’aide
en dernier recours...

Application

La première cible de notre vengeur reçoit une

2 L’épuisement
La vie d’enquêteur n’est pas de tout repos, loin de là : les
personnages sont amenés à réaliser des prouesses épuisantes, des
recherches longues et éprouvantes, à passer des nuit blanches, et
le manque de repos se paye souvent cher.
blessure par balle (force de l’arme : 5) avec 2 réus-
sites de différence. Un total de 7, dont il retranche
sa protection (0) et son potentiel physique (2D). 5
niveaux de blessures : la mort est rapide et indolore,
son potentiel physique initial étant de 2.

De telles situations entraînent une perte de points dans les
potentiels physiques et mentaux appelés « épuisement ». Pour
matérialiser ces fatigues prolongées, on coche une simple croix
en dessous de son potentiel de base. Si on ajoute de l’épuisement
alors que l’on est déjà fatigué, l’épuisement prend la place de la
fatigue.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Une bonne nuit de repos permet d’effacer une croix dans
chacun des potentiels touchés par l’épuisement.
Les pérégrinations de Carter avant cette nuit de combat lui
font noter une croix qui représentera la perte de 1D de potentiel
physique, ce qui le ramène à un potentiel actuel de 4D (5D de
départ -1D). Espérons qu’il pense à dormir le lendemain !
2 Une blessure grave ? Le chemin de croix commence...
 Premiers soins : nécessaire à -1 de potentiel physique.
La réussite d’un test lié aux sciences du vivant permet
de soustraire un blessé grave de son affreux destin en
remettant son potentiel physique à 0. Un échec conduit
à un statu quo ; s’il est critique, c’est la mort assurée...
 Acte médical : nécessaire avec un potentiel physique
à -2. Si les circonstances sont moins pressées et que le
praticien possède des outils adaptés, il peut effectuer
un test de sciences du vivant [médecine] : cela lui
permet de ramener le potentiel physique à 1, ainsi que
le nombre de points d’épuisement équivalent au succès
du praticien.
 Dans tous les cas, on ne peut gommer de points de
blessure tant qu’on est épuisé.
 De même, on ne peut gommer qu’un point de blessure
par semaine de repos forcé avec une assistance médicale
appropriée.

De même, pendant le combat contre les sbires du Génie du

Crime, Carter s’est dépassé une fois grâce à ses passions. Il a donc
dû ajouter un trait oblique pour réduire son potentiel à 3D, mais
cette perte temporaire n’a duré que jusqu’à la fin de la scène.

122
 Système de Règles
Descendre en dessous de -1 dans son potentiel physique traduit
une blessure grave sur la localisation déterminée par le coup. Le
traumatisme est profond, tant sur le plan mental que physique :
 Le potentiel physique de départ est baissé de 1 point
tant qu’un acte chirurgical n’a pas été tenté avec succès.
Le joueur devra simuler cette incapacité à retrouver
l’usage total de ses capacités. Il suffit de noircir la der-
nière case de la jauge.
 Le personnage choqué acquiert 1 point de psychose de
départ supplémentaire. Il doit en outre réaliser un test
psychotique pour voir s’il subit l’un des états psycho-
tiques liés aux traumatismes (voir le chapitre 5 sur la
santé mentale) en gardant un seul dé. Vous comprenez
maintenant pourquoi les cicatrices de guerre les plus
profondes ne sont pas toujours visibles sur le corps mais
dans le comportement, voire dans la déchéance...
2 Des maux qui ne viennent pas du combat...
Pourquoi pensez-vous que l’individu phobique redoute
autre chose que les armes ? Sans doute parce que les dangers
du monde sont particulièrement nombreux. Nous pourrions
croire que cette société en progrès garantirait la sécurité de
tous, mais il semble au contraire qu’elle les ait démultipliés :
écrasement par les voitures hippomobiles, chutes d’immeubles,
poisons et maladies... Les risques avérés sont légion.
Nous n’allons pourtant pas déroger à notre simplification
du système de jeu. Affronter ces dangers se résout de la même
façon qu’un combat normal. Voici quelques pistes possibles...
Les chutes
Le personnage encaisse un niveau de blessure par tran-
che de deux mètres de chute. Il doit réaliser un jet avec
son potentiel physique en gardant un nombres de dés en
fonction de la dureté du sol (3 s’il est mou, 1 s’il est dur)
pour amortir cette chute (moins une blessure par succès,
ou des blessures supplémentaires en cas d’échec critique).
Seule la compétence cirque [acrobatie] permet d’abaisser le
seuil de 9.
Exemple : le trafiquant poussé par Carter effectue une
chute de 4 mètres qui se termine sur des dalles ! Le jet est de 4D
GARDE 1D. Il rate son test avec un bel échec critique, ce qui
aggrave son total de blessures fixé à 2 (2 x 2 mètres). Il prend
donc 3 blessures...
Les chocs
Le MJ estime combien de blessures encaisse le person-
nage, en fonction du poids et de la vitesse de l’objet. La
victime peut tenter d’esquiver comme précédemment, pour
amortir les blessures.
Exemple : l’infortuné rescapé est heurté de plein fouet par
l’attelage hippomobile qui lui occasionnerait 4 blessures, selon
le MJ. Il tente d’esquiver avec un jet de 4D GARDE 3D (il a
tout de même un peu de temps et d’espace pour esquiver), soit
2 réussites, pour encaisser un total de 2 blessures.
123
De la mortalité des combats dans Crimes
En tant qu’application du système, le combat est
un pari qui peut s’avérer fatal aux PJ. Il a toujours de
lourdes conséquences (gains de névrose, affaiblissement
des potentiels, traumatismes...). Les PJ n’ont aucun
avantage particulier, en tant que fragiles humains, ce
qui peut poser des problèmes si vous voulez éviter que
vos parties ne se tranforment en d’inutiles boucheries.
La mort d’un PJ : elle doit être implacable à -2 en
potentiel physique en cas de conduite idiote ou suici-
daire, logique en cas de blessure trop lourde, évitée si
le joueur avait tenté une action audacieuse et calculée.
Pour parer au pire, chaque joueur devrait avoir dans ses
contacts un personnage de rechange si le sien succom-
bait ou était réduit à l’incapacité trop longtemps.
L’interprétation des résultats : le combat est au
service de la dramaturgie et de la cohérence de l’univers
de jeu. Cette phase est primordiale et doit récompenser
les joueurs les plus inventifs. Interpréter ne veut pas
dire tricher avec ses résultats mais choisir la règle la
mieux adaptée. Par exemple, un groupe de 6 joueurs
qui combattent un golem de pierre aux poings pour-
raient le vaincre à force de le toucher, mais s’ils ne se
liguent pas ensemble pour effacer le nom sur son front
qui constitue son point faible, le MJ leur refusera le
bénéfice du combat de groupe et opposera le résultat
de chacun d’entre eux à celui du golem, comme Carter
face aux quatre malfrats.
Les poisons, alcools, maladies et autres substances
Les alcools, maladies, poisons et autres psychotropes
fonctionnent tous de la même manière. Ces agents ont
une virulence qui traduit la facilité avec laquelle ils peuvent
être inoculés (de 1 à 10 pour une pandémie de peste). On
observera aussi la dose administrée (faible dose : 3D, dose
quasi létale à 1D). Le jet est le suivant :
Potentiel physique actuel GARDE dose, le seuil
équivaut à la virulence.
Un échec signifie que le personnage subit les effets de
la substance en question. Bien entendu, les poisons les plus
violents ne nécessitent pas de jet de dé. Il est impossible de
se dépasser sur un tel test.
Pour guérir de ces effets (si cela est possible, voir au cas
par cas), ou en cas d’exposition prolongée, le malade devra
refaire son jet régulièrement avec une dose et une virulence
qui baisseront d’un point à chaque fois. Pour stopper ces
tests à répétition, il faut que l’exposition cesse, ou que la
dose devienne nulle.
Exemple : Carter a contracté une maladie mystérieuse
suite à sa blessure infectée, dont la virulence est de 7 et la
dose moyenne, soit 2D. Notre agent est malheureusement en
mauvaise forme : son potentiel physique n’est que de 2 (il a subi
deux blessures par pistolet). Le MJ jette 2D et en garde deux
contre un seuil de 7 ; il fait 1 et 3 . Carter échoue et devient
donc affecté par la maladie.
 Chapitre 4

2 Thérapeutique

« La fièvre typhoïde est une maladie terrible : ou on en meurt, Précaution d’emploi

ou on en reste idiot. J’en sais quelque chose : je l’ai eue. »
Le maréchal Patrice de Mac Mahon
Un jet de sciences du vivant est nécessaire pour détermi-
ner la pathologie à soigner.
Affligez ces tares de façon raisonnable, et utilisez-
les en remplacement des blessures dans les scénarios
peu portés sur les empoignades physiques. Ne les
chargez pas de tous les maux de la terre, leur espérance
de vie s’en retrouverait vite écourtée...

 Un échec signifie que le praticien ne parvient pas à

déterminer la cause.
 Un échec critique donne une mauvaise interprétation, et Le choléra en 1832 à Paris
le remède sera encore pire que l’infection...
Le jet est donc caché ! On recommandait aux citoyens de se maintenir
dans une grande tranquillité d’âme, d’éviter les émo-
tions fortes et la fatigue, de s’abstenir de tout excès, de
favoriser et d’agrandir dans leur demeure l’action bien-
faisante de la lumière, de faire usage de bains tempérés
et de ceintures de flanelle, de ne manger que des mets
d’une digestion facile, de se mettre en garde contre
tout refroidissement subit et de ne pas coucher en trop
grand nombre dans la même pièce. Prescriptions fort
sages mais dérisoires pour cette portion du peuple à
laquelle une civilisation inique mesure avec tant d’ava-
rices le pain, le gîte, le vêtement et le repos ! La nuit,
des débris de feux allumés, dans le douteux espoir de
purifier l’atmosphère, les lanternes brûlant à la porte
des bureaux de secours, les cris étouffés qui, partant du
fond des maisons, montaient dans le silence des rues
solitaires, tout cela était d’un effet terrible.

Louis Blanc, Histoire de Dix Ans, tome III (1841)

124
 Système de Règles
2 Liste des maladies les plus courantes
Malgré les grandes avancées médicales (la saga de
l’Institut Pasteur), les notions d’hygiène les plus sommaires, les
balbutiements de la vaccination rendent encore les épidémies
meurtrières. De même, certaines manifestations étranges
peuvent générer de tels problèmes. Ce n’est pas pour rien qu’on
compte encore, à Paris, des chasseurs de rats de métier...
Les doses dépendent de la proximité du personnage avec
l’agent infectieux : est-il seulement présent dans une région
touchée, ou est-il en contact direct avec l’agent infectieux ?
Dysenterie
 Nom : Shigella Dysenteriae
 Isolé par : Shiga en 1898
 Virulence : 7
 Maladie infectieuse caractérisée par une inflammation
ulcéreuse du gros intestin, et provoquant des évacuations
sanguinolentes et de pus accompagnées de coliques violentes.
2 points de fatigue physique, 1 point de fatigue mentale avant
guérison. La période d’incubation est de 4 jours en moyenne.
 Valable : partout dans le monde, par eau contaminée
ou contagion.
 Traitement : efficace en 3 jours, vaccin indisponible à
l’époque. Médecin initié minimum.
 Mauvais diagnostic : choléra.
Choléra
 Nom : Vibrio Cholerae
 Isolé par : Koch en 1883
 Virulence : 8
 Symptômes : vomissements puis diarrhées, avec une
perte d’environ 20 litres de liquide.
 Durée : 5 jours. Les 3 premiers jours le malade : est
incapable de réaliser la moindre action (les potentiels tombent
à 0). S'ensuit une récupération progressive (+1 dans chaque
potentiel par jour).
 Valable : partout dans le monde, par eau contaminée ou
contagion. Foyer épidémique. Incubation très rapide (quelques
heures). Très contagieuse si des mesures de désinfection des
mains et de tout objet souillé ne sont pas prises.
 Traitement : efficace en 3 jours, vaccin indisponible à
l’époque. Médecin initié minimum. Traitement symptomatique
par 5 litres/jour de sérum physiologique (solution salée de
NaCl à 0,9%). Si le traitement est effectué correctement, le
patient guérira sans séquelles.
 Mauvais diagnostic : autres maladies diarrhéiques (dysenterie).
Pneumonie
 Nom : Streptococcus Pneumoniae
 Isolé par : Fraenkel en 1886
 Virulence : 6
 Symptômes : en cas d’échec du test, c’est une forme
mortelle par septicémie. En cas de réussite, la forme n’est pas
mortelle, même en l’absence de traitement, mais elle peut
laisser des séquelles. Fièvre, douleur à la poitrine, difficultés
respiratoires.
 Durée : 15 jours.
 Valable : partout dans le monde, par l’air, mais la
contagiosité est faible. Favorisée par l’alcoolisme ou d’autres maladies
débilitantes.
 Traitement : symptomatique. Contraindre au repos et
faire tousser.
125
 Mauvais diagnostic : autres atteintes pulmonaires,
angine de poitrine.
Gangrène gazeuse
 Nom : Clostridium Perfringens
 Isolé par : par Welch et Nuttal en 1892
 Virulence : 7
 Symptômes : inflammation du membre concerné avec
douleurs vives, oedème très important, nécrose, fièvre. À l’aus-
cultation, on entend des crépitements liés à la formation de gaz.
 Durée : 15 jours.
 Valable : incubation rapide (quelques dizaines d’heures).
Partout dans le monde : transmission par souillure d’une plaie
profonde (balle, explosion) ou par de la terre. Non contagieux
sauf exposition volontaire ou accidentelle à une plaie souillé.
 Traitement : amputation dans les formes mortelles,
ne concerne que les atteintes des membres (bras, jambes).
Dans les autres atteintes (abdomen, thorax) la maladie est
toujours mortelle. Séquelles possibles dans les formes non
mortelles (impotence fonctionnelle d’un membre, perte de
« physique »).
 Mauvais diagnostic : autres infections des blessures.
Diphtérie
 Nom : Corynebacterium Diphteriae
 Isolé par : Klebs et Loeffler en 1883
 Virulence : 8
 Symptômes : en cas d’échec critique du test, c’est une
forme mortelle foudroyante par atteinte des organes via une
toxine produite. En cas d’échec, apparition du croup. En cas de
réussite, forme bénigne guérissant spontanément. Fièvre, angine
à fausses membranes pouvant évoluer vers une obstruction des
voies aériennes, conduisant à un étouffement et à la mort.
 Durée : 10 jours.
 Valable : partout dans le monde par l’air, contagiosité
forte par voie aérienne.
 Traitement : antisérum équin disponible à partir de
1896 (mis au point par Roux en 1894) pour la forme mortelle.
Possibilité de réaliser une trachéotomie en cas de croup, geste
chirurgical délicat (spécialisation de médecine essentielle).
 Mauvais diagnostic : angine.
Blennorragie
 Nom : Neisseria Gonorrhoeae
 Isolé par : Neisser en 1879
 Virulence : 5
 Incubation : normale (quelques jours)
 Symptômes : maladie bénigne. En cas de réussite du
test, porteur sain de la maladie. En cas d’échec critique, évolue
vers une septicémie (nouveau test et en cas d’échec : décès).
Ecoulement purulent et douleur à la miction (chaude pisse),
fièvre.
 Durée : 15 jours.
 Valable : partout dans le monde, par voie sexuelle, conta-
giosité forte. Plus particulièrement chez les prostituées. La femme
peut être porteuse du germe sans avoir de signes de la maladie.
 Traitement : symptomatique. Séquelle chez la femme
qui devient stérile.
 Mauvais diagnostic : infection urinaire, autres maladies
sexuellement transmissibles.
 Chapitre 4
Tuberculose (appelée également phtysie)
 Nom : Mycobacterium Tuberculosis
 Isolé par : Koch en 1882
 Virulence : 7
 Incubation : normale (quelques jours).
 Symptômes : en cas de réussite, pas de signe et
l’exposition protège ensuite d’une exposition ultérieure. En
cas d’échec, maladie évolutive. En cas d’échec critique,
maladie mortelle en quelques semaines. Fièvre prolongée, toux
pouvant conduire au décès (très forte contagiosité) : perte de 1
point dans tous les potentiels.
 Durée : maladie chronique pouvant évoluer sur des
années pour la forme active, rapidement mortelle pour la
miliaire.
 Valable : partout dans le monde, par voie aérienne,
contagiosité nulle chez les non-symptomatiques, forte chez les
sujets atteints de la maladie active.
 Traitement : symptomatique. Repos et cure sanatoriale.
Fumigation ou inhalation de créosote. Séquelles pulmonaires
des formes actives (pleurésies), atteintes extra-pulmonaires
(osseuses provoquant des déformation de la colonne vertébrale,
rénales) : perte définitive d’un point de potentiel physique.
 Mauvais diagnostic : autres maladies respiratoires.
Syphilis
 Nom : Treponema Pallidum
 Isolé par : Schaudin et Hoffmann en 1905
 Virulence : 7
 Incubation : variable selon les stades (quelques semaines
à quelques années). Maladie évoluant en 3 stades. En cas de
réussite du test, porteur sain : pas d’effet sur lui.
 Symptômes : selon les stades, chancre dur au pont
d’inoculation (premier stade), fièvre et complications.
- Premier stade : 3 semaines de maux (1 point de
fatigue physique ou mentale au choix) guérissant spon-
tanément après 4 à 6 semaines.
- Second stade : deux mois après le premier stade :
lésions (roséole, alopécie, abcès) disparaissant en 1 à 2
ans, perte définitive de 1 point de potentiel social.
- Troisième stade (2 à 10 ans, dans 30 % des cas) :
atteinte cardiaque, (perte définitive de 2 points en
potentiel physique, mental et de social).
 Durée : maladie chronique pouvant évoluer sur des
années pour la forme active, rapidement mortelle pour la
miliaire.
 Valable : partout dans le monde, par voie sexuelle,
contagiosité forte. La femme peut être porteuse du germe sans
avoir de signes de la maladie. Syphilis congénitale (transmission
de la mère à son enfant).
 Traitement : sels d’iode et de mercure. Séquelles en
phase tertiaire.
 Mauvais diagnostic : autres maladies sexuellement
transmissibles.
126
Typhoïde
 Virulence : 6
 Incubation : de une à trois semaines (1D3). Cette
maladie s’attrape par les aliments, la bacille responsable étant
proche des salmonelles. La septicémie est inévitable si les
germes passent à travers les parois intestinales.
 Symptômes : fièvres, frissons et douleurs articulaires
(diminuent de 1 les potentiels et les scores de compétences
basées sur le physique et le mental), et ce chaque semaine. Sans
traitement, il y a une chance sur dix de mourir. Quand un
potentiel arrive à zéro, le personnage est en incapacité.
 Durée : jusqu’à la guérison complète.
 Valable : partout dans le monde.
 Traitement : aucun n’est connu, un traitement général
des symptômes peut l’atténuer. Le personnage doit refaire son
test de virulence chaque semaine avant la guérison.
 Mauvais diagnostic : pneumonie, choléra.
Rage
 Virulence : 9
 Incubation : deux semaines seulement après une mor-
sure par le vecteur (renard, chien, chauve-souris).
 Symptômes : élévation de la température (41°C), four-
millements dans la région mordue, crises de sanglots, puis spas-
mes douloureux, salivation intense et modification de la voix.
Cela provoque une fatigue abaissant les potentiels de 1 point
tous les deux jours, sans possibilité de récupérer. Au final, les
crises tétaniques, une semaine après, provoquent la mort par
syncope. Un personnage déjà déchu pourra se voir affublé, s’il
survit, de la déchéance appelée « bosse de la criminalité » (voir
le chapitre 5).
 Valable : partout dans le monde au contact des animaux
transmetteurs.
 Traitement : un vaccin rapide et beaucoup de chance...
Aucun remède réel connu mis à part cela. La rémission se fait
en l’espace d’une semaine, les succès du médecin amoindrissent
les symptômes.
 Mauvais diagnostic : maladie mineure comme la
grippe, ce qui raccourcira l’espérance de vie de la victime.
Malaria
 Virulence : 8
 Incubation : très rapide, le parasite mis en cause est un
moustique qui pique à la tombée de la nuit. Virulence forte.
 Symptômes : maux de tête, courbatures, troubles diges-
tifs qui annoncent le pire. Les crises provoquent la baisse du
potentiel physique et mental à 1 point.
 Durée : sous certaines formes, elle est perpétuelle (chro-
nique), ce qui est le cas si la victime a fait un échec critique au
test de virulence.
 Valable : dans les régions soumises à un climat tropical.
 Traitement : pas de vaccin possible. L’administration de
quinine stoppe les crises sans détruire la maladie.
 Mauvais diagnostic : fièvre typhoïde.
 Système de Règles
2 Liste des poisons les plus courants
La ciguë
 Description : la grande ciguë appartient à la famille des
apiaceæ, comme la carotte et le cumin des prés. A maturité, on la
différencie facilement par sa hauteur et ses minuscules fleurs blanches
en grappes ombellifères au-dessus de tiges lisses et creuses qui portent
souvent des points pourpres. Fossés, pâturages et terres humides sont
ses terrains de prédilection. On la connaît surtout par la décoction
mortelle qui fut le moyen de mise à mort de Socrate. L’ingestion de 3
grammes de racines suffit à tuer le plus robuste des adultes.
 Virulence : 7 + 1 point par dose supérieure à « dose faible ».
 Effets : une stimulation physique donne 1 point de
potentiel physique supplémentaire pour le reste de la scène.
Elle est suivie d’une phase de dépression (le potentiel physique
actuel baisse de 1 point à chaque scène suivante). Quand cette
jauge devient nulle, le sujet est paralysé puis il décède.
 Échec critique : la phase de dépression est plus rude et
la perte de potentiel est de 2 points par scène.
L’aconit
 Description : aconitum napellus, plante de la famille des
renonculacées. Commune en Europe (notamment dans les zones
montagneuses), cette magnifique plante aux fleurs bleu violet en
forme de capuchons est très toxique. Les chasseurs trempaient leurs
flèches dans une solution à base d’aconit avant la chasse au loup.
 Virulence : 6. On rajoute un point par dose supérieure à
« dose faible ».
 Effets : des troubles neurologiques et digestifs assaillent
le patient qui perd un point par scène dans tous ses potentiels.
 Échec critique : c’est la mort rapide par arrêt cardiaque.
La belladone
 Description : plante herbacée à baies noires, de la
famille des solanacées (atropa belladona).
 Virulence : 7. Trois succès du personnage lui font perdre
127
un point de fatigue mentale le cas échéant.
 Effets : elle donne des migraines, des visions puis pro-
voque un arrêt cardiaque. Les yeux noirs et la dilatation des
pupilles en sont les signes les plus éloquents. Cela se traduit par
la perte d’un point de potentiel mental et, pour la durée de la
scène, par l’état psychotique nommé « hallucinations ». A faible
dose, son alcaloïde, l’atropine, est curative. Tout l’esprit de
Crimes résumé en une plante : l’excès dévastateur !
 Échec critique : c’est la mort par l’arrêt cardiaque .
La strychnine
 Description : elle tire son nom du strychnos des régions
tropicales, arbustes d’où sont tirés soit la noix vomique, soit le
curare. Elle a un goût amer ; métal blanc soluble dans l’eau,
elle n’a ni goût ni couleur, sa toxicité étant analogue à celle du
plomb. On l’utilise dans la mort-aux-rats.
 Virulence : 8 + 1 par niveau de dose ajouté.
 Effets : elle est réputée immuniser contre les venins de
serpent. Son ingestion donne des contractions musculaires,
retrousse les lèvres, puis provoque un arrêt respiratoire. Seul un
jet de science du vivant [médecine] peut le sauver s’il est pratiqué
juste après l’accident : quatre réussites cumulées sont nécessaires.
 Échec critique : c’est la mort par paralysie assurée.
Le thallium
 Description : métal blanc soluble dans l’eau, n’a ni goût
ni couleur, sa toxicité étant analogue à celle du plomb. On
l’utilise dans la mort-aux-rats.
 Virulence : 7
 Effets : il donne des symptômes de grippe avec en plus
la chute des cheveux. Ses dommages sont internes, touchant
essentiellement les organes. L’échec abaisse le potentiel physique
de base de 1 point, causant des dommages irréparables...
 Échec critique : une hémorragie interne survient et ne
peut être soignée que par quatre réussites cumulées à un test de
sciences du vivant [médecine].
 Chapitre 4
L’antimoine
 Description : ce poison minéral argenté tirerait son nom
d’un évènement particulier ; il aurait décimé une communauté
de moines alors qu’il se trouvait dans le puits où l’on tirait
l’eau... On peut le trouver dans l’air sous forme de poussières
ou dans les aliments qui le contiennent. Les doses varient donc
selon l’état par lequel il est ingéré.
 Virulence : 5
 Effets : d’abord, on subit une irritation des yeux, de la
peau et des poumons. Ensuite, l’exposition prolongée provoque
des vomissements, des ulcères et des diarrhées qui affaiblissent
progressivement le personnage (perte de 1 point de potentiel
physique noté comme épuisement). C’est donc un poison
insidieux qui tue lentement.
 Échec critique : un arrêt cardiaque survient et ne peut
être prévenu que par quatre réussites cumulées à un test de
sciences du vivant [médecine].
Les oxydes de carbone
 Description : le monoxyde de carbone est extrêmement
toxique. Le simple gaz carbonique est simplement asphyxiant,
mais particulièrement traître car incolore, inodore et plus
lourd que l’air. On suppose qu’Émile Zola a été victime d’un
ramoneur mal intentionné qui aurait délibérément bouché le
conduit d’évacuation de sa maison pour que l’écrivain trouve la
mort dans son sommeil, sans éveiller les soupçons.
 Virulence : 9 pour le monoxyde, 7 pour le dioxyde de
carbone. On rajoute un point par dose supérieure à faible.
 Effets : provoque la mort par suffocation, sauf si le per-
sonnage est secouru et extrait de la zone touchée. Le problème
est que ces gaz sont indécelables. Échouer à ce test fait baisser le
potentiel physique actuel de 1 point par assaut, jusqu’à la mort
souvent rapide. L’inconscience survient à 0, la mort à -1.
 Échec critique : la mort est inévitable.
persistante dans l’haleine - il prive le sang de l’oxygène. Il n’y
a aucun remède possible.
Le vitriol
 Description : ce n’est pas un poison à proprement
parler, mais un moyen très commode de se débarrasser d’une
personne gênante, et très usité par les épouses cocufiées pour
leurs crimes passionnels, parfois dans le simple but de défigu-
rer l’époux trop volage. C’est l’autre nom de l’acide sulfurique,
d’origine minérale, à l’aspect vitreux. Les alchimistes propo-
saient comme étymologie l’acronyme mystique Visita Interiora
Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem.
 Virulence : 6 + 1 par « dose » supplémentaire.
 Effets : le vitriol est le plus souvent projeté vers le visage
du personnage ciblé. Sa résistance représente ses tentatives
désespérées de se prémunir des effets de l’acide. Le vitriol
provoque de graves brûlures pénétrant profondément dans les
tissus. Les blessures sont graves et ne peuvent être soulagées
par une exposition à l’eau, qui ne fait qu’aggraver les effets.
Considérez le vitriol comme une arme dont la force est égale
à la virulence. Tant que le personnage n’échappe pas à ses
effets, il subit à chaque assaut une attaque de la part de l’acide.
De plus, être exposé au vitriol provoque un test psychotique
réalisé avec 1D.
 Échec critique : le personnage est touché au visage. Il
perdra définitivement un point de potentiel social et sera sujet
à un état psychotique lié au traumatisme physique.

L’arsenic
 Description : corps gris à l’aspect métallique, ses effets se
confondent avec les symptômes du choléra et de la dysenterie :
son pouvoir irritant donne des brûlures à la gorge, des crampes
et des vomissements.
 Virulence : 9
 Effets : peut entraîner un empoisonnement rapide et
le décès de la victime. L’intestin, le cœur et le système nerveux
sont touchés. Ceux qui survivent à un empoisonnement aigu
peuvent développer des taches de pigments sur la peau ou souf-
frir de dommages au niveau des globules rouges, de la moelle
osseuse (où sont produits les globules sanguins), du foie, des
nerfs et du cerveau. Ils durent jusqu’à ce que la dose ait été
diluée dans le sang ; à chaque échec, le personnage perd 1 point
dans tous ses potentiels. Après guérison, il choisit un potentiel
où il perdra un point définitif à son score de base.
 Échec critique : la mort est alors inévitable.

Le cyanure
 Description : sel appelé encore bleu de Prusse, dont la
composition a été établie en 1815 par Gay-Lussac. C’est un liquide
incolore qui bout à 26 °C et se solidifie à -13 °C : il est donc diffi-
cilement reconnaissable. C’est en cela un excellent moyen pour les
candidats au suicide qui ne souhaitent pas attirer l’attention.
 Virulence : 8
 Effets : le cyanure a une issue fatale en quelques
minutes mais est reconnaissable grâce à une odeur d’amande

128
 Système de Règles
2 Quelques drogues d’usage courant
Nous abordons ici les toxicomanies, ces étranges
impulsions qui commandent la prise d’une drogue
définie, procurant plaisir et soulagement, mais aussi une
dépendance qui entraîne une préoccupation constante, une
incapacité à décrocher et un comportement social perturbé.
Le toxicomane cherche dans sa substance un moyen de
rétablir l’équilibre, ce qu’il est incapable de faire avec ses
ressources internes.
Drogues et psychose : la prise d’une drogue par un
toxicomane lui permet d’ignorer le gain d’un point de
psychose si la prise suit l’évènement déclencheur. Cela n’est
possible qu’une fois par scénario, au titre de la règle sur les
soupapes psychotiques.
La marijuana
 Description : herbe de cannabis. Rassemble les
feuilles, tiges et sommités fleuries de la plante. On peut le
consommer à l’orientale sous forme d’huile ou de haschich.
Les anglais et l’armée napoléonienne l’introduisirent en
Europe en tant que traitement pour les migraines, l’asthme
et l’épilepsie.
 Virulence : 6
 Effets : le score de névrose du personnage baisse d’un
point par dose (faible : 1 point, forte : 3 point) et d’un point
d’angoisse au total.
 Échec critique (overdose) : pendant un acte, le
personnage subit l’effet psychologique « confusion mentale »
et subit 1D de moins sur tous ses potentiels.
La cocaïne
 Description : distillée à partir des feuilles de cocaïer.
Provoque un sentiment de puissance intellectuelle et physique
et une indifférence à la douleur et à la fatigue. Administrée
dès 1880 aux États-Unis comme tonique. Cependant, un état
dépressif apparaît dès que les effets s’estompent.
 Virulence : 8. La dose multiplie la durée des effets.
 Effets : pendant une heure, le personnage gagne 2D
de potentiel physique et mental et peut ignorer un seul point
de fatigue. Son angoisse tombe à 0. Ensuite, pour le reste de
l’acte, il est sujet à l’effet psychologique « dépression ».
 Échec critique (overdose) : le cocaïnomane gagne un
point de psychose, accompagné d’un point d’épuisement
physique et mentale.
L’héroïne
 Description : dérivé du pavot qui entre dans la
fabrication de l’opium. Elle s’injecte dans le sang après
chauffage ou est sniffée. Elle provoque l’apaisement, l’euphorie,
une sensation d’extase par des « flashs ». Les états de manque
et les « descentes » génèrent angoisse et agitation. En 1898, les
laboratoires Bayer la commercialisent comme remède contre
la douleur. Médicament « héroïque », on la synthétise pour
calmer les toux et les douleurs : on estime à cinq cent mille le
nombre de dépendants aux USA en 1914.
 Virulence : 8. La dose multiplie la durée des effets.
 Effets : le personnage voit son angoisse tomber à 0
pendant une heure et sombre dans un état psychologique
d’« onirisme ». Cela dure toute une scène, sauf l’angoisse qui
se stabilise à 0.
 Échec critique (overdose) : après l’effet précédent,
l’héroïnomane voit son angoisse remonter à 5 points et subit,
la scène suivante, un épisode d’ « hystérie ».
129
La morphine
 Description : extraite de l’opium mais en dix fois plus
puissant, le nom venant du dieu des rêves. C’est un antalgique utilisé
sous forme de sulfate ou sous forme d’injection par intraveineuse.
 Virulence : 9. La dose multiplie la durée des effets.
 Effets : un personnage blessé peut ignorer un niveau
de blessure physique. Il n’efface pas l’étoile de sa fiche de
personnage mais fait ses tests avec un potentiel majoré de un
point. Il faut attendre une heure pour en sentir les bénéfices,
les effets se prolongent sur la durée d’une scène.
 Échec critique (overdose) : le personnage est accoutumé,
la morphine devient alors sa passion secondaire. Il subit, l’espace
de la scène suivante, l’effet nommé « onirisme ».
L’alcool
 Description : produit par fermentation ou distillation,
c’est une plaie de la société. Il détend et lève les inhibitions.
L’ivresse prolongée peut provoquer les nausées, les vomisse-
ments, jusqu’au redouté delirium tremens...
 Virulence : entre 3 et 6 selon la qualité du breuvage. La
dose multiplie la durée des effets.
 Effets : pour perdre un point de psychose, il faut céder à
l’escalade : le personnage doit échouer à son test. Voici le détail
des étapes (le personnage subit ces effets jusqu’à son échec).
1. Gaieté : les relations sociales se détendent, pas d’effet,.
2. Ridicule : moqueries de l’entourage sobre : -1D en
potentiel social.
3. Grosse fatigue : l’indolence provoque une fatigue
épisodique touchant tous les potentiels.
4. Ivresse : un test de potentiel physique contre 2D (3D si
le personnage est alcoolique) est nécessaire pour éviter la
somnolence. On roule sous la table...
5. Humeur belliqueuse ou hallucinations : le personnage
irritable a de grandes chances de s’en prendre à
d’éventuels ennemis à portée. Un test psychotique
est nécessaire, pour éviter au choix du MJ les effets
psychologiques suivants : delirium tremens, colère
pathologique, coprolalie ou hallucinations.
6. Échec critique (overdose) : le coma éthylique.
Le personnage tombe en incapacité et sombre dans
l’inconscience. Son potentiel physique est ramené à 0,
qu’il pourra récupérer au rythme de 1 par scène.
 Chapitre 4
Découpage du temps dans Crimes
La gestion du temps peut s’avérer délicate, entre les
ellipses indispensables aux longs voyages et le déroulement
des scènes d’actions en temps réel. Pour vous faciliter
la tâche, nous récapitulons ici les unités de temps qui
jalonneront l’existence des enquêteurs.
1. L’assaut : unité de temps du combat, dure environ
6 secondes ; utilisable pour effectuer une tâche simple
comme échanger des coups, viser et tirer, parcourir une
courte distance, fuir, intimider ou railler l’adversaire,
implorer sa pitié...
2. La scène : unité de temps et de lieu ; elle dure tant
que les personnages restent au même endroit, avec
les mêmes PNJ. C’est la durée de la plupart des états
névrotiques et psychotiques.
3. L’acte : ce temps fort concerne l’exposition des faits,
l’enquête, ou la résolution de l’affaire.
4. Le scénario : une aventure complète, comprenant
généralement trois actes. A la fin du scénario, les
joueurs sont récompensés par la distribution des
points d’expérience et de développement, que l’on
130
peut mettre à profit pour faire évoluer son personnage.
Le total de névrose revient à son niveau de départ. La
psychose diminue de 1 si le personnage souffre d’une
perversion.
5. Le jour et la nuit : la durée d’un scénario n’est pas
fixe. Certains se déroulent sur des mois, d’autres sur
quelques heures. Néanmoins, la nuit est le seul moyen
naturel de récupérer un point de fatigue dans chaque
potentiel.
6. La semaine : en repos total, elle permet de récupérer un
point de blessure physique, avec une aide médicale.
7. Le mois : outre la récupération de 4 points de blessure,
on peut baisser sa psychose de 1 point en recourant
à un aliéniste, sans pour cela passer sous la barre de
la moitié du score maximum qu’il a jamais atteint en
psychose. Le mois est aussi une unité de temps pour
qui veut augmenter certaines compétences avec ses
points d’expérience.
8. La campagne : une suite de scénarios imbriqués qui
constituent une quête importante. Les scénarios peu-
vent être espacés de plusieurs années. Crimes est conçu
pour une période s’échelonnant de 1870 à 1919, ce
qui laisse présager d’un développement pres-
que illimité de la vie de votre personnage.
N’oubliez donc pas de le faire évoluer en
accord avec votre MJ.
Vous maîtrisez désormais le système de
jeu de Crimes. N’oubliez pas que ce système
est construit en tiroirs, de telle sorte que
vous puissiez intégrer, au fur et à mesure, ses
ressorts les plus complexes.
Vous allez pouvoir maintenant vous
initier aux techniques d’investigation de
l’époque avant de faire la connaissance des
quelques criminels notoires croisés par Carter,
l’homme que vous cherchez à retrouver dans
les dédales de Paris.
Familiarisez-vous avec ces méthodes
policières du XIXème siècle pour éviter de
commettre de fâcheux anachronismes et
savoir comment procéder aux moments les
plus indécis de vos enquêtes.
Bien entendu, ces techniques sont
connues des personnages au moins novices
dans les compétences de criminologie et de
criminalistique.
 Système de Règles

Manuel de l’enquêteur :
comment résoudre une affaire ? Cher enquêteu
r.
Cette dénomi
nation est sa
vous n’appart ns doute hâti
enez pas à ve si
Quelques chiffres pour commencer Cette dénomi
na
la police.
tion est us
taux de réso urpée si vo
lution des tre
néant. affaires est
proche du
Cette dénomi
 1881 : 602 condamnés à mort par les Assises françaises. nation est
 1891 : 2 933 condamnations aux Assises pour lu 202 e
pensez que le
100t approuvé la torture et
flagrant déli
un bouc émis
honteuse si
t, l’interrog vous
atoire,
condamnations au Tribunal Correctionnel. à coincer l’
éventreur de
saire auraie
nt suffi
 1901 : 2 078 condamnations aux Assises pourlu e t approuvé
184 100 Whitechapel.
condamnations au Tribunal Correctionnel. Dans tous le
imprégner de s cas, je
vous somme
 1906 : en comptant les amnisties, 48% des assassins,
afin de tire
chaque lett
re de ce
de vous
41% des pyromanes, 49% des faussaires, 37% des r profit des chapitre
matière de dernières av
criminologie ancées en
coupables d’attentats aux mœurs et 69% des voleurs Nos forces et de crimin
doivent évol alistique.
ont récidivé. notre temps uer en acco
rd avec
et les crim
 1911 : 2 963 condamnations aux Assises pour 202 de l’impuni inels qui
té dans l’an jouissent
métropole. onymat de no
800 condamnations au tribunal correctionnel. Les méthodes tre grande
nous destinen de nos gran
t à de cuis ds-pères
technique tr ants échecs.
aditionnelle La police
à sa sœur sc doit offrir
Les grandes théories sur la criminalité ientifique ! une place

Au nom de la
Comment expliquer le crime ? République,
ouvrez votre
esprit !
La criminologie vous mettra plus au fait de l’origine
Le préfet de
des faits criminels. Nous exposerons diverses police,
théories, souvent discutables, jamais
démontrées, mais qui regorgent
d’indices sur le développement
inquiétant du désordre qui accable
la société contemporaine.

2 L’anthropométrie

Science dressant les mensurations

des suspects, perfectionnée par Bertillon,
directeur des services d’identité judiciaire
de Paris depuis 1883. Son enfance fut
marquée par les instruments de mesure de
son père médecin. Cette manie de ficher
ses semblables en font un parfait produit
de son siècle. Compas et règles à glissière
rejoignirent le nécessaire du policier modèle,
qui pouvait comparer ses résultats avec les
fiches anthropométriques de la préfecture
de police. La confiance en cette technique
explique l’apparition des relevés d’empreintes
digitales en France.

Chaque organe du visage doit être

scrupuleusement décomposé en caractères
élémentaires à classer : taille, buste, largeur de
crâne, dimensions du nez, des oreilles, de tous
les doigts, couleur des yeux, barbe et moustache,
cicatrice, etc.).

131
 Chapitre 4
2 L’anthropologie criminelle
« Vous désirez voir le crâne typique d’un assassin ? Eh
bien ! Regardez le mien ! »
Du très sceptique professeur Aschaffenburg,
en ouverture de ses cours de criminologie
Elle repose sur les travaux de Cesare Lombroso, qui
étudia 7 000 délinquants pour aboutir à une classification
des criminels selon leurs caractères physiques. Ses théories
ridicules scandaliseraient vos enquêteurs si l’on oubliait que,
dans Crimes, nombre de tueurs subissent de douloureuses
mutations anatomiques à la suite de leur lente déchéance. Selon
cette « science », un père peut transmettre des prédispositions
criminelles à ses enfants. Elle établit un lien statistique entre
les gauchers, les ambidextres et les criminels. Toute déviation
devient suspecte !
De même, la déchéance du cerveau peut l’amener à une
régression quasi animale, digne d’un sauvage préhistorique.
Une inversion de l’évolution de Darwin, en quelque sorte. Le
criminel serait alors l’épave du monde ancien, un débris de races
inférieures primitives reproduisant les caractères ancestraux des
lointains primates. Le crime serait donc un atavisme : une sorte
d’hérédité à rebours.
Livres de chevet : « L’Homme Criminel » de Cesare Lombroso
(1876) ; le « Traité Philosophique et Physiologique de l’Hérédité
Naturelle » de Prosper Lucas (1847).
132
Un « délit de sale gueule » ?
Ces théories sont bien sûr aujourd’hui obsolètes.
Pourtant, elles épousent des thèmes majeurs de Crimes
comme la déchéance, la dégénérescence physique, l’ob-
session de la race pure, la contagion criminelle... Il est
donc tout à fait plausible, dans son cadre surnaturel,
qu’un phrénologue aboutisse à un diagnostic intéres-
sant pour le jeu, que Lombroso soit dans le vrai, ou
de voir une foule devenir sanguinaire sous l’influence
maligne d’une entité hostile.
Ces théories ont un mérite : installer le doute
quant à la responsabilité du criminel, qui agit par son
hérédité toute puissante, sous l’influence d’une posses-
sion, par son atavisme ou les anomalies de son cerveau.
De plus, elles donnent un crédit scientifique à certaines
déchéances proposées dans le chapitre 5.
2 La phrénologie
Elle se base sur le même ordre d’idées : selon le médecin
autrichien Franz Gall, à la fin du XVIIème siècle, le cerveau se
compose de zones vouées à des tempéraments ou à des fonctions
précises. Étudier les bosses du crâne humain détermine les pen-
chants d’un sujet ; ce qui, dans l’optique de la dégénérescence
physique, devient pertinent dans Crimes.
Ainsi, l’homme partage avec d’autres animaux l’instinct de
défense aboutissant aux rixes, l’instinct carnassier menant au
meurtre et la convoitise incitant au vol. Certains phrénologues
ont identifié formellement la région responsable de l’instinct
carnassier sous le conduit auditif externe, chez de nombreux
crânes de guillotinés. L’arcade sourcilière détermine le penchant
pour la convoitise.
 Système de Règles
L’homme garde cependant les traits particuliers à son
espèce que sont le talent poétique, le sens moral, la dévotion
ou la fermeté. Un bon phrénologue sait palper les zones du
crâne et déterminer les penchants de l’individu ainsi ausculté.
Sachez néanmoins que les partisans de cette technique sont
la risée des tribunaux et qu’une preuve de ce type est irrece-
vable.
Livre de chevet : « Anatomie et Physiologie du Système Nerveux en
Général et du Cerveau en Particulier » de F.J. Gall (1810-1819), 4 volumes.
2 La sociologie de la dégénérescence
« C’est dans la nature de la société même qu’il faut aller
chercher l’explication de la vie sociale. »
Durckheim
Selon cette discipline, le criminel ne serait pas né comme
tel, il ne s’agit pas d’une évolution à rebours. C’est en fait le
milieu de vie qui explique cette évolution : alcool, pauvreté,
éducation et alimentation sont les facteurs de ce déterminisme.
De même, la décadence des mœurs, de la religiosité et de
l’éducation aggrave la situation. La société devient barbare et
on ne compte plus les anciens soldats devenus assassins dans
le civil. Ce n’est plus le criminel qui est considéré comme un
être anormal, mais le crime qui est vu comme un fait social
normal, voire inévitable.
Comme disait Victor Hugo : « Ouvrir une école, c’est
fermer une prison ». Condamner les faux loisirs (les bars) et les
mauvaises influences (presse à sensation et cinéma) pourrait
éviter le règne du meurtre, de la rapine et de la duplicité !
Des anecdotes plaident en sa faveur : la famille Nathan
de Paris, qui rassemblait 14 personnes sous le même toit,
cumulait 209 années de prison ! Le recrutement familial a de
beaux jours devant lui !
Livre de chevet : « Les Règles de la Méthode Sociologique »
de Durkheim.
La corruption vue par un apache
« Paris, c’est le grand centre de la corruption, là la
tentation se présente à nous sous toutes ses formes et il est
bien difficile d’y résister (...). Un guide se présente toujours
à nous sous une forme quelconque et malheureusement
bien souvent on le suit, aveuglé par des promesses et par
ses manières tentatrices. Ce guide, c’est le mal, le mal qui
peu à peu nous conduira au dernier degré de la déchéance
morale, le mal qui fera de son protégé un être que l’on ne
pourra comparer à rien de ce qui raisonne, le mal qui par
degrés vous conduit au crime, c’est-à-dire à la prison, à
l’exil, ou au supplice. »
Confidences d’Émile Nouguier, 20 ans, condamné
à mort, au criminologue Lacassagne (février 1899)
133
2 La contagion criminelle
« Tous les actes importants de la vie sociale sont exécutés sous
l’empire de l’exemple. On engendre ou on n’engendre pas par
imitation (...) On tue ou ne tue pas par imitation. »
G. Tarde
Tout phénomène social est basé sur l’imitation, la repro-
duction des actes entre les générations. Le crime organisé ne
vient pas du néant : il est une fidèle reproduction d’autres
activités comme le commerce ou la recherche scientifique,
dont il est une version moralement dévoyée. Cette orga-
nisation du crime est d’autant plus facile avec des foules
se comportant en masses irrationnelles et irresponsables,
qui se rabaissent au niveau des individus les plus vils qui la
composent.
Ce n’est plus une influence biologique, ni même du
milieu fréquenté, mais bien psychologique, sur la base de
la suggestion. Suggestion non pas subie mais admise par le
délinquant, ce qui légitimise sa sanction et réclame l’exempla-
rité de la peine, fut-elle la peine de mort, pour éviter d’autres
contagions. La contagion se fait aussi du haut vers le bas :
l’ivrognerie, le droit de cuissage ou le viol, anciens privilèges
seigneuriaux, sont tombés dans les couches sociales les plus
basses.
Méthodes policières
Les lieux du crime
« On ne voit que ce que l’on regarde et on ne regarde que
ce que l’on a dans l’esprit. »
Alphonse Bertillon
2 Comment mener une enquête
selon des règles logiques ?
Les enquêtes de Crimes ne sont pas procédurières.
Néanmoins, certaines intrigues retorses peuvent bénéficier
de la démarche suivante, héritée des manuels de criminologie
de l’époque.
1. Collecter les données du problème : témoignages,
relevé d’indices, auscultation de la scène du crime.
2. Construire une hypothèse : qui ? Quelle est la nature de
l’acte ? Où a-t-il été commis ? Y a-t-il des complices ?
Quel peut être le mobile ? Comment a-t-il été réalisé ?
A quel moment ?
3. Vérifier l’hypothèse : résumer les témoignages et
mettre à jour leurs contradictions, vérifier les emplois
du temps des suspects, chercher les renseignements
auprès des experts.
 Chapitre 4
Il est indispensable que les joueurs prennent des notes
au cours de leur aventure. Le MJ devra leur laisser des temps
de réflexion, des pauses, pour qu’ils fassent le point entre les
diverses hypothèses plausibles.
A la fin, ils devront opter pour l’explication la plus cré-
dible en espérant que celle-ci retranscrive la vérité, à moins
qu’ils ne soient prêts à subir leur premier fiasco judiciaire...
2 Trouver des indices
Extrait du rapport de Prudent Boutroux,
criminologue, sur les meurtres de la maison de
l'indic’ :
Dans ma vie de criminologue, je n'ai jamais vu de scéne
aussi étrange. Le petit domicile de la Route de la Révolte était deux protagonistes ont été traînés hors du domicile et
sens dessus dessous. L'inspecteur Carter, qui m'a missionné, manquent donc à l’appel.
a eu suffisamment de flair pour arriver juste aprés le
crime. Pourtant, alors que je m'attendais à le retrouver sur
place, aucun des policiers présents ne put me confirmer les traces d’outils sont des preuves recevables devant un
sa présence. tribunal. La nature du sol peut être un bon révélateur de ces
Cette rapidité d’action m'a permis de circonscrire la
scéne des meurtres afin d'empêcher quiconque de venir
brouiller les pistes, traces ou indices. Je me suis mis
immédiatement au travail, déballant aussitôt ma mallette
pour recueillir autant d'échantillons que possible.
2 Récolte d’échantillons
D’après les théories de l’échange, tout auteur d’un
délit laisse des traces et emmène avec lui des éléments de
son environnement. Il faut donc passer la scène du crime
au peigne fin pour trouver les premières pistes de votre
enquête.
Le relevé d’indices se fait avec le potentiel mental, com-
biné aux compétences d’intrigues (méthodes policières). Les
indices les plus voyants sont automatiquement repérés ; il est
d’usage de décrire aux joueurs le mobilier, l’environnement
général, et de leur livrer les indices selon les endroits fouillés.
La récolte des indices doit être méthodique, avec un examen
méticuleux décrivant des cercles concentriques à partir du
centre de la pièce.
L’enquêteur minutieux devra se munir d’une pince à
prélèvement et d’un matériel pour conserver ces précieux
échantillons.
2 Description de la scène du crime
Il faut noter les accès à la pièce, l’état des serrures, les
objets trouvés et disparus, l’arme du crime, identifier la
victime et son état en la déshabillant, et récapituler le tout
pour trouver les modes opératoires d’éventuels récidivistes
(ce qui nécessite des tests mentaux de criminologie).
134
Des relevés photographiques peuvent être réalisés pour
saisir l’agencement des objets : ainsi, un enquêteur essayant
de se remémorer la scène dans le détail pourra abaisser son
seuil du nombre de succès au jet de photographie.
Sachez néanmoins que ces expertises demeurent rares,
voire rarissimes et suscitent la désapprobation de certains
commissaires qui n’y voient qu’un moyen de perdre du temps
inutilement. En effet, les officiers supérieurs n’apprécient
que la formation sur le tas, compensant la théorie par leur
bonne connaissance du milieu.
2 Relever des empreintes
Vu les traînées rougeâtres sur le sol, je conclus que
L’usure des traces de pas, le tracé des semelles ou
empreintes : il est donc nécessaire de le décrire.
Le caractère unique des empreintes digitales est prouvé
dès 1858 par William Herschel ; une méthode de classification
est produite par Francis Galton dès la fin du siècle. Le plus
difficile reste de prélever ces empreintes parfois invisibles,
puis de les confondre avec un fichier pré-établi. Ne comptez
pas sur la police française, hostile à la dactyloscopie, pour
trouver des ressources de ce genre auprès d’elle.
De même, les criminels utilisent leurs propres codes
qu’on retrouve dans leurs tatouages, leur argot, mais aussi
des signes de reconnaissance décelables par un cryptographe,
comme les tas de pierres que les bohémiens ont coutume de
déposer pour indiquer la valeur marchande d’une maisonnée
et la qualité de ses occupants.
2 La balistique
Alors que je photographiais la scène en plusieurs fois,
victime de l’exiguïté de ce réduit, je remarquai un indice
qui m’avait jusqu’alors échappé. Une balle était logée dans
la porte, tirée de l’intérieur en direction des probables
assaillants. J’ôtai ce projectile de fort beau calibre, échappé
d’un revolver 7.64 mm ! Une arme de service confiée aux
enquêteurs chevronnés. Il me suffira de les comparer aux
armes utilisées par les missionnés de la préfecture de police.
La balistique est une science nouvelle datant de 1897,
généralisée à partir de 1910. On constate en effet que la
balle tirée est déformée par les stries du canon (les lignes en
spirale de l’intérieur du canon font tourner la balle) et par
les cloisons (espace entre ces stries). On peut ainsi définir le
calibre, les défauts du canon et bien sûr les dimensions des
stries et des cloisons. On peut faire de même avec les douilles
retrouvées sur le lieu du crime.
 Système de Règles
De même, sans ces indices, l’expertise des blessures
fournit de précieux renseignements : par exemple, avec un
fusil de chasse, à cause de la dispersion des plombs, on peut
déterminer à quelle distance on a tiré. A bout portant, on
retrouve une brûlure causée par les gaz échappés du canon.
L’anneau formé par cette marque donne l’angle de tir !
Toutefois, ces preuves ne sont pas suffisantes pour déter-
miner l’issue d’un procès.
L’expertise se fait au moyen du potentiel mental avec la
compétence investigation pour des renseignements généraux,
et la compétence hermétique spécialisée balistique pour
trouver l’origine de la balle.
2 Lieux d’incendie et d’explosions
La couleur des flammes donne une indication de la
nature du combustible employé.
 Le bois donne une couleur jaune rougeâtre,
une fumée brune et grise.
 L’essence donne une flamme blanche-jaune
et une fumée noire.
 L’huile de cuisine donne une fumée jaune
et une fumée brune.
Il faut bien sûr chercher des traces d’effraction dans le
bâtiment, des mises en inactivité du système de prévention
des feux. Quels sont les objets brûlés ? Le légiste peut-il
déterminer si le cadavre est mort avant ou après l’incendie ?
En cas d’explosions, la détermination de l’épicentre
peut conduire à une mèche ou à un détonateur. Les engins
artisanaux sont les plus couramment utilisés. Dans le cas
d’un dispositif professionnel, un soldat renégat ou retraité
sera un suspect tout désigné.
135
La contrefaçon
2 Contrefaçon de documents
Par terre gisait une carte chiffonnée, coincée sous une
chaise renversée. Cette pièce cartonnée portait le nom de
l’agent Carter, l’enquêteur détaché de Londres auprès de
la préfecture de Paris. Un court signalement manuscrit et
une photo jaunie donnaient sa description. Je me hâtai de
retrouver la lettre que Carter m’avait envoyée pour comparer
les deux écritures. Bien que cette dernière portât une
graphie en « pattes de mouche » moins soignée, il devait
probablement s’agir du même homme.
La graphologie, au XIXème siècle, peut être employée
par un de ses passionnés. La détermination ne se fait pas au
niveau du langage employé mais au niveau de la graphie.
Certaines idiosyncrasies ne varient jamais, comme le ratio
du « g » au-dessus ou au-dessous de la ligne. La pente par
rapport à la verticale est aussi un facteur stable.
Exemple d’explosifs artisanaux
à la Belle Époque
La Terreur Verte était une poudre employée par les
anarchistes, mélange de chlorate et de ferrocyanure de
potassium avec de l’acide picrique.
On la dissimulait dans une valise (bombe du res-
taurant Véry, le 25 avril 1892), dans un livre relié (celui
offert au ministre de l’intérieur Constans, en juillet
1891), avec ou sans dispositif à retardement se déclen-
chant quand l’objet est basculé.
 Chapitre 4
L’utilisation d’un microscope révèle toute rupture de
ligne, ces raccords des faussaires trop concentrés sur la forme
des lettres. La chromatographie se fonde quant à elle sur la
comparaison des encres utilisées.
Cependant, le caractère aléatoire de cette science ne
la rend pas recevable devant un tribunal. Elle sera utilisée
pour expertiser les lettres du dossier Dreyfus, avec un
verdict complètement faussé. De même, les célèbres lettres
de l’éventreur de Whitechapel ont, pour l’instant, résisté à
une cohorte de graphologues aguerris. Même Bertillon se
casse singulièrement les dents en comparant les écritures de
Dreyfus et la lettre qui l’incrimine !
2 Contrefaçon d’objets et escroquerie
« On n’est jamais assez instruit... L’instruction s’acquiert
tout au long d’une série de leçons ; et la dernière leçon est la
plus grande. »
Sherlock Holmes, Le Cercle Rouge
L’essor de la collection d’art, et de l’égyptomanie en
particulier, suscitent la convoitise des trafiquants et des
faussaires en tout genre. Nous ne parlerons pas ici de la
saignée de pièces archéologiques qui arrivent par bateaux
entiers en Europe, de façon plus ou moins légale, mais
de l’industrie florissante de la copie d’objets, aisément
reconnaissables par leur matériau non noble, ou par le trait
grossier du hiéroglyphe recopié.
Tester son potentiel mental avec les sciences humaines
ou la pratique aidera le PJ à démêler le vrai du faux.
On pourrait étendre cette catégorie aux usage de faux
noms, de fausses qualités (se prétendre médecin), aux faux
écrits (sollicitant des bonnes œuvres, la philanthropie).
Le flair de l’inspecteur permet de coincer des personnages
masqués sous une fausse identité. Un test mental en intrigue
ou un test physique en larcin peut éclaircir le problème.
Expertises légistes
« Pourquoi l’investigation criminelle n’userait point, pour
atteindre à la vérité, du même procédé de recherche que suivent
le biologiste, le chimiste ou le statisticien ? »
Niceforo, Police et Enquête Judiciaire Scientifique,
Paris (1907)
2 Retrouver l’identité de la victime
L’une des victimes était encore allongée dans une position
grotesque, les jambes repliées sous son corps, malgré lui
agité par quelques soubresauts causés par l’arc nerveux
qui parcourait la colonne vertébrale. L’homme possédait des
tatouages le long des avant-bras, signe de son appartenance
136
à quelque bande dont je ne tarderai pas à trouver l’identité.
Après avoir déballé mon matériel anthropométrique, je
pris les mensurations de son crâne : cet enfant de chœur
étant sûrement fiché dans les petits papiers de Bertillon.
Ce dernier avait amplement raison quand il déclarait que
les tatouages sont des points de détail suffisants pour
affirmer l’identité d’un délinquant et le distinguer de ses
semblables.
Pour l’assassin, la tentation est grande de faire disparaître
la victime pour détruire les indices. En effet, la médecine
légale aide à reconstituer l’identité de la victime : la pionnière
en la matière reste l’université d’Edimbourg, fondée en
1801. On recherche dans les dossiers des indices comme les
taches de naissance ou les tatouages, encore visibles même
quand le corps est broyé.
Les ossements démontrent la différenciation ethnique :
la mâchoire asiatique est par exemple large, avec une molaire
à racine triple, les amérindiens ont des incisives en forme
de pelle, et les autres races ont leurs propres particularités.
Le squelette permet de déterminer l’âge et le sexe du
propriétaire de façon formelle. En France, les mensurations
du crâne, recoupées avec les fiches anthropométriques de
la police de Paris, permettent d’identifier un individu de
manière satisfaisante. La reconstitution faciale est inventée
vers 1900 par un anatomiste suisse, Wilhelm His. Dans tous
les cas de figure, l’expérience d’un légiste sera garante de
l’authenticité du résultat final.
Pour relever tous les indices intéressants, un jet mental
de sciences du vivant (médecine) ou d’intrigues (méthodes
policières) sera utilisé. La spécialisation criminologie
permet de poursuivre l’expertise en guidant l’enquêteur
vers les fichiers adéquats pour retrouver les signalements des
criminels déjà fichés.
2 Établir l’heure de la mort
La mort avait été rapide, traumatique, causée par
une balle qui avait traversé le thorax. Je tâtai la gorge du
malheureux : il était encore chaud, en dépit de l’hiver qui
me faisait grelotter, à moins que ce ne soit cette pesante
atmosphère qui mettait mon sang-froid à rude épreuve...
Elle se détermine selon le refroidissement du corps
(de 0.8 à 1.1 °c par heure les 11 premières heures, puis deux
fois moins vite). La rigor mortis s’installe après 12 heures
puis se relâche progressivement du visage aux jambes. Des
spasmes cadavériques peuvent aussi être décelés pendant la
même période.
La livor mortis donne un aspect de contusion à cause de
la descente des globules vers le sol, sous l'effet de la pesanteur
quand la circulation sanguine est suspendue.
 Système de Règles

Parfois, la mort remonte à plusieurs jours, ce qui rend
inopérantes les méthodes susnommées. Le meilleur recours
revient alors aux bactéries qui, décomposant le sang, don-
nent des traces vertes sur les flancs au bout de deux jours.
Les insectes pondent aussi selon les saisons dans le cadavre
(les œufs de mouche éclosent en 8-14 heures dans la chair
fraîche).
Un jet mental en sciences du vivant [médecine] est
essentiel pour mener à bien ce genre d’expertise.
2 Causes du décès : empoisonnement
Soi-disant indétectable, la strangulation livre tout de
même des indices intéressants. On voit souvent des contusions
à l’endroit de la compression par les pouces. Ce type
d’étranglement coince la langue entre les dents et l’os hyoïde,
à la base de la langue, se rompt facilement.
L’étude de l’environnement d’une pendaison est précieux
pour déterminer si la victime est tombée ou a été poussée. La
hauteur de la chute provoque des lésions des muscles du cou ce
qui peut contredire une pendaison maquillée en suicide. Enfin,
il faut rappeler qu’une strangulation manuelle est un homicide :
en effet, nul ne peut s’étrangler lui-même car, lors de la perte de
conscience, les mains se détendent et le souffle est retrouvé.

Je fouillai les poches du cadavre avec une pointe de Enfin, l’étouffement peut être causé par du monoxyde de
dégoût. Il n’avait pas de papier, bien sûr, ni même un peu carbone, du cyanure, la noyade, des gaz de chauffage, ou par une
d’argent. Un refroidisseur qui agissait sur commande... brusque compression traumatique de la poitrine. Ces astuces
Le seul objet qu’il possédait était une petite fiole conte- font partie du répertoire de tout individu possédant la compé-
nant des végétaux broyés. Ils avaient été imparfaitement tence intrigue ; il n’y a nul besoin de faire de test pour cela.
réduits : on distinguait les feuilles vert sombre avec les
restes de fleurs d’un bleu violacé. Par déduction botanique
(n’oublions pas que j’ai passé mon enfance
à la campagne !), j’en conclus que c’était
de l’aconit tue-loup, dont on extrayait un
alcaloïde toxique.
Pour diagnostiquer un empoisonne-
ment d’après les symptômes post mor-
tem, il faut réussir un test mental de
sciences du vivant [botanique, pharma-
cie, médecine].
Pour prouver l’action d’un poison
en l’isolant à partir d’un échantillon,
il faut un second test et quelques jours
d’expertise en laboratoire.
On peut également déceler certaines
formes d’addictions pour mieux cerner le
personnage et l’identifier.

2 Causes du décès : violences

Nous ne reviendrons pas sur les

décès dus aux armes à feu, aisément
reconnaissables.

La localisation d’une blessure par

arme blanche est un bon indice de la
position de l’agresseur au moment du
choc. Des blessures aux bras indiquent
que la victime a tenté de se protéger
et cela éclabousse souvent l’agresseur.
Le coup d’estoc fait moins saigner et
donne un indice de la longueur de
la lame. L’égorgement montre une
réduction à l’impuissance de la victime,
cela étant impossible à réaliser dans une
lutte classique.

137
 Chapitre 4
2 Autres causes de décès
La noyade donne son flot de macchabées qui sont
péchés chaque jour par la Brigade Fluviale. La clarté
des indices dépend étroitement du temps d’immersion.
On peut trouver des organismes dans le mucus et des
diatomées dans la trachée. Ces indices sont absents dans
le cas d’une mort par choc thermique qui aurait empêché
la respiration. Dans l’eau, la rigor mortis est plus lente et
le refroidissement du corps deux fois plus rapide. Après
une semaine, l’abdomen se remplit de gaz et augmente
la flottabilité.
 L’eau douce pénètre jusqu’au cœur et dilue le sang,
baissant la concentration de chlore.
 L’eau de mer augmente cette concentration car elle
absorbe l’eau contenue dans le sang.
En cas d’incendie, il est important de déterminer
le taux de monoxyde de carbone inhalé par la victime
pour savoir si elle était consciente lors de la déclaration
du sinistre. Le sang coagule plus rapidement lorsqu’il est
exposé à la chaleur, alors qu’il fait l’inverse lors de coups
éventuels.
Toutes ces techniques sont connues de ceux qui
possèdent la compétence intrigue ou la spécialisation
médecine en sciences du vivant.
Aspects techniques : les aléas du terrain
2 Repérer une action illégale
Malgré les avancées en terme de criminologie, la
meilleure méthode pour coincer un criminel reste le
flagrant délit. Plusieurs cas de figure sont à envisager.
Si les personnages joueurs se trouvent dans un lieu où
se commet un délit caché, comme un tire-laine qui dérobe
une bourse, il le repéreront de la façon suivante.
Il s’agit d’un simple test en opposition entre la
compétence physique de traque et la compétence physique
de larcin [discrétion] pour le délinquant.
2 Recherche, filature et pistage
Débusquer un suspect en cavale peut se faire grâce aux
fichiers d’état civil, de l’armée, de la Poste, des hôpitaux...
Cela se fait par un test mental de sciences de l’homme
(administration). Perquisitionner au domicile devient la
suite logique de ces recherches, avec tous les dangers que
cela comporte.
A moins qu’un personnage ne dispose d’une taupe ou d’un
indicateur fiable, qu’il pourra appeler en tant que contact,
conformément aux règles sur l’utilisation de l’historique.
138
Il se peut qu’une filature ou une surveillance soit
nécessaire dans le cadre de la recherche et de l’identification
du criminel, premier pas dans la présomption de culpabilité,
ou la preuve d’une cachette, d’une liaison, d’un domicile,
d’une connivence, voire d’une totale innocence.
On résout ce cas en faisant un test en opposition entre la
compétence physique de traque [pistage] et la compétence
physique de larcin [camouflage, déguisement...]. Tout
dépend si ce sont les enquêteurs qui sont dans le rôle actif
(traque) ou dans le rôle passif (surveillance, filature).
Un échec de la part des poursuivants signifie la perte
de la trace de l’individu traqué. L’utilisation de chiens tels
le doberman ou le golden retriever permet au propriétaire
de devenir maître dans la compétence traque.
Des séances d’identification peuvent être organisées pour
rafler quelques suspects possibles, à confronter avec des témoins
ou des indices pertinents. On peut également demander à un
artiste de fabriquer un portrait-robot conformément à la
déposition des témoins éventuels. Les trombinoscopes, qui
bénéficient des progrès de la photographie, sont des outils
perfectionnés par la police londonienne, mais aussi par la
préfecture de Paris puisque ces portraits font partie des fiches
anthropométriques de Bertillon.
2 Séduction... et interrogatoire
« La première qualité d’un enquêteur criminel étant de
pouvoir percer un déguisement. »
Sherlock Holmes, L’Homme à la Lèvre Tordue
(1889)
Il faut interroger un maximum de protagonistes, qu’ils
soient de simples pions sur l’échiquier du crime ou le roi
à mettre en échec par les questions appropriées. L’enquête
aboutit tôt ou tard à l’interrogatoire où il faut supporter
un duel intellectuel avec le criminel. Il est nécessaire,
pour l’ambiance, de soutenir les jets de dés éventuels
par la discussion entre les joueurs et le MJ qui incarne la
personne interrogée.
Les manœuvres de séduction se réalisent avec un
test en opposition entre les potentiels sociaux des deux
interlocuteurs avec leur
compétence de société
[séduction]. La qualité
de la réussite déterminera
l’engagement de la cible
à coopérer avec le PJ :
comme les jets de groupe,
chaque réussite abaisse la
difficulté des enquêteurs
d’un point, jusqu’à un
minimum de 7.
 Système de Règles

de réformer les métiers de la sécurité et de décloisonner leurs

Brav’ citoyen laiss’-toi rosser comme un bon âne zones d’investigation. Ainsi, la préfecture de police de Paris
Après tous ceux à qui l’on a brisé les os. créa des brigades d’un genre nouveau, comme les célèbres
Un jour tu verras venir le tour de Marianne, Brigades du Tigre de Clemenceau en 1907.
Y s’ra plus temps alors d’arrêter les sergots.
Refrain. Dans Crimes, ces Brigades font appel à des citoyens
La police n’est pas sage, spécialisés dans certains domaines utiles et faisant défaut à
Pas sage, pas sage,
Et quand on est passage,
la police : vos PJ. Certaines seront vouées à des enquêtes
Passage à Tabac ! obscures teintées d’une forte connotation surnaturelle. Bien
V’là Sergot qui passe ! Passage à tabac. sûr, pour protéger ses membres et l’image de la préfecture,
ces brigades n’ont aucune existence officielle.
La violence policière selon La Libre Parole,
6ème couplet (12 août 1893) La police n’est pas seule à œuvrer à cette époque, surtout
dans les pays anglo-saxons : des enquêteurs privés, travaillant
ou non dans des agences, sont appelés à intervenir sur les
Résoudre un interrogatoire dépend de la forme qu’il lieux du crime, parfois en concurrence avec les autorités
prend. Dans sa forme psychologique, il s’agit d’un test en locales. L’agence de ce type la plus connue reste celle de
opposition entre : l’américain Allan Pinkerton, fondée en 1850.
 Le potentiel social garde compétence intrigues,
 Le potentiel social de l’interrogé avec ses compétences De même et surtout dans le Far West américain, la
intrigue ou larcin. loi favorisait la capture de bandits par la remise de for-
tes récompenses, ce qui donnait naissance à des groupes
Pour mieux simuler cette lutte prolongée, le MJ de chasseurs de prime ou de têtes, parfois d’anciens
devrait fixer secrètement un nombre de réussites minimum délinquants recherchant leur absolution par les autorités.
que les joueurs devront dépasser pour obtenir des aveux Certains shérifs se muaient en chasseurs de tête, comme
complets. Pat Garrett qui pista Billy le Kid avant de l’abattre par un
beau jour de 1881.
Dans sa forme physique, la torture,
appelée « troisième degré » dans les
commissariats où elle est couramment
pratiquée, le test prendra la forme d’un
combat où chaque succès du tortionnaire
implique une perte en fatigue chez sa
victime. A chaque blessure, celui-ci doit
réussir un test psychotique pour ne pas
révéler ses informations. S’il réussit,
il pourra s’évanouir sans avoir lâché
l’information clef.

Au final : les suspects et le jugement

2 Les auxiliaires de l’enquêteur

« Voilà la méthode qu’il faut suivre :

instruction centralisée des crimes impunis
présentant des caractères de similitude, des
investigations effectuées par les juges et des
policiers dont les actes ne seraient pas limités
territorialement avec un droit de suite et
d’enquête dans tout le pays. »

Lacassagne, célèbre criminologue lyonnais

Des brigades d’un genre nouveau

apparaissent. Une affaire célèbre de l’époque,
celle du criminel Vacher, arrêté en 1895 après
avoir mutilé onze bergères, marqua la nécessité

139
 Chapitre 4
Les brigades de sûreté, mises au point par le préfet
de police Vidocq, disparu en 1857, étaient composées
de forçats libérés qui mettaient à profit leur expérience
d’anciens criminels.
Vos PJ ont un statut bâtard : ils ne sont que des
enquêteurs souvent officieux bénéficiant de l’accréditation
de la préfecture de police.
L’organisation internationale de la police criminelle,
encore nommée Interpol, n’existe qu’à partir de 1923.
2 Au tribunal : quelques pistes de législation
« Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant
plus de sévérité que dans le fait, je ne suis point jugé par mes
pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan
enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés. »
Julien Sorel devant les Assises
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830)
La justice de l’époque est parfois sans pitié.
On distingue en France les délits jugés dans les chambres
correctionnelles, supervisées par des juges professionnels, des
crimes réglés dans les cours d’Assises par des jurés tirés au
sort parmi les citoyens.
Pour déterminer l’issue d’un procès, il convient de se
pencher sur la personnalité du juge et sur ses motivations.
Par exemple, le célèbre juge pendeur de l’Arkansas, Charles
Parker, en cherchant à stopper la criminalité galopante de
son état, prononça 160 peines de mort en vingt et un ans de
magistrature. Le contexte de l’époque encourage des codes
de lois répressifs : en Angleterre, à la fin du XVIIIème, 156
délits peuvent conduire à la peine capitale, des blasphèmes
aggravés à la spéculation sur les céréales !
140
Dans des endroits reculés ou lors de circonstances par-
ticulièrement éprouvantes, la foule peut se faire justice elle-
même et procéder à un lynchage en bonne et due forme.
« Plaider l’irresponsabilité en Cour d’Assises, c’est tenter de
convaincre un jury de ne pas envoyer un criminel à la guillotine
parce qu’il n’a pas toute sa tête. »
Noctuel
Quelle que soit la sévérité du tribunal choisi, il faudra
que des experts puissent se prononcer sur la responsabilité
du coupable au moment du délit. En reprenant nos
exemples précédents, nous constatons que la tâche est
ardue :
 Un homme habité par un instinct carnassier fort, décelé
par la phrénologie, est-il pleinement responsable ?
 Un somnambule ou un homme sous l’emprise de
l’hypnose peut-il être condamné à mort ?
 Une épouse irréprochable, cédant à la folie meurtrière
contre son mari infidèle, est-elle excusable ?
En bref, est-ce que le libre arbitre est possible dans un monde
aussi tortueux que celui de Crimes ?
La réponse apportée par le verdict dépend de la nature du
crime et de la personnalité, de la responsabilité du criminel.
Voici quelques pistes pour les sanctions infligées par les tribu-
naux :
 Le traitement moral passant par le
travail, l’éducation et la discipline dans les
maisons de force, d’arrêt ou de correction.
Des libérations conditionnelles sont
envisageables en cas de bonne conduite.
 Le traitement physique par lequel
le corps médical tente d’éliminer les
pathologies du crime : internement avec
sédatifs, mutilations pour les violeurs
(pratiques cependant rarissimes).
 L’élimination pure et simple des indi-
vidus dangereux par la peine de mort
ou le bagne, pour éviter tout risque de
récidive.
 Système de Règles

2 Peines capitales Archétypes de criminels

« Après avoir longtemps erré dans la brousse, il atteint un
village où se dresse une potence !
— Dieu soit loué, me voilà en pays civilisé. »
Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver (1725)
« L’homme, qui cherche à éloigner la douleur, ne peut que se
laisser aller à la Nature, aux « douces actions » que les hommes
appellent crimes, aux excès que les imbéciles définissent comme
illégitimes, à la Nature qui libère les hommes de toute loi morale
et en leur conseillant l’horreur, offre elle-même la victime. »

En France, la peine de mort sanctionne les délits suivants : Le Marquis de Sade

le meurtre homicide (spontané), l’assassinat (prémédité), le
parricide, l’infanticide, l’empoisonnement, l’avortement.
Elle s’accomplit généralement par la guillotine.
Tels sont les criminels de Crimes : des individus ayant
succombé au premier appel du meurtre. Des êtres libérés
du carcan de la société, basculés dans une vie de hors-la-loi,
devenus des loups pour les hommes. Ces archétypes sont
présentés de la même façon que ceux des personnages
joueurs, au chapitre 3.
Toujours dans la perspective de s’éloigner du classique
« gendarmes contre voleurs », il est tout à fait possible
d’incarner des criminels dans Crimes. Nous avons déjà défini
la frontière qui sépare les enquêteurs de leurs adversaires,
quand les évènements les incitent à franchir les limites de
la loi et de l’humanité pour terminer leurs missions. Nous
avons également abordé la déchéance possible des criminels,
qui les rapproche des monstres du chapitre suivant.

Les criminels sont généralement plus proches de leur

déchéance, étant donné que les joueurs disposent d’un
Extrait du Dernier Jour personnage qui a déjà commencé à « lâcher du lest » sur
d’un Condamné, de Victor Hugo (1832) sa morale et ses limitations, d’où une avalanche de névrose
« Arrivé à l’échafaud, le bourreau le prend au
et de psychose à gérer dès le début du jeu (pour joueurs
prêtre, l’emporte, le ficelle sur la bascule, l’enfourne, confirmés, donc)...
je me sers ici du mot d’argot, puis il lâche le couperet.
Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe Niveau intrigue, les criminels peuvent être amenés à
en cahotant dans ses rainures, et, voici l’horrible qui résoudre une affaire locale avant que des enquêteurs ne
commence, entaille l’homme sans le tuer. L’homme s’y attellent. Le thème des criminels justiciers apparaît par
pousse un cri affreux. Le bourreau, déconcerté, relève le
exemple dans M le Maudit. L’apothéose de cette approche de
couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le cou
du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le Crimes consisterait à organiser deux tables en parallèle, avec
patient hurle, la foule aussi. Le bourreau rehisse encore les enquêteurs et les criminels en compétition : une option
le couperet, espérant mieux du troisième coup. Point. Le testée et approuvée, mais délicate à mener !
troisième coup fait jaillir un troisième ruisseau de sang
de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la Cela permet de dépasser le manichéisme propre à
tête. Abrégeons.
l’opposition enquêteurs/criminels et de mettre en avant le
Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois
troisième côté de notre triangle maudit : les monstres. Nous
il entama le condamné, cinq fois le condamné hurla vous invitons à faire leur connaissance au chapitre suivant.
sous le coup et secoua sa tête vivante en criant : grâce
! Le peuple indigné prit des pierres et se mit dans sa Voici les fiches signalétiques des membres de l’armée du
justice à lapider le misérable bourreau. Le bourreau crime. La première concerne celle de l’homme qui semble
s’enfuit sous la guillotine et s’y tapit derrière les chevaux tirer les ficelles de tous les trafics illégaux et odieux secouant
des gendarmes. Mais vous n’êtes pas au bout. Le
actuellement le tout Paris.
supplicié, se voyant seul sur l’échafaud, s’était redressé
sur la planche, et là, debout, effroyable, ruisselant de
sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur
son épaule, il demandait avec de faibles cris qu’on vînt
le détacher.

La foule, pleine de pitié, était sur le point de

forcer les gendarmes et de venir à l’aide du malheureux
qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C’est en ce
moment-là qu’un valet du bourreau, jeune homme de
vingt ans monte sur l’échafaud, dit au patient de se
tourner pour qu’il le délie, et, profitant de la posture du
mourant qui se livrait à lui sans défiance, saute sur son
dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait
de cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s’est
fait. Cela s’est vu. Oui. »

141
Le Génie du Crime
Identité : Nicolas Antoine de
Métier : consul (juge dans le Marcilly
Origine : bourgeoisie, milieu des commerce)
Concept : roman réaliste hommes d’affaires du Havre
Archétypes associés : la plupart des
Convictions : antisémite populi criminels recensés ici, Momie
Dimension sociale : marié san ste, mystique
s enfant, membre d’un club
politique dont il est le dirige
ant
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 4
* Social : 5

Compétences
* Novice en sport, occultisme
* Pratiquant en combat et soc et sciences du vivant
* Maître en sciences de l’hommiété
e, spécia
en administration ; maître en lisé
spécialisé en connaissance du intrigues,
milieu
Psychologie
* Passion principale : soi
« Combien mérite de mépris
homme qui abuse, pour le et de haine tout * Passion secondaire : ruine
humain, du génie et des tal malheur du genre * Tabou : être trahi ou trompé
la nature ! » ents que lui donna * Déchéance : arrivisme
* Tempérament : sanguin
Jean-Jacques Rousseau * Tendance : personnalité lim
* Angoisse : 2 ite
* Psychose : 1
* Seuil de névrose : 6
Description générale

Vous êtes le député de la

étiquette tient en un mot : circonscription de Levallois
,
accessoirement, comme duelli pop uliste. On vous connaît en tandans la couronne parisienne. Votre
ste. Tous les moyens sont bon t que pamphlétaire, ant
concerne votre face officieus s pour que vos idées passent.isémite et,
d’affaires criminelles. e vous animez, sous les tra En ce qui
its du Génie du Crime, un
Retracer votre parcours atypiq conglomérat
affaires familiales dans l’impo ue relève de la gageure. Vou
s avez commencé par pou
votre capital, vous n’avez pas rt d’objets d’art en provenance d’Orient. Impatient de fai rsuivre les
intermédiaires anglais, évicti hésité à déroger aux règles de bonne concurrence : all re fructifier
et à des pilleurs de tombes... on de la concurrence par des malfrats locaux, recours à des iance avec des
comptabilité s’est rapidement Pou rqu oi lim ite r sa pro spérité par des codes d’honneur trafiquants
dés
pour préserver votre image, voupartagée entre vos activités officielles et vos combines uets ? Votre
s avez dû bâtir un véritable emp int
du Génie du Crime. ire souterrain sous la fausseerlopes :
Un combinat d’activités fra identité
trafic d’influences, rapts et udu leu ses mêl ant hab ilement trafic d’objets d’a
rt,
Les largesses prodiguées aux importations d’opium font de vous le roi des affaires prostitution,
soupçons quant à votre double œuv res de la pré fec tur e de police suffisent à écarte clandestines.
r
s’est récemment reporté sur vie. A la tête d’une fortune confortable, votre désir les éventuels
corruption le jour, distillan la mét aph ysi que et l’o ccultisme. Menant un combat de puissance
pub
facette du monde de Crimes. t le poison du crime la nuit, vous incarnez parfaitemlic contre la
ent la double
Dossier secret

Pour détourner l’attention

d’anarchistes. Ainsi, vos hor des autorités, vous financez les activités de que
semer le chaos. Votre haine dedes d’apaches et de chevaliers du brouillard ont les mai lques bandes
quel moyen. En effet, ce régime l’ordre établi vous pousse à déstabiliser la Républiquens libres pour
suprême. Vous riez de voir les trop égalitaire empêche des gens de votre trempe d’accé par n’importe
qui possédez une distillerie journaux l’attaquer sur des sujets tels que l’ivresse pub der au pouvoir
qui alimente la ville depuis lique, vous
Vous avez récemment pris sou Arcueil, au sud de Paris !
un assassin et un détrousseur s votre aile une troupe de comédiens, parmi lesquels vou
et amateur de théâtre, l’actrde première catégorie en la personne du Voleur de Visages.s avez trouvé
ice Hannah Chenu, surnommée Gra
votre égérie. la Femme Fatale, est égalementnd mécène
Ne pas respecter les codes devenue
de vous flouer. Un dénommé Cardu commerce est une chose, mais cela ne donne pas le dro
un arrivage en provenance d’É ter, flicaillon anglais et trafiquant d’art, vient de vouit aux autres
fétiche, vous avez ourdi un gypte. Mais depuis que vous avez découvert sa romance avec s doubler sur
piège machiavélique pour vou vot
inexorablement, l’araignée tis s venger des deux traîtres... re actrice
se sa toile. Lentement,

– 142 –
 La Femme Fatale
Identité : Hannah Chenu de loge dans un théâtre
Métiers : actrice et ouvreuse nçais en Égypte
Origine : fille d’émig ran ts fra
Concept : roman gothique ogue (sœur),
Archétypes associés : AnthropolCrime (amant),
Génie du
Voleur de Visages (collègue)
holique
Convictions : apolitique, cat re, déracinée
Dimension sociale : cél iba tai

Potentiels
* Physique : 3
* Mental : 4
* Social : 5

Compétences et cirque
* Novice en sport, occultisme en sciences de l’homme
* Pratiq uan te en pra tiq ue et
lisée en séduction
* Maîtresse en société, spécia

Psychologie
* Passion principale : ruine sion (nymphomanie)
* Passion secondaire : perver
* Tabou : honneur féminin
* Déchéances : fatum, Pandore t les multitudes,
« Tes paroles de feu meuvenre et les ingratitudes,
* Tempérament : sen tim ent ale Tes pleurs lavent l’i nju
l’homme...
* Tendance : dépendante Tu pousses par le bras de
e arm é. »
* Angoisse : 1 Il se lèv Alfred de Vigny,
* Psychose : 2 La Mai son du Ber ger , Les Destinées (1864)
* Seuil de névrose : 7

Description générale
és-concerts. Non
de thé âtr e, et acc ess oir eme nt chanteuse dans quelques caf nd Guignol qu’à
Vous êtes actrice sied davantage au Gra
percer, mais votre registre
pas que vous ayez du mal à
l’Académie Française.
ès l’expédition
ne fam ill e de nég oci ant s français émigrés en Égypte aprses ne vous en
Vous êtes issue d’u les troupes anglai
un siècle d’exil avant que dernière
napoléonienne. Il aura fallu ourd’hui décédés et vous avez perdu le contact avec votre
délogent. Vos parents son t auj
sœur.
un toit, avant que vos
e du Gra nd Gui gno l vou s a ouvert ses portes et offert ill ust re mécène. Enfin une
Le théâtr soi ent rem arquées par un
prestations de victim es tru cid ées ne représentations, déchaînant
d’é cha ppe r à vot re tri ste déchéance ! Vous enchaînez les si ce n’est cet inspecteur
occasion émouvoir,
nsis. Peu ont réussi à vous
les foules d’admirateurs tra sous votre charme.
ombrageux nommé Carter tombé ,
sonnière de cette phallocratie
vou s l’ê tes ter rib lem ent , jusqu’au bout de vos ongles. Prier d’abord, pour vous imposer
Femme, protég
uments physiques pour vous filets.
il a fallu jouer de vos arg apparente fragilité et attirer des protecteurs dans vos s !
ensuite, pou r jou er de cet te t en fai t vos pan tin s dév oué
ces présumés manipulateurs son
Qu’il est doux de savoir que
passions. Les
La quê te du pla isi r dés esp éré e que vous suscitez déchaîne leseurs... qu’ils
Fatale, assurément. pour gagner vos fav
cider dans des duels solennels éparable
rivaux sont capables de se tru r vous fait parfois peur. Cette quête du plaisir est ins
n’obtiendront jamais . Ce pou voi s posséder ou mou rir ...
mort. Tel est le dilemme : vou
de la présence obsédante de la

Dossier secret :
s a révélé ses deux facettes
ire men t à ses hab itu des , votre illustre bienfaiteur vou r de séduction s’est retourné
Contra voi
ie du Crime la nuit. Votre pou à garder.
homme du monde le jour et Génais prisonnière de ce mégalomane, avec ce lourd secret délivrer
contre vou s. Vou s ête s dés orm il ait le cou rag e de vou s
porte de sortie ; pourvu qu’
Carter constitue votre unique
de cette emprise...

– 143 –
Le Voleur de Visages
Identité : Vinditien Guillain
Métier : acteur de théâtre Marie (nom de scène)
Origine : inconnue
Concept : roman réaliste
Archétypes associés : Criminolo
gue, Génie du Crime,
Femme Fatale, Savant Fou, Omb
Convictions : aucune re
Dimension sociale : célibatai
re
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 4
* Social : 6

Compétences
* Novice en traque, occultism
* Pratiquant en larcin et soc e et pratique
* Maître en larcin, spécialis iété
é en mimétisme
Psychologie
* Passion principale : soi
* Passion secondaire : variab
le
* Tabou : être démasqué, ne pas
« Actuellement, j’éprouve avoir été
éprouver l’homme qui a per ce que devrait assez bon acteur
du son ombre. » * Déchéance possible : alias
* Tempérament : nerveux
Arsène Lupin, * Tendance : schizophrénique
Le Gentilhomme Cambrioleur
* Angoisse : 2
* Psychose : 2
* Seuil de névrose : 6
Description générale

Vous êtes un acteur de théâtr

avec cette beauté fatale d’H e très apprécié des aficionados du Grand Guignol, et jouez
vous seriez bien incapable deannah Chenu. Tout le monde vous connaît par votre nom d’a à l’occasion
vou rtiste, mais
On vous connaissait jadis en s souvenir de votre véritable état civil...
d’affaires élucidées au sein tan t que com mis saire à la renommée établie,
fort d’u
théâtre, faisait de vous la de votre juridiction. Votre charisme, né de votre pasn taux record
hésité à vous allier avec des coq uel uch e des jou rnaux. Pour entretenir cette sion pour le
cri min els , et le flamme vous n’avez pas
l’échappatoire suivirent. sca nda le arriva. La déchéance sociale,
Le cabinet du docteur Lerne la traque,
de génie, parvint même à alt vou s fut d’u n gra nd sec our s. Ce virtuose du scalpel,
sciences parallèles appelées érer votre voix en sus de votre visage. Vous étiez le vivisecteur
« sar cob
peau. Vous avez recyclé vos tal cop las tie » et « car nop lastie », l’art de moduler la aye de ces
pyrogallique pour le teint cui ent s de scè ne à votre avantage. Une injection chair et la
vré (ma is pas tro p de paraffine, un acide
vous on fait ressembler à l’h : la der nière fois, les gonflements
le dartre et vous passiez sanomme-éléphant de Londres), le suc de grande chélidoine de votre peau
s pro blème pour un nouvel homme. pour fig
vos fidèles alliés. C’est ain
si que Les poudres et les postiches urer
gueules » et ceux de Bertil vou s ave z esquivé les séides de Lombro sont
lon , qui dev rai ent so traquant les « sales
toutes vos fausses identités pos séd er une centaine de fiches pour
! répertorier
Malheureusement, depuis peu,
elle gangrène vos chairs, lai vot re nouvelle greffe agit comme
la tunique de Nessus
effacé. Le passé vous rattra ssant votre ancien visage transparaître comme un palsur Hercule :
pe. Heu reusement, vos rapines financ impseste
auprès de Lerne... ent les opérations de rafist mal
olage
Dossier secret

Votre vie a bien basculé. De

manipulé. En effet : vous deveztraqueur, vous êtes devenu la proie. De manipulateur, vou
protection qui coûte cher, pui au Génie du Crime votre reconversion et votre nouvelle s êtes devenu
d’espionnage ou de cambriola sque vos talents sont mis à profit dans des missions d’i apparence. Une
ge.
recherche de la perfection thé Ces nou vel les activités n’o nfiltration,
âtrale s’en trouve comblée. nt pas que des mauvais côtés, et votre
Ces métamorphoses ont aussi
maquillages et opérations. Vou un prix : la décrépitude de votre visage abîmé par de
la séance chez un sorcier vou s devez vous adapter en privilégiant votre jeu d’acteur trop nombreux
esprits dont vous avez intégrs a libéré : vous avez été momentanément « habité » par et récemment,
vous avez parfois l’impression é les personnalités. Certes, votre mémoire vous joue de multiples
la chandelle. Enfin... pour de perdre pied quant à votre des tours, et
confiance : pister un trublionl’instant. Récemment, le Gén réelle personnalité, mais le jeu en vaut
ie du Crime vous a assigné une
du nom de Carter et l’attirer mis
devrait pouvoir s’échapper. dans les mailles d’un filet donsion de
t il ne

– 144 –
 Le Chevalier du Brouillard
mé Atlas
Identité : Thomas Henry, surnom de
Métiers : apa che , che f de ban
Origine : banlieue parisienne
Concept : roman naturaliste Avant-gardiste,
Archétypes associés : EnquêteurCrime
Génie du
ique non pratiquant
Convictions : communard, cathol re
Dimension sociale : célibataià une favorite
(attaché
parmi les prostituées),
membre d’une coterie

Potentiels
* Physique : 5
* Mental : 3
* Social : 4

Compétences , sport et intrigues

* Novice en sciences du vivanttique
* Pratiquant en larcin et pra é en armes blanches
* Maître en combat, spécialis

Psychologie
* Passion principale : soi sion sexuelle (satyrisme)
* Passion secondaire : perver
* Tabou : code viril minalité, force surhumaine
* Déchéances : bosse de la cri
* Tempérament : colérique
* Tendance : paranoïaque
* Angoisse : 2
* Psychose : 1
* Seuil de névrose : 6

Description générale
hives de police. A ceux qui
nom dev ien t lég end air e, tan t dans la rue que dans les arcr la nuit sur votre terrain
Votre traîne
ore, il reste deux moyens : terminer
ne vous connaîtraient pas enc une de vos filles, mais cette rencontre risque de se récit de
de chasse et ref use r de pay er con sis te à éco ute r le
ution, bien moins dangereuse, quartier.
prématurément ; la seconde sol e, pré céd ent roi de la pèg re du
votre combat contre l’Anguill ,
quartier. Et dans les règles
Atl as, ave z ain si acq uis le titre envié de Terreur du les pet its com mer çan ts, de
Vous, s le droit régalien de rançon
ner
tuées -
sans sortir le couteau. A vouts, de protéger le troupeau des marmites - les prostis. Et le
surveille r les nou vea ux mal fra les qui rap por ten t le plu
s des marmites de cuivre, celplus élevées, comme de servir les
et de vous octroyer les faveur app elé à des res pon sab ili tés
redoutable privilège d’être
pontifes du crime organisé.

Dossier secret
faut le garder.
s dét ene z le pou voi r sur vot re quartier de Levallois, il . En effet, son
Maintenant que vou géniale de votre vie
x Génie du Crime fut l’idée e, vous
Vous allier avec ce mystérieu ets de trafic abondent dans votre territoire. En échang votre
envergure est telle que les obj : celle de partir rej oin dre
s prometteuses une promotion Il n’y
accordez à vos recrues les pluécarte du jour fatal où ils contesteront votre autorité.
mystérieux patron, ce qui les
a pas de petit profit...

– 145 –
L’Anarchiste Militant
Identité : Adrien Joly
Métier : ouvrier padleur
Origine : ancienne aristocratie
du travail,
Alsace Lorraine
Concept : roman naturaliste
Archétypes associés : Enquêteur
Avant-gardiste,
Génie du Crime
Convictions : blanquiste, ath
Dimension sociale : marié ave ée
c trois enfants,
membre d’un club politique (an
archiste)
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 4
* Social : 4

Compétences
* Novice en sport, larcin et
* Pratiquant en combat et int sciences du vivant
rigues et société
* Maître en pratique, spécialis
é en contrefaçon
Psychologie
* Passion principale : don de
« On a vu des hommes * Passion secondaire : ruine soi
l’échafaud, n’ayant que monter sur * Tabou : code viril
s’élever au-dessus des autce moyen pour * Déchéance : surhomme
res. »
* Tempérament : sanguin
Émile Pontich * Tendance : personnalité lim
* Angoisse : 2 ite
* Psychose : 1
* Seuil de névrose : 6
Description générale

Vous êtes ouvrier padleur

Ce n’est pas votre premier dans une usine sidérurgique de Levallois, dans la banlie
contraint pas. En effet, vos emploi : vous aimez changer d’employeur, quand ce dernieue de Paris.
connaissent pas vos activitésactions syndicalistes sont diversement appréciées. Et pou r ne vous y
bien plus dommageables encore rtant
dans la nébuleuse anarchiste.. ! Ils ne
Vous avez participé à la pos .
l’illustre Ravachol. Cependant e des deu x bom bes dan s les immeubles parisiens en mar
d’organiser, en parallèle de , vous ne partagez pas le nihilisme suicidaire de ce der s 1892 avec
vos act ivités syndicales, une petite nier et ten
la décrit dans la presse, à tor
t, com me antenne locale d’anarchisants.tez
Ravachole), son évangile (ce une Int ernationale du Crime, une sec On
lui du Pèr e Pei nar te avec son cantique (la
héritier des héros montés sur d) et ses mar
les barricades révolutionnaire tyrs. Vous êtes un bandit flamboyant,
s, luttant contre l’injustice
Vous vouez une haine farouche sociale.
ces odieux criminologues qui à Bertillon, dont les servic
es ont confondu Ravach
s’arrogent le droit de tranchont mis leur ingéniosité au service du pouvoir en place. ol, et à tous
er si facilement entre le cri Tou
me et l’innocence. Votre innoces ceux qui
Votre couverture actuelle vou nce...
votre participation syndicale s sie d à mer vei lle. Ouvrier dans une fonder
ie de l’e
l’instant discret : vous ne est timide, votre vie familiale sans histoire et votre st parisien,
traquent. dev rie z pas att ire r sur vous l’œil inquisiteur activisme pour
des brigades qui vous

Dossier secret

Certaines sources font éta

sont précieux pour l’Internat de vos accointances avec le crime organisé. Vos talent
pouvoir en place. Vos entrev tionale du Crime qui a besoin d’actions d’éclat pour déss de saboteur
ues avec Nicolas Antoine de
sens. Marcilly, le Génie du Crime, tabiliser le
vont dans ce
Vous préparez, grâce à l’a
du centre-ville, pour déstab rgent de ces puissants alliés, des attentats dans de gra
échange, l’argent coule à floiliser les habitudes bourgeoises de ces classes sociales nds magasins
t dans les embryons de syndic
ats que vous mettez en place. nanties. En

– 146 –
 docteur Lovelace
Identité : Jacques Lopez, dit famille nobiliaire
Métier : pré cep teu r dan s une
Origine : Espagne
Concept : roman réaliste

Le Gourou
d, Génie du Crime
Archétypes associés : Ex-Bagnar ue
Convictions : populiste, mystiq re polygame,
Dimension sociale : célibatai ne société secrète
membre d’u
dont il est le chef spirituel

Potentiels
* Physique : 3
* Mental : 5
* Social : 6

Compétences et sciences du vivant

* Novice en sport, occultisme omme
* Pratiquant en sciences de l’h
* Maître en intrigues, milieu
spécialisé en connaissance du rs
spé cia lis é en dis cou
* Exalté en société,

Psychologie
* Passion principale : soi inécouté en temps normal
,
ue
* Passion secondaire : intrig lation « L’ésotérisme, voilé etavec une puissance supérieure
apparaît aux ères inq uiè tes
* Tabou : l’échec de sa manipu idité
»
attrait et une fascination.
et y exerce sur les âmes un
* Déchéances : messianisme, luc
* Tempérament : passionné Anonyme
* Tendance : maniaque dépressif
* Angoisse : 1
* Psychose : 2
* Seuil de névrose : 7

Description générale
est le XIXème siècle, ce
né dan s cet te cha pel le dés affectée et pourrissante qu’ , bien au contraire, et
Vous êtes résorbe pas
rtant, l’élan mystique ne se rir un monde invisible. L’occulte
siècle sans Dieu ni morale. Pou tion lég iti me du peu ple à déc ouv
ouailles,
vous profitez de cette aspira fidèles dans ses fascinants abîmes. Pour beaucoup de vos modernes.
est là, prêt à accueilli r vos acralisé par ces tem ps
n, et le voilà dégradé et dés dans leur
le Christ a failli à sa missioce troupeau en perdition, une main secourable apparue
Vous êtes le nouveau ber ger de
perdition spirituelle.
le diable. Pas le guignol
dez ver s les noi rs des sei ns de votre compagnon de route : erbe pour rejoindre ses
Vous les gui dre de sa sup
Satan qui n’hésite plus à per son père.
rougeaud du Moyen Âge, mais um, pour conquérir définitivement ce siècle déserté par pédantes
fidèles, loi n de sa Pan dém oni anique qui émo ust ill e les
e, séduisante d’un culte sat
Une image résolument modern des fils de bonne famille.
bourgeoises et titille les ego
, barons d’industrie et
d’a dre sse s ne dés emp lit pas, et pour cause : dandys ns dans leurs modestes
Votre car net nt vos réu nio
ntent vos salons ou accueille vertissez
responsables politiques fréque l’aisance d’un prêtre à l’heure du sermon, vous les con
manoirs. Ave c la con vic tio n et ses pro mes ses de gra nde ur.
endeur de l’Ange Déchu et de
à votre point de vue sur la spl

Dossier secret
Lentement, votre
vot re sce pti cis me env ers les thèses que vous défendez.ion des foules et
Personne n’a décelé : la manipulat
e face à votre véritable but s un outil mais un but en soi et
intime conviction s’est effacé tent. Votre mag nét ism e n’e st plu
l’adulation qu’elles vous por x de votre public, ce qui vous incite à la surenchère.
vous n’exis tez que dan s les yeu
entré vos discours sur la
nge men t de point de vue : vous avez rec bataille :
Conséquen ce de ce cha
nt les tén ors des par tis républicains. Vos chevaux de des mœurs
sphère politique, influe nça de du monde, la déc héa nce
n générale, la lente décrépitu
l’antisémitisme, la corruptio olisme.
par les fléaux tels que l’alco
réunions.
ur Colonial ont fréquenté vos
Le Génie du Crime et le Chasse

– 147 –
 Identité : William Northbone
Métier : libraire
Origine : Angleterre
Concept : roman gothique
Archétypes associés : Prêtre
Exorciste, Génie du Crime,
Le Sorcier

Spectre,
Convictions : apolitique, sat Momie, Ombre
Dimension sociale : célibatai aniste
re solitaire,
membre d’une société secrète
(les Ré-théurgistes Optimates
)
Potentiels
* Physique : 3
* Mental : 6
* Social : 4

Compétences
* Novice en combat, cirque et
* Pratiquant en sciences abstrasciences du vivant
* Maître en sciences de l’homm ites et société
* Exalté en occultisme, spécia e, spécialisé en théologie
lisé en spiritisme

Psychologie
* Passion principale : ruine
« Ce récit a été * Passion secondaire : biblio
imprimé pour servir à tourecueilli et philie
orgueilleux, téméraires s les hommes * Tabou : sentimentalité
d’exemple terrifiant, de et impies, * Déchéances : égrégore, galvan
modèle affreux * Tempérament : amorphe isation, onirisme urbain
et de franche mise en garde.
» * Tendance : dépendant
Préface de la première édi * Angoisse : 0
tion * Psychose : 3
de Faust (1587)
* Seuil de névrose : 8
Description générale

L’affaiblissement du pouvoi
laissent le champ libre. Vou r religieux et la disparition de ses organes de rép
pensants, souvent hypocrites s êtes issu de cette boue de l’occultisme que dénoncent ression vous
puisqu’ils sont les premiers
à fréquenter les gens de votre les bien-
Votre entreprise est celle d’u trempe.
entités surnaturelles à entrer n êtr e d’e xce pti on. Vous ten
le monde matérialiste de la dans votre alliance, scellant tez de contraindre les forces et les
des pactes qui les fon
errer dans le sillage des fumRévolution Industrielle. Grâce à votre œuvre, les ectoplt entrer dans
ées noires des locomotives. asmes peuvent
Pourquoi tant d’efforts ? Une
dans son entier. La recrudesc parcelle de l’univers ne vou
enc s suffit pas, vous voulez
source de protection et d’enri e de l’intérêt pour l’occultisme est une bénédiction l’embrasser
chi sse ment. Vous avez quitté la pes : elle
Optimates, occultistes satani
que s qui ante tutelle des Ré-théurgistest
savoir combien de temps encore ne vis ent pas moins es
libérez... vous poursuivrez votre œuvreque la destruction du monde. Reste à
sans succomber aux entités que
vous

Dossier secret

La conversion du Génie du
qu’il vous procure, vous tra Crime est une aubaine : sous sa protection et grâce aux
vaillez dans la plus grande
de cadavres pour vous procurer des sérénités. Plus besoin de manuscrits
votre laboratoire. de la mat ièr e pre mière : les « désignés volont trafiquants
aires » affluent vers
Votre titre de gloire reste
vieil ennemi exorciste mettra l’envoûtement du Voleur de Visages par de multiples ent
dans un seul corps. Vos travauit des années avant de pouvoir conjurer cette multitude d’âités : votre
x actuels portent sur l’Heka,
pour une commande de votre bie magie employée par les ancien mes réunies
limites. Après tout, tant qu’ nfaiteur dont la soif d’immortalité et de gloire ne con s égyptiens,
il paye ! naît plus de
Néanmoins, être à l’abri des
pas inaperçues et les journa enquêteurs ne suffit point.
ux Les forces que vous libérez
visions cauchemardesques. Il abondent de récits de médium ne passent
s, ou
retrouve votre trace... fau dra vous méfier de l’œil omnisc de simples quidams souffrant de
ient du Vatican, avant qu’il
ne

– 148 –
 Identité : Wolfgang Lerne omie humaine
Métier : démonstrateur d’anat
Origine : Autriche
Concept : roman gothique ste, Voleur de Visages,

Le Savant Fou
Archétypes associés : Médecin Légie du Crime, Sorcier, Bête
Golem, Géni
ée
Convictions : apolitique, ath re, clandestinité
Dimension soc ial e : cél iba tai

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 6
* Social : 2

Compétences
* Novice en sport et société pratique
* Pratiquant en occultisme et s,
* Maître en sciences abstraitegraphie
spécialisé en crypto
, spécialisé en
* Exalté en sciences du vivantet médecine
sciences nat ure lle s

Psychologie
* Passion principale : absolu rière
* Passion secondaire : sa car
* Tabou : l’échec sticator, poursuivi par une cré
ature
* Déchéances : scientisme, pla
r les plus profonds
* Tempérament : sanguin ite « Qui n’aurait pas l’ambition de découvri ations cachées, et
* Tendance : personnalité lim surer de ses opér
secrets de la nature, de s’asème du savoir qui est si intimement
* Angoisse : 2 de montrer aux hommes ce syst
physique et morale ? »
* Psychose : 1 lié à leur propre constitution
* Seuil de névrose : 6 ogation de Victor Frankenst
Interr
ein
Shelley
dans Frankenstein, de Mary
Description générale
d’Ingolstadt, ayant
curs us d’un bril lant chimiste issu de la prestigieuse université oplastie, et offrez
En apparence, vous avez le Vous tenez un cabinet de carn
héâtre d’anatomie comparée de Paris.
poursuivi d’autres études à l’amphitune seconde jeunesse. qui donnait
à la peau des vieilles bourgeoises quelque peu dévié. Vous avez d’abord collaboré à la revue Hyperchimie, soci été secrète
Pourtant, ce bril lant parc ours a chim ie d’abord, la
ntis te du viei l art alch imiq ue. Ces connexions avec l’al de médi ocre valeur
une conception moderne et scie les réalités
prof esse ur Adam Weis haupt ensu ite vous ont convaincu de troquer expériences de Luigi Galvani pour
des Illuminés du suivre les
deur : celles de donner la vie. Pour d dessein. Vous avez fait vôtre les progrès
contre des chimères d’une infinie gran étincell e élec trique est votre plus gran
n.
faire naître la vie à partir d’une cosmos qui n’obéissent qu’à votre volonté, vous, le génial Vaucansotemps modernes.
niqu es, les mach ines , ces peti ts cure . Vous êtes le Faus t des
tech un acte satanique. Vous n’en avez combattu les
Certains diront que copier Dieu est au diable par sa soif insolente de savoir et de magie. Vous avez une éthique
se donn e sère nt
Un homme qui, égal de Dieu, ue en vain. Personne ne vous fit
confiance, tous vous oppo
teur.
préjugés scientifiques de votre époqile de dépasser les limites humaines sagement imparties par le Créa les autres. Les
stér ile, prét exta nt qu’i l étai t inut huma ine, celu i qui pense avan t
vous serez le Prométhée de la race discutables.
Si Dieu se met de la partie, alors riences ne pourront que susciter le pardon divin pour vos méthodes échappant
vos expé nt perv erti
bienfaits que vous tirerez de une nouv elle humanité, contredisant votre réputati
on de sava
Habile plastici en, vous faço nner ez
e
à tout contrôle. songer à une dernière figure : cell
vos comp arai sons myth olog ique s, vous ne pouvez vous empêcher derait déclencher des maux innommables
Conforté dans t, une simple erreur de manipulation
pour
de Pandore. Arrivé au sommet de l’ar s fail lir aprè s tant d’ef forts ?
alentour. Mais comment pourriez-vou

Dossier secret
tée, bénéficiant des installations
dans l’om bre d’un labo ratoire situ é dans une ancienne aciérie désaffec ement prêtés par un mystérieux
Vous agissez sont grac ieus
res à votre œuvre. Ces lieux vous avez changé le
chimiques et électriques nécessaien récompense de l’aide apportée à un de ses associés dont vous
bienfaiteur, le Géni e du Crim e,
Curieusement, cela n’a pas freiné
visage.
ndu dire que votr e pati ent aura it mal supporté cette opération. de membres, avant de poursuivre
Vous avez ente ayé sur des expériences de gref fes
patr on et vous avez embr étent nommé William Northbone, vous
votre partenariat avec son trépassés. Aidé d’un occultiste comp
cada vres fraî chem ent ture naine entièrement
par la galvanis atio n de
d’he ure un noyé , avan t de réus sir l’incubation d’un homonculus, créa la nature.
avez ranimé pendant un quart été relâchée dans
géni teur . Seul ombr e au tabl eau : une de vos créatures, la Bête, a les restes des momies égyptiennes,
dévouée à son vée dans
une substance très particulière trou ir comment
Vous devez maintenant travailler suridérablement le temps de survie de vos nouveaux Lazare. Reste à savo ale. Le défi
pour rait prol onge r cons abilité comp ortement
substance qui
les prem ière s expé rien ces ayan t démontré leur forte inst divi ne qui vous sépare
contrôler ces ressuscités, e dernière loi
mais vous êtes prêt à vous retr ousser les manches pour violer cett
est de taille,
encore du statut de Créateur...
– 149 –
Le Tueur Possédé

Identité : Martin Stranozy

Métier : équarrisseur dans un
Origine : paysannerie, Bohème abattoir
Moravie
(région de Prague)
Concept : roman décadent
Archétypes associés : Prêtre
Exorciste,
Vampire Mâcheur
Convictions : nationaliste, cat
holique
pratiquant (et repentant)
Dimension sociale : veuf avec
trois enfants
Potentiels
* Physique : 6
* Mental : 3
* Social : 3

Compétences
* Novice en occultisme et sci
* Pratiquant en combat et spo ences du vivant
* Maître en pratique et traquert

« L’expérience vous app Psychologie

pas de crime vers lequel rendra qu’il n’est
précipitent ; le mal est les déments ne se * Passion principale : absolu
la méchanceté leur habitude,leur occupation, * Passion secondaire : addict
ion (alcoolisme)
divertissement et le blasph le meurtre leur * Tabou : superstition
Qu’une âme en pareil étaème leurs délices. * Déchéances : force bestiale,
espérer, c’est à vous de t puisse encore * Tempérament : colérique alter ego
semble qu’avec la perte dejuger ; mais il me
* Tendance : paranoïaque
perdez aussi l’espoir de l’i la raison, vous * Angoisse : 2
mmortalité. »
* Psychose : 1
Mathurin, Melmoth l’Errant * Seuil de névrose : 6

Description générale

Plein d’espoir, vous avez

la Beauce, écœuré par la décquitté votre village natal pour chercher fortune à Prague
l’abattoir de Paris pour ne plurépitude de l’Empire austro-hongrois. Vous avez mené vospuis dans
du coin. Votre famille vous s en sortir, alléché par les éloges mensongères de quelqu bêtes à
a
Malgré votre conscience profes sui vi, mai s vot re vie n’a pas été à la hauteur de es bou chers
vos
de ces trop longues journées. sionnelle, vous avez sombré dans l’alcool pour combattreespérances.
la fatigue
La descente aux enfers n’a
sanguinaire. Sous l’emprise de pas traîné. Le bon père de famille s’est mué en ogre
vous avez étranglé votre épo ce que vos médecins ont décrit comme une crise de déliri brutal et
suffisait à vous innocenteruse adorée et l’avez mutilée comme une pièce de bétail. um tremens,
vis-à-vis de vos enfants qui en plaidant l’irresponsabilité, mais la culpabilité Cette crise
ne connaissent pas toute la vér est lourde
ité.
Depuis, la vie a repris un cou
votre purgatoire. Cependant, rs presque normal. Les carcas
ses sont devenues votre
cauchemardesques qui vous plosuite à cet évènement, vous êtes devenu la proie d’hallexutoire et
vous échappez avec grand pei ngent dans une toute autre réalité de rêves sanglants ucinations
ne. Selon vous, le châtiment
possession de votre âme par un dont vous
divin s’accomplit sous la for
esprit tourmenteur. me de la

Dossier secret

La folie n’a qu’une faible

origine ne vous a pas donné part de responsabilité dan
comme seul héritage votre accs les maux qui vous accablent. Votre
d’un village où la superstition ent guttural, bien au contra
ami afin d’ouvrir votre esprit régnait en maître, vous êtes parti après la mort de vot ire. Venu
d’une force malfaisante, inv au monde. Depuis cet exil, vous sentez que vous devenere meilleur
Mâcheur, sans que vous ne le isible, qui vous incite à tuer. Votre ami est devenu z le jouet
sachiez. Malgré le recours à un
de son emprise... un exorcisme, vous n’êtes pas Vampire
libéré

– 150 –
 Identité : Wadleck Danzas

Le Tueur Méthodique
Métier : bachelier
Origine : Pologne
Concept : roman gothique gue, Vampire Revenant
Archétypes associés : Criminolo tique
Convictions : antipa tri ote , mys
re
Dimension sociale : célibatai

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 4
* Social : 5

Compétences du vivant et
* Novice en société, sciences
sciences de l’h omm e
rigues et larcin
* Pratiquant en sport, en int é en armes blanches
* Maître en com bat , spé cia lis
* Exalté en traque

Psychologie
* Passion principale : ruine sion (le sadisme)
* Passion secondaire : perver
* Tabou : l’acte sexuel
* Déchéances : destruction de
* Tempérament : flegmatique
* Tendance : schizoïde
* Angoisse : 1
* Psychose : 2
* Seuil de névrose : 7
l’âme, soif de sang, surhomme
assassin. On tue
« On tue un homme, on est un conquérant. On
on est
des millions d’hommes, »
les tue tous, on est Dieu.
Jean Rostand

Description générale
orporation dans
ses en sci enc es soc ial es ont été stoppées par votre inctrées africaines
Vos études prometteu itaire dans les con
z dû effectuer votre service mil tion, à
l’armée française, et vous ave colore. Une destinée normale pour un homme de votre généra la guerre
pour y défendre le dra pea u tri récits patern els sur
vou s ne vou s ête s pas opp osé, longtemps bercé par les
laquelle
de Crimée. du Soudan. Mitrailleur, vous
z écu mé le Dah ome y, Mad aga scar et les contrées arides ces indigènes, partagé leurs
Vous ave côtoyé
tones. Mais vous avez aussi au corps
avez maté les révoltes autochnitiation ultime pour un guerrier : battre un adversairenoui dans
coutumes gue rri ère s, véc u l’i phée. Vou s vou s ête s épa
tie de son anatomie comme tro retour en
à corps et s’emparer d’une pare barbare où la vie humaine a bien faible valeur. Le onctions
ces terres sau vag es, ce roy aum au Sou dan , dev ant les inj
x. L’évacuation de Fachoda, ompli.
métropole fut plus douloureu mpression que votre pays trahissait tout le travail acc
britanniq ues , vou s a don né l’i
s’avéra une autre paire de
ter à une soc iét é pol icé e, pleine de faux-semblants, faible s’abrite derrière le
S’acclima s, où le
dans cette société de masque acquises
manches. Comment s’intégrer avez repris vos études sans vous départir de vos habitudes prochain
paravent de la jus tic e ? Vou s vous exc ell ez. Occ ire vot re
jeu stratégique dans lequel leur en
en Afrique : tuer reste un essive qui transforme votre malheur en bonheur, votre dou cul turels
vous emplit d’u ne éne rgi e agr ren ver sé les cod es
de vic tim e en ave nir de bou rreau. Vous avez ête s le lou p, le
plaisir, votre passé aine. Vous
nt des for ces de des tru cti on inhérentes à la nature hum rre.
en libéra l en gue
plus de victimes qu’un généra communion
chasseur, vous comptez faire gèmes à votre nouveau milieu. Tuer reste un plaisir, une ntifique
Vous ave z ada pté vos str ata vous abr euv er de sa sub sta
anisez, que vous achevez pour sourire
avec la victime que vous déshum ales. Qui pourrait percer le monstre derrière votre
moelle dan s des org ies can nib e a con tri bué à for ger ...
iété pâtit du prédateur qu’ell
charmeur et arrogant ? La soc

Dossier secret
pouvez opérer sous
soc iét é du crime. En effet, vous ne
Vous êtes un électr on lib re dan s la dans cette société, ne doit
de que lqu ’un en tan t que vulgaire mercenaire. Personne, de la mort inique, soudaine,
les ordres arm é
rd effilé : vous êtes le bras
espérer échapper à votre poignala fille de joie que l’orateur des assemblées...
impromptue, qui frappe autant
rles Barrès, vous avez trouvé
lan t de cel ui- ci, apr ès vot re glorieuse exécution de Cha un député populiste notoire.
En par cilly,
ne de Nicolas Antoine de Mar
une autre cible en la person
Gare à lui !

– 151 –
Les méandres
de la folie humaine
Un interrogatoire bien curieux
La prison de Sainte-Pélagie
Au cœur de la nuit
Je refermai brusquement la couverture des notes de
Carter sur ces fiches de criminels, peut-être de peur que
tous les criminels recensés ne s’en échappent. La lecture
s’était révélée fort intéressante, et je ne tarderai pas à mettre
ces nouvelles connaissances à profit. Craig Carter me
surprenait : il était parvenu, en peu de temps, à répertorier
une multitude de suspects tout en démêlant les liens qu’ils
entretenaient... En revanche, sa relation intime avec Hannah
Chenu allait à l’encontre de toute déontologie policière :
il semblait avoir bien du mal à séparer sa vie privée et son
devoir professionnel. Le drame qui l’avait frappé y prenait-il
sa source ? Avait-il succombé à un piège tendu par le Génie
du Crime, là-bas, dans la masure de son indic’ ?
C’est au terme de notre dérive sur la Seine que nous
aperçûmes enfin les quais jouxtant le Jardin des Plantes. Nos
récentes péripéties se bousculaient dans mon esprit : l’église
du prêtre exorciste, la Cour des Miracles, le troquet de la
153
Route de la Révolte, cette ultime fuite vers les quais de la
Seine... Un tel voyage crépusculaire avait failli faire de moi
un client tout désigné pour un aliéniste, au mieux, ou pour
un légiste au pire...
Nous avions dépassé depuis une dizaine de minutes
la silhouette rassurante de la préfecture de police, puis
celle de Notre-Dame. Une fois ses flèches disparues de
l’horizon, j’éprouvai l’intime conviction que notre enquête
se poursuivrait d’une bien étrange façon, comme un voyage
vers les ténèbres insondables de Paris, vers une obscurité
qui s’épaissirait progressivement une fois éloignés du centre
éclairé des premiers arrondissements... Pour l’heure, deux
personnes nous attendaient à Sainte-Pélagie.
Une ambiance des plus festives
Après avoir débarqué dans le plus grand silence, nous
pénétrâmes dans le Jardin des Plantes. La façade du muséum
se voyait dominée par une affiche qui proclamait l’arrivée des
restes titanesques d’un couple de baleines lapones. Les serres
environnantes offraient un spectacle étrange : des enchevê-
trements végétaux illustraient l’exubérance de la végétation
exotique exposée ici.
Nous débouchâmes plus loin sur une petite place
circulaire, d’où nous pûmes contempler Sainte-Pélagie.
Cette impression était sans doute à mettre sur le compte de
l’angoisse et de la fatigue, mais il me sembla que la façade
 Chapitre 5
dansait sous mes yeux ébahis. La tête me tournait, et il me
fallut quelques instants pour retrouver mes facultés. Sitôt
apaisé, je notai que les extérieurs du bâtiment tenaient plus
de la maison de repos que du centre pénitencier...
Seule une double-porte et des tessons de bouteille coulés
sur le mur séparaient les criminels incarcérés de la société.
Des flammes vacillantes dansaient derrière les lourdes
fenêtres vitrées ; la façade avenante m’évoqua les images
154
d’Épinal des chaumières alsaciennes. Nous alertâmes un
vigile, curieusement peu étonné par l’intrusion de ces deux
policiers déguisés en cheminots qui transportaient avec
eux un colis sanglant et un aliéné forcené. Il souhaita nous
accompagner : Gueslin déclina rapidement son offre, car il
connaissait déjà sur le bout des doigts cet asile où s’étaient
maintes fois conclues ses enquêtes.
 Méandres de la Folie

La cour intérieure était jonchée

de nombreux détritus ; aucun
réverbère ne l’éclairait. L’unique
source de lumière provenait d’une
grande pièce, au premier étage. Un
réel tintamarre s’échappait de là-haut
en un amalgame de cris et d’éclats
de rire qui n’avait rien à envier aux
plus enjouées des bacchanales. Des
fêtards passaient devant les fenêtres,
le chef recouvert de bonnets rouges
et verts. Gueslin chuchota à mon
oreille, comme si nous étions les
invités indésirables de ces lieux :
— C’est l’ancienne cantine,
qu’on a reconvertie en taverne. Ne
vous y trompez pas : ce sont bien les
prisonniers que vous voyez là. Ils sont
tous détenus pour des raisons politi-
ques. Les bonnets verts sont des légi-
timistes qui militent pour le retour de
la monarchie, les rouges des partisans
républicains fauteurs de troubles. Ils
communient le soir, vu que l’alcool
efface les idéaux des uns et des autres.
Plus rien à voir avec le régime pain sec
et eau de la Bastille. — Tout n’a pas toujours été ainsi.
— Je n’ai jamais vu de martyrs qui aient porté leur Avant, ils s’acoquinaient avec les délinquants de dix à douze
couronne avec plus de jovialité ou d’insouciance, lui ans qu’on a transférés à la Roquette, histoire de séparer le
répondis-je, tout en contemplant la brochette de criminels, grain de l’ivraie ! dit-il avec une moue qui traduisait son
de dissidents et d’anarchistes qui semblaient y couler des profond mépris de l’un comme de l’autre.
jours tranquilles. — Au moins, ici, on contrôle leurs relations, ça
— Et vous n’avez pas vu les banquets organisés par ces fourmille de taupes de la police. Mais toute prison, aussi
partisans ! Revenez le vingt et un janvier, l’anniversaire de la dorée soit-elle, possède son envers du décor. Je vais vous le
décapitation de Louis XVI, pour assister à la fête royaliste : montrer...
vous les trouverez tous bourrés ! Il disparut par la porte du cellier, toujours accompagné
de notre macchabée. Je lui emboîtai le pas.

La prison dorée
Éclatant d’un rire gras, il se dirigea vers la porte d’un
cellier où était épinglée la liste des fournisseurs du jour : la
laitière passait à huit heures, le charcutier à neuf, le barbier
à onze, et il était fait mention d’un maître bretteur et d’un
séminariste. Devant ma surprise, mon compagnon m’éclaira :
— Les prisonniers peuvent circuler librement dans la
matinée. Ils disposent d’une salle de lecture à faire pâlir
celle de la préfecture, ainsi que d’une salle de fleuret où ils
s’entraînent avec des baguettes et où ils peuvent librement
commander des fournitures à l’extérieur. De quoi améliorer
l’ordinaire à base de soupe aux choux et de légumes. Certains
ont des pistoles, ces cellules individuelles qui les dispensent
de la salle commune où dorment les pailleux.
Je m’étonnai de cette liberté octroyée et de ce curieux
mélange de prisonniers qui devait faire de la prison un lieu
de circulation des idées bien plus efficace que toutes les
internationales socialistes et anarchistes réunies.
Le médecin des âmes
Le labyrinthe intérieur
— Je vous présente le docteur Martin Stoppes, l’aliéniste
de Sainte-Pélagie.
J’étais bien trop désorienté pour me laisser impressionner
par la présentation théâtrale de Joseph. Le parcours suivi
depuis le cellier me semblait parfaitement incongru : nous
avions dû emprunter un dédale de couloirs qui n’avaient
rien à envier aux souterrains malodorants de la conciergerie
médiévale. J’avais l’impression d’avoir été englouti dans
le ventre de Paris, et de croupir maintenant dans son
estomac rempli de caves voûtées et de passages obscurs...
Le sentiment d’avoir suivi un jeu de piste anarchique à la
lueur d’une bougie, contraint d’obliquer sans cesse jusqu’à
la désorientation totale. Des carrefours à n’en plus finir,

155
 Chapitre 5

poser pour la postérité derrière

une chaise appareillée de fils
électriques. Il bombait le torse,
comme pour élancer davantage
sa haute stature ; ses moustaches
obliques guidèrent mon regard
vers ses mains, calmement posées
sur ses hanches. Ces moustaches
encadraient en un accent
circonflexe une fine bouche
d’où émanait une voix profonde
mais posée, modulée sur un ton
monocorde quasi-hypnotique. Son
flegme apparent contrastait avec
les motifs des tentures accrochées
derrière lui, curieux montage de
chimères persécutant des hommes
nus (j’apprendrai plus tard qu’il
s’agissait de l’œuvre d’un obscur
peintre flamand, Jérôme Bosch).
Par ses dimensions, la pièce
tenait plus du débarras que du
cabinet médical. Les murs étaient
taillés à même la pierre, comme
dans une galerie souterraine. Une
table bardée de matériel électrique
des cellules désuètes restées ouvertes, vestiges d’un passé et une étagère mal fixée demeuraient les uniques décors
révolu, mais dont les fantômes des détenus venaient me d’un ensemble dépouillé à l’extrême. Plusieurs bustes aux
hanter à mesure que la claustrophobie envahissait mes sens... crânes noircis par les écritures démontraient son usage de la
Voilà l’enfer que m’imposait Gueslin. phrénologie.
Cet enfermement sans fin était parvenu à dérégler
ma notion du temps ; de plus, traîner un cadavre sur ce Il posa une main sur l’épaule de l’indic’ pour l’inviter
sol spongieux n’arrangeait guère ma progression. Mes pas à se coucher sur sa table. Il ouvrit ensuite sa chemise : des
hésitants et maladroits peinaient à suivre la trace de mon morsures importantes constellaient son avant-bras. Cet
guide, Gueslin, que je soupçonnais de prendre plaisir à ce indice m’avait jusqu’alors échappé. Dans un premier temps,
petit jeu. Pour sûr, cette claustration volontaire lui plaisait. l’indic’ se laissa faire, puis il commença à s’agiter au moment
Il voyait en elle la plus sûre des retraites, là où je m’attendais où le médecin lui entrava fermement les poignets et les
à voir surgir le diable en personne. Il ne voyait qu’un asile chevilles. Il l’ausculta ensuite à l’aide d’un stéthoscope de
rassurant, à la suite de notre périple en banlieue, là où je marque Cammann qui avait la forme d’une trompette...
voyais la plus noire des prisons de l’âme, l’incarnation du — Connaissez-vous l’identité de cet individu ?
chemin vers les tréfonds de mon esprit, au plus profond de L’interrogatoire commençait.
mes terreurs intimes... — Oui. Ce fou est l’indicateur de Craig Carter. Il loge
Cette pensée prit tout son sens quand il me présenta à dans la banlieue de Clichy, où il a assisté à un meurtre atroce.
l’Aliéniste, afféré dans ce cabinet sans fenêtre (je ne pourrais Il est plongé dans un état catatonique depuis plusieurs
déterminer à quel endroit, ni à quel niveau de Sainte-Pélagie). heures.
Je manquai de céder à une pulsion instinctive en prenant la — Carter, dites-vous ? Avez-vous des nouvelles de ce
fuite sans demander mon reste, mais il me fallait conserver trompe-la-mort ?
un minimum de fierté et d’amour propre : l’indic’ de Carter — Oui, il s’est mis à dos le Génie du Crime de la Route
avait supporté le voyage sans broncher. de la Révolte. C’est une affaire personnelle qui va mal
tourner, et je crois bien qu’il aimerait le tuer... Ce fou est le
Face à face avec un aliéniste seul rescapé du massacre.
L’Aliéniste fit claquer sa langue à plusieurs reprises sur
Sans plus de cérémonie, Gueslin s’empara du sac qui son palais.
recelait le cadavre et quitta la pièce par l’autre porte. Je me — Pas de jugement à l’emporte-pièce, cet homme n’est
retrouvai alors avec l’indic’, face à Stoppes. Son air hautain peut-être pas fou. Pas plus que nous, en tout cas. Et encore
convenait davantage à un noble qu’à un médecin : fier et moins coupable. Et de toute façon, s’il est fou, il ne sera pas
immobile dans son complet noir impeccable, il semblait déclaré coupable, vous me suivez ?

156
 Méandres de la Folie
L’Aliéniste esquissa un sourire discret.
— Il était temps que Carter se mette à vouloir tuer son
père.
— Vous voulez dire que le Génie du Crime est le père
de Craig Carter ?
— Son père symbolique, sans aucun doute. On finit
toujours par ressembler à celui que l’on traque. Le parricide
est dans l’air du temps : c’est une pulsion fréquente en
période de révolution. Elle correspond au remplacement de
l’ancien régime par le nouveau. Voyez le parricide de Kronos,
puni lui-même par ses enfants ; ou voyez celui d’Œdipe
contre son père Laïos... Et même le Christ qui succède au
dieu juif de l’Ancien Testament ! On détruit le monde du
père pour en construire le sien.
Il me dévisagea de ses yeux de fouine, sans doute pour
traquer chez moi quelque signe d’incompréhension face à
toutes ces références. Rassuré sur mon aplomb, et content
d’avoir conquis mon attention, il renchérit :
— Nous allons faire réagir votre compagnon, histoire
d’obtenir sa propre version des faits.
Un empire de folie ?
L’Aliéniste contempla son nouveau patient, comme un
enfant face à son cadeau de Noël. Un silence pesant s’installa.
Je m’empressai de combler le vide en abordant des banalités
sur son doux métier et sur cet étrange établissement.
— On fait état de cent mille fous en France, dont une
bonne partie à Paris (je remarquai un bref rictus). Des
professions sont surreprésentées : un pour cent des artistes,
un avocat sur cent vingt, un professeur sur deux cent...
Les établissements de la capitale sont pleins à craquer, de
Bicêtre à Charenton, de la Salpêtrière aux asiles particuliers.
Nous soignons uniquement ici les cas intéressants pour la
préfecture de police, d’où le recours aux cellules souterraines
pour les protéger et nous protéger d’eux.
J’étais éberlué par ces statistiques, qui dépassaient de
loin les chiffres noirs de la préfecture en matière de simple
délinquance. Interrogé sur ce point, le médecin des âmes
haussa les épaules :
— Si tout individu qui s’éloigne trop de la norme est
un aliéné, nous avons du souci à nous faire. Je vous rappelle
que « norme » a pour étymologie l’équerre, la mesure. Votre
prophète Bertillon, adepte de l’anthropométrie, fait déjà
des ravages en mesurant comme un diable les mensurations
des suspects. Voyez-vous, aucun dictionnaire ne mentionne
le mot « normalité » avant 1834. Bertillon établit une
différenciation entre le normal et le pathologique. Le
royaume de Dieu n’est-il pas avant tout ouvert à tous les
fous, ses enfants chéris ? Désormais, les portes du salut leur
sont closes, à part ici bien sûr...
Son humour me fit frissonner en ce lieu étouffant.
Si le salut passait par les mains d’un tel cerbère, il n’y avait
effectivement aucun espoir.
— Quelle est donc cette norme dont vous parlez, cette
limite qui sépare le sain d’esprit de l’âme corrompue ?
157
— C’est une norme imposée par la société. L’éducation,
l’hôpital, l’industrie répondent tous trois aux mêmes
impératifs de rationalisation, de normalisation de leurs
activités et de leurs employés. Voyez-vous, on prétend ainsi
substituer cette norme à la loi naturelle qui se base sur la
diversité et l’incident.
Ses derniers mots me firent songer aux colonnes
d’ouvriers de la Route de la Révolte, qui semblaient osciller
quotidiennement entre la norme de l’usine et la loi naturelle
de leurs quartiers, entre l’ordre et le chaos.
— Les pouvoirs qui nous régissent sont normalisateurs.
En clair, il faut remettre les fous dans le droit chemin ou les
éliminer. Inutile de vous préciser que nous subissons une
pression énorme de la part des autorités : nos diagnostics
ont une valeur de correction, voire de remède. Nous devons
faire rentrer ce petit monde aliéné dans le rang ; d’où l’asile,
la prison politique et même les cellules du légiste. Tout cela
est réuni ici, à Sainte-Pélagie.
La perte des repères et la folie urbaine
Je décidai de lui soumettre l’épineuse question de
l’explosion des maladies mentales en ce siècle de progrès
médicaux. Comme en écho à cette interrogation, l’indic’
de Carter commença à baver et à s’agiter. Le médecin
l’installa calmement sur la curieuse chaise de son cabinet
souterrain.
— Je parle surtout pour les grandes villes, que je
connais bien : nous sommes tous isolés au sein d’une foule
d’anonymes. Qui se soucie du sort de son voisin ? Les vieilles
solidarités villageoises ne sont plus là pour instaurer un
cadre rassurant dans lequel l’individu peut s’épanouir. Dans
Paris, vous n’avez plus de cadre, de garde-fou, et beaucoup
deviennent des fauves perdus dans une jungle urbaine. Ces
individus ne sont plus contrôlés que par leurs pulsions,
leurs viscères, leurs révulsions. Ajoutez à cela cette période
dépressive de l’histoire où les révolutions n’ont pas répondu
à toutes les attentes, en plus des craintes dues au passage
vers un nouveau siècle, et vous obtenez un superbe cocktail
miasmatique propre à répandre les folies.
Il reprit sa respiration, s’inquiéta d’une nouvelle agitation
de son patient bien ficelé, puis reprit sur le même ton
didactique :
— Le sentiment général est à la désillusion. Les valeurs
morales s’amenuisent. Le dernier idéal est la possession
matérielle, et quel idéal ! Pas étonnant que beaucoup noient
leur folie dans l’alcool, les paradis artificiels, le fanatisme et la
conquête coloniale ! Ils se coupent d’un monde qui les prive
de leurs légitimes espoirs.
Il perdait sa contenance. Le résidu d’un conflit personnel
revenait sans doute à la surface. Il appuya sur un interrupteur.
Les électrodes infligèrent une décharge à l’indic’ qui fut
secoué comme un diable, mais calmé pour de bon.
— Une méthode expérimentale liée à la galvanisation.
Radical pour les crises épileptiques. Les mouvements
désordonnés de certains malades sont de simples décharges
 Chapitre 5
électriques produites par le corps : il suffit de les soigner par
le même moyen, voyez-vous ? Des confrères affirment que
cette galvanisation suffirait à ranimer des corps morts. C’est
grotesque, mais pas sans fondement. Sachez que toute folie
a de profondes répercussions sur l’anatomie. Êtes-vous initié
à la médecine médiévale ?
Je lui fis signe que non. Il interrompit son monologue
et s’empara d’une petite fiole rangée dans une armoire.
Il ouvrit ensuite la porte empruntée par Joseph. Quelques
traces de sang maculaient le sol, et se prolongeaient dans
un large corridor peuplé de trois pauvres hères. L’un était
prostré, l’autre étendu sur une table mobile. Le dernier,
dans une camisole, heurtait le mur de sa tête en émettant
des cris plaintifs.
— Nous ne tirerons rien de votre indic’. Mon collègue
Légiste devrait davantage vous éclairer sur votre enquête.
Venez, n’ayez pas peur. Ces patients ne sont pas dangereux.
158
Discours sur la folie
« Le crépuscule excite les fous. »
Baudelaire, Le Crépuscule du Soir, Spleen et Idéal
Visionnaires maudits d’une fin de siècle
Le discours de l’Exorciste me revint à la mémoire : d’après
lui, la folie naissait d’une surabondance d’informations
dont l’esprit ne parvenait plus à filtrer le flot. Je fis part de
l’hypothèse au praticien, qui sembla l’approuver...
— En effet, j’ai pu vérifier cette théorie sur les malades
schizophrènes. Ils vivent dans un monde-tombe où se
mêlent le passé, le présent et même le futur. La logique
chronologique est totalement abolie de leur esprit, ce qui fait
d’eux – en quelques sorte – les visionnaires maudits de cette
fin de siècle... et des sujets d’étude fascinants.
Le premier pas fut difficile. Ce couloir m’évoquait une
fosse aux crocodiles tant les réactions de ces aliénés me
paraissaient incertaines.
L’Aliéniste se pencha vers un jeune homme vêtu de blanc
des pieds à la tête. Il était assis par terre, les jambes repliées,
et fixait l’une de ces ampoules blanches dont la lumière nous
submergeait. Le patient ne réagissait pas aux stimulus de
Stroppes. Je crus voir une étincelle danser dans les yeux de
cet étrange docteur ; sans doute un reflet sur ses lunettes, à
moins que... Le bon sens populaire ne voulait-il pas que les
médecins soient les premiers exposés aux maladies de leurs
patients ? Un frisson me parcourut l’échine.
— Connaissez-vous le cas de cet homme, responsable
d’un service militaire de cryptographie ? Un sujet fascinant.
C’était le Champollion du code secret. Mais en prenant
conscience de l’horreur de la guerre et de sa responsabilité
dans les massacres commis (il décodait les positions des
armées russes dans la guerre de Crimée), il fut victime
d’un syndrome de retrait qui entraîna son mutisme total.
Il fallut lui présenter les plans sous forme de jeux pour qu’il
dédramatise les enjeux de sa fonction, et oublie le fait que ses
décryptages pouvaient anéantir des bataillons entiers.
Soucieux d’échapper à une avalanche d’anecdotes de ce
genre, je préférai l’interroger sur des références plus utiles
concernant son métier.
— N’auriez-vous pas une brochure sur les maladies
mentales ? J’avoue que j’ai du mal à vous suivre.
— Bien sûr. Tenez, cette brochure était destinée à
Lépine, mais il n’a pas voulu de l’expertise d’un médecin
irlandais ! Seul Carter s’intéressait au sujet.
Je me saisis du document pour le ranger dans mon
manuel d’enquêteur. Mon affaire allait pouvoir avancer.
— Connaissiez-vous bien l’agent Carter ? Était-il un ami
personnel ?
— Je ne lui ai pas souvent parlé. Il était plus causant
avec mon collègue, le Légiste, que vous trouverez au bout du
couloir. Une vraie caricature de l’anglais flegmatique celui-là,
toutefois marqué d’un intérêt certain pour les questions
 Méandres de la Folie
métaphysiques... En d’autres temps, cette lubie lui aurait
valu une place dans mon institut ! Mis à part ça, autant
essayer d’ouvrir un coffre-fort quand on cherchait à en savoir
davantage sur lui. Un homme peu expansif, ce Carter. Cela
ne facilitera pas votre enquête mais Peter Affener, le Légiste,
vous en dira davantage.
— Pensez-vous que Carter puisse être lui-même aliéné ?
— Extravagant, sans doute, comme tous les anglais, mais
de là à voir en lui un aliéné... Cela dit, pour ce que j’en sais,
il a été sujet à d’étranges visions.
La théorie des humeurs :
folie et dégénérescence
physique
« La manie et la mélancolie
sont des corruptions de la pensée
sans fièvre. En effet, l’humeur
mélancolique en imprégnant le
cerveau, en perturbant les esprits
et les rendant troubles, en obscur-
cissant l’âme est la cause de la
corruption mentale. »
Bernard de Gerdon,
médecin à Montpellier
(1303)
Mon attention se porta
sur le patient suivant. Il était
allongé sur une table mobile :
un linceul recouvrait son corps
probablement nu, ne laissant voir que sa tête et ses épaules.
On lui avait rasé les cheveux et de fines incisions avaient été
pratiquées au niveau de ses tempes. Les yeux grand ouverts il
fixait le plafond, comme un oiseau rêvant de quitter sa cage.
Je constatai, en le dévisageant, qu’il s’agissait d’une femme.
— Comment faites-vous pour soigner vos patients les
plus... atteints ? L’aliéniste croisa les bras, se posta face à
sa patiente, puis lissa ses moustaches sans rien perdre de sa
contenance :
— Certains cas sont incurables. Cependant, une habile
ablation des lobes temporaux peut calmer les sujets les plus
agités.
— Mais l’opération n’est pas réversible... C’est une
véritable mise à mort de l’esprit ! Autant opter pour la
guillotine !
Mon coeur avait parlé, avant que mes yeux ne se posent
sur une étiquette attachée au bras de la jeune femme :
« infanticide sous l’effet d’un delirium tremens permanent ».
Si on ne l’avait pas déclarée folle, la guillotine l’aurait
accueillie.
— C’est la seule réponse que la médecine actuelle peut
proposer à cette femme. Nous échafaudons, avec Peter
Affener, un traitement qui reprendrait les pratiques de la
médecine médiévale. Cela vous évoque-t-il quelque chose ?
159
La première image à me venir à l’esprit fut celle d’un
chevalet de torture utilisé sous l’Inquisition. La vision de
cette pauvresse n’y était sûrement pas étrangère... Si les
machines électriques étaient capables de soigner les troubles
de l’âme, on devait sans doute en produire à la chaîne dans
les sous-sols de l’enfer. Je plaignais sincèrement l’indic’, après
ce traitement de choc qui aurait pu calmer le plus fougueux
des chevaux.
— Pas du tout. Je crois que nos ancêtres ne se seraient
pas occupés de vos patients. Les comateux auraient été
considérés comme des saints
ou des illuminés, et le furieux
du fond comme un sorcier bon
pour le bûcher.
— Vous vous trompez
lourdement. Je me dois de pallier
à votre méconnaissance du sujet.
Notre précurseur Hippocrate
pensait que ces quatre humeurs :
le sang, le flegme, la bile jaune
et la bile noire commandaient
des réactions humaines comme
le caractère, les passions, les
pulsions et les déséquilibres
psychologiques. Ça parait
absurde, non ?
Je souris franchement.
La théorie me paraissait
ridicule. J’observai un pauvre
fou qui tentait de s’affranchir
de ses entraves et de s’évader
en défonçant le mur. Le visage
réjoui de l’Aliéniste s’estompa.
— Pourtant, il avait parfaitement raison. Ces substances
sont soumises aux influences des quatre éléments : feu,
terre, eau et air. Ne dit-on pas « avoir une personnalité
volcanique » ? Votre tempérament n’est-il pas mélancolique,
flegmatique, sanguin ou colérique ? La surabondance de
l’une de ces humeurs cause un déséquilibre interne qui se
traduit par une pathologie. Au XIème siècle, Avicenne a
prouvé que la bile noire est en fait le résidu de la cuisson des
humeurs dans le foie, une partie plus lourde qui s’accumule
dans la rate. La rate, qui en latin se dit...
Il suspendit sa démonstration, immobile, le doigt levé
vers le plafond comme s’il prenait Dieu à témoin de son
génie. Il y avait belle lurette que j’avais perdu mon latin et
voilà que je me retrouvais penaud, tel un cancre interrogé
sur un banc d’école.
— Spleen ! Avoir le spleen ! Nous avons démontré que
cette mélancolie favorise l’apparition d’ulcères, de fièvres,
de lèpres. Le cerveau produit les passions, autant de souffles
transmis par le cœur aux nerfs, aux veines et aux artères.
Voilà pourquoi on se fait un « sang d’encre ». Ces effets
passionnels ont une réelle implication physiologique : les
plus atteints deviennent méconnaissables, même auprès de
leurs proches. Être la proie de passions violentes augmente
drastiquement la production de ces humeurs. C’est ma
 Chapitre 5
théorie pour expliquer les cas de possessions démoniaques et
leur cortège de mutations physiques. Voilà pourquoi la folie
guette les plus géniaux et les plus exaltés d’entre nous...
Sa main avança sans la moindre frayeur vers le patient
agité, puis écarta les mâchoires du malheureux. Ses canines
étaient particulièrement développées.
— Je ne peux vous prouver mes théories, le légiste vous
fournira sans doute des arguments plus concrets.
Il marqua une pause pour observer l’indic’, puis reprit
la parole.
— Cela risque d’être long. Allez donc retrouver votre
collègue, pendant que je m’occupe de votre indicateur.
Et gardez à l’esprit que la science n’a pas toutes les réponses :
je constate chaque jour les limites démontrées par Descartes.
Rappelez-vous également la maxime du graveur Dürer :
« Car il y a fausseté dans notre connaissance, et la ténèbre est si
solidement plantée en nous que même à tâtons nous manquons
le but ».
Je m’éloignai pour me diriger vers l’issue empruntée par
Gueslin, tel Ulysse échappant au chant des sirènes. Un filet
de bave s’échappait de la bouche du dernier patient ; cette
salive dense, mousseuse, m’évoqua les symptômes de la rage.
Il poussa un hurlement digne d’un gros chien. Je priai pour
qu’il soit véritablement atteint par la maladie, sans quoi il
m’aurait fallu admettre toutes ces théories démentes...
Annexe du manuel de l’enquêteur : la folie
Inclinaison psychologique
2 Nomenclature
La personnalité de votre héros est un support identitaire,
un moyen d’établir une stabilité suffisante pour y bâtir sa vie.
Si votre personnage possède quelques notions linguistiques,
il pourra cependant vous apprendre qu’étymologiquement,
« personnalité » a pour origine « masque » : ce masque de
carnaval qu’on arbore dans la mascarade de la société, dans ce
grand opéra tragi-comique que sera la vie d’enquêteur de votre
personnage.
Toute personnalité, dans Crimes, est obligatoirement
pathologique : suivant son tempérament, le personnage peut
être sujet à des troubles du comportement, de la perception,
des pensées, des sensations et des relations sociales (d’où les
états pathologiques causés par les situations au sein desquelles
le personnage se sentira dépassé par les évènements).
Chaque tempérament est associé à deux inclinaisons
psychologiques que le MJ et le joueur choisiront après
concertation. Ce choix est très important : pour le MJ, ces
inclinaisons faciliteront le choix des états névrotiques et
psychotiques qu’il devra infliger au héros troublé. Pour le
joueur, elles donneront un aperçu des types de troubles subis
par son alter ego.
160
Tendance paranoïaque
Le paranoïaque est soupçonneux envers son entourage.
Toujours prompt à dresser un procès pour des choses futiles,
son sens démesuré de la justice ne s’applique souvent qu’à ses
propres intérêts. A ses yeux, des actes neutres peuvent prendre
des allures d’évènements hostiles ou dangereux. Il n’oublie
jamais la conspiration dont il est la victime perpétuelle. Fidélité
et dévouement n’évoquent rien pour lui.
Tendance schizoïde
Le schizoïde est un individu d’une étonnante froideur
affective. Le plaisir, les relations sexuelles, l’amitié sont des
valeurs sociales qui suscitent chez lui une profonde indifférence.
L’introspection et la solitude sont ses refuges. Il se distingue par
une préoccupation marquée pour l’imaginaire et la réflexion
cartésienne. Les normes et les conventions sociales lui inspirent
un profond dédain.
Tendance schizophrénique
Le schizophrène entretient un rapport bien curieux avec
la réalité. Des perceptions corporelles inhabituelles constituent
un premier sabordage de ses points d’ancrage. S’ensuivent des
pensées étranges, bizarres, magiques en total décalage avec
le monde dans lequel il vit. Son comportement évolue vers
l’excentricité absolue. La méfiance et le délire de persécution
peuvent accompagner sa mise au ban de la société.
Tendance anankastique ou
obsessionnelle-compulsive
L’individu est obsédé par la prévalence des questions
intellectuelles et des réalisations pragmatiques. Cela se traduit
par un comportement basé sur la vérification, la ritualisation,
la sauvegarde d’une certaine idée de l’ordre. Le perfectionnisme
est chez lui toujours de rigueur, la seule attitude acceptable
est le conformisme et elle doit être partagée par sa coterie.
Cependant, le moindre grain de sable dans les rouages de cette
machine rigide entraînera l’indécision, le doute et la prudence
excessive.
Tendance anxieuse
Ici, nous pénétrons dans le royaume des phobies. Elles
prennent racine dans le manque d’estime du sujet pour ses
propres compétences. Ce complexe d’infériorité aboutit à
un évitement des activités qui pourraient compromettre sa
sécurité. Tension et appréhension constituent la majeure partie
de son vécu émotionnel.
Tendance dépendante
L’individu reste sans cesse en retrait, utilisant le groupe
comme un paravent. Il subordonne ses propres besoins à ceux
des autres, est réticent à formuler ses propres demandes et se
fixe sur la peur constante d’être abandonné. Il faut sans cesse le
rassurer et le conseiller sur la manière de procéder.
 Méandres de la Folie

Tendance maniaco-dépressive
Des phases d’euphorie alternent avec les plus grands
abattements dans un cycle infernal. Ces périodes de bonheur
apparent sont ponctuées de dramatisation, d’un théâtralisme
outrancier, d’une préoccupation excessive par le souci de
plaire, notamment physiquement. La manipulation n’est jamais
loin pour satisfaire cette tendance très égocentrique. Toute
blessure faite à ce narcissisme précipite la seconde phase de
dépression, cette humeur triste et douloureuse provoquée par
des « idées noires ».

Personnalité limite
Elle se traduit par une impulsivité ponctuée d’émotions
instables, un manque de contrôle sur ses impulsions et
des incertitudes quant aux objectifs, valeurs et préférences
accordées dans l’existence du sujet. S’ensuit un sentiment
envahissant de vide, et par conséquent des efforts démesurés
pour éviter les abandons et les échecs. Les paniques, dépressions
et hallucinations entrent dans le jeu de cette personnalité
borderline.

Génération des états

névrotiques et psychotiques

Il vous suffit de suivre cette liste pour déterminer des états

plausibles, en fonction des inclinaisons du personnage.

1. Tendance paranoïaque i Psychoses : asthénie ; cataplexie ; coprolalie ; culpabilité ;

i Névroses : colère pathologique ; hystérie ; mythomanie ;
hallucinations.
i Psychoses : colère pathologique ; confusion mentale ;
culpabilité ; délire de persécution ; délire de grandeur ;
délire d’empoisonnement ; délire d’influence ; érotomanie ;
folie homicide ; idéalisme ; mythomanie ; revendication
(délire de).
2. Tendance schizoïde
i Névroses : cataplexie ; coprolalie ; dépression ; hystérie ;
mythomanie ; obsession idéative.
i Psychoses : cataplexie ; catatonie ; coprolalie ; dépression ;
folie homicide ; indifférence ; mégalomanie ; mythomanie ;
cauchemars.
3. Tendance schizophrénique
i Névroses : apragmatisme ; colère pathologique ; mutilation ;
somnambulisme ; hallucinations.
i Psychoses : agoraphobie ; catatonie ; claustrophobie ;
colère pathologique ; culpabilité ; délire de persécution ;
délire de grandeur ; délire d’empoisonnement ; délire
d’influence ; dépersonnalisation ; indifférence ; mutilation ;
mysticisme ; négation (délire de) ; onirisme.
4. Tendance obsessionnelle-compulsive
i Névroses : asthénie ; cataplexie ; coprolalie ; hypocondrie ;
mutilation ; obsession idéative ; somnambulisme ; vol
pathologique.
érotomanie ; hypocondrie ; idéalisme ; sentiment
d’infériorité ; insomnie ; maniaque (épisode) ; mutilation ;
mysticisme ; vol pathologique.
5. Tendance anxieuse
i Névroses : cataplexie ; dépression ; hypocondrie ; phobie ;
hallucinations.
i Psychoses : agoraphobie ; cataplexie ; claustrophobie ;
confusion mentale ; dépression ; hypocondrie ; sentiment
d’infériorité ; insomnie ; mélancolie ; obsession phobique ;
cauchemars.
6. Tendance dépendante
i Névroses : asthénie ; dépression ; hypocondrie ; hystérie ;
mythomanie ; phobie ; syndrome d’échec.
i Psychoses : apragmatisme ; asthénie ; confusion mentale ;
culpabilité ; dépression ; érotomanie ; hypocondrie ;
insomnie ; mélancolie ; mythomanie ; obsession phobique.
7. Tendance maniaque dépressive
i Névroses : asthénie ; colère pathologique ; dépression ;
hystérie ; mutilation ; somnambulisme ; syndrome
d’échec.
i Psychoses : apragmatisme ; asthénie ; catatonie ; colère
pathologique ; confusion mentale ; dépression ; idéalisme ;
indifférence ; sentiment d’infériorité ; insomnie ; maniaque
(épisode) ; mélancolie ; mutilation ; négation (délire de) ;
onirisme.

161
 Chapitre 5

8. Personnalité limite , Asthénie

i Névroses : colère pathologique ; coprolalie ; vol
pathologique.
i Psychoses : colère pathologique ; dépersonnalisation ;
érotomanie ; folie homicide ; indifférence ; onirisme ;
mégalomanie ; vol pathologique.
États liés à un traumatisme physique : aphasie ; asthénie ;
dépression ; onirisme.
États névrotiques et psychotiques
Voici un compendium des états qui peuvent être déclenchés
lors des évènements suivants :
i Un seuil névrotique a été atteint par le joueur.
i Un test psychotique a été raté par le joueur.
i Le joueur subit tout autre évènement de nature à déclencher
un tel état. Nous les avons classé alphabétiquement dans
un souci pratique.
Elle se traduit par une diminution effective des forces du
sujet. Cette faiblesse concerne aussi bien son physique que
sa volonté : ses potentiels baissent, et les obstacles de la vie
semblent se complexifier. Le sujet, prisonnier d’un monde
brumeux et irréel, paraît distrait et rêveur (quoique lucide sur
son état).
Baisse du potentiel physique et mental de 1D, jusqu’à un
minimum de 1. Le seuil de difficulté de 9 ne varie jamais, quel
que soit le niveau de compétence.
, Cataplexie
Cette diminution soudaine du tonus musculaire, sans
perte de connaissance, survient en réaction à des émotions
trop fortes. Variant de quelques secondes à plusieurs minutes,
elle peut s’accompagner de brusques accès de sommeil. Cette
hypersomnie peut avoir des conséquences fâcheuses quand elle
se manifeste dans des situations périlleuses.
Le personnage est incapable de réaliser une action
quelconque pendant D10 assauts.

, Agoraphobie
La peur irrépressible des espaces extérieurs et des lieux
inconnus. Particulièrement handicapant quand il s’agit
de simplement sortir dans la rue... Cet affaiblissement
de la volonté se fait par paliers successifs, jusqu’à
l’enfermement total chez soi. Elle se conjugue de la
même manière que son contraire, la claustrophobie.
Cette inhibition limite le nombre de dés pouvant
être conservés à 1, ce qui multiplie les possibilités
d’échec critique à chaque fois qu’un personnage se
trouve dans un espace ouvert peu connu.

, Aphasie
Perte partielle ou totale de sa capacité à communiquer,
au-delà de la simple déficience du langage. Souvent la
conséquence fâcheuse d’un traumatisme crânien, ou
de tout autre accident cérébral.
Perte de la moitié des dés de potentiel
social (arrondir par défaut). Incapacitant
pour certaines compétences basées sur la
parole.

, Apragmatisme
Une affection des plus énervantes,
dans le sens où le temps de réaction
est amoindri. Les gestes les plus simples
du quotidien deviennent de véritables
épreuves. La pensée se bloque parfois,
sans qu’il n’y ait la moindre altération
des facultés intellectuelles. Il s’agit d’une
immobilisation progressive de la mise en
application des idées.
Amoindrissement des potentiels
réduits chacun à 1D.

162
 Méandres de la Folie
, Catatonie
Voici l’héritière de la catalepsie antique, de la congelatio
médiévale, de la melancholia attonita du XVIIIème siècle.
Le sujet est aussi inerte qu’une statue, conscient mais sourd
aux stimulations, parfois figé dans les positions les plus
inconfortables. Semblable à une statue de cire, il peut toutefois
subir des crises d’agitation. Il peut également exécuter des
ordres, comme il peut rester sourd à toute suggestion...
Les autres personnages du groupe doivent réussir un test
de société pour le persuader d’agir, avec un minimum de deux
réussites. Sinon, la victime est totalement inerte et ne peut
entreprendre aucune action pendant D10 minutes.
, Cauchemars
Voici une curieuse affection, dont les effets agissent à
retardement. Une fois endormi, le personnage est assailli
de cauchemars récurrents en prise directe avec l’évènement
déclencheur. Ils se répètent à intervalles réguliers, agissant sur
la faculté de récupération du sujet.
La récupération de la fatigue physique ou mentale est
impossible lors d’une nuit de cauchemar. Ces cauchemars lui
causent l’acquisition d’un nouveau point d’angoisse, et donc
de névrose.
, Claustrophobie
Cette peur irrépressible de se retrouver dans un endroit clos
se traduit par la crainte d’étouffer, ou le désir de fuir. On pensa
longtemps qu’il s’agissait du réflexe primal de l’animal coincé dans
une cage ; on l’associe désormais à une inadaptation de la conscience
vis-à-vis de l’extérieur, en reflet à une angoisse intérieure. Elle est
étroitement liée à son corollaire : l’agoraphobie.
Cette inhibition limite le nombre de dés pouvant être
conservés à 1, ce qui multiplie les possibilités d’échec critique
à chaque fois qu’un personnage se trouve dans un endroit où il
n’a pas d’échappatoire.
, Colère pathologique
Nous pourrions évoquer les colères homériques des
personnages de L’Iliade pour présenter ce trouble curieux.
Cette agitation destructrice marque l’impuissance du sujet
à maîtriser son environnement. La fureur, l’acte de colère
classique (comme de casser la vaisselle...) en sont les symptômes
les plus notoires.
Le déclenchement de telles colères, outre leurs conséquences
sociales, multiplie par deux les gains de névrose acquis lors de
la scène (mais les gains d’angoisse restent les mêmes).
, Confusion mentale
Le sujet est égaré, abruti, stupide, quasi amnésique. Cet
état est causé par sa désorientation spatiale et temporelle. Il vit
un véritable cauchemar onirique, accompagné de fièvre et de
déshydratation. Cet état confusionnel est un réflexe défensif du
cerveau face à une agression extérieure. Le sujet est incapable
d’entreprendre la moindre action et reste dans son état de
sidération.
De plus, cet état cause l’acquisition d’un nouveau point
d’angoisse et donc de névrose.
163
, Coprolalie
« Il y a dans le mot, dans le verbe, quelque chose de
sacré qui nous défend d’en faire un jeu de hasard. Manier
savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie
évocatoire. »
Baudelaire
Une affection gênante dans cette société policée où l’on a
vite fait de condamner le moindre mot de travers... La coprolalie
est l’émission involontaire de mots obscènes et vulgaires.
Le joueur doit alors composer avec le langage ordurier de son
personnage, et subir d’éventuelles représailles sociales...
Le potentiel social, si le personnage parle, est ramené à 1D.
Toute compétence liée au langage est inopérante.
, Culpabilité
Elle porte d’abord sur une faute imaginaire pour devenir
pathologique. Le sujet s’accuse d’un méfait qu’il n’a pas commis.
L’auto-accusation devient le leitmotiv du sujet.
Cette culpabilité – qu’il faut préciser – devient une passion
secondaire, jusqu’à ce que le sujet puisse établir le non-fondé
de son sentiment. Pendant ce temps, son angoisse et sa névrose
gagnent 1 point.
, Délire de persécution
La conviction d’être poursuivi, observé, écouté ou
menacé dans ses biens ou dans sa survie. Ces délires sont bien
entendu sans rapport avec la réalité des faits. Des hallucinations
peuvent renforcer ces interprétations douteuses.
Le personnage doit jouer cet état, sous peine de perdre des
points de développement.
, Délire d’empoisonnement
Le patient est certain d’avoir été empoisonné ou de
l’être actuellement. Cette suspicion permanente implique la
vérification intempestive de l’origine de ses aliments, voire la
cessation de toute alimentation et une paranoïa accrue vis-à-vis
du comportement de son entourage.
Le personnage doit jouer cet état, sous peine de perdre des
points de développement.
 Chapitre 5
, Délire d’influence
« Ceux qui sont possédés par ce que l’on peut appeler le
caractère religieux- les visionnaires, les faibles, les moroses, les
ascètes- parviennent, dans les moments de dévotion, à s’élever
à une sorte d’ivresse. Ils arrivent à se persuader, en étreignant
les images saintes, que la pierre frémit sous leurs doigts, que les
statues bougent, consentent à leurs demandes et tournent vers
eux, avec bienveillance, leur regard sans vie. »
Mathurin, Melmoth (1835)
Cette forme d’aliénation mineure fut longtemps confinée
aux alcôves des exorcistes. Le sujet est persuadé d’être possédé
par une entité externe, d’être manipulé (par les journaux, son
entourage), d’être le cobaye de quelque hypnotiseur ou sorcier.
S’ensuivent une paranoïa accrue et une perte de sa personnalité
au profit de l’entité imaginaire.
Le personnage doit jouer cet état, sous peine de perdre des
points de développement.
, Delirium Tremens
Complication grave liée à l’alcoolisme ou à son sevrage.
La vie du patient est en jeu, et l’enfermement est souvent
nécessaire. La confusion mentale, les hallucinations intenses
mettent en effet un terme aux dernières bribes d’équilibre de la
personnalité du sujet.
Le personnage est à la fois victime de confusion mentale et
d’hallucinations. Sans aide extérieure, son inclinaison devient
schizophrène.
, Syndrome d’échec
Ce syndrome est une forme d’autopunition, d’expiation du
personnage qui accumule les oublis et les maladresses inconscientes.
Le personnage est incapable de recourir au dépassement de
réussite par les passions.
, Érotomanie
Ce délire passionnel est centré sur l’illusion d’être aimé
d’une personne inaccessible. Il comporte une phase d’espoir
où l’on pense que l’autre va se déclarer ouvertement, puis une
phase de dépit entraînant la dépression, et enfin une phase de
rancune envers l’objet de ses désirs qui peut dégénérer en un
crime passionnel...
L’érotomanie remplace la passion secondaire du personnage.
Chaque phase doit être jouée successivement, au cours de
l’évolution des relations entre le personnage et l’être désiré.
Cette folie obéit essentiellement à des règles dramatiques : le MJ
l’intègre en tant qu’intrigue secondaire.
, Hallucinations
La perception d’un objet sans réalité propre. On peut
adhérer à cette vision, ou bien rester bloqué devant elle. Elle
affecte les cinq sens, et prend de ce fait une consistance bien
plus conséquente que celle laissée par de simples cauchemars.
Le personnage halluciné doit réussir un test psychotique
ou être bloqué par ses visions. S’il échoue, il perd 1D à tous ses
potentiels.

, Dépersonnalisation
Des sentiments ineffables d’étrangeté, d’irréalité, de
transformation, un doute sur sa propre identité et celle de son corps
envahit le sujet. Il s’agit d’une porte d’entrée vers une dissolution
complète de la personnalité. Il n’y a plus de connexion entre le
monde et l’identité. Ces basculements de tempérament peuvent
être rattachés au syndrome « Jekyll et Hyde ».
Le personnage gagne un état psychotique lié à la tendance schizo-
phrénique. La gravité de son état dépend de son total de psychose.

, Dépression

« Ignorez-vous que je déteste la vie, que je me désole d’avoir

tant vécu, et que je ne me console point d’être née ? »

Aveu de Madame du Deffand à Horace Walpole

Une humeur douloureuse que nous associons à la mélancolie.

Ces idées noires menant parfois au suicide peuvent découler
d’un chantage affectif... Le sujet n’arrive pas à comprendre
quelle est la source de son mal de vivre. Les dépressions
psychotiques s’accompagnent parfois d’hallucinations, et d’une
baisse importante des capacités du patient.
La dépression dure au moins un acte du scénario, et pas
seulement une scène. Le personnage perd 1D dans tous ses
potentiels et ne peut plus recourir au dépassement de réussite
par l’intermédiaire de ses passions.

164
 Méandres de la Folie
, Folie homicide
« Étienne Lantier ressent une brusque folie du meurtre, un
besoin de goûter au sang... »
Émile Zola, Germinal
La folie meurtrière est un mal endémique souvent décrit
comme un legs héréditaire, bien que d’autres prétextent un
brusqueretour à l’animalité... Pourtant, les animaux ne tuent
jamais sous l’effet d’un accès de fureur. L’homme, si. Il lui suffit
parfois de perdre tout sens du jugement, tout ancrage dans la
réalité. Une « possession » s’empare alors de lui, et le pousse à
l’irréparable : c’est le syndrome de Caïn.
Le personnage entre dans une rage folle et engage le
combat avec un ennemi, une personne neutre, ou par défaut
avec l’un de ses camarades. Pour calmer cette folie, il faut
mettre le malade hors d’état de nuire.
, Hypocondrie
Le syndrome du malade imaginaire : le sujet pâtit d’une
sensibilité corporelle accrue. Sa peur se cristallise sur des
symptômes fantaisistes qui accentuent son angoisse.
Le héros perd 1D de potentiel physique pour toute la durée
de la scène. Dans sa version psychotique, l’hypocondrie est
plus grave car elle s’accompagne de délires du schéma corporel
(sensations d’amputations d’organes, impression de possession
par des animaux ou des diables). Le personnage gagne en plus
1 point d’angoisse et de névrose pour le reste du scénario. Il évite
le combat quand cela est possible.
, Hystérie
Une affection que les plus cyniques interprètent comme un
besoin d’attirer la sollicitude de son entourage. L’égocentrisme et
le besoin de reconnaissance semblent guider ces manifestations
théâtrales et corporelles spectaculaires qui se traduisent par
une agitation extrême, des contorsions et des convulsions, des
spasmes ou de simples crises de nerf (pleurs, gémissements,
syncopes). Un mal féminin par essence ? Pas tant que cela : un
patient sur dix s’avère être un homme en mal de virilité.
Le personnage entre en crise pendant le reste de la scène
et essaye, par son agitation, d’attirer l’attention sur lui. Une
hystérie mal interprétée se traduira par une perte de points de
développement.
, Idéalisme
Il n’est pas ici question des envols passionnés des grands
romantiques ayant façonné notre histoire ; il s’agit de la
tendance pathologique qui procède du délire, de la paranoïa.
L’idéaliste poursuit une chimère et se mue en réformateur
acharné, habité par un rêve de paix et de justice. Cependant,
son absence totale d’objectivité entraîne sa dangerosité : c’est
une voie royale vers le fanatisme.
L’idéalisme devient la passion secondaire du personnage.
Il doit avoir un objet précis (politique, social ou mystique).
165
, Sentiment d’infériorité
Une infériorité organique réelle, une déficience éducative ou
une frustration sociale peuvent conduire à un tel sentiment où le
sujet est convaincu d’une conspiration du destin contre lui.
Le personnage gardera un dé de moins que ce que ses
compétences lui permettraient en temps normal.
, Insomnie
Il ne s’agit pas d’avoir passé une simple nuit blanche, mais
d’un état constant dépassant la centaine d’heures de veille.
Au-delà de cette limite s’installent hallucinations, confusions
et mélancolies. L’anxiété, un rythme de vie effréné ou la
toxicomanie en sont les origines les plus communes.
Le personnage insomniaque ne peut récupérer ses points de
potentiel par le repos. Il subit de surcroît un des 3 états suscités
(hallucination, confusion, mélancolie) dès qu’il surpasse son
seuil de névrose.
, Maniaque (épisode)
Nous abordons ici une psychose aiguë. Le personnage
s’impose des règles et des rites des plus rigides qui entraînent
un comportement extravagant, une aptitude au tapage et au
scandale. Ce comportement s’avère souvent inefficace en
raison de la fuite des idées et de l’hyperactivité qui caractérisent
le maniaque. Un échec, un succès, un deuil, un conflit ou
le surmenage sont les causes possibles d’un épisode maniaque.
Le joueur doit interpréter cette folie pendant toute la
durée de la scène. Une perte de points d’expérience peut
sanctionner tout manquement. Si sa psychose est chronique,
elle se déclenchera à chaque échec sur un jet de passion.
, Mégalomanie
Une surestimation orgueilleuse de sa propre valeur, une
identification à des modèles héroïques, une mythomanie
renforcée par des hallucinations visuelles et auditives.
La dichotomie entre le mégalomane et le simple vaniteux est
donc abyssale.
Le héros recourra systématiquement au dépassement de
ses réussites par les passions, quitte à s’épuiser totalement. Son
potentiel social est, en outre, baissé de 1D.
, Mélancolie
« Ce sentiment funèbre, terrible, effrayant... espèce de spleen
qui me terrasse, qui engourdit toute mon imagination, un
certain deuil de l’âme qui écrase ma pensée, et je ne sais ce que
j’ai, ni comment ni pourquoi je suis ainsi. »
Fabre d’Églantine, Correspondance Amoureuse
Le spleen a changé de nature. De plaintive, la mélancolie
est devenue froide et raisonnée. D’abord sentimentale, elle
verse désormais dans la métaphysique. De passive, elle s’octroie
des relents d’agressivité. De grise, elle est devenue... noire. Elle
trouve un écho au creux des orages déchaînés, des tempêtes
effroyables, au bord des précipices, au milieu des déserts. C’est
un égarement qui aboutit à une vision déchiquetée du monde.
 Chapitre 5
Cet état hautement dépressif suspend les activités intellectuelles,
créatives et motrices. Le patient peut être prostré, le faciès
douloureux, le regard morne, la parole pénible, l’esprit vide,
avec la conviction de sa propre déchéance. Des images funèbres
l’envahissent, des terreurs sans nom l’assaillent.
Le personnage perd la moitié de ses potentiels physique,
mental et social (arrondir par excès) et ne peut garder qu’un dé
de compétence. La durée d’une mélancolie s’étend d’une scène à
un scénario entier selon la gravité de la psychose.
, Métamorphosie
Les mystiques la considèrent comme une bénédiction
quand elle propose une vision épurée de la réalité de notre
monde éclaté. Nous ne partageons pas cet avis, vu l’handicap
subi. Ce trouble oculaire déforme la vision du monde qui
entoure le patient. Les lignes droites apparaissent ondulées,
incurvées ou brisées, la taille est disproportionnée, ces troubles
compromettent une bonne appréciation des signes et des
visages qui constituent les repères du personnage.
Celui-ci perd 1D de mental. Il ne discerne plus les visages
et tout ce qui est écrit.
, Misanthropie
Cette haine du genre humain est la dernière turpitude que
peut embrasser un être asocial.
Le misanthrope ne peut garder qu’un dé sur ses compétences
sociales. Il ne peut avoir de passion basée sur le don de soi ou
l’amour. La misanthropie devient sa passion secondaire.
, Mutilation volontaire
« Je détruis donc je suis, je suis donc je détruis. »
Le Marquis de Sade
Un acte visant à supprimer une partie de son propre
corps, aussi étrange que puisse paraître cette pulsion. Elle est
rarement consciente et volontaire, et fait généralement suite à
une perte du sens des réalités ou à une absence de contrôle de
soi. Seules des personnalités perverses et masochistes peuvent
le perpétrer froidement.
Le personnage se blesse lui-même (avec une arme s’il en est
doté), la partie du corps visée étant déterminée aléatoirement.
, Mysticisme
Ce siècle est décrit comme une époque impie percluse
dans son incroyance, mais la présence des mystiques dément
cette idée courante. Le mystique donne à ses intuitions et à ses
croyances une valeur bien supérieure à celle de sa raison. Cette
façon de voir les choses aboutit généralement à un fanatisme
religieux donnant lieu à des extases hallucinatoires, des transes
et des délires de possessions.
La passion principale pour l’Absolu devient son trait
dominant. Le mysticisme est une affection chronique qui se
poursuit tout au long du scénario.
166
, Mythomanie
Le mythomane n’est pas un simple menteur compulsif.
Sa fabulation est permanente : la base de son mensonge est
volontaire mais, par la suite, il adhère à ses boniments et à sa
propre déformation de la réalité. Cela est d’autant plus facile
qu’il est souvent bon acteur, par conviction. Sa perversion est
telle qu’il peut faire croire au viol, à la conspiration par besoin
de nuire à autrui, ou se confine à une simple exaltation de
lui-même.
Le personnage invente un mensonge qu’il défendra bec
et ongles. Ce mensonge remplace sa passion secondaire. Son
potentiel social est augmenté de 1 et il peut garder 1D
supplémentaire quand il doit défendre son point de vue. Par
contre, quand il est confondu, il subit un état de « dépression »
qui s’étend sur toute la scène suivante.
, Négation (délire de)
Le personnage nie les réalités les plus évidentes, en
contradiction avec la logique la plus élémentaire. Croire en
l’absence de ses organes, en l’inexistence du monde, à sa mort
ou à son immortalité ne pose pas de problème pour lui.
Le joueur doit choisir le sujet de son délire de négation
et l’interpréter comme il se doit. Par exemple, un personnage
ayant acquis ce délire après une agression physique pourra
prétendre à l’immortalité, ce qui modifiera singulièrement son
approche des dangers à venir... Tout manquement se traduira
par une perte de points de développement.
, Obsession phobique
Cette idée parasitaire que l’on tente désespérément de
refouler assiège la raison sans lui donner le moindre répit.
L’obsession phobique porte sur un objet, sur un animal ou
une situation particulière (voir les phobies) et les symptômes
apparaissent même en l’absence de stimulus !
La phobie se déclenche une fois le seuil névrotique atteint.
Voir les règles sur la phobie.
, Obsession idéative
L’obsession porte sur un doute intellectuel, métaphysique,
des vérifications de données et d’informations intempestives
qui accaparent l’esprit.
Le potentiel mental du personnage obsédé baisse de 2D,
jusqu’à un minimum de 1.
, Onirisme
L’onirisme commence par une baisse de vigilance, un état
de confusion mentale aboutissant à un véritable rêve éveillé
fascinant, souvent peuplé de cauchemars affreux. L’onirisme
se manifeste en état de veille, contrairement aux simples
cauchemars.
Le personnage ne peut rien faire pendant cet état, et gagne
un point d’angoisse et de névrose.
 Méandres de la Folie

, Phobie
Cette crainte dépasse la simple angoisse puisqu’elle pré-
sente les mêmes symptômes qu’elle, mais cette fois en présence
d’un objet inoffensif. Il est préoccupant, pour un défenseur de
la loi impétueux, d’être tenu en respect par la plus misérable
des bestioles. Freud les distingue des obsessions et les associe à
un désir inconscient d’échouer. La phobie procède...
i D’une situation : les lieux clos, les espaces ouverts.
i D’un objet : les animaux, les objets tranchants.
i D’une impulsion : la peur de commettre un acte tel que se
défenestrer.
Le personnage phobique perd la moitié de ses potentiels en
présence de l’objet de sa peur. Il ne peut garder q’un seul dé, quel
que soit le niveau de sa compétence. Son angoisse et sa névrose
augmentent de 1 point.
, Pyromanie
Une impulsion irrépressible conduit le sujet à mettre le feu
quelque part pour y créer un incendie conséquent, avant de
rester en état de sidération. Peu lui importe que cet acte soit
dangereux ou contraire à la morale.
Le personnage tente par tous les moyens de provoquer un
incendie, quelles qu’en soient les conséquences morales ou pénales.
, Somnambulisme
Le personnage est capable d’accomplir des activités
mécaniques simples pendant son sommeil, tel que marcher,
s’alimenter, gesticuler sans en avoir le moindre souvenir au
réveil. On accuse maints hypnotiseurs de manipuler leurs
patients à l’aide de cette affection. La loi n’a toujours pas statué
sur la question.
Le personnage se « promène » pendant son sommeil, au gré
des fantaisies du MJ.
, Vol pathologique
La version névrotique de ce mal relève de la simple
cleptomanie, un désir irrépressible de voler sans en avoir la
nécessité, le besoin matériel.
Le sujet doit voler un objet présent dans la scène, si
possible le plus convoité, en étant conscient des éventuelles
conséquences pénales.
Dans sa version psychotique, le vol peut s’appliquer aux
propres alliés du PJ, même si le joueur doit pour cela mettre en
péril son personnage et le succès de la mission.

, Railway Spine Gérer les états psychologiques

« Le passage trop rapide d’un climat à un autre produira
sur les voies respiratoires un effet mortel. Le mouvement de
trépidation suscitera des maladies nerveuses, tandis que la
rapide succession des images entraînera des inflammations
de la rétine. La poussière et la fumée occasionneront des
bronchites. Enfin, l’anxiété des périls tiendra les voyageurs dans
une perpétuelle alerte et sera le début d’affections cérébrales.
Pour une femme enceinte, tout voyage en chemin de fer
entraînera une fausse couche. »
Déclaration des membres de l’Académie
de Médecine de Lyon (1835)
Décrite par Freud, cette affection typique des temps
modernes provoque une peur inhérente aux voyages en train et
aux accidents qu’ils provoquent.
Le personnage affecté gagnera un point de névrose par
heure de trajet. De plus, s’il subit un accident, sa peur sera
renforcée et le gain futur sera doublé, ce qui peut déclencher
une avalanche de points de névrose et donc de psychose.
Pour se faciliter la tâche, le MJ peut limiter
l’impact de ces folies. Il est important de se fixer ses
propres limites, afin d’éviter de se laisser submerger
par le nombre d’informations à gérer. Voici quelques
conseils pour cela :
Les états psychologiques sont immédiats (ils durent
une scène), et ne sont pas destinés à se prolonger par
leur chronicité ou leur intermittence.
Le nombre d’états psychologiques possibles par
personnage est réduit à 1, une folie en chassant
une autre (conserver celle qui semble avoir le plus
d’impact et d’intérêt dans le jeu).
Le nombre cumulé d’états psychologiques et de
soupapes psychotiques ne peut excéder 2. Le MJ
doit alors faire le tri. De même, la passion secondaire
devient unique.

, Revendication (délire de)

Ce type de délire concerne une exigence de justice basée
sur un postulat faux, mais érigé en conviction absolue. Les
arguments du sujet sont flous et incohérents, mais partagés
ils peuvent aboutir à des psychoses collectives. Cette affection
semble être l’apanage des paranoïaques.
Le personnage choisit le sujet de sa revendication, qui
devient sa passion secondaire. Il gagne 1D de potentiel social
quand il la défend, et ne peut en aucun cas être convaincu du
contraire.

167
 Chapitre 5
L’homme monstrueux
Le laboratoire des horreurs
Un praticien bien affairé
Je m’apprêtais à pénétrer dans la morgue du médecin
légiste. Après la torture des âmes suivait le supplice des
corps... Je ressentis l’inquiétante impression d’être plongé
dans La Divine Comédie de Dante, coincé dans l’espace
transitoire des cercles infernaux, témoin impuissant d’une
procession de damnés avançant placidement vers leur destin.
Cette sensation de perdition me fit perdre toute contenance.
J’ouvris à la volée une porte sur laquelle était placardé
« cabinet du légiste ». Mon apparition fortuite provoqua la
stupeur chez l’unique occupant de la pièce...
L’homme parut interloqué. Son expression trahissait
autant la surprise du praticien zélé dérangé dans son intense
concentration que le savant fou surpris par la police en pleine
séance d’expérimentations sordides. L’instant m’évoqua ces
moments de sidération où la course du temps semblait abolie ;
cette parenthèse me permit d’appréhender le personnage.
Son visage était encadré par une crinière flamboyante jetée
en arrière, et de généreux favoris en accentuaient le caractère
léonin. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front,
dont l’abondance trahissait soit l’application, soit la surprise,
ou bien le stress auquel il était soumis. La transpiration
termina sa course sur un tablier maculé de sang, barrière
dérisoire contre les hémorragies qui avaient entaché le reste
de ses vêtements. Un réflexe de défense l’avait amené à
porter sa main gauche devant lui, les doigts écartés, prêts
à laisser échapper la paire de ciseaux la plus étrange qu’il
m’ait été donné de contempler... Sorti du contexte, j’aurais
immédiatement interpellé cet homme pour son parfait profil
du suspect que l’on arrête sur-le-champ, sans se poser de
questions, quitte à découvrir ses motifs plus tard.
Un attirail d’un autre temps
Mes yeux balayèrent le reste de la pièce pour y
découvrir un bureau recouvert de planches anatomiques
parcheminées, des bocaux divers aux contenus inconnus,
des ouvrages tirés d’une bibliothèque d’Alexandrie et,
sur des étagères branlantes, des substances visqueuses qui
baignaient dans des bassines de formol dont je préférai
ignorer la présence. Il fut le premier à reprendre ses esprits,
finalement guère surpris par l’intrusion d’un visiteur de
l’Aliéniste. Il m’avoua ensuite les reconnaître facilement à
leur mine passablement éprouvée...
Cet endroit où je venais échouer n’avait rien d’un havre
de paix. Le Légiste travaillait devant une table de dissection
sur laquelle reposait un sujet : le voile pudique posé sur le
corps ne laissait rien transparaître de l’horreur qui siégeait
ici...
168
L’homme-animal
« Il ne reste donc qu’à se fabriquer sa vision, s’imaginer
avec soi-même des créatures d’un autre temps, s’incarner en
elles, endosser, si l’on peut, l’apparence de leur défroque, se
forger enfin, avec des détails adroitement triés, de fallacieux
ensembles. »
KJ Huysmans
Horridum spectaculum
— Hum... Oui, je m’attendais à votre venue. Votre collègue
Gueslin m’a prévenu... Il s’est absenté, quelque peu indisposé
par mes premiers coups de scalpel. Je suppose que mon éminent
collègue a conclu à la folie louvière, n’est-il pas ?
— La folie louvière ?
— Oui, l’indic’ a été mordu, d’après ce qu’a dit Gueslin.
Une autre victime moins chanceuse du même assaillant se
trouve ici.
Il me désigna, sur sa table de dissection, le corps
recouvert d’une toile cirée.
— Celui qui les a mordus doit être frappé de folie
louvière, ou de lycanthropie si vous préférez.
— Quoi ? Ce n’était pas un chien ? Vous parlez bien
d’un loup-garou ?
En guise de réponse, il enleva la toile cirée. La découverte
du cadavre fut l’une des expériences les plus éprouvantes de
mon existence. Rien ne m’avait préparé à contempler ces
restes mutilés, cette bouillie informe qui remplaçait ce qui
fut jadis un bras gauche. Les membres inférieurs étaient
dissymétriques ; un énorme kyste déformait le bras droit.
Une ligne sinueuse parcourait un tronc brisé comme un
pantin désarticulé, comme si l’attaquant avait entrepris de
disséquer sa victime. Et ces orbites évidées dans lesquelles se
perdit mon regard... Je m’interrogeai sur l’effroyable destin
connu par l’abomination qu’avait dû être cet homme. Rien
à voir avec les morsures de l’indic’ qui, en comparaison,
semblait avoir été mordillé par un chiot !
Cette caricature abominable, bien éloignée des défunts
paisiblement endormis qu’on exposait aux enterrements, me
plongea dans un état de frayeur inédit. Je ne pus réprimer
un cri d’effroi aussi bref que strident ; je tenais fermement
mon ventre, que je crus un instant retourné par une force
mystérieuse. La chair de poule m’envahit complètement ;
je crus voir s’expulser sur-le-champ mon cœur qui, battant
la chamade, tentait de se frayer un chemin hors de mon
poitrail. D’aucuns prétendent que la peur peut être un objet
de convoitise, la valeur de l’existence ne pouvant se mesurer
pleinement que lorsqu’on risque de la perdre. Mes vertiges
m’affirmaient le contraire, bien incapable que j’étais de
trouver le moindre avantage à cette épouvante totalement
incontrôlée.
Le Légiste vint me soutenir, s’excusant du regard. Il me
rassura en m’avouant que la réaction de Gueslin avait été plus
violente encore. Son expression sereine me laissait entendre
que l’expérience le préservait du dégoût, que la dissection,
 Méandres de la Folie
cet horridum spectaculum, nécessitait l’insensibilité acquise
d’un médecin. L’accoutumance était le seul moyen de
pourfendre les idées reçues, d’aller au-delà des élans naturels
qui semblent protéger l’esprit de la plus horrible mais de la
plus implacable des vérités.
— Oui, un loup-garou. Mais n’allez pas imaginer une
boule de poils ambulante ! La lycanthropie est une maladie
mentale entraînant de grandes résonances sur le corps. C’est
un état mélancolique particulier qui engendre de brusques
excès de colère, assortis de morsures aggravées permises par
un déboîtement partiel de la mâchoire. L’homme est un
loup pour l’homme, n’est ce pas ? Comme on disait avant :
l’homme étant un animal divin et politique, par contraste
le lycanthrope est un animal sauvage, ombrageux, solitaire,
ennemi du soleil et donc du roi, lui-même l’image de Dieu.
Un danger mortel pour la société.
— Excusez du peu. Je viens d’apprendre que les
folies sont une conséquence des humeurs – liquides ou
psychiques ? – du corps, et vous voulez me faire croire
que des hommes mutent en loups pour expliquer l’état de
ce cadavre probablement attaqué par des chiens errants ?
Seriez-vous un patient de votre collègue ?
Le Légiste enfonça les ciseaux dans le bras du cadavre. Il en
ressortit un morceau de dent qu’il me tendit, triomphant.
— Des chiens bien abâtardis, vu leurs atouts.
Il s’agissait d’une canine humaine.
Darwin à rebours ?
Il me fallait admettre mon erreur, mais je lui demandai
tout de même pourquoi ses théories s’avéraient si décalées
par rapport au credo scientifique vulgarisé par l’école.
— Avez-vous déjà visité un musée d’histoire naturelle ?
J’ai travaillé un temps dans celui de La Plata, en Argentine. La
description que je vais en faire va répondre à votre question.
Les collections y sont aménagées sur trois niveaux. Au rez-de-
chaussée vous avez la nature, avec les bustes de Buffon, Cuvier,
Darwin, Lamarck et d’Orbigny, les grands savants qui ont
su classer méthodiquement les espèces et déterminer les lois
de l’évolution. Si ma bibliothèque était rangée avec la même
minutie que les espèces conservées, je gagnerais un temps
précieux : on y retrace la longue histoire raisonnée des êtres
organisés dont nous faisons partie.
J’hasardai un coup d’œil sur sa bibliothèque. Cet
éparpillement de traités, de feuillets arrachés, de tranches de
livres égarées me donna une idée sur ses lectures de chevet.
— L’histoire de l’homme est le chef-d’œuvre des activités
complémentaires de la nature et de la culture. Le premier
étage est consacré aux rapports entretenus par l’homme
avec la nature : momies précolombiennes, dents incisées,
tatouages, crânes déformés... En dépassant cet étage, on arrive
au capharnaüm du troisième niveau consacré aux cultures,
qui contraste avec le soubassement majestueux de la nature.
Une vraie Tour de Babel ! Parmi mes collègues il existait une
opposition entre les gardiens du rez-de-chaussée, scientifiques
cartésiens, et les saltimbanques du dessus aux méthodes
discutables et aux raisonnements alambiqués. Le premier
169
L’aliéniste et son asile dans Crimes
MJ pointilleux, vous avez déjà bénéficié d’un
premier cours sur le sujet dans le chapitre 4, dans la
rubrique concernant les théories criminelles. C’est ici
l’occasion d’approfondir le sujet...
L’aliéniste consacre tout son temps à fonder, diriger
ou réformer l’asile d’aliénés où il officie. Il y a souvent
élu domicile afin d’observer ses patients reclus dans
des cellules. Ces asiles ont été créés à la suite d’une
loi de 1838 visant à améliorer la dignité des patients,
jusqu’alors consignés dans des prisons sordides et exhibés
comme des curiosités par des geôliers peu scrupuleux.
L’asile retrouve son premier sens de lieu sécurisant,
et plus seulement d’enfermement. On s’y adonne à des
actes de chirurgie cérébrale, la plupart des théories en
vigueur avant Freud étant purement anatomiques. Le
premier bénéfice de ces pratiques fut de prouver qu’on
pouvait converser avec un « fou » avec une méthode
douce basée sur le dialogue. Mais on ne perd pas de
vue les liens entre désordres nerveux et neurologie pour
autant...
étage était désert, comme si les visiteurs se sentaient gênés par
cette proximité entre l’homme et la nature, entre l’arbre et sa
racine. On commençait pourtant à accepter que l’humanité
descende du singe, mais l’anthropocentrisme reléguait
ces preuves des liens homme-nature au rang de vulgaires
bizarreries. Je suis pourtant certain de l’intérêt de leur étude.
Nous avons conservé un côté animal complètement ignorant
des règles élémentaires de la morale. Beaucoup ont cherché à
domestiquer cette nature primaire, voire même à l’extraire : un
certain docteur Jekyll s’en est mordu les doigts en Angleterre !
L’expérience échoua, et il devint un néanderthalien simiesque
bien éloigné des conventions victoriennes si guindées. Les
animaux n’ont pas de conscience, pas d’attaches morales.
Ils sont A-MO-RAUX.
Je connaissais l’histoire du docteur Jekyll pour en avoir
vaguement entendu parler, mais j’avais toujours cru qu’il
s’agissait là d’un simple roman pour enfants.
— Notre corps a conservé cette empreinte animale.
Certains patients, influencés par leur concupiscence, étaient
dégoûtés par la peau diaphane des femmes dont le parfum
subtil empruntait pour eux les relents d’une odeur putride
qui les faisait fuir. Certains criminels cannibales furent
facilement neutralisés, après leurs repas anthropophages,
car ils avaient sombré dans un profond sommeil comme les
fauves de la lointaine Afrique.
— Ce qui me préoccupe le plus, c’est que vous
sous-entendez qu’il n’y a pas quelques monstres isolés, mais
que c’est toute l’espèce humaine qui pourrait être concernée
à cause de cette lointaine hérédité animale. Je ne me trompe
pas (fasse le ciel que si) ?
 Chapitre 5

— Le livre de chevet de Darwin s’intitulait Traité Il reprit sa paire de ciseaux et redressa ses planches
Philosophique et Physiologique de l’Hérédité Naturelle, Prosper anatomiques. La boucherie allait bientôt commencer, le
Lucas l’avait rédigé. Sa théorie de l’évolution a forcément été temps pour moi de consulter l’ouvrage prêté par Carter.
influencée par l’hérédité animale chez l’homme. Des feuillets manuscrits s’en échappèrent ; je les ramassai
Il me désigna un ouvrage de son étagère, puis s’en saisit à la hâte pour découvrir qu’il s’agissait de nouvelles fiches
pour me le tendre. signalétiques de suspects. J’aurai tout le temps de les
— J’en ai deux exemplaires, celui-là me vient de Carter. consulter plus tard.
Ça concerne l’hérédité psychologique et morbide. Il parle Un passage manuscrit, présent sur la couverture, attira
des maladies de parentèle, les rosema syngenikon qui se cependant mon attention : « L’homme est une créature
transmettent de père en fils. J’ai soigné un patient atteint intermédiaire parmi les animaux, c’est-à-dire : il représente la
de troubles pulmonaires, et j’ai découvert que son père avait forme la plus répandue, celle dans laquelle tous les caractères
servi dans l’armée de Crimée où l’on avait expérimenté des de toutes les espèces qui sont autour de lui se rassemblent dans
attaques au gaz. Nous avons tous une hérédité morbide que l’organisation la plus fine. A partir de l’air et de l’eau je vois
nous traînons depuis l’aube de l’humanité... pour ainsi dire les animaux issus des hautes sphères et des
— Vous connaissiez bien l’agent Carter, n’est ce pas ? profondeurs converger vers l’homme et s’approcher pas à pas de
— Fort bien. Un individu très instruit, il va me sa forme. Réjouis-toi de ton état, ô homme, et étudie-toi, ô noble
manquer. créature intermédiaire, dans tout ce qui vit à l’entour de toi. »
— Vous manquer ? Pourquoi ?
— Hé bien... Si Carter n’est pas lui-même le lycanthrope
responsable de ça (il me montra de nouveau le cadavre), je
ne donne pas cher de sa peau. Les déments atteints de folie
louvière sont connus pour leurs penchants homicides.
J’étais toujours aussi déboussolé. Je ne regarderai plus
jamais mon chat de la même façon... La mention de Carter
fut mon seul point d’ancrage dans ce tourbillon de paroles. Il
semblait très proche du Légiste. Ce cadavre était sans doute
la clé de mon enquête...
— Voilà ce que vous devez retenir : avant, on pensait
qu’une génération n’était que la reproduction de la
précédente. En fait, l’hérédité est une évolution dans le
temps, affranchie d’une simple duplication cyclique, avec
son lot grandissant de mutations. Mes collègues chapotés
par la bourgeoisie travaillent sur l’eugénisme, cette science
des bonnes naissances qui permettrait de leur assurer une
progéniture sans tache. Il vont même jusqu’à fouiller les
antécédents des nourrices de leurs enfants pour diminuer les
risques de contagion par leur lait. Mais l’hérédité n’explique
pas tout.
Je l’interrogeai sur les raisons de ce doute.
— L’homme est le produit d’une hérédité physiologique,
mais aussi historique. Les conditions de son existence, le souffle
des évènements qui ont alimenté ses passions déterminent
sa nature profonde. Nous sommes tous la progéniture
monstrueuse enfantée par les déferlantes révolutionnaires
de 1789, 1830 et 1848... Naissent aujourd’hui ceux de
la Commune... Les guerres et les tragédies de l’histoire
sont souvent les déclencheurs des mutations profondes de
l’humanité. D’où venez-vous, et quel âge avez-vous ?
— De Saint-Étienne. J’ai vingt trois ans.
— Bon. Le climat de la Loire et vos ancêtres bien bâtis,
peut-être mineurs, expliquent en partie votre constitution
robuste. Cependant, rien de cela n’a présidé à vos choix.
Un bon anatomiste allie le geste à la parole : l’œil est la
porte de l’esprit ! Je vais vous démontrer le bien fondé de
mes théories.

170
 Méandres de la Folie

La déchéance
« J’ai beaucoup de mal à cacher mon nouvel état. Ces Nature et dévoilement de la déchéance
mutations, aussi douloureuses que séduisantes, sont un secret
Crimes joue sur le registre de l’horreur gothique
trop lourd à porter. Il ne me reste guère que la plume comme
(monstres légendaires), psychologique (les folies) et
chance de salut, seule catharsis capable de m’éloigner du seuil médicale (voir l’ensemble de ce chapitre). L’horreur
de mon Apocalypse. Je sais que mon lecteur, absorbé par une naît de la décadence propre à notre époque : elle est
oeuvre sûrement bientôt posthume, comprendra difficilement perceptible par la corruption des mœurs, l’explosion des
cette transition progressive d’une écriture aux préoccupations crimes, la dégénérescence des corps et la recrudescence
administratives vers des réflexions plus mystiques. Pourtant je des mystères et des évènements occultes.
serai le héraut, auprès de lui, d’une nouvelle réalité. J’espère être
Le MJ est tout à fait libre de ne pas divulguer,
l’intercesseur, le guide capable de dévoiler, de matérialiser ses
ni même de choisir une explication rationnelle ou
visions et ses rêves. » surnaturelle à cette déchéance. En effet : les points
de vue du médecin, du sociologue, du criminologue
Craig Carter, notes personnelles et de l’occultiste seront bien divergentes, mais toutes
recèleront des parcelles de vérité.
— Le moment est venu de déterminer si ce pauvre hère
Si le MJ le souhaite malgré tout, nos encadrés
est la vilaine bête que nous recherchons. J’aurais bien réalisé
lui fourniront des pistes de réflexion (qui resteront
l’examen extérieur a capite ad calcem, mais impossible de seulement des pistes). Si nous connaissions nous-mêmes
mettre la main sur cette maudite scie... la nature de la déchéance, nous l’aurions sans nul doute
Son ton s’était fait plus intime, plus confident. Je sentis proscrite depuis longtemps...
alors une partie de mes forces quitter mes jambes, tout en
me demandant si je faisais bien d’assister à cette
autopsie.
— D’après la forte odeur d’absinthe et d’alcool
que dégage ce bougre, il est probable qu’il serait de
toute façon mort d’une congestion cérébrale. Bon,
commençons par le cou. Je vais réaliser une incision
longitudinale sur la ligne médiane du milieu de
la lèvre inférieure au pubis, en passant à gauche
de l’ombilic. Les téguments disséqués formeront
ensuite deux lambeaux latéraux.
Le légiste se saisit d’un scalpel. Sa lame émit
un bref éclat avant de pénétrer sans effort dans le
ventre du cadavre. On aurait pu croire qu’il traçait
une fente au crayon sur la peau délicate. Le rouge
de la chair apparaissait progressivement sous la
progression du scalpel.
— Je devrais pouvoir diviser le maxillaire
inférieur avec cette paire de pinces.
Un craquement d’os brisé résonna.
— Rien d’anormal au niveau de la bouche, ni
du pharynx. La mandibule est tout à fait commune,
rien à voir avec la mâchoire d’un lycanthrope.
Passons au cou. Je réalise deux incisions parallèles,
perpendiculaires à l’incision médiane, l’une à un
centimètre au-dessous du rebord du maxillaire
inférieur, l’autre à la même distance de la clavicule.
Deux lambeaux quadrilatères sont ainsi rabattus et
permettent d’explorer la région du cou, le larynx, l’os
hyoïde et les vaisseaux et nerfs afférents. L’examen
se termine par la section de la membrane thyro-
hyoïdienne. On n’ouvrira le larynx et la trachée que
plus tard, en même temps que les bronches.
Il s’arrêta à mi-chemin. Je portai la main à ma
gorge, partageant par empathie la torture infligée
au cadavre.

171
 Chapitre 5
— C’est étrange. Un orifice a été pratiqué pour
communiquer avec l’œsophage. C’est parfois ce que l’on fait
pour injecter des substances directement dans le tube digestif
sans passer par la bouche, dit-il d’un air dubitatif.
— Passons au thorax. Vous allez pouvoir m’aider.
Je craignis le pire. Il était hors de question que je mette
les mains dans cet amas de viande.
— Je peux désarticuler la clavicule et couper le cartilage
des côtes pour ménager les gros vaisseaux situés derrière
la clavicule, et ainsi éviter un épanchement de sang qui
changerait l’aspect des organes. Je peux aussi scier les côtes
à partir de la seconde, puis diviser transversalement le
sternum par un trait de scie entre la première et la seconde
côte. Comme ça, je pourrai enlever le fragment supérieur
du sternum. Le diaphragme et les muscles abdominaux
resteront intacts, pour éviter tout communication entre les
deux cavités.
Il attendit ma réponse, sans résultat. Il me sourit alors :
— Sans la scie, il ne me reste que la première méthode.
Tout en me récitant un cours d’anatomie, il opéra et
dégagea progressivement la cage thoracique à grands coups
de ciseaux.
— L’examen de la plèvre ne montre rien, pas d’adhérence
et rien de particulier dans la cavité pleurale. Je vais différer
l’autopsie du coeur, compte tenu de l’heure probablement
très tardive du décès. Je réaliserai toutefois l’essai par l’eau,
on en apprendra peut-être davantage sur son état avant et
pendant la mise à mort.
— Qu’est-ce que cet essai par l’eau ? me hasardai-je.
— C’est un procédé simple qui permet de constater
l’occlusion ou l’insuffisance des valves artérielles. Je sais
que cet examen vous paraît inutile pour un homme attaqué
par une bête, mais tout renseignement sur ses antécédents
médicaux est bon à prendre.
Il saisit une masse sanguinolente dans sa main gauche,
la tira vers le haut et pratiqua trois ou quatre incisions.
L’organe se détacha et il le déposa sur un des plateaux afin
de le peser. Il l’examina brièvement, puis le mit de côté et
poursuivit ses opérations.
— Passons maintenant à l’examen de la trachée et des
poumons. Pas de mucosité ni de corps étranger, aucune
trace d’ecchymose, mais regardez cette écume rougeâtre et
cette hyperhémie des poumons : ce sont là tous les signes
d’une congestion pulmonaire. C’est caractéristique d’une
intoxication massive par l’alcool.
— Mais vous parliez tout à l’heure de congestion
cérébrale ?
— Les deux peuvent coexister, le mal reste le même. J’en
saurai plus tout à l’heure lors de l’examen du cerveau.
Il sortit le tout ; l’odeur de l’absinthe se fit plus forte.
— L’alcool a la particularité d’atteindre tous les
organes et en particulier les poumons, ce qui explique
l’haleine chargée des ivrognes, me confia-t-il avec un
petit sourire.
— Je vais maintenant procéder à l’ouverture de l’ab-
domen ; je dois vous prévenir que l’odeur risque d’être
davantage prenante.
172
Il traça deux fentes de part et d’autre du nombril, à la
manière d’une croix renversée.
— Ces deux incisions se croisant à l’ombilic forment
deux lambeaux, l’un intérieur et l’autre supérieur, ce qui
me permet d’examiner la cavité péritonéale et l’extérieur des
organes digestifs.
J’aurais cru rendre tout ce que j’avais pu ingérer dans
le caboulot, mais je me prenais au jeu de cette enquête
sanguinolente. La perspective de trouver le Graal qui me
raccorderait à Carter prit momentanément le dessus sur
mes appréhensions. Une fois l’incision terminée, il écarta à
pleines mains les chairs pour se frayer un chemin jusqu’aux
entrailles.
— Je sectionne l’épiploon gastro-colique. Voyez les deux
faces de l’estomac et le duodénum (il prit un fil tout en
continuant) : je vais faire la ligature de l’estomac au cardia
et au-dessous du pylore, afin de maintenir prisonnier son
contenu.
Il extrait la masse gluante et verdâtre des boyaux, qu’il
déposa dans un récipient métallique relié à une balance.
Bien que placé assez loin de la scène, l’odeur me parvint et
provoqua un haut-le-coeur difficile à contenir. Je tentai de
respirer par la bouche, mais l’idée d’ingérer les miasmes de
ces organes putréfiés n’était pas des plus réjouissantes.
Le Légiste ouvrit l’estomac et répandit son contenu dans
un bocal. L’odeur atteignit son paroxysme quand un liquide
gluant aux reflets verdâtres en sortit. Le médecin lui-même
eut un geste de recul, et je ne pus réprimer ma nausée.
— Comme c’est étrange... Il a dans l’estomac une subs-
tance noire, de la consistance du goudron. Ça me rappelle de
vieux remèdes d’apothicaire. Curieux pansement gastrique !
Il en sortit une masse spongieuse qui tirait sur le
bordeaux sale. C’était un foie, rachitique et gangrené par
l’alcool, qu’il trancha comme une miche de pain.
— Les organes sont toujours inspectés avec minutie :
tout est important pour comprendre les effets des maladies,
aussi bien leur aspect extérieur que leur organisation interne,
m’expliqua-t-il. Je vous ferai grâce de l’examen du tube
digestif, il doit être fendu dans toute sa longueur et son
odeur n’est pas des plus... agréables.
Je remerciai les dieux en mon fort intérieur.
— De toute évidence, la cause de sa mort doit être reliée
à cette ingestion massive d’absinthe. Ceci explique la folie
ébrieuse qui l’a conduit à réaliser ces actes dignes des pires
primitifs. Le potus immoderatus qui a suivi, bien que dans ce
cas un delirium tremens soit un terme plus approprié, doit
être la source de sa conduite démente. Dès que j’aurai remis
la main sur cette scie, je procéderai à l’extraction du cerveau
qui doit avoir subi des dommages visibles. Je serais curieux
de savoir si un extrait de sa substance blanche injectée chez
un animal est capable de provoquer les mêmes troubles, à la
manière de la rage...
— Je dois conclure que cet homme est un alcoolique
lâché contre Carter et son indic’, c’est bien ça ?
— Certains chefs de bande mal équilibrés droguent
littéralement leurs hommes de main. C’est ainsi qu’ils
les fidélisent et qu’ils lèvent leurs inhibitions. Par contre,
 Méandres de la Folie
Explication de la déchéance
par la physiognomonie
La physiognomonie est la science liant l’apparence extérieure
à l’intérieur des êtres humains, leurs caractères physiques à leurs
propriétés mentales. Elle donne une explication « scientifique » aux
mutations physiologiques entraînées par les folies et les déchéances.
Concrètement : on étudie les formes du crâne grâce aux
techniques de l’anthropométrie afin de définir une « ligne
d’animalité ». On fait ensuite coïncider le sujet avec les caractères
de l’animal dont ses caractéristiques se rapprochent le plus.
La physiognomonie joue surtout sur les stéréotypes.
L’individu « mouton » est stupide et simple d’esprit,
l’individu « bœuf » aimable et pacifique.
L’individu « sanglier » féroce et obstiné (on peut en
voir l’illustration dans certaines caricatures d’hommes
politiques). Dans l’optique du jeu, ces théories fantaisistes
sont tout à fait recevables !
Le MJ peut traiter la physiognomonie comme une compétence
mentale d’intrigues qui permet, en cas de réussite, de déterminer si
le sujet possède une déchéance et d’établir sa passion principale. Plus
le succès est important et plus les renseignements seront détaillés.
Livre de chevet : Johann Kaspar Lavater, L’Art de Connaître les
Hommes par la Physionomie (1820).
vu l’état de ce malheureux, il aurait dû mourir depuis
longtemps... Je vais analyser son sang et ce goudron qui
explique peut-être sa formidable résistance. Je crois que vous
pouvez prendre un peu l’air, nous en avons terminé et je vous
trouve un peu pâle, me lança-t-il avec un sourire en coin.
Je marmonnai quelques formules toutes faites : « Ce fut
un plaisir de vous assister, tout cela s’est révélé très instructif... » ;
mais dès qu’il eut refermé la porte derrière moi, je me
précipitai vers le récipient le plus proche pour y déverser
le contenu de mon estomac en quelques spasmes violents
et incoercibles. Une fois remis sur pied à l’aide d’un peu
d’eau froide et de quelques tapes vigoureuses assénées à mes
joues, je repris sans plus attendre le cours de mon enquête
en sortant de mon sac les fiches de Carter. J’appréhendais
déjà l’heure de mon prochain repas... En m’éloignant, je
sursautai au cri de victoire échappé de la salle d’autopsie :
le Légiste avait retrouvé sa scie.
Enfin au calme...
Le décor illustrait parfaitement l’esprit malade de Peter
Affener : ces bocaux renfermaient des aberrations de la
nature. Je vis un couple de bébés siamois dont la tentative de
séparation avait mal tourné, tous deux plongés dans un bain
de formol. A ses côtés trônait le crâne d’un homme cornu... Je
le manipulai avec soin : s’il s’agissait du fruit d’un assemblage,
il s’avérait si astucieux que le trucage demeurait imperceptible.
Je me rappelai des exhumations de ces géants en Pennsylvanie,
dans les années 1880, un souvenir de presse qui avait marqué
ma jeunesse. Mon regard s’arrêta sur les esquisses d’un curieux
homme-éléphant, sans doute en rapport avec celui qui venait
de défrayer la chronique londonienne... Mon pied buta sur
une mallette de chirurgien. Décidément, le Légiste n’en
finissait pas de laisser traîner ses affaires.
173
Explication de la déchéance
par les théories occultes
Selon la phrénologie, chaque partie du cerveau recèle des
facultés primitives de l’homme qui peuvent se développer. Ainsi,
les « bosses du crime » dénoncent une propension à la délinquance
chez ceux qui les possèdent. Une partie atrophiée signifie le déclin
de cette faculté, comme l’affaiblissement intellectuel chez les
alcooliques. La folie louvière évoquée dans le roman fait subir une
pression telle que le crâne, mais aussi la physiologie entière du
malade subit des altérations pendant la crise.
Il est cependant possible de développer ces parties cervicales.
Un Mozart avait ainsi la partie « musicale » de son cerveau
hypertrophiée. Ce développement se fait par un hasard de l’hérédité
ou par l’influence occulte d’un esprit, d’un génie particulier.
Ces influences expliquent le fait que les occultistes de Crimes
puissent accroître leurs facultés au-delà de la normale grâce à
l’intervention de forces invisibles. L’hérédité explique aussi certaines
malformations congénitales qui altèrent les capacités physiques et
mentales du sujet.
Je m’accordai un repos tout relatif parmi ces horreurs en
me posant entre les bras accueillants d’un fauteuil muni d’une
tablette amovible. Ma posture me faisait sûrement ressembler
à ces bourgeois éreintés par le dîner dominical, passée la
quatrième entrée et avant le plat principal, au moment où ils
venaient de se faire vomir afin de ne pas louper une miette de
la suite du repas.
Je ressentais une indigestion manifeste, et plus grave
encore : mon cerveau menaçait d’imploser. Je laissai mon
esprit vagabonder afin de soulager ma peine et de ne garder
aucune séquelle de l’évènement. L’homme est un animal
sous un vernis de civilisation craquelant... Les mouvements
de l’âme modifient la physiologie du corps... Les monstres
ne sont pas des personnages de contes de fées mais des êtres
déviant de la norme humaine... L’histoire n’est pas un simple
souffle que l’on devine passer abrité derrière une fenêtre, c’est
une tempête que l’on prend en pleine face... L’humanité n’est
pas en majesté mais en convulsion, en proie à la déchéance...
Tels étaient les verbes légués par ces deux médecins, des
messies qui auscultaient, chacun à leur manière, les tréfonds
cachés de la nature humaine...
Je me retrouvais confronté à mon univers : un monde
changeant, tournoyant... Tout cela m’incitait à me retourner
vers mon passé et à regarder ma destinée en face. Et ce
Carter qui avait disparu, détenteur de secrets interdits...
La curiosité était le moteur de mon existence, c’est sans doute
ce qui me poussa à continuer l’investigation malgré tout.
Je résolus de lire les dossiers laissés par Carter dans le livre
du Légiste. Je retrouvai la même écriture, le même papier, le
même cauchemar que dans ses notes. Il m’invitait à prendre
connaissance du monde d’en bas, de ces arcanes cachées
qui régissaient les lois d’un univers en perdition. Sa galerie
de suspects n’était qu’un ramassis de monstres tous plus
repoussants les uns que les autres.
 Chapitre 5
Miracles de la déchéance
Introduction
« Tout à coup mes idées changèrent : je sentis en moi le plus
formidable mélange de malignité, de désespoir et de puissance.
Des éclairs semblaient partir de mes yeux pendant que je
réfléchissais. Je pouvais en un instant faire changer de place les
sacrificateurs et la victime. »
Mathurin, Melmoth
Voici les descriptions de quelques types de déchéances,
suivant les concepts que nous avons définis. Cette liste fait la
distinction entre la déchéance spirituelle, la dégénérescence
physique, les visions extralucides et la corruption du destin.
Ne confondez pas déchéance et pouvoir occulte : la première
est subie, le second est voulu. De plus, le pouvoir occulte
reste ponctuel quand la déchéance est un état permanent...
et souvent irrémédiable.
Déchéances spirituelles
Crainte des objets spirituels
« L’ésotérisme, voilé et inécouté en temps normal, apparaît
aux ères inquiètes avec une puissance supérieure et y exerce sur
les âmes un attrait et une fascination. »
K.J. Huysmans, Là-bas (1891)
Gérer les déchéances
Les déchéances ne sont pas conçues comme
des avantages destinés à rendre un personnage plus
puissant. Certes, il s’affranchit grâce à elles de la
simple condition humaine, mais il y a un prix à payer :
chacune de ces tares porte les germes d’une malédiction
qu’il devra subir et assumer. Considérez-les comme des
ressorts dramatiques plus que des bonus ou des malus
pour les dés.
Un personnage ne devrait, idéalement, pas avoir
plus de deux déchéances, afin que le MJ puisse la gérer
au mieux. A ce titre, les déchéances frappant les PJ sont
réservées aux MJ aguerris ayant déjà dominé les autres
aspects de Crimes.
174
2 Description
Se déclenche à la suite d’une expérience spirituelle qui
tourne mal, d’une malédiction ou d’un anathème religieux.
Ne peut porter que sur une croyance déterminée (le
catholicisme est le choix le plus commun).
2 Pouvoir
Le personnage est moins sensible aux phénomènes
surnaturels qui ne concernent pas la religion à l’origine de
sa hantise. Son angoisse est alors ramenée à 0 pour les tests
psychotiques.
2 Contrepartie
Par simple contact visuel avec l’objet honni (une croix,
un autre symbole religieux), le personnage gagne un point
d’angoisse. Si le personnage est en contact avec l’objet, il
doit faire un test psychotique (en gardant 2D). Si cet objet le
blesse, le test psychotique se fera en gardant un seul dé.
Marque de Caïn
« Satan ! Suzerain des mépris, comptable des humiliations,
tenancier des vieilles haines. »
K.J. Huysmans, Là-bas
2 Description
Le personnage porte le signe d’une damnation
symbolique, généralement sur le front ou sur toute autre
partie visible de son corps. Il peut cependant la masquer par
un artifice particulier (bandeau, maquillage).
2 Pouvoir
Le personnage peut facilement s’intégrer à des cultes
opposés à celui qui est responsable de sa marque (exemple :
un milieu satanique si l’anathème est chrétien). Il gagne 2D
en potentiel social et peut garder 2D supplémentaires à ses
jets d’intrigues et de société.
2 Contrepartie
Le perso écope d’un malus de 1D dans toutes ses
compétences basées sur le social, jusqu’à un minimum
de 1, à cause de la gêne étrange qu’il véhicule autour
de lui. Si la marque est visible, la compétence sociale
est automatiquement ramenée à 1 point. Cela augmente
dramatiquement les chances de faire un échec critique.
Messianisme
« La foi s’en ira, mais le mysticisme, même expulsé de
l’intelligence, demeurera une sensation. »
Paul Bourget, Essai de Psychologie Contemporaine
 Méandres de la Folie

2 Description
Fondation d’une secte, d’un groupe de fidèles que
vous êtes parvenu à convaincre de la fin du monde
imminente. A la croisée des chemins entre la sainteté et
le mythe de Cassandre puisqu’en dehors de vos fidèles,
personne ne vous croit. Le personnage est « éclairé »
par un évènement particulier qui l’a convaincu de
l’approche de cette Apocalypse, ou de l’avènement d’un
messie. Il se croit alors désigné pour en être le héraut.

2 Pouvoir
Le joueur ajoute à son historique social « groupe
de fidèles » à 2D. Il pourra recourir à celui-ci en cas
de coup dur. La fidélité de ses croyants est importante,
mais pas au point de commettre des actes suicidaires.

2 Contrepartie
Le joueur est stigmatisé par les institutions religieuses
qui le connaissent (église locale, protagonistes actifs
dans le domaine religieux...). De plus, cette déchéance
le prédispose au calvaire et au martyr. Chaque fois que
le MJ détermine quel PJ va être atteint par un coup, le
messie a deux fois plus de chances que les autres d’être
touché.

Sainteté

« Tous les hommes sont à la fois pécheurs et saints

quand ils ne sont pas criminels et martyrs. »

Guillaume Apollinaire

2 Description
Si le personnage n’en est pas forcément conscient, il jouera
pourtant un rôle central dans cette ambiance délétère de fin du
monde. Selon certains, il existe des saints, des martyrs dont le
sacrifice expiatoire diffère sans cesse la venue de l’Apocalypse.
Le saint est un agonisant de l’Histoire, un des rares élus aptes à
démêler ses fils et à connaître l’imminence des grands fléaux...
2 Pouvoir
Ce pouvoir se déclenche lors de circonstances
particulièrement difficiles, comme une situation désespérée
ou le point d’orgue d’une campagne. Le MJ proposera
les options suivantes dès qu’il le souhaitera (il devra alors
déclarer au joueur sa nature de martyr, celui-ci disposera de
ces deux choix avant la scène) :
1 Être immunisé aux tests psychotiques pendant toute la
scène finale.
1 Dans le cas où son personnage venait à être gravement
blessé, entraîner l’adversaire avec lui dans la tombe.
2 Contrepartie
Elles sont incluses dans ces deux pouvoirs :
1 Après coup, le personnage immunisé contre la folie
prendra un point de psychose.
1 Le personnage meurt dans la seconde option, et il ne lui
restera plus qu’à être canonisé...
Prendre la folie des autres
« Folie pour folie, prenons les plus nobles. »
Gustave Flaubert
2 Description
Commun chez les aliénistes qui s’improvisent exorcistes,
et chez les exorcistes qui s’improvisent aliénistes. La folie a
souvent été interprétée comme une possession par une entité
démoniaque. Cette déchéance reprend cette idée, pour la
pousser vers le chemin de la rédemption. Le héros extrait la
folie d’un tiers pour la prendre sur lui, et peut-être ainsi en
subir les effets. Cette faculté se situe à la confluence entre la
psychologie et la parapsychologie.

175
 Chapitre 5
2 Pouvoir
Nécessite un contact physique avec la cible : dès que
celle-ci doit endurer un effet psychologique (une folie), le
personnage l’absorbe, que l’effet soit permanent ou non.
2 Contrepartie
Cependant, ce pouvoir a lui aussi sa contrepartie : dès
que la folie est absorbée, le héros doit procéder à un test
psychotique en gardant deux dés. S’il échoue, cette folie
deviendra sienne et donc traitée dans tous les cas comme
permanente !
Destruction de l’âme
2 Description
Présente chez les tueurs en série organisés dénués de
sentimentalité. Le mode de vie urbain, l’aliénation causée par
une existence trop artificielle, la déliquescence des mœurs sont
la cause d’une perte de la part humaine du sujet. Ces êtres
se revêtent d’une froideur affective, d’une indifférence aux
passions qui en font de parfaits sociopathes.
2 Pouvoir
Le personnage devient insensible aux tests psychotiques.
Il peut néanmoins accumuler les névroses et psychoses
comme décrit dans les règles.
2 Contrepartie
Il ne peut plus recourir aux passions comme moteurs de
dépassement, sauf pour sa passion principale qui devient la
ruine. Si la psychose du personnage arrive à 7, il succombe à
l’état psychologique dénommé folie meurtrière pour un acte
entier. Après cette folie, il ramène son total à 5.
Dégénérescences physiques
Androgynie
« Elle était, consciemment, l’androgyne pâle, vampire
suprême des civilisations vieillies, dernier monstre avant le feu
du ciel. »
Joséphin Péladan, Le Vice Suprême (1884)
2 Description
La question de l’ambiguïté des sexes, malgré les progrès
des médecins et des aliénistes et les audacieuses théories
de Freud, n’a jamais été aussi présente qu’en cette époque.
L’heure est à la confusion entre les genres : les homosexuels
déclarés comme Oscar Wilde, les plaisanteries sur les juifs
efféminés, les femmes à barbe, ou les suffragettes comparées
à des garçons manqués concourent à déstabiliser des repères
jusque là bien ancrés dans la société.
176
Le personnage victime de ce trouble n’en subit pas la
seule conséquence psychologique. Son allure, son timbre de
voix, et même ses organes subissent une lente transformation
vers l’hermaphrodisme. Comment appréhender l’androgyne ?
Pourquoi pas comme un parangon de la concupiscence,
un aboutissement de la spiritualité alliant les qualités de
l’homme et de la femme en un seul être... Après tout, on dit
bien que les anges n’ont pas de sexe. Cette sublimation vous
rendra souvent aux yeux des autres aussi mystérieux que les
sphinx usés des jardins de Vienne.
2 Pouvoir
La transformation peut durer plusieurs mois, assortie
de l’horreur et des problèmes identitaires qu’elle peut
occasionner. La médecine ne peut rien y faire, seul est connu
l’hermaphrodisme de naissance. L’androgyne possède un
charme ensorceleur qui augmente le potentiel social de 2 dés.
Cette faculté facilite l’obtention d’échecs critiques, bien
que le personnage puisse accumuler par le dépassement un
nombre de succès impressionnant. Les détails ci-dessous...
2 Contrepartie
L’androgyne victime d’un échec critique sur un jet social
voit, paradoxalement, son interlocuteur succomber à son
charme (si la sensibilité de l’individu concerné le prédispose
à une telle réaction : par exemple, un lycanthrope ou un
sociopathe resteront de marbre. Il se peut même que la
tentative agace ces derniers). Ce nouvel allié peut être ajouté à
l’historique social, mais le PJ n’aura sûrement fait que récolter
un boulet à traîner. Il devra, par la suite, faire face à l’insistance
de ses propositions et à sa propension, en cas de refus, à se
résoudre au crime passionnel. Le MJ pourra ainsi, à sa guise,
jouer sur le côté comique ou dramatique de la situation.
Soif de sang
« Il y aura du sang versé ; on dit que le sang veut du sang. »
William Shakespeare, Macbeth
2 Origine
Il suffit de consulter la manchette d’un journal pour
saisir l’attirance du public pour le sang. Le sang : symbole de
la vie qui s’écoule, fluide vital qui anime les corps. Un objet
de désir pour tous les détraqués, les criminels sadiques qui
hantent l’univers de Crimes, ce monde nimbé de rouge.
Cette déchéance se manifeste par un besoin irraisonné
de voir couler le sang par la violence, la torture, quitte à s’en
repaître. Boire le fluide de la victime, c’est la déposséder de
son principe vital et s’en emparer.
2 Pouvoir
Le vampire, qu’il soit homme ou pas, enlève un dé de
potentiel physique à sa victime pour l’ajouter à son propre
score. Cette faculté ne dure qu’une seule et unique scène, et
n’est pas cumulable.
 Méandres de la Folie

2 Contrepartie
A moins d’être aussi invulnérable, le vampire
subit les maladies contagieuses qui minent sa
victime. De plus, après la première prise, la soif
de sang devient automatiquement la passion
secondaire du personnage, ce qui signifie un
gain de névrose à chaque fois qu’il manque une
occasion de la satisfaire en se soignant grâce à elle.
La mécanique du système augmente la possibilité
d’échec critique quand le test est basé sur un
fort potentiel, sans un niveau de compétence
satisfaisant.

Cannibalisme

« Un nommé Garayo, à la suite d’un

traumatisme crânien et d’un mariage malheureux
se mit soudain à étrangler les femmes, la plupart du temps des
vieilles filles. Il piquait ou dépeçait les victimes en détachant des
lambeaux de peau pour les manger, notamment au printemps
et en hiver. »
Cesare Lombroso, L’Homme Criminel
2 Pouvoir
Ces bosses permettent de somatiser le traumatisme
engendré par l’assassinat. Le personnage ne gagne pas
de point de psychose quand il se livre à de tels actes
répréhensibles.

2 Description
Un tabou présent au sein de nombreuses sociétés,
allégrement transgressé par les êtres sujets à cette déchéance.
Elle consiste à ingérer de la chair humaine, par instinct de
Le cannibalisme au XIXème siècle,
survie ou par plaisir sadique, voire par quête de puissance
ou comment éviter le stéréotype du calédonien
physique ou mystique. anthropophage par quelques anecdotes

2 Pouvoir  Mépriser l’ennemi : après sa victoire, le chef religieux

Le cannibale gagne au choix un point de potentiel
mental, social, physique pour la durée d’un acte. Ce gain
n’est pas cumulable.
2 Contrepartie
Inutile de préciser les graves poursuites judiciaires qui
sanctionnent ces égarements.
La mécanique du système augmente la possibilité d’échec
critique quand le test est basé sur un fort potentiel sans un
niveau de compétence satisfaisant.
Chaque acte de cannibalisme perpétré par un homme
le soumet à un test psychotique, sauf si sa psychose dépasse
5 points, auquel cas on considère l’habitude ancrée chez le
personnage.
Bosse de la criminalité
2 Description
Certains travaux de criminologie et de phrénologie
font état de malformations crâniennes qui expliqueraient
les tendances meurtrières de certains individus marginaux.
Le personnage acquiert ces « bosses », d’abord discrètes, puis
de plus en plus visibles à chaque fois qu’il tue quelqu’un.
Sitting Bull se fit apporter les cadavres du général
Custer et du colonel Crook pour leur ouvrir la
poitrine et manger leurs cœurs crus.
 Rendre la justice : Bertillon lui-même observa que,
chez les Bataks de Sumatra, « le traître, le bandit,
l’adultère étaient mangés vivants au jus de citron ».
 Un moyen de subsistance : en 1883, des têtes de con-
damnés à mort sont exposées dans des cages d’osier
pour l’exemple. Le consul de France a vu des affamés
se précipiter pour les saluer avant de les dévorer.
 Démontrer la supériorité européenne : pendant
l’hiver 1870, le clou du Jardin d’acclimatation de
Paris était une famille nègre anthropophage exhibée
à moitié nue sur un terre-plein entouré de grilles, afin
d’éviter de « cruelles morsures ».
 Un spectacle : en 1876, un groupe de cannibales se
produit avec succès sur la scène des Folies Bergères.
 Un safari : en 1881, un nommé Spartmann organise
des safaris humains en capturant des femmes et des
enfants comme appâts, avant de lâcher ses chiens ou
ses chevaux sur les hommes des tribus cannibales.
 Une réalité en France : en 1870, à Hautefage, un
jeune noble est tué et rôti car il avait été pris pour un
prussien par les villageois...
 Une curiosité macabre : Camille Flammarion relia
l’un de ses ouvrages avec la peau des épaules d’une
admiratrice morte de phtisie en 1878...

177
 Chapitre 5
2 Contrepartie
Le personnage échouera systématiquement face aux
dépistages des criminologues adeptes de cette théorie.
Au bout de trois actes homicides, il perd un dé de
potentiel social, ces stigmates devenant trop visibles. De
plus, le crime générant d’autres crimes, le personnage doit
passer un test psychotique à chaque fois qu’un ennemi est à
sa merci, pour éviter de l’achever et de sombrer dans la folie.
Il peut garder 3D la première fois, 2D la seconde, 1 seul à
partir de son troisième meurtre.
Force bestiale
« Il existe chez l’homme une force primitive innée, par
conséquent une qualité fondamentale résultant d’une partie
cérébrale particulière, placée immédiatement au-dessus des
oreilles, chez la plupart des carnassiers et omnivores. »
F.J. Gall et J.G. Spurzheim,
Anatomie et Physiologie du Système Nerveux en Général
et du Cerveau en Particulier (1810-1819)
2 Description
Des rapports font état de la vigueur démentielle de
certains forcenés, décuplée par leur ivresse criminelle.
La force bestiale représente cette énergie animale résiduelle
qui, dopée par l’adrénaline des combats, transforme un
gringalet en un lion indomptable.
2 Pouvoir
La force bestiale est une déchéance graduelle que le
personnage peut accumuler sur trois niveaux. Pour chaque
niveau, en situation de combat, le personnage gagne un dé
de potentiel physique supplémentaire, jusqu’à la fin de la
scène. Le personnage peut toujours se surpasser en combat,
quelles que soient ses passions.
178
2 Contrepartie
Une fois de plus, un haut potentiel risque de générer
des échecs critiques si le niveau de compétence ne suit pas.
Le personnage est amené à se surpasser pour éviter les gains
de névrose.
Cette fatigue supplémentaire se traduit par la perte d’un
dé de potentiel physique durable à la fin de la scène où la
bestialité s’est déclenchée. Cette perte vient en sus de celle
éventuellement subie si le combattant s’est surpassé.
Décrépitude
2 Description
Un accident, des blessures mal cicatrisées, une
malédiction, un problème pathologique grave peuvent
engendrer la décrépitude physique du personnage. Son corps
vieillit prématurément, sa peau se racornit, son apparence
devient lentement repoussante. Se cacher aux yeux des
autres, se déguiser ou se camoufler deviennent ses planches
de salut pour éviter la déchéance sociale.
2 Pouvoir
La décrépitude est une affection puissante qui immunise
le personnage contre les poisons ou les effets des maladies.
Son corps martyrisé lui assure une résistance peu commune :
les blessures n’ont pas de prise sur ses capacités physiques.
Il lance toujours autant de dés que son potentiel physique
de base.
2 Contrepartie
La corruption de ses chairs lui vaut la perte d’un dé de
potentiel social par année, jusqu’à atteindre un minimum
de 1. Il gagne également 1 point de psychose par an,
la mutation de son corps influençant son esprit.
Son aspect est si choquant que tout homme confronté
à son apparence subit un test psychotique en gardant un
nombre de dés équivalent au potentiel social du personnage
corrompu.
Surhomme
2 Description
Notre époque réaliste accouche de ses propres héros.
Le philosophe Nietzsche a décrit ces hommes incassa-
bles, inébranlables, capables de survivre aux situations les
plus dangereuses. Les romans-feuilletons foisonnent de ces
surhommes, sans que le public n’ait conscience que certains
marchent parmi eux.
2 Pouvoir
Le surhomme est capable de se surpasser à chaque test
sans subir la fatigue conséquente. Si son potentiel physique
est amené à 0 ou moins, il peut dépenser un point de
psychose pour ramener son potentiel à 1.
 Méandres de la Folie
2 Contrepartie
Cette « déchéance du survivant » peut apparaître
comme merveilleuse, mais les gains de psychose le
transforment rapidement en être incontrôlable perclus de
folies permanentes. La survie physique ne va pas forcément
de paire avec celle de l’esprit...
Invulnérabilité
2 Description
Votre corps est devenu incorruptible. Il peut avoir pris
la forme d’un revenant dont l’immatérialité défie les armes
traditionnelles, ou bien avoir adopté une défense naturelle si
forte qu’elle met en échec toute tentative de blessure. Il peut
également s’agir d’une faculté de régénération si rapide que
la mort violente du personnage deviendrait virtuellement
impossible (exception faite des attaques extrêmes citées
ci-dessous).
2 Pouvoir
Le personnage ne peut être blessé par aucune arme : son
potentiel physique ne bouge pas, il est même insensible à la
fatigue, aux maladies, mais pas à la vieillesse...
2 Contrepartie
En revanche, il reste vulnérable à d’autres manœuvres
telles que l’immobilisation, l’enfermement, ou à des
agressions si fortes qu’elles peuvent le tuer sur le coup
(artillerie, écrasement, etc.).
De plus, tout être invulnérable possède un talon
d’Achille que l’enquête doit pouvoir mettre à jour. Si celui-ci
est découvert, le calcul des dégâts se fait sans le potentiel
physique du personnage corrompu.
Immortalité
2 Description
Les rituels d’embaumement des momies et le célèbre
mythe de Dorian Gray entretiennent un rapport étroit avec
cette déchéance. Nous sommes là face au plus vieux rêve
de l’homme : prolonger une vie précaire par des moyens
pseudo-scientifiques, un savoir occulte ou bien encore par
une malédiction... Tout pacte est bon à prendre pour un
homme résolu à traverser les siècles futurs, fut-il conclu avec
le diable.
2 Pouvoir
Le personnage devient immortel. A contrario d’un
personnage invulnérable, l’immortel peut mourir de mort
violente. Par contre, les outrages du temps n’ont aucune
prise sur lui.
179
2 Contrepartie
Cette immortalité est toujours liée à un adjuvant
extérieur. Pour abolir cet atout (ou cette tare, selon la manière
dont il est vécu), quelques solutions : lever la malédiction,
détruire l’objet sur lequel s’est transféré la vieillissement ou
retrouver le corps corruptible de l’apparition ou de la momie
(le scénario doit fournir ce moyen au joueur).
Métamorphose
2 Description
La frontière séparant l’homme de l’animal dessinée par la
science est obsolète dans Crimes. Ici, l’être humain franchit
aisément cette barrière pour exalter ses penchants animaux.
Sa métamorphose est l’aboutissement de ce voyage. Elle peut
être psychologique : le personnage a réellement l’impression
d’adopter les caractéristiques de son animal fétiche. C’est ce
que les aliénistes appellent la « folie louvière » quand la bête
en question est un loup.
Mais au-delà d’une simple persuasion, le personnage
affecté peut prendre inconsciemment la forme de cet
animal par le truchement d’un état de conscience altéré :
transe, rêve, somnambulisme, possession, état psychotique...
Cependant, personne n’a jamais assisté à un tel évènement ;
ces inquiétants métamorphes ont le don de se fondre dans la
nature une fois opérée leur étrange transformation...
2 Pouvoir
Une fois sa déchéance amorcée, le MJ doit trouver au
personnage un pendant animal en accord avec sa personnalité.
Dans une optique dramatique, il peut disséminer quelques
indices (cauchemars persistants, intrigues secondaires) qui
guideront le joueur vers ce terrible constat : le personnage
possède un double animal.
Une fois la nature de ce double décidée, le MJ
fournira au joueur une seconde fiche de jeu avec ses
caractéristiques jumelles. La transformation se déclenchera
dès que le personnage sombrera dans un état psychotique.
La métamorphose dure toute une scène, au cours de
laquelle tout aspect humain disparaîtra momentanément de
l’aventure.
Il est essentiel que les moyens et les conditions de
cette transformation soient occultés, afin de présenter cette
étrange déchéance sous un jour onirique.
2 Contrepartie
A la scène suivante, le personnage humain réapparaîtra
avec les traces de ses blessures, l’air hagard. Le MJ déclenchera
ultérieurement, dans le scénario, un des états psychotiques
suivants : confusion mentale, dépression, cauchemars ou
catatonie. C’est la rançon de la dépersonnalisation du
personnage.
 Chapitre 5

indétectable tant que ses effets

durent. Le personnage jouirait
là d’un avantage certain pour
se protéger, si ce pouvoir n’était
pas subi. Elle est ainsi vécue
comme une punition, ce qui
incite bien souvent la victime
corrompue à user et abuser
de son impunité, animée des
intentions les plus frivoles !

2 Pouvoir
Par défaut, le personnage
est indétectable tant qu’il ne se
manifeste pas aux autres (par
un discours, un combat ou une
quelconque interaction).

Filiation démoniaque
2 Description
L’hérédité réserve d’étranges aventures à ceux qui ont le
malheur d’avoir, dans leur arbre généalogique, des ancêtres
corrompus. La filiation démoniaque relie la victime à
un tourmenteur, tel qu’il est décrit dans le chapitre 5. Il
devient le jouet de ce tyran aux apparitions fugaces, acteur
d’une excellente intrigue secondaire qui animera sûrement
l’évolution du personnage.
2 Pouvoir
Le tourmenteur est noté dans l’historique social du
personnage qui en est la victime.
Il intervient une fois par scénario, dès que ce dernier
se voit grièvement blessé. Le but de cet esprit n’est pas la
mort de sa descendance mais sa corruption : il aidera ainsi le
personnage à s’en sortir par tous les moyens que lui octroient
ses pouvoirs infernaux.
2 Contrepartie
Il existe d’autres moyens
de détecter une présence que
la vue, l’ouïe ou le toucher. Les
animaux ne sont pas sujets à
cette dissimulation des sens,
puisque l’on peut détecter l’individu par l’odorat.
De plus, tout humain affecté par cette déchéance
gagne un point de psychose par an. L’impossibilité d’entrer
en contact durablement avec ses pairs laisse des traces
indélébiles dans son esprit.
Hubris
Dans un siècle où l’on n’hésite pas à proclamer la mort
de Dieu, il ne paraît plus si dément de vouloir s’affranchir
définitivement de sa tutelle, ou même de chercher à le
remplacer. Mais s’extraire de sa condition et franchir ses
limites par tous les moyens n’est pas sans danger... Telle est
la nature de l’hubris, cette démesure humaine capable de
déclencher les plus sombres des malédictions.
Scientisme

2 Contrepartie
Reportez-vous à l’archétype du Tourmenteur afin de
savoir comment vous pourrez l’employer à bon escient,
notamment par rapport à la corruption du personnage.
Celle-ci peut prendre la forme de gains de psychose.
« C’est tout ce qui restait après que la terre eut tremblé, un
faisceau de ruines où l’on aperçut, comme une vague aurore,
la lueur de l’avenir, un fil de plus en plus ténu, au point
de devenir invisible, le grand fil mystérieux du labyrinthe
humain : le progrès. »

Invisibilité
2 Description
Il ne s’agit pas là de se volatiliser aux yeux de tous. Cette
faculté à la dissimulation, héritée d’une compétence poussée,
d’une faculté occulte ou d’une invention rend l’individu
Victor Hugo
2 Description
Le scientiste est un savant fou. Nous sommes dans l’âge
d’or des positivistes, ces doux rêveurs qui espèrent un jour
percer les secrets de l’univers et de l’homme. Ils pensent
pouvoir réduire la théologie et la métaphysique à de simples

180
 Méandres de la Folie
lois rationnelles et vérifiables : une utopie dangereuse, dans
la mesure où elle s’accompagne d’un affranchissement de la
morale... En effet, dans une telle optique les cobayes sont vus
comme des moyens et non comme des patients, et l’éthique
comme un frein à l’avancée du progrès. Beaucoup de savants
abusent de leur pouvoir vis-à-vis de leurs sujets afin de se
livrer à ces terribles et inhumaines expériences à l’origine de
leur déchéance.
2 Contrepartie
La mécanique du système est ainsi faite qu’il sera
rapidement fatigué et pénalisé par ses pertes de potentiel.
De plus, si l’arriviste échoue dans l’action où il s’est dépassé, il
subira une perte de névrose double (2 points au lieu d’un).
Animisme mécanique

2 Pouvoir
Le scientiste, quand il se livre aux expérimentations
propres à sa spécialisation, gagne 1D de potentiel mental.
Son niveau de maîtrise n’est plus de 3 mais de 4D (qu’il
peut conserver). Le scientiste peut se livrer à des expériences
qui défient la science de son temps, que ce soit par une
anticipation des progrès à venir (génétique) ou par la
pratique d’une forme horrible de son art (greffe monstrueuse
sur un patient humain). Le MJ définira les modalités de
réussite de son projet.
2 Contrepartie
Le scientiste doit obligatoirement être un expert (maître
ou exalté) dans les compétences de sciences abstraites,
sciences de l’homme ou sciences du vivant. Le MJ lui
fournira une spécialisation de son cru (la zoologie devient la
crypto-zoologie, la médecine devient la tératologie ou l’étude
des monstres, etc.).
Cette déchéance ouvre les portes d’un état psychologique
laissé au choix du joueur, entre confusion mentale, culpabilité,
hystérie, mégalomanie ou obsession idéative.
2 Description
Une déchéance qui n’est pas sans rappeler la Bête
Humaine de Zola, cette locomotive à laquelle on prête
une personnalité et des caractères humains. Il est étrange
de constater à quel point la Révolution Industrielle génère
des angoisses, des peurs, des cupidités, des fétichismes...
Certains considèrent les machines comme des objets de culte
dévoués à la religion du progrès. Nous revoilà plongés dans
une version moderne de l’animisme africain. L’homme et
la machine se mêlent : la machine s’humanise, l’homme se
mécanise. La locomotive devient une chimère, un centaure
des temps modernes avec pour buste le mécanicien.
2 Pouvoir
Le personnage augmente son potentiel et sa compétence
(1D chacun) quand il procède à un test impliquant une
machine (réparation, conduite, etc.). Le personnage peut
faire fonctionner une machine en utilisant son propre
fluide (de nature électrique ou magnétique) sans pour
autant produire de carburant ! Le MJ décidera de la fatigue
occasionnée par ce pouvoir.

Arrivisme

« Le regard de Julien était terrible et sa

physionomie monstrueuse. Elle respirait le crime
sans remords. C’était l’homme malheureux en
lutte contre toute la société. »

Stendhal, Le Rouge et le Noir

2 Description
Cette déchéance frappe les êtres qui
parviennent, par leur volonté, à s’élever au-delà
d’une condition modeste en outrepassant les
règles sociales de l’époque. La Révolution a
déjà démontré qu’un simple citoyen pouvait
jouer un rôle dans l’histoire ; Napoléon en fut
le parfait exemple. Cependant, toute réussite a
son prix : il subsistera toujours une contrepartie
finale aux crimes commis par l’arriviste...

2 Pouvoir
L’arriviste est si obnubilé par sa quête
qu’il peut constamment utiliser le moteur de
dépassement, même si l’action entreprise ne se
rapporte pas à ses passions.

181
 Chapitre 5
2 Contrepartie
Le personnage déchu doit être maître dans la compétence
pratique ou larcin. L’évolution psychologique du personnage
dépend de l’état de la machine qu’il anime. Ainsi, pour une
machine en panne, il subira une crise d’« hypocondrie ». Si la
machine est détruite, il subira une « mélancolie ». Si celle-ci
tourne à plein régime, il souffrira d’un « délire de grandeur ».
Le MJ établira les correspondances nécessaires.
Plasticator
« Une nouvelle espèce me bénirait comme son créateur et son
origine... Aucun père ne pourrait revendiquer de son enfant une
gratitude aussi complète que celle que je mériterai d’eux. »
Mary Shelley, Frankenstein
2 Description
Notre version toute personnelle du mythe de Prométhée
qui, en créant d’argile l’espèce humaine, s’attira l’ire divine
pour avoir octroyé à sa créature une place qui ne lui revenait
pas. Le médecin ou savant plasticator sait façonner des êtres
à partir de rien, que ce soit par un miracle médical, un savoir
alchimiste ou une connaissance secrète née de son intelligence
pervertie. Le rabbin utilise cette déchéance lorsqu’il anime
son golem ; l’occultiste façonnera des homonculus ou
invoquera une entité démoniaque. Le plasticator est animé
des meilleures intentions, mais sa création est une source de
maux pour lui. Quand il s’en rend compte, il est toujours
trop tard : l’opération n’est pas réversible.
2 Pouvoir
Par un test mental en pratique ou en occultisme,
le plasticator peut créer de toutes pièces une créature
surnaturelle et l’asservir. Le temps de création est laissé à
l’appréhension du MJ, ainsi que de la difficulté de l’acte en
lui-même (la recherche d’ingrédients ou de sources peut être
la source d’intrigues secondaires).
2 Contrepartie
Le plasticator doit être maître dans la compétence
« pratique » ou « occultisme ». Si jamais, en contrôlant sa
créature, il devient sujet à un état psychotique, la chose lui
échappera et l’attaquera en priorité.
182
Galvanisation
« Frankenstein, un Prométhée moderne ? Rien de plus qu’un
créateur imparfait qui travaille la matière morte, et qui créera
au mieux un mort-vivant ! »
Commentaire sur l’œuvre de Mary Shelley
2 Description
Si elle ressemble en bien des points aux autres formes de
l’hubris que sont le scientisme et le plasticator, la galvanisation
ne sert qu’à ranimer des corps morts avec l’étincelle de vie
procurée par une électricité animale manipulable (selon
les travaux de Luigi Galvani : 1737-1798). La foudre, le
transfert de l’énergie d’un homme ou d’un animal vers un
cadavre... Tout est matière à expérience.
2 Pouvoir
Le savant peut, avec un test mental en sciences du vivant
[médecine] et l’appareillage adéquat, ranimer un cadavre.
La difficulté dépendra de la fraîcheur et de la taille du corps
(le MJ pourra exiger plusieurs réussites). La résurrection dure
normalement une scène complète.
2 Contrepartie
Si le savant récolte au moins deux 0 dans son jet, la
créature galvanisée l’est durablement jusque sa destruction
physique. Le MJ lancera secrètement 1D6. Si le résultat est
strictement supérieur au niveau de compétence du savant,
la créature s’échappera et pourchassera son créateur dans un
proche avenir, devenant une épée de Damoclès sur sa tête...
Le savant gagnera alors la déchéance « poursuivi par une
créature ».
Visions décalées
Onirisme urbain
2 Description
Pour la plupart d’entre nous, toutes les villes se
ressemblent une fois mises de côté les singularités de leurs
monuments historiques. Mais pour d’autres la ville a une
âme, une sève qui s’écoule et qu’ils goûtent en divagant la
nuit. Ceux-là ressentent les pulsations de la métropole, les
évènements cachés qui s’y déroulent et, à l’occasion, aiment
à glisser un oeil dans une fissure de la palissade derrière
laquelle se cache sa réalité.
2 Pouvoir
Le personnage gagne +1 en compétence d’intrigues et
une spécialisation gratuite.
Le MJ peut distiller, dans la vision ordinaire du
personnage ou dans ses flashs oniriques, des indices
concernant l’enquête en cours.
 Méandres de la Folie

2 Contrepartie Médium
Ces visions sont souvent cauchemardesques.
Le personnage doit pouvoir réguler ces images d’horreur « Cadavre : produit fini dont nous sommes la matière
qu’il ne contrôle pas. Il choisira donc entre : première. »
1 Une soupape psychologique (les addictions sont les
plus appropriées). Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable
1 Un état psychologique intermittent au choix parmi
« cauchemars, délire de persécution, métamorphosie ou 2 Description
hallucinations ». Le phénomène attire les foules : entrer en contact avec
l’âme des morts semble être devenu un jeu. Pourtant, pour
le vrai médium, la réalité s’avère toute différente. Que les
Cassandre apparitions qui l’assaillent soient des entités angéliques
ou démoniaques comme le prétend l’exorciste, des images
2 Description éthérées selon le savant, ou des aptitudes télépathiques
Cette déchéance ouvre les portes d’un pouvoir de pour d’autres, elles sont toujours des plus convaincantes et
visionnaire à la portée bien plus large que les élucubrations sources d’une grande angoisse.
des voyantes et des tireuses de cartes. Le personnage
« Cassandre » peut deviner ce qui va se passer dans un 2 Pouvoir
avenir proche ou beaucoup plus tard. Il peut aussi voir des Le médium gagne la spécialisation en occultisme dénommée
évènements contemporains, mais très éloignés dans l’espace. [spiritisme]. Il peut entrer en communication avec un esprit. Le
Son pouvoir opère à travers ses visions, sa poésie, ses rêves... contact est toujours établi, le résultat du jet indiquant s’il a atteint
la cible voulue et le comportement de l’esprit vis-à-vis de lui.
2 Pouvoir
Le MJ peut 2 Contrepartie
distiller, à travers le Le MJ doit procéder à ce test de
visionnaire, des flashs façon cachée. Les esprits aiment se faire
annonçant l’avenir ou passer pour ce qu’ils ne sont pas. Un
dévoiler aux PJ des échec signifie que le personnage devient
évènements éloignés « hanté » (voir la déchéance du même
mais en rapport avec nom).
l’enquête. C’est un
excellent moyen pour
faire une pause dans Cauchemar fondamental
l’aventure et pour
récolter des indices 2 Description
à interpréter (les Le cauchemar fondamental (ou
personnages et les Uralptraum) préside, selon certains
lieux de la vision ne psychanalystes, à la formation des mythes.
seront pas forcément Pour le personnage qui le subit, le monde
connus). réel n’est plus celui de ses contemporains :
il en voit la teneur magique et invisible,
2 Contrepartie comme certains sorciers des cultures
La malédic- primitives. Il en résulte une certaine
tion de l’héroïne connivence avec les transes chamanistes.
Cassandre consistait
à prophétiser la vérité sans jamais être crue. Le person- 2 Pouvoir
nage procèdera à un test mental avec la compétence utilisée Le déclenchement de ces visions se fait lors de gains de
(généralement « bonne aventure ») caché, pour éviter que psychose. Pendant une scène, le personnage est capable de
les autres PJ en aient connaissance. Selon le résultat, le MJ se représenter tous les phénomènes surnaturels qui œuvrent
fournira une vision plus ou moins précise. En cas d’échec, dans son environnement : possessions, malédictions,
une partie des indices donnés seront tout simplement faux déchéances en action.
et trompeurs !
2 Contrepartie
Comme tout chaman, le personnage traverse des crises
épileptiques et subit plus facilement les névroses que les
individus ordinaires. N’est-il pas la proie d’une autre
réalité ?

183
 Chapitre 5
Il doit donc subir un test psychotique (le nombre de dés
à garder dépendra de l’importance des phénomènes dont il
est le témoin). Un échec critique le condamnera à l’un des
états psychologiques permanents au choix parmi « délire de
persécution », « délire d’influence » ou « onirisme ».
Lucidité
2 Description
C’est une forme d’empathie très poussée grâce à laquelle le
personnage déchu est capable de lire l’histoire d’un individu par
simple contact visuel, comme s’il le connaissait depuis toujours.
On raconte que certains lucides, pour être allés trop loin, se sont
vus contaminés par la personnalité de leur cible.
2 Pouvoir
A la suite d’un test de société, le voyant est capable
de découvrir les traits suivants d’un personnage : passions,
tempérament, convictions et historique, par ordre
d’importance.
2 Contrepartie
Un échec critique l’expose à l’état psychologique
« dépersonnalisation ». De plus, lire dans un être possédant
une déchéance expose le voyant à un test psychotique
(le nombre de dés à garder dépendra du nombre de
déchéances de l’individu : une déchéance = 3 dés, 2 = 2 dés
et 3 ou plus = 1 dé).
184
Destinées irréelles
Fatum
« Saturne fait à peu près sur nous l’effet d’un atome de
poussière sur une horloge de clocher. »
Diderot
2 Description
Étrangères à toute idée de libre arbitre, certaines destinées
semblent écrites et condamnées à prendre des tournures
tragiques, et ce quels que soient les efforts du personnage
pour s’en écarter. Le fatum peut être une influence des
corps célestes, une malédiction acquise ou héréditaire, une
malchance particulière qui planent sur le personnage.
2 Pouvoir
Le MJ décide de la destinée du personnage. Elle ne
concerne pas forcément les circonstances de sa mort, mais un
évènement important vers lequel il se dirigera inexorablement.
Dès qu’un fatum s’est déroulé, un autre peut lui être attribué.
Au moment où le personnage sera confronté à son fatum, il
pourra utiliser le moteur de dépassement même sans avoir la
passion correspondante, et sans gain de fatigue.
2 Contrepartie
Le personnage subira des « hallucinations » ou des
« cauchemars » intermittents qui le renseigneront sur la
nature de sa destinée.
S’il tente de lutter contre son fatum, il ne pourra garder
qu’un seul dé à ses tests, et il ne pourra pas utiliser le moteur
de dépassement pour améliorer ses réussites.
Hanté
2 Description
Les entités surnaturelles sont légion dans Crimes : spectre
vengeur, tourmenteur, vampire mâcheur, fantôme amoureux,
esprit frappeur sont autant de plaies qui peuvent frapper
n’importe qui, à n’importe quel moment. Leur présence
est parfois indéfinissable (voir Le Horla de Maupassant) :
invisible mais menaçante par sa présence insoutenable,
l’entité finit bien souvent par tuer l’individu qu’elle hante.
2 Pouvoir
Le personnage habitué au harcèlement de ces êtres
surnaturels procède toujours à ses tests psychotiques avec 3D.
2 Contrepartie
Le MJ introduira l’entité qui hante le PJ en tant
qu’intrigue secondaire. Une rencontre avec cette dernière
fera l’objet de scènes terribles : il faudra découvrir le motif
de son courroux, comment la combattre et l’exorciser...
L’individu hanté sera donc enclin à mettre facilement en
péril tout son groupe, introduisant ainsi une difficulté
supplémentaire dans leur aventure !
 Méandres de la Folie
Alter Ego
2 Description
L’alter ego qualifie un principe de dualité dont les effets
se traduisent par un dédoublement de la personne, et plus
seulement de la personnalité. Le personnage se transforme
en un autre individu ou, pire, se voit affublé d’une véritable
ubiquité sur laquelle il n’a aucun contrôle.
2 Pouvoir
Ce dédoublement de personne amoindrit considérable-
ment la part obscure du personnage : son total de psychose
est diminué de moitié, et ses éventuelles autres déchéances se
reporteront sur son autre moi.
2 Contrepartie
L’alter ego reflétant rigoureusement la personnalité du
sujet en l’affligeant d’une plus grande propension à faire le
mal, notre pauvre diable aura le plus grand mal à justifier
ses méfaits. Ce peut être ici le début d’une véritable intrigue
secondaire destinée à traquer ou à exorciser cette pars mala,
qui prendra un malin plaisir à maltraiter les contacts sociaux
du sujet avant de le hanter lui-même...
Il est recommandé au MJ de préparer une feuille de
personnage séparée pour cet être qui, doté des mêmes
potentiels et compétences, possèdera cependant un
tempérament, des convictions et des passions en tous points
opposés à l’original. La première rencontre avec cet alter ego
sera sûrement éprouvante et nécessitera un test psychotique
(on gardera pour cela 1 dé).
Alias
2 Description
Des troubles sévères de la personnalité comme la
« dépersonnalisation » peut désorganiser complètement la
psyché d’un individu. Pourtant, loin de perdre leurs facultés,
certains malades en retirent même une capacité à endosser les
traits de n’importe lequel de leur concitoyen. On fait même
état de rares cas où les sujets pouvaient adopter à volonté
l’aspect physique de leur choix...
2 Pouvoir
Le personnage devient maître en « larcin » ou en
« société », et choisit une spécialisation dans cette catégorie. Il
est alors capable de prendre la personnalité et l’allure physique
d’un individu déjà croisé, et avec lequel il s’est préalablement
entretenu.
2 Contrepartie
Ce déguisement n’est jamais parfait. En présence d’un
proche de l’individu copié, un test dans la compétence
choisie sera nécessaire pour conserver sa couverture. De plus,
la personnalité devient instable : le personnage déchu n’a plus
de conviction, plus d’historique et sa seule passion devient la
ruine. Un échec critique au cours d’une usurpation le mènera
à l’un des états psychologiques intermittents suivants :
« catatonie », « hystérie » ou « mutilation ».
185
Égrégore
« La physionomie et le cerveau : les meilleurs signes où se décèle à un
oeil exercé le virus criminel inoculé à quelques cellules cérébrales. »
Gabriel Tarde, La Criminologie, Revue d’Anthropologie (1888)
2 Description
L’égrégore, créature maléfique de la mythologie grecque, n’a pas
de consistance particulière. C’est dans l’obscurité de la nuit qu’elle
s’immisce dans l’activité cérébrale des êtres assoupis puis, complice
de chaque instant, qu’elle leur intime des idées et des gestes odieux.
Pour les plus cartésiens, la phrénologie montre à quel point des
anomalies du cerveau peuvent parfois pousser les hommes à des
actes antisociaux. Quelle que soit son origine, externe ou interne,
l’égrégore agit sur le sujet et le pousse au crime.
2 Pouvoir
Cette influence maléfique se déclenche quand le personnage
échoue à un test psychotique. Il devra dès lors commettre un acte
intolérable soufflé par le MJ. Dans la mesure où il n’est pas responsa-
ble de son acte, aucun désordre psychologique ne pourra en résulter.
2 Contrepartie
Cependant, il ne peut échapper aux répercussions sociales
et judiciaires de ses actes. Vous pouvez vous inspirer des états
psychologiques suivants : « délire d’influence », « coprolalie »,
« mythomanie » et « délire de négation ».
Poursuivi par une créature
« J’ai rarement autant couru. Je l’entendais respirer bruyamment
derrière moi, le souffle entrecoupé de ce qui semblait être des rires...
La ville et ses rues m’ont sauvé. Il aurait sans doute pu me rattraper
à n’importe quel moment de la poursuite, mais je crois qu’il désirait
juste s’amuser avec moi, faire comprendre à l’anglais qu’il existait ici
des choses qu’il me faudrait un jour admettre. »
Agent Craig Carter, notes personnelles (20 février 1899)
2 Description
« La bête. Le monstre. Il est là, je sens son haleine fétide sur
ma nuque, le poids de son regard haineux sur tous mes déplace-
ments. Je suis traqué. Le prédateur joue avec sa proie avant la
mise à mort. Peut-être demain, peut-être tout de suite... »
2 Pouvoir
Le personnage, en perpétuelle tension, procède toujours à
ses tests psychotiques en gardant 1D seulement.
2 Contrepartie
La poursuite devient une véritable intrigue secondaire
sur le modèle de la déchéance « hanté », si ce n’est qu’ici la
créature est clairement identifiée. Le personnage poursuivi
acquiert un point d’angoisse à chaque fois qu’un indice lui
prouve que la créature se rapproche, en plus de ceux qu’il
subit au cours de l’aventure.
 Chapitre 5
Des créatures fantastiques
L’engeance de la déchéance
« Cette soif de l’au-delà où le détraquement de l’esprit
moderne croit trouver son excuse et trouve son châtiment. »
Catulle Mendès, Gog
Journal personnel de Carter
La suite de l’ouvrage devait soumettre ma santé mentale
à rude épreuve. Les fiches anthropométriques des criminels
s’étaient révélées angoissantes, mais cette lecture s’avéra encore
plus éprouvante de par son lot de monstruosités. Le survol de ces
dossiers m’évoqua ces ouvrages médiévaux de démonologie qui
faisaient le délice des historiens pourfendeurs de superstitions.
Rapidement, le malaise s’empara de moi au moment où je
réalisai que ces descriptions étaient détaillées avec la même
rigueur scientifique que les fiches précédentes. Carter était
méticuleux jusque dans l’absurde, il aurait fait un prodigieux
auteur de traités tératologiques vomitifs. Il voyait en ces
horreurs quelques dérivations du genre humain, et suggérait
que cette monstrueuse parade possédait sa propre logique tantôt
scientifique, tantôt ésotérique. Pire encore : dans ses descriptions,
il s’adressait parfois directement à la créature, comme s’il l’avait
interrogée en personne !
Je tremblai comme une feuille à cette pensée, nullement
rassuré par l’environnement morbide de la salle funéraire. Je
tenais entre mes mains la flore d’un jardin du mal arrosé par
les turpitudes de ce siècle mourant. J’entrepris la lecture de ce
bestiaire maudit, bien conscient que ma vision du monde en
resterait changée pour le reste de mes jours.
Après avoir quitté le Légiste, je rangeais les notes de
Carter relatives aux archétypes à la fin du présent cahier,
c’est-à-dire à la page suivante. Je les consulterai par la suite,
mais il était grand temps de récapituler toutes les pistes que
nous avions accumulées jusqu’à présent.
186
Comment créer une déchéance ?
Vous pouvez vous inspirer des modèles ci-après.
Cela présentera l’avantage de surprendre les
aficionados du jeu qui ne seront guère préparés à
votre « nouveauté ». La déchéance doit toutefois
s’inscrire dans plusieurs cadres.
Un thème général sur lequel elle s’applique : une
certaine vision du monde, les capacités occultes, le
destin, l’action à distance sur les objets, la conta-
gion, l’au-delà, l’influence sur des tiers... Ces thèmes
innombrables rejoindront la littérature et le cinéma
fantastique.
Un versant surnaturel aux compétences (l’art qui
prend vie, un artiste qui tue ses modèles suivant un
rituel vaudou...).
Un monstre ou un archétype particulier. Par exemple,
les vampires se situent à la confluence entre plusieurs
thèmes (les morts-vivants, l’influence par l’hypnose,
le cannibalisme, la contagion...).
De plus, elle doit obligatoirement comporter
une contrepartie, une faiblesse qui la transforme
rapidement en malédiction.
Les monstres de Crimes
Le répertoire de monstres que vous trouverez ici
parachève la description des archétypes de Crimes.
Nous avons souhaité nous éloigner autant que possible
des stéréotypes du genre pour donner une lecture
originale de ces bêtes, choses et autres créatures en
restant au plus proche des sources de leur mythologie.
Nous les avons présentés de la même manière que les
autres archétypes car nous les considérons comme
des personnages à part entière, et non comme des
êtres dénués d’intelligence destinés à jouer les croque-
mitaines de service. Soignez votre monstre : un
scénario convaincant repose sur sa crédibilité !
Nous leur avons également associé des archétypes,
ces monstres étant liés d’une manière ou d’une autre à
certains personnages : cela peut être des contacts, des
adversaires particuliers, ou des individus à qui ces êtres
désormais difformes ressemblaient jadis. Gardez bien
en mémoire que la frontière entre ces êtres surnaturels
et les humains est, dans Crimes, plus que ténue.
Pour finir, concluons avec une maxime que ne
renieraient pas nos monstres : « Nous sommes ce que
vous serez, nous fûmes ce que vous êtes... »
 Méandres de la Folie
Épilogue
J’avais maintenant toutes les cartes en main pour
récapituler l’itinéraire dément de mon prédécesseur. Tout
avait commencé par la découverte d’un commerce illégal
organisé entre Londres et Paris. Scotland Yard nous avait
envoyé un agent chargé de seconder la préfecture sur cette
affaire. Ce Craig Carter, féru d’occultisme, s’était ensuite
immiscé au cœur du trafic d’antiquités sur lequel il était
censé enquêter. De sa propre initiative, l’inconscient
avait directement traité avec son suspect numéro un,
cet homme connu par nos services sous le sobriquet de
« Génie du Crime ». Il n’avait sûrement pas prévu de
tomber sous le charme de sa maîtresse, cette chanteuse de
cabaret. Le carnage survenu dans la maison de son indic’
était probablement le fait d’un règlement de compte entre
Carter et son rival. Il me restait toutefois à déterminer
plusieurs choses...
Tout d’abord, quel était cet animal mentionné dans la
description de ses combats, cette bête qui avait à elle seule
mis en déroute les tueurs de la Route de la Révolte ?
Ensuite, quelle était la nature de la déchéance qui
accablait l’anglais depuis qu’il se laissait guider par sa
concupiscence ? Et cette femme, Hannah Chenu, était-elle
réellement morte ?
187
Et pour finir, où se trouvait maintenant l’agent Carter ?
Je décidai d’appeler Gueslin à la rescousse, et nous
passâmes le reste de la journée à dépouiller ces dossiers.
Le récit de Carter basculait de la morne routine de son
enquête, qui semblait avoir piétiné pendant des mois, à
de brusques envolées lyriques dès qu’il s’attardait sur cette
femme. Ensuite, une série de délires hallucinatoires assortis
de visions cauchemardesques concluait son odyssée. Un
détail retint mon attention : il était plusieurs fois fait
mention de prostituées rencontrées dans le cadre de cette
affaire ; il semblait faire preuve d’une certaine empathie
pour ces filles. L’indice n’avait pas échappé à Gueslin,
qui m’avoua sans tarder penser à un bordel paré d’une
décoration inspirée du plus pur style égyptien. Ça n’était
pas grand chose, mais Carter n’avait pu ignorer l’existence
d’un tel endroit.
Nous prîmes nos affaires et fauchèrent des vélos pour
quitter l’hôpital en cette fin d’après-midi. Nous étions le
15 février 1899. Le soleil commençait à se coucher sur
l’horizon ; je le voyais peut-être pour la dernière fois.
 Identité : inconnue
Concept : roman gothique ou
Archétype associé : Exorcisteréaliste
Convictions : apolitique agn
Le Tourmenteur

Dimension sociale : déraciné ostique

(originaire d’Irlande)
Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 6
Compétences
* Novice en pratique
* Pratiquant en combat, traque
, sciences du vivant,
sciences abstraites, occultism
* Maître en larcin spécialis e et intrigues
* Exalté en société spécialisé en dissimulation
é en séduction
Psychologie
* Passion principale : la rui
* Passion secondaire : corrom ne
* Tabou : la sentimentalité pre son prochain
* Déchéances possibles : inv
ulnérabilité, invisibilité
marque de Caïn, alias (sans ,
en subir la contrepartie),
filiation démoniaque (en tan
t
que géniteur de cette descendan
hanté (dans le rôle de l’espr ce),
qui hante) it
* Tempérament : flegmatique
* Tendance : schizoïde
* Angoisse : 1
* Psychose : 2
* Seuil de névrose : 7

Description générale
Esprit, fantôme désincarné..
certaines de vos victimes aie . Il est bien difficile de
nt cru vous toucher. saisir votre véritable nature
, bien que
Lorsque vous jetez votre
but de torturer son esprit. dévolu sur un membre de votre descendance, c’est unique
Le pauvre bougre a généralem
invisible et indéfinissable qui ment dans le
ent
impies, s’acharnant sur les pèse sur lui de sa présence bien du mal à identifier cette entité
êtres qu’il chérit... insoutenable, lui susurrant des
paroles
Vous aimez jouer, sous différ
de père tortionnaire : un pro entes identités, avec toutes les déclinaisons permis
figures capables de conduire priétaire tyrannique, un mari jaloux, un prêtre dévoyées par ce rôle
un homme policé à l’état de ... Autant de
rebelle incontrôlable.
L’angoisse et la déchéance soc
les masques et de vous man iale du tourmenté arrivés à leu
r apothéose, il sera temps de
emprise. Vous jouirez alors ifester : sa raison défaillira, et il tombera facilemen tomber
salut en jouant votre rôle ded’a voi r guidé cet te belle âme t sou s votre
petit diable... La mise à morvers sa perte, de l’avoir soustraite au
t pourra dès lors commencer.
Dossier secret
C’est en parcourant les méa
de votre descendance, cet age ndres de votre généalogie que vous êtes tombé sur une fig
nt de police d’opérette : Cra
farouche toujours en quête d’a ig Carter. Un déraciné, comme ure inespérée
de l’humanité pour vous nourri bsolu. Ce fut l’occasion d’abandonner votre contempla vous, un être
précieux venin qui prendra pou r de ses aspirations, de sa personnalité, et de lui dis tion désabusée
r lui le goût du poison de la tiller votre
déchéance...

– 188 –
 ré
Identité : Hatschepsout-Ménétnaturaliste
Concept : rom an got hiq ue ou
Fatale, Sorcier
Archétypes associés : Femme lgré l’anachronisme, cette
Convictions : mon arc his te (ma
à l’Égypte pharaonique)
conviction se rapportant ici bre d’un culte dévoué
mem
Dimension sociale : parfois des tombes royales

La Momie
au repos

Potentiels (sous forme de Ka)

* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 6
Compétences
est intangible)
* Impossible en combat (le Ka
* Pratiquant en intrigues spécialisée en magnétisme ;
* Maîtresse en occultisme, camouflage ; société,
larcin, spécialisée en Ka revêt une apparence
spécialisée en séduction (le se faire passer pour un
humaine, et peut facilement
être humain)
e, spécialisée en histoire
* Exaltée en sciences de l’homm le Ka étant relié à
(toutes périodes confondues,
l’univers)
u, momie tangible)
Potentiels (sous forme de sah
Conseil au maître du jeu
* Physique : 7
* Mental : 3 Pour mieux appréhender la Momie
* Social : 1 nt
Les différents éléments comitsposa dan s
l’ent ité d’un e mom ie sont décr
Compétences scén ario Amo ur à Mor t,
le chapitre 7,
* Pratiquant en traque occultisme,
scène 5.
* Maîtresse en combat et en nétisme
spécialis ée en mag

Psychologie
lu
* Passion principale : l’abso geance
* Passion secondaire : la ven té Sahu),
* Tabou : dévoiler son identi bestiale, invulnérabilité (sous forme de corps de gloire prit Ka)
* Déchéances possibles : for ce s (sous forme d’es
lité, médium (en tant qu’entité appelée), exil, Pandore, Alia
invisibi
* Tempérament : nerveux
* Angoisse : 2
* Psychose : 6
* Seuil de névrose : 8
Description générale aine incontestée
rei ne d’É gyp te, épo use du glorieux Thoutmosis III, souverignares qui vous
Hatschepsout-Ménétré, votre gloire, et ces
e années durant. Telle est pilleurs de
de son peuple cinquante-quatr uif ne la connaissent point. Ces barbares modernes, ces arquent une
transportent dans ce frê le esq respect : les voilà qui déb
ception bien tendancieuse du
tombes occidentaux ont une con hage, hors des eau x flé tries des docks du Havre. à ne
rei ne coincée dan s son sar cop
a d’É gypte, ce havre de pai x dévolu aux momies destinéeschance
tez tan t vot re mas tab pér il, et vot re seu le
Vous regret ici en
Votre enveloppe charnelle est elà. Vous
faire qu’un avec l’univers... el désespéré à votre âme coincée entre ce monde et l’au-d ide ntité et
de lan cer un app déc ouv ert vot re
de salut est
: êtr e ins tru men tée par un sorcier qui aurait re imm ort alité.
ne craignez qu’une chose ssence de vot
à ce tit re, sus cep tib le de vous animer ou de dérober l’ecorps inerte, seul instrument
qui serait, it la possibilité de faire bou
ger votre e vengeur
Si seulement votre esprit ava ents ! Ils verraient alors ce dont est capable un spectr
capable de châ tie r ces imp rud
r...
lorsqu’on a bafoué son honneu

Dossier secret is. La

groupe d’archéologues frança
déc ouv ert e de vos res tes est à porter au crédit d’un t : ini tia lem ent env oyée à
La
mé sur l’i nté rêt sci ent ifi que qu’on vous portai lec tio nneur
raison économique a pri due à un col
ibé e à l’A cad émi e des Sci ences, vous serez en fait ven
Paris pour être exh
certain Craig Carter. ivrez
privé par le truchement d’un bibliothèque, d’où vous poursu
re des tin con sis ter a à pou rrir dans un salon ou dans une une par tie de vot re ess ence
Vot
pér égr ina tio ns dan s l’a u-delà. A moins qu’ re pro pre
tant bien que mal vos concerner vot
pou r des mot ifs bie n plu s dangereux qui pourraient
ne soit convoitée
survie...

– 189 –
 Identité : Alexandre Delarche
Concept : roman gothique
Le Vampire Revenant
Archétypes associés : Tueur
Convictions : agnostique, apoMéthodique, Criminologue
Dimension sociale : atavisme litique
familial, déraciné
Potentiels
* Physique : 6 / Mental : 4
/ Social : 5
Compétences
* Novice en pratique et en sci
* Pratiquant en sciences de l’ho ences du vivant
* Maître en combat et en lar mme et en intrigues
cin,
spécialisé en dissimulation
cirque, spécialisé en évasion ;
société, spécialisé ;
* Exalté en sport, spécialis en séduction
é en escala
traque, spécialisé en chasse de ;
Psychologie

* Passion principale : la ruine

* Passion secondaire : la soif
* Tabou : honneur filial de sang
* Déchéances possibles : soif
de sang, cannibalisme,
force bestiale, surhomme
* Tempérament : flegmatique
* Angoisse : 0
* Psychose : 6
* Seuil de névrose : 6
Description générale
Un large chapeau projette une
Paris, accoudé à une barrière, ombre sur son visage blême. Regardez-le guetter les grands
Voyez-le décrocher un sourire contemplant le soleil hivernal à travers ses minuscules lune boulevards de
couverture usée... à une beauté de passage, avant ttes opaques.
de reprendre la lecture de son
Le Broucolaque : du grec bou livre à la
de sa sentence d’excommunicati rcos (boue) et laucos (cloaque) est un suicidé attendant
on. Il ne possède pas d’os du l’a
fendue. nez visible ; sa lèvre inférinnulation
Le Vukodlak est un cadavre ani eure est
noir suceur de sang et provoq mé par la pré sen ce d’un dém
contraire des lycanthropes qui ue la mort au bout de neuf vison. Il revient sous la forme d’un enfant
ites. Hé bien. Suce au bra
possède une fourrure de loup, préfèrent atteindre directement le cœur. Bien sûr... s gauche, au
d’un vampire. Celle-là, elle pui squ ’il est en réalité un lycanthrope Le Vukodlak
est enc ore mei lle mort revenu sous la forme
ailé. ure que l’Opyr de tout à l’heure,
le truc fantôme et
Notre lecteur éclate d’un rir
dit-il, je peux encore vivre e qui éto nne plu s d’un passant. « Avec de tel
les bal
pieu, je ferai d’eux un bon longtemps ! Si ces imbéciles me traquent avec une gousse ourdises, se
cimetières, j’en prendrai des rep as. S’i ls env oie nt une vierge sur un cheval noi d’ail et un
cli r piaffer dans les
Il ne sait guère pourquoi on chés pour les revendre à la presse à scandale ! »
passage s’est révélé compliqué l’a fait revenir du trépas dans cette chair gorgée de
sept ans auparavant, quand il pour cet indécrottable jouisseur de la vie. Tout cela sang, mais le
une larme sur lui... Mais san a succombé au choléra. Son père, un riche industriel, s’est produit
friable du Père Lachaise l’a s doute avait-il ses raisons. Peu importe à présent, n’a pas versé
rapidement rejeté. S’agit-il car la terre
Il a ensuite repris contact ave d’une
les plus courtois avant de les c les vivants, tel un errant, hérédité diabolique ?
dévorer comme un affamé. Mai profitant de l’accueil de
Comment pourrait-elle arrête
r celui qui n’est pas plus viv s que fait la police ? Ah, la ses hôtes
ant que mort ? police !
Dossier secret
Ainsi, vous êtes un vampire.
agités devant vous. Pourtant, vousMais vous n’avez que faire de la lumière du soleil et des cruc
n’êtes pas exempté d’autres supe ifix
y êtes confronté... rstitions de nature à vous affoler mollement
Vos actes et leurs échos quand vous
vous contestent la suprématiese sont mués en une véritable légende urbaine. Deux aut
pour démasquer cet assassin quide votre terrain de chasse : des criminologues s’arracheres prédateurs
leur aura, aimeraient vous épi ne laisse aucune trace et des tueurs en série, soucieuxnt les cheveux
pas qu’ils ont affaire au som ngler sur leur tableau de chasse. Les pauvres... Ils de préserver
met de la chaîne alimentaire ne comprennent
!
Règles particulières
Chaque vampire revenant pos
en peur panique : le monstre sède une faiblesse imaginée qui, une fois matérialisée,
dans un état psychologique. Il doit alors réaliser un test psychotique avec 1D pour se transforme
PJ puissent avoir accès à cet appartient au MJ de déterminer laquelle et de faire enne pas sombrer
te information. sorte que les

– 190 –
 Identité : Janos Plzen

ur
Concept : roman gothique ste, Tueur Possédé
Archétypes associés : Exorci

Le Vampire Mâche
Conviction : agnostique n culte
Dimension sociale : membre d’u
Potentiels
* Physique : 6
* Mental : 4
* Social : 2
Compétences
ences du vivant
* Novice en pratique et en sci pre nd la forme du lien
* Pratiquan t en tra que (el le
psychique qui uni t ce vampire à ses proies)
sé en spiritisme
* Maître en occultisme, spéciali et en bonne aventure

Psychologie
ne
* Passion principale : la rui f de sang
* Passion secondaire : la soi
* Tabou : la sentimentalité f de sang, force bestiale,
* Déchéances possibles : soi té (dans le rôle de l’entité)
han
* Tempérament : nerveux
* Angoisse : 0
* Psychose : 6
* Seuil de névrose : 8
Description générale les apparitions
Dom Cal met déc riv ait cet te espèce dans sa dissertation sur
Voici comment le père avie (1749) :
revenants en Hongrie et en Mor uve autour
d’esprits, de vampires ou de une espèce de faim qui lui fait manger le linge qu’il tro en dévorant
« On dit que le vampir e a voque des déc ès
le sur nom me Man duc ato r, ou Nachzehrer : celui qui pro
de lui. On
quelque chose. » é à la vie nocturne de Prague,
un mor t de cet te nat ure . Jeu ne latiniste fringuant habitu ème... Un nom prédestiné qui
Vous êtes . La Boh
s votre petit village de Bohème s des virées
vous êtes un jour retourné dan : vous avez souvent entraîné vos amis d’enfance dan ns spirites,
reflète bien vot re mod e de vie fait part de vos con vic tio
des environs. Vous leur avez des plus
sans fin parmi les auberges ité fascinée de ces paysans superstitieux à la catéchèse de l’église
ain si la cur ios le sou lag eme nt
en suscitant
e sur vin t, et ave c ell e vot re mort. Ainsi que s aur ait inhumé
sommaires. Puis la maladi aces, on vou
com pla int es de vos par ent s s’étaient faites moins viv. Vous êtes resté intestat,
locale. Si les ulture
sans cérémonie, voire sans sépcollectivité.
à un carrefour comme mécréant, amassé ont été red ist rib ués à la
miner votre
et les biens que vous aviez la malemort arrivèrent. Les officiants, pressés de ter cueil... Ou
Cependant, les affres de ent sauté au-dessus du cer
uel. Un chat noir a probablem i qu’il en
inhumation, ont bâclé le rit art, votre baptême n’a pas été accompli correctement. QuoQu’importe.
peut-être bien que, dès le dép on vous a enterré viv ant .
les stigmates de la mort et son obscure.
soit, la maladie vous a donné est pour vous un sommeil sans songe au fond d’une pri icond, gorgé
Vous êtes conscient. La mor t à. Il est resté souple , rub
ruption depuis trois ans déj e la gorge.
Votre corps résiste à la cor ile, rubicundum. Vous mastiquez le linceul qui vous entrav partes sui
xib
de sang - incorruptum, fle s éviter de manger le reste de votre bras gauche - vor are
C’est le seul moyen pour vou
corporis.
Vos cauchemars sont
gen s, des ani mau x meu ren t dans votre village natal.
En contrepartie, des
re ancien entourage.
de sinistres présages pour vot

Dossier secret du remord ? -

- mai s ête s-vous resté suf fisamment humain pour en éprouvertaminé celui de
Votre vengeance aveugle roir. Votre esprit a con
delà des frontières de votre tervez contraint à détruire sa famille, à
et votre emprise s’étendent au- ntenant émigré à Par is. Vou s l’a
bien que vous
votre ami le plus proche, mai orbez ses fluides et ses angoisses pour vous en nourrir, sédé, a tenté
payer sa dette de sang. Vous abs enu un redout able Tue ur Pos
consacrée. Le pauvre hère, dev re pouvoir.
soyez prisonnier de votre terre int Lenestour, qui n’est guère parvenu à outrepasser vot centrale...
exorci ste, Tou ssa r de l’Euro pe
de joindre un
il ne remont e un jour vot re piste jusqu’au cœu
Pour l’instant. A moins qu’

Règles spéciales
tact par voie occulte,
s nou rri r san s sor tir de vot re tombe. En établissant un con face à elle, vous la
Vous pouvez vou t d’occultisme
ie : si vous réussissez un tes
vous pouvez traquer votre pro mément à vos vol ont és pou r un act e.
possédez et elle agit confor

– 191 –
 Identité : toutes et aucune
Concept : roman naturaliste à la fois
Archétype associé : Voleur de
Visages,
dont il
Convictions : variable, selonest la version dégénérée
Dimension sociale : déraciné l’identité du moment
L’Ombre

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 5
* Social : 5
Compétences
* Novice en pratique et en tra
* que
Pratiquant en combat et en sci
* Maître en société ences du vivant
* Exalté en larcin spécialisé
en mimétisme
Psychologie
* Passion principale : la rui
* Passion secondaire : l’abso ne
* Tabou : être confronté à salu
* Déchéances possibles : déc véritable identité
* Tempérament : variable, selrépitude, alias, invisibilité
* Tendance : schizoïde on l’identité du moment
* Angoisse : 2
* Psychose : 5
* Seuil de névrose : 9
Description générale

Vous êtes le Protée de la

infligé ce don maudit qui vouBelle Époque. Anciennement Voleur de Visages, la cor
proliférant dans la société s permet d’usurper la per ruption vous a
tel un virus par l’intermédiasonnalité des autres. Vous êtes partout,
ire de vos multiples avatars.
La malédiction inhérente à ce
vos multiples transformations talent s’avère terrible : vot
re
nature, et devenez un fantôme . Vou s perdez pied, lentement, ine personnalité se consume, victime de
xorablement dépossédé
pour la légion de sosies que en proie au doute. C’est la rançon à payer pour le monstrde votre vraie
vou s incarnez. Votre nature se e polycé
Votre passé vous échappe :
que s’e dilue dans vos identités mul phale,
disparitions et de sommeil ? st- il pas sé aujourd’hui pendant ces int tiples.
Et ce cau che mar réc ervalles de silence, de
votre visage de vitriol pour urr ent où, dans un accès d’amnésie,
détruire votre image... vous aspergez
Une seule conviction demeur
véritable apparence, à l’égal e : vous resterez insaisissable. Un interdit semble
vos poursuivants se demandent des dieux Allah et Yaweh. Personne ne peut reconnaîtrefrapper votre
découvrir votre vrai nom - un encore si vous existez vraiment ! Et pourtant, l’h vos traits :
prodige hors de votre portée omme
de tous vos pouvoirs. - aura le privilège d’épuiser disposé à
la source
Dossier secret
Il est difficile de consti
pas plus un fantôme qu’un spetuer un dossier sur un être aussi insaisissable. Pourtant,
désormais capable d’endosser ctre, mais seulement un individu si dénué d’identité pro vous n’êtes
incertain, et donc complètem n’importe quel rôle. Un être privé de passé, d’avenir, dot pre qu’il est
ent imprévisible. é d’un présent
Règles particulières

« Car la dissimulation nous ens

si nous serons les maîtres ou eigne toujours la dissimula
les victimes de cet art. » tion, et la seule question est de savoir

Mathurin, Melmoth l’Errant

Votre invisibilité et vot

véritable nom. Les souvenirsre pouvoir de métamorphose prennent fin lorsqu’un tiers
vulnérable pour le reste de les plus douloureux reviennent alors à la surface, etprononce votre
la scène avant de retrouver vous devenez
votre amnésie.

– 192 –
 Identité : Sulpice Chenu
Concept : roman gothique ogue
Archétype associé : Anthropol personnalité du lycanthrope

Le Lycanthrope
: variable, selon la
Conviction que lycanthrope, aucune
Dimension sociale : en tant et involontairement,
(vous détruisez souvent,
vos liens sociaux)
Potentiels
Social : 2
* Physique : 7 / Mental : 4 /
Compétences
cin
* Novice en intrigues et en lar
* Pratiquante en spo rt
* Maîtresse en combat
en chasse
* Exaltée en traque, spécialisée
Psychologie
ne
* Passion principale : la rui
: l’a bso lu
* Passion secondaire
; s’y adonner implique
* Tabou : l’acte sexuel
sa transformation en lycanthrope
et la probable mort du partenaire le,
sang, métamorphose, force bestia
* Déchéance possible : soif de alisme
invulnérabilité, cannib
* Tempérament : colérique
* Angoisse : 0
* Psychose : 5
* Seuil de névrose : 4

Description générale peur que vous inspirait ses

bie n rai son d’o béi r à vot re mère, encouragée par la
Vous aviez vivante.
nt, et vous en êtes la preuve perdu passé
menaces : les monstres existeavez pris conscience de votre état bestial. Que de temps votre part
Voilà des ann ées que vou s pter... Ou à dom est iqu er
t en vous, plutôt que de le dom ent plus
primaires qui vous démangeai vertis
à écraser le monstre qui dormai s déb arr ass er de ces ins tin cts per
animale, san s pou r aut ant vou esprit, inc arn ant vos dés irs
tapi dans un recoin de votre sonnalité,
que de raison ! Un loup reste Vous acceptez, tant bien que mal, la dualité de votre per à un effort
gin ati on mal sai ne. de vot re Moi ,
et votre ima
ava nta ge : le lou p vou s pousse au dépassement
car vous y trouvez un
constant de maîtrise et de sub
limation. de Vichy dont
lié ... 189 7, dan s le jou rna l, cette brève sur ce foraingrand bruit, de
Vous n’avez jamais oub entifiques avait fai t
chimpanzé ! Le rejet des sci sur Darwin !
la fille avait accouché d’un ivit. On se serait cru revenu au bon temps des débats
même que le scandale qui s’e nsu mal.
rêver à votre mutation en ani iliale ? La
Depuis, vous n’avez cessé de pour jouir de ce don ? Subissez-vous une malédiction fames roumains
Mais... Qu’avez-vous fai t les pryccolitch, ces vam pir
des bêtes de votre genre : hropie. Mais vous n’êtes pourtant pas
littérature abonde au sujet communs avec vot re lyc ant victoire ou
présentent de nombreux pointsmprise de la bête qui est en vous, jusqu’à votre ultime
morte. Vous lut tez con tre l’e
votre ultime défaite...

Dossier secret gue mordue par un

l’a ffa ire qui nou s int ére sse , n’est autre que l’anthropolo que que physique
Cette créature, dans affection tant psychi
age d’étude en Afrique. Cette si longtemps
lycanthrope aux cours d’un voy me la « folie louvière ». Le fait d’avoir survécu aus ticiper aux
n’est pas fictive : on la nom le sujet. En effet : par
ssances qu’elle développa sur ange alter
tient probablement aux connai es lui a permis de relativiser la présence de cet étr ass ociés aux
rituels animistes et cha man ist es de mém oir e
nt, l’i mpo rta nce qu’ ell e acc orde au rationnel et les troubl nt ? Une fem me ? Un animal ?
ego ; pourta d du gou ffr e. Mai s qui est-elle vraime
mutations l’ont amenée au bor e de la bête ?
soluble dans la nature sauvag
La culture humaine est-elle

Règles particulières
de deux façons :
La métamorphose se déclenche
déclencher
sa folie louvière, il peut la
* Si le sujet est conscient de névrotique (qui est normalement de 4).
dès qu’il atteint son seuil ormation a lieu quand il subit un échec
* S’il ne l’est pas, la transf de ses passions est mise à l’épre
uve (dans
critique dans un test où l’une point de psychose gagné).
ce cas, elle s’ajoute en sus du
– 193 –
 Identité : Marthe de Waziers
Concept : roman gothique
Archétype associé : Médium
Convictions : monarchiste, cat
Dimension sociale : ancienne holique
noblesse française
Le Spectre

Potentiels
* Physique : 4
* Mental : 4
* Social : 5
Compétences
* Novice en intrigues et en
* Pratiquante en combat : peusociété
t prendre
des objets malgré son intang et manier
* Maîtresse en occultisme, spéc ibilité manifeste
ialisée en magnétisme ;
traque spécialisée
* Exaltée en larcin, spécialis en chasse, survie et pistage
ée en camouflage
Psychologie

* Passion principale : soi

* Passion secondaire : la vengea
* Tabou : l’honneur (féminin) nce
* Déchéances possibles : décrép
itude,
hanté (dans le rôle du fantôm
invulnérabilité e),
* Tempérament : apathique
* Angoisse : 3
* Psychose : 5
* Seuil de névrose : 6
Description générale
« Il a crié : « Vive la
traître... » République ! » Il envoie de
l’argent aux Prussiens ! C’e
Vous étiez une jeune femme st un
le manoir de Hautefaye en sans histoire et mariée dep
Dordogne. Vous deviez donner uis peu à un nobliau, ins
seulement. le jour à votre premier enftallée dans
« Avance Prussien ! On va te ant. Deviez
Ce jour du 16 août 1870 rester fai re gri lle r com me un cochon
foule déchaînée qui clamait ses a gravé dans votre mémoire : ! »
Vieille rancœur de l’époque vivats pour la République. Ivrvous y vîtes votre mari lynché par une
esse de la défaite fac
Peu importe : votre mari est révolutionnaire ? Acte gratuit d’un peuple à la justice à la Prusse ?
mort. e expéditive ?
« Faites-en ce que vous voulez
Vous êtes décédée sous l’empr ! Man gez -le si ça vous dit... »
martyr. Une mort injuste, pré ise d’une folie suicidaire dès
qu’on vous appris la nou
face à la masse ignorante desmaturée, intolérable. Justice ! Vous voulez faire val velle de son
qu’elle foule. Vos seuls moy vivants, oublieuse des cadavres d’innocents qui jon oir vos droits
les invocateurs, les spiritesens d’intervenir, pour de trop courtes durées, resten chent la terre
faire connaître votre colère et les fouilleurs de tombes. A travers eux, vous n’h t les médiums,
d’ectoplasmes. à gra nd ren fort d’apparitions, de sugges ésitez pas à
tions et de vomissements
« Un jeune bouvier approc
pour lui crever un œil ! » he. Faites le venir ici, qu’il lui envoie un formidable
coup de sabot
Vous représentez un passé qui
de la foule, captant les rés ref use de disparaître avec le temps. Vou
s entendez encore les cris
temps, de montrer aux vainqu idus de l’histoire. Vous rêvez de faire tournebouler
laver par la contrition. Rev eur s d’a ujo urd ’hu i qu’ils ont du sang sur les le sablier du
eni r sur une his toi mains et qu’il faudra le
désormais éteinte. Vous ne pou re qui vous a rejetée, vous mais aus
si votre lignée
en nécromancien en fouinant danvez supporter d’attendre qu’un juriste ou un historien
s’inscrit dans le présent, mai s l’h ist oir e des mor ts pou se mue un jour
r leur réhabilitation posthume.
l’apprendre à leurs dépends. nte nan t, auj ourd’hui même. Tous ces vivant La vengeance
s que vous jalousez vont
Dossier secret
Le temps passe, et votre
mais votre mémoire se dissouancrage dans la réalité vacille. Non pas que vous retour
histoires similaires à la vôtt et votre vengeance personnelle s’étend progressivementniez au néant,
qui croisent votre chemin en re. Justicière aveugle, vous évacuez votre désespoir sur à toutes les
guette : la victime est devenules harcelant de votre sourde présence. Qu’importe si les vivants
e bourreau... la folie les

– 194 –
 Concept : roman gothique du Crime
Archétypes associés : Génie
Conviction : aucune bin qui l’a créé
Dimension sociale : lié au rab
Potentiels

Le Golem
* Physique : 8
* Mental : 4
* Social : 3
Compétences
société,
* Novice en occultisme et en dou é de parole)
(le golem éta nt
t en tra que et en com bat,
* Pratiquan qua nd il agit au sein
(peut se dép ass er
d’un ghetto pour le pro tég er)
de l’h omm e, spé cia lisé
* Maître en sciences for me de fantôme)
en histoire (sous sa éti sme
spé cia lis é en mim
* Exalté en larcin,
(sous sa forme de fantôme)

Psychologie
tout au long
* Passion principale : ordre stence, ruine quand il n’est plus maîtrisé
de son exi ghetto qui lui est associé
é envers son créateur et le
* Passion secondaire : loyaut rui, sauf une fois devenu incontrôlable
* Tabou : donner la mort à autbestiale, marque de Caïn, mét
amorphose
* Déchéance possible : force éralement amorphe
* Tempérament : variable, gén
* Angoisse : 0
* Psychose : 0
* Seuil de névrose : 10

Description générale
nombres et des lettres. Ses
fol klo re jui f, cet te cré ature naît de la magie des ique des textes sacrés, et
Propre au e numérolog
érudits, obsédés par l’étud inhérentes à ce genre de recherches,
« pères » sont des rabbins les pré cau tio ns d’u sag e
surtout avertis : sans toutes des hommes...
ient rendre fou le plus sainparé d’une couleur d’ébène brillant dans
cer tai nes déc ouv ert es pou rra ,
uma ine , fro id, rigide zélé de
Majestueux dans sa grandeur inha l’aspect d’un gigantesque monolithe de pierre. Serviteurbesognes
le Gol em basses
l’obscurité des ténèbres, toutes les tâches : des
l’a modelé, il est affecté à le quartier
son maître, le kabbaliste qui ghetto. Les légendes trouvent ses premières traces dans un.
ménagères à la protectio n du t capables d’en façonn er
é, tous les rabbins initiés son bin réitère
juif de Prague mais, en réalitmologie dans le mot « embryon ». Par sa création, le rabs sans pour
Le mot golem puise son éty insufflant une âme , mai
u de l’Ancien Testament en lui n sacrilège,
l’animation d’Adam par le Diele divine qui ferait de lui un homme. Il s’agirait là d’u
autant lui apporter la par cel
on incapable. rait à une
et il en serait de toute façaberration de la nature à un colosse déshumanisé condui s la forme
Cependant, réduire cet te par exemple, se manife ster sou
son apparence varie : il peut, possible de
regrettable erreur. En effet, em est certes de pierre, mais en tant qu’esprit il lui est ales sombres
d’un fantôme jaunâtre. Le Gol lorsqu’il erre dans les déd
humaine, animale ou inanimée
revêtir n’importe quelle forme
de son territoire. où il est né, et les courants
soi t sa for me, le Gol em tire sa puissance du ghetto quartier auront tôt fait de
Quelle que de son
affluent dans les ruelles
telluriques et magiques qui espérance.
l’alimenter au-delà de toute
et alors qu’il était si petit
fro nt est écr it le mot AEM ETH, il ne cesse de grossir x qui habitent sous le même
« Sur son tous ceu
e plus grand et plus fort que reste que
au début, il devient bien vitr de lui, ils effacent la première lettre, afin qu’il ne
toit. C’est pou rqu oi, par peu l’argile. »
il s’écroule et redevient de
MAETH (Il est mort) ; sur ce e) du mythe du Golem
Version poloniasis (polonais
par définition imparfaite :
Gol em n’é cha ppe pas au des tin de toute création humaine,ature devenir rebelle à son
Ainsi, le ra sa cré
os du sabbat, le rabbin ver
s’il ne respecte pas le rep telle une incarnation de l’ire divine.
autorité et dévaster la ville,

Dossier secret
subir les excès
oue tou t le pay s, et la com munauté juive de Paris semble notables juifs
L’Affaire Dreyfus sec la contestation des
s et des antisémites. Malgré em destiné
de zèle des anti-dreyfusard société, des rumeurs circulent sur la création d’un Gole : divers
parfaitement intégrés dan s la o à une autre légende urb ain
sécuteurs. Ce bruit fait éch parmi leurs
à châtier leurs nouveaux per état d’une pléthore de prétendus « juifs errants » pties...
hôpitaux psychiatriques fon t accréditer de telles ine
aire criminelle n’a jamais pu
patients. Pourtant, aucune aff
– 195 –
 Concept : roman gothique
Archétypes associés : Savant
Conviction : aucune Fou, Lycanthrope
Dimension sociale : solitaire
La Bête

Potentiels
* Physique : 8
* Mental : 4
* Social : 1
Compétences
* Pratiquant en larcin
* Maître en sport et en traque
* Exalté en combat, spécialis , spécialisé en chasse
é en combat à mains nues
(morsures)
Psychologie
* Passion principale : soi
* Passion secondaire : perver
* Tabou : la pitié sion (le sadisme)
* Déchéances possibles : for
ce bestiale,
invisibilité,
cannibalisme
(ou plutôt anthropophagie)
poursuivi par une créature ,
(bien sûr dans le rôle
du prédateur),
lucidité, onirisme urbain
* Tempérament : colérique
* Angoisse : 0
* Psychose : 3
* Seuil de névrose : 9

« Notre âme est une bête

qu’elle ne se jette pas sur féroce ; toujours affamée, il faut la gorger jusqu’à la
nous. » gueule pour
Gustave Flaubert, extrait d’u
ne lettre à Mlle Leroyer de
Chantepie (1er Mars 1858)

Description générale
Nul être vivant n’est resté
s’enchaînent et font les cho en vie pour témoigner de votre aspect. Des descriptions dis
ux gras des journalistes :
tricéphale aux airs de Cerbèr chimère mi-louve mi-lionne semblables
qui bondit sur les passants e miniature... Les vendéens immigrés voient en vous , quadrupède
égarés, créature anthropoïde la
change-forme... aux griffes acérées et de Galipote
surcroît
Vous fascinez autant que vou
ou l’on nie votre existence s repoussez. On se perd en conjectures pour expliquer
dément qui maquille ses cri : un jeune parricide devenu fou, un félin échappé d’u vos forfaits
simples mais insoutenables. mes... Les hommes se créent des voiles pour filtrer n cirque, un
capacité extraordinaire de camPendant ce temps-là, vous vous régalez. Une aura de des réalités
ouflage vous mettent hors de mys
de moutons bêlant. portée des représailles de cetère, une
troupeau
Vous êtes une bête, un mon
instinct de survie. La fatali stre, terrible et sanguinaire, dénué de compassion, ani
té enveloppée de fourrure. mé du seul

Dossier secret
Fruit d’une expérience rat
dans le seul écrin de verdur ée du Savant Fou, vous avez fui un laboratoire pour tro
e du coin : le parc Monceau, uve
maîtresse absolue. Les proies un terrain giboyeux où vous r refuge
plantureux vous plonge dans son t nom bre use s, par tic ulièrement le dimanche, bien régnez en
la légende urbaine continue. un sommeil parfois long de plusieurs semaines. Et pendanqu’un repas
.. t ce temps,

– 196 –
 Identité : le Spiegelbild
Concept : roman gothique du Crime, Sorcier
Archétypes associés : Génie personnage d’origine

le Spiegelbild
Convictions : face sombre du celle du personnage d’origine
Dimension sociale : identique à
Potentiels
* Physique : 5
* Mental : 5
* Social : 5
Compétences
e et sciences du vivant
* Novice en sport, occultism iété
* Pratiquant en combat et socspécialisé en administration ;
* Maître en sciences de l’homme, en connaissance du milieu
intrigues, spécialisé
Psychologie
ne
* Passion principale : la rui
* Passion sec ond air e : soi
asion de causer
* Tabou : résister à une occ e d’origine
du tort au personnag
truction de l’âme,
* Déchéances possibles : des ulnérabilité
inv tué
(le spiegelbild ne peut être ine,
que par le per son nag e d’o rig
occasion
ce qui entraîne par la même
la mor t de ce der nie r)
rphe)
sonnage d’origine (ici : amo
* Tempérament : opposé du per sonnage d’origine (ici, 4)
* Angoisse : 5 - celle du per sonnage d’origine (ici, 6)
* Psychose : 7 - celle du per le du personnage d’origine (ici, 4)
* Seuil de névrose : 10 - cel

Description générale
»
, je n’ai pas connu le Péché Paul
« Si je n’ai pas connu la Loi Saint

bril. Voir son

mir oir . Con tem ple r son app arence, sa gloire et son nomable. Le miroir
Se regarder dans le être intègre, indissoci
té, penser que l’on est un fondeurs de
reflet, croire en sa véraci me croupi un Autre secret, inavoué, caché dans les pro cette image
est un leurre. Dans cha que hom notre vraie nature. Par foi s,
èle des aspects refoulés de s curieuse
l’inconscient. Cet Autre rév l’extérieur, lors d’états de pure folie, ou de façon plu, autonome,
inaccessible est renvoy ée à mener une existence pro pre
quidam se détache de lui pour
encore. Le reflet, l’ombre due à la survie du modèle. dédoublement
quoi qu’indéfectiblement lié iation que les aliénistes mettraient sur le compte du
Le Double est cet te dis soc la person ne ent ièr e.
pourtant un dédoublement de a le don
de personnalité, mais qui estinquiétant : quel est donc cet étrange personnage quiivalence et
Cela n’en est que plu s tions, cou pab le de son amb
actère à chacune de ses appari ?
d’ubiquité, qui change de carses comportements passés comme si l’amnésie le frappait communicant
incapable de se sou ven ir de hin, fon cti onn e en vas e
par les occultistes d’Outre-R grâce, le
Ce double, appelé Spiegelbild malade, il resplendit de santé ; celui-ci tombe en dis omphera
èle : cel ui- ci tom be pour savoir leq uel des deu x tri
avec son mod aussé. C’est une lutte à mort vie de l’un
double jouit d’un prestige reh ble identité. A mort... Le mot est trop fort. La suril disparaît
et s’install era dan s la vér ita le double tue l’o rig ina l,
celle de son alter ego. Si inal est le
comme de l’autre est liée à indestructible (du moins, on le pense) sauf si l’orig
aussitôt. Le double est aus si
porteur du coup fatal. sa duplicité, qui va au-delà
e par abo le de la nat ure hum aine, dans son ambivalence et de la même personne...
Une étrang git plus
mister Hyde, puisqu’il ne s’a
du mythique docteur Jekyll et

Dossier secret Narcisse, Nicolas

sa pro pre per son ne et de jouir de la vie comme le fit.
A force de contenter ent de personnalité
cé à sombrer dans un dédoublem il n’a pas
Antoine de Marcilly a commen isémite, la nuit tirant les ficelles du crime parisien,tériques de
Le jour brillant dép uté ant ité. Les manipulation s éso
x composantes de sa personnal apparaître à
réussi à rassembler ces deu n arrangé et les rumeurs circulent sur ses capacités à détaché de
William Northborne n’o nt rie double qui s’e st
roi ts à la foi s. Lég end e ? Rien n’est moins sûr : le uis longtemps. Mais comment
plusieurs end peu de temps les plans échafa
udés dep
lui a la manie de détruire en autre moitié si gênante ?
cerner et se défaire de cette

– 197 –
Un parfum du XIXème siècle
Les vents de l’histoire
Introduction
« Dans ces jours où la tête au
poids des ans s’incline, où l’homme,
sans but, sans visions, sent qu’il n’est
déjà plus qu’une tombe en ruine où
gisent ses vertus et ses illusions. »
Victor Hugo,
Les Rayons et les Ombres (1840)
Les parti pris
Soucieux de respecter au
mieux l’atmosphère de cette fin de
siècle, nous avons préféré donner
la parole à ses contemporains
plutôt que de nous lancer dans un
discours pompeux sur le sens pris
par l’Histoire au cours de la Belle
Époque.
Cette Histoire se déroule en filigrane des aventures
personnelles de ces personnages que vous avez appris à
connaître. Pour les amateurs d’histoire les plus exigeants,
nous avons prévu des documents et des chronologies
qui leur permettront de
mieux appréhender les
enjeux cruciaux parsemant
un XIXème siècle des plus
Le cadre chronologique de Crimes
agités.
Crimes est prévu pour prévu pour être joué entre Vous allez cependant
1870 à 1914, d’une guerre à l’autre. La plupart des découvrir des faits qui ne
évènements sont abordés d’un point de vue français, figurent dans aucun manuel
mais ils s’étendent souvent vers d’autres lieux pour scolaire : nous assumons ces
vous offrir un parfum d’exotisme... libertés prises avec la stricte
réalité historique. Crimes
Il est possible de déplacer ce cadre, mais diffici-
lement avant 1870 : le contexte du Second Empire possède en effet sa propre
s’accommode mal avec notre traitement de la fin du logique thématique, et nos
siècle. L’évolution de sa décadence trouve son point porte-parole s’en feront
d’orgue dans la première guerre mondiale, qui sera trai- les échos d’une manière
tée comme le tombeau de la civilisation européenne, le toute personnelle, comme
pinacle du meurtre de masse. La plupart de nos thèmes
vous pourrez le constater.
sont des germes qui n’éclateront qu’après 1918 : fièvre
nationaliste, théories raciales, accroissement de la pau- Nous préférons ainsi vous
vreté... Un MJ pointilleux pourra propulser le contexte faire vivre cette époque en
dans l’entre-deux guerres pour « jouer » l’enfer fasciste. totale immersion avec ses
protagonistes, plutôt que
Surveillez les sorties liées à Crimes, elles vous de vous transformer en un
donneront des éléments pour l’acclimater à d’autres narrateur si omniscient
horizons.
qu’il n’en ressentirait plus
le souffle.
199
 Chapitre 6

Les confessions d’un homme errant

Retranscription d’une lettre retrouvée près d’une synagogue de Paris par la police locale et transmise à Nicolas Antoine de
Marcilly, député populiste et antisémite notoire.

Moi, l’errant.
oir de réserve sur l’Histoire
me j’en ai tra ver sé des diz aines d’autres. Malgré mon dev la prétention d’être Virgile
J’ai traversé ce siècle com ner mes pensées sur ce vieux morceau de papier. Je n’ai pas parcours, je les contemple,
fon viens : je les
humaine, je ne peux cesser de grif de sa des cen te aux enfers, car c’est de ces enfers je
tenant la main à Da nte lors
. manuscrit. J’ai beau être un
je les partage avec ses habitantsbablement pas, nul lecteur n’étant destiné à déchiffrer ce e moderne épouse mon goût
Dieu ne m’en voudra pro s’emballer autant. L’homm
teu r pri vilé gié de l’H isto ire, jamais un siècle ne m’a paru nt comme sombre.
observa traditions et un avenir qu’il pre
sse
pour l’errance, coincé entre les espiègle,
t, je me tro uve en por te- à- faux avec l’homme moderne si tre le
ant accepté mon sor contre la société, con
La ressemblance s’arrête là. Ays une révolution. Révolution contre la condition humaine,
ffr er dan
toujours prompt à s’engou .. Dieu ! Quelle hérésie.
pouvoir en place, contre Dieu. viennent
la « sub sta nti fiqu e mo elle » ? Quelques lignes-force me
? Quelle en sera
Que puis-je tirer de ce siècle
spontanément.
- SUJET CONTRE CITOYEN mme moderne
, ave c pou r seu le éch app ato ire la révolte. Voilà ce que l’hoit se considérer
x tendances , il aimera
Une victime tiraillée entre deu n’est plus forcément le sujet d’un roi ou d’un empereur ité monarchique n’a plus
apa trid e. Lui , il tou re. La légi tim
m’inspire. Je suis riote, avec le pouvoir de change
r le monde qui l’en
Je ne peux lui en vouloir, mon
comme un citoyen, voire un patl’idéal de la souveraineté nationale en chérissant sa nation.
de valeur : il se voit inféodé à ant l’esclavage pour la Terre Promise.
peuple fit jadis de même en fuy
- LIBERTÉ CONTRE AUTORITÉ ité. Un paradoxe
dem and e la libe rté , et sa voi x enfantine qui réclame l’autor iques libertaires
science, qui et de républ
L’homme est coincé entre sa conexpériences de monarchies limitées, de souverainetés éclairées
rs pas sor ti. Les
dont il n’est toujou topie.
ne sont que des simulacres d’u me voir écrire.
ssie urs qui pas sen t à côt é de mon banc en s’étonnant de e l’omniscience.
r de ces me é m’offr
Je m’amuse de voir la stupeu s les attributs d’un marginal et, pourtant, cette marginalit
nég ligé , j’ai tou
Déguenillé, sale et rre le front, cachant la croix qui
y est tatouée.
J’ajuste le bandeau qui m’ense
- PROGRÈS ET TRADITION
sur leurs montres, ils n’ont
hap pés par le che val fou du modernisme que, les yeux rivésngements. La fuite en avant
Ces gentlemen sont tellement de jeter un coup d’œil en arrière pour appréhender les cha e recèle tant de promesses
ent – fiqu
plus le temps – ou ne le prennet social bouscule l’immobilisme des traditions. L’avenir scientiqui se réfugient dans un passé
du progrès industriel, cul tur el tiques de contempor ain s
cerait presque les désillusions poli plus !
pour le genre humain qu’il en effaenir face à la valorisation du passé... Un tiraillement de
mythique. La val oris ati on de l’av
l’avenir comme
rt ent re deu x cha ises . Il reg ard e à la fois vers le passé et vers Seulement, la
ème le grand éca il possède.
L’homme du XIX siècle fait i jamais eu de chaise pour m’asseoir, c’est un avantage qu’ e qu’à être rompu. Lui seul
dieu Jan us. Je n’a gile et ne dem and
le faisait jadis le bien bra nla nte . L’é qui libr e de ce monde est fra
« chaise » de l’avenir me paraîtd’y intervenir. Pas moi.
décider a, pui squ ’il a le pou voi r
mes. Autrement dit la
r la fin de mo n err anc e, et le début de celle de tous les hom spora n’est que le reflet
ifie dia
Cette fin de siècle pourrait signoi certaines âmes égarées pourchassent mon peuple, dont la
. Je com pre nds pou rqu
fin du monde
de leur condition future. se chargera de m’en
Di eu ne me rap pell e pas à l’ordre, c’est la maréchaussée qui trop travaillé en ce
c. Si i déjà
J’ai déjà trop tardé sur ce ban mode. Il est temps pour toi, petit papier, de disparaître. J’a
elle n’e st pas plu s com
déloger. Et
jour de sabbat.

200
 Rumeurs & Documents
Liberté et autorité :
l’état policier
Les fous et les lépreux
Le temple de l’ordre
Préfecture de police de Paris
(17 février 1899)
Le linceul blanc de l’hiver
recouvrait les quais de la Seine. L’air froid répercutait les
bruits des querelles des chauffeurs se disputant la chaussée.
Un fait bien habituel, que contemplaient deux personnalités
des plus inhabituelles.
Du quatrième étage de la préfecture de police, Lépine et
le criminologue Prudent Boutroux appréciaient le spectacle
de l’homo parisianis en proie à ses démons quotidiens. L’âcre
fumée accompagnait chacune des bouffées évacuées par leurs
pipes ouvragées.
— N’avez-vous pas peur que ce Sherlock Holmes ne
vous fasse trop d’ombrage ?
Lépine venait de rompre le silence monotone qui planait entre
les deux hommes confortablement installés dans leurs fauteuils.
— Non. Mes déductions sont bien moins fantaisistes
que les siennes, et je ne suis pas opiomane. De plus, à en
croire les rumeurs, cet Holmes ne serait qu’un personnage
de fiction.
Méfiant, le criminologue avait chuchoté l’information
malgré l’absence d’importun dans le bureau désert.
— Cela ne m’étonnerait guère. Ces anglais ont le don
d’affabuler et d’inventer des légendes urbaines auxquelles
ils adhèrent ensuite. Un peu comme cette fiction sur la
puissance de leur empire...
Les deux hommes pouffèrent de rire. Cet instant de
détente s’arrêta au moment où Lépine fronça les sourcils,
comme il en avait l’habitude. Il se leva de son siège ;
se mouvoir semblait être pour lui la condition sine qua non
d’un raisonnement efficace.
— Aujourd’hui, il n’y a que ces aimables conducteurs
pour nous occuper (il désigna du menton les excités du
pavé). Cela nous change de notre quotidien empli d’échappés
d’asiles, de ghettos, de prisons et de quartiers abandonnés, de
ces refuges de clandestins et...
Le criminologue n’avait pas bougé. Récité comme une
prière les yeux levés vers le ciel, le discours de Lépine ne
semblait pas avoir de prise sur lui. Le monologue continua :
— Nous devons ajouter à vos fous les « lépreux » qui
arrivent par milliers à Paris, les clandestins, les échappés
du terroir, les agents doubles de l’étranger, les trafiquants
en tout genre... Nous avons dû refouler les ressortissants
allemands pour contenter quelques élus avides de revanche.
Nous autres, de l’Intérieur, devrions maintenant faire le
travail des Affaires Étrangères ? Bâtissons une annexe de la
préfecture dans Notre-Dame si ce doit être le cas !
201
Un flot de crimes jamais endigué...
Lépine s’interrompit pour reprendre son souffle.
Constatant le peu d’effet de sa diatribe, il poursuivit d’une
voix plus douce :
— Je sais que vous ne souscrivez pas à mon point de
vue. Reconnaissez néanmoins que la situation est délicate :
on accumule les affaires non résolues...
Boutroux décroisa les jambes, sortant de sa réserve, et
approcha de la baie vitrée pour l’ouvrir.
— Oui, et n’oubliez pas mes origines lorraines : je
pourrais tout aussi bien me retrouver de ce fait du côté
des lépreux... Vous connaissez mon pointillisme et savez
que je mènerai jusqu’au bout ce surcroît de travail. Il faut
reconnaître que la préfecture craque sous un flot de crimes
jamais endigué... Je ne dis pas que des Vacher courent les
rues, mais quand même.
— Vous êtes sûr que vous ne pouvez pas reprendre cette
enquête sur Carter ? J’ai mis une bleusaille sur le coup. Il est
jeune, c’est un provincial, et il aura du mal à le coincer. En
plus, il est lui aussi porté disparu !
— Non merci. Dans votre classement, Craig Carter
postule aux places d’agent double, de trafiquant, d’occultiste
et peut-être d’échappé de l’asile ! Cela fait beaucoup pour
un seul homme...
— Oui, et j’ai fait mander une équipe d’enquêteurs
pour tirer au clair cette histoire d’absinthés nocturnes qui
attaquent les passants.
— Vous aurez beau séparer l’affaire Carter en deux, ce
ne sont pas ces personnes inexpérimentées qui vont faire un
meilleur travail que des professionnels comme moi. Je sais
que vous manquez d’effectifs, mais...
Lépine s’emporta :
— Il est de notre ressort de tenir, encore et encore ! Avec
de l’audace, toujours de l’audace et de l’innovation, nous
tiendrons ! Notre ministère semble le seul capable d’agir
alors que notre gouvernement ne fait que légiférer, se retirant
de son rôle social et économique. Comment voulez-vous que
ces... délits graves n’adviennent point ?
— La République tant vantée est un colosse aux pieds
d’argile. Aucun régime n’a rallié l’unanimité de tous, mais la
république est celui qui nous divise le moins. Grâce à elle, la
 Chapitre 6
promotion se fait non plus par la naissance, mais aussi par
le mérite, l’instruction et la propriété ! Elle est cependant
tiraillée entre les gauchistes – dont je suis sympathisant – et
les conservateurs de droite, parfois extrémistes, dont vous
avez fait votre camp...
Lépine ne releva pas cette pique politique bien anodine.
Il voyait la république comme un idéal commun, qui
méritait que l’on ne s’arrêtât point à ces clivages. Et la
Troisième République avait plus que jamais besoin de cette
Union Sacrée pour la sauver.
La République en danger
La mort du président Faure
Le criminologue se leva pour saisir quelques journaux
disposés pêle-mêle sur le bureau. Son choix se porta sur
Le Colporteur et L’Aurore, dont il exposa les titres cinglants
sous le nez du préfet de police.
— « Ce n’est pas un français de moins, mais une place à
prendre ». Dixit Clemenceau, dans Le Colporteur. Plus loin :
« Il voulait être César, hélas, il ne fut que Pompée ». Quant
à L’Aurore, elle titre : « En entrant dans le néant, il a dû se
sentir chez lui. »
— Vous imposez ces torchons à ma vue comme si vous
brandissiez une vérité biblique. C’est idiot.
— Pas tant que cela. Cette presse, que vous détestez
tant, n’est que le relais des opinions du peuple. Il n’y a plus
de Napoléon III pour la censurer. Avouez qu’un président
mourant un seize février dans l’exercice de ses fonctions,
qui plus est dans les bras de sa maîtresse... Il y a là de quoi
faire sensation. Et si vous voulez mon avis, sans doute est-ce
l’œuvre d’une dragée aphrodisiaque ayant excité sa virilité de
quinquagénaire.
— Vous n’avez pas à déballer la vie privée de feu le
Président. Certes, il avait un goût immodéré du luxe, un point
commun avec nos anciens rois, mais sans en avoir la prestance
et le pouvoir. En tout cas, je ne démords pas que ce trépas aux
allures heureuses n’est en réalité qu’un odieux coup d’état.
L’atmosphère se fit plus solennelle, comme si nos deux
hommes venaient de pointer du doigt la mèche prête à
mettre le feu aux poudres de la conspiration. Faisant preuve
d’un flegme qui traduisait une dédaigneuse confiance en son
jugement, le criminologue poursuivit :
— Cet agité du bocal de Paul Déroulède commence à
exciter les foules pour tirer sur l’Allemagne. Le successeur
pressenti de Faure serait Émile Loubet, ce défenseur de
Dreyfus, ami des juifs qui, vous en conviendrez, aura du
mal à faire l’unanimité ! Nos présidents partagent plus de
points communs avec nos anciens rois qu’il n’y paraît : ils
représentent la République comme le roi son royaume, leur
droit de grâce renvoie aux vieilles lettres de rémission, ils
ont ce droit régalien de vie et de mort quand ils déclarent la
guerre, et le Palais de l’Élysée est un pastiche de ce lupanar
qu’était Versailles. Quoique pour Faure, il s’agissait plutôt
d’un harem turc...
202
Le criminologue calma sa verve, échaudé par le regard
assassin de Lépine.
— Convenons que le Président n’est qu’un fantoche,
un pur produit de manipulations dans les alcôves du
pouvoir, une marionnette manipulée par des experts en la
matière qui feraient pâlir de jalousie Machiavel. Rappelez-
vous ce que disait ce crétin de Clemenceau : « Votons pour
Carnot, il n’est pas très fort mais il a un nom républicain ». La
République, mon cher préfet, est aussi fragile que les bustes
féminins censés la représenter.
A ces mots, il caressa affectueusement la reproduction
miniature de la Liberté Guidant le Peuple qui trônait en face
du bureau.
Le suffrage universel : une panacée ?
Le criminologue interrompit la contemplation de
Lépine, qui continuait à promener ses doigts sur la Marianne
figée en un masque de furie.
— Comptez-vous rebondir sur l’affaire Nicolas de
Marcilly ?
— Cet agitateur populiste qui arrose les bars de
banlieue pour se faire élire député ? Il devrait suffisamment
payer pour ses autres crimes sans que je n’aie besoin de
le poursuivre encore. De plus, il n’a pas enfreint le code
électoral qui permet ce genre de « prodigalité ». Sous
le Second Empire, les largesses de bienfaiteurs étaient
même encouragées, et rien n’a changé depuis. Et puis,
poursuivre un corrupteur d’électeur pour deux ans de
prison et cinq mille francs d’amende... Nous avons
d’autres priorités !
— Convenez simplement, monsieur le préfet, que le
suffrage est dangereux lorsque le niveau d’instruction poli-
tique des masses n’est pas élevé. Le peuple, dans sa naïveté,
est capable de se jeter dans les bras du premier populiste,
sectaire, royaliste ou conservateur venu qui lui ferait miroiter
la lune.
Lépine se lissa la moustache, un geste fétiche destiné à
le rassurer.
— Prions donc pour que la République ne perde pas
pied. Je me vois mal guerroyer contre les teutons, ou obéir
à un héritier des Bourbons. Maintenant, cher ami, je vous
demanderai de bien vouloir partir. J’attends la venue de
l’équipe d’enquêteurs en question.
Le criminologue quitta les lieux par une porte dérobée
cachée à côté d’une armoire. Il aimait cette issue en trompe-
l’œil, qui avait un je-ne-sais-quoi d’excitant.
 Rumeurs & Documents
Repères
 1848 : élargissement du suffrage universel masculin
par la suppression du cens de 200 francs. On passe
de 0,24 à 9 millions d’électeurs.
 1872 : dès les lendemains de la défaite face à la Prusse,
le service militaire est rétabli pour cinq ans. L’élection
se fait par tirage au sort, avec de nombreuses dispenses
pour les ecclésiastiques, les professeurs et les privilégiés.
 1873 : l’ordre moral sévit en France : la presse
est muselée, la défaite est présentée comme la
manifestation d’un courroux divin contre la France
pécheresse. On souscrit pour édifier le Sacré-Cœur
à Montmartre.
 1875 : la République est inscrite durablement dans la
Constitution française.
 1881 : les libertés de la presse et de réunion sont
garanties. L’instruction publique est rendue obli-
gatoire.
 1884 : le droit au divorce est finalement rétabli. Il
avait été supprimé lors de la Restauration de 1816.
 1886 : le général Boulanger, fervent partisan d’une
revanche contre l’Allemagne de Bismarck, est nommé
ministre de l’armée. Les familles royales ayant régné
en France sont par ailleurs contraintes à l’exil.
 1887 : lors de l’affaire Schnaebele, un officier
français est arrêté par les allemands pour espionnage ;
Boulanger veut déclarer un ultimatum à l’Allemagne.
Le président Grévy oppose son veto.
 1888 : le parti révisionniste voit le jour, avec son
credo « dissolution, révision, constituante ». Une
menace anti-républicaine de plus.
 1889 : on abandonne le scrutin de liste pour le
scrutin uninominal comportant un seul candidat. Cela
favorise les personnalités connues et le clientélisme
local. Par ailleurs, la République rayonne grâce à
l’Exposition Universelle et au clou du spectacle : la tour
de l’ingénieur Eiffel.
 1889 : Boulanger hésite à s’emparer du pouvoir,
tergiverse pour finalement fuir en Belgique sous
l’influence de Madame Bonnemain. Il est condamné
par contumace à la déportation.
 1892 : La Libre Parole est la première à dénoncer le
scandale de Panama, où la société exploitante versa
des pots-de-vin à de nombreux députés. L’Assemblée
Nationale est désavouée et perd du crédit.
 1895 : édition de La Psychologie des Foules de
Gustave Le Bon, où il suggère le resserrement
dirigiste du peuple autour d’un meneur de foules,
qu’il soit duce, caudillo, conducator ou führer.
Prophète pour les uns, contre utopistes pour
d’autres, Le Bon ne déchaînera pas les passions.
203
Les deux faces
de l’Angleterre victorienne
L’aboutissement de l’âge du fer et de l’acier
« En premier lieu je crois en
l’Empire britannique, et en second
lieu je crois en la race britannique.
Je crois que la race britannique est
la plus grande des races impériales
que le monde ait connues. Je dis
cela non comme une vaine vantar-
dise, mais comme une chose prouvée
à l’évidence par les succès que nous
avons remportés en administrant les
vastes possessions reliées à ces petites
îles, et je crois donc qu’il n’existe pas
de limite à son avenir. »
Discours de
Joseph Chamberlain,
Ministre des Colonies de
Grande-Bretagne (1895)
Voyage de Craig Carter, agent britannique en poste
à Paris, de retour chez lui (octobre 1898) : les quais de la
Tamise, près de Tower Bridge.
Rendez-vous avec le Maître
— Après avoir goûté aux odeurs âcres des fumées, de
la vapeur et de la suie de la gare Waterloo, tu dois être bien
aise de respirer des effluves de breakfast et d’épices méditer-
ranéennes dans ce bon vieux quartier de Soho, mon cher
protégé. Mon vieux cœur en eut été peiné si tu avais humé
notre Londres comme une étouffante chaufferie infernale.
— Mon cher Maître, vous savez mieux que personne
que ces visions enchanteresses me comblent de la même joie
que lorsque je traînais ici enfant.
Carter se ravisa et cessa de parler du paysage. Ils avaient
atteint le pont et il n’était pas sans ignorer que son mentor
n’y voyait goutte, sa cécité le condamnant aux ténèbres.
Il s’était toujours demandé comment il lui était possible
d’appréhender son environnement sans la vue... Mais il
possédait d’autres atouts : cet homme, qui avait élevé Carter
depuis son entrée dans l’âge adulte, possédait ce don
commun aux aveugles de deviner les pensées les plus intimes
de ses interlocuteurs.
— Rassure-toi, Craig. Si je ne puis voir grand chose,
il me reste l’ouie et l’odorat. Les roues cerclées de fer des
voitures de la City qui roulent sur ces pavés de granit me
parviennent avec la brise. J’entends ce prédicateur avec sa
Bible et son parapluie – cela, je le postule – et le vacarme
d’une ville dont le pouls n’a jamais été aussi vif. J’espère que
Paris te convient autant, mon enfant.
 Chapitre 6
— En fait je vous envie, Maître. Paris est belle mais
elle n’a pas l’universalité de Londres. En revenant ici,
en Angleterre, je n’ai vu que mines, usines, vapeur et
commerces maritimes... Autant d’éléments de puissance qui
m’ont frappé, dynamisés par le mouvement du train qui m’a
mené jusqu’ici. Croyez-moi : notre innovation technique est
sans commune mesure dans le monde.
Maître Gul semblait plongé dans ses pensées les plus
profondes, comme s’il tissait le lien reliant l’Angleterre de
son enfance à l’Empire britannique d’aujourd’hui. Quatre
vingt années les séparaient...
— Un travail de titan réalisé grâce à nos valeurs puri-
taines d’économie, de force de travail, de moralité intran-
sigeante, sous le patronage de monarques éclairés mais sans
pouvoir réel. Ici, l’État guide sans intervenir pesamment
dans la société. Dis-moi, cette République... Te fait-elle
bonne impression ?
Il comprit immédiatement que le silence de Carter
cachait sa profonde déception du modèle français. Il en
était peut-être coupable, lui qui l’avait éduqué dans le strict
respect de l’Union Jack. Carter éluda la question.
— J’aimerais retourner au Crystal Palace, ce n’est pas
très loin. Me suivrez-vous ?
Les villes tentaculaires
vues par Émile Verhaeren (1895)
Voici les docks, les ports, les ponts, les phares,
Et les gares folles de tintamarres ;
Et plus lointain encore des toits d’autres usines,
Et des cuves et des forges et des cuisines
Formidables de naphte et de résines
Dont les meutes de feu et de lueurs grandies
Mordent parfois le ciel, à coups d’abois
et d’incendies.
Au long du vieux canal à l’infini,
Par à travers l’immensité de la misère,
Des chemins noirs et des routes de pierre,
Les nuits, les jours, toujours,
Ronflent les continus battements sourds,
Dans les faubourgs,
Des fabriques et des usines symétriques.
Crystal Palace
Crystal Palace représentait le parangon de l’Exposition
Universelle de 1862 sous la forme d’un dôme gigantesque de
fer et d’acier, d’immenses plantes grimpantes, d’une fontaine
de cristal et de cinq cent mètres de chef-d’œuvre adossés
sur la colline de Sydenhman. On aurait dit une cathédrale
des temps modernes renfermant les statues de ses nouveaux
héros : les hommes ayant fait l’Angleterre moderne, fièrement
dressés sur leurs piédestaux, trônant au sein d’une végétation
luxuriante qui rassemblait un maximum d’essences connues.
Le triomphe d’un empire avide de découverte et de triomphe
204
sur l’inconnu, faisant du monde son jardin intérieur. Crystal
Palace affichait pourtant un charme désuet et rétrograde,
en comparaison des chefs-d’œuvre étrangers l’ayant depuis
rendu obsolète.
— Je comprends votre empressement, mais la cohue du
dôme n’est guère ma tasse de thé. Je préfère m’en retourner
écouter les cloches des assureurs qui sonnent les retours des
paquebots transatlantiques... Leurs bruits transportent mes
vieux sens et aiguisent mon imagination. Si le soleil s’est
couché sur mes yeux, il ne se couchera jamais sur l’empire
britannique...
— La brume commence à se dissiper. Nous risquons de
manquer le lever du soleil sur l’embouchure de la Tamise,
la Porte Océane. Je prends congé de vous, Maître William
Gul. J’espère vous revoir bientôt. Un ministre de la Reine
m’attend pour un rapport sur mes activités.
Maître Gul acquiesça, puis s’en retourna vers Blackfriars.
Il ne pouvait se tromper de direction : si Londres avait un
corps, ce quartier en serait le tube digestif. L’odeur d’opium,
de gin âcre et de bière acide excita ses narines. Il esquissa
un sourire de satisfaction et consulta sa montre : il était
neuf heures. L’horloge du Parlement sonna en écho à sa
découverte. Son client, en provenance de Paris, devrait
bientôt arriver.
Bas les masques
« Le fleuve vomit coton, drap, acier, fer, couleur de fange,
sous un ciel couleur de tombe. Rues impersonnelles où les gens
ne parlent fort qu’ivres du poison des public houses. Chez le
pauvre, le vêtement a l’air d’une peau qui s’écaille, d’une lèpre
qui tombe. C’est déchiqueté, comme si des rats avaient voulu
dévorer l’homme, comme si on avait donné des coups de fourche
là-dedans. Puis il y a sur les visages une telle expression de fati-
gue et de terreur ! »
Jules Vallès, expatrié à Londres
Le même jour, à quelques encablures de là.
William Northbone était de retour dans cette Babylone
du nord de Londres, ce quartier où se concentraient tous
ses vices et ses petites vertus. L’Angleterre des bas-fonds,
identique aux tableaux dressés par Dickens, était tout sauf
un havre de paix, la promesse éclatante d’un futur ténébreux
pour cet occultiste ré-optimate aux idées eschatologiques
bien affirmées. Les quelques bobbies croisés en chemin ne
suffisaient guère à juguler la flambée de la délinquance. La
purée de pois jaunâtre et pénétrante de Londres servait de
paravent à tous les crimes.
Il repéra des gentlemen occupés par leur commerce
précipité avec quelques péripatéticiennes. Il se gaussa de
la pudibonderie victorienne, qu’on aurait dû qualifier
d’albertinienne dans la mesure où les valeurs morales de
la reine s’avéraient plus souples que celles de son défunt
mari, surtout quand elles concernaient sa propre famille.
 Rumeurs & Documents
Bien que né sur cette terre qui avait accueilli ses
Repères illustres mentors (le souvenir tenace d’Aleister Crowley
demeurait en lui), il n’avait jamais pu goûter à l’optimisme
 1829 : création des bobbies, policiers anglais typiques, et au messianisme délirants des gentilshommes victoriens.
par Robert Peel.
Ceux-ci avaient trop rapidement tombé les masques, après
 1837 : début du règne de Victoria qui succède à
avoir longtemps caché sous leur flegme un appétit féroce
George III.
 1851 : le Religious Census révèle que la moitié de la popu-
pour les interdits. Un forain tenta de l’agripper pour
lation et trois quarts des citadins sont déchristianisés. l’amener vers une cage censée abriter un monstrueux
 1860 : mariage heureux de Victoria avec le prince homme-éléphant. Le regard hypnotique de l’occultiste eut
Albert de Saxe-Cobourg, qui disparaît prématurément raison de l’opiniâtreté du malandrin, qui le lâcha derechef. Il
l’année suivante, victime du choléra véhiculé par les n’avait pas de temps à perdre avec un freak dégénéré, lui qui
eaux de la Tamise. conversait librement avec les esprits fusant dans le fog.
 1876 : Victoria est proclamée impératrice des Indes.
 1878 : le révérend William Booth, consterné par la Sodome et Gomorrhe
misère et l’enfer social qui règnent dans le pays, créée
l’Armée du Salut pour porter secours aux démunis et
évangéliser les pécheurs et les incrédules. Le sorcier ne perdait pas de vue sa destination : les docks du
 1884 : la Fabian Society de Londres tente de East End et leurs vapeurs délétères. Un contact l’y attendait, un vieil
promouvoir un socialisme réformiste, afin de changer homme respectable du nom de Gul qui devait lui offrir les clefs d’im-
graduellement et pacifiquement la société capitaliste. portations illégales d’antiquités égyptiennes. Car telle était la vocation
 1885 : le romancier Stevenson publie L’Étrange Cas du de Londres : initialement citadelle et phare du XIXème siècle, elle était
Docteur Jekyll et Mr Hyde inspiré, dit-il, de faits réels. devenue la Sodome et Gomorrhe des temps modernes, perméable à
 1891 : un aventurier bon écrivain, Conan Doyle, toutes les influences maudites et malsaines d’un monde à l’agonie.
publie Les Aventures de Sherlock Holmes.
Des citoyens démunis contre le crime se
persuadent que ce personnage existe bel et
bien à Baker Street. Les lettres commencent à
y affluer. Scotland Yard jalouse ce succès.
 1892 : grosse pression contre le dramaturge
G.B. Shaw, adepte de la Fabian Society,
qui se livre à de violents pamphlets
contre l’« hypocrisie et les vices de la société
victorienne ».
 1895 : l’écrivain Oscar Wilde est condamné à
deux ans de travaux forcés pour homosexualité
et détournement de mineur. C’est le début de
la déchéance morale et sociale de l’auteur qui
ne s’en relèvera pas.
 1897 : second jubilé de la reine dans une
atmosphère de ferveur populaire.

Accoucher sans douleur, braver la malédiction

d’Eve était un péché et elle n’en avait cure.
De surcroît elle fumait, occasionnellement,
du cannabis. William Northbone jura sa perte
et celle de tous ses semblables. Comme au
Moyen-Âge, la personne du roi incarnait encore
l’esprit de sa nation : Londres, sous sa façade
austère, fourmillait de jouisseurs adultères, de
prostituées demi-mondaines, d’écrits légers et
subversifs. Quand l’Angleterre ne suffisait plus
comme défouloir, les grands hommes éructaient
leurs pulsions dans le travail, l’exploration,
le voyage et la conquête coloniale. Pour lui,
l’héroïne du Règne n’était point cette Victoria
affable et boudinée mais la Maximum Machine
Gun, une mitrailleuse automatique qu’il avait
contemplée lors d’une exposition la veille au
soir. L’Angleterre, pour asseoir sa domination,
recourait à la toute puissance de l’acier, chantre
de la mort programmée.

205
 Chapitre 6
Le voyageur, évité par la grâce d’on ne sait quel miracle par
les malfrats du coin, rêvassait en imaginant la ville détruite,
créant une profusion de ruines à l’égal de la Rome antique. Il
songea au tableau de Théophile Couture, L’Effondrement de
l’Empire Romain, et à ses noceurs incapables de faire face aux
dangers qui guettaient leur misérable civilisation. Proférant
une ultime promesse de mort violente au victorianisme,
l’occultiste pressa le pas. Il n’aimait pas se faire attendre.
Il devait rencontrer l’homme qui lui apporterait tous les
ingrédients de sa prochaine expérience : parchemins, objets
funéraires et momies égyptiennes.
Les soubresauts révolutionnaires
Souvenirs des temps passés
« Qu’est l’ennemi ? L’ennemi c’est plus et moins qu’un
homme. C’est un ensemble de faits hideux qui pèse sur le monde
et qui les dévore. C’est un monstre aux mille griffes, quoique
cela n’ait qu’une tête. L’ennemi, c’est cette incarnation du vieux
crime militaire et monarchique, qui nous bâillonne et nous
spolie, qui met la main sur nos bouches et dans nos poches, qui
a les millions, qui a les budgets, les juges, les prêtres, les valets, les
palais, les listes civiles, toutes les armées et pas un seul peuple. »
Victor Hugo depuis Guernesey,
contre le coup d’état de Napoléon III
Bienvenue au club Lovelace !
Paris, quartier latin, un beau jour de février 1899.
Rive gauche de la Seine, aux alentours de minuit. Les
ruelles tortueuses du dénommé « Quartier Latin », cœur
historique de Paris, demeuraient l’un des rares vestiges
indemnes de la tornade haussmannienne. Ultime survivance
médiévale, où seuls les lampadaires démontraient une
certaine modernité. Un homme louvoyait à travers ce
dédale, tel un indien traversant la jungle sans la moindre
hésitation. La faune locale s’avérait fort peu dangereuse,
malgré l’heure avancée de la nuit : les noceurs, étudiants et
célibataires en quête de l’âme sœur remarquèrent à peine
l’inconnu pressé. Les Halles aux Vins se situaient à deux pas
à l’est, et bon nombre de noctambules avinés se faisaient
régulièrement renverser par le tramway qui coupait le
boulevard Saint-Germain, mais notre quidam n’était pas de
cette trempe. Il avait avalé en Guyane bien plus d’alcool que
jamais ne pourraient en engloutir ces pauvres hères.
L’Ex-Bagnard rejoignit enfin le quai des Grands Augustins
pour rejoindre sa destination, le Club Lovelace. Des membres
de sa clique divaguaient plus loin pour lui prêter main forte
en cas de problème ; mais rencontrer un politicard pour une
offre d’emploi ne devait pas être si périlleux. Cependant, dix
années à Cayenne vous apprennent que les serpents les plus
venimeux ne rampent pas forcément à terre.
206
Une heure plus tard. Le docteur Lovelace aimait à
manipuler la plèbe de son verbe. Adepte du « je est
un autre », il avait trouvé charmant ce surnom qui lui
évoquait à la fois le côté séducteur, pervers et cynique de sa
personnalité. Il l’avait emprunté à lady Lovelace, la fille du
poète Byron, inventrice du calculateur : une machine dont il
incarnait l’exacte allégorie. Mais, parfois, les grains de sable
s’immiscent dans les mécaniques les mieux huilées. A la
suite de leurs premiers échanges, il s’aperçut que le bagnard
résistait facilement à son embrigadement, destiné à faire de
lui un homme de main pour ses malversations politiques.
Le docteur Lovelace était un sataniste sans réelle conviction,
et c’était la première fois qu’il rencontrait quelqu’un qui
revenait réellement des enfers. Il tenta de l’amener sur le
terrain de la mystique révolutionnaire ; mal lui en prit.
Pourfendre la République
— Monsieur, vous avez longuement souffert de l’injustice
prônée par les autorités de ce pays. La République a une
dette envers vous : elle ne pourra s’en acquitter que le jour
où elle tombera entre vos mains. Rejoignez mon combat
politique.
— Et vous me proposez quoi ?
— Votre choix sera le mien. Êtes-vous porté à droite, du
côté des aristocrates légitimistes, des bourgeois orléanistes,
des populistes autoritaires ? Ou seriez-vous plutôt de gauche,
partisan des grandes libérations nationales de 1830 et 1848,
un gauchiste républicain à la Jules Ferry, ou plutôt un radical
socialiste comme Jean Jaurès ?
— Je me balance royalement de vos partis politiques.
Le Gourou pensait toucher la quintessence de son
discours. Tel un sophiste, il avait amené son élève là où il le
souhaitait, au bord du précipice argumentaire.
— Mais moi aussi, figurez-vous ! Quel que soit l’habit,
le moine professe la même chose : la Révolution ! Je vous
propose de renverser cette chienlit qu’est la République, au
nom du Grand Révolté ! Nous sommes des anges déchus qui
ne demandent qu’à retourner au Ciel !
Le rapatrié haussa les yeux.
— Je trouve que vous allez un peu loin, sauf votre
respect. Me venger, d’accord, mais contre le bon Dieu et
l’humanité entière, c’est autre chose.
Indigné, Lovelace baissa le ton.
— Faites-moi part de votre expérience révolutionnaire et
nous aviserons des suites à donner à notre association.
 Rumeurs & Documents
Les spectres de la Commune
« Il y a sous toutes les grandes villes des fosses aux lions,
des cavernes fermées d’épais barreaux où l’on parque les
bêtes fauves, les bêtes puantes, les bêtes venimeuses, toutes les
perversités réfractaires que la civilisation n’a pu apprivoiser,
ceux qui aiment le sang, ceux que l’incendie amuse comme un
feu d’artifice, ceux que le vol délecte, ceux pour qui l’attentat
à la pudeur représente l’amour, tous les monstres du cœur, tous
les difformes de l’âme ; population immonde, inconnue au jour,
et qui grouille sinistrement dans les profondeurs des ténèbres
souterraines. Un jour, il advient ceci que le belluaire distrait
oublie ses clefs aux portes de la ménagerie, et les animaux
féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements
sauvages. Des cages ouvertes, s’élancent les hyènes de 93 et les
gorilles de la Commune. »
Théophile Gautier,
Paris-Capitale, Tableaux du Siège de Paris
(1870-1872)
La révolte avortée du peuple
Improvisé aliéniste, le Gourou installa son candidat dans
un divan confortable. Il voyait en lui un joyau à tailler : son
apolitisme, son athéisme lui semblaient modelables à loisir.
De ses paroles hypnotiques, il suggéra – ordonna ? – à son
invité de lui raconter les affres vécues lors de la Commune.
— Je crois que si nombre de mes camarades sont
morts là-bas, mon âme est restée en leur compagnie. Je ne
suis plus que l’ombre de moi-même. Vous savez, monter à
Paris à dix-sept ans pour libérer la patrie des prussiens, en
1870, il fallait déjà être sacrément dérangé. Arrivé là-bas,
ici, constater la trogne désabusée des gens quand on leur
annonce qu’il faut évacuer les forts, désarmer contre du pain,
c’en était trop. On aurait dit que les habitants étaient bien
plus ivres de liberté que du pain synonyme de soumission.
L'Ex-Bagnard reprit une profonde respiration et se
détendit, encouragé par les vapeurs délétères de l’encens.
— Quand Thiers s’est barré de la capitale, on avait
une forêt vierge à défricher. On pensait pas que les dragons
versaillais attendaient leur heure pour se déverser dans la
ville. Paris libre rassemblait des personnes de tout bord,
un peu ce que vous avez proposé avant : des convaincus
de l’action violente, des bourgeois socialistes, des officiers
patriotes, des communistes de l’Internationale... On s’est
même séparés de l’Église et je n’ai jamais remis les pieds chez
le bon Dieu depuis.
Lovelace jubila intérieurement de cette révélation malgré
son évident scepticisme. Parfois, par la force de sa propre
persuasion, il était capable d’être dupe de lui-même...
— Les barricades, les forts sont tombés un par un. Dès
que les rats se sont déversés par Saint-Cloud, c’en était fini
de l’utopie. Des communards qui se prenaient pour des
Néron ont tenté d’incendier les bâtiments de la ville, comme
une vengeance posthume. Les derniers ont résisté au Père
207
Repères
 1789 : Révolution française. Des idéaux mettent à bas
l’idée de légitimité monarchique et d’absolutisme de
droit divin. Le Roi et Dieu sont mis en retrait par
rapport au peuple.
 1793 : un point de non-retour. Exécution du roi Louis
XVI, extension de la Révolution aux pays voisins, ins-
tauration du régime de la Terreur dont la maxime reste
« Liberté, égalité, fraternité... ou la Mort ».
 1799 : prise de pouvoir par le jeune général Bonaparte
rentré d’Égypte. La notion de coup d’état par la force
rentre dans le vocabulaire politique français.
 1805 : Ier Empire, l’Europe est aux pieds – ou presque –
de Napoléon ; les acquis révolutionnaires, dont le Code
Civil, sont exportés dans tous les pays occupés.
 1815 : défaite du désormais légendaire Napoléon.
Restauration du drapeau blanc et de la Monarchie.
L’Histoire marche à rebours. Le peuple ne peut
prétendre à l’exercice du pouvoir.
 1815 : l’Espagne regorge de sociétés secrètes rêvant de met-
tre à mal leur monarchie absolue. Carbonari, Comuneros
et francs-maçons essuient les représailles royales.
 1830 : les émeutes parisiennes des « Trois Glorieuses »
aboutissent au départ du roi Charles X. Les
orléanistes imposent le modéré Louis-Philippe. Dans
le même temps, la Belgique s’affranchit de la tutelle
néerlandaise.
 1848 : la République est proclamée en France,
Louis-Philippe abdique et fuit en Angleterre. Le
suffrage universel est restauré. La révolte de Sicile
fait rebondir la contestation de Naples contre son
souverain. En écho, Vienne voit ses faubourgs se
soulever et se dote d’un Parlement. Bis repetita à
Berlin. Vienne s’en remet à peine qu’elle doit mater
la rébellion ouverte de la ville de Milan. Le drapeau
rouge flotte pour un temps sur le continent avant les
réactions royalistes.
 1851 : coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte,
neveu du précédent. L’Empire, rétabli par plébiscite,
s’installe dès l’année suivante en France. L’opposition
républicaine se met en place.
 1861 : début de la guerre de Sécession aux États-Unis.
Les confédérés du Sud veulent éviter la ruine causée
par l’abolition progressiste de l’esclavage. La même
année, une nouvelle nation européenne réalise son
unité : l’Italie.
 1866 : l’Allemagne naît sous l’impulsion fédératrice
de la Prusse de Bismarck.
 1870 : guerre entre la France et la Prusse et déroute
des armées de Napoléon III qui capitule à Sedan.
On prend la mesure du retard de la France comme
« égérie universelle ». Gambetta prononce à Paris la
déchéance de la monarchie.
 1871 : Paris, malgré une défense héroïque, doit se
rendre aux prussiens. Le gouvernement doit fuir
devant l’hostilité de parisiens minés par les privations
et l’inutilité de leur sacrifice. La Commune, ou
Semaine Sanglante, prendra l’allure d’une effroyable
guerre civile.
 Chapitre 6

Lachaise : ils avaient sûrement conscience d’avoir un pied Des convulsions de révoltes
dans la tombe. Je suis passé au Mur des Fusillés et j’y ai vu
pas mal de vieilles veuves se recueillir, encore aujourd’hui.
toujours présentes
Les journaux ont compté trente mille fusillés, c’est pas rien.
Sans compter les déportés.
— Dont vous faites partie. L’auberge espagnole
— Non. Moi, je suis retourné dans les Ardennes et j’ai
échappé à la Nouvelle-Calédonie. Mais pendant une soirée « L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment
trop arrosée, des années plus tard, je me suis un peu trop froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : moi,
confié au tenancier ultra-républicain. On me l’a fait chère- l’État, je suis le peuple. »
ment payer à Cayenne.
Le Gourou constatait à quel point l’évocation de ces Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathousta
souvenirs rallumait la flamme du révolté, longuement
éteinte sous le climat humide Un congrès sans intérêt
des Amériques. Il revint sur sa
proposition : Paris, rue du Petit Musc
— Que pensez-vous (mars 1899)
maintenant de notre éven-
tuelle association de biens ? Rue du Petit Musc,
L'Ex-Bagnard émergea à proximité de la place de
brusquement de sa transe la Bastille. L’artère portait
hypnotique. Il secoua la tête, bien son nom, en ce jour
se leva et reprit son chapeau. ensoleillé où remontaient
— Vous savez, j’ai milité les atmosphères putrides des
et je suis apolitique. J’ai voulu égouts qui se déversaient dans
défendre la France et j’ai fini le canal de l’Arsenal.
par devenir indésirable sur son Adrien Joly, anarchiste,
sol. J’ai prié Dieu pour me ouvrier padleur de profession,
retrouver sur l’Île du Diable. avait quitté son usine en fin
Votre Grand Révolté ne me d’après-midi pour participer
fait pas jouir. Le Diable et la à ce premier congrès informel
Révolution que vous invoquez depuis son arrivée dans la
sans les connaître, cela fait capitale. Il espérait que sa
longtemps que je les ai laissés femme n’y voit pas un nouveau
avec mon passé. prétexte pour s’enivrer dans
Le docteur Lovelace s’offusqua : un caboulot de la banlieue rouge. La pauvre comptait
— Si les braises que vous représentez s’éteignent, je vainement sur lui pour s’occuper des trois chiourmes, sans
comprends à quel point l’Histoire ralentit et pleure sur comprendre que son combat personnel pourrait changer
les cendres du brasier de 1789. Je comprends la nature leur avenir tout tracé. Il invectiva un écorcheur de chiens
du désespoir et de l’ennui qui agitent nos compatriotes. au passage mais renonça à lui chercher querelle, pressé par
Je garderai l’incendie pour des gens plus méritants que le temps.
vous.
— Sans vous offenser, après une décennie de bagne, on L’arrière-salle du troquet offrait un spectacle dont
n’est pas pressé et pas fâché que le cours du temps s’arrête l’intérêt variait selon quantité de points de vue. Pour un
un peu... représentant de la loi, c’était l’occasion d’une descente
Sans plus de cérémonie, il prit congé et quitta l’hôtel inespérée dans les milieux anarchistes, d’un coup de filet
particulier pour reprendre sa quête d’un travail honorable. magique qui aurait pu permettre de décapiter l’hydre
incarnée par ces révolutionnaires vautrés sur leurs bancs qui
sirotaient tranquillement leurs bières. Pour un écrivaillon
en quête d’un café politique, c’était le moyen le plus sûr
d’échapper à une soirée ennuyeuse, de trouver dans ces
figures si éclectiques les personnages d’un prochain roman.
Pour notre ouvrier, c’était l’occasion inespérée de s’abreuver
de leur conscience antisociale, d’échafauder des plans pour
déstabiliser un modèle légitime par trop arbitraire.
Quatre personnes attendaient tranquillement sa venue.
Quatre anarchistes ayant répondu au vaste appel qu’il avait

208
 Rumeurs & Documents
lancé : c’était bien peu. Ils avaient déjà commencé les débats.
Adrien identifia rapidement les mouvances de chacun en se
contentant d’observer ce qu’ils consommaient. Les opinions
proférées corroborèrent rapidement ses hypothèses.
Un quadragénaire, engoncé dans un costume de soldat
élimé, tripotait son cigare Opéra sans songer à l’allumer.
Son accent le définissait comme un anar russe, sosie de
Koproknine, sans doute l’un de ces norodniki ayant tenté
d’assassiner Nicolas II une vingtaine d’années auparavant.
Il restait sur sa superbe, mais aussi sur sa réserve, comme
dépassé par les discours nouveaux que lui assénaient ses
convives. Une femme – trop prolixe au goût de l’ouvrier – ne
cessait d’asséner un discours pacifiste prônant le droit à la
réunion, le devoir de conciliation sans terreur démoralisante.
En bon alsacien, le nouveau venu reconnut en elle une
allemande spartakiste, tellement obnubilée par son discours
qu’elle laissait mourir son café-cognac dans sa tasse.
Le charisme de cette femme menue contrastait avec
l’imposant gorille tatoué qui sirotait une absinthe soixante
huit degrés supérieure. Un ouvrier, comme lui. A deux
francs quarante le verre, le mastodonte avait dû profiter
de l’hospitalité présidée lors de ces réunions politiques. Il
reconnut en lui l’un des bras armé du « Drapeau Noir », ce
groupe craint et respecté qui préconisait l’empoisonnement
pur et simple des patrons. Le géant ne disait mot, tel un titan
couvant sa révolte.
Enfin, la palme des mains les plus douces ne revenait pas
à la spartakiste mais au barbu chauve placé à sa droite, sans
doute un écrivain, très occupé à griffonner sur un carnet tout
en avalant son Guignolet et en prisant son tabac Maryland.
Lui, on pouvait se demander ce qu’il fichait là. Pourtant,
Adrien en était sûr : il l’avait déjà vu quelque part. Peut-être
sur une affiche placardée dans les grands boulevards...
Le poisson mord à l’hameçon...
Le soliloque de la teutonne indisposa rapidement notre
Anarchiste, qui coupa court à son utopie.
— Messieurs, Mademoiselle, je ne suis pas là pour
entendre des discours dignes de l’Assemblée Nationale.
A ces mots, il cracha par terre.
— Ce que je veux, c’est élaborer un vrai plan d’action
pour en finir avec cette mascarade.
Ce dernier terme impressionna vivement les hôtes,
surtout l’écrivain qui, levant le nez, dévisagea cet ouvrier qui
savait si bien abandonner sa gouaille.
— Ça ne peut plus durer. On crève de faim dans les rues.
Y’a encore une Bastille à prendre, au pouvoir central. Il faut
revenir à l’insurrection généralisée comme à la Commune.
— Et finir comme elle, répondit sèchement la
spartakiste.
— Madame – le mot avait été prononcé avec une
sécheresse inouïe – je ne vais pas attendre que vos palabres
prennent vingt ans pour convertir les infidèles. J’ai des
enfants à nourrir maintenant, et pas seulement mon petit
cul à promener.
La dame, outrée, gifla l’insolent qui lui sourit en retour.
209
— Vous parlez d’infidèles, Monsieur, comme si l’anarchie
était cotée à la bourse des religions ! répondit le vieux slave,
bien heureux de pouvoir rebondir sur ce paradoxe.
— Et oui, c’est une affaire de foi. Ravachol est mon
messie, la revue Père Peinard est mon évangile et la chanson
Ravachole est mon cantique. Nous avons déjà eu de
nombreux martyrs.
L’écrivain se réveilla. Derrière ses lorgnons, il lança un
regard quasi-hypnotique à l’orateur ouvrier :
— Vous êtes certain que l’anarchisme ne peut guère
passer par la politique, pour la miner de l’intérieur ?
S’infiltrer au sein de l’ennemi me semble plus efficace que
vos attentats aveugles, certes dans des lieux symboliques,
mais qui insupportent le public et déclenchent les féroces
répressions dont nous sommes les premières victimes !
— Nous avons déjà parlé en politique : souvenez-vous
de la bombe à clous déposée au Parlement, en 1893... Jamais
un membre du peuple n’a été aussi écouté que ce jour-là !
Le mystérieux écrivain prit de nouveau la parole.
— Je partage les opinions de notre padleur. Un orateur
n’est jamais aussi dangereux quand le peuple ne l’écoute
que par crainte. Quand le pouvoir est déstabilisé et les rues
insécurisées, on s’approprie une audience qui dépasse toutes
les espérances.
Le géant intervint une seconde fois dans le débat. Il posa
sa chope, reprit sa respiration et lança :
— Chuis d’accord sur le but, pas sur les moyens. Voir les
camarades crever quand la garde charge les grévistes, ça fait
pas avancer le bazar. Tu t’trompes de cible, mon ami.
— Pourtant, vous n’avez pas hésité à assassiner
votre patron dans une distillerie d’Arcueil, n’est-ce pas ?
L’anarchisme, c’est aussi instaurer la terreur sans s’exposer,
par la violence légitime.
Le géant se tut pour un temps. Personne n’osa prendre
la parole : il semblait moins dangereux d’interrompre sa
voisine que ce mastodonte peu amène. Pourtant, très sûr de
lui, l’écrivain poursuivit :
— Et j’ai les moyens techniques pour faire des feux
d’artifice tous les jours. J’ai par ailleurs contacté un agent
anglais de la préfecture de ce bon Lépine. Il devrait pouvoir
nous être utile.
Le géant reprit la main en secouant la tête.
— C’est pas de l’anarchisme, ça. L’anarchisme, c’est
c’qu’a fait le russe quand on s’est rencontrés.
Le prince russe opina du chef, lissa sa moustache à la
mode Napoléon III, et embraya :
— On était descendus dans les rues pavées de Paname.
Certains endroits n’étaient pas terminés. J’ai pris quelques
cailloux, et je les ai posés pour corriger ces erreurs de voirie.
Il s’interrompit dans sa démonstration pour constater
l’incrédulité du jeune provocateur.
— L’anarchisme est concentré dans ce geste. Si tous les
passants avaient fait de même, nous aurions des avenues
princières plutôt que ces fondrières où nous pataugeons
jour après jour. Chacun doit contribuer dans la mesure de
ses moyens et sans aucune contrainte, ni aucun sacrifice
irréparable.
 Chapitre 6
Il poursuivit :
— J’étais comme vous à l’époque de l’attentat contre
notre Tsar. L’ayant manqué, nous l’avons tout de même
contraint à prendre conscience du mal-être du peuple et à
prendre le chemin de courageuses réformes. Ne succombez
pas à la mystique de la violence. Rejoignez les esthètes que
nous sommes.
L’écrivain sembla réagir au mot « mystique », alors que
le prince russe tendait la main à l’ouvrier exalté. Mais la
pulsion de mort qui habitait ce dernier était plus forte que
la perspective d’entrer dans une communauté d’attentistes.
Il se leva sans plus de cérémonie et sortit du troquet, suivi
Repères.
 1858 : attentat de Felice Orsini, patriote italien, contre
Napoléon III et son épouse à l’Opéra. Plus de peur que
de mal, mais cela donne un prétexte inespéré à l’empe-
reur pour réprimer les contestataires dans tout le pays.
 1872 : Bakounine est exclu de l’Internationale socia-
liste. Partisan de la liberté la plus totale, hostile à toute
forme de pouvoir qui nuit au développement des
individus et des peuples, ses thèses vont inspirer des
générations de sociétés secrètes et d’anarchistes.
 1881 : le tsar Alexandre II de Russie est tué par le
groupe anarchiste nommé « La Volonté », fondé
par le nébuleux Zeljabov, avant qu’il ne puisse
promulguer sa nouvelle constitution. Ses complices
seront pendus.
 1886 : révolte des mineurs de Decazeville ; le sous-
directeur est défenestré. La grève se poursuit 108
jours. Les embryons de syndicats jubilent. En écho, la
grève générale pour la journée de 8 heures est lancée
aux États-Unis le premier mai.
 1889 : Seconde Internationale pour le centenaire de
la prise de la Bastille, rejetant l’idée d’une direction
centralisée au profit d’une multitude de partis
nationaux autonomes.
 1891 : répression de la grève des mineurs de Fourmies
avec les nouveaux fusils Lebel de l’armée. Coup
d’essai, coup de maître : neuf morts tombent sous ses
balles. Le gendre de Marx, Paul Lafargue, sera porté à
la députation de Lille par les ouvriers indignés.
 1892 : procès et exécution de Ravachol. Ses complices font
sauter le restaurant Véry. Aux États-Unis, l’agence de détec-
tives Pinkerton se spécialise comme briseuse de grèves.
 1893 : exclusion des groupes anarchistes de la Seconde
Internationale et début de leur marginalisation.
 1894 : les lois scélérates, projet antiterroriste français,
endiguent la vague d’attentats initiée par Ravachol.
Un anarchiste italien, Caserio, assassine le président
Sadi Carnot.
 1895 : l’Association des Industriels Allemands est
fondée pour résister aux puissants syndicats qui se
mettent en place.
 1898 : l’impératrice d’Autriche Elisabeth, nommée
Sissi, est assassinée sur les bords du lac Léman par
l’anarchiste italien Luigi Luccheni.
210
de loin par ce mystérieux écrivain qui nourrissait de sombres
pensées. Ce dernier le rattrapa et se présenta à lui sous le
nom de Génie du Crime.
— Nous allons faire un bout de chemin ensemble.
J’ai été conquis par votre opiniâtreté. Connaissez-vous les
journalistes de La Libre Parole ? La ligne éditoriale devrait
vous plaire.
Les deux acolytes déambulèrent dans les rues de Paris
comme une mèche courant vers la poudrière...
L’impérialisme : le rêve colonial
Discussion dans un bar :
l’empire britannique et ses marges
« J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier de Londres)
et j’ai assisté à une réunion de sans-travail. J’y ai entendu des
discours forcenés. Ce n’était qu’un cri. Du pain ! Du pain !
Revivant toute la scène en rentrant chez moi, je me sentis encore
plus convaincu qu’avant de l’importance de l’impérialisme...
L’idée qui me tient le plus à coeur, c’est la solution au
problème social : pour sauver les quarante millions d’habitants
du Royaume-Uni d’une guerre civile meurtrière, nous les
colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y
installer l’excédent de notre population, d’y trouver de nouveaux
débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines.
L’Empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous
voulez éviter la guerre civile, il faut devenir impérialiste. »
Cécil Rhodes, Premier Ministre du Cap,
extrait du journal Neue Zeit (1898)
S’étendre par-delà les océans
Un bar de la Route de la Révolte (décembre 1898)
L’atmosphère empestait l’alcool, la fumée et le tabac
bon marché. Michel Royer, député chasseur de la
Somme, s’était installé à la table du seul homme courtois
qu’ait pu un jour accueillir ce bouge. A la recherche de
Carter, il avait passé en revue tous les clients valides en
leur demandant s’ils étaient anglais, s’exposant ainsi à
des « non » redondants proférés par des souffles avinés.
Puis il tomba sur ce solitaire, qui avait esquissé une moue
déplaisante lorsque la question lui fut posée. L’origine de
la grimace était moins due aux odeurs qu’à l’entente du
mot « anglais ».
Le député fut heureux d’apprendre que l’homme,
Martin Stoppes, était irlandais de souche, expatrié pour
des affaires purement politiques. Ravi de trouver un
interlocuteur qui cultiverait la même passion que lui pour
la chose publique, il débuta par un pamphlet sur l’empire
britannique.
 Rumeurs & Documents
— Je vous commande une autre bière ? C’est à moi
d’arroser. Dîtes-moi, que pensez-vous du bras de fer de
Fachoda, l’année dernière, et de notre évacuation hors du
Soudan ?
— J’ai servi un temps dans les armées coloniales
anglaises comme médecin, avant de prendre comme
spécialité l’aliénisme et de quitter et l’armée et le pays. Je
vous avouerai que ces querelles m’importent peu tant elles
déplacent le débat hors de l’Europe, et donc de la question
irlandaise.
Le médecin ne consentit à reprendre le débat que
lorsque son breuvage lui fut servi. Des tics nerveux
trahissaient son inconfort : il fallait qu’il soit bien éperdu
pour échouer dans un tel lieu.
— Franchement, je crains que la Grande-Bretagne ne
s’effondre comme son glorieux modèle, la Rome antique.
Ce rapprochement atypique fixa l’attention de son
interlocuteur. Il poursuivit.
— Vu des cartes d’état-major de Londres, le monde est
divisé en une multitude de zones où sa Majesté Victoria
envoie ses proconsuls d’empire. On juge de là-bas si tel
ou tel pays représente une menace ou un intérêt pour la
Couronne avide de diamants, et l’on dispose. Le Soudan
devait posséder des richesses minières qu’il leur fallait
confisquer à votre France, qui est aussi devenue mienne.
Une rasade coupa son discours. Le député tenta de
profiter de ce sursis pour surenchérir mais il fut aussitôt
coupé, ce qui le laissa coi, lui qui avait l’habitude de mener
les débats.
— L’Angleterre pense constituer le noyau de la
civilisation européenne, la quintessence de l’humanité, et
elle s’occupe des failles autour de son empire. Intervenir
comme à Fachoda, c’est se créer son propre système
immunitaire qui le préservera de toute perte économique. Il
faut préserver le pillage des ressources qui alimente le cœur
de ce cancer britannique : Londres.
Le député ne manqua pas de noter le recours approprié
à la métaphore. Cet irlandais maniait parfaitement notre
langue.
Toute civilisation est mortelle
Le médecin devint anormalement prolixe.
— Les anglais n’ont pas l’air de comprendre que les
empires sont voués à disparaître, comme l’Autriche-Hongrie
moribonde. Les minorités se réveillent et commencent à
afficher leur volonté de libération nationale.
Le mot « nation » sembla rallumer une étincelle dans le
regard de l’irlandais.
— A trop s’étendre, comme Rome, on néglige les
problèmes du centre. La situation à Londres n’est pas très
jolie, d’après ce que nous rapportent nos ressortissants
là-bas.
— Vous voulez dire qu’elle est insoutenable, et que
tout le monde y souscrit. C’est le Hard Power qui règle
les problèmes : une tentative avec les policiers, puis une
descente des tuniques rouges, et la place est nettoyée.
211
— C’est pour cela que notre République... se hasarda
le député, coupé dans son élégie par son interlocuteur peu
scrupuleux.
— S’il vous plaît, Monsieur le député, ouvrez les yeux !
Une république qui conquiert perd son âme et sa crédibilité.
Croyez-vous vraiment que vous apportez la civilisation aux
africains que vous dominez ? Un empire est investi d’une mis-
sion : imposer son modèle au plus grand nombre, assumer sa
folie hégémonique. Un empire apprécie peu la concurrence. Le
rapport de force est légitime, puisque la cause lui semble juste.
— Et la cause est juste. Je reconnais les débordements
de certaines missions coloniales, mais comprenez que si le
bourgeois veut embourgeoiser les barbares il lui faut d’abord
se barbariser lui-même, par l’exaltation de son autorité et de
ses vertus martiales.
— Oui, pour offrir de nouveaux débouchés à vos com-
merces. De la marchandise pillée, avec un partage du monde
qui pourrait bien signifier sa fin. On peut confondre l’écono-
mie et la politique, la guerre n’étant que la continuation de la
première par des moyens plus... radicaux. Votre croisade ne
s’est faite qu’au profit des Marchands du Temple.
Le député déploya un immense effort pour se contenir.
Être ravalé au rang de l’ennemi par un exilé cynique et
impie était plus qu’il ne voulait supporter.
— Vous partez du principe que les colonisateurs se valent
tous. Rien n’est plus futile et simpliste. Nos protectorats sur
le Maroc et la Tunisie assurent à ces nations l’indépendance
face aux rivaux de l’espèce anglaise ou allemande.
— Dites-moi, à partir de quand peut-on considérer un
rival comme un ennemi ?
— A partir du moment où son propre honneur est mis
en cause !
Le député fulminait. Il se dégagea de la table et dégaina
son pistolet. Il le tendit à l’irlandais, l’invitant à un duel qui,
devant Dieu, déciderait de qui avait raison ou tort. Son état
d’ivresse avancé permit à l’irlandais de se défaire de cette
situation gênante. Il rabroua son adversaire en balbutiant :
— Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, en
tant qu’offensé, j’ai le choix des armes. Je choisis la bière ;
vous pouvez vous considérer d’ores et déjà mort.
Cette réponse impromptue déclencha le rire de son
adversaire, qui se calma et commanda à boire.
— Je pense que notre haine commune de l’anglais nous
aidera à surmonter nos inconciliables différences...
— Buvons à la décrépitude de la Nouvelle Rome et aux
succès de ses nouvelles Carthage !
— Mais dites-moi, je recherche un anglais dénommé
Craig Carter. Il m’avait donné rendez-vous ici même. Ne
l’auriez-vous pas aperçu ? N’auriez-vous pas vu quelqu’un
partir ou chercher une autre personne ?
Un temps incalculable s’écoula avant que l’irlandais ne
cesse de rêvasser, pour finalement répondre :
— Carter, dîtes-vous ? Non, je ne le connais point.
Le ton était neutre, le visage impassible et, pourtant, le
juge de paix crut apercevoir le voile du mensonge traverser
ce regard fuyant. Il poursuivit la discussion précédente,
espérant revenir à la charge au moment opportun.
 Chapitre 6
La rebelle Irlande
« Si c’est le Tout Puissant qui a envoyé le mildiou, ce
sont bien les Anglais qui ont créé la famine. La soumission de
l’Irlande est désormais assurée, jusqu’à ce qu’une quelconque
catastrophe mette à bas cette tentaculaire entreprise commerciale
qu’est l’Empire britannique ; tant que dureront cette haine et
cette horreur, tant que notre île refusera de devenir, à l’instar
de l’Ecosse, une province satisfaite de son sort, l’Irlande ne sera
pas domptée. »
Discours de John Mitchell, rebelle irlandais
Martin Stoppes reprit la parole, avant que l’alcool ne
lui cloue définitivement le bec. Il répondit au député qui
l’enjoignait de lui présenter sa patrie :
— L’Irlande, îlot catholique de l’archipel, qui accuse
des décennies de retard sur la pompeuse Grande-Bretagne.
L’Irlande, qui de tout temps a recherché les alliances
extérieures pour se libérer de ce joug. L’Irlande enfin, récente
victime d’une plaie divine qui a pris la forme du mildiou,
anéantissant nombre de cultures de pommes de terre,
ressource chérie de cette terre difficile à cultiver. Orpheline
212
de l’aide de ses voisines, elle crie aujourd’hui vengeance.
L’autorité de Victoria, la « reine famine » est de plus en plus
bafouée par les enfiévrés de l’indépendantisme. La misère qui
s’ensuivit a jeté les fils et les filles d’Irlande sur les trottoirs de
Londres ; un simple sondage parmi les prostituées des bas-fonds
pourraient aisément vous en convaincre. Le pays est exsangue,
et sa population commence à croire qu’elle n’a plus grand chose
à perdre. Ceux qui n’ont pas choisi l’exil rêvent de fonder une
nation nouvelle, libre, loin de ce carcan qui isole le pays. Et j’en
fais partie.
La conversation se poursuivit jusque tôt dans la matinée.
Le député en oublia son rendez-vous avec cet agent Carter,
qu’il ne devait jamais rencontrer.
Coupures de presse
L’impérialisme européen
Journal de Sulpice Chenu, anthropologue, agrémenté
de pièces établies et commentées avec la collaboration de
Craig Carter.
Les archives de presse se sont révélées
foisonnantes sur le sujet. Pour les édiles du
pouvoir, qui fréquentent tous le monde du
commerce et des affaires, la colonie représente
un débouché. Mais derrière cela, soucieux de
justifier leurs actes mercantiles et parce qu’ils
avaient vraiment l’air d’y croire, il y avait
cette éternelle idée de mission civilisatrice
des races inférieures, assortie du débat qu’elle
pouvait susciter.
Jules Ferry, débat sur la politique
coloniale à la Chambre des Députés
(séance du 28 juillet 1885)
« Il y a un second point que je dois aborder (...)
c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question
(...) Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races
inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il
y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser
les races inférieures (...)
Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire
des siècles précédents, et certainement quand les soldats
et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage
dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur
devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours,
je soutiens que les nations européennes s’acquittent
avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir
supérieur de la civilisation (...) »
 Rumeurs & Documents

Je suis étonnée que le promoteur de l’école

laïque puisse se laisser aller à de tels propos !
Est-il au courant qu’on a aboli l’esclavage
depuis 1848 ? Heureusement, quelques
dissidences survinrent à l’Assemblée suite à
ses propos, dont celle du batailleur Clemenceau,
à qui l’avenir réserve sûrement un bel avenir
politique vu sa véhémence...
Discours de Georges Clemenceau
à la Chambre des Députés
(séance du 30 juillet 1885)
Extrait du Manuel de Géographie,
cours moyen 2ème année
(programme de 1899)
Caractères généraux de nos colonies. Ces colonies
sont très diverses, situées dans les cinq parties du Monde
et à des latitudes très différentes. Leurs productions sont
par suite très variées, ce qui est favorable au commerce ;
et notre flotte de guerre trouve dans toutes les parties
du monde des points d’appui. Elles sont aussi très
étendues, 8 941 377 kilomètres carrés (avec 41 millions
et demi d’habitants), environ 16 fois la superficie de la
France. Notre domaine colonial vaut à la France bien
des jalousies.

« Races supérieures ! Races inférieures ! C’est

Questionnaire
bientôt dit. Pour ma part, j’en rabats singulièrement
depuis que j’ai vu des savants allemands démontrer
1. Faites la liste des colonies françaises.
scientifiquement que la France devait être vaincue
2. Quels sont les caractères généraux
dans la guerre franco-allemande, parce que le Français
de nos colonies ?
est d’une race inférieure à l’Allemand. Depuis ce
3. Pourquoi les Français ont-ils colonisé ?
temps, je l’avoue, j’y regarde à deux fois avant de me
(Le maître pourra faire la comparaison
retourner vers un homme et vers une civilisation et
avec les méthodes de colonisation des espagnols
de prononcer : homme ou civilisation inférieure !
et des anglais).
4. Quelle est l’utilité des colonies ?
Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a
été apportée ici et qui n’est autre chose que la
proclamation de la puissance de la force sur le Droit.
L’histoire de France depuis la Révolution est une
vivante protestation contre cette inique prétention.
C’est le génie même de la race française que d’avoir
compris que le problème de la civilisation était
d’éliminer la violence des rapports des hommes entre
eux dans une même société et de tendre à éliminer la
violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas,
des rapports des nations entre elles. »

Enfin un pacifiste ! Mais les politiques

ne font pas la société, et Ferry fait l’école :
cette aventure coloniale est présentée comme la
Croisade des temps modernes à des bambins
qui fourniront le gros des bataillons coloniaux.
De quoi pérenniser cet expansionnisme sur des
générations à venir !?

La propagande est efficace. On se croirait

revenu aux délires antiques, avec l’hégémonie
de Rome sur toutes les terres connues. J’aime
ma patrie, mais l’ensemble de mes voyages
d’étude m’ont persuadée que cette mission ne
pouvait être qu’asservie par l’idée de profit,
de domination et de joie sadique. Des travers
à mon sens typiquement masculins, bien
sûr.

213
 Chapitre 6
Discours de Joseph Chamberlain,
Ministre des Colonies de Grande-Bretagne
(1895)
« En premier lieu je crois en l’Empire britannique,
et en second lieu je crois en la race britannique. Je crois
que la race britannique est la plus grande des races
impériales que le monde ait connues. Je dis cela non
comme une vaine vantardise, mais comme une chose
prouvée à l’évidence par les succès que nous avons
remporté en administrant les vastes possessions reliées
à ces petites îles, et je crois donc qu’il n’existe pas de
limite à son avenir. »
Ce document m’a été remis par Craig
Carter, le nouveau mignon de ma sœur. Il
est dommage qu’un homme si cultivé tombe
dans les griffes de cette potiche ! J’espère que
personne ne lira ce passage... Les partisans de la
colonisation ressemblent à de grands enfants qui
ne veulent se séparer de leurs jouets. On apprend
aux élèves français que l’Algérie est la France,
et que la France est l’Algérie ; en réalité un
seul pays séparé par le « canal » méditerranéen.
Les anglais d’en face ne sont pas en reste. C’est
le délire de la grande nation qui rassemblerait
des citoyennetés à deux vitesses : les colons... et
les autres.
Discours de Joseph Chamberlain
au Royal Colonial Institute
(Londres, le 31 mars 1897)
« Quelle est-elle ? En ce qui concerne les colonies
dotées d’autonomie, nous ne pensons plus à elles
comme des dépendances. Ce ne sont plus des pos-
sessions, mais bel et bien une famille. Nous pensons
à elle, et nous en parlons, comme d’une partie de
nous-mêmes, une partie de l’Empire britannique, unie
à nous par des liens familiaux, de religion, d’histoire, de
langage, même si elles sont dispersées aux quatre coins
du monde ; les mers qui autrefois semblaient nous
séparer, maintenant nous rassemblent. »
Il n’y a pas seulement cette volonté écono-
mique d’exploiter, cette volonté politique de
dominer et d’affaiblir son rival, ou idéolo-
gique d’imposer sa civilisation. Il y a aussi
l’idée selon laquelle la colonie doit éponger un
trop-plein de population. Les migrants, aux
États-Unis, forment un pot-pourri de tous les
laissés pour compte de notre continent. Ce qui
m’inquiète, c’est que des peuples sans cesse plus
nombreux se jettent dans cette prédation, prêts à
214
en découdre avec un voisin qui n’aurait pas la
délicatesse de lui laisser une place. L’Allemagne
fait partie de ces pays qui simulent l’asphyxie
pour justifier leur part du gâteau.
Albrecht Wirth, Volkstum und Weltmacht
in Der Geschichter, sur l’espace vital
allemand
« Un peuple a besoin de terre pour son activité,
de terre pour son alimentation. Aucun peuple n’en a
autant besoin que le peuple allemand qui se multiplie
si rapidement, et dont le vieil habitat est devenu dan-
gereusement étroit. Si nous n’acquérons pas bientôt de
nouveaux territoires, nous irons inévitablement à une
effrayante catastrophe. Que se soit au Brésil, en Sibérie,
en Anatolie ou dans le sud de l’Afrique, peu importe,
pourvu que nous puissions à nouveau nous mouvoir en
toute liberté et fraîche énergie, pourvu que nous puis-
sions à nouveau offrir à nos enfants de la lumière et de
l’air d’excellente qualité et quantité abondante. »
Je ne sais pas jusqu’où cette obsession de
l’espace vital va nous mener, surtout si les
allemands s’en mêlent. J’espère seulement que
mon modeste travail fera évoluer les mentali-
tés à propos des indigènes. Il ne faut pas que
j’oublie le prochain congrès d’anthropologie.
Pourvu que ça ne soit pas un fiasco, comme
celui de Genève !
La perle des Indes
Aujourd’hui, Carter m’a envoyé un poème
de Rudyard Kipling que j’ai maladroitement
tenté de traduire. C’est un hommage, que
dis-je ! Un véritable éloge en l’honneur de
l’impératrice des Indes, Victoria, qui venait
d’essuyer une tentative d’assassinat. Je ne
comprends toujours pas pourquoi cet agent
anglais reste aussi inféodé à son pays.
J’ai vu ces Cipayes en action. Aux Indes,
le souvenir de leur révolte en 1857 commençait
à s’estomper. On célébrait encore, chez les colons
anglais, le souvenir des deux cents victimes de
Bidighar, ces femmes et ces enfants massacrés
par les indigènes qui, une fois battus, furent
contraints de lécher le sol maculé du sang
des innocents. Le divorce semblait consommé
entre anglais et indigènes. Il fallait, en plus,
repousser les troupes russes qui tentaient de
s’infiltrer par l’Afghanistan. Tout fut mis
en œuvre pour préserver le Raj, ce joyau de la
couronne de Victoria, cet ensemble disparate de
trois cents millions d’individus.
 Rumeurs & Documents
Ave Imperatrix de Rudyard Kipling
Du fin fond de tes possessions,
On rend grâce à dieu d’avoir détourné
La main du misérable fou
Porteur de mort, qui Te menaçait ce jour-là.
La cohorte de tous ces hommes dont le destin
Est de réaliser leur vœu le plus cher,
Se battre pour l’amour de Celle qui nous gouverne,
Et qui risqueront leur vie dans ce combat.
Ces hommes T’envoie leurs vœux humbles et sincères,
Par ma pauvre plume, modeste et rude,
A Toi, la plus grande et la plus chère,
Victoria, notre Reine par la grâce de dieu.
Ce sont les vœux de ces hommes
Dont les pères ont affronté les hordes des Cipayes
T’ont servi dans les neiges russes,
Et, en mourant, ont légué leurs épées à leurs fils.
Certains d’entre nous ont déjà combattu pour Toi
Dans les passes de l’Afghanistan,
Là où les fumées des cartouches s’effilochaient
Au-dessus des tireurs Boers tapis dans l’herbe.
Tous ont été dressés à faire Ta volonté,
Sur la mer et sur Terre. Partout où flotte
Le drapeau, ils sont prêts à combattre, à servir encore,
A travailler aux destinées de Ton Empire.
Ce pays en forme de cornet de glace, comme le
disait si bien une jeune noble anglaise, présente
bien des dangers de sécession.
Les thuggees, assassins rituels adeptes de
la divinité noire nommée Kali, visent des
ambassadeurs hauts placés. Malgré le soutien des
puissants sikhs, les « petits dieux de fer blanc »,
surnom des ingénieurs anglais, tremblent en
cachette en attendant le couperet.
De plus, les intellectuels locaux les plus
doués ont formé un parti qui pourrait contester
la mainmise coloniale. Enfin, mon voyage
ethnologique aux Indes m’a démontré à quel
point le pays était un vaste lac d’acide qui
rendait soluble l’Histoire. Carter, qui a servi
dans les armées des Indes, a été fasciné par
les traditions spirituelles de ce pays. Tout y
semblait si paisible, si pacifique, comme
si un puissant sortilège inhibait tous les
conquérants... Alexandre, Tamerlan se sont tous
fourvoyés là-bas. C’est au tour de Victoria.
215
 1857 : révolte des cipayes contre les colons anglais.
 1869 : premier indien rejoignant le corps des hauts
fonctionnaires d’état, dont le concours se passe à
Londres.
 1876 : le ministre juif Disraeli proclame Victoria
impératrice des Indes.
 1885 : à Bombay le parti du Congrès, d’inspiration
nationaliste, est fondé. Les jeunes politiciens indigènes
sont couverts par la société des théosophes.
 1889 : échec de la tentative d’influence des russes en
Afghanistan.
 1897 : le prince Tilak de Puna complote contre
l’occupant en utilisant l’assassinat comme moyen de
pression politique.
 1898 : lord Curzon devient vice-roi des Indes, par
« un décret de la Providence, pour le grand bien de
millions de représentants de l’espèce humaine ».
Quand la Chine s’ouvrira...
L’Empire du Milieu est la proie des
colonialistes de tous bords. Les anglais ont tiré
les premiers, au nom de leur soif de l’opium,
recourant à des sociétés secrètes pour assurer ce
commerce. L’agent de police Carter semble bien
informé sur ce trafic : il dit avoir travaillé le
sujet à Scotland Yard. Chacun réclame sa
part du gâteau chinois, y compris les russes
qui, échaudés d’avoir été écartés des Indes,
rêvent à l’ouverture orientale, prolongeant le
Transibérien.
Extrait d’un guide
du chemin de fer transsibérien
Le 19 mai 1891, à Vladivostok, l’héritier tsarévitch,
actuellement empereur régnant, daigna charger lui-
même une brouettée de terre et posa la première pierre
du grand chemin de fer transsibérien.
L’activité du Comité (chargé d’exécuter les travaux)
s’étendait :
1. À la construction de la ligne.
2. Aux mesures à prendre pour animer ses relations
commerciales avec le continent asiatique ;
3. Aux moyens de peupler le rayon du chemin de
fer sibérien et de régulariser le mouvement de
colonisation et d’émigration en Orient. Les
succès commerciaux dépassèrent de beaucoup les
espérances. ... Toutes les mesures prises témoignent
de la grande force du peuple grand-russien slave qui
est destiné à servir de guide au christianisme et à la
civilisation de l’Orient asiatique.
 Chapitre 6
Hanoi en 1897,
par le politicien Paul Doumer
« (...) Lorsque je vis Hanoi au commencement de
mars 1897, elle était serrée autour de son petit lac qui
séparait la ville française de la ville de la ville annamite.
(...) Les quartiers annamites aux rues étroites, aux
maisons basses avec leurs boutiques débordant sur la
chaussée, grouillant de monde, étaient fort curieux.
C’était là vraiment qu’était Hanoi. (...)
Et pourtant, en 1897, les gens avaient l’air misé-
rable. Sous la fine et froide pluie, ils grelottaient, pres-
que nus, sur les routes, mal protégés par un manteau
étriqué, en paille, qu’ils tournaient du côté où la pluie
fouettait leur corps. Leur vêtement, réduit le plus
souvent à une grosse culotte s’arrêtant à la mi-cuisse,
était de toile de coton grossière, d’une couleur brune
semblable à celle de la terre et des eaux du fleuve.
La robe des femmes était faite de la même étoffe (...).
Le travail dans la boue des rizières, avec l’eau jusqu’aux
genoux, paraissait autrement plus pénible, malsain
même, dans le crachin et le froid, qu’au soleil chaud
de la Cochinchine. (...) L’impression qu’on ressentait,
en arrivant au Tonkin, était pénible.
C’était la pauvreté partout, malgré la richesse du
sol ; c’était aussi l’insécurité. L’Annamite tonkinois
nous regardait avec crainte ; on eût dit un pauvre
animal battu qui a toujours à redouter la brutalité du
maître. (...) »
216
P. Mangin,
doyen jésuite de Tchou-Kia-Ho
« 20 juin, trois heures et demie du matin : Fiat !
Un catéchiste arrive et annonce le massacre de deux
Pères européens, évidemment les PP. Isoré et Andlauer.
Le feu a été mis à la résidence, hier vers trois heures de
l’après-midi. Ici, qu’allons-nous devenir ? »
« 24 Juin : Les têtes de nos deux martyrs sont
toujours suspendues aux portes de la ville de Ou-I.
Le mandarin a fait maçonner la porte de la chapelle
où sont les cadavres mais on peut les voir encore par
la fenêtre. »
Le P. Mangin a écrit sa dernière lettre le 7 juillet.
La France s’est repliée sur l’Indochine.
J’ai arpenté ce fabuleux pays, après mes
foulées indiennes. Quelle terre magnifique !
J’ai ressenti une telle osmose avec les ruines
d’Angkor Vat ! Je résolus de poursuivre vers
la Chine tant vantée, passant par cette ville sous
dominion britannique : Hong Kong. Mais
mon escale à Hanoï a refroidi mes ardeurs.
Eté 1898. Je n’ai pas pu entrer en Chine.
C’est trop dangereux. Il y a quelques années,
l’impératrice Ci Xi s’est appuyée sur des
sectes xénophobes pour contester l’influence des «
barbares » européens. Ce qu’on a appelé la révolte
des boxers avait alors pu éclater. Il existait une
mystérieuse association appelée Pai Lien Kiao
(Nénuphar Blanc) qui pratiquait une boxe,
mélange d’agilité et de grâce. Elle fut envenimée
par des discours flambant de haine contre les
occidentaux. Ses « sorciers » promettaient aux
fidèles une invulnérabilité contre les balles de
ces derniers. Les églises des missions ne tardèrent
pas à s’embraser, de janvier à août de cette
année, jusqu’à ce que les puissances européennes
écrasent la révolte et scellent un accord avec le
palais impérial.
Repères
• 1839-1842 et 1858-1860 : guerres de l’opium. Le
Royaume-Uni tente de préserver son approvisionnement
en paradis artificiels en mettant à genoux l’empereur de
Chine. Des concessions dans des ports chinois sont
ouvertes. D’autres Européens s’y engouffrent.
• 1898 : dépeçage de la Chine qui cède des bases aux
européens et aux russes. Ces concessions mécontentent
le peuple. L’impératrice Ci Xi soutient les sociétés
secrètes violemment xénophobes.
 Rumeurs & Documents
L’Afrique, tombeau de l’histoire
Après avoir échangé nos points de vue
sur l’Asie, j’abordai avec Carter le sujet de
l’Afrique. Il n’y était jamais allé, mais
était visiblement fasciné par l’Égypte. J’eus
beau lui expliquer que la réalité du pays de
ma jeunesse était bien moins séduisante, il fit
peu de cas de mes commentaires. Cet homme est
visiblement ensorcelé.
L’Afrique, tout juste remise de la saignée
esclavagiste, était bien le meilleur endroit sur
Terre où vérifier la validité de la mission
civilisatrice de Ferry. J’ai trouvé le document
ci-dessous. Comment des Belges, libérés de la
tutelle néerlandaise, osent considérer un peuple
de cette façon ?
Léopold II, Discours d’ouverture
de la Conférence de Géographie
de Bruxelles (1876)
« Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe
où elle n’a pas encore pénétré, percer les ténèbres qui
enveloppent les populations entières, c’est si j’ose le
dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. Il
s’agit de planter l’étendard de la civilisation sur le sol
de l’Afrique centrale et de lutter contre la traite des
esclaves. »
Après le négociant, forme moderne du
négrier, après l’éventuel instituteur, un
troisième personnage s’invite en outre-mer : le
missionnaire. Armé de bonnes intentions, a-t-il
une quelconque idée de la déculturation infligée
aux indigènes ? On me reproche suffisamment
mon impiété, sans connaître mes convictions
animistes profondes. Voilà le type de discours
qui me fit divorcer à tout jamais de l’église
chrétienne.
Appel de Monseigneur Lavigerie
aux chrétiens (1871)
« L’Algérie, La France africaine, par ma voix
d’évêque, vous ouvre ses portes et vous tend ses bras. Ici,
vous trouverez pour vous, pour vos enfants... des terres
plus abondantes et plus fertiles... Venez, en contribuant
à établir sur ce sol encore infidèle une population
laborieuse, morale, chrétienne. Vous en serez les vrais
apôtres, devant Dieu et devant la patrie. »
217
Il me fallait dénoncer l’envers du décor.
En préface à ma thèse – vous vous en doutez,
rejetée et conspuée – sur les sociétés autochtones
du Maghreb, j’ai remis ce vieux texte de
Tocqueville sur l’occupation française :
Extrait de Alexis De Tocqueville,
rapport sur l’Algérie (1847)
« La société musulmane, en Afrique, n’était pas
incivilisée ; elle avait seulement une civilisation arriérée
et imparfaite. Il existait dans son sein un grand nombre
de fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir
aux besoins de la charité ou de l’instruction publi-
que. Partout nous avons mis la main sur ces revenus
en les détournant en partie de leurs anciens usages ;
nous avons réduit les établissements charitables, laissé
tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de
nous les lumières se sont éteintes, le recrutement des
hommes de religion et des hommes de loi a cessé ;
c’est-à-dire que nous avons rendu la société musul-
mane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus
ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous
connaître. »
D’ailleurs, la légende du missionnaire, cette
position d’accouplement qui fait fureur en
Europe, a un fondement. Je suis déjà révulsée
par l’idée de ces tâtonnements moites en
compagnie d’un homme, quand bien même
serait-ce le ténébreux Carter, mais le colonialisme
sexuel est pourtant un fait avéré, une nouvelle
humiliation de la femme par l’homme
phallocrate. Le plus éclatant témoignage met en
cause l’armée belge. Le voici.
Extrait de M. de Mandat-Grancey,
Impressions d’un Touriste au Congo
(fin du XIXème siècle)
« Au Congo, les impôts se paient en nature.
Dans la plupart des districts, les chefs doivent fournir
à date fixe un certain nombre de kilogrammes de
caoutchouc qu’ils font recueillir par leurs esclaves ou
plus généralement par des femmes dans les forêts.
Quand ces chefs sont en retard, ce qui leur arrive le plus
souvent, car ils ne seraient pas des nègres s’ils avaient la
notion du temps, on prend toutes les femmes du village
et on les consigne dans le fort le plus voisin, jusqu’à
ce que la quantité de caoutchouc réclamée soit au
complet. Alors on rend les prisonnières à leurs époux,
en en gardant seulement quelques unes des plus jeunes,
à titre d’amende. Et ce sont celles-là qu’on donne aux
soldats (...) »
 Chapitre 6
Ma dignité d’européenne bouillonna à
l’énoncé de ces témoignages. Il faut reconnaître
que les coloniaux ont parfois développé les
pays envahis, mais à quel prix ? Devait-
on leur infliger nos propres travers, cette
volonté de jouir d’un confort matériel à tout
prix, au mépris de la plus élémentaire des
sagesses ? Je me souviendrai toujours de ces
vers, qui me rappellent sans cesse à quel point
la culture africaine est présente et vivace.
Ce poème transcrit l’amertume des peuples
ainsi trompés.
Malgré toutes mes réticences envers les anglais,
je ne peux qu’applaudir les plus courageux
d’entre eux qui ont le courage de s’insurger
face à cette injustice. Je reprends la diatribe
du jeune Winston Churchill en conspuant le
négociant cupide, le missionnaire importun,
le soldat ambitieux et le spéculateur menteur
qui troublent l’esprit du vaincu et excitent les
appétits sordides des conquérants. L’Afrique
incarne le tombeau de nos valeurs et de notre
Histoire. Je ne regrette plus d’avoir quitté
une Égypte européanisée devenue la prostituée
d’Albion.
218
Vers 1875, un poète du nord du Ghana,
El Hajj’ Ommar, évoque la conquête
de l’Afrique
Le soleil du désastre s’est levé à l’Occident,
Embrassant les hommes et les terres peuplées (...)
La calamité chrétienne s’est abattue sur nous
Comme un nuage de poussière.
Au commencement, ils arrivèrent
Pacifiquement,
Avec des propos tendres et suaves.
« Nous venons commercer,
disaient-ils,
Réformer les croyances des hommes,
Chasser d’ici-bas l’oppression et le vol,
Vaincre et balayer la corruption. »
Nous n’avons pas tous perçu leurs intentions
Et maintenant nous voilà leurs inférieurs.
Ils nous ont séduits à coups
de petits cadeaux
Ils nous ont nourris de bonnes choses. ...
Mais ils viennent de changer de ton.
Nous sommes le 15 février 1899.
Hannah m’a encore envoyé une
lettre pour me demander d’assister
à son spectacle, dans un troquet
minable de banlieue. Carter m’a dit
qu’il s’y rendrait. Je ne tiens pas
à leur tenir la chandelle : je resterai
seule avec mon journal. Je relirai le
récit de mon passage au Japon, pour
noyer ma solitude.
Le Japon
Journal de bord de l’anthropologue
(été 1898)
La Chine m’étant refusée, je
décidai de visiter l’archipel japonais.
Bêtement ancrée dans mes certitudes, je pensais
découvrir le pays féodal décrit dans les manuels
d’histoire, peuplé de samouraïs et de shoguns,
obéissant à un empereur omnipotent dont la
lointaine ascendance le reliait aux dieux du
panthéon shintoïste. Bref, un pays englué
sous le poids de ses traditions, un terrain de
recherche inespérée pour une anthropologue telle
que moi.
Il ne fut pas aisé de pénétrer dans l’archipel.
Une forte somme convainquit le capitaine
d’un steamer américain de m’embarquer à
bord. Le Japon a toujours été rétif en ce qui
 Rumeurs & Documents

Repères

 1880 : construction du canal de Panama

par Ferdinand de Lesseps. Les travaux
ont cours jusqu’en 1914. Dans la lignée
du canal de Suez, l’Europe cherche à
« accourcir » le monde.
 1885 : la conférence de Berlin partage
l’Afrique entre les quatorze puissances
coloniales. Les litiges africains
s’interrompent... pour un court instant.
 1895 : l’Afrique occidentale française est
créée pour donner une unité administrative
à ce vaste empire de l’ouest du continent
noir. Les gouverneurs rejoignent leurs
nouvelles provinces.
 1896 : l’Italie est le premier pays européen
vaincu par une puissance africaine.
Le négus retourne les armes jadis fournies
par les transalpins contre eux. La politique
de grandeur de la nouvelle Rome est
enterrée dans les savanes éthiopiennes.
Pendant ce temps, la France annexe
Madagascar grâce au général Gallieni.
 1898 : un incident diplomatique à
Fachoda (Soudan) oppose le Royaume-
Uni à la France qui doit évacuer la région,
dépitée.
 Une attaque britannique contre les
derviches du Soudan laisse 117 morts parmi eux
contre 11 000 morts indigènes. Fukuzawa Yukichi, partisan
 1899 : la France est définitivement évincée de la vallée
de l’occidentalisation du Japon,
du Nil par le condominium commun entre l’Égypte
et le Royaume-Uni. 320 français et une mitrailleuse seméfie de l’Occident (1876)
mettent en fuite 12 000 cavaliers tchadiens. Les boers
résistent toujours dans leur guérilla ouverte contre « Les îles Sandwich, depuis leur découverte par le
l’Angleterre pour la possession de l’Afrique du Sud. capitaine Cook en 1778, ont, à ce qu’on dit, fait des
progrès beaucoup plus rapides que les îles avoisinantes
sur le chemin de la Civilisation. Mais leur population,
qui était de 3 400 000 habitants lors de la découverte,
concerne la venue d’étrangers : les cavaliers est tombée à 140 000 en 1823, soit en cinquante ans
mongols étaient vite repartis quand les guerriers une diminution de 8% par an. Il y a beaucoup de cau-
japonais avaient commencé à trancher les ses possibles aux variations démographiques, mais lais-
pieds de leurs montures, et quand les éléments sons-les de côté pour le moment et demandons-nous ce
s’étaient levés pour déclencher un tsunami sur qu’est exactement ce qu’on appelle « Civilisation ». Cela
signifie pour les habitants de ces îles qu’ils ont renoncé
leur flotte.
au cannibalisme, mais également qu’ils sont devenus
les esclaves de l’homme blanc. Lorsqu’il s’agit d’un
Aujourd’hui, l’empereur semble contraint pays gigantesque comme la Chine, les Blancs n’ont pas
d’accepter cette invasion (commerciale),en la pu pénétrer à l’intérieur et ont exercé leur influence
limitant cependant à quelques ports. Aussi, seulement sur la côte ; mais il semble très vraisemblable
il me fut impossible de quitter l’étroite que l’empire chinois deviendra une possession euro-
zone autorisée aux occidentaux. Pourtant, la péenne. Partout où vont les Européens, la terre cesse de
produire, la végétation cesse de pousser ; pire, l’espèce
vue étroite de ce pays fabuleux me permit humaine, parfois, s’éteint. Si nos compatriotes com-
d’apprendre bien des choses sur la validité des prennent clairement la situation, et s’ils se rendent bien
stéréotypes que je véhiculais malgré moi. compte que le Japon est un pays d’Orient, ils seront
bien obligés d’éprouver des craintes pour l’avenir... »

219
 Chapitre 6

rapides. Les multiples étages de l’ancien palais

Projet déposé par un fonctionnaire impérial et des nombreux temples accrochés aux
nationaliste zélé au greffe collines témoignaient, comme vestiges des temps
de l’empereur du Japon anciens, de cette époque révolue d’un Japon
qui abandonnait aujourd’hui ses traditions,
« Notre nation a non seulement le droit de se comme nous l’avions fait jadis avant lui.
défendre, mais aussi celui de défendre les autres Une dernière péripétie me résolut à quitter le
nations contre des puissances oppressives. Elle a pays, désormais sans intérêt pour mes études :
le droit d’engager des hostilités pour ces questions une dépêche tomba dans la zone contrôlée par
d’actualité que sont l’intégrité territoriale de la Chine
les États-Unis. C’était un tract distribué dans
et l’indépendance de l’Inde. Et aussi contre ceux qui
ont accaparé illégalement de vastes territoires sans tenir les rues populeuses du port, semble-t-il issu
compte du droit naturel des peuples : autrement dit, d’un journal local. Mon accompagnateur me
le droit de guerre contre les occupants de la Sibérie le traduisit :
extrême-orientale et de l’Australie, pour occuper à
notre tour ces territoires. »
Si le Japon invoquait de grands principes
pour chasser les colons d’Asie,
c’était sans doute pour se
ménager sa part du gâteau.
Je fus vite déboutée de tous
Certains de ces navi- les a prioris favorables
res à vapeur, que je pre- que je pouvais avoir vis-
nais pour des bâtiments à-vis de cette culture qui
américains, étaient en se dévoyait, elle aussi. Le
réalité japonais. Leur développement d’un pays
drapeau, qui représen- passait-il nécessairement par
tait un soleil levant la soumission des peuples
rayonnant sur un fond jugés inférieurs ? Bientôt la
blanc, claquait fière- Corée, la Chine et les nippons se
ment au vent puissant frotteraient au géant russe. Je
qui balayait la grève. préférai partir de cet endroit
Les vagues échouaient devenu inhospitalier, afin de
sur les murs qui rendre compte de mes voyages
encadraient le port de à mon institut.
guerre de Kyoto, appelé
Maïzuru.

L’ondée marine
charriait vers l’ar-
rière-pays les fumées
des usines construi-
tes sur le modèle des
promoteurs euro-
péens de la Révolution
Industrielle. Mon
guide américain me
précisa que l’ère Meiji,
adoptée depuis 1868, consistait à moderniser le
pays sur le modèle des nations les plus avan-
cées. D’énormes conglomérats, comme Mitsui
et Mitsubichi, étaient nommés zaïbatsu. Ils Repère
contrôlaient des secteurs entiers de l’économie, en
position de monopole.  1877 : échec de la révolte des samouraïs au
Japon, malgré le charisme de Saigô Takamori.
Les constructions traditionnelles en bois La supériorité technologique a eu raison de cette
laissaient ainsi peu à peu la place au fer et caste guerrière. Ouverture du pays au progrès.
au verre, symboles d’une reconversion des plus

220
 Rumeurs & Documents

Nouvelle Jérusalem ou nouvelle Babylone ? — Je suis heureux de l’entendre. Quant aux États-Unis,
ma chère, c’est une nation de belliqueux, plus susceptibles
Les États-Unis d’être séduits par leurs armes à feu que par une cantatrice
française. Seule une vocation de prostituée pourrait vous
rendre potable à leurs yeux.
« Ce pays modèle me semble le triomphe de la médiocrité — Le mélange des races semble bien fonctionner
sotte et égoïste, et sous peine de périr, il faut lui faire la Cour. » depuis la fin de leur Guerre de Sécession. Ils ont bien aboli
l’esclavage : les races sont pour eux devenues égales !
Stendhal, Lucien Leuwen (1834-1835) Elle tenta de se raviser, comprenant tout à coup que ce
type de conversation ne pouvait qu’envenimer les choses.
Marcilly, en antisémite notoire, ne pouvait souscrire à ses
Hannah Chenu rêve de son avenir idéaux égalitaires.
en compagnie de Nicolas Antoine de Marcilly — Bien sûr, Madame. Vous pensez que les politiques
juifs accueillent à bras ouverts les anciens esclaves. C’est sûr :
Interlude dans un des nombreux théâtres de Paris ceux-ci, harcelés dans les états du sud anciennement confé-
(Novembre 1898) dérés, mettent leur fortune dans un sac de voyage pour se
transformer en ouvrier bon
— Pensez-vous que marché dans les usines du
j’aurai la chance, un jour, de nord. Pas de propriété, une
me produire sur les estrades grande majorité d’illettrés,
de Broadway ? Avec vos ils n’ont plus qu’à rejoin-
contacts dans les finances, dre les indiens alcooliques
vous pourriez sûrement des réserves dans le rôle des
m’accorder cette faveur ! clowns tristes. Je peux vous
— Je n’en doute pas. monter un spectacle de ce
Cependant, il faudra que genre, si c’est ce que vous
vous me convainquiez de vous voulez. L’abolitionniste fran-
expédier outre-Atlantique, çaise et ses protégés, ça ferait
votre talent m’étant fort pré- un tabac comme comédie !
cieux dans la modeste Paris.
— C’est que les États- Marcilly ria bruyam-
Unis, c’est le Nouveau ment, exagérément. Aucun
Monde, la nouvelle chance de leurs voisins n’osa lui faire
pour l’humanité de bâtir une la moindre remontrance,
civilisation sans la corruption l’élu étant craint de par sa
que l’on subit en Europe ! réputation de duelliste furi-
— Certes. Une nation bond. Sa compagne fit mine
faite de nouveaux conquista- de s’intéresser de nouveau à
dors, de migrants miséreux, de colons pingres, de révoltés et la pièce, Le Misanthrope, mais le bavard continua :
de criminels indésirables ici. Une telle somme de ratés doit — Vous me parlez de démocratie. Pensez-vous que deux
probablement aboutir à un beau résultat. partis, les ânes démocrates ou les éléphants républicains, par-
Le député populiste affichait un tel cynisme que sa viendront à réaliser ce vieux rêve de la Destinée Manifeste ?
compagne, pourtant accoutumée du fait, en parut outrée. Les États-Unis éclairant le monde ? Voyez ce que la France a
— Mais la liberté y est bien présente ! C’est une vieille fait de son héritage révolutionnaire !
république ! Il n’y a plus le carcan qu’on subit ici à longueur — Monsieur, cessez de m’importuner. Vous n’avez
de journée ! jamais vécu en exil. Je suis partie d’Égypte pour trouver
— Évidemment. Survivre dans les rues de New York une paix relative ici. Je rêve de trouver une Terre Promise,
livrées à la guerre des gangs, entre ces natifs américains et les et les États-Unis représentent cet idéal pour des millions de
migrants irlandais alcooliques, comme cet agent Carter... A pèlerins.
ce propos, l’avez-vous rencontré et séduit ? — Ne me parlez plus de Terre Promise, ou je fouine de
La compagne de la pierre angulaire du crime parisien nouveau dans votre état civil pour vérifier si vous n’avez pas
rougit. d’ascendance israélite.
— Tout d’abord, il n’est pas irlandais mais anglais. A ces mots, il cracha devant lui sur le chapeau d’une
Ensuite, je ne mélange pas ma vie professionnelle et ma autre spectatrice.
vie privée. J’ai vu ce Carter hier soir. Il est sans réel intérêt, — A ce propos, vous ne m’avez toujours pas présenté
mis à part pour cette vengeance que vous souhaitez assouvir votre sœur, l’intellectuelle ?
vis-à-vis de lui.

221
 Chapitre 6
Hannah ne répondit point. Après tant d’années de
brouille, elle avait essayé de revoir sa seule famille, sa soeur
Sulpice, qui avait refusé ses propositions de rendez-vous.
— Votre Terre Promise est une terre damnée. Je vous
emmènerai à New York en cette fin d’année, et alors vous
verrez. Tel l’antique Babel, elle semble concentrer tous les
maux de la Terre. Criminalité galopante, corruption, voilà
un terrain de jeu pour des self made men comme moi !
Votre rêve s’est enlisé avec la fin de la conquête de l’Ouest.
Les derniers aventuriers voient leurs pieds pourrir dans la
rivière Klondike, où ils cherchent obstinément un peu d’or
pour se faire leur place au soleil. Soixante millions d’améri-
cains dont le seul but est de faire fleurir leurs affaires sur le
cadavre de leur adversaire...
— Au moins, ces américains, comme vous dîtes, ne
pourrissent pas la vie de millions d’indigènes au nom de la
colonisation !
— Effectivement. En expulsant l’Espagne du continent,
en rachetant l’Alaska et en contraignant la France à évacuer
le Mexique, en titillant le Japon et la Chine, en massacrant
des philippins, on ne peut pas dire qu’ils soient impérialistes !
Madame, ne dénoncez
pas un système qui
vous a permis de vous
dorer sous le soleil
égyptien !
— Votre cynisme
me répugne. Vous
êtes aussi froid que
vos idéaux. Vous
dénoncez un pays
bien plus moral, plus
puritain que ce que
nous avons ici. C’est
là l’unique condition
du salut : évangéliser
la Terre, répandre les
bonnes valeurs de part
le monde.
Migrer aux États-Unis
« Ils sont là 3 000, chacun un papier vert à la main
et un numéro épinglé à la poitrine, comme hébétés par
les quinze jours de mer. Lorsque les émigrants ont subi
l’examen médical, ils arrivent groupés par nationalité,
devant les inspecteurs chargés de les interroger,dans la
langue de leur pays, sur leur état civil, leur passé, leurs
moyens d’existence, leurs relations aux États-Unis et
leurs projets. L’inspecteur a devant lui le dossier de
chaque émigrant établi au départ du paquebot par la
compagnie de navigation.
S’il montre les 150 dollars fixés comme minimum,
et s’il verse les deux dollars exigés par le gouvernement
américain comme prix d’entrée dans le grand cirque
national, l’homme est admis. »
Jules Huret, En Amérique (1905)
222
La doctrine de Monroë (1823)
« Nous avons jugé le moment favorable pour
proclamer un principe : les États des continents amé-
ricains qui ont décidé d’être libres et de maintenir
leur indépendance, ne doivent plus désormais être
considérés comme de futures colonies par n’importe
quelle puissance européenne. ... Nous sommes néces-
sairement plus intéressés par ce qui se passe sur notre
hémisphère.... Nous devons de ce fait, aux relations
sincères et amicales qui existent entre les Etats-Unis et
les puissances européennes, affirmer que nous ne tolé-
rerions aucune tentative de leur part pour étendre leur
système politique à une partie de cet hémisphère et que
nous les considérerions comme dangereuses pour notre
paix et notre sécurité.
Pour ce qui est des colonies et des territoires
dépendant d’une puissance européenne, nous n’avons
pas à intervenir et nous n’interviendrons pas. Mais à
l’égard des gouvernements qui ont déclaré leur indé-
pendance et qui l’ont maintenue, à l’égard de ceux dont
nous avons reconnu l’indépendance, nous ne verrions
dans toute intervention d’une puissance européen-
ne qui n’aurait
d’autre but que de
les opprimer, que
manifestation ina-
micale envers les
États-Unis. »
— J’ai l’impres-
sion, ma chère, que
vous surestimez allè-
grement le mirage
américain. J’ai en
tête le pastiche du
poème qu’on trouve
sur la Statue de la
Liberté. Cela devrait
donner cela : « Gardez (et non donnez-moi) vos corps éreintés,
vos miséreux, vos masses entassées aspirant à la liberté, le misé-
rable rebut de vos rivages grouillants. Ne vous avisez surtout pas
de m’envoyer ces sans feu ni lieu que la tempête malmène : car
j’ai éteint (au lieu de je tiens) la lampe qui éclairait la porte
dorée. » L’original était de Emma Lazarus. Le second de
votre serviteur.
Marcilly sourit. Il aimait démontrer la supériorité de
son cynisme face à la naïveté enjouée de sa protégée. Celle-ci
esquissa une moue de dépit et se fixa définitivement sur
la pièce. C’était là le vrai visage de l’antisémitisme. Elle
n’avait jamais entendu son amant exprimer une telle haine
contre les juifs. Celle-ci devait encore éclater dans maints
discours pamphlétaires, dont celui de janvier 1899, face au
redoutable Jean Jaurès...
 Rumeurs & Documents
Repères
 1866 : la Guerre de Sécession est officiellement
achevée.
 1871 : un banquet est organisé à New York par des
socialistes francophones, pour aider les survivants de
la répression de la Commune de Paris.
 1875 : les agents de Pinkerton bombardent la maison
des frères James, absents ce jour-là. La population
locale, qui les considérait comme des Robin des Bois
modernes, qualifient l’assaut de « crime du siècle ».
 1876 : Little Big Horn. Les Sioux tentent de se révol-
ter une ultime fois : Custer est tué par les troupes de
Sitting Bull.
 1880 : inquiétude du gouvernement face au projet de
percement d’un canal français à Panama.
 1881 : reddition de Sitting Bull, fin des guerres
indiennes.
 1886 : la Liberté éclaire New York sous les traits d’une
femme de pierre offerte par la France. Le 1er mai,
100 000 grévistes à Chicago réclament la journée de
8 heures.
 1887 : la police de Boston importe la méthode des
fiches anthropométriques de Bertillon.
 1889 : ouverture du territoire indien aux colons ;
débute le plus vaste mouvement de migration de
l’histoire des États-Unis.
 1890 : massacre d’une tribu sioux à Wounded Knee.
 1892 : mise en place du Bureau fédéral d’immigration
à Ellis Island : plus de trois millions d’immigrants ont
débarqué l’année précédente...
 1893 : premier krach boursier à Wall Street avec la
chute vertigineuse du dollar.
 1894 : grande grève des chemins de fer partant de
Chicago.
 1898 : déclaration de guerre à l’Espagne à cause de
Cuba et extension aux Philippines.
 1899 : Les philippins mènent leur guerre d’indépen-
dance contre les américains.
Une hiérarchie entre tous les hommes
Discussion de bar : la plaie antisémite
« Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. »
Jean Jaurès
L’Affaire Dreyfus au cœur de vives querelles
Troquet Le Rat Mort, banlieue de Paris
(fin janvier 1899)
Marcilly avait convié Jean Jaurès à participer au débat
prévu dans le caboulot qu’il avait pour habitude de fréquenter.
Ce n’était pas un terrain miné pour le socialiste, qui pouvait
y compter sur la sympathie ouvrière. Il avait accepté l’offre,
223
attiré par l’idée d’une joute oratoire comme il les appréciait :
un véritable combat de gladiateurs entre le journaliste
remarqué de La Petite République et le pigiste occasionnel
du brûlot antisémite La Libre Parole allait bientôt avoir lieu
ici. La Libre Parole était le premier journal à avoir dénoncé
le J’accuse de Zola, sous la plume des deux inspirateurs de
Marcilly : Drumont et le docteur Lovelace.
Les deux protagonistes avaient organisé cette entrevue
après que Jaurès ait vivement dénoncé la souscription lancée
par La Libre Parole en faveur de la veuve du lieutenant-
colonel Henry, traître présumé qui aurait accusé Dreyfus
à tort.
Les discussions avaient commencé depuis cinq minutes ;
ça ne serait jamais qu’un débat de plus sur cette sinistre
Affaire Dreyfus. Alfred Dreyfus, officier juif de l’armée
française, avait-il divulgué des secrets militaires aux ennemis
de la France ? Le cabaretier barbu avait du mal à assurer les
commandes d’une foule si nombreuse que la majorité des
conviés se tenait debout.
Marcilly fit une entrée remarquée. Il tentait de contenir
une colère homérique : ce satané Carter était parvenu à
neutraliser ses gardes, et à capturer une partie des antiquités
que ses sbires revendaient en contrebande. Il lui fallait
chasser au plus vite ce parasite de son esprit, afin d’être prêt
à en découdre avec un verbe aussi acéré que sa canne-épée.
Les premiers échanges avec Jaurès tournèrent rapidement à
l’empoignade.
— N’omettez pas le fait que le Président lui-même
a refusé la révision du procès, commença mollement
Marcilly.
— Depuis quand un président tel que Félix Faure
détient-il la vérité ? Il règne comme un souverain des temps
anciens à coup de lettres de cachet, décidant en dernier lieu à
la place d’une justice dont les citoyens sont désormais privés !
Voyons, ce règne monarchiste n’est pas pour plaire au popu-
liste que vous êtes, pas plus qu’au socialiste que je suis.
Le populiste Nicolas Antoine de Marcilly n’osa pas rétor-
quer sur le sujet. Il avait déjà son idée sur la manière de traiter
le falot Félix Faure, certes anti-dreyfusard, mais d’une apathie
incommensurable. Il décida d’attaquer son adversaire sur le
terrain de la lutte des classes, son cheval de bataille.
— Vous oubliez que Dreyfus est issu d’une famille de
bourgeois et, qu’à ce titre, nous devrions laisser les bourgeois
se juger entre eux. Reconnaissez, Monsieur le socialiste, que
s’il avait été ouvrier, l’affaire n’aurait pas fait tant de bruit.
D’ailleurs, au début de l’affaire, vous n’avez pas du tout pris
part au débat. Votre attitude est celle d’un arriviste, comme
ce cochon de Zola.
Des rires gras fusèrent du comptoir, avant de s’éteindre
dès que l’orateur socialiste entama sa répartie.
— Dreyfus n’est plus de ces classes dirigeantes qui,
par poltronnerie d’ambition, hésitent à rétablir pour lui la
légalité et la vérité. Il n’est seulement qu’un exemplaire de la
souffrance humaine en ce qu’elle a de plus poignant. Il est le
témoin vivant du mensonge militaire, de la lâcheté politique,
des crimes de l’autorité.
 Chapitre 6
Jaurès n’était pas le dieu tonitruant que Marcilly s’était
préparé à affronter. Au contraire : posé, charmant, spirituel, il
semblait séduire son auditoire ; seule limite à son discours, le
registre pompeux qu’il affectionnait échappait aux piliers de
bar déjà bien embrumés par l’alcool. Le député ne partageait
pas la même retenue, et les signes de son énervement se
firent clairement visibles en contraste d’une telle maîtrise.
— Pour vous, les juifs sont les pauvres victimes de
l’oppression de l’État. Fort bien. Mais que faites-vous des
sicaires juifs, ces « juifs musclés » qui ont attenté à la vie
de notre éditorialiste Drumont, fort heureusement bretteur
hors pair ? On se croirait en pleine régression, revenus aux
sicaires luttant contre l’empire romain. Vivement que nous
détruisions nous aussi leur temple, le Mur d’Argent, et
ces deux cent familles juives capitalistes qui règnent sur la
finance mondiale !
Marcilly était ulcéré par le sourire moqueur que Jaurès
esquissait derrière sa barbe. Il était convaincu de la justesse
de ses propos et prenait le socialiste pour un sympathisant,
un pactisant de la juiverie internationale. Il poursuivit,
ne conservant des bribes de contenance qu’au prix d’un
immense effort. L’assistance avait interrompu ses vivats et ses
crachats, comme si le duel verbal s’était mué en un sanglant
règlement de compte.
— Dois-je vous rappeler ce qu’a trouvé Mathieu
Golovinski, l’éditorialiste russe, dans le livre intitulé
Les Protocoles des Sages de Sion ?
224
— Oui : des informations falsifiées, destinées à raviver
cet antisémitisme primaire que vous avez fait vôtre !
— Je vois que les documents qui ne vous arrangent
pas, tels que ceux découverts dans l’Affaire Dreyfus, sont
rapidement relégués aux rangs de faux ! Dans ces protocoles,
on trouve le plan de domination mondiale destiné à prendre
effet après la destruction de la civilisation chrétienne et
l’abattage des monarchies européennes.
— Arguons qu’ils auraient eu le mérite de commencer
par la seconde phase de ce plan ridicule, pour le bien de
notre chère République. République que vous chérissez,
n’est-ce pas ?
Le venin de l’antisémite
« Pour que l’Europe redevienne catholique, elle devra
soumettre les israélites à des traitements spéciaux quand elle aura
compris nettement que les israélites ne sont point des particuliers
semblables aux autres mais que citoyens et familles, ils forment
dans l’État un état qui espère dominer l’autre. »
Charles Maurras (1889)
Marcilly toisa longuement Jaurès. On eut dit Manetho,
le prêtre égyptien de la Bible qui prêchait la haine de cette
race apatride, source de tous les maux de son pays. Son
regard noir ne déclina pas quand il répondit finalement :
— Comment pouvez-vous soutenir ce juif
qui vient polluer notre République ?
— Ce Dreyfus, condamné à faux et
criminellement par la société que nous
combattons, quelles que soient ses origines, et
quel que doive être son destin ; ce Dreyfus, donc,
devient une protestation aiguë contre l’ordre
social. Par la faute de la société qui s’obstine
contre lui à la violence, au mensonge et au
crime, il devient un élément de la Révolution.
Un symbole, même.
Ce dernier mot faillit renverser la tendance.
Marcilly perçut un subtil changement de majorité
parmi le public. Avant que Jaurès n’ouvre la
bouche et ne s’empare de son trophée, il lança
une menace contre cet intriguant pacifiste, le
menaçant de recourir à ses gorilles s’il ne vidait
pas rapidement les lieux. Un mot de plus de
Jaurès lui aurait définitivement permis de gagner
à sa cause l’opinion générale, et le député voulait
l’éviter par dessus tout. Cependant, si Marcilly
n’avait pu convaincre les cœurs des indécis, il
venait de vérifier l’aveuglement certain de ses
fidèles qui adhéraient sans sourciller à ses poncifs
antisémites. Jaurès choisit la prudence, et se leva
pour quitter les lieux. L’intrigant populiste tenta
malgré tout un baroud d’honneur.
— Vous osez soutenir que ces juifs sont de la
même race que nous ? Charcot, dans ses leçons du
mardi à l’hôpital de la Salpetrière, estimait qu’ils
 Rumeurs & Documents
étaient sujets à la neurasthénie et à l’hystérie, des affections de
l’esprit typiquement féminines ! Ce porc de Freud ne trouve-
t-il pas dans nos têtes que des idées sexuelles ?
Marcilly semblait possédé par un démon qui lui insufflait
des débuts de coprolalie. Il conjuguait les jurons les plus
disgracieux de son vocabulaire de notable. Il se sentait
sublimé, persuadé que l’assistance demeurait suspendue à
ses lèvres déformées par un rictus de triomphe. Mais de
l’extérieur, on aurait dit un pantin manipulé par un discours
éculé, quand on attendait l’exact inverse de la part d’un
homme politique responsable.
— Fifilles, femmelins, eunuques du harem ! Des
silhouettes androgynes, des dandys courtisant les bonnes
filles du terroir, des êtres foncièrement malades à la libido
débordante, prompts aux écarts homosexuels ! Voilà ce
qu’ils sont ! Ils incarnent tous les charmes de l’Orient, sous
l’égide du démon Moloch, ce reptile noir et visqueux qui
préside aux pédérastes ! Et vous voulez assimiler ce sang vicié
à la pureté de notre nation ?
L’orateur prit une profonde inspiration. Certains clients
en profitèrent pour vider leurs verres et partir. D’autres
pensèrent que ce flot ininterrompu d’immondices s’était
naturellement tari : ce n’était pourtant que le début d’une
longue spirale...
— Héberger le Juif Errant, c’est ouvrir sa maison
à la ruine, offrir un accès à la mort ! Telle la fille de
Pharaon sauvant Moïse des eaux, la Révolution Française,
en essayant de sauver le juif de sa destinée d’esclave,
a réchauffé dans son sein le serpent qui la dévore
maintenant ! Voici l’article de La Question Juive signé
Jacques de Biez en 1886, arrêté par nos soins l’année
dernière. Il semblerait que l’aspiration de certains groupes
à voir émerger un « homme nouveau » soit entravée par la
présence du peuple judaïsant.
Par ses références poussées et poussives, le
dénonciateur du déclin de la nation s’aliéna une partie
du public, plus prompte à saluer ses quolibets sur le juif
buveur de lait que sur le juif névrosé, hermaphrodite
et homosexuel.
— Pour conclure le débat au sujet de Dreyfus,
sur le fait qu’il soit capable de trahir, je le conclus de
sa race. Cet apatride est une greffe, un corps étranger
inassimilable. N’oubliez jamais qu’entre la judaïté et la
chrétienté, entre les affaires et la culture, entre la femme
et l’homme, entre le néant et la divinité, l’humanité a de
nouveau le choix !
Un de ses sympathisants le retint par l’épaule ; il
convenait maintenant de s’éclipser. Ici, à Paris, le public
bondé attendait chaque matin la parution des derniers
journaux, puis débattait dans les cafés assaillis par des
démagogues tels que lui, ce qui ne tardait jamais à déclencher
manifestations et bagarres ou, au pire, une descente des
cerbères de la police.
Marcilly avait déjà vu cette fièvre républicaine atteindre
des sommets et déchirer les familles. La parole de la foule
prophétesse, relayée par une presse génératrice d’ulcères et
par un fleuve de boue d’idéologies vomitives avait toujours
225
été son fonds de commerce... La foule cherchait son sauveur
– ou sa Némésis – parmi les orateurs, comme un animal
pistant, poursuivant et cernant sa proie dans les endroits les
plus insolites. Elle retrouvait son rôle de justicière, sauvant
ou condamnant persécutés et traîtres. C’est-à-dire Dreyfus
et l’armée pour les uns, les militaires et les juifs pour les
autres.
Il ne souhaitait pas tomber dans les mains de dreyfusards
moins apathiques que les autres. C’est pourquoi il quitta
précipitamment le bar, s’engouffrant dans sa double Phaéton
entouré de ses quatre chiens de garde.
Les Protocoles des Sages de Sion
Troisième Protocole
Probablement rédigé vers 1903 par un écrivain
russe, l’ouvrage fut traduit en Occident à partir de
1920. Dans le monde de Crimes, de Marcilly aurait
eu des contacts avec le futur auteur de ces dossiers
falsifiés et utilisés comme arguments de la propagande
anti-juive. En voici quelques extraits, qui évoquent les
étapes de la conquête du pouvoir universel et absolu par
les membres de la société secrète, naturellement juifs.
« Je puis aujourd’hui vous annoncer que nous
sommes déjà près du but. Encore un peu de chemin et
le cercle du Serpent symbolique (qui représente notre
peuple) sera fermé. Quand ce cercle sera fermé, tous les
états de l’Europe y seront enserrés, comme dans un fort
étau. (...) Nous apparaîtrons comme des libérateurs de
ce joug à l’ouvrier quand nous lui proposerons d’entrer
dans les rangs de cette année de socialistes, d’anarchis-
tes, de communards, que nous soutenons toujours sous
prétexte de solidarité entre les membres de notre franc-
maçonnerie sociale. »
Quatrième Protocole
« Quand nous aurons créé par tous les moyens
cachés dont nous disposons à l’aide de l’or, qui est tout
entier entre nos mains, une crise économique générale,
nous lancerons dans la rue des foules entières d’ouvriers
simultanément dans tous les pays d’Europe. (...) Elles
ne toucheront pas les nôtres ; parce que le moment de
l’attaque nous sera connu et que nous aurons pris des
mesures pour garantir les nôtres. »
Vingt-quatrième Protocole
« Les mêmes principes nous guideront qui ont
donné à ce jour à nos sages la conduite des affaires
mondiales. Nous dirigerons la pensée de toute l’hu-
manité. »
 Chapitre 6
Repères
 1881 : des pogroms se déchaînent en Russie.
Migrations de masse en direction de l’ouest.
 1882 : le Bilu est un mouvement russe facilitant le
retour de paysans juifs en Palestine.
 1894 : le colonel Alfred Dreyfus, reconnu coupable
de trahison, est dégradé et condamné au bagne en
Guyane.
 1897 : le premier congrès sioniste ouvre ses portes en
Suisse, sous la présidence de Thomas Herzl. Le natio-
nalisme juif est en marche et focalise ses espoirs sur la
colline de Sion en Terre Sainte. Premier pas vers la fin
de la diaspora et de l’errance ? Retour vers un havre
de paix face à la recrudescence de l’antisémitisme en
Europe ?
 1898 : l’écrivain Zola fait rebondir l’affaire Dreyfus
en publiant un violent pamphlet contre l’armée qu’il
accuse dans L’Aurore. L’Affaire prend de l’ampleur.
 1899 : le 7 août, les faux documents montés contre
Dreyfus sont trouvés, mais la révision du procès
aboutit à une nouvelle condamnation de l’officier
juif. Le président fraîchement élu, Émile Loubet,
gracie Dreyfus pour éteindre les prémices d’une guerre
civile. Georges Méliès en tirera un film encore visible
aujourd’hui, logiquement baptisé L’Affaire Dreyfus.
Le mythe du bon sauvage
« Dans les races les plus intelligentes, comme les parisiens,
il y a une notable proportion de la population féminine dont
les crânes se rapprochent plus par le volume de ceux des gorilles
que des crânes du sexe masculin (...). On ne saurait nier, sans
doute, qu’il existe des femmes fort distinguées, très supérieures
à la moyenne des hommes, mais ce ne sont là des cas aussi
exceptionnels que la naissance d’une monstruosité quelconque,
telle, par exemple, qu’un gorille à deux têtes, et par conséquent,
négligeables entièrement. »
Gustave Le Bon, Exposé sur la Phrénologie
Amphithéâtre de Genève,
4ème Congrès Mondial d’Anthropologie Criminelle
(1896)
La démonstration de Maudsley
Le débat avait lieu dans ce temple de l’enseignement
médical suisse. Une centaine de représentants des arts
médicaux et de la criminologie s’y étaient réunis pour suivre
la fin des dissertations. L’ordre du jour s’avérait plutôt
récréatif, puisqu’il concernait la place tenue par les indigènes
des colonies dans le développement de l’humanité.
Henri Maudsley, ce fringant neurophysiologiste et aliéniste
de Londres, y défendait ses craintes sur l’affaiblissement
biologique de la population européenne en attaquant la
226
démocratie qui protégeait les citoyens faibles, c’est-à-dire
les natures inférieures. Quoi de plus légitime pour un
royaliste anglais, de surcroît anobli par la reine Victoria ? Les
valeureux croisés de la lutte contre la criminalité ne pouvait
qu’applaudir leur confrère, occupé à démontrer la déchéance
irréfutable et incurable destinée aux criminels en devenir à
l’aide d’un crâne. Il s’était pour cela muni de la dépouille
du tueur syrien Soleiman el Halabi, l’assassin de Kléber, un
des suivants de Bonaparte en Égypte. Le chirurgien chef
Laney avait récupéré son crâne qui fut exposé, des années
durant, aux étudiants en médecine afin de leur démontrer la
prétendue bosse du crime et du fanatisme, avant de finir aux
oubliettes au Musée de l’Homme.
Dans le public, un silence de mort planait. Parmi
l’auditoire, une seule personne trépignait d’impatience.
Cette anecdote, Sulpice Chenu, l’anthropologue, l’avait déjà
entendue des centaines de fois en Égypte. Le martyr des
nationalistes égyptiens avait eu le poignet droit brûlé, puis on
l’avait empalé avant de le laisser dévorer par des charognards.
C’était une des perles de la justice (expéditive) française. Elle
rongeait son frein, contrainte d’écouter ces vieilleries héritées
du célèbre Lombroso selon lequel le criminel présentait des
signes particuliers aisément reconnaissables. Comment ce
parterre d’éminents savants pouvait accorder la moindre
crédibilité à des théories aussi absurdes ? Ils étaient tellement
imbus d’eux-mêmes, incapables de dépasser la contemplation
de leur nombril... Ils ne pouvaient se résoudre à ce que tous
les hommes soient frères. La fraternité universelle, c’était
bien là une idée saugrenue de femme...
Prête à quitter la salle, elle se ravisa lorsque Maudsley
aborda le sujet des races indigènes. Il recourut une énième
fois à la théorie de Darwin pour signifier que, si l’homme
descend bien des singes, les races humaines n’en sont pas
pour autant au même stade de leur évolution. Il était
donc légitime d’utiliser les moins évoluées comme l’on
exploitait les animaux, à la différence notable que l’évolution
bienfaisante de notre moralité nous interdisait l’esclavage.
Une partie de l’assistance applaudit discrètement cette
pensée humaniste, sans doute afin de ne pas réveiller son
autre partie déjà assoupie. A sa décharge, il fallait reconnaître
que le congrès s’avérait particulièrement long et monotone.
La voix de Maudsley résonnait grâce à l’acoustique
parfaite de la salle. L’homme, de par son embonpoint, sa
barbe nourrie et ses sourcils broussailleux, jouissait d’un fort
charisme. A côté de ce géant se trouvait ce qu’on devinait
être une cage voilée d’un tissu opaque. Pour étayer son
discours théorique, Maudsley demanda à ses assistants de
lever cette couverture sur ce qui devait incarner le clou du
spectacle.
La cage renfermait un « nègre » trapu, mais bien plus
petit que la normale. L’individu apeuré se recroquevilla
dans sa prison, essayant de se protéger maladroitement
de la lumière artificielle que l’on braquait sur lui. Des
savants médusés s’empressèrent de réveiller leurs congénères
endormis.
 Rumeurs & Documents

Visiblement satisfait de son effet, Maudsley présenta ce
qu’il définit comme un pygmée, avec une référence ouverte
au petit peuple de la mythologie grecque.
— Le questionnement est encore d’actualité, à savoir si
cet anthropoïde est plus proche du singe que de l’homme.
Néanmoins, vous comprendrez que nous ayons dû le faire
passer pour un animal afin ne pas avoir des problèmes de
douane, le trafic humain étant prohibé depuis maintenant
belle lurette.
Le sang de l’anthropologue ne fit qu’un tour. Elle n’avait
jamais vu de pygmée, mais elle avait longuement côtoyé les
peuplades nubiennes près des sources du Nil. Ces fiers noirs
longilignes contrastaient avec la créature chétive de la cage,
mais elle avait déjà tranché quant au dilemme présenté par
le professeur. C’était un homme, personne n’avait le droit de
le traiter comme un animal de foire.
Discours de Kopsch
au Reichstag, Berlin
« La question des indigènes doit être résolue
uniquement dans le sens de l’évolution naturelle de
l’histoire universelle, c’est-à-dire que la moralité
supérieure doit avoir le pas sur la civilisation
inférieure. L’État moderne, en tant que puis-
sance coloniale, commet vis-à-vis de ses sujets
le plus grand des crimes, lorsque se laissant
hypnotiser et dominer par de confuses idées
humanitaires, il épargne aux dépens de ses
propres nationaux des races nègres vouées à
disparaître. »
— Effectivement, vu la condescendance avec laquelle
vous le traitez, il ne risque rien de la part d’un grand seigneur
tel que vous !
— Je vous rappelle qu’au-delà de notre mission
scientifique, qui touche aux fondements des origines de
l’homme, notre conviction coloniale est d’apporter la
civilisation à ceux qui n’en disposent pas. Ce pygmée sera
traité avec bien des égards après ce congrès.
— En effet. Une place dans l’un de vos zoos humains, je
présume ? J’ai vu à Paris des canaques de Nouvelle-Calédonie
qui se produisaient non loin de l’enclos des lions. On leur
avait demandé de mimer une chasse anthropophage, pour
divertir la foule. Ils étaient bien plus convaincants que les
singes d’en face !
— Vous n’allez pas remettre en cause ce que disait Renan
dans ses dialogues philosophiques : que les hommes ne sont
pas égaux, les races pas plus égales. Le nègre, par exemple,
est fait pour servir aux grandes choses voulues et conçues
par le Blanc.
— D’où vos exploits de prédateur au Soudan pour
dessouder des milliers d’indigènes, uniquement pour avoir
accès à ses ressources minières !

Une lionne sort de sa cage

— Le doute subsistant, vous n’avez aucun

droit de le laisser enfermé dans cette cage à
fauve.
La jeune femme était la première étonnée
de son audace. Une voix féminine n’avait
probablement jamais retenti dans le cénacle
masculin, réservé à une certaine élite sénescente.
Beaucoup de spectateurs levèrent un regard
amusé sur cette furie irrespectueuse.
Maudsley fit mine de ne rien entendre. Il
s’était emparé d’instruments anthropométriques,
et allait procéder aux mesures du crâne de
l’indigène sorti sans ménagement par des
assistants teigneux. Il se résolut à répondre à sa
contestatrice qui, encouragée par sa témérité,
comptait bien poursuivre son discours.
— Madame, vos assertions humanistes ne
sont pas de notre ressort. Nous parlons d’une
réalité scientifique, non d’un atermoiement de
femme sensible. Il ne sera fait aucun mal à notre
sujet.

227
 Chapitre 6
Une voix s’éleva dans l’assemblée pour dénoncer ce parti
pris politique pro-français. Elle dut recadrer le débat. Elle se
faisait un devoir de clouer le bec de ce vieux penseur imbu
de lui-même ; c’était devenu une affaire personnelle. Elle
s’empara de l’un des nombreux livres que contenait son sac.
— Je cite un de vos prédécesseurs, un certain Adelon, de
1808 (elle feuilleta frénétiquement les pages pour retrouver
l’extrait qu’elle avait abondamment commenté en rouge) :
« Quelques races de nègres ne peuvent compter au delà de 6 ;
aussi ont-elles la tête très étroite, et l’organe des mathématiques,
qui est placé latéralement, est, chez elles, très peu développé (...)
Les chinois qui ont tant de goût pour les couleurs tranchées,
ont l’arcade sourcilière plus voûtée que les autres nations, ce
qui annonce un plus grand développement de l’organe de
la peinture ». Voulez-vous que j’appelle mon boy, nègre
d’Égypte, pour le faire compter jusqu’à cent ? Donnez-moi
deux jours pour vous amener un chinois qui dessine des
monstruosités comme cet obscur peintre nommé Picasso !
Quelques rires accompagnèrent sa dernière remarque.
Elle aimait beaucoup Picasso, ce peintre espagnol peu connu
qui puisait dans l’art africain certaines de ses inspirations ;
néanmoins, elle savait que ses congénères conservaient des
goûts bien plus académiques, tant en anthropologie qu’en
peinture.
— Madame, l’histoire tel que nous, victoriens, la
concevons, est un élan vers le progrès et la civilisation. Nous
ne pouvons décemment laisser ces peuples dans l’ignorance
des fondements du christianisme et de la morale. Cette
marche au progrès ne doit pas exclure ces sauvages.
— Monsieur, vous gagneriez à vivre parmi ces sauvages
autrement que dans une voiture à porteurs. Les spiritualités
animistes, chamanistes et naturalistes de ces peuplades sont
bien plus complexes qu’il n’y paraît. Respecter leur culture
nous apprendrait beaucoup sur la notre.
228
Dieu, que d’inconvenance !
Ce dernier argument déclencha un tollé parmi ces
références du monde scientifique, encore arc-boutés sur
leur vision européocentriste. Telle une nouvelle Cassandre,
elle continua dès que le bruit s’estompa, prêchant ce qu’elle
savait être une cause désespérée.
— J’ai beaucoup mieux à vous proposer. Je me permettrai
une dernière citation avant de redescendre à ma place :
c’est votre confrère belge Héger qui conseillait, au dernier
congrès de ce genre, de « jeter un coup d’œil sur une série de
crânes qu’on a placés devant vous ; vous n’hésiterez pas à les
classer aussitôt d’après les caractères apparents et indéniables ;
vous rangerez, l’un à côté de l’autre, ces crânes de chinois qui
semblent tous sortis du même moule, ou encore ces crânes de
bruxellois qui ressemblent visiblement l’un à l’autre : ce sont
des séries naturelles. Mais si vous regardez ensuite des crânes
d’assassins, parmi lesquels figurent des flamands et des wallons,
vous n’observerez plus aucune similitude : ils ne forment pas
une série et appartiennent, avant tout, au type de leur race ». Je
crains que vos théories ne tournent court si l’on commence
à les appliquer aux européens. Il faudra bientôt se retrouver
pour que vous puissiez nous expliquer où réside la supériorité
des anglais sur les français, sur les allemands, des flamands
sur les wallons, et que sais-je encore...
L’assistance observa un silence gêné. Elle se composait
d’un melting–pot de savants venus de toutes les contrées
du Vieux Monde, et le spectre du nationalisme traversa
l’assemblée, imposant un instant de répit. Maudsley put
alors placer son estocade :
— Madame, nos théories sur le cerveau humain place
cependant le gorille après le nègre, le nègre après l’homme
blanc et l’épouse de l’homme blanc au niveau du nègre. Je
comprends votre acharnement à défendre vos semblables
en intelligence, et vous excuse en l’occurrence de vous être
trompé d’amphithéâtre. Le congrès de broderie a lieu plus
loin.
Des éclats de rires
gras ponctuèrent cette
dernière phrase, qui
poussa l’offensée à quit-
ter la salle. Les conve-
nances imposaient aux
femmes de ne point
inviter un gentleman à
un duel d’honneur, mais
elle trouverait un autre
moyen de laver l’affront.
Il était grand temps pour
elle de se lancer dans un
tour du monde afin de
contrecarrer toutes ces
théories ridicules.
 Rumeurs & Documents
Le racisme ordinaire
« C’est en vain que quelques philanthropes
ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi
intelligente que l’espèce blanche. Un fait incontestable
et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le
cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux
que celui de l’espèce blanche. Mais cette supériorité
intellectuelle qui selon nous ne peut être révoquée en
doute, donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en
esclavage la race inférieure ? Non, mille fois non. Si les
nègres se rapprochent de certaines espèces animales par
leurs formes anatomiques, par leurs instincts grossiers,
ils en diffèrent et se rapprochent des hommes blancs
sous d’autres rapports dont nous devons tenir grand
compte. Ils sont doués de la parole et par la parole nous
pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles et
morales, nous pouvons essayer de les élever jusqu’à
nous, certains d’y réussir dans une certaine limite. Du
reste, un fait plus sociologique que nous ne devons
jamais oublier, c’est que leur race est susceptible de
se mêler à la nôtre, signe sensible et frappant de notre
commune nature. Leur infériorité intellectuelle, loin de
nous conférer le droit d’abuser de leur faiblesse, nous
impose le devoir de les aider et de les protéger. »
Pierre Larousse, article « Nègre », Grand
Dictionnaire Universel du XIXème siècle (1872)
Nationalisme et marche à la guerre
Aventures parisiennes :
la mort d’un populiste
« Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup
y ramène. »
Jean Jaurès
L’apothéose d’un antidreyfusard
Un hôtel particulier dans le 1er arrondissement
de Paris (janvier 1899)
Charles Barrès jouissait de confortables revenus, et aimait
à le faire savoir. L’art nouveau affiché à l’entrée de sa demeure
parisienne n’était qu’un m’as-tu-vu destiné à faire étalage de
sa réussite sociale. Disposé à propager les idées de son frère
écrivain sur le terrain politique, il avait drainé les capitaux
de nombreux sympathisants afin d’alimenter la cause du
nationalisme.
Charles Barrès avait tout pour être heureux : il avait
plaidé sa cause à l’Assemblée Nationale, où il avait rencontré
un succès d’estime. Ses affaires personnelles florissaient ;
tout portait à croire que son ange gardien oeuvrait à sa
consécration pour ce XXème siècle prometteur et rempli
d’espoir.
229
Charles Barrès avait tout pour être heureux.
Confortablement installé dans son fauteuil, devant son
bureau où reposaient sa plume et une tasse de thé encore
fumante, il n’avait pas cédé au confort qui ramollissait les
ardeurs de la grande bourgeoisie. C’était un homme porteur
des germes de l’avenir.
Charles Barrès avait tout pour être heureux et, pourtant,
il ne l’était pas. Il ne le serait d’ailleurs jamais plus. Car
Charles Barrès était affalé tel un pantin grotesque dans
son fauteuil, le souillant du sang qui s’écoulait de sa gorge
tranchée. Il ne pouvait plus donner le change au mystérieux
visiteur qui avait apporté, comme seul présent, la caresse
froide et mortelle d’un stylet.
L’individu essuya une lame maculée avec le mouchoir
brodé aux initiales du fin politique. Son air narquois
parcourait les lettres qui jonchaient le bureau, ébauches de
discours qui ne seraient jamais déclamés. Le geyser sanglant
jailli de la jugulaire avait souillé la pureté du papier. Le tueur
essayait de déchiffrer les lignes encore lisibles.
Wadleck Danzas, en bon Tueur Méthodique, se félicitait
d’avoir mis fin aux jours d’un homme tel que Charles Barrès.
Il ne partageait pas les idéaux de cette chienlit d’anarchistes
idéalistes qui l’avaient engagé mais, pourtant, son méfait
n’avait pas été aussi gratuit qu’à l’accoutumée. Il n’avait
pas choisi sa cible par hasard. Il se remémora, à l’aide de sa
mémoire prodigieuse, les discours qui avaient façonné son
avenir de tueur lors de son passage à l’école républicaine,
puis à l’armée.
Meurtrier ou justicier ?
« La patrie est cette quantité de terre où l’on peut parler
une langue, où peuvent régner des mœurs, un esprit, une âme,
un culte. C’est une portion de terre où l’âme peut respirer. »
L’assassin avait fermé les yeux pour mieux se souvenir de la
citation de Charles Péguy, récitée jadis par son instituteur.
Il avait passé sa vie à nier ce lien filial entre lui et la nation,
hanté par tous les fantômes de ses camarades patriotes
tombés à la guerre. Il s’était battu pour l’armée française
pour finalement enterrer les cadavres de ses ennemis, de
ses frères et de ses idéaux patriotiques. Des contemporains
comme Charles Barrès étaient si acharnés à défendre la
mémoire des morts qu’il lui semblait tout naturel de les
haïr et de les expédier ad patres. « Nos ancêtres les gaulois
avaient été battus par les romains, mieux organisés qu’eux,
avant que Clovis ne fonde le premier royaume et la nation
franque. Si les kabyles et les arabes écoutent les français, ils
seront heureux, ils seront meilleurs et ils seront regardés comme
les enfants de la Grande Nation française. » ; « L’Alsace
et la Lorraine sont deux régions françaises. Malgré le fait
qu’une partie de leur population soit germanophone et de race
germanique, elles présentent la particularité de vouloir vivre
au sein de l’État français, ce qui suffit pour les rattacher à la
nation historique française. »
 Chapitre 6
Tout cet appareil propagandiste avait jadis séduit cet
homme venu de Pologne, une nation qui n’existait que
lorsque l’Allemagne et la Russie le lui permettaient. Cet
amour presque charnel pour la patrie, cet angor patriae,
il l’avait rejeté au profit de ses pulsions de mort. Tout
portait à croire que ces théoriciens nationalistes, sortis
avec grand peine de leur contemplation passée pour Dieu,
rejetaient leur adoration sur ce culte des morts pour leur
chère patrie.
Il avait vu ce que la nation réservait à ses adorateurs : des
corps décapités par l’artillerie, mutilés par les corps à corps
dans toutes les parties du monde, comme si l’armée voulait
suicider ses volontaires hallucinés dans un ultime combat
pour la domination mondiale.
Danzas prit une des lettres du bureau, une élégie pour
les soldats disparus de 1871. Le reste relevait du fiel habituel
déversé contre les suppôts de Dreyfus. Il épongea l’ichor
carmin qui glissait sur le col de sa victime.
— Tu aimais ta patrie, n’est-ce pas ? Tu vas rejoindre les
spectres des soldats que ton militantisme a envoyés dans les
charniers des guerres patriotiques.
Il s’apprêtait à quitter les lieux avec la sensation que
son passé le hanterait moins après ce sacrifice, quand son
intuition l’incita à se retourner. Il fouilla de nouveau dans
la paperasse. Un carnet d’adresses... Drumont. Une cible
difficile. Marcilly ? Tiens, il avait déjà assisté à l’un de ses
discours. Un candidat parfait pour un prochain martyr.
Danzas esquissa un sourire et rangea sa lame : il venait de
trouver son prochain objectif.
Aventures parisiennes :
débat dans les catacombes
Le concert des bannis de leurs nations
Au même moment, dans le repaire du Génie du Crime Nicolas
de Marcilly, quelque part dans les souterrains de la capitale...
Satisfait par le succès des thèses nationalistes débattues à
l’Assemblée, Marcilly décida d’ajouter une corde à son arc électoral
et s’enquit de la situation politique internationale. Il avait accueilli,
dans un simulacre de congrès multinational, les représentants de
nombreux groupes de dissidents, d’exilés politiques, d’anarchistes
et de contrebandiers venus de tous les horizons.
La réunion se tenait dans une annexe des catacombes
parisiennes. Ses sbires avaient installé une grande estrade, un
petit rideau d’opéra et des allumages savants ; on eut dit un
théâtre de marionnettes au sein d’un cadre qui n’aurait pas
déplu au directeur du Grand Guignol. Derrière le rideau,
Marcilly parlait d’une voix forte et modulée. Il tenait à préserver
son identité de Génie du Crime, et toutes les personnes qui
avaient découvert fortuitement son identité croupissaient
parmi les locataires de ces souterrains mortuaires.
— Amis de tout bord ! Il est grand temps d’appliquer
les libertés fondamentales à tout peuple souhaitant disposer
de lui-même ! L’État français, et les autres états que vous
combattez, compagnons étrangers, ont tous confisqué le
230
pouvoir souverain du peuple. Vous êtes englués sous l’emprise
des empires allemands ou austro-hongrois ou, comme
nous, vous subissez une liberté artificielle qui bride votre
patriotisme !
La voix puissante était relayée par un écho effrayant.
Sans être dupes, les invités ressentirent la sensation que ces
sentences provenaient d’une intelligence supérieure, tel Moïse
intimidé par la voix tonitruante de Yahvé.
— Toutes les manœuvres de nos politiques ont visé,
depuis des temps immémoriaux, à brider la nation qui serait
capable de s’émerger pour s’imposer parmi les autres. C’est
un concert européen destiné à engendrer l’immobilisme. Je
vous propose de déclencher un raz-de-marée politique qui
exaltera la barbarie du bourgeois et renverra les diplomates
à leurs pénates ! Il nous faut secouer le joug de ces tyrans et
de ces faibles, qui empêchent des vainqueurs comme nous de
réclamer notre part !
Malgré les origines diverses des auditeurs, la cause com-
mune – promouvoir une guerre en Europe – rassemblait tous
les suffrages. Substituer au jeu d’échec diplomatique un jeu
de massacre militaire leur semblait être la meilleure solution
pour défendre leurs intérêts communs. Le monde criminel fait
rarement dans la dentelle...
Les multiples crânes, entreposés sur des monceaux de
tibias, semblaient observer en témoins attentifs ce discours.
Les cadavres séculaires qui encerclaient l’assemblée de notables
installés sur leurs chaises, au coeur de la grotte, incarnaient
la meilleure illustration du désastre annoncé par cette fièvre
belliciste.
Le chantre de la nation et la cacophonie
d’une guerre prochaine
La voix tonitruante de Marcilly semblait jaillir des pro-
fondeurs même de la terre.
— J’espère qu’une fois achevée, notre révolte nationaliste
aboutira sur un partenariat poussé entre nous tous. Une inter-
nationalisation de ce que nos autorités appellent injustement
le « crime organisé ». J’espère que nous saurons dépasser,
amis de l’étranger, nos querelles de frontières et nos identités
nationales, afin de ne conserver que nos intérêts affairistes.
Un début d’opéra – du Wagner sans doute – commença
timidement à relayer son discours. Il avait pensé à tout. Sa
voix s’interrompit pour mieux laisser apprécier à son audi-
toire les premiers accents de La Chevauchée des Walkyries. Un
des spectateurs, un exilé russe expulsé par la police tsariste,
en profita pour s’exprimer :
— Est-ce que nous pourrons en profiter pour fonder de
nouvelles bases de société, pour une plus grande justice entre
les hommes ? Il y a encore des paysans serfs dans mon pays
qui paient le prix fort la politique de Nicolas II.
— Rien ne vous en empêche. Profitez de ces périodes
de doute et d’incertitude pour galvaniser vos états respectifs.
Mais, par contre, conservez un état fort, quitte à perpétuer
les pressions policières. Elles sont plus agréables quand on les
manipule que lorsqu’on les subit ! Sachez qu’un état ne peut
se construire que par son opposition contre ses ennemis,
qu’il soient intérieurs ou extérieurs !
 Rumeurs & Documents
— Pourtant, votre échiquier européen rassemble de
nombreux rivaux qui luttent pour le plus gros pactole
colonial.
Un oriental, visiblement japonais, avait pris la parole dans
un français presque parfait : sans doute un des nombreux Notre Patrie est Mutilée :
émissaires envoyés en Europe pour s’inspirer de son modèle extrait d’un manuel d’école primaire (1914)
industriel. Que faisait-il là, nul ne le savait ; néanmoins, le court
Depuis 1870, notre patrie est mutilée ; les prussiens
pommeau du sabre qu’il portait indiquait son appartenance à nous ont enlevé l’Alsace et une partie de la Lorraine.
l’ancienne caste militaire déchue des samouraïs. Mais si ces deux provinces ont été arrachées de vive
— Ne confondez pas le rival et l’ennemi. On peut jouer force à la mère patrie, elles sont restées françaises par le
avec son rival sur les terrains coloniaux, ce n’est pas pour cœur ; voici un fait qui le prouve bien. Dernièrement
autant qu’on va s’affronter les uns les autres. Rien ne vaut un inspecteur des écoles allemandes vint visiter une
une bonne guerre pour régénérer la nation, les français en école des environs de Colmar. Il interrogea les élèves.
Après quelques questions générales, il montra une
savent quelque chose depuis la raclée de 1871. Après la
carte d’Europe pendue au mur et s’adressant à un
bévue de Fachoda, les français auraient une bonne raison élève à la mine éveillée et intelligente, il lui demanda
d’engager les britanniques dans une guerre. C’est une provo- ironiquement : « Voyons, où est la France ? ». « Où est
cation pouvant mener à un duel : les justes guerres vengent la France ! Elle est ici » répondit l’enfant sans hésiter et
les injustices. Avec l’endoctrinement patriotique prodigué à en posant sa main sur son cœur...
l’école, on peut compter sur l’enthousiasme des soldats.
Pour être capables de défendre la patrie nous
Le russe reprit la parole.
devons accomplir notre service militaire. L’instruction
— Vous connaissez les alliances, officielles ou secrètes, militaire commence dès l’école par les leçons de
passées entre tous les états européens. Ce n’est plus les gymnastique et se donne ensuite au régiment. Si nous
échecs que nous maîtrisons en Russie, mais le jeu de avons été bons élèves, nous serons bons soldats.
dominos. Le continent, comme les Balkans, est une véritable
poudrière. On risque d’embraser cela dans une guerre
continentale, voire, avec les colonies, mondiale.
— Je pense que vous exa-
gérez fortement, nos souverains
et représentants sont trop timo-
rés. Et quand bien même ! C’est
l’épreuve du sang qui forge la
nation. Je pense que, parmi vous,
un représentant arménien pourrait
vous expliquer ce que signifie un
holocauste ! Son peuple s’oppose
vaillamment aux turcs depuis des
années. L’état oppresseur a incen-
dié la cathédrale d’Ourfa, à la
Noël 1895, y brûlant près de trois
mille arméniens. Un sacrifice loin
d’être inutile, la flamme de la
résistance s’en étant ravivée !
Un silence pesant, entrecou-
pé des allegros de la symphonie,
s’installa avant que Marcilly ne
reprenne :
— Il faut convenir que cela
se ne fera pas sans heurts. Les
six millions de cadavres croupis-
sant sous Paris seront peut-être
l’aune à partir de laquelle il faudra
compter les victimes. Il s’agit de
décider maintenant si vous serez
du camp des victimes ou des
bourreaux.
La mélodie de Wagner s’ache-
va sur une fin cacophonique :
l’appareil avait rendu l’âme.

231
 Chapitre 6
Repères
 1872 : formation de la Triple Alliance entre Allemagne,
Russie et Autriche-Hongrie ourdie par le chancelier
Bismarck, au nom de la solidarité entre empereurs.
 1873 : suppression de l’armée des samouraïs au Japon.
Remplacement par une conscription moderne sur
le modèle occidental : c’est une révolution sociale
anti-féodale.
 1878 : fin de la guerre des Balkans qui boute les
Ottomans hors de l’Europe. Début de contentieux
entre les pays européens qui veillent à leurs intérêts
propres.
 1882 : la Triplice est signée entre l’Allemagne,
l’Autriche Hongrie et l’Italie. Cette dernière se sentait
lésée sur la Tunisie récupérée par la France, ennemi
commun de cette alliance.
 1890 : démission de Bismarck devant l’impétueux
Guillaume II, décidé à ne pas se laisser gouverner par
le vieux lion.
 1891 : entente cordiale secrète entre la Russie et
la France pour adopter des positions communes.
 1894 : le Japon déclare la guerre à la Chine. La victoire
du premier inquiète les occidentaux.
 1895 : un premier massacre d’arméniens est orchestré
par les turcs et les kurdes, heureusement stoppé par
l’armée britannique.
 1896 : la visite officielle du tsar Nicolas II comble
d’aise les français.
 1897 : un important programme de construction
navale est voté en Allemagne. « Nous ne voulons porter
ombrage à personne, mais nous exigeons notre place au
soleil », dixit le vice-amiral Von Tirpitz.
 1899 : un nouvel espoir ? La Conférence de La Haye
préconise la limitation des armements et prévoit
la constitution d’un tribunal d’arbitrage en cas de
conflits entre états.
Décadence de fin de siècle
Un atelier de sculpture
à Paris (automne 1899)
« Le soleil était noir et la lune roulait
comme un globe inutile à travers l’Angleterre
Le sang surgit en volumes impétueux,
se déversant en tourbillons furieux
Hors des vannes du Ciel
Et la Peste apparut en traînées rouges
Sur les membres du Tuteur d’Albion ;
La Peste Noire frappa le tuteur
Le Bristol et la Lèpre l’Esprit de Londres. »
William Blake, Jérusalem
232
Un atelier de sculpture à Paris (automne 1899)
L’artiste François Aubert poursuivait, à l’aide de son
scalpel, la commande passée par ce curieux agent anglais.
La statuette à l’effigie de son amie prenait forme. Il s’assit
sur son tabouret, engoncé dans son peignoir de satin, et
contempla son œuvre. La sueur née de l’effort fit couler le
maquillage discret qu’il s’administrait quotidiennement, à
moins qu’elle ne soit due à l’état de nervosisme induit par
l’opium qui avait ouvert le vestibule de sa démence et qui,
un jour, pousserait les portes de son trépas.
Il ressentit l’impression que toutes les promesses
d’immortalité et de résurrection véhiculées par cette statuette
égyptienne s’avéraient vaines dans un monde sans avenir.
Derrière lui, un de ses tableaux pastichait la maison
royale d’Autriche. Il avait fait cette étude lors de son
apprentissage, avant de reprendre chacun des personnages
pour les grimer en monstruosités. Vienne et sa cour lui
avaient servi de laboratoire pour sa vision toute personnelle
de la fin du monde avec son empire sénile et antisémite,
son vernis aristocrate progressivement craquelé. Il s’amusait
des journaux satyriques qui se plaisaient à croquer la reine
Victoria en fumeuse de cannabis, son fils syphilitique
Edward en dégénéré, et son mari en mort-vivant affichant
les stigmates du choléra. Tout ce beau monde passait le plus
clair de son temps à s’adonner à une vie dissolue, à la chasse,
aux jeux et aux interminables réceptions.
L’artiste sourit en songeant à ces traductions graphiques
de la décadence. Que représentait la décadence pour lui ?
Le point ultime d’une civilisation éperdue, la conclusion
vertigineuse d’une époque essoufflée, le dernier conflit de
l’ombre et de la lumière. La splendeur crépusculaire qui
n’augure rien à l’horizon. Il avait l’impression de vivre dans
un siècle pénitentiaire, étouffé par ces valeurs matérielles sans
saveur. Il était en porte-à-faux avec ces valeurs ; pourtant, il
n’affichait guère l’image convenue d’un être épanoui dans
son rôle de décadent excentrique pressé de libérer ses
pulsions dans l’occultisme, le sexe, voire l’astrologie. Peut-
être parce que son art lui permettait de jeter un œil de l’autre
côté du miroir déformant de la réalité... Un monde noir se
révélait sous ses yeux à chacune de ses compositions, et il
n’avait vraiment pas de quoi se réjouir.
Décadence de la fin de siècle
Il emballa son œuvre dans les larges feuilles du Petit
Journal, touchant pour la dernière fois la courbe charnelle
des hanches de la statue. Il enfila ensuite son costume de
velours blanc, un bouquet de parme dans l’échancrure décol-
leté d’une chemise, sa redingote savante, son nœud-cravate
personnalisé et son pardessus mastic pour livrer le colis, puis
erra dans les rues de la capitale à la recherche... d’un signe.
Cette fin de siècle ne pouvait être une terminaison, mais
un commencement. Enfin, il l’espérait. Une sorte de pause,
un rassemblement de forces créatrices comme la sienne
à partir desquelles se constituerait l’humus nourricier où
germerait la civilisation de demain.
 Rumeurs & Documents

L’antre de Cassandre Celui-ci épinglait la conférence sur la restriction des armes

en Europe. La caricature représentait chaque dirigeant
« L’immense, la profonde, l’incommensurable goujaterie du s’adonner à une franche et volontaire poignée de main, tout
financier et du parvenu rayonnant tel qu’un abject soleil, sur en cachant ses canons derrière son dos. Le dessin me fit
la ville idolâtre (...) qui éjacule d’impurs cantiques devant le sourire. Et pourtant...
tabernacle impie des banques. » Soudainement, je fus plongée dans un cauchemar. Sans
doute un de ceux qui matérialisaient mes obsessions, une de
K.J. Huysmans, A Rebours ces réminiscences qui me hantaient, ces tentations qui me
brisaient. J’eus une vision, une violente vision.
Demeure louée par la Médium
(printemps 1899) Le Grand Soir s’abattait sur Paris. Un évènement digne
du Ragnarok qui terrifiait les anciens peuples nordiques.
Tirer les cartes pour ce couple de bourgeois ne représen- Mon imagination par trop féconde se figura l’ombre du loup
tait pas la facette la plus amusante de mon métier nourricier. Fenris qui brisa ses chaînes pour précipiter le monde dans le
Monsieur était trop préoccupé par la façon dont allaient chaos en dévorant le soleil. Pour les vikings, le crépuscule
évoluer les affaires pour prêter attention aux jérémiades de précédait une nouvelle aube pleine de promesses d’avenir ;
sa femme, qui me bombardait de questions sur les liaisons ce qui n’était pas le cas ici. Les rues étaient en proie au
sentimentales de ses amies. déchirement des hommes, montés les uns contre les autres
Si elle avait su, la bou-
gresse ! Médium, ça n’est
pas un métier de concierge
d’immeuble, il ne suffit
pas de faire la galante avec
le tarot pour démêler les
intermittences du cœur.
Être médium, c’est s’appro-
prier l’âme et la destinée
de la personne sondée ; et
l’expérience s’avérait plutôt
vomitive quand il s’agissait
de sonder l’esprit de son
affairiste de mari. J’en avais
vu, des personnages de ce
type... Tombant le masque,
se révélant corrompus par le
vice, la maladie et l’hybrida-
tion de toutes les déchéan-
ces connues. Mon cerveau
était un trottoir pour toutes
les idées publiques échap-
pées des caniveaux.

Comme en réponse à
ma prière de délivrance, un
jeune courrier fit irruption
dans la pièce, salua mes
clients, puis posa sur mon
bureau un exemplaire du
Colporteur, ce journal sati-
rique dans lequel j’écrivais
parfois des articles. Puis
il repartit aussi vite qu’un
zéphyr.
Je me concentrai de
nouveau sur mes cartes,
avant de m’attarder sur la
couverture du Colporteur.

233
 Chapitre 6

par la spirale du crime et de la guerre. Paris n’était plus que

le théâtre d’une succession de morts solitaires qui mettait
en danger la survie de l’espèce. Les derniers saints, sous les
traits de policiers et de citoyens restés lucides, se sacrifiaient
pour différer ce qui ressemblait fort à une Apocalypse.
Dieu n’intervenait plus dans l’Histoire, laissant les hommes
seuls maîtres du jeu. Des uniformes bleus et verts cassés
s’affrontaient dans un Paris effondré sur lui-même. Les
troupes couraient comme des rats dans des souterrains
désaffectés. Des tranchées...
La périphérie de Paris était constituée de cités d’acier,
comme avatars des banlieues actuelles, avec leurs usines
géantes obstruant un soleil apaisant. Une masse de prome-
neurs, les yeux hagards, vaquaient à des simulacres d’occupa-
tions quotidiennes. Ils ne percevaient même pas la présence
de la guerre qui faisait rage, à quelques lieues de là.
Des accents de fin du monde
La société de Crimes est empreinte d’un acti-
visme frénétique : les hommes qui modèlent ce monde
prônent invariablement l’action directe, malgré une
attitude faussement conservatrice. On insiste sur les
nécessités de la vie et de l’action, sans plus réfléchir sur
leurs principes. C’est un monde qui s’emballe comme
un train dont la locomotive devient folle, et menace de
faire dérailler tous les wagons à l’arrière. Une société
qui confond encore vitesse et précipitation. Telle est la
trame de votre nouveau lieu de vie !
Mieux encore : le monde de Crimes n’a pas de
destination. Le train va droit dans le mur. Il échoue
à traverser le pont reliant nos deux siècles comme si
la décadence, en bonne anarchiste, en avait saboté
les piliers. Votre campagne peut récupérer ces thèmes
apocalyptiques, eschatologiques, ces résonances propres
à toute fin de siècle.

Une fillette sembla s’extraire de cette hallucination

collective et ouvrit la bouche. J’eus l’impression de
me précipiter vers elle et j’entendis un cri suraigu
s’échapper des profondeurs de sa gorge...
— Madame Marihaure, reprenez-vous !
— Je... Je...
— Mes affaires iront-elles si mal ?

L’industriel et sa compagne s’étaient levés pour me

retenir. Ils semblaient complètement perdus, comme
si le monde s’écroulait autour d’eux. Je leur racontai
une partie de ma vision. D’abord attentifs, ils se
détournèrent ensuite de mes propos, visiblement déçus.
Je ne parvenais guère à refaire surface.

Mon client se leva de sa chaise, tournant les talons,

et jeta d’un air méprisant :
— Madame, je crois bien que vous êtes folle à
lier !
Seule. La chevelure ébouriffée, je me retrouvais de
nouveau seule avec mes démons.

234
 Rumeurs & Documents

Repères

 1873 : une première crise économique ébranle l’opti-

misme faramineux né avec la Révolution Industrielle.
Les tenants du capitalisme doivent tempérer leurs
ardeurs.
 1878 : critique des valeurs établies dans Humain, Je ne saurais dire combien
Trop Humain du philosophe Nietzsche. La démesure les marches de Montmartre m’estde lieues j’ai parcouru à Paris. Gravir
de l’esprit dionysiaque y est exaltée, par rapport à la de faire tomber le chapeau qui ma toujours aussi malaisé. La brise vient
tempérance qui fait consensus chez les moralistes. nu et vulnérable. C’est à peine squait mon front, laissant mon crâne
 1883 : l’éruption du Krakatoa, en Indonésie, provoque rattraper, avant que le vent nesi j’ai eu le temps de me baisser pour le
un immense raz-de-marée dont les vagues font le tour coutume de dire, dans les campag l’emporte vers d’autres horizons. On a
de la terre. Les catastrophes naturelles sont le fond bourrasque se montre plus for nes, que le juif errant passe lorsqu’une
de commerce de tous les prophètes annonçant la fin
C’est le vent qui m’apporte les te qu’une autre... Mais c’est l’inverse.
du monde.
l’histoire humaine. bribes et les échos de tout ce que
 1884 : le Salon des Indépendants de Paris regroupe les
charrie
J’en ai tellement entendues,
temps, toutes convergent vers de ces histoires... Mais ces derniers
artistes les plus audacieux, éloignés de l’académisme,

fin du monde. Peut-être que Dila guerre et une sensation collective de

qui s’épanchent allégrement sur leurs idées de fin du
monde.
 1886 : Louis II de Bavière, devenu fou, est démis de a fui les hommes. J’espère cep eu, après avoir épuisé sa miséricorde,
ses fonctions. Peu après, le souverain déchu se noie pour mettre fin à mon errance.endant qu’il en conserve suffisamment
avec son médecin personnel dans le lac de Starnberg, le plus ancien à parcourir ce Je demeure sans doute l’être corrompu
près de son château de conte de fée. l’espoir. Mes maigres prodiges, monde, mais je n’ai jamais perdu
 1888 : l’ouverture de l’Institut Pasteur semble repous- éternelle et la prescience représcomme le don des langues, la jeunesse
ma malédiction. entent un faible réconfort com
ser la perspective de prochaines pandémies. parés à
 1889 : suite du feuilleton de la décadence princière Un passant me demande l’heure
avec le suicide de l’archiduc Rodolphe, héritier de point. Il me demande le chemin . Je luis dis que je ne la conna
l’empire austro-hongrois, avec sa maîtresse Mary
lui dis que je ne la connais poi de la rue du Paradis, à Montmartre. is
Je
un livre ouvert : c’est un anglant. Je lis dans son visage comme dans
Vetsera à Mayerling.

le stigmate de la vengeance ; sais. Il est en fuite, comme moi. Il porte

 1893 : le peintre norvégien Edvard Munch frappe le

mal qui le ronge. Un compagnon souffrance semble être le moteur du

monde par ses tableaux retranscrivant l’angoisse de
ses contemporains par des univers morbides, la déso-
ne peux rien pour lui. d’infortune. Je le laisse s’éloigner
lation et l’agonie. Le Cri devient l’emblème de toute , je
une génération de mélancoliques. Et pourtant je souffre, je
 1895 : Émile Verhaeven décrit, dans ses Villes rapprochant sans cesse de ma marche, comme l’Humanité, me
Tentaculaires, la souffrance et la folie sécrétées par partant du péché pour aller ver rencontre finale avec ma destinée,
les grandes métropoles. La Révolution Industrielle faute par un signe gravé sur mos la béatitude. Je porte la marque de ma
ébranle le rapport séculaire de l’homme avec la terre si lourde... Calvaire ! Les légend n front, je porte à ma façon une croix
 1897 : fait-divers macabre avec l’incendie du bazar de sait tout, mais en vérité je ne es qu’on colporte font de moi l’être qui
la Charité à Paris. Une étincelle venue d’une cabine de imprévisible. J’éprouve d’ailleurs sais rien. L’avenir ne cesse de
changer,
projection filmique embrase l’immeuble, provoquant
claire et sans ambiguïté de mo bien du mal à me faire une vision
i-m
Pourtant, je continue d’espérer.ême ; alors pour le reste...
160 victimes dont 155 femmes bousculées par les
hommes et empêtrées dans leurs robes. Le pays est en
mon discours, peut-être me Homme, si tu pouvais entend
deuil. La modernité est désignée comme responsable. con sid re
d’un espoir sans en être un, èrerais-tu comme le symbole
le ressort. C’est à toi de subir,l’annonce d’un âge d’or sans en être
temps, et d’en découvrir la clef comme moi, l’épreuve ravageuse du
Et pour finir, .
Voilà, je suis enfin arrivé en
les vents ! Vicissitudes d’une haut de ce promontoire battu
mé mo par
retour à l’Errant... l’impression d’avoir gravi le Gol ire soudainement réveillée, j’a
i
souvenirs ne soient que les pu gotha de la Passion ; à moins que ces
« Il ne faut avoir aucun regret pour le jour, un amateur de ruines accrs montages d’un esprit fatigué... Un
omplira le même chemin de cro
e tde contempler les vestiges de Paris, ix afi
passé, aucun remords pour le présent,
passé. Un frémissement eschat venant humer les fantômes dun
une confiance inébranlable pour l’avenir. » ologique me parcourt l’échine.
Je distingue un orage qui se
je trouve un abri. Le chantier prépare au loin, vers l’est. Il faut que
Jean Jaurès
du Sacré-Cœur devrait faire l’af
(Retranscription d’une lettre retrouvée près faire.
d’une synagogue de Paris par la police locale
et transmise à Nicolas Antoine de Marcilly,
député populiste et antisémite notoire)

235
La Fée Verte
Prologue
À la poursuite du mouton noir
« Absinthe. Poison extra-violent (...) A tué plus de soldats
que les Bédouins. »
Gustave Flaubert, Dictionnaire des Idées Reçues
(1850-1880)
Chronologie des évènements
ayant trait à l’agent Carter
 1862 : naissance de Craig Carter à Londres, en Angleterre.
Le père a disparu dans la nature au cours de la grossesse.
 1863 : sa mère, rejetée par sa famille et la population
locale, émigre en Angleterre avec le nourrisson.
 1864 : là-bas, elle doit s’adonner à la prostitution pour
nourrir son enfant.
 Août 1868 : elle rencontre un prêtre catholique français, à
qui elle décide de confier l’éducation du petit Craig moyennant
quelques services... Craig apprend le français, tout en développant
une rancœur pour la religion catholique et pour les français.
 1879 : la mère de Carter meurt à la suite d’une longue
maladie. Le précepteur cesse de l’éduquer, mais Carter
n’en a cure : il en sait suffisamment pour continuer son
apprentissage en autodidacte.
237
 1884 : Carter entre à Scotland Yard après avoir travaillé
d’arrache-pied pour échapper à sa condition.
 Août 1888 : premiers pas de Carter comme auxiliaire
dans l’affaire concernant l’éventreur de White Chapel, qui lui
est rapidement retirée.
 Décembre 1888 : Carter est pris sous l’aile d’un cer-
tain William Gull, médecin de haut rang.
 Mars 1891 : intronisation dans la loge maçonnique
de Londres.
 Janvier 1898 : Craig Carter est dépêché par Scotland
Yard pour coopérer avec la préfecture de Paris.
 Octobre 1898 : Carter retourne à Londres et s’immisce
dans un trafic d’antiquités, associé à Nicolas Antoine de
Marcilly.
 Novembre 1898 : coup de foudre pour l’actrice
Hannah Chenu.
 Décembre 1898 : l’agent Carter contacte Michel
Royer, un député, pour dénoncer le trafic d’antiquités.
 10 janvier 1899 : une nouvelle recrue de Saint-Étienne
remplace l’agent Carter.
 30 janvier 1899 : querelles antisémites entre Nicolas
Antoine de Marcilly et Jean Jaurès.
 15 février 1899, le soir : déclenchement des attaques
des absinthés lâchés par le Génie du Crime.
 16 février 1899 : début de l’enquête dénommée
« La Fée Verte ».
 16 février 1899, pendant la nuit : mort du président
Félix Faure.
 Chapitre 7
 17 février 1899 : on annonce la mort de Félix Faure à
la Chambre des Députés.
 18 février 1899 : jugement rapide de Nicolas Antoine
de Marcilly, alias le Génie du Crime.
 1er mars 1899 : début de l’enquête dénommée
« Amour à Mort ».
 2 mars 1899 : Carter réapparaît pour subtiliser le
cadavre de Hannah Chenu, son amante.
 20 octobre 1899 : Carter part pour l’Égypte. Des
enquêteurs le poursuivent dans le cadre de l’enquête dénom-
mée « Résurrection ».
 1er janvier 1900 : mort en apothéose de
l’ex-Craig Carter.
Introduction à la campagne
Les trois scénarios que vous trouverez dans ce livre forment
une campagne destinée à prolonger l’aventure ébauchée par
la disparition de Carter. Par souci de cohérence, nous y avons
inclus certains des archétypes vus précédemment. De même,
vous pourrez vous lancer dans ces péripéties en reprenant les
archétypes de personnages du chapitre 3 si vous ne souhaitez
pas créer un avatar original. Ces personnages offriront un
troisième regard sur le monde désabusé de Crimes après celui de
Carter, cet ange déchu, et après celui du narrateur de l’enquête,
qui rencontra un destin tragique le soir du 15 février...
Nous avons inséré de nombreux conseils pratiques pour
vous permettre de mener au mieux votre aventure. Notre
ambition n’est pas d’être dirigistes, mais de vous expliquer
notre manière de concevoir un scénario : nous proposons, vous
disposez. N’oubliez pas qu’il s’agit désormais de votre jeu...
A la lecture des histoires qui vont suivre, vous constaterez
que tout s’articule autour de Carter et de ses lubies. Si on
devait en tirer une morale, ce serait que toute tentative de sur-
passement de la condition humaine conduit inexorablement à
la destruction. Carter est une grenouille qui veut se faire aussi
grosse qu’un bœuf, au risque d’éclater. Vos personnages seront
sans cesse mis en face du même dilemme : doivent-ils imiter ce
modèle pour mieux le traquer ? Est-il bien sage de combattre
le feu par le feu ? Respectez leurs choix : il n’appartient qu’à
eux de choisir si Carter doit être leur guide spirituel ou leur
Némésis sur les chemins de la déchéance.
La fabula
La fabula est l’histoire réelle, une entrée fondamentale
pour maîtriser les mécanismes de la narration. Maîtriser la
fabula, c’est avoir l’assurance de ne pas perdre le fil directeur
de l’histoire quand vous et vos joueurs prendrez des libertés
avec celle-ci.
Carter et le Génie du Crime se livraient à un trafic
d’antiquités égyptiennes, le second bénéficiant des contacts
238
du premier. Outre l’appât du gain, c’est la convoitise des vertus
de la mumia, substance retrouvée dans les momies royales, qui
va les mener à ces extrémités. La confrontation entre Carter et
le Génie du Crime porte sur la conquête de la Femme Fatale :
elle est l’enjeu, l’objet convoité. Dans le chapitre 4 on a vu
Carter, traqué par les sbires de son ancien client, réchapper
de justesse à la mort. Voilà comment ce conflit d’intérêts va
finalement dégénérer...
Le Génie du Crime veut renforcer sa façade officielle
d’homme politique. Il a perdu son combat en faveur de la
condamnation de Dreyfus. Afin de conserver son électorat,
il mise sur un nouveau cheval de bataille : l’insécurité et
l’alcoolisme à Paris. Il lâche pour cela son absinthe concentrée
dans les cabarets banlieusards, en espérant ainsi générer des
crimes et des émeutes pour profiter du tapage médiatique qui
en résultera.
Carter, profitant de sa mort officielle, va saboter ce plan
de deux façons : il va détourner une partie de cette absinthe
pour inonder les fumeries d’opium et les troquets plus huppés,
non sans y ajouter de la mumia pour rendre plus résistants les
criminels atteints de delirium tremens ; puis, afin de parfaire
le chaos, il va tenter de contaminer des abattoirs réputés pour
leurs expérimentations sur les animaux, et dont le sang est dis-
tribué aux personnes atteintes d’anémie. On peut imaginer les
dégâts ! La situation devenue incontrôlable, nous ne pourrons
plus compter que sur vos enquêteurs pour éviter à la capitale
de se voir plongée un temps dans la folie homicide et dans de
gigantesques folies bacchantes !
Objectifs du scénario
La Fée Verte est un prototype destiné à vous exposer
la méthode de construction des scénarios développés par
l’équipe. Il existe un fil conducteur – la fabula – dévoilé
par des scènes-clés. En dehors de celles-ci, nous avons établi
un éventail de lieux très différents que les joueurs pourront
explorer selon leur motivation et le temps que vous allouez à la
partie. En bref, le scénario n’est absolument pas séquentiel.
La Fée Verte comporte les moments-clés d’une enquête
avec sa récolte d’indices, l’expertise légiste et l’interrogatoire
des suspects afin de vous habituer à maîtriser ces situations
récurrentes dans les scénarios.
Le fantastique dans Crimes
Crimes n’est pas un univers merveilleux où le surnaturel
a pignon sur rue. Pourtant, le paranormal y est indissociable-
ment lié à la société et au quotidien. Il y est même soluble.
Ce fantastique est une donnée irréelle ramenée imperceptible-
ment dans le cadre du réel, avec pour but de révéler toute son
horreur. On pourrait s’attendre à y voir un sorcier mettre aux
enchères un pacte satanique à la Bourse, par exemple...
 Campagne
Le monde de Crimes est écartelé entre des éléments
d’actualité (contexte social, politique) et des éléments
inactuels (créatures sorties des romans gothiques, malédictions
familiales, mystères de civilisations oubliées). Ce décalage
permettra à des personnages mondains d’être transportés dans
un univers qu’ils ne comprennent pas, et que leur raison ne
manquera pas de rejeter en bloc.
Mieux encore : le fantastique de Crimes repose sur
l’hybridation inquiétante du cauchemar et de la vie à l’état de
veille. La raison ne peut se représenter la réalité dans toutes
ses dimensions, et l’horreur surgira de ces zones d’ombre où
la modernité refuse encore de mettre les pieds. Le surnaturel
traduira aussi bien la peur de l’anarchie et de l’avenir que d’un
monde moderne rempli de vices. Les personnages recèlent
cette duplicité qui les coince entre le masque de l’homme
civilisé et leur propre sauvagerie. Les monstres pullulent sous
la faible épaisseur de ce masque ; ils s’ancrent dans la société
et ne sortent plus seulement des tombes et des demeures
isolées.
Pour conclure, disons que l’horreur de Crimes naît en
partie du fait qu’il existe finalement peu de différences entre
son voisin et le monstre qui rôde dehors, ou entre le sain
d’esprit et l’aliéné, les premiers s’avérant parfois aussi dérangés,
une fois le masque tombé, que les seconds.
239
Les lois du genre
La Fée Verte se conçoit comme une intrigue
policière au dénouement des plus inattendus. La
multiplicité des protagonistes (Carter, le Génie du
Crime, la préfecture de police, les différents lieux
visités...) ne rend pas sa résolution aisée. Voici donc
quelques remarques sur le genre policier.
Il faut partir, dans la construction d’un scénario,
de la fin (le crime) vers le début (ses motivations) pour
dégager les multiples indices qui en découlent. Le but
du scénario est de faire la lumière sur l’affaire, et non
pas d’accentuer les zones d’ombre pour aboutir à une
explication tarabiscotée ou incompréhensible. En fait,
tout le talent des PJ consistera à faire tomber un à un
les masques arborés par les suspects pour dévoiler leur
véritable nature. Le meurtre initial peut lui-même être
un trompe-l’œil, si l’on part d’un fait divers à l’allure
insignifiante pour en faire l’arbre qui cache la forêt du
crime...
Il y aura donc deux temps dans votre aventure :
Une ouverture du sens, où vous multipliez les
pistes et les solutions envisageables.
Une fermeture du sens où une seule hypothèse
sera retenue, et pendant laquelle vous écartez les
fausses pistes.
 Chapitre 7
Acte I. Une affaire bien étrange
Scène 1. Dévoilement de l’affaire
« Même quand j’aurai un pied dans la tombe, j’aurai
l’autre dans le derrière de ce voyou. »
Clemenceau, au sujet de
son rival politique Aristide Briand
Dans la première étape du scénario, tout devra se dérober
implacablement sous les pieds des PJ : la raison s’affolera et
cèdera sa place à l’imagination la plus hallucinée. L’affaire
proposée a pour but de remplir cette tâche.
Résumé
Lépine expose les premiers éléments de l’enquête et
exhorte les PJ à la résoudre rapidement. Il leur annonce la
mort de l’agent Carter.
Environnement
Le 16 février 1899, en fin de matinée. Le Palais de Justice,
sur l’île de la Cité. Le bureau de Lépine, richement doté, paré
d’innombrables clichés des affaires en cours placardés sur les
murs. Ambiance pesante : le préfet est en conciliabule avec
quatre de ses conseillers. Tous sont assis autour d’une immense
table en bois vernis.
Thèmes majeurs
Une cellule de crise est mise en place à la préfecture
face à un fait-divers alarmant. On dénonce l’alcool comme
responsable de l’affaire. S’ensuit la présentation de l’équipe et
de sa tâche, avec une opposition entre les moyens modernes et
traditionnels d’investigation.
Déroulement
2 Présentation de l’affaire
Les personnages sont invités à rejoindre le groupe de
travail occupé sur l’affaire survenue la veille : des coupures
de presse jonchent la table afin d’informer les héros (remet-
tre l’annexe 1). Cette scène est axée sur le dialogue : nous
vous en fournissons ici quelques bribes qui renseigneront les
PJ sur leur statut, sur celui de Carter et sur leur première
mission.
Lépine sur ses innovations :
— Messieurs, nous avons contribué à moderniser la police
parisienne. Les chiens sauveteurs, les Brigades Fluviales et nos
agents polyglottes, qui règlent la circulation, remportent tous
l’adhésion de nos concitoyens. Cependant, nous avons montré
nos limites quant à la résolution de quelques affaires retentis-
santes : nos moyens traditionnels ne suffisent pas.
240
Découpage du scénario
Chaque scénario suit un plan cinématographique
composé d’actes, de scènes, parfois d'un prologue
et d’un épilogue. Au-delà de sa promiscuité avec le
cinéma ou le théâtre, ce découpage présente des raisons
pratiques.
L’acte 1 expose l’intrigue et ses premiers éléments
comme base du défi intellectuel proposé aux
joueurs.
L’acte 2 intègre l’accomplissement de l’intrigue, à
grands renforts de conflits et de coups de théâtre.
L’acte 3 propose le dénouement et la résolution
des conflits par une fin ouverte ou fermée, suivis
de la rétribution des points de développement et
l’explication par le MJ de la fabula.
Avant l’acte 1, et toujours dans une perspective
cinématographique, vous pouvez recourir à un teaser
pour exposer les enjeux et l’ambiance à vos joueurs, sans
que leurs personnages ne soient encore entrés en scène.
Dans La Fée Verte, vous pouvez raconter la scène du
meurtre par les absinthés noctambules en vous basant
sur la coupure de presse (annexe 1). Vous poserez ainsi
le ton dès le début du scénario sans poser de problèmes
de cohérence : ici, les PJ ont très bien pu lire ce fait
divers avant d’arriver, et s’en être fait une idée.
Garder une part du secret
Votre récit en tant que MJ est semé de non-dits et
d’inexactitude. C’est le travail des joueurs de recons-
tituer les trous laissés par les fragments que vous leur
livrez.
Les dialogues
Vous ne devez pas considérer ces phases de dialo-
gue comme des passages obligés : ils ne sont pas là pour
être suivis à la lettre. Laissez vos joueurs s’immiscer
dans ces phases. Elles sont là pour vous délivrer une
information précise, pour révéler des émotions et des
conflits, pour faire avancer l’action. Ce n’est pas un
prétexte pour déclamer un monologue ! Ces dialogues
sont classés par thème, pour que le MJ puisse rapide-
ment rebondir en utilisant le plus approprié. N’ayant
pas la prétention d’être exhaustifs, nous laissons le MJ
improviser pour combler les vides... Ce type de texte
est une bouée de secours, à l’image des souffleurs de
théâtre, quand le MJ perd le fil de ce qu’il doit amener
aux joueurs. Rien de plus...
Lépine sur l’équipe des PJ :
— Dans cette optique, j’ai fait appel à des moyens
humains extraordinaires et extérieurs à notre préfecture
(murmures de désapprobation) pour mener ces enquêtes d’un
genre nouveau. Ces Brigades Citoyennes réussiront là où nos
glorieux képis sont impuissants.
 Campagne

Les PJ peuvent éventuellement se présenter les uns les autres

et divulguer les informations personnelles qu’ils désirent.
Un conseiller sur Carter :
— Si mes souvenirs sont bons, il y a cet inspecteur anglais
qui devait enquêter sur les affaires de ce genre. Qu’en est-il ?
Réponse de Lépine, maussade :
— Nous avons retrouvé le corps de l’inspecteur Carter
à son domicile, il est maintenant entreposé à la morgue. Ses
missions en cours sont suspendues dans l’attente d’un repre-
neur. Un jeune enquêteur stéphanois est déjà sur les rangs.
Premiers éléments de l’enquête par un des conseillers :
— Nul doute que l’alcool explique ce regrettable incident.
Les crises de delirium tremens poussent à la folie homicide,
c’est bien connu. Il faut démanteler ce réseau. D’après les
statistiques, on a un cabaret à Paris pour 29 hommes adultes,
avec une consommation moyenne de 32,6l d’alcool pur.
Lépine :
— Certes, et aussi 100 morts par an pour des querelles d’ivro-
gnes. Mais là, des attaques groupées, c’est une première. Il y a une
anguille cachée sous la roche qui va être difficile de débusquer !
Hostilité des conseillers :
— Avec tout le respect qui vous est dû, vous voyez le mal
partout : j’y vois plus une bande d’apaches portée sur le culte
de la bouteille. Loin de nier à vos recrues les compétences dont
ils disposent, je vois mal ce qu’ils ont de plus que nos enquê-
teurs traditionnels. J’aurais plutôt opté pour la proposition de
« Brigades du Tigre » initiée par Clemenceau.
Un point sur l’équipement
Lépine met à la disposition des personnages
une voiture découverte à deux places suffisamment
spacieuse pour accueillir quatre passagers, comprenant
le conducteur. Il dote un personnage d’un certificat
obligatoire (carte grise) et d’un permis de conduire...
Ce qui ne signifie nullement que le personnage sache
conduire. Un apprentissage rapide permet au joueur
d’apprendre les rudiments de la conduite, avec le début
des réglementations qui s’imposent. Un détail ayant son
importance : la voiture est munie d’une plaque fixée à
l’arrière, sur le côté gauche, qui comporte l’adresse de la
préfecture de police. Cela rendra les filatures délicates !
Et si on conduisait ?
La voiture en question est un modèle à essence. Si les
PJ en font un usage immodéré, prévoyez la panne sèche
(un bidon d’essence se situe à l’arrière). Néanmoins,
si l’automobile est trop chaude ou si de l’essence a été
répandue, il convient d’attendre pour éviter des risques
d’explosion.
Si la conduite se fait délicate : décrivez des
manœuvres dangereuses, des excès de vitesse, un
revêtement chaotique, un cheval apeuré évité de
justesse... Prévoyez des tests de pratique [conduite].
L’engin comporte un levier de marche avant à trois
vitesses, un levier de frein, un frein pédale et une pédale
d’accélération.
Ouvertures

Fixation d’un délai :  Aller voir le cadavre du brigand ou celui de Carter, à

— Certes, ces personnes auront quand même la primeur la morgue, scène 2.
de cette enquête (se tournant vers les PJ) : je vous exhorte à  Se rendre à l’appartement de Carter, scène 3.
faire vite, la psychose initiée par la presse peut avoir des effets  Aller sur les lieux du crime, scène 4.
pervers sur la République. Ce genre de légende urbaine ne
peut que desservir les intérêts du pays, surtout si elle s’ins-
talle durablement dans les esprits
parisiens !

Deux conseillers quittent la salle

en maugréant. Lépine offre un verre
de Château d’Ausone rouge à tout
le monde.
— Puisse-t-il être le dernier
liquide écarlate versé dans cette
affaire. Je mets à votre disposition
une voiture pour accélérer vos dépla-
cements. N’hésitez pas à faire appel
à mes services, je vous enverrai mon
meilleur indic’ dans la journée.

Distribution d’une accrédita-

tion signée par Lépine pour faciliter
les démarches, ainsi que les papiers
authentifiant le véhicule prêté.

241
 Chapitre 7
Instaurer l’ambiance
Dans un jeu à l’ambiance horrifique, il est
primordial de savoir distiller une atmosphère propice
au cours de la partie. Si vous êtes novice, vous n’y
arriverez peut-être pas tout de suite, mais ne vous
découragez pas. Inspirez-vous du cinéma et observez
la manière dont les réalisateurs procèdent pour susciter
la peur. Si cela ne suffit pas, rassurez-vous : nous avons
quelques tuyaux...
Jouez de préférence la nuit avec un faible éclairage
(la bougie est toute indiquée).
Utilisez une musique d’ambiance inquiétante.
Laissez divaguer l’imagination de vos joueurs
en laissant des zones d’ombres dans vos
descriptions.
Ne laissez pas vos joueurs déborder sur le dernier
film à l’affiche, et n’hésitez pas à les rappeler à
l’ordre.
Apprenez à connaître vos joueurs, et glissez
dans vos scénarios des éléments en rapport avec
leurs peurs les plus personnelles (en restant
raisonnable, cela va de soi : un arachnophobe
détestera cette araignée que son personnage ne
cesse de trouver sur son épaule...).
Scène 2. La foire aux cadavres
« Vous ressemblez à des sépulcres blanchis. Au-dehors, ils parais-
sent beaux ; au-dedans, ils sont pleins d’ossements, de cadavres et
de toute sorte de pourriture. Vous de même, vous paraissez justes ;
au-dedans, vous êtes pleins d’hypocrisie et d’iniquité. »
Jésus Christ, Évangile selon Matthieu, XXIII, (27-28)
Résumé
A la morgue, les PJ vont ausculter les corps des absinthés
tombés, ainsi que le cadavre de Carter.
Environnement
L’après-midi. Le grand amphithéâtre d’anatomie, 17 rue
du Fer à Moulin, entre les hôpitaux de la Salpêtrière et du
Val de Grâce. Le bâtiment est dressé sur un ancien cimetière
depuis 1833. L’endroit accueille 1 500 cadavres par an. Cette
morgue est composée de trois salles en enfilade : la pièce de
« réception/découpage », une salle de « travail », et un musée
d’anatomie.
Thèmes majeurs
 L’horreur médicale, rehaussée par le contraste entre la
lumière éclatante et la pénombre.
 Les ravages de l’alcool sur le corps humain.
242
Déroulement
2 Entrée
Les deux policiers postés à l’entrée ne laissent passer que
les médecins ou les détenteurs d’une accréditation. Sinon, un
test d’intrigues ou de société est nécessaire.
2 Grande salle
La première salle que traverse les PJ est vaste, silencieuse
et vide, si l’on excepte ces cadavres étendus sur les dalles
blanches et voilés par un linceul pudique. Quelques-uns
demeurent entiers, d’autres découpés, divisés comme des
côtelettes sur des crocs : un étal de boucherie humaine à faire
fantasmer un néo-calédonien, selon l’expression de l’époque.
Une odeur tenace de phénol, utilisé pour ralentir la décom-
position, emplit l’atmosphère. La salle est déserte.
Tous les personnages qui ne sont pas compétents en
médecine gagnent un point d’angoisse et de névrose.
2 Seconde salle
La pénombre règne. Les lumières sont éteintes, des
portes mal ajustées claquent au rythme des courants d’air.
Un légiste sexagénaire armé d’un scalpel humide et au torse
recouvert d’un tablier maculé de sang est penché sur une table
d’anatomie. Quelques dispositifs de congélation des cadavres
sont visibles, pour les plus avertis. On peut y trouver des sacs
remplis de restes humains étiquetés, probablement destinés
aux étudiants en médecine.
Suite aux présentations d’usage, le légiste prend connais-
sance de la requête des PJ.
2 Le cadavre de Carter
Ils devront insister : le légiste hésite à leur montrer Carter.
Une fois dévoilé, le cadavre de l’agent britannique semble
intact. Le diagnostic indique un arrêt cardiaque, et il n’y a
aucune trace de blessure externe... La mort pourrait aussi bien
être due à la frayeur qu’à une insuffisance cardiaque.
Si une expertise médicale est tentée sur le corps (un jet
caché de médecine serait indiqué ici), les joueurs pourront
constater que son pouls bat encore : le signe d’une profonde
catalepsie... Le légiste s’emporte alors, dénonçant l’incapacité
manifeste du médecin qui l’aura ausculté, prétextant quelque
réflexe post mortem. Sa consigne est claire : tout le monde
doit croire à la mort de Carter.
2 Usurpation du cadavre de Carter ?
Une seule chose cloche : ce cadavre est faux. Il s’agit en
réalité de Vinditien Guillain Marie, le Voleur de Visages, qui
est parvenu à emprunter les traits de Carter pour simuler
sa mort en restant en état de catalepsie. Le coup de fil d’un
complice à la police a permis de faire identifier le cadavre.
Quoiqu’il arrive, le Voleur de Visages devra s’échapper, son
personnage étant essentiel au fil de notre aventure. Sa mission
auprès du Génie du Crime est accomplie : une fois la dispa-
rition de Carter établie pour toute les autorités, il aura les
coudées franches pour mieux s’occuper de lui plus tard !
 Campagne
2 Le cadavre de l’absinthé
Le légiste paraît vivement intéressé par son cas. Il pré-
vient l’assemblée que le spectacle sera dur à supporter. Sans
attendre, il soulève ensuite le voile posé sur le cadavre auprès
duquel il officiait.
Le tueur a été trépané. Un rictus horrible reste figé sur
son visage tuméfié. Son bras découpé gît à ses côtés : un
tatouage grossier représentant une fée verte décore son poi-
gnet. L’homme a été vidé de ses organes internes. Le sang
est violacé. Un bocal, coincé entre ses deux jambes, renferme
un cerveau atrophié et recroquevillé sur lui-même, recouvert
d’une teinte noirâtre.
La vision de ces horreurs cause chez tous les PJ (non
légistes, même médecins) un test psychotique. S’ils
réussissent, ils perdront le point d’angoisse reçu à l’entrée
de l’amphithéâtre.
Le légiste s’avèrera prolixe en renseignements.
Sur l’origine de ces mutations :
— C’est sans aucun doute la matérialisation d’une
dégénérescence, liée à la parentèle de ce sujet alcoolique.
Une hérédité de la bouteille peut entraîner des troubles
physiologiques graves, perpétués par l’accoutumance du sujet
à la boisson.
243
Sur les méfaits de l’alcool :
— J’ai déjà vu des cas assez impressionnants. Je me
souviens d’une femme de 38 ans, égarée après ses libations
nocturnes, qui avait dormi sous une pluie glaciale et
torrentielle. Le lendemain, un paysan me l’a amenée. Sa
température vaginale était tombée à vingt-six degrés. Je l’ai
ranimée avec des boissons stimulantes : elle s’est éveillée après
une phase de convulsions et de reptation. Ne sous-estimez
jamais la capacité de résistance du corps humain !
Un détail omis par le légiste : en l’examinant de près,
on peut voir qu’un trou a été pratiqué dans la trachée
artère. C’est un endroit où l’on peut insérer une sonde
oesophagienne, un procédé probablement utilisé pour lui
faire ingurgiter de grandes quantités d’alcool sans passer par
la bouche. Voilà qui change la donne : ce tueur a été gavé
comme une oie !
Ouverture
 S’ils en ont fini avec les scènes de l’acte 1, les PJ sont
récupérés par Oscar Méténier à la scène 5.
 Chapitre 7
Scène 3. L’appartement de Carter
« Qu’on rencontre peu de gens dont on souhaiterait fouiller
les valises ! »
André Gide, Les Caves du Vatican (1914)
Résumé
A priori, l’enquête proposée aux joueurs est sans
rapport avec Carter. Néanmoins, les PJ devront se rendre
à son appartement pour y récolter quelques indices sur son
compte : l’agent britannique était en charge des dossiers
confiés aux joueurs, et toute information est bonne à
prendre. De plus, il est souhaitable de se renseigner en
parallèle sur les causes de sa mort.
Environnement
Après-midi. Rue de la Roquette, non loin du cimetière
du Père Lachaise, au nord-ouest de Paris. Des immeubles
haussmanniens de belle facture peuplent la rue, affichant
fièrement leurs façades parées de colonnades à l’antique.
Le domicile de Carter est situé au troisième étage,
sous les toits. Le froid est hivernal malgré un soleil
resplendissant.
244
Thèmes majeurs
 Le mystère entourant la figure de Carter, avec ses lubies
ésotériques.
 Les étranges manies de l’agent britannique.
Déroulement
2 Un locataire exemplaire
Si les PJ se présentent en tant que policiers, la concierge
leur ouvrira l’appartement (visiblement étonnée, puisque les
perquisitions ont déjà eu lieu). Elle déplore la perte de ce
locataire discret et exemplaire, comprendre par là : jamais en
retard sur ses loyers.
Carter disposait de cinquante mètres carrés répartis sur
quatre pièces : un vestibule, une salle à manger, un bureau et
une chambre à coucher. La serrure de l’entrée a été reposée à
la va-vite, signe d’une effraction antérieure.
2 L’appartement
 Le vestibule : il n’y a aucun manteau, comme si Carter
avait tout emmené en voyage.
 La salle à manger : on y trouve les reliefs des repas
laissés en vrac depuis quelques jours ; des fruits exo-
tiques et des pommes de terre cuites à la vapeur dans
une assiette reposent à côté d’une brochure de
voyage de l’Aegyptian Society, qui organise des
voyages culturels en Afrique du Nord.
 Le bureau : sur la table de travail se
trouve un « croco drille », c’est-à-dire la
momie miniature d’un crocodile qu’on a
trépané, ainsi que quelques brochures sur
les découvertes archéologiques de la Vallée
du Nil. Trois bibliothèques renferment un
capharnaüm de livres divers et des coupures
de presse patiemment archivées. Un journal
daté de quatre jours a été surligné : on y
mentionne l’annonce d’un artiste (annexe 2).
Si les PJ prennent des renseignements à son
sujet, ils découvriront que l’artiste n’occupe
plus l’adresse indiquée. De plus, un contrat
de vente d’antiquités égyptiennes entre Carter
et un certain Nicolas Antoine de Marcilly est
rangé dans un tiroir (annexe 3).
 La chambre à coucher : elle se situe à
l’ouest. On y trouve une statue inachevée
représentant une femme. En examinant la
pièce de plus près (test d’investigation), on
retrouve des mégots et des traces de poudre
végétale. Ce sont des résidus d’opiacées uti-
lisés comme opium. Une fouille méticuleuse
sous la paillasse permettra de mettre la main
sur une seringue de Pravaz, utilisée pour
injecter des drogues diverses. De l’absinthe
mêlée à une substance inconnue y est dissi-
mulée (il s’agit bien sûr de la mumia, décrite
ci-dessous).
 Campagne

2 Expériences animales

« Cobaye : animal d’essais qui

devient un animal décès. »

Serge Mirjean

Une cage renfermant un

cochon d’Inde se trouve dans
l’armoire. L’animal est en piteux
état ; il tente de dormir. Il
présente de multiples traces de
piqûres.

Piquer l’animal avec la seringue

donnera les résultats suivants, dans
cet ordre :

 Des secousses autour du

cou et de la tête, comme s’il était agité par des déchar-
ges électriques.
 Les soubresauts gagnent l’avant du corps.
 Le cochon d’Inde reste un temps immobile, hébété,
dans un instant de vertige. Ouverture
 Un claquement de mâchoires, accompagné de déféca-
tions, précède de violents accès de fureur et l’animal se  S’ils en ont fini avec les scènes de l’acte 1, les PJ sont
rue sur ses barreaux. récupérés par Oscar Méténier à la scène 5.
 L’agitation dure encore quelques minutes avant la mort
du cobaye.

N’oubliez pas de distribuer un point de névrose aux PJ

possédant des passions relatives au don de soi ou à l’amour
des animaux. Néanmoins, cette expérience permettra de Comment maquiller les indices
diminuer d’un point leur angoisse quand ils seront confrontés
aux absinthés de la scène 7. Brouiller les pistes : de nombreuses astuces vous
permettent de masquer le coupable. Vous pouvez par
exemple...

Déguiser le meurtre : le présenter comme un

La mumia
Cette substance qualifia, dès le XIIème siècle, le
contenu du crâne des cadavres. Ce baume était alors
réputé « cuire » le sang et le cerveau, et on lui adjoint
de la myrrhe pour rendre son odeur plus agréable. La
mumia fut réputée pour ses vertus thérapeutiques :
François Ier lui-même ne se séparait jamais de son élixir.
Elle était fortement indiquée contre les effusions de sang,
ou pour soigner les chutes et les blessures.
Un vaste trafic de momies a lieu depuis l’ère
médiévale. Les momies royales des tombeaux sont
plus recherchées que les autres en raison des nom-
breux intrants qu’on leur a inoculés lors des rites
d’embaumement.
Des références historiques rigoureuses figurent dans
le scénario suivant, acte 1, scène 3.
suicide, ou un accident, fausser l’heure du décès
pour créer une fausse piste.
Déguiser l’assassin : mentir sur son âge réel, son
statut social, sa nature, sa réputation...
Faire de l’assassin la victime : le laisser pour
mort, sous-entendre que le crime ne lui profite
en rien ou qu’il lui cause un préjudice.
Détourner l’attention : à l’aide d’indices inutiles,
mais sans en abuser ; masquer l’essentiel sous
le dispensable, noyer les enquêteurs sous les
informations.
Le coupable peut aussi s’exhiber : pour minorer
sa responsabilité et accompagner les PJ. Autre
ruse : un inculpé relaxé ne peut être rejugé pour
la même affaire (du moins, en Angleterre).
Votre coupable innocenté aura donc de beaux
jours devant lui ! Vous pouvez faire de lui
le compagnon de route des PJ : il suivra la
progression de leur enquête, et les dirigera à
l’occasion vers de fausses pistes.

245
 Chapitre 7
Scène 4. Les lieux du crime
« (...) un fait hors de l’ordinaire est plutôt un indice qu’un
embarras. »
Sir Arthur Conan Doyle,
Sherlock Holmes, Une Étude en Rouge
Résumé
Les PJ font connaissance avec l’endroit où a eu lieu
l’attaque relatée dans le journal. Ils feront là-bas une
première expérience de récolte d’indices.
Environnement
Après-midi. Parc Monceau, rive droite, à l’ouest de
la gare Saint-Lazare. Le soleil est resplendissant. Un petit
monticule, près d’une haie de fourrés, sépare le chemin
de promenade d’un lac artificiel. Un périmètre de sécurité
entoure le lieu du crime ; les curieux sont tenus à l’écart par
des barrières et une dizaine de policiers.
Thèmes majeurs
 La quête d’indices.
 Le décalage entre un cadre bucolique et les horreurs qui
s’y sont déroulées la veille.
Déroulement
2 Investigations et récolte d’indices
Les PJ doivent montrer leur accréditation pour pénétrer
dans le périmètre. Tout a été laissé tel quel. Si l’équipe ne
comporte pas de criminologues professionnels ou amateurs,
246
un expert a été dépêché sur place pour leur fournir un
minimum d’indices. Un test d’investigation dévoilera les
informations par paliers : du plus vague au plus précis en
fonction du degré de réussite de chacun.
Les endroits où les corps ont été trouvés sont indiqués
par des croix : toutes les victimes se situent au maximum à
trois mètres les unes les autres. Les fourrés ont été dérangés,
preuve que les assaillants venaient « d’en bas » et qu’ils ont
surgi par surprise.
Les traces de pas témoignent d’une lutte très localisée,
particulièrement brève. Des taches de sang séché démontrent
la rudesse des blessures assénées. Des empoignades ont
laissé des morceaux de vêtements arrachés : les bouts de
tissu semblent aussi bien provenir des victimes (costume
bourgeois et robe) que des tueurs (chemises grossières
d’ouvriers).
Deux succès au jet d’investigation permettent de
déduire l’origine sociale des protagonistes. La direction des
empreintes indiquent une fuite désordonnée de la moitié
des victimes : ils semblent avoir été moins courageux
que ce qu’ils prétendaient... Plus étrange : les empreintes
laissées par les assaillants vont directement du lac au
fourré, et leur retour emprunte le même chemin ! Draguer
le fond du lac ne donnera strictement rien. L’assaillant
mort, désormais pensionnaire de la morgue, a été retrouvé
entre les fourrés et le lac.
2 Le mystère reste entier
L’expertise des échantillons de tissus, qui prendra
au moins une journée, mettra en évidence des taches
occasionnées par un alcool fort.
Le maître de jeu a ici droit à quelques explications :
ces assaillants absinthés ont tiré leur fureur de l’alcool, et
leur résistance de la mumia fournie par Carter. Ils avaient
besoin d’une eau régénératrice pour panser leurs plaies. Ils
ont ainsi pu s’échapper, et ensuite être récupérés par les
séides du Génie du Crime avant de retourner à la distillerie
dont ils sont issus.
Ouvertures
 Il est possible d’interroger une victime survivante (à
vous d’en dresser le portrait) pour lui soutirer un ou
deux portraits-robots, si l’un de vos enquêteurs a des
talents artistiques. On retrouvera ensuite ces trognes
dans la scène de la distillerie.
 Si ce n’est déjà fait, les PJ sont récupérés par Oscar
Méténier (scène 5).
 Campagne
Acte II. Les bas-fonds
Scène 5. Le théâtre du Grand Guignol
« Cités ivres de sang, et encore altérées,
Qui avez soif de sang, et de sang enivrées,
Vous sentirez de Dieu l’épouvantable main :
Vos terres seront feu, et votre ciel d’airain. »
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques
Résumé
Quelle que soit la scène d’où ils sont issus les PJ
rencontrent inopinément l’indicateur de Lépine, Oscar
Méténier, le patron du théâtre du Grand Guignol. Il fera
avec eux un premier point sur la situation.
Environnement
Le théâtre du Grand Guignol se situe impasse Chaptal, dans
le quartier de Pigalle. C’est une impasse, dans tous les sens du
terme : un édifice atypique, le point de non-retour vers un autre
monde paré d’une devanture néogothique, retravaillée à partir
de la chapelle dans laquelle le Grand Guignol a installé son nid.
Méténier invite les héros dans une grande salle au décorum des
plus gores, pendant que se déroule la répétition d’une scène
éprouvante destinée à être jouée en soirée : une actrice doit être
torturée dans une vierge de fer (un sarcophage hérissé de lames à
l’intérieur) ! L’ambiance est donc des plus dérangeantes, de par le
décalage créé entre le discours raisonné des PJ et les cris poussés
par une actrice visiblement habitée par son rôle.
247
Thèmes majeurs
 La mascarade de la société.
 Le Grand Guignol : le goût du peuple pour l’horreur.
Déroulement
2 L’étrange marionnette
Les PJ viennent de sortir de l’appartement de Carter, de
l’amphithéâtre d’anatomie, ou de tout autre lieu qu’ils auraient
visité. Au cours de l’après-midi ou le soir, en fonction de leur
avancée, les héros s’aperçoivent que leur voiture est occupée
par un étrange personnage immobile, positionné dans une
dégaine insolite. Il faut alors être attentif à la réaction des
personnages arrivés dans la rue, à trente mètres de là.
Comment vont-ils surprendre ce possible voleur ?
Insistez sur l’immobilisme du prévenu jusqu’à ce qu’ils
puissent déterminer qu’il ne s’agit là que d’un vulgaire
mannequin, un visage d’épouvantail engoncé dans un
costume plutôt chic avec un poignard planté dans le cœur,
du sang factice versé sur une chemise jadis immaculée.
Une fois revenus de leur surprise, les personnages se font
aborder par une vieille dame au dos voûté, qui s’exprimera
avec une voix d’homme :
— Hé bien, il vous reste beaucoup à apprendre. Une
bande de jeunes recrues qui ne fait pas la part des choses
entre les masques et les vrais visages, entre ce qui est vivant
et ce qui est mort, voilà qui promet...
 Chapitre 7
Oscar Méténier
Origine : Paris
Convictions : républicain, catholique
Dimension sociale : indicateur de police,
responsable du théâtre du Grand Guignol, né en 1859
Contacts : Lépine (2D), auteurs de pièces de théâtre (2D)
Potentiels
Physique : 4
Mental : 4
Social : 3
Compétences
Novice en larcin et sciences du vivant
Pratiquant en traque, société et occultisme
Maître en intrigues, spécialisé en [connaissance du milieu]
Psychologie
Passion principale : intrigue
Passion secondaire : ordre
Tabou : violence physique
Déchéances possibles : onirisme urbain, alter ego
Tempérament : flegmatique
Tendance : anxieux
Angoisse : 2
Psychose : 3
Seuil de névrose : 6
Méténier et le Grand Guignol
Méténier est un ancien « chien de commissaire »,
autrefois assistant des exécutions capitales et indicateur de
police. Après s’être retiré du monde de la loi et de l’ordre,
il a fondé un théâtre de l’extrême où il mêla savamment
les thèmes de l’hypnose, des déviances, des hystéries et
des phobies. Sa relation avec la criminologie lui permit
d’aborder avec réalisme les scènes les plus sanglantes des
rues parisiennes. Cependant, ses compétences sont telles
que Lépine n’a pu s’empêcher de le rappeler, afin de
mettre ses services à la disposition de notre fine équipe
d’enquêteurs. Cette double vie s’avère tellement prenante
que Méténier songe à passer les rênes du Grand Guignol
à son associé, Max Maurey.
Trois mots d’ordre pour le public de ce théâtre de
l’horreur, de l’anomalie et du vertigo : avorter, vomir
ou s’évanouir. Des avortements involontaires face à des
scènes insupportables ont réellement été reconnus. Quant
à l’évanouissement, il y surgit souvent en rejet de l’insup-
portable et fait suite à la jouissance qu’on peut tirer du
spectacle. Ce théâtre est la soupape d’une société en mal
d’extrêmes, un défouloir pour la foule de névrosés et de
psychotiques qui errent dans Paris.
La dame s’approche, regarde autour d’elle anxieusement,
et prend place dans le véhicule. Elle se présente comme étant
Oscar Méténier, l’indic’ promis par Lépine. Il est visiblement
satisfait du petit effet produit.
Un test de société [journalisme] ou de larcin [discrétion]
permet d’avoir accès aux informations le concernant.
248
Il propose aux PJ de faire le point dans son
cabaret (référez-vous à la description de la partie
« environnement »). En effet : paranoïaque, il fait part aux
PJ de sa crainte de voir l’appartement de Carter surveillé
par la pègre. L’automobile porte sur elle l’identité de la
préfecture, et constitue une proie de choix pour tous les
hors-la-loi du coin. Ils devront donc accepter un petit
voyage vers Montmartre...
2 Une pièce de bon goût
L’actrice est en transe. Cette célébrité du quartier
nommée Maxa répète la scène de la vierge de fer. Ses cris de
terreur couvrent presque la conversation des personnages.
Le sang jaillit des opercules du sarcophage métallique.
Gelée de groseilles ou de cynorrhodon, l’effet est en tout cas
saisissant. Méténier contemple partiellement le spectacle,
visiblement satisfait, et harangue son metteur en scène pour
répéter un autre acte, un vaudeville plus calme destiné à
faire monter la tension des dames impatientes de tomber
en pâmoison.
2 Mettre les choses à plat
C’est donc une mise au point que les PJ doivent
faire avec Méténier, qui tente de leur récapituler les
divers éléments de l’affaire. L’occasion d’effectuer un
bilan entre les joueurs et le maître du jeu. Voici les pistes
envisageables :
 L’origine des tueurs : avec les vêtements arrachés, les
témoignages et le journal, on peut supposer qu’il s’agit
d’ouvriers de banlieue.
 La responsabilité de l’alcool, et plus particulièrement
de l’absinthe, dans ces crimes : voir les expériences de
Carter et le tatouage représentant une fée verte.
 Encore une énigme : le lien entre les tueurs et le lac
dans lequel ils ont trouvé refuge reste confus.
Si les PJ n’ont pas perquisitionné l’appartement de Carter,
Méténier peut reproduire l’expérience du cochon d’Inde pour
leur démontrer les tendances criminogènes de l’absinthe (se réfé-
rer à la scène 3, n’oubliez pas les points de névrose à la clé).
A la fin de la discussion, les PJ voient la pauvre Maxa se
faire attaquer par une dizaine de malandrins en haillons. Les
sauvages se jettent sur elle comme autant d’anthropophages
affamés. Le lien qu’ils ne manqueront pas de faire avec leur
enquête leur donnera la nausée. Accompagnés de Méténier,
ils quittent le spectacle afin de poursuivre l’investigation. Les
âmes sensibles écoperont d’un point de névrose s’ils ont été
trop attentifs à ce spectacle sanglant.
Ouvertures
 L’enquête devrait logiquement continuer dans un caba-
ret de banlieue où l’absinthe coule à flots. Méténier
connaît une adresse où il a déjà recruté des ouvriers
patibulaires pour son théâtre : celle de la scène 6 !
 Campagne
Scène 6. La Route de la Révolte : arrêt au bar
« Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y
a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile
poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude,
pour le vingtième siècle qui va s’ouvrir ! »
Émile Zola
Résumé
Les divers indices convergent vers ce bar de banlieue,
où les PJ feront la rencontre d’un Génie du Crime en pleine
campagne. L’absinthe mortifère coule à flots, la Femme
Fatale est présente, l’ambiance est tendue...
Environnement
Au crépuscule. Banlieue de Clichy la Garenne, près du
cimetière des Batignolles, nord-ouest de Paris. « Le Rat » est
un café-concert peu engageant mais très fréquenté, ironi-
quement baptisé ainsi en opposition au célèbre Chat Noir
plus guindé.
Le versant politique de l’enquête
Les scénarios proposés sont profondément ancrés dans le
contexte de l’époque. Tous nos criminels ont des connexions
avec la politique, les idées et les pensées de leur temps.
Chercher un suspect, c’est faire la part des choses entre les
conditions sociales et les origines des protagonistes de l’his-
toire. Cet arrière-plan historique nous paraît essentiel à l’in-
tégration de vos personnages dans le récit, au développement
de l’aspect pédagogique du jeu, et au traitement de thèmes
plus que jamais d’actualité (discriminations, rapport avec
l’argent, confrontations sociales, dérives du progrès...).
249
Souvent en panne de chanteurs, il abrite ce soir un
curieux bohème déguenillé et sa voix éraillée ; notre
« artiste » est affublé d’une cape en dents de scie offerte par
un étudiant en polytechnique. Les clients lui offrent des
fonds de verres d’absinthe en guise de récompense.
Le bar occupe toute une longueur. Dans la salle, huit
tables sont occupées et il n’en reste plus qu’une de libre. Le
barman barbu est peu amène, mais il a tout de l’enfant de
chœur comparé à l’ouvrier musculeux assis au bar, les traits
figés dans un masque propre à couper l’appétit. Les manières
sont lourdes, mais l’atmosphère bon enfant...
Thèmes majeurs
 L’antisémitisme de l’époque.
Déroulement
L’objectif est de tâter l’ambiance et de découvrir l’origine
de l’absinthe meurtrière. Oscar Méténier préfère ne pas
accompagner les PJ pour rester près de la voiture, prétextant
l’insécurité du quartier.
2 Les ivrognes de la banlieue
Si les PJ tentent d’adopter la couleur locale et de se fon-
dre dans la populace, ils seront confrontés à des ouvriers peu
loquaces, méfiants, qui répondront évasivement aux questions
posées. Ils savent pertinemment qu’ils constituent les « classes
dangereuses » dénoncées dans les journaux, et préfèrent rester
muets comme des carpes pour éviter les ennuis.
 Chapitre 7
Tout au plus, vous soutirerez quelques réponses
laconiques sur les meurtres, du genre :
— Non, les fous responsables de ce massacre, ça peut
être que des batteurs de dig dig ! (comprenez des simulateurs
d’état éthylique).
— Ouais, notre schmick et notre Fée Verte, ils sont pas
dangereux !
Sur Carter :
— Ah oui, l’Anglais ! Un de ces buveurs de thé, bien
qu’il soit trempé dans nos approvisionnements d’absinthe !
Il venait nous regarder quand on était bourrés ! Lui, c’est un
pilier de la fumerie d’opium Le Rat Mort de Montmartre !
Sur l’homme accoudé au bar :
— Lui, faut pas trop le chercher. Il bosse au sud, du côté
d’Arcueil. Il a eu des problèmes avec l’alcool, un vrai tonneau
ambulant ! Des médecins lui ont prescrit cette poire qui
l’empêche de céder à la tentation. Il vient encore pour voir
les camarades, sans toucher aux chopes !
2 Arrivée du populiste
La porte vient de s’ouvrir. Un bol d’air frais accompagne
une petite troupe composée de deux brutes patibulaires,
situées de part et d’autre d’une sublime créature et d’un
quadragénaire chiquement vêtu. Le tenancier débarrasse
une table occupée par des ouvriers avinés pour faire de la
place, puis évacue sans ménagement le brailleur qui n’aura
guère l’occasion de finir son chant révolutionnaire. Des
regards tantôt envieux, tantôt craintifs se posent sur les
nouveaux venus. Nicolas Antoine de Marcilly et sa clique
s’installent.
La Femme Fatale, Hannah Chenu, est invitée à
se produire sur la misérable scène. Un accordéoniste
accompagne sa complainte amoureuse pleine de nostal-
gie, déclamée d’une voix cristalline. Sans avoir le timbre
d’une sirène, et avec un texte dont les subtilités échappent
à l’auditoire, la belle parvient à capter l’attention grâce à
son envoûtante beauté. Si l’anthropologue Sulpice Chenu
fait partie de l’équipe des PJ, elle reconnaîtra sans peine
sa sœur.
Après deux chansons, elle doit céder la place à son
Pygmalion. Celui-ci est applaudi par un public déjà
conquis.
Voici quelques extraits du discours qu’il déclame :
— Messieurs, merci de votre attention. La République
vous a donnés le droit de vote, et c’est un pouvoir bien
supérieur à celui dont les révolutions passées vous ont fait
la charité.
A ces mots, réglés comme un métronome, le barman
sort d’une armoire fermée à clef des bouteilles opaques et
commence à servir sa clientèle. Tournée générale !
— Mais ne comptez pas sur la République pour vous
redonner votre honneur. Partout, la presse dénonce les
250
classes ouvrières comme des foyers de criminels, des sauvages
dignes de nos lointaines colonies africaines. L’insécurité
règne, et les plus pauvres sont pris pour boucs émissaires.
La foule commence à gronder. Les chopes s’entrechoquent.
Dans les verres, la boisson servie emprunte une coloration
inquiétante.
— Pour vous, en signe de ma reconnaissance et de ma
gratitude électorale, voici une élection humide comme les
aiment les bretons ! Vous êtes des amateurs éclairés du bon
vin dont les vignes tirent naissance dans le terroir de vos
ancêtres. Comme vous le savez, mon concurrent au siège de
député se nomme Schneider...
Les clients se taisent. On entend un « sale boche » fuser
dans la salle. L’orateur sourit franchement.
— Oui, mais pas seulement. Vous devriez suivre ce
monsieur jusque dans sa synagogue. Schneider est un
représentant du peuple légal, mais sa juiverie l’écarte de vous.
Pour reprendre notre thème fédérateur, c’est un buveur de
thé, et accompagné d’un nuage de lait à la manière de ses
comparses anglais !
Quelques rires fusent dans l’assistance, vite étouffés par
la sentence suivante.
— Mais cette engeance de juif tirerait bien le lait des
nobles seins de vos filles, s’il en avait l’occasion. Jamais sa
famille n’a versé son sang pour ensemencer notre pays. Il
vient d’une lignée d’empoisonneurs, apte au tarissement
des puits, et vous pensez qu’il fera un seul geste pour
vous ?
L’assemblée, presque unanime :
— Non !
— Pensez-vous qu’un oriental efféminé pourra rétablir
l’ordre dans notre ville sublime ?
— Non ! (En chœur)
— Pensez-vous qu’un noble descendant d’une grande
famille française pourra remplir cet office ?
Un distrait glisse un nouveau « non », avant de se
raviser. Sur ces derniers mots, un des gorilles de l’homme
politique l’interpelle puis lui glisse quelques mots à
l’oreille. Puis l’aspirant député salue la foule sous les
vivats, prétextant devoir défendre leur cause dans un autre
quartier populaire.
Pour les profils d’Hannah Chenu et de Nicolas
Antoine de Marcilly, se référer au chapitre 4 où ces
archétypes sont détaillés.
Profil des hommes de main de Marcilly : se référer à
l’archétype du Chevalier du Brouillard au chapitre 4.
 Campagne

Ouverture
Pourquoi tuer Faure ?
 Déclenchez la scène 7 dès que les PJ tentent de partir
Félix Faure est pourtant un anti-dreyfusard notoire
ou d’aborder la chanteuse. Si vous avez le temps, et si
fermement opposé à la révision du procès de l’officier
Dreyfus, malgré les preuves accablantes de son innocence vous souhaitez créer un décalage d’atmosphère, laissez
vis-à-vis des documents contrefaits sur lesquels s’appuie le soin à un ivrogne de déclamer le poème qui figure en
l’accusation. annexe 6 : l’invasion se fera après la chute de ses vers.
Cependant, il est beaucoup trop falot pour un Mais pour l’heure, place aux zombis...
Marcilly aux dents longues, qui rêve de s’installer à
l’Élysée dès le surlendemain pour assurer l’intérim.
Pensant -à tort- que les anti-dreyfusards sont majoritaires,
il espère que sa campagne musclée saura séduire les
sénateurs qui lui accorderont le pouvoir « suprême »,
bien que le président de la IIIème République soit plus
un symbole qu’un chef autoritaire.
C’est pourtant Émile Loubet, partisan dreyfusard,
qui sera élu à la fin de notre affaire...

2 La complainte de la Femme Fatale

La troupe quitte le caboulot, laissant la Femme Fatale
calmer l’ambiance par ses chansons suaves. La pauvre a
l’air bien mal à l’aise. Un des gorilles est resté pour la
raccompagner ultérieurement. Marcilly repousse cordia-
lement, mais fermement, toute tentative de causette :
Monsieur semble bien pressé, et pour cause...

Les PJ s’aperçoivent que la belle a laissé

son sac à main sur la table de l’orateur. Ils
seraient bien inspirés de le récupérer pour la
complète élucidation de l’affaire. Parmi ses
affaires personnelles, ils trouveront :

 Un papier d’identité au nom de Céline

Saurel : un test de pratique [contrefaçon]
dévoilera la fausseté du document mal
contrefait.
 Une dragée Yse. Un test de sciences du
vivant [pharmacie ou médecine] identifie
la substance comme étant du phosphure
de zinc, destiné à exciter les virilités
défaillantes, mais avec pour effet indésira-
ble de bloquer la circulation rénale.

Ces renseignements sont fondamentaux,

puisqu’ils constituent des preuves accablantes
de sa responsabilité dans la mort du président
Félix Faure.

Les PJ devraient questionner le barman

sur l’origine des caisses d’absinthe, la liqueur
offerte au pot précédent. Tout PJ qui en aura
bu sera sujet aux règles d’ivresse décrites dans
le chapitre 4.

251
 Chapitre 7
Scène 7. Une attaque impromptue
« J’aurai serré dans mes bras la seule créature que la nature
ait formée pour mon cœur, pour ce cœur qui a tant souffert parce
qu’il vous cherchait et qu’il ne vous a trouvée que trop tard ! »
Benjamin Constant, Adolphe, III (1816)
Résumé
Le Génie du Crime vide les lieux, visiblement inquiet.
Les PJ sont retardés. Une bande d’absinthés converge vers le
bar et le met à sac, mutilant la Femme Fatale et de nombreux
clients. Après le grabuge, les PJ trouvent des indices sur
l’origine de l’absinthe.
Place de la scène dans la fabula
Ces absinthés lâchés et guidés par Carter devaient
piéger le Génie du Crime, alerté peu avant le grabuge.
La mort de la Femme Fatale aura des conséquences
incommensurables. Carter arrive peu après sur les
lieux et, sondant les témoins, se persuade que la faute
en revient aux PJ. C’est l’amorce de la fin du scénario
suivant, et le déclencheur du troisième.
Une chose importante : Oscar Méténier a été cap-
turé par les séides du Génie du Crime et remplacé par
son Voleur de Visages. Celui-ci va suivre les enquêteurs
pour jouer la taupe auprès de son employeur Marcilly.
Rien ne doit transparaître dans son jeu, si ce n’est son
apparente fatigue.
Environnement
La pluie commence à tomber dans les rues. La nuit
étend sa lourde chape sur la ville, révélant une pleine lune de
mauvais augure. Les ruelles sont obscures et tortueuses : les
pioches des travaux publics n’ont pas encore assaini ce dédale
asphyxiant. La voiture et son chauffeur, Méténier, ont vidé
les lieux pour retrouver les PJ après le grabuge. Les joueurs
vont devoir se débrouiller.
Thèmes majeurs
 L’épouvante causée par les morts-vivants.
 Les ravages de l’alcool : ses victimes s’attaquent aux
enquêteurs qui ont suivi leurs traces.
 Dramatisation d’un moment-clé : la mort de la Femme
Fatale, figure paradoxale alliant l’innocence la plus
émouvante à la perversité la plus assumée.
252
Déroulement
2 Le carnaval des zombis
Les PJ n’auront guère le temps de franchir la porte
à la suite de Marcilly : un groupe d’une douzaine de
personnes pénètre dans le bar, repoussant vigoureusement
les personnes debout. Une épouvantable odeur d’égout
les accompagne. Ces invités inattendus sont emmitouflés
dans leurs épais manteaux lessivés par la pluie. Mis à part
cela, le reste de leurs vêtements s’avère plutôt éclectique.
Un habitué tente de repousser l’un d’eux, et le
décoiffe malgré lui. Le visage révélé offre un bel instant de
terreur : ses traits sont tuméfiés, les chairs boursouflées,
les yeux vitreux et dépourvus d’iris. On dirait un
macchabée après un séjour dans la Seine de plusieurs
jours. D’un geste, ce dernier fait voler l’inopportun pour
se diriger vers la Femme Fatale. Le combat semble très
mal engagé ; le baptême du feu des personnages pourrait
tourner au drame...
Le gain d’un point d’angoisse et de névrose est
inévitable. Si les PJ n’ont pas assisté à l’autopsie dans la
morgue (scène 2), ils doivent procéder à un test psychotique
pour savoir à quel point leur psychisme en sortira ébranlé.
Absinthé nocturne
Métier : ancien ouvrier de la distillerie d’Arcueil
Origine : Paris
Convictions : aucune
Potentiels
Physique : 5
Mental : 2
Social : 1
Compétences
Novice en combat (se bat à mains nues) et en pratique
Pratiquant en traque
Psychologie
Passion principale : ruine
Passion secondaire : goût du sang
Tabou : aucun
Déchéances : soif de sang, décrépitude (voir le chapitre 5)
Tempérament : flegmatique, ne réagit plus
aux stimuli
Tendance : non applicable
Angoisse : 0
Psychose : 6
Seuil de névrose : 10
 Campagne
2 Mort de l’égérie de Carter
Les PJ seraient bien inspirés d’imiter les clients qui
sautent par les fenêtres : le combat tourne à la boucherie. La
Femme Fatale doit, dans tous les cas, succomber aux coups
de ces monstres, même si le MJ doit pour cela invoquer
une crise cardiaque ! Les zombis portent tous des tatouages
représentant une fée grise facile à identifier : c’est le signe
de ralliement des habitués d’une fumerie d’opium baptisée
« La Fée Grise », surnom du tyrannique opium. Les tueurs
vident les lieux, puis reprennent leur déambulation jusqu’au
prochain canal où ils disparaissent dans les flots !
Les PJ sont récupérés par un Oscar Méténier affolé, qui
a visiblement essuyé un assaut avant de s’enfuir avec votre
véhicule. Il semble en partie amnésique, et restera bien
moins jovial qu’à l’accoutumée.
Ouvertures
Il ne reste plus que deux pistes :
 La distillerie, si le tenancier leur a révélé la provenance
de la bouteille (scène 8).
 La fumerie d’opium d’où viennent les sauvages assas-
sins (scène 9).
Description des états psychotiques
Le MJ gagnera à insister sur les troubles per-
sonnels des PJ qui remontent à la surface : il lui
suffira de s’inspirer de leurs passions principales,
secondaires et de leurs tabous, et d’utiliser leur incli-
naison psychotique pour forcer le trait : la bête qui
sommeille en eux se réveille ! Il peut alors décrire les
effets à partir du point de vue du joueur : « Tu vois,
tu ressens... »
Au fur et à mesure de sa description, il peut aussi
annoncer le montant des pertes de points afin de les
dramatiser, plutôt que de les énoncer sèchement sans
insister sur la nature des troubles.
De même, nous ne saurons trop vous conseiller de
ne pas révéler de suite la folie des personnages. En effet,
cela romprait tout le charme et l’angoisse des joueurs
dont les PJ n’ont pas conscience de ces maux.
La description des femmes spectrales doit être
réaliste : révélez leur caractère hallucinatoire au dernier
moment, quand le personnage tentera de la toucher et
qu’elle s’évanouira ou grimacera comme un démon...
Vous pourrez alors déclarer la nature du trouble ainsi
révélé : des hallucinations.
253
Scène 8. Une fabrique d’alcool bien paternaliste
« La civilisation, qu’est-ce que c’est, sinon la caserne, le
bureau, l’usine, les apéritifs, et les garçons de banque ? »
Alphonse Allais, A se Tordre (1891)
Résumé
On apprend dans la matinée la mort cocasse du
président. Les PJ visitent la distillerie qui écoule le trafic et
rencontrent son patron. Ils trouvent des indices sur le terrain
situé vers les abattoirs d’où est issue la mumia récupérée par
Carter (annexes 2 et 3).
Environnement
Probablement le 17 février 1899. La distillerie n’est
ouverte qu’à partir de 10h. Elle se situe à Arcueil, à cinq
kilomètres au sud de Paris, entre deux petites collines. Le
gros bourg est relié à la capitale par une double voie de
chemin de fer sur laquelle on transporte du fret.
Le petit bâtiment de la fabrique n’est pas évident à
trouver, coincé dans un espace industriel voué à la sidérurgie
et aux entrepôts. La campagne n’est cependant pas très loin
au sud de l’agglomération.
L’endroit est accueillant : un périmètre de barrières
encercle une zone d’exploitation flambant neuve et les
logements des ouvriers. Les PJ seront surpris d’y trouver une
école et un petit dispensaire. Une maison particulière bâtie
dans la roche métamorphique trône au centre, entourée
de fenêtres circulaires ouvertes dans toutes les directions :
il s’agit de l’antre du patron, qui arbore une gigantesque
mosaïque de la Fée Verte sur sa face nord.
Thèmes majeurs
 Scandale politique, en écho au discours populiste de
la veille.
 L’industrie paternaliste, qui prend en charge ses
ouvriers du berceau à la tombe.
Déroulement
2 Gros titre de l’actualité
La ville semble en ébullition. Prêter une oreille attentive
aux rumeurs alertera les PJ sur l’affaire nationale qui secoue
le tout Paris : le président Félix Faure a été retrouvé mort à
son domicile. Acheter un journal donnera accès aux détails
présentés en annexe 4 ; lire complètement l’affaire leur fera
prendre connaissance de l’annexe 5.
 Chapitre 7
La rivière Absinthe
En 1826, il existait à Pontarlier (Doubs) quatre dis-
tilleries qui fabriquaient 100 000 litres d’absinthe par an.
En 1913 elles étaient 22, sans compter 3 autres distilleries
installées dans les environs de la ville. La production journa-
lière était alors de 55 000 litres en 1833, et on expédiait de
l’absinthe dans le monde entier... jusqu’en Chine ! L’absinthe
était de plus en plus appréciée par ses nombreux consomma-
teurs. Cet apéritif « du tonnerre » ne coûtait que deux sous,
et titrait... entre 65 et 72 degrés !
La plus grande distillerie était la Maison Pernod Fils,
fondée en 1805 par Henri-Louis Pernod qui venait de quit-
ter la fabrique de son beau-père le Major Dubied (Dubied
Père & Fils). En 1901, cet établissement fut la proie d’un
incendie extraordinaire dont on parle encore aujourd’hui
à Pontarlier. L’absinthe stockée en grande quantité aurait
pu provoquer des explosions, et même un incendie total
de Pontarlier si un ouvrier n’avait pas pris l’initiative de
vidanger les cuves directement dans le Doubs, rivière toute
proche de la distillerie. Il suffisait alors de se pencher sur les
berges, de remplir son verre, et de consommer. Les badauds
et les pompiers trinquèrent à qui mieux mieux. On raconte
que les soldats en garnison à Pontarlier buvaient à même
leur casque...
La Fée Verte a coloré le Doubs au point que l’on retrou-
va sa couleur jusqu’à la Source de la Loue, ce qui démontrait
que la Loue était une résurgence du Doubs. D’un point de
vue hydrologique, ce fût une grande découverte !
Le MJ consciencieux fera rapidement le lien avec la
Femme Fatale. C’est bien elle qui a courtisé le Président
et provoqué son décès par un excès d’aphrodisiaque. Elle
a usurpé l’identité de la maîtresse de Faure, forte de son
expérience théâtrale, avant de s’enfuir par l’escalier de
service. Il faudra néanmoins retrouver le Génie du Crime
pour l’inculper. Le Voleur de Visages, toujours sous l’identité
de Méténier, tentera de convaincre les héros que le temps
presse pour leur enquête, et qu’il serait dommage de courir
plusieurs lièvres à la fois.
2 Un parfum de Franche-Comté
Les ouvriers semblent en forme et bien charpentés. Ils
sont polis, mais possèdent un épouvantable accent à couper
au couteau. La plupart sont originaires de Franche-Comté
d’où viennent les plantes et dont le savoir-faire est à la base
de la fabrication de l’absinthe.
Le patron en question, Claude Nicolas d’Épeugney, est
affable et accueillant. Toutefois, il s’en tient à un entretien
strictement professionnel et ne commente guère l’actualité.
Il avoue aux PJ travailler sur une grosse commande à
destination de la banlieue nord-ouest (c’est là que se trouve
Le Rat, ce bar des plus mal fréquenté) pour les Dionysies,
une fête promue par un groupe politique local.
254
L’interrogatoire devrait bien se passer, tant que les PJ
ne perdent pas leur politesse et leur contenance. Il est aisé
de découvrir l’identité du client : le parti populiste parisien,
dirigé par Nicolas Antoine Marcilly.
Sur la condition physique de ses ouvriers, le patron est
bien plus prolixe. Il se targue d’avoir créé une entreprise
paternaliste capable de prendre en charge tous les besoins de
ses employés, et notamment leurs frais de santé. Il chante les
louanges de son dispensaire où un médecin anglais prépare
des onguents qui tonifient les ouvriers et éliminent leur fati-
gue. Aucun cas de choléra, pas plus qu’aucune autre maladie
n’a été décelé depuis des mois ! Le médecin en question n’est
autre que Carter, absent pour l’instant, qui distribue de la
mumia aux ouvriers afin de les préparer à leur destinée de
machines à tuer régénérantes.
Sur leur ivresse : il décourage toute propension à
l’alcool, et a même pris des mesures sur certains d’entre eux
(l’homme du bar avec sa « poire » dans la bouche). Pour lui,
il est impossible que ses employés soient coupables de tels
délires éthyliques.
Par contre, il peste sur certains d’entre eux qui disparais-
sent sans laisser de traces. Les ingrats ! Il pense qu’ils partent
ailleurs, où l’herbe serait plus verte, la mobilité des employés
de ce secteur s’avérant importante. Le respect des contrats de
travail est encore bien relatif...
Ces employés disparus sont, bien sûr, les tueurs du parc
Monceau que les PJ pourront identifier sur les registres de
l’entreprise grâce aux photographies des ouvriers jointes à
leurs livrets.
Dans le dispensaire, les PJ trouveront de nombreuses
seringues et de la mumia desséchée administrée aux ouvriers
de l’usine. Il leur suffisait ensuite de retrouver leurs vieux
démons pour replonger dans l’alcool et se transformer en
meurtriers sanglants...
Ouvertures
 Les PJ ont encore le temps pour visiter la fumerie
d’opium : scène 9.
 Toutes les pistes convergent vers ce curieux médecin
anglais, qui n’est autre que Carter déguisé. Le patron
révèle que ce praticien exerce aux abattoirs du quai
Grenelle, sur la Route de la Révolte : scène 10.
 Campagne
Scène 9. La Fée Grise
« La vie, cette goutte de lait et d’absinthe. »
Henri Lacordaire, Pensées
Résumé
Les PJ se rendent dans une fumerie d’opium où l’on sert
l’absinthe mortifère. D’étranges visions sont provoquées par
le mélange : ils vont rencontrer la Fée Verte en personne !
Le lien avec les abattoirs est établi grâce au nombre de
clients anémiés désormais accoutumés à cet alcool.
Environnement
La Fée Grise entraîne les PJ près de la gare Saint-Lazare, rue
du Paradis. La fumerie offre une façade opaque bien défraîchie.
L’intérieur est enfumé, il est difficile de ne pas chanceler dès la
première bouffée d’opium inspirée. Un bar draine la moitié
de la clientèle, alors que l’autre moitié se prélasse sur de vastes
divans aux motifs orientaux. C’est une confrontation entre
deux mondes : la brasserie parisienne côtoie l’arrière-salle où
servent quelques indochinois. Des narguilés, pipes à opium et
seringues de Pravaz y sont échangés.
Thèmes majeurs
 L’accoutumance aux drogues.
 Le dépassement du voile de la réalité au moyen de
la drogue.
Déroulement
2 La Fée Verte
Les PJ possédant des passions basées sur la fête, l’alcool
ou les drogues auront du mal à résister à l’ambiance :
attention aux gains de névrose !
Tout PJ consommant l’absinthe servie dans ce bar
acquiert la passion secondaire nommée « Fée Verte ». Cette
absinthe redoutable contient une forte dose de thuyone
et un mystérieux ingrédient criminogène. A chaque verre
complet bu par le personnage, il doit réussir un test
psychotique (avec 1D seulement !), ou sombrer dans l’état
psychotique appelé « folie homicide » (se référer aux règles
du chapitre 5). Seule une désintoxication pourra le défaire
de cette accoutumance forte et instantanée.
255
La Fée Grise
L’opium est un puissant hallucinogène, son
indice de virulence est de 6 (soit le seuil à battre). Le
MJ doit estimer la dose que chaque PJ a ingérée (de
faible à forte, soit de 1D à 3D à garder). Ceux qui
possèdent une perversion à l’opium peuvent bénéfi-
cier d’une certaine mithridatisation : la virulence de
l’opium tombe à 4, reflétant leur résistance aux effets
de la drogue. S’ils consomment en plus de l’absinthe,
l’indice de virulence passe à 8 ! (voir les règles sur
les poisons).
Chaque échec entraîne la perte d’un point de
fatigue physique et mentale, ainsi qu’un nombre
équivalent de points de névrose. Les personnages
touchés seront de surcroît sujets à des hallucinations
dont les effets sont décrits au chapitre 5. Ces visions
se manifestent sous les formes suivantes...
Une femme vêtue de gris, aguicheuse à la manière
d’une prostituée, se penche sur certains clients
fumant de l’opium et les masse pour les relaxer.
Le fantôme de Maupassant hante une chaise
longue inoccupée : l’écrivain disparu fait un signe
amical au héros victime de la vision.
Une femme vêtue de noir, à la longue chevelure
jais, apparaît par intermittence et enlace certains
consommateurs dont les traits se changent pour
devenir des cadavres pourrissants.
Une autre femme, vêtue d’un vert éclatant, susur-
re des mots à l’oreille d’un buveur assis au bar.
Son expression change, l’homme cogne son verre
sur le front de son voisin et déclenche une bagarre
d’ivrogne vite expédiée par le patron des lieux.
Après cela, les PJ n’auront sûrement plus qu’une
envie : quitter les lieux pour prendre un peu l’air !
2 Recherche d’informations
Ne perdez pas de vue l’objectif de la scène, qui est de
collecter des informations sur la provenance de l’absinthe
et de la mumia administrée aux tueurs tatoués de la Fée
Grise. Le patron se montre loquace seulement avec les PJ
qui consomment, et c’est bien là tout le problème ! Ses
habitués disparus depuis des jours souffraient tous d’une
anémie qui les obligeaient à se repaître du sang des ani-
maux abattus à Grenelle, faute de mieux.
Ouverture
 La boucle est bouclée : il ne reste plus qu’une seule
piste pour coincer les coupables. Les abattoirs du quai
Grenelle, sur la Route de la Révolte : scène 10.
 Chapitre 7
Acte III. Un parfum de défaite
Scène 10. Des cochons à l’assommoir
« L’homme : un millimètre au-dessus du singe quand ce n’est
pas un centimètre au-dessous du porc. »
Pio Baroja, Le Grand Tourbillon du Monde (1926)
Résumé
Les PJ remontent le réseau en compagnie de celui qu’ils
présument être Oscar Méténier (mais en réalité le Voleur de
Visages sous les ordres du Génie du Crime).
Ils font une revue des cochons sur lesquels on pratique
des expériences en rapport avec l’alcoolisme et ses méfaits
physiologiques.
La scène aboutit sur un combat contre le Voleur de
Visages, et les PJ obtiennent des preuves tangibles de l’im-
plication du Génie du Crime.
Environnement
Dans la journée, pour que les abattoirs soient ouverts.
Grenelle se situe au sud-ouest de Paris, le long de la rive
droite de la Seine, en amont de la ville de Boulogne.
C’est l’un des cinq abattoirs construits par l’administration
parisienne. Il comporte de nombreux échaudoirs, ces cases
destinées à l’abattage des bestiaux. Un énorme puits central
de près de 500 mètres de profondeur dispense encore de
l’eau à 27 degrés. Une hiérarchie de métiers disparates,
du maquignon au fort des halles, de l’équarrisseur aux 75
bouchers s’affaire dans ces lieux dépourvus de végétation.
Du sable est disposé sur le sol pour absorber le sang, comme
dans les arènes romaines.
Thèmes majeurs
 La mort animale organisée de manière industrielle.
 La folie des scientifiques, leur absence de déontologie.
 L’ennemi intérieur du groupe, avec le Voleur de Visages
infiltré.
Déroulement
2 Être boucher donne la santé
Le MJ peut organiser une rencontre avec l’archétype du
Tueur Possédé décrit dans le chapitre 4 : Martin Stranozy,
qui pourra les aiguiller sur le chemin à prendre. Cette ren-
contre inquiétante peut dégénérer rapidement tant l’individu
s’avère instable et obsédé par sa crainte des interrogatoires de
police (il suffit de prendre connaissance du nombre de victi-
mes de ses crises de folie pour mieux comprendre).
256
Cette scène est donc optionnelle. La folie de Martin
Stranozy ressemblera fort à une crise de delirium tremens. Il
est inutile de brouiller les pistes en montrant aux joueurs que
cet individu est possédé.
2 Le hangar aux porcins
Le prétendu Oscar Méténier (en réalité le Voleur de
Visages) doit les accompagner. Il est aisé de se renseigner
auprès de la populace : celle-ci décrira aux PJ un vaste
hangar, situé à l’écart, où ont lieu des expérimentations
médicales sur les animaux. Pas plus de détails, si ce n’est
concernant les cris porcins qui s’en échappent. La rumeur
sous-entend qu’il vaut mieux que la bête connaisse une mort
rapide plutôt que celle, secrète, réservée dans ces locaux.
Dans le hangar règne une épouvantable odeur d’alcool
et de vomissures. Un vétérinaire patrouille entre des stalles
installées de part et d’autre du corridor central. A l’intérieur,
quinze porcs de toutes races avoisinent les deux mètres.
Le savant semble honoré quand on lui parle de ses
expériences, dont les subsides viennent bien entendu du
parti populiste de Marcilly. Il montre aux PJ un document
signé de sa main, preuve indiscutable du trafic organisé avec
la distillerie et les bars concernés (annexe 3). Ces expériences
portent sur l’empoisonnement par l’alcool, testé sur des
porcins dont l’anatomie se rapproche de celle de l’homme.
N’oubliez pas d’octroyer un point de névrose aux PJ avec
des passions basées sur l’empathie animale ou le don de soi.
2 Pour le bienfait des alcooliques
Les révélations obtenues auprès du vétérinaire sont
édifiantes :
— On teste de l’alcool éthylique, de l’alcool de patate,
du phlegme issu d’une première distillation, de l’alcool de
grain non rectifié, de l’alcool de betterave, de l’absinthe pure
et frelatée de la distillerie La Fée Verte.
— Les présentations se font le long des enclos (vous
pouvez ici souligner l’horreur soulevée par ces porcs
dodelinant de la tête, les yeux mi-clos en plein cauchemar,
paralysés, ou perdus dans des grognements assourdissants).
— Sur 531 analyses de vin, 317 sont mauvais, 23
nuisibles. Pour les bières, la proportion est de 70 contre 64.
Pour les alcools et vermouths, 41 et 39 ! C’est bien sûr la
boisson de prédilection des populations les plus pauvres.
— On donne le sang de ces porcs, une fois sevrés, aux
anémiés. C’est un moyen gratuit et philanthrope de soigner
cette maladie.
— La mortalité est assez faible : nous avons un
vétérinaire anglais qui s’occupe de retaper ces bêtes avec des
onguents de sa fabrication.
— Seul le numéro 15 est en ce moment en sevrage
alcoolique. Son cœur semble affaibli : sans doute des
difficultés d’acclimatation. Ce sujet, dont nous tirons une
grande fierté, nous vient d’Océanie. C’est un razorback (le
savant, ne pouvant réprimer une moue de fierté, montre
du doigt l’animal impressionnant : il est une demi-fois plus
massif que ses comparses et visiblement endormi).
 Campagne
Razorback
Potentiels
Physique : 8
Mental : 2
Social : 3
Compétences
Maître en sport et en traque,
spécialisé en [chasse]
Exalté en combat, spécialisé en [défense]
(inflige +1 en dégât)
Psychologie
Passion principale : ruine (l’animal
est comme enragé à la suite de ses traitements)
Passion secondaire : soif de sang
Tabou : aucun
Déchéances : force bestiale, décrépitude
(voir le chapitre 5)
Tempérament : sanguin
2 La révolte d’un gros cobaye
Malheureusement pour lui, le vété-
rinaire n’a pas l’opportunité de finir
son monologue. Soudainement
le razorback se réveille, s’agite,
s’élance et lui dévore le bras : le
poids de l’animal et sa puissance
ont eu raison de la clôture censée le
retenir. L’animal flaire l’atmosphère,
puis hume l’air en direction des
PJ et de Méténier avant de se ruer
vers ceux qui auraient de la mumia
sur eux !
Le combat aura lieu soit dans
le hangar, soit à l’extérieur en cas
de fuite (parlons de « repli stra-
tégique », pour ne pas vexer nos
PJ). Si l’affrontement est trop diffi-
cile, Méténier dégaine son revolver
(dégâts de 6) et abat l’animal, ou
plutôt croit l’abattre...
Méténier doit survivre car
il est l’heure de faire tomber les
masques. Par un coup de théâtre
dont il a le secret, il menace les héros s’ils ne déposent
pas à leurs pieds le document compromettant (annexe
3) ; il les nargue également en leur expliquant que le
meilleur agent du Génie du Crime (lui-même) vient de
les confondre. Laissez durer quelques instants le suspense
avant de programmer sa fin.
257
Le razorback n’a pas dit son dernier mot : blessé
grièvement, il se relève et charge un (faux) Méténier médusé,
aussitôt renversé. L’animal furieux s’acharne, déchiquetant
une partie de son visage. L’usurpateur est rapidement mis
hors de combat, traîné comme une poupée et le monstre
rue une dernière fois pour expédier le corps dans le puits
avant de s’écrouler, agité d’ultimes soubresauts.
Ouverture
 Les PJ ont désormais tous les éléments permettant de
faire inculper la façade politique et publique du Génie
du Crime : Nicolas Antoine Marcilly ! (Scène 11).
Scène 11. Condamnation
d’un populiste
« Savez vous pourquoi, monsieur l’avocat général ? Je vais vous
le dire. C’est parce qu’on veut jeter la guillotine dans ce gouffre
d’exécration où sont déjà tombés, aux applaudissements du genre
humain, le fer rouge, le poing coupé, la torture et l’inquisition ! C’est
parce qu’on veut faire disparaître de
l’auguste et lumineux sanctuaire de
la justice cette figure sinistre qui
suffit pour le remplir d’horreur et
d’ombre : le bourreau ! »
Victor Hugo, Le Dernier
Jour d’un Condamné (1829)
Résumé
Procédure d’arrestation de
Marcilly, suivie de la revue des
preuves au tribunal où est jugé
notre Génie du Crime, enfin
mis hors d’état de nuire... Mais
pour combien de temps ?
Environnement
Si possible dès le lendemain,
dans la Cour d’Assise de Paris qui
siége au Palais de Justice du 1er
arrondissement. L’atmosphère
est solennelle, le public a été trié sur le volet et les journalistes
sont particulièrement nombreux.
 Chapitre 7
Thèmes majeurs
 La justice et ses limites.
 Les moyens de pression exerçables sur elle.
 Le niveau de réussite de l’enquête.
Déroulement
2 Présentation de l’affaire
Le tribunal présente le suspect :
Marcilly Nicolas Antoine, âgé de 45 ans, consul du
commerce du Havre et député de Levallois, domicilié au
Havre. Accusé présent. 1m75, yeux marron, traits fins,
sourcils abondants.
Inculpé d’empoisonnement sur la personne morale de la
population de Paris par la revente d’une substance alcoolique
dangereuse. Risque la peine capitale au titre de l’article 368
du code des instructions criminelles.
Un second chef d’inculpation peut être retenu, dans
cette « comparution immédiate », au sujet de sa complicité
dans la mort du président Faure. Il risque cependant la
même peine. Sa culpabilité peut être établie par sa liaison
avec la Femme Fatale, connue du tout-Paris. Le lien entre
ses intérêts politiques et la mort du Président étant évident,
cette relation ne peut que lui nuire.
Les héros sont invités, à titre de témoins. Ils peuvent
alors faire un bilan de l’enquête sous la présidence du MJ qui
endossera la robe du magistrat. S’ils mentionnent la mumia
et le versant surnaturel de cette enquête, ils ne manqueront
pas d’être raillés par un public amusé.
Malgré les réquisitions, Marcilly réfute sa responsabilité
en reportant sa faute sur le patron de la distillerie, coupable
à ses yeux d’avoir forcé la concentration de thuyone dans
l’absinthe.
2 Résolution prise par le tribunal
« Guillotine : petite lucarne donnant sur l’éternité. »
Adrien Decourcelle
Vous pouvez simplement décider que les charges requises
s’avèrent suffisantes pour le condamner. Vous pouvez également
prendre votre décision en vous aidant de la méthode ci-dessous
(traitez les affaires séparément).
Pour l’empoisonnement, faites un répertoire des évènements survenus.
 Document donné par le savant de l’abattoir : +6D (scène 10).
 Aveux de l’un des gorilles du Génie du Crime ayant participé à
l’échauffourée au bar : +2D (il faut le citer à comparaître).
 Avoir mis dans la confidence le patron de la distillerie, qui a
donc pu préparer sa défense : +2D (scène 8).
 Raconter les effets de la mumia, évoquer les affaires des abattoirs
et de la fumerie d’opium : -1D par épisode, car cela provoque
un tollé dans le public et l’amusement du jury : de qui se
moque-t-on !
258
 Contrat entre Carter et le Génie du Crime sur le trafic d’an-
tiquités : +2D.
 Prendre en compte le résultat d’un test de société (social) en
opposition entre le PJ se présentant devant le jury et l’avocat
adverse (4D garde 3). Une réussite indique le nombre de dés
à rajouter au total précédent, un échec le nombre de dés à
retirer.
Pour le meurtre de Félix Faure, autre jugement mais même
procédure.
 La fausse identité de la Femme Fatale : +4D.
 La fiole d’aphrodisiaque : +3D (documents trouvés dans la
scène 7).
 Prendre en compte le résultat d’un test de société (social) en
opposition entre le PJ se présentant devant le jury et l’avocat
adverse (4D garde 3). Une réussite indique le nombre de dés
à rajouter au total précédent, un échec le nombre de dés à
retirer.
Le test se fait avec un potentiel égal au nombre de dés que vous
avez cumulés. Gardez tous les résultats au-dessus du seuil de 9.
Ce résultat donne le nombre de jurés condamnant le Génie du
Crime pour chacune des deux affaires.
 Supérieur à 8, la condamnation est la peine de mort.
 Supérieur à 6, condamnation à dix ans de bagne à Cayenne
(souvent, en pratique, l’emprisonnement dure le double).
 Supérieur à 4, c’est une simple complicité qui est retenue : le
châtiment se limite à de fortes amendes.
 Dans tous les autres cas ce sera une relaxe, et par conséquent la
naissance d’un danger mortel pour les héros qui vivent à Paris
ou dans sa banlieue !
Épilogue
Fin(s) de l’histoire
Quel que soit le résultat du procès, le Génie du Crime
est hors d’état de nuire. En revanche, on est sans nouvelle
des autres. Les conspirateurs, à l’origine de ce mélange
ravageur à base de mumia, restent en effet introuvables,
mais la première étape de leur plan est accomplie : le
crime s’est propagé dans la ville, échappant complètement
au contrôle d’un Marcilly dépassé. Ces coupables, nous
les connaissons ; attendez-vous donc à retrouver bientôt
l’agent Carter, ainsi qu’un certain sorcier anglais et un
savant fou...
 Campagne

Annexes
1. Coupure de presse sur l’affaire de départ
Scène 1

L e massacre du parc Monceau :

cinq victimes dépecées par des
apaches sanguinaires.
Le 15 février restera comme un
jour funeste pour notre capitale. Une
suite de crimes odieux d’une rare vio-
lence, même en ces temps d’insécurité,
ce sont déroulés au parc Monceau. Tout
a commencé vers vingt-deux heures,
quand une douzaine de promeneurs
rentraient tranquillement de leur erran-
ce dominicale dans ce havre végétal
qu’est le parc Monceau.
Soudain, une dizaine de voyous dégue-
nillés surgirent des buissons pour les
assaillir. Une famille de cinq personnes
paya le plus lourd tribut, car aucun
d’entre eux ne put échapper à la folie
destructrice des brigands. Les survi-
vants, en état de choc, ont décrit à notre
envoyé l’extrême violence de l’assaut :
— Même à la guerre, je n’ai
jamais vu une telle animosité : on
aurait dit une bande de chiens sau-
vages ! Je me suis défendu, mais l’un
d’eux a survécu aux coups de ma
canne-épée, visiblement insensible à
ses blessures... nous confie un ancien
combattant quinquagénaire.
— On a tenté de donner le
change, sans pouvoir faire face à leur
sauvagerie. Je n’ai jamais vu une telle
démence dans un regard ! On aurait
dit des clochards absinthés, complè-
tement gauches, qui auraient passé la
journée dans les fontaines du parc tant
ils étaient trempés. Complètement
inefficace, j’ai dû prendre la fuite pour
alerter la maréchaussée... réplique un
étudiant blessé au cours de l’affron-
tement.
Le préfet de police Louis Lépine a
vivement condamné cet outrage, vitu-
pérant sur les ravages de l’alcool dans
notre société. Il a juré de lancer une «
chasse à l’homme » pour retrouver ces
malfaiteurs. De source non officielle,
il semble en bonne voie puisque le
cadavre d’un assaillant a été retrouvé
ce matin dans les buissons du parc.
Un indice a tout de même été livré
en exclusivité : les suspects arboraient
des tatouages représentant une dame
verte. Des perquisitions auprès des
classes dangereuses du quartier sont
en cours.
Nul doute que ce fait divers san-
glant va relancer les débats sur l’in-
terdiction de certains alcools forts et
doper l’audience des politiques qui
misent tout sur le sécuritaire.

2. Annonce parue dans la presse

Scène 3

Artiste peintre et sculpteur cherche des modèles pour explorer les

thèmes de l’art africain. Rémunération du modèle possible.
Réduction d’achat pour toute œuvre récupérée par le modèle.
S’adresser à : Simon de la Moulinière, 45 avenue Ledru Rollin.

259
 Chapitre 7

3. Contrat de vente entre Craig Carter

et Nicolas Antoine de Marcilly
Scène 3

CONTRAT DE VENTE ET DE CESSION DE DROITS DE PROPRIÉTÉ SUR DES ANTIQUITÉS

A ÉTÉ CONVENU CE JOUR, ENTRE LES SOUSSIGNÉS :

CARTER CRAIG, DE NATIONALITÉ BRITANNIQUE

DÉSIGNÉ CI-APRÈS LE VENDEUR

D’UNE PART, ET

DE MARCILLY NICOLAS ANTOINE, DE NATIONALITÉ FRANÇAISE

DÉSIGNÉ CI-APRÈS L’ACHETEUR

D’AUTRE PART.

L’ACHETEUR A L’INTENTION DE DISPOSER DES SUBSTANCES FOURNIES PAR

LE VENDEUR POUR LES UTILISER A TITRE PERSONNEL.

IL A ÉTÉ CONVENU :

ARTICLE 1 : OBJET DU CONTRAT

LE PRÉSENT CONTRAT A POUR OBJET D’ÉTABLIR LES CONDITIONS DE CESSION
PAR LE VENDEUR DES SUBSTANCES DÉCRITES CI-APRÈS.

ARTICLE 2 : NATURE DES SUBSTANCES

LE PRÉSENT CONTRAT PORTE SUR TROIS LIVRES DE LA SUBSTANCE DÉNOMMÉE
« MUMIA », PHARMACOPÉE ORIGINAIRE D’AFRIQUE ET BASÉE, SELON UNE EXPERTISE
LÉGALE, SUR LA DÉCOCTION DE DIVERS GOUDRONS ET PLANTES EXOTIQUES.

ARTICLE 3 : LIVRAISON
LE VENDEUR S’ENGAGE À LIVRER LA SUBSTANCE AU LIEU DIT « LE RAT »
LE 30 NOVEMBRE 1898.

FAIT LE 20 NOVEMBRE 1898, À PARIS.

SIGNATURE DES 2 PARTIES :

(PRÉCÉDER LA SIGNATURE DE LA MENTION « LU ET APPROUVÉ »)

4. Coupures de presse :
la mort du président Félix Faure
Scène 8
Citations reprises dans la presse
« Ce n’est pas un français de moins, mais une place à prendre »

Déclaration de Georges Clemenceau

« En entrant dans le néant, il a dû se sentir chez lui »

Le directeur de L’Aurore

Coupure de presse du Colporteur,

journal dissident vendu sous le manteau :
« Lorsque mort, dans la terre, on portera tes os,
Pour la première fois, on verra qu’un cadavre peut dégoûter les asticots. »

Petrus Borel

260
 Campagne

4. Coupures de presse :
la mort du président Félix Faure (suite)
Le Colporteur du 17 et du 18 février 1899
Scène 8

L a voici notre épitaphe, rédigée

en hommage à notre illustre
président. Soyons honnête : aucun
d’entre nous ne le pleurera. Monarque
de la République sans réelle compé-
tence et, plus grave, dénué de la plus
minuscule étincelle d’humanité qui
aurait pu l’inciter à gracier Dreyfus,
le sort qui lui fut réservé est bien clé-
ment en regard de ses méfaits. Voyez
plutôt :
Notre Président-Soleil (un soleil
couchant, sans envergure) avait repris
à son compte les antiques droits de
cuissage des souverains médiévaux (ou
plutôt des rois fainéants, dont il était
plus proche). Rien d’étonnant, donc,
à ce qu’il accueille dans son bureau sa
maîtresse du moment, Cécile Sorel,
une actrice vaguement célèbre...
N otre Don Juan des prétoi-
res aurait alors consommé
un aphrodisiaque dangereux à forte
dose. Refroidi par la récente visite de
l’archevêque de Paris et du prince de
Monaco, nous comprenons sans peine
la nécessité de cette pilule-miracle
pour s’assurer la vigueur indispensable
aux petites réjouissances dont il était
coutumier. Mais la dose semble avoir
été trop forte pour cet athlète des des-
sous de ceinture. Mademoiselle Sorel,
qui s’obstine à nier les faits, a d’ores
et déjà reçu le surnom élogieux de «
pompe funèbre »...

L E ROI EST MORT, VIVE

LE ROI !
Ainsi, notre bon roi s’en est allé,
terrassé par les foudres d’une attaque
cardiaque au sein même de l’Élysée,
en pleine séance d’un travail intensif
destiné à améliorer le quotidien de
ses sujets. Pour ce faire, une noble
courtisane l’aura aidé dans sa tâche,
l’assistant sans relâche dans sa pro-
fonde méditation.
« Le Président a-t-il toujours sa
connaissance ? », « Non, on l’a faite
sortir par derrière ». Tels auraient été les
premiers mots échangés entre le méde-
cin accouru au chevet du président
Faure et son domestique. Voilà une
bien étrange énigme, ultime affaire
laissée en leg par notre souverain ! Un
arrêt cardiaque, une femme s’enfuyant
à la dérobée : l’affaire est si grotesque
que nous hésitons (une fois n’est pas
connu une fin sûrement trop belle en
comparaison de celle qu’il destinait à
Dreyfus... Mais laissons le mot de la
fin à Clemenceau, qui n’hésite jamais
à mettre les pieds dans le plat : « Ce
n’est pas un français de moins, mais une
place à prendre. »
N
ouverte !
ous déclarons officiellement
la course à la succession

coutume) à en rajouter ! Notre sire a

261
 Chapitre 7
5. Compte-rendu des séances du Sénat à la suite du décès de M. Faure
Scène 8

Séance du 17 février 1899

Présidence du sénat par M. Loubet

- La séance est ouverte à trois heures quinze minutes.

- Le procès-verbal de la dernière séance, lu par M. Prevet, l’un des secrétaires, est adopté.

- M. le Président donne lecture d’une lettre par laquelle M. le Président du

Conseil annonce la mort de M. Félix Faure, Président de la République française.

- M. le Président prononce une allocution. M. le Président donne ensuite lecture

de l’article 7 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relative à l’organisation des
pouvoirs publics, et de l’article 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, sur les
rapports des pouvoirs publics, en vertu desquels l’Assemblée nationale doit se réunir
pour l’élection d’un Président de la République.

- M. le Président annonce que l’Assemblée Nationale se réunira demain à

Versailles, à une heure.

- Le Sénat décide qu’il se réunira mardi, à trois heures, en séance publique. La

séance est levée à trois heures vingt minutes (J.O., p. 1154).

6. Petit poème sur l’absinthe

« Quand le couchant étend son voile d’hyacinthe Toi-même, qu’en dis-tu ?

Sur Rastaquapolis.
C’est l’heure assurément de prendre son absinthe,
Qu’en penses-tu, mon fils ?
C’est en été surtout, quand la soif vous terrasse
Tels cent Dreyfus bavards
Qu’il convient de chercher une fraîche terrasse
Le long des boulevards.
Où l’on sait rencontrer l’absinthe la meilleure.
Celle du fils Pernod ;
Fi des autres ! De même un dièze est un leurre
Quand il est de Gounod.
Je dis le long des boulevards, et non à Rome,
Ni chez les Bonivards ;
Car pour être absinthier on n’en est pas moins homme.
Et sur nos boulevards
On voit passer les plus suaves créatures
Aux plus gentes façons :
Tout en buvant, cela réveille vos natures,
C’est exquis... mais passons.
Vous avez votre absinthe, il s’agit de la faire ;
Ça n’est pas, croyez-moi,
Comme pense un vain peuple, une petite affaire,
Banale et sans émoi.
Il ne faut pas avoir ailleurs l’âme occupée,
Pour le moment du moins.
L’absinthe veut d’abord de la belle eau frappée,
Les dieux m’en soient témoins !
D’eau tiède, il n’en faut pas : Jupiter la condamne.
Autant vaudrait, ma foi, boire du pissat d’âne
Ou du bouillon pointu
Et n’allez pas comme un qui serait du Hanovre,
Surtout me l’effrayer,
Avec votre carafe, elle croirait, la pauvre !
Que l’on la veut noyer.
Déridez-la toujours d’une première goutte...
Là... là... tout doucement.
Vous la verrez alors palpiter, vibrer toute,
Sourire ingénument ;
Il faut que l’eau lui soit ainsi qu’une rosée,
Tenez-vous le pour dit :
N’éveillerez les sucs dont elle est composée
Que petit à petit.
Telle une jeune épouse hésite et s’effarouche
Quand, la première nuit,
Son mari brusquement l’envahit sur sa couche
En ne pensant qu’à lui..
Mais, tenez : votre absinthe éclot dans l’intervalle,
La voilà qui fleurit,
S’irise et passe par tous les tons de l’opale
Avec un rare esprit.
Vous pouvez maintenant la humer, elle est faite ;
Et la chère liqueur
A l’instant même vous mettra la joie en tête
Et l’indulgence au coeur... »
262 Raoul Ponchon Five O’clock Absinthe (1886)
 Campagne

7. Certificat de capacité à conduire un véhicule automobile

(prototype à mettre en service en mars 1899)
Scène 1

REPUBLIQUE FRANCAISE
MINISTERE DEPARTEMENT
des d
TRAVAUX PUBLICS

CIRCULATION DES AUTOMOBILES

(Décret du 10 mars 1899)

CERTIFICAT DE CAPACITE
Valable pour la conduite
d (1)
Cadre destiné à la
photographie du titulaire

(1) Désigner la nature du ou des véhicules auxquels

S’applique le présent certificat.

NOTA : Les certificats délivrés par le préfet sont valables pour toute la France.
Ils peuvent être retirés après deux contraventions dans l’année.

Ouverture sur le second scénario : Lépine attend les PJ

dans son bureau où un sculpteur croque le portrait d’une
femme, véritable allégorie de la justice avec son épée et sa Les annexes
balance. Le préfet leur révèle que des complices utilisent
encore cette mumia dont on a retrouvé le stock, mais pas les Les accessoires de jeu sont essentiels à l’intégration
manipulateurs. des joueurs dans votre ambiance. Le scénario n’est pas
seulement vécu grâce aux dialogues entretenus avec
les joueurs : proposez-leur des lettres, des coupures
Quant à Carter, son cadavre devrait être bientôt rejoint
de journaux, des indices concrets... Racontez-leur des
par celui de la Femme Fatale ; Lépine révèle l’idylle née entre anecdotes ou les cauchemars de PNJ que vous aurez
eux. Un détail qui prendra son importance : la Femme Fatale préalablement préparés.
a émis le vœu de faire incinérer son corps. Finissez donc cet
épisode par un joli fondu sur la balance, le motif de cette
campagne, en attendant la prochaine séance de jeu avec
Amour à Mort...

2263
 Chapitre 7
Amour à Mort
Prologue
« Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours d’austères études ;
Car j’ai pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! »
Baudelaire, Les Fleurs du Mal, La Beauté (1857)
Enchaînement des scénarios
Cette aventure peut être jouée indépendamment de La
Fée Verte. Dans le cadre de la campagne, il est nécessaire
que Vinditien Guillain Marie, le Voleur de Visages, ait
survécu aux attaques du razorback par la grâce de la
déchéance.
La fabula
La folie homicide de La Fée Verte jugulée, Paris reprend
son calme apparent. Certains sbires du Génie du Crime
sévissent encore : le Sorcier William Northbone et le Savant
Fou Wolfgang Lerne travaillent de concert sur la mumia, qui
pourrait leur ouvrir les portes de l’immortalité.
Les héros devront donc annihiler la menace qu’ils
représentent. Ils doivent pour cela se découvrir afin de
trouver de la mumia royale, le trafic entre Carter et leur
ancien patron étant démantelé. Ils devront s’introduire
dans les alcôves des collectionneurs de momies, prétextant
quelques démonstrations anatomiques ou des séances
d’occultisme pour récupérer leur précieux ingrédient.
Ils découvriront ensuite une momie royale fraîchement
débarquée en France, qu’ils se proposeront de débander
au cours d’une séance privée afin de confondre leurs
adversaires.
Tout cela serait très simple sans l’existence de ces deux
obstacles supplémentaires :
 Tout d’abord, la Momie elle-même pourra se défendre
ou appeler à l’aide, sous les diverses formes par
lesquelles elle peut se manifester.
 Ensuite, Carter se révélera aux PJ à la fin du scénario
pour subtiliser la précieuse mumia. Il a juré de venger
la mort de la Femme Fatale Hannah Chenu, et s’est
mis en tête de la ressusciter.
264
Objectifs du scénario
La Fée Verte relatait un évènement public initié par
l’armée du crime des bas-fonds de Paris.
Amour à Mort oppose les PJ à la haute société, dont les
masques tombent face à un pouvoir plus ancien : celui de la
Momie. Les thèmes de l’occultisme et de la déchéance y sont
davantage présents.
En tant que volet central de la trilogie, Amour à Mort
dévoile les manipulations souterraines de Carter exercées
dans le scénario précédent.
Le système de jeu maintenant testé, le second scénario
présentera davantage de scènes menaçant l’équilibre mental
et les passions des personnages, par l’intrusion d’une terreur
plus manifeste. Les conseils au MJ portent surtout sur la
structure d’un scénario non linéaire, et donc plus difficile à
maîtriser. Chaque scène y est répertoriée comme essentielle
ou facultative, de façon à ce qu’elles puissent toutes être
rejouées sous des éclairages nouveaux et que le MJ puisse
faire varier le temps nécessaire à l’accomplissement de
l’intrigue.
Les thèmes porteurs
Du triomphe sur la mort
au triomphe de la mort
Les détrousseurs de cadavres que furent jadis les européens
pensèrent à tort que la civilisation pharaonique était morte,
et qu’elle ne représentait plus aucun danger pour eux. Cette
idée reçue est battue en brèche dans Crimes, comme elle
le fut dans l’affaire de la malédiction de Toutankhamon au
cours des années 1920. La momie du scénario incarne l’esprit
vengeur de l’Orient destiné à châtier le viol commis par les
européens, armé de forces occultes oubliées dépassant de loin
la raison que lui oppose ces pauvres victoriens. Revenante
vengeresse, elle punira ces antiquaires coupables de sacrilège.
Ce thème épouse le point de vue lovecraftien sur l’Inconnu
qui menace une civilisation imbue d’elle-même.
Du triomphe de l’amour sur
le triomphe de la mort
Ce scénario contourne les canons du genre, dans
la mesure où la Momie suscite plus de compassion que
de haine. C’est le Sorcier impatient d’abuser d’elle qui
succombe à la convoitise de la puissance quand les corps
momifiés ne songent, dans leur profond rêve, qu’à perpétuer
leur présence dans la solitude du désert. La Momie se dote
d’une âme qui apparaîtra aux héros sous de séduisants atours
et qui pourra communiquer avec d’éventuels spirites. Elle
leur semblera vivante, détachée de l’image du monstre aux
gestes saccadés des vieux films de la Hammer. Seul le réveil
final révélera son état de cadavre transi.
 Campagne
Acte I. Égyptomanie
Teaser
Résumé
(Scène facultative)
Dans un salon huppé de la capitale, des bourgeois se
racontent des histoires effroyables sur les momies en procé-
dant à une séance de spiritisme à l’aide d’une antiquité.
Thèmes majeurs
 Un spiritisme de loisir devient effectif.
 Le choc de l’apparition.
 Confrontation entre deux cultures.
Déroulement
2 Poser les éléments de la scène
Un riche appartement bourgeois orné de nombreux por-
traits familiaux. Un jeune libertin, vautré dans sa chambre,
est accompagné par deux courtisanes de bonne naissance.
Les deux femmes affichent complaisamment une certaine
niaiserie. Poussés par ce sublime ennui qui mine parfois
les êtres d’exception, les trois compères décident d’éteindre
complètement les lumières et d’improviser une grotesque
cérémonie spirite.
2 Un jeu bien dangereux
Le gentleman pose sur un guéridon une petite statuette
égyptienne qu’il est allé quérir au marché d’antiquités. Il
commence la séance en racontant une histoire destinée à
émouvoir ces dames. Les trois protagonistes se joignent les
mains, formant un triangle. Il récite par cœur un passage du
Roman de la Momie, de Théophile Gautier, pour les plonger
dans l’ambiance :
« Une cruauté ingénieuse et fantasque avait présidé l’enchaî-
nement des prisonniers. Les uns étaient liés derrière le dos par les
coudes ; les autres, par les mains élevées au-dessus de la tête, dans la
position la plus gênante ; ceux-ci avaient les poignets pris dans des
gangues de bois ; ceux-là, le col étranglé dans un carcan ou dans
une corde qui enchaînait toute une file, faisant un nœud à chaque
victime. Il semblait qu’on eût pris plaisir à contrarier autant que
possibles les attitudes humaines, en garrottant ces malheureux se
livrant à des contorsions arrachées par la douleur. »
Agathe pousse quelques gloussements nerveux. Sa main
tremble, sa voisine le perçoit aussitôt. Ce n’est pas le seul
changement qui l’arrache à sa rêverie.
— Henri, vous avez la main si froide ! Est-ce là un de vos
tours pour nous terrifier ?
— Mais pas du tout ma chère, je n’en rajouterai pas
davantage ! J’allais vous faire la même remarque !
— Cessez de me prendre pour une idiote, je vous prie,
et rallumez la lumière !
265
Henri s’exécute. La pièce enfin éclaircie révèle l’origine
de sa folie : à sa gauche, entre sa voisine et lui, s’est
intercalée une jeune femme typée d’une surprenante
beauté. Ses cheveux, noirs de jais, sont poisseux ; elle est
vêtue d’une grossière tunique blanche. Son visage émacié,
complètement fermé, est dominé par deux yeux si perçants
qu’ils l’engloutissent dans un abîme insondable. Une morgue
inexpressive recouvre ses traits éprouvés. Les demoiselles
hurlent avant de tomber en pâmoison. Quand le regard de
la créature croise celui d’Henri, c’est pour emporter sa raison
dans son tombeau...
Ce teaser, comme celui de La Fée Verte, est
optionnel. Vous pouvez le lire comme une introduc-
tion déconnectée de notre propos, comme un fait
divers relaté dans la presse ou par un tiers. Le but est
d’installer rapidement l’ambiance du scénario.
Scène 1. La piste ésotérique
« Un mystère, c’est la plus profonde chose qu’il y ait pour
l’imagination humaine. »
Barbey d’Aurevilly, Une Histoire sans Nom
Résumé
(Scène essentielle)
Lépine et des théosophes parisiens convoquent les PJ
pour les mettre sur la piste des responsables impliqués
dans les évènements de La Fée Verte. Ces derniers feront
le lien avec un mystérieux meurtre perpétré au Musée du
Louvre.
Environnement
1er mars 1899, milieu de la matinée. La neige tombe
sur un écrin de verdure. La résidence secondaire du comte
d’Enghien est située au nord de Paris : un lac et de vastes
étendues boisées, ainsi qu’un verger d’agrément, encadrent
une riche demeure. Les PJ sont reçus dans le hall d’entrée,
après avoir gravi de larges escaliers. Dans la salle de billard
se trouvent Louis Lépine et deux messieurs engagés dans
une partie endiablée. L’un des inconnus a les traits d’un
indien d’Asie.
Thèmes majeurs
 Les sociétés secrètes installées dans le décor opulent et
confortable de la haute société.
 Chapitre 7
Déroulement
2 Les nouveaux théosophes
Les PJ sont présentés à William Q. Judge et Mohini
H. Chatterji, deux illustres théosophes, compagnons de
route de la célébrissime Helena Blavatsky. Fondatrice de la
Théosophie, cette célébrité des sociétés occultes est décédée
à Londres en 1891.
La prise de contact est très solennelle. Lépine ouvre le bal :
— Je suis désolé de troubler votre repos mais il sem-
blerait que notre affaire, loin d’être résolue, présente des
ramifications inattendues...
L’indien, avec un délicieux accent so british, embraye en
lui coupant la parole.
— Nous avons eu vent de vos exploits précédents, sahib.
Cependant, il est impossible que votre coupable ait pu
s’approvisionner en mumia et en tirer profit seul.
La Théosophie
Ces informations sont connues de tout maître en
occultisme, ou nécessitent un jet dans cette même com-
pétence. La Théosophie s’inspire des concepts orientaux
du karma et de la réincarnation, et tente de démontrer
que les religions majoritaires dérivent d’une même philo-
sophie. Le mouvement est un ardent défenseur des droits
des hommes quelles que soient leur race, caste, origine
ou couleur : l’humanité doit épouser l’idée de fraternité
universelle. Il est à noter que Madame Blavatsky fut
capable de prodiges défiant les lois de la science, sans
toutefois en abuser.
2 Le Savant et le Sorcier
— C’est une affaire de sorcellerie, de chimie, voire
d’alchimie, précise Judge. Et Paris ne sera pas tranquille tant
que des êtres animés de mauvaises intentions maîtrisent de
tels procédés. Il faut remonter la piste, et au plus vite. Nous
devons immédiatement démasquer les complices du Génie
du Crime. Ce diable reste muet sur le sujet, bien conseillé
par son avocat.
Lépine éructe au mot « avocat ». Judge ponctue sa phrase
en réalisant son coup au billard : certains PJ verront avec
stupéfaction la boule dévier anormalement de sa trajectoire
pour réussir un coup impossible. Judge se retourne, hilare,
vers Mohini. Lépine a perdu la partie. Maugréant, il reprend
les rênes de la conversation.
— Les responsables, quels qu’ils soient, ont besoin de
s’approvisionner en mumia royale pour affiner la puissance de
leurs filtres. Ils vont tenter de s’emparer de l’une des momies
dont se débarrassent chaque jour les trafiquants sur les quais de
la Seine.
266
— Notre hôte, le duc d’Enghien, connaît bien la
haute société française. Il nous a mis au courant de soirées
impromptues où l’on déshabille des momies.
A ces mots, Lépine leur remet une coupure de presse.
— Je suis désolé de ne pouvoir vous inviter à déjeuner, mais
le temps presse. Il vous faut gagner Paris pour trouver une piste
sérieuse et endiguer ce flot de cérémonies puériles, déclare-t-il
en défiant ses acolytes du regard. Néanmoins, vous devriez
commencer par vous renseigner sur le milieu égyptologique, qui
trempe probablement dans ce genre d’amusements.
Le renseignement suivant est valable si vous jouez la
campagne complète. Les PJ peuvent bien entendu vous
demander quelques précisions. Avant qu’ils ne partent,
Lépine leur confiera :
— Au fait, ce n’est pas l’objet de votre mission mais
sachez que le cadavre de l’inspecteur Carter, dont vous avez
résolu l’affaire, a disparu de la morgue où il était entreposé.
Les vols de cadavres sont assez fréquents, et le pauvre
rejoindra probablement l’étal d’un anatomiste dément ou
d’un universitaire avide de travaux pratiques. Cela me place
en porte-à-faux vis-à-vis de mes homologues anglais...
Lépine soupire et raccompagne les enquêteurs en par-
tance pour Paris.
— Donnez-moi de vos nouvelles dès demain matin.
Marchez sur des œufs : personne ne doit être au courant de
cette histoire sulfureuse.
Ouvertures
 Prendre des renseignements sur les égyptologues les
conduira à la scène 2, chez Hervé Bazil.
 Pour aller inspecter le cadavre du guide du Louvre ou
celui de Carter, allez en scène 4.
La famille Maspero
Gaston Maspero est né à Paris le 24 juin 1846.
D’origine italienne, cet égyptologue français autodi-
dacte fut d’abord répétiteur à l’École Pratique des Hautes
Études, puis il reçut la chaire de philologie et antiquités
égyptiennes du Collège de France à l’âge de 26 ans. Il
la conservera jusqu’à sa mort en 1916. Les cours qu’il y
donna pendant neuf ans couvraient tous les aspects de
l’histoire de la langue et de la civilisation égyptiennes, et
formèrent toute une génération d’égyptologues.
La famille Maspero (issue d’un père conspirateur
dont l’histoire n’a pas retenu le nom et d’une mère née
chez des imprimeurs milanais) a fui l’Italie. Gaston
Maspero a initié son demi-frère Hervé Bazil, né d’un
remariage de la mère, à l’orientalisme et à l’égyptologie.
Celui-ci siège dans ce quartier prestigieux et assure les
relations entre les missions menées en Égypte et les
autorités françaises.
 Campagne
Scène 2. Les Maspero : une passion familiale
« Un tombeau reste toujours la meilleure fortification contre
les tempêtes du destin. »
G.G. Lichtenberg
Résumé
(Scènes essentielles)
On commence par l’interrogatoire du frère de Gaston
Maspero, égyptologue au Caire qui s’occupe du rapatriement
des antiquités en France.
Des premiers éléments sur l’égyptomanie parisienne
parviennent aux PJ par voie de presse.
Environnement
Un matin hivernal. Des brumes s’échappent en volutes
de la Seine. Rendez-vous est donné au quai d’Orsay, dans
une demeure coincée entre deux immeubles haussmanniens
dont la façade fleurie comporte deux étages. En guise de hall
d’entrée, un jardin d’hiver occupe tout le rez-de-chaussée.
Une fontaine et une forêt de lotus assurent un dépaysement
total avec l’extérieur. Un domestique arabe muet les conduit
aux appartements de Bazil par un escalier en colimaçon.
267
Déroulement
2 Capharnaüm
Bazil est en train de faire la promotion du dernier ouvrage
de son frère, Les Tombeaux Thébains. Il est vêtu d’un peignoir
aux motifs arabisants chatoyants. Ses favoris poivre et sel con-
trastent avec son crâne lisse ; sa bedaine hypertrophiée en dit
long sur l’hygiène de vie du personnage.
Le premier étage est un vaste capharnaüm tourné vers
un immense balcon. Un piano à queue occupe le centre de
la pièce ; une table basse et des coussins représentent le seul
équipement convivial de l’appartement. Le thé est chaud et
posé sur la table, sur un coin, afin de ne pas déranger la pile
de dossiers qui repose dans un parfait fouillis. Au centre de la
table siège une sculpture d’Isis, de facture récente. Des étagè-
res remplies de livres (dont certains ne sont que des reliures
d’apparat) complètent le décor. Un sarcophage debout semble
compressé entre deux armoires contiguës. Des adhésifs ont été
placés dessus pour le maintenir clos.
L’intérêt de la scène tient autant aux indices matériels qu’à
la conversation à suivre.
La quête d’indices ne peut être effective que si l’attention
de Maspero est détournée. Elle se révèle fructueuse dans les
endroits suivants...
 Chapitre 7
Hervé Bazil
Métiers : diplomate français en Égypte,
marchand d’antiquités orientales
Convictions : républicain, agnostique
Contacts : Gaston Maspero (3D),
gouvernement français (2D), marchands d’antiquités (2D)
Potentiels
Physique : 2
Mental : 4
Social : 4
Compétences
Novice en sciences du vivant et sciences abstraites
Pratiquant en société
Maître en sciences de l’homme, spécialisé
en [administration]
Psychologie
Passion principale : soi (assurer son petit
confort matériel)
Passion secondaire : intrigue
Tabou : la traîtrise
Tempérament : flegmatique
endance : anxieux
Angoisse : 1
Psychose : 2
Seuil de névrose : 5
 La pile de documents sur la table comporte deux cartons
d’invitation à une séance de déshabillage de momie, dont
la date et le lieu ne sont pas mentionnés. Malgré des tests
de société, les héros n’en sauront pas davantage.
 La statue est un cadeau offert par Carter à Bazil. C’est
une statue-Ba de la Femme Fatale. Les PJ éprouveront
une curieuse impression de déjà-vu ! C’est Carter qui a
ordonné la fabrication de cet objet et Bazil l’a récupéré.
Le Ba est expliqué à la scène 4. Un test d’occultisme
[spiritisme] donne de violents frissons aux PJ (gain d’un
point de névrose supplémentaire).
 Le sarcophage présente, sur ses bords, une subs-
tance noirâtre gluante semblant provenir de l’intérieur.
Questionné à ce sujet Bazil reste évasif, prétextant qu’il
n’est pas spécialiste de l’embaumement et que l’ouverture
du sarcophage ne se fera que durant la présentation de
la momie à l’Académie des Sciences, demain soir. Il n’est
pas contre le prélèvement d’un échantillon pour analyse.
Un succès révèlera que cette substance s’avère être de la
mumia. Ce sarcophage comporte un cartouche identi-
fiant l’occupant. Aucun personnage ne peut le recon-
naître par lui-même. Selon Bazil il s’agit d’Hatschep-
sout-Méritré, grande épouse royale de Thoutmosis III.
Le diplomate présente les circonstances de sa découverte
dans l’une des tombes de la Vallée des Rois, à 6 mètres de
profondeur, auprès des restes de son époux. Si les anglais
ont gardé ses restes, la reine a été récupérée in extremis
par Maspero sur les conseils d’un bienfaiteur inconnu.
268
2 La parole d’un « expert »
La maîtrise de l’égyptologie de Bazil semble inversement
proportionnelle au nombre de livres de ses étagères : vous êtes en
présence d’un diplomate doublé d’un bon commercial, prompt
à tirer bénéfice de l’engouement du commerce des antiquités.
Voici ses réponses les plus à propos...
Sur les réunions d’égyptophilie :
— Les travaux de mon demi-frère créent un engouement
sans précédent pour cette lointaine patrie que les perfides anglais
nous ont spoliée. Le récit de voyage de Denon, qui a suivi
Napoléon, est un succès éditorial sans précédent, la bible de tout
européen ivre d’exotisme bon marché.
— Je sais que des réunions ont lieu dans le tout Paris, mais
je n’y participe pas. J’approvisionne le Musée du Louvre, ce qui
est déjà bien assez ! Ces deux cartons d’invitation ne sont qu’une
publicité que j’ai trouvée par hasard au musée (il les montre :
il peut les offrir aux PJ, ces passeports sont essentiels pour la
dernière scène).
Sur le trafic d’antiquités :
— C’est bien entendu intolérable, mais excusable tant la
passion et la curiosité pour l’Égypte s’accroissent. Les musées ne
peuvent assouvir tout ce besoin. Le pire reste que les anglais maî-
trisent ce trafic interlope sans que nos autorités ne lèvent le petit
doigt, au nom de l’Entente Cordiale que l’on essaye d’installer
avec Londres. Mais le pillage des tombes a toujours été la règle
là-bas, sans que l’on touche aux pièces les plus intéressantes (à ces
mots, il montre fièrement du doigt le sarcophage debout).
— Ce trafic a fait une victime hier, au Musée du Louvre.
Un gardien a été tué par un voleur peu précautionneux.
Heureusement, la collection de la section égyptologie est demeu-
rée intacte. On n’a emporté que des statuettes sans importance.
La police a déjà fait son inspection et classé l’affaire sans suite.
Sur les ressources disponibles :
— Je vous invite à chercher toutes les informations
nécessaires auprès de mes services au Louvre.
Sur l’identité de la momie :
— Cette momie a été retrouvée non loin de celle de
Thoutmosis III, c’est probablement sa femme ! L’étude sera faite
à l’Académie des Sciences, demain soir, lors d’une présentation
ex-cep-tion-nelle !
Identité de la momie
Thoutmosis III. Neveu de la femme pharaon
Hatshepsout avec laquelle il règne jusqu’à la mort de
celle-ci. Il dirige ensuite l’Égypte ancienne pendant
54 ans, poussant ses conquêtes au sud vers la Nubie et
atteignant Israël vaincue à la bataille de Megiddo. Son
nom figure au sein de nombreuses stèles, que les héros
découvriront lors de leur voyage suivant.
 Campagne

2 Erreur sur la personne ? Scène 3. Recherches historiques

En réalité, il est aisé de voir que Bazil n’est pas sûr de lui
à la vue des grosses gouttes qui perlent sur son front. Un test
de société le démontrera fort bien. Les PJ peuvent interroger
Bazil : trois réussites cumulées sont nécessaires pour le faire
craquer.
— J’avoue, un expert est passé pour identifier ce
cartouche. Il ne s’agit pas de la femme du pharaon, mais
d’une vulgaire courtisane. Cet expert m’a conseillé de me
débarrasser de cette momie avant le passage à la faculté,
histoire d’éviter le scandale. Je n’ai encore rien décidé, je me
suis attaché à cette antiquité... Peut-être devrais-je dire qu’on
me l’a volée.
Il pourra leur donner l’adresse de ce mystérieux individu.
« La substance nommée mumia cause une grande douleur à
l’estomac, avec puanteur de bouche, grand vomissement qui est
plutôt cause d’émouvoir le sang et le faire davantage sortir hors
des vaisseaux que de l’arrêter. »
Ambroise Paré, sceptique sur les vertus de la mumia
(XVIème siècle)
Résumé
Voici quelques scénettes facultatives à faire intervenir
n’importe quand, offrant différents moyens pour récolter des
indices sur les momies, la spiritualité et la magie Heka.

2 Les dessous de l’affaire

Pour le MJ : en effet, le sorcier Environnement
William Northbone s’est fait passer
pour un égyptologue et tente de Quatre endroits sont
racheter la momie en trompant Bazil conseillés dans le cadre des
sur sa valeur. Il espère ainsi procéder recherches :
à son rituel de débandage et a même,
pour cela, fourni des invitations à  Le Musée du Louvre pour
Bazil (celles trouvées sur la table). les collections (entrée quai du
Louvre, centre de Paris, rive
droite).
Ouvertures  La bibliothèque Sainte-
Geneviève pour les manuscrits
 Recherches complémentaires médiévaux relatifs à la mumia
sur la mumia : scène 3. (place du Panthéon, rive
 Revue du cadavre trouvé au gauche).
Louvre, qui gît dans la morgue  La presse pour l’actualité de
de la Salpetrière : scène 4. l’égyptologie.
 L’appartement de l’expert de  Un apothicaire pour débus-
Bazil : scène 5. quer les filtres réalisés avec la
 Si les personnages attendent mumia.
la représentation à l’Académie
des Sciences, redirigez-les Déroulement
car ils rateront à coup sûr ce
scénario : celle-ci sera annulée A l’occasion, il vaudrait
le lendemain matin quand mieux que les PJ se dispersent,
Bazil revendra sa momie ! dans un souci d’efficacité. Cet éclatement du groupe doit
cependant être modéré. Nous avons classé les informations
disponibles selon leur provenance.

2 Le Louvre
Ce vaste bâtiment, déchu de sa vocation de palais
royal, conserve encore dans ses entrailles les fondations
médiévales de Philippe Auguste. A deux pas d’ici, la galerie
d’égyptologie est ouverte. La vision du Louvre reste une
expérience grandiose : le grand dessein consistant à réunir
l’ancien palais aux Tuileries a été achevé sous Napoléon
III. Le panorama offre un condensé de l’architecture et de
l’histoire françaises.
Le conservateur de la collection est un homme fatigué,
bedonnant. Il n’a, si l’on se fie à son teint blafard, jamais
connu l’ardeur du soleil d’Égypte. Ce gratte-papier serait

269
 Chapitre 7
sûrement plus habile derrière un bureau confortable que
lâché dans le dédale du somptueux musée. Il reste muet sur
le regrettable incident qui a provoqué la mort du gardien,
une jeune recrue engagée la veille. Sa réserve et sa discrétion
l’ont dispensé de s’interroger sur la raison du décès. Le meur-
trier crapuleux s’est contenté de voler quelques statuettes :
une représentation de l’épouse du pharaon Thoutmosis III,
et des sculptures grotesques utilisées comme « serviteurs de
l’au-delà » pour les momies. Rien de bien grave.
Les PJ peuvent trouver des étudiants férus d’égyptologie
aptes à traduire le cartouche trouvé chez Bazil, déjà dévoilé
dans la scène 2 : il s’agit bien de Hatshepsout-Ménétré.
Le conservateur ne s’attarde pas : il a en charge une
exposition sur la magie des anciens égyptiens. Un ramassis
de superstitions ridicules, selon lui, qui a toutefois le mérite
d’attirer le chaland et sa curiosité malsaine. Des ouvriers
entreposent des amulettes, des statuettes guérisseuses, des
exemplaires du livre des morts, des papyrus protecteurs por-
tatifs... Bref : de quoi se prémunir de tout !
Ces objets sont placés sous bonne garde, mais la cor-
ruption est monnaie courante ici. Un artefact de ce type
n’est efficace que si le porteur s’initie au Heka, cette magie
défensive qui parcourt le scénario en filigrane.
Un PJ possédant un tel objet perd un point d’angoisse et de
névrose ; nous vous conseillons de ne le révéler qu’après la sortie
du musée, pour éviter le vol en réunion dans le bâtiment.
Séparer les PJ
Nul besoin d’être directif et de vouloir à tout prix
que le groupe reste ensemble. Néanmoins, Crimes
étant un jeu d’ambiance basé sur le suspense, veillez à
ce que ces moments soient les plus brefs possibles.
Fixez vous une limite de quelques minutes, sinon
les joueurs inactifs se disperseront rapidement (à
moins que vous ne leur demandiez de faire le point sur
l’enquête, en attendant).
Les apartés sont également des moments
importants, chaque joueur devenant le dépositaire
d’un savoir personnel qu’il est libre de partager ou
pas. Préférez cependant prendre quelques notes avant
le scénario pour éviter de quitter physiquement la
table.
2 La bibliothèque Sainte-Geneviève
Située en face du Panthéon, elle renferme les cœurs
des célébrités de la nation comme le nouvel Olympe
de la République. Sainte-Geneviève rassemble l’ancienne
collection de l’abbaye du même nom, la plus puissante de
Paris, énorme centre intellectuel du Moyen-Âge. Il est aisé de
trouver des traductions de livres arabes, des récits de voyages
abordant le sujet de la mumia.
270
Un test de sciences humaines [histoire] jaugera la réus-
site des recherches. Si les PJ font preuve d’incompétence,
ils loueront les services d’un archiviste expert en la matière.
Les renseignements suivants nécessitent un certain nombre
de réussites cumulées ; un test est possible toutes les trois
heures.
Ces renseignements ne sont pas anodins, ils permettent
d’abaisser l’angoisse et donc la névrose des PJ face aux
évènements correspondants.
Ainsi, savoir que des momies sont entreposées à la base
de la Colonne de Juillet baissera l’angoisse de 1 à la scène 6.
 Manuscrit du médecin Abd el Latif (Bagdad, XIIème
siècle) : « La mumia est la substance contenue dans les
crânes des cadavres. Elle peut être utilisée pour diverses
préparations médicales. » (1 réussite)
 Récit de voyage de Pierre Belon (1547) : « Les
Turcs utilisent la mumia contre les effusions de sang,
les chutes et les blessures par armes blanches. Elle les
soigne instantanément et recolle les os cassés en quelques
minutes. » (2 réussites)
 Commentaire autour de la Bible (Épître aux
Corinthiens, I, 15, 54) : « Le corps préservé a été dans
l’Antiquité un « demi-chemin » vers l’immortalité. Les
chrétiens coptes d’Égypte continuent de se faire embaumer
et non pas enterrer pour être entiers à la Résurrection
Finale, après le Jugement Dernier. » (2 réussites)
 Anima Carnis de Paracelse (XVIIème siècle) : « Il existe
aussi une « momie spirituelle » similaire à l’anima carnis
de Moïse (Lévitique, 17-11) : c’est l’esprit du mort qui est
rattaché à l’entourage de son cadavre et qui est nommé KA
par les égyptiens. » (3 réussites)
 Livre médical du XVIIème siècle : « Liste des onguents
fabriqués avec elle. L’Athanasia Magna, l’emplâtre noir,
le laudanum opiatum, l’eau divine (aqua divina).
Attention : à ne pas préparer avec une momie naturelle
(desséchée par le désert) qui est source d’empoisonnement ;
les mixtures présentes dans les momies royales sont les seules
à être efficaces. » (4 réussites)
2 La presse
Les PJ accèdent aux archives d’un grand journal grâce à
un contact de leur historique. Sinon, ils devront payer une
somme de 4 francs pour le service rendu.
 Critique littéraire : « Le curieux roman de l’anglaise Jane
Webb (1830) fait état d’une momie qui se réveille dans
le futur par galvanisation (ajout d’un fort courant électri-
que) qui la ressuscite et lui permet de semer la désolation
parmi les vivants. » (1 réussite)
 Une exposition temporaire au Louvre : « Prête à ouvrir
ses portes d’ici trois jours, elle a pour thème la magie
ancienne. D’après nos sources, on y découvre des objets
magiques très puissants qui servaient à l’ensorcellement des
ennemis de Pharaon. Certains d’entre eux descendraient
des reliques atlantes, voire de cultures extra-terrestres. »
(1 réussite)
 Campagne
 Coupures de presse de journaux parisiens : « En 1886, Scène 4. Un cadavre à interroger
l’égyptologue Maspero procéda au débandage de la momie
de Ramsès II et de la reine Néfertari divinisée qui
« à peine exposée à l’air [...] tomba littéralement
en putréfaction et se mit à suinter un pus noirâtre
insupportable. » Les journaux, unanimes, rajoutent
qu’il est « particulièrement dommage que d’anciens
souverains glorieux puissent être détruits par de simples
curieux. Il faudrait songer à les punir lourdement de ce
viol de l’histoire. » Maspero s’est engagé à ne plus jamais
renouveler l’expérience. (2 réussites)
 Catalogue et inventaire du Musée du Louvre, section
Égypte : « Les plus anciennes momies du Louvre,
en raison de leur piètre état de conservation, ont été
transférées sous l’actuelle Colonne de Juillet 1830 (place
de la Bastille) et ont été rejointes par les cadavres des
victimes de la Révolution de 1830. Ainsi, l’air ambiant
ne pourra continuer de les corrompre. » (2 réussites)
2 L’apothicaire
Dans les ruelles attenantes aux quais du quartier Saint-
Germain, on trouve des apothicaires versés dans les secrets de
la pharmacopée et dédaignés par la médecine moderne. Les PJ
y rencontrent le parfait stéréotype du sage des temps anciens :
un vieillard à longue barbe, vêtu d’une redingote qui a dû vivre
la révolution de 1830, les yeux mi-clos par la fatigue, l’ennui
ou la cécité. Ou peut-être bien les trois en même temps.
La boutique est à l’image de son propriétaire : un puits
inépuisable de trésors et d’anciennetés. L’homme semble
brûler d’une passion pour l’alchimie. Une corne de narval
trône, exposée au mur, agrémentée de la légende laconique
« dent de licorne ». On dirait qu’il est resté ancré à l’époque
de Marco Polo qui s’extasiait devant un rhinocéros, croyant
découvrir un animal de légende. Il semblerait que vous ayez
frappé à la bonne porte...
Tout dépend ici des réussites des tests de société
[discours] ou d’intrigues [méthodes policières] : les PJ
accéderont aux mêmes informations qu’à la bibliothèque
Sainte-Geneviève, du moins en ce qui concerne la mumia.
Ce savant praticien possède de la mumia en filtre qu’il
vend 30 francs. L’odeur est nauséabonde, le goût atroce, mais
le filtre fait regagner un point de potentiel physique par jour
et par gorgée. Il en contient trois. Deux prises dans le même
jour provoquent un point de déchéance ; d’ailleurs, l’apothi-
caire vous met en garde à ce sujet. N’oubliez pas que vous
consommez une matière qui contient des résidus humains et,
qu’à ce titre, vous devenez un cannibale !
Ouvertures
 Vers la scène suivante (scène 4).
271
« Il n’y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les
apparences. Le vrai mystère du monde est le visible, et non
l’invisible. »
Oscar Wilde
Résumé
(Scène facultative – exceptés les renseignements sur les
composantes d’une momie, essentiels pour le MJ)
Les PJ pratiquent une expertise sur le cadavre retrouvé au
Louvre et récoltent une invitation à une séance de débandage,
ainsi que des indices divers sur ses derniers agissements.
Environnement
Il s’agit d’une redite de la scène 2 présentée dans La Fée
Verte : nous retrouvons le grand amphithéâtre d’anatomie, au
17 rue du fer à moulin, entre les hôpitaux de la Salpetrière et
du Val de Grâce. Il est dressé sur un ancien cimetière depuis
1833, et reçoit 1 500 cadavres par an. On y trouve trois
pièces en enfilade : une salle de « réception/découpage », une
salle de « travail », puis un musée d’anatomie.
Thèmes majeurs
 L’horreur médicale, la crainte du monstre coupable de meurtre.
Déroulement
2 Le gardien asphyxié
Vous découvrez un jeune légiste occupé à jouer de ses
instruments avec virtuosité sur la tendre chair d’un « client ».
Il est surpris par l’intrusion des personnages, mais se reprend
rapidement. Il connaît même l’identité des héros, puisqu’il
exerce souvent dans le cadre des missions de Lépine. Le
cadavre trouvé au Louvre ne pouvait donc lui échapper.
— Je vous attendais. J’avoue que mon impatience m’a
poussé à commencer le travail sans vous. J’espère que vous
pourrez éclairer ma lanterne, car j’ai l’impression confuse
d’avoir déjà ausculté ce pauvre type...
Il n’y a qu’un moyen d’établir l’identité de la victime :
les fiches anthropométriques de Bertillon entreposées dans
la préfecture de police. Tout personnage disposant de cette
compétence connaîtra la procédure. Ce gardien est en réalité
un ancien homme de main du Génie du Crime, affecté là
pour on ne sait quel motif. Son adresse mène à la scène 5.
Le MJ doit savoir que ce larbin était chargé de dérober
des objets votifs et des substances de momies royales à l’insu
du conservateur. Ont disparu des statuettes, un cartouche
et des figurines de la momie conservée chez Bazil. Le
coupable est donc la momie elle-même, qui rassemble les
objets capables de la protéger. L’expertise légiste est menée
par ce médecin, en compagnie des PJ qui possèdent cette
compétence.
 Chapitre 7
La vue du cadavre, comme d’habitude, reste un moment
éprouvant qui augmente d’un point l’angoisse et la névrose
de ceux qui s’y attardent.
Le corps présente des traces d’asphyxie : le cou est
tuméfié, les cervicales brisées par une très forte pression. Un
vrai travail d’haltérophile. Il n’y a pas de traces de lutte car les
avant-bras sont indemnes, comme s’il avait été subjugué ou
surpris par son adversaire. Le teint verdâtre témoigne d’une
exposition à un poison diffusé dans l’atmosphère ; un nuage
acide semble avoir attaqué le visage jusqu’à laisser ses chairs
apparentes. Mais il reste quelques mystères à éclaircir...
— La pression sur le cou semble s’être exercée à
l’intérieur du corps plutôt qu’à l’extérieur : il n’y a aucune
trace de compression externe sur la peau.
— En essayant d’établir la date de la mort, je suis
parvenu à la conclusion que ce monsieur est décédé depuis
près d’une semaine. Le musée est formel : il a pourtant
continué à travailler là-bas pendant tout ce temps ! Il faisait
du bon boulot pour un mort...
Les enquêteurs sentiront les effluves persistantes d’un
parfum de myrrhe entêtant, une saveur orientale des plus
doucereuses émanant de la tête du cadavre.
Ouverture
 Retourner voir Bazil pour des éclaircissements sur la
momie : scène 2.
 Recherches complémentaires : scène 3.
 Adresse du spécialiste ou du gardien assassiné : scène 5.
272
Les différentes réalités
d’une momie égyptienne
Coincée entre le monde visible et invisible, entre
celui des vivants et celui des morts, esprit mais aussi corps
de chair, la momie possédait plusieurs caractéristiques qui
expliquent les manifestations d’Hatshepsout-Ménétré.
La dimension physique de la momie s’appelle Akh, corps
de lumière transfiguré par une haute initiation durant
les rites de momification. Il est à la fois un cadavre
corruptible (Khat), mais aussi un corps incorruptible qui
permet à la momie de se déplacer et d’agir dans le monde
tangible (le Sahu). C’est le responsable de l’assassinat du
gardien.
La momie possède une identité transcrite par son
nom (Ren) qui lui confère une puissance invocatrice.
Dans son cœur momifié siège la mémoire de l’individu,
la connaissance de son passé qui sera pesée lors du juge-
ment d’Osiris.
La momie est aussi une entité spirituelle qui peut
apparaître tel un spectre : on parle de son double post
mortem (l’Ombre) que les égyptiens confondaient souvent
avec les Lamdzi, âmes errantes de leur mythologie.
Enfin, la momie a besoin d’être alimentée pour son
éprouvant voyage vers l’au-delà, sa fusion avec l’univers
entier. Les offrandes insufflent une énergie à son Ka, sa
puissance spirituelle, garante de sa victoire sur la mort.
Si le corps Akh venait à être détruit ou si les offrandes
se tarissent, la momie errera dans les limbes avant
l’accomplissement de son destin. Afin de transmettre
cette énergie, on fabriquait des statuettes réceptacles qui
servaient de liant entre la momie spirituelle et le monde
des vivants. Quand le Ka d’une momie atteint un certain
seuil, elle peut redescendre et agir sur Terre. Cette éner-
gie cosmique, le Ba, relie le visible et l’invisible, le passé
et l’avenir, garantissant la bonne marche de l’univers.
 Campagne
Acte II. En quête d’une morte
Scène 5. Le laboratoire à l’orée des enfers
« Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant -
Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve. »
Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Le Gouffre
Résumé
(Scène essentielle)
Les PJ retrouvent le laboratoire du Savant Fou. Ils y
trouvent une curieuse boîte à pygmées. C’est l’occasion
d’une première apparition du Ka d’Hatshepsout, la Momie,
qui les mène au sorcier.
Environnement
Le soir du premier jour. L’adresse désigne un bâti-
ment situé à l’angle du boulevard Beaumarchais et du
boulevard Richard Lenoir, qui donne sur la place de la
Bastille. Le soleil couchant projette l’ombre immense de
la Colonne de Juillet sur la façade. C’est un immeuble très
récent, taillé à la serpe pendant les travaux d’Haussmann.
L’archétype même du style Napoléon III avec son décor
sculpté de caryatides, d’atlantes, ses dessus de porte et ses
consoles de balcon ouvragées. Une voiture hippomobile
à deux étages garée devant l’édifice quitte rapidement
la place. A deux pas d’ici, la Cité de la Roquette oppose
ses maisons de maître aux ateliers, usant et abusant d’un
pastiche néo-gothique.
Ce lieu est hautement symbolique : le Génie de la
Bastille, qui trône au sommet de la Colonne de Juillet,
rappelle à quel point Paris fut le foyer d’insurrections popu-
laires : celles de 1789, 1830 et 1848 naquirent dans cette
poudrière du XIème arrondissement.
Thèmes majeurs
 L’horreur médicale : la scène 4 est poussée plus loin
avec les expérimentations occultes du Savant Fou.
 L’opposition entre la façade avenante et les activités
souterraines de l’habitant.
Déroulement
2 Un bel hôtel particulier
Les enquêteurs doivent pénétrer dans cette demeure
fermée, visiblement déserte. Le crochetage, l’appel à des
services de police et l’escalade représentent leurs principales
possibilités, bien qu’elles ne soient pas des plus discrètes sur
cette place populeuse.
273
Une fois à l’intérieur, les PJ se retrouvent face à un
double escalier longeant les murs, dont la partie centrale
est éventrée. L’ensemble est harmonieux et ressemble à
ces splendeurs architecturales visibles dans les châteaux
du Grand Siècle. Le plafond est orné d’une imitation de
la Chute d’Adam, identique en tous points à celle de la
Chapelle Sixtine.
Les escaliers mènent à deux pièces : un bureau, et ce
qui devait être le salon. En effet, les pièces ont été vidées
de leur contenu par un déménagement précipité. Tout
est sens dessus dessous et ne présente aucun intérêt pour
l’enquête, exceptées quelques lettres mentionnant des
expériences légistes pratiquées par un auteur à l’esprit des
plus morbides.
2 La cave
Au centre de l’escalier double, un autre escalier plus
court descend jusqu’à une grande porte en chêne : les PJ
accèderont par là au sous-sol. Le changement d’ambiance
est radical. Dès que la porte s’ouvre, une odeur méphitique
prend les personnages à la gorge ; ils doivent considérer ces
effluves comme un poison peu virulent. Ils perdent toutefois
un point en potentiel physique.
L’obscurité y règne en maître. Seule une lumière naturelle,
filtrant de l’entrée, permet de discerner l’environnement. La
poussière recouvre une partie des étagères encombrées de
Ombre de Hatshepsout-Ménétré
Origine : Égypte
Convictions : monarchiste, polythéisme égyptien
Dimension sociale : voir l’encart de la scène 2
sur Thoutmosis III
Potentiels
Physique : 4
Mental : 5
Social : 5
Compétences
Novice en combat, larcin et sciences abstraites
Pratiquant en traque
Maître en occultisme, spécialisé en [spiritisme
et magnétisme] ; maître en société, spécialisé
en [séduction]
Psychologie
Passion principale : soi
Passion secondaire : absolu
Tabou : la peur du néant
Déchéance possible : voir le profil de la Momie
du chapitre 5
Tempérament : sanguin
Tendance : personnalité limite
Angoisse : 1
Psychose : 2
Seuil de névrose : 5
 Chapitre 7
fioles anonymes et de substances étranges ; quelques trophées
baignent dans le formol. Des vases en terre cuite sont posés
sur une table d’opération. Une vieille armoire trône sur le
mur du fond. Des vieux papiers journaux et des manuscrits
séculaires jonchent le sol. L’humidité de cette cave a favorisé
l’apparition de moisissures verdâtres qui réfléchissent la
lumière de leurs filaments phosphorescents.
L’angoisse et la névrose des PJ augmentent de 1 point.
Surmonter son dégoût pour trouver des indices se révèle
fructueux...
 Les amphores de terre cuite sont des vases canopes ren-
fermant des viscères tels qu’un foie, des poumons, un
estomac et des reins. Les organes sont sains et frais.
 Certaines fioles renferment un liquide noir qui ressem-
ble à de la mumia. Néanmoins, si on en croit les indi-
cations d’un livre de la bibliothèque Sainte-Geneviève,
cette mumia commune n’est qu’un poison léger doté
d’un goût de goudron...
 Un personnage versé dans le latin et les sciences
humaines pourra trouver son bonheur dans les
quelques pages encore lisibles. Vous pouvez piocher
des informations dans la scène 3 pour alimenter son
savoir.
 L’armoire du fond risque de causer bien des torts.
Elle renferme une curieuse boîte en fer hérissée d’une
quantité impressionnante de seringues sous la forme
d’un tapis d’aiguilles pointées vers l’intérieur. Ce
cube de cinquante centimètres de côté émet quelques
sons diffus, comme les bruits d’une conversation. Un
mécanisme simple en commande l’ouverture. Les PJ
curieux y découvriront deux êtres imberbes, dont la
nudité laisse entrevoir leur nature hermaphrodite. Ils
se blottissent l’un contre l’autre pour échapper aux
cruelles piqûres des seringues.
Le choc est intense : c’est leur première rencontre avec
des homonculus. Les PJ doivent réaliser un test psychotique
en gardant 2D.
Les homonculus profitent de la stupéfaction générale
pour disparaître : le fond de l’armoire cache en effet une
entrée vers les souterrains de Paris.
La statuette représente une reine égyptienne, parée de
tous les attributs du pouvoir. C’est le Ba de Hatshepsout-
Ménétré, qui ne va pas tarder à manifester sa présence...
Dans les faits, le curieux acheteur auquel a eu affaire Bazil
n’est autre que le Savant Fou. Agissant de concert avec le
Sorcier, il a dérobé la momie royale et espère profiter de la
cérémonie en préparation pour s’emparer de sa mumia, en
suivant le rituel adéquat pour échapper à la vengeance de la
morte. Ce savant dévoyé opère en ce moment même, dans
les souterrains, d’innocentes victimes...
274
2 L’apparition et les prisonniers
Si les PJ tentent de déplacer l’armoire ou s’ils tournent
les talons pour sortir, ils entendront ou verront la porte se
refermer derrière eux. Elle restera hermétiquement close.
Espérons qu’ils disposent d’une source lumineuse ; dans le cas
contraire, adaptez la description en conséquence.
Un doux parfum de myrrhe vient flatter les narines
des visiteurs, chassant la putréfaction qui empoisonnait
l’atmosphère. C’est alors qu’un mouvement furtif alerte
ces derniers sur l’apparition d’une jeune femme nimbée
d’un halo, comme si elle aimantait la lumière glauque de
la cave. La dame, dont la nudité accentue le teint blafard,
avance vers l’un des héros. Son expression neutre met en
relief ses yeux soulignés par un léger mascara. Son regard est
profond, sa démarche appuyée par un déhanché hypnotique,
terriblement hypnotique...
La victime est choisie au hasard, une fois écartés les PJ
détenteurs de talismans ou de papyrus protecteurs. Celui ou
celle qui possèderait de la mumia profitera automatiquement
des « faveurs » de la belle.
L’apparition tente de déposer un baiser sur les lèvres de sa
proie médusée. Aucune intervention extérieure n’est possible,
le spectre étant immatériel. L’Ombre et le PJ agressé doivent
faire un test d’occultisme en opposition. Chaque réussite d’écart
inflige un point de fatigue mentale à l’enquêteur malchanceux.
Après le premier assaut, le visage d’Hatshepsout-Ménétré
se tord de douleur et pousse un long cri de détresse. L’Ombre
traverse les personnages situés entre elle et l’armoire, dans
laquelle elle disparaît pour rejoindre le réseau de catacombes.
Les joueurs qui ont assisté à l’évènement réaliseront un test
psychotique en ne gardant que deux dés. Ceux qui ont été
blessés ou traversés par l’Ombre n’ont le droit de garder qu’un
seul dé.
L’homonculus
L’homonculus est un individu asexué né d’expéri-
mentations à la lisière entre la science et l’occultisme.
C’est souvent la première réussite d’un Plasticator (voir
déchéance au chapitre 5) qui lui permettra de former
d’autres petits esclaves dociles et, dans le cas présent, des
mouchards de premier ordre !
Ouverture
 Si l’Ombre est partie précipitamment, c’est parce que son
corps vient d’être manipulé par le Sorcier qui le prépare
pour la cérémonie finale ! La voie est tracée pour rejoindre
le Savant Fou dans les souterrains de la Bastille (scène 6).
 Tentez de rediriger les enquêteurs qui voudraient à tout
prix défoncer la porte de sortie sans partir par les cata-
combes.
 Campagne
Scène 6. Momies et révoltés
« Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres. »
Charles Baudelaire,
Les Fleurs du Mal, Les Chats (1869)
Résumé
(Scènes essentielles)
L’apparition s’enfuit, suivie des homonculus, vers les
égouts de la Place de la Bastille.
Cette poursuite aboutit à une confrontation avec le
Sorcier, qui procède alors à une momification sous anesthésie
peu ragoûtante.
Environnement
Derrière l’armoire, une échelle conduit à une canalisation
souterraine remplie d’eau en bas (son diamètre est de
2 mètres, la profondeur moyenne de l’eau d’un mètre). Les
exhalaisons putrides prolongent le handicap des enquêteurs.
Une énorme boule de curage leur barre le passage qui mène
plus loin, à cinq mètres de l’échelle.
Thèmes majeurs
 L’horreur, toujours. Cette fois, elle concerne la pauvre
victime du Savant Fou.
Déroulement
2 La Colonne de la Liberté
Les homonculus, voyant les enquêteurs arriver, se
dépêchent de plonger dans cette fange pour disparaître derrière
l’énorme sphère. S’agit-il d’une invitation à les suivre ?
Cette immersion dans le collecteur des eaux putrides de
Paris est considérée comme une exposition à un poison de
virulence 4, avec une ingestion faible (garde 3D).
Un simple échec conduira à un haut-le-cœur qui provo-
quera des vomissements (+1 point d’épuisement physique),
alors qu’un échec critique entraînera l’incubation d’une diph-
térie, d’une dysenterie, ou du choléra (voir les maladies).
Les homonculus fuient à leur approche. Un coude con-
duit à une immense salle en forme de dôme, dont le centre
est occupé par un pilier de granit de cinq bons mètres de dia-
mètre : la base de la Colonne de Juillet ! La lumière électri-
que se reflète sur les flaques qui constellent le sol carrelé. Un
rassemblement étrange fédère des cercueils drapés du linceul
tricolore et des sarcophages aux motifs gréco-romains. Les
mieux renseignés reconnaîtront là les premières momies du
Louvre, qui ne supportaient pas l’hygrométrie du musée.
275
2 Une expérience médicale tendancieuse
Une voix interpelle les héros égarés.
— Y a-t-il quelqu’un ? Peut-on me faire sortir d’ici ? Je
n’arrive pas à me lever ! La plaisanterie a assez duré !
Elle provient de l’autre côté du pilier. Les secouristes
risquent alors d’être extrêmement choqués (et les joueurs
aussi) : un bourgeois gît par terre, visiblement paralysé
et anesthésié. Il ne voit pas que son abdomen a été
entièrement ouvert, ses reins ôtés, et que ses liquides internes
sortent en dérivation pour être aspirés dans une étrange
machine électrique. L’incision, très propre, a évité les risques
hémorragiques. Un goudron noirâtre – de la mumia royale –
a cautérisé plusieurs veines et les côtes cassées.
Seuls les personnages n’ayant pas encore exercé des
professions médicales ou assisté à une séance à la morgue
prennent un point de névrose et d’angoisse.
Il semblerait que, si on le débranchait, l’homme ne serait
plus maintenu en vie. Le pauvre n’est plus viable sans cette
machine ou sans recourir à la chirurgie.
2 Simon de la Moulinière
Simon est l’artiste peintre chez qui Carter a fait réaliser
les statuettes de la Femme Fatale. Depuis, il ne cesse
de penser à ce cadavre qu’il a reproduit à prix d’or. Ces
cauchemars hantés par l’image de la belle défunte l’ont
poussé à chercher, par tous les moyens, à retrouver la trace
des deux amoureux. C’est peine perdue : il vient de tomber
dans les griffes de ce satané Savant.
Le profil de Wolfgang Lerne, le Savant Fou, apparaît
dans les archétypes du chapitre 4. Il est armé d’un pistolet.
Un homonculus s’approche de l’infortuné. Un coup de
feu part, fauchant la petite créature. Le Savant Fou, jusque
là dissimulé, tire à l’aveuglette en cherchant à rejoindre les
souterrains le plus rapidement possible. Il ne se rendra que
gravement blessé.
Les PJ obtiennent les renseignements suivants du Savant
ou du peintre :
 L’éveil de la Momie dépend de cérémonies occultes qui
réveilleront son Ba.
 Le rituel du Sorcier a été interrompu, mais l’ombre de
la Momie est encore trop faible pour le menacer.
 La cérémonie de débandage aura lieu le 2 mars au soir,
au cimetière de Montparnasse, à 22h00.
Ouverture
 Tenter le rituel de conjuration du Ba pour donner à
la momie d’Hatshepsout les forces nécessaires pour se
relever au moment de la cérémonie finale : scène 7.
 Attendre la cérémonie finale : si vous jouez la campagne,
passez par la scène 8. Sinon allez à la scène 9.
 Chapitre 7

Scène 7. Au pied de l’Obélisque

« Sur cette place je m’ennuie Gérer les indices d’une partie
Obélisque dépareillé :
Neige, givre, bruine et pluie Les joueurs interprètent souvent les indices
Glacent mon front déjà taillé. d’une façon inattendue. En effet, ils s’attendent à ce
Je veille, unique sentinelle que leurs découvertes confortent leurs hypothèses, ce
De ce grand palais dévasté Dans la solitude éternelle qui ne correspond pas toujours à ce que vous aviez
prévu.
En face de l’immensité.
Que je voudrais comme mon frère, N’hésitez pas à adapter votre intrigue à ces
Dans ce grand Paris transporté, variations inattendues, si elles ne cassent pas la trame
Auprès de lui me distraire, générale. Interpréter un indice, c’est souvent exclure
Sur une place être planté ! » tous les signes qui ne vont pas dans son sens : vous
devez donc maîtrisez ces derniers pour éviter les
incohérences difficiles à rattraper.
Théophile Gautier, Nostalgies d’Obélisque (1851)
Les énigmes de Crimes ne sont pas binaires : les
Résumé indices ne sont ni totalement « vrais », ni totalement
(Scène facultative, mais qui influencera les évènements de « faux ». Elles constituent un dévoilement progressif
la scène finale) de la vérité, où les personnages évaluent la part de
crédibilité propre à chaque information. Il n’y a pas
Les PJ espèrent amener le Ba d’Hatshepsout-Ménétré de savoir absolu. Aussi, il est possible de laisser planer
des mystères, même en fin de scénario.
à Paris pour pimenter la scène finale. Ils auront au moins
besoin d’une traduction phonétique du Livre des Morts, mais
une traduction littéraire serait préférable.

Environnement

La nuit. Place de la Concorde, un

lieu de pèlerinage monarchiste depuis la
décapitation de Louis XVI en 1793. Un
des nœuds de la capitale, à l’instar de la
Place de la Bastille : cet espace centripète
de toutes les énergies occultes, de toutes
les pulsations parisiennes drainées par les
grands boulevards qui les y mènent.

En son centre trône une pierre de

230 tonnes, inaugurée un beau jour de
1836 au son de la musique troublante des
Mystères d’Isis de Mozart.

Vingt mille spectateurs saluent ce

monument antique, confirmant la prédiction
de Champollion : « Une seule colonne de
Karnak est plus monumentale à elle seule que
les quatre façades de la Cour du Louvre. »
L’obélisque de Louxor est devenu ce grand
beffroi capable de mettre le tout-Paris à
l’heure égyptienne.

Thèmes majeurs

 La ville et son architecture mystique.

 Les rituels d’invocation pratiqués dans
Crimes.

276
 Campagne

Déroulement Le vent soulève d’infimes grains de sable, court entre

2 Invocation du Ba de la momie
L’endroit est désert, ce qui facilitera la démarche
ésotérique de vos héros.
Si aucun d’entre eux n’est occultiste, ils peuvent faire
appel à l’apothicaire s’ils l’ont déjà rencontré (ou à tout
autre spirite attiré par l’expérience). Au pire, des adeptes de
la Théosophie pourront s’y coller.
Les litanies et les offrandes sont les composantes de ce
rituel, qui ressemble fort aux séances de tables tournantes
chères aux spirites.
l’allée des sphinx gardiens et accompagne le transfert de
l’âme de la reine Hatshepsout vers l’Europe lointaine qui
accueille et menace sa dépouille mortelle. Le rituel sera un
succès si le test d’occultisme [spiritisme] réussit : la Momie
s’éveillera dans la scène 10.
Ouverture
 La scène 8, si vous jouez la campagne complète. Ou
bien passez directement à la scène 9.

Est-ce l’aura du lieu, l’influence des énergies invisibles

ou la résultante du rituel, toujours est-il que les PJ subiront
des visions qui les transporteront en Égypte, au temple de
Louxor, au cours de la même nuit. Ils y apercevront l’obélisque
jumeau d’où émane une curieuse lumière bleutée...

Les séquences oniriques

Tout comme le teaser, les séquences oniriques for-
ment des pauses salutaires dans l’activité des joueurs.
Le MJ développera ses talents de conteur pour « trans-
porter » ces derniers dans les scènes où ils ne figurent
pas, mais utiles pour enrichir les thèmes abordés ou
pour préciser un aspect de l’intrigue.

277
 Chapitre 7
Scène 8. Une nouvelle alerte
« ... il n’y a de résurrections que là où il y a des tombeaux. »
Nietzsche, Ainsi Parlait Zarathoustra (1883-1885)
Résumé
(Scène facultative si vous jouez le scénario seul, essentielle si
vous développez la campagne complète.)
Le cadavre de la Femme Fatale a été dérobé lors de son
inhumation. Il reste cependant un indice du passage de
Carter, qui a laissé sur place son invitation anonyme pour
le débandage. La réunion des indices suivants permettra la
découverte du lieu de la séance finale.
Se servir du décor dans Crimes
Lors des scènes clés, vous pouvez dramatiser
davantage l’instant en utilisant l’environnement, qui
deviendra l’écho des formidables évènements en pré-
paration. Les nuages noirs s’amoncellent, prélude à un
orage des plus menaçant ; les arbres ressemblent à des
silhouettes tortueuses, le vent répercute l’écho sinistre
des myriades de bruits stressants : vos joueurs auront
les nerfs à vif.
Une description convaincante vous permettra de
sublimer la laideur du décor et de le transformer en
un lieu mythique.
Environnement
Probablement le bureau de Lépine, dans la préfecture
de police du 1er arrondissement. Le décor est décrit dans le
prologue, mais il a tout de même évolué. Saisi par le virus
de l’égyptomanie, Lépine a fait installer des commodes et
des consoles avec des têtes pharaoniques ; on a changé son
papier peint pour un ton jaune éclatant. Le préfet paraît
très soucieux. Comme vous allez le découvrir, il y a de
quoi...
Déroulement
2 Quartier libre
Un quartier libre est octroyé aux PJ pour la journée,
qu’ils devront mettre à profit pour préparer leur soirée et
s’équiper de la manière la plus appropriée.
Le préfet de police est probablement leur meilleur
recours. Il ne cache pas son hostilité à cette dernière possibi-
lité, arguant qu’une partie de la haute société sera présente au
rendez-vous et qu’une arrestation sommaire risque de décré-
dibiliser ses services. Il connaît trop bien la verve de journaux
tels que Le Colporteur, qui rêvent de le ridiculiser.
278
Les PJ sont obligés de résoudre l’affaire en trouvant un
moyen de s’introduire au Moulin de la Charité pendant le
crépuscule : des invitations ou une effraction feront très bien
l’affaire.
Lépine promet de tripler les rondes d’agents dans le
secteur de Montparnasse, afin de leur assurer une sécurité
informelle. Il semble toujours aussi soucieux et méditatif.
Questionné sur son état, sa langue se délie et révèle
l’impensable.
2 Un énième envol de Carter
— La nouvelle qui me turlupine est double. Le
cadavre de l’agent Carter, que vous avez peut-être vu lors
de votre mission précédente, a disparu de la morgue de
la Salpetrière. Aucune trace d’effraction extérieure n’a été
décelée par notre meilleur spécialiste, ce qui veut dire qu’un
membre de l’hôpital l’a subtilisé, à moins qu’il ne se soit
enfui lui-même !
A ces mots, Lépine éclate d’un rire nerveux terminé par
un concert de toussotements.
— On a passé à tabac le légiste, qui n’a rien révélé.
La même journée d’hier, des témoins médusés ont vu,
sur les lieux de la veillée funèbre d’une jeune femme, un
immonde nécrophile emporter la belle. Le rapport avec
vous ? Cette « Femme Fatale » était la chanteuse du Rat
Mort, l’infâme bouge où vous avez combattu les absinthés
de La Fée Verte.
Une explication s’impose : dans La Fée Verte, le Voleur de
Visages avait endossé le rôle du cadavre de Carter. Il s’est enfui
peu après. Le soi-disant nécrophile n’est autre que Carter qui a
dérobé la dépouille de sa belle pour la momifier, en attendant
de pouvoir la ranimer dans le scénario suivant.
Le vénérable préfet de police, unanimement craint,
figure de la puissance paternelle par excellence, montre
devant les PJ des signes d’angoisse évidents.
— Oubliez ce que je viens de vous dire. Les démons du
passé ne doivent pas nous empêcher de vivre dans le présent.
Je vous souhaite une bonne chance pour ce soir.
Ouverture
 La quête d’un équipement adapté sera probablement
utile par la suite.
 Dernières recherches : allez en scène 3.
 La cérémonie du débandage : scène 9.
 Campagne

Acte III. Vengeance d’outre-tombe
Scène 9. Le Moulin de la Charité
« Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s’épanouit.
La puanteur était si forte, que sur l’herbe
Vous crûtes vous évanouir
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D’où sortaient de noirs bataillons
De larves qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons. »
des fosses communes avec les dépouilles des victimes du
choléra. Le silence est lourd dans cette nécropole des plus
paisibles, malgré les bruits de pas des quelques promeneurs
endimanchés pressés de montrer leur billet à l’entrée.
Certains sont costumés à l’orientale, comme de retour d’une
expédition en Égypte.
Thèmes majeurs
 Aboutissement du thème principal : la revanche de la
Momie face à ses profanateurs, un poncif du cinéma de
genre.

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Une Charogne

Déroulement
Résumé
(Scène finale – essentielle) 2 Soirée privée
Il faut trouver le moyen d’entrer. Le Moulin de la
Des incidents météorologiques se déchaînent quand Charité se situe à cinquante mètres de la seule porte ouverte,
les PJ entrent dans le cimetière Montparnasse. Ils assis- où trois gardiens filtrent les arrivées en vérifiant les cartons
tent à une séance de d’invitation. Les person-
débandage devant une nages maîtres en société
assemblée de notables. [journalisme, politique]
L’apparition d’un prêtre pourront reconnaître
chauve sonne le début quelques figures con-
du rituel pour la pro- nues du tout Paris.
fanation de la momie Plusieurs astuces
d’Ahmès. sont envisageables pour
entrer.
 Soudoyer les gardiens
Environnement est le meilleur moyen
de se faire jeter bruta-
21h45. La nuit est lement dans la rue : les
tombée. La bise se lève, consignes des organisa-
accompagnée de min- teurs ont été claires, les
ces flocons. Boulevard participants tiennent à
Edgard Quinet, porte leur anonymat.
d’entrée du cimetière  Passer avec les cartons
Montparnasse : l’un des d’invitation demande
trois grands cimetières un test de société [dis-
parisiens intra muros, cours] car ces gardiens
séparé du monde des connaissent les person-
vivants par une enceinte nes attendues, sauf si les
de trois mètres hérissée PJ sont costumés.
de pointes rouillées. Le  Tenter une effraction
Moulin de la Charité en escaladant l’enceinte
se tient en son centre, nécessitera un test de
dépourvu d’ailes. Les sport [escalade], un
agissements du nécro- échec indiquant une
phile Bertrand, en l’an chute.
1849, restent gravés dans
la mémoire des lieux. 2 Une fête à l’orientale
Le Moulin de la Charité est le lieu de rassemblement des
Le cimetière compte plusieurs galeries souterraines qui invités en mal de sensations fortes. Ce vieux moulin désaf-
débouchent en huit endroits bien camouflés. Ce réseau fecté a été rénové et sert de cadre aux fêtes décalées d’une
accueille depuis 1856 des restes humains, déménagés partie de la haute société déjantée. Il ne compte aucune

279
 Chapitre 7
ouverture, mis à part la solide porte d’entrée gardée par deux
nubiens, des domestiques noirs grimés pour l’occasion. Une
musique orientale envoûtante s’échappe de l’intérieur, ainsi
qu’un parfum d’encens des plus entêtants.
Une curieuse scène s’offre aux regards des PJ. L’intérieur
du Moulin de la Charité a été décoré à la mode égyptienne :
piliers en forme de lotus, glyphes et peintures rupestres, sar-
cophages placés contre les murs, grande rosace au centre de
la pièce. Une vingtaine de personnes se tiennent là, en cos-
tumes antiques dont l’éclat reproduit certainement la stratifi-
cation sociale des invités : ambassadeurs, érudits, mondains,
dandys... Mais aussi « esclaves » noirs et domestiques arabes
pour le service d’ordre interne.
Les deux africains entrent peu après, traînant un sar-
cophage vers le centre occupé par des joueuses de lyre et
de harpe. Le parfum de la myrrhe et de l’encens enivre les
sens. L’ambiance est détendue, l’alcool coule à flot, il serait
bien difficile de reconnaître qui que ce soit si l’on n’est pas
habitué à la haute société. La dépouille mortelle d’Hatshep-
sout est arrachée au sarcophage de bois : les PJ aperçoivent
une momie chétive, les bras repliés sur le corps. Un masque
funéraire recouvre ses traits. Des petites statuettes placées
autour d’elle représentent ses serviteurs dans l’au-delà. A
l’intérieur de son sanctuaire de bois, on reconnaît la déesse
Baastet à tête de chatte, terrible icône rugissante, toutes
griffes sorties.
Les invités n’ont guère conscience de la sacralité de cette
dépouille...
 Certains, déjà ivres, trébuchent sur le sarcopha-
ge, d’autres lui manipulent la tête, goguenards,
se demandant quel faciès ils découvriront lors du
débandage.
 Au cours de l’une de ces palpations, une bande tombe
pour laisser apparaître les lèvres noirâtres de la momie,
ouvertes sur une légère fissure horizontale entre les
commissures.
 Une mondaine arrache le petit scarabée que la momie
portait en médaillon.
 D’autres apportent des fruits exotiques, mimant
grossièrement les gestes présumés des serviteurs de
la défunte.Les personnages initiés dans l’occultisme
[spiritisme] ou les sciences de l’homme [histoire] ayant
réussi un test jugeront du danger que ce mépris repré-
sente. Le scarabée et la bouche fermée étaient des gages
du sommeil de la momie.
Le Ka d’Hatshepsout-Ménétré pourra réintégrer cette
fragile enveloppe, alimenté par ces offrandes votives. Tout
PJ réalisant cela perd un point d’angoisse et de névrose :
ces informations essentielles les préparent au réveil qui va
suivre.
280
2 Entrée du prêtre officiant
En effet, le formidable allié du Génie du Crime et du
Savant Fou vient d’arriver. Son entrée en scène fait sensa-
tion : des spectateurs l’ont vu sortir de terre derrière un
fourré, alors qu’il a simplement surgi de l’une des entrées
des souterrains.
L’occultiste est habillé comme un grand prêtre d’Amon,
souverain des dieux de la Haute-Égypte. Un médaillon
solaire orne son pschent (double couronne royale). L’homme
a cinquante ans, mais il n’en paraît que trente : son regard
bleu acier, rehaussé par un fin maquillage, lui donne une
prestance peu commune. Il tient à la main un vase canope
en forme de crocodile, de l’autre un scalpel tranchant pour
procéder à la cérémonie de débandage.
Le Sorcier espère que les litanies précédemment apprises
aux invités et les offrandes concentreront le Ba d’Ahmès,
rendant sa mumia plus efficace. Pour une personne mécon-
naissant ces enjeux, la scène de ces privilégiés crédules et
lourdauds est affligeante. Après le débandage, il procède à
la trépanation pour recueillir le précieux liquide noirâtre.
L’opération se poursuit par l’extraction du cœur (le Ren de
la momie).
Le profil du sorcier William Northbone apparaît dans le
chapitre 4. Il est armé d’un poignard de cérémonie (+1).
2 La momie s’animera-t-elle ?
Pour cela, il faut réunir les conditions suivantes :
 Avoir libéré le Ba de la momie (scène 7).
 Posséder un réceptacle la symbolisant (une statuette).
 Invoquer son Ren (le nom d’Hatshepsout-Ménétré).
Ouverture
 Les PJ n’interviennent pas : c’est l’échec de la mission.
 Les PJ neutralisent le Sorcier et la police intervient :
réussite partielle.
 La momie s’anime : passez à la scène 10.
 Si vous jouez la campagne complète, allez tout de
même à la scène 10 pour évoquer le passage de
Carter.
 Campagne
Scène 10. Apprentis sorciers
« Le dernier obstacle enlevé, la jeune femme se dessina dans
la chaste nudité de ses belles formes, gardant, malgré tant de siè-
cles écoulés, toute la rondeur de ses contours, toute la grâce souple
de ses lignes pures [...]. L’une de ses mains voilait à demi sa gorge
virginale, l’autre cachait des beautés mystérieuses comme si la
pudeur de la morte n’eût pas été rassurée suffisamment par les
ombres protectrices du sépulcre... »
Théophile Gautier, Le Roman de la Momie
Résumé
(Scène facultative si la momie se réveille ou si Carter doit
intervenir.)
L’animation du cadavre d’Hatshepsout s’accompagne
d’un début d’incendie. Carter, revenu d’entre les morts, vole
de la mumia royale. Les PJ gardent, quant à eux, le cœur de
la momie et son enveloppe charnelle.
Environnement
Le Moulin de la Charité en feu. Un véritable blizzard
s’est levé et balaye le cimetière en un microclimat. Des cris
de douleur et des râles d’agonie sont signalés aux quatre
coins du lieu.
Déroulement
2 Holocauste
Dans tous les cas, les personnages qui n’auraient pas
encore supporté une manifestation de la Momie devront
refaire un test psychotique.
La foule, d’abord incrédule, cherche à fuir de façon désor-
donnée. Les hommes piétinent les femmes et les quelques
enfants sous l’effet de la panique. Des chandelles sont rever-
sées et embrasent la paille disposée sur le sol en terre battue.
Un des invités va se distinguer. Il porte le masque du
Dieu Osiris. Il s’empare de la fiole dans laquelle la mumia a
été prélevée, pour s’échapper précipitamment dans le cime-
tière. Le Sorcier, triomphant ou agonisant, aura le temps de
prononcer d’une voix terrible :
— Non ! Carter !
Carter sera impossible à rattraper. Une fois la vengeance
accomplie, la momie retombe inanimée.
Il serait souhaitable que les PJ sauvent le Khat, cadavre
corruptible inanimé de la reine d’Égypte. Il ne faut surtout
pas oublier la statue Ba ou le cœur fossilisé, si le Sorcier s’en
était emparé. Les petites statues ont quant à elles disparu. Les
survivants ont quitté le cimetière et alerté les forces de l’or-
dre. Certains gisent, la face contre des tombes, des statuettes
protectrices inanimées contre leur corps sans vie.
281
Épilogue
Prélude à l’Odyssée de Carter
Résumé
Ouverture vers le scénario suivant, avec la reprise des
lettres de Carter.
Les PJ peuvent mettre en évidence son projet de résur-
rection, et prouver sa culpabilité dans le drame qui s’est noué
à la scène 7.
Environnement
Retour au château d’Enghien de la scène 1 : une mise au
point s’impose avec Lépine et les membres de la Théosophie.
Déroulement
C’est l’occasion de sélectionner les informations que les
enquêteurs font remonter jusqu’aux autorités. L’ambiance
est pesante, malgré le succès de la mission imposée.
— La momie doit être rapatriée en Égypte, assène
Mohini H. Chatterji. La malédiction qu’elle apporte est au-
delà de nos compétences d’exorcisme. Il faut retrouver son
tombeau et lui offrir de nouveau le repos.
— C’est ce Craig Carter qui m’inquiète. Il devait être
le fournisseur en antiquités que nous n’avions pas encore
trouvé. Encore un fou qui espère utiliser la mumia pour se
soigner, croyant avoir trouvé la panacée ! renchérit William
Q. Judge.
Lépine rate une fois de plus le coup difficile qu’il tente
au billard.
— Vous n’y êtes pas, messieurs. Carter est bien plus
dangereux que cela. Son entêtement va bien au-delà de ce
que vous appelez cupidité. Une force l’anime, et cette force
n’a pas de commune mesure dans l’univers pour installer
l’ordre ou le chaos.
L’assemblée se tait, interdite. Lépine reprend en
s’étranglant :
— Carter est devenu dangereux car il est amoureux.
 Chapitre 7

Annexes
1. Coupure de presse :
Le Colporteur sur les soirées égyptomanes

I l devient de plus en plus

difficile de discerner, dans
Il est en effet devenu habi-
tuel pour une certaine fange de
les salons huppés de la capitale,
la bourgeoisie, d’après nos sour-
donna naissance aux pyramides
et à mille autres prodiges, tout
en alimentant un trafic d’anti-
les vieilles mégères des momiesces les plus sûres, de procéder quités des plus sordides.
au débandage de ces dépouilles
millénaires qu’il est maintenant
courant d’y trouver. sacrées à la lumière tamisée Personne n’ignore plus le
des chandeliers, à l’occasion de sort funeste réservé aux pilleurs

C ependant, un indi- quelques soirées des plus gro-

ce pourra peut-être tesques.
nous aider : les unes parais-
de tombes. Si elle fait sourire
les plus cartésiens de nos con-
citoyens, la malédiction des
sent bien plus nobles que les Lassés de leurs orgies, ces pharaons s’est avérée une triste
autres, et sentent bien moins nantis ont trouvé là une nouvel- réalité. Messieurs les bourgeois,
la naphtaline que ces vieilles le forme de décadence des plus profitez de ces instants d’insou-
dames moins épargnées par raffinées : souiller la mémoire ciance : l’œil du Sphinx plane
le temps. d’une civilisation dont le génie sur vous.

282
 Campagne
Résurrection
Prologue
Enchaînement des scénarios
Jouer le dernier volet de cette trilogie en rupture avec
le reste est possible, mais il perdrait de son intérêt. En effet,
le scénario commence là où finit celui d’Amour à Mort.
L’ennemi unique est ici Carter, obsédé par sa chimère. Les
projecteurs se concentrent sur sa traque, tout en prolongeant
les directions ouvertes par les scénarios précédents.
 On sort du cadre de Paris pour se confronter à un
environnement exotique.
 La part de l’occulte est maintenant bien plus affirmée, et
elle se confirmera avec l’acquisition par les personnages
de rudiments de magie pratique (le Heka égyptien).
 L’Orient tentateur a toujours fasciné les européens
fatigués du carcan de leur société. Les person-
nages sont plus libres de leurs mouvements, et
les dilemmes moraux sont encouragés. Le joueur
pourra expérimenter plusieurs déchéances, tant les
occasions de « basculer » seront multiples : les PJ
reproduiront-ils l’hubris de Carter ou conserveront-
ils leur équilibre ?
La fabula
Carter veut ressusciter Hannah Chenu et assumer
pleinement sa déchéance. Il détient, depuis le scénario
précédent, les matériaux et les connaissances nécessaires à
l’accomplissement de sa Grande Œuvre : la mumia royale
d’Hatshepsout, des parchemins ainsi que la dépouille de
sa promise. Son odyssée le mènera en Égypte où il comp-
te accomplir les rituels nécessaires, pour culminer quand
il atteindra un temple situé en amont du Nil. Seuls les PJ
sont en mesure de contrecarrer ses plans en le poursui-
vant. Pour cela, il faudra suivre sa piste et interpréter les
indices qu’il laisse volontairement sur son passage.
Chronologie des actes des sbires
du Génie du Crime
 Débarquement à Alexandrie : un anarchiste fait
exploser le navire (scène 2) et trouve la mort, le
Voleur de Visages s’échappe.
 Ghetto d’Alexandrie (scène 2.1) : le Voleur de
Visages répand de fausses rumeurs et déclenche
un pogrom.
 Pyramides du Caire (scène 5.3) : le Voleur de
Visages lance des bandits aux trousses des PJ.
283
Chronologie de l’Odyssée de Carter
 20 octobre : embarquement pour l’Égypte.
 5 novembre : débarquement à Alexandrie ; il loge
chez les saint-simoniens (scène 2).
 6 novembre : visite au ghetto pour dérober des
papyrus alchimiques au rabbin (scène 2.1).
 Voyage vers Le Caire par bateau.
 Fin novembre : arrivée au Caire, enregistrement à
l’hôtel Continental, envoi du sarcophage par navire
vers Philae, escale au musée (scène 5.1), enferme-
ment d’un occultiste dans un pentacle (5.2) et
embarquement sur un navire à vapeur : c’est à ce
moment que les PJ le rejoignent (scène 6).
 Accident ou combat sur le vapeur : Carter est broyé
par les pales du sous-marin.
 Carter parvient à survivre et prépare la cérémonie
de résurrection de la momie et sa propre transfigu-
ration (scène 7).
Un autre protagoniste, Videntien Guilain Marie, le
Voleur de Visages, tentera de piéger l’espion anglais et les
PJ de La Fée Verte : ivre de vengeance, bénéficiant d’une
puissance accrue depuis qu’il est devenu l’Ombre, ce mons-
tre change-forme, il devrait rendre les PJ on ne peut plus
paranoïaques.
Objectifs du scénario
L’ouverture vers la déchéance est l’ultime cercle des
enfers auquel les joueurs de Crimes doivent être confrontés.
Les combats se feront plus systématiques. La liberté dont
jouissent les PJ, dans leur nid douillet de Paris, risque fort
de se retourner contre eux : les passions laissées à la dérive se
transformeront en une escalade névrotique dont ils sortiront
difficilement indemnes.
Ce scénario pousse plus loin la non-linéarité des scènes,
et propose plusieurs chemins au MJ selon le temps dont il
dispose et le style qu’il veut donner à l’aventure.
Les scènes sont découpées ainsi :
 Scènes essentielles : 1 (organisation du voyage), 2
(arrivée à Alexandrie), 5 (Le Caire et la bataille des
pyramides), 7 (le temple de l’éternité)
 Scènes thématiques : 3 (renseignements), 4 (modes
de voyages)
 Scènes interchangeables : 2.1 (le Golem), 5.1
(le musée français), 5.2 (l’occultiste prisonnier), 6
(sur le navire)
 Chapitre 7

Le MJ peut donc constituer son itinéraire en se basant
sur cette nomenclature. On peut par exemple imaginer :
 Un parcours « diplomatique » plus court avec les scènes
1-2-3-4 (en train) 5-5.1 (musée) 3-5.3-4 (en bateau)
et 7.
 Un parcours « ésotérique » plus long et dangereux avec
les scènes 1-2-2.1 (Golem) 4 (tombeau) 5-5.2 (prêtre)
5.3-6-7. Cette grande flexibilité permet au MJ de
maîtriser son temps au mieux en éliminant les scènes
interchangeables.
Pour être sûr de ne pas rater des indices essentiels, voici
les lieux où suivre quelques pistes secondaires...
 La momie d’Hatshepsout : 2 (la repêcher dans la rade),
5.1 (la rendre au musée français).
 Les statuettes Ba de la momie d’Hannah : 2 (le pein-
tre- sculpteur), 4 (le tombeau), 5.1 (le musée), 7 (le
temple). Destinées à apporter l’énergie nécessaire à la
résurrection, elles sont disposées dans des lieux sym-
boliques des sanctuaires sacrés de l’Égypte.
 Les parchemins de magie Heka : 2.1 (le rabbin,
comme récompense), 4 (le tombeau), 5.2 (l’occultiste
libéré du pentacle).
Les thèmes porteurs
« L’Égypte appartenant au monde, elle n’a pas le droit d’être
une nation. »
Ernest Renan
L’Égypte, une passion française
Cette aventure périlleuse renverse le schéma précédent :
le surnaturel égyptien n’est plus seulement un élément exo-
tique transplanté dans le cadre européen ; nos occidentaux
partent vers les sources du Nil, se confrontant à l’inconnu
avec leur vision stéréotypée du pays, s’embarquant dans un
voyage allégorique vers les sources de l’humanité.
Traverser le désert, c’est commencer un parcours initiatique
vers la découverte des clés de son monde intérieur, en com-
munion avec les terres de l’Exode.
La décadence perçue dans la vieille Europe jette des
foules d’écrivains, de poètes et de nantis sur les routes de
brefs exils. Se confronter aux origines de la démocratie, de la
spiritualité, au berceau de l’humanité et aux cathédrales du
savoir antique représente pour eux un éventail de ce que peut
leur offrir cet Orient enchanteur.
Les moyens de transport permettent de s’évader au-delà
de l’Europe, de réaliser ce « grand tour » (racine étymolo-
gique de tourisme) qui inclut l’Afrique du nord, la Terre
Sainte, le Liban et l’Asie Mineure, ou l’Égypte avec un retour
qui passe souvent par l’Italie.
L’antisémitisme, encore et toujours
Une partie importante de l’intrigue se déroule dans
le ghetto juif d’Alexandrie. Le thème de l’antisémitisme,
développé lors de la campagne électorale du Génie du Crime
(voir La Fée Verte), prend ici un autre tournant. L’Égypte
a souvent été une terre hostile au peuple juif, depuis son
esclavage qui n’a pris fin que par la grâce d’une intervention
divine. A Éléphantine, à l’époque où Athènes brillait de mille
feux, la synagogue brûlait et les juifs étaient massacrés.
Au IIIème siècle, le prêtre égyptien Manethon inventa
tous les stéréotypes qui allaient plus tard rester gravés dans
l’inconscient collectif : il s’agirait d’une race lépreuse, coupa-
ble de stérilité et d’athéisme, aux coutumes barbares.
Pourtant, sous la pax romana, Alexandrie compte qua-
rante pour cent de juifs dans sa population, et diffuse des
édits prônant la tolérance. Mais la scène 3 vous montrera
combien cette paix peut s’avérer fragile quand des fauteurs
de trouble s’en mêlent...

Comme leurs ancêtres croisés, les européens installés en

Égypte ont pris fait et cause pour la culture orientale, allant
ainsi à l’encontre des théories de supériorité de la civilisation
occidentale.

Les voyages touristiques et romantiques de la fin

du XIXème siècle

Vous pouvez d’ores et déjà imaginer vos PJ en train

de feuilleter leurs dépliants, cartes et carnets de voyage,
ébauchant des gestes qui se perpétueront bien après eux.
L’engouement pour les terres sauvages, pour cet ailleurs
maintes fois rêvé (ou plutôt fantasmé) constitue l’un des
angles les plus intéressants de ce pèlerinage, de cette odyssée.

284
 Campagne

Acte I.
L’épopée alexandrine

Scène 1. Préparation au voyage

« Le but du voyage n’est pas de poser le
pied sur une terre étrangère. C’est finale-
ment de poser le pied dans son propre pays
comme s’il s’agissait d’une terre étrangère. »

Gilbert Keith Chesterton

Résumé

Les PJ récoltent des indices sur les

préparatifs de Carter. Une brève entrevue
avec Bertillon et Bazil les informe sur les
enjeux de cette capture.

Environnement

20 octobre 1899. Début de soirée.

Le parc Monceau a été choisi comme lieu
de rendez-vous fixé pour cette réunion
informelle entre les héros : sont pré-
sents Alphonse Bertillon, qui représente
Lépine, et Hervé Bazil rencontré dans le
scénario précédent.
Tout le monde se retrouve à l’ombre
d’une petite pyramide érigée vers 1773
par un ancien Grand Maître du Grand
Orient de France (que de grandeur dans
tout cela !). Une statuette d’Isis est encore
visible à l’intérieur. Le vent est mordant
et l’édifice permet d’éviter le baiser glacial
du blizzard.
Les motivations ne manquent pas pour les envoyer
Thèmes majeurs dans les sables d’Égypte, et Bertillon est le premier à les
énumérer.
Le décalage des points de vue :
 Criminel pour Bertillon : traquer Carter (l’homme) Sur l’agent Carter :
 Politique pour Bazil : retrouver Carter (l’agent anglais) — Le remarquable travail de nos criminologues nous a
 Ésotérique pour Lépine : coincer Carter (l’occultiste) fait remonter la filière de trafic d’antiquités, et donc de la
mumia. Nous avons retrouvé de nombreux pseudonymes
Déroulement déclinés du nom de Carter : palindromes, initiales, il a
essayé tous les amusements de romancier de gare pour nous
2 Le pourquoi de la traque abuser... Mais sans prendre en compte mes compétences de
L’entrevue est très solennelle. Bertillon excuse l’absence graphologue qui m’ont permis d’authentifier tous les docu-
de Lépine, atteint d’une vilaine grippe. Les PJ sont ments qu’il a produits.
questionnés sur leurs intentions par rapport au destin de Bertillon peine à masquer sa fierté toute professionnelle.
Carter, qui leur a volé une partie de la momie en mars — Carter veut perpétuer ce trafic de mumia dans un but
1899. En effet, la police a retrouvé sa trace : il a pris un qui nous est inconnu. Il vous avait d’ailleurs dérobé celle de
bateau pour Alexandrie hier avec pour tout bagage un la momie d’Hatshepsout (voir Amour à Mort).
sarcophage et des statuettes.

285
 Chapitre 7

Bertillon se redresse, bombant le torse.
— Le problème est que ce satané anglais possède tous
les contacts pour se rendre en Afrique sans aucun moyen
de contrôle. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Égypte est un
dominion britannique ; or il va ébaucher une odyssée qui le
mènera on ne sait où. Cependant, il ne pourra esquiver la
porte d’entrée du pays : Alexandrie... Après, Dieu seul sait
où ce pauvre fou errera.
Un soupir méprisant secoue la grande carcasse de Bazil,
qui se rassoit d’un air grincheux.
— Je n’adhère pas aux frayeurs ésotériques qui ont
poussé Monsieur le Préfet à poursuivre ce trublion. Une
chose dont je suis sûr, c’est que le réseau n’a pas été décapité.
Nous pensions Carter mort, mais les mesures prises sur son
cadavre ne correspondaient pas à sa fiche anthropométrique.
Un complice a dû agir de concert avec lui...
Bertillon s’interrompt devant l’intervention intempes-
tive de Bazil.
— Le diplomate que je suis craint les retombées politi-
ques de cette affaire, Carter était mandaté par la Couronne
pour une intéressante expérience d’échange policier. S’il n’est
pas ramené et jugé, sa disparition fera scandale jusque dans
les alcôves de Buckingham...
Bazil marque une pause, puis reprend ses explications.
— Il vous reste peu de temps pour débusquer Carter
si ce fou a raison. Le voyage vers Alexandrie prend quel-
ques semaines, mais je doute qu’il s’arrête là. On dirait
L’expédition de Bonaparte
et l’Égypte française
Partie dès 1798, elle était destinée à récupérer
la terre d’Égypte sur les ruines ottomanes, en jouant
à cache-cache avec l’amiral anglais Nelson dans la
Méditerranée.
L’idée géniale de Bonaparte fut de réunir une
véritable encyclopédie vivante : 167 civils voyageant avec
ses militaires dont 21 mathématiciens, 15 naturalistes,
8 dessinateurs, 15 consuls et des interprètes. Une
véritable porte ouverte depuis l’Europe sur cette
mystérieuse civilisation, dont la campagne de Crimes
explore l’héritage.
qu’il a attendu une date particulière pour partir... Il lui
faudra trouver un temple, un musée, des nécropoles
royales comme Louxor, Karnak, Assouan ou bien d’autres
encore ! Je vous aiderai à faire vos préparatifs, mais il faut
vous dépêcher.
2 Préparation au voyage
Dans le nécessaire, il est préconisé de se munir d’une
trousse de soin contre la fièvre, la diarrhée, les insolations, les
insectes et la dysenterie. Une pharmacopée des plus utiles qui
limite de 3 points la virulence des maladies dès qu’un person-
nage pâtit des malaises précités.
Si les PJ négligent la préparation de ce stressant voyage, ils
prennent un point d’angoisse et donc de névrose.
Il faut se mettre en quête d’une garde-robe et d’un équipe-
ment adapté aux chaleurs tropicales de votre destination. Bazil
peut fournir une recommandation utile en cas de rencontre
avec des compatriotes. L’obtention d’un passeport est indis-
pensable pour accoster en Égypte.
Les héros peuvent acquérir des guides de voyage comme le
célèbre Baedeker, ou passer par une agence de voyage anglaise
comme Cook ou Gaze.
Pour les plus romantiques, nous vous conseillons un
best-seller de l’époque, réédité 40 fois dans le siècle : le célè-
bre Voyage de la Basse et de la Haute-Égypte de l’archéologue
Viviant Denon, qui accompagna l’expédition de Bonaparte.
Nous avons inséré de nombreux extraits de son journal
dans les textes. A votre guise d’en faire la lecture pour l’am-
biance !
Ouverture
 Sur la scène 2, pour le voyage. Insister sur le degré de
préparation des joueurs, ils pourront difficilement y
revenir plus tard !

L’expédition fut un vaste succès tant militaire que

scientifique. L’héritage qu’elle laissa trouva son point
d’orgue dans la réalisation du canal de Suez en 1854.
Seulement, l’administration française ne sut gérer les
échauffourées qui conduisirent à l’assassinat d’européens
par des nationalistes arabisants.

L’Angleterre palliera à ces rébellions, anticipant la

réaction française : l’armée britannique défile au Caire
le 30 septembre 1882. Ce nouveau dominion explique
que le trafic d’antiquités soit désormais aux mains des
anglais, Carter étant un émissaire de ce pillage de l’his-
toire pharaonique.

286
 Campagne

Scène 2 : une arrivée mouvementée Formule à la carte :

« L’Égypte, en ce monde où tout change, Paris-Marseille en train

Trône sur l’immobilité. »  Première classe : 96.65 francs.
 Seconde classe : 65.25 francs.
Théophile Gautier, Emaux et Camées  Troisième classe : 42.55 francs.

Résumé Le MJ peut faire payer ce manque de préparation par

Le voyage en Méditerranée est rapidement décrit. Il se
termine par un naufrage près du port à cause d’un attentat
anarchiste. Les PJ passent par l’ambassade de France.
Thème majeur
Les dangers et les aléas des transports de l’époque.
Déroulement
2 Un voyage tout compris ou au détail ?
La préfecture ne peut offrir, au mieux, que 2 000 francs
pour les frais des PJ, ce qui sera probablement insuffisant
sans leur apport personnel. Aux PJ de gérer leur fortune
commune (sûrement le début d’une belle dispute)...
la perte d’un jour de voyage : en effet, le bateau n’a pas
été réservé ; il faudra donc attendre le lendemain et ainsi
perdre un jour sur Carter, retard que le MJ peut dramatiser
à loisir !
Pour Marseille-Alexandrie : bateau de la CMM.
 Première classe : 300 francs.
 Seconde classe : 210 francs.
 Troisième classe : 90 francs.
2 Aperçu du voyage
Le trajet dure 6 jours, rapidement résumés : Paris, Lyon,
la descente du Rhône, Avignon où les enquêteurs se pâment
devant les premiers vestiges antiques de leur périple. Puis la
ville de Marseille, et l’embarquement sur une Méditerranée
des plus calmes.
 Itinéraire suivi : Gare de Lyon - Mâcon - Lyon -
Marseille.
 Durée du trajet sur les chemins de fer (France) : 13 h.

Formule « tout compris » : Le puissant navire à vapeur n’offre que des loisirs super-
flus et des jeux d’argent sans intérêt, à moins que vos PJ
 Proposée dans les agences de voyage du type Cook, aient des passions et des vices de ce genre. L’ambiance est
les agences bon enfant chez les voyageurs privilégiés. Quelques familles
ferroviaires PLM et la Compagnie des Messageries Maritimes plus pauvres, terrées en fond de cale, tentent la grande expé-
(dont les succursales sont à Paris : 1 rue Vignon, et à rience de la colonisation de terres arides dans les alentours
Marseille : 16 rue Cannebière). Le départ de la Gare de Lyon d’Alexandrie.
se fait 16 heures avant l’appareillage du navire à Marseille,
ce qui laisse 3 heures de battement entre l’arrivée à Marseille Le sublime ennui du voyageur s’estompe un instant quand
et le départ en mer.
Il n’y a pas besoin de
réserver le navire, tout
est prévu. L’express
pour le Caire part
généralement 4 heures
après le débarquement
(mais attention aux
aléas maritimes).
 Première classe
(aller simple) :
420 francs.
 Seconde classe
(aller simple) :
287 francs.

287
 Chapitre 7
« De droite et de gauche, notre terre promise nous
parut plus aride que celle des juifs (...) Ces parages sont
périlleux dans les temps d’orage et dans les brumes de
l’hiver, parce qu’alors la côte basse disparaît, et qu’on ne
l’aperçoit que lorsqu’il n’est plus temps de l’éviter. »
Viviant Denon,
Voyage de la Basse et de la Haute Égypte
le navire dépasse la sombre silhouette de l’Etna, pour refaire
surface quelques jours plus tard. Puis vient le moment où la
Crête pointe son nez... De nombreux fantasmes se réveillent
quand les passagers les plus érudits se mettent à évoquer les
splendeurs passées de Cnossos, d’Athènes, l’Odyssée d’Ulysse,
en attendant le bouquet final d’Alexandrie.
Cinq jours passent. La côte africaine apparaît enfin. Le
tableau s’avère plutôt décevant : on n'y voit nulle âme qui
vive... Seule une ancienne tour de garde en ruine témoigne
d’une présence humaine.
2 Le phare de l’Égypte
Tous les passagers sont montés sur le pont au matin du
cinquième jour de la traversée pour contempler la ville pro-
mise. Des nappes de brouillard enveloppent la rade, qui voit
se dresser le phare éclairant un monde hellénistique. Comme
pour jouer du suspense, la cité se dévoile comme une dan-
seuse qui s’effeuille à mesure que le vapeur s’approche d’elle.
Les deux ports, les murailles fatiguées, les châteaux turcs,
quelques minarets sont bientôt distingués par une foule qui
s’attendait à un spectacle plus grandiose.
Simon de la Moulinière,
éternel survivant
La scène suivante est destinée aux PJ ayant pratiqué
le scénario Amour à Mort.
Une rencontre intéressante aura lieu ici : les PJ ont
vent d’un passager cloué dans son lit. En cherchant, ils
trouvent Simon de la Moulinière accompagné d’une
infirmière. Le pauvre homme est toujours en quête
de son modèle, Hannah Chenu, qui hante ses jours
et ses nuits...
Il affirme avoir réalisé douze sculptures à partir
du même moulage pour le compte de Carter. Il en a
conservé une, qu’il refusera de céder.
Les statues sont différentes : certaines la représen-
tent plus jeune, d’autres en souffrance, les dernières
sont transfigurées. Simon peut être un lien impor-
tant pour distiller à vos joueurs l’évolution de la
Femme Fatale dans l’accomplissement de son destin.
Cependant, c’est un poids mort compte tenu de son
état fébrile qui l’empêche de se déplacer normalement.
Souvenez-vous : il a été gravement blessé à l’abdomen
dans Amour à Mort.
288
Simon de la Moulinière
Métiers : artiste peintre et sculpteur
Convictions : républicain, agnostique
Dimension sociale : célibataire, membre
d’un cercle d’artistes
Potentiels
Physique : 1*
Mental : 4
Social : 3
* Nécessite d’être alité et aidé en permanence
par son infirmière.
Compétences
Novice en occultisme et en intrigues
Pratiquant en sciences de l’homme et traque
Maître en pratique, spécialisé en [arts] ; maître
en société, spécialisé en [journalisme]
Psychologie
Passion principale : la ruine
Passion secondaire : le don de soi (fascination
pour Hannah Chenu)
Tabou : honneur (masculin)
Tempérament : passionné
Tendance : maniaque dépressif
Angoisse : 1
Psychose : 4
Seuil de névrose : 6
Possession
— 1 850 francs
L’enthousiasme retombe peu à peu. Quelques passionnés
se perdent en conjonctures sur la Colonne Pompée pour
étaler leur science sur la tragique histoire du ménage à trois
entre César, Antoine et Cléopâtre.
2 Le naufrage
Le temps s’est curieusement voilé et les nuages
s’amoncellent à l’horizon. Mauvais présage. Heureusement,
le navire n’est plus qu’à quelques encablures du rivage.
Si les PJ sortent pour assister à l’accostage, ils ne l’oublie-
ront pas de sitôt. Demandez-leur ce qu’ils possèdent sur eux,
mis à part leurs bagages.
Profitant du rassemblement général, un homme vêtu
comme un forgeron de banlieue descend à fond de cale pour
poser un explosif contre la cheminée. Seul un PJ attentif
réussissant un test de traque [pistage] peut détecter son
mouvement, mais trop tard. L’homme surpris aura le temps
de se jeter par une écoutille.
L’expérience risque d’être rude : la cheminée, sous la
poussée de l’explosion, oscille, chute et se fracasse sur le
pont. Les éclats risquent de blesser vos personnages : ceux-ci
subissent un choc de potentiel 4 en gardant 2D. La force du
choc est de 4.
 Campagne
Heureusement, le navire entrait dans la rade où la
profondeur de l’eau n’excède pas les trois mètres. La plage
attend les PJ qui ont des capacités de natation, mais un test
de sport est obligatoire pour les autres. Les effets personnels
sont perdus à moins qu’une plongée, après le naufrage, per-
mette de glaner quelques objets. Les livres et dépliants sont
abîmés, mais encore utilisables. La momie d’Hatshepsout
doit être récupérée coûte que coûte, sous peine d’encourir
des pénalités de points d’expérience.
Il faudra se dépêcher avant que la population locale ne
s’empare de cette aubaine pour piller les restes.
Les PJ qui ont vu le saboteur retrouveront son corps flot-
tant dans la rade. Il pourra être identifié par anthropométrie
(de retour à Paris) comme étant Adrien Joly, l’Anarchiste
militant. Sur le registre des passagers, on découvre qu’il
voyageait en compagnie d’un certain Alexandre Joux (voir la
scène 4, le drogman).
289
2 L’ambassade de France
Les PJ trouvent facilement leur chemin vers l’ambassade
de France, ou du moins, ce qu’ils croient l’être. C’est une
maison de style mauresque, agencée à l’européenne, qui
trône sur une des éminences dominant la ville musulmane.
Les saint-simoniens
Secte arrivée en Égypte en 1825 avec son
gourou : Enfantin. Surnommé « Le Père », il vint
chercher en Orient la mère qui lui aurait ouvert les
portes de la direction de tous les peuples du monde.
Leur fuite de France fut conditionnée par l’évolu-
tion de la société, trop frileuse quant à l’abandon
des biens matériels et trop portée sur l’idéal du
progrès. Leurs affaires florissantes dans l’industrie
leur permirent d’accéder aux pouvoirs politiques et
sociaux, ce qui explique leur enracinement.
Très au fait de l’occultisme, ils ont reçu la visite
de Carter qui cherche à localiser un certain nombre
de papyrus anciens.
 Chapitre 7
Elle ressemble à un hôtel particulier, avec sur sa porte
une hampe qui soutient un drapeau tricolore en berne.
L’intérieur est spacieux, le décor est composé de vieilles
pièces récupérées qui témoignent d’un goût prononcé
pour les antiquités : mosaïques, boiseries de cèdre, fontaine
intérieure, vitraux rendent la salle plus guillerette. Charles
Lambert et sa femme sont les relais de l’administration fran-
çaise restée en place depuis l’invasion britannique de 1882.
L’accueil est chaleureux : avec la recommandation de Bazil,
ils y trouveront un hébergement douillet.
Les plus suspicieux trouveront dans leurs guides, avec
un test de sciences humaines [administration], que l’ambas-
sade française a déménagé d’Alexandrie pour s’installer au
Caire depuis 1876. Ce couple est l’un des descendants de
la secte des saint-simoniens venus promouvoir leurs idéaux
socialistes et pacifistes. Ils assurent l’intérim administratif à
Alexandrie.
Sur Carter :
— Nous avons reçu la visite d’un étranger avec un fort
accent anglais. Son regard était tellement halluciné que nous
pensions qu’il avait perdu l’esprit, malgré ses propos cohé-
rents. Nous avons longuement conversé, dans un français
impeccable, sur notre recherche de la Mère universelle. Il
se disait fervent admirateur du culte d’Isis, l’assimilant à la
Vierge Marie ! Que ces anglais sont excentriques ! Il dit avoir
amené avec lui une pièce archéologique des plus intéressan-
tes, qu’il a laissée sous le patronage des autorités portuaires.
La femme de Lambert se départit de son voile, révélant
sa double origine européenne et autochtone. Elle est d’une
troublante beauté. Elle poursuit le discours de son mari :
— Notre invité n’a pas séjourné dans l’hôtel particulier.
Il s’est renseigné sur le devenir des vieux manuscrits de la
bibliothèque d’Alexandrie. Il cherchait ceux qui avaient
échappé à la prédation des papyrologues occidentaux,
notamment ceux rédigés en araméen. Nous l’avons envoyé
sur les traces du rabbin de la ville.
Lambert prend congé. Il charge sa femme de préparer la
chambre des invités.
Les séducteurs de votre équipe auront du mal à réfréner
leurs élans envers cette femme, à moins de prendre un point
de névrose.
Ouvertures
 Cette nouvelle devrait envoyer, dès le lendemain, les
joueurs dans le ghetto pour suivre leur proie à la trace :
scène 2.1.
 Les héros peuvent séjourner là aussi longtemps qu’ils le
souhaitent, mais il est important qu’ils ne perdent pas
de vue l’urgence de la situation !
 Carter étant déjà probablement parti (il a quelques
jours d’avance sur les héros), se renseigner sur son pas-
sage peut être une solution : voir la scène 3.
290
Scène 2.1. Descente dans le ghetto
« Oui, je suis Juif et quand les ancêtres de mon très honora-
ble adversaire étaient des brutes sauvages dans une île inconnue,
les miens étaient prêtres au temple de Salomon. »
Benjamin Disraeli, ministre anglais,
en réponse à l’irlandais Daniel O’Connell
qui lui reprochait ses origines dans un discours (1835)
Résumé
Un pogrom est déclenché dans le ghetto par le Voleur
de Visages.
Les PJ rencontrent un descendant d’Abraham : le rabbin
plasticator, créateur du Golem qui garde le quartier. Celui-ci
doit être neutralisé : en retour, les PJ peuvent acquérir de
précieux manuscrits.
Le Voleur de Visages
Ce personnage, décrit dans les archétypes de crimi-
nels (chapitre 4), fut terrassé lors du final de La Fée Verte,
précipité dans un puits de 257 mètres par le razorback.
Pourtant, il a survécu, mais défiguré : la déchéance ne
laisse pas disparaître ses enfants les plus doués. Le Voleur
de Visages a franchi le dernier pas qui le séparait de
l’Ombre, ce redoutable monstre victime d’amnésie qui
change d’apparence comme il le désire. Dans ses éclairs de
lucidité, l’Ombre rassemble ses facultés dans un unique
but : perpétuer la vengeance de son maître contre Carter
et son courroux personnel à l’encontre des PJ.
Ce faisant, elle va déclencher la riposte du Golem,
esprit gardien du ghetto.
Environnement
Un mot du climat : chaud et sec malgré la saison des
pluies (en Basse-Égypte, les mois de décembre et de janvier
sont les plus humides ; en Haute-Égypte, les mois pluvieux
sont principalement mai et octobre). Les formations nuageuses
masquent rarement le soleil d’Égypte. Elles sont principalement
situées en Basse-Égypte, et sont plus importantes en hiver. En
s’éloignant de la mer ou du fleuve, on ressent rapidement
la sécheresse qui s’installe dans la gorge, d’où le besoin
impérieux de s’hydrater fréquemment. Au moins, l’hiver
permet d’échapper aux caresses du senoum et du kashim, deux
vents suffocants qui font le malheur des voyageurs.
Il convient ici d’insister sur le contraste entre le ghetto
paisible du jour et celui, hanté, de la nuit. Le quartier
est habité par une entité gardienne, les murs suintent
de cette présence ambivalente tantôt protectrice, tantôt
destructrice.
 Campagne
Thèmes majeurs
 Les pogroms, l’antisémitisme dans le milieu arabe.
 Rémanence biblique des plaies qui se sont abattues sur
les égyptiens.
Déroulement
2 Le venin antisémite
Une recherche efficace dans la documentation ramenée
de France ou dans les archives de la ville offre quelques ren-
seignements intéressants sur la population des juifs séfarades
alexandrins.
Pour les archives, un test de larcin [mimétisme] ou
d’intrigues [méthodes policières] décidera de la qualité des
informations glanées.
Bien que le ghetto proprement dit ait été rasé, la com-
munauté israélite n’a pas bougé du quartier médiéval dans
lequel elle a toujours habité. Elle est autogérée par un con-
clave de dignitaires religieux composé d’Arditi Mercado, de
Soria Salomon et de Behrend Sigismond, ce dernier faisant
office de grand rabbin.
Bizarrement, les juifs d’Alexandrie n’ont jamais été
l’objet des pogroms qui ont parsemé l’histoire du Moyen-
Orient, comme si l’entente cordiale avait été le credo des
autorités. Alexandrie fait figure de Babylone moderne,
cité cosmopolite accueillant des migrants français, anglais,
italiens et grecs tous mélangés. Il n’est pas rare que les juifs
ouvrent leurs portes à des non coreligionnaires pour partager
leurs fêtes.
Les personnages avec des convictions ou des passions
relatives à l’antisémitisme auront du mal à faire taire leurs
vieux démons ; s’ils choisissent de parler à tort et à travers de
ces « satanés juifs », des points de névrose tomberont.
Souvenez-vous du Génie du Crime, connu pour son
antisémitisme notoire. Son dernier sous-fifre, le Voleur de
Visages, a retrouvé la trace des enquêteurs et leur a emboîté
le pas. Ayant eu vent de leur projet de visite dans le ghetto,
il a fomenté un plan terrible : prendre l’apparence du grand
rabbin Behrend, et enlever l’enfant d’un dignitaire musul-
man local pour le sacrifier à Yahvé. La rumeur se répand
comme une traînée de poudre, et des milices arabes se diri-
gent vers le quartier. Mal leur en prend...
Avant leur entrevue avec le grand rabbin, les PJ décou-
vrent le ghetto. Ce quartier jadis entouré de murs a vu sa
muraille, mal entretenue, crouler par endroits. Pour autant,
les demeures sont devenues coquettes et cette apparente
prospérité attise la jalousie des plus pauvres alexandrins.
L’étymologie du mot « ghetto » vient du quartier de la
fonderie de Venise où les juifs étaient regroupés ; les séfarades
alexandrins ont transformé leur ghetto en une suite de petits
ateliers sidérurgiques qui leurs assurent une subsistance cor-
recte. Le cimetière, hérissé de tombes innombrables et anar-
291
chiques, forme le centre du quartier, adossé à une minuscule
synagogue médiévale.
C’est à cet endroit que les PJ obtiennent une audience
avec le conclave. L’accueil est chaleureux : le Grand Rabbin
Sigismond, d’origine pragoise, maîtrise un très bon français.
Il est prêt à coopérer avec les PJ.
Questionné sur Carter, il répond :
— En effet, un anglais est venu, il était à la recherche
de vieux parchemins. Il souhaitait retrouver un exemplaire
oublié de la bibliothèque d’Alexandrie avant de partir vers
Le Caire.
Cela peut provoquer l’interrogation des héros compé-
tents en sciences humaines, qui sauront que celle-ci a brûlé
entièrement lors de la conquête arabe.
— Certes, mais ma communauté a toujours eu un rôle
de témoin de l’humanité et en a conservé quelques uns.
Il esquisse un sourire énigmatique.
— Cependant, votre Carter n’a pas seulement demandé,
il a acheté des ouvrages théologiques qui ne présentent que
peu d’intérêt.
Le rabbin se dit incompétent en la matière. Il prétend
ne pas lire le grec. Tout au plus, il bredouille que le but de
ces parchemins est de trouver un élixir de longue vie, de
réaliser une unité avec l’Universel. Une préfiguration de ce
que deviendra l’alchimie.
Un émissaire de la ville entre précipitamment dans la
salle et, hors d’haleine, alerte le conclave dans un dialecte
arabe. Ce dernier semble soudainement soucieux, Sigismond
fronce les sourcils.
— Nous devrions avoir une visite. Je pense que votre
Carter est le genre d’homme à bouleverser toute paix sur son
passage, dut-elle durer depuis des siècles. J’insiste pour que
vous quittiez ces lieux avant la tombée de la nuit. Les rues
ne sont pas sûres.
Les PJ sont face à un dilemme : ils savent que le quartier
est en péril et qu’un pogrom se prépare. Continuer le voyage
vers le Caire semble une décision sage, mais la fibre huma-
niste de certains les amènera à vouloir intervenir pour sauver
ceux qui peuvent l’être.
Gestion des dilemmes
Face à ces choix cornéliens, les personnages ris-
quent d’être divisés quant à la marche à suivre. Les
passions telles que « don de soi » ou les confessions
israélites feront pencher la balance : pour certains,
pas question d’abandonner ces juifs à leur triste sort.
A contrario, les égoïstes et les antisémites se feront
une joie de tourner cette page récurrente de l’histoire.
A l’équipe de trouver un terrain d’entente, au MJ de
gérer les pertes et les gains de névrose consécutivement
à la décision prise.
 Chapitre 7

2 Une cause désespérée ? Scène 3. Prise de renseignements

Les PJ qui s’attardent dans le ghetto jusqu’au crépuscule ne
sont pas au bout de leurs surprises. Ils y rencontrent des ban- « Administration : dans les affaires publiques, ingénieuse
des d’égyptiens blottis contre les anciennes murailles, comme abstraction conçue pour recevoir les attaques et les coups destinés
cherchant à se faire oublier. L’apparence du ghetto est propre- au Premier Ministre ou au Président. Écran à l’épreuve des
ment terrifiante... Un effet de la nuit déformante ? Les façades malotrus et des tracassiers. »
prennent un aspect rugueux, comme pétries dans la glaise ;
les escaliers tordus, en spirale, se détachent difficilement de Ambrose Bierce, Dictionnaire du Diable
l’obscurité. Une chape de ténèbres recouvre la région.
Cette vision cauchemardesque génère un point d’angoisse Résumé
et de névrose. Le seul moyen de perdre ce point est d’être com-
pétent en occultisme ou d’avoir une conviction religieuse juive. Comment se renseigner sur le passage de Carter : l’admi-
nistration anglaise, la presse française ?
Si, surmontant leur peur, les PJ se dirigent vers le cimetière et Les personnages peuvent aussi assister à une curieuse
la synagogue, ils verront que le sol est jonché de nombreux batra- scène de ferveur populaire...
ciens immobiles. Ils aperçoivent des assaillants assaillis par des
moustiques et des mouches venimeuses. Ces nuées n’attaquent Environnement
pas les héros, sauf s’ils viennent en aide à ces malheureux.
Les nuages s’amoncellent, en partie masqués par cette Cette première scène thématique aura pour cadre un
obscurité pénétrante. De la grêle commence à tomber. Le environnement urbain : Alexandrie (scène 2), le Caire (scène
cimetière est proche. Un spectacle désolant s’offre aux visiteurs 5), Louqsor ou Assouan.
de minuit : les tombes suintent d’un liquide ici écarlate, là-bas
carmin. Un enfant se tient au milieu des insectes sans subir Déroulement
leurs morsures. Il a visiblement été abandonné.
2 L’administration anglaise
Les héros peuvent être partagés quand à l’attitude à tenir. Le plus simple est d’aller voir les registres de l’adminis-
La malédiction du ghetto s’abat sur cet enfant, est-il sage d’aller tration anglaise, que ce soit auprès des autorités portuaires
à son encontre ? Un nouveau dilemme apparaît, avec son lot de d’Alexandrie ou des enregistrements d’arrivée au Caire.
névrose. Ils feraient bien d’écouter leur cœur, car cet enfant n’est Cependant, les PJ doivent trouver un bon prétexte pour
autre que le Golem : les PJ qui volent à son aide encourent de accéder à ces renseignements et mettre en œuvre les bonnes
graves piqûres, amorties par une trousse médicale appropriée. Ils compétences. Présenter l’accréditation fournie par Bazil peut
découvrent l’écriture AEMETH gravée sur son front ; l’enfant est offrir des bonus aux PJ et abaisser le seuil de difficulté.
indemne, mais sa chair est dure comme du marbre.
C’est le moment de se rappeler de la légende du Golem,
gardien du ghetto. En réussissant un test d’occultisme, un PJ se
souviendra également de son talon d’Achille : il suffit d’effacer Garde britannique en poste en Égypte
la lettre A pour que le Golem ne soit plus qu’un tas de glaise Convictions : colonialiste, protestant
sur l’humus mouillé du cimetière. Dimension sociale : célibataire, solidarité de caserne
Encore faut-il y parvenir en lui infligeant une blessure : le
Golem ne se laisse pas faire et, malgré son apparence d’enfant, il se Potentiels
défend avec puissance (voir l’archétype du Golem, chapitre 5). Physique : 3
La ruse semble de rigueur. Si le Golem est vaincu, il est Mental : 3
Social : 3
réduit à l’état de poussière jaunâtre. Toute personne assistant à
la scène sans la comprendre doit faire immédiatement un test
Compétences
psychotique en gardant deux dés : pour elle, cet enfant vient de Novice en traque, pratique et société
se dissoudre sous ses yeux ! Pratiquant en combat (armé de bâtons à +1)
et intrigues
La malédiction dissipée, les révoltés dispersés par les troupes
anglaises, le quartier redevient paisible. Le rabbin récompense Psychologie
les bienfaiteurs par l’octroi d’un parchemin de Heka, un extrait
du fameux Livre de la Douat (annexe 2, parchemin 1). Passion principale : l’ordre
Tabou : la corruption
Tempérament : flegmatique
Tendance : schizoïde
Ouvertures Angoisse : 1
Psychose : 2
 Les PJ peuvent poursuivre Carter au Caire (scène 4). Seuil de névrose : 7
 A moins qu’ils ne se renseignent davantage... (scène 3).

292
 Campagne
Quelques pistes pour le MJ :
 Utiliser la compétence larcin [mimétisme] afin de se
faire passer pour un anglais du cru.
 Utiliser la compétence société [discours] pour enrober
ce prétexte d’un voile de vraisemblance.
 Utiliser la compétence sciences de l’homme [adminis-
tration] pour trouver le bon renseignement dans la
jungle des fichiers.
Les PJ retraceront ainsi le parcours de Carter pour mieux le pis-
ter (voir la fabula de l’introduction, où son odyssée est résumée).
Carter s’est présenté comme un négociant en antiquités,
ce qui justifie la présence à ses côtés d’un sarcophage, de
7 statuettes et des parchemins qu’il ramène de Paris au Caire,
sous l’œil bienveillant des autorités locales.
Tout échec critique signifie
que leur stratagème est éventé, ce
qui déclenche l’arrivée de la garde
britannique.
2 La presse française
(le Caire seulement)
Les renseignements suivants
peuvent être donnés par Maspero,
par le drogman ou par un test réussi
de société [journalisme].
La présence française reste
importante au Caire : un cer-
cle patriotique s’est créé dans un
hôtel particulier en face du jardin
d’Ezbékiech. Furieux de l’occupa-
tion anglaise jugée illégitime, ses
membres recherchent l’incident de
brasserie ou le duel avec les britan-
niques encore nombreux. Le reste
des francophones se compose de
descendants des Mamelouks de l’Empereur, les chiens de
garde de Napoléon, et des débris de l’armée d’Orient recon-
vertis en cabaretiers ou en guides du désert bien informés.
Des journaux comme Le Journal Égyptien tirent à boulets
rouges sur Victoria, publiant chaque matin la promesse
d’évacuation formulée en 1890 par les britanniques. Ces
quotidiens permettent de retrouver la trace de Carter ; un
test de société [journalisme] peut fournir une information
primordiale : un agent anglais aurait, aujourd’hui même,
expédié des antiquités à bord d’une felouque pour remonter
le cours du Nil, au nez et à la barbe des autorités de la ville !
Encore un trafiquant !
Un autre anglais – ou bien le même ? – a été aperçu
dans les faubourgs de la ville avec un chargement : il a
eu maille à partir avec la population locale (paragraphe
suivant).
293
Il existe un autre centre francophone, cette fois-ci de
santé, à Abou Zaabal, un quartier périphérique. Il s’agit d’un
hôpital-école dirigé par Antoine Barthélémy Clet. Les soins
prodigués par les chirurgiens autochtones leur feront rega-
gner toutes leurs facultés et abaisser d’un point leur seuil de
psychose, une fois le bilan médical complet effectué. Guérir
et se reposer prendra plusieurs jours.
2 Une nouvelle déesse (Alexandrie ou Le Caire)
La veille de l’arrivée des PJ, on a rapporté un fait divers
troublant : un convoi cheminant dans la ville aurait renversé
une partie de son chargement à cause d’un âne récalcitrant.
Une momie et sa statuette auraient chu sur le sol avant que les
habitants n’accourent pour profiter de son aura, la superstition
prêtant à ces cadavres des vertus thérapeutiques. Un blanc
serait entré en fureur et aurait psalmodié une incantation
visant les profanateurs :
des ténèbres auraient jailli
pour frapper plusieurs
autochtones de cécité.
Ce blanc a dû hâter
le pas, laissant derrière lui
un parchemin (annexe 2,
parchemin 2) et une sta-
tuette Ba, reliques que le
chef du quartier a con-
servé et peut négocier.
Cette statuette a bien
entendu les traits d’Han-
nah Chenu !
Échanges de devises
Voilà qui peut poser beaucoup de tracas aux
PJ mal préparés : s’ils payent le train et le bateau
en francs, ils devront en revanche s’acquitter de la
croisière en livres sterling et des menues dépenses en
livres égyptiennes... S’ils ne font pas de provisions
au préalable, ils risquent fort de se faire arnaquer dès
le premier change en Égypte... Pour vous faciliter la
tâche, utilisez les taux de conversion suivants et faîtes
les varier au gré des compétences :
1 livre sterling = 100 schillings = 10 francs
1 livre sterling (LS) = 2,5 livres égyptiennes
1 livre égyptienne (LE) = 4 francs
Donc 1 franc = 0.25 LE soit 25 piastres environ
 Chapitre 7
Scène 4 : vers les sources du Nil
« Les voyages forment la jeunesse, a dit un sage, mais, regret-
te je ne sais quel observateur, ils déforment les chapeaux. »
Alphonse Allais, Oeuvres posthumes,
Le Sourire du 27 décembre 1902
Résumé
Les PJ ont le choix entre différents moyens de transport
pour voyager le long du Nil, à travers le désert brûlant : la
caravane, le bateau ou le train.
Deux péripéties peuvent s’ajouter à leur trajet, avec
l’intervention du drogman et la visite du temple de
Canope.
Cette scène est double : elle couvre le trajet entre
Alexandrie et le Caire ainsi que celui entre le Caire et Philae.
Un MJ pressé pourra bien sûr gagner du temps en traitant
ces déplacements comme des ellipses.
Environnement
Le trajet le long du Nil dure six jours pendant lesquels
les PJ assistent à l’éternel combat entre le fleuve et le désert,
entre l’ordre et le chaos, entre la vie et la mort. Des mirages
se manifestent à l’horizon. Et le sable, toujours le sable... Le
soleil n’en finit pas de descendre sur les voyageurs.
Des felouques descendent paresseusement un fleuve
jadis divinisé.
Thèmes majeurs
 La survie en milieu hostile.
 La difficile genèse de la vie.
Déroulement
2 Le drogman
Le drogman est un homme à tout faire à la disposition
de l’étranger : ce dernier le paye pour lui servir de guide, lui
trouver un logis, le conseiller dans l’achat du matériel de
voyage, et parfois même pour le protéger dans les endroits
peu sûrs.
En recruter un ne sera pas chose difficile à Alexandrie :
ils se présentent d’eux-mêmes aux touristes. Le plus com-
pétent, notamment par sa maîtrise parfaite du français, se
nomme Alexandre Joux. Ses parents sont des émigrés franc-
comtois.
Ce drogman s’occupe de toutes les formalités adminis-
tratives avec les autochtones, que ce soit en train, en caravane
ou par bateau, ce qui apporte un confort conséquent pour
ses employeurs. Si seulement les PJ savaient...
294
Ce drogman qu’ils ont embauché est en réalité le Voleur
de Visages, Vinditien Guillain Marie (hé oui, encore lui !),
qui tente de pister Carter en suivant les héros. Il leur sou-
tirera un maximum de renseignements, et les PJ devraient
s’inquiéter de cette curiosité débordante...
Ce nom peut leur être familier : à la scène 2, c’est le nom
du compagnon de voyage de l’Anarchiste. S’ils venaient à
mettre en doute sa bonne foi, Vinditien entrera dans une
crise et montrera son vrai visage : celui de l’Ombre telle
qu’elle est décrite dans les archétypes du chapitre 5. Il
s’enfuira rapidement, laissant les PJ dans l’expectative.
2 La felouque
Embarcation de pêche rustique à voile unique. Location
25 à 100 LS par mois (avec domestique cuisinier à 2-5 LS/
mois). Tout prévoir en plus, seul le transport est assuré. S’en
occuper demande des tests de pratique pour ceux qui ne sont
pas initiés dans l’art de naviguer.
C’est une solution peu judicieuse compte tenu de sa
lenteur : si les PJ effectuent tout leur trajet ainsi, ils ne
pourront jamais coincer Carter au chapitre 7 et échoueront
dans leur mission. Au MJ de leur signifier cette perte de
temps problématique.
2 En Dahabieh
Le raïs est un personnage incontournable pour qui désire
descendre le Nil du Caire à la première ou seconde cataracte.
Il est le propriétaire du Dahabiyé et commande un équipage
de cinq à dix hommes.
C’est un petit navire à vapeur pouvant se louer au
mois, à la semaine ou à la journée. La location du Nitoeris,
vapeur aménagé pour 8 personnes coûte, pour un mois
et 4 personnes : 400 Livres Anglaises (550 LA pour 6),
nourriture et ânes compris.
Le prix de la traversée est fixe, sauf si l’on parvient à
marchander ou si le drogman s’en charge.
En voyageant de la sorte, les PJ peuvent s’arrêter où ils
le souhaitent et converser avec les autochtones sur le pays
et le désert.
2 Thomas Cook voyages
Voici une formule de voyage qui ravira le PJ prudent
ayant déjà fantasmé sur les publicités aguicheuses de la firme
Cook. Un second forfait prend le relais de celui accompli
entre Paris et le Caire (décrit à la scène 2).
 Formule : « voyage en 20 jours à partir du Caire
et retour ». Prix : 50 Livres anglaises (60 pour une
cabine de malade) avec 100 kg de bagages (+1 livre
anglais par excédent de 50kg), la nourriture (sans vin,
eau minérale ou spiritueux), ânes et guides pour les
excursions (pourboire en sus). Pharmacie et médecin
à bord (en sus).
 1er jour : départ du Caire à 10h du matin. Bédracheim,
excursion à Sakkarah et arrivée le soir à Kafr el Ayât
(59 km du Caire)
 Campagne
Thomas Cook voyages
Dès 1877, Cook obtient la concession de l’ensemble
des transports sur le Nil et construit à Louqsor l’hôtel
Winter Palace. En 1880, Thomas Cook & Son gagne le
Service Postal égyptien. L’affaire semble n’avoir aucun
intérêt sauf sur un point essentiel : une clause permet
à Cook de construire ses propres bateaux et donc de se
dégager de toute obligation envers le Khédive.
Dès les années 1900, les premiers vapeurs
explicitement conçus pour les croisières sur le Nil
naviguent. C’est la belle époque du tourisme égyptien
réalisé avec des grands navires, d’une capacité de 80
passagers pour les voyageurs individuels et des modèles
plus petits pour les groupes. En effet, on voyageait
rarement seul, les couples emportant avec eux leurs
enfants et leurs domestiques : les familles comptaient
une dizaine de personnes.
 2ème jour : voyage jusqu’à Maghâgha (170 km)
 3ème jour : Bénihasan, visites puis Rôda en soirée
(293 km)
 4ème jour : voyage jusqu’à Sioût ((407 km)
 5ème jour : le matin visite de Sioût, puis l’après-midi
jusqu’à Sohâg (473 km)
 6ème jour : jusqu’à Déchné (625km), avec passage par
Béliané et excursion à Abydos
 7ème jour : à l’aube départ pour Kéné (visite), puis
arrivée à 5 h de l’après midi à Louxor (720 km)
 8ème jour à 10eme jour : visite de Thèbes, Karnac,
Louqsor
 11ème jour : voyage jusqu’à Esné, visite puis voyage
jusqu’à Edfou (830 km)
 12ème jour : voyage par Gébel Silsité et Kôm Oumbo
jusqu’à Assouan. En soirée, visite de l’Ile Elephantine
 13ème jour : Assouan
 14ème jour : jusqu’au barrage et à l’Ile de Philae
 15ème jour : début du retour. Louqsor
Heureusement, le service et le confort à bord s’avèrent
si agréables que les souffrances des excursions se laissent
facilement oublier. L’armateur a prévu des salons pour jouer
aux cartes et au backgammon, une salle de repos et même, tout
à l’avant du bateau, une salle de dessin où les ladies anglaises
peuvent s’adonner à leur art favori, l’aquarelle. Les messieurs
ont à leur disposition un fumoir où les serveurs apportent leurs
boissons favorites, whisky et porto compris.
En cas de difficulté, le médecin de bord dispose d’une
infirmerie équipée de matériel de petite chirurgie, mais
tout est prévu pour éviter les désagréments : une chambre
froide permet la conservation des aliments, et l’eau est
régulièrement mise à bouillir dans une salle spéciale.
295
Deux choses pourraient faire hésiter les PJ quant
au choix de la croisière : sa relative lenteur, du fait des
nombreuses excursions prévues, et l’impossibilité de changer
d’itinéraire. Certes, les balades sur les ânes, les lunches
dans les tentes à 13 heures sonnantes, la longue excursion
aux environs de Louqsor sont enivrantes. Se balader en
compagnie de ces dames anglaises et voir la Vallée des Morts
dans un environnement de chapeaux à fleurs, ombrelles et
crinolines est plutôt heureux. Le passage par Philae, prévu le
14ème jour, est un aubaine, avec en plus un retour prévu si
les PJ ne passent qu’une journée sur les lieux. Mais comment
ne pas avoir l’impression de piétiner quand on sait que
Carter court toujours ?
2 Le train
Alexandrie - Le Caire :
 La première ligne de chemin de fer est ouverte en 1857.
Durée du voyage : 3h30 en express, 6 à 7h en omnibus
(280 km). L’express pour le Caire part généralement
4h après le débarquement (mais attention aux aléas
maritimes) si l’on a pris un forfait tout compris à la
scène 1.
 Prix hors forfait : 87,5 piastres en Première/43,50
piastres en Seconde. Le Baedeker interdit formellement
les 3ème classes qui sont « à laisser aux autochtones, les
secondes classes sont à la limite du tolérable et les premières
correctes, sans plus, selon les critères européens. Pour les
domestiques, la seconde classe est normale compte tenu
de l’état. »
Le Caire - Philae :
Du Caire à Louqsor.
 Départ de la gare centrale. Train dit « de luxe » avec
wagon-restaurant et wagons-lits partant les lundi,
mercredi et samedi (retour de Louqsor les mardi, jeudi
et dimanche). Deux express par jour.
 Durée du trajet : 14h30.
 Prix (1ère, 2de et 3ème) : 2,60 Livres Égyptiennes
(LE), 1,30 LE, 41,50 piastres.
De Louqsor à Assouan
 Durée du trajet : 7 à 9h
D’Assouan à Philae.
 La plupart des touristes s’y rendent en chemin de fer
(durée : ½h, 10, 3 et 1 piastres). Le chemin du désert
est préférable (âne : 5 piastres, aller et retour : 10,
bakchich : 2, vital pour ne pas risquer d’être rossé). Au
final, le chemin du désert et le train arrivent au village
de Chellâl pour louer une barque (5 piastres aller et
retour après marchandage).
 Chapitre 7

2 Excursions et évènements possibles Le temple de Canope

Ces trois évènements ne sont possibles que si les PJ
voyagent par leur propres moyens, c’est-à-dire sans l’agence
Cook.
Les bédouins
« J’éprouvais une stupeur mêlée de pitié devant cette
désagrégation de la personne humaine par un retour voulu à
l’animalité... Nous assistons à une illustration chorégraphique
de l’instinct bestial, à un engloutissement de l’esprit par la
matière. »
Édouard Schuré, Sanctuaires d’Orient (1898)
Les PJ souhaitant faire le chemin par la route qui
longe le Nil devront faire appel à une caravane pour éviter
les embûches qui menacent les voyageurs esseulés. Ils se
mettront facilement en rapport avec des bédouins très
accueillants qui cheminent vers le Caire. Ils pourront ainsi
partager le refuge de leurs tentes, et profiter de leurs fêtes
traditionnelles. Le désert est particulièrement froid la nuit, le
sable restituant la chaleur accumulée le jour. Un magnifique
ciel étoilé émerveillera les parisiens peu habitués à une telle
limpidité. Ils disent être payés par des français, et devoir
éviter les anglais qui remontent vers le Caire après avoir livré
des antiquités à des français. D’après leur description, ils
auraient rencontré un lord anglais accompagné d’une dizaine
d’arabes imberbes sur leur chemin d’aller. Apprenant son
origine, ils ont soigneusement pris congé.
Les danses lascives de leurs femmes émoustilleront les
PJ les plus passionnés par les courbes féminines : espérons
qu’ils ne fassent pas de faute de bienséance envers leurs
hôtes... (Gérez au mieux leurs passions, et rappelez-vous de
la réputation de l’Orient libertin !)
Mirages
La chaleur accablante assène un point de fatigue physi-
que et mentale aux PJ mal équipés. La soif intense tiraille vos
personnages. Comme du sel ajouté sur une plaie béante, les
mirages vont leur jouer de mauvais tours...
Important : Pour la visite des temples et des tombeaux
de la Haute-Égypte, il faut une « Carte de Légitimation ».
On se la procure dans les agences de voyages type Cook ou
au musée égyptien. Coût : 1,20 Livre Égyptienne.
Pour un site : ticket de 10 Shillings en vente aux mêmes
endroits.
Les PJ rallient un temple bâti par les grecs, de style dori-
que, avec des colonnes de granit rose. D’après les légendes
locales, les vieillards y retrouvent la jeunesse et les malades
la santé.
Le temple est désert. Une fouille sommaire du site révèle
des caractères épigraphiques formant le mot « Carter ». Un
cartouche nommant Osiris est apposé à sa droite ; il a été
rédigé par la même main. Un test d’intrigue ou de traque
réussi montre que le sol a été remué depuis peu : les PJ
trouveront une statuette Ba de la Femme Fatale, avec un
parchemin de magie Heka (annexe 2, parchemin 3).
« Ce supplice d’un nouveau genre a besoin d’être
expliqué, puisqu’il est l’effet d’une illusion qui n’a lieu
que dans ces contrées : elle est produite par le mirage des
objets saillants sur les rayons obliques du soleil réfractés
par l’ardeur de la terre embrasée ; ce phénomène offre
tellement l’image de l’eau qu’on y est trompé la dixième
comme la première fois. »
Vivian Denon
Ouverture
Tout dépend du trajet.
 Le Caire et la scène 5 en partant de la scène 2.
 La première cataracte du Nil en partant du Caire : allez
en scène 7.

Lors du premier mirage, un test de sciences du vivant

[sciences naturelles] empêche les héros de se précipiter
vers l’oasis rêvée. Un échec dans cette perception entraîne
un point de névrose causé par la cruelle désillusion d’un
mirage ; s’il est critique, le gain se fait sur la psychose, le
personnage craquant nerveusement et sombrant dans un
court délire.
Pour les malheureux gratifiés d’une passion pour le
confort, les gains de névrose sont doublés.
A contrario, les chrétiens mystiques perdent 1 point de
psychose, cette traversée du désert prenant des allures de
pèlerinage...

Heureusement, des citernes jalonnent leur parcours

pour éviter la complète déshydratation.

296
 Campagne
Acte II. L’ombre d’Al Fustat
Scène 5. Le traquenard cairote
« Les minarets par milliers se levèrent de partout comme
les épis de blé dans un champ, jusqu’au fond des lointains,
on voit se multiplier leurs pointes fuselées ; mais, au lieu
d’être simplement, comme à Istanbul, des flèches blanches, ils
se compliquent ici d’arabesques, de galeries, de clochetons, de
colonnettes, et semblent avoir emprunté la couleur fauve des
proches déserts. »
Pierre Loti, La Mort de Philae
Résumé
On commence par une prise de contact au muséum
français et par la découverte d’une statuette Ba de la
Femme Fatale. Une récolte d’amulettes à l’Institut Oriental
peut constituer un aboutissement. Le Voleur de Visages,
transformé en Ombre, les guide ensuite dans un piège : une
confrontation avec des bandits au pied des pyramides.
Décors et paysages dans Crimes
L’environnement est essentiel pour distiller
l’ambiance pesante du jeu. Voici quelques pistes
générales pour gérer les décors illustrant vos scènes.
Les maisons ne sont plus des refuges. Ces
sanctuaires où les personnages ont leurs repères bas-
culent dès que le surnaturel entre en jeu : les effets
de lumière, la déformation de la réalité, la sensation
d’une présence invisible, l’animation d’objets fami-
liers font basculer leur fausse tranquillité.
Même les jardins, les espaces naturels et autres
lieux de repos en deviennent inquiétants. Ces
paradis perdus sont investis de signes troublants,
présages des malheurs à venir. La végétation se
flétrit, le ciel se couvre, l’orage gronde. Des bruits
sourds se font entendre. L’extérieur se fait l’écho de
la nature intérieure des personnages.
Ce monde est parsemé de ruines que les plus
romantiques contemplent en silence. Ces ruines
sont les témoignages des mondes passés qui nous
alertent sur l’imminente décadence du monde
présent. Ce sont des portes ouvertes vers la rêverie,
des clés pour la compréhension de notre destruction
prochaine. Ces ruines inexplorées suscitent un
sentiment de danger, de douleur chez les aventuriers
qui y pénétreraient. Ce sont des enchevêtrements de
souterrains, des labyrinthes où le héros se perd et
perd son âme ; une longue quête initiatique pour
débusquer son Minotaure intérieur. Une source
de sublime que Bonaparte lui-même ressentit en
Égypte, au pied des pyramides.
297
Environnement
La population innombrable d’Al Fustat, le Caire arabe,
est concentrée dans une ribambelle de médinas toutes
similaires. Les minarets constellent cet urbanisme sans génie.
Seule une grande place articule ce plan anarchique. Au loin,
le cimetière mamelouk ressemble à une ville de marbre
blanc aux colonnes couronnées de dômes et de palanquins.
Il est dommage que la nécropole soit la seule à apporter
une touche de gaieté à ce vaste ensemble. Les voyageurs
contemplent ce spectacle du haut des monts Mokattam
qui ceinturent la ville. On voit, vers le sud, les silhouettes
des pyramides de Gizeh. Au loin le Nil, tel un long reptile,
serpente paresseusement dans la vallée stérile.
Thèmes majeurs
 L’ombre menaçante de l’occultisme sur un paradis pour
touristes européens.
 Le décalage entre tradition et modernité.
Déroulement
2 Que faire au Caire ?
Il serait dommage de rester autour de la gare centrale,
à la merci des marchands ambulants, sans profiter des vues
splendides du palais d’Ibrahim Pascha, de la Reine Mère, du
Khédive ou du musée égyptien, encore en construction.
Une sortie à l’opéra, au théâtre autour du parc
El Ezbekiyeh ravira les nostalgiques de l’Europe.
Cependant, il ne faudra pas oublier la mission qui va les
amener à rencontrer Maspero, dans le paragraphe suivant.
2 L’Institut Français d’Archéologie Orientale
Les PJ devront se débrouiller pour trouver la rue
d’Antikhana, adresse de l’IFAO fondée en 1898 par Maspero.
L’archéologue revient d’une mission dans la Vallée des Morts,
très occupé qu’il est à traquer les trafiquants qui sévissent à
Gourna, le village le plus proche de ces fabuleuses tombes.
Il vient superviser le travail énorme de copie d’inscriptions
entrepris au temple d’Edfou. C’est un homme très occupé,
sans cesse en mouvement, qui répond aux questions des PJ
déboussolés.
Sur la momie d’Hatshepsout, s’ils l’ont encore en leur
possession :
— Vous l’avez récupérée ? C’est merveilleux ! Nous
allons pouvoir lui faire réintégrer sa tombe. Dire que
mon imbécile de frère l’avait vendue... J’espère qu’elle est
complète, que son cœur et ses substances internes n’ont pas
été trop altérés...
Chapitre 7

298
 Campagne
Si la momie d’Hatshepsout-Ménétré rejoint celle de
son époux Thoutmosis III au musée du Caire, les héros
bénéficieront d’un gain important de points d’expérience.
Sur l’odyssée de Carter : Maspero, cartésien, réfute en
bloc les hypothèses les plus farfelues proposées par les héros.
Par contre, il se montre très sensible au fait que Carter ait
volé la mumia du cadavre.
— En effet, j’ai rencontré ce voyageur anglais
particulièrement érudit, il y a de cela quatre heures. Un vrai
. Il m’a offert ceci, dit-il en montrant de la tête une statuette.
Il devait livrer le reste pour les œuvres du musée mais s’est
fait voler pendant le débarquement du navire au Caire ! Il est
parti voici trois heures.
Les PJ défaillent en reconnaissant les traits de la Femme
Fatale, combinés à ceux de la déesse Isis.
— C’est un moulage de l’original. Il m’a demandé
de l’authentifier et de lui envoyer l’expertise à l’hôtel
Continental. Il était pressé : il devait embarquer sur le bateau
en partance pour Assouan. Il m’a confié vouloir se recueillir
au pied des pyramides. Curieux, pour un anglais. Vous ne
pouvez pas le rater en vous pressant...
Maspero leur propose les services d’un homme de
main nommé Ibrahim pour les guider vers l’hôtel ou les
pyramides. Mal lui en prend : Ibrahim n’est autre que le
Voleur de Visages, qui les entraînera dans un guêpier (voir à
ce sujet le drogman de la scène 4).
Pour des renseignements sur le Heka, la mumia : les PJ
collecteront des informations analogues à celles du Louvre
(voir le scénario Amour à Mort, scène 3).
La Golden Dawn, Crowley
et le musée du Caire.
Cette célèbre société secrète sera détaillée dans un
prochain supplément de Crimes. Nombre de ses théories
et rituels dérivèrent des mythes égyptiens, autour des
figures d’Isis, Apophis, Thot (le grand initié) et Osiris.
Ces initiations à l’antique étaient le point de départ d’un
développement du potentiel magique et de l’immortalité
brigués par les adeptes. L’identification à Osiris, dans ce
but ultime, était grandement encouragée.
Lors de sa visite au Caire en 1904, l’initié Aleister
Crowley, qui se considérait comme l’incarnation de la
Bête de l’Apocalypse de Saint Jean (XVIII, 18), prit le
nom de Ankh-f-n-Khonsu, du nom du prêtre que la
pièce 666 du musée commémorait. Il annonça prophé-
tiquement l’avènement de l’âge d’Horus, suite à l’âge
d’Osiris basé sur la résurrection, en parallèle avec la foi
chrétienne.
Carter semble croire aux mêmes démons, pensant
que ce passage de 1900 serait le meilleur moment pour
proclamer son apothéose avant la fin du monde.
299
2 L’occultiste emprisonné
L’hôtel Grand Continental : une imposante bâtisse avec
des faux airs de Gare Saint-Lazare. Le nom de l’hôtel trône
fièrement sur des poutrelles métalliques situées sur le toit
plat. Des arbres européens ont été acclimatés pour tracer
une majestueuse ligne le long de l’avenue. A gauche, la statue
équestre du fier Ibrahim Pasha, le poing levé.
La réception a bien noté la présence du citoyen Craig
Carter, qui occupe la chambre 66. L’intérieur ressemble à s’y
méprendre à un palace parisien !
La chambre 66 n’est pas fermée. L’intérieur est luxueux,
quoiqu’un peu exigu (une trentaine de mètres carrés). Un
superbe tapis persan est disposé en son centre. Rien de bien
sidérant, si ce n’est la présence inopportune d’un visiteur
assis en tailleur sur le tapis, maculé d’un liquide rouge
disposé en pentacle sur le sol.
Andrew Mathers
Métier : homme d’affaires
Convictions : apolitique, mystique
Dimension sociale : 28 ans, célibataire,
membre d’une secte
Potentiels
Physique : 2
Mental : 4
Social : 3
Compétences
Novice en larcin
Pratiquant en sciences abstraites, société
et sciences de l’homme
Maître en occultisme, spécialisé
en [langues hermétiques]
Psychologie
Passion principale : l’absolu
Passion secondaire : l’intrigue
Tabou : la traîtrise
Tempérament : flegmatique
Tendance : schizoïde
Angoisse : 0
Psychose : 4
Seuil de névrose : 8
Il possède en outre 150 livres sterling.
L’individu dit s’appeler Andrew Mathers. Sa position
semble des plus inconfortables et sa langue se délie rapide-
ment, même en français. Il dit être membre de la Golden
Dawn, une société secrète anglaise : on l’a chargé de retrou-
ver Carter au plus vite avant que celui-ci ne parvienne à sa
destination. Cependant, Carter l’a assommé et enfermé dans
ce pentacle dont il ne peut sortir. Il dit avoir les clés pour
arrêter Carter, également initié de la Golden Dawn Outer, à
la fin de son odyssée.
 Chapitre 7
Les PJ vont-ils croire cet occultiste ? Celui-ci a besoin
de retrouver Carter. Il est prêt à lâcher les renseignements
suivants pour être libéré :
 Carter est un membre de la Golden Dawn et il a trahi
les siens dans un but personnel.
 Carter veut ressusciter une momie avec un rituel qui
risque de l’abandonner, errante, dans le monde civilisé.
Il pense, de plus, accéder ainsi à une apothéose qui
ferait de lui le nouvel Osiris. Andrew est on ne peut
plus sérieux dans ses propos. Selon lui, seule l’utilisa-
tion d’un parchemin en sa possession (voir l’annexe 2,
parchemin 4) permet de le contrecarrer.
 Andrew est prêt à accompagner les PJ s’ils le relâchent
et le laissent venir avec eux.
2 Le moment du départ : les pyramides
« Te souviens-tu de ces jours trop rapides
Où le français acquit tant de renom,
Te souviens-tu sur les Pyramides
Chacun de nous osa graver son nom ?
Malgré les vents, malgré la terre et l’onde
On vit flotter après l’avoir vaincu
Notre étendard, le berceau du monde
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ? »
Debraux
300
Les psylles
Cette rémanence des temps antiques forme un
bataillon de fanatiques anti-européens. Selon le grec
Strabon, les psylles exposaient leurs nouveaux-nés au
contact de serpents pour s’assurer de leur légitimité,
convaincus qu’ils en étaient immunisés. Ces indigènes
possèdent des tatouages en forme de serpent et un obser-
vateur aguerri sera alerté par les innombrables traces de
morsure d’ophidiens. Découvrir la nature de cette secte
incitera à la méfiance, à raison. Le Voleur de Visages s’est
approprié leurs services pour piéger les PJ responsables
de sa déchéance.
Les PJ peuvent faire un détour par les pyramides, par
volonté personnelle ou dans l’espoir d’y trouver Carter.
Sinon, vous pouvez passer directement aux ouvertures. Ils
pourront gloser sur ces merveilles du monde tel Napoléon.
Quelques européens y flânent, tout en consultant leurs
montres afin de ne pas manquer le départ de leur bateau
de croisière. Le Voleur de Visages, qu’il ait l’apparence
d’un drogman ou d’un autochtone, leur a tendu le piège
suivant...
Quatre indigènes font le bonheur des touristes par leur
numéro de charmeurs de serpents. Les PJ sont cordialement
invités à se joindre à l’assemblée. Mis à part l’un d’eux, tous
sont couturés de cicatrices et de traces de morsures sur les
avant-bras. Un test de sciences de l’homme [histoire] les
identifie comme membres de la secte des psylles.
 Campagne
Psylles
Métier : responsables de caravanes
Convictions : anticolonialiste, mystique
Dimension sociale : membre d’une secte
Potentiels
Physique : 3
Mental : 2
Social : 2
Compétences
Novice en larcin
Pratiquant en combat et traque
Armement : des kriss recourbés (dégâts : physique +2)
Le premier d’entre eux se bat avec ses serpents,
deux petits najas. Un écart de deux réussites signifie
une morsure pour la victime (dégâts : 5 et poison
virulent à 2D). Ce combat procure 1 point de
névrose et 1 point supplémentaire par morsure reçue.
Psychologie
Passion principale : l’absolu
Passion secondaire : la ruine
Tabou : l’honneur (au sens musulman)
Tempérament : colérique
Tendance : paranoïaque
Angoisse : 1
Psychose : 3
Seuil de névrose : 5
Peu après et contre toute attente, le charmeur se saisit
de deux reptiles et se jette sur le PJ le plus proche. L’assaut
suivant concerne les quatre autres autochtones qui attaquent
le groupe entier, provoquant la confusion chez les touristes.
Au bout de trois assauts, dans la fureur du combat, le
Voleur de Visages perd le contrôle et sa malédiction le rat-
trape : son visage commence à suinter, à se creuser, ses chairs
tombent dans un gargouillis abominable. Bientôt le crâne
apparaît, ensanglanté. Il profère alors des jurons sur le retour
de son amnésie. Les psylles sont terrifiés : c’est le moment
de fuir vers la seule retraite possible qu’est le fleuve. La ville
est en effet trop éloignée.
Ouverture
 Soit les PJ rejoignent un navire de croisière (scène 6).
 Soit ils prennent un bateau de pêcheur pour continuer
leur voyage (scène 4).
 Ou ils reviennent au Caire (scène 5) afin de poursuivre
leur exploration et trouver un autre moyen de transport
(scène 4).
301
Scène 6. Meurtre sur le Nil ?
« Le papillon oublie bien souvent qu’il a été chenille. »
Proverbe danois
Résumé
Cette scène optionnelle n’intervient que si les PJ
descendent le Nil en bateau à vapeur.
Sur le bateau de croisière : rencontre et dialogue avec
Carter, plus un combat éventuel.
Carter plonge dans le Nil, puis il est mutilé par l’hélice
du navire.
Environnement
Se reporter à la scène 4, paragraphe Thomas Cook
Voyages. Le navire en question s’appelle le Rameses the Great
(78 places à bord, la plupart étant attribuées). Il en est à son
premier jour de croisière.
Le bateau comporte deux ponts. Le premier est
parcouru de chaque côté par des coursives couvertes qui
relient les différentes salles communes. Le pont supérieur
n’est pas couvert. Il rassemble les chaloupes, les deux
cheminées qui ne cessent de cracher leur panache noir,
ainsi que la cabine du capitaine. L’équipage compte une
dizaine de membres.
Thèmes majeurs
 Fin de scénario avortée.
 Première confrontation physique avec Carter.
Déroulement
2 Un premier face à face
Les PJ ont l’opportunité de se reposer et de récupérer
un point de fatigue par nuit passée à bord. Le troisième
jour, le Rameses the Great amarre en vue de l’excursion à
Bénihasan. Les chaloupes sont mises à l’eau et le capitaine
fait mander tous les passagers. Les PJ observateurs auront
la surprise de voir l’agent Carter parmi eux, identifiable
grâce aux photos données par la préfecture de police.
S’ils n’ont pas joué le scénario La Fée Verte ou s’ils sont
méconnaissables, ils auront l’avantage de la surprise. A eux
d’aborder le dangereux Carter. Dans le cas contraire, c’est
l’agent anglais qui se présentera spontanément à eux.
Carter, ce trentenaire si sûr de lui, pose sur cette photo
tel un grand lord se faisant tirer le portrait. Ces cheveux
bruns qui contrastaient jadis avec son teint livide, ce visage
mangé par deux grands yeux noisettes plongés dans une
 Chapitre 7

2 La seconde mort de Carter

Carter doit être déséquilibré vers l’arrière et buter contre
Craig Carter
une des tringles de la coque. Il tombera lourdement et
Métier : enquêteur de police dépêché à Paris glissera vers le gouvernail, plongera et se retrouvera pris dans
Origine : Londres l’hélice. Un bruit et des cris horribles accompagneront les
Convictions : patriote (Angleterre), mystique flots de sang écarlate qui se mêleront aux eaux verdâtres du
Dimension sociale : célibataire, membre fleuve. Ensuite des remous, un bras dressé puis sectionné,
d’une société secrète et plus rien.
Il sera impossible de récupérer la moindre partie de son
Potentiels cadavre, et il voyageait sans bagage...
Physique : 4
Mental : 5
Social : 3

Compétences
Pratiquant en combat, sciences de l’homme, « Doué d’une délicatesse d’esprit vraiment extraordi-
société et sciences de l’homme naire, il avait uni l’amour de tout ce qui est aimable à
Maître en combat, spécialisé en [armes à feu] une violente passion pour la gloire, et à un nombre de con-
(il possède un revolver de poing avec 6 de dégâts naissances acquises les moyens et la volonté d’ajouter celles
dans sa valise) ; maître en occultisme, spécialisé qu’il n’avait pas eu le temps de perfectionner ; on trouvait
en [langues hermétiques] en lui une curiosité active qui rendait sa société toujours
agréable, sa conversation continuellement intéressante. »
Psychologie Vivian Denon
Passion principale : l’absolu
Passion secondaire : l’amour
Tabou : subir une défaite
Déchéances :
- Décrépitude (n’est pas sujet aux limitations
Ouverture
de potentiel en cas de blessure)
- Arrivisme (peut toujours se dépasser)
- Fatum (ne peut mourir avant la scène 8)  Les PJ peuvent rebrousser chemin, estimant leur
Tempérament : flegmatique mission accomplie : ils n’en ont pourtant aucune
Tendance : schizoïde preuve !
Angoisse : 0  S’ils poursuivent leur odyssée, ils arriveront en vue de
Psychose : 5 Philae, au 14ème jour de croisière. Passez alors à la
Seuil de névrose : 6
scène 7.

profonde méditation, tout cela paraît bien loin... Il n’est plus

que l’ombre de lui-même. Il est émacié, la maigreur a creusé
ses orbites qui entourent désormais un regard halluciné. Sa
mâchoire proéminente rend méconnaissable une bouche
jadis fine et discrète. Ce corps malade masque pourtant une
énergie débordante qui transparaît dans la grâce féline avec
laquelle il se déplace.

La conversation sera très brève. Carter refuse de se

soumettre à une quelconque arrestation. Si les PJ sont
trop insistants il engage le combat, bien que désarmé : ses
déchéances devraient lui assurer une bonne résistance.

Il prétend ne pas avoir perdu son chargement (dont le

sarcophage) mais l’avoir expédié vers Philae. Il conjure les
PJ de le laisser tranquille, espérant gagner ainsi un peu de
répit. Que ce soit pendant le combat ou par simple accident
les jours suivants, vous devez faire disparaître Carter de la
façon suivante.

302
 Campagne

Acte III. Résurrection d’un couple

Scène 7. Le temple de l’éternité
« La race fellah, gardienne inconnue du prodigieux passé,
somnolait sans désirs nouveaux et à peu près sans souffrance ;
le temps coulait pour l’Égypte dans une grande paix de soleil et
de mort... Mais des étrangers à présent sont maîtres et viennent
de réveiller le vieux Nil pour l’asservir... Ils ont défiguré sa
vallée... Ils ont imposé silence à ses cataractes, capté son eau
précieuse... »
« Sous le même portique étaient peintes dans les
plafonds des tables astronomiques, des théories des
éléments, et sur les murs, des cérémonies religieuses, des
images, des prêtres et des dieux ; à côté des portes, les
portraits gigantesques de quelques souverains, ou des
figures emblématiques de la force et de la puissance
menaçant un groupe de personnages suppliants, qu’elles
tiennent d’une main par leurs cheveux rassemblés. Sont-ce
des sujets rebelles ? Sont-ce des ennemis vaincus ? »
Vivant Denon, Le Temple de Philae

Pierre Loti Thèmes majeurs

Résumé  Vengeance à l’encontre des profanateurs de tombe.

 Les horreurs venues du passé.
On découvre l’île de Philae et son temple, où des
sacrifices de chercheurs européens ont été perpétrés devant Déroulement
un puits des âmes.
Les PJ entrent ensuite dans le mastaba. La traversée du Nil se fait sans encombre. L’île de
Philae n’est pas encore immergée, même si quelques vagues
viennent lécher la base de ses monuments.
Environnement
2 Le camp de travail
Coucher de soleil. Le berceau de l’Égypte n’a pas
échappé aux prédations humaines. En effet, un petit barrage « Une pyramide effroyable de morts et de mourants dégout-
nommé El-Khazzan est actuellement en construction. Long tant le sang. »
de deux kilomètres et haut de trente mètres il devrait, une
fois achevé, recouvrir l’île de Philae et son temple. J. Miot, Mémoire pour servir à l’histoire
Ce temple, commencé sous Nectanébo Ier, est le des expéditions en Égypte et en Syrie,
domaine d’Isis : mère universelle, magicienne régnant sur la à propos du massacre de Jaffa par Napoléon (1814)
vie, la mort et la résurrection. Isis, après avoir rassemblé les
morceaux du corps de son époux tué par Seth, fabriqua la Un campement de fortune a été installé auprès des seuls
première momie qu’elle cacha à Bigeh, un endroit idéal pour arbres présents sur l’île, à côté de l’église copte. Des fouilles
la résurrection d’Hannah Chenu et l’apothéose de Craig de sauvetage sont en cours (ou plutôt étaient en cours, vu
Carter. Il fallut attendre 550 après JC pour que ce sanctuaire l’état des installations).
soit fermé par l’empereur
byzantin Justinien !
Sur l’île en sursis on
trouve huit bâtiments en
ruines, des sanctuaires
voisins mais de styles et
d’époques bien distincts.
Au sud-est, des ruines
grecques et romaines ; au
nord, une église catholi-
que abandonnée montre
la récupération du lieu
de culte par la chrétienté.
Quelques tentes, vues de
loin, semblent attester de
la présence des chercheurs
européens. Elles sont dres-
sées à l’ombre d’arbres,
avec au centre ce qui sem-
ble être un ancien puits.

303
 Chapitre 7

Un âtre encore fumant indique que les occupants 2 La Maison de Naissance

sont partis depuis peu. Enfin... Ils ont essayé. Des traînées Bâtiment à droite de la cour comprise entre les deux
écarlates partent des tentes vers le temple d’Isis. Les affaires pylônes, avec des colonnes à chapiteau.
sont sens dessus dessous. Une fouille rapide des documents Dès que les PJ entrent dans le temple, ils sont assaillis
permet de mettre la main sur un inventaire des objets de visions : ils voient le rituel de naissance du fils d’Isis, un
archéologiques : on y trouve tous les éléments découverts bébé à tête de faucon, et des prêtres qui prennent soin de
dans le sanctuaire. Cet inventaire sera précieux quand il la mère.
s’agira de savoir quels sont les éléments importés par Carter, Plus inquiétant : derrière eux, les statues de lions
et ceux d’origine. semblent avoir bougé. Un feulement s’en dégage et provoque
le gain d’un point de névrose.
Ce puits a une fonction bien particulière. Les personnages Un escalier mène au second pylône de 13 mètres
peuvent en comprendre la fonction par un test d’occultisme qui offre le même bas-relief d’un pharaon massacrant ses
[spiritisme], qui leur en fera sentir les vibrations. ennemis. Deux emplacements vides rappellent le souvenir
C’est un puits des âmes, l’une des premières formes des obélisques transférés à Kingston Hall, en Angleterre.
d’inhumation de momies
dans la préhistoire du pays. 2 La salle hypostyle
Les défunts y étaient des- Partie du temple jadis
cendus dans un sac de peau interdite aux profanes, ornée
de vache teinté de rouge, de douze gigantesques colon-
dans une position fœtale. nes symbolisant les piliers
Les âmes ne semblent pas du ciel.
avoir trouvé le repos, surtout Des ombres fantomati-
avec le massacre qui vient ques montrent des prêtres
de s’y dérouler. Posséder le en plein office, s’affairant
parchemin adéquat (annexe autour d’un pharaon dont
2, parchemin 3) et une com- les traits évoquent ceux de
pétence d’occultisme est un Carter, grimé en Osiris ! Ces
moyen utile d’éveiller ces visions sont intangibles et se
âmes gardiennes une fois dissipent pour réapparaître
la nuit tombée. Elles quit- un peu plus loin.
teront leur nécropole pour Les PJ gagnent un
traquer l’intrus qui menace, nouveau point de névrose.
pour elles, l’ordre du monde
établi : Craig Carter. 2 Vers le naos
Un échec critique retour- Le naos est plongé dans
ne ces âmes gardiennes contre l’obscurité, toutes ses salles
les PJ : leurs caractéristiques étant couvertes. Les PJ doi-
figurent en annexe 2. vent diffuser de la lumière
pour continuer à avancer
2 L’entrée du temple d’Isis dans de bonnes conditions, sans quoi ils ne pourront gar-
Ce temple s’ouvre sur de gigantesques pylônes. Le der qu’un dé pour leurs actions et gagneront un point de
premier culmine à 18 mètres et représente les massacres des névrose.
captifs. On devine quelques représentations d’Isis martelées
à l’époque chrétienne. Deux statuettes léonines, fortement L’entrée décrite ci-dessus mène à une chapelle étroite qui
dégradées, semblent interdire l’accès. recèle de nombreuses statuettes votives, toutes répertoriées
Carter a devancé les PJ et se prépare au rituel final. Le dans l’inventaire. Le culte semble avoir pour objet la déesse
temple vibre de l’énergie occulte accumulée, et les PJ vont Isis qui trône au fond de la chapelle, masquant une partie
s’en apercevoir dès le franchissement des pylônes. de la façade. En fouillant bien, on découvre facilement
un mince regard dévoilant une autre pièce obscure. Une
Jusqu’à la scène 8, les PJ sont sujets à la déchéance fine ouverture a été pratiquée par les fouilleurs derrière la
appelée « cauchemar fondamental » : ils assistent à toutes les silhouette imposante de la déesse. Les traces de sang vont
manifestations surnaturelles du temple, ce qui les oblige à par là.
effectuer un test psychotique en gardant 2D [1D s’ils possè-
dent le premier parchemin]. Les descriptions ultérieures vont Cette seconde chambre est le naos (F), la maison du Ka,
traduire cette nouvelle perception. l’énergie appelée à nourrir le mort.

304
 Campagne

Les carcasses de dix européens (les archéologues présumés) 2 Le saint des saints
gisent écartelés, disposés dans un simulacre de ronde autour Quatre torchères sur les murs, récemment installées,
d’une statuette Ba représentant la Femme Fatale. Carter diffusent une lumière faible. Les PJ ont toujours autant
les a tués comme Pharaon tuait les envahisseurs d’Égypte. de mal à discerner la réalité à travers le voile de cauchemar
Détruire ou enlever la statuette affaiblira considérablement installé dans le temple.
la momie, si jamais elle devait s’éveiller. Cette ultime salle renferme le sarcophage de la momie.
Quatre statues polychromes, de taille et d’apparence
Un test psychotique (2D) vient sanctionner cette vision humaine, sont disposées aux points cardinaux. On retrouve
des plus macabres, surtout dans la mesure où les échos de un pilier Pjed au sud, Anubis à l’ouest, Osiris à l’est, et un
leur agonie résonnent encore dans les murs. A partir de cet génie au nord. Des petites caches renferment quatre statues
instant, les visions cessent jusqu’au saint du saint. Ba plus petites.
La consultation de l’inventaire ou l’examen des statues
Le naos offre quatre issues barrées par quatre herses révèle une anomalie : la statue d’Osiris est une pièce
rouillées, toutes enfoncées. Elles mènent chacune à des rapportée. Carter, ayant entendu les héros arriver, reste
salles différentes d’une vingtaine de mètres de côté, par immobile, comptant sur leurs visions pour passer inaperçu
l’intermédiaire de courts corridors. Seule la salle centrale est dans son costume d’Osiris.
condamnée par une porte de pierre : elle correspond au saint
du saint du plan de Philae.
Ouverture
 La salle VIII comporte trois masques funéraires de
fabrication récente. Encore une fois, la Femme Fatale  Vers la scène suivante : c’est le moment de la confron-
y est représentée. Le premier la montre jeune, l’autre tation finale !
lui donne une expression de sérénité, le dernier défor-
me ses traits en un rictus de souffrance. Une réussite à
un test de sciences humaines ou d’occultisme permet
de comprendre la fonction de cette pièce :
elle régénère la personnalité du défunt par
l’ouverture de la bouche, par l’extraction
du cœur et par l’invocation de son nom.
Briser ces masques privera à coup sûr la
momie de son identité, et donc de toute
possibilité de jugement.
 La salle VII est jonchée de statuettes ana-
logues à celles qui ont jalonné l’odyssée des
héros. Des chariots de guerre et divers acces-
soires magiques liés au Heka témoignent
des trésors laissés par les anciens locataires.
Briser ces statuettes reviendrait à affaiblir
considérablement le potentiel de la momie.
 La salle VI est celle des métamorphoses
et du jugement. Elle est immergée par dix
centimètres d’eau fétide, symbole du marais
primordial d’où sort la Création, mais aussi
du lac qui inonde les parties les plus basses
de l’île ! Des barques putrescentes sont à la
disposition de l’âme. Des momies de fœtus
l’aident à sa renaissance. On y trouve aussi
quatre vases canopes vides. Par la salle VI,
on peut se rendre dans le saint des saints.
 La salle V est vide. Une fouille poussée
(test de traque ou d’investigation) met à
jour un reste de mumia : celle d’Hatshep-
sout-Ménétré qui a servi à Carter pour sa
régénération. Les PJ peuvent en récupérer
deux doses (voir le scénario Amour à Mort,
scène 3).

305
 Chapitre 7
Scène 8. Résurrection ?
« Alors qu’un roulement de tonnerre retentissait, la momie
se dressa lentement hors de son sarcophage. Edric la vit étendre
dans sa direction sa main griffue et recroquevillée, comme pour
le saisir. Il sentit soudain la terrifiante étreinte, puis les ténèbres
se firent... »
Jane Webb, La Momie (1827)
Résumé
Les PJ médusés assistent à l’apparition de Carter, revenu
d’entre les morts en Osiris.
Le jugement de la morte – Hannah Chenu – tourne au
fiasco.
Carter endosse les fautes de sa promise et atteint sa
déchéance ultime.
Le dilemme des héros face à leur proie est entier :
doivent-ils laisser Carter ou le ramener coûte que coûte ?
Environnement
Le saint des saints décrit précédemment.
Thèmes majeurs
 La sanction face aux ambitions humaines. Les PJ, coin-
cés entre pardon et condamnation.
Pour le criminel principal
N’oubliez pas que Crimes n’est pas un jeu mani-
chéen. Il n’y a pas de « grand méchant » simpliste : les
personnages qui portent le crime sur leur visage, quand
on les rencontre, provoquent le soupçon mais en aucun
cas la surprise. C’est toute une dialectique entre l’inno-
cence et la culpabilité que l’on doit établir. Parmi les
suspects, chacun est coupable de quelque chose, même
si cela n’a rien à voir avec votre enquête. Ils avaient
peut-être émis le souhait de tuer la victime, des ambi-
tions particulières à cacher, commis des offenses qu’ils
regrettent... Bref, tout un tas de raisons qui les feront
difficilement coopérer, poussés par une volonté plus ou
moins consciente de dissimuler des indices.
D’ailleurs, n’y a-t-il qu’un seul coupable ? Non.
La société elle-même est coupable de faits dont votre
criminel n’est que le vecteur. Elle engendre la folie des
tueurs possédés, la pauvreté qui pousse aux crimes
crapuleux. La quintessence serait de faire des PJ les
coupables partiels du jugement d’un innocent, d’un
meurtre « collatéral », de vices qui les auraient mené au
crime... Par exemple, leur incapacité à sauver la Femme
Fatale dans Amour à Mort est un des déclencheurs de
ce scénario.
306
Déroulement
« Vous prîtes sur lui un empire étrange, et quand il ne comprenait
qu’à demi, tout un idéal de lumière et de justice dont son âme ardente
avait soif, mais que de sombres nuages, sortant d’un abîme séculaire
de barbarie, voilaient passagèrement à ses yeux. »
Ernest Renan à Lesseps,
au sujet du dirigeant égyptien Saïd Pacha
2 L’accomplissement de la vengeance
A moins d’être découvert, Carter tente de prendre un
PJ par surprise pour le maîtriser, puis le conserve en otage
afin de parlementer. Son physique a complètement changé et
son déguisement de prêtre n’y est pas pour grand chose. Son
corps est couturé de cicatrices, témoignage d’une stupéfiante
résurrection après avoir été broyé par les hélices du bateau
vapeur. Il est difficile de soutenir son regard ardent, rou-
geoyant, dévoré par la haine et la soif de puissance. De plus,
sa stature s’est considérablement redressée, étendue : le petit
anglais discret culmine désormais à plus de deux mètres.
Son discours tourne autour des sujets suivants :
 La nécessité pour lui de conclure ce rituel d’embaumement
qui mènera non seulement sa promise à la résurrection
sur Terre, mais aussi à sa propre apothéose. Il croit
fermement qu’après sa renaissance dans les eaux glacées
du Nil, il a acquis le statut de Dieu vivant, de nouveau
Pharaon venu retrouver sa reine : il ne parle plus en
tant que Carter mais en tant qu’Osiris, comme s’il était
possédé !
 Sa fiancée passe devant le tribunal d’Osiris. Carter
veut parachever son triomphe en tuant les PJ car il
reste persuadé qu’ils sont les responsables de la mort
d’Hannah (voir La Fée Verte, scène 7). Ce sont pour
lui des adorateurs de son frère maudit, le dieu Seth.
L’amour que porte Carter à cette momie pourrissante
(car mal embaumée) est horrible.
2 Mettre fin aux actes de Carter
Carter s’apprête à combattre. Son profil figure à la scène 6.
Le sarcophage s’ouvre : la momie va se réveiller trois
assauts plus tard !
 Si le puits des âmes a été l’objet d’un rituel approprié,
les lamdzi gardiennes du lieu, invisibles, aveuglent
Carter pendant 10 assauts avant qu’il ne les chasse.
 Réciter le parchemin 4 d’invocation à Osiris aura le
même effet.
 Les statuettes votives des caches ont des vertus occultes,
que l’on peut éveiller avec le parchemin adéquat (annexe
2, parchemin 2). Pour information, Selkis – une femme
avec un scorpion sur la tête – trône au sud avec des intes-
tins autour des épaules ; Neith – femme parée d’une cou-
ronne rouge portant un arc et des flèches – à l’opposé ;
Isis – reine des déesses aux pieds de laquelle gît le foie de
la momie – à l’ouest et Nephtys – femme aux pieds de
laquelle gisent les deux poumons – à l’est.
 Campagne

Voici les diverses actions

possibles pour un personnage au
moins néophyte en occultisme ou
initié au Heka.
 Utiliser Selkis, la déesse-
scorpion, est un excellent
choix. La statue se dissout
et un scorpion s’échappe
d’un trou pour piquer de
son dard Carter, qui hur-
lera de douleur avant d’être
paralysé. En tant que pro-
tectrice des défunts, elle
assurera le transfert de l’âme
de la Femme Fatale vers
l’au-delà, privant Carter de
tout espoir de résurrection.
Pas d’éveil ni de résurrec-
tion, donc.
 Utiliser Neith donnera à
l’invocateur un surcroît
de deux points dans cha-
cun de ses potentiels.
Malheureusement, cela ne
dure que toute la scène
et coûtera un point de
déchéance après dissipa-
tion des effets. Réveil de la
momie.
 Utiliser Isis éveille direc-
tement la momie et inter-
rompt le rituel. Réveil.
 Utiliser Nephtys aura les
mêmes effets : l’épouse de
Seth provoque l’arrêt des
forces du renouvellement et
donc du rituel. Mais son
usage a une triste consé- En effet, elle est encore terriblement humaine, son
quence : le personnage l’ayant manipulé est lui-même voyage non préparé dans l’au-delà l’a fragilisée et le combat,
frappé de stérilité. Cet inconvénient est à noter dans qui semble inévitable, pourrait être évité par un discours
son historique social. Pas d’éveil ni de résurrection. adéquat de la part des PJ.

2 Éveil et mort de la momie
« La voix d’Atala s’éteignit : les ombres de la mort se répan-
dirent autour de ses yeux et de sa bouche ; ses doigts errants
cherchaient à toucher quelque chose ; elle conversait tout bas
avec des esprits invisibles. »
Chateaubriand, Atala (1801)
Si le combat est malgré tout engagé, quelques précisions...
 Si les PJ ont détruit les masques de la salle VIII, la
Momie choisit aléatoirement son adversaire (incluant
Carter),
 Si les PJ ont détruit les objets de la salle VII, la Momie
perd sa faculté d’invulnérabilité,
 Pour chaque statuette Ba enlevée par les PJ, la Momie
accuse un malus de potentiel physique de 1 point.

Les PJ vont devoir faire face au Sahu de la Femme Fatale, 2 La fin d’un espoir d’éternité
son corps incorruptible. Cela risque fort de sonner leur Les protagonistes aperçoivent les doigts de la morte sur
trépas... Cependant, dans cet état, Hannah Chenu est très le bord du sarcophage. Le corps s’éveille. Carter jubile et
fragile psychologiquement. croit avoir triomphé.

307
 Chapitre 7
Sahu d’Hannah Chenu
Potentiels (sous forme de Sahu,
momie tangible)
Physique : 7
Mental : 3
Social : 1
Compétences
Pratiquant en traque et en larcin
Maître en combat
Psychologie
Passion principale : soi
Passion secondaire : don de soi
Tabou : l’horreur de son état actuel
Déchéances :
Décrépitude (n’est pas sujet aux limitations
de potentiel en cas de blessure)
Invulnérabilité (sauf au feu)
Immortalité
Tempérament : sanguin, tendance phobique
Angoisse : 4
Psychose : 3
Seuil de névrose : 4
Son apparition provoque un test psychotique
minoré de 1 point de seuil pour chaque parchemin
détenu par les PJ.
Les gestes de la Momie deviennent alors anormalement
saccadés ; en gesticulant, elle arrache des pans entier de
son manteau de bandelettes. Son visage creusé se découvre,
crispé sur un rictus de terreur, la poitrine se découvre comme
si la créature tentait de reprendre de l’oxygène. Elle bascule
hors de sa tombe et se traîne contre un mur, puis vomit
une substance noirâtre et visqueuse, la mumia de la reine
Hatshepsout. Les soubresauts s’estompent et les traits se
figent. La Femme Fatale n’est plus. La scène terrible abaisse
l’angoisse de 1, les PJ étant soulagés de cette disparition,
sauf pour ceux ayant été traversés par la Momie dans Amour
à Mort (scène 7).
Cette comédie blasphématoire a eu raison de l’assurance
de Carter qui se précipite vers son amour maintenant mort,
cette fois pour toujours. Réduit à l’impuissance à présent que
l’objet de sa passion s’anéantit, tel un zombi, il est à la merci
de vos personnages.
Ouverture
Le sort de Carter est entre les mains des PJ. Cruel
dilemme en perspective :
 Faut-il lui faire payer ses crimes et l’exécuter (ce qui
coûtera un point de déchéance) ?
 Faut-il le laisser là, l’abandonner aux restes de sa chi-
mère ?
 Faut-il honorer la mission et le ramener coûte que
coûte comme un poids mort en Europe ?
308
Épilogue
« Un homme couvert de crimes est toujours intéressant.
C’est une cible pour la miséricorde. »
Léon Bloy
Le retour
Voici venu le moment où, légitimement, vos joueurs
s’interrogeront sur la conclusion de toutes ces aventures.
Dans un premier temps, il est conseillé au MJ de jouer le
retour vers la civilisation, voire éventuellement une scène
supplémentaire si Carter a survécu.
A Paris, les survivants ne manqueront pas d’être salués
dignement par Lépine, fou de joie à l’idée de voir neutralisés
le Génie du Crime, ses sbires, et ce jeune chien fou de
Carter que Scotland Yard ne lui réclamera plus. L’incident
diplomatique est évité de justesse : Carter a suffisamment
causé de dégâts pour que l’Angleterre accepte d’étouffer
l’affaire.
Il serait judicieux de coupler ces remerciements appuyés
avec la distribution des points de développement (voir
chapitre 4). Cependant, les questions métaphysiques
demeurent... Comment les personnages vont-ils intégrer ces
évènements traumatisants qui auront pour toujours ébranlé
leur conception du monde ?
Vont-ils intégrer les unités spéciales de Lépine, jamais
à court d’idées, et opérer comme « mercenaires » dans
les sombres ruelles du supplément sur le Paris de la Belle
Époque ?
Vont-ils suivre le parcours mystique de Carter, tenter
de comprendre son évolution en foulant les pavés de
Londres grâce au supplément consacré à l’Angleterre
victorienne ?
Tenteront-ils de fuir la vieille Europe pour succomber
aux sirènes du nouveau continent dans ce Far West en pleine
agitation qu’est Chicago ?
Ou resteront-ils sagement dans leurs pénates, restant
aveugles à ce monde qui change et sourds aux appels de
l’horreur qui s’y blottit ?
Mais peut-être déciderez-vous de leur réserver vos
propres aventures, choisissant de perpétuer en totale liberté
le développement du monde de Crimes...

Annexes
Annexe 1. Une d’un journal francophone
du Caire
S i l’on en croit la mythologie
grecque, le Sphinx avait
pour habitude de soumettre son
unique énigme aux visiteurs les
plus téméraires, avant de dévorer
les ignorants. Fidèles à la tradition
séculaire tout en la transgressant,
ça n’est pas une énigme mais deux
questions que nous avons choisi de
poser à la monarchie anglaise.
Tout d’abord, pourquoi
ordonner à ses forces militaires de
persister à occuper un sol étran-
ger et souverain, où leur présence
n’est que tolérée ? Un retrait des
troupes n’a-t-il pas déjà été promis
S i le taux de résolution d’af-
faires de la préfecture de
police est aussi affligeant, n’allez
pas chercher plus loin pour en
connaître la cause : un nouveau jeu
appelé Yin & Yang, qui fait fureur
dans les commissariats de la capi-
tale. Effectivement, si le policier
court à la fois les filles et passe son
temps dans des paris stupides, nous
pouvons attendre longtemps avant
de voir nos deniers versés à titre
d’impôts bien utilisés !
Campagne
? Pourquoi permettre le pillage sys-
tématique du patrimoine égyptien,
et favoriser ainsi un odieux trafic
d’antiquités ? Comment réagiraient
vos gentlemen si l’on s’avisait de
venir alléger leurs musées, si l’on
vidait vos cimetières pour exposer
vos aïeuls sous verre ?
Les réponses à ces questions
sont faciles à trouver, seul s’avère
nécessaire un minimum de bon
sens et d’honnêteté. Mais encore
faut-il les écouter...
La colère gronde dans les rues
du Caire, ceux que vous nommez «
indigènes » ne cessent de s’offusquer
L’un de nos correspondants est
allé tester ce nouveau jeu de cartes
venus, semble-t-il, avec les cargai-
sons d’opium britannique prove-
nant de Chine. Et nous avons été
plutôt conquis par ce jeu simple
et prenant, bien que cela n’ait pu
entraver le travail de la rédaction.
Chaque joueur tente d’amasser
des jetons noirs ou blancs, dans un
nombre précis, en jouant des car-
tes comportant d’obscurs symboles
taoïstes. Rien de bien compliqué,
309
de ces intolérables et perpétuelles
provocations de la part d’étran-
gers aux agissements impérialistes
dignes de l’occupation romaine ou
des croisades chrétiennes.
C’est ici l’occasion de rappe-
ler que le British Museum détient
encore la barbe du Sphinx, que
l’Angleterre refuse catégoriquement
de restituer à l’Égypte. Peut-être
nous reviendra-t-elle quand votre
Parlement aurait enfin daigné nous
entendre, d’ici quelques millénai-
res ?
tout le monde avait compris sur les
docks, c’est vous dire...
Cependant, le but du jeu se
complique car les cartes peuvent
modifier le nombre de jetons néces-
saires pour gagner. La stratégie à
long terme peut intervenir, bien
que les parties excèdent rarement
la dizaine de minutes. La société
Caravelle distribue ce jeu et devrait
passer un contrat avec les centres de
formation militaire.
 Chapitre 7

Annexe 2. Formules rituelles de Heka

La magie protectrice des hommes, appelée Heka,
procède de la transmission momentanée du pouvoir divin.
Cette énergie surnaturelle naît des formules magiques
récitées, conséquence de la croyance entretenue dans le
pouvoir créateur du Verbe. Aucun de ces textes ne postule
l’existence de miracles ; la magie repose sur une logique de
symboles référents entre le monde visible et invisible. La
parole, dans la magie des anciens égyptiens, était une des
choses les plus importantes à prendre en compte. Seules les
consonnes étaient écrites, formant un squelette immuable
à travers les siècles qu’il fallait savoir prononcer. Celui qui
pouvait dire une incantation d’une voix claire et forte, en
scandant bien les paroles, en psalmodiant correctement le
texte, était assuré d’être entendu des puissances divines.
Comme Ptah, dieu créateur, il maniait le Verbe pour créer
quelque chose. Les PJ sont donc capables de produire ces
effets invocatoires.
De là vient la forte attirance des nécromanciens
modernes comme Aleister Crowley ou Eliphas Levi qui
investirent les symboles égyptiens comme langage ésotérique
propres à instruire leurs adeptes. Crowley prétendra même
avoir rencontré Seth au Caire en 1904, sous la forme d’un
esprit désincarné : il en tirera sa doctrine se résumant par un
« fais ce que tu veux ». Carter n’en est qu’un exemple parmi
tant d’autres qui semble avoir préfiguré cette maxime. Cette
universalité des thèmes ésotériques explique pourquoi le
Heka est accessible aux PJ versés dans l’occultisme.

Parchemin 1 (scène 2.1)

L’étude de ce manuscrit didact

ique avec un test d’occultisme
[langues hermétiques] réussi
augmente de 1 point la com
occultisme et abaisse l’angoisse pétence
et la névrose du même monta
pendant toute la durée du scéna nt,
rio.

Parchemin 2 (scène 3)

Rituel d’animation du Ka des sta

tues divines : le rituel se résum
à des litanies déclamées en 3 e
assauts qui éveillent le pouvoi
divinité par l’intermédiaire de r d’u ne
sa statue. Très utile pour inv
divinités à la scène 8. oquer les

Parchemin 3

Rituel d'invocation d'entités gar

diennes de temple :
Mises ensemble, elles possèdent
les mêmes caractéristiques que
l'Ombre de la momie telle qu'elle
est décrite dans la scène 5 d'A
à Mort. mour

Parchemin 4

Invocation au dieu Osiris tirée

du Livre des Morts.
Sur un test d'occultisme réu
ssi, toute tentative de résurrect
morts est vouée à l'échec. La mo ion des
mie ou l'esprit ainsi animé con
voyage dans l'au-delà et n'appa tin ue son
raît plus dans le monde des viv
ants.

310
 Campagne

Plan détaillé de l'île de Philae et de ses temples.

311
 Index alphabétique
Utile pour des recherches précises, vous trouverez les
principales occurences de chaque mot.
En caractère gras figurent les encadrés, profils de
personnages, référence de règle ou développement sur
plusieurs pages du thème en question.
Un index thématique fait suite, pour permettre les
recoupements entre les entrées du même type.

A  Cartes de Paris
154 ; 239 ; 243 ; 244 ; 246 ; 272 ; 276
 Absinthe 242 ; 243 ; 256
 Cartes d’Égypte 285 ; 298 ; 303 ; 311
 Affener Peter, médecin légiste 95 ; 159 ; 168
 Carter Craig, agent anglais en mission à Paris
 Afrique du Sud 54
19 ; 34 ; 158 ; 170 ; 201 ; 203 ; 209 ; 211 ; 236 ; 246
 Afrique coloniale 54
 Chemins de fer 19 ; 25 ; 29
 Aliénisme : voir Stoppes  Chenu Sulpice, anthropologue 86 ; 191 ; 226
 Allemagne 54
 Chenu Hannah, femme fatale 143 ; 221 ; 250
 Anarchisme 41 ; 66 ; 208 ; 210
 Chine 54 ; 115
 Anarchiste militant : voir Joly  Chocs 126
 Angleterre 54 ; 203 ; 205 ; 210
 Choléra 126
 Anthropologie criminelle 131
 Classes dangereuses 27 ; 70 ; 61
 Anthropométrie 62 ; 127
 Colonisation 226
 Antisémitisme  Colporteur
66 ; 203 ; 223 ; 226 ; 250 ; 284 ; 291
50 ; 80 ; 7.23 ; 7.25 ; 7.46 ; 309
 Angoisse 70 ; 105
 Combat 118
 Archétype 36 ; 141 ; 187
 Commune de Paris 39 ; 66 ; 207
 Argot 21-22
 Compétence 74
 Armes 81
 Concept littéraire 62
 Atlas, terreur de la route de la Révolte  Conduite de véhicule 77 ; 241
26 ; 145
 Contact 67 ; 68 ; 104 ; 119
 Aubert François, artiste maudit 93 ; 232
 Contagion criminelle 133
 Autriche 54 ; 232
 Conviction politique 64 ; 104 ; 119
 Conviction religieuse 32 ; 34 ; 67 ; 104 ; 119
 Criminels 141

B
 Barrès Charles
 Belgique
229
54
D
 Bertillon Alphonse, criminologue  Danzask Wadleck, tueur méthodique
131 ; 157 ; 177 ; 223 ; 285
50 ; 151 ; 229
 Bête 196
 Darwin Charles 32 ; 169 ; 254
 Blanqui Auguste 64
 Décadence 114
 Blessure 121 ; 122
 Déchéance
 Boer, voir aussi Afrique du Sud 54
36 ; 113 ; 171 ; 174 ; 186
 Boulanger, général 64 ; 203
 Décors 297
 Boutroux Prudent, criminologue 88 ; 201
 Découpage du temps 130
 Dégénérescence 114
 Delarche Alexandre 192
 Diable 37
C  Dialogues 240
 Dieu 37 ; 38
 Caboulots et boissons 26 ; 49 ; 97  Double 197
 Campagne de jeu de rôles 130  Dreyfus, Affaire 66 ; 202 ; 223 ; 238
 Cannibalisme 177  Drogue 112 ; 131

312
E J
 Égypte 54 ; 286  Japon 55 ; 231
 Empreinte digitale 134  Jaurès Jean 223
 Épuisement 122  Jeu de rôles 14
 Équipe de PJ 74  Joly Adrien, anarchiste
 Équipement 77 ; 241 42 ; 146 ; 246 ; 288
 Espagne 54  Jugement 139 ; 258
 État névrotique 161 ; 162
 État psychotique 161 ; 162 ; 253
 États-Unis 221
 Exorcisme 37 ; 173 ; 182
 Explosions 133 L
 Lenestour Toussaint, prêtre exorciste 32 ; 90
 Lépine Louis, préfet de police
14 ; 15 ; 201 ; 240 ; 266 ; 278
F  Lerne Wolfgang, savant fou 149 ; 275
 Libre Parole 223
 Fantastique 12 ; 238  Localisation des coups portés 121
 Fatigue 122  Lovelace, gourou 147 ; 206
 Faure Félix, président de la République  Lycanthrope 168 ; 191
223 ; 251
 Foi 37
 Folie 156 et suivantes
M
 Maladie 124 ; 125
G  Manuel de l’enquêteur 14 ; 32; 99
 Genre policier 11 ; 239 ; 245 ; 271  Marie Vinditien Guillain, voleur de visages
 Giquel Bertrand René, enquêteur avant-gardiste 144 ; 188 ; 242 ; 256 ; 300
94  Marcilly, Nicolas Antoine de, génie du crime
 Golem 154 ; 195 142 ; 202 ; 221 ; 223 ; 230 ; 238 ; 250
 Grand Guignol 247  Marihaure Constance, médium 92 ; 232
 Grèce 54  Maspero 266 ; 297
 Gueslin, Joseph  Méténier Oscar : voir Grand Guignol
20 ; 48 ; 49 ; 97 ; 151 ; 185  Méthodes policières 133
 Gul, William 203  Momie 189 ; 272
 Monstres 272
 Mumia 245 ; 269
 Moteur de dépassement 106
H
 Hatschepsout-Ménétré : voir momie
 Historique 51 ; 106 N
 Nationalisme 66 ; 78 ; 232
 Névrose 70 ; 108
 Northbone William, sorcier 146 ; 204 ; 280
I  Notes de Carter 14; 20
 Noms 52
 Inclinaison psychologique 69 ; 160
 Initiative 119
 Indes 55
 Intransigeant 34
 Irlande 54 ; 210
 Italie 54

313
O S
 Ombre 190  Scénario (conseils pour mener un)
 Opium 255 240 ; 242 ; 251
 Origine sociale 53  Science 24
 Origine géographique 55  Seuil névrotique 70 ; 108
 Ouvrier 40 ; 42 ; 54 ; 61 ; 210  Sociologie de la dégénérescence 133
 Soupape psychotique 70 ; 111
 Stoppes Martin, aliéniste
89 ; 155 ; 169 ; 210
 Stranozy Martin, tueur possédé 36 ; 150
P
 Passion principale 71 ; 105 ; 119 T
 Passion secondaire 72 ; 73
 Passion taboue 73  Tempérament 69
 Perversion 112  Test simple 141
 Physiognomonie 62  Test en opposition 142
 Photographie 133  Théories criminelles 131
 Phrénologie 132 ; 178  Tourmenteur 188
 Points de développement 115
 Pologne 54
 Poison 127 ; 137
 Positivisme 32 ; 67
 Potentiel 74 V
 Prix 17 ; 42 ; 77
 Profession 55  Vatican 34 ; 35 ; 54
 Psychose 70 ; 109  Voleurs 27
 Plzen, Janos 191

W
R  Wanloo Auguste, ex-bagnard 27 ; 91 ; 206
 Waziers, Marthe de 194
 Racisme colonial 226
 Règles avancées
100
 Règles de simulation 100
 Règles dramatiques 100
 République
66 ; 202 ; 203 ; 209 ; 211
 Révolutions au XIXème siècle
42 ; 206 ; 209
 Révolution Industrielle 25
 Route de la Révolte 38 ; 42 ; 44 ; 98
 Royer Michel, chasseur colonialiste 87 ; 210

314
 Index thématique
Cet index regroupe les entrées alphabétiques selon
les thèmes abordés, afin de permettre une recherche
intuitive par recoupements thématiques.

Concepts, idées  Gourou (Lovelace) 147 ; 206

 Voleur de visages (Vinditien Guillain Marie )
 Antisémitisme 144 ; 188 ; 242 ; 256 ; 300
66 ; 203 ; 223 ; 226 ; 250 ; 284 ; 291  Sorcier (William Northborne) 146 ; 204 ; 280
 Colonisation 226  Savant fou (Wolfgang Lerne) 149 ; 275
 Commune de Paris 39 ; 66 ; 207  Tueur méthodique (Waldeck Danzask)
 Décadence 114 50 ; 151 ; 229
 Déchéance 36 ; 113 ; 171 ; 174 ; 186  Tueur possédé (Martin Stranozy) 36 ; 150
 Dégénérescence 114
 Nationalisme 66 ; 78 ; 232
 Positivisme 32 ; 67
 Racisme colonial 226 Monstres
 République
66 ; 202 ; 203 ; 209 ; 211  Bête 196
 Révolution 42 ; 206 ; 209  Double 197
 Révolution industrielle 25  Golem 154 ; 195
 Science 24  Lycanthrope 168 ; 191
 Vatican 34 ; 35 ; 54  Momie 189 ; 272
 Ombre 190
 Spectre (Marthe de Waziers) 194
 Tourmenteur 188
 Vampire mâcheur (Plzen, Janos) 191
Personnages  Vampire revenant (Alexandre Delarche) 192

Archétypes
Figures historiques
 Médecin légiste (Peter Affener) 95 ; 159 ; 168
 Aliéniste (Martin Stoppes) 89 ; 155 ; 169 ; 210  Barrès 229
 Bagnard (Auguste Wanloo) 27 ; 91 ; 206  Bertillon 131 ; 157 ; 177 ; 223 ; 285
 Chasseur colonialiste (Michel Royer) 87 ; 210  Blanqui 64
 Enquêteur avant-gardiste (Bertrand René) 94  Boulanger 64 ; 203
 Anthropologue (Sulpice Chenu) 86 ; 191 ; 226  Darwin 32 ; 169 ; 254
 Prêtre exorciste (Lenestour) 32 ; 90  Dreyfus 66 ; 202 ; 223 ; 238
 Médium (Constance Marihaure) 92 ; 232  Faure 223 ; 251
 Criminologue (Prudent Boutroux) 88 ; 201  Gul 203
 Hatshepsout-Ménétré voir momie
 Jaurès 223
Criminels  Lépine 14 ; 15 ; 201 ; 240 ; 266 ; 278
 Maspero 266 ; 297
 Anarchiste militant (Adrien Joly)  Méténier : voir Grand Guignol
42 ; 146 ; 246 ; 288
 Chevalier du brouillard (Atlas) 26; 145
 Carter
19 ; 34 ; 158 ; 170 ; 201 ; 203 ; 209 ; 211 ; 236 ; 246
 Femme fatale (Hannah Chenu) 143 ; 221 ; 250
 Génie du crime (Nicolas Antoine de Marcilly)
142 ; 202 ; 221 ; 223 ; 230 ; 238 ; 250

315
Pays Psychologie
 Afrique du Sud 54  Angoisse 70 ; 105
 Afrique coloniale 54  États névrotiques et psychotiques 161 ; 162 ; 253
 Allemagne 54  Folie 156 et suivantes
 Angleterre 54 ; 203 ; 205 ; 210  Inclinaison psychologique 69 ; 160
 Autriche 54  Névrose 70 ; 108
 Belgique 54  Passions 71 ; 72 ; 73 ; 4.9 ; 119
 Chine 54 ; 115  Perversion 112
 Égypte 54 ; 286  Psychose 70 ; 109
 Espagne 54  Soupape psychotique 70 ; 111
 États-Unis 221  Tempérament 69
 Indes 55
 Irlande 54 ; 210
 Italie 54 Équipement
 Japon 55 ; 231
 Pologne 54  Équipement 77 ; 241

Règles Procédés d’enquête

Simulation  Anthropologie criminelle 131
 Anthropométrie 62 ; 127
 Compétence 74
 Argot 21-22
 Conduite 77 ; 241
 Armes 81
 Initiative 119
 Contagion criminelle 133
 Jeu de rôles 14
 Empreinte 134
 Moteur de dépassement 106
 Genre policier 11 ; 239 ; 245 ; 271
 Points de développement 115
 Jugement 139 ; 258
 Potentiel 74
 Manuel de l’enquêteur 14 ; 32; 99
 Tests 141
 Méthodes policières 133
 Physiognomonie 62
 Phrénologie 132 ; 178
Historique  Sociologie de la dégénérescence 133
 Théories criminelles 131
 Archétype 36 ; 141 ; 187
 Concept littéraire 62
 Contact 67 ; 68 ; 104 ; 119
 Conviction 32 ; 34 ; 67 ; 64 ; 104 ; 119
 Équipe 74
 Historique 51 ; 106
 Origine 53
 Profession 55

Santé
 Chocs 126
 Choléra 126
 Combat 118
 Drogue 112 ; 131
 Épuisement 122
 Fatigue 122
 Localisation des coups 121
 Maladie 124 ; 125
 Poison 127 ; 137

316
 Contacts

..................................................................................
Nom Metier Confiance
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]

Identité :
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
Fiche de renseignements
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
................................................................................................................................. ......................................................................................... [][][]
Développement Points
Points investis Évolution Échéance
 Identité : .................................................................................
EXPERTISE PSYCHOLOGIQUE
PASSIONS
Métier : ................................................................................. Nomenclature de Jung Primaire :
Origine : ................................................................................. Secondaire :
Émotif : N Oui
Convictions : ................................................................................. N Non

Actif : N Oui Tabou :

................................................................................................
Dimension sociale : .................................................................................
N Non Angoisse
Concept : ................................................................................. Réactivité : N Primaire AAAAA

Joueur :
N Secondaire
a POTENTIELS a Névrose - Seuil :
Tempérament : ........................................................................
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Physique Mental Social QQQQQQQQQQ

Inclinaison
psychologique : ............................................................... Psychose - Base :
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 RRRRRRRRRR
Déchéances Constatées

G COMPETENCES G
Combat WWWR Sciences abstraites WWWR H Intrigues WWWR
A mains nues E Mathématiques E H Connaissance du milieu E
Armes blanches E Cryptographie E H Criminologie E
Armes à feu E Astronomie E H Journalisme E
Méthodes policières E
Sport WWWR Sciences du vivant WWWR
Société WWWR
Equitation E Sciences naturelles E H
Escalade E Médecine E Diplomatie E
Natation E Pharmacie E H Discours E
Aliénisme E H Politique E
Séduction E
Cirque WWWR Science de l’homme WWWR
BIENS MATÉRIELS
Acrobatie E Administration E
Jonglage E Anthropologie E H
Funambulisme E Histoire E ......................................................................................................................................
Evasion E Théologie E H ..........................................................................................................................................
.....................................................................................................................................
H
Traque WWWR Occultisme WWWR .........................................................................................................................................
Chasse E Magnétisme E H .....................................................................................................................................
Survie E Spiritisme E H ..........................................................................................................................................
Pistage E Bonne aventure E H .........................................................................................................................................
Piégeage E H Langages hermétiques E H ..........................................................................................................................................
.........................................................................................................................................
Larcin WWWR Pratique WWWR ..........................................................................................................................................
Camouflage E Art E .........................................................................................................................................
Crochetage E Conduite E ..........................................................................................................................................
Discrétion E Photographie E H ..........................................................................................................................................
Mimétisme E H Contrefaçon E .........................................................................................................................................
..........................................................................................................................................

Rappel : Avec une compétence seuil = 8 / Avec une Spécialité seuil = 7 / H indique une compétence hérétique .........................................................................................................................................
..........................................................................................................................................
 L'écran de Crimes
Approfondissement Mensurations

L'écran de jeu de Crimes sortira très

prochainement, afin de vous donner
une aide essentielle pour la maîtrise
de vos parties.
Nous vous proposons un bulletin de
pré-commande pour le recevoir chez
vous à un tarif avantageux .
(Prix boutique probable : 18 €)
Sortie prévue :
Hiver 2006
• Un écran composé de 3 volets
avec un format à l'italienne.
• Au recto : un magnifique
tryptique figurant un paysage
urbain cauchemardesque.
• Au verso : des aides essentiel-
les pour mener une partie.
• Un livret de 48 pages pour
jouer dans tout type
d'ambiance horrifique.

Je n'aurais jamais du céder

à l'appel de détresse de cette
soit-elle ! Si j'avais pu avoir dame, aussi jolie
un manuel de police digne de ce
les précautions d'usage, je ne nom, avec toutes
me serais jamais aventuré
malodorante. Et ces épouvantab dans cette ruelle
les clochards, le regard vide, qui
la chair du mari de cette infort se repaissaient de
unée... Comment ont ils résist
é à mes balles?
Présentation du livret
Il rassemble pas moins de sept univers horrifiques différents : onirique, gothique, expressionniste, sadique,
parapsyhologique, horreur objective et psychologique. A la fin, quelques archétypes de créatures fantastiques et des
conseils pour les agrémenter à chacune des ambiances précitées.
Chaque univers est impitoyablement disséqué : petite nouvelle d'introduction, conseils sur les décors et les descriptions,
thématiques générales, objets emblématiques et règles adaptées pour le jeu Crimes : tous les secrets des créateurs pour
composer vos scénarios et dévoiler un peu plus le voile de la déchéance...

BULLETIN DE COMMANDE
à renvoyer à Caravelle avec votre règlement

NOM : Prénom :
Téléphone : Âge : ans
E-mail : Adresse :
Code postal : Ville : Pays :
Souhaitez-vous être informé de nos autres publications : Oui / Non (Rayez la mention inutile)

Je souhaite recevoir chez moi ___ exemplaire(s) de l'écran de Crimes au prix de 15 €

l’exemplaire port compris
Montant total de ma commande : _____ €. (Clôture de la pré commande : 15 novembre 2006)
Je joins un chèque à l’ordre de Caravelle.

Caravelle — 15, Rue Dormoy — 42000 Saint-Etienne

Tél. : 04 77 38 14 86 — mail : cam_guirou@yahoo.fr

www.caravelle-edition.com

319
 La gamme prévisionnelle de Crimes
Un état d'esprit Quelques pistes...

Les grands criminels se reposent très peu et nous ne Des suppléments papier
dérogerons pas à la règle. Nous réfléchissons très en amont Des cadres géographi-
sur le suivi de la gamme de Crimes pour la rendre la plus ques comme Paris à la Belle
cohérente possible. Epoque, véritable guide
Nous poursuivons nos publications dans le plus grand touristique de la capitale vue
respect du matériau historique et en distillant le parfum sous l'angle de Crimes, avec
entêtant qui vous a conduit à tenir ce présent livre. une campagne finissant dans
Les portes des Ecuries d'Augias vous sont d'ailleurs l'apothéose de l'expo univer-
grandes ouvertes à partir d'ici : selle de 1900; ou l'Angleterre
http://forums.ecuries-augias.com victorienne qui en sonde les
bas-fonds dans les années 1880...
Des suppléments thématiques comme le Crimes médical
qui vous révélera les pratiques douteuses des médecins et des
aliénistes et livrera les secrets de la dégénérescence physique
et psychologique.
Enfin, une grande campagne menant des dynasties
de personnages dans les prémisses de la première guerre
mondiale, dépeignant une vaste fresque de 1870 à 1914...

Des suppléments en PDF

Des scénarios « recyclés » comme notre prochaine
parution, un cadre pour Chicago avec tout le nécessaire pour
vous porter jusqu'aux balbutiements de la mafia locale...
En attendant vos propres créations !

320