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MAURICE

PIALAT :
Je suis du côté
77 ® A g /

de ceux qui
prennent le métro ”
Grande gueule, faux brave type, tendre au fond et terrible—
ment exigeant, Maurice Pialat, dans ses films, ne montre que
des gens qu‘il pourrait connaître et aimer. Mais il n‘est jamais
content de ses films. Même pas de Lou/ou, une œuvre forte,
bouleversante (voir la critique dans notre dernier numéro).
H Depuis quinze ans, Maurice Pialat — C‘est le film de la suspicion. A
est prisonnier d‘une légende : pé— part Isabelle Huppert, toutes les per—
remptoire avec ses confrères, intraita— sonnes qui ont souhaité que ce film
ble avec ses producteurs, odieux avec se fasse, et qui ont travaillé à son
ses comédiens. Mais les réputations achèvement m‘ont considéré comme
s‘expliquent souvent par l‘incapacité ur suspect. J‘ai la réputation de râler
d‘un entourage à percevoir la vérité tout le temps. Mais c‘est superficiel.
d‘un individu. De quelqu‘un dont les Mes aigreurs sont passagères. Maurice — Pialat : « C‘est inquiétant d‘avoir
motivations nous échappent, ou dont — Mais qu‘attendez—vous pour
le caractère se refuse à toute com— donner confiance à vos producteurs ? — Ce n‘est pas la première fois que
promission, on a tendance à ne rete— — C‘est impossible : ils n‘auront vous vous en prenez aux techni—
nir que les apparences, à ne décrire confiance que si je leur tourne un film ciens...
que les manifestations extérieures conforme à ce qu‘ils attentent ; et je — Bon... J‘ai une position de droite
d‘un tempérament qui recèle une sen— ne suis pas foncièrement contre, mais dansle métier parce que je m‘oppose
sibilité plus écorchée qu‘on ne le qu‘ils me donnent donc les moyens aux syndicalistes. En fait, pour être
soupçonne. Habité par le goût de la de les satisfaire ! Je ne demanderais cinéaste, il faut avoir un esprit un peu
perfection, hanté par le respect du pas mieux que d‘être l‘enfant sage anarchiste, une vision du monde qui
public, Maurice Pialat est d‘une telle dont révent les producteurs... Je me n‘est pas dans les règles. Mais dès
bonne foi que la principale victime de considère comme un bon artisan. que vous tournez, c‘est l‘armée ! Pour
ses impitoyables jugements est sa Rien ne me distingue du commun Loulou i/ nous fallait tourner énormé—
propre œuvre, qu‘il analyse sans la des mortels. Dans ma vie, j‘ai eu des ment la nuit. Alors on fait des heures
moindre complaisance. angoisses, mais je peux vous assurer supplémentaires, et l‘argent file. J‘ai
Saluons cette modestie. Mais pour que faire un film, cela ne m‘angoisse eu l‘occasion de voir les salaires des
la mieux apprécier, il faut souligner pas. Alors ces histoires qu‘on traîne... techniciens, et j‘ai trouvé cela affo—
que cet homme qui sait être doux et On a été jusqu‘à prétendre que sur le lant ! Un clapman à 6 000 balles par
patient est l‘un des plus grands ci— plateau, je foutais la merde parce que semaine ! Et après, c‘est le réalisateur
néastes français. j‘en avais besoin pour me sentir dans qui paye les pots cassés, parce
N‘y a—t—il pas matière à colère que mon élément. qu‘on dit qu‘il coûte cher. J‘ai vu des
l‘homme qui ait réalisé l‘un des meil— — En bref, vous n‘êtes pas content gens qui avaient accepté de travailler
leurs feuilletons de la télévision, La de Loulou ? au minimum syndical pour Passe ton
Maison des bois, soit depuis quasi— —Pas du tout. J‘ai toujours l‘im— bac changer de mentalité pour Lou—
ment interdit d‘antenne ? Et que ce pression de laisser les choses en lou : c‘est une grosse boîte qui paye,
prodigieux peintre de la nature hu— plan. II faut toujours s‘arrêter au mo— ils peuvent cracher, alors allez hop...
maine n‘ait pu terminer avant Loulou ment où cela commence à aller Je trouve cela déplorable !
(TRA1599) que quatre films dans mieux. Vous connaissez l‘anecdote — Vous n‘allez pas vous faire que
lesquels il traque le tragique des dif— sur Bonnard ? Un jour, dans un mu— des amis...
férents stades de la vie : l‘enfance sée, on l‘a surpris en train de retou— —Moi, je suis scandalisé par l‘in—
dans L‘Enfance nue, la rupture cher une de ses toiles... justice sociale. Ces gens—là, les ma—
amoureuse dans Nous ne vieillirons — Mais le cinéma, c‘est un travail chinistes, je les respecte. Si je faisais
pas ensemble, la mort d‘un proche d‘équipe. un film sur eux... On peut me faire
dans La Gueule ouverte, l‘adoles— — Le fameux mythe de la solidarité confiance, allez !
cence dans Passe ton bac d‘abord ? créatrice, c‘est voisin de zéro ! Pour — Mais vous avez été taxé de
— Vous, que vos films laissent Loulou, je ne dis pas. II y a eu des droite aussi parce que vous avez voté
toujours insatisfait, que pensez—vous gens très bien... Mais la plupart, ils Giscard en 74...
de Loulou ? s‘en foutent. Ils sont désabusés. — Eh oui ! Et j‘ai reçu des coups de
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— D‘où vient cette complicité avec
les milieux modestes ?
— Je me sens proche d‘eux parce
qu‘ils sont de contact facile. On rentre
dans un bistrot et on parle à un type
du peuple dans la minute qui suit.
Vous vous souvenez de cette phrase
que Simenon fait dire à Maigret dans
un de ses bouquins : « Je ne peux
pas parler de personnages avec qui
je n‘ai pas au moins pris le petit dé—
jeuner... » Moi je ne peux pas faire de
films sur les milieux que je ne connais
pas. Je trouve que c‘est ce que tout
le monde devrait faire. +
— Vous même, vous êtes issu d‘un
milieu modeste ?
— Je suis d‘origine tout ce qu‘il y a
de plus bourgeois mais mes parents
ont eu des revers de fortune, et ils
sont montés à Paris après avoir fait
faillite. Mon père est devenu ouvrier,
si bien que j‘ai passé ma jeunesse et
une partie de mon adolescence (les
années qui comptent) à Courbevoie,
puis à Montreuil. Je ne connais pas la
grande bourgeoisie d‘aujourd‘hui...
On peut toujours faire une enquête,
cela ne sert à rien. On reste à la sur—
face. C‘est ce qui m‘arrête lorsque j‘ai
envie de tourner des faits divers : il y
a des histoires magnifiques mais je
me dit : « Qui sont ces gens—là ? »
— C‘est pour cela que vous vous
êtes quasiment limité à des sujets
autobiographiques ?
55 ans et de n‘avoir tourné que des Ï.>ro epardieu et Isabelle Huppert dans Lou/ou.
—J‘en ai eu besoin, comme une
V
thérapie. Mais je ne pense pas que
ce soit le meilleur moyen de faire du
cinéma. Un artiste, c‘est un fouteur de
merde. II s‘occupe de ses petits pro—
blèmes et se fout de ce que cela dé—
clenche chez les autres. La Gueule
ouverte était un film insistant sur une
agonie et les gens qui venaient le voir
étaient bouleversés. C‘était insup—
portable. On n‘a pas le droit d‘em—
merder les gens avec ses propres
angoisses.
— Vous regrettez aussi d‘avoir
tourné Nous ne vieillirons pas en—
semble ?
— Ah ! là, j‘avais été très secoué.
J‘ai tourné le film trois ou quatre mois
après ma rupture. Je me vautrais là—
dedans presque par maladie. Je suis
allé tourner de façon maniaque sur
les lieux exacts où chaque scène
s‘était déroulée. C‘était une sorte de
psychanalyse. Maintenant je me dis
que si le film tient encore alors que le
fils indignés de copains qui me di— Huppert dit que sa petite veste de scénario était inexistant, c‘est grâce à
saient : « on n‘ira plus voir tes films » : vison suffit à montrer qu‘elle n‘est pas ce côté malade, cette obsession qui
D‘accord, j‘ai eu une bouffée de du même milieu que Depardieu. me tenait dans un état second.
droite au moment des présidentielles. J‘espère qu‘elle a raison. C‘est plus — Ne croyez—vous pas qu‘il en est
Ce sont mes démons. II y a des gens fort que moi, je serai toujours du côté de même pour les comédiens ?
qui ont des fantasmes sexuels, moi des gens qui prennent le métro le — Je n‘en sais rien... En fait je ne
j‘ai des fantasmes politiques. Ce qui matin. Mais je ne me vois pas m‘en— crois pas au jeu des comédiens. On
compte, c‘est ce qu‘on fait. Dans mes gager à gauche. Dans les films de joue la comédie pendant un temps
films j‘ai beaucoup de peine à pein— Boisset, dès qu‘il y a une ordure, il a très court, celui de l‘amateurisme.
dre le milieu bourgeois. toujours la rosette de la légion d‘hon— Mais dès qu‘un comédien devient
Loulou était censé se dérouler avec neur. Mais moi j‘ai découvert qu‘il y professionnel, je n‘arrive pas à pen—
des gens d‘argent. Finalement, je ne avait des gens dits « de gauche » qui ser qu‘il puisse avoir des états
les ai pas situés socialement. Isabelle étaient des gens « pas bien ». d‘âme … à
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— Mais le comédien marque le film de réaliste c‘est qu‘on ne l‘est pas
de son empreinte... assez. C‘est qu‘on—s‘est limité à l‘ap—
—Je n‘y crois pas vraiment. D‘ail— parence du réalisme le plus quoti—
. leurs, je leur dis souvent : « Ce n‘est dien. Or le réalisme ce n‘est pas le
pas la peine de penser, moi je ne geste, le langage, le décor : c‘est ce
pense pas ! Te casse pas la tête ! » qui se passe dans la tête du person—
J‘exagère : en fait, je sais bien qu‘ils nage. C‘est la partie cachée de l‘ice—
composent. Quand Depardieu arrive, berg. De ce point de vue; mes films
il a son idée du personnage. Isabelle sont infirmes. On ne voit rien.
Huppert a sa conception aussi, pleine — Pourquoi refusez—vous d‘être
de mystères... Mais finalement, un considéré comme un cinéaste de dé—
film, c‘est comme un plat: si vous nonciation sociale ?
faites du thon, que vous le fassiez—au —Mais la misère sociale, vous la
four ou à la poéle, ce qui compte, filmez, elle se dénonce toute seule,
c‘est que ce soit du thon. Alors dans non ? Il n‘y a pas besoin d‘en montrer
Loulou, l‘un et l‘autre ont peut—être lourd. C‘est drôle parce qu‘on me le
beaucoup apporté, en bien ou en mal reproche souvent, de ne pas dénon—
d‘ailleurs, mais si vous me poussez cer. Comme si j‘étais résigné ou
dans mes retranchements, j‘aurais comme si j‘avais été gagné par le
envie de vous dire ceci : s‘ils amè— confort ou le succès. La vérité, c‘est
nent un petit quelque chose et que ce que je me rends compte qu‘il n‘y a
petit quelque chose n‘est pas trop pas besoin d‘insister : on montre, le
mauvais, tant mieux ; mais ce serait reste coule de source.
aussi bien s‘ils ne l‘amenaient pas. — Vous aimez la crudité, que vous
— Ce qui est étonnant, c‘est qu‘on parliez de sexe ou de mort.
ait parfois l‘impression — d‘improvisa— —Les sentiments sont liés à la vi—
tion, ou même, dans la scène du re— talité. Léautaud disait « l‘amour c‘est
pas, de reportage. physique ». om
— Ben justement, c‘est très embé— Mais je vous dirai que le dialogue Nous ne vieillirons pas ensemble : le couple.
tant. II faudrait mieux qu‘on ne l‘ait
pas, cette impression—là. Je déteste
ces moments qui rappellent le fu—
neste « cinéma vérité ».
— On peut dire en tout cas qu‘il y a
une certaine authenticité de langage.
—Moi, je ne trouve pas que dans
La France
la vie les gens parlent comme dans
mon film. On me dit souvent que mes
films ont un aspect documentaire. Je
crois que c‘est une illusion due au
de Pialat
peu de moyens dont je dispose. Mais
I la sélection française du der— quartiers, c‘est sans doute parce que nous .
je crois que le film est beaucoup
nier Festival de Cannes fut exem— n‘avons pas l‘habitude de regarder cette
moins vrai qu‘il n‘y paraît. Ceci dit, je
plaire, ce n‘est pas seulement sur France—là dans les yeux. Nous connais—
ne veux pas faire ma chochotte : c‘est
le plan artistique. Rarement un pays aura su sons bien les classes moyennes montan—
vrai que je rencontre des gens
proposer en trois films, avec tant de ta— tes, touchées par la crise, mais prêtes à
comme ceux du film, pas les gens de
lent, de sensibilité et de perspicacité une surmonter le chômage des cadres et le .
cinéma vous vous en doutez. Et je
photographie instantanée de son paysage coup de barre de la cinquantaine, que
continue à les voir, non pas comme
sociologique. Alain Resnais, avec une Sautet s‘applique à nous dépeindre avec
un ethnologue, mais parce que, pour
moi, ils valent autant que d‘autres. La
subtilité scientifique, a brossé avec Mon une pieuse complicité. Mais la noce chez
seule chose, c‘est qu‘ils ont un ton,
Oncle d‘Amérique un sidérant portrait de les petits bourgeois, la drague des lycéens
la V° République, montrant Depardieu, qui ont séché les cours, le stade de foot
un accent, une façon de parler qui
l‘arriviste, incapable d‘égaler Gabin, son où Lens affronte Laval en nocturne, le
n‘est pas celle du film, qui est moins
sophistiquée. Je rêve de faire un film modèle, parce que son énergie est lami— repas de famille chez les OS, le dancing
née par la violence des compétitions so— enfumé, le pavillon du Nord—Pas—de—Ca— .
où je forcerais les comédiens profes—
sionnels (puisque, après tout, c‘est ciales et que son ambition se heurte à des lais, et le banquet de banlieue où l‘on se
leur boulot) à rentrer dans leur peau, forces anonymes, des blocages politi— glisse des huîtres sous les dents avant de
à «piquer» leur langage. J‘en ai ques. ; tenter de calmer un mari jaloux qui sort
parlé souvent avec Jacques Du— Bertrand Tavernier, avec sa pudeur in— son fusil de chasse surgissent fort épiso—
tronc... et lui, il pige très bien les cho— dignée, a fait état du malaise de notre diquement sur les écrans, et retiennent
société à travers la déprime d‘une jeune d‘ailleurs peu souvent l‘attention des ju—
ses.
prof qui doit affronter des institutions rys qui doivent penser que ce spectacle—là
— Vous allez me dire que vos films
ne sont pas réalistes ! suicidaires et des classes entières d‘élèves n‘en est pas un.
— Au moment de Passe ton bac, je inadaptés au système d‘éducation qu‘on Comme l‘écrivait Pascal : « Jl n‘y a
pensais que les films très réalistes leur propose. qu‘une chose qui intéresse l‘homme, c‘est
étaient ceux qui avaient été tournés Quant à Maurice Pialat, il a fait de l‘homme. » De même, on pourrait dire
pauvrement. Dès qu‘il y a du fric, on Loulou une chronique lucide et impitoya— qu‘il n‘y a qu‘une seule chose qui inté—
sent la composition. Je continue à le ble de la vie des petites gens dans resse Maurice Pialat, c‘est « la bête hu—
penser, mais depuis, en lisant un ro— l‘Hexagone. Et si l‘on souligne avec tant maine ». Lui qui (c‘est ce qu‘il dit) a
man américain que je rêve de tour— d‘insistance l‘aspect documentaire de ces choisi d‘être du côté de ceux qui prennent
ner, je crois avoir compris autre scènes de la vie quotidienne des bas le métro, il sait bien que, de nos jours, il
chose : c‘est que lorsqu‘on est taxé

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°.
de Loulou ce n‘est pas moi qui l‘ai
écrit.
— Vous avez une façon animale de
dépeindre les hommes un peu comme
des « bêtes humaines ».
—Cela m‘amuse quand je vais
présenter mes films en public. Il y a
toujours quelqu‘un qui me dit : « Mais
qui sont ces personnages lamenta—
bles ? » Un jour après la projection
de La Gueule ouverte, un type me
demande : « Mais qui sont ces êtres
veules, qui se traînent comme des
larves ?... » Et je lui ai dit : « C‘est
mon père et moi. »
— En fait, on vous traite comme un
cinéaste marginal ?
— On a l‘habitude de cataloguer
les cinéastes : il y a les sévères qui
se prennent la tête entre les mains...
Et puis les autres. Moi j‘ai la poisse, je
fais partie de la catégorie des pre—
miers. Quand un critique termine son
papier par ces mots : « II serait dom—
mage que ce film ne trouve pas un
public », c‘est fini! Cela veut dire
« n‘allez pas le voir » ! On me consi—
dère comme un cinéaste marginal
| La Gueule ouverte (photo du haut) : la mortde la mère. Paæe ton b d‘abord : l‘adolescence (ci—dessus). alors que Nous ne vieillirons pas en—
semble a fait 450 000 entrées. Il n‘y a
pas de secret. Tout dépend des
y a toute une classe sociale qui se cogne étouffés d‘avance, les plages d‘oasis sont
moyens. Un artiste ne s‘amuse pas à
aux murs du désarroi. Pire : toute une au bistrot, parce qu‘on y fait des rencon—
faire les choses moins bien sous
humanité qui se débat avec des obstina— prétexte qu‘il a plus d‘argent. Ni le
tres, à table, parce que, comme dirait
contraire, d‘ailleurs. Le talent, si on
tions d‘insectes, peu soucieuse de sa Renoir, « manger, c‘est une des choses
mémoire et ignorante de toute ligne de l‘a, il sort toujours. Moi, je voudrais
qui comptent dans cette vie », au lit parce
conduite. Indifférente à tout ce qui ne se que l‘on me fasse confiance. Regar—
que l‘on y défie la mort. Et le salut de la
rattache pas au plaisir de l‘instant. A quoi dez Le Vieux fusil, Clair de femme,
jeunesse de Passe ton bac ou de Loulou,
bon tout le reste ? Une Histoire simple, Diabolo menthe,
elle est dans la résistance à devenir
Les horizons de ces opprimés résignés Et la tendresse, Bordel. Eh bien, je
comme les parents, dans le temps volé au
buttent sur les impasses majeures de notre soutiens qu‘avec le même scénario,
lycée ou au sermon « social », dans les
société : la Famille est le champ clos des si on me donnait les moyens dont les
sautes d‘humeurs, les connivences fuga—
incompréhensions, le Travail est une pri— auteurs de ces films ont disposé, je
ces, les bouffées de désir, les saoûleries
ferais des films qui feraient autant
son sans âme hantée par l‘échec et les de farces bouffonnes.
p‘tits chefs, l‘Amour une partie de chasse
d‘entrées. Sans changer grand—
chose. D‘accord, si je tournais Dia—
aveugle dont les protagonistes savent au ‘ADMIRABLE, la force du ci—
bolo menthe, il n‘y aurait pas de
bout de trois mois qu‘ils ne vieilliront pas néma de Maurice Pialat, c‘est
ensemble. Pialat, étape par étape, décrit qu‘il se refuse à juger. De ses per— scène du métro Charonne, ça j‘pour—
les stations d‘une vie qui ressemble à un sonnages, il traque la dureté, voire la
rais pas. C‘est le genre de caution
calvaire. Il s‘attache à souligner que cruauté autant que la générosité ou la politique à laquelle je répugne. Mais
l‘enfance est nue, que le sexe nous four— tendresse. C‘est comme cela ! Son regard je prends le pari ! Je ne dis pas que
nit des faims passagères qui se terminent s‘apparente presque à l‘absence. Il refuse
ce seraient mes sujets rêvés. Mais il
dans les dégueuloirs de la jalousie, que la l‘éloquence, la violence, la dénonciation
vaut mieux faire plaisir aux gens plu—
, mort nous guette, glaciale et impudique. ou l‘indignation. Il ne souligne rien. Il est tôt que de tourner La Gueule ouverte,
cru, et digne.
de les mettre mal à l‘aise, de les ren—
dre malheureux !
EME les refuges sont trompeurs : C‘est ainsi qu‘il résiste aux définitions
— Un gros budget pour refaire
aux gueletons, on s‘amuse... des journalistes. Pas plus que Renoir,
Passe ton bac avec des moyens di—
mais, « Bon, eh bien, on va ren— Pialat n‘est l‘ami du peuple ou le chantre
gnes de ce nom, plutôt que de vous
* trer » ! : le mariage permet d‘échapper aux de la lutte des classes. L‘extraordinaire,
lancer dans la science—fiction, ou— le
remontrances paternelles et aux bulletins c‘est qu‘il ne puisse être récupéré. Im—
film catastrophe... !
scolaires, mais on se retrouve avec de la possible de le taxer de complaisance ou
—J‘aime avoir la satisfaction du
vaisselle plein l‘évier et un mari phallo. de moralisme. Il n‘est ni de droite (il
travail bien fait. Il ne faut pas se foutre
Aller au lycée ou ne pas y aller... Passer montre le chômage, la crise, la jeunesse
des gens qui payent quinze ou vingt
son bac ou ne pas le passer... Trouver du aux abois) ni de gauche (il peint, impla—
francs pour voir un film. Quant au
boulot ou ne pas en trouver... Est—ce si cable, une certaine débilité de façade). Il
« grand spectacle » ! Les films de
important ? Nous vivons dans une société ne dit, ni ne discourt sur rien. Simple—
Louis Lumière sont plus fantastiques
où plus rien ne signifie rien. On grandit, ment, quand il montre une mère deman—
que ceux de Méliès, parce que les
on vit, on meurt la gueule ouverte, c‘est dant à sa fille, « A quoi tu rêves » ? gens qui sont captés par la caméra
tout. C‘est la vie. celle—ci répond « A rien ». cèdent un instant de leur vie.
Justement : pour ces condamnés, JEAN—LUC DOUIN R
Propos recueillis par
JEAN—LUC DOUIN R
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