MARDI 28 NOVEMBRE 2023

79E ANNÉE – NO 24541

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Prolongation de la trêve : le dilemme d’Israël

▶ Au troisième jour du ▶ Benyamin Nétanyahou ▶ Le premier ministre de ▶ Yahya Sinouar, chef ▶ D’anciens diplomates
cessez-le-feu, dimanche a évoqué dimanche un l’Etat hébreu doit rassurer du Hamas dans l’enclave appellent dans une tri-
soir, 40 otages avaient été allongement de la trêve la partie de la population palestinienne, tourne la bune à « tout faire pour
libérés sur les 240 aux pour que les libérations qui ne lui fait plus trêve à l’avantage de son que la trêve se transforme
mains du Hamas depuis se poursuivent, comme le confiance, sans décevoir mouvement, qui s’impose en un vrai cessez-le-feu »
les attaques du 7 octobre souhaitent les Israéliens ses alliés radicaux au cœur de la négociation PAGE S 2 À 4 E T PAGE S 2 8 - 2 9

Economie La réindustrialisation
EN AMÉRIQUE DU SUD, UN PRINTEMPS de la France reste fragile
HISTORIQUEMENT BRÛLANT la bataille de la réindustrialisa-
tion ne fait que commencer. De-
ques. Reste à mobiliser le capital
privé, sans lequel le pari sera
puis l’arrivée au pouvoir d’Emma- perdu, et à inventer une nouvelle
▶ Des records de ▶ La conjonction du ré- nuel Macron, en 2017, environ industrialisation compatible avec
chaleur ont été chauffement climatique, 120 000 emplois industriels ont été les enjeux climatiques.
battus ces dernières du phénomène El Niño créés et 314 usines sont sorties de PAGE 1 7
terre. Pourtant, ce virage n’efface
semaines, avec des et de la déforestation en pas le demi-siècle de désindustria-
températures ressen-
ties frôlant les 60 0C
Amazonie est en cause
PAG E 10
lisation qu’a connu le pays, et laisse
toujours la France à la 22e place de 1
1 ÉDITORIAL
ÉDITORIAL

LALAFRANCE
FRANCEAUAU
l’Union européenne pour la part
de ses emplois industriels.
Pour accompagner le redémar-
rage, le gouvernement promet de MILIEUDU
MILIEU DUGUÉ
GUÉ
simplifier l’installation des usi- PAGE 3 1
nes et ouvre son carnet de chè- PAGE 3 1

Hôpital Politique
Necker, un lieu Macron en quête
d’excellence de capteurs
dans la crise d’opinion
Reportage dans Sondages, médias,
ce temple reconnu élus locaux, mais aussi
de la pédiatrie, humoristes… le chef
où exercent les meilleurs de l’Etat cherche à prendre
spécialistes du pays le « pouls de la France »
Le lac Titicaca asséché, et où, comme ailleurs, pour ne pas perdre
dans la région de Puno
(Pérou), le 14 octobre. des lits ferment, le lien avec une
PAUL GAMBIN POUR « LE MONDE » faute de personnel société en tension
PAGE 1 4 PAGE 1 1

Fait divers Tourisme Justice Disparition

A Crépol (Drôme), Les « hostels », Assassinat LA RENAISSANCE DE 5000 ANS DE CIVILISATION

les avancées de nouveau filon de Samuel Paty : Gérard Collomb,

l’enquête après porteur un premier procès de Lyon à la
la mort d’un jeune
PAGE 1 5
de l’hôtellerie
PAGE 1 8
pour six adolescents
PAGE 1 6
Place Beauvau
Longtemps cadre du Parti
VU PAR RAMSÉS (CUBA) CARTOONING FOR PEACE socialiste, avant de rallier
en 2016 le mouvement
En marche !, cet infatiga-
ble travailleur s’est éteint
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samedi 25 novembre
PAGE 2 7

Architecture
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Le plateau de
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INTERNATIONAL
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N

Yahya Sinouar, maître du jeu à Gaza

Après avoir lancé l’assaut
sanglant contre Israël le
7 octobre, le chef du Hamas
dans l’enclave palestinienne
tourne à son avantage
la trêve négociée pour
la libération des otages.
Rompu à la psyché
israélienne, il avait été lui-
même « échangé » en 2011

beyrouth - correspondante
jérusalem - envoyé spécial

E
n maître des horloges, Yahya Si-
nouar a négocié chaque point
de l’accord de la trêve, de la libé-
ration des otages israéliens à
celle des prisonniers palesti-
niens, cherchant à pousser son
avantage. Depuis l’entrée en vigueur de
cette « pause », vendredi 24 novembre, le
chef du Hamas dans la bande de Gaza en
dicte le tempo, prêt à retenir la bride s’il juge
qu’Israël bafoue les termes négociés. L’in-
flexible chef palestinien de 61 ans a fait
mentir tous ceux qui, en Israël, le présen-
taient déjà en homme mort. Après avoir si-
gné l’attaque la plus brutale jamais menée
contre Israël le 7 octobre, Yahya Sinouar est
non seulement toujours en vie cinquante
jours après le début de la guerre, mais il en-
grange une nouvelle victoire politique.
« Quelqu’un comme Sinouar décrypte très
bien les Israéliens. Les dirigeants du Hamas
ont en substance parfaitement compris les di-
visions du pays, donc sa faiblesse, mais aussi
le fait que, pour combattre une armée nette-
ment plus forte en moyens et en hommes, il
faut recourir à des armes différentes, d’où les
otages », analyse Matti Steinberg. Cet ancien
conseiller de plusieurs chefs du Shin Beth,
les services israéliens de renseignement in-
térieur, considère très important le « jeu »
sur les otages : « Sinouar consacre le Hamas
comme celui qui libère les prisonniers palesti-
niens. Ils l’ont promis, ils le font. Ils ont im-
Yahya Sinouar, dirigeant du Hamas, à Gaza, le 14 décembre 2022. MOHAMMED TALATENE/DPA/REUTERS
posé l’idée que le 7 octobre était une victoire
de leur mouvement. Et chaque libération
d’otages est un rappel de cette victoire aux
yeux de l’opinion palestinienne. »
Emprisonné vingt-deux ans en Israël, puis
libéré par Benyamin Nétanyahou, alors déjà
premier ministre, à la faveur de « l’accord
Shalit », du nom du soldat franco-israélien
capturé par le Hamas en 2006 et échangé
contre 1 027 prisonniers palestiniens cinq
ans plus tard, Yahya Sinouar comprend
mieux que quiconque la portée symbolique
et stratégique d’un tel accord. Il est la
preuve que cette forme de marchandage
peut fonctionner. En usant à nouveau de
cette arme, le 7 octobre, il a planifié avec le
chef de la branche armée du Hamas, Mo-
hammed Deif, une opération à grande
échelle dans l’optique de libérer les milliers
de Palestiniens détenus dans les prisons is-
raéliennes. L’accord d’aujourd’hui limite
toutefois le nombre de prisonniers libéra-
bles à trois pour un captif israélien.
A la brutalité de l’attaque, qui s’est soldée
par la capture de 240 otages et la mort de
1 200 Israéliens, s’est ajoutée, pour Benya-
EN PRISON, min Nétanyahou, l’humiliation d’avoir été
YAHYA SINOUAR berné par l’homme qu’il pensait avoir bridé
depuis son accession au pouvoir, en 2017. Il
A APPRIS L’HÉBREU aurait voulu le faire plier par la force. Mais
la résilience du mouvement face à la vio-
ET BEAUCOUP LU. lence des bombardements israéliens, qui
IL S’EST ont fait plus de 14 800 morts depuis le dé-
but de la guerre, selon le Hamas, et la pres-
IMPOSÉ COMME sion des familles des otages l’ont obligé à
accepter la négociation.
L’INTERLOCUTEUR
LE « BOUCHER DE KHAN YOUNÈS »
DES AUTORITÉS La guerre des nerfs a tourné à l’avantage de
PÉNITENTIAIRES Yahya Sinouar, rompu à la psyché israé-
lienne. En prison, il a appris l’hébreu et beau-
coup lu. Charismatique et autoritaire, il s’est
imposé comme l’interlocuteur des autorités
pénitentiaires pour les prisonniers du Ha-
mas. Tous connaissaient déjà de réputation
celui que l’on surnommait le « boucher de
Khan Younès », pour son rôle actif dans l’éli-
mination des « traîtres ». Né en 1962 dans ce
camp de réfugiés du sud de l’enclave, il a re-
joint le Hamas à sa fondation en 1987 par la
branche palestinienne des Frères musul-
mans. Il a convaincu son fondateur, Ahmed
Yassine, dont il était proche, de fonder un ap-
pareil sécuritaire, Al-Majd, pour traquer les
espions à la solde d’Israël.
L’Etat hébreu l’a arrêté en 1989 et
condamné à quatre peines de prison à per-
pétuité pour l’enlèvement et le meurtre de
deux soldats israéliens, ainsi que de quatre
collaborateurs palestiniens présumés. En
lien avec la direction du mouvement à l’ex-
térieur, il a participé aux négociations sur
sa propre libération le 18 octobre 2011. Un
ancien officier traitant, du temps de sa dé-
tention, avait tenté de s’y opposer et faute
d’y parvenir avait, au moins, exigé qu’il si-
gne une lettre indiquant qu’il s’engageait à
renoncer à toute activité « terroriste » dans
le futur. A sa grande surprise, Yahya Sinouar
a refusé de signer ce document, pourtant de
peu de valeur, se disant prêt à rester en pri-
son si tel était le prix à payer.
De retour dans la bande de Gaza, passée
sous la coupe du Hamas en 2007, Yahya
Sinouar s’est imposé au sein de la direction

La difficile équation politique de Benyamin Nétanyahou

Le premier ministre israélien redoute de se couper de son électorat au profit de ses alliés d’extrême droite hostiles aux négociations avec le Hamas

jérusalem - correspondance d’abattre leurs geôliers. Selon un franco-israélien Gilad Shalit tient, alors que le Parti sioniste re- est stable. Il n’y aura pas d’élection le dirigeant israélien a de nouveau
sondage commandé par l’Institut en 2011, plus de 1 000 prisonniers ligieux, mené par Bezalel Smo- en période de guerre. Les intérêts de échangé durant le week-end.

C hacun ses images. Celles

des otages israéliens déte-
nus par le Hamas figurent
partout, des halls de l’aéroport de
Tel-Aviv aux grands carrefours
routiers, sur les bandeaux à la té-
lévision et en une des journaux
et des sites internet. Dans un
cadre plus confidentiel, le bureau
de Yehuda Fuchs, commandant
de l’armée israélienne pour la
« région centrale » – la Cisjordanie
occupée par Israël depuis 1967 –,
abrite, lui, les photos des cadres du
Hamas : Yahya Sinouar, son chef
politique, Mohammed Deif, res-
ponsable de la branche armée du
mouvement, et d’autres moins
connus – entre 50 et 100 person-
nes, selon le quotidien israélien
Yedioth Ahronoth. Le major-géné-
ral Yehuda Fuchs connaît ces visa-
ges : de 2016 à 2019, il était com-
mandant de la division de Gaza,
chargée de surveiller l’enclave.
Tout Israël est suspendu entre
ces deux exigences. Ramener les
otages en vie, tout en promettant
démocratique d’Israël, plus de
90 % des personnes interrogées
veulent à la fois la libération des
personnes enlevées, la destruction
du Hamas et la restauration de la
dissuasion. Mais, pour la popula-
tion la plus à droite du pays, le pre-
mier de ces objectifs est considéré
comme contradictoire avec les
deux autres. Et Benyamin Néta-
nyahou, lui-même n’échappe à
cette tension entre deux pôles.
Le leader israélien veut garder la
main sur la droite israélienne.
Mais il est concurrencé par Yoav
Gallant, ministre de la défense à
l’offensive, et par ses alliés les plus
radicaux dans la coalition et no-
tamment Itamar Ben Gvir, minis-
tre de la sécurité nationale. Ce der-
nier a déclaré sur la chaîne 14, por-
te-voix de la droite radicale, que
l’accord d’échange était un « désas-
tre » – et a voté contre, ainsi que les
députés de son parti. « Le Hamas
voulait cette trêve par-dessus
tout », a-t-il ajouté, en rappelant
que lors de la libération de l’otage
palestiniens avaient été libérés,
dont Yahya Sinouar – un accord
alors voulu par Benyamin Néta-
nyahou. Le ministre de la défense
ne cesse de répéter que la dureté
de l’offensive israélienne, qui a
causé la mort de près de 15 000 Pa-
lestiniens, selon le Hamas, a juste-
ment permis de négocier la libéra-
tion actuelle en position de force.
Pour l’heure, les positions maxi-
malistes d’Itamar Ben Gvir le
servent : dans les sondages, sa for-
mation, Puissance juive, se main-
ITAMAR BEN GVIR,
LE MINISTRE DE LA
SÉCURITÉ NATIONALE,
ISSU DE LA DROITE
RADICALE, A QUALIFIÉ
L’ACCORD D’ÉCHANGE
DE « DÉSASTRE »
trich, l’autre représentant supré-
maciste de la coalition, qui a voté
pour l’accord avec le Hamas,
passe pour la première fois sous le
seuil de représentativité à la Knes-
set. Quant au Likoud, le parti de
M. Nétanyahou, il n’est plus le pre-
mier parti d’Israël, arrivant en
deuxième position derrière le
Parti de l’unité nationale, une
coalition d’opposition dirigée par
Benny Gantz et Gideon Saar.
Confronté aux vents contraires
de la politique intérieure, face aux
choix dans la conduite du conflit
et aux pressions internationales,
le premier ministre israélien doit
rassurer la large partie de la popu-
lation qui ne lui fait plus confiance
– des dizaines de milliers de per-
sonnes ont encore manifesté
samedi pour exiger la libération
des otages, demandant au passage
sa démission – tout en faisant en
sorte de ne pas décevoir la frange
qui le soutient encore. Avec un
objectif : tenir le plus longtemps
possible. « Le gouvernement actuel
Benyamin Nétanyahou et du Ha-
mas sont les mêmes : gagner du
temps. A la fin, il faudra chasser le
Hamas de la bande de Gaza,
comme l’Organisation de libéra-
tion de la Palestine [OLP] de Bey-
routh en 1982 », estime Gideon
Rahat, chercheur pour l’Institut
démocratique d’Israël, pour qui le
départ de M. Nétanyahou après la
guerre n’est, lui, pas évident.
« Une trêve plus longue »
Dimanche, après une visite aux
troupes israéliennes dans la
bande de Gaza au cours de laquelle
le premier ministre, casqué et vêtu
d’un gilet pare-balles, a rappelé les
« trois objectifs » de la guerre, « éli-
miner le Hamas, ramener tous nos
otages et garantir que Gaza ne re-
devienne pas une menace pour
l’État d’Israël » et assuré : « Nous
continuerons jusqu’au bout – jus-
qu’à la victoire ». Mais il a aussi dit
souhaiter « une trêve plus longue ».
Une position partagée par le prési-
dent américain Joe Biden, avec qui
M. Biden a affirmé vouloir « main-
tenir cette pause au-delà de [lundi]
afin que [de pouvoir] continuer à
voir davantage d’otages sortir et à
apporter plus d’aide humanitaire à
ceux qui en ont besoin à Gaza ».
M. Nétanyahou a aussi évoqué
« un schéma où il est possible de li-
bérer dix [otages] supplémentaires
chaque jour ». Autrement dit,
chaque libération supplémentaire
d’un groupe de dix personnes par
le Hamas à partir de mardi verrait
en retour un nouveau jour de
trêve être accordé par Israël à Gaza.
Dans la nuit de dimanche à lundi,
le Hamas a affirmé « chercher à
prolonger la trêve au-delà de ses
quatre jours », dans le but « d’aug-
menter le nombre de prisonniers
[palestiniens] libérés ».
Jusqu’à présent, seuls 40 otages
ont été libérées sur les quelque
240 enlevés par le Hamas le 7 octo-
bre. Au rythme proposé par M. Né-
tanyahou, cela pourrait porter la
trêve actuelle à vingt jours. p
samuel forey
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politique, coordonnant avec les Brigades Ez-
zedine Al-Qassam le renforcement des capa-
cités militaires. Considéré comme un « dur »
au sein du mouvement, il a été nommé chef
du bureau politique du Hamas à Gaza
en 2017, à la place d’Ismaïl Haniyeh, qui a
pris la direction du bureau politique en exil
au Qatar. Physique sec et nerveux, cheveux
et barbe blanchis par les années, il s’est posé
en pragmatique, quoique intransigeant sur
la ligne idéologique. Craint, il a étouffé toute
dissidence à Gaza, en premier lieu celle du
Fatah du président Mahmoud Abbas.
Mais le blocus imposé en 2007 par Israël
et l’Egypte qui asphyxie l’enclave attise la
colère des Gazaouis contre le Hamas. Pour
desserrer l’étau, Yahya Sinouar s’est rappro-
ché du Caire et a maintenu la négociation
avec Israël sur la levée des restrictions.
Il échoue néanmoins à sceller la réconci-
liation palestinienne avec le Fatah. De quoi
satisfaire Benyamin Nétanyahou, partisan
du « diviser pour mieux régner » entre
l’Autorité palestinienne et le Hamas.
Convaincu d’avoir restauré la dissuasion
lors de la guerre de 2014, M. Nétanyahou a
permis au Hamas de se renforcer et lui a
laissé la responsabilité des 2,3 millions de
Gazaouis, afin d’affaiblir le président Abbas,
selon l’historien Tareq Baconi, auteur de
Hamas Contained. The Rise and Pacification
of Palestinian Resistance (Stanford Univer-
sity Press, 2018).
UN DIALOGUE PAR LA VIOLENCE GRADUÉE
A intervalles réguliers, des cycles de vio-
lence entre le Hamas et Israël viennent per-
turber le statu quo. Yahya Sinouar semble
alors donner le change et se concentrer sur
l’administration de Gaza, quitte à entacher
sa légitimité de révolutionnaire par cette
forme de coopération avec Israël, qu’il re-
proche pourtant à l’Autorité palestinienne.
Lui assure être resté attaché à la lutte armée
et poursuivre un dialogue par la violence
graduée. Celle-ci monte d’un cran en
mai 2021, quand il s’érige en défenseur de la
mosquée d’Al-Aqsa, à Jérusalem, attaquée
par la police israélienne, au nom de tous les
Palestiniens, avec le soutien de ses alliés,
l’Iran et le Hezbollah libanais. Le Shin Beth
exige l’élimination de ce chef, jugé dange-
reux. Les responsables israéliens, convain-
cus que le Hamas est faible et bridé, concen-
trent leur vigilance sur la Cisjordanie.
Yahya Sinouar n’a, depuis, cessé de mettre
en garde Israël à chaque violation contre
Al-Aqsa ou provocation des colons à Jérusa-
lem-Est et en Cisjordanie. Il a précipité le
Hamas dans la lutte armée, le 7 octobre, cer-
tain que le mythe d’invincibilité de l’Etat hé-
breu avait été fissuré par ses divisions inter-
nes. Erreur d’appréciation d’Israël ? Un an-
cien haut responsable des renseignements
dit s’être heurté à la théorie de la « différen-
ciation » de M. Nétanyahou : si les Palesti-
Des dizaines
de milliers d’Israéliens
se sont rassemblés
sur la « place des
otages » de Tel-Aviv
pour réclamer
leur libération,
le 25 novembre. LUCIEN
LUNG/RIVA PRESS POUR « LE MONDE »
La Chine prépare une réunion
« de haut niveau » sur le conflit
aux Nations unies
Alors que la trêve entre Israël et le Hamas entrait,
lundi 27 novembre, dans son dernier jour, le chef
de la diplomatie chinoise, Wang Yi, compte se rendre
à New York pour une réunion du Conseil de sécurité
des Nations unies sur le conflit entre Israël et le
Hamas, a annoncé, lundi, le ministère des affaires
étrangères chinois. « Assumant la présidence
tournante du Conseil de sécurité ce mois-ci, la Chine
tiendra une réunion de haut niveau sur la question
israélo-palestinienne le 29 novembre », a précisé
son porte-parole. Pékin espère que cette réunion
débouchera sur un accord concernant « un cessez-
le-feu et la fin des combats » et pourra « contribuer
à alléger la crise humanitaire à Gaza ».
niens sont divisés, ils seront rendus inoffen-
sifs et le Hamas pourra être manipulé, ou
plus exactement acheté. L’organisation isla-
miste, elle, a laissé croire qu’elle était trop
occupée à administrer la bande de Gaza,
alors qu’elle préparait dans le plus grand se-
cret, depuis plus de deux ans, selon Ali Bara-
keh, un membre de la direction en exil, une
attaque à même de briser le statu quo.
Israël a juré d’éradiquer le Hamas dans la
bande de Gaza. « Nous allons trouver Si-
nouar et nous allons l’éliminer, a promis le
ministre de la défense, Yoav Gallant, le 4 no-
vembre. J’en appelle aux résidents de Gaza :
plus vite vous le trouverez vous-mêmes, plus
vite on en finira avec la guerre. » Le leader
palestinien s’est toujours défié de telles me-
naces. Aujourd’hui, il serait terré dans le
tréfonds des tunnels creusés sous l’enclave.
Sa mort ne scellera pas le sort politique du
Hamas. Le mouvement palestinien a ses
détracteurs, notamment dans la bande de
Gaza qu’il a entraînée avec lui sous les
bombes d’Israël, mais il a aussi gagné de
nombreux soutiens, qui saluent le coup
porté à l’ennemi, dans les territoires palesti-
niens et au-delà.
En scellant un accord avec l’Etat hébreu, le
Hamas s’impose comme un interlocuteur
avec lequel il faut négocier : aujourd’hui une
trêve, demain peut-être le « jour d’après ».
Des responsables du Fatah estiment qu’il
faudra composer avec le mouvement, partie
intégrante du tissu social et politique
palestinien. Ces derniers rencontrent ses
dirigeants en exil. La ligne reste toutefois
encore dictée, de Gaza, par Yahya Sinouar.
Dimanche soir, le Hamas a fait passer
le message qu’il était prêt à étendre la
trêve pour permettre la libération d’autres
otages israéliens contre des prisonniers
palestiniens. p
jean-philippe rémy
et hélène sallon
Avec les otages, le Hamas
poursuit la guerre sur
le terrain psychologique
Les libérations au compte-gouttes placent Israël
face à un dilemme sur une prolongation de la trêve
tel -aviv - envoyée spéciale
D epuis trois jours, en Is-
raël, la même question
court, chaque fois que les
noms des otages relâchés par le
Hamas sont rendus publics : « Les
enfants roux y sont-ils ? » Mais
chaque fois, jusqu’ici, la réponse a
été négative. Non, les « enfants
roux » n’étaient toujours pas sur
les listes, dimanche 26 novem-
bre, quand les autorités israélien-
nes ont annoncé le retour du troi-
sième groupe de captifs libérés.
Quatorze Israéliens (dont neuf
enfants et deux binationaux) ont
été échangés contre 39 prison-
niers palestiniens, dans le cadre
de l’accord conclu entre l’organi-
sation islamiste et Israël. Hors ac-
cord, le Hamas a également laissé
partir trois Thaïlandais, ainsi que
Roni Krivoi, un Russo-Israélien de
25 ans, et le premier homme li-
béré, après intervention directe de
Moscou. Au total, depuis ven-
dredi, 58 otages retenus à Gaza ont
été libérés, dont 18, en grande
majorité des Thaïlandais, non
concernés par l’accord, contre
117 prisonniers palestiniens sortis
dans des prisons israéliennes.
Ces petits « roux » s’appellent
Kfir, 10 mois (9 mois au moment
de l’enlèvement), et Ariel, 4 ans. Ils
ont été kidnappés, le 7 octobre,
avec leur mère, Shiri Bibas, au kib-
boutz de Nir Oz. Leur père, Yarden,
est lui aussi retenu à Gaza, et deux
de leurs grands-parents ont été as-
sassinés. Depuis, la photo de Shiri
tenant ses fils contre elle, serrés
dans une couverture claire, la
main d’un homme du Hamas po-
sée sur son épaule, s’est transfor-
mée en icône : le symbole de l’in-
nocence menacée, mais aussi de
l’amour et de la peur maternelle.
Si bien qu’aujourd’hui, certains
se posent la question, en Israël : ce
symbole s’est-il retourné contre
les enfants à la chevelure flam-
boyante et leur mère ? N’a-t-il pas
fait d’eux des pièces de valeur
dans le jeu du Hamas ? Car les trac-
tations qui entourent l’élargisse-
ment des otages, depuis vendredi
24 novembre, montrent bien qu’il
s’agit aussi d’une guerre psycho-
logique menée par Yahya Sinouar,
chef du Hamas à Gaza. Un mar-
chandage terrible dans lequel, les
Israéliens en sont persuadés, l’or-
ganisation islamiste exploite au
maximum leur angoisse, choisis-
sant soigneusement les person-
nes dont elle va se séparer.
Certaines cartes valent peut-être
plus que d’autres, dans ce face-à-
face qui fait du Hamas le maître de
LA PHOTO DES
« ENFANTS ROUX »,
KFIR, 10 MOIS, ET
ARIEL, 4 ANS, A-T-ELLE
FAIT D’EUX DES PIÈCES
DE VALEUR DANS
LE JEU DU HAMAS ?
international | 3
la situation, et d’Israël une nation
humiliée. Une femme âgée (il y en
avait six dans le premier groupe, le
24 novembre) a-t-elle autant de
prix qu’un enfant ? Un binational
plus de poids qu’une personne
possédant seulement le passeport
israélien, dans un pays où une im-
portante proportion de la popula-
tion possède deux nationalités ?
Nul ne peut répondre à ces ques-
tions, mais les gouvernements
concernés ne ménagent pas leurs
efforts pour obtenir la restitution
de leurs citoyens. Les familles des
binationaux l’ont souvent dit,
après le 7 octobre : elles placent de
grands espoirs dans les dirigeants
des Etats tiers dont elles détien-
nent le passeport. Jusqu’ici, c’est
l’Allemagne qui a emporté la mise,
si l’on peut dire, avec huit person-
nes relâchées. Aucun des huit
Français présumés captifs à Gaza
n’est encore sorti de l’enclave.
De son côté, le président des
Etats-Unis, Joe Biden, a obtenu, di-
manche, la libération dont il avait
fait une affaire personnelle quand
l’accord a été conclu, le 22 novem-
bre, sous l’égide du Qatar, de
l’Egypte mais aussi des Etats-Unis.
Le président américain se battait
pour le retour d’Avigaïl Idan, une
Américano-Israélienne de 4 ans,
dont les deux parents ont été as-
sassinés chez eux, sous les yeux de
leurs enfants. Avigaïl était dans les
bras de son père. Elle a réussi à
s’enfuir chez des voisins, qui ont
été kidnappés à leur tour. Son frère
et sa sœur, âgés de 9 et 6 ans, ont,
eux, assisté à la scène depuis le pla-
card où ils s’étaient cachés.
Succès en trompe-l’œil
Une fois encore, donc, l’arrivée des
otages a provoqué une joie mêlée
de tristesse. Mais dimanche, con-
trairement aux jours précédents,
les captifs n’ont pas été évacués
tous ensemble. Roni Krivoi, le
Russo-Israélien libéré à l’instiga-
tion du Kremlin, a d’abord été re-
mis au Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) à la frontière
avec l’Egypte, dans le sud de la
bande de Gaza. Puis, dans un
deuxième temps seulement, les
seize autres ont été accompagnés
plus au nord, au poste frontière de
Karni. Selon plusieurs sources, des
officiers égyptiens auraient es-
corté le CICR dans l’enclave palesti-
nienne, pour s’assurer que les libé-
rations se passaient correctement.
Elma Avraham, 84 ans, a été trans-
portée en urgence vers l’hôpital is-
raélien Soroka de Beersheba, et se
trouverait dans un état critique, se-
lon la direction de l’établissement.
Le résultat, c’est que chacune de
ces libérations représente un suc-
cès en trompe-l’œil pour les Israé-
liens, tant elles renvoient à des
drames, des terreurs, des incerti-
tudes. Du reste, les 100 000 per-
sonnes qui se sont réunies, sa-
medi soir à Tel-Aviv, ne fêtaient pas
le retour des premiers otages. Si-
lencieux, recueillis, ils attendaient
de savoir si le deuxième groupe fi-
nirait par arriver en Israël au terme
d’une journée particulièrement
éprouvante, le Hamas ayant joué
▶▶▶
CHAQUE JOUR
D’ACCALMIE PEUT
OFFRIR AU MOUVEMENT
ISLAMISTE
LA POSSIBILITÉ
DE SE RÉORGANISER
la montre en attendant le dernier
moment pour rendre les captifs.
Des émissaires qataris étaient
intervenus dans la journée pour
faire pression sur les ravisseurs,
tandis que des responsables
égyptiens de la sécurité mena-
çaient les responsables du Ha-
mas, selon Ehud Yaari, spécialiste
du monde arabe, sur la chaîne is-
raélienne Channel 12.
Rien de tel en Cisjordanie, où
chaque libération de prisonniers
palestiniens a été accueillie par
des scènes de liesse. Ici, l’événe-
ment est vécu comme une vic-
toire. L’organisation islamiste
s’était plainte, samedi, qu’Israël se
contentait de relâcher des détenus
condamnés à de courtes peines.
Le lendemain, elle a obtenu la libé-
ration d’Israa Jaabis, une femme
condamnée à onze ans de prison
pour avoir fait exploser, en 2015,
une bonbonne de gaz transportée
dans le coffre de sa voiture à un
barrage, blessant un policier.
Autour de l’établissement péni-
tentiaire d’Ofer (Cisjordanie), des
drapeaux du Hamas ont été bran-
dis. Comme si, jour après jour,
l’humiliation infligée à Israël ven-
geait les Palestiniens des mortifi-
cations subies au fil des ans. Selon
le ministère de la santé palesti-
nien, 8 Palestiniens ont été tués,
les 25 et 26 novembre, au cours
d’opérations de l’armée israé-
lienne en Cisjordanie, dont cinq
dans le bastion militant de Jénine.
Et après ? Au troisième jour de la
trêve qui en prévoyait quatre, dans
sa version initiale, 180 personnes
seraient encore aux mains du
Hamas, à l’intérieur de la bande de
Gaza. Dimanche, l’organisation is-
lamiste évoquait la possibilité
d’une pause supplémentaire, en
contrepartie de dix femmes et en-
fants par jour. Du côté israélien, le
cabinet de guerre s’est réuni, en fin
de soirée, pour étudier la question.
Le dilemme est cruel, chaque
jour d’accalmie pouvant offrir au
Hamas la possibilité de se réorga-
niser, après les sévères dommages
causés par les bombardements
israéliens sur le nord de l’enclave.
A l’issue d’une conversation télé-
phonique avec le président Biden,
le premier ministre Benyamin
Nétanyahou s’est néanmoins dé-
claré favorable à cette option,
pourvu que l’organisation isla-
miste tienne ses engagements.
Encore faudrait-il que le Hamas y
parvienne. Selon le premier mi-
nistre qatari, Mohammed Ben Ab-
derrahmane Al Thani, plus de
quarante femmes et enfants se-
raient dispersés dans Gaza, hors
de contrôle du Hamas. p
raphaëlle rérolle
4 | international
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
L’aide humanitaire arrive dans Gaza, privée de tout
Au moins 248 camions ont pu pénétrer depuis vendredi dans l’enclave, sous perfusion depuis 2007
P
our la première fois en
un mois, une aide hu-
manitaire a été achemi-
née vers le nord de Gaza,
décimée par les bombardements
israéliens, grâce à la trêve conve-
nue entre le Hamas et Israël. Au
total, 248 camions transportant
principalement de la nourriture,
de la farine, de l’eau et des médica-
ments ont pu entrer par le point
de passage de Rafah, dans le sud
du territoire, depuis vendredi
24 novembre. Les centres des Na-
tions unies (ONU) sur place ont
également reçu 197 000 litres de
carburant pour que des infras-
tructures comme les hôpitaux
puissent s’alimenter en électricité
grâce à des générateurs.
Il s’agit du plus grand convoi hu-
manitaire autorisé depuis le début
de la guerre, qui a détruit la moitié
des bâtiments et déplacé 1,7 mil-
lion d’habitants, sur les 2,3 mil-
lions que compte l’enclave. Une
aide attendue qui reste toutefois
suspendue à la fragile trêve prévue
au moins jusqu’à lundi soir.
Lorsque Israël a décidé de cou-
per, le 9 octobre, l’accès à l’eau, à
l’électricité, au carburant et aux
médicaments, dans la bande de
Gaza, la situation sur place était
déjà difficile en raison d’un blocus
imposé depuis 2007. Quelques se-
maines avant l’attaque sanglante,
le 7 octobre, du Hamas contre
l’Etat hébreu, la Banque mondiale
appelait d’ailleurs à une « action
urgente » pour sortir les territoires
palestiniens du marasme écono-
mique. L’institution de Washing-
ton, qui ne veut plus communi-
quer sur la situation sur place,
égrenait les indicateurs alarmants
dans un rapport publié le 18 sep-
tembre : un taux de chômage de
près de 25 %, un taux de pauvreté
de plus de 24 % et des infrastructu-
res de santé précaires, ainsi que
des pénuries de médicaments.
Depuis les bombardements
indiscriminés de l’armée israé-
lienne sur l’enclave, le marasme
économique est en passe de se
transformer en « tragédie sani-
taire », a averti l’Unicef, le 21 no-
vembre, qui s’inquiète de l’appa-
rition d’épidémies, faute d’assai-
nissement suffisant. Près de la
moitié des bâtiments sont en
ruine, selon les estimations de
l’ONU, soit quelque 43 000 loge-
Dans une UE prudente, l’Espagne se pose en critique contre Israël
Le dirigeant espagnol a suscité la colère de l’Etat hébreu, qui ne devait pas participer à la réunion de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone
madrid - correspondante
C ondamner les vils atten-
tats d’un groupe terroriste
comme le Hamas, et dans
le même temps condamner la
tuerie aveugle de Palestiniens à
Gaza, ce n’est pas une question de
partis politiques ou d’idéologie,
c’est une question d’humanité. »
Devant des milliers de cadres et
de militants socialistes, réunis di-
manche 26 novembre à Madrid
pour célébrer sa récente recon-
duction à la tête du gouverne-
ment espagnol, Pedro Sanchez a
réaffirmé ses réserves contre les
bombardements israéliens sur
Gaza, menés en riposte aux atta-
ques du Hamas du 7 octobre.
Dans une Union européenne
prudente, traversée par des posi-
tions divergentes, le dirigeant
socialiste, qui gouverne en coali-
tion avec la gauche radicale Su-
mar, s’affirme comme l’un des
plus critiques envers la stratégie
militaire d’Israël à Gaza, qu’il juge
« disproportionnée ». Une position
SELON L’ONU, TROIS
MOIS DE CONFLIT
POURRAIENT COÛTER
AUX TERRITOIRES
PALESTINIENS
2,5 MILLIARDS
DE DOLLARS, SOIT
12,2 % DE LEUR PIB
ments complètement démolis et
225 000 partiellement.
« Les destructions sont d’une
ampleur considérable, témoigne
Abdallah Al-Dardari, responsable
du Programme des Nations unies
pour le développement pour les
Etats arabes. La moitié des bâti-
ments ont été détruits en seule-
ment un mois, alors qu’en Syrie il a
fallu quatre à cinq ans de guerre
pour que les pertes atteignent les
mêmes proportions. » L’économie
gazaouie est à terre et celle de la
Cisjordanie en sursis.
Hausse de la malnutrition
Un chiffre résume à lui seul l’am-
pleur de la crise humanitaire qui
sévit en ce moment dans la bande
de Gaza. La consommation d’eau
journalière pour se laver, cuisiner
et boire est passée à 3 litres par ha-
bitant en moyenne, fin octobre,
contre 80 litres avant la guerre –
l’Organisation mondiale de la
santé recommande, pour vivre dé-
cemment, un minimum de 50 li-
tres par jour et par personne, et
100 litres pour un réel confort. A
plusieurs reprises, les 9 et 30 octo-
bre, les autorités israéliennes ont
coupé toute alimentation en eau
du territoire.
Alors que le nombre de morts et
de blessés augmente chaque jour,
les hôpitaux ferment l’un après
l’autre, soit parce qu’ils sont dé-
truits, soit parce qu’ils manquent
d’essence et donc d’électricité.
Selon les dernières estimations
des Nations unies, le tiers des éta-
blissements hospitaliers et les
deux tiers des centres médicaux
ont fermé depuis le début du con-
flit. Près de la moitié des écoles
sont en ruine, et 625 000 enfants
palestiniens sont déscolarisés.
qui a provoqué un début de crise
diplomatique avec l’Etat hébreu.
M. Sanchez s’est en outre en-
gagé à porter la cause palesti-
nienne à Bruxelles. « Mon pre-
mier engagement de la législature
est que le nouveau gouvernement
va travailler en Europe et bien sûr
en Espagne pour reconnaître
l’Etat palestinien », a-t-il prévenu
le 15 novembre, lors du discours
au Parlement précédant son vote
d’investiture. Une semaine plus
tard, les 23 et 24 novembre, il était
en visite officielle au Proche-
Orient en compagnie du premier
ministre de Belgique, le libéral
Alexander De Croo, qui lui succé-
dera en janvier à la présidence
tournante du Conseil de l’Union
européenne.
« Israël a le droit à l’autodéfense
face aux attaques, mais permet-
tez-moi d’être clair, Israël doit res-
pecter aussi le droit international
humanitaire, a déclaré M. San-
chez, le 23 novembre, lors d’une
rencontre particulièrement ten-
due avec le premier ministre is-
Convois d’aide humanitaire dans le district de Zeitoun, à la périphérie de la ville de Gaza, le 26 novembre. MAHMUD HAMS/AFP
L’ONU met en garde contre les
conséquences à long terme de
cette situation. Faute d’aide hu-
manitaire suffisante, une hausse
de la malnutrition pourrait en-
traîner des troubles cognitifs chez
les enfants et l’apparition de
maladies précoces. Selon l’Orga-
nisation, trois mois de conflit
pourraient coûter aux territoires
palestiniens 2,5 milliards de dol-
lars (2,28 milliards d’euros), soit
12,2 % de leur PIB. Le taux de pau-
vreté de l’enclave pourrait aug-
menter de 45 % sur la même pé-
riode, tandis que l’indice de déve-
loppement humain reviendrait à
son niveau d’il y a seize ans.
La guerre, qui a fait 1 200 morts
en Israël, dont une majorité de
civils, et près de 15 000 à Gaza,
laisse aussi de graves séquelles
psychologiques. Tilman Brück,
professeur à l’université Hum-
boldt de Berlin et fondateur du
LA POSITION
DU PREMIER MINISTRE,
PEDRO SANCHEZ,
EST SOUTENUE
PAR UNE LARGE
FRANGE DE L’OPINION
raélien, Benyamin Nétanyahou.
Le monde entier est choqué par les
images que nous voyons tous les
jours en provenance de Gaza. Le
nombre de Palestiniens morts est
réellement insupportable… » Plai-
dant pour un cessez-le-feu dura-
ble et la tenue d’une conférence
de paix, il lui a demandé de « tra-
vailler dès à présent à la mise en
œuvre de la solution à deux Etats ».
A Ramallah, le Belge et l’Espagnol
ont apporté leur soutien au prési-
dent de l’Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbas.
« La mort de civils doit cesser
maintenant. Trop de personnes
centre d’études International
Security and Development Cen-
ter, avait calculé, au cours d’une
étude menée en 2022, qu’à Gaza,
71 % des habitants présentaient
des symptômes de dépression et
que 7 % d’entre eux souffraient de
stress post-traumatique. « La
santé mentale doit faire partie de
la reconstruction tout autant que
les infrastructures de base, car le
bien-être n’est pas seulement ma-
tériel », plaide M. Brück.
Une reprise « pas immédiate »
« La reprise économique à Gaza
après le cessez-le-feu ne sera pas
immédiate, compte tenu des des-
tructions à grande échelle et de
l’accès aléatoire aux ressources et
aux matériaux de base en raison
du siège », prévient l’ONU. De fait,
un an après l’offensive israé-
lienne de 2021, seules 200 des
1 700 maisons détruites avaient
ont péri. La destruction de Gaza est
inacceptable », a aussi déclaré
M. De Croo le 24 novembre, de-
vant le poste frontière égyptien
de Rafah, au premier jour de la
trêve conclue entre le Hamas et Is-
raël. Quant à M. Sanchez, il a laissé
entendre qu’il pourrait reconnaî-
tre l’Etat palestinien sans atten-
dre une position commune de
l’Union européenne. « La violence
ne peut mener qu’à la violence »,
a-t-il insisté. Dans l’après-midi
même, le gouvernement israélien
a convoqué les ambassadeurs
d’Espagne et de Belgique. « Nous
condamnons les fausses alléga-
tions des premiers ministres d’Es-
pagne et de Belgique, qui soutien-
nent le terrorisme », a commenté
le ministre des affaires étrangè-
res, Eli Cohen. Samedi 25 novem-
bre, le Hamas a félicité M. Sanchez
et M. De Croo pour leur « position
claire et audacieuse ».
En Espagne, pays considéré
comme traditionnellement proa-
rabe, du fait de liens historiques,
d’intérêts géopolitiques et de
LA CONSOMMATION
D’EAU JOURNALIÈRE
EST PASSÉE
À 3 LITRES PAR
HABITANT EN MOYENNE
CONTRE 80 LITRES
AVANT LA GUERRE
été reconstruites. Du temps avait,
certes, été nécessaire pour réunir
des fonds, mais, surtout, l’inter-
diction par Israël de laisser passer
certains matériaux de construc-
tion pouvant être utilisés à des
fins militaires a ralenti les chan-
tiers. « S’il a fallu autant de temps
pour construire 200 maisons,
combien en faudra-t-il pour en re-
construire 50 000 ? », s’interroge
proximité géographique, la posi-
tion de M. Sanchez est soutenue
par une large frange de l’opinion.
C’est aussi « l’une des rares ques-
tions qui unit tous les partis qui
ont voté son investiture », souli-
gne Ignacio Molina, analyste à
l’Institut royal Elcano et profes-
seur de sciences politiques à l’uni-
versité autonome de Madrid.
Conférence de paix
D’un point de vue de politique
interne, M. Sanchez, mis à mal
par ses accords avec les indépen-
dantistes catalans, a trouvé un
moyen de se renforcer auprès de
son électorat et d’unir son gou-
vernement, sensible à la question
palestinienne. « Et d’un point de
vue international, son discours
peut plaire à de nombreux pro-
gressistes, tout en calmant le mé-
contentement dans les pays ara-
bes quant à la position dominant
en Europe, qu’il considère trop ali-
gnée sur Israël », ajoute M. Molina
Mais sa position critique envers
l’Etat hébreu a aussi suscité des
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Abdallah Al-Dardari, qui redoute
des déplacements internes d’am-
pleur et durables.
Dans son rapport de septembre,
la Banque mondiale mettait l’ac-
cent sur la multiplication des res-
trictions de mouvements de per-
sonnes, de marchandises et sur
les investissements qui étouf-
faient l’économie de Gaza. Lors-
que les autorités israéliennes ont
interdit aux pêcheurs gazaouis de
vendre leur poisson en Cisjorda-
nie, à l’été 2022, le secteur de la
pêche et de l’agriculture s’est
effondré de 30 % au premier tri-
mestre 2023. « La suppression, ou
du moins une réduction significa-
tive des restrictions imposées par
Israël est un prérequis vital », écri-
vait l’institution. Une recomman-
dation qui semble de plus en plus
inatteignable après l’attaque
sanglante du 7 octobre. p
julien bouissou
reproches. « Il a sans doute fait
obstacle à la possibilité qu’Israël se
rende à la conférence de paix qu’il
a promue et, plus encore, que l’Etat
hébreu accepte que l’Espagne
en soit le médiateur », souligne
M. Molina. Le 26 octobre, M. San-
chez avait obtenu que figure dans
les conclusions du Conseil euro-
péen son souhait que soit organi-
sée au plus vite une conférence
internationale de paix. Il avait
sans doute en tête celle de 1991,
sous le gouvernement du socia-
liste Felipe Gonzalez, qui, à Ma-
drid, avait permis de semer les ba-
ses des futurs accords d’Oslo.
Lundi 27 novembre, la huitième
réunion interministérielle de
l’Union pour la Méditerranée de-
vait se tenir à Barcelone, pour la
première fois sans la présence
d’Israël. L’Etat hébreu a regretté
que l’ordre du jour de l’organisa-
tion, qui regroupe 43 pays du bas-
sin méditerranéen, ait été modifié
pour consacrer entièrement cette
manifestation à la guerre à Gaza. p
sandrine morel
 Sur le campus,
en soirée étudiante,
comme partout ailleurs

Sans Oui,
c’est interdit
Le consentement est indispensable
avant toute relation sexuelle.
Graphisme : Delcom 1 / Mesr 2023 — Photographie : Kevin Laminto / Unsplash

Il ne se présume pas. Demandez

le consentement à vos partenaires.

L’agression sexuelle se définit comme tout contact sexuel

forcé et est passible de 5 ans d’emprisonnement et de
75 000 euros d’amende (article 222-27 du Code pénal).

esr.gouv.fr
6 | international
En Suède, l’extrême droite a le vent en poupe
Membres de la majorité, les Démocrates de Suède prônent la « politique de l’asile la plus restrictive d’Europe »
västeras (suède) - envoyée spéciale
C
heveux longs gris et lu-
nettes cerclées de noir,
Asa Wittenfelt, 64 ans, a
le sourire aux lèvres.
Professeure de mathématiques et
de sciences dans un lycée profes-
sionnel, elle est venue de Lund,
dans le sud du pays, pour partici-
per au congrès des Démocrates de
Suède (SD), qui se déroulait du
jeudi 23 au dimanche 26 novem-
bre, à Västeras, au nord-ouest de
Stockholm. « Pour la première fois
depuis longtemps, je ressens de
l’espoir. On reconnaît enfin qu’on a
été naïfs et on ose parler de tout,
sans tabou », dit-elle.
Asa a adhéré au parti il y a douze
ans, « catastrophée » par la situa-
tion dans son école, où « les élèves,
appartenant à différents clans, se
battaient dans les couloirs ». A
l’époque, être membre des SD,
une formation nationale conser-
vatrice aux origines néonazies,
n’était pas bien vu. Elle a essuyé
les critiques de ses collègues.
« Aujourd’hui, beaucoup me di-
sent qu’ils sont d’accord avec moi
et même des élèves me soutien-
nent », affirme l’enseignante.
Dans les couloirs du palais des
congrès de Västeras, les 300 délé-
gués, venus de tout le pays, arbo-
rent le même air de satisfaction. Ils
ont de quoi : depuis octobre 2022,
les SD font partie de la majorité,
avec les conservateurs, les chré-
tiens-démocrates et les libéraux.
Et, même s’ils ne siègent pas for-
mellement au gouvernement – ils
n’ont pas de portefeuilles ministé-
riels, mais disposent d’un bureau
de coordination au sein de l’admi-
nistration gouvernementale –, les
Suédois estiment que ce sont eux
qui ont le plus d’influence sur la
politique actuellement menée.
« Rendre sa grandeur » au pays
Samedi, sans surprise, les délégués
ont réélu Jimmie Akesson, 44 ans,
à la tête du parti qu’il dirige depuis
2005. Paraphrasant l’ancien prési-
dent américain Donald Trump, le
leader de l’extrême droite, très en
verve, a assuré que « maintenant
que [les SD] participaient à la gou-
vernance » du pays, ils allaient
« rendre sa grandeur à la Suède ».
Au terme de la mandature, le
royaume aura « la politique de
l’asile la plus restrictive d’Europe »,
a-t-il promis, sous les applaudis-
sements, avant de consacrer une
Défilé sans précédent à Rome contre les violences faites aux femmes
Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées, samedi, dans la capitale italienne après un nouveau féminicide
REPORTAGE
rome - correspondance
L es organisatrices de la ma-
nifestation, dans le cadre de
la Journée internationale
contre les violences faites aux
femmes, ont salué « une marée »
en avançant le chiffre de
500 000 personnes à Rome. Si la
participation était sûrement
moindre, le cortège qui a défilé, sa-
medi 25 novembre, dans les rues
de la capitale italienne a impres-
sionné par sa densité. D’autres ont
eu lieu à Milan, à Turin, à Pérouse
ou encore à Messine (Sicile).
Devant le Cirque Maxime, l’un
des symboles de la Rome antique,
des dizaines de milliers de per-
sonnes ont ainsi répondu à l’ap-
pel de l’association Non una di
meno (« pas une de moins »).
Deux heures après le rendez-vous
fixé, les manifestants, pour la
plupart des femmes de plusieurs
générations, ont défilé dans les
rues de la capitale au cri de « As-
sez ! ». Il s’agissait en premier lieu
de dénoncer un nouveau fémini-
Jimmie Akesson, le chef des Démocrates de Suède, le 9 octobre, à Stockholm. BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
bonne partie de son discours à
dénoncer l’emprise des « islamis-
tes » sur la société suédoise, qu’il
veut combattre en « confisquant
et en détruisant les mosquées » ac-
cusées de propager un discours
« antidémocratique ».
Un an après l’arrivée de la droite
au pouvoir, les SD ont le vent en
poupe. Crédité de 22 % des inten-
tions de vote dans les sondages
(ils avaient obtenu 20,5 % aux lé-
gislatives, le 11 septembre 2022), ils
pèsent désormais plus lourd que
les trois partis du gouvernement
réunis. Le contexte n’y est pas
étranger : en proie à la criminalité
organisée, qui a fait 50 morts de-
puis le début de l’année, la Suède
est aussi menacée par le terro-
risme islamiste – deux suppor-
teurs suédois ont été tués à
Bruxelles, le 16 octobre, dans un
attentat commis par un Tunisien.
Sur tous ces sujets, « nous som-
mes perçus comme les plus crédi-
bles, assure Mattias Bäckström
Johansson, le secrétaire du parti.
cide qui a fait la « une » de toute la
presse transalpine ces derniers
jours, celui de Giulia Cecchettin,
22 ans, tuée le 13 novembre par
son compagnon, près de Venise.
Giulia Cecchettin est la
106e femme morte en Italie cette
année à la suite de violences do-
mestiques. Son meurtrier a été
extradé d’Allemagne, où il s’était
enfui. Incarcéré à Vérone, il doit
être présenté devant un juge
mardi. Samedi, une minute de
silence à la mémoire de Giulia
Cecchettin a été observée. « Je suis
née en 1996, et, depuis cette date,
près de 3 000 sœurs, rien qu’en
Italie, ne peuvent être ici parce
qu’elles ont été tuées par le patriar-
cat. Aujourd’hui, je marche aussi
pour elles », a écrit sur une pan-
carte Federica (comme d’autres
personnes interrogées, elle n’a
donné que son prénom).
La jeune femme, peinture
violette sur les joues – la couleur
choisie par les mouvements fémi-
nistes – souhaiterait qu’une ré-
flexion générale soit engagée
dans son pays. « Il faut une intros-
Nous sommes très contents de ce
qui a été accompli en un an, mais
nous aimerions que cela aille plus
vite », a cependant ajouté cet ex-
opérateur de l’industrie nucléaire,
âgé de 38 ans. Car, avant de pou-
voir être votée au Parlement, toute
réforme doit faire l’objet au préala-
ble d’un examen approfondi. Mal-
gré de nombreuses annonces, très
peu de lois ont donc été adoptées.
Conseillère municipale à Hässle-
holm – une petite commune du
sud du pays où les SD ont collecté
30 % des voix aux dernières élec-
tions –, Hanna Nilsson, 37 ans, est
membre du parti depuis
quinze ans. « Aujourd’hui, on nous
prend enfin au sérieux », constate-
t-elle, ravie des annonces qui ont
été faites depuis un an. Mais avec
son collègue Paul Thurn, 58 ans,
autoentrepreneur dans l’informa-
tique, ils disent « piaffer d’impa-
tience » et « [leurs] électeurs aussi ».
Même empressement du côté
des Ungsvenskarna SDU, les
Jeunes Démocrates de Suède, la
pection sur la société et ses structu-
res sexistes, explique-t-elle. Il ne
s’agit pas seulement d’éduquer les
jeunes au respect, mais avoir l’hu-
milité d’éduquer chacun d’entre
nous, y compris au niveau des ins-
titutions, quelle que soit la couleur
politique du gouvernement. »
« Il faut arrêter le massacre », ex-
pliquait de son côté Elly Schlein,
secrétaire du Parti démocrate
(gauche), présente dans la mani-
festation romaine. La cheffe de
l’opposition n’a pas souhaité
polémiquer sur la discrétion de
nombreuses figures de la majo-
rité gouvernementale, mais a
plaidé pour une approche trans-
partisane de la lutte contre les vio-
lences faites aux femmes. Autour
d’elle, beaucoup regrettaient l’ab-
sence de Giorgia Meloni, pre-
mière femme à diriger le pays.
Quelques jours avant la mani-
festation, Mme Schlein avait pro-
posé à la cheffe du gouvernement
de mettre de côté leurs différends
politiques et de « voter ensemble »
un amendement à la loi de budget
2024 pour que soient financés des
« Les autres
partis sont mal à
l’aise, mais ils ont
décidé de ne pas
critiquer les SD,
ce qui démontre
leur influence »
TOMMY MÖLLER
politologue
section jeunesse du parti, qui
compte 2 000 adhérents. Rebecka
Rapp, 23 ans, est souvent interpel-
lée sur TikTok : « On me demande
pourquoi ça ne va pas plus vite,
j’explique que c’est la politique. »
Lors des dernières élections, 22 %
des Suédois âgés de 18 à 21 ans ont
voté pour le parti (et 26 % pour les
conservateurs) : « C’est devenu
cool, pour les jeunes, d’être à
droite », assure la jeune femme.
programmes publics de forma-
tion dans la police ou dans la jus-
tice afin de rendre plus concrète la
protection des femmes. « Il faut
faire en sorte qu’une fille qui vient
dénoncer des actes de violence soit
prise au sérieux », insiste la diri-
geante de gauche.
Culture machiste
Plus loin dans la foule, Romina est
venue accompagnée de sa fille
Gaïa, âgée de 16 ans. « Nos hom-
mes politiques devraient donner
l’exemple, c’est toute une culture
ici qui doit changer, sur la manière,
par exemple, dont on fait des
blagues sur les femmes. On est
en 2023, mais l’Italie est encore très
en retard », confie cette Romaine.
L’objectif affiché pour les organi-
satrices était ainsi de « lancer une
révolution culturelle qui renverse
la domination masculine ».
L’Italie, qui a signé en 2012 la
convention d’Istanbul sur la pré-
vention et la lutte contre la vio-
lence à l’égard des femmes et la
violence domestique, peine en
effet à traduire dans les faits ses
Etudiante en ingénierie civile à
l’Institut royal de technologie
royal à Stockholm, Hanna Ahn-
feldt Grubb, 23 ans, approuve. « Le
sentiment d’insécurité est particu-
lièrement fort » chez les jeunes, es-
time-t-elle, en se disant soulagée
qu’« il soit enfin possible de parler
des vrais problèmes en Suède et
d’appeler un chat, un chat ».
Le parti est dans une position
idéale, observe Ann-Cathrine Jun-
gar, professeur de sciences politi-
ques à l’université de Södertörn :
« Il a un pied dans le gouvernement
et un autre en dehors, ce qui lui per-
met d’exercer une influence politi-
que, tout en continuant à critiquer
le gouvernement. » Jimmie Akes-
son ne s’en prive pas, pas plus qu’il
ne rate une occasion de faire dans
la surenchère, allant jusqu’à plai-
der pour que la police détienne
des personnes sans le moindre
soupçon. A Västeras, il s’en est pris
à l’ensemble de la classe politique,
accusée d’avoir « activement » per-
mis à la criminalité de se dévelop-
bonnes intentions. « Les institu-
tions doivent s’engager davantage
pour prévenir les violences contre
les femmes, mais tout se fait trop
de manière sporadique », regrette
Antonella Veltri, présidente du
réseau Donne in Rete contro la
violenza (« réseau des femmes
contre la violence »), qui offre des
structures d’accueil et d’écoute
des femmes dans dix-neuf ré-
gions de la Péninsule. « Seulement
30 % des 20 000 femmes que nous
rencontrons chaque année déci-
dent de porter plainte, déplore-t-
elle, car elles ont peur d’être victi-
misées une deuxième fois. Cela
veut dire que la justice ne suit pas. »
Le 22 novembre, le Sénat italien
a approuvé le décret-loi du gou-
vernement contre les violences
de genre, qui renforce les mesures
d’éloignement de conjoints vio-
lents et étend l’utilisation du bra-
celet électronique. Nombreuses
sont toutefois les voix à critiquer
le caractère trop sécuritaire et pas
assez préventif de la réponse.
Dans cette Italie encore trop
souvent décriée pour sa culture
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
per : « Nous n’oublierons pas et
nous ne pardonnerons pas. »
Face à ses excès ou à ceux de res-
ponsables de son parti, propa-
geant la théorie du « grand rem-
placement » ou défendant les
autodafés du Coran, la droite laisse
faire : « Les autres partis sont mal à
l’aise, mais ils ont décidé de ne pas
critiquer les SD, même quand ils
tiennent des propos radicaux, ce
qui démontre leur influence », note
le politologue Tommy Möller.
Avec pour conséquence aussi de
normaliser un discours qui aurait
été jugé inacceptable il y a quel-
ques années, mais qui se répand
désormais dans l’espace public,
alors que, selon lui, « l’inhibition
pour voter SD ne cesse de baisser ».
Aboutissement d’un processus
L’un des vétérans de la formation,
l’idéologue Mattias Karlsson, y
voit l’aboutissement d’un long
processus mené « de façon très dé-
terminée » par le parti, qui a enfin
réussi à se débarrasser de « l’image
stigmatisante » qui l’a longtemps
pénalisé : « Aujourd’hui, nous som-
mes tellement normalisés au sein
de la société que nous pouvons re-
cruter des personnes compétentes
et nous professionnaliser. Nous
avons atteint la dernière étape,
avant d’entrer au gouvernement. »
Jimmie Akesson ne s’en cache
pas : en 2026, si la droite l’em-
porte, il exigera des portefeuilles
ministériels, ou bien il siégera
dans l’opposition. En attendant,
les SD ont les yeux tournés vers
les élections européennes de
juin 2024. Lors du précédent scru-
tin, en 2019, ils étaient arrivés en
troisième position, avec 15,3 % des
voix. Depuis, le parti a renoncé à
exiger un « Swexit », même s’il
continue de considérer Bruxelles
et l’UE comme « une des plus gros-
ses menaces contre la souverai-
neté » du pays, avec l’immigration.
A Västeras, il n’a pas été question
de la victoire du leader d’extrême
droite Geert Wilders aux élections
néerlandaises, pas plus que du
grand rassemblement des popu-
listes du groupe Identité et démo-
cratie (ID) qui s’est tenu au Portu-
gal, vendredi. Les SD font partie
du groupe Conservateurs et réfor-
mistes européens et continuent
de juger « problématiques » les
liens de certains partis d’ID avec la
Russie, comme le Rassemblement
national de Marine Le Pen. p
anne-françoise hivert
machiste, certains plaident pour
changer le narratif médiatique
sur les crimes de genre. « On ne
peut plus qualifier de “fiancé ou
de mec” celui qui a tué Giulia
[Cecchettin], alors qu’il est avant
tout son meurtrier, assure la
journaliste Maria Latella, anima-
trice sur la station privée Ra-
dio 24. Il faut se garder de redi-
mensionner les événements à
cause d’un langage impropre. »
Un Observatoire national sur les
médias et la violence à l’égard des
femmes a été présenté le 26 octo-
bre. Soutenu entre autres par
l’ordre national des journalistes
italiens et le département de psy-
chologie de l’université Sapienza
de Rome, il a pour objectif de
changer les stéréotypes des vio-
lences de genre dans les médias
de la Péninsule, où des femmes
violées ou assassinées sont trop
souvent décrites comme des vic-
times d’« histoires d’amour » qui
ont mal tourné. Dès janvier 2024,
des formations devraient être dis-
pensées à ce sujet. p
olivier bonnel
8 | international
En Arménie, Pachinian en quête de nouveaux alliés
Moscou voit d’un mauvais œil la stratégie de diversification du premier ministre et multiplie les menaces
erevan - envoyée spéciale
L’
Arménie tire les leçons
de la chute du Haut-Ka-
rabakh. La passivité des
soldats russes de main-
tien de la paix déployés dans
l’ancienne enclave séparatiste
après l’attaque de l’Azerbaïdjan,
le 19 septembre, a confirmé ce
qu’Erevan dénonçait de plus en
plus ouvertement depuis des
mois : la Russie n’est plus un par-
tenaire fiable. Jamais la défiance
envers Moscou n’a été aussi
grande. Puisque l’Arménie ne
peut plus compter sur son allié
historique, désormais considéré
comme un « traître », voire un
nouvel ennemi, elle cherche de
nouvelles coopérations pour
tenter d’assurer sa sécurité. Une
nécessité d’autant plus grande
que ce petit pays du Caucase, en-
clavé, est sous la menace d’une
nouvelle attaque de Bakou, déter-
miné à obtenir le corridor de Zan-
guezour, censé relier l’Azerbaïdjan
à son exclave du Nakhitchevan.
Cette diversification des allian-
ces est au cœur de la nouvelle
stratégie du premier ministre
arménien, Nikol Pachinian.
« Nous avons fait l’erreur de mettre
tous nos œufs dans le même pa-
nier, observe un responsable offi-
ciel sous le couvert de l’anony-
mat. Si l’on a cinq ou six amis à qui
nous pouvons acheter des armes
et plusieurs partenaires économi-
ques, cela permettra de ne pas dé-
pendre d’un seul, au cas où celui-ci
souhaiterait nous punir. » Erevan
n’entend pas rompre complète-
ment avec la Russie, mais dimi-
nuer son extrême dépendance.
« Elle reste notre partenaire, mal-
gré son attitude inamicale »,
observe la même source.
L’Arménie, qui a un accord
bilatéral de défense avec Moscou,
dénonce en particulier un « pro-
blème lié à la livraison d’armes
et d’équipements déjà payés », en
l’occurrence un contrat d’un
montant de plus de 250 millions
de dollars (228 millions d’euros),
jamais honoré. Le pays est égale-
ment membre de l’Organisation
du traité de sécurité collective
(OTSC), une organisation mili-
taire régionale dominée par la
Russie et qui s’est révélée particu-
Madagascar : Andry Rajoelina réélu au premier tour et déjà contesté
Après la victoire proclamée du président sortant, l’opposition ne reconnaît pas les résultats et demande l’annulation de l’élection
antananarivo - envoyée spéciale
U n premier tour dia vita :
un premier tour et « c’est
fini ». Comme il l’avait
annoncé, le président sortant de
Madagascar, Andry Rajoelina,
49 ans, a remporté l’élection prési-
dentielle organisée jeudi 16 no-
vembre avec 58,95 % des suffra-
ges, selon les chiffres provisoires
publiés samedi 25 novembre par
la Commission électorale natio-
nale indépendante (CENI). Ceux-ci
devront être confirmés d’ici à
neuf jours par la Haute Cour cons-
titutionnelle pour devenir défini-
tifs. M. Rajoelina est le seul candi-
dat à s’être présenté à la CENI,
samedi, assis à côté de chaises
inoccupées, pour écouter la pro-
clamation des résultats. Dès la
veille au soir, la majorité de l’op-
position avait annoncé qu’elle ne
reconnaîtrait pas ces résultats, en
dénonçant un « simulacre d’élec-
tion organisée de force », après
avoir appelé au boycott du scrutin
et réclamé un report.
Les deux seuls candidats à avoir
fait campagne – sur les 12 initiale-
ment en lice contre M. Rajoelina –
obtiennent 14,4 % des suffrages
pour l’ex-judoka Siteny Randria-
Ce petit pays du
Caucase est sous
la menace d’une
nouvelle attaque
de l’Azerbaïdjan,
déterminé
à obtenir
le corridor
de Zanguezour
lièrement inefficace ces trois der-
nières années, au point que M. Pa-
chinian refuse désormais de par-
ticiper aux sommets de l’alliance,
comme celui qui s’est tenu à
Minsk, les 22 et 23 novembre.
Selon nos informations, l’Armé-
nie ne s’est toutefois pas encore
formellement retirée de l’OTSC à
la demande des Etats-Unis, qui
estiment qu’Erevan n’est pas en-
core prêt et doit d’abord trouver
d’autres appuis.
L’appartenance du pays à cette
alliance chapeautée par Moscou
n’est toutefois plus considérée
comme un obstacle pour appro-
fondir les relations avec d’autres
partenaires, y compris l’Union
européenne (UE). Signe de cette
réorientation stratégique, la
grande majorité des déplace-
ments à l’étranger des hauts re-
présentants arméniens se dérou-
lent désormais dans des pays
occidentaux, et non plus au sein
de l’espace postsoviétique.
Sur le plan politique, Erevan
approfondit ses relations avec la
France, les Etats-Unis et l’UE. La
décision d’être un « pays en de-
hors de tout bloc » ou de rejoindre
l’Union n’est pas encore prise.
« Toutes les options sont sur la ta-
ble », souligne-t-on au gouverne-
ment. Sur le plan militaire, la coo-
pération se renforce avec les Etats-
Unis, l’Iran, l’Inde, et la France
avec laquelle un accord a été signé
le 23 octobre. Une partie du maté-
riel militaire promis par Paris
est déjà arrivée à destination,
selon les autorités arméniennes.
Furieux, le président azerbaïdja-
nais, Ilham Aliev, a accusé la
France, le 21 novembre, de « pré-
parer le terrain » pour de « nouvel-
nasoloniaiko, et 0,8 % pour Sen-
drison Daniela Raderanirina. Son
plus sérieux adversaire, l’ancien
chef de l’Etat Marc Ravaloma-
nana, est, en dépit de son appel au
boycott, crédité de 12,1 % de voix
après dépouillement des 5,1 mil-
lions de bulletins de vote, uni-
ques, sur lesquels les noms de
tous les candidats étaient inscrits.
Enjeu central de cette consulta-
tion, le taux de participation de
46,36 % – proche des 48 % de la pré-
sidentielle de 2018 – apparaît élevé
alors que de nombreux observa-
teurs ont noté la faible affluence
lors de la journée du 16 novembre.
Andry Rajoelina a déployé d’im-
portants moyens pour convain-
cre les Malgaches de lui accorder
un deuxième mandat. De l’argent
a été distribué aux électeurs en
échange de leur vote en faveur de
la formation présidentielle TGV
(Tanora malaGasy Vonona – « Jeu-
nes Malgaches déterminés »). De-
vant les antennes du parti dans
plusieurs villes, des foules se sont
rassemblées après le scrutin pour
réclamer la somme promise – le
plus souvent 300 000 ariarys (en-
viron 65 euros) liés à des pro-
grammes sociaux pour les ména-
ges les plus vulnérables, financés
Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, et Emmanuel Macron, à l’Elysée, à Paris, le 9 novembre. LUDOVIC MARIN/AFP
les guerres » dans le Caucase.
Cette stratégie de diversifica-
tion, qui s’inscrit sur le long
terme, ne va pas sans risque. Mos-
cou voit d’un mauvais œil les ten-
tatives d’émancipation de cette
ancienne république soviétique.
« Nous sommes dans la période
la plus dangereuse depuis 2020,
avertit une source officielle. La
Russie veut que nous restions dans
une situation désespérée pour dé-
pendre d’elle. Si nous avons une
chance de survivre, c’est en diversi-
fiant nos alliances. »
Depuis quelques mois, les me-
naces visant M. Pachinian se mul-
tiplient. En septembre, l’ancien
président russe Dmitri Medvedev
s’en est pris directement à lui : « Il
a décidé de rendre la Russie res-
ponsable de sa défaite pathétique
[lors de la guerre dans le Haut-Ka-
rabakh en 2020]. Puis il a décidé de
flirter avec l’OTAN, et son épouse
par la Banque mondiale. Parallè-
lement, l’administration et en
particulier les enseignants, qui
constituent le gros des effectifs de
fonctionnaires, ont été mobilisés
sur ordre des directeurs régio-
naux de l’éducation. Les télépho-
nes des chefs d’établissement,
lorsqu’ils en disposent, ont,
comme Le Monde en a été témoin,
été équipés d’une application leur
permettant d’enregistrer les nou-
veaux adhérents du parti orange,
la couleur d’Andry Rajoelina.
Deux tiers de l’île sans électricité
Selon une information recueillie
par Le Monde, Siteny Randriana-
soloniaiko a déposé une requête
devant la Haute Cour constitu-
tionnelle pour demander « l’annu-
lation des opérations électorales
sur l’ensemble du territoire » en
s’appuyant sur une liste de résul-
tats de bureaux de vote non con-
formes aux procès-verbaux origi-
naux. Il a aussi introduit une ac-
tion visant à disqualifier Andry
Rajoelina de la course à la magis-
trature suprême en raison de sa
nationalité française. La révéla-
tion par plusieurs médias de l’ob-
tention, en 2014, de cette naturali-
sation – qui, selon le droit malga-
est allée parader avec nos ennemis
[l’Ukraine] avec des petits gâ-
teaux », a raillé l’actuel vice-prési-
dent du conseil de sécurité russe,
en allusion à la visite de la pre-
mière dame arménienne à Kiev,
le 7 septembre. « Devinez quel
sera son sort… », a-t-il menacé.
Risque d’un coup d’Etat
A Erevan, le risque d’un coup
d’Etat est clairement identifié.
« Nos alliés en matière de sécurité
ont publiquement appelé au ren-
versement du gouvernement dé-
mocratique en Arménie », a dé-
noncé Nikol Pachinian, le 17 octo-
bre, lors de son discours au Parle-
ment européen. Le 2 novembre,
le service national de sécurité ar-
ménien a annoncé avoir arrêté
cinq membres d’un groupe armé,
dont l’identité n’a pas été révélée,
pour complot présumé visant à
s’emparer de bâtiments gouver-
De l’argent
a été distribué
aux électeurs
en échange
de leur vote
pour la formation
présidentielle
che, le déchoit de la nationalité du
pays – a marqué la campagne.
Après des manifestations répri-
mées à coups de gaz lacrymogè-
nes, l’opposition redoute qu’An-
dry Rajoelina, galvanisé par sa vic-
toire, n’use davantage de la force
pour faire taire les protestations.
La nomination du général de gen-
darmerie à la retraite, Richard Ra-
valomanana, à la tête de la prési-
dence par intérim durant la cam-
pagne, a suscité l’inquiétude. Le
« Général bombe », comme il est
surnommé pour ses méthodes
expéditives, est un de ceux qui
ont aidé Andry Rajoelina, alors
jeune maire d’Antananarivo, à
renverser Marc Ravalomanana
par un coup d’Etat en 2009. Les
mesures d’intimidation n’épar-
nementaux et à « perturber le tra-
vail des organes de l’Etat ».
Depuis son arrivée au pouvoir, à
l’issue d’une révolution pacifique
en 2018, Nikol Pachinian, un an-
cien journaliste, a affronté deux
guerres et la chute – hautement
symbolique – du Haut-Karabakh
sans perdre son poste. Un exploit
d’autant plus notable que beau-
coup jugent sa politique étran-
gère « agitée », voire « incompré-
hensible » ou « amateure ». « Il a
fait des déclarations catastrophi-
ques », se souvient Areg Kochi-
nyan, analyste politique et direc-
teur du Research Center on Secu-
rity Policy, à Erevan. En 2019, le
premier ministre avait notam-
ment proclamé : « Le Haut-Kara-
bakh, c’est l’Arménie, c’est tout. »
Avant de déclarer l’inverse, trois
ans plus tard, en affirmant que
l’enclave indépendantiste appar-
tenait à l’Azerbaïdjan.
gnent pas les personnalités qui,
depuis des semaines, enjoignent
le pouvoir au dialogue. La prési-
dente de l’Assemblée nationale,
Christine Razanamahasoa, a été
contrainte de fuir sa résidence
alors qu’un groupe d’hommes
encagoulés s’apprêtaient à y pé-
nétrer. Si rien ne permet de lier
cette tentative d’attaque à main
armée au contexte électoral, cet
incident survient alors que son
initiative de plate-forme de mé-
diation et de dialogue menée avec
le Conseil œcuménique des Egli-
ses chrétiennes suscitait l’hosti-
lité du camp présidentiel.
En milieu de semaine, des gen-
darmes avaient ouvert le feu en
plein jour sur un 4 × 4, tuant ses
cinq passagers présentés comme
des malfaiteurs récidivistes. Or, les
premiers éléments de l’enquête
ont révélé que l’un d’eux était un
ancien directeur de l’Institut na-
tional de la statistique, très intro-
duit dans les cercles du pouvoir.
Après un retrait forcé de la scène
politique à l’issue du régime de
transition (2009-2013), Andry
Rajoelina est revenu à la tête du
pays, cette fois par les urnes,
en 2018. Pour sortir le pays de son
extrême pauvreté, le président
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Malgré des ratés, une popula-
rité en baisse et plusieurs vagues
d’appel à la démission depuis la
défaite de 2020, il reste la person-
nalité politique la plus appréciée,
avec 30 % d’avis favorables, loin
devant ses adversaires, issus de
l’ancien clan postsoviétique cor-
rompu et haï. « C’est un populiste
classique, qui comprend mieux
que les autres l’humeur de ses ci-
toyens et où se situe l’intérêt de
l’Arménie », estime M. Kochinyan.
Le défi du premier ministre
consiste désormais à éviter une
nouvelle guerre en normalisant
ses relations avec l’Azerbaïdjan et
la Turquie. « Nous sommes à un
cheveu de la catastrophe, reprend
l’analyste politique. Il faut tout
faire pour l’éviter, car nous avons
désormais trois ennemis, avec la
Russie. Et on se retrouverait tout
seuls. » p
faustine vincent
au passé d’entrepreneur dans le
secteur de la communication
avait promis de rattraper en cinq
ans tout ce que ses prédécesseurs
avaient échoué à réaliser pendant
les soixante années écoulées de-
puis l’indépendance. Mais son bi-
lan est critiqué. Aucune réforme
structurelle n’a été engagée.
Dix-huit millions d’habitants,
soit deux tiers de la population,
sont toujours plongés dans l’obs-
curité dès la nuit tombée. Les
deux projets de centrale hydro-
électrique, lancés il y a plus de huit
ans, se sont en effet enlisés. L’auto-
suffisance en riz, base de l’alimen-
tation, n’est pas atteinte. Le sec-
teur phare de la vanille s’est effon-
dré dans une stratégie opaque de
fixation des prix laissant sur le
carreau des milliers de petits pro-
ducteurs. Les exportations de gi-
rofle, également source de devi-
ses, ont été suspendues sans aver-
tissement. Autre symbole, la com-
pagnie nationale Air Madagascar,
lourdement endettée, a suspendu
ses vols internationaux. p
laurence caramel
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Biodiversité : quand les investissements

verts assurent notre avenir
Selon les Nations unies, il est nécessaire de doubler les investissements dans les solutions fondées sur la nature d’ici 2025
pour faire face aux crises environnementales. La seule protection de la biodiversité demanderait entre 200 et 300 milliards d’euros
d’investissements annuels, selon AXA IM. Sans prétendre à l’exactitude, cette estimation dit une chose : au-delà des aspects
politiques, culturels ou réglementaires, la question du inancement est au cœur de la transition écologique. Pour le monde de
l’entreprise en général, et pour les assureurs en particulier, le bon léchage des investissements doit devenir une priorité.
LES DESTINS LIÉS DE Pour un spécialiste de la gestion des la protection du vivant : elle répond à Taskforce on Nature-related Financial d’euros dédiés à un fonds de capital
LA BIODIVERSITÉ ET DE risques comme AXA, cette situation une véritable rationalité économique. Disclosures (TNFD) et la création de naturel géré par AXA IM, et 1 milliard
L’ÉCONOMIE est un déi : elle fait peser une menace mesures du risque lié à la biodiversité d’euros dédiés à des investissements
On estime aujourd’hui que 75 % des majeure sur l’économie mondiale tout UNE ORIENTATION pour les investisseurs. Dans le prolon- dans des forêts gérées de manière
milieux terrestres et 40 % des milieux en mettant en péril la santé, l’intégrité STRATÉGIQUE gement de cet engagement, AXA s’est durable.
marins sont fortement dégradés. Cette et les modes de vie de l’humanité. Sur Face à l’urgence, les leviers de la associé à Finance for Biodiversity ain Incontournable dans la lutte pour la
perte de biodiversité à l’échelle le plan économique, l’exemple de la inance verte sont aujourd’hui incon- d’accélérer le inancement des solu- préservation de la biodiversité, l’éco-
mondiale entraîne des conséquences pollinisation est particulièrement tournables. En 2019, AXA a lancé tions propres à protéger la biodiversité. système de la finance verte reste
dramatiques : elle ne permet plus aux frappant. Sans l’aide des abeilles, de avec le WWF le rapport Into the Wild: Le Groupe a également doublé en un encore largement à bâtir. Pour AXA,
écosystèmes de jouer leur rôle de ré- nombreux insectes, et même de integrating nature into investment an la taille de son fonds à impact pour investisseur important à l’échelle
g u lat eu r du c a r b one et r em et certains mammifères, la pollinisation strategies destiné à sensibiliser à la la biodiversité et le climat, aujourd’hui mondiale, c’est à la fois une responsa-
en question les services rendus par la artiicielle coûterait environ 153 mil- perte de biodiversité et à ses impacts doté de 350 millions de dollars. Enin, bilité et une priorité, qui se traduit déjà
nature, comme la lutte contre les îlots liards d’euros par an. Dans ce contexte, économiques et inanciers. Le rapport AXA s’est engagé à atteindre un dans les faits.
de chaleur, la perméabilisation des la protection de la biodiversité va contenait une série de recommanda- objectif de « capital naturel » de
sols ou la régulation des maladies. au-delà de l’évidence humaniste et de tions, notamment le lancement de la 1,5 milliard d’euros, dont 500 millions

Décarboner les portefeuilles d’assurance :

une transformation majeure !
La inance verte est un sujet largement discuté. La mise en place de stratégies bas carbone au sein des grands groupes l’est également.
La décarbonation des portefeuilles d’assurance, en revanche, occupe une place médiatique moindre. Pour un acteur comme AXA,
dont l’empreinte environnementale opérationnelle est relativement limitée, mais dont l’empreinte des clients peut être forte, c’est un
levier d’action majeur dans l’objectif de réduction des émissions.
UN NOUVEAU MÉTIER effort de décarbonation, comme l’augmentation TRANSITION ÉNERGÉTIQUE Auprès des entreprises, l’ambition est de
POUR L’ASSURANCE de l’activité d’assurance dans le domaine des ET PORTEFEUILLE réduire de 30 % les émissions absolues
La décarbonation des portefeuilles d’assu- énergies renouvelables, ou auprès des acteurs AUTOMOBILE : de ca rbone de ses plus g ra nds clients
rance est une activité relativement jeune, et ayant les objectifs les plus avancés pour lutter DEUX LEVIERS MAJEURS corporate et de 20 % l’intensité carbone des
la déinition de ses contours demande un peu contre le réchauffement climatique. De nou- Pour AXA, cet engagement marque une autres clients corporate dans ses marchés
de pédagogie. Le principe est simple : il s’agit velles formes d’accompagnement de la part vraie orientation stratégique. Le Groupe s’est les plus importants d’ici 2030 par rapport à
pour les assureurs de mettre en œuvre tous les des assureurs auprès de leurs clients sont ainsi engagé dans une transition de certains 2021. « La décarbonation de nos portefeuilles
moyens en leur pouvoir pour que les biens, les explorées : pour favoriser les technologies, les de ses portefeuilles d’assurance dommages d’assurance est un défi enthousiasmant qui
personnes ou les entreprises qu’ils assurent pratiques ou les modèles d’affaires les plus qui doit le mener à des émissions nettes zéro embarquera à la fois nos métiers, nos clients et
émettent le moins possible. Cette idée fait vertueux. Enfin, un travail de pédagogie est de gaz à effet de serre d’ici 2050. Pour y l’ensemble de nos parties prenantes externes »,
aujourd’hui l’objet d’une réflexion collec- mené au quotidien, en particulier pour faire parvenir, des objectifs intermédiaires ambi- explique Ulrike Decoene, directrice de la com-
tive afin de définir des principes partagés à connaître les nouvelles offres d’assurance tieux ont été ixés. Auprès des particuliers, il munication, de la marque et du développement
l’échelle mondiale. Elle s’est ainsi concréti- dédiées aux technologies plus propres et aux s’agit de réduire l’intensité carbone du porte- durable du groupe AXA.
sée en 2022 par la publication de la première solutions vertueuses pour l’environnement. feuille de véhicules de 20 % d’ici 2030, par
norme globale pour mesurer les émissions rapport à 2019. Cela passe par exemple par un
associées aux portefeuilles de souscription usage plus important des pièces de réemploi,
d’assurance. D’autres leviers participent à cet ou par un soutien aux véhicules électriques.

Mieux mesurer pour mieux protéger

« Si vous ne pouvez pas le mesurer, vous ne pouvez pas l’améliorer. » Cette phrase attribuée au physicien britannique
Lord Kelvin décrit précisément un enjeu majeur pour la transition écologique : l’urgence de se doter d’indicateurs et d’outils de
mesure d’impact iables et partagés. Pour AXA, dont le métier consiste (en grande partie) à évaluer et à traiter des risques, c’est
une pratique naturelle qui s’étend aujourd’hui aux questions climatiques et de biodiversité. C’est également un sujet sur lequel
le Groupe se positionne comme une véritable force motrice à l’échelle globale.
FORGER DE NOUVEAUX (TNFD) afin d’aider les entreprises assureurs ou aux investisseurs les d’évaluer la pression de ses investis- modèle. Il accompagne également les
INDICATEURS dans « l’identification, l’évaluation, moyens d’orienter leur stratégie de sements sur la biodiversité. C’est un efforts menés par AXA pour main-
L’époque où seuls comptaient les indi- la gestion et la divulgation des pro- protection de manière plus renseignée. outil puissant, mais il ne permet pas tenir une position de leader au sein
cateurs inanciers est révolue. L’essor blèmes liés à la nature ». Coordonné de faciliter la prise de décision des d’indices externes comme le Dow Jones
des expérimentations autour de la par les Nations unies, Global Canopy CONSOLIDER UNE PRATIQUE investisseurs et demande de pour- Sustainability Index (DJSI) qui a
comptabilité en triple capital – qui et le WWF, ce programme réunit des ENCORE RÉCENTE suivre un travail méthodologique pour ambition d’évaluer les perfor-
intègre les dimensions environnemen- entreprises de premier plan dans un Si la mise en place de nouveaux outils avec l’ensemble des parties prenantes. mances des entreprises sur des critères
tales et sociales – peut en témoigner. objectif commun de réduire l’impact est fondamentale, leur « maturation Plus général, l’AXA for Progress environnementaux, sociaux et de
L’enjeu consiste aujourd’hui à dépasser de l’économie sur la nature. Sur un » est également essentielle, en parti- Index permet de suivre et d’évaluer gouvernance.
le stade de l’idée et des prototypes, sujet plus spécifique, AXA XL met culier dans le secteur des investisse- le déploiement du plan stratégique Au-delà des paroles et des engagements,
ain de créer des indicateurs véritable- son expertise du risque au service ments, dont l’impact sur la biodiversité du Groupe, Driving Progress 2023. la responsabilité des entreprises est
ment partagés et opérationnels. C’est de la protection des océans avec le est encore d i f f ici le à éva luer. Orienté autour de sept engagements, amenée à se concrétiser dans les
dans ce contexte qu’AXA a contri- « Coastal Risk Index ». Cet outil Auj o u r d’ h u i, A X A u t i l i s e l e il per met d’évaluer les progrès chiffres. Pour AXA, c’est le prolon-
bué à la création d’une Taskforce on cartographique donne aux commu- Corporate Biodiversity Footprint, réalisés en tant qu’investisseur, en tant gement naturel d’une expertise liée
Nature-related Financial Disclosures nautés, aux décideurs politiques, aux développé par Iceberg Data Lab, ain qu’assureur et en tant qu’entreprise aux risques.
10 | planète
Un printemps hors norme en Amérique du Sud
Des records de chaleur ont été battus ces dernières semaines, la température ressentie frôlant parfois les 60 oC
cuzco (pérou), sao paulo -
correspondants
D
es températures dé-
passant régulière-
ment les 40 oC et frô-
lant par endroits les
60 oC ressentis – et ce, alors même
que l’été austral en Amérique du
Sud n’a pas encore débuté : des re-
cords de chaleur ont été battus ces
dernières semaines au Brésil, en
Argentine, au Pérou, en Bolivie et
au Paraguay. C’est un printemps
hors normes, déjà qualifié d’« his-
toriquement chaud », que vit le
sous-continent. Chaleur et séche-
resse affectent des millions de per-
sonnes et menacent les récoltes.
Dimanche 19 novembre, le
mercure a atteint 44,8 oC à Ara-
çuai, dans l’Etat du Minas Gerais
(sud-est), au Brésil, soit la plus
haute température jamais relevée
dans le pays, selon l’Institut natio-
nal de météorologie (Inmet). Au
cours de la canicule inédite qui a
frappé, à la mi-novembre, la moi-
tié des 5 500 municipalités du
pays ont été placées en état
d’alerte maximale. La vague de
chaleur a provoqué ruée vers les
plages et panique. A Rio, où la sen-
sation thermique a atteint les
59,3 oC, une mère de famille est al-
lée jusqu’à briser la vitre d’un bus
pour laisser respirer son enfant
malade. Sous l’effet des climati-
seurs, la consommation d’énergie
a battu un record historique, avec
101 475 mégawatts, le 14 novem-
bre, et ce, alors que nombre de
barrages hydroélectriques ne
fonctionnent que partiellement.
La canicule a aussi eu des effets
tragiques. Le 17 novembre, une
étudiante de 23 ans a trouvé la
mort des suites d’un arrêt cardio-
respiratoire lors du concert de la
chanteuse américaine Taylor Swift
organisé à Rio de Janeiro, dans un
stade olympique Nilton-Santos
plein à craquer où les spectateurs
suffoquaient. En dépit des tempé-
ratures extrêmes, les organisa-
teurs avaient interdit aux fans
d’apporter leurs propres bou-
teilles d’eau.
En Bolivie, 13 personnes sont dé-
cédées d’un « coup de chaleur » et
de « déshydratation », fin novem-
bre, selon le ministère de la santé
bolivien, dans la région de Santa
Cruz, à la frontière avec le Brésil
(est). Le thermomètre avait
grimpé jusqu’à 43,8 oC. Les autori-
tés ont précisé que la plupart des
victimes travaillaient en extérieur
et que toutes souffraient d’une af-
fection antérieure, telle que le dia-
bète ou l’hypertension artérielle.
La température maximale a été
atteinte dans une petite localité
du sud du pays, à la frontière
argentine : 44,9 oC. Du jamais-vu.
Sur TikTok, des internautes
montraient des flaques s’évapo-
rer à une vitesse record.
Les zones montagneuses n’ont
pas échappé à la vague de chaleur.
Une vague de chaleur submerge
le printemps sud-américain
Anomalie des températures,
pour la semaine du 12 au 18 novembre
sur la moyenne 1991-2020
−7 −5 −3 −1 + 1 + 3 + 5 + 7
+ XX ° C Différence de température
mesurée entre le 12 et le 19 novembre
par rapport à la moyenne (1991-2020)
Source : NOAA
Infographie Le Monde
« Il s’agit de la
conjonction d’un
El Niño cyclique
précoce et du
réchauffement
climatique »
JOsé MarengO
climatologue péruvien
La Paz, la capitale administrative,
perchée à 3 640 mètres dans les
Andes, a enregistré un pic de
28,9 oC début octobre et le rayon-
nement ultraviolet était maxi-
mal. Les habitants se sont rués sur
les ombrelles proposées à tous les
coins de rue par des vendeurs am-
bulants qui se sont rapidement
adaptés à la demande.
L’Amazonie a aussi battu des re-
cords de température : 41 oC et
42 oC en Amazonie péruvienne,
lorsque, à cette époque, les tem-
pératures les plus élevées os-
cillent entre 35 oC et 36 oC. Au
moins cinq personnes sont mor-
tes entre fin septembre et début
octobre d’un « coup de chaleur »,
dont un soldat de 18 ans, origi-
naire de la région de Puno, à
4 000 mètres d’altitude, arrivé
inconscient au centre de santé
régional. Les autorités sanitaires
locales ont rapporté une hausse
des consultations pour fièvre,
diarrhées, vomissements, déshy-
dratation et hyperthermie.
« Un vent vertical écrase l’humi-
dité et son effet rafraîchissant.
Combinée à l’absence de nuages, la
radiation est intense, et les tempé-
ratures flambent, avec un ressenti
encore plus important. C’est dans
ce cas que se produit un coup de
chaleur », explique Nelson Quispe,
du Service national péruvien de
météorologie et d’hydrologie.
Gigantesques incendies
Ces températures sont doublées
d’une sécheresse extrême qui
frappe plusieurs régions d’Améri-
que du Sud. Au Brésil, dans le Nord
et le Nordeste, celle-ci a fait dra-
matiquement diminuer le niveau
des cours d’eau en Amazonie. De
grands incendies ont également
dévasté le Pantanal, avec plus de
4 000 départs de feu en novem-
bre, soit vingt fois plus qu’en 2022.
En Bolivie, plus de 105 commu-
nes, soit 30 % de celles du pays,
ont été déclarées en situation de
« désastre ». Le lac Titicaca, à la
frontière entre le Pérou et la Boli-
vie, a atteint un niveau historique-
ment bas – moins de 2 mètres – et
le déficit de pluies affecte les
cultures et l’élevage, dont dépen-
dent trois millions de personnes.
Comme chez son voisin brési-
lien, la sécheresse, couplée à des
vents violents, a été le terreau par-
fait pour la propagation de gigan-
tesques incendies. Ainsi, 2 mil-
Caracas
GUYANA
VENEZUELA SURINAME
COLOMBIE
Guyane
Bogota
Quito
ÉQUATEUR
PÉROU BRÉSIL
Lima
BOLIVIE
La Paz
Sucre
CHILI PARAGUAY
Sao Paulo
Asuncion
41,2 ° C
+ 6,6
Santiago ARGENTINE URUGUAY
Buenos Aires
Le lac Titicaca a été fortement affecté par la sécheresse, avec des totoras (plantes aquatiques) qui meurent en l’absence d’eau,
dans la région de Puno (Pérou), le 14 octobre. PAUL GAMBIN POUR « LE MONDE »
Inondations à Eldorado do Sul, dans le sud du Brésil, le 20 novembre. DIEGO VARA/REUTERS
lions d’hectares de maquis et de
prairies et 935 000 hectares de fo-
rêts sont partis en fumée depuis le
début de l’année, selon le dernier
rapport du ministère de l’environ-
nement. Les feux de forêt, maîtri-
sés au début de novembre, se sont
réactivés dans certaines régions,
entraînant une forte pollution res-
sentie jusque dans les grandes vil-
les du pays, notamment à La Paz.
Autre manifestation des ano-
malies climatiques qui se déchaî-
nent sur le continent, alors
qu’une partie de la zone affronte
sécheresse et canicule, d’autres
régions sont frappées par des
Température la plus haute
jamais enregistrée au Brésil
Araçuai
Brasília 44,8 ° C
Rio de Janeiro
41,7 ° C
+ 9,1
37,7 ° C
+ 9,7
Montevideo
trombes d’eau. Au Brésil, dans les
Etats du Sud, des inondations ont
déjà provoqué le décès d’au moins
huit personnes. Dans le Rio
Grande do Sul, 25 000 habitants
ont dû être évacués et 3 300 se
sont retrouvés brutalement sans
abri. Début novembre, une tem-
pête a privé 2,1 millions de person-
nes d’électricité à Sao Paulo.
Pour le climatologue péruvien
José Marengo, « il s’agit de la
conjonction de deux phénomènes :
d’une part, un El Niño cyclique
précoce, qui provoque inonda-
tions d’un côté et sécheresse de
l’autre, d’autre part, le réchauffe-
ment climatique, qui vient accroî-
tre ces épisodes extrêmes. » Tout
cela n’est qu’un début : « El Niño
doit arriver à maturité et produire
ses effets les plus sévères entre dé-
cembre et janvier, et ses effets peu-
vent se faire sentir jusqu’en avril »,
prévient le scientifique.
Les météorologues affirment
que le climat régional est de plus
en plus difficile à prévoir sous le
coup des effets du changement
climatique, avec des variations
inattendues : « Il y a des zones
d’Amazonie où l’on enregistre
des températures très élevées et
une sécheresse intense et, au
même moment, à quelques kilo-
mètres, on observe des pluies dilu-
viennes et très localisées », souli-
gne Nelson Quispe, de l’Institut
météorologique péruvien.
Dans les Andes du Sud, au Pérou
et en Bolivie, la sécheresse et les
températures anormalement éle-
vées seraient accentuées par un
autre facteur : la déforestation de
l’Amazonie. La plus grande forêt
tropicale du monde joue un rôle-
clé dans l’équilibre du système cli-
matique régional : « Dans l’Alti-
plano andin, la principale source
d’humidité provient de l’Atlanti-
que, grâce à l’évaporation de l’Ama-
zonie. Or, la déforestation a pour
effet de modifier la circulation
atmosphérique. Nous estimons
qu’elle entraîne une baisse des
précipitations de 10 % à 30 % », ob-
serve Jhan Carlo Espinoza, clima-
tologue à l’Institut de recherche
pour le développement, à Lima.
Il rappelle que, sous la prési-
dence brésilienne de Jair Bolso-
naro (2019-2022), la déforestation
a explosé. « Et le processus de “sa-
vanisation” de l’Amazonie à
l’œuvre aura pour effet d’augmen-
ter encore ces épisodes de séche-
resse et de chaleur à l’avenir. »
Pénuries d’eau
Face à cette conjonction dramati-
que, les gouvernements tentent
dans l’urgence de se mobiliser.
« Tout cela est sans précédent », ad-
met Regina Célia dos Santos Al-
vala, coordinatrice du Centre na-
tional de surveillance et d’alerte
de désastres naturels, au Brésil.
Au total, 647 millions de reais
(121 millions d’euros) ont été dé-
bloqués pour venir en aide à la ré-
gion amazonienne et des actions
ponctuelles sont mises en place
pour venir en aide aux plus mo-
destes frappés par la canicule dans
les grands centres urbains. En ce
qui concerne les inondations et les
glissements de terrain, « 1 038 mu-
nicipalités sont surveillées de près,
avec des informations transmises
directement au pouvoir fédéral et
local pour procéder rapidement à
l’évacuation des populations ».
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
La Paz, perchée
à 3 640 mètres
dans les Andes,
a enregistré
un pic de 28,9 oC
début octobre
Mais, pour beaucoup d’observa-
teurs, cela n’est guère suffisant.
« Il est urgent de penser à l’adapta-
tion : le changement climatique est
irréversible et hors de contrôle. Les
phénomènes extrêmes sont déjà
là », insiste Guilherme Syrkis, di-
recteur du Centre pour le climat
brésilien, un groupe de réflexion.
Construction de citernes, rénova-
tion des bâtiments, révision du
système électrique, déplacements
de populations… « Il faut des inves-
tissements massifs, de long terme.
C’est douloureux, cher, mais nous
n’avons pas le choix », dit-il.
D’autant que les conséquences
se font déjà sentir. Dans l’Alti-
plano bolivien, en raison de pénu-
ries d’eau, des centaines de têtes
de bétail sont mortes de soif. A
Potosi, ville minière du centre de
Bolivie, les autorités ont com-
mencé à rationner l’eau et à distri-
buer de l’eau potable au moyen de
camions-citernes. Dans les villa-
ges, les habitants font comme ils
peuvent pour constituer leurs ré-
serves, stockant l’eau qu’ils trou-
vent dans des bidons en plastique
et récupérant l’eau de pluie.
Mais la pression sur la ressource
joue sur les habitudes d’hygiène, à
commencer par le lavage des
mains, et les autorités alertent
d’un risque accru de propagation
d’épidémies, aux conséquences
graves, notamment sur les per-
sonnes les plus vulnérables, en-
fants et personnes âgées. « Cer-
tains vont chercher n’importe quel
type de liquide, par exemple de
l’eau de puits qui peuvent être
pollués, et cela dérive en maladies
gastriques », s’inquiète Freddy
Armijo, directeur national d’épi-
démiologie du ministère de la
santé de Bolivie, dans le quotidien
bolivien Los Tiempos.
La distribution d’eau potable a
aussi ses limites. « Tant en Bolivie
qu’au Pérou ou au Brésil, la topo-
graphie est très accidentée et il y a
des zones très éloignées et difficiles
d’accès, rappelle Nestor Quispe.
Cela complique encore un peu
plus la tâche des autorités pour
venir en aide aux populations qui
en ont besoin. » p
amanda chaparro
et bruno meyerfeld

FRANCE
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Macron en quête de capteurs d’opinion
Le chef de l’Etat cherche à prendre « le pouls de la France » pour rompre son isolement
C
e 19 novembre, avec le
kiwi du petit déjeuner,
Emmanuel Macron
épluche la presse. Le ba-
romètre fait par l’IFOP en partena-
riat avec Le Journal du dimanche,
est relégué en « bas de page » de
l’hebdomadaire, s’agace-t-il sur le
fil Telegram où il échange avec ses
conseillers. Mais le chef de l’Etat a
gagné en popularité, touchant
particulièrement les 18-34 ans qui
saluent sa « sagesse » et sa « posi-
tion d’équilibre » dans le conflit is-
raélo-palestinien. N’est-ce pas la
preuve que la décision de ne pas
se rendre à la marche civique con-
tre l’antisémitisme, le dimanche
12 novembre, tout en condam-
nant les « porteurs de haine » était
la bonne ? « Ça valide », écrit-il à
ses collaborateurs.
Dans une France sous tension
après l’attaque terroriste du
Hamas contre l’Etat hébreu, le
7 octobre, le chef de l’Etat scrute
les sondages, les études d’opinion
et la presse régionale, soucieux
d’éviter le faux pas. Son conseiller
spécial à l’Elysée, Frédéric Michel,
lui fait remonter les « signaux fai-
bles » provenant du service d’in-
formation du gouvernement. « Le
conflit du Moyen-Orient est très
peu présent dans les régions, il faut
qu’on le prenne en compte », expli-
que ce dernier, qui définit ainsi le
« credo » du président : rendre la
société plus « sereine ».
Les préoccupations de la place
de Paris ne sont pas toujours celles
qui agitent la « France d’en bas »,
qu’avait conceptualisée l’ancien
premier ministre Jean-Pierre
Raffarin. Et l’Elysée, où réside
Emmanuel Macron depuis 2017,
isole. Le chef de l’Etat ne peut
l’ignorer, lui qui fut surpris, un an
après sa première élection, par la
colère des « gilets jaunes » et qui a
été sidéré par les émeutes urbai-
nes de cet été. « Il est très difficile de
sentir les choses depuis le palais
présidentiel. C’est un endroit où l’on
n’entend même pas le bruit de la
rue, métaphoriquement, ça en dit
long », souligne Gaspard Gantzer,
ancien conseiller en communica-
tion de François Hollande.
Comment, dès lors, conserver un
lien avec des Français que les so-
ciologues décrivent « à vif » ? « La
société est éparpillée. Les repères de
classe sociale ou de classe d’âge ne
fonctionnent plus. L’Elysée avale les
sondages, mais ceux-ci peinent à
rendre compte de la complexité du
réel », alerte Philippe Moati, cofon-
dateur de L’Obsoco, société d’étu-
des et de conseil en stratégie. Le
conseiller opinion de l’Elysée Syl-
vain Guérin, qui organisait pour le
Immigration : des députés LR tendent la main à Gérald Darmanin
Dix-sept élus de droite se sont dits prêts, dimanche, dans une tribune, à voter le texte s’il restait proche de la version adoptée par le Sénat
M ême le dimanche, la
droite cultive son art
de la division. Alors
que le projet de loi sur l’immigra-
tion entamait, lundi 27 novembre,
son parcours à l’Assemblée avec
son examen par la commission
des lois, dix-sept députés Les Ré-
publicains (LR) font un pas vers la
majorité. De quoi irriter leur chef
de groupe, Olivier Marleix, mais
aussi leur président, Eric Ciotti, op-
posés à ce texte. Dans une tribune
publiée par La Tribune Dimanche
le 26 novembre, ces élus se disent
prêts à soutenir le projet porté par
le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, mais posent leurs
conditions. « Le détricotage du
texte du Sénat est évidemment la
principale menace pour l’avenir de
cette loi. Nous ne pourrons y ap-
porter nos suffrages que si prévaut
Emmanuel
Macron, lors
du lancement
du programme
« Un jeune,
un arbre »
dans la forêt
de Moirans-
en-Montagne
(Jura), le
24 novembre.
TERESA SUAREZ/AFP
chef de l’Etat des rencontres avec
des sondeurs, penseurs, écono-
mistes et sociologues, a quitté les
lieux en août sans être remplacé.
Peu importe, à en croire l’entou-
rage d’Emmanuel Macron, puis-
que le « meilleur conseiller opinion
du président », c’est « lui-même ».
« Faire remonter les émotions »
Pour rompre son isolement,
M. Macron se cherche des cap-
teurs afin d’écouter à distance le
bruit de la ville, de la campagne
et des banlieues. L’humoriste
Yassine Belattar, qui a rencontré le
« conseiller sécurité » du président
Frédéric Rose et le « conseiller mé-
moire », Bruno Roger-Petit, début
novembre, est l’un d’eux. Lors de
ce rendez-vous, l’ancien anima-
teur de Radio Nova les avertit : le
chef de l’Etat ne doit pas commet-
tre l’« irréparable » en se rendant à
la marche contre l’antisémitisme
où défilait le Rassemblement na-
tional. « S’ils avaient mis antisémi-
tisme et racisme, on y aurait été ou
pas ? Ben ouais », expliquait Yas-
sine Belattar dans son spectacle
« En marge », le 18 novembre.
l’esprit du projet voté par le Sénat »
le 14 novembre. Malgré cette
précaution, cette tribune est ac-
cueillie avec plaisir par Mathieu
Lefèvre, député Renaissance et
proche de M. Darmanin. « C’est
une initiative très responsable,
souligne l’élu du Val-de-Marne et
ancien membre de LR. D’aucuns
peuvent vouloir aller plus loin chez
Les Républicains, mais ça ne sau-
rait justifier de refuser les progrès
majeurs de ce texte. »
Un des signataires confie que
l’idée de cette tribune remonte à
trois semaines avec pour objectif,
notamment, d’éviter d’être « cor-
nérisé » par ceux qui poussent
dans le groupe à une opposition
frontale, comme le député du Lot
Aurélien Pradié. Au départ, il y a
un noyau d’élus « constructifs »
avec la majorité, dont Jean-Louis
« J’ai un public qui ressemble à la
société », souligne celui qui fut
condamné en septembre à quatre
mois de prison avec sursis pour
avoir proféré des menaces dans le
cadre d’un différend commercial.
« On a pour mission permanente
de faire remonter au chef de l’Etat
les émotions », explique M. Roger-
Petit. Les humoristes sont, aux
yeux de M. Macron, un baromètre
précieux. Après l’ancien anima-
teur Patrick Sébastien, autoreven-
diqué « beauf », avec qui il avait
dîné en juin 2021, M. Macron aime
écouter Philippe Caverivière, qui
officie durant la matinale de RTL.
Le chef de l’Etat a donc entendu
Yassine Belattar le décrire telle
une « coiffeuse parlant météo »,
lorsqu’il s’est rendu dans le Pas-
de-Calais, le 14 novembre, pour
soutenir les habitants sinistrés
après les inondations. Accaparé
par un agenda diplomatique lesté
d’une actualité tragique, M. Ma-
cron prend soin d’entrecouper
ses déplacements internationaux
par des visites express : dans le
Finistère, après la tempête Ciaran,
le 3 novembre ; en Dordogne, le 7,
Thiériot, principal rédacteur de la
tribune. « Dans le texte du Sénat,
rien ne justifie qu’on ne le vote pas
à l’Assemblée, expliquait récem-
ment au Monde le député de
Seine-et-Marne. Si l’argument prin-
cipal est de s’opposer, cela paraît
intellectuellement un peu court. »
« J’aurais pu cosigner »
Ces derniers temps, plusieurs des
signataires prenaient aussi leurs
distances avec la stratégie définie
par le duo Marleix-Ciotti – sans ré-
vision de la Constitution (pour
élargir le champ du référendum à
l’immigration), la loi Darmanin ne
serait qu’une loi ordinaire de plus,
selon eux. Alors, autant la rejeter.
« On ne peut pas s’obstiner à dire :
“C’est la réforme constitutionnelle,
ou rien du tout” », avançait, avant
même le vote du texte au Sénat,
Les humoristes
sont, aux yeux
d’Emmanuel
Macron,
un baromètre
précieux
pour inaugurer la nouvelle
Marianne ; dans le Jura, le 24, pour
assister des élèves à l’occasion de
la plantation d’arbres. « Dans un
paysage politique et médiatique
monosujet, Emmanuel Macron ne
veut pas perdre le fil de la politique
intérieure. Il cherche à apaiser des
Français qui pourraient se sentir
abandonnés », explique l’Elysée.
Le « réel, c’est quand on se co-
gne », disait le psychanalyste
Jacques Lacan. Et si le président lit
les études sociologiques, il se mé-
fie de leur vision trop concep-
tuelle. « Michel, les sciences socia-
les, je ne comprends pas très bien,
il faudrait que tu m’expliques »,
avait-il lancé à l’adresse du cher-
cheur Michel Wieviorka, lors
Virginie Duby-Muller, députée de
la Haute-Savoie. Pour les dix-sept
signataires, cette réforme consti-
tutionnelle est jugée « nécessaire »,
mais cela ne « saurait justifier de re-
jeter des améliorations législatives
concrètes, plébiscitées par la très
grande majorité des Français ».
Alexandre Vincendet (Rhône)
était, avec Mme Duby-Muller, pré-
sent à Tourcoing (Nord) le 27 août,
à la rentrée politique de Gérald
Darmanin. Alors, quand le minis-
tre laissait entendre qu’entre
quinze et vingt LR seraient « inté-
ressés » par son texte, Olivier
Marleix citait le duo de Tourcoing
« et deux ou trois autres peut-être »
dans ce cas. Il était dans la four-
chette basse. « On envoie aussi un
message à la majorité. On a fait une
partie du chemin, maintenant la
balle est dans votre camp », avance
d’une réception à l’Elysée, le
8 juillet 2021, pour les 100 ans d’Ed-
gar Morin. M. Macron n’a jamais
donné suite. Présent, le sondeur
Jérôme Fourquet y avait poussé
l’idée d’une « décivilisation » du
pays. Le terme, emprunté au socio-
logue Norbert Elias, qui faisait ré-
férence à la poussée de barbarisa-
tion dans l’Allemagne nazie, avait
été repris dès le lendemain par le
chef de l’Etat. « Fais gaffe », l’alerte
alors d’un texto le sociologue Jean
Viard, redoutant que le président
ne s’égare en épousant la rhétori-
que de l’extrême droite.
« Ça ne va pas »
Le chef de l’Etat ne dispose pas,
comme François Hollande ou
Nicolas Sarkozy, d’un puissant ré-
seau de relais locaux à même de
lui décrire franchement la façon
dont il est jugé. Or, « le pouls de
la France, c’est le maire de Vesoul,
de Nîmes, de Bordeaux », dit
Franck Louvrier, ancien conseiller
en communication de Nicolas
Sarkozy, qui se souvient avoir vu,
en 2010, le chef de l’Etat sortir
d’une réunion sur la réforme des
M. Vincendet. Un clin d’œil à Sacha
Houlié. Le président de la commis-
sion des lois avait annoncé son in-
tention de corriger certaines « su-
renchères » de la droite. « Je félicite
ces dix-sept parlementaires qui dé-
cident de privilégier leur pays à leur
parti », s’est réjoui dimanche, sur
Franceinfo, ce défenseur de l’arti-
cle 3 sur la régularisation des tra-
vailleurs sans papiers dans les sec-
teurs en tension (devenu 4 bis
dans sa version sénatoriale). Les si-
gnataires de la tribune jugent que
le nouvel article « est une réponse
ferme qui ne crée pas un droit op-
posable » et préserve le « pouvoir
discrétionnaire des préfets ». Eric
Ciotti a une autre analyse. « Le 4 bis
est l’article 3 avec un masque de
carnaval », mettait en garde l’élu
des Alpes-Maritimes le 21 novem-
bre en réunion de groupe.
| 11
retraites en pestant : « Ça ne plaît
pas. » Nicolas Sarkozy a alors télé-
phoné à son ami le maire de Nî-
mes, Jean-Paul Fournier, pour con-
fronter les réflexions au terrain.
Les relais dont dispose M. Ma-
cron s’appellent notamment Sa-
brina Agresti-Roubache, députée
marseillaise devenue, en juillet,
secrétaire d’Etat à la ville, ou Karl
Olive, député des Yvelines et an-
cien maire de Poissy (Yvelines), qui
lui écrivait un texto au moment de
la crise des « gilets jaunes » : « Ça ne
va pas, tu t’y prends comme un
manche. » Mais, autour du chef de
l’Etat, rares sont ceux qui le con-
naissent depuis assez longtemps
pour lui parler sans craindre de le
froisser. Pour cette raison peut-
être, le président rappelle de plus
en plus ses plus « vieux » collabora-
teurs, comme Ismaël Emelien,
Richard Ferrand ou Jonathan Gué-
mas. Comment rendre la société
plus « sereine » tout en n’abandon-
nant pas la « révolution » réforma-
trice promise en 2017 ? « Cogitez ! »,
a enjoint M. Macron à ses troupes
à l’Elysée, mi-novembre. p
claire gatinois
Le chef de parti refuse de voir un
début de fronde dans cette tri-
bune. « J’aurais pu cosigner, assu-
re-t-il au Monde. Les dix-sept s’en-
gagent à voter contre si le texte est
détricoté par la majorité alliée à la
gauche, ce qui sera le cas. » Olivier
Marleix en a la même lecture à
l’exception de « deux ou trois qui
veulent jouer les utilités auprès du
gouvernement ». Il énumère les
amendements déposés par la ma-
jorité pour rectifier le texte du
Sénat en commission (comme le
rétablissement de l’aide médicale
d’Etat). « Je me dis que ça va être
dur à avaler, même pour les plus
constructifs », annonce le patron
des députés LR. Après son passage
en commission, le texte relatif à
l’immigration arrive le 11 décem-
bre dans l’Hémicycle. p
alexandre pedro
12 | france 0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Ultime effort de l’Etat sur le nickel néo-calédonien

Bruno Le Maire entend faire sauter le verrou des exportations pour rentabiliser le secteur dans l’archipel

nouméa - correspondante filiale, au bord de la cessation de tion de se retirer en février 2024 si bli ». Le deal mis entre les mains les industriels. En dépit de tout,
paiements. Selon nos informa- « aucune nouvelle solution de fi-
« Une issue est des Néo-Calédoniens est simple : Bruno Le Maire espère un accord

D
éjà empêtrée dans de tions, le groupe minier français nancement n’était trouvée d’ici-là ». à portée de main. levez les verrous politiques qui courant janvier. « Une issue est à
difficiles discussions souhaite quitter l’archipel. Les difficultés des métallurgis- entravent les exportations de mi- portée de main, assure-t-il au
politiques sur son ave- Dans le Sud, Prony Resources, tes sont connues : coût trop im-
Elle demande nerai brut, aujourd’hui plus renta- Monde. Elle demande de la lucidité
nir institutionnel, la détenue par des intérêts locaux et portant de l’énergie pour ces usi- du courage bles que la valorisation locale, et la sur la réalité économique. Elle de-
Nouvelle-Calédonie n’a d’autre le négociant suisse Trafigura, a re- nes « électro-intenses » et dépen- France apportera sa contribution. mande aussi du courage de la part
choix que de se pencher sur un pris il y a deux ans le site hydro- dantes des énergies fossiles, dont
de la part En Nouvelle-Calédonie, le nickel des responsables politiques. »
autre dossier aussi crucial que sen- métallurgique, et a annoncé dans les cours se sont envolés depuis des responsables est une question très politique L’industrie de la mine et du nic-
sible, celui du nickel, poumon éco- la foulée son orientation vers le février 2022 ; sous-production, qui oppose la province Nord, in- kel représente à elle seule 24 %
nomique de l’archipel aujourd’hui marché des batteries destinées qu’elle soit due à des problèmes
politiques » dépendantiste et partisane d’une des emplois du territoire. « Der-
au plus mal. « Il y a urgence, c’est aux voitures électriques, en parte- techniques, des aléas climatiques BRUNO LE MAIRE valorisation locale du minerai, à rière tout ça, il ne faut pas oublier
une question de semaines », avant nariat avec Tesla. L’entreprise est ou à la baisse des teneurs, c’est-à- ministre de l’économie des non-indépendantistes plus fa- qu’il y a des Néo-Calédoniens, qui
que l’une des trois usines métal- sous mandat ad hoc, avec une dire du taux de métal pur contenu vorables aux exportations. En cas seront les premiers à payer les pots
lurgiques ne ferme, a répété le mi- dette estimée à 149 millions dans le minerai brut ; coût de la d’accord, l’Etat subventionnerait, cassés », regrette Glen Delathière,
nistre de l’économie, Bruno Le d’euros à fin 2022. main-d’œuvre élevé par rapport « qui ne répondent pas [aux] en- au moins en partie, le surcoût de délégué syndical SGTINC, majori-
Maire, au cours de son déplace- aux concurrents asiatiques. jeux de financement à court l’électricité produite localement. taire à la SLN, craignant « qu’une
ment de trois jours en Nouvelle- Une question très politique Un constat relevé dans un rap- terme », relevait toutefois l’IGF. Et regarderait les dossiers de res- nouvelle fois, les salariés servent
Calédonie, commencé samedi Enfin, le projet de rééquilibrage port de l’Inspection générale des Le ministre de l’économie es- tructuration de la dette de chacun de variable d’ajustement ». Si le
25 novembre, avant de présenter, Koniambo Nickel SAS (KNS), dé- finances (IGF) paru début juillet : time les besoins à « 1,5 milliard des industriels. Mais les extrêmes coût du travail est cinq fois plus
lundi, son plan de sauvetage aux tenu à 51 % par la province Nord, celle-ci recommande la réorienta- d’euros pour les trois usines ». Il divisions politiques locales n’ont élevé en Nouvelle-Calédonie que
industriels et aux élus locaux. bat tous les records avec 13,7 mil- tion du nickel calédonien vers le faudra donc que quelqu’un mette pas permis, au cours du séjour du dans les autres pays producteurs
L’acteur historique, la Société Le liards d’euros de dette. Si jusqu’ici marché des batteries, notam- la main à la poche. L’Etat est prêt à ministre, d’arriver à un accord. de nickel, selon l’IGF, « le nombre
Nickel (SLN), établie depuis plus l’anglo-suisse Glencore (qui sup- ment des fabricants européens, et le faire, selon Bruno Le Maire, bien Le président de la province de salariés par tonne produite est
de cent quarante ans sur le terri- porte seul l’endettement, aux ter- l’accélération de la transition que la compétence économique Nord, Paul Néaoutyine, farouche- comparable aux niveaux observés
toire, affiche un endettement de mes de l’accord de partenariat énergétique, afin d’abaisser les appartienne au territoire, mais il ment opposé aux exportations, dans d’autres usines ».
493 millions d’euros, et son prin- avec la province) avait encaissé les coûts et de positionner la produc- « ne sortira pas le chéquier. Il finan- n’a pas reçu le ministre de l’éco-
cipal actionnaire, Eramet, a an- aléas rencontrés par KNS, il a an- tion locale sur le marché de niche cera des investissements, une fois nomie et ne s’est pas rendu à la Jouer la prudence
noncé qu’il ne financerait plus sa noncé en septembre son inten- du « nickel vert ». Des solutions un modèle économique viable éta- réunion organisée avec les élus et Quant à réorienter la production
néo-calédonienne vers le nickel
pour les batteries destinées aux
Le ministre de l’intérieur promet de revenir à Nouméa dès le mois de décembre voitures électriques, « il ne faut
pas oublier [qu’il s’agit de] seule-
ment 12 % du marché », relativise
le ministre de l’intérieur, Gérald semble (…) et il n’y aurait que quand le mi- autour de Sonia Backès, qui compte lancé par les deux tiers du Congrès. Sur- Arnaud Bondoux, directeur de la
Darmanin, ne l’a pas caché, il est reparti nistre vient qu’ils ne pourraient pas se par- conserver la présidence de la province tout, le ministre a prononcé, samedi, le Société des mines de la Tontouta.
de Nouméa, samedi 25 novembre, « un ler ? », a lancé M. Darmanin, samedi, sur Sud. Les élections locales se gagnent aux mot d’« association » : « On consulterait Dans une industrie cyclique, cer-
peu échaudé de voir que l’Union calédo- le plateau de la chaîne la 1ère. « Ce n’est extrêmes, expliquent les connaisseurs de la population sur un projet qui n’est pas tains préfèrent jouer la prudence,
nienne [UC] ne voulait pas entrer dans la pas raisonnable. » Et de promettre qu’il la politique néo-calédonienne. forcément l’indépendance, une associa- d’autant que les coûts pour trans-
discussion ». L’UC, la principale compo- reviendra, dès le 4 décembre à Nouméa, « Chacun a essayé de pousser son avan- tion, par exemple. » former le ferronickel produit par
sante du Front de libération nationale si l’UC change d’avis. Cela ne semble tage jusqu’au bout », a convenu M. Dar- L’Etat maintient le calendrier exposé la SLN et KNS en nickel de qualité
kanak et socialiste (FLNKS), dont relève guère probable, dans l’attente d’un manin. Pour autant, il n’est pas certain par le président de la République en batteries sont élevés.
le président du Congrès, Roch Wamytan, congrès du FLNKS début 2024. « Il n’y a que le ministre rentre bredouille. Des juillet : après avis du Conseil d’Etat, les Pour d’autres, fatalistes, la Nou-
continue certes de discuter en tête à tête pas d’avenir dans la Calédonie française », positions, dans les coulisses, ont com- 8 et 9 décembre, un projet ouvrant le velle-Calédonie ne saurait rivali-
avec M. Darmanin. Mais elle refuse tou- répète le président de l’UC, Daniel Goa. mencé à se rapprocher. La définition corps électoral pour tenir les provincia- ser avec la Chine. « Les capitaux
jours une vraie négociation à trois, entre d’une citoyenneté néo-calédonienne les sera rédigé, d’ici au 31 décembre, sous chinois contrôlent la chaîne de
l’Etat, les non-indépendantistes et les in- Calendrier maintenu avance. Calédonie ensemble a proposé forme de loi organique s’il n’y a pas d’ac- valeur du nickel. De la mine en
dépendantistes. Parmi ces derniers, Les discussions en cours visent à sortir de avec l’UNI et le petit parti wallisien cord d’ici là pour un grand projet consti- passant par les fonderies jus-
deux partis du FLNKS réunis sous l’éti- l’accord de Nouméa de 1998, qui avait ins- L’Eveil océanien une auto-organisation tutionnel. Au bout du chemin, l’hypo- qu’aux usines de batteries, puis
quette Union nationale pour l’indépen- tauré une large autonomie statutaire et institutionnelle de la Nouvelle-Calédo- thèse d’un accord sans la signature de aux fabricants de véhicules. Si un
dance (UNI) s’y sont engagés, le Parti de scellé la reconnaissance du peuple kanak. nie ou la possibilité d’un référendum l’UC n’est donc pas exclue. Elle repose jour, ces conglomérats décident
libération kanak (Palika) du président du Il s’agit d’écrire un nouveau statut de la d’autodétermination déclenché par une sur l’analyse – un pari jugé dangereux que la marge se fera sur le produit
gouvernement local, Louis Mapou, et Nouvelle-Calédonie dans la Constitution majorité simple du Congrès. L’Etat, qui par certains – que l’exécutif développe à final et plus sur le minerai ou le
l’Union progressiste en Mélanésie, me- française, d’ici à mars 2024, et de tenir des suggérait de reposer la question de Paris, comme nombre d’élus locaux en produit intermédiaire, c’est de
née par Victor Tutugoro. élections provinciales dans la foulée. Côté l’autodétermination « dans deux généra- Nouvelle-Calédonie : la population, toute façon terminé », fait remar-
« Indépendantistes et non-indépendan- FLNKS, le contexte est celui d’âpres luttes tions » assure qu’il n’« y aura plus de après trente-cinq ans de paix scellée par quer Thomas Sevêtre, directeur
tistes se croisent tous les jours, dans les internes, l’UC souhaitant ravir au Palika date ». M. Darmanin évoque « un cadre les accords de Matignon, refusera de re- général de la Société minières
provinces, au gouvernement, dans les la province Nord. L’enjeu explique aussi la raisonné avec un accord de tous les partis plonger dans la violence. p Georges-Montagnat. p
communes, dans la rue, ils mangent en- posture publique ferme des Loyalistes politiques » – un référendum de projet n. g. charlotte mannevy

UN HORS-SÉRIE
Elisabeth Borne va annoncer 150 millions
d’euros de plus pour Mayotte
Un contrat d’engagement doit être signé avec la première ministre, qui sera sur l’île en décembre
HORS-SÉRIE

saint-denis (la réunion) - d’investissements (350 millions) 65 millions. La collectivité de- parler d’ouvrir des écoles et des lo-
correspondant pour des infrastructures restées mande aussi des correctifs dans gements sociaux, elle sera chahu-
à l’état de projets (usines de des- les domaines de la protection ma- tée », assure le député (Les Répu-

L’ urgence de Mayotte ap-

pelle toujours plus de
mesures. Pour le budget
2024, selon nos informations,
l’Etat va verser 100 millions
d’euros au département, aux-
quels s’ajouteront 50 millions
pour boucler l’exercice 2023.
Un « contrat d’engagement » doit
LES
SECRETS
être signé le 8 décembre, lors de la
venue de la première ministre
sur l’île. L’occasion pour Elisabeth
DE LA
MYTHOLOGIE
Borne de mettre sa marque sur le
dossier de Mayotte, largement
préempté ces derniers mois dans
LES DIEUX NORDIQUES la communication gouverne-
mentale par le ministre de l’inté-
En partenariat avec
rieur et des outre-mer, Gérald
Darmanin, avec le déploiement
de l’opération « Wuambushu », et
À LA DÉCOUVERTE DES NEUF MONDES sur lequel son ministre délégué,
Philippe Vigier, traite le sujet le
Dans ce nouvel hors-série Le Monde dévoile la richesse de la mythologie plus urgent et le plus ingrat, la pé-
scandinave. Un panthéon peuplé de dieux tels Odin, Thor, Loki, Freyr nurie historique d’eau potable.
Elisabeth Borne devrait aborder
et bien d’autres qui composent avec les géants, les nains, les elfes,
les questions du logement, de la
les nornes et les walkyries les mythes fondateurs de notre culture.
santé et de l’école.
Le nouvel effort de l’Etat vient
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX après les 100 millions d’euros déjà
ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE - 124 PAGES - 10,99 € dépensés dans le « plan eau » en
cours face à la catastrophe huma-
nitaire, assortis de la promesse
salement, retenue collinaire, etc.).
Matignon a validé d’autres arbi-
trages, dont un amendement de
63 millions au projet de loi de fi-
nances pour 2024, adopté au Sé-
nat pour la crise de l’eau.
Compensations insuffisantes
Tout est parti de la mission d’éva-
luation des compensations finan-
cières de l’Etat décidée début 2023
par Elisabeth Borne et confiée
aux inspections générales (de
l’administration, des affaires so-
ciales et des finances). Les trans-
ferts de compétences réalisés
en 2012 ont donné lieu à des com-
pensations insuffisantes.
En juin, la chambre régionale
avait alerté sur le scénario d’un
déficit de 155 millions d’euros
en 2025 du budget consacré à la
santé, aux familles et à l’enfance,
qui représente le tiers des dépen-
ses de la collectivité. De quoi
« mettre en péril son fonctionne-
ment ». Pour l’aide sociale à l’en-
fance (ASE), l’Etat paie 9,5 millions
d’euros, alors que son coût de
fonctionnement est évalué par la
chambre régionale des comptes à
44,2 millions, sur un budget de
ternelle infantile et des trans-
ports scolaires et entre les îles.
Les nouveaux fonds ne seront
pas réservés au social et leur répar-
tition sera précisée par le ministre
délégué qui se rend sur place les
28 et 29 novembre. Reçus par
M. Vigier, comme tous les repré-
sentants des collectivités ultrama-
rines successivement jeudi 23 et
vendredi 24, les parlementaires de
Mayotte reconnaissent les efforts
de l’Etat. « Avec les décisions du co-
mité interministériel des outre-mer
de juillet et la future “loi Mayotte”,
nous avons deux véhicules pour
voir nos priorités satisfaites », es-
time le sénateur (majorité prési-
dentielle) Thani Mohamed Soilihi.
Il ajoute : « Si on développe nos po-
litiques publiques sans aborder la
crise migratoire, ce sera vain. »
Sujet épineux pour Mme Borne,
dans un territoire où le recense-
ment compte 310 000 habitants,
mais où la population réelle dé-
passerait les 400 000, en raison
d’une forte natalité et de l’immi-
gration clandestine : « Plus vous
construisez d’écoles plus les
[Comoriens] viennent, c’est un ap-
pel d’air, et si Mme Borne vient nous
blicains) Mansour Kamardine.
« Il faut arrêter cette culture de la
misère qui aboutit à évincer les
Mahorais », bataille la députée
Estelle Youssouffa (Libertés indé-
pendants outre-mer et territoires).
M. Vigier tiendra deux réunions
avec les élus locaux, l’une sur la
future « loi Mayotte », l’autre sur
la gouvernance de l’eau. Amorcée
et abandonnée en 2021, la « loi
Mayotte » est censée couvrir des
sujets interministériels : dévelop-
pement, immigration, infrastruc-
tures. Pour l’heure, son pilotage
demeure au ministère de l’inté-
rieur, avec des arbitrages en cours
sur les mesures à intégrer ou pas
au projet de loi sur l’immigration,
actuellement en discussion au
Parlement.
Sur l’eau, dossier où l’Etat est mis
en cause, le gouvernement pro-
pose d’intervenir dans l’adminis-
tration du Syndicat mixte d’eau
et d’assainissement de Mayotte
en créant un établissement pu-
blic. « Le constat général, c’est que
les choses n’avancent pas assez
vite », note le sénateur Soilihi. p
nathalie guibert (à paris)
et jérôme talpin
La cité d'origine de la culture saoudienne
14 | france 0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

A l’hôpital Necker, l’excellence connaît aussi la crise

Dans ce temple reconnu de la pédiatrie, à Paris, des lits sont fermés par manque de personnel

REPORTAGE Quelque 120 lits

L
a goutte d’eau qui tombe sont fermés – soit
du plafond en mauvais
état est parfois le seul
environ 20 %
bruit dans la pièce, tant de l’offre de soin.
l’atmosphère est chargée, à me-
sure que le professeur Raisky
Ils n’étaient
décrit l’opération à venir aux pa- qu’une trentaine
rents. Dans quinze jours, leur fille
Marine (tous les prénoms ont été
fin 2019
changés), 8 ans, va bénéficier
d’une « intervention de Potts ».
« C’est la seule opération que je n’est plus un cas isolé, lâche-t-il.
crains au bloc, elle est dangereuse, C’est difficile de perdre un enfant
avec une mortalité significative, de après une chirurgie, mais on se
15 % à 20 %, alors que c’est 1 % à 2 %, console en se disant qu’il a eu une
la mortalité dans le service », leur chance. Là, se dire qu’en France, on
explique le chirurgien cardiaque. n’a pas pu le prendre en charge…
Installé à son bureau dans le c’est dur. » Sur sa liste d’attente, il y
bâtiment Laennec, à l’hôpital a désormais près de 400 noms
Necker-Enfants malades, à Paris, d’enfants. Le service a pourtant le
il le précise aussi d’emblée, lui qui vent en poupe, avec le projet
connaît bien ce type de chirurgie d’ouvrir 50 % de lits de plus à l’ho-
extrêmement rare : « Par contre, rizon 2025. Mais à condition de
quand ça marche bien, cela fait de trouver les soignants.
vrais miracles. » Avec 1 200 opéra- Depuis la fin de la crise du
tions par an, l’établissement de Covid-19, l’établissement a été rat-
l’Assistance publique-Hôpitaux trapé par les maux qui touchent
de Paris est le premier centre de l’ensemble du système hospita-
chirurgie cardiaque pédiatrique lier. Même dans ce lieu symbole
de France. Et même d’Europe. des prouesses de l’hôpital public,
Quelques mètres plus loin, spécialisé dans les maladies rares,
Marine joue dans le bureau de la et alliant la recherche au plus haut
secrétaire, où elle a été vite en- niveau à toutes les disciplines pé-
voyée au début du rendez-vous, à diatriques médicales et chirurgi-
grand renfort de doudous. Rien cales, la crise se fait désormais res-
qui pourrait laisser penser à la sentir. D’un service à l’autre, quel- Une chambre fermée à cause du manque d’infirmières, à l’hôpital Necker, à Paris, le 7 novembre. AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
gravité de la situation. Après le que 120 lits sont fermés – soit en-
torrent de données angoissantes, viron 20 % de l’offre de soin, selon
le chirurgien se veut positif : la direction de l’établissement. Ils son domicile », précise l’urgentiste. Outre les tensions sur le recrute- trée, le chef de service, Martin
Marine a le bon gabarit et elle n’étaient qu’une trentaine fin Sur le tableau, sa case se libère. ment paramédical et l’affluence
Ce mardi Chalumeau, montre ces feuilles
paraît en bonne forme. La ma- 2019, avant la crise due au Co- Autres cases remplies : deux de petits patients qui se produit de novembre, sur blanches griffonnées d’un
man reprend enfin une respira- vid-19. Avec ce même point noir, enfants souffrant de drépano- régulièrement, en particulier en « fermé », scotchées sur des portes.
tion. Derrière elle, plusieurs sacs le manque d’infirmiers. cytose, l’une des maladies sur cette période d’épidémies hiver-
les neuf postes Là encore, pas d’infirmière pour
montrent le périple effectué par lesquelles Necker est en première nales, les difficultés d’accès au d’infirmiers maintenir toute la capacité d’ac-
la famille, originaire de Rhône-Al- « Victimes de notre réputation » ligne. « On a cette particularité bloc opératoire constituent un cueil. 43 lits sont ouverts, 6 fer-
pes. Comme près de la moitié de A l’autre extrémité du bâtiment d’avoir environ 30 % de patients autre « point noir », reconnaît-
aux urgences, six més. La veille, c’était même 12 lits
petits patients soignés dans le Laennec, aux urgences pédiatri- qui sont des enfants suivis chez elle : « Pour les parents, c’est in- sont vacants et fermés, la moindre absence pro-
service parisien, qui viennent ques, le tableau blanc qui réperto- nous et qui arrivent ici quand leur compréhensible, et pour nous, c’est voquant désormais fermetures et
d’autres régions. rie les douze lits de l’unité d’hos- pathologie décompense, donc une pression supplémentaire ».
n’ont été comblés réorganisation. « C’est la première
Chez le médecin de 54 ans, pitalisation de courte durée parle nous prenons en charge toutes ces Abdoulaye est pourtant de que grâce à fois que nous n’avons plus aucun
rompu aux opérations qui met- de lui-même. Les petites cases pathologies lourdes, explique la tempérament très calme, en volant de sécurité », dit l’homme
tent en jeu la vie de ses patients, marquées « bronchiolite » com- professeure Chappuy, qui évoque temps normal. Mais à un mo-
des intérimaires de 53 ans. Et tous les matins, ou
on ne ressent pas de tension. « La mencent à être nombreuses, tan- en outre ces parents venus de loin ment, il a « vraiment gueulé », re- presque, le même constat : pas de
force de ce service, c’est le volume, dis que l’épidémie poursuit sa avec leur enfant pour un connaît, a posteriori, le père de place libre, des lits occupés à
c’est pour ça qu’on acquiert une croissance. « Cette fois-ci, c’est pro- deuxième avis, ou même pour un Paul, 8 ans, qui s’est cassé le bras chez l’adulte mais innovante chez 100 %, mais de nouvelles deman-
compétence sans commune me- gressif, contrairement à l’an der- premier diagnostic. On est un peu un midi d’octobre. Quand il est l’enfant. A renfort de réunions plu- des d’entrée. Labellisé protection
sure », dit Olivier Raisky, citant nier », souligne la cheffe de ser- victimes de notre réputation. » arrivé aux urgences en début ridisciplinaires, les pédiatres, les de l’enfance, le service prend aussi
aussi les « grands chirurgiens » vice, Hélène Chappuy. Après la tri- La crise du recrutement infir- d’après-midi, après la chute de chirurgiens orthopédistes et les en charge différentes pathologies
qui ont transmis le flambeau aux ple épidémie (grippe, Covid-19, mier traverse le service depuis la son fils, « Necker », il connaissait. soignants étaient sur le pied de complexes de la petite enfance,
suivants. Sa discipline a ceci de bronchiolite) qui a déferlé sur les sortie de la crise du Covid-19. C’était pour lui le « célèbre », guerre pour la réaliser. comme la séquence de Pierre Ro-
difficile qu’elle touche les tout- hôpitaux à l’hiver 2022, la pru- « Necker n’est pas épargné de quoi « hyperréputé » hôpital « pour les Hospitalisé depuis un mois, bin, sur lequel il est centre de réfé-
petits, par définition fragiles, dence reste de mise, et les places que ce soit », répète l’infirmière enfants ». L’expérience n’en a été après une crise extrêmement rence maladies rares.
avec, le plus souvent, une seule sont d’ores et déjà comptées. Caroline Desbarres, 36 ans, une que plus violente. douloureuse au niveau de la
chance de réussir. Une infirmière s’avance dans le « ancienne », qui y travaille de- hanche, le jeune patient devait « Oubliés de la République »
Il n’empêche, l’homme arrivé couloir avec un brancard pour le puis dix ans. Ce mardi de novem- « Perte de qualité » avoir une ponction de moelle Des tuyaux serpentent tout
voilà quinze ans dans le service se transfert d’un bébé. « On vient bre, le ratio est particulièrement Une fois son fils installé dans une osseuse, pour la réinjecter dans autour du corps de Léo pour
dit de moins en moins serein, en pour le petit Anas », indique la élevé : sur les neuf postes d’infir- chambre, il a attendu l’opération, la tête de son fémur qui se né- l’oxygéner, l’alimenter, le sonder.
ce début du mois de novembre, et soignante, avant d’entrer dans la miers aux urgences, six sont annoncée pour le soir même. crose. Impossible de lui mettre Le bébé de 13 mois porte en lui les
pour une tout autre raison. Quel- chambre d’un enfant de vacants et n’ont été comblés que Mais l’attente a été interminable. une prothèse, qui ne tiendrait séquelles d’une prématurité,
ques jours plus tôt, le professeur a « 74 jours » qui a encore du mal à grâce à des intérimaires. Soit des L’infirmière est passée plusieurs pas bien sur un patient drépano- d’une cardiopathie, d’un « colon à
eu du mal à encaisser un e-mail s’alimenter et a besoin d’une professionnels qui viennent fois au cours de la nuit, pour lui cytaire, explique le praticien, la peau », d’une insuffisance in-
reçu en fin de journée. Celui lui sonde gastrique. Il attendait une pour quelques jours, quelques se- annoncer que c’était repoussé, auteur d’une thèse de sciences testinale… « Il faut le présenter au
annonçant qu’un enfant était dé- place pour être hospitalisé, mais il maines ou quelques mois. Et qui « pour d’autres urgences ». Ce sont sur cette maladie complexe. staff de gastro aujourd’hui », indi-
cédé, alors que sa chirurgie avait n’y en a plus à Necker. Il va être ne connaissent pas toujours bien au final vingt-quatre heures du- Mais l’opération d’Ousmane n’a que la professeure Véronique
dû être reportée à plusieurs repri- envoyé à Louis-Mourier, dans le la pédiatrie, le service, et encore rant lesquelles son fils a dû rester pu avoir lieu. Et pour une raison Abadie, grande dame impres-
ses. Encore un. « Il y a eu six à huit nord des Hauts-de-Seine. « Cela moins les pathologies si particu- à jeun, entre attente, déception et qui provoque le désarroi, voire la sionnante, qui fait « la visite » sui-
enfants comme ça cette année, ce permet aussi de le rapprocher de lières de Necker. angoisse. Certes, dans une situa- colère : au dernier moment, dans vie par une nuée d’internes et
tion bien moins grave que celle de ce centre de référence maladies d’externes de médecine.
nombreux autres patients, qu’il rares pour la drépanocytose, qui a L’ambiance se tend quelques se-
Vers des Assises de la pédiatrie en janvier voyait passer avec des sueurs froi-
des. Mais à un moment, il a cra-
soigné les trois premiers malades
avec de la thérapie génique – au
condes lorsqu’un jeune patient
traverse d’une traite le couloir en
qué. « Ce n’est pas possible, j’ap- total une cinquantaine de pa- direction des chambres des plus
au printemps, d’ici à l’été, à la rentrée, avant la 2 000 contributions déposées en ligne, pelle ça de la maltraitance, on est tients l’ont été dans le monde – il a petits. Il vient de l’autre extrémité
Toussaint… Promises par le gouvernement lors des centaines d’experts auditionnés, et de avec des enfants », souligne le manqué… un technicien. du service, qui accueille six ado-
de l’hiver 2022-2023, alors qu’une triple épidé- 300 à 400 propositions inscrites dans un rap- Parisien de 48 ans. Au final, l’at- Le pédiatre de 43 ans le lescents dits « suicidants ».
mie (grippe, Covid-19 et bronchiolite) touchait port « pour améliorer la santé de l’enfant » en- tente a duré trois jours avant que reconnaît, il a « le sentiment Après des semaines d’errance, il
de plein fouet l’hôpital, les Assises de la pédiatrie core confidentiel, remis au ministre de la son fils puisse être opéré d’une d’une perte de qualité », alors que a été impossible de trouver un
n’ont cessé, depuis, d’être repoussées. Cette santé durant l’été. double fracture. 650 patients sont suivis à Necker établissement adapté pour cet
grande concertation devait permettre de répon- A l’autre bout de l’esplanade, do- pour cette sévère mutation ado qui souffre d’autisme et a été
dre aux cris d’alarme lancés par des milliers de « On n’en attendait pas grand-chose » minée par la tour Keith Haring, to- génétique qui déforme les glo- victime de très graves mal-
soignants de pédiatrie pour dénoncer une situa- Sur le terrain, la pression monte de nouveau tem pop art de l’hôpital, la bules rouges et provoque des traitances. Alors le service de pé-
tion « intenable » et des « enfants quotidienne- dans les hôpitaux. Si les épidémies hivernales pédiatrie se trouve aussi sous ten- atteintes à tous les organes. diatrie de Necker l’a admis en ur-
ment en danger ». Un an plus tard, un nouvel restent sans commune mesure avec celles de sion. Le service est installé depuis Quelques jours plus tôt déjà, il gence, même s’il n’est pas vrai-
engagement du ministre de la santé, Aurélien l’hiver 2022-2023, de nombreux établissements l’été sur un cinquième étage flam- n’a pas pu admettre une patiente ment le lieu adéquat. Le garçon
Rousseau, vient d’être pris auprès des acteurs, sont « entrés dans le dur » ces derniers jours, bant neuf, dans une grande barre drépanocytaire, venue aux ur- fait partie de ces « oubliés de la
reçus le 24 novembre, alors que les services hos- entend-on dans les rangs des pédiatres, en par- de béton encore dans son jus. « Il gences pour une atteinte hépati- République », dénonce le profes-
pitaliers de pédiatrie sont de nouveau sous ten- ticulier en Ile-de-France, alors que la bron- est parti au bloc, Ousmane ? », in- que sévère. Elle a sans doute été seur Chalumeau, à propos de ces
sion : ce rendez-vous devrait avoir lieu en jan- chiolite reste en phase ascendante. terroge le docteur Slimane Allali, prise en charge ailleurs, une enfants « placés » à l’aide sociale à
vier 2024, dit-on dans les rangs des participants. Trois transferts de nourrissons franciliens en passant devant une chambre prise en charge « moins spéciali- l’enfance, mais qui ont besoin
« Nous sommes un an plus tard, et les problèmes vers d’autres régions ont dû intervenir, durant occupée, mais vide. C’est la der- sée », dit-il poliment. d’un suivi médicalisé.
mis en lumière lors de cette crise hors du commun la semaine du 20 novembre – deux vers nière déception en date : quelques En avançant à grandes enjam- Une bonne nouvelle arrive en-
sont loin d’être réglés », note la professeure Amiens, un vers Dijon –, faute de place dans les jours plus tôt, il a fallu annuler, à la bées dans le couloir où se mêlent fin pour le chef de service : ses
Christèle Gras-Le Guen, pédiatre au CHU de Nan- réanimations pédiatriques. L’agence régionale toute dernière minute, l’opération les salles avec de petits bureaux collègues de la Pitié-Salpêtrière,
tes et l’une des pilotes de ces Assises, qui salue de santé comptabilise six enfants, au total, qui de l’adolescent de 15 ans, qui souf- pour l’école, celles de rééducation dans le 13e arrondissement, ont
un échange « tout à fait positif » avec le ministre. ont dû être transférés depuis la mi-octobre hors fre d’un syndrome drépanocy- avec tapis au sol pour les plus pe- pu libérer une place en pédopsy-
Le travail préparatoire des Assises s’est d’Ile-de-France. p taire. Tout le monde s’était préparé tits, et les chambres des patients chiatrie fermée. p
achevé il y a plusieurs mois déjà, avec c. st. à cette intervention, habituelle avec leur prénom accroché à l’en- camille stromboni
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Crépol : des mises en examen et des incidents
Le procureur a mis en garde contre les « interprétations hâtives », dans cette enquête complexe
I
l aura fallu attendre sept
jours après la mort de
Thomas, 16 ans, tué dans la
nuit du samedi 18 au diman-
che 19 novembre dans un bal de
village à Crépol, dans la Drôme,
pour commencer à y voir un peu
plus clair dans le déroulement de
cette tragédie. Dans une affaire
aussi complexe à démêler –
400 participants à la soirée, plus
d’une centaine de témoins audi-
tionnés – le temps de l’enquête
satisfait rarement la demande lé-
gitime de réponses immédiates.
Il contredit aussi parfois les inter-
prétations hâtives.
Dans les premières heures, cha-
que témoin raconte sa part de vé-
rité, un segment d’une chronolo-
gie qu’il faut ensuite reconstituer.
Les témoignages initiaux, résu-
més par le procureur de Valence,
lundi, deux jours après le drame,
dessinaient ainsi le scénario d’un
groupe de jeunes « extérieurs à la
soirée » qui seraient « venus pour
en découdre ». Dans certains mé-
dias, des témoins avaient lâché
un mot, « attentat », et des comp-
tes d’extrême droite n’ont pas hé-
sité à établir un parallèle avec le
Hamas sur les réseaux sociaux.
Dans la tempête médiatique,
l’enquête a progressé rapide-
ment, autant qu’il était possible.
Après quatre-vingt-seize heures
de garde à vue, neuf suspects,
qui avaient été interpellés mardi,
ont été mis en examen, samedi
25 novembre, pour « meurtre en
bande organisée », « tentatives
de meurtre » ou « violences vo-
lontaires commises en réu-
nion ». Six ont été placés en dé-
tention provisoire, trois sous
contrôle judiciaire.
La plupart des mis en examen
viennent d’un quartier populaire
de Romans-sur-Isère, la Monnaie,
mais pas tous : l’un habite le
centre-ville, un autre un village
des environs. Tous n’étaient pas
des amis proches, mais ils fré-
quentaient pour la plupart cette
cité gangrenée par le trafic de
drogues, explique une source
proche de l’enquête. Trois sont
mineurs, le plus âgé a 22 ans. Cinq
ont déjà été condamnés pour des
délits, dont un à deux ans de pri-
son avec sursis pour des faits de
violences aggravées.
« A ce stade, l’élucidation des
faits commis à Crépol n’est pas
achevée, a précisé dans un com-
muniqué le procureur de
Valence, Laurent de Caigny. Le
scénario même des passages à
l’acte, les mobiles et l’identifica-
tion de tous les auteurs des faits ne
sauraient se résumer à des dénon-
ciations sans preuve, des spécula-
tions ou des interprétations hâti-
ves dont nombre circulent dans
l’opinion publique. »
A l’appui de son appel à la pru-
dence, le magistrat souligne
qu’une incertitude demeure sur
l’identité de l’auteur du meurtre
de Thomas. Le suspect initial,
dont le nom a été diffusé par des
comptes d’extrême droite, lancés
dans une virulente campagne sur
les réseaux sociaux, a nié les faits.
POLI T I QU E
Nouveau 49.3, pour
l’adoption du budget
de la Sécurité sociale
Le gouvernement a activé, di-
manche 26 novembre, l’arti-
cle 49.3 de la Constitution,
qui permet de faire passer un
texte sans vote. Il s’agissait de
faire adopter la partie dépen-
ses ainsi que l’ensemble du
projet de loi de financement
de la Sécurité sociale exa-
miné en deuxième lecture
à l’Assemblée nationale.
Une motion de censure de
La France insoumise avait été
rejetée juste avant, ce qui va-
lait adoption de la partie re-
cettes de ce budget. – (AFP.)
france | 15
Surtout, le témoin qui l’avait dési- vent à vive allure avec plusieurs que de cette affaire, le parquet quatre blessés devant une école
gné sur photo ne l’a finalement
Samedi, plusieurs personnes à bord, explique le par- estime que les éléments recueillis primaire. Alors que les identités
pas reconnu lors de la parade dizaines quet, qui ajoute : Certains les trou- ne sont à ce stade « ni suffisants ni et les adresses des suspects
d’identification. Sur la foi d’indi- vent hostiles ». Et dans un déchaî- déterminants juridiquement » avaient été diffusées sur les ré-
ces issus d’autres témoignages,
d’individus nement de violence inouï, le pour aggraver les faits par un mo- seaux sociaux, plusieurs dizaines
les enquêteurs soupçonnent dé- d’extrême droite groupe aurait, selon des témoi- bile discriminatoire à caractère d’individus d’extrême droite en-
sormais un autre mis en examen gnages, attaqué aveuglément, à raciste ou xénophobe. cagoulés, venus de différentes ré-
d’avoir tué Thomas.
se sont dirigés coups de couteau, de jets de pier- L’émoi provoqué par ce drame gions, se sont dirigés vers le quar-
La prudence, régulièrement ba- vers le quartier res et de barrière, les invités de- et la récupération politique qui tier de la Monnaie, certains armés
fouée dans ce dossier, est donc de vant la salle avant de s’enfuir. en a été faite ont déjà provoqué de battes de base-ball, selon des
mise. Selon les déclarations de
de la Monnaie, à plusieurs incidents, samedi vidéos consultées par Le Monde.
certains suspects en garde à vue, Romans-sur-Isère Cagoules et battes de base-ball 25 novembre, dans la région. La Dix-sept personnes ont été pla-
rapportées au Monde par une Dans la confusion, et sous l’effet mosquée de Valence, préfecture cées en garde à vue dans la soirée
source proche de l’enquête, ces de l’alcool, certains assaillants se de la Drôme, située à une ving- pour des violences contre les for-
derniers ont d’ailleurs livré un tes fusent, les provocations s’en- seraient même blessés entre eux. taine de kilomètres de Romans- ces de l’ordre, annonce le minis-
tout autre scénario que celui chaînent. Le « rugbyman » et ce- Un vigile est touché à la main en sur-Isère, a ainsi reçu une lettre tère de l’intérieur, qui précise que
d’une expédition punitive pré- lui traité de « tchikita » sortent tentant de s’interposer, trois sur laquelle était écrit « Un bon le ministre, Gérald Darmanin,
méditée décrit par certains té- pour en découdre. Selon le récit participants à la fête sont griève- musulman est un musulman avait « anticipé » ce risque et de-
moins. A les en croire, l’origine de des suspects, le second se serait ment blessés. Thomas succom- mort. Justice pour Thomas », ac- mandé à ce que « le maximum
la tragédie serait d’une affli- alors fait « allonger » au sol par bera à ses blessures durant son compagnée d’une caricature d’interpellations soient réalisées ».
geante trivialité : une banale al- trois « golgoths ». transfert vers l’hôpital de Lyon. de Charlie Hebdo montrant le Selon une source policière, un
tercation qui aurait dégénéré Mais si les rugbymans ont le Sur les 104 témoins audition- prophète Mahomet nu. militant d’extrême droite a été
dans l’ultraviolence. poing facile, les jeunes de la nés, neuf ont dit avoir entendu Mais c’est en fin de journée que « tabassé » et sérieusement blessé
Le bal de Crépol est connu dans Monnaie, eux, ont des couteaux. des propos « hostiles aux Blancs », la situation aurait pu sérieuse- par des jeunes riverains avant
la région. Plus de 400 jeunes s’y Les lames sortent. Au même mo- cinq des menaces de mort, pré- ment dégénérer, deux jours après d’être pris en charge par les se-
sont retrouvés ce soir-là. Les ment, « d’autres témoins affir- cise le procureur. Pour autant, les émeutes racistes qui ont éclaté cours. La situation était revenue
jeunes de la Monnaie en connais- ment qu’alors que la soirée signe de la difficulté qu’il y a à dé- à Dublin, en Irlande, en réponse à au calme dans la soirée. p
sent certains, au moins de vue, s’achève un ou deux véhicules arri- terminer précisément la mécani- une attaque au couteau qui a fait soren seelow
pour avoir parfois fréquenté les
mêmes lycées. Ils savent qu’ils ne
sont pas toujours les bienvenus
dans ces fêtes de village, raconte
au Monde Mehdi, qui a grandi
dans la cité. Mais ils y vont quand
même, parce que c’est un bon
plan, une « embellie » comme ils
disent, et surtout parce qu’il y a
des « filles ».
Plusieurs d’entre eux ont expli-
qué aux enquêteurs s’y être
rendus de façon éparse, non
coordonnée, pour s’amuser. Les
premiers seraient arrivés aux
alentours de minuit trente, plus
d’une heure avant le drame. Ils
seraient entrés dans la salle des
fêtes, l’un d’entre eux ayant
d’abord dû remettre au vigile le
couteau qu’il portait. Le petit
groupe partage des photos de la
soirée sur l’application Snapchat.
On les aperçoit en jogging, sou-
riants, plantés devant un mur ou
en train d’aborder une jeune fille
en jupe rose.
« Tchikita »
Mais si ces invités de dernière
minute connaissent quelques
participants à la fête, ils ne vien-
nent pas du même monde. Ces
deux populations se côtoient, de
loin : elles ne partagent ni les
mêmes codes ni les mêmes soi-
rées. Le petit groupe était-il le
bienvenu dans ce bal de village ?
Avait-il prévu d’en découdre ?
Des filles se sont-elles senties im-
portunées ? Selon le récit des mis
en cause, c’est un incident mi-
neur qui aurait déclenché le
drame, alors que s’achevait la
dernière chanson de la soirée : un
« rugbyman » aurait tiré les che-
veux d’un membre du groupe,
qui les porte longs, en le quali-
fiant de « tchikita ».
Ce terme argotique marseillais
décrivant une « femme par-
faite », ou « sexy », a été popula-
risé par une chanson du rappeur
Jul, le morceau qui passait au
moment de l’incident. Le jeune
habitant de la Monnaie n’appré-
cie pas le compliment. Le s insul-
FAI T D I VERS
Un homme tué à Dijon,
victime collatérale de Stabilité, respect et
transition écologique.
tirs sur un point de deal
Un homme de 55 ans a été
tué dans la nuit de samedi 25
à dimanche 26 novembre,
alors qu’il était dans son lit,
lors de tirs sur son immeuble,
rue Blanqui, à Dijon. La vic-
time semble n’avoir « été L’ E U R O P E , C ’ E S T T O I .
touchée que par le fait qu’elle
habitait à proximité, immé-
diatement au-dessus » d’un
« point de deal », a déclaré le
procureur, Olivier Caracotch,
lors d’une conférence de
presse. Deux individus sont * L’Europe, c’est toi.
en fuite, selon une source Retrouvez toutes les actions de l’Union européenne pour la protection du climat sur europa.eu/youareeu
policière. – (AFP.)
16 | france
Le ministre
du travail,
Olivier Dussopt,
devant la justice
Le ministre est soupçonné
de « favoritisme » dans une affaire
datant de l’époque où il était maire
E
mmanuel Macron sera-
t-il contraint de pousser,
dans les prochaines se-
maines, deux de ses prin-
cipaux ministres à la démission
pour raisons judiciaires ? Deux
jours avant le délibéré de la Cour
de justice de la République, mer-
credi 29 novembre, dans le cadre
du procès du ministre de la jus-
tice, Eric Dupond-Moretti, pour
« prise illégale d’intérêts », un
autre ministre en exercice doit
comparaître pour un délit pré-
sumé d’atteinte à la probité. Du
lundi 27 novembre au jeudi 30 no-
vembre, Olivier Dussopt, minis-
tre du travail, du plein-emploi et
de l’insertion, sera jugé pour « fa-
voritisme » par la 32e chambre du
tribunal correctionnel de Paris.
Au terme de plus de deux ans
d’enquête préliminaire, il est
poursuivi par le Parquet national
financier (PNF) pour avoir, en
2009, alors qu’il était maire (Parti
socialiste) de sa commune natale
d’Annonay (Ardèche), « procuré
ou tenté de procurer un avantage
injustifié » au directeur général de
la Société d’aménagement urbain
et rural (Saur), Olivier Brousse,
avant un appel d’offres relatif à un
marché public d’exploitation
d’eau potable.
Particulièrement discret avant
son procès, M. Dussopt, 45 ans,
est cité à comparaître en compa-
gnie de M. Brousse, poursuivi
pour « complicité de favoritisme
par instigation », et de la Saur,
troisième opérateur de l’eau en
France, jugée comme personne
morale pour « recel de
favoritisme ».
Le cabinet du ministre a fait sa-
voir au Monde que « ce dernier est
au travail et se consacre à sa tâ-
Assassinat de Samuel Paty : six adolescents jugés à huis clos
Le premier volet judiciaire de l’attentat, qui concerne les mineurs, devait commencer lundi devant le tribunal des enfants
T rois ans après l’assassinat
du professeur d’histoire-
géographie Samuel Paty,
poignardé puis décapité le 16 oc-
tobre 2020 à la sortie de son col-
lège de Conflans-Sainte-Hono-
rine (Yvelines) par un réfugié
tchétchène radicalisé de 18 ans, le
premier volet judiciaire de cet at-
tentat qui avait suscité l’effroi et
traumatisé l’éducation nationale
s’ouvre lundi 27 novembre.
A l’issue de cette enquête tenta-
culaire, quatorze personnes ont
été renvoyées devant le tribunal.
Le principal procès, celui de huit
adultes, se tiendra fin 2024 devant
la cour d’assises spéciale de Paris
pour des faits de terrorisme. Mais
la dynamique insidieuse de cet at-
tentat avait aussi impliqué six col-
légiens, âgés de 13 à 15 ans au mo-
ment des faits, qui sont les pre-
miers à être jugés, jusqu’au 8 dé-
cembre, pour des faits de droit
commun. Cette audience devant
le tribunal pour enfants se tiendra
à huis clos, comme le prévoit la
loi. En raison de leur minorité, ils
encourent une peine maximale
de deux ans et demi de prison.
La plus jeune, qui avait 13 ans au
moment des faits, est renvoyée
che ». M. Dussopt jouera sa place
au gouvernement lors de son pro-
cès. Contacté, le cabinet de la pre-
mière ministre, Elisabeth Borne,
rappelle le « principe général qui
s’applique en cas de condamna-
tion » : tout ministre condamné
par la justice doit quitter le gou-
vernement. Lors du précédent
quinquennat, Alain Griset, minis-
tre délégué aux petites et moyen-
nes entreprises, avait dû démis-
sionner, en décembre 2021, après
sa condamnation en première
instance à six mois de prison avec
sursis pour « déclaration incom-
plète ou mensongère de sa situa-
tion patrimoniale et ses intérêts ».
Marché sur mesure
C’est une vieille histoire qui vaut
au ministre du travail de compa-
raître devant le tribunal correc-
tionnel. En mai 2020, Mediapart
révèle que M. Dussopt s’est vu of-
frir, en janvier 2017, alors qu’il
était député-maire d’Annonay,
deux lithographies du peintre
Gérard Garouste par un dirigeant
local de la Saur. Ce cadeau a été
donné quelques jours après que
l’édile a annoncé un partenariat
industriel avec la Saur pour la
mise en place d’une microturbine
hydroélectrique à Annonay. Un
marché qui fera l’objet d’une
convention paraphée en juin 2017.
Aussitôt, le PNF ouvre une en-
quête préliminaire pour « cor-
ruption, favoritisme, prise illé-
gale d’intérêts, complicité et re-
cel de ces délits ». En août 2020, le
domicile ardéchois de M. Dus-
sopt, qui occupe alors le poste de
ministre délégué chargé des
comptes publics, est perqui-
sitionné par les policiers de l’Of-
fice central de lutte contre la
pour « dénonciation calom-
nieuse ». Elle est le premier
rouage de cette mécanique infer-
nale, celle dont le mensonge a
conduit à la mort du professeur.
Le 7 octobre, neuf jours avant l’at-
tentat, cette adolescente avait été
exclue deux jours de son collège
pour raisons disciplinaires sans
lien avec Samuel Paty. Mais en
rentrant chez elle, elle raconte à
ses parents avoir été punie pour
avoir tenu tête à son professeur,
qui aurait demandé la veille aux
élèves musulmans de quitter la
salle avant de projeter des images
du Prophète dénudé en classe.
Or la collégienne, décrite
comme « régulièrement absente
et insolente », s’était fait porter
pâle, ce jour-là. Elle était donc ab-
sente lors du cours dispensé par
Samuel Paty, intitulé « Situation
de dilemme : être ou ne pas être
Charlie. Une définition de la li-
berté ». Il se trouve, en outre, que
le professeur n’avait pas demandé
à ses élèves musulmans de quitter
la salle : il avait simplement invité
ceux qui pouvaient s’estimer of-
fensés par les caricatures de
Charlie Hebdo à détourner le re-
gard le temps de leur diffusion.
Le ministre du travail, Olivier Dussopt, à Paris, le 16 octobre. MIGUEL MEDINA/AFP
corruption et les infractions fi-
nancières et fiscales.
Les enquêteurs mettent alors la
main sur un compte rendu, ré-
digé par M. Dussopt, d’une réu-
nion confidentielle, qui a eu lieu
le 29 juillet 2009, entre le maire
d’Annonay et M. Brousse, lors de
laquelle ont été évoqués « les mar-
chés à venir ». A savoir le futur
appel d’offres qui fut publié et
lancé, en octobre 2009, en lien
avec les marchés publics de ges-
tion de l’assainissement et de l’ex-
ploitation de l’eau potable, renou-
velables pour cinq ans.
Un autre élément, retrouvé en
perquisition chez M. Dussopt, va
intriguer les enquêteurs. Dans un
courriel du 17 août 2009 adressé
au directeur général des services
(DGS) de la commune, l’édile
d’Annonay demande – « au béné-
fice de la Saur », selon le PNF – que
l’on insère diverses clauses dans
l’appel d’offres, une « spécifique
relative à la satisfaction du presta-
taire sortant » (la Saur en l’occur-
rence), une autre « sur l’emploi »
dans le bassin d’Annonay. Dans ce
courriel, M. Dussopt demande
également à son DGS que le cri-
tère d’évaluation du prix soit
moins déterminant dans le cadre
de l’appel d’offres.
Le procès qui se
tiendra fin 2024
devra préciser les
responsabilités
des huit majeurs
impliqués dans
la mécanique
de cet attentat
Le mal était fait. Son père,
Brahim Chnina, avec l’aide zélée
d’un activiste islamiste, Abdelha-
kim Sefrioui, donne aussitôt un
écho médiatique aux consé-
quences incontrôlables à ce petit
mensonge d’adolescente. Les
deux hommes désignent Samuel
Paty à la vindicte populaire en dif-
fusant des vidéos sur les réseaux
sociaux le qualifiant de « voyou »
et réclament son licenciement.
A 80 kilomètres de Conflans-
Sainte-Honorine, le piège est déjà
en train de se refermer sur l’ensei-
gnant. Abdouallakh Anzorov, un
Tchétchène radicalisé de 18 ans qui
vit à Evreux, prend connaissance
de la polémique. Le 9 octobre, il ré-
Au terme de son enquête, le PNF
est convaincu que, dans le dos des
autres concurrents, Suez et
Veolia, l’ex-directeur général de la
Saur a pu obtenir des « informa-
tions privilégiées », notamment
des éléments financiers, et négo-
cier les clauses et les critères
d’évaluation de l’appel d’offres
avec les pouvoirs publics, et ainsi
bénéficier d’un marché sur me-
sure, en violation des règles ga-
rantissant « la liberté d’accès et
l’égalité des candidats dans les
marchés publics ». « On est sur une
construction du favoritisme avant
l’appel d’offres avec un candidat
associé au pouvoir adjudicateur »,
observe un proche du dossier.
Manœuvre de « dissimulation »
En s’appuyant sur le compte
rendu du 29 juillet 2009, le PNF a
conclu que M. Brousse avait no-
tamment exigé de l’élu que les
critères de l’appel d’offres ne
soient pas « trop contraignants »
et proposé à M. Dussopt les servi-
ces du département juridique de
la Saur pour « la rédaction » du
cahier des charges.
Pour les enquêteurs, la Saur, dé-
légataire historique de la com-
mune et plus chère que ses rivaux,
risquait de perdre la mainmise sur
dige une note sur cette histoire
dans son téléphone : « Un profes-
seur a montré le Messager d’Allah
nu dans une classe à ses élèves de
4e. » Le jeune terroriste va mûrir
son crime pendant sept jours.
« Chiens de l’enfer »
Les cinq autres mineurs jugés à
partir de lundi interviennent à
l’autre extrémité de l’engrenage
qui a conduit à la mort de l’ensei-
gnant. Le 16 octobre, neuf jours
après le mensonge originel de
l’adolescente, le tueur se présente
devant le collège de Samuel Paty,
vers 14 heures. Il interpelle un
élève et lui propose 300 euros s’il
accepte de lui désigner le profes-
seur à la sortie des cours.
Le collégien, qui a reconnu en
pleurs devant les enquêteurs
n’avoir pensé qu’à l’argent, de-
mande alors à quatre camarades
de classe de l’accompagner dans
cette mission, en échange d’un
petit billet chacun. Il leur expli-
que qu’un homme veut « voir
monsieur Paty pour qu’il soit filmé
en train de demander pardon pour
la caricature du Prophète ».
Certains élèves donnent au ter-
roriste une description physique
Contacté,
Matignon
rappelle que
tout ministre
condamné
doit quitter
le gouvernement
les marchés publics de gestion de
l’eau à Annonay, dont elle était ti-
tulaire de 1994 à 2009. Car la com-
mune avait changé les conditions
d’attribution en optant pour une
gestion en régie, un cadre juridi-
que plus contraignant. La Saur a fi-
nalement remporté l’appel d’of-
fres du marché de l’exploitation
de l’eau potable pour 5,6 millions
d’euros, le 29 décembre 2009.
Le PNF considère que, compte
tenu du caractère secret de la réu-
nion du 29 juillet 2009 et des
conditions de conservation du
compte rendu au domicile de
l’élu, M. Dussopt s’est livré à une
manœuvre de « dissimulation »,
au sens pénal du terme. Ce qui
constitue un motif de report du
point de départ de la prescription
pour le délit de favoritisme.
du professeur, d’autres feront le
guet avec lui pendant plus de
deux heures avant de le désigner à
sa sortie de l’établissement. Les
adolescents se dispersent ensuite
après avoir empoché leur billet. Ils
sont tous renvoyés pour « associa-
tion de malfaiteurs en vue de pré-
parer des violences aggravées »,
les juges d’instruction estimant
qu’ils n’étaient pas conscients du
projet terroriste du tueur.
Peu après 16 h 45, Abdouallakh
Anzorov assassine Samuel Paty
de plusieurs coups de couteau
avant de le décapiter. Il poste en-
suite sur son compte Twitter une
photo de la tête coupée accompa-
gnée de ce message : « A Marcon
[sic], le dirigeant des infidèles, j’ai
exécuté un de tes chiens de l’enfer
qui osé rabaisser Muhammad. » Il
est abattu quelques minutes plus
tard par des policiers qu’il avait
menacés de son arme.
Le deuxième procès, qui se tien-
dra du 12 novembre au 20 décem-
bre 2024, devra préciser les res-
ponsabilités des huit majeurs im-
pliqués dans la mécanique de cet
attentat. Brahim Chnina, le père
de l’adolescente à l’origine de la
rumeur, et l’activiste islamiste
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Au terme de son enquête, le PNF
a classé sans suite d’autres élé-
ments, dont l’attribution du mar-
ché de l’eau en 2016, celui relatif à
l’installation d’une microturbine
en 2017, l’insertion d’un encart
publicitaire de la Saur, en 2011,
dans la lettre parlementaire du dé-
puté Dussopt. En ce qui concerne
les deux lithographies offertes
en 2017 par un dirigeant local de la
Saur à l’élu, le PNF a estimé que
le délit de corruption n’était pas
caractérisé au regard de la faible
valeur des œuvres. Confronté
aux révélations de Mediapart,
M. Dussopt, alors secrétaire d’Etat
à la fonction publique, s’était en-
gagé, en mai 2020, à restituer les
deux lithographies qu’il n’avait
pas déclarées au déontologue de
l’Assemblée nationale.
« M. Dussopt a convaincu le par-
quet sur les quatre points classés et
veut convaincre de sa bonne foi sur
le point qui reste en suspens, qui
concerne une procédure de marché
public de 2009, sans aucun grief
d’enrichissement personnel », dé-
clare le cabinet du ministre avant
le procès. Contactés, ni M. Brousse,
ni son avocate, Emmanuelle
Kneusé, ni la Saur n’ont souhaité
faire de commentaire. p
rémi dupré
Abdelhakim Sefrioui seront jugés
pour « association de malfaiteurs
terroriste ». Quatre jeunes radica-
lisés, avec lesquels le tueur était
en contact sur les réseaux so-
ciaux, sont renvoyés pour la
même infraction, passible de
trente ans de réclusion.
Le crime le plus lourd, la « com-
plicité d’assassinat terroriste »,
passible de la réclusion criminelle
à perpétuité, a été retenue contre
deux amis du tueur, Azim
Epsirkhanov et Naïm Boudaoud,
qui l’avaient accompagné pour
acheter des armes. Le second
l’avait ensuite déposé en voiture
devant le collège du professeur le
jour de l’attentat. Ils avaient 18 et
19 ans au moment des faits.
Y aura-t-il un troisième procès
lié à l’assassinat de Samuel Paty ?
Une partie de la famille de l’ensei-
gnant l’espère. Elle a déposé une
plainte pour « non-empêche-
ment de crime » contre les minis-
tères de l’intérieur et de l’éduca-
tion nationale, accusés de n’avoir
pas pris suffisamment en compte
le péril. Une enquête distincte est
ouverte par le parquet de Paris
depuis avril 2022. p
soren seelow
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 17
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Réindustrialisation : la fragile réalité française

Plusieurs signaux d’alerte entachent la dynamique positive enclenchée au cours des dernières années

L
e mercredi 8 novem-
bre 2023 au matin, devant
l’auditoire encore mal ré-
veillé des Assises de l’in-
dustrie, événement organisé à Pa-
ris par l’hebdomadaire L’Usine
nouvelle, Bruno Le Maire s’en-
flamme : « Notre objectif est que
l’industrie représente 15 % du PIB
[produit intérieur brut] ! » Cepen-
dant, le ministre de l’économie et
des finances oublie de préciser à
quelle échéance le gouvernement
veut atteindre ce chiffre. Une pru-
dence bienvenue, tant le bond en-
visagé est vertigineux.
En 1970, l’industrie représentait
20 % de la richesse nationale ;
en 2022, sa part n’était plus que
de… 9,5 %, selon l’Insee. Une dé-
gringolade symbolique du mou-
vement de désindustrialisation
qui a frappé la France pendant
plus d’un demi-siècle, avec près
de 2,5 millions d’emplois détruits.
Le gouvernement espère relé-
guer aux oubliettes ce trauma-
tisme national. Dans la foulée de
la crise due au Covid-19, qui a ré-
vélé les pénuries nationales dans
de nombreux secteurs stratégi-
ques, l’exécutif a mis en place,
en 2020, une nouvelle politique
industrielle plus volontariste. Et il
n’a de cesse d’en vanter le bilan.
Depuis l’arrivée au pouvoir
d’Emmanuel Macron, en 2017, en-
viron 120 000 emplois industriels
ont été créés et 314 usines sont
sorties de terre, d’après le gouver-
nement. Il y voit le résultat de sa
politique économique et sociale
menée depuis six ans : réforme
du marché du travail, baisse de la Le président Emmanuel Macron, lors de sa visite de l’usine du laboratoire pharmaceutique danois Novo Nordisk, à Chartres, le 23 novembre. MOHAMMED BADRA/POOL/REUTERS
fiscalité, notamment des impôts
sur les sociétés et des impôts de
production, et discours probusi- concernant la part des emplois in- cours des prochaines années, l’in- teur privé à prendre le relais, en fi- Les efforts publics français sont
ness en direction des investis- dustriels. Les nouveaux représen- dustrie du futur, davantage robo-
Après 124 usines nançant davantage la transition doublés par des initiatives de
seurs étrangers, reçus en grande tent moins de 10 % du total des tisée et numérisée, sera moins créées en 2021, industrielle et environnementale. l’Union européenne, comme le
pompe chaque année au château emplois créés depuis 2017 (envi- pourvoyeuse en emplois. Le rapport des économistes Jean plan « Net-Zero Industry Act », qui
de Versailles dans le cadre de ron 1,3 million), et près de 60 000 « Les usines automatisées per-
seulement une Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, doit aider à la relocalisation sur le
l’opération Choose France. sont toujours vacants, alors que mettent de produire de nouveau trentaine ont publié en mai, note que 60 mil- continent d’industries stratégi-
l’activité ralentit et que le taux de en France, où le coût de la liards à 70 milliards d’euros d’in- ques et répondre à l’Inflation Re-
Flambée des prix de l’énergie chômage est remonté de 7,2 % à main-d’œuvre reste élevé, mais ne
été enregistrées vestissement seront nécessaires duction Act américain et à ses
« On est en train de mener une ba- 7,4 % des actifs au troisième tri- nous attendons pas à un retour depuis le début chaque année jusqu’en 2050 pour 400 milliards de dollars (374 mil-
taille essentielle pour le pays, c’est mestre, selon l’Insee. massif des emplois », prévient le atteindre la neutralité carbone, liards d’euros) d’argent public en
celle du plein-emploi et de la réin- Quant aux quelque 300 ouvertu- chercheur Pierre Veltz, membre
de l’année dont au moins la moitié devra ve- dix ans pour inciter à la produc-
dustrialisation. On a fait de nom- res d’usine, elles sont loin de com- de l’Académie des technologies. nir du privé. « On a un vrai pro- tion aux Etats-Unis.
breuses réformes et on a rattrapé penser les 600 fermetures recen- Trendeo estime que le nombre blème de mobilisation du capital Une mobilisation nécessaire
notre retard », s’est félicité le chef sées entre 2009 et 2017. Et la dyna- moyen d’emplois par nouvelle cabinet PwC et enseignant à privé », reconnaît Eric Lombard, le mais insuffisante, pour Elie Co-
de l’Etat, jeudi 23 novembre, de mique s’essouffle : après 124 usi- usine se situe entre 50 et 70. l’Ecole des mines de Paris. PDG de la Caisse des dépôts. hen, directeur de recherche au
Chartres, où le laboratoire danois nes créées en 2021, 95 ont été « La France a pris le bon virage, Le gouvernement promet d’ac- CNRS : « Les moyens financiers mis
Novo Nordisk a annoncé un in- enregistrées en 2022 et seulement mais, maintenant, il faut confir- célérer et de simplifier les instal- Efforts publics en France et en Europe sont trop
vestissement de 2,1 milliards une trentaine depuis le début de mer », reconnaît Roland Lescure, le lations d’usines avec la loi « indus- Nicolas Dufourcq, directeur gé- faibles par rapport aux investisse-
d’euros dans son site de produc- 2023, selon le cabinet de recher- ministre délégué à l’industrie, qui trie verte », promulguée en octo- néral de Bpifrance, le corrobore : ments américains ou chinois. C’est
tion d’antidiabétiques. ches Trendeo. Ce coup de frein organise, du lundi 27 novembre bre. Il ouvre son carnet de chèques « Depuis quelques années, il y a trop peu, trop tard. » Le niveau de
Sauf que des nuages continuent s’explique principalement par la au dimanche 3 décembre, la « se- par le biais de Bpifrance ou de la une volonté de réindustrialisation la dette française (plus de
de s’amonceler à l’horizon. Le dé- flambée des prix de l’énergie, qui a maine de l’industrie », avec plus de Caisse des dépôts : 54 milliards en France. Mais on commence à se 3 000 milliards d’euros, soit 111,8 %
ficit commercial de la France est contraint plusieurs sites à fermer 5 000 événements de promotion d’euros sur cinq ans pour le plan heurter à un manque sérieux de du PIB au deuxième trimestre) in-
toujours très élevé, à 54 milliards ou à reporter leur ouverture. dans le pays. « On a stoppé la désin- d’investissement « France 2030 », capitaux privés. Les fonds d’inves- quiète de nombreux acteurs de la
d’euros au premier semestre Mis à part les « gigafactories » dustrialisation, mais la réindustria- 2 milliards d’euros depuis 2020 tissement capables de mettre de réindustrialisation, qui craignent
2023, signe d’une santé indus- (usines géantes) de la « vallée de la lisation reste fragile », résume pour les dispositifs « Territoires gros tickets sur de nouvelles usi- que l’Etat n’ait plus les moyens de
trielle toujours précaire. Dans batterie » électrique à Dunkerque Olivier Lluansi, ancien conseiller d’industrie » afin d’aider au dé- nes sont rares. Et les banques de- financer de nouveaux plans de re-
l’Union européenne, l’Hexagone (Nord), qui promettent d’embau- industrie de François Hollande à ploiement industriel dans les ré- mandent souvent à être déris- lance ou d’investissement. p
est seulement le 22e pays sur 27 cher des milliers de salariés au l’Elysée, aujourd’hui consultant au gions. Mais il exhorte aussi le sec- quées par l’Etat. » bastien bonnefous

« Il faut s’interroger sur le modèle industriel que nous voulons»

Pour la chercheuse Anaïs Voy-Gillis, il est vain de penser que l’on peut s’en sortir par quelques aménagements et par la seule décarbonation

dans une dynamique positive, vient donc de s’interroger sur la avec quelques aménagements à la tion du travail, la répartition de la Lorsque j’ai commencé ma
ENTRETIEN mais il est encore beaucoup trop réindustrialisation que nous sou- marge et en décarbonant l’indus- valeur, etc. thèse sur les enjeux de la réindus-

C hercheuse associée au
sein de l’Institut d’admi-
nistration des entreprises
de Poitiers et docteure en géogra-
phie, Anaïs Voy-Gillis est par
ailleurs spécialiste des questions
industrielles. Autrice, avec Olivier
Lluansi, de Vers la renaissance in-
dustrielle (Editions Marie B,
2020), elle est, depuis peu, char-
gée de la stratégie au sein du
groupe chimique français Hu-
mens, producteur de carbonate et
de bicarbonate de sodium.
Comment jugez-vous la réin-
dustrialisation française ?
Timide. Depuis quelques an-
nées, la réindustrialisation est
tôt pour dire si c’est gagné ou pas.
C’est un phénomène qui prend
du temps et sa réussite ou son
échec dépendent des critères
retenus : doit-on seulement pren-
dre en compte le nombre de
créations et de fermetures
d’usine ? Le nombre d’emplois
créés ? La part de l’industrie dans
le produit intérieur brut ? Le
maintien et le renforcement du
tissu industriel existant ?
Ou de sa finalité ? Réindus-
trialiser, oui, mais pour quoi
faire ?
Les modèles industriels doivent
évoluer sous l’effet des contrain-
tes environnementales. Il con-
haitons. Quels produits veut-on
fabriquer ? Quels sont ceux que
l’on veut importer ou rapatrier,
dans quels volumes, etc. ? Il faut
s’interroger plus globalement sur
le modèle social que l’on veut
construire.
Est-ce le cas ?
Non, pour l’instant, les débats
sont très techniques au niveau
des industriels et des élus, mais
pas au niveau des citoyens et de
l’ensemble de la société. Ces ques-
tions ont été, par exemple, très
peu abordées durant les campa-
gnes présidentielle et législatives
en 2022. La croyance est encore
trop forte que l’on va s’en sortir
trie. Mais la décarbonation ne
règle pas tout. Une fois que l’on a
décarboné, il reste encore beau-
coup de questions à résoudre,
comme l’accès aux ressources et
aux matières premières.
La stratégie bas carbone
est-elle synonyme de décrois-
sance ?
Sans forcément employer ce
terme, disons que la décarbona-
tion ne va pas de pair avec la
course aux volumes. Pour qu’elle
soit réelle, il faut aussi penser la
croissance en fonction d’autre
chose que la seule croissance éco-
nomique par les volumes. Cela
demande de repenser l’organisa-
L’expression « industrie verte »
a-t-elle du sens ?
Je n’aime pas beaucoup cette ex-
pression, car l’activité humaine
aura toujours un impact environ-
nemental. Une activité humaine
ou industrielle neutre à 100 %, cela
n’existe pas. Parler d’industrie
verte comme de croissance verte
n’a guère de sens. Ce qui compte,
c’est comment fait-on pour ré-
duire au maximum son impact
environnemental, surtout pour ce
qui est des industries « lourdes » ?
Avez-vous le sentiment
que l’industrie est redevenue
un sujet porteur ?
trialisation en France, en 2014,
c’était un sujet vu comme dé-
modé ou historique, en quelque
sorte. Il est revenu au premier
plan très récemment, en 2020,
avec la crise sanitaire puis la
guerre en Ukraine [à partir de fé-
vrier 2022], qui ont mis en lu-
mière nos vulnérabilités straté-
giques dès lors que la mondiali-
sation se grippe.
Beaucoup d’experts posaient
pourtant, depuis plusieurs an-
nées, la question de la maîtrise des
chaînes de valeur, mais on ne vou-
lait pas les écouter. La pandémie
due au coronavirus et la crise éner-
gétique ont changé la donne. p
propos recueillis par b. bo.
18 | économie & entreprise
Les « hostels », nouveau filon du secteur hôtelier
A Paris, Lyon ou Bordeaux, ces auberges de jeunesse relookées attirent de plus en plus clients et investisseurs
E
n 2022, quand Alban Rug-
giero s’est présenté de-
vant des élus de Toulouse
pour vendre son projet
d’hostel, il l’a joué comme ça :
jean, sweat, baskets. L’entrepre-
neur de 36 ans, diplômé d’une
école d’ingénieurs, venait d’ouvrir
sa première auberge de jeunesse
Jost à Bordeaux. Pour cet appel
d’offres, la concurrence était rude :
Accor était de la partie. Et pour-
tant, Alban Ruggiero a remporté la
mise. Son hostel de 100 chambres
devrait voir le jour en 2026, à côté
de la gare Matabiau.
« A Toulouse, quand ils nous ont
vus, ils se sont dit : l’hostel, c’est ça.
On respire la légèreté, la convivia-
lité. Accor, ils sont arrivés avec leur
équipe de mercenaires mallettes.
C’était moins incarné », estime ce
fils d’une restauratrice d’Antony
(Hauts-de-Seine), qui, en un an, a
ouvert deux autres hostels.
Dans celui de Montpellier, il ra-
conte que le restaurant porte le
nom de sa maman, Gaby, et qu’on
y sert « des bons plats du diman-
che ». Au Havre (Seine-Maritime),
il a relooké une ancienne rési-
dence hôtelière avec des bouées
et des conteneurs, et a créé au rez-
de-chaussée un food court (es-
pace avec de multiples restau-
rants), avec pizzas, burgers et
« street food de la mer ».
Du storytelling à foison, une
ambiance décontractée, une déco
« instagrammable », au risque de
l’overdose marketing : voilà l’ADN
très calculé des hostels, ces auber-
ges de jeunesse revisitées qui
ouvrent partout en France depuis
cinq ans. A leur tête, de nouveaux
acteurs, souvent jeunes, même si
les groupes plus installés tentent
aussi de pénétrer ce marché.
Les marques sont encore peu
connues du grand public : The
People (le leader en France), Mei-
ninger, Generator, Jost, Yooma,
Ozz, Central Hostel, Slo Living, Jo
& Joe (qui appartient à Accor),
Pilo… Il existe aujourd’hui une
quarantaine d’hostels en France,
ce qui représente 10 000 lits,
contre 4 000 en 2019, selon le dé-
compte du cabinet KPMG, qui a
publié, début octobre, une étude
sur ce marché. Outre Toulouse,
Alban Ruggiero a prévu d’ouvrir
sept autres Jost dans les quatre
prochaines années : Lille, Lyon,
Strasbourg, Paris, Marseille…
Dans tous ces hostels, le concept
est peu ou prou le même : d’un
côté, des lits en dortoirs loués à
l’unité ; de l’autre, des chambres
individuelles de différents for-
mats. C’est sur ce point que les
hostels sont les plus innovants,
avec des chambres à deux, à trois,
à quatre lits, voire plus : à Paris,
Yooma propose des chambres à
La filière affiche sa résilience face à la crise de l’immobilier
Faute de faire le plein, les hôtels se sont rattrapés sur les prix. Leurs charges d’énergie et de personnel demeurent toutefois élevées
S i le monde de l’immobilier
est en crise, il est un secteur
qui se porte étonnamment
bien : l’hôtellerie. « Personne ne
s’attendait à un rebond aussi ra-
pide après le Covid-19 », affirme
Olivier Petit, directeur du cabinet
de conseil spécialisé en hôtellerie
In Extenso. « En ce moment, l’hô-
tellerie, c’est une sorte d’eldo-
rado », confirme Frédéric Josen-
hans, président de Grape Hospita-
lity, un groupe qui possède une
centaine d’hôtels.
Jadis perçus comme une « ni-
che », ces actifs immobiliers se
trouvent, dans le contexte actuel,
au centre du jeu. « Les investis-
seurs se ruent sur les hôtels, parce
que c’est l’un des rares secteurs de
l’immobilier qui résiste. A côté, le
bureau et le résidentiel se cassent
la figure. Idem pour le retail [com-
Le concept : d’un
côté, des lits en
dortoir loués à
l’unité ; de l’autre,
des chambres
individuelles
de différents
formats
six lits, pour des familles ou des
groupes d’amis déjà constitués.
Certains, comme Jost, proposent
aussi des chambres capsules : une
nuit dans quatre mètres carrés,
avec salle de bains partagée. « Le
format plaît aux couples de voya-
geurs qui en ont marre du dor-
toir », affirme Alban Ruggiero.
La rentabilité du modèle tient
bien sûr au nombre de personnes
hébergées dans de petites surfa-
ces, mais aussi aux espaces collec-
tifs (bars, restaurants) qui attirent
des clients extérieurs. Dans cer-
tains, comme The People, installé
à Paris dans l’ancienne cité admi-
nistrative Morland, dans le Marais,
des animations sont organisées
en soirée : cours de salsa, karaoké,
show de drag-queens, DJ set…
Au Jo & Joe ou au Generator de
Paris, ce sont les terrasses en roof-
top qui drainent les visiteurs. A
tout cela s’ajoutent, pour les
clients, divers services payants :
chez The People, on paie sa ser-
viette, son gel douche, son casier
pour entreposer sa valise… Ouf,
les draps sont fournis.
« De bons taux de marge »
Dans cette nouvelle offre, les
clients s’y retrouvent : les taux
d’occupation des hostels attei-
gnent 80 % en moyenne, selon
l’étude KPMG. « Ce n’est pas trop
cher, moins qu’un Airbnb, c’est
bien situé, on peut se faire à man-
ger », justifie Ayria Sadegh, 31 ans,
rencontrée dans l’une des cuisi-
nes communes du The People du
Marais. Jeune médecin qui vit en
Occitanie, elle est à Paris pour dix
jours, pour suivre une formation
en chirurgie.
L’hébergement, elle le paie de sa
poche, alors elle a choisi l’option
dortoir – environ 40 euros la nuit
(les chambres individuelles dé-
marrent à 150 euros). « Mais c’est
sûr que cela peut être bruyant. Il y a
les gens qui partent très tôt le ma-
tin ou qui arrivent très tard dans la
chambre, les ronflements, ceux qui
bougent beaucoup dans leur som-
meil, ceux qui toussent… Mieux
vaut avoir un masque et des bou-
chons d’oreille », reconnaît-elle.
Les investisseurs immobiliers
sont de plus en plus nombreux à
merce de détail] », résume M. Pe-
tit. Ainsi, malgré la hausse du coût
du crédit, le parc hôtelier devrait
continuer de croître. Au total, en
France, 125 nouveaux hôtels
(16 000 chambres) devraient
ouvrir d’ici à 2026, selon l’étude
annuelle du cabinet KPMG, ren-
due publique en octobre.
Et pourtant, depuis le début de
2023, les clients sont légèrement
moins nombreux qu’en 2019, an-
née de référence, avant la pandé-
mie. Si les Américains sont reve-
nus dans l’Hexagone, la clientèle
asiatique n’est plus au rendez-
vous. Quant aux voyageurs d’af-
faires, ils sont moins nombreux
qu’avant la crise sanitaire. « Les
pratiques ont changé. Les cadres
se déplacent moins », explique
Stéphane Botz, expert de l’hôtel-
lerie chez KPMG.
Le toit-terrasse de l’hostel Jost de Montpellier, en juin. S. BIZET
avoir repéré le filon. Le groupe Co-
vivio a mis ses billes dans les
murs de plusieurs auberges de
jeunesse Meininger, Turenne Ca-
pital finance les hostels Jost…
« Si on regarde la profitabilité au
mètre carré, aujourd’hui, un hos-
tel, c’est comme un bel hôtel haut
de gamme à Paris », affirme Frédé-
ric Josenhans, président de Grape
Hospitality, la structure qui a ra-
cheté, en 2020, les hostels The
People (à l’époque, il n’y en avait
que deux) et qui a le fonds Eura-
zeo pour principal actionnaire.
Depuis, le groupe se développe à
vive allure : après Le Havre, cet
automne, le groupe ouvrira son
onzième The People, à Caen,
en 2024. A Nice, le groupe Honotel,
qui investit et gère des hôtels, a
transformé un trois-étoiles vieillot
de 40 chambres, Le Normandie, en
auberge de jeunesse branchée de
180 lits, baptisée « Ozz ».
Pour une nuit en dortoir, comp-
tez 36 euros en moyenne. « Cela
nous laisse de bons taux de
marge. Et à surface égale, on fait
30 % de chiffre d’affaires en plus »,
révèle Hélène Gauthier, directrice
générale d’Honotel, qui va ouvrir
d’autres Ozz à Paris, à Marseille, à
Toulouse, à Bruxelles et à Madrid.
« Les gens ne veulent plus d’hô-
tels standardisés, ils veulent des
expériences, des rencontres »,
Cependant, faute de faire le
plein, les établissements se sont
largement rattrapés sur les prix :
le tarif moyen d’une chambre a
augmenté de 11 % en un an, et
même de 26 % si l’on compare à
2019, d’après les chiffres mensuels
du cabinet MKG. Ce qui fait que le
RevPAR, l’indicateur-clé du sec-
teur, qui mesure la rentabilité par
chambre, a largement progressé.
De janvier à octobre 2023, celui-ci
est en hausse de 16 % par rapport à
la même période en 2022, et
même de 22 % par rapport à 2019.
« Une vraie révolution »
« Ces bonnes performances tou-
chent toutes les catégories d’hôtel,
du plus économique au plus
luxueux », déclarait Sylvie Berge-
ret, de MKG, lors d’un forum con-
sacré aux investisseurs, début no-
commente Romain Binet, direc-
teur de Biografy, société qui a in-
vesti dans Pilo, un hostel qui vient
d’ouvrir dans le quartier de la
Croix-Rousse, à Lyon, dans les lo-
caux d’un ancien collège.
D’ailleurs, l’essor de ces hostels,
qui plaisent aux voyageurs en
solo comme aux familles de tou-
ristes, va de pair avec le recul des
chaînes d’hôtels d’entrée de
gamme de type Kyriad, Campa-
nile ou Formule 1, souvent instal-
lés en périphérie des villes. « Et un
hostel, par rapport à un Airbnb,
c’est plus carré : on sait sur quoi on
tombe, on a un vrai accueil »,
poursuit Frédéric Josenhans.
Très présents sur les réseaux
Quant aux collectivités, elles ado-
rent aussi ces projets. « Ce qui
nous plaît, c’est que ces hostels,
avec leurs bars et restaurants,
s’adressent aussi aux habitants du
quartier », affirme Jean-Claude
Dardelet, vice-président de Tou-
louse Métropole, qui va bientôt
accueillir un hostel Jost. Il expli-
que que la ville a engagé tout un
travail pour repenser son offre
hôtelière, notamment pour limi-
ter l’expansion d’Airbnb qui, se-
lon lui, « dénature le centre-ville ».
En cette période de contraction
du pouvoir d’achat, et alors que
l’offre française d’hostels est net-
vembre. Ainsi, dans les 2 000 éta-
blissements du réseau Logis, le
chiffre d’affaires global est en
hausse de 19 % sur un an, indique
Karim Soleilhavoup, le directeur
de cette fédération.
La pratique du « bleisure » (de
l’anglais business et leisure, mé-
lange de « télétravail » et de « va-
cances ») a permis aux hôtels d’al-
longer les durées de séjour et d’at-
tirer de nouveaux publics. « C’est
particulièrement vrai sur toute la
côte Atlantique, qui vit une vraie
révolution en matière de fréquen-
tation. Les gens viennent dès le
jeudi, et partent en long week-end
toute l’année », commente Sté-
phane Botz, de KPMG.
Les charges des hôtels ont pour-
tant bondi : MKG a calculé qu’en
moyenne, ils ont vu leurs factures
d’énergie augmenter de 16 % et
La rentabilité
du modèle tient
au nombre
de personnes
hébergées
dans de petites
surfaces,
mais aussi aux
espaces collectifs
tement moindre que celle des
pays voisins, le marché semble
donc promis à un bel avenir.
Même s’ils avancent toujours sur
le fil du rasoir, en raison de diffi-
cultés permanentes à recruter et à
fidéliser leur personnel – un pro-
blème commun à l’ensemble du
secteur hôtelier.
En outre, ces hostels, très pré-
sents sur les réseaux sociaux,
sont ultrasensibles aux effets de
réputation. Kristin Thomas, New-
Yorkaise de 32 ans, qui voyage
seule à Paris, a choisi l’hostel Beau
M « à cause de sa bonne note sur
Booking ». « Je ne regardais rien en
dessous de 8/10. » Elle passe deux
semaines dans cet établissement,
qui a ouvert, en avril, derrière la
butte Montmartre, dans un an-
leurs charges de personnel de 13 %
par rapport à 2019. « Mais la crois-
sance des revenus est supérieure à
celle des charges », remarque Syl-
vie Bergeret.
Si le secteur se porte bien, cer-
tains établissements décrochent,
notamment ceux qui sont situés
en périphérie des villes ou dans
des communes peu touristiques.
« Depuis septembre, je vois de plus
en plus d’hôteliers qui arrêtent leur
activité car ils sont épuisés, car ils
manquent de personnel, constate
M. Soleilhavoup. On voit aussi de
plus en plus d’hôtels en difficultés
financières, notamment ceux qui
ont des fortes hausses de facture
d’énergie, qui étaient un peu fragi-
les dans leur trésorerie et n’ont pas
pu répercuter ces hausses sur les
prix des chambres. » p
je. go.
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
cien immeuble de bureaux. Dans
son dortoir réservé aux femmes,
elle s’est liée avec d’autres Améri-
caines, avec qui elle est sortie dî-
ner. En journée, elle télétravaille
sur son ordinateur depuis le café
de l’hôtel.
« La note sur Booking, dans no-
tre secteur, c’est fondamental.
C’est tout un combat pour la
maintenir. Si on ne fait pas ci ou
ça, les clients menacent régulière-
ment de nous laisser de mauvais
commentaires », reconnaît Pau-
line Mey, la fondatrice de Beau M,
qui tente de régler à l’amiable les
différends – quitte à rembourser
des clients mécontents. Il faut
dire que dans les hostels, la pro-
miscuité des dortoirs est propice
aux tensions, et à autant de com-
mentaires revanchards…
En particulier lorsque les punai-
ses de lit sont de la partie. En effet,
avec toutes les allées et venues de
voyageurs dans leurs dortoirs, les
hostels y sont particulièrement
exposés. Ceux que nous avons in-
terrogés affirment qu’ils traitent
aussi vite qu’ils le peuvent, met-
tent en place des dispositifs de
prévention, contractualisent avec
des sociétés spécialisées… Quitte
à fermer des dortoirs entiers pen-
dant plusieurs jours. Un risque
qui pèse lourd sur les comptes. p
jessica gourdon
LES CHIFFRES
125
C’est le nombre de nouveaux
hôtels (soit 16 000 chambres)
qui devraient ouvrir en France
d’ici à 2026, selon l’étude
annuelle du cabinet KPMG.
+ 11 %
C’est la hausse qu’a connue
le tarif moyen d’une chambre
en un an. Elle est même de 26 %
si l’on compare à 2019,
d’après les chiffres mensuels
du cabinet MKG.
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023 économie & entreprise | 19

Dans le Sud, le secteur viticole,

GRAN D E D I ST R I BU T I ON de streaming musical à une
Casino étudiera hauteur maximale de 1,75 %
la vente de super de leur chiffre d’affaires
et hypermarchés réalisé en France, a appris

en pleine crise, se mobilise

Le distributeur Casino, en dif-
ficulté financière, a annoncé,
lundi 27 novembre, qu’il allait
étudier la vente de super et
hypermarchés supplémentai-
Des milliers de vignerons ont défilé dans le calme, samedi à Narbonne, res, après avoir reçu des of-
fres « préliminaires », au-delà
pour demander au gouvernement des mesures d’urgence d’un accord prévoyant
la cession de 119 magasins
au groupement Les Mous-
quetaires/Intermarché. Dans
indépendants de France, a adopté l’utilisation du glyphosate [le un communiqué distinct,
REPORTAGE un ton grave : « Frères et sœurs de Les responsables 16 novembre, l’Union euro- le groupe a aussi annoncé
narbonne (aude) - envoyé spécial
la profession, la viticulture se syndicaux péenne a réautorisé pour dix ans le rachat, pour 10 millions
Le Monde. Dans le cadre du
projet de loi de finances 2024,
cet amendement devra être
avalisé par le gouvernement
entre le 8 et le 10 décembre à
l’Assemblée nationale pour
pouvoir entrer en vigueur.
F I N AN C E
Chine : un gestionnaire
d’actifs ultra-endetté
dans le collimateur
des autorités
La police chinoise a ouvert

A
ucune autre filière n’a
eu à supporter un tel
cumul de facteurs poli-
tiques, économiques et
climatiques en quelques mois. Les
vignerons vivent une violence
économique inouïe », rappelait, la
semaine du 20 novembre, Jean-
Marie Fabre, le président natio-
nal des Vignerons indépendants
de France. A Narbonne (Aude), sa-
medi 25 novembre, ils étaient
3 000, selon la police − le double,
d’après les organisateurs − à ve-
nir manifester « [leur] colère,
[leur] abattement [et leur] ras-le-
bol généralisé ».
Cette mobilisation s’est dérou-
lée à l’appel du syndicat des Vi-
gnerons indépendants de France,
rejoint par celui des Jeunes agri-
culteurs (JA) et la Fédération na-
tionale des syndicats d’exploi-
tants agricoles (FNSEA). Plusieurs
élus, maires ou conseillers dépar-
tementaux et régionaux d’Occi-
tanie étaient également présents.
« Le secteur, vital pour nos terri-
toires, est en crise depuis plusieurs
années. Mais les derniers événe-
ments le plongent dans le déses-
poir », explique Eric Ménassi, le
maire socialiste de Trèbes (Aude)
et président de l’Association des
maires du département.
Ces événements ont été dé-
taillés par Jérôme Despey, pre-
mier vice-président de la FNSEA,
lui-même viticulteur dans l’Hé-
rault : « La guerre en Ukraine, les
épisodes de gel puis de sécheresse,
la consommation en baisse, l’aug-
mentation des taxes, celle des im-
portations, les marges appliquées
par les bars ou restaurants… Nous
sommes face à des fléaux d’une
violence exceptionnelle ! »
Frédéric Rouanet, dirigeant
audois du syndicat des Vignerons
meurt, Paris doit répondre. » Le cet herbicide controversé] est une d’euros, d’un tiers de la mai- une enquête sur le conglo-
19 octobre, il était à la tête d’une réclament grande victoire, nous sommes son mère de Cdiscount, mérat privé Zhongzhi, un
première manifestation à la fron- une année conscients qu’il faut prendre soin Cnova, portant la participa- géant de la finance criblé de
tière franco-espagnole, dans les de nos terres. Mais arrêtez de nous tion de Casino dans sa filiale dettes déclaré « insolvable » et
Pyrénées-Orientales. Des camions bancaire blanche taxer ! », a exhorté Jérôme Despey. de vente en ligne à près de dont les déboires font planer
transportant du vin espagnol et des aides La liste de doléances du secteur 99 %. – (AFP.) le risque d’une contagion.
avaient alors été stoppés et leur viticole mentionne aussi le rôle Peu connu du grand public,
cargaison, déversée sur l’auto- au stockage des négociants et de la grande dis- MUS I QU E Zhongzhi dispose d’une ga-
route. A Narbonne, samedi, le cor- tribution. Depuis quinze ans, les Le Sénat favorable laxie d’entreprises financiè-
tège a déambulé sans incidents. prix d’achat n’auraient pas évo- à une taxe pour financer res. Il gère à lui seul plus de
la place aux jeunes », réclame pour lué. L’ensemble de la filière sera le Centre national 1 000 milliards de yuans
« Trésoreries à sec » sa part Fabien Mariscal, des JA. reçu à Montpellier, mercredi de la musique (128,7 milliards d’euros) d’ac-
Virulent à l’égard de l’Etat, « qui D’autant que l’année 2023 a été 29 novembre, à l’initiative de la Afin de pérenniser le budget tifs, selon des estimations de
cautionne un ultralibéralisme marquée par des épisodes de cani- présidente socialiste de la région du Centre national de la mu- la banque d’affaires Nomura.
mortifère », d’une administration cule ou de pénurie d’eau. Occitanie, Carole Delga, et en pré- sique, les sénateurs ont Un grand nombre d’entrepri-
« qui étrangle [la profession] et Face aux dérèglements climati- sence du ministre de l’agriculture, adopté, dans la nuit du sa- ses et de riches particuliers
[l’]humilie », ou « des écologistes ques, les organisations syndicales Marc Fesneau. Pour tenter d’apai- medi 25 au dimanche 26 no- lui ont confié leur épargne. Il
qui (…) emmerdent [le secteur] », réclament un « plan Marshall d’in- ser une colère qui grandit. p vembre, un amendement vi- a évalué ses arriérés à près de
M. Rouanet a appelé la première vestissement ». Si « le maintien de philippe gagnebet sant à taxer les plates-formes 60 milliards d’euros, – (AFP.)
ministre, Elisabeth Borne, à « re-
garder vers le Sud ». Minés par les
difficultés − « des caves pleines et
des trésoreries à sec » −, les viticul-
teurs et responsables syndicaux
réclament plusieurs mesures au
gouvernement : une année ban-
caire blanche, des aides au stoc-
kage, pas de nouvelles réglemen-
tations et la généralisation de
prêts bonifiés pour tous.
« On est trop surveillés, codifiés.
On ne peut plus produire des vins
de qualité. Avec l’inflation et les
taxes sur les produits chimiques,
j’ai perdu 20 % de mon chiffre d’af-
faires en 2023 », témoigne Jérôme
(qui n’a pas donné son nom), un
viticulteur installé à Sainte-Céci-
le-les-Vignes (Vaucluse).
La profession s’inquiète aussi du
vieillissement des viticulteurs et
des embûches auxquelles sont
confrontés les jeunes qui souhai-
tent s’installer. « Nous demandons
des primes pour l’arrachage de vi-
gnes sur six à huit ans, et des dispo-
sitifs pour les préretraites, afin que
ceux qui veulent arrêter le fassent
dans le confort et puissent laisser

PERTES & PROFITS | CONSOMMATION

p a r p hil ip p e e s ca nde

Les « dévendeurs »
du Black Friday
L’Agence de la transition écologi-
que vient d’inventer un nouveau
métier, celui de « dévendeur ». Un
sympathique barbu en blouse
bleue surgit entre deux rayons de
polos ou de lave-linge pour per-
suader le client de renoncer à son
achat : cette campagne télévisée
complète l’arsenal mis au point
par le ministère de l’environne-
ment pour encourager à la répa-
ration et ainsi préserver la planète
de ses déchets innombrables.
Comme les écolos du dernier
film d’Olivier Nakache et Eric To-
ledano, Une année difficile, ceux
du gouvernement ont choisi leur
date, celle de la grande promo-
tion du Black Friday, pour passer
à l’attaque. Ce vendredi noir venu
d’Amérique est devenu, en une
décennie, le moment le plus
intense de l’année en matière
de promotions en ligne et dans
les magasins. Pas étonnant, donc,
que les commerçants fassent la
grimace devant une telle contre-
publicité officielle, au moment
où les faillites s’accumulent pour
les enseignes d’habillement.
De Camaïeu à Minelli, on ne
compte plus les victimes, et le
ministère de l’économie, qui
multiplie les missions de
secours, s’est à son tour insurgé
contre cette publicité malvenue.
Voilà, en tout cas, de belles in-
jonctions contradictoires qui ne
vont pas améliorer le moral des
Français, désormais culpabilisés
de rechercher les bonnes affaires.
Société du supermarché
Cette petite polémique illustre
à merveille le paradoxe français,
qui fait balancer le pays et ses
décideurs politiques entre la dé-
fense du consommateur, celle de
l’environnement et celle du pro-
ducteur. Ce mouvement s’est ré-
pandu dans toute l’Europe, mais
s’est exacerbé en France, dans la
mesure où le maintien conjoint
d’une protection sociale parmi les
meilleures au monde et du pou-
voir d’achat ont conduit l’Etat à
taxer les entreprises et à beau-
coup s’endetter, fragilisant encore
sa situation économique, aboutis-
sant à créer une « société du su-
permarché », où les Intermarché
et autres E.Leclerc ont remplacé
les usines en périphérie des villes.
Une situation paradoxale qui
en cache une autre. Les Français,
avides de consommation, sont
aussi, quand ils le peuvent, des
champions de l’épargne. Comme
si tous ces messages contradic-
toires, entre vendeurs et « déven-
deurs », brouillaient encore la
confiance dans l’avenir. p
20 | économie & entreprise
La régulation d’Internet
au bord de l’implosion
DOSSIER
D
ébut novembre, la Chine
tenait en grande pompe sa
10e Conférence mondiale
de l’Internet (World Inter-
net Conference, WIC). Mon-
diale, vraiment ? Cet événe-
ment était en fait la réplique du président
chinois, Xi Jinping, à la 18e édition du Forum
sur la gouvernance de l’Internet (Internet
Governance Forum) qui avait eu lieu un
mois plus tôt au Japon, sous l’égide des Na-
tions unies. Ces deux rendez-vous interna-
tionaux en disent long sur la bataille qui se
joue autour de l’avenir du « réseau des ré-
seaux ». Et reposent la sempiternelle ques-
tion : à qui appartient Internet et qui le gou-
verne ? La réponse est simple : personne !
Nul n’en est propriétaire. La gouvernance
d’Internet, autrement dit la définition de
ses grandes orientations technologiques,
fonctionne comme une copropriété mon-
diale mais… sans propriétaires. Il y a seule-
ment les parties prenantes que sont les gou-
vernements, le secteur privé (les entrepri-
ses), la société civile (dont les internautes)
et des communautés techniques et univer-
sitaires, tous censés avoir leur mot à dire
sur la gestion « multipartite » du Net, ses
protocoles et leurs évolutions.
A l’heure où explosent le très haut débit, la
mobilité, la cybercriminalité, la blockchain
ou encore l’intelligence artificielle, se mettre
d’accord au niveau international devient
crucial. Internet, dont la vocation est d’être
universel et ouvert, est pourtant aujourd’hui
au bord de l’implosion. Et le chef d’orchestre
du réseau, la société américaine Icann (Inter-
net Corporation for Assigned Names and
Numbers), est plus que jamais contesté.
La Chine fait pression pour changer totale-
ment la gouvernance de l’Internet afin de
renforcer le rôle des Etats.
Contraintes techniques
contre pressions politiques
A but non lucratif et reconnue d’utilité
publique, l’Icann est née il y a un quart de
siècle en Californie. C’est elle qui attribue
et administre les adresses et noms de do-
maine (les « .com », « .net », « .org », « .fr »,
« .info », etc.), grâce à seulement treize ser-
veurs informatiques, dits « racines », répar-
tis sur la planète. Une autre société améri-
caine, Verisign, est, elle, cotée en Bourse à
New York depuis vingt-cinq ans. Elle opère
pour l’Icann deux serveurs importants
Les rivalités autour de la gouvernance du « réseau des
réseaux » s’exacerbent. Chine en tête, les Etats, en quête
de souveraineté numérique, s’opposent au système
actuel, régi par une société américaine créée en 2005
pour administrer les noms de domaine
(« .com » et « .net », notamment). Pour assu-
rer une « gouvernance multipartite » d’In-
ternet, l’Icann tient, en général, trois réu-
nions annuelles et fonctionne selon un mo-
dèle dit « ascendant » (bottom up), lequel
consiste à consulter la communauté inter-
nationale de l’Internet (techniciens, univer-
sitaires, organisations, gouvernements…)
avant toute décision. Mais cette organisa-
tion fait l’objet d’une foire d’empoigne géo-
politique qui s’exacerbe. « Le temps où
l’Icann était perçue comme un guichet uni-
que de la régulation de l’Internet semble ré-
volu. Il existe aujourd’hui une pluralité d’ins-
tances, y compris au sein de l’ONU, avec le
groupe d’experts gouvernementaux », souli-
gne Brunessen Bertrand, chercheuse et pro-
fesseure à l’université Rennes-I, spécialiste
des enjeux du numérique.
Le modèle multipartite, qui prévaut avec
La Chine pousse pour l’adoption de sa propre norme d’adressage
le sort d’internet commence à
tourner à l’affrontement entre les
Etats-Unis et la Chine au sein de
l’Union internationale des télécom-
munications (UIT), une des agences
des Nations unies (ONU). « L’UIT a été
dirigée pendant des années par un res-
sortissant chinois [Houlin Zhao, secré-
taire général de 2015 à 2022] et, ainsi,
l’influence de la Chine reste notable »,
relève Brunessen Bertrand, cher-
cheuse et professeure à l’université
Rennes-I. Avec plus de 1 milliard d’in-
ternautes, l’empire du Milieu veut pe-
ser dans les orientations futures du
« réseau des réseaux ».
A l’UIT, où l’Américaine Doreen Bog-
dan-Martin a succédé, en janvier, à
Houlin Zhao au poste stratégique de
secrétaire général, la Chine est plus en
phase avec l’ONU. Celle-ci prône une
gouvernance « tripartite » (gouverne-
l’Icann depuis 2005, est contesté par l’orga-
nisation des Nations unies (ONU), qui lui
préférerait un modèle « tripartite »,
composé des gouvernements, du secteur
privé et de la société civile. La communauté
technique (alias l’Icann américaine) serait
alors fondue dans la « société civile », qui
comprendrait aussi le monde universitaire
et les experts scientifiques, notamment
autour de l’intelligence artificielle défer-
lante. Les Etats-Unis pro-multipartite – où la
technologie (américaine) domine – se re-
trouveraient dilués dans cette nouvelle
gouvernance élargie et onusienne.
La principale préoccupation de l’Icann est
de « protéger l’interopérabilité mondiale
d’Internet », assure sa PDG par intérim, Sally
Costerton – les candidats au poste de PDG
de l’Icann avaient jusqu’au 27 novembre
pour se faire connaître. Mais l’universalité
ments, secteur privé et société civile),
où les Etats auraient davantage la
main sur « leur » Internet. L’un des dé-
fis technologiques réside dans le pro-
tocole d’adressage IPv6 (Internet Pro-
tocol Version 6), qui permet de con-
necter plus de terminaux et d’objets à
Internet. Problème : l’ancien IPv4,
toujours dominant dans le monde,
est saturé depuis novembre 2019 – li-
mité à 4,3 milliards d’adresses Inter-
net à 32 bits. D’où l’impératif de mi-
grer tout Internet vers le protocole
IPv6 aux adresses à 128 bits, 4 mil-
liards de fois plus grand que l’IPv4.
Peser face à Washington
C’est là que Pékin veut peser face à
Washington. La Chine veut être
« 100 % IPv6 » en 2030 et milite avec
d’autres Etats (notamment africains et
moyen-orientaux) pour une évolu-
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Le président chinois,
Xi Jinping,
lors de la cérémonie
d’ouverture
de la Conférence
mondiale de
l’Internet 2023,
à Wuzhen, en Chine,
le 8 novembre.
LIU BIN/XINHUA VIA AFP
d’Internet n’en reste pas moins menacée,
alors qu’elle est la condition technique pour
que tous les noms de domaine et les adres-
ses e-mails puissent fonctionner sur l’en-
semble du globe.
Le dernier Forum sur la gouvernance de
l’Internet, en octobre, à Tokyo, n’a pas apaisé
les craintes d’un éclatement du « réseau des
réseaux ». La Chine – pays comptant le plus
grand nombre d’internautes au monde, plus
de 1 milliard – veut faire contrepoids à cet In-
ternet Governance Forum d’origine occiden-
tale. Le président Xi Jinping l’a fait lui-même
savoir, le 8 novembre, lors du discours inau-
gural de sa propre conférence mondiale
(WIC), organisée à Wuzhen, dans le sud-est
du pays. « Il est nécessaire de respecter la sou-
veraineté dans le cyberespace, ainsi que le
mode de développement et le modèle de gou-
vernance de l’Internet de chaque pays », a-t-il
lancé. La Chine a même créé son organisa-
tion internationale du Net, baptisée aussi
WIC. D’autant que l’Asie dans son ensemble
totalise 3 milliards d’internautes, dépassant
largement le reste du monde.
L’Icann affirme être « une organisation
technique, pas politique ». Mais les forces
tectoniques de la géopolitique la poussent
dans ses retranchements. « Lorsque, en 2022,
le ministre des affaires étrangères de
l’Ukraine lui a demandé de suspendre le do-
maine “.ru”, l’Icann n’en a rien fait, et ce pour
deux raisons. D’abord cela irait à l’encontre
de sa mission d’aider à assurer un Internet
stable, sécurisé et unifié ; ensuite parce que
c’est techniquement impossible », a assuré
Sally Costerton, le 6 juillet 2023, à Paris, lors
du Forum français sur la gouvernance de
l’Internet. Ainsi, dans le conflit israélo-pales-
tinien, la coupure d’Internet à Gaza n’est pas
due à un arrêt du « .ps », le nom de domaine
de la Palestine, mais à la destruction des in-
frastructures réseaux locales par Israël.
Risque de censure
des contenus occidentaux
« Internet est en voie de fragmentation accé-
lérée ; la guerre en Ukraine ne fait qu’accroître
le phénomène, avec une réorientation des
chaînes de valeurs technologiques mondia-
CHEFFE D’ORCHESTRE les, sans parler des Etats qui coupent l’accès
DU RÉSEAU, LA à Internet, comme l’Inde vis-à-vis du Cache-
mire, l’Ethiopie avec le Tigré, le Cameroun, la
SOCIÉTÉ AMÉRICAINE Birmanie… La Russie n’est pas un cas isolé »,
constate Julien Nocetti, chercheur associé
ICANN (INTERNET à l’Institut français des relations internatio-
nales et au centre de recherche Géopolitique
CORPORATION FOR de la datasphère.
ASSIGNED NAMES La Russie empêche les internautes russes
d’accéder à des plates-formes et réseaux so-
AND NUMBERS) EST ciaux occidentaux, notamment depuis l’en-
trée en vigueur, le 1er mars, de sa loi « infor-
PLUS QUE JAMAIS mation, technologies de l’information et
CONTESTÉE protection de l’information ». « Je n’ai pas ac-
cès aux réseaux sociaux de Meta (Facebook,
Instagram et WhatsApp), ni à Twitter [de-
venu X], ni à Snapchat, entre autres. Sont
aussi bloqués les médias BBC News, Euro-
news ou encore l’agrégateur d’actualités
tion vers son IPv6 Enhanced (IPv6 +), zhen est devenue, en avril 2020,
afin de mieux « maîtriser » le futur ré- membre de l’IETF. La Chine veut faire
seau Internet. De là à tisser sa « nou- ainsi contrepoids aux Etats-Unis,
velle route de la soie » numérique à l’IETF-IAB étant placé sous la coupe
travers la planète, il n’y a un qu’un pas, de l’Internet Society, basée à Reston,
ou plutôt un « Grand Bond en avant ». dans l’Etat de Virginie.
Mis au point depuis trente ans par Les opérateurs télécoms histori-
l’Internet Engineering Task Force ques européens (Orange, Deutsche
(IETF), le groupe de travail de l’ingé- Telekom, TIM, etc.), réunis au sein de
nierie d’Internet au sein de l’Internet leur lobby ETNO, sont, eux, ferme-
Architecture Board (IAB), l’IPv6 doit ment contre ce « nouvel IP chinois »
évoluer pour faire face aux défis tech- proposé par à l’UIT. Ils ont mis en
nologiques que posent les milliards garde : « Les protocoles Internet et leur
de connexions mobiles (4G-5G et, architecture devraient continuer à être
bientôt, 6G), le très haut débit, l’intel- développés de manière ouverte, multi-
ligence artificielle, les objets connec- partite et ascendante – comme ceux
tés ou encore les cyberattaques. L’UIT dirigés par l’IETF et l’IEEE [Institute of
travaille étroitement avec l’IETF. Electrical and Electronics Engineers] –
Le fabricant de télécoms chinois , et non pas par des processus descen-
Huawei – dans le collimateur de dants, comme à l’UIT. » Autrement dit
Washington – y fait la promotion de ne pas émaner des Etats. p
l’IPv6 +, depuis que la firme de Shen- charles de laubier
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Plusieurs pays du monde ont déjà bloqué l’accès à Internet ou à des réseaux sociaux
Soixante-dix-sept pays bloquent ou ont déjà bloqué l’accès à Internet
ou à des réseaux sociaux depuis 2015
Facebook, X (ex-Twitter), YouTube, Instagram, Telegram, WhatsApp
Restrictions actuellement en vigueur
Accès bloqué dans le passé
Aucune preuve
de blocage
Nombre d’internautes,
par région,
en millions
Pays dans lesquels l’accès
aux VPN* est...
illégal restreint
Pays qui bloquent le plus l’accès à un VPN ou à des sites
de contournement de la censure, en % de tentative d’accès
Chine
Iran
Yémen
Arabie saoudite
Oman
Emirats arabes unis
Egypte
Qatar
Russie 32
* Un réseau privé virtuel (VPN) permet de crypter la connexion d’un utilisateur,
dont l'adresse IP est masquée, pour qu’il puisse accéder aux sites et applications bloqués dans son pays
La censure d’Internet en augmentation
Nombre de restrictions d’accès à Internet
ou à des réseaux sociaux dans le monde
200
150
134
114
100 93
50 50
0 Conflit
2019 2020 2021 2022 2023**
** jusqu’au 10 octobre
Infographie Le Monde ; Victoria Denys, Benjamin Martinez et Floriane Picard
Google News. A moins d’utiliser des outils
de contournement comme Proton VPN ou
NordVPN », témoigne Viktoriia, habitante
d’Omsk, ville russe située à plus de 2 700 ki-
lomètres à l’est de Moscou.
Si Vladimir Poutine a menacé un temps
de déconnecter la Russie de l’Internet, il
n’en a rien fait. En effet, le pays le plus vaste
au monde n’en a pas les moyens techni-
ques. « La Russie n’est actuellement pas en
mesure de se “découpler” du reste du réseau
Internet mondial. Cependant, l’invasion
russe de l’Ukraine et le durcissement du con-
flit avec l’Occident augmentent les possibili-
tés d’une telle scission », estime le chercheur
Julien Nocetti. D’autant que « la loi de 2019,
visant à créer un “Internet souverain”, ex-
pose la nécessité d’une déconnexion totale
de l’Internet mondial en cas de menace avé-
rée ». Inversement, l’Occident peut être
tenté, comme le fait le routeur d’Internet
London Internet Exchange (LINX), de ne
plus desservir la Russie. Bien d’autres pays
ont Internet dans leur collimateur, comme
l’Iran, qui bloque certains réseaux sociaux
et certaines messageries instantanées, no-
tamment depuis la mort de l’étudiante Ma-
hsa (Jina) Amini, en septembre 2022.
La Chine, elle, a construit il y a vingt ans
maintenant sa grande muraille « virtuelle »
(GFW pour Great Firewall), afin de bloquer
des sites Web jugés non politiquement cor-
rects ou subversifs – avec arrestation de
leurs responsables, dans certains cas. Cette
censure de contenus venus d’Occident per-
met aussi à l’empire du Milieu de faire pros-
pérer ses propres Gafam tels que les géants
Tencent, Alibaba ou Baidu.
L’ONU à la manœuvre
L’Internet éclate ainsi en de multiples ré-
seaux, sous les coups de boutoir du nationa-
lisme, du souverainisme et du protection-
nisme. Des pays autoritaires contrôlent
« leur » Internet, au risque de censurer, sous
prétexte de lutter contre les « fake news », les
« contenus illicites » et les « agents étran-
gers », voire de couper l’accès lorsque la li-
berté d’expression gêne le pouvoir en place
ou la « sécurité nationale ». De quoi inquié-
ter l’Unesco, autre agence de l’ONU, basée à
Paris, qui craint pour la liberté d’expression
sur Internet. Sa directrice générale, la Fran-
çaise Audrey Azoulay, vient d’annoncer l’or-
ganisation, en juin 2024, de la toute pre-
mière Conférence mondiale des régulateurs.
Alors que la balkanisation (ou « splinter-
net ») du « réseau des réseaux » est en mar-
AMÉRIQUE DU NORD
348
dont Etats-Unis
297
73
69 534
62
60
49
44
39
38
Dimension des coupures d’Internet
dans le monde depuis 2015, en %
157 16 %
Coupures
nationales
84 %
Coupures locales
che, l’ONU veut jouer les arbitres en s’affir-
mant de plus en plus comme le régulateur
mondial d’Internet. « Nous devons travailler
ensemble pour combler les retards en ma-
tière de connectivité et de gouvernance nu-
mérique, et renforcer une approche de la
coopération numérique axée sur les droits
de l’homme et centrée sur l’homme », a ap-
pelé de ses vœux le secrétaire général des
Nations unies, le Portugais Antonio Guter-
res, dans un message vidéo diffusé lors de
l’Internet Governance Forum, à Tokyo, de-
vant plus de 8 900 participants du monde
entier. Dans son plaidoyer pour « l’Internet
que nous voulons », l’ONU soutient une ap-
proche où les gouvernements auraient plus
de poids par rapport aux communautés
techniques, prépondérantes dans l’Icann.
Toutes ces manœuvres diplomatiques in-
terviennent dans un contexte d’efferves-
cence technologique : migration vers la ver-
sion 6 du protocole de blocs d’adresses IP
(IPv6), capable d’absorber bien plus de ter-
minaux connectés et d’objets connectés que
le saturé IPv4. Sans compter l’explosion
des intelligences artificielles génératives de
type ChatGPT, la décentralisation par la
blockchain, les mondes virtuels immersifs
du métavers, ou encore les cyberattaques et
autres rançongiciels.
« Le modèle actuel de la gouvernance d’Internet est désuet »
rashid ismailov, ancien ministre
adjoint des télécoms en Russie, a été,
en septembre 2022, le candidat
malheureux au poste de secrétaire
général de l’Union internationale des
télécoms (UIT), une agence des Na-
tions unies, remporté par l’Améri-
caine Doreen Bogdan-Martin. Il ex-
plique pourquoi il s’oppose à la gou-
vernance actuelle d’Internet… et dé-
fend la censure russe.
Etes-vous favorable au change-
ment de gouvernance mondiale
d’Internet pour le modèle tripar-
tite souhaité par l’ONU ?
Je pense que les deux modèles sont
d’ores et déjà désuets. Ni la gouver-
nance tripartite prônée par l’ONU
[secteur privé, gouvernements et so-
ciété civile, dont fait partie la commu-
nauté technique], ni le multipartisme
de facto de l’Icann [société pour l’at-
tribution des noms de domaine et des
économie & entreprise | 21
MOYEN-ORIENT
EUROPE 206 Russie
750 dont Russie
125 Turkménistan
Ouzbékistan
Biélorussie
Turquie
Egypte Iran
Irak Qatar
AFRIQUE
Oman
602 Yémen
Emirats
arabes unis
AMÉRIQUE
LATINE Arabie
saoudite
ET CARAÏBES
Principales motivations des restrictions d'accès à Internet
et aux réseaux sociaux dans le monde, en nombre
Manifestations
Examens 33
Contrôle de l’information 15
Répression politique 5
Coup d’Etat militaire
4
3
Non-conformité
à la législation locale
1 Telegram
Sources : Surfshark ; Netblocks ; Internet World Stats ; Top10VPN
Les Nations unies sont d’autant plus im-
L’ONU SOUTIENT pliquées dans la gouvernance du Net que
UNE APPROCHE OÙ deux de ses agences – l’Union internatio-
nale des télécommunications et l’Unesco
LES GOUVERNEMENTS (éducation, science et culture) – revendi-
quent un droit de regard.
AURAIENT PLUS DE Alors que, depuis un quart de siècle,
POIDS PAR RAPPORT l’Icann règne en maître des horloges du
Net, donnant la part belle à une commu-
AUX COMMUNAUTÉS nauté technique à forte dominance améri-
caine, l’ONU, avec ses 193 Etats membres,
TECHNIQUES veut élargir la concertation sur l’avenir du
Net et pousse son projet de « pacte numéri-
que mondial ». Les négociations vont
commencer fin 2023 et se poursuivre jus-
qu’au deuxième trimestre 2024, en vue du
Sommet de l’avenir organisé fin septem-
bre 2024. « La prévention de la fragmenta-
tion d’Internet » figure au rang des objectifs.
Cette préoccupation sera également au
cœur du Sommet mondial sur la société de
l’information (SMSI 20) organisé lui aussi
par l’ONU, et prévu fin mai 2024.
Laisser place à la concurrence ?
Certes, la société Icann – dont le vaste
quartier général se trouve à Playa Vista, dans
la banlieue de Los Angeles (Californie) – est
censée s’être émancipée de la tutelle améri-
numéros sur Internet, où la technolo- teint le plafond. Les protocoles Inter-
gie, souvent américaine, domine] ne net actuels ne supportent pas le
fonctionnent. Parce que la principale rythme rapide des progrès technolo-
préoccupation des Etats membres giques. Il y aura donc de nouveaux
est la souveraineté. Ainsi, comme protocoles pour relever les défis de la
je l’ai exposé dans mon programme révolution numérique.
de candidat, le point essentiel est de En fin de compte, les protocoles et
définir le cadre juridique internatio- les normes sont élaborés pour soute-
nal où toutes les parties concernées nir l’utilisation et la connectivité à
auraient convenu des règles. l’échelle mondiale, et non pour la
discrimination. La nouvelle appro-
Dans votre programme de candi- che devrait donc exclure toute discri-
dat, vous disiez que « les nouvelles mination des utilisateurs et des pays.
technologies (Internet des objets, En France, par exemple, le président
cloud, blockchain, intelligence Macron a proposé de limiter l’activité
artificielle et big data) changent des réseaux sociaux pendant la crise
fondamentalement les entreprises nationale [les émeutes en France dé-
et les processus de gestion » : clenchée par la mort du jeune Na-
les protocoles Internet (IP, IPv6…) hel M., à Nanterre, fin juin].
doivent-ils évoluer pour supporter
tout cela ? Facebook, Instagram ou encore le
De toute évidence, les nouvelles réseau X sont bloqués en Russie…
technologies exigent de nouvelles Certains sites Internet sont blo-
normes. La 5G ou la 6G ont déjà at- qués. D’autres ne le sont pas. Cela re-
ASIE
Corée du
2 917 Nord
dont Chine
1 010
Chine
31
OCÉANIE
Nombre de pays ayant déjà bloqué
des réseaux sociaux depuis 2015
53
48 48
Facebook WhatsApp
39 37
Instagram X (ex-
Twitter)
30 23
YouTube
caine à la suite de l’expiration, le 1er octo-
bre 2016, du contrat qui la liait depuis 1998
au département du commerce des Etats-
Unis. Mais cela ne suffit pas aux yeux de
nombreux Etats, notamment des BRICS
(Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du
Sud), groupe que vont rejoindre au 1er jan-
vier 2024 l’Iran, l’Argentine, l’Egypte, l’Ethio-
pie, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes
unis –, qui ont déjà exprimé leur souhait
d’avoir leur propre gouvernance d’Internet.
Quant au monopole de l’Icann sur la « ra-
cine » de l’Internet actuel, où les noms de do-
maines sont en location, peut-il être aboli
pour laisser place à une concurrence ? C’est
ce à quoi travaille Louis Pouzin (92 ans), le
cofondateur français d’Internet, qui a lancé
une racine ouverte et indépendante, où les
utilisateurs achètent leurs noms de do-
maine personnalisés. Au-delà d’entreprises
comme Carrefour ou la RATP qui se sont
intéressées à cette nouvelle architecture
Internet (protocole RINA – Recursive Inter-
Network Architecture –, alternative au TCP/
IP historique), les seuls Etats à l’avoir adop-
tée sont l’Arménie et… le Vatican ! Pas de
quoi influer dans le bras de fer entre
Washington et Pékin, d’où l’Europe est
singulièrement absente. p
charles de laubier
lève de la législation locale et de la
souveraineté.
L’Internet russe utilise les noms
de domaine de l’Icann et les proto-
coles IP et IPv6 normalisés par
l’Internet Engineering Task Force
(IETF), deux organisations
basées aux Etats-Unis.
Qu’en pensez-vous ?
La Russie a été et n’est pas satisfaite
de la configuration actuelle. Parce que
les domaines de pays [comme « .ru »
pour la Russie] ne sont pas légalement
et de facto les attributs de souverai-
neté des pays, mais plutôt des attri-
buts officiels. Ceux qui développent
les protocoles et les plates-formes in-
formatiques ont plus de pouvoir et
d’influence que tout gouvernement
ou organisme de réglementation,
alors qu’ils n’ont pas d’autorité offi-
cielle, ni nationale ni internationale. p
propos recueillis par c. d. l.
22 |
CULTURE
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Le plateau de Saclay au défi de l’urbanité

Alors que le campus scientifique offre un décor déshumanisé, trois constructions subvertissent sa monotonie

ARCHITECTURE

O
n pouvait encore ima-
giner il y a quelques
années, en se forçant
un peu, qu’avec le
temps le climat finirait par
s’adoucir à Saclay (Essonne). Qu’à
force de voir surgir de nouvelles
écoles, de nouveaux logements,
de nouveaux laboratoires ce vaste
chantier battu par les vents
deviendrait un jour une ville
accueillante. Qu’au fil de l’eau
l’ambition affichée par Nicolas
Sarkozy en 2008, de créer sur ces
terres agricoles d’Ile-de-France
une « Silicon Valley à la française »,
fertiliserait tout de même un peu
de vie au passage…
Mais, en cinq ans, l’atmosphère
n’a pas varié d’un iota. A chaque
nouvelle visite, que le temps soit
au beau fixe ou qu’il pleuve des
cordes, le même spectacle de
désolation provoque imman-
quablement le même sentiment
d’effroi incrédule. Des pelouses
ont bien été plantées au milieu des
artères qui quadrillent les deux
quartiers du campus, le Moulon et
Polytechnique. L’horizon tant dé-
siré, et si souvent repoussé, de la
ligne 17 du métro s’incarne désor-
mais très concrètement dans une
longue virgule de béton sur pilotis
où des rails seront bientôt
posés. Un hôpital est même en
chantier. Mais l’espace public est
toujours aussi stérile : une grille
orthogonale remplie de bâti-
ments massifs, aussi indifférents
au vide qu’ils créent autour d’eux
qu’aux sous-bois qui viennent en
lécher la lisière.
Les étudiants et chercheurs sont
bien là, mais restent claquemurés
dans les institutions auxquelles
ils sont rattachés, dont les archi-
tectes ont le plus souvent soigné
l’intérieur. Pour ce qui est de
l’extérieur, la plupart ont rendu
les armes. La logique du plan
urbain (conçu par l’architecte et
urbaniste belge Xaveer De
Geyter), la conception purement
fonctionnaliste de la ville portée
par l’aménageur dans un
contexte marqué par une forte
pression sur les budgets leur
laissaient peu de marge.
En résulte cette collection de pa-
rallélépipèdes balourds, inter-
changeables, rigoureusement
alignés sur la voie publique et
plafonnés à 25 mètres pour res-
pecter le plan local d’urbanisme
(PLU), dont l’Ecole normale supé-
rieure (Renzo Piano, 2020-2021),
le campus de CentraleSupélec
(OMA, 2021), ou plus récemment
le Pôle biologie-pharmacie-chi-
mie de l’université Paris-Saclay
(Bernard Tschumi, 2022),
comptent parmi les joyaux.
« Faire entrer la nature »
Réalisé par Emmanuelle et
Laurent Beaudouin dans le
quartier de Moulon, sur le Deck,
l’artère principale du campus, le
tout nouveau Lumen Center est
une exception qui confirme la
règle. Une forme triangulaire effi-
lée pour un bâtiment lumineux,
tout en verre, enveloppé d’une
double peau en baguettes d’alumi-
nium blanches, qui opère sur la
rue un retrait en corolle. Entre les
deux façades, un parvis vient se ni-
cher, planté d’arbres majestueux.
Bâtisseurs discrets, proches du
grand architecte portugais Alvaro
Siza avec qui ils ont réalisé
plusieurs projets, lauréats en 2022
(avec Ivry Serres) de l’Equerre d’ar-
gent pour la formidable média-
thèque Charles-Nègre, à Grasse
(Alpes-Maritimes), Emmanuelle
et Laurent Beaudouin pratiquent
une architecture intuitive, fondée
sur le dessin, qu’ils ne conçoivent
pas autrement qu’en lien avec
l’environnement qui l’entoure.
La conception de ce Learning
Center a ainsi été guidée depuis
l’origine, expliquent-ils, par le
Le Lumen, dans le quartier de Moulon, à Saclay (Essonne), réalisé par Emmanuelle et Laurent Beaudouin, en septembre. FERNANDO & SERGIO GUERRA
L’entrée principale du bâtiment d’enseignements mutualisés de l’Ecole polytechnique, conçu par Sou Fujimoto. SERGIO GRAZIA
parc situé juste en face, de l’autre
côté du Deck. Les arbres du parvis,
dont les branches devraient bien-
tôt coloniser la double peau, sont
une manière de « faire entrer la
nature dans le bâtiment ». La
façade vitrée les met glorieuse-
ment en scène depuis l’intérieur,
où l’espace, totalement décloi-
sonné, s’enroule en spirale autour
d’un vide central.
Rythmé par une série de colon-
nes en quinconce, tapissé par
endroits de fines baguettes en
bois qui réchauffent l’atmos-
phère, le volume se dilate et se
contracte au fil de la promenade
pour se dissoudre à l’extérieur
dans de grandes terrasses. Dans
un monde où tout va trop vite,
Laurent Beaudouin voulait que ce
bâtiment consacré à la lecture, à
l’étude, à la détente aussi, soit une
invitation à dilater le temps et
même à ralentir la lumière dont
la double peau diffracte les
rayons. Que cette structure mé-
tallique dialogue si bien avec celle
qui enveloppe, depuis quelques
semaines à peine, la future
station de métro du Moulon, est
pure coïncidence.
La gare a beau se trouver au bout
de la parcelle du Learning Center,
les Beaudouin en découvrent l’ap-
parence aujourd’hui seulement.
« Il n’y a jamais eu de rencontre
entre les différents intervenants du
quartier, ni avec l’urbaniste, ni avec
les paysagistes, ni avec les architec-
tes des autres projets. On ne sait pas
ce que font les autres. On n’a jamais
vu une image de la gare. C’est
contraire à l’urbanité, telle que je
l’entends, dans le double sens de ce
mot qui recouvre aussi bien la no-
tion de ville que celle de politesse. »
La grâce aérienne du Lumen
Center, la rupture qu’il opère avec
l’orthogonalité ambiante, le lien
avec le parc sont des choses bien
trop fragiles pour contrer les
effets de l’urbanisme saclaysien.
Mais, au-delà de la critique qu’il
en fait, le bâtiment joue le rôle
d’agent provocateur. Il suggère,
Les architectes
ont le plus
souvent soigné
l’intérieur
des bâtiments
alors que le campus continue de
se construire, qu’un virage est
encore possible.
L’urbanité faisait aussi partie
des préoccupations de Marc
Mimram pour son projet de
campus pour AgroParisTech
(livré en 2022, dans le quartier de
Polytechnique). Cet archipel de
bâtiments fonctionnels (une di-
zaine, de tailles et de formes diffé-
rentes, reliés entre eux par un sys-
tème de passerelles) ne retien-
drait pas l’attention s’il ne s’insé-
rait pas dans un grand jardin
paysager ouvert sur le campus.
Assumant la modestie de son
geste comme le prix à payer dans
le cadre d’un budget contraint
(165 millions d’euros pour
65 000 mètres carrés de pro-
gramme), l’architecte a voulu
prouver qu’on pouvait bâtir autre
chose sur ce plateau que des
forteresses paranoïaques.
N’importe qui aujourd’hui peut
entrer dans le jardin, s’attarder
sur une chaise longue, le traverser
pour rejoindre un autre lieu du
campus… Plus qu’une brèche,
c’est un véritable espace public
que l’établissement offre à la ville,
un espace vivant qui ouvre les
perspectives plutôt que de les
obstruer et invite à voir la ville
comme un bien commun. Par
ricochet, le projet interroge sur les
ressorts qui ont conduit, jusqu’à
présent, les autres institutions du
plateau à se concevoir à l’inverse
comme des îlots assiégés sans
aucun compte à rendre au monde
qui les entoure.
Le bâtiment d’enseignements
mutualisés de l’Ecole polytech-
nique (conçu pour accueillir les
programmes pédagogiques de
sept établissements d’enseigne-
ment supérieur et de recherche
du quartier, dont Polytechnique)
aurait pu lui aussi subvertir le
plan urbain de Xaveer De Geyter.
Les larges escaliers blancs qui
galopent sur sa façade en verre
étaient, à l’origine, pensés comme
de véritables plates-formes, espa-
ces intermédiaires propices à la
rencontre, ouverts à l’appropria-
tion, points de jonction entre
l’intérieur du bâtiment et le
monde. Les normes de sécurité en
ont décidé autrement. Les lec-
teurs de badges étant situés au
rez-de-chaussée, l’accès par l’exté-
rieur s’est avéré inenvisageable et
ces grands escaliers ne servent
plus qu’à filer à l’anglaise.
Une forêt d’escaliers
Conçu par l’architecte japonais
Sou Fujimoto et le trio d’archi-
tectes français qui était allé le
chercher pour le projet de l’Arbre
blanc à Montpellier (Manal
Rachdi, Nicolas Lainé, Dimitri
Roussel), ce bâtiment, livré
en 2023, mérite aussi qu’on s’y at-
tarde pour ce qu’il enferme. Un
grand vide, en l’occurrence, qui
s’élève sur toute la hauteur le long
de sa façade en verre, dans lequel
se déploie une forêt d’escaliers et
de passerelles métalliques d’un
blanc immaculé, au cœur de
laquelle s’invitent des arbres
plantés en pleine terre.
Fonctionnellement conçu pour
conduire aux salles d’enseigne-
ment situées sur les mezzanines,
ce système arachnéen vise bien
plus. L’architecte japonais, qui
s’est beaucoup appuyé sur les es-
caliers pour libérer de l’espace
dans les minuscules maisons qui
l’ont rendu célèbre, espère que
ceux-ci provoqueront des rencon-
tres mais aussi des visions inspi-
rantes, qu’ils serviront d’espaces
de travail aussi bien que de loisir,
et, idéalement, qu’ils sauront pro-
voquer de nouvelles manières
d’enseigner. Dans ce paysage fasci-
nant qu’ils fabriquent, à la croisée
des délires surréalistes de Maurits
Cornelis Escher et des décors de
Miyazaki, les humains paraissent
flotter en apesanteur dans un
monde qui n’attend qu’une
chose : s’ouvrir sur l’extérieur. p
isabelle regnier
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
La Suisse ouvre
les vannes
de l’humour
Les comédiens helvètes Yann
Marguet, Thomas Wiesel et
Alexandre Kominek, présents à
la dernière édition du Montreux
Comedy Festival, ont pris le chemin
des salles et des radios françaises
REPORTAGE
lausanne (suisse) - envoyée spéciale
I
ls s’appellent Yann Marguet,
Thomas Wiesel, Alexandre
Kominek. Ces trois humoris-
tes suisses ont récemment
conquis le public français, chacun
dans son style, mais avec une
dose commune d’autodérision et
de liberté de ton. Après avoir
fait leurs premières armes dans
leur pays, ces trentenaires sont
« montés » à Paris pour élargir
leur audience et leur notoriété,
sans rompre les liens avec leur
berceau helvétique. Comme en
France, les comedy clubs se multi-
plient en Suisse romande et font
émerger une scène de stand-up
de plus en plus foisonnante.
En cet automne, tous les trois
ont participé à la 34e édition du
Montreux Comedy Festival, le
rendez-vous annuel de l’humour
francophone, qui s’est tenu du
8 au 18 novembre à Lausanne
(une délocalisation exception-
nelle pour cause de travaux à
l’auditorium de Montreux). Une
parenthèse incontournable,
avant de reprendre le chemin du
Petit Théâtre du Gymnase
(Alexandre Kominek), du théâtre
La Scène libre (Yann Marguet), à
Paris, ou d’une tournée franco-
suisse avant la salle parisienne du
Trianon, pour Thomas Wiesel.
En robe de chambre soyeuse
qui laisse apparaître son torse
nu, Alex Kominek endosse son
rôle fétiche de latin lover, kitsch
et fêtard, pour animer son pre-
mier gala au festival suisse. C’est
ce personnage survitaminé de
« dalleux » (habituellement ha-
billé dans son spectacle), de loser
charismatique, de dominant do-
miné, raconteur intarissable
d’incroyables histoires de drague
et de sexe, qui fait, depuis quel-
ques mois, le succès en France
de ce Genevois. Son show est tel-
lement décomplexé et cru que ce
jouisseur impudique déclenche
des salves de rires. Loin, très loin
de l’humour de son compatriote
et ami Thomas Wiesel, qui, avec
un calme déconcertant et un
sens aiguisé de l’observation de
notre époque, a su construire
avec précision un nouveau spec-
tacle de stand-up à thème sur la
place du travail dans nos vies.
Dans la veine d’un artiste
comme Haroun, ce Lausannois
utilise l’humour comme arme
de réflexion pour titiller le pu-
blic sur le sacro-saint boulot et
les raisons qui poussent
aujourd’hui les trentenaires à ne
plus mettre leur « taf » au centre
de tout. Yann Marguet, quant à
lui, se penche sur le sens de l’exis-
tence dans un spectacle à dimen-
sion théâtrale. Avec drôlerie et
profondeur, ce Vaudois à la bon-
« Etre suisse
ne change rien.
Ce métier est
une course de
fond où il ne faut
jamais être aigri »
ALEXANDRE KOMINEK
humoriste
homie attachante et à la verve
savoureuse s’interroge sur notre
condition humaine dans ce
monde de fureur.
Trois univers très différents,
mais qui ont en commun d’avoir
été construits avec un fil rouge,
sans être une simple juxtaposi-
tion de punchlines rodées sur des
plateaux de scènes ouvertes. « J’ai
trouvé petit à petit mon clown et
mon goût pour le storytelling », ré-
sume Alexandre Kominek. Son
grain de folie sur scène, qui fait la
force de sa présence, il le doit,
dit-il, aux cours de théâtre du co-
médien suisse David Valère :
« C’est mon père spirituel. »
Avant de bifurquer vers l’hu-
mour, ces trois Suisses romands
avaient d’autres velléités. HEC
Lausanne, puis la comptabilité,
pour Thomas Wiesel, un bachelor
de création artistique à l’école ge-
nevoise CREA pour Alexandre Ko-
minek, un master de droit et un
doctorat inachevé en criminolo-
gie, et une tentative d’être ensei-
gnant pour Yann Marguet. Mais le
monde traditionnel du travail n’a
attiré aucun d’entre eux. Pour le
premier, l’écriture et la scène ont
été « un saut dans le vide », pour le
deuxième, une manière « d’arrêter
de se mentir sur ses envies profon-
des », pour le troisième, « une
bonne surprise », en adéquation
avec son caractère « dilettante ».
Polyvalence indispensable
« Quand j’ai débuté, en 2012, cela
semblait excentrique et financière-
ment risqué de vouloir être ar-
tiste », se souvient Thomas Wie-
sel. Avec 2 millions d’habitants en
Suisse romande, difficile, contrai-
rement à la situation en France,
de faire tourner son spectacle sur
plusieurs années. Le renouvelle-
ment des textes doit être régulier
et la polyvalence est quasi indis-
pensable. « Faire une soixantaine
de dates, c’est le grand maxi-
mum », explique le Lausannois.
Après avoir débuté dans les
comedy clubs, il décroche une
chronique sur La Première (radio
publique suisse) et multiplie les
animations de soirées d’entre-
prise, « une bonne école de la
scène, peu considérée par les hu-
moristes français ». « Neuf mois
après mes débuts, j’ai pu vivre de ce
nouveau métier, deux ans plus
tard, me définir comme humoriste
et, au deuxième spectacle, me sen-
tir légitime dans l’écriture », ra-
conte Thomas Wiesel.
Ces humoristes suisses évo-
quent leur parcours avec un
franc-parler moins partagé par
leurs homologues français.
« Nous sommes peut-être dans un
état d’esprit différent. Il y a moins
de concurrence chez nous, on joue
moins notre vie à tenter de pren-
dre le micro », reconnaît Thomas
Wiesel. Si ça ne prend pas assez à
Paris, le retour au pays n’est pas
mal vécu. Et puis, en Suisse, es-
time Yann Marguet, « les deals
sont bons. On n’a pas le régime de
l’intermittence du spectacle, mais
on est correctement payés ».
Grégoire Furrer, président-fonda-
teur du Montreux Comedy Festi-
val, évoque ce qu’il considère
comme « le cercle vertueux de la
Suisse : les humoristes peuvent
s’affûter dans les comedy clubs,
décrocher des interventions bien
culture | 23
Thomas Wiesel et Alexandre Kominek, lors du Montreux Comedy Festival, au Théâtre de Beaulieu, à Lausanne, le 16 novembre. LUCA DEVITA
rémunérées sur le service public Quatre-vingt-cinq dates maxi- du Gymnase, Paris 10e,
radiophonique et être appelés
« Il y a moins mum par an, dont 70 % en Suisse, puis du 12 janvier au 30 mars
pour des soirées d’entreprise éga- de concurrence 20 % en France et 10 % en Belgi- à L’Européen, Paris 17e.
lement bien rétribuées ». que. Alexandre Kominek, quant à Exister, définition. De
D’abord auteur et chroniqueur
chez nous, lui, se régale de son audience l’infiniment grand à l’infiniment
pour la radio Rouge FM, Yann on joue moins grandissante en France. « Mainte- con, de et avec Yann Marguet,
Marguet a rejoint en 2016 la radio nant, les Suisses m’attendent », en collaboration avec Frédéric
publique suisse Couleur 3, où ses
notre vie à tenter dit-il avec un large sourire. p Recrosio, jusqu’au 30 décembre
chroniques « Les Orties » sont de prendre sandrine blanchard à La Scène libre, Paris 10e.
particulièrement remarquées. Thomas Wiesel travaille, de et
Avec l’aide du comédien Frédéric
le micro » Bâtard sensible, de et avec avec Thomas Wiesel, en tournée,
Recrosio, « sa première bonne THOMAS WIESEL Alexandre Kominek, jusqu’au puis le 9 février au Trianon,
étoile », le Vaudois va transformer humoriste 30 décembre au Petit Théâtre Paris 18e.
ce succès radiophonique en écri-
ture d’un premier spectacle.
« J’aime travailler une étape après
l’autre », précise-t-il. Sa première
tournée en Suisse a réuni
36 000 spectateurs en 80 dates. Le
Vaudois a un leitmotiv : « Fais ton
travail au mieux, les bonnes cho-
ses arriveront. » C’est ainsi que
Yann Barthès, l’animateur de
« Quotidien », sur TMC, amateur
APPEL À CANDIDATURES
des « Orties », le contacte, fin 2019.
Le Covid-19 stoppe le projet, mais
« la graine est plantée ». Depuis la
rentrée, Yann Marguet officie
dans son émission, avec sa chro-
nique désopilante, « Vivement
qu’on crève ». Et on le retrouve
aussi sur France Inter.
La radio publique française est
l’autre point commun de ces trois
humoristes. Thomas Wiesel a in-
tégré « La Bande originale », de
Nagui, entre 2017 et 2018, Alexan-
VOUS ÊTES ÉTUDIANT.E EN JOURNALISME* ?
dre Kominek a rejoint cette
même émission depuis 2022 et
Yann Marguet, celle de « Zoom
Zoom Zen », de Matthieu Noël, LA PRESSE VOUS PASSIONNE ?
depuis la rentrée. Leur compa-
triote l’humoriste Marina Roll-
man n’est pas étrangère à leurs ENQUÊTE • REPORTAGE • PORTRAIT •
•
venues. Une sorte d’entraide SURPRENEZ-NOUS AVEC UN RÉCIT AU LONG COURS
suisse. « On se connaît tous », di-
sent-ils en chœur. SUR UN SUJET LIÉ AUX FEMMES.
TEXTE À RENDRE AVANT LE 1er MARS 2024.
La « hype » parisienne
« Etre suisse ne change rien, as-
sure Alexandre Kominek. Ce mé- À LA CLÉ
tier est une course de fond où il ne
faut jamais être aigri. » Il faut • LA PUBLICATION DE VOTRE ARTICLE
aussi avoir la sagesse de « ne pas DANS « ELLE »
se prendre au sérieux », ajoute
Yann Marguet, amusé par la ten- • UN CDD DE TROIS MOIS AU SEIN
**
dance parisienne à vouloir tou- DE LA RÉDACTION
jours être « sur la hype ». A son ar-
rivée à Paris, il s’est senti « très
stressé et pas très heureux ». Dé-
sormais, entre son spectacle et
ses chroniques, il y passe près de
cinq jours par semaine. « Mais je POUR S’INSCRIRE prixdurecit.elle.fr
ne parviens pas à me résoudre à
quitter totalement la Suisse :
j’aime mon appart et ma vie là-
bas. » Pour l’heure, Yann Marguet
se laisse porter par les opportu- * En dernière année de l’une des 14 écoles de journalisme sélectionnées par la rédaction
nités et les rencontres. et listées dans le règlement du Prix.
Thomas Wiesel, lui, n’est pas fait ** Et une prime de 2 000 euros bruts versée à l’issue du premier mois.
pour les grandes villes. « Je n’ai ja-
Les modalités de participation et critères de sélection sont détaillés dans le règlement disponible
mais été à l’aise à Paris, et je ne
veux pas y vivre. J’ai envie de me
sur prixdurecit.elle.fr
réaliser en étant heureux plus CMI France, SAS au capital de 5 178 300 euros, siège social : 3 - 9, avenue A ndré- M alraux, 92300 Levallois- Perret,
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n°324 286 319.
qu’en ayant du succès », assume-
t-il. A tel point que le Lausannois a
volontairement limité le nombre
et les destinations de sa tournée.
24 | culture 0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

IA : les auteurs redoutent une spoliation massive

Le monde de la culture réclame une action européenne pour assurer la transparence sur les données utilisées

ENQUÊTE destiné à dynamiser la recherche

en IA créé par le fondateur d’Iliad,
Si une IA écrit

L
a France renonce-t-elle à
protéger ses créateurs
face à l’intelligence artifi-
cielle (IA) ? « Historique-
ment, c’est la première fois que la
France, où a été inventé le droit
d’auteur, ne défend pas la propriété
intellectuelle », déplore Pascal Ro-
gard, directeur général de la So-
ciété des auteurs et compositeurs
dramatiques (SACD). Pire, selon
une note de la Fédération des édi-
teurs européens, la Chine a adopté
dans son projet de législation sur
l’IA une position plus favorable
aux créateurs que celle de l’Hexa-
gone. « On se fait aussi faire la le-
çon par la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis, c’est le monde à l’en-
vers ! », renchérit Nathalie Cham-
baz, responsable juridique du
Conseil permanent des écrivains.
Un texte adressé le 17 novembre
au gouvernement français para-
phé par quatre-vingts organisa-
tions-clés du cinéma, de l’audiovi-
suel, de l’édition, de la musique,
des arts plastiques, de la photo-
graphie, témoigne de l’exaspéra-
tion du monde de la culture vis-à-
vis de la position française défen-
due sur le plan européen dans ce
dossier. Plus précisément, cette
colère se cristallise sur la question
de la transparence des données
d’entraînement utilisées par les
modèles d’intelligence généra-
tive. Un prérequis et un impératif
absolu pour les créateurs.
Cafouillage
Or, au moment où la Commission
européenne, le Parlement euro-
péen et le Conseil de l’Union euro-
péenne négocient avant une réu-
nion, le 6 décembre, dans le cadre
d’un « trilogue » autour de la posi-
tion de l’UE sur l’IA, un document
non officiel que Reuters s’est pro-
curé a mis le feu aux poudres. Pour
éviter de ralentir l’innovation de
cette technologie en Europe, Paris
a rallié à sa cause Berlin et Rome
sur un texte assez peu contrai-
gnant pour les fournisseurs d’IA,
en ne leur imposant, dans un pre-
mier temps, aucune sanction. Et
sans les contraindre non plus à
Un texte adressé donner la liste des œuvres utili-
au gouvernement sées pour entraîner les modèles
d’intelligence générative.
témoigne Une position en retrait d’un
de l’exaspération point de vue du droit d’auteur par
rapport à celle du Parlement, qui a
du secteur présenté une loi sur l’IA en juin.
vis-à-vis de la Au ministère de la culture, on es-
saie de minimiser l’affaire : « Ce
position française n’est pas un document officiel, il
date déjà de deux semaines et la
position de la France n’est pas arrê-
tée. » La même source assure :
« Les discussions se poursuivent et
le gouvernement ne souhaite pas
s’opposer à des mesures de trans-
parence. En réunion interministé-
rielle, il nous a été demandé de tra-
vailler sur un texte qui assure le
respect de la propriété intellec-
tuelle, selon des modèles éthiques,
loyaux et transparents. »
Ce cafouillage témoigne des dis-
sensions internes au sein du gou-
vernement et combien Bercy a
fait barrage à ces demandes de
transparence. Bruno Le Maire, mi-
nistre de l’économie, avait ainsi
appelé début novembre l’Union
européenne à « innover » avant de
réguler le développement de l’IA.
Le 18 novembre, lors de l’inau-
guration à Paris d’un laboratoire
Xavier Niel (actionnaire à titre in-
dividuel du Monde), Rodolphe
Saadé, le patron de CMA-CGM, et
l’ancien président exécutif de
Google Eric Schmidt, Emmanuel
Macron leur avait adressé un
message en parlant du « défi civili-
sationnel » que constitue l’IA.
Le chef de l’Etat avait souligné
son attachement à la protection
« de nos droits d’auteur et de nos
droits voisins pour laquelle la
France a toujours été en tête ».
Quant à la régulation de ce nou-
veau secteur, il avait souhaité
« des modèles sûrs, loyaux et trans-
parents », et rappelé sa volonté de
« garantir et protéger la propriété
intellectuelle ». Ce qui ne l’avait
pas empêché de prôner une ap-
proche libérable favorable à l’in-
novation, qui soit « non punitive »
pour les entreprises.
« Absolue contrevérité »
Pour l’heure, le monde de la cul-
ture s’inquiète de ce qu’il nomme
la tendance technophile du gou-
vernement qui s’installe, malgré
les dénégations de la Rue de Va-
lois, aux dépens de la propriété in-
tellectuelle. « Midjourney, l’IA qui
permet de créer des images, ne
vaut que grâce à la propriété intel-
lectuelle qu’elle utilise, mais qu’elle
a totalement pillée », relève Re-
naud Lefebvre, directeur général
du Syndicat national de l’édition.
L’opacité savamment organisée
par les entreprises d’IA est telle
qu’on ne peut plus identifier les
données utilisées pour entraîner
les IA génératives. Si l’une d’entre
elles écrit à la manière de Michel
Houellebecq par exemple, il sera
difficile pour l’auteur ou pour
son éditeur d’attaquer juridique-
ment, puisque personne ne
connaît la liste des œuvres
pillées. Le droit est plus simple à
faire respecter dans le cas d’une
contrefaçon classique d’ouvrage.
« Pourquoi une machine s’arroge-
rait le droit de faire n’importe
quoi, au mépris du droit
d’auteur ? », se demande Nathalie
Chambaz. Quant à l’argument
à la manière
de Houellebecq,
il sera difficile
pour l’auteur ou
pour son éditeur
d’attaquer
juridiquement
des entreprises d’IA qui brandis-
sent la difficulté technique à four-
nir la liste des œuvres utilisées,
Jean-Philippe Mochon, média-
teur du livre et de la musique, as-
sure qu’il s’agit d’« une absolue
contrevérité ».
Frédéric Maupomé, président
d’honneur de La Ligue des auteurs,
redoute que le gouvernement,
en pariant sur un « mirage », le
développement hypothétique de
start-up, oublie l’« économie bien
réelle » et le secteur des indus-
tries culturelles, « qui réalise
aujourd’hui 4 % du PIB ». La SACD
s’en agace aussi et affirme : « La
composition même du comité de
l’intelligence artificielle générative,
chargé de contribuer à éclairer les
décisions du gouvernement, suscite
beaucoup d’interrogations. »
Hormis l’avocate Alexandra
Bensamoun, spécialisée en droit
de la propriété intellectuelle et du
numérique, les douze autres
membres de ce comité sont es-
sentiellement des représentants
d’entreprises (dont Google, Meta,
Dassault Systèmes et Mistral AI,
l’une des start-up françaises les
plus en pointe dans l’IA). « C’est la
première fois que l’on voit dans
une commission deux membres
d’une même entreprise, Mistral AI,
avec son fondateur, Arthur
Mensch, et son lobbyiste bruxel-
lois, Cédric O, ex-secrétaire d’Etat
au numérique », note-t-on à la
SACD. Comment défendre le droit
d’auteur au sein d’un tel comité ?
Une manière de s’étonner de ce
qui se passe quand un loup est
introduit dans une bergerie. p
nicole vulser

MUS I QU ES
Annette Messager s’expose Sting, Daho, Obispo
et Jean-Michel Jarre
chez Emmaüs au programme
des Francofolies
Les organisateurs des
Francofolies de La Rochelle

CHANGEMENT
CLIMATIQUE :
A une grande artiste, il suffit de peu
d’œuvres et de peu d’espace. A Transfo,
centre culturel d’Emmaüs Solidarité,
Annette Messager dispose d’une unique salle
son côté funéraire. C’est aussi une allusion im-
médiate aux nombreuses installations à base
de vêtements que réalisa Boltanski.
L’autre création est un cercle fait de dix-
ont annoncé, jeudi 23 novem-
bre, les noms de plusieurs
vedettes au programme de
la 40e édition du festival de

COMMENT
au sol et plafond de verre et d’un seul haut mur
blanc. Elle y a accroché l’une de ses sculptures
de 2017 faite d’un grand sac de couchage plié en
RÉUSSIR À amande, ouvert en son centre, noir et blanc,
avec quelques signes peints, noir et blanc aussi.
S’ADAPTER ? Le choix de cette œuvre n’est pas neutre : le sac
de couchage fait immédiatement penser à
ceux où tentent de s’abriter les SDF.
De la partie supérieure du sac sortent trois
14 décembre 2023 mains noires aux doigts tendus ou crochus,
l’une au centre, à la place de la tête, les deux
9h à 12h - Paris autres sur les côtés. Mandorle, visage, sexe : à
chaque regard son interprétation. Mais la pre-
mière des trois se trouve renforcée par la pré-
sence, de part et d’autre, de six Vœux Croix-
Cheveux de 1989 suspendus à des fils : des
croix grecques faites chacune de cinq petits
cadres, celui du centre renfermant des che-
veux, les quatre autres le même mot manus-
crit répété d’un bord à l’autre. L’association de
ces travaux séparés par près de quatre décen-
nies montre la cohérence de l’œuvre de
Messager à travers la diversité des modes
d’expression : l’artiste invente sans cesse des
formes à haute teneur symbolique.
Assemblage de chaussures
Il en est de même des deux autres œuvres pré-
sentées, très récentes et intimes. L’une est un
simple manteau sombre étalé au sol sur lequel
INSCRIPTION GRATUITE SUR des galets sont posés, selon la coutume juive.
LEMONDE.FR/METEOFRANCE-CLIMAT Il appartenait à Christian Boltanski (1944-
2021), son compagnon un demi-siècle durant.
Il est placé un étage plus bas et on ne le voit
que sous le plancher vitré, ce qui en accentue
huit chaussures, neuf féminines, neuf mascu- musique, prévue dans divers
lines, les féminines étant glissées dans les lieux de la préfecture de
masculines. Ces assemblages sont tantôt plu- Charente-Maritime, du 10 au
tôt harmonieux, tantôt très désaccordés : ma-
nière de tenir par métaphores interposées la
14 juillet 2024. Le Britannique
Sting sera la tête d’affiche
chronique du couple. En-
semble BC-AM est le titre
L’ASSOCIATION
de la première soirée, qui
recevra aussi Etienne Daho.
de ce ready-made autobio- Seront accueillis, les jours
graphique et « Affaires per- DE TRAVAUX suivants, Patrick Bruel, Pascal
sonnelles » celui de l’expo-
sition, sobre et intense. SÉPARÉS PAR
Obispo, Grand Corps Malade,
PLK, Josman, Ninho, Bigflo
Les mêmes mots valent
QUATRE DÉCENNIES & Oli, Jean-Michel Jarre
pour les photographies de ou le groupe Phoenix.
Nicolas Krief accrochées et MONTRE
projetées au rez-de-chaus- Diddy visé par
sée. Elles ont été prises LA COHÉRENCE de nouvelles accusations
dans des bagageries soli- d’agressions sexuelles
daires où SDF et sans-pa- DE L’ŒUVRE Le rappeur Sean Combs, alias
piers peuvent mettre ce Diddy, est visé par de nouvel-
qu’il leur reste de biens à l’abri du vol. Krief ca- les procédures civiles pour
dre les coffres ouverts et les hommes qui agression sexuelle, une
viennent y ranger ou y prendre de quoi se la- semaine après que la vedette
ver et s’habiller. Presque tous ont refusé que américaine a réglé à l’amiable
leurs visages soient visibles. Ils sont donc de une affaire de viol et de
dos ou au fond d’un corridor ou en partie ca- violences physiques, selon
chés par la porte d’une armoire. Leurs histoi- le magazine Rolling Stones.
res, on ne peut que les supposer d’après les Joi Dickerson-Neal accuse le
natures mortes que Krief scrute avec la rappeur de l’avoir « droguée,
précision d’un anthropologue. p sexuellement agressée et
philippe dagen abusée » en 1992. Une autre
femme, qui a conservé l’ano-
« Affaires personnelles », Transfo, nymat, déclare que Sean
36, rue Jacques-Louvel-Tessier, Paris 10e. Combs et son collaborateur
Du lundi au samedi, de 14 heures à 19 heures. l’ont violée lors d’une fête
Entrée libre. Jusqu’au 3 février. dans les années 1990. – (AFP.)
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023 télévision | 25
Les financiers du crime organisé sortent de l’ombre NOTRE
SÉLECTION
Un documentaire, entre thriller économique et saga historique, raconte le rôle des « banskters » de la mafia
M AR D I 28 N OV EM BR E

ARTE.TV
MARDI 28 - À LA DEMANDE Mezzo Live
DOCUMENTAIRE Rafael Payare, Orchestre
symphonique de Montréal

I
ls s’appellent Meyer Lansky,
Michele Sindona, Du
Yuesheng ou encore Boris
Birshtein. Ces hommes, tirés
à quatre épingles, manipulent les
chiffres comme leurs associés
manient les revolvers. Dans l’om-
bre des chefs mafieux, ce sont
eux, les « banksters » (contraction
de « banquier » et de « gangster »),
à qui les groupes criminels con-
fient la mission de faire prospérer
leurs capitaux. Ils passent de
l’ombre à la lumière au long d’un
documentaire édifiant en trois
parties qu’Arte consacre à l’irré-
sistible alliance entre la pègre et la
finance internationale.
Cette histoire des mafias vue par
le prisme des livres de comptes dé-
bute aux Etats-Unis, dans les an-
nées 1920, au temps de la Prohibi-
tion. La marge sur une bouteille de
bon whisky écossais est alors com-
parable à celle réalisée aujourd’hui
sur la cocaïne. La saga traverse un
siècle d’euphorie et de scandales,
jusqu’aux derniers « leaks » révé-
lant les millefeuilles de sociétés-
écrans où fructifie l’argent sale.
21.00 Rafael Payare (43 ans) est,
comme Gustavo Dudamel, un
produit de l’organisation musicale
vénézuélienne El Sistema. Le chef
d’orchestre, nommé directeur
musical en 2022 de l’Orchestre
symphonique de Montréal, le dirige
ici dans Ravel et Chostakovitch.
France 5
Centenaires, les secrets
de la longévité
21.05 Ce numéro du magazine
« Enquête de santé », de Marina
Photo non Carrère d’Encausse, s’interroge
datée de sur une spécificité française qui fait
L’Américain de notre pays le tenant du record
Meyer Lansky du nombre de centenaires : enquête
(1902-1983), sur les secrets de cette étonnante
comptable longévité, suivie d’un débat.
et bras droit
du mafieux Canal+
Lucky Luciano Le Principal
(1897-1962). 21.10 Ce film de Chad Chenouga
YAMI 2 (2023) raconte l’engrenage du
mensonge d’un chef d’établissement
(Roschdy Zem) qui va trahir
sa fonction en trichant pour que son
fils puisse se sortir du déterminisme
social auquel lui-même a échappé.

Empoisonné au cyanure Ciné+ Emotion

Fascinants, les banksters le sont
aussi pour les chefs mafieux eux-
mêmes. L’incontournable Lucky
Luciano, l’un des boss de la Mafia
italo-américaine, ne cache pas son
admiration pour Meyer Lansky,
son ami d’enfance si doué en ma-
thématiques, qui va devenir son
bras droit chargé des « affaires » –
un large panel, de l’installation de
machines à sous dans les spea-
keasy (des bars clandestins) jus-
qu’aux transferts d’argent dans les
paradis fiscaux. Entre établisse-
ments bancaires à la réputation
respectable et groupes criminels
sans foi ni loi commence déjà un
étourdissant pas de deux.
Pour percer à jour cette zone
grise, le réalisateur Christophe
Bouquet évite les clichés et les ef-
fets de manche, qui, souvent, pol-
luent l’offre, pléthorique, des pla-
tes-formes de vidéos sous le mot-
clé « mafia ». Lui privilégie le di-
dactisme, suit une chronologie
scandée par les points de rupture
de la finance mondiale, qui cons-
tituent autant d’opportunités
d’enrichissement pour les mafias.
En mouvement permanent,
entre New York et Shanghaï, Pa-
lerme et La Havane, les trois épi-
sodes décryptent les montages fi-
nanciers les plus rentables, quand
les banquiers occultes conju-
guent rationalité et créativité
pour dissimuler les revenus illici-
tes de leurs donneurs d’ordre.
Parmi eux, le Sicilien Michele
Sindona (1920-1986) occupe une
place à part. Cet ancien livreur de
lait (parfois coupé à l’eau), di-
plômé en droit à Milan, est devenu
le financier incontournable de
Cosa Nostra, mais aussi du Vati-
can. Il fut l’un des premiers à utili-
ser à plein les législations de la
Suisse, du Liechtenstein ou de cer-
taines îles caribéennes pour faire
voyager autour du monde les capi-
taux. En 1972, il va jusqu’à acqué-
rir une banque américaine, la
Franklin National Bank, pour gé-
rer son pactole à sa main. Deux
ans plus tard, la banque fait faillite.
Son liquidateur est assassiné
en 1979. Quant à Sindona, il meurt
en prison en 1986, après avoir bu
un café empoisonné au cyanure.
Une autre de ces banques
taillées sur mesure a pour siège
Karachi, au Pakistan. La Banque
de crédit et de commerce interna-
tional (BCCI) se présente comme
la « banque des déshérités ». Elle
va devenir, sous ce vernis huma-
nitaire, une entreprise de recy-
clage à grande échelle. Au début
des années 1980, elle compte
parmi ses clients des dictateurs,
des groupes terroristes, mais
aussi le Colombien Pablo Escobar,
le chef du cartel de Medellin, qui
répand la poudre blanche comme
le sang dans les rues de Miami.
Infiltration périlleuse
Les révélations sur les revenus du
cartel sont rendues possibles
grâce à l’infiltration périlleuse,
dix-huit mois durant, d’un agent
des douanes américaines auprès
de ses gestionnaires. Sous le nom
de Bob Musella, le fonctionnaire
gagne la confiance des narcos, jus-
qu’aux plus proches complices
d’Escobar. Jusqu’à ce que l’expé-
rience prenne fin lors de la célébra-
tion de son faux mariage, au cours
Les banquiers
occultes
conjuguent
rationalité
et créativité pour
dissimuler les
revenus illicites
duquel sont interpellés 85 des invi-
tés, tous liés au narcotrafic.
Après la chute du mur de Berlin,
la gloutonnerie des banquiers du
crime prend une autre dimen-
sion. Le rythme du documentaire
s’emballe avec celui de la dérégu-
lation financière des années 1990
et la massification des trafics de
stupéfiants. Il raconte comment
le marché des matières premières
a soutenu l’essor du crime orga-
nisé russe, qui placera Chypre sur
la carte des refuges favoris pour
l’argent sale. Et comment les tria-
des chinoises, enracinées au Ca-
nada, sauront utiliser les jetons
plastifiés de leurs casinos – pou-
vant valoir plusieurs millions de
dollars chacun – pour franchir les
frontières, d’une salle de jeu vers
une autre, hors de tout contrôle.
Un grand casino où rien ne va
plus : c’est ainsi qu’apparaît dé-
sormais le monde de la finance en
proie aux banksters. Les enquêtes
les plus récentes mènent ainsi
vers des pistes a priori insoupçon-
nables. Comme lorsque, en 2018,
la Danske Bank, première banque
du Danemark, se retrouve au
cœur d’un scandale pour avoir
fait transiter plus de 200 milliards
d’euros d’argent sale en prove-
nance de Russie… C’est sur cet in-
quiétant constat que se referme
cette saga criminelle : l’accès aux
institutions financières par les
groupes mafieux ne relève plus
aujourd’hui d’un tour de force,
mais de la banalité. p
thomas saintourens
Mafias et banques, de
Christophe Bouquet et Mathieu
Verboud (Fr., 2023, 3 × 60 min).
Sur Arte.tv jusqu’au 25 mai 2024.
Quatre mariages
et un enterrement
23.10 Cette comédie sentimentale
de 1994, devenue culte, se revoit
avec plaisir. Avec une belle brochette
d’acteurs (Andie MacDowell,
Hugh Grant, Kristin Scott Thomas,
Simon Callow).
LCP
Comme tu es belle ! Avoir
20 ans en pays taliban
0.30 Sofia et Niguina sont jeunes,
belles, meilleures amies. Derrière
les rideaux de leur salon de beauté
de Kaboul, leur dernier espace de
liberté, dont la façade a été saccagée
par les talibans, elles font vivre
à bout de bras une petite équipe. En
attendant de pouvoir quitter le pays.
Apple TV+
The Morning Show
A la demande La saison 3 de
cette série trépidante (également
sur Canal+) rattrape les moments
lénifiants qui avaient quelque peu
ralenti la précédente. Elle vient de
s’achever : voici l’occasion de la juger
en son entier, voire de la « binger ».

0123 est édité par la Société éditrice

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75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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porteur de pluie ou de folie. 12. Mît et sur lemonde.fr/boutique Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
Nie. 10. Levier. 11. Nurse. Anna. 12. Transcrits. papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
en terre pour plus tard.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
26 | carnet 0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Madeleine Le Roy Ladurie, Sainte-Marie-de-Ré. Souvenons-nous de

son épouse, Communication diverse
François et Elisabeth Toute sa famille Erik IZRAELEWICZ,
Le Roy Ladurie, directeur du Monde,
en vente Anne et Thomas Chattaway, a la douleur et le chagrin de faire part
actuellement Le Carnet ses enfants, du décès de qui nous a quittés il y a onze ans, le
Benoît, Lucien, Claire, Irène, Laurent, 27 novembre 2012.
Martin, Etienne, M me
Rolande RODRIGUEZ,
K En kiosque Vous pouvez nous faire ses petits-enfants née 26 juin 1929, Nous pensons à lui et aux siens.
et leurs conjoints,
parvenir vos textes Cléophée et Renée, survenu le 19 novembre 2023, à Louis Dreyfus,
ses arrière-petites-illes, La Rochelle, à l’âge de quatre-vingt- Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Jérôme Fenoglio
soit par e-mail :
HORS-SÉRIE

quatorze ans. Et l’ensemble des équipes du

ont la tristesse de faire part du décès Groupe Le Monde.
carnet@mpublicite.fr de La cérémonie religieuse a lieu Les bénévoles de SOS Amitié
(en précisant impérativement ce lundi 27 novembre, en l’église écoutent
Emmanuel LE ROY LADURIE, Saint-André de Chelles, suivie de Conférences
votre numéro de téléphone historien,
par téléphone et/ou par internet
l’inhumation dans la sépulture
SECRETS
LES
et votre éventuel numéro membre de l’Institut, familiale, du cimetière de la même ceux qui soufrent de solitude,
DE LA
MYTHOLOGIE d’abonné ou de membre ancien professeur commune. de mal-être et peuvent avoir
au Collège de France,
de la SDL)
LES DIEUX NORDIQUES

En partenariat avec
grand oicier Ni leurs ni couronnes. Des dons des pensées suicidaires.
de la Légion d’honneur. peuvent être faits au proit de la lutte
Hors-série soit sur le site : contre le sida et le cancer. La Chaire du Louvre,
La cérémonie religieuse sera Nous recherchons des écoutants
https://carnet.lemonde.fr célébrée ce mardi 28 novembre 2023, Qu’elle repose en paix.
Barbara Cassin
deLa Chaire du Louvre, bénévoles
à 10 h 30, en l’église Notre-Dame-de-
L’équipe du Carnet l’Arche-d’Alliance, 81, rue d’Alleray, « Tu n’es plus là où tu étais,
Barbara Cassin sur toute la France.
HORS-SÉRIE
de l’Académie française,
reviendra vers vous Paris 15e. Mais tu es partout là où je suis. »
L’Odyssée au Louvre, un roman
L’écoute peut sauver des vies
Victor Hugo. et enrichir la vôtre !
dans les meilleurs délais L’inhumation aura lieu dans graphique. Homère en philosophe.
Choix des heures d’écoute,
pour vous confirmer l’intimité familiale.
Remerciements
40
A l’occasion du redéploiement formation assurée.
la parution. L’administrateur, Le 15 novembre dernier, vous étiez de la galerie Campana du musée du
CARTES L’assemblée des professeurs à nos côtés pour honorer la mémoire Louvre, la philosophe et helléniste
En IdF RDV sur
POUR COMPRENDRE

UN MONDE FRACTURÉ Et toute la communauté de Barbara Cassin plongera son regard

carnet@mpublicite.fr
du Collège de France, dans l’une des plus importantes www.sosamitieidf.asso.fr
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Naissances Emmanuel LE ROY LADURIE, lecture subjective et philosophique
Société éditrice du « Monde » SA
professeur honoraire Nous remercions également toutes de l’Odyssée d’Homère, Président du directoire, directeur de la publication
Laura et Armando FORTI, les personnes qui nous ont envoyé Louis Dreyfus
du Collège de France, à la manière d’un roman graphique.
Anne et Christian ANDRIEU, des courriers de sympathie. Directeur du « Monde », directeur délégué de la
UN LONG CHEMIN
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VERS L'INFINI

Histoire de la civilisation moderne de voir comment Homère, dans son Directrice de la rédaction Caroline Monnot
naissance de leur petit-ils,
Le souvenir de notre père restera Direction adjointe de la rédaction
de 1973 à 1999. texte, construit l’identité d’Ulysse : Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
longtemps gravé chez tous ceux qui Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Gaël FORTI-ANDRIEU, par la conscience d’être mortel,
l’ont connu et aimé. Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
risque et voyage, les noms que Harold Thibault
chez Ils rendent hommage à une igure l’on se donne, l’usage qu’on fait Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Marie, Juliette et Anna,
Beatriz et Armel. majeure de l’historiographie française Directrice déléguée au développement des services
ses trois illes. de la langue et la reconnaissance abonnés Françoise Tovo
Hors-série du 20e siècle dont les travaux sur les par l’autre. Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Cherie et Thomas VALLAT sociétés paysannes européennes, du Gilles van Kote
ont la joie d’annoncer la naissance Moyen-Âge à l’époque moderne, ont Anniversaires de décès Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Du lundi 27 novembre Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
de leur ils, puissamment contribué aux succès de Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
Musée d'Histoire de Nantes au lundi 11 décembre 2023, (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24
l’anthropologie historique. Georges HAMON Direction artistique Emmanuel Laparra
à 19 heures,
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Noah, Infographie Delphine Papin

Comment (1942-2019). à l’Auditorium Michel Laclotte Directrice des ressources humaines du groupe
les Mongols Jean-Claude Trichet,
ont changé à Hong Kong, le 30 octobre 2023. du musée du Louvre. Emilie Conte
le monde président, Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Cruelle « omniprésence de l’absence ». Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
Bernard Stirn,

GENGIS
Akira Mizubayasha. Informations sur louvre.fr présidente, Gilles Paris, vice-président
Décès secrétaire perpétuel
Et les membres de l’Académie des
KHAN Véronique Carayon, Anne Carayon-
Magnier et Geneviève Mifsud,
sciences morales et politiques,
En partenariat
avec
ses illes, ont la tristesse de faire part de la
Léonore et Saskia Tideman, disparition de leur confrère,
Maélys et Eliott Magnier, Lou Pratali
Hors-série
ainsi qu’Alexandre et Victor Mifsud,
ses petits-enfants,
César Lemaire,
Emmanuel LE ROY LADURIE,
membre de l’Institut, Quotidien + numérique
HORS-SÉRIE
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et leurs familles,

L’ATLAS
DES
ont la tristesse de faire part du décès
de
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Le journal et ses suppléments
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L’indigné Catherine Larousse, du décès de
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SECRETS Les obsèques auront lieu le
Paris.
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LES DIEUX DE BABYLONE En signant ce formulaire de mandat, vous autorisez la Société éditrice du Monde à envoyer des instructions à votre banque pour débiter votre compte, et votre banque à débiter votre compte conformément
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de Gressey (Yvelines). aux Hôpitaux de Paris.

0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Gérard Collomb
Ancien maire de Lyon,
ancien ministre de l’intérieur
M
aire de Lyon pen-
dant près de vingt
ans, successive-
ment député, séna-
teur, président de métropole et
ministre de l’intérieur au début
du premier quinquennat d’Em-
manuel Macron, Gérard Collomb
est mort samedi 25 novembre, à
l’âge de 76 ans, des suites d’un
cancer, qu’il avait choisi d’annon-
cer publiquement. « Je vais me bat-
tre contre la maladie avec la même
énergie que j’avais mise au service
de Lyon, de notre métropole,
quand j’exerçais les fonctions de
maire et de président », écrit-il
dans un tweet, le 16 septem-
bre 2022, suscitant en retour des
centaines de messages de soutien,
preuve d’une notoriété intacte.
Voué corps et âme à la chose pu-
blique, Gérard Collomb a cons-
truit sa carrière politique avec
une persévérance peu commune,
longtemps solitaire et en butte à
l’hostilité de son propre camp,
puis dans les arcanes du pouvoir.
L’agrégé de lettres classiques a ba-
taillé trente ans durant, avant de
conquérir la capitale des Gaules.
Sans doute devait-il cette éner-
gie à ses racines rurales. Sa mère
est employée de maison, son père
réparateur de meubles pour les
riches familles des monts du
Lyonnais. Proche de la CGT du
Front populaire, son père devient
ouvrier dans l’industrie élec-
trique et termine sa carrière
comme contremaître à Chalon-
sur-Saône.
C’est dans cette ville de Saône-
et-Loire que naît Gérard Collomb,
le 20 juin 1947. Le père, qui le vou-
drait ingénieur, lui offre des Mec-
cano et lui fait réviser ses leçons
au petit matin, dans la loge du
concierge de l’usine. Cette atmos-
phère d’abnégation conduit le fils
cadet vers de brillantes études.
Admis en classe préparatoire lit-
téraire (hypokhâgne et khâgne)
au lycée du Parc, à Lyon, Gérard
Collomb poursuit son cursus à la
faculté et obtient l’agrégation de
lettres classiques, en 1969.
« Un énorme bosseur, doué d’une
très forte mémoire. Il a toujours
travaillé à fond ses dossiers avant
de prendre la parole », se souvient
Martine Roure, ancienne députée
européenne socialiste (1999-
2009), amie du couple Collomb
depuis le temps de leurs études.
Gérard se marie en 1968. Alors
que Geneviève suit les cours du
soir à l’université, et travaille
comme dactylo-facturière la
Aldo Lado
Réalisateur italien
O
n lui doit quelques
éclairs inoubliables,
éblouissants, repré-
sentatifs d’une cer-
taine tendance du cinéma popu-
laire italien – cinéma dont l’impor-
tance esthétique fut peut-être mal
perçue de ce côté-ci des Alpes. En
France, ses films les plus beaux fu-
rent mal, voire pas du tout distri-
bués en salles, jusqu’à ce que la
prise de conscience cinéphilique –
et l’édition de DVD et Blu-ray – ré-
pare, en partie, l’injustice. Car Aldo
Lado, qui vient de mourir le 25 no-
vembre à Rome, ne manquait pas
de talent ni d’ambition, au cœur
même de cet artisanat que fut le
système de production transalpin.
Il était né à Fiume (aujourd’hui
Rijeka, en Croatie) le 5 décem-
journée, son mari entre en politi-
que en adhérant à Démocratie et
université. Ce club étudiant est
issu de la Convention des institu-
tions républicaines, parti créé par
François Mitterrand et Charles
Hernu, préfiguration du Parti
socialiste, refondé au congrès
d’Epinay, en 1971. Cette année-là,
Gérard Collomb se présente pour
la première fois à une élection
municipale, à Sainte-Foy-lès-
Lyon. Premier revers électoral,
dans une commune trop cossue
pour la gauche, suivi d’un échec
aux législatives de 1973.
Socialiste atypique
Le couple décide alors de s’instal-
ler dans le 9e arrondissement de
Lyon. Moustache et veste élimée,
le professeur de lettres a du mal à
s’imposer auprès des militants
socialistes de l’industrieux quar-
tier de Vaise. Réunions de section,
assemblées générales, apéritifs
du dimanche, Gérard Collomb se
lance dans la conquête électorale
en fantassin infatigable. Non sans
risque, lorsque les collages d’affi-
ches tournent aux rixes avec les
partisans de l’Algérie française.
Même s’il échoue de nouveau aux
législatives, en suppléant d’Yvette
Roudy, il accroche un score suffi-
sant aux municipales de 1977
pour intégrer l’hémicycle de la
mairie centrale de Lyon. Porté par
la vague rose, Gérard Collomb
enregistre sa première victoire
significative en 1981. A 34 ans, il
est élu député de la 2e circonscrip-
tion du Rhône.
En 1995, l’ancien premier minis-
tre Raymond Barre (UDF) devient
maire de Lyon, après Michel Noir
(RPR), et la gauche remporte trois
arrondissements sur neuf. Elu
maire du 9e arrondissement, Gé-
rard Collomb invente la gauche
plurielle en ralliant les écologistes
emmenés par Gilles Buna, maire
du 1er arrondissement. Se disant
saint-simonien, convaincu que le
progrès social passe par la crois-
sance des entreprises, l’élu socia-
liste travaille à l’implantation,
dans son secteur, de grandes so-
ciétés, telles que la Compagnie
européenne de gestion par l’in-
formatique décentralisée, dirigée
par Jean-Michel Aulas, ou Infogra-
mes, pilotée par Bruno Bonnell.
Déterminé, il assimile les traités
d’économie, aussi patiemment
qu’il potassait les versions grec-
ques et latines. Socialiste aty-
pique, caractère fort et sensible,
capable de faire du karaoké en
bre 1934. Fou de cinéma, installé
très jeune à Venise (une ville qui
comptera beaucoup dans son ins-
piration), il crée à 19 ans, avec
quelques amis, une société de
production de dessins animés. A
25 ans, il part pour Paris, où il
parvient à décrocher un petit
boulot de grouillot sur le tour-
nage du Couteau dans la plaie,
d’Anatole Litvak (1962). Il racon-
tera que son travail consistait es-
sentiellement à retrouver la pipe,
systématiquement oubliée, du ci-
néaste. Il deviendra assistant réa-
lisateur sur quelques westerns et
films de guerre de série B, mais
aussi sur Le Conformiste, de Ber-
nardo Bertolucci (1970), à qui il
fait rencontrer le génial monteur
Franco « Kim » Arcalli.
Perfecto, Gérard Collomb creuse
obstinément son sillon. Il fait de
son arrondissement un labora-
toire politique précurseur. Avec
une liberté de parole que Ray-
mond Barre, plus soucieux de
contenir la droite bonapartiste de
sa majorité, lui laisse volontiers.
Gérard Collomb bénéficie aussi
de la distance que les hautes ins-
tances du PS entretiennent avec
cette ville indéchiffrable qu’est
pour eux la capitale des Gaules.
François Mitterrand n’apprécie
pas le Lyonnais, qui a suivi le cou-
rant de Pierre Mauroy, en 1979, au
congrès de Metz. « Mitterrand
avait ses têtes. Il a toujours eu une
attitude méfiante envers lui. Et il
pensait que Lyon était imprenable.
Alors il l’a dédaigné avec cons-
tance, sans jamais l’appeler au
gouvernement », analyse Yvon
Deschamps, ancien secrétaire
fédéral du PS du Rhône. L’absence
de « parachutage » à Lyon arrange
les « éléphants » des villes envi-
ronnantes, comme Charles
Hernu à Villeurbanne, Jean Pope-
ren à Meyzieu ou Louis Mermaz à
Vienne (Isère).
En contrepartie, l’élu lyonnais
est tout de même nommé
secrétaire national du PS, délégué
aux relations extérieures, puis il
devient, en 1992, le premier
secrétaire général de la Fondation
Jean Jaurès. A cette époque, il
voyage beaucoup. Il va rencontrer
Mikhaïl Gorbatchev en Russie,
Lula au Brésil, et la plupart des op-
posants aux dictatures. Membre
du Conseil économique et social,
conseiller régional de Rhône-Al-
pes, il enchaîne ensuite trois
mandats de sénateur du Rhône.
Après avoir méticuleusement
écarté ses rivaux, dont le profes-
seur Jean-Louis Touraine, battu de
quelques voix dans le vote interne
au PS lyonnais, Gérard Collomb
prend la tête de liste des munici-
pales de 2001. Il est triomphale-
ment élu maire de Lyon, consécra-
tion d’un investissement tenace.
« Ce premier mandat a été sublime,
on faisait équipe autour d’un
maire directement accessible »,
confie un ancien adjoint.
Relance du quartier d’affaires de
la Part-Dieu, piétonnisation des
berges du Rhône, création du
quartier de la Confluence, cons-
truction du grand stade de foot :
l’homme laisse une empreinte
durable sur la métropole. Bien
avant Paris, Lyon est équipé des
premiers Vélo’v, un système pu-
blic de location de vélos proposé
5 DÉCEMBRE 1934 Nais-
sance à Fiume (aujour-
d’hui Rijeka, Croatie)
1970 Assistant sur
« Le Conformiste »,
de Bernardo Bertolucci
1971 « Je suis vivant ! »
1972 « Qui l’a vue
mourir ? »
1975 « La bête tue
de sang froid »
25 NOVEMBRE 2023
Mort à Rome
En 1971, il cosigne le scénario de
La Victime désignée, de Maurizio
Lucidi, troublante variation sur
L’Inconnu du Nord-Express, d’Al-
fred Hitchcock, qu’il prétendra
pourtant n’avoir jamais vu. Le ré-
cit était déjà situé à Venise. Il signe
la même année son premier long-
métrage, La corte notte delle bam-
bole di vetro (sorti en vidéo en
France sous le titre Je suis vivant !),
un thriller angoissant tout autant
qu’une métaphore politique
débouchant sur le surnaturel,
tourné en partie à Prague et en
A Paris, en 2018.
ÉDOUARD CAUPEIL/PASCO
POUR « LE MONDE »
par Jean-Claude Decaux. Franc-
maçon, sensible au dialogue
interreligieux, Gérard Collomb
épouse parfaitement les circon-
volutions du centrisme lyonnais,
tout en arbitrant d’une main de
fer le jeu politique local.
Des larmes à l’Elysée
Le maire de Lyon soutient Fran-
çois Hollande à la présidentielle
de 2012, puis se prendra d’admira-
tion pour son ministre de l’écono-
mie, Emmanuel Macron. Fasciné
par son agilité intellectuelle et sa
fougue transpartisane, Gérard
Collomb est très tôt convaincu de
sa capacité à réformer. Le patriar-
che lyonnais verse une larme à
l’Elysée le jour de l’investiture du
jeune président, en mai 2017,
autant par attachement affectif
que dans l’espoir de voir s’accom-
plir le rêve social-démocrate.
Deuxième dans l’ordre proto-
colaire du gouvernement, il est
nommé ministre d’Etat, ministre
de l’intérieur. Il reste seize mois
en poste, le temps de porter la loi
renforçant la lutte antiterroriste
et celle sur l’asile et l’immigra-
tion. Epuisé par le rythme de la
Place Beauvau, agacé par l’affaire
Benalla, il démissionne le 1er octo-
bre 2018, en déclarant sur le per-
Yougoslavie. Jean Sorel y incarnait
un homme en état de catalepsie,
conscient et pourtant totalement
immobile, que l’on traitait comme
un cadavre. Ses souvenirs, présen-
tés sous forme de flash-back, révé-
laient l’existence de cérémonies
orgiaques destinée à permettre à
de riches vieillards de se nourrir
de l’énergie vitale de jeunes fem-
mes kidnappées par une secte.
Opéra morbide et triste
Son deuxième long métrage, Qui
l’a vue mourir ? (1972), peut être
considéré comme son chef-
d’œuvre. Il décrit le calvaire d’un
couple disloqué, un homme et
une femme confrontés à la mort
brutale de leur petite fille, retrou-
vée dans un canal de Venise, et
acharnés à retrouver son as-
sassin. La musique d’Ennio Mor-
ricone, composée en grande par-
tie de chœurs d’enfants, contri-
bue à la création d’un opéra
morbide et triste, d’une cruauté
disparitions | 27
ron du ministère de l’intérieur : 20 JUIN 1947 Naissance
« Aujourd’hui, c’est plutôt la loi du à Chalon-sur-Saône
plus fort qui s’impose – des narco- 1981 Elu député (PS) de la
trafiquants, des islamistes radi- 2e circonscription du Rhône
caux –, qui a pris la place de la Ré- 2001 Elu maire de Lyon
publique (…). Aujourd’hui, on vit (il sera réélu en 2008,
côte à côte. Je crains que demain 2014 et 2018)
on ne doive vivre face à face. » 2017-2018 Ministre
La prise en compte, insuffisante de l’intérieur
à ses yeux, des fractures de la 25 NOVEMBRE 2023 Mort
société n’explique pas tout de son à Lyon
départ. Après deux divorces et un
troisième mariage, le père de cinq
enfants mesure les sacrifices
personnels dans ce chemin par-
couru. Et reste lié à sa ville. Eloi-
gné de la métropole lyonnaise, il a
pu croire en perdre le contrôle.
Son retour autoritaire brise les
amitiés, l’isole et le contraint de
s’allier avec la droite locale, dans
l’espoir de sauver, sinon la prési-
dence de la métropole, du moins
son siège de maire. En pleine crise
sanitaire, entre deux confine-
ments, l’écologiste Grégory
Doucet est élu en 2020 par les
Lyonnais. Gérard Collomb conti-
nuera d’intervenir au conseil mu-
nicipal. Ses envolées nostalgiques
seront écoutées, avec le respect
dévolu à ceux qui ont donné le
meilleur d’eux-mêmes à la re-
cherche de l’intérêt collectif. p
richard schittly
étouffante et désespérée, noyée
dans les brumes.
C’est également Ennio Morri-
tuant une sorte de radioscopie de
la barbarie et renvoyant (le choix
de Munich n’est pas dû au hasard)
cone qui signera, en 1975, la musi- aux tourments de l’histoire du
que de L’ultimo treno della notte XX siècle. On dénombra, racon-
(littéralement « le dernier train de tera Lado, quelques malaises de
la nuit »), sorti en France dans les spectateurs lors de la projection
salles de quartier sous le titre La du film en avant-première.
bête tue de sang-froid. Là aussi, le Par ailleurs, Aldo Lado aura éga-
musicien installera une ambiance lement suivi les modes du mo-
à la fois suave (il exige une chan- ment, celles de l’érotisme littéraire
son de Demis Roussos au généri- avec La cosa buffa en 1972, La cu-
que) et morbide. Inspiré d’un film gina, avec Dayle Haddon, en 1975,
de Wes Craven, La Dernière Mai- ou bien La Désobéissance, avec Ste-
son sur la gauche, le film décrit le fania Sandrelli et Teresa Ann Sa-
calvaire de deux jeunes Italiennes voy, d’après Alberto Moravia,
violées et assassinées dans un en 1981. On lui doit aussi un film de
train de nuit qui relie Munich à science-fiction assez infantile
Milan, puis la vengeance de leurs en 1979, L’Humanoïde, et quelques
parents. Bien au-delà d’un éven- autres titres très oubliables. C’est
tuel modèle américain, le film dé- pourtant avec ses trois thrillers des
ploie un dispositif malsain, subli- années 1970 que ce cinéaste s’est
mement photographié par Gabor imposé comme un artiste singu-
Pogany, un véritable théâtre de la lier de l’inquiétude et de la cruauté.
cruauté, une charge antibour- Alors, cinéma bis ou cinéma de ca-
geoise interrogeant le voyeu- tégorie A ? Quelle importance ? p
risme du spectateur tout en effec- jean-françois rauger
28 |
IDÉES
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Frédérique Leichter-Flack
Les otages du Hamas mettent Israël
face à un dilemme éthique sans précédent
Qui sera sauvé, au risque d’exposer encore lemme du « quelques-uns plutôt que
personne », et non celui, plus déstabili-
plus les autres, et selon quels critères ? Alors que sant encore, du « quelques-uns plutôt que
s’est accomplie une première libération d’otages personne, mais lesquels ? »
Cependant, l’annonce d’un jour de re-
détenus par le Hamas, la professeure au Centre tard supplémentaire avant la libération
d’histoire de Sciences Po détaille les enjeux du premier groupe d’otages, en raison de
détails sur lesquels on a buté, a remis
moraux vertigineux auxquels cette situation cette question au cœur du débat : outre
confronte l’ensemble des Israéliens les détails logistiques, y a-t-il eu aussi,
tandis que les familles restaient dans l’at-
tente et l’impuissance, d’intenses négo-
ciations sur qui serait libéré en priorité ?
sort. Pour une « liste de Schindler » quali-
fiée de « bien absolu » dans le film de
Steven Spielberg, qui se garde évidem-
ment d’attirer l’attention sur les tracta-
tions de dernière minute, d’autres ont
TOUT LE MONDE SAIT fait l’objet de polémiques terribles. A
QUE POUR CEUX commencer par celle du « train de Kas-
tner », qui a permis l’incroyable sauve-
QUI NE SONT PAS tage d’un millier et demi de juifs hon-
grois en 1944, au moment même où
SUR CETTE PREMIÈRE tous les autres juifs de Hongrie étaient
envoyés à la mort. Héros pour les des-
LISTE, LE RISQUE cendants des sauvés, Rudolf Kastner a
DE N’ÊTRE JAMAIS

C
e que l’on appelle, en théorie poli-
tique, le « problème des otages » se
présente généralement sous la
forme d’un arbitrage sur le prix à
payer en échange de la libération désirée.
On parle alors de dilemme parce que le
prix consenti pour une vie sauvée ex-
pose, directement ou indirectement,
d’autres vies à un danger ultérieur. La
rançon financera d’autres actions hosti-
les, les concessions politiques encoura-
geront d’autres prises d’otages et fragili-
seront davantage celui qui s’y plie…
Ce dilemme-là, sous sa forme classique,
Israël l’a surmonté, comme à plusieurs
reprises dans son histoire, en assumant
une priorisation morale claire, certes
contestée par une petite minorité, mais
très largement approuvée par la majo-
rité : le devoir de libérer les captifs et de
les ramener à la maison l’a emporté,
même sur l’impératif de neutraliser au
plus vite la menace que le Hamas fait pe-
ser. Le sauvetage de ces otages-là, identi-
fiés comme « [ses] enfants » par une
société israélienne qui, malgré les déchi-
rements de ces derniers mois, se vit tou-
jours et encore comme une grande fa-
mille, a prévalu sur la préservation des
vies abstraites et non identifiées que la
négociation pourrait exposer à l’avenir.
Mais c’est un autre dilemme éthique,
plus terrible encore, auquel Israël a fait
face, en avalisant le chiffre de 50 otages
parmi 240, en attendant plus, si l’on
peut, ensuite. Tous les otages ne seront
pas libérés. Le gouvernement a beau
rappeler qu’il n’abandonnera pas ceux
qui restent, tout le monde sait que pour
ceux n’étant pas sur cette première liste,
le risque de n’être jamais récupérés vi-
vants augmente encore.
Quelques-uns maintenant plutôt que
personne ? Des enfants (mais il n’y a que
30 places), des femmes (mais il n’y a que
20 places) : les parents des jeunes gar-
çons attendront, ceux des jeunes fem-
mes capturées en uniforme pendant
leur service militaire obligatoire semble-
t-il aussi – et l’on mesure le courage qu’il
faut à ceux-là pour approuver l’accord et
trouver la force de s’en réjouir. Mais
alors qui dans les premiers échanges ?
Des femmes et des enfants d’abord, cer-
tes, mais ces critères sur lesquels les
négociateurs se sont mis d’accord (la
vulnérabilité ? l’innocence ? le symbole
de l’avenir ?) ne suffisent pas à faire le
tri : il y a plus de femmes et d’enfants
enlevés que de places offertes.
Bien sûr, c’est le Hamas qui a fait la pre-
mière liste, en fonction de ses intérêts.
Garder en otages de jeunes enfants est
sans doute compliqué, les libérer, l’occa-
sion d’un geste humanitaire stratégique
vis-à-vis de l’opinion publique interna-
tionale : autant se débarrasser des otages
les plus encombrants, en commençant
par les plus faciles à localiser dans le
chaos de Gaza. La liste de noms était sans
doute à prendre ou à laisser et, d’une cer-
taine manière, la contrainte imposée
permet à Israël de n’avoir à gérer, auprès
de son opinion publique, que le di-
En dépit de l’apparente symétrie des
deux listes, le mot « libération » ne porte
pas le même enjeu de vie ou de mort pour
les détenus palestiniens et pour les otages
israéliens échangés. Peut-on accepter de
séparer des familles, quand tous les ota-
ges ne sont pas gardés ensemble ni par les
mêmes groupes ? De libérer des enfants
sans leurs parents, des adolescentes sans
leurs frères, des grands-mères sans leurs
petits-fils ? Et quid des pères d’enfants ota-
ges dont la mère a été tuée ? A quel niveau
de priorité mettre les personnes âgées,
pour qui la détention est sans doute la
plus éprouvante, mais qui, d’elles-mêmes,
si on leur posait la question, n’approu-
veraient pas nécessairement de passer
devant des jeunes de 20 ans ?
Une question de vie ou de mort
On ne sait si toutes ces questions ont été
formulées, ni si, quand elles l’auraient
été, la partie israélienne a eu le moyen d’y
répondre. Mais dans un numerus
clausus, chaque nom ajouté suppose un
nom biffé. Et pour la petite marge de
manœuvre que cette négociation dans la
négociation a peut-être laissée à la partie
israélienne, il faudra rendre des comptes
en démocratie. Une vie plutôt qu’une
autre. Quand, pour les proches qui l’at-
tendent, chaque otage est irremplaçable.
Une situation aussi déchirante sur le
plan éthique n’a pas vraiment de précé-
dent. Mais dans la longue histoire du
peuple juif, il y a eu d’autres occasions où
des questionnements approchants ont
RÉCUPÉRÉS VIVANTS
AUGMENTE ENCORE
été soulevés. Le Talmud ne cesse de rap-
peler, en de multiples occurrences, qu’il
faut s’en tenir au principe qu’une vie vaut
une vie, mais il ne se dissimule pas qu’il
peut y avoir des situations qui imposent
d’établir des priorités. Ainsi, si plusieurs
personnes ont été enlevées par des ban-
dits et si l’on n’a pas assez pour payer tou-
tes les rançons, « ton maître, c’est-à-dire
ton professeur, avant ton père et ta mère
avant eux ». L’implicite : parce qu’elle a un
risque d’être violée en captivité.
Pendant l’occupation nazie, de telles
questions éthiques relatives à l’établisse-
ment de listes ont dû être affrontées :
pour la plupart des notables juifs à la tête
des conseils imposés par les nazis dans
les ghettos, il n’était pas question d’ac-
cepter de participer à la composition des
« listes de transport » vers les camps, et
beaucoup s’y sont refusés au prix de leur
vie, mais, bien sûr, c’était aussi au risque
de laisser l’arbitraire nazi seul à la
manœuvre. D’autres ont assumé de ten-
ter de préserver les plus jeunes.
Participer à l’établissement de « listes
de sauvetage » est une mission plus va-
lable, mais, de même, chaque personne
protégée ou exfiltrée en suppose
d’autres qu’il faudra abandonner à leur
aussi été l’objet de haines très violentes,
en particulier en Israël, à cause du prix
consenti pour cette exfiltration par-
tielle et la négociation avec les nazis.
Au-delà de l’histoire des juifs, d’autres
événements récents, comme le pont aé-
rien de l’évacuation de Kaboul, en 2021,
ont mis en lumière les choix tragiques
assumés dans l’urgence et le chaos,
entre établissement de critères, luttes
d’influence et improvisation, quand on
ne peut pas sauver tout le monde et que
la priorisation devient une question de
vie ou de mort.
La structuration du mouvement des
familles d’otages, les spécificités de la
société israélienne et la vigueur de la
mobilisation démocratique accentuent
les enjeux éthiques de cet accord de
libération partielle. Comme souvent,
la démocratie israélienne est le labo-
ratoire de questions morales et politi-
ques qui vont bien au-delà d’elle et
pourraient concerner d’autres sociétés
démocratiques, moins préparées sans
doute encore qu’elle à les affronter. p
Frédérique Leichter-Flack est pro-
fesseure de littérature et d’humanités
politiques au Centre d’histoire de
Sciences Po. Elle a notamment écrit
« Pourquoi le mal frappe les gens
bien ? » (Flammarion, 256 p., 21 €)

Pour une véritable offensive de paix au Proche-Orient

Un collectif rassemblant des personnalités du monde de la culture et des intellectuels, dont Charles Berling, Jack Lang et l’éditrice
Diane de Selliers, exhortent les instances internationales à faire pression sur les Palestiniens et les Israéliens pour mettre fin au conflit

L’
attaque du Hamas du 7 oc-
tobre et sa violence sadi-
que constituent sans con-
teste une tragédie, mais
aussi un tournant historique
dans une guerre qui n’en finit
plus. Nous condamnons évidem-
ment les horreurs et le terro-
risme, mais aussi, et d’un même
geste, l’occupation, la répression,
la colonisation, l’humiliation
exercées dans les territoires occu-
pés depuis des dizaines d’années :
ni les uns ni les autres ne se justi-
fiant mutuellement.
Nous pleurons des mêmes lar-
mes les Palestiniens morts sous
les bombardements israéliens
terribles et disproportionnés.
Dix mille morts ? Combien de-
main ? Combien de milliers d’en-
fants ? Nous pleurons tous les
morts civils avec la même empa-
thie. Nos ventres, nos tripes souf-
frent, mais nous ne pouvons pas
nous laisser complètement enva-
hir par nos émotions. Nous de-
vons tenter de continuer à pen-
ser avec nos têtes.
La paix ne peut être que politi-
que. La paix serait aussi une vic-
toire pour la démocratie et une
défaite pour tous les régimes
illibéraux, populistes, voire dic-
tatoriaux qui nous entourent de
plus en plus. Nous avons l’im-
pression que les deux extrêmes
se renforcent sans fin l’un
l’autre, et parfois même avons-
IL NE S’AGIT PAS
D’UNE PAIX
ANGÉLIQUE OU
MORALE, MAIS
BIEN D’UNE PAIX
POLITIQUE, AVEC
DES CONCESSIONS
DES DEUX CÔTÉS
nous le sentiment qu’ils tra-
vaillent ensemble. Dans ces con-
ditions, les terribles événements
qui se déroulent en ce moment
peuvent déboucher sur une tra-
gédie plus grave encore, si cela
est possible.
Il faut qu’Israël et les puissances
internationales comprennent en-
fin que ce pays n’obtiendra ja-
mais la sécurité par la force ou la
supériorité militaire.
Il faut aussi que le peuple pales-
tinien et tous ses soutiens com-
prennent que les extrémistes, et
particulièrement le Hamas, ne
font que manipuler des rancœurs
– si justifiées soient-elles –, pren-
nent le peuple palestinien en
otage et ne lui offrent aucune
perspective, si ce n’est plus de
morts encore. Il faudra donc
aussi restaurer et renforcer la lé-
gitimité de l’Autorité palesti-
nienne, souvent trahie. Des deux
côtés, il existe des modérés ; ces-
sons de ne donner la parole
qu’aux extrémistes, même s’ils
sont au gouvernement.
L’intellectuel palestinien Ed-
ward Saïd, pourtant peu connu
pour sa modération, pensait que
le terrorisme et la victimisation
ne peuvent tenir lieu de stratégie
politique. Seule la paix amènera
une solution sûre et durable pour
ces deux peuples.
La solution est connue
Mais il ne s’agit pas d’une paix
angélique, humaniste, morale ; il
s’agit bien d’une paix politique,
négociée, avec des concessions
des deux côtés, peut-être parfois
difficiles à accepter, mais préfère-
t-on continuer à faire la guerre et
à tuer des gens dans les deux
cents ans qui viennent ?
Cet appel est plus qu’un appel à
la paix. Ces deux peuples ne
feront plus la paix tout seuls.
Nous devons faire pression sur
les instances internationales
(ONU, Conseil de l’Europe…) et
tous les gouvernements quels
qu’ils soient, afin qu’ils impo-
sent la paix à ces deux peuples
et, en même temps, leur assu-
rent la sécurité : il faut une véri-
table offensive de paix.
La solution est connue depuis
longtemps : deux Etats, démantè-
lement des colonies ou, dans cer-
tains cas, échange de territoires,
Jérusalem-Est capitale de l’Etat
palestinien, Jérusalem-Ouest ca-
pitale de l’Etat israélien, ou Jéru-
salem capitale unifiée sous une
double autorité. Elle a été énon-
cée lors des diverses tentatives
d’accords finalement non signés
ou non appliqués. C’est la volonté
politique qui manque.
Nous avons parfois eu l’impres-
sion que ces négociations ser-
vaient surtout, de chaque côté, à
prouver que c’était l’autre qui
avait refusé. Encore une fois, il ne
s’agit pas d’un simple credo paci-
fiste, il s’agit de chercher à éviter
que cette région (et, avec elle,
peut-être aussi le monde) ne
tombe dans un chaos pire encore.
Les événements évoluent très
vite. Il faut sans doute dans l’im-
médiat exiger un cessez-le-feu et
la restitution de tous les otages. p
Hervé Audibert, concepteur
lumières ; Charles Berling,
acteur, directeur du Théâtre
Liberté de Toulon ; Jean-
Claude Casadesus, chef
d’orchestre ; Daniel Cohn-
Bendit, ancien député (Les
Verts) européen ; Ami
Flammer, violoniste ; Marc
Goldschmit, philosophe ;
Jack Lang, ancien ministre,
directeur de l’Institut du
monde arabe ; François
Marthouret, comédien ;
Jean-Louis Martinelli, met-
teur en scène ; Jean-Claude
Pennetier, pianiste ; Olivier
Rolin, écrivain ; Avital
Ronell, philosophe, profes-
seure à New York University ;
Jean-Christophe Saladin,
historien ; Diane de Selliers,
éditrice ; Laurent
Spielmann, ancien directeur
de l’Opéra de Nancy
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
Il convient de tout faire
pour prolonger la trêve à Gaza,
afin qu’elle se transforme
en un véritable cessez-le-feu
Pour mettre fin à une « guerre totale » dont les premières victimes
sont les populations civiles, un collectif d’anciens diplomates
rappelle que le règlement du conflit entre le Hamas et Israël
« passe par une solution politique de la question palestinienne »
L’
horrible massacre perpétré
le 7 octobre par le Hamas,
mouvement qualifié de ter-
roriste par les Etats-Unis et
l’Union européenne, marque le
début d’une « guerre totale » dont
on peut déjà mesurer les consé-
quences désastreuses. Par-delà
l’opacité de la situation, nourrie
par les déclarations difficilement
vérifiables de part et d’autre, les
amalgames destinés à disqualifier
l’adversaire, des propos outran-
ciers ou mensongers et le déchaî-
nement le plus souvent haineux
des réseaux sociaux, il est clair
que les populations civiles en
sont les principales victimes.
Depuis le 8 octobre, alors que
des dizaines d’otages israéliens,
mais également d’autres natio-
nalités, notamment française,
restent aux mains du Hamas, la
bande de Gaza a subi des bom-
bardements massifs indiscrimi-
nés et disproportionnés, occa-
sionnant des morts, essentielle-
ment civils, des déplacements de
la population, un cauchemar hu-
manitaire insoutenable. Des
deux côtés, on s’accuse de crimes
de guerre, de crimes contre l’hu-
manité, et même de génocide.
Les risques d’un embrasement
de la Cisjordanie et de l’extension
de la guerre vers le Liban, voire
vers l’Iran, sont de plus en plus
évidents.
Par-delà cet affrontement, Israé-
liens comme Palestiniens ressen-
tent cette guerre comme impli-
quant un enjeu majeur : leur exis-
tence sur cette terre qu’ils
estiment, d’un côté comme de
l’autre, leur appartenir.
Exigence prioritaire
Face à cette situation, que faire ?
Pérenniser la trêve est un objectif
immédiat et accessible. Elle ré-
pond à l’exigence prioritaire, ré-
clamée par une grande partie de
l’opinion israélienne, malgré les
réticences du premier ministre,
Benyamin Nétanyahou. La trêve
de quatre jours négociée efficace-
ment par l’intermédiaire du Qatar
[entrée en vigueur le 24 novembre]
est un élément très positif. Il
convient de tout faire pour la pro-
longer de façon qu’elle conduise à
la libération complète des otages
et se transforme en un véritable
cessez-le-feu.
Cela n’a pas, jusqu’ici, été rap-
pelé en termes suffisamment
forts et explicites, malgré les ap-
pels du secrétaire général des
Nations unies, qu’il convient de
soutenir. En effet, le droit inter-
national condamne toute me-
sure de sanctions punitives à ca-
ractère collectif sur les popula-
tions civiles, entre autres le
blocus total décidé immédiate-
ment par le gouvernement israé-
lien sur l’approvisionnement en
biens essentiels.
De même, il convient de con-
damner les attaques aériennes
sur des objectifs civils comme des
lieux de culte, des hôpitaux, des
écoles. Israël s’en défend, affir-
mant que ces lieux cachent des
installations militaires. Le fait
que des édifices des Nations
unies, d’ONG, voire d’Etats tiers
comme la France, aient été tou-
chés, invalide quelque peu cette
argumentation. Il appartiendra à
la Cour pénale internationale de
faire la lumière, à terme, sur ce
point.
Le bilan de six semaines de
combats dans la bande de Gaza
est effectivement accablant : plus
de 13 000 morts, essentiellement
des civils, dont 5 300 enfants ; la
moitié du patrimoine immobilier
de l’enclave détruit.
Israël, sous le vocable de
« guerre totale », développe une
stratégie punitive aussi brutale
que vaine, et de plus en plus
contestée. « Eradiquer le Hamas »
relève plus du slogan que d’un
objectif réaliste. En 2006, Israël
avait déjà proclamé qu’il voulait
« éradiquer le Hezbollah », avec le
succès que l’on sait.
Réfléchir au « jour d’après »
Une telle stratégie est illusoire. Le
Hamas, qui a déjà été visé par cinq
campagnes militaires meurtriè-
res, renaîtra immanquablement.
L’armée ne pourra pas venir à
bout d’une mouvance soutenue
par une grande partie de la popu-
lation palestinienne, à Gaza
comme en Cisjordanie, face à une
Autorité palestinienne disqua-
lifiée. Emanation des Frères mu-
sulmans, le Hamas, qui dispose de
bases arrière dans le monde ara-
bo-musulman, n’aura aucun mal
à recruter de nouveaux combat-
tants parmi des jeunes sans es-
poir, et à reconstituer son stock
d’armement. Il restera un acteur
incontournable.
Il convient, dès maintenant, de
réfléchir au « jour d’après ». Le rè-
glement de la guerre à Gaza passe
par une solution politique de la
question palestinienne sur la base
du droit international.
La solution à deux Etats est
devenue de plus en plus difficile à
bâtir. Son assise possible s’est ré-
duite comme peau de chagrin du
fait de l’annexion du grand
Jérusalem et de l’encouragement
à la construction de colonies jui-
ves en Cisjordanie, qui regrou-
pent maintenant près de 500 000
habitants. Cette solution vaut
toutefois d’être tentée.
La solution à un seul Etat bina-
tional, évoquée avant même le
7 octobre, reprend de l’actualité.
Mais le dilemme est toujours le
même. Soit Israël, Etat par essence
démocratique, accepte le principe
de l’égalité des droits, avec le ris-
que de perdre la majorité pour la
population juive, actuellement à
égalité avec la population arabe
sur le territoire de la Palestine
historique ; soit Israël refuse un
tel principe, perd une part essen-
tielle de son âme et s’expose à une
accusation d’apartheid.
Une mise en garde devrait être
vigoureusement exprimée à
l’égard de toute tentation de trans-
fert de population vers les pays
voisins, qui ne peut qu’être assi-
milée à un nettoyage ethnique
inacceptable et qui, en toute hypo-
thèse, ne saurait régler le pro-
blème de la sécurité d’Israël. La vo-
UN FORT
ENGAGEMENT
DE LA
COMMUNAUTÉ
INTERNATIONALE
EST INDISPENSABLE.
LA FRANCE DOIT
Y PRENDRE PART
lonté de « détruire » l’Etat d’Israël
est également inacceptable.
Il est clair que, après ce choc
traumatique subi de part et
d’autre, et cette « guerre totale »
condamnée à échouer, la sécurité
d’Israël ne peut être assurée que
par le juste règlement de la ques-
tion palestinienne et l’affirmation
de droits égaux entre deux popu-
lations qui doivent cohabiter.
Un renouvellement des classes
politiques va s’opérer de part et
d’autre, tant celles qui sont en
place actuellement ont perdu de
leur légitimité. Du côté palesti-
nien, des élections devront, dès
que possible, être organisées et
associer toutes les forces politi-
ques en présence.
Un fort engagement de la com-
munauté internationale, notam-
ment des membres permanents
du Conseil de sécurité de l’ONU et
des pays arabes, est indispensa-
ble. La France, qui a perdu beau-
coup de sa crédibilité au Moyen-
Orient et a vu son image se dégra-
der fortement dans le monde
arabo-musulman, doit y prendre
part. Encore faudrait-il qu’elle
mène une politique équilibrée,
cohérente et indépendante des
pressions extérieures. Or, malgré
un certain rééquilibrage, ce n’est
pas ainsi que celle-ci est perçue
par de nombreux pays et par l’opi-
nion publique. Cette politique de-
mande du courage et de la luci-
dité, par-delà les réactions émo-
tionnelles que suscite cette
« guerre totale ». p
Yves Aubin de la Messu-
zière ; Charles-Henri
d’Aragon ; Denis Bauchard ;
Jean-Claude Cousseran ;
Serge Degallaix ;
Didier Destremau ;
Yves Doutriaux ; Jean
Félix-Paganon ; Michel
Foucher ; Patrick Gautrat ;
Stéphane Gompertz ;
Stanislas de Laboulaye ;
Bernard Miyet ; Nicolas
Normand ; Alain Remy ;
Hadelin de La Tour du Pin ;
Pierre-Jean Vandoorne ;
Nada Yafi, tous anciens am-
bassadeurs ou anciens direc-
teurs au ministère des affaires
étrangères
Climat : saisissons la main
tendue des Etats africains
pour instaurer une taxe sur
les transactions financières
Les sénateurs socialistes Marie-Arlette Carlotti et Thierry Cozic, et
l’ex-conseiller gouvernemental Florian Lafarge, jugent urgent de
suivre la proposition du premier Sommet africain sur le climat
d’impliquer les marchés financiers dans la transition écologique
L
a COP27 s’était achevée sur une nou-
velle déception, mais pour la prochaine
COP28 [du 30 novembre au 12 décembre,
à Dubaï], une lueur d’espoir pourrait
bien venir du continent africain. A l’issue du
premier Sommet africain sur le climat, qui
s’est tenu au Kenya du 4 au 6 septembre, les
cinquante-quatre Etats africains réunis ont si-
gné la « déclaration de Nairobi », destinée à fa-
voriser la croissance verte sur le continent.
Cette déclaration nous montre la voie avec
une proposition bienvenue, alors que la pro-
messe des pays développés – faite lors de la
COP15, en 2009, à Copenhague – de mobiliser
chaque année 100 milliards de dollars (envi-
ron 91,56 milliards d’euros) à partir de 2020
pour aider les pays en développement à faire
face au dérèglement climatique est à la peine.
Les Etats africains prônent la création d’« une
taxe carbone sur le commerce des combustibles
fossiles, le transport maritime et l’aviation, qui
peut également être augmentée par une taxe
mondiale sur les transactions financières ».
Le contexte, certes, est défavorable : coût de
la guerre en Ukraine, crise due au Covid-19,
prévisions de croissance en berne. De plus, la
récente hausse des taux d’intérêt américains
et européens, qui assèche en capitaux les pays
en développement et alourdit le poids de leur
dette, rend les financements de plus en plus
difficiles à mobiliser. Le Fonds monétaire in-
ternational estime que les deux tiers des pays
à bas revenu et le quart des pays émergents
sont confrontés à des difficultés sévères liées
à leurs dettes. Dès lors, comment financer
cette transition sans capacités propres ?
Juste mise à contribution
Une première réponse proviendrait des ban-
ques de développement, qui agissent déjà
massivement dans ces pays. Cette solution es-
sentielle présente toutefois l’inconvénient de
se matérialiser majoritairement sous la
forme de prêts dont les taux d’intérêt ne peu-
vent que se renchérir dans le contexte actuel
dégradé. Certains pays, parmi les plus vulné-
rables, tombent successivement dans le piège
de la dette, permettant à la Chine, principale-
ment, d’exercer une influence directe.
Une deuxième solution consisterait à envi-
sager une annulation partielle de la dette,
dont une part importante pourrait être réin-
vestie dans les projets de transition écologi-
que. Mais, avouons-le, une telle mesure ris-
que de briser la confiance à l’égard d’Etats déjà
fragiles, renchérissant le poids de leurs dettes
restantes, comme de celles à venir. Sans capa-
cité future à s’endetter pour ces pays, ce sont
autant de projets de transformation énergéti-
que qui manqueront à l’effort collectif néces-
saire pour limiter le réchauffement.
Une dernière option – qui éviterait de met-
tre en difficulté les pays en développement et
prendrait acte de l’impossibilité actuelle de
respecter l’engagement des 100 milliards de
dollars – est celle d’une juste mise à contribu-
tion des marchés financiers. Le fait est que,
depuis 2009, les Etats de l’OCDE font face à un
gonflement sans précédent de leur dette pu-
LA DETTE PUBLIQUE
DES ÉTATS DE L’OCDE
NE CESSE DE GONFLER,
ALORS QUE LES MARCHÉS
FINANCIERS N’ONT
JAMAIS CONNU
UNE TELLE SANTÉ
idées | 29
Marie-Arlette Carlotti, ancienne minis-
tre, sénatrice des Bouches-du-Rhône
(groupe socialiste, écologiste et républi-
cain), membre de la commission des af-
faires étrangères, de la défense et des for-
ces armées ; Thierry Cozic, sénateur de
la Sarthe (groupe socialiste, écologiste et
républicain) et vice-président de la com-
mission des finances ; Florian Lafarge,
ancien conseiller du porte-parole du gou-
vernement (2015-2017)
blique. A l’inverse, les marchés financiers
n’ont jamais connu une telle santé, avec une
multiplication par 500 de la valeur mondiale
des transactions boursières depuis 1970,
comme l’ont montré plus de 70 économistes
internationaux dans une tribune publiée par
Le Monde, le 6 juin.
Il faut prendre acte de ces évolutions et met-
tre les marchés face à leurs responsabilités.
D’autant que, dans les années à venir, les per-
tes des banques et des assureurs pourraient
être considérables, du fait de leur exposition
aux risques climatiques. Dans le cas, désor-
mais probable, d’un réchauffement climati-
que supérieur à 1,5 0C, le secteur financier a
donc tout intérêt à s’investir pour éviter des
pertes futures plus importantes encore.
Concrètement, il s’agirait d’instaurer,
comme le préconisent les Etats africains, une
taxe sur les transactions financières (TTF),
dans le cadre d’un accord impliquant l’en-
semble des pays de la communauté interna-
tionale. Avec 0,1 % de taxe, l’objectif des
100 milliards de dollars annuels serait facile-
ment atteint et redistribué à la manière d’un
fonds vert, en fonction de la maturité des pro-
jets présentés par les Etats bénéficiaires.
Certes, une telle taxe a déjà été mise en
œuvre dans plusieurs pays, mais avec des ré-
sultats mitigés, car elle était limitée à l’échelle
d’un Etat. Mais ces expériences en demi-
teinte ne doivent pas décourager l’instaura-
tion d’une initiative plus ambitieuse. Il appa-
raît donc essentiel qu’une TTF soit élaborée
au niveau mondial, afin que l’ensemble de la
chaîne soit concerné et que la communauté
internationale s’accorde pour permettre sa
mise en œuvre. Ainsi, aucun Etat ne pourra se
plaindre de perdre en compétitivité finan-
cière face à un autre, la taxe s’appliquant in-
différemment sur tous les territoires.
La « TTF climat » pourrait-elle résister aux
eurosceptiques ? Peut-être, car une telle taxe
présente l’avantage de ne pas être soumise
aux aléas politiques. A l’instar de l’accord de
Paris de 2015, sortir du dispositif ne pourrait se
faire qu’au bout d’un délai assez long pour re-
lativiser l’impact d’un climatosceptique au
pouvoir. Même l’élection d’un Donald Trump
ne remettrait pas en cause les financements
climat d’un Etat. Cette stabilité est une sécu-
rité pour assurer une source de financements
pérenne aux projets de transition écologique.
Mais une telle réforme internationale de-
mande de vrais efforts de négociations diplo-
matiques, les mêmes qui ont abouti au succès
de la COP21, avec la conclusion de l’accord de
Paris. Il faut saisir la main tendue des Etats
africains pour instaurer une taxe sur les tran-
sactions financières allouée au climat. Impli-
quer les marchés dans le financement de la
transition énergétique est une décision diffi-
cile et ambitieuse, mais le contexte l’impose
et l’urgence nous y oblige. La France a tout in-
térêt à soutenir cette proposition africaine, au
nom de son engagement et de la solidarité
envers les Etats les plus fragiles, ainsi qu’en ce-
lui d’une réinvention impérative de sa rela-
tion avec le continent africain. p
30 | idées 0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023

Jack Halberstam
« Des formes de
divergences au genre
ont existé un peu partout »
Le professeur en études de genre explique que l’idée de « transitude »
revêt des réalités diverses en fonction des époques et des cultures

ENTRETIEN Vous identifiez les effets de cette

pression jusque dans des films
de sens. Par exemple, nous avons
beaucoup de traces de personnes as-

I
l avait fallu quinze ans pour que
le public français puisse lire une
traduction de Trouble dans le
genre, de Judith Butler, monu-
ment des queer studies (La Décou-
verte, 2005). Figure majeure des étu-
des trans aux Etats-Unis, Jack Hal-
berstam aura, lui aussi, connu un très
long jetlag avant qu’un éditeur fran-
çais ne s’intéresse à son travail.
Trans*. Brève histoire de la variabilité
de genre (Libertalia, 240 pages,
10 euros) est le premier de ses livres à
être traduit en français, vingt-cinq
ans après la parution de Female Mas-
culinity, un classique outre-Atlanti-
que toujours pas édité en France.
Professeur en études de genre, direc-
teur de l’Institut de recherche sur les
femmes, le genre et la sexualité à
l’université Columbia, à New York,
Jack Halberstam a consacré une partie
de son œuvre à confronter les théo-
ries académiques aux cultures popu-
laires. De Disney à Lady Gaga, il ob-
serve, pas toujours là où on les atten-
drait, des représentations alternatives
du genre. C’est ce travail qu’il pro-
longe avec Trans*.
Vous avez agrémenté le titre
de votre livre d’un astérisque.
Pourquoi ne pas l’avoir simple-
ment appelé « Trans » ?
C’est une manière d’élargir le
concept. L’astérisque suggère l’échec
de nos systèmes de classification,
produits aux XIXe et XXe siècles
comme une méthode de contrôle et
qui s’attachaient à nommer tout ce
qui semblait anormal. « Trans* » n’est
pas seulement un élément dans un
panthéon d’identités ; il ne fait pas
que nommer des corps, les regrouper
et leur offrir visibilité et reconnais-
sance ; c’est aussi un moyen de mettre
sous pression le système binaire
dans son ensemble.
grand public, « Le Monde de
Nemo », « La Grande Aventure
Lego », pas vus pourtant comme
des œuvres queer…
La signification ne dépend pas de
l’intention. Dans Nemo, le person-
nage principal est un poisson-clown,
une espèce dont les individus chan-
gent de sexe dans certaines condi-
tions, qui sont précisément celles du
début du film… L’idée de « transi-
tude » se fait ressentir partout, ce
n’est pas seulement un sujet pour les
personnes queer, car le genre comme
structure sociale binaire contient en
lui-même une part de flexibilité et
d’indétermination avec laquelle des
gens jouent.
Vous montrez à quel point
la diversité de genre infuse la
société et la culture. Est-ce une
manière de répondre à ceux qui
combattent les droits des person-
nes trans, chez qui revient souvent
l’idée que la transidentité serait
une mode récente et très localisée ?
Il n’y a aucun doute sur le fait que
des formes de divergence au genre
existent et ont existé un peu partout.
Mais elles ont émergé de structures
sociales très différentes et peuvent
avoir des significations très variables
selon les cultures. Nous devons résis-
ter à l’envie de décréter que telle ou
telle figure serait trans : selon les caté-
gories de l’époque, ça n’a pas toujours
« NE LAISSONS PAS
LES CONSERVATEURS
DÉFINIR LES
TERMES DE NOS
REVENDICATIONS »
signées femmes à la naissance qui
ont vécu en tant qu’hommes, en por-
tant des habits masculins. Il est im-
possible de déterminer d’un cas à
l’autre si elles étaient des précurseurs
de la transidentité ou si elles cher-
chaient à échapper à la prédation
masculine, voulaient s’embarquer
sur des navires pour prendre la mer,
fuir des difficultés économiques ou
encore d’autres raisons…
Ce qui est certain c’est que, avant
l’enregistrement médical des corps
qui apparaît au XIXe siècle, les gens ne
s’identifiaient pas comme
aujourd’hui. La fonction sociale du
genre était très différente. Bien sûr, il
est tentant de dire : « Nous avons tou-
jours existé », mais qui est ce
« nous » ? C’est une simplification,
personne n’a « toujours été là », cha-
cun n’est qu’une version très spécifi-
que de l’expérience humaine, histori-
quement, géographiquement ou en
matière de classe, de « race »…
Comment répondre alors
aux rhétoriques antitrans ?
Ne laissons pas les conservateurs
définir les termes de nos revendica-
tions. Si on me force dans un discours
sur la vérité ou l’authenticité, on va
ensuite me demander de démontrer
que je suis réellement trans et de
remplir de critères pour un diagnos-
tic, vérifier si je prends des hormo-
nes, etc. Quand ils nous disent :
« Vous n’êtes pas réels », la réponse
devrait être : « Vous ne l’êtes pas non
plus », et non : « Je suis réel, j’ai des pa-
piers. » Les papiers ne prouvent rien,
si ce n’est que vous êtes enregistré par
un système bureaucratique. C’est une
réponse conservatrice à une question
conservatrice.
Pourquoi les personnes trans
concentrent-elles autant
aujourd’hui les attaques
des conservateurs ?
Je crois que s’ils sont aussi inquiets,
en particulier à propos des jeunes,
c’est qu’ils voient un nombre croissant
d’entre eux s’identifier comme queer,
trans, non binaire… Donc, aujourd’hui,
dans beaucoup de foyers conserva-
teurs, il peut y avoir un jeune disant à
ses parents : « Maman, papa, vous êtes
nazes, je ne suis pas du genre auquel
vous m’assignez, je suis autre chose. »
Il ne s’agit plus seulement de quelques
queers bizarres venant de Paris ou
de San Francisco, ce sont leurs enfants,
qui ont été élevés dans des familles
chrétiennes. A grande échelle, cela
aboutit à une remise en cause du
discours « antigenre » de « la famille
d’abord », qui est soutenu par le capita-
lisme autoritaire, aujourd’hui au pou-
voir un peu partout dans le monde.
Dans votre livre, vous exprimez
votre perplexité face à certains
mots d’ordre de jeunes queers.
Pourquoi ?
Quand j’ai commencé à écrire ce li-
vre, une partie des jeunes trans pro-
testaient contre des projections de
films montrant des violences trans-
phobes. Pourtant, c’est une réalité,
la plupart des personnes trans dans
YANN LEGENDRE
l’histoire ont vécu cette violence. Vous
ne voulez pas connaître notre his-
toire ? Elle n’est pas joyeuse !
Désormais, des jeunes
trans sont soutenus par
leurs parents, c’est fantasti-
que ! Mais cela risque de ren-
forcer un modèle familial
qu’ils auraient remis en
cause dans d’autres condi-
tions. Dans les générations
précédentes, nous disions
qu’il existe d’autres maniè-
res de vivre l’intimité, des
moyens d’élever collective-
ment des enfants, etc. Notre
but ne devrait pas être de
pouvoir se marier mais de
transformer la société. TRANS*. BRÈVE
Mais si j’écrivais ce livre HISTOIRE DE
aujourd’hui [publié aux Etats- LA VARIABILITÉ
Unis en 2018], je ferais sans DE GENRE
doute différemment. Depuis, de Jack Halberstam
les choses ont changé : le re- Libertalia, 240 p., 10 €
tour de bâton politique est
violent et nous avons perdu
du temps à nous battre entre nous.
Les personnes queer et trans, surtout
les jeunes, sont victimes d’attaques
d’une grande violence, et je n’ai que
de la sympathie pour eux. p
propos recueillis par
colin folliot

L’Argentine, un pays dans l’impasse faute de vision politique

ANALYSE pour de nombreux Argentins. Depuis, des
aides aux plus démunis ont été mises en
rembourser – au FMI, aux créanciers privés
et aux implacables « fonds vautours » – lais-
Le président Mauricio Macri (centre droit,
2015-2019) fait le pari d’une recette libérale, à

L
es six prochains mois vont être très
durs », a averti l’ultralibéral Javier Mi-
lei, après son élection haut la main,
au second tour de la présidentielle ar-
gentine, le 19 novembre (55,7 % des voix). En
effet, il n’y aura « pas de gradualisme », dans
les mesures de l’outsider, qui doivent susciter
un « choc » libéral, à partir de sa prise de fonc-
tions, le 10 décembre. Réduction drastique
LES CAUSES des dépenses publiques (de l’ordre de 15 % du
DE LA SITUATION PIB), remplacement du peso par le dollar,
suppression de la Banque centrale… sa logi-
PRENNENT TOUTES que est d’imposer au pays une cure d’assai-
nissement brutale. Une méthode largement
RACINES DANS contestée par des économistes de tous bords.
L’IMPOSSIBILITÉ C’est pourtant la potion très amère qu’est
prête à avaler une partie de l’électorat de Ja-
DU PAYS À GÉNÉRER vier Milei, épuisée par une économie mori-
bonde, que différentes politiques – redistri-
UNE CROISSANCE butives ou plus libérales – ont tenté de gué-
rir depuis le début des années 2000. Leurs
DURABLE ET À BÂTIR résultats sont alarmants : 143 % d’inflation
UN MODÈLE sur un an, 40 % de la population sous le seuil
de pauvreté, un taux de change cadenassé
PRODUCTIF SOLIDE par une série de restrictions et une dette co-
lossale (l’équivalent de 41 milliards d’euros)
à rembourser auprès du Fonds monétaire
international (FMI).
La situation a des airs de déjà-vu. En 2001, le
pays plongeait dans la pire crise de son his-
toire. Pillages, manifestations massives, chô-
mage, six personnes sur dix dans la pauvreté,
défaut de paiement… Une sorte d’année zéro
place, éloignant, pour l’instant, l’explosion
sociale. Mais pourquoi ce pays aux multiples
richesses naturelles (agriculture, mines, hy-
drocarbures…), dont une partie de la popula-
tion est formée dans des universités – publi-
ques – de qualité, ne sort-il pas de l’ornière ?
Les causes sont multiples. Elles prennent
toutes racine dans l’impossibilité du pays à
générer une croissance durable et à bâtir un
modèle productif solide. A l’origine de ces ca-
rences : une vision politique souvent court-
termiste ou aventuriste. Une responsabilité
portée par les gouvernements tant péronistes
(courant oscillant entre gauche et centre gau-
che, à la tête du pays pendant seize des vingt
dernières années) qu’anti-péronistes.
Pourtant, tout n’a pas été aussi morose.
Après la crise de 2001, le pays a connu un re-
bond. Un phénomène mécanique, après avoir
touché le fond. La reconstruction a pris de lon-
gues années, sous les mandats des époux pé-
ronistes Nestor Kirchner (2003-2007) puis
Cristina Fernandez de Kirchner (premier
mandat de 2007 à 2011). Un vent de croissance
souffle alors sur le pays, porté par le cours des
matières premières, et c’est à cette époque
que se met en place un filet de sécurité sociale.
Si les deux premiers mandats Kirchner
donnent une impulsion à la réindustrialisa-
tion, « ils ont été accaparés par la négociation
de la dette », remarque Martin Kalos, écono-
miste et directeur du cabinet EPyCA. Les Kir-
chner héritent en effet des lourdes dettes à
sées par le président péroniste de droit Car-
los Menem (1989-1999). « Cependant, il y a
aussi eu un manque de vision économique
pendant ces années Kirchner. Ils n’ont pas su
définir de cap. Il aurait fallu, et il faut encore
aller vers une économie diversifiée, en déve-
loppant davantage l’industrie et les services »,
poursuit Martin Kalos.
Machine à pauvreté
En effet, l’Argentine pâtit de sa forte dépen-
dance au secteur agricole (soja, blé, maïs). Or,
la bonne santé du secteur, donc du pays, est
soumise aux caprices du climat. Pendant les
années de sécheresse (2008, 2012, 2018, puis
2023), l’économie est chahutée. En raison de
l’absence de stratégie de développement à
long terme, la stagnation s’installe pendant
le deuxième mandat de Cristina Fernandez
de Kirchner (2011-2015).
« Le problème de l’Argentine c’est son déficit
budgétaire : elle dépense plus qu’elle ne gagne
[c’est le cas de façon continue depuis 2011]. Et
cela se traduit par l’endettement et l’émission
de pesos. Or, émettre des pesos provoque de
l’inflation », décrit Paula Gandara, directrice
d’investissement au sein du groupe finan-
cier d’Adcap. L’inflation se transformant elle-
même en machine à pauvreté, l’urgence so-
ciale requiert des mesures de court terme –
telles les subventions – détournant ainsi le
regard des politiques des réformes producti-
ves ambitieuses.
contre-courant des années Kirchner. Cela ne
fonctionne pas, en raison d’une sécheresse
brutale – à nouveau –, mais aussi d’un marché
économique et financier subitement ouvert
et plus vulnérable aux soubresauts interna-
tionaux. A partir de 2018, le pays tombe dans
la récession. L’inflation – qui n’a jamais cessé
d’être à deux chiffres depuis 2007 – s’accélère.
La pauvreté aussi. Le pays contracte la plus
grande dette que le FMI ait jamais accordée.
C’est de cette situation qu’hérite Alberto
Fernandez (péroniste de centre gauche)
en 2019. Très vite, la pandémie de Covid-19,
puis les conséquences inflationnistes de la
guerre en Ukraine et les négociations sur la
dette grèvent sa gestion. L’économie s’enlise.
Mais l’obstacle le plus inquiétant est bien in-
terne : la querelle entre le président et sa vice-
présidente, Cristina Fernandez de Kirchner,
embolise toute prise de décision.
Certes, les aides sociales sont bien là, pour
répondre à l’urgence, mais qu’en est-il d’un
véritable plan à long terme, afin de sortir de la
dépendance agricole ? D’une vision destinée à
amorcer la transition énergétique dans un
monde qui doit s’éloigner des énergies fossi-
les ? D’une méthode pour casser la spirale in-
flationniste ? Sans réponse, l’économie dé-
visse. Les électeurs, eux, désabusés, se tour-
nent vers une solution extrême, qui leur fait
miroiter le rêve, légitime, d’une vie digne. p
flora genoux
(buenos aires, correspondante)
0123
MARDI 28 NOVEMBRE 2023
ÉCONOMIE | CHRONIQUE
par sté p hane l aue r
OpenAI :
profit 1 - éthique 0
D L’IA GÉNÉRATIVE
ix jours après l’évic-
tion de Sam Altman de
la direction d’OpenAI,
le calme semble être
revenu au sein de la société qui a
développé ChatGPT, le célèbre ro-
bot conversationnel utilisant l’in-
telligence artificielle (IA). Le PDG a
retrouvé son poste et ceux qui
étaient à l’origine de son départ
ont été écartés, à la satisfaction
des salariés et de Microsoft, l’un
des principaux actionnaires.
La saga n’a rien d’une crise de
gouvernance classique. Son dé-
nouement est riche d’enseigne-
ments sur la façon dont l’IA peut
évoluer. OpenAI a clairement
tranché le débat fondamental en-
tre éthique et profit en faveur de
ce dernier. Ce dénouement mon-
tre que les bonnes intentions ne
seront pas suffisantes pour pré-
server l’IA générative d’une logi-
que économique classique.
Deux camps s’opposaient au
sein d’OpenAI. Celui qui tentait de
maintenir des garde-fous au déve-
loppement d’une technologie ap-
pelée à bouleverser la marche du
monde, quitte à rater des opportu-
nités commerciales. En face, ceux
qui pensent que la dimension
éthique de la recherche n’a rien
d’incompatible avec la poursuite
du profit. Ils sont les grands vain-
queurs de la séquence.
Lancée en 2015, la société avait
été pourtant conçue comme une
organisation à but non lucratif
pour « créer une intelligence artifi-
cielle générale, de façon sûre et bé-
néfique pour l’humanité ». Le pro-
jet s’est vite heurté à une limite de
taille : l’argent. L’IA nécessite de
gros investissements afin de béné-
ficier de la puissance de calcul de
superordinateurs indispensables
pour mouliner les quantités de
données, qui permettent à la ma-
chine d’apprendre et d’être de plus
en plus « intelligente ».
Le ver était dans le fruit
Les dotations philanthropiques
qui ont permis d’amorcer l’aven-
ture ont été insuffisantes, pous-
sant Altman à trouver d’autres
sources de financement. Dès 2018,
il obtenait le feu vert pour créer
une filiale à but commercial, capa-
ble de lever de l’argent auprès
d’investisseurs, à commencer par
le géant informatique Microsoft.
Même si cette nouvelle entité
restait supervisée par un conseil
d’administration attaché à œu-
vrer pour le bien de l’humanité, le
ver était dans le fruit.
Il était écrit que Microsoft, qui a
déjà injecté 10 milliards de dollars
(9,1 milliards d’euros), ne se con-
tenterait pas de satisfaire les ob-
jectifs sociétaux d’OpenAI dès lors
que la société pouvait se transfor-
mer en poule aux œufs d’or, tan-
dis que la course à l’IA s’emballe.
Tout a basculé avec le spectacu-
laire succès de ChatGPT, lancé il y a
un an. Les limites de cette gouver-
nance bancale sont apparues lors-
que Sam Altman a décidé d’accélé-
rer le développement commercial
de la société. L’une des administra-
trices d’OpenAI, Helen Toner, di-
rectrice du Centre pour la sécurité
et les technologies émergentes de
l’université de Georgetown, à
Washington, a commencé à criti-
quer en creux dans un article
scientifique la stratégie d’OpenAI.
IL EST URGENT DE
METTRE EN PLACE
UNE RÉGULATION
CAPABLE
D’ENCADRER
LES AMBITIONS
DES APPRENTIS
SORCIERS
0123 | 31
RÉINDUSTRIALISATION :
voitures électriques lancés ces pend aussi de l’adaptation de
LA FRANCE AU MILIEU DU GUÉ
derniers mois, ne peuvent suf- l’écosystème pour permettre de
fire à compenser les reculs enre- faire émerger les industries de
gistrés depuis quarante ans. Le
déficit de la balance commer-
ciale est là chaque année pour
demain. Il reste à accomplir un
travail titanesque sur l’éduca-
tion et la formation. Sans une
rappeler l’ampleur de la tâche.
Vouloir reconstituer à l’iden-
tique notre potentiel industriel
main-d’œuvre qualifiée et
adaptée aux enjeux de demain,
la réindustrialisation restera
est illusoire. D’abord, la transi- lettre morte. De la même façon,
tion écologique impose une sans énergie décarbonée en
EST UNE AFFAIRE
TROP SÉRIEUSE
C hant du cygne ou bien
reconquête méthodi-
que ? Les progrès enre-
gistrés ces dernières années
vices se sont enfin dissipés. Dé-
localiser, restructurer, aban-
donner des filières entières de
fabrication s’est fait relative-
transformation radicale des
modes de production. Ensuite,
du fait de la robotisation et de
la numérisation des fabri-
quantité suffisante, au coût
prévisible et sous contrôle, no-
tre compétitivité sera étouffée
et les futures usines risquent de
POUR LA LAISSER pour réindustrialiser la France
ne permettent pas encore de
ment rapidement. Reconquérir
le terrain perdu demandera
cations, la réindustrialisation
sera moins riche en emplois.
ne jamais voir le jour.
Enfin, le renouveau industriel
DANS LES SEULES trancher la question. Alors que beaucoup de patience, d’obsti- Par ailleurs, le périmètre du ter- dépendra d’une amélioration
débute, lundi 27 novembre, la nation et de constance dans les rain de jeu a changé : la réindus- de la disponibilité du foncier et
MAINS DU CAPITAL douzième édition de la Se- politiques publiques. trialisation française ne trou- d’une accélération des procé-
maine de l’industrie, le secteur Après plusieurs d’années d’ef- vera sa cohérence qu’à l’échelle dures légales et administrati-
reste en convalescence. Les ger- forts financiers, réglementaires, européenne. Enfin, la plupart ves. Pour y parvenir, il faut
Avec deux coauteurs, Andrew mes du renouveau ne parvien- fiscaux, le renversement de ten- des usines parties à l’autre bout trouver le point d’équilibre en-
Imbrie et Owen J. Daniels, elle y sa- nent pas encore à effacer les dance s’est amorcé. La France du monde ne reviendront pas, tre une simplification indis-
luait la décision de son concur- stigmates de décennies de déli- crée désormais plus d’usines et et beaucoup de savoir-faire per- pensable et le cadre adéquat
rent, Anthropic, de ne pas com- tement de tout un écosystème d’emplois industriels qu’elle dus le sont pour toujours. La pour garantir la transition éco-
mercialiser Claude, l’équivalent de de donneurs d’ordre et de sous- n’en détruit, c’est un début en- réindustrialisation est, pour logique. Les défis sont immen-
ChatGPT. Les trois chercheurs traitants. courageant. Mais le pays reste l’essentiel, une page blanche ses, mais, si la France ne par-
soulignaient qu’entre opportu- A force d’être martelés, les au milieu du gué. Les annonces qui reste à écrire, pas une quête vient pas à les surmonter, la
nité économique et risque tech- messages ont fini par passer. Le spectaculaires, comme celle du nostalgique d’un passé révolu. poursuite du déclassement
nologique, Anthropic avait fait le pouvoir politique s’est emparé laboratoire danois Novo Nor- C’est pourquoi il est impor- sera inéluctable, avec des con-
bon choix. du sujet, l’image du secteur se disk, qui vient d’investir plus de tant de définir avec précision séquences irrémédiables sur
Pour le PDG, cet affront ne pou- dépoussière progressivement, 2 milliards d’euros à Chartres les contours de la réindustriali- l’emploi, le financement de no-
vait rester sans suite. Mais c’est les mirages d’une économie en- (Eure-et-Loir), ou les projets de sation souhaitable pour le pays. tre modèle social et la souverai-
Helen Toner qui, dans un premier tièrement tournée vers les ser- méga-usines de batteries pour La réussite de ce chantier dé- neté du pays. p
temps, a obtenu gain de cause en
écartant le PDG accusé d’accélérer
la mutation de la société de façon
trop rapide et peu transparente
vis-à-vis du conseil d’administra-
tion. Cette conviction a été renfor-
cée quelques jours avant qu’il ne
soit débarqué, quand les adminis-
trateurs ont appris qu’OpenAI ve-
nait de réaliser une percée révolu-
tionnaire, baptisée « Q* ».
En droit, le conseil d’administra-
tion était fondé à congédier Sam
Altman, qui, de fait, trahissait la
raison d’être d’OpenAI. Mais la
mobilisation en faveur du PDG de
la quasi-totalité des salariés de la
société, ainsi que de la direction de
Microsoft, a permis de retourner
la situation en sa faveur. Et c’est
désormais aux empêcheurs de
tourner en rond du conseil d’ad-
ministration de faire leurs valises.
Trois leçons peuvent être tirées
de cet épisode. La première est que
celui qui détient le capital, est celui
qui, in fine, décide. Microsoft a ob-
tenu le maintien de Sam Altman à
son poste, mais aussi un siège
d’administrateur et surtout une
remise à plat de la gouvernance
censée lever les ambiguïtés qui
ont conduit au psychodrame.
Deuxième enseignement, cette
saga signifie la fin d’une utopie,
celle d’une entreprise aux allures
de fondation, promettant de pu-
blier ses recherches en accès libre,
capable de faire concurrence aux
géants de l’Internet pour dévelop-
per une IA responsable.
En l’espace d’une semaine,
OpenAI est devenue une excrois-
sance d’un géant de l’informati-
que, dont la finalité sera avant tout
de faire de l’argent. La composi-
tion du conseil d’administration,
qui doit recruter neuf nouveaux
membres, sera un bon indicateur
de l’orientation future de la so-
ciété. Mais même si quelques
grands noms de l’IA et de person-
nalités indépendantes apportent
leur caution, le directeur général
de Microsoft, Satya Nadella, pren-
dra sans doute toutes les précau-
tions pour ne pas revivre le cirque
de ces derniers jours.
La troisième leçon, sans doute la
plus importante, est qu’il n’a ja-
mais été aussi urgent de mettre
en place une régulation de l’IA, ca-
pable d’encadrer les ambitions
des apprentis sorciers. Malgré
leurs professions de foi bien-
veillantes, les promesses d’auto-
régulation et de contribution mi-
rifique à l’humanité, ils risquent à
tout moment de se faire submer-
ger par leur hubris, leur avidité et
celle de leurs bailleurs de fonds.
L’IA générative est une affaire
trop sérieuse pour la laisser dans
les seules mains du capital. La fa-
çon dont le pouvoir démesuré
des géants de l’Internet s’est im-
posé ces dernières années doit
nous inciter cette fois à procéder
différemment, car les conséquen-
ces sur nos existences pourraient
être encore plus dévastatrices. p