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Ismes
Du réalisme au postmodernisme
Collection « Culture & Société » dirigée par Gisèle Sapiro
Introduction
La démarche
L'objet
De Paris aux États-Unis
Longue durée et variations d'échelle
Chapitre 1. – « Réalisme »
Les conditions d'une subversion esthétique
Paris en 1848 : la capitale du changement
Champfleury entre Murger et Baudelaire
La culture de Courbet et ses amitiés littéraires
Choix et lancement du label
Dispositions personnelles et révolution picturale
Une « épique de la vie moderne » ?
La stratégie régionaliste
Le sens en peinture
Subversion picturale et fantasmes politiques
Laideur esthétique ou laideur sociale ?
Le concept de réalisme interrogé par la peinture
Le conflit des interprétations
Les réactions des « actionnaires »
Le réalisme littéraire pour les contemporains de Courbet
La résistible offensive des écrivains « réalistes »
Flaubert, « réaliste » malgré lui
La deshistoricisation du concept
Légitimation et détournements
De Brunetière à Lukács
Les griefs des avant-gardes du XXe siècle, de Duchamp à Tel quel
Chapitre 2. – Pratiques et représentations de l'« avant-garde » du
futurisme au surréalisme
Position et stratégie de Marinetti
Méthodes promotionnelles
Une révolution radicale et « totale »
Un « barbare »
Les atouts de Marinetti
L'originalité du futurisme
L'impact international du futurisme
Le rôle propulseur du futurisme en France
D'un « isme » l'autre
Cubisme versus futurisme
Apollinaire futuriste ?
La synchronisation des temps de l'avant-garde : le « simultané »
Les variantes russes
Aux origines du modernisme anglo-américain
Le futurisme en Allemagne
Les transformations de la notion d'avant-garde
Un modèle pour Dada et le surréalisme
Les définitions des « avant-gardes historiques »
Le rapport à la politique
Évolution du questionnement savant
Chapitre 3. – « Existentialisme »
Les conditions des modes intellectuelles
La genèse du mode de pensée existentialiste
L'importation comme instrument de subversion
Sartre et l'« existentialisme » après la guerre
L'accès à la célébrité
Les attaques des intellectuels communistes et le lancement du label
L'engagement
Les Temps Modernes et les transformations de l'« existentialisme »
Mise en cause parisienne et vogue internationale
Chapitre 4. – « Structuralisme »
Les nouveaux maîtres à penser
Les avantages du modèle linguistique
Entre science, philosophie, littérature et psychanalyse
La consécration
Alliances et polémiques
Ubiquité
Prises de distance et mise en cause du label par ses principaux
« actionnaires »
Le « structuralisme » et Mai 68
La percée institutionnelle
Les voies de la reconversion
Chapitre 5. – Du « structuralisme » au « post-modernisme »
La transformation de la bourse des valeurs
Les conditions du changement
La construction de la « French Theory » aux États-Unis
Premières étapes
Le succès universitaire
Les réactions
La « French Theory » hors des campus
Le préfixe « post »
L'impact international de la « French Theory »
Discordances et convergences
Les penseurs de la « mutation »
Conclusion
Les conditions de l'effet « isme »
Le rôle des dispositions et du capital
Les facteurs « externes »
Remerciements
Introduction
Émile Durkheim
La démarche
La sémantique historique, telle que l'ont pratiquée les auteurs de la
Geschichtliche Grundbegriffe, est une référence obligée pour tout travail
d'historicisation des concepts{7}. Toutefois, comme le montrent les analyses
que Reinhardt Koselleck a consacrées à la période 1750-1850, si elle
permet de retracer les transformations de l'arsenal conceptuel d'une époque
et la diversité des usages, elle ne suffit pas à rendre compte de cette
diversité{8}. Elle peut être efficacement intégrée par les instruments de
construction d'objet que fournit la réflexion sociologique, comme le
prouvent les travaux qui ont entrepris d'analyser l'histoire littéraire et, plus
en général, l'histoire culturelle, en mettant en œuvre et en affinant
progressivement les hypothèses théoriques et méthodologiques que Pierre
Bourdieu a désignés par les concepts complémentaires d'habitus et de
champ{9}.
Suivant cette approche, on peut expliquer la genèse des phénomènes
communément désignés comme des « mouvements », ainsi que les
classifications savantes, en prenant en considération à la fois la
configuration historique et le fonctionnement de l'espace (local, national et
international) où ces représentations étaient situées, les possibilités et les
contraintes que cet espace sous-tendait, les trajectoires, les dispositions, les
positions, et les « points de vue » des agents, ainsi que les rapports objectifs
de force et de concurrence qui spécifiaient les enjeux et orientaient les
prises de position. Les auteurs et leurs pratiques n'étant que les aspects les
plus visibles d'un processus collectif, il faut prendre en considération
l'ensemble des champs, des agents et des institutions qui à travers leurs
relations dynamiques et variables concourent à produire les idées, les
œuvres, les classements, les représentations et les schèmes de vision et
d'appréciation : champ du pouvoir, marché, éditeurs, revues, journaux et
autres médias, critiques, importateurs, traducteurs, réseaux de sociabilité,
système d'enseignement, champs artistiques etc.{10}
La notion de champ apparaît comme un modèle beaucoup plus puissant
et heuristique que la notion de « monde de l'art{11} » (qui réduit le processus
de production de l'art à des relations d'interaction et, plus précisément, de
coopération entre des agents individuels) car elle impose de prendre en
considération les oppositions structurales, les hiérarchies et les autres
facteurs qui rendent compte des luttes et des changements.
Cette démarche permet de fonder un travail cumulatif, transdisciplinaire
et transnational, en ce que les recherches qui s'en inspirent sont
comparables, proches dans leurs hypothèses et dans leurs procédés{12}. On
peut ainsi rendre compte des différences considérables qui s'observent à la
fois entre les époques et entre les traditions des différents pays : usages très
divers des mêmes termes, ou bien absence de certains concepts.
En même temps, la multiplication des études de cas fait émerger des
logiques et des mécanismes généraux. Les travaux sociologiques sur les
« ismes » attestent, notamment, une corrélation entre l'essor de ce
phénomène dans la vie littéraire et artistique, à partir du succès du label
« romantisme », et le développement du marché des biens symboliques, au
cours du XIXe siècle{13}. Sous l'Ancien Régime, la consécration tenait à un
public restreint auquel les producteurs étaient le plus souvent liés par des
rapports de dépendance directe, ou d'allégeance, ou par des formes de
sociabilité comme les salons. Il est vrai que des mécanismes comme le
patronage et les salons perdurent longtemps, même en France, comme le
montrent, à la fin du XIXe siècle, le cas des romanciers « psychologues »{14}
et plus tard le cas du surréalisme, qui a pu s'appuyer à certains moments sur
des formes de mécénat{15}. Mais l'accès à la visibilité et à la consécration
devient plus difficile avec l'accroissement de la concurrence et l'émergence
d'un public anonyme et imprévisible, qui n'a généralement aucune relation
d'interconnaissance avec les écrivains et les artistes.
Les batailles menées au nom du « romantisme » constituent le prototype
intériorisé dont s'inspirent plus ou moins consciemment ceux qui lancent les
« ismes » postérieurs (c'est le cas notamment, du réalisme, du symbolisme,
du futurisme) ou exploitent, au moins temporairement, la visibilité que leur
confèrent les labels qui leur sont appliqués. Ces batailles montrent que le
regroupement, la création d'une revue et/ou d'une maison d'édition, la
publication d'un manifeste, l'adoption, fût-elle momentanée, d'un label
peuvent jouer un rôle très efficace dans la percée. En effet, bien que le plus
souvent ces opérations soient spontanées et désintéressées, du point de vue
objectivant de l'analyste elles sont, aussi, des stratégies d'autopromotion.
Elles ont le pouvoir de transformer un ensemble de positions individuelles
en une réalité nouvelle, beaucoup plus puissante, du fait de l'importance
historique que les contemporains tendent à reconnaître à ce qui est perçu
comme un « mouvement » collectif, alors qu'un individu ne peut s'imposer
qu'en parvenant à être reconnu comme un « génie » de première grandeur.
Ainsi le regroupement tend à être le fait des prétendants non encore
consacrés, alors que l'accès à la consécration de l'œuvre personnelle
coïncide souvent avec la récusation du label et/ou la prise de distance, voire
la rupture éclatante avec le groupe.
Ce livre entend contribuer à la connaissance de ces phénomènes en
analysant plusieurs cas différents, dans le but de dégager les conditions de
possibilité de l'apparition et du succès des labels, d'expliquer leur
fonctionnement et de rendre compte, également, de leurs effets et
vicissitudes historiques. L'analyse vise donc à retracer, pour chaque cas,
l'ensemble des facteurs pertinents concernant le contexte historique et les
enjeux fondamentaux qui ont orienté les représentations. Il s'agit
notamment de reconstituer la relation entre les pratiques et les positions des
agents ainsi que les changements qui ont affecté l'espace de jeu et les
trajectoires collectives et individuelles, en prenant en considération aussi
bien le moment de la genèse des concepts que les usages postérieurs des
savants qui ont produit l'histoire littéraire, artistique et intellectuelle.
La plupart des historiens de la littérature et de la culture sont a priori
hostiles à l'approche sociologique, sans doute parce que l'habitus lettré est
tenacement attaché au parti pris spiritualiste, qui exige le refoulement du
social et récuse la prétention d'expliquer les produits de la culture,
notamment par des principes d'explication « vulgaires » comme les rapports
de forces et l'antagonisme. Pourtant la vie littéraire, artistique et
intellectuelle offre sans cesse des exemples témoignant de la violence que
peuvent atteindre les luttes symboliques, et les historiens eux-mêmes
expérimentent cette violence dans les affrontements qui les opposent à leurs
adversaires intellectuels. Mais, lorsqu'il s'agit des luttes du passé, il est à la
fois plus simple et académiquement bienséant d'ignorer cet aspect, en se
bornant à enregistrer la diversité des pratiques et des représentations et en
réduisant les polémiques à des curiosités, des anecdotes, qui tiennent à des
questions « personnelles » de caractère ou d'humeur.
Mais justement parce qu'elles prétendent rester dans le ciel des idées
pures, ces reconstitutions se privent de la possibilité de remonter aux
conditions de possibilité des oppositions et des hiérarchies et doivent se
borner à les constater, comme des faits inexplicables. Souvent ces analyses
laissent percer, par ailleurs, une attitude de révérence à l'égard de
philosophes comme Michel Foucault et Paul Ricœur, sans se soucier de
montrer comment le perspectivisme nietzschéen ou l'interprétation de
l'histoire comme récit peuvent se concilier avec l'ambition de fonder la
connaissance historique{16}. Sans doute ces références fournissent-elles une
caution théorique à l'historien qui par ailleurs n'échappe pas à l'illusion de la
transparence des faits, faute de prendre en compte des hypothèses
permettant de faire apparaître des relations explicatives.
L'objet
Les cas analysés apparaissent intéressants et significatifs en raison de
l'impact qu'ils ont exercé et aussi de leur relative diversité, qui tient pour
beaucoup au fait qu'ils étaient l'expression de configurations historiques,
sociales et culturelles très différentes. Ainsi, s'ils permettent de faire
émerger des modes de fonctionnement généraux, ils attestent aussi
l'importance du contexte spécifique dans lequel ils s'inscrivaient et obligent
à retracer à chaque fois la combinaison particulière de facteurs qui permet
d'expliquer la genèse et les transformations des concepts.
Le concept de réalisme, objet du premier chapitre, est l'une des catégories
les plus employées de l'histoire littéraire et artistique. C'est aussi l'un des
cas où la naturalisation a été la plus marquée. Son éternisation tient sans
doute à l'association aux concepts de réel et de réalité et aux enjeux
fondamentaux liés à ces notions. L'oubli de l'histoire empêche de
comprendre les significations qui ont caractérisé le moment de la genèse du
concept, car il occulte les facteurs spécifiques qu'il faut prendre en compte :
les surdéterminations sociales et politiques des luttes esthétiques et
l'enchevêtrement des rapports entre littérature, peinture, presse, critique,
satire, illustration, caricature, photographie. Ce cas constitue un exemple
particulièrement intéressant des interactions complexes, des tensions et des
effets que peuvent produire les luttes de représentation impliquant
simultanément divers champs.
Le futurisme peut sembler un phénomène « mineur », si l'on s'en tient
aux hiérarchies esthétiques établies par les contemporains et par la postérité.
Mais, pour rendre compte des changements que l'histoire littéraire et
artistique a classés comme majeurs, il faut souvent prendre en considération
des positions qui peuvent apparaître rétrospectivement comme marginales,
alors qu'elles ont beaucoup compté pour leurs contemporains. Or le
futurisme est sans doute le meilleur observatoire, si l'on veut retracer et
expliquer les pratiques et les représentations des groupes qui ont été
désignés par la postérité comme « avant-gardes historiques » : le groupe
italien a joué un rôle fondamental dans la construction de l'image de l'avant-
garde et aussi dans l'unification et la synchronisation à l'échelle planétaire
de ce mode de fonctionnement. En même temps, les réactions très diverses
que les propositions futuristes ont suscitées, selon les pays, permettent de
vérifier l'hypothèse suivant laquelle les effets des suggestions et les modes
d'appropriation des œuvres tiennent à la structure des rapports des forces
entre les pays et à l'état spécifique de chaque champ d'accueil{17}. Les
tentatives de définition et de théorisation dont la notion d'avant-garde a été
l'objet illustrent, d'autre part, les cécités auxquelles se condamnent les
catégorisations savantes, faute d'un travail d'objectivation de leurs
présupposés{18}.
Les autres chapitres sont consacrés aux concepts/modes intellectuelles
qui se sont succédé après 1945, de l'existentialisme au postmodernisme.
Cette série dénote un changement important par rapport à l'état antérieur du
champ, dominé par des « ismes » littéraires et/ou artistiques. L'analyse
interroge les conditions de ce changement et reconstitue l'ensemble des
facteurs qu'il faut prendre en considération pour expliquer le passage d'un
« isme » à l'autre. Ce faisant elle retrace les transformations concernant la
position du champ intellectuel au sein du champ du pouvoir, les hiérarchies
disciplinaires et les relations entre les humanités et les sciences sociales, le
rôle de la presse et les changements qui affectent l'espace englobant, du
deuxième après-guerre à la fin du vingtième siècle.
« Réalisme »
Gustave Courbet
« Cependant, if at all, si Réalisme a un sens – Discussion sérieuse. Tout bon poète fut
toujours réaliste. Équation entre l'impression et l'expression. Sincérité. Prendre
Banville pour exemple. Les mauvais poètes sont ceux qui... Poncifs. Ponsard.
D'ailleurs, en somme, Champfleury était excusable ; exaspéré par la sottise, le poncif,
et le bon sens, il cherchait un signe de ralliement pour les amateurs de la vérité{60}. »
« On n'a pas assez remarqué cette année au Salon une œuvre grande et forte, La Nuit
classique du Walpurgis, peinture provoquée par l'idée générale de Faust. Je le dis ici,
qu'on s'en souvienne : celui-là, l'inconnu qui a peint cette Nuit est un grand peintre.
Théophile Gautier, qui aime à découvrir les jeunes talents et qui les cherche, l'a oublié.
Le peintre s'appelait Courbet. Il est parti dans les montagnes, courir après la nature,
qu'il ne voyait plus depuis la République{67}. »
« Pierrot marquis date une ère nouvelle dans la poétique des Funambules : c'est
l'avènement de la pantomime réaliste : M. Champfleury a, dans cette œuvre d'une
hardiesse presque sacrilège, repoussé l'intervention des divinités et des génies. [...]
l'antique foi a disparu et M. Champfleury se pose en Luther de la pantomime. [...]
l'étude du cœur humain, l'observation profonde des caractères et la force du comique
tiennent lieu du merveilleux absent. Le philosophe et le moraliste ont remplacé le
poète. Tous les moyens employés peuvent être avoués par la raison{75} ».
« Et cependant, n'a-t-il pas sa beauté et son charme indigène, cet habit noir tant
victimé ? N'est-il pas l'habit nécessaire de notre époque, souffrante et portant jusque
sur ses épaules noires et maigres le symbole d'un deuil perpétuel ? Remarquez bien
que l'habit noir et la redingote ont non seulement leur beauté politique, qui est
l'expression de l'égalité universelle, mais encore leur beauté poétique, qui est
l'expression de l'âme publique ; – une immense défilade de croque-morts, croque-
morts politiques, croque-morts amoureux, croque-morts bourgeois. Nous célébrons
tous quelque enterrement. [...]. Que le peuple des coloristes ne se révolte pas trop ;
car, pour être plus difficile, la tâche n'en est que plus glorieuse. Les grands coloristes
savent faire de la couleur avec un habit noir, une cravate blanche et un fond gris{91}. »
En effet, Courbet a sans doute songé au Salon de Baudelaire, notamment
au passage suivant :
« Pour rentrer dans la question principale et essentielle, qui est de savoir si nous
possédons une beauté particulière, inhérente à des passions nouvelles, je remarque que
la plupart des artistes qui ont abordé les sujets modernes se sont contentés des sujets
publics et officiels, de nos victoires et de notre héroïsme politique. Encore les font-ils
en rechignant, et parce qu'ils sont commandés par le gouvernement qui les paye.
Cependant il y a des sujets privés, qui sont bien autrement héroïques{92}. »
La stratégie régionaliste
Mais on ne comprendrait pas l'effet d'attentat que produisent ces tableaux
ornanais – effet nullement voulu par leur auteur – sans reconnaître la
revendication tacite que Courbet avance, de manière sans doute totalement
inconsciente, en consacrant à des sujets rustiques les trois tableaux qui, par
leur format, se présentent d'emblée comme la partie la plus ambitieuse de
son envoi, les œuvres par lesquelles il illustre sa conception de la grande
peinture. Par ces tableaux, il s'inscrit dans une mouvance régionaliste que
l'on peut analyser rétrospectivement comme une des manifestations
récurrentes de la lutte structurale opposant la périphérie au centre, les
producteurs provinciaux à la définition parisienne de la légitimité culturelle
et au monopole que les élites de la capitale exercent sur cette définition.
L'enjeu de cette lutte, c'est obtenir la reconnaissance nationale des apports
des cultures locales. Ces œuvres proposent généralement des
représentations opposant la santé, la simplicité, le naturel des mœurs
rustiques à la dégradation de la vie urbaine, et présentent les valeurs du
terroir comme un mode de ressourcement et un antidote à la décadence de
la culture nationale{98}.
Parmi les manifestations où s'expriment à l'époque des attitudes assez
proches on peut évoquer, pour la peinture, Corot, Millet et les autres auteurs
de plus en plus nombreux qui, sur leurs pas, se sont inspirés de sujets
ruraux ; pour la littérature, George Sand, bien sûr, mais aussi, et ce n'est pas
un hasard, les plus proches amis de Courbet : Max Buchon et Champfleury.
Toute la production du premier et ses traductions (Jeremias Gotthelf,
Berthold Auerbach, Johann Peter Hebbel) tendent à la valorisation des
cultures rustiques. Mais, à la différence de Courbet, qui le lui reproche
explicitement dans une lettre, il ne veut ou ne peut se résoudre à faire le pas
indispensable pour accéder à la consécration : monter à Paris{99}, alors que
Courbet, – à la fois à Paris et contre Paris, comme le remarque Clark – a la
posture ambiguë qui est nécessaire au provincial pour accéder à la grande
consécration{100}. Champfleury découvre Buchon sans doute grâce à
Courbet, mais s'il l'apprécie beaucoup et s'emploie à le faire connaître, c'est
que lui-même va faire une place toujours croissante dans sa production
érudite aux genres « populaires »{101} (dans une acception large et mythique
du concept de « peuple » – ne correspondant pas à un groupe social et
géographique précis – que l'on retrouve chez beaucoup d'écrivains
régionalistes, comme dans son expression contemporaine la plus célèbre, Le
Peuple de Michelet, publié en 1846{102}). En 1849 Champfleury est
notamment en train d'écrire un Essai sur les Le Nain (1850){103}, qui a dû
certainement encourager Courbet. Les polémiques de Champfleury contre
les opinion makers parisiens et contre les salons, très fréquentes dans ses
écrits, correspondent, elles aussi, à un trait caractéristique du régionalisme,
qui attaque le monde qui l'exclut.
Comme tant d'autres provinciaux à Paris, Courbet a été raillé pour son
accent, pour ses manières, pour la naïveté de ses propos, comme le fait
penser le portrait de Schanne : « Courbet, avec l'accent de sa province, qu'il
avait au degré incurable, avec sa finesse de bourgeois campagnard et sa
vanité naïve, qui furent toujours ses signes distinctifs, était déjà un fort
curieux personnage à observer{104}. » Sa réaction correspond à celle qui est
souvent adoptée dans ces cas : il cherche à renverser le stigmate en signe
d'élection, il exagère sa rustrerie, il se décrit comme un « sauvage », un
« élève de la nature{105} », n'ayant appris son métier d'aucun maître, il
affiche son dédain pour la vie mondaine. Un aspect d'Un enterrement à
Ornans, le mélange entre codes nobles et références à l'imagerie
« populaire » (Meyer Schapiro a étayé cette hypothèse par des
rapprochements tout à fait convaincants{106}) s'éclaire dans cette perspective
comme un indicateur iconographique éloquent de cette attitude, que
confirment d'autres indices, tels que les cadres rustiques, en planches de
sapins, que Courbet choisit pour ces tableaux{107}, et la décision de les
exposer à Ornans, Besançon et Dijon avant de les présenter au Salon.
Plusieurs autres aspects de son œuvre, à partir du Salon de 1849, peuvent
être ramenés à des stratégies de retournement de la domination que les
mœurs et les modes de la capitale exercent sur la province. En se bornant
aux cas les plus évidents, on peut citer, d'abord, la fréquence de paysages où
la « nature » apparaît comme vierge, originelle, à première vue un « univers
sans l'homme », comme le définira Baudelaire, en attribuant au peintre une
attitude positiviste (« Je veux représenter les choses telles qu'elles sont, ou
bien qu'elles seraient, en supposant que je n'existe pas{108} »), alors que la
critique aujourd'hui tend à souligner la représentation de soi que Courbet a
projetée dans toute sa peinture, y compris ses paysages et ses natures
mortes{109}. Il y a indéniablement une opposition implicite entre l'attitude
vertueuse des Demoiselles de village et la manifeste liberté de mœurs des
Demoiselles des bords de la Seine, même si Courbet n'a certes pas eu les
visées pédagogiques que Proudhon a attribuées à ce dernier tableau. Si le
philosophe, originaire, lui aussi, de la Franche-Comté, partageait la
tendance à afficher ses origines provinciales (en posant au nouveau
Rousseau) et à se faire une image idéalisée du « peuple », il projetait dans
sa conception de l'art des préoccupations de moraliste qui étaient étrangères
à Courbet{110}.
Dans Un enterrement à Ornans, la « communauté » rurale apparaît
comme un univers spontanément uni et solidaire, où chacun a sa place et
accepte comme « naturelles » aussi bien la mort que les différences
sociales, indiquées par la diversité des costumes, des postures, des visages.
Cette figuration, classée trop vite comme un exemple de « démocratie dans
l'art{111} », parce qu'au lendemain de la révolution elle rassemble des
représentants de toutes les classes, dénote, en fait, une vision paternaliste,
d'enfant de notable, choyé et respecté par tout son village, la même qui
transparaît dans Les paysans de Flagey revenant de la foire. Si Courbet à
l'époque a pu se croire et se dire socialiste, c'est sans doute qu'il a pris pour
égalitaires ses relations avec cet univers patriarcal{112}.
Comme l'a observé Alan Bowness{113}, même ses Casseurs de pierre ne
relèvent pas d'une intention consciente de dénonciation sociale, à en juger
par la lettre où il a raconté à ses amis Wey la naissance du tableau. Il décrit
cette scène comme « l'expression la plus complète de la misère », il en est
peiné, mais il semble l'accepter comme le lot inéluctable d'une condition
sociale : « Hélas ! Dans cet état, c'est ainsi qu'on commence ; c'est ainsi
qu'on finit{114} ». Ainsi, contrairement à ce que prétendent encore
aujourd'hui plusieurs de ses exégètes, il ne semble pas avoir eu l'intention
expresse de transmettre dans ces trois tableaux un message socialement
subversif. Et s'il a pu, un moment, rêver de trouver dans le « peuple » un
public capable de le comprendre et de le soutenir matériellement{115}, en fait
toutes ses démarches prouvent qu'il était très lucide sur les destinataires
possibles de sa peinture et sur les conditions de l'accès au marché et à la
postérité.
La posture régionaliste n'est toutefois qu'un aspect parmi d'autres dans
l'œuvre de Courbet, et elle tend progressivement à s'atténuer, voire à
disparaître, comme on l'observe souvent dans la carrière des auteurs qui
parviennent à la grande consécration, nationale et internationale : s'il
n'arrête pas de faire discuter, il est sans conteste le peintre le plus célèbre de
sa génération. En 1856, Anatole de la Forge lui consacre un chapitre de La
Peinture contemporaine en France, où il trace un bilan de demi-siècle{116}
et, entre 1861 et la Commune, il parvient à obtenir la reconnaissance de la
plupart des critiques qui jusque-là l'avaient attaqué, alors que chez
Champfleury le penchant pour le « populaire » va s'accentuer, sans doute du
fait qu'il n'arrive pas à obtenir la légitimité espérée.
Le sens en peinture
Nos catégories et nos goûts, façonnés par les révolutions picturales qui,
après Courbet, ont interrogé de manière beaucoup plus évidente le rapport
entre l'art et la réalité, risquent de nous faire sembler banale et naïve sa
peinture, en nous empêchant de saisir le défi qu'elle constituait et de
comprendre le scandale et les débats qu'elle a suscités. Pour cerner le
questionnement des concepts de réalisme et de mimésis qu'elle proposait
implicitement, et pour expliquer les réactions des contemporains, il faut
prendre en considération les schèmes de perception et les attendus que sous-
tendent les discours de la critique, les caricatures et les témoignages.
Si ces points de vue diffèrent suivant les propriétés des positions, bien
des catégories qu'ils mobilisent relèvent d'une doxa d'époque, partagée par
adversaires et estimateurs. Un aspect qui émerge très souvent, et qui a sans
doute beaucoup compté, c'est la déception que ces toiles infligent à une
attente qui à l'époque va de soi pour les connaisseurs autant que pour le
public profane : on attend des grands tableaux qu'ils illustrent un thème –
explicité par leur titre – dont l'importance culturelle, historique, morale doit
être évidente. L'excellence picturale tient alors autant, voire plus, à
l'efficace et à la transparence de la symbolique iconographique –
organisation de l'espace et aspect des personnages – vêtements, positions,
gestes, traits, expressions – qu'aux qualités stylistiques et techniques de la
peinture. Avant Courbet, les rares exceptions qui ne s'inspirent pas du
répertoire des événements historiques, de l'érudition classique, de la
littérature contemporaine{117}, ou ne proposent pas des allégories,
transparentes dès leur titre (comme La liberté guidant le peuple de
Delacroix), concernent soit des drames collectifs bien connus pour avoir
défrayé les chroniques (Le radeau de la Méduse, Les massacres de Scio),
soit des mœurs exotiques, comme, par exemple, Femmes d'Alger dans leur
appartement{118}.
Pour Courbet, la peinture n'est pas la traduction d'un message : même
dans le cas de l'Atelier du peintre, où il déclare des intentions allégoriques,
le sens est indissociable du tableau qui le produit. Sa pratique picturale
propose une conception de la création artistique comme geste totalement
autonome, par lequel l'artiste ne cherche pas à véhiculer des idées, des
situations ou des anecdotes empruntées à la tradition lettrée, ni un idéal du
beau, ni un message moral, mais s'exprime par les moyens spécifiques qui
sont propres à son art. Comme l'ont observé Rosen et Zerner, le réalisme
ainsi conçu n'est pas très éloigné de la position de Flaubert, car si tous les
sujets sont bons et la qualité esthétique ne tient aucunement à la noblesse ou
à la beauté des sujets, mais à des effets obtenus par le style et par le travail
sur la matière – picturale ou verbale – la forme et la technique acquièrent
une importance déterminante{119}.
Ce constat n'autorise pas, toutefois, à soutenir que « la forme pure et la
représentation ne s'opposent pas, elles sont une seule et même chose{120} »,
ni que chez Courbet le « sujet » tend à disparaître{121} et que « l'insistance
porte exclusivement sur la représentation{122} ». Cette lecture, attachée à une
vision téléologique et abstraite de l'histoire artistique comme progrès vers la
totale autoréférentialité de l'œuvre, finit par séparer le sujet et la forme –
comme l'ont fait les contemporains de Courbet et de Flaubert, dans un sens
opposé : les uns ne voulant voir en eux que le « formalisme », les autres le
« réalisme » – alors que, pour eux, thème et style ne font qu'un{123}.
La proximité de leurs pratiques apparaît comme socialement fondée si
l'on considère les propriétés qu'ils ont en commun et qui, en favorisant leur
indépendance et leur investissement total dans l'œuvre, leur permettent de
porter jusqu'au bout leur refus de concevoir l'œuvre comme la traduction
d'une idée. Sans avoir une rente comparable à celle de Flaubert, Courbet,
soutenu par ses parents, peut se consacrer à des œuvres ambitieuses et
parfois invendables, sans trop se préoccuper de sa survie. Tous deux
attribuent à l'artiste un rôle supérieur et se représentent comme un contre-
pouvoir{124}. Justement parce qu'il ne reconnaît pas l'autorité de l'État en
matière de peinture, Courbet refuse, en 1870, la Légion d'honneur. S'il
s'engage dans la Commune, c'est dans l'espoir de parvenir enfin à établir la
souveraineté des artistes sur le système de consécration de l'art.
Ce n'est pas un hasard si Courbet, comme Flaubert, ne se marie pas et
considère le mariage comme incompatible avec son dévouement à l'art{125}.
Si, à la différence de Flaubert, il mène la vie de bohème, c'est un choix
délibéré et une véritable posture publique, comme il l'écrit en 1850 à
Francis Wey :
« Oui, cher ami, dans votre société si bien civilisée, il faut que je mène une vie de
sauvage. [...] Pour cela, je viens donc de débuter dans la grande vie vagabonde et
indépendante du bohémien. [...] J'ai envie de m'instruire, et pour cela je serai si brutal
que je donnerai à chacun la force de me dire les vérités les plus cruelles. Vous voyez
que je suis en mesure. N'allez pas croire que c'est un coup de tête. C'est une longue
préméditation, ensuite c'est un devoir sérieux, d'abord pour donner l'exemple de la
liberté et de la personnalité en art, puis après pour donner de la publicité à l'art que
j'entreprends{126}. »
S'il reconnaît que « Courbet est une nature trop personnelle, trop
volontaire, pour se condamner absolument à l'objectivité », c'est pour
ajouter aussitôt :
« mais il s'attache à ses partis pris avec une incurable petitesse. L'action manque à ses
figures parce qu'il s'amollit lui-même ; elles n'ont pas d'élévation parce que son esprit
ne veut pas quitter le terre-à-terre ; elles ne sont pas distinguées à cause de ses mœurs
vulgaires. Le patriotisme du clocher, le provincialisme, sentiment vif et touchant, mais
qui rétrécit la vue quand on n'a pas assez d'énergie intellectuelle pour le modérer ou
l'agrandir, est empreint dans tous ses ouvrages. À ce provincialisme Courbet ajoute le
goût naturel du burlesque et l'amour politique du scandale{189}. »
« Que cette prétention, encore à l'état de nébuleuse, prenne pour cocarde le mot de
réalisme, il n'y a pas grand mal. Pourvu que la marchandise soit bonne, peu importe
l'étiquette. Il me suffit d'entrevoir qu'il ressortira infailliblement de tous ces conflits de
vigoureuses et puissantes originalités, pour attendre ce terrible mais glorieux
lendemain en dormant provisoirement quand vient la nuit sur mes deux oreilles{228}. »
Mais cet ouvrage n'a aucune diffusion, malgré les efforts de Champfleury
et Duranty pour le faire connaître.
Le faible capital littéraire de ces écrivains contribue à expliquer l'issue
paradoxale de leur offensive. Elle réussit à imposer le label, notamment
grâce à la renommée de Courbet, bien qu'il ne soit revendiqué
expressément, à ce moment-là, que par trois écrivains – Champfleury,
Buchon, Duranty – et un peintre, Courbet (l'extension de l'étiquette à
d'autres peintres n'est que le fruit d'une assimilation superficielle, fondée sur
les sujets, qu'opèrent les critiques et les organisateurs des salons, en
rassemblant ceux qu'ils considèrent comme « réalistes »). Mais aucun de
ces auteurs ne parvient à accéder à la grande consécration. Champfleury est
le seul qui profite temporairement de ce battage, en commençant à vendre
assez bien ses romans, mais ceux-ci sont loin d'être salués comme des
chefs-d'œuvre. Duranty va publier trois romans de 1860 à 1862, puis un
roman et trois recueils de nouvelles de 1872 à 1877, sans réussir toutefois à
attirer l'attention de la critique. La production poétique et romanesque de
Buchon, confinée dans des éditions locales, ne parvient pas non plus à la
renommée. Par ailleurs, tous ces écrivains cherchent à légitimer le réalisme
en le présentant comme l'aboutissement d'une tendance transhistorique
remontant à Homère et à la Bible. Ainsi, dès l'abord, ils le présentent
comme un concept « à double entente{229} », en contribuant eux-mêmes à
disqualifier la prétention d'en faire un label distinctif{230}.
Dans son étude de 1858, il salue dans l'œuvre de Balzac « le plus grand
magasin de documents que nous ayons sur la nature humaine », en
attribuant aux écrivains réalistes un rôle essentiel dans la « grande enquête
sur l'homme à laquelle sa philosophie convie, non plus seulement la
science, mais aussi l'histoire, la critique et même le roman{244}. » Les
œuvres qui le font reconnaître comme un maître à penser sont publiées
entre 1855 et 1864, dans la période où le réalisme s'impose et relègue le
« romantisme » au passé. Son ouvrage Les Philosophes français au
XIXe siècle, qui paraît en même temps que Madame Bovary, contribue à
affaiblir considérablement le spiritualisme cousinien et la critique qui s'en
inspirait : en effet, en pourfendant la « philosophie littéraire », la
« rhétorique élégante » qu'était à ses yeux l'éclectisme, il associe
étroitement le positivisme et sa lutte à celle que les réalistes mènent contre
le conformisme esthétique et moral.
L'exemple prestigieux de Flaubert et l'autorité intellectuelle qui est
reconnue d'emblée à Taine sont sans doute pour beaucoup dans une série de
ralliements significatifs : chez George Sand elle-même, il y a une évolution
qui n'échappe pas à ses lecteurs{245} ; Germinie Lacerteux et sa préface
constituent une étape importante ; bien des nouveaux romanciers, comme
Ferdinand Fabre, Hector Malot, Erckmann-Chatrian, sont classés comme
réalistes. Il faut également mettre en relation avec la percée de Taine une
reconversion qui frappe beaucoup les contemporains, celle de Sainte-
Beuve, qui soutient avec une attention très bienveillante Champfleury,
Flaubert, les Goncourt, Ernest Renan, Ernest Feydeau, Zola{246}.
Vers 1860 la domination du réalisme et du positivisme apparaît comme
un fait évident et inéluctable aux critiques les plus hostiles{247}. Ainsi en
1861 Montégut constate :
« Ce qui domine dans notre littérature d'imagination comme dans la critique moderne,
comme dans la science et dans l'histoire, c'est l'amour du fait, de la réalité, de
l'expérience [...]. Le roman contemporain, quelque indigent qu'il soit, donne comme il
le peut sa note dans ce concert dont la critique moderne est le chef d'orchestre. [...] On
dirait souvent les notes d'un élève en chirurgie ou le compte rendu d'un cours de
clinique ; d'autres fois, il ressemble à une expérience chimique manquée, à un
tâtonnement de laboratoire. Un art nouveau sortira-t-il jamais de ces
tâtonnements{248} ? »
Apollinaire
Méthodes promotionnelles
Une partie des instruments d'autopromotion que Marinetti mobilise est
puisée au répertoire qui s'est constitué progressivement depuis le
« romantisme ». Mais il se distingue de ses prédécesseurs français par la
radicalisation qui caractérise ses démarches.
Très jeune, il contacte Roger Le Brun et Edward Sansot-Orland, les
directeurs d'Anthologie Revue, publiée à Milan, et il devient le secrétaire de
cette publication, qui se présente depuis janvier 1898 comme « Organe de la
Renaissance latine » : la notion de latinité est souvent employée, à cette
époque-là, pour légitimer des formes de collaboration entre des
ressortissants de pays de langue néolatine, en les présentant comme une
rescousse de la civilisation latine, s'opposant implicitement ou ouvertement
à la culture germanique{292}. Peu après, il contribue à fonder et dirige,
d'abord en collaboration avec Sem Benelli et Vitaliano-Ponti, puis seul
(depuis 1905), la revue internationale Poesia, où il fait paraître ou recense
nombre d'écrivains français ou francophones consacrés dont il souhaite la
reconnaissance, notamment Gustave Kahn, Rachilde, Henri de Régnier,
Paul Fort, Paul Adam, Camille Mauclair, Émile Verhaeren, Stuart Merril,
Anna de Noailles. Les écrivains français les plus connus sont parmi les
destinataires privilégiés de ses envois, messages, visites, comptes rendus. Il
les prie de lui envoyer leurs avis sur son œuvre, et il publie dans sa revue
les opinions les plus flatteuses.
Ces démarches n'ayant pas abouti aux résultats espérés, il décide de
lancer un nouveau label, par un manifeste retentissant. Il avait sans doute lu
et remarqué dans le Mercure de France du 1er décembre 1908 un long
compte rendu consacré à l'ouvrage « El futurisme » de l'écrivain catalan
Gabriel Alomar{293}. Les exigences posées par Alomar étaient très proches
de celles qu'il était en train de formuler, ce qui peut aisément s'expliquer, en
considérant que la société espagnole au début du XXe siècle n'opposait pas
moins de résistance au changement culturel que l'Italie.
En adoptant un concept vague qui désigne l'essentiel de la posture avant-
gardiste – la prétention d'anticiper le futur – Marinetti peut toucher un
public très vaste : à cette époque-là, la « modernolatria », comme il
l'appelle, a des nombreux adeptes, frappés par le progrès scientifique et
technique. C'est un des aspects qui contribuent à attirer l'attention sur sa
tentative.
Marinetti se distingue également par l'assurance et le talent indiscutable
d'« impresario »{294} dont il fait preuve dans la manière dont il gère son
« entreprise », en détournant avec la plus grande désinvolture les moyens de
la publicité industrielle pour promouvoir une production ésotérique. Il
prépare soigneusement le lancement de son groupe et est déterminé à lui
assurer le maximum de retentissement, en Italie et à l'étranger{295}.
Conscient du rôle que l'article de Moréas dans le Figaro a joué dans le cas
du symbolisme, et le Manifeste de Saint Georges de Bouhélier, pour le
Naturisme, il parvient à publier son premier Manifeste, déjà paru dans des
journaux italiens, à la une du Figaro{296}. Par la suite, il n'hésite pas à
recourir aux instruments de la propagande de masse comme les affiches
dans la rue ou les tracts lancés d'un avion. Il exploite à un degré jusque-là
inconnu par ses pairs le pouvoir croissant de la presse, en envoyant
systématiquement des circulaires aux principaux journaux italiens et
européens, pour s'assurer leur attention. La percée du futurisme doit
beaucoup à la concentration insolite de formes de capital et de rôles que
Marinetti réalise : écrivain, critique, éditeur, mécène, organisateur,
promoteur.
Un « barbare »
Sans ses méthodes publicitaires agressives, Marinetti n'aurait eu sans
doute aucune chance de faire remarquer son « mouvement ». Mais elles ont
contribué à le discréditer, aux yeux de ses pairs les plus prestigieux, d'autant
plus qu'elles s'appuyaient sur sa fortune personnelle{298}. En France, c'était
une conduite inadmissible, suivant les lois non écrites que s'étaient
progressivement données, depuis le « romantisme », les défenseurs de
l'autonomie de l'art par rapport au marché : toute modalité de présentation et
de diffusion rappelant les intentions et les moyens de la publicité
commerciale apparaissait comme condamnable, voire inconcevable. La
plupart des pratiques manifestaires de la fin du XIXe siècle respectent cet
ethos, comme l'indiquent leur mode de parution confidentiel et le
désintéressement matériel et mondain dont font preuve leurs auteurs. Les
portraits rassemblés par Verlaine dans Les Poètes Maudits sont publiés
d'abord dans Lutèce, une petite revue lue par des initiés. Anatole Baju, dans
sa revue Le Décadent, prône explicitement le parti pris de la marginalité
contre l'empire de l'argent et du bon sens. Si Moréas semble déroger en
publiant son article dans Le Figaro, en réalité il l'écrit à la demande du
journal et profite très peu de ce lancement. Il renie le symbolisme dès 1891
et, par la suite, il ne poursuit d'autre forme de reconnaissance que celle du
cercle restreint d'initiés capables d'apprécier ses recherches exigeantes.
Les futuristes, en outre, par leur recours massif et délibéré à la
provocation et à l'outrance verbale, exaspèrent et mettent à nu le côté
polémique et antagoniste de la lutte symbolique, généralement euphémisé
ou dénié. C'est l'une des raisons pour lesquelles ils sont souvent traités de
« brutes » ou de « barbares ». Les extravagances des « soirées » qu'ils
organisent dans des théâtres concourent à exacerber leur image de fumistes.
Les préjugés racistes contre les Italiens jouent, eux aussi, un rôle non
négligeable dans les portraits de Marinetti que tracent ses confrères
français. Voici comment le décrit Gide dans ses Feuillets, en 1911 :
Guillaume Apollinaire, bien que lié à l'Italie (il était né à Rome et, selon
toute vraisemblance, son père était italien), a publié dans sa revue Les
Soirées de Paris un portrait satirique – signé André Dupont– appliquant à
Marinetti de manière très grossière et agressive tous les stéréotypes sur
l'homme italien :
« Ses plus sûrs moyens d'action sont une mimique de polichinelle éméché et une
élocution redoutable qui roule des cailloux, expédie des postillons et vous future le
tympan. [...] Pégase étant fourbu, c'est en teuf-teuf que cet Italoboche volubile,
escalade le Parnasse. [...] Marinetti est un priape, sa lyre est une braguette. Ses
rythmes sont bandés, ses interjections éjaculées. On serait tenté de cueillir au passage
quelques images colorées et furieusement odorantes mais, entraîné au pourchas de
cette pensée vagabonde, on file comme du macaroni{300}. »
« On sait que les grands poètes français d'origine étrangère ne sont pas rares. Nous
avons aujourd'hui : Jean Moréas, Francis-Vielé Griffin, Stuart Merril, Émile
Verhaeren, F. T. Marinetti, Ricciotto Canudo, etc. F. T. Marinetti est avant tout un
poète épique. Son talent ne va pas sans quelque analogie avec celui de Robert Randau,
dont j'ai déjà parlé. Mais il a moins de sauvagerie, et sa sensibilité est plus
voluptueuse. Il a consacré une glorieuse revue, Poesia, à l'exaltation de l'universelle
poésie{301}. »
L'originalité du futurisme
Jusque-là le regroupement littéraire n'avait été qu'une agrégation
spontanée, très floue et instable, généralement fondée sur des liens d'amitié
et/ou de collaboration. Marinetti donne à son groupe la forme d'un parti
dont il est le chef incontesté : les manifestes futuristes sont toujours
présentés comme une expression collective et sont soumis à son
imprimatur. Ce fait a sans doute contribué à la visibilité du mouvement, en
permettant aux chroniqueurs de cerner avec précision la composition et le
programme du groupe, ainsi que son évolution au cours du temps. En même
temps, Marinetti demeure toujours prêt à accueillir et à exploiter des alliés
provisoires qui ne sont nullement disposés à le reconnaître comme chef et à
adhérer sans réserves à ses idées, mais contribuent par leur prestige à
renforcer le futurisme : le groupe de la revue Lacerba (notamment Soffici et
Papini) en Italie, Apollinaire en France, Herwarth Walden à Berlin et les
nombreux artistes et écrivains russes qui emploient parfois le label
« futurisme » sans toutefois se considérer ses disciples : il met en œuvre une
géopolitique active, profitant des transformations de l'espace européen qui
favorisent les échanges internationaux.
Le caractère intermédial du mouvement de Marinetti contribue de
manière décisive à sa percée internationale. L'exposition parisienne des
peintres futuristes à la galerie La Boétie, en février 1912, suscite l'attention
de tous les artistes européens les plus novateurs et des principaux critiques
d'art. À cette époque, ces derniers sont le plus souvent des écrivains, liés par
des relations étroites d'amitié et d'échange avec des groupes d'artistes, donc
dotés de la compétence nécessaire pour appréhender le sens des recherches
picturales. Après Paris, l'exposition des futuristes se déplace à Londres, puis
à Berlin et à Bruxelles. Partout elle attire un public nombreux et un vif
débat où sont impliqués les chefs de file de l'avant-garde locale et les
chroniqueurs les plus en vue. Les repères chronologiques permettent de
considérer cette exposition, avec le catalogue et les conférences qui
l'accompagnent, comme le détonateur qui partout déclenche, par des effets
d'émulation, des initiatives locales. Le futurisme arrive progressivement à
toucher tous les arts : littérature, peinture, sculpture, architecture, théâtre,
musique, danse, cinéma, photographie, céramique. Avec leur Art des bruits,
Luigi Russolo et Francesco Pratella inaugurent une nouvelle approche du
phénomène sonore, dont se sont inspirés les Dadaïstes puis des
compositeurs comme Edgar Varèse et Pierre Schaeffer.
Les contacts et les échanges entre les écrivains et les artistes jouent sans
aucun doute un rôle déterminant dans l'évolution de leurs recherches
respectives. L'évolution de Marinetti sur le plan des innovations formelles
doit beaucoup aux expériences et aux théorisations des peintres, de même
que les peintres à leur tour s'inspirent des manifestes et des propositions de
Marinetti. Le Manifeste technique des peintres, publié en Italie le 11 avril
1910, contribue à inciter Marinetti à prêter une attention explicite aux
aspects techniques de l'écriture. Il ne s'agit pas seulement de thèmes
communs, inspirés de l'effort de rendre la vitesse et le dynamisme de la vie
métropolitaine transformée par la technique. Les procédés mis en œuvre
dans la peinture et dans l'écriture transposent souvent les mêmes principes
généraux, notamment la déconstruction, la dislocation et l'assemblage. Des
contaminations évidentes entre les codes et les matériaux respectifs
caractérisent l'ensemble de cette production, comme des allusions visant à
rappeler les rapports d'échange et de complicité entre écrivains et artistes.
Mais ce qui contribue sans doute le plus à distinguer le futurisme des
autres « mouvements » contemporains, en les faisant apparaître comme
incomplets, c'est son image de phénomène total, impliquant une véritable
révolution anthropologique, car il remet en question non seulement la
notion d'art mais tous les aspects de la vie et de la société, et d'abord la
relation entre l'art et la vie. C'est l'aspect qui frappe sans doute le plus, car
ce problème est ressenti comme central par les artistes, comme le montre
l'importance qu'a prise ce thème dans la littérature et dans l'art au cours du
XIXe siècle.
En même temps, en prenant acte de la relativité historique des canons
artistiques, les futuristes mettent en question l'idéal de la perfection et du
chef-d'œuvre impérissable. Ils revendiquent une conception nouvelle de
l'art, qui peut mettre à contribution ce qui est considéré comme laid ou
trivial, notamment les produits de l'industrie moderne. Pour la première fois
un mouvement artistique en vient à désacraliser explicitement l'art, jusqu'à
dénier parfois ses visées esthétiques et à revendiquer une conception de la
création comme work in progress, valorisant l'effort et le geste de l'artiste,
ainsi que le rôle du public et de ses catégories de perception. Les soirées
futuristes, en tant qu'expression par excellence de ce concept d'art-action,
peuvent être considérées comme le prototype du happening.
« M. Marinetti peut sembler avoir pris à tâche de démontrer que les Vandales étaient
dans le privé des gens fort bien élevés. Cependant il ne faudrait pas l'accabler sous les
métaphores de son manifeste futuriste qui, destiné seulement à l'Italie, a été la
manifestation brutale et incertaine des inquiétudes lyriques qui nous agitent tous, et
que beaucoup d'entre nous n'osent point exprimer. Le poète de La Ville charnelle n'est
pas un barbare. Ombre de François Ier, est-ce vous qui, poursuivant les desseins que
vif vous vouliez réaliser, avez, grâce à Marinetti, reconquis le Milanais, y suscitant
des écoles littéraires qui se réclament de la France, y faisant surgir des poètes de
langue française qui, semblables en cela à cet Arétin qu'on vous présenta à Milan,
savent se servir de la presse avec tant d'audace et tant d'à-propos{321}. »
Apollinaire futuriste ?
En août 1913, peu après la parution des Peintres cubistes, Apollinaire
publie L'Anti-tradition futuriste. Manifeste-Synthèse, sous les auspices de
Marinetti, qui lui propose des suggestions et lui donne des conseils pour la
mise en forme du texte{341}. On ne saurait réduire ce geste, qui déconcerte
tout le monde, à un canular sans importance, malgré des aspects parodiques,
qui en attestent l'ambiguïté{342}. La situation d'Apollinaire à l'époque peut
aider à comprendre cet épisode. Déçu par la réception parisienne des
Peintres cubistes et d'Alcools, Apollinaire est sensible à l'attention avec
laquelle ses amis étrangers accueillent ces deux livres, et commence à voir
un recours important dans ce réseau international. L'exemple de Herwarth
Walden et d'Ardengo Soffici a certainement contribué à le rapprocher de
Marinetti. Walden a ouvert aux futuristes sa revue Der Sturm et sa galerie,
qui sont considérées comme des remparts de l'expressionnisme. Soffici,
d'abord très critique, s'est rapproché du groupe milanais et a fait de sa revue
Lacerba le principal organe du futurisme. Ils ne considèrent pas cette
collaboration comme l'adhésion à une école, mais comme une alliance
naturelle avec un groupe qui par son organisation et par sa vitalité peut
contribuer à renforcer la lutte que sont en train de mener les novateurs dans
différents pays{343}.
Un inédit montre qu'Apollinaire partage tout à fait cette vision : « Il ne
faut point s'étonner de voir le futurisme s'efforcer d'englober toutes les
nouveautés qui paraissent dans le monde moderne : c'est là sa raison d'être
[...]. On ne peut l'admettre que dans la mesure où il synthétiserait de bonne
foi les efforts des autres nations{344} ». En 1914 il dira explicitement que les
« nombreux noms en isme [...] expriment la volonté d'être modernes chez
les générations actuelles{345} ». Son manifeste n'est pour Apollinaire qu'une
manière de participer activement à ce combat collectif, comme il le dit
clairement dès les premières lignes, où il met dans un même sac tous les
« ismes » (y compris ceux qu'il a lancés lui-même, le cubisme et
l'orphisme) : « ce moteur à toutes tendances impressionnisme fauvisme
cubisme expressionnisme pathétisme dramatisme orphisme paroxysme
dynamisme plastique mots en liberté invention de mots{346} ». Fait rare à
l'époque à Paris, il n'oublie pas de mentionner l'expressionnisme, en
confirmant par-là la perspective transnationale de son manifeste.
L'exemple des futuristes, qui proclament la beauté de l'esquisse et font de
l'effort le critère de mesure de la valeur, a sans doute contribué à un autre
changement radical que dénote l'attitude d'Apollinaire : alors que, jusqu'en
1911, il antéposait à l'originalité le souci de la perfection{347}, maintenant il
se préoccupe surtout d'innover, en abordant des tentatives de plus en plus
risquées. Il veut être un de ces artistes héroïques qu'il décrit dans ses
Méditations esthétiques, à propos de Picasso : « Ils habitent dans la solitude
et rien n'est exprimé que ce qu'ils ont eux-mêmes balbutié, balbutié si
souvent qu'ils arrivent parfois d'efforts en efforts, de tentatives en tentatives
à formuler ce qu'ils souhaitent formuler. Hommes créés à l'image de Dieu,
ils se reposeront un jour pour admirer leur ouvrage. Mais que de fatigues,
que d'imperfection, que de grossièretés{348} ! ». Il déclare explicitement :
« Il me suffit, à moi, de voir le travail, il faut qu'on voie le travail, c'est par
la quantité de travail fournie par l'artiste que l'on mesure la valeur d'une
œuvre d'art{349}. » Dans son récit autobiographique « Le Poète assassiné »,
publié en 1916, un personnage inspiré de Picasso présente ainsi cette
révolution esthétique : « J'ai vu ta femme, te dis-je. Elle est la laideur et la
beauté ; elle est comme tout ce que nous aimons aujourd'hui{350}. ». Picasso
dira plus tard à Gertrude Stein : « Chaque chef-d'œuvre est venu au monde
avec une dose de laideur en lui. Cette laideur est le signe de la lutte du
créateur pour dire une chose nouvelle d'une façon nouvelle{351}. ».
Apollinaire a sans doute songé à Mallarmé, qui avait présenté Un coup de
dés comme une « tentative », « à l'état élémentaire », poussée « aussi avant
qu'elle n'offusque personne : suffisamment, pour ouvrir des yeux [...] sans
présumer de l'avenir qui sortira d'ici, rien ou presque un art{352} ». Mais les
manifestes futuristes sont décisifs, car ils donnent une forme explicite et
convaincante à l'esthétique du work in progress. C'est, en effet
l'aboutissement cohérent du mode de fonctionnement qui s'est instauré dans
l'histoire artistique depuis le « romantisme » : la révolution permanente
remet en cause la recherche de la perfection. « Rien n'est plus beau que
l'échafaudage d'une maison en construction », écrit Marinetti dans Le
Futurisme, un petit livre sorti en 1911{353} ; et, en 1912, dans son Manifeste
technique de la littérature futuriste : « Faisons crânement du laid ».
Le futurisme en Allemagne
Le futurisme a un impact tout autant considérable sur les écrivains et les
artistes qui en Allemagne poursuivent un effort de renouvellement. Ils sont
désignés généralement comme « expressionnistes », mais il vaut mieux ne
pas recourir à cette étiquette trompeuse, conférant rétrospectivement
l'apparence d'un phénomène unitaire à des recherches qui le plus souvent
sont menées de manière indépendante et diffèrent dans leurs visées et leurs
ressorts. Personne d'entre eux ne songe à reconnaître à Marinetti un rôle de
chef de file, mais, comme le reconnaît Ulrich Weisstein, « on peut affirmer
que, Marinetti absent, l'expressionnisme aurait eu un visage différent{388} ».
Il est vrai que ces recherches précèdent la naissance du futurisme, et que
les convergences avec les suggestions futuristes s'expliquent en partie par la
médiation des modèles parisiens auxquels allemands et italiens se sont
confrontés. Mais, comme en France, les futuristes frappent et suscitent
l'émulation par leurs gestes retentissants et par la forme explicite et radicale
qu'ils donnent à leurs propositions. Les expositions des peintres, organisées
par Herwarth Walden (le directeur de Der Sturm, la revue qui est considérée
comme l'organe de l'expressionnisme{389}) jouent un rôle décisif dans cette
pénétration. Walden publie le manifeste des peintres futuristes avant de
publier le manifeste inaugural de Marinetti et, de même, publie l'appel Les
artistes au public avant le Manifeste technique de Marinetti et son
Supplément{390}.
Ainsi en Allemagne les premières réactions proviennent des peintres et
des critiques d'art. Klee se montre très favorablement impressionné dans
son journal : « Carrà, Boccioni, Severini sont fort bons. (...). Russolo est
plutôt représentatif{391}. » Kandinsky lit et commente à la Bauhaus le
Manifeste technique de la peinture futuriste. Franz Marc découvre la
peinture futuriste aussitôt après l'œuvre de Delaunay, en automne 1912, et
son œuvre est profondément marquée par ces expériences, bien qu'il rejette
l'antipasséisme des italiens{392}. Les artistes allemands ne partagent pas non
plus l'optimisme vitaliste et l'enthousiasme des italiens à l'égard de la
modernité, ni leur parti pris antispiritualiste de « déshumanisation » du
regard. Mais les peintres futuristes, qui déclarent vouloir exprimer des
« états d'âme », leur apparaissent sans doute plus proches de leur vision que
l'« objectivité » dont se réclament les cubistes.
Pour ce qui concerne les écrivains, ils sont frappés plus par les manifestes
– notamment le Manifeste technique de la littérature futuriste et
Destruction de la syntaxe. Imagination sans fils. Mots en liberté – que par
les œuvres de Marinetti traduites en allemand, qui contrastent avec les
manifestes, car elles remontent à la période pré-futuriste. Comme en
France, l'attention que suscitent les futuristes est attestée par la diffusion de
mots d'ordre comme simultanéité, dynamisme, vitesse{393}. Parmi les
écrivains marqués par cette rencontre, il y a Johannes Robert Becher,
August Stramm, Lothar Schreyer, Rudolf Blümmer, Theodor Daübler,
Gottfried Benn et Alfred Döblin{394}. L'expérience de la guerre convertit
plusieurs d'entre eux à des positions internationalistes et pacifistes qui les
amènent à rejeter le futurisme, à cause de son nationalisme germanophobe
et belliciste. Mais Benn et Blümmer ne le renient pas et en mars 1934 sont
parmi ceux qui accueillent l'exposition berlinoise de l'« aéropeinture »
futuriste, malgré leur adhésion au nazisme, pour lequel le futurisme faisait
partie de l'entartete Kunst.
L'effet d'incitation du futurisme est particulièrement évident dans le
domaine du théâtre. Il est vrai que l'intérêt des auteurs allemands pour le
cabaret et pour d'autres genres « mineurs » précède le futurisme et doit sans
doute beaucoup, comme les idées de Marinetti sur le music-hall{395}, à
l'exemple de Paris, où dès la fin du XIXe siècle le cabaret est une source
d'inspiration pour poètes et artistes. Mais certainement les soirées futuristes
et le manifeste de Marinetti contribuent-ils à encourager des tentatives
comme celles que proposent, après la guerre, deux théâtres proches du
Sturm : le Sturm-Bühne de Berlin et le Kampf-Bühn de Hambourg. Ils
s'inspirent en effet des mêmes principes que prônait Marinetti : style
télégraphique, mélange des genres et des registres, jeu stylisé –
« physique » et antipsychologique – implication des spectateurs, décors et
éclairage antinaturalistes{396}.
Le rapport à la politique
Ces approches échouent à rendre compte de la diversité des pratiques,
notamment pour ce qui concerne les prises de position politiques des
membres de ces groupes. Comme le surréalisme est le cas le plus célèbre et
le plus étudié, son pacifisme internationaliste et ses rapports de
compagnonnage avec le Parti communiste sont considérés comme un
exemple caractéristique de l'attitude politique de toutes les avant-gardes,
alors que le seul trait qui s'impose, à partir du futurisme, comme constitutif
de la posture avant-gardiste, dans le domaine politique, est le caractère
radical et polémique des prises de position{418}. Mais, pour ce qui concerne
la tendance à un engagement du côté de la gauche révolutionnaire, les
divergences qu'on observe dans les choix politiques des « avant-gardes » de
l'époque ici abordée suffiraient à démentir cet attendu. Par exemple, Breton
rompt rapidement avec le Parti communiste, tandis qu'Aragon devient un
des représentants éminents de ce parti. Le cas de Maïakovski ne peut pas
non plus être ramené au modèle de Breton, en ce que son adhésion à la
Révolution, en 1917, lui permet pendant quelques années de jouer un rôle
éminent dans la politique culturelle du nouveau pouvoir.
Par ailleurs, on ne saurait liquider la connivence de Marinetti et de
plusieurs autres futuristes avec Mussolini et son régime{419}, ou la
sympathie d'Ezra Pound pour le fascisme, comme des choix contradictoires,
simplement parce qu'ils ne répondent pas au stéréotype de l'avant-garde fixé
postérieurement. La plupart des artistes et des écrivains d'avant-garde
impliqués dans la première guerre mondiale, d'Apollinaire à Döblin, cèdent
au patriotisme belliciste et xénophobe, en oubliant les rapports d'échange,
de collaboration et d'amitié amorcés avant le conflit avec les avant-gardes
de pays ennemis. Et, s'ils cherchent à maintenir des formes plus restreintes
d'internationalisme, comme l'indique la faveur dont l'idéologie pan-latine
jouit pendant la guerre parmi les représentants de l'avant-garde française et
italienne, ces rapports restent toujours orientés par des rivalités
nationales{420}.
On ne saurait donc considérer la sympathie pour la gauche comme un
trait invariant de la posture avant-gardiste. S'il est vrai qu'une attitude
antibourgeoise caractérise la représentation de l'artiste forgée depuis le
premier XIXe siècle par le milieu littéraire et artistique parisien, cet
antagonisme n'implique aucunement la solidarité avec le « peuple » et le
ralliement au « mouvement ouvrier » : il ne fait que retraduire, en fait,
l'écart objectif qui s'est creusé entre les artistes et les intellectuels, pôle
dominé des classes dominantes, et le pôle dominant, constitué par les
détenteurs du pouvoir économique et politique{421}.
Ainsi que le montraient déjà les cas de Balzac, Flaubert, Baudelaire, le
mépris pour les « bourgeois » (catégorie dans laquelle sont confondus le
public bien-pensant, incapable de comprendre et apprécier les œuvres de
valeur, et les producteurs asservis aux goûts de ce public) peut aller de pair
avec l'indifférence politique, voire des convictions réactionnaires. La
position de dominant-dominé se traduit dans une ambivalence structurelle,
qui explique la diversité des attitudes possibles – solidarité avec le peuple,
identification avec les notables, apolitisme – et les oscillations, voire les
revirements, qu'attestent nombre de biographies.
Ces choix, toutefois, ne sont pas anarchiques : on peut les expliquer en
prenant en considération l'ensemble des facteurs, collectifs et individuels,
qui orientent les pratiques. Il y a, d'une part, l'état de l'espace englobant :
situation de conflit ou d'équilibre, guerre ou paix, configuration du champ
du pouvoir, attitude des élites étatiques à l'égard des producteurs culturels,
rapports de forces entre les diverses fractions artistiques et intellectuelles,
propriétés des champs de production (hiérarchies, orientations et
représentations collectives). De l'autre, il faut tenir compte des dispositions
des agents et de leurs trajectoires{422}.
En France, depuis l'Affaire Dreyfus, l'engagement était une dimension
constitutive de la figure de l'intellectuel. En outre l'âge d'or des avant-gardes
a coïncidé, grosso modo, avec l'époque où le parti communiste se présentait
comme une avant-garde politique, était au faîte de son prestige auprès des
intellectuels et pouvait apparaître à l'avant-garde culturelle comme un allié
naturel, engagé dans le même irrésistible combat historique. On ne saurait
comprendre les choix de Marinetti et de nombreux intellectuels italiens, qui
adhèrent au fascisme, sans rappeler l'absence, en Italie, d'une tradition de
progressisme intellectuel comparable, par importance et prestige, à celle qui
a caractérisé l'histoire française. Il y avait, en outre, la montée du
nationalisme et l'image ambiguë avec laquelle se présentait le fascisme.
Jusqu'en 1914 Mussolini avait été un dirigeant du Parti socialiste, directeur
depuis 1912 du quotidien socialiste Avanti !. Le Parti fasciste se représentait
comme une avant-garde luttant pour le progrès et la modernisation du pays
(la notion revient également dans le nom – « Les Avant-gardistes » – sous
lesquels le fascisme a encadré les jeunes) et les responsables de la politique
culturelle fasciste ont déployé beaucoup d'efforts pour conquérir le
consensus des artistes et des intellectuels{423}.
Enfin, on ne saurait expliquer les difficultés, les malentendus, les
déceptions et les ruptures qui caractérisent les tentatives d'engagement
politique des artistes et des écrivains sans prendre en considération
méthodiquement les logiques différentes du champ politique et du champ
artistique, et les différences de goût et d'habitus qu'implique l'appartenance
à des champs différents. Ces différences structurelles permettent de
comprendre le fait qu'en général l'art et les partis de masse ne font pas bon
ménage. Le nazisme a condamné et brûlé les œuvres expérimentales comme
art dégénéré. L'ouverture culturelle que le régime soviétique a manifestée
pendant sa première décennie a abouti au dirigisme culturel et à
l'officialisation de la doctrine du réalisme socialiste. Les surréalistes
français, qui à la fin des années 1920 ont tenté de se rapprocher du Parti
communiste, ont vite découvert que leurs recherches et leur prétention à
l'autonomie étaient loin de répondre aux attentes et aux orientations des
dirigeants et des intellectuels du parti, attachés pour la plupart à une
conception fonctionnaliste de la culture, alors que le refus de toute finalité
étrangère à l'art s'était imposé dans le champ artistique comme la condition
même de la légitimité.
En outre, les goûts personnels des hommes politiques et des intellectuels
de parti ne s'accordaient pas, généralement, avec ceux des avant-gardes
littéraires et artistiques : souvent ils n'avaient pas la compétence et les
dispositions spécifiques nécessaires pour comprendre les conditions
historiques et les conséquences des révolutions esthétiques. Ainsi Georg
Lukács était attaché aux conventions réalistes forgées au XIXe siècle, et ne
voyait dans les recherches postérieures que l'expression d'une société
décadente{424}.
« Existentialisme »
Jean-Paul Sartre
Jacques Colette
Dans les trois décennies qui suivent la seconde guerre mondiale, la scène
culturelle planétaire est dominée successivement par deux labels français :
l'existentialisme et le structuralisme. Si la France sort du conflit
politiquement et économiquement affaiblie, Paris n'a pas encore perdu son
rôle de Méridien de Greenwich de la modernité.
Elle n'ignorait pas que Sartre, à son retour du Stalag, avait animé pendant
quelques mois, avec un groupe de normaliens et d'étudiants, une tentative
d'action clandestine, en publiant des tracts sous le label Socialisme et
liberté. Mais elle trouvait « pitoyable et ridicule » cette initiative « brève et
inefficace », exposant avec légèreté ses membres à « des risques graves
pour une action nulle{474} ».
En effet, la parution aux États-Unis de l'article « La République du
silence » contribue de manière décisive à divulguer à l'échelle mondiale
l'image d'un Sartre héros de la Résistance, du fait que la revue qui le publie
en décembre 1944, The Atlantic Monthly, présente l'auteur comme un chef
des FFI{475}. Les autres articles que peu après il consacre au même thème
(« Paris sous l'Occupation »{476} et « Qu'est-ce qu'un collaborateur ?{477} »)
parachèvent la réhabilitation des Français qui ont vécu sous l'Occupation
sans résister activement, en les distinguant des « vrais collaborateurs »,
présentés comme une « frange de ratés et d'aigres qui profitent un moment
des désastres{478} ». Ces textes confirment en outre le portrait unanimiste de
la France, car ils passent sous silence les conflits politiques et idéologiques
qui ont divisé et continuent de diviser les Français et, de plus, ne
mentionnent pas, à part une allusion à la déportation, la persécution dont les
juifs ont été les victimes de la part de leurs concitoyens, les délateurs et
aussi la police.
Le succès de ces articles ne tient pas seulement au fait qu'ils répondent à
la demande d'un public très vaste, en rendant son honneur et son unité à une
nation qui sort de la guerre diminuée. L'autorité littéraire et philosophique
de Sartre, la force de ses arguments et l'efficacité de son écriture les
distinguent de la masse des discours qui à cette époque-là proposent la
même vulgate. Cet écrivain sulfureux, ce penseur ésotérique commence à
apparaître comme un maître à penser, capable d'élaborer et de légitimer une
vision du passé récent et du présent dans laquelle la majorité des Français
peut se reconnaître avec orgueil. Les reportages que Sartre écrit aux États-
Unis comme envoyé spécial du Figaro et de Combat, au début de 1945,
concourent, eux aussi, à élargir sa renommée, en France et aux États-Unis,
car ils le font connaître aux publics différents, non nécessairement initiés,
que touchent à cette époque-là ces deux quotidiens.
L'Être et le Néant a des propriétés qui font de son auteur, aux yeux de ses
lecteurs et commentateurs, un des plus importants philosophes
contemporains. Ce gros volume se présente comme un système original, qui
rivalise avec l'entreprise de Descartes en repensant la relation entre la
conscience et le monde à partir du cogito, et ne se confronte qu'avec les plus
grands noms de l'histoire philosophique, comme s'ils étaient les seuls
interlocuteurs dignes d'être pris en considération. Il prétend notamment
intégrer et dépasser à la fois Hegel et les deux penseurs contemporains les
plus admirés, Husserl et Heidegger, en surmontant l'alternative classique de
la philosophie post-kantienne – le subjectivisme idéaliste et le réalisme sans
sujet transcendantal – à laquelle il réduit leurs positions.
Aucun de ceux qui, comme lui, ont cherché à renouveler la philosophie
française ne peut se vanter d'un tel exploit. Ses pairs se montrent tous
frappés{479}, même si leur accueil est souvent mitigé par des réserves,
notamment dans le cas de ceux qui, plus âgés que Sartre, ont contribué
avant lui à introduire ce mode de pensée. Ainsi Gabriel Marcel, qui avait
connu et encouragé Sartre avant la guerre, dans un compte rendu de
novembre 1943 déclare que « l'importance du nouveau livre de M. Sartre ne
saurait être contestée » mais stigmatise comme « luciférien » le regard de
« cette individualité rebelle et ivre d'elle-même{480} ». Jean Wahl, qui, ayant
ouvert la voie à Sartre, se voit relégué par lui dans le rôle d'un précurseur,
publie des critiques pointilleuses sur un chapitre de l'Être et le néant{481}.
Dans une vue d'ensemble qu'il consacre, en 1950, à situation de la
philosophie française, il présente Merleau-Ponty comme le philosophe le
plus intéressant de sa génération et lui accorde plus de place qu'à Sartre.
Toutefois, en parlant de l'existentialisme, il déclare : « C'est pendant
l'Occupation, avec l'Être et le néant de Sartre, qu'il prit sa forme
spécifique{482} ».
L'attitude de Merleau-Ponty retraduit la relation particulière qu'il a avec
Sartre. Il fonde avec lui Les Temps modernes, en 1945, mais il est par
ailleurs son principal rival, en tant qu'auteur de deux ouvrages originaux
d'inspiration phénoménologique – La Structure du comportement (1941) et
Phénoménologie de la perception (1945). Il écrit un article pour défendre
Sartre contre les accusations d'immoralité{483} et il parle avec respect de
L'Être et le néant, tout en ne le trouvant pas tout à fait convaincant comme
tentative de surmonter le dualisme{484}. Quant à la jeune élite intellectuelle,
elle tient à marquer sa méfiance à l'égard d'une philosophie devenue une
mode, comme en témoigne l'attitude d'un groupe de normaliens interviewés
par Paul Guth, dans Le Figaro du 17 mai 1946.
En attirant l'attention sur l'ensemble de son œuvre, la célébrité fait
émerger les aspects qui rendent exceptionnelle sa position par rapport à
celle de ses concurrents. Il s'est montré capable d'exceller et d'innover dans
tous les domaines, à une époque où la division du travail intellectuel semble
déjà trop avancée pour que cette ubiquité soit possible. Il parvient à se
placer simultanément au sommet de hiérarchies de valeur jusque-là
séparées : philosophie, littérature, critique, théâtre, journalisme. À la fois
nouveau Gide, nouveau Bergson et nouveau Thibaudet, il réalise, à la
moitié du XXe siècle, une figure d'intellectuel total dont le seul précédent,
Voltaire, remonte à une époque où les limites des connaissances rendaient
concevable et possible l'encyclopédisme{485}. Il réunit la gloire de l'écrivain,
qui depuis le Romantisme est en France la figure intellectuelle de loin la
plus prestigieuse, en tant qu'incarnation par excellence du créateur{486}, et la
gloire d'un philosophe qui ne s'est pas limité au commentaire mais a réussi,
à l'instar de Bergson, à produire un « système » original. Mais il dépasse et
transforme ces deux images du créateur en les rassemblant dans sa personne
et dans son œuvre.
La diffusion et la consécration de la pensée de Sartre tiennent pour
beaucoup à l'enthousiasme du public qui a été amené à la lecture de L'Être
et le Néant après avoir découvert Sartre par son œuvre de fiction et par ses
interventions critiques et journalistiques. Dans les articles de critique
littéraire très brillants et remarqués que Sartre publie avant la guerre dans
La NRF, il se prévaut de son autorité philosophique pour construire et
imposer son auto-interprétation de son œuvre. Il soutient d'une manière
péremptoire le principe selon lequel ce qui distingue les grands romanciers
c'est leur métaphysique implicite et la technique plus ou moins cohérente et
efficace par laquelle ils parviennent à l'exprimer dans leurs récits. Il
inaugure par là une approche destinée à un grand succès, car elle apparaît
comme la voie par laquelle la critique littéraire peut parvenir à fonder ses
jugements, en échappant à l'impressionnisme et à l'arbitraire.
Grâce à ce principe, en outre, il valorise son œuvre par rapport aux
auteurs contemporains qui balisent l'espace des possibles par rapport auquel
se définit son entreprise littéraire. Il ne lui suffit pas, en effet, de se
démarquer de Proust, Gide, Mauriac et des autres modèles français
consacrés, en leur opposant Faulkner, Dos Passos et Hemingway, les
romanciers étrangers qui ont joué dans sa trajectoire d'écrivain le même rôle
de ressourcement et de légitimation que Hegel, Husserl et Heidegger ont
joué dans la construction de sa position philosophique{487}. Si dans ses
articles il laisse percer son admiration pour ses maîtres américains et
l'attention avec laquelle il a cherché à s'emparer des secrets de leur art, il
s'attache à souligner les contradictions entre métaphysique et technique qu'il
a pu déceler dans leurs romans. C'est sur ce plan, en effet, qu'il prétend
dépasser tous les autres écrivains, en tant que philosophe capable de
contrôler la cohérence entre la vision du monde et les moyens formels mis
en œuvre dans ses fictions.
Il rappelle cette étroite imbrication entre écriture et philosophie dans ses
entretiens et elle est remarquée par tous ses commentateurs, qu'ils la
déplorent ou qu'ils la considèrent comme le secret de l'originalité de ses
récits et de ses pièces{488}. La notion d'« Existence » (avec une majuscule
soulignant le statut philosophique du terme) est mise en évidence aussi bien
dans l'encart de la Nausée (« [ça] n'est pas beau à voir, l'Existence ») que
dans celui du Mur (« Personne ne veut regarder en face l'Existence »). Ainsi
La Nausée et Le Mur, à la différence de l'œuvre de Camus, son principal
concurrent, ont été perçus d'emblée comme la transposition cohérente d'une
philosophie. Cette lecture de son œuvre romanesque s'impose rapidement,
comme le montre une des premières études qui lui sont consacrées, le livre
de Robert Campbell Jean-Paul Sartre ou une littérature philosophique
(Ardent, 1945).
À son tour, son expérience d'écrivain constitue un des principaux secrets
de l'effet de nouveauté et de rupture que produit L'Être et le néant.
L'opposition du « pour soi » et de l'« en soi » qui est au cœur de cette
pensée n'est que la retraduction dans des catégories ontologiques de
l'opposition entre l'artiste et le bourgeois qui depuis Baudelaire et Flaubert
est le principe structurant de la vision du monde de l'écrivain et de son
mode de vie. Ainsi Sartre transpose-t-il dans un système philosophique
l'attitude subversive à l'égard de l'ordre établi (social, institutionnel, moral)
qui constitue une tradition ancienne pour l'avant-garde littéraire et
artistique, mais représente une transgression majeure par rapport à la
tradition des universitaires, solidaires avec les valeurs de l'État dont ils sont
les fonctionnaires, et aussi par rapport à Bergson, dont la pensée n'implique
jamais une humeur anti-institutionnelle. L'effet de modernité et de
transgression est confirmé par l'introduction d'exemples tirés de la vie
contemporaine ordinaire – le « garçon de café », la « femme à son premier
rendez-vous » – et par la liberté avec laquelle sont abordés des thèmes
jusque-là tabous pour la philosophie légitime, notamment la sexualité.
L'écriture contribue, elle aussi, à cette impression, car elle combine le
jargon technique, qui suggère la compétence, avec les ressorts inédits,
surprenants et suggestifs d'un écrivain qui a personnellement contribué à
transformer le langage du roman.
Si la divulgation mondaine de la philosophie réalisée par Sartre risque de
discréditer sa pensée aux yeux des universitaires les plus prestigieux, la
dimension transgressive et anti-institutionnelle de son ontologie est pour
beaucoup (comme l'indiquent maints articles) dans l'enthousiasme qu'elle
suscite parmi les jeunes agrégés, professeurs de lycée, critiques
indépendants qui la célèbrent et contribuent à élargir son public. Selon
Jacques Havet, par exemple, son œuvre montre « la possibilité de
transcender les antithèses stagnantes de la philosophie des professeurs et de
la philosophie des gens du monde{489} ». Claude-Edmonde Magny rappelle
un autre mérite fondamental de L'Être et le Néant : cet ouvrage, « chu
prestigieusement dans le désert de la philosophie française », comme un
« grand bloc monolithe », redonne à la France une place éminente dans la
pensée occidentale{490}.
Pour bien des lecteurs, la pensée de Sartre est beaucoup plus qu'une
philosophie. Magny y voit « un système qu'il est nécessaire de vivre autant
que de comprendre », qui permet de fonder « une éthique, une théorie des
valeurs, une critique littéraire{491} ». Pour Havet, c'est une « méthode [...]
attentive à cerner l'expérience vécue », permettant de « nettoyer enfin
l'univers des choses et l'univers des idées, en mettant chaque problème dans
sa vraie lumière{492} ». Dans le souvenir de Gorz, c'était « une encyclopédie
qui, puisque tout y était abordé, devait avoir réponse à tout{493} ». Et
Christian Grisoli : « Sartre est notre attente ; une attente dont nous sommes
sûrs que toujours elle sera comblée{494} ».
Le charme que cette pensée exerce sur ses lecteurs est dû, aussi, à un
aspect plus caché : la place éminente qu'elle réserve aux intellectuels dans
le monde social. Les intellectuels, tels que Sartre les peint à travers les
protagonistes de ses fictions (Roquentin, Oreste, Mathieu) sont l'élite de la
société, la seule catégorie vraiment humaine : eux seuls ont les propriétés
du « pour-soi », le concept qui dans l'ontologie désigne la conscience
humaine : « néant qui fait venir au monde la valeur », « transcendance
infinie », « liberté injustifiable ».
Ce n'est pas un hasard si Nietzsche a été une rencontre capitale pour le
jeune Sartre{495} : le surhomme est l'incarnation par excellence du mythe de
l'intellectuel comme héros solitaire, qui se distingue par sa lucidité et par sa
liberté du reste de l'humanité. Comme Nietzsche, Sartre transpose cette
mythologie dans des formules saisissantes et constitue avec son style de vie
une image vivante de l'intellectuel libre, indépendant par rapport à toute
institution – Université, parti, église – à tout dogme et à toute morale
instituée. On comprend ainsi la séduction que ce modèle peut exercer à la
Libération sur des jeunes gens en révolte contre le conformisme de Vichy,
de l'Église et de la bourgeoisie conservatrice qui l'ont soutenu{496}.
« Ce n'est pas par hasard que le matérialisme est sérieux, ce n'est pas par hasard non
plus qu'il se retrouve toujours et partout comme la doctrine d'élection du
révolutionnaire. C'est que les révolutionnaires sont sérieux. Ils se connaissent d'abord
à partir du monde qui les écrase. En cela, ils se retrouvent d'accord avec leurs vieux
adversaires les possédants, qui se connaissent eux aussi et s'apprécient à partir de leur
position dans le monde. Ainsi toute pensée sérieuse est épaissie par le monde, elle
coagule ; elle est une démission de la réalité humaine en faveur du monde L'homme
sérieux est « du monde » et il n'a plus aucun recours en soi ; il n'envisage même plus
la possibilité de sortir du monde, car il s'est donné à lui-même le type d'existence du
rocher, la consistance, l'inertie, l'opacité de l'être-au-milieu-du-monde. [...] Marx a
posé le dogme premier du sérieux lorsqu'il a affirmé la priorité de l'objet sur le sujet et
l'homme est sérieux quand il se prend pour un objet{508} ».
En outre, par son exemple, Sartre propose aux intellectuels une manière
de concevoir l'engagement politique, comme indépendant de tout parti, qui
implicitement jette le discrédit sur le choix de ceux qui ont adhéré au Parti :
si ce dernier peut jouer un rôle fondamental dans l'organisation et la
mobilisation de la masse des prolétaires, il ne saurait prétendre imposer sa
ligne aux intellectuels libres.
Les intellectuels communistes ne pouvaient pas ignorer la séduction que
Sartre exerçait sur la jeunesse intellectuelle, car ils en constataient les effets
chez les plus brillantes recrues du Parti, y compris des gens comme
Dominique et Jean-Toussaint Desanti, qui, après avoir fréquenté Sartre, à
l'occasion de leur participation au groupe Socialisme et Liberté, avaient été
amenés au Parti par leur exigence de formes d'action plus efficaces. Leurs
souvenirs, près de soixante ans après leur première rencontre avec Sartre,
témoignent de l'admiration extraordinaire que les « vingt ans en 1940 » lui
ont vouée et, surtout, de leur identification profonde avec son mode de
pensée :
Cet antagonisme, qui peut sembler personnel, est en fait structural, fondé
sur l'opposition entre deux trajectoires. Parisien, éduqué dans un milieu
intellectuel, normalien, agrégé, au premier rang dans l'élite de sa génération,
Sartre a suivi, selon les vœux de son grand-père, la « voie royale » et, en
réunissant les formes de capital qui peuvent favoriser la réussite
intellectuelle, a réalisé une position qui répond à toutes les conditions du
succès, car elle frappe, en se présentant comme subversive, suivant le
modèle de l'avant-garde, et en fait constitue, dans tous ses aspects,
l'accomplissement de tendances collectives qui se dessinaient déjà au début
des années 1930.
Lefebvre, au contraire, réunit nombre de handicaps et s'oriente vers des
paris risqués. Provincial (né en 1901 à Hagetmau, dans les Pyrénées), il
fréquente une année le lycée Louis-le-Grand pour y préparer le concours
d'entrée à l'École polytechnique. Un problème de santé l'ayant obligé à
quitter Paris, il fait du droit et de la philosophie à Aix-en-Provence, puis, à
vingt ans, il retourne à Paris et en 1924, avec Pierre Morhange, Norbert
Guterman, Georges Politzer et Georges Friedmann, il fonde la revue
Philosophies. Les relations d'échange et de rivalité qui relient le groupe aux
Surréalistes concourent à renforcer ses partis pris de rupture avec les
philosophies dominantes : Bergson et les professeurs de la Sorbonne.
Lecteur de Nietzsche depuis son adolescence, Lefebvre, s'attache à lire
d'autres auteurs exclus des programmes universitaires : d'abord
Schopenhauer et Schelling, puis, conseillé par Breton, Hegel (la Logique) et
Marx, dont le séduit notamment la critique de l'État (il ignore, à cette
époque-là, que sous Staline la Russie soviétique est en train de se
transformer en un régime dictatorial). La rencontre avec le marxisme et
l'exemple des surréalistes jouent un rôle déterminant dans l'adhésion du
groupe au PCF, en 1928. Devenu communiste, Lefebvre ressent l'exigence
d'élargir la culture philosophique marxiste. Il s'emploie, avec Guterman, à
faire connaître non seulement le jeune Marx et Lénine, mais aussi des textes
de Hegel{512}. En 1940 il publie Le Matérialisme dialectique{513}, qui va
initier à Marx plusieurs générations. Il consacre un ouvrage à Nietzsche, en
invitant à le lire comme un complément au matérialisme historique, en ce
qu'il a « admirablement défini un problème fondamental : la réconciliation
de l'homme avec le monde{514} » et en 1942 il écrit la pièce Le Don Juan du
Nord, inspirée du Journal de Kierkegaard, un autre outsider cher à plusieurs
jeunes philosophes de sa génération. Cet effort d'ouverture du marxisme à
une problématique d'époque est sensible dans La Conscience mystifiée
(Gallimard, 1936), un ouvrage écrit en collaboration avec Norbert
Guterman, qui porte sur l'analyse du vécu, et qui constitue une exception
remarquable par rapport à l'indigence théorique qui caractérise alors les
intellectuels communistes – y compris Nizan et Politzer – sur le plan des
apports à la pensée marxiste{515}. En 1965, dans l'introduction à son Pour
Marx, Louis Althusser fera ce bilan rétrospectif : « Dans notre mémoire
philosophique, ce temps reste celui des intellectuels armés, traquant l'erreur
en tous repaires, celui des philosophes sans œuvres que nous étions{516} ».
Lefebvre avait payé chèrement cet effort d'indépendance à la fois de
l'orthodoxie du Parti et des positions dominantes dans le champ
philosophique, en se heurtant sans cesse à l'hostilité et à l'incompréhension.
On peut comprendre qu'il soit exaspéré par le succès de la pensée de Sartre,
à ses yeux conformiste et néfaste. Mais il reconnaîtra lui-même un autre
aspect qui explique la reconnaissance tardive et toujours controversée qui a
caractérisé l'accueil de son œuvre : « Lorsqu'il se confiait, Lefebvre laissait
entendre qu'il ne se trouvait pas très “méthodique” dans sa manière de
travailler. Il avait l'impression d'avoir travaillé dans l'improvisation
perpétuelle{517} ».
Alors que Sartre, produit exemplaire de l'École Normale, a appris depuis
son adolescence à s'investir dans le travail régulier et systématique que
demandent des entreprises de longue haleine, et possède la maîtrise
nécessaire pour conférer à son œuvre les marques de la hauteur littéraire et
philosophique, Lefebvre reste sa vie durant un autodidacte doué, qui a
ouvert maintes pistes intéressantes, sans jamais parvenir, toutefois, à les
explorer méthodiquement et à donner à sa pensée une forme achevée et
rigoureuse. Contrairement aux apparences, cette opposition relève, elle
aussi, moins de différences de caractère que de dispositions socialement
constituées, liées aux propriétés des trajectoires.
En 1944, Lefebvre est donc loin d'avoir l'autorité nécessaire pour
contrecarrer l'emprise exercée par Sartre, et à plus forte raison Garaudy, qui,
plus jeune, n'a presque rien publié. La marginalité de leurs positions se
trahit aussi bien dans la violence polémique de leurs attaques que dans la
qualité de leurs arguments. Au lieu de critiquer Sartre sur le plan
philosophique, Henri Lefebvre cherche à le discréditer politiquement : il le
traite de disciple du nazi Heidegger. Peu après, dans son livre
L'Existentialisme (1946), il inclut dans ses attaques Paul Nizan, l'ami de
Sartre mort au front en 1940, en apportant sa contribution à la campagne de
dénigrement posthume que le Parti poursuivait contre l'auteur d'Aden
Arabie, coupable de l'avoir quitté, en 1939{518}. Pourtant, Lefebvre avait été
très proche de Nizan, et ce dernier avait été parmi les premiers à s'alarmer
de la faveur que rencontraient en France les maîtres à penser allemands,
comme l'indique un article qu'il avait publié dans Europe en 1933 :
« La philosophie de Martin Heidegger peut fournir des justifications théoriques à une
doctrine fasciste. [...] La philosophie de l'angoisse, la cathartique du néant
s'introduisent en France. Jean Wahl fait entrer dans la pensée française les méditations
de Kierkegaard. Les revues philosophiques mêmes commencent à découvrir la
Phénoménologie. Peut-être ces thèmes nouveaux fourniront-ils demain les arguments
habiles que la philosophie officielle sera promptement incapable de produire{519} ».
L'engagement
Issue de cette confrontation, la conférence de Sartre L'Existentialisme est
un humanisme{526}, publiée par l'éditeur Nagel en 1945, devient une
référence fondamentale pour ceux qui veulent connaître ses idées sans
prendre la peine de lire L'Être et le néant. Les attaques communistes
contribuent de manière décisive à attirer l'attention de la presse et du public
élargi. Les interventions qui se multiplient, souvent scandalisées et hostiles
(Roger Troisfontaines traite Sartre de « satanique{527} », Pierre Boutang de
« possédé{528} ») alimentent la curiosité. « Le plus remarquable – écrit un
collaborateur d'Esprit, Marc Beigbeder – est que, comme celle du méchant
loup, la publicité de Sartre se fait toute seule, et que les plus bouillants à
répandre son nom sont ses ennemis{529} ».
Devenu célèbre, le label existentialisme devient l'enjeu d'appropriations
diverses, souvent rétrospectives, portant sur l'antériorité et les origines.
Gabriel Marcel relit son œuvre comme un « existentialisme chrétien »,
« positif », qui a précédé l'existentialisme athée et « négatif{530} » de Sartre.
Emmanuel Mounier publie en 1947 une Introduction aux existentialismes
qui représente l'existentialisme comme un arbre dont Socrate et les stoïciens
sont les racines et sa propre position, le « personnalisme », ainsi que celle
de Sartre, ne sont que les plus récents surgeons{531}. L'ampleur de
l'extension historique prise en considération dans le premier « Que sais-
je ? » consacré à l'existentialisme, en 1952, témoigne du flou de la
notion{532}. L'auteur d'un plus récent « Que sais-je ? » déclare dès le titre de
son introduction : « L'existentialisme n'est pas une doctrine{533} ».
Merleau-Ponty n'emploie le terme qu'en 1945, dans l'article « La querelle
de l'existentialisme », pour inviter les adversaires de Sartre, chrétiens et
marxistes, à chercher à comprendre comment « se rejoignent les deux
moitiés de la postérité hégélienne : Kierkegaard et Marx{534} ». Sartre lui-
même s'est très tôt démarqué de cette « étiquette d'existentialiste » qu'on lui
avait « collée »{535}. Ils sont tellement célèbres que le label, loin de les
avantager, ne constitue pour eux qu'une source de malentendus fâcheux.
Passage obligé, la confrontation avec Sartre et avec Merleau-Ponty
produit un effet d'imposition et d'unification de la problématique et du
langage. Le livre de Lefebvre Marx et la Liberté, qu'il publie en 1947{536},
s'oppose au concept de liberté de Sartre, et l'ouvrage sur Descartes qu'il
publie la même année{537} est sans doute pour une part une réplique au texte
« La liberté cartésienne » que Sartre avait publié en 1946 comme
introduction à un volume de morceaux choisis de Descartes{538}. En général,
les intellectuels communistes qui cherchent à fonder un marxisme français
s'attachent à proposer un Marx humaniste, en insistant sur les écrits
antérieurs au Capital, comme l'avait fait Lefebvre dès la fin des années
1920. Les philosophes communistes les plus proches des existentialistes
travaillent à une comparaison critique entre les outils du marxisme et ceux
de la phénoménologie, comme le font Tran Duc Thao, un ancien élève de
Merleau-Ponty, dans Phénoménologie et matérialisme historique, et plus
tard Jean-Toussaint Desanti dans Phénoménologie et praxis (1963){539}.
Par ailleurs, l'effort de répliquer à ses adversaires amène Sartre lui-même
à focaliser de plus en plus son attention sur le terrain de la morale et de la
politique, pour montrer que sa pensée est un « humanisme », impliquant
l'engagement. Cette évolution est déjà évidente aussi bien dans l'image de
son œuvre littéraire qu'il propose à cette époque-là{540} que dans
L'Existentialisme est un humanisme, où il répond aux critiques qui lui sont
adressées. Pour comprendre l'importance qu'il attache à ces critiques, il faut
considérer que le Parti communiste est alors aux yeux des intellectuels
français le représentant de l'Esprit objectif, du Prolétariat en marche. Être
contre le Parti, c'est être hors de l'histoire. Ainsi il devient urgent pour lui de
traduire la notion de « responsabilité de l'intellectuel » en une pratique et
aussi une théorisation qui lui permettent d'être en règle avec la lutte des
classes sans pour autant adhérer au Parti, qui, conformément aux directives
du Komintern, est en train d'adopter une politique de dirigisme culturel
particulièrement rigide et dogmatique, inacceptable pour le champion de la
liberté intellectuelle.
À partir de 1945, Sartre devient l'incarnation exemplaire de la définition
prophétique de l'intellectuel comme guide moral de la société qui s'est
progressivement forgée depuis Voltaire. Le renoncement à tout lien
institutionnel – il abandonne l'enseignement, il n'est pas marié – et son style
de vie en font un symbole de libération éthique. Il fait de l'engagement une
tâche permanente, assumée toute une vie avec une extraordinaire fidélité,
moyennant tous les instruments inventés par la tradition intellectuelle :
manifestes, pétitions, manifestations dans la rue, déclarations publiques. De
plus, il élabore à ce propos des principes qui légitiment la position du
compagnon de route, solidaire avec le Parti communiste mais attaché à son
indépendance. Contre le dogme de l'action, dont le PCF se sert pour
culpabiliser les intellectuels, Sartre soutient que la pensée et la littérature
sont les formes suprêmes de l'action, car le dévoilement que l'écriture peut
opérer est un appel au lecteur à lutter pour changer le monde{541}. Alors que
les partisans de la littérature « pure » ont accusé Sartre de subordonner la
culture à la politique, en fait, en proclamant que la littérature est
intrinsèquement révolutionnaire, il défend l'autonomie de l'écrivain par
rapport à la politique.
À première vue, cette conversion à l'engagement constitue un véritable
tournant par rapport à la période d'avant-guerre, dans laquelle Sartre s'était
abstenu de toute prise de position politique publique, conformément à
l'image de l'intellectuel, (« homme seul », spectateur à l'écart du monde)
proposée dans La Légende de la vérité, incarnée par Roquentin dans La
Nausée, transformée dans l'Être et le néant en une catégorie métaphysique,
le Pour-soi, qui « n'a d'autre réalité que d'être la néantisation de l'être »{542}.
En réalité, le surhomme qui regarde le monde de haut et le prophète qui
veut le changer sont deux manifestations de la même conception
charismatique de l'intellectuel, et le passage de l'une à l'autre tient, comme
le montre le cas de Sartre, à une double transformation, collective et
individuelle : le changement du contexte historique et, inséparablement,
l'accès à la grande consécration, qui confère l'autorité nécessaire au discours
prophétique.
« Structuralisme »
L'autorité acquise par Lévi-Strauss joue sans doute un rôle fondamental
dans le lancement du « structuralisme ». Si la notion de structure est
ancienne et la notion de structuralisme a été introduite en psychologie et en
linguistique depuis le premier quart du XXe siècle, notamment par l'école de
Prague et par le linguiste danois Hjelmslev{574}, ce n'est qu'à partir de la
parution d'Anthropologie structurale et de l'entrée de son auteur au Collège
de France (1960) que s'installe la perception d'une véritable révolution
intellectuelle. En 1959, deux colloques importants – le premier organisé par
Roger Bastide{575}, le deuxième par Maurice de Gandillac, Lucien
Goldmann et Jean Piaget{576} – sont entièrement consacrés au concept de
structure. Les actes, rassemblant des spécialistes de nombreuses disciplines,
font apparaître le rôle capital et fédérateur que peut jouer cette notion et
contribuent de manière décisive à l'essor de la mode, même si bien des
participants expriment une attitude critique à l'égard de l'approche
structurale.
La Pensée sauvage est saluée comme un événement par tout le champ
intellectuel et connaît un accueil médiatique et un succès de vente sans
précédents pour un livre qui est en fait ésotérique (comme le remarque une
journaliste de France-Soir, pour mettre en garde le public profane). Tous les
quotidiens les plus importants lui consacrent des comptes rendus très
admiratifs, parfois plusieurs interventions, comme Le Monde (où paraissent
deux articles{577} et un entretien avec l'auteur{578}) et Le Figaro : François
Mauriac signe un compte rendu dans le quotidien, et Robert Kanters un
article enthousiaste dans Le Figaro littéraire{579}.
Lévi-Strauss ne se limite pas à valoriser la linguistique structurale, dès
1945{580}, comme mode de pensée qui permet de renouveler l'ethnologie et
de lui conférer pour la première fois un statut scientifique comparable à
celui des sciences de la nature. Il la propose comme un modèle qui serait
transposable dans tous les domaines des sciences humaines et permettrait de
les unifier en tant que fondement d'une science générale des signes, traités
comme des systèmes autonomes.
La consécration
Le meilleur indicateur de la distance qui sépare la trajectoire
intellectuelle de Bourdieu du « structuralisme » en tant que mode c'est le
fait que l'auteur de La Distinction n'a jamais fait partie du réseau intellectuel
et médiatique qui a permis le succès de ce label, à la différence de toutes les
autres figures que l'on a prises en considération. En effet, les rapports
d'alliance et d'échange entre les « structuralistes » les plus en vue et
quelques représentants de la génération précédente, comme Bataille et
Blanchot, ne sont qu'un aspect d'un réseau beaucoup plus vaste qui depuis
la fin des années 1950 contribue de manière décisive à la consécration du
nouvel « isme », en produisant l'image d'un phénomène de portée
exceptionnelle. Comme le montrent les cas d'Althusser et de Lacan, la mise
en place de ce réseau est l'effet de rapprochements spontanés, fondés sur
des rapports de proximité structurale, qui expliquent l'affinité des intérêts
symboliques et des dispositions.
Alliances et polémiques
Ainsi Dumézil, tout en rejetant l'idée d'une parenté entre son travail et le
modèle structuraliste, joue un rôle important dans l'élection de Lévi-Strauss
à l'École des Hautes Études puis au Collège de France. Émile Benveniste
(disciple d'un disciple de Saussure, Antoine Meillet) entré au Collège de
France en 1937, après un parcours institutionnellement marginal, peu
connu, en dehors du cercle des initiés, accueille de bon gré les initiatives
qui lui permettent de sortir de son isolement. En 1956, il écrit un article
pour le premier numéro de la revue La Psychanalyse de Lacan, en étayant
les thèses de ce dernier sur la fonction du langage dans la théorie
psychanalytique{634}. Il collabore également, en 1963, au premier numéro de
la revue Les Études philosophiques, en présentant les apports de la
philosophie analytique concernant le langage, alors ignorés en France,
notamment par les linguistes{635}. Il accepte de codiriger, avec Pierre
Gourou, la revue L'Homme, que Lévi-Strauss fonde en 1960.
Ce dernier soutient très activement la carrière de plusieurs alliés
potentiels, malgré les différences qui les séparent, poussé parfois plus par
des liens d'amitié ou de gratitude que par un véritable sentiment d'affinité
intellectuelle. Il fournit une caution à Lacan, en acceptant l'invitation à
assister à la séance inaugurale de l'enseignement de ce dernier à l'ENS, bien
qu'il n'aime pas du tout le style intellectuel lacanien ; et il soutient, avec
Barthes, l'élection de Greimas à la VIe section de l'École des hautes études,
en 1965. De son côté, Barthes contribue à faire accéder Lévi-Strauss à la
grande consécration, par le compte rendu qu'il consacre en 1962 à La
Pensée sauvage et au Totémisme aujourd'hui{636}.
Souvent à l'origine de rapprochements décisifs, il y a le détour par
l'étranger et/ou le contact avec des émigrés porteurs de savoirs nouveaux,
comme le montre le rôle que joue dans la gestation de l'anthropologie
structurale l'exil de Lévi-Strauss, favorisant la rencontre avec Jakobson et
avec d'autres représentants de traditions intellectuelles encore ignorées ou
méconnues en France{637}. De même, plus tard, les apports de Todorov et de
Kristeva contribuent à l'essor des théorisations littéraires. C'est grâce à la
rencontre à Alexandrie avec Greimas, originaire de la Lituanie, que Barthes
découvre Saussure et, qui plus est, Hjelmslev{638}, dont il s'inspire, sans le
citer, dans la deuxième partie des Mythologies, où il présente ses premières
tentatives de modélisation fondées sur la linguistique.
Les critiques, les polémiques et les attaques sont à la fois des indicateurs
de la percée du « structuralisme » et, par l'attention médiatique qu'ils
suscitent, des facteurs qui contribuent à sa consécration. Ces réactions
tiennent, elles aussi, à des relations structurales, comme on peut le voir dans
tous les épisodes les plus célèbres, qui opposent des « structuralistes » et
des représentants des positions qu'ils remettent en question.
Roger Caillois est parmi les premiers critiques qui mettent en cause les
présupposés implicites de l'anthropologie structurale, en s'en prenant
notamment à la conception que propose Race et Histoire. Sa trajectoire lui
confère la lucidité au moins partielle du rival que le succès de Lévi-Strauss
risque de renvoyer au passé : entre 1933 et 1935, élève de l'ENS, Caillois
s'est intéressé à l'ethnologie et a suivi les cours de Marcel Mauss à l'École
pratique des hautes études. Haut fonctionnaire à l'Unesco depuis 1948, il
dirige la division du développement culturel. Il est doublement impliqué
dans les interrogations que pose Race et Histoire, né comme contribution à
une collection de l'Unesco concernant la question raciale, dans le contexte
de la décolonisation.
Il perçoit ainsi avec une clairvoyance particulière les deux tentations
contradictoires auxquelles Lévi-Strauss aboutit, dans son désir de réhabiliter
les sociétés sans histoire : d'une part, la thèse selon laquelle des cultures
différentes seraient incomparables et ne sauraient donc être ramenées à une
même hiérarchie de valeurs, de l'autre le mythe des origines qui amène à
revendiquer la supériorité de l'Orient sur l'Occident, en perpétuant cette
fausse alternative au lieu de la récuser. Caillois souligne le paradoxe que
constitue, à ses yeux, le fait que le modèle évolutionniste se soit imposé
dans la philosophie occidentale à une époque où l'hétérogénéité des
configurations historiques caractérisait la réalité humaine, alors que la
valorisation de la diversité prévaut au moment où les progrès de la
mondialisation tendent à réduire les différences.
La violence, tout à fait insolite dans les débats théoriques, avec laquelle
Lévi-Strauss réplique à cette critique tient sans doute à sa position de
prétendant qui n'a pas encore obtenu la pleine consécration comme
théoricien{639} : « « M. Caillois se livre à un exercice qui commence par des
bouffonneries de table d'hôte, se poursuit en déclarations de prédicateur
pour se terminer par des lamentations de pénitent. C'était bien là, d'ailleurs,
le style des cyniques dont il se réclame{640}. »
En 1955, c'est Georges Gurvitch qui déclenche une autre polémique, dont
on perçoit les enjeux théoriques et institutionnels en considérant sa
position : professeur de sociologie à la Sorbonne depuis 1949, il s'est
employé en vain à rehausser le prestige théorique de sa discipline, et
considère comme usurpée l'attention que suscite le concept de structure : il
peut servir à désigner la cohérence des institutions sociales, mais il ne
saurait suffire à décrire la complexité des phénomènes, si la structure est
appréhendée comme statique, sans tenir compte du fait qu'elle s'inscrit
toujours dans un processus{641}.
L'antagonisme structural entre sa position et celle de Lévi-Strauss permet
de comprendre le ton particulièrement exacerbé avec lequel ce dernier
réplique (« De quel droit, à quel titre, M. Gurvitch s'institue-t-il notre
censeur ? ») et fait valoir la différence qui oppose son œuvre à celle de son
critique, c'est-à-dire les recherches empiriques sur lesquelles il appuie ses
hypothèses théoriques : « Parce qu'il est pur théoricien, M. Gurvitch ne
s'intéresse qu'à la partie théorique de nos travaux{642}. »
Le fait est qu'à l'époque sa position n'est pas encore assez forte pour qu'il
puisse opposer à ses adversaires les plus éminents une attitude détachée. De
même, si le dernier chapitre de La Pensée sauvage est une véritable charge
contre la conception « mythique » de l'histoire et la prétention totalisante
que Sartre a proposées dans Critique de la raison dialectique, c'est que, au
tout début des années 1960, les rapports des forces n'ont pas encore
complètement basculé et l'emprise que Sartre exerce reste redoutable,
comme le confirme par ailleurs le succès des séances que Jean Pouillon
consacre en 1960 à l'ouvrage de Sartre, dans le cadre du séminaire de Lévi-
Strauss, avec l'accord de ce dernier.
La manière dont Sartre et Pouillon réagissent à l'attaque de Lévi-Strauss
est un indicateur éloquent du fait qu'à ce moment-là ils peuvent encore
sous-estimer la portée de ce défi. Sartre s'abstient de toute réponse directe,
en exprimant ainsi sans équivoque son refus de reconnaître l'autorité de
Lévi-Strauss, mais fait paraître dans Les Temps modernes un article de
Pierre Verstraeten prétendant expliquer le refus de prendre en compte la
temporalité historique par les objets mêmes de l'anthropologie structurale :
les sociétés sans histoire. Jean Pouillon, quant à lui, refuse de choisir et
cherche à montrer que les deux modèles, loin d'être incompatibles, sont
complémentaires.
Au contraire, Lévi-Strauss profite des critiques qui lui sont adressées
pour élargir son public. Il accepte ainsi la confrontation que lui propose la
revue Esprit, à la conclusion du débat qu'un groupe dirigé par Jean-Marie
Domenach a consacré à La Pensée sauvage. La revue publie ce débat dans
un numéro spécial, incluant un article de Paul Ricœur qui mobilise la
stratégie philosophique par excellence, celle qui consiste à rappeler à la
science ses limites, en revendiquant le monopole de la théorisation et de la
systématisation. En prétendant passer de l'analyse des systèmes de parenté à
une anthropologie générale, Lévi-Strauss aurait abouti à un « kantisme sans
sujet transcendantal, voire un formalisme absolu{643} ». La réplique de Lévi-
Strauss, récusant la pertinence de la question du sujet, illustre bien la
posture que les nouveaux maîtres à penser tendent à opposer à leurs
adversaires : « Nous ne pouvons pas, à la fois, essayer de comprendre les
choses du dehors et du dedans{644}. »
Les réactions changent avec le renversement des rapports de forces,
comme l'indique l'attitude de Sartre en 1966, lorsqu'il devient impossible
d'ignorer la percée du « structuralisme », notamment le succès de Michel
Foucault, qui renvoie la philosophie du sujet de Sartre, l'humanisme
existentialiste et la « raison dialectique » au XIXe siècle{645}. À l'occasion du
numéro spécial que la revue L'Arc lui consacre, à la fin de 1966, Sartre
attaque ouvertement Foucault, en prétendant que « le succès de son livre
prouve assez qu'on l'attendait : or une pensée vraiment originale n'est jamais
attendue. Foucault apporte aux gens ce dont ils avaient besoin : une
synthèse éclectique où Robbe-Grillet, le structuralisme, la linguistique,
Lacan, Tel quel sont utilisés tour à tour pour démontrer l'impossibilité d'une
réflexion historique. Derrière l'histoire, bien entendu, c'est le marxisme qui
est visé. Il s'agit de constituer une idéologie nouvelle, le dernier barrage que
la bourgeoisie puisse encore dresser contre Marx{646} ».
Ainsi, pour discréditer le « structuralisme », Sartre a recours à un
sociologisme sommaire qui rappelle les procédés de disqualification dont
lui-même a été la victime de la part des communistes. Il l'explique comme
la retraduction idéologique d'une tendance technocratique importée des
États-Unis, où « la philosophie a été remplacée par les sciences
humaines{647} ». L'agressivité de ce discours trahit la situation de faiblesse
de son auteur, face à la force que ses rivaux tirent du fait que les affinités de
leurs positions suffisent à créer l'image d'un puissant mouvement unitaire,
sans qu'il y ait besoin d'aucune initiative de concertation. Les articles très
hostiles qu'en 1967 Michel Amiot et Sylvie Le Bon consacrent, dans les
Temps modernes, à l'ouvrage de Foucault, confirment le passage de Sartre et
de ses proches de l'ouverture initiale à l'égard de Lévi-Strauss à la contre-
offensive qu'on réserve à un danger redoutable.
La querelle Raymond Picard/Roland Barthes, sans doute le plus célèbre
de ces différends, est l'illustration exemplaire du jeu de rôles –
orthodoxie/hérésie – inscrit dans l'antagonisme des positions respectives. La
publication de Sur Racine, en 1963 – trois études où Barthes applique au
classique des classiques une démarche à la fois structuraliste et
psychanalytique – ne peut apparaître que comme une provocation
outrageuse au professeur de la Sorbonne, qui réagit par un pamphlet violent
– Nouvelle Critique ou nouvelle imposture{648} – condamnant en général les
approches nouvelles prétendant remettre en questions les méthodes
éprouvées de l'Université. Critique et vérité, l'ouvrage de Barthes publié en
1966, est pour une part une réplique à l'attaque de Picard.
Les accusations et les arguments des deux adversaires retraduisent de
manière prévisible les oppositions entre les postes occupés et la
représentation courante de ces oppositions{649}. Contraint par la polémique à
expliciter la croyance implicite dans la définition traditionnelle de son
poste, Picard soutient, de même que ses défenseurs, la conception
philologique et positiviste de l'histoire littéraire qui caractérise
l'enseignement de la Sorbonne, en revendiquant les vertus – patience,
prudence, modestie, effacement devant l'œuvre – que requiert son travail et
les critères d'excellence auquel il se mesure : « goût », « clarté », « bon
sens ». De son côté, Barthes se présente comme une avant-garde capable de
concilier à la fois les instruments et le langage ésotérique des sciences à la
mode – la linguistique, l'anthropologie et la psychanalyse – avec l'élégance
du critique mondain et la liberté souveraine de l'écrivain{650}.
Ubiquité
La parution concomitante de plusieurs ouvrages marquants et de revues
se référant au moins implicitement au concept de « structuralisme » fait de
l'année 1966 une étape fondamentale dans la percée de la nouvelle mode
intellectuelle. Foucault publie Les Mots et les choses, (conçu, suivant le
sous-titre originel, comme une « Archéologie du structuralisme ») et y
propose une définition du concept : « Le structuralisme n'est pas une
méthode nouvelle ; il est la conscience éveillée et inquiète du savoir
moderne{651}. ». Paraissent Sémantique structurale, de Greimas (l'adjectif
dans le titre est ajouté sur le conseil de Dubois pour exploiter l'effet de
mode), Écrits, de Lacan (un volume abstrus de neuf cents pages qui devient
rapidement un best-seller) ; le recueil Théorie de la littérature, de Todorov,
avec une préface de Jakobson ; Figures de Genette ; Critique et vérité de
Barthes ; Problèmes de linguistique générale de Benveniste ; Pour une
théorie de la production littéraire de Pierre Macherey, chez Maspéro ; les
revues Langages et Cahiers pour l'analyse ; le numéro 8 de
Communications, qui devient rapidement une référence incontournable pour
les littéraires s'intéressant à la nouvelle mode, car, consacré à l'analyse
structurale du récit, il réunit parmi ses contributeurs les principaux
représentants de la sémiologie, notamment Barthes, Greimas, Brémond,
Eco, Todorov et Genette. Une édition critique du Cours de linguistique
générale de Saussure, publiée en 1967 par l'éditeur Payot, connaît un vif
succès, malgré le caractère technique de l'ouvrage. Lévi-Strauss publie en
1967 Du miel aux cendres, en 1968 L'Origine des manières de table. Guy
Dumur lui consacre dans Le Nouvel Observateur un long entretien{652}.
La revue Critique, jusque-là éclipsée par Les Temps modernes, présente
une combinaison de propriétés qui lui permettent de devenir un carrefour
fondamental pour toutes les positions qui ont contribué à imposer le
nouveau label. Caractérisée depuis ses débuts par la tension entre deux
pôles, la littérature et la philosophie – qu'incarnent bien, respectivement,
Georges Bataille et Éric Weil{653} – elle peut rassembler dans ses pages et
consacrer toute la gamme des positions nouvelles, depuis les nouveaux
romanciers (Robbe-Grillet, notamment, y fait depuis 1951 des interventions
critiques qui sont des manifestes) à Foucault. Ainsi, elle favorise le
rapprochement et l'échange de légitimation entre les nouvelles avant-gardes
et des aînés comme Bataille et Blanchot.
En associant le nouveau roman au structuralisme, Critique les fait
apparaître comme des aspects d'une même tendance, qui dépasse par
l'ampleur et l'importance l'existentialisme, et met en cause le modèle
sartrien dans tous les domaines : littérature, philosophie, sciences humaines.
L'image du nouveau roman comme phénomène solidaire du structuralisme
– par son objectivisme et son formalisme – est préparée par le discours des
auteurs eux-mêmes et des exégètes qui contribuent à les lancer{654}. Dès
1955 Barthes avait invité à voir dans l'œuvre de Robbe-Grillet une
« littérature littérale », caractérisée par un « formalisme radical », qui
s'opposait « à l'art essentialiste du roman bourgeois{655} ».
Dans Tel Quel, fondée en 1960, le pôle littéraire est nettement dominant,
du fait que le capital dont sont dotés les principaux membres de la première
rédaction (Jean-Edern Hallier, Jean Ricardou, Philippe Sollers, Jean
Thibaudeau) est constitué en grande partie par la réputation qu'ils ont
acquise en tant qu'écrivains et critiques. Ainsi, la revue cherche d'abord le
parrainage des écrivains qui représentent alors l'avant-garde consacrée,
de Bataille à Robbe-Grillet, et des nouveaux théoriciens de la littérature,
notamment Barthes, Genette, Todorov. La revue contribue, elle aussi, à
renforcer l'image du structuralisme comme phénomène réunissant avant-
garde littéraire et avant-garde philosophique, car elle attire la collaboration
de philosophes comme Foucault et Derrida, et contribue à les faire
connaître et apprécier par son public lettré. Derrida et d'autres jeunes
philosophes collaborent également à la revue Poétique, lancée à Vincennes
en 1970 par Hélène Cixous, Tzvetan Todorov et Gérard Genette.
La dimension littéraire de la production « structuraliste » est pour
beaucoup dans son succès médiatique, dans un pays où les chroniques des
critiques littéraires dans les revues, les journaux et les hebdomadaires
gardent encore un pouvoir décisif dans la consécration et la diffusion d'une
mode intellectuelle. En effet, la plupart des articles qui contribuent à la
percée du « structuralisme » sont signés par des écrivains ou par des
critiques littéraires, et paraissent dans les pages littéraires de la presse, voire
dans des revues consacrées à la critique littéraire.
Parmi les nombreuses interventions de la presse littéraire concernant
Tristes Tropiques, on peut remarquer l'article que lui consacre Georges
Bataille{656}, un entretien paru dans la revue Arts, et les comptes rendus dans
Libération et dans Le Monde, signés respectivement par des chroniqueurs
littéraires comme Claude Roy et Jean Lacroix. Les critiques littéraires les
plus connus des principaux journaux saluent également la parution des
livres de Michel Foucault. La Quinzaine littéraire joue un rôle
particulièrement important dans la consécration du structuralisme, sans
doute du fait que son directeur, Maurice Nadeau, est depuis ses débuts très
critique envers Sartre et l'existentialisme. Elle publie notamment, en 1966,
un entretien avec Michel Foucault{657} ; en 1967, un long article de François
Châtelet, « Où en est le structuralisme ?{658} », illustré par un dessin
humoristique de Maurice Denis – représentant une conversation entre Lévi-
Strauss, Barthes, Lacan et Foucault, accroupis, en costume d'Indiens – qui
contribue beaucoup à produire l'image d'un groupe{659}. C'est dans ce
journal que Jean Pouillon commente, en 1968, le troisième volume des
Mythologiques, ne pouvant plus parler favorablement de Lévi-Strauss dans
Les Temps modernes. Le Magazine littéraire publie en 1968 un grand article
de Michel Le Bris qui fige la représentation de la généalogie du
« structuralisme » et des auteurs, rassemblés comme un « groupe », qui en
seraient les chefs de file : intitulé « Saussure, le père du structuralisme », il
est illustré par des photographies de Lévi-Strauss, Foucault, Lacan, Barthes,
présentés comme les « héritiers de Saussure »{660}.
Des hebdomadaires comme L'Express et Le Nouvel Observateur jouent
un rôle déterminant dans la diffusion du label{661}. L'Express contribue à
alimenter le débat par des interventions assez critiques, comme celle de
Jean-François Revel sur Lévi-Strauss, en février 1967, et celle de Jean-
François Kahn, en août 1967 : « La minutieuse conquête du
structuralisme »{662}. Le Nouvel Observateur adopte une attitude
particulièrement favorable, du fait que, dès ses débuts, il se présente comme
un promoteur de la modernisation de la vie intellectuelle, capable de
renseigner ses lecteurs sur les toutes dernières tendances{663}. Guy Dumur y
publie en 1967 un entretien avec Lévi-Strauss, en 1968 avec Benveniste. Le
journal publie également le compte rendu que le « structuraliste Michel
Foucault{664} » consacre aux ouvrages de Panofsky parus en 1967.
À partir de 1966, les revues intellectuelles qui sont l'expression de
positions menacées par les nouvelles tendances leur dédient une attention
qui contribue à leur légitimation. En 1966, Les Temps modernes publient un
numéro sur le structuralisme, dirigé par Jean Pouillon et, au mois de
décembre, Esprit organise un congrès, dont les actes vont donner lieu à un
numéro spécial en 1967{665}. Les revues du PCF se montrent
particulièrement ouvertes à la confrontation et au dialogue. Pour
comprendre cette attitude, il faut tenir compte de l'aggiornamento entamé
par le PCF depuis le début des années 1960 : un processus complexe où
« recherche d'alliances électorales à gauche, ouverture relative d'un groupe
dirigeant jusque-là exclusivement ouvrier, rénovation théorique, s'appellent
l'une l'autre{666}. ».
En 1967, Raison présente publie un article d'Olivier Revault d'Allonnes
très critique à l'égard de Les Mots et les Choses{667}, puis, au début de 1968,
organise des journées d'étude sur le thème « Les structures et les hommes »,
aboutissant à la publication du volume Structuralisme et marxisme, auquel
collaborent des membres de l'intelligentsia communiste, comme Henri
Lefebvre et Victor Leduc, ainsi que des professeurs prestigieux comme
André Martinet, Ernest Labrousse, Georges Canguilhem, Jean-Pierre
Vernant. En octobre 1967, La Pensée consacre un numéro spécial au thème
« Structuralisme et marxisme »{668}. L'équipe de La Nouvelle Critique, de
concert avec le CERM{669}, organise des rencontres avec l'équipe de Tel
Quel, dont naissent deux colloques qui ont lieu à Cluny respectivement en
avril 1968 et en avril 1970{670}. Raymond Bellour publie dans Les Lettres
françaises un entretien avec Michel Foucault où ce dernier cherche à
répliquer aux marxistes qui l'accusent de relativisme et lui reprochent le
refoulement du contexte historique et social des discours et du rôle des
agents, ainsi que la prétention de s'en tenir à une vision discontinuiste, sans
se soucier d'expliquer le passage d'une « épistémè » à une autre{671}. Pierre
Daix, le rédacteur en chef de la revue, va jusqu'à amorcer une conversion,
comme le montre le livre Structuralisme et révolution culturelle, publié en
1971{672}.
On peut se faire une idée de l'intégration et de la force du réseau qui a
contribué à définir et à promouvoir le « structuralisme », ainsi que de
l'enchevêtrement de facteurs divers qui favorisent le succès de cette
construction collective, grâce à l'analyse que Frédérique Matonti a
consacrée à un moment clef de ce processus : l'introduction des
« formalistes russes »{673}. Les liens intellectuels et amicaux entre Todorov,
Gérard Genette et Nicolas Ruwet jouent un rôle essentiel dans la
conception, dans la publication et dans la réception de Théorie de la
littérature. Genette soutient ce projet et favorise la publication du recueil
dans la collection « Tel Quel » en présentant Todorov à Sollers et Pleynet.
Ruwet, traducteur et préfacier des Essais de linguistique générale, parus en
1963, a contribué de manière décisive, avec Lévi-Strauss{674}, à attirer
l'attention du public français sur l'œuvre de Jakobson et à le consacrer
comme un des « pères fondateurs » du structuralisme{675}. Si Jakobson
accepte de préfacer l'ouvrage de Todorov, c'est aussi qu'il partage avec ce
dernier, émigré d'un pays soviétique, l'intérêt à faire découvrir et reconnaître
en France un travail collectif dont il a été un acteur fondamental et qui a été
réprouvé, censuré et occulté par le régime stalinien.
Par le simple fait qu'il rassemble pour la première fois ces écrits et qu'il
désigne leurs auteurs comme les « formalistes russes », Théorie de la
littérature introduit cette étiquette dans l'espace théorique et contribue à
l'instituer. Le titre de la préface de Jakobson – « Vers une science de l'art
poétique » – met en évidence l'ambition scientifique qui distingue les
« formalistes » par rapport à toute la tradition des études littéraires.
Le texte ajoute plusieurs éléments importants à cette image. D'une part, il
présente le « formalisme russe » comme un ancêtre du « structuralisme ».
De l'autre, il évoque les liens féconds entre les travaux théoriques des
« formalistes » et les recherches poétiques menées par certains d'entre eux
et par leurs amis, en dénonçant la gravité de la perte qu'a provoquée la
répression soviétique. Jakobson renvoie par-là, implicitement, à une autre
entreprise d'importation et de réhabilitation à laquelle il a participé avec une
préface : l'anthologie La Poésie russe, publiée en 1965 chez Seghers par
Elsa Triolet. Comme le remarque Matonti, ce recueil, comme les romans de
Chklovski et de Tynjanov publiés par Aragon dans sa collection
« Littérature soviétique » chez Gallimard, s'inscrivent dans l'effort de
rénovation qu'ont entrepris, à la faveur du « Dégel », plusieurs revues et
intellectuels communistes éminents, en réhabilitant les avant-gardes du
passé et en s'alliant avec Tel Quel et/ou Change, leurs émules français
contemporains.
La préface de Théorie de la littérature contribue de manière
déterminante, par l'autorité qui est reconnue à Jakobson, à relier et à
légitimer, comme autant de facettes d'une même orientation, toutes les
positions de l'espace intellectuel français qui à ce moment-là tendent à se
coaliser, rapprochées par les luttes qu'elles mènent sur des fronts divers :
création et théorie littéraire, linguistique et anthropologie, philosophie,
politique culturelle du PCF. La première réception du recueil de Todorov
assure un écho fidèle et efficace au cadrage que Jakobson a proposé, car
plusieurs interventions et articles sont l'œuvre de proches qui sont eux-
mêmes des acteurs de premier plan dans la production et la reconnaissance
du « structuralisme ». Les Lettres françaises publient la préface de Jakobson
dans le numéro du 10 février 1966, et le 3 mars un article de Pierre Daix
focalisé sur la dimension politique implicite dans la réhabilitation des
« formalistes russes ». Parmi les commentateurs il y a Gérard Genette{676} et
François Wahl (La Quinzaine littéraire, 15 mars 1966), qui ont tous deux
joué un rôle important dans la publication du recueil.
La percée du « structuralisme » et de ceux qui y ont associé leur œuvre
est exploitée par les médias et par l'édition qui entreprennent un travail de
divulgation. Après 1966, même des journaux et des éditeurs qui jusque-là
n'ont pas donné signe d'attention consacrent au phénomène articles, livres,
numéros spéciaux et autres initiatives. « Ce livre s'adresse aux
instituteurs{677} », écrit Jean-Marie Auzias, dans l'introduction à son ouvrage
Clefs pour le structuralisme (1967). Jean-Baptiste Fagès publie chez Privat
Comprendre le structuralisme en 1967 et Le Structuralisme en procès en
1968. En 1968 Jean Piaget publie aux PUF un Que sais-je ? qui devient un
des ouvrages de référence sur l'argument. Les Éditions du Seuil réaffirment
leur primauté dans le lancement et la définition de la mode, en publiant un
livre collectif, Qu'est-ce que le structuralisme ? (dirigé par François Wahl),
qui devient rapidement un best-seller (il est réédité en petits volumes en
collection de poche en 1973) et contribue à diffuser la notion très générale
et ambitieuse de « structuralisme » que Wahl propose dans son
introduction : « Sous le nom de structuralisme se regroupent les sciences du
signe, des systèmes de signes{678}. » Wahl souligne aussi la prétention de
scientificité : « Quoi qu'il en soit, le structuralisme, on l'aura compris, est
chose sérieuse : à tout ce qui doit au signe, il donne droit à la science{679}. »
Grâce à cette offensive éditoriale et médiatique le concept de
structuralisme et les suggestions des nouveaux maîtres à penser font leur
entrée dans l'enseignement littéraire, où ces références théoriques
permettent aux jeunes professeurs de renouveler l'explication de texte et de
lui conférer une légitimité nouvelle. Le fait est que dans les anthologies
scolaires et les manuels produits dans les années 1970-1980, l'histoire de la
littérature et le commentaire traditionnels sont concurrencés ou intégrés par
des démarches et des jargons s'inspirant des auteurs à la mode. Grâce à la
« sémiologie », qui détourne les concepts de la linguistique et de
l'anthropologie, Roland Barthes, Tzvetan Todorov, Gérard Genette
confèrent à la « Nouvelle critique » un air de scientificité et renforcent par
leur « textualisme » le mythe de l'œuvre « pure », en justifiant la critique
« immanente » par le dogme de l'autoréferentialité de l'écriture littéraire.
Cette pénétration dans l'enseignement, en France et à l'étranger, joue un rôle
décisif dans l'institutionnalisation et la naturalisation de la notion de
« structuralisme ». Le rôle fondamental que les départements de littérature
jouent aux USA, dans la même période, dans l'appropriation et dans la
diffusion des théoriciens français, montre que même le succès international
de cette vogue est l'expression d'une contre-offensive des disciplines
littéraires, plus que de l'ascension des sciences sociales{680}.
« N'est-ce pas une farce philosophique que de scruter mes textes avec un soin qui se
justifierait mieux s'ils provenaient de Spinoza, Descartes ou Kant ? En toute franchise,
je n'estime pas que ce que j'écris vaut tant d'égards, surtout s'agissant de Tristes
tropiques où je n'ai pas prétendu exposer des vérités, mais seulement les songeries
d'un ethnographe sur le terrain, dont je serais le dernier à affirmer la cohérence. Aussi
ne puis-je me défendre de l'impression qu'en disséquant ces nuées, M. Derrida manie
le tiers exclu avec la délicatesse d'un ours [...]{687}. Pour tout dire, je m'étonne que des
esprits aussi déliés que les vôtres, à supposer qu'ils aient voulu se pencher sur mes
livres, ne se soient pas demandé pourquoi je fais de la philosophie un usage si
désinvolte, au lieu de me le reprocher. Mais c'est que je n'éprouve à son égard nul
respect et que je me réserve le droit, d'un livre à l'autre, et même d'une phrase à l'autre
du même livre, d'emprunter diverses manières, comme font vis-à-vis des styles
certains peintres et musiciens{688}. »
Le « structuralisme » et Mai 68
L'évolution des rapports de forces et des orientations au sein de l'espace
intellectuel français dans une conjoncture particulière comme Mai 68
confirme de manière significative l'hypothèse générale suivant laquelle une
crise sociale et politique n'est pas sans affecter l'état du champ intellectuel,
mais, lorsque ce dernier détient un degré élevé d'autonomie, les
déterminations externes se manifestent indirectement, en se retraduisant
selon une logique interne au fonctionnement du champ{701}.
À première vue, il y a une radicale remise en cause du « structuralisme ».
En novembre 1968, le journal Le Monde publie le dossier « Le
structuralisme a-t-il été tué par Mai 68 ? ». Lévi-Strauss, Althusser, Lacan,
Barthes et Greimas, qui sont à ce moment-là les plus exposés, du fait qu'ils
cherchent à poursuivre leurs cours et séminaires, sont traités de mandarins
et contestés pendant leurs leçons{702}. Lévi-Strauss voit dans cet événement
la confirmation de son pessimisme concernant le devenir historique.
Greimas et Barthes, affrontés à l'hostilité de leur public, qui les empêche de
parler, sont gravement affectés par cette expérience. Barthes va jusqu'à
s'exiler temporairement, en acceptant d'aller enseigner à Rabat.
Des mots d'ordre qui semblaient démodés, comme la lutte des classes et
l'engagement, redeviennent actuels. Sartre récupère une image
d'interlocuteur de la jeunesse intellectuelle, en entamant un dialogue avec
des représentants du mouvement des étudiants, comme Daniel Cohn-
Bendit{703}. Edgar Morin, Cornelius Castoriadis et d'autres anciens
rédacteurs de la revue Arguments (laquelle en 1963 avait cessé d'exister,
sans doute du fait que sa réflexion sur le marxisme était contre-courant)
saluent la révolte comme une confirmation historique de leurs positions et
une revanche{704}. L'Internationale Situationniste connaît son moment de
gloire, car elle apparaît aux étudiants comme un mouvement précurseur{705}.
Les professeurs les plus écoutés par les leaders de la contestation, à
Nanterre, sont des représentants du mode de pensée que le
« structuralisme » a mis en cause, comme Alain Touraine, Henri Lefebvre,
Paul Ricœur et Emmanuel Levinas.
Les ouvrages les plus lus par ce public sont ceux qui semblent offrir des
clés pour l'interprétation de l'histoire immédiate{706} : Le Mouvement de mai
ou le communisme utopique{707}, De la misère en milieu étudiant{708}, La
Société du spectacle{709}, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes
générations{710}. L'ouvrage satirique Les matinées structuralistes, publié par
Clément Rosset, sous le pseudonyme de Roger Crémant, tourne en dérision
la posture et le style ésotérique des discours structuralistes{711}. L'attention à
l'histoire et au social cesse d'être un tabou en linguistique, comme le
montrent un numéro de Langue française consacré au thème « Linguistique
et histoire{712} » et l'intérêt que suscite la sociolinguistique{713}.
La percée institutionnelle
En fait, la contestation n'a pas produit un renversement des rapports des
forces. Les producteurs qui profitent le plus, en termes relatifs, de la
croissance de l'enseignement supérieur et de la remise en cause du système
universitaire sont ceux qui doivent leur reconnaissance au succès du
« structuralisme ». Confinés jusqu'en 1968 dans des positions marginales,
ils se renforcent, comme l'indiquent tous les indicateurs : emprise sur la
réforme de l'enseignement et sur la réorganisation des universités, création
et occupation de postes universitaires, diffusion et circulation à travers les
revues, les médias, l'édition et l'enseignement{714}. Souvent, à la demande
du Ministère, ils participent à la redéfinition des cursus et à la conception et
gestion des universités nouvelles, des départements et des postes qui sont
créés.
Alors que les linguistes étaient jusque-là peu nombreux au sein des
universités et dispersés dans des départements consacrés à la grammaire
française et aux langues étrangères, la consécration de la linguistique
comme discipline pilote se retraduit dans l'implantation de départements de
linguistique générale, permettant le recrutement de nouveaux professeurs et
assistants, et dans la création de nouvelles revues{715}. En 1969, le
département de linguistique de Nanterre compte déjà vingt-deux titulaires,
et cette concentration permet l'essor d'un chantier collectif de recherches
lexicologiques consacrées à l'étude du discours politique (problématique
témoignant, toutefois, de l'impact de Mai 68). L'orientation
interdisciplinaire et les savoirs valorisés par le « structuralisme » dominent
aussi à Paris-VII (Jussieu), créée en 1970. La psychanalyse commence à
faire sa percée à Censier.
Vincennes, l'université expérimentale ouverte à la rentrée universitaire
1968-1969, avec la mission de renouveler l'enseignement et la recherche
dans le domaine des humanités, est la preuve la plus éclatante de la
pénétration au sein de l'université de positions qu'on relie de quelque
manière au « structuralisme »{716}. Roland Barthes, Jacques Derrida, Jean-
Pierre Vernant, Georges Canguilhem, Emmanuel Le Roy Ladurie font partie
de la commission qui désigne le noyau cooptant chargé de nommer le corps
enseignant des départements : Michel Foucault pour la philosophie, Robert
Castel, proche de Foucault, et Jean-Claude Passeron, à l'époque proche de
Bourdieu, pour la sociologie, Jean Dubois, Jean-Claude Chevalier, Nicolas
Ruwet pour la linguistique. Deux départements constituent une innovation
sans précédents au sein de l'université : le département de cinéma, dirigé par
Michel Marie, un disciple de Christian Metz (qui avait appliqué l'analyse
structurale au cinéma), et le département de psychanalyse, où tous les
professeurs sont membres de l'école freudienne de Paris, dirigé par Serge
Leclaire, disciple de Lacan. Ce dernier bientôt désavoue Leclaire et parvient
à rendre son emprise à Vincennes encore plus forte lorsque son gendre
Jacques-Alain Miller obtient la direction du département. Le fait que
Michel Foucault l'emporte sur ses rivaux Paul Ricœur et Yvon Belaval,
lorsqu'il présente sa candidature à la chaire de philosophie au Collège de
France, est un indicateur éloquent de la reconnaissance dont il jouit de la
part de ses pairs. Fait significatif, parmi ceux qui le soutiennent il y a
Dumézil, qu'il a connu dans sa carrière à l'étranger comme conseiller
culturel. Le succès de ses livres et, plus en général, de la production
associée au label « structuralisme » témoigne par ailleurs de la tendance
favorable du marché.
Du « structuralisme » au « post-
modernisme »
Michel Foucault
« Les intellectuels se sont méfiés de tous les acteurs, de leurs discours et de leurs
projets [...] comme si la France gaulliste était soumise à des appareils idéologiques
d'État de manière aussi absolue que la Chine de Mao, comme si cette société au total
démocratique était une machine à surveiller et à punir, comme si ce pays en
changement et en mobilité ne savait que reproduire{783}. »
« La philosophie est une activité qui déplace les compétences et les frontières : elle
met en question le savoir des gouvernants, des sociologues, des journalistes, et tente
de traverser ces champs clos. Surtout, sans jouer les experts ! Car ces « compétences »
sont une manière de rejeter ceux qu'on dira « incompétents », alors que le philosophe
cherche justement à mettre en évidence la capacité de penser de chacun{784}. »
Premières étapes
L'importation se fait au début surtout au sein de quelques départements
de français. Pour des professeurs de français nord-américains, l'introduction
de la nouvelle mode parisienne répond à des enjeux institutionnels cruciaux.
L'enseignement du français, concurrencé par d'autres langues, est menacé
de déclin : avec l'ouverture et démocratisation de l'enseignement secondaire
et universitaire, qui accroît le nombre d'étudiants noirs, hispaniques et
orientaux, la connaissance du français, autrefois considérée comme
obligatoire pour les élites blanches Anglophones qui faisaient des études
supérieures, ne va plus de soi. Cette discipline voit donc déchoir son statut
au sein d'un secteur, les humanités, qui connaît à ce moment-là une crise
beaucoup plus profonde qu'en France, du fait que le retour à l'ordre des
années 1970 favorise précocement aux États-Unis le triomphe de la
corporate culture (l'idéologie entrepreneuriale préconisant une conception
professionnalisante de l'université) sur l'orientation universaliste et
généraliste, en durcissant la concurrence pour le recrutement des étudiants,
pour le placement des universités et des départements, pour les postes et
pour les financements{789}.
Ce n'est donc pas un hasard si les premières initiatives consacrées à
l'introduction des maîtres penseurs français (numéros de revue ou création
de nouvelles revues, publications diverses, colloques et séminaires auxquels
sont souvent invités les théoriciens français) sont dues surtout à des
départements de français. Ce n'est pas un hasard non plus s'il s'agit
d'universités, publiques et privées, qui sont parmi les plus grandes et
prestigieuses : ces institutions ont le capital symbolique et les fonds
nécessaires pour miser sur l'introduction des théories nouvelles, au sein des
Graduate Schools, en tant que facteur de distinction face aux universités de
rang inférieur, contraintes de s'adapter à la nouvelle demande sociale et aux
restrictions budgétaires.
Les opérations inaugurales remontent à 1966 : les professeurs nord-
américains les plus attentifs à ce qui se passe en France ne sauraient ne pas
être frappés par l'explosion éditoriale et médiatique qui cette année-là lance
la nouvelle mode parisienne. Jacques Herman, enseignant de littérature
française à Yale, consacre au « structuralisme » son cours et un numéro
spécial de la revue Yale French Studies. Grâce au prestige de Yale,
notamment dans le domaine des études littéraires, la « French Theory » se
présente donc, dès ses débuts américains, comme un produit hautement
légitime.
Le colloque « The Languages of Criticism and the Sciences of Man »,
financé par la « Ford Foundation », tenu la même année à l'Université Johns
Hopkins, montre par son titre et par les propriétés qui caractérisent ses
organisateurs (Richard Macksey, cofondateur du « Humanities Center » de
l'université Johns Hopkins, en est à ce moment-là le directeur ; Eugenio
Donato a obtenu en 1965 son Ph.D. in « Romance Languages », sous la
direction de René Girard, à la même université, où il est devenu entre-temps
« assistant professor ») que l'exigence de trouver de nouveaux titres de
légitimité pour leurs disciplines, face à l'essor des sciences sociales
(« Sciences of Man », inusité aux États-Unis, indique la référence à la
notion française de « sciences humaines ») est, dès les débuts, un des
principaux facteurs de l'intérêt que suscite la « French Theory » chez les
représentants les plus compétents et avertis des « Humanities » aux États-
Unis, de même que le « structuralisme » en France avait été pour les
humanités le fruit d'un effort de reconversion face à l'expansion des
sciences humaines.
Ce colloque de 1966 a été relu rétrospectivement comme un événement,
car il a fait émerger des divergences importantes entre les représentants de
la pensée française invités{790}. Si l'attitude de Jean Hyppolite et de Lucien
Goldman témoigne de l'attention qu'hégéliens et marxistes accordent à la
notion de « structure », Barthes et Derrida font sensation en se démarquant
de ce concept. L'intervention de Derrida frappe tout particulièrement, par
l'assurance avec laquelle, en s'inscrivant dans la lignée critique de
Nietzsche, Freud et Heidegger, il met en question les présupposés
théoriques de Lévi-Strauss et de la sémiologie et leur oppose sa propre
conception de l'interprétation, comme un dépassement du
{791}
structuralisme . Grâce à ce colloque, en outre, se nouent des liens et des
échanges entre des éminents professeurs américains, parmi lesquels Paul de
Man, et les auteurs français. Derrida, notamment, commence à être invité à
tenir des cours dans plusieurs universités.
L'introduction des œuvres procède lentement pendant la première
décennie, grâce au travail passionné de quelques jeunes professeurs,
soutenus par leur département, qui publient et présentent des textes brefs ou
des entretiens, en français ou traduits, dans des numéros de revue ou de
petits volumes artisanaux. Les deux premières revues consacrées aux
théories françaises naissent en 1971, au sein du département de français de
deux universités importantes : Diacritics à Cornell et SubStance à
l'université du Wisconsin. Un Français arrivé aux États-Unis en 1970,
Sylvère Lotringer, recruté dès 1972 comme professeur par le département
de français de Columbia (dirigé par Michel Riffatterre), joue un rôle
particulièrement important dans ce processus d'appropriation et de
diffusion. Il fait des cours à Reid Hall – l'école d'été de Columbia – où il
invite des Français comme Guattari, Genette et Lacan. En 1973, avec la
collaboration de collègues comme Denis Hollier et Peter Caws, il lance au
sein de son département la revue Sémiotext(e), qui établit des rapports de
collaboration avec le CERFI (le Centre d'études, de recherches et de
formation institutionnelles fondé par Guattari) et sa revue Recherches. En
novembre 1975, Lotringer organise une maxi-conférence dans le grand
amphithéâtre de « Teacher's College », à laquelle participent des auteurs
français ainsi que les représentants des mondes divers – universitaires,
peintres, musiciens, poètes, activistes – qu'il fréquente{792}. Deleuze,
Guattari et Foucault, interrompus et insultés au milieu de leurs
interventions, s'en vont indignés, avec Lyotard, qui est parmi les invités,
mais ce séjour leur permet de rencontrer quelques personnages de
l'underground américain.
L'essor de la « French Theory », en tant qu'élaboration originale des
suggestions des auteurs français, commence au milieu des années 1970,
avec l'apparition de formes d'appropriation qui remplissent les conditions
permettant d'accéder à la grande consécration et de susciter l'émulation. La
variété des positions et des traditions au sein du monde universitaire,
carrefour d'agents et de produits provenant de tous les pays du monde,
favorise à un degré exceptionnel les processus de transposition, de
métissage et de brassage dont naissent des perspectives nouvelles.
L'ampleur des écarts entre les positions permet de percevoir plus facilement
la correspondance avec les modes d'emploi respectifs de la théorie, alors
qu'il faut affiner l'analyse pour saisir des différences significatives lorsque
la population intellectuelle est plus homogène, comme en France.
Quelques chefs de file de ce travail de réinvention apparaissent comme
très proches de certains collègues français dans leur rapport à la théorie :
pour des prétendants brillants et ambitieux, c'est un instrument d'innovation
et de combat ouvrant la voie à la renommée. Stanley Fish a été un des rares
professeurs américains qui ont découvert dès l'année 1968/1969 les
recherches de Barthes, Greimas, Todorov et des autres maîtres à penser
français, grâce à un séjour à Paris{793}. Leur exemple lui montre les
multiples avantages de ce questionnement théorique : non seulement il
permet de renouveler et de légitimer le travail en perte d'aura des
professeurs de littérature, mais il peut transformer ces derniers en des stars
médiatiques.
Il devient subitement célèbre en 1972 grâce à son étude du Paradis perdu
de Milton, qui pourrait être considérée, mutatis mutandis, comme
l'équivalent américain du livre de Barthes Sur Racine, car elle frappe, elle
aussi, en offrant une interprétation subversive d'un classique{794}. Stanley
Fish se fait également une réputation de théoricien original, en élaborant,
avec la notion de « communauté interprétative », une approche
constructiviste « reader oriented », qui tient compte des apports européens
depuis Sartre (notamment les études allemandes sur la réception et les
travaux sur la notion d'institution littéraire) mais, à la fois plus pragmatique,
paradoxale et provocatrice que ses modèles, fait de lui une des vedettes des
études littéraires nord-américaines, aussi célèbre que ses homologues
parisiens. Ayant enseigné successivement dans quatre campus importants
(Berkeley jusqu'en 1976, Johns Hopkins jusqu'en 1985, Duke jusqu'en
1999, puis l'université de l'Illinois à Chicago), il a contribué de manière
considérable à la percée du « démon de la théorie{795} » aux États-Unis.
Les quatre critiques – Paul de Man, Harold Bloom, Geoffrey Hartman,
J. Hillis Miller – qui sont désignés comme l'« École de Yale », jouent un
rôle important dans la consécration américaine de Derrida, dans la première
moitié des années 1970, étant donnée l'autorité exceptionnelle dont ils
jouissent : à cette époque-là, ils ont déjà publié des livres remarqués
concernant des classiques du canon occidental et sont des professeurs
éminents du département d'anglais de Yale, la discipline reine dans une des
universités les plus prestigieuses des États-Unis. Leurs cours de théorie et
de critique littéraires, destinés aux étudiants gradués, sont parmi les plus
célèbres de l'Union. Paul de Man et Hillis Miller ont rencontré Derrida au
colloque organisé à Johns Hopkins en 1966. Ils en viennent à considérer sa
démarche comme un modèle conforme à leur conception de la lecture, qui
s'attache à faire émerger l'opacité des textes, contre le mythe de la
« transparence ». Ils l'invitent à Yale (Derrida commence à y tenir des cours
en 1975) et en 1979 ils associent leurs noms à la déconstruction en publiant
avec Derrida le recueil Deconstruction and Criticism{796}.
Il s'agit en fait moins d'une reconversion que d'une alliance, permettant
aux professeurs de Yale de souligner par la caution d'une avant-garde
théorique l'originalité de leurs approches par rapport à celles du New
Criticism, la tradition qui a dominé jusqu'aux années 1960 le champ des
études littéraires aux États-Unis. Cette démarche, qui devait son nom à
l'essai The New Criticism, publié en 1941 par John Crowe Ransom, et avait
été exposée en 1949 dans le manuel The Theory of literature de René
Wellek et Austin Warren, se caractérisait par une conception du texte
comme système clos qui exigeait un formalisme conséquent, refusant de
prendre en compte des principes d'explication « extrinsèques » comme la
biographie, les intentions et les sentiments de l'auteur ou les événements
historiques.
En fait, les « déconstructionnistes » de Yale restent très proche, dans
leurs travaux et dans leur éthos, des maîtres du New Criticism. Ils restent
fidèles au close reading, en se limitant à déplacer l'attention des tensions du
texte aux « glissements » de l'écriture. Et leurs choix culturels et politiques
dénotent les mêmes dispositions élitaires, culturellement et politiquement
conservatrices, qui caractérisent leurs prédécesseurs. Par ailleurs, J. Hillis
Miller est le seul d'entre eux qui continuera à se réclamer de la
déconstruction, alors que pour les autres ce n'est qu'un ralliement
momentané.
La traduction-introduction à De la grammatologie publiée par Gayatri
Chakravorty Spivak en 1976 peut être considérée à plusieurs égards comme
un coup de main symbolique réussi{797}. Elle lance l'œuvre de Derrida,
connue jusque-là par quelques traductions fragmentaires, et, en même
temps, ouvre la voie au succès extraordinaire que la déconstruction va
connaître aux États-Unis, transformée en instrument de combat, applicable
à tout discours. La longue préface (cent pages) témoigne d'une ambition et
d'une assurance théorique peu communes. Elle propose une généalogie de la
pensée de Derrida, en la présentant comme l'aboutissement et le
dépassement des suggestions de cinq « protogrammatologues » allemands :
Hegel, Nietzsche, Freud, Husserl et Heidegger. Spivak contribue de manière
décisive à établir l'image de Derrida comme poststructuraliste, du fait
qu'elle reprend à son compte la critique du structuralisme proposée par
Derrida lui-même, et situe ce dernier au-delà du structuralisme.
Sa préface confère au concept de déconstruction un relief qu'il n'a pas
dans le texte de Derrida et, qui plus est, laisse entrevoir la possibilité d'un
usage nouveau, extensif et offensif, de la démarche derridienne. Spivak
elle-même va montrer la fécondité de cette subversion, en faisant de son
œuvre un laboratoire qui prend en compte toutes les principales directions
du questionnement identitaire, persuadée de la nécessité théorique et
politique de ne pas séparer les différents terrains d'analyse et de combat –
postcolonial, féministe et de classe – tout en sauvegardant une conception
exigeante de la réflexivité qui l'amène à mettre en cause inlassablement les
simplifications et les formes d'intellectualisme auxquelles aboutissent
souvent les métadiscours produits dans les campus.
Cette politisation de la théorie constitue en fait un détournement, car
Derrida lui-même n'a utilisé la déconstruction que pour renouveler
l'interprétation, en gardant toujours dans ses textes une attitude distante et
ambivalente à l'égard du politique. Spivak se démarque également de son
directeur de thèse{798}, Paul de Man, qui n'assignait à l'analyse d'autre tâche
que celle de décrire le fonctionnement du langage, en récusant l'idée d'une
articulation entre le texte et le monde.
Ce qui rend concevable et possible ce détournement, c'est la combinaison
improbable de propriétés qui caractérise la position de Spivak : son
parcours de l'Inde natale à la chaire de littérature comparée de l'Université
de Columbia lui permet de combiner l'expérience de l'émigrée du tiers-
monde avec la connaissance du monde universitaire, l'autorité intellectuelle,
la compétence disciplinaire et les outils conceptuels qui sont nécessaires
pour effectuer cette révolution du regard. De toute évidence, l'essor rapide
que connaissent toutes les problématiques identitaires, à partir de ce
moment, dans les études littéraires nord-américaines – post-colonial,
Chicano, Asian-American, Native-American, subaltern, gender and queer
studies, etc.- s'explique par l'afflux toujours croissant au sein de l'Université
de professeurs qui, comme Spivak, Edward Said, Homi K. Bhabha, Judith
Butler, introduisent dans leurs analyses et théorisations le questionnement
sur la construction identitaire des dominés.
Ils se réfèrent tous, explicitement, aux auteurs français et s'inspirent de
leurs démarches pour mettre en question l'universalisme abstrait et
l'humanisme, en faisant de leurs propositions un usage pragmatique,
éclectique, utilitaire, politisé, souvent tronqué et simplifié, volontairement
paradoxal, très éloigné des visées et des terrains originaires, parfois
expressément critique. Si toute lecture est un processus d'appropriation
orienté par les exigences et l'outillage mental du lecteur, la plupart des
utilisateurs américains des théoriciens français se distinguent en ce que non
seulement ils ne se soucient pas de vérifier leur compréhension des textes
en tenant compte de leur contexte originaire et de la position des auteurs,
mais revendiquent la fécondité de leur attitude désinvolte, comme le fait,
par exemple, Judith Butler, persuadée que « les réappropriations inattendues
d'une œuvre donnée dans des domaines pour lesquels elle n'avait jamais été
conçue intentionnellement sont toujours des plus utiles{799} ».
Le succès universitaire
La « French Theory » fait progressivement des adeptes dans tous les
départements de littérature américains et nombre de colloques cherchent à
s'assurer la présence de quelques stars françaises. Les recherches
interdépartementales, les « theory camps » pour étudiants gradués – comme
la « School of criticism and theory » fondée en 1976, basée à Irvine puis à
Cornell – et l'espace que consacrent aux théories importées de Paris des
revues créées dans des grandes universités – notamment Critical Inquiry
(1974, université de Chicago), Glyph (1976, Johns Hopkins) et Social Text
(1979, Duke) – contribuent à la diffusion et à la consécration de la mode. La
concurrence pousse chaque campus à se spécialiser : la déconstruction à
Yale, Cornell et Irvine, Foucault à Berkeley, Buffalo et New York
University etc. La courbe nettement croissante des textes de Derrida ou sur
Derrida publiés à partir de 1975 indique la vitesse de sa percée{800}. Le rôle
déterminant que jouent les littéraires dans ce succès nord-américain est
attesté par une recherche montrant que, à partir de 1980, les revues
littéraires publient plus de 50 % des articles qui aux États-Unis sont
consacrés à Barthes, Lacan, Foucault et Althusser{801}.
L'enthousiasme et l'appropriation vont de pair avec la découverte des
services précieux et divers que ces outils conceptuels peuvent rendre,
suivant les intérêts – disciplinaires, institutionnels, symboliques, politiques
et identitaires – des positions très hétérogènes qui sont alors représentées
dans cet espace soumis à des formidables transformations et tensions
internes et menacé par l'emprise de la logique technicienne au sein de
l'université.
Pour expliquer l'engouement pour la théorie dans les Humanities, il faut
notamment prendre en considération les changements considérables qui
caractérisent l'évolution des effectifs dans ce secteur à partir du début des
années 1970. Alors que jusque-là il a connu une forte croissance (le nombre
des étudiants a quintuplé par rapport à la moitié des années 1950, avec une
augmentation proportionnelle de nouveaux postes d'enseignants dans les
décennies suivantes), par la suite l'accroissement du nombre d'étudiants
baisse sensiblement, en entraînant une forte diminution des postes
d'enseignants full time. Les départements ne cessent pas pour autant de
développer leurs graduate schools et recourent de plus en plus à des
enseignants part time ainsi qu'à des teaching assistants recrutés parmi les
graduate students.
Ainsi la production d'étudiants gradués avec ambition académique ne
baisse pas et le chiffre total des enseignants augmente{802}. En 2001, il
résulte plus que redoublé par rapport à 1970, mais quasiment la moitié
d'entre eux sont précaires, et les détenteurs de Ph. D voient diminuer leurs
chances de carrière, étant donné le décalage entre l'offre et la demande{803}.
Cette précarisation ne saurait ne pas affecter leurs aspirations, leur rapport à
l'institution et leur travail. L'importance que les critères de recrutement
attribuent à la recherche et aux publications les prédispose à accueillir avec
enthousiasme les modèles français : ils permettent de produire rapidement
(les analyses internes ne demandent pas forcément beaucoup d'érudition) et
d'exhiber des marques d'originalité et de « hauteur » spéculative qui sont
appréciées par les jurys, car ces publications peuvent conférer prestige et
visibilité aux départements. L'afflux de cette production sur le marché des
presses universitaires contribue par ailleurs à la diffusion des références
théoriques dont elle se réclame.
Ce nouveau corps professoral se démarque également par sa composition
de celui d'autrefois, composé quasi exclusivement de mâles blancs : il s'est
rapidement féminisé et, grâce aux effets de l'affirmative action, il présente
une grande diversité pour ce qui concerne l'origine sociale, ethnique et
géographique. Produits de milieux, de trajectoires et de conditions de
socialisation très hétérogènes, les nouveaux enseignants introduisent dans
les campus de fortes discordances d'ethos, d'habitudes de pensée et
d'intérêts symboliques{804}.
Les effets de ces transformations structurales se combinent avec ceux de
la contestation, qui est arrivée à son apogée entre 1968 et 1970, et qui a été
particulièrement virulente dans des grandes universités comme Berkeley,
Standford, Columbia, Harvard{805}. Ces luttes ont diffusé dans les campus
une attitude critique contre l'American way of life et contre les institutions,
où s'enchevêtrent postures libertaires et anticonformistes, féminisme,
revendications identitaires, goût pour les diverses formes de « contre-
culture » que la protestation des étudiants a valorisées. Sous la présidence
de Ronald Reagan il y a une tendance à la repolitisation et au basculement
vers une orientation left ou liberal : alors que 39 % des universitaires se
considèrent comme « liberal » en 1984, la proportion est de 56 % en 1989,
et elle est particulièrement élevée dans les grandes research universities, où
à cette date 67 % des interrogés se déclarent liberal{806}.
Ces processus concomitants ont favorisé, au sein des enclaves que sont
les campus, notamment dans les universités d'élite, une revendication
d'autonomie intellectuelle et la propension à importer des modèles perçus
comme un exemple séduisant de résistance symbolique au pouvoir et aux
valeurs de la société marchande. Les auteurs français, produits exemplaires
de la rencontre entre l'esprit parisien et la philosophie allemande, séduisent
à la fois par leur radicalisme, par l'élégance ésotérique de leur langage et
par la subtilité de leurs jeux paradoxaux et ironiques avec l'héritage de leurs
prédécesseurs. Les lire et les utiliser, c'est s'approprier, à travers eux, les
acquis et le prestige de la tradition continentale dont ils sont
l'aboutissement.
De plus, on peut présenter ces nouveaux savoirs comme satisfaisant
miraculeusement aux deux définitions antagonistes de l'« excellence » qui
orientent les classements des universités et les financements, publics et
privés : d'un côté, « utilité » (c'est-à-dire technicisation et innovation) ; de
l'autre, « éducation morale » de l'étudiant, par le développement de ses
aptitudes critiques. Comme le reconnaîtra en 1990 un article ironique de
David Kaufmann, « The profession of Theory », publié dans la revue de la
Modern Language Association (MLA), la « French Theory » remplit une
fonction « vitale » car elle a le mérite de « servir à la fois les démons de la
professionnalisation aride et les dieux de la valeur générale{807} ».
La transformation frappante que dénotent, depuis 1980, les thèmes des
colloques annuels de la MLA – qui rassemble la plupart des littéraires
américains – témoigne de manière éloquente du triomphe des nouvelles
orientations, et contribue à attirer sur elles l'attention scandalisée du grand
public, alerté par les chroniques que la presse réserve aux réunions de la
MLA. Les revues non universitaires de la gauche intellectuelle, comme
Partisan Review et Telos, concourent, elles aussi, à diffuser une image
politisée des maîtres du soupçon français{808}.
Les stratégies de traduction et de publication contribuent de manière
décisive à la diffusion et à la configuration de la « French Theory », par la
sélection et l'agencement des textes, par les choix linguistiques des
traducteurs, par les titres et la composition des collections, par le travail
para-textuel, qui dans les préfaces et les commentaires souligne des motifs
et des formules, propose des jugements et suggère des modes d'emploi. Les
Readers destinés aux étudiants – des anthologies et des introductions
synthétiques, organisées par auteur ou par thème – concourent à instituer un
corpus de citations et de définitions, se prêtant aux applications les plus
diverses{809}.
Les réactions
Appliquées à l'analyse des discours savants, les suggestions de Derrida,
Foucault, Lacan, Deleuze, Lyotard constituent de formidables instruments
d'autolégitimation et de combat, susceptibles d'être utilisés à la fois contre
les concurrents, les autres disciplines, les adversaires dans les controverses
autour de l'enseignement et de l'université. Les réactions des représentants
des principales traditions caractérisant alors l'espace des études littéraires
aux États-Unis témoignent de l'impact général et profond que produit ce
questionnement théorique. Car toutes les autres positions sont contraintes
de se situer par rapport à lui. Certains cherchent à dévaluer la mode
française, comme le fait dès 1971 George Steiner, en accueillant l'édition en
anglais d'Histoire de la folie par un portrait malveillant de Michel Foucault
en « mandarin du moment », publié dans la New York Times Book
Review{810}.
Dans la plupart des cas, il y a des formes d'ajustement, de négociation,
voire d'intégration. Il s'ensuit une restructuration de l'ensemble du champ,
aussi bien au niveau des problématiques que des hiérarchies. L'indicateur le
plus macroscopique, c'est l'évolution des Cultural Studies américaines,
depuis leur percée capillaire et transversale dans l'espace des humanités,
notamment dans les études littéraires, à partir du début des années 1980.
Cette greffe américaine s'écarte, en effet, de la perspective marxisante des
fondateurs britanniques en ce que, si elle s'attache surtout à étudier la pop
culture, dans tous ses aspects, ce n'est pas dans le but d'en montrer les
aspects d'antagonisme social et politique, mais dans une visée de
valorisation de la créativité et productivité spontanée des producteurs et du
public. Elle s'oppose par-là également à la tradition qui défendait la haute
culture et déplorait l'essor de la culture de masse comme une menace pour
la civilisation{811}. Visant à porter au jour le « style » dans les pratiques les
plus variées, ces études trouvent à la fois des outils analytiques et une
source précieuse de légitimation dans les références à Barthes et à d'autres
auteurs français, détenteurs d'une autorité sans égal dans le marché culturel
américain.
Pour ce qui concerne l'emprise exercée sur d'autres terrains disciplinaires,
il suffit de citer les film studies (où il devient courant de désigner les
analyses comme « lectures »{812}), l'apparition d'une théologie
« déconstructive{813} » ou « postmoderne{814} », l'intérêt suscité par les textes
de Derrida sur les fondements du droit et par les conférences sur
« déconstruction et possibilité de la justice » qu'il tient à la Cardozo Law
School de New York{815}. Quant au combat pédagogique, on sollicite les
concepts de Foucault, Deleuze, Lyotard, Derrida, pour en tirer des principes
permettant de légitimer une vision critique de la politique éducative et de
l'enseignement{816}.
Le succès que connaissent La Condition postmoderne de Lyotard et
Simulacres et simulation de Baudrillard, notamment après leur publication
en anglais (le premier en 1984{817}, l'autre en 1994{818}), tient pour beaucoup
aux armes puissantes que ces ouvrages offrent à l'offensive des littéraires
contre l'ensemble des autres disciplines. Le pan-narrativisme de Lyotard,
réduisant tous les discours, y compris ceux des historiens et des savants, à
des formes de récits, transforme en vulgate le soupçon insinué par le
linguistic turn et par la déconstruction. Si tout est récit, si rien ne distingue
la fiction de la recherche qui se veut scientifique, les littéraires, en tant que
spécialistes de l'analyse des textes, peuvent élargir indéfiniment leur
territoire, et tenir en échec les représentants des autres secteurs, en traquant
les points aveugles de leurs discours. Ce scepticisme, permettant de saper
comme illusions les propositions qui pour les savants sont des vérités
approchées, toujours provisoires et rectifiables, trouve des renforts dans les
formules paradoxales de Baudrillard, reprenant de Canetti le thème de la
« fin de l'histoire » et annonçant la « disparition du réel », remplacé par des
simulacres qui s'auto-engendrent.
On comprend les résistances que ces avancées suscitent de la part des
secteurs disciplinaires qui, par leur proximité, ont plus de mal à se
soustraire à ces défis. Ainsi la plupart des historiens américains, même ceux
qui se sont montrés sensibles aux suggestions proposées par Foucault et de
Certeau, rejettent la réduction de l'histoire à la narration{819}. La mise en
cause des présupposés du discours scientifique ne saurait être prise en
considération par les sociologues, étant donné la domination sans partage
qu'exercent encore dans leur domaine le fonctionnalisme et l'empirisme.
Même Clifford Geertz, qui par sa définition de la culture comme texte à
interpréter peut sembler proche de démarches qui privilégient l'analyse des
discours, cherche à se démarquer de Foucault, en lui reprochant notamment
de n'avoir pas fait de recherche sur le terrain. Les philosophes américains ne
sont certes pas encouragés à se confronter avec Derrida, qui, après avoir
attaqué la théorie des énoncés performatifs de Austin, répond à la réplique
de Searle par une attitude de mépris ironique{820}. Les ouvertures de Richard
Rorty à Foucault et à Derrida, dans son livre de 1989 Contingency, Irony
and Solidarity{821}, apparaissent moins comme une confrontation véritable
que comme une référence stratégique : en associant son nom aux
représentants les plus prestigieux de l'avant-garde continentale, il souligne
la nouveauté de sa position par rapport à la tradition de la philosophie
analytique.
L'œuvre de Frederic Jameson constitue un exemple particulièrement
intéressant de ces effets de champ. Pour comprendre ses prises de position,
il faut situer son parcours intellectuel dans l'espace où il s'inscrit, et faire
apparaître la totale excentricité de ses partis pris théoriques, toujours à
contre-courant par rapport aux tendances dominantes, du fait qu'il reste
fidèle à des repères qui en France et aux États-Unis sont considérés comme
dépassés. Sa thèse, dirigée par Éric Auerbach et consacrée au style de
Sartre, publiée en 1961, l'amène à reprendre à son compte la problématique
du Sartre des Questions de méthode (la confrontation avec le marxisme,
notamment sur le terrain de l'explication des œuvres littéraires) au moment
où le structuralisme, en France, est en train de mettre en cause aussi bien le
marxisme humaniste et historiciste de Sartre que l'ambition de montrer
l'articulation entre les textes et l'histoire. La révolution cubaine, vue à
travers l'enthousiasme de Sartre, contribue à renforcer son adhésion au
marxisme et sa détermination à étudier le jeune Lukács, Adorno, Benjamin
et les autres classiques du marxisme continental. Ce travail d'appropriation
aboutit à son deuxième livre, Marxism and Form{822}, qui paraît en 1971,
complètement décalé par rapport au contexte français et américain, car en
France les Nouveaux Philosophes vont bientôt annoncer la mort de Marx et,
si le « structuralisme » va être mis en cause, lui aussi, ses vedettes sont en
train de conquérir les littéraires américains.
Depuis ce moment, il consacre quasi méthodiquement ses écrits à la
critique des théories en vogue, en appliquant la stratégie dont Marx lui-
même, Lukács et tant d'autres marxistes se sont servis pour attaquer leurs
adversaires : pour prouver la supériorité de son approche, il s'attache à
montrer qu'elle permet d'expliquer les autres théories et interprétations, en
ce qu'elle retrace le contexte social et historique dont elles sont l'expression,
alors que celles-ci ne sauraient rendre compte d'elles-mêmes ni des
phénomènes qu'elles décrivent.
Comme les jugements sommaires de Marx sur Proudhon, ou de Lukács
sur Sartre, ses explications sont souvent des sociologismes réducteurs, qui
prétendent rapporter directement les théories à la position de classe de
l'auteur et/ou à l'état économique et politique de la société. Dans The
Prison-House of Language{823} il s'en prend au structuralisme, qui, enfermé
dans la prison du texte, n'en voit pas la relation avec le contexte social. Il
interprète les tendances qui caractérisent l'évolution des cultural studies aux
Étas-Unis et l'évolution de l'art comme l'indice d'un retrait de la conscience
de classe, auquel il ramène également les suggestions esthétisantes que
proposent des auteurs comme Deleuze, Derrida et Lyotard.
En 1979, il renforce sa position en créant a Duke, avec Stanley
Aronowitz, la revue Social Text. Le succès de La Condition postmoderne lui
suggère un article, puis un livre (Postmodernism or the Cultural Logic of
Late Capitalism{824}) auquel il doit l'accès à la célébrité, car il est lu comme
une réplique au livre fétiche de Lyotard. Ce dernier n'a pas forgé le terme
« postmoderne » (en 1979 il a déjà une longue préhistoire), mais son
ouvrage reste un des plus rentables et durables best-sellers de l'édition
américaine, longtemps après sa parution en anglais, en 1984. Dans les
formules exotiques et suggestives de ce philosophe français, les lecteurs
américains trouvent, paradoxalement, une nouvelle mythologie remplaçant
les métarécits dont le livre annonce la fin. En fait, Jameson ne fait que lui
opposer une autre narration, offrant elle aussi les raccourcis simplificateurs
et les images frappantes qui sont appréciées par le grand public. Et,
contrairement à ses intentions, il contribue à légitimer le discours de
Lyotard en lui conférant une nécessité historique.
Des universitaires occupant des positions qui les rendent hostiles – pour
des raisons diverses, et parfois opposées – à l'essor des études
multiculturalistes et postcoloniales, jouent un rôle décisif dans la contre-
offensive médiatique qui explose au début des années 1990, et qui contribue
à transformer ces luttes de campus en combats idéologiques nationaux. La
mise en cause du « canon » (le corpus de textes de la tradition littéraire
occidentale dont les humanités américaines ont fait une référence
incontournable), soulève une guerre sacrée, soutenue par la plupart des
détenteurs de chaires de littérature, y compris les éminents, mâles, blancs et
conservateurs déconstructionnistes de Yale. La défense de l'héritage culturel
et moral de la civilisation occidentale fournit un argument précieux au
travail idéologique des néoconservateurs américains.
De leur côté, des professeurs et « public intellectuals » célèbres comme
Todd Gitlin et Noam Chomsky se font les porte-parole d'une gauche
politique qui accuse les combats culturels identitaires et communautaires
d'avoir dispersé leurs forces et abandonné la lutte des classes, en
s'enfermant dans les campus et en marchant « sur le département d'anglais
au moment où la droite prenait la Maison Blanche{825} ». Ils s'en prennent
également aux maîtres à penser français, en reprochant à des concepts
comme la microphysique du pouvoir, la dissémination, l'économie
libidinale, les flux nomadiques d'avoir mis en cause l'action politique et
syndicale traditionnelle.
La polémique déclenchée par le physicien Alan Sokal{826} vise le
relativisme cognitif et le jargon des maîtres à penser français et de leurs
émules américains. Ces controverses, diffusées par la grande presse
nationale, reprises et amplifiés par des essayistes et des journalistes qui s'en
autorisent pour s'accréditer comme de grands intellectuels (Camille Paglia,
notamment, devient une célébrité internationale en se spécialisant dans les
attaques contre la « French Theory »), loin d'affaiblir leurs cibles
contribuent, comme toutes les polémiques, à augmenter leur visibilité et à
favoriser leur percée.
Le préfixe « post »
Les concepts lancés ou fabriqués dans la construction de la « French
Theory » sont souvent caractérisés par le préfixe « post ». L'article « The
New Mutants », de Leslie Fiedler, publié en 1965, permet de constater qu'à
cette date il apparaît déjà naturel à un professeur de littérature de recourir à
ce préfixe pour désigner les attitudes des « mutants » que sont à ses yeux
les étudiants dont est partie la contestation de Berkeley : post-humanistes,
post-historiques, post-modernistes, post-héroïques, post-puritains, post-
blanc, post-mâle, post-freudiens etc.{835} Plusieurs auteurs nord-américains
reprennent à leur compte ces concepts et empruntent tout naturellement le
même procédé pour en forger de nouveaux : post-industriel, post-capitaliste,
post-structuraliste, post-théorique, post-colonial, post-politique, post-
féministe, etc.
La banalisation fait penser à un automatisme. Du fait qu'il suggère une
césure temporelle, qui renvoie au passé ce qui le suit, le préfixe « post »
remplit sans doute dans la construction de la « French Theory » des
fonctions analogues aux moyens divers employés dans les labels antérieurs
pour indiquer un changement radical ou un dépassement : le préfixe « néo »
ou « ultra », l'adjectif nouveau ou moderne, le suffixe « isme », le mot
« avant-garde ».
Les usages américains du préfixe « post » ont souvent des implications
plus vastes, dont le principe générateur est le fantasme de la « fin de
l'histoire », toujours foncièrement ambivalent, décliné dans des variations
hésitant entre l'humeur dysphorique et la perspective utopique : la
propension à croire qu'une phase nouvelle de l'histoire commence,
caractérisée par des véritables « mutations » dans la conception de l'homme,
les modes de vie, l'art, la technologie, la manière de percevoir et de
comprendre toute chose, y compris, et d'abord, le passé lui-même{836}.
La notion de « postmoderne » s'impose, parmi les usages américains
divers du suffixe « post », parce qu'elle est la plus générale, permettant de
désigner à la fois une vision du monde et, de manière sténographique,
l'ensemble des ruptures plus spécifiques que les autres « post » annoncent.
Elle déclare, notamment, la prétention de dépasser aussi bien la
« modernité », vétuste invention européenne, que le « modernisme »
américain des années 1930, hostile à la culture de masse. Comme l'écrit
François Cusset, « la question postmoderne devient la grande question
culturelle dans l'Amérique des années 1980. Intégrant aussi bien les
nouvelles formes festives ou ludiques de l'art que les nouvelles théories
identitaires dans l'université, la rubrique de post-modernisme résume alors
le “zeitgeist”, ainsi que l'atteste le New York Times en en faisant “une
nouvelle étape majeure pour la culture”{837}. »
Le pôle utopique semble prévaloir dans les usages américains de la
« French Theory ». S'il est vrai que les rêveries sur les mutations des
pouvoirs de l'homme et de la société ne sont exprimées ouvertement que par
les fractions travaillant dans le domaine des nouvelles technologies, même
les discours des théoriciens, de Arjun Appadurai à Judith Butler, impliquent
des perspectives de changement – intellectuel, éthique, politique – qui
contrastent avec la vision désenchantée et sceptique de la « condition
postmoderne » que propose Lyotard{838}. Tout se passe comme si la notion
de postmoderne désignait pour les américains le même sentiment de vivre
une transformation sans précédents qui a caractérisé dans le passé les
moments successifs de l'histoire européenne où a été inventée et réinventée
la notion de modernité{839}.
Discordances et convergences
Certainement la canonisation internationale que leur célébrité américaine
procure aux maîtres à penser du « structuralisme » contribue à les relancer
en France, notamment dans le cas de ceux qui, comme Barthes et Foucault,
sont décédés précocement. La publication de leurs textes inédits, la
réédition des textes publiés et leur diffusion comme classiques dans la
nouvelle université de masse constituent un investissement sûr pour un
monde éditorial en pleine surproduction, de plus en plus soumis à la logique
commerciale{857}, en une époque où la philosophie française, divisée entre
discours grand public et hyperspécialisation, n'offre pas de figures
nouvelles de « penseurs généraux ». Mais le concept de
« poststructuralisme » fait apparaître l'écart entre les deux côtés de
l'Atlantic. Les ouvrages et les dictionnaires en anglais généralement font
naître le structuralisme avec Saussure et Jakobson, et le poststructuralisme
au milieu des années 1960, avec Foucault, Derrida, Deleuze, qui sont
classés en France comme structuralistes. Certains commentateurs récusent
le terme américain, d'autres l'adoptent, ou hésitent entre les deux, mais
aucun ne songe à interroger la genèse de ce désaccord.
En fait, comme toutes les différences entre traditions culturelles, la
distance entre France et États-Unis ne saurait être réduite à des temporalités
différentes, à une question d'avance ou de retard, ainsi on ne saurait lui
appliquer la formule de la « non-contemporanéité du simultané », par
laquelle Koselleck a traduit la perception évolutionniste de l'histoire qui
s'est constituée à l'époque de la « Sattelzeit{858} ». On ne peut rendre compte
de l'espace des points de vue discordants qui s'est constitué qu'en
reconstituant les processus complexes dont sont nées les catégorisations
américaines, et aussi les grandes différences que présente l'espace d'accueil,
le champ intellectuel français, suivant les secteurs, les positions et les
circuits.
Dans le domaine de l'histoire culturelle, la mode du linguistic turn suscite
des réactions de la part de plusieurs historiens en vue, notamment Roger
Chartier, dont le questionnement épistémologique et les prises de positions
à partir du début des années quatre-vingt-dix sont orientés par l'exigence de
se situer par rapport au défi que représente la percée de ce modèle dans le
champ de l'histoire culturelle française{859}. Ses marques d'attention et de
reconnaissance pour Michel de Certeau sont sans doute à mettre en relation
avec ces enjeux, car, si cet auteur souligne, lui aussi, la dimension narrative
de la reconstitution historique, il n'aboutit pas au relativisme en ce qu'il
persiste à envisager le travail de l'historien comme une entreprise de
connaissance{860}.
Pour certains aspects – comme les Postcolonial studies – la culture
française est sans doute celle qui met le plus de temps à prendre
sérieusement en considération les développements les plus originaux de la
« French Theory », du fait qu'il semble absurde d'importer ce qui apparaît
comme un produit dérivé des textes français. C'est la même dynamique qui
auparavant a rendu le champ intellectuel allemand particulièrement
réfractaire aux modes philosophiques qui se sont succédé en France depuis
1945, perçues comme des avatars de la pensée allemande.
Au contraire, certaines réactions françaises rappellent à bien des égards
(mêmes causes, mêmes effets) l'attitude des écrivains français au moment
où la percée européenne de deux modes étrangères, le « romantisme » et le
roman historique, avait mis en question l'hégémonie du classicisme
français : la persuasion diffuse qu'il y avait un retard à rattraper et la course
à l'importation et à l'émulation{861}. En même temps, la sélection française
des produits américains dépend fortement de l'état du champ national.
Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne la philosophie, le succès parisien
de John Rawls et de Richard Rorty est à mettre en relation avec les secteurs
du champ idéologique français qui sont impliqués sous des formes diverses
dans un processus de révolution conservatrice{862}.
Le concept de postmoderne est perçu en France comme un produit
indigène, du fait que des Français ont contribué de manière décisive à lui
donner forme et à le lancer. Le succès de cette mode peut être interprété
comme l'effet d'une convergence frappante entre deux marchés intellectuels
autrefois très éloignés. Bien des nouveaux maîtres à penser français, du fait
de la perte d'autonomie du champ intellectuel{863}, ne doivent plus leur
accès à la consécration au jugement des pairs, à la différence de leurs
prédécesseurs les plus prestigieux, mais à des instances extérieures à
l'Université : la presse « de qualité », les débats organisés dans des lieux
comme la BNF et Beaubourg, les maisons d'édition à prétentions
intellectuelles. Ces instances, de plus en plus dominées par la logique du
succès, cherchent à conquérir un public scolarisé mais non spécialiste et très
hétérogène, ressemblant beaucoup à celui qui aux USA a assuré le triomphe
de la « French Theory ».
D'autres auteurs proposant des thèses très proches, mais dans une
perspective néolibérale, adoptent le registre de la synthèse neutre,
prétendant s'appuyer sur l'observation lucide de phénomènes évidents :
« Les désirs individualistes nous éclairent aujourd'hui davantage que les intérêts de
classes, la privatisation est plus révélatrice que les rapports de production, l'hédonisme
et le psychologisme sont plus prégnants que les programmes et formes d'actions
collectives fussent-ils nouveaux (lutte antinucléaire, mouvements régionaux etc.), le
concept de narcissisme a pour objectif de faire écho à cette culmination de la sphère
privée. [...] La culture postmoderne est décentrée et hétéroclite, matérialiste et psy,
porno et discrète, novatrice et rétro, consommative et écologiste, sophistiquée et
spontanée, spectaculaire et créative{866}. »
Ancien assistant de Henri Lefebvre, inscrit en thèse de troisième cycle
avec Pierre Bourdieu en 1966-1967, admirateur et émule du Barthes des
Mythologies, Baudrillard doit son renom tardif surtout au succès que
certains de ses ouvrages rencontrent aux États-Unis, mais risque
d'apparaître en France comme un épigone, à contre-courant par rapport à la
mode parisienne. D'où sans doute ses stratégies de dépassement, qui portent
à ses limites paradoxales la posture nihiliste. Ainsi invite-t-il, en 1977, à
Oublier Foucault{867} (ce dernier, ne daignant pas répliquer publiquement,
se limite à ironiser en privé : « Mon problème serait plutôt de me rappeler
Baudrillard{868} »). De même, il affiche un scepticisme radical et
désenchanté, en liquidant résolument l'ambition de connaissance et de
systématisation des sciences sociales : « La sociologie [...] ne vit que de
l'hypothèse positive et définitive du social. La résorption, l'implosion du
social lui échappent. L'hypothèse de la mort du social est aussi celle de sa
propre mort{869}. » La même attitude l'amène plus tard à opposer à la pensée
critique une « pensée criminelle et inhumaine » (qui s'inscrit par ce dernier
adjectif dans la lignée nietzschéenne), se réclamant de « trois théorèmes
fondamentaux » ainsi formulés{870} :
« 1) Le monde nous a été donné comme énigmatique et inintelligible, et la tâche de la
pensée radicale est de le rendre, si possible, encore plus énigmatique et plus
inintelligible ;
2) Puisque le monde évolue vers un état des choses délirant, nous devons prendre sur
lui un point de vue délirant ;
3) Le joueur ne doit jamais être plus grand que le jeu lui-même ».
Dans son Enquête sur les modes d'existence{880}, Latour propose un cadre
assez flou pour être interprété soit comme une ambitieuse ontologie,
opposant au dualisme sujet-objet un réalisme pluraliste, soit comme un
relativisme généralisé, où il revient aux « acteurs » de décrire les valeurs
qu'ils associent à leur expérience, le sociologue ne prétendant qu'offrir
modestement un modèle pour l'inventaire inépuisable des « modes
d'existence » que le récit des acteurs va faire émerger.
Ainsi le postulat postmoderniste selon lequel il y a une « mutation » du
monde social, qui demande une « mutation » de la pensée, favorise un
retour à l'illusion du savoir immédiat à la fois chez les chercheurs, en les
encourageant à ignorer l'héritage de la sociologie dite « classique », et chez
leurs lecteurs. En effet, les théoriciens qui, à l'instar de Rancière, Negri et
Latour prétendent rendre aux acteurs la parole que les maîtres du soupçon
leur auraient confisquée, réalisent une démocratisation apparente de la
théorie, abolissant magiquement l'écart entre les savants et les profanes.
Cette sorte de populisme philosophique est sans doute pour beaucoup dans
leur succès, comme le montrent les appréciations dithyrambiques de la
presse culturelle :
« Enfin, dans le contexte actuel de renouveau de la métaphysique (Badiou,
Meillassoux, Garcia...), il ouvre une voie singulière : antidogmatique, pluraliste, en
prise avec les sciences sociales, expérimentale et descriptive... Latour est le Hegel de
notre temps – à cela près qu'il est tellement plus lisible ! Il y a une malice chez Latour
qui s'exprime à travers un style presque parlé et pourtant toujours très précis, une
fausse candeur doublée d'une grande inventivité verbale et métaphorique. Mieux,
voici une métaphysique qui, peut-être pour la première fois dans l'histoire, au lieu de
fournir au lecteur un système tout fait, lui propose un protocole d'expérience.
À chaque fois que vous suspectez une “erreur de catégorie”, c'est que vous êtes peut-
être sur la voie d'un “mode d'existence” ; n'hésitez donc pas : tentez d'établir les
contraintes propres à ce mode.
C'est la raison pour laquelle il associe à son livre (www.modesofexistence.org) une
plate-forme en ligne qui constituera une sorte de nouvelle agora. Nous connaissions
les jeux massivement interactifs ; voici la métaphysique massivement interactive...
Quoi qu'il en soit du succès de ce protocole, il est certain qu'après l'Enquête sur les
modes d'existence, on ne pourra plus ignorer que Latour est une des plus grandes
figures intellectuelles de notre temps.{881} »
http://espacestemps.net/document2118.html.
{279} Voir Dario Gamboni, « Paris et l'internationalisme symboliste », in Thomas
W. Gaehtgens (dir.), Künstlerischer Austausch/Artistic Exchange (Berlin, Akademie
Verlag, 1993), p. 277-287. Voir Blaise Wilfert, « Cosmopolis et l'Homme invisible »,
art. cité, p. 42-43.
{280} Voir Auguste Anglès, « L'accueil des littératures étrangères dans la NRF, 1909-
1914 », La Revue des revues, no 2, novembre 1986, p. 6-12.
{281} Voir Anna Boschetti, La Poésie partout. Apollinaire, « homme-époque », 1898-1918,
Paris, Seuil, 2001, p. 120-131 ; Id. (dir.), « La NRF a cent ans. Ascension et déclin de la
Banque centrale de la République des Lettres du XXe siècle », Études littéraires, vol. 39,
no 3, été 2008.
{282} Concernant les propriétés des « importateurs », voir Blaise Wilfert, « Cosmopolis et
l'Homme invisible », art. cité.
{283} Voir la dernière partie de ce chapitre.
{284} Pour une interprétation de ce type, on peut voir Pär Bergman, « Modernolatria » et
« Simultaneità ». Recherches sur deux tendances dans l'avant-garde littéraire en Italie et
en France à la veille de la première guerre mondiale, Uppsala, Svenska Bokförlaget
Bonniers, 1962.
{285} Voir Brunella Eruli, « Preistoria francese del futurismo », dans Id., Dal futurismo alla
patafisica, Pisa, Pacini editore, 1994, p. 13-62 ; Barbara Meazzi Le Futurisme entre l'Italie
et la France, 1909-1919, Chambéry, Éditions de l'université de Savoie, 2010.
{286} Voir Mariella Colin, Polémiques et dialogues. Les échanges culturels entre la France
et l'Italie de 1880 à 1918, Caen, Université de Caen, 1988 ; Id., Heurs et malheurs de la
littérature italienne en France, Caen, Université de Caen, 1995 ; Françoise Décroisette, La
France et l'Italie. Traductions et échanges culturels, Caen, Presses universitaires de Caen,
1992 ; François Garelli, Histoire des relations franco-italiennes, Paris, Éditions Rive
Droite, 1999.
{287} Voir Amotz Giladi, Écrivains étrangers à Paris et constructions d'identité
supranationale. Le cas de la panlatinité, 1900-1939, Thèse de doctorat en sociologie,
dirigée par Gisèle Sapiro, École des hautes études en sciences sociales, 2010.
{288} Voir Brunella Eruli, « Preistoria francese del futurismo », art. cité.
{289} Voir Anna Boschetti, La Poésie partout. Apollinaire, « homme-époque », 1898-1918,
op. cit., p. 120-122.
{290} Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit.
{291} Voir Mattia Paparella, Il Marketing secondo d'Annunzio, Mémoire IULM, Milan,
2007.
{292} Voir Amotz Giladi, Écrivains étrangers à Paris et constructions d'identité
supranationale. Le cas de la panlatinité, 1900-1939, op. cit.
{293} Voir Pär Bergman, « Modernolatria » et « Simultaneità », op. cit., p. 52.
{294} Comme l'a observé Luciano De Maria, « Marinetti poète et idéologue », in
Giovanni Lista, Marinetti et le futurisme, Lausanne, L'Âge d'homme, 1977, p. 87.
{295} Voir Giovanni Lista, « Genèse et analyse du Manifeste du futurisme de F.T. Marinetti,
1908-1909 », in Catalogue Le Futurisme à Paris : une avant-garde explosive, Paris,
Éditions du Centre Pompidou/Milan, 5 Continents éd., 2008, p. 78-83.
{296} Peut-être grâce à un ami égyptien de son père, Mohamed El Rachi, actionnaire du
journal.
{297} Voir Filippo Tommaso Marinetti, « Le mouvement poétique en Italie », La Vogue, II,
avril 1899, p. 61-62 ; Id., « Les jeunes romanciers italiens », La Vogue, IV, déc. 199 ; Id.,
« Vittorio Pica », Anthologie Revue, II, 7, 1899.
{298} Gide écrit dans son journal : « C'est un sot très riche et très fat qui n'a jamais su se
réduire au silence » (André Gide, Journal, 1889-1939, Paris, Gallimard, 1948, p. 152) ; La
revue Les Guêpes dédie à Marinetti en mars 1909 cette épigramme anonyme : « Roi du
franc et de la lire/Ceint du laurier qu'il se paie/Tu crois être un porte-lyre :/ Tu n'es qu'un
porte-monnaie ». Cité in Pasquale Aniel Jannini, La Fortuna del futurismo in Francia,
Roma, Bulzoni, 1979, p. 216.
{299} André Gide, Journal I, (1887-1925), Paris, Gallimard, 1996, p. 692.
{300} Les Soirées de Paris (Genève, Slatkine Reprints, 1971), tome 2, p. 296.
{301} Guillaume Apollinaire, « La Phalange nouvelle », in Guillaume Apollinaire, Œuvres
en prose complètes, tome II, Paris, Gallimard, 1991, p. 892.
{302} Voir Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra, Paris, Le Seuil, 1995 ; Christopher
E. Forth, Zarathustra in Paris. The Nietzsche Vogue in France, 1891-1918, De Kalb,
Northern Illinois U.P., 2001.
{303} Marinetti ne cache pas son admiration pour D'Annunzio, « le plus grand artiste et
poète de l'Italie », dans son article de jeunesse « Le mouvement poétique en Italie » (La
Vogue, II, avril 1899, p. 65). Il commence à prendre ses distances dans « Gabriele
D'Annunzio intime », La Vogue, IV, 15 juin 1900, p. 162-163. Et devient ironique dans Les
Dieux s'en vont, D'Annunzio reste (Paris, Sansot, 1908), sans doute ayant constaté que
D'Annunzio est traité avec condescendance par les écrivains français les plus prestigieux.
{304} C'est le premier ouvrage de Nietzsche traduit en Français (en 1898, par Henri Albert,
chroniqueur de littérature allemande au Mercure de France).
{305} Manifeste technique de la littérature futuriste, 1912.
{306} Léon Bazalgette publie en 1908 un livre sur Whitman très remarqué et en 1909 sa
traduction de Leaves of Grass. En 1908 on réédite en France Visages de la vie de
Verhaeren. Whitman constitue également un modèle pour Valery Larbaud, qui publie en
1908 ses Poèmes d'un riche amateur et consacre un article, en 1909, à la parution de
Feuilles d'herbe.
{307} Voir Brunella Eruli, « Preistoria francese del futurismo », Dal futurismo alla
patafisica, op. cit., p. 21-23.
{308} Ce groupe prend son nom du phalanstère, inspiré de l'utopie rabelaisienne, qu'il a
constitué à Créteil pendant quatorze mois (fin 1906 – début 1908). Parmi les fondateurs il y
a les poètes Georges Duhamel, Charles Vildrac, René Arcos et Henri-Martin Barzun.
{309} Sur le pouvoir de l'énonciation écrite et formalisée, voir Pierre Bourdieu, « La
codification », in Id., Choses dites, Paris, Éd. de Minuit, 1987, p. 94-105.
{310} Voir Willard Bohn, The Aesthetics of Visual Poetry, 1914-1928, Cambridge U.P.,
1986 ; Laurent Jenny, La Fin de l'intériorité, PUF, « Perspectives littéraires », 2002 ;
Thierry Roger, L'Archive du Coup de dés. Étude critique de la réception de Un Coup de
Dés jamais n'abolira le Hasard de Stéphane Mallarmé (1897-2007), Thèse de doctorat, sous
la direction de Bertrand Marchal, Paris IV, septembre 2008.
{311} Cfr. Anne Tomiche, Manifestes et « avant-gardes » au XXe siècle, Laboratoire
Autonome de Recherche et de Critique sur les Écritures Nouvelles, p. 12.
http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/11/22/36/PDF/annetomiche.pdf. On ne saurait, donc,
convenir avec ceux qui proposent de considérer les manifestes littéraires comme des actes
extra-littéraires. Voir, notamment, Daniel Chouinard, « Sur la préhistoire du manifeste
littéraire (1500-1828) », Études françaises, vol. 16, no 3-4, 1980, p. 21-29. Les manifestes
des écrivains portent au jour la dimension stratégique qui fait de tout texte littéraire une
prise de position par rapport à l'espace des possibles inscrit dans le champ de production.
Mais ce sont des actes littéraires par leurs repères et par leur écriture.
{312} Sur le rôle fécondant qu'ont joué en général, dans les recherches avant-gardistes, le
style de vie de la bohème, les humoristes, les caricaturistes, les cabarets, on peut voir Marc
Partouche, La Lignée oubliée. Avant-gardes et art contemporain de 1830 à nos jours,
Romainville, Al Dante, 2004.
{313} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 969.
{314} Voir Gunther Berghaus (dir.), International Futurism in Arts and Literature, Berlin,
De Gruyter, 2000. Voir aussi la partie concernant l'impact international du futurisme in
Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, t. 1, Budapest, Akadémiai
Kiadó, 1984.
{315} Voir à ce propos les références citées dans la note 17 de l'Introduction.
{316} Pour la Belgique, voir Paul Hadermann, in Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes
littéraires au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 203-205 ; pour les pays du Nord, voir Régis Boyer,
Ibid., p. 205-6.
{317} Voir Pierre Rivas, « La diffusion du Futurisme. Portugal et Brésil », in Jean
Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 184-190.
{318} Voir Toshiharu Omuka, « Futurism in Japan », in Gunther Berghaus (dir.),
International Futurism in Arts and Literature, op. cit., p. 244-270.
{319} En janvier 1909 un jeune poète maurrassien, Jean-Marc Bernard, publie un poème
satirique où il exalte Jules Romains, en l'opposant aux collaborateurs de la revue
néosymboliste La Phalange, dirigée par Jean Royère, admirateur fervent de Mallarmé. Fait
significatif, cette revue tente alors de s'ouvrir au débat sur la modernité, par exemple en
publiant, en mars 1909, l'article « La poésie de l'Age des Machines », où un whitmanien
américain, G. S. Lee, proclame que la poésie doit chanter son époque et se faire entendre
par elle.
{320} Voir Michel Décaudin, Le Dossier d'Alcools, Genève, Droz, 1996, IIIe éd. revue,
p. 126.
{321} Le manuscrit de cette conférence de 1909, « Les poèmes de l'année », est reproduit in
Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 901-909, cit.
p. 907.
{322} Voir Jules Romains, Souvenirs et confidences d'un écrivain, Paris, Fayard, 1958,
p. 30-33.
{323} Jules Romains, « Hommage », publié en janvier-février 1909 dans les Petites Feuilles
(une revue fondée par Francis Carco en octobre 1908) ; « La génération nouvelle et son
unité », publié en août 1909, dans La Nouvelle Revue française ; « La poésie immédiate »,
conférence du 10 octobre 1909 au Salon d'automne, publiée dans Vers et prose, dernier
tome de 1909.
{324} Notamment par une conférence – « Les poètes d'aujourd'hui » – qui a lieu à
l'Université populaire du Faubourg Saint-Antoine le 6 novembre 1909. Le texte est publié
in Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 913-916.
{325} Guillaume Apollinaire, Lettre à Jules Romains, in Jules Romains, Guillaume
Apollinaire, Correspondance, Paris, Jean-Michel Place, 1994, p. 55-56.
{326} Voir à ce propos Anna Boschetti, La Poésie partout, op. cit., p. 99-131.
{327} Barzun est proche, notamment, de la théorie de l'instrumentation verbale, et de l'idéal
du poète-philosophe, prônés par René Ghil dans son Traité du verbe – réédité en 1904,
sous le titre d'En Méthode à l'œuvre – et dans sa revue, Écrits sur l'art.
{328} Voir infra la section « Le futurisme en Allemagne ».
{329} Ces derniers faisaient partie du petit cercle des intimes de Picasso depuis 1905,
l'avaient toujours soutenu grâce à leur rôle de chroniqueurs artistiques dans les journaux et
avaient été parmi les premiers à voir les « Demoiselles d'Avignon » dans l'atelier du
peintre. À propos des relations entre les poètes et les peintres à cette époque-là, voir Anna
Boschetti, La Poésie partout, op. cit., p. 285-306.
{330} Guillaume Apollinaire, Lettre à Roger Allard, 17 sept 1918, Œuvres en prose
complètes, tome II, op. cit., p. 1518.
{331} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 229.
{332} Voir Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 358 et
371.
{333} Ibid., p. 358.
{334} Ibid., p. 371-373.
{335} C'est la deuxième version, définitive, de ce tableau, peinte en janvier 1912,
Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection.
{336} Guillaume Apollinaire, « Le Futurisme », L'Intermédiaire des chercheurs et des
curieux, 10 octobre 1912, in Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II,
op. cit., p. 487-488.
{337} Ibid., p. 488.
{338} Béatrice Joyeux-Prunel, « Jouer sur l'espace pour maîtriser le temps », art. cité.
{339} À Paris le livre fait beaucoup discuter. Des comptes rendus paraissent aussi en
Allemagne, en Italie, en Suède ; il est traduit très rapidement, partiellement ou
intégralement, en Russie et aux États-Unis, en 1913, en Espagne en 1917.
{340} Paris, Librairie Ollendorff, 1914.
{341} Pour ce qui concerne l'inscription des recherches futuristes dans les possibles explorés
par l'avant-garde poétique à cette époque, voir Anna Boschetti, La Poésie partout, op. cit.,
chapitres 4 et 5.
{342} Voir Francesco Viriat « Intentions manifestes et cachées dans L'Antitradition
Futuriste », Que Vlo-Ve ? Série 4, no 15, juillet-août 2001, p. 65-76.
{343} C'est pourquoi Soffici prétendra continuer à se réclamer du futurisme, en le
distinguant du « marinettisme », lorsque, en 1915, il décidera de rompre avec Marinetti.
{344} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 489.
{345} Ibid., p. 977. De même, dans une chronique sur l'art intitulée « Écoles », il écrit :
« Aussi ne faut-il plus prendre à la lettre les dénominations de cubistes, orphistes,
futuristes, simultanéistes, etc. Il y a longtemps déjà qu'elles ne signifient plus rien », Paris-
Journal, 16 juin 1914, in Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II,
op. cit., p. 772. Et dans le dernier numéro des Soirées de Paris : « Le nom que portent les
écoles n'a aucune importance sinon de désigner tel ou tel groupe de peintres et de poètes. »,
ibid., p. 800.
{346} Ibid., p. 937.
{347} Cf., notamment, sa lettre de 1911 au critique Lucien Maury, qui avait consacré un
article à L'Hérésiarque dans la Revue bleue du 14 janvier 1911 : « [...] la personnalité, elle
est le dernier de mes soucis, la perfection étant le seul but que doive, à mon sens, se
proposer l'écrivain. » (citée in Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose, tome I, Paris,
Gallimard, 1977, p. 1109-1110).
{348} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 23.
{349} Ibid., p. 25.
{350} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose, tome I, op. cit., p. 256.
{351} Rapporté in Pierre Cabanne, L'Épopée du cubisme, Paris, La table ronde, 1963, p. 26.
{352} Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Pléiade, 1945, p. 456.
{353} Filippo Tommaso Marinetti, Le Futurisme, Paris, Sansot, 1911.
{354} Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit., p. 488-9.
{355} Guillaume Apollinaire, « Chronique sur le Salon d'automne », Les Soirées de Paris,
15 novembre et 15 décembre 1913, in Id., Œuvres en prose complètes, tome II, op. cit.,
p. 620.
{356} Guillaume Apollinaire, « Simultanisme-librettisme », in Id., Œuvres en prose
complètes, tome II, op. cit., p. 976.
{357} Ibid., p. 977.
{358} Voir Anna Boschetti, La Poésie partout, op. cit., p. 266-274.
{359} En 1916, par exemple, il émet ce bilan : « Il n'est pas sans talent. Il est peut-être temps
pour lui d'asseoir sa réputation sur une œuvre solide. À moins qu'il ne considère que ses
« manifestes » sont l'œuvre importante de sa vie. Il y excelle en effet. Et s'il lui plaît, qu'il
manifeste tant qu'il voudra, ce gentil mais trop peu voluptueux adepte de la sagesse
cinématique d'Épicure ! » (Guillaume Apollinaire, « La vie Anecdotique », 16 octobre
1916, in Guillaume Apollinaire, Œuvres en prose complètes, tome III, Paris, Gallimard,
1993, p. 245). En 1918, il réitère ce jugement : dans les manifestes de Marinetti, écrit-il,
« se trouve le meilleur de son œuvre » (Guillaume Apollinaire, « Échos sur les lettres et les
arts », in L'Europe nouvelle, 14 septembre 1918, in Guillaume Apollinaire, Œuvres en
prose complètes, tome II, op. cit., p. 1475).
{360} Dans leur manifeste de 1913, Le Mot comme tel, Alexandre Kroutchonykh et Victor
Khlebnikov écrivent : « En 1908, on préparait Le Vivier aux Juges no 1 », alors que ce
recueil fut préparé en 1909 et parut au début de 1910.
{361} Sur les rapports entre futurisme italien et futurisme russe, voir Agnès Sola, in Jean
Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 157-184.
{362} Sur les choix politiques des futuristes italiens, voir infra la section « Le rapport à la
politique ».
{363} Giovanni Lista, « Futurisme et Cubo-futurisme », in Cahiers du Musée National d'Art
Moderne, no 5, septembre 1980, Paris, p. 456-495.
{364} En fait partie Quadrangle, surtout connu comme Carré noir sur fond blanc, dont
Malevitch fera plus tard l'œuvre emblème du suprématisme.
{365} Voir les notes de Hana Jechova in Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires
au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 206-207.
{366} Voir la synthèse de Jon Pop, Ibid., p. 207-208.
{367} Voir les notes de Józef Heistein, Ibid., p. 190-192.
{368} Voir les notes de Endre Bojtár, Ibid., p. 210-211.
{369} Voir les notes de Zoran Konstantinoviæ, Ibid., p. 208-210.
{370} En avril et en décembre 1910 Marinetti tient des conférences au Lyceum Club de
Londres. En mars 1912 a lieu la première exposition futuriste à la Sackville Gallery.
À cette occasion Marinetti tient une conférence à la Beckstein Hall, participe à une
manifestation féministe, et contribue à organiser une agression contre un journaliste
irlandais coupable d'avoir critiqué l'armée italienne. La Marlborough Gallery abrite en avril
1913 une exposition personnelle de Gino Severini qui a beaucoup de succès. En novembre
de la même année le peintre participe à une exposition de peinture postimpressionniste à la
Doré Gallery, et Marinetti tient d'autres conférences. Une grande exposition futuriste est
inaugurée à la Doré Gallery en avril 1914, accompagnée par des conférences de Marinetti
et par des performances variées : déclamations de ses œuvres, organisation d'une « soirée
futuriste », avec C.R.W. Nevinson, qui se termine par une bagarre, concerts bruitistes avec
Russolo et Piatti au London Coliseum et à l'Albert Hall. Des extraits des premiers
manifestes sont publiés par des journaux ou des revues dès 1910. Le manifeste sur les mots
en liberté est publié dans Poetry and Drama en septembre 1913, celui sur le théâtre en
novembre 1913 par le Dayly Mail. Tous les principaux manifestes de Marinetti et des
peintres sont publiés avant l'éclatement de la guerre.
{371} Les expositions des peintres ont un effet décisif. Selon Ulrich Weisstein, « elles firent
du poète Marinetti, agent publicitaire de Balla, Severini et Boccioni, une figure
internationale » : in Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, t. 1,
op. cit., p. 193. Voir à ce propos Ezra Pound, Gaudier-Brzeska, A Memoir, New York, New
Directions, 1960, p. 82.
{372} Comme le remarque Ulrich Weisstein (in Jean Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes
littéraires au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 193), « l'Europe entière, ne l'oublions pas, identifia
presque toujours le futurisme littéraire avec Marinetti, impresario omniprésent
(contrairement aux poètes futuristes qu'il réunit dans son anthologie de 1912) dont la
rhétorique et les représentations frappèrent profondément ses contemporains, notamment
Wyndham Lewis et Ford Madox Ford ». (Weisstein cite à ce propos W. K. Rose (dir.), The
Letters of Wyndham Lewis, London, Methuen, 1965, p. 53 ss., et Ford Madox Ford,
« Signor Marinetti, Mr Lloyd George, St Katharine and Others », Outlook, 11 juillet 1914,
cité par David Harvey, Ford Madox Ford, 1873-1939, A bibliography, Princeton, Princeton
University Press, 1962, p. 196).
{373} Cf. Ezra Pound, Gaudier-Brzeska, A Memoir, op. cit., p. 104 ; H. W. W. Nevinson
« The impulse to futurism » Atlantic Monthly, 114, 1914, p. 626-633.
{374} Harold Monro, « Varia : Futurism », Poetry and Drama, septembre 1913, p. 262.
{375} Harold Monro, « Marinetti », Poetry and Drama, Septembre 1913, p. 263.
{376} Harold Monro, « Futurism and ourselves », Poetry and Drama, décembre 1913,
p. 390.
{377} Wyndham Lewis, « A Man of the Week : Marinetti », The New Weekly, I, 11, 30 mai
1914, p. 329.
{378} Cité par Fillia, Il Futurismo, Milano, Sonzogno, 1932, p. 20.
{379} Comme le fait William C. Wees (Vorticism and the english Avant-Garde, Toronto,
Toronto University Press, 1972). Voir Jonathan Black, Blasting the Future. Vorticism and
the Avant-Garde in Britain 1910-20, Philip Wilson Publishers, 2004.
{380} Voir Lawrence Rainey, Institutions of Modernism. Literary Elites and Public Culture,
New Haven and London, Yale University Press, 1998, chapitre 1, « The Creation of the
Avant-Garde : F. T. Marinetti and Ezra Pound », p. 10-41.
{381} Blast I, 1914, p. 149.
{382} William Lewis, « Our Vortex », Blast I, p. 148-49.
{383} Thomas Ernest Hulme, Speculations [1924], Londres, Kegan Paul, Trench, Trubner &
Co., 1936, p. 3.
{384} Voir Jonathan Black, Blasting the Future. Vorticism and the Avant-Garde in Britain
1910-20, London, Philip Wilson Publishers, 2004 ; Roberto Baronti Marchiò,
« Avanguardia e modernismo : il vorticismo inglese », in Valerio Magrelli (dir.), Lezioni di
Dottorato 2005, Santa Maria Capua Vetere, Edizioni Spartaco, 2006, p. 161-201.
{385} Voir Aldous Huxley (dir.), The Letters of D. H. Lawrence, New York, Viking, 1932,
p. 197-201, 327-330.
{386} Voir Andrew Harrison, D.H. Lawrence and Italian Futurism. A Study of influence,
Amsterdam/N.Y., Rodopi, 2003.
{387} Outlook, 11, juillet 1914.
{388} Ulrich Weisstein, « Les échos du futurisme en Allemagne et en Angleterre », in Jean
Weisgerber (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, t. 1, op. cit., p. 200.
{389} Le concept même d'expressionnisme est lancé dans la revue de Walden, par le critique
Wilhelm Worringer, dans l'article « Zur Entwicklungs-geschichte der modernen Malerei »
(Der Sturm, n. 75, 1911).
{390} Boccioni, Carrà, Russolo et Severini exposent leurs tableaux à la Sturm-Galerie du
12 avril au 31 mai 1912. Der Sturm avait préparé cette exposition en publiant auparavant le
Manifeste de la peinture futuriste (no 103/1912), le premier Manifeste de Marinetti
(n. 104/1912), le texte « Les artistes au public », signé Boccioni, Carrà, Russolo, Balla,
Severini (no 105/1912). La revue concurrente Die Aktion critique l'art futuriste mais en
1913 publie des poèmes en français de Marinetti, tirés de son recueil La Ville charnelle,
traduits par Hermann Hendrich : An meinen Pegasus, Der Abend und die Stadt (p. 878-
883) et Die heiligen Eidechsen (p. 919-920).
{391} Voir Paul Klee, Journal, Paris,Grasset, 1959, p. 263. Voir également Claude Frontisi,
« Paul Klee futuriste », in CIRHAC (dir.), De la Métaphysique au Physique. Pour une
histoire contemporaine de l'art. Hommage à Fanette Roche-Pézard, Paris, Publications de
la Sorbonne, 1995, p. 61-70.
{392} Voir les notes de Ulrich Weisstein, in Jean Weisgerber, op. cit., p. 195.
{393} Significative la définition de l'expressionnisme que va proposer Theodor Daübler en
1916 : « [...] rapidité, simultanéité, tension extrême [...]. » (Theodor Daübler,
Expressionismus, in Der Neuen Standpunkt, Dresden-Hellerau, 1916, repris in Theodor
Daübler, Dichtungen und Schriften, 1956, p. 853 s.).
{394} Pour ce qui concerne Döblin, voir notamment le roman Die drei Sprünge des Wang-
Lun (1915), qui évoque Mafarque le futuriste, et Reims, où l'enthousiasme qu'il exprime
pour les destructions produites par la guerre rappelle de près l'attitude de Marinetti.
{395} On peut citer le cabaret munichois Elf Scharfrichter où dès 1901 Frank Wedekind
déclame ses poèmes et le cabaret Schall und Rauch fondé à Berlin par Max Reinhardt à la
même époque.
{396} Voir, par exemple, la pièce satirique Die Hose (1910) de Sternheim, le style
télégraphique que cet auteur adopte à partir de 1912, et son Kampf der Metapher, où il
évoque Marinetti et présente Benn come son héritier. Voir François Orsini, Espressionismo
tedesco e futurismo italiano. Due orientamenti estetici dalle numerose affinità in seno ad
un clima culturale ricco di scambi reciproci, in Avant-gardes, Centre de recherche de
l'Université de Paris VIII, 1990, p. 7-30.
{397} Kenneth E. Silver, Esprit de corps : the Art of the Parisian Avant-garde and the First
World War, 1914-1925, Princeton, Princeton University Press, 1989, trad. française : Vers le
retour à l'ordre. L'avant-garde parisienne et la Première guerre mondiale. 1914-1925,
Paris, Flammarion, 1991.
{398} Richard Huelsenbeck, Dada sieg. Eine Bilanz des Dadaismus, Berlin, Malik Verlag,
1920.
{399} Voir Giovanni Lista, « Marinetti et le surréalisme », in Le Surréalisme, Rome,
Bulzoni, 1974, p. 28. Lista rapporte le témoignage direct que lui a fait à ce propos Philippe
Soupault.
{400} Voir Günter Berghaus, « Futurism, Dada, and Surrealism : Some cross-Fertilisations
Among the historical Avant-gardes », in Id. (dir.), International Futurism in Arts and
Literature, op. cit., p. 296.
{401} Ce texte est repris in André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard,
1988.
{402} Cf. André Breton, « Introduction au Discours sur le peu de réalité », in Œuvres
Complètes, II, Paris, Gallimard, 1992, p. 276-277.
{403} Voir Max Jacob, « Les mots en liberté », Nord-Sud, no 9, nov. 1917 ; Noemi
Blumenkranz-Onimus, « Du futurisme italien au mouvement dada et surréaliste », Europe,
475-476, nov.-déc. 1968, p. 206-216 ; Herbert S. Gershman, « Futurism and the origins of
Surrealism », Italica, vol. 39, no 2, juin 1962, p. 114-123. Giovanni Lista, « Marinetti et le
surréalisme », art. cité.
{404} Guillaume Apollinaire, Tendre comme le souvenir, Paris, Gallimard, 1952, p. 55.
{405} C'est ce que dit Pierre Bourdieu (Manet, op. cit., p. 23) à propos de certains émules de
Manet et, en général, des épigones qui ont beaucoup de succès. Pour ce qui concerne la
production et les prises de position du groupe, je renvoie à la remarquable synthèse de
Michel Murat, Le Surréalisme, Paris, Le Livre de poche, 2013.
{406} Voir Norbert Bandier, Sociologie du surréalisme 1924-1929, Paris, La Dispute, 1999 ;
Anna Boschetti, La Poésie partout, op. cit., p. 236-243.
{407} Voir à ce propos l'analyse d'Éric Brun, Guy Debord et l'Internationale situationniste.
Sociologie d'une avant-garde « totale », Thèse de doctorat en Sociologie, sous la direction
de Gisèle Sapiro, soutenue le 8 décembre 2011, E.H.E.S.S., à paraître chez CNRS Éditions,
et, du même auteur, « L'avant-garde totale », Actes de la recherche en sciences sociales,
no 176-177, 2009, p. 32-51.
{408} Voir Anna Boschetti, « Avant-garde », in Olivier Christin (dir.), Dictionnaire des
concepts nomades en sciences humaines, Paris, Métailié, 2010, p. 65-82. Je reprends ici,
dans une version partielle et modifiée, la conclusion de cet article, où j'ai retracé l'histoire
du concept.
{409} Guillermo De Torre, Historia de las literaturas de vanguardia, 3 t., Madrid, Ediciones
Guadarrama, 1965.
{410} Renato Poggioli, Teoria dell'arte d'avanguardia, Bologna, il Mulino, 1962.
{411} Jean Weisgerber, « Les avant-gardes littéraires », Neohelicon, 1974, n. 3-4, p. 411-
415 ; id. (dir.), Les Avant-gardes littéraires au XXe siècle, op. cit.
{412} Peter Bürger, Theorie der Avantgarde, Frankfurt/M., Suhrkamp, 1974 (tr. fr. Théorie
de l'avant-garde, Paris, Éd. Questions Théoriques, 2013).
{413} Voir Anna Boschetti, « La notion de manifeste », Francofonia, no 59, automne 2010,
p. 13-29.
{414} Mary Ann Caws, « The Poetics of the Manifesto – Nowness and newness », in Id.,
Manifesto – a century of -isms, Lincoln : University of Nebraska Press, 2001, p. XIX (je
traduis).
{415} Ibid., p. XIX-XX.
{416} Ibid., p. XXVIII-XXIX, je souligne.
{417} Daniel Latouche, Le Manuel de la parole, Manifestes québécois, Québec, Boréal-
Express, 1977.
{418} Voir Gisèle Sapiro, « Modèles d'intervention politique des intellectuels : le cas
français », Actes de la recherche en sciences sociales, no 176-177, janv.-mars 2009, p. 8-
31.
{419} Marinetti a contribué activement à donner forme à l'idéologie, aux mots d'ordre
violents et à l'organisation des « Faisceaux de combat », qui, fondés en 1919, ont été le
premier noyau des groupes paramilitaires sur lesquels s'est appuyé le coup d'état de
Mussolini. Le philosophe Benedetto Croce reconnaissait cette connexion dès 1924 dans
son article « Fatti politici e interpretazioni storiche », La Critica, XXII, 3, Napoli-Bari,
1924, p. 191. Si l'entente de Marinetti avec le régime sera mise à l'épreuve par l'évolution
du fascisme, sur bien des points opposée aux principes futuristes, Marinetti ne cessera pas
pour autant de poursuivre des formes de reconnaissance officielles, comme son élection à
l'Académie d'Italie, en 1929, et restera fidèle à Mussolini jusqu'à sa mort, en 1939.
{420} Voir Amotz Giladi, Ecrivains étrangers à Paris et constructions d'identité
supranationale, Le cas de la panlatinité, 1900-1939, op. cit.
{421} Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 84-118.
{422} Ainsi une analyse fine des dispositions et des trajectoires pourrait rendre compte de la
divergence politique entre Marinetti et les futuristes « de gauche ». Voir Govanni Lista,
« Futurisme et communisme en Italie, de Duilio Remondino à Vinicio Paladini », Ligeia,
juillet-déc. 2011, no 109-112, p. 41-45.
{423} Voir Gabriele Turi, Il Fascismo e il consenso degli intellettuali, Bologna, Il Mulino,
1980 ; Giovanni Belardelli, Il Ventennio degli intellettuali. Cultura, politica, ideologia
nell'Italia fascista, Roma/Bari, Laterza, 2005.
{424} Georg Lukács, Balzac und der französische Realismus, Berlin, Aufbau Verlag, 1952.
{425} Clement Greenberg, « Avant-Garde and Kitsch », Partisan Review, no 6, 1939, p. 34-
49.
{426} Greenberg se réclame explicitement de Platon.
{427} Voir à ce propos Pierre Bourdieu, « Le Marché des biens symboliques », L'Année
sociologique no 22, p. 49-126 ; Id., Les Règles de l'art, op. cit. ; John Brewer, The
Pleasures of the Imagination. English Culture in the Eighteenth Century, New York,
Farrar, Straus & Giroux, 1997.
{428} Walter Benjamin, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, dernière
version (1939), in Œuvres III, Paris, Gallimard, 2000, p. 67-113.
{429} Theodor W. Adorno, « Über den Fetischcharakter in der Musik und die Regression
des Hörens » (1938), in Zeitschrift für Sozialforschung, VII, p. 321-356 ; Theodor
W. Adorno, M. Horkheimer, « Kulturindustrie. Aufklärung als Massenbetrug », in
Dialektik der Aufklärung. Philosophische Fragmente, Frankfurt /M., Suhrkamp, 1980,
p. 108-150.
{430} Harold Rosenberg The Tradition of the New, New York, Horizon Press, 1959 ; id.,
The de-definition of Art, New York, Horizon Press, 1972. Voir également Rosalind Kraus,
The Originality of the Avant-garde and Other Modernist Myths, Cambridge, MIT Press,
1985.
{431} Hans Magnus Enzensberger « Die Aporien der Avantgarde », in id., Einzelheiten II.
Frankfurt/M., Suhrkamp, 1962, p. 50-80.
{432} Peter Bürger, Théorie de l'avant-garde, op. cit.
{433} Jürgen Habermas, « La Modernité : un Projet inachevé », Critique, no 413, oct. 1981,
p. 950-967 ; id., Theorie des kommunikativen Handelns (t. 1 : Handlungsrationalität und
gesellschaftliche Rationalisierung ; t. 2 : Zur Kritik der funktionalistischen Vernunft),
Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1981, tr. fr. Paris, Fayard, 1987 ; Pierre Bourdieu, Les Règles
de l'art, op. cit.
{434} Jürgen Habermas, « La Modernité : un Projet inachevé », art. cité.
{435} Ibid.
{436} Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 459-472.
{437} Voir, par exemple, Jean Clair, La Responsabilité de l'artiste : les avant-gardes entre
terreur et raison, Paris, Gallimard. 1997 ; Philippe Dagen, La Haine de l'art, Paris,
Grasset, 1997 ; Yves Michaud, La Crise de l'art contemporain. Utopie, démocratie et
comédie, Paris, PUF, 1997 ; William Marx (dir.), Les Arrière-gardes au XXe siècle. L'autre
face de la modernité esthétique, Paris, PUF, 2004.
{438} Jean-Pierre Bertrand, « Avant-garde », in Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala
(dir.) Le Dictionnaire du Littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 38-39.
{439} François Noudelmann, Avant-gardes et modernité, Paris, Hachette Supérieur, 2000.
{440} Alors que vers 1900, à l'époque du futurisme, les étudiants du Supérieur, en France,
étaient 29 000, ils étaient 78 000 vers 1930 (l'époque dominée par La NRF et par le
surréalisme), 95 500 en 1945, 500 000 à 600 000 en 1968. Source : Rapport Rousso, 2001,
que cite Antoine Prost, Éducation, sociétés et politiques. Une histoire de l'enseignement de
1945 à nos jours, Paris, Éd. du Seuil, 1997 (nlle. éd.), p. 139. Voir aussi Christophe Charle,
Jacques Verger, Histoire des universités, XIIe-XXIe siècle, Paris, PUF, nouvelle éd. 2012,
p. 138 et 145. Sur les transformations morphologiques de la population étudiante et du
corps professoral dans les différentes facultés entre 1949 et 1969, voir Pierre Bourdieu,
Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984, Annexe II, p. 267-273.
{441} Voir Priscilla P. Clark, Literary France : The making of a culture, Berkeley,
University of California Press, 1987.
{442} Voir Le Développement des sciences sociales en France au tournant des années
soixante, Paris, CNRS, 1989.
{443} Voir Jean-Louis Fabiani, Les Philosophes de la République, Paris, Minuit, 1988.
{444} Bulletin de la société française de Philosophie, séance du 4 déc. 1937, p. 196.
{445} Sur cette polémique, voir infra dans ce chapitre.
{446} Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant, Paris, Gallimard, 1943, p. 708.
{447} Célèbre réplique de la pièce Huis clos.
{448} Comme exemple de cette attitude, voir l'article de Sartre, « Une idée fondamentale de
la phénoménologie de Husserl : l'intentionnalité », Nouvelle Revue française, no 34, 1939,
p. 129-131, repris dans Jean-Paul Sartre, Situations I, Paris, Gallimard, 1947, p. 29-32.
{449} Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées »,
Actes de la recherche en sciences sociales, no 45, décembre 2002, p. 3-8 ; Pascale
Casanova, « Consécration et accumulation de capital littéraire. La traduction comme
échange inégal », Actes de la recherche en sciences sociales, no 144, septembre 2002, p. 7-
20.
{450} Voir Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France,
Paris, Éd. du Seuil, 1995.
{451} Voir Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », Paris, Minuit, 1985, p. 86-92.
On trouvera des reconstitutions plus systématiques et générales des appropriations et des
usages français de la philosophie allemande dans Jean Quillien (dir.), La Réception de la
philosophie allemande en France aux XIXe et XXe siècles, Presses Universitaires de Lille,
1994 ; Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra, op. cit. ; Id., La théorie souveraine, Paris,
Éd. du Cerf, 2009, chapitre II, « Phénoménologie et philosophie allemande », p. 57-112.
{452} Sur ce groupe fondé par Bataille, voir Denis Hollier, Le Collège de sociologie, Paris,
Gallimard, 1979.
{453} Georges Gurvitch, Les Tendances actuelles de la philosophie allemande, Paris, Vrin,
1930.
{454} Marcel Mauss, Lettre inédite à Roger Caillois du 22 juin 1938, Actes de la recherche
en sciences sociales, 1990, no 84, p. 87.
{455} Sur les procédés heideggeriens, voir Pierre Bourdieu, L'Ontologie politique de Martin
Heidegger, Paris, Minuit, 1988.
{456} Emmanuel Levinas, La Théorie de l'intuition dans la phénoménologie de Husserl,
Paris, Alcan, 1930 (réimpression Paris, Vrin, 1963), p. 216.
{457} Dans les articles enthousiastes qu'il consacre à Sartre en 1945 (avant de se consacrer à
la réhabilitation de Heidegger en France), un commentateur significatif comme Jean
Beaufret, alors professeur de khâgne à Henri IV, présente cet article sur Husserl comme le
« texte le plus représentatif » du talent de son auteur et de « l'atmosphère d'exaltation
intellectuelle » que suscite son œuvre. (Jean Beaufret, « À propos de l'existentialisme »,
Confluences, no 5, juin-juillet 1945, p. 531-538 ; no 6, août 1945, p. 637-642.
{458} Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.
{459} Voir Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., Chapitre III, « L'Invention
d'autrui », p. 113-181.
{460} Henri Corbin publie en 1937 chez Gallimard le recueil Qu'est-ce que la
métaphysique ?, rassemblant des textes de Heidegger (les premiers traduits en français)
dont la conférence qui donne le titre au recueil.
{461} Jean-Paul Sartre, Les Carnets de la drôle de guerre, Paris, Gallimard, 1983, p. 227.
{462} Ibid., p. 229.
{463} Jean-Paul Sartre, L'Être et le Néant, Paris Gallimard, 1943, p. 481.
{464} Sur le rôle des classes préparatoires et de l'École Normale dans la formation et la
consécration de l'élite intellectuelle française, voir Pierre Bourdieu, La Noblesse d'État.
Grandes écoles et esprit de corps, Paris, Éd. de Minuit, 1989. Pour ce qui concerne les
normaliens et la politique, voir Robert J. Smith, The Ecole Normale Supérieure and the
Third Republic, Albany, SUNY Press, 1982.
{465} Sartre lui-même se décrit comme tel dans une lettre à Simone de Beauvoir, datée
23 avril 1940, in Jean-Paul Sartre, Lettres au castor, Paris, Gallimard, 1983, tome 2,
p. 180.
{466} Voir William L. McBride, « Les premiers comptes rendus de L'Être et le Néant », in
Ingrid Galster (dir.), La Naissance du « phénomène Sartre ». Les raisons d'un succès.
1938-1945, Paris, Seuil, 2001, p. 185-199.
{467} Voir Geneviève Idt, « L'émergence du “phénomène Sartre”, de la publication du Mur
(juillet 1937), à l'attribution du prix populiste (avril 1940) », in Ingrid Galster, La
Naissance du « phénomène Sartre », op. cit., p. 47-85.
{468} Voir Jean-François Louette, « Piliers d'un succès : portrait de Sartre en pont », in
Ingrid Galster, La Naissance du « phénomène Sartre », op. cit., p. 111-141 : 139.
{469} Voir Ingrid Galster, Le Théâtre de Jean-Paul Sartre devant ses premiers critiques, t. I,
Les pièces créées sous l'occupation allemande, Paris, L'Harmattan, 2001 (2e éd).
{470} Guillaume Hanoteau, L'Âge d'or de Saint-Germain-des-Prés, Paris, Denoël, 1965,
p. 48.
{471} Susan Suleiman, « Choisir son passé : Sartre mémorialiste de la France occupée », in
Ingrid Galster, La Naissance du « phénomène Sartre » op. cit., p. 213-237.
{472} Susan Suleiman, « Choisir son passé », art. cité, p. 217.
{473} Bianca Lamblin, « Sartre avant, pendant et après la guerre », in Ingrid Galster, La
Naissance du « phénomène Sartre », op. cit., p. 349-352, cit., p. 350. Lamblin cite à ce
propos le livre de Gilbert Joseph, Une si douce occupation, Paris, Albin Michel, 1994.
{474} Bianca Lamblin, art. cité., p. 351. Voir également à ce propos Jean-Toussaint Desanti,
« Premier contact avec Sartre », in Ingrid Galster, La Naissance du « phénomène Sartre »,
op. cit., p. 335-337, et Dominique Desanti, « Première rencontre avec Sartre », Ibidem,
p. 338-348.
{475} Voir Susan Suleiman, « Choisir son passé », art. cité, p. 231-236.
{476} Paru en décembre 1944 dans la revue gaulliste La France libre, dirigée depuis 1940
par Raymond Aron.
{477} Paru dans les numéros d'août et de septembre 1945 dans la revue La République
française publiée à New York par des intellectuels français en exil.
{478} La France libre, déc. 1944, p. 16.
{479} Sartre est l'auteur le plus cité dans un recueil qui peut être considéré comme un
indicateur significatif : Marvin Farber (dir.), L'Activité philosophique contemporaine en
France et aux États-Unis, tome II, La Philosophie française, Paris, PUF, 1950.
{480} Cet article est repris dans le recueil de Gabriel Marcel Homo viator, Paris, Aubier,
1947, p. 233-256.
{481} Jean Wahl, « Essai sur le néant d'un problème », Deucalion, no 1, 1946, p. 39-72.
{482} Jean Wahl, « La situation présente de la philosophie en France », in Marvin Farber
(dir.), L'Activité philosophique contemporaine en France et aux États-Unis, vol. II, La
Philosophie française, op. cit., p. 40.
{483} Maurice Merleau-Ponty, « Un auteur scandaleux », repris dans Id., Sens et non sens,
Paris, Nagel, 1966 (5e éd.), p. 73-84.
{484} Maurice Merleau-Ponty, « La querelle de l'existentialisme », Les Temps modernes,
no 2, novembre 1945, p. 344-356, repris dans Id., Sens et non sens, op. cit., p. 123-143.
{485} Voir Pierre Bourdieu, « L'intellectuel total et l'illusion de la toute-puissance de la
pensée », in Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 293-297 ; Anna Boschetti, « Le
mythe du grand intellectuel », in Le Monde des littératures, Paris, Encyclopaedia
Universalis, 2003, p. 313-317.
{486} Dans la tradition allemande le prestige des savants et des universitaires dépasse, au
contraire, la reconnaissance dont jouissent les écrivains. Voir Christophe Charle, Les
Intellectuels en Europe au XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 1996, 2e éd. Augmentée 2001 ; Fritz
Ringer, Fields of Knowledge. French Academic Culture in Comparative Perspective, 1890-
1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
{487} Voir Anna Boschetti, Sartre and the Age of American Novel, in Jean-François Fourny
et Charles D. Minahen (dir.), Situating Sartre in Twentieth-Century Thought and Culture,
New York, St. Martin's Press, 1997, p. 71-92.
{488} Voir Geneviève Idt, « L'émergence du “phénomène Sartre” », art. cité.
{489} Jacques Havet, « La tradition philosophique française entre les deux guerres », in
Marvin Farber (dir.), L'Activité philosophique contemporaine en France et aux États-Unis,
vol. II, La Philosophie française, op. cit., p. 1-33.
{490} Claude-Edmonde Magny, « Système de Sartre », Esprit, no 4, mars 1945, p. 564-580 ;
no 5, avril 1945, p. 709-724 ; repris, modifié, dans Id., Littérature et critique, Paris, Payot,
1971, p. 60-90.
{491} Ibid.
{492} Jacques Havet, in Marvin Farber (dir.), L'Activité philosophique contemporaine en
France et aux États-Unis, tome II, op. cit., p. 30.
{493} André Gorz, Le Traître, Paris, Seuil, 1958, p. 243.
{494} Christian Grisoli, « Entretien avec Jean-Paul Sartre », Paru, no 13, 1945, p. 10.
{495} Voir Jean-François Louette, Sartre contra Nietzsche, Grenoble, Presses Universitaires
de Grenoble, 1996.
{496} Voir Jean-François Louette, « Piliers d'un succès : portrait de Sartre en pont »,
art. cité ; Michel Winock, « Sartre. L'effet de modernité », in Ingrid Galster, La Naissance
du « phénomène Sartre », op. cit., p. 200-212.
{497} Cité par Michel Winock, Histoire politique de la revue Esprit, Paris, Seuil, 1975,
p. 239. En effet, des reconstitutions rétrospectives montrent un degré de conflit social très
élevé, qui a été désamorcé par l'accord entre gaullisme et PCF. Voir notamment Grégoire
Madjarian, Conflits, pouvoirs et société à la Libération, Paris, U.G.E., 1980.
{498} Jean-Paul Sartre, La Transcendance de l'Ego, Paris, Vrin, 1965, p. 86 s.
{499} Jean-Paul Sartre, L'Être et le néant, op. cit., p. 648.
{500} Ibid., p. 511.
{501} Ibid., p. 518.
{502} Voir Sartre, « La liberté cartésienne », in Descartes 1596-1650, Introduction et choix
par Jean-Paul Sartre, Genève-Paris, Traits, éd. des Trois Collines, p. 9-52, repris dans Id.,
Situations I, op. cit., p. 289-308.
{503} Jean-Paul Sartre, L'Être et le néant, op. cit., p. 722.
{504} Pour une analyse de la pensée de Sartre comme expression d'un intellectualisme
subjectiviste radical, voir Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, chapitre 2, « L'anthropologie
imaginaire du subjectivisme », Paris, Éd. de Minuit, 1980, p. 71-86.
{505} Jean-Paul Sartre, L'Être et le néant, op. cit., p. 634.
{506} Ibid., p. 639.
{507} Ibid., p. 551.
{508} Ibid., p. 669. Dans l'essai « Matérialisme et révolution » (Les Temps modernes, no 9,
juin 1946, p. 1537-1563 ; no 10, juillet 1946, p. 1-32) il ne fera que développer cette
position.
{509} Jean-Toussaint Desanti, « Premier contact avec Sartre », art. cité, p. 335.
{510} Dominique Desanti, « Première rencontre avec Sartre », art. cité, p. 339.
{511} Voir Michel Trebitsch, « Correspondances d'intellectuels. Le cas des lettres d'Henri
Lefebvre à Norbert Guterman (1935-1947) », in Nicole Racine et Michel Trebitsch (dir.),
« Sociabilités intellectuelles. Lieux, milieux, réseaux », Cahiers de l'IHTP, no 20, mars
1992, p. 70-84.
{512} Norbert Guterman, Henri Lefebvre (dir.), Karl Marx, Morceaux choisis, introduction,
textes choisis par Paul Nizan et Jean Duret, Paris, NRF, 1934 (rééd. partielle : Karl Marx,
Œuvres choisies, Paris, Gallimard, 1963-1964, 2 vol., coll. « Idées ») ; Id., Morceaux
choisis de Hegel, Paris, Gallimard, 1938 ; Id., Cahiers de Lénine sur la dialectique de
Hegel, Paris, Gallimard, 1938.
{513} Paris, PUF, 1940.
{514} Henri Lefebvre, Nietzsche, Paris, Éditions sociales internationales, 1939, p. 143.
{515} Voir David Caute, Le Communisme et les intellectuels français, 1914-1966, Paris,
Gallimard, 1967 ; Michael Kelly, Modern french marxism, Oxford, Basil Blackwell, 1982 ;
Perry Anderson, Sur le marxisme occidental, Paris, Maspéro, 1977 ; Georges Labica,
« Nizan », Europe, no spéc. Paul Nizan, no 784-785, août-septembre 1994.
{516} Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspero, 1965, p. 12.
{517} Entretien avec René Lourau et Antoine Savoye, cité dans Rémi Hess, Henri Lefebvre
et l'aventure du siècle, Paris, Métailié, 1988, ch. 16.
{518} En mars 1940, Maurice Thorez publie dans Die Welt (édition allemande de l'organe de
la Troisième Internationale) un article intitulé « Les traîtres au pilori », et qualifie Nizan
« d'agent de la police ». Durant l'Occupation, un texte émanant du PCF clandestin parle du
« policier Nizan ». Dans Les Communistes (1949), Louis Aragon peint Nizan comme un
traître sous les traits du policier Orfilat.
{519} Paul Nizan, « Sur un certain front unique », Europe, janvier 1933, repris dans
Paul Nizan, Pour une nouvelle culture, Paris, Grasset 1971, p. 53-58.
{520} Norbert Guterman, Henri Lefebvre (dir.), Karl Marx, Morceaux choisis, op. cit.
{521} Le Nationalisme contre les nations, préface de Paul Nizan, Paris, Éditions sociales
internationales, 1937, coll. « Problèmes » (rééd. avec présentation de Michel Trebitsch et
postface d'Henri Lefebvre, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988).
{522} Dans une lettre à Guterman du 14 janvier 1936, Lefebvre écrit : « Nizan est devenu
un très grand personnage bourgeoiso-révolutionnaire. Il est rédacteur diplomatique de
l'Huma, sacré grand écrivain depuis son dernier volume, lecteur à la NRF et dirigeant
occulte de Vendredi ». Voir Michel Trebitsch, « Correspondances d'intellectuels. Le cas des
lettres d'Henri Lefebvre à Norbert Guterman (1935-1947) », in Nicole Racine et Michel
Trebitsch (dir.), « Sociabilités intellectuelles. Lieux, milieux, réseaux », Cahiers de l'IHTP,
no 20, mars 1992, p. 70-84.
{523} Voir Georges Labica, « Nizan », art. cit.
{524} Roger Garaudy, Les Lettres Françaises, 28 décembre 1945.
{525} Sartre, « À propos de l'Existentialisme : Mise au point », Action, no 17, 29 décembre
1944, p. 11.
{526} Conférence donnée au club Maintenant le 28 octobre 1945.
{527} Roger Troisfontaines, Le Choix de Jean-Paul Sartre. Exposé et critique de « L'Être et
le Néant », Paris, Aubier, 1945.
{528} Pierre Boutang, Sartre est-il un possédé ?, Paris, La Table Ronde, juillet 1946, p. 59-
60.
{529} Marc Beigbeder, L'Homme Sartre, Paris, Bordas, 1947, p. 19.
{530} Lors d'une enquête de Dominique Aury sur l'existentialisme, publiée dans Les Lettres
françaises, 1er décembre 1945.
{531} Emmanuel Mounier, Introduction aux existentialismes, Paris, Denoël, 1947.
{532} Paul Foulquié, L'Existentialisme, Paris, PUF, 1952.
{533} Jacques Colette, L'Existentialisme, 4e éd., Paris, P.U.F. « Que sais-je ? », 2007, p. 5.
{534} Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, op. cit., p. 137.
{535} Voir, par exemple, une déclaration de 1975, in Jean-Paul Sartre, Situations X, Paris,
Gallimard, 1976, p. 192.
{536} Éditions des Trois Collines, Genève.
{537} Paris, Éditions Hier et Aujourd'hui, 1947.
{538} Jean-Paul Sartre, « La liberté cartésienne », art. cité.
{539} Éditions sociales.
{540} En décembre 1944, dans un entretien avec Pierre Lorquet (Mondes nouveaux, no 2,
p. 3), il déclare : « La morale, voilà, en effet, quelle est ma préoccupation dominante, et
telle elle fut toujours ».
{541} Jean-Paul Sartre, « Présentation », Les Temps modernes, no 1, octobre 1945, p. 1-21,
repris dans Id., Situations II, Paris, Gallimard, 1948, p. 7-30.
{542} Jean-Paul Sartre, L'Être et le néant, op. cit., p. 711-712. Sur le rapport entre la
représentation des catégories sociales et les catégories métaphysiques chez Sartre, voir
Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », op. cit., chapitre 4, « Une vision
intellectuelle du monde », p. 118-152.
{543} Jean-Paul Sartre, Situations II, op. cit., p. 22-23.
{544} Ibid., p. 28.
{545} Ibid., p. 27.
{546} Voir Gisèle Sapiro, La Responsabilité de l'écrivain, Paris, Éd. du Seuil, 2011.
{547} Voir Anna Boschetti (dir.), no spécial d'Études littéraires « La NRF a cent ans »
(vol. 39, no 3, été 2008).
{548} Maurice Merleau-Ponty, Le Yogi et le prolétaire, Les Temps modernes, no 13, oct.
1946, p. 2-29 et no 14, nov. 1946, p. 253-287, repris dans le volume Humanisme et terreur,
Paris, Gallimard, 1947.
{549} Selon la déclaration de Sartre dans la « Présentation » de la revue (p. 4) : « Nous ne
voulons rien manquer de notre temps ».
{550} Sa dernière contribution à la revue – « Le langage indirect et les voix du silence »,
parue dans le numéro de juillet 1952 – et le texte posthume La Prose du monde (Gallimard,
1969) donnent l'idée de ce projet, interrompu par sa mort.
{551} Sur cette confrontation, voir Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes »,
p. 243-290.
{552} Michel-Antoine Burnier, Les Existentialistes et la politique, Paris, Gallimard, 1965.
{553} Voir Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », Chapitre 7.
{554} Roger Martin du Gard, Journal III, Paris, Gallimard, 1993, p. 771, 8 novembre 1945.
{555} Voir Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », op. cit., chapitre 7,
notamment p. 205-215. Voir également Sylvie Patron, Critique, 1946-1996. Une
encyclopédie de l'esprit moderne, Paris, IMEC, 1999.
{556} Voir chapitre 4.
{557} Pour ce qui concerne l'accueil de Sartre aux USA, voir Ann Fulton, Apostles of Sartre.
Existentialism in America, 1945-1963, Evanston, Northwestern University Press, 1999 ;
pour les pays européens, voir Anna Boschetti, « La recomposition de l'espace intellectuel
en Europe après 1945 », in Gisèle Sapiro (dir.), L'espace intellectuel en Europe : De la
formation des États-nations à la mondialisation, XIXe-XXe siècles, Paris, La Découverte,
2009, p. 147-182. Pour ce qui concerne l'Allemagne, voir également Christophe Charle,
« Intellectuels et écrivains en France et en Allemagne dans les années 1950. Les
fondements du rapprochement », dans Rainer Hudemann et Hélène Miard-Delacroix (dir.),
Mutations et intégration. Les Accords de Paris de 1954 dans le processus des
rapprochements franco-allemands d'après-guerre, Munich, Oldenbourg, 2005, pp. 267-
289.
{558} Cette mise en cause est retracée dans le chapitre 4.
{559} Sur l'ensemble de ces transformations, voir Anna Boschetti, « Les Temps modernes
dans le champ littéraire. 1945-1970 », La Revue des revues, no 7, 1989, p. 6-13.
{560} Voir Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éd. De Minuit, 1984, p. 171-180 et
Annexe II, p. 267-273.
{561} Ibid.
{562} En 1960, par exemple, paraissent simultanément : Archives européennes de
sociologie, Communications, Éudes rurales, L'Homme, Revue française de sociologie.
{563} Voir Michel Pollak, « La planification des sciences sociales », Actes de la recherche
en sciences sociales, no 2/3, 1976, p. 105-121 ; Alain Chenu, « Une institution sans
intention. La sociologie en France depuis l'après-guerre », Actes de la recherche en
sciences sociales, no 141-142, mars 2002, p. 46-59.
{564} Maurice Merleau-Ponty, « Le philosophe et la sociologie », Cahiers Internationaux
de Sociologie, no 10, 1951, repris dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Éditions
Gallimard, NRF, 1960, p. 123-142.
{565} Voir « Les Sciences de l'homme et la phénoménologie », in Merleau-Ponty à la
Sorbonne. Résumé de cours 1949-1952, Grenoble, Éditions Cynara, 1988, p. 397-464
(réédité en 2001 sous le titre Psychologie et pédagogie de l'enfant. Cours de Sorbonne
1949-1952, Lagrasse, Éditions Verdier, collection « Philosophie »).
{566} Voir Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, « Sociology and philosophy in France
since 1945. Death and resurrection of a philosophy without subject », Social Research, 24
(1), 1967, p. 162-212.
{567} Simone de Beauvoir, Les Temps modernes, novembre 1949, p. 493.
{568} Roger Caillois, « Illusions à rebours », La Nouvelle Revue française, 1er décembre
1954, p. 1010-1021 ; et 1er janvier 1955, p. 58-70.
{569} Claude Lévi Strauss, « Diogène couché », Les Temps modernes, no 195, 1955,
p. 1187-1221. À propos de cette polémique, voir chapitre 4.
{570} Jean Pouillon, « L'œuvre de Claude Lévi-Strauss », Les Temps modernes, no 126,
juillet 1956.
{571} Maurice Merleau-Ponty, « De Mauss à Claude Lévi-Strauss », La Nouvelle Revue
Française volume 7, numéro 82, 1959 ; repris dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris,
Éditions Gallimard, NRF, 1960, p. 143-157.
{572} Jean-Daniel Reynaud, « Sociologie et raison dialectique », Revue française de
sociologie, vol. II, 1961, p. 50-66. Sur la genèse et l'évolution de la philosophie sociale de
Sartre, voir Louis Pinto, « Un héritage devenu projet : la philosophie sociale de Sartre »,
Revue d'histoire des sciences humaines, no 1, 2008, p. 115-135.
{573} Pour les pays arabes on peut voir Yoav Di-Capua, « Arab Existentialism : An
Invisible Chapter in the Intellectual History of Decolonization », The American Historical
Review, 2012, 117(4), p. 1061-1091. « By the early 1960s – écrit-il – Arab culture was
dominated by the language, assumptions, and politics of existentialism. Yet this story has
thus far remained an invisible chapter in the intellectual history of decolonization. The
emergence of Arab existentialism as a major category of Arab thought coincided with the
worldwide process of decolonization and the rise of the first generation of Third World
regimes. Between the end of World War II, when pro-colonial Arab monarchies teetered,
and the 1967 Six-Day War, when the revolutionary Arab states that had replaced the
monarchies were defeated, a young generation of Arab intellectuals employed variants of
existentialism in order to meet the multiple challenges of decolonization : cultural
contradictions, uneven development and the consequent social injustice, a struggle for full
physical liberation, and the derivative search for an alternative Cold War political space »
(p. 1061-1062).
{574} La préhistoire du terme est retracée par François Dosse dans son Histoire du
structuralisme, Paris, Éd. De La Découverte, Le livre de poche, 1992, tome 1, Le champ du
signe, 1945-1966, p. 11-12.
{575} Roger Bastide, Sens et usages du terme structure, colloque du 10 au 12 janvier 1959,
La Haye, Mouton, 1962.
{576} Entretiens sur la notion de genèse et de structure, Colloque de Cerisy, juillet-août
1959, La Haye, Mouton, 1965.
{577} Un article d'Yves Florenne (mai 1962) et un autre de Jean Lacroix (27 novembre
1962).
{578} Le Monde, 14 juillet 1962, cité par François Dosse, Histoire du structuralisme,
op. cit., tome 1, p. 277.
{579} Robert Kanters, Le Figaro littéraire, 3-23 juin 1962.
{580} Lévi-Strauss publie dès 1945 le chapitre d'Anthropologie structurale « L'analyse
structurale en linguistique et en anthropologie » (Word, Journal of the Linguistic circle of
New York, vol. 1, no 2, août 1945).
{581} Puisqu'il s'agissait de retracer la genèse d'une représentation, pour cerner les positions
à prendre en considération je me suis fondée sur le consensus des contemporains qui ont
contribué à fabriquer cette représentation. J'ai donc retenu les noms qui reviennent dans
quasiment tous les articles, ouvrages, entretiens, portraits, définitions consacrés au
« structuralisme ».
{582} Voir infra l'analyse des positions.
{583} Mutatis mutandis, on peut trouver un exemple de ce modèle explicatif dans l'analyse
que Pierre Bourdieu a consacré dans les Règles de l'art au cas des écrivains désignés
comme les représentants de « L'Art pour l'Art » (op. cit., p. 107-129).
{584} Sur l'état et le fonctionnement de l'espace universitaire à cette époque-là, voir Pierre
Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984, chapitres 3 et 4.
{585} Michel Foucault, « Conversazione con Michel Foucault », entretien avec
Duccio Trombadori, Il Contributo, no 1, janvier-mars 1980, repris dans Michel Foucault,
Dits et écrits, Paris, Gallimard, t. IV, 1994, p. 48.
{586} Jacques Derrida, « Entretien », dans Dominique Janicaud, Heidegger en France,
vol. II, Entretiens, Paris, Albin Michel, 2001, p. 93.
{587} Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 43.
{588} C'est pourquoi Pierre Bourdieu, qui s'est réclamé d'un structuralisme génétique,
soucieux de rendre compte des conditions historiques et sociales de l'apparition et du
fonctionnement des structures, pourra analyser la démarche de Lévi-Strauss comme
l'exemple même du mode de connaissance objectiviste, qui privilégie la structure et ne rend
pas compte des pratiques concrètes, en ce qu'il les réduit à des fonctions de
communication, ne pouvant les penser que comme exécution du code commun inscrit dans
la structure. Voir Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980, Chapitre 1,
« Objectiver l'objectivation », p. 51-70.
{589} Voir Pierre Bourdieu, « Fieldwork in philosophy », Choses dites, Paris, Minuit, 1987,
p. 13-46.
{590} Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 394.
{591} Voir Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984, p. 140-148.
{592} Voir Pierre Bourdieu, Homo Academicus, op. cit., tome 1, p. 142-143.
{593} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 1, notamment p. 159-
169 (sur la réception de Tristes Tropiques) et p. 274-277 (réception de La Pensée sauvage).
Voir James Boon, From Symbolism to Structuralism : Lévi-Strauss in a Literary Tradition,
New York, Arper & Row, 1972.
{594} Claude Lévi-Strauss et Didier Éribon, De près et de loin, Paris, Odile Jacob,
coll. « Points », éd. augmentée, 1990, p. 54.
{595} Roman Jakobson et Claude Lévi-Strauss, « “Les chats” de Charles Baudelaire »,
L'Homme, no 2, 1962, p. 5-21.
{596} Voir Roland Barthes, entretien avec Raymond Bellour (20 mai 1970), Le Livre des
autres, Paris, 10/18, 1978, p. 79 ; Claude Lévi-Strauss et Didier Éribon, De près et de loin,
op. cit., p. 106.
{597} Voir Pierre Bourdieu, Choses dites, op. cit., p. 16.
{598} Voir Anna Boschetti, « Les Temps modernes dans le champ des revues », La Revue
des revues, no 7, 1989, p. 6-13.
{599} Voir Pierre Bourdieu, Homo Academicus, op. cit., p. 140-148.
{600} Voir Frédérique Matonti, « L'anneau de Moebius. La réception en France des
formalistes russes », Actes de la recherche en sciences sociales, no 176-177, 2009, p. 52-
67. Voir infra les remarques consacrées à ce cas.
{601} Julia Kristeva, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, XXIII, no 239,
avril 1967, p. 438-65.
{602} Lacan traduit l'article de Heidegger Logos – avec des coupures – et le publie en 1953
dans le premier numéro de sa revue La Psychanalyse.
{603} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 1, p. 284.
{604} Louis Althusser, L'Avenir dure longtemps, suivi de Les Faits, Paris, Le livre de poche,
1994, p. 367.
{605} Louis Althusser, « Freud et Lacan », La Nouvelle Critique, no 161-162, décembre-
janvier 1964-1965, repris dans Positions, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 21-26.
{606} Sur le parcours de Foucault, voir Didier Eribon, Michel Foucault, Paris, Flammarion,
1989 ; José Louis Moreno Pestaña, En devenant Michel Foucault. Sociogenèse d'un grand
philosophe, Broissieux, Éd. du Croquant, 2006.
{607} Voir Georges Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, PUF, 1966.
{608} Louis Althusser, Lire le Capital, tome I, Paris, Petite collection Maspéro, 1971
(1965), p. 26.
{609} Georges Canguilhem, « Mort de l'homme ou épuisement du Cogito », Critique, juillet
1967, p. 599-618.
{610} Voir l'article de Pierre Macherey, « La philosophie de la science de Georges
Canguilhem. Épistémologie et histoire des sciences », La Pensée, 113, janvier-février 1964,
p. 62-74, présenté par Althusser. Ce dernier a explicitement reconnu sa dette : « Je ne puis
dire à quel point l'influence de Canguilhem fut décisive pour moi et pour nous » (Louis
Althusser, L'Avenir dure longtemps, op. cit., p. 209).
{611} Tran DucTao, Phénoménologie et matérialisme dialectique, Paris, éd. Minh-Tan,
1951.
{612} Dans ses mémoires, Althusser racontera avoir été amené à « parler de Marx à l'école »
par l'insistance d'élèves comme Macherey et Balibar. Voir Louis Althusser, L'Avenir dure
longtemps, op. cit., p. 233.
{613} Louis Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965 ; Louis Althusser, Etienne Balibar,
Roger Establet, Pierre Macherey et Jacques Rancière, Lire le Capital, Paris, Maspéro,
1965.
{614} Voir Louis Pinto, La Théorie souveraine. Les philosophes français et la sociologie au
XXe siècle, Paris, Éd. du Cerf, 2009, p. 229.
{615} Jacques Derrida, « Freud et la scène de l'écriture », texte de 1966, repris dans Jacques
Derrida, L'Écriture et la différence, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1967, cit. p. 314. Voir
René Major, « Derrida, lecteur de Freud et de Lacan », Études françaises, 38, 1-2, p. 165-
168.
{616} Jacques Derrida, « Pour l'amour de Lacan », dans Résistances de la psychanalyse,
Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 1996, p. 64.
{617} J'emploie ce terme, comme le faisait Pierre Bourdieu, pour désigner l'orientation que
l'objectivation rétrospective peut dégager dans les pratiques d'un agent : dans un sens
différent, donc, de celui que lui confère l'usage courant, qui implique un calcul conscient et
cynique de la part des agents.
{618} Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 313.
{619} Derrida a reconnu sa dette envers Heidegger : « Rien de ce que je tente n'aurait été
possible sans l'ouverture des questions heideggeriennes, [...], sans l'attention à ce que
Heidegger appelle la différence entre l'être et le néant, la différence ontico-ontologique. »
(Jacques Derrida, Positions, Minuit, 1972, p. 18).
{620} Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, Presses Universitaires de France, 1968.
{621} Voir Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France,
Paris, Éd. du Seuil, 1995 ; Id., La Théorie souveraine. op. cit. ; Jacques Le Rieder,
Nietzsche en France. De la fin du XIXe siècle au temps présent, Paris, PUF, 1999.
{622} Voir Anna Boschetti, « Les Temps modernes dans le champ des revues », art. cité.
{623} Voir Isabelle Kalinowski, « Maurice Blanchot, Hölderlin et Heidegger : la “parole
sacrée” », Poésie, no 100, mars 2004, p. 12-19 ; Louis Pinto, La Théorie souveraine,
op. cit., p. 250.
{624} Jacques Derrida, « De l'économie restreinte à l'économie généralisée », in Jacques
Derrida, L'Écriture et la différence, p. 369-407.
{625} Jacques Derrida, « Pas (préambule) », Gramma, 3-4, 1976 ; repris in Id., Parages,
Paris Galilée, 1986 ; Id., Demeure, Maurice Blanchot, Paris, Galilée, 1998.
{626} Maurice Blanchot, « L'oubli, la déraison » et « L'athéisme et l'écriture. L'humanisme
et le cri », La NRF, no 178, octobre 1967 (textes repris dans Maurice Blanchot, L'Entretien
infini, Paris, Gallimard, 1969).
{627} Maurice Blanchot, Michel Foucault tel que je l'imagine, Montpellier, Fata Morgana,
1986.
{628} Maurice Blanchot, « L'absence de livre », dans L'Entretien infini, op. cit., et « Grâce
(soit rendue) à Jacques Derrida », Revue philosophique, no 2, avril-juin 1990, p. 167-173.
{629} Pierre Bourdieu, « La maison kabyle ou le monde renversé », in Jean Pouillon, Pierre
Maranda (dir.), Échanges et communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss à
l'occasion de son 60e anniversaire, Paris-La Haye, Éd. Mouton, 1970, p. 739-758.
{630} Voir notamment Le Sens pratique (Paris, Minuit, 1980) ; Choses dites, op. cit. ;
Réponses (avec Loïc Wacquant, Paris, Seuil, 1992) ; Méditations pascaliennes (Paris,
Seuil, 1998) ; Éléments pour une auto-analyse (Paris, Raisons d'agir, 2004).
{631} Pierre Bourdieu, Choses dites, op. cit., p. 14.
{632} Voir à ce propos Anna Boschetti, « Le Champ littéraire », in Frédéric Lebaron et
Gérard Mauger (dir.), Lectures de Bourdieu, Paris, Ellipses, 2012, p. 243-262.
{633} Piaget ressentait la même exigence : voir Id., Entretiens sur la notion de genèse et de
structure, Mouton, 1965, p. 42.
{634} Émile Benveniste, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte
freudienne », La Psychanalyse, I, 1956, repris dans Id., Problèmes de linguistique
générale, tome 1, Paris, Gallimard, 1966, p. 75-87.
{635} Émile Benveniste, « La philosophie analytique et le langage », Les Études
philosophiques, no 1, janvier-mars 1963, p. 3-11.
{636} Roland Barthes, « Sociologie et socio-logique », Informations sur les sciences
sociales, no 4, décembre 1962, repris in Id., Œuvres complètes II, Seuil (première édition
1962), p. 32-42.
{637} Voir Laurent Jeanpierre, « Une opposition structurante pour l'anthropologie
structurale : Lévi-Strauss contre Gurvitch, la guerre de deux exilés français aux États-
Unis », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, no 11, 2004, p. 13-44.
{638} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 1, p. 255.
{639} Claude Lévi-Strauss, « Diogène couché », Les Temps modernes, no 195, 1955,
p. 1187-1221.
{640} Ibid., p. 1187.
{641} Georges Gurvitch, « Le concept de structure sociale », Cahiers internationaux de
sociologie, XIX, 1955, p. 3-44.
{642} Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, op. cit., p. 356. Voir Laurent
Jeanpierre, « Une opposition structurante pour l'anthropologie structurale », art. cité.
{643} Paul Ricœur, « L'herméneutique et le structuralisme », Esprit, novembre 1963, p. 618.
{644} Claude Lévi-Strauss, Esprit, novembre 1963, p. 637.
{645} Michel Foucault déclare explicitement que Sartre « est encore un homme du
XIXe siècle, car toute son entreprise vise à rendre l'homme adéquat à sa propre
signification » (Michel Foucault, « Lecture pour tous », 1966, document INA, diffusion
Océaniques, FR3, 13 janvier 1988).
{646} Jean-Paul Sartre, « Jean-Paul Sartre répond », L'Arc, no 30, 1966, p. 87-88.
{647} Ibid., p. 94. Voir également Jean-Paul Sartre, « L'anthropologie », Cahiers de
philosophie, no 2, février 1966, p. 3-12.
{648} Raymond Picard, Nouvelle Critique ou nouvelle imposture, Paris, Pauvert, 1965.
{649} Voir l'analyse proposée dans Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984,
p. 151-155.
{650} Pour une reconstitution plus détaillée de cette querelle, on peut voir François Dosse,
Histoire du structuralisme, op. cit., tome 1, p. 264-270.
{651} Michel Foucault, Les Mots et les choses, op. cit., p. 221.
{652} Le Nouvel Observateur, 25 janvier 1967.
{653} Voir Anna Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », op. cit., p. 205-215 ;
Sylvie Patron, Critique, 1946-1996, op. cit., p. 91 ; Louis Pinto, La Théorie souveraine,
op. cit., p. 238.
{654} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 235-242.
{655} Roland Barthes, « Littérature littérale », Critique, no 100-101, sept.-oct. 1955, p. 820-
826, repris dans Essais critiques, Seuil, 1964, p. 63-70.
{656} Georges Bataille, « Un livre humain, un grand livre », Critique, no 115, février 1956.
{657} Michel Foucault, Entretien, La Quinzaine littéraire, no 5, 15 mai 1966.
{658} La Quinzaine littéraire, 1-15 juillet 1967.
{659} La Quinzaine littéraire, 1-15 juillet 1967, p. 19.
{660} Michel Le Bris, « Saussure : le père du structuralisme », Magazine Littéraire, no 16,
mars 1968, p. 36-38.
{661} Voir Louis Pinto, L'Intelligence en action. Le « Nouvel Observateur », Paris, Métailié,
1984 ; « Tel Quel. Au sujet des intellectuels de parodie », Actes de la recherche en sciences
sociales, no 89, septembre 1991, p. 66-77.
{662} L'Express, 21 août 1967.
{663} Voir Louis Pinto, L'Intelligence en action. Le « Nouvel Observateur », op. cit.
{664} C'est ainsi que Foucault est présenté dans le chapeau de son article « Les mots et les
images », Le Nouvel Observateur, no 154, 25 octobre 1967.
{665} Les Temps modernes, « Problèmes du structuralisme », no 246, novembre 1966 ;
Esprit, « Structuralismes, idéologies et méthodes », no 360, mai 1967.
{666} Frédérique Matonti, « L'anneau de Moebius. La réception en France des formalistes
russes », Actes de la recherche en sciences sociales, no 176-177, 2009, p. 52-67 (cit. p. 54
note 11). Voir également Id., Intellectuels communistes. Essai sur l'obéissance politique. La
Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005.
{667} Olivier Revault d'Allonnes, « Michel Foucault. Les Mots contre les choses », Raison
présente, 1967, repris dans l'ouvrage collectif Structuralisme et marxisme, 10/18, 1970.
{668} La Pensée, no 135, octobre 1967.
{669} Centre d'études et de recherches marxistes.
{670} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 111-123 ; voir
également Frédérique Matonti, Intellectuels communistes, op. cit.
{671} Michel Foucault, entretien avec Raymond Bellour, Les Lettres françaises, 15 juin
1967.
{672} Pierre Daix, Structuralisme et révolution culturelle, Casterman, 1971.
{673} Frédérique Matonti, « L'anneau de Moebius », art. cité.
{674} Voir le chapitre d'Anthropologie structurale « L'analyse structurale en linguistique et
en anthropologie », cité supra, où Lévi-Strauss reconnaît sa dette avec la linguistique
structurale, notamment avec Jakobson.
{675} La reconstitution historique ne saurait toutefois présenter Jakobson, Lévi-Strauss et
Lacan comme les « trois pères fondateurs du structuralisme », en reprenant à son compte
l'amalgame produit par le journalisme culturel, qui rassemble sous un label parisien, lancé
à la fin des années 1950, des positions différentes comme celle de Jakobson (pour lequel la
pensée de Saussure est une référence majeure depuis la fin des années 1910), Lévi-Strauss
(qui a découvert Saussure grâce à Jakobson pendant la Seconde Guerre mondiale et a été
salué par la presse parisienne comme le chef de file d'un nouvel « isme ») et Lacan, qui a
fréquenté Jakobson et Lévi-Strauss et a tiré des suggestions de leurs œuvres sans jamais
être reconnu par eux comme appartenant à leur « famille intellectuelle ».
{676} Gérard Genette, « La littérature toute nue », Le Nouvel Observateur, 16 mars 1966.
{677} Jean-Marie Auzias, Clefs pour le structuralisme, Paris, Seghers, 1967, p. 9.
{678} François Wahl, « Introduction générale », Qu'est-ce que le structuralisme ?, Éd. du
Seuil, coll. « Points », 1973, p. 12.
{679} Ibid., p. 13.
{680} Sur les usages américains des auteurs français, voir infra, chapitre 5.
{681} Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., « Formations et dissolution des
groupes », p. 371-375.
{682} Entretien avec Pierre Daix du 26 novembre 1966, Les Lettres Françaises, no 1159,
déc. 1966, p. 1-7.
{683} Voir Claude Lévi-Strauss et Didier Eribon, De près et de loin, op. cit., p. 104.
{684} Claude Lévi-Strauss, « Réponse à un questionnaire sur la critique littéraire »,
Paragone, Nuova serie, no 182, avril 1965, repris dans Anthropologie structurale, vol. II,
Paris, Plon, 1973, p. 323-324.
{685} Claude Lévi-Strauss, Le Nouvel Observateur, 25 janvier 1967, p. 32.
{686} Michel Foucault, La Presse de Tunis, 2 avril 1967.
{687} Lévi-Strauss se réfère à l'article de Jacques Derrida, « Lévi-Strauss dans le
XVIIIe siècle », Cahiers pour l'analyse, no 4, sept.-oct. 1966.
{688} Claude Lévi-Strauss, Lettre, Cahiers pour l'analyse, no 8, 1967.
{689} Voir son introduction à Edmund Husserl, L'Origine de la géométrie, PUF, 1962.
{690} Jacques Derrida, « Force et signification », Critique, nos 193-194, juin-juillet 1963,
repris dans L'Écriture et la différence, Le Seuil, 1967, p. 9-49.
{691} Jacques Derrida, « Cogito et histoire de la folie », Revue de métaphysique et morale,
no 68, octobre-décembre 1963, p. 460-494 et no 69, janvier-mars 1964, p. 116-119, repris
dans Id., L'Écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 51-97.
{692} Ibid., p. 88.
{693} Michel Foucault, « Mon corps, ce papier, ce feu », Paideia, septembre 1971, repris
dans Michel Foucault, Histoire de la folie, Paris, Gallimard 19722, Appendice II, p. 602.
{694} Jacques Derrida, De la grammatologie, Minuit, 1967, p. 25.
{695} Jacques Derrida, « Lévi-Strauss dans le XVIIIe siècle », art. cité.
{696} Voir infra chapitre 5.
{697} Jacques Derrida, De la grammatologie, op. cit., p. 124. En décrivant ces attaques de
Derrida comme les « premières fissures » (c'est le titre de la première partie du deuxième
tome de son Histoire du structuralisme, op. cit.), François Dosse montre qu'il pense le
« structuralisme » comme un bloc compact qui craque, au lieu de reconnaître les enjeux qui
expliquent ces luttes.
{698} Jacques Derrida, entretien avec Jean-Louis Houbedine et Guy Scarpetta, Promesse,
17 juillet 1971, repris dans Positions, op. cit. Il reprend ces critiques lors d'une conférence
à l'Université John Hopkins, publiée sous le titre « Le facteur de vérité », dans Poétique,
no 21, 1975, repris dans La Carte postale, Paris, Aubier Flammarion, 1980.
{699} Jacques Derrida, « La question du style », in Nietzsche aujourd'hui ?, tome I,
Colloque de Cerisy, UGE, coll. « 10/18 », 1973, p. 235-287.
{700} Ce sont les définitions qu'en donne notamment François Dosse dans son Histoire du
structuralisme, op. cit., tome 1, p. 9.
{701} Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., p. 183-185. Sur cette crise, on peut
voir Pierre Bourdieu, Homo Academicus, op. cit. ; Dominique Damamme, Boris Gobille,
Frédérique Matonti et Bernard Pudal (dir.), Mai-Juin 68, Paris, éd. de l'Atelier, 2008 ;
Philippe Artières et Michelle Zancarini-Fournel (dir.), 68, une histoire collective (1962-
1981), Paris, La Découverte, 2008.
{702} Pour plus de détails, voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2,
p. 138-145.
{703} « L'imagination au pouvoir. Entretien de Jean-Paul Sartre avec Daniel Cohn-Bendit »,
Le Nouvel Observateur, 20 mai 1968.
{704} Voir Claude Lefort, Edgar Morin, Jean-Marc Coudray, Mai 68 : la brèche. Premières
réflexions sur les événements, Paris Fayard, 1968.
{705} Voir Éric Brun, Guy Debord et l'Internationale situationniste. Sociologie d'une avant-
garde « totale »,Thèse citée.
{706} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 132.
{707} Alain Touraine, Le Mouvement de mai ou le communisme utopique, Paris, Éd. du
Seuil, 1968.
{708} Pamphlet publié « par des membres de l'Internationale situationniste et des étudiants
de Strasbourg », A.F.G.E.S., novembre 1966.
{709} Guy Debord, La Société du Spectacle, Paris, Buchet/Chastel, 1967.
{710} Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Paris,
Gallimard, 1967.
{711} Roger Crémant, Les Matinées structuralistes, Paris, Laffont, 1969.
{712} Langue française, no 15, 1972.
{713} Voir Bernard Laks, « Le champ de la sociolinguistique française de 1968 à 1983 »,
Langue française, no 63, septembre 1984, p. 103-128.
{714} Voir la reconstitution de François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2,
deuxième partie, p. 129-222.
{715} Voir Jean-Claude Chevalier, Pierre Encrevé, « La création de revues dans les
années 60 : matériaux pour une histoire récente de la linguistique en France », Langue
française, no 63, 1984, p. 57-102.
{716} Voir Charles Soulié (dir.), Un mythe à détruire ? Origines et destin du Centre
universitaire expérimental de Vincennes, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2012.
{717} Voir Gérard Mauger, « Du gauchisme à la contre-culture (1965-1975) »,
Contradictions, no 38, hiver 1983-1984, p. 39-62, et « Gauchisme, contre-culture et
néolibéralisme : pour une histoire de la génération de mai 68 », dans CURAPP, L'Identité
politique, Paris, PUF, 1994, p. 206-226.
{718} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 144-145.
{719} Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes.
{720} Louis Althusser, Lire le Capital, Maspero, PCM, tome 1, 1968, p. 5.
{721} Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les Héritiers, Paris, Minuit, 1964 ; Id., La
Reproduction, Paris, Minuit, 1970.
{722} Louis Althusser, Réponse à John Lewis, Paris, Maspero, 1973.
{723} Louis Althusser, Éléments d'autocritique, Paris, Hachette, 1974, p. 61.
{724} Ibid., p. 57.
{725} Jacques Rancière, La Leçon d'Althusser, Gallimard, 1974, p. 10.
{726} Ces propos de Rancière sont tirés d'un entretien de François Dosse avec Jacques
Rancière, cité dans François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 217-218.
{727} Saül Karsz, Théorie et politique. Louis Althusser, Paris, Fayard, 1975.
{728} Voir François Dosse, Histoire du structuralisme, op. cit., tome 2, p. 194-210.
{729} Sur l'évolution politique de Foucault, voir Jose Luis Moreno Pestaña, Foucault, la
gauche et la politique, Textuel, coll. « Petite encyclopédie critique », 2011.
{730} Esprit, mai 1968, p. 850-874.
{731} Ibid., p. 854.
{732} Ibid., p. 858.
{733} Ibid., p. 860.
{734} Ibid., p. 871.
{735} Michel Foucault, « Réponse au cercle d'épistémologie », Cahiers pour l'analyse, no 9,
été 1968.
{736} Michel Foucault, L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
Sciences humaines », 1969, p. 62.
{737} Ibid.
{738} Ibid., p. 15.
{739} Emmanuel Le Roy Ladurie, France-Culture, 10 juillet 1969.
{740} Claude Lévi-Strauss, « Les lundis de l'histoire », France-Culture, 25 janvier 1971.
{741} Emmanuel Le Roy Ladurie, « L'histoire immobile », leçon inaugurale au Collège de
France, 30 novembre 1973, reprise dans Le Territoire de l'historien, tome 2, Paris,
Gallimard, 1978, p. 7-34.
{742} Pierre Nora, Le Nouvel Observateur, 7 mai 1974.
{743} Paul Veyne, « Foucault révolutionne l'histoire », Comment on écrit l'Histoire, Éd. du
Seuil, coll. « Points », 1978, p. 203-204.
{744} Michel Foucault, L'Archéologie du savoir, op. cit., p. 164-165.
{745} Voir Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., p. 334-346.
{746} Voir à ce propos la préface et l'annexe III de Jean-Jacques Rosat dans Paul
Boghossian, La Peur du savoir. Sur le relativisme et le constructivisme de la connaissance,
Marseille, Agone, 2009.
{747} Michel Foucault, « Vérité et pouvoir. Entretien avec M. Fontana », L'Arc, no 70, 1977,
p. 16-26.
{748} Gilles Deleuze, Félix Guattari, L'Anti-Œdipe, Paris, Minuit, 1972, p. 59.
{749} Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Éd. du Seuil, 1973.
{750} Jacques Derrida, Positions, Paris, Minuit, 1972, p. 95.
{751} Ibid., p. 15.
{752} Contrairement à ce que soutiennent plusieurs reconstitutions superficielles, Pierre
Bourdieu et Michel Foucault sont loin de participer à ce « retour du sujet ». Bourdieu avait
forgé les notions d'habitus et de stratégie dès la moitié des années 1960, justement comme
instruments permettant de dépasser l'alternative de l'objectivisme et du subjectivisme.
L'attention consacrée par Foucault à la « subjectivation » n'est pas l'indice d'un tournant par
rapport à l'anti-subjectivisme de ses débuts, car il s'agit d'objectiver le processus historique
qui a produit le « sujet ».
{753} Serge Audier, La Pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration
intellectuelle, Paris, La Découverte, 2008 ; Jean Birnbaum, Les Maoccidents. Un
néoconservatisme à la française, Paris, Stock, 2009 ; François Cusset, La Décennie. Le
grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2006 ; Michael Christofferson,
Les Intellectuels contre la gauche. L'idéologie antitotalitaire en France (1968-
1981),Marseille, Agone, « Contre-feux », 2009 [2004] ; Laurent Jeanpierre, Laurent
Martin, « 1968-1986 : la « révolution conservatrice » de la pensée française à l'épreuve des
rencontres de Cerisy », Histoire@Politique, no 20, mai-août 2013, présentation du dossier
« 68/86 : un grand retournement ? Cerisy dans la vie intellectuelle française ».
{754} Voir Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, « Sociology and philosophy in France
since 1945. Death and resurrection of a philosophy without subject », Social Research, 24
(1), 1967, p. 162-212. Cette analyse invitait à reconnaître dans le « structuralisme » une
résurrection masquée de la « philosophie sans sujet » de Durkheim, tout en soulignant que
ces changements ne pouvaient être ramenés à un simple retour au passé. Voir également
Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art, op. cit., « Post-scriptum », p. 459-472 : l'oscillation
entre deux pôles caractérise également l'histoire des attitudes collectives des intellectuels à
l'égard de la politique.
{755} Sur les enjeux de l'importation et de la diffusion en Europe et aux USA de la
littérature de témoignage provenant des pays soviétiques, sur la construction de la notion
de « totalitarisme » et sur le rôle joué par les USA dans ces processus, voir Ioana Popa,
Traduire sous contraintes. Littérature et communisme (1947-1989), Paris, Éd. du CNRS,
2010, notamment chapitre 3, p. 113-154. Pour une critique de la notion de totalitarisme,
voir Ian Kershaw, Moshe Lewin (dir.), Stalinism and nazism : dictatorships in comparison,
Cambridge, Cambridge University press, 1997 ; Marc Ferro (dir.), Nazisme et
communisme : deux régimes dans le siècle, Paris, Hachette, 1999. Sur les usages
idéologiques du concept de démocratie, voir Daniel Gaxie, La Démocratie représentative,
Paris, Monchrestien, 1993.
{756} Pierre Bourdieu, Luc Boltanski, « La production de l'idéologie dominante », Actes de
la recherche en sciences sociales, 2e année, no 2/3, juin 1976, p. 3-73, (repris comme livre
aux éditions Démopolis en 2008).
{757} Ibid., p. 4.
{758} Ibid., p. 5.
{759} Parmi ceux qui font partie de ce réseau, vers 1975, il y a des hommes politiques
comme Giscard d'Estaing et son porte-parole Michel Poniatowski, des dirigeants
d'entreprises privées et publiques, comme François Bloch-Lainé, président du Crédit
Lyonnais, Pierre Dreyfus, Président de la Régie Nationale des usines Renault, outre des
intellectuels jouant le rôle d'experts, de conseillers, de porte-parole et d'idéologues, qui sont
souvent professeurs dans les écoles du pouvoir, l'ENA et l'IEP. Sur le rôle de ces Écoles,
voir Alain Garrigou, Les Élites contre la République. Sciences Po et l'ENA, Paris, La
Découverte, 2001.
{760} Le corpus analysé par Bourdieu et Boltanski est constitué notamment par : Réflexions
pour 1985, La Documentation française, 1964 ; Économie et société humaine, Paris,
Denoël 1972 ; La France dans la compétition économique, Paris, PUF, 1969 ; L'État et le
citoyen, Club Jean Moulin, Seuil, 1961 ; Quel avenir pour l'Europe ?, Publicis, 1968 ; Le
Libéralisme sortie de secours du socialisme, Paris, Éd. étapes, 1971 ; Jean-Jacques Servan-
Schreiber, Michel Albert, Ciel et terre, manifeste radical, Paris, Denoël, 1970 ; Pierre
Massé, Le Plan ou l'anti-hasard, Paris, Gallimard, 1965 ; Michel Poniatowski, Conduire le
changement, Paris, Fayard, 1975.
{761} Denoël, 1966.
{762} Gallimard, 1963.
{763} Seuil, 1970.
{764} Le thème de la fin des systèmes politiques et idéologiques nés au XIXe siècle est lancé
par Raymond Aron dans L'Opium des intellectuels (Gallimard, 1955) et aux États-Unis par
l'ouvrage de Daniel Bell The End of Ideology, Glencoe, The Free Press, 1960 (tr. fr La fin
de l'Idéologie, Paris, PUF, 1997).
{765} Jean Saint-Geours, Vive la société de consommation, Paris, Hachette, 1971, p. 13.
{766} Michel Poniatowski, Conduire le changement, op. cit., p. 240.
{767} René Poirier, dans Le Libéralisme sortie de secours du socialisme, Paris, Éd. étapes,
1971.
{768} Michel Crozier, La Société bloquée, op. cit., p. 161.
{769} Ibid., p. 166.
{770} Giscard d'Estaing, in Quel avenir pour l'Europe, op. cit., cité in Pierre Bourdieu, Luc
Boltanski, « La production de l'idéologie dominante », art. cité, p. 23. Sur la genèse et
l'essor du néolibéralisme, voir Serge Halimi, Le Grand bond en arrière. Comment l'ordre
libéral s'est imposé au monde, Paris, Fayard, 2006 ; François Denord, Néolibéralisme
version française. Histoire d'une idéologie politique, Paris, Demopolis, 2007.
{771} Pour ce qui concerne le rôle du Nouvel Observateur, voir Louis Pinto, L'Intelligence
en action, le « Nouvel Observateur », Paris, Métailié, 1984.
{772} Jacques Julliard, « La rédemption des clercs », Le Nouvel Observateur, 27 octobre
1994.
{773} Si Jean-Marie Benoist publie La Révolution structurale, en 1975, c'est que, assistant
de Lévi-Strauss au Collège de France, il a intérêt à valoriser ce capital intellectuel, et par
ailleurs son livre Marx est mort, publié en 1970, suffit à faire de lui le prophète le plus
précoce de la nouvelle humeur idéologique. Pour une analyse des ressorts de ce discours,
voir Claude Grignon, « Tristes topiques », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1,
février 1976, p. 32-42.
{774} François Aubral et Xavier Delcourt, Contre la nouvelle philosophie, Paris, Gallimard,
1977.
{775} Sur Aron, comme incarnation exemplaire de l'intellectuel conservateur, voir Pierre
Bourdieu, « Effets de champ et formes de conservatisme », Les Règles de l'art, op. cit.,
p. 385-390. Sur les usages et les enjeux de la célébration d'Aron contre Sartre et de la
redécouverte de Tocqueville, voir Claire Le Strat, Willy Pelletier, La Canonisation libérale
de Tocqueville, Paris, Syllepse, 2006.
{776} Voir Louis Pinto, L'Intelligence en action, le « Nouvel Observateur », op. cit., p. 31.
{777} Pierre Nora, « Que peuvent les intellectuels ? », Le Débat, no 1, mai 1980, p. 3-19.
{778} Louis Pinto, Le Café du commerce des penseurs, Éditions du Croquant, 2009, p. 34.
{779} Luc Ferry, Alain Renaut, La Pensée 68, Paris, Gallimard, 1985.
{780} Voir Christophe Charle, Charles Soulié (dir.), Les Ravages de la « modernisation » de
l'enseignement supérieur en Europe, Paris, Syllepses, 2007 ; Christophe Charle, Jacques
Verger, Histoire des universités, XIIe-XXIe siècle, Paris, PUF, nouvelle éd. 2012.
{781} PECRES, Recherche précarisée, recherche atomisée. Production et transmission des
savoirs à l'heure de la précarisation, Paris, Raisons d'agir, 2011.
{782} Frédéric Martel, Présentation du numéro spécial « Le renouveau de la philosophie
politique », Le Magazine littéraire, octobre 1999. Sur le succès de John Rawls en France,
voir Mathieu Hauchecorne, « Le “Professeur Rawls” et le “Nobel des pauvres”. La
politisation différenciée des théories de la justice de John Rawls et d'Amartya Sen dans les
années 1990 en France », Actes de la recherche en science sociales, nos 176-177, 2009,
p. 94-113 ; Id., La Fabrication transnationale des idées politiques. Sociologie de la
réception de John Rawls et des « théories de la justice » en France (1971-2011), Thèse de
doctorat en Science Politique, sous la direction de Frédérique Matonti et Frédéric Sawicki,
présentée et soutenue le 14 novembre 2011, Université de Lille 2 – Droit et Santé, à
paraître chez CNRS Éditions.
{783} Alain Touraine, « La self-sociologie », Le Nouvel Observateur, 13/06/1986.
{784} Jacques Rancière, « La parole n'est pas plus morale que les images », Télérama,
15/12/2008.
{785} Max Armanet, « À quoi sert la philosophie ? ». Présentation du numéro spécial « Les
grandes questions de la philosophie », Le Nouvel Observateur, mars 1998.
{786} Brice Le Gall, Charles Soulié, « Note démographique : sociologie et philosophie,
étude comparée de leurs évolutions socio-démographiques », Regards Sociologiques,
no 36, 2008, p. 43-52.
{787} Les guillemets rappellent que cette formule n'est employée ici que pour designer
sténographiquement les appropriations diverses dont les textes des théoriciens français sont
l'objet aux États-Unis.
{788} Voir Michèle Lamont, Marsha Witten, « Surveying the Continental Drift : The
Diffusion of French Social and Literary Theory in the United States », French Politics &
Society, vol. 6, no 3, Juillet 1988 ; Ieme Van Der Poel et al. (dir.), Traveling Theory :
France and the United States, Teanech, Fairleigh Dickinson University Press, 1999 ; Sande
Cohen, Sylvère Lotringer (dir.), French Theory in America, New York, Routledge, 2001 ;
Nouveaux passages transatlantiques, Théorie Littérature Epistémologie, no 20, printemps
2002 ; François Cusset, French Theory. Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations
de la vie intellectuelle aux États Unis, Paris, La Découverte, 2005 (1re éd. 2003).
{789} Voir Stanley Aronowitz, Henry Giroux, Education Under Siege, Boston, Bergin &
Garvey, 1985 ; Christopher J. Lukas, American Higher Education. A History, New York,
St Martin's Press, 1994.
{790} Voir le titre et la préface de la deuxième édition des actes du colloque : Richard
Macksey, Eugenio Donato (dir.), The Structuralist Controversy. The Language of Criticism
and the Sciences of Man, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1972 [1970].
{791} Voir chapitre 4.
{792} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 75-85.
{793} Voir Jeffrey Williams, « Stanley Agonists : An Interview with Stanley Fish », The
Minnesota review, no 52-54, 2001, p. 115-126.
{794} Stanley Fish, Surprised by Sin. The Reader in Paradise Lost, Berkeley, University of
California Press, 1972.
{795} Antoine Compagnon, Le Démon de la théorie, Paris, Seuil, 1998.
{796} London, Routledge & Kegan Paul Ltd, 1979.
{797} Jacques Derrida, Of Grammatology, Baltimore-London, Johns Hopkins University
Press, 1976.
{798} « The Great Wheel : Stages in the Personality of Yeats's Lyric Speaker », PhD
Dissertation, Cornell University, September 1967. Ce travail a abouti à un livre : Gayatri
Chakravorty Spivak, Myself Must I Remake. The Life and Poetry of W. B. Yeats, New York,
Crowell, 1974.
{799} Judith Butler, Bodies that Matter. On the Discursive Limits of “Sex”, New York,
Routledge, 1993, p. 19.
{800} Michèle Lamont, « How to become a Dominant French Philosopher ? The case of
Jacques Derrida », American Journal of Sociology, vol. 93, no 3, novembre 1987, p. 602-
604.
{801} Michèle Lamont, Marsha Witten, « Surveying the Continental Drift : The Diffusion of
French Social and Literary Theory in the United States », French Politics & Society, vol. 6,
no 3, juillet 1988.
{802} « Facts and Figures », ADE Bulletin, no 110, p. 52-54.
{803} Voir Jack H. Schuster, Martin J. Finkelstein, The American Faculty. The Restructuring
of Academic Work and Careers, Baltimore, The Johns Hopkins UP, 2006.
{804} Ibid.
{805} Voir Christophe Charle, Jacques Verger, Histoire des universités. XIIe-XXIe siècle, Paris,
PUF, 2012, p. 188-191.
{806} Voir Seymour Martin Lipset, « Sources of Political Correctness on American
Campuses », in Howard Dickmann (dir.), The Imperiled Academy, New Brunswick,
London, Transaction Publishers, 1993, p. 71-95.
{807} David Kaufmann, « The profession of Theory », PMLA, vol. 105, no 3, 1990, p. 527-
528.
{808} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 73.
{809} À titre d'exemples, on peut citer Robert Young (dir.), Untying the Text : A Post-
Structuralist Reader, Boston and London : Routledge & Kegan Paul, 1981 ; Paul Rabinow
(dir.) The Foucault Reader, New York, Pantheon Books, 1984 ; Jane Gallop, Reading
Lacan, Cornell University Press, 1985 ; Jim Powell and Van Howe, Derrida for Beginners,
New York, Writers and Readers Publishing Inc., 1996.
{810} George Steiner, « The Mandarin of the Hour », New York Times Book Review,
28 février 1971.
{811} Clement Greenberg, « Avant-Garde and Kitsch » Partisan Review, no 6, 1939, p. 34-
49 ; Theodor W, Adorno, Max Horkheimer, « Kulturindustrie. Aufklärung als
Massenbetrug », in Dialektik der Aufklärung. Philosophische Fragmente, Frankfurt/M.,
Suhrkamp, 1980, p. 108-150.
{812} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 94.
{813} Mark Taylor, Deconstructing Theology, Minneapolis, Crossroad, 1982.
{814} Mark Taylor, Erring. A Postmodern A/theology, Chicago, University of Chicago
Press, 1984.
{815} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 136.
{816} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 111-113.
{817} Jean-François Lyotard, The Postmodern Condition, Minneapolis, University of
Minnesota Press, 1984.
{818} Jean Baudrillard, Simulacra and Simulation, Ann Arbor, University of Michigan
Press, 1994.
{819} Voir Jonathan Arac, Barbara Johnson (dir.), Consequences of Theory, Baltimore,
Johns Hopkins University Press, 1991, p. 91-107.
{820} Derrida critique les thèses d'Austin dans sa conférence de 1971 Signature événement
contexte, publiée l'année suivante en français dans Marge de la philosophie (Éditions de
Minuit), puis en anglais, en 1977, avec la réplique de Searle, dans le premier volume de la
revue Glyph. Derrida réplique à son tour dans le texte Limited Inc. a b c..., publié en 1988
dans la même revue, où il adopte un ton sarcastique et déforme le nom de Searle en SARL.
Ce texte est repris dans un livre intitulé Limited Inc, publié en 1988 en anglais
(Northwestern University Press) et en 1990 en français (Galilée), où l'intervention de
Searle est résumée, ce dernier ayant refusé d'en autoriser la reproduction.
{821} Richard Rorty, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge, Cambridge University
Press, 1989.
{822} Frederic Jameson, Marxism and Form. Twentieth Century Dialectical Theories of
Literature, Princeton, Princeton University Press, 1971.
{823} Frederic Jameson, The Prison-House of Language : A Critical Account of
Structuralism and Russian Formalism. Princeton, Princeton University Press, 1972.
{824} Frederic Jameson, Postmodernism or the Cultural Logic of Late Capitalism, Durham,
Duke University Press, 1991.
{825} Titre du chapitre 5 de Todd Gitlin, The Twilight of Common Dreams. Why America Is
Wracked by Culture Wars, New York, Henry Holt and Company, 1995.
{826} Social Text avait publié en 1996 (no 46-47, p. 217-252) un article d'Alan Sokal, sans
s'apercevoir qu'il s'agissait en fait d'une parodie, mêlant pastiche et citations authentiques
des auteurs visés (français pour la plupart), dans le but de tourner en dérision leur
rhétorique et leur nonchalance à l'égard des présupposés épistémologiques du discours
scientifique, ainsi que l'attention que les littéraires américains leur accordaient. L'année
suivante Alan Sokal et Jean Bricmont publient Impostures intellectuelles (d'abord dans
l'édition française : Paris, Le Livre de poche, 1997), révélant le canular et dénonçant le
jargon et la « charlatanerie » des maîtres à penser français.
{827} Voir Sylvère Lotringer et Sande Cohen (dir.), French Theory in America, op. cit.
{828} Jean Baudrillard, Simulations, New York, Semiotext(e), 1983.
{829} Plus de 20 000 exemplaires de Simulations sont vendus. Voir Sylvère Lotringer, « La
théorie mode d'emploi », Théorie Littérature Epistémologie, no 20 (Nouveaux passages
transatlantiques), printemps 2002, p. 96.
{830} Rapporté in François Cusset, French Theory, op. cit., p. 253.
{831} Sur Courbet et Champfleury, voir le chapitre 1.
{832} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 256.
{833} Heinrich Klotz, History of Post-Modern Architecture, Cambridge, MA, MIT Press,
1998.
{834} Pour tous ces aspects, que je viens d'évoquer synthétiquement, voir Sylvère Lotringer
et Sande Cohen (dir.), French Theory in America, op. cit. ; François Cusset, French
Theory, op. cit., chapitres 9-11, p. 232-276.
{835} Voir Leslie Fiedler, « The new mutants », Partisan Review, 1965, in A Fiedler
Reader, New York, Stein & Day, 1977, p. 189-210.
{836} Fiedler souligne justement cette perception d'une révolution anthropologique en acte,
en rappelant le rôle qu'a joué la science-fiction dans la genèse du mythe du « mutant parmi
nous » : l'homme machiné par la technologie. Et il n'oublie pas de remarquer les analogies
avec le futurisme, qui célébrait lui aussi la révolution radicale et totale que l'homme
« multiplié par la technique » était en train de réaliser.
{837} François Cusset, French Theory, op. cit., p. 229, citant à son tour Stephen Holden,
« The Avant-Garde in Big Box Office », NewYork Times, 16 décembre 1984.
{838} Jean-François Lyotard, La Condition Postmoderne, Paris, Éd. de Minuit, 1979.
{839} Voir Christophe Charle, Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité,
Paris, Armand Colin, 2011.
{840} Sur cet impact, voir François Cusset, French Theory, op. cit., chapitre 13.
{841} Sur cette problématique, voir les références citées dans l'Introduction, note 17.
{842} Voir François Cusset, French Theory, op. cit., p. 302-303.
{843} Voir François Cusset, French Theory, op. cit., p. 310.
{844} Voir Gisèle Sapiro, « De la construction nationale à la mondialisation : les traductions
du français en hébreu », in Anna Boschetti (dir.), L'Espace culturel transnational, Paris,
Nouveau Monde éditions, 2010, p. 327-366.
{845} Pour ce qui concerne le premier réseau, voir Daniele Giglioli, Domenico Scarpa,
« Strutturalismo e semiotica in Italia (1930-1970) », in Sergio Luzzatto, Gabriele Pedullà
(dir.), Atlante della letteratura italiana, vol. III, Torino, Einaudi, 2012, p. 882-890.
{846} Voir François Cusset, French Theory, op. cit., p. 318-322.
{847} Voir Johannes Angermüller, « Qu'est-ce que le poststructuralisme français ? À propos
de la notion de discours d'un pays à l'autre », Langage et société, no 120, 2007, p. 17-34.
{848} Voir François Cusset, French Theory, op. cit., p. 311-315.
{849} Voir, par exemple, Benedict Anderson, Imagined communities. Reflections on the
Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1983, éd. revue 1991, tr. fr.
L'Imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La
Découverte, 1996 (1983) ; Étienne Balibar, Immanuel Wallerstein (dir.), Race, Nation and
Class. Ambiguous Identities, London, Verso, 1991 ; Pheng Cheah, Bruce Robbins (dir.),
Cosmopolitics. Thinking and Feeling beyond the Nation, Minneapolis, University of
Minnesota Press, 1998.
{850} Parmi les nombreux bilans de ce genre, on peut citer Michel Espagne, « Sur les
limites du comparatisme en histoire culturelle », Genèses, no 17, 1994, p. 112-121 ; Steven
Tötösy de Zepetnek, Comparative Literature Today toward Comparative Cultural Studies,
West Lafayette, Purdue UP, 2003 ; Lucia Boldrini, « Comparative Literature in the Twenty-
First Century : A View from Europe and the UK », Comparative Critical Studies, vol. 3,
no 1-2, 2006, p. 13-23.
{851} Susan Bassnett, Comparative Literature. A critical Introduction, Oxford, Blackwell,
1993, p. 47. Sur cette problématique, voir Anna Boschetti, « Pour un comparatisme
réflexif », in Id., L'Espace culturel transnational, op. cit. p. 7-51.
{852} Franco Moretti, Graphs, Maps, Trees, London, Verso, 2005, tr. fr. Graphes, cartes et
arbres. Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature, Paris, Les Prairies
ordinaires, 2008.
{853} Gayatri Chakravorty Spivak, Death of a Discipline, New York, Columbia University
Press, 2003.
{854} Voir Martin Lewis, Karen E. Wigen, The Myth of Continents. A critique of Meta-
Geography, Berkeley, University of California Press, 1997. Ainsi les tenants de la
« connected History », tout en s'appuyant sur l'analyse de Benedict Anderson (The Spectre
of Comparison : Nationalism, South east Asia and the World, London, Verso, 1998), lui
reprochent de n'avoir pas mis en question la notion même de comparaison : voir Harry
Harotunian, « Ghostly comparisons : Anderson's telescope », Diacritics, vol. 29, no 4,
1999, p. 146.
{855} Michael Werner, Bénédicte Zimmermann (dir.), De la comparaison à l'histoire
croisée, Paris, Seuil, coll. « Le genre humain », 2004, p. 17.
{856} Voir Xavier Landrin, « La sémantique historique de la Weltliteratur : genèse
conceptuelle et usages savants », in Anna Boschetti (dir.) L'Espace culturel transnational,
op. cit., p. 73-134 ; voir également Jérôme David, Spectres de Goethe. Les métamorphoses
de la « littérature mondiale », Paris, Les Prairies ordinaires, 2011.
{857} Voir Pierre Bourdieu, « Une révolution conservatrice dans l'édition », Actes de la
recherche en sciences sociales, no 126-127, mars 1999, p. 3-28.
{858} Voir Reinhart Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la Sémantique des temps
historiques (1979), Paris, éd. de l'EHESS, 1990 ; Id., L'Expérience de l'histoire, Paris,
Gallimard, Seuil, coll. « Hautes études », 1997.
{859} Voir notamment Roger Chartier, Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et
inquiétude, Paris, Albin Michel, 1998 ; Id., « La nouvelle histoire culturelle existe-t-
elle ? », Cahiers du Centre de recherches historiques, avril 2003, 31 (avril 2003) p. 13-24.
{860} Voir Roger Chartier, Au bord de la falaise, op. cit., p. 189-202.
{861} Voir Anne-Marie Thiesse, « Une littérature nationale universelle ? Reconfigurations
de la littérature française au XIXe siècle », in Michael Einfalt, Ursula Erzgräber, Ottmar
Ette, Franziska Sick (dir.), Intellektuelle Redlichkeit, Intégrité intellectuelle, Heidelberg,
Universitätsverlag Winter, 2005, p. 397-408.
{862} Sur le succès de John Rawls en France, voir la thèse et les articles de Mathieu
Hauchecorne, cités supra, note 31.
{863} Cette perte d'autonomie est indiquée entre autre par des indicateurs tels que
l'ascension des grandes écoles du pouvoir temporel (IEP, ENA, HEC) au détriment du rôle
de l'ENS comme école des élites intellectuelles et scientifiques, et l'essor de spécialités
disciplinaires répondant à une demande externe au champ, politique, administrative,
patronale, médiatique, éditoriale. Voir Pierre Bourdieu, La Noblesse d'État, Paris, Minuit,
1989.
{864} Toni Negri, « Le nouveau prolétariat européen a intérêt à l'Europe unie », mars 1996,
mis en ligne sur le site Multitudes.
{865} Félix Guattari, in Félix Guattari, Suely Rolnik, Micropolitiques, Paris, Les
Empêcheurs de tourner en rond, 2007, p. 11.
{866} Gilles Lipovetsky, L'Ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain, Paris
Gallimard, 1983, rééd. Folio/Essais, 1989, p. 19-20 et p. 18.
{867} Jean Baudrillard, Oublier Foucault, Paris, Galilée, 1977.
{868} Didier Eribon, Michel Foucault, op. cit., p. 292.
{869} Jean Baudrillard, À l'ombre des majorités silencieuses ou la fin du social, Paris,
Denoël-Gonthier, 1982, p. 8.
{870} Jean Baudrillard, numéro spécial du Nouvel Observateur, « Les grandes questions de
la philosophie », mars 1998, cité in Louis Pinto, Le Collectif et l'individuel, Paris, Raisons
d'agir, 2009, p. 35.
{871} Pierre Bourdieu a esquissé sa réflexion sur ce point dans l'article « Le champ
scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, 2-3, juin 1976, p. 88-104, version
légèrement remaniée d'un article précédent : « La spécificité du champ scientifique et les
conditions sociales du progrès de la raison », Sociologie et sociétés (Montréal), VII, 1er mai
1975, p. 91-118. Dans l'article de 1976, Bourdieu se propose justement d'expliquer
comment « des mécanismes génériques comme ceux qui régissent en tout champ
l'acceptation ou l'élimination des nouveaux entrants ou la concurrence entre les différents
producteurs peuvent déterminer l'apparition de ces produits sociaux relativement
indépendants de leurs conditions sociales de production, que sont les vérités scientifiques.
Cela au nom de la conviction, elle-même issue d'une histoire, que c'est dans l'histoire qu'il
faut chercher la raison du progrès paradoxal d'une raison de part en part historique et
pourtant irréductible à l'histoire » (p. 88). Bourdieu y souligne, notamment, le rôle décisif
qu'a joué historiquement la mise en place d'une confrontation transnationale, assurant la
possibilité d'un contrôle croisé entre les concurrents, fondé sur des principes partagés, qui
permettent de contrecarrer le poids des facteurs sociaux, liés aux rapports de force
académique, économique et politique. Bourdieu est revenu sur cette problématique dans
son dernier cours (Pierre Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Paris, Raisons
d'agir, 2005).
{872} Voir notamment Ian Hacking, Entre science et réalité. La construction sociale de
quoi ? (1999), tr. de l'anglais par Baudoin Jurdant, Paris, La Découverte, 2001 ; Bernard
William, Vérité et véracité (2002), tr. de l'anglais Paris, Gallimard, 2006 ; Terry Shinn,
Pascal Ragouet, Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de
l'activité scientifique, Paris, Raisons d'agir, 2005 ; Paul Boghossian, La Peur du savoir. Sur
le relativisme et le constructivisme de la connaissance, Marseille, Agone, 2009.
{873} Voir à ce propos Yves Gingras, « Un air de radicalisme ? Sur quelques tendances
récentes en sociologie de la science et de la technologie », Actes de la recherche en
sciences sociales, 1995, no 108, p. 3-17 ; Pierre Bourdieu, Sciences de la science et
réflexivité, op. cit., p. 55-66 ; Terry Shinn, Pascal Ragouet, Controverses sur la science,
op. cit., p. 86-143. Voir également la préface et les annexes de Jean-Jacques Rosat dans
Paul Boghossian, La Peur du savoir. Sur le relativisme et le constructivisme de la
connaissance, op. cit.
{874} Sur les enjeux de ce retour à Tarde, visant Bourdieu à travers Durkheim, voir Louis
Pinto, « Simmel et Tarde. Le retour », in Louis Pinto (dir.) Le Commerce des idées
philosophiques, Bellecombes-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2009, p. 137-165.
{875} Bruno Latour, Préface à Ulrich Beck, La Société du risque. Sur la voie d'une autre
modernité, Paris, Éditions Aubier, 2001, p. 9.
{876} Sur cet aspect, voir Louis Pinto, Le Café du commerce des penseurs. À propos de la
doxa intellectuelle, op. cit., p. 97-108 ; Id., Le Collectif et l'individuel, op. cit.
{877} Ernest Cassirer a résumé dans ces termes (vision relationnelle/« substantialisme »)
l'opposition épistémologique fondamentale entre la démarche de la science moderne et
celle de la pensée classique : Ernst Cassirer, Substance et fonction. Éléments pour une
théorie du concept. Trad. de l'allemand par Pierre Caussat, Paris, Éd. de Minuit, « Le sens
commun », 1977.
{878} Bruno Latour, Steve Woolgar, La Vie de laboratoire. La production des faits
scientifiques (1979), tr. de l'anglais Paris, La Découverte, 1988.
{879} Arnaud Esquerre et Jeanne Lazarus, « Le diplomate de la Terre. Entretien avec Bruno
Latour », La Vie des idées, 18 septembre 2012. ISSN : 2105-3030. URL :
http://www.laviedesidees.fr/Le-diplomate-de-la-Terre.html
{880} Bruno Latour, Enquête sur les modes d'existence. Une anthropologie des Modernes,
Paris, La Découverte, coll. « Hors collection Sciences Humaines », 2012.
{881} Patrice Maniglier, « Qui a peur de Bruno Latour ? », Le Monde des livres, 21.09.2012.
{882} Entretien avec Arnaud Esquerre et Jeanne Lazarus, cité note 128.
{883} Bruno Latour, « Autonomie, que des crimes on commet en ton nom ! », Le Monde,
25/02/09. La cible non nommée de ce discours est l'œuvre de Pierre Bourdieu, qui, en
retraçant les conditions historiques de l'autonomisation des champs culturels, a souligné la
conquête majeure que ce processus a représentée.
{884} Italo Calvino, « Denis Diderot, Jacques le fataliste », in Id., Saggi, 1945-1985,
tome 1, Milan, Mondadori, I Meridiani, 3e éd., 2001, p. 848 (je traduis).
{885} Jorge Luis Borges, « Le paradoxe d'Apollinaire » (1946), dans Id., Œuvres complètes,
tome 1, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1993, p. 1248-51.
{886} Christophe Charle a forgé cette expression dans « Le temps des hommes doubles »,
Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1992, no 39-1, p. 73-85, repris, remanié, in Id.,
Paris fin de siècle. Culture et politique, (2e partie), Paris, Seuil, 1998, p. 89-95. Elle
désigne l'ensemble des agents qui participent au processus de production, diffusion,
consécration des œuvres des autres, tout en produisant souvent, eux aussi, des créations
littéraires et/ou des essais.
CNRS Éditions