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Ciné—télé Dragon, l‘histoire de Bruce Lee — Lundi 2 — M6 — 20.

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ETAM Torse luisant et braies au vent, c‘était le Nijinski de la baston.
En 1973 , après six films, le Petit Dragon est mort. Pas la légende.

Hooooiilitsaaaa !
‘en déplaise à ceux que les Francisco. Bruce, expert en arts mar— monastère pour bricoler le « jeet—kun—
films de kung—fu font bâiller, tiaux, serveur dans les fast—foods chi— do », sa version taoïste et chorégraphi—
avec leurs déluges de baffes nois de Seattle, rêve d‘une carrière que du kung—fu ? A—t—il flirté avec les
et leurs dialogues (« Hooooiiii— hollywoodienne, mais se heurte au triades, les mafias chinoises, ou, au
tsaaaa ! ») un peu courts : Bruce Lee, racisme des producteurs. Bruce doit se contraire, les a—t—il défiées ?... A—t—il
Nijinski de la castagne filmée made contenter de devenir prof de gym grand failli tourner avec Elvis Presley ? Rem—
in Hongkong, champion de la torgnole luxe pour quelques comédiens casca— porté un concours de cha—cha—cha ? Et
en apesanteur et du cri—qui—tue, a révo— deurs (Steve McQueen, James Coburn, surtout, surtout, comment est—il mort, un
lutionné le genre, et bien au—delà. Au Lee Marvin) et d‘être Le Frelon vert soir de juillet 1973 ? Ce dernier point,
cinéma, on ne se bagarre plus, après dans une série télévisée, cachant ses encore obscur, semble susciter les hy—
lui, comme avant lui. En six films seu— yeux bridés derrière un masque ! Le pothèses les plus farfelues : hémorragie
lement, de Big Boss au Jeu de la mort, premier rôle de Kung—fu, une série écrite cérébrale, suicide par pendaison, over—
en passant par La Fureur de vaincre, pour lui, est attribué à David Carra—, dose, allergie à l‘aspirine (si, si), as—
il a transformé la rituelle empoignade dine, plus « ethniquement correct ». sassinat (les triades !). Plus héros de
en ballet aérien millimétré. C‘est un producteur indépendant qui légende que star de cinéma, l‘acroba—
Vingt—quatre ans après sa mort, il en— lui fait confiance. Vedette de Big Boss, tique combattant est tombé dans le
fièvre encore l‘imagination de ses fans à la fin des années 60, Bruce Lee va domaine public.
et de ses biographes. On peut s‘en tenir enfin connaître une gloire immense, On le sert à toutes les sauces. Utilisé
à quelques repères : né en 1940 (année d‘abord en Asie, puis dans le monde comme piment publicitaire, Bruce Lee
du Dragon), originaire de Hongkong, entier. Voilà pour les faits. Le reste tient continue sa carrière post mortem. Son
Bruce Lee est devenu américain par au mieux de l‘hagiographie, au pire du fantôme hante une soixantaine de films—
hasard. Son père, acteur de l‘opéra chi— commérage survolté... contrefaçons dans lesquels il n‘a, d‘évi—
nois, vocalisait alors du côté de San S‘est—il retiré quelque temps dans un dence, jamais joué. Les titres sont
uuue
éloquents : Bruce Lee fait la java à
Bornéo, Bruce Lee défie Las Vegas, Le
Doigt vengeur de Bruce Lee et même...
La Sœur de Bruce Lee. On vous jure
qu‘ici, à droite de l‘écran ou bien de
dos, c‘est lui à 6 ans. Les faussaires
n‘hésitent pas à piquer par—ci par—là un
morceau de pellicule dans l‘un des six
films qu‘il a vraiment tournés. Certains
intègrent même d‘authentiques plans
d‘actualité où l‘on voit le karatéka...
dans son cercueil !
Mais pourquoi l‘exhiber mort, quand
on peut le ressusciter à volonté ? Le
dieu Bruce Lee se réincarne à la vitesse
d‘une photocopieuse déréglée. Une tri—
potée d‘avatars, torses huileux et braies
flottantes, s‘agite sous la patte fébrile de
producteurs en rupture de stars. Sont
apparus, au choix : Bruce Le, Bruce
ARCHNVES PHoto

Li, Bruce Luang, Bruce Leung et autres


Dragon Lee, qui se disputent âprement
Bruce Lee, l‘homme qui cassait des briques, dans Opération Dragon (1973). la vedette, un peu comme si Hollywood
avait dupliqué James Dean ou Marilyn
à l‘infini. Maigrichons, râblés ou boi—
teux, peu importe : le Petit Dragon est
immortel. Lorsqu‘il trépasse, il engendre
mille autres petits dragons... Proverbe
plus commercial qu‘asiatique. Le mythe
prospère, le tiroir—caisse aussi ®
Cécile Mury

100 Télérama N° 2472 — 28 mai 1997

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