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- Postmodernité en architecture,

par Hugues HENRI

Pourquoi le postmodernisme apparaît-il aux USA ?

Contexte historique :

Historiquement le Mouvement Moderne et le Style International relèvent de la


définition de la modernité européenne. Or c’est la modernité européenne qui s’implanta au
milieu du XXe siècle aux USA par une greffe imprévisible mais réussie de quelques-uns de
ses maîtres sur la scène américaine : Richard Neutra, Walter Gropius, Mies van der Rohe,
aux dépens des modernistes américains comme Louis Sullivan et Frank Lloyd Wright, alors
qu’elle leur était redevable d’un certain nombre de ses concepts spatiaux fondamentaux
comme la structure porteuse, le mur rideau et le plan libre.
Là réside le paradoxe : après 20 ou 30 ans d’un jeu de cache-cache dont on
commence à mesurer la complexité, eut lieu ce que résume assez bien la phrase de Le
Corbusier : « Les américains ont réussi à faire ce que nous voulions faire mais pas comme il
le fallait, en catastrophe, mais une belle catastrophe »1 .
Alors, vers la fin des années soixante, une contestation radicale de cette greffe de la
modernité européenne aux USA va être entreprise par des théoriciens et architectes
américains qui vont se livrer à un recentrage différent de celui des peintres de l’école de New
York, tels que Jackson Pollock, Willem De Kooning, Franck Kline, Mark Rothko lors de la
publication antérieure à la postmodernité, du Manifeste des Irascibles, lui aussi recentrage
américain anti-européen, mais se revendiquant expressément de la modernité. Au contraire,
la postmodernité en architecture veut faire table rase de la modernité.
Le paradoxe actuel, dans le contexte postmoderne, est le rejet américain de la
modernité, dans son ensemble, sans que l’inventaire ait été fait pour restituer à la modernité
en tant que « scène du futur » sa part américaine archaïque qui n’a que peu à voir avec la
modernité européenne.

1
Michel Ragon : Histoire mondiale de l’architecture et de l’urbanisme modernes, Paris, éd.
Castermann, 1986.

1
Emergence postmoderne : chronologie

C’est Charles Jenks, un critique d’architecture anglais qui, en 1975, utilise pour la
1ère fois le terme « postmoderne » mais le contenu , c’est à dire la mise en cause de la
modernité, apparaît chez Robert Venturi dès 1966, quand il entend défendre le
« symbolisme du laid et de l’ordinaire dans l’architecture2 .» En 1975, le MOMA de New York
propose une exposition sur l’ « Architecture de l’école des Beaux-arts » qui réhabilitait
l’historicisme du XIXème siècle. Charles Jenks commence son livre ainsi : « L’architecture
moderne est morte à Saint Louis, Missouri, le 15 juillet 1972, à 15h.32 !3 » date à laquelle il
assiste à la destruction d’un grand ensemble par dynamitage des barres d’immeubles.
Le concept est pluriel et instable, d’autant qu’il n’affecte pas que l’architecture.
En effet, il va progressivement s’appliquer à des domaines aussi divers que : la
philosophie et l’esthétique, l’épistémologie, l’économie politique, l’Histoire. Le fait dominant
en esthétique et épistémologie, est qu’il s’agit d’une catégorie instable, car les théoriciens du
postmodernisme lui ont imputé le rejet de la possibilité de la forme ou de l’idéologie, voir La
condition postmoderne de Jean François Lyotard4.
En ce qui concerne l’architecture, ses connotations ont considérablement évolué

entre 1965 et 1995.

Les contenus d’ensemble : historiques, philosophiques,


esthétiques

Il y a refus unitaire du monde, refus de l’universalité poursuivie par la modernité et


refus des systèmes d’explication du monde, qu’ils soient : politique, humaniste et
progressiste, philosophique, esthétique et économique. Refus des « métarécits » de la
modernité comme les appelle Jean François Lyotard : le méta récit du progressisme, héritier
du Siècle des Lumières, conduit au goulag, donc l’idéologie progressiste est caduque ; le
méta récit de la techno-science conduit à Auschwitz et à Hiroshima, à la solution finale
appliquée scientifiquement par les Nazis et à l’Holocauste nucléaire, donc la foi dans le
progrès et la libération de l’Homme par la science sont invalidées aussi. C’est la fin des
idéologies universalistes qui sous tendaient la modernité, qui est alors prononcée par Daniel
Bell dans La fin des idéologies, 19785. Il y a rejet de la modernité et même anti-modernité.

2
Robert Venturi : Complexity and Contradiction in Architecture, New-York, Muséum of
Modern Art, 1966.
3
Charles Jenks :Langage de l’architecture postmoderne, Paris, éd. Denoël, 1985.
4
Lyotard, Jean François, La condition postmoderne, Paris, ed. De Minuit, 1979.
5
Bell, Daniel, La fin de l’idéologie, Paris, PUF, 1978.

2
Au contraire de la revendication de l’Universalité de la Modernité, le
postmodernisme va relever et exalter les particularismes et différences aux niveaux locaux,
ethniques, régionaux, culturels comme autant d’exemples de marginalisations opérées par la
modernité. Il y a recentrage identitaire par la restauration des différences et en architecture, il
y a retour de l’éclectisme et de l’historicisme, donc de l’emprunt et de la citation.
Cette anti-modernité concerne donc aussi bien la forme que le fond, c’est en fait,
une culture d’opposition à la modernité, une antithèse de la modernité systématique.
Le postmodernisme s’impose donc en s’opposant à la modernité. Il se revendique
aussi comme étant l’alternative à l ‘élaboration formelle et fonctionnaliste du modernisme. Il
refuse la fétichisation moderniste de la structure et de la technologie. Kenneth Frampton et
Mary Mac Leod sont les 1ers théoriciens postmodernes. Ils s’opposent aux prémices sociaux-
politiques qui sous tendent le modernisme : la croyance que la forme peut changer le
monde.

Les offensives postmodernes majeures et leur internationalisation


vont se produire à travers 4 livres6 parus entre 1961 et 1969 :

1e The Death and Life of Great American Cities de Jane Jacobs en 1961.

Dans ce livre, Jane Jacobs critique les conceptions urbanistiques et architecturales


de Le Corbusier. Elle prône la préservation de l’hétérogénéité des quartiers anciens, animés
du simple fait de leur diversité. Elle s’oppose à l’idéologie uniformisante de l’urbanisme
moderne avec ses zonages, qui ignore l’expérience vécue de l’architecture, les rituels et les
modèles sociaux, les réseaux de relations humaines. Elle relie le financement
d’aménagements immobiliers et l’évolution de l’urbanisme. Elle indique l’évolution de
l’architecture et de l’urbanisme, vers la juxtaposition hétérogène, donc l’éclectisme, en
rupture avec la conception moderne d’écran continu et uniforme.
-Frank O Gehry: Loyola Law School, Los Angeles, Calif. 1981/84: réhabilitation de
construction près moderne7.

6
Soient :
e
1 The 1961 Death and Life of Great American Cities de Jane Jacobs, ed Wintage Press NY,
2e Complexity and Contradiction in Architecture de Robert Venturi (1966). ed Catalogue MOMA, N Y, 1966.
3e The Architecture of the City de Aldo Rossi Ed Marsilio, Padoue, 1966.
4e Architecture for the Poor de Hassan Fathy, ed University of Chicago Press ,1969.
7
Frank O Gehry: Loyola Law School, Los Angeles, Calif. 1981/84: réhabilitation de
construction près moderne

3
2e Complexity and Contradiction in Architecture de Robert Venturi (1966).

Dans ce livre, l’architecte et théoricien Américain Robert Venturi a une approche


différente de Jane Jacobs. Il développe une stratégie en faveur de l’habitat individuel de
qualité et d’un urbanisme produit par une élite architecturale. Il préfère « le désordre de la
vie, à l’évidence de l’unité ! Il préfère la richesse à la clarté des moyens ! Venturi préfère l’un
et l’autre, plutôt que l’un ou l’autre !» Pour lui, la complexité de la vie moderne interdit un
urbanisme simplifié, donc il prône des programmes d’urbanisme pluri fonctionnels. Il invente
la fameuse réplique à la formule de Mies Van der Rohe, pour qui « Less is more ! » (Moins
c’est plus !). A cela, il répond : « Less is the bore ! More is ever moore !”(Moins c’est le pire!
Plus est toujours plus !). Ses références sont l’architecture italienne de la Renaissance, mais
il intègre habilement certaines constructions de certains des maîtres du Style International
comme : Le Corbusier, Alvar Alto, Louis Kahn.

-Robert Venturi: Vana Venturi House, Chesnut Hill, Pennsylvania, 1964. L’historicisme et
l’éclectisme sont déjà ici à l’œuvre, au nom du double code, compréhensible simultanément
par l’élite et l’homme de la rue8.

3e The Architecture of the City d’ Aldo Rossi (1966).

Dans ce livre, l’architecte et théoricien Italien Aldo Rossi rejette le fonctionnalisme tel
qu’il s’illustre dans la reconstruction de l’Europe d’après guerre. Il rejette le déterminisme
technologique qui méprise dans la ville : la complexité, l’Histoire, les formes urbaines, les
réseaux humains et les récits personnels. Par l’étude de l’évolution de la morphologie des
villes, il veut faire émerger des typologies constructives d’urbanisme. Il en propose le mode
d’analyse, l’approche de l’urbanisme, l’évolution de sa conception. Sa recherche
d’adaptation créative se fonde sur l’analyse de villes spécifiques.
-Aldo Rossi : Constellanza University, Los Angeles, Calif.19909.
-Aldo Rossi : Hôtel de ville, Borgoricco, Italie, 1982. Concept adapté à la tradition
rurale, citation : villa palladienne.10

4e Architecture for the Poor d’Hassan Fathy (1969).

8
Robert venturi: Vana Venturi House, Chesnut Hill, Pennsylvania, 1964.
9
Aldo Rossi : Constellanza University, Los Angeles, Calif.1990
10
Aldo Rossi : Hotel de ville, Borgoricco, Italie, 1982

4
Dans ce livre, l’architecte et théoricien Egyptien Hassan Fathy illustre la situation du
néo colonisé qui bâtit un guide de résistance à l’universalité revendiquée par la modernité.
Résistance à l’importation de concepts et de méthodes de construction inadaptées aux pays
du 1/3 monde. Hassan Fathy exprime ici de manière assez légitime, le recentrage identitaire
qui va caractériser la plus part des démarches postmodernes en art et en architecture. Fathy
lutte contre la disparition de méthodes traditionnelles et des compétences culturelles qui y
sont reliées. Il y a remise en question de la notion d’architecte créateur au profit de celle de
l’architecte porteur et protecteur de tradition. Il prône une architecture véhicule et expression
de culture et non de l’égo personnel.
- Georges Bawa : Parlement National, Sri Jayawardhanapura, Colombo, Sri Lanka,
11
1982 . Bâti comme une île au milieu d’un lac, cette construction modulaire exprime la
dimension multiculturelle du Sri Lanka, dans une confrontation qui transcende la tradition et
la modernité. Illustrant l’archipel et le temple- forteresse, il y a imagerie polyvalente et appel
à la tradition insulaire au niveau des toits, des charpentes et dans l’aménagement paysager.

Synthèse :

À travers ces 4 livres, il y a émergence de l’internationalisation du postmodernisme qui


se mondialise en même temps qu’apparaissent des divergences profondes à l’intérieur des
différents tenants occidentaux et non occidentaux du mouvement. Le dénominateur commun
à ces 4 ouvrages demeure la remise en cause totale de la modernité de la Charte d’Athènes.

Analyse comparative des thèses de Robert Venturi et d’Aldo Rossi :

Tous deux pensent que le défi à l’architecture englobe les particularités de chaque
architecte. Tous deux critiquent l’architecture et l’urbanisme de masse de l’après guerre
inspirés par la Charte d’Athènes et se réfèrent au Passé architectural qu’ils considèrent
comme un outil permettant à l’architecture de redécouvrir et de ré assumer ses
responsabilités publiques et historiques.
Ceci dit, Rossi en tant qu’italien, s’appuie sur une histoire urbaine de plusieurs
millénaires. Sa démarche vise à contourner l’éclectisme hérité du XIXème. Pour lui, il y a
continuité et prolongement d’une invention continue et conservation de significations
culturelles générales.

11
Georges Bawa : Parlement National, Sri Jayawardhanapura, Colombo, Sri Lanka

5
Ceci le différencie de Robert Venturi qui prône l’éclectisme comme outil d’énonciation
d’une critique du modernisme US émergeant dans une société où l’expérience culturelle se
construit individuellement sans référence à une tradition millénaire. Ici s’ancre la principale
différence entre les postmodernités américaines et européennes. La culture historique
européenne se distingue de la culture de communication des USA. D’autant plus qu’il y a
différence de fonctions culturelles : il n’y a pas de volonté politique et culturelle d’unification
sociale aux USA, mais mise en circulation d’ensembles de symboles alternatifs par rapport
auxquels les individus se définissent comme consommateurs. Le double code de Robert
Venturi tente d’être lisible par l’homme de la rue et par l’élite cultivée. Ce sont donc des
codes visuels et formels au service d’une représentation démagogique des publics,
considérés comme autant de consommateurs indistincts. L’architecture devient avant tout un
produit de consommation et une scénographie commerciale.

Les premières Postmodernités : Aux USA.

Robert Venturi s’associe avec Denise Scott Brown et Steven Izenour pour lancer en
1972 le manifeste pot moderne : Learning from Las Vegas, (leçon de Las Vegas) où ils
prônent leur conception des « gens » comme « porteurs de significations mobiles.» Extraits
et analyse de ce discours démagogique12 :
1e valeurs et méthodes commerciales : « Las Vegas est analysé ici en tant que
phénomène de communication architecturale…. L’architecture moderne n’a pas tant rejeté le
langage commercial qu’elle n’a essayé de se l’approprier en inventant et en renforçant son
propre langage, plus raffiné et universel »13
2e Las Vegas : système de communications : « Cette architecture faite d’enseignes
et de styles est anti-spatiale ; c’est une architecture de communication qui prévaut sur
l’espace… La persuasion commerciale de l’éclectisme bord-de-route, fulgure dans le site
vaste et complexe d’un nouveau paysage de grands espaces, accordé aux vitesses
accélérées et aux programmes multiples… Le message est bassement commercial, le
contexte fondamentalement nouveau.14
3e Le nouveau grand espace : « Le parking du supermarché correspond à une phase
contemporaine de l’évolution du grand espace après Versailles.»

12
Venturi, Robert, Scott Brown, Denise & Izenour, Steven, Learning from Las Vegas,
Cambridge, MIT Massachusetts, 1972.
13
Idem
14
Idem.

6
4e De Rome à Las Vegas : « Visiter Las Vegas au milieu des années 60 correspond
au voyage à Rome de la fin des années 40.»15
Dans les années suivantes, des architectes US comme : Michael Graves, Charles
Moore et Robert A.M.Stern vont adopter les thèses de Venturi :
-Charles Moore: Burn’s House, Santa Monica, Californie, 197416
-Robert A. M. Stern: Lang Residence, Washington, 197417
Ces constructions arborent un programme esthétisant et historicisant, dominé par les teintes
pastel et les blasons historicisants, où règne le tape-à-l’œil qui trouva des prolongements
commerciaux par projets de centres commerciaux US de petite taille.

Charles Moore: Piazza da Italia, New Orleans1973 Robert Venturi: Venturi Hse, Chesnut Hill, 1964

Les premières Postmodernités En Europe.

Parallèlement, à la fin des années 1970, autour de Rossi, se constitue le groupe


Tendanza avec les architectes : Vittorio Gregotti et Giorgio Gressi, Mario Botta, Fabio
Reinhardt et Bruno Reichlim. Ils prônent le retour aux traditions de construction et le respect
des tissus urbains historiques. Ils s’inspirent de l’architecture vernaculaire très sobre du Nord
de l’Italie, utilisent peu l’historicisme et l’éclectisme.
Par la suite : Lors de l’exposition d’architecture de la Biennale de Venise de 1980,
organisée par Paolo Portoghesi, émerge en effet une postmodernité plus large avec l’entrée

15
Ibidem.
16
Charles Moore : Burn’s House, Santa Monica, Californie, 1974
17
Robert A. M. Stern: Lang Residence, Washington, 1974

7
en scène de : Christian de Portzamparc en France, de Ricardo Bofill en Catalogne et de
Takefumi Aida et d’Arata Isozak au Japon.
-Arata Isozaki : Musée d’ar moderne de Gumma, Takasaki, 1974. L’architecture
d’Isozaki ouverte à la tradition ne débouche pas sur un classicisme boursoufflé.

Synthèse de l’émergence de la postmodernité.

Contexte : Au cours des années 1970, émerge la postmodernité aux USA. Son porte-
parole - précurseur est Robert Venturi, critique et architecte, collaborateur de Louis Kahn ; il
prône le « symbolisme du laid et de l’ordinaire dans l’architecture »18, ses réalisations se
signalent par un refus du fonctionnalisme et le retour de l’emprunt, voir : Vana Venturi
House, Chesnut Hill, Pennsylvania, 1964. Le critique et architecte Charles Jenks invente le
concept de postmodernité en 1975 et déclare : « L’architecture moderne est morte à Saint
Louis, Missouri, le 15 juillet 1972, à 15h.32 !19 », date à laquelle il assiste à la destruction
d’un grand ensemble par dynamitage des barres d’immeubles. Robert Ventury s’associe
avec Denise Scott Brown et Steven Izenour pour lancer en 1972 le manifeste pot moderne :
Learning from Las Vegas, (leçon de Las Vegas) où ils prônent leur conception des « gens »
comme « porteurs de significations mobiles.» Las Vegas y est analysée en tant que
phénomène de communication architecturale, revendication de l’éclectisme « bord de route »
américain, où « le parking du supermarché correspond à une phase contemporaine de
l’évolution du grand espace après Versailles.» Beaucoup d’autres livres accompagnent et
théorisent les débuts du postmodernisme.
Le concept est pluriel et instable, d’autant qu’il n’affecte pas que l’architecture,
mais aussi l’art et l’esthétique, l’épistémologie, l’économie politique, l’Histoire, la philosophie,
etc. En architecture et urbanisme, le postmodernisme s’impose donc en s’opposant à la
modernité. Il se revendique aussi comme étant l’alternative à l ‘élaboration formelle et
fonctionnaliste du modernisme : - Il refuse la fétichisation moderniste de la structure et de la
technologie- Il prône la préservation de l’hétérogénéité des quartiers anciens - Il rejette le
déterminisme technologique qui méprise la ville : il revendique la complexité, l’Histoire, les
formes urbaines, les réseaux humains et les récits personnels - Il y a refus unitaire du
monde, refus de l’universalité poursuivie par la modernité et refus des systèmes d’explication
du monde –

18
Venturi, Robert, Complexity and Contradiction in Architecture, op. cit.
19
Jenks, Charles, Langage de l’architecture postmoderne, op. cit.

8
Essor et évolution : Il y a internationalisation du postmodernisme et les
contradictions se multiplient entre les occidentaux et les non occidentaux, entre européens et
américains : voir controverse Venturi/Rossi. La culture historique européenne se distingue de
la culture de communication des USA. D’autant plus qu’il y a différence de fonctions
culturelles : il n’y a pas de volonté politique et culturelle d’unification sociale aux USA, mais
mise en circulation d’ensembles de symboles alternatifs par rapport auxquels les individus se
définissent comme consommateurs. Les architectes européens prônent le retour aux
traditions de construction et le respect des tissus urbains historiques.

Johnson Burgee ATT Bldg, NY, 1982 SITE Project BEST, Sacramento, 1977

9
12- Postmodernité à Chicago

Le groupe Chicago Sewen

Apparus en 1976, les architectes postmodernes du groupe The Chicago Sewen sont :
Laurence Boot, Stuart Cohen, Benjamin Weese, Stanley Tigerman, Thomas Beeby, James
Freed et James Nagle.
Ils sont le pendant du groupe de New York appelé The New York Five, qui
comprend : Peter Eisenman, Joseph Hedjuk, Charles Guathmey, Michael Graves, Richard
Meier.

Contexte :

Ces deux groupes se situent dans la perspective postmoderne ouverte par Robert
Venturi. Le groupe The Chicago Sewen représente le groupe anti-establishment et
provocateur par excellence. Sa 1ère exposition en 1976, est une exposition « off » protestant
contre l’exposition « in » officielle intitulée « 100 Years of Architecture in Chicago, Continuity
of Structure and Form » conçue et déjà exposée à Munich en 1973. Le groupe rebelle
proteste alors de façon polémique contre la conception, les contenus et l’origine européens
de l’exposition officielle et le regard étranger sur l’histoire de leur ville. Il entreprit la
démolition de la modernité et la remise en cause de l’esthétique moderniste de Mies van der
Rohe, figure emblématique de la 2ème école de Chicago20. En 1981, le groupe organisa une
exposition New Chicago Architecture : Beyond the international Style (Nouvelle architecture
de Chicago : Au-delà du Style International) qui rappelle le titre de l’ouvrage du théoricien
postmoderne italien Paolo Portoghesi : Au-delà de l’architecture moderne21.

Recentrage Europe/USA

Il y a repositionnement par recentrage Europe/USA dans le rejet de la modernité par


les postmodernes.

20
Massu, Claude, Chicago de la modernité en architecture, Paris, Parenthèses, 1997.
21
Portoghesi, Paolo, Au-delà de l’architecture moderne, Paris, éd. L’équerre, 1981.

10
Il y a dans ce rejet réactionnaire de la modernité dans sa totalité par les révisionnistes
de Chicago, une volonté iconoclaste vis à vis des gloires de la modernité, Sullivan mais
surtout Mies van der Rohe. Ceci est sans doute dû au fait qu’il y a amalgame entre
modernité du Style International et modernité archaïque de la 1ère école de Chicago.

Stanley Tigerman: Hard Rock Café Stanley Tigerman: Roll Royce Parking Garage

En effet, la greffe moderniste n’a réellement prise durablement aux USA qu’avec
l’arrivée aux USA de Richard Neutra vers 1920, puis de Walter Gropius et Mies van der
Rohe en 1938, lorsque y fut fondé le 2ème Bauhaus et que Mies van der Rohe fonda la 2ème
école de Chicago. La démarche de nombre d’historiens de l’architecture du Mouvement
Moderne fut de relier de manière téléologique les deux écoles, pour asseoir le Style
International comme issue et prolongement logique de la 1ère école de Chicago. Là
s’élaborait un continuum qui d’une part légitimait la greffe de la modernité européenne aux
USA à partir de 1938 et d’autre part installait cette continuité moderne instaurée comme
tradition de la rupture. Ceci se traduit d’ailleurs par une extension positive qui faisait de
Chicago un lieu emblématique de modernité.
Aussi , lorsque le mouvement de rejet du fonctionnalisme du Style international, de
l’esthétique de « la boite de verre » de Mies van der Rohe, arriva dès les années 1960 avec
le style « brutaliste » de Louis Kahn et le revirement de Philip Johnson vers des pastiches art
déco ou néogothiques et qu’il s’approfondit avec le triomphe du postmodernisme vers 1980,
le désir iconoclaste se doubla d’un désir de table rase de la modernité chez nombre des
théoriciens postmodernes. Ce refus sans nuance contamina la modernité archaïque de la
1ère école de Chicago sans qu’un désir de réappropriation de ce patrimoine spécifique
amenât à un réexamen de ses enjeux historiques et identitaires. Ici, l’extension positive
faisant de Chicago un lieu emblématique de modernité trouve son revers à travers le
phénomène de contamination qui affecte alors les deux écoles de Chicago dans la
déconstruction postmoderne.

11
Pseudo permanence architecturale :

Par contre il est manifeste que ce rejet de la modernité épargne en grande partie
Frank Lloyd Wright et l’école de la Prairie, que les postmodernes relient aux traditions
vernaculaires américaines. Robert Venturi et Charles Moore donnent comme exemple de
cette réévaluation historique, le Shingle Style qui selon eux est la marque de la permanence
culturelle de la maison domestique américaine et une source de l’architecture
authentiquement américaine, car vernaculaire et en constante évolution. Pour eux, elle est
l’arrière plan à partir duquel s’élaborent les « Maisons de la prairie » de Frank Lloyd Wright22.
De plus, l’ironie de Frank Lloyd Wright vis à vis de la « Machine à habiter » de Le Corbusier
et de la Charte d’Athènes qui établit les règles du Style International, n’est certainement pas
étrangère à la sympathie des postmodernes à son égard et à sa non remise en cause dans
la table rase antimoderne qu’ils opèrent.

3-Réalisations :

Réalisations postmodernes :

- Johnson & Burgee : 190 South Lasalle Street, 1986; Johnson fait ici la parodie
littérale d’un immeuble célèbre de l’édifice Masonic Temple, construit par Burnham & Root
en 1891 : exemple typique du retour à l’éclectisme dans la construction du gratte-ciel à
Chicago.
- Stanley Tigerman: Hard Rock Cafe, Chicago, 1976. Icône de la postmodernité au
même titre que la Piazza d’Italia de Charles Moore à New Orleans.
- Faux concours du Chicago Tribune en 1979 : les architectes du groupe Chicago
Sewen proposèrent de rééditer le fameux concours de 1922 auquel participèrent vainement
Mies Van Der Rohe, Saarinen, Gropius, parmi 189 architectes américains et étrangers. Ce
fut alors le projet de gratte-ciel de style néogothique, proposé par Raymond Wood et John
Mead Howells qui remporta le concours et qui fut construit en 1925. Pastiche rétrograde de
la cathédrale gothique flamboyant de Rouen, avec ses gargouilles et ses arcs boutants
transformée en gratte-ciel haut de 145 m. L’intention polémique des postmodernes est là
encore évidente : dans leur volonté de faire table rase de la modernité, ils célébraient en
quelque sorte, à travers ce remake de concours de 1922, la victoire antimoderne sur les
architectes fonctionnalistes européens.

22
Venturi, Robert, Moore, Charles, The Shingle Style Today or the Historian’s Revenge, op.
cit.

12
Projets de:
1) Walternetsch
2) Thomas Beeby
3) Laurence Booth
4) James Nagle

Réalisations contredisant la postmodernité :

Actuellement, certains architectes de Chicago contredisent dans les faits l’orthodoxie


postmoderne. Au-delà des réalisations très médiatisées de Stanley Tigermann, qui se plaît à
opposer le populisme américain à l’intellectualisme européen23, élitiste, auto référentiel et
coupé de l’homme de la rue, ces architectes traduisent par leurs réalisations des points de
vue beaucoup plus nuancés.
Fondé en 1880, le cabinet d’architectes Holabird et Root Offices est l’un des plus
anciens des USA. Ses fondateurs s’illustrèrent lors de la 1ère école. Actuellement, ces
architectes se situent dans l’esthétique de la machine alliant prouesses technologiques et
raffinements esthétiques qui les rattachent à la 1ère école. Ainsi la division tripartite est-elle
fréquente dans leurs tours comme par exemple l’annexe de la Northwestern University Law
School, construite en 1984. Par ailleurs, les rénovations et transformations de constructions
de la fin du XIXème siècle sont des modèles d’intégration qui dépassent le citationnisme
postmoderne, comme le prouvent la transformation et l’agrandissement de l’annexe de la
Chicago Historical Society réalisées en 1988, dont le double objectif est de donner une
nouvelle identité au bâtiment et d’améliorer son organisation. Les structures porteuses, les
installations mécaniques et électriques y sont apparentes et relèvent de l’esthétique de la
machine et non du postmodernisme.
Un autre exemple révélateur de cette évolution est représenté par Helmuth Jahn
d’origine allemande comme Mies Van der Rohe. Pour lui, l’objet architectural n’est plus
considéré dans son isolement, mais comme fragment inséré dans une trame urbaine et
comme manifestation d’une synthèse qui puisse être comprise par tous, renouant avec
l’architecture parlante de Nicolas Ledoux. Helmuth Jahn définit son travail comme recherche
d’une synthèse « entre l’architecture moderne et la culture populaire » et s’affirme comme
« continuité historique.» La référence machiniste est revendiquée par Jahn qui toutefois
estime que l’architecture considérée seulement comme processus rationnel est impossible.

23
Stanley Tigerman, Versus : An American Architect’s Alternatives, New York, éd. Rizzoli,
1982.

13
La référence à la culture populaire n’est pas assimilable au postmodernisme mais à
la volonté de créer une architecture dépassant le déterminisme technologique. Le rapport à
l’histoire passe par une géométrisation des éléments référentiels que sont l’élévation
tripartite, l’entrée monumentale, le fût à redans et les sommets articulés. Le State of Illinois
Center, construit en 1985 traduit cette recherche de synthèse débordant le postmodernisme.
Il illustre la volonté de Jahn d’explorer les nouvelles limites en architecture, de dépasser la
simple expression de la haute technologie, par des tensions maximales, entre la densité des
masses et la minceur de l’enveloppe lisse et translucide, pour renouer avec les
problématiques du hors limite et de l’immatériel, quêtes importantes de la modernité.
Cette démarche est lisible dans d’autres réalisations de Jahn, comme le
Northwestern Atrium Center, aux multiples références néo art déco, construit en 1987,
ensemble multifonctionnel comparable à l’Auditorium de Sullivan et d’Adler, ou le Savings of
Amerika Tower, construit en 1991.

Conclusion :

Pour conclure, si l’idée de modernité apparaissait chez certains historiens et


théoriciens modernistes comme relevant en partie de l’idéologie, il semblerait que le
postmodernisme et l’histoire révisionniste qui l’accompagne notamment à Chicago, soient
d’autant plus passibles de ce soupçon idéologique : par leurs aspects caricaturaux de
condamnation radicale de la modernité dans son ensemble, par leur volonté de réhabilitation
systématique des styles vernaculaires et des académismes, par leur souci de gommer et
d’éradiquer les influences européennes mais aussi de distinguer au sein de la modernité
honnie, les vrais architectes américains comme Wright et Burnham. Le postmodernisme en
architecture à Chicago, aux USA, serait ainsi une tentative de réappropriation d’un passé
américain mythologique, à travers le retour à l’éclectisme et au vernaculaire, d’où la coupure
de la modernité serait évacuée, réduite à une phase transitoire, à un style parmi d’autres, au
profit d’un ressourcement identitaire et isolationniste.
Cependant, dans cette déconstruction réductrice de la modernité, une différence
fondamentale demeure qui relativise le parallèle qu’il serait tentant d’établir avec la situation
des arts plastiques en général, aux USA à la même période : en architecture, il y a bien une
conception autonome de la modernité américaine, tissant des liens objectifs entre la maison
du pionnier à la charpente ballon et le gratte-ciel, entre le Shingle Style et la Maison de la
Prairie de Frank Lloyd Wright, créant un ensemble indissociable qui fait partie de ce
patrimoine dont se réclament pourtant les postmodernes avec la mauvaise foi et le
sectarisme idéologique qui les caractérisent.

14
Analyse des Postmodernités

D’après la critique de la Postmodernité et ses origines menée par Frederic Jameson24 et


reprise par Perry Anderson25

Postmodernité analysée en 3 parties/axes :


1 -L’espace public.
2 -L’espace privé.
3 -La restructuration urbaine.

1-Espace public

Définition et évolution

Jürgen Habermas (philosophe tenant de la modernité) a défini l’espace public comme


celui qui permet l’engagement des citoyens dans la participation politique, celui de l’agora
grecque et la piazza italienne, essentiel selon lui pour la démocratie. Pour lui le domaine
public doit être distinct de ceux du marché et de l’état. Il lui fut opposé, par Nancy Frazer
(tenant du postmodernisme), que l’espace public de référence, celui du modèle bourgeois
(places, promenades, parcs, jardins) reposait sur la discrimination sexuelle et l’exclusion
ethnique.
De plus, avec l’évolution des sociétés, d’autres espaces apparaissent devoir être
assimilés à l’espace public, ou du moins, à l’espace social : parcs de loisirs, centres
commerciaux, Musées.

Modalités d’interprétation :

Fin XXème siècle, une des évolutions la plus révélatrice est celle des modalités
d’interprétation de l’espace public selon 2 modalités divergentes :
1e - Espace de consommation ;
2e - Espace de contrôle et de ségrégation.

24
Jameson, Frederic, The Cultural turn. Selected writings on the postmodern, 1983-1998,
Paris, ENSBA, 2007.
25
Anderson, Perry, Les origines de la postmodernité, Londres, ed. Verso, 1998.

15
Disney World : nouvel espace (de consommation) public.

Empire bâti sur les Cartoons, la compagnie Walt Disney investit massivement dès
les années 1950 dans les circuits de distribution, dans les chaines TV et surtout dans
l’immobilier avec le 1er parc à thèmes, Disneyland à Anaheim, en Californie, en 1956. Y
compris après la mort du fondateur Walt Disney, en 1966, la création des Disney Worlds
continua. Bien d’autres suivront, en Floride en 1971 avec Orlando puis la World Company
s’internationalisera : Tokyo Disney en 1984, Euro Disney, en France en 1992.

Michael Graves: Hotel Dolphin, Orlando Michael Graves: Swan Hotel, Orlando

L’éclectisme du postmodernisme va épouser les cartoons de Disney. La compagnie


Disney a donc donné une nouvelle dimension à l’espace public, en modifiant les concepts de
parc d’attractions et d’exposition internationale. Les complexes sont partagés en domaines
autonomes centrés autour d’environnements célèbres, Paris et Montmartre, Venise et la
Place San Marco, Los Angeles et Hollywood Boulevard, etc. reconstitués à l’échelle des
7/8èmes et complètement neutres et exempts de contradictions historiques. De plus, autour, il
y a intégration de villes de services hôteliers et marchands prenant en compte tous les
besoins des visiteurs consommateurs. Expositions, environnements et décors, édifices sont
conçus par les « Imaginers » de la compagnie.
Des architectes postmodernes de renom comme Michael Graves seront appelés par
la compagnie pour réaliser des ensembles :
-Michael Graves: Hôtel Dolphin, Walt Disney’s World, Lake Buena Vista, Floride,
26
1987.
-Michael Graves : Hôtel Swan, Walt Disney World, Lake Buena Vista, Floride, 198727
Ces 2 hôtels sont exemplaires de l’adéquation postmodernité/ Univers Walt Disney, avec

26
Michael Graves : Hôtel Dolphin Walt Disney’s World, Lake Buena Vista, Floride, 1987.
27
Michael Graves : Hôtel Swan, Walt Disney’s World, Lake Buena Vista, Floride, 1987

16
leur sculpture éponyme de 15 mètres de haut, leurs énormes fontaines coquillages, leurs
auvents rayés comme des chapiteaux de cirque, leur excès décoratifs absolus, le kitch
exécrable de leurs façades surchargées. Leurs intérieurs en ogives, sont eux aussi
surchargés, de colonnes, de cascades, de fleurs en plastique.
Une autre extension de Disney World fut réalisée par la création d’une ville de 20000
habitants, appelée Célébration et regroupant un parc de bureaux dessinés par Aldo Rossi,
un centre commercial par Helmuth Jahn, un Disney Institute par Charles Moore, ainsi qu’un
parc de 8000 logements.

L’espace public des Centres commerciaux.

La conception Disney imprégna la conception des espaces publics aménagés. Ainsi


Charles Moore emboîte le pas à la compagnie Disney, quand il réalise la Piazza d’Italia, à
New Orleans 1979, décor pastichant une place baroque de Rome dans un centre
commercial. Ses autres références sont la Fontaine de Trevi à Rome, de Niccolo Salvi
(1732), la Basilique de Vicence d’Andrea Palladio, réunis ici pour produire une scénographie.
Cependant, avec ses couleurs éclatantes, ses changements d’échelles, sa fontaine en forme
d’Italie, la Piazza n’attire pas foule. Mais cette réalisation devient icône postmoderne, décor
de film, comme The Big Easy.
Charles Moore: Piazza d’ Italia, New Orleans, 197928. Prototype de l’espace public dans
un complexe commercial.

28
Charles Moore : Piazza d’Italia, New Orleans, 1979

17
Les cités de la consommation.

Les centres commerciaux régionaux supplantent rapidement le petit commerce et les


centres commerciaux des villes. Le meilleur exemple en est celui d’Edmonton Mall, en 1986,
au Canada, avec: parc d’attractions, rues à thème, hôtel de type « Monde imaginaire » avec
personnalisation de chaque chambre, réplique grandeur nature de la caravelle de Christophe
Colomb. En fait, tout est fait pour maximaliser le commerce. Ces Centres commerciaux
régionaux sont une réponse commerciale aux problèmes du chaos des centres-villes, mais
bien sûr ne sont en rien une réponse sociale et urbaine à ce type de problème.
-César Pelli et Victor Gruen : Pacific Design Center, Los Angeles, 197429 Centre
commercial haut de gamme pour l’ameublement mobilier, composé de 2 immeubles
monolithiques revêtus de panneaux vitrés bleus et verts. La notion de participation se réduit
ici aussi à la consommation, seule activité publique.

Mini-centres commerciaux :

-Frank O. Gehry: Edgemar Center, Santa Monica, 198830. Meilleur compromis pour
un petit centre commercial, de 3000 m², pénétré par 2 rues piétonnes, avec une petite cour
et un musée. La force du projet tient à la diversité des formes, assemblages de matériaux
inattendus, comme le simple grillage dont il drape la cage d’ascenseur. Gerhy a doté chaque
élément fonctionnel d’un caractère architectural différent. Ce genre de commande fut
méprisé par la plupart des architectes postmodernes.

Les marchés culturels et les musées.

Une autre manifestation de l’évolution de l’espace public aménagé a été traduite par
l’ouverture du centre commercial à des lieux ou institutions porteurs de culture : en effet, les
bibliothèques, les salles de concert, les théâtres et Musées sont associés à des centres
commerciaux. Ce phénomène amène à poser 2 questions principales :
1e - Le Musée est une institution d’origine européenne, or l’expansion des années 1980
est planétaire, Pourquoi ?
2e - À l’ère de la démocratisation générale, pourquoi ce renouveau d’intérêt pour une
institution à l’origine aristocratique certaine ?
Au cours de la décennie 1980/90, il y a très nette augmentation de la commande
publique et privée de construction de Musées, qui s’explique par le développement des biens

29
César Pelli et Victor Gruen : Pacific Design Center, Los Angeles, 1974
30
Frank O. Gehry: Edgemar Center, Santa Monica,1988

18
de consommation autour de la culture. Il y a aussi regard postmoderne sur les patrimoines,
par recentrages identitaires nationaux et régionaux. De plus, la spéculation financière des
années Reagan/Thatcher se prolongea par une spéculation sur le marché de l’art, qu’il soit
classique, moderne, contemporain, c’est une valeur en hausse des années 1980.
Dans de nombreux pays, en RFA, en Angleterre, aux USA, en France, la construction ou
l’extension de Musées se développa dans ces années 1980/90. Ce qui avait été la
distraction exclusive de l’aristocratie se généralise aux larges masses et y associent la vente
des marchandises et des biens culturels, catalogues, copies reproductions sur différents
supports, dérivés multiples, éditions de livres et de revues spécialisés, CD Roms, vidéo, etc.
L’art devient marchandise.

Musée Mausolée :

- Robert Venturi : National Gallery, Londres, 199131.


Cette nouvelle Aile Sainsbury illustre le type Musée Mausolée. Le projet initial d’Ahrends
& Burton qui associait Musée et immeuble commercial déclencha une vive polémique. Les
Sainsbury sont des négociants qui sont donateurs privés des fonds, le gouvernement
Thatcher refusant de financer l’art. Ce musée est exemplaire du pastiche néo classique :
pilastres, colonnes et chapiteaux, balustres, etc. La fausse complémentarité entre
architecture renaissante et éclectisme postmoderne aux revêtements et citations
néoclassiques, est révélatrice de l’ambiguïté et du manque de sens de l’historicisme tel qu’il
est pratiqué par Venturi.
Le contre exemple du Musée Mausolée est constitué par le Las Vegas Library &
Discovery Muséum, Nevada, 1990. Antoine Predock jugeant inutile à Las Vegas tout
historicisme, s’émancipe ici du penchant postmoderne à la célébration par le Mausolée.
-Antoine Predock : Las Vegas Library & Discovery Museum, Nevada, 199032

Musée de l’interactivité :

Il traduit la découverte du savoir par les mises en abîmes, par les oppositions des
pleins et des vides, par les formes suggestives, jouant sur l’opposition des surfaces
réfléchissantes. D’une manière générale, il joue avec les éclairages et les flux de ventilation
naturels d’une manière savante.
-Antoine Predock (1936) : Science Center, Phoenix, Arizona, 1997. Ce musée
interactif illustre cette évolution du Musée permettant la vulgarisation de savoirs

31
Robert Venturi : National Gallery, Londres, 1991
32
Antoine Predock: Las Vegas Library & Discovery Muséum, Nevada, 1990

19
scientifiques. En France, à Paris, la Cité des Sciences de la Villette et le Futuroscope de
Poitiers en sont les pendants.

Musée entrepôt:

L’ambiguïté entre l’entrepôt comme Musée ou le Musée comme entrepôt a été


exprimée par le Centre Georges Pompidou, conçu et construit par Renzo Piano (1937) et
Richard Rogers (1933), en 1972/77. Anti-monument indifférent à son environnement, motivé
par son imagerie technologique héritée d’Archigram. Dans la tradition des halles industrielles
des expositions universelles du XIXème siècle, c’est une mégastructure métallique supportant
des espaces modulables à l’infini, pouvant accueillir tout type de manifestation culturelle : un
musée permanent d’art moderne, des galeries temporaires d’art contemporain, des cinémas,
des bibliothèques et centres de données, un centre de création industrielle, un centre de
création de musique contemporaine, etc. Mais aussi, notion d’entrepôt en tant qu’objet de
haute technologie : sol continu mais modifiable, avec des espaces modifiables en volumes,
déplaçables dans la mégastructure. Flexibilité spatiale et perfectionnement technologique
ont fait de Beaubourg le prototype du Musée Entrepôt.
- Richard Rogers et Renzo Piano : Centre Georges Pompidou, Paris, 1972/7733

Musée centre commercial culturel :

De nouvelles conceptions du marché de l’art amènent à une plus grande confusion


dans le concept de Musée qui évolue vers un centre commercial spécifique avec
commercialisation de biens cultuels dérivés, associant à l’art exposé, la vente d’une vaste
gamme d’objets. Le musée devient une entreprise marchande. Le centre commercial
contamine l’université, le Musée par ses fonctions, ses finalités, son organisation spatiale.
-La National Galery of Art de Washington, construite par Ieoh Ming Pei en 1978 est
l’exemple type de cette évolution. Il s’agit d’une extension d’un bâtiment préexistant avec
intégration urbaine, la partie ancienne ayant été construite dans un style néoclassique par
John Russel Pope en 1941. Pour compenser la monotonie néoclassique des façades du
Musée initial, Pei proposa pour l’extension de déployer une masse sculpturale complexe
composée de volumes minimalistes recouverts de marbre blanc, des murs rideaux de verre
teinté,
-Pei renouvela l’exploit par la transformation du Louvre à Paris dans le cadre des
Grands Travaux entrepris par le Président de la République française, François Mitterrand :

33
Richard Rogers et Renzo Piano :Centre Georges Pompidou, Paris, 1972/77

20
ses aménagements pour partie commerciaux, de 60000m² sous la Pyramide du Grand
Louvre semblent pouvoir faire partie du Musée Centre Commercial.
-Ieoh Ming Pei : Grand Louvre, Paris1988/9334: la Pyramide signale les fonctions
souterraines du Louvre : espaces techniques, espaces commerciaux, billetteries,
restaurants, etc. nécessaire au plus grand musée du Monde avec ses 24 km de cimaises et
ses 6 000000 de visiteurs par an.

Musée comme spectacle:

Type de Musée dont l’architecture est destinée à provoquer une expérience


esthétique chez le visiteur, identifié par Kurt Forster. L’exemple cité le plus courant semble
être le Wexner Center de Peter Eisenman, à Colombus, Ohio, 1990. L’architecture
déconstructiviste d’Eisenman soumet à une grille arbitraire chaque espace y compris naturel,
chaque élément de la construction. Démarche auto référentielle d’Eisenman, qui procède par
dispositif de quadrillage pour célébrer en fin de compte, non pas l’art qu’il contiendrait mais
l’avènement d’un nouveau style architectural, la déconstruction, qu’il matérialise.
-Peter Eisenman : Wexner Center, Colombus, Ohio, 199035 Musée Monument
déconstructiviste. Ces Musées sont élitistes dans la mesure où ils s’adressent à un public
cultivé. Toutefois, la démarche déconstructiviste de Peter Eisenman limite cette dimension
élitiste.

Théâtres et Salles de concert

Les théâtres sont les autres lieux publics aménagés qui seront l’objet de
constructions ou d’extensions postmodernes. L’exemple le plus représentatif est :
-Frank O.Gerhy : Disney Concert Hall, Los Angeles, 1989/9236 Ce projet rejette toute
référence à quelque classicisme que se soit. La salle de concert est perchée en haut de la
colline Bunker Hill, dans un quartier en friche. Les formes sculpturales caractéristiques de
Gerhy, alliant ziggourat et volumes asymétriques et tronqués, devaient être précisément
modelées en calcaire à l’aide des outils de la CFAO. Gerhy souhaitait faire du Disney Hall, le
« Salon de la ville .» Le programme de CFAO de taille de pierre ne fut jamais au point, le
projet abandonné sera repris dans le Guggenheim de Bilbao, après 1992, mais avec d’autres
dimensions et fonctions.

34
Ieoh Ming Pei : Grand Louvre, Paris1988/93
35
Peter Eisenman : Wexner Center, Colombus, Ohio, 1990
36
Frank O.Gerhy : Disney Concert Hall, Los Angeles, 1989/92

21
Synthèse concernant l’espace public postmoderne :

Le postmodernisme en architecture accompagne l’essor international des nouveaux


Disney Worlds, comme Euro Disney, espaces publics nouveaux. Parallèlement à l’exclusion
sociale et à la ségrégation sociale et ethnique qui gagnent alors du terrain, dans les sociétés
contemporaines, de nouveaux espaces publics protégés de ces marges, se créent à l’image
des complexes commerciaux, qui intègrent de plus en plus de services et d’institutions
culturelles. Complexes commerciaux dont l’organisation et le fonctionnement déteignent sur
des institutions culturelles d’origine aristocratiques comme les Musées et les théâtres.
Les théâtres et les musées qui voient le jour dans ce contexte postmoderne sont
tributaires de ce phénomène. Un certain nombre d’entre eux sont des réussites
commerciales et architecturales. Quoiqu’il en soit, il y a évolution de la notion d’espace
public, d’espace culturel, d’espace commercial, avec l’apparition de formules hybrides, avec
les brouillages des missions et des fonctions, sur fond de néo-libéralisme et de spéculations
dans le marché de l’art. Il y eut en ce temps là, de spectaculaires renchérissements dans les
enchères de salles de vente d’œuvres d’art, comme Sotheby’s et Christy’s, qui traduisaient
le niveau spéculatif atteint, y compris pour l’art contemporain.
Les musées-marchands participent à la mondialisation économique et culturelle.
L’architecture postmoderne semble adhérer et s’adapter à ces phénomènes, tout en ne
créant pas toujours des œuvres qui atteignent leurs ambitions déclarées.

L’espace privé sera ici abordé sous un seul angle : celui de la Maison individuelle.

Maison individuelle postmoderne

Origines et évolution :

Robert Venturi rédige son livre « Complexity & Contradictions in Architecture » en 196637,
année où il construit sa maison en y appliquant sa théorie.
- Robert Venturi : Vanna Venturi House, 1966.38

37
Venturi, Robert, Complexity & Contradictions in Architecture, op. Cit.
38
Robert Venturi : Vanna Venturi House, 1966

22
Les références de Robert Venturi sont d’ordre iconographique et non architectonique. Il
s’inspira de la Porta Pia de Michel-Ange. Les allusions historiques abondent aussi à
l’intérieur.
- Charles Moore : Burn’s House, Santa Monica, 197439exploitation de l’éclectisme,
pastiche du « Rancho mexicain.» Dans une ville californienne, l’éclectisme est une tradition
que le postmodernisme ne fait que systématiser.

Maisons de carton d’Eisenman

Dans les années 70/80, le groupe des « Five » (les « 5 ») mené par Peter Eisenman
maintient comme exigence « qu’une habitation devait exprimer des questions culturelles plus
importantes.» Par leur présence médiatique, ils surent attirer une clientèle nombreuse et
privilégiée. Peter Eisenman est l’exemple charismatique de cette position, en créant des
« maisons de carton », outils pour remettre en question l’environnement physique. Identifiées
par un chiffre, et essentiellement non construites, ces habitations témoignaient de la réalité
de l’architecture en tant que système producteur de signes. La signification était produite par
la génération automatique de formes selon des systèmes logiques. La relation entre la
démarche de Peter Eisenmann et celle des artistes conceptuels contemporains comme Sol
Le Witt est ici évidente.

Prémices déconstructivistes

Il y a divergences de démarches constructives entre Eisenman et Venturi et Moore.


Là où Venturi joue gratuitement avec des symboles, Eisenman manipulait chaque élément
constructif comme générateur de signification. Il y a un parallèle entre sa démarche et celle
de Joseph Kosuth au sein de l’art conceptuel. Les références en linguistique, à Ferdinand de
Saussure et à Noam Chomsky sont au centre de leur questionnement. L’exemple du lit
conjugal coupé en 2 par un vide central symbolisant le vide social contemporain, ceci fut
considéré comme point de départ de son déconstructivisme ultérieur.
-Peter Eisenman: House 4, Washington, Connecticut, 197840.
Dans les années 1970, on ne peut guère encore parler de déconstructivisme réel,
mais seulement de prémices, comme chez Eisenman. Vers la fin des années 1980, ces
éléments se coagulèrent en une théorie, celle du déconstructivisme architectural.

39
Charles Moore : Burn’s House, Santa Monica, 1974
40
Peter Eisenman : House 4, Washington, Connecticut, 1978

23
De plus, certaines réalisations furent amalgamées aux prémices du
déconstructivisme, en particulier, Frank O. Gerhy et sa maison.
-Franck O. Gerhy, Gerhy’s House, Santa Monica, 197841. L’utilisation par Gerhy de
matériaux pauvres comme la taule ondulée, le grillage, les assemblages de tuyaux
métalliques provient de sa fascination pour la scène de l’art contemporain californien, et
notamment celle des assemblages de Roger Kienholz et Robert Rauschenberg. Gerhy
refusa l’amalgame avec le déconstructivisme en se situant comme artiste apolitique, au-
dessus de tout engagement partisan.

Néo-modernisme :

Dans les années 1970/80, un certain nombre de commanditaires privés refusa le


postmodernisme et des variations du modernisme tardif furent alors construites aux USA et
en Europe.
-Richard Meyer : Douglas House, 1973, Harbour Spring, USA, inspirée par les villas
blanches et modernistes de Le Corbusier, comme la Villa Savoy, à Passy, en 1929.

Tradition vernaculaire et modernité

Mark Mack représente l’exemple de l’architecte associant modernisme européen et


tradition vernaculaire.
- Mark Mack: Witney House, Santa Monica, 1989.42
Il associe les traditions californiennes, les patios et les galeries couvertes aux
matériaux diversifiés, traditionnels et contemporains.
- Antoine Predock: Winandy House, Scottscale, Arizona, 199143
Predock a étudié pendant 20 ans le climat et les matériaux californiens. Conception
de la vie protégée au milieu du désert et prise en compte des données bioclimatiques.
Matériaux traditionnels et contemporains, patios, atriums, bassins, etc. inspirés par les
architectures vernaculaires des Indiens Pueblos et de la 1e architecture coloniale espagnole
en Californie.

41
Franck O. Gerhy, Gerhy’s House, Santa Monica, 1978
42
Mark Mack :Witney House, Santa Monica, 1989
43
Antoine Predock :Winandy House, Scottscale, Arizona, 1991

24
3-La reconfiguration urbaine.

Reconfiguration urbaine ici abordée selon 2 aspects :


1e Les friches industrielles
2e Le monde du travail

1-Friches industrielles

Contexte des friches industrielles

La question est de savoir si les architectes qui se disputent maintenant pour des
projets industriels que leurs aînés repoussèrent longtemps comme indignes de leur génie
constructif, sont capables d’assumer les modifications de la société contemporaine ?
Notamment celles qui concernent l’évolution du lieu de travail et la configuration des villes.
Ainsi, le mini-centre commercial fut méprisé par la plus part des architectes
postmodernes, alors les entreprises de BTP s’en emparèrent au détriment des usagers et
des commandes des architectes. La question sera de savoir si les architectes sauront
s’adapter à la société postindustrielle, s’adapter à la révolution en cours dans les domaines
des nouvelles technologies informatiques de communication ? Quelle maîtrise de l’évolution
du travail et des villes reconfigurées par cette révolution ?
Dans cette décennie 1980/90, les architectes ont répondu aux commandes publiques et
privées pour reconvertir des surfaces énormes de bâti industriel obsolète, dans les vieilles
régions industrielles et portuaires du monde occidental. De mégaprojets des années 1980
équivalent par leur dimension à celui du Baron Haussman à Paris, mi XIXème siècle.

Les Docklands de Londres

Les bouleversements économiques et sociaux transformèrent certaines parties de


Londres dont le port en d’immenses friches industrielles. Situé au cœur des Docklands, des
quais, Canari Wharf fut conçu pour constituer le centre mondial, économique et financier,
place névralgique, intégrée et reliée en temps réel électroniquement aux autres centres
financiers de la planète, New York, Tokyo, Frankfort etc.. Le site des quais de la Tamise
s’étire sur une longueur de 13 km, sur l’autre rive, entre le Tower Bridge et la City et vu
l’étendue en profondeur des terrains associés, sur plusieurs km de profondeur. L’histoire du
réaménagement se scinde en 2 parties : 1e avant / 2e après la fondation de la London

25
Dockland Developpement Corporation en 1981. Cela concerne à la fois l’habitat et
l’immobilier commercial. Ce projet est représentatif de la Postmodernité américaine compte
tenu de la domination incontestable des architectes postmodernes américains au sein des
réalisations les plus remarquables des Dockslands.

SOM : Canary Wharf, Londres Nicolas Grimshaw: Financial Times, Londres

Contexte

Les Docklands étaient un fief socialiste. Les dockers et les ouvriers de la zone
portuaire n’étaient pas intégrés à la ville. Les derniers docks fermèrent en 1980, avec 55000
chômeurs. Friche industrielle que le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher
reconvertit en projet de méga-centre international financier et de services. Pour ce faire, il y
eut la fondation de la London Dockland Developpement Corporation en 1981, qui lança le
projet de reconversion avec l’aide de l’état. Il s’agissait d’attirer l’investissement privé par
l’utilisation du financement public et d’autres incitations fiscales. La création de zones
spécialisées dans l’implantation d’entreprises en milieu défavorisé, les Enterprise Zones
furent le principal dispositif de reconversion. Instituées en 1982 et dissoutes en 1987, elles
offraient aux promoteurs un ensemble de privilèges épatants : exonération d’impôt foncier,
exonération fiscale, amortissements défiscalisés, absence de planification et de contrôles
administratifs.
La London Dockland Developpement Corporation reçut en prime une subvention du
gouvernement pour acheter et préparer les lots, pour la création de routes, la viabilisation,
les réseaux d’égouts, etc. L’état s’engageait à désenclaver le quartier par le développement
des transports en commun : bus métro, trains, etc.

26
Dockslands: réalisations architecturales.

1) Nicolas Grimshaw: Financial Times Building, Dock Road, London, 198844. L’enveloppe
en rideau de verre continu, permet de suivre toutes les étapes de la fabrication du journal, de
voir les rotatives en action à l’intérieur ; le fronton de l’entrée assimile les cylindres de la
rotative d’imprimerie à des colonnes.
2) John Outram: Storm Water Pumping Station, Ilse of Dogs, London, 198845. Fronton et
Occulus historicisants.
3) SOM: Projet Canary Wharf, London, 1988/9146. SOM est un méga cabinet
d’architectes US (plusieurs milliers d’architectes, de designers, de collaborateurs associés)
qui supervisa ce projet Canary Wharf. Le domaine à construire est limité vu l’énormité de la
nouvelle City. 3 tours devaient initialement être construites, une seule fut bâtie. Les
bâtiments historicistes renvoient aux gratte-ciels art-déco, à gradins, des années 1920/30
aux USA. Les petites agences européennes comme celle d’Aldo Rossi n’eurent que peu de
part à ce projet confisqué par SOM et d’autres agences américaines internationales comme
Ieoh Ming Pei, Cobb Freed, Cesar Pelli et Bernard Kohn. Les protestations anglaises contre
l’absence de tout architecte britannique eurent un écho : Norman Foster et James Stirling
eurent quelques commandes dans Canary Wharf.
Cela dit, la démarche de SOM et de son financier Olympia & Yorks, était de récupérer
les projets au niveau de la réalisation, déchargeant les autres architectes de tout contrôle sur
les travaux.
-William Rogers: Centrale Lloyd’s Bank, London, 1979-86; monument phare High-
tech47.

Dock lands : projet phare de la mondialisation

La réalisation du méga projet des Docklands fut permise par le drainage des capitaux
privés intéressés par les avantages fiscaux, mais aussi et surtout par l’argent public. Les
retombées sociales du projet sur les populations d’origine furent infimes en termes de
création d’emploi ; de plus l’expulsion de la plus grande partie des habitants et des
entreprises liées au port, était une des conditions de réussite du projet de la London
Dockland Developpement Corporation. Il y a eu extension de la ségrégation sociale par ce
projet.

44
Nicolas Grimshaw: Financial Times Building, Dock Road, London, 1988
45
John Outram: Storm Water Pumping Station, Ilse of Dogs, London, 1988
46
SOM: Projet Canary Wharf, London, 1988/91
47
William Rogers : Centrale Lloyd’s Bank, London, 1979-86 ; monument phare High-tech

27
La répartition des revenus changea, la population changea, le projet ne réalise
aucune des ambitieuses promesses sociales qui l’avaient au départ justifié. Le décalage
continua par rapport aux infrastructures promises par le gouvernement Thatcher, mais qui
furent l’objet d’incessants contentieux.

Epilogue : faillite des Docklands

La London Dockland Developpement Corporation fut dissoute en 1991, peu avant la


mise en faillite des promoteurs du projet Dockland, à la suite des cracks financiers liés à la
guerre du Golfe et à l’éclatement conjugué de la « Bulle spéculative.» Le marché immobilier
s’effondra, Olympia & York dut vendre à la chandelle une grande partie de son empire
immobilier. En 1992, l’endettement total s’élevait à 20 milliards de dollars.

2-Monde du travail

Contexte

La reconfiguration urbaine nécessaire de nombreuses villes industrielles en Europe et


aux USA, indique la profonde modification du monde du travail dans la décennie 1980/90,
caractérisée par :
Entrée dans le monde post industriel, autoroutes de l’information et de la
communication, mondialisation de l’économie, délocalisation de secteurs entiers de
l’industrie et des services. Précarité, flexibilité, exclusion sociale, etc. Ce sont les nouvelles
données de la période.
La défense de l’environnement de plus en plus présente contraint les industries et les
pouvoirs publics à s’adapter, à dépolluer, à réhabiliter les anciens sites industriels. La
recherche d’une meilleure qualité de vie et le développement du télétravail incitent aussi les
sociétés et les travailleurs indépendants à s’établir à la campagne, loin des grands centres
urbains, rapidement joignables par les télécoms ou par voyage en TER ou TGV.
Un double flux s’effectue alors, entre délocalisation des entreprises et des services
vers les campagnes ; flux contraire provoqué par les pouvoirs publics ou communaux qui
veulent attirer les capitaux et les sociétés par la défiscalisation, pour revitaliser leur
économie locale. Le développement suburbain et la désertion des centres-villes sont

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caractéristiques de la fin du XXème siècle. Aussi, la projection dans le futur de la ville est-il
difficile à l’orée des années 1990.

Parcs d’activités suburbains :

Il se constitue alors des parcs de bureaux inutilisés en ville, accentuant la crise de


l’immobilier urbain, amenant les pouvoirs publics à financer leur reconversion partielle en
appartements. Par ailleurs, il y a implantation-création de nombreux parcs de bureaux
suburbains, qui prennent exemple sur les parcs industriels : locaux confortables et spacieux,
aptes à faciliter la circulation par les aménagements fonctionnels (rampes d’accès, parkings,
ascenseurs, etc.), ensembles somptueusement paysagés. Ils représentent autant
d’investissements peu onéreux et rentables.
. Cette tendance débute dans les années 1970, à Houston, au Texas. L’aménagement
de la zone de Post Oak en 1970, commença par la construction par :
-Helmuth, Obata & Kassabaum & Neuhaus & Taylor: Gerald Hines’s Galleria,
Houston, Texas, 197048.
Ce bâtiment de 18 hectares abritant 370000 m² d’activités commerciales et
polyvalentes, devait devenir selon son promoteur, Hines, le nouveau centre d’Houston. Son
noyau était le centre commercial ; patinoire, hôtels, tours de bureaux, etc. furent construits
durant des années, par ajout successifs, par des architectes comme : Philip Johnson et
Cesar Pelli. Ce type de parc suburbain entoure maintenant les métropoles et les grandes
agglomérations dans le monde entier. Les Docklands en sont une autre illustration.
L’architecture de ces parcs suburbains d’activités commerciales laisse à désirer pour
ce qui est de la qualité architecturale. Soumis à des contraintes économiques très sévères,
la plupart de ces parcs répondent à un fonctionnalisme austère fait de structures modulaires
revêtues sans grande imagination. La diversité des matériaux (béton précontraint, acier
inoxydable, aluminium anodisé, panneaux de particules, verre teinté, apparaît inversement
proportionnelle à l’audace et l’invention.

Quelques exceptions par comparaison

- Arata Isozaki & cie: Team Disney Building, Orlando, Floride, 1991.49 Type classique
d’entrepôt, avec grille régulière de bureaux modulaires mais hiérarchisés, .Impression
d’ordre et de contrôle écrasante, à l’image métaphorique du gigantesque cadran solaire qui
l’orne et le domine. Taylorisation de l’espace de travail comme lieu de contrôle des

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Helmuth, Obata & Kassabaum & Neuhaus & Taylor: Galleria, Houston, Texas, 1970
49
Arata Isozaki & cie: Team Disney Building, Orlando, Floride, 1991

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performances chez Disney, personnalisation de l’espace comme lieu de travail humain chez
Beheer.

Modernisation des quartiers d’affaires en centre-ville :

Parallèlement au mouvement suburbain, les centres villes désertés par les


entreprises et les classes moyennes, furent souvent rénovés et réhabilités de leur habitat
insalubre, pendant la décennie précédente, 60/70. Il eut réaménagement de l’habitat existant
en parc d’habitats résidentiels intra-muros, création de centres commerciaux centraux,
d’infrastructures sociales, crèches, services, etc.
Ce phénomène semble se généraliser aux USA depuis les années 1980, notamment
à San Francisco et à Seattle, où les centres villes ont été réhabilités, notamment à cause du
développement de la Silicone Valley avec l’implantation de l’E. Économie des grandes
multinationales américaines comme Apple ; Microsoft, etc. provoquant une explosion de la
demande immobilière « Bobo », celle des bourgeois bohèmes, qui amènent une
« Gentrification » de ces centres villes de la cote Ouest. Ceci est représentatif de cet effort
pour revitaliser le centre-ville.

Solutions adoptées :

Le petit nombre de projets de parcs de bureaux urbains, ayant articulé avec succès,
la réussite architecturale et la création d’un lieu de travail humain, individualisé et non
taylorisé, s’explique par le degré de maîtrise des difficultés complexes que cela demande. La
plus part des architectes ont résolu le problème par le recours au gratte-ciel ou à la tour de
bureaux à murs-rideaux de verre. Des variations postmodernes ajoutent des motifs
historicisants architecturaux sur dimensionnés.
- Sir Norman Foster &Cie : Century Tower, Tokyo, Japon, 199150.
Cet édifice illustre la méthode de Foster : 2 tours aux ossatures porteuses
entretoisées et excentrées, des services intégrés dans les parties opaques, les éléments
technologiques intégrés dans les vides résiduels. Code polychrome pour indiques les
fonctions et le système structurel. Indifférence à l’environnement culturel du site.
-Richard Rogers: Lloyd’s Building, London, 1978/8651.
Le style “High-tech” combine à des plans simples et à des matériaux préfabriqués, le
souci de révéler l’ossature porteuse. Ici la salle du Conseil d’Administration est située au
sommet et au centre, autour d’elle et sous elle, se développe les autres espaces d’archives,

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Sir Norman Foster &Cie : Century Tower, Tokyo, Japon, 1991
51
Richard Rogers: Lloyd’s Building, London, 1978/86

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de gestion, comme autant de tiroirs sur la structure autoporteuse d’étagères. Les 6 tours de
service de l’ensemble, sont projetées à la périphérie. Il y a accentuation du perfectionnement
technologique, outil de sa propre mise en scène. Contradiction du « High Tech » qui
considère la technique comme scénographie théâtrale, et non pas comme type de savoir
architectural étroitement lié à un grand projet de bâtisseur.

Synthèse de l’analyse des postmodernités

Analyse faite à travers 2 axes : 1e -L’espace public. 2e -La restructuration urbaine.

Espace public :

De nouveaux espaces publics de consommation et de loisir apparaissent avec le


postmodernisme : il y a une affinité profonde entre lui et l’expansion des parcs à thème,
d’attractions et de loisirs, conçus et gérés par des multinationales comme la Disney World
Company. Dans les années 1950/70, cette compagnie construit d’abord des parcs à thème
aux USA : Disneyland à Anaheim, en Californie, en 1956 ; puis en Floride en 1971 avec
Orlando ; puis s’internationalise : Tokyo Disney en 1984, Euro Disney, en France en 1992.
Dès Orlando, les principaux architectes post modernistes, en majorité américains, furent
chargés d’édifier les complexes architecturaux de ces parcs à thème, ex : Michael Graves :
Hôtel Dolphin Walt Disney World, Lake Buena Vista, Floride, 1987. Hôtel Swan, Walt Disney
World, Lake Buena Vista, Floride, 1987.
Les Centres commerciaux : autre nouvel espace public. La conception Disney
imprégna la conception des espaces publics aménagés. Ainsi Charles Moore emboîte le pas
à la compagnie Disney, quand il réalise la Piazza d’Italia, à New Orleans 1979, dans un
centre commercial. Par la suite se développent des méga centres commerciaux régionaux
où tout est fait pour maximaliser le commerce ; ils sont à la fois centres commerciaux et ville,
parc à thème. Ces Centres commerciaux régionaux sont une réponse commerciale aux
problèmes du chaos des centres-villes, le plus célèbre est au début de cette vague, celui
d’Edmonton Mall, en 1986, au Canada. Là aussi, les architectes postmodernes vont
prospérer au plus près des vannes néolibérales, ex : César Pelli et Victor Gruen : Pacific
Design Center, Los Angeles, 1974.
Les Marchés culturels : le Musée est une institution d’origine européenne, or
l’expansion des années 80 est planétaire, Pourquoi ? Parce qu’il évolue et devient aussi
espace de consommation de masses. Il y a aussi le regard postmoderne sur les patrimoines,
par recentrages identitaires nationaux et régionaux. De plus, la spéculation financière des
années Reagan/Thatcher se prolongea par une spéculation sur le marché de l’art, qu’il soit

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classique, moderne, contemporain, c’est une valeur en hausse des années 80. Ces
nouveaux musés vont consacrer les architectes postmodernes : De Robert Venturi : National
Gallery, Londres, 1991 à Ieoh Ming Pei : Grand Louvre, Paris, 1989. Les musées-marchands
participent à la mondialisation économique et culturelle. L’architecture postmoderne semble
adhérer et s’adapter à ces phénomènes, tout en ne créant pas toujours des œuvres qui
atteignent leurs ambitions déclarées.

2-La reconfiguration urbaine :

Friches industrielles - Les Dockslands de Londres : méga projet gouvernemental pour


devenir le nouveau centre économique et financier, la nouvelle City, avec drainage des
capitaux privés intéressés par les avantages fiscaux, mais aussi et surtout par l’argent
public. Réalisations postmodernes de John Outram: Storm Water Pumping Station, Ilse of
Dogs, London, 1988. SOM: Projet Canary Wharf, London, 1988/91.
Modifications du monde du travail dans la décennie 80/90 : Le développement
suburbain et la désertion des centres-villes sont caractéristiques de la fin du XXème siècle:
Précarité, flexibilité, exclusion sociale, délocalisation sont les nouvelles données de la
période. L’architecture de ces parcs suburbains d’activités commerciales laisse à désirer
pour ce qui est de la qualité architecturale, par ex : Arata Isozaki & cie: Team Disney
Building, Orlando, Floride, 1991.
Modernisation des centre villes et quartiers d’affaires : les centres villes désertés par
les entreprises et les classes moyennes, furent souvent rénovés et réhabilités, en parc
d’habitat résidentiels intra-muros, avec création de centres commerciaux centraux,
d’infrastructures sociales, crèches, services, etc. Le projet des Halles de Paris de Claude
Vasconi et Georges Pencreach, 1979, est représentatif de cet effort pour revitaliser le centre-
ville. La plupart des architectes ont résolu le problème de la spéculation immobilière par le
recours au gratte-ciel ou à la tour de bureaux à murs-rideaux de verre, comme : Sir Norman
Foster &Cie : Century Tower, Tokyo, Japon, 1991 ou Richard Rogers: Lloyd’s Building,
London, 1978/86

Conclusion :

Les postmodernités s’accommodent très bien du néolibéralisme soutenu par les


gouvernements Reagan et Thatcher, cela est visible dans les mégaprojets comme les
Dockslands de Londres. Elles présentent des affinités particulières avec le développement
des parcs à thème comme Euro Disney. Elles s’investissent dans les Musées marchands,

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comme La National Gallery de Ïeo Ming Peï à Washington, dans les réhabilitations des villes
mais surtout dans les centres d’affaires. Tout ceci est fait sans recherche de théorisation
pour répondre au chaos urbain, mais au nom de la performance technologique High Tech,
mais aussi du pastiche et de la rentabilité. La Postmodernité se proclamait comme
l’antithèse de la Modernité, sans avoir clairement démontré ce par quoi cela se traduisait.
Par sa volonté révisionniste, la Postmodernité voulait faire table rase de la Modernité, après
l’avoir délégitimée de sa vocation progressiste héritée des Lumières. En définitive, la
Postmodernité ne s’est jamais détachée de son recyclage systématique et composite de
citations de styles historiés, ne masquant que très superficiellement sa complicité intéressée
avec l’économie néolibérale.

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