Vous êtes sur la page 1sur 189

P. L.

CERVELLATI
R. SCANNAVINI C. DE ANGELIS

LA NOUVELLE
CULTURE URBAINE
BOLOGNE
FACE A SON PATRIMOINE

T R A D U IT ET AD A PTÉ PA R
E. T EM PIA ET A. PETITA

ÉDITIONS DU SEUIL
27 rue Jacob, Paris VV
C O LLEC TIO N « E SPA C EM EN TS »
DIRIGÉE PAR FRANÇOISE CHOAY

Christopher Alexander
Une expérience d ’urbanisme démocratique

Joseph Rykwert
La Maison d ’Adam au paradis
G érard Bauer et Jean-M ichel Roux
La Rurbanisation
Jean-François Augoyard
Pas à pas
Ildefonso Cerdà
La Théorie générale de l'urbanisation
présentée et adaptée
par A. Lopez de A berasturi

Françoise Choay
La Règle et le M odèle
P. Cervellati
La Nouvelle Culture urbaine.
Bologne face à son patrimoine

A paraître

L. B. Alberti
Traité de l'édification
E. Pognon
Histoire et Iconologie du plan de ville
ISBN 2-02-00-5892-8

La nuova cultura delle città.


© 1977, Arnoldo Mondadori editore S.p.A. Milano.
© 1981, Éditions du Seuil, pour la traduction française.

La loi du U mars 1957 interdit les copies ou reproductions destintes à


une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale
ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement
de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contre­
façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
1

Préface

Voici enfin une expérience qui, guidée p a r une pensée


cohérente, émerge de la grisaille de la pratique urbanistique
contemporaine.
Que cette expérience ait été entreprise dans un pays, l ’Italie,
placé p a r l ’actualité politique, sociale, policière et ju diciaire au
prem ier rang des pays libres « à problèm es », pourrait surpren­
dre.
Le succès de l ’expérience de Bologne m érite q u ’on s ’interroge
sur ses origines et sa signification. Il fa u t d ’abord constater que
le néant dans lequel a som bré l ’É ta t italien a pu fa ciliter la
tâche des Bolonais. Le pouvoir urbanistique était à prendre. Ils
l ’ont pris. E t ils ont su ne p a s se fa ire piéger p a r une
adm inistration qui, lorsqu ’il lui arrivait d ’agir, était incapable
d ’assum er le rôle conservatoire indispensable pou r éviter la
destruction généralisée d ’un patrim oine très riche, certes, m ais
non illim ité.

Le prem ier cri d ’alarm e était venu de droite. Dès 1950, Léo
Longanesi s ’élevait contre une m ise à sac de l ’Italie qui était
encouragée p a r l ’Etat, en dépit de toutes les règles, de toutes les
lois, de toutes les traditions, et recevait l ’approbation tacite de
com m issions de contrôle présidées le plu s souvent par des
ingénieurs à la solde des spéculateurs.
Les surintendants, chargés de protéger de leur m ieux les
monuments et les sites, étaient tournés en dérision. Les
protestations de la presse étaient régulièrement ignorées. Les
m inistères distribuaient les subventions pou r accélérer le

5
r

LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

saccage. Les communes étaient adm inistrées par des maires


« qui avaient honte de ne pas vivre à New York ». Pour comble
de malheur, arrivaient les êpigones de Le Corbusier, « les amis
de la ligne droite, les fonctionnaires du fonctionnel ».
Chez les architectes, deux arm ées de vandales s ’étaient m ises
à l ’œuvre. D ’un côté, les « professeurs », tel Piacentini, qui
naguère avait détruit le borgo du Vatican pour y percer la voie
destinée à com m ém orer le pacte entre l ’Italie fa sciste et la
papauté. De l ’autre, les « rationalistes » (c’est ainsi que les
apôtres du « progrès » s ’étaient vite f a it appeler en Italie). Les
rares praticiens qui avaient encore la capacité et le courage de
s ’opposer à la m égalomanie des uns et à la pseudo-science des
autres demeuraient en marge, hors de l ’arène.
Aussi, les prem ières réactions contre le saccage du pa tri­
moine ne vinrent-elles pas des urbanistes (c’est-à-dire des
architectes et des ingénieurs), m ais du service des Beaux-Arts.
Les spécialistes ont été lents à prendre conscience du f a it que
la ville italienne était un « objet » culturel, et ne pouvait, en
tant que tel, supporter les agressions q u ’ils lui faisaien t subir
La grande m ajorité des architectes et des ingénieurs, y compris
ceux qui se croyaient urbanistes, continuaient (et continuent)
d ’œuvrer contre la ville. M ieux encore, ils ju stifiaien t leurs
actes p a r le droit de la « culture » de notre tem ps qui a
« engendré M ies van der Rohe et M endelssohn, Gropius et
M aillard, Le Corbusier et Oud et ne peu t donc périr » (Zevi). A
p a rtir de tels m aîtres, les jeunes architectes — et les moins
jeunes qui sauraient se livrer au nouveau culte — ne pouvaient
q u ’être des bienfaiteurs de l ’hum anité : il f a lla it donc q u ’ils
puissent travailler sans entraves. D ’ailleurs, il s ’agissait de
créer un paysage urbain « autre et antithétique de celui qui
existe », sous prétexte q u ’il n’y aurait « p a s de param ètres
perm ettant de décider facilem ent de ce qui peu t être f a it ou non
dans les centres h istoriqu es2 ».

1. Pourtant, Cesare Brandi (« Processo a ll’architettura moderna », L’architettura,


cronache e storia, rr 11, septembre 1956, p. 356-360) avait réussi à publier un
avertissement clair et net, où le problème insoluble posé par l'architecture nouvelle
était bien mis en évidence. Peine perdue.
2. B. Zevi, Il linguaggio moderno dell’architettura, Turin, Einaudi, 1973, p. 172.

6
1

PREFACE

D ’aucuns avaient même pris la peine d ’écrire des livres pour


ju stifie r la prim auté de l ’architecture sur la ville. Il fa lla it
apparem m ent travailler comm e Brunelleschi, en créant des
« objets d ’architecture, autonom es et absolus » destinés à
bouleverser l ’ordre de la ville, et à en changer le sens! « L ’une
des leçons les p lu s élevées de l ’humanisme de Brunelleschi », ce
serait sa manière nouvelle de « considérer la ville existante
com m e une structure fragile, transitoire, m o d ifia b le 1 »... Ce
q u ’il fa u t, en fa it, c ’est nier la culture de la ville. L ’espace
urbain ne doit p lu s être que le lieu où l ’architecte dépose ses
machines à habiter (ou à gu érir: l ’hôpital de Venise de Le
Corbusier) : « la fo rm e générale du centre ancien doit résulter
d ’un projet conçu selon l ’idée q u ’on a de la ville contemporaine
et la form e q u ’on veut donner à celle-ci. Par conséquent, le
problèm e de intégration ” du neuf dans l ’ancien n’existe pas
p lu s que le problèm e général de l ’“ esprit des lieux ”. Il n’y a
que le problèm e des ensembles d ’architecture et des secteurs
urbains, form ellem ent achevés ou non » (Aymonino).
Pour se donner bonne conscience, on assure que « l ’analyse
urbaine ne peut fournir à l ’architecte les outils de son
intervention : il est erroné de supposer q u ’il puisse y avoir là un
rapport direct de cause à effet, qui conduirait à fig e r l ’archi­
tecture dans un m oule académ ique4 ».
Il fa lla it s ’attarder sur ces auteurs. Ils représentent l ’idéo­
logie dominante selon laquelle l ’élite qui possède le « savoir »
doit aussi détenir le pouvoir d ’agir à sa guise.

La conception de la ville historique comme f a it culturel n’en


poursuivait p a s moins son chemin.
Une étape m ajeure f u t marquée p a r le plan directeur
d ’Assise, rem arquable par la qualité de l ’analyse du « visage »
de la ville, dont il étudie avec soin l ’histoire et la m orph ologie5.
La critique est fa ite, dans le détail, des édifices nouveaux qui
ont déparé le site depuis des décennies, constituant un contre-

3. M. Tafuri : Teorie e storia dell’architettura, Bari, Laterza, 1968, p. 90.


4. C. Aymonino, Il significato delle città, Bari, Laterza, 1975, p. 176.
5. G. Astengo, Assisi, Piano generale e piani particolareggiati di primo intervento,
Turin, éd. Urbanistica, 1958 (tiré à part ¿ ’Urbanistica, ne 24-25, septembre 1959).

7
1

LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

exemple. En revanche, les espaces à respecter sont recensés afin


d ’en assurer la sauvegarde. Les plans d ’aménagement du
paysage des places principales sont dessinés à la main avec
grand soin.
Les principes de la restauration sont définis avec une
précision et une rigueur que W illiam M orris n ’aurait pas
reniées s, puis ils sont appliqués au quartier le p lu s pauvre de la
ville. Enfin, c ’est la culture urbaine qui déterm ine l ’avenir de la
ville. Les nouveaux quartiers sont projetés dans l ’esprit du
centre historique, au moyen de plans détaillés et en tenant
toujours com pte du site et du paysage.
Entre-tem ps, l ’opinion publique prenait conscience du pro­
blèm e posé p a r la protection des villes anciennes. Umberto
Z an otti Bianco et quelques autres intellectuels fondaient
« Italia N ostra », en 1957. La bataille était engagée {vingt-
cinq ans p lu s tard, elle n’est pas partou t gagnée). En 1963,
Francesco R osi tournait — à N aples — Main basse sur la
ville.
Le problèm e de Bologne est posé en 1960 p a r un groupe
d ’étudiants de la fa cu lté d ’architecture de Florence. Puis la
m unicipalité sort de sa léthargie. La relève des gestionnaires
honnêtes m ais sans imagination, hérités de la Résistance, se
prépare. Un groupe de travail est créé à la fa cu lté d ’architecture
de Florence à la demande de P. L. Cervellati et Sarti, adjoints
au m aire de Bologne. Il est animé p a r L. Benevolo \
Le plan, tel q u ’il est appliqué depuis, est rendu pu blic le
24 m ai 1969. Il a été préparé pou r l ’essentiel p a r les services
techniques municipaux. Une ville italienne est enfin dotée d ’une
adm inistration digne de ce nom. L ’exem ple des grandes
m unicipalités hollandaises et allem andes a porté ses fru its.

6. Cf. « Anti-Scrape : the Need o f an Association », The Atheneum , re 2576,10 mars


1877, p. 326 et « Restauration » The Builder, rr 2591, 23 ju in 1877, p. 807.
7. L. Benevolo, Le aw enture délia città, Bari, Laterza, 1973, p. 101-108. Benevolo
est par ailleurs l ’un des grands propagandistes du « mouvement moderne ». Qu'il ne
soit pas enfermé dans une attitude sectaire et reste sensible aux problèmes des villes
anciennes montre que les « maîtres » puritains suisses et allemands n ’ont pas réussi à
déculturer complètement les architectes italiens dont la formation de base était
autrefois relativement solide.

8
F

PRÉFACE

Le plan de réhabilitation du centre de Bologne se situe dans


un contexte culturel particulièrem ent favorable, où la ville
ancienne f a it partie des « valeurs éternelles » ayant acquis un
caractère proche du sa c ré s. I l fa u t m êm e se dem ander pourquoi
il n’a p a s été adopté p lu s tôt.
Ce retard a deux explications. La p lu s évidente est d ’ordre
politique. La législation italienne ne fa c ilita it p a s les actions de
réhabilitation dans les villes anciennes. M ais elle ne les
em pêchait pas. Toute m unicipalité pouvait acquérir sur le
marché des parcelles libres ou des maisons à restaurer. Il fa u t
cependant reconnaître que, ne pouvant agir q u ’au coup p a r
coup, elle risquait essentiellem ent d ’encourager la spéculation
imm obilière.
L ’explication culturelle est probablem ent p lu s satisfaisante.
Pendant longtem ps et comme toutes les autres villes italiennes,
Bologne a été bercée dans l ’illusion q u ’il suffisait de « vivre
avec son tem ps », d ’exploiter les acquis du progrès technique,
pou r que les problèm es se trouvent résolus.
C ette conception prévalait encore durant la décennie qui a
précédé l ’adoption du plan pou r la ville historique. C ’est
l ’époque où Bologne f a illit être quadrillée p a r des voies
rapides. Ce réseau démesuré devait préparer l ’éclatem ent de la
ville. L ’université a llait être transférée en m ilieu rural quand
des doutes s ’élevèrent sur la pertinence d ’un tel choix. Quant
aux ouvriers, ils allaient bientôt pouvoir s ’isoler dans leurs
ghettos tout neufs, bâtis conformément à une loi absurde qui
perm ettait de prendre possession des sols nécessaires au
développem ent urbain, m ais non des im m eubles à restaurer.
C ette loi f u t appliquée à Bologne de façon audacieuse,
perm ettant la création d ’un véritable domaine m unicipal : le
m aire cessait ainsi d ’être un « roi sans terre ».
M ais l ’architecture du nouvel habitat dit social paraît encore
conçue pou r être le sym bole de la pauvreté des fu tu rs
locataires. En fa it, elle devait m ontrer que la ville de Bologne
savait, elle aussi, « produire » de l ’habitat selon les m éthodes
les p lu s modernes, c ’est-à-dire avec des panneaux préfabriqués

8. D. Schnapper, L’Italie rouge et noire, Paris, Gallimard, 1971, p. 85-127.

9
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

en béton, les form es des édifices étant fonction des seules


exigences de cette technique ". La même architecture rigoureu­
sement géométrique, m uette, se retrouve dans les projets
d ’éclatem ent du centre demandés d ’abord à Aym onino puis à
Tange, en vue de créer la ville de V « homme moderne » que
souhaitait le conseil m unicipal unanime.
Bologne revient donc de loin. La priorité absolue enfin donnée
à la réhabilitation de la vieille ville et des autres quartiers
anciens a d ’abord exigé une remise en cause des options prises
depuis p lu s d ’une décennie.
On voit q u ’à Bologne, le pouvoir a été capable de déceler les
erreurs com m ises et de les corriger à temps. M ais cette lucidité
n ’est im putable ni à un systèm e adm in istratif ni à quelque
recours à la « science ». En fa it, c ’est à la seule et sim ple
reconnaissance d ’une « culture de la ville » que l ’on doit la
découverte des voies qui devraient mener à une vie urbaine
« m eilleure ».

Cette évolution était inscrite dans les faits. Depuis près de


vingt ans, les responsables de la ville de Bologne sont presque
exclusivem ent issus de l ’université. Le pouvoir et le savoir
coïncident. De plus, à Bologne, le « savoir » a su tenir com pte de
la réalité, autrem ent d it de la culture qui a m odelé le paysage
urbain et perm et de le décrypter. C ’est précisém ent la connais­
sance de cette culture qui a perm is d ’entreprendre la réhabi­
litation de la ville ancienne, et d ’en assurer la survie, au profit
des citoyens actuels et des générations futures.
Le travail accom pli à Bologne ne s ’im pose donc p a s seule­
m ent au plan politique, m ais d ’abord au plan de la culture et de
la réflexion : il marque une étape décisive de la recherche
urbanistique contemporaine, au m êm e titre que l ’étude, p lu s
récente, du quartier des H alles p a r A. Chastel et F. Boudon 10.
Les deux recherches sont d ’ailleurs très proches p a r leurs
m éthodes et leurs objectifs. M ais l ’étude des H alles n ’a p a s

9. G. Campos Venuti, A m m inistrare l’urbanistica, Turin, Einaudi, 1967, légende


des illustrations entre les pages 64 et 65.
10. F. Boudon, A. Chastel, H. Couzy, F. Hamon, Système de l’architecture urbaine.
Le quartier des Halles à Paris, Paris, CNRS, 1977.
PREFACE

guidé la composition du quartier reconstruit — ou des parties


qui pouvaient être reconstituées (pour reprendre le m ot clé des
Bolonais).
Il était indispensable de rompre avec le m épris sans lim ite
affiché à l ’égard des lieux : au nom de V « esprit du tem ps ».
C ’est-à-dire à l ’égard de l ’histoire, de toute la sédim entation
culturelle qui a m étam orphosé chaque site — jusques et y
com pris le p lu s banal — en un lieu à nul autre pareil. Les
chercheurs ont été guidés pa r la nécessité de protéger les villes
italiennes et la volonté de m ieux orienter l ’application de la loi
du 4 août 1962 sur les secteurs sauvegardés, loi bien trop
restrictive. Confrontés à des problèm es concrets, ils se sont
donné des moyens d ’analyse égalem ent concrets. D ’abord et
surtout, le plan parcellaire que M arc Bloch a signalé aux
historiens il y a un demi-siècle, sans être entendu.
Ce plan devait perm ettre de définir l ’ossature, le squelette de
la ville, puis de m ettre en évidence ses « organes », ses édifices
publics, et surtout, à Bologne, les monuments religieux (en
particulier les couvents), qui ont jo u é un rôle m ajeur dans la
form ation de la ville. Cette inform ation n ’était pas sans intérêt
pou r les praticiens de l ’aménagement qui devaient assurer
l ’avenir des vieux quartiers, imaginer de nouvelles vocations
pou r les monuments, et leur attribuer de nouvelles fonctions.
Epicentres des faubourgs q u ’ils ont contribué à engendrer, les
uns après les autres, les couvents devaient retrouver ce rôle dans
le program m e de développem ent des institutions politiques et
des services sociaux des quartiers anciens.
Une lecture en profondeur des plans et surtout l ’exploration
globale des fich iers où les religieux décrivaient chacune de
leurs propriétés bâties ont perm is aux Bolonais d ’établir une
typologie rigoureuse et sans fa ille s du patrim oine qu’ils
voulaient restaurer, et dont ils devaient parfois réinventer la
morphologie, afin de com bler les plaies béantes laissées par la
guerre et plu s encore p a r des décennies d ’indifférence suspecte.
Cette recherche s ’est bien évidemm ent étendue à l ’architecture
pour explorer, d ’une manière encore une fo is exem plaire, la
contribution essentielle q u ’elle apportait au paysage urbain par
le truchement des grands monuments religieux, des hôtels

11
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

particuliers de la noblesse comme des m odestes maisons des


artisans et des ouvriers.
La politiqu e de réhabilitation repose donc sur des bases
solides. E lle veut que chaque maison, chaque palais, chaque
couvent, chaque église retrouve ses form es, son décor, sa
splendeur d ’origine, et surtout une nouvelle fonction au service
des citoyens d ’au jourd’hui. Les maisons seront adaptées aux
nouvelles exigences des citadins en m atière de confort. C ’est là
le volet concret d ’une politiqu e fondée sur le droit à un habitat
décent, quels que soient les m oyens des citadins.
La reconnaissance effective du droit à l ’habitat et du droit à
la ville donne enfin aux citoyens deux libertés nouvelles.
D ’abord, celle de choisir la qualité de leur espace « personnel ».
Les moins riches n’avaient eu droit ju s q u ’ici qu ’à un habitat
« social », conçu selon les règles de l ’architecture de la
pauvreté. Comme ceux des habitants du tiers monde qui,
au jou rd’hui, construisent eux-m êm es leur logement, en accord
avec leur tradition culturelle, les Bolonais auront désorm ais
droit à la richesse et à la variété de l ’architecture des vieux
quartiers, à une architecture capable de satisfaire leurs
aspirations comm e elle a satisfait celles de leurs ancêtres.
Ensuite — et c ’est tout aussi im portant — la politique
urbaine de Bologne confère à tous les citoyens — y compris
ceux qui relèvent de l ’habitat « social » — la liberté de choisir
leur lieu de résidence.
Dans l ’ouvrage italien, la dém onstration des auteurs est
étayée p a r une abondante iconographie en couleur que les
im pératifs économiques ont contraint les éditeurs fran çais à
réduire considérablement. Il en est résulté dans le texte de
nécessaires et im portantes coupures dont nous avons néanmoins
f a it en sorte q u e lle s n ’altèrent p a s le sens du message
bolonais.

E m ilio Tempia
Introduction

Nous sommes aujourd’hui parfaitem ent informés sur la ville


contemporaine. Nous connaissons les mécanismes politiques et
économiques qui l’ont produite, les techniques qui en détermi­
nent les formes et les structures. De même, nous sommes avertis
de ses carences et des conditionnements que, chaque jour, elle
nous fait subir.
Les processus d’urbanisation sont en cours depuis un siècle
dans les pays d’économie libérale capitaliste, et depuis longtemps
aussi dans les pays socialistes. De part et d’autre, on est à la
recherche de nouveaux modèles, de nouvelles théories d’aména­
gement, de nouvelles valeurs tendant à freiner la dégradation de
la condition urbaine. Comme tout le monde peut le constater,
cette quête échoue presque toujours dans la mesure où, en dépit
de formulations souvent révolutionnaires, elle tend à ne pas
mettre en question le développement des métropoles. Quel qu’en
soit le coût, il est admis que la grande ville doit croître. Peu
importent la congestion et le désordre, la haine et la violence
qu’entraîne ce développement. Peu importe de savoir ou de
constater qu’il est dommageable. L’important est de croître, de
se développer, de s’étendre, coûte que coûte. Les techniciens, les
hommes politiques, les économistes sont tenus d’assurer cette
croissance, ou alors, ce serait, pense-t-on, la fin de la ville, la
mort de la civilisation, la crise irréversible de tout système
politique et économique.
Ceux qui espèrent trouver dans ce livre un ultime modèle
d’aménagement, la dernière théorie à la mode, seront déçus. La
crise urbaine est trop grave pour qu’on puisse penser la résoudre
13
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

grâce à un projet ou à une personne unique. Un groupe à plu­


sieurs voix peut seul tenter d’affronter le drame de la ville qui est,
par définition, le produit d ’une collectivité et donc d’un travail
collectif — que ne peuvent remplacer des projets individuels,
quelles que soient leur rationalité et leur pertinence.
Ce livre relate une expérience particulière, née au sein des
conseils de quartier, dans une ville qui croit à la participation des
citoyens — une participation non mystifiée. Cette ville ne
propose pas son cas comme un modèle plus ou moins transpo-
sable ailleurs. Au contraire, elle se veut le champ d’une
expérience de planification urbaine qui, comme tout processus en
devenir, devra constamment tenir compte des exigences m até­
rielles et spirituelles de la vie quotidienne. Cette expérience s’est
heurtée et se heurte encore à des contradictions, elle affronte des
échecs. Mais elle est justifiée dans la mesure où elle cherche à
laisser s’exprimer les opinions et les désirs des usagers de la ville.
Sa lutte pour une ville digne de ce nom se livre, comme tout
combat, entre deux partis opposés. D’un côté les défenseurs du
cycle économique, qui veulent assurer la continuité du dévelop­
pement quantitatif. De l’autre, ceux qui voient dans une
politique de conservation le moyen de retrouver la qualité de la
ville : ces derniers voient dans le centre historique de la ville
existante le lieu le plus « moderne » qu’il s’agit de protéger
physiquement et socialement si l’on veut éviter qu’il s’urbanise
selon la « logique » du développement économique et l’intérêt des
promoteurs.
C ’est pourquoi nous commençons ce livre en essayant de
définir le concept de centre historique, puis d’analyser le
traitem ent que les différents pays lui ont fait subir afin de le
conserver — ou de le détruire.
La première partie s’achève sur l’étude historique et morpho­
logique de la ville de Bologne, depuis ses origines jusqu’à la phase
précédant l’ère industrielle, immédiatement avant les premières
métamorphoses induites par la création de l’unité italienne.
Cette histoire urbaine, comparable à celle de la plupart des
villes européennes, présente néanmoins des aspects particuliers.
On a souligné le rôle historique des « ligues » coopératives et
étudié l’origine du mouvement de coopération, les modalités
14
INTRODUCTION

selon lesquelles il s’est organisé en Ëmilie. Ce mouvement est en


effet l’embryon des actuels conseils de quartier, ces instances
démocratiques auxquelles est confiée la gestion de la ville.
La seconde partie expose le travail de planification du centre
historique de Bologne accompli par une municipalité consciente
du rôle décisif que ce centre joue et n’a cessé de jouer dans
l’organisation de la ville. Si cette partie du livre ne traite que de
la ville de Bologne, la situation où celle-ci se trouve est
néanmoins, en dépit de ses particularités, celle de toutes les villes
européennes nées au Moyen Age, aujourd’hui dégradées par les
développements plus récents et qui conservent cependant leurs
fonctions de centres. Bologne appartient donc, comme toutes ces
villes, au patrimoine historique, architectural et urbanistique de
la civilisation européenne. Elle n’est pas seulement analysée ici
du point de vue de ses traits physiques et de son histoire propre,
mais en fonction des options prises pour sauvegarder un
caractère et donc une identité qui est partie intégrante de celle de
la culture européenne.
L’analyse ne se limite pas au périmètre de la ville ancienne : la
troisième partie du livre aborde les solutions étudiées pour
réorganiser la banlieue selon une méthode strictement liée à celle
qui a été adoptée pour le noyau historique. En fait, ce sont les
opérations programmées, expérimentées et réalisées dans le
centre qui ont permis de modifier les procédures urbanistiques
traditionnelles à Bologne. Le privilège accordé à un secteur
urbain particulier se justifie d’abord pour démontrer les possi­
bilités de conserver et de réanimer le patrimoine architectural et
urbanistique d’une ville ancienne. Il se justifie d’autant mieux
que les solutions adoptées peuvent être et sont appliquées à
l’ensemble de l’espace urbain, et représentent donc une alter­
native aux politiques qui ont provoqué la crise urbaine
actuelle.
Ce qu’apporte Bologne, c’est donc un mode d’intervention
autre, conditionné par des facteurs politiques plus que métho­
dologiques. Ce mode d’intervention est, en effet, la conséquence
directe d’un contexte adm inistratif qui permet à un nombre
croissant de citoyens, concernés par le sort de leur ville, de
participer aux choix d’aménagement et à la gestion des plans.
15
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Partant, avant de parler des méthodes, des recherches et des


projets étudiés, il fallait décrire ce contexte où la technique et la
culture peuvent s’exprimer conjointement. La participation
populaire a permis de modifier des orientations et des pratiques
qui paraissaient devoir durer éternellement; et grâce à l’action
des comités de quartier on a pu conférer des significations
nouvelles aux techniques élitistes de planification urbaine.
En l’espace de quelques années, le plan pour le centre
historique de Bologne a fait la preuve de sa qualité technique et
démontré qu’une théorie peut devenir réalité dès lors qu’elle est
soutenue par une volonté politique. La rigueur méthodologique
de ses analyses et la précision des procédures qu’elles fondaient
n’ont pas seulement assuré la conservation physique du noyau
historique, mais ont permis à la population de l’utiliser et d ’en
reprendre possession. Les commissions populaires qui agissent
dans le cadre des quartiers ont demandé et obtenu que la
restauration de la ville soit mise au service d’objectifs sociaux.
Ces commissions ont compris qu’ « il n’existe pas de conservation
en dehors de la conservation sociale ». Elles ont mis en évidence
le fait que la sauvegarde des centres historiques n’a aucun sens,
même culturel, si on ne modifie pas le processus de développe­
ment urbain dû hier à l’exode des ruraux, provoqué aujourd’hui
par le départ des habitants qui doivent quitter le cœur des villes,
faute de moyens financiers perm ettant les restaurations néces­
saires à la création d’un cadre de vie digne des citadins/citoyens
d’aujourd’hui.
On ne conserve pas la ville du passé parce qu’elle est belle ou
historique, même si elle est encore, du point de vue de
l’urbaniste, la meilleure partie de l’agglomération actuelle. On la
conserve parce que le travail de sauvegarde et de mise en valeur
constitue avant tout une réflexion sur le système traditionnel
d’étalement urbain. Si le centre historique est la cause et l’effet
du processus de développement métropolitain, les problèmes de
conservation et de réorganisation ne peuvent, à leur tour, être
posés et résolus dans le seul cadre du noyau historique. C’est
pourquoi la périphérie de Bologne a été soumise à des procé­
dures, analogues et parallèles, de « réutilisation » du tissu urbain
qui touchent, en particulier, les secteurs les plus dégradés qui ont
16
INTRODUCTION

toujours servi à justifier l’extension de la ville. Cette nouvelle


politique est liée à l’expérience en cours dans le noyau historique.
Elle est présentée comme sa conclusion logique, et comme la
manière d’assurer la continuité de la politique d’aménagement
du patrimoine adoptée à Bologne.
Définir et expérimenter une méthode nouvelle prenant en
compte l’évolution de l’aire métropolitaine, et visant la qualité
(et non plus la quantité), est une œuvre de longue haleine,
exigeant un pouvoir politique stable et la collaboration perma­
nente de tous les partenaires concernés — politiques, économi­
ques et sociaux.
Culture et politique peuvent donc réellement s’accorder dans
la poursuite d’un objectif commun, celui de sauver la ville, grâce
à une gestion quotidienne et directe. Même à Bologne, cette
gestion s’est avérée difficile, souvent mouvementée. Elle a
toutefois permis de faire saisir les difficultés de la planification à
un nombre considérable de citoyens qui ont contribué à élaborer
et à m ettre en œuvre des solutions positives pour toute la
ville.
* Le term e ambigu de rinnovo (rénovation, remise à neuf) est employé ici par l’auteur
en un sens générique pour désigner toutes les opérations de modernisation du tissu urbain
historique, qu’il s’agisse de chirurgie brutale suivie de reconstruction ou, au contraire, de
restauration. Faute d’un term e générique de même type, et pour éviter les confusions,
nous le traduisons ici, improprement, par « modernisation ». En effet, l’usage français
actuel exige de réserver « rénovation » aux destructions systématiques, assorties de
reconstruction, alors que « réhabilitation » désigne les opérations de conservation-
restauration en vue d ’une utilisation actuelle. Selon le contexte, rinnovo a donc été
traduit par l’un ou l’autre de ces trois term es (N dT ).
1. L’instance sociale
dans la nouvelle culture urbaine

L’attention grandissante prêtée partout aux problèmes de la


ville déjà bâtie, et plus particulièrement à ceux du noyau
historique, reflète, avant même d’exprimer une exigence cultu­
relle, l’anxiété de tous ceux qui, alarmés par la condition urbaine
d’aujourd’hui, cherchent dans le passé un remède pour l’avenir.
Ce n’est pas là une fuite devant les responsabilités du présent,
une volonté d’ignorer la réalité, souvent dramatique, du milieu
où l’on vit, mais bien au contraire une recherche des causes qui
ont marqué, voire décidé, la destinée des villes, transformant ces
lieux de civilisation en magma confus d’activités. Presque tous
les dictionnaires indiquent que le terme d'urbs désignait le cadre
matériel de la vie des hommes, un lieu ceint de murs.
Aujourd’hui, la ville inflige à ses habitants la torture de la
circulation automobile : Le Corbusier décrit avec pertinence les
anneaux concentriques, étroitement engrenés, des banlieues de
i plus en plus éloignées et étendues, où elle repousse progressi-
vement ses habitants. D’où un réinvestissement du centre qui
'•A perm ettrait de définir une nouvelle culture de la ville, à condition
de modifier les principes qui règlent actuellement le développe-
i.wjj, ment urbain.
S Personne n’ignore que la ville ancienne a été, depuis le début
de l’urbanisation intensive du xixc siècle, l’objet d’opérations qui
en ont altéré la structure originelle, et qui s’avèrent à la fois
Cause et effet de la ville actuelle et de ses maux. Les exemples ne
> manquent pas. La plupart des villes, sont ici des preuves
Concrètes. L’œuvre d’Haussmann à Paris, prototype de ce que
Leonardo Benevolo appelle l’urbanisme néo-conservateur, devint
21
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

à la fin du siècle dernier le modèle pour un gand nombre de villes


européennes et, malgré les théories opposées des architectes du
mouvement moderne, on peut considérer qu’elle a donné ses
bases à l’urbanisme contemporain.
La modernisation urbaine répond donc à un problème qui
n’est pas nouveau, mais qui est né avec l’extension des villes et le
développement de l’urbanisation au xixe siècle. Néanmoins, elle
apparaissait alors comme un moyen essentiel pour rendre la ville
du passé semblable à la ville moderne en gestation, tandis
qu’aujourd’hui elle s’impose comme l’instrument indispensable
qui perm ettra de modifier les principes dirigeant l’extension
urbaine et de recréer ainsi — au sein du milieu déjà bâti — les
rapports qui unissaient, à l’origine, la ville à ses habitants.
Moderniser n’est donc plus renier ce qui a été produit dans le
passé. C’est, au contraire, marquer l’intention de conserver et
d’améliorer ce « produit », en tant qu’alternative à l’extension
des villes. D’où suit que la politique de conservation, élaborée
sous la pression de préoccupations culturelles, devrait être
intégrée aux plans d’aménagement communaux, régionaux,
voire nationaux, dans une perspective de réhabilitation urbaine
globale.
Jusqu’ici, toutes les opérations réalisées dans les centres ont
exigé le développement des banlieues pour reloger les habitants
évincés. Si l’on ne définit pas d’autres procédures, la nouvelle
conception de la modernisation urbaine risque donc, quel que soit
son intérêt, de demeurer une hypothèse théorique. Or, il ne s’agit
pas d’élaborer de nouvelles formules, de nouveaux systèmes, de
nouvelles théories. Le développement incontrôlé des villes
entraîne une augmentation des désagréments subis par les
habitants. D’ou la nécessité urgente de m ettre fin à la croissance
des banlieues, en stoppant le cycle économique qui la provoque.
Il faut éliminer la source de profit que représente la transfor­
mation des centres et, davantage encore, empêcher la cons­
truction de nouveaux quartiers périphériques tant que n’au­
ront pas été aménagés et rendus vivables ceux qui existent
déjà.
Voilà ce que nous entendons par modernisation urbaine, par
nouvelle culture urbaine. Cent ans d’histoire démontrent que la
22
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

nouvelle manière d’affronter les problèmes de la ville est


incompatible avec son expansion.
Tous les pays, quels que soient leur système politique et leur
niveau économique, semblent considérer comme un phénomène
naturel et indispensable le développement de métropoles colos­
sales (ou plus modestes) qui créent des problèmes d’aménage­
ment insolubles. P ar ailleurs, les propositions de réhabilitation
urbaine se limitent pour le moment — et dans les cas
exceptionnels — aux centres historiques, dont la conservation est
cependant placée en marge de la problématique d’aménagement
globale. Même en Angleterre ou en France, où le droit
traditionnel de démolition et de reconstruction a été supprimé
dans les conservation areas et les « secteurs sauvegardés », la
croissance de la ville post-libérale n’a pas été mise en question.
La conservation reste un phénomène isolé, et non le principe
essentiel d’organisation de la ville. Produire de nouveaux
ensembles, de nouveaux quartiers périphériques, des villes
nouvelles, apparaît comme « une exigence indiscutable ». P ar­
tout, la sauvegarde de l’ancien reste donc un fait exceptionnel,
extraordinaire, une œuvre culturelle méritoire. Quels que soient
ses objectifs, aucun plan directeur ne limite ou ne bloque
l’expansion de la ville. Même si une grande attention est prêtée à
la protection des quartiers historiques, même dans les cas, rares,
où il est prévu de réduire la population, on retient immédiate­
ment l’hypothèse de nouveaux systèmes urbains, autrem ent dit,
on prévoit, à terme, un nouvel usage du sol agricole dans les
zones édifiables, sans même prendre soin d’analyser et de vérifier
la capacité d’accueil réelle que permet la rénovation de la ville
existante.
Le débat sur la croissance urbaine se situe à deux niveaux.
L’un, méthodologique, est celui des modèles et des projets, du
produit culturel. Dans ce domaine, spécifiquement urbanistique,
la recherche se poursuit à travers l’élaboration d’une succession
de solutions « optimales ». L’autre niveau, politique et adminis­
tratif, est celui des comportements sociaux et des procédures
administratives. C’est le domaine de l’idéologie urbaine, de la
« philosophie » de la ville. Dans les pays libéraux, la politique
consiste simplement à délimiter le pouvoir de l’administration et
23
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

à fixer les droits des propriétaires privés. A l’inverse, la solution


des pays socialistes consiste à confier à l’Etat tout-puissant un
rôle global.
Il faut reconnaître que la « bonne » réponse aux problèmes
urbains et le « bon choix » politique ne sont pas évidents. Il est
d’ailleurs difficile de distinguer le « mal-être * » propre à la ville
socialiste de celui engendré par son homologue capitaliste.
Pourtant, il n’est pas sans signification politique qu’une opéra­
tion urbaine favorise le capital plutôt que la collectivité. Mais le
vrai problème réside dans le fait d’avoir jusqu’à présent admis
l’expansion urbaine comme un phénomène naturel, ne devant ni
être remis en question, ni même donner matière à réflexion. Dans
cette perspective « naturaliste », les modèles, les systèmes et les
théories étaient acceptés a priori, indépendamment du contexte
politique. Ils devaient simplement donner l’illusion que la ville
pourrait être et serait plus humaine et plus vivable si elle
continuait à croître.
Or la croissance des villes accentue les déséquilibres géogra­
phiques, augmente la disparité entre régions riches et régions
pauvres, dégrade les rapports sociaux, perpétue, sous des formes
diverses, la consommation de terrain, considéré com m e une
ressource inépuisable. En s’étendant, la cité devient ingouver­
nable et les conflits s’accentuent entre les habitants et l’admi­
nistration. Ce n’est pas tout. Élever la qualité des équipements
publics et réaliser des logements sociaux demande des investis­
sements et un effort économique incompatibles avec le climat de
crise qui sévit dans la plupart des grandes villes. D’ailleurs,
même si cet effort démesuré devenait possible, le développement,
synonyme de « progrès », continuerait et exigerait indéfiniment
de nouveaux investissements comme on le constate partout où
existe depuis longtemps la propriété publique des sols : les villes
socialistes ne sont pas foncièrement différentes des villes
capitalistes quant à leurs formes, leur organisation sociale et leur
gestion.
Même en restant dans le cadre d’un urbanisme qui serait la

* N ous avons préféré ce term e à celui de « désagrém ent » ou de « malaise », qui


peuvent aussi traduire le term e disagio (N dT).

24
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

conséquence et non la cause du développement urbain, on peut


envisager quelques propositions qui constitueraient les préala­
bles à une inversion réelle des tendances.
Si les métropoles provoquent toujours et partout le mal-être de
leurs habitants et ne parviennent à promouvoir ni une véritable
urbanité ni un progrès culturel et social, il devient nécessaire de
réfléchir en profondeur à la nature de l’expansion urbaine.
Comment et pourquoi la ville croît-elle? Quels sont les facteurs
— pas seulement économiques — qui semblent rendre inéluc­
table l’objectif de la croissance? Sans réponse à ces questions, la
sauvegarde et la rénovation (termes antithétiques et cependant
pour nous identiques quant à leur contenu politique) du
patrimoine urbain risquent de ressusciter le vain débat qui
accompagna la reconstruction après la dernière guerre. Fallait-il
reconstruire fidèlement les édifices à l’identique, en leur lieu
originel, selon le paradigme mythique de Varsovie, ou ne valait-il
pas mieux insérer l’architecture nouvelle dans le contexte
historique, comme on l’a fait à Londres? En traitant la question
indépendamment de l’ensemble du contexte urbain, en la
réduisant à un débat culturel, encore une fois, on esquive
l’essentiel, c’est-à-dire la façon dont la rénovation peut contri­
buer à l’élaboration d’un autre mode de développement.
Les nombreux facteurs qui déterminent la croissance urbaine
ne sont encore déterminés, du moins en Italie, que d’une manière
schématique et approximative. Ce sont les projections de
tendances constatées lors des recensements. La croissance
démographique ainsi mesurée est censée continuer. Elle autorise
à calculer le nombre de familles nouvelles à loger. Sur cette base
et en fonction de normes de surface par habitant, on obtient le
nombre total de pièces à construire. Sauf dans le cas de
migrations importantes, indice de déséquilibres nationaux ou
régionaux, ces chiffres sont généralement modestes. Ils sont donc
systématiquement augmentés afin de justifier la construction de
nouveaux quartiers — dont on omet de préciser à quelle date et
avec quels moyens ils seront construits. En fait, ces programmes
finissent par être plus ou moins réalisés, grâce au transfert des
habitants installés dans les quartiers centraux. En effet, lorsque
la croissance démographique se ralentit, l’activité du bâtiment
25
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

continue, mais sans réduire le nombre des mal-logés ni


améliorer les quartiers dégradés. Entre 1951 et 1971, certaines
villes italiennes ont connu une augmentation du nombre de
logements suroccupés, en même temps qu’une croissance mas­
sive du nombre de logements non occupés : le parc de logements
a pratiquement doublé sans que le nombre des logements
suroccupés ait diminué. Le nombre de pièces non occupées est
plus élevé que le nombre de pièces suroccupées. Les pièces
sous-occupées seraient donc suffisantes pour éliminer le surpeu­
plement, du moins d’un point de vue strictement arithm éti­
que.
Les constructions neuves, trop nombreuses, provoquent
l’abandon des édifices anciens du centre. Elles encouragent le
transfert des familles vers la périphérie. Cette émigration
concerne d’abord les classes moyennes ou leur frange supérieure.
Les classes les plus défavorisées sont contraintes d’attendre leur
tour sur les longues listes des Offices publics de logements à loyer
modéré. Aussi les maisons insalubres et les quartiers
dégradés continuent-ils d’être surpeuplés, tandis que les habi­
tations neuves, trop onéreuses, demeurent vides. En revanche, en
cas de crise économique, ou plus simplement d’éviction, le
nombre des maisons neuves non occupées diminue, tandis
qu’augmente, dans les vieux quartiers, celui des maisons libres
aménagées pour des activités plus lucratives, habitat de luxe ou
bureaux. Le développement des métropoles se poursuit ainsi,
continuellement, en éloignant vers de nouvelles ceintures péri­
phériques les familles ou les activités les moins « rentables ». Ce
processus de destruction des vieux tissus urbains au profit des
nouveaux ne peut être combattu, en termes d’urbanisme, dans le
cadre d’un schéma directeur. Il ne peut être arrêté que par la
participation et le contrôle des citoyens, et donc grâce à de
nouvelles procédures d’aménagement.
Tout comme l’immigration en ville a déséquilibré de vastes
espaces géographiques, le départ des citadins du centre vers la
périphérie modifie les structures sociales de la ville et accentue
les disparités économiques. Il est donc nécessaire de connaître et
de contrôler tous les processus qui retentissent sur la structure de
la ville. Pour cela, il faut et se servir des ressources économiques
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

(utiliser le patrimoine bâti existant à des fins sociales) et profiter


des ressources en hommes pour empêcher, grâce à des conseils de
quartier, les opérations contraires à l’intérêt général. Il faut
mettre fin aux spéculations sur tous les espaces libres, agricoles
ou bâtis : un contrôle populaire de l’ensemble du territoire
ressortissant à la municipalité est indispensable.
Il est nécessaire que des commissions de quartier fassent un
recensement exhaustif des besoins et puissent les confronter à un
inventaire général de l’occupation des sols. Cet inventaire
perm ettra de définir et de prévoir l’utilisation de chaque édifice,
en s’assurant que tout nouvel usage correspond aux règles
établies. Les citoyens exerceront donc leur contrôle sur tout le
processus d’aménagement urbain et d’utilisation du patrimoine
bâti, depuis le niveau des options de base jusqu’à leur mise en
œuvre dans les projets d’exécution, depuis la définition des règles
d ’utilisation d’un édifice jusqu’au contrôle de cette utilisation,
une fois l’édifice libéré ou réaménagé.
Aucun projet de modernisation urbaine ne peut être conçu ou
réalisé sans un plan-programme qui prenne le bâti existant
comme base de référence du développement futur. Le choix
fondamental des organes politiques de base, le choix qu’ils
devront faire respecter, consiste à empêcher la construction de
tout nouveau quartier périphérique, à l’exception de ceux qui
sont strictement nécessaires à la mise en œuvre du plan de
restauration des quartiers existants. Concrètement, le contrôle
des usagers, qui permet de vérifier si l’utilisation des édifices —
nouveaux ou anciens — est conforme à leurs décisions, et de
connaître les déplacements de population dus à la rénovation
urbaine, donne les moyens d’arrêter le processus habituel de
croissance, en définissant les besoins réels des citadins, grâce à
un calcul précis du nombre de logements nécessaires.
Le blocage du développement urbain ne doit donc pas être
interprété comme un frein malthusien, mais comme un acte
politique raisonnable, tenant un compte correct des ressources
disponibles. Grâce aux commissions et aux conseils de quartier,
les citoyens font les choix urbanistiques et décident de l’avenir de
leur cadre de vie. Par l’examen des plans de détail et de chaque
projet édilitaire, ils exercent concrètement leur droit de fixer les
27
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

besoins d’équipements sociaux et réalisent — étape par étape et


en l’approfondissant constamment, de l’échelle urbaine à celle de
l’édifice — une planification démocratique continue. Cependant,
la fonction politique des citoyens ne s’arrête pas là. Il leur faut
aussi définir et contrôler la phase suivante qui n’est plus
urbanistique, mais sociale.
La modernisation urbaine ne peut constituer une méthode
« autre » d’aménagement urbain qu’à la seule condition d’être
dirigée et programmée par la puissance publique. Or, en Italie
comme dans la plupart des pays européens, le bâti existant
relève, au contraire, essentiellement du secteur privé. En
particulier, le patrimoine bâti échappe totalement aux pro­
grammes publics de construction de logements sociaux. Ainsi, la
législation destinée à augmenter la production de logements
économiques se révèle un instrument qui encourage la mainmise
des promoteurs privés sur l’habitat ancien. Dans ce secteur, les
pouvoirs publics ont pour seule politique de soutenir l’initiative
privée qui, se faisant un jeu de montrer l’infériorité économique
de la restauration et de la réhabilitation au regard de la
production de logements neufs, se réserve l’exclusivité d’inter­
vention sur le parc immobilier ancien.
1

2. Le prix comparé de la conservation


et de la rénovation

Une politique urbaine différente, capable d’affronter les


problèmes d’aménagement, implique également une approche
différente des moyens techniques nécessaires. Pour m ettre en
œuvre cette nouvelle stratégie, il est nécessaire de transformer les
instances de décision et les services techniques, de redéfinir la
vocation de l’urbanisme, traditionnellement limité à une ratio­
nalisation de la croissance des agglomérations de type métro­
politain. De nouveaux acteurs et de nouveaux choix sont
nécessaires. Ce qui signifie d’une part l’intervention des comités
de quartier, d’autre part la définition des priorités d’aménage­
ment, c’est-à-dire le choix des secteurs d’intervention.
Le problème essentiel reste celui de l’habitat, avec ses
prolongements sociaux, culturels, médicaux et aussi — surtout
— ses relations avec l’activité professionnelle. Pour sauvegarder
les caractéristiques sociales, humaines et architecturales d’un
quartier, il faut se battre pour conserver parallèlement et
améliorer la qualité de ses caractéristiques économiques et
urbanistiques. Le coût économique de la rénovation doit donc
être évalué par rapport à la « qualité de la vie », toujours
directement proportionnelle à la qualité de l’agrégat urbain.
Dans le calcul des coûts de récupération (à déduire du prix de la
rénovation), il faut prendre en compte non seulement les
investissements qu’exigerait la croissance urbaine, mais aussi les
pertes qu’elle provoquerait par l’abandon des quartiers résiden­
tiels existants. Dans le cas de l’Italie, ces coûts sont vertigi­
neux.
A ces coûts d’ordre purement édilitaire, il faut ajouter celui —
29
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

difficile à évaluer en termes monétaires, mais facile à constater


— qui tient à la disparition d’une activité agricole demeurée
fondamentale pour l’économie italienne. Toutes les réformes
(bien timides) et les mesures tendant à donner un nouveau
départ à l’agriculture sont rendues sans effet par le développe­
ment continu des villes, qui vide les campagnes et crée des
plus-values énormes dans les terrains péri-urbains que les
exploitants sont obligés d’abandonner.
Enfin, si le profit tiré depuis un siècle de la destruction des
quartiers anciens est bien connu, on ignore le coût du transfert
des habitants d’un secteur à l’autre de la ville; et il n’est pas plus
facile de quantifier les conséquences des migrations internes ou
de rém igration. Il faut au moins tenir compte des dépenses
nécessaires à la réinsertion sociale des populations ainsi margi­
nalisées, en particulier du prix de la création d’équipements
sociaux dans les quartiers périphériques. Toute évaluation
économique objective ne peut que m ettre en évidence des coûts
globaux infiniment plus élevés pour la construction des quartiers
périphériques que pour la réhabilitation des quartiers anciens.
Néanmoins, les difficultés que rencontre la politique de réhabi­
litation urbaine sont si grandes et si nombreuses qu’elles peuvent
décourager l’application de cette nouvelle méthodologie. Ces
difficultés sont juridiques, logistiques et même, on l’a vu,
idéologiques.
La puissance publique contrôle le patrimoine bâti existant de
diverses façons : au moyen de plans directeurs qui tendent à
rétablir les valeurs architecturales et urbanistiques; par la
réhabilitation de certains édifices; par la réalisation d’équipe­
ments collectifs; par l’organisation de la circulation. Mais la
puissance publique considère le plus souvent ce patrimoine
existant comme une donnée de faible intérêt dont il s’agirait, au
mieux, de rationaliser la structure.
Il est rare que le patrimoine ancien soit considéré comme
susceptible d’accueillir les programmes d’habitat social. La
législation italienne sur la construction publique donne une
valeur absolue à la rente foncière. Elle empêche de réaliser les
plus-values qu’on obtient en transformant un terrain agricole en
terrain à bâtir, ce que le secteur privé a pu librement réaliser au
30
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

cours des années passées. Cette législation n’a pas d’incidence


sur la rente immobilière urbaine, ou rente différentielle, qui
s’obtient en changeant l’usage ou l’usager d’un bâtim ent ou d’un
quartier existants : aussi ce secteur fait-il l’objet d’un intérêt
acccru de la part des promoteurs privés. En définitive, les lois sur
l’habitat social laissent simplement espérer aux catégories les
moins bien loties de la population et à tous ceux qui ont vraiment
besoin d’un logis habitable que, tôt ou tard, celui-ci sera
construit. Mais cet espoir n’a été jusqu’ici satisfait que par les
promoteurs privés, et toujours dans des quartiers neufs, conquis
sur les terres agricoles.
Aux difficultés juridiques, il faut ajouter les difficultés
techniques. Dans la logique de la croissance continue des villes,
les logements « de transit » sont toujours construits dans les
quartiers neufs. Comment, en effet, pourrait-on restaurer un
quartier ou un îlot, ou même une seule maison, si ce quartier, cet
îlot, cette maison continuaient d’être habités? Les expériences en
cours montrent cependant la possibilité de transformer en
logements de transit des édifices situés à proximité de l’opération
de rénovation et qui sont abandonnés, parfois depuis longtemps,
à cause de leur dégradation. La récupération prioritaire de ces
bâtiments constitue une solution alternative au relogement
temporaire. Une restauration rapide leur permet d’accueillir très
vite les habitants des maisons à réhabiliter. L’installation de
ceux-ci peut même, dans certains cas, être définitive, ces
premiers édifices restaurés ayant les mêmes caractéristiques que
les maisons où leurs nouveaux occupants vivaient auparavant.
Cette méthode permet donc de maintenir les habitants dans le
quartier et de conserver les commerces et l’artisanat là où ils
travaillent et font leurs achats. Elle est doublement avantageuse,
du point de vue social et du point de vue économique.
Socialement, la différence est évidente entre un transfert, même
temporaire, hors du quartier (généralement vers une périphérie
lointaine), et le maintien sur place pendant la rénovation.
Economiquement, toutes les ressources financières dont les
pouvoirs publics disposent pour la rénovation sont utilisées à
cette fin et non pour construire d’abord dans les quartiers
périphériques neufs.
31
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Une évaluation globale des coûts, tenant compte du gaspillage


que représentent les constructions neuves, de la crise de
l’agriculture, du coût du développement urbain et des difficultés
juridiques et logistiques, permet une comparaison objective entre
le prix de revient par habitant de la construction neuve dans les
quartiers périphériques et celui de la réhabilitation dans les
quartiers historiques ou anciens. Au coût des opérations péri­
phériques (compte tenu de la rente foncière), il faut ajouter :
a. le coût des réseaux d’infrastructures primaires, équipe­
ments sociaux et divers;
b. le coût des services de transport publics et privés qui
dépend du lieu d’implantation du nouveau quartier par
rapport au milieu urbain existant, et surtout par rapport
aux lieux d’emplois;
c. le coût de l’ensemble des investissements nécessaires pour
assurer une certaine qualité du cadre de vie;
d. le coût des services administratifs supplémentaires,
nécessaires pour la gestion d’une ville plus étendue.
Les budgets municipaux ont commencé à accuser de forts
déséquilibres au moment précis de la réalisation des équipements
indispensables aux nouveaux quartiers périphériques. Mais le
déséquilibre s’accentue considérablement dès qu’on passe des
crédits d’équipement aux dépenses de fonctionnement. Même si
la population urbaine totale reste constante, le transfert des
habitants exige de nouveaux services (écoles, équipements
sportifs et de loisirs, transports) qui ne se substituent pas à ceux
dont ces habitants profitaient anciennement et dont le coût
s’ajoute à celui des services anciens. Les coûts de fonctionnement
augm entent donc proportionnellement à l’expansion de la ville,
mais comme ils ne dépendent pas uniquement du nombre
d ’habitants, ils n’ont pas pu être calculés de façon scientifique.
On ne connaît en fait que le déficit des budgets municipaux, qui
peut certainement être mis en rapport avec le développement de
l’espace bâti.
Si l’on compare le coût global des nouveaux quartiers à celui
des opérations de réhabilitation lancées par les promoteurs
publics, les avantages économiques des secondes par rapport aux
premiers deviennent évidents. Ainsi, en ce qui concerne le point
32
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

« a », les infrastructures primaires sont en place depuis long­


temps, et même si elles demandent une modernisation ou un
renforcement, ces opérations auraient dû être réalisées de toutes
façons, au fil des temps, le centre de la ville est devenu le quartier
le plus riche en infrastructures secondaires (écoles, marchés,
centres culturels, espaces verts). En ce qui concerne le point « b »,
celui qui réside dans la ville historique y travaille aussi le plus
souvent, ou, en tout cas, utilise les services déjà existants. En ce
qui concerne les points « c » et « d », économiquement plus
prégnants, ces coûts disparaissent totalement, dans la mesure où
la réhabilitation présuppose un développement équilibré (limité)
de la ville et du territoire qui en dépend.
En définitive, la comparaison du coût des quartiers neufs et de
celui des opérations de restauration urbaine fait apparaître la
supériorité de la réhabilitation (moins onéreuse) ou, à l’extrême,
l’équivalence concrète des deux solutions. Les équipements
sociaux et d’infrastructure des quartiers existants compensent
les coûts plus élevés de la restauration des édifices anciens par
rapport aux constructions neuves. Il ne s’agit ici, pour l’instant,
que du centre historique. Mais il ne constitue pas le seul champ
de la réhabilitation. Son exemple permet simplement de mieux
comprendre ce que signifie la nouvelle culture des villes.
N otre propre réflexion s’appuie sur le cas concret de Bologne.
Mais ce n’est pas là un cas unique. De nombreuses autres villes,
italiennes et européennes, se sont fixé le même objectif d’un
urbanisme autre, s’opposant aux méthodes adoptées depuis que
l’urbanisation massive a bouleversé la fo rm a urbis. Aux exem­
ples classiques qui entendent moderniser la ville en appliquant le
droit de démolir et de rebâtir, à ces exemples que perpétuent la
plupart des municipalités afin de rendre le centre semblable à la
I périphérie, s’opposent enfin de nouvelles expériences qui, en
dépit de leur diversité, témoignent d’une authentique unité
et perm ettent d’espérer le sauvetage de notre civilisation
urbaine.
3. Le centre historique
dans la planification urbaine

Le concept de centre historique, objet traditionnel de contro­


verses et de discussions techniques, économiques, sociales et
juridiques, prend une signification univoque dès lors qu’il est
envisagé dans le seul contexte de la gestion de l’espace urbain.
Comme l’écrit L. Benevolo : « Sa seule définition opératoire est
d’ordre historique : il s’agit de la ville préindustrielle dans la
mesure où — isolée ou désordonnée — elle survit au milieu du
système spatial actuel. »
Au cours des différentes phases de l’histoire urbaine précédant
la révolution industrielle et l’urbanisation généralisée, les rap­
ports entre la ville et la campagne restent constants, de même
que les dimensions et la vie moyenne des édifices, la diversité et
l’unité du tissu bâti en tant qu’expression sociale. De plus, pour
revenir toujours au passé, aux époques où ville et centre
historique ne faisaient qu’un, on peut m ettre en évidence une
spécificité des villes et de leur rôle qui permet d’opposer divers
types d’entités (de fonction) urbaines : de la ville militaire
fortifiée et occupant une position stratégique pour défendre et se
défendre, à la ville marchande ou à la ville « dirigeante », lieu du
pouvoir politique ou adm inistratif ou encore, simplement, du
savoir.
Mais cette spécificité n’excluait pas les autres fonctions, elle
les dominait seulement, sur de longues périodes, voire des siècles,
inscrivant dans le sol une vocation qui pouvait certes changer,
mais avec lenteur, modifiant au même rythme la morphologie
préexistante. La succession de ces phases a produit un organisme
stratifié mais doté cependant d’une véritable unité et qu’on
34
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

« pourrait considérer comme se stabilisant entre le xvnr et le


xixe siècle ». Mais, toujours selon L. Benevolo, ce n’est là qu’une
apparence, due à « ce que son rythme de transformation était
spécifiquement accordé à celui de l’expérience humaine »,
autrem ent dit était assez lent pour perm ettre l’adaptation des
individus au milieu produit par la société, qu’ils percevaient
comme un support physique et moral durable.
Avec l’ère industrielle, la ville change d’échelle et de rythme.
De plus, tout établissement humain, grand ou moyen, exerce
désormais, obligatoirement, un certain nombre de fonctions —
défensive (casernes), culturelle (université), commerciale (m ar­
ché), industrielle (usines), administrative (bureaux et banques).
Cette dernière fonction concentre toutefois l’essentiel du pouvoir
de décision dans la capitale de l’État, la seule ville qui garde une
fonction dominante spécifique, à l’opposé de toutes les autres,
uniformisées par la multiplicité de leurs rôles. Le centre
historique se voit le plus souvent envahi par des activités
nouvelles, et le rôle spécifique de la ville est estompé ou
effacé.
Dans les pays européens, cette phase cruciale se situe au cours
des années 1870. Tel est en particulier le cas de l’Italie, où
l’avènement d’un nouvel ordre économique et social s’ajoute à la
mutation de l’organisation étatique. C’est grâce à la réalisation
de l’unité politique que les forces économiques créent les
premières usines dans celles des régions du Nord et du Centre
qui n’avaient pas encore été touchées par l’industrialisation au
cours de la décennie précédente. Mais la ville s’étend — de
manière presque spontanée — même dans les régions qui restent
purement agricoles.
Quand le capitalisme naissant se consolide, la ville recherche
un ordre dicté par des schémas directeurs, analogues les uns aux
autres. Le rôle prééminent attribué au noyau central est
confirmé par une définition claire des rapports entre la cité
préindustrielle et la nouvelle ville en gestation. En particulier, la
ville ancienne doit, à cette époque, accueillir des ateliers et des
usines dans les espaces non bâtis qui subsistent à l’intérieur du
m ur d’enceinte. De plus, du moment où il s’agit de répondre aux
exigences de la circulation et à la nécessité de construire des
35
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

équipements entièrement neufs tels que banques, bourses,


premiers sièges des activités tertiaires, la ville historique devient
un obstacle, facilement franchi par la démolition d’habitations et
de quartiers entiers, en éventrant la vieille ville de part en part.
On décide cependant de conserver quelques édifices considérés
comme « monuments » (moyennant restauration selon le goût de
l’époque) et qui seront le contrepoint des nouveaux monuments,
monuments à l’argent (la banque), au col blanc (le bureau), au
commerce (les grands magasins). La structure de la ville
ancienne est ainsi pratiquement niée dans le but de la réduire aux
éléments caractéristiques de la ville nouvelle : éléments qui
dérivent certes de ceux du passé, mais qui ont acquis une
spécificité inassimilable à celle du noyau historique.
Les rues et les places de la ville n’offrent plus alors une gamme
d’espaces strictement liés aux édifices, mais deviennent le seul
espace public nettement séparé des espaces privés, m arquant
brutalem ent les frontières. D’un côté le domaine de la puissance
publique, de l’autre le domaine des propriétés privées. Les
édifices ne sont plus conçus comme le cadre durable de l’espace
collectif, mais comme des opérations économiques liées à
l’espace public, destinés à être démolis dès l’amortissement du
capital investi. Les édifices anciens, hérités du passé, n’ont pas,
eux, exigé d’investissements. Mais pour produire un nouveau
profit, ils devront être démolis et reconstruits, provoquant, pierre
après pierre, la destruction de la ville ancienne pour l’assimiler
toujours davantage à la nouvelle ville.
L ’habitat, qui fut toujours la fonction dominante, est remplacé
par des activités sensiblement plus rentables. D’ailleurs, les
anciennes habitations se trouvaient soit dans des palais, désor­
mais inutilisables, soit dans des îlots populaires dégradés, donc
non compétitifs avec les immeubles neufs bâtis dans les quartiers
en expansion.
De fait, c’est au moment précis où se forme le centre
historique, comme conséquence d’une expansion urbaine par
quartiers concentriques, que le cœur de la ville se révèle propice à
toutes les activités, activités de production d’abord et de
« direction » ensuite. Non seulement il concentre banques,
bureaux, magasins, desservant une zone qui dépasse largement
36
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

les limites de l’aire métropolitaine, mais il centralise également


les équipements techniques : centraux téléphoniques, direction
des services du gaz, de l’eau, de l’électricité, enfin tout l’appareil
mécanographique, support indispensable des centres de déci­
sion.
Ce sont ces fonctions techniques qui ont le mieux démontré les
possibilités d’utilisation moderne du noyau historique. Utilisa­
tion diamétralement opposée à celle des origines, mais ferme­
ment ancrée dans le « projet » de la ville contemporaine, de la
ville en croissance continue et qui accumule en son centre le
maximum de valeurs urbaines, conférant par là même la plus
grande valeur économique aux terrains et aux bâtiments.
Pendant très longtemps, le problème du centre historique a été
considéré comme essentiellement culturel. La protection du
milieu urbain ancien a été justifiée par des arguments littéraires
et a fait l’objet de polémiques entre modernistes et conserva­
teurs. Si pertinent qu’il fût, l’argument culturel n’a pas pu
résister aux assauts des financiers et des mécanismes économi­
ques. La victoire de la finance a déterminé les nouvelles fonctions
et la morphologie nouvelle des anciennes structures architectu­
rales et urbaines. L’optique purement culturelle masque la
complexité des problèmes et empêche de comprendre quel est le
poids réel du centre ancien dans les métamorphoses de l’espace
qui s’urbanise.
Le centre historique a longtemps été considéré comme posant
un problème particulier et limité qui pourrait être résolu dès que
l’élite culturelle serait parvenue à un consensus sur la manière
d’assurer sa sauvegarde. Mais c’est au contraire un problème
fondamental qui intéresse le sort de la ville entière et de sa région
et, en particulier, la relation entre la ville et la campagne. Le
problème ne peut donc être posé en termes purement culturels; il
ne prend son sens qu’à être replacé dans son contexte.
Il est d’ailleurs tout aussi illusoire de penser pouvoir aménager
la région péri-urbaine en faisant abstraction de ce qui l’a
engendrée et continue de la conditionner, à savoir la ville
existante.
Pour appliquer une nouvelle politique de la ville, on partira
donc d’un espace relativement restreint, par conséquent peu
37
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

susceptible d’apporter une transformation brutale à la configu­


ration urbaine. Une fois mise en place, cette politique permet de
gagner la bataille dans la mesure même où elle met en question
le mécanisme actuel de développement des métropoles. En effet,
le processus qui règle la croissance urbaine forme un cycle
cohérent qui lie les opérations du centre historique à l’extension
périphérique. Celle-ci fait croître les valeurs foncières des
quartiers centraux. Cette plus-value provoque la reconstruction
des anciens édifices et l’éloignement de leurs habitants vers la
périphérie. Les procédures d’expulsion grossissent artificielle­
ment la demande de nouveaux logements périphériques et
contribuent ainsi à l’expansion de la ville. Cette croissance
produit à son tour une nouvelle augmentation de la valeur des
secteurs centraux, qui provoque de nouvelles démolitions ou de
nouvelles expulsions, et ainsi de suite. L’augmentation de la
valeur absolue des sols incite à tirer profit des plus-values et,
celles-ci, à leur tour, provoquent la hausse des prix... Ce cycle
amorcé par le centre historique est alimenté par la démolition et
la reconstruction de bâtiments isolés ou d’îlots historiques
entiers. Le centre historique est donc la cause et l’effet de la ville
actuelle qui, pour permettre la continuité de son développement,
assigne une durée limitée aux constructions neuves et considère
son patrimoine historique comme « improductif ».
Le centre ancien n’est donc pas uniquement un bien culturel.
C ’est aussi un bien économique qu’il faut conserver pour lui
assurer sa vocation sociale, vocation liée à sa valeur originelle qui
en faisait l’ossature d’un territoire, le lieu de la collectivité. Dans
cette perspective, le centre historique constitue la matrice de
toute rénovation urbaine, dans la mesure où une politique de
sauvegarde simultanée des structures physiques et sociales
élaborée pour cette zone, exceptionnelle (au plan économique
comme au plan culturel), pourra ensuite (ou simultanément)
être appliquée aux quartiers qui la ceinturent et qui sont destinés
à s’appauvrir si la rente foncière continue de dicter sa loi.
La réutilisation du patrimoine bâti existant perm ettra à la
collectivité de se rendre à nouveau maîtresse des centres
historiques d’où part la reconquête de tout le reste de l’agglo­
mération urbaine. Cette reconquête des centres doit donc être la
38
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

priorité absolue de tout programme de réorganisation urbaine


basé sur la récupération du patrimoine. Il faut construire l’avenir
de la ville sur son passé. La modernisation urbaine est ainsi
d’abord une prise de conscience de la valeur du milieu bâti. C’est
aussi une redécouverte de la manière d’être même du citoyen, si
elle sait s’opposer aux bénéficiaires de la rente foncière qui ont
jusqu’ici sacrifié à leur intérêt le sort des populations de la ville.
Les règles de la restauration urbaine sont des principes d’orga­
nisation sociale découlant d’un choix de la collectivité que seule
la participation de tous permet de concrétiser.
Le choix de la conservation est le fruit d’un long débat. Il est
fondé sur une évaluation objective des interventions pratiquées
au fil des ans sur la ville historique, depuis la démolition
systématiquement assortie de reconstruction jusqu’au blocage de
toute opération par une réglementation qui permette d’attendre
la mise au point de plans détaillés de sauvegarde. Dans tous les
cas, qu’il soit distinct ou intégré dans le reste de l’agglomération
urbaine, le centre historique est considéré comme un secteur en
soi, où il est possible d’intervenir indépendamment de ce qui est
proposé pour les autres parties de la ville.
Dans les faits, la destruction et la reconstruction de certaines
parties de la ville ancienne ont parfois respecté l’aspect extérieur
du milieu urbain ancien, mais ont toujours créé de nouveaux
besoins à la périphérie et une nouvelle extension de la ville. La
réglementation globale appliquée dans l’attente des plans
détaillés de sauvegarde empêche démolitions et reconstructions
et oblige à conserver les façades et les principaux éléments
intérieurs des édifices; en fait, ce « faux entretien » ne doit pas
être confondu avec de véritables principes de conservation de la
ville historique, dans la mesure où il se fonde sur des critères fixés
au coup par coup, sans aucune vérification méthodologique, sans
base de comparaison, et en dehors de tout programme de
réanimation du centre historique.
Les plans de sauvegarde de certains centres italiens ou
européens classent les édifices selon une échelle tout à fait
subjective qui fait se succéder les monuments majeurs, les
édifices de grande importance artistique, ceux d ’importance
moindre, ceux qui n’ont qu’une valeur contextuelle, enfin les
39
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

constructions totalement dépourvues de valeur architecturale.


-C e classement exprime la sensibilité artistique de l’auteur du
projet de restauration et varie donc d’un lieu à l’autre, d’un
paysage urbain à l’autre. De plus, seuls les « vrais » monuments
sont jugés dignes d’une restauration scientifique. Les édifices
considérés comme importants pour le paysage urbain, et qui
constituent le tissu de base de la ville ancienne, font seulement
l’objet de mesures plus ou moins formelles (concernant leurs
façades et leurs volumes), sans analyse détaillée de leur
articulation typologique ou de leur signification sociale, ancienne
ou présente, sans que soit tenu le moindre compte des habitants
qui peuvent encore y résider.
Classer les édifices revient inévitablement à conserver une
faible partie du milieu ancien. Le reste peut donc être démoli et
reconstruit parcelle après parcelle, îlot après îlot, conformément
à la logique d’un système qui limite la vie des bâtiments afin de
perpétuer la rente foncière, « différentielle ».
Appliquer correctement le principe de conservation exige
d’abord un bilan global de la ville historique comme des
quartiers périphériques. Il faut donc lier cette conservation à un
plan d’aménagement de l’ensemble de l’agglomération urbaine.
Elle doit être fondée, d ’une part sur une analyse approfondie du
tissu immobilier de la ville historique et de la composition de sa
population, d ’autre part sur un choix précis concernant le rôle de
ce noyau historique, compte tenu de ses caractéristiques physi­
ques et de sa population.
Par le term e conserver, nous entendons : maintenir en bon état
un objet qui pourrait se détériorer. Conserver est donc nécessaire
pour éviter une perte ou un dommage. Pendant trop longtemps,
la protection des biens culturels et, en particulier, celle des
centres historiques, a été considérée comme le sauvetage d’un
patrimoine culturel menacé par la barbarie d’une société
insensible aux valeurs du passé. Comme on peut le vérifier
chaque jour, cette conception de la protection était promise à un
inévitable échec dans la mesure où elle n’est défendue que par
une fraction minime de la société, qui possède le privilège de
connaître et d’apprécier la signification des biens culturels. La
conservation ne peut devenir une réalité que si elle se donne
40
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

également des objectifs sociaux et économiques, que si elle


devient le but d’une culture capable de répandre la connaissance
du patrimoine historique, artistique et naturel, et de définir pour
qui et pour quoi elle a lieu. C ’est seulement à travers une
appréhension populaire des biens culturels qu’on peut envisager
une utilisation différente de ces biens et espérer les protéger.
Conserver est donc le signe d’une connaissance, d’une perception
collective.
Conserver signifie, en outre, analyser, cataloguer, inventorier,
connaître la signification et l’usage du bien qui a nom centre
historique : organisme vénérable qui s’est développé selon une
certaine logique politique, conformément à une manière spéci­
fique d’habiter, à une pratique architecturale et urbaine qui
seront analysées et définies non seulement pour assurer la survie
de ce bien à travers les âges, mais aussi — surtout — pour que la
collectivité tout entière puisse l’utiliser. La connaissance repré­
sente donc la première phase de la politique de conservation.
C’est celle qui doit préparer le programme de la mise en œuvre
proprement dite.
Étant donné sa population et sa vie économique, le centre
exige un plan qui ne soit pas simplement un instrument abstrait
de contrainte et d’immobilisme, mais un plan qui le réanime, qui
organise sa réutilisation à court et à long terme : un plan fondé
sur un inventaire typologique rigoureux des édifices et du
paysage urbain (espaces pleins et espaces vides). La connais­
sance des principes de « projetation » ayant servi à l’époque pour
la réalisation des édifices anciens, et qu’on peut acquérir par des
relevés, par des plans de cadastres et autres pièces d’archives, est
indispensable pour définir le projet de réutilisation des édifices
historiques. Mais pour tenir compte des exigences du citoyen
d’aujourd’hui et de demain, tout projet de conservation doit être
replacé dans le cadre global de la ville qui est, en fait, l’objet à
restaurer.
Q uant aux quartiers déjà transformés par des interventions
chirurgicales ou autres, ils sont loin d’être déjà « aménagés ». Ils
sont à planifier, au même titre que les autres quartiers
périphériques. Ce sont les terrains les plus aptes à recevoir les
équipements incompatibles avec la structure des quartiers
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

historiques : les services collectifs et sociaux qui sont le prolon­


gement du logement. Une fois connues leurs caractéristiques de
base, ces secteurs peuvent soit recevoir des espaces libres
(jardins, équipements sportifs), soit être « reconstitués » pour
rétablir la continuité originelle du milieu bâti. Ce serait là le
moyen de faire cesser les diatribes verbeuses sur le langage
architectural, sur l’insertion de l’architecture contemporaine
dans le tissu ancien, sur les rapports stylistiques entre les arts du
passé et ceux d’aujourd’hui. Que ces polémiques aient commencé
avec la généralisation de l’urbanisation ne saurait d’ailleurs être
le fruit du hasard. Elles expriment les contradictions de la ville
industrielle où est née la crise de l’architecture et de l’urba­
nisme.
Le programme, le plan de sauvegarde d’un centre historique,
doit être conçu sur la base d’un choix et avec un objectif précis.
Programm er la conservation est l’aboutissement d’une lutte
politique confirmant un principe culturel aux multiples impli­
cations économiques et sociales. C ’est pour les citoyens le moyen
et la méthode par lesquels ils se réapproprieront la ville : « La
ville ancienne, dit Piccinato, n’était pas seulement une expression
collective, c’était aussi la propriété de ses habitants et, en tant
que telle, c’était un bien public utilisé et géré par tous. »
Effectivement, la présence simultanée de diverses classes sociales
au sein d’un même quartier, parfois d’un même édifice, fournit la
preuve d’une consommation collective et indifférenciée de la
ville.
Aujourd’hui, l’extension démesurée de la ville complique les
communications, différencie à l’excès les occupations, et a fini
par privilégier le centre. De plus, l’émiettement du sol urbain
devenu pure marchandise, aboutit à l’appropriation privée de la
ville, auparavant bien public et indivis. Le centre, qui correspond
à la ville d’autrefois, perd ses habitants et ses fonctions. Par
conséquent, sa sauvegarde ne sera possible que par la réappro­
priation collective d’un bien, la ville, considéré depuis toujours
comme public. Le centre historique, bien culturel, ne peut, par
définition, être privatisé.
Se réapproprier un bien culturel qui a été arraché à ses
usagers, c’est aller à contre-courant des méthodes et des objectifs
42
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

de la planification imposée par le capital foncier et immobilier.


C’est là un projet révolutionnaire car il ne réclame pas seulement
une rigueur scientifique mais exige la volonté et le concours de
tous les citoyens. Les voies de la conservation et de la
réhabilitation urbaine, les voies de la récupération du patrimoine
bâti — qui mènent à une nouvelle culture de la ville — sont
longues et difficiles, comme celles, qui leur sont souvent liées, de
la participation, du pouvoir délégué à la population. Car, en tant
que moyen pour les habitants de reprendre possession de leur
ville, la rénovation urbaine implique la participation active des
citoyens aux choix urbanistiques concernant l’utilisation collec­
tive de leur cadre de vie. L’étude du programme de conservation
ne peut donc plus être confiée à des consultants ou aux seuls
services techniques des municipalités.
/
/

4. Bologne : de la cité au centre historique

Une connaissance approfondie du passé qui permette d’ap­


précier le caractère différent des réalités présentes et futures,
n’est pas seulement indispensable pour une participation plus
directe, mais constitue le présupposé fondamental de toute
expérience correcte de planification. En ce sens, la relecture
scientifique du destin historique de la ville devient un moment
essentiel pour la comprendre et pour élaborer une nouvelle
culture urbaine. C’est ce que l’expérience de Bologne a mon­
tré.
Bologne, autrefois capitale « nordique » du royaume pontifi­
cal, est devenue une ville de province du royaume d’Italie, selon
les mêmes étapes que les autres capitales régionales. « Libérée »
des Français à la fin du xvnr siècle, Bologne est rendue au pape
par la Sainte-Alliance du Congrès de Vienne. Elle tente, sans y
parvenir, de se soulever en 1831. Elle refait une nouvelle
tentative lors de la vague insurrectionnelle de 1848, et parvient à
former un gouvernement provisoire qui tient dix mois, mais
retombe pour dix années de plus sous la coupe pontificale. Le
retour des Français marque le début du développement écono­
mique prévu par le plan du cardinal Boncompagni, qui s’était
heurté à l’opposition des sénateurs de la ville. Ce développement
a été sensiblement freiné, voire compromis, par les restaurations
successives des papes et du royaume de Savoie. Il ne pourra
vraiment avoir lieu, sous une tout autre forme, qu’au début de ce
siècle, grâce à la première municipalité socialiste.
Les événements politiques qui se succèdent pendant la
première moitié du xix' siècle n’ont guère de conséquences sur
44
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

l’organisation de la ville. Ils ne modifient pas les structures


économiques et sociales. La formation d’une nouvelle classe
bourgeoise de possédants et de capitalistes, d’intermédiaires et
de commerçants, se fait, pour l’essentiel, au détriment de la
noblesse qui n’a pas saisi à temps la signification des transfor­
mations en cours. Cependant, les classes sociales les plus pauvres
continuent de vivre à l’intérieur de l’enceinte de la ville. Malgré
la succession des régimes, malgré des mouvements parfois
violents, malgré des revendications sociales inconnues aupara­
vant dans l’É tat des papes, la ville reste fidèle à son passé, elle ne
subit aucune transformation.
Cette « pause » marque en fait l’achèvement de la ville que
nous appelons aujourd’hui historique ou ancienne. Après l’an­
nexion au royaume d’Italie, les grands travaux d’aménagement
du réseau ferré et la construction des banques altèrent une partie
du tissu urbain et changent les rapports de la ville avec la
campagne, faisant dém arrer le processus de substitution qui
engendrera une série de nouveaux éléments impossibles à
intégrer dans l’ancienne structure urbaine. Et quand le déve­
loppement industriel commencera, une ville neuve naîtra, hors
les murs qui seront d’ailleurs abattus. La ville ancienne lui sera
subordonnée, d’où de nouvelles percées, de nouveaux élargisse­
ments, des reconstructions qui se poursuivront jusqu’à nos
jours...
L’équilibre remarquable auquel était parvenue la ville histo­
rique sera compromis par une série d’interventions successives,
au cours des cinquante années qui conduisent de la Bologne
historique à la Bologne nouvelle. Pourquoi? Il faut préparer la
ville au capitalisme bourgeois, qui remplace le pouvoir usé de la
vieille noblesse féodale. Pour ce faire, on choisit des solutions et
des modèles de croissance typiques de la cité industrielle des
régimes autoritaires : le conflit est consommé entre un passé,
désormais « historique », et un présent qui n’a plus rien de
commun avec lui. Ce conflit devait rester sans solution. Il
marque le début du développement urbain de type capitaliste.
Les citadins les plus pauvres restent en marge, mais acquièrent
un rôle fondamental dans le processus naissant d’accumulation
du capital foncier. En les transférant du centre de la ville vers la
45
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

périphérie, on ne libère pas seulement les terrains pour des


spéculations d’autant plus rentables qu’elles sont plus centrales.
On cantonne chaque classe sociale dans un espace particulier
dont l’éloignement par rapport au centre est fonction du niveau
économique de ses habitants.
Au moment de l’occupation napoléonienne, Bologne a envi­
ron 70 000 habitants. Elle en compte 74 000 en 1853. De 1808
à 1840, la croissance de la population est deux fois plus rapide
dans les faubourgs qu’en ville. Même le reste de l’évêché croît
sensiblement plus vite que Bologne : c’est pour la campagne
bolonaise une époque de croissance démographique régulière qui
donnera lieu à l’intégration dans l’agglomération urbaine de la
zone immédiatement contigue à l’ancien centre. Dès 1861, date
du premier recensement italien, Bologne enregistre une popu­
lation de 100 000 habitants. Ces données démographiques sont
demeurées à peu près constantes, n’accusant que des variations
modestes et toujours très lentes, pendant toute la durée de
l’hégémonie pontificale : elles peuvent donc servir de repère
chronologique pour situer, d’un côté la consolidation d’une
structure urbaine accueillant une population pratiquement fixe,
de l’autre la transformation de cette structure sous la pression
d ’une croissance démographique permanente à partir de la
dernière moitié du x v i i p siècle, provoquant l’adoption de solu­
tions incompatibles avec l’organisation précédente.
Cependant, ce n’est pas un hasard si, pendant la période où la
cité disparaît pour devenir un centre historique, les interventions
des urbanistes et des architectes n’entament pas la structure
urbaine léguée par les siècles de présence pontificale. Deux
facteurs essentiels y contribuent : l’absorption, pour des usages
civils, du patrimoine ecclésiastique mis en vente avec les biens
nationaux, et la vogue romantique de l’architecture et des styles
médiévaux, remis à l’honneur. L’expropriation des biens de
l’Eglise par Napoléon n’avait pas pour but une distribution plus
équitable de la propriété mais le financement de la guerre. Toute
tentative d’éponger la dette publique passait obligatoirement par
la vente et la démolition de propriétés ecclésiastiques jadis
immenses. Les grandes abbayes, qui avaient joué un rôle éminent
dans tout le développement de la ville, continuent à l’assumer en
46
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

cette phase qui voit la fin de la ville historique : elles satisfont de


nouvelles demandes publiques (écoles, hôpitaux, casernes, pri­
sons, musées, archives), canalisant l’activité architecturale non
seulement à l’intérieur de la cité, mais surtout vers le territoire
« hors les murs », investi pour la première fois par une forte
poussée démographique.
Les grands travaux se situeront surtout à la périphérie, du fait
que la ville devra donner priorité aux opérations publiques
d’intérêt général. Sous Napoléon, des boulevards sont ouverts à
l’extérieur des murs. En 1801, on réalise les arcades qui
mèneront à la Chartreuse (devenue cimetière) et on met en
service la première installation d’éclairage public. Le corps des
sapeurs-pompiers est créé en 1812. Le parc de la Montagnola est
ouvert en 1806, le théâtre de l’Arène du Soleil est inauguré en
1810, celui de Pontavalli en 1814. L’un et l’autre sont construits
sur l’emplacement d’anciennes abbayes. Ces édifices, petits ou
moyens, n’expriment que d’une manière très superficielle les
modes culturelles de leur époque et peuvent ainsi s’insérer sans
solution de continuité dans l’architecture du passé, qui demeure
le modèle de référence sous l’occupation française, puis lors de la
restauration pontificale. Les architectes participent consciem­
ment à la sauvegarde de l’équilibre urbain et leurs œuvres sont
intégrées dans le tissu existant afin de parachever l’héritage de la
tradition. D’où un intérêt croissant pour les aménagements
intérieurs et pour une meilleure utilisation des édifices anciens,
selon les goûts et les exigences des temps nouveaux.
Ce n’est pas un hasard si l’année 1849 voit publier un décret
améliorant le logement des pauvres. Ce n’est pas non plus un
hasard si, pendant toute la première moitié du siècle dernier, les
opérations de restauration (cherchant plus à recréer qu’à
conserver) suivent les modèles de l’architecture bolonaise médié­
vale ou proto-renaissante et inaugurent ainsi une nouvelle
méthode face à l’évolution urbaine. D’un côté, les constructions
nouvelles em pruntent leur style aux monuments romans, gothi­
ques et de la première Renaissance. D’un autre côté, la
restauration ou, mieux, l’invention qui se déploie à son occa­
sion, promeut une série d’impostures historiques qui contribueront
de façon décisive à façonner la morphologie de la ville. En
47
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

particulier, la manie de compléter les monuments à restaurer (en


perçant des nouvelles ouvertures, en reconstituant les parties
manquantes) continuera à sévir pendant longtèmps et, à assez
grande échelle, surtout durant la deuxième moitié du xix' siècle,
et jusqu’aux premières années du X X e. Mais ces dernières
restaurations se situeront dans un contexte complètement
différent, marqué par les percées les plus impitoyables, la
destruction des murailles et des tours de l’enceinte de l’an Mil, la
transformation de quelques-unes des voies maîtresses de la ville
historique.
La célèbre vue axonométrique de Bologne, peinte au Vatican
en 1575, constitue la référence iconographique obligée de toute
la cartographie bolonaise pendant au moins deux siècles. « Parmi
les espaces encore cultivés ou occupés par des jardins m araî­
chers, l’un des plus vastes est celui situé entre le canal de Reno,
les murs depuis la porte San Felice jusqu’à la porte delle Lame et
les rues qui portent le nom de ces portes. Ainsi, derrière l’église
San Domenico, près de la via Castiglione, on trouve des champs
régulièrement divisés. Le vide de Bentivoglio, où se trouvait —
les vieux Bolonais s’en souviennent — un édifice superbe, est une
esplanade informe couverte de mauvaises herbes qui est devenue
le lieu privilégié des jeux populaires. La Montagnola, que nous
verrons par la suite écrêtée et plantée, est une petite colline
dénudée, ravagée par l’érosion et entourée par des jardins et des
prés. La piazza del M ercato qui devait prendre, après deux
siècles, le nom de piazza d’Armi, est une vaste prairie qui paraît
même un peu accidentée, coupée par deux voies principales
croisées et par des chemins secondaires. Le terrain qui jouxte la
porta Galliera, appelé jusqu’à ces dernières années Orti Gara-
gnani, est à cette époque un vaste et délicieux jardin. Le plan y
montre la villa d’été de la famille Poeti et un grand bassin
elliptique. L’esplanade que nous appelons maintenant piazza
Malpighi — et familièrement Selciata di San Francesco — ,
conserve encore les traces du fossé qui longeait le vieux mur
démoli trois siècles auparavant. Ce fossé est même encore
franchi par un pont. La piazza San Domenico, engazonnée, est
traversée par des allées plantées. »
Il a paru opportun de rappeler la description de cette carte du
50
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

Vatican dressée au siècle dernier par Comelli. En effet, elle fixe


les traits de la ville, restés à peu près tels quels jusqu’au milieu du
xix' siècle. Bologne est encore pour l’essentiel une ville médié­
vale. La seigneurie et l’hégémonie du pape ont contribué à
consolider les caractères de son architecture mais la structure
urbaine est imputable au gouvernement qui, vers la fin du
x vir siècle, avait lancé une série de travaux importants pour
réorganiser la ville.
Toute l’iconographie successive de Bologne renvoie donc à la
fresque vaticane. C’est seulement en 1712 que, sur la base de
mesures plus complètes effectuées par G. Monari et A. Laghi,
fut dessiné un plan (sans figuration des édifices en élévation) qui
constitua la base de tous les plans du xvir siècle. Il fallut encore
un siècle pour obtenir un plan cadastral plus perfectionné de la
cité et de son territoire ou plutôt de la cité seule : le relevé
géodésique entrepris par des spécialistes milanais sous la
direction de Carlo Verza de 1813 à 1814. C’est cette dernière
expression de la volonté scientifique du gouvernement napoléo­
nien qui, grâce à sa précision, a servi de base aux réaménage­
ments ultérieurs. On y retrouve la forme de nombreux édifices
sacrés et profanes, l’architecture monumentale qui caractérise
l’iconographie des siècles précédents et offre un témoignage
précieux sur la paysage urbain, théâtre de la vie quotidienne. La
cité parfaitem ent relevée s’apprête pour ses transformations
futures et successives.
En effet, dès que le chemin de fer dessert la ville et que la gare
est construite, l’idée est immédiatement lancée à Bologne de
tracer une voie rectiligne entre la gare et le centre, conformé­
ment aux principes urbanistiques venus de France et adoptés par
bien d’autres villes italiennes. Les projets pour cette nouvelle voie
sont exposés dès 1862, mais sa réalisation ne commence qu’en
1884, en relation avec une forte croissance démographique et
une accélération parallèle du rythme de la construction : en
1881, Bologne compte déjà 120 000 habitants.
Les nouvelles pressions sociales suscitent la création, en 1861,
de la Société ouvrière de Bologne, placée sous la présidence
d’honneur de Garibaldi, puis, en 1864, la construction des
premières maisons ouvrières. Mais l’attention de la municipalité
51
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

est tournée essentiellement vers le décor de la ville, vers les


problèmes de circulation et vers l’assainissement urbain. Les
opérations les plus importantes ont toutes pour objet des percées,
des démolitions, le prolongements ou la rectification de voies de
circulation ou de places. Dans cette optique, on décide en 1860 de
créer la via Farini, dont le tracé devait suivre celui de la via
Borgo Salamo et de la via dei Libri. Entre 1860 et 1870 on élargit
donc ces deux voies en abattant de très nombreuses maisons.
Toujours en 1860, on démolit une série d’édifices dans le canton
dei Fiori. En 1861 on procède à d’autres démolitions pour élargir
la via Saragozza et créer une esplanade près de la nouvelle porte.
En 1862, on commence les travaux pour aménager la piazza
Cavour. Deux édifices nouveaux modifient brutalement les
quartiers anciens : l’agence de la Banque nationale, en 1863, et
surtout la Caisse d’épargne, bâtie entre 1868 et 1871, qui devait
préluder à la création de la piazza M inghetti, achevée en 1893.
Pour améliorer la circulation sur la piazza Ravegnana, on abat
en 1871 la chapelle Malvezzi, adossée à la tour Garisenda et on
transfère dans la cathédrale San Petronio la statue de son saint
protecteur, qui était au milieu de la place. En 1875, on
commence les travaux pour la création du parc M argherita. En
1877, la piazza Maggiore est libérée du marché, transféré piazza
San Francesco.
En 1889, le nouveau plan directeur entre en vigueur. Il codifie
les méthodes adoptées jusque-là et prépare ainsi toute une série
d’opérations conçues dans le même esprit et dont beaucoup
seront réalisées. Les attendus de ce plan livrent les principes qui
ont guidé ses auteurs. Les partis pris par le plan directeur
peuvent être résumés dans les grandes idées suivantes, à
savoir :
1. construire des rues nouvelles et en élargir d’autres;
2. élargir un certain nombre de voies principales;
3. rectifier et améliorer les autres voies d’importance
moindre.
Ces principes sont suivis de toute une série de propositions qui,
si ce plan avait été complètement appliqué, n’auraient plus laissé
une seule voie intacte dans la ville historique.
En 1889, la population de la commune dépasse 138 000
52
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

habitants. Le plan directeur, s’il effectue pour le cœur de la ville


des choix conformes aux conceptions urbanistiques italiennes de
l’époque, restera pratiquement lettre morte en ce qui concerne le
développement urbain : il était déconnecté du réel au moment de
son étude et se trouva, au contraire, dépassé par la réalité au
moment où il aurait effectivement pu être appliqué, trente ans
plus tard, lorsque la ville déborda de l’enceinte primitive.
Le développement urbain des années vingt est une consé­
quence du phénomène d’urbanisation amorcé au début du siècle,
lui-même dû à la crise agricole permanente qui entraîna un
chômage et un sous-emploi très importants dans les campagnes.
La population de la ville est alors proche de 200 000 habitants.
L’immigration des ruraux se fait vers le centre historique, bien
que les possibilités d’y travailler soient modestes. En fait,
l’immigré a toujours l’espoir de s’intégrer d’une manière ou
d’une autre à l’une des petites activités commerciales et
artisanales qui furent à l’origine du développement économique
de la ville. Au cours du premier après-guerre, on assiste,
parallèlement à la croissance démographique, à une augm enta­
tion de l’emprise résidentielle des petites entreprises industrielles
qui connaissent alors une phase d’activité assez intense.
G râce à cet ensemble complexe de facteurs démographiques et
économiques, la ville prend une nouvelle dimension. Aussi, les
premiers faubourgs, qui s’étaient timidement implantés hors les
murs, croissent-ils rapidement. Le développement urbain prévu
par le plan de 1889 avec des caractéristiques formelles et
quantitatives précises, se réalise selon des formes mais surtout
avec un contenu bien différents. Les parcs, les jardins, les
esplanades sont supprimés et les coefficients d’occupation des
sols prévus par le plan de 1889 sont donc modifiés sous l’effet
d’une spéculation qui avait déjà commencé lors des premiers
éventrements intra-muros et n’avait pas tardé à transférer ses
objectifs sur les terrains agricoles.
La période fasciste marque l’arrêt du développement physique
et économique de la ville, à quelques exeptions près, qui auront
seulement des conséquences négatives. Du point de vue écono­
mique, entre 1931 et 1936, seules quelques entreprises, liées à
l’industrie des armements et à la politique d’autarcie, parvien­
53
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

nent à se développer. Au plan urbanistique, il faut signaler, entre


1936 et 1940, quelques opérations sectorielles à caractère
nettement démagogique. La chronique urbanistique bolonaise
retient, en fait, vers la fin de cette période, deux événements : le
concours national pour l’aménagement de l’entrée de la nouvelle
via Roma (aujourd’hui via Marconi) en 1936 et le concours pour
le nouveau plan directeur de la ville en 1938.
Le premier dissimule une classique opération spéculative,
réalisée dans le centre historique sous un masque « curatif »,
selon la méthode expérimentée quelques années auparavant lors
de la construction de l’université. Le prétexte était, comme
toujours, la nécessité d’améliorer la circulation. Le résultat
pratique fut la création d’un des carrefours les plus probléma­
tiques de la ville... Q uant au résultat architectural, il fait partie
intégrante de l’héritage du régime fasciste. Cette opération aura
des conséquences de longue durée : elle sera terminée seulement
après la guerre.
Le concours de 1938 marque le début d’une longue série de
projets qui ne se term inera que vingt ans plus tard avec
l’approbation du plan directeur. Citons quelques jalons : schéma
de l’aire métropolitaine (1940-1942); projet de plan directeur,
même époque; élaboration (1945-1946) d’un nouveau plan
directeur, jamais approuvé; plan de reconstruction de 1947.
M algré la durée des études, on retrouve les solutions proposées
au départ. Le résultat définitif, le plan de 1958, n’est que le
projet d’avant-guerre, à peine revu et corrigé. L’analyse de
celui-ci ne permet pas d’expliquer cette pérennité : le parti
adopté est celui d’une expansion plus ou moins articulée, mais
sans direction privilégiée; aucune alternative n’est prévue qui
puisse s’opposer à l’organisation centripète de Bologne, l’a t­
tention est essentiellement centrée, dans une optique réductri­
ce, sur les problèmes de voirie. C ’est la période « techniciste »
de l’urbanisme italien qui tente d’organiser le développement
rapide des agglomérations urbaines en axant la recherche sur
les moyens et ignore toute vision globale de l’organisme
urbain.
Pourtant, la longue période de gestation du schéma directeur
de Bologne recouvre l’avènement d’une nouvelle période, cor­
54
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

respondant à une profonde coupure dans la vie du pays. La


nouvelle situation politique permet une transformation des
rapports sociaux, qui ne trouve cependant son expression ni dans
les programmes d’urbanisme des municipalités ni dans les plans
des techniciens. A Bologne, la municipalité démocratique a
repris à son compte et mis en application le vieux projet de l’ère
fasciste. Elle a même tiré quelque fierté de parvenir, malgré les
moyens limités dont elle disposait, à fournir en temps et en heure
à la ville la voirie, les égouts, l’éclairage public, le système de
transports dont elle avait besoin. Mais elle n’a pas formulé de
nouveaux principes urbanistiques en accord avec les perspectives
sociales de ses programmes politiques. Elle a renoncé à se battre,
ne fût-ce qu’avec les faibles armes de la législation fasciste, pour
offrir à ses habitants un milieu urbain mieux adapté, ou même
pour conserver la possibilité de le réaliser plus tard. Et cette
démission lui a coûté cher en terrains à acquérir pour les
équipements indispensables. Cette politique représente une
défaite idéologique devant la pression de la spéculation immo­
bilière. Le plan directeur de 1958 exprime une politique où on se
soucie plus de la possibilité de réalisation d’un programme que
de sa signification.
Dans la ville historique, le nouveau plan directeur provoque
des dommages irréparables : la reconstruction des quartiers
sud-ouest, détruits par les bombardements de 1943-1944, selon
des principes qui paraissent dictés par les spéculateurs eux-
mêmes; la démolition de l’îlot compris entre la via Farini et la via
Foscherara; l’urbanisation des jardins de San Domenico et des
parcs limitrophes; l’implantation de constructions dans les
jardins du couvent San M attia dans la via Ca Selvatica; la
construction de la faculté des sciences économiques. La spécu­
lation immobilière et une ignorance profonde des valeurs
historiques et spirituelles du centre de Bologne expliquent ces
actes purement destructeurs.
Un mouvement en faveur de la sauvegarde se dessine au début
des années soixante, solidaire d’une prise de conscience du
caractère exceptionnel du patrimoine de la ville. Une bataille
spectaculaire est livrée en 1962 pour éviter la démolition de
l’église San Giorgio. L’année suivante commence une recherche
55
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

sectorielle sur les principes à suivre pour réviser le plan directeur


relatif au centre. Le travail s’achèvera en 1966 et ses résultats
seront rendus publics à l’issue d’un colloque sur les problèmes
d’aménagement posés par les centres historiques. Mais, à côté de
quelques interventions où sont appliqués, de façon encore
imprécise, les nouveaux critères de conservation, il faut citer de
nouvelles opérations destructrices : la construction de nouveaux
édifices dans la via San Petronio Vecchio, la destruction et la
reconstruction des maisons de la via Santo Stefano sur l’initiative
de l’Office municipal d’habitat social (Instituto Autonomo delle
Case Popolari) et la reconstruction du siège de la Caisse
d’épargne, piazza Cavour.
En 1969, le Conseil municipal approuve la révision du plan
pour le centre historique. Le principe de conservation, conçu
comme solidarisant la connaissance du passé et la programm a­
tion de l’avenir, acquiert force de loi. Ce plan directeur, et le plan
ultérieur promouvant l’habitat social dans le centre historique,
représentent un moment fondamental dans le processus d’am é­
nagement de la ville. Il faut y ajouter les mesures relatives à la
protection des collines périphériques et de l’ensemble du sol
municipal ainsi qu’un nouveau plan, en 1970. Le plan d’ensem­
ble s’inspire d’un schéma directeur de l’aire métropolitaine établi
en 1967, tendant à favoriser un développement équilibré de
Bologne et de son hinterland. En 1968, déjà, la piazza Maggiore
ayant été rendue aux piétons, cette mesure avait constitué la
préfiguration d’un usage diversifié du centre historique et
comme l’introduction à une politique de réappropriation de
l’ensemble de la ville par ses usagers.
Le nouveau plan directeur, fruit de dix années de débats, de
recherches, d’études — et aussi de conflits — fruit surtout d’un
travail en profondeur dû à la contribution décisive des habitants,
constitue, par son contenu politique et ses objectifs sociaux, un
témoignage majeur et l’incarnation même de l’urbanisme
bolonais. Le nouveau plan prévoit en toutes lettres que « de
nouvelles constructions urbaines ne pourront être élevées sur le
territoire bolonais que si la collectivité a acquis, au préalable, les
sols nécessaires ». Il est en outre prévu « pour la ville existante un
réseau d’équipements destinés à satisfaire les besoins de base
56
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

déjà avérés et à assurer de nouvelles possibilités de développe­


ment urbain ». Il s’agit donc essentiellement d ’un plan de
services publics qui donne à l’instrum ent urbanistique un
caractère politique dépourvu de tout technocratisme.
5. La participation des citoyens

Le cadre politico-administratif dans lequel sont élaborées les


affaires urbaines ne constitue pas seulement le contexte dans
lequel se manifeste et se réalise l’activité spécifique de la
planification qui ne peut en être dissociée; il est à l’origine même
des particularités culturelles propres aux instruments d’inter­
vention sur la ville, quels qu’ils soient. Des liens profonds lient
aujourd’hui, comme autrefois, les partis d’aménagement urbain
et leurs implications économiques, donc politiques. Le fait que
les instruments de planification soient définis par des textes
juridiques rend indispensable de se référer en permanence au
contexte juridico-politique, si l’on veut en appréhender correc­
tem ent le contenu.
En 1970, lors de l’adoption du nouveau plan directeur, la
municipalité fit figurer les conseils de quartier et leurs commis­
sions d’urbanisme parmi ses auteurs. Elle entendait ainsi à la fois
faire connaître publiquement tous les auteurs de ce document et
m ettre en évidence la nouvelle méthode utilisée pour son
élaboration. Ce plan n’était plus l’œuvre d’un urbaniste plus ou
moins célèbre, du traditionnel démiurge qui, durant les années
soixante, avalisait et signait tous les projets d’aménagement,
quelle que fût leur échelle, du lotissement au plan intercommu­
nal. Ce plan était l’œuvre des intéressés, des représentants des
citoyens, qui signaient le destin de leur ville. La nouvelle
méthode ne s’inspirait donc nullement des dernières conquêtes
de la mode, des derniers modèles théoriques. Elle proposait, au
contraire, un système perm ettant d’attribuer à la cité un visage
dont les traits seraient dessinés par la participation directe et
58
DE LA CITÉ AU CENTRE HISTORIQUE

démocratique (tenant compte des avis opposés) de tous ceux qui


se sentaient effectivement intéressés par l’avenir de leur propre
territoire.
Le slogan creux de la planification « continue et démocrati­
que » devenait une réalité concrète. Le plan directeur cessait
d’être un dogme que son immunité technocratique figeait dans le
temps et dans l’espace. Il s’imposait comme un instrument de
planification ajustable, en permanence, au gré des changements
économiques et sociaux affectant, jour après jour, la ville et ses
habitants. Le plan directeur et le choix de ses auteurs ne
résultaient ni d’une improvisation ni d’une machiavélique
manœuvre électorale. Ils représentaient l’aboutissement d’une
expérience ayant des racines profondes et dont l’origine remonte
à l’institution des conseils de quartier.
Les quartiers de Bologne ont été créés en 1964. Selon des
dispositions inspirées par l’ancienne législation communale et
provinciale, la ville fut divisée en quatorze secteurs, dont le
périmètre est, à peu de chose près, marqué par les faubourgs
(borghi) et diverses entités urbaines qui s’implantèrent au cours
de l’histoire à l’extérieur des murs de la ville. Ces quartiers
étaient représentés chacun par un conseil de vingt membres, élus
par le conseil municipal, dont ils reproduisaient la composition
politique. Les quatre conseils supplémentaires du centre histo­
rique furent créés en 1967. Ces conseils, leurs équivalents dans
d’autres villes italiennes et la législation qui a permis de les
mettre en place, tirent leur origine du programme électoral de la
démocratie chrétienne présenté par Giuseppe Dossetti en 1956.
C ’est, en effet, une proposition de ce programme qui fut
actualisée, huit ans plus tard, par le maire communiste Giuseppe
Dozza. Cependant, en ce qui concerne Bologne et plus généra­
lement P Emilie, dans la mesure même où ils perm ettent la
participation populaire et la collaboration entre partis politiques,
ces conseils de quartier doivent être rattachés au mouve­
ment populaire, plus important et plus ancien, qui, à la fin du
xix' siècle, m arqua la naissance et le développement du
socialisme dans cette région.
L’action de longue haleine, entreprise au lendemain de l’unité
de l’Italie pour défendre les intérêts des travailleurs agricoles au
59
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

moyen des « ligues », des sociétés de secours mutuel et des


coopératives trouve dans le quartier son milieu idéal, le lieu
naturel où le paysan, devenu citadin à part entière, peut
exprimer et revendiquer ses droits. Par ailleurs, d’autres facteurs
peuvent également rendre compte du destin de la participation à
Bologne. Car, s’il est un milieu où elle peut croître et prospérer,
c’est bien celui de la campagne toujours dominée par l’économie
de la ville. Or, en fait, cet esprit de solidarité réussit à survivre et
même à s’affirmer davantage, malgré l’avènement de l’ère
industrielle, à la faveur d’un développement industriel spécifique
caractérisé par des entreprises modestes, aux dimensions presque
artisanales, mais d’un très haut niveau technique et qui, pour
s’imposer, requiéraient la collaboration et la participation de
tous, patrons et ouvriers.
Une école technique, l’Aldini-Valeriani, fondée en 1878, joua
un rôle éminent dans la transformation de l’économie de la ville :
traditionnellement dépendante de l’agriculture, elle allait désor­
mais s’appuyer sur l’industrie, une industrie aux unités de
production modestes, mais très diversifiée, orientée vers les
techniques de pointe et la production des machines et de
l’appareillage nécessaires aux entreprises géantes. Le rôle de
cette école peut être comparé, m u tatis m utandis, à celui joué par
l’université lors de la Contre-Réforme, quand elle se spécialisa
afin de délivrer, à l’échelle de l’Europe, les enseignements
nécessaires aux agents de l’Eglise romaine pour mener leur
combat.
Ce type de structure industrielle a déterminé à Bologne des
modes spécifiques d’organisation du travail et, par voie de
conséquence, des types particuliers de rapports sociaux au sein
des entreprises où travailleurs et patrons appartiennent à une
même catégorie : une collaboration étroite des deux parties est
aussi indispensable à la survie de ce type d’industrie que l’est, à
la survie de la cité, la collaboration entre administrateurs et
administrés.
Au reste, les luttes paysannes et le mouvement syndical, en
Emilie et plus particulièrement dans le terroir de Bologne,
représentent la source historique de la participation. Selon le
manifeste élaboré en 1902 par la Fédération provinciale des
60
DE L A CITE AU CENTRE HISTORIQUE

« ligues d’amélioration » (Leghe di M iglioram ento), « la Ligue


doit être considérée comme le centre principal où affluent les
forces des travailleurs qui veulent s’émanciper de l’exploitation
des patrons. En unissant les désirs et les aspirations de centaines
et de milliers de travailleurs, on rassemble aussi leurs vices, leurs
défauts, leurs misères. A peine née, la ligue a été considérée
comme le remède miraculeux à tous les maux qui frappent la
classe laborieuse et d’aucuns n’ont pas encore compris la mission
morale, éducative, que doivent remplir les ligues. La ligue doit
être une grande école à laquelle il incombe de graver dans l’esprit
des travailleurs les germes d’une nouvelle morale, non plus
fondée sur l’intérêt individuel mais sur l’intérêt de l’ensemble de
la classe ouvrière. »
Le ton et, davantage encore, la terminologie sont typiques de
la littérature socialiste de l’époque. Mais si ce discours s’adresse
au monde paysan, sa philosophie et ses intentions politiques sont
celles qui conduisent Dossetti à revendiquer l’institution des
conseils de quartier afin de donner un cadre à la nécessaire
collaboration des citoyens à la gestion de la ville. Cette
collaboration ne peut se manifester que par une association
exaltant le rôle social de l’individu, « dépassant ainsi les
comportements spécifiques qui poussent la civilisation moderne à
la passivité et à l’isolement ». Comme les travailleurs agricoles
du début du siècle, le citoyen doit « participer » pour défendre ses
droits, pour exercer un impact sur des choix qui sont habituel­
lement l’apanage du pouvoir économique et administratif.
Le programme électoral présenté en 1956 par la démocratie
chrétienne dans son Livre blanc sur Bologne stipule que
« l’avenir de la ville intéresse et doit intéresser tous les citoyens.
Tous devront spontanément contribuer à le définir tant par leur
manière de penser et de vivre que par leurs aspirations, leurs
misères et leur travail... ».
La politique visant à créer des assemblées de quartier pour
décharger l’administration de la ville par la participation des
citoyens à la résolution de l’ensemble complexe des problèmes
urbains reflétait les principes élaborés à l’époque par l’élite des
urbanistes italiens.
Réunis sous l’égide d’Adriano Olivetti au sein du mouvement
61
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

« Communità », ces urbanistes appelaient de leurs vœux un


développement urbain imputable à un organisme qui fût à la fois
autonome et partie intégrante de la ville. L’institution du
« quartier » était donc présentée comme la réponse à une
situation déjà préoccupante. Elle apparaissait surtout comme le
moyen d’opposer l’initiative publique aux menées d’un secteur
privé, de jour en jour plus fort et plus agressif. Le concept
urbanistique de quartier présentait, en outre, une signification
idéologique : dans les quartiers « bourgeois », les fonctions
sociales se réduisent au logement, au moyen duquel on s’isole et
on nie la vie collective. La villa, l’hôtel particulier, expriment
cette tendance. Le quartier nouveau devait, au contraire, effacer
l’idée de la parcelle privée et constituer la matrice de la ville
future dans la mesure où des logements devaient être conçus et
réalisés en même temps que les équipements collectifs.
Le « quartier » issu de cette approche théorique aboutit, au
moins partiellement, à une sorte de mystification. Il devint un
symbole, une formule facile, à laquelle renvoyer toutes les
propositions concernant la cité future. L’erreur la plus grave de
ses promoteurs fut de n’avoir pas prévu l’explosion urbaine qui
commençait précisément à l’époque et trouvait dans les quartiers
autour de la périphérie l’expédient perm ettant d’urbaniser les
terrains compris dans l’espace qui les séparait du cœur de la ville.
Dépourvus d’équipements sociaux et rien moins qu’autosuffi­
sants, en fait, les quartiers construits par les pouvoirs publics
devinrent le simple réceptacle des flux migratoires, toujours plus
importants, qui convergeaient en direction des villes et des aires
métropolitaines. Le nouveau concept de quartier a néanmoins
joué un rôle de stimulant. Il a pu perm ettre à certains élus
locaux, et même à de simples citoyens, de prendre conscience de
leurs responsabilités, il a pu contribuer aux ébauches d’une
nouvelle approche de la ville.
Naturellem ent, les quartiers conçus par les urbanistes étaient
bien différents de ceux entre lesquels se subdivise Bologne. Ces
quartiers de dimensions modestes devaient permettre une nou­
velle organisation du développement urbain, ne concernant
aucunement la cité déjà bâtie ou déjà définie au plan de
l’urbanisme par les anciens schémas directeurs.
62
DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

C ’est après l’échec pratique de ces quartiers « urbanistiques »,


que fut finalement tentée une expérience tendant à réorganiser la
ville en quartiers « administratifs », qui n’auraient plus une
valeur architecturale ou urbanistique, mais politique. Il fallait,
en les créant, éviter de les considérer comme une version
moderne des anciens quartiers (contrade) siennois ou de ces
communautés qui n’étaient unies que par un esprit et des idéaux
communs : une transposition contemporaine de la vie commu­
nautaire médiévale n’aurait eu, en effet, aucun sens. On n’habite
pas un quartier, mais une ville dont fait, en outre, partie sa
périphérie. Par conséquent, la configuration du quartier devait
(et doit) correspondre aux nouveaux rapports sociaux imposés
par un cadre institutionnel complètement différent de celui
d’autrefois. Elle imposait (et impose) de nouvelles méthodes
d’aménagement urbain et une nouvelle conception des instru­
ments de l’urbanisme. En même temps, le « quartier » devait
devenir le centre de la résistance contre les tendances urbanis­
tiques alors opérationnelles, c’est-à-dire le centre de la partici­
pation des citoyens à la transformation des espaces qui jusque-là
leur étaient imposés et conditionnaient leurs comportements.
Le développement de la participation dans le cadre des
quartiers bolonais a été long et laborieux. Cependant, cinq ans
après leur création, un rapport officiel constatait l’importance de
« la participation effective des organes de quartier à l’élaboration
du nouveau plan directeur des collines et du centre historique.
Sans leur participation, ce plan serait resté essentiellement
technique. On a voulu que ces quartiers fournissent les données
de base concernant les besoins réels de la collectivité et
définissent ensuite les formes du développement de la ville. Ainsi,
la politique de planification urbaine pourra-t-elle être continue et
les quartiers y joueront-ils le premier rôle. Ils seront maîtres de
leur propre cadre urbain, d’une ville réellement aux mesures de
l’homme... ».
Dans le débat sur les problèmes du centre historique, les
conseils de quartier s’appuient non seulement sur des arguments
théoriques mais sur des projets qui adhèrent à la réalité concrète
telle que l’appréhendent les conseils eux-mêmes. Dès 1968, les
quartiers ont un droit de regard sur toutes les demandes de
63
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

permis de construire. Deux ans plus tard, l’avis de leurs


commissions urbanistiques prend force de loi. En d’autres
termes, la municipalité ne demande plus seulement aux quartiers
de participer aux programmes et d’en justifier les options, mais
elle fait en outre appel à eux pour leur gestion et leur mise en
œuvre, perm ettant ainsi un contrôle continu du déroulement des
opérations et de la qualité des partis adoptés.
On peut considérer que la décision prise le 21 septembre 1960
par le conseil municipal de Bologne, divisant la ville en quatorze
quartiers, représente la première expérience démocratique de
décentralisation administrative réalisée en Italie. Dans la suite,
le conseil municipal décida aussi de décentraliser une série de
services administratifs à caractère social et de les intégrer dans
chaque quartier à des centres de « vie civique », gérés par des
« maires adjoints », assistés de conseillers. La décision fut ratifiée
en mars 1963. Les premiers maires adjoints et leurs conseillers
furent élus en juin 1964.
A l’origine, la représentation politique au sein des conseils de
quartier était proportionnelle à celle du conseil municipal.
Depuis 1975, la représentation de chaque quartier est propor­
tionnelle aux résultats électoraux propres à ce quartier. La
majorité peut donc ainsi varier d’un quartier à l’autre et différer
de celle du conseil municipal. Il est vraisemblable que dans un
proche avenir, les habitants des quartiers pourront élire leurs
conseillers au scrutin direct.
• Les principales attributions du conseil de quartier consistent
à:
1. Faire des propositions et donner des avis en ce qui
concerne le budget municipal, les plans pluriannuels de
développement ainsi que les programmes de travaux
publics, les grandes options concernant l’aire métropolitaine
(implantations commerciales et industrielles, voirie); définir
éventuellement de nouvelles orientations relatives à la
délivrance des permis de construire dans le quartier;
2. Prendre toute initiative pour mieux assurer aux citoyens
habitant ou travaillant dans le quartier, la jouissance des
droits accordés par la Constitution, notamment en ce qui
64
f

DE LA CITE AU CENTRE HISTORIQUE

concerne les écoles, la culture, l’assistance sociale, les


transports, la santé, la sécurité sociale, les loisirs et les
sports;
3. Prendre les décisions concernant la création de centres de
médecine préventive et de lutte contre les accidents du
travail. A la demande des ouvriers des usines du quartier, le
conseil peut, dans le cadre de la législation sociale, prendre
part au contrôle des conditions de travail et décider les
mesures propres à assurer la protection physique des
travailleurs;
4. Collaborer avec la municipalité à la restructuration des
services municipaux;
5. Trouver les formes adéquates perm ettant la consultation
des citoyens sur les problèmes particuliers du quartier, ceux
de la ville et, éventuellement, de la communauté urbaine;
6. Prendre toute initiative pour assurer l’information la
plus démocratique et la discussion la plus large des
problèmes concernant le quartier et la ville.

Le conseil de quartier élit son président qui est ensuite nommé


par le maire et reçoit ainsi un statut d’administrateur. Mais c’est
dans les commissions de travail et dans les assemblées de
quartier que se réalise la participation populaire. Les commis­
sions sont chargées de déterminer les secteurs d’intervention ou
encore de régler des problèmes particuliers afin de perm ettre au
conseil de quartier de mieux percevoir la volonté des citoyens et
la nature des difficultés spécifiques rencontrées dans le quartier.
Les commissions entreprennent des études, des enquêtes, font
des propositions et préparent ainsi les mesures que seul le conseil
peut prendre. Ces commissions doivent se référer périodique­
ment au conseil de quartier qui assume la responsabilité de leurs
actes. En outre, les conseillers sont appelés à participer aux
commissions des représentants d’associations ou même de
simples citoyens.
Les assemblées de quartier sont ouvertes à tous les citoyens
résidant ou travaillant dans le quartier. Elles sont destinées à
65

I
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

favoriser le contact direct de la population avec les organes du


quartier, à informer les citoyens sur l’activité de ces services
décentralisés, à promouvoir leur participation dans les débats
relatifs aux politiques respectives du quartier et de la ville. C’est
par le truchement de ces assemblées que la population exprime
ses avis sur des problèmes qu’elle peut avoir soulevés ou mieux
cernés et qu’elle peut aider à résoudre. Elle peut s’assurer que les
décisions prises sont bien exécutées de la manière prévue. Ce
système fonctionne d’autant mieux que les décisions à prendre
sont importantes. En l’espace d’une douzaine d’années, le
processus de participation est passé d’une première phase de
décentralisation, bureaucratique et administrative, à une
deuxième phase, politique, fruit d’une maturation et d’une
conquête collectives.
II

Les instruments opérationnels


pour le traitement
de la ville historique
1. Domaine et objectifs des interventions

Les instruments opérationnels qui définissent les critères pour


la conservation du patrimoine architectural de Bologne font
partie d’un ensemble de mesures urbanistiques prises par la
municipalité, non seulement pour maîtriser l’expansion de la
ville mais surtout pour exercer le contrôle des pouvoirs publics
sur tout le territoire communal.
Ce contrôle s’opère par l’intermédiaire des citoyens qui, au
sein des comités de quartier, contribuent à préciser les objectifs
politiques et sociaux. Les plans directeurs ainsi définis ne
peuvent pas être considérés comme des documents neutres ou
comme l’expression technocratique des problèmes d’aménage­
m ent de l’espace : ils sont destinés à concrétiser les choix
politiques de citoyens intéressés au devenir de leur milieu de vie.
L e processus enclenché au début des années soixante a signifié
pour Bologne et pour son district une redécouverte de l’urba­
nisme comme moyen politique de gestion des affaires sociales et
comme terrain de participation populaire. Ainsi l’urbanisme
devient une discipline à la portée de tous et la planification
urbaine n’est plus l’effet mais la cause du développement social
f t culturel de l’aire métropolitaine.
Cette politique nouvelle s’est exprimée concrètement, dans
tou* les domaines d’intervention des pouvoirs publics et de
l'initiative privée, par des instruments d’un type nouveau, qu’on
H* peut certainement pas trouver dans la littérature technique
Imaltionnclle. L’amélioration continue et l’expérimentation
UOtidienne de ces instruments à tous les niveaux — des plans
J '•m em b lc pour la ville jusqu’aux projets de détail, de la mise en

69
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

œuvre des plans jusqu’à la gestion des équipements par la


collectivité— ne relèvent pas seulement de l’administration
municipale : elles constituent aussi la garantie d’une « réappro­
priation » de la ville par ses habitants, ce qui est l’objectif ultime
de la politique urbaine de Bologne.
En ce sens, le plan directeur peut et doit être perpétuellement
mis à jour et modifié afin de respecter les volontés exprimées par
les citoyens en fonction de conditions économiques et culturelles
qui changent elles-mêmes du fait des choix antérieurs déjà mis
en œuvre. La liaison étroite entre urbanisme et choix économi­
ques se traduit à Bologne par les plans-programmes triennaux, et
l’on est parvenu, grâce à cette planification constamment affinée
du schéma directeur jusqu’au projet d’exécution, à gérer l’espace
selon les désirs de la population. Il suffit pour cela que les
citoyens déterminent, en accord avec les services municipaux, les
caractéristiques du plan, conciliant l’intérêt public et les exi­
gences des particuliers. La prise de conscience par les habitants
de leur « droit à la ville » arrache, en effet, le milieu urbain aux
formes habituelles d’exploitation, évite la spéculation et protège
ainsi la ville tout entière, en tant que bien de la collectivité. Il
s’agit donc d’une planification urbaine assurée constamment
« de l’intérieur », d’une planification qui n’est jamais déléguée ni
considérée a priori comme acquise.

La conservation du centre historique avec réhabilitation de


tout le patrimoine architectural a permis de définir une nouvelle
méthode d’urbanisme dans laquelle la « projetation » architec-
tonique devient une discipline nouvelle. En effet, les conditions
auxquelles a été soumise jusqu’ici la transformation de l’usage
des sols ont imposé des modèles d’architecture complètement
étrangers à l’inspiration populaire, ce qui leur enlève toute
valeur. D’où la crise de la pensée urbanistique et architecturale
italienne.
Dans le cadre d’une autre forme de planification urbaine, dès
lors que la volonté politique va de pair avec la qualité technique,
les opérations tendant à conserver le patrimoine architectural
prennent un caractère exemplaire. En effet, ces opérations
pourront redonner à la ville un aspect et une échelle perm ettant à
ses habitants de s’y reconnaître comme autrefois.
70
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Cette réhabilitation du patrimoine historique et des caracté­


ristiques de l’espace bâti et non bâti des villes et des campagnes
ne concerne pas seulement Bologne. Elle a été pratiquée dans
toute la région de l’Emilie-Romagne qui a adopté une ligne
politique et culturelle analogue à celle de sa capitale. Aussi
retrouve-t-on dans tous les plans directeurs des centres histori­
ques des villes de la région le refus du mythe trompeur de
l’architecture moderne, habituellement invoqué pour introduire
dans le tissu ancien — qu’il s’agisse de remplacements d’édifices
ou d’opérations d’urbanisme — les techniques du verre et de
l’acier utilisées dans les quartiers périphériques.
L’exemple de Bologne montre la possibilité — la nécessité —
d’utiliser le patrimoine architectural dans son ensemble, tout en
satisfaisant les exigences sociales de l’aire métropolitaine. Il
s’agit donc d’un maniement nouveau de l’architecture et de
l’urbanisme, d’une révision totale de leur finalité même. Le
rôle de l’architecte s’en trouve profondément modifié : il n’est
plus l’exécutant technique d’une tâche bien déterminée, mais
devient un homme politique, responsable, en tant que citoyen,
des choix exprimés par les comités et les commisssions de
quartier.
Le contrôle par les pouvoirs publics de l’utilisation du sol dans
le centre historique s’exerce depuis que la municipalité a adopté
le plan directeur en 1969. Il s’est renforcé avec la mise en œuvre
du plan-programme de 1973-1975 et avec l’application en 1973
de la loi sur l’habitat dans la ville ancienne.
Dans un centre historique, une fois établi que la politique
sectorielle de sauvegarde physique et sociale doit être étroite­
ment liée à la politique générale de développement social et
économique de la ville, il faut s’assurer que les conditions
d’ensemble sont de nature à garantir la réalisation effective de
cette politique pour un laps de temps d’une décennie environ. Il
s’agit donc d’évaluer, en une lecture critique sans cesse mise à
jour, les conditions nécessaires pour encadrer avec cohérence une
politique de conservation physique et sociale du centre histori­
que : celle-ci s’articulant elle-même selon les différents champs
de l’habitat, des équipements collectifs, des équipements uni­
versitaires, des transports, de l’assistance aux personnes âgées et
71
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

aux étudiants, de la décentralisation des activités de direc­


tion.
A Bologne, les choix fondamentaux qui constituent
aujourd’hui la tram e des efforts de la municipalité en matière de
planification s’inscrivent dans une série d’expériences déjà
anciennes : l’urbanisme comme choix politique remonte en effet
à l’institution des conseils de quartier auxquels le pouvoir
municipal avait été délégué pour définir les plans d’aménage­
ment de la ville.
Le premier choix traduit en termes de plan et de programme
fut, en 1967, le plan de rééquilibrage de l’aire métropolitaine
(dix-sept communes dont Bologne). Une modification du schéma
directeur de 1958 a été adoptée en 1970 : elle consiste à stopper
l’expansion de Bologne au profit de l’amélioration de la qualité
du cadre de vie dans l’ensemble du territoire métropolitain.
L’équilibre écologique et la création d’un parc territorial
suburbain étaient assurés par le plan directeur de 1969 pour la
zone des collines. La même année, le plan directeur pour le
centre historique garantissait la sauvegarde du milieu urbain
ancien et de son environnement naturel. Grâce à ces deux
mesures étaient posées les bases juridiques et économiques pour
la protection des parties les plus significatives de l’aire métro­
politaine.
C’est en 1973 et en 1974 qu’ont été approuvés les deux
programmes essentiels pour la réalisation de ces choix : le plan
pour le logement social dans les quartiers historiques et le plan
pour l’habitat dans le reste de l’aire métropolitaine, tous deux
fondés sur la mise en valeur du patrimoine existant. Le
plan-programme triennal élaboré par les comités de quartier
définissait les priorités en matière d’investissements, en parti­
culier pour les équipements collectifs, et permettait ainsi, pour la
première fois, aux instances « de base » de prendre leurs
responsabilités dans l’établissement du budget municipal.
La réussite de ces plans est directement liée à la politique
foncière (acquisitions de terrains et d’immeubles) menée au
cours de toutes ces années par la municipalité. Ainsi a pu se
constituer un fonds public perm ettant de traduire très rapide­
ment par des actions concrètes les priorités définies par le budget
72
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

des quartiers et par le plan-programme pour l’habitat social et


les équipements collectifs. Par ailleurs, des conventions-types,
pour les interventions dans les quartiers historiques d’une part, et
pour le logement social dans les quartiers périphériques d’autre
part, étaient adoptées en 1975-1976 afin de mieux contrôler
l’habitat.
Le contrôle de la municipalité sur le centre historique, en
particulier, s’exerce soit directement, soit indirectement. Le
contrôle direct prévoit la réalisation, au terme de conventions
techniques et juridiques, de plans d’aménagement de détail
concernant l’habitat, les équipements collectifs, les espaces verts,
l’université. Quant au contrôle indirect, il s’effectue par l’inter­
médiaire des comités de quartier qui examinent les permis de
construire du point de vue des modalités de la restauration et
surtout du point de vue de la destination proposée. En effet, pour
empêcher tout usage spéculatif, on exige le maintien des
occupants dans les lieux, on interdit les grands magasins ou
supermarchés, les entrepôts ou garages, on freine l’installation
des bureaux. Les coûts de l’amélioration des équipements
collectifs et de la voirie sont à la charge des promoteurs.
Pour donner une idée de l’importance numérique du contrôle
municipal direct, signalons les treize secteurs opérationnels pour
l’habitat, les divers ensembles conventuels ou palais destinés à
des services sociaux, l’aménagement des jardins publics, la zone
universitaire comprise dans le centre historique, sans compter le
patrimoine depuis longtemps communal ou du moins public, soit
plus de la moitié du centre historique. C’est donc une part
importante de la ville, puisque le centre couvre plus de 450 ha où
résident environ 80 000 habitants et où travaillent 4 000 em­
ployés du secteur tertiaire.
La politique de développement des services publics et des
équipements collectifs se traduit dans les budgets annuels de la
municipalité qui affectent toujours un poste pour les acquisitions
foncières et immobilières. Cette politique permet évidemment de
limiter l’influence que le système économique exerce sur
l’utilisation des terrains et des édifices. Elle permet de freiner la
spéculation foncière et immobilière d’autant mieux qu’elle est
également soutenue par des moyens de contrôle indirect.
73
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Ce contrôle indirect exercé sous la forme de conventions-types,


indispensables pour obtenir le permis de construire, représente le
seul moyen d’empêcher la transformation du centre historique en
résidence pour privilégiés. Ainsi, la municipalité, les comités de
quartier, les usagers-occupants imposent aux propriétaires et
aux promoteurs des règles perm ettant d’atteindre les objectifs
politiques dont le premier consiste à maintenir les catégories
sociales défavorisées et les types d’activité les moins structurées
dans les quartiers centraux, tout citoyen ayant droit au loge­
ment, aux équipements et au travail.
C ’est à ce stade qu’une politique fondée sur de nombreuses
conventions avec le secteur privé permet d’envisager une solution
au problème crucial de la maîtrise des sols et même de fixer
concrètement la destination de l’espace urbain, en faisant
participer les capitaux privés eux-mêmes à la mise en œuvre des
programmes d’habitat social. Mais il est évident que c’est à la
seule condition de résoudre le problème du double régime (public
et privé) foncier, c’est-à-dire de réussir à contrôler l’ensemble de
la rente foncière. En termes politiques, il s’agit de déplacer
l’exploitation du sol du centre vers la périphérie, en créant à
l’extérieur de nouveaux pôles d’attraction pour les activités
tertiaires et quaternaires.
De ce point de vue, le contrôle public de l’utilisation des sols a
été parfaitem ent réalisé à Bologne, grâce à une planification
continue et aux programmes triennaux. La planification conti­
nue consiste en compléments et correctifs apportés aux plans
directeurs; elle met à profit les qualités opérationnelles décelées
aux échelons supérieurs du plan détaillé et du projet architec­
tural, élaborés en liaison avec les organismes de quartier.
, En dernière analyse, la réalisation de ces plans est fondée sur
une m éthode qui traduit le refus de se limiter aux aspects
techniques — bureaucratiques — de la planification, les projets
et leurs objectifs sociaux devant être définis avec la participation
directe des citoyens. Ainsi le choix de l’affectation des sols et des
édifices, l’analyse de ces derniers, leur réaménagement éventuel
au profit d’équipements collectifs, les conventions enfin qui
incitent les propriétaires à participer à la restauration, sont des
aspects de la gestion démocratique de la ville.
74
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Finalement, pour sauver le centre historique, il est nécessaire


de concevoir les opérations spécifiques dans le cadre de l’amé­
nagement global de l’aire métropolitaine, afin que les quartiers
anciens ne subissent pas le contrecoup d’activités et de fonctions
incompatibles avec leur caractère et leur structure. Par ailleurs,
il faut élargir le concept de conservation à la fonction sociale des
centres anciens : la protection de ces biens culturels irrempla­
çables ne se justifie que si leur patrimoine humain est lui aussi
respecté, si l’on maintient sur place leur population et leurs
activités traditionnelles de direction. Faute de quoi, la conser­
vation du décor architectural et du paysage urbain deviendrait à
la longue indéfendable.
Une partie des fonds affectés à la construction publique doit
être consacrée à la réhabilitation des maisons anciennes, à la
conservation du centre historique et au réaménagement de ses
monuments, en tirant parti de toutes les possibilités offertes par
les lois. Parallèlement à l’intervention publique, il faut encou­
rager et promouvoir l’initiative privée, en la canalisant dans des
programmes définis par les pouvoirs publics. Bologne offre des
prêts à long term e aux particuliers, à condition qu’ils respectent
les règles techniques et sociales établies par les projets d’am é­
nagement. Enfin, l’entreprise ne peut réussir que si les citoyens
sont informés et consultés. L’expérience de Bologne montre
combien les comités de quartier sont importants pour assurer la
participation de tous au destin de la ville.
2. Les instruments d’analyse

L’élaboration des plans d’urbanisme et des projets d’archi­


tecture a amené la mise au point de divers instruments d’analyse
et de recherche perm ettant de définir les caractéristiques des
quartiers anciens, tant au plan de leur histoire qu’à celui de leur
morphologie. Parallèlement, des recherches juridiques et socio-
économiques ont été menées sur l’état des habitations et la
structure de la population.
N otre exposé de ces instruments d’analyse et de recherche
tend à souligner les aspects les mieux adaptés aux besoins de la
politique de mise en valeur du patrimoine architectural, tant
dans le centre historique que dans la périphérie immédiate et
dans le territoire agricole environnant. Le matériel documentaire
ayant été sélectionné dans cette optique, on peut considérer
comme essentiels les instruments suivants : la recherche histo­
rique et iconographique dans les archives; la recherche dans les
archives photographiques; les relevés photographiques aériens;
les relevés d’urbanisme ou d’architecture au 1/200 et au 1/50;
les maquettes d’îlots (au 1/100) et d’ensembles monumentaux
(au 1/100 ou 1/50).
L’étude qui tente de reconstituer l’histoire urbaine et archi­
tecturale de Bologne, du x v r au xixe siècle, repose sur des
documents originaux, trouvés dans les collections de quelques
couvents et institutions religieuses, tels l’abbaye Santi N aborre e
Felice, le Conservatorio della Putte del Baraccano, l’Ospedale
della Vita, ou dans les archives de familles nobles, par exemple
celles qui possèdent d’importants patrimoines immobiliers dans
la zone des rues San Felice, Lame, Riva Reno et Borgo
Casse.
76
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

L’interprétation de ce riche matériel a permis de concevoir


certains modèles d’occupation du sol, de classer les principaux
types de construction, de rendre compte des rapports entre forme
urbaine et typologie architecturale. Les échantillons étudiés
concernent les lotissements bâtis sur d’anciens terrains agricoles
compris entre l’enceinte de l’an Mil et les derniers remparts de
Bologne, l’implantation des réseaux d’infrastructure ayant été
réalisée de façon unitaire, intégrant les nouveaux îlots à la
structure urbaine limitrophe. Aussi, l’homogénéité et la répéti­
tion des types, favorisées par la forme régulière des parcelles,
sont-elles la caractéristique la plus évidente du tissu urbain
étudié.
L’ampleur du matériel d’archives disponible exige quelques
remarques sur la qualité intrinsèque des documents. L’hétéro­
généité de leur provenance a suscité, en effet, un travail
d’analyse des signes graphiques qui, au-delà de son intérêt pour
les projets de restauration, représente une contribution à la
connaissance critique.
Les premiers documents remontent au milieu du x v r siècle et
font partie d’un registre des biens de l’abbaye Santi N aborre e
Felice. Les annotations et le dessin témoignent de la grande
attention prêtée aux formes de chacune des maisons : ainsi les
façades sur rue mettent bien en évidence les éléments de
l’architecture et du décor. Plus qu’un cadastre, il s’agit là d’un
aide-mémoire perm ettant une identification immédiate, assurée
en particulier par la différenciation des matériaux que n’empê­
che pas la monochromie des illustrations.
Certes, ces fiches manquent de rigueur technique : le dessin
n’est pas à l’échelle, mais les cotes sont indiquées, ainsi que tous
les éléments qui permettent d’identifier le lieu, sans oublier les
installations hygiéniques, toujours extérieures, construites en
m atériaux légers sur le canal central qui draine le lotissement.
Tout aussi intéressantes sont les notations marginales et la liste
des locataires bénéficiant de baux emphytéotiques : elles nous
informent sur la méthode directe dont usait le couvent pour gérer
ses biens immobiliers urbains.
Un autre registre, proche à certains égards du précédent, est
celui de l’Ospedale della Vita, qui décrit tous ses biens, situés
77
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

dans la ville ou au-dehors, en 1601. Il s’agit presque d’un


manuscrit enluminé, les pages étant agrémentées d’un encadre­
ment décoratif et les différents biens — maisons, boutiques,
rangées de maisons — apparaissant comme de petits tableaux
polychromes. La richesse d’informations sur la structure, les
méthodes de construction, les couleurs, les modifications appor­
tées à l’architecture, permettent la « lecture » d’une ville qui a
presque entièrement disparu.
Les cadastres établis à la fin du x vir siècle et au début du xviii'
par l’abbaye Santi N aborre e Felice sont plus techniques et plus
précis : les plans sont à l’échelle et cotés mais, surtout, une vue
axonométrique donne le volume des maisons. L’abondance de ce
matériel a permis une étude approfondie de la croissance des
édifices au sein de la parcelle, de leur démultiplication. Du point
de vue artistique, ces documents sont d’un extrême intérêt. Les
perspectives y expriment l’exigence baroque de la vue urbaine à
vol d’oiseau, la valeur de l’architecture étant fonction de ses
volumes, de ses variations en hauteur, de ses matériaux. C’est
seulement sur ces registres qu’on trouve de véritables relevés,
avec une échelle graphique perm ettant de retrouver les cotes. Les
renseignements administratifs sont inscrits dans un cartouche
entouré de tresses, de rubans et de volutes toujours différents. La
fiche de chaque édifice donne les informations indispensables :
emplacement par rapport à la rue et aux propriétés limitrophes,
plan, élévation, volume, inventaire des annexes (cour, potager,
jardin, loggia, puits). Enfin, les cotes inscrites (ou repérables
grâce à l’échelle en pieds bolonais) permettent de retrouver avec
une exactitude totale l’organisation foncière ancienne d’un îlot
ou même de tout un quartier.
Si, au x v r siècle, le registre des biens de l’abbaye Santi
N aborre e Felice ne donne pas toujours la dimension exacte des
pièces ou l’épaisseur des murs, il fait néanmoins ressortir la
valeur et la variété des détails de l’architecture et du décor de
chaque édifice. En revanche les cadastres des xvir et xv n r siècles
qui reproduisent souvent, en les m ettant à jour, les dessins plus
anciens, m ontrent l’insertion des édifices dans le milieu urbain;
ils notent également la configuration définitive des édifices après
abandon de l’ossature en bois au profit de murs porteurs
78
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

conservant des éléments de charpente et après réorientation de


l’escalier (devenu parallèle après avoir été initialement perpen­
diculaires à la façade). Les détails de construction et d’organi­
sation des différents étages fournissent une image précise de
l’utilisation des maisons et donc du mode de vie à l’intérieur et
au-dehors; la prise en compte des boutiques, des dépôts, des
annexes domestiques (étables et remises) parachève le tableau
de la vie urbaine au niveau de la maison et de l’îlot.
La quantité d’informations qu’on peut en tirer permet de
définir les caractéristiques essentielles de ce tissu urbain : la
répétition d’un modèle, avec, dans chaque maison, des variantes
qui n’altèrent jamais profondément le type originel. C’est
d’abord dans le cadre des études de parcelles que ce type a été
reconstitué, d’après les indications planimétriques des cadastres
anciens. Il a ensuite été redéfini dans le cadre du plan
d’aménagement et des projets de restauration, afin de fixer sur
sa base les constantes nécessaires à l’établissement d’un modèle
opérationnel.
Les dessins des arpenteurs de l’âge des Lumières et du début
du siècle dernier atteignent à une véritable élégance formelle.
Grâce au tire-ligne, le trait devient uniforme et fin. L’épaisseur
des murs est légèrement colorée au lavis rose ou jaune. Les
cartouches témoignent d’une véritable virtuosité, avec une
écriture parfaitem ent régulière. Enfin, la destination des pièces
est toujours mentionnée. La forme des cheminées, des foyers, des
puits, des écuries est clairement indiquée.
Les documents bolonais du xixesiècle proviennent des archives
de l’Assunteria dell’Ornato. Il ne s’agit plus de cadastres, mais
de notes techniques établies à l’occasion de travaux. Le grand
intérêt de ces documents découle justem ent de la répétition de
travaux identiques ou analogues. Mais l’expression graphique
change au fil des décennies : soignée au départ grâce aux
indications d’ombre et de lumière, elle devient de plus en plus
hâtive et schématique. C’est là le signe de la naissance d’un
esprit bureaucratique, indifférent aux valeurs esthétiques. Ces
archives contiennent la documentation sur les projets qui, à
partir de 1810, vont transformer la structure urbaine et détruire
un tissu encore marqué, au début du siècle dernier, par de
79
[y,* fJjf„ J. 7,' Jjrpd,
ir w A h n tn tk ff-¿M Û # , um t-jx. mcu* * jU *
t Ut 4 retint * Mn*cn j <o%. rŸ

^ 4 N » M a t. a t £m ée£ & I ^ ~ ^

j w «■ « ¿ « ^ h W y =y/ ■ * ■

•" £ & •^*w*S& J^^sehneâ^JfSK i^^ttuM iéoiu»

^ •• *
s i,fa u t* ' 'Â ijr

€ ^ rv ttfc . /¿ ^

ations accompagnant les plans cadastraux des abbayes font ressortir l’importance de l’habitat dans la genèse du
bain et la permanence du modèle de maison. (Documents de la deuxième moitié du xvr siècle provenant des archive«
e dei Santi Naborre e Felice).
nombreux traits médiévaux : charpentes élancées des arcades,
fenêtres ogivales, rapport entre la largeur de la rue et la hauteur
des maisons, traits qui vont être remplacés dans le style
néoclassique. Ainsi, le modèle urbain élaboré au cours de la
seconde moitié du siècle dernier, par le consensus de la
municipalité et des propriétaires fonciers, a contribué à la
destruction de parties non négligeables de la ville médiévale et
renaissante, en dénaturant la voirie ancienne par des « rues
corridors » et en répandant l’idée selon laquelle tout édifice peut
être remplacé sans que soit tenu compte de son contexte.
Dans la seconde moitié du xvnr siècle, la tentative, par le
cardinal Boncompagni, d’une relance de l’économie agricole des
territoires de Bologne et de Ferrare grâce à la planification,
suscite l’établissement d’un cadastre rural analogue à celui qui
venait d’être établi pour la Lombardie. Mais cette entreprise se
heurte à de fortes résistances (les propriétaires y voyant une
ingérence indue dans leurs droits, consolidés depuis des siècles)
et elle n’est pas encore achevée à l’arrivée des Français.
C’est en 1826 seulement que fut ressenti le besoin d’un
cadastre urbain. Le « cadastre pontifical », dessiné dans le cadre
tout à fait exact du relevé effectué un siècle auparavant par les
géomètres M onari et Laghi, est composé de quatorze feuilles.
81
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

C’est le premier cadastre urbain scientifique de Bologne, et il


servira de base pendant plus d’un siècle à toutes les modifications
et mises à jour.
Un nouveau plan fut dressé autour de 1885 d’après des relevés
militaires autrichiens. Il délimite les îlots, indique le tracé des
arcades, les principaux palais, les jardins et les potagers, ainsi
que les ensembles conventuels et le plan des églises. Ce document
parachève l’histoire de la cartographie de Bologne qui redém ar­
rera seulement un siècle plus tard, grâce aux relevés photogram-
métriques aériens, fondements des travaux d’aménagement et de
restauration actuels.
En somme, la documentation iconographique tirée des archi­
ves a permis une synthèse exceptionnelle des rapports entre les
éléments particuliers et collectifs du tissu urbain. Les détails
architectoniques n’ont pas seulement une valeur artistique; ils ne
contribuent pas seulement à une histoire morphologique de la
maison, ils fournissent des indications irremplaçables sur la
formation et la m aturation du tissu urbain. L’étude de ces
documents permet de déterminer la relation qui lie les formes et
les fonctions des édifices. M ême si les documents exploités
concernent des quartiers ou des îlots qui ne coïncident pas
toujours avec les opérations actuellement prévues, leur analyse a
néanmoins enrichi le travail de synthèse des urbanistes et des
architectes. En effet, un phénomène aussi complexe que l’évo­
lution d’une ville ne peut être reconstitué de façon concrète sans
une systématisation des éléments que permet seule l’analyse
historique et iconographique.
La recherche a concerné essentiellement l’histoire du patri­
moine architectural mineur qui caractérise précisément les zones
homogènes choisies pour les opérations actuelles d’aménage­
ment. Ainsi, le cadastre et les registres des biens de l’abbaye
Santi N aborre e Felice permettent de circonscrire des ensembles
urbains historiquement homogènes dans la mesure où il s’agit
d’un patrimoine concentré pour l’essentiel autour du siège de
l’établissement religieux. La méthode a consisté à contrôler les
documents d’archives par le relevé de l’état actuel du centre
historique. Cette double démarche aboutit à la définition
univoque d’un modèle architectonique utilisable pour une
82
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

restauration pertinente au triple point de vue historique, typo­


logique et social.
Or, les documents font ressortir l’importance de la maison
comme unité de base. Les dessins du cadastre donnent toujours
le plan du rez-de-chaussée, assez souvent celui du premier étage,
et indiquent l’utilisation qui est faite des lieux. Ces plans sont
souvent accompagnés d’une vue axonométrique des bâtiments et
de la parcelle qu’ils occupent, avec des détails de l’architecture
ou de l’aménagement. Cette documentation parfaitem ent homo­
gène dans son iconographie permet une analyse détaillée des
formes de l’organisation et de l’habitat : la maison peut ainsi être
appréhendée dans toutes ses variantes, mais surtout comme une
constante. L’exploitation concomitante des documents d’archi­
ves iconographiques, des relevés d’urbanisme et d’architecture,
et des projets opérationnels illustre une méthode nouvelle pour la
restauration des centres historiques et, en particulier, de leur
architecture.

Un type d’information analogue est livrée par les archives


photographiques. Au moment de l’unité italienne, quand la
bourgeoisie s’empare du pouvoir économique, l’édifice devient
un « objet » interchangeable et négociable en fonction de la
demande du marché. Aussi, le patrimoine immobilier évolue-t-il
au gré des changements du contexte économique qui n’est plus
stable comme autrefois. D’où la disparition rapide de toute une
« culture » et de cet art de la représentation scientifique de la ville
et de sa périphérie, dont l’élaboration avait demandé trois siècles
et dans lequel les arpenteurs des xvir et x v i i p siècles étaient
passés maîtres. Au nom d’une plus grande rigueur et d’une
exigence d’universalité systématique, la topographie du xixe
siècle perd la qualité artistique et la valeur de témoignage des
anciens cadastres. Heureusement, la photographie vint rapide­
ment compenser cette évolution négative.
Un certain nombre de clichés pris entre 1850 et 1940 ont pu
être retrouvés. Ils donnent des renseignements très importants
sur les modes de vie et sur le fonctionnement de la ville. Mais
surtout, la comparaison de photographies prises à des étapes
différentes révèle les modifications de la ville et du patrimoine
83
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

architectural et, en particulier pour Bologne, l’altération des


éléments architectoniques traditionnels. É tant donné la prove­
nance hétérogène des photographies, la physionomie de la ville
n’émerge que par fragments. Seules des séries prises lors
d’opérations topographiques (nivellement de 1896-1897) ou
celles du service de construction de la municipalité (1895-1896)
forment des recueils relativement complets et constituent un
corpus unique d’images qui ressuscitent la ville et ses habitants;
elles font assister à la dégradation de certains quartiers,
restituent la texture des rues et laissent même deviner l’oppo­
sition des classes sociales à l’époque où s’affirment les ligues
socialistes.
Au contraire, la collection du cabinet Alinari donne une image
purement monumentale de Bologne : le cadrage frontal systé­
matique des photographies livre essentiellement des cloîtres, des
arcades, des cours. O utre sa qualité formelle, cette collection
constitue un instrument irremplaçable pour contrôler le proces­
sus de dégradation des matériaux, et notamment des grés. Même
si la culture du « monument » y fait perdre de vue la ville et si
l’architecture mineure qui forme le tissu urbain y est complè­
tement ignorée, les photographies Alinari révèlent au moins, et
de façon spectaculaire, les effets désastreux de l’incurie et de la
pollution atmosphérique sur les principaux monuments.
Le mépris de la bourgeoisie de la fin du siècle dernier pour
l’architecture modeste de l’habitat traditionnel et pour tous les
témoins du passé qui n’étaient pas « utiles » à l’expansion de la
ville a provoqué à Bologne les massacres les plus tragiques,
comme la démolition de l’enceinte et les éventrements de la via
M ercato di Mezzo. Les anciens remparts étaient perçus comme
« un héritage des siècles obscurs du Moyen Age », comme une
ceinture étouffant la ville; ils représentaient par ailleurs un enjeu
ipéculatif de taille. Les archives de la Caisse d’épargne
contiennent de nombreuses images des portes, des murs, ainsi
ue des travaux de démolition d’îlots entiers dans cette ville qui
tait la plus grande ville fortifiée d’Italie.
Une dernière série de photos historiques montre les rues du
uartier de l’université, le Borgo Casse, avant les percées
scistes de 1935-1940. Elle donne tous les éléments pour une
84
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

comparaison du paysage urbain actuel avec celui d’avant-guerre,


depuis les revêtements des chaussées jusqu’aux appareils d’éclai­
rage, entre autres.
En 1969 et 1970, tandis que la ville discute les objectifs du
plan directeur pour le centre historique, une campagne photo­
graphique exhaustive est entreprise par Paolo Monti, à la
demande de la municipalité. Ce travail permet d’approfondir la
connaissance des formes architecturales et des caractéristiques
de l’espace urbain, des matériaux, des jardins, des couleurs enfin.
Ce fonds photographique, d’une valeur inestimable, comprenant
8 000 clichés en noir et blanc et quelques centaines de diaposi­
tives en couleurs, s’est révélé l’un des instruments d’analyse les
plus utiles pour l’élaboration du plan directeur du centre
historique. Il a permis en outre de sensibiliser les habitants aux
problèmes de restauration de la vieille ville.
Les vues ont été prises sans automobiles et avec le minimum de
signaux routiers. Dans une première phase, on a photographié
des rues entières en prenant des images individuelles de chaque
maison, de chaque palais, de chaque monument, des cours, des
jardins, des potagers. Puis on est passé aux détails de l’archi­
tecture, aux revêtements des sols, aux matériaux de construction,
au mobilier urbain, ainsi qu’aux intérieurs de maisons, portiques,
entrées, escaliers, fresques.
La dégradation du centre historique provoquée par la circu­
lation, l’envahissement de la publicité, l’utilisation incongrue des,
espaces publics et privés, la dénaturation de l’architecture et du
tissu urbain ont également été mis en évidence. Ce relevé
photographique a été conçu en vue de fournir une image
cohérente, notamment du point de vue de l’usager de la ville :
l’espace du piéton a été privilégié grâce à des séquences montrant
les portiques, les entrées de maisons, les escaliers, les belvédères,
les cloîtres, les jardins. Q uant aux diapositives en couleurs, elles
représentent une première tentative ponctuelle pour saisir un des
aspects fondamentaux du centre historique, sa couleur, dominée
par les gammes d’orange et de rouge si typiques des crépis
bolonais; elles devaient permettre de repérer des « lois » d’alter­
nance et de combinaison des couleurs pour la conservation et la
restauration du cadre urbain.
85
t L’une des principales voies radiales partant de la Porta Ravegnana : la mise au point du plan
directeur pour le centre historique s’est appuyée sur une enquête photographique exhaustive,
permettant l’analyse approfondie des formes, matières, coloris... caractéristiques de l’espace urbain
bolonais. (Photo P. Monti).

■*— Les archives photographiques pallient la disparition des représentations « artistiques » qui
accompagnaient traditionnellement les plans cadastraux i l’époque pré-industrielle : ici, la rue du
marché avant les grands percements de la fin du X IX 1 siècle.
La campagne de relevés photographiques a privi­
légié les espaces du piéton pour mettre en évidence
les points de vue dont doit pouvoir profiter l’usager
de la ville. Les séquences de la bande dessinée
montrent le passage graduel de l’espace public à
l’espace privé (rue, arcades, couloir, jardin).
(Photos P. Monti).
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Pour parachever les relevés photographiques au sol et mieux


connaître encore la ville ancienne, une campagne de photogra­
phie aérienne a été lancée au début des années soixante-dix. Elle
devait en particulier servir à dégager (à des fins sociales) les
rapports qui lient les grands monuments et le tissu urbain
secondaire. Les vues aériennes renouaient ainsi avec la tradition
des images anciennes de Bologne, la tradition des vues axono-
métriques qui sont les plus fidèles et les plus utiles pour apprécier
les formes d’un monument ou celles de la ville entière. Comme
les cadastres d’autrefois, la vue aérienne permet la synthèse de
chaque édifice, avec son volume et ses diverses caractéristiques;
comme les dessins d’autrefois, elle est compréhensible pour tout
le monde.
Le relevé architectural des îlots est un autre instrument de
connaissance de la ville. Il constitue la base même des projets de
restauration, car il permet une vue globale de la structure des
édifices et le repérage des différents « modèles ». L’exactitude de
ces relevés (au 1/200) n’est certes pas comparable à celle des
relevés d’architecture à plus grande échelle, à partir des plans
cadastraux, qui donnent les dimensions exactes des îlots et celles
des principaux éléments; ils suffisent néanmoins à étayer une
analyse typologique complétée par l’identification d’un des
param ètres : rythm e des parcelles, densité d’occupation, mode
de groupement, évolution morphologique. Le relevé, à échelle
constante, des façades sur rue offre, par rapport aux autres
moyens de représentation, l’avantage de perm ettre la vision
synthétique d’un ensemble de constructions. Il se révèle donc
d’une utilité pratique immédiate, fournissant à la fois les
éléments d’une classification du patrimoine architectural et une
information précise sur l’état de chaque édifice.
L’analyse entreprise sur cet échantillonnage d’îlots n’a pas
seulement conduit à l’établissement de critères de restauration à
cette échelle de l’îlot. Elle a également contribué à la recons­
titution du tissu urbain et des jardins détruits ou détériorés. Elle
a, dès cette phase, servi à prévoir la réorganisation fonctionnelle
de chaque édifice, la restauration proprement architecturale
étant laissée pour des étapes ultérieures. Enfin, les relevés, les
avant-projets et les dessins axonométriques les illustrant, ont
90
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

permis aux habitants, aux commissions d’études et aux comités


de quartier de mieux saisir la démarche des techniciens.
La phase théorique de la restauration s’achève par le relevé au
1/50 de chaque édifice, sur la base duquel seront élaborés les
projets. La technique graphique revêt, en l’occurrence, une
extrême importance, car le relevé doit à la fois fournir le plus
grand nombre possible d’informations et pouvoir être constam­
ment superposé au projet afin de vérifier que celui-ci respecte
bien les caractères du bâti existant. Le projet de réhabilitation
doit donc commencer par déterminer les éléments fondamentaux
de la structure, base de la réalisation du tissu urbain. Les plans
doivent préciser si les pièces sont voûtées ou couvertes d’un
plafond en bois (l’existence d’une poutre signifie souvent qu’un
mur de refend ou une cloison ont été détruits). Q uant aux coupes,
elles perm ettent de respecter les sondages effectués dans les
murs et les planchers : en effet, la confrontation systématique des
relevés et des documents d’archives permet de déterminer les
points essentiels où faire les sondages, prouvant la fidélité du
projet de restauration au regard de l’édifice ancien.
Dans la phase suivante les projets sont traduits en m aquette au
1/100 (comme celle réalisée pour l’îlot San Leonardo-
Sant’Apollonia). Ces maquettes ont essentiellement pour objet
une meilleure connaissance de l’architecture urbaine et, en
particulier, de son échelle et des liens qui unissent les monuments
et le tissu urbain. D’autres maquettes, comme celle du couvent
de San Luigi, coupée au droit du grand escalier, présentent une
valeur didactique particulière, révélant mieux que toute autre
forme de représentation les relations qui existent entre l’exté­
rieur et l’intérieur des édifices. Elles représentent d’excellents
moyens pour inciter des non-spécialistes à participer aux projets.
Enfin les maquettes jouent leur rôle propre à côté des documents
photographiques et des dessins axonométriques dans des expo­
sitions qui expliquent aux citoyens les principes d’utilisation et de
mise en valeur de la ville.
3. Le plan directeur de 1969

Le plan d’aménagement du centre historique de Bologne


couvre tout l’espace situé à l’intérieur des boulevards qui
remplacent l’enceinte du xixe siècle, ainsi que les « bourgs » jadis
établis à l’extérieur des portes Saragozza, San Mamolo, Casti-
glione, Maggiore, San Vitale et San Donato.
La qualité et l’homogénéité de cet ensemble lui valent d’être
considéré comme un seul « monument ». Il a cependant été en
partie altéré par la mise en œuvre des plans directeurs de 1889 et
de 1958 ainsi que par le plan de reconstruction d’après-guerre.
Aussi, bien que le centre historique soit considéré comme un
ensemble unique du point de vue urbanistique, le plan comporte-
t-il deux zones : l’une comprend le tissu urbain qui a gardé
presque entièrement ses caractéristiques d’origine, l’autre les
quartiers plus reconstruits. Dans le premier secteur, tous les
édifices anciens doivent être conservés, modulant les interven­
tions.
Ce plan démontre techniquement qu’il est possible de réaliser
la restauration intégrale d’une ville historique, fût-elle aussi
étendue que Bologne. L’information fournie par les instruments
d ’analyse évoqués plus haut a permis d’établir une typologie des
édifices anciens qui aboutit, pour la première fois, à une véritable
approche qualitative de l’architecture urbaine. Sur cette base a
pu être établi un ensemble complexe de normes pour la mise en
valeur et l’utilisation du patrimoine. L’étude urbanistique était
en même temps contrôlée grâce aux relevés d’architecture au
1/200 concernant onze îlots choisis pour leurs caractéristiques
particulières.
92
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

Le nouveau plan d’aménagement du centre historique, étudié


par les services techniques de la municipalité, montre que la
responsabilité de la planification urbaine doit être exercée par les
pouvoirs publics avec la collaboration de tous les citoyens. Au
contraire, le plan précédent — élaboré par des architectes
consultants — prévoyait, comme tous les plans italiens de
l’époque, des percées pour de nouvelles voies et la reconstruction
du tissu urbain. Si elles avaient été menées à terme, ces
opérations auraient détruit tout ce qui avait échappé aux
démolitions précédentes et à la guerre.
Il faut néanmoins noter qu’au début des années soixante,
l’évidence des dégâts provoqués par la mise en œuvre du plan
directeur de 1944 provoquait une prise de conscience nouvelle
des problèmes urbanistiques et de la valeur du patrimoine
artistique en général et suscitait des mesures provisoires de
sauvegarde. Celles-ci permirent de traverser des années difficiles
au cours desquelles, jusqu’à l’approbation du plan de 1969, les
nouveaux objectifs furent peu à peu précisés. Il s’agissait de
conserver et de réanimer le milieu urbain historique, d’y
maintenir l’habitat en l’améliorant, de développer les équipe­
ments sociaux, culturels (en particulier l’université) et commer­
ciaux dans toute l’aire métropolitaine et, surtout, d’arrêter
l’invasion du centre par les bureaux d’entreprises privées. C’est,
par ailleurs, au cours des mêmes années que commença d’être
posé le problème de l’adaptation des édifices existants aux
nouvelles fonctions que la politique de restauration urbaine
cherchait à développer. C ’est sur la base du classement typolo­
gique que furent définies les normes d’intervention et de
réutilisation des bâtiments restaurés.
Il est maintenant avéré que des règles rigoureuses empêchant
de démolir les immeubles existants et de les reconstruire à des
fins de spéculation peuvent éviter les massacres qu’ont subis la
plupart des villes historiques européennes depuis un siècle. Elles
peuvent également limiter, dans une certaine mesure, les
phénomènes de spéculation. Aussi, l’opposition des promoteurs,
habitués à tirer de gros profits des opérations de démolition-
reconstruction de vieux immeubles n’a-t-elle pas manqué à
Bologne. M ais d’autres promoteurs se sont vite adaptés aux

93
y%
y
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

nouvelles normes et ont joué la carte de la qualité. En effet, un


édifice bien restauré peut procurer des profits, d’autant plus
considérables qu’il était plus dégradé, étant habité par des
familles pauvres : ce sera, en particulier, le cas s’il est acquis par
une société privée qui y installe ses bureaux, ou par un particulier
qui comprend la valeur de l’ancien et qui est disposé à en payer le
prix. Les conséquences sociales de cette forme plus subtile de
spéculation sont faciles à imaginer. C ’est pourquoi un processus
de marginalisation et de ségrégation n’est nullement imcompa-
tible avec un programme intelligent de sauvegarde des villes
historiques. L’intervention sur les « enveloppes » anciennes doit
donc être accompagnée d’une action éclairée et énergique à
l’égard des « contenus » sociaux. Faute d’une telle politique,
faute d’une analyse correcte des lois de transformation des
sociétés urbaines, faute enfin de moyens juridiques et financiers
perm ettant aux pouvoirs publics d’intervenir d’une manière
efficace, les meilleurs plans de restauration risquent de boule­
verser complètement la structure sociale des villes anciennes et
d’en dénaturer profondément les valeurs.
Le but du plan directeur du centre historique est de préparer
les quartiers anciens, dès le premier stade de l’intervention sur la
structure physique, au nouveau rôle que la collectivité veut leur
attribuer. A cette fin, il limite les possibilités d’utilisation des
édifices et des espaces, tenant compte de la vocation globale du
centre et de ses potentialités de développement futur, en même
temps que des aspirations des différents groupes sociaux. Les
objectifs techniques du plan sont certes divers mais ils ont une fin
commune : conserver le centre historique et lui perm ettre de
jouer son rôle dans l’aire métropolitaine, autrem ent dit éviter
toute nouvelle destruction et réinsérer le patrimoine artistique et
historique dans le contexte social et économique de l’aire
métropolitaine. Il vise également à éliminer toutes les activités de
direction incompatibles avec la structure des quartiers anciens,
en les im plantant dans des nouveaux centres périphériques.
Enfin, les quartiers doivent être dotés de tous les équipements
nécessaires et le réseau des rues être réorganisé en rapport avec
celui de la périphérie, tout en réservant quelques voies aux
piétons.
94
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

Dans l’élaboration de ce plan, la vision purement formelle et


romantique de la ville ancienne a fait place à une analyse de son
organisation. Le problème de la forme urbaine a été étudié sous
tous ses aspects. Ainsi, l’analyse des étapes de l’expansion de
Bologne fait apparaître le centre historique comme l’assemblage
de plusieurs entités morphologiques en un tout dont la rem ar­
quable unité lui a été conférée par les limites de l’enceinte, la
tram e continue des maisons et des ateliers, et les temps forts
marqués par l’architecture des grands édifices publics et des
places.
La démolition des murs, en 1902, a rompu l’équilibre
patiemment réalisé entre tous les éléments de la ville. Celle-ci a
néanmoins conservé une partie de son caractère grâce à ses
grands ensembles monumentaux et au contraste qu’ils forment
avec son tissu urbain mineur. Le noyau le plus ancien, délimité
par les murs de l’an Mil, est encore typique d’une ville fortifiée
s’adaptant au réseau orthogonal des rues de l’époque romaine.
La ville de la Renaissance et de l’Age baroque se développa
autour de ce premier noyau, le long des voies radiales,
substituant définitivement au tracé orthogonal l’orientation
selon ces voies radiales du Moyen Age. Il en résulta un
changement dans le mode de lotissement : la parcelle rectangu­
laire, rigoureusement régulière, de l’époque romaine, conservée
au Moyen Age sous une forme plus allongée, fait place à des
parcelles irrégulières. Surtout, les rapports entre espaces bâtis et
espaces libres sont inversés. Une grande partie des terrains est
occupée par les jardins et les potagers, rattachés directement aux
demeures ou aux couvents : c’est l’un des aspects les plus
séduisants des quartiers de cette époque dont l’échelle est moins
étriquée que celle du noyau médiéval. Les larges voies radiales
bordées de portiques offrent un décor unique, tant par l’orga­
nisation spatiale que par les caractères architectoniques. En
effet, les vestibules et les cours des maisons, accessibles aux
piétons, relient les rues aux jardins. Ces vastes espaces intérieurs
sont un peu l’équivalent des places principales du noyau central
de la ville et forment un contrepoint exaltant entre domaine
public et domaine privé.
Cette analyse diachronique du développement du centre
95
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

historique prouve que, jusqu’à l’ère industrielle, il n’a jamais été


soumis à une exploitation intensive, susceptible de le désagréger.
Pour répondre à des besoins nouveaux, il s’est étendu, mais
toujours autour d’institutions (couvents surtout) qui fournis­
saient des lignes directrices. Une « planification » urbaine volon­
taire et rationnelle apparaît donc toujours en filigrane.

Critères et méthodes de la restauration

Une fois constaté que la ville ancienne s’est formée par


adjonctions successives d’unités morphologiques, il a fallu
déterminer, à des fins opérationnelles, les caractéristiques des
structures qui se sont maintenues à travers l’histoire. Un
recensement architectural a fourni une première base d’évalua­
tion.
Une autre recherche s’est faite sur les règles de l’organisation
architecturale, en particulier les modes d’assemblage des divers
éléments. Cette approche a permis de dépasser les études
fonctionnelles classiques, fondées sur l’utilisation des locaux : la
typologie des édifices servait d’unité de mesure des systèmes de
composition urbaine. Elle est ainsi apparue comme une « cons­
tante » relativement stable au regard de cette « variable » qu’est
la fonction et l’on a pu déterminer des parties homogènes dans la
morphologie urbaine. Ainsi s’est imposée la relation spécifique
qui, à Bologne, lie le tissu des demeures modestes aux monu­
ments de l’architecture et du cadre urbain.
L’analyse de l’histoire architecturale et la typologie morpho­
logique et fonctionnelle ont permis de dégager cinq catégories
d’opérations : restauration, réhabilitation avec reconstitution du
type, reconstitution avec servitude partielle, reconstruction selon
des normes précises, démolition.

l a r e s t a u r a t i o n vise à conserver tous les caractères typolo­


giques et formels de l’édifice. Elle consiste donc à garder tous les
éléments authentiques, à retrouver le mode d’insertion de
l’édifice dans le paysage urbain, à reconstituer ses parties
96
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

détruites ou endommagées, à éliminer les ajouts tardifs incom­


patibles avec le contexte urbain, à conserver ou rem ettre en état
les espaces libres. La restauration suppose que l’on considère
comme monument tout édifice ou tout ensemble urbain carac­
térisé par des organes très typés ou encore par sa qualité.
Mais il faut s’entendre sur les notions de « reconstitution des
valeurs d’origine et de « restauration scientifique ». Toute
intervention sur une œuvre d’art exerce un impact simultané sur
les modalités de la transmission de cette œuvre dans le temps.
Lorsque, comme dans le cas de l’architecture et de l’organisation
de l’espace urbain, le « monument » est à la fois œuvre d’art et
objet d’usage, aucune modification ne peut être justifiée par le
goût ou par un jugement personnel. C’est pourquoi le refus
d’insérer des parties nouvelles dans un contexte ancien ne
procède pas d’une confiance plus grande dans les architectes du
passé que dans ceux d’aujourd’hui et ne relève pas non plus d’une
simple herméneutique du patrimoine urbain et architectural.
Cette exclusion tient à une conception du rôle des œuvres du
passé dans le présent et surtout dans le futur. Une fois acquise,
cette conscience historique du monument est irréversible, dans la
mesure même où elle ne procède pas d’un goût précaire, mais
d’une attitude scientifique. A ttitude qui interdit de toucher au
monument, sauf pour le consolider et le protéger au bénéfice des
générations futures.
Consolider un édifice consiste seulement à entreprendre les
travaux (concernant les fondations, les murs porteurs, la
couverture) nécessaires pour assurer sa stabilité, sans modifica­
tions structurales. Restaurer un édifice, c’est y faire les travaux
destinés à le conserver dans sa forme et sa structure d’origine,
mais surtout à m ettre en valeur ses caractères architecturaux et
son ornementation, à reconstituer ses parties dégradées, à
éliminer les ajouts qui le dénaturent. La restauration doit
respecter non seulement les façades mais aussi l’organisation
interne des bâtiments et leur décor, même quand il faut y
introduire les installations nécessaires à la vie contemporaine. Il
faut donc condamner sans appel la recherche du style « d’ori­
gine » supposé, qui conduirait à « réinventer » une œuvre n’ayant,
à la limite, jam ais existé.
97
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Q uant au concept de typologie, il introduit une problématique


nouvelle : celle des rapports entre morphologie urbaine et
morphologie architecturale. En effet, les constantes morpholo­
giques et fonctionnelles que sont l’église, la maison ou le palais,
contribuent à donner à la ville sa physionomie propre, comme
somme de parties homogènes mais différenciées. Restaurer une
ville historique, c’est donc d’abord éviter de l’ouvrir brutalement,
c’est aussi éviter d’altérer les typologies et les structures, qu’il
s’agisse des espaces urbains ou architecturaux.
Il faut, en effet, que la ville historique puisse, à l’avenir comme
aujourd’hui, être le témoin irremplaçable de l’histoire de sa
création et donc que ses formes soient parfaitem ent déchiffra­
bles. La typologie d’un édifice est le reflet d’un système de
construction et de mesures, d’un emploi des matériaux lié à une
tradition locale. Par conséquent, modifier et a fortiori remplacer
la structure d’origine (par une ossature en béton armé, par
exemple) revient à modifier le type même de l’édifice. Les
éléments typologiques énumérés appartiennent à l’héritage
historique et doivent être intégrés par tout projet de
sauvegarde.

LA R E H A B IL IT A T IO N A V EC R E C O N S T IT U T IO N DU T Y PE O R IG IN E L
consiste dans la conservation des éléments extérieurs (façades,
portiques, entrées, cours, loggias, toits) ainsi que de la structure
et de l’organisation intérieure. L’édifice restauré devient ainsi la
réplique exacte de l’édifice d’origine.
Cette procédure concerne les secteurs de palais dont les
grandes cours sont le point central de la composition, ainsi que
les zones de maisons de commerçants ou d’artisans, accolées sur
des parcelles longues et étroites, et disposant d’un jardin ou
d’une cour et de courettes. Des normes contraignantes régle­
mentent d’une part la distribution intérieure (murs porteurs,
emplacement des installations hygiéniques), ce qui assure le bon
fonctionnement des édifices et en conserve la typologie, et
d’autre part, la composition architecturale (volume, rythme des
façades, éléments significatifs), les servitudes visant ici à rétablir
la cohérence qui existait à l’origine entre volume et typologie, en
éliminant les ajouts les plus récents.
98
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

LA R E C O N S T IT U T IO N AVEC SE R V IT U D E PA R TIE L LE s’applique à


certaines parties de la ville historique qui peuvent être réam é­
nagées, mais en conservant les éléments tels que façades, ou
décors, dont l’analyse a montré l’intérêt : servitude qui doit
permettre aux projets actuels de retrouver les caractéristiques de
la typologie urbaine et architecturale, quitte à les reconstituer de
toutes pièces là où ils auraient disparu. Ainsi, la conservation de
la façade, quand elle est prévue, impose en définitive la
reconstitution du type d’édifice auquel elle appartient : l’un des
objets du plan est d’éviter qu’on ne trouve derrière des façades
bien différenciées des structures intérieures standardisées.
Cette procédure tient compte du fait que les façades sont
presque toujours d’origine et concourent à la physionomie des
ensembles urbains, tandis que l’intérieur des bâtiments a souvent
subi de profondes modifications à travers les siècles.

LA D E M O LIT IO N SU IV IE DE R E C O N S T R U C T IO N SO U M IS E A DES
s’exerce seulement sur les édifices récents dont
N O R M E S PR E C IS E S
les caractéristiques ne permettent pas d’exiger la conservation.

l a d é m o l i t i o n p u r e e t s i m p l e regarde tout ce qui a été bâti


dans les cours, les jardins, les espaces vides qui constituaient les
organes vitaux de la ville d’autrefois. Qu’ils soient publics ou
privés, les terrains ainsi dégagés doivent être plantés ou pavés et
devenir ainsi accessibles à la promenade.

Critères de réalisation du plan

Ces catégories d’opérations une fois définies, le plan peut


être mis en œ uvre, parcelle par parcelle, ou en agissant sur des
unités plus étendues.
L ’intervention ponctuelle, plus souple, s’applique surtout
aux cas de restauration ; dans les autres cas, elle ne concerne
que des édifices situés hors des secteurs définis par le plan.
Les interventions sur des unités groupées s’appliquent, en
effet, à treize secteurs (eux-mêmes divisés en sous-secteurs et
99
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

unités minimales) considérés comme homogènes pour la dégra­


dation de leurs structures typologiques et de leur fonction
socio-économique. Au niveau du secteur est précisée la coordi­
nation des équipements communs : circulation, espaces verts,
utilisation des rez-de-chaussée; au niveau du sous-secteur,
l’opération de réhabilitation. A Bologne, le sous-secteur d’inter­
vention a pu être identifié à l’îlot. Celui-ci est, à son tour,
subdivisé en unités minimales qui doivent être absolument
homogènes, car les projets et leur réalisation y seront unifor­
mes.
En définissant l’affectation des édifices selon leur typologie,
les normes techniques de mise en œuvre du plan représentent une
innovation dont il faut souligner l’importance pour le problème
de la conservation des villes historiques : elles permettent leur
réanimation en redonnant aux édifices anciens une fonction
propre à les réinsérer dans la vie de notre temps. De ce point de
vue, seul un examen approfondi des rapports entre les formes et
les fonctions des bâtiments permet de prendre des décisions
justifiées : les fonctions doivent être compatibles avec le type des
édifices où elles devront s’exercer. C ’est dans cette perspective
qu’a été établi un inventaire typologique détaillé et qu’une
théorie des fonctions susceptibles de correspondre à chaque type
d’édifice a été esquissée. Q uatre grandes catégories ont ainsi été
définies.
La première catégorie (A) comprend les grands monuments.
D ’abord ceux qui forment des îlots entiers : hôtel-de-ville
(palazzo d’Accursio), palazzo du Podestà, couvent du Corpus
Domini, Collegio di Spagna; puis ceux qui, bien que n’occupant
pas des îlots entiers, sont également complexes et étendus :
cloîtres, cours, jardins complètement clos par les bâtiments;
ensuite les monuments isolés : églises, baptistères, clochers,
tours; enfin, les édifices « modulaires », formés par la répétition
d’éléments : portiques (Archiginnasio, palazzo dei Banchi, por­
tique de la via Saragozza) ou nefs d’églises simples, doubles ou
triples. Par leur organisation et leur architecture, ces monuments
sont, de toute évidence, voués à une destination publique, au
niveau de la ville ou du quartier. Leurs volumes sont faciles à
adapter à des fonctions tout à fait différentes de celles pour
100
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

lesquelles ils avaient été bâtis. L’imagination des architectes


peut, dans une certaine mesure, s’y donner libre cours, pour créer
des lieux vivants et attrayants qui séduiront par les contrastes
entre le plein et le vide, entre l’ouvert et le couvert, entre
l’éclairage naturel et l’éclairage artificiel. Leur aspect presti­
gieux et leurs vastes espaces perm ettent de convertir ces
monuments en écoles, en centres de recherche, ou de culture et
de loisirs, comprenant éventuellement commerces, bibliothè­
ques, cinémathèques, discothèques, théâtres expérimentaux,
foyers, salles d’exposition, galeries d’art, musées, ainsi que des
équipements sociaux de quartiers et des dispensaires.
Les édifices de la seconde catégorie (B) se définissent par
l’articulation de leurs bâtiments autour d’une ou plusieurs cours,
par rapport auxquelles sont disposés le vestibule d’entrée et, sur
le même axe, le grand escalier, si typique des palais « sénato­
riaux » bolonais du x v r au xvme siècle. Dans cette catégorie, on
distingue les palais à façade de 10 à 20 m, bâtis en regroupant
plusieurs parcelles et dont la demi-cour principale est généra­
lement suivie d’une cour de service ou d’un petit jardin, et les
palais à façade de 21 à 50 m, qui sont caractérisés par une cour
complète, souvent entièrement entourée de portiques, et par un
grand jardin ou un parc. Les espaces de ces édifices, en
particulier ceux du rez-de-chaussée et de l’étage noble, exigent
de nouveaux occupants dignes de leur destination d’origine,
c’est-à-dire des activités de prestige ou culturelles.
La troisième catégorie (C) est celle des maisons d’artisans et
d’ouvriers qui reflètent l’histoire des lotissements du x n r au
xviii'siècle. Leurs caractéristiques bien particulières en justi­
fient largement la protection et la mise en valeur : ce sont des
« documents » de l’histoire urbaine et de l’histoire sociale qui
offrent un modèle remarquable d’adaptation à un espace exigu;
de plus, leurs modules qui ont subi l’épreuve du temps, peuvent
devenir opérationnels. Ces maisons doivent être traitées globa­
lement car elles se présentent avec un caractère répétitif et leur
structure interne (long couloir en profondeur) répond à leur
insertion dans l’urbanisme (système de jardins calquant celui des
parcelles).
Aussi l’habitat reste-t-il la vocation évidente de ces maisons
101
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

qui peuvent convenir aussi bien aux étudiants, aux jeunes


ménages, aux personnes âgées, ou encore à des familles plus ou
moins nombreuses, logées en duplex ou même en triplex. Les
aménagements devront viser à créer un habitat à bon marché,
d’une part pour maintenir les catégories défavorisées dans le
centre en y conservant l’équilibre entre classes sociales et en
sauvegardant les rapports directs entre personnes que détruisent
au contraire les périphéries anonymes, d’autre part pour
valoriser le centre historique en tant que patrimoine de toute la
société urbaine.
Une dernière catégorie d’édifices (D) comprend tous les
bâtiments privés soit qui dérivent, à échelle réduite, des types
(A) et (B), soit qui ne se conforment à aucun des modèles
habituels.
D’une manière générale, on conclura que la vocation du centre
historique reste l’habitat ou, à la rigueur, une fonction voisine et
compatible avec le respect des espaces et des volumes. On doit,
en particulier, garder et renforcer les équipements de haut
niveau (université, culture, artisanat, hôtellerie, loisirs, fonctions
représentatives) compatibles avec ces caractéristiques. C’est là
une expression du principe de sauvegarde « active ». Le centre
historique forme un « tout » homogène. Même s’il est scandé par
un grand nombre de points forts — ses monuments — ceux-ci
restent solidaires, par leur forme, leurs matériaux, voire leur
échelle, du milieu qui les entoure : contexte qui possède une
autonomie, une valeur urbanistique et historique propre et
constitue un organisme irremplaçable.
C’est pourquoi ce milieu urbain, formé pour l’essentiel des
maisons anciennes, ne peut être livré à l’agression des activités de
service, dont la demande massive d’espace doit être satisfaite loin
du tracé des vieux murs. De nouveaux centres attireront les flots
de visiteurs ou de clients. Seuls les services de haute qualité
(théâtres, cinémas d’essai, bibliothèques, commerces spécialisés,
artisanat sophistiqué) peuvent garder dans le centre historique
une implantation adéquate, associant en un même lieu des
fonctions diverses à la fonction résidentielle. Le plan d’aména­
gement confirme donc la double vocation ancienne du centre :
grand quartier résidentiel et siège d’équipements prestigieux.
102
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Les normes d’équipement prévues par le plan assurent aux


habitants des quartiers anciens la jouissance d’un confort
identique à celui qu’on trouve dans toutes les autres parties de la
ville. En ce qui concerne les équipements urbains métropolitains
ou régionaux, sont exclusivement admis ceux qui sont compa­
tibles avec la structure des quartiers historiques et celle de leurs
édifices dont il est nécessaire de contrôler soigneusement les
changements d’affectation.
Pour conclure cette analyse du plan pour le centre historique,
on citera le texte du rapport final du colloque organisé à Bologne
même, en octobre 1974, par le comité des Monuments et Sites du
conseil de l’Europe : colloque sur les coûts sociaux et les
conséquences économiques de la conservation des quartiers
historiques et du développement périphérique, compte tenu des
possibilités d’intervention des pouvoirs publics.
« Le principe de la conservation des centres historiques, fondé
sur une étude scientifique qui doit toujours précéder le projet
d’intervention, est accepté en théorie et en pratique dans tous les
pays européens.
« Le plan du centre historique de Bologne applique ce principe
d’une manière particulièrement rigoureuse et il démontre qu’un
centre ancien de grande dimension (150 hectares et 80 000 ha­
bitants) peut être sauvegardé et adapté aux exigences de la vie
moderne en respectant littéralem ent tous les éléments d’origine
— édifices et espaces libres — , en évitant les démolitions et les
reconstructions, et en n’adm ettant, dans les espaces libres,
qu’une reconstitution des édifices anciens préexistants fondée sur
les documents.
« Toutefois, les expériences récentes montrent que la conser­
vation rigoureuse du cadre physique, réalisée grâce à un plan de
sauvegarde, ne suffit pas pour assurer la survie de l’ancien
organisme urbain comme noyau d’une ville en expansion. En
fait, elle n’interrompt pas les transformations sociales qui
alimentent la croissance indéfinie de la périphérie et qui
instaurent un cercle vicieux bien connu : hausse de la rente
foncière, aménagement des édifices anciens en bureaux ou en
appartem ents de luxe, expulsion des économiquement faibles
vers la banlieue, extension de l’aire urbaine, qui exige de
103
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

nouvelles adaptations du centre, et ainsi de suite. Aussi le milieu


urbain historique risque-t-il de se réduire à une apparence et la
protection de ses caractéristiques physiques devient à la longue
difficile à assurer.
« Il faut au contraire prendre comme point de départ le
contrôle de ces transformations sociales. Le concept de conser­
vation s’élargit alors et devient la base d’une politique générale
d’aménagement du centre et de sa périphérie.
« Le plan directeur de Bologne place justement la conservation
du centre dans un projet global visant à changer la nature du
développement urbain, en limitant l’expansion de la banlieue, en
améliorant et en rééquipant la totalité de la zone urbanisée, en
stabilisant le centre historique qui doit devenir un pôle de
services de qualité à l’usage de tous les citadins. L’objectif est
donc de conserver, en même temps que le milieu physique, la
population et les activités traditionnelles du centre historique.
« Seule l’intervention directe des pouvoirs publics peut modi­
fier le développement urbain en cours. Cette intervention a
jusqu’ici essentiellement favorisé l’extension des banlieues. Elle
doit désormais être dirigée vers l’aménagement des quartiers
existants et la conservation du centre historique. Par conséquent,
une partie des fonds destinée aux travaux d’urbanisation et à la
construction publique doit être investie dans les quartiers
historiques, pour les restaurer et y créer les équipements qui
manquent encore.
« S’il le faut, la législation qui fixe le champ d’action des
pouvoirs publics doit être complétée pour envisager le problème
de la restauration et fixer une répartition des fonds entre les
centres anciens et les quartiers nouveaux. L’expérience de
Bologne montre cependant qu’il est d’ores et déjà possible d’agir
dans le cadre des lois existantes. M ais les lois italiennes ont été
rédigées en fonction des quartiers nouveaux à créer et elles sont
difficiles à appliquer dans les centres historiques. Dans les deux
cas, les moyens de l’É tat et des collectivités locales ne sont pas
suffisants. Il faut donc encourager les initiatives des particuliers
qui doivent se placer dans le cadre des programmes définis par
l’administration publique. Il appartient à celle-ci de se donner les
moyens juridiques, techniques et financiers nécessaires pour que
104
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

les interventions privées soient le complément des interventions


publiques.
« La municipalité de Bologne se propose d’atteindre cet
objectif par les moyens suivants : utilisation du domaine bâti
qu’elle possède pour loger la population pendant les travaux;
conventions avec les propriétaires pour financer les travaux de
restauration en échange du respect de normes de confort pour les
logements et de la fixation du montant des loyers par l’admi­
nistration; recours à l’expropriation uniquement lorsqu’un
accord avec les propriétaires se révèle impossible.
« Comme tous les autres quartiers, ceux de la ville historique
doivent offrir aux habitants non seulement un logement installé
de façon moderne, mais également les équipements collectifs qui
complètent l’habitat.
« L’expérience de Bologne, où la municipalité utilise les
monuments (couvents, collèges) qui constitueraient les équipe­
ments collectifs d’autrefois, pour y installer ceux d’aujourd’hui,
montre qu’il est possible de mener cette politique sans altérer le
tissu urbain d’origine. L’information et la consultation des
citoyens, à tous les niveaux et dans toutes les phases de la
planification, sont indispensables pour concevoir et réaliser une
politique positive de conservation visant à réinsérer le centre
historique dans la vie de la cité moderne. Cette participation doit
avoir un poids effectif au moment des choix décisifs et de leur
traduction dans la réalité. L’expérience de Bologne montre que
l’intervention de la municipalité doit être fondée sur les
initiatives des organismes décentralisés — en l’espèce, les
conseils et les associations de quartiers — propres à perm ettre la
participation directe des citoyens aux décisions. »
1

4. Le plan pour la construction


sociale et populaire (PEEP)

Ce plan a été élaboré pour le centre historique de Bologne


en application des lois italiennes sur l’habitat. C ’est une nou­
velle version d’un plan précédent, approuvé par le ministère
des Travaux publics en 1965. Présenté au conseil municipal le
9 octobre 1972, il a été adopté le 7 mars 1973. Il s’agit d’une
mesure très importante, perm ettant la réalisation du plan
directeur du centre historique dans les quartiers les plus pauvres
et les plus dégradés, grâce à la restauration du patrimoine par les
pouvoirs publics. Ce nouveau plan, valable jusqu’en 1980,
représente la première phase de l’intervention des pouvoirs
publics en vue d’aménager un habitat à vocation sociale dans les
quartiers historiques : sur les treize secteurs prévus par le plan
directeur, il en concerne seulement cinq, choisis pour la précarité
de leurs conditions de logement et pour leur homogénéité
typologique sociale.

Le logement comme service public :


aspects techniques, politiques et sociaux du plan

Le phénomène social représenté par la migration des habitants


qui quittent souvent les quartiers anciens, à cause du mauvais
état des maisons, serait acceptable si les relations sociales et
l’intégration des classes de la ville historique pouvaient être
recréées dans les nouveaux quartiers, dans un cadre amélioré. Au
contraire, cette transplantation a toujours provoqué un éclate­
ment des groupes socio-économiques originels. Aussi la ville
106
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

a-t-elle payé très cher cette émigration. Le déracinement


entraîne, en effet, l’isolement des familles, leur hostilité réci­
proque et finalement la violence, seul moyen de défense. Le
maintien des habitants dans leur quartier, garanti par le plan
pendant la durée des travaux, évite ces inconvénients et favorise
l’accueil des nouveaux habitants, qui rééquilibreront la structure
démographique des quartiers anciens.
De plus, la hausse des loyers des maisons restaurées étant le
moyen de pression le plus courant pour en chasser les anciens
habitants, le plan vise à la contrôler. La loi sur l’habitat social
permet d’ailleurs d’agir par convention avec les propriétaires.
Avec l’accord des comités de quartier, la municipalité a choisi de
mettre en œuvre le plan de restauration avec la participation
directe des propriétaires privés et des locataires. La politique de
contrôle des loyers, appliquée pour la première fois en Italie dans
un contexte social aussi particulier, engage la municipalité dans
la défense des locataires les plus pauvres — personnes âgées,
retraités et étudiants. Cette politique peut sembler coûteuse, et
pourtant elle ne représente qu’un volet du budget social du plan
dont le véritable objectif serait un contrôle général des loyers. Il
est évident que la conservation des quartiers historiques devrait
se faire dans le cadre d’une loi nationale donnant les moyens
d’exproprier, puis de confier la gestion des maisons restaurées à
des coopératives. La convention avec les propriétaires n’est donc
qu’un moyen transitoire pour répondre d’urgence à une situation
socio-économique complexe.
Les données de cette situation ont été d’abord fournies par le
recensement, qui permet de cerner les secteurs d’intervention,
précisés ensuite par une étude sur le terrain. L’articulation des
unités d’intervention (secteurs et sous-secteurs) avec les catégo­
ries typologiques aboutit à rejeter la conception uniquement
quantitative du « standard » : celui-ci doit être entendu comme
une association qualitative entre habitat et équipements, tenant
compte des types de structures architectoniques et sociales
préexistantes. Cet équilibre entre habitat et équipements,
déterminé à tous les niveaux (îlot, quartier, ville, aire métropo­
litaine) avec un minimum de modifications de l’architecture, ne
se fera que grâce à une participation de l’usager.
107
■ LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

D’autre part, le standard de l’habitat doit répondre à un


ensemble de transformations sociales. Par exemple, le travail des
femmes et leur émancipation ont sensiblement changé la vie
familiale. Le logement ne peut plus être considéré isolément : un
réseau étoffé d’équipements collectifs, que la spéculation fon­
cière avait conduit jusqu’ici à minimiser, répondra à une nouvelle
conception de la vie sociale urbaine, propre à tempérer l’indi­
vidualisme exarcerbé qui est seulement une conséquence du
système économique. Le logement doit, certes, être satisfaisant,
mais il faut surtout développer le plus possible les espaces
publics, les équipements sociaux et les services publics. D’ail­
leurs, dans la ville d’autrefois, le quartier était déjà organisé
selon ces principes : le logement était réduit au minimum par
rapport aux rues, places, jardins, potagers, églises, marchés et au
symbole même de la vie urbaine — l’hôtel-de-ville. L’am éna­
gement des secteurs opérationnels devra donc créer en priorité
tous les équipements de voisinage, crèches et écoles maternelles,
salles de réunions et laveries, jardins et espaces couverts de
jeux.
Il s’agit, en particulier, d’expérimenter une nouvelle politique
d’aide à l’enfance, directement liée au problème de la femme,
que celle-ci travaille ou non. Cette politique veut éviter de réunir
un grand nombre d’enfants dans des édifices spécialisés. Elle
prévoit, au contraire, de créer au sein même de l’habitat de
petites crèches ou écoles maternelles, gérées directement par les
mères avec l’aide de la municipalité.

Caractéristiques et méthodes du plan pour l ’habitat social

Le plan pour l’habitat social est le résultat de longues années


de recherche, d’étude et de m aturation politique, consacrées à
définir et rendre opérationnels les objectifs de la conservation des
quartiers anciens. La première enquête sectorielle remonte en
effet à 1962.
Le programme d’intervention de la municipalité dans le centre
historique articule deux volets qui finissent par se confondre. Le
premier, économique et social, concerne les besoins actuels et
108
W ;'

LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

futurs, les tendances à la croissance ou au sous-développement,


le rôle politique et économique de l'a ville ancienne. Le second
concerne le milieu physique, ce tissu urbain historique qui doit
être restauré de manière à atteindre les objectifs politiques et
techniques définis par le premier volet.
Du point de vue politique, il s’agit de mener à son terme une
stratégie globale d’amélioration du milieu urbain existant, en
commençant par le centre historique. Il s’agit de valoriser sa
conservation en maintenant sur place les couches sociales et les
activités modestes; d’empêcher la réalisation des plus-values
spéculatives en créant dans les quartiers anciens un habitat
économique destiné aux travailleurs, aux étudiants, aux person­
nes âgées; de garder le contrôle des opérations grâce à des
conventions qui lient les particuliers à la municipalité, celle-ci
subventionnant les travaux de restauration en échange de
concessions sociales (loyers taxés, interdiction de vendre avec
profit les édifices restaurés); de rendre à l’habitat une qualité
satisfaisante, tant au niveau du logement qu’au niveau du
quartier, grâce aux équipements nécessaires; de maintenir le
coût global de la restauration des quartiers anciens comparable à
celui de nouveaux quartiers périphériques analogues; de contrô­
ler la gestion du patrimoine restauré, de façon que les logements
soient effectivement attribués aux catégories sociales auxquelles
' ils sont destinés, moyennant un loyer correspondant à leurs
possibilités.
Du point de vue technique, il s’agit de m ettre le centre historique
à l’abri de la destruction physique, tout en évitant que les riches ne
s’en em parent et ne détruisent sa structure sociale; d’associer les
monuments à l’habitat en leur donnant une nouvelle vocation
sociale; de décentraliser toutes les activités tertiaires incompa­
tibles avec l’organisation urbaine des quartiers historiques, qui
doivent recevoir essentiellement des fonctions de qualité; de fournir
aux secteurs sauvegardés tous les équipements collectifs et les
services techniques nécessaires, de définir un modèle pour une
politique de sauvegarde des quartiers historiques.
C ’est la première fois en Italie qu’on applique sur une grande
échelle, dans un centre historique, des lois élaborées pour la
construction résidentielle en banlieue.
109
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

La vocation sociale de ce plan a naturellement incité la


population à participer à sa mise au point. De nombreuses
réunions publiques ont permis de confronter les intérêts parti­
culiers des propriétaires et des locataires, ainsi que ceux de la
population active et notamment des artisans. Le contenu du plan
et sa valeur opérationnelle n’ont pas laissé d’être améliorés à la
faveur de cette confrontation et des échanges qu’elle impli­
quait.
La phase d’intervention correspondant au PEEP concerne un
ensemble de sous-secteurs appartenant aux secteurs de Santa
Caterina, Solferino, Fondazza, San Leonardo, San Carlo et
touchant une population de quelque 6 000 habitants (les treize
secteurs du plan directeur regroupent 32 000 habitants, le centre
historique de Bologne comptant un total de 80 000 habi­
tants).

Les débuts de l ’intervention opérationnelle

Afin de perm ettre une généralisation par analogie, on a choisi


le secteur Solferino tout entier et un sous-secteur de San
Leonardo : ces exemples présentent en effet, une grande homo­
généité et offrent des possibilités d’action immédiate. L’échelle
au 1/200 fournit un dessin clair qui donne des renseignements
suffisants sur la répétition des types, l’état, la répartition des
espaces. La confrontation avec les documents historiques a
permis de reconstituer la transformation des types et la
saturation progressive des parcelles.

s e c t e u r s o l f e r i n o . L’analyse a été complétée par l’étude des


documents m ontrant l’origine et le développement de la frag­
mentation des îlots en parcelles, sa signification historique. Au
milieu du x n r siècle, la zone appartenait au couvent San Procolo
et était couverte de vignes. Le développement des faubourgs
incita alors les frères à lotir. Plus tard, les borghi (nouveaux
quartiers), furent englobés à l’intérieur de la dernière enceinte
fortifiée et réaménagée. Les îlots allongés dont le groupement
constitue le secteur Solferino (du nom de la rue principale)
110
iNMur San Leonardo: transformation du parcellaire de 1700 à 1973. La
MMUlUtton des archives a permis la reconstitution de l’ancien parcellaire et,
trame, l’édification de maisons identiques à celles du passé.
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

suivent les courbes de niveau et reprennent, par conséquent, la


tram e des chemins du vignoble d’autrefois. Néanmoins, le
schéma d’organisation urbaine est identique à celui des autres
borghi de fondation récente et révèle donc une expansion
contrôlée.
En effet, dans tous les anciens borghi planifiés, les îlots sont
rectangulaires et les parcelles se répartissent de chaque côté de la
rue, sur laquelle regardent les façades des maisons, tandis qu’à
l’arrière se trouvent des jardins potagers. La recherche du plan
parcellaire optimal, l’usage du bail emphytéotique, la nécessité
d’inventer un plan d’urbanisation, ont entraîné la création de
liens logiques entre rue et cellule d’habitation, entre module
sériel et îlot.
Le contrôle de la construction a ainsi abouti à rationaliser les
dimensions des îlots et des maisons. Dans la pratique, on constate
cependant un compromis avec les tracés courbes préexistants et
surtout avec des édifices antérieurs, tels les grands couvents
autrefois hors les murs. Ces monuments conservent d’ailleurs un
rôle emblématique dans ces quartiers.
La division parcellaire du sol étant à la base de l’organisation
des îlots, sa connaissance approfondie est indispensable. Le côté
sur rue des parcelles mesure 4, 5 ou 7 m avec des multiples (8 ou
10 m). Ces dimensions sont modulées sur le pied bolonais de
38,0098 cm (multiplié de 10 à 16 fois).
On constate une correspondance rigoureuse entre la forme du
parcellaire et celle des constructions. L’étape suivante de
l’analyse a donc consisté à repérer et classer ces types de
correspondance. Le modèle dominant dans ce quartier est la
maison d’artisan, de petit commerçant ou d’ouvrier (catégorie
C). C’est là l’édifice le plus stimulant pour la mise au point d’une
méthodologie de la restauration.
L’étude des formes et des phases de construction de chaque
parcelle a conduit à classer les édifices selon la largeur de leurs
façades et la disposition de leurs espaces intérieurs. Les modules
décomptés dans le corps du bâtiment principal sur rue permet­
tent de distinguer les phases de développement homogène de
l’édifice des ajouts tardifs qui l’altèrent. Les dessins montrent
comment les types de maisons se sont formés et agrandis par
112
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

groupement de modules. Ils ont servi à m ettre en évidence dans le


tissu urbain lui-même un système de groupement des typologies.
D’où l’élaboration d’une méthodologie de la restauration visant
à redonner à l’édifice une fonction en accord avec sa typologie
d’origine et son insertion ancienne dans le milieu urbain. Cette
démarche est importante. Pour restaurer ou rétablir avec succès
les modèles d’édifices anciens, il faut, en effet, bien connaître ces
modèles et s’assurer qu’ils peuvent être réadaptés aux exigences
d’aujourd’hui; il faut avoir décrypté les règles de la composition
d’origine.
En ce qui concerne les maisons d’artisans et d’ouvriers,
présentant de un à trois étages avec une façade sur rue très
étroite, ces règles ont dû être recherchées avec soin. En effet
l’architecture d’origine a été souvent profondément remaniée au
cours des âges. La maison, prévue à l’origine pour une seule
famille, a pu être divisée en appartements, seul le rez-de-
chaussée étant encore, comme autrefois, occupé par un com­
merce, un atelier ou un entrepôt. Ces maisons modestes ont
évidemment des murs mitoyens aveugles et elles occupent parfois
toute la parcelle. Dans ce cas (types C b l), elles n’ont par étage
que deux pièces, éclairées par des fenêtres donnant sur la rue et
le jardin, l’escalier étant en général perpendiculaire au couloir
d’entrée qui relie la rue au jardin. Cette distribution a
généralement été modifiée par la création de mini-logements
dans les anciennes pièces de la maison.
La restauration consiste surtout à ouvrir les pièces d’habita­
tion sur les façades. Q uant aux bâtiments hétéroclites, qui ont
envahi les jardins et les cours, et aux surélévations, ils devront
être éliminés.
Les dessins montrent les types de maison qui ont été
catalogués. Pour illustrer la méthode de conception des projets
de restauration, on prendra quelques exemples.
Le modèle C bl présente un, deux ou trois étages. Les maisons
à trois étages pourront recevoir, au premier et au second étage,
quatre petits appartements de 30 à 45 m2destinés aux étudiants,
aux personnes âgées, aux jeunes couples, tandis qu’un apparte­
ment de 60 à 90 m2 occupera tout le troisième. Une autre
solution, correspondant encore mieux à la demande, consiste à ne
113
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

créer les petits appartements qu’au premier, un grand duplex de


120 à 140 m2 étant alors aménagé au-dessus, avec incorporation
de la partie correspondante de l’escalier. Enfin, dans une
troisième hypothèse, toute la maison est aménagée en petits
appartements, ne serait-ce qu’à titre transitoire, pour satisfaire
une demande temporaire importante.
Ce modèle C cl est analogue au précédent, dont il est issu par
l’adjonction d’un corps de bâtiment occupant le fond de la
parcelle et relié au premier édifice par un passage, au-delà d’une
cour. Ce modèle peut être aménagé selon des principes identi­
ques. Une première solution donne trois appartements de 30 à 45
m2 regardant sur la rue et trois appartements de 60 à 80 m2dans
les bâtiments sur cour ou jardin. Une autre solution, plus souple,
ajoute à la disposition précédente pour le premier et le second
étage un grand appartem ent dans les combles.
Dans ces deux modèles, les rez-de-chaussée, caractérisés par
un long couloir qui traverse toute l’unité, ont vocation à recevoir
côté rue, des commerces ou des ateliers d’artisans, voire des
bureaux (professions libérales) et, à l’arrière, des salles de
réunions, des laveries, des salles de jeux pour les enfants.
Les formes des modèles constitués par l’association de deux
maisons sont conditionnées par la manière dont les édifices ont
été regroupés. Si la maison double est le résultat d’une fusion
« bricolée » petit à petit, on cherchera à retrouver l’individualité
des édifices d’origine qui seront rétablis selon les règles dictées
par leur type. Mais si le modèle double est bien caractérisé, il
faut lui trouver de nouvelles vocations sans l’altérer. Ces
vocations peuvent être identiques à celles des modèles simples —
boutiques, ateliers, équipements sociaux au rez-de-chaussée
(pouvant éventuellement être remplacés par de petits logements
temporaires pour personnes âgées), petits appartements aux
étages, grands appartements dans les combles. Les sanitaires et
les cuisines, placés contre les murs de refend des escaliers, sont
équipés en fonction de la taille des logements.

Cette définition théorique des modèles d’intervention sur des


types de maisons bien déterminés se complète par l’analyse des
constantes dégagées de leurs dimensions. En effet, reconnaître
114
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

les rythmes, les lois d’organisation de l’habitat ancien, tels qu’ils


s’exprimaient en nombre de pieds, fixant la largeur des façades
ou des pièces, signifie donner à la recherche des bases scienti­
fiques, et au projet de restauration des fondements objectifs.
Retrouver dans toutes les dimensions des logements des multi­
ples du pied bolonais, nous renvoie à la culture spécifique de la
ville. La brique elle-même était mesurée en pouces, sous-
multiple du pied. Les briques d’aujourd’hui continuent d’ailleurs
de suivre cette tradition : elles mesurent 9 X 4 X 1,5 pouces.
Sur les anciens chantiers, les cotes en pieds étaient obtenues en
posant les briques bout à bout. La profondeur des maisons était
déterminée par l’implantation et la largeur de la cage d’escalier,
elle-même mesurée en pieds — six pieds, soit 2,28 m par exemple
pour les maisons les plus modestes. En effet, le mur de refend
placé au centre de l’édifice portait non seulement l’escalier mais
aussi le faîtage de la toiture, pour former deux rampants de la
même pente et sensiblement identiques.
La confrontation avec les pièces d’archives montre que ces
maisons satisfaisaient les besoins de la famille patriarcale
d’autrefois, en abritant trois générations sous un même toit, en
plus de l’atelier ou de la boutique qui faisait vivre tout le monde.
Certes, cette famille n’existe plus. Une comparaison avec des
modèles de maisons urbaines très répandus dans certains pays
européens prouve néanmoins que ces maisons peuvent être très
facilement aménagées pour répondre aux exigences de notre
temps. Leur schéma en échiquier, facile à répéter, l’équilibre
entre espace construit et espace libre, les rendent exemplaires de
la validité de ce type de conservation dans un tissu urbain encore
très riche, avec des possibilités de compléter les équipements
privés par des équipements à l’échelon du quartier.

s e c t e u r s a n l e o n a r d o . Le sous-secteur considéré est un îlot;


il est analogue à l’exemple précédent. Il s’est constitué de la
même manière. Le parcellaire est encore plus homogène, et
même plus intéressant par ses détails. Le projet de ce sous-
secteur se trouve, par ailleurs, dans une phase plus avancée : le
modèle théorique de restauration peut être contrôlé concrète­
ment par l’étude des chantiers qui s’achèvent.
115
Ici, la structure urbaine est fortement marquée par une radiale
importante, la via San Vitale. Tandis que dans le secteur
Solferino toutes les parcelles étaient identiques et bâties de la
même manière, les maisons de San Leonardo donnant sur la rue
principale sont beaucoup plus grandes. Mais l’îlot a été réduit de
moitié lors des démolitions des années trente qui ont dégagé le
terrain pour bâtir l’université. Il ne livre donc qu’un témoignage
tronqué d’un des quartiers les plus caractéristiques de la ville
historique.
11 6
T L’étude comparée des documents cadastraux et du plan de 1702 de Gnudi a permis d’établir un
projet qui reconstitue l’état parcellaire originel avec ses très petites habitations et rétablit (en
démolissant les constructions parasitaires) le jeu des espaces libres intérieurs à l’îlot.

•*— Relevé du secteur San Leonardo (niveaux 1 et 2) avant le projet de réhabilitation : on constate
d’une part (bordure de la via S. Vitale et via S. Leonardo) des vides dus aux destructions de la guerre
et à la dégradation des constructions; d’autre part une suroccupation des parcelles habitées.

Comme les bombardements de la dernière guerre avaient


laissé de grands espaces vides, protégés de la spéculation
immobilière par le plan directeur, ces terrains ont été utilisés
pour reconstituer le milieu bâti d’après les modèles de maisons
anciennes, ce qui a valu à la via San Leonardo de retrouver la
continuité de ses façades et de ses portiques, et d’être réintégrée
dans le contexte urbain. Les minuscules maisons avec leurs
façades étroites et leur étage souvent unique, donnent l’image
d’un des plus anciens borghi de Bologne dans son état originel.

117
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Les réalisations du plan pour la construction sociale


jusqu’en 1976

Les travaux déjà bien engagés démontrent parfaitem ent que


les effets néfastes de la croissance urbaine ne peuvent être
corrigés que par l’intervention prioritaire du pouvoir local. Les
efforts qui avaient été dirigés auparavant vers les quartiers
périphériques de Bologne se tournent m aintenant vers l’aména­
gement du milieu ancien et la conservation physique du centre
historique.
Il faut bien savoir cependant que, dans la ville historique
comme ailleurs, la législation italienne actuelle ne permet pas à
la municipalité de réaliser par ses seuls moyens le programme
prévu par ce plan. Aussi les citoyens eux-mêmes sont-ils
encouragés à participer à l’action entreprise et à profiter des
possibilités qui leur sont offertes par les lois régionales sur les
villes historiques et la planification urbaine.
De son côté, la municipalité détient deux moyens d’action.
D’une part, elle peut utiliser le patrimoine qui lui appartient et
les édifices déjà acquis par l’établissement public. D ’autre part,
elle peut signer des conventions avec les propriétaires pour les
aider financièrement à restaurer leurs maisons en échange du
respect du cahier des charges prévu par le plan et du maintien,
pendant quinze à vingt-cinq ans, des loyers à un niveau
correspondant aux moyens des locataires.
L’application du plan dans les cinq secteurs opérationnels
prévus a exigé, dans une première phase, que soient aménagées
des installations provisoires pour les locataires et les propriétai­
res des secteurs où devaient s’appliquer les conventions. La
municipalité a investi à cette fin quelque 7 milliards de lires tirés
de ses fonds propres ou fournis par l’État et l’Office national
pour l’habitat social.
Dès 1975, les premières maisons avec commerces et pièces
pour les équipements collectifs étaient achevées dans le secteur
San Leonardo. Les travaux ont continué et 760 logements ont été
livrés en 1976 dans les cinq premiers secteurs opérationnels.
118
r
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Grâce à des fonds divers, la relance économique et la restau­


ration du centre historique sont bien engagées, malgré la crise.
Les conventions avec les propriétaires ont accéléré les travaux
grâce aux crédits accordés par les banques locales. Parallèle­
ment, on a poursuivi dans le cadre du plan-programme d’équi­
pements de 1973-1975 pour le centre historique les travaux de
restauration qui doivent permettre la réaffectation des grands
ensembles monumentaux au profit de la population.

Les conventions avec les propriétaires

Depuis des années, les propriétaires se défont de leurs maisons


dégradées dont les loyers sont bloqués, en les cédant générale­
ment à des sociétés immobilières qui, après les avoir recouvertes
d ’un badigeon symbolique, revendent ces maisons à peine
habitables à un prix exorbitant : les locataires doivent alors
s’endetter pour acheter les modestes locaux qu’ils occupent. En
outre, quand ces locataires ne peuvent pas acheter leurs
logements, l’opération déclenche de graves conflits économiques,
les sociétés immobilières laissant aux nouveaux propriétaires le
soin de régler leurs différends avec leurs locataires.
Les conventions visent au contraire à éliminer toute source de
conflit : elles sont au service de la politique sociale de la
municipalité pour qui la restauration consiste d’abord, et avant
toute sauvegarde du patrimoine architectural, à assurer le
maintien, au cœur de la ville, des habitants qui y vivent
présentement, souvent depuis toujours. Ces conventions définis­
sent les rapports entre la municipalité, les propriétaires et les
locataires et sont volontairement limitées à l’affirmation de
quelques grands principes, les comités de quartier étant chargés
d’en préciser les détails. Les comités ont, en particulier, fixé,
pour les secteurs protégés, le prix des édifices et des terrains, qui
devra être celui des Domaines et non celui du marché libre; ils
ont, en outre, obtenu pour la municipalité un droit de préemption
au moment des ventes et des locations nouvelles.
Ces conventions sont souples, puisque leur durée varie de
quinze à vingt-cinq ans selon le montant et le type de l’aide

119
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

fournie par la municipalité, et aussi selon les possibilités


économiques des locataires ou des propriétaires; les plus pauvres
peuvent bénéficier d’une aide atteignant 80 % du montant des
travaux. En outre, les conventions engagent la municipalité à
indemniser les propriétaires dont une partie des biens devra être
détruite. Les commerçants et artisans sont également dédom­
magés pour les pertes d’exploitation de leurs fonds.
Les procédures mises au point sont très souples dans la
mesure où elles se heurtent sans cesse à de nouveaux problè­
mes et de nouvelles données. De plus, la municipalité doit
pouvoir rechercher de nouvelles formes de coopération avec les
établissements publics et privés de la ville pour être sûre de
mener à bien des entreprises qui exigent l’engagement simul­
tané de tous.
On citera parmi les problèmes particuliers celui du proprié­
taire qui occupe lui-même les lieux et qui n’aurait pas les moyens
de les restaurer : la municipalité prend alors les travaux
entièrement à sa charge et lui assure la jouissance de son bien
jusqu’à la fin de ses jours. Ensuite, la municipalité peut devenir
propriétaire ou bien les héritiers pourront entrer en possession du
bien en remboursant à la ville le montant des travaux.
Les conventions règlent enfin le problème du maintien du
locataire dans les lieux. Le montant du loyer de la maison ou de
l’appartem ent restauré est lié aux prêts et aux subventions
accordés par la ville, à la durée de la convention, au revenu du
locataire — conformément aux règles de l’Office national pour
l’habitat social — et enfin au montant des travaux effectués. La
municipalité peut encore, en exerçant son droit de préemption,
sous-louer les appartements vacants afin d’y loger les personnes
n’ayant pas les moyens de payer les loyers conventionnés.
5. Les méthodes d’intervention

Pour restaurer ou reconstituer les édifices historiques de


Bologne — qu’il s’agisse des maisons les plus modestes ou des
plus grands monuments — , il a fallu mettre au point une
méthodologie qui consistait à retrouver la pratique des projets
d’architecture anciens. Décrypter systématiquement le « lan­
gage » du tissu urbain historique, l’appréhender à ses diverses
échelles, suppose une réelle disponibilité à l’égard des valeurs
confirmées de la ville. D’où une nouvelle manière de travailler,
consistant à établir un dialogue réel entre les techniciens et les
usagers de la ville pour déceler toutes les potentialités de celle-ci.
Il faut comprendre pour connaître — donc respecter une manière
de construire, respecter une tradition de projets qui, après une
longue maturation, ont abouti à la définition de modèles solides
et impeccables.
Cette culture, ce « savoir-bâtir » a subi, depuis la fin du
xixe siècle, des traumatismes d’une violence inouïe, encouragés
par un vide théorique absolu contre lequel les intellectuels n’ont
pas réagi. Renier les procédés de construction les mieux
éprouvés, les param ètres les plus solides, les modèles et les
manières d’habiter les plus appréciés dans le seul but de tenter
des expériences déconnectées de tout rapport avec le concret,
telle est, depuis quelques décennies, la démarche observable dans
les projets de nombreux architectes et urbanistes.
La recherche sur la dynamique des projets anciens ne présente
pas seulement un intérêt historique. Elle montre que l’espace
architectural et urbain est le résultat d’une somme de décisions
qui, par-delà les différences dues à la nature du site ou à des
121
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

variantes mineures, obéissent à une certaine logique : à travers


l’histoire, s’est codifiée une manière de bâtir simple, facile à
répéter qui, dans le cas des maisons d’artisans et d’ouvriers,
rendait superflus les projets au coup par coup. Il suffisait de
reproduire les rythmes, les mesures, la distribution, selon les
possibilités objectives des matériaux et les dimensions de la
parcelle, pour obtenir le « produit », la maison.
Mais un modèle qui s’est formé en des temps si différents du
nôtre conserve-t-il quelque actualité? En fait, la seule grande
différence entre le présent et le passé, c’est qu’aujourd’hui tous
les rythmes de la vie se sont accélérés, mais au détriment des
rapports humains. Si l’on considère l’habitat actuel de la
bourgeoisie dans les grands ensembles à copropriété où man­
quent le plus souvent les espaces et les services collectifs
indispensables à la création de relations sociales, force est de
constater que la perte de l’organisation spatiale de la ville
ancienne a provoqué plus de dommages dans les rapports de
voisinage que toute mesure autoritaire. Certes, ce nouveau type
d’habitat est aussi une conséquence de la volonté d’innover, mais
la logique du marché, la loi de la spéculation ont adultéré ces
tentatives qui ont seulement abouti à la production de modèles
indifférenciés. Au contraire, le modèle historique de la maison
d’artisan se révèle, à la lumière des recherches préalables à sa
restauration, tout à fait actuel, ne serait-ce que par la facilité
avec laquelle il peut être éventuellement adapté à des exigences
nouvelles. De plus, ses espaces libres, ses jardins, ses potagers, ses
cours, deviennent aisément des lieux de vie collective.
Dans l’expérience en cours à Bologne, le projet de restauration
n’est jam ais laissé à la seule sensibilité (ou intuition) de son
auteur. C ’est l’aboutissement d’un travail guidé par une
méthode rigoureuse consistant en quatre opérations fondamen­
tales : classement des maisons existantes en types récurrents et
définition de leur structure et de leur distribution interne;
recherche de l’organisation modulaire de la parcelle;-décryptage
des règles de la composition d’origine et des techniques de
construction, d’après le relevé de l’état actuel et d’après tous les
documents d’archives (textes, croquis, plans, cadastres); déduc­
tion d’un nouveau modèle perm ettant de restaurer les édifices
conformément aux besoins de la vie moderne.
122
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

Les projets d ’exécution et les chantiers

Le projet définitif de restauration découle des analyses


précédentes : il s’agit de reconstituer le « type », le « modèle »,
d’origine et sa formation organique, afin d’éliminer les exten­
sions hétérogènes et de recomposer les unités d’habitation par un
découpage fonctionnel. Le modèle à respecter se retrouve,
surtout en cas de transformations irréversibles, grâce à des
« lois » qui déterminent la proportion bâtie de la parcelle (elle
peut aller de la moitié à la totalité), qui fixent le nombre et la
dimension des cours, ainsi que la place, la forme et les dimensions
de l’escalier et du couloir d’entrée. Ces « lois » ont également régi
les processus d’élévation en hauteur et l’organisation des édifices
nés de fusions de parcelles.
Les expériences en cours sur une trentaine de chantiers ont
toutes permis de vérifier les hypothèses théoriques mais aussi d’y
apporter les correctifs nécessaires à une pratique rigoureuse et
objective de la restauration. L’étude de quelques cas illustrera la
tnéthode choisie pour reconstituer le modèle ancien.
Le premier cas concerne les n“ 45/47 de la via Santa Caterina.
Ici, l’analyse typologique a montré que ces deux édifices ont été
réunis en un seul, dès la seconde moitié du xv n r siècle : d’où
disparition de l’un des escaliers et création, aux étages, d’ap­
partements disposés sur toute la largeur du nouveau bâtiment.
Mais la conservation des murs porteurs, jointe aux transforma­
tions apportées, a donné un nouveau « type » d’édifice bien
adapté à ses nouvelles fonctions. Il n’y a donc, en l’occurrence,
aucune raison de vouloir rétablir les « modèles » historiques pri­
mitifs : d’autant que les travaux du xvnr siècle correspondaient à
une extension de la maison sur une parcelle limitrophe. Il
faut respecter le bâti existant qui possède sa cohérence propre.
Le cas des n“ 23/25 de la via Sant’Apollonia est exactement
inverse. Les transformations remontent à la fin du siècle dernier
et elles sont profondes. Les murs porteurs ont été tellement
atteints que l’édifice est devenu un château de cartes : ici un
pilier du premier est privé de m ur porteur au rez-de-chaussée, là
123
Evolution de la m aison d'artisan M odes d E d ific e spécifiqu e è a rticulation sim ple

en H S i
_
l a B U I f f i l l l g
^ Dt O D

E difice spécifiqu e à articulation com plexe


ZX— , rT\

M odes d'assem blage


/~s r\
organiq ues El E l □□
0[— 1 □□

Edifice spécifique à articulation unique


E difice spécifiqu e sériel

Ü ei?
D

La restauration conservative s’appuie sur une méthode scientifique consistant à établir la typologie
des édifices et des parcelles et à déterminer leurs règles d’assemblage et les techniques de
construction mises en œuvre : sur cette base, il devient possible d’affecter à chaque monument ou à
chaque simple demeure une destination particulière conforme aux exigences sociales d’au­
jourd’hui.
ifiém e de O rganisation
I d is t r i- typologique: A gran dissem en ts Projet de
mtton type O rganisation distrib u tion s su c c e ssifs de I' restauration
fo n cière et addition s espace con stru it fo nctionnelle

V
* - p

Xi
H ¿4*

■ ■<t
ii «
I—.—| JB

if

r -
*—
Kr
T
r~ ‘
o
lum
rfijp ^T!
¡Il___ E

rr * M M

1 1
4- mm T
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

le pilier du second n’est pas dans l’axe de celui du premier, et le


phénomène se répète à l’étage suivant. Cette modification
désinvolte des principes de construction s’accompagne d’un
éclectisme certain dans le choix des matériaux et des techniques.
Cependant, l’analyse des types et des rythmes de composition a
montré au rez-de-chaussée des modèles très rigoureusement
respectés et correspondant exactement aux règles du xvir siècle :
le portique du fond existe encore et on a retrouvé les ouvertures
originelles sur rue. Comme il fallait en tout état de cause rétablir
les structures verticales des étages, la reconstitution typologique
s’est faite sur la base de la « grille » encore parfaitement lisible
au rez-de-chaussée. On a pu recréer le couloir d’entrée à partir
des ouvertures retrouvées, mais il a fallu rebâtir l’escalier en
s’inspirant de ceux de maisons similaires.
Le troisième cas concerne le n° 11 de la via Santa Caterina et
montre comment une reconstitution est mathématiquement
possible d’après la connaissance du modèle primitif et les vestiges
apparents. L’état des lieux révélait, en effet, l’emplacement
premier de la cage d’escalier qui pouvait ainsi être reconstruite.
Enfin, les modèles similaires laissaient supposer que le corps de
bâtiment sur cour avait probablement été reconstruit, après un
incendie. Il fallait donc le rebâtir tel qu’il devait être autrefois.
L’édifice totalement reconstitué a permis d’aménager des
studios conformes à la vocation des maisons historiques.
La méthode théorique d’analyse comportait aussi l’étude des
phases de la construction d’un édifice. Des exemples concrets
feront voir la nécessité de cette étude diachronique pour une
restauration adéquate. C ’est elle qui permet, en particulier, de
définir ce qu’on doit entendre par « altérations ». Le corps de
bâtiment originel correspond à un « type » précis, en fonction de
sa date de construction et de la composition modulaire sur la
parcelle initiale. Les agrandissements « organiques » impliquent
une continuité de technique et de structure, les changements de
distribution ou d’échelle étant commandés par de nouvelles
fonctions généralement remplies par les bâtiments ajoutés en
profondeur. Les constructions hétérogènes sont toujours récentes
et occupent en général les espaces libres importants, notamment
là où les maisons anciennes n’utilisaient que la moitié de la
126
^ ¡P ip ili

w-

W '

Quartier San Leonardo. Le dimensionnement des ouvertures et l’organisation plastique de la façade


résultent directement de la méthode d’analyse typologique. (Photo Pasquali).

A la trame foncière originelle correspond un même type d’édifice et d’organisation de l’habitat : les
plans des trois niveaux montrent la diversité des dimensions et de l’organisation des appartements qui
ont pu être aménagés pour reloger les habitants du secteur.

Deuxième étage
R ez-de-chaussée P rem ier étage —

,::r

î I
s.. r ' t r v -h
" 1 r > ’ . ra f
î
I *Î
î| }.«—«j—
w. ¡< ï.

S P * rnto nxfej
3
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

parcelle; leurs matériaux, leur structure, leur composition n’ont


rien à voir avec les caractéristiques des édifices anciens et leur
échelle est souvent complètement différente. Des modifications
de détail, enfin, ont consisté à bâtir dans les courettes, à surélever
les maisons ou à déplacer les escaliers, ce qui entraînait un
réaménagement des intérieurs.
Reprenons le deuxième cas décrit. Le cadastre du x v i i p siècle
montre que la mesure de sa façade était un multiple exact du
pied bolonais (vingt-huit pieds, soit 10,64 m). Les dimensions du
bâtiment principal primitif ont été retrouvées grâce à la règle qui
fixait le plus souvent l’occupation aux deux tiers de la profondeur
de la parcelle. Au-delà, les adjonctions sont inorganiques,
présentant des altérations dans la structure et la distribution.
Ainsi, le travail de « lecture » des phases de création et de
croissance du tissu urbain a permis de reconstituer les projets
d’origine et donc de définir des principes objectifs pour la
restauration. C ’est une manière toute nouvelle de « lire » la ville
qui fait également apparaître l’unité structurale du système
urbain grâce aux rapports d’échelle entre types d’édifices et
phases de l’organisation urbaine. Cette méthode aide aussi à
évaluer les phénomènes qui, à la suite de la révolution indus­
trielle, ont d’abord interrompu, puis inversé brutalement le
processus historique de génération de la ville.
Dans ces maisons anciennes, le seul élément qui n’obéisse pas
à des règles fixes est le choix entre l’arc et l’architrave pour les
portiques. Il semble avoir été souvent dicté par des raisons
économiques. Dans les cas de reconstitution, c’est l’architrave,
plus simple à concevoir et à réaliser, qui est généralement
adoptée. Les techniques et les matériaux primitifs ne sont pas
toujours ceux employés dans la restauration : murs porteurs en
brique — mais fondations en béton, plancher en corps creux
armés — et non plus en bois comme autrefois. Mais les
matériaux traditionnels dominent dans les finitions, c’est-à-dire
tout ce qui se voit; au-dedans et au-dehors : dalles en terre cuite
dans les escaliers, briques sous les portiques, dans l’entrée, les
courettes et la cour, galets dans les jardins, volets en bois aux
fenêtres.
En résumé, si cette opération s’insère dans une politique
128
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

cohérente de conservation urbaine, nous défendons le droit et la


possibilité de reconstituer un organisme architectural en repro­
duisant, avec les mêmes méthodes ou avec l’aide de moyens
contemporains équivalents, un modèle d’habitat qui a été déjà
répété des milliers de fois pendant quatre siècles. Le principe de
reconstitution typologique adopté à Bologne, vivement critiqué
par les experts de la restauration et par les épigones de
l’architecture de « style » moderne, a donc ouvert un débat qui
montre à lui seul l’importance de l’innovation méthodologique
faisant l’originalité de toute l’entreprise. C’est pourtant là le seul
moyen de parvenir à une véritable conscience de la restauration,
en particulier de celle de l’architecture dite à tort « mineure » ou
« spontanée » et qui reste aujourd’hui la plus menacée.

Le retour aux techniques traditionnelles

Pour restaurer convenablement le patrimoine architectural, il


faut retrouver les techniques de construction d’autrefois, qui,
dans la pratique courante, se sont progressivement effacées
devant les procédés modernes. Cette nécessité est d’autant plus
urgente que la qualité du travail dans le bâtiment se dégrade de
plus en plus et que disparaissent les artisans et les ouvriers
formés à ces techniques. Or, il est souvent plus économique, pour
la restauration, d’adopter les techniques du passé que d’inventer
des procédés dont la réussite n’est pas assurée et qui imposent
une technicité excessive. Mais comment retrouver, réorganiser,
renforcer les ressources humaines et matérielles encore disponi­
bles à cet égard? Deux voies se présentent, également adéquates,
tant du point de vue culturel que du point de vue social : l’une
consiste en une réappropriation des anciens savoir-faire, l’autre
en leur intégration par les nouveaux procédés issus de la
rationalisation des fabrications et des progrès accomplis par la
physique des matériaux.
Pour les ouvriers, reprendre les habitudes, les tours de main du
passé, indispensables pour restaurer les édifices, signifie acquérir
une qualification professionnelle. Redevenir capable de travaux
très délicats, exigeant un grand sens des responsabilités, c’est,
129
f

Pour restaurer il faut retrouver le savoir-faire d’autrefois : ici une série de documents d’archives livre les solutioi
constructives adoptées pour le montage des charpentes en bois dans le tissu mineur du Moyen Age tardif
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

pour le travailleur manuel, retrouver une place privilégiée au


sein de la société.
D’aucuns ont écrit récemment qu’il fallait délaisser les
techniques traditionnelles, même pour la restauration des
édifices anciens. Cette affirmation ne repose pas sur une analyse
exhaustive des données du problème. Aux procédés anciens, qui
paraissent désuets à l’observateur hâtif, il n’y a pas toujours
d’alternative valable. En fait, certains choix de matériaux ou de
méthodes sont souvent dictés par des compromissions avec tel ou
tel groupe de pression. Au nom d’une prétendue économie ou
d’une plus grande rapidité, les entreprises ont souvent renoncé à
des techniques qui avaient fait leurs preuves pendant des siècles.
Aussi, faute de demande, les matériaux nécessaires et les
hommes qualifiés disparaissent du marché.
Continuer de construire de la même manière, c’est au
contraire garantir la survie de petits producteurs de matériaux,
de petites entreprises ou coopératives ouvrières de construction;
ceux-ci trouvent dans les travaux de restauration un marché qui
échappe aux grandes entreprises spécialisées dans la préfabri­
cation. Il ne s’agit d’ailleurs pas de refuser systématiquement
tout recours aux techniques actuelles qui sont absolument
indispensables là où des erreurs techniques ont entraîné des
dommages importants. Il ne s’agit pas non plus de créer des
instituts ou des laboratoires pour des travaux exceptionnels de
restauration, mais simplement de perpétuer un savoir-faire dans
de petits groupes de contremaîtres et d’ouvriers, dont l’activité
sera assurée pendant de très longues années par l’énorme masse
de travaux à exécuter dans la ville historique, constituée, pour
l’essentiel, de maisons modestes, et non d’édifices prestigieux.
Pour intervenir sur ces édifices mineurs sans en altérer les
modèles, les formes, les fonctions, des études techniques sophis­
tiquées sont nécessaires : une analyse approfondie du système de
construction, de la structure, de la composition de ces maisons
permet souvent de limiter les opérations au second œuvre —
installations hygiéniques en général — et à la consolidation des
éléments porteurs; mais il faut que ces travaux très simples soient
exécutés selon un programme très précis, afin d’éviter le manque
de coordination. Trop d’années dominées par la politique de la
131
1

LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

pioche et du bulldozer ont conduit les entrepreneurs à oublier,


pour les travaux à l’intérieur d’édifices existants, les « techniques
pauvres » — celles qu’on avait utilisées avec succès pendant des
siècles.

L ’aménagement intérieur

Après la détermination des paramètres typologiques, le


premier stade opérationnel consiste dans la division en appar­
tements. Leur nombre et leur taille sont déterminés par
l’installation préalable des blocs de cuisines et de salles de bains.
Les canalisations étant placées contre les murs de la cage
d’escalier, dans le cas des appartements qui occupent toute la
profondeur et dans celui des duplex, on situera indifféremment
sur rue ou sur cour les pièces à usage diurne ou nocturne. Leur
affectation dépendra plutôt de la qualité des espaces internes,
cours et jardins. Quand un édifice regroupe une ou plusieurs
maisons, ou bien résulte de l’agrandissement du modèle de base,
les appartements tiennent compte des formes primitives et visent
à les reconstituer, mais parfois, les modifications sont acceptées
et consolidées. Si le choix fait d’après le principe typologique
reste toujours préférable, dans la pratique on a aussi tenu
compte, pour la taille et la forme des logements, des besoins
particuliers exprimés par les enquêtes effectuées au niveau des
comités de quartier. Il ne s’agit d’ailleurs que de modifications
mineures (par exemple, pose de cloisons supplémentaires).
Enfin, le projet peut être modifié sur le chantier, en particulier si
les travaux m ettent au jour des éléments insoupçonnés au
moment des études et qui peuvent imposer ou suggérer des
variantes. Ainsi des planchers en bois de grande valeur qui
étaient cachés par des faux plafonds peuvent exiger une nouvelle
disposition des cuisines, des sanitaires ou des cloisons.
La taille et la configuration des logements obtenus en
restaurant les maisons historiques doivent aussi être appréciées
en fonction de la demande, c’est-à-dire des besoins des familles
qui habitent la ville ancienne. Rappelons à cet égard que l’une
des critiques fréquemment adressées à la politique de conserva­
132
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

tion et de réhabilitation des villes historiques porte sur la qualité


de l’habitat ancien qui serait médiocre, voire insuffisante, par
rapport à celle atteinte dans les quartiers neufs (par exemple, en
ce qui concerne l’ensoleillement, la ventilation naturelle, les
installations hygiéniques). De plus, la forme des vieilles maisons
ne serait pas le résultat d’une planification sérieuse, mais la
conséquence d’une parcellisation arbitraire des sols. Or, les
premières réhabilitations prouvent, au contraire, que la qualité
de l’habitat ancien peut devenir très élevée, une fois les maisons
aménagées, les espaces verts rétablis et les équipements sociaux
créés. Le milieu urbain ancien ainsi récupéré est bien plus riche
en possibilités d’échanges sociaux. Enfin, la densité, l’ensoleil­
lement, l’aération y sont déterminés par une organisation vivante
et complexe, par l’interaction de rues et de cours, d’entrées et de
jardins, de murs et d’arbres, qui créent un milieu inégalable,
abrité des vents en hiver, frais en été : un véritable micro-climat.
En revanche, là où on a démoli et reconstruit selon les principes
« modernes », le vent et le froid régnent l’hiver, la chaleur
étouffante et la lumière aveuglante l’été.
Les chiffres confirment la supériorité des quartiers anciens.
Dans le cadre du plan pour l’habitat social, une fois admis qu’un
tiers à peine des rez-de-chaussée peut être utilisé pour l’habitat,
les premières opérations dans les quartiers historiques donnent
34 m2 de surface par habitant. De plus, cette surface est bien
utilisée, compte tenu de la forme des pièces et de l’emplacement
des cuisines et salles de bains. Des espaces verts et des locaux
collectifs pour les habitants (laveries, salles de jeux, salles de
réunions), s’ajoutant à cette superficie on aboutit à des presta­
tions supérieures à celles de l’habitat périphérique, social ou
non.
Ces normes peuvent être aisément atteintes dans les treize
secteurs opérationnels. En effet, la densité de peuplement a
diminué de 11 % entre 1961 et 1971 à cause du mauvais état du
patrimoine et des augmentations de loyer. Aussi peut-on
envisager, non seulement de garder toute la population actuelle,
mais de revenir aux densités de 1961 : les unités prioritaires
d’intervention ont atteint non seulement les normes du PEEP,
mais celles du plan directeur de la ville, qui prévoit 30 m2
d’équipements de quartier par habitant.
1 33
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Mais les normes purement quantitatives représentent une


faiblesse grave de l’approche urbanistique classique, parce
qu’elles ne tiennent pas compte de l’apport de disciplines comme
la médecine ou l’économie. A Bologne, au contraire, les normes
du logement social traduisent dans la réalité physique de la ville
une politique de priorité à la consommation collective choisie par
la municipalité pour rompre avec la pratique italienne consistant
à favoriser les consommations individuelles. Bien loin des plans
précédents, très avares en espaces publics, le plan directeur de
Bologne réaffirme la dimension collective de la vie urbaine en
prévoyant 64 m2 d’équipements par habitant, dont 30 au niveau
du quartier.

Restaurer, c ’est surtout consolider

Lors de la mise au point du projet de restauration, les murs


mitoyens de façade et ceux de refend sont considérés comme des
éléments porteurs, conformes au type de la maison. Mais au
stade des travaux, il faut tenir compte de la résistance réelle des
murs. En effet, les murs porteurs ne sont pas toujours en bon état
ou homogènes; on y a parfois percé des portes et des fenêtres, ou
fermé des ouvertures avec des matériaux inadéquats. Restaurer
ces murs consiste donc à reconnaître les parties qui reflètent
l’histoire de l’édifice, puis à les consolider, à remplacer les parties
dégradées et à en éliminer l’humidité et ses causes, avec toutes
les précautions nécessaires.
Dans les chantiers ouverts jusqu’ici, il ne s’agissait pas de
matériaux exceptionnels, d’où la relative facilité des travaux.
Dans le cas de certains bâtiments particulièrement altérés par
des réaménagements successifs, il a fallu reconstruire des murs
entiers : on l’a fait en appliquant le critère du respect des
param ètres typologiques. De plus, reconstituer les murs avec les
anciens matériaux ne représente pas seulement la méthode
correcte mais, le plus souvent, la plus économique. Il serait bien
difficile de remplacer les matériaux élémentaires, « pauvres »,
par des éléments préfabriqués. Comment concilier l’organisation
des chantiers qu’exige la préfabrication avec la souplesse
1 34
1

LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

nécessaire aux chantiers de restauration? Sans compter l’hété­


rogénéité des cotes. Quand il s’agit de conserver le patrimoine,
toute approche qui ne fait pas appel aux techniques tradition­
nelles relève donc de l’utopie.
Ce qui a été dit pour les structures verticales pourrait être
répété pour les structures horizontales. Mais s’il faut générale­
ment remplacer les éléments abîmés pour assurer la sécurité de
l’édifice, certains planchers anciens peuvent cependant présenter
des caractéristiques importantes pour la qualité de l’architectu­
re, ou encore relever de techniques impossibles à reproduire : on
doit alors laisser en place les éléments endommagés, en éliminant
tout ou partie des charges qu’ils supportent, sans toutefois
rechercher des exploits techniques trop coûteux. Certains plan­
chers en bois ont pu être consolidés en remplaçant quelques
lattes et quelques solives par des pièces normalisées. Dans
d’autres cas, cependant, on s’est demandé s’il ne fallait pas
substituer à l’ancien plancher un autre en bois (qui ne peut être
identique puisqu’il est impossible de trouver sur le marché des
lattes de grandes dimensions et de répéter la facture ancienne). Il
s’agit là d’un problème important qui pourrait même rem ettre en
question le principe de la politique de conservation. Les choix ont
été faits selon les cas individuels. Quand le plancher ancien
présente des caractéristiques irremplaçables, il faut le garder,
même s’il paraît prêt à s’effondrer : les faux plafonds et
revêtements de sols trop dégradés sont enlevés, les parties à
conserver sont traitées et ignifugées sur place, et un autre
plancher est construit au-dessus pour recevoir les charges. Si, au
contraire, le plancher n’a rien d’exceptionnel, ses pièces abîmées
sont remplacées par des éléments normalisés, en renonçant aux
dimensions originelles.
Le choix de conserver le bois comme matériau de plancher
respecte la structure des maisons d’artisans ou d’ouvriers des xv'
et x v r siècles (articulation d’une charpente en bois et de piliers
en maçonnerie), elle-même dérivée des charpentes entièrement
en bois du Moyen Age, dont on retrouve parfois des éléments
verticaux englobés dans les murs. Mieux encore, dans certains
cas, il a été possible de retrouver dans les maçonneries le cube de
granit qui supportait chacun des poteaux en bois, et qui reposait
135
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

sur un hérisson de galets. Ces fondations superficielles créent


l’un des problèmes les plus difficiles des chantiers, surtout
lorsque les niveaux de deux édifices contigus sont différents. Les
reprises en sous-œuvre ou les fondations nouvelles des maisons
mitoyennes de celles qui sont restaurées représentent une part
considérable du coût des travaux, compliqués par la présence
d’égouts à ciel ouvert qui parfois fonctionnent encore.
Une fois l’édifice consolidé, il faut l’aménager. C ’est-à-dire,
surtout, y installer les équipements manquants dont le chauffage
central. Dans les premiers chantiers, les chaufferies collectives
desservaient des îlots entiers. Ce fut une erreur : étant donné le
nombre d’usagers et la taille très différente des logements à
chauffer, les installations individuelles sont bien préférables. En
ce qui concerne les revêtements, la recherche d’une bonne qualité
au moindre coût a exigé le choix de matériaux simples. Les sols
des logements sont en grès ou en carreaux de terre cuite vernie.
Les escaliers sont également recouverts de terre cuite très
résistante. Pour les enduits intérieurs, on a employé le mortier
traditionnel à la chaux. Les éléments de menuiserie sont anciens,
mais ils ont été restaurés.

Le relogement des habitants et la gestion des logements

Dans le cadre du plan directeur de la ville historique, la


municipalité s’était engagée à maintenir les habitants dans leur
quartier pendant les travaux de restauration. Cet engagement a
été pleinement respecté, dès la première phase des travaux, en
même temps qu’ont pu être définis les principes d’une gestion
sociale des maisons restaurées. Ainsi, le quartier Irnerio a
constitué une équipe de recherche comprenant des sociologues et
des assistantes sociales, aidés par les techniciens de la munici­
palité, afin de définir comment les habitants devaient être
relogés, de mieux connaître les problèmes sociaux que l’opéra­
tion allait poser et surtout de résoudre les questions pratiques.
Puis, l’équipe a tenté de créer entre les habitants des liens les
préparant à une gestion autonome de leurs maisons.
Le travail de recherche, commencé en 1973, a suivi deux voies
1 36
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

parallèles. L’une visait à définir des méthodes d’enquête.


L’autre, plus pratique, tentait de déterminer des modalités selon
lesquelles la population pourrait participer aux phases de
conception et d’exécution des travaux. Il fallait traduire les
projets en termes compréhensibles pour tous, systématiser les
demandes des ayants droit, les présenter selon des critères
systématiques. Les premières difficultés furent d’ordre purement
social : elles concernaient la composition des groupes de base,
dominés par les liens de voisinage, intéressés par les logements
disponibles. Cette phase délicate de l’enquête se heurta d’abord à
une certaine réticence, qui disparut quand les familles compri­
rent les objectifs de l’étude et surtout quand elles connurent
mieux les enquêteurs.
La technique de l’entretien personnel a permis aux sociologues
de « prendre le pouls » du quartier. L’information recueillie est
particulièrement intéressante en ce qui concerne le niveau de
cohésion ou, au contraire, de désagrégation sociale des secteurs
concernés. Ainsi, dans la via San Leonardo, où les familles sont
installées depuis de très longues années, il existe des réseaux
denses de relations suscitées par des intérêts communs et des
liens d’assistance réciproque — dus en grande partie à la
proportion élevée d’inactifs âgés. De plus, les rares familles
immigrées assez récemment ont pu étoffer par leur propre
expérience ce milieu social homogène. Au contraire, dans la via
Sant’Apollonia, des maisons très dégradées et à peine habitables
ont créé chez les rares rescapés une mentalité d’exclus. On n’y
trouve pas de relations sociales véritables : au mieux règne
l’indifférence, au pire l’hostilité. Une résistance des habitants
s’est manifestée au début du relogement temporaire ou définitif,
mais elle a cédé avec le temps. Dès les premiers entretiens, les
habitants ont réagi presque toujours favorablement, malgré la
nouveauté relative des modèles d’habitat qui leur étaient
proposés. Leur adhésion au projet a été conquise par la vue des
chantiers et beaucoup d’habitants ont voulu définitive une
réinstallation qui ne devait être que provisoire, mais à condition
que les liens sociaux antérieurs soient conservés. L’équipe des
chercheurs a porté une telle attention à la diversité des demandes
exprimées que la variété des choix offerts par le premier groupe
137
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

de maisons restaurées a permis de reloger à l’identique des


communautés entières.
L’établissement des loyers (en fonction des revenus, et surtout
de la solvabilité des ménages), le choix des modalités de
paiement et des méthodes de gestion du logement ont également
exigé de nombreuses rencontres avec les habitants. Pour que la
population puisse comprendre et exercer encore mieux ses
responsabilités, des représentants des locataires ont été élus pour
chaque maison. Ils s’informent librement des problèmes puis
fixent, dans le cadre de réunions plénières ouvertes à tous, la
répartition des charges et les répartitions éventuelles, comme
dans le système de la copropriété. Les architectes municipaux,
les employés de l’administration et les représentants du quartier
sont à la disposition des habitants pendant ces réunions.
Il est encore tôt pour dresser le bilan social de l’opération. Il est
certain toutefois que, dès les premiers chantiers du secteur San
Leonardo, un processus nouveau et important a été amorcé : les
intéressés ont bien dû constater que la municipalité agissait au
profit des classes sociales habituellement négligées. Et cette prise
de conscience a arraché toute une population défavorisée à
l’attitude sceptique qui s’était manifestée lors des premiers
projets. Aujourd’hui, la participation est voulue par tous et bien
réelle.
6. Le plan pour les équipements
sociaux et culturels

La politique du plan-programme de 1973-1975 qui tend à


privilégier les nécessités de la consommation et les équipements
sociaux comme compléments de la politique de l’habitat, a pour
instrument opérationnel le plan pour la réorganisation et la
restructuration des équipements et de l’université. Cette
politique vise essentiellement à aménager les monuments, pour
recevoir les services publics (urbains ou de quartier) à vocation
sociale et culturelle.
Réintroduire dans la vie contemporaine les palais et les grands
couvents, c’est d’abord rechercher des vocations nouvelles à leur
architecture riche et complexe. Leurs espaces sont si variés qu’on
peut leur donner des affectations fort éloignées de celles qui
avaient inspiré leur construction. L’idée d’y installer parallèle­
ment des activités très diverses ne peut être réduite à l’expédient
qui consisterait à se servir n’importe comment des espaces
disponibles. Elle a permis de faire des expériences d’avant-garde
en matière de restauration « active » des monuments.
Dès 1969, des recherches étaient entreprises pour élaborer de
nouvelles définitions de 1’« école », de la « bibliothèque », du
« centre » de quartier, du centre médico-social ; leur organisation
architecturale devait, du même coup, faire l’objet de nouveaux
modèles.
Pour faire revivre un monument existant, il faut d’abord en
déterminer les parties qu’on respectera envers et contre tout et
les dégager de la gangue qui les enveloppe. Ce n’est pas tâche
facile. Un édifice qui a été créé au fil des siècles n’est pas
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

immédiatement lisible, il exige une étude approfondie pour


m ettre en évidence la composition primitive, pour décider des
agrandissements et réaménagements à conserver.
Impossible de se borner à une analyse de l’état actuel, ou de
chercher à redécouvrir le plan « idéal » qui serait celui de l’édifice
primitif. Il faut, au contraire, reconstituer les phases successives
de son histoire.
L’établissement du modèle opérationnel comporte d’abord un
travail analytique, ordonné en quatre temps. Le premier
concerne l’histoire de l’édifice et de ses vocations successives, et
exige l’utilisation de tous les documents concernant chacune des
« étapes » de sa vie. Le second concerne les abords de l’édifice : il
s’agit de repérer ce que sa création et son extension ont changé,
de retrouver, entre autres, les voies qui le desservaient, de
découvrir d’éventuels accès anciens dont la réouverture ferait
mieux vivre le monument. Parfois, on devra, au contraire,
rétablir sa compacité, son « étanchéité ». Le troisième moment
concerne la structure et les formes de l’architecture. Il réclame
un relevé précis perm ettant de retrouver les modules originels et
les éléments de la composition primitive. Dans un dernier temps
enfin, l’analyse typologique assure le contrôle des anomalies
éventuelles.
Après l’analyse, vient la synthèse : formulation même du
projet sans cesse confronté aux exigences de sa destination. Ce
contrôle doit être conjointement exercé par l’équipe de recherche
et la commission de quartier dont le conseil, ouvert à tous,
discute ensuite les propositions d’affectation.
Ici encore, la définition du « modèle opérationnel » ne résulte
pas de théories abstraites, mais d’une démarche systématique
fondée sur des recherches et des vérifications bien précises.
Il faut déjà tirer les leçons de cette expérience. En restaurant
et en réanim ant ses principaux monuments, la ville redécouvre et
se réapproprie son histoire — une histoire qui a marqué ses sites,
sa société, sa culture. La ville refuse ainsi de s’incliner devant le
mythe d’une architecture « moderne » qui revendique le droit de
s’insérer partout, y compris dans le tissu urbain ancien. Bologne
fait en outre la preuve, contre la spéculation, qu’il est possible
d’assurer à ses habitants une jouissance collective de la ville, et
140
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

que les monuments les plus nobles et les plus caractéristiques


peuvent être restaurés et réanimés, quels que soient les dom­
mages qu’ils ont subis.
Ces premières conclusions renvoient à un contexte politique
bien particulier qui ne peut être confondu avec celui d’une
culture élitiste. Il témoigne au contraire d’une volonté détermi­
née de progrès social et de défense des catégories défavorisées.
L’action menée à Bologne vise à redéfinir les disciplines de
l’architecture et de l’urbanisme en termes de lutte contre la
spéculation. Faute de quoi l’architecture, qui a vocation à être la
science complexe de l’espace bâti, resterait au service de la
promotion immobilière.

Insertion dans la ville et flex ib ilité intérieure des édifices


destinés aux équipements collectifs

La réanimation des grands monuments met en œuvre deux


principes fondamentaux, dont l’un consiste à évaluer les qualités
des monuments en fonction de leur contexte, l’autre en fonction
de leurs potentialités d’utilisation. Le premier principe est lié au
rôle historique des grands monuments qui sont à l’origine du
développement de la ville par addition de borghi successifs et qui
constituent également le contrepoint du tissu urbain « mineur ».
Le second principe, lié à l’analyse de l’organisme architectural,
répond à l’exigence de donner un nouveau rôle, une nouvelle vie à
des édifices qui ont gardé pour vocation d’être les points forts et
les symboles de leur quartier.
La ville historique de Bologne s’est constituée à partir du fort
romain en s’élargissant selon un schéma radial précis. Or, du x n r
au xvir siècle, les points d’appui de cette expansion urbaine sont
les grands couvents. Une étude particulière de ces monuments,
de leur morphologie et de leurs rapports avec le contexte urbain
s’imposait donc. Il était d’autant plus important de préciser les
règles qui lient le système architectonique de ces grands
ensembles monumentaux au système de leurs fonctions, que leur
vocation primitive a généralement disparu depuis plus d’un siècle
et demi, et que certains des quelque quatre-vingt-dix couvents
141
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

bsistants ont été incorporés à des immeubles résidentiels, au


;ril de leur survie matérielle.

p e r m é a b i l i t é e x t e r n e . La répartition même des ordres


onastiques au cours des trois grandes étapes du développement
la ville exprime déjà une des caractéristiques de la « perméa-
lité externe » des couvents. Les bénédictins s’installèrent sur les
olongements du cardo et du decumanus et les autres ordres
Dnastiques, en général, le long de la seconde enceinte du
■siècle. Ensuite de nouveaux couvents s’établirent dans l’es-
ce, en partie inoccupé, situé entre la ville ancienne et l’enceinte
. xiv° siècle; en même temps la ville annexait les borghi formés
tra-muros par des artisans et des ouvriers.
La position du couvent lui-même, comme axe du borgho et
int focal d’un ensemble de relations publiques, est la seconde
ractéristique de la « perméabilité externe ». La vocation
tuelle des couvents est donc évidente : ils doivent abriter des
uipements de quartier et être promus à une fonction univer-
aire, urbaine, voire régionale. Ils assureront une renaissance de
structure urbaine.
Les équipements et espaces publics de quartier relèvent
)rganismes publics décentralisés, ou bien des comités de
artier et d’associations diverses : c’est le cas des bibliothèques
quartier, des écoles, des jardins, des installations sportives,
s équipements d’îlots ou de maisons (venelles d’accès, jardins
lots, potagers, terrains de jeux, laveries) peuvent être gérés
r des organismes publics ou privés, mais ils sont au service des
ataires. Enfin, la maison, qui appartient à la ville, est gérée
nm e une propriété indivise, selon des modalités définies par
comités de quartier.
Comme la première phase opérationnelle du plan pour
abitat social comporte seulement la restauration de quelques
îs-secteurs, il pourrait en résulter un déséquilibre par rapport
k secteurs non prioritaires. Le plan pour les équipements
:iaux et culturels permet de l’éviter : les monuments abriteront
services sociaux de quartier, les activités culturelles et de
sirs; leurs parcs ou jardins serviront à toute la population du
irtier.
1 42
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

p e r m é a b i l i t é i n t e r n e . La « perméabilité (ou adaptabilité)


interne » des ensembles conventuels ne se révèle que par une
analyse de la composition spatiale et fonctionnelle des édifices.
Ces monuments, complexes et parfois composites, qui pouvaient
servir de couvents, d’hôpitaux ou d’hospices, de collèges ou
d’écoles, constituent les variantes d’un même modèle : leur
forme répondait en effet à des fonctions collectives restées
immuables. Les cloîtres (espaces ouverts à la fois sur l’intérieur
et sur l’extérieur par divers éléments de communication, por­
tiques, loggias, vestibules d’entrée, corridors, escaliers) forment
le pivot de leur organisation tandis que les parvis et les jardins
assurent la perméabilité entre le couvent et le milieu urbain.

L ’implantation cadastrale des couvents

L’étude du cadastre permet de retrouver les caractéristiques


permanentes du milieu urbain. Étroitement lié à l’urbanisation,
le cadastre reflète les conditions sociales et économiques de
l’époque. II est révélateur qu’à travers l’évolution des modèles de
maisons et les métamorphoses du mode d’habitat, les parcelles
n’aient pas changé de nombre et de forme depuis le Moyen Age.
Entre le x ir et le xiv' siècle, on constate d’abord, de la part des
grandes familles et des principaux couvents, une utilisation
agricole intense du sol situé immédiatement à l’extérieur de
l’enceinte; puis vient l’urbanisation proprement dite, avec un
découpage parcellaire encore très lisible. Partout où l’on décèle
des altérations importantes, celles-ci sont imputables aux grands
couvents : car le couvent, microcosme autosuffisant, annexe son
environnement. Mais les perturbations qu’il apporte sont justi­
fiées et compensées par un ensemble de relations établies avec le
milieu urbain.
Dans la zone la plus ancienne de la ville, on constate une
instabilité créée par les constructions de la Contre-Réforme. Si
les couvents (bénédictins, franciscains, dominicains) conser­
vaient encore les espaces libres qu’ils avaient englobés de façon
organique et qui convenaient à leur système de cours et de
143
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

jardins, les nouveaux ordres créent un nouveau type de couvent-


collège, beaucoup plus compact, correspondant à leur fonction
surtout éducative. Les nouveaux ordres opèrent dans le contexte
d’une ville dont les formes sont déjà stabilisées. Aussi doivent-ils
bâtir sur des terrains déjà occupés, en assimilant et en
am énageant les édifices anciens. Les couvents traditionnels, au
contraire, présentent une grande cohérence entre les vides et les
pleins et une ouverture affirmée sur l’extérieur.

L ’histoire architecturale des couvents

L’analyse détaillée du rôle qu’ont joué les couvents dans la


création de la ville doit être complétée par l’étude de la création
architecturale de chacun de ces grands monuments religieux.
Celle-ci est indispensable pour comprendre les rapports actuels
des différentes parties des édifices et pour saisir comment, à
travers l’histoire, les corps de bâtiments anciens ont été
réaménagés et intégrés dans de nouvelles constructions.
On est ainsi conduit à constater que, même dans les cas de
reconstruction, on n’est jamais confronté à une rupture fonc­
tionnelle, l’ancien édifice, ou corps de bâtiment, continuant à
être utilisé pendant les travaux. Par ailleurs les projets révèlent
de nombreuses mesures conservatoires. En outre, dans bien des
cas, les façades ont simplement été « plaquées » sur les édifices
anciens.

.
l e s e c t e u r d u c o u v e n t s a n t a l u c i a La méthode qui vient
d’être décrite a été appliquée à l’îlot de Santa Lucia. On a
recueilli la documentation concernant les marchés des travaux,
les projets, les architectes, les exécutants des différentes phases
de la construction. Les indications des documents graphiques ont
été reportées sur les relevés actuels du secteur de Santa Lucia.
L’histoire de ces constructions et l’augmentation des biens
immobiliers de l’abbaye perm ettent d’exprimer graphiquement
l’histoire même de l’ordre religieux. La recherche est pratique­
ment achevée lorsqu’il est possible de combler les lacunes
éventuelles des documents d’archives par un raisonnement
144
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

analogique. En l’occurrence, on a pu montrer que la saturation


progressive de l’îlot compris entre les rues Castiglione, Carto-
leria Vecchia et de’ Chiari s’est faite selon un schéma très
typique.
On a d’abord pu reconstituer les activités de l’ordre (la
Compagnie de Jésus) depuis son installation à Bologne, et
surtout depuis son établissement dans le quartier. L’étude des
cartes révèle, en particulier, qu’une rue médiévale, le Campetto
di Santa Lucia, aujourd’hui totalement disparue, découpait un
îlot allongé, entièrement occupé par des habitations modestes et
drainé par un canal central (1 actuelle via Castiglione). Sur les
cartes du xvnr siècle, les édifices annexes du couvent — collèges
et maisons anciennes épargnées à l’intérieur de l’îlot — sont
encore nettement disposés selon la tram e parcellaire médiévale.
De plus, un examen attentif du relevé de l’édifice actuellement
occupé par le lycée Galvani a permis de retrouver l’un des murs
extérieurs de l’ancienne église de Santa Lucia, qui faisait
presque sûrement partie de l’extension décidée par les jésuites en
1575. Enfin, les sondages plus approfondis qui pourront seule­
ment être effectués au cours des travaux fourniront des détails
complémentaires sur l’histoire du bâtiment, et confirmeront
éventuellement les hypothèses concernant les constructions
aujourd’hui disparues.
La physionomie de ce secteur urbain fut profondément
bouleversée quand, en 1622, les jésuites décidèrent de construire
une énorme église inspirée très directement du Gesù de Rome,
d’où ils firent venir spécialement l’architecte Girolamo Rainaldi.
C ’était un projet de grande envergure, mais à l’échelle des
ambitions de la Compagnie qui voulait répandre son éthique
religieuse en formant les jeunes. D’ailleurs, le fait même d’acquérir
progressivement des maisons contiguës pour les aménager
provisoirement en locaux d’éducation et les rebâtir ensuite, montre
un dessein lucide et clairement formulé. L’objectif des jésuites
trouvera une réalisation spectaculaire, après l’achat des maisons
situées entre la via Cartoleria et la via de’ Chiari, avec la
construction du collège San Luigi, chef-d’œuvre de l’architecture
pédagogique, appelé à devenir un modèle.
Après avoir acheté quelques maisons sur le campo Santa
145
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Lucia, et après avoir bénéficié de certains legs, les jésuites


acquirent l’église elle-même et ses annexes. Ils firent exécuter
des travaux pour l’agrandir. Avant d’être aménagés en chapel­
les, les nouveaux locaux leur permirent d’accueillir François
Xavier lors de son séjour à Bologne, en 1575. Puis la Compagnie
parvint à acheter toutes les maisons situées entre l’église et
l’angle de l’îlot. En dépit de circonstances parfois difficiles
(comme l’épidémie de peste de 1630), les travaux se poursui­
virent de 1623 à 1659, mais la grande coupole prévue ne fut
jam ais bâtie et la nef dut être fermée par un mur provisoire,
couvert de pilastres en bois et en toile. A côté de 1 église, la
sacristie et la chapelle des congrégations, superposées, fermèrent
définitivement la venelle médiévale. Derrière l’abside monumen­
tale inutilisée, le palazzo Morelli, acheté pour loger les élèves et
créer des salles de classe, devint vite insuffisant. Aussi un
nouveau bâtiment fut-il commencé, à la place de deux grandes
maisons situées entre le Campetto di Santa Lucia et la via de’
Chiari. Avec ses grandes salles de classe bien dégagées, reliées à
la sacristie et à l’église par un couloir voûté, il est un exemple
typique des constructions scolaires du xvir siècle.
Entre-temps, les travaux du grand collège de Santa Lucia se
poursuivaient lentement, sur les plans d’Agostino Barelli. Un
portique très surélevé donnait une unité à l’ensemble des
constructions préexistantes et nouvelles. La nécessité de disposer
d’un grand espace de circulation devant l’église incita les jésuites
à faire pression sur le Sénat pour couvrir le canal qui occupait
encore le centre de la via Castiglione.
En 1717, la Compagnie put acquérir l’angle compris entre la
via de’ Chiari et la via Castiglione pour y bâtir le grand collège
San Luigi. Le projet fut confié à Alphonso Torreggiani,
architecte confirmé, qui fit preuve dans cette œuvre d’une grande
habileté en conciliant les exigences de la pédagogie et celles
d’une esthétique nouvelle. Le collège — peut-être le plus
intéressant édifice de tout le x vnr siècle bolonais — est bâti
autour d’une grande cour et structuré par les salles des quatre
disciplines. Bien que le projet ait perdu sa symétrie lors de
l’aménagement d’un grand théâtre, et bien qu’il soit resté
inachevé (la façade est encore celle de l’ancien palazzo Morelli),
14 6
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

les proportions de ses arcades, l’espace majestueux de ses


grandes salles de classe, et ses belvédères, en font un monument
complexe et très séduisant.
Bien que, pour obtenir du sénat bolonais l’autorisation de bâtir
l’église, la Compagnie se fût engagée à ouvrir une nouvelle rue
Santa Lucia, le projet, étudié en détail, n’eut pas de suite. La
suppression de l’ordre des jésuites en 1773 empêcha toute
transformation ultérieure de l’îlot.
Les travaux intérieurs n’étaient pas moins intéressants. Entre
1742 et 1752 un aménagement fonctionnel important consista
dans la création d’une bibliothèque destinée à recevoir les
ouvrages légués à la Compagnie par le marquis Francesco
Zambeccari, ainsi que les livres rares qui devaient accroître ces
collections par la suite. Implantée sur les pièces préexistantes de
la casa Gozzadini, la bibliothèque est l’œuvre, pour les étages
supérieurs, de Giuseppe Antonio Ambrosi, elle est décorée de
sculptures d’Antonio Calegari, de trompe-l’œil de Pietro Scan-
dellari, de fresques de Nicolâ Bertuzzi et Giuseppe Marchesi.
Pour souligner l’extrême habileté de l’architecte, il suffit de
rappeler comment il a su m ettre à profit un petit espace
rectangulaire pour y bâtir en diagonale l’escalier d’accès.
Les barnabites qui remplacèrent les jésuites laissèrent quel­
ques travaux utilitaires, comme le couloir bâti en 1817 le long de
l’église, entre la conciergerie et la sacristie. Mais leur œuvre la
plus im portante est sans doute l’achèvement de l’église. En un
premier temps, ils tentèrent même de réaliser le projet de
Rainaldi en simplifiant la coupole, réduite à une « cuvette »
surbaissée. Puis ils choisirent une solution plus raisonnable,
consistant à remplacer le mur provisoire qui fermait la nef par
une abside, commencée en 1840 par Vannini et réalisée en
quelques années. Les barnabites avaient l’intention de démolir
l’abside inachevée pour « aérer » le collège San Luigi. H eureu­
sement, l’archevêque les en dissuada, en leur dem andant de
garder l’espoir de voir un jour mener à bien le projet de Rainaldi.
Plus tard, des constructions hétéroclites viennent occuper les
espaces ouverts et déséquilibrer l’harmonie du couvent. Les
photos aériennes désignent clairement ces bâtiments, qu’il est
prévu de démolir.
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

Aujourd’hui, cet ensemble monumental est très dégradé. Les


locaux sont mal ou peu utilisés. Sa restauration s’impose. Elle
perm ettra de revoir en détail l’histoire de son architecture et
surtout de redonner à ces espaces leur vocation évidente,
publique ou privée selon les cas. Enfin, il sera possible de libérer
les cours et les anciens jardins, de rouvrir les passages et les
venelles, pour rendre à l’organisme toute sa perméabilité.

l e c o l l ë g e s a n L U iG i. L’étude est partie du relevé. Les dessins


ont été réduits pour établir des tableaux synoptiques de l’édifice,
qui est complexe, surtout dans ses volumes.
Ensuite la mise au point stratigraphique du relevé a permis,
avec l’aide des documents d’archives, de déterminer les diffé­
rentes phases de la construction. Leur interprétation critique
fournit l’une des clefs du projet de restauration. L’autre clef est
donnée par le plan directeur de la ville historique et la demande
des quartiers. Ainsi on peut tester les hypothèses de réam éna­
gement et déterminer si l’édifice restauré pourra recevoir les
équipements collectifs nécessaires ou souhaités. Certaines con­
ditions doivent être satisfaites, dont la principale est que la
structure et le type de l’édifice soient compatibles avec des
fonctions multiples. En fait, les monuments religieux dont
Bologne a hérité sont tellement complexes que la possibilité de
répondre à cette condition essentielle est l’une de leurs carac­
téristiques fondamentales. Créés par étapes, au fil des siècles, ils
sont constitués par des corps de bâtiments en grande partie
autonomes, mais néanmoins reliés au sein d’une organisation
générale. Déterminer les parties autonomes revient donc à leur
reconnaître des vocations éventuellement différentes et compa­
tibles avec leurs fonctions primitives.
Le collège San Luigi ayant été à l’origine à la fois une faculté
de théologie, donc une école, et un collège (une résidence
universitaire), avec une nette séparation des fonctions pédago­
giques et d’hôtellerie, il se prêtera aisément à des utilisations
analogues. La grande salle de cours est particulièrement
intéressante. Sa surface est d’environ 130 m2, sa hauteur de 7 m;
sur cet espace s’ouvrent, sur deux niveaux, dix petites salles de
16 m2 chacune. C’est là qu’étaient enseignées les disciplines
fondamentales de l’école de théologie.
148
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

L’aile oblique sur la via Cartoleria comprend toute une série


de volumes articulés sur l’entrée principale et l’escalier monu­
mental et aboutissant à la dernière salle, à deux niveaux (dont un
« attique » dépassant la toiture). Cette partie surélevée, située
juste au-dessus de l’entrée, marque, avec la grande voûte et le
belvédère situé du côté opposé de la cour, l’un des axes de
symétrie de l’édifice.
Les résidences ne sont pas non plus dépourvues d’intérêt. La
partie la plus remarquable occupe l’aile la plus longue du collège.
Sa façade garde le rythme de la Renaissance, tandis que
l’intérieur a été en grande partie évidé pour y aménager le
théâtre. Au-dessus, se trouvent deux étages de chambres, prises
dans le volume ailleurs réservé aux cintres. Cette partie présente
donc un double intérêt, historique et technique. Elle montre
qu’au cours des âges, on a cherché à exploiter au mieux les
possibilités offertes par les édifices existants.

L ’a v e n i r d u c o u v e n t d e S a n t a l u c i a . Les premiers travaux


d’aménagement ont porté sur les espaces actuellement vides.
L’église elle-même deviendra un lieu culturel à la disposition
d’un départem ent de la faculté de Lettres et de l’Office du
théâtre municipal; la place située entre les deux absides
deviendra un théâtre de plein air. Le collège San Luigi
accueillera une école d’art et une résidence universitaire.
Ces premières opérations permettront de poursuivre les
travaux dans les autres parties du couvent. Il faut, en effet,
déménager l’école d’art pour libérer les bâtiments très dégradés
des « écoles » et des « congrégations » qu’elle occupe actuelle­
ment. Après restauration, ces édifices pourront recevoir les
services annexes du centre théâtral.
Les locaux disponibles correspondent-ils aux besoins à satis­
faire? Aucun problème en ce qui concerne l’hôtellerie universi­
taire. Les chambres existent et sont bien desservies; il suffit d’y
ajouter des sanitaires. L’aile principale du collège permet donc
de créer une résidence indépendante de quelque quatre-vingts
lits.
L’aménagement de l’école d’art est plus délicat. Son organi­
sation a été mise au point par le directeur en liaison avec la
149
Ce plan montre la disposition des différents
édifices implantés autour de l'église Santa Lucia
et la dégradation qui en est résultée pour les
espaces de circulation et les espaces intérieurs
au secteur. La comparaison entre les épaisseurs
des différents murs et l’analyse de la logique
d’implantation des constructions permettent
d’identifier les éléments surajoutés à un par­
cours interne indépendant.

Ce plan montre comment la dissociation des


additions jésuites à l’église initiale et l’élimina­
tion des constructions parasitaires permettent
de remettre en valeur les cours et jardins
primitifs du collège San Luigi et de retrouver la
puissance des articulations conçues au xvir siè­
cle par Torreggiani.
Maquette du couvent réhabilité.

Torreggiani, l’architecte de San Luigi, avait réussi à interpréter


de façon anticipatrice la double exigence — collective et
individuelle — du programme didactique, en articulant deux
types d’espace complémentaires : grandes salles à double hauteur
et balcon en façade, et séries de dix « studioli ».

Le projet de réhabilitation fonctionnelle du complexe tout entier


est conforme à sa destination originelle : San Luigi accueillera
une école d’art dans ses espaces publics, alors que ses espaces
privatifs résoudront le difficile problème de la résidence univer­
sitaire à l’intérieur de la cité.
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

commission Enseignement du quartier. Les locaux qu’elle doit


occuper ont une architecture très affirmée et un riche décor qui,
a priori, se prêtent assez mal aux exigences d’un enseignement
actif. En réalité, les grandes salles peuvent être facilement
adaptées. Il suffira que les sections nécessitant des machines ou
des installations lourdes (tours, fours à céramique) soient
installées au rez-de-chaussée et dans les caves, et que soient
regroupées les sections ayant des besoins analogues (par exem­
ple, décoration peinte avec dessin d’architecture et de mobilier).
Les matières intellectuelles — langues, histoire — peuvent être
enseignées dans les grandes salles : les pièces annexes se prêtent
à l’organisation de séminaires et au travail en groupes réduits.
Une équipe d’architectes et de représentants de l’école met au
point l’affectation définitive des locaux, eu égard au fonction­
nement de l’école.
L’élaboration du projet opérationnel de tous ces travaux
comprend d’abord l’analyse des éléments porteurs à renforcer ou
à remplacer, selon les exigences du futur occupant. Le projet de
restauration proprement dit consiste à dégager et rendre lisible
chaque édifice ancien, à m ettre au point tous les détails de
l’intervention (choix des matériaux, des couleurs, des structu­
res), enfin à contrôler ou, plus souvent, à refaire les installations
techniques.

L ’E N SE M B L E C O N V E N T U E L DU BA R A C C A N O . Le COUVent du
B araccano s’est développé à p artir d’une chapelle dédiée à Santa
M aria del Baraccano (en latin médiéval barachanus désigne un
ouvrage avancé protégeant les m urs — barbacane — d’après le
m ot arabe barbakhâneh). Sa configuration actuelle rem onte
essentiellem ent au siècle des Bentivoglio, qui dom inèrent Bolo­
gne à plusieurs reprises entre 1401 et 1512.
Dès 1402, le concours des fidèles permet de constituer une
Compagnie de Santa M aria del Baraccano. Celle-ci reçut tant
d’offrandes qu’il fut possible de bâtir d’abord une chapelle
placée contre les murs, puis un hospice. Dès 1438, la chapelle
était agrandie, et l’année suivante, un hôpital était mis en
chantier, qui devrait être l’embryon du couvent actuel. Un
document du 12 mai 1460 enregistre l’approbation unanime par
152
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

le Conseil des Seize, qui gouvernait la ville, des travaux que la


Compagnie entendait exécuter. Le 23 janvier 1478, celle-ci
achetait de nouveaux édifices puis, en 1491, une maison avec des
terrains non bâtis. En étendant ainsi ses domaines, la Compagnie
finit par posséder un long front sur la via Santo Stefano, où elle
bâtit le portique avec la grande arche d’entrée, achevé en 1492.
C ’est l’une des œuvres les plus intéressantes de la première
Renaissance bolonaise. Malheureusement, il a été fortement
remanié en 1779 et en 1846.
En 1512, la chapelle fit place à une église. Le couvent fut
agrandi en 1524 et, à la suite de la peste de 1527, le
Conservatorio delle Putte del Baraccano y fut installé pour
accueillir des orphelines « de bon tempérament et d’aspect
agréable » jusqu’à leur majorité. Ces dernières recevaient une
dot de 200 écus si elles se mariaient, et de 300 si elles prenaient le
voile, ces sommes pouvant varier selon les mérites et selon les
possibilités du moment. Les locaux du vieil hôpital et du
Conservatorio continuèrent de se développer et de changer au
gré des changements institutionnels. L’église fut également
modifiée. En 1604 la sacristie, trop humide, fut agrandie par
Pietro Fiorini. La façade principale fut remaniée d’après le
projet de Giuseppe Ambrosi, dans la seconde moitié du xvir
siècle, tandis que le portique et la coupole sont dus à Agostino
Barelli. En 1914, une restauration dégagea le fronton triangu­
laire de la Renaissance, les parties baroques de l’édifice étant
néanmoins en partie respectées.
Du point de vue de l’urbanisme, dès la fin du xve siècle, le
Conservatorio delle Putte était parfaitement relié à l’église
adossée à l’enceinte par deux voies d’accès, l’ancienne venelle
perpendiculaire à la via Santo Stefano et la petite rue,
perpendiculaire à l’église, qui aboutit à la grande arche du
portique. Ainsi, le sanctuaire restait le point focal de tout
l’ensemble conventuel.
La façade principale du couvent, sur la via Santo Stefano,
achevée seulement à la fin du xv n r siècle, n’est qu’un « rideau
architectural » : elle est bien loin d’exprimer l’importance et la
complexité structurale du couvent, qui se développe en profon­
deur le long des deux voies menant au sanctuaire. L’un des
153
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

édifices les plus anciens est la chapelle de la Compagnie de Santa


M aria del Baraccano qui, par son implantation à mi-chemin
entre le façade du Conservatorio et le sanctuaire, a orienté la
composition de tout l’ensemble conventuel. Cette chapelle est
aujourd’hui englobée dans des constructions.
On trouve donc à l’origine trois édifices principaux : le
sanctuaire, le long bâtiment-écran sur la via Santo Stefano,
l’église de la Compagnia. Au début du x v r siècle, ces trois
bâtiments étaient isolés. La façade sur la via Santo Stefano
n’était pas encore achevée au début du xvir siècle, le sanctuaire
et la grande arche avaient un fronton classique. C’est alors que la
construction d’une adjonction entre le bâtiment sur rue et la
chapelle donna au couvent sa forme actuelle : un corps principal
à portique sur la rue, une série de constructions perpendiculaires
le long de la venelle désormais intérieure.
Le couvent fut profondément remanié autour de 1700 : la
façade sur rue fut achevée et surélevée pour abriter des dortoirs.
Lors de ces travaux, on remplaça le fronton classique de la
grande arche par un fronton courbe, baroque; le sanctuaire
lui-même reçut un nouveau fronton et une coupole.
Initialement, le rez-de-chaussée était presque totalement
occupé par des pièces de service, à l’exception du bâtiment
principal, où se trouvaient les parloirs, et de l’aile interne, où
subsistait la chapelle primitive, devenue l’église de l’orphelinat.
A côté de la grande arche, se trouvait la petite chapelle, Santa
Liberata. A l’étage, l’édifice principal abritait les dortoirs, l’aile
interne, le réfectoire, les cuisines et l’infirmerie, celle-ci au-
dessus de la chapelle. Mais, au siècle dernier, cette organisation
fut modifiée : la ruelle centrale fut fermée au public; on
construisit une grande entrée et un escalier monumental; une
partie du cloître fut envahie par des annexes; l’église de
l’orphelinat devint un réfectoire, et fut remplacée par la chapelle
Santa Liberata, elle-même agrandie.
Au début du xxe siècle, c’est le contexte urbain qui est
profondément modifié. Le parvis de l’église Santa M aria est
redessiné, à la suite de la démolition de l’enceinte. Un mur vient
:lore le jardin et la venelle interne perd définitivement son rôle
ie liaison avec la place. De plus, la restauration de 1914 fait
1 54
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

perdre au sanctuaire l’unité du style baroque qui l’accordait si


bien avec la grande arche qui l’encadra.
Le projet de restauration tient compte des espaces différenciés
de cet organisme architecturel. L’aile interne (sud), qui com­
prend l’ancienne église de l’orphelinat, a reçu la « mairie » du
quartier, avec ses salles de conseil et de réunions, ses bureaux, un
théâtre, un commissariat de police. L’aile ouest, celle de la
chapelle Santa Liberata, partie de l’aile principale qui jouxte le
portail, abritera une bibliothèque, un centre culturel et un foyer
pour étudiants étrangers. L’aile est, la principale, trait d’union
entre la rue et le jardin, aura une vocation culturelle encore plus
affirmée. Des salles d’expositions et une bibliothèque sont
prévues au rez-de-chaussée. Les anciens dortoirs du premier
étage, hauts de 7 m, peuvent facilement devenir le musée
historique de la ville et du couvent lui-même : on y exposera le
mobilier et les tableaux légués aux institutions du Baraccano au
fil des siècles.
Enfin, l’ensemble conventuel retrouvera son ancienne qualité
urbaine. Le parvis de Santa M aria del Baraccano sera de
nouveau réservé aux piétons, l’ancienne venelle qui le reliait à la
rue sera rouverte, en abattant le mur du jardin. Ainsi, le couvent
retrouvera la perméabilité qu’il a perdue et qui demeure
essentielle pour un édifice au service du quartier et de la
ville.
L’orphelinat a occupé le couvent jusqu’en 1968 : au moment
où la municipalité l’a acquis, il était donc encore en bon état. La
restauration a surtout consisté à éliminer quelques parties
relativement récentes et mal venues. Le gros œuvre ne pose guère
de problèmes et aucune difficulté n’est apparue qui exigeât une
approche « scientifique ». Toutefois, la façade principale a été
restaurée avec un soin particulier : la composition de l’enduit
d’origine a été retrouvée, la texture des surfaces est donc celle
d’autrefois; la corniche a été reconstituée selon la technique
ancienne (enduit au plâtre sur lattis). Comme toujours, la
difficulté majeure a résidé dans l’installation des nouveaux
équipements modernes, placés dans des locaux « laissés pour
compte ». Mais l’ensemble fonctionne déjà partiellement au
rez-de-chaussée.
155
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

L’ E N SE M B L E C O N V E N T U E L SA N LEO N A R D O ET S A N T ’O RSO LA . Ici


aussi, l’église a constitué l’embryon du monument. Les chroni­
queurs la placent parmi les plus anciennes des borghi médiévaux.
Construite en 1203, elle fut consacrée en 1216. Il s’agissait très
probablement d’un édifice modeste qui dut être complètement
refait en 1302. Cette nouvelle église disparut, elle aussi, sans
laisser de traces. Il faut cependant noter que, selon un acte
notarié du 12 mai 1546, elle attira une partie des sœurs
cisterciennes de Sant’Orsola fuori mura. En 1559, alors qu’une
fraction du monastère était déjà en chantier à côté de la vieille
église, d’autres religieuses vinrent s’y installer.
Puis, pendant un siècle, de grands travaux bouleversèrent
complètement l’ancien ensemble. De plus, le couvent s’étendit en
profondeur, en achetant des maisons et des potagers à l’intérieur
de l’îlot. Enfin entre 1650 et 1660, l’église des fidèles fut
entièrement reconstruite et celle des religieuses très remaniée,
comme le montre la date, 1655, gravée au-dessus de sa porte
d’entrée.
Le couvent fut désaffecté le 31 janvier 1799 et donné à l’Opera
dei M endicanti qui le relia, par un pont au-dessus du vicolo
Bolognetti, aux bâtiments voisins, qui appartenaient auparavant
à la Compagnia dei Santi Sebastiano et Rocco et au Conser­
vatorio di Santa M arta. A partir de 1803, tous ces édifices
accueillirent des orphelins pauvres. Mais dès 1809, ces derniers
sont regroupés dans le Conservatorio di Santa M arta et une
« maison de travail » pour hommes et femmes les remplace dans
le couvent. En 1810, l’église est elle aussi supprimée et devient un
entrepôt de chanvre. En 1822 elle est attribuée à l’Opera dei
M endicanti qui la fait restaurer et réaménager puis la rouvre au
culte.
Depuis, le couvent a changé plusieurs fois de destination. En
dernier lieu, il abritait une école. M alheureusement, pour mieux
l’adapter à sa nouvelle fonction et pour disposer de salles plus
grandes, on décida d’ « achever » le cloître en bâtissant le côté qui
manquait et en abattant les travées dissymétriques. Q uant à
l’église, elle fut bombardée en 1943-1944 : la voûte elliptique
au-dessus de l’autel s’effondra, de même qu’une partie des murs.
156
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

La restauration fut sommaire et l’église abrite aujourd’hui un


théâtre expérimental.
La restauration actuelle de cet ancien ensemble conventuel qui
doit accueillir en particulier la « mairie » du quartier Irnerio,
s’appuie sur trois noyaux bien différenciés qui ont permis des
opérations successives.
La première a concerné l’église et les constructions de la via
San Vitale, occupées par des habitants qu’il fallait reloger.
L ’église conservera sa fonction actuelle de théâtre, mais sera
l’objet d’améliorations fonctionnelles. Les cintres et les projec­
teurs seront installés au-dessus de l’autel. On restaurera les
parties voisines de l’entrée, plusieurs fois transformées à la suite
de modifications de la façade (démolition du porche, ouverture
d ’une porte latérale, création d’une entrée avec une tribune pour
les chanteurs); les locaux récupérés serviront à des installations
annexes (vestiaire, administration, etc.).
Quant au corps de bâtiment triangulaire qui occupe l’espace
entre l’église et la via San Vitale, en se superposant d’ailleurs en
partie aux chapelles latérales de l’église, il date du x v r siècle;
il fut unifié par une façade à portique dans le courant du
x v ir siècle, en même temps qu’était construit, à une extrémité,
l’escalier d’accès aux cellules des religieuses. La restauration pré­
voit la réouverture de cet escalier; on supprimera, en revanche,
un autre escalier qui avait été ajouté dans la première moitié du
xix' siècle pour desservir les nouveaux appartements, afin
d’utiliser le premier étage sans interrompre les pièces du
rez-de-chaussée. Une partie des locaux de ce premier niveau
serviront d’annexes au théâtre, tandis que l’ancienne église
interne, celle des nonnes, deviendra la salle d’art et d’essai de la
cinémathèque municipale. Au premier étage, on aménage une
résidence pour vingt-neuf étudiants.
La seconde opération porte sur le grand cloître et les corps de
bâtiments qui l’entourent. Le grand escalier et le premier étage
de l’aile sur rue ont été rouverts.
Les travaux les plus ambitieux (troisième opération) concer­
nent une grande salle, aujourd’hui divisée par des cloisons, au
premier étage de l’aile qui donne en partie sur le vicolo
Bolognetti. Cette pièce, ouverte sur deux côtés et pourvue d’une
157
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

lagnifique charpente en bois, deviendra la bibliothèque du


îartier. Une autre grande salle, avec une belle cheminée, sera
:servée au conseil du quartier. Des bureaux seront installés à
)té tandis que les autres locaux ouvrant sur le cloître devien-
•ont des salles de réunions.
De plus, de vastes pièces bien éclairées, situées au rez-
î-chaussée sur le cloître, seront affectées à une petite école
aternelle. L’espace couvert du cloître, sous les arcades, est
éal pour les jeux des enfants. Sur le côté opposé, l’ancien
fectoire du couvent abrite déjà l’embryon de la cinémathèque
unicipale, qui dispose également de toutes les caves voûtées
rnr installer ses collections, ainsi que de deux petites salles de
ojection et d’un laboratoire.
On a également pu implanter un équipement d’une grande
îportance sociale pour le quartier : le dispensaire. Il possède de
istes cabinets de consultations et d’une petite infirmerie. Son
dépendance est assurée par un accès direct sur le vicolo
alognetti.

L'université dans la ville

Les grands monuments historiques peuvent également être


is à la disposition de l’université, service public dont les espaces
nt ouverts à tous les citadins: Le programme d’aménagement
¡s édifices de l’université de Bologne constitue une partie
sentielle du programme global concernant les équipements
llectifs pour la ville historique et pour toute l’aire métropoli-
ine. Il repose à la fois sur une utilisation du patrimoine
chitectural à l’intérieur ou aux environs du centre historique et
r une restructuration du système universitaire au niveau de
lire métropolitaine.
La réhabilitation de l’université est, en fait, une des pierres
igulaires du nouveau modèle urbain. Le développement des
cultés n’a cessé de suivre les lignes directrices que les forces
m inantes du marché immobilier ont imposées au développe-
ent urbain. Autrefois, l’université était installée dans les
Dnuments historiques. Puis, la volonté de copier certains pays
158
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

étrangers a abouti soit à la création de « centres » universitaires,


dans le tissu historique qui était alors éventré, soit à la création
de « cités » à la périphérie. Dans les deux cas, le résultat est le
même : les lieux du savoir sont mis à l’écart, l’université est
étrangère à la ville. Plus elles grandissent, plus la ville et
l’université s’éloignent l’une de l’autre, le citoyen et l’étudiant
devenant de parfaits étrangers. En outre, de même que les
percées effectuées au cœur de la ville fournissent une « couver­
ture » culturelle à de fructueuses opérations spéculatives, de
même la construction universitaire périphérique s’avère un
excellent alibi pour la spéculation foncière.
Le statut ambigu des universités italiennes, à mi-chemin entre
le « centre universitaire urbain » et le « campus », leur confère les
inconvénients de ces deux modèles. De plus, une autonomie mal
comprise rend l’université totalement imperméable aux réalités
économiques et sociales de la cité.
Les nouvelles universités sont formées par la simple juxtapo­
sition d’édifices indépendants : facultés et départements sont
aussi étrangers les uns aux autres que l’université à la ville. Loin
d’être autonome une université devrait entretenir des relations
étroites avec son milieu. Elle devrait être perméable, ouverte,
c’est-à-dire publique, à la disposition de tous et en contact
permanent avec les réalités économiques et culturelles. Ainsi
réhabilitée, l’université se révélerait un instrument privilégié
pour assurer la participation au savoir de tous ceux qui le
désirent, étudiants, travailleurs de tous âges et conditions. Dans
cette hypothèse le choix des implantations des équipements
universitaires devient une question politique, au même titre que
celui des équipements urbains.
Pour fonctionner convenablement, l’université ne doit être ni
dispersée ni destinée à un usage passif. Elle doit être organi­
quement intégrée à la région afin de renforcer ses contacts avec
la société et de l’insérer dans le circuit de la culture. Cette
exigence souligne l’absurdité de l’argument de la décentralisa­
tion urbaine invoqué pour éloigner de la ville les disciplines les
plus recherchées ou les moins « désirables ». Il faut au contraire
rendre vie aux sièges universitaires urbains traditionnels, con­
tribuant ainsi à la réhabilitation des villes anciennes. Les
159
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

établissements universitaires ne devraient pas consister unique­


ment en salles d’enseignement et en équipements de recherche,
mais aussi en espaces publics appropriables par l’ensemble de la
population. Inversement, des équipements urbains qui seraient
mal ou peu utilisés peuvent être mis au service de l’université.
D’où l’élévation du niveau de ces diverses infrastructures.
A Bologne, l’université peut donc utiliser les grands monu­
ments historiques. Ce choix est d’autant plus important que le
poids social, économique et politique d’une université qui compte
plus de soixante mille étudiants exige une intervention directe de
la municipalité.
Le plan de réorganisation de l’université de Bologne prévoit
une double implantation dans les palais et les couvents du centre
historique d’une part et sur les terrains libres ou libérables des
quartiers périphériques d’autre part. Le but est de favoriser au
maximum les relations entre les différents départements et
facultés, entre l’enseignement et la recherche, et surtout entre la
ville et l’université.
Le programme prévoit une série d’opérations successives :
récupération des monuments historiques, non pas au profit de la
seule université, mais aussi afin d’y accueillir des équipements
sociaux et culturels destinés à tous les citadins; restauration et
restructuration du quartier qui, depuis la fin du xixe siècle, est
devenu la « cité des études »; création de nouvelles unités
associant facultés ou instituts apparentés au sein de départe­
ments d’un type nouveau.
Si le premier type d’opération ne présente pas de difficultés
techniques particulières étant donné l’expérience déjà acquise
par la municipalité, la réhabilitation du quartier universitaire et
son extension ne sont pas sans poser certains problèmes : elles
devront faire revivre certaines institutions, comme l’Académie
des sciences qui, au début du siècle dernier, fut vidée de ses
;ollections scientifiques et artistiques au profit de services
universitaires : ces collections seront réinstallées en leur lieu
d’origine. La ville devra également se réapproprier les parcs
réservés au seul usage de l’université, tel le jardin des Plantes.
3uant aux nouveaux bâtiments universitaires, ils devront
présenter le maximum de souplesse pour pouvoir remplir
160
LES INSTRUMENTS OPÉRATIONNELS

des fonctions différentes et être facilement accessibles.


L’ensemble du programme universitaire doit satisfaire sur le
double plan de l’urbanisme et de l’architecture, aux principes qui
guident la réhabilitation urbaine. La tram e proposée pour la
restructuration universitaire dans les quartiers historiques per­
m ettra la reconstitution de l’ancien borgho San Giacomo,
éventré par les fascistes en 1931 pour faire place à la « citadelle »
universitaire. Les mailles du nouveau tissu ont été calculées pour
s’articuler avec la voirie du tissu limitrophe mieux conservé. En
ce qui concerne l’architecture, les nombreux espaces clos sont
conçus sur le modèle des cloîtres conventuels. Ainsi, l’université
nouvelle présentera des formes et une échelle analogues à celles
des autres équipements urbains. De plus, son système continu de
constructions facilitera les transformations de l’enseignement
supérieur et en particulier son décloisonnement.
La réalisation pratique d’un programme aussi multiforme et
ambitieux ne pourra se faire que par étapes.
La première consistera à transférer la faculté des Sciences
vétérinaires dans une commune périphérique, pour brancher
directement son enseignement et ses recherches sur les activités
agricoles. L’espace ainsi libéré par la démobilisation des édifices
inadaptés de cette faculté perm ettra la construction des premiers
éléments de la nouvelle tram e de bâtiments : ceux-ci, conçus de
façon standard, pour s’adapter à tous les besoins, accueilleront
les départements de Chimie et de Pharmacie dont les anciens
locaux se trouveront donc libérés. L’administration et le secré­
tariat de l’université pourront alors s’installer temporairement
dans les locaux actuels de la faculté de Pharmacie qui jouxtent le
rectorat. Il sera ensuite possible de restaurer le siège de
l’ancienne Académie des sciences (palazzo Poggi, torre délia
Specola et palazzo Malvezzi) qui retrouvera ses fonctions
primitives : institution scientifique, bibliothèque, conservation
des collections artistiques et scientifiques de l’université qui
seront gérées par l’institut d’Histoire de l’art.
La restauration des monuments historiques affectés totale­
ment ou en partie à l’université sera menée parallèlement. La
première tranche des départements médicaux sera construite
hors de la ville historique, mais dans son voisinage immédiat. Ces
161
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

travaux permettront le déménagement des autres facultés, et la


poursuite simultanée de la rénovation de la citadelle universitaire
et la construction du nouveau réseau modulaire.
La seconde étape verra l’achèvement des départements de
Chimie et de Pharmacie et la construction d’un bâtiment pour le
département de la Physique, en connexion avec le tout récent
institut de M athématiques. En même temps, le transfert des
départements de Médecine dans de nouveaux locaux se pour­
suivra tandis que l’on complétera le département de Biologie
médicale dans la zone interne. Un ensemble de locaux utilisables
par plusieurs départements, tels les grands amphithéâtres, seront
bâtis à l’intérieur de l’ancien centre universitaire.
La troisième et dernière phase du plan verra l’achèvement de
toutes les constructions prévues et, surtout, le réaménagement
du jardin des Plantes, en vue de son ouverture au public.
Débarrassé des édifices d’enseignement et de recherche qui l’ont
envahi, il retrouvera la fonction de parc urbain qu’il remplissait
primitivement lorsqu’il appartenait au couvent Sant’ Ignazio,
aujourd’hui siège de l’académie des Beaux-Arts et de sa galerie.
Enfin, les derniers monuments historiques seront restaurés en
vue de recevoir les départements de Sciences humaines, des
équipements culturels de quartier et les résidences universitaires.
En attendant l’achèvement de ces dernières, les pouvoirs publics
ont prévu l’accueil des étudiants dans des ensembles d’habitat
populaire mixte, pour ouvriers et étudiants.
M algré ces ambitions, le programme d’équipement de l’uni­
versité tient compte du contexte régional et prévoit de diminuer
d’un tiers au moins la population estudiantine de Bologne, par la
relance des autres universités de la région et la création d’une
nouvelle université en Romagne. Il rejoint ainsi la stratégie du
plan directeur pour le centre historique qui, lui aussi, tend à
limiter le développement de la ville. Ainsi, la réhabilitation de la
ville et la réforme de l’université contribuent-elles conjointement
à un meilleur équilibre de Bologne et de sa région.
III

Du centre historique
à l’ensemble métropolitain
Croissance urbaine et réutilisation de la ville
Développement et conservation

La réhabilitation du patrimoine historique de Bologne a


permis de définir de nouvelles approches méthodologiques et de
nouvelles procédures administratives, applicables à l’ensemble
des problèmes liés à l’aménagement de la ville et à son
développement.
Il s’est en effet avéré que la protection de la production bâtie
du passé n’était pas dissociable des choix qui engagent l’avenir.
De même qu’inversement, ceux-ci dépendent du rôle et de la
signification attribués aux secteurs déjà édifiés. Cette expérience
a donc revêtu un caractère exemplaire dans la mesure où, pour
pouvoir jouer pleinement son rôle, la municipalité a dû assumer
directement, non seulement le contrôle des transformations
spatiales de la ville, mais celui d’une évolution sociale qui ne peut
être cantonnée dans le centre historique mais doit concerner
l’ensemble du domaine bâti, associant le cadre existant au
développement global de l’aire métropolitaine. Ainsi, la question
du centre historique perd la spécificité que lui conféraient des
frontières morphologiques rigides : le centre devient partie
intégrante de la cité contemporaine. Les traits de la ville future
ne peuvent être définis qu’à la lumière de la ville présente,
support et condition des options à prendre et des plans qui les
m ettent en œuvre.
En fait, la ville actuelle a toujours conditionné la ville en
gestation. Mais ce conditionnement était toujours assumé en tant
165
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

que réponse à des problèmes quantitatifs : il s’agissait essentiel­


lement d’investir de nouveaux espaces pour la croissance et
l’expansion démographique de la ville. Quels que fussent les
modèles d’aménagement et la qualité des schémas directeurs
proposés, la ville présente était toujours considérée comme un
« organisme » susceptible d’une croissance indéfinie : croissance
soustraite à toute approche critique, dont la spontanéité appa­
raissait nécessairement liée au développement lui-même et qu’il
s’agissait seulement de synchroniser et de rationaliser. D’où les
démolitions et les reconstructions permanentes, aboutissant, sous
la pression alternative d’interventions externes et internes, à la
définition de nouveaux secteurs à bâtir, répondant à la seule
logique du développement.
Pourtant, à travers l’histoire, la ville apparaît comme le
produit d’un processus fluctuant entre croissance et décrois­
sance, au gré des exigences humaines. C’est seulement à partir
de l’urbanisation massive consécutive à l’industrialisation que la
ville a semblé ne plus avoir d’alternative et être vouée à une
croissance continue qu’il appartient à ses administrateurs de
promouvoir.
Dans la ville libérale et post-industrielle, les pouvoirs publics
ont réalisé cet objectif à travers une politique du logement social
par laquelle ils entendaient manifester leur double souci des
exigences sociales et du progrès. La construction d’un habitat
économique et populaire est ainsi devenue la tête de pont de
l’expansion urbaine, que justifiaient et favorisaient en outre les
implantations industrielles et les nouveaux moyens de transport.
La structure spatiale de cette nouvelle ville en gestation dérive
donc, aussi de certains choix spécifiques imposés par les problè­
mes sociaux soulevés par la réalisation de logements pour des
masses toujours plus nombreuses, venues chercher abri et travail
dans la cité industrielle naissante. A Bologne, comme dans la
plupart des villes européennes, la succession des projets pour
l’habitat social illustre l’histoire du développement urbain. Ce
n’est pas par hasard que le logement populaire a toujours été
implanté à la périphérie, aux limites de l’espace bâti et, plus
récemment, repoussé à plus longue distance, jusque dans les
espaces agricoles ainsi transformés en terrains à bâtir.
166
RÉUTILISATION DE LA VILLE

La conservation,
alternative au développement sans contrôle

Jusqu’au début des années soixante, Bologne ne se singula­


risait en rien. C’est à cette époque que la municipalité inverse le
processus habituel et choisit de destiner à l’habitat social des
terrains libres du centre urbain, et non de la périphérie. Pour la
première fois, la municipalité soustrait à la spéculation les
secteurs libres les plus valorisés, parce que partie intégrante du
tissu urbain et les offre aux organismes coopératifs et Offices
publics de logement social.
Les résultats de cet effort demeurèrent cependant limités dans
la mesure où les réalisations périphériques déjà construites
continuaient à servir la logique de la croissance urbaine. C’est
seulement avec le plan de construction sociale de 1973, implan­
tant logements sociaux et équipements collectifs en plein centre
historique, que les pouvoirs publics parvinrent à stopper le procès
d’expansion urbaine qui semblait irréversible et donnèrent à
cette volte-face sa justification culturelle en répondant à des
exigences sociales jusqu’alors toujours ignorées.
Dès lors, la conservation de la cité historique cesse d’être un
ornement luxueux de la ville contemporaine. Mais elle ne
constitue pas encore une réalité structurelle, elle n’est pas encore
l’instrument irremplaçable qui perm ettra de déterminer les
options de la planification périphérique et de promouvoir une
culture urbaine nouvelle et diversifiée. Un nouveau risque
subsiste de voir satisfaire certaines exigences sociales seulement,
tandis que, comme dans le passé, le cycle et le rythme de la
croissance urbaine seraient en fait inaltérés. Conservation et
développement ne peuvent coïncider et coexister qu’à condition
d’entendre par développement l’amélioration effective des con­
ditions d’habitat dans les quartiers périphériques existants et que
si la conservation elle-même devient un instrument qui permette
de définir et d’affronter dans les mêmes termes les problèmes
posés au centre et à la périphérie de la ville. Ces objectifs font
partie d’une vision de la ville comme un tout, destinée à éliminer
la dichotomie qui oppose traditionnellement centre historique et
167
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

périphérie et à l’encontre de ce que nous constatons dans la


plupart des villes italiennes et européennes, à homogénéiser la
périphérie et le Centre historique. Ainsi la conservation présente
une double signification : m éthode perm ettant l’am élioration
qualitative du milieu urbain et m odèle culturel perm ettant de
transform er, m êm e du point de vue morphologique, la périphérie
en une véritable ville, en une urbs.
A Bologne, comme dans beaucoup de villes européennes, la
construction et le développement périphérique, concomitants de
l’industrialisation et dus à l’afflux de populations rurales, n’en
continuent pas moins de se poursuivre lorsque le mouvement
démographique se stabilise. Ainsi, lors de l’adoption du premier
plan de construction d’habitat social en centre ville, en 1964, la
population a atteint un stade stationnaire (proche de 500 000
habitants); pourtant, l’activité du secteur de la construction ne
cesse de croître de façon continue, au moins jusqu’en 1971, et
elle progresse par la suite, mais à un rythme plus lent.
La différence de localisation de l’habitat social ne modifie en
rien le processus de croissance traditionnel. Dans leur abstrac­
tion même, les chiffres sont significatifs. Le recensement de 1961
indique un total de 468 000 pièces pour 444 000 habitants, soit
0,9 habitant par pièce : l’importante croissance démographique
des dix années précédentes a entraîné une augmentation très
remarquable du patrimoine bâti. En effet, au recensement de
1951, on compte 1,10 habitant par pièce. Or, en 1971, pour une
population stabilisée autour de 490 000 habitants, on recense
613 000 pièces. Le taux de peuplement s’est donc abaissé à 0,8
habitant par pièce. En vingt ans, la population a augmenté de
150 000 habitants et le nombre de pièces de 305 000 unités. En
ajoutant à ces données les prévisions des plans directeurs, on
constate que les possibilités de construction demeurent considé­
rables en dépit d’un indice d’occupation toujours plus faible.
Dans la mesure où la population stagne, les constructions
neuves mises sur le marché par les promoteurs publics ou privés
sont occupées par des ménages habitant déjà la ville. L’analyse
sociologique révèle qu’un tiers des nouveaux locataires logés par
le secteur public habitaient précédemment le centre historique.
Le pourcentage des habitants, provenant des autres quartiers est
168
RÉUTILISATION DE LA VILLE

directement fonction de leur distance au centre. De toute façon,


les logements ainsi libérés ne servent pas à satisfaire la demande
là où elle est la plus dram atique : en dépit de l’augmentation des
logements neufs, au centre, le nombre des habitations insalubres
et surpeuplées ne diminue pas. En effet, la plupart des logements
ainsi rendus libres sont soumis à un véritable recyclage par des
opérations de restauration, restructuration, assainissement. Pour
une grande part, surtout au centre, ils sont transformés en
bureaux, modifiant ainsi profondément, par cet usage tertiaire,
l’équilibre social et économique de secteurs centraux, en dépit
des objectifs d’urbanisme que la ville s’est elle-même fixés. Une
autre partie du parc abandonné est transformée en résidences de
luxe ou, de toute façon, en logements d’un meilleur rapport.
Le plan de logement social en centre historique touche les
secteurs les plus dégradés, et permet un contrôle partiel des
déménagements induits par la construction neuve. Ce contrôle
est en effet limité dans la mesure où les promoteurs ne se
contentent plus de construire du neuf, mais se tournent toujours
davantage vers l’ensemble du secteur historique jusqu’à la
première couronne périphérique, jetant leur dévolu sur tous les
édifices ayant cessé d’être rentables. Dans ces conditions, et
indépendamment des constructions neuves, le problème du
logement continuera à imposer à la municipalité d’énormes coûts
économiques et sociaux, tant que la collectivité ne sera pas en
mesure de contrôler les deux processus induits par la construc­
tion : en amont où s’exprime la demande de nouveaux logements
dans les quartiers insalubres ou mal équipés, en aval, lors de la
restauration des anciennes habitations libérées par les ménages
qui vont loger dans des constructions neuves.

Croissance démographique
et dynamique de la construction

Il est donc indispensable que les pouvoirs publics affrontent le


problème du logement de façon globale, de la réhabilitation des
maisons dégradées à la construction neuve, des quartiers destinés
169
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

à l’habitat populaire aux zones d’expansion; de la réhabilitation


du centre historique, autrem ent dit de la « réutilisation urbaine »
en tant qu’instrument de contrôle et d’action populaire à
l’ensemble des transformations concernant le territoire métro­
politain. Le problème spécifique du logement éclaire la problé­
matique générale de la ville et confère à la conservation la
signification de réutilisation globale de l’ensemble du patrimoine
construit, dont le champ déborde désormais le centre historique
pour s’étendre sur toute la ville.
La méthode de réutilisation s’avère donc une alternative
culturelle à la croissance urbaine indéfinie. Au plan politique,
elle permet aussi de contrecarrer la restructuration anarchique
des ensembles d’édifices qui, au term e fixé par la logique
productive du capitalisme immobilier, doivent être transformés
en vue d’actualiser à nouveau la rente à laquelle leur position
privilégiée dans le combat urbain leur permet de prétendre. La
réutilisation urbaine réalisée sous le contrôle de la puissance
publique doit perm ettre d’offrir des conditions de vie satisfai­
santes pour tous les habitants, m ettant fin à l’opposition du
centre et de la périphérie, rendant moderne et vivable la
périphérie elle-même.
Pas plus que le centre historique, la rénovation de la banlieue
n’admet l’altération des ensembles architecturaux ou la dépor­
tation de ses habitants vers des banlieues encore plus lointaines.
Elle exige au contraire l’amélioration de la structure urbaine et
l’intégration d’équipements adéquats. La réutilisation de la ville
doit se faire à l’échelle de son territoire administratif. Certes, les
méthodes mises au point pour la restauration des centres
historiques ne peuvent être systématiquement transposées dans
les secteurs périphériques, bien que les objectifs politiques et
sociaux soient analogues dans les deux cas : selon L. Benevolo,
« l’enjeu n’est pas de créer une zone spécifique et privilégiée à
l’intérieur de la ville, mais d’élaborer les procédures perm ettant
que l’ensemble de la ville à venir puisse être dite moderne ».
La réutilisation doit d’abord viser les tissus urbains les plus
menacés morphologiquement et socialement. Ce sont les tissus
qui, dans le double procès de développement urbain et d’accu­
mulation du capital, ont achevé leur cycle productif. Ils
170
RÉUTILISATION DE LA VILLE

représentent la partie de la ville construite depuis la révolution


industrielle, entre le milieu du xix' siècle et la fin de la Seconde
G uerre mondiale. Ils ont fait de l’ancienne ville un centre
historique et donné ses bases à l’expansion urbaine des trente
dernières années. En effet, ils ont constitué le territoire privilégié
de la spéculation foncière, entre les deux frontières du secteur
historique protégé par une sensibilité culturelle croissante et du
secteur neuf, intangible parce que non encore rentabilisé.
Les quartiers concernés présentent des caractères spécifiques
que l’on retrouve cependant dans la plupart des villes italiennes
et européennes. Ils sont caractérisés par des ensembles construits
par les pouvoirs publics à partir de la deuxième moitié du xixe
siècle et qui, dans le cadre des premiers plans directeurs, ont joué
un rôle d’incitation auprès du secteur privé qui les a pris pour
modèles au plan de l’urbanisme et au plan de l’architecture. Les
différences qu’on peut constater dans les formes d’implantation
ou les types morphologiques reflètent la différence des objectifs
politiques et sociaux poursuivis au cours des différentes époques
de construction : c’est ainsi qu’on passe des lotissements ouvriers
à des maisons individuelles en bandes ou groupées autour de
cours, et répondant à une ségrégation professionnelle, aux
immeubles à galeries et aux logements « populaires » et « hy-
perpopulaires » réalisés pendant la période fasciste et essentiel­
lement destinés aux habitants des vieux immeubles soumis à la
thérapeutique radicale de la démolition.
Q u’il s’agisse d’édifices réalisés par le secteur public ou par le
secteur privé, leur réhabilitation et leur conservation ne ressortit
pas aux mêmes motivations que celles du centre historique
proprement dit. Toutefois, ces édifices, ne serait-ce qu’à cause de
leur localisation et de leur destination initiale, peuvent être
réutilisés comme logements, à condition d’y intégrer les équi­
pements sanitaires manquants et de les restructurer au plan
urbanistique dans le même cadre d’équipements collectifs qui a
été mis en place pour le centre historique : tout ce travail de
réparation et de modernisation peut être réalisé en respectant les
typologies originelles et la spécificité de leurs articulations. Les
habitations « hyperpopulaires » à galeries, avec leurs cellules de
20 m \ ne peuvent plus continuer à recevoir des familles de trois
171
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

ou quatre personnes. Mais elles peuvent parfaitement être


réaménagées pour des étudiants ou des personnes seules.
On peut procéder de la même façon pour d’autres types
d’édifices : les opérations réalisées à Bologne sur les édifices
publics en offrent la démonstration. A la différence de la simple
restauration, la réutilisation, en raison de la densité d’occupa­
tion, de certains édifices, exige la construction préalable de
bâtiments neufs, édifiés selon des normes beaucoup plus géné­
reuses. Dans les secteurs centraux, particulièrement denses, la
réutilisation des logements pose dans toute son acuité le
problème du relogement temporaire des habitants. Les difficul­
tés qu’il soulève ne sont cependant pas insurmontables si la
stratégie de réutilisation est élaborée au niveau des comités de
quartier qui ont la possibilité d’inventorier toutes les habitations
vides pouvant servir à loger, de façon temporaire ou définitive,
les habitants des maisons en cours de réhabilitation. Ainsi la
conservation des caractéristiques typologiques du tissu conservé
n’est pas intéressante seulement d’un point de vue économique;
elle présente aussi une valeur culturelle considérable dans la
mesure où elle permet une réappropriation complète de la ville
entière par ses habitants.
La définition des frontières de la zone historique met en
évidence la singularité de la période marquée par l’industriali­
sation et le bouleversement des mécanismes traditionnels de
réalisation de la ville. La mutation des critères socio-économi­
ques, la mutation des dimensions spatio-temporelles qui prési­
daient à la formation de la ville du passé, entraînent une
mutation de la nature même de la ville. L’ancienne cité devient
partie d’un agrégat urbain. L’analyse historique serait incom­
plète si elle ne soulignait pas le rôle joué par la transformation
des moyens de production qui contribuent de façon décisive à
l’accroissement du capital et à la production de richesse par la
ville. C’est à ce moment précis que peut s’accomplir la
dissociation de la ville et de ses habitants : le droit de construire
est réservé aux propriétaires fonciers, l’indice de croissance de la
construction est directement proportionnel au développement de
la ville, la durée de vie des édifices est toujours plus réduite,
enfin, on assiste à la transformation des rapports séculaires entre
la ville et la campagne.
1 72
REUTILISATION DE LA VILLE

Les processus de démolition et de reconstruction dominent la


scène urbaine, s’accomplissant à un rythme d’autant plus
accéléré que la durée assignée aux bâtiments est moindre. Cette
consommation d’espace bâti a caractérisé la ville moderne et n’a
pas laissé d’influencer les théories des urbanistes. Au gaspillage
dû à une production de logements qui ne peuvent intéresser les
classes populaires, il faut ajouter la consommation toujours plus
étendue de terres agricoles, par suite de la démolition systéma­
tique des quartiers anciens repoussés vers une périphérie
toujours plus lointaine.
Une analyse typologique méticuleuse et son intégration dans
des projets dont elle devient la matrice structurale, permettent
de s’opposer à la conception des édifices à cycle court et de
stopper la dialectique infernale de la production-consommation
du bâti, en supprimant l’accumulation de capital liée à la
croissance urbaine. Loin d’être limité aux bâtiments résidentiels,
le gaspillage urbain s’est encore trouvé accru du fait des
transformations apportées aux ateliers et aux constructions
industrielles réalisées pendant la même période. Dans ce cas,
entre en jeu, outre la spéculation, la théorie, hélas toujours en
vogue, selon laquelle il est nécessaire de séparer et de dissocier les
différentes activités humaines.
Sur ce point, il serait nécessaire de procéder à des analyses
économiques approfondies afin de pouvoir déterminer si le statu
quo ou le développement de la production industrielle exigent
effectivement l’investissement de nouveaux espaces. La question
semblerait cependant soluble en assurant la continuité de
l’occupation des locaux industriels par des entreprises artisanales
ou industrielles plus modestes. Par ailleurs, l’expérience a très
souvent montré que les ateliers ou les usines évacués se prêtent
parfaitem ent à des usages sociaux et culturels. Leur souplesse est
au moins aussi grande que celle des monuments de la ville
historique. Inversement, la logique de la destruction continue est
la même que celle de la croissance indéfinie. La relation étroite
qui lie démolition et expansion se reflète également dans une
série de réactions culturelles : refus d’analyser et corrélativement
de conserver la typologie urbaine existante; refus d’organiser la
ville en fonction des ressources disponibles. En ce sens, la
173
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

nservation de la typologie urbaine à l’intérieur du périmètre


utilisé en fonction des exigences contemporaines, présente une
;nification politique précise qui, tout en différant de celle de la
nservation historique, est inspirée par le même objectif
irrêter le procès d’expansion continue de la ville.
Le développement urbain ne doit plus être l’arm e idéologique
i permette de renier le passé au nom d’un évolutionnisme
perficiel, mais l’instrument indispensable grâce auquel pourra
e maintenue une continuité entre la civilisation urbaine
iditionnelle et celle à laquelle aujourd’hui nous aspirons
îs.
1. La ville de l’ère industrielle
et ses potentialités

Pour mener à bien une réutilisation des quartiers qui entou­


rent immédiatement le centre historique, il est essentiel de bien
comprendre les facteurs politiques qui ont contribué à leur
création.
A Bologne, la deuxième moitié du xixe siècle a consacré
l’accord économique et politique de l’administration et de la
nouvelle classe de propriétaires immobiliers, née sous l’ère
napoléonienne et rapidement devenue une structure économique
essentielle de l’unité italienne : désormais de vastes secteurs de la
ville sont démolis et reconstruits et la périphérie est investie selon
des critères d’urbanisme qui tendent à miner la ville ancienne, à
la fois du dedans et du dehors, en ne sauvegardant que ses
principaux monuments.
Le nouveau modèle urbain et l’idéologie qui l’inspirait
devaient avoir pour conséquence ultime d’effacer la distinction
entre la ville historique soumise à une permanente destruction et
la ville en croissance permanente qui était construite à sa place.
Dans le vieux centre et hors les murs, les quartiers sont
désormais modelés par une voirie uniforme et rectiligne qui
exige, dans la ville historique, des percées à la Haussmann et ne
respecte plus l’ancienne configuration urbaine.
Au plan de la méthode et de l’analyse typologique, en vue de la
réutilisation de cette production, il convient néanmoins de
distinguer une série de modèles différents, selon qu’ils sont issus
de l’initiative des pouvoirs publics (logements économiques et
populaires) ou du secteur privé (logements bourgeois).
Cette recherche typologique doit être articulée en trois
175
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

moments situés respectivement entre 1861 et 1919 (période


post-unitaire), entre 1921 et 1943 (période fasciste) et entre
1945 et 1971 (période républicaine). En ce qui concerne la
première phase, 1881 marque la naissance, à Bologne, des
premières coopératives de construction, alors que 1919 inaugure
la première crise « historique » du bâtiment, provoquée par la
participation de l’Italie à la guerre. Par ailleurs, la date de 1919 a
été adoptée, dans le cadre du programme régional, pour
déterminer dans une première hypothèse minimale l’âge limite
du parc immobilier qui devrait être réhabilité en 1985. C’est
ainsi que la réhabilitation urbaine de Bologne a annexé et intégré
la première ceinture ouvrière et bourgeoise, c’est-à-dire la partie
de la ville bâtie pendant les six premières décennies de l’unité
italienne.
Cette périodisation permet à l’approche historico-politique et
typologique de traiter de façon systématique l’une des compo­
santes de la ville capitaliste au moment précis où le capitalisme
italien prend son essor (1861-1919) et où l’emprise foncière de la
bourgeoisie impose à la ville une nouvelle structure. Mais ce
cadre permet d’attribuer une signification et une portée tout
autres aux instruments urbanistiques déjà étudiés, tel le plan
directeur de 1889 qui n’apparaît plus seulement comme cons­
titutif du centre historique, mais comme générateur de la
nouvelle ville en cours d’émergence.
La période suivante (1921-1943) présente un égal intérêt, du
double point de vue de la planification et des réalisations en
matière de logement social. Mais son investigation ne pourra rien
apporter de plus à la méthodologie et à la stratégie de la
réhabilitation.
Enfin, la troisième période (républicaine) est fondamentale
pour une histoire du logement social, dans la conception duquel
l’année 1971 introduit un tournant décisif et une démocratisa­
tion des procédures de l’Institut autonome du logement
social.
Parcourir les grandes étapes de la croissance de Bologne
aboutit encore une fois à mettre en évidence un ensemble de
contradictions issues de la mutation économique de la seconde
moitié du xixe siècle. Au niveau de l’habitat, l’unité italienne n’a
176
REUTILISATION DE LA VILLE

entraîné aucune transformation positive. Au cours des années


qui ont immédiatement suivi l’unification de l’Italie, la popula­
tion de Bologne n’augmente qu’au rythme de 1 200 habitants
par an. Néanmoins, la municipalité commence à formuler les
premières propositions en vue de l’occupation des espaces libres,
jardins et espaces verts qui, en particulier au nord de la ville, sont
lotis afin de constituer un grand quartier ouvrier intra-muros. Le
21 novembre 1885 l’ingénieur en chef de la ville présente au
conseil municipal son rapport sur le plan directeur et de
développement de la ville. Les conditions économiques de la
croissance étaient enfin réalisées. Banques et entreprises de
construction disposaient du capital nécessaire.
N on seulement le projet conçu en fonction de deux champs
d’intervention bien précis — la ville existante et son aire
d’extension — mais les bases méthodiques de sa réalisation
étaient déjà clairement définis. L’assainissement de la ville, la
rectification de sa voirie et la création de voies rectilignes dans le
centre étaient destinés à donner au nouveau pouvoir l’assiette qui
lui convenait et à lui perm ettre le contrôle du centre des affaires,
en repoussant les classes défavorisées à la périphérie dans de
vastes « insulats », caractéristiques d’une volonté de hiérarchi­
sation sociale et spatiale.
« La forme qui conviendrait le mieux pour une ville serait celle
dont les différents points de son périmètre seraient équidistants
du centre. La figure polygonale est donc d’autant mieux adaptée
que sa forme est plus régulière et ses côtés plus nombreux. Dans
ce cadre, le rectangle constitue la forme de lotissement la plus
rationnelle et la mieux adaptée aux extensions urbaines et aux
schémas régulateurs... Le rectangle offre la plus grande com­
modité pour les habitations et le meilleur effet esthétique pour
les rues et les places. »
. En fait, la ville a été pensée comme un damier polygonal dont
les cases mesurent 100 X 140 m. A l’intérieur, celles-ci sont
occupées par une alternance d’espaces verts, d’équipements
urbains et d’ensembles de logements ouvriers. En réalité, le plan
de 1889 constitue un ensemble de parties indépendantes à
l’intérieur du tracé régulateur. Non seulement ces parties n’ont
pas de destination impérative, mais leur interchangeabilité
177
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

»paraît comme un stimulant et une facilité offerte à la


'éculation. Avec ce plan directeur, la superficie de la ville devait
us que doubler, passant de 398 à 849 hectares, intégralement
nstructibles, à l’exception d’une zone destinée au développe-
ent d’un réseau ferroviaire.
La réalisation de ce plan connut des fortunes diverses, selon les
lartiers, conférant à la ville un aspect anarchique. Au nord, la
ie ferrée a bloqué le développement. Au début du siècle, à
:ine un quart des quartiers prévus en direction de Ravenne est
alisé, tandis qu’à l’est, les superficies bâties sont déjà deux fois
us étendues que ne le prévoyait le plan : des quartiers de villas,
irement bourgeois, prennent vite leur caractère actuel de
lartiers dortoirs. Dans la zone ouest, extérieure aux murs de la
lie, le plan directeur est mieux respecté du fait de la double
tervention d’une « coopérative d’assainissement » et de promo-
urs privés qui construiront un ensemble de villas économiques,
i démolition des murs de la ville est présentée en termes éco-
imiques : d’une part, elle permet de faire travailler un afflux de
ain-d’œuvre extérieure, non qualifiée, qui jouira ainsi d’un
ivilège total d’embauche, d’autre part, encore une fois, elle
fre, avec les terrains libérés, un vaste champ d’action à la
éculation immobilière. Quant à la zone des collines, qui
happe aux prescriptions du plan directeur, elle est marquée par
ie spéculation intense et de caractère très divers.
Le plan directeur ne prévoyait aucune structure d’accueil pour
i zones industrielles qui surgirent et s’étalèrent anarchique-
;nt le long des principales voies d’accès à la ville, en particulier
ivant l’axe de la via Emilia.
Dans la ville historique, le procès de rénovation (par destruc-
m et remplacement) ne fit que croître, en particulier à
ecasion de la construction de la Cité universitaire, à la suite
une convention (1899) entre la ville et l’État, ou encore lors du
rcement de nouveaux axes qui seront investis par les riches et
bourgeoisie.
La question de l’habitat social fait l’objet d’une nouvelle
•mulation technique, urbanistique et architecturale, plus
§cise, et clairement inspirée par l’idéologie philosophique de
poque, dans une brochure publiée en 1903. L’ouvrage propose
178
Projet d’habitat ouvrier par Pampeo Mattioli, 1863. Les volumes expriment l’idéologie philanthro­
pique de l’époque et renvoient à un modèle contemporain : les quartiers populaires de ia périphérie des
villes industrielles anglaises. Ce type d’habitat devra lui aussi être réhabilité et adapté aux demandes
d’aujourd’hui.

un modèle de maisons censées fournir la meilleure prestation au


moindre coût. La maison aux « justes proportions » comporte
trois étages sur rez-de-chaussée, plus les combles et les caves.
Elle offre deux logements par niveau, soit au total huit logements
de deux ou trois pièces. Ces caractéristiques traduisent la volonté
d’éviter le gigantisme et les casernes d’habitation où de trop
nombreuses familles s’entassent au détriment de l’hygiène et de
la moralité.
Mais depuis 1861 déjà, les coopératives de construction
avaient réalisé à Bologne de nombreuses opérations en matière
de logement ouvrier. La politique d’habitat social de la muni­
cipalité débute au moment où un vaste terrain, situé à proximité
de la porte de Saragosse, est cédé à une société contrôlée par la
Caisse d’épargne. Cette société avait élaboré un plan quinquen-
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

nal prévoyant la destruction des établissements délabrés, dan­


gereux ou insalubres, et la construction de maisons neuves.
Il faut souligner que cette politique visait toujours des secteurs
qui n’étaient pas encore considérés comme fiables et dont la prise
en considération par le plan de 1889 allait transformer la valeur.
Dès 1864, la société achevait la construction de huit immeubles
en bordure de la face interne du mur de fortification à l’est de la
ville, après avoir fait démolir les habitations existantes et
déménager leurs habitants. Cette opération s’inscrivait claire­
ment dans un plan global de réaménagement du centre histo­
rique issu du plan de 1889.
En 1888, la municipalité s’attaqua enfin et pour de bon aux
problèmes de l’habitat social, en cédant gratuitement, aux
termes d’une convention avec la Caisse d’épargne, le terrain des
zones à aménager à une série d ’organismes ayant vocation de
construire du logement social. Les quatre sociétés concernées ne
pouvant saturer les terrains disponibles dans des délais suffi­
samment courts, des conventions analogues furent passées avec
des personnes privées. En l’espace de vingt ans on enregistra une
augmentation totale de 724 pièces neuves, presque toutes desti­
nées à remplacer des logements démolis à la suite de l’éventre-
ment de quartiers insalubres et de l’exil consécutif de leurs
habitants.
La réalisation du plan de 1889 aboutissant à poser des
problèmes toujours plus difficiles en matière de logement, le
conseil municipal finit par publier un décret prévoyant une aide
spéciale pour la construction à l’usage des familles d ’ouvriers. Ce
texte était assorti d’une série de normes techniques concernant
les façades, les matériaux, les techniques de construction et
l’équipement sanitaire.
En dépit de la loi Luzzati (1903) sur l’habitat populaire et des
règlements complémentaires de 1904, la ville de Bologne refusa
de devenir elle-même promoteur social, se bornant, comme elle
l’avait toujours fait, à céder gratuitem ent ses terrains aux
différents Offices dont les réalisations étaient ensuite exonérées
d’impôts pendant une période de dix ans : grâce à ces mesures,
dès 1911, quatre cent huit logements neufs étaient construits par
les Coopératives pour le logement social. Q uant aux sociétés
180
RÉUTILISATION DE LA VILLE

immobilières, elles firent de leur mieux pour satisfaire la


demande de la bourgeoisie et construisirent exclusivement hors
des zones réservées par le plan directeur, sur les terrains les plus
favorables à la rente foncière.
A partir de 1911 et jusqu’à la crise de 1919, les coopératives de
construction voient leur activité se ralentir. Ce ralentissement
tient en partie à la monopolisation du marché de la construction
par l’Office autonome pour l’habitat à bon marché créé en 1906,
à la suite d’une convention entre la commune et la Caisse
d’épargne de Bologne. Les constructions « populaires » réalisées
par cet organisme furent lancées sur le marché au même prix que
celles réalisées par le secteur privé et selon des modèles dus à
l’Institut lui-même; cette typologie ne comportait aucune amé­
lioration en ce qui concernait les normes de l’habitat populaire,
elle ne faisait que démarquer la typologie des logements
bourgeois dont elle se bornait à réduire la qualité, qu’il s’agisse
de la technique de construction, des services, des plans, ou de
l’implantation. Cette procédure garantissait à l’Office autonome
un vaste champ de manœuvre et de profit : dès 1911, il avait pu
ainsi réaliser six cent quarante-sept logements pour un total de
1 781 habitants.
Après trois modèles successifs qui se distinguaient de l’archi­
tecture des promoteurs essentiellement par l’austérité de leur
aspect, l’Office apprit peu à peu à adapter sa politique aux
exigences nouvelles, à la fois au plan technologique et à celui des
finitions.
Dans l’hypothèse de la réhabilitation urbaine, les réalisations
de l’Office pourront aisément être réutilisées, à la simple
condition de changer certains équipements. En fait, le problème
qui se pose est celui de l’intégration de l’habitat ouvrier, de la
typologie issue d’une expérience centenaire, dans un tissu
contemporain qui permette un nouveau rapport entre l’espace
urbain et celui de la résidence, entre les équipements sociaux et
la particularité de chaque demeure individuelle.
2. Croissance indéfinie
ou réutilisation de la ville existante?

La crise urbaine est trop vaste et trop profonde pour


être résolue par une indication thérapeutique qui pui
synthétisée en formules abstraites. Elle soulève d’innon
questions, de la signification de la ville contemporaine ai
la planification urbaine et à la possibilité même de con
gérer les aires métropolitaines, au moment précis où s
plient les recherches et les études destinées à permettre d
les zones d’implantation des futures agglomérations.
L’aménagement des nouvelles aires métropolitaine!
nouveaux systèmes urbains, s’il montre d’une part que h
du territoire est abordée à une échelle correcte, ne la
d’inquiéter, d’autre part, en raison même de l’extension <
qu’il implique. On voit par là que la question urbaine s
dans la problématique globale de notre société. En effe
choisit de réutiliser la ville existante, et par conséquent d
l’expansion du bâti, on choisit du même coup de lii
croissance démographique. Impossible de poser la j
question sans avoir une réponse précise à la secondi
constatation vaut pour les pays européens où le p
démographique est cependant moins grave que pour le
continents où, en particulier, les migrations continuelle:
ville posent de façon endémique le problème de l’e:
urbaine.
Au début de ce siècle, la théorie de l’urbanisme
d’élaborer scientifiquement, et en utilisant toutes les re
de la technologie, des solutions susceptibles de résoudre i
et dans l’hypothèse d’une extension urbaine continue,
182
REUTILISATION DE LA VILLE

problème du logement et les nouveaux problèmes posés par la


mécanisation des transports et le développement de l’indus­
trie.
Les grandes villes sont en crise non pas faute de moyens
techniques pour organiser leur développement, mais à cause de
leurs coûts de fonctionnement, que les pouvoirs publics n’ont plus
les moyens de supporter. Plus l’agrégat métropolitain s’étend,
plus sa gestion devient coûteuse et lourde de difficultés insolu­
bles, d’ordre financier comme d’ordre technique, tenant aux
charges salariales imposées par l’augmentation du personnel
adm inistratif comme à la gestion technique des réseaux d’in­
frastructure et au traitem ent des déchets. De même que les
scientifiques les plus avertis réclament un nouveau système de
production pour rompre le cycle infernal et traditionnel qui lie
l’invention technologique à la production et, à son tour, celle-ci à
une consommation toujours accélérée qui finit par menacer les
équilibres de la nature, de même, nous sommes à la recherche
d’une nouvelle conception de la ville qui interrompe le cycle de
son expansion, afin d’éviter le gaspillage des ressources non
reproductibles que sont le terroir et ses richesses naturelles. Or,
en Italie et en Europe, nous disposons encore des conditions
perm ettant d’approfondir une réflexion en ce sens et de sauver
notre culture urbaine.
La réutilisation du patrimoine existant peut représenter
l’enjeu de cette réflexion, dans la mesure où elle suppose une
nouvelle méthodologie opératoire qui ne relève ni de considéra­
tions technologiques ni de nouveaux modèles de planification,
dans la mesure où elle requiert une véritable mutation des
anciens organes politiques et administratifs désormais jugés
anachroniques.
Le procès d’expansion métropolitaine induit un cycle continu
de démolitions et de reconstructions qui, planifié ou échappant à
tout contrôle, a identiquement pour résultat de transformer et de
compromettre les rapports entre l’homme et son milieu.
La réutilisation du patrimoine existant permet au contraire la
récupération de la production passée, sans aucune contrepartie,
sans céder aux arguments technocratiques selon lesquels la
technique doit résoudre tous les problèmes, ni aux arguments
183
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

sociaux qui exigent une croissance permanente et spectaculaire


de la productivité. En fait la réutilisation de la ville exige la mise
en question des concepts de développem ent et de société
industrielle. Le terme de développem ent est devenu synonyme
de celui de progrès, qui nous sert lui-même à renier notre passé.
Puisque aussi bien, dans le passé, la ville constituait la scène sur
laquelle se déroulait la vie de ses habitants qui parvenaient à en
contrôler tous les changements, alors qu’aujourd’hui, la gestion
de la ville est devenue impossible aux citoyens, dans la mesure
même où ses dimensions empêchent de l’appréhender et où son
image est en perpétuelle transformation.
La réutilisation du patrimoine consiste à appliquer, pratique­
ment et théoriquement, à l’ensemble des quartiers périphériques
promis à la destruction au terme de leur existence rentable, les
principes de la restauration conservatoire déjà adoptés pour le
centre historique.
Ainsi entendue, la réutilisation est une nouvelle utilisation et
s’oppose à la rénovation conçue dans de nombreux pays
européens comme le remplacement intégral, maison par maison,
ilot par îlot, de l’ancien tissu urbain, par des constructions
neuves, conçues et réalisées soit par le secteur public, soit par le
capital privé. Q u’elle soit entreprise par des promoteurs privés ou
publics, la rénovation s’avère impuissante à agir sur le procès de
développement : rendant indispensable le transfert des habitants
des édifices ou quartiers à démolir, elle permet d’exploiter au
maximum la rente foncière et provoque l’extension de la ville.
Cette procédure n’attire pas seulement la crise urbaine, elle
paralyse aussi l’application des principes de la théorie urbanis-
tique contemporaine.
En effet, la rénovation est pratiquée à une échelle réduite
(celle de l’édifice ou de l’îlot) et elle aboutit à la diffusion de
stéréotypes architecturaux imposés par le biais de matériaux,
toujours les mêmes, qui tiennent lieu d’innovation par le
contraste qu’ils offrent avec le milieu préexistant. D’ailleurs, la
rénovation, si elle est approuvée par les pouvoirs publics, est
surtout réalisée par les promoteurs privés. Elle se réduit le plus
souvent à une forme de spéculation et a rarem ent une valeur
îxemplaire.
184
RÉUTILISATION DE LA VILLE

En fait, il faut aller chercher les témoignages d’une culture


urbanistique moderne dans les nouveaux quartiers d’Amster­
dam, dans les complexes résidentiels du London Country
Council, dans les villes nouvelles anglaises, où l’on retrouve une
véritable atmosphère urbaine, à la différence de ce qui se passe
dans les quartiers « rénovés » de Paris ou d’autres villes.
M ais les villes nouvelles n’ont pas empêché la destruction du
centre de Londres. En fait, les rôles ont été bien partagés. Les
promoteurs privés se sont réservé la rénovation des centres
urbains, tandis que les pouvoirs publics choisissaient de bâtir du
neuf, exprimant l’urbanité en termes contemporains, mais sans
parvenir à freiner le principe de croissance et l’expansion de la
ville.
Une véritable réutilisation * de la ville ne peut se faire sans
l’établissement d’un nouveau rapport entre l’initiative publique
et l’initiative privée : rapport dominé par l’intérêt des utilisateurs
qui devront pouvoir s’exprimer par la participation. La conser­
vation de la cité industrielle, telle qu’elle a été produite depuis le
siècle dernier, fait partie intégrante de cette stratégie.
Au reste, le principe de la conservation du patrimoine urbain
historique est largement admis dans la plupart des pays
européens, à condition toutefois que se poursuive le processus de
démolition-reconstruction, en tout cas au niveau des quartiers
périphériques. En d’autres termes, s’il ne s’agit plus de couler
dans un même moule la cité du passé et la ville en cours
d’émergence, on n’en continue pas moins à les considérer comme
deux entités différentes et inassimilables l’une à l’autre. Le
centre historique apparaît alors comme une pièce de musée, une
relique à conserver passivement, en hommage à la tradition
culturelle, tandis que les exigences propres à notre époque
s’exprimeraient dans l’extension et le développement périphéri­
que de la ville.
Il faut, bien au contraire, appliquer à l’ensemble de la ville,
ancienne et moderne, le principe de la réutilisation et de la

* L’italien riuso a été traduit alternativem ent par « réutilisation » (qui correspond
aussi parfois à riutilizzo ) et par « récupération ». L’auteur utilise souvent ce term e sans
déterm ination, de façon absolue. N ous utilisons aussi le mot « réutilisation » sans, à
chaque fois, préciser qu’il s’agit de la réutilisation du patrim oine urbain existant. NdT.

185
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

conservation : les opérations nouvelles, même lorsqu’elles sont


correctement menées, aggravent toujours et partout l’état du
milieu bâti existant. Avant de lancer des projets nouveaux, il
importe de connaître au préalable l’état du bâti existant et les
possibilités dont on dispose de le récupérer, de l’améliorer et de
l’intégrer dans la cité ancienne qui, en dépit d’une série de
réalisations acceptables de l’urbanisme contemporain, se révèle
comme la seule partie vraiment « moderne » de l’environnement
bâti.
Certes, lorsque l’équilibre entre espace public et espace privé
est compromis, comme c’est généralement le cas dans les
ensembles construits au cours des trente dernières années,
certaines démolitions peuvent être justifiées. Elles devraient
toutefois être soumises au contrôle des pouvoirs publics afin que
la reconstruction éventuelle corresponde effectivement à la
demande de la cité actuelle.
Pour la première fois, grâce à la réutilisation, l’intervention
des pouvoirs publics n’est plus exclusivement limitée à l’urba­
nisation des terres agricoles et à la production de logements
sociaux neufs : l’adm inistrateur assume le rôle de programm a­
teur, il contrôle l’activité de tous les intervenants, et ne craint pas
de faire appel à l’initiative privée pour combattre le gaspillage
urbain, pour aplanir les conflits sociaux et véritablement
récupérer la ville. Il devient ainsi possible de transformer le
processus traditionnel de croissance des agrégats urbains, de
réaliser les objectifs sociaux par l’intervention simultanée du
capital public et du capital privé. A l’encontre de l’expansion, la
réutilisation urbaine représente la seule alternative cohérente
face à l’ensemble des autres théories urbanistiques.
Aux yeux de certains, cette pratique peut apparaître comme
une démission, à la limite de l’autodestruction. C ’est ainsi,
rappelons-le, que furent tout d’abord perçus les principes de
la restauration conservatoire pour les centres historiques.
Aujourd’hui, cette restauration apparaît comme le facteur
révolutionnaire qui a permis de transformer la démarche des
nouveaux intervenants.
L’expansion indéfinie dans le temps et l’espace d’une part, la
réutilisation du bâti existant de l’autre, illustrent deux méthodes
186
RÉUTILISATION DE LA VILLE

de planification opposées et inconciliables. Le développement


continu peut être symbolisé par l’utopie et la banalité, la
récupération par des projets plus pauvres du point de vue de
l’invention spatiale, mais qui bloquent d’autant moins l’initiative
édilitaire. Dans un cas on tend vers le collapsus urbain, dans
l’autre, au contraire, vers une consolidation qualitative qui doit
pouvoir assurer la survie de la ville actuelle.
Mais quel sera le sort des nouveaux citadins, de ceux qui
doivent s’insérer dans les mailles des aires métropolitaines
définies par les technocrates? Si, dans les pays européens, la
croissance démographique résulte le plus souvent de phénomènes
migratoires, le problème n’en demeure pas moins entier. En
effet, la récupération urbaine n’offre alors qu’une réponse
incomplète. Elle ne peut constituer qu’une voie vers une nouvelle
thématique.
En fait, les migrations démographiques vont à rencontre de
l’équilibre territorial et posent des problèmes sociaux et écono­
miques, plus encore qu’urbanistiques. La réutilisation présente
l’avantage d’affronter la nouvelle condition urbaine en tentant
d’inverser le procès de désintégration de notre environnement :
elle ne constitue ni un modèle, ni une affirmation apodictique.
Elle n’est pas davantage une nouvelle théorie urbanistique
comme les autres, temporaire et destinée à être remplacée : ce
type de solutions techniques et d’instruments élitiques ne doit
plus avoir cours. C ’est seulement au moyen du contrôle direct des
citoyens qu’il sera possible de m ettre en œuvre une politique de
récupération de l’urbain, qu’il sera possible d’imaginer l’avenir
de la cité en le liant à son passé et en réutilisant ce qui a été
produit par les générations passées.
Nous ne devons pas oublier que la problématique de la
conservation n’a pu être posée efficacement qu’à partir du
moment où ses motivations culturelles initiales ont été étayées
par des arguments sociaux. La réutilisation devient de la sorte
une question politique et cette dimension politique l’oppose aux
procédures de rénovation urbaine appliquées dans certains pays
européens et aux Etats-Unis et qui justifient la spéculation sous
couvert d’exalter l’architecture moderne. En fait, il est illusoire
de penser réaliser le contrôle et la participation collectifs dans un
187
LA NOUVELLE CULTURE URBAINE

lilieu en permanente transformation. La réutilisation urbaine


st une pratique qui permet avant tout une prise de distance, une
2flexion. Son projet serait de parvenir à impliquer tous les
itéressés afin de construire un nouveau système de politique
rbaine qui, en utilisant à la fois l’environnement historique et
environnement présent, établisse sur des fondations solides la
ouvelle culture urbaine.
Table
Illustrations : les documents reproduits ont été choisis dans la très abondante iconogra­
phie de l’ouvrage italien et proviennent en grande partie des différents fonds d’archives de
la ville de Bologne.
P réface 5

Introduction 13

De la cité au centre historique 19


1. L ’instance sociale dans lanouvelle culture urbaine 21
2. Le prix comparé de la conservation et de la rénovation, 29
3. Le centre historique dans la planification urbaine 34
4. Bologne : de la cité au centre historique 44
5. Participation des citoyens 58

Les in stru m en ts opérationnels pour le traitem en t


d e la ville historique 67
1. Domaines et objectifs des interventions 69
2. Les instruments d’analyse 76
3. Le plan directeur de 1969 92
4. Le plan pour la construction sociale et populaire 106
5. Les méthodes d’intervention . 121
6. Le -plan pour les équipements sociaux et culturels 139

D u cen tre historique à l’ensem ble m étropolitain 163


1. La ville de l’ère industrielle et ses potentialités 175
2. Croissance indéfinie ou réutilisation de la ville existante 182
LES INSTRUMENTS OPERATIONNELS

analogique. En l’occurrence, on a pu montrer que la saturation


progressive de l’îlot compris entre les rues Castiglione, CurtO»
leria Vecchia et de’ Chiari s’est faite selon un schéma trèl
typique.
On a d’abord pu reconstituer les activités de l’ordre (la
Compagnie de Jésus) depuis son installation à Bologne, cl
surtout depuis son établissement dans le quartier. L’étude des
cartes révèle, en particulier, qu’une rue médiévale, le Campetto
di Santa Lucia, aujourd’hui totalement disparue, découpait un
îlot allongé, entièrement occupé par des habitations modestes et
drainé par un canal central (l’actuelle via Castiglione). Sur les
cartes du xvnr siècle, les édifices annexes du couvent — collèges
et maisons anciennes épargnées à l’intérieur de l’îlot — sont
encore nettement disposés selon la tram e parcellaire médiévale.
De plus, un examen attentif du relevé de l’édifice actuellement
occupé par le lycée Galvani a permis de retrouver l’un des murs
extérieurs de l’ancienne église de Santa Lucia, qui faisait
presque sûrement partie de l’extension décidée par les jésuites en
1575. Enfin, les sondages plus approfondis qui pourront seule­
ment être effectués au cours des travaux fourniront des détails
complémentaires sur l’histoire du bâtiment, et confirmeront
éventuellement les hypothèses concernant les constructions
aujourd’hui disparues.
La physionomie de ce secteur urbain fut profondément
bouleversée quand, en 1622, les jésuites décidèrent de construire
une énorme église inspirée très directement du Gesù de Rome,
d’où ils firent venir spécialement l’architecte Girolamo Rainaldi.
C’était un projet de grande envergure, mais à l’échelle des
ambitions de la Compagnie qui voulait répandre son éthique
religieuse en formant les jeunes. D’ailleurs, le fait même d’acquérir
progressivement des maisons contiguës pour les aménager
provisoirement en locaux d’éducation et les rebâtir ensuite, montre
un dessein lucide et clairement formulé. L’objectif des jésuites
trouvera une réalisation spectaculaire, après l’achat des maisons
•ituées entre la via Cartoleria et la via de’ Chiari, avec la
Construction du collège San Luigi, chef-d’œuvre de l’architecture
idagogique, appelé à devenir un modèle.
Après avoir acheté quelques maisons sur le campo Santa
145

Vous aimerez peut-être aussi