MERCREDI 6 JANVIER 2021

77E ANNÉE – NO 23637

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE – 4 PAGES  ENQUÊTE SUR CES MODÉLISATEURS QUI ANTICIPENT LA PANDÉMIE

Vaccination : le gouvernement contraint d’accélérer
▶ Tandis que montent les ▶ Emmanuel Macron a lui­ ▶ Olivier Véran a assuré ▶ Le lent démarrage de la ▶ Confronté au nouveau
attaques de l’opposition même vivement critiqué que la France disposerait vaccination en France variant du virus,
sur la lenteur de la campa­ la complexité de la procé­ de 1 million de doses à inquiète Bercy et les Boris Johnson annonce
gne, le gouvernement an­ dure : « Maintenant vous partir de mercredi et vise entreprises, qui craignent un reconfinement en
nonce des mesures pour simplifiez drastiquement. 4 000 vaccinés par jour qu’il retarde une éven­ Angleterre et en Ecosse
améliorer la vaccination Et on accélère vraiment ! » en fin de semaine tuelle reprise économique PAGES 9 À 11 ÉD ITORIAL PAGE 34

Justice Climat 
L’impuissance  Une année 
des victimes INCESTE : UN LIVRE ACCUSE OLIVIER DUHAMEL
pour relancer 
de l’esclavage 
moderne
Ceux qui subissent la
« POURQUOI AURAIT­IL  l’accord de Paris
en ce début de 2021, les négo­
ciations internationales sont re­

LE DROIT DE VIVRE HORS 
traite humaine peinent lancées, alors que la 26e confé­
à faire reconnaître leur rence mondiale pour le climat
doit se réunir, en novembre, à
calvaire. Souvent étrangè­ Glasgow. Le président démocrate
res en situation irrégu­ Joe Biden a annoncé que les Etats­
lière, ces personnes

DE CETTE RÉALITÉ, QUAND, 
Unis allaient revenir dans l’ac­
n’ont aucun recours face cord de Paris, qui vise à limiter le
à leurs employeurs réchauffement au­dessous de
2 °C. Washington doit proposer de
PAG E S 12 -13
nouveaux engagements.
La Chine, première pollueuse de

MOI, ELLE ME HANTE ? »
la planète et très dépendante du
Automobile charbon, a également promis un
plafonnement de ses émissions
Les raisons de carbone d’ici à 2030. Au total,
une centaine d’Etats assurent

de la fusion vouloir arriver à zéro émission

net au milieu du siècle. L’Inde, le

PSA­Fiat Chrysler ▶ Dans « La Familia ▶ Ces accusations, sur ▶ Alors qu’un Français

Brésil et la Russie restent à la
traîne.
PAGES 6 À 8
grande », à paraître lesquelles « Le Monde » sur dix dit avoir été
Stellantis, le nouveau
groupe, officiellement jeudi, la juriste Camille a longuement enquêté, victime d’inceste,
créé le 4 janvier, rassemble Kouchner accuse son ont incité M. Duhamel, selon un récent sondage, Nucléaire
quatorze constructeurs beau­père, le politiste 70 ans, à démissionner, l’affaire est révélatrice L’Iran relance
et se hisse au quatrième Olivier Duhamel, d’avoir lundi 4 janvier, de ses du silence qui entoure son programme
rang mondial. abusé de son frère différentes fonctions de telles violences
Les salariés s’inquiètent
et met la pression
quand il était adolescent et responsabilités PAGES 14, 20-21
sur Joe Biden
des risques pour l’emploi
PAG E 1 5 PAGE 3

RDC
L’ancien chef
Cinéma
Claire Denis :
WikiLeaks
L’extradition
International DES CONDITIONS

de guerre « Les arts, ça fait de Julian Assange Fin du blocus de  IRRÉSISTIBLES

SUR LES PLUS GRANDES
Roger Lumbala vivre beaucoup rejetée par la l’Arabie saoudite  MARQUES DE LITERIE

arrêté à Paris de monde » justice britannique

contre le Qatar VEN
PAG E 5 PAG E 2 6 PAGE 3
TESPRI
LE REGARD DE PLANTU
Aboutissement de négo­
ciations sous l’égide VÉES
JUSQU’AU
19•01

du Koweït, Riyad rouvre

son espace aérien et ses
frontières maritimes
et terrestres avec le Qatar
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 INTERNATIONAL
2|
Riyad met fin au blocus contre le Qatar
L’Arabie saoudite et ses alliés scellent la réconciliation avec Doha, après trois ans et demi de brouille
beyrouth ­ correspondant
D
ans un Proche­Orient
en miettes, fracturé
par les guerres civiles,
les rivalités politiques
et la pandémie de Covid­19, une
lueur d’espoir a surgi, lundi 4 jan­
vier, de l’émirat du Koweït, à l’ex­
trémité du Golfe persique. Dans
une allocution télévisée en fin
d’après­midi, le ministre des af­
faires étrangères de cette pétro­
monarchie, le cheikh Ahmed Nas­
ser Al­Sabah, a annoncé « la réou­
verture de l’espace aérien ainsi que
des frontières terrestres et mariti­
mes entre l’Arabie saoudite et le
Qatar à compter de ce soir ».
Attendu depuis plusieurs se­
maines, fruit d’une mission de
médiation menée conjointement
par le Koweït et les Etats­Unis,
cette déclaration a de facto mis un
terme au semi­blocus imposé de­
puis trois ans et demi au Qatar
par ses voisins du Golfe. L’Arabie
saoudite, les Emirats arabes unis
(EAU) et Bahreïn, rejoints par
l’Egypte, avaient coupé toutes re­
lations commerciales et politi­
ques avec Doha en juin 2017, en
représailles au refus de la pres­
qu’île de s’aligner sur leur posi­
tionnement diplomatique anti­
Iran et anti­Frères musulmans.
Qualifié de « fauteur de trou­
bles », « d’agent de Téhéran » et
même de « soutien au terro­
risme », le Qatar s’est retrouvé en
quasi­quarantaine, mis au ban du
Conseil de coopération du Golfe
(CCG), le club des pétromonar­
ques de la Péninsule arabique.
Cette crise, d’une gravité inédite,
qui n’a pas été loin de dégénérer
en affrontements armés, a accru
la déstabilisation de la région, déjà
malmenée par la montée des ten­
sions entre l’Iran et les Etats­Unis.
Mais une nouvelle page s’ouvre
désormais. L’émir du Qatar, Ta­
mim Al­Thani, devait participer
mardi en personne au sommet du
CCG organisé à AlUla, un site tou­
ristique du nord de l’Arabie saou­
dite. La levée des mesures de rétor­
sion de Riyad, qui avait verrouillé
sa frontière terrestre avec le petit
émirat gazier et avait banni les ap­
pareils de la Qatar Airways de son
espace aérien, a convaincu le
cheikh Tamim de se rendre dans le
royaume, une première depuis le
schisme de juin 2017.
« Rétablir la cohésion »
En échange de cette concession
majeure, le Qatar a accepté de ge­
ler toutes les procédures juridi­
ques lancées contre ses voisins,
notamment auprès de la Cour in­
ternationale de justice. Les parties
sont aussi convenues de mettre en
sourdine la guérilla médiatique
qu’elles se livrent depuis plus de
trois ans par l’entremise de leurs
chaînes respectives et des réseaux
sociaux. Moyennant cet arrange­
ment, qui contient sûrement
d’autres clauses, gardées pour
l’instant secrètes, le CCG espérait
célébrer à AlUla son unité retrou­
vée, du moins en apparence.
« Nous sommes à la veille d’un
sommet historique par le biais du­
quel nous allons rétablir la cohé­
sion dans le Golfe », s’est félicité
lundi soir le ministre d’Etat émi­
rati aux affaires étrangères, Anwar
Gargash, pourtant à l’avant­garde
du dénigrement du Qatar toutes
ces dernières années. Le prince hé­
ritier d’Arabie saoudite, Moham­
med Ben Salman, dit « MBS », a as­
Pétromonarchies membres
du Conseil de coopération du Golfe
(CCG), créé en 1981 pour faire
contrepoids à la République
islamique d’Iran
XX Pays imposant depuis juin 2017
un boycottage diplomatique
et commercial au Qatar, qu'ils
accusent de complaisance à l’égard
de l’Iran et des groupes islamistes
Réouverture des frontières
et des liaisons aériennes avec
le Qatar, annoncée en janvier 2021
Infographie Le Monde
suré pour sa part que le rassemble­
ment serait placé sous le signe de
« la réunification et la solidarité ».
« C’est un premier pas important,
mais beaucoup d’autres mesures
seront nécessaires pour restaurer
la confiance entre les parties,
tempère sous le couvert de l’ano­
nymat un responsable du Golfe,
joint par Le Monde. Le retour à la
normale prendra du temps, aussi
bien entre les dirigeants qu’entre
les peuples. C’est le début d’un
processus, qui peut aussi bien
réussir qu’échouer. »
La genèse de ce déblocage re­
monte à l’automne 2019. C’est à ce
moment que Saoudiens et Qataris
reprennent langue, après deux an­
nées de guerre froide. Le ministre
des affaires étrangères du Qatar,
Mohamed Al­Thani, se rend
d’abord discrètement à Riyad. Puis
une entrevue secrète entre l’émir
Tamim et un émissaire de « MBS »
est organisée, le 22 octobre, à To­
kyo, en marge de l’intronisation
du nouvel empereur Naruhito.
La participation début décem­
bre des équipes de football saou­
dienne, émiratie et bahreïnie à la
coupe du Golfe, organisée sur les
pelouses du Qatar, consacre ce dé­
but de dégel. Deux ans plus tôt,
ces formations avaient boycotté
ce tournoi régional, déjà prévu
dans les stades de Doha, ce qui
IRAK
ÉGYPTE
SAOUDITE
Me
rR
ou
ge
SOUDAN
Les relations
étaient rompues
depuis 2017 en
représailles au
refus de Doha
de s’aligner sur
un positionnement
anti-Iran
avait conduit à la délocalisation
des matchs au Koweït.
Ce qui pousse alors les frères en­
nemis du Golfe à se reparler est
tout d’abord le fiasco de l’em­
bargo imposé au Qatar. Grâce au
soutien de l’Iran et de la Turquie,
aux réassurances fournies par ses
partenaires occidentaux et aux
énormes réserves en devises que
lui procure son industrie gazière,
le mouton noir du Golfe a sur­
monté la tentative d’encercle­
ment de ses voisins. De l’autre
côté, l’image calamiteuse de Mo­
hammed Ben Salman, salie par
l’assassinat du journaliste et dis­
sident Jamal Khashoggi ainsi que
par la guerre au Yémen, le pousse
à des gestes d’ouverture.
Mais la situation n’est pas en­
core mûre pour une réconcilia­
tion publique. La cascade de « fake
IRAN
KOWEÏT
BAHREÏN
QATAR
ARABIE
ÉMIRATS
ARABES UNIS
OMAN
YÉMEN Océan Indien
500 km
news » anti­Qatar produites par la
nébuleuse médiatico­numérique
acquise à Riyad et à Abou Dhabi
échaude les dirigeants de Doha.
Leur défiance est d’autant plus
grande qu’ils savent que la crise
est née d’une opération de pira­
tage de leur agence d’information
officielle, orchestrée de bout en
bout par les Emirats arabes unis.
Les agents des EAU, experts en
cyber­manipulation, avaient in­
troduit fin mai 2017, sur le site de
la Qatar News Agency, une fausse
déclaration du cheikh Tamim,
qualifiant l’Iran de « puissance is­
lamique régionale qui ne peut pas
être ignorée », et conférant le sta­
tut de « mouvements de résistance
légitimes » au Hamas palestinien
ainsi qu’au Hezbollah, la milice li­
banaise pro­iranienne. Aussitôt
montés en épingle par les médias
du camp saoudien, ces propos
avaient servi de justificatif à la
mise sous cloche du Qatar, an­
noncée deux semaines plus tard.
Victoire diplomatique
Les dirigeants de Doha sont par
ailleurs persuadés, non sans quel­
que raison, qu’Abou Dhabi, le plus
hostile des quatre membres du
quartet anti­Qatar, a envisagé
en 2017 une attaque militaire de
la presqu’île. Au printemps 2018,
dans une lettre à l’Elysée dont Le
Monde avait dévoilé la teneur, le
roi saoudien Salman avait aussi
menacé de bombarder le Qatar
dans l’hypothèse où celui­ci se
doterait du système de défense
antiaérien russe S400.
Cette première tentative de rè­
glement de la crise avorte donc
début 2020. « Les discussions ont
repris en mai, grâce aux pressions
américaines, raconte une source
proche des négociations. Mais les
perspectives n’étaient pas promet­
teuses. C’est la victoire de Joe Biden
aux élections américaines qui a
changé la donne. »
L’administration Trump a subi­
tement accru son implication
dans ce dossier, dans l’espoir de
décrocher un dernier succès di­
plomatique avant de devoir
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Mohammed Ben
Salman (à droite)
accueille l’émir de
Bahreïn, Hamad
Ben Issa Al Khalifa,
le 5 janvier, à son
arrivée à AlUla,
dans le nord­ouest
de l’Arabie saoudite
pour le sommet
du Conseil
de coopération
du Golfe (photo
transmise par
le palais royal
saoudien).
BANDAR AL-JALOUD/AFP
quitter la scène, le 20 janvier. Le
président sortant, tout à son ob­
session anti­Iran, s’est mis en tête
qu’un accord qataro­saoudien
priverait Téhéran de la centaine
de millions de dollars que Qatar
Airways lui verse pour emprunter
son espace aérien.
Mohammed Ben Salman, de son
côté, a compris que l’arrivée à la
Maison Blanche de Joe Biden, dési­
reux de remettre l’accent sur les
droits de l’homme en politique
étrangère, lui impose de réparer sa
réputation, guère flatteuse dans ce
domaine. La levée du « blocus » an­
ti­Qatar fait partie des mesures
grâce auxquelles Riyad espère évi­
ter un froid avec la nouvelle admi­
nistration, au même titre que la li­
bération programmée de la fémi­
niste Loujain Al­Hathloul, atten­
due au mois de mars.
Pour le Qatar, une victoire diplo­
matique se profile. Certes, l’émi­
rat sera sûrement obligé de recen­
trer quelque peu la ligne de sa
chaîne, Al­Jazira, focalisée ces der­
nières années sur les multiples
échecs de « MBS », du Yémen à
l’affaire Khashoggi. Il pourrait
aussi devoir prendre quelques
distances avec des opposants
saoudiens en exil, qui touchent,
selon Riyad, de l’argent qatari, et
peut­être aussi couper des liens
avec des membres des Frères mu­
sulmans, la bête noire des Emira­
tis. Mais, comparés aux 13 deman­
des édictées en 2017 par le quartet
anti­Doha, qui comprenaient l’ar­
rêt d’Al­Jazira, la fermeture de la
base militaire turque installée sur
le sol qatari et la révision à la
baisse de ses relations avec l’Iran,
ces gestes paraissent mineurs.
« Les racines de la crise, liée à des
divergences diplomatiques de
fond, sont toujours là, note le poli­
tologue koweïtien Bader Al­Saïf.
La crise a pénétré dans les conscien­
ces des peuples du Golfe, comme
aucune autre ne l’avait fait avant. Il
faudra du temps pour cicatriser
tout cela. Mais maintenant au
moins, les dirigeants vont se parler
entre eux. C’est un bon début. » 
benjamin barthe
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
L’Iran accentue
la pression
sur Joe Biden
Téhéran a repris la production
d’uranium enrichi à 20 % à Fordo
L’
Iran joue avec le feu nu­
cléaire. A seize jours de
l’investiture du nou­
veau président améri­
cain, Joe Biden, Téhéran annonce
la reprise de l’enrichissement à
20 % de l’uranium sur le site sou­
terrain de Fordo. Cette décision, ré­
vélée lundi 4 janvier par un porte­
parole du gouvernement, repré­
sente une étape importante dans
les violations successives des en­
gagements pris par l’Iran au titre
de l’accord sur le nucléaire (JC­
PoA), signé en 2015. Elle a été con­
firmée à Vienne, en Autriche, par
le directeur général de l’Agence in­
ternationale de l’énergie atomi­
que (AIEA), Rafael Mariano Grossi.
Ce dernier a informé les Etats
membres de l’organisation que
« l’Iran avait commencé à alimen­
ter en uranium déjà enrichi à 4,1 %
six cascades de centrifugeuses (…)
dans le but de monter à 20 % ».
Cette décision iranienne témoi­
gne à la fois des rapports de force
au sein du pouvoir et de la volonté
de Téhéran d’améliorer sa main,
comme au poker, avant d’enta­
mer les négociations avec la nou­
velle administration américaine.
Si ces tractations échouaient,
l’Iran serait de toute façon plus
proche de la ligne d’arrivée.
La politique de « pression maxi­
male » choisie par l’administra­
tion Trump n’a apporté aucun ré­
sultat, souligne ainsi le régime
iranien. Au contraire, elle a rap­
proché la République islamique
Saisie d’un pétrolier dans le Golfe
L’Iran a annoncé, lundi 4 janvier, la saisie par les gardiens de la ré-
volution d’un pétrolier battant pavillon sud-coréen dans les eaux
du Golfe, pour avoir enfreint « les lois sur l’environnement marin ».
Le site Internet Sepahnews des gardiens de la révolution a précisé
que le navire transportait 7 200 tonnes de produits chimiques
pétroliers. Séoul a réclamé la libération du Hankuk-Chemi
et de ses 20 membres d’équipage et a déployé une unité navale
antipiraterie dans la région stratégique du Golfe. La Corée du Sud
réfléchit à maintenir ou non la visite de son ministre adjoint des
affaires étrangères Choi Jong-kun qui était prévue en Iran diman-
che, a déclaré à l’agence Reuters un représentant du ministère.
La justice britannique rejette l’extradition de Julian Assange
La juge a estimé que l’état psychologique du fondateur de WikiLeaks était incompatible avec une extradition vers les Etats­Unis
L a justice britannique a
considéré, lundi 4 janvier,
que le fondateur de Wiki­
Leaks, Julian Assange, ne pouvait
pas être extradé vers les Etats­
Unis pour s’être procuré et avoir
publié en 2010 des documents
gouvernementaux américains
secrets, ainsi que pour piratage
informatique. La juge Vanessa
Baraitser a estimé que l’état psy­
chologique du lanceur d’alerte
était incompatible avec une telle
mesure. Lors de la lecture de sa
décision, la juge a toutefois écarté
un à un la plupart des arguments
présentés par la défense. Elle a no­
tamment estimé que la liberté
d’expression ne s’opposait pas à
l’extradition de l’Australien.
Vanessa Baraitser s’est montrée
plus réceptive aux arguments liés
à son état de santé. Lors de
l’audience, plusieurs profession­
nels ayant examiné M. Assange
avaient décelé de grandes fragili­
tés psychologiques et conclu qu’il
souffrait notamment de dépres­
sion sévère – en ayant notam­
ment planifié son suicide en pri­
son. Depuis le printemps 2019, il
de la bombe, grâce aux violations
de ses engagements pris à la si­
gnature de l’accord. Le délai pour
accumuler la matière fissile né­
cessaire a été fortement réduit,
bien en deçà d’une année. Mais
Téhéran prend aussi le risque de
surestimer son jeu, de s’isoler en
crispant la Russie et la Chine, et
d’affaiblir encore plus le JCPoA.
Trois signaux simultanés
Le retrait des Etats­Unis du JCPoA,
en 2018, avait entraîné un an plus
tard le début d’une fuite en avant,
contrôlée et graduelle, de l’Iran, se
sentant libre de reprendre son
programme, dès lors que les sanc­
tions économiques contre la Ré­
publique islamique étaient con­
fortées, et non levées. Le JCPoA
avait réduit le nombre de centri­
fugeuses dont dispose l’Iran de
21 000 à 5 060, et limité le taux
d’enrichissement à 3,67 %, alors
qu’il avait déjà atteint 20 %. En
outre, l’accord plafonnait les
stocks d’uranium enrichi à 300 kg.
Le passage de 20 % à 90 % d’enri­
chissement, niveau nécessaire
pour la bombe, est bien plus ra­
pide que celui de 3 % à 20 %, d’un
point de vue technique. Le 31 dé­
cembre 2020, l’Iran avait fait part
à l’AIEA de sa volonté de produire
de l’uranium enrichi à 20 %.
Jusqu’à présent, l’Agence a pu
travailler convenablement sur
place et mener ses inspections,
Téhéran acceptant même en août
d’ouvrir deux sites à ses experts,
est incarcéré dans la prison de
Belmarsh, dans le sud­est de Lon­
dres, où il est considéré comme
un prisonnier à risque de suicide.
Vanessa Baraitser a jugé qu’une
extradition vers les Etats­Unis
l’exposerait à une détention dans
une prison de haute sécurité, as­
sortie de mesures de sécurité spé­
ciales restreignant ses contacts
avec ses proches et les autres déte­
nus. Elle a aussi expliqué que
M. Assange était en mesure de dé­
jouer les dispositifs visant à pré­
venir les tentatives de suicide des
détenus. Les conditions de déten­
tion de M. Assange aux Etats­Unis
en cas d’extradition faisaient par­
tie des principales craintes de ses
avocats et de ses proches. L’avo­
cate Stella Morris, avec qui il a eu
deux enfants lorsqu’il était réfu­
gié dans l’ambassade d’Equateur à
Londres, a ainsi considéré diman­
che dans un entretien à l’hebdo­
madaire allemand Der Spiegel que
l’extrader vers les Etats­Unis re­
viendrait à l’« enterrer vivant ».
Aux Etats­Unis, le fondateur de
WikiLeaks encourt une peine de
prison de cent soixante­quinze
jusqu’alors interdits. Mais l’assas­
sinat sophistiqué et audacieux,
fin novembre, de l’un des pères
du programme nucléaire, le phy­
sicien Mohsen Fakhrizadeh, a mis
les autorités iraniennes sous
pression, confortant l’aile conser­
vatrice du régime.
Le 1er décembre 2020, le Parle­
ment iranien a adopté une loi pré­
conisant de produire et de stocker
au « moins 120 kilogrammes par
an d’uranium enrichi à 20 % » et de
mettre un terme aux inspections
de l’AIEA. Dans la foulée, le gou­
vernement a tenté de jouer la
montre, avant de plier. « Les ef­
forts pour retarder la mise en
œuvre de la loi ont échoué, en rai­
son de l’offensive beaucoup plus in­
tense lancée par les conservateurs,
soutenus par le Guide suprême [Ali
Khamenei], explique Ali Vaez, di­
recteur du programme Iran à l’In­
ternational Crisis Group. Le calcul
du Guide est de dire qu’il serait bé­
néfique pour l’Iran d’entrer dans
les négociations avec l’administra­
tion Biden en position de force. »
Le premier anniversaire, le
3 janvier, de l’assassinat du géné­
ral Ghassem Soleimani par les
Etats­Unis n’a été marqué par
aucune opération militaire ira­
nienne d’ampleur. Il fallait toute­
fois marquer le coup, afficher une
détermination pour nourrir les
ans. Outre la possession et la pu­
blication de documents confi­
dentiels, il est aussi accusé de pi­
ratage informatique pour avoir
aidé sa source à se procurer des
documents. L’accusation améri­
caine lui reproche également
d’avoir mis en danger certains in­
formateurs de l’armée améri­
caine en révélant leur identité, ce
que l’Australien et son équipe ont
démenti avec véhémence.
Nette victoire
Au cœur des accusations figure
l’activité de WikiLeaks en 2010 et
2011, lorsque l’organisation a pu­
blié, en partenariat avec de nom­
breux médias, dont Le Monde, des
documents secrets mettant en lu­
mière les activités de l’armée
américaine en Irak, en Afghanis­
tan, mais aussi des pièces issues
de la prison de Guantanamo ou
encore des dizaines de milliers de
télégrammes diplomatiques.
La décision de la justice britan­
nique est une nette victoire pour
l’équipe de M. Assange et ses pro­
ches, qui s’attendaient à une vali­
dation de l’extradition. Selon
pulsions nationalistes. D’où trois
signaux simultanés : la saisie d’un
tanker sud­coréen près du détroit
d’Ormuz, l’annonce d’exercices
militaires avec des centaines de
drones et enfin l’enrichissement
d’uranium à 20 %. « Le début de
l’enrichissement à 20 % : la fin de la
passivité face à l’hypocrisie de l’Oc­
cident », a salué, dans une « une »
triomphante, le quotidien ultra­
conservateur Kayhan, à Téhéran.
Souveraineté nationale
Cette dernière annonce a eu lieu
malgré les avertissements des
autres signataires de l’accord, en
particulier les Européens de l’E3
(Royaume­Uni, France, Allema­
gne). Le 21 décembre 2020 a eu
lieu une réunion de la commis­
sion conjointe au niveau ministé­
riel du JCPoA. Les Européens ont
conservé les deux aspects de leur
démarche, visant à préserver
l’accord : inciter Washington à re­
venir dans le JCPoA, et Téhéran à
respecter de nouveau ses engage­
ments. Selon le Quai d’Orsay, il
existe une ouverture politique
courte et cruciale dans les pro­
chaines semaines pour avancer.
« C’est d’autant plus nécessaire que
nous sommes revenus, du fait
des actions de l’Iran, à une situa­
tion d’urgence sur le plan nu­
cléaire – qui ne ferait que s’aggra­
« Il a été donné
raison aux Etats-
Unis sur tous les
points de droit
soulevés »
MARC RAIMONDI
porte-parole du ministère
américain de la justice
Barry Pollack, l’avocat américain
de M. Assange, l’équipe d’avocats
ayant défendu le fondateur de
WikiLeaks est « extrêmement sa­
tisfaite » de ce jugement. « Nous
espérons que, prenant en compte
la décision de la cour, les Etats­
Unis décideront de ne plus pour­
suivre l’affaire », a­t­il continué.
« C’est un énorme soulagement
pour quiconque est attaché aux
droits des journalistes » et « ce ré­
sultat va protéger les journalistes »,
s’est félicitée l’ONG américaine
Freedom of the Press Foundation
sur Twitter, tout en notant que
l’affaire n’avait pas été jugée « sur
la base des libertés de la presse ». La
international | 3
Le porte­parole de l’Organisation
de l’énergie atomique d’Iran
(OEAI), Behrouz Kamalvandi
(au centre), lors d’une visite du
site de Fordo, le 9 novembre 2019
(photo fournie par l’OEAI). AP
Téhéran prend
le risque de
surestimer son
jeu, de s’isoler et
d’affaiblir encore
plus l’accord sur
son programme
nucléaire
ver si les mesures exigées par le
Parlement iranien dans la loi du
2 décembre étaient mises en
œuvre », soulignait le ministère
français, le 23 décembre.
De son côté, la Russie a choisi de
dédramatiser, par l’intermédiaire
de son ambassadeur à Vienne
auprès des organisations interna­
tionales, Mikhaïl Oulianov. « Cette
étape était prévisible à la lumière
de la loi votée par le Parlement
iranien, souligne­t­il sur Twitter.
Le point essentiel est qu’elle de­
meure réversible dans le cadre
d’une possible normalisation de la
situation autour. » Selon sa lec­
ture traditionnelle, Moscou pré­
fère se focaliser sur la continua­
tion des missions d’inspection et
voit le dossier nucléaire comme
un terrain parmi d’autres où il se
mesure aux Etats­Unis.
juge a, en effet, fait siens les argu­
ments américains justifiant d’ex­
trader M. Assange pour son acti­
vité journalistique. Elle a estimé
que la liberté d’expression ne s’op­
posait pas à son extradition ; qu’il
était allé « au­delà » de l’activité
d’un simple journaliste ; qu’il avait
mis en danger certains individus
dont l’identité n’avait pas été ex­
purgée des documents publiés
par WikiLeaks ; et qu’elle ne dispo­
sait d’aucun élément laissant pen­
ser qu’un procès aux Etats­Unis
contreviendrait aux droits hu­
mains de M. Assange.
Ce jugement marque une étape
décisive dans le bras de fer qui
oppose l’Australien à la justice
britannique et américaine. Ce
n’en est cependant pas l’épilogue :
l’accusation a annoncé son inten­
tion de faire appel de la décision
de la justice britannique. « Même
si nous sommes extrêmement dé­
çus par la décision finale de la
cour, nous sommes satisfaits, car il
a été donné raison aux Etats­Unis
sur tous les points de droit soule­
vés. Nous allons continuer à cher­
cher à extrader M. Assange aux
Cette annonce iranienne sur
l’enrichissement à 20 % accentue
la pression sur la future adminis­
tration Biden. Celle­ci a déjà ex­
primé son intention, par la voix
de Jake Sullivan – le futur
conseiller national à la sécurité et
grand connaisseur de ce dossier –,
de revenir dans le cadre du JCPoA.
Mais comment préserver le texte
intact, dès lors que l’Iran a encore
progressé dans ses connaissances
et ses capacités ? Outre la ferme
opposition républicaine au
Congrès à cette réhabilitation de
l’accord, Joe Biden devra trouver
une articulation, au moins en ma­
tière de calendrier, avec la ques­
tion du programme balistique ira­
nien, qu’il a promis d’aborder. Or
Téhéran se refuse à toute discus­
sion sur ce sujet, relevant de la
souveraineté nationale à ses yeux.
De son côté, le premier ministre
israélien, Benyamin Nétanyahou,
a été le premier dirigeant étranger
à réagir à l’annonce faite par
Téhéran. Celle­ci « ne peut s’expli­
quer autrement que par la réalisa­
tion continue de son intention de
développer un programme nu­
cléaire militaire », a­t­il souligné.
Celui­ci a répété que son pays ne
laisserait pas un tel projet aller
à son terme. 
ghazal golshiri
et piotr smolar
Etats­Unis », a expliqué Marc
Raimondi, porte­parole du minis­
tère américain de la justice, dans
un communiqué.
L’arrivée imminente de Joe Bi­
den à la Maison Blanche pourrait
cependant rebattre les cartes du
dossier. Le président américain
dispose de pouvoirs d’amnistie et
on ne connaît pas les intentions
du prochain occupant du bureau
Ovale à l’endroit de M. Assange.
M. Biden était vice­président lors­
que son administration avait re­
noncé à poursuivre WikiLeaks et
son fondateur. Il avait cependant
eu en 2010 des mots très durs à
l’égard de l’Australien, le qualifiant
de « terroriste high­tech ». En atten­
dant, le fondateur de WikiLeaks
est retourné en prison. Ses avocats
doivent déposer une demande de
libération sous caution, qui sera
examinée mercredi. Peu après
l’annonce de la décision de la jus­
tice britannique, le Mexique, par la
voix de son président, Andres
Manuel Lopez Obrador, s’est pour
sa part dit « prêt à offrir l’asile » au
fondateur de WikiLeaks. 
martin untersinger

4 | international
En Géorgie, un «meeting de la victoire» pour Trump
Quinze mille partisans du président sont venus le soutenir à la veille du double scrutin décisif pour le Sénat
REPORTAGE
dalton (géorgie) ­ envoyée spéciale
R
ick et Jody Perkins ont
fait cinq heures de route
pour venir de leur Etat
de Caroline du Sud à l’aé­
roport de Dalton, dans une partie
très rurale de la Géorgie, assister
lundi soir au « meeting de la vic­
toire de Trump ». Debout, dos à la
scène, ils prennent un selfie. En
fond, deux énormes écrans men­
tionnant « Sauvons le Sénat et sau­
vons l’Amérique » ; puis perdus
dans les gradins, plus petits, un
écriteau mentionnant Kelly Loef­
fler, un autre David Perdue – les
deux candidats républicains à
l’élection sénatoriale, décisive
pour le Congrès, qui se joue mardi
5 janvier en Géorgie. Le couple
s’enthousiasme de voir le prési­
dent pour la première fois. Et lors­
qu’on leur fait remarquer qu’ils
n’avaient plus que quinze jours
pour le voir en tant que président,
Jody éclate de rire : « Oh non, il va
être président pour quatre ans à
nouveau ! » Le mari d’ajouter : « Il
faut s’attendre à ce qu’il se passe de
nombreuses choses les prochains
jours. Pour 75 millions de person­
nes, l’élection n’est pas jouée. »
Pression sur Mike Pence
Bastion républicain, la Géorgie a
surpris en votant Joe Biden lors de
la présidentielle du 3 novembre.
Cet Etat­clé n’avait pas été rem­
porté par un démocrate depuis
près de trois décennies. Cela a ren­
forcé les espoirs des candidats dé­
mocrates Raphael Warnock et Jon
Ossoff à cette sénatoriale, même si
le défi reste majeur. Et l’enjeu capi­
tal : s’ils réalisent l’exploit – la
Géorgie n’a pas envoyé de démo­
crate au Sénat depuis vingt ans –,
M. Warnock et M. Ossoff feront
basculer la Chambre haute dans
leur camp, donnant à Joe Biden
une majorité au Congrès.
Depuis l’annonce des résultats
de la présidentielle, Donald
Trump a contraint de nombreux
législateurs républicains à le sui­
vre dans sa contestation du scru­
tin, en marchandant son soutien
et le poids de sa base électorale.
Lundi soir, après être arrivé en hé­
licoptère Marine One sur le tar­
mac de l’aéroport de Dalton, il a
brièvement appelé à voter pour les
candidats républicains, avant de
recentrer son discours sur l’élec­
tion de novembre 2020 : « Ils ne
vont pas prendre la Maison Blan­
che, nous allons nous battre
comme des diables ! », a­t­il lancé à
A 87 ans, la sénatrice Dianne Feinstein s’accroche à son poste
La démocrate, réélue en 2018 par les Californiens, refuse de prendre sa retraite, alors que son déclin cognitif est pointé du doigt
san francisco ­ correspondante
D ianne Feinstein finira­t­
elle par passer la main ?
Même dans un pays qui
ne fait pas dans le jeunisme, du
moins dans la sphère politico­mé­
diatique, l’âge de la sénatrice de Ca­
lifornie commence à peser. A
87 ans, elle est la doyenne du Sé­
nat. Certes, de peu : la démocrate
n’a que trois mois de plus que le ré­
publicain Chuck Grassley, de
l’Iowa, que seule une brève exposi­
tion au coronavirus a empêché de
passer son 8 928e vote à la mi­no­
vembre 2020. Mais elle est la plus
âgée, dans une institution qui ne
se fait pas remarquer pour son
avant­gardisme. Sur cent séna­
teurs, la moitié a plus de 65 ans.
Sept ont passé les 80 ans.
Le Sénat n’est pas une exception.
La présidentielle a exposé ce que le
journaliste de Politico Timothy
Noah qualifie de « gérontocratie »
américaine. Le 20 janvier, Joe Bi­
une foule qui scande en retour des
« Fight for Trump ! » (« Battons­
nous pour Trump ! »)
Donald Trump a ensuite fait
pression sur son vice­président,
Mike Pence, en lui demandant pu­
bliquement, devant les 15 000 par­
tisans venus à Dalton, d’agir en sa
faveur lorsqu’il sera chargé mer­
credi de superviser la certification
par le Congrès des résultats de la
présidentielle. Joe Biden a rem­
porté 306 voix au collège électoral
contre 232 pour le président sor­
tant. « J’espère que Mike Pence va
répondre présent pour nous, a
lancé le président. Si ce n’est pas le
cas, je ne l’aimerai plus autant. »
La foule opine du chef, s’amuse
et applaudit à tout rompre. Les cas­
quettes rouges, devenues emblé­
matiques depuis la campagne de
Donald Trump en 2016, sont om­
niprésentes. Comme pratique­
ment toutes les personnes interro­
gées, Sophia Smokowicz n’est
« pas venue pour les candidats
Loeffler ou Perdue », mais pour Do­
nald Trump, « qui mérite tellement
un deuxième mandat ». Elle dit
avoir vu toutes « les vidéos » qui ré­
vèlent, à ses yeux, les fraudes mas­
sives du 3 novembre. « Ce n’était
pas qu’ici, cela s’est répété dans tel­
lement d’Etats, assure tout sourire
la jeune femme de 20 ans, non
masquée, assise à côté de son petit
ami. C’est tellement difficile de sa­
voir ce qui est vrai et ce qui ne l’est
pas, avec tous ces médias acquis à
la gauche et aux démocrates. Ils ont
peur que Trump fasse éclater la vé­
rité au grand jour. »
Sur l’écran géant installé derrière
elle, s’illumine au même moment
une vidéo récapitulant toutes les
« fraudes commises pendant l’élec­
tion ». Sophia et la foule se mettent
à huer, puis à crier son soutien à
« l’homme qui se bat pour des élec­
tions honnêtes ».
Plus loin, hors gradins, Randy
Cooper, qui vote républicain de­
puis quarante ans, a emmené
Joe Biden promet « un jour nouveau »
pour la Géorgie et pour l’Amérique
Lors d’un événement organisé à Atlanta, la capitale de l’Etat de
Géorgie, lundi 4 janvier, le président élu Joe Biden a critiqué la
gestion de l’épidémie de Covid-19 par l’administration sortante
et promis un nouveau départ pour les Etats-Unis avec les démo-
crates au pouvoir. « C’est une nouvelle année, et demain peut-être
un jour nouveau pour Atlanta, pour la Géorgie et pour l’Améri-
que », a-t-il déclaré. M. Biden a déploré les retards de l’adminis-
tration Trump dans le déploiement des vaccins contre le SARS-
CoV-2 et a assuré qu’une victoire des deux candidats démocrates
aux sénatoriales de Géorgie permettrait de garantir qu’une aide
directe de 2 000 dollars serait envoyée aux Américains.
den, 78 ans, deviendra le président
le plus âgé de l’histoire à sa prise de
fonctions. Il succédera à Donald
Trump, qui détenait le record
avant lui. Nancy Pelosi, réélue di­
manche 3 janvier présidente de la
Chambre des représentants, a
80 ans ; le chef de la majorité répu­
blicaine au Sénat, Mitch McCon­
nell, 78 ans. Un aréopage qui a des
allures de « politburo » de l’époque
Brejnev, ironise Timothy Noah.
Retraite ? « Je vous ferai signe
quand il y aura du nouveau », a si­
gnifié Dianne Feinstein à la chaîne
CNN. Mais certains, manifeste­
ment, y pensent pour elle. Le
10 décembre, la journaliste d’in­
vestigation Jane Mayer a publié
dans le New Yorker un récit embar­
rassant, informé par les témoigna­
ges – sous le couvert de l’anony­
mat – de collègues et d’assistants
parlementaires. Selon eux, la séna­
trice est en proie à des absences co­
gnitives répétées. Il lui arrive de
demander à ses aides de la briefer
Le président américain, Donald Trump, à Dalton, en Géorgie, lundi 4 janvier. LEAH MILLIS/REUTERS
deux de ses petits­enfants. « Nous
sommes venus montrer notre sou­
tien parce que cette élection a vrai­
ment été une farce, nous n’avons
plus confiance en le système, en no­
tre gouverneur, en notre secrétaire
d’Etat [le républicain Brad Raffens­
perger, à qui Donald Trump a de­
mandé de “lui trouver 11 780 voix”
lors d’un entretien téléphonique
révélé par le Washington Post]. Il
faut espérer que quelqu’un puisse
stopper tout cela. » Randy espère
que le vice­président, Mike Pence,
Le 17 novembre
2020, la sénatrice
a posé au PDG de
Twitter la même
question, à
deux minutes
d’intervalle, sans
s’en apercevoir
sur un sujet alors qu’ils viennent à
peine de s’en acquitter.
Les trous de mémoire de Dianne
Feinstein sont apparus au grand
jour lors de l’audition de Jack Dor­
sey devant la commission des af­
faires judiciaires, le 17 novem­
bre 2020. La sénatrice a posé au
PDG de Twitter la même question,
dans exactement les mêmes ter­
mes, à deux minutes d’intervalle,
sans s’en apercevoir. La répétition
a beaucoup amusé les réseaux so­
pourra retourner les grands élec­
teurs mercredi. Il tient à préciser :
« Trump ne veut pas renverser
l’élection, il veut juste revenir au
vrai résultat, c’est très différent. »
Evoquer les pressions exercées
par le président pour inverser
l’élection du 3 novembre fait aussi
grincer les dents de Shaun Vau­
ghn, habitant de Dalton. « Je ne
crois pas Raffensperger, je suis un
“Trump Guy”, je crois Trump », se
contente­il de lâcher. Si Donald
Trump devait quitter le Parti répu­
blicain, d’ailleurs, il le suivrait.
« Contre le communisme »
Pour mettre toutes leurs chances
de leur côté, les deux candidats ré­
publicains n’ont pas hésité à souli­
gner leur allégeance à Donald
Trump. Kelly Loeffler a déclaré
qu’elle s’opposerait mercredi à la
certification par le Congrès de la
victoire de Joe Biden à l’élection
présidentielle, imitant plus d’une
dizaine d’autres sénateurs et plus
d’une centaine d’élus républicains.
David Perdue, lui, était apparu
plus tôt en fin d’après­midi, dans
ciaux, mais moins les jeunes loups
du Parti démocrate, qui ont profité
de l’incident pour répéter que
l’heure de la retraite a sonné.
« Di­Fi » (son diminutif) est criti­
quée depuis des années par les
progressistes, qui la jugent trop
« gauche caviar » : sa fortune est es­
timée à 58 millions de dollars
(47 millions d’euros) et son troi­
sième mari est le banquier et in­
vestisseur Richard Blum. En no­
vembre 2020, la base ne lui a pas
pardonné son absence de comba­
tivité pendant l’audition d’Amy
Coney Barrett, la nouvelle juge ul­
traconservatrice de la Cour su­
prême. Après cette contre­perfor­
mance, elle a été contrainte
d’abandonner la présidence de la
commission des affaires judiciai­
res, par le chef du groupe démo­
crate, Charles Schumer. Née
en 1933, Dianne Feinstein a grandi
à San Francisco, fille d’un chirur­
gien, qui fut le premier professeur
juif à la faculté de médecine de la
« Ils ne vont pas
prendre la
Maison Blanche,
nous allons nous
battre comme
des diables ! »
DONALD TRUMP
un message enregistré, car « cas
contact » d’un malade du Co­
vid­19. Il a surtout insisté sur le fait
qu’il avait été l’un des premiers sé­
nateurs à avoir adoubé M. Trump,
lors de la primaire républicaine de
2016. De sa propre campagne, il
n’a été que très peu question.
Dehors, devant la sortie de l’aé­
roport de Dalton, Daniel Rodri­
guez charge sa voiture de caisses
de casquettes, tee­shirts et autres
articles à l’effigie de Trump ou de
« MAGA » (« Make America great
again »). Il s’était mis à son compte
après avoir été licencié de son
poste d’ingénieur informatique,
ville, et d’une mannequin issue
d’une famille d’exilés de Saint­Pé­
tersbourg. Le 27 novembre 1978,
alors qu’elle n’était que conseillère
municipale, c’est à elle que le des­
tin a réservé d’annoncer, sur les
marches de la mairie, que George
Moscone, le maire, et le conseiller
Harvey Milk venaient d’être abat­
tus par un collègue dans leur bu­
reau. Sa dignité dans le drame lui a
ouvert la succession à la mairie.
Auditions pointues
Dianne Feinstein a été dix ans
maire de San Francisco, la pre­
mière femme à ce poste. Devenue
sénatrice, elle a fait passer l’inter­
diction des fusils d’assaut en 1994.
Elle a soutenu la guerre de George
W. Bush en Irak, et a toujours été
une membre influente de la com­
mission du renseignement. Elle a
conduit des auditions pointues
sur la torture pratiquée par
l’Agence centrale de renseigne­
ment (CIA), suivies d’un rapport
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
pour ses idées « trop libérales », se­
lon lui. D’origine uruguayenne, ses
parents étaient communistes. Et
ce qu’il aime justement chez
Trump, c’est son « combat inces­
sant contre le communisme ou
tout socialisme radical ».
Membre du Parti républicain au
Texas, il affirme appartenir aux
« Proud Boys », un groupuscule
d’extrême droite. « Dans un mee­
ting comme celui­ci, je vends entre
800 et 1 500 dollars [entre 650 et
1 200 euros] de marchandise », ex­
plique­t­il, en précisant qu’il a posé
son stand à 86 rassemblements
cette année. Et lorsqu’on lui de­
mande s’il est inquiet « pour le bu­
siness » étant donné l’approche de
l’investiture de Joe Biden, il coupe,
tout sourire : « Pas du tout, car Do­
nald Trump commencera son
deuxième mandat le 20 janvier !
C’est ce que veulent les 75 millions
d’électeurs qui ont voté pour lui en
novembre, nous nous battrons jus­
qu’au 20 janvier à midi – et
n’oubliez pas, nous sommes tous en
colère, et armés. » 
carrie nooten
de 525 pages montrant que
l’agence avait menti au Congrès.
Le 17 décembre, le Los Angeles Ti­
mes a cru faire œuvre de salut pu­
blic, en admettant que, oui, il était
temps qu’elle prenne sa retraite,
mais que les électeurs avaient dé­
cidé en 2018 (à une majorité de
54 %) de la reconduire pour six ans
au Sénat. Le quotidien s’est attiré
une série de lettres cinglantes. Cer­
tains lecteurs ont cité l’exemple de
la juge Ruth Bader Ginsburg, qui,
certes, a gardé toute son acuité in­
tellectuelle jusqu’au bout (87 ans),
mais a renvoyé le pays démocrate
des années en arrière en ne démis­
sionnant pas de la Cour suprême
sous Barack Obama. Mais « Di­Fi »
a fait savoir qu’elle ne voyait
aucune raison de prendre sa re­
traite, après vingt­huit ans au Con­
grès. Et d’ailleurs, pose­t­on la
même question à ses collègues
masculins, les six autres octogé­
naires du Sénat ? 
corine lesnes
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
RDC : l’ex­chef de guerre Lumbala arrêté à Paris
L’ancien rebelle est accusé de « complicités de crimes contre l’humanité » commis entre 2000 et 2003
R
oger Lumbala a passé le
Nouvel An dans une
prison française. A
62 ans, cet ancien sei­
gneur de guerre congolais soup­
çonné par les Nations unies de
massacres de civils – mais aussi de
viols, de torture, de cannibalisme
et de pillages –, a été arrêté en
pleine rue, à Paris, le 29 décem­
bre 2020, par l’Office central de
lutte contre les crimes contre l’hu­
manité (OCLCH).
A l’issue d’une garde à vue de
quatre­vingt­seize heures, en
partie passée dans une chambre
sécurisée de l’Hôtel­Dieu en rai­
son d’un état de santé précaire,
M. Lumbala a été mis en examen,
samedi 2 janvier, pour « participa­
tion à un groupement formé en
vue de la préparation de crimes
contre l’humanité » et « complicité
de crimes contre l’humanité ».
Les faits reprochés à l’ancien
chef de guerre se sont déroulés
entre 2000 et 2003 dans les pro­
vinces de l’Ituri et du Haut­Uélé,
dans le nord­est de la République
démocratique du Congo (RDC). A
l’époque, Roger Lumbala est à la
tête du Rassemblement congo­
lais pour la démocratie­National
(RCD­N), un mouvement rebelle
soutenu par l’Ouganda voisin.
Opération « Effacer le tableau »
La deuxième guerre du Congo
(1998­2003), un conflit régional
meurtrier, fait rage. Le rebelle, qui
règne par la terreur sur une ré­
gion reculée et difficile d’accès,
profite du conflit pour orchestrer
l’exploitation des minerais (or et
diamants notamment) et les tue­
ries de civils, le braconnage d’élé­
phants, selon plusieurs témoins
congolais et étrangers.
« Il était général, avait les armes,
l’argent et administrait sa zone
avec une sorte de gouvernement
et une armée brutale capable de
tuer sans raison », se souvient un
militant des droits de l’homme
du Haut­Uélé. D’après un huma­
nitaire occidental, Roger Lum­
bala s’était montré particulière­
ment menaçant envers une ONG
suisse qui tenait la seule pharma­
cie opérationnelle de la région.
Un établissement qui fut pillé et
saccagé par des combattants
sous ses ordres, privant ainsi la
population de soins. Or, une
grande partie des millions de vic­
times du conflit sont mortes de
maladies et de faim.
Les hommes du RCD­N ont
aussi été impliqués dans l’opéra­
Le président Touadéra remporte la présidentielle en Centrafrique
Des candidats de l’opposition dénoncent des fraudes lors de ce scrutin, marqué par des affrontements avec des groupes rebelles armés
bangui ­ correspondance
L es militants du Mouvement
Cœurs Unis (MCU) peuvent
fêter leur victoire. A Bangui,
l’Autorité nationale des élections
(ANE) a annoncé, lundi 4 janvier
dans la soirée, les résultats provi­
soires du scrutin présidentiel et
législatif du 27 décembre 2020 :
leur candidat, le président sortant,
Faustin­Archange Touadéra, l’em­
porte au premier tour avec 53,92 %
des voix, au terme d’un cycle élec­
toral mouvementé.
Les résultats définitifs doivent
être publiés le 19 janvier, après
examen des éventuels recours.
Mais, déjà, les contestations pleu­
vent. Dans un document rendu
public lundi, plusieurs candidats
de l’opposition, dont Anicet­Geor­
ges Dologuélé, Martin Ziguélé et
Mahamat Kamoun, dénoncent
des « bourrages massifs d’urnes »,
des « tentatives d’intimidation des
électeurs » ou encore des « achats
de votes ». Le nombre particulière­
Roger
Lumbala,
à Kampala
(Ouganda),
en février
2013.
ISAAC KASAMANI /AFP
tion « Effacer le tableau » lancée
en octobre 2002 avec des élé­
ments du Mouvement de libéra­
tion du Congo (MLC) de Jean­
Pierre Bemba pour conquérir un
territoire contrôlé par un groupe
ennemi. Les équipes onusiennes
évoquent, dans un rapport de fé­
vrier 2003, « un schéma du recours
au pillage, au meurtre et au viol
comme tactique de guerre ».
Des cas de torture de Pygmées,
pour pouvoir sucer leur sang,
censé donner un pouvoir particu­
lier, ont également été signalés
par l’Eglise catholique et des ONG.
Dans son rapport Mapping, qui
recense les violations les plus gra­
ves des droits humains commises
en RDC entre mars 1993 et
juin 2003, l’ONU précise toutefois
ne pas avoir pu vérifier que des
combattants se sont adonnés à
des actes de cannibalisme.
Les atrocités perpétrées durant
l’opération « Effacer le tableau » se
sont en grande partie déroulées
dans la zone contrôlée par le
RCD­N qui était à la manœuvre,
explique un ancien haut respon­
sable des Nations unies en RDC.
Mais, comme la grande majorité
des criminels de guerre présu­
ment important de « votes par
dérogation » (le fait, pour un élec­
teur, de voter dans une autre
circonscription que la sienne),
déjà constaté par le réseau d’ob­
servateurs de la société civile
Arc­en­ciel, est également pointé.
« Guerre asymétrique »
Les élections présidentielle et lé­
gislatives étaient considérées
comme un test pour la Centrafri­
que, qui peine à émerger de la crise
politico­militaire qui plombe le
pays depuis plusieurs années. Une
grande partie du territoire est tou­
jours sous le contrôle des groupes
armés. Il y a trois semaines, six
d’entre eux, parmi les plus impor­
tants, ont décidé de fusionner
leurs forces au sein d’une nouvelle
alliance, la Coalition des patriotes
pour le changement (CPC). Dé­
nonçant l’accord de paix du 6 fé­
vrier 2019, qui prévoyait une inté­
gration des groupes armés dans le
système politique, ils réclamaient
une suspension du processus
Des cas de torture
de Pygmées,
pour pouvoir sucer
leur sang, censé
donner un pouvoir
particulier,
ont également
été signalés
més, l’ancien rebelle ne sera pas
poursuivi. La guerre prend offi­
ciellement fin en juin 2003 avec la
formation d’un gouvernement de
transition.
Roger Lumbala troque son
treillis pour un costume. Il fait
brièvement fonction de ministre
du commerce extérieur. « Il a tou­
jours été un escroc politique et n’a
jamais vraiment été pris au sé­
rieux », dit aujourd’hui un proche
conseiller de Jean­Pierre Bemba,
devenu après la guerre vice­prési­
dent (2003­2006). Impliqué dans
des affaires de corruption et de dé­
tournements de fonds publics,
Roger Lumbala est suspendu de
ses fonctions en novembre 2004
électoral, et la mise en place d’une
concertation nationale.
Peu après le lancement de cette
coalition, des affrontements ont
éclaté, opposant les rebelles aux
Forces armées centrafricaines
(FACA) et à leur partenaire, la Mis­
sion des nations unies (Minusca),
ainsi qu’à des renforts venus de
Russie et du Rwanda. L’ancien pré­
sident François Bozizé – dont la
candidature avait été invalidée au
début de décembre par la Cour
constitutionnelle – a été soup­
çonné par le gouvernement et la
communauté internationale de
collusion avec les groupes armés.
Sans réussir à percer jusqu’à
Bangui, ces derniers se sont ren­
dus maîtres de plusieurs villes
avant le scrutin, et ont perturbé
le vote dans plusieurs régions.
Dans certains bureaux, les urnes
ont été enlevées, et leur contenu
brûlé. Néanmoins, les élections
se sont relativement bien dérou­
lées à Bangui et dans plusieurs
villes de province.
par le président Joseph Kabila.
L’ancien seigneur de guerre pour­
suit son odyssée politico­militaire
mafieuse après avoir été limogé
du gouvernement. Il tourne le dos
à l’Ouganda et se rapproche du
Rwanda qui continue de déstabili­
ser l’est de la RDC à travers des
groupes armés qu’il structure. De­
venu en 2011 député du Kasaï (cen­
tre), sa région d’origine, M. Lum­
bala renoue avec l’illégalité et la
violence des rébellions en rejoi­
gnant le Mouvement du 23 mars
(M23). Ce groupe, soutenu par le
Rwanda, est responsable de nom­
breuses violations des droits de
l’homme, selon les Nations unies.
En entrepreneur de guerre
éprouvé, M. Lumbala navigue une
fois encore dans les eaux troubles
des cénacles politico­militaires de
l’est de la RDC, où se mêlent chefs
de groupes armés, soldats ayant
fait défection, politiciens véreux
et caciques des services de rensei­
gnement des pays voisins.
Sur demande des autorités con­
golaises, il est interpellé début
septembre 2012 à l’aéroport inter­
national de Bujumbura, au Bu­
rundi. Il se réfugie brièvement à
l’ambassade d’Afrique du Sud, qui
« La République est en guerre. Sa
survie est menacée. Cette guerre
asymétrique, nous allons la ga­
gner », avait déclaré, martial,
Faustin­Archange Touadéra lors
de son discours du Nouvel An.
Dans la foulée, quatre importants
chefs de groupes rebelles, ayant
rang de ministres au sein du gou­
vernement, ont été limogés.
Cette décision, selon certains ob­
servateurs, met fin de facto à l’ac­
cord de paix du 6 février 2019.
Si la ville de Bangui semble tou­
jours en sécurité aujourd’hui, des
combats ont eu lieu au cours du
week­end à Damara, à 70 kilomè­
tres au nord de la capitale. Des
groupes rebelles auraient aussi
pris la ville de Bangassou, dans le
sud­est du pays, selon des sources
locales, alors que la Minusca as­
sure de son côté que la ville est
« sous contrôle ». Pour autant, se­
lon Thierry Vircoulon, coordina­
teur pour l’Afrique centrale à l’Ins­
titut français des recherches inter­
nationales, les groupes armés ne
international | 5
l’aide à quitter le territoire. Il s’en­
vole pour le Kenya d’où il rejoint
la France. Arrivé à Paris le 16 sep­
tembre 2012, il tente d’obtenir le
statut de réfugié.
L’Office français de protection
des réfugiés et apatrides (Ofpra) le
lui avait accordé dans les années
1990, lorsqu’il dirigeait la branche
française de l’Union pour la démo­
cratie et le progrès social, le parti
de l’opposant défunt Etienne Tshi­
sekedi, dont le fils est aujourd’hui
le chef de l’Etat congolais.
En cette fin d’année 2012, le M23
prend le contrôle total de Goma,
la capitale de la province du Nord­
Kivu. A Paris, M. Lumbala se
heurte à un refus de l’Ofpra en rai­
son notamment de son implica­
tion présumée dans des crimes
de guerre, une décision qu’il con­
teste devant la Cour nationale du
droit d’asile. Après un nouveau
refus, ses voies de recours étant
désormais épuisées, M. Lumbala
quitte la France, voyage dans
d’autres pays européens et dans
l’Afrique des Grands Lacs. Il repré­
sente le M23 dans les négocia­
tions avec le gouvernement con­
golais qui se tiennent à Kampala
en début d’année 2013.
SOUDAN
TCHAD
SOUDAN
RÉPUBLIQUE DU SUD
CENTRAFRICAINE
Damara Bangassou
Bangui
RÉP. DÉMOCRATIQUE
CONGO
DU CONGO
500 km
visent pas à prendre la capitale,
comme ils l’avaient fait en 2013,
mais à montrer que leur pouvoir
de nuisance est toujours aussi im­
portant dans l’arrière­pays. « Ils
cherchent à faire de Faustin­Ar­
change Touadéra le président de
Bangui, en s’emparant du reste du
pays », résume le chercheur.
Dans la capitale, pourtant, la si­
tuation se tend. Du côté des parti­
Roger Lumbala fait désormais
l’objet d’un signalement auprès
du pôle crimes contre l’humanité
du parquet de Paris, qui charge
l’OCLCH des investigations fin
2016. Depuis 2019, cet office spé­
cialisé agit sous la supervision du
Parquet national antiterroriste.
Ces derniers mois, l’ancien chef
de guerre voyageait régulière­
ment entre Paris et Kinshasa où il
avait fini par revenir, en 2017, pour
reprendre une activité politique,
l’un des business les plus lucratifs
de la capitale congolaise. Oppor­
tuniste et dépourvu de véritable
influence, il soutient le président
Félix Tshisekedi et dirige un petit
« parti à mallette », surnom donné
aux innombrables formations
politiques constituées pour mon­
nayer leurs alliances.
« Travail de très longue haleine »
Outre l’argent facile, la politique
congolaise a l’avantage de per­
mettre à d’anciens criminels de
guerre présumés de bénéficier
d’immunités, de laver leur image
et de marchander leurs pouvoirs
de nuisance. Si Roger Lumbala a
réussi à négocier une certaine
forme d’impunité avec le pouvoir
congolais, il ne se doutait pas que
les enquêteurs français de
l’OCLCH le traquaient. Les investi­
gations ont, certes, été freinées
par la pandémie du Covid­19.
Avant de permettre la localisation
précise et certaine de M. Lumbala
à Kinshasa, où il s’est fait soigner
du coronavirus à l’automne.
Son retour à Paris était attendu
par les limiers qui le surveillaient
patiemment. « Ce travail de très
longue haleine est lié aux parti­
cularités du dossier, explique le
général Jean­Philippe Reiland, pa­
tron de l’OCLCH, avec la nécessité
de mener des analyses détaillées de
plusieurs rapports internationaux
et tenter de retrouver des témoins
susceptibles de confirmer les faits,
éloignés dans l’espace et le temps ».
Roger Lumbala est incarcéré à la
maison d’arrêt de la Santé, à Paris.
Dans l’est de la RDC, les métastases
de la deuxième guerre du Congo à
laquelle il a participé continuent
de ravager les provinces orientales
où opèrent une centaine de grou­
pes armés responsables d’exac­
tions sur des civils. 
antoine albertini
et joan tilouine
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
sans de François Bozizé, on ac­
cuse le gouvernement de mener
une chasse aux sorcières contre
les cadres du parti de l’ancien
chef de l’Etat, le Kwa Na Kwa, mais
aussi des membres de son ethnie,
les Gbayas, dénonçant des arres­
tations et des enlèvements. Du
côté présidentiel, on réfute caté­
goriquement ces accusations.
Dans un communiqué diffusé
lundi, le MCU évoque ainsi des
« manœuvres cyniques visant à
imposer une guerre tribale (…) par
le truchement de ceux qui redou­
tent l’intransigeance de la justice ».
Le parquet a par ailleurs annoncé
l’ouverture d’une enquête judi­
ciaire contre François Bozizé,
ainsi que ses coauteurs et compli­
ces, « par rapport aux faits de dés­
tabilisation et des rébellions en
cours ». Il a également fait état de
l’arrestation de plusieurs rebelles
sur les différents fronts de ba­
taille, dont huit ont déjà été pré­
sentés au juge d’instruction. 
gaël grilhot
 PLANÈTE
6|
C L I M AT
2021, année cruciale 
dans la lutte contre 
le dérèglement 
climatique
Les Etats vont devoir accélérer leurs efforts
d’ici à la tenue de la COP26, à Glasgow début
novembre, après un report d’un an
L’
année 2020 avait été présen­
tée comme charnière pour
l’action climatique. Cinq ans
après l’accord de Paris sur le
climat, les Etats devaient col­
lectivement aller plus vite et
plus loin dans la bataille contre le réchauf­
fement. La pandémie de Covid­19 en a dé­
cidé autrement. Alors que 2021 offre une
session de rattrapage, les attentes et les es­
poirs s’avèrent d’autant plus grands.
Les prochains mois seront cruciaux pour
accélérer les efforts des Etats jusqu’à un
point d’orgue : la 26e conférence mondiale
sur le climat (COP26), qui se tiendra à Glas­
gow (Ecosse) en novembre 2021, après avoir
été reportée d’un an. Cet événement, qui
s’annonce comme le plus important depuis
2015, devra montrer qu’un point de bascule­
ment a été franchi dans l’action. Il y a ur­
gence : le dérèglement climatique ne cesse
de s’aggraver, et 2020 devrait se classer
dans le trio de tête des années les plus chau­
des jamais enregistrées.
« 2021 sera une année de vérité pour le
climat », déclare au Monde Laurent Fabius,
ancien ministre des affaires étrangères et
président de la COP21, qui avait scellé l’ac­
cord de Paris. Contrairement à l’an dernier,
beaucoup de voyants sont au vert. « Les ho­
rizons et les obligations sont pour la pre­
mière fois clairs : les Etats doivent se fixer un
cap à long terme, la neutralité carbone
en 2050, mais aussi accroître leurs efforts à
moyen terme, en 2030, et à court terme, dans
leurs plans de relance », indique le président
du Conseil constitutionnel. La conjoncture
internationale est également plus propice,
alors que la COP26 interviendra presque un
an après l’élection de Joe Biden à la Maison
Blanche, marquant le retour des Etats­Unis
dans l’accord de Paris et sur la scène de la
diplomatie climatique.
« ESPÉRER AVEC PRUDENCE »
Enfin, si les conditions sanitaires le permet­
tent, l’année 2021 devrait être jalonnée par
une série de rencontres favorables à une
accélération de l’action. Les Etats doivent se
retrouver début juin à Bonn (Allemagne)
pour une première session de négociations
climatiques, avant une pré­COP organisée
en Italie fin septembre, début octobre. Joe
Biden a également promis de convoquer un
sommet international dans les cent
premiers jours de son mandat. Les
sommets du G7 et du G20, dont le Royau­
me­Uni et l’Italie assurent respectivement
la présidence, pourraient eux aussi
constituer des moments clés pour avancer
sur le climat.
« Il est désormais permis d’espérer, avec
prudence », juge Alexandra Deprez, cher­
cheuse sur la gouvernance internationale
du climat à l’Institut du développement du­
rable et des relations internationales (Iddri).
Le sommet mondial sur l’ambition climati­
que, organisé en visioconférence le 12 dé­
cembre pour marquer le cinquième anni­
versaire de l’accord de Paris, a en quelque
sorte servi de tremplin. « Il a montré que le
climat est encore à l’agenda politique », juge­
t­elle. « C’était un moment important pour
lancer l’année 2021 et la multiplication des
annonces de pays qui visent la neutralité car­
bone constitue l’une des avancées les plus
fortes depuis 2015. »
Plus d’une centaine d’Etats se sont fixé un
horizon de zéro émission nette au milieu
du siècle, dont plus de la moitié du G20
(Chine, Union européenne, Royaume­Uni,
Japon, Corée du Sud ou, dernièrement, Ar­
gentine), ce groupe de pays qui pèse pour
près de 80 % des émissions de gaz à effet de
serre. Reste maintenant à « transformer ces
promesses en réalité », prévient Alexandra
Deprez, ce qui passe d’abord par « rendre les
plans de relance compatibles avec la décar­
bonation à long terme ».
Les fonds débloqués pour relever les éco­
nomies de la pandémie de Covid­19, de par
leur ampleur sans précédent – 12 % du pro­
duit intérieur brut (PIB) mondial –, consti­
tuent de fait une occasion majeure pour ac­
célérer la transition écologique. Mais, pour
l’instant, « cette opportunité a été largement
manquée », avertit le Programme des Na­
tions unies pour l’environnement (PNUE),
alors que les pays, du G20 notamment, ont
massivement investi dans les énergies fos­
siles (charbon, pétrole, gaz), bien davantage
que dans les énergies et les technologies
bas carbone.
La mobilisation jusqu’à Glasgow implique
ensuite de relever l’ambition des plans cli­
matiques à moyen terme, afin d’« accélérer
le passage à la neutralité carbone au cours
de la décennie­clé 2020­2030 », indique l’ex­
perte de l’Iddri. Ces engagements, pris de
manière volontaire par les pays, sont jus­
qu’à présent totalement insuffisants, met­
tant la planète sur une trajectoire de 3,2 °C
de réchauffement à la fin du siècle par rap­
port à l’ère préindustrielle. Voire jusqu’à
4 °C, puisque ces plans ne sont pour l’ins­
tant pas tenus : les émissions de gaz à effet
de serre ont encore progressé en 2019, et la
baisse de 2020 liée à la pandémie risque de
ne pas être durable.
L’accord de Paris, qui vise à limiter le ré­
chauffement climatique bien en dessous de
2 °C et si possible à 1,5 °C, prévoit alors que les
pays révisent, normalement à la hausse,
leurs plans climatiques tous les cinq ans. La
première échéance était fixée au 31 décem­
bre 2020. Selon les décomptes du cercle de
réflexion américain World Resources Insti­
tute, 70 Etats sur près de 200, pesant pour
28 % des émissions mondiales, ont déposé
leurs nouveaux objectifs auprès de l’ONU
avant cette date limite.
Parmi eux, l’Union européenne s’est enga­
gée à réduire ses émissions d’au moins 55 %
d’ici à 2030 par rapport à 1990 (contre − 40 %
précédemment), tandis que le Royaume­Uni
a annoncé viser − 68 %. La Norvège s’est aussi
fixé des objectifs plus ambitieux, de même
que la Colombie, le Chili, l’Argentine ou les
îles Marshall.
La Chine, premier émetteur de gaz à effet
de serre, a également pris de nouveaux enga­
gements lors du sommet du 12 décembre
– mais pas encore soumis aux Nations unies.
Elle a promis d’atteindre un seuil de ses re­
jets de CO2 avant 2030 et de réduire son in­
tensité carbone (émissions de CO2 rappor­
tées au PIB) de plus de 65 % d’ici à 2030, par
rapport aux niveaux de 2005. Un effort dans
la bonne direction, mais qui doit être encore
renforcé, jugent les experts.
De nombreuses puissances manquent
toutefois à l’appel. Joe Biden a promis de
présenter de nouveaux engagements au
cours de l’année, mais leur niveau d’ambi­
tion dépendra en grande partie de la capa­
cité des démocrates à décrocher la majorité
au Sénat le 5 janvier, situation qui leur per­
mettrait de faire passer des lois climatiques
au Congrès. Le Japon s’est engagé à aller
plus loin avant la COP26, de même que le
Canada, qui a laissé entendre qu’il pourrait
baisser ses émissions de − 32 % à − 40 % en­
tre 2005 et 2030.
Reste l’Inde, le quatrième pollueur mon­
dial, qui se refuse pour l’instant à accroître
« LES ÉTATS DOIVENT  ses efforts pour 2030, ou à se fixer un objectif
SE FIXER UN CAP  de neutralité carbone au milieu du siècle
– mais qui développe massivement les éner­
À LONG TERME,  gies renouvelables. Le Brésil, la Russie, l’Aus­
tralie et le Mexique sont à la traîne, alors que
LA NEUTRALITÉ  les nouveaux plans qu’ils ont déposés auprès
de l’ONU marquent un statu quo par rapport
CARBONE EN 2050,  aux précédents – ou un recul dans le cas du
MAIS AUSSI  Brésil et du Mexique. Enfin, d’autres pays du
G20, comme l’Indonésie, la Turquie ou l’Ara­
ACCROÎTRE LEURS  bie saoudite font partie des plus réfractaires.
« La question est de savoir s’il va y avoir un
EFFORTS À MOYEN  effet domino cette année, les efforts des uns
TERME, EN 2030,  poussant les autres à en faire plus », avance
Lucile Dufour, responsable des négocia­
ET À COURT TERME,  tions internationales au Réseau Action Cli­
mat France.
DANS LEURS PLANS  « L’enjeu de la solidarité sera aussi essen­
tiel », prévient­elle, alors qu’une partie des
DE RELANCE » pays du Sud, qui sont souvent déjà large­
LAURENT FABIUS ment endettés, ont été encore affaiblis par la
président du Conseil crise du Covid­19 et ont besoin d’une aide fi­
constitutionnel nancière pour accroître leurs efforts. « Au
moins la moitié des pays africains se prépa­
rent à soumettre de nouveaux objectifs cli­
matiques avant la COP26 [trois l’ont fait fin
décembre 2020 : le Sénégal, le Kenya et la
Zambie]. L’autre moitié n’est pas encore en­
gagée, car beaucoup ont l’impression de don­
ner sans recevoir en retour, explique le Gabo­
nais Tanguy Gahouma­Bekale, président du
groupe des négociateurs africains pour le
climat, qui représente 54 pays. Les ressour­
ces ont été plus rares ces derniers temps. »
D’où l’importance d’augmenter les finan­
cements climat, notamment depuis les
pays du Nord, historiquement responsables
du réchauffement climatique, vers les pays
du Sud, qui en paient le plus lourd tribut
alors qu’ils polluent très peu. Il s’agit là de la
base de la confiance entre Etats et de l’un
des moteurs de l’action climatique.
Or, dans l’immédiat, ces fonds ne sont pas
suffisants. Il est « peu probable » que la pro­
messe des pays développés de mobiliser
100 milliards de dollars par an à destination
de ceux en développement ait été atteinte
en 2020, indique un rapport d’experts re­
mis à l’ONU mi­décembre, qui recom­
mande de doubler la part des dons (qui di­
minue jusqu’à présent au profit des prêts),
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
d’augmenter les fonds consacrés à l’adapta­
tion au changement climatique et ceux des­
tinés aux pays les moins avancés et aux pe­
tites îles en développement.
Les Etats­unis pourraient faire bouger les
lignes, alors que Joe Biden a promis d’hono­
rer les engagements financiers pris par son
pays mais abandonnés par Donald Trump.
Les Américains devront toutefois regagner
la confiance de nombreux pays, « qui restent
méfiants quant à leur engagement sur la du­
rée. Beaucoup attendent désormais des preu­
ves, au­delà des beaux discours », juge une
source proche des négociations climatiques.
« Il faudrait voir comment les Américains
parviennent à travailler avec les Chinois, sur
fond de puissants enjeux commerciaux, pré­
vient Laurent Fabius. Les Européens doivent
jouer un rôle de médiateur et rester indépen­
dants. » Un leadership qui doit être partagé
avec d’autres pays, « d’autres économies asia­
tiques, l’Afrique et des leaders latino­améri­
cains », avance de son côté Sébastien Treyer,
le directeur général de l’Iddri.
L’ÉPINEUX DOSSIER DES MARCHÉS CARBONE
La présidence britannique de la COP26
jouera également un rôle essentiel pour faire
avancer l’action climatique tout au long de
l’année. « Leur diplomatie est excellente. Mais
il leur faudra réaliser une montée en puis­
sance politique, alors que, pour l’instant, Bo­
ris Johnson [le premier ministre] et Alok
Sharma [le président de la COP26 et ministre
de l’industrie] sont pris par d’autres sujets,
comme la relance post­Brexit ou post­Covid,
indique la source proche des négociations
climatiques. La réussite d’une COP implique
un énorme travail de préparation. »
Le succès de la COP26 se mesurera aussi à
la résolution de dossiers d’apparence tech­
nique mais ayant des conséquences politi­
ques. Les négociateurs devront notamment
clôturer l’épineux dossier des marchés car­
bone, laissé en suspens aux COP24 et COP25
faute d’accord entre Etats. Il s’agit d’élaborer
les nouvelles règles visant la régulation des
échanges d’émissions de CO2 qui permet­
tent notamment aux pays les moins pol­
lueurs de revendre des quotas à ceux qui
émettent plus.
Les négociateurs doivent aussi finaliser le
cadre de transparence de l’accord de Paris,
qui permet de vérifier que les pays respec­
tent leurs promesses. « Toutes ces discus­
sions doivent permettre de préserver l’inté­
grité et l’esprit de l’accord de Paris, précise
Lucile Dufour. Nous pourrons ainsi sereine­
ment entrer dans un nouveau cycle : celui de
la mise en œuvre des règles et non plus leur
négociation. » 
audrey garric
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Dans le district de Gicumbi, dans le nord du Rwanda, entre les 26 et 28 décembre 2020. Yvette Baziki (à gauche) a été employée
par le Green Gicumbi Project pour transformer sa parcelle en terrasses. Au centre : un mur emporté par un glissement de terrain
à Rusambya. A droite, en haut : une mère et son fils dans leur village de Rwasama, également très touché par les inondations.
En bas : des fermiers travaillant pour l’une des deux coopératives de thé de la province. PHOTOS : SIMON WOHLFAHRT POUR « LE MONDE »
Le Rwanda, terrain d’expérimentation pour le Fonds vert
Agriculture, habitat et reforestation… les Nations unies et leurs partenaires locaux entendent renforcer la résilience du pays
REPORTAGE
gicumbi (rwanda) ­ envoyée spéciale
U ne énorme crevasse a
troué la colline, engloutis­
sant les plants de patates
douces et les clôtures soigneuse­
ment dressées. Depuis 2017, le petit
village de Rwasama, en contrebas
de la ville de Gicumbi, est coupé en
deux. Et la situation s’aggrave un
peu plus chaque année. « Ça a com­
mencé après la construction de la
nouvelle route et avec le développe­
ment de la ville. Plus il y
a de bâtiments là­haut,
OUGANDA plus l’eau ruisselle jus­
RÉP.
qu’ici », explique Ma­
DÉM.
rie­Louise Mukazitoni,
DU CONGO
Rwasama qui vit maintenant au
Gicumbi rythme des coulées de
DISTRICT
Lac DE GICUMBI Kigali
boue. La trentenaire
Kivu doit escalader des
RWANDA amas de terre rouge
pour atteindre sa mai­
son, construite à flanc
TANZ. de colline 50 mètres
BURUNDI plus haut. « C’est une
véritable opération
commando ! », lâche­t­
50 km
elle, rieuse et fière de
montrer ses talents de
grimpeuse. Mais son sourire s’ef­
face vite quand elle évoque les
pluies torrentielles qui ont emporté
un de ses murs : « Quand il pleut, je
ne ferme pas l’œil de la nuit. J’ai déjà
échappé à la mort deux fois. Et je ne
rêve que d’une chose, c’est de quitter
cet endroit maudit », assure­t­elle.
A Gicumbi, la dégradation de l’en­
vironnement n’est pas un concept,
mais une réalité tragique. Dans
cette région très montagneuse du
nord du Rwanda, les vestiges
boueux des glissements de terrain,
causés par la déforestation et la su­
rexploitation des terres, sont visi­
bles partout le long des routes :
murs détruits, cultures balayées,
ponts brisés et souches à moitié
sorties de terre. Le brun­rouge do­
mine peu à peu le vert profond des
champs de thé et de haricots.
En 2019, vingt personnes y ont
perdu la vie dans des inondations et
des glissements de terrain. Ce triste
bilan a fait de ce district la cible du
gouvernement rwandais pour son
premier projet directement financé
par le Fonds vert pour le climat, un
mécanisme d’aide piloté par les Na­
tions unies : le Green Gicumbi Pro­
ject. Doté d’un budget de 33 millions
de dollars (26,8 millions d’euros), il
prévoit une transformation radicale
du paysage et des modes de vie de la
région, jusqu’aux types d’habitat et
aux modes de cuisson – des fours
améliorés vont notamment être dis­
tribués à 125 000 habitants de la ré­
gion. « Nous avons opté pour une ap­
proche complètement intégrée, ex­
plique Jean­Marie Kagenza, le chef
de projet. Nous voulons nous atta­
quer au problème de dégradation du
bassin hydraulique, aux enjeux d’uti­
lisation de la terre et de régénération
des sols, aux pratiques agricoles, à la
déforestation, tout en augmentant la
résilience, la productivité et les salai­
res des fermiers, qui représentent la
quasi­totalité de la population. »
Des arbres le long des terrasses
Un an et demi après le lancement du
projet, Gicumbi ressemble à un im­
mense chantier à ciel ouvert. Les
vieilles plantations d’eucalyptus
sont rasées, tandis que des armées
de femmes plantent de nouvelles
pousses, afin d’augmenter la pro­
ductivité en bois. Dix mille person­
nes ont déjà été embauchées dans le
secteur de la reforestation. En quel­
ques mois, les flancs pentus des col­
lines ont laissé place à 400 hectares
de terrasses, le système le plus effi­
cace, selon les autorités, pour lutter
contre l’érosion des sols. Partout,
des femmes au pagne coloré pio­
chent, plantent, consolident des
évacuations d’eau, ou fabriquent
des fours économes en énergie. Cha­
cun met la main à la pâte. Prenant
appui sur une administration extrê­
mement décentralisée et sur des
campagnes de sensibilisation mas­
planète | 7
▶▶▶
sives, le Fonerwa (Fonds vert rwan­
dais) transforme les pratiques agri­
taches de couleur qui contrastent
avec le vert brillant de la colline.
Le Rwanda veut en effet se posi­
tionner comme un leader mondial
coles en un temps record. Des arbres ont été plantés le long de la lutte contre le dérèglement cli­
« Au début, on était contre l’idée
des terrasses », avoue pourtant
Yvette Baziki. Sac de fourrage sur la
tête, bébé dans le dos et pioche sur
l’épaule, la jeune paysanne émerge
des terrasses pour les consolider,
tandis que des rigoles d’évacuation
d’eau serpentent entre les cultures.
Les parcelles bariolées, signes dis­
tinctifs d’une agriculture vivrière,
matique. En mai 2020, il a été le pre­
mier pays africain à présenter sa
deuxième contribution nationale à
l’accord de Paris, avec un objectif
ambitieux : réduire de 38 % les émis­
lentement de son champ de hari­ ont laissé place à des lignes unifor­ sions de gaz à effet de serre d’ici à
cots, perché à plus de 2 000 mètres mes de plants de haricots. 2030. Il a également été l’un des pre­
d’altitude. « Ils nous ont dit qu’il fal­ Les fermiers ont en effet été en­ miers pays du continent à obtenir,
lait d’abord détruire nos cultures couragés à se rassembler en coopé­ par l’intermédiaire de son ministère
pour préparer la terre, mais on ratives et à pratiquer une mono­ de l’agriculture, l’accréditation du
n’avait aucune idée de ce que cela al­ culture saisonnière, conformément Fonds vert pour le climat, ouvrant
lait donner », explique­t­elle. Deux à la politique gouvernementale les droits à des financements directs.
saisons plus tard, elle est acquise à de modernisation de l’agriculture.
l’idée : la productivité de sa parcelle Cette stratégie permet aux petits « Procédures trop compliquées »
a doublé, et elle ne craint plus les agriculteurs d’accéder à des in­ Mais le précieux sésame a été parti­
glissements de terrain qui ba­ trants agricoles et aux marchés, culièrement difficile à obtenir. « Les
layaient auparavant ses cultures. mais les rend extrêmement vulné­ critères sont compliqués à remplir
Surtout, elle a appris à appliquer de rables aux conséquences d’une pour un pays en voie de développe­
la chaux pour absorber l’acidité du mauvaise récolte. ment. J’ai passé un nombre incal­
sol, ainsi que de l’engrais naturel. Tout en bas, dans la vallée, le projet culable de nuits blanches à courir
Pour inciter la population à adhérer a installé ses pépinières, avec leur lot dans tous les sens pour réunir les do­
au programme, le Fonerwa a em­ de spécialistes : il s’agit de trouver la cuments requis », assure Alex Mu­
bauché les agriculteurs comme variété qui absorbe le plus de CO2, de lisa, consultant indépendant qui a
ouvriers pour construire leurs pro­ définir la culture la plus adaptée à la participé à la conception du projet.
pres terrasses, et offre les premières prochaine saison, de produire un Le Green Gicumbi a finalement été
semences. thé de haute qualité pour sauver la présenté en décembre 2015, ap­
Tout autour d’Yvette, les paysans plantation de Mulindi, la plus prouvé en mars 2018, puis lancé en
au travail sont désormais les seules grande du pays, grignotée chaque août 2019. « Alors qu’il est crucial
année par les inondations. « Nous que le Fonds vert pour le climat faci­
voulons que l’impact soit visible. lite l’accès des pays en développe­
Tous les composants du projet sont ment à des financements directs
DIX MILLE PERSONNES  des pilotes de différentes techniques dans le secteur de la préservation de
qui doivent pouvoir être appliquées l’environnement, dans les faits le
ONT ÉTÉ EMBAUCHÉES  ailleurs dans le pays, à plus grande processus est trop long, les procédu­
échelle », explique Teddy Mugabo, la res légales trop compliquées. L’éco­
POUR LA  directrice du Fonerwa. Ainsi, les fu­ système global de la finance verte
REFORESTATION. EN  turs « villages verts » de Gicumbi, est prohibitif. Et pourtant, nous fai­
qui accueilleront les populations dé­ sons face à des problèmes urgents »,
QUELQUES MOIS, LES  localisées des zones à haut risque, regrette M. Mulisa.
pourront servir de modèles à des Kigali compte pourtant sur les
FLANCS DES COLLINES  camps de déplacés climatiques bailleurs étrangers pour l’aider à
ailleurs au Rwanda. mettre en place sa stratégie de
ONT LAISSÉ PLACE À  Des experts planchent sur des croissance verte d’ici à 2030. Un
400 HA DE TERRASSES,  matériaux locaux pour construire programme évalué à 11 milliards de
des murs plus résistants aux aléas dollars. 
LE SYSTÈME LE PLUS  du climat, tandis que plusieurs en­ laure broulard
treprises de fours améliorés produi­
EFFICACE POUR LUTTER  sent déjà dans divers ateliers de la
CONTRE L’ÉROSION  région. C’est à Gicumbi que se tient
la répétition générale du projet de
DES SOLS croissance verte du gouvernement. Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

8 | planète
C L I M AT
Les nouvelles
ambitions
de la Chine
Avec une énergie encore
fortement carbonée, la baisse
des émissions chinoises
s’annonce être une gageure
pékin ­ correspondant
L
a Chine s’apprête­t­elle à
passer du rouge au vert ?
Le discours prononcé par
Xi Jinping lors de la
75e session de l’Assemblée géné­
rale des Nations unies, le 22 sep­
tembre 2020, a soulevé de nom­
breux espoirs à travers le monde.
A la surprise générale, le prési­
dent chinois a annoncé que Pékin
se fixait comme objectif de parve­
nir à la neutralité carbone à l’hori­
zon 2060 et même à atteindre un
pic de ses rejets de CO2 avant 2030
– et non plus « autour » de 2030,
comme indiqué lors de son précé­
dent plan climat.
Malgré le scepticisme de nom­
bre de sinologues habitués aux
discours sans lendemain des di­
rigeants communistes, cette an­
nonce a incontestablement re­
lancé une dynamique internatio­
nale. Si le premier pollueur de la
planète – la Chine est responsa­
ble d’un quart des émissions de
gaz à effet de serre – s’engage
réellement en faveur du climat,
tout est possible. D’ailleurs, dans
le sillage de Pékin, le Japon, im­
médiatement suivi par la Corée
du Sud, s’est engagé fin octobre à
atteindre cette neutralité car­
bone dès 2050. « Une énorme vic­
toire pour la planète », s’est félici­
tée l’ONG Greenpeace, peu habi­
tuée à tresser des lauriers à ces
trois gros pollueurs.
Depuis, Xi Jinping a même pris
d’autres engagements pour
2030. Le 12 décembre, lors d’un
nouveau sommet virtuel de
l’ONU sur le climat, le dirigeant
Nathan Méténier, le militant écolo devenu conseiller climat auprès de l’ONU
Porte­parole de Youth and Environment Europe, le Français de 21 ans fait partie d’un « conseil » de sept jeunes, lancé par Antonio Guterres
PORTRAIT
S es jours de repos ressem­
blent à ceux d’un ministre.
Durant la trêve hivernale,
entre deux balades dans les mas­
sifs alpins de la Chartreuse et de
Belledonne, Nathan Méténier a
dû rattraper des dossiers en re­
tard et répondre à une centaine
de messages. Le jeune homme de
21 ans jongle entre ses études à la
London School of Economics, un
travail à mi­temps et trois associa­
tions environnementales. Depuis
juillet, une nouvelle casquette est
venue s’ajouter : jeune conseiller
pour le climat du secrétaire géné­
ral de l’ONU, Antonio Guterres.
Le Grenoblois a été sélectionné
aux côtés de six autres jeunes,
âgés de 18 à 28 ans et venant du
Soudan, de Moldavie, des Etats­
Unis, des îles Fidji, du Brésil et
d’Inde, pour fournir « des perspec­
tives, des idées et des solutions qui
nous aideront à intensifier l’action
en faveur du climat », selon les
mots d’Antonio Guterres. Cette
nouvelle équipe doit rencontrer
le patron des Nations unies tous
chinois a annoncé que son pays
réduirait son intensité carbone
(émissions de CO2 rapportées au
PIB) de « plus de 65 % » d’ici à
2030 comparé au niveau de
2005. Par ailleurs, les énergies re­
nouvelables représenteront « en­
viron 25 % » de la consommation
d’énergie primaire de la Chine
d’ici à 2030, contre 15,3 % fin
2019, en incluant le nucléaire.
La capacité des centrales éolien­
nes et solaires atteindra 1 200 gi­
ga­watts d’ici à la fin de la décen­
nie. Enfin, Xi Jinping, qui a tenu à
préciser que « la Chine tient tou­
jours ses engagements », a an­
noncé que son pays augmen­
terait le volume des stocks fo­
restiers de 6 milliards de mètres
cubes par rapport au niveau de
2005 d’ici à 2030.
La « nouvelle ère » énergétique
Incontestablement, les objectifs
chinois sont ambitieux. L’éner­
gie, en Chine, est entrée à son tour
dans une « nouvelle ère » pour re­
prendre le titre du Livre blanc pu­
blié à son sujet le 22 décembre. Le
préambule de ce document est
sans ambiguïté : la Chine « accé­
lère sa transformation vers le dé­
veloppement vert et bas carbone
de l’économie et de la société ».
Mais peut­elle tenir ses pro­
messes ? Si le Livre blanc détaille
tout ce qui a été fait depuis 2012,
date de l’arrivée de Xi Jinping au
pouvoir, il reste assez vague sur
les moyens que la Chine compte
mettre en œuvre pour parvenir
aux objectifs fixés. Selon Ding
Zhimin, ancienne responsable
de l’Administration nationale de
les trois mois jusqu’à la fin 2021.
Une première réunion a déjà eu
lieu mi­août en visioconférence.
« C’est une grosse responsabilité »,
reconnaît Nathan Méténier. Mais
il prévient : « On ne sera pas la
caution jeune. On garde notre es­
prit critique et on attend des ré­
ponses claires à nos demandes. »
Les sept militants – dont une
avocate, un économiste et une di­
plomate – ont déjà préparé leurs
requêtes pour la prochaine entre­
vue avec Antonio Guterres, au
cours du mois de janvier. Ils de­
mandent que les pays ne ren­
flouent pas leurs industries sans
C’EST LA FIGURE DE GRETA  comme 2050, où ils ne seront plus
THUNBERG QUI ALLUME  mes de leur inaction. C’est pour­
L’« ÉTINCELLE ».  quoi les jeunes doivent faire par­
« ELLE A LÉGITIMÉ  bien y œuvrer tout au long d’une
LA PRÉSENCE DES JEUNES  le climat, jusqu’à la COP26 orga­
SUR LE DEVANT DE LA  nisée en novembre à Glasgow
SCÈNE », EXPLIQUE­T­IL
Des panneaux solaires à Yangchen (province de Jiangsu), en octobre 2020. HECTOR RETAMAL/AFP
l’énergie, la facture pour attein­
dre la neutralité carbone s’élève­
rait à 16 000 milliards d’euros.
Il faudra aussi, selon ses propos
rapportés par le South China
Morning Post, réduire la part du
charbon dans le mix énergétique
à moins de 5 %. Une gageure.
Bien qu’en diminution de
10 points depuis 2012, cette part
atteint encore 57,7 % et, selon les
experts du Global Energy Moni­
tor et du Centre for Research on
Energy and Clean Air (CREA), la
seule augmentation prévue des
capacités de production des cen­
trales au charbon en Chine dé­
passe la capacité actuelle de l’en­
semble des centrales au charbon
des Etats­Unis.
Le Livre blanc met d’ailleurs à
plusieurs reprises l’accent sur les
promesses du « charbon propre »,
ce qui laisse penser que cette
source d’énergie a encore de
beaux jours devant elle. Qu’une
vague de froid s’abatte sur le
écoconditionnalités dans leurs
plans de relance, la reconnais­
sance des droits des peuples
autochtones, la qualification de
l’écocide comme un crime contre
l’humanité ou encore la création
de davantage de sanctuaires ma­
rins. « On fait aussi beaucoup de
réunions avec les agences onu­
siennes, comme le Programme des
Nations unies pour l’environne­
ment, ainsi que des décideurs »,
glisse Nathan Méténier.
« Une grande colère »
Le jeune homme veut que les
« dirigeants se sentent observés et
redevables » car « c’est de notre fu­
tur qu’il s’agit ». « Ils prennent des
décisions à des échéances,
là, tandis que nous serons victi­
tie de ces décisions. » Il compte
année 2021 qui sera cruciale pour
(Ecosse), qui sera précédée par
une COP des jeunes.
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
d’augmenter la fourniture de Pour la première fois, le minis­
LE LIVRE BLANC MET  charbon dans les régions­clés », tère de l’écologie et de l’environ­
reconnaît le China Daily du mer­ nement devrait publier un plan
À PLUSIEURS REPRISES  credi 30 décembre. sur le changement climatique.
L’ACCENT SUR  L’année 2021 sera particulière­ « Travailler à la neutralité car­
ment intéressante à double titre. bone » est l’une des huit priorités
LES PROMESSES DU  D’abord parce que la plupart des fixées par le pouvoir mi­décem­
experts prévoient à nouveau une bre 2020 pour l’année 2021. Un
« CHARBON PROPRE », CE  très forte croissance économi­ « plan d’action » sera publié pour
QUI LAISSE PENSER QUE  que : environ 8 %. La demande va indiquer comment le pic d’émis­
donc être forte et les émissions sion de CO2 pourra être atteint
CETTE SOURCE D’ÉNERGIE  de CO2 également. Déjà en 2020, « avant 2030 ».
la Chine ayant enregistré une Sachant que la Chine entend
A ENCORE DE BEAUX  baisse de la croissance moins si­ devenir une « nation modéré­
JOURS DEVANT ELLE gnificative que le reste du ment développée » en 2035 et
monde, les émissions de CO2 donc poursuivre une croissance
d’origine fossile n’y ont baissé économique soutenue, l’après­
que de 1,7 %, alors qu’elles ont pic ne devrait pas signifier une
pays, comme c’est le cas ces der­ chuté, au niveau mondial, de 7 % baisse rapide des émissions
nières semaines, et immédiate­ selon le bilan annuel du Global de CO2, mais plutôt « une diminu­
ment Pékin « demande aux gran­ Carbon Project (GCP). Surtout, le tion graduelle dans un état de
des provinces productrices de Parlement chinois devrait adop­ stabilité », d’après le jargon
charbon comme le Shanxi, le ter en mars le quatorzième plan gouvernemental. Dans le
Shaanxi et la Mongolie intérieure quinquennal (2021­2025). Ce­ meilleur des cas, la Chine ne de­
de renforcer la production, d’aug­ lui­ci reste habituellement assez vrait donc être que « modéré­
menter les stocks de charbon général, mais est suivi de plans ment » verte. 
dans les centrales électriques et sectoriels plus précis. frédéric lemaître
Avant d’en arriver à parler à
l’oreille des dirigeants, Nathan
des grèves scolaires pour le cli­
mat, qui allume l’« étincelle ».
en politiques environnementales
et en relations internationales à la
Méténier est devenu un activiste
aguerri. L’urgence climatique, le
jeune homme l’a saisie très tôt en
vivant à Saint­Martin­d’Uriage
(Isère) et en se rendant fréquem­
« Elle a légitimé la présence des
jeunes sur le devant de la scène, ex­
plique­t­il. Je me suis rendu
compte qu’on était des milliers à se
battre pour la même cause dans le
London School of Economics, où
il se « frotte à un monde qui pro­
meut une croissance et un profit
infinis », lui qui appelle à plus de
sobriété et qui a arrêté de prendre
ment au Mont­Blanc, où il a ob­ monde entier. » l’avion pour ses loisirs à 19 ans.
servé, année après année, le recul Etre écouté des dirigeants ne si­
de la mer de Glace. « J’ai lu des li­ Changements « très lents » gnifie pas être entendu, note­t­il.
vres, écouté des gens, et un jour j’ai En 2019, Nathan Méténier de­ S’il considère que le Green Deal
compris l’immensité de la crise cli­ vient porte­parole de Youth and européen n’aurait jamais été
matique et de l’érosion de la biodi­ Environment Europe, un réseau adopté sans la pression du mou­
versité, explique­t­il. J’ai ressenti de jeunes sur le climat en Europe. vement des jeunes pour le climat,
une immense frustration et une Il cofonde Generation Climate il déplore que les changements
grande colère. » Europe, une coalition de réseaux soient « très lents ». « Les plans de
Une forme de révolte qu’il a européens de jeunesse pour relance continuent de financer les
souhaité transformer en action, « faire monter en compétence des énergies fossiles et le risque clima­
pour « aller mieux ». Ses premiè­ jeunes » et les « inclure dans les tique n’est toujours pas traité de
res batailles, il les a menées dans processus décisionnels ». « J’essaie manière transversale dans toutes
son lycée et auprès de sa famille, d’utiliser mes privilèges d’étudiant les politiques », déplore­t­il.
en les sensibilisant aux ques­ blanc d’Europe de l’Ouest pour L’activiste, qui juge que l’inac­
tions environnementales. Puis, aider des jeunes militants pour le tion des politiques lui a « volé les
lors de ses études à Sciences Po climat d’autres pays, que ce soit moments de liberté que devrait
Grenoble ainsi qu’à l’université dans les Balkans ou en Amérique procurer la vie étudiante », se voit
d’Edimbourg où il a suivi un cur­ latine », explique ce fils d’une continuer de militer dans le mou­
sus sur les politiques environne­ consultante dans l’édition et d’un vement climat dans les prochai­
mentales et énergétiques. salarié d’une fondation dans l’en­ nes années. Avec, toujours, quel­
Mais c’est la figure de Greta Thu­ seignement supérieur. ques randonnées en montagne
nberg, la jeune militante sué­ Depuis septembre 2020, l’acti­ pour – un peu – souffler. 
doise à l’origine du mouvement viste suit à mi­temps un master audrey garric
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Covid : l’Angleterre et l’Ecosse se reconfinent
Confronté au nouveau variant du coronavirus, le système de santé britannique est au bord de la saturation
londres ­ correspondante
L
es Britanniques broient
du noir en ce début 2021.
Et pour cause : il ressem­
ble terriblement au mois
de mars 2020, quand l’épidémie
due au nouveau coronavirus
avait, pour la première fois, sub­
mergé le Royaume­Uni.
Lundi 4 janvier, le jour où com­
mençaient les premières injec­
tions du vaccin développé par
l’université d’Oxford et la firme
AstraZeneca, Nicola Sturgeon, la
première ministre écossaise, a dé­
cidé le reconfinement général de
l’Ecosse, effectif dès le lendemain
matin, avec fermeture des écoles
pour un mois. Quelques heures
plus tard, Boris Johnson l’a suivie
en annonçant le même type de
mesures radicales à l’échelle des
56 millions d’habitants de l’Angle­
terre. L’Irlande du Nord pourrait
suivre, tandis que le Pays de Galles
annonçait la fermeture des écoles
jusqu’au 18 janvier.
Le ton grave, le premier minis­
tre britannique a donc confirmé
un reconfinement généralisé et
national, à partir du mardi 5 jan­
vier, le pays faisant face à un
« moment critique », en raison
d’un variant du virus apparu à
l’automne 2020 dans le Kent
(sud­est du pays), « entre 50 % et
70 % plus contagieux », a estimé
le dirigeant.
Augmentation vertigineuse
Les magasins « non essentiels »
fermeront partout en Angleterre.
Tout comme les écoles primaires,
collèges et lycées, qui seront clos
jusqu’à la mi­février. « Les enfants
ont très peu de risques de tomber
sérieusement malades, y compris
du virus mutant », a précisé
M. Johnson, mais il se transmet
encore plus vite dans leurs grou­
pes d’âges.
Les sports en extérieur seront
interdits, sauf les compétitions (la
Premier League de football est
préservée). Les personnes ne
pourront sortir de chez elles que
pour faire des courses ou de
l’exercice physique et avec une
autre personne au maximum.
Seule différence par rapport au
confinement de mars 2020 : les
garderies et les premières années
de maternelle resteront ouver­
tes. Quant aux examens de fin
d’études, « ils ne pourront pas se
tenir comme prévu », a prévenu
M. Johnson. « Les semaines à ve­
nir seront les plus dures que nous
ayons connues, mais nous en­
trons dans la dernière phase de
cette pandémie », a encore conclu
le dirigeant.
Libertarien dans l’âme, comme
bien des conservateurs britanni­
ques, M. Johnson résistait, alors
que le Scientific Advisory Group
for Emergencies (SAGE), le conseil
scientifique qui adresse des re­
commandations au gouverne­
ment, avait préconisé la ferme­
ture des écoles dès la mi­décem­
bre 2020. Le 10 Downing Street
voulait les maintenir ouvertes le
plus longtemps possible, après
trois mois de fermeture forcée au
LIBAN
Beyrouth annonce
un reconfinement
jusqu’à fin janvier
Le gouvernement libanais a
annoncé lundi 4 janvier un
nouveau confinement du
7 janvier au 1er février. Un cou­
vre­feu sera instauré de
18 heures à 5 heures du matin.
En décembre 2020, le gouver­
nement avait levé les restric­
tions, rouvrant même les bars
et les boîtes de nuit, afin de re­
lancer l’économie. Depuis le
début de la pandémie, plus de
192 000 cas ont été recensés
dans le pays, dont environ
1 500 décès. – (AFP.)
planète | 9
printemps, pour ne pas davantage Les Britanniques vivent en tout strictement qu’en mars 2020. mais il en manque, les équipes
hypothéquer l’avenir des enfants. cas de vraies montagnes russes
« Les semaines Seule solution désormais pour sont épuisées ou malades. L’hôpi­
Mais cette décision extrême­ émotionnelles. Début décem­ à venir seront battre de vitesse le virus et ses tal dépend des volontaires »,
ment difficile était devenue iné­ bre 2020, le pays était le premier mutants : accélérer encore la remarque le professeur Scally.
vitable au vu de la situation épi­ au monde à autoriser le vaccin
les plus dures campagne vaccinale. Le NHS a commencé à relancer
démique, qui s’est complètement Pfizer­BioNTech, et la vaccina­ que nous ayons les médecins et infirmières à la
emballée depuis Noël. D’ailleurs, tion commençait dès le 8 dé­ « Paperasse trop lourde » retraite, pour aider à la vaccina­
des dizaines de chefs d’établisse­ cembre. Puis, pendant quinze
connues, mais nous Environ un million de Britanni­ tion, « mais la paperasse pour se
ments et de municipalités jours, les médias nationaux s’in­ entrons dans la ques ont reçu leur première dose faire enrôler est vraiment trop
avaient pris les devants partout quiétaient de la perspective d’un du vaccin. Le gouvernement ta­ lourde, j’espère qu’ils vont vite la
dans le pays lundi, en ne rou­ « no deal » avec l’Union euro­
dernière phase de ble désormais sur un objectif de simplifier », signale Paul Hunter,
vrant pas les écoles après la fin péenne. Finalement, la veille de cette pandémie » 2 millions de vaccinés par se­ spécialiste de santé publique
des vacances scolaires. Noël, M. Johnson leur annonce maine. « A la mi­février, nous pen­ à l’université d’East Anglia, à
BORIS JOHNSON
Les courbes des contamina­ avoir décroché in extremis un ac­ sons qu’il est réaliste d’avoir réussi Norwich.
premier ministre britannique
tions et des hospitalisations s’en­ cord post­Brexit. à vacciner toutes les personnes Seule note un peu positive, du
volent désormais à Londres et Le 30 décembre, le vaccin Ox­ prioritaires : les pensionnaires des point de vue de cet expert :
dans le sud­est de l’Angleterre, et ford­AstraZeneca, source de fier­ maisons de retraite et leurs soi­ « Nous avons quand même moins
leur pente augmente très vite té dans la recherche et l’excel­ d’Oxford, à quelques centaines gnants, les plus de 70 ans, les per­ de patients en soins intensifs que
partout ailleurs au Royaume­ lence universitaire nationales, de mètres des laboratoires où il a sonnels soignants et les plus vul­ durant la première vague. Nous
Uni. Lundi, plus de 58 000 nou­ reçoit le feu vert de l’agence bri­ été conçu – quelques heures nérables [maladies graves] », a avons appris ; les malades sont
veaux cas positifs ont été enre­ tannique du médicament. Il est avant l’annonce d’un reconfine­ listé M. Johnson, lundi soir (soit probablement moins placés sous
gistrés sur vingt­quatre heures, dix fois moins coûteux et bien ment national. 13 millions de personnes). respirateur artificiel. » Lundi soir,
ainsi que 407 morts supplémen­ plus maniable que celui de Pfizer, L’espoir, les mauvaises nouvel­ « Je suis assez pessimiste sur sa c’était pourtant le cas de 814 per­
taires (portant le total des décès à car il se conserve au réfrigéra­ les, l’espoir… Pourtant, à en croire capacité à tenir cet objectif ; il fau­ sonnes hospitalisées dans les
75 431). Plus de 26 000 patients at­ teur. La campagne démarre sans un sondage YouGov publié lundi drait que la gestion de la campa­ établissements de la capitale, et
teints du Covid­19 étaient hospi­ attendre : lundi 4 janvier, Brian après­midi, 78 % des Britanni­ gne soit confiée à des responsa­ d’un peu plus de 2 300 à l’échelle
talisés dans les hôpitaux anglais Pinker, 82 ans, a reçu sa première ques interrogés soutiennent la bles locaux et que le NHS dispose de l’Angleterre, selon le NHS. 
au 4 janvier, 40 % de plus qu’au injection à l’hôpital Churchill décision de reconfiner aussi de suffisamment de personnels, cécile ducourtieux
pic d’avril 2020 et 30 % de plus
que sept jours plus tôt…
Même augmentation vertigi­
neuse à Londres, où les hospitali­
sations ont bondi de 70 % ces sept
derniers jours (près de 7 000 per­
sonnes dans les hôpitaux de la ca­
pitale lundi soir). Les autorités na­
tionales reconnaissent désor­
mais que le NHS, l’hôpital public
britannique, qui souffre déjà d’un
déficit d’environ 40 000 infirmiè­
res, est au bord de la saturation.
Dans une prise de position sans
précédent, lundi soir, les princi­
paux conseillers scientifiques du
gouvernement britannique et les
dirigeants du NHS England ont
déclaré que, « sans action supplé­
mentaire, le NHS risquait d’être dé­
bordé dans les vingt et un pro­
chains jours ».
Cet emballement est largement
attribué à la variante du coronavi­
rus initialement identifiée dans le
Kent. En Ecosse, où la situation est
grave, mais moins qu’en Angle­
terre, le virus mutant « est déjà
responsable de presque 50 % des
cas positifs », a précisé la première
ministre, Nicola Sturgeon.
Plus alarmant encore : Matt
Hancock, le ministre britannique
de la santé, s’est dit « incroyable­
ment inquiet », lundi matin, au su­
jet d’un autre variant, déjà pré­
sent sur le territoire et identifié
pour la première fois récemment
en Afrique du Sud. Les experts
craignent que les vaccins ne
soient pas aussi efficaces sur lui
– alors qu’ils devraient encore
l’être sur le « variant du Kent ».
« Une fois de plus, le gouverne­
ment agit trop tard, il n’a pas su
garder le contrôle de l’épidémie
– les variants apparaissent avec
une probabilité plus forte dans les
zones à forte circulation du virus. Il
n’a pas non plus su mettre en place
un système opérationnel de tra­
çage des cas contacts », regrette le
professeur Gabriel Scally, prési­
dent de la section épidémiologie
de la Royal Society of Medicine et
membre de l’Independent SAGE,
un groupe d’experts très critique
du gouvernement.
PAYS- B A S
La campagne de
vaccination avancée
Les Pays­Bas ont décidé
d’avancer de deux jours le dé­
but de leur campagne de vac­
cination contre le Covid­19,
qui commencera mercredi
6 janvier, a annoncé le gou­
vernement néerlandais lundi
4 janvier. Le personnel hospi­
talier en contact avec des pa­
tients atteints du Covid­19
sera le premier à bénéficier
du vaccin, aux côtés de tra­
vailleurs de maisons de re­
traite dans le sud du pays.
Lundi, le pays a enregistré
6 671 nouveaux cas. – (AFP.)
 FRANCE
0123
10 | MERCREDI 6 JANVIER 2021

C R I S E   S A N I TA I R E

O
pération déminage. Alors
que la polémique enfle sur
les « lenteurs » de sa campa­
gne de vaccination, loin des
chiffres d’autres pays, l’exé­
cutif tente de reprendre la
main. Avec le ministre de la santé, Olivier Vé­
ran, en première ligne pour tenter de contrer
le procès en incompétence lancé par l’opposi­
tion. Mardi 5 janvier, sur RTL, ce dernier a in­
diqué sa volonté de donner un coup de fouet
à la stratégie du gouvernement, avec un mot
d’ordre : « Amplifier, accélérer et simplifier. »
Pour « amplifier », M. Véran a annoncé que
les « pompiers et les aides à domicile de 50 ans
et plus » pourraient désormais se faire vacci­
ner. Une manière d’étendre un dispositif jus­
que­là réservé aux personnels de santé de
plus de 50 ans, après l’avoir proposé aux per­
sonnes âgées hébergées en Ehpad dans un
premier temps. Un choix initial qui explique
le retard à l’allumage, selon le ministre.
« C’était une phase d’initiation de la vaccina­
tion dont on savait qu’elle ne serait pas mas­
sive », a­t­il dit. Car une « campagne tournée
vers les plus fragiles », « ça prend du temps ».
Mais désormais M. Véran se veut rassurant.
Il affirme que le « rythme de croisière » de la
France va « rejoindre celui de nos voisins dans
les prochains jours ». « On va être sur une
courbe exponentielle », a­t­il promis. Pour
« accélérer », il a annoncé que le début de la
vaccination des plus de 75 ans non­résidents Olivier Véran, le ministre
d’Ehpad débuterait « avant la fin du mois de de la santé, devant l’Hôtel­Dieu,
janvier ». Ce qui représente près de 5 millions à Paris, le 4 janvier. POOL/REUTERS
de personnes. Autre levier d’accélération :
100 hôpitaux seront équipés en vaccins cette
semaine sur tout le territoire, contre
27 aujourd’hui. En parallèle, 100 centres de

L’exécutif contraint d’accélérer 
vaccination vont être ouverts en ville, puis
300 d’ici quelques jours, et de 500 à 600 à la
fin du mois de janvier, a précisé M. Véran.

« IMPRÉPARATION »
Enfin, pour « simplifier » et « donner de la visi­

bilité » aux Français, le ministre de la santé a
indiqué que tous les Français qui souhaitent
se faire vacciner pourront « s’inscrire » et
« prendre des rendez­vous » dans les pro­
chains jours « par Internet, par téléphone
sans doute, et pourquoi pas par l’application
TousAntiCovid ». La veille, lors d’une visite à
l’Hôtel­Dieu, à Paris, M. Véran avait promis
une « montée en puissance » de la campagne
de vaccination. Il s’est notamment réjoui
que près de 2 000 injections aient été réali­
sées lundi. Un chiffre que l’exécutif espère
doubler à la fin de la semaine.
Sans parvenir toutefois à éteindre l’incen­
die, tant les critiques restent vives contre le
gouvernement, accusé d’avoir mis en place
une stratégie trop lente et trop prudente par
rapport à certains de nos voisins européens.
« Notre pays est humilié », a déploré le député
Les Républicains (LR) des Alpes­maritimes
Eric Ciotti, en demandant au ministre de la
santé « d’agir ou de partir ». Le président (LR)
de la région Grand­Est, Jean Rottner, a évo­
qué un « scandale d’Etat », critiquant une
« forme d’impréparation » et d’« irresponsabi­
lité » du gouvernement. Le patron des dépu­
tés LR, Damien Abad, plaide quant à lui pour
qu’un nouveau débat sur la stratégie vacci­
nale du gouvernement soit rapidement or­
ganisé au Parlement, « avec un vote ».
La Ville de Paris s’alarme : « Depuis des semaines, rien n’avance ou presque »
encore un peu de patience. A la
maison de retraite Alquier­De­
brousse, dans le 20e arrondissement
de Paris, 124 résidents sur 200 ont
déjà donné leur accord pour bénéfi­
cier du vaccin contre le Covid­19 mis
au point par Pfizer et BioNTech, le
seul actuellement autorisé dans
l’Union européenne, et certains es­
péraient une première injection dès
lundi 4 janvier. Mais pour l’heure, les
doses promises ne sont pas arrivées.
Elles devraient finalement être li­
vrées jeudi. Si tout va bien, la vacci­
nation pourrait ainsi débuter ven­
dredi dans cet établissement d’hé­
bergement pour personnes âgées dé­
pendantes (Ehpad), le premier de
ceux gérés par la Ville de Paris à bé­
néficier du précieux traitement.
A peine une cinquantaine de per­
sonnes vaccinées à Paris. Dans la capi­
tale comme ailleurs en France, la vac­
cination contre le Covid­19 connaît
des débuts laborieux. A l’Hôtel de
ville, Anne Hidalgo et son équipe
le déploiement de la vaccination
M. Véran a annoncé, mardi, que les plus de 75 ans pourraient recevoir une première
dose d’ici à fin janvier. Cent centres équipés de vaccins vont être ouverts en ville
De son côté, le président ex­LR de la région
Hauts­de­France, Xavier Bertrand, a préféré
concentrer ses attaques contre Emmanuel
Macron. « Par sa stratégie de vaccination, le
président a commis une faute gravissime, il
devra s’en expliquer devant les Français », ac­
cuse­t­il, dans un entretien au Parisien.
S’il n’apparaît pas en première ligne, le chef
de l’Etat orchestre la contre­offensive en
coulisses. Lundi, M. Macron a mis en scène la
mobilisation du sommet de l’Etat, en prési­
dant l’après­midi à l’Elysée une « réunion de
suivi » de la vaccination, en présence du chef
du gouvernement, Jean Castex, et des minis­
tres concernés. Pendant plus de trois heures,
en lien avec des experts, l’exécutif a tenté de
resserrer les maillons de la chaîne, en abor­
s’impatientent. « Depuis des semai­
nes, rien n’avance ou presque, regrette
Anne Souyris, l’adjointe à la santé de
la maire socialiste. Nous avons soumis
de multiples propositions à l’Etat pour
permettre une vaccination de masse.
Elles sont restées lettre morte. Or, il de­
vient urgent d’agir, alors que l’épidé­
mie repart, que le phénomène va sans
doute s’accentuer en raison des fêtes
de fin d’année, et qu’un variant britan­
nique redoutable risque de se propa­
ger en France. Nous sommes mécon­
tents et très inquiets. »
En décembre, la Mairie de Paris avait
proposé de louer quatre ou cinq su­
per­congélateurs pour stocker les vac­
cins Pfizer­BioNTech. « L’agence régio­
nale de santé nous a dit que ce n’était
pas la peine, et que les vaccins iraient
dans les grands centres de stockage de
l’Etat », rapporte l’adjointe. La Mairie
a également offert ses services pour
ouvrir des points de vaccination.
« Nous avons vingt mairies d’arrondis­
sement qui pourraient être utilisées,
dant des sujets comme « la logistique, la stra­ l’ensemble du gouvernement : « Maintenant
« MAINTENANT  tégie, la production et la coordination euro­ vous simplifiez drastiquement, en amont
VOUS SIMPLIFIEZ  péenne », indique l’Elysée. comme en aval. Et on accélère vraiment ! » Un
rappel à l’ordre, considéré par un participant
DRASTIQUEMENT,  « ACCÉLÉRATION OPÉRATIONNELLE » comme « une mise sous tension extrême ».
Après sa « colère », rapportée par Le Journal du Message reçu par M. Véran. « Nous allons sim­
EN AMONT  dimanche, face au démarrage plus que pous­ plifier le guide de 45 pages », a­t­il dit sur RTL.
sif de la campagne de vaccination, le chef de L’Elysée assume « une mise sous tension » de
COMME EN AVAL.  l’Etat a de nouveau tapé du poing sur la table, l’appareil d’Etat, afin de procéder à « une accé­
ET ON ACCÉLÈRE  en reprochant à ses troupes d’avoir mis en lération opérationnelle ». Sans pour autant
place un système trop complexe pour re­ changer radicalement de stratégie. « L’appro­
VRAIMENT ! », A LANCÉ  cueillir le consentement des plus âgés. Et au che par phases et par publics prioritaires reste
final trop lent. « Protéger en priorité les aînés en place », indique un proche d’Emmanuel
EMMANUEL MACRON  dans nos Ehpad, oui. Leur pondre un guide de Macron. « Nous voulons de la vaccination de
À L’ENSEMBLE  vaccination incompréhensible de 45 pages, proximité », a défendu Olivier Véran, lundi, en
non », a relevé Emmanuel Macron sur un ton rejetant l’idée d’autoriser l’ouverture de
DU GOUVERNEMENT vif, selon un participant. Avant de lancer à grands centres de vaccination de type
« vaccinodromes », comme en Allemagne.
Au sommet de l’Etat, on attribue le démar­
rage poussif autant à la volonté initiale de
l’exécutif de ménager les antivaccins qu’à la
nécessité de s’adapter à l’arrivée progressive
sans compter les centres Covid déjà s’alarme aussi de la situation dans les des doses. « Comme on n’en a pas assez pour
ouverts pour tester les Parisiens », écoles, collèges et lycées. Pour Patrick vacciner tout le monde en une fois, on a ciblé
avance­t­on à l’Hôtel de ville. Là non Bloche, l’adjoint à l’éducation, « la si­ les publics prioritaires en premier », explique
plus, pas de réponse positive. tuation sanitaire exige des mesures un proche du président. Une manière de
d’urgence dans les établissements sco­ masquer la pénurie, accuse l’opposition.
Renouer le dialogue laires », en particulier une grande « Nous sommes en train de gérer les stocks en
Une réunion prévue ce mardi 5 jan­ campagne de dépistage, et une « vac­ bon père de famille à mesure qu’ils arrivent »,
vier avec le préfet permettra peut­être cination prioritaire » des personnels s’est défendu M. Véran lundi. Sur RTL, il a an­
de renouer le dialogue. « La stratégie qui le souhaitent. noncé que la France, qui dispose déjà de
fixée par l’Etat ciblait dans une pre­ Anne Hidalgo se montre d’autant 500 000 doses, en compterait près de 1 mil­
mière phase uniquement les résidents plus pugnace qu’elle est soumise à lion à partir de mercredi. « Nous allons ampli­
des Ehpad, si bien que nous n’avions une forte pression de la part de son fier les commandes de vaccins », a­t­il assuré.
pas besoin que la Ville loue des congé­ opposition. Rachida Dati et les cinq Dans les jours qui viennent, le calendrier est
lateurs ni qu’elle ouvre des centres de autres maires d’arrondissement Les chargé pour un gouvernement pressé de cor­
vaccination un peu partout », répond Républicains lui ont encore envoyé riger le tir : mardi soir, le premier ministre
Aurélien Rousseau, le directeur de un courrier lundi. Ils demandent à tiendra une réunion avec ses ministres ; un
l’Agence régionale de santé d’Ile­de­ être mieux informés de la stratégie. conseil de défense sanitaire est prévu le len­
France. Mais avec l’élargissement du Valérie Pécresse, la présidente (Li­ demain ; et jeudi Jean Castex devrait tenir une
public visé, « il va effectivement falloir bres !) de la région Ile­de­France, n’est conférence de presse, aux côtés de M. Véran,
disposer de centres de vaccination, et pas en reste. « Face aux calamiteux dé­ pour affiner le dispositif. « Je suis dans une
nous allons bien sûr en discuter avec la buts de la campagne vaccinale, je réi­ course permanente contre ce virus depuis dix
Mairie », promet le représentant du tère la proposition de la région d’ap­ mois », a reconnu ce dernier. Avec une obses­
ministère de la santé. Une autre réu­ porter un appui logistique à l’Etat dans sion : ne pas se faire prendre de vitesse de
nion est attendue dans les prochains tous les bâtiments régionaux », a­t­elle nouveau par l’épidémie, alors que l’Angleterre
jours avec le recteur d’académie. indiqué lundi sur Twitter.  vient de décider d’un reconfinement total. 
L’équipe rose­verte au pouvoir à Paris denis cosnard alexandre lemarié
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MERCREDI 6 JANVIER 2021 france | 11

A peine né, le collectif citoyen mais ce n’est pas lui qui va dicter la
stratégie ou le rythme de la vacci­
nation », appuie le patron de La
République en marche (LRM),
LE 11 NOVEMBRE, 
LE PATRON DU PS, 
OLIVIER FAURE, 
se retrouve au cœur des critiques
Stanislas Guerini.
Les macronistes soulignent que
ce projet n’avait suscité aucune AVAIT ADRESSÉ UN 
protestation, lors de son an­
nonce, fin novembre, par M. Ma­
COURRIER À M. MACRON 
Trente­cinq Français chargés de « formuler cron. « A l’époque, la presse et les POUR LUI DEMANDER 
observateurs avaient trouvé que
c’était une bonne idée pour confor­ LA MISE EN PLACE 
des observations » sur la politique vaccinale ont commencé ter la transparence face au com­
D’UN « COMITÉ 
plotisme », rappelle le patron des
à être tirés au sort, lundi. L’initiative crée la polémique députés LRM, Christophe Casta­ DE LIAISON CITOYEN »
ner. Voulant faire preuve de
« constance », il le pense toujours.

L’ initiative visait à dissiper

la réticence d’une partie
des Français, seuls la moi­
tié d’entre eux étant prêts à se
faire vacciner contre le Covid­19,
selon plusieurs sondages. Mais,
au moment où la polémique
monte sur les « lenteurs » de la
campagne de vaccination organi­
sée par l’Etat, elle se transforme
en piège politique pour l’exécutif.
Dans son allocution du 24 no­
vembre 2020, Emmanuel Macron
avait annoncé sa volonté d’« asso­
cier plus largement » la popula­
tion, à travers la mise en place d’un
« collectif de citoyens », chargé de
suivre la future campagne de vac­
cination contre le Covid­19.
L’opération commence à pren­
dre forme : trente citoyens et cinq
suppléants devaient être tirés au
sort à partir de lundi 4 janvier,
selon des critères d’âge, de genre,
de région, de niveau de diplôme,
de catégorie socioprofessionnelle
et de type d’habitation, a indiqué
le Conseil économique, social et
environnemental (CESE), chargé
de la mise en place de ce collectif.
Il leur sera également demandé
s’ils ont l’intention de se faire
vacciner dans l’année contre le
Covid­19, « afin d’avoir des avis et
des recommandations reflétant
les positions en présence au sein
L’INSTANCE POURRA 
FAIRE « DES 
gets », a dénoncé la présidente du
Rassemblement national (RN),
Marine Le Pen. A gauche, la pa­
tronne des députés socialistes,
PROPOSITIONS  Valérie Rabault, a également fus­
tigé un gouvernement désireux
RELATIVES  de « noyer le poisson », pour ne
pas avoir à expliquer « comment
AUX QUESTIONNEMENTS,  on va vacciner 1 million de person­
PEURS, RÉSISTANCES  nes en janvier ».
A droite, les critiques sont tout
ET QUESTIONS ÉTHIQUES  aussi vives. Le président du parti
Les Républicains (LR), Christian
QUE PEUT SUSCITER  Jacob, parle d’« une initiative gro­
LA VACCINATION » tesque » de la part d’un pouvoir
« incapable de confirmer qu’il dis­
pose d’une vraie stratégie vacci­
de la société française ». Cette nale ». « Ce comité de citoyens acte
procédure devrait être terminée la dévaluation de la parole publi­
en fin de semaine afin que les que que l’exécutif aggrave à cha­
travaux de ce comité puissent cun de ses ratages », abonde le pa­
démarrer le 16 janvier. Une plate­ tron des sénateurs LR, Bruno Re­
forme de consultation ouverte à tailleau, en prédisant un échec.
tous devrait aussi être ouverte à « Une poignée de citoyens ne réta­
cette date. blira pas la confiance », estime­
A peine concrétisée, cette idée t­il. S’il n’était pas hostile au prin­
est déjà décriée par l’opposition. cipe, le président (LR) de la région
De gauche à droite, des voix s’élè­ Grand­Est, Jean Rottner, juge
vent pour dénoncer la mise en aujourd’hui l’annonce « hors de
place d’un « comité Théodule », propos étant donné le contexte ».
qui viserait à masquer la lenteur « C’est du foutage de gueule », s’est
du rythme de la campagne de emporté, quant à lui, le député
vaccination. « Le gouvernement européen écologiste Yannick Ja­
est incapable de mettre en place dot, lundi, sur Radio Classique.
une simple logistique. Pire, il ba­ Dévoilée plus précisément par
lade les Français avec des gad­ Jean Castex le 3 décembre 2020,
cette instance pourra « formuler
des observations sur les choix de
politique vaccinale » et faire « des
propositions relatives aux ques­
tionnements, peurs, résistances et
questions éthiques que peut susci­
ter la vaccination », comme indi­
qué dans la lettre de mission
adressée par le premier ministre
au CESE le 18 décembre.
« Sorte de thermomètre citoyen »
Des simples « observations » et
des « propositions » donc. Sans
avoir la main sur la stratégie de
l’Etat, insiste le porte­parole du
gouvernement, Gabriel Attal. « En
définitive, c’est bien le gouverne­
ment qui décide, et c’est devant le
Parlement qu’il est responsable »,
souligne­t­il. Avant d’assurer :
« En aucun cas, la mise en place de
ce collectif ne va ralentir la vacci­
nation. Ses membres pourront in­
terpeller [le ministre de la santé]
Olivier Véran ou le professeur
Alain Fischer [le « M. Vaccin » du
gouvernement]. Leurs avis seront
un élément de la prise de décision
parmi d’autres. » Manière de rela­
tiviser le rôle de cette instance.
« Ce sera une sorte de thermomè­
tre citoyen, sur lequel pourra s’ap­
puyer le gouvernement pour me­
surer l’évolution de l’opinion. Il
jouera un rôle de complément
« L’ennemi du complotisme, c’est la
transparence. »
Dans l’entourage du chef de
l’Etat, on rappelle que l’idée est
d’abord venue du conseil scienti­
fique, qui ne cessait de demander
d’associer la société civile aux dé­
cisions. Dans un entretien au
Monde, le 20 novembre, son pré­
sident, Jean­François Delfraissy,
avait ainsi proposé « la constitu­
tion d’un comité citoyen », afin
« d’établir un meilleur partage de
l’information » et ainsi « rétablir la
confiance ». Une demande faite
depuis le printemps.
Plus cocasse, alors que certains
des membres du Parti socialiste
critiquent aujourd’hui la démar­
che de l’exécutif : le 11 novembre,
son patron, Olivier Faure, avait
lui­même adressé un courrier à
M. Macron pour lui demander la
mise en place d’un « comité de
liaison citoyen », tel que recom­
mandé par le conseil scientifique.
Si l’initiative gouvernementale
intervient tard et n’intègre pas
des structures déjà existantes de
démocratie sanitaire, « ne pas le
faire, c’est rester dans l’entre­soi
des experts et des couloirs du mi­
nistère », estime le professeur Em­
manuel Rusch, président de la
Conférence nationale de santé
(CNS), « parlement » sanitaire
consultatif, qui réunit les acteurs
du système de soins.
Dans la majorité, des députés
LRM voient toutefois d’un mau­
vais œil cet outil inspiré de la dé­
mocratie participative, que le chef
de l’Etat a dégainé sur le modèle de
la convention citoyenne sur le cli­
mat. L’élu de Paris Pierre Person
souligne le risque d’« affaiblir » les
députés si « la démocratie partici­
pative venait à se substituer à la dé­
mocratie représentative ». Et à la lé­
gitimité des parlementaires élus.
Le directeur général délégué
d’Ipsos, Brice Teinturier, ne cache
pas non plus son scepticisme. A
ses yeux, trente­cinq personnes
ne suffisent pas pour garantir la
représentativité du panel. « C’est
une base trop réduite, ça n’a pas de
sens », affirme­t­il. Mis en place par
le gouvernement pour rassurer les
Français sur les vaccins, un tel col­
lectif pourrait au contraire faire
« écho à toutes les critiques de la so­
ciété civile », prévient M. Teintu­
rier. Et se muer parfois en une
caisse de résonance des théories
complotistes. Avec le risque que
l’arme de persuasion massive se
transforme en une machine à
scepticisme. 
sarah belouezzane,
alexandre lemarié
et pascale santi

La lenteur de la vaccination inquiète Bercy et les économistes

Si l’immunité collective n’est pas atteinte d’ici à la fin du premier semestre, de nouveaux confinements pourraient affecter le rebond de l’activité

P our l’année 2021, Emma­

nuel Macron a évoqué
lors de ses vœux aux
Français un « espoir » qui « gran­
dit chaque jour » et « une relance
qui déjà frémit ». Les économis­
tes, pourtant, s’interrogent et,
souvent, s’affolent. Le vaccin
contre le Covid­19, censé signer
la fin de la pandémie et des
restrictions sanitaires qui
grippent l’activité depuis près
d’un an, est prêt. Mais la campa­
gne de vaccination n’avance pas,
ou si peu. Au 4 janvier, quelques
milliers de personnes avaient
reçu une première injection du
vaccin Pfizer BioNtech (il en faut
deux pour être immunisé) selon
le ministère de la santé, contre
près de 1 million au Royaume­Uni
et plus de 250 000 en Allemagne.
Après la colère du chef de l’Etat,
fustigeant une vaccination au
« rythme d’une promenade en fa­
mille », selon Le Journal du di­
manche du 3 janvier, et alors que
les oppositions vont jusqu’à par­
ler d’un « scandale d’Etat », l’exé­
cutif semble décidé depuis lundi
4 janvier à accélérer. Mais il ne
veut pas non plus renier sa stra­
tégie vaccinale prudente, au ris­
que, alertent les experts, d’hypo­
théquer la reprise de l’économie
espérée cette année.
« Un rebond du PIB [produit
intérieur brut] de 6 % en 2021
comme le prédit Bercy devient
maintenant héroïque », s’alarme
Patrick Artus, chef économiste
au sein de la banque Natixis. A
l’entendre, le pays pourrait en
effet s’engourdir dans une crois­
sance molle de l’ordre de 2 % à 3 %
laisse entendre que la réouver­
ture des bars et des restaurants,
un temps envisagée au 20 jan­
vier, sera repoussée. Théâtres,
ment, si le pays ne parvient pas à
atteindre l’immunité collective
d’ici à la fin du premier semestre
en vaccinant au moins 26 mil­
AVEC LE CONFINEMENT 
OU LE MAINTIEN 
Covid­19, la nervosité est palpable.
Mais on conserve, aussi, foi en
l’avenir. « La stratégie vaccinale est
critiquée et elle est sans doute criti­
cette année en étant bien incapa­ cinémas, salles de sport et autres lions de Français. L’objectif du DU COUVRE­FEU,  quable, mais pour le moment il n’y
ble de compenser une récession acteurs de l’événementiel n’ont gouvernement est de vacciner a pas d’inquiétude sur la reprise »,
proche de 10 % en 2020. « Trois guère plus d’espoir. 14 millions de personnes parmi PRÈS DE 10 % DU PIB  assure un proche du ministre de
points de PIB, c’est 1 million d’em­ Si le mot de « confinement » les plus vulnérables d’ici à juin. l’économie, Bruno Le Maire.
plois et sans doute des milliers de n’est pas encore prononcé, « on y « Une semaine de retard à at­
RESTE DE FACTO  « C’est la fable du Lièvre et de la
morts. On stocke des doses de vac­ vient », pense Patrick Artus. teindre l’immunité collective, et PARALYSÉ  Tortue. Si à la fin la Tortue perd la
cin dans des frigos mais on ne s’en Au total, avec le confinement ou donc la reprise d’un fonctionne­ course, on pourra nous blâmer
sert pas. C’est criminel ! », s’em­ même le maintien du couvre­ ment normal de l’activité, c’est PAR LE COVID­19 mais pour le moment notre objectif
porte ainsi l’économiste. feu, près de 10 % du PIB reste de 4 milliards à 5 milliards d’euros de est le même qu’ailleurs en visant la
De fait, la tendance des conta­ facto paralysé par le Covid­19. PIB perdus et près de 2 milliards de fin de la pandémie en juin », appuie
minations, jugée « préoccu­ Pis, M. Artus n’exclut déjà plus manque à gagner de recette fis­ « M. Vaccin » du gouvernement également le député (La Républi­
pante » par le directeur général dans ses calculs un quatrième, cale pour l’Etat. Il ne faut pas hési­ n’a­t­il pas confié à la chaîne LCI le que en marche) de la Vienne Sacha
de la santé, Jérôme Salomon, voire un cinquième confine­ ter à mettre tous les moyens dans 30 décembre 2020 que cette ques­ Houlié, estimant que si le Royau­
la campagne de vaccination », tion était « secondaire » ? me­Uni vaccine plus vite c’est que
calcule un proche du gouverne­ « S’il y a effectivement un désastre le niveau de contaminations y est
Le Conseil d’Etat valide l’élargissement ment incapable de masquer sa
stupéfaction face à la lenteur des
dans la campagne de vaccination
on entrerait dans un nouveau
plus massif.
Faux procès ? Réelles inquiétu­
des fichiers de police vaccinations. monde. Mais il est encore tôt pour des ? Après le fiasco des masques
La police et la gendarmerie pourront ficher les opinions politiques, l’envisager », relativise Mathieu et le raté des tests, la polémique
les appartenances syndicales et les données de santé au nom de Les nuages noirs s’accumulent Plane, directeur adjoint du dépar­ naissante place d’ores et déjà le
la sécurité publique ou de la sûreté de l’Etat, a jugé en référé, lundi Le temps presse : une campagne tement des analyses et prévisions gouvernement sur la défensive
4 janvier, le Conseil d’Etat, en rejetant les requêtes des syndicats trop poussive décalerait non seu­ de l’Observatoire français des con­ en mettant en péril la crédibilité
CGT, FO, FSU et des associations de défense des droits de lement la reprise mais pourrait jonctures économiques (OFCE). de l’Etat. « Dans un pays suradmi­
l’homme, qui dénonçaient la grande « dangerosité » de ces fichiers. aussi provoquer des effets dits Si ce dernier reconnaît que les nistré comme la France qui adore
Les décrets, publiés le 4 décembre 2020 après avis du Conseil d’« hystérèse », soulignent les éco­ nuages noirs s’accumulent, l’ana­ la planification, je ne comprends
d’Etat et consultation de la Commission nationale de l’informati- nomistes. L’aggravation du chô­ lyste refuse, pour l’heure, de re­ pas qu’il n’y ait pas d’explication
que et des libertés (CNIL), autorisent les forces de l’ordre à ficher mage, l’endettement massif des mettre en question sa prévision de claire sur ce qu’on appelle pom­
les « opinions politiques », les « convictions philosophiques et reli- entreprises, les doutes persistants croissance (7 % cette année). « Le peusement la stratégie vacci­
gieuses » et « l’appartenance syndicale » avant le recrutement de des ménages et du patronat sur yoyo de l’économie ne cessera que nale », critique notamment Eric
fonctionnaires sur des postes sensibles, alors que les précédents l’avenir handicaperaient l’écono­ quand on aura repris le contrôle de Woerth, député (Les Républi­
textes se limitaient à recenser leurs « activités ». Face aux criti- mie sur le long terme. l’épidémie. Pour le moment, le ca­ cains) de l’Oise. « L’inquiétude en
ques d’une partie de la gauche et des défenseurs des libertés dé- Le pessimisme des conjoncturis­ lendrier qu’on a est celui du gouver­ réalité est plus politique qu’éco­
nonçant une dérive autoritaire du gouvernement – notamment tes est lié, en grande partie, au nement », souligne­t­il. nomique. Il y avait une chose à ne
avec les restrictions imposées dans le cadre de l’état d’urgence sentiment que l’Etat néglige une Au ministère de l’économie, où pas rater et ils se sont plantés », se
sanitaire et la proposition de loi sur la « sécurité globale » –, le partie cruciale de la campagne de l’on envisage déjà des mesures de désespère une source proche de
ministre de l’intérieur a, à plusieurs reprises, réfuté toute volonté vaccination qu’est l’organisation soutien complémentaires pour l’exécutif. 
de « créer un délit d’opinion » ou une surveillance de masse. logistique. Alain Fischer, le les secteurs les plus sinistrés par le claire gatinois
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12 | france MERCREDI 6 JANVIER 2021

JUSTICE

Esclavage moderne :
le difficile parcours
des victimes
Mal connues et difficiles à identifier, les affaires de traite d’êtres
humains aboutissent rarement en justice. Les victimes,
majoritairement des étrangers en situation irrégulière, n’ont souvent
aucun recours pour dénoncer leur employeur malveillant

C
e 11 décembre 2020, Méthode
Sindayigaya, 40 ans, a mis son
plus beau costume et quitté
son logement social de Blois
pour rejoindre Paris. Il doit y
retrouver ses avocats Char­
lotte Mancini et Martin Pradel afin de pré­
parer l’audience prud’homale qui se tient
quatre jours plus tard. Depuis sa « libéra­
tion », en 2018, Méthode se bat pour obtenir
réparation auprès de Gabriel et Candide
Mpozagara, un couple de diplomates bu­
rundais, respectivement petite­fille du der­
nier roi du Burundi et ancien ministre de la
justice puis de l’économie, installés à Vil­
le­d’Avray (Hauts­de­Seine), et soupçonnés
de l’avoir réduit en esclavage pendant dix
longues années.
Mais une fois encore, il lui faudra patienter.
A la demande des deux mis en cause,
l’audience a été renvoyée illustrant une nou­
velle fois le long et difficile parcours des vic­
times de la traite d’êtres humains.
Sa détermination intacte, il raconte au
Monde, ces dix ans passés à dormir dans une
cave sans chauffage, envahie par l’odeur du
fioul de la chaudière attenante. De 6 heures à
1 heure du matin, sept jours sur sept, il fait le
ménage et la cuisine, s’occupe des enfants –
dont l’un est lourdement handicapé –, prend
soin du jardin. Il ne quitte jamais la propriété
sauf pour sortir les poubelles. Un quotidien
en huis clos ponctué de brimades et d’humi­
liations. « Si tu ne travailles pas, je vais te dé­
noncer à la police, ils vont te mettre en prison
et te tuer », ne cesse de lui répéter Mme Mpo­
zagara. « La police ne peut pas pénétrer chez
nous », lui serine­t­elle, brandissant son sta­
tut de diplomate.
Méthode Sindayigaya est coupé du monde.
Il ne parle pas un mot de français et n’a pas le
droit de s’adresser aux notables burundais
qui rendent visite à ses patrons, pas même
pour dire bonjour. A son arrivée en France
en 2008, son passeport lui a été confisqué.
En juillet 2018, un voisin parvient à le sortir
de ce calvaire. Il pèse alors 40 kg.
S’engage alors une longue procédure, qui,
deux ans après, a vu M. et Mme Mpozagara
condamnés à deux ans de prison avec sursis
et 70 000 euros de dommages et intérêts
pour « soumission à un travail forcé » et à des
« conditions de travail et d’hébergement
contraires à la dignité ». Une décision dont
ils ont fait appel entraînant la tenue d’un
nouveau procès qui doit s’ouvrir le 17 février.
Pour leur défense, les époux Mpozagara,
qui avaient déjà été mis en cause pour des
faits similaires, avaient notamment argué
que M. Sindayigaya s’était lui­même affamé
pour obtenir l’asile politique. Ils avaient éga­
lement indiqué avoir remis de l’argent à leur
« employé » – environ 250 euros par mois –
que ce dernier reversait à sa famille. Après
avoir fait l’objet de menaces en lien direct
avec les accusations portées par Méthode, sa
femme et ses enfants sont parvenus à pren­
dre la fuite vers la France il y a deux ans.
« PEU REPÉRÉE »
A ce jour, aucune des procédures, qu’elle soit
pénale ou prud’homale, n’a permis à Mé­
thode Sindayigaya de toucher une quelcon­
que indemnité. « Je veux juste reprendre mes
droits. Un ouvrier a besoin d’un salaire », dit­il
simplement. « Mes clients contestent absolu­
ment les faits qui leur sont reprochés et
d’ailleurs des constats d’huissier ont été éta­
blis pour expliquer que ses conditions de vie
n’étaient pas celles qu’il avait décrites », dé­
clare de son côté au Monde l’avocat des Mpo­
zagara, Emmanuel Marsigny, qui rappelle
qu’un appel est en cours.
Le cas de Méthode ne saurait résumer et in­
carner à lui seul une criminalité invisible qui
touche majoritairement des étrangers, hom­
mes ou femmes, en situation irrégulière.
Dans un avis du 15 octobre 2020, la Commis­
sion nationale consultative des droits de
l’homme (CNCDH) a rappelé que « la traite
des êtres humains à des fins d’exploitation par
le travail est une réalité mal connue en France.
Elle est peu repérée du fait de l’invisibilité du
phénomène soit parce qu’il intéresse la sphère
privée, soit parce que dans la sphère profes­
sionnelle, les victimes sont peu enclines à le
dénoncer ».
Une importante affaire a justement été ju­
gée devant le tribunal judiciaire de Reims en
juillet, assez inédite par le nombre de victi­
mes concernées – plus d’une centaine. Em­
blématique des secteurs ayant recours à
beaucoup de main­d’œuvre, où la sous­
traitance s’organise en cascade, diluant peu à
peu les responsabilités des donneurs d’ordre
et réduisant à chaque échelon les marges des
intermédiaires, elle implique des prestatai­
res viticoles du champenois, sous­traitants
des grandes maisons Moët & Chandon et
Veuve Clicquot, propriétés du groupe de luxe
LVMH. Celles­ci s’approvisionnent auprès de
vignerons et délèguent une partie des tra­
vaux de la vigne à des prestataires.
A l’été 2018, des vendangeurs afghans
avaient contacté la gendarmerie pour dé­
noncer leur employeur. Ils travaillaient de­ parlant pas français. Nassim (le prénom a
puis plusieurs jours sans avoir signé de « SOUVENT, LES GENS  été modifié) a été le premier à donner
contrat ni être payés et étaient hébergés DÉNONCENT A  l’alerte. Ce réfugié afghan de 25 ans, arrivé
dans des conditions indignes. en France en 2015, avait été recruté près de la
Les gendarmes avaient pu constater l’état POSTERIORI ET IL EST  gare de l’Est à Paris, par le biais du bouche­à­
des logements – payants pour les ouvriers oreille, pour travailler pour la société
agricoles : des matelas de mousse entassés DIFFICILE DE RÉUNIR  Rajviti, tenue par un couple de Sri­Lankais.
dans un pressoir ou dans une cave amiantée Avec une centaine d’autres travailleurs, il
ou des tentes entreposées dans un jardin. Ils
LES ÉLÉMENTS DE  était alors monté dans des camions, en di­
avaient aussi découvert des douches et des PREUVE MATÉRIELLE » rection de Reims. Là, il avait atterri dans une
W­C en nombre insuffisant, sans eau maison où il dormait à même le sol, sans
chaude, pour certains bouchés, et des sala­ CHRISTELLE CHAMBARLHAC couverture ni accès à l’eau chaude, avec un
riés affamés, la plupart demandeurs d’asile, direction du travail seul cabinet de toilette pour trente­six per­
réfugiés ou en situation irrégulière et ne en Ile-de-France sonnes. Il travaillait de 7 heures à 22 heures,

Une lente évolution juridique dénoncée par la Cour européenne

Servitude et travail forcé ont été introduits dans le code pénal entre 2003 et 2013, à la suite de condamnations de la France par la CEDH

L a matière a difficilement
émergé dans l’arsenal ré­
pressif, au point que la
France a été condamnée à deux re­
prises devant la Cour européenne
servitude dans son droit pénal. Les
époux Bardet ne furent en effet
pas condamnés, faisant dire à la
Cour que la législation en vigueur
à l’époque n’avait pas assuré à la re­
Ville­d’Avray (Hauts­de­Seine), lo­
gée avec sa sœur dans le même
sous­sol insalubre où Methode
passera ensuite dix ans. En 2009,
seule l’épouse avait été condam­
prison avec sursis et 70 000 euros
de dommages et intérêts. Ils ont
fait appel.

Une « volonté forte »

des droits de l’homme (CEDH)
pour son manque de diligence.
En 2005, dans une affaire mettant
en cause Vincent Bardet – fils du
fondateur des éditions Seuil, lui­
même actionnaire et directeur de
collection – et son épouse pour
avoir exploité près de quinze heu­
res par jour et pendant plusieurs
années une bonne togolaise, sans
la rémunérer et en lui faisant mi­
roiter une régularisation.
La CEDH a estimé que la France
avait violé l’article 4 de la Conven­
tion européenne des droits de
l’homme, qui interdit l’esclavage
et le travail forcé, en ne réprimant
pas en tant que tels l’esclavage et la
quérante une protection concrète
et effective.
En 2012, la Cour a de nouveau es­
timé que la France avait manqué à
son obligation de « mettre en place
un cadre législatif et administratif
permettant de lutter efficacement
contre la servitude et le travail
forcé ». L’affaire sur laquelle s’était
penchée la juridiction concernait
deux hauts dignitaires burundais
ayant réduit en esclavage pendant
dix ans un ex­cultivateur burun­
dais prénommé Methode. Au dé­
but des années 1990, les époux
Mpozagara avaient déjà soumis
au travail forcé une de leurs nièces
orphelines dans leur pavillon de
née pour « violences volontaires Encore aujourd’hui, la Commis­
aggravées ». En 2019, l’ancien mi­ sion nationale consultative des
nistre et son épouse ont été finale­ droits de l’homme (CNCDH) es­
ment condamnés à deux ans de time qu’en dépit des évolutions
législatives – l’infraction de traite
des êtres humains et celles d’es­
clavage, de servitude et de travail
« ON A L’IMPRESSION  forcé ont été introduites et défi­
QU’IL Y A UNE ÉCONOMIE  nies dans le code pénal par des
lois de 2003, 2007 et 2013 – « les
SOUTERRAINE  poursuites et la répression ne sont
pas à la hauteur de l’enjeu ».
À LAQUELLE ON A  Un point de vue que ne dément
pas Sylvie O’Dy, ancienne journa­
TRÈS PEU ACCÈS » liste et présidente du Comité con­
SYLVIE O’DY tre l’esclavage moderne (CCEM).
présidente du Comité contre Elle a « célébré » cette année les dix
l’esclavage moderne ans de la première condamnation
par un tribunal d’un cas de traite
des êtres humains à des fins d’ex­
ploitation économique. C’était en
octobre 2010, à Lyon. Le CCEM
avait soutenu une Sénégalaise
employée pendant trente ans par
un couple de Français. Sans cou­
verture sociale ni papiers, elle tou­
chait 120 euros par mois pour
seize heures de travail par jour. Ses
employeurs avaient été condam­
nés à un an de prison avec sursis.
« Au départ, la traite des êtres hu­
mains concernait à 90 % des affai­
res d’exploitation sexuelle, rap­
porte Sylvie O’Dy. On dit encore
que c’est la forme majoritaire de
traite. On a beaucoup de mal à faire
reconnaître la traite à des fins d’ex­
ploitation économique. On voit
pourtant des cas dans la restaura­
tion, des ateliers de confection tex­
tile, le bâtiment, l’agriculture… et de
plus en plus d’hommes victimes.
On a l’impression qu’il y a une éco­
nomie souterraine à laquelle on a
très peu accès. Il manque une politi­
que proactive dans ce domaine
pour identifier les victimes, les pro­
téger et poursuivre les auteurs. »
A la tête de l’Office central de
lutte contre le travail illégal, le co­
lonel Philippe Thuriès observe
néanmoins le contentieux sur la
traite à des fins d’exploitation par
le travail se développer : « Il y a
quatre ans, l’office ne traitait qu’un
ou deux dossiers d’ampleur par an.
Aujourd’hui, nous sommes saisis
de six dossiers en cours, dont la ma­
jorité a une résonance internatio­
nale ». Le gendarme veut y voir le
résultat d’une « volonté forte » de
mieux réprimer cette criminalité,
tout au long de la chaîne pénale. 
s. pi.
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
sans contrat. Au bout de cinq jours, l’ouvrier
avait alerté la gendarmerie locale, aidé pour
la traduction par un agent de sécurité ren­
contré dans un parc. Les militaires s’étaient
alors rendus sur place.
Nassim se souvient qu’il n’a pas pu rentrer
à Paris tout de suite. Les gendarmes lui ayant
demandé de venir porter plainte le lende­
main, il a dû se cacher et passer la nuit dans
les vignes avec trois autres Afghans. Dans un
français encore balbutiant, le jeune homme
explique au Monde que tout au long de l’en­
quête, alors qu’il était l’un des principaux té­
moins, il continuait de dormir dans la rue, à
Paris. « Ça a été très difficile, reconnaît­il. Ici,
je ne connais personne, je dormais porte de La
Chapelle ou dans des parcs. J’ai parfois raté
des rendez­vous avec la police parce que
j’avais passé la nuit dehors. » En décem­
bre 2019, Nassim a fini par obtenir un loge­
ment social. Il travaille aujourd’hui en CDI
dans le bâtiment.
FRUSTRATION DES PARTIES CIVILES
Lors du procès, à Reims, pourtant étalé sur
deux jours et demi d’audience, personne
n’avait prévu d’entendre le jeune Afghan ni
ses anciens collègues qui avaient fait le dé­
placement. A la demande de son avocat, il a
finalement pu témoigner à la barre. « On a dû
trouver un interprète en moins de vingt­qua­
tre heures, se souvient Annabel Canzian,
coordinatrice du service juridique du Co­
mité contre l’esclavage moderne (CCEM),
une association qui revendique avoir accom­
pagné quelque 350 procès depuis sa création
il y a vingt­cinq ans et qui a soutenu Nassim.
Et encore, l’interprète parlait dari alors que
Nassim parle pachtoun. » Mme Canzian y voit
le signe du faible intérêt accordé à la parole
des victimes dans ces affaires.
Les gérants de la société Rajviti ont été
condamnés à trois ans de prison dont un an
assorti du sursis pour traite des êtres hu­
mains. L’un des donneurs d’ordre, intermé­
diaire entre la société Rajviti et Moët
& Chandon, a également eu une peine de
dix­huit mois de prison dont six mois avec
sursis. Un appel est en cours.
La grande maison de champagne n’a, en re­
vanche, pas été mise en cause, ce qui n’a pas
manqué de nourrir une certaine frustration
du côté des parties civiles. Dans son courrier
de signalement au parquet, que Le Monde a
consulté, la direction du travail de la région
Grand­Est avait pourtant épinglé ses négli­
gences et son manquement à l’obligation de
vigilance à l’égard de ses sous­traitants.
« Dans cette affaire qui met à mal toute une
profession et ternit l’image du vignoble mar­
nais, les éléments recueillis laissent penser que
les deux établissements Veuve Clicquot Pon­
sardin et Moët & Chandon de la société MHCS
[Moët­Hennessy Champagne Services] sont
impliqués et ont recours sciemment aux servi­
ces d’entreprises exerçant du travail illégal »,
écrivait la direction du travail.
L’avocat du CCEM dans ce dossier, Mehdi
Bouzaida, regrette que le parquet n’ait pas
fait le choix d’ouvrir une information judi­
ciaire pour pousser davantage les investiga­
tions : « Dans mes mauvais jours, j’ai l’impres­
sion que ce n’est pas la priorité, voire que les
parquets veulent garder la main », confie­t­il.
En 2018, la CNCDH n’avait pas hésité à épin­
gler un « désintérêt manifeste des pouvoirs
publics » pour la traite à des fins d’exploita­
tion. En 2020, elle regrette encore une « mé­
connaissance de l’infraction ».
« La traite des êtres humains, ce sont des af­
faires rares parce qu’on ne va pas forcément
les détecter. Elles sont encore mal connues,
mal identifiées, complète Christelle Cham­
barlhac, à la direction du travail en Ile­de­
France. L’inspection du travail n’est compé­
tente que depuis 2016 pour dresser des procès­
verbaux sur cette infraction. Et depuis deux
ans, on forme des inspecteurs, des agents des
Urssaf, de la MSA [Mutualité sociale agricole],
des policiers, des gendarmes… pour mieux
identifier les situations. Ça reste confidentiel
mais des dossiers émergent. »
« On s’est battu pendant des années pour
avoir des textes, maintenant on se bat pour les
faire appliquer et avoir des condamnations »,
résume David Desgranges, avocat et vice­
président du CCEM. L’infraction pour « traite
des êtres humains » peut paraître difficile à
caractériser, elle est d’ailleurs encore sou­
vent requalifiée en « travail dissimulé ». En
juillet 2020, le dirigeant d’une entreprise de
ramonage soupçonnée de se livrer à la traite
et contre qui le parquet avait requis huit ans
de prison a finalement été condamné à huit
mois pour travail dissimulé.
Pour obtenir une reconnaissance des cas de
traites et contourner ce qu’il perçoit comme
la frilosité de certains parquets ou services
enquêteurs, Me Bouzaida doit faire preuve
d’opiniâtreté. Ainsi, en mai 2018, une de ses
clientes a déposé plainte avec constitution
de partie civile pour forcer l’ouverture d’une
instruction. Arrivée en 2012 en France, afin
de prendre soin d’une dame âgée atteinte
d’Alzheimer, Rafia (le prénom a été modifié),
originaire du Togo, s’est retrouvée à travailler
de 9 heures à 21 heures, sans aucun repos
hebdomadaire ni congés, et à s’occuper de
l’entretien de la maison, des repas, du jardin
et jusqu’aux travaux de rénovation. En vingt­
six mois d’exploitation, elle aurait reçu un
seul chèque de 200 euros, sans jamais se voir
remettre une seule feuille de paie. Malgré un
signalement au parquet, en 2013, par le maire
de la commune où elle résidait, dans la
Somme, l’enquête a été classée. Un nouveau
signalement, en 2015, par le biais du CCEM,
n’a pas davantage prospéré. « Aucun acte (ou
presque) d’investigation n’a été réalisé », dé­
nonce Me Bouzaida, à l’appui de la plainte de
sa cliente.
ENQUÊTE CLASSÉE SANS SUITE
Le scénario ne fait pas figure d’exception. En
juillet 2020, Me Bouzaida dépose une nou­
velle plainte avec constitution de partie ci­
vile au nom de Magdalena T., une Philippine
de 52 ans, employée de maison d’un couple
de Koweïtiens vivant dans un appartement
de standing d’un gratte­ciel quai de Grenelle,
dans le 15e arrondissement de Paris, avec vue
sur la Seine. Les conditions propres aux si­
tuations d’esclavage domestique semblent
réunies : Magdalena dort sur un matelas au
sol, dans la buanderie de l’appartement. Ses
affaires sont réunies dans un sac. Son passe­
port lui a été confisqué. Son travail, qu’elle ef­
fectue de 7 heures à minuit sans repos ni
congé, n’est pas déclaré et elle ne touche
aucun revenu. Elle fait aussi bien la cuisine
qu’elle s’occupe des enfants du couple et en­
EN 2018, LA CNCDH  tretient leur domicile. A l’été 2017, Magda­
N’AVAIT PAS HÉSITÉ  lena parvient à s’enfuir. Mais l’enquête effec­
tuée par le commissariat de l’arrondisse­
À ÉPINGLER  ment à la suite d’un signalement par le
CCEM, en 2017, est classée sans suite. Là en­
UN « DÉSINTÉRÊT  core, l’avocat dénonce les faibles investiga­
tions réalisées.
MANIFESTE DES  Pour Christelle Chambarlhac, « les situa­
POUVOIRS PUBLICS »  tions d’exploitation domestique sont extrê­
mement difficiles à qualifier. Souvent, les gens
POUR LA TRAITE  dénoncent a posteriori et il est difficile de réu­
nir les éléments de preuve matérielle ». Face à
À DES FINS  certaines situations, David Desgranges s’in­
D’EXPLOITATION terroge, lui, sur l’existence d’une forme de
« tolérance culturelle ou d’indulgence du
monde judiciaire, fondée sur l’idée que la per­
sonne [exploitée] est toujours mieux lotie en
France que dans son pays ».
D’autres soulignent aussi la difficulté de
s’attaquer à des exploiteurs jouissant d’un
certain statut social. « Je suis l’épouse de l’an­
cien ambassadeur du Koweït en France »,
n’avait pas hésité à faire valoir l’employeuse
de Magdalena S. lors de son audition par les
policiers du 15e arrondissement, prévenant
avoir effectué une demande d’immunité di­
plomatique. Pour les victimes, passer le cap
de la dénonciation peut prendre des années
et « très peu viennent in fine témoigner à la
barre des tribunaux », regrette le colonel Phi­
lippe Thuriès à la tête de l’Office central de
lutte contre le travail illégal.
Si Marie­Christine O. n’avait pas été « dé­
couverte » par Tom P., un étudiant venu mon­
ter un meuble Ikea au domicile de ses em­
ployeurs pour quelques sous, elle serait peut­
être encore réduite à l’état de servitude. Cette
Camerounaise a travaillé, en 2012 et en 2014,
au domicile d’un couple de compatriotes, à
Montpellier, sans rémunération, sans
congés et alors que son passeport lui avait
été confisqué et qu’il lui était interdit de sor­
tir. Elle s’occupait des enfants, du ménage, de
la cuisine. La maîtresse de maison – condam­
née le 7 septembre 2020 par la cour d’appel
de Montpellier à douze mois de prison avec
france | 13
sursis pour traite d’être humain – s’avère être
l’épouse de l’ex­footballeur professionnel
franco­camerounais Roger Milla, également
ex­ambassadeur itinérant du Cameroun et à
la tête d’une fondation pour orphelins.
Face à des exploiteurs parfois nantis, les
victimes sont bien souvent des « invisibles
qui ne connaissent pas leurs droits », insiste
Sylvie O’Dy, présidente du CCEM. « Ils sont
cachés dans des sous­sols, des domiciles pri­
vés. Au CCEM, nous recevons plus de 300 si­
gnalements par an, dont 30 ou 40 relèvent de
notre mandat. Pour nous, c’est la face émer­
gée de l’iceberg. »
Astan sait aujourd’hui tout ce qui l’a muse­
lée, entre 2000 et 2005, alors qu’elle était re­
cluse chez une tante éloignée dans un appar­
tement des Hauts­de­Seine. Cette Malienne
avait à peine 13 ans quand elle est arrivée en
France, ignorant tout du pays et jusqu’à sa lan­
gue. Elle comprend progressivement que sa
situation n’a rien de normal. « Je voyais les en­
fants qui partaient à l’école le matin et moi je
restais pour faire les tâches ménagères », rap­
porte­t­elle au Monde. Alors qu’on lui a pro­
mis une scolarisation, elle travaille de 6 heu­
res à 22 heures, s’occupe à la fois de sa tante
handicapée, de ses enfants, du ménage, de la
cuisine, n’est nourrie qu’une fois par jour,
dort sur un matelas posé à même le sol, et voit
la moindre de ses sorties chronométrée.
« Si je rentrais plus tard que prévu, je me fai­
sais disputer ou taper. Elle [sa tante] me disait
de ne pas parler, de ne pas côtoyer de monde,
confie Astan, aujourd’hui âgée de 34 ans. Vu
que je n’avais pas de papiers, je me méfiais
aussi. J’avais envie de dire que j’étais maltrai­
tée mais je ne connaissais personne et je
n’avais pas envie de me faire remarquer et de
risquer de retourner dans mon pays. » Le
temps passé dans l’isolement affectif et so­
cial le plus total finit d’abîmer la jeune fille.
« J’étais désorientée, dépassée, rabaissée, déni­
grée, terrorisée », énumère­t­elle.
« ON A BESOIN DE PROTÉGER LES VICTIMES »
C’est finalement parce qu’elle a été renvoyée
du domicile, à 18 ans, qu’elle a osé parler.
« Elle m’avait inscrite à des cours de français et
j’ai commencé à fréquenter un garçon, rap­
porte Astan. Ça ne lui a pas plu. Elle m’a frap­
pée et mise à la porte. » Astan a porté plainte
en octobre 2006, une action qui lui a permis
de demander un titre de séjour. La loi prévoit
en effet qu’une victime qui porte plainte
pour traite des êtres humains peut obtenir
un titre de séjour vie privée et familiale d’un
an renouvelable, tout au long de la procé­
dure. En 2013, Astan a obtenu la nationalité
française. « J’étais contente de ne plus faire la
queue en préfecture pour renouveler mon titre
de séjour, reconnaît­elle. J’y allais toujours la
boule au ventre. »
Au CCEM, on regrette la réticence de cer­
tains commissariats à prendre des plaintes
et des préfectures à délivrer des titres de sé­
jour. « A Paris, les services délivrent d’abord
un récépissé de six mois, constate Annabel
Canzian. Et quand on a un courrier du procu­
reur cela ne suffit pas, ou quand la plainte a
été enregistrée pour réduction en esclavage et
pas traite des êtres humains, cela ne suffit pas
non plus. »
Un document type de la Préfecture de po­
lice de Paris, que Le Monde a consulté, mon­
tre les précautions prises en la matière. La
préfecture y interroge ses services sur « le ca­
ractère fondé de la plainte » et demande « si le
plaignant peut être considéré comme victime
de traite des êtres humains » alors même que
la qualification des faits relève de l’autorité
judiciaire. « La France craint que la traite fasse
appel d’air pour l’immigration irrégulière »,
analyse Sylvie O’Dy. « On a besoin de protéger
les victimes, insiste Christelle Chambarlhac.
Sans elles, on ne trouverait pas de situations
de traite. Il serait utile qu’il suffise qu’elles
viennent voir l’inspection du travail. »
Aujourd’hui, Astan est mère de deux en­
fants et travaille dans une école maternelle.
Elle vit dans un appartement coquet des
Hauts­de­Seine. La procédure qu’elle a lancée
il y a près de quatorze ans contre son em­
ployeuse n’est toujours pas terminée. Tenin
D. a été condamnée en décembre 2019 à dix­
huit mois de prison avec sursis. Mais un ap­
pel en cassation est en cours. « Je n’ai qu’une
hâte, c’est que ce soit terminé, dit Astan. Ces
dix­huit mois, ça ne remplacera jamais les
cinq années qu’elle m’a volées. Mais je me bats
aussi pour que ça ne se reproduise pas. » 
julia pascual
et simon piel
 0123
14 | france MERCREDI 6 JANVIER 2021

Un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste

Un sondage Ipsos, réalisé en novembre 2020, montre l’ampleur du phénomène, encore largement tabou

M
assif, dévastateur
et encore bien sou­
vent tabou. Tel est
l’inceste, aujour­
d’hui encore, dans notre société.
Massif ? Bien qu’encore trop rares,
les études sur le sujet montrent
qu’entre 5 % et 10 % des Français
ont été victimes de violences
sexuelles durant leur enfance, qui
se déroulent, dans 80 % des cas, au
sein de la sphère familiale. Dans
un sondage Ipsos réalisé en no­
vembre 2020 pour l’association
Face à l’inceste, un Français sur
dix affirme en avoir été victime.
Des garçons et surtout des filles
de tous les milieux sociaux sont
concernés. La première agression
survient, en moyenne, à l’âge de
9 ans. Dans l’immense majorité
des cas, les auteurs sont des hom­
mes, ce que confirme une note de
l’Observatoire national de la délin­
quance et des réponses pénales
(ONDRP) publiée en décem­
bre 2020, qui s’appuie sur les chif­
fres des services de police et les
unités de gendarmerie. Sur « une destruction totale de l’indi­ nes d’entretiens avec des victimes vert en France, l’interprète ainsi :
6 737 personnes mises en cause vidu, de l’identité psychique et cor­
« L’inceste, et des auteurs, constate ainsi que « L’inceste, c’est un déni collectif.
pour des violences sexuelles in­ porelle de l’enfant ». L’une de ses c’est un déni « l’inceste survient toujours dans L’inceste, c’est la loi du silence. On
cestueuses entre 2016 et 2018, 95 % particularités réside dans la diffi­ une famille où il est déjà là ». ne peut pas penser, prononcer
sont de sexe masculin. Parmi les culté pour l’enfant qui le subit d’en
collectif, c’est Toutefois, comme le relevait l’impensable. C’est pour ça qu’on
4 341 victimes de violences sexuel­ saisir la gravité. Le terrible conflit la loi du silence » dans le journal du CNRS la socio­ utilise les mots “violences intrafa­
les incestueuses (dont 77 % de de loyauté qu’il provoque, lié à logue Sylvie Cromer, coordina­ miliales”. C’est comme pour les vio­
ÉVA THOMAS
filles) enregistrées pendant ces la relation de proximité entre trice d’une étude sur le sujet re­ lences sexuelles, on utilise souvent
une victime
trois ans, la moitié avait moins de l’agresseur et la victime, a de fortes mise en 2017 à Laurence Rossi­ le mot “abus”. Même dans les mé­
4 ans, indique par ailleurs l’étude. répercussions sur sa construction. gnol, alors ministre de la famille, dias, ça continue d’être tabou. »
Isabelle Aubry, présidente fonda­ Le tout aggravé, bien souvent, par « pour autant il n’existe pas une tra­ Invisibilisée, minorée, la parole
trice de l’association Face à l’in­ la répétition des faits. Virage, conduite par l’Institut na­ jectoire type de la victime d’inceste. de l’enfant qui dénonce les faits
ceste, a d’autres mots pour décrire tional d’études démographiques Il n’y a aucune automaticité des « a longtemps été sujette à cau­
la prévalence de ce fléau : « Un Cascade d’effets délétères en 2015, que, chez les femmes, l’ex­ comportements. Surtout les trau­ tion, voire inaudible, y compris
Français sur trois connaît une vic­ Les dégâts provoqués sont consi­ position à des violences sexuelles matismes induits par ces violences chez les acteurs sociaux des insti­
time d’inceste », assure la mili­ dérables. S’ensuit fréquemment dans l’enfance entraîne un risque peuvent être compensés par une tutions de protection de l’enfance
tante. La formule a l’avantage de une cascade d’effets délétères sur accru qu’elles revivent, à l’âge prise en charge précoce et adaptée et du système judiciaire, ce qui a
montrer l’ampleur du phéno­ le développement de la victime, adulte, des situations de harcèle­ des victimes ». conduit à une “contagion épidé­
mène, qui impacte la société dans davantage vulnérable à un large ment ou de violences sexuelles. Encore faut­il pouvoir en parler. mique du silence” », selon le rap­
son ensemble, au­delà des seules éventail de problèmes de santé La reproduction des mécanis­ L’inceste est encore aujourd’hui port du CNRS. Chez les proches,
victimes qui apparaissent dans les (dépression, risques suicidaires, mes de l’inceste par les victimes à souvent indicible, tabou. Interro­ l’injonction au silence est extrê­
statistiques officielles. troubles alimentaires, conduites l’âge adulte est aussi documentée. gée par la députée La République mement fréquente en cas de dé­
Cela nous amène à la dimension addictives…). Bien souvent, les vic­ L’anthropologue Dorothée Dussy, en marche Alexandra Louis dans nonciation. En cause, la difficulté
dévastatrice de l’inceste. Pour Ca­ times d’inceste ont de grandes dif­ autrice de l’ouvrage Le Berceau des le cadre d’une mission d’évalua­ à travers ce sujet de concevoir la
therine Milard, directrice de l’as­ ficultés à construire une vie pro­ dominations, anthropologie de l’in­ tion sur la loi de 2018 sur les vio­ famille, souvent citée comme va­
sociation SOS Inceste & Violences fessionnelle et une vie de famille. ceste (épuisé, disponible chez Poc­ lences sexuelles, Eva Thomas, leur refuge, comme un lieu d’op­
sexuelles, qui accompagne des D’autant plus, et c’est l’un des en­ ket en avril), qui a consacré des an­ l’une des premières victimes d’in­ pression et de violences. 
victimes, l’inceste s’apparente à seignements majeurs de l’enquête nées d’enquête et mené des dizai­ ceste à témoigner à visage décou­ solène cordier

Nouvelle réforme des

ENTRE ORIENT ET OCCIDENT pensions alimentaires
Du 14 au 25 juin 2021
La Caisse d’allocations familiales peut
désormais collecter et verser à tous

Terre des Balkans

les parents divorcés leurs pensions

Bosnie, Croatie, Monténégro et Albanie, là où l’Occident rencontre l’Orient, ce voyage

vous fera découvrir la richesse mais aussi la complexité du métissage balkanique.
P our son premier déplace­
ment de l’année, Emma­
nuel Macron devait se ren­
dre, mardi 5 janvier, à la Caisse d’al­
locations familiales (CAF) de
Tours. L’occasion pour le président
d’échanger sur les contours de la
nouvelle réforme du versement
des pensions alimentaires avec
des familles monoparentales. Ces
dernières, formées à 85 % par des
femmes, constituent un foyer sur
quatre en France. En exposant
leurs difficultés financières au
grand jour lors de la crise des « gi­
lets jaunes », elles avaient mis sur
le devant de la scène le problème
des impayés de pensions alimen­
taires, lesquelles représentent en
moyenne 18 % de leurs ressources.
A l’issue du grand débat organisé
par le gouvernement, le chef de
l’Etat avait annoncé, en avril 2019,
la création d’un « service public
des pensions alimentaires », dont
l’entrée en vigueur a été reculée en
raison de la crise sanitaire. Ouvert
en octobre 2020 aux parents sépa­
rés confrontés à des problèmes
d’impayés – environ 10 000 en ont
bénéficié en trois mois –, le méca­
nisme est élargi depuis le 1er jan­
vier à tous les parents séparés.
© Freesurf/stock.adobe.com
vorce ou du titre exécutoire indi­
quant le montant de la pension.
Elle peut également être directe­
ment prévue dans le jugement de
divorce et activée sans démarche
supplémentaire. En cas de défaut
de paiement, la CAF se charge de
procéder au recouvrement de la
somme et verse en attendant au
parent bénéficiaire l’allocation de
soutien familial (116 euros men­
suels). Le montant moyen des
pensions alimentaires s’élève à
170 euros par enfant et par mois.
Ce dispositif, dont le coût est es­
timé à 85 millions d’euros en 2021
puis à 122 millions par an à partir
de l’année suivante, a pour objectif
de renforcer et de simplifier l’ac­
tion en la matière, déjà amorcée
avec la création, sous le précédent
quinquennat, de l’Agence de re­
couvrement des impayés de pen­
sions alimentaires. Un travail de
sensibilisation et d’information
des professionnels concernés
(personnels des CAF, magistrats,
greffiers, notaires, avocats) est en
cours pour faire connaître la ré­
forme, affirme l’Elysée.
Présentée comme une mesure à
la fois de justice sociale et en fa­
veur de l’égalité entre les femmes

et les hommes, elle ne répondra

Mesure de justice sociale
Avec ce nouveau système, inspiré
12 jours du modèle québécois, il est désor­
à partir de 2 770 € mais possible que la CAF se charge
de la perception et du versement
de la pension alimentaire et ce,
jusqu’aux 18 ans de l’enfant, sans
Avec vous : Documentation gratuite au 01 40 43 20 21
qu’il soit nécessaire de renouveler
Durant le séjour, Jacques Rupnik ou info@artsetvie.com, par courrier :
© Collection personnelle
cependant pas à l’ensemble des cas
de figure. Les parents séparés dis­
posant d’un accord à l’amiable ne
pourront pas y recourir, et le nou­
veau dispositif ne réglera pas les si­
tuations d’insolvabilité des pa­
rents débiteurs. Selon les projec­
tions, 100 000 personnes pour­

la demande. Cette intermédiation raient en bénéficier en 2021.

Politologue et historien, spécialiste ARTS ET VIE, 39 rue des Favorites, 75015 Paris peut être mise en place à la de­ Aujourd’hui, les défauts ou retards
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des problématiques de l’Europe centrale
et orientale, professeur à Sciences Po Paris
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Je désire recevoir gratuitement, sans engagement, la documentation détaillée tion à la CAF d’un jugement de di­ s. cr
et directeur de recherche au CERI. du voyage dans les Balkans proposé par Le Monde.
À Sarajevo, Rémy Ourdan
© Collection personnelle

Nom/Prénom ................................................................................................................
Grand reporter au Monde, il évoquera Adresse ........................................................................................................................
son expérience, dans cette ville JUSTI CE cusés ayant reçu les peines les
qu’il connaît bien pour avoir couvert Code postal Ville.......................................................................... Attentats plus lourdes ont fait la démar­
le conflit sur place. de janvier 2015 : deux che : Ali Riza Polat, condamné
Tél. LeMde 189x272 accusés seront rejugés
Votre itinéraire à trente ans de réclusion pour
Sarajevo - Mostar - Dubrovnik - Îles Élaphites - Kotor - Sveti Deux des onze accusés con­ complicité d’assassinats, et
Courriel ................................................................. @ ............................................... damnés le 16 décembre 2020 Amar Ramdani, à vingt ans
Stefan Shkodra - Durrës - Vlora - Berat - Tirana Je souhaite être informé(e) des offres ❏ du Monde ❏ des partenaires du Monde lors du procès des attentats pour association de malfai­
Malgré la crise sanitaire que nous vivons, nous restons optimistes En retournant ce formulaire, vous acceptez que Arts et Vie et Malesherbes Publications (Groupe Le Monde), organisateurs du voyage et de janvier 2015 seront rejugés, teurs terroriste, avec période
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assurer un environnement sanitaire optimal ainsi que des conditions des traitements, sort des données après décès), consultez notre politique de confidentialité à l’adresse http://confidentialite.lavie.fr terjeter appel du verdict arri­ accusés ont été condamnés
de réservation et d’annulation sereines. ou écrivez à notre délégué à la protection des données 67/69 av. Pierre-Mendès-France, CS 11469, Paris cedex 13. vait à échéance lundi 4 janvier à des peines allant de quatre
à minuit. Seuls les deux ac­ à dix­huit ans de prison.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Pourquoi PSA et Fiat Chrysler fusionnent
Les actionnaires des deux groupes ont approuvé la création de Stellantis, nouveau géant de l’automobile
D
ans toute cérémonie
de mariage, il existe un
moment crucial qui en
fait la beauté : le con­
sentement des futurs époux. C’est
bien ce qui s’est produit au cours
de ce lundi 4 janvier. Les actionnai­
res des deux assemblées générales
extraordinaires de PSA, d’une part,
et de Fiat Chrysler (FCA), d’autre
part, ont tour à tour approuvé à la
quasi­unanimité – plus de 99 %
des votes dans les deux cas – leur
union dans une nouvelle entité
baptisée Stellantis (« parsemé
d’étoiles » en latin), destinée à de­
venir le quatrième constructeur
automobile mondial en volume,
avec ses près de 8 millions de véhi­
cules vendus, ses 400 000 salariés
et près de 170 milliards d’euros de
chiffre d’affaires.
Un oui franc et massif donc – et
prononcé à huis clos, Covid­19
oblige –, qui sera suivi par la cons­
titution effective de Stellantis,
samedi 16 janvier. La première co­
tation de l’action du nouveau
groupe se tiendra le 18 janvier à
Paris et à Milan, et le 19 à New
York. « Cette fois, la route est com­
plètement libre, toutes les condi­
tions suspensives sont levées, se
réjouit un porte­parole de PSA.
Les 20 autorités antitrust concer­
nées – de l’Union européenne aux
Etats­Unis en passant par la Tur­
quie – ont approuvé la fusion.
Seule une série de formalités bour­
sières incompressibles nous empê­
che de prononcer la création de
Stellantis dès demain. »
Synergies industrielles
Un mariage consommé un peu
plus d’un an après l’annonce des
fiançailles ; l’affaire n’a pas traîné.
« Les deux constructeurs français
dans le top 4 mondial, qui l’eût cru !
s’enthousiasme Laurent Petizon,
directeur général pour la France
du cabinet de conseil AlixPar­
tners. Il y a quelques années, les
consultants planchaient sur des
scénarios où Peugeot, Renault et
Fiat avaient disparu du paysage. »
De fait, « historique » fut le quali­
ficatif le plus entendu de cette
journée du 4 janvier, employé par
Louis Gallois, président du conseil
de surveillance de PSA, qui faisait
ses adieux au monde des affaires,
par John Elkann, chef de la famille
Agnelli, président de FCA et futur
président de Stellantis, par Carlos
Tavares, patron de PSA et direc­
teur général du nouveau groupe.
Même outre­Atlantique, où
Chrysler a ses quartiers histo­
riques, on prend l’affaire avec en­
train. « Je deviens PSA », constatait
en riant, et en s’en félicitant, un
cadre américain de FCA, raconte
un témoin. Côté politique, ce
sont les deux ministres français
Pour Stellantis, un délicat loto des marques
Le nouveau groupe aura fort à faire pour assurer la pérennité de ses quatorze constructeurs, qui n’ont pas la même santé économique
Q uatorze marques d’auto­
mobiles, soit une demi­
douzaine de plus que le
groupe Volkswagen ou
l’Alliance Renault­Nissan. L’abon­
dance de blasons fait de Stellantis,
né du mariage de PSA et Fiat Chrys­
ler (FCA), l’entité la plus foison­
nante de l’industrie automobile.
Dans la corbeille de mariage, le
groupe français apporte les cons­
tructeurs Peugeot, Citroën, DS,
Opel et Vauxhall. La dot italo­amé­
ricaine est constituée de Fiat,
Abarth, Lancia, Alfa Romeo, Mase­
rati, Jeep, Dodge, Chrysler et Ram.
L’ampleur de cet ensemble, cer­
tes assez hétérogène, constitue un
atout. Dans la gestion de leurs dif­
férents modèles, les groupes auto­
Mike Manley,
PDG de FCA, et
Carlos Tavares,
patron de PSA,
à Auburn Hills
(Michigan), aux
Etats­Unis, en
décembre 2019.
JOE WILSSENS/ROPI-REA
et italien de l’économie, Bruno Le
Maire et Stefano Patuanelli, qui
ont salué « la performance et le
leadership de l’industrie automo­
bile européenne ».
Une fois les flonflons envolés,
reste le plus dur : réussir la fusion.
Par le passé, quelques greffes auto­
mobiles ont fini par avorter :
Daimler­Chrysler (1989­2007) ou
Ford­Volvo (1989­2009). D’autres
Classement mondial des principaux constructeurs automobiles
selon le nombre de véhicules vendus en 2019, en millions
Groupe Volkswagen
Groupe Toyota
Alliance Renault-
Nissan-Mitsubishi
PSA + FCA (futur Stellantis)
General Motors
Hyundai Kia
Ford
Honda
Suzuki
Daimler
Groupe BMW
Infographie : Le Monde
mobiles sont passés maîtres dans
l’art de dissimuler ce qu’ils ont en
commun (châssis, liaisons au sol,
moteurs) et de mettre en exergue
ce qui les singularise (style, image
de la marque). Les plates­formes
communes engendrent d’impor­
tantes économies d’échelle tout en
produisant de multiples modèles
sous des marques diverses, ce qui
permet de ratisser large.
Il est acquis que les plates­formes
CMP (pour les petites voitures) et
EMP2 (pour les voitures de gabarit
moyen) issues de PSA constitue­
ront la base de développement de
futures Fiat et Alfa Romeo. Une
aubaine pour les marques italien­
nes, desservies par un sous­inves­
tissement chronique. Elles bénéfi­
semblent avoir réussi, comme
PSA­Opel en 2017. « Une union in­
dustrielle de ce type fonctionne
quand vous arrivez à produire plus
de véhicules sur une même ligne de
production, indique M. Petizon.
Une telle opération peut aussi être
bénéfique en termes de complé­
mentarités géographiques : en l’oc­
currence, FCA apporte de fortes po­
sitions américaines à PSA. Mais le
11
10,5
10,1
7,9
7,7
7,2
5,4
5,2
3,3
3,3
2,6
Sources : constructeurs
cieront aussi de la plate­forme
EvMP2, attendue en 2023, sur la­
quelle reposeront des véhicules
électriques ou hybrides. Toutefois,
maintenir un catalogue aussi
pléthorique impose de mobiliser
des ressources importantes pour
assurer le développement et la dis­
tribution de ces marques à un mo­
ment où l’électrification exige des
investissements considérables.
Dans ces conditions, Stellantis
aura fort à faire pour assurer la pé­
rennité de ses quatorze construc­
teurs. Tous, en effet, ne se présen­
tent pas sur la ligne de départ dans
le même état de forme. Jeep s’ins­
crit dans une dynamique telle que
son avenir paraît assuré sur les
plus grands marchés. Les voitures
cœur de l’affaire, ce sont les syner­
gies industrielles. » En l’occurrence,
le travail de préparation de la fu­
sion a permis d’évaluer ces baisses
de coût à 5 milliards d’euros an­
nuels à terme, 80 % étant atteints
dès la quatrième année.
Centre de gravité
La mise en place des synergies
devrait coûter environ 4 milliards
d’euros. « La fusion permet de
créer un effet de taille qui diluera
de manière très conséquente nos
efforts en matière d’investisse­
ment, de recherche et de dévelop­
pement [R&D] », a résumé M. Ta­
vares en s’adressant à ses action­
naires. « Ni FCA ni PSA n’avaient
jusqu’ici investi massivement dans
leur R&D, ajoute Bertrand Rakoto,
consultant automobile chez Duc­
kerFrontier, à Detroit (Michigan).
La fusion va leur apporter de plus
grandes marges de manœuvre. »
Une grande question demeure
concernant ce mariage, c’est celle
de son coût social. Car derrière le
mot de synergies, il y a l’objectif
de faire autant, voire plus, avec
moins. Moins d’argent, moins de
matériel, moins de personnel.
Carlos Tavares a démontré qu’il
du numéro un des ventes du nou­
veau groupe (et « vache à lait » de
FCA) ont commencé de s’électri­
fier. Peugeot – l’aînée des marques
de Stellantis – s’est composé une
gamme solide et rentable, au point
de tenir la dragée haute à Volkswa­
gen sur certains segments.
Promesse
Il n’est pas acquis que ce sera suffi­
sant pour assurer son retour
outre­Atlantique. Citroën, qui a
surmonté un passage à vide, n’est
plus en position précaire, de
même que Ram, qui surfe sur le
succès ininterrompu des pick­up
aux Etats­Unis. Outre Fiat, qui va
enfin lancer une nouvelle Punto
(inspirée de la Peugeot 208), Mase­
« Ce type d’union
fonctionne quand
vous arrivez
à produire plus
de véhicules sur
une même ligne »
LAURENT PETIZON
directeur pour la France
du cabinet AlixPartners
était passé maître dans l’art
d’abaisser le « point mort » de ses
sites. Mais ce fut au prix d’une ré­
duction des effectifs d’environ
20 000 personnes en sept ans.
Sans qu’aucune usine n’ait été fer­
mée, il est vrai. Les deux minis­
tres, M. Le Maire et M. Patuanelli,
ont bien insisté sur le fait que « les
gouvernements français et italien
veilleront à ce que Stellantis con­
tribue à l’emploi industriel en Italie
et en France. » « Ce projet est néces­
saire, et il nous a été garanti qu’il se
ferait sans fermeture d’usine, pré­
cise Olivier Lefebvre, délégué syn­
dical central Force ouvrière, le
premier syndicat de PSA, mais il
rati, seul constructeur de luxe au
sein de Stellantis, peut espérer
trouver les moyens de rebondir.
Cela pourrait aussi être le cas
d’Alfa Romeo. Jouissant d’une aura
internationale mais incapable de
suivre le rythme de renouvelle­
ment imposé par ses concurrents
allemands, la firme au trèfle à
quatre feuilles court après son glo­
rieux passé. La mobilisation de
moyens importants que nécessi­
tera ce pari risque de se faire au
détriment de la jeune marque DS.
Détachée de Citroën en 2014,
celle­ci devait imposer PSA sur le
marché du premium, principale­
ment en Chine, mais hormis un
succès relatif sur le marché fran­
çais, son bilan est très décevant.
| 15
doit aussi s’accompagner d’une
ambition sociale forte. »
Du côté des salariés français,
monte aussi l’angoisse de ne plus
peser comme avant dans un
groupe dont le centre de gravité va
se déplacer vers l’Italie et vers les
Etats­Unis, et dont le siège se trou­
vera à Amsterdam (Pays­Bas).
Mais la plus grosse inquiétude so­
ciale concerne le faible niveau
d’activité dans les usines du
groupe Fiat. Une question qui, pa­
radoxalement, angoisse peut­être
plus en France qu’en Italie, et que
l’on pourrait résumer ainsi : on va
déshabiller les sites français qui
tournent à plein pour mettre du
volume dans les usines italiennes.
La préoccupation est d’autant
plus grande que Stellantis risque
de ne pas avoir de marge de
manœuvre en Italie, où Fiat a con­
tracté un « prêt Covid­19 » garanti
par l’Etat à hauteur de 6 milliards
d’euros. La critique est relayée par
le fonds d’investissement Phi­
trust, qui détient moins de 1 % du
capital de PSA et fustige, depuis
l’annonce de la fusion, un man­
que d’« équilibre entre les parties »
au profit des Italo­Américains. 
éric béziat
On peut légitimement s’interro­
ger sur le devenir de DS. De son
côté, Chrysler souffre de la désaf­
fection pour les berlines et les mo­
nospaces alors que Dodge, ex­
pression identitaire de la voiture
américaine surpuissante, paraît
mal armé face au durcissement
général des normes environne­
mentales. La promesse de Carlos
Tavares, qui assure que toutes ces
marques trouveront leur place,
pourrait ne pas faire bon ménage
avec une autre de ses convictions.
Selon l’homme fort de Stellantis,
la survie du groupe dépendra
d’abord de sa capacité à s’adapter
à la « période darwinienne » que
traverse l’automobile. 
jean­michel normand
 0123
16 | économie & entreprise MERCREDI 6 JANVIER 2021

Covid­19 : le télétravail taire général de la CFDT. « N’étant

pas partisan du télétravail à 100 %,
j’accueille plutôt favorablement
les propos de la ministre », pour­
également été abordée. « Plu­
sieurs fédérations professionnelles
ont fait entendre leur voix pour
que leurs adhérents, dans le sec­
LES CHIFFRES

à 100 % va être assoupli

suit Cyril Chabanier, le président
de la CFTC. Des questions subsis­
tent cependant, à ses yeux, no­
tamment parce que le feu vert du
patron pour passer au télétravail
Dès jeudi 7 janvier, les salariés pourront revenir dans à 80 % sera requis. « Il faudra
veiller à organiser des roulements
l’entreprise un jour par semaine, s’ils le demandent de manière à éviter un afflux de sa­
lariés, sur certains jours », insiste
Michel Beaugas, secrétaire confé­
déral de Force ouvrière. « Un jour
teur du commerce notamment,
puissent ouvrir le dimanche, après
la période des fêtes de fin d’année,
rapporte Mme Borne. J’ai indiqué
que je ne redonnerai pas d’instruc­
tion en ce sens aux préfets, comme
je l’avais fait à la fin novembre. »
Cela étant, les services décon­
centrés de l’Etat et les maires ont
la faculté d’accorder aux em­
ployeurs des dérogations à la rè­
27 %
C’est la proportion des salariés
qui, en novembre 2020, ont
exercé leur activité profession-
nelle à distance, au moins un jour
par semaine, contre 19 % en oc-
tobre, selon la Dares – la direc-
tion chargée des études au minis-
tère du travail. Cette hausse s’est
produite après le reconfinement

L
e télétravail à 100 % « par­
tout où c’est possible » ne
va plus être réclamé aux
employeurs et à leurs
personnels. A partir du jeudi
7 janvier, les salariés qui, jusqu’à
présent, accomplissaient toutes
leurs tâches à distance, pourront
revenir dans l’entreprise un jour
par semaine, s’ils le demandent.
La ministre du travail, Elisabeth
Borne, a confirmé cette décision,
lundi 4 janvier, lors d’une réu­
nion avec les partenaires so­
ciaux, en visioconférence. L’hy­
pothèse de consignes moins
strictes avait déjà été évoquée dès
la mi­décembre 2020, mais la
date, tout comme les comme les
modalités d’un tel aménage­
ment, étaient incertaines.
A la fin octobre 2020, l’exécutif
avait exigé le recours au télétra­
vail à plein temps, pour toutes les
fonctions où ce type d’organisa­
tion est applicable. Il s’agit d’une
« obligation », avait alors martelé
Mme Borne, l’objectif étant de
combattre la propagation du
coronavirus en réduisant les­
interactions entre individus et les
male », confie Mme Borne au
Monde. Dans un entretien au
Journal du dimanche du 3 janvier,
elle avait fait état d’« études »
montrant que « plus de six sala­
riés sur dix en télétravail à 100 %
depuis novembre souhaitent reve­
nir dans l’entreprise au moins une
journée par semaine ». « Plus de la
moitié disent souffrir d’isolement,
avait­elle ajouté. Nous devons
l’entendre. »
« Une bonne nouvelle »
Le « protocole national pour assu­
rer la santé et la sécurité » des tra­
vailleurs va donc, une fois de plus,
être réécrit afin de permettre le
« télétravail à 80 % » (quatre jours
sur cinq dans une semaine). La
nouvelle version de ce document
devrait être diffusée mercredi
6 janvier. Toutefois, le gouverne­
ment tient à ce que l’activité à dis­
tance continue d’être utilisé à
haute dose, afin de ralentir la cir­
culation du SARS­CoV­2.
L’arbitrage officialisé lundi soir
est « plutôt positif », confie Geof­
froy Roux de Bézieux, le prési­
dent du Medef. « On sent bien
d’entreprise s’appuient sur l’ac­
cord national interprofessionnel
(ANI) conclu fin novembre par les
partenaires sociaux, « afin de né­
gocier au plus près du terrain, sous
réserve que la situation sanitaire
le permette ». La décision de
Mme Borne se situe dans « l’esprit
de ce que nous voulions garder »,
commente François Asselin, le
numéro un de la Confédération
des petites et moyennes entrepri­
ses : le retour du salarié un jour
par semaine « s’effectuera dans le
dialogue social, avec l’accord de
l’employeur », note­t­il.
Du côté des syndicats, les réac­
tions sont contrastées. « C’est une
bonne chose, à condition qu’on ne
revienne pas dessus dans huit
jours pour des raisons sanitaires »,
déclare Laurent Berger, le secré­
par semaine, ça ne veut rien dire,
juge François Hommeril, le leader
de la CFE­CGC. Il faut faire con­
fiance aux partenaires sociaux
dans les entreprises qui sont capa­
bles de s’adapter. »
Durant la réunion de lundi, la
question du travail dominical a
« On sent bien
qu’au bout d’un
certain temps
il y a un risque
d’isolement
clair »
GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX
président du Medef
gle du repos dominical, comme le
rappelle la ministre. « Grâce à ces
procédures de droit commun et
après concertation locale, des
commerces seront autorisés à re­
cevoir des clients le dimanche,
explique­t­elle. Dans la majorité
des cas, il s’agira des deux derniers
dimanches de janvier, pendant la
période des soldes. »
Une perspective qui n’emballe
pas tous les syndicats, notam­
ment la CFTC et FO. « Nous som­
mes en désaccord », dit M. Beau­
gas, en mettant en avant la
charge infligée aux salariés du
commerce qui, en décem­
bre 2020, ont déjà été mobilisés
le dimanche et ont fait des heures
supplémentaires. 
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel
décidé à la fin octobre.
44 %
C’est la proportion des personnes
placées en télétravail qui l’ont été
tous les jours de la semaine (soit
12 % de l’ensemble des salariés) ;
40 % entre deux et quatre jours
par semaine (11 % des salariés).
59 %
C’est la proportion des tra-
vailleurs qui se trouvaient à leur
poste en entreprise durant la se-
maine du 23 novembre, après
65 % fin octobre. « Les salariés sur
site sont près de deux fois plus
nombreux que lors du premier
confinement », précise la Dares
(32 % fin avril et 27 % fin mars).

déplacements dans les transports
en commun.
Aujourd’hui, le pouvoir accepte
de lâcher un peu de lest. « C’est un
TIME TO CHANGE*
qu’au bout d’un certain temps, il y
a un risque d’isolement clair, ob­
serve­t­il. Cette journée de sou­
pape, comme l’a qualifiée la minis­

NOUVEAU 3008
léger assouplissement, qui répond tre, est donc une bonne nouvelle. »
aux salariés exprimant le besoin Pour la suite, le « patron des pa­
de retrouver une vie sociale mini­ trons » souhaite que les chefs

PERTES & PROFITS | AMAZON
HYBRIDE RECHARGEABLE
pa r p h i l i p p e e s ca nde

La difficile réforme
de la santé américaine
A eux trois, ils emploient 1,5 mil­
lion de personnes aux Etats­
Unis. Amazon, JPMorgan et
Berkshire Hathaway comptent
parmi les entreprises les plus
puissantes du pays. Quand ils
ont annoncé, en 2018, la consti­
tution d’une société commune
destinée à réformer la couver­
ture santé de leurs employés
pour un coût faible et une bonne
qualité de service, les actions des
grandes compagnies spécialisées
du pays ont dégringolé à Wall
Street. Les trois hommes d’affai­
res les plus prestigieux du pays,
Jeff Bezos, Jamie Dimon et War­
ren Buffett, allaient enfin créer la
rupture dans le système réputé
l’un des plus chers et des moins
efficaces au monde.
Trois ans après, les protagonis­
tes tirent brutalement le rideau
sur leur ambition commune. La
société sera fermée le mois pro­
chain. Jamie Dimon a beau affir­
mer qu’il s’agissait plutôt d’un
incubateur d’idées qui a apporté
des enseignements inestimables,
c’est bel et bien un échec cin­
glant. Aucun des trois acteurs
ne s’est épanché sur les raisons
de cet abandon, alors que, plus
que jamais, la santé est au cœur
des préoccupations des citoyens
américains.
Ce système morcelé entre d’in­
nombrables acteurs privés et pu­
blics coûte près de 3 500 milliards
de dollars chaque année, soit près
de 17 % du produit intérieur brut
(PIB) américain (le coût est de 11 %
du PIB en Europe) pour des résul­
tats médiocres en matière d’espé­
rance de vie et d’égalité de traite­
ment. L’initiative privée a échoué
à résoudre un problème d’intérêt
général. Les trois entreprises ont
vite divergé sur leurs besoins spé­
cifiques, très différents, entre un
marchand, un banquier et un
conglomérat financier et indus­
triel. Elles ont gardé et développé
leur propre système plutôt que
de le fusionner.
Système avantageux
De plus, le management du pro­
jet a été confié à un ponte de
l’université Harvard, le chirur­
gien Atul Gawande, auteur de
best­sellers et chroniqueur au
New Yorker. Peut­être pas le
profil idéal pour gérer un pro­
gramme aussi complexe. Il a
quitté le navire en mai 2020 pour
conseiller le candidat Joe Biden
sur la crise liée au Covid­19.
D’autres dirigeants sont égale­
ment partis de la structure.
Finalement, Jeff Bezos, l’infati­
gable patron d’Amazon, préfère
développer sa propre activité
dans ce domaine. Ses employés
dans l’Etat de Washington bénéfi­
cient d’un système avantageux
avec téléconsultations de méde­ À PARTIR DE 29 G DE CO2/KM**
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l’extérieur. A commencer par la
pharmacie, l’un de ses plus im­
59 KM D’AUTONOMIE EN 100 % ÉLECTRIQUE
portants paris du moment. Après
avoir racheté en 2018 le pharma­
cien en ligne PillPack, il a lancé,
en novembre 2019, son propre
service de vente de médicaments.
Avec la puissance d’achat de ses
centaines de millions de clients,
il négocie sans intermédiaire
avec les laboratoires pharmaceu­
tiques, promettant de fortes bais­
ses de prix. Pour le reste, c’est­à­
dire l’architecture nationale d’un
système à revoir en profondeur, * Il est temps de changer.
c’est au président élu, Joe Biden, (1) Les valeurs de consommation de carburant, d’émissions de CO2 et d’autonomie indiquées sont conformes à la procédure d’essai WLTP sur la base de laquelle sont réceptionnés
les véhicules neufs depuis le 01/09/2018. Cette procédure WLTP remplace le cycle européen de conduite (NEDC) qui était la procédure d’essai utilisée précédemment. Les conditions
que reviendra cette tâche hercu­ d’essai étant plus réalistes, la consommation de carburant et les émissions de CO2 mesurées selon la procédure WLTP sont, dans de nombreux cas, plus élevées que celles mesurées
léenne qui a déjà bien occupé ses selon la procédure NEDC. Les valeurs de consommation de carburant, d’émissions de CO2 et d’autonomie peuvent varier en fonction des conditions réelles d’utilisation et de
prédécesseurs Barack Obama
et Donald Trump. 
 0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
France Télévisions : un virage éditorial à petits pas
L’information et les émissions autour du bien­être seront mises à l’honneur sur les antennes du groupe
A
France Télévisions,
l’heure de transformer
les promesses édito­
riales de Delphine Er­
notte, sa présidente, en émissions
récurrentes a sonné. A partir du
25 janvier, une petite dizaine de
nouveaux rendez­vous verront le
jour sur les antennes du groupe
public, ainsi que l’annonce Sté­
phane Sitbon­Gomez, ce mardi
5 janvier. Le directeur des pro­
grammes et des antennes reven­
dique s’être également inspiré
des remarques formulées par les
téléspectateurs lors de la consul­
tation citoyenne lancée par les
médias publics à l’automne 2020.
« Nous en avons retenu trois
grands enseignements, explique­
t­il. Leurs attentes du service pu­
blic sur l’information, le désir
d’une télévision plus sensible, et
l’envie de culture et de connaissan­
ces au sens large. »
« Nous avons un rôle dans la fa­
brique de la démocratie », con­
firme Laurent Guimier, directeur
différents facteurs, tels que : la fréquence de recharge, le style de conduite, la vitesse, les équipements spécifiques, les options, les types de pneumatiques, la température extérieure
et le confort thermique à bord du véhicule. Veillez à vous rapprocher de votre point de vente pour plus de renseignements. Plus d’informations sur peugeot.fr. *** De série, en option ou
indisponible selon version.
Consommation mixte WLTP (1) (en l/100 km) : de 1,2 à 1,4 ; **Émissions de CO2 WLTP (en g/km) : de 29 à 32.
de l’information du groupe audio­
visuel public. A dix­huit mois de
l’élection présidentielle, l’enjeu
est de taille, d’autant que les chaî­
nes d’info comme les réseaux so­
ciaux ont changé la donne pour la
télévision traditionnelle. « Le fait
qu’un président de la République
aille sur Brut, ou qu’un leader poli­
tique comme Jean­Luc Mélenchon
soit sur Snap doit nous interpeller.
Il faut en tenir compte », reconnaît
Laurent Guimier, assurant que le
service public travaille sur ces
nouveaux modes de narration,
sur TikTok notamment.
Même si son émission politique
« Vous avez la parole » patine, le
groupe ne veut pas négliger les
prochaines élections régionales et
départementales de 2021, avant la
présidentielle de 2022. « On veut
être capables de réagir comme on
l’a fait sur l’élection américaine
avec une soirée dédiée », indique le
directeur de l’info. En attendant,
les collaborations avec Radio
France se renforcent. Exemple le
plus emblématique : une déclinai­
son d’« Affaires sensibles », l’émis­
sion de France Inter sur les gran­
des affaires de l’histoire récente,
appelée à remplacer « Pièces à con­
viction », sur France 3. « L’émission
sera mensuelle, avec un engage­
ment, celui de sortir de l’informa­
tion », promet Laurent Guimier,
désireux de démentir ses détrac­
teurs qui l’avaient accusé de sacri­
fier l’investigation en supprimant
le célèbre magazine de la Trois.
L’animation de l’émission sera
confiée à Fabrice Drouelle, qui offi­
cie déjà sur France Inter.
Mouvement de grève à France 2 et France 3
La fabrication des journaux de France 2 et France 3 a été légère-
ment compliquée, lundi 4 janvier, par un mouvement de grève
principalement suivi par des monteurs et des journalistes de la
Trois. Les syndicats CGT, FO, SNJ, CFDT, UNSA, SNPCA et CFE-
CGC dénoncent « le licenciement scandaleux des illustrateurs
sonores » des éditions et des magazines d’information, qui
ornent les images de sons et de musiques. D’une durée illimitée,
le mouvement devait se poursuivre, mardi 5 janvier.
économie & entreprise | 17
Aussi sur la feuille de route de
Laurent Guimier, le « journalisme
de construction », évoqué par Del­
phine Ernotte lors de sa candida­
ture à son renouvellement et sou­
vent vu comme une façon de taire
les sujets qui fâchent pour privilé­
gier le consensuel. « Il ne s’agit pas
de donner des bonnes nouvelles,
c’est tout le contraire », défend le di­
recteur de l’info face à ce concept
souvent vu comme une façon de
taire ce qui fâche pour privilégier
le consensuel. « Quand on est jour­
naliste, on a une vision jacobine et
politique de la société, que l’Etat fait
et que le peuple suit. Mais la jeune
génération s’organise et il faut être
là où cela se fait », explique le pa­
tron de l’info, qui mise sur les ré­
dactions régionales pour faire re­
monter des initiatives locales.
« Elargir le public »
Pour sa première rentrée, Sté­
phane Sitbon­Gomez, qui a pris
ses fonctions en septembre 2020,
n’a pas voulu « bouleverser la struc­
ture des grilles de programmes »,
mais miser sur de nouveaux visa­
ges, parfois représentatifs de la
« diversité » chère à Delphine Er­
notte. Les nouvelles émissions
prennent place dans des cases peu
exposées. France 5 accueille la pro­
position éditoriale la plus forte
avec, chaque jour en deuxième
partie de soirée, « C ce soir », que
présentera Karim Rissouli (le pré­
sentateur de « C Politique »), dans
la lignée des émissions signatures
de la télévision publique telles que
« Ce soir (ou jamais !) », de Frédéric
Taddeï, ou le « Cercle de minuit »,
créé en 1992 par Michel Field et
Laure Adler, qui en sera l’une des
figures récurrentes. Autre propo­
sition quotidienne sur France 5 :
« C Jamy », présentée par Jamy
Gourmaud (« C’est pas sorcier ») et
inspirée des pastilles consacrées
au savoir que l’animateur propose
avec succès sur YouTube.
L’offre du week­end se trouve
renforcée par trois nouveaux ma­
gazines résolument tournés vers
le bien­être. Le premier, « Bel et
Bien », s’annonce comme une dé­
Natixis va céder ses parts
dans H2O aux dirigeants
du fonds spéculatif
La banque française se désengage
de la société de gestion d’actifs, en difficulté
L es déboires de H2O, une so­
ciété de gestion d’actifs re­
vendiquant son goût pour
le risque, détenue à 50,01 % par
Natixis, avaient fini par écorner
l’image du groupe bancaire fran­
çais. Natixis, filiale cotée du
groupe mutualiste Banque popu­
laire­Caisse d’épargne (BPCE), qui
réunit notamment ses activités
de marché et la gestion d’actifs,
avait annoncé, le 5 novem­
bre 2020, son souhait de sortir du
capital de son hedge fund (« fonds
spéculatif »). L’affaire est désor­
mais bien engagée.
« Nous avons convenu avec la di­
rection [de H2O] que nous nous sé­
parerions à l’amiable, en accord
total, la direction achetant notre
participation », a déclaré, lundi
4 janvier, le directeur général de
Natixis Investment Managers,
Jean Raby, à la chaîne d’informa­
tion financière Bloomberg TV.
Cette opération « est soumise à
l’approbation du régulateur », a
ajouté le dirigeant.
La direction de la société de ges­
tion, emmenée par le gérant star
Bruno Crastes, a fait sa réputation
en attirant, pendant près de dix
ans, les investisseurs sur son seul
nom. Le financier a créé H2O à
Londres, en 2010. Il vient alors de
quitter le Crédit agricole, où il a
monté une gamme de fonds à suc­
cès, jusqu’à ce que survienne la
crise de 2008. Il s’appuie sur Na­
tixis pour lancer sa nouvelle bouti­
que. Des années durant, H2O en­
chaîne les performances. H2O
Multibonds affiche même un gain
de 485 % entre 2012 et 2019, selon
les calculs de Cyrille Chartier­Kast­
ler, fondateur de Facts & Figures,
un cabinet de conseil en stratégie
spécialisé dans l’assurance.
clinaison de « Grand bien vous
fasse ! », l’émission d’Ali Rebeihi
sur France Inter, et sera diffusé le
samedi matin sur France 2. Le sa­
medi à 20 heures, France 3 mettra
ses téléspectateurs devant les four­
neaux de Mory Sacko, réputé mê­
ler l’Afrique et le Japon dans les as­
siettes (« Cuisine ouverte »). Le di­
manche à 17 heures, Michel Cymes
traitera de santé avec légèreté dans
« Antidote ». Enfin, le samedi à
14 heures verra le retour sur le ser­
vice public des faits divers, « Faites
entrer l’accusé » ayant été soufflé à
France 2 par RMC Story il y a un an.
« Au bout de l’enquête », présenté
par Marie Drucker, mettra en lu­
mière des affaires résolues grâce à
des nouvelles techniques d’inves­
tigation (humaines ou technologi­
ques). Autant de magazines dont
les thématiques, prisées par les ac­
tifs, visent à « élargir le public » re­
lativement âgé de France Télévi­
sions, espère M. Sitbon­Gomez.
France 4 devrait quant à elle pro­
poser des émissions d’informa­
tion et d’autres consacrées au
bien­être au cours des prochains
mois. Condamnée à disparaître à
l’été, la chaîne jeunesse a vu son
audience chuter de 8,3 % de part
d’audience en 2019 à 5,8 %
en 2020, celle des autres chaînes
progressant légèrement ou res­
tant relativement stable. Chaque
jour de 2020, France Télévisions a
globalement réuni 28,8 % des té­
léspectateurs de 4 ans et plus. 
sandrine cassini
et aude dassonville
Les premières secousses appa­
raissent en juin 2019, lorsque le Fi­
nancial Times (FT) dénonce dans
un article les liens étroits entre
H2O et le fonds de capital­inves­
tissement d’un homme d’affaires
allemand controversé, Lars Wind­
horst, visé dans le passé par plu­
sieurs procédures judiciaires. La
boutique de gestion H2O Asset
Management a abondamment
investi dans des obligations émi­
ses par plusieurs sociétés dont M.
Windhorst est actionnaire.
Début de panique
Ces titres ne sont pas liquides, ils
ne peuvent donc pas être vendus
rapidement, alors que les fonds
de H2O sont supposés être
« ouverts », afin que les clients
puissent à tout moment récupé­
rer leur argent. Un début de pani­
que chez les investisseurs provo­
que des retraits massifs, de quel­
que 8 milliards d’euros, sur un to­
tal de 34 milliards d’encours.
De profondes difficultés ont de
nouveau secoué H2O à l’été 2020.
En août, la société de gestion a dû
suspendre temporairement les
souscriptions et les demandes de
rachat de parts de plusieurs de ses
fonds, à la demande de l’Autorité
des marchés financiers (AMF). Le
gendarme boursier français a for­
mulé des doutes sur la valorisa­
tion des fonds concernés. Ces tur­
bulences ont contribué au départ
du patron de Natixis, François
Riahi. La banque prend alors le
parti de se désengager de H2O et
n’a pas d’autre choix que de céder
ses parts aux fondateurs de la
boutique, qui, fin septem­
bre 2020, ne gérait plus que quel­
que 20 milliards d’euros. 
véronique chocron

18 | économie & entreprise
Nord Stream 2: les Etats­Unis amplifient les sanctions
Le chantier du gazoduc est presque terminé, mais de nouvelles contraintes pourraient y mettre un terme
E
st­ce un coup fatal porté
au chantier gazier le
plus controversé d’Eu­
rope ? En votant, ven­
dredi 1er janvier, le budget de la
défense des Etats­Unis, le Sénat
américain a renforcé les sanc­
tions de Washington contre Nord
Stream 2, le gazoduc qui doit re­
lier la Russie à l’Allemagne et
dont la construction est termi­
née à 94 %.
La mention de cette nouvelle
batterie de mesures est passée re­
lativement inaperçue dans la ba­
taille parlementaire ; il ne s’agit
que de quelques lignes dans un
texte qui répartit 740 milliards
de dollars (605 milliards d’euros)
de dépenses militaires, adopté
dans un contexte tendu entre le
Congrès et le président Donald
Trump.
Ce gazoduc de 1 200 kilomètres
de long doit acheminer 55 mil­
liards de mètres cubes de gaz par
an en Europe et devait être initia­
lement terminé fin 2019. Le
tuyau doit être exploité par le
géant russe Gazprom, mais il est
cofinancé par cinq groupes euro­
péens, dont le français Engie,
pour un coût total de 9,5 mil­
liards d’euros.
Depuis son origine, il est sou­
mis à de vives critiques, à l’inté­
rieur et à l’extérieur de l’Union
européenne (UE). Plusieurs pays,
notamment la Pologne, accusent
la Russie de chercher à accentuer
sa mainmise gazière sur le Vieux
Continent. Le projet est égale­
ment perçu comme une mesure
de rétorsion politique de la part
du président russe, Vladimir
Poutine, vis­à­vis de l’Ukraine,
par où transite aujourd’hui la
majorité du gaz importé de Rus­
sie. Et officiellement, c’est pour
cette raison que les Etats­Unis s’y
opposent.
Au Congrès des Etats­Unis, dé­
mocrates et républicains sont ali­
gnés sur cette question : ils
voient dans le projet une aug­
mentation de la dépendance
européenne au gaz russe. Mais
Washington considère égale­
ment que les Européens de­
vraient privilégier l’achat de gaz
américain : la très forte crois­
sance du gaz de schiste ces vingt
dernières années a conduit à une
production faramineuse.
De premières sanctions améri­
caines, prises en 2019, avaient
déjà porté un sérieux coup d’arrêt
au chantier. En visant spécifique­
ment le navire suisso­néerlandais
Le cognac frappé par les taxes punitives américaines
L’extension de la surtaxe de 25 %, qui touche déjà les vins français, entrera en vigueur le 12 janvier
A quelques jours de la fin
de sa mandature, Do­
nald Trump a tiré une
nouvelle salve contre la filière
des vins et spiritueux français.
En ligne de mire : le cognac. Le
couperet de l’annonce d’une ex­
tension de la surtaxe de 25 %, qui
frappe déjà les vins français, au
vin en vrac, aux rouges titrant
plus de 14,5 ° et aux eaux­de­vie à
leur entrée sur le territoire amé­
ricain est tombé jeudi 31 décem­
bre 2020. Elle entrera en vigueur
à compter du 12 janvier. Seul le
champagne échappe encore à
l’ire américaine.
Cette décision liée à l’intermina­
ble contentieux opposant les
Etats­Unis et l’Europe sur le litige
entre Boeing et Airbus au sujet
des aides d’Etat a provoqué une
réaction immédiate de la Fédéra­
tion des exportateurs de vins et
spiritueux (FEVS). Son président,
César Giron, l’a qualifiée de « coup
de massue », avant d’ajouter : « Ces
sanctions viennent frapper l’en­
semble de la filière française des
vins et spiritueux. Nos entreprises
Démocrates
et républicains
voient dans
le projet une
augmentation
de la dépendance
européenne
au gaz russe
qui pose les tuyaux, elles avaient
bloqué les travaux, qui n’ont re­
pris qu’en décembre 2020.
Les nouvelles mesures sont
plus larges, et visent notamment
toutes les entreprises qui propo­
sent « des services de tests, d’ins­
pection ou de certification néces­
saires ou essentiels à l’achèvement
ou à l’exploitation du gazoduc
Nord Stream 2 ».
Faiblesse des Européens
Là aussi, la formulation est assez
précise, et cible en creux des en­
treprises européennes qui se sont
déjà engagées dans ces processus.
C’est par exemple le cas du
groupe norvégien DNV GL, qui
devait certifier la conformité du
tuyau. Il a déjà fait savoir, après le
vote américain, qu’il ne travaille­
rait plus sur le projet. « Sans certi­
fication, les assureurs ne suivront
pas, ce qui met en péril la mise en
service du gazoduc », explique
Marc­Antoine Eyl­Mazzega, di­
recteur du Centre Energie & Cli­
mat de l’Institut français des rela­
tions internationales.
« Je suis heureux que la loi sur le
budget de la défense augmente la
portée des activités sous sanctions
pour empêcher l’achèvement du
gazoduc », expliquait, en décem­
bre 2020, le sénateur républicain
de l’Idaho Jim Risch, pour qui ces
sanctions sont « des outils impor­
tants pour contrer l’influence né­
faste de la Russie ».
Le texte ne s’embarrasse pas de
diplomatie : il prévoit simple­
ment que les Etats­Unis devront
informer leurs partenaires de la
mise en œuvre de ces sanctions…
qui vont pourtant concerner des
entreprises européennes sur le
sol européen. Une rédaction qui
révèle la faiblesse des Vingt­Sept
sur le sujet. « L’UE fait le service
minimum, mais tout ça est très
convenu parce que les Européens
sont démunis face aux sanctions
américaines », analyse Marc­An­
toine Eyl­Mazzega.
sont victimes d’un conflit qui nous
est étranger et qui relève d’une né­
gociation entre Etats. »
La première attaque remonte au
18 octobre 2019, après de multi­
ples menaces proférées par
M. Trump. A cette date, les vins
français sans bulles en bouteille
ont subi une taxe de 25 % pour ob­
tenir leur visa d’exportation vers
les Etats­Unis. La sanction a été re­
nouvelée le 15 février, puis le
13 août 2020. Une décision très
préjudiciable à la filière viticole
hexagonale.
Marchés tendus par le Covid-19
Selon la FEVS, sur les dix premiers
mois de 2020, les exportations de
bourgognes, bordeaux, rosés de
Provence ou autres vins du Lan­
guedoc ont vu leur niveau chuter
de 25 % comparé à la même pé­
riode de 2019, et atteindre
740 millions d’euros. Soit une
perte estimée, dans ce laps de
temps, à près de 250 millions
d’euros. Sachant que, de janvier à
octobre inclus, les ventes totales
de vins et spiritueux français
Le bâtiment « Audacia », en novembre 2018, en mer Baltique, installe les conduits pour Nord Stream 2. DPA/ABC/ANDIA.FR
L’imminence de ces sanctions
suscite depuis des mois l’ire de
Berlin, qui voit ces mesures extra­
territoriales comme une viola­
tion de souveraineté. « Le gouver­
nement allemand ne changera pas
d’avis au sujet de Nord Stream 2,
assurait le ministre des affaires
étrangères, Heiko Maas, fin dé­
cembre. Nul besoin de parler de
souveraineté européenne si cela
doit signifier qu’à l’avenir nous
n’agirons que selon la volonté de
Washington. »
Riposte désordonnée
Mais la riposte européenne appa­
raît pourtant désordonnée et dis­
crète : à l’été 2020, Josep Borrell,
le haut représentant de l’UE pour
les affaires étrangères, avait quali­
fié les sanctions américaines
d’« inacceptables » et de « contrai­
res à la loi internationale », sans
que cela soit suivi d’effet.
D’autant que plusieurs pays,
comme la Pologne ou le Dane­
mark, opposés au gazoduc, ne
se pressent pas pour condamner
les sanctions américaines. En
hors des frontières ont reculé de
18 %, à 9,8 milliards d’euros.
Il est vrai que la pandémie de
Covid­19 a aussi contribué à ten­
dre les marchés. La fermeture des
bars et des restaurants aux quatre
coins de la planète, comme la
chute drastique des transports
aériens, et donc de la fréquenta­
tion des duty free, ont fortement
perturbé l’écoulement des fla­
cons sur le plan mondial.
Le cognac n’a pas échappé aux
aléas du coronavirus. La précieuse
eau­de­vie charentaise, dont le né­
goce est entre les mains de grou­
pes puissants à l’image de LVMH,
Pernod Ricard ou Rémy Cointreau,
avait bouclé, en 2019, une année
record, engrangeant un chiffre
d’affaires évalué à 3,6 milliards
d’euros, essentiellement lié aux
exportations. La menace d’une
taxation américaine avait incité
les distributeurs américains à faire
des emplettes. Avec l’apparition de
la pandémie en Chine, la filière co­
gnac avait anticipé une baisse de
20 % de son activité sur l’ensemble
de l’année 2020. « Mais le mois de
Golfe
de Botnie
NORVÈGE
Nord Stream
SUÈDE
Nord Stream 2
Bornholm
(DAN.)
DANEMARK Mer
Baltique
KALININGRAD
(RUSSIE)
Greifswald
ALLEMAGNE POLOGNE
Portion en construction
France, le président Emmanuel
Macron entretient une forme
d’ambiguïté sur la question. Il
avait ainsi souligné en août 2020
avoir toujours eu « des réserves »
sur ce projet.
Pour la chancelière allemande,
Angela Merkel, Nord Stream 2 est
au contraire un pilier important
de sa politique énergétique : le
novembre a été historique, et nos
ventes reculent finalement de 12 %
de janvier à novembre, sur l’ensem­
ble des marchés », explique Jean­
Bernard de Larquier, membre du
Bureau national interprofession­
nel du cognac (BNIC).
La filière cognac a toutefois
senti le danger de la taxation
américaine en novembre. Au mo­
ment même où l’Union euro­
péenne envisageait de répliquer
aux Etats­Unis en imposant à son
tour des taxes sur des produits
De janvier à
octobre 2020, les
ventes totales de
vins et spiritueux
français hors des
frontières ont
reculé de 18 %,
à 9,8 milliards
d’euros
FINLANDE
Vyborg
Saint-
Pétersbourg
Oust-Louga
ESTONIE
RUSSIE
LETTONIE
LITUANIE
BIÉLORUSSIE
200 km
pays sort progressivement du nu­
cléaire et a entamé la fermeture
de ses centrales à charbon, et va
avoir besoin de gaz.
Le consortium mené par Gaz­
prom refuse de commenter les
nouvelles sanctions mais assure
que le projet ira à son terme. C’est
également la ligne défendue à
Moscou. « Ceux qui veulent que ce
américains importés. Les acteurs
des vins et spiritueux ont de­
mandé au gouvernement de sur­
seoir en attendant l’arrivée de
l’administration de Joe Biden. Un
appel resté vain. Le 9 novembre,
l’Europe soumettait bourbon,
rhum, vodka ou vermouth améri­
cains à des droits additionnels de
25 %. Les représailles américaines
n’ont pas tardé.
Dans ce contexte, la FEVS ap­
pelle « les autorités françaises et
européennes à engager des dis­
cussions avec le futur président
américain, afin de trouver une so­
lution à ce conflit », et, dans l’in­
tervalle, de « suspendre les sanc­
tions appliquées de part et d’autre
de l’Atlantique ».
Le gouvernement français a
réagi en condamnant la décision
des Etats­Unis jugée « illégitime »
et en affirmant vouloir accompa­
gner les filières touchées par ces
sanctions supplémentaires. Une
réunion avec les représentants du
secteur viticole devrait se tenir
jeudi 7 janvier. 
laurence girard
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
projet soit réalisé, à savoir les pays
et les entreprises européennes, le
soutiennent. Je suis certain que,
grâce à ce soutien, le projet sera
mis en œuvre », a assuré, lundi, le
vice­premier ministre russe,
Alexandre Novak.
Mettre en avant le soutien des
Européens est « habile », estime
Céline Bayou, chercheuse asso­
ciée au Centre de recherches Eu­
ropes­Eurasie, à l’Institut national
des langues et civilisations orien­
tales : « Moscou renvoie ainsi Amé­
ricains et Européens dos à dos et
joue de leurs éventuelles bisbilles. »
Selon elle, ces sanctions améri­
caines ne sont « pas un point fi­
nal » : « Les intérêts des uns et des
autres sont assez complexes pour
que chacun finisse par trouver un
compromis. » Plus pessimiste,
Mikhaïl Kroutikhin, expert russe
des questions énergétiques à
l’Agence RusEnergy, est quant à
lui convaincu que le projet ne
verra pas le jour tant que ces sanc­
tions ne seront pas levées. 
faustine vincent
et nabil wakim
F INA NCE
La Bourse de New York
renonce à retirer trois
groupes chinois de la cote
Le New York Stock Exchange
est revenu, lundi 4 janvier,
sur sa décision de retirer de la
cote trois sociétés chinoises
du secteur des télécoms
contrôlées par Pékin, après
« des consultations poussées
avec les autorités de régula­
tion compétentes ». Cette dé­
cision avait été prise après un
décret présidentiel du 12 no­
vembre 2020 interdisant les
transactions sur des entrepri­
ses accusées d’être mêlées au
développement du complexe
militaire chinois. – (AFP.)
Crédit agricole abonde le
fonds d’investissement
aéronautique
Le groupe Crédit agricole a
indiqué, mardi 5 janvier, avoir
investi 100 millions d’euros
dans le fonds d’investisse­
ment aéronautique, lancé
dans le cadre du plan de sou­
tien à la filière. Ce fonds était
doté, à son lancement, en
juillet 2020, de 630 millions
d’euros, levés auprès de l’Etat,
Airbus, Safran, Dassault, Tha­
les et Tikehau Capital. – (AFP.)
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021 économie & entreprise | 19

sao leopoldo (rio grande

do sul, brésil) ­ envoyé spécial

D
ans la salle de
réunion, posés à
même la table
sur de simples
sous­main noirs,
on trouve de
bien étranges stylos. A la manière
d’un vulgaire « plume », ils dispo­
sent certes d’un canon, de cartou­
ches et de barillets. Mais la taille, le
poids (autour de 600 grammes) et
surtout la forme en équerre ne
prêtent à aucun doute : il s’agit bel
et bien de pistolets. Car nous nous
trouvons au siège de Taurus, lea­
der incontesté de la fabrication
d’armes à feu au Brésil et en Amé­
rique latine. Ici, dans la grise usine
de Sao Leopoldo, près de Porto Ale­
gre, aux allures de camp retranché,
se trouvent les chaînes de mon­
tage du groupe : près de 2 500 em­
ployés y assemblent plus de 5 000
armes chaque jour. Soit une toutes
les dix­sept secondes.
Le « buffle » Taurus piétine la
concurrence et s’accapare aujour­
d’hui 85 % du marché brésilien
– une situation de quasi­mono­
pole. Son secret ? L’utilisation de Une salle de réunion dans l’usine Taurus, à Sao Leopoldo (Brésil). VINCENT CATALA/VU POUR « LE MONDE »
la technique de production dite
du « MIM » (pour metal injection
molding) : en gros, chaque com­
posant d’une arme est fabriqué
grâce à un moule, dans lequel on
injecte de la poudre métallique. Il
PLEIN CADRE
suffit ensuite d’assembler les piè­
ces entre elles. « C’est comme jouer
aux Lego ! », nous explique­t­on
lors de la visite.
« Non seulement nous produi­
sons en très grands volumes, ce qui
La course à l’armement enfin le marché brésilien, vantant
au passage les qualités du concur­
rent allemand SIG Sauer. En dé­
cembre 2020, il était parvenu à ob­
nous permet d’avoir des prix très
compétitifs, mais en plus nous dis­
posons de l’une des gammes les
plus complètes au monde », insiste
Salesio Nuhs, PDG du groupe.
de la société brésilienne tenir du gouvernement la sup­
pression des taxes à l’importation
sur les armes à feu, mais la mesure
a été bloquée par la justice.
Ce désamour avec la famille Bol­
Chez Taurus, on fabrique des ar­
mes de tous calibres et de tous ty­
Sous la présidence de Jair Bolsonaro, les armes à feu sont portées sonaro tient à la mauvaise presse
de Taurus auprès des amoureux
pes, du simple pistolet jusqu’au
fusil de chasse en passant par la
au pinacle. Et Taurus, le fabricant national, en profite largement, des guns. L’entreprise est connue
pour produire des armes bon
mitraillette à usage de la police,
pour des prix allant de 3 000 reais
avec une spectaculaire progression de ses ventes en 2020 marché, mais aussi de piètre qua­
lité, défectueuses, voire dangereu­
(480 euros) pour les plus petits re­ ses, qui tirent sans autorisation ou
volvers jusqu’à 12 000 reais (près s’enrayent en plein échange de
de 2 000 euros) pour le fusil d’as­ tirs… Des défauts de fabrication
saut T4, calibre 5.56. dent démocrate ». Mais, en défini­ bre », analyse Carolina Ricardo, di­ a déploré plus de 41 000 assassi­ qui auraient entraîné, selon le site
tive, le chef d’entreprise remercie rectrice de l’Institut Sou da Paz, nats en 2019 (soit un taux d’homi­
« Avec la pandémie, d’information The Intercept, la
« LE PEUPLE DOIT S’ARMER ! » surtout son président, Jair Bolso­ militant pour le désarmement du cide de 19,8 pour 100 000 habi­ les gens mort d’au moins 50 personnes au
« Nos racines sont brésiliennes naro : « Avec lui, le droit des Brési­ pays. Pour preuve : la vidéo de tants – dix­sept fois supérieur à ce­ Brésil, sans compter plusieurs
mais nous sommes une entreprise liens à porter une arme et à la légi­ cette réunion ministérielle, datée lui de la France).
ont peur (…). condamnations.
globale », enchaîne M. Nuhs. Fon­ time défense commence enfin à du 22 avril 2020, où un Bolsonaro Le Brésil, « patrie aimée », Donc ils achètent Mais qu’importent les relations
dée en 1939 et rachetée en 2014 être respecté. » hors de lui s’exclame : « Le peuple comme le proclame l’hymne na­ familiales : Taurus bénéficie en
par la Compagnie brésilienne de Car Jair Bolsonaro et les armes, doit s’armer ! Car c’est la seule ga­ tional, se transformerait­il en « pa­
des armes » réalité à plein de la politique de
cartouches (CBC), Taurus exporte c’est une véritable histoire rantie qu’il n’y ait pas un fils de trie armée » ? « En réalité, nul ne SALESIO NUHS Jair Bolsonaro. « Nous avons de
désormais 70 % de sa production d’amour. Depuis son arrivée au pute qui surgisse pour imposer sait combien il y a d’armes à feu au PDG de Taurus bonnes relations avec le président
dans plus de 100 pays, dont les pouvoir, en janvier 2019, le prési­ une dictature ici ! » Brésil. Les registres du gouverne­ et nous n’avons pas peur du tout de
Etats­Unis, de loin le premier mar­ dent aime à poser, posture « vi­ Depuis le début de son mandat, ment sont très lacunaires », insiste l’ouverture du marché brésilien.
ché au monde pour les armes à rile », fusil ou revolver à la main, Bolsonaro n’a donc pas perdu de Ivan Marques, avocat, spécialiste nouvelles armes acquises chaque Nous sommes prêts et sûrs de la
feu, où Taurus tient une place de l’index et le pouce pointés tel un temps. En deux ans, près de 30 dé­ du marché des armes et membre année par des Brésiliens ordinai­ qualité de nos produits », assure
choix : quatrième plus gros ven­ revolver – geste devenu un signe crets, arrêtés et textes de loi rela­ du Forum brésilien de sécurité pu­ res a bondi de 580 %. Salesio Nuhs, qui accompagne
deur du pays, il y possède aussi de ralliement pour ses partisans. tifs au sujet ont été adoptés. Dans blique (FBSP). En 2010, une étude Pour ne rien arranger, Bolsonaro d’ailleurs régulièrement le prési­
une usine, installée en Géorgie. Le chef de l’Etat fait une publicité le détail, le citoyen ordinaire peut soutenue par le ministère de la a également annulé depuis le dé­ dent dans ses voyages à l’étranger,
Le 1er janvier, le groupe a pu sa­ permanente des armes à feu, à présent posséder jusqu’à 4 ar­ justice évaluait à 16 millions le but de son mandat plusieurs or­ notamment en Inde, en jan­
bler le champagne, et même dé­ avoue d’ailleurs sans gêne aucune mes à feu (contre 2 auparavant), nombre d’armes en circulation donnances de l’armée, visant à vier 2020, où fut signé un accord
guster quelques coupes. Les chif­ continuer à dormir avec un pisto­ acheter jusqu’à 1 200 munitions dans le pays, dont la moitié illéga­ mieux identifier, tracer et contrô­ de joint­venture avec l’entreprise
fres cumulés pour 2020 ne sont let à portée de main, soigneuse­ par mois par arme (contre 50 par lement, soit à l’époque près d’une ler les armes en circulation. Mais locale Jindal.
pas encore connus, mais l’année ment placé sur sa table de chevet. an par arme dans le passé). Il a dé­ pour 10 habitants. Des chiffres le président, freiné par le Congrès Mais au Brésil, où sept assassi­
fut sans conteste un grand cru. Il ne s’agit pas que de com : les sormais accès à de plus gros cali­ alarmants, mais déjà vraisembla­ et la justice, n’a pas pu (encore ?) nats sur dix sont commis par
Déjà, pour la période courant de armes à feu sont au cœur du pro­ bres et produits, allant jusqu’aux blement très au­dessous de la réa­ s’attaquer au Statut du désarme­ arme à feu, nombreux sont les ex­
janvier à septembre, Taurus se tar­ jet bolsonariste. « Le rêve du prési­ pistolets 9 mm ou aux fusils lité et qui ont depuis explosé. ment. En juin 2019, il fut aussi perts qui s’inquiètent de l’impact
gue d’avoir vendu plus de 1,2 mil­ dent est d’importer le modèle amé­ semi­automatiques AR­15. Les forcé de révoquer deux décrets, sur le long terme de ce juteux bu­
lion d’armes à feu, soit 28 % de ricain au Brésil. Avec au fond cette membres de clubs de tir peuvent, DES ARMES DE PIÈTRE QUALITÉ pris par lui, autorisant des mil­ siness du canon. Avec la destruc­
plus que pour la même période vision très états­unienne qu’un eux, aller jusqu’à 60 armes et « A vrai dire, Bolsonaro n’a fait lions de Brésiliens à porter une tion de l’environnement, la politi­
en 2019. Son bénéfice brut a dans pays armé serait plus sûr mais 180 000 munitions par an… qu’amplifier une tendance de fond, arme en public. « Pour acheter une que des armes pourrait être le legs
le même temps bondi de près de aussi, paradoxalement, plus li­ Résultat : le Brésil connaît une commencée bien avant lui », pour­ arme, vous devez théoriquement le plus mortifère de l’ère Bolso­
100 %. Les investisseurs ont ap­ véritable ruée vers les armes à feu. suit M. Marques. En 2003, le pays passer un test psychologique, naro, croit Ivan Marques : « Ces
précié : en Bourse, le cours de l’ac­ En 2020, plus de 168 000 person­ montrait certes l’exemple, adop­ n’avoir aucun antécédent criminel, nouvelles armes débarquent dans
tion s’est envolé de 192 % sur l’en­ nes ont obtenu le droit auprès de tant un ambitieux Statut du dé­ avoir un travail, une résidence un pays violent, hystérisé, en souf­
semble de l’exercice 2020.
Depuis la prise la police fédérale d’acquérir et de sarmement, encadrant stricte­ fixe… tout cela demeure contrai­ france, frappé par la crise économi­
La raison de cette embellie spec­ de fonctions posséder une arme à feu, soit le ment le secteur. Mais, deux ans gnant », insiste Ivan Marques. que, les inégalités et l’explosion des
taculaire ? « Avec la pandémie, les double de 2019, et trois fois plus plus tard, le rejet à 63 % par réfé­ Paradoxalement, les relations violences en tout genre : domesti­
gens ont peur. Ils se sentent mena­
de Bolsonaro, qu’en 2018 – année précédant l’ar­ rendum d’une stricte interdiction de Taurus ne sont pas toujours fa­ ques, foncières, policières… Tout
cés, en insécurité. Donc ils achètent au moins rivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. du commerce des armes met un ciles avec Bolsonaro et sa famille. cela risque de mettre le feu aux
des armes », décrypte le PDG de Depuis la prise de fonctions de ce coup d’arrêt brutal au processus. Eduardo, député et troisième fils poudres et de marquer le pays pour
Taurus, ajoutant que « les élections
267 millions dernier, au moins 267 millions de « Le “lobby de la balle” est entré du président (surnommé « Zero des décennies. » Tuant des gens,
aux Etats­Unis ont aussi joué un de balles balles ont été achetées dans le dans la brèche et a mis en place une Trois »), lui aussi « dingue de bien sûr, mais aussi toute possibi­
rôle, les Américains craignant de pays, soit plus d’une par Brésilien très efficace propagande auprès du guns », a affirmé à plusieurs repri­ lité de dialogue entre les citoyens
possibles restrictions sur l’achat
ont été achetées en vie. Des chiffres inquiétants, public », poursuit M. Marques. En­ ses son souhait d’en finir avec le brésiliens. 
d’armes avec l’arrivée d’un prési­ dans le pays dans un pays déjà ultraviolent, qui tre 2009 et 2019, le nombre de monopole de Taurus et d’ouvrir bruno meyerfeld
20 | horizons 0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021

Olivier
Duhamel,
l’inceste
et les enfants
du silence
Dans un livre publié au Seuil jeudi 7 janvier,
la juriste Camille Kouchner accuse son beau­père
d’avoir abusé de son frère jumeau à l’adolescence.
Le célèbre politiste a démissionné de la Fondation
nationale des sciences politiques

L
es affaires d’inceste sont des his­
toires de mutisme et d’omerta.
Celle­ci est une suite de silences
emboîtés. Nous sommes à la fin
des années 1980. Dans une famille
d’intellectuels parisiens, un gar­
çon de 13 ans voit son beau­père, universitaire
de renom, s’inviter le soir dans sa chambre. Il
confie ce secret à sa sœur jumelle, Camille,
mais lui demande de se taire. L’inceste, un
crime sur lequel ces adolescents ne posent pas
encore de nom, dure deux ans au moins.
Vingt années plus tard, alors qu’ils ont chacun
atteint la trentaine, la jeune femme pousse
son frère à confier enfin cette souffrance
enfouie à leur mère. Mais celle­ci décide de
protéger son mari et reste muette, elle aussi,
comme les amis du couple, des personnalités
en vue soucieuses d’éviter tout scandale.
Ce beau­père si longtemps secouru, c’est le
politiste Olivier Duhamel. Son épouse ?
Evelyne Pisier, une spécialiste de l’histoire
des idées politiques, décédée en 2017. Sa fille
Camille, née comme ses frères d’un premier
mariage avec l’un des pionniers de la méde­
cine humanitaire, l’ancien ministre Bernard
Kouchner, dévoile cette histoire édifiante
dans un récit intitulé La Familia grande, qui
doit être publié jeudi 7 janvier aux éditions
du Seuil. Juriste et spécialiste du droit du
travail, Camille Kouchner a voulu, même si
les faits en question sont frappés de pres­
cription, rendre compte de l’emprise exer­
cée, selon elle, par cet homme qui l’a en
partie élevée, elle et ses frères. « Pour­
quoi aurait­il le droit de vivre hors de cette
réalité quand, moi, elle me hante ? »
Olivier Duhamel est un homme doté d’une
surface sociale comme Paris sait si bien en
faire émerger. A 70 ans, le constitutionnaliste
règne sur la Fondation nationale des sciences
politiques (FNSP), qui finance Sciences Po et
dont le conseil d’administration est l’un des
lieux d’influence les plus verrouillés du
monde universitaire. Ni vraiment militant ni
pur mandarin, il est l’auteur d’un ouvrage
potassé par des milliers d’étudiants en droit
« constit », La Gauche et la Ve République (son
sujet de thèse, publié aux PUF en 1980), et
préside Le Siècle, ce club prestigieux – et très
masculin – où se retrouve l’élite française.
LE SECRET D’UNE « GRANDE FAMILLE »
Il coanime aussi chaque samedi sur Europe 1
l’émission « Mediapolis » et commente l’ac­
tualité politique sur les plateaux de la
chaîne LCI. Enfin, il est membre du comité
de pilotage de la Fondation Culture et diver­
sité, de son ami l’homme d’affaires Marc
Ladreit de Lacharrière. Olivier Duhamel,
ancien compagnon de route du Parti socia­
liste et député européen de 1997 à 2004, n’a
jamais quitté la scène du pouvoir. Le
23 avril 2017, cet ami de François Hollande
faisait partie des happy few réunis à la bras­
serie parisienne La Rotonde pour fêter la
victoire d’Emmanuel Macron au premier
tour de la présidentielle.
Dans son livre, Camille Kouchner baptise
son frère « Victor », pour tenter de le sous­
traire à la curiosité des médias. L’inceste puis
les conflits de loyauté qu’il a induit ont
ravagé sa famille dans sa chair. « Victor » a
toujours refusé d’aborder publiquement le
sujet, mais il a laissé sa jumelle l’aborder à
travers ce texte qu’il a relu à deux reprises.
« Je vous confirme que ce que ma sœur a écrit
à propos des agissements d’Olivier Duhamel à
mon égard est exact », atteste­t­il au Monde.
« Je ne révèle rien dans ce livre. Tout le monde
sait », lâche Camille Kouchner. « Tout le
monde », non. Mais un bon nombre d’amis
du couple, figures de la bourgeoisie intellec­
tuelle parisienne. Beaucoup avaient 20 ans
« JE NE RÉVÈLE  en 1968 et ont fini par composer une sorte de
RIEN DANS  famille élargie, la « familia grande », s’amu­
sait Olivier Duhamel, comme si le roman­
CE LIVRE. TOUT  tisme des révolutions sud­américaines avait
irrigué ce réseau amical. Voici, tel que Le
LE MONDE SAIT » Monde a pu le reconstituer, ce que cette
CAMILLE KOUCHNER « grande famille » a appris depuis 2008 et
autrice de « La Familia préservé sans souffler mot. « Une véritable
Grande » omerta », confirme un proche ami du couple,
qui s’est éloigné quand il a su.
C’est au tout début des années 1980, à quel­
ques mois de l’élection de François
Mitterrand, qu’Evelyne Pisier rencontre un
jeune enseignant de presque dix ans son
cadet. Avec Bernard Kouchner, dont elle a
divorcé, elle a eu trois enfants : un fils aîné,
Julien, aujourd’hui éditeur de presse et âgé
de 50 ans, puis, cinq ans plus tard, des
jumeaux, Camille et « Victor ».
Evelyne Pisier est alors l’une des premières
agrégées de droit public et de science politi­
que, féministe et résolument de gauche. Par­
tie à Cuba en 1964, elle a vécu une idylle de
quatre ans avec Fidel Castro. Sa cadette, l’ac­
trice Marie­France Pisier, est pour sa part de­
venue la belle intello chère à Truffaut, Rivette
et Téchiné. Pour la gauche intellectuelle fran­
çaise, les deux sœurs sont des icônes.
Boucles brunes et cols roulés, bottes
camarguaises, charmant et curieux, Olivier
Duhamel se fond vite dans la bande
d’« Evelyne ». En 1983, il a 33 ans ; le couple
emménage au bord du jardin du Luxem­
bourg, à Paris. L’amour qu’il voue à cette
femme, « leur connivence intellectuelle, la ten­
dresse infinie de son regard sur elle », dit Ca­
mille Kouchner, comme l’attention portée à
sa petite famille séduisent le trio de gamins.
« Vous êtes mes enfants, et mieux encore », ré­
pète le beau­père. Les jumeaux n’ont que
8 ans et compensent les absences de leur
père par la présence de ce nouveau venu,
complice et déconneur.
Tout est assez « olé olé » chez les Pisier­Du­
hamel. Le maître mot d’Evelyne, c’est « li­
berté ». Liberté pour une femme de quitter
son compagnon si elle ne l’aime plus, liberté
pour les enfants de se coucher à l’heure rê­
vée, liberté pour les parents de se baigner
nus, l’été, dans la piscine de Sanary­sur­Mer,
dans le Var. Olivier Duhamel a en effet hérité
de la propriété de ses parents : son père, Jac­
ques, grande figure centriste, deux fois mi­
nistre sous Pompidou, et sa mère, Colette,
éditrice, devenue par la suite l’épouse de
Claude Gallimard, patron de la fameuse mai­
son d’édition.

« Tu les vois, les angoisses qui nous hantent depuis ? »
dans son livre La Familia
grande, l’avocate Camille Kouch­
ner, 45 ans, s’adresse à Olivier Du­
hamel, le beau­père auprès duquel
elle a grandi avec ses deux frères,
dans les années 1980­1990, quand il
était le mari de leur mère, Evelyne
Pisier (1941­2017). Fille du premier
mariage d’Evelyne Pisier avec l’ex­
ministre Bernard Kouchner, elle ac­
cuse le politiste d’avoir agressé
sexuellement son frère jumeau à
l’adolescence. Selon l’autrice, ces
violences ont, par la suite, été portés
à la connaissance de leur mère et
d’une partie de l’entourage familial,
mais le silence a prévalu jusqu’à
aujourd’hui. Extraits.
« Petit, mon frère m’avait préve­
nue : “Tu verras, ils me croiront,
mais ils s’en foutront complète­
ment.” Merde. Il avait raison.
Bon, ben s’ils ne comprennent
pas, on va leur expliquer.
Je vais t’expliquer, à toi qui pro­
fesses sur les ondes, toi qui fais
don de tes analyses aux étudiants
et pavanes sur les plateaux télé.
Je vais t’expliquer que tu aurais
pu, au moins, t’excuser. Prendre
conscience et t’inquiéter. Je vais te
rappeler que, au lieu de ça, tu m’as
menacée. Message sur mon répon­
deur : “Je vais me suicider.”
Je vais t’expliquer, à toi qui dis
que nous sommes tes enfants.
Quand un adolescent dit oui à ce­
lui qui l’élève, c’est de l’inceste. Il
dit oui au moment de son désir
naissant. Il dit oui parce qu’il a con­
fiance en toi et en ton apprentis­
sage à la con. Et le viol, ça consiste à
décider d’en profiter, tu com­
prends ? Parce que, en réalité, à ce
moment­là, le jeune garçon ne
saura pas te dire non. Il aura trop
envie de te faire plaisir et de tout
découvrir, sûrement.
Je vais t’expliquer que, à force,
ensuite, le jeune garçon va dire
oui pour nier l’horreur de la situa­
tion. Ça va durer, et puis il va
culpabiliser, se dire que c’est sa
faute, qu’il l’a cherché. Ce sera ton
triomphe, ta voie de sortie pour
en réchapper. (…)
Je n’oublie pas le couple que
vous formiez. Sartre et Beauvoir ?
Il n’y a que la familia grande pour
y croire. A l’unisson, vous avez
forcé nos leçons : Foucault et la
peine. Ne jamais dénoncer, ne ja­
mais condamner dans cette so­
ciété où l’on n’attend que puni­
tion. Savoir évoluer, se faire sou­
ple et espérer la réhabilitation. Se
méfier du droit.
Mes cours de droit, justement : le
viol consiste en tout acte de péné­
tration sexuelle, de quelque nature
qu’il soit, commis par violence,
contrainte, menace ou surprise.
Ça, pour une surprise !
Et la contrainte, alors ? Comme
une putain de contrainte morale !
Comme le fait qu’on t’ait telle­
ment aimé, tu vois ? (…) Comme le
fait qu’on n’a même pas pu t’en­
voyer en taule tellement on avait
peur pour toi. (…)
Toi qui as agressé mon frère pen­
dant des mois, tu le vois, le pro­
blème ? Quasiment devant moi, en
t’en foutant complètement, fai­
sant de moi la complice de tes
dérangements. Tu les vois, les an­
goisses qui nous hantent depuis ?
Soyons précis :
Article 222­24 du code pénal : le
viol est puni de vingt ans de
réclusion criminelle (…) lorsqu’il
est commis par un ascendant ou
par toute autre personne ayant sur
la victime une autorité de droit ou
de fait.
Article 222­31­1 du code pénal :
les viols et les agressions sexuel­
les sont qualifiés d’incestueux
lorsqu’ils sont commis par (…) le
conjoint [d’un ascendant] (…) s’il a
sur la victime une autorité de droit
ou de fait.
Mais toi aussi t’es prof de droit.
T’es avocat. Tu sais bien que, pour
cause de prescription, tu t’en sorti­
ras. Tout va bien pour toi. Vingt
ans. Sinon c’était vingt ans. » 
FIN D’UNE ÉPOQUE BÉNIE
A Sanary, on rit, on bronze, on débat, on
peint le monde en rose. Gaieté et intelli­
gence. Les enfants vivent comme les adultes
et appellent leurs parents par leur prénom.
Dans ce phalanstère foutraque défile la gau­
che culturelle : le philosophe Luc Ferry (les
premières années), la productrice Fabienne
Servan­Schreiber, le documentariste et his­
torien Patrick Rotman et son frère Michel, le
professeur Mario Bettati, théoricien du droit
d’ingérence humanitaire, Janine Mossuz­
Lavau, pilier de Sciences Po, mais aussi l’avo­
cat pénaliste Jean Veil (dont Olivier Duhamel
est désormais l’associé, au sein de son cabi­
net) et l’ex­ministre socialiste de la justice
Elisabeth Guigou – future présidente de la
commission sur les violences sexuelles com­
mises contre les enfants, créée en 2020.
Le 24 octobre 1987, toute la bande escorte
Evelyne, 46 ans, et Olivier, 37 ans, dans les Yve­
lines jusqu’à l’hôtel de ville de Conflans­Sain­
te­Honorine, où les attend le maire socialiste,
Michel Rocard : le couple rêve d’adopter deux
enfants au Chili et ce mariage en bonne et due
forme doit donner du poids à leur dossier.
Dernière période bénie. L’année suivante,
tout commence en effet à vriller. Au prin­
temps 1988, Paula Caucanas­Pisier, la mère
d’Evelyne et de Marie­France, pilier du Plan­
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Olivier
Duhamel,
sur le plateau
de LCI,
pendant
la soirée
des élections
municipales
de 2014.
IBO/SIPA
ning familial et secrétaire générale de l’Asso­
ciation pour le droit de mourir dans la dignité,
se suicide à l’âge de 66 ans, deux ans après son
mari. Evelyne est terrassée. Pour conjurer le
chagrin, le soir, elle s’oublie dans le vin.
A la tête de la direction du livre, au minis­
tère de la culture, où Jack Lang l’a nommée,
elle s’active pour protéger des menaces de
fatwa le romancier britannique d’origine in­
dienne Salman Rushdie et ses Versets satani­
ques, surveille le projet de la nouvelle biblio­
thèque de France à Paris, mais le cœur n’y est
pas. « En 1988, ma mère sombre dans l’alcoo­
lisme », résume Julien Kouchner. Cette même
année, son premier mari, Bernard Kouchner,
est nommé secrétaire d’Etat chargé de l’in­
sertion sociale dans le premier gouverne­
ment Rocard. Ce n’est plus le Vietnam ou
l’Afrique qui éloignent le « French doctor » de
ses enfants, mais ses charges ministérielles.
« QUEL SALAUD »
D’après Camille Kouchner, l’inceste com­
mence cette année­là. « Je pense qu’on avait
13 ans et que mon frère me le raconte quand
on en a 14. » Elle dit entendre encore les pas
de son beau­père dans le couloir, le soir, et la
porte de la chambre de son jumeau qui se
ferme. « Tout le monde fait ça », assure Oli­
vier Duhamel à son beau­fils, d’après le récit
de Camille Kouchner. Pourtant, il faut se
taire. A sa sœur, « Victor » confie : « Il dit que
maman est trop fatiguée, qu’on lui dira
après. » Quand le beau­père quitte la cham­
bre, il passe dire bonsoir à sa « Camouche »,
comme il la surnomme, et la rassure : « Tu
sais, pour ta mère, chaque jour est une vic­
toire. Chaque jour est un jour de gagné. Lais­
sez­moi faire. On va y arriver. » Un pacte
tacite se noue alors : motus sur l’anormal
contre la promesse d’un retour à la normale.
L’adolescente aime Olivier Duhamel
« comme un père ». S’il agit ainsi avec « Vic­
tor », se persuade­t­elle, c’est que ce n’est ni
grave ni mal. « Ça s’appelle l’emprise, analyse­t­
elle trente­deux ans après. Pendant toutes ces
années, plus que de me taire, j’ai protégé mon
beau­père. Face à l’alcoolisme de ma mère, il
organisait nos vacances, nous emmenait au
ciné, m’initiait au droit… » Et puis, « Victor » lui­
même exige que sa jumelle n’en dise rien.
« Fais­le pour Evelyne, insiste­t­il, sinon, il va se
suicider et elle ne va pas le supporter. »
Vingt ans passent. Les jumeaux cachent
tout. Jusqu’à ce qu’un jour de 2008 ou 2009
leur frère aîné Julien annonce son intention
d’envoyer ses propres enfants à Sanary passer
l’été chez « Olivier » et leur grand­mère. Ca­
mille presse « Victor » : il faut confier le secret à
Julien et s’ouvrir aussi à leur mère, Evelyne. « Je
hais ce con et je ne veux plus entendre parler de
rien », rétorque « Victor ». Camille prévient : « Si
tu ne le fais pas, c’est moi qui le ferai. »
Julien Kouchner revoit la scène, plus qu’il
ne se souvient des mots : « C’était juste avant
l’été. Mon petit frère vient jusqu’à mon appar­
tement. Il s’est posé sur le bord de la fenêtre.
J’écoute, sidéré. Je revisite d’un coup son atti­
tude, ses énervements et sa manière de fuir à
chaque discussion familiale. Je comprends en­
fin. Il me parle de prescription. Je pense à mon
beau­père et je me dis : “Quel salaud, ça relève
du pénal !” Ensuite, un rideau tombe devant
moi, comme au théâtre. Je comprends que les
vingt­cinq ans de souvenirs familiaux que je
me suis forgés sont tous faux. Cette idée me
ronge et ne me quitte plus. Depuis ce jour, ma
vie est abîmée. »
L’été passe. Julien ne se rend pas à Sanary. En
septembre, « Victor » finit par aller livrer son
secret à sa mère. Un tsunami. Selon les en­
fants Kouchner, Olivier Duhamel ne nie les
faits que durant 48 heures. Evelyne se réfugie
chez sa sœur Marie­France, qui n’a jamais ha­
bité très loin d’elle. « J’étais à la maison, chez
mes parents, à Paris, témoigne la comédienne
Iris Funck­Brentano, 34 ans, fille de l’actrice et
de l’homme d’affaires Thierry Funck­Bren­
tano – lui­même cousin d’Olivier Duhamel.
Evelyne est arrivée en larmes, puis mon père a
débarqué. Ils ont fermé la porte. J’ai demandé :
“Qui est mort ?” Ils m’ont répondu : “Personne,
mais pour l’instant on ne peut rien te dire.”
C’était bizarre, car je me disais qu’il n’y a pas
pire que la mort, et pourtant ce n’était pas elle. »
Au fil des jours, comme dans tant d’histoires
d’inceste, Evelyne Pisier choisit de protéger
son mari. Tous les arguments sont bons. Suc­
cessivement, on l’entend dire : « Il regrette, tu
sais. il n’arrête pas de se torturer. » « Olivier a ré­
fléchi, (…) tu devais déjà avoir plus de 15 ans… »
« Ton frère n’a jamais été forcé. » Elle va jusqu’à
accuser Camille (« Si tu avais parlé plus tôt… »).
« Evelyne était faible, elle ne pouvait pas accu­
ser son premier soutien : son mari. Il fallait un
coupable, ça a été sa fille », confirme une amie
de toujours d’Evelyne Pisier. L’universitaire
estime aussi que puisqu’il n’y a pas eu sodo­
mie, mais « seulement » fellations, il n’y a pas
viol. « Après plusieurs semaines, Evelyne se met
même à expliquer que la vraie victime, c’est elle,
poursuit Julien Kouchner. C’est là que nous, les
enfants, avons perdu notre mère. »
Marie­France et Evelyne Pisier étaient plus
que des sœurs, des confidentes inséparables.
Pour la première fois, elles ne se compren­
nent plus. « Dès qu’elle a su pour Olivier,
Marie­France a parlé à tout le monde. Elle vou­
lait lui faire la peau », poursuit Camille
Kouchner. Aussitôt, elle propose d’héberger
Evelyne. « Pars ! Parle ! » En vain. « Ma mère
était très choquée que sa sœur ne protège pas
d’abord ses enfants et que personne ne
réagisse, ajoute Iris Funck­Brentano. Elles se
sont brouillées. Je me souviens de tas de tenta­
tives de réconciliation, toutes se soldaient par
des échecs. » Evelyne Pisier s’entoure de
nouvelles connaissances, prend sous son aile
de jeunes élèves, puis une éditrice, reproche à
sa sœur de lui « voler [sa] vie ».
Quand, aux premiers jours du printemps
2011, Marie­France Pisier est retrouvée au fond
de la piscine de sa maison de vacances de
Saint­Cyr­sur­Mer, à vingt minutes de Sanary,
« La Familia grande », autopsie d’un secret de famille
« j’avais 14 ans et j’ai laissé faire (…).
J’avais 14 ans, je savais et je n’ai rien
dit. » Camille Kouchner est maîtresse
de conférences en droit et n’a publié
que des articles et des ouvrages juri­
diques. A 45 ans, elle a éprouvé le be­
soin de raconter la mécanique de ce
crime trop banal et encore si tabou :
l’inceste. Son frère jumeau l’a subi, et
celui qu’elle désigne comme le res­
ponsable de ces violences sexuelles –
le second mari de leur mère, le poli­
tiste Olivier Duhamel – est aussi cou­
pable, selon elle, de l’en avoir rendue
complice.
Dire l’inceste, c’est donner un
grand coup de pied dans la fourmi­
lière familiale, briser le pacte social
et passer pour un traître, même s’il
y a prescription d’un point de vue
juridique. Camille Kouchner en­
dosse tous ces risques, quitte à tor­
dre un peu le bras de son frère, sou­
cieux qu’on le laisse tranquille.
« Pour m’avoir laissée écrire ce livre
alors qu’il ne souhaite que le calme, je
[le] remercie », écrit­elle.
Pendant vingt ans, la fille de l’uni­
versitaire Evelyne Pisier et de l’an­
cien ministre Bernard Kouchner a
tenu sa promesse et gardé le secret
de son jumeau. A la fin des années
2000, elle le convainc tout de même
de le révéler à leur mère. Nouveau
cauchemar : « Evelyne » reproche à
sa fille d’avoir tardé à la prévenir.
« J’aurais pu quitter [ton beau­père].
Maintenant il est trop tard », accuse
l’universitaire. Cette femme non
conventionnelle, si généreuse et fé­
ministe – à la façon de Mai 1968 –,
prend le parti de son mari, Olivier
horizons | 21
le corps coincé par une lourde chaise en fer dingue, réagit encore la juriste. C’est une ma­
forgée, la presse déploie ses gros titres, mais nière de dire : “Ferme­la.” Il y avait de la dé­
ne devine rien du drame familial qui se joue viance dans tout ça, point. Leurs copains se
en coulisses. Accident, vraiment ? « On a com­ sont terrés. Ils nous avaient quasiment élevés,
pris qu’Evelyne pensait que Marie­France s’était et ils ne sont pas venus (…) nous réconforter. »
plutôt suicidée », affirme aujourd’hui Camille Gêne, lâcheté… « C’est comme si on était ra­
Kouchner. Son frère Julien est terrorisé. Dans dioactifs. On n’existait plus. Surtout, ils
le cercle des intimes, l’ambiance est mortifère. auraient pu aller trouver notre mère pour lui
Une enquête est ouverte, puis fermée sans dire : “Non mais, ça va pas la tête, Evelyne ?” Ils
conclusion précise. Une amie de Marie­France avaient peur de quoi ? De perdre Duhamel ? »
Pisier témoigne auprès des enquêteurs que les
raisons de brouille de la défunte avec sa sœur UN ÉCRIT LIBÉRATEUR
sont à chercher du côté d’Olivier Duhamel. Dans les affaires d’inceste, il faut souvent que
« Victor » est alors convoqué par la brigade l’un des parents disparaisse pour que la
des mineurs. Il dépose sur procès­verbal les parole affleure. Evelyne Pisier meurt cinq ans
éternels réflexes de culpabilité des victimes après sa sœur, en février 2017, à la suite d’une
d’inceste et refuse de porter plainte. « Ils ne opération qui a mal tourné. Ses enfants ne
vont quand même pas foutre en l’air ce que j’ai sont prévenus qu’après son décès. Quinze
construit au boulot, avec mes enfants, ma jours avant son hospitalisation, ils s’étaient
vie ! », lâche­t­il à ses frère et sœur. Dans leurs croisés quelques instants – des moments de­
conversations, ils évitent le sujet. Sauf une venus rares. Evelyne avait regardé sa fille
fois. « C’était quelques mois plus tard, en dans les yeux : « Je sais très bien que vous vous
avril 2012, au cœur de l’affaire du Carlton de en prendrez à Olivier quand je ne serai plus
Lille », raconte Julien Kouchner. Olivier Duha­ là. » Le ton était agressif. « Etait­ce un repro­
mel avait signé dans Libération une tribune che ? Ou, qui sait, peut­être un feu vert libéra­
où il s’en prenait à ces « chiens » de journalis­ teur ? », s’interroge encore Camille Kouchner.
tes, ces « procureurs des mœurs » qui s’achar­ De ce jour­là, en tout cas, le livre commence
naient sur Dominique Strauss­Kahn, impli­ à mûrir. Dix ans de psychanalyse et la lecture
SOLLICITÉ PAR  qué dans cette affaire de prostitution. « Il des travaux d’une psychiatre spécialisée dans
« LE MONDE »,  saluait le courage d’Anne Sinclair, restée silen­ les traumatismes de victimes font le reste :
cieuse aux côtés de son mari “pour le meilleur « Muriel Salmona explique que les violences ne
OLIVIER DUHAMEL  et pour le pire”. Ma mère avait sans doute relu concernent pas seulement les victimes direc­
le texte. Mon frère a pris son téléphone et m’a tes, même si les autres n’ont pas de statut en
N’A PAS VOULU  dit : “Comment il ose !” » droit, précise Camille Kouchner. Le mot “vic­
time” lui­même me dérange, d’ailleurs. Il
COMMENTER SOLIDE CORDON SANITAIRE emprisonne et condamne à nouveau mon
LES ACCUSATIONS  Craignant que la mort de Marie­France Pisier frère. Je cherche, mais je n’arrive pas à trouver
ne mette la presse sur la piste de la brouille, le juste terme. Je dirais que mon frère est un res­
PORTÉES  donc de l’inceste, « Victor » décide un peu capé, et moi, j’aimerais ressembler à une
plus tard de confier son secret à son père. affranchie. Adios ! Je veux m’évader de cette
CONTRE LUI :  Alors que Bernard Kouchner compte aller mafia qu’a été “la familia grande”. » Sa cousine
« JE N’AI RIEN À  « péter la gueule » à Duhamel, Camille insiste : Iris applaudit : « La peur doit changer de camp.
« “Victor” ne veut pas en parler. Il faut avan­ Vous n’imaginez pas ma fierté que Camille ait
DIRE LÀ­DESSUS » cer. » L’ancien ministre s’incline. La « familia osé écrire. » Julien Kouchner, le frère aîné,
grande », elle, reste dans son entre­soi. Une abonde : « Ma sœur est très courageuse. »
fois informés, seuls quelques habitués de la Jusqu’au dimanche 3 janvier, Olivier Duha­
maison de Sanary rompent avec le couple mel n’était pas au courant de la publication
Duhamel ; rares sont ceux qui viennent ré­ du manuscrit. Sollicité par Le Monde, il n’a
conforter les enfants d’Evelyne. Le cordon sa­ pas voulu commenter ces accusations
nitaire est solide. portées contre lui : « Je n’ai rien à dire là­des­
Au fond, seule la génération des « fils et sus. » Lundi après­midi, il a fait savoir sur
filles de Sanary » se torture vraiment. Aux Twitter qu’« étant l’objet d’attaques person­
enfants Kouchner, ils rapportent, choqués, nelles, et désireux de préserver les institutions
les conversations de leurs parents. Certains dans lesquelles |il] travaille », il démissionnait
« anciens » accordent foi à l’histoire d’amour de la présidence de la FNSP. La fondation a
« vendue » par Olivier Duhamel et sa femme pris acte de sa démission « pour raisons per­
– et parlent même de « consentement », con­ sonnelles ». La chaîne LCI a, elle, fait savoir à
fie l’un des rares parents lucides. « Qui som­ l’Agence France­Presse que le politiste ne
mes­nous pour juger ? », entend­on chez les serait plus sur son antenne.
uns. « Ils sont cruels, ils la privent de ses petits­ La confidentialité du texte a été préservée
enfants », se désolent d’autres. Et encore : jusque début janvier par Camille Kouchner et
« L’inceste, il ne faut pas. Mais crier avec la Mireille Paolini, son éditrice au Seuil. Une
meute… » Camille Kouchner bondit. « La maison d’édition où M. Duhamel a été auteur
meute ? Mais quelle meute ?, s’indigne­t­elle. et éditeur de divers textes, à commencer par
De quoi parle­t­on ? La seule meute, c’est celle la fameuse revue de la FNSP qu’il a fondée
qui fait taire les victimes ! » « J’ai aussi en­ en 1977 : Pouvoirs. 
tendu : “C’était l’époque.” Alors ça, ça me rend ariane chemin
Duhamel. Jusqu’à la mort « Ni [mon frère jumeau] ni [moi]
d’« Evelyne », en 2017, mère et fille ne ne pouvons dire avec certitude l’âge
se croiseront plus que de loin. « Ma­ que nous avions (…), 14 ans, je crois. »
man, nous étions tes enfants », Tout à coup, on ne se marre plus du
pleure Camille Kouchner. tout. Autour de 1988, le livre bascule.
L’inceste ne prospère que sur la Tant pis si les souvenirs d’adoles­
confiance et les huis clos. Camille cente sont flous : Camille Kouchner
Kouchner procède comme les psy­ a fini par accepter que ces trous de
chotraumatologues à l’écoute des mémoire ne soient qu’une patholo­
mécanismes de prédation sexuelle : gie typique de ce type de trauma­
elle ausculte l’environnement amical tisme, qui « noie la mémoire [et] ef­
et parental, plante son décor (les an­ face les dates pour laisser sa proie
nées post­68, les septennats Mit­ dans le noir ».
terrand), recense les habitudes. Cha­ Dans le secret d’une chambre se LA FAMILIA GRANDE 
que été, dans sa maison varoise de produit l’innommable. « Deux ou de Camille Kouchner
Sanary, le beau­père des jumeaux trois » années durant, le beau­père Seuil, 206 pages, 19 euros
réunit ses meilleurs amis. Une « sa­ ira s’attarder le soir chez le jumeau Parution le 7 janvier
crée bande », sorte d’amicale intello de Camille. Ces jours­là, comme si
et bourgeoise qui porte « la gauche de rien n’était, il s’arrête ensuite pa­
en étendard » et à laquelle le constitu­ poter dans la chambre de sa jumelle. la place de son jumeau. Elle ne veut
tionnaliste distribue dès le prin­ Une visite dans « la chambre­ qu’émettre une voix parallèle. Tra­
temps chambres et semaines de va­ péage », qu’elle vit comme une vraie duction littéraire des violences su­
cances. La grande famille. prise d’otage. « Par sa tendresse et bies ? Ses mots sifflent comme des
notre intimité, par la confiance que balles, les phrases se hachent en ri­
Ses mots sifflent comme des balles j’avais en lui, tout doucement, sans mes intérieures. Au fil des pages, le
Parties de Scrabble et de poker, dé­ violence, en moi, [il] enracinait le « beau­père adoré » devient
bats de haute voltige autour de clo­ mal. » « l’autre », puis ce « mari dérangé »
pes et de rosé, slows incandescents Les affaires d’inceste cancérisent auquel Camille tente d’arracher
sur la terrasse avant de plonger à mi­ tout. Dans une tension dramatique « Evelyne ». « Je t’aime malgré tout,
nuit dans la piscine… La Familia très maîtrisée, la maison du bon­ maman », conclut Camille Kouch­
grande, titre du livre, pourrait être heur se transforme en maison de ner. Il y a trois ans, elle posait un
celui d’une comédie espagnole ten­ l’horreur, puis la « familia grande » brin de mimosa sur le cercueil de sa
dre et colorée, adultes et enfants en statue de pierre, quand, vingt ans mère. Dans le caveau des Duhamel
joyeusement mélangés. Happé par plus tard, elle finit par apprendre. où on l’a inhumée, elle jette
le sens aigu du détail et les anecdo­ « Je ne les ai pas vus se demander si aujourd’hui ce livre – cette catharsis,
tes (souvent cruelles) de l’autrice, le eux aussi n’avaient pas un peu cette bombe. 
lecteur ne prête pas immédiate­ merdé », regrette l’autrice. Ça aussi, ar. ch.
ment attention aux signaux faibles. les spécialistes de l’inceste le savent :
Par exemple, ces photos des « culs et quand la vérité explose, souvent Camille Kouchner est aujourd’hui la
[des] seins » de Camille ou de fem­ une fausse famille se lève et fait compagne de Louis Dreyfus,
mes plus âgées prises par l’hôte des corps pour remplacer la vraie. président du directoire du groupe Le
lieux et accrochées aux murs. Camille Kouchner ne se met pas à Monde.
 SCIENCE & MÉDECINE
22 |
COVID-19
Enquête sur 
ces modélisateurs 
qui anticipent 
la pandémie
Les mesures de lutte contre l’épidémie ont été prises à la lumière
des projections calculées par des spécialistes d’une discipline
habituellement discrète, la modélisation, qui s’est soudain
retrouvée en première ligne, poussée à ses limites
E
ux aussi ont été en première ligne
sur le front de l’épidémie. Pas dans
les services hospitaliers, mais dans
des bureaux, manipulant des fonc­
tions exponentielles, des échelles logarithmi­
ques ou des paramètres comme le désormais
fameux R0 – désignant le taux de reproduc­
tion de base du virus. Eux aussi ont vu leurs
rangs se diviser entre alarmistes et « rassuris­
tes ». Eux, mais aussi souvent elles, sont les
spécialistes de la modélisation, confrérie mé­
connue, tour à tour oiseaux de mauvaise
augure, qu’on n’écoute pas, ou oracle qu’on
vénère, au gré des flux et reflux du Covid­19
qu’ils décrivent, voire annoncent.
« Enfin, cette discipline commence à intéres­
ser !, apprécie Alain­Jacques Valleron, profes­
seur émérite à Sorbonne Université et mem­
bre de l’Académie des sciences. Je suis frappé
par le changement entre aujourd’hui et hier.
En 1980, lorsque j’installais une petite équipe
sur l’épidémiologie des maladies infectieuses,
en France, c’était le désert. On s’est débrouillés,
et maintenant ça sert dans l’aide à la déci­
sion. » Le chercheur peut savourer les progrès.
Toutes les vedettes actuelles du domaine en
France, dont Dominique Costagliola, Grand
Prix Inserm 2020, sont passées en thèse ou
en postdoc dans son unité de l’hôpital Saint­
Antoine : Pierre­Yves Böelle (Sorbonne Uni­
versité), Simon Cauchemez (Pasteur), Vittoria
Colizza (Inserm), Pascal Crépey (Ecole des
hautes études en santé publique)…
« C’est la première fois que les modélisations
ont autant servi en France », constate
Lulla Opatowski, professeure à l’université
Versailles­Saint­Quentin, formée elle aussi
dans cette sphère. « En 2009, au moment de
l’épidémie de H1N1, nous avions fait peu de
modélisation, en tout cas peu de modélisation
réactive », se souvient Pierre­Yves Boëlle,
connu pour avoir développé des outils de
calcul du fameux R0.
La différence majeure est là. « Répondre à
une crise et élaborer un travail académique,
c’est très différent !, précise Vittoria Colizza.
Dans le premier cas, on ne va pas développer
des outils nouveaux, on n’improvise pas.
C’est une question de responsabilité : on ne
peut pas “tester” des choses pendant une épi­
démie. » Le temps presse. Alors, ces experts
prennent leurs modèles validés dans d’au­
tres situations – comme la grippe, Ebola ou
même les maladies nosocomiales d’origine
bactérienne… –, et les adaptent aux paramè­
tres de la nouvelle épidémie. « Par rapport à
un travail plus académique, nous avons dû
faire quelques renoncements, en acceptant
de donner des résultats avec de plus grandes
marges d’incertitude », précise Laura Temime,
professeure au Conservatoire national des
arts et métiers.
Dans cette course, certains ont même eu
un peu de chance. « Nous allions commencer
un projet d’évaluation des effets d’une épidé­
mie sur le système hospitalier et avions déjà
récupéré des informations sur les hôpitaux
français, leurs localisations, leurs lits, les den­
sités de population autour… Alors on n’a pas
perdu de temps lorsqu’il s’est agi de passer au
cas réel du Covid », rappelle Pascal Crépey
qui, dès le 20 mars 2020, rend disponible sur
le site de preprint MedRxiv des scénarios de
saturation des établissements région par ré­
gion. Au début, ses interlocuteurs, à qui il
avait fait part, quelques jours avant, de ses
conclusions, ne le croyaient pas. Leurs ex­
perts maison travaillaient sans modèle, avec
des raisonnements simplifiés, et les échan­
ges ont été tendus. « Puis ils nous ont rap­
pelés lorsqu’ils ont vu que les premières ob­
servations confirmaient nos anticipations »,
raconte le chercheur.
SCEPTICISME DES DÉBUTS
Simon Cauchemez aussi était prêt grâce à
ses nombreuses connexions internationa­
les. Le 30 janvier 2020, il rendait publics de
premiers résultats sur les risques de diffu­
sion du virus dans les autres villes chinoises.
Le 5 mars, il entre au conseil scientifique, of­
ficiellement installé le 11, et, le 12, il participe
à son premier avis, qui prévoit des « centai­
nes de milliers de morts » en l’absence de me­
sures, et « une deuxième vague (…) dès lors
que les mesures seront levées ».
Le week­end suivant, il détaille ses premiè­
res estimations aux agences régionales de
santé (ARS), fondées sur les informations en
provenance de Chine et d’Italie. Puis, quel­
ques jours plus tard, avec les toutes nouvel­
les données hospitalières de la base SI­VIC
d’identification et de suivi des victimes d’at­
tentats et de situations sanitaires excep­
tionnelles, encore très parcellaires, il étaie
son modèle dans l’une de ses premières
« notes ». Cinquante­cinq autres suivront.
« Le plus dur au début, ce sont les données,
car elles font défaut, sont partielles… On part
avec des hypothèses sur les paramètres et on
les remplace peu à peu par des estimations
plus fiables, au fur et à mesure de l’avancée
des connaissances sur l’épidémie », explique
Vittoria Colizza. « La pire des données,
comme je l’explique à mes étudiants, c’est le
nombre de cas », rappelle Pascal Crépey, qui,
comme ses collègues, utilise les données
d’hospitalisations ou les décès, mais qui arri­
vent avec retard sur la flambée de l’épidé­
mie. Le nombre et le rôle des asymptomati­
ques posent aussi des problèmes pour bien
évaluer les transmissions. Tout comme le
rôle des enfants. Ou l’intervalle de généra­
tion, le temps entre deux infections, qui est
le double ou le triple de celui de la grippe…
« Surtout, jamais nous n’avions testé des
mesures d’intervention comme un confine­
ment. Cela a poussé nos modèles aux limi­
tes », souligne Vittoria Colizza. « Et com­
ment analyser une épidémie quand ses pa­
ramètres changent presque tous les jours ? »,
complète Simon Cauchemez. Alors c’est la
« débrouille ». Les données de téléphonie
mobile sont récupérées pour évaluer la
baisse du nombre d’interactions entre les
Français durant le confinement. Un ques­
tionnaire est lancé, SocialCov, auquel ré­
pondront plus de 42 000 personnes en
avril, pour estimer également ce nombre et
« JAMAIS NOUS la nature des contacts, deux clés pour cali­
brer les modèles.
N’AVIONS TESTÉ Malgré ces difficultés, « nous assistons au
DES MESURES triomphe des modèles… de 1927 ! », plaisante
Alain­Jacques Valleron, pour souligner que
D’INTERVENTION l’heure n’est pas à la révolution mais à la sta­
COMME UN bilité. 1927 est en effet l’année de naissance
de l’approche épidémiologique dite « par
CONFINEMENT. compartiments », où une population entre
CELA A POUSSÉ dans les cases, « sain », « infecté », « guéri »
ou « mort », et où des probabilités de pas­
NOS MODÈLES sage de l’une à l’autre décrivent la progres­
AUX LIMITES » sion d’une maladie. Depuis, le nombre de
VITTORIA COLIZZA
compartiments a augmenté, par l’ajout des
DIRECTRICE
« en réanimation », « asymptomatique »,
DE RECHERCHE « hospitalisé »… mais la philosophie est res­
À L’INSERM tée la même. C’est d’elle que sortent les con­
cepts devenus célèbres de croissance expo­
nentielle, d’immunité de groupe ou de taux
de reproduction… « Un modèle aide à repré­
senter un ensemble de petits raisonnements
logiques, dont la combinaison tellement
compliquée devient impossible à concevoir
dans notre tête. Il inclut toute la connais­
sance à un moment donné, et fournit une
analyse de la situation en prenant en compte
les incertitudes », résume Lulla Opatowski.
Alain­Jacques Valleron est plus rigoriste
quant à sa discipline : « Un modèle, ce n’est
pas calculer un taux de reproduction. Cela
doit nous aider à découvrir l’inconnu. Par
exemple, grâce à cette approche, on a com­
pris, en 1987, ce qui se passait dans l’épidémie
de sida en estimant un temps d’incubation
très long, de l’ordre de quinze ans. »
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Mais si les modélisateurs et modélisatrices
ont été en première ligne, ce n’est pas seule­
ment pour l’ancienneté, la rapidité ou la ri­
gueur de leurs analyses. C’est aussi pour leur
côté « oracle », bien qu’ils s’en défendent.
« Notre job n’est pas de faire des prédictions ! »,
rappelle Pierre­Yves Böelle, pour tenter de
dissiper le malentendu le plus fréquent sur
son travail. Les notes de Simon Cauchemez
précisent : « La distinction entre “scénario” et
“prédiction” est importante. Si l’on considère
que les projections associées à un scénario
sont des prédictions, cela sous­entend que ces
projections vont se réaliser quoi qu’il arrive.
Bien entendu, ce n’est pas le cas. Des mesures
de contrôle additionnelles ou une meilleure
adhésion de la population aux gestes barriè­
res peuvent rapidement et fortement changer
la dynamique de l’épidémie, et faire que le
scénario ne se réalise pas. » Autrement dit,
« nous lançons des alertes pour que la catas­
trophe n’arrive pas », assume Pascal Crépey.
Une pirouette que les détracteurs dénoncent
en rappelant les « erreurs » du passé sur la va­
che folle, ou la grippe H1N1 aux « prévisions »
catastrophistes.
LA DÉLICATE MÉDIATISATION
Ces critiques glissent sur les modélisateurs
qui usent de l’argument souvent entendu
que « les modèles ne se trompent pas, ce sont
les hypothèses ou les données derrière qui peu­
vent être incorrectes ». Il est vrai que, concer­
nant la vache folle, la prise en compte de la
structure d’âge a fait considérablement bais­
ser le nombre de morts. Et, pour la grippe de
2009, la mortalité s’est avérée plus faible que
les premières estimations. « Tout n’est pas
acquis si on se limite au modèle “général” de
1927 ! », insiste avec humour Alain­Jacques
Valleron. « J’ai reçu quelques mails ou courriers
d’insultes. On lit le premier, puis après on filtre.
On arrête aussi d’écouter ceux qui disent : “je ne
suis pas épidémiologiste, mais…” », soupire
Pierre­Yves Boëlle. Ces spécialistes rappellent
aussi que leurs modèles n’ont en rien permis
de décider du confinement.
Tous ces experts soudain visibles recon­
naissent néanmoins leurs difficultés de
communication. « Nous avons dû apprendre
à livrer nos résultats au grand public, mais
aussi aux décideurs, notamment en indiquant
les incertitudes, les fourchettes, en parlant de
“scénarios” plutôt que de “prédictions”….», ré­
sume Laura Temime. « Ce n’est pas simple car
ce qui est lu n’est pas toujours ce qui est écrit »,
se souvient Pierre­Yves Boëlle, qui rappelle
que certains ont accusé un de ses articles de
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
stigmatiser les personnes âgées, alors qu’il
s’agissait d’étudier l’effet de la réduction des
contacts dans cette tranche d’âge. « L’un des
problèmes est que, si les spécialistes ne pren­
nent pas la place, d’autres, moins experts, la
prennent, témoigne Pascal Crépey. C’est assez
gênant de se retrouver le porte­parole d’une
communauté. La médiatisation apporte une
légitimation qui n’est pas dans nos habitudes
académiques. »
Pendant que ces spécialistes de première li­
gne font tourner leurs ordinateurs, acceptent
la lumière médiatique, essuient les critiques
et alimentent les conseillers des décideurs,
un second cercle s’est très vite agité. « On piaf­
fait d’impatience ! », témoigne Pierre­Louis
Lions, mathématicien médaillé Fields, pour
qui une croissance exponentielle n’a pas de
secret et qui très tôt voit la catastrophe arri­
ver. « A partir de février, nous avons com­
mencé à recevoir des propositions de modèles,
des questions sur des articles publiés, des offres
d’assistance… émanant de chercheurs dont
l’épidémiologie n’était pas le cœur de métier,
mais très compétents, indique Jean­Stéphane
Dhersin, mathématicien, directeur adjoint de
l’Institut national des sciences mathémati­
ques et de leurs interactions du CNRS. Nous
savions que les spécialistes de la modélisation
des épidémies étaient sous l’eau et engagés
dans des modélisations pour aider à la déci­
sion. Alors naît l’idée de coordonner l’ensemble
de ces volontés pour faire autre chose. Le
31 mars, le réseau Modcov19 était lancé. »
En une semaine, ce sont 150 personnes
qui le rejoignent pour réaliser une veille bi­
bliographique, proposer des exposés, réu­
nir des groupes de travail… La même initia­
tive au Royaume­Uni, sous l’égide de la
Royal Society, a motivé 1 800 volontaires,
indice d’une culture de la modélisation en
épidémiologie plus diffusée outre­Manche,
qui a inventé la discipline.
Très vite, une idée jaillit dans ce réseau.
« Les premiers modèles, dont celui de l’Impe­
rial College de Londres, manquaient de ce
que l’on appelle l’“analyse de sensibilité”,
c’est­à­dire l’estimation de l’influence de cha­
que paramètre dans le résultat. Certains fac­
teurs comptent plus que d’autres, et il est
donc important d’en réduire l’incertitude. Or,
justement, on réalise que la part des asymp­
tomatiques est l’un de ces facteurs­clés. On a
donc proposé de réaliser un échantillonnage
aléatoire en Ile­de­France pour connaître la
prévalence de la maladie », indique Josselin
Garnier, mathématicien, professeur à l’Ecole
polytechnique au Centre de mathématiques
appliquées (CMAP). Un noyau d’une dizaine
de personnes aux compétences variées est
motivé pour mener l’expérience. La Ville de
Paris soutient. « Et puis ça s’est complexifié.
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Pas vraiment
un mur, mais ça s’est embourbé. Et ça ne s’est
pas fait », tranche Josselin Garnier, déçu
mais pas amer.
Une collègue aura eu « plus » de chance.
Saisissant l’idée au bond, Anne Gégout­Petit
et Pierre Vallois, professeurs en probabilités
et statistiques à l’université de Lorraine, dé­
cident de lancer la même chose dans la mé­
tropole de Nancy. Début avril, les premiers
contacts sont pris, et l’expérience est réali­
sée en juillet sur 2 000 personnes, mais…
toujours pas de résultats communiqués au
3 janvier.
« A la réunion hebdomadaire de mon
équipe, le 12 mars, je fais un exposé sur l’épi­
démie, en m’étonnant de ne pas voir de résul­
tats de nos collègues modélisateurs, alors
qu’en Angleterre il y a déjà des publications.
J’explique qu’on pourrait s’y mettre », rap­
pelle Samuel Alizon, directeur de recherche
au CNRS au Laboratoire maladies infectieu­
ses et vecteurs : écologie, génétique, évolu­
tion et contrôle de Montpellier. Ce spécia­
liste de biologie de l’évolution ne déclenche
pas l’enthousiasme car le sentiment général
est que « tout le monde va le faire ».
TRAVAIL DE COORDINATION
Finalement, son groupe identifie plusieurs
« niches » et une cible, la frange la plus cu­
rieuse du grand public, qui les hissent au
rang d’interlocuteurs crédibles dans le cer­
cle de la modélisation de l’épidémie. Ils sont
les premiers à analyser les séquences géné­
tiques virales nationales et à faire le lien
avec les propriétés de l’épidémie. Ils calcu­
lent les fameux taux de reproduction. Met­
tent en ligne des projections avec plusieurs
paramètres ajustables… Treize « rapports »
et deux logiciels sont mis en ligne. « Finale­
ment, c’était original et pas si mauvais ! »,
s’amuse le chercheur.
Un autre mathématicien du CMAP, Marc
Lavielle, s’est distingué également par une
approche originale. Lui, comme d’autres, est
capable de « voir » dans le brouillard des
données. Depuis septembre, cet habitué des
développements informatiques et des logi­
ciels a mis en ligne une sorte de thermomè­
tre de l’épidémie en France, qui extrait les
accélérations et décélérations successives
de la pandémie. C’est une approche classi­
que en mathématiques ou physique. Au lieu
science & médecine | 23
SERGIO AQUINDO
de modéliser les phénomènes, on modélise
les données elles­mêmes, c’est­à­dire qu’on
essaie de trouver la meilleure fonction ma­
thématique qui reproduit l’évolution obser­
vée. Autrement dit, on cherche à savoir si
une croissance est exponentielle, plutôt que
d’expliquer pourquoi elle le serait, comme le
font les modèles par compartiment.
Et, en l’occurrence, le spécialiste découvre
que c’est « super­exponentiel » en octobre ! Le
coefficient exponentiel change au cours du
temps… Il a même vu très tôt le ralentisse­
ment de la décrue après le deuxième pic et
la probable réaugmentation actuelle… « Il ne
faut pas se contenter de regarder si ça monte
(on est inquiet) ou si ça descend (on est ras­
suré). Il faut surtout regarder comment évo­
luent ces variations dans le temps », résume
le chercheur.
VOIR DANS LE BROUILLARD DES DONNÉES
Une autre communauté est montée au cré­
neau pour défendre une troisième voie, ni
« UN MODÈLE, compartiments ni modélisation des don­
nées. « Début mars, nous avons lancé une ini­
CE N’EST PAS tiative pour répondre à des défis posés par
CALCULER l’épidémie. D’un noyau de cinq personnes,
géographes, informaticiens, matheux, on est
UN TAUX DE vite passés à trente », résume Arnaud Banos,
REPRODUCTION. géographe, directeur de recherche au CNRS,
à l’origine de ce collectif baptisé CoVprehen­
CELA DOIT sion. Leur spécialité est la simulation multi­
NOUS AIDER agents, c’est­à­dire la reproduction in silico
de mini­sociétés humaines, représentées
À DÉCOUVRIR par des individus qui se déplacent, interagis­
L’INCONNU » sent, se confinent, s’éloignent et se passent
ALAIN-JACQUES
ou non des virus… L’approche est donc diffé­
VALLERON rente de celle des compartiments qui ont
PROFESSEUR emporté la mise. Pourtant, c’est une telle
D’ÉPIDÉMIOLOGIE technique qui fait parler d’elle en premier.
Les conclusions de l’Imperial College de
Londres et de Neil Ferguson du 16 mars sont
tirées de telles simulations, développées et
validées auparavant sur la grippe.
« En fait, ce gros modèle très détaillé donne
les mêmes résultats que les approches par
compartiments, qui ont moins de paramè­
tres », note Samuel Alizon. L’équipe de Fer­
guson elle­même rebasculera très vite sur
les « compartiments ». « Ces méthodes sont
plus compliquées en pratique à mettre en
œuvre et sont donc moins opérationnelles,
notamment en temps de crise », rappelle
Alain­Jacques Valleron. « Les simulations
multi­agents mettent mieux en évidence la
variabilité des phénomènes », plaide Arnaud
Banos, qui constate que les deux approches
sont moins séparées qu’elles n’ont été.
Elles sont très efficaces pour la pédagogie,
comme le montrent les vingt défis visibles
sur le site de CoVprehension, assortis
d’autant de simulations interactives. Au lieu
d’équations différentielles, des boules se dé­
placent, se touchent, changent de couleur.
On saisit mieux le rôle de la distanciation
physique, du confinement… Mieux, on per­
çoit l’importance du réseau social d’interac­
tions, des superpropagateurs… Un livre de
deux membres du collectif, Juliette Rouchier
et Victorien Barbet, La Diffusion de la Covid­19
(Editions Matériologiques, 2020), résume
bien les apports pédagogiques mais aussi
scientifiques de ces méthodes. « L’approche
qualitative de ces modèles aurait été parti­
culièrement adaptée en complément des ap­
proches quantitatives. On aurait aussi pu
s’en servir pour affiner par essai­erreur in
silico les définitions précises des politiques
publiques qu’on souhaitait mettre en place.
Tout cela plaide pour une plus grande di­
versité des approches et de la recherche plus
collective », estime Juliette Rouchier.
Premier cercle, deuxième cercle, on peut
même y ajouter un troisième, en comptant
cette foule de scientifiques de bonne volonté
qui ont voulu apporter leur pierre à l’édifice.
Ce physicien, par exemple, qui est passé aux
échelles logarithmiques pour montrer les
proximités des croissances chinoises, ita­
liennes, françaises et qui voulait alerter sur
les sommets catastrophiques à venir. Ou cet
astrophysicien qui lui aussi à partir des mê­
mes données livre des bulletins météo in­
quiétants. « J’ai reçu pas mal de choses plus ou
moins loufoques, ou des messages hebdoma­
daires qui se contentaient de prolonger les
courbes… Dans le lot, forcément, il y a eu des
choses justes », se rappelle Jean­Stéphane
Dhersin, qui met en avant le caractère « al­
truiste » des mathématiciens et « l’expérience
humaine agréable » qu’il a vécue.
« C’est ce que j’appelle la recherche hors les
murs, participative. Ça a été extraordinaire
sur le Covid. Certes avec du mauvais, mais
aussi du bon ! », apprécie Alain­Jacques Val­
leron. « On ne devient pas spécialiste en
quelques semaines », tempère cependant
Pierre­Yves Boëlle.
DES SUCCÈS ET DES REGRETS
Quelles leçons tirer de ces premiers mois au
front pour cette communauté suractive ? Il y
a bien sûr ces regrets de n’avoir pu lancer
d’« expériences » pour combler les trous dans
les données, comme avec les tests randomi­
sés. « On aurait pu aussi suivre une cohorte de
30 000 à 50 000 personnes pour avoir des
données autres qu’hospitalières sur cette épi­
démie », souligne Alain­Jacques Valleron. Le
noyau dur des modélisateurs regrette aussi
de ne pas avoir pu consacrer plus de temps à
ces bonnes volontés, mais encadrer, former
de nouveaux venus aurait pénalisé leurs
propres travaux. « Peut­être faudrait­il élargir
la réserve sanitaire aux data scientists », s’in­
terroge Pascal Crépey. Ou créer une réserve
scientifique, comme l’a proposé le microbio­
logiste Philippe Sansonetti, professeur au
Collège de France.
Il y a aussi eu ce retour de balancier, qui a
fait brutalement passer de l’absence de
modèles au trop­plein de chiffres, et qui a
conduit à publiciser des taux de reproduc­
tion avec deux chiffres après la virgule,
sans aucun sens.
Il est encore trop tôt pour savoir si le
paysage national restera identique ou se rap­
prochera des systèmes britanniques ou amé­
ricains, qui ont une culture et une commu­
nauté plus importante sur ce sujet. « Amélio­
rer l’articulation entre modélisation et aide à
la décision était en cours en France, souligne
Simon Cauchemez. Le Covid­19 a donné un
coup d’accélérateur. » « On doit poursuivre la
réflexion sur la meilleure manière de faire »,
appuie Pascal Crépey. Pour l’instant, Santé
publique France (SPF) avait choisi de ne pas
avoir une véritable équipe de modélisateurs,
préférant entretenir des collaborations avec
le monde académique afin de rester au
« sommet des connaissances », indique Daniel
Lévy­Brühl, responsable de l’unité des infec­
tions respiratoires de SPF, qui précise que la
modélisation nourrissait déjà les décisions
de l’organisme, par exemple sur les stratégies
vaccinales. Le réseau Modcov19 est en tout
cas pérennisé pour quatre ans, prêt à mieux
répondre aux besoins.
En attendant, chacun tire des satisfactions
personnelles, avec notamment des publica­
tions dans des revues prestigieuses. « J’ai
trouvé avec cette pandémie de nouveaux
collaborateurs et de nouveaux projets,
comme la simulation de l’occupation des lits
d’hôpitaux », témoigne Anne Gégout­Petit.
« Cela fera d’excellents exemples pour mon
cours d’analyse de sensibilité », note Josselin
Garnier. Mais pour beaucoup, toujours sous
pression et qui semblent avoir perdu la no­
tion du temps, un souhait est prioritaire,
« vivement que ça s’arrête ! ». 
david larousserie
 0123
24 | science & médecine MERCREDI 6 JANVIER 2021

LE LIVRE DIX MILLE PAS ET PLUS

L’humain, forgé  LE VÉLO ÉLECTRIQUE POUR SE REMETTRE EN SELLE

par sa pensée Par PASCALE SANTI (équivalent métabolique), il se situe autour de 5 ou 6,
soit entre la marche (3,5 MET) et le vélo standard (de 6
VAE améliore les capacités cardiorespiratoires des per­
sonnes physiquement inactives. « Notre but est d’être le

Marcel Otte suit à la trace

les manifestations
V ous avez peut­être trouvé un vélo à assistance
électrique (VAE) au pied du sapin de Noël, ou
pas. Car victimes de son succès, plusieurs fa­
bricants font face à des pénuries. Les ventes ne cessent
d’augmenter, dopées par le contexte sanitaire qui
de la pensée symbolique pousse les Français à bouder les transports en com­
préhistorique et montre mun. Nous l’avions déjà évoqué dans cette chronique.
« Il est devenu la star de ces dernières années, résume
qu’elle pourrait être le Olivier Schneider, président de la Fédération des usa­
gers de la bicyclette (FUB). Quand j’ai acheté le mien il y
moteur de notre évolution a une dizaine d’années, il se vendait par an ce qu’il se
vend aujourd’hui par semaine. » Le VAE représente
aujourd’hui près d’un quart des vélos adultes vendus
à 7 MET). L’équipe du professeur Jean­Luc Bosson,
chercheur et médecin de santé publique au CHU de
Grenoble, accompagne des personnes malades pour
leur mettre, ou remettre, le pied à l’étrier grâce au
VAE. L’étude Oncovélis, réalisée avec une quinzaine de
patientes, qu’il a coordonnée et qui est en cours de
publication, porte sur la réhabilitation physique. « Ces
femmes touchées par un cancer du sein, fatiguées par
les traitements, déconditionnées physiquement, sont
parvenues à aller au sommet d’un col de 1 300 mètres à
vélo », souligne Jean­Luc Bosson.
Créer de la motivation
trait d’union, de reconditionner les gens physiquement,
psychologiquement, pour les amener à poursuivre l’acti­
vité physique », poursuit­il. Des travaux sont en cours
portant sur 56 patients touchés par la fibromyalgie et
des personnes affectées par le diabète ou l’obésité.
Une étude conduite par le docteur Bruno Chabanas,
médecin du sport au service de santé universitaire de
l’université Clermont Auvergne, et l’Observatoire na­
tional de l’activité physique et de la sédentarité
(Onaps), a porté sur une trentaine de personnes qui
font du VAE dans la vie réelle. Les résultats, présentés à
une conférence de l’Eupha (European Public Health)
fin 2019, ont mis en évidence que, après quatre à cinq

C ondenser plus de trois millions d’an­

nées d’aventure humaine en moins
de 250 pages, c’est le défi osé que re­
lève le paléoanthropologue belge Marcel Otte
dans son dernier ouvrage dont le titre, sous
forme de question, provoque : Sommes­nous
si différents des hommes préhistoriques ? Les
représentations de ce qu’il appelle « les huma­
nités antérieures » ne nous incitent pas à nous
trouver moult points communs avec des aus­
tralopithèques craintifs évoluant dans la sa­
vane, avec des néandertaliens vivant chiche­
ment de ce que la nature offre ou avec les
Homo sapiens de Chauvet ou de Lascaux, da­
vantage préoccupés par des chevaux symbo­
liques que par les nouvelles vidéos de cha­
par an (500 000 sur 2 millions en tout), selon la FUB,
alors qu’ils ne comptaient que pour 7 % du parc utilisé,
selon une enquête de l’Observatoire du tourisme à
vélo rendue publique en mai 2018. Loin de n’être qu’un
effet de mode, il est souvent adopté par des personnes
qui se déplaçaient auparavant en voiture.
On le sait, le vélo est bon pour la santé, avec des bé­
néfices largement supérieurs aux risques. Les études
scientifiques sont unanimes : il diminue la mortalité,
améliore la fonction cardiorespiratoire, le moral, per­
met de diminuer le diabète, l’obésité… Moins étudié,
le VAE dispose lui aussi d’atouts. En termes de MET
Selon ce spécialiste, le VAE permet d’adapter le niveau
à chaque personne, sans décourager les plus faibles,
qui, ainsi, ne se sentent pas stigmatisés. Il aide ainsi à
parcourir de plus grandes distances, en famille, à plu­
sieurs, même si les conditions physiques sont diffé­
rentes, ce qui crée une motivation supplémentaire.
Jean­Luc Bosson réfute l’argumentaire disant que ces
personnes « n’ont qu’à faire du vélo », car, selon lui, le
VAE est aussi une activité physique. Une revue de la lit­
térature scientifique publiée fin 2018 dans Internatio­
nal Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity,
impliquant au total 300 participants, a montré que le
mois, les utilisateurs de vélo électrique augmentent
sensiblement leur activité physique totale, voient leur
capacité cardiorespiratoire (VO2 max) améliorée, mais
aussi leur profil d’adiposité, et leur santé mentale. En
revanche, la sédentarité est restée à des niveaux éle­
vés, entre huit à neuf heures par jour. Ces travaux, en
cours de publication, montrent que « le vélo à assis­
tance électrique apporte des bénéfices probants, et qui
semblent durables au cours du temps », précise Bruno
Chabanas, qui en a fait son sujet de thèse. Alors, à
l’heure des résolutions, enfourcher le vélo, même
électrique, pourrait en être une. 

tons trognons à visionner sur YouTube.
Pourtant, à y regarder de plus près, si l’on
écarte la fausse impression que nos lointains
prédécesseurs habitaient une sorte de temps
figé alors que nous nous démenons dans un
immédiat sans cesse accéléré, de profondes
similitudes existent. Selon Marcel Otte, le
moteur principal de notre longue évolution
se cache dans notre système de pensée, dans
la culture que nous construisons, et non pas
dans la biologie ou dans les contraintes po­
sées par l’environnement. Comprendre le
monde qui nous entoure pour mieux le con­
trôler est notre raison d’être. Le processus hu­
main, écrit­il en introduction, s’avère une in­
cessante « conquête activée par le goût de l’in­
connu, de l’insaisissable (…). Aucun geste,
aucune action, aucun de nos espoirs ne peut
être envisagé en dehors de ce mécanisme spiri­
tuel qui mène de notre statut de primate fores­
tier à celui de bipède social et expansionniste
dont les ambitions détruisent la Terre ».
Dans son récit, l’auteur suit à la trace les ma­
nifestations de la pensée symbolique préhis­
torique, que ce soit dans les rituels d’inhuma­
tion, dans les parures, dans les peintures et
gravures rupestres, dans la complexification
des techniques mais aussi celle des systèmes
sociaux. On regrettera néanmoins que la qua­
rantaine de planches photographiques cen­
sées illustrer ce cheminement aient été im­
primées en noir et blanc, et souvent avec plus
de noir que de blanc, ce qui rend parfois ma­
laisée l’observation des documents.
Malgré cela, la thèse originale de Marcel
Otte, qui consiste à traquer dans les résultats
archéologiques la force de l’imagination,
voire celle du rêve, séduit, presque autant
qu’elle met en garde. Homo n’a de cesse de
maîtriser la nature sauvage, de conquérir
des espaces (et l’espace supra­atmosphéri­
que aujourd’hui) qu’aucun autre primate ne
pourrait investir. Au point de s’être méta­
morphosé en une espèce « qui ne peut subsis­
ter que par ses propres créations artificielles ».
Au point aussi de risquer l’autodestruction
par une prédation déraisonnée de la planète.
L’auteur reste cependant optimiste : « L’hu­
manité s’est faite par la pensée et c’est par elle
qu’elle se sauvera. » Confiance dans la part
préhistorique qui réside en nous ? 
pierre barthélémy
Sommes­nous si différents des hommes
préhistoriques ?, de Marcel Otte (Odile
Jacob, 256 p., 24,90 €).
Le soleil artificiel coréen a brûlé pendant 20 secondes
Un pas vient d’être franchi dans la maî-
trise d’une technologie-clé susceptible
de domestiquer la fusion nucléaire,
cette réaction énergétique qui intervient
dans le Soleil et les bombes thermonu-
cléaires. Le tokamak supraconducteur
sud-coréen de recherche avancée
(Kstar) a établi un nouveau record
mondial en réussissant à maintenir un
plasma – de l’hydrogène chauffé – pen-
dant vingt secondes à une température
supérieure à 100 millions de degrés, a
annoncé l’Institut coréen de l’énergie de
fusion (KEF) le 24 décembre. Kstar vise
les trois cents secondes d’ici à 2025.
Cette performance a été possible parce
que les électroaimants de la chambre
toroïdale (photo) sont supraconduc-
teurs : ils permettent de confiner le gaz
chauffé sans que l’installation elle-
même n’entre en surchauffe. Mais aussi
parce que les chercheurs coréens ont
appris à contrôler certaines turbulences
facilitant le maintien du plasma à haute
température. L’objectif est de contribuer
au fonctionnement optimal du Réacteur
thermonucléaire expérimental interna-
tional (ITER), en cours de construction
en France à Saint-Paul-lez-Durance
(Bouches-du-Rhône). Celui-ci doit pro-
duire son premier plasma en 2025.
(PHOTO : KOREA INSTITUTE OF FUSION ENERGY)
plus elles sont nombreuses, moins le vi­ pas) par rapport à ce que serait ce risque
rus circule, et moins il y aura de conta­ si personne n’était vacciné. Voilà donc
CARTE BLANCHE minations et donc de malades. Par
ailleurs, la durée de la protection appor­
quatre notions différentes d’efficacité.
Dans tous les cas, les vaccins contre le
tée par le vaccin, encore mal connue, est Covid seront extrêmement utiles même
très importante dans la réalité, alors si leur efficacité globale sera probable­
L’efficacité vaccinale en quatre notions qu’elle n’intervient que peu dans l’essai
clinique, qui dure peu de temps. L’effica­
cité réelle ne peut s’évaluer qu’après la
ment inférieure à 95 %. Même une va­
leur de 50 % permettrait d’éviter la moi­
tié des maladies, entraînerait une dimi­
mise en circulation du vaccin, grâce à nution considérable de la circulation du
Par ÉTIENNE GHYS les malades vaccinés étaient vingt fois des enquêtes épidémiologiques délica­ virus dans la population et sauverait un
moins nombreux que ceux qui ne tes : il faudra du temps pour la connaître grand nombre de vies.

LIVRAISON
L’ efficacité du vaccin Pfizer est
estimée à 95 %. Cela signifie­t­il,
comme on l’entend parfois,
que, sur cent personnes vaccinées, cinq
seront malades du Covid ? Ce n’est heu­
l’étaient pas. Le risque d’être malade si
on est vacciné est donc de 5 % du risque
qu’on court si on n’est pas vacciné.
Autrement dit, le risque de maladie a été
diminué de 95 %, ce qu’on exprime en
dans le cas des vaccins anti­Covid.

Des bénéfices pour tous

« Poésie et astronomie : de l’Antiquité
au romantisme »
L’éternelle fascination des humains pour
les phénomènes célestes ne pouvait
que se traduire en mots. Dans cet ouvrage
collectif érudit, une série d’articles analyse
la place des astres dans la poésie, depuis
l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle romantique
en passant par les références cosmologiques
présentes dans trois pièces de Shakespeare.
Des astronomes aux poètes, il n’y a
parfois qu’un pas enjambant la Voie lactée.
Ouvrage collectif, dirigé par Florian Barrière et
Caroline Bertonèche (UGA Editions, 210 p., 25 €).
reusement pas de cette façon qu’il faut
comprendre ce chiffre. Quelques défi­
nitions sont peut­être utiles pour éviter
de tels malentendus.
Dans le monde entier, le laboratoire a
sélectionné 43 000 volontaires. Une
moitié d’entre eux, choisie au hasard, a
été vaccinée. L’autre moitié a été « vac­
cinée » avec un placebo : de l’eau salée.
Les volontaires ne pouvaient pas savoir
s’ils avaient été vraiment vaccinés. On a
ensuite attendu que 170 d’entre eux res­
sentent des symptômes du Covid et que
les résultats de leur test se révèlent posi­
tifs. Parmi eux, huit avaient été vacci­
nés et 162 avaient reçu le placebo. Ainsi,
disant que l’efficacité clinique est de
95 %. Cet essai clinique doit être réalisé
avant la mise en circulation du vaccin,
car une efficacité supérieure à 50 % est
indispensable pour obtenir l’autorisa­
tion de mise sur le marché : 95 % est
donc un très bon score.
L’efficacité dans la vie réelle nous inté­
resse bien plus : il s’agit maintenant de
connaître la diminution du risque de
maladie dans le monde réel pour une
personne vaccinée. C’est assez différent
d’un essai clinique, qui mesure surtout
un degré de protection individuel. L’effi­
cacité réelle dépend du nombre de per­
sonnes vaccinées dans la population :
Il faut encore ajouter deux autres sor­
tes d’efficacité. N’oublions pas que la
vaccination est avant tout une mesure
de santé publique, qui ne vise pas seule­
ment à limiter le risque de maladie
pour l’individu vacciné, mais aussi
pour toute la société, dont une propor­
tion importante n’est pas vaccinée
(parfois d’ailleurs pour de bonnes rai­
sons). On peut alors estimer l’efficacité
indirecte, c’est­à­dire la diminution du
risque dont les individus non vaccinés
bénéficient grâce à ceux qui sont vacci­
nés et qui ne les contaminent pas. En­
fin, il y a l’efficacité globale, peut­être la
plus importante et la plus difficile à es­
timer : la diminution du risque moyen
dans la population totale (vaccinée ou
Comme toujours, il faut faire atten­
tion avec les chiffres. Imaginons que,
dans une population, il y ait dix fois
plus de vaccinés que de non­vaccinés.
Imaginons que le risque de maladie
pour un vacciné soit cinq fois moins
important que pour un non­vacciné.
Comme les vaccinés sont dix fois plus
nombreux, le nombre de malades vac­
cinés sera le double de celui des non­
vaccinés. N’en déduisons surtout pas
que la vaccination est inefficace.
N’hésitez pas ! Dès que vous en aurez
la possibilité, vaccinez­vous ! 
Etienne Ghys
Mathématicien, secrétaire perpétuel
de l’Académie des sciences, directeur
de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon.
etienne.ghys@ens-lyon.fr
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
ENTRETIEN
« La médecine militaire est devenue  MÉ DECINE
un labo de la lutte contre les épidémies »
L’historien Frédéric Vagneron revient sur l’évolution du rôle des armées dans la diffusion des
infections. Mais aussi sur le formidable terrain d’étude des épidémies que permet le milieu militaire
E n 2020, des bâtiments mili­
taires ont été frappés par
l’épidémie de Covid­19, que
l’armée a suivie de près. Dans la
lutte contre les maladies infec­
tieuses, quelle est la place de l’ar­
mée ? Et par le passé ? Entretien
avec Frédéric Vagneron, historien
de la médecine et des maladies in­
fectieuses, enseignant­chercheur
à l’université de Strasbourg.
L’épidémie de Covid­19 a sévi à
bord de porte­avions français et
américain. L’armée y a observé
la transmission du virus. Quels
sont les atouts et les limites
du modèle militaire ?
Dans le contexte des maladies
infectieuses, le milieu militaire
offre un terrain d’études circons­
tanciées. Les infections sur des
porte­avions, mais aussi dans des
casernes ou des bases militaires,
permettent, grâce à des tests systé­
matiques, d’étudier par exemple
la proportion de soldats asympto­
matiques ou la dynamique de pro­
pagation du virus dans des condi­
tions « contrôlées », ce qui est très
difficile dans la population géné­
rale. Pour autant, la population
militaire, plutôt jeune, est peu re­
présentative de l’ensemble de la
population, et encore moins des
personnes les plus vulnérables
face au virus.
Autrefois, les armées en cam­
pagne n’ont­elles pas joué
un rôle majeur dans la diffusion
des épidémies ?
Bien des maladies infectieuses,
en effet, ont été associées au pas­
sage des troupes militaires. Le ty­
phus est à cet égard emblémati­
que : cette maladie dévastatrice,
transmise par les poux et les pu­
ces, tendait à suivre les guerres et
les famines. Autre exemple type :
la syphilis, ou « mal de Naples »,
ou encore « mal des Français », a
été associée au passage des sol­
dats français lors des guerres
d’Italie, à la fin du XVe siècle. Les
colonies n’ont pas été épargnées,
tant s’en faut. On sait aujourd’hui
que la « conquête » militaire des
Amériques a largement été une
conquête microbiologique : les
troupes ont amené la variole et
la rougeole qui ont décimé les
populations autochtones.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle,
les infections ont été
la première cause de mortalité
dans les armées…
C’est exact. Cette mortalité ré­
sultait d’épidémies dans les trou­
pes ou de blessures infectées sur
les champs de bataille. A ce titre,
le désastre de la guerre de Crimée
(1853­1856) connut un écho reten­
tissant, en Angleterre et au­delà,
grâce aux travaux de Florence
Nightingale (1820­1910). Par des
analyses statistiques, cette infir­
mière britannique révéla les rava­
ges du choléra et de la dysenterie
lors de ce conflit : deux épidémies
liées à l’insalubrité des condi­
tions de casernement et de soins
aux soldats britanniques (les
contingents français furent éga­
lement affectés).
Mais la guerre franco­allemande
de 1870 marquera un tournant : ce
sera le premier conflit où les ar­
mes tueront davantage que les
maladies… dans l’armée alleman­
de. Au total, 23 000 soldats fran­
çais environ périront de la variole
– contre moins de 500 chez les
Allemands ! Cet événement sera
largement commenté, en France,
comme une victoire du système
de soins militaire allemand.
L’historien Frédéric Vagneron, à Strasbourg, le 30 décembre 2020. PASCAL BASTIEN/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Quand l’armée a­t­elle commen­
cé à s’organiser pour combattre
les maladies infectieuses ?
A la fin du XIXe siècle, la méde­
cine militaire devient un labora­
toire de la lutte contre les épi­
démies. L’essor des statistiques
médicales militaires permet d’ob­
jectiver le fardeau des pertes par
maladies infectieuses dans la trou­
pe, en temps de guerre comme en
temps de paix, en métropole et
dans les colonies. Le cadre mili­
taire, par ailleurs, permet de met­
tre en pratique de manière rigou­
reuse, sur des populations relati­
vement homogènes, les mesures
prophylactiques issues de la nou­
velle science microbiologique :
conditions de casernement, éradi­
cation des vecteurs de maladies
(puces véhiculant le typhus, par
exemple, durant la première
guerre mondiale), mais aussi vac­
cins et médicaments. L’armée
française, en particulier, se mon­
tre une alliée importante dans la
« pasteurisation » de la société.
Et dans les colonies ?
Toujours à la fin du XIXe siècle,
des médecins militaires mettent
en lumière le rôle des moustiques,
vecteurs du paludisme et de la
fièvre jaune respectivement aux
Indes britanniques et à Cuba. La
médecine militaire coloniale s’or­
ganise alors pour protéger ses
troupes, permettre leur installa­
tion durable et leur « acclimata­
tion ». Mais elle sert aussi de jus­
tificatif humanitaire au contrôle
et à l’exploitation des popula­
tions autochtones. Elle est ainsi la
face publique positive, en som­
me, d’une entreprise coloniale
impérialiste qui soumet les corps.
La première guerre mondiale
est le premier grand conflit
où le contrôle prophylactique
des infections a été efficace.
Par quels moyens ?
Avec cette « guerre totale », les
liens entre la santé des militaires
au front et celle de la population à
l’arrière, engagée dans l’effort de
guerre, ont été particulièrement
scrutés. L’ensemble du pays, mo­
bilisé, devait éviter l’infection. La
Grande Guerre a permis la mise
en œuvre des mesures prophy­
lactiques qui découlaient des sa­
voirs microbiologiques : dépista­
ge de diverses infections, suivi de
l’isolement des malades, vaccina­
tion de masse contre la typhoïde,
soin des plaies susceptibles de
s’infecter grâce à la « solution
antiseptique de Dakin­Carrel ».
Quid de la terrible grippe espa­
gnole ? L’armée n’a­t­elle pas joué
ici un rôle dual, en contribuant
d’abord à propager cette pan­
démie, avant de la combattre ?
Vous avez tout à fait raison. La
guerre a sans doute été le facteur
décisif dans la propagation de
cette grippe de 1918­1920. On dé­
bat encore aujourd’hui des camps
militaires d’où cette pandémie a
surgi : des camps américains du
Middle West ? D’un camp britan­
nique à Etaples en France ? D’un
camp du sud­est de la Chine ? Une
certitude : c’est la circulation des
troupes et des travailleurs mobili­
sés durant cette guerre qui a dis­
séminé l’infection, notamment
avec le retour des soldats. Au final,
l’ensemble du globe a été touché.
D’un autre côté, l’armée des
pays belligérants a été en pre­
mière ligne dans la lutte contre la
pandémie. La première vague
épidémique, en France, n’aurait
pas été connue avec une telle pré­
cision sans l’état de guerre, per­
mettant une surveillance intense
des épidémies. L’armée a été très
prompte – bien plus que les auto­
rités civiles – à mesurer le danger
de cette grippe infectieuse, ou
« maladie n° 11 », dans le code mi­
litaire. L’isolement des malades a
été recommandé plus vite, les
protocoles de soin aux grippés
ont été discutés plus tôt pour les
militaires que pour les civils.
Et durant la seconde guerre
mondiale ?
Cette guerre offre un exemple
frappant des retombées, dans le
monde civil, des progrès accom­
plis dans la sphère militaire. C’est
durant ce conflit, par exemple, que
les procédés industriels de fabrica­
tion des antibiotiques ont été éla­
borés, et que les premières vacci­
nations massives contre la grippe
ont été mises en œuvre, notam­
ment dans l’armée américaine. Ce
n’est qu’après ces essais « gran­
deur nature » que ces pratiques se
sont répercutées au monde civil.
Et le rôle de l’armée dans la mise
au point d’armes biologiques ?
science & médecine | 25
L’utilisation des armes bacté­
riologiques est ancienne. L’appa­
rition de la peste noire serait liée
à l’utilisation militaire de vête­
ments de pestiférés envoyés
contre l’ennemi lors du siège de
Caffa, en Crimée. C’est surtout au
XXe siècle, à mesure que progres­
sent les savoirs bactériologiques,
que se développe la question de
leurs usages militaires. Durant la
première guerre mondiale, c’est
un thème de propagande impor­
tant. Lors du retour des prison­
niers de guerre, on craint qu’ils ne
ramènent involontairement des
maladies que l’ennemi aurait lais­
sées se développer. Durant la se­
conde guerre mondiale, des pro­
grammes de recherche et des ex­
périmentations ont lieu en Alle­
magne (sur l’île de Riems, siège de
l’Institut Friedrich­Loeffler), mais
aussi au Japon et chez les Alliés
(Grosse­Île, au Canada, était un
projet américano­canadien).
Et durant la guerre froide ?
Les armes bactériologiques sont
alors un des grands sujets de dé­
bat – avec l’arme nucléaire. En
pleine guerre de Corée, en 1952, les
Chinois ont accusé les Américains
d’avoir utilisé l’anthrax comme
arme biologique – mais des études
récentes ont prouvé que les sou­
ches bactériennes n’étaient pas
d’origine militaire américaine.
En 1977­1978, une épidémie de
grippe H1N1 survenue en Russie
soviétique aurait, selon des ru­
meurs, résulté d’une erreur de ma­
nipulation dans un laboratoire
militaire. Durant la guerre Irak­
Iran des années 1980, l’usage des
armes biologiques a aussi été dé­
noncé. Ce qui frappe aussi, c’est la
mobilisation des scientifiques, dès
les années 1950, contre l’usage de
ce type d’armes.
La sphère militaire pourrait­elle
aider à résoudre l’énigme de l’ori­
gine de la pandémie de Covid­19 ?
L’information militaire reste un
élément­clé, à croiser avec d’au­
tres sources, pour comprendre
comment est apparu le virus en
Chine, un mystère encore irré­
solu. Pour autant, la tradition du
secret, dans le monde militaire,
ne favorise pas la diffusion de ces
données dans l’espace public. 
propos recueillis par
florence rosier
TÉLESCOPE
b
De nouvelles mutations renforcent
l’agent du paludisme
Un médicament de première ligne destiné à
protéger les femmes enceintes et les enfants
du paludisme voit son efficacité remise en
question avec la progression des mutations
dans le génome du parasite responsable de
la maladie, transmis par divers moustiques.
La sulfadoxine­pyriméthamine avait déjà vu
son efficacité amoindrie par deux mutations.
Récemment, des mutations touchant un
troisième gène, pfgch 1, et renforçant la résis­
tance du Plasmodium ont été découvertes.
En analysant plus de 4 000 échantillons san­
guins provenant de 29 pays impaludés, une
équipe de la London School of Hygiene and
Tropical Medicine a observé au moins dix
versions différentes de pfgch 1 dans un quart
des prélèvements d’Asie du Sud­Est, et dans
un tiers de ceux provenant d’Afrique. Les
chercheurs estiment nécessaire de surveiller
la prévalence de ces mutations, pour savoir
où le médicament peut encore être efficace.
> Turkiewicz et al., « PLOS Genetics », 31 décem­
bre 2020
PSYCHOLOGI E
L’impulsivité dans l’enfance prédit
le vieillissement à l’âge adulte
Pour tenter de cerner l’influence éventuelle
de la maîtrise de soi sur le vieillissement, une
équipe internationale a étudié une cohorte
de 1 037 individus nés en Nouvelle­Zélande
entre 1972 et 1973. Elle a constaté que ceux
qui présentaient un niveau élevé de self­con­
trol dans l’enfance bénéficient en moyenne,
à 45 ans, d’un moindre vieillissement physi­
que et cérébral et d’une meilleure gestion de
leur santé, de leurs finances et de leurs rela­
tions sociales. Cette relation entre maîtrise
de soi dans l’enfance et vieillissement appa­
rent est indépendante du QI ou du niveau
socio­économique initial. Mais les choses ne
sont pas figées : certains individus ayant ga­
gné en self­control au fil des ans présentent
un profil de vieillissement amélioré.
> Richmond­Rakerd et al., « PNAS », 4 janvier
ASTRONOMIE
La belle récolte de la sonde
Hayabusa-2
La JAXA, l’agence spatiale japonaise, a pu­
blié, fin décembre 2020, les photos des « ré­
coltes » effectuées par sa sonde Hayabusa­2
sur l’astéroïde Ryugu. Grands comme des
dés à coudre, les deux récipients renfer­
mant les échantillons ont été ouverts après
le retour sur Terre, le 5 décembre, de la cap­
sule qui les contenait. Sur les images, on
voit les récipients pleins de gravillons noirs
comme du charbon, assez petits dans le
premier et en moyenne plus gros (près d’un
centimètre pour certains) dans le second.
Cette différence est probablement due au
fait que le deuxième prélèvement a eu lieu
après le tir d’un projectile de 2 kg à la sur­
face de Ryugu, qui y a creusé un cratère et
mis au jour du matériel enfoui. Au total,
Hayabusa­2 a rapporté 5,4 grammes
d’échantillons, soit bien plus que les
100 milligrammes espérés. PHOTO : JAXA
GÉ NÉ TI QU E
Un même gène ancestral
pour l’hémoglobine
L’étude de Platynereis dumerilii, un petit ver
marin au sang rouge, a permis de révéler
l’origine commune des gènes portant le code
de fabrication de l’hémoglobine chez des es­
pèces aussi éloignées que les mammifères,
les annélides, les mollusques ou les crusta­
cés. Tous dériveraient d’un gène ancestral
unique hérité de notre dernier aïeul com­
mun Urbilateria (– 600 millions d’années).
L’hémoglobine, protéine complexe capable
de véhiculer l’oxygène dans l’organisme,
aurait ainsi été réinventée plusieurs fois en
parallèle au cours de l’évolution. Cette étude
est le fruit d’une collaboration scientifique
entre des chercheurs du CNRS, de l’Univer­
sité de Paris, des universités de la Sorbonne,
de Saint­Pétersbourg et de Rio de Janeiro.
> Song et al., « BMC Evolutionary Biology »,
29 décembe 2020
 CULTURE
26 |
« Les arts, ça fait vivre beaucoup de monde »
La réalisatrice Claire Denis revient sur l’année 2020, désastreuse pour le cinéma et les tournages
RENCONTRE
A
vec Claire Denis, l’ac­
tualité du cinéma ne
ressemble jamais à un
tiroir isolé du reste. On
s’en doutait un peu avant de ren­
contrer la réalisatrice, qui a
grandi au Cameroun et a par­
couru le monde, les Etats­Unis
entre autres, lorsqu’elle était l’as­
sistante de Wim Wenders pour
Paris, Texas (1984) puis Les Ailes
du désir (1987). Elle a aussi tra­
vaillé au côté de Jacques Rivette
(1928­2016), qui l’a d’une certaine
manière encouragée à faire ses
premiers films. Aujourd’hui, à
plus de 70 ans, la cinéaste est
l’autrice de quatorze longs­mé­
trages, dont le dernier, le fiévreux
et fantastique High Life (2018), a
des airs de fin du monde avec ses
personnages confinés dans une
navette spatiale – Robert Pattin­
son recyclant ses déchets, Juliette
Binoche inséminant les jeunes
femmes à bord… Claire Denis a­t­
elle été réellement surprise d’ap­
prendre, en mars 2020, qu’un vi­
rus était en train de chambouler
la planète ? Oui, nous dit­elle. Elle
a même été prise de court.
Elle était dans une « bulle » lors­
qu’elle a dû plier bagage et ren­
trer d’urgence de Los Angeles, à
la mi­mars, alors qu’elle prépa­
rait le tournage d’un film avec le
chanteur canadien Abel Makko­
nen Tesfaye, dit The Weeknd.
« J’étais avec la chef opératrice
Agnès Godard et avec mon assis­
tante. Air France m’a appelée à
l’hôtel un dimanche matin, m’an­
nonçant que trois places nous
avaient été réservées dans le der­
nier vol pour Paris… Dans l’avion,
le champagne coulait à flots, on
pensait que le confinement ne du­
rerait pas longtemps. Je me sou­
viendrai toujours de notre arrivée
à Roissy, complètement vide. »
Claire Denis marque une pause
et ajoute : « Au même moment, le
16 mars, le tournage de Batman
avec Robert Pattinson, sous la di­
rection de Matt Reeves, s’arrêtait
subitement pour cause de Covid
au sein de l’équipe – il n’a repris
qu’en septembre 2020. Pattinson
s’est retrouvé bloqué à Londres,
un cauchemar. » La réalisatrice
compte les mois : Pattinson doit
jouer dans son prochain film,
The Stars at Noon, avec Margaret
Qualley, mais quand sera­t­il dis­
ponible ? Et le tournage pourra­
t­il avoir lieu comme prévu au
Nicaragua ?
Prendre les choses comme elles
viennent, telle est la nouvelle
devise. Claire Denis a donc passé
le printemps 2020 dans son ap­
partement parisien, où elle nous
reçoit, samedi 2 janvier, en fin de
journée, avec une tisane cambod­
gienne en guise d’apéro. « Pen­
dant le confinement, j’ai passé
beaucoup de temps dans la cour de
l’immeuble. Les enfants jouaient,
on faisait de la gym avec les voi­
sins, on a fêté mon anniversaire. Il
y avait quelque chose de terrible,
comme de la science­fiction. Mais
il y avait aussi les feuilles qui pous­
« La sortie des
Britanniques de
l’Europe, j’avoue
que ça m’atteint
beaucoup.
Je pense qu’on
était mieux
ensemble
que séparés »
saient aux arbres… Je me disais, il
ne faut pas paniquer. »
L’actualité tonitruante de l’an­
née 2020, pas seulement sanitaire
mais aussi politique, écologique,
migratoire, donnait pourtant des
sueurs froides. Souvent branchée
sur la radio, et sur les infos inter­
nationales, Claire Denis pourrait
tenir un journal dans lequel les
faits du jour s’entremêlent avec
– ou nourrissent – son agenda ci­
nématographique. Ainsi la date
du 25 mai 2020 restera­t­elle gra­
vée : aux Etats­Unis, en pleine
campagne présidentielle, la mort
d’un homme noir, George Floyd, à
la suite de son interpellation par
des policiers à Minneapolis, dé­
clenche des émeutes et réactive le
débat sur les violences policières,
les tensions raciales.
« Le masque, ça fatigue »
Claire Denis replonge alors dans
la lecture d’articles parus en 1926
dans une revue afro­américaine
dénommée Fire !!. « J’étais en feu »,
se souvient­elle, et le mot « feu »
est devenu le titre provisoire du
film qu’elle était en train d’écrire
« par petits morceaux » avec Chris­
tine Angot – celle­ci avait déjà col­
laboré au scénario d’Un beau so­
leil intérieur (2017). L’histoire ne
fait pas écho au drame américain,
mais le « feu » en devient le mo­
teur. C’est justement ce film (pro­
duit par Curiosa) que Claire Denis
tourne actuellement à Paris : Ju­
liette Binoche y interprète une
journaliste de Radio France inter­
nationale (RFI) et donne la répli­
que à Vincent Lindon. Grégoire
Colin, acteur fétiche de la cinéaste
depuis Nénette et Boni (1996),
ainsi que Bulle Ogier complètent
le casting.
La table de la cuisine s’est trans­
formée en bureau de travail. Les
« Rien ne
remplace
les salles. Je vous
assure qu’on
ne peut pas être
toute la journée
sur une
plate-forme »
messages s’accumulent sur le té­
léphone pendant l’entretien, tout
va trop vite. « On a commencé le
tournage sur les chapeaux de
roues le 14 décembre, et on doit ter­
miner le 20 janvier. C’est difficile
parce qu’on n’a pas eu beaucoup
de temps de préparation. Et les
contraintes sont fortes : le masque,
ça fatigue, on met du gel, on
mange éloignés les uns des autres,
on est testés régulièrement. J’ai
peur que quelqu’un tombe ma­
lade. Ça voudrait dire qu’on arrête
le film. C’est mon premier tour­
nage pendant la pandémie, j’es­
père que c’est mon dernier aussi… »
Claire Denis fait cette remar­
que : « Dans la tourmente, Robert
Pattinson est comme un bloc de
granite. C’est l’inverse de moi, je
suis plus friable que lui. C’est peut­
être ça être anglais, ne pas se
plaindre. Je dis cela parce que, en
plus de la pandémie, il y a eu le
Brexit. Et la sortie des Britanniques
de l’Europe, j’avoue que ça m’at­
teint beaucoup. Pas de la même
façon, certes, qu’une maladie qui
tue des gens et bloque le monde
entier. Mais tout de même… » Elle
le dira à plusieurs reprises : « Nous
sommes européens. Je pense qu’on
était mieux ensemble que séparés.
Boris Johnson ne m’est pas très
sympathique, et je pense qu’il a
pris cette décision au fond pour
sauver sa peau. » Le Royaume­
Uni, c’est aussi la musique et les
Tindersticks, ce groupe de
Nottingham avec lequel Claire
Denis travaille depuis plus de
vingt ans. « Ils vivent en France, je
les ai appelés, je leur ai dit :
“Qu’est­ce que je suis heureuse que
vous viviez ici, que vous ne soyez
pas isolés de moi ! Je trouve ça
tellement triste”… »
La défaite de Donald Trump
en 2020 pourrait la rassurer, mais
Claire Denis ne croyait guère à sa
réélection. « Trump, on va
l’oublier, tant mieux. J’étais in­
quiète et, en même temps, j’ai
toujours eu confiance dans
l’Amérique. Je connais bien cette
partie des Etats­Unis qui a voté
pour lui en 2016. Je connais la
dureté de la vie là­bas, pour l’avoir
traversée, pour y avoir travaillé il y
a trente ans… Les inégalités me
choquaient déjà. Je n’ai donc pas
été étonnée que des gens ac­
cueillent Trump comme un
sauveur. Des gens qui n’avaient
plus rien que la couleur blanche de
leur peau. Rien d’autre. »
La vaccination comme priorité
En ce début de janvier, alors que
toutes les salles de cinéma et de
spectacle sont fermées, la vaccina­
tion contre le Covid­19 se situe au
sommet de ses priorités. « Je ne
connais pas le plan du gouverne­
ment pour la réouverture des salles,
mais la seule chose que je peux dire,
c’est : “Activons le vaccin.” Mais je
n’ai pas l’impression que c’est le cas.
Je suis déçue que la France soit tou­
jours en retard d’un wagon. Moi,
j’ai eu un cancer et je suis asthmati­
que. Je devrais déjà être vaccinée
normalement… » Comme pour
justifier son obsession, elle ajoute :
« Vous savez, j’ai grandi en Afrique,
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Claire Denis,
le 3 janvier,
chez elle à Paris.
JEAN-FRANÇOIS ROBERT
POUR « LE MONDE »
j’ai eu beaucoup, beaucoup de vac­
cins. Et ceux qu’on n’avait pas, on
les attendait impatiemment. »
Elle ne « se projette pas » sur le
Festival de Cannes, qui pourrait
être décalé au début de l’été, mais
elle se souvient qu’en septem­
bre 2020 elle a eu la chance de
présider un jury à Venise, celui de
la section parallèle Orizzonti.
« C’était merveilleux. On était au
Lido, masqués… On voyait trois
films par jour. C’est pour ça que je
trouve injuste que les cinémas et
théâtres soient fermés, parce que
j’ai vu, à Venise, que toutes les pré­
cautions sanitaires étaient prises.
Les arts, ça fait vivre beaucoup de
monde, et ça donne à la vie un
goût un peu différent du métro,
boulot, dodo. »
En attendant, celle qui fait
partie de l’Académie des Oscars
reçoit « tous les jours des films »
sur lesquels elle devra voter, en
vue de la très attendue cérémonie
américaine de remise des prix
– laquelle devrait avoir lieu le
25 avril. « D’habitude, je vois la plu­
part de ces films en salle. Là, je les
regarde sur mon ordinateur ou sur
mon téléviseur, la nuit. C’est très
agréable, mais rien ne remplace
les salles. Je vous assure qu’on ne
peut pas être toute la journée sur
une plate­forme. »
L’hiver va passer, puis le prin­
temps des Oscars. Et peut­être, à
l’automne, Robert Pattinson
sera­t­il prêt pour le tournage de
The Stars at Noon ? « Il m’a dit
qu’après Batman il serait une
loque. Je suis contente. Je m’en fous
complètement. Je prends Robert
Pattinson comme il est. Et il me
prendra comme je suis. » La réali­
satrice mise sur un tournage
« fin 2021 », sans tirer de plans sur
la comète, on l’aura compris. 
clarisse fabre
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
Le déchirement
de la perte
d’un bébé
Sur Netflix, « Pieces of a Woman »,
de Kornel Mundruczo, brosse
le portrait d’une mère endeuillée
VOD
O
n ne misait plus
grand­chose sur le
cinéma de Kornel
Mundruczo après La
Lune de Jupiter (2017), improbable
allégorie de la crise migratoire
revue et corrigée façon film de
super­héros, avec son personnage
messianique d’émigré syrien
volant. Pour l’insaisissable réalisa­
teur hongrois né en 1975, lancé au
début des années 2000 sur la
scène des festivals internationaux,
la recherche poussive d’originalité
atteignait là un point de non­re­
tour, celui d’un mariage aberrant
entre le réel et l’imaginaire.
Pieces of a Woman, son dernier
long­métrage, passé in extremis
entre les gouttes du blocus sani­
taire par les cases festivalières de
Venise et de Toronto, acheté dans
la foulée par Netflix, rétablit la
vapeur de façon inattendue, par
un drame plus sobre, plus directe­
ment arrimé à une expérience
humaine et intime – celle, vertigi­
neuse, de la perte d’un enfant.
Situé à Boston, tourné en anglais,
le film marque de surcroît une
autre forme de virage : la pre­
mière incursion hors de l’Europe
du réalisateur, proche ici d’un
certain cinéma indépendant
américain estampillé « Côte est »,
dont on croise quelques figures
familières comme Benny Safdie
ou Ellen Burstyn.
Ecrit avec la dramaturge Kata
Wéber, fidèle collaboratrice de
La chanteuse Crystal Murray entend
« bouleverser les codes »
PROMESSES DE 2021 2|12 Douze artistes à suivre cette année. Aujourd’hui, la « soul girl » de 19 ans
C e qui devait être sa
première tournée d’été a
beau avoir été annulé
pour cause de crise sanitaire,
2020 n’aura pas empêché Crystal
Murray d’accélérer ses muta­
tions. On l’avait découverte, fin
2019, en « soul girl » franco­améri­
caine, imprégnée de groove
fleurant bon les années 1960 et
1970. Basse souple, claviers
vintage, beat discrètement
contemporain et chant, légère­
ment éraillé, gorgé de bonnes vi­
brations signaient le charme pro­
metteur de premiers titres (pu­
bliés par le label Because) aussi
sages qu’accrocheurs : Princess,
Easy Like Before, After Ten…
Fin 2020, la Parisienne qui, en
décembre, a fêté ses 19 ans,
lâchait cette fois un titre, Good
Girl Gone Bad (« la gentille fille qui
a mal tourné »), pimentant son
funk lascif d’électro et de scan­
sions trap, laissant entrevoir un
avenir plus audacieux et
alléchant.
« Si cette année a été frustrante
en termes de concerts et de travail
avec ma “band” [la jeune femme
parsème souvent ses phrases de
mots d’anglais], elle m’a permis
de me concentrer et de réfléchir
sur ma musique et la façon dont
je veux la faire évoluer », assure
Crystal Murray, disant ne plus se
reconnaître dans ce personnage
de métisse cool porteuse de
« good vibes ». « C’est comme cela
Mundruczo, Pieces of a Woman,
comme le suggère son titre qu’on
pourrait traduire par « une
femme en morceaux », fait le récit
d’un déchirement, mais aussi
d’une reconstruction. Martha
(Vanessa Kirby), issue d’une fa­
mille aisée, forme avec Sean (Shia
LaBeouf), contremaître sur des
chantiers, un couple transclasse
qui s’apprête à donner naissance
à son premier enfant. Mais le soir
de l’accouchement, qu’ils ont
choisi « à domicile », tout ne se dé­
roule pas comme prévu : non seu­
lement leur sage­femme est rem­
placée au pied levé, mais le nou­
veau­né, à peine venu au monde,
s’étouffe, devient tout bleu, avant
que les secours aient la possibilité
d’intervenir.
Un inexorable délitement
Vient alors le temps d’après, l’en­
foncement dans un hiver glacial,
en remplacement d’une joie qui
n’aura duré que quelques secon­
des. Martha adopte auprès des
siens une attitude dure, mal com­
prise, se murant dans une intran­
sigeance qui atteint jusqu’au
noyau de son couple, sur la voie
d’un inexorable délitement. Le
tout sous les yeux d’une mère
surplombante (Ellen Burstyn),
Elizabeth, d’origine juive hon­
groise, accueillant ce malheur par
un réflexe clanique qui suscite le
rejet de sa fille.
Pieces of a Woman s’ouvre sous
les auspices d’un plan­séquence
intrépide, suspendu à la presta­
que je me voyais à 16 ans, mais je
veux ouvrir d’autres portes,
déstabiliser, casser les codes »,
insiste­t­elle, en citant comme
exemple l’intrépidité protéi­
forme de la chanteuse londo­
nienne Shygirl, grand espoir de
l’avant­garde urbaine britanni­
que. On attend avec impatience
un prochain EP, décrit comme
« plus sec, plus déstructuré ». « Je
ne renie pas mes bases, mais je
veux les déplacer. »
Si ces mois de crise mondiale
ont été pour elle un accélérateur
de réflexion, les changements
n’avaient déjà pas manqué lors
d’une adolescence à rebondisse­
ments. Crystal Murray n’a pas
encore 14 ans quand elle et trois
copines de lycée – Angelina
Woreth, Thaïs Klapisch, Anna­
belle Ferrera – font fructifier leur
sens du style sous le nom de
« Gucci Gang », dont le compte
Instagram transforme la petite
bande en influenceuses courti­
sées par les marques.
Grisées puis échaudées par la
versatilité des réseaux sociaux,
les apprenties it girls délaissent,
fin 2017, l’obsession des looks,
pour créer, quelques semaines
avant le scandale Weinstein, Safe
Place, une plate­forme destinée à
donner la parole aux victimes de
harcèlement et d’agressions. Si
son amie – et désormais mana­
geuse – Thaïs (fille du cinéaste
Cédric Klapisch) veille toujours à
Shia LaBeouf (Sean) et Vanessa Kirby (Martha). BENJAMIN LOEB/NETFLIX
tion intensément physique de la
comédienne Vanessa Kirby, qui re­
trace le moment de l’accouche­
ment sous forme d’un crescendo
émotionnel haletant. On craint
une nouvelle démonstration de
virtuosité de la part de Mundru­
czo, jamais avare en la matière,
mais c’est autre chose qui se des­
sine ici. La scène est d’autant plus
cruciale qu’elle ne cessera d’être
interrogée par la suite, notam­
ment par les proches de Martha
qui, tous, cherchent un coupable.
Ils en trouvent un tout désigné
en la personne de la sage­femme,
poursuivie en justice. Que s’est­il
véritablement passé ? Qui porte la
responsabilité du décès infantile ?
Sous le mélodrame se cache ainsi
une sorte de polar intime, dont les
« morceaux » sont aussi à rassem­
bler, à partir de ce plan inaugural
qui déguise une réponse enfouie,
forcément ambiguë.
l’engagement féministe de ce qui
est devenu une association,
Crystal Murray a décidé, depuis
deux ans, de se consacrer pleine­
ment à la musique.
« Une vraie ruche créative »
Un choix tenant plus de l’ata­
visme que de la lubie. Fille d’une
personnalité du free­jazz améri­
cain, le saxophoniste David
Murray (« un rebelle, un hors­la­loi
avec lequel je sens beaucoup de
connexions »), qui s’était installé
en France dans les années 1990, et
d’une productrice de spectacles
franco­espagnole, Valérie Malot,
œuvrant dans le jazz et les musi­
ques du monde (Amadou et
Mariam, Bonga, Les Amazones
d’Afrique…), Crystal a été bercée
par le répertoire afro­américain
et la vie en tournée.
« Je passais mes vacances sur la
route avec mes parents », se
souvient celle qui, enfant, jouait
dans les coulisses des clubs Blue
Note de Tokyo, New York ou
Barcelone. « Grâce à eux, j’ai
compris que l’art était un travail
et un mode de vie. C’est important
pour moi d’être tout le temps sur
le mode de la création, qu’il
s’agisse de musique, de clips, de
visuels… »
Son père et ses frères sont re­
tournés vivre à New York, dans
cette Amérique avec laquelle elle
se sent moins d’affinités qu’avec
l’Europe. « Ne serait­ce que parce
La beauté du film tient au por­
trait en creux qu’il donne de
Martha, portrait d’un refus, d’une
résistance face à un ordre familial
qui voudrait s’accaparer son deuil,
le fondre dans un rituel ou une
douleur collective. A quoi Martha
oppose sa volonté de donner le
corps de l’enfant à la science, plu­
tôt que de sacrifier au rite reli­
gieux, ou son refus de faire porter
le chapeau de sa douleur à quel­
qu’un d’autre. Sans trop d’es­
broufe, le film atteint quelques
pics émotionnels, comme lors de
la dispute entre Martha et sa mère
où surgit quelque chose comme le
poids de l’histoire, à travers sa mé­
moire de rescapée des camps de
concentration, ou encore dans
l’évacuation de Sean par sa belle­
famille, où affleurent les remous
d’une féroce lutte des classes.
Pieces of a Woman n’échappe
toutefois pas à une certaine pe­
que, ici, les clubs ferment à 8 heu­
res du matin et non à 2 heures
comme aux Etats­Unis », expli­
que en souriant cette « grande
fêtarde » privée de sorties en
raison de la pandémie. « Le
milieu de la fête et le monde de la
nuit me permettent de faire la
rencontre de gens différents, de
me libérer, d’appréhender la
musique avec mon corps. »
Elle continue d’habiter avec sa
maman dans le melting­pot de
Ménilmontant (Paris 20e), où elle
a grandi. « Notre maison est une
vraie ruche créative », souligne la
chanteuse, qui a lancé un petit
label de production avec sa mère.
« J’y ai mon home studio, où je
travaille avec notre colocataire,
Dian, une chanteuse trans [en­
tendue dans Good Girl Gone Bad]
dont nous voulons produire les
disques. Mon mec, le rappeur Le
Diouck, qui chante en wolof, en
français et en anglais [avec son
complice Bamao Yendé], habite
là lui aussi. »
Une pépinière domestique qui
reflète l’envie d’engagement de
Crystal Murray pour sa « commu­
nauté », sa volonté de « boulever­
ser les codes en termes de sexua­
lité, de genres, de couleur de
peau ». En attendant un premier
album en préparation, qu’elle ne
sortira que quand sera revenue
« la belle atmosphère d’un monde
sans masque ». 
stéphane davet
Sous
le mélodrame
se cache une
sorte de polar
intime, dont
les « morceaux »
sont à
rassembler
santeur symbolique, au poids du
vouloir­dire, caractéristique du ci­
néma de Mundruczo. Souhaitant
à tout prix déborder le drame par
la fable, le réalisateur ne résiste
pas à la tentation de la métaphore
filée : la reconstruction de Martha
en passera donc par un appétit
pour les pommes, dont le motif
trop insistant (la graine, la germi­
nation, l’arbre, image sur laquelle
Cinéma : record de la
plus faible fréquentation
Le nombre d’entrées est en chute de 70 % par
rapport à 2019, en raison de la crise sanitaire
S ans surprise, avec des salles
de cinéma fermées 162 jours
sur l’année 2020, en raison
de la crise sanitaire, les chiffres de
fréquentation sont catastrophi­
ques : selon le bilan dressé par le
Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC), le nombre
d’entrées a été de 65,1 millions
en 2020, soit 30 % de la fréquenta­
tion observée en 2019 – les entrées
avoisinaient les 200 millions en
moyenne ces dernières années.
L’année 2021 commence avec des
cinémas fermés, même si les pro­
fessionnels entrevoient une pers­
pective de réouverture fin janvier,
avant les vacances de février.
On se contentera de ce que l’on
peut, à la vue de cet état des lieux.
D’ordinaire devancés par les films
américains (qui occupaient entre
46 % et 55 % de la part de marché
durant la dernière décennie),
les films français ont mieux ré­
sisté en 2020 : leur recul est
de 60,7 %, tandis que les produc­
tions d’outre­Atlantique enregis­
trent − 76,7 %. Ils réalisent ainsi
davantage d’entrées (29,2 mil­
lions) que les films américains
(26,6 millions) ou ceux d’autres
nationalités (9,3 millions) – res­
pectivement, les parts de marché
s’élèvent à 44,9 %, 40,8 % et 14,3 %.
En 2020, seuls trois films réali­
sent plus de 2 millions d’entrées
– contre au minimum une ving­
taine chaque année depuis
dix ans. Il s’agit de Tenet, de Chris­
culture | 27
se conclut le film) exprime avec
lourdeur le caractère cyclique de
la vie, qui fait son lit de cendres.
Cela ne doit pas faire oublier
pour autant la peinture assez
sobre des caractères brisés qu’offre
le film sans se complaire dans un
excès de noirceur, sans pousser
trop loin le bouchon pathétique.
Tout se noue à l’endroit de l’ab­
sent, du bébé mort­né : cette vie si
tragiquement éphémère, sabrée
dès le départ, qu’il faudra pourtant
bien reconnaître comme advenue,
comme celle d’une personne véri­
table, pour qu’une renaissance
puisse enfin avoir lieu. 
mathieu macheret
Film américain, canadien et
hongrois de Kornel Mundruczo.
Avec Vanessa Kirby, Shia
LaBeouf, Ellen Burstyn, Iliza
Shlesinger (2 h 06). Disponible
sur Netflix à partir du 7 janvier.
topher Nolan (2,3 millions de per­
sonnes), 1917, de Sam Mendes
(2,2 millions), et Sonic, le film,
de Jeff Fowler (2,1 millions).
Dynamisé par les films français
Près de 2 000 cinémas ont rouvert
le 22 juin, note le CNC. Depuis cette
date, et jusqu’à la nouvelle ferme­
ture (le 29 octobre), plus de 2,3 mil­
lions de séances et plus de
26,5 millions d’entrées ont été
comptabilisées. Les combinaisons
de sorties des films ont été plus fa­
vorables, surtout pour les réalisa­
tions françaises présentes dans
191 établissements en moyenne
en première semaine, contre 140
habituellement sur la même pé­
riode. En l’absence d’œuvres amé­
ricaines porteuses, l’ensemble des
films a été maintenu à l’affiche
plus longtemps : en moyenne
neuf semaines, soit une semaine
de plus qu’en 2015­2019.
Les films français, surtout en
septembre et en octobre, ont dy­
namisé le marché – Tout simple­
ment noir, de Jean­Pascal Zadi et
John Wax, Antoinette dans les Cé­
vennes, de Caroline Vignal… La der­
nière semaine d’octobre, période
de vacances scolaires, a enregistré
la fréquentation la plus élevée de­
puis la réouverture des salles, avec
près de 3 millions d’entrées. Au to­
tal, six films français figurent dans
le classement des dix meilleures
entrées depuis le 22 juin. 
clarisse fabre
28 | télévision 0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021

Charlie Chaplin, ce visionnaire des temps modernes NOTRE

SÉLECTION
Grâce notamment à des images inédites, le portrait de l’acteur et cinéaste s’impose comme une référence M E R C R E DI 6 JAN V I E R

OCS Géants
FRANCE 3 nairement élargi et affiné, notam­ avec qui il signe un contrat en 1913, La Rivière de nos amours
MERCREDI 6 – 21 H 05 ment grâce à Internet, qui fait ap­ à son dernier long­métrage, La 20.40 Un western d’André De Tooth
DOCUMENTAIRE paraître des photographies, des Comtesse de Hong­Kong (1967). On datant de 1955 qui, grande
coupures de presse, des films, notera l’extrême qualité de ces nouveauté à l’époque, offre

L
a première surprise que
réserve Charlie Chaplin, le
génie de la liberté est son
format : près de deux
heures et demie. La deuxième,
dont l’effet est renforcé par cette
durée exceptionnelle, est l’indé­
niable renouvellement du sujet
alors que pléthore de films et de li­
vres ont déjà été tournés et écrits
à propos de l’acteur et réalisateur
britannique.
Les deux auteurs, François
Aymé et Yves Jeuland – coauteur
et réalisateur –, avaient déjà pro­
posé un film du même type avec
Un Français nommé Gabin (2016),
qui ne durait « que » une heure
quarante­cinq, mais qui était par­
venu à porter un regard neuf sur
ce mythe du cinéma français. No­
tamment grâce à de nombreux
documents privés, inconnus ou
inédits, mis à disposition par la fa­
mille de l’acteur.
La famille Chaplin, qui gère l’es­
sentiel des droits de l’illustre
Charles (« Charlie ») Chaplin
(1889­1977), a également fourni
des films privés tandis que, selon
Yves Jeuland dans un entretien
donné avec François Aymé pour
le dossier de presse de France Té­
lévisions, le champ de recherche
documentaire s’est « extraordi­
même, qui avaient échappé aux
investigations il y a dix, vingt,
trente ans… »
Cette manne a fait poindre ce
que le réalisateur nomme « le syn­
drome de l’Himalaya : plus on
avance, plus le but semble s’éloi­
gner ». Mais, grâce à un long et pa­
tient travail de trois années, avec
la collaboration de la documenta­
liste Aude Vassallo, ces images ra­
res ont été judicieusement choi­
sies et s’intègrent parfaitement
au propos du film.
Trois ans de travail
De sorte que Charlie Chaplin, le gé­
nie de la liberté se hisse au niveau
de l’exceptionnel documentaire
de Peter Bogdanovitch consacré à
Buster Keaton, The Great Buster :
A Celebration, avec cette diffé­
rence qu’Aymé et Jeuland ne font
intervenir aucun témoin ou spé­
cialiste et ont préféré le déroule­
ment d’une couture ininterrom­
pue d’archives commentées en
voix off par Mathieu Amalric.
Celles­ci proviennent de la télé­
vision et des actualités cinémato­
graphiques ou ont été prélevées,
en extraits parfois généreux, dans
les films de et avec Charlie
Chaplin, de ses premières appari­
tions pour le studio Keystone,
images auxquelles une restaura­
tion récente donne une présence,
une vie – on oserait même dire,
une modernité – soufflantes.
Le génie de la liberté prend le
biais d’un récit biographique
chronologique mais le tissage et
l’assemblage des extraits filmés,
l’accompagnement des musiques
– pour l’essentiel de Chaplin, éga­
lement musicien et composi­
teur –, la qualité du texte et de ses
analyses concourent à un résultat
d’une rare fluidité.
Ce documentaire, dont on sort
très ému du visionnage, devrait
s’imposer durablement comme
une référence, grâce à un fin por­
trait de l’extraordinaire ténacité
de Chaplin, de son humanité, de
son empathie et de son courage
– de ses côtés antipathiques aussi.
Autant de traits de caractère qui fi­
rent de lui, dans le domaine de la
politique et des mœurs, un paria
et finalement un réprouvé, aux
Etats­Unis, un pays auquel,
durant quarante années, il avait
tant donné. 
renaud machart
Charlie Chaplin, le génie de la
liberté, écrit par François Aymé
et Yves Jeuland et réalisé par
Charles Chaplin, en 1917. ROY EXPORT CO. LTD Yves Jeuland (Fr., 2020, 146 min.).
une bonne image des Indiens.
Kirk Douglas y tombe amoureux
d’une jolie squaw.
Canal+
OM-Montpellier
21.00 Tribunes vides mais ambiance
survoltée à prévoir tout de même
sur la pelouse du Stade Vélodrome
où les joueurs marseillais reçoivent
les redoutables Héraultais. Match de
la 18e journée de Ligue 1 en direct.
France 2
La Fugue
21.05 Un téléfilm inédit signé Xavier
Durringer avec Valérie Karsenti
dans le rôle d’une mère confrontée
à la fugue de sa fille, et qui mène
l’enquête. Un débat consacré
aux ados en fugue et aux combats
des parents suivra la diffusion.
Arte
L’Ombre au tableau
22.55 Documentaire consacré à
l’acteur Alain Delon, réalisé par Karl
Zéro et Daisy d’Errata. De nombreux
témoins parlent de l’homme, de
l’acteur, des mystères qui entourent
sa vie. Les propos sont illustrés
d’extraits de films signés Luchino
Visconti, René Clément et Jean-
Pierre Melville, les trois « pères »
de Delon au cinéma.

Woody Allen nostalgique d’un Manhattan et d’un âge d’or perdus

Avec « Un jour de pluie à New York », le réalisateur entraîne ses jeunes acteurs dans une comédie romantique désenchantée

CANAL+ DÉCALÉ d’un banquier texan, dont les ré­ teur en scène tourmenté. L’étu­ Comme des générations d’ac­ plus qu’un décor, l’énergie des jeu­ Du côté du personnage mascu­
MERCREDI 6 - 21 HEURES serves d’enthousiasme valent cel­ diant en lettres espère, lui, que teurs avant lui, Timothée Chala­ nes acteurs, la fascination pour lin, le conflit entre Gatsby et sa
FILM les du pétrole de son Etat natal. En l’entretien sera vite bouclé, afin de met se glisse dans cette incarna­ l’éternel recommencement de la mère se résout par une révélation
quelques plans, Woody Allen ob­ faire la tournée des bars d’hôtel. tion du mâle new­yorkais telle que danse entre réalité et fiction. cathartique. Le film se conclut sur

T out commence à des cen­

taines de kilomètres de
Central Park dans une uni­
versité du Nord­Est, où Gatsby
Welles (Timothée Chalamet) a été
exilé par sa mère, pilier de la
bonne société new­yorkaise, qui
espère que son rejeton y cultivera
plus son intellect que ses dons
pour le poker et le piano de tripot.
Le jeune homme y a séduit
Ashleigh (Elle Fanning), héritière
tient de ces deux comédiens
la réincarnation d’un couple sorti
d’une comédie de l’âge d’or hol­
lywoodien. La mondanité lasse
qu’affiche Gatsby, l’effervescence
d’Ashleigh pourraient être celles
de Cary Grant et Ginger Rogers.
Il est alors temps de les faire
monter dans le bus pour
New York. Là­bas, l’étudiante en
journalisme doit interviewer Ro­
land Pollard (Liev Schreiber), met­
Danse entre réalité et fiction
A peine foulé le pavé de Manhat­
tan, les deux se séparent. Pendant
qu’Ashleigh se lance dans le sillage
du cinéaste, Gatsby se débat avec
les revenants de sa vie new­
yorkaise : son frère, ses anciens ca­
marades de lycée et la sœur de l’un
d’eux, Shannon (Selena Gomez),
aussi brune et caustique que
la Texane est blonde et idéaliste.
Woody Allen l’avait élaborée, du
temps où il s’attribuait le premier
rôle. L’une des meilleures séquen­
ces met en scène l’embauche ins­
tantanée de Gatsby sur un tour­
nage de rue dans Greenwich Vil­
lage, pour une scène qui exige qu’il
embrasse la jeune première. Se su­
perposent, sans jamais se mas­
quer les unes les autres, la nostal­
gie du réalisateur pour un lieu qui
– dans le New York de 2019 – n’est
Pendant ce temps, Ashleigh se
glisse dans la peau de l’ingénue
en péril. Fascinée et dupée par la
déprime alcoolisée du réalisateur,
elle lui emboîte le pas pour bien­
tôt perdre sa trace. Woody Allen
maintient un long moment le
personnage entre naïveté et aveu­
glement. Ashleigh agit alors
comme un révélateur des petites
médiocrités et des grandes fai­
blesses de ces hommes célèbres.
une touche amère, qui contraste
violemment avec la tendresse de
ses premières séquences, comme
si le cinéaste avait pressenti qu’il
était sur le point d’être banni
d’une ville qu’il a peut­être filmée
pour la dernière fois. 
thomas sotinel
Un jour de pluie à New York,
de Woody Allen. Avec Elle Fanning
(EU, 2019, 92 min.).

0123 est édité par la Société éditrice

HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société :

I. Manœuvrent au rapprochement
SUDOKU 99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
GRILLE N° 21 - 004
PAR PHILIPPE DUPUIS
des clochers. II. Partisan du consen- N°21­004 Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
sus. III. Cria comme une hirondelle.
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
Conjonction. Oppose dans la page. 5 8 2 3 6 9 4 1 7

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 6 9 3 7 1 4 5 2 8 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71

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Par courrier électronique :
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II à grands coups d’ailes. Préposition.
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III 1 3 9 4 2 8 7 5 6 Par courrier électronique :
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VIII loin. 2. Pousse, elle aussi, beaucoup 9 2 3 8 4 par colonne et par
carré de neuf cases.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
trop loin. 3. Reptile aquatique. Sans Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget) paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
IX bavure. 4. Passent avant les autres.
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12. Alimentent pour soutenir. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
La Dacia Spring Electric. ALEX ARISTEI/PUBLICIS CONSEIL
2021, année électrique
AUTOMOBILE
O
n savait l’automobile en­
gagée sur la ligne de dé­
part de l’électrification
mais on n’imaginait pas
pareil démarrage, sur les chapeaux de
roue. L’année 2020 a vu les ventes de
modèles tout­électriques et hybrides
rechargeables pulvériser les records.
En Europe, leur part de marché a été
propulsée de 3,5 % à 10 % et, si l’on y
ajoute les hybrides classiques, l’en­
semble des véhicules électrifiés pèse
quelque 20 % des immatriculations.
En France, indique Autoways, les véhi­
cules tout­électriques pesaient l’an
passé 6,7 % des ventes et les hybrides
rechargeables 4,5 % (respectivement
1,9 % et 0,8 % en 2019).
Il faut nécessairement prendre du
recul face à l’ampleur d’une percée.
Celle­ci s’explique en partie par le ni­
veau élevé des primes attribuées aux
voitures électriques et hybrides re­
Le « break de chasse », une nostalgie d’avance
L’Arteon Shooting Brake de Volkswagen appartient à une espèce promise à disparaître
I nfiniment longue et éton­
namment basse, avec sa sil­
houette élancée, son capot
plat, ses vitres sans encadrement
et sa lunette arrière cintrée, l’Ar­
teon Shooting Brake appartient à
cette catégorie de voitures tout à
la fois classiques et non confor­
mistes que l’on a perdu l’habitude
de croiser. Un coup de crayon ner­
veux mais joliment amorti.
C’est la première fois que Volk­
swagen se lance dans la réalisa­
tion d’un Shooting Brake, autre­
ment dit un « break de chasse ». La
catégorie, née il y a fort long­
temps outre­Manche pour com­
plaire aux lubies de gentlemen­
farmers un peu snobs, est riche
en paradoxes. Elle cultive une rare
aptitude à captiver les esthètes,
touchés par son esthétique clas­
sieuse, et un penchant tout aussi
affirmé à accumuler les échecs
commerciaux. Même lorsque des L’Arteon Shooting
constructeurs allemands, comme Brake Elegance
Mercedes, s’y sont attelés de Volkswagen.
Au moment de renouveler l’Ar­ VOLKSWAGEN
teon, un coupé quatre­portes
bourgeois à forte personnalité, on
ne s’attendait guère à voir la très
rigoureuse maison de Wolfsburg
s’aventurer encore un peu plus
L’année 2020 a vu les ventes de
modèles tout­électriques et hybrides
rechargeables pulvériser les records.
Et dans les douze prochains mois,
une centaine de nouveautés 100 %
électriques devraient voir le jour
chargeables (jusqu’à 7 000 euros pour
les premières, jusqu’à 2 000 euros
pour les secondes). Elle intervient
surtout dans un contexte de brusque
ralentissement de l’économie impu­
table à la crise sanitaire qui a fait plon­
ger le reste du marché, c’est­à­dire les
ventes de véhicules à moteur thermi­
que. Favorable aux énergies dites « al­
ternatives », la fiscalité s’est, en revan­
che, encore durcie à l’égard des moto­
risations traditionnelles, désormais
frappées d’un malus qui peut attein­
loin sur le terrain des modèles de
niche pour happy few, fussent­ils
fortunés, avec ce modèle au tarif
plus que coquet (à partir de
47 590 euros). Surtout lorsque l’on
sait que la catégorie des breaks
traverse depuis longtemps une
période de vaches maigres et que
dre 30 000 euros. L’entrée en vigueur
de l’objectif fixé aux constructeurs
par l’Union européenne (95 g de CO2
au km en moyenne) sous peine de sé­
vères amendes a aussi contribué à ac­
célérer le mouvement. L’épée dans les
reins, les marques ont mis sur le mar­
ché des véhicules plus ou moins les­
tés de batteries capables de tirer leur
bilan carbone vers le bas et fortement
poussé à leur diffusion.
La cause, cependant, semble enten­
due. Ces dernières semaines, le
la Passat dispose déjà d’une telle
variante, certes moins élégante.
Tant mieux pour les amateurs
de voitures spacieuses mais ra­
cées, familiales mais typées sport.
Dans les parkings, sa taille
(4,87 m) n’engendre pas la séré­
nité mais une fois lancée, elle
styles | 29
Royaume-Uni,
Japon, Norvège
ou Suède ont
annoncé vouloir
interdire
les ventes
de véhicules
à moteur
thermique à
compter de 2030
Royaume­Uni et le Japon, dans le
sillage de la Norvège ou de la Suède,
ont annoncé leur intention d’inter­
dire les ventes de véhicules à moteur
thermique à compter de 2030. Quitte
à accorder une marge de cinq années
supplémentaires pour les hybrides.
L’Europe pourrait prochainement
adopter la même démarche. L’appli­
cation, à compter de 2025, de la future
réglementation Euro7, qui va de nou­
veau abaisser les seuils d’émission de
polluants et de gaz à effet de serre tout
en imposant des cycles d’homologa­
tion toujours plus stricts, pourrait
bien ne pas laisser d’autre choix.
Dans ces conditions, 2021 sera en­
core une année électrique pour
l’automobile. Les constructeurs ne
cessent d’élargir leur gamme à desti­
nation de consommateurs qui, cons­
cients que les grandes aggloméra­
tions vont bannir à court terme les
véhicules les plus émetteurs de CO2,
commencent à envisager d’opter
pour des motorisations électrifiées.
Dans les douze prochains mois, on
annonce une centaine de nouveau­
tés 100 % électrique, de tous gabarits
et affichant des autonomies en pro­
gression, frisant parfois les 500 km.
Parmi les plus marquantes, il faut ci­
ter la Dacia Spring, un modèle urbain
qui devrait être accessible (bonus
compris) autour de 12 000 euros et –
enfin – contribuer à la démocratisa­
tion du secteur.
On attend également la Renault
Mégane E, la Fiat 500 E en version
trois­portes, la Mercedes EQA ou en­
core les SUV Model Y (Tesla), Ariya
(Nissan), ID.4 (Volkswagen) ou iX3
(BMW). La diffusion des différents ty­
pes de modèles hybrides va se pour­
suivre à un rythme soutenu. Toyota,
qui réalise déjà plus de la moitié de
ses ventes avec cette technologie,
continue de faire des émules. Bien­
tôt, il n’y aura plus guère de modèles
thermiques commercialisés sans sys­
taille la route en toute quiétude.
La direction, précise mais légère­
ment pesante, invite à conduire
en souplesse. Tout s’y prête ; la
boîte de vitesses DSG à double
embrayage lisse parfaitement les
accélérations toujours soyeuses
du deux­litres essence qui s’en
tient à une puissance de 190 ch et
privilégie une approche « Grand
Tourisme » plutôt que propre­
ment sportive. Ce qui ne l’empê­
che pas d’écoper d’un malus de
3 331 euros, a minima.
Un GPS à tout faire
En option, une suspension pilo­
tée adapte l’amortissement à
l’humeur du conducteur. L’em­
pattement immense (2,84 m) per­
met de prendre ses aises aux pla­
ces arrière, même s’il faut un peu
courber l’échine pour prendre
place à bord de cette voiture qui
vous installe à ras du sol, à re­
bours de la position haute qui fait
la fortune des vendeurs de SUV.
Plus porté sur l’esthétique que sur
la capacité d’emport – il s’agit
d’un shooting brake, pas d’une
bétaillère – le coffre propose un
volume utile de 565 litres, ce qui
n’a vraiment rien d’infamant. La
tème micro­hybride, hybride classi­
que ou hybride rechargeable.
Tout n’est pourtant pas idyllique,
loin s’en faut, au pays de la voiture
électrifiée. Les acheteurs potentiels,
un peu perdus dans le maquis des
nouvelles motorisations, ne vont pas
tarder à réaliser qu’une voiture plus
propre est aussi une voiture sensible­
ment plus chère. Exemple parmi tant
d’autres : l’écart tarifaire entre une
Peugeot 208 thermique et son homo­
logue électrique frise, bonus déduit,
les 10 000 euros. Il est à craindre que
la montée en régime de l’électrifica­
tion entretienne la gentrification de
fait de l’automobile, malgré l’effet
d’optique des formules de location
longue durée qui lissent les surcoûts.
Pas toujours aussi vertueux
Ce grand écart ne risque pas de se
combler. Au 1er juillet, le système de
bonus sera revu à la baisse ; et passera
de 7 000 à 6 000 euros (pour les mo­
dèles électriques de moins de
45 000 euros) alors que le coup de
pouce de 2 000 euros attribué à
l’achat d’un hybride rechargeable sera
amputé de moitié avant de disparaî­
tre en 2022. A cette date, les véhicules
électriques neufs n’auront plus droit
qu’à un bonus maximum de
5 000 euros. En revanche, la nouvelle
prime de 1 000 euros pour l’achat
d’un modèle électrique d’occasion ne
devrait pas évoluer.
Se pose également la question de sa­
voir jusqu’où, en pratique, les modè­
les électrifiés sont réellement moins
polluants. Le questionnement con­
cerne surtout les hybrides, très éco­
nomes sur le papier mais pas toujours
aussi vertueux qu’escompté. Ainsi,
les hybrides classiques sont très effi­
cients en circulation urbaine ou péri­
urbaine mais ne le sont plus vraiment
en conduite sur autoroute. Quant aux
hybrides rechargeables, ils ne tien­
nent leur promesse de basse consom­
mation qu’à la condition expresse
d’être rechargés quotidiennement. Et
c’est loin d’être toujours le cas.
Enfin, s’agissant des modèles tout­
électriques, leur usage sur de longues
distances est désormais moins con­
traint par l’autonomie de leurs batte­
ries que par le maillage insuffisant du
réseau de bornes publiques. Selon un
relevé effectué par l’Avere, la France
comptait fin octobre quelque 29 000
points de recharge soit une progres­
sion de 0,2 % en quatre mois. L’objec­
tif officiel de parvenir à 100 000 bor­
nes de recharge fin 2021 paraît d’ores
et déjà bien compromis. 
jean­michel normand
présentation intérieure joue elle
aussi avec les contraires. Elle est
d’un classicisme achevé sans être
conservatrice et regorge de fonc­
tionnalités multiples avec un GPS
à tout faire et des commandes au
toucher très sophistiqué.
Au volant de l’Arteon Shooting
Brake, on ne peut s’empêcher de
ressentir une curieuse sensation
de nostalgie anticipée tant il pa­
raît évident que ce genre de mo­
dèle n’aura bientôt plus droit de
cité, malgré l’arrivée ultérieure
d’une version hybride­rechargea­
ble. Les constructeurs n’ont plus
vraiment la tête à ce genre de fan­
taisie et l’on sait d’ailleurs que la
famille Arteon ne sera pas renou­
velée. L’obligation de lancer tou­
jours plus de modèles électriques
et la chasse aux gros moteurs im­
posent de resserrer le reste de la
gamme. La tentation de privilé­
gier les très profitables SUV, dont
le succès ne se dément pas, est
trop forte pour que les marques
n’y succombent pas. Autant
d’obstacles à la survie du noble
break de chasse et son esprit
« Grand Tourisme », tellement
XXe siècle. 
j.­m. n.
 IDÉES
0123
30 | MERCREDI 6 JANVIER 2021

DERNIÈRE LIGNE DROITE AVANT L’INVESTITURE AMÉRICAINE

Une victoire démocrate aux sénatoriales de Géorgie donnerait
au président élu les moyens de sa politique, même si le trumpisme
reste très fort dans la société, y compris parmi les minorités

Laurence Nardon
Joe Biden joue-t-il sa présidence en Géorgie ?
Remporter les deux derniers sièges en lice au Sénat logie évoluer dans les années récentes.
Atlanta et sa banlieue, ainsi que Savan­
mettrait les démocrates à égalité avec les républicains. nah dans le sud­est de l’Etat, connais­
Forts du soutien de la vice­présidente, Kamala Harris, sent un afflux de jeunes diplômés, plu­
tôt démocrates. En parallèle, les comtés
ils auraient alors l’avantage, explique la responsable ruraux subissent une stagnation de leur
du programme Amérique du Nord de l’IFRI population, à majorité blanche et évan­
gélique, très conservatrice. Déjà, lors des
élections de mi­mandat de 2018, la dé­
forte mobilisation des zones urbaines,
ce qui donne l’avantage aux démocra­
tes. Mais les électeurs des zones rurales
viendront sans doute voter en personne
mardi, ce qui pourrait faire basculer le
résultat du côté des deux candidats
républicains.
Pour galvaniser cet électorat, Loeffler
et Perdue ont suivi la ligne Trump à la
le processus de réconciliation budgé­
taire entre les deux Chambres. Le « fili­
buster » confère à chaque sénateur un
pouvoir de nuisance considérable. Nul
doute que Biden fera face à l’opposition
déterminée de Mitch McConnell, le lea­
der des républicains du Sénat, considéré
comme l’un des « facilitateurs » de la
présidence Trump.

O
n le sait, au lendemain de son
investiture à la présidence amé­
ricaine le 20 janvier 2021, le dé­
mocrate Joe Biden devra ma­
nœuvrer entre l’opposition résolue de la
plupart des républicains et les revendi­
cations de l’aile gauche de son parti.
Dans les faits, le succès de son adminis­
tration tiendra en grande partie aux
possibilités qu’il aura de faire adopter
les éléments de son programme par le
Congrès. Or, si les démocrates conser­
vent la majorité (amoindrie de 11 sièges)
à la Chambre des représentants, les ré­
sultats du Sénat sont restés incomplets
au lendemain des élections de novem­
bre 2020. Sur les 100 sièges de la Cham­
bre haute, 48 sont démocrates, 50 sont
républicains, et deux restent à attribuer,
ceux de la Géorgie.
Les sénateurs républicains de l’Etat,
David Perdue et Kelly Loeffler, devaient
en effet se faire réélire tous les deux en
novembre : le premier avait achevé son
mandat ; la seconde, qui remplaçait
depuis décembre 2019 un sénateur
démissionnaire pour raisons de santé,
devait se confronter au suffrage
populaire pour achever le mandat
en cours. Or, aucun des candidats à
ces deux élections n’a atteint le seuil
de 50 % des voix lors de ce scrutin. Se­
lon la loi électorale de Géorgie, un se­
cond tour doit être organisé. Il a lieu ce
mardi 5 janvier 2021 et oppose les répu­
blicains à deux démocrates : Perdue
contre Jon Ossoff et Loeffler contre
Raphael Warnock.
L’issue de cette double élection consti­
tue un enjeu majeur. D’abord, la valeur
psychologique d’une victoire du camp
démocrate à la veille de l’investiture de
Joe Biden, auquel Donald Trump, rappe­
lons­le, n’a toujours pas passé le coup de
téléphone traditionnel reconnaissant sa
défaite, serait importante. Surtout, l’ob­
tention par les démocrates d’une égalité
des sièges au Sénat permettrait de faire
appel à la vice­présidente, Kamala Har­
ris, pour départager les sénateurs en cas
de vote à 50­50. Cela faciliterait l’adop­
tion des réformes proposées par l’admi­
nistration Biden, tel le vaste plan de re­
lance « Build Back Better ». Si les républi­
cains conservent ces deux sièges, en
revanche, Biden sera réduit à agir par la
voie réglementaire, ce qui limitera gran­
dement sa marge de manœuvre.
Scrutin à l’issue incertaine
C’est pour cela que lundi 4 janvier, veille
du scrutin, Biden est encore en meeting
dans la capitale, Atlanta, tandis que
Trump se rend dans le nord de l’Etat, à
Dalton. Les sondages restent en effet
très peu lisibles, et chaque camp peut
croire à la victoire. De fait, la Géorgie,
Etat sudiste et républicain, a vu sa socio­
mocrate afro­américaine Stacey Abrams
n’avait perdu l’élection au poste de gou­
verneur que de 50 000 voix. Et, en no­
vembre, les électeurs géorgiens ont
placé Biden devant Trump. Mais la bas­
cule politique n’est pas encore très
nette : l’écart entre les deux candidats
n’était que de 12 000 voix. Autre signe
du maintien de la droite trumpiste dans
l’Etat, les électeurs géorgiens envoient
cette année une nouvelle représentante
à la Chambre, la républicaine Marjorie
Taylor Greene, adepte des théories du
complot QAnon…
Le vote anticipé déjà enregistré pour le
scrutin du 5 janvier a démontré une
LA TECHNIQUE
PARLEMENTAIRE
DU « FILIBUSTER »
[OBSTRUCTION]
CONFÈRE À CHAQUE
SÉNATEUR UN
POUVOIR DE NUISANCE
CONSIDÉRABLE
lettre, contestant la victoire de Joe Biden
contre l’avis même du gouverneur ré­
publicain de Géorgie ; et peignant leurs
deux adversaires démocrates comme
de dangereux socialistes. Ces derniers
gardent pourtant leurs distances avec
les slogans les plus radicaux de la gau­
che du Parti démocrate : ils proposent
ainsi une amélioration de l’assurance
santé, sans aller jusqu’à recommander
un système public pour tous (dit « Medi­
care for all »), un meilleur respect de
l’environnement, sans défendre le pro­
jet très ambitieux de la représentante
Alexandria Ocasio­Cortez (le « Green
New Deal »), ou encore une réforme de
la police sans couper ses financements
(« Defund the police »).
Attirer les républicains modérés
Les perspectives de l’administration
Biden s’avèrent toutefois complexes,
quel que soit le résultat du scrutin de
Géorgie. En effet, même s’ils rempor­
tent ces deux sièges, les démocrates res­
teront contraints par la pratique du « fi­
libuster », une technique d’obstruction
parlementaire qui permet à tout séna­
teur de bloquer le passage au vote d’un
projet de loi tant qu’un vote de « clô­
ture » de 60 sénateurs n’a pas été enre­
gistré. Cela revient à exiger une majo­
rité qualifiée pour tous les scrutins, sauf
dans quelques cas tels que la confirma­
tion des nominations présidentielles et
Le camp démocrate se veut malgré
tout optimiste. Après quatre années de
présidence Trump, l’arrivée au pouvoir
de Joe Biden va marquer le retour d’une
pratique plus raisonnable, plus prévisi­
ble et plus constructive de la politique
américaine. Au Sénat, le nouveau prési­
dent compte sur ses capacités de négo­
ciation hors pair et sa connaissance per­
sonnelle des élus républicains (il a été
sénateur du Delaware de 1973 à 2009).
Quelle que soit la majorité à la Cham­
bre haute, Joe Biden se fait fort d’attirer
au cas par cas suffisamment de républi­
cains modérés pour faire voter ses pro­
jets de loi. La semaine dernière, l’adop­
tion par le Congrès du budget de dé­
fense américain pour 2021 malgré le
veto de Donald Trump a apporté un si­
gne très encourageant. Réunissant une
majorité de 322 représentants contre 87,
puis de 81 sénateurs contre 13, elle cons­
titue la preuve que la mainmise de Do­
nald Trump sur le Parti républicain,
quasiment totale depuis 2016, est en
train de s’effriter. 
Laurence Nardon est chercheuse
et responsable du programme
Amérique du Nord de l’IFRI (Institut
français des relations internationales)

Maxime Chervaux La très pragmatique stratégie de combat

des élus républicains qui contestent la présidentielle
Si certains sénateurs pro­Trump tiennent à entretenir l’idée d’un scrutin frauduleux, c’est pour rester dans les bonnes grâces
du président sortant, mais aussi, et surtout, pour gagner en visibilité et récolter plus de fonds, explique le politiste

E
n 1824, la Chambre des re­
présentants a dû dépar­
tager les trois candidats
arrivés en tête de la pré­
sidentielle, faute d’une majorité
au collège électoral. Un « marché
corrompu » supposé entre le
vainqueur, le secrétaire d’Etat
sortant John Quincy Adams, et le
speaker de la Chambre, qu’il
choisit pour le remplacer, en­
tacha alors la légitimité de l’élec­
tion, détruisit l’assise du parti
dont Adams était l’héritier, et
mena à la création du Parti
démocrate autour du général
Andrew Jackson, candidat mal­
heureux pourtant arrivé en tête
du vote populaire.
Joe Biden a gagné une majorité
en 2020, mais plusieurs républi­
cains vont néanmoins contester
les résultats lors d’une session du
Congrès le 6 janvier. Ce jusqu’au­
boutisme a poussé un représen­
tant du New Jersey a les dépeindre
comme des « traîtres », tandis que
Chris Wallace, présentateur ve­
dette de Fox News, a reproché à
Steve Scalise, numéro deux du
groupe républicain à la Chambre,
de soutenir l’invalidation de « mil­
lions de voix de [ses] concitoyens
américains ». Cela dit, derrière ce
combat post­électoral aux allures
partisanes se cache une stratégie
beaucoup plus pragmatique.
Mobiliser l’électorat géorgien
Le deuxième tour des sénato­
riales en Géorgie, le 5 janvier, va
déterminer la couleur politique
du Sénat. Soixante­dix­huit pour
cent des républicains pensent
que l’élection n’était pas juste, ce
qui amène le parti à entretenir
l’idée d’un scrutin frauduleux
pour maintenir les électeurs
géorgiens mobilisés. Après la
victoire surprise de Joe Biden
dans l’Etat, ils savent que la parti­
cipation sera décisive : deux mil­
lions de bulletins (26,8 % des
inscrits) étaient déjà comptabili­
sés le 24 décembre. Cette rhétori­
que permet également de main­
tenir les donateurs mobilisés. Les
démocrates Jon Ossoff et Raphael
Warnock ont récolté plus de
100 millions de dollars (environ
80 millions d’euros chacun en
deux mois. Face à eux, les répu­
blicains sortants David Perdue et
Kelly Loeffler se sont rangés dans
le sillage médiatique du prési­
dent pour lever des fonds. Signe
de l’importance de ces sièges
pour la présidence Biden, les rési­
dents du Texas et de Floride ont
contribué autant que les Géor­
giens. La Californie six fois plus.
Le 22 décembre, l’élu républicain
Madison Cawthorn (Caroline du
Nord) expliquait « ne pas [contes­
ter l’élection] pour aider sa car­
rière à Washington », car le faire lui
« portera probablement préju­
dice ». A court terme, c’est tout à
son avantage. Il fait partie de cette
génération de « bébés Trump »
qui se battent aujourd’hui pour
l’héritage trumpien. Pour Madi­
son Cawthorn, Jody Hice (Géorgie)
ou pour le futur sénateur Tommy
Tuberville (Alabama), contester
les résultats permet d’ailleurs de
se créer un profil national.
Cette visibilité apporte une
aisance financière. Cawthorn a dé­
pensé 14 millions pour remporter
sa circonscription rurale, mais
son mandat sera remis en jeu dès
2022, et le coût d’une campagne
croît rapidement (son prédéces­
seur avait dépensé 1,7 million
en 2018). Dans ce contexte, la rapi­
dité avec laquelle Trump continue
d’amasser les contributions
(207 millions en novembre) mon­
tre bien qu’attiser la dépression
post­électorale des électeurs rap­
porte gros. Ainsi, chaque attaque
de Cawthorn contre l’élection est
stratégiquement médiatisée sur
Instagram et accompagnée d’ap­
pels à contribuer.
Le sénateur du Nebraska Ben
Sasse n’avait pas caché son cy­
nisme lorsque le Texas avait dé­
posé une requête devant la Cour
suprême visant à annuler les ré­
sultats en Géorgie, en Pennsylva­
nie, dans le Michigan et le Wis­
consin. Il y voyait un « coup de
pub plutôt qu’un procès » pour
rester dans les bonnes grâces du
président sortant. Deux groupes
de républicains mènent ces atta­
ques : ceux dont la réélection
en 2022 est incertaine (le séna­
teur Ron Johnson du Wisconsin)
et ceux qui visent un poste plus
important (les représentants Mo
Brooks en Alabama, Matt Gaetz
en Floride, Jim Jordan dans
l’Ohio). Tous cherchent à gagner
en visibilité, en fonds, et à obte­
nir le soutien d’un président
dont l’influence demeure impor­
tante chez les militants.
Faible marge de manœuvre
Ensuite, la prochaine présiden­
tielle est également en vue et
aucun des (nombreux) préten­
dants ne veut « abandonner »
Trump publiquement le 6 jan­
vier. Le vice­président Mike
Pence hésite à s’absenter d’une
session qu’il doit pourtant prési­
der. Les sénateurs géorgiens,
mais aussi Josh Hawley (Mis­
souri), Rand Paul (Kentucky) et
Ted Cruz (Texas), sont tentés de
contester les résultats, avec 2024
en tête. Plus largement, personne
ne veut courir le risque de voir
Trump appeler à les défaire,
comme c’est déjà le cas pour les
sénateurs Lisa Murkowski
(Alaska) et John Thune (Dakota
du Sud), tous deux candidats à
leur réélection en 2022.
Finalement, Joe Biden sait qu’à
78 ans, face aux velléités de la
gauche des démocrates et des sé­
nateurs républicains de la « résis­
tance », sa marge de manœuvre
est faible. Pour cette raison, ses
conseillers lui demandent d’occu­
per l’espace en lançant sa réélec­
tion dès janvier, comme Trump
en 2017. Repartir en campagne
donc, qu’il le veuille ou non. 
Maxime Chervaux est
professeur agrégé à l’Institut
français de géopolitique,
spécialisé dans la politique
des Etats-Unis
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021 idées | 31

Musa Al-Gharbi
Trump ne s’est pas rallié les Blancs avec
sa politique raciste, il se les est mis à dos
Contre toute attente, le président sortant a fait ment négatif. Trump ne s’est pas rallié les
Blancs avec sa rhétorique et sa politique
progresser la part des minorités raciales et racistes, il se les est mis à dos. Et si le style
religieuses dans le vote républicain, analyse Trump a repoussé bon nombre de sympa­
thisants républicains blancs, il semble au
le sociologue, alors qu’une partie des hommes contraire avoir séduit de nombreuses mi­
blancs ont reporté leurs voix sur les démocrates norités. Cela ressort clairement des son­
dages de sortie des urnes et des résultats
de votes des quatre dernières années.
de l’élite, on n’est une personne de cou­
leur que si l’on sait voter « convenable­
ment ». On ne compte plus les chroni­
ques qui, pendant quatre ans, ont parlé
d’Hispaniques, de Latinos, de peuple noir,
d’Asiatiques et de « gens de couleur » en
général – soulignant massivement que
Trump, sa rhétorique et ses réformes
étaient un anathème pour ces différents
mans, les juifs et les autres minorités reli­
gieuses. Les tendances à l’intérieur des
sous­populations correspondaient donc
en général à celles qui ont prévalu au ni­
veau macro et qui renvoyaient aux « His­
paniques », aux « Asiatiques » ou aux
« Noirs » dans leur ensemble.
Les démocrates n’ont aucun intérêt à se
voiler la face. Cela fait plus de dix ans que

L
es élections présidentielles améri­
caines de 2000 et de 2004 ont été
remportées par les républicains.
Celles de 2008 et de 2012, par les dé­
mocrates. Les républicains ont gagné
en 2016 et les démocrates de nouveau
en 2020. Malgré leur victoire en 2008 et
en 2012, les démocrates ont subi des re­
vers historiques lors des scrutins de mi­
mandat en 2010 et 2014. Si l’on veut com­
prendre ces résultats d’un cycle à l’autre, il
faut s’intéresser, non pas à ceux qui vo­
tent toujours de la même manière, mais
au contraire à ceux dont le comporte­
ment électoral varie d’année en année.
C’est un principe élémentaire de la statis­
tique. On ne peut expliquer une variation
en faisant appel à une constante. Et pour­
tant, à en juger le traitement de la dimen­
sion raciale des élections américaines,
c’est exactement ce qu’ont semblé vouloir
faire de très nombreux commentateurs.
Sur le site américain Vox, par exemple,
les journalistes Fabiola Cineas et Anna
North insistent pour « parler des Blancs
qui ont voté pour Donald Trump ». Leur
argument ? Si au cours des quatre derniè­
res années, des minorités ont évidem­
ment pu passer du côté républicain, il est
indéniable que Trump n’a pu l’emporter
en 2016, et n’a pas été loin de gagner en­
core en 2020, que parce qu’une majorité
de citoyens blancs a voté pour lui à cha­
que élection. De la même manière, parce
que Trump a obtenu l’adhésion d’une
majorité d’hommes blancs, un célèbre
éditorialiste du New York Times [Charles
M. Blow] n’a pas hésité à écrire dans les
colonnes du journal qu’en 2020, « les son­
dages des votants soulignent la puissance
du patriarcat blanc ». En réalité, les sonda­
ges des votants (et bien d’autres données)
montrent clairement que les femmes et
les minorités ont plus largement voté ré­
publicain en 2020 qu’en 2016, et que Bi­
den n’a pu gagner ces élections que parce
que les hommes blancs ont reporté leurs
voix sur les démocrates, malgré leurs pré­
férences traditionnelles. Autrement dit,
si le « patriarcat blanc » n’avait pas voté
comme il l’a fait cette fois­ci, nous
aurions encore devant nous quatre an­
nées de gouvernement Trump.
Le vote « convenable » des minorités
C’est vrai, le Parti républicain s’est acquis
une majorité de l’électorat blanc lors de
cette élection. Mais cela n’a absolument
rien à voir avec le candidat Trump. Les ré­
publicains obtiennent majoritairement
l’adhésion de l’électorat blanc à chaque
scrutin présidentiel depuis 1972. Non seu­
lement Trump n’a pas obtenu un pour­
centage extraordinaire du vote blanc,
mais il a fait pire que son prédécesseur. Et
tout au long de son mandat, jusqu’à la
dernière course à la présidentielle, il n’a
cessé de perdre des voix parmi l’électorat
blanc. En d’autres termes, si l’on considère
l’effet Trump sur le vote républicain de la
population blanche, il ne fait aucun doute
qu’il s’est agi d’un effet systématique­
Mais plutôt que d’essayer de compren­
dre ce phénomène avec nuance ou pro­
fondeur, nombre d’éminents commenta­
teurs ont insisté pour dire que ces élec­
teurs de couleur – parce qu’ils avaient
voté Trump – étaient en réalité blancs.
Mentalité qu’a parfaitement illustrée Joe
Biden lui­même, dès avant l’élection, lors­
qu’il expliquait, en mai, lors d’une inter­
view à une radio américaine, que les Afri­
cains­Américains qui se demandaient
pour qui voter en novembre « n’étaient
pas noirs » (« Si vous avez un problème
pour savoir si vous êtes pour moi ou pour
Trump, alors vous n’êtes pas noir »). Ainsi,
il semblerait que pour une grande partie
MALHEUREUSEMENT,
LA GAUCHE SEMBLE
PLUS PRÉOCCUPÉE
PAR LA PROGRESSION
D’UNE CONCEPTION
ABSURDE DE LA RACE
QUE PAR LES INTÉRÊTS
DES CITOYENS
NON BLANCS
groupes. Et voilà que face aux résultats de
ces élections, soudain, beaucoup ont fait
la découverte – plutôt commode – que les
populations hispaniques et latinos ne
formaient pas un seul bloc.
Se voiler la face
Il y a fort à parier que, si les démocrates
avaient obtenu davantage de voix des
électeurs asiatiques et hispaniques, on
aurait vu déferler les articles expliquant
que les « Latinx » [le nom de genre neutre
parfois donné aux Hispaniques] avaient
fait basculer l’élection, que l’importance
du vote « asiatique » ne faisait que croître
ou que les « BIPOC » [« black, indigenous
and people of color »] étaient l’avenir de la
politique américaine… Mais parce que ces
électeurs ont donné leur voix à Trump, ce
que l’on a pu lire était bien différent :
« Hispanique ? Asiatique ? Gens de cou­
leur ? Ces termes ont­ils encore un sens ? »
Même lorsqu’on examine le vote hispa­
nique et latino en sous­groupes de diffé­
rentes ascendances – les Sud­Américains,
les Centre­Américains, les Dominicains,
les Portoricains, les Mexicains ou les Cu­
bains –, on observe que toutes ces popula­
tions ont voté pour Trump. Bien sûr, la
proportion varie d’un groupe à l’autre,
mais on constate partout la même ten­
dance. Le phénomène s’est produit au
sein de l’électorat asiatique : à l’exception
des Nippo­Américains, pratiquement
tous les sous­groupes asiatiques ont voté
Trump au cours des quatre dernières an­
nées. Et cela vaut aussi pour les musul­
le parti ne cesse de perdre des voix parmi
les électeurs des minorités, à tel point
qu’il a peiné à former une coalition via­
ble. Le Parti démocrate semble de plus en
plus s’aliéner les personnes de couleur.
Les républicains, au contraire, se sont
montrés capables de capter cet électorat
– même avec Trump aux commandes.
Ceux qui, dans les médias et dans le
monde universitaire, prétendent parler
au nom des gens de couleur sont large­
ment déconnectés.
Malheureusement à gauche, on semble
davantage préoccupé par le fait de faire
progresser une conception absurde de la
race que par les intérêts et les préoccupa­
tions des citoyens non blancs. Au lieu
d’essayer d’analyser ce qui ne va pas dans
le message ou le programme du parti – et
de les ajuster en conséquence –, on cher­
che par tous les moyens à expliquer ce
qui ne va pas chez les gens – dont un
nombre croissant ne votent pas comme
ils « devraient ». Les démocrates n’avaient
pratiquement tiré aucune leçon de l’élec­
tion de 2016. Hélas, il risque d’en aller de
même pour l’élection de 2020. 
Traduit de l’anglais par
Pauline Colonna d’Istria
Musa Al-Gharbi est sociologue,
chercheur à l’université Columbia,
à New York

Marie-Pierre Vedrenne L’Europe doit redoubler d’efforts pour

lutter contre les effets néfastes des lois extraterritoriales
L’arrivée au pouvoir du démocrate Joe Biden ne signifie pas la fin des tensions juridiques et commerciales avec Washington,
souligne la vice­présidente de la commission du commerce international du Parlement européen

L’
élection de Joe Biden à la
présidence des Etats­Unis
reste une bonne nouvelle,
laissant imaginer que ce
défenseur du multilatéralisme va
revenir à la table des négocia­
tions. Toutefois, ce retour ne pré­
sage en rien l’issue de nos futurs
échanges. L’Europe ne doit pas se
bercer d’illusions, notamment en
matière commerciale. Son hori­
zon doit demeurer l’autonomie
stratégique. Nous ne pouvons pas
tout attendre de notre partenaire
d’outre­Atlantique.
Certes, nous ne pouvons que
nous réjouir de la victoire du can­
didat démocrate, et plus encore
de la défaite de Donald Trump.
Mais soyons clairs entre Euro­
péens sur le constat. Sur le terrain
commercial, la présence de Do­
nald Trump à la Maison Blanche a
accentué les tensions aussi bien
sur le fond que sur la forme, tout
était bon pour imposer « des ta­
rifs ». Mais penser que désormais
le climat va revenir à la normale
est illusoire. Et surtout de quelle
normalité s’agit­il ?
Arrêtons­nous quelques ins­
tants sur les lois extraterritoriales
américaines mises en place bien
avant l’arrivée de Donald Trump.
Les Etats­Unis tirent profit de leur
législation pour en contourner le
bien­fondé. Le bilan des vingt der­
nières années est édifiant : plu­
sieurs dizaines de milliards de
dollars d’amendes ont été récla­
mées à des entreprises françaises
comme PSA ou Airbus, européen­
nes, sud­américaines et asiati­
ques. Cela au motif que leurs pra­
tiques commerciales, leurs clients
ou certains de leurs paiements ne
respectaient pas le droit améri­
cain, alors même qu’aucune de
ces pratiques n’avait de lien direct
avec le territoire des Etats­Unis et/
ou que ces entreprises se confor­
maient au droit de leur pays.
Nos entreprises ne sont pas les
seules affectées par ces pratiques.
Les citoyens européens dits
« Américains accidentels » sont
eux aussi des victimes collatéra­
les. Ces derniers disposent de
plusieurs nationalités dont la na­
tionalité américaine, ils se battent
contre le principe de la taxation
basée sur la nationalité, spécifi­
quement l’application de la
législation Foreign Account Tax
Compliance Act (Fatca). Soyons
conscients du contexte de
tensions dans lequel nous évo­
luons. La bataille que se livrent les
Etats­Unis et la Chine pour se
maintenir ou ravir la première
place du podium mondial ne va
pas disparaître, bien au contraire.
La géopolitique de l’affrontement
prédomine.
Ainsi, les Européens ne doivent
pas être pris en étau entre ces
deux Etats­continents. Il faut les
voir tels qu’ils sont : des alliés, par­
L’UE DOIT
CONTINUER
DE DÉFENDRE
UN COMMERCE
MONDIAL BASÉ
SUR DES RÈGLES,
MAIS DES RÈGLES
RESPECTÉES
PAR TOUS
fois, des rivaux économiques, sou­
vent. Au sein de l’Organisation
mondiale du commerce, avec les
Etats­Unis et d’autres partenaires,
nous devons travailler pour lutter
contre la surcapacité chinoise et
faire évoluer Pékin sur les subven­
tions accordées à son industrie.
Dans cette même enceinte du
commerce mondial, nous devons
par ailleurs redoubler nos efforts
pour lutter contre les effets néfas­
tes des lois extraterritoriales amé­
ricaines. Cette action s’inscrit
dans le temps long. Le règlement
européen de 1996, dit loi de blo­
cage, vise à assurer une protection
contre l’application extraterrito­
riale de certaines lois. Toutefois,
nous restons dans une posture
défensive. Il est grand temps de
nous doter d’instruments garan­
tissant le libre choix de nos entre­
prises qui sont en conformité
avec le droit international.
L’Union européenne demeure
la première puissance commer­
ciale forte d’un marché de
450 millions de consommateurs.
Si elle veut s’affirmer comme
telle, l’ensemble des Etats doit
partager cette volonté. Dans ce
contexte économique très diffi­
cile dû au choc de la pandémie de
Covid­19, les balances commer­
ciales seront scrutées au plus
près. L’Union européenne doit
continuer de défendre un com­
merce mondial basé sur des rè­
gles, mais des règles adaptées et
respectées par tous.
Pouvoir jouer à armes égales
Pour être audible et crédible,
l’Union européenne doit se doter
d’un arsenal juridique permet­
tant de jouer à armes égales. Elle
vient de franchir une première
étape avec l’adoption de mon
rapport sur l’application des rè­
gles en matière commerciale.
L’Union peut adopter des contre­
mesures dans le champ des biens
et marchés publics, et aussi, dé­
sormais, dans le domaine des ser­
vices et des droits de propriété in­
tellectuelle harmonisés au ni­
veau de l’Union. La proposition
faite par la Commission euro­
péenne de se doter d’un nouvel
instrument juridique en 2021
pour contrer les mesures coerciti­
ves prises par un Etat tiers consti­
tue une bonne nouvelle. Il est
inscrit dans le programme de tra­
vail de l’exécutif européen.
Les colégislateurs devront être
ambitieux pour lutter contre les
comportements de nos partenai­
res visant à nous contraindre.
L’issue du bras de fer sur de nom­
breux sujets, et spécifiquement
sur l’extraterritorialité, est donc
loin d’être figée si nous avons la
volonté d’augmenter nos capaci­
tés de réaction pour s’opposer à
l’illicéité de l’extraterritorialité.
Nous, Européens, ne voulons
pas de guerre commerciale, nous
voulons les conditions de la paix.
Mais ne nous trompons pas :
compter sur le seul protectorat
américain nous mènera dans une
impasse. Le renforcement de no­
tre capacité d’action, notre auto­
nomie stratégique et une préfé­
rence européenne doivent conti­
nuer de nous animer. 
Marie-Pierre Vedrenne
est députée européenne,
membre du groupe Renew,
vice-présidente de la commis-
sion du commerce internatio-
nal du Parlement européen
 0123
32 | idées MERCREDI 6 JANVIER 2021

Israël, rente stratégique des pouvoirs autocrates arabes

ANALYSE de front avec « l’ennemi israélien ». Ces
fonds, destinés officiellement à financer la
cains. L’accord devrait aussi leur permettre
d’approfondir leurs relations avec l’industrie
Israël, tandis que les seconds insistent sur le
fait que cette décision doit être avalisée par le

L
e débat récurrent sur les causes du
malheur arabe pointe invariable­
ment, dans une liste de facteurs ex­
plicatifs, le rôle délétère joué par le
pétrole. Au lieu de faciliter le développement
et le progrès social, socle d’un épanouisse­
ment démocratique, la rente pétrolière a été
confisquée par les élites issues de la décolo­
nisation, qui s’en sont servies pour clientéli­
DANS CERTAINS  ser la vie politique et cimenter leur main­
ÉTATS AYANT  mise sur le pouvoir. De l’Algérie aux monar­
chies du Golfe, en passant par l’Irak et la Li­
NORMALISÉ LEURS  bye, les richesses tirées des hydrocarbures
ont davantage fait le bonheur des autocrates
RELATIONS AVEC  arabes que celui de leur peuple. Mais les régi­
mes en place au Proche­Orient ont pu comp­
ISRAËL COMMENCE  ter sur une autre rente, moins évidente, mais
À APPARAÎTRE UNE  pas moins efficace : Israël.
Les plaies jamais refermées de l’expulsion
CRIMINALISATION  des Palestiniens en 1948 et de l’occupation
en 1967 de la Cisjordanie, de la bande de Gaza
DE L’ACTIVISME  et du plateau du Golan constituent un fer­
PRO­PALESTINIEN ment de déstabilisation que les pouvoirs de
la région ont toujours su monnayer. La ré­
cente vague de normalisation entre l’Etat hé­
breu et quatre pays arabes (Emirats arabes
unis, Bahreïn, Soudan et Maroc) a porté ce
principe transactionnel à son paroxysme,
mais il n’est pas nouveau.
Dans la foulée de la guerre du Kippour,
en 1973, la Syrie de Hafez Al­Assad (1930­
2000) a reçu des milliards de dollars des mo­
narchies du Golfe, au titre d’Etat sur la ligne
reconstruction et le réarmement du régime
baasiste, ont surtout permis au maître de
Damas d’institutionnaliser un système de
gouvernement dictatorial et prédateur.
Marchandages et dollars américains
Au début des années 1980, c’est auprès de la
toute nouvelle République islamique d’Iran
que Hafez Al­Assad est allé marchander son
hostilité à Israël. L’alliance signée avec les
mollahs de Téhéran lui a rapporté des mil­
lions de tonnes de pétrole gratuit. De quoi
consolider encore un peu plus son pouvoir,
alors défié par une insurrection interne, em­
menée par les Frères musulmans. A cette épo­
que, le régime égyptien, dirigé par Anouar El­
Sadate, a recouru à la même tactique, mais
dans la direction opposée. En échange du
traité de paix avec Israël, signé à Camp David,
en 1979, il a obtenu l’accès à l’aide financière
américaine. Le 1,3 milliard de dollars annuel
versé par Washington a principalement pro­
fité à l’armée égyptienne. Une institution qui
protège autant les frontières du pays que sa
propre prééminence dans les affaires écono­
miques et politiques. Sa participation au ren­
versement, en 2013, de Mohamed Morsi, pre­
mier – et unique à ce jour – président égyp­
tien élu à la régulière, l’a démontré.
L’histoire se répète aujourd’hui. Pour avoir
reconnu Israël, les Emirats arabes unis rece­
vront la bagatelle de 50 chasseurs bombar­
diers F­35 et de 18 drones de combat améri­
israélienne de la cybersurveillance. Celle­ci a
déjà fourni à la dynastie Al Nahyane, au pou­
voir à Abou Dhabi, un logiciel espion lui per­
mettant de siphonner le contenu du smart­
phone de ses opposants. Parmi les cibles de ce
système, figure Ahmed Mansour, arrêté
en 2017 et condamné depuis à dix ans de pri­
son. L’une des entreprises soupçonnées d’être
à la pointe des activités de cybersécurité of­
fensive des Emirats arabes unis, le Group 42, a
prévu d’ouvrir un bureau à Tel­Aviv.
A Bahreïn, la normalisation n’aurait pas pu
aller de l’avant si le Parlement, relativement
actif dans les années 2000, n’avait pas été mis
au pas en 2011, dans le cadre de la répression
du soulèvement populaire en faveur d’une
monarchie véritablement constitutionnelle.
Dix­sept mouvements politiques et organisa­
tions de la société civile, de la gauche aux isla­
mistes, ont dénoncé l’accord avec Israël, no­
tamment le Wifaq, le parti conservateur chiite
qui avait remporté près de la moitié des sièges
de l’Assemblée aux élections de 2010. Ce vi­
rage diplomatique hypothèque encore un peu
plus les chances d’un retour à la situation
d’avant 2011, époque où Bahreïn passait pour
le pays du Golfe le plus pluraliste avec le
Koweït. Au Soudan, l’établissement de rela­
tions diplomatiques avec l’Etat hébreu, décidé
sous la pression des Etats­Unis, a fragilisé la
coalition entre militaires et civils chargée de
conduire le pays à des élections libres. Les pre­
miers soutiennent le rapprochement avec
futur Parlement. Le risque existe désormais
que la transition démocratique soit interrom­
pue par les militaires, pour éviter une remise
en cause de leur orientation diplomatique. Au
Maroc, enfin, en échange de la réouverture du
bureau de liaison israélien, le roi Moham­
med VI a obtenu la reconnaissance, par les
Etats­Unis, de la souveraineté de Rabat sur le
Sahara occidental. Un territoire contrôlé en
partie par l’armée marocaine, au grand dam
du peuple sahraoui qui le revendique. « Oc­
cupation contre occupation », a cinglé le quoti­
dien israélien Haaretz, en réaction à l’accord.
Dans les cercles pro­normalisation, aux
Etats­Unis, dans le Golfe et en Israël, on
guette le moindre sondage susceptible de
fournir une légitimité populaire à ce tour­
nant. Sans résultat très probant. La plupart
des enquêtes font état d’une large opposi­
tion, de l’ordre de 60 % à 80 % des personnes
interrogées, à la reconnaissance d’Israël sans
règlement de la question palestinienne. Si­
gne éloquent, une criminalisation de l’acti­
visme pro­palestinien commence à apparaî­
tre dans certains de ces Etats, notamment à
Bahreïn et aux Emirats. Pendant longtemps,
les régimes arabes ont justifié leur autorita­
risme par la guerre avec Israël. Il serait co­
casse, mais pas totalement étonnant, que la
répression soit désormais menée au nom de
la paix avec ce même Etat. 
benjamin barthe
(service international)

CHRONIQUE  | PAR ÉRIC ALBERT COMMENT L’OCCIDENT A RAPETISSÉ

Brexit : un effritement LIVRE chargé de ramener les Etats­Unis
à cette réalité : ils refluent. L’in­
ticolonialiste, du traité de polé­
mologie et du cours de géopoli­

plutôt qu’un effondrement D ans quelques mois, les

Américains quitteront
l’Afghanistan. Réfugiés
au Pakistan, les talibans revien­
dront à Kaboul. Ils ont quitté la
fluence américaine diminue au
profit de nouvelles puissances
de l’heure. Celle de l’Occident
dans son ensemble aussi. Le Sud
– au sens géographique et politi­
tique. Chaliand, fidèle à son
œuvre, n’a pas de thèse centrale,
d’argumentaire militant, de fac­
teur explicatif unique : l’objectif,
dit­il, est d’être « politiquement

L es opposants au Brexit se sont

encore une fois trompés de ci­
ble. En 2016, pendant la campa­
gne du référendum, ils avaient averti :
voter pour sortir de l’Union euro­
péenne (UE) serait imposer au Royau­
me­Uni une récession immédiate.
Celle­ci ne s’est pas produite.
C’est normal, le Brexit n’avait pas
encore eu lieu, ont ensuite expliqué
(à juste titre) les mêmes opposants.
Mais attention, ce n’était que partie
remise : à terme, la catastrophe allait
se produire à la frontière, mena­
çaient­ils. En ralentissant le trafic de
camions à Douvres, le rétablissement
d’une douane provoquerait d’im­
menses embouteillages.
Le 1er janvier est arrivé, avec l’entrée
en vigueur des relations post­Brexit
entre Londres et Bruxelles, et le scé­
nario apocalyptique ne s’est pas pro­
duit. Pour l’instant, les camions pas­
sent sans anicroche. Boris Johnson
peut pavoiser. La fin du monde n’a
pas eu lieu.
L’absence d’embouteillages s’expli­
que aisément. Les entreprises ont fait
des stocks avant le Nouvel An pour
éviter le chaos tant annoncé et le trafic
de camions est donc en forte baisse en
ce début janvier. La pandémie réduit
d’autant plus les échanges. De toute fa­
çon, du côté britannique, les douanes
ont annoncé qu’elles laisseraient pas­
ser les camions qui ne seraient pas en
règle pendant les six premiers mois.
Mais si le scénario du pire ne s’est
pas concrétisé, cela ne signifie pas que
les prévisions négatives des écono­
mistes face au Brexit soient fausses.
En moyenne, malgré l’accord signé la
veille de Noël, leurs études, compilées
par le gouvernement britannique,
prévoient pour le Royaume­Uni une
perte de quatre points de produit in­
térieur brut par rapport à ce qu’il se
serait passé en restant dans l’UE.
Mais attention, il s’agit d’une perte
« sur le long terme », avec un horizon
à dix ou quinze ans. En clair, ces étu­
des très sérieuses et très crédibles
POUR L’INSTANT,  presque toujours, il fera partie du cal­
LES CAMIONS PASSENT SANS  représenteront une perte nette pour
ANICROCHE. BORIS JOHNSON  de trois, quatre ou six points de PIB ?
PEUT PAVOISER. LA FIN  Les modèles des économistes diver­
DU MONDE N’A PAS EU LIEU
ont toujours esquissé le scénario
d’un lent effritement, pas d’un sou­
dain effondrement.
Leur logique est assez simple. Le ré­
tablissement des douanes rend les
capitale afghane en 2001, au len­
demain des attentats du
11­Septembre, dans la foulée d’une
intervention des Etats­Unis. Et
sans doute ces « étudiants en reli­
que du terme – a brisé nombre
des monopoles du Nord : celui de
la richesse, de la science, de la
puissance militaire. Pourquoi,
comment ?
pertinent », pas « politiquement
correct ».
Anticolonialiste, il ne renie pas
les Lumières européennes. C’est
l’Europe qui a donné aux coloni­
échanges entre le Royaume­Uni et gion », comme on les appelle, plus sés « l’outillage idéologique » de
l’UE marginalement moins compéti­ « DES GUÉRILLAS  portés sur la kalachnikov que sur Manuel de guérillero leur libération. Attaché à la
tifs. Ce sont des grains de sable intro­ AU REFLUX  l’étude, reprendront­ils le pou­ Dans son studio parisien, debout démocratie représentative, aux
duits dans la machine. Progressive­ DE L’OCCIDENT », voir. Les Afghanes en seront les face à son écritoire, Gérard droits humains et aux libertés
ment, le commerce va ralentir, ou du Gérard Chaliand premières victimes. Chaliand – politologue, poète, publiques, cet homme qui a
moins progresser moins vite. Passés/Composés, Près de vingt ans d’intervention voyageur compulsif – a rassem­ passé une partie de sa vie à
630 pages, 27 euros occidentale dans ce malheureux blé ses souvenirs. Il a repris ses plaider la cause des victimes du
Un facteur parmi d’autres pays d’Asie centrale, abonné à la analyses, policé ses écrits. Il a vu colonialisme et de l’impéria­
Pour comprendre le phénomène, guerre perpétuelle, prendront fin. juste, le plus souvent. Cette his­ lisme occidental ne tombe ja­
l’exemple de l’usine Nissan de Sun­ Sur quoi ? Une défaite, une demi­ toire, celle du lent retrait de l’Oc­ mais dans l’anti­occidentalisme.
derland, dans le nord­est de l’Angle­ défaite des Etats­Unis. L’Amérique cident après trois siècles de do­ Pour avoir vu beaucoup de cada­
terre, est l’un des plus parlants. Une ne gagne plus ses guerres. Au dé­ mination, il l’a vécue, racontée, vres, il est sans illusions sur l’ef­
large partie de ses pièces détachées but des années 1990, elle pensait quand il n’y a pas directement fet « libérateur » de la violence. Il
vient d’Europe et près des trois quarts être sortie victorieuse de la guerre participé. Il regroupe ici ses an­ stigmatise les mythes du tiers­
de sa production sont exportés vers froide. Washington imaginait nées de « terrain » : Vietnam, Al­ mondisme et pourfend le « révo­
l’UE. Nissan dépend donc d’un com­ l’extension infinie du libre­ gérie, Afrique, Moyen­Orient, lutionnarisme » – cette passion
merce sans friction à la frontière. échange et, pas à pas, l’implanta­ Asie centrale. française. Ses paradoxes nourris­
Et pourtant, en mai 2020, quand la tion universelle de la démocratie. C’est un gros livre à tiroirs, qui sent sa richesse, ses contradic­
maison mère a annoncé la restructu­ A coups d’attentats et de crises tient du manuel de guérillero et tions, apparentes, sont sa force. 
ration de sa production en Europe, systémiques, le XXIe siècle s’est du vade­mecum de militant an­ alain frachon
elle a décidé de fermer l’usine de Bar­
celone, et de conserver celle de Sun­
derland. Explication : en Espagne, Nis­
san produisait des pick­up en fin de
course tandis qu’en Angleterre elle fa­
brique notamment le modèle électri­
Bonne année | par selçuk
que Leaf, prometteur. Pour des rai­
sons d’organisation, son usine de Sun­
derland est l’une des plus rentables au
monde. Après le Brexit, elle le devient
un peu moins, mais pas au point de
fermer. Nissan y a investi des centai­
nes de millions d’euros et n’entend
pas jeter cet argent par les fenêtres.
La question va se poser dans quel­
ques années, quand il faudra réinves­
tir pour y fabriquer le modèle suivant.
Nissan choisira­t­il Sunderland ? La
réponse dépendra de dizaines de fac­
teurs : la conjoncture, le succès des
modèles de Nissan et… les frictions à
la frontière. Ces dernières marque­
ront peut­être la mort de cette usine.
Ou peut­être pas. Le Brexit ne sera
qu’un facteur parmi d’autres.
La même logique va s’appliquer à
des millions d’entreprises, de l’agri­
culture à l’aéronautique en passant
par la finance. Presque jamais le
Brexit ne sera un facteur central de la
décision d’investissement. Mais
cul. Additionnés, les grains de sable
le Royaume­Uni. Celle­ci sera­t­elle
gent mais tous vont dans le même
sens : l’effet sera négatif. 
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021 carnet | 33
Le père Francis Cagnac, Ross McInnes, Mme Yves Lequin,
son frère, président, Ses enfants, Michel POTAGE
Janine et Monique, Olivier Andries, artiste peintre,
ses belles-sœurs, directeur général Ses petits-enfants,
en vente Le Carnet Ses neveux, nièces Et l’ensemble du conseil
actuellement et leurs enfants, d’administration est décédé le 27 décembre 2020.
ont la douleur de faire part du décès,
Vous pouvez nous faire parvenir ont la tristesse d’annoncer le décès
de Safran, survenu le 23 décembre 2020, à l’âge
du De la part de
vos textes soit par e-mail : de quatre-vingt-cinq ans, de
K En kiosque carnet@mpublicite.fr ont appris avec une grande tristesse
père Charles-Henri CAGNAC, Fanny Weinzaepflen,
(en précisant impérativement la disparition de
votre numéro de téléphone et M. Yves LEQUIN, sa fille,
survenu le 29 décembre 2020,
votre éventuel numéro d’abonné à l’âge de quatre-vingt-onze ans. professeur émérite Catherine Weinzaepflen
ou de membre de la SDL) Jean-Marc FORNERI, d’histoire contemporaine Et ses amis.
HORS-SÉRIE

JOHN soit sur le site :

Ses obsèques seront présidées membre du conseil de surveillance,
à l’université Lumière, Lyon 2.
LENNON par Mgr Matthieu Rougé, évêque de puis administrateur de Safran Nantes.
SPLENDEUR
ET MISÈRE D’UN
ROCK ’N’ROLL
https://carnet.lemonde.fr Nanterre, le vendredi 8 janvier 2021, de 2005 à 2018.
HÉROS
1940— à 14 h 30, en l’église Saint-Justin, Les obsèques auront lieu dans
1980 L’équipe du Carnet reviendra vers 59 bis, rue Rivay, à Levallois-Perret. L’ensemble de la famille,
vous dans les meilleurs délais l’intimité familiale.
Ses proches,
Le conseil d’administration salue
pour vous confirmer la parution. Cet avis tient lieu de faire-part sa précieuse contribution durant
et de remerciements.
toute cette période. Cet avis tient lieu de faire-part. ont la tristesse de faire part du décès
carnet@mpublicite.fr de
Les familles Chagnoux Nous nous associons à la douleur
https://carnet.lemonde.fr et Delahousse 16, rue Garibaldi,
Hors-série de sa famille et de ses proches.
Ainsi que Petit Potam, Jean RENARD,
69006 Lyon.
AU CARNET DU «MONDE» Les membres du conseil professeur émérite de géographie
ont le chagrin de faire part du décès
d’administration, au nom de à l’université de Nantes,
de (Le Monde du 30 décembre.)
Naissance l’ensemble des collaborateurs du
Groupe, présentent leurs plus spécialiste de la géographie
Christine CHAGNOUX,
Hors-série
Hor
Hors-sé
-sér
rie Décembre 2020 - janvier 2021

Les familles sincères condoléances. François et Elisabeth Neuville, sociale et rurale,

GASTINEAU et REYNERS survenu le 28 décembre 2020, Marie Neuville et Christian Dauriac, médaille de bronze du CNRS,
ont la joie de faire part de la naissance
de à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Paris. Bruno Neuville, membre-correspondant
Mûr-de-Bretagne (Côtes-d’Armor).
BEST OF Artémise, 1, rue Félix-Faure, ses enfants et leurs conjoints,
de l’Académie d’agriculture de France,
95880 Enghien-les-Bains. Gaël, Nicolas, Mirko et Catherine, Charles et Julie, Mathieu, Louis
née le 1er janvier 2021. 4, avenue Daniel-Lesueur, survenu le 31 décembre 2020, dans sa
2020
ses enfants et leurs conjoints, et Sophie, Edouard, Paul,
En partenariat
75007 Paris. Louka, Simon et Thomas, quatre-vingt-cinquième année.
ses petits-enfants,
avec

Avec 11 pages de jeux conçues par le magazine

Décès ses petits-enfants,
Pierre Daclin, Simon, Anatole et Jules, Communication diverse
Hors-série Lyon. Toulouse. son frère ont la tristesse de faire part du décès ses arrière-petits-enfants,
et Michèle Daclin, de
Franck Beaumont, Jean-Michel Daclin, Jeannette Neuville-Lelièpvre,
son époux,
son frère sa belle-sœur,
Margaux, Ombeline, Maxence, M. Pierre HUBERT,
ses enfants, et Cécile Daclin,
docteur ès sciences, Jean-Jacques et Chantal Neuville,
Collections M. et Mme Jean-Pierre Pech,
ses parents,
Mme Michel Beaumont,
Marie-Noëlle, Jean-Charles, Noémie,
Jérémie, Timothée et Judith,
ses neveux et nièces,
ancien élève
de l’École centrale de Paris,
Bernard et Anne Neuville, Philippe

sa belle-mère, maître de conférence et Françoise Leroy-Neuville,

Rachel, Gaspard, Anna-Lou, Louise,
Son frère, Emile et Joséphine, à l’École des mines de Paris, ses neveux, nièce
Ses beaux-frères, belles-sœurs ses petits-neveux et nièces, ancien secrétaire général Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
et Et toute sa famille, et leurs enfants,
Eliott, de l’Association internationale
présentent
son arrière-petit-neveu, des sciences hydrologiques, Ses amis médecins, ceux, Les bénévoles de SOS Amitié
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu de Ses cousines et ses cousins, ancien responsable du DEA militants engagés pour l’inclusion écoutent
d’hydrologie de l’université des personnes atteintes de handicap par téléphone et/ou par internet
Catherine BEAUMONT, ont la profonde tristesse de faire part Pierre et Marie Curie, Paris VI,
née PECH, et ceux du monde associatif, ceux qui souffrent de solitude,
du décès de ancien secrétaire général de mal-être et peuvent avoir
le 29 décembre 2020, de l’Association internationale
Noëlle DACLIN, des pensées suicidaires.
à l’âge de cinquante-deux ans. des sciences hydrologiques, ont la tristesse de faire part du décès
chevalier de la Légion d’honneur,
La cérémonie religieuse sera survenu dans sa quatre-vingt-huitième de Nous recherchons des écoutants
célébrée le mercredi 6 janvier 2021, année. bénévoles
à 14 heures, en la basilique Saint- survenu le 31 décembre 2020, à Paris.
Martin-d’Ainay, Lyon 2e. Raymond NEUVILLE, sur toute la France.
Ses obsèques se sont déroulées
dans la plus stricte intimité, le jeudi Loïk Le Floch-Prigent, L’écoute peut sauver des vies
chevalier de la Légion d’honneur,
Actuellement en vente, David et Alexandre, 31 décembre 2020, au cimetière de son fils, et enrichir la vôtre !
ses fils, Limonest (Rhône). officier Choix des heures d’écoute,
le volume n° 6 Marlène,
Adrien et Stanislas, sa belle-fille, dans l’ordre des Palmes académiques, formation assurée.
DEGAS ses petits-fils, Victoire Forneri, Fanny et Bertrand Vergnon, chevalier
Béatrice,
sa fille, Vincent et Zakia Le Floch-Prigent,
sa belle-fille, de l’ordre du Mérite agricole, En IdF RDV sur
Alain et Didier Bolling, Véronique Forneri, Elisa Aboulker,
son épouse, Erwan et Soizig Chartier-Le Floch, www.sosamitieidf.asso.fr
ses frères,
Bruno Forneri, En région RDV sur
Olivier, Régis, Laurence et ses petits-enfants, survenu le 29 décembre 2020, dans
présente son frère www.sos-amitie.com
Christophe, Maëlle, Sibylle, Merlin, Klervi,
LES GRANDS PERSONNAGES ses neveux et nièce, Et toute la famille, sa quatre-vingt-dix-huitième année.
DE L’HISTOIRE EN BANDES DESSINÉES Melvin, Iwan, Neven, Tugdual, Tudi,
Anne Goscinny,
ses arrière-petits-enfants,
Manuelle Pefferkorn-Mazerand, ont la douleur de faire part du rappel
Sylvie Lefoll, Ses frères et sœurs, Il rejoint son épouse, le Société éditrice du « Monde » SA
à Dieu de Président du directoire, directeur de la publication
Les familles Julienne, Jubault Louis Dreyfus
ont la tristesse de faire part du décès Jean-Marc FORNERI, et Le Floch, Directeur du « Monde », directeur délégué de la
de docteur Paule NEUVILLE, publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
chevalier Directeur de la rédaction Luc Bronner
de la Légion d’honneur, ont la tristesse de faire part du décès Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
M. Claude BOLLING, de
pianiste, jazzman, chevalier disparue en 2004, fidèle élève du Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction
compositeur et chef d’orchestre, de l’ordre national du Mérite, Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
professeur Robert Debré et médecin
officier de la Légion d’honneur, chevalier Gabrielle LE FLOCH-PRIGENT, Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, née JULIENNE, précurseur auprès des femmes au Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
dans l’ordre national du Mérite, ancien inspecteur des finances, Burundi et en Afghanistan. Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
commandeur président fondateur Rédaction en chef numérique
survenu le 3 janvier 2021, dans sa Hélène Bekmezian
Dès le jeudi 7 janvier, dans l’ordre des Arts et des Lettres, de Bucephale Finance, quatre-vingt-dix-neuvième année. Rédaction en chef quotidien
Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
le tome 1 Une cérémonie religieuse sera Franck Nouchi (Débats et Idées)
survenu le 29 décembre 2020. en son domicile, le 28 décembre 2020.
DE GAULLE La cérémonie religieuse sera célébrée en l’église Saint-Maurice de Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote
La cérémonie religieuse sera célébrée le jeudi 7 janvier, à 14 h 30, Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
La cérémonie religieuse sera célébrée Gujan-Mestras, le mercredi 6 janvier
célébrée le mercredi 6 janvier 2021, en la basilique Notre-Dame-de-Bon- Chef d’édition Sabine Ledoux
le mercredi 6 janvier 2021, à 11 heures, 2021, à 10 h 30, suivie de l’inhumation
à 15 heures, en l’église Saint-Louis Secours, à Guingamp (Côtes-d’Armor). Directrice du design Mélina Zerbib
de Garches. en l’église Saint-Pierre, 90, avenue Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
du Roule, à Neuilly-sur-Seine. au cimetière d’Arcachon. Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Gabrielle repose chez elle,
Il sera inhumé au cimetière de Directrice des ressources humaines du groupe
DE LA PHILOSOPHIE Garches. L’inhumation aura lieu dans Emilie Conte
l’intimité familiale, au cimetière de 7, rue du Général de Gaulle, 1, allée des Violettes, Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
(Le Monde du 1er-2 janvier.) Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes). 22070 Guingamp. 33470 La Hume. Sébastien Carganico, vice-président

Marx
Manuscrits de 1844
—
Manifeste du parti communiste
—
Le capital (extraits)
—

Le Carnet
DE LA PH I L O S OPH I E

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34 | 0123
FRANCE | CHRONIQUE
par f r ançoi se f r e s s o z
L’année de tous
les possibles
O
n ne sort de l’ambi­
guïté qu’à ses dépens. »
En cette année préé­
lectorale, Emmanuel
Macron semble avoir fait sienne
la devise du cardinal de Retz. Ses
vœux aux Français, jeudi 31 dé­
cembre, étaient un modèle d’im­
précision quant à l’ultime tona­
lité de son quinquennat. Des thè­
mes ont été égrenés : l’Europe, la
transition écologique, la défense
des valeurs républicaines, la pro­
motion du mérite et du travail,
l’égalité des chances, la lutte con­
tre les discriminations, la dette
envers la jeunesse, mais, à ce
stade, bien malin qui peut dire
sur quel levier le président de la
République appuiera en priorité
pour franchir la haie de 2022. Se­
ra­t­il protecteur ou libérateur ?
conservateur ou audacieux ? La
palette reste suffisamment large
pour faire de 2021 l’année des
possibles, après le long tunnel im­
posé par l’épidémie de Covid­19.
La relecture des vœux de ses pré­
décesseurs au même moment du
mandat ne lui donne pas tort.
Confrontés, eux aussi, à des épreu­
ves majeures – les attentats de
2015 pour François Hollande, la
crise économique et financière
pour Nicolas Sarkozy –, ces deux
présidents avaient, un an et demi
avant l’échéance présidentielle,
tracé le chemin qui allait les me­
ner à une voie de garage. Après
avoir qualifié de « terrible » l’année
achevée, le premier avait défendu,
lors de ses vœux du 31 décem­
bre 2015, la déchéance de la natio­
nalité pour les binationaux con­
damnés pour crime terroriste
ainsi que la réforme du code du
travail. Ces deux sujets étaient
destinés à imposer l’image d’un
président régalien et réformateur.
Ils allaient en réalité précipiter
l’explosion de la gauche et empê­
cher François Hollande de se por­
ter candidat.
Tirant le bilan d’une « rude » an­
née, Nicolas Sarkozy avait, dans
son adresse aux Français, le 31 dé­
cembre 2010, placé la fin de son
mandat sous l’impératif du réé­
quilibrage des comptes publics,
alors que la signature de la France
commençait à se dégrader. Il en ré­
sulta une hausse continue des im­
pôts à rebours des promesses de
2007. La défense de la laïcité et des
valeurs de la République tenait,
comme aujourd’hui, une place im­
portante dans les discours prési­
dentiels, signe de la profonde crise
d’identité que traverse le pays et
qui semble ressurgir à chaque fin
de mandat pour mieux en mar­
quer le crépuscule.
S’extirper de la fatalité du man­
dat déjà joué est d’autant plus es­
sentiel pour Emmanuel Macron
que l’année 2021 commence sur
des sables mouvants. Le vaccin a
beau être là, l’immunité collective
est loin d’être acquise. Les Fran­
çais rêvent de tourner la page
d’une année noire, mais il est en­
core trop tôt pour leur dire que le
plus dur est passé. Un moment
viendra, avant la fin du mandat,
où la thématique du rembourse­
ment de la dette publique se subs­
tituera au « quoi qu’il en coûte »,
qui s’est imposé comme la doc­
trine française de gestion de crise,
mais nul ne sait encore quand ce
LA FORMULE  consacre au passage la décou­
« ET DE GAUCHE  verte accélérée et désormais as­
ET DE DROITE » EST  publique de l’ampleur des con­
DEVENUE UNE ARME  nuel Macron rejoint ainsi la
OPPORTUNISTE DE  qui, de Mitterrand à Chirac, ont
CONDUITE DU PAYS  dû synthétiser « les passions con­
PAR GROS TEMPS
Tirage du Monde daté mardi 5 janvier : 124 305exemplaires
0123
MERCREDI 6 JANVIER 2021
VACCIN : 
LA FAUSSE BONNE 
suppléants), tirés au sort à partir du lundi construit dès les premières semaines. Pire,
IDÉE DU COLLECTIF 
DE CITOYENS
4 janvier. Ils sont censés être représentatifs
de la diversité de la société française en ma­
tière d’âge, de sexe, de niveau d’éducation,
enfin, celui d’entretenir la défiance, à force
de questionnements superfétatoires, et de
provoquer l’exaspération et la frustration
de catégorie socioprofessionnelle et de lieu
de résidence. Ce collectif doit également re­
fléter toutes les sensibilités, des plus favora­
de ceux qui, au contraire, ne demandent
qu’à être vaccinés. L’effet d’entraînement
provient généralement de la démarche in­
bles au vaccin aux plus sceptiques. L’objectif verse, la vaccination des volontaires encou­
est de faire remonter les préoccupations et rageant celle des réfractaires.
BIEN MALIN QUI PEUT  les interrogations des Français pour « nour­ L’initiative d’un collectif de citoyens tirés
DIRE SUR QUEL LEVIER  rir le pouvoir exécutif et législatif » dans la au sort suscite une autre série d’interroga­
conduite de la campagne de vaccination. tions, sur sa nature démocratique. La dé­
MACRON APPUIERA  Le conseil scientifique et la Conférence mocratie participative peut être utile pour
nationale de santé réclamaient depuis des faire avancer des sujets politiques comme
EN PRIORITÉ mois de mieux associer la population aux l’environnement, mais est­elle adéquate en
POUR FRANCHIR
LA HAIE DE 2022 E xiste­t­il un traitement contre la dé­
fiance ? Faute d’avoir trouvé la ré­
ponse à la question, le pouvoir exé­
cutif tâtonne en déclinant les expériences
de démocratie participative. Après la
décisions sanitaires, afin d’obtenir une plus
grande adhésion à la lutte contre la pandé­
mie. L’annonce de ce collectif citoyen, mal­
heureusement, arrive tard, au moment où
le choix des vaccins et l’identification des
matière de santé publique ? Cette nouvelle
instance, au statut imprécis, va brouiller un
peu plus la lisibilité de la stratégie vacci­
nale, dans laquelle de multiples instances,
où siègent des représentants des associa­
retournement se produira. La convention citoyenne pour le climat publics prioritaires ont déjà été arrêtés. tions de patients, sont déjà partie prenante.
promesse de la relance économi­ en 2020, Emmanuel Macron a souhaité Alors que la menace d’une troisième va­ L’expérience de la convention citoyenne
que, dopée par un plan européen mettre en place un « collectif de citoyens » gue se précise partout en Europe, le gouver­ sur le climat a montré que, pour éviter les
hors norme, cohabite avec la chargé de fournir des recommandations nement, comme s’il avait le luxe du temps, malentendus, ce type d’ingénierie participa­
crainte des lourds effets sociaux sur la campagne nationale de vaccination pèche par excès de prudence sur la vaccina­ tive requiert une attention particulière sur
de la récession. Bref, l’ambiva­ contre le Covid­19. Reflet d’un pouvoir poli­ tion, prend d’infinies précautions pour ras­ la composition du groupe, sa gouvernance
lence demeure sur le futur. tique tétanisé par l’ampleur du mouve­ surer les Français sur les procédures. Le col­ et le statut des recommandations émises
Elle incite l’exécutif à se concen­ ment antivaccin dans l’opinion française, lectif de citoyens s’inscrit dans cette démar­ par les citoyens sollicités. L’urgence et l’am­
trer sur la gestion de la crise épidé­ cette initiative pose plus de questions che, et à ce titre présente de multiples pleur de la tâche à laquelle sont confrontés
mique au moment où les opposi­ qu’elle n’est susceptible d’en résoudre. risques : celui, d’abord, de perdre de vue aujourd’hui les pouvoirs publics face à la
tions, marginalisées, cherchent la Placé sous l’égide du Conseil économique, l’objectif principal, qui reste la rapidité et pandémie exigent de la rationalité et de l’ef­
moindre faille pour tenter de reve­ social et environnemental, ce panel doit l’efficacité de la campagne vaccinale. Celui, ficacité. Les expérimentations démocrati­
nir dans le jeu. La virulente polé­ être composé de trente citoyens (et cinq ensuite, de manquer une dynamique qui se ques peuvent attendre la fin de l’urgence. 
mique autour du démarrage très
poussif de la vaccination, la réac­
tion immédiate d’Emmanuel Ma­
cron demandant à son gouverne­
ment de faire fi des « lenteurs injus­
tifiées » montrent que son mandat
va d’abord se jouer sur sa capacité
à gérer correctement l’étape déci­
sive de la vaccination. Compte
tenu des précédents ratés sur les
masques et les tests, le droit à l’er­
reur apparaît limité.
Au­delà de la gestion de la crise
épidémique, le président de la Ré­
publique laisse ouvert le champ
des possibles. Ces derniers mois, il
a créé un panel de leviers qu’il
pourra activer selon les circons­
tances et les besoins. S’il s’agit de
contrer la puissante vague écolo­
giste, l’arme du référendum est
prête. S’il s’agit de réactiver la ré­ LE SALON DES MASTERS
ET MASTÈRES SPÉCIALISÉS
novation de la vie politique, pro­
messe inaboutie de la campagne
de 2017, l’hypothèse de la propor­
tionnelle reste en débat. Si elle
était effectivement introduite
dans le scrutin législatif de 2022, la
logique de la coalition prendrait le
pas sur la verticalité de la Ve Répu­ EN LIVE
blique, ce qui est à la fois auda­
cieux et risqué.
Contradictions françaises
30 JANVIER 2021
Mais Emmanuel Macron peut
tout aussi bien chercher à conso­
lider son flanc droit. Dans ce cas, il
invoquera la dette contractée à Conférences • Présentations des écoles et des universités
l’égard de la jeunesse pour pour­
suivre « la transformation » du Coachings • Tchats • Rendez-vous personnalisés
pays, qui était son autre grand
thème de campagne. La réforme
des retraites pourrait alors ressur­
gir, de même que la valorisation CONSTRUISEZ VOTRE AVENIR
du travail et l’ode au mérite.
Enfin, depuis l’automne 2020, le
président de la République a in­
PROFESSIONNEL
vesti les grandes thématiques ré­
galiennes et identitaires pour ne
pas se trouver à découvert dans
un pays qui doute de lui­même.
Le libéral de 2017 s’est ainsi trans­
formé en un défenseur opiniâtre
de la souveraineté française em­
boîtée dans le projet européen.
Il y a quatre ans, la constitution
d’un centre macroniste, rassem­
blant un morceau de la gauche et
un autre de la droite, était pré­
sentée comme un gage de clarté
pour conduire les réformes. il
s’agissait alors de s’extirper des
contradictions insurmontables
qui minaient les deux camps.
Aujourd’hui, la formule « et de
gauche et de droite » est devenue
une arme opportuniste de con­
duite du pays par gros temps. Elle
sumée par le président de la Ré­ CONNECTEZ-VOUS
tradictions françaises. Emma­
LESALONDESMASTERS.COM
cohorte des présidents français
traires » du peuple français pour
espérer se faire réélire. 