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HISTOIRE

RÉGION
NAZAIRIENNE

&
PRESQU’ÎLE
GUÉRANDAISE

PATRIMOINE
Patrimoine - Histoire - Culture, en Pays Noir / Pays Blanc

Saint-Marc-sur-Mer
Une si jolie petite plage...

Hans Thüer, à la quête Le prince Pen Bron


de ses souvenirs Charles passé-avenir
Édouard
La maquette retrouvée, Stuart Guerre 14-18 - Des réfugiés
embarque à
marqueur de la Little Italy Saint-Nazaire
Rouvrois à Mesquer
pour l’Écosse
A.P. H.R.N - n° 105 - juillet 2023 - 14 €
Le premier phare d’Aiguillon, à la pointe de l’Éve.
(Collection Patrick Pauvert)
N
otre revue illustre toujours notre ambition : retrouver l’histoire
locale, afin de faire connaître les différents contextes et
événements, et les personnalités, qui les ont vécus.
Au commencement était une plage : 1379, les premiers envahisseurs
débarquent et se font rejeter. Étayée de nombreux documents, toute
l’histoire de Saint-Marc se déroule dans l’article d’ouverture de ce numéro,
avec naufrages, canots de sauvetage, phares et sémaphores, plaisance,
régates et tournage de film…
Quelles que soient leurs nationalités, la guerre entraîne les femmes et les
hommes et bouleverse leurs vies. L’article suivant est un récit authentique,
humain, émouvant, très personnel. Il élargit notre horizon et laisse
entrevoir les événements sous un autre angle.
Saint-Nazaire a accueilli, très brièvement, le prince Charles Édouard
Stuart, prétendant au trône d’Angleterre et d’Écosse, au milieu du XVIIIe
siècle. Après des épisodes plus ou moins secrets, le « jeune prétendant » a
embarqué à bord du « Du Teillay », mouillé dans la rade de Bonne Anse, afin
de rejoindre la côte ouest de l’Écosse. L’auteur de l’article nous emmène
dans une narration historique et maritime intense.

Éditorial La découverte d’une maquette, dans le quartier de Méan-Penhoët, coïncide


avec la reconstruction des souvenirs. Saint-Nazaire a abrité, dès 1924, des
familles italiennes émigrées. Un descendant de cette communauté nous
fait partager la vie quotidienne de ses ancêtres dans notre ville.
Un manoir en Anjou, possédant un parc de 75 hectares, des jardins à la
Française, fut utilisé, durant la seconde guerre mondiale, comme centre
de communication, relié, notamment, à la base navale de Saint-Nazaire.
Ensuite, à la Libération, les troupes américaines y stationneront quelques
mois, puis on y installera une cité « temporaire » d’urgence, puis un musée
de la communication… Actuellement, bien des questions sont posées au
sujet du meilleur aménagement du lieu.
Plus près de chez nous, un nom de lieu, Careil, a fait l’objet d’une étude
toponymique très poussée, basée sur des écrits, parfois, très anciens.
Après les écrits, les photos de famille, les clichés de mariage, notamment,
font apparaître plusieurs aspects de la vie, dans notre région, à la fin du XIXe
siècle et au début du XXe, avec, parfois, des découvertes. Cette chronique
familiale nous fait revivre une époque, pas si lointaine.
Le nouvel épisode de l’étude sur le cépage Aunis évoque le terroir, la
langue, la gastronomie. Le vin nous emmène loin. C’est enivrant…
Pour se rendre à la pointe de Pen Bron, on traverse les marais salants.
On sent l’air vif du vent marin, les senteurs du sel et des algues, on voit,
à certaines heures, les courants se dessiner à la surface de l’eau. C’est la
première partie d’un article, intitulé Pen Bron, passé – avenir.
La vie, les épisodes, se suivent et se heurtent. Les hommes connaissent des
vies, des destins, sans commune mesure les uns avec les autres. Évoquer
les civils, victimes des invasions et des guerres, est un rappel à une certaine
réalité, celle de la Grande Guerre, près de chez nous, à Mesquer.

Enfin, dans les dernières pages de ce numéro, un ancien bateau de pêche,


le Steredenn Vor, renait de ses cendres. Souhaitons à ce petit voilier, et à
notre revue, de belles et nombreuses navigations, envers et contre tous
les aléas…

Christiane Marchocki

1ère page de couverture : L’Hôtel de la Plage, à Saint-Marc, construit par A. Boussenot, après 1910.
(Collection Patrick Pauvert - Éditeur Delaveau Saint-Nazaire, n° 2025).

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 1


A . P. H . R . N
Association Patrimoine et Histoire
de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4)
2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
aphrn.asso@gmail.com - https://aphrn-asso.fr - Tél. 06 07 11 21 88

HISTOIRE & PATRIMOINE


n° 105 - juillet 2023
ÉÉditeur : A.P.H.R.N
Direction de la publication : collégiale (voir dernière page)
Maquette/Mise en page/Coordination : Tanguy Sénéchal
Impression : Pixartprinting
Dépôt légal : 3ème trimestre 2023
N° ISSN : 2116-8415
Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145

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2 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


SOMMAIRE
HISTOIRE & PATRIMOINE
n° 105 — juillet 2023

01 Éditorial
Christiane Marchocki

04 Saint-Marc-sur-Mer - Une si jolie petite plage...


Patrick Pauvert

P. 58 24 Hans Thüer, à la quête de ses souvenirs


Michel Mahé, de l’AREMORS
Le 2 juillet 1745, Le prince Charles Édouard Stuart
34 embarque à Saint-Nazaire pour l’Écosse
Thierry Guihéneuf

La maquette retrouvée,
52 Bruno marqueur de la Little Italy du Grand Ouest
Rossetti

58 Un musée de l’Infrastructure au FdU West de Pignerolle ?


Jean-Baptiste Blain
P. 72
72
Le nom de Careil en Guérande
Gildas Buron

86
Cent ans de mariages paludiers (1828-1930)
Françoise et Malou Roussel

Le cépage nommé “ Aunis “ de Guérande à Sarzeau


92 Partie IV.1 - Le terroir de l’Aunis
Christophe M. Josso
P. 86
Pen Bron, passé – avenir
112 Première partie : le site
Bernard Tabary

120
Guerre 14-18 - Des réfugiés Rouvrois à Mesquer
Jocelyne Leborgne

130
Steredenn Vor - Histoire d’un bateau opiniâtre
Christiane Marchocki
P. 92 ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI
134 Jean Fréour - De l’oeuvre sculptée à l’expérimentation 3D
Exposition

SORTIES CULTURELLES
136 Du château à la mine, ou à la découverte du bel ouvrage
Claude et Anne-Marie Lebreton

140 L’ASSOCIATION
P. 130

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 3


Saint-Marc-sur-Mer
Une si jolie petite plage1...
Patrick Pauvert

1 - Une si jolie petite plage est le titre d’un film, avec Gérard Philippe et Madeleine Robinson, dont les extérieurs ont été tour-
nés, en 1948, sur la côte normande, à Barneville-sur-Mer (Manche). Réalisé par Yves Allégret, il est sorti en salles en 1949.

4 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


La plage et l’abri
du bateau de sauvetage.
(Héliotypie Dugas, Nantes,
L-I 589)

De notre quartier de Saint-Marc, la trace de vie la plus ancienne est


le site de « Cromlech », route de Cromlech. D’après Fernand Guériff,
c’était un tumulus, le tumulus de Pez.

L
’histoire nous dit aussi qu’en 1379 les La chapelle Saint-Marc
Espagnols voulurent s’emparer du Parmi les édifices anciens disparus, il ne faut
château de Saint-Nazaire et tentèrent pas oublier la chapelle Saint-Marc , qui a donné
un débarquement à Chemoulin. son nom au quartier. Elle s’élevait en haut de
Mais grâce au vaillant capitaine de la falaise, où existe, maintenant, la place de la
la place, Jean d’Ust, ils furent rejetés à la mer. Chapelle, avec son calvaire.

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 5


Elle était orientée du sud au nord. À ce dernier mais une Maison Noble, une Seigneurie habitée
point se trouvait le chevet derrière lequel avait en 1643 par Julien Bernier, sieur de Béac. La
été bâtie une étroite sacristie. La porte princi- propriété possédait une chapelle. D’après les
pale s’ouvrait à l’autre extrémité, face à la mer, historiens, il y avait une autre Maison Noble
sous un minuscule clocheton. Le bâtiment nommée « La Cour de Béac ». Il ne reste rien de
mesurait environ 20 mètres de longueur. Sur ces demeures. En 1850, ce ne sont que des ruines.
une des poutres apparentes se lisait l’inscrip- Le lieu-dit Saint-Marc concernait juste la cha-
tion : 1643, mais ce n’est peut-être pas la date de pelle. Tout ce quartier ne s’est jamais appelé
construction. Un chapelain assurait les exercices « Crépelet » comme il a été dit parfois.
religieux ordinaires, mais il ne pouvait procé- Les vrais Saint-Marcois ont pour nom : Bertho,
der aux baptêmes, mariages et enterrements. Berthaud, Birgand, Bernier, Boullet, Cavaro,
Ceux-ci se déroulaient dans l’église paroissiale, Dussable, Couronné, Gennevois, Guéno,
Saint-Nazaire puis l’Immaculée-conception à Jarnais, Halluard, Mollé, Pierre, Thomas…
partir de 1857.
À côté de la chapelle se trouvait une fontaine
dont l’eau avait la propriété de guérir différentes Le Calvaire
maladies : maux d’yeux, fièvres, etc...
des Rochelles
De nombreux Dans son ouvrage : « Les Anciennes Croix
de la Presqu’île Guérandaise » qui date des
lieux-dits… années 1930, Aveneau de la Grancière décrit
ainsi le Calvaire des Rochelles : il s’agit bien d’un
Avant 1850, le grand Saint-Marc d’aujourd’hui calvaire avec hautes marches, piédestal et corniches,
était, en réalité, composé d’innombrables supportant un chapiteau mouluré d’où s’érige une
lieux-dits qui correspondaient en général colonne bosselée, surmontée d’un petit chapiteau
à une ferme : Crépelet, Géreau, La Villez-­ ornementé.
Robert, La Villez Bousseau, La Villez Créneau, Le sommet de la croix n’existe plus. Il a été remplacé
Le Prazillon, La Fin, Brancieux, Les Rochelles, par une petite croix de bois.
Le Pont d’Y, Le petit et le grand Pez, Les Noés de Quoi qu’il en soit, ce calvaire en granit finement
Saint-­Philibert, Le petit et le grand Verdun, l’île ornementé, qui date du XVIe siècle mérite qu’on
des Pouls-Hauts, La Villez Mollé, Le Vantard, s’occupe de sa conservation qui me semble urgente.
Le Lérioux, Le Landreau, Siriff, Berrien, Gavy. Il précise encore : l’ancien sommet de la croix
Nous en oublions sans doute, mais je terminerai n’existant plus, ce monument est délaissé ; le laisser
par le lieu-dit Béac qui n’était pas une ferme, sans réparation serait une coupable négligence.

L’ancienne chapelle
de Saint-Marc
s’élevait sur la falaise,
face à la mer.

6 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Un peu plus loin dans l’ouvrage, Aveneau de La procession fait le tour de la chapelle avant Lieu-dit « Le Crépelet ».
la Grancière donne une liste de croix qui mé- d’y entrer. Chacun boit l’eau de la fontaine pour (Éditeur Collection AD
L-I 812)
riteraient d’être classées comme monuments se préserver des maladies.
historiques dont le Calvaire des Rochelles. La Après la cérémonie religieuse dont seul le
ville de Saint-Nazaire a rénové le calvaire il y dixième a pu la suivre à l’intérieur, tout le
a quelques années. monde profite de la beauté du lieu. Il faut
Tout près du calvaire se trouve un moulin éga- penser au retour. Beaucoup empruntent les
lement rénové par la ville. En 1893, le meunier mêmes sentiers qu’à l’aller, mais les plus té-
s’appelait Julien Jarnais. À l’origine, le toit de méraires, ceux qui ont le pied marin préfèrent
ce moulin était en tuiles. Toujours en 1893, le se rendre à Port-Charlotte en gravissant la
moulin de Brancieux était tenu par Jean Camus, Butte du Château. Des chaloupes surnommées Procession,
vers la chapelle,
et le meunier nommé Tartoué était propriétaire you-you attendent pour embarquer les plus le jour de la fête
du moulin des Pouls-Hauts. vaillants jusqu’au quai des Barges sous le fort de Saint-Marc.
de Saint-Nazaire.

La fête de Saint-Marc
Au début du XIXe et sans doute depuis fort
longtemps, le 25 avril, dans toutes les maisons
de Saint-Nazaire, il y a remue-ménage. C’est la
fête de Saint-Marc et des rogations. Dès l’aube,
les cloches sonnent à toute volée et le cortège se
met en place pour la grande excursion jusqu’à
la chapelle Saint-Marc. Elle part de la Grand’rue
et enfile le chemin le long du littoral. Tout en
chantant, la procession grossit à chaque village
traversé : Soulevain, Sautron, Villès, Ker-Ledec,
La Montagne et son bois de châtaigniers, la
Rougeole, Port-Cé, Gavy, Port-Charlotte, l’Ève,
l’Anse des courants (la Courance). Puis un
détour vers les Noés de Saint-Philibert et on
entend carillonner la toute menue cloche de la
chapelle. Le but du pèlerinage est tout proche.

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 7


Hans Thüer
à la quête de ses souvenirs
Michel Mahé, de l’AREMORS

Hans Johannes Thüer est né le 29 avril 1924 à Wuppertal1, ville


allemande du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, à l’est de
Düsseldorf, au cœur de l’agglomération Rhin-Ruhr.

I
l est élevé par sa mère, en compagnie
1

d’une sœur et d’un frère jumeau, dans


des conditions très modestes. Après
avoir fréquenté l’école populaire, la
« Volkschule » durant 8 ans, il fait un
apprentissage de serrurier. En 1942, il est appelé
et incorporé dans la Kriegsmarine.
Le récit qui suit est composé pour une grande
part de l’interview réalisé lors de son retour à
Saint-Nazaire2 en 1982, à la recherche de ses
souvenirs, mais aussi et surtout avec l’espoir
de retrouver une jeune fille qu’il avait connue
en 1942 dans le village de Bert, près de Trignac,
non loin du lieu où il était cantonné. Ce do-
cument, issu des archives de l’AREMORS, est
enfin publié.

Retour à Saint-Nazaire
« Je suis revenu à Saint-Nazaire en 1982. Pendant
des années j’avais en quelque sorte oublié la guerre et
peut-être refoulé bien des choses. Cependant j’avais
toujours souhaité revoir un jour les lieux où s’étaient
produit les événements les plus importants dont
j’avais été témoin, ces lieux étaient Saint-Nazaire
et l’Union soviétique.
J’avais connu Saint-Nazaire alors que la ville était
encore intacte, mais peu de temps après lorsque j’ai
dû partir, elle était dans un état de ruine dont nous les
Hans Thüer Allemands portions la responsabilité. Même constat
a 20 ans en 1942. pour l’Union soviétique qui lorsque j’y suis arrivé
Photo prise à l’occasion
de ses 18 ans. en pleine guerre était passablement détruite et où
(Coll. H. Thüer) nous avons laissé derrière nous d’horribles choses.

1 - Wuppertal est connue pour son monorail suspendu, situé


en pleine ville, ouvert en 1901, et toujours en activité comme
système de transport local.
2 - Cet interview fut réalisé en 1982 par Pierre Mahé, alors
président de l’AREMORS, et traduit en français par un membre
de l’association. Les paroles de Hans sont reproduites inté-
gralement, en italique dans le texte.

24 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Lorsqu’après tant d’années, exactement 39 ans, je re- Nous reviendrons en détail sur ce hasard Une vue aérienne
vins à Saint-Nazaire je retrouvai une ville totalement extraordinaire qui lui fit retrouver celle qu’il des trois blockhaus
de la Kriegsmarine
différente de celle que j’avais quittée. J’ai cependant recherchait, mais laissons Hans nous livrer le à Aisne (Trignac).
reconnu le port, la base sous-marine. Enfin, je voulais récit de son incorporation dans l’armée alle- (I.G.N.; photo prise en 1948.)

revoir les gens dont j’avais fait la connaissance et avec mande, à l’âge de 18 ans.
lesquels j’avais eu de bonnes relations.
Parmi tous les lieux où nous sommes allés, une
visite nous a conduits au siège des syndicats et lors Hans et la guerre
de conversations avec des syndicalistes nous avons « J’ai été appelé en 1942 et incorporé dans la Marine.
été mis en rapport avec nos amis Pierre et Suzanne Mes sentiments à cette époque étaient très miti-
Mahé. Ils nous ont invités chez eux et au cours de gés parce que par notre éducation familiale nous
nos discussions nous avons constaté qu’ils étaient n’étions pas des nazis et que nous étions contraints
membres du mouvement de la Paix et antifascistes. Ce de participer à cette guerre. Nous avions su aussi
fut pour moi une rencontre incroyablement féconde. malgré les mensonges comment cette guerre avait
En outre par le plus grand des hasards alors que commencé. Peu de temps après moi mon frère ju-
je visitais la base sous-marine j’ai rencontré des meau avait, lui aussi, été incorporé et ma mère, qui Un des blockhaus
gens qui m’ont aidé à retrouver des personnes avec était veuve depuis notre enfance, ainsi que ma sœur, du cantonnement
de la Kriegsmarine,
lesquelles j’avais pendant l’occupation entretenu de ressentaient notre départ avec beaucoup de douleur. à Aisne, en Trignac.
bonnes relations » Vis-à-vis des nazis, nous avions des sentiments très (2023, coll. M. Mahé)

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 25


Le 2 juillet 1745
Le prince Charles Édouard Stuart
embarque à Saint-Nazaire pour l’Écosse
Thierry Guihéneuf

Le « Du Teillay », un navire corsaire de Nantes, est connu dans les


livres anciens sous le nom de « La Doutelle ». Il entre dans la légende
de la révolte jacobite de 1745 quand il embarque le prince Charles
Édouard Stuart1, aussi connu sous le nom de « prince Édouard »,
depuis la rade de Bonne Anse2, à Saint-Nazaire, le 2 juillet 1745 [1].

Le prince Édouard, Quelques questions se posent avant d’étudier

le « Du Teillay »
plus précisément l’histoire de ce navire :
◊ Qui fut ce mystérieux prince Édouard dont

et la rébellion jacobite
on parle si peu dans les livres d’histoire de
France ?

en Écosse ◊ Qui étaient les jacobites et quelles étaient

L
leurs préoccupations ?
a révolte jacobite, lancée par le prince
1 2
◊ Des marchands négriers de Nantes et de
Charles Édouard Stuart en août Dunkerque ont-ils financé l’expédition du
1745, visait à restaurer la dynastie prince Édouard en Écosse ?
des Stuarts au trône d’Angleterre Pour en savoir plus et mieux comprendre le
et d’Écosse, au détriment de celle contexte de cette époque, il faut revenir sur les
de Hanovre instaurée en 1714, après le décès évènements qui ont amené à la dernière révolte
de la reine Anne, dernière héritière des Stuarts jacobite de 1745.
au pouvoir en Grande-Bretagne3.
Un article publié dans un rapport de l’associa-
tion caritative écossaise « National Trust for
Scotland », défraie la chronique en décembre Charles Édouard Stuart,
2021 [2], en qualifiant le « Du Teillay » de « French
slave ship » (sic) [« navire d’esclaves français »].
le « jeune prétendant »
Il rapproche ainsi, de manière implicite, l’aven- Pourquoi le prince Édouard est-il passé par
ture écossaise du prince Édouard, au commerce Saint-Nazaire pour partir en Écosse ?
triangulaire et à la traite négrière. Pour cela, il faut remonter en 1688 à l’époque du
1 - Prétendant jacobite à la couronne d’Angleterre et d’Écosse,
roi Jacques II d’Angleterre (1633-1701). Celui-ci,
le prince Charles Édouard Stuart aurait pu régner, à la mort qui a voulu imposer ses partisans catholiques,
de son père, sous le nom de Charles III. est déchu du trône d’Angleterre par le prince
2 - La rade de Bonne Anse se situe sur la rive nord de l’es-
tuaire de la Loire.
Guillaume d’Orange lors de la « Révolution
3 - Anne était la deuxième fille ainée du roi Jacques  II Glorieuse ». De religion protestante, le prince
d’Angleterre, exilé en France en 1688, et de religion pro- d’Orange, futur roi Guillaume III, réside aux
testante. Comme le parlement londonien émit un décret
interdisant l’accession d’un catholique au pouvoir, elle hérita Pays-Bas quand il est invité par le parlement
en 1702 des royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. londonien à accéder au trône d’Angleterre. Il
Quand la reine Anne mourut en 1714 sans laisser d’héritier,
son frère cadet, Jacques François Édouard Stuart, était de hérite, de surcroit, de la couronne d’Écosse.
religion catholique et donc inéligible. Le choix du parlement
britannique se tourna vers le prince-électeur de Hanovre, un
lointain cousin de religion protestante, qui accéda au trône
de Grande-Bretagne sous le nom de Georges I. En 1727, son
fils, Georges II, assura ensuite la succession.

34 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


« Le débarquement de Charles Stuart en Écosse ».
Antoine Walsh, au centre, reçoit une lettre des mains du prince Charles Édouard Stuart, destinée à son père Jacques, à Rome,
lui promettant des titres de noblesse en Irlande. Le « Du Teillay » est visible en haut à gauche de la peinture.
(Artiste non identifié - Selon Étienne Vacquet [Conservation des Objets d’Art et Antiquités de l’Anjou], ce serait l’œuvre du peintre historique parisien Claude Paulmier,
une commande de la famille Walsh, en 1754, livrée en mai 1755 - Bibliothèque du Château de Serrant, Saint-Georges-Sur-Loire - Photographie © Conservation départe-
mentale du patrimoine de Maine-et-Loire / Armelle Maugin)

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 35


La maquette retrouvée
Marqueur de la Little Italy du Grand Ouest

Bruno Rossetti

Auteur et conférencier, Bruno Rossetti est un descendant de la


communauté italienne qui émigra à Saint-Nazaire, en 1924. Il a pris
sa plume pour la revue HISTOIRE & PATRIMOINE.

P
eu de temps après la 1ère guerre Ils traversèrent les Alpes, par voie ferrée, en
mondiale, en 1924, en Ligurie, dans le espérant y trouver une vie meilleure. Le port
nord de l’Italie, à Gênes et La Spézia, de Saint-Nazaire les a accueillis et c’est dans
les futurs migrants se préparèrent le quartier ouvrier du Pré-Gras, de Penhoët,
à partir. qu’une Little Italy, unique dans le Grand Ouest,
La Little Italy Leur existence devenant difficile, 138 familles se forma.
du Pré-Gras, allaient rejoindre la France pour construire des Ces quelques mots résument le contexte de cette
de Penhoët.
(© Collection Cyrille Pawloski
paquebots transatlantiques, en commençant épopée, qui est restée longtemps méconnue.
– photographe professionnel) par le magnifique navire Ile de France.

52 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Pourquoi ? Parce cela s’est passé sur une courte Il avait été donné le nom du « Pré-Gras » à la
période de temps, de 1924 à 1940, durant zone d’habitation, car, avant son aménagement,
16 ans, parce que la 2ème guerre mondiale a c’était une partie marécageuse.
détruit beaucoup d’archives et, enfin, parce que On y trouvait trois types de logements, à
les survivants de cette période ont été dispersés, savoir, des maisonnettes, des petits logements
sans avoir eu, par la suite, la volonté de raconter incorporés à des maisons à étages, et, enfin, des
leur parcours. immeubles, dont l’ensemble fut appelé « hôtel
Mais, petit à petit, à partir de 1999, sous des célibataires ».
l’impulsion de Walter Buffoni, fondateur de En rapport avec ces derniers, quelques années
l’asso­ciation Francitalia, est apparue l’initiativeavant leur arrivée, trois bâtiments furent
de retracer cette aventure. construits, en 1916, pour faire face à l’apport
Walter, aujourd’hui décédé, tout comme mon de main d’œuvre et y loger des travailleurs
père Silvio, décédé il y a bien longtemps, faisait célibataires. Mais cela n’avait rien d’un hôtel, où
partie de ces tout jeunes enfants, nés en Italie, vous êtes susceptible d’avoir un petit déjeuner
et arrivés dans la cité portuaire. de prêt, voire une pension. Chaque chambre
avait un mobilier sommaire, avec un lit, une

Seule la chaise
table et une armoire, le tout en ciment, c’était
moins fragile disait le gérant… Seule la chaise

était en bois était en bois.


Maria-Chiara m’expliqua que, juste avant leur
Leurs parents, comme Giovanni et Maria-­ arrivée, certaines cloisons des bâtiments furent
­C hiara, mes grands-parents, en sortant du abattues pour y accueillir des familles, car ce
train en provenance de Paris-Montparnasse, ne sont pas des travailleurs seuls qui arrivèrent
découvraient, de suite, l’atmosphère maritime d’Italie, mais des familles entières, avec femmes
des lieux à leur arrivée. L’ancienne gare et enfants pour certains.
nazairienne était située près des quais de la Les Rossetti furent dans les premiers à arriver
Compagnie Générale Transatlantique (CGT ou sur place et, petit à petit, d’autres familles les
Transat), Compagnie assurant les liaisons avec rejoignirent, comme les Barbaro, par exemple.
l’Amérique Centrale. William, l’un des enfants Barbaro, faisait partie
Partant de ce lieu, ils devaient parcourir environ de ceux qui sont nés après l’arrivée des parents
Hôtel des célibataires
2 kms, en prenant la direction des Chantiers italiens en France, il était, donc, légèrement du Pré-Gras.
de Penhoët, pour atteindre, finalement, leur plus jeune que certains de ses camarades, nés (© Collection Patrick Pauvert)
logement. en Italie.

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 53


Avec son manoir, ses jardins à la française et son parc qui s’étend
sur au moins 75 hectares, le site de Pignerolle a abrité un centre de
communication, relié notamment à la base navale de Saint-Nazaire
pendant la Seconde Guerre mondiale.

58 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Un musée
de l’Infrastructure
au FdU West
de Pignerolle ?
Jean-Baptiste Blain

Si certains le comparent à un Bletchley Park allemand il n’en demeure Le manoir


de Pignerolle, depuis
pas moins que le site de Pignerolle reste bien un sujet d’actualité et l’allée principale,
avec, en arrière-plan,
continue d’écrire de nouvelles pages de son histoire. l’orangerie.
(Photo J-B Blain, février 2021)

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 59


Le nom de Careil
en Guérande
In Memoriam
Henri Sotin
(1959-2022)
Gildas Buron

Le nom de Careil a déjà fait couler beaucoup


d’encre. Les auteurs ou co-auteurs qui ont écrit
à son sujet – six identifiés – ne s’accordent ni sur
la langue du toponyme ni sur le sens. D’aucuns
considèrent qu’il s’agit d’un nom d’expression
bretonne formé avec le lexème kêr, d’autres tirent
le toponyme d’une base pré-indo-européenne
*khar- évocatrice du “rocher” et de la “pierre”.

N
otre étude se propose de s’appuyer sur le corpus docu-
mentaire des plus anciennes occurrences de Careil et d’en
proposer une nouvelle interprétation. Qu’elles réfèrent
au village, aux deux microtoponymes, ou au nom de
famille détoponymique qui se montre à Guérande et à
Batz dès le xve siècle, ces occurrences établissent unanimement que la
forme Carail, a l’antériorité sur Careil. Si cette dernière s’impose dans
les textes à la fin du xvie siècle, Carail se maintenait en usage dans la
première moitié du xviie siècle et peut-être même jusqu’en 1750. Aussi,
il convient de traiter de Carail avant d’éclairer Careil, forme secondaire
d’un type ˹carail˺ dérivé de la base *khar-.

Le corpus documentaire
1. Documentation contemporaine
• [En position autonymique] 1857 Careil, village (Pinson, 312, n° 37), 1906 Careil, village,
« Châtellenie comprenant les seigneuries et bailliages de Careil, Marsaint, Mérionnec,
Tréveday, Bissin et Penchâteau. – Manoir » (Quilgars, 53a), 1909 Careil, « chât., f., min et vill. »
(Maître, 32b), [1982] Careil (Insee, 37a).
• [En position de déterminant] 1819, château de Careil, moulin de Careil, tenement de Careil,
tenement du moulin de Careil, village de Careil (Archives départementales de Loire-­Atlantique1,
7 P 2492-F028, section I, feuille 2, dite de Careil), 1828, village de Careil (ibidem, 3 P 73/6, sect.
I, dite de Careil, n° 369-383, 391-465, 471-488), « moulin de Careil » (ibid., n° 324-327), « Château
de Careil » (ib., n° 520-531).
1 - Sauf indication contraire, les cotes d’archives renvoient aux fonds des Archives départementales de la Loire-Alantique.

72 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


2. Documentation historique • Le Croisic : 1510 « <…> Carail » (registre La saline Lavallée
et le village de Careil
des baptêmes de N.-D. de Pitié, fol. 16), 1520
2.1 Données anthroponymiques « Nicholas Carail » (ibid., fol. 145v), 1523 « Denys
en Guérande.
Émile Gauffriaud (1877-1957),
• Batz : 1469 « ostel Guillo Carail » au bourg, Careil » (ib., fol. 189). huile sur toile (60 x 80 cm),
signée bas gauche.
« vignes a Nicol(las) Crarail » (B 1484, • Guérande : [a.1395/1400] « Caraill de Meroux » Collection Musée des marais
salants, acquisition 2023.
15 octobre 1469), 1480 aveu de « Pierres (B 1484, après le 30 août 1395), 1452 « Jehan Cliché. G. Buron.

Caraill de Baz » (B 1443, 3 mai 1480), 1537 Caraill & la famme Richard le Regne » (B 1489
« Pierre K/rail soulloit paier dont ya heri- (A), fol. 91v), « Nichollas & Guillo Caraillz » (ib.,
tiers sauoir Nicolas K/rail et ses consors » fol. 91v) ; 1476 « Jehan de la Lande dit de Caraill,
(B 1492, rentier 1533-1537, fol. 43v), etc. sur une meson et jardrin ou il demoure a
Quenequen » (B 1450, 23 octobre 1476).

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 73


Cent ans
de mariages
paludiers
(1828-1930)

Françoise et Malou Roussel

L’an dernier, à l’occasion du festival du


livre de Guérande, l’historien Alain
Croix, invité d’honneur 2022, est venu
nous présenter une de ses dernières
parutions «Photographes, tradition
et modernité en Bretagne» : élé-
ments fondamentaux du système
des valeurs des Européens. Lors de
sa conférence, Alain Croix a particu-
lièrement insisté sur les découvertes
qu’il a pu faire en étudiant les clichés
de famille et nous invite à regarder
de plus près les photographies con- ou encore celle du peintre et illustrateur
servées dans les greniers qui finissent François-Hippolyte Lalaisse, à Batz-sur-Mer en
après décès parfois au dépotoir. C’est 1845 et 1846 qui nous donne une jolie représen-
tation du costume traditionnel de cette époque.
cette recherche que nous venons
vous raconter ici et nous avons choisi
de débuter cette série familiale en
1828 par le mariage d’un aïeul, côté
maternel.

P
ierre-Jean Brohan né à Saillé en 1799,
marié avec Suzanne Gougaud née
aussi à Saillé en 1807 dont nous vous
avons conté, dans le n° 74 d’Histoire
et Patrimoine, le chemin jusqu’à
Quimper pour troquer leur sel contre des cé-
réales. Pour eux pas de photo de mariage. Nous
rappelons qu’en 1824, Joseph Nicéphore Niepce
réussit à conserver une image due à l’action de
la lumière, mais il faudra attendre 1854 pour
qu’apparaisse la photo en série et naisse le
métier de photographe. En atten­dant, de belles
La toilette lithographies circulent en France et en Bretagne
de la mariée.
sur le sujet comme celle de Zoé Coste, à Nantes
(Lithographie de Zoé
Costes, vers 1860) dès 1840, intitulée «La toilette de la mariée»

86 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


chevelure gracieusement enroulée dans des
bandelettes se dressait une petite coiffe à ailes
retombantes que retenait une couronne de roses
blanches. Le marié portait des culottes de fine
toile, des bas à arabesques, des souliers de peau
de daim et les trois gilets de teintes différentes
recouverts du paletot rouge. Il était coiffé du
chapeau à larges bords relevé d’un côté et orné
de chenilles coloriées. Enfin, un petit manteau
noir coupé à l’espagnole pendait à son épaule,
retenu par une agrafe d’argent.
◊ Édouard Richer se partageant entre Nantes
Mariage
et Noirmoutier, vient à Guérande et à Piriac Roussel-Oillic,
en voisin. En 1820 et 1823, dans «Voyage en 1895.
pitto­resque en Loire-inférieure» il propose une (Collection
Françoise et Malou
suite d’itinéraires commentés qui auraient Roussel).

leur place aujourd’hui si le GPS ne les avait


pas tout simplement copiés.
◊ François Auguste de Frénilly, député de
l’arron­­dissement de Savenay sans le
connaitre, vient visiter Guérande à l’été 1822,
il raconte qu’il a rencontré «trois noces de pa-
ludiers, précédées de leurs cornemuses, mariées
et vierges toutes reluisantes d’or…»
◊ Honoré de Balzac, accompagné de Laure
de Berny en juin 1830, descend la Loire en
bateau jusqu’à Saint-Nazaire et continue
son escapade sentimentale vers Guérande
et Le Croisic. Nous retrouvons ces instants à
Guérande dans son livre «Béatrix», l’ambiance
Mariage
croisicaise est davantage présente dans « à Saillé,
Un drame au bord de la mer». Ces écrits an- vers 1850.
noncent l’avènement du tourisme et toutes (Selon lithographie
de François-­
En ce qui concerne les écrits, «Les les transformations qui en ont découlé… Hippolyte Lalaisse)

voyageurs en presqu’ile Guérandaise à


l’heure du romantisme» témoignent de
leur vécu :
◊ Émile Souvestre né en1806 à Morlaix accom-
plit de brefs passages à Pontivy, Rennes et
Paris pour ses études, arrive à Nantes en
1829 et fréquente Camille Mellinet, éditeur
et imprimeur. Souhaitant découvrir les
côtes Guérandaises, il fait le trajet à dos
de mule avec une caravane qui, ayant
vendu ou troqué sa cargaison de sel, s’en
retourne à Saillé par le Sillon de Bretagne.
Il évoque la gaîté du saunier Pierre-Louis,
chef de convoi qui fait claquer son fouet en
chantant une mélodie ou un vieux cantique.
Puis devant le défilé d’un cortège de noce,
il exprime son admiration pour les riches
costumes de cérémonie des paludiers «Je
fus véritablement ébloui, la jeune femme avait
la poitrine couverte d’une sorte de cuirasse de
drap d’or retenue par une ceinture de même
étoffe, sa jupe violette était à demi cachée par
un tablier de soie flamboyante, son corsage
à manches rouges était bordé de velours et
surmonté d’une collerette de dentelles. Sur sa

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 87


Le cépage nommé " Aunis "
de Guérande à Sarzeau
IV.1 - Le terroir de l’Aunis
« La nourriture est très souvent chargée de représenter
la survivance savoureuse d’une ancienne société
rurale… elle maintient le souvenir du terroir jusque
dans la vie moderne »1.
Roland Barthes

« L’étude attentive de ce qui est fixe et permanent


dans les conditions géographiques… doit être ou
devenir plus que jamais notre guide. » Christophe M. Josso
Paul Vidal de La Blache2

« Chaque culture représente une occurrence unique


à laquelle il faut consacrer la plus minutieuse
attention pour pouvoir d’abord la décrire, essayer
de la comprendre ensuite »3.
Claude Lévy-Strauss

On a vu dans la partie précédente que le vin que l’on produisait de la


presqu’île de Guérande à la presqu’île de Rhuys à partir de l’Aunis était
qualifié de « vin breton ». On remarque aussi que ce cépage était cultivé
dans un espace particulier : le sud-est de la Bretagne bretonnante. Cela nous
amène à réfléchir sur le terroir de l’Aunis.

Introduction

L
’une des définitions du mot « terroir » Le « pays » désigne une « division territoriale 6
est : « région, province, pays considéré(ée) habitée par une collectivité, et constituant une entité
dans ses particularités rurales, ses géographique et humaine »7, c’est une « partie plus
traditions, sa culture, ses productions ou moins étendue d’une nation, province, région »8.
et du point de vue du caractère des
personnes qui y vivent ou en sont originaires. Terroir
breton, charentais, lorrain… »4
Ce sens le rend synonyme du terme « pays »5, et 6 - Mot dérivé du latin « pagus » (canton / district en Gaule,
on retrouve l’aspect rural du pays dans le mot in Gaffiot), « territoire rural délimité par des bornes » (Ernout
dérivé « paysan ». Alfred et meillet Alfred, Dictionnaire étymologique de la langue
latine, rééd. Klincksieck, 2001 ; page 475). On retrouve l’idée
d’espace délimité dans le mot breton « bro » (pays), il est issu
du celtique gallo-brittonique « brog- » (territoire) et d’un plus
ancien celtique « *mrog- » (Delamarre Xavier, Dictionnaire de
1 - B arthes Roland, «  Pour une psycho-sociologie de la langue gauloise, éd. Errance, 2003 ; page 91), qui vient d’une
l’alimentation moderne. », in Annales : Économies, Sociétés, racine indo-européenne «  *morĝ-  » (frontière, démarcation)
Civilisation, n° 5, sept.-oct. 1961 ; page 983. qui a donné aussi le français « marge » (< latin « margo » :
bord, borne, frontière) et « marche » (< francique « *marka » :
2 - Vidal De La Blache Paul, Tableau de la géographie de frontière). Dans le breton de Guérande, « bro » fait son pluriel
la France, Tome premier de l’Histoire de France depuis les en « -ier » (« broieir », in Ernault Émile, Étude sur le dialecte
origines jusqu’à la Révolution d’Ernest Lavisse, éd. Hachette et breton de la presqu’île de Batz, éd. L. Prud’homme, 1883 ;
Cie, 1911 ; page 386. page 21), et non pas en « ioù », un suffixe en extension en
3 - Lévy-Strauss Claude, Le regard éloigné, éd. Plon, 1983 ; breton (Trepos Pierre, Le pluriel breton, éd. Emgleo Breiz,
page 145. 1982  ; page 66), peut-être par analogie avec les doubles
4 - c.n.r.t.l. (Centre National de Ressources Textuelles et pluriels (bragoù > brageier : des pantalons).
Lexicales) sous « terroir ». 7 - C.N.R.T.L. sous « pays »
5 - Ibid, voir « synonymie ». 8 - Ibid.

92 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Le pays est un « espace vécu »9 par sa population, d’appartenance13. C’est bien le cas du Pays de
une unité de vie, d’action et de relation10, c’est Guérande, territoire sous influence de la ville
un territoire sur lequel une communauté de Guérande ; par contre, la presqu’île de Rhuys
rurale étend une influence plus ou moins ne constitue pas en elle-même un pays, Sarzeau
prégnante autour d’un centre économique est un gros bourg, elle appartient à un pays plus
(bourg – petite ville/marché) qui structure large, dit « Haut Vannetais maritime », centré
l’espace11, un espace porteur de solidarité et sur Vannes, et jusqu’où était vendu le vin local.
d’une cohérence ressentie qui se traduit par une
identité culturelle et linguistique12, et où vit une
communauté partageant le même sentiment

C’est par abus que l’on parle de neuf pays Vieux pied de vigne
traditionnels bretons14, il s’agit en effet des neuf trouvé le long du mur
9 - Frémont Armand, « Recherches sur l’espace vécu », in en pierres d’un ancien
Espace géographique, Tome 3, n° 3, 1974 ; pages 231-238. anciens diocèses/évêchés, les termes « diocèse » clos du Vignoble
10 - Brunet Roger, Ferras Robert et Théry Hervé (dir.), et « évêché » désignant une circonscription de guérandais,
Les mots de la géographie - Dictionnaire critique, éd. Reclus – de l’Aunis ?
La Documentation Française, 1993 ; page 371.
l’Église catholique15. (Photo Christophe M. Josso)

11 - Pays de Vannes (Bro-Gwened), Pays de Guérande (Bro-


Gwerrann), Pays de Redon, Pays nantais (de Nantes), Pays 13 - David Gilbert, «  Dynamique de la territorialité dans
de Retz (= de Rezé, même étymologie)…  Ardillier-Carras les zones rurales de l’Océanie insulaire  », in  Le territoire,
Françoise, « Les pays et l’espace vécu. Quelles logiques pour lien ou frontière ? (Colloque, Sorbonne, 1995), publié par
quels territoires ? », in Norois, n°181, 1999-1 ; page 174. + Bonnemaison Joël et al., éd. de l’Orstom, 1997 ; page 2 de
Louault François, « Variations sur un concept : le pays », l’article.
in L’information géographique, volume 64, n°4, 2000 ; pages 14 - Nombre des bandes du drapeau breton, avec une bande
348-349. noire pour l’évêché de Nantes.
12 - La notion d’identité, avec celle d’altérité, est perçue 15 - Le mot « diocèse » vient du grec : « διοίκησις » (administration),
comme centrale pour l’ethnologie (Chevallier Denis et de même le mot « évêché » désigne le territoire ecclésiastique
Morel Alain, « Identité culturelle et appartenance régionale – comprenant les paroisses placées sous l’autorité spirituelle
Quelques orientations de recherche », in Terrain – Anthropologie d’un évêque, mot issu du latin « episcopus » (surveillant /
& Sciences humaines, n° 5, 1985 ; pages 3-5). chef), emprunté au grec « ἐπίσκοπος » (gardien / surveillant).

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 93


Pen Bron
passé – avenir
Première partie : le site

Bernard Tabary
Je me souviens… c’est loin, au siècle dernier. Exactement en 1975, l’année – la
seule – où moi, l’ancien élève, j’ai été prof à Saint-Jean-Baptiste de Guérande.
Sorte de retour aux sources.
Il y avait parmi nous un très vieux retraité, le père Lescop, doté d’une magni-
fique barbe blanche, de deux yeux pétillants et candides, l’image même de la
bonté. Il aimait bien fréquenter les plus jeunes professeurs – nous – et c’était
réciproque. Inévitablement, arrivait alors dans la conversation la question
(dont le poseur pouvait tout à fait être notre ami Claude Lebreton) : « Ah !
Père Lescop, vous qui êtes spécialiste en breton, qu’est-ce que ça veut dire, Pen
Bron ? » Le Père Lescop s’y attendait, peut-être même l’attendait-il – parce
qu’il avait de l’humour, même s’il n’était pas le moins du monde expert en
breton, encore moins en féminitude. Il levait les bras au ciel pour exprimer
une exaspération exacerbée (pléonasme) que son sourire démentait par-
faitement. C’était là une sorte de rite bien innocent.
Parlons donc de Pen Bron.
Guerre 14-18
Des réfugiés Rouvrois
à Mesquer
Jocelyne Leborgne

Depuis toujours, les guerres conduisent à l’exode des milliers de réfugiés


chassés par les combats, en 1914 et pendant toute la durée des hostilités,
nombreux sont les habitants de Belgique et du nord de la France qui ont
dû fuir devant l’avancée des troupes ennemies.

D
ans cette hâte fébrile du dé- de la France, sans nouvelles des uns et des
part, dans le désarroi de l’em- autres. La presse nationale et locale a relaté
Le village de Rouvres- barquement dans les gares, chaque jour, la détresse de ces réfugiés qui
en-Woëvre, en ruines, les membres d’une même avaient perdu en quelques minutes tout ce qui
après le passages des
troupes allemandes, famille se sont vus séparés, faisait leur vie d’avant !
le 24 août 1914. dispersés aux quatre coins

120 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Émigrés des frontières Quimiac, Mesquer, Saint-Molf, Assérac, et enfin
françaises… Herbignac, terminus de la ligne. À chacun de
ces arrêts sont descendus par petits groupes
C’est le titre choisi par Le Phare de la Loire1 pour des voyageurs sans bagage, des mères avec
annoncer l’arrivée de « 170 à 180 émigrés des leurs enfants, des personnes âgées, car parmi
frontières françaises à Guérande, par le train de eux, il n’y avait aucun homme valide entre 20
9 heures ». Relayant l’information Le Guérandais2, et 45 ans : ils étaient tous mobilisés.
évoquait sous le titre Visions de guerre, la venue
« d’une centaine d’émigrés venant de la région Rouvres-en-Woëvre,
de Verdun, d’Étain ».
Conduits au petit séminaire de Guérande afin village martyr !
d’y recevoir les premiers secours, ils furent Commune rurale de 493 habitants, située à
dirigés, deux jours plus tard « par fractions 3,5 kilomètres d’Étain et à environ 25 kilo-
sur différentes localités voisines : Saint-Molf, mètres de Verdun, s’est retrouvée au cœur
Mesquer… pour être logés chez l’habitant des combats de la bataille des frontières lors
durant la période de la guerre ». Le journaliste de la Première Guerre mondiale. Le 24 août
ajoutait « un deuxième convoi beaucoup plus 1914, l’un des nombreux massacres de civils
important de plusieurs centaines est venu de cette sombre guerre eut lieu dans ce village
prendre la place laissée libre au séminaire ; paisible. Le rapport rédigé trois jours plus tard,
ces derniers… arrivant de Verdun, Beauvais, par M. Émile Julien, l’instituteur du village et
Plan de la bataille
Maubeuge et même de Belgique ! » Qui étaient transmis au sous-préfet de Verdun témoigne entre Meuse
ces hommes et ces femmes souvent âgés parfois des atrocités commises à l’encontre de ses ha- et Moselle.
accompagnés d’enfants, combien étaient- bitants qui furent « tués à bout portant, à coups (Article du Frankfurter Zeitung,
journal conservé par Émile
ils vraiment et quelles épreuves avaient-ils de sabre… asphyxiés ou carbonisés dans les Moussat, soldat au 220e R.I. ,
qui a porté Rouvres
traversées ? Difficile de le dire en l’absence de té- caves des maisons incendiées… ». sur la carte)
moignages recueillis lors de leur passage éclair
par le Petit Séminaire de Guérande. Pourtant
plus d’un siècle après, il m’a semblé essentiel de
reconstituer ce que fut leur exode en Presqu’île
guérandaise et plus particulièrement, d’évoquer
quelques événements de leur vie mesquéraise.

Un si long voyage
Fuyant Rouvres-en-Woëvre à pied, une tren-
taine de survivants ont gagné Étain, puis
Verdun traversant des villages comme Bras où
ils furent rejoints par des habitants qui fuyaient
aussi devant les attaques ennemies. En gare de
Verdun, ils montèrent dans des trains de mar-
chandises et de voyageurs, gagnèrent Nantes,
après de très nombreux arrêts où certains
d’entre eux descendaient comme au Mans, à
Angers. À Nantes, les réfugiés furent encore
séparés pour être accueillis dans des communes
situées au sud de la Loire, comme La Montagne,
La Plaine-sur-Mer, Paimbœuf, Saint-Brévin-
les-Pins… D’autres convois furent dirigés les
29 août et 1er septembre, au nord de la Loire,
vers Saint-Nazaire, Pornichet, La Baule-Escou-
blac puis Guérande, Le Croisic… Après deux
nuits de repos au Petit Séminaire de Guérande,
les réfugiés furent emmenés à la petite gare
de Guérande, le petit train à voie métrique
s’arrêta dans les gares de La Turballe, Piriac,

1 - Le Phare de la Loire (1844-1851) - (1876-1944) Quotidien


Nantais. - article du 01/09/1914.
2 -Le Guérandais (1891-1925) hebdomadaire, aujourd’hui
L’Écho de la Presqu’île. - Article du 06/09/1914

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 121


Steredenn Vor
Histoire d’un bateau opiniâtre

Christiane Marchocki

Le patrimoine nautique est, lui aussi, le reflet de l’histoire locale et, par
conséquent, de l’Histoire. Notre littoral est fécond en événements qui ont
trait à la mer, ressource vitale pour la population. Il s’ensuit un attachement
pour les embarcations qui lui permettent de vivre : commercer, se déplacer,
explorer… la pêche étant le rôle premier, elle permet de se nourrir et de
vendre.

L
es bateaux, comme les humains, ont tiques », et bien peu réalistes. Chacun participe
souvent une vie compliquée. On à la facture et aux réparations, l’association
pourrait dire, plusieurs vies. C’est Steredenn Vor possède, maintenant, ce vestige
le cas de ce « voilier de travail », des temps anciens, où la voile, énergie inépui-
dernier maquereautier croisant sable, régnait encore un peu.
dans nos eaux locales. Construit en bois, selon
l’architecture ancienne et traditionnelle. La Ressusciter un bateau
Turballe est son port d’attache.
« qui a fait son temps »
Une coque en voie La peinture cache la pourriture du bois, les

de perdition voies d’eau sont un révélateur. Dix-huit mois


de travail remettent ce vieillard sur l’eau : on
« Steredenn Vor », ou étoile de mer, tel est son découvre 30 kg de goudron dans les fonds, on
nom désormais, est né, en 1946, dans le chantier change la moitié des bordés au-dessus de la
Guénec, situé à Étel, destiné à un pêcheur flottaison (planches situées au-dessus de l’eau),
de Hoëdic, fixé à La Turballe. Ce bateau, un Les membrures ne valent pas mieux. Une vue
« misainier1 », voué à la pêche aux casiers et plus d’ensemble de celles-ci fait penser aux côtes
précisément aux crustacés, s’appelait à l’origine, d’une cage thoracique. Tout coûte cher.
Étoile filante. Notons au passage que les « crabes Pour faire face à ce problème bien connu, les
de terre », selon l’expression locale, capturés associés, plus ou moins musiciens, créent un
parmi les écueils qui foisonnent depuis la pointe groupe musical éponyme : Steredenn Vor. Ils
de Quiberon à Hoëdic, et au-delà, en passant interprètent un répertoire de chants de marins,
par Houat, cuits à l’eau du large, sont un délice. de chants irlandais, bretons, ces mélodies qui
Ce modeste bateau 7 mètres de long, un bau2 parlent à leur sensibilité, caractéristique com-
de 2,25 m, a failli disparaître comme beaucoup mune, dont l’écho crée leur succès. La cassette,
d’autres de ses congénères. au sens premier du mot, subvient au budget. 
Il achevait ses jours dans le port de La Turballe. C’est l’esprit moderne au secours du passé. C’est
Son propriétaire, ne pouvant se résoudre à sa aussi la passion au secours de l’improbable :
démolition, cherchait à le vendre. Qui est assez ressusciter un bateau « qui a fait son temps ».
peu réaliste, en 2014, pour acheter une coque Désormais, on voit ce voilier ancêtre, lors de
en voie de perdition, si ce n’est un cénacle de fêtes nautiques sur la Vilaine, dans le Golfe du
quelques amis passionnés, « un tantinet roman- Morbihan, aux réunions des vieux gréements…
Mais, décidément, ce bateau, vaillant comme
1 - Ce bateau ne portait qu’une seule voile en forme de trapèze.
ses parrains, est infiniment moins sûr qu’eux.
2 - Largeur maximale d’un bateau.

130 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


(Collection association Steredenn Vor)

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 131


Jean Fréour
ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI
(1919-2010)
De l’œuvre sculptée à l’expérimentation 3D

En 2023, le Musée des marais salants poursuit sa politique de


valorisation de ses collections en rendant hommage au sculpteur
Jean Fréour, auteur de La Paludière (ou La Porteresse) emblème de
l’établissement depuis 1983.

À
la vente du fonds de l’atelier du Le premier espace, ponctué d’œuvres origi-
sculpteur du 30 juillet 2019, les nales, est consacré aux étapes du processus
élus de CAP Atlantique ont souhaité de création de la sculpture : construction
garder la trace de l’œuvre d’un artiste qui de l’atelier du maître, recherche de maté-
a marqué le territoire communautaire de riaux (bois, pierres), dessins préparatoires
son empreinte. Aussi, l’établissement a pu avec modèles vivants, modelage, moulage,
se porter acquéreur de statuettes en plâtre, technique de mise au point, taille du bois
d’œuvres en bois, et de Lilo, la dernière et de la pierre, fonte de statues.
pierre d’atelier inachevée en labrador noir Le second espace, en lien avec les tech-
de Norvège. niques dites « classiques » de la sculpture à
Dans les mêmes circonstances, une partie la Rodin, est dédié à des expérimentations
des outils de l’artiste, sa documentation, ses virtuelles, mettant en scène des statues et
cahiers photographiques et près de 3 000 moulages de Jean Fréour numérisés en 3D.
négatifs ont pu être sauvegardés et rejoindre Le projet a été retenu dans le Programme
les collections du musée intercommunal. National de Numérisation et de la Valorisa-
Cet ensemble offre d’appréhender de ma- tion des contenus culturels 2023 lancé par
nière inédite la trajectoire et les savoir-faire le ministère de la Culture. Il vise à favoriser
de Jean Fréour, artiste-statuaire, et dernier le rapprochement des publics avec les
membre du mouvement artistique breton, œuvres et à créer des usages numériques
Ar Seiz Breur fondé en 1923. innovants dans le domaine culturel et
L’exposition d’une partie de ce fonds ex- patrimonial.
ceptionnel prend place en deux espaces
qui redonnent vie à l’atelier de Jean Fréour.

Musée des marais salants


Place Adèle Pichon
44740 Batz-sur-Mer
02 40 23 82 79

134 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


© Cliché R Dominget -
Collection Musée
des marais salants,
Cap-Atlantique L’agglo.

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 135


Du château à la mine
SORTIES CULTURELLES
ou à la découverte du bel ouvrage
Sortie, à la journée, du dimanche 26 mars 2023

Claude et Anne-Marie Lebreton

Partis de Guérande sous un soleil timide, nous retrouvons les autres


participants à Saint-Nazaire, aucune défection, nous sommes bien
quarante et un, comme prévu. Karine, notre sympathique conductrice,
nous fait longer le port, le Celebrity Ascent en construction et le
Belem en cale. La mer est paisible au petit port de Mean-Penhoët...

Le château de La Lorie C’est dans la cour d’honneur que l’inten-

N
on loin de Candé, sur la commune de dant du château, monsieur Jean-Bernard
La Chapelle sur Oudon, une longue Bouzy, souriant et jovial, nous présente ce
allée nous mène face à ce château. vaste ensemble (en pierre de schiste pour
Et là, une découverte ! De petits arbres la partie centrale et en tuffeau pour les
savamment taillés (Ah l’art topiaire !) et côtés, nous sommes en Anjou). Cette terre
deux grands jets d’eau nous accueillent. fut acquise par René Le Pelletier au début
La façade occidentale intègre dans une du XVIIe siècle sous le règne de Henri IV.
même vision le logis principal, les ailes de La propriétaire actuelle, madame Florence
L’entrée du château la cour d’honneur, celles des services, mais de Saint Genys, vient aimablement échan-
de La Lorie, l’allée
d’accès et le parc. aussi le bâtiment du manège à gauche et ger quelques mots avec nous et nous lui
(Photo Geneviève Terrien) l’orangerie à droite. offrons un exemplaire de notre revue qu’elle
découvre avec plaisir.

136 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Façade orientale
du château
de La Lorie, avec
le vaste boulingrin.
(Photo Geneviève Terrien)

Les extérieurs du château comportent la Le vin de La Lorie connut au XXe siècle


cour d’honneur, la cour des cochers devant une certaine renommée en étant classé
les écuries et le manège, la cour de la ferme grand cru, et la vigne a perduré jusqu’en
et celle de l’orangerie. Autrefois, le château 1957, date de la dernière vendange. Quant
comptait en permanence 40 personnes à la passion du cheval, elle n’a pas quitté
Le groupe
et leurs familles. Les mille hectares du la famille depuis 1850, date où l’immense de l’APHRN, au pied
domaine et les fermages permettaient de potager fut transformé en hippodrome. du grand escalier
de la façade
faire vivre toutes ces personnes, avec sur- principale.
tout deux activités principales, la vigne et (Photo Geneviève Terrien)

le haras.

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 137


Après la bibliothèque, nous découvrons
la grande galerie et ses amorces de co-
lonnades, son lustre en porcelaine de
Saxe, et une imposante table de marbre
sombre marqueté d’or, d’albâtre et d’argent.
Du bel ouvrage ! Puis, une autre pièce, « le
salon de marbre », meublé d’une collection
intacte de 31 assises, avec le mobilier
appelé « volant » (les sièges plus légers) au
centre de la pièce. Les six fenêtres en plein
cintre se reflètent dans de hauts miroirs
qui leur font face, si bien que la vaste
pièce est très lumineuse et capte tout le
paysage environnant. Ensuite à droite, c’est
la salle à manger qui a été conçue autour
de boiseries du XVIIIe siècle et la table est
déjà dressée pour un repas princier, fleurs,
L’autel rococo, Actuellement, les courses rythment la candélabres, cristaux et porcelaines… Les
en chêne sculpté, vie sociale de la région avec des épreuves propriétaires successifs du château ont
de la chapelle
du château. de plat, d’obstacles, de trot et de steeple, su s’entourer de meubles, de cartels, de
(Photo Geneviève Terrien) sur ce champ de courses toujours dyna- peintures, de mosaïques et d’objets d’art
mique, six journées dans l’année, ce qui a
valu à ce château le surnom de « Chantilly de
l’Ouest ». Et entre deux épreuves hippiques,
devant la façade du levant, les invités
pouvaient se distraire et rivaliser sur le
terrain, vaste et bien vert, du boulingrin
(c’est-à-dire ? … un simple nom dérivé de
l’anglais bowling green).
L’escalier principal. Juste le temps d’une photo de groupe (le
(Photo Geneviève Terrien) soleil est là) et nous sommes invités à dé-
couvrir le rez-de-chaussée du château. La
chapelle ouvre sur le parc (nous sommes
sur un des chemins vers Saint-Jacques-
de-Compostelle). Là, un retable présentant
des scènes de la Bible surmonte un autel
rococo remarquable, en chêne sculpté de
nombreux symboles christiques ; l’ébéniste
y a aussi gravé sa signature « Fait par moi
J. Gautier ce 17 mars 1770. » Un artiste admirables tous plus raffinés les uns que
Le salon de marbre. conscient de ses talents qui nous a légué les autres que nous découvrons avec un
(Photo Geneviève Terrien) sa fierté ! réel plaisir.
De retour dans la grande galerie, notre
guide nous conte la jolie légende grecque
d’Hippomène et Atalante dont les statues
ornaient l’escalier principal reconstruit en
1902 par l’architecte Émile Camut (mal-
heureusement, une des deux statues fut
dérobée dans les années 1990.)
De retour dans la cour d’honneur, il est
temps de remercier notre guide et de re-
monter dans le car pour rejoindre, non
loin de là, le restaurant Le rendez-vous
des chasseurs. Après l’apéritif, le repas
simple et copieux nous permet d’échanger
nos premières impressions.

138 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


La mine bleue, sur la commune de
Noyant la Gravoyère
À notre arrivée sur le site de la mine, la
Gatelière, notre guide Camille nous précise
les conditions de la visite, car la sécurité est
essentielle ; notre groupe est détendu, mais
attentif. Puis chacun coiffe une charlotte
et un casque de chantier bleu (le temps
de quelques photos !), et l’ascenseur nous
descend à 126 mètres sous terre. En bas,
la température est stable et agréable sous
« la voûte ».
Camille nous offre un moment d’his- la schistose), l’anémie, le lumbago ou l’al- De retour à l’air
libre, la guide
toire : l’ardoise angevine s’est formée voici coolisme. Ils restaient fiers de leur liberté, présente le travail
460 millions d’années à l’ère primaire. de leur grande solidarité dans ce métier des ouvriers
fendeurs d’ardoise.
Des argiles océaniques compactes se sont éprouvant et dangereux. Nous parcourons (Photo Geneviève Terrien)
lentement métamorphosées en schiste plusieurs très vastes chambres d’extraction
d’une grande pureté. Le mot « ardoise » où la lumière était vitale (certaines font
est probablement d’origine gauloise, et ce songer à des cathédrales). Ensuite, c’est le
schiste bleu d’Anjou a été exploité dès le retour en petit train vers les ascenseurs,
VIIIe siècle en tant que pierre à bâtir, le car il est temps de remonter.
château d’Angers en est le meilleur témoin. De nouveau à l’air libre, notre guide
L’usage de l’ardoise en couverture remonte présente une partie du travail des ou-
au XIIe siècle et il est tout d’abord réservé vriers « d’à-haut » ou « les fendeurs ». Ils
aux toits des constructions les plus pres- saisissaient chaque « quernon » (morceau de
tigieuses comme le château de Versailles. schiste remonté d’en bas), ils le débitaient
L’histoire de la mine bleue débute en 1916 en plusieurs « fendis » comme plusieurs
sur ce site de La Gatelière au moment où feuillets pour obtenir l’épaisseur prévue
l’exploitation de l’ardoise en France est à de 2,7 mm (pour le modèle français). Il ne
son apogée. restait plus que le « rondissage », c’est-à-dire
L’entreprise a compté jusqu’à 307 ouvriers qu’à tailler en biais le bord de chaque « fen-
en 1927, dont 22 femmes et 18 enfants dis » pour obtenir une belle ardoise fine.
qui travaillaient en surface. Toutefois, en C’est un matériau d’une grande longévité
1936, la faillite de la principale société ac- (entre 70 et 300 ans) utilisé pour les toitures,
tionnaire a entraîné la fermeture du site. les dallages intérieurs ou extérieurs, et
Dans la mine, un petit train brinquebalant aussi toujours un élément indispensable
nous conduit vers d’immenses chambres des tables des billards (juste sous le tapis
d’extraction où des mannequins nous per- vert). Tous les ouvriers, les gars « d’à-bas »
mettent de visualiser les différentes étapes et ceux « d’à-haut » fournissaient un labeur
du travail des mineurs, ainsi que leurs ou- méticuleux et très exigeant, et en 1935,
tils aux noms évocateurs. C’étaient les gars ils purent produire jusqu’à 7847 tonnes
« d’à-bas », appelés aussi « les fonceurs », qui d’ardoises. Du bel ouvrage ! Par notre pré-
fournissaient les tâches les plus pénibles ; sence, nous avons pu rendre un modeste
certains devaient utiliser des marteaux hommage aux anciens mineurs humbles,
perforateurs à air comprimé. courageux et aguerris qui ne pouvaient
Seuls 3 % des mineurs atteignaient l’âge de pas disposer des moyens mécaniques de
la retraite à cause de la silicose (appelée ici notre époque.
En repartant, on peut se rappeler la phrase
d’Émile Zola, dans son roman Germinal
(publié en 1885) : « Était-ce possible qu’on
Plusieurs
se tuât à une si dure besogne, dans ces té- membres du groupe
nèbres mortelles, et qu’on n’y gagnât même de l’APHRN, coiffés
d’une charlotte,
pas les quelques sous du pain quotidien ! » attendent de prendre
Merci à nos deux guides, au château de l’ascenseur,
qui les descendra
La Lorie et dans la mine bleue, et merci à à 126 mètres
l’organisation pour cette belle journée si sous terre.
enrichissante. (Photo Geneviève Terrien)

Claude et Anne-Marie Lebreton

juillet 2023 - HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 — 139


A . P. H . R . N
Association Patrimoine et Histoire
de la Région Nazairienne
Agora (case n° 4)
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Illustration : Le groupe de l’APHRN, dans le parc du château de La Lorie,


le dimanche 26 mars 2023 - (Photo Geneviève Terrien)

140 — HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 105 - juillet 2023


Le Steredenn Vor, sous voile.
(Collection association Steredenn Vor)
Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal

La saline Lavallée et le village de Careil en Guérande.


Émile Gauffriaud (1877-1957), huile sur toile (60 x 80 cm), signée bas gauche.
Collection Musée des marais salants, Cap atlantique L’agglo. Cliché. G. Buron.
ISSN : 2116-8415

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Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire
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ISSN : 2116-8415

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