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L’éco-développement territorial en Hainaut

Terrains, territoires, territorialités : la Province au cœur du débat ?


Table ronde du 20 mars 2014

La Qualité des Espaces


L’Espace de la Rue
Fabrice SOBCZAK
Architecte, Collaborateur Pédagogique FAU-UMONS

1. Préambule.

Réfléchir ensemble au principe de l’éco-développement d’un territoire identifié


peut présenter une certaine ambiguité.

Quand il s’agit, dans le cadre d’une croissance économique, de prendre en


compte également les aspects sociaux, environnementaux et culturel, le débat
concernera inévitablement un territoire bien plus grand que les contours
administratifs d’un pays, d’une région, d’une province voire d’une ville.

Paradoxalement, nous pouvons aussi défendre ce principe à l’échelle de


l’individu, du citoyen, de l’habitant d’un quartier, d’une ou de plusieurs
communautés en recherche d’identité par rapport à leur lieu de vie.

Ce territoire, on peut le recevoir en héritage sur le principe des villes anciennes


dans lesquelles l’espace publique, les voies de communications sont issues d’une
pratique dont la population s’est accommodée en adaptant l’espace en fonction
des besoins actuels de notre société et des priorités qu’elle se donne pour
l’élaboration de son mode de vie.

La demande croissante en logement pose aussi une réflexion sur l’utilisation


parcimonieuse du sol, sur la nécessité ou non de l’activation de certaines zones
d’aménagement communal concerté ainsi que sur l’urbanisation de la périphérie
des villes voire des friches industrielles.

L’identité d’un territoire, en l’occurrence le Hainaut, c’est aussi une affaire


d’image sans doute à positiver par rapport au sentiment d’échec laissé par un
passé industriel dont le ressenti négatif est d’autant plus perceptible que la crise
économique est présente.

Cette recherche d’identité, ce sentiment d’appartenance à un lieu, à un territoire


peut se matérialiser dans la concrétisation d’un projet de développement urbain
en permettant à chaque futur habitant de s’identifier à un nouveau quartier, à
une vie urbaine en communauté.

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2. Le contexte, étude de cas.

Nous avons choisi d’échanger avec vous quelques principes de l’aménagement


d’un espace public et de vous parler de son interaction avec l’espace privé tant
au niveau du sol que dans la verticalité propre à la vie en appartements.

Le sujet de cet échange est un projet d’urbanisation situé à Mons, sur le site des
Grands Près, étudié par l’agence Sofateliers Architectes et dont le permis
d’urbanisme devrait être délivré en avril 2014.

Il s’agit, autour du concept redéfinissant l’Espace de la Rue, de la création d'un


nouveau quartier résidentiel de 186 logements dans une forme urbaine
propice à la vie en appartements.

Cet ensemble s’implante à l'ouest du Périmètre de Remembrement Urbain des


Grands-Prés et s’inscrit dans un territoire inscrit dans la continuité de l’extension
du cœur historique de la ville de Mons.

Le concept architectural global se prévaut d’une démarche responsable à l’égard


des générations futures, par les nombreux choix opérés en matière de durabilité.

Il s’agit de créer les conditions d’un mode de vie de qualité permettant aux
familles de profiter d’espaces extérieurs tant privés que publics qui sont
habituellement réservés aux habitants occupant des logements situés au rez de
chaussée.

La présence de vastes terrasses, à tous les niveaux, intégrées à l’espace de la


rue et aux zones de cours et jardins permet de rencontrer un critère essentiel
dans le choix des familles au sujet de leur logement : bénéficier d’un espace
extérieur suffisamment important que pour constituer une pièce de vie à part
entière, un espace de transition entre la sphère privée et l’espace
extérieur collectif.

La terrasse, le jardin comme espace de transition.

Dans son enquête sur les nouveaux logements de 1970 à 1990, le sociologue
Jean-Michel Léger analyse ces espaces de transitions au regard de plusieurs
projets de références (Unité d’habitation à Marseille, arch. Le Corbusier,
Némausus à Nîmes, arch. Jean Nouvel, …) :

« (…) l’absence totale d’espace de transition crée un sentiment d’enfermement, surtout


en ville nouvelle, où la densité du construit étant plus faible, le trafic automobile moins
dense et les jardins plus nombreux, l’habitant attend un rapport plus ouvert avec
l’extérieur. Un saut qualitatif est franchi dès qu’il est possible d’y installer une table et
des chaises pour les repas (…) d’ajout à l’appartement, la terrasse devient alors un
espace de pratiques propres (…)» 1

1
Jean-Michel Léger, Derniers Domiciles Connus, éditions Créaphis, 1990, Chapitre 14 – Les Transitions, page
134, § 1

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Concevoir des logements introvertis, sans autoriser le contact au domaine public,
entraîne un retrait social préjudiciable au développement de la famille, du
quartier, de la ville.

L’organisation compacte propre à la vie en appartement accentue la perception


d’un espace à caractère fixe en influençant fortement le cloisonnement des
individus.

Ce type d’espace est qualifié de « sociofuge »2 par l’anthropologue américain


Edward T. Hall.

A l’inverse, les espaces à organisation semi fixe facilite les contacts, les échanges
sociaux.

Le transfert de l’intérieur du logement vers l’extérieur se fait alors en


décloisonnant la façade à tous les niveaux du bâtiment.

Ce principe organise un espace « sociopète »3 en facilitant un accès choisis à


l’espace public partagé pour se transformer en un espace extérieur privatif de
transition.

Cette transition avec « l’espace-rue » donne le choix aux habitants de participer


à un espace à dimension tridimensionnelle par l’intermédiaire des terrasses
prolongeant leur séjour.

Les habitants ont ainsi accès comme le qualifie Serge Chermayeff et Christopher
Alexander dans leur ouvrage « Intimité et Vie Communautaire », à une «pièce de
4
vie en plein air »

«Le logement si il est destiné à une famille doit être en contact immédiat avec la nature.
Comme le logement doit être composé d’une série de domaines soigneusement
organisés, possédant chacun sa propre intégrité, chaque domaine intérieur doit être
associé à un domaine extérieur concomitant.
(…) chaque logement doit contenir une hiérarchie acoustique, étroitement liée aux
plaisirs du soleil, de l’air et de la lumière, en sorte que dans la « pièce en plein air » à soi
on puisse goûter, pourvu qu’on le souhaite, les sons les plus ténus. » 5

2
Edward T. HALL, La dimension cachée, Editions du Seuil, 1971, Chapitre 9, L’anthropologie de l’espace : un
modèle d’organisation, page 138, §1, alinéa 5
3
Edward T. HALL, La dimension cachée, Editions du Seuil, 1971, Chapitre 9, L’anthropologie de l’espace : un
modèle d’organisation, page 138, §1, alinéa 8
4
Serge CHERMAYEFF et Christopher ALEXANDER, Intimité et Vie communautaire, Editions Dunod, Collection
aspect de l’Urbanisme, Paris, 1972
5
Serge CHERMAYEFF et Christopher ALEXANDER, Intimité et Vie communautaire, Editions Dunod, Collection
aspect de l’Urbanisme, Paris, 1972, page 212, § 3

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3. Qualité des espaces et mobilité.

Un quartier, qu’est-ce qu’un quartier ?


L’écrivain Georges Perec nous livre une partie de réponse : un quartier c’est :

« (…) la portion de la ville dans laquelle on se déplace facilement à pied, ou pour dire la
même chose sous la forme d’une lapalissade, la partie de la ville dans laquelle on n’a pas
besoin de se rendre, puisque précisément on y est. » 6

Sur le plan de la qualité de vie dans quartier en ville et de la mobilité, nous


privilégions ici le concept d’un espace partagé où les aspects de la mobilité
offre une part large aux usagers faibles : piétons, personnes à mobilité réduite,
vélos qui profitent d’une bonne desserte en transport en communs, de la
proximité de la nouvelle gare de Mons, de commerces et de services à proximité
immédiate.

Le choix d’une urbanisation en ordre continu le long d’une rue complète les
aspects liés à la mobilité afin de mettre en place le principe d’une gestion
parcimonieuse du sol et d’une densification importante.

Ces principes d’aménagement participent à l’appropriation par les habitants de


leur nouveau quartier, de leur quartier-rue dont la conception n’est pas sans
rappeler la convivialité de l’espace de la rue à une période où le jeu des enfants
se prolongeait sur la rue et où le débat des plus âgés animait les soirées d’été.

La pression automobile n’était pas encore celle que l’on connait aujourd’hui et la
majorité des logements était composé d’habitation unifamiliale en ordre continu
composées de un ou deux niveaux avec à l’arrière un jardin … l’ensemble
formant un quartier de ville ou de village.

4. Espace public et Espace privé.

L’aménagement des espaces non bâtis font est indissociable de la conception


architecturale de ce projet.

Il s’agit d’un enjeu déterminant qui consiste à intégrer la fonction de


stationnement privé dans les zones de cours et jardins et le stationnement public
dans l’espace de la rue.

Le tracé « organique » de l’espace partagé de la rue crée des scènes urbaines


variées.

Il organise un espace intermédiaire entre logements et espace public, diminue


intuitivement les vitesses de circulation et dégage une succession d’espaces
intimes.

6
Georges Perec, Espèces d’espaces, éditions Galilée, 1974/2000, Le quartier, page 113, § 3

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Véritable colonne vertébrale du quartier, il cumule distribution des logements,
couloir écologique, lieux de promenade et d’échange sociaux.

Son caractère végétal prononcé devient un signe distinctif du quartier.

Habiter en ville dans une certaine densité signifie aujourd’hui habiter une forme
de verticalité qui pourrait déconnecter les habitants de l’espace public.

Le choix de la densité ne doit pas signifier le renoncement à gouter aux espaces


extérieurs qui prolongent avantageusement un logement.

Nier la pratique d’un espace extérieur en ville, d’une terrasse, d’un balcon, d’un
jardin peut également contribuer à rendre cette vie en ville plus pesante, voir
parfois criminogène jusqu’à pousser à l’exode vers les campagnes.

Un balcon, une terrasse que l’on pratique en famille ou seul lorsque le besoin
s’en fait sentir est le complément indispensable à une vie que l’on a choisi de
vivre ensemble, en copropriété.

Leur présence marque aussi le besoin de partager un petit morceau de cet


espace public qu’est la rue.

Ce lien avec l’extérieur permet la pratique de l’espace public dans une dimension
verticale.

On perd, lorsque l’on habite les étages, ce rapport au le sol, à l’espace privatif du
jardin ou à celui que l’on partage en public dans la rue, le square, le parc ou la
plaine de jeu.

Ces terrasses, permettant une réelle jouissance d’un espace de vie extérieur
forment le fil rouge de ce nouveau quartier.

Elles constituent dans ce cas particulier une réponse architecturale originale aux
diverses contraintes liées à la création de nouveau quartiers résidentiels urbains.

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5. Et l’humour dans tout ça ?

L’appropriation de l’espace public par les habitants d’une rue, d’un quartier,
d’une ville répond à un besoin humain fondamental, comme nous le
rappelle, le collectif de comédiens bordelais OPERA PAGAÏ.

Ils jouent sur le thème de ce besoin d’associer à l’espace clos d’un


logement, un espace de transition vers l'extérieur.

L'association (fictive) « Les Jardins automobiles » rassemble des citoyens,


amateurs bénévoles, des doux rêveurs, qui se passionnent par les questions
"d'avenir durable". Si l'avenir doit durer, autant qu'il se passe bien. Alors, pour
conjuguer croissance démographique et amélioration de la qualité de vie,
l’association « Les Jardins automobiles » ouvre des pistes de réflexions en
termes d'aménagement urbain et d'habitat alternatif.

Lors de leurs spectacles de rue, ils accrochent les acteurs de la vie urbaine en
affichant :

" Bonjour, J’habite dans un appartement sans jardin ni terrasse et je le regrette


… Avec d’autres personnes dans le même cas, nous nous sommes regroupés au
sein du « COLLECTIF DES SANS BALCONS » pour utiliser, comme cela se fait
dans d’autres villes, le toit de nos automobiles stationnées pour en faire les
terrasses dont nous sommes privés.

Nous ne demandons rien, nous revendiquons juste notre droit légitime aux bains
de soleil, aux barbecues entre amis … bref, à la jouissance d’un espace intime au sein
7
de l’espace public, d’un petit pré carré ouvert sur le voisinage, d’un accès au ciel. "

7
Opera Pagaï, Bastien Pasquier, «Les jardins automobiles »,
http://www.operapagai.com/spectacle.php?id_page=44&PHPSESSID=1c0d11400159e867255b4085dc877bdd,
jeudi 20 mars 2014

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6. Conclusion

En insérant ce nouveau projet dans le territoire d’extension de la ville de Mons,


une nouvelle séquence urbaine se met en place.

Elle se veut cohérente dans son expression architecturale spécifique tout en


s’inscrivant dans la continuité de l’urbanisation préexistante.

Elle permet à chaque nouvel habitant de développer un sentiment


d’appartenance à son nouveau quartier.

L’image d’une friche urbaine se transforme en marquant d’une nouvelle identité


un quartier de ville, positionné au-delà des limites historiques de la cité
montoises.

Cette urbanisation pose les bases d’une nouvelle perception d’un espace de vie
qui se veut propice au développement des échanges sociaux et au partage
des identités culturelles tout en participant, modestement, à la construction
d’un nouveau territoire, d’une petite partie du Hainaut.

7 |Version du 20/03/2014

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