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Montand , Averty , deux

monstres sa crés, de ux
grands talents, deux forts en
gueule. On pourrait croire
·que tout les oppose. Mais
c'est le quatrième show e GILBERT SALAC11..AS:
qu'ils font ensemble. On se Est-ce . que d'avoir quitté
dit qu'entre eux, un jour ça pendant plusieurs années le
métier de chanteur a été une
va craquer. Mais c'est une épreuve?
nouvelle réussite: Leur se- YVES MONTAND : Non, pas du tout.
cret : chac un son job. Je sais bien qu'Èm annonçant le
Et voici de belles images et spectacle de Jean-Christophe Averty,
on va parler de mon « retour •• à la
de très belles chansons. chanson. En apparence, c'est évi-
demment. une reprise de contact avec
Yves Montand en a un peu assez le music-hall, le cinéma constituant
des journalistes qui ne cessent de quelque chose comme un chemin de
l'Interroger sur tous les sujets pos- traverse dans ·une longue carrière de
sibles et qui ne retiennent de ses chanteur. Je cite pour mémoire et
propos que ce qui leur convient. sans pavoiser outre mesure mes trois
Assez de devoir faire mise au point " one man show .. de six mois chacun
sur mise.au point. Il finit par renon- au fhéâtre de l'Etoile, en 53, 58 et 63.
cer, même, à démentir certaines J'ai peut-être fait un peu l'école buis-
phrases qu'on lui a abusivement sonnière par ·rapport au music-hall,
prêtées. Il dit : « Cette interview, mais ça n'a jamais été une rupture.
c'est peut-être la dernière » et, Cela dit, depuis deux ans ]'ai envie de
après un temps : « Quand même, chanter ; je me surprends à c!'lanter
ce serait Injuste pour les journa- pour moi, pour mon plaisir, dans la
listes cons.c lencleux qui ne com- salle · de bains, ce qui ne m'était ja-.
prendraient pas pourquoi je les mais arrivé de ma vie.
évite " · Un temps encore et : ,, Pour • Comment cela ?
Télérama, c'est un peu différent.
J'aime beaucoup Tétérama en dépit -Lorsque vous avez chanté' toute .la
de son caractère quelquefois un soirée après une préparation mentale
peu austère et son manque de... (il et physique de plusieurs heures, le
claque des doigts pour Indiquer un lendemain matin vous ne voulez sur-
rythme)." tout pas que l'on vous parle encore de
chansons. Parlez-moi de football, de
Donc, Montand nous aime beau- films, de livres, mais pas de chan-
coup. Ef Il parle, d'abondance, avec sons.
cette volx, tantôt caressante et
douce, teintée d 'accent provençal, Et puis, il faut ménager ses cordes
tantôt impétueuse et fracassante vocales,: préserver sa fraîcheur avant
quand Il se fâche. Son discours·est d'entrer en scène. C'est très curieux,
coloré, vibrant, s pontané. Il en scène je me sens toujours très
s'élance, à la moindre sollicitation, bien, mais pendant les deux heures
dans des explications qui débou- qui précèdent, il y a la trouille, le ma-
chent sur d'autres explications, en laise, une grande tristesse. Ce n'est
de grandes Improvisations dialec- pas ce qu'on appelle le trac, mais une
tiques. Son ton monte, se radoucit. sorte d'appré~ension, la peur de la
C'est un plaisir de le voir et de solitude. C'est épouvant~ble . Une
l'entendre ainsi s 'échauffer puis sorte de désespoir. L'angoisse. L'en-
sourire comme pour s'excuser de vie de chialer, vraiment.
son excitation. Au bout de dix mi- • Et ça ne vous quitte pas ? '
nutes, Il vôus tutoie : « Tu com· - Si, juste avant le spectacle. Là, on
prends, Averty, c'est un plon- fait son travail et c'est une autre forme
nier »... d'angoisse, normale, professionnelle.

INTERVIEW • MERCREDI 7 MAl •


A.2 MONTAND D'AUJOURD'HUI . 20H35
4
;_.
y

..
/

contempler, se lassent vite d'eux-


mêmes. Professionnellement, le nom-
brilisme est d'une tout autre nature.
Quand je sais que je dols ·me produire
sur une scène, ce qui équivaut à cou-
rir un dix-mille mètres, je suis obligé
de penser toute la journée à moi-
même, à cet autre moi-même qui va
entrer en scène. Donc, je m'écoute, je
surveille ma petite santé, mes ali-
ments, tout ce qui risque d'avoir des
• Et après le tour de chant 1 .répercussions sur les cordes vocales.
-Ah 1 Après, c'est l'euphorie,· la dé- Cette attention à ·soi-même risque de
tente, comme lorsqu'on échappe à un devenir insupportable. Le plaisir de la
cauchemar : une grande jouissance... vraie chaleur, de la vraie communion
• C'est la même chose au avec le public. Cette fraternité dont
cinéma? tout le monde a besoin doit être payé
·de ce prix : moi, moi, moi, moi...
- Non. Cette trouiUe n'existe pas. J' ai
peur, mais pour le film lui-même. Il y a • Ce besoin de chaleur n'est
peut-être un ·vague petit malaise le pas nouveau ?
premier jour du tournage. On se de- - Lès gens ent ont déjà un peu
mande si on sera à la hauteur. On n'a marre de l'audio-visuel. Les cinémas
aucune certitude ; heureusement. sont souvent presque vides alors que
• Vous appréhendei une 'les music-halls sont toujours pleins.
vraie rentrée au music-hall ? • Raison de plus pour ne
- Je me pose deS questions. Mainte- pas s'en éloigner.
nant je me repose, parce que je suis - Il faut prendre du recul. Il faut que
épuisé. Je suis en vacances. Je me l'oreille se déshabitue à vous écouter
donne jusqu'au dix juin pour prendre· vous-même, pour savoir si votre voix
une décision. ne devient pas agaçante, à la longue.
• Et en vacances, vous pen- Le disque que je viens de faire, j'avais
Sel; 1 vraiment envie et besoin de le faire. Si
- Non, au contraire, je ne pense à je l'ai enregistré comme un profes-
rien. Je vis avec cette douce menace sionnel, je l'ai écouté comme un pro-
fane. Je me surprends moi-même, je
dans la poitrine et sur la tête, mais je
me dis : « Tiens, il chante bien, ce
r.efoule ,les idées, les· projets. Je récu-
père. Je joue aux cartes, je sors, je
con-là ». Mais le vrai tempo, c'est sur
mai)Qe, je lis, je vis comme tout le scène qu'on le trouve. C'est comme le
monde, quoi. Quand'je rentrerai à Pa- jazz : on ne l'apprécie vraiment que le
ris, je me mettrai sur scène avec Bob soir ou au milieu de la nuit. Duke El-
Castella, pourd;voir si tout fonctionne. Il lington à dix heures du matin, c'est
impossi~le. Enfin, pour mol.
peut y avoir e mauvaises surprises,
auquel cas je renoncerai, mais, en • Est-ce que le' plaisir d'être
cas contraire, je voudrais que ce soit en scène se retrouve de
la fête. Je ne tiens pas à entrer en quelque manière dans un
religion. Je signerai probablement show télévisé comme ceux
pour quarante ~eprésentations, plus que vous avez tournés avec
quelques visites en province pour re- Averty?
prendre contact, Ct\ que j'appelle: re- - Dans n'importe quel cas - devant
venir à la base. Pas repartir à zéro, un public ou des caméras - que doit
hein? · chercher un Interprète ? La vérité, ce
• Retrouver le plaisir de sa- que l'on croit être sa vérité par rapport •
voir que le public éprouve du à ure chanson ou au personnage
plaisir à vous retrouver ?
- Il y a un très grave danger scéni-
que. Tout le monde a un côté plus ou
moins exhibitionniste, égocentrique.
Ce n'est pas l'apanage des comé-
diens. Voyez les hommes politiques,
les journalistes, les jeunes femmes,
le~ moins jeunes, les enfants, tout le
monde. Est-ce un défaut ? Non, c'est
un moyen de prouver que l'on existe,
pas autre chose. Un certain penchant,
chez moi, à l'exubérance. Mon goOt
de vivre même quand les choses sont
moches, ont probablement pour but
d'écarter l'angoisse.
Donc, ce maquillage est un phéno:-
mène normal, humain, moindre chez
les acteurs que chez les autres, car
les acteurs, qui ne cessent de se
TELERAMA N" 1581 - 30AVRIL 1980
quoi, je ferai davantage confiance à
YVES MONTAND un metteur en scène qui a le sens du
rythmé, qui connaît la musique.
e C'est là qu'il faut parler
d'Averty.
- Averty, c'est le grand défricheur,
le pionnier de la télévision. Il a été
pillé non seulement en France mais
dans tous les pays. Ce qu'il a inventé
-entre autres choses- c'est cette
• d'un film. Trois mille personnes dans façon irréaliste de traduire en images pas être présent à l'image dans cer-
une salle ou bien une caméra froide, les textes des . chansons. L'œil du taines chansons, pas constamment
c'est la même chose : un trou noir, un spectateur s'amuse tandis que l'oreille en tout cas. Dans certains cas, il
œil unique qui regarde et ce regard écoute. Le seul danger, c'est l'excès. donne libre cours à son imagination et
n'est pas passif. Quand on est à côté à son exubérance, par exemple pour
de la plaque, l'œil répond par une • Avec vous, ça marche.
- Oui. Je suis aussi à l'aise avec la chanson Hollywood. Là, il y va à
sorte de frémissement comme ces fond et moi, je suis un élément se-
animaux marins qui ont des ergots Averty qu'avec Alain Resnais ou
Costa Gavras ou Claude Sautet. Il y a condaire. Il a fait aussi un travail phé-
rétractiles. Personne ne dit rien, mais noménal sur Sir Godfrey alors que
on sent comme un retrait, une ré- une connivence entre nous.
pour d'autres titre!;>, il s'est révélé très
serve, une réticence, Disons que sur • Les mauvais esprits ont sobre.
scène vous pouvez changer imper- tendance à penser, ou à sou-
ceptiblement de rythme en fonction de haiter, que deux personnali- • Il a aussi du génie dans la
l'atmosphère et de l'attente visiblès, tés aussi fortes que Montand sobriété. Sanguine de Pré~
sensibles de la salle, tandis que de- et Averty s'affrontent. vert, était un grand moment
vant une caméra, le rythme imprimé à de télévision.
- Si c'était vrai, nous n'aurions pas
une scène ou à une chanson, ne travaillé ensemble aussi régulière- -Ça oui. De même pour Les Bijoux
pourra plus être modifié que par le mènt. On en est à notre quatrième de Baudelaire. Il montre seulement le
réalisateur,· au montage. C'est pour- show. Je lui al même demandé de ne nu classique de Manet.
. • Vous avez travaillé ensem-
ble à la conception ?
avec une précision remarquable. Il a la correction
a aucune dlscuulon. Paa de " - Non, non. Pas du tout. Je rai laissé
faire, complètement. Ce qui est tout à
fait normal. Il dessine tous les plans
préalablement avec une précision re-
marquable. Il a la correction de me
montrer ses projets. Il n'y a aucune
discussion. Pas de problèmes.
• Ce qui n'empêche pas lee
coups de g ueule ?
-Ça, c'est autre chose. Ce qui est ,
insupportable quand on tourne chez
Averty, c'est la chaleur inhumane des
projecteurs. Le costume est brûlant.
Alors, parfois, ça agace. Pendant les
·huit jours de tournage, il n'y a eu
qu'un coup de gueule. Et polK rien 1
Pour dégager l'atmosphère.
e Lui aussi gueule.
- Oui, mais les techniciens le savent.
C'est une forme de fébrilité, un re-
mède physique à l'inquiétude, pas de
la vraie colère. Averty, c'est quelqu'un
de gentil de tendre, un écorché vif qui
ne peut pas se résoudre à voir la télé-
vision partir en lambeaux. Il en est
malade. Quand il voit la vétusté du
matériel, il devient fou. Comme tous
les tendres et tous les timides, il a
tendance à en rajouter dans la vio-
lence verbale, l'agressivité, la provo-
cation. Sur le plateau, il menace les
techniciens du Goulag l Il fait le salut
hitlérien...
e 11 a quand même la réputa-
tion d'être « de droite • et
vous « de gauche ...
- 11 est contre la bêtise d'où qu'elle
vienne. Quand il dit d'un ouvrier qu'il
est con, les gens pensent qu'il ~st
fasciste ou aristocrate. C'est id1ot
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tes ne commencent pas à
YVES MONTAND vous agacer en vous contrai-
.;.
gnant à vous expliquer sur
votre comportement privé ?
- Si c'est agaçant. C'est pourquoi je
n'ai plus envie de donner d'interviews •··.
à la presse. Et pourtant, j'ai des amis
dans la presse, des · gens sérieux,
corrects, compétents, qui ne com-
prendraient pas que je refuse de
m'entretenir avec eux.
parce qu'il traite aussi de ~ns des conformer à l'image qu'ils se font de ·
personnalités du plus haut mveau. e - Ne pensez-vous pas que ·moi ? J'ai connu des at;tiste~ qui, par
votre célébrité et le fait que ce respect du regard .:d'autrui, sont
e On vous reproche vos pri· l'on vous admire et que l'on devenus secs, se sont châtrés.
ses de position. ~st-~ si vous aime, vous confère des Il y.a, je l'espère, certaines frontières
~T
grave de dire ses opinions ? respo-nsabilités morales ? que je ne 'franchirai pas. Mais je ne
- Malgré tout ce que l'on vient de tra- ~Vous me parlez exactement comme vais pas entrer en religion. Quand il
verser au cours de ces vingt ou trente Simone (1 ). Je lui réponds toujours m'est arrivé de parler publiquement,
années, malgré toutes ces certitu?es que j'ai pèut-être, c'est vrai, une cer- c'est 'parce que je voulais donner la
qui volent en éclats, toutes ces p~~~~­ r---
taine responsabilité mais j'ai quand parole à des gens qui n'y avaient pas '
sophies qui s'effilochent - ce qu1 frut même envie de .ruer dans les bran- accès. Ce n'étaiènt des déclarations
mal parce que l.'on se retr?uv.e tout cards. Je veux aussi vivre en tant ni de droite ni de gau_che mais, je
nu mais ce qu1 est un b1en parce qu'homme avec mes pulsions, mes crois, de bon sens.
qu:enfin 'la voie est dégagée- je défauts. Là, il y a un piège. Certaines
sens que tout d'un coup se forment de Propos illis par
personnes me portent une certaine GILBERT ALA ~AS •
nouvelles cristallisations de chapelles. estime et une 'certaine affection. Soit.
A nouveau les " gens biens " jugent
Suis-je pour autant obligé de me
_ (1) Signoret, qui d'autre ?
les autres, ceux qui "pensent mal"·
On m'a presqu'insulté parce que j'ai
accordé ma présence d'une minute
trente, présence muette, dans un
show de Michel Sardou. Autre chose :
les metteurs en scène des " Mup-
pets " • qui ont eu comme invités Or-
son Welles, Danny Kaye ~tc. .. me
demandent de paraître deux minutes
dans le Top club de Guy Lux. J'ac-
cepte. Mais qu'est ce que j'ai fait là!
Comment ai-je pu me prêter à de tel-
les opérations !
J'essaie d'expliquer à ces imbéciles
que d'abord je ne prétends pas être
un homme irréprochable. D'~illeurs
dans ces deux cas, je n'ai vraiment
rien à me reprocher et je les em-
merde. D'autre part, je me refuse à
entrer en r~ligion, à éviter de saluer
telle personne pour ne pas « me com-
promettre». Ceux qui m'adressent
ces reproches et que je considère
comme des gàuchistes staliniens pra-:
tiquent l'intolérance la plus stupide.
Guy Lux sait parfaitement ce ,que je
pense de ses émissions, je le lui ai dit
en face.
Michel Sardou sait aussi ce que je
pense de certaines de ses chansons
-et je ne dis pas, là non plus, que
j'ai raison de penser ce que je
pense - mais je comprends qu'il les
chante parce qu'il a envie de le faire.
Le problème est moins de savoir si
M<:>nsieur Sardou est de droite ou fas- " Averty,
ciste ou Dieu sait quoi, que de se c'est le grand défricheur.
demander pourquoi _un enfant de Mai Avec lui, l'œil
66 éprouve le besoin de chanter ce du spectateur s'amuse,
tandis
qt~'il chante. Mais ao nom de quoi que l'oreille écoute. "
vais-je couper le contact avec lui ?
C'est une bonne chose, le contact.
C'est affolant. Tel journal monte en
épingle Je fait que je joue au poker
comme si c'était ma nouvelle religion !
• Est~ce que les )ournalis·
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