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Photocomposition, montage
et impression : ISESCO
Rabat - Royaume du Maroc
SOMMAIRE
Préface ............................................................................................................ 7
Introduction .................................................................................................. 9
6
Préface
A la lumière des résultats de l’évaluation des activités réalisées, depuis 2005, par
l’Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture (ISESCO)
visant le renforcement des capacités professionnelles et techniques des ressources
humaines dans les domaines de l’information et de la communication, l’ISESCO
s’est attelée à répondre aux besoins des pays membres en matière de formation
technique et professionnelle de ses ressources humaines, afin de leur permettre de
relever de manière efficace et interactive, les défis imposés par le développement
des technologies de l’information et de la communication.
Partant de ses responsabilités en tant que coordinatrice de l’action islamique
commune dans ses champs de compétence, y compris celui de l’information et de la
communication; considérant la nécessité de produire un document de référence à même
d’aider à la mise à niveau de la presse écrite, en général, et des genres journalistiques
en particulier; poursuivant ses efforts visant à appuyer les établissements de formation
et de perfectionnement et les institutions de communication de masse dans les pays
membres, afin de les doter des compétences techniques leur permettant de former des
spécialistes de la presse écrite pour accompagner les développements que connaît ce
secteur, l’ISESCO a élaboré ce guide professionnel dédié aux genres journalistiques,
et ce en réponse à une demande longtemps exprimée par les journalistes dans les Etats
membres ayant bénéficié de sessions de formation, organisées par l’ISESCO dans
ses centres régionaux de formation et de production audio-visuelle et multimédia à
Khartoum, Damas et Téhéran.
L’élaboration et la publication de ce guide visent, en premier lieu, à combler le déficit
dont souffre notre bibliothèque médiatique en termes de manuels professionnels qui
visent à présenter les aspects pratiques et les outils du travail journalistique, et à
doter les professionnels d’une « culture de pratique journalistique ».
Le présent guide comporte deux parties. La première donne une présentation générale
des genres journalistiques, en spécifiant la place de chacun de ces genres dans le
système journalistique et mettant en exergue leurs caractéristiques dominantes, leurs
points de convergence et de divergence, ainsi que les compétences qu’ils requièrent.
Cette première partie fait également état des repères qui permettent de percevoir, de
manière globale, l’éventail des genres journalistiques.
La deuxième partie présente les caractéristiques des principaux genres journalistiques
ainsi que les règles qui les régissent. Elle expose également « les critères de
qualité » auxquelles le journaliste peut se référer pour évaluer les outils utilisés
dans son travail.
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L’ISESCO tient à saluer l’effort remarquable fourni par l’expert Dr. Abdelouahhab
ERRAMI pour la réalisation du présent ouvrage, et forme l’espoir que les journalistes
et les étudiants des instituts de journalisme dans les Etats membres ainsi que les
chercheurs et les professionnels de la presse écrite en tireront profit.
Puisse Allah guider nos pas sur le droit chemin.
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Introduction
Un journaliste ne peut prétendre au professionnalisme s’il ne maîtrise pas les genres
journalistiques qui constituent la base même de son travail quotidien.
Ces genres sont les moules où est coulée la matière journalistique selon qu’elle
soit purement informative ou porteuse d’une opinion. Les genres journalistiques
imposent leurs règles spécifiques au journaliste, tout en lui offrant les outils
adéquats lui permettant de traiter chaque cas avec la forme et l’exigence technique
nécessaires.
Les genres journalistiques servent à orienter le produit médiatique soit vers une
simple relation de faits ou le dévoilement de la vérité. Par ailleurs, ces genres
spécifient les méthodes de travail, précisent les rapports du journaliste avec ses
sources, déterminent la manière d’évoluer sur le terrain et référent aux modes
de traitement, en donnant des orientations sur la nature du discours, les choix
stylistiques, la titraille, etc.
L’approche (qualitative et quantitative) des genres journalistiques permet de
déterminer la ligne éditoriale des médias, en raison de la relation dialectique entre ces
genres et les politiques éditoriales. Partant, on constate que la presse d’information
adopte, généralement, « les genres informationnels » dans une grande proportion;
tandis que la presse d’opinion adopte principalement « les genres d’opinion ».
La presse d’investigation, quant à elle, utilise « les genres majeurs », notamment
l’enquête journalistique. La presse magazine et les « soft news » penchent pour les
articles « colorés », tels les reportages, les portraits et les articles marqués par la
personnalité de l’auteur, telles que la chronique ou la tribune permanente, etc. On
peut également trouver des journaux dont la ligne éditoriale est basée exclusivement
sur l’un des genres journalistiques, tels le reportage, l’enquête ou l’analyse.
Le journaliste accompli est celui qui est à l’aise dans tous les genres journalistiques,
même si cela n’exclut pas la spécialisation dans un genre ou dans un autre.
Partant, il est difficile pour un journaliste de prétendre au professionnalisme s’il n’est
pas en mesure d’intégrer, dans sa globalité, « la carte des genres journalistiques»
que le présent guide met entre les mains des journalistes praticiens qui aspirent
à parfaire leur formation technique et professionnelle, ainsi que des étudiants et
professeurs des institutions de formation des journalistes, désireux d’étayer les
cours par des références pratiques.
Ce guide vient répondre à une demande que n’ont pas cessé d’exprimer les
journalistes dont j’ai eu le privilège, en tant qu’expert dans le développement des
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compétences journalistiques, d’assurer la formation au Maroc et ailleurs au cours
des deux dernières décennies. Par conséquent, il vient combler le manque qui existe
dans la bibliothèque arabe en guides professionnels qui visent, au-delà de donner
des outils de travail, à apporter aux professionnels une référence nouvelle qui
consacre la « culture de la pratique journalistique ».
L’auteur
Dr Abdelouahab ERRAMI
Expert en développement des
capacités journalistiques
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CHAPITRE I
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II. Classification des genres journalistiques
(par opposition aux genres non journalistiques et aux formats journalistiques)
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b. Classification fonctionnelle : (basée sur les fonctions des genres journalistiques) :
Cette classification suppose que le journaliste agit soit pour relater les évènements, soit
pour les expliquer, soit pour les commenter. Elle suppose également qu’il existe des
genres interactifs à travers lesquels l’organe de presse accorde au public un espace,
en son sein, pour exprimer directement son point de vue sur les évènements et les
phénomènes (voir tableau ci-dessous) :
Genres interactifs
(genres d’expression
Genres pour Genres pour Genres pour
non journalistiques,
rapporter les expliquer les commenter les
traités au niveau
évènements évènements évènements
du secrétariat de la
rédaction)
1. La brève 1. L’interview (*) 1. La brève 1. L’interview (*)
2. Le filet 2. Le reportage (**) 2. Le filet 2. Le reportage (**)
3. L’article 3. L’enquête 3. L’article 3. L’enquête
d’information 4. L’article d’analyse d’information 4. L’article d’analyse
4. Le montage 5. Le portrait 4. Le montage 5. Le portrait
5 la mouture 5. la mouture
6. Le résumé de 6. Le résumé de
Rapport Rapport
7. Le compte rendu 7. Le compte rendu
8 L’écho 8. L’écho
(*) L’interview peut également faire partie des genres qui rapportent l’évènement dans le cas où
elle relate des informations nouvelles.
(**) Le reportage peut également faire partie des genres d’information lorsqu’il rapporte des évè-
nements à chaud.
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c. Classification où « les genres majeurs » sont mis dans une catégorie à part :
Cette classification découle du fait que ces genres que sont l’interview, le reportage et
l’enquête requièrent des aptitudes professionnelles particulières (voir tableau suivant) :
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Genres du « journalisme assis » et du « journalisme debout » :
(*) Certains genres peuvent appartenir à la fois au « journalisme assis » et au « journalisme debout »,
tels la critique (déplacement pour voir une pièce de théâtre ou la présentation d’un livre), l’inter-
view ou le portrait.
(**) Ces productions sont faites à l’extérieur du journal, c’est pourquoi elles sont classées dans la
catégorie du « journalisme assis ».
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e. Autres classifications :
Il existe d’autres classifications qui mettent « le billet », par exemple, dans la catégorie
des « genres de fantaisie ». Nous ne tiendrons pas compte de cette classification ici car
nous estimons que le journalisme ne doit pas être fantaisiste, même s’il peut, par ailleurs,
recourir à des genres journalistiques qui - pour une finalité journalistique fonctionnelle
- adoptent des figures de style comme la narration, la description, la métaphore ou
l’allusion. Certains classent la caricature dans la catégorie des genres d’opinion, ce qui
ne manque d’ailleurs pas de pertinence. Il existe également d’autres classifications qui
relèvent du domaine des recherches académiques dont nous ne traiterons pas ici, car
elles s’éloignent de la vocation pratique que nous escomptons donner au présent guide.
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• publicité commerciale ;
• Annonces financières (avis financiers, informations sur les institutions
économiques) ;
• Annonces institutionnelles ;
• Annonces judiciaires ; (ventes judiciaires, jugements des tribunaux)
• Auto-publicité des organes de presse ;
• Annonces gratuites à caractère social au profit des associations à but non
lucratif ;
• La brève
• L’article
• Le dossier
• Le cahier spécial (inclut l’information et la publicité liée au sujet traité)
• Le châpeau
• L’ours
• Le sommaire
• L’encadré
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• La mise en rivière
• La couverture
• La une
• La dernière
• La page des lecteurs
• La page éditoriale
• Les rubriques
• Le grand format (34,93 X 54,61)
• Le tabloïd
• Le berlinois
• Les annexes
• Les séries
• La photo légendée
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III. Principales différences entre les genres journalistiques :
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Genres où l’on utilise le dévoilement • Le reportage
progressif (ou l’occultation méthodique) • Le billet
pour créer le suspens
(*) Editorial basé sur une vive polémique où l’argumentation doit être solide.
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Genres d’information Genres d’opinion
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Critères de différentiation des genres de la presse d’information :
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b. Les genres d’opinion et le degré d’objectivité :
1. Le billet
2. La critique
3. L’éditorial
4. La chronique
5. L’article d’analyse
1. L’article d’analyse
2. L’éditorial
3. La chronique
4. La critique
5. Le billet
Recherche
Sources Exploitation Le terrain
de sources Recours limité
créatrices de des sources comme source Source d’office
nouvelles et aux sources
l’événement disponibles principale
contradictoires
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L’enquête Grande mobilité sur le terrain, capacité de tisser des
rapports avec les sources basés sur la confiance mutuelle,
contact facile avec autrui, possession d’aptitudes à
établir des relations nouvelles
Le portrait Capacité de saisir les détails significatifs et de suivre
les carrières. Capacité de saisir la psychologie et la
psychologie sociale de l’interlocuteur, avoir de bonnes
aptitudes rédactionnelles (capacités stylistiques)
Le billet Capacités rédactionnelles, humour, aptitudes littéraires,
aptitude à saisir la portée des évènements mineurs
La critique Créativité, vaste culture, aptitudes rédactionnelles
L’éditorial Aptitude à convaincre
La chronique Vaste culture, sagesse, clairvoyance, pas de jugements
hâtifs, célébrité, charisme
L’article d’analyse Capacité de questionnement et de synthèse. Aptitude
à relier des éléments épars et en tirer les significations
pertinentes
(1) C’est une expression du critique structuraliste et penseur français Roland Barthes. Il entend par
là un style direct exempt de toute fioriture.
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Aspects formels Genres journalistiques
(1) Selon l’appellation choisie par le journal : L’éditorial peut garder son nom de genre ou prendre
d’autres appellations telles : Mot du jour », « Notre opinion », « En toute objectivité », etc.
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CHAPITRE II
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par l’évènement (acteur ou sujet) afin de faciliter le choix du lecteur. Certains
journaux mettent en exergue les premiers mots de la brève en utilisant soit le gras,
soit l’italique, afin de distinguer les brèves qui se suivent les unes les autres, ce
qui fait de ces mots des titres intégrés au début de chaque brève et lui donnent
davantage de force. Dans d’autre cas, chaque brève est précédée, au niveau de la
présentation, d’une puce (losange, petit carré, petit cercle).
Les brèves demeurent le genre le plus lu parmi les genres journalistiques proposés
par les journaux.
(1) Généralement sous un titre fixe : « Divers », « de source informée », « Ici et là », « En bref »…
2. Le filet
LLe filet est un court article d’information qui comporte des détails que ne peut
contenir la brève et qui répond généralement aux questions « comment ? » ou
«pourquoi ? » ou aux deux à la fois. L’information traitée dans le filet doit revêtir
une importance qui justifie un espace plus grand que celui de la brève. Cela veut
dire que le journaliste doit disposer de détails pour étoffer son information. Faute
de quoi, il doit consacrer du temps à rechercher ces détails, partant du fait que
l’importance de l’information justifie l’intégration d’éléments complémentaires
afin de la rendre plus explicite au lecteur.
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En bref, le filet est une brève enrichie de détails qui explicitent l’information.
Quand le filet répond aux questions « comment ? » et « pourquoi ? » la concision
est de mise.
Ce genre se compose de deux ou trois paragraphes en moyenne et dépasse rarement
25 lignes. Le filet peut occuper un espace cinq fois supérieur à celui de la brève.
Le filet est le genre d’information le plus court où se révèlent, de manière
patente, les caractéristiques de la pyramide inversée (agencement des idées en
allant des plus importantes au moins importantes), ainsi que le respect des règles
qui régissent les genres d’information (absence de commentaire et d’opinion,
utilisation des guillemets pour les témoignages directs, citation des sources,
choix de la conclusion…).
La longueur relative du filet (par rapport à la brève) implique le choix d’un titre
où on ne se contente pas d’un mot-clé. Il est préférable que l’on choisisse un titre
principal unique, bref ou sans surtitre ni sous-titre(1).
La presse occidentale a pris l’habitude de tirer les filets des dépêches relatives
aux informations nationales et internationales, à telle enseigne que le journal Le
Monde » par exemple, donne à la colonne où il regroupe les filets le titre de «
dépêches ».
Les journaux recourent au regroupement des filets dans une même colonne -
comme pour les brèves - pour leur donner une identité visuelle.
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Normes de qualité du filet :
(1) Voir : Le guide du journaliste professionnel: Le titre, le chemin le plus court vers le lecteur.
Abdelwahab Rami 2006, pp.42-43 (en arabe).
3. L’article d’information
Selon Jean-Luc Martin-Laguardette, nombreuses sont les classifications qui
négligent l’article d’information proprement dit. C’est un article dont la matière
dépasse le volume du filet et qui se compose généralement de plus de quatre
paragraphes, soit un total de 600 à 700 mots.
La longueur de l’article d’information peut, parfois, correspondre à celle de
certaines dépêches (émises par les agences de presse), notamment celles ayant
une structure rédactionnelle synthétique (la synthèse). Quelle que soit la longueur
de « l’article d’information », il demeure soumis aux mêmes règles qui régissent
le filet (règles de la pyramide inversée).
L’article d’information met à la disposition du lecteur de plus amples détails
et lui permet de suivre l’information malgré la multiplicité des intervenants et
des sources due parfois à la divergence des intérêts et à la contradiction des
sources. Le journaliste doit maintenir le dynamisme de son article jusqu’à la fin,
en y incorporant des témoignages et des données qui ajoutent chaque fois des
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éléments nouveaux à ce qui précède, sans toutefois tomber dans l’usage abusif,
voire superflu des détails, le principe fondamental de la presse étant la richesse
dans la concision.
Par ailleurs, il est nécessaire de casser la monotonie de l’article, s’il s’avère long,
en le ponctuant de sous-titres. Ce genre journalistique peut avoir un surtitre, un
sous-titre ou les deux à la fois, le but étant de renforcer son titre principal. C’est
pourquoi le titre de l’article d’information est généralement plus long que celui
du billet. L’article d’information peut être signé.
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4. Le montage
Le montage est un genre journalistique qui s’appuie sur des sources d’information
écrites que le journaliste agence sans avoir besoin, contrairement à la mouture,
d’en réécrire le texte.
Le journaliste sélectionne les phrases ou les paragraphes à partir des sources de
référence et les reconstruit suivant le format de la pyramide inversée, tout en
citant ces sources.
Pour assurer la cohésion des phrases et des paragraphes sélectionnés à partir des
sources, le journaliste recourt à des formules ou à des connecteurs logiques qui
assurent l’articulation et la liaison, et qui résument son effort rédactionnel. Aussi,
l’effort réel du journaliste se concentre-t-il, dans ce genre, sur la recherche des
sources et leur exploitation à travers la sélection des parties qui présentent un
intérêt informatif pour procéder ensuite à la construction de l’article en allant du
plus important au moins important.
L’on peut résumer le montage par la formule suivante : « des sources écrites, des
ciseaux et des phrases charnières ».
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5. La mouture
La mouture est un genre journalistique qui présente une information composée
dont les éléments sont tirés d’un ensemble de sources généralement écrites
(dépêches, articles de presse, déclarations, documents divers, etc.). La condition
première de la réussite de la mouture est la réécriture car elle permet d’insérer
tous les éléments dans un même article suivant le style propre du journaliste, tout
en citant les sources utilisées.
La mouture est en général plus longue que le filet (de 20 à 100 lignes/colonne).
Si on ne tient pas compte du procédé de traitement qui se base sur l’exploitation des
différentes sources et la réécriture dans un style personnalisé, la mouture peut se confondre,
dans sa forme finale, avec l’article d’information tel qu’il a été défini plus haut.
L’effort rédactionnel que déploie le journaliste dans la mouture se manifeste,
avant tout, à travers la sélection des éléments d’information à partir des sources
de référence, puis à travers les critères de classement des éléments d’information
et, enfin, à travers la réécriture de l’ensemble de la matière.
A l’instar des autres genres d’information, la mouture adopte la construction de
la pyramide inversée et les règles y afférentes.
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6. Le résumé de rapport
Le résume de rapport est un genre d’information qui présente des synthèses
d’études, de rapports ou de documents émanant en général de sources
institutionnelles, comme les banques, les institutions de l’Etat, les organisations
non gouvernementales, les organismes internationaux, etc.
Dans ce genre, le journaliste peut, selon les cas, travailler sur un document d’une
ou de deux pages ou, exceptionnellement, sur un rapport de plus de mille pages.
Cependant, le volume du document traité ne détermine pas celui du résumé de
rapport, en ce sens que sa longueur n’influe pas sur le résumé de rapport qui
présente, plutôt, les informations les plus importantes.
Le résumé de rapport est un travail effectué au bureau (desk). Il s’agit d’exploiter
un document unique pour en présenter ce que le journaliste estime être le plus
utile, sans recourir à d’autres sources, qu’elles soient écrites ou orales.
Dans le résumé de rapport, le journaliste adopte la règle de la pyramide inversée
pour construire la matière qu’il veut présenter.
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7. Le compte rendu
Le compte rendu est un genre qui suit l’actualité dans ses détails sur le terrain. Il
suppose, comme condition fondamentale, la présence sur le terrain et la mobilité sur
la scène des évènements. Il suppose également un suivi des acteurs de cette scène et
la collecte de leurs témoignages en vue d’en exploiter les plus importants et, parfois,
les plus éloquents, dans la mesure où ils rapportent l’atmosphère générale dans
laquelle se déroule l’événement. Cependant, le compte rendu, que l’on peut définir
brièvement comme « l’enregistrement d’une réalité donnée », ne doit pas abuser
du style descriptif, ni exploiter les détails significatifs de manière inconsidérée. Il
ne doit pas recourir de manière exagérée aux moyens de sensibilisation, à l’écriture
visuelle ou à la documentation. Car il s’agit là des caractéristiques propres au
reportage, lequel reportage s’emploie à apporter un sentiment objectif au lecteur et
non une information supplémentaire, comme c’est le cas du compte rendu.
Le compte rendu a pris une signification unique dans l’esprit des journalistes qui
le lient, désormais, à l’information portant sur les réunions, les rencontres, les
séminaires, les congrès et les cérémonies, le réduisant ainsi aux activités qui se
déroulent dans des salles fermées ou des amphithéâtres clos, avec des intervenants
qui se relaient sur le podium et un public silencieux qui écoute attentivement
les discours des orateurs qui animent ces activités, lesquelles peuvent revêtir un
caractère politique, scientifique ou culturel. Cette conception ne couvre cependant
qu’une partie des larges possibilités ouvertes devant le compte rendu, si tant est
qu’on le considère comme un genre qui enregistre la réalité à partir du terrain. Par
conséquent, on peut rédiger des compte rendus d’évènements tels les incendies,
les accidents qui ont fait des dégâts matériels ou humains, les rencontres sportives,
les inaugurations d’infrastructures publiques ou la destruction d’habitations dans
le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, etc.
Dans ce genre, le principal outil méthodologique du journaliste sur le terrain
demeure « la sélectivité signifiante » qui consiste à rechercher tout ce qui peut
enrichir le compte rendu en informations. Car celui-ci ne doit pas se réduire à un
simple procès verbal qui consigne tout ce qui se passe sur la scène de l’événement.
De ce point de vue, le compte rendu ne doit s’intéresser qu’aux acteurs principaux
de l’évènement qui sont à même de présenter des témoignages utiles au lecteur et
qui reflètent la réalité de ce qui s’est passé sur le terrain.
S’il y a différents intervenants qui se relayent pour prendre la parole au cours
d’une activité donnée, le journaliste n’est pas tenu de citer tous leurs propos ou
d’accorder un espace à l’intervention de chacun d’entre eux, ni de les présenter
selon l’ordre consigné dans le programme officiel de l’activité, lequel est,
d’ailleurs, souvent soumis à un ordre protocolaire.
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Le compte rendu adopte la structure de la pyramide inversée dans son traitement
des évènements. Par conséquent, il n’est pas tenu de respecter leur déroulement
chronologique. Il place plutôt le fait le plus important en tête, même si celui-ci
n’intervient qu’en dernier lieu.
Dans le compte rendu, le journaliste veille également à ne pas omettre, délibérément,
des éléments significatifs de l’événement, tel le témoignage ou la déclaration qui
apporte du nouveau par rapport à la situation politique, sous prétexte que ce propos
a été tenu par une personne du public ou que le nom de cette personne ne figurait
pas sur le programme officiel de l’activité en question.
Une autre caractéristique du compte rendu réside dans le fait qu’il porte une vision
«individualisée» de l’évènement sans que cela veuille dire que c’est une vision
« subjective ». En effet, le journaliste doit sélectionner, de manière directe, les
éléments de son compte rendu qui peuvent consister en des données qu’il peut avoir
en exclusivité par rapport à ses collègues s’il sait user à bon escient de ses relations,
de son sens professionnel et de son flair journalistique. Il ne doit pas oublier de se
procurer « le dossier de presse » dès son arrivée sur le lieu de l’évènement dans la
mesure où les organisateurs l’ont mis à disposition. Cependant, l’obtention de ce
dossier ne peut le dispenser de suivre personnellement l’ensemble de l’événement.
« Le titre du compte rendu de presse consiste souvent en une déclaration, une
opinion ou une tendance générale qui se dégage d’une assemblée générale ou
d’un congrès ou qui reflète des données revêtant une signification particulière »(1).
(1) «Guide du journaliste professionnel : Le titre de presse, le chemin le plus court vers le
lecteur » - Abdelwahab RAMI (2006, p. 44) (en langue arabe)
46
Caractéristiques du compte rendu de presse :
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8. L’écho
L’écho est un genre journalistique qui accompagne d’autres genres dits de
terrain, tels le reportage ou l’enquête. Il s’agit donc d’un genre complémentaire
qui s’intéresse surtout à ce qui se passe en « marge » de l’évènement qui a
souvent une signification politique ou sociale. Par ce qui se passe «en marge»
de l’événement, on entend des faits mineurs, inédits ou inattendus relatés par
les témoins de l’évènement principal ou par le journaliste lui-même. Il existe
d’ailleurs chez les journalistes, en particulier, une propension à rechercher ce
genre d’échos pour leur caractère insolite ou singulier.
L’écho peut être une entrée qui incite à lire l’évènement principal. Il prend
généralement la forme de la brève et est rédigé selon les mêmes règles même s’il
peut, très rarement, être plus long pour s’adapter à la taille du filet.
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CHAPITRE III
(1) L’interview de presse signifie ici le questionnement qui constitue un objectif en soi et qui est publié
de manière indépendante sous forme de questions/réponses, et non l’interview dont la matière est
exploitée dans d’autres genres tels « l’interview-portrait » ou « l’interview-enquête », ou l’entretien
libre qui ne répond pas aux normes de l’interview de presse en tant que genre distinct.
(2) L’interview se déroule généralement sous forme de questions/réponses dans un style direct, vivant
et fidèle. Elle apparaît rarement sous forme d’interview rédigée ou mixte (une partie rédigée et une
autre sous forme de questions/réponses).
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peut éluder certaines réponses ou éviter certaines questions qui lui semblent
sensibles ou embarrassantes sans que le journaliste puisse intervenir. Ce procédé
ôte également aux questions préliminaires toute leur utilité, dans la mesure où
l’interviewé peut commencer par répondre à la question de son choix. L’interview
devient ainsi, généralement, une matière dépourvue de vitalité et de dynamisme
du fait de l’absence des « relances » qui permettent au journaliste de recentrer
l’entretien de manière immédiate et directe et donnent à l’interview le dynamisme
et le professionnalisme requis. D’une manière générale, le procédé qui consiste à
envoyer des questions et à recevoir des réponses par écrit aboutit à une interview
dépourvue de la « stratégie discursive » (voir plus loin) que doit impérativement
adopter tout journaliste professionnel.
Etant donné qu’une bonne interview ne doit pas se départir des caractéristiques du
discours oral, comme indiqué plus haut, cette oralité doit être conservée, même
après le traitement des réponses de l’interviewé et leur révision.
• Interview d’information :
Dans ce type, l’interviewé constitue l’élément central de l’évènement dont il est
l’acteur. Il donne à travers l’interview des informations et des données relatives
à cet événement.
• Interview descriptive :
Dans ce type, l’interviewé a été témoin d’un évènement ou d’un phénomène
donné et en parle.
• Interview analytique :
Dans ce type, le journaliste s’appuie sur l’interviewé pour situer un ou plusieurs
évènements dans leur contexte en recourant, en premier lieu, à la question
« pourquoi ? ».
• Interview commentaire :
« Quel est votre point vue sur… ? », « quel commentaire vous inspire… ? »,
« quel est votre sentiment par rapport à… ? », constituent des questions centrales
dans ce type d’interview.
(1) Nous avons adopté ici la classification que l’on retrouve dans le document « L’information
sur l’actualité et les genres journalistiques », Centre de Ressources en Education aux Médias
(CREM) - document PDF http//reseau-crem.qc.ca, pp.2-3.
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• Interview d’opinion :
L’interview tourne autour de sujets controversés où, par exemple, un homme
politique répond à des accusations ou répond à des adversaires; un penseur défend
une théorie, une démarche intellectuelle ou réfute des idées données.
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Conduite à tenir par le journaliste au cours de l’entrevue :
Le journaliste doit suivre le protocole lors d’une interview directe (face à face) :
1. Saluer et remercier l’interviewé puis se présenter et présenter son cadre de
travail ;
2. Présenter le sujet sur lequel il travaille ainsi que l’angle sous lequel il veut
l’aborder ;
3. Evoquer les problématiques liées au sujet pour montrer à son interlocuteur
qu’il a une connaissance suffisante de l’objet de l’entretien et qu’il souhaite
obtenir auprès de lui des précisions et des éclaircissements complémentaires
sur certains points ;
4. Demander l’autorisation d’utiliser le magnétophone au cas où le journaliste
veut en faire usage ;
5. Montrer qu’une attention particulière sera accordée à ce que dit l’interviewé
à travers une écoute attentive, la communication à travers des hochements de
tête qui expriment l’assimilation des propos de l’interviewé ;
6. Résumer les principales données de l’interview juste après la dernière réponse
de l’interviewé (pour s’assurer de l’exactitude des données recueillies) ;
7. Remercier et demander la permission de revenir éventuellement sur certains
points pour les préciser par téléphone.
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La prise de notes suppose que le journaliste écrive vite et soit entraîné à l’usage
des abréviations (plus = +), (moins = -), (le premier = 1er), (le deuxième = 2è).
Même si la précision est exigée et la citation fidèle de certains passages est
nécessaire, il n’est pas besoin de consigner l’entretien mot-à-mot étant donné que
cela prend beaucoup de temps et coupe le fil des idées de l’interviewé dont les
réponses ressembleraient ainsi à des phrases écrites sous la dictée. Si le journaliste
n’entend pas bien une phrase ou une partie de phrase, ou ne saisit pas le sens
d’une expression, il doit immédiatement demander à l’interviewé de l’expliquer,
de la répéter ou de la préciser.
Au cours de l’interview, le journaliste doit toujours avoir à l’esprit la matière qui
va être publiée parce que cela le pousse à se concentrer sur les informations et les
données dont le lecteur a besoin. Il doit poser ses questions comme étant celles du
public qu’il représente, et ne doit pas se livrer à étaler ses propres opinions sur le
sujet abordé, car cela peut mener à une confrontation entre lui et son interlocuteur.
Le journaliste doit exprimer dans ses notes l’atmosphère générale dans laquelle
se déroule l’interview : noter les silences de son interlocuteur, le débit et la
fluidité de son discours, ses réactions, ses hésitations, son enthousiasme, etc.
Certains aspects de cette atmosphère peuvent être fixés par une photo prise durant
l’interview, pas avant, ni après. Le recours aux photos archives ne doit se faire
qu’en cas de nécessité absolue.
Etant donné que l’interview se construit sur la base de la coopération entre
l’interviewé et le journaliste, ce dernier est tenu de respecter certains engagements
moraux, notamment en ce qui concerne les propos tenus à titre privé hors
enregistrement (off the record). Cela veut dire que le journaliste ne doit pas
rapporter ce que l’interviewé considère comme des informations ou des opinions
livrées uniquement pour l’édifier sans qu’elles soient destinées à être publiées.
Le professionnalisme du journaliste se révèle à travers «les questions de relance»
qui expriment son expérience et sa capacité d’exploiter les réponses de son
interlocuteur pour éclairer davantage les lecteurs.
Durant l’interview, le journaliste doit user d’un langage proche de celui de son
interlocuteur, afin que celui-ci n’éprouve aucun sentiment de supériorité ou
d’infériorité par rapport à lui.
Il est toujours préférable que l’interview se déroule en tête-à-tête.
Cinquième étape : Rédaction de l’interview :
Immédiatement après l’interview, le journaliste commence sa rédaction en
s’appuyant sur sa mémoire, pendant que les données y sont encore fraiches.
58
Au moment de la rédaction, le texte doit être révisé afin de le débarrasser des
données et des opinions répétées et éclaircir certaines données confuses, etc. Il
faut savoir qu’une interview d’une heure doit normalement, après son traitement,
occuper deux pages d’un journal de grand format.
Dans son interview, le journaliste doit accorder une attention particulière à
l’introduction (surtout la première question et la première réponse) pour accrocher
le lecteur tant par la forme que par le fond, sachant qu’il n’y a aucune obligation
de garder, lors de la publication, le même ordre dans lequel ont été préparées les
questions avant l’interview ou posées au cours de celle-ci.
L’interview peut sortir sous forme de questions/réponses (Q/R) ou sous une
forme rédigée (interview écrite).
Dans le chapeau, il est nécessaire de faire une brève présentation de l’interviewé
et d’indiquer le contexte dans lequel s’est déroulée l’interview ainsi que la date
et le lieu de sa réalisation.
59
Titre de l’interview
60
Critères de qualité de l’interview :
61
2. Le reportage journalistique
2.1 Définition du reportage journalistique :
Le reportage journalistique repose sur la technique de la narration pour décrire
des faits, des évènements ou des phénomènes, qu’ils soient politiques, sociaux,
économiques ou autres.
Le reportage journalistique rapproche le lecteur du sujet traité à travers la citation
d’exemples concrets afin de donner à l’information plus de vivacité et de couleur.
Le reportage est un témoignage direct qui se distingue par son caractère vivant.
Il appartient aux genres de « la presse debout », étant donné que le terrain en
constitue un élément indispensable.
Dans le reportage, tous les sens du journaliste doivent être en éveil (la vue, l’ouïe,
l’odorat, le goût et le toucher). La relation fidèle des faits, des évènements et des
phénomènes exige que le journaliste se comporte comme une plaque sensible sur
laquelle viennent s’imprimer les différents éléments du sujet. On peut dire que
le reportage est réussi quand le lecteur a l’impression, en lisant le texte, de se
trouver sur le terrain et de vivre l’évènement en direct.
2.2 L’angle d’attaque :
L’angle d’attaque dépend du sujet traité. Plus cet angle est réduit, plus le reportage
tend à gagner en profondeur et plus le journaliste maîtrise son sujet.
Si on veut, par exemple, aborder le sujet de l’environnement comme thème, les angles
d’attaque deviennent multiples : l’environnement qui englobe l’eau, la terre et l’air ; la
pollution sous toutes ses formes et les problèmes liés à l’assainissement ; l’environnement
et l’espace, etc. Chacun de ces thèmes a sa spécificité par rapport aux facteurs du temps
et de l’espace et en termes de priorités locales. D’où l’importance de préciser l’angle
d’attaque ; autrement, le journaliste se retrouverait en train de parler « de tout et de rien ».
2.3 La documentation et l’identification des sources et des témoins :
La documentation (études, rapports) concernant le sujet du reportage doit être
exploitée uniquement pour étayer les données sur le terrain et ne doit pas prendre
une place prépondérante.
Les premières sources doivent être identifiées et ciblées avant le déplacement
sur le terrain. S’il s’agit, par exemple, d’une enquête se rapportant à la gestion
administrative d’une institution donnée, la première source pour recueillir des
témoignages sur place doit être le directeur de cette même institution. Si le sujet
se rapporte à l’absentéisme ou aux promotions, la source première, dans ce cas,
devient le directeur des ressources humaines de l’institution.
62
Le journaliste doit voir en la diversité et l’antagonisme des positions, des intérêts
et des points de vue une source d’enrichissement pour le reportage. Il doit toujours
chercher à avoir un retour (feedback) dans le cadre du sujet qu’il traite. L’angle
d’attaque est défini ici en fonction des sources principales et secondaires, sachant
que ces dernières ont également une fonction d’information et de sensibilisation
non négligeable.
Dans le reportage, on ne parle pas de « personnes » mais plutôt d’« acteurs » ou
de « personnages » comme dans une fiction (cinéma, roman, théâtre…), car on
les voit se mouvoir, s’exprimer devant nos yeux, on les écoute parler avec des
tonalités différentes et on les entend exprimer des sentiments qui traduisent des
états d’âmes diverses. Ces personnages ont un âge, des noms et des traits vivants.
2.4 Les détails significatifs :
Le reportage journalistique exploite, par excellence, le détail significatif de façon
métonymique, c’est à dire qu’il utilise la partie pour le tout, dans la mesure
où le détail est représentatif d’une réalité. C’est ainsi que Omar qui lève son
poing en criant « ces revendications représentent le minimum des droits que
nous revendiquons ! » est représentatif dans les faits de tous les manifestants qui
sont à ses côtés. Le « froncement de sourcils d’Ahmed » est, selon le contexte,
synonyme de crainte, de renfrognement ou de méditation.
2.5 L’écriture visuelle :
En lisant un reportage, on doit avoir l’impression de regarder un film
cinématographique. La description et la narration jouent un rôle prépondérant
dans ce genre journalistique. Au lieu de dire, par exemple, qu’Ahmed était « très
en colère », alors qu’on ne peut pas mesurer de manière concrète cette « grande
colère », on devrait se suffire de décrire ce qu’on on a vu, à savoir que « Ahmed
a jeté violemment le dossier qu’il avait à la main » ; cette formulation étant plus
proche de l’objectivité que la précédente qui, elle, n’est qu’un simple jugement
de valeur.
2.6 Les données objectives :
Le reportage est un genre qui appartient, en principe, à l’ensemble des genres
d’information, où il n’y a pas de place pour la subjectivité ou pour les opinions
personnelles du journaliste.
Seule la conviction que le journaliste s’est faite à partir de son observation des
données objectives doit être rapportée au lecteur, tout en évitant de tomber dans
les images stéréotypées, les visions réductrices ou le mimétisme.
63
L’enquêteur doit également éviter de se perdre dans les données chiffrées
et les menus détails (juridiques, structurels, organisationnels, etc.) dont la
compréhension demande un examen approfondi. La multiplication des détails et
des chiffres compromet l’objectif de la sensibilisation et du supens qui sont, avec
celle de l’information, des finalités essentielles du reportage.
2.7 L’engagement :
Si le journaliste n’est pas imprégné par le sujet, son engagement s’en ressentira
au niveau de la rédaction ; si bien qu’il présentera son sujet de manière hésitante.
Le degré d’engagement vis-à-vis du sujet abordé oscille entre deux extrêmes :
d’une part, ce qui est fortement conseillé et, d’autre part, ce qui est fortement
déconseillé. Le journaliste doit, avant la rédaction de son article, définir le point
où il se situe par rapport à ces deux extrêmes.
L’enquêteur ne doit pas exploiter tout ce qu’il a consigné dans son « carnet de
reportage », mais en sélectionner uniquement ce qui cadre avec l’angle d’attaque
qu’il a choisi. Il doit choisir, parmi les témoignages, ceux qui sont les plus courts
et les plus profonds ; parmi les chiffres, ceux qui sont les plus significatifs ; parmi
les situations, celles qui sont les plus vraisemblables et les plus expressives ;
parmi les photos, celles qui illustrent avec le plus de précision possible le sujet
du reportage. En effet, le reportage ne se réduit pas à un simple album où on
rassemble, n’importe comment, des témoignages, des photos et des situations.
2.8 La construction du reportage :
La construction du reportage, tout comme dans le cinéma, répond à la technique
du « découpage ». Ici, la notion de « spectateur » apparaît comme une donnée
fondamentale.
Au cours du reportage, le journaliste doit se focaliser sur :
• La loi de l’alternance :
Pour que le reportage soit vivant et dynamique, et afin qu’il ne soit pas linéaire
(rompre la monotonie de la narration), le journaliste doit recourir à l’alternance
tout au long de l’article, ce qui implique un agencement alternatif des photos,
des idées, de l’action, des séquences, descriptives, de la narration, du style
direct et du style indirect (témoignages, par exemple), des données objectives,
des observations sur le terrain, des paragraphes (relativement) longs et des
paragraphes courts, des phrases (relativement) longues et des phrases courtes.
64
• L’introduction du reportage :
L’introduction du reportage doit être directe, claire, précise, simple, concise et
dynamique.
• La fin du reportage :
Le reportage n’a pas de conclusion, et ce afin que les images demeurent
imprimées dans l’esprit du lecteur (sensibilisation). En plus des caractéristiques
de l’introduction, la fin du reportage doit traduire l’engagement de l’auteur
(sensibilisation).
2.9 La longueur du reportage :
Le style narratif fait que le reportage est un genre qui tend à être relativement
long. Cependant, c’est la richesse du sujet qui en détermine, en définitive, la
longueur. C’est sur cette base que le journaliste décide si le reportage est trop
long (remplissage, redondance) ou trop court (concision réductrice).
2.10 Le titre du reportage :
Le titre du reportage exploite « le vu et le vécu », l’écriture visuelle et, parfois, le
témoignage. Il fait partie, en principe, de la catégorie des titres attractifs(1).
(1) Pour plus de détails voir : Abdelwahab RAMI, Le guide du journaliste professionnel : le
titre, le plus court chemin vers le lecteur, - 2006 - pp. 51-55, ou Le guide du journaliste
professionnel : le reportage journalistique » en collaboration avec l’ISESCO et l’ISJC - 2004,
pp.179-184. (en langue arabe).
65
Le reportage journalistique
Source : Critères de sélection des travaux journalistiques pour l’obtention du Grand Prix de
Journalisme », (Maroc) - 2004 - Abdelwahab RAMI.
66
Critères de qualité du reportage journalistique :
67
3. L’enquête journalistique
3.1 Définition de l’enquête journalistique :
L’enquête journalistique constitue l’outil d’investigation le plus mûr. D’ailleurs,
la presse ne peut prétendre à son statut de « quatrième pouvoir » que si elle
met en œuvre ce genre qui (en plus de l’interview et du reportage) appartient au
groupe des « genres majeurs ». Loin de ce qu’ont accompli les deux journalistes
du Washington Post, Bob Woodward et Karl Bernstein, dans ce qui est désormais
connu sous le nom de « Watergate », et qui avaient réussi à prouver que le Président
américain Richard Nixon a mis sur écoute ses adversaires du Parti démocrate
afin de gagner les élections présidentielles américaines de 1972, l’obligeant à
démissionner deux années plus tard (le 8 août 1974), l’enquête journalistique
appelle essentiellement la mise en œuvre d’une méthodologie, non seulement
pour rapporter très fidèlement les faits, mais aussi et surtout pour aboutir aux
vérités qui se cachent derrière le vernis extérieur des faits.
L’enquête se fonde sur la nécessité impérieuse de présenter des preuves pour
étayer les conclusions du journaliste. Par conséquent, il n’est point d’enquête en
l’absence de preuves, d’arguments et de logique.
Généralement, l’enquête journalistique traite de situations en rapport avec les
affaires publiques, qui renvoient à des dysfonctionnements liés à des situations
données, aux compétences de personnalités connues, à des irrégularités commises
par des individus ou des institutions, à l’appropriation d’avantages de manière
indue, à des échecs que l’on veut cacher, etc. Aussi, la mauvaise gestion, l’abus
de pouvoir, les actes contraires à la morale, l’injustice sous toutes ses formes, les
entorses à la loi constituent-ils les sujets privilégiés de chaque journaliste dans le
cadre de l’enquête. Mais cela ne veut pas dire que le journaliste ne doit utiliser
l’enquête journalistique que pour traiter exclusivement de ces « grands sujets ».En
effet, la vie quotidienne offre divers sujets pour l’enquête, certes avec des angles
d’attaque plus aigus, mais tout aussi pertinents, de façon à permettre à la presse
de suivre de manière vigilante les phénomènes qui agitent la société et dont le
traitement - contrairement à ce que pensent certains - ne nécessite pas des mois
d’investigation continue sur le terrain.
Dans tous les cas, l’enquête vise à répondre à trois questions fondamentales :
- Qui est responsable (du dysfonctionnement, objet de l’enquête : une personne
ou un groupe de personnes, une institution ou un ensemble d’institutions…) ?
- Qui profite (d’une situation donnée : une personne, un groupe de personnes,
une institution, un ensemble d’institutions…) ?
68
- Parallèlement à ces deux questions, l’enquête doit répondre aux questions
suivantes : qui est victime d’une situation donnée : une personne, un groupe
de personnes, une institution, un ensemble d’institutions ?
Le responsable du dysfonctionnement peut être le même que celui qui en profite
(une personne qui contourne la loi pour améliorer sa propre situation), tout
comme le responsable peut être différent de celui à qui la situation profite. Il
arrive également que la situation irrégulière soit créée pour nuire à autrui ou
provoquée de manière involontaire.
En essayant de répondre à la question « qui est responsable ? », l’enquête vise
à déterminer en premier lieu la responsabilité directe des parties concernées, en
évitant de se laisser emporter dans l’engrenage des « responsabilités partagées »
qui est souvent un alibi pour diluer les responsabilités afin d’échapper à l’impératif
de rendre compte.
Selon sa définition instrumentale, on peut dire que l’enquête est un moyen
d’approfondir les réponses aux « six questions sœurs », à savoir « quoi, qui, quand,
où, comment et pourquoi », qui peuvent être résumées par les formulations : « qu’est-
ce qui est arrivé exactement ? », « qui sont, avec précision, les parties prenantes dans
l’affaire ou le problème ? », « quand se sont déroulés les faits objet de l’enquête ? »,
« où précisément le fait ou les faits se sont-ils déroulés ? », « comment exactement
les faits se sont-ils déroulés et quels en sont les développements ? », « pourquoi les
faits se sont-ils développés dans ce sens et non dans un autre ? ».
Cependant, il y a une tendance générale à se focaliser, au cours de l’enquête, sur la
question « pourquoi ? » en tant qu’orientation méthodologique générale (en opposition
avec la question « comment ? » qui inspire l’orientation du reportage). A travers cette
orientation (pourquoi ?), l’enquête traite des relations causales qui relient les différents
éléments et données du sujet et les place dans le cadre de leur contexte général .
La fiabilité des sources joue un rôle déterminant dans la réussite de l’enquête et de
sa rentabilité journalistique. C’est pourquoi l’une des actions les plus importantes
à entreprendre ici consiste à dresser, dès le départ, la liste des sources et leur
répartition en sources qui possèdent des informations ou des secrets et en sources
de soutien (aident à trouver des informations données, aident à accéder à une
source donnée…). Le journaliste doit également dresser la liste des informateurs
qui peuvent l’orienter vers des pistes nouvelles, et à travers lesquels il peut
recevoir le retour (feedback) des investigations qu’il mène auprès des parties
concernées par l’enquête.
Le journaliste doit convaincre ses sources du bon usage qu’il fera des informations
qu’ils lui donnent, tout en mettant en avant l’utilité de ces informations pour
l’intérêt public.
69
Autant le journaliste doit entourer ses investigations de confidentialité, afin que
son enquête aboutisse aux objectifs fixés, autant il doit protéger ses sources en
s’abstenant de mentionner leurs noms ou toutes autres indications qui peuvent
permettre leur identification.
Le journaliste ne doit pas oublier que l’enquête peut être destructrice si elle n’est
pas bien menée. L’enquêteur peut, tout en cherchant à redresser un tort, nuire
à ceux qu’il veut servir. Il peut être à l’origine de malheurs qui s’abattent sur
des familles entières, attenter à l’honneur de personnes respectables ou porter
des accusations non fondées contre des innocents, tout simplement parce qu’il
a bâclé un aspect de son enquête ou parce qu’il a pris des vérités relatives pour
des vérités absolues, négligé certaines sources contradictoires qui lui auraient
permis d’avoir une vision plus complète de tous les aspects du sujet, ou n’a
pas donné aux personnes impliquées dans les affaires, objet de l’enquête, toute
la latitude (pourtant incontournable) pour s’exprimer et se défendre, tout en
permettant à leurs adversaires (qui sont parfois en même temps leurs ennemis) de
les compromettre.
L’enquête doit respecter les règles déontologiques et éviter de tomber dans les
jugements de valeur ou l’incrimination et s’abstenir de vouloir jouer le rôle de la
justice(1).
(1) Extrait du document intitulé : Critères de sélection des œuvres journalistiques en compétition
pour le Grand Prix national de la presse au Maroc, 2004. Ce document a été élaboré par l’auteur
du présent guide à l’attention du jury dudit Grand Prix.
70
tel dossier), comme premier pas incontournable afin de comprendre le sujet
pour l’envisager comme une problématique pouvant être divisée en plusieurs
hypothèses qui constituent autant de passerelles vers le travail de terrain.
Les deux points précédents (le 1 et le 2) constituent la phase de la recherche «
pré-enquête ».
• La formulation des hypothèses : La formulation d’hypothèses solides est
tributaire d’une bonne compréhension du sujet qui est, à son tour, fonction de
l’étude du « dossier de l’enquête ». Et c’est le terrain qui confirme ou infirme
ces hypothèses.. Il faut noter que la formulation des hypothèses requiert une
attention particulière car elle influe - inévitablement - sur la suite (choix des
sources, visite de certains endroits dans le cadre des investigations, choix des
questions de l’enquête…).
• L’expérimentation : Elle consiste à vérifier les thèses. De fait, c’est cette phase
qui confère à l’enquête sa légitimité en tant que genre journalistique à part,
parce qu’elle constitue la phase de la recherche effective de la vérité. Sans cette
phase d’expérimentation des thèses, il n’est point d’enquête journalistique.
• Le bilan de l’enquête (résultat des investigations) : Ce bilan ne doit pas sortir
du cadre de la dialectique interne entre les données tirées des documents, les
témoignages, les attestations, les références objectives et les investigations sur
le terrain. Le journaliste n’a pas le droit de se hasarder à adopter des vérités qui
ne sont pas étayées par des données et des faits objectifs, ou qui n’ont pas subi
l’épreuve de l’expérimentation.
71
tient-il un congrès extraordinaire ? », « pourquoi les parlementaires de tel parti n’ont-ils
pas voté en faveur du programme du gouvernement ? », etc.
Ce type d’enquête doit être réalisé avec célérité - et discrétion - car il est fort
probable que plusieurs médias concurrents s’y intéressent en même temps.
• L’enquête de faits divers :
C’est le type le plus proche de l’enquête policière. Il sert en général à reconstituer
une chaîne d’évènements ou de faits dont un ou plusieurs maillons manquent, et
où les services de police constituent, dans la plupart des cas, la source principale
d’informations. Dans ce cas, le journaliste fait son enquête pour chercher à tirer
au clair une situation confuse, à relever l’incohérence de certaines versions qu’il
a reçues, et à enquêter sur le sujet.
Il arrive que, dans ce type d’enquête, le journaliste soit l’objet de tentatives
acharnées de diversion et de déroutage de la part des sources impliquées ou
mobilisées pour influer sur le cours de l’enquête. « L’enquête sur les scandales »
en fait partie.
• L’enquête magazine :
Ce type d’enquête traite des phénomènes et des évènements récurrents ou sur des
phénomènes. A l’inverse de l’enquête d’actualité, ce genre interroge les structures
sociales profondes en s’aidant, parfois, de différentes sources spécialisées. Le
journaliste doit éviter de traiter son sujet de façon abstraite, ce qui n’est pas
souhaité professionnellement. Chaque fois qu’il recueille des témoignages de
spécialistes (surtout universitaires) qui se caractérisent par la généralisation
et l’abstraction, le journaliste doit multiplier les exemples réels et pousser ses
interlocuteurs à être plus proches du concret.
L’enquête magazine porte une empreinte sociologique, dans la mesure où elle sonde
les dynamiques sociales complexes pour en identifier les dysfonctionnements.
« La chirurgie plastique au Maroc», « la démission de l’intellectuel marocain,
mythe ou réalité ? », « pour qui vote la femme marocaine ? », sont autant de titres
qui peuvent inspirer le genre de l’enquête magazine qui s’intéresse surtout aux
phénomènes sociaux qu’ils soient constants ou le résultat d’un effet de mode.
• L’enquête d’investigation :
Il s’agit d’une grande enquête où le journaliste doit, généralement, faire face à
une grande résistance ou, même, à une confrontation visant à casser l’enquête
ou, au moins, à masquer la vérité. Il doit, par conséquent, être conscient que les
parties impliquées construisent leur stratégie en opposition avec la sienne afin
de dissimuler les preuves qui aident à la manifestation de la vérité. Parmi les
72
éléments de cette contre-stratégie, le refus d’apporter le moindre témoignage ou
de livrer tout document ou indice de nature à accélérer l’enquête pour aboutir à la
vérité. Cette stratégie se base souvent sur la « politique du bâton et de la carotte».
D’où le coût élevé en temps, en argent et en efforts rédactionnels de l’enquête
d’investigation par rapport aux autres types d’enquête cités plus haut, du fait de
la volonté de dissimuler la vérité qui caractérise généralement la conduite des
parties concernées, surtout celles qui sont impliquées dans des affaires suspectes.
• Le portrait-enquête :
Ce type d’enquête s’intéresse aux aspects mal connus des personnages publics,
qui occupent généralement des postes de décision. Mais, il peut également
concerner toute personne impliquée dans un dysfonctionnement donné en sa
qualité de responsable ou en tant que partie à qui profite une situation irrégulière
(voir plus haut). Il ne s’agit pas d’un portrait, dans la mesure où l’enquête ne
concerne pas « la personne en tant que telle » mais, plutôt, d’une enquête qui se
déroule suivant les caractéristiques citées plus haut. Cette enquête peut également
concerner le rôle d’une personne dans une opération donnée, son enrichissement
rapide, la montée de sa popularité ou son effondrement d’une manière qui justifie
une enquête basée sur la question « pourquoi ? ».
Généralement, le portait-enquête est publié, sommairement, sous le nom
générique d’« enquête » en mentionnant en titre le nom de la personne/personnalité
concernée.
• Le portrait-document :
Si le journaliste s’aperçoit que la longue enquête qu’il mène a une valeur
documentaire ou historique, il peut lui consacrer un livre. Alors, son ouvrage sort
du domaine journalistique pour entrer dans celui de l’historique. Cependant, le
journaliste ne doit publier ce travail sous forme d’ouvrage que s’il est absolument
sûr de l’efficience de sa méthodologie et de la fiabilité des conclusions de
son enquête. Dans ce cas, l’enquête doit être suffisamment riche et embrasser
différents aspects du sujet pour mériter de paraître sous forme de livre. Ce genre
d’enquête est généralement dédié à certaines affaires décisives.
73
Critères de qualité de l’enquête journalistique :
L’enguête journalistique :
1. Cherche à dévoiler la vérité et non à refléter les faits (va au-delà des apparences) ;
2. Utilise la preuve et l’argument et a recours aux outils de la logique ;
3. Est généralement liée aux affaires publiques ;
4. Interroge les manifestations des dysfonctionnements, des irrégularités, des abus, des
injustices et autres dépassements ;
5. Répond aux questions suivantes : qui est responsable ?, qui en profite ?, qui est lésé ? ;
6. Approfondit les « six questions sœurs » ;
7. S’appuie méthodologiquement sur la question « pourquoi ? » ;
8. Le journaliste s’appuie sur des sources qui collaborent (à la manière de
« gorge profonde » dans l’affaire du Watergate, c’est-à-dire sur des « fuiteurs
d’informations »),
9. L’enquête est menée par le journaliste en toute confidentialité ;
10. Le journaliste s’engage à protéger ses sources ;
11. Le journaliste s’engage à utiliser à bon escient les données sensibles que lui
livrent ses sources ;
12. Le journaliste s’engage à servir l’intérêt général ;
13. Le journaliste s’engage à ne pas nuire, de manière délibérée ou par négligence,
à des personnes ou parties pouvant être impliquées dans l’enquête ;
14. On y exploite les sources contradictoires ;
15. Exige le respect de l’éthique professionnelle ;
16. Exige le respect de la méthodologie de l’enquête. Le journaliste doit:
- Définir le sujet de l’enquête et son angle d’attaque ;
- Mener la recherche documentaire ;
- Formuler des hypothèses ;
- Procéder à l’expérimentation ;
- Présenter le résultat de l’enquête.
17. Le journaliste respecte les exigences de différents types d’enquête :
- L’enquête d’actualité ;
- L’enquête des fait divers ;
- L’enquête magazine ;
- L’enquête d’investigation ;
- Le portrait-enquête ;
- Le portrait-document.
74
4. Le portrait(1) :
4.1 Définition du portrait :
Selon la définition de Martin-Lagardette(2), le portrait(3) est « un article qui brosse
les traits d’une personne (célèbre ou non) selon ses caractéristiques propres : sa
biographie, ses actions, ses déclarations, son mode de vie et son aspect extérieur ».
Il se définit également, dans la pratique, comme « une enquête sur une personne »,
utilisant des techniques (conception-terrain-rédaction) qui se recoupent avec celles
du reportage.
Le portrait se justifie par des nécessités liées à l’influence de certaines personnes
sur les évènements en cours, ou à leur influence potentielle sur les questions
d’actualité. De ce fait, le portrait n’est concevable que dans ses rapports avec les
évènements qui font l’actualité.
Le portrait ne fait pas de la personne concernée le représentant ou le prototype
d’un groupe ou d’une catégorie donnée, comme c’est le cas pour « l’enquête sur
une personne unique »(4) (portrait type). Par conséquent, il n’est pas permis de
généraliser les traits du portrait à d’autres personnes. Le portrait vise à rapprocher
le public d’une personne donnée à travers ce qui la caractérise et ce qu’elle a
de spécifique et, éventuellement, à ressortir le rôle que celle-ci peut jouer dans
l’avenir. Cela suppose que le journaliste a lui-même saisi, au préalable, les clés
de la personnalité qu’il présente à travers son portrait.
Le portrait n’est ni une biographie ni un curriculum vitae, même s’il utilise des
données tirées de ces deux sources à la fois, selon ce qu’exige l’angle d’attaque
adopté. Le tableau suivant résume les différences entre le curriculum vitae et le
portrait :
(1) Le portrait est cité ici parmi les grands genres pour des raisons purement méthodologiques, en
raison de sa proximité avec le reportage et son caractère informatif, bien que certains spécialistes
le placent dans la case des « genres impressionnistes ».
(2) Martin-Lagardette, Jean Luc : « Guide de l’écriture journalistique : écrire, informer,
convaincre » - Syros 1994.
(3) Certains l’appelent « profil ».
(4) « Guide du journaliste professionnel : le reportage » - Abdelwahab Rami, 2004.
75
Différences entre le curriculum vitae et le portrait :
(5) Nous nous sommes référés ici à ce qui a été écrit sur la saisie des traits de la personnalité dans
le portrait par Anne Ducois sur le site E-X-P-E-R-T (Expression Publique : Etat des lieux et
réalisation de tutoriaux).
76
• L’aspect humain : Dans le portrait qu’il brosse, le journaliste ne doit pas verser
dans la « psychanalyse », mais doit, plutôt, s’intéresser au comportement de la
personne concernée, sa façon de s’exprimer, son rapport avec lui-même, avec
son environnement familial et professionnel ainsi qu’avec la société ; ainsi que
les motifs et les choix personnels qui ont déterminé son parcours.
Le journaliste peut lire les traits psychologiques et psychosociaux de son sujet
à travers ses activités secondaires, ses loisirs et ses hobbies, qui constituent des
clés pour comprendre sa personnalité.
• L’aspect réflexif : Comment réfléchit la personne objet du portrait ?, quels sont
ses projets et ses ambitions ? Appartient-elle à une entité culturelle, politique
ou autre ? Ce sont là - entre autres - des questions qui visent à cerner la manière
de penser du sujet du portrait afin de faire la lumière sur ses positions, ses
comportements et ses réussites (ou ses échecs) dans leur relation avec des
évènements donnés.
4.3 Les caractéristiques du portrait :
• Le portrait s’attache à l’objectivité : Le portrait ne se réduit pas à des
impressions subjectives sur une personne donnée, sans relation avec les
données objectives. En effet, ce genre demeure profondément attaché à son
caractère informatif, en ce sens qu’il jette la lumière sur une personne donnée
et, à travers elle, sur le cours des évènements auxquels elle est liée. L’objectivité
impose au journaliste, même quand il fait le portrait d’une personne disparue,
de ne pas se limiter à un « portrait funèbre » qui cite uniquement les qualités
du défunt et le présente comme une personne infaillible.
• Le portrait est « global et sélectif » : Le portrait brosse les traits les plus
marquants de la personnalité du sujet en mettant en lumière ses aspects les
moins connus. Les traits ainsi sélectionnés renvoient à la globalité de la
personnalité.
Le caractère sélectif veut dire également le choix d’un angle d’attaque qui réponde
aux questions que posent l’actualité. L’angle d’attaque peut également s’exprimer
à travers la réponse à une question référentielle comme par exemple : pourquoi
telle personnalité a-t-elle démissionné du secrétariat général de tel parti ?
• Le portrait s’intéresse au parcours des personnes et non aux personnes
en tant que telles : L’on peut dire que le portrait ne brosse pas les traits des
personnes ou personnalités en tant que telles, mais présente, plutôt, leurs
parcours en relation avec les facteurs intrinsèques et extrinsèques qui les
ont déterminés, et ce de manière nécessairement sélective et non globale.
Ce parcours renvoie à l’enfance, à l’appartenance familiale, à la scolarité,
77
aux étapes marquantes de la vie et aux autres relations qui ont marqué la
personnalité, objet du portrait.
• Le portrait ne s’intéresse pas uniquement aux célébrités : Dans certains cas,
le portrait présente des personnages influents dans un domaine donné, mais
peu connues, ou qui ont un rapport avec un évènement extraordinaire, mais
ignorées du grand public. Le « portrait d’appoint » (qui accompagne un autre
article ou s’inscrit dans le cadre d’un dossier de presse) présente un personnage
pour le rapprocher des lecteurs, et ce en marge de l’article principal, ou pour
étayer le dossier de presse.
• Le portrait s’appuie sur les témoignages du sujet lui-même et sur des
témoignages à son sujet : Plus ces témoignages sont vivants et directs (recueillis
par le journaliste sur le terrain), plus ils ont de la valeur. Les témoignages de
la personne concernée doivent être recueillis au cours d’une entrevue directe,
en utilisant les techniques de « l’interview-portrait » - différentes de celles de
l’interview classique - qui se rapprochent plutôt de l’entretien libre. L’interview
non directive semble être la plus adaptée aux exigences du portrait (tout en gardant
à l’esprit l’angle d’attaque). Cette forme requiert une rencontre directe avec la
personne, objet du portrait. L’interview-portrait a une grande importance car elle
permet à la personne en question d’exprimer sa personnalité et de rectifier les
erreurs éventuelles dans les témoignages recueillis à son sujet auprès des autres.
Quant aux témoignages que le journaliste recueille au sujet de la personne, objet
du portrait, ils sont généralement ceux des amis, des collègues, des personnes
intéressées, des spécialistes (s’il s’agit d’une personnalité célèbre), ainsi que les
témoignages qui lui sont défavorables. Le journaliste peut, également, recourir
à des extraits d’écrits antérieurs comportant des citations de l’intéressé ou le
concernant et les intégrer dans le portrait dressé.
La rencontre et l’entretien avec la personne, objet du portrait, sont la preuve
éclatante que le journaliste est descendu sur le terrain.
• La rédaction du portrait : Le portrait utilise toutes les caractéristiques du
reportage, tant dans la construction que dans le traitement. Cependant, il se
présente sous une forme plus dense (utilisation de « la règle de l’alternance » (1)
avec une cadence plus rapide).
• La titraille du portrait : Le titre du portrait se fonde sur un trait de caractère
saillant de la personnalité portraitisée.
(1) Voir « Le reportage » dans le présent guide et, pour plus de détails : « Le guide du journaliste
professionnel, le reportage journalistique » du même auteur.
78
Critères de qualité du portrait
1. Le portrait, en tant que forme d’enquête sur une personne, s’appuie sur des données
objectives et des observations directes (1) ;
2. Le portait est conçu en relation avec les évènements en cours et sous un angle
d’attaque précis ;
3. Le sujet du portrait ne peut être considéré comme le prototype d’un groupe donné
(couche sociale, groupe, communauté, etc.) ;
4. Le portrait n’est ni une biographie ni un curriculum vitae ;
5. Le portrait s’attache à l’objectivité ;
6. Le portrait est, à la fois, global et sélectif ;
7. Le portrait s’intéresse aux parcours des personnes et non aux personnes en tant que
telles ;
8. Le portrait s’intéresse aux traits suivants de la personnalité :
- Les éléments d’identification ;
- Les éléments psychologiques et sociopsychologiques ;
- L’aspect réflexif ;
9. Le portrait ne s’intéresse pas uniquement aux célébrités ;
10. Il faut mener « l’interview-portait » pour permettre au sujet d’exprimer sa
personnalité
11. Le portrait comporte les témoignages du sujet lui-même et les témoignages
des autres sur lui ;
12. Le portrait est rédigé selon la technique du reportage, avec une texture plus
dense ;
13. Le titre du portrait se base sur un trait dominant du sujet portraitisé.
79
CHAPITRE IV
Le titre du billet :
84
2. La critique
La critique est la présentation d’une œuvre culturelle, créative ou intellectuelle,
qui se rapporte à l’écriture ou au monde du spectacle. Son objectif essentiel ne
consiste pas à faire la critique (au sens littéral du terme) de l’œuvre présentée,
mais plutôt de la mettre à la portée du public, sachant que le journaliste peut y
émettre son point de vue qui ne doit pas verser uniquement dans l’énumération
des défauts de l’œuvre.
Ce qui est important dans l’article critique, c’est de donner une idée générale
sur le sujet (exposition, ouvrage, pièce de théâtre…) et d’inciter le lecteur à
prendre connaissance de l’œuvre par lui-même. La critique doit s’intéresser à ce
que l’œuvre apporte de nouveau et de particulier, en la plaçant dans le contexte
général et la dynamique du genre artistique auquel elle appartient.
La critique se caractérise par l’unité du discours qui est d’ailleurs une règle
générale commune à tous les articles de presse. Le discours de base de la critique
peut se ramifier en plusieurs discours secondaires qui doivent soutenir une seule
idée principale (l’impression personnelle du journaliste).
Le journaliste ne doit pas traiter le sujet avec les outils de l’analyse académique
(adopter une méthodologie de recherche scientifique, user d’un lexique spécialisé,
recourir à une terminologie spécifique méconnue du grand public, formuler des
recommandations ou tirer des conclusions péremptoires…) ; ce qui ne veut pas
dire que le journaliste ne doit pas être au fait de la terminologie et du langage du
champ artistique en question et de sa culture.
L’article critique ne doit pas épuiser le sujet de l’œuvre artistique ou littéraire
qu’il présente. Il doit, plutôt, choisir un angle d’attaque donné à travers lequel
il peut présenter une vision des caractéristiques principales de l’œuvre. A cet
effet, on a généralement recours à ce qu’on appelle « les seuils du texte » pour
présenter les œuvres écrites (le titre, l’illustration de la couverture, la préface,
la présentation, l’avant-propos, la quatrième de couverture, etc.). Cependant, se
fier à ces seuls éléments peut être déroutant. Aussi, le journaliste doit-il prendre
le temps de lire l’œuvre dans son intégralité, ou à tout le moins, la parcourir de
manière attentive.
Dans sa critique, le journaliste doit se suffire aux éléments qui appuient le discours
principal et ne doit sélectionner que les informations et les données objectives
qui corroborent l’impression générale que lui a inspirée l’œuvre artistique ou
littéraire.
Il peut inclure des témoignages de l’auteur de l’œuvre - ou de son directeur (en cas
d’œuvre collective). Il est également recommandé de citer certains passages de
85
celle-ci surtout quand il s’agit d’œuvres de création. Ces passages sont sélectionnés
selon le goût du journaliste, et présentent, en même temps, brièvement les dons
et les talents créatifs de l’auteur. Ces témoignages et ces citations - dont les plus
pertinents sont toujours les plus concis et les plus significatifs - ont le mérite
d’éloigner de l’article critique la subjectivité du journaliste.
La critique se caractérise par un style qui doit refléter, dans certains de ses
aspects, l’étendue de la culture du journaliste afin de pouvoir convaincre car le
lecteur doit sentir que le journaliste maîtrise le sujet traité. Le style de la critique
rappelle celui du portrait et du reportage. Et puisque l’article critique tend vers
la densification, il semble que sur le plan de la rédaction, il est plus proche du
portrait que du reportage. Si nous devions faire une comparaison entre la critique,
d’une part, et ces deux genres, d’autre part, nous pourrions dire que la critique
est « un reportage » sur une œuvre culturelle ou artistique et non une « enquête »,
dans la mesure où elle ne suppose pas une construction rigoureuse pour atteindre
une vérité incontestable.
Comme pour le reportage, une attention particulière doit être accordée à
l’introduction et à la chute.
Le journaliste peut s’inspirer du titre du film, du livre ou de l’exposition pour
choisir le titre de l’article critique.
La critique figure parmi les genres journalistiques qui font le plus appel à la
créativité du journaliste qui peut adopter un style qui ne soit pas moins créatif
que celui de l’auteur de l’œuvre critiquée.
Le style de la critique s’imprègne de la nature de l’œuvre qu’elle présente. La
critique d’un film cinématographique, par exemple, fait plus appel à une écriture
visuelle (voir le reportage journalistique) ; celle d’une œuvre de poésie adopte,
quant à elle, une grande sélectivité dans l’expression et l’usage des figures de
style (comme la métaphore), en s’inspirant, par ailleurs, de la terminologie et des
termes consacrés dans chaque domaine.
La construction de l’article critique est soumise à la loi de l’alternance (voir le
reportage journalistique), surtout en ce qui concerne l’alternance des citations, des
données objectives, des observations sur le terrain et des styles direct et indirect.
La critique doit comporter les informations techniques et pratiques relatives à
l’œuvre concernée pour indiquer au lecteur comment y avoir accès et à quel prix.
86
Le titre de la critique :
87
3. L’éditorial
L’éditorial est un genre journalistique qui vise, au-delà de l’émission d’un point
de vue, l’expression d’une position qui incarne la ligne éditoriale de l’organe de
presse. C’est ce qu’on appelle parfois « le point de vue officiel du journal ». Il est
préférable que l’éditorial soit consacré aux grandes questions d’intérêt général
dans les domaines politique, économique, social et culturel. Il est généralement
publié à « la une ».
L’éditorial porte la signature du journal ou, généralement, celle de la personne
qui occupe la fonction de directeur de la rédaction ou de rédacteur en chef au
sein de l’organe de presse. L’éditorial qui porte la signature du journal exprime
plus l’engagement de celui-ci, tandis que celui signé d’un responsable du journal
exprime la position de celui-ci sous couvert de la ligne éditoriale.
Après la mutation de la presse quotidienne généraliste et sa transformation
de « presse d’opinion » en « presse d’information », l’éditorial a perdu de sa
force de frappe « à la une » en faveur de l’information fraîche. L’éditorial tire,
désormais, sa valeur exclusivement de sa capacité de suivre les évènements et
les questions dont l’importance appelle une prise de position claire. Aussi, ne
doit-il pas être réduit à une formalité ou à un luxe quotidien, ce qui conduirait à
sa dépréciation et à son usure par des sujets qui ne méritent pas d’être traités à
travers ce genre journalistique. L’éditorial peut également trouver sa place dans
les pages intérieures parmi les articles d’opinion. Bien plus, une même édition
peut comporter plusieurs éditoriaux (selon les rubriques du journal).
Contrairement à la presse quotidienne, l’éditorial concerne aussi les éditions de la
presse hebdomadaire, bimensuelle ou mensuelle.
L’éditorial tente toujours de gagner l’adhésion du lecteur à la position qu’il exprime,
et ce à travers les preuves qu’il avance sur la véracité des thèses défendues par
l’auteur. Cette démarche ne s’appuie pas seulement sur la polémique mais aussi,
et surtout, sur l’argumentation, la logique et les exemples vivants, en dehors de
toute subjectivité, et cela dans un style mesuré mais ferme.
Il existe un type d’éditorial dit : « éditorial coup de gueule », basé sur la
contradiction et la polémique (on y travaille le style en vue d’influencer, mais
l’argumentation y est de mise).
L’éditorial a « une tête », « un ventre » et « une queue »; ce qui correspond à la
structure classique de l’article de presse avec une introduction, un développement
et une conclusion.
88
Dans « la tête », l’éditorialiste expose le sujet et pose la ou les questions
fondamentales qui s’y rapportent. L’introduction doit obligatoirement rappeler
l’information sur laquelle se construit l’éditorial pourvu qu’elle soit connue. Si
elle est nouvelle ou n’est pas connue du public, l’auteur est tenu de la présenter
dans les limites qui la rendent compréhensible. Au niveau du « ventre », l’auteur
expose les arguments qui corroborent la position défendue. Au niveau de « la
queue », l’éditorialiste met l’accent sur le discours fondamental de manière à
créer une prédisposition chez les lecteurs à s’en imprégner ou à l’intégrer.
L’argumentation dans l’éditorial :
Dans son argumentaire, l’éditorialiste s’appuie sur(1)
- Les données objectives (y compris les chiffres et les statistiques) à même de
convaincre le lecteur ;
- Les évènements qui ont réellement eu lieu et les faits incontestables ;
- Les sources dont la notoriété et la fiabilité sont reconnues ;
- Les rapports et les études émanant des institutions et organisations locales,
régionales et internationales crédibles ;
- Les exemples qui rendent la position que défend l’éditorialiste claire, réaliste
et concrète ;
- Les convictions qui renvoient à un contexte commun qu’il est difficile de
contester ;
- Le style clair et simple mais percutant, sans verser dans le pédantisme et en
évitant le style précieux et ampoulé ;
- Les outils qui permettent d’étayer ou de réfuter, surtout dans le cas où la
réfutation de thèses différentes ou contraires à l’avis de l’éditorialiste contribue
à corroborer celles avancées.
Quant à la construction des arguments et à leur agencement, il est préférable que
l’éditorialiste commence par avancer les arguments les plus solides pour finir par
ceux qui le sont moins. Il ne doit pas utiliser les faibles arguments de manière isolée
car cela affaiblit considérablement l’éditorial, mais, plutôt, les répartir à travers le
texte pour ne pas atténuer la portée des arguments solides.
Le discours de l’éditorial se distingue par son caractère prescriptif, en ce sens
qu’il tend à orienter vers ce qui doit être. Cependant, le journaliste doit éviter de
(1) Voir également l’encadré sous le titre ‘’la différenciation entre les évènements et leurs détails’’
dans la partie consacrée à l’article d’analyse
89
tomber dans le style du prêche ou du sermon, et éviter que son texte prenne une
allure idéologique. Il doit éviter, également, de répéter les mêmes idées avec des
formulations différentes, ce qui réduirait l’éditorial à du verbiage.
L’éditorial doit s’en tenir à l’unité de sujet car la multiplicité des discours fait perdre
au texte sa force et son unité de sujet.
Le titre de l’éditorial doit exprimer une position et ne doit pas se limiter à suggérer
le sujet.
90
4. La chronique :
La chronique est un genre d’écriture journalistique où l’auteur s’engage, sous
un titre invariable et une place fixe dans le journal, à attirer l’attention sur un
sujet, qu’il choisit lui-même, partant de sa conviction que le sujet choisi est
important. Le chroniqueur peut être un membre de l’équipe de la rédaction ou
un collaborateur extérieur. La chronique est dévolue à une plume connue et
expérimentée dans le domaine de l’écriture, ou à une personnalité qui possède
un poids social et un charisme reconnus. Le chroniqueur adopte une périodicité
régulière (généralement hebdomadaire) qu’il prend comme un rendez-vous fixe
pour tisser une relation de confiance avec ses lecteurs. Dans la presse arabe, les
chroniqueurs sont parfois connus sous le nom d’ « écrivains d’opinion » qu’on
sollicite pour paraître, de manière régulière, dans les journaux et les revues.
Le chroniqueur représente « la voix de la sagesse » au sein du journal. Bien qu’il
s’appuie sur ses opinions propres dans le traitement des sujets qu’il aborde, sa
culture - supposée être vaste -, sa compréhension globale du cours des évènements,
sa perspicasité, sa faculté d’observation et son aptitude à tirer des enseignements,
donnent une valeur et un poids à ce qu’il écrit.
Le lecteur doit sentir de la pondération dans les propos du chroniqueur grâce à
la démarche pluridisciplinaire qu’adopte celui-ci et à travers son style mesuré,
les arguments et les preuves qui étayent ses opinions. Par surcroît, l’auteur de
la chronique doit être conscient de sa responsabilité sociale et veiller à ce que
ses opinions ne soient pas éphémères (qui ne durent qu’une journée ou quelques
heures) et ne se réduisent pas à un simple reflet des évènements.
Le chroniqueur cherche souvent à analyser les évènements en vue de parvenir à
des conclusions qui revêtent un caractère durable. il questionne généralement les
évènements et les phénomènes en relation avec les concepts de démocratie, de
bien-être social, d’intérêt général, de modernité, d’égalité, de justice, de tolérance,
de progrès, d’authenticité et d’identité culturelle, tout en élevant ces concepts
au niveau de la réflexion. D’où la profondeur intellectuelle qui caractérise la
chronique.
Etant donné que la chronique porte la marque personnelle de son auteur, il est
permis d’y utiliser la première personne du singulier, et ce contrairement à
l’article d’analyse où le « je » doit être banni. Les mots et les expressions utilisés
dans la chronique ne doivent pas être toujours fortuits, et peuvent dépasser le sens
premier vers des degrés sémantiques supérieurs.
91
L’auteur de la chronique bénéficie d’une liberté à triple dimension que certains
qualifient de « carte blanche » :
• La liberté de choix du sujet :
Le chroniqueur choisit le sujet qui lui semble digne d’intérêt, en relation avec les
évènements en cours ou avec des phénomènes nouveaux ou permanents dans les
domaines politique, économique, social ou culturel. Cependant, le rédacteur en chef
se doit de suggérer - et non ordonner - au chroniqueur d’« observer » le cours des
évènements afin de les placer dans leur contexte véritable et d’en tirer les différents
enseignements qui éclairent la lanterne du lecteur.
• La liberté de style :
Le chroniqueur a un style qui lui est propre. Il n’est pas obligé de se conformer au
style de la ligne éditoriale du journal. Plus le style est personnel, plus la chronique
apporte de la diversité et de la richesse au journal. Cependant, le rédacteur-en-chef
doit attirer l’attention sur certaines règles générales de l’écriture journalistique dont
le chroniqueur doit s’inspirer, à savoir surtout: la clarté (clarté du message de base
et de l’expression), la fluidité du style, la simplicité, le soin qu’il faut apporter à
l’introduction, la maîtrise des techniques de persuasion.
• La liberté des moyens de persuasion :
La méthode de persuasion utilisée par le chroniqueur peut résider dans la forme
(style) ou dans le fond (l’idée). Il peut opter pour l’argumentation intellectuelle ou
recourir aux exemples, à l’induction ou à la représentation, etc. Il a, en effet, toute la
latitude pour défendre ses thèses dans le style où il excelle le plus, sans être astreint
à une démarche précise qui risque de rendre son écrit sec et rébarbatif.
Le chroniqueur possède en général la faculté d’analyser les données d’un champ
précis avec les outils d’un autre champ (démarche pluridisciplinaire), ce qui donne
un attrait supplémentaire à la méthode suivie pour convaincre.
La chronique se caractérise par son « identité visuelle » (encadrée ou tramée,
accompagnée de la photo du chroniqueur et de son adresse électronique pour
correspondre avec les lecteurs…). Cette « identité visuelle » permet aux lecteurs
qui apprécient ce genre journalistique d’y accéder directement et sans difficulté.
92
Le titre de la chronique :
93
5. L’article d’analyse
L’article d’analyse examine un fait, une situation, un phénomène ou un problème
donnés afin d’en comprendre le sens à travers la recherche des relations entre les
faits et les évènements liés au sujet de l’analyse. Aussi, la démarche adoptée dans
ce genre journalistique relève-t-elle de la recherche de « ce qui se cache derrière
l’information ».
L’article d’analyse suit les étapes et les procédures propres à l’enquête
journalistique, excepté l’action sur le terrain. De ce fait, l’analyse est une enquête
intellectuelle menée au bureau.
L’article d’analyse se fonde sur l’explication objective en s’appuyant sur un
certain nombre de données historiques, géographiques, politiques, économiques,
culturelles, religieuses, etc. C’est-à-dire qu’il adopte la pluridisciplinarité des
domaines de la connaissance et tend à exploiter la documentation de manière
intense, ne serait-ce qu’en en utilisant les données comme background de
l’analyse.
L’article d’analyse adopte une démarche démonstrative basée sur l’argumentation
et les preuves. L’analyse doit demeurer directe et concrète. Elle ne doit pas
tomber dans la théorisation et l’abstraction qui caractérisent la démarche
académique. Elle doit également recourir à la relativisation et se garder de faire
porter aux évènements une charge qui dépasse leur portée réelle. Elle peut aussi
exploiter, comme preuves ou arguments, des témoignages vivants ou tirés de la
documentation.
L’une des caractéristiques de l’article d’analyse est son ouverture constante
aux propositions et aux idées nouvelles, et ce à travers l’exploitation des liens
logiques qui prouvent l’inclusion, l’adéquation, l’intersection, l’exclusion ou le
dépassement.
5.1 Explication des liens entre les évènements ou entre les détails
de ces évènements dans l’article d’analyse
Si l’on essaie d’établir une relation entre « A » et «B» en termes d’efficience,
d’efficacité ou de positivité, il serait possible de prouver que « A » satisfait aux
spécifications définies contrairement à « B ». L’analyse peut aussi prouver le contraire
et démontrer que c’est plutôt « B » qui répond aux critères requis et non « A ».
De même, l’analyse peut aboutir à des conclusions qui prouvent que ni « A », ni « B » ne
répondent aux spécifications demandées ou que chacun des deux y répond totalement
ou partiellement.
94
L’analyse peut aussi dépasser « A » et « B » pour apporter une proposition alternative
avec « C », en faisant abstraction des deux ou en apportant des modifications ou des
amendements partiels à l’un ou à l’autre.
5.2 La construction de l’article d’analyse :
Le journaliste présente le sujet (événement, situation, phénomène, problème…)
dans l’introduction de son analyse avant d’en exposer la problématique. Le
journaliste peut également faire les deux en même temps (présenter le sujet et en
exposer la problématique), et ce en présentant le sujet sous forme de problématique.
Le journaliste passe ensuite à la clarification des relations dialectiques, cachées,
brouillées ou complexes, entre les différents évènements. Le traitement, dans
l’article d’analyse se base, d’une manière générale, sur la réponse à la question
« pourquoi ? », laquelle conduit à une interprétation approfondie qui révèle les
relations et l’interdépendance des différents détails des évènements. La question «
pourquoi ? » représente également un des outils de l’induction et de la déduction
dont se sert le journaliste-analyste. L’article d’analyse peut, parfois, dans certains de
ses passages, avancer des interrogations directes suivies de réponses qui s’appuient
sur des évènements ou des conclusions partiels.
L’article d’analyse se termine par une conclusion (à l’instar de l’enquête de presse),
c’est-à-dire qu’il finit nécessairement en tirant les conclusions de l’analyse. On peut
également aboutir aux conclusions (ou à la conclusion) finale(s) lors de la rédaction
de ce genre d’article journalistique à travers des conclusions partielles qui résument
ce qui précède et introduisent ce qui suit.
Les conclusions de l’analyse peuvent être consignées de manière concise dans
l’introduction.
Parmi les schémas les plus courants de l’article d’analyse, il y a celui qui se base, de
manière directe ou allusive, sur le triptyque: situation, causes et conclusions.
5.3 Certains des critères de sélection des œuvres journalistiques
proposées pour l’obtention du Grand Prix National de la Presse
(Maroc) 2004, relatif à l’article d’analyse(*)
• L’article d’analyse doit se concentrer sur un phénomène, un cas, ou une
situation politique, économique ou sociale etc., qui a une portée sociale
évidente et prioritaire.
(*) Ces critères avaient été définis par l’auteur du présent guide
95
• L’article d’analyse doit être concis dans les limites qui permettent d’apporter tout
le sens et qu’exigent les ramifications du sujet. Cela doit se faire sans remplissage
ni redondance, sachant que l’analyse n’est pas synonyme de longueur.
• Le discours de base que comporte l’article de l’analyse doit être clair et
convaincant.
96
Critères de qualité de l’article d’analyse
97
CONCLUSION
En mentionnant sur la couverture, en guise de sous-titre, que les genres
journalistiques sont « les clés de l’information professionnelle », il ne s’agissait
pas pour nous d’une simple clause de style ni d’une annonce sans objet. En effet,
les journalistes qui ne maîtrisent pas les outils de leur travail ne peuvent pas
accéder à « la connaissance spécialisée » qui est supposée les distinguer d’autrui
et ne pourront jamais dépasser l’âge de l’adolescence professionnelle ou sortir de
l’amateurisme.
Nous avons voulu que ce guide soit exhaustif sans pour autant être noyé dans les
détails. Nous n’avons pas adopté une approche qui consiste à passer à la loupe
chaque genre journalistique. Ce n’était pas là l’objet de ce guide.
En effet, l’objet de cet ouvrage était de présenter les genres journalistiques
de manière comparative (voir premier chapitre), car nous estimons que les
journalistes en exercice ou en formation ne peuvent se passer d’une connaissance
parfaite de « la carte des genres journalistiques », et ce en assimilant les finalités
(les fonctions) auxquelles ces genres sont dédiés, afin de pouvoir profiter des
énormes possibilités qu’offre la profession, s’exprimer, tout en portant la voix de
la société, et tenter de s’ériger en « quatrième pouvoir ».
Il va sans dire que la direction de la rédaction (en premier lieu la rédaction en
chef) ne saurait se passer de cette « carte des genres » afin de pouvoir conférer
la richesse, l’attrait et la vitalité nécessaires aux produits journalistiques qu’elle
propose et afin d’orienter les journalistes vers des genres donnés ou les amener à
se spécialiser dans un genre en particulier.
La connaissance des genres journalistiques ne veut pas dire qu’on peut les
pratiquer tous avec le même degré de perfection. En effet, les prédispositions,
les aptitudes et les goûts du journaliste peuvent le disposer à exceller dans un
genre ou dans un autre, ce qui ne constitue point un défaut. Le véritable défaut du
journaliste réside dans le fait que sa culture des genres soit insuffisante.
C’est pourquoi nous conseillons au lecteur du présent guide de le prendre comme
une introduction aux différences entre les genres journalistiques, telles qu’elles
ont été explicitées, et ce préalablement à toute spécialisation dans un genre en
particulier. Ainsi, pourrait-il apporter une contribution qualitative pour servir une
profession qui n’est pas comme les autres et qui est loin d’être un champ libre
laissé à l’improvisation et l’anarchie. 7
101
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