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Tout l‘été, des étoiles montantes ou confirmées du cinéma français évoquent les lieux,
les livres, les rencontres qui les ont marquées. Cette semaine, Marie Trintignant
nous entrouvre son cocon cévenol. Ici, celle dont la présence illumine les films les
plus sombres lit, s‘alanguit, s‘émerveille. Devant une toile étrange, une scène de
Fellini, le berceau de ses fils... Confidences entre pastis et partie de cartes.
Marie Trintignant
Une bergerie pleine d‘enfants,
le déjeuner d‘”Amarcord”,
Platini et Rachel des Bois...
n père comédien célèbre, mais aussi Les enfants ont choisi leur couleur. Alors, il y
une mère réalisatrice et deux oncles a une chambre bleue, une orange, avec une salle
acteurs (Christian et Serge Mar— de bains verte. C‘est bien qu‘ils créent eux—mêmes
quand) : Marie Trintignant est née leur propre univers.
dans le sérail. D‘abord figurante dans
les films de sa mère, elle fait ses vrais L‘enfant peint par Bonnard
débuts à 17 ans, dans Série noire, d‘ Alain Corneau. Sur un mur de ma chambre, j‘ai une reproduction
Depuis, elle a imposé cette voix douce et rauque d‘une toile de Bonnard, L‘Enfant au seau. Pour
à la fois, ces yeux verts qui vous fixent imper— moi, cette toile, c‘est tout le monde de l‘enfance,
turbablement, cette présence troublante qu‘ont si l‘imaginaire tout d‘abord. Vous connaissez la phrase
bien captée des cinéastes comme Claude Cha— de Jules Renard : « Qu‘est—ce que notre imagina—
brol (Une affaire de femmes, Betty) ou Pierre Sal— tion comparée à celle d‘un enfant qui veut faire
vadori (Comme elle respire). un chemin de fer avec des asperges ? » Les enfants
« Je ne travaille pas cet été, avait—elle dit au me bouleversent. J‘ai quatre garçons. Je disais tou—
téléphone. Pourquoi ne viendriez—vous pas me jours que j‘en aurais six. C‘est un chiffre qui me
voir dans ma maison ? » A Uzès, dans le Gard, semblait idéal parce que ma mère vient d‘une
elle est arrivée en voiture, accompagnée d‘un famille de six enfants. Une belle famille de Médi—
bambin de 2 ans (« mon Léon »). On a fait une terranéens, très joyeuse, avec de la chaleur, des
halte au tabac du coin pour acheter un jeu de cris, du mouvement... Ce sont tous des personnes
cartes (« Des amis viennent d‘arriver, on va jouer rares. Mon grand—père était un utopiste, un doux
au poker »). L‘ancienne bergerie perdue en pleine rêveur qui voulait faire la paix dans le monde. Ma
garrigue, transformée en mas accueillant, avec grand—mère est toujours là. C‘est une terrienne,
de grandes pièces fraîches, est pleine d‘un joyeux franche, loyale et pleine de bon sens. Ensemble, ils
désordre qui témoigne de la présence d‘enfants. ont dû être si complémentaires qu‘ils ont fait des
Devant l‘entrée, Roman, l‘aîné, 12 ans, joue au
LAUROS GIRAUDON

êtres exceptionnels, qui ont tous travaillé dans le


football. cinéma comme comédien, monteur, costumier.
A l‘ombre d‘un patio, autour d‘une petite table Petite, j‘étais une rêveuse, très contemplative,
de jardin, elle sert le pastis, apporte une carafe et quasi muette. Dans cette toile de Bonnard, il y « Pour moi, cette
d‘eau glacée et étale une foule de documents a la solitude enfantine aussi. Quand mes enfants toile, c‘est tout le
annotés, préparés pour l‘interview, en annonçant : se racontent des histoires ou chantonnent dans monde de l‘enfance,
« Je ne suis pas une tchatcheuse. Ce serait bien leur berceau, je les laisse. Je me dis qu‘ils sont en l‘imaginaire... »
qu‘il y ait beaucoup d‘illustrations... » train de faire leur vie intérieure. C‘est important.
C‘est une force d‘arriver à être seul et bien. C‘est
Ma chambre formidable d‘élever des enfants, même si ça vous
Dans cette grande maison, j‘ai aménagé des pièces dévore totalement. Jules, mon petit dernier, a
très différentes. J‘en ai décoré une de façon orien— 3 mois. Je me dis qu‘il sera prix Nobel de la paix
tale, un peu chargée. Quand je m‘y trouve, je tellement il respire la bonté. Je suis un peu obsé—
peux au mieux m‘y alanguir, mais il m‘est impos— dée par l‘enfance. Je fais tout pour rester dans ce
sible d‘y réfléchir. Pour réfléchir, je vais dans ma monde—là. Déjà, grâce à mon métier, je continue
chambre. Tout est blanc, même le parquet. C‘est à « jouer ».
parce que je peins les murs moi—même, et ça
coule. Alors, autant peindre le parquet dans la Le film qui me bouleverse
foulée... C‘est tellement blanc qu‘on se réveille Je dois voir dix films par semaine. J‘adore Fel—
en pleine lumière, avec l‘impression d‘être au lini, bien sûr, Scorsese, Kusturica. Mais aussi Fritz
ski, sous un soleil éclatant. Lang, Mankiewicz, Kubrick. J‘ai des goûts l®
Télérama N° 2535 — 12 août 1998 33
m»— éclectiques, karaté, western, comé— Cette attitude passive m‘évoque l‘image vides pour ressasser sa honte. C‘est très
die musicale... j‘aime tout. Mais le film d‘une rangée de putes devant des hom— émouvant. Parce que, en même temps,
qui me bouleverse, c‘est Amarcord. Je mes qui font leur choix... Petite, je di— c‘est beau qu‘une œuvre d‘art permette
le regarde au moins cinq fois par an. sais souvent que je serais courtisane ! d‘en faire naître une autre. Il y a là
Amarcord, c‘est la mélancolie, le bon— Le comédien est finalement très peu comme une transmission de beauté...
heur, la magie. C‘est aussi un beau film décideur. Il peut essayer de se préparer
sur l‘enfance. Comme j‘aime bien les avant le tournage pour mieux com— ”Les Enervés de Jumièges”
choses que je ne comprends pas et qui prendre son personnage. Mais, face au Récemment, sur une carte postale, j‘ai
me font rire malgré moi, j‘adore cette metteur en scène, puis face à ses par— découvert une toile étonnante, Les Ener—
scène de déjeuner volcanique qui tour— tenaires, il faut savoir s‘abandonner. vés de Jumièges, d‘un certain Lumi—
ne à la crise de nerf générale. Le père est Il m‘est arrivé une seule fois de solli— nais. Elle illustre une histoire affreuse.
fou de rage contre son fils. Soudain, il citer un cinéaste. C‘est Alain Cavalier. Deux fils de Clovis II s‘étaient révoltés
se prend la bouche à deux mains et la Je venais de découvrir Le Plein de super, contre leur mère Bathilde. Leur père
tord... Voilà un « truc » de jeu formi— film où Cavalier amorçait une seconde les a fait « énerver », c‘est—à—dire qu‘il
dable. On dirait une idée d‘enfant : un période. Je ne me souviens plus de la leur a fait brûler les nerfs moteurs, de
gosse pourrait faire ça si on lui donnait teneur de ma lettre, mais je revois le façon à ce qu‘ils perdent leur force et
à jouer quelque chose. Je rêve d‘avoir papier à lettres décoré d‘un soleil que leur virilité. Puis il les a placés sur un
des initiatives pareilles, qui semblent j‘avais pris dans une chambre d‘hôtel. Il bateau, avec un serviteur et des vivres.
un peu absurdes, mais qui renvoient à m‘a répondu : « Peut—être. » Depuis, j‘ai Le cours de la Seine les a conduits jus—
quelque chose de lointain, enfoui dans adoré Thérèse, et je ne comprends pas qu‘à Jumièges, où un ermite les aurait
la mémoire. Il ne veut rien dire, ce geste qu‘on n‘ait jamais revu Catherine Mou— recueillis. Rien que le titre de la toile,
et, pourtant, on le comprend tous. chet, qui était extraordinaire. si contradictoire avec cette image d‘en—
J‘ai aussi poussé mon père à écrire à fants inertes, me met en joie. Voilà un
Choisir et être choisi François Truffaut, par qui il rêvait d‘être tableau à montrer aux enfants quand
Le personnage que j‘aurais aimé jouer ? dirigé. Et ça a donné Vivement dimanche ! ils sont teignes avec leur maman.
Il y en a cinquante. Mais je préfère me
laisser choisir, j‘aime avant tout l‘ex— Renoir, père et fils ”‘Voyage au bout de la nuit”
citation et le plaisir un peu trouble que Après l‘échec commercial de Nana, Le premier livre qui m‘a stupéfaite,
cela procure. C‘est le grand privilège des Jean Renoir a dû vendre des tableaux c‘est Voyage au bout de la nuit, de
acteurs : voir qu‘un metteur en scène de son père pour continuer à filmer. Il Louis—Ferdinand Céline. J‘avais 13 ou
vous a imaginé dans un personnage. paraît qu‘il gardait au mur les cadres 14 ans. Je ne savais pas que la littéra—
ture pouvait arriver à ça. Je découvrais
qu‘on pouvait écrire différemment. Et
lire différemment aussi. Cette façon
de ne pas finir ses phrases, de dire des
horreurs avec autant de verve et de
fougue... Céline, quand je le lis, je ris.
Quand je referme le livre, je suis hor—
rifiée, abasourdie. C‘est très fort d‘ar—
river à fondre ces deux niveaux de
lecture : le plaisir du texte, d‘abord ;
la réflexion, ensuite...
ETIENNE HUBERT / RAPHO

Le monde de la littérature est telle—


ment vaste que, au moment de l‘ex—
plorer, on peut se sentir découragé à
l‘avance. J‘ai une méthode qui m‘a
Céline. « Quand je le lis,
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je ris. Quand je referme


le livre, je suis horrifiée... »
Amarcord, de Fellini. « Le père
est fou de rage. Soudain,
il se prend la bouche à deux
mains et la tord... Je rêve
d‘avoir des initiatives pareilles. »
Les Enervés de Jumièges,
de Luminais. « Rien que le titre
de la toile, si contradictoire
avec cette image d‘enfants
inertes, me met en joie. »

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BWLOUI
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VMA

réussi jusqu‘ici : je demande aux gens Le choix de Marie


que j‘aime leurs dix titres préférés. Et « J‘ai l‘air d‘une Américaine. Sans doute parce que le photographe était
quand j‘aime un livre,je lis toute l‘œu— américain. Et puis je suis un peu habillée comme Diane Keaton. On croirait
vre de l‘auteur. que je suis dans un film de Woody Allen. Pourquoi j‘ai choisi cette photo ?
Allez, on va dire la vérité : c‘est la seule que j‘ai trouvée dans la maison. »
Michel Platini
Plutôt qu‘évoquer les rencontres que sportif intelligent. Moi, je ne comprends ratais aucun. Elle avait — ce que je
j‘ai faites, je préfère parler des gens que pas le football comme les hommes. Sou— retrouve chez une autre chanteuse que je
j‘aimerais rencontrer. En ce moment, vent, mon esprit vagabonde, mais Pla— viens de découvrir, Rachel des Bois —
c‘est Michel Platini. Il a fait plein de tini, je regardais tous ses matchs. une grandeur, du panache, quelque chose
choses, cet homme—là. Récemment, il de royal. Rachel, il y a un côté « cirque »
a déclaré qu‘il allait passer le reste de sa Barbara et Rachel des Bois chez elle, avec des couleurs « gipsy »
vie à aider les gens. Les toxicomanes, les Avec Barbara, il m‘est arrivé une jolie dans sa musique. Ces deux femmes
chômeurs... L‘organisation de la Coupe histoire. Je jouais une pièce à Nice, et elle drôles et brillantes, qui écrivent leurs
du monde de football a permis la créa— chantait dans la grande salle du même textes et sont belles en scène, sont très
tion de quarante mille emplois, dont bâtiment. J‘avais les retours sonores. loin de moi, parce qu‘au cinéma on est
dix mille resteront effectifs pendant Elle commençait avant moi et finissait plutôt introverti. Mais ça me bouleverse.
deux ans encore. A la fin d‘un match, un peu après. Dès que la pièce était ter— Au théâtre, j‘y arriverais peut être... ®
un ancien chômeur est venu lui dire : minée, je me rhabillais à toute vitesse Propos recueillis par Bernard Génin
« Vous m‘avez rendu ma dignité. » Je et, tous les soirs, j‘assistais à la fin de son La semaine prochaine :
trouve ça très beau. En plus, c‘est un spectacle. D‘ailleurs, à Paris, je n‘en Carole Bouquet

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