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Stanislas Marin

Violence symbolique
et autres nouvelles
© Stanislas Marin, 2023

ISBN numérique : 979-10-405-3388-7

www.librinova.com

Couverture : Aliénor Stagni-Marin


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Violence symbolique

J'ai vingt-deux ans et j'ai raté ma vie. Jugez plutôt : en ce moment, je travaille
à la radio et je m'occupe essentiellement... de lumière ! La lumière à la radio,
c'est une métaphore de ma vie, de mon utilité au monde... Dans le grand studio
qui, pour quelques émissions, reçoit un public de choix – des retraités, des
paumés, des clodos pas trop puants l'hiver –, je fais varier plusieurs
combinaisons de spots dont les couleurs de bonbons acidulés bavent sur les faces
luisantes des invités, mais surtout je « pilote » la phoursuite. Dans la pénombre
lors des tours de chant, je mets dans un halo de lumière, et je poursuis une
succession de has been sympathiques qui revisitent leurs tubes oubliés et
cachetonnent ainsi pour payer leurs arriérés d'impôts. Bref, je fais des choses
utiles. Mais je m'en tape de tout ça, je partirai dans une traînée brillante, comme
un météore une nuit d'été. Je veux partir tôt et en beauté, je ne ferai pas comme
tous ceux qui en redemandent, jusqu'à ramasser le gourdin du coup de vieux en
pleine gueule, en malus.
— Alex, ça va commencer. Vite, tu peux aller chercher Carlos en face ?
Thierry « travaillez-vos-dorsaux » – il a tout du prof de gym particulier pour
rombières friquées dans sa démarche – vient de me donner une nouvelle mission.
Ah oui, j'oubliais : j'ai exagéré, je ne fais pas que la lumière à la radio, j'y assure
également la sécurité... Enfin, je flotte dans un blouson noir estampillé qui
prétend ça. Là, maintenant, la sécurité du grand studio consiste à décrocher
Carlos du bar chez Pepita où il rêvasse devant un verre (un ti-punch doudou dis-
donc ?) et à le ramener fissa en évitant qu'il se fasse écraser en traversant la rue
Bayard. Derrière son bon gros sourire béat, Carlos a quand même l'air préoccupé
de son retard : personne n'a envie de contrarier, ne serait-ce qu'un peu, le
« Petit ». C'est comme ça qu'ils l'appellent mes compagnons de la sécurité : le
Petit, celui qui fait trembler les dirigeants de l'antenne, ce phare, cet imperator du
rire gaulois. Le voilà justement. Il descend de sa vieille 604 limousine bicolore,
marron et crème, par la portière que lui a ouvert un chauffeur-factotum indien ou
pakistanais qui l'amène tous les jours à la même heure, une dizaine de minutes
avant le début de l'émission. Thierry va à sa rencontre sur le trottoir. Le Petit n'en
mène pas large, il jette un coup d'œil rapide autour de lui et fonce tête baissée
vers l'entrée de la radio. Je remarque le petit sourire qu'esquisse Thierry à chaque
fois... Tout le monde le sait ici : un jour, le Petit a pris un coup de pistolet à
grenaille dans le bide à bout-portant sur ce même trottoir. Il a eu du bol, il s'en
est sorti avec un court passage à l'hôpital. Mais ça aurait pu être une vraie balle à
la place... La légende dit qu'il aurait refusé un autographe à un déséquilibré.
Depuis la peur ne le quitte plus. Pas besoin d'être John Lennon pour ce genre de
traitement, toute célébrité peut se payer au prix fort. Ma fonction sécuritaire se
borne le plus souvent à accompagner le Petit et ses illustres invités dans un
couloir étroit jusqu'à l'entrée des artistes où je pianote un code ultrasecret – 1234
– avant de leur tenir la porte. Je rêvasse ensuite le temps de l'émission dont
j'écoute vaguement le ronron dans un retour, assis derrière mon microscopique
bureau près de l'entrée. Ici, contrairement aux émissions de variété animés par
Vincent Perrot ou Nagui, nul besoin de moi à la console lumière. Sur combien de
têtes le Petit a-t-il bien pu marcher pour en arriver là ? Des têtes comme autant
de planches d'un drôle de pont de singes pour franchir l'abîme qui séparent les
quidams de ceux qui comptent vraiment, ceux qui règnent sur le monde, ou a
minima sur leur petit monde... en attendant la mort. Moi, j'aimerais bien me
tailler la part du lion comme lui, mais je n'ai pas les moyens de mon fascisme
ordinaire qui me permettrait de dire : the World is my oyster.
Qu'est-ce que je peux faire ? J'sais pas quoi faire... Bac en poche, je me suis
inscrit en socio à Paris VII. Logique. Et là, il n'y en a que pour Bourdieu.
Bourdieu ceci, Bourdieu cela... Mais, en même temps… Fuckgod ! Qui pourrait-
on bien placer plus haut ? Et merci Bourdieu ! Avant, je croyais, j'avais l'illusion
que mon avenir était ouvert et j'étais heureux... Maintenant, je sais... je sais que
je suis le hamster dans sa roue. Je cours comme un gland, sans but précis,
enfermé dans un système dont j'ai peur de deviner les contours. Si je regarde mes
camarades dans l'amphi, j'y vois une certaine ironie : c'est à des gens comme
nous qu'on apprend en priorité que notre avenir est bouché et par quel
mécanisme sournois nous allons gentiment accepter notre médiocre condition.
Par exemple, je pourrais demander à un de mes voisins lorsqu'il sera diplômé :
« Et toi, t'en es où ? — Euh, je travaille chez Décathlon pour payer mon loyer...
mais c'est temporaire, je ne ferai pas ça toute ma vie ! — Et toi ? — Moi, je suis
pion pour payer mon loyer, je suis jeune, j'ai encore le temps de trouver un vrai
boulot. » Et moi alors ? Que dirai-je aux autres ? à ma famille ? Mon diplôme en
poche, quel sera mon champ des possibles ? Parce que l'alibi d'être encore jeune,
que rien ne presse... On court tous derrière ce train qui ne va pas si vite et on se
dit : pfff ! je le rattrape quand je veux. Puis le train s'éloigne chaque fois un peu
plus, imperceptiblement, et on en arrive à comprendre qu'on aura beau prendre
tous les anabolisants d'un Ben Johnson, on ne le rattrapera plus. Et puis, le train a
disparu, et on se demande si on l'a vraiment aperçu, s'il a jamais existé... J'ai
peur, je vois tout en noir, je ne veux pas continuer. Je ne veux pas faire partie du
plancton, esclave des courants et prisonnier de sa masse d'eau, je me veux
poisson, libre de circuler et de sillonner les mers !
Aujourd'hui, on reçoit Julie Pietri et Desireless. Waouh ! Ça décoiffe ! Surtout
avec Desireless dont l'effondrement capillaire est à l'image de sa notoriété
perdue : plus rien de dressé sur sa tête, aucun vestige de la « pyramide inversée »
qui avait marqué les esprits quand elle chantait Voyage, voyage à l'époque où,
symbole suprême de la Mitterrandie, les pyramides du Louvre scandalisaient les
réacs de tout poil. Et depuis quelques temps, on a un nouvel habitué du grand
studio : Thomas Fersen. Fersen a la carte depuis sa victoire de la musique
acquise récemment. Pourtant celui qui aligne les diapasons Télérama avec ses
albums ne cadre pas vraiment avec les autres invités de la radio populaire. Avec
sa voix de gorge râpeuse, un peu travaillée à l'ancienne, à la clope, il est la
caution poétique bobo de la station.
Très précautionneusement, un peu comme je ramasserais des fraises des bois,
je cherche les doigts de mon compagnon d'arme, tombés entre de grosses feuilles
succulentes. La langue dans laquelle il éructe sous le coup de la douleur m'est
totalement inconnue. On rencontre des types du monde entier chez les
mercenaires. Enfin, il lui reste toujours son pouce, ça aurait pu être pire... Mis à
la retraite anticipée, il pourra encore faire du stop ou se fourrer le doigt dans la
bouche et le téter frénétiquement quand la déprime sera trop dure à supporter.
Mais pour cela, il faut d'abord qu'on se sorte vivant de ce guêpier... Quand ça
part mal comme ça, Thanatos me prodigue des érections monumentales. Si je
m'en tire en un seul morceau, je fonce au bordel où je mènerai encore d'intenses
batailles sabre au clair. Je ferai pleuvoir mes dollars sur les corps indolents de
plantureuses putains, je m'enivrerai de leur odeur les mains agrippées à leurs
seins et le visage enfoncé dans leurs moites toisons... Et seulement alors, je me
laisserai aller, je pleurerai sur un téton comme un gosse qui a perdu sa maman
jusqu'à ce que, lassées, elles me jettent dehors.
Je suis assis sur une banquette, tout près de Werner Schreyer, de telle façon
qu'on pourrait penser que nous partageons la même table. Comme tous les soirs,
je suis venu chercher la lumière et une sérieuse réduction de mon capital auditif
(j'ai l'impression que la musique assourdissante fait du trampoline sur mes
tympans). Werner a l'air perdu, il a l'air si seul, aussi seul que Nagui avec son
clébard quand on le croise dans les couloirs de la radio. Il a beau être mannequin
superstar, il doit se douter que le néant lui prépare un sale tour à lui aussi, à un
terme peut-être pas si éloigné, comme quelqu'un qui a déjà cessé de croire à sa
petite mythologie personnelle. Werner me fait penser à ces vers marins qui
vivent à proximité des sources chaudes dans les profondeurs océaniques – j'ai vu
ce documentaire l'autre nuit après l'émission Striptease, un porno sur Canal Plus
où Brigitte Lahaie n'a toujours qu'une seule ride sur laquelle elle est assise, et
Histoires naturelles où un dingue tire des bécasses à tout va – et qui reçoivent de
façon aléatoire de l'eau brûlante ou de l'eau glacée : aujourd'hui il évolue dans la
lumière éclatante sous la caresse des médias mais demain ? Parce qu'enfin, quel
autre talent a-t-il que celui de vaguement ressembler à James Dean croisé avec
un farfadet ? Nous au moins, nous n'avons pas à nous poser ce genre de question,
c'est plus reposant. D'habitude, on dérive dans le noir glacé de l'espace
intergalactique. Là, on a eu une chance de malade : Thomas a réussi à
convaincre deux superbes suédoises de nous chaperonner à l'entrée des Bains.
Quatre mecs hésitants et sans style qui se seraient présentés devant le videur... on
était mal partis ! Il est trop fort Thomas, il deviendra quelqu'un c'est sûr. Il a ce
charme du garçon bien élevé au sourire charmeur et au petit rire impertinent. Et,
président du BDE à Assas, il est déjà un animal politique...
J'ai revu pour la dixième fois au moins Un Monde sans pitié. Mireille Périer
qui dit à Hippolyte Girardot : « Tu es vraiment une machine ! », et lui de
répondre : « Une machine à vivre, oui », ça me parle ! Et comme cet antihéros de
pellicule, moi aussi j'ai ramé après des filles brillantes et séduisantes qui se sont
vite rendues à l'évidence que je ne ferais pas le poids comme géniteur avec qui
s'engager dans la vie…
L'autre jour, je finissais mon demi en terrasse lorsque j'ai entendu deux jeunes
journalistes qui discutaient à la table d'à côté. Ils ne partageaient pas le même
point de vue sur la mission des médias : l'un défendait la culture de masse
« TF1 » tandis que l'autre soutenait qu'il fallait réinventer la télévision populaire
et en élever le niveau. Puis il y a eu un accrochage au sujet du Monde
diplomatique pour lequel écrivait le second et, mauvais, le gars de TF1 a dit à
l'autre qu'il méprisait Ignacio Ramonet et que les Français avaient juste la télé
qu'ils méritaient... Je repense à ce mépris, je ne sais pourquoi, pendant le jeu
animé par Julien Lepers à la radio. Le jeu est un ersatz du jeu télévisé Questions
pour un champion orchestré par le même. Ah, j'oubliais encore : quand je ne fais
pas la lumière ou la sécurité, je suis parfois standardiste pour certaines
émissions, et en ce moment je travaille avec Lepers. C'est la pause publicité,
Julien sort en trombe du studio pour nous rejoindre devant nos pupitres :
— Alex, passe-moi vite un auditeur ! me demande-t-il sans rire.
Je le connecte à une vieille dame que j'ai mise en attente et qui doit donner sa
réponse à une question juste après la pub :
— Bonjour madame !
— Bonjour, répond la vieille d'une voix chevrotante. C'est fou, vous avez la
même voix que Julien Lepers, poursuit-elle déstabilisée.
— On me le dit tout le temps, lui répond l'animateur facétieux.
Je profite de la pause pour lever la tête de mon pupitre et j'aperçois Philippe
Labro qui fait son tour habituel. On peut le voir déambuler à travers les
nombreuses baies vitrées des studios d'enregistrement. Comme un père
bienveillant avec ses enfants, il se montre hyper chaleureux avec les animateurs,
les journalistes, les réalisateurs... il arrive derrière eux et s'appuie souvent sur
leurs épaules tandis qu'ils sont assis sur leur siège un casque audio sur la tête.
Des sourires, des rires sont échangés dans une bonne humeur de pub Ricoré.
L'écrivain directeur des programmes est fier de son équipe et d'être un des
principaux artisans de cette machine de guerre du « temps de cerveau
disponible » dont il n'écouterait les émissions pour rien au monde, fût-il payé
pour cela. Puis c'est la fin de la pub, Lepers retourne dans le studio et le jeu peut
reprendre. Sinon, Lepers est vraiment étrange, toujours speed, genre sous
amphètes ou coke ou plus méchant encore. À chaque fois qu'on le croise, il est
toujours en train de courir ! Quand il quitte sa couverture d'animateur
médiatique, il doit se ruer pour aller sauver le monde, comme son jumeau
d'outre-Atlantique. Il a dû se passer un truc dingue à la naissance quand il a fallu
séparer Mickael Keaton de son siamois, Julien. Ils doivent parfois se retrouver
en secret. Pour le moment, Julien court certainement rejoindre sa Batmobile
stationnée dans une grande salle qui communique avec les égouts, sous la rue
Bayard.
— L'aiguille rouge indique le nord dans l'hémisphère nord. Dans l'hémisphère
sud, c'est le contraire.
— Heu... Excusez-moi sergent mais je crois que l'aiguille rouge de la boussole
indique toujours le nord, quel que soit l'endroit où on se trouve.
— Vous voulez faire le malin avec moi ?
— Mais non, pas du tout.
— Fermez-la ! je ne veux plus vous entendre !
Cette première journée de service militaire annonce de longs mois en
perspective... Je devais être pistonné par l'intermédiaire de mon beau-père qui
était soi-disant un super pote d'un sergent recruteur dans l'armée de l'air. J'ai
rencontré le sergent en question et tout s'est très bien passé. Enfin voilà : c'est ce
que je croyais. Que s'est-il donc passé pour que je me retrouve dans l'armée de
terre chez les paras, et pour vingt mois au lieu des dix prévus normalement ?
J'imagine que mon beau-père s'est arrangé pour m'éloigner de ma mère pour un
moment, pour l'avoir pour lui tout seul... Une fois sa déroutante formation sur
l'orientation achevée, le sergent me fait signe de le suivre. Et entre quatre yeux :
— Maine, j'ai bien réfléchi à ce que vous avez dit. Si ce que vous dites était
vrai, ça voudrait dire qu'en sautant en parachute dans l'hémisphère sud, vous
remontrez au lieu de descendre. Vous venez d'arriver alors je vais faire comme si
rien s'est passé. Mais ne me mettez plus jamais dans cette situation devant mes
hommes ! Sinon, vous allez en chier comme c'est difficile à imaginer. Allez !
rompez !
Et ce gars-là est sergent... Heureusement qu'on est en temps de paix. C'est pas
si mal l'armée. C'est une bonne simplification du réel avec ce que ça peut avoir
de reposant. Le niveau moyen des quatre cents gars de mon bataillon ne culmine
pas bien haut. Je fais partie des dix ou quinze bacheliers et probablement celui
qui, avec une licence, est le plus diplômé mais cela ne me donne aucun statut
privilégié. Ici, comme chacun sait, on évite de penser. On s'abrutit d'exercices
physiques, on va au bout de soi-même, on repousse ses limites jusque dans des
recoins que l’on n’aurait jamais songé à explorer autrement. Et surtout, il y a la
camaraderie, et même ce qu'on pourrait qualifier sans hésiter de fraternité si on
devait aller au combat. Dans cette école de l'humilité, on apprend que seul le
groupe est important et que chacun y a sa place et, par là même, y gagne sa
respectabilité. N'importe quel gus que j'aurais volontiers traité d'abruti, que
j'aurais hâtivement traité avec mépris avant, je le respecte et donnerais peut-être
ma vie pour lui à présent. Quant à trouver ma place, il était grand temps.
Rien de tel que la franche camaraderie qui règne au grand studio quand je
retrouve mes collègues de la sécurité, les jours de sécurité renforcée (nous
sommes alors quatre au lieu des deux habituels). On se croirait dans un film de
commando avec Chuck Norris où les protagonistes blaguent avant de partir en
mission. Il est besoin de peu d'imagination pour deviner le contenu des
échanges... Dans l'attente d'une horde de jeunes stars du hip-hop qu'on encourage
à venir scander leur « I got a little something for u », nous gardons un œil sur
une grappe de groupies arrivées très tôt, et qui passent leur temps en jacasseries
et remaquillages dans la file d'attente, cernées par les barrières métalliques
comme du bétail dans un enclos. Hans raconte avec un lyrisme qui lui est propre
les détails de la nuit passée avec sa dernière conquête féminine. Sa dernière...
une de ses premières en fait (la première ?). Les trois autres s'esclaffent à
l'écoute des détails croustillants dont le conteur les abreuve. Encouragé par les
rires du lobo alpha, j'ai nommé Thierry – celui-ci rit plus fort que les autres, ce
qui autorise le reste de la meute à l'accompagner mais un ton plus bas quand
même –, Hans pousse l'outrance en se risquant sur un terrain plus aventureux...
Pour ma part, j'écoute mollement ce qui m'empêche de me concentrer sur mon
bouquin qui, lui-même, m'empêche d'ordinaire de perdre complètement mon
temps – je suis assis derrière la tablette d'accueil du studio tandis que les autres
se tiennent debout à quelques mètres, le long de la baie vitrée offrant un
panorama sur la rue. « Car d’après ce que j’entendis les premiers temps dans
celle de Jupien et qui ne furent que des sons inarticulés... » : je lis ce passage de
Sodome et Gomorrhe où Proust révèle la vraie nature de Charlus tandis que Hans
raconte comment il a conclu son affaire par une sodomie surréaliste. Du fait de la
mâle excitation suscitée, on s'ébaudit de plus en plus fort jusqu'à ce que les éclats
se brisent net sur les récifs d'un récit qui a soudain perdu toute crédibilité : Hans
en a trop fait, il s'est perdu dans la description fantaisiste de quelque chose qu'il
n'a manifestement jamais pratiqué, activement tout du moins. Du coup, je
l'observe avec une curiosité nouvelle : le double pli qui lui tient lieu de front et
lui donne un peu une physionomie de jeune sharpey est plus plissé que jamais.
Hans a une grosse tête carrée aussi massive que celle d'un cachalot, et sa brosse
courte d'un blond transparent n'atténue en rien la chose. Le Sculpteur démiurge
s'est trouvé désemparé devant ce gros bloc à façonner, il n'a pas su par où

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