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Michel BONETTI
Décembre 1998
Article Urb & paysage/MB 1998 – L’urbanisme moderne comme nouvelle forme de pensée magiques ?
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SOMMAIRE
INTRODUCTION................................................................................................................3
INTRODUCTION
Ce qui nous intrigue plus particulièrement, c’est le lien paradoxal entre les
fondements rationalistes de cette discipline et les vertus imaginaires qu’on
lui prête.
Les croyances dont est porteur l’urbanisme moderne lui confèrent une
capacité démiurgique à transformer la société par la seule intervention sur
l’organisation de l’espace, et c’est en cela qu’il s’apparente à la pensée
magique. Un ensemble de règles qui se prétendent rationnelles du fait
qu’elles se fondent sur une science mathématique, à savoir la géométrie,
fonctionnent en fait comme des croyances, car elles se voient dotées d’une
puissance transformatrice.
A la décharge des urbanistes, il faut reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls à
se fonder sur des principes rationalistes pour revendiquer une efficacité
sociale d’ordre magique. Ils participent en fait à un mouvement beaucoup
plus large, qui traverse l’ensemble de la pensée moderne. Les chantres du
rationalisme ont toujours revendiqué une telle efficacité en identifiant le
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parée de l’aura de la science, ne peut exister sans cela. Alors que la plupart
des disciplines fondées sur des principes abstraits obéissent à des règles et
poursuivent des visées qui leur sont propres, elles sont amenées à postuler
une efficacité sociale et accréditer l’idée qu’elles sont destinées à améliorer
le fonctionnement social, fut-ce en opérant un coup de force à leur propre
logique. On peut même se demander si l’affirmation de leur utilité sociale
n’est pas d’autant plus forte que leur logique interne est plus abstraite et
éloignée de la réalité qu’elles prétendent servir.
Quand on dispose de telles capacités et que l’on est investi d’un tel rôle, il
est effectivement difficile de faire preuve de modestie et de ne pas céder à la
tentation démiurgique de prétendre produire la vie sociale quand on
organise le cadre dans lequel elle se déploie.
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Pour analyser ce processus, nous sommes amené à nous référer aux analyses
d’Habermas. Celui-ci rappelle tout d’abord que tous les systèmes de pensée
se fondent sur des systèmes culturels d’interprétation qui forgent des
« images du monde ». Ces images « reflètent le savoir d’arrière fond des
groupes sociaux et assurent une liaison cohérente de la multiplicité de leurs
orientations d’action. »4
Cela signifie donc que sur un plan logique la pensée mythique et la pensée
rationaliste ne sont absolument pas incompatibles. Ces deux formes de
pensée peuvent fort bien coexister et s’articuler quand on passe de la
logique inhérente à une discipline à la question de son efficacité sociale, car
on change alors d’univers.
Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on passe d’un domaine d’action particulier
au fonctionnement de la société dans lequel il s’inscrit. La pertinence des
principes logiques qui fondent ce domaine ne suffit pas à garantir la
pertinence des interprétations qui en dérivent concernant le fonctionnement
global de la société.
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« Par l’analogie le monde entier prend son sens, tout est signifiant,
tout peut être signifié dans un ordre symbolique où prennent place…
toutes les connaissances du monde… »10
« C’est ainsi que naît, sinon dans les faits du moins dans
l’imagination, le besoin d’endiguer le flux des contingences, c’est à
dire de le neutraliser par l’interprétation. »13
Ne tombe-t-il pas ainsi sous la critique que, selon Godelier repris par
Habermas, la pensée éclairée oppose à la pensée mythique :
Habermas montre bien qu’en n’opérant pas une distinction entre les
interprétations culturelles du monde et la réalité du monde, on se prive de la
possibilité d’interroger ces représentations :
Alors que les dictateurs visent à imposer la création d’une nouvelle société
par la force, l’érection de la ville radieuse suffit à accoucher d’une nouvelle
humanité. L’organisation de l’espace urbain constituerait une matrice
sociale, le remodelage de l’espace permettant de remodeler les rapports
sociaux et les valeurs auxquels les individus adhèrent.
corps machinique qui est ainsi mis en scène. Ce sont les organes
fonctionnels qui sont évoqués. On a donc un rapprochement qui s’opère
ainsi entre les référents géométriques et les référents corporels. La jonction
entre ces deux univers symboliques s’opère d’ailleurs par l’application au
corps d’un système de mesure, par une saisie géométrique du corps. On
connaît les travaux visant à saisir les proportions du corps : c’est donc le
même principe d’analyse qui est appliqué à l’analyse du corps et à l’analyse
de l’espace. C’est l’ergonomie corporelle qui est ainsi convoquée.
De même que pour la pensée sauvage, c’est bien la dépendance à l’égard des
problèmes sociaux, la difficulté à les maîtriser, qui conduit à construire des
représentations permettant de postuler une capacité d’agir par la médiation
d’un autre domaine. Le support, le contenant des activités humaines devient
ainsi l’objet par le truchement duquel on agit sur les activités elles-mêmes ;
sur leur contenu. La métonymisation constitue d’ailleurs l’opération par
excellence qui sous-tend les processus magiques. En établissant un lien
métonymique entre deux termes, après avoir construit des représentations
permettant de les assimiler, un déplacement est opéré qui permet d’accroire
que l’on peut modifier l’un des termes en agissant sur l’autre. Ce mécanisme
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ménageant des espaces verts entre les « doigts » urbains ainsi formés.
L’« érection » de gratte-ciel, la « pénétration » de la ville par des avenues
devenues ainsi des « pénétrantes », sont également des métaphores
corporelles suggestives à connotations sexuelles qui désignent des actes
d’intervention urbanistique aboutissant à la création des formes
géométriques urbaines. La capacité d’intervention magique sur le
fonctionnement social passe donc par un double procès de métaphorisation
et de métonymisation. L’espace fait l’objet d’une métaphorisation
rationalisante géométrique et corporelle, ce qui permet ensuite d’opérer un
transfert, une conversion entre l’espace et la société elle-même,
métaphorisée comme corps physiologique menacé de maladie. Le contenu
sociétal est ainsi supposé structuré par son contenant spatial.
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Il suffit alors d’une vingtaine d’années pour que le bel édifice s’effondre,
que les critiques se déchaînent contre l’urbanisme moderne, qu’on l’accuse
dès lors de tromperie et qu’il soit rendu responsable d’avoir favorisé le
développement des tensions sociales. En définitive, on reste toujours dans le
même paradigme de lien indéfectible, de correspondance mécanique entre
les formes urbaines et le fonctionnement social. Mais c’est alors qu’une
résurrection est promise : les liens sociaux détruits par l’urbanisme seront
reconstruits par l’urbanisme nouveau. On s’engage alors dans la
restructuration urbaine, avec la foi des premiers jours et l’élan retrouvé.
On peut faire l’hypothèse que cette brève histoire est née d’un embarras des
dirigeants politiques et des réformateurs sociaux dont ils s’entourent. Face à
la difficulté de maîtriser la croissance urbaine et le processus de destruction
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Néanmoins ceci n’explique pas complètement le crédit qui leur est accordé
et le pouvoir magique qui est leur est souvent conféré. Un autre facteur
complète ce processus de légitimation qui s’apparente parfois à une
véritable déification. Ceci tient aussi au fait que le développement ou la
transformation urbaine représentent des opérations de grande ampleur,
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Nous pensons avoir étayé quelque peu notre hypothèse sur le caractère
magique de la pensée urbanistique moderne en déconstruisant les processus
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES