LE MONDE DE MAIGRET – N° 7

MAIGRET
À NEW YORK
EN VENTE UNIQUEMENT
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

ANTONIO SCURATI
SUPPLÉMENT

COLSON WHITEHEAD LE MONDE
LE ROMAN VRAI DE MUSSOLINI DANS L’AMÉRIQUE SÉGRÉGATIONNISTE DES LIVRES
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 · 76E ANNÉE · NO 23531 · 3,00 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

100 MILLIARDS : LES AMBITIONS DU PLAN DE RELANCE
▶ L’exécutif présentait ▶ D’un montant total de ▶ 30 milliards d’euros vont ▶ Le gouvernement espère ▶ Au­delà de l’urgence,
jeudi son plan de relance, 100 milliards d’euros sur à la transition écologique, la création de 160 000 le chef de l’Etat entend se
censé remettre l’économie deux ans et demi, cette 34 milliards à la compétiti­ emplois supplémentaires projeter dans la durée et
française sur les rails liste de 70 mesures mêle vité des entreprises, et en 2021, alors que 800 000 définir la politique écono­
de la croissance après baisse d’impôts et inves­ 36 milliards à la cohésion destructions sont atten­ mique de sa fin de mandat
la pandémie de Covid­19 tissements de long terme sociale et territoriale dues en 2020 PAGES 7 À 9 ET ÉDITORIAL PAGE 24

Affaire Navalny Moscou accusé 
« LES FLICS SONT CENSÉS par Berlin et les pays occidentaux

LUTTER CONTRE LA VIOLENCE.

l’allemagne, où est toujours hos­ pliés et les condamnations de la
pitalisé Alexeï Navalny, a con­ Russie ont été unanimes.
firmé, par la voix de sa chance­ Tout en se disant prêt à collabo­
lière, Angela Merkel, que l’oppo­ rer, Moscou conteste les analyses
sant au Kremlin a été empoisonné toxicologiques et parle d’une
au Novitchok, un produit déjà uti­ « provocation » allemande. A l’ap­
lisé pour éliminer l’ancien espion proche d’élections locales, le

EN PRATIQUE, ILS EN SONT

russe Sergueï Skripal, en 2018, en 13 septembre, les pressions des
Angleterre. De Washington à Pa­ autorités russes contre son oppo­
ris, en passant par Bruxelles, les sition s’intensifient.
soutiens à Berlin se sont multi­ PAGES 2-3

SOUVENT UN AVANT-POSTE » Justice

« Charlie » : le 
Russie
La France pourrait 
▶ Dans un livre­choc, ▶ Ce journal de bord, ▶ La sélection et la for­ procès perturbé  soutenir un projet 
le journaliste Valentin
Gendrot raconte ses
dont nous publions
les bonnes feuilles,
mation accélérée des
agents posent question,
par les masques gazier en Arctique
six mois d’immersion relate la brutalité, alors que la police fait
Le procès des attentats Les ministères des finan­
dans un commissariat le racisme, le clanisme face aux difficultés d’un de janvier 2015 s’est ouvert ces et de la transition éco­
parisien, comme de la police, mais aussi recrutement de masse mercredi à Paris, sous logique sont divisés sur
adjoint de sécurité la dureté du métier PAG E S 1 0 ET 1 6 haute sécurité et compli­ l’appui de Paris au projet
qué par de fortes Arctic LNG, porté par le
contraintes sanitaires russe Novatek et par Total
PAG E 11 PAGE 15

Sports
A Brive comme
Covid­19
Un séisme
Corse
Guy Orsoni espère
Environnement
ailleurs, le rugby économique profiter d’une Nouvelles priorités 
français attend pour les musées erreur de procédure pour sauver 
le retour du public du monde entier judiciaire
PAG E 1 3 PAG E 1 4 PAGE 12 la biodiversité Business development,
Human adventure
Les motions de l’Union
LE REGARD DE PLANTU internationale pour la
conservation de la nature
en vue de structurer la po­ MSc - Master of Science
litique sur le sujet seront vers une carrière à l’international
débattues en janvier 2021
PAGE 6
| ACCESSIBLE À BAC+4
Bac+3 à hauteur de 20% maximum des inscrits

Japon | 100% EN ANGLAIS

La succession  | STAGE EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER
de Shinzo Abe 
06/2020 - DIRECTION MARKETING ET COMMUNICATION GROUPE IGS

PA R I S
est lancée • MSc in Digital Business

PA R I S | TO U LO U S E
Incarnation de la conti­ • MSc in International Business Development
nuité, le porte­parole du
gouvernement, Yoshihide
CANDIDATEZ DÈS MAINTENANT !
Suga, est favori pour accé­
W W W. I C D - E C O L E S . C O M
der au poste de premier
I N S T I T U T I N T E R N AT I O N A L D U C O M M E R C E E T D U D É V E LO P P E M E N T - C R É É E N 1 9 8 0
ministre, mi­septembre E TA B L I S S E M E N T D ’ E N S E I G N E M E N T S U P É R I E U R T E C H N I Q U E P R I V É R E C O N N U PA R L’ E TAT - A S S O C I AT I O N LO I 1 9 0 1

PAGE 4
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
L’ E M P O I S O N N E M E N T   D ’A L E X E Ï   N AVA L N Y
Affaire Navalny : Moscou en accusation
Berlin a indiqué, mercredi, que l’opposant a été empoisonné par une substance de la famille du Novitchok
moscou, berlin ­ correspondants
J
usqu’à présent, c’est sous
forme de communiqués
écrits ou par le truchement
de son porte­parole qu’elle
avait commenté l’affaire.
Mercredi 2 septembre, c’est en per­
sonne, à l’occasion d’un bref point­
presse convoqué à la dernière mi­
nute, qu’Angela Merkel a pris la pa­
role pour annoncer que l’opposant
russe Alexeï Navalny, hospitalisé à
Berlin depuis le 22 août après un
malaise à bord d’un vol commer­
cial en Sibérie, avait été empoi­
sonné par un agent toxique de la
famille du Novitchok.
« Désormais, le doute n’est plus
permis : Alexeï Navalny a bien été
victime d’un crime. On a voulu le
réduire au silence », a déclaré la
chancelière allemande sur un ton
d’une inhabituelle gravité, avant
d’ajouter : « De très graves ques­
tions se posent à présent, auxquel­
les seul le gouvernement russe
peut et doit répondre. »
La révélation d’une attaque
d’Alexeï Navalny au Novitchok,
établie lors d’examens réalisés
dans un laboratoire de l’armée al­
lemande, accentue encore davan­
tage la pression sur le Kremlin.
Mis au point en URSS dans les an­
nées 1970, cet agent innervant
particulièrement puissant a no­
tamment été utilisé contre l’an­
cien espion russe Sergueï Skripal
et sa fille, en 2018, en Angleterre.
Londres avait à l’époque dénoncé
une tentative de meurtre diligen­
tée par la Russie, et menée par des
membres des services de rensei­
gnement militaire russe (le GRU).
« Choisir du Novitchok pour
empoisonner Navalny, en 2020, re­
vient à laisser un autographe sur la
scène du crime », a commenté
Leonid Volkov, le plus proche lieu­
tenant d’Alexeï Navalny, mercredi,
ajoutant que Paris et Berlin al­
LES MÉDIAS RUSSES  laient « se coordonner sur la ré­
TÉLÉGUIDÉS PAR LE  ponse à apporter à cet événement
(…) notamment dans le cadre de
POUVOIR PARLENT D’UN  l’Organisation pour l’interdiction
des armes chimiques ».
EMPOISONNEMENT  « Les Etats­Unis sont profondé­
ment troublés par les informations
PERPÉTRÉ EN ALLEMAGNE  qui viennent d’être rendues publi­
OU QUE NAVALNY SE  ques. (…) Nous allons travailler avec
nos alliés et la communauté inter­
SERAIT INFLIGÉ LUI­MÊME nationale pour identifier les res­
ponsables en Russie, quel que soit
l’endroit où les preuves nous con­
sur Twitter, joignant à son mes­ duisent », a réagi le porte­parole du
sage une image de la signature de Conseil de sécurité nationale de la
Vladimir Poutine. D’autres alliés Maison Blanche, John Ullyot, sur
de M. Navalny ont aussi mis en Twitter. « Le peuple russe a le droit
avant le fait que l’emploi de ce poi­ d’exprimer ses opinions pacifique­
son « militaire » incriminait direc­ ment, sans craindre de représailles
tement l’Etat russe. et certainement pas sous la forme
d’agents chimiques », a­t­il ajouté.
« Un acte méprisable et lâche » « C’est un acte méprisable et lâ­
Agé de 44 ans, M. Navalny se che, un de plus. Les auteurs doivent
trouve toujours dans un « état être jugés », a dénoncé la prési­
grave » et sous assistance respira­ dente de la Commission euro­
toire, mais sa santé « continue de péenne, Ursula von der Leyen, sur
s’améliorer », a indiqué, mercredi, Twitter. « Le gouvernement russe
l’hôpital berlinois de la Charité, doit dire ce qui est arrivé à Alexeï
dont l’entrée est protégée par la Navalny », a déclaré le premier mi­
police depuis qu’y est soigné l’op­ nistre britannique, Boris Johnson.
posant. Ce dernier est dans le Même le secrétaire général de
coma depuis deux semaines et les l’OTAN, Jens Stoltenberg, a
médecins ne se prononcent pas sommé la Russie de « mener une
encore sur d’éventuelles consé­ enquête totale et transparente ».
quences à long terme sur sa santé. « Nous allons consulter l’Allema­
De Paris à Washington en pas­ gne et tous les membres de l’OTAN
sant par Londres et Bruxelles, les sur les conséquences de cette af­
condamnations se sont enchaî­ faire », a­t­il précisé.
nées dans les capitales occidenta­ Le Kremlin a réagi à cette avalan­
les, mercredi, dès les minutes qui che de condamnations manifeste­
ont suivi la prise de parole de ment coordonnées avec une célé­
Mme Merkel. « Je veux condamner rité inhabituelle, dès mercredi soir,
dans les termes les plus forts l’utili­ pour se dire disposé à coopérer.
sation choquante et irresponsable « Nous sommes prêts et intéressés à
[du Novitchok]. Une fois encore, le une coopération entière avec l’Alle­
principe d’interdiction d’emploi de magne », a dit le porte­parole de
toute arme chimique est violé », a Vladimir Poutine, Dmitri Peskov.
déclaré dans un communiqué le Mais derrière cette déclaration,
ministre français des affaires la ligne de défense russe ne semble
étrangères, Jean­Yves Le Drian, pas bouger d’un pouce. Dans un
communiqué, le ministère des af­
faires étrangères préfère ainsi in­
sister sur le fait que Berlin ait privi­
légié « la diplomatie du méga­
phone » aux « mécanismes légaux
de coopération et au travail fondé
sur l’étude minutieuse des faits et
des preuves ». « Nous avons l’im­
pression que quelque chose interdit
au ministère allemand de la santé
et aux travailleurs médicaux de dis­
cuter avec leurs homologues rus­
ses », note encore le ministère.
L’exigence numéro un de la Rus­
sie est désormais que l’Allemagne
envoie les analyses toxicologiques
réalisées sur le patient Navalny. Le
bureau du procureur général en
avait déjà fait la demande, mardi.
En attendant, Moscou se borne à
répéter que les analyses effectuées
lorsque l’opposant était encore en
Russie n’avaient montré aucune
trace d’empoisonnement. Aucune
enquête n’a officiellement été
ouverte dans le pays, malgré les
demandes de l’opposition et de la
famille de M. Navalny. Seules des
« vérifications préliminaires » ont
été lancées le 27 août par la police
des transports.
« Jusqu’au départ [de Navalny],
aucune substance empoisonnante
n’avait été révélée dans son orga­
nisme », a encore insisté Dmitri
Peskov. « Quand les politiciens
remplacent les établissements de
santé et les médecins, on peut par­
ler d’impuissance absolue », a de
son côté regretté la porte­parole
du ministère des affaires étrangè­
res, évoquant « une nouvelle cam­
pagne de désinformation » menée
contre Moscou.
Selon une mécanique bien hui­
lée, les sites Internet et journaux
les plus outranciers téléguidés par
le pouvoir ont repris ces déclara­
tions pour poser la question d’un
empoisonnement perpétré sur le
sol allemand ou que le « blogueur »
se serait infligé lui­même. Ces thè­
ses étaient déjà avancées depuis
plusieurs jours, au même titre que
celles évoquant l’alcoolisme ou la
toxicomanie de l’opposant, ou en­
core la version officielle d’une hy­
poglycémie fournie par les méde­
cins de l’hôpital d’Omsk, où M. Na­
valny a séjourné deux jours.
Comparé à l’affaire Skripal
Dès le 26 août, la Douma, le Parle­
ment, avait déjà formé une com­
mission avec pour mission d’étu­
dier l’hypothèse d’une « provoca­
tion » allemande derrière « ce qui
est arrivé » à M. Navalny. Le co­
mité chargé de cette enquête
comprend notamment Andreï
Lougovoï, l’un des responsables
présumés de l’empoisonnement
d’Alexandre Litvinenko au
Royaume­Uni, en 2006.
La comparaison avec l’affaire
Skripal revient systématiquement
dans les réactions des officiels rus­
ses et dans les commentaires de
ceux des médias qui évoquent l’af­
faire. Le cas de M. Navalny y est pré­
senté comme aussi faible et artifi­
ciellement construit que celui de
l’ancien espion. L’objectif des Occi­
dentaux serait également le
même : nuire à la Russie, y compris
au moyen de sanctions. « Berlin
suit la voie de la Grande­Bretagne »,
résumait ainsi Alexeï Kondratiev,
sénateur et colonel du GRU.
Un scientifique russe, régulière­
ment présenté par la presse russe
comme ayant participé à l’élabora­
tion du Novitchok à l’époque so­
viétique, a pour sa part exclu que
M. Navalny ait pu être empoi­
sonné par une substance de cette
famille. « Autrement, il serait en
train de se reposer au cimetière,
voilà tout », a indiqué Leonid Rink
à différents médias. 
benoît vitkine
et thomas wieder
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
La chancelière
allemande,
Angela Merkel,
s’apprête à faire
un point sur les
derniers
développements
de l’affaire
Navalny, à Berlin,
le 2 septembre.
MARKUS SCHREIBER/AP
LE CONTEXTE
NEUROTOXIQUE
Le Novitchok, poison neurotoxi-
que dont le nom signifie
« petit nouveau », fut mis au
point par des chercheurs
de l’Union soviétique (URSS)
dans les années 1970 et 1980,
dans le cadre du programme
« Foliant ». Son développement
répondait à un enjeu stratégique
majeur : permettre à Moscou
de jouer aux bons élèves dans
les discussions internationales
sur l’interdiction des armes
chimiques, tout en fabriquant
secrètement de nouveaux
agents innervants surpuissants,
résistant aux antidotes tradition-
nels. Ce poison est considéré
comme cinq à dix fois plus létal
que deux autres agents inner-
vants plus connus : le gaz sarin
et le VX. En inhibant la cholines-
térase, une enzyme qui permet
au système nerveux de
communiquer avec le muscle,
il provoque un ralentissement
du rythme cardiaque et
l’obstruction des voies respira-
toires jusqu’à la mort par
asphyxie. Selon la forme sous
laquelle le poison est adminis-
tré, les premiers symptômes
peuvent mettre entre trente se-
condes et deux minutes à appa-
raître. Un traitement d’urgence
peut permettre de sauver la per-
sonne avant que le cœur ne s’ar-
rête, mais le manque d’oxygène
peut provoquer des dégâts irré-
versibles dans le cerveau.
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Les opposants russes plus déterminés que jamais
La pression des autorités s’accentue à l’approche des élections locales du 13 septembre
moscou ­ correspondant
A
lexeï Navalny est
plongé dans le coma
dans un hôpital de
Berlin depuis dix
jours et déjà, en Russie, pour ses
alliés, c’est le retour aux affaires
courantes. Comme si l’absence
du chef, dont on ne sait pas si elle
durera, n’était qu’une péripétie
de plus dans la vie tourmentée et
sous pression de ceux qui le sui­
vent depuis des années.
Ce lundi 31 août au matin, par
exemple, Lioubov Sobol s’est
réveillée avec un compte en ban­
que affichant un découvert de
34 millions de roubles, environ
400 000 euros, qu’elle ne possède
évidemment pas. Parmi les lieute­
nants de M. Navalny, Lioubov
Sobol est la figure la plus en vue.
Elle s’est fait remarquer pendant
le mouvement de contestation de
l’été 2019 contre les élections tru­
quées à Moscou. Interdite de se
présenter à un poste de députée
de quartier, elle avait mené la con­
testation, enchaînant les arresta­
tions et les amendes.
Ces millions qu’on lui réclame
sont la suite de cette révolte
d’août 2019 et de plaintes de plu­
sieurs institutions de la ville. Le
bureau du procureur exige d’être
payé pour le surcroît de travail des
agents de police, obligés de répri­
mer des manifestations parfois
même le week­end ; le métro se
plaint lui aussi d’un surplus de tra­
vail de ses employés ; une autre
société de transport dénonce, à
l’inverse, le manque à gagner pro­
voqué par les troubles…
« Cela fait des années que je vis
dans ce harcèlement, avec six ou
sept arrestations rien que l’année
dernière, mais là, il va falloir
s’adapter encore, reconnaît la
jeune responsable du Fonds con­
tre la corruption, le navire amiral
de l’équipe Navalny. Je n’ai rien à
moi, donc ils peuvent venir saisir
l’appartement familial, mes ha­
bits, l’ordinateur de ma fille… »
« Foutre ces gens à poil »
Le reste de la somme saisie par la
banque de l’opposante est le reli­
quat d’une condamnation pour
diffamation à la suite d’une
enquête sur la fourniture de
nourriture avariée aux cantines
scolaires de la capitale. Cette
vidéo désignait une société de
l’homme d’affaires Evgueni Pri­
gojine, patron présumé des mili­
ces Wagner et des « usines à
trolls ». Depuis qu’Alexeï Navalny
a été empoisonné, M. Prigojine a
racheté personnellement cette
dette pour, a­t­il expliqué, « fou­
tre ces gens à poil ».
Lioubov Sobol accuse aussi
Evgueni Prigojine d’avoir fait
empoisonner son mari (sans
conséquence grave) en pleine
rue en 2016. Son quotidien, ce
sont ces vidéos, fouillées et ri­
goureuses, dénonçant la corrup­
tion des élites russes et le déca­
lage entre leur mode de vie et
L’ARME DU « VOTE  du parti au pouvoir, Russie unie,
INTELLIGENT » CONSISTE
À FAIRE BATTRE
LE CANDIDAT DU PARTI  électoraux du pouvoir mais
AU POUVOIR, RUSSIE  « C’est un outil qui a montré son
UNIE, EN SOUTENANT
UNE AUTRE CANDIDATURE  le pouvoir est perdu, assure
BIEN PLACÉE
international | 3
leurs discours. Sur ce front­là de 2021, et le Kremlin sent bien que file local du Chtab Navalny et de été attaqués et détruits à une di­ lov, jusque­là valide, a été annu­
aussi, c’est une journée presque la colère monte dans les régions. A la Coalition. Moscou est loin et in­ zaine de reprises, des candidats lée après que des signatures de
ordinaire : dans l’après­midi sort nous de nous concentrer sur ce tervient peu. C’est plus facile d’y ont été menacés de poursuites soutien ont subitement été dé­
la dernière vidéo réalisée par qu’on sait faire, sur ce qu’Alexeï sait être candidat, et on falsifie moins judiciaires. Sergueï Boiko lui­ clarées irrégulières.
Alexeï Navalny, qui décrit la faire de mieux : de la politique. » les votes, en tout cas pas sous les même a déjà fait quatre séjours « Pour nous, l’empoisonnement
mainmise de la mafia de la cons­ Novossibirsk est la cible princi­ yeux des observateurs. » en prison, le plus long pendant de Navalny n’a pas changé grand­
truction sur la ville de Novossi­ pale de l’équipe Navalny. Là, dans un mois. chose, nous avons toujours eu
birsk, dont elle contrôle la moitié la troisième ville de Russie, Baron local de la construction Le dernier candidat barré des conscience des risques, souligne
des élus locaux. 31 candidats sur 37 ont été auto­ Selon M. Boiko, le Kremlin est listes l’a été, justement, lundi Sergueï Boiko. Dans l’opinion,
Le soir, une autre équipe du risés à se présenter à des man­ aussi prudent pour éviter une 31 août. Il apparaissait dans la vi­ dans la rue, cela attire peut­être
Fonds contre la corruption est dats de députés municipaux, contagion du mouvement de déo diffusée le même jour par l’attention sur nous, tout le
arrêtée, cette fois au Tatarstan. sous les couleurs d’une « Coali­ Khabarovsk, où des dizaines de l’équipe de Navalny. Les deux monde comprend que c’est le
Attaquée par des inconnus sur tion » qui englobe des activistes milliers de personnes manifes­ hommes y décortiquent les sché­ Kremlin qui est derrière cela. Mais
une route, c’est elle qui a appelé indépendants et des représen­ tent depuis deux mois contre mas juteux mis en place par un ce n’est pas le genre d’attention
la police. En vain ; le matériel de tants de formations libérales. l’arrestation de leur gouverneur. baron local de la construction dont nous avons besoin. Alexeï est
tournage et les téléphones sont « Novossibirsk a toujours été une Pour autant, la campagne élec­ grâce à son mandat de député plus utile debout, à nos côtés,
saisis. La veille, un jeune sympa­ ville assez libre politiquement, ex­ torale est loin d’être paisible. Les municipal. L’après­midi même, pour nous soutenir. » 
thisant du mouvement, lui aussi plique Sergueï Boiko, le chef de stands de rue de la Coalition ont la candidature de Daniil Marke­ benoît vitkine
une figure de la contestation de
l’été 2019, avait été tabassé en
bas de chez lui ; Egor Joukov
venait d’expliquer dans une vi­
déo en ligne s’être fait renvoyer
de son université pour des rai­
sons politiques.
« Ne pas vivre dans l’injustice »
« Personnellement, je n’ai plus
peur depuis longtemps, com­
mente Lioubov Sobol. Je dois être
un peu fanatique, mais je ne peux
pas vivre dans l’injustice. Je
n’avais aucune illusion non plus
sur le fait que l’on puisse chercher
à tuer Alexeï. » Si l’opposante a
bien sûr été choquée par l’an­
nonce de son empoisonnement,
déjà, elle est capable de citer ceux
qui pourraient s’imposer en cas
d’absence prolongée, y compris
hors des rangs navalnistes : l’an­
cien maire de Iekaterinbourg
Evgueni Roïzman, les libéraux
Ilia Iachine, Vladimir Milov,
Dmitri Goudkov…
J’AI
Leonid Volkov, lui, refuse de se
prêter au jeu. Ce lieutenant de
toujours de l’avocat anticorrup­ MA SANTÉ, C’EST SÉRIEUX.
tion n’y est « pas prêt ». Volkov
est resté à Berlin, au côté de la fa­
mille de M. Navalny. Lui aussi a
l’esprit coupé en deux, une moi­
tié à l’hôpital, l’autre qui regarde
vers la suite. « Même si, dans la
pratique, précise­t­il, on s’est ha­
bitué à travailler sans Navalny,
CHOISI
avec des structures souples et
variées. Alexeï a souvent été
absent, en prison ou sans droit de
communiquer. »
Volkov aussi est un habitué des
MGEN
arrestations, des condamnations
pénales et des filatures illégales, y
www.antigel.agency - septembre 2020 - © Hervé THOUROUDE - Ce document est non contractuel
compris à l’étranger, assure­t­il. La
structure qu’il supervise, ce sont
les « Chtab Navalny », ces équipes
dédiées au combat politique à
Moscou et en province. Malgré
d’innombrables tentatives et des
milliers de militants, la structure
MUTUELLE SANTÉ - PRÉVOYANCE
n’a jamais eu le droit de s’enregis­
trer comme parti politique.
Dans le viseur, les élections
locales du 13 septembre, qui se Martin Fourcade et 4 millions de personnes ont choisi MGEN
déroulent à différents niveaux pour ses valeurs solidaires, son authenticité mutualiste, l’accès
dans environ un tiers des 85 ré­ aux soins de qualité et sa conception innovante de la protection
gions russes. Dans certains rares qui intègre la prévoyance.
cas, les candidats de Navalny ont
pu se présenter en tant qu’indé­
pendants. Mais partout, reste
l’arme du « vote intelligent », la
dernière trouvaille d’Alexeï Na­
valny : plutôt que de boycotter
les suffrages où ils ne peuvent se
présenter, ses partisans s’atta­
chent à faire battre le candidat
en soutenant une autre candida­
ture bien placée. Ceux qui en
profitent sont le plus souvent
des communistes, concurrents
MARTIN FOURCADE
loyaux sur l’essentiel.
CHAMPION DU MONDE &
efficacité, notamment à Moscou,
l’année dernière, et face à cela,
CHAMPION OLYMPIQUE MGEN, Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale, n°775 685 399, MGEN Vie, n°441 922 002, MGEN Filia, n°440 363 588,
mutuelles soumises aux dispositions du livre II du code de la Mutualité - MGEN Action sanitaire et sociale, n°441 921 913,
DE BIATHLON MGEN Centres de santé, n°477 901 714, mutuelles soumises aux dispositions du livre III du code de la Mutualité.
M. Volkov. Ces élections sont les
dernières avant le scrutin législatif

4 | international
Au Japon, la course à la succession de Shinzo Abe
Le porte­parole Yoshihide Suga est favori pour hériter du poste de premier ministre, mi­septembre
tokyo ­ correspondants
L
a succession du premier
ministre japonais, Shinzo
Abe, est entrée dans sa
phase finale avec l’an­
nonce de la tenue, lundi 14 sep­
tembre, de l’élection du nouveau
président du Parti libéral­démo­
crate (PLD) et l’annonce, mercredi
2 septembre, de la candidature de
Yoshihide Suga, chef du secréta­
riat du premier ministre et porte­
parole du gouvernement, pro­
mettant d’agir « sans tarder »
pour « redonner confiance à la po­
pulation ». Le parti étant majori­
taire au Parlement, son futur chef
prendra la tête du gouvernement.
Fidèle lieutenant du premier
ministre sortant, dont il veut
« poursuivre l’action, en allant
plus loin », M. Suga, 71 ans, est
donné favori par la presse en rai­
son du soutien dont il bénéficie
de la part des plus importantes
factions du PLD.
Arguant de l’urgence de com­
bler le vide politique causé par la
démission soudaine pour raison
de santé, le 28 août, de M. Abe qui
n’avait pas laissé émerger de suc­
cesseur clair − à dessein pour
maintenir son autorité jusqu’au
terme de son mandat en septem­
bre 2021 −, la direction du parti
majoritaire a ramené la sélection
de son successeur à une procé­
dure « simplifiée », selon les ter­
mes de son secrétaire général
Toshihiro Nikai, n’impliquant
que les parlementaires et les délé­
gués régionaux du parti. Les ad­
hérents pourront s’exprimer
mais, selon la pondération des
voix choisie pour ce scrutin, leur
vote n’aura aucune influence.
Choix de la continuité
Cette procédure, certes prévue en
cas d’urgence dans les statuts du
PLD, dessert un autre candidat,
Shigeru Ishiba, ancien ministre de
la défense, qui ne ménage pas les
critiques à l’encontre de Shinzo
Abe qu’il affronta en 2018 dans
l’élection à la tête du PLD. Une po­
sition qui lui vaut une certaine po­
pularité dans les sondages.
Le troisième candidat, Fumio
Kishida, ancien ministre des
affaires étrangères, se présente
pour prendre date en vue d’une
succession future car il n’a pas la
moindre chance d’être élu. Un
Le dilemme des donateurs étrangers au Mali après le putsch
A part la formation militaire, les principaux bailleurs ont maintenu leurs aides, de crainte de voir l’Etat malien s’effondrer davantage
L ors du précédent coup
d’Etat au Mali, en 2012, les
principales chancelleries
présentes à Bamako, France en
tête, n’avaient pas attendu plus de
vingt­quatre heures pour annon­
cer le gel de leur coopération au
développement. Cette fois, alors
que le président Ibrahim Bouba­
car Keïta (« IBK ») a été déposé il y
a plus de deux semaines, le
18 août, la prudence est de mise.
Les Etats­Unis et l’Union euro­
péenne − les deux plus importants
bailleurs bilatéraux − ont seule­
ment indiqué qu’ils suspendaient
les formations militaires dispen­
sées dans le cadre des program­
mes de maintien de la paix et de
lutte contre le terrorisme. Pour les
autres volets de l’assistance, « nous
continuons à évaluer la situation et
ses impacts potentiels sur certaines
de nos interventions », se contente
de commenter un représentant
du département d’Etat américain.
Côté européen aussi, aucune déci­
sion n’est prise mais on espère que
les pressions exercées par les chefs
d’Etat de la Communauté écono­
mique des Etats d’Afrique de
l’Ouest (Cédéao) pour que la tran­
S’il est élu,
M. Suga prendra
les rênes
d’un pays inquiet
devant la reprise
des cas
de Covid-19
autre candidat potentiel, Taro
Kono, ministre de la défense, a
renoncé à se présenter. Avec la
candidature officielle de Yoshi­
hide Suga, les jeux semblent
donc faits. A moins d’un coup de
théâtre, rare dans la politique ja­
ponaise.
M. Suga n’incarne pas le change­
ment mais la continuité et c’est
pour cela qu’il a été choisi par les
caciques du PLD. N’ayant jamais
détenu un grand portefeuille (fi­
nances, affaires étrangères),
comme c’est le cas généralement
des prétendants au poste de pre­
mier ministre, et n’appartenant
pas à une grande dynastie politi­
que, ce fils d’agriculteurs du
Tohoku (au nord de l’île principale
de Honshu) a pour lui d’avoir été
un pilier de l’administration Abe.
Il a verrouillé la communication et
recentré les prises de décisions sur
le bureau du premier ministre.
Afin de mettre au pas les hauts
fonctionnaires qui avaient forte­
ment contribué à la chute de pré­
cédents cabinets, il a, par une ré­
vision législative de 2014, soumis
leurs nominations et carrières à
l’aval de son secrétariat. Les allé­
geances pèsent parfois plus que
les compétences.
Ayant tenu d’une main de fer
les manettes du pouvoir, M. Suga
rassure les « baronnies » du PLD
et les investisseurs, soucieux du
maintien de la politique accom­
modante de la Banque du Japon
qui devrait être confirmée les 16
et 17 septembre lors d’une réu­
nion du conseil des gouverneurs
de l’établissement central, et qui
complétera l’annonce, en mai,
d’un plan de relance équivalent à
20 % du produit intérieur brut
(PIB). La grande crainte des uns et
des autres est un retour à l’insta­
bilité gouvernementale des an­
nées 2000, lorsque six premiers
ministres se sont succédé en six
sition soit confiée à des civils por­
tent leurs fruits.
« Dans le contexte d’extrême fra­
gilité du Mali, la suspension de
l’aide ne nous semble pas appro­
priée. La population serait la pre­
mière à en souffrir », admet un
diplomate en poste à Bamako. Les
ONG internationales ont inter­
pellé la Cédéao pour lui deman­
der de « soustraire du champ des
sanctions les financements des
projets et initiatives humanitaires
afin d’assurer la continuité des ser­
vices sociaux de base attendus par
les populations ».
Elles demandent que l’achemi­
nement de l’aide ne soit pas af­
fecté par les restrictions imposées
depuis le 22 août sur la circulation
des biens, des hommes et des ca­
pitaux. Près de sept millions de
Maliens, soit un sur trois, ont be­
soin d’assistance humanitaire, se­
lon le bureau de la coordination
des affaires humanitaires des
Nations unies (OCHA). Ce chiffre a
été multiplié par deux depuis
2012, avec la progression de la vio­
lence terroriste, les déplacements
de population et la répétition
d’épisodes climatiques extrêmes.
Yoshihide Suga, chef du secrétariat du premier ministre, lors d’une conférence de presse, le 2 septembre, à Tokyo. ISSEI KATO/REUTERS
ans. S’il est élu, M. Suga prendra
les rênes d’un pays inquiet. La
lente, mais régulière, reprise de la
contamination par Covid­19, face
à laquelle l’administration Abe
est apparue hésitante et démunie
− même si l’Archipel semble s’en
tirer mieux que d’autres pays
avancés avec, le 2 septembre,
69 743 cas et 1 327 morts − suscite
dans la population une anxiété
de plus en plus sensible.
La pandémie a profondément
affecté l’économie. L’effondre­
ment du PIB de près de 28 % entre
avril et juin a annihilé les modes­
tes gains des abenomics, mesu­
res monétaires, budgétaires et ré­
formatrices promises par M. Abe
dont seules les deux premières
ont été réellement mises en
œuvre. Mais il faudra sans doute
plus qu’un plan de relance pour
rassurer une population affectée
par une baisse régulière de ses re­
L’amélioration
des conditions de
vie doit permettre
de tarir le
recrutement des
groupes armés
Au sein des institutions multila­
térales, le discours est identique.
« Il faudrait une décision de notre
conseil d’administration et du
Conseil de sécurité de l’ONU pour
interrompre notre travail. Notre
préoccupation fondamentale
reste de ne pas nuire aux popula­
tions », explique Jo Scheuer, le re­
présentant du Programme des
Nations unies pour le développe­
ment (PNUD) au Mali.
Derrière ce calme apparent, cha­
cun a cependant commencé à
passer en revue ses financements
pour identifier ceux qu’il faudrait
geler si aucun compromis accep­
table n’est trouvé pour ramener le
pays vers un ordre constitution­
nel. Après l’arrêt des formations
militaires, les projets qui tou­
venus. Il restera surtout à voir si
l’habile manœuvrier des coulis­
ses du pouvoir qu’est M. Suga
sera à la hauteur des enjeux en
matière diplomatique, domaine
qu’il connaît mal, n’ayant fait ses
débuts sur la scène internatio­
nale qu’en mai 2019, lors d’une
visite officielle aux Etats­Unis. La
tâche requiert du doigté : redéfi­
nir les relations avec les Etats­
Unis, en fonction du résultat de
l’élection présidentielle, faire
face à une Chine belliqueuse et
enrayer la dégradation des liens
avec la Corée du Sud.
Moment charnière
Le Japon est confronté sur le plan
diplomatique à un moment char­
nière de son histoire en matière
de sécurité. Au cours de son man­
dat, Shinzo Abe a redoré l’image
internationale de l’Archipel en
multipliant les visites aux quatre
chent au champ régalien, comme
le renforcement de l’Etat ou de la
justice, seraient les premiers vi­
sés. Les aides budgétaires versées
à l’Etat seraient également blo­
quées. Des solutions pour faire
davantage transiter les fonds par
les ONG ou les institutions onu­
siennes dont les règles sont sou­
vent plus flexibles que celles des
bailleurs bilatéraux sont à l’étude.
« Nous sommes coincés »
L’exercice est complexe. L’aide
publique au développement a at­
teint un niveau record en 2018,
avec 1,5 milliard de dollars décais­
sés (1,25 milliard d’euros), selon
les dernières données de l’Organi­
sation de coopération et de déve­
loppement économiques (OCDE).
Cela représente environ un tiers
des dépenses de l’Etat. Dans l’édu­
cation et la santé, comme pour la
construction d’infrastructures,
aucun investissement n’est possi­
ble sans l’apport de subsides
étrangers. Dans les régions sep­
tentrionales où les services de
l’Etat ont disparu, la subsistance
de communautés entières repose
presque exclusivement sur cette
coins du monde et en particulier
en Asie du Sud et du Sud­Est, pas­
sant des accords de partenariat
en matière de sécurité et de com­
merce, compensant par ce multi­
latéralisme régional le profil bas
des Etats­Unis dans le Pacifique.
Le quelque peu terne Yoshihide
Suga saura­t­il faire preuve de la
même présence ?
M. Abe a assoupli les contrain­
tes du pacifisme constitutionnel
– sans réussir à faire partager à
l’opinion son ambition de réviser
la Loi fondamentale − en permet­
tant notamment aux forces japo­
naises d’épauler l’allié américain
au cas où il serait attaqué. Mais
c’est la crédibilité de cette
alliance, dont dépend la sécurité
de l’Archipel, qui est désormais la
grande préoccupation de Tokyo
alors que les ambitions hégémo­
niques de Pékin en mer de Chine
de l’Est et du Sud sont de plus en
assistance. « Politiquement, nous
devrions suspendre notre aide,
mais nous sommes coincés. Nous
ne pouvons pas prendre le risque
de voir s’effondrer davantage
l’Etat malien. Ce serait faire le jeu
des groupes armés », reconnaît un
des principaux donateurs euro­
péens. Ce serait aussi aller à l’en­
contre de la stratégie défendue
par les Occidentaux au Sahel
selon laquelle il ne peut y avoir de
sécurité sans développement.
Le renforcement de l’aide dans la
zone accompagne la montée en
puissance de la présence militaire,
que ce soit à travers les troupes du
G5 Sahel ou de la force française
« Barkhane ». L’amélioration des
conditions de vie doit permettre
de rendre plus acceptable la pré­
sence militaire étrangère et de tarir
le recrutement des groupes armés
qui prospèrent sur la pauvreté. La
création de l’Alliance Sahel en 2017,
à travers laquelle les bailleurs s’en­
gagent à agir de façon coordonnée,
a concrétisé cette approche.
Face à ce dilemme, l’intérêt des
donateurs et des Européens en
première ligne est aussi en jeu.
« L’isolement du Mali ne serait bon
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
plus évidentes et inquiètent l’opi­
nion nippone. Un flottement du
gouvernement à Tokyo pourrait
inciter Pékin à avancer davantage
ses pions.
Ayant courtisé Donald Trump
dès le lendemain de son élection,
M. Abe avait réussi à établir avec
le président américain des rela­
tions suivies. Sa réélection signi­
fierait pourtant une pression ac­
crue de Washington sur Tokyo
pour accroître la contribution ja­
ponaise au financement des
47 000 soldats américains pré­
sents sur son territoire. Si Joe
Biden est élu, le successeur de
M. Abe aura à retisser des liens de
confiance avec la nouvelle admi­
nistration sans garantie, avec la
situation intérieure aux Etats­
Unis, que l’alliance avec le Japon
soit une priorité. 
philippe pons
et philippe mesmer
pour personne. La situation a
changé depuis 2012 et il faut être
réaliste : les donateurs ne peuvent
pas brandir la menace des atten­
tats terroristes et des migrations
clandestines et arrêter l’aide. Les
Etats sont condamnés à travailler
ensemble car leurs intérêts sont in­
terconnectés », observe Aly Toun­
kara, directeur du Centre d’études
sécuritaires et stratégiques au
Sahel. Dans une interview accor­
dée à l’hebdomadaire Jeune Afri­
que, fin 2017, le président « IBK »
avait lancé cette mise en garde :
« Le Mali est une digue. Si elle
rompt, l’Europe sera submergée. »
Pour autant, la nouvelle crise ins­
titutionnelle au Mali a de quoi in­
terroger sur le rôle et l’utilisation
de cette aide. Malgré des montants
plus élevés que jamais, elle n’a pas
permis de répondre à l’exigence
d’une « meilleure gouvernance »
qui a poussé des milliers de
citoyens à manifester dans les rues
de Bamako ces derniers mois. 
laurence caramel
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
La France se pose en soutien
de la souveraineté irakienne
A Bagdad, Macron a souligné la persistance de la menace djihadiste
bagdad ­ envoyé spécial
D
e la moiteur de Bey­
routh à la chaleur
suffocante de Bagdad.
Après sa visite très
dense au Liban, Emmanuel Ma­
cron a prolongé son voyage d’une
journée en Irak, mercredi 2 sep­
tembre. Les deux pays sur son
itinéraire présentaient quelques
similitudes : un caractère multi­
confessionnel, un Etat chance­
lant et une énorme difficulté à
exercer leur propre souveraineté
en raison des influences extérieu­
res, en particulier iranienne, et
des divisions internes.
La France souhaite accompa­
gner les efforts du nouveau gou­
vernement, dirigé par Mustafa
Al­Kadhimi, qui a émergé en mai
et se trouve confronté à des défis
immenses, dans une atmos­
phère de contestation populaire.
La forme de la proposition fran­
çaise demeure incertaine. « Les
Irakiens ne souhaitent pas qu’on
lance une initiative maintenant,
souligne une source diplomati­
que française, parce qu’elle né­
cessite des préparations entre for­
ces politiques irakiennes, avec les
Américains, les Iraniens… » Plus
que tout, le gouvernement ira­
kien ne veut pas que le pays se
transforme en champ d’affronte­
ment, surtout militaire, entre les
Etats­Unis et l’Iran, comme l’a
fait craindre l’assassinat ciblé du
puissant général iranien Ghas­
sem Soleimani dans une frappe
américaine, en janvier.
Emmanuel Macron a été reçu
par le président irakien, Barham
Saleh. Puis il s’est entretenu
avec le premier ministre. Dans
l’après­midi, le chef de l’Etat a vu
le président de la région du Kur­
En Bulgarie, Borissov gagne du temps face
aux manifestants décidés à le faire tomber
Le dirigeant conservateur défend son projet, controversé, de révision de la Constitution
vienne ­ correspondant régional
S ous les cris et les protesta­
tions de milliers de mani­
festants réunis devant les
fenêtres du Parlement, le premier
ministre bulgare, Boïko Borissov,
est parvenu à lancer, mercredi
2 septembre, sa très contestée
procédure de changement de la
Constitution. Après des heures de
négociation avec différentes for­
mations nationalistes et d’ex­
trême droite qui soutiennent sa
coalition, le Gerb (Citoyens pour
le développement européen de la
Bulgarie), le parti conservateur au
pouvoir, a annoncé avoir obtenu
127 signatures de députés, soit
sept de plus que la majorité abso­
lue requise pour lancer l’examen
du projet de texte. En cas d’échec,
M. Borissov avait annoncé qu’il
pourrait démissionner.
Il avait lancé l’idée de changer
de Constitution vendredi 14 août,
après des semaines de contesta­
tion contre la corruption dans les
grandes villes. Réunissant de jeu­
nes urbains pro­européens, pro­
ches du parti de centre droit Bul­
garie démocratique, et des parti­
sans du Parti socialiste, principale
formation d’opposition, ces pro­
testations demandent la démis­
sion de M. Borissov et du procu­
reur général Ivan Geshev, accusés
de ne pas lutter suffisamment
contre les différents oligarques
qui dominent, en coulisses, ce
pays de sept millions d’habitants,
L’Irak ne veut pas
se transformer
en champ
d’affrontement,
surtout militaire,
entre les
Etats-Unis et l’Iran
distan irakien, Netchirvan Bar­
zani. De la capitale, le président
français n’aura rien aperçu, si ce
n’est les palais marbrés du pou­
voir aux décors démesurés, si­
tués dans la zone verte, ces forte­
resses transformées en bunkers,
défendues par une quantité in­
nombrable de forces de sécurité.
Nouvelle phase
Emmanuel Macron est venu en
Irak pour prendre date, avant
une possible nouvelle visite
en 2021, dans un double contexte :
le retrait militaire partiel des
Etats­Unis, qui prévoient de ré­
duire leurs troupes de 5 200 à
3 500 hommes, dans un calen­
drier non précisé, et l’avènement
d’un gouvernement après des
mois de palabres. Les bonnes in­
tentions de Mustafa Al­Kadhimi
sont saluées. A la surprise de la dé­
légation française, il a même sou­
haité relancer le projet d’un nu­
cléaire civil irakien, sous la super­
vision de l’Agence internationale
de l’énergie atomique : « J’ai invité
le premier ministre à se rendre à
Paris d’ici un mois », a annoncé
Emmanuel Macron.
Contrairement à son prédéces­
seur Adel Abdel­Mahdi, le pre­
mier ministre, qui s’est rendu à
Washington fin août, semble
toujours rongé par la corruption
treize ans après son adhésion à
l’Union européenne.
« Cette alliance est une première
en trente ans, souligne le politiste
Ognian Mintchev. D’habitude,
les ex­communistes et les héri­
tiers de la coalition démocratique
sont très divisés. Mais là, ils se
sont alliés pour faire tomber un
pouvoir qu’ils estiment corrom­
pus. » A la tête du pays de façon
quasi continue depuis 2009,
M. Borissov, un ancien karatéka,
soigne sur la scène interna­
tionale son image de dirigeant
conservateur responsable et pro­
européen, ce qui lui garantit jus­
qu’ici le soutien des principales
capitales européennes. Mais
dans le même temps, ses oppo­
sants l’accusent de n’avoir rien
fait en interne pour lutter contre
le fléau de la corruption, notam­
ment par comparaison avec le
voisin roumain, qui a fait des
progrès considérables pendant
la même période.
En criant « démission ! » ou « ma­
fia ! », les manifestants se sont
violemment confrontés aux for­
ces de l’ordre, mercredi, ce qui est
rare dans le pays. Quarante­cinq
personnes, dont vingt­sept poli­
ciers, ont été blessées et une tren­
taine de manifestants ont été ar­
rêtés. Les protestataires occupent
depuis mi­juillet plusieurs
grands carrefours de Sofia don­
nant à cette mobilisation un petit
air de « Nuit debout ».
aborder de front la question des
milices chiites pro­iraniennes,
plus précisément les Brigades
du Hezbollah, et leurs attaques
contre les forces américaines.
L’heure serait, selon Paris, à une
nouvelle phase dans l’histoire ré­
cente du pays, après le temps de la
guerre, provoquée par l’interven­
tion américaine, puis celui de
la lutte harassante contre l’orga­
nisation Etat islamique (EI). Mais
la menace djihadiste demeure
présente, et les milices chiites
montrent régulièrement leurs
capacités d’attaque. Le dirigeant
français a rappelé à ce sujet le
« contexte régional extraordinai­
rement tendu, avec une présence
et une influence très fortes de
l’Iran, et également des incursions
répétées et une volonté pressante,
encore accrue, de la Turquie d’in­
tervenir davantage dans la vie do­
mestique irakienne ».
Emmanuel Macron a souligné
la nécessité d’une « meilleure
coordination » avec les autorités
irakiennes dans la lutte anti­
terroriste, pour respecter davan­
tage la souveraineté du pays, en
contraste avec certaines habitu­
Le président français s’emporte
contre un journaliste du « Figaro »
Emmanuel Macron s’est emporté, mardi 1er septembre, au Liban,
contre le journaliste du Figaro Georges Malbrunot, après un arti-
cle évoquant une menace française de sanctions contre les res-
ponsables libanais qui bloqueraient des réformes. « Ce que vous
avez fait, compte tenu de la sensibilité du sujet (…), est
irresponsable », a lancé le chef de l’Etat. « Irresponsable pour
la France, irresponsable pour les intéressés et grave d’un point de
vue déontologique », a poursuivi M. Macron, ajoutant : « Ce que
vous avez fait est grave, non professionnel et mesquin. » « Je suis
très surpris de la virulence de cette attaque, qui est inacceptable
et à laquelle j’ai répondu. Je me suis expliqué avec l’Elysée, pour
moi l’incident est clos », a réagi M. Malbrunot auprès de l’AFP.
Jusqu’où iront­ils ? Difficile à sa­
voir alors que ce n’est pas la pre­
mière fois que la Bulgarie est se­
couée par des manifestations an­
ticorruption sans que les choses
changent vraiment. Le Gerb reste
en première position dans les
sondages, même s’il recule.
« Mais cette fois­ci, il y a dans les
rues beaucoup de jeunes qui ont
fait leurs études en Europe de
l’Ouest et pour qui les vieilles con­
tradictions avec la gauche socia­
liste [historiquement prorusse]
n’ont plus de sens car l’orientation
européenne de la Bulgarie est dé­
sormais acquise », estime le poli­
tiste Antony Todorov.
« Confiance perdue »
Signe de cette nouvelle alliance,
le président Roumen Radev, élu
en 2016 avec le soutien du Parti
socialiste, a pris le parti des mani­
festants et demande aussi la dé­
mission de M. Borissov. « La con­
fiance est définitivement perdue »,
a­t­il assuré, mercredi, devant un
Parlement privé des députés du
Gerb, qui ont préféré boycotter
son discours. Les socialistes esti­
ment que le projet de Constitu­
tion mènerait à réduire les pou­
voirs du président. Mais M. Boris­
sov a, lui, assuré qu’il avait juste­
ment pour objectif de renforcer le
système judiciaire en prévoyant
notamment un pouvoir d’initia­
tive législatif pour le parquet.
Ce point, très contesté, a pour­
tant finalement été retiré du pro­
des américaines. « Si le califat
territorial a été défait, il y a tou­
jours des djihadistes, des combat­
tants sur le terrain », a rappelé le
président français.
La crise due au Covid­19 a déjà
provoqué un gel des missions de
formation auxquelles participent
les Français. Mais à Paris, on es­
time que les forces irakiennes ar­
rivent à un niveau de capacité suf­
fisant pour que les besoins de for­
mation soient réduits. Les Fran­
çais sont aussi actifs sur le terrain,
plusieurs centaines de membres
des forces spéciales étant engagés
contre les djihadistes. La question
de leur redéploiement, dans la ré­
gion, se pose toujours.
Toutefois, pas question de ré­
duire les efforts globaux de la
coalition. « On constate que l’EI
réussit à maintenir des petits bas­
tions dans les zones rurales et
périurbaines, dans certains gou­
vernorats, souligne une source
diplomatique. Même si ce n’est
plus au niveau de 2014 et qu’ils
ne vont pas reconstruire un cali­
fat, ils gardent une capacité
de nuisance. » 
piotr smolar
jet de texte. En revanche, il n’y a
rien de prévu pour mettre en
place une procédure de contrôle
du procureur général − intou­
chable en Bulgarie −, malgré les
demandes récurrentes d’ONG et
des institutions européennes.
Nommé dans des conditions
contestées fin 2019, Ivan Geshev
est accusé par les manifestants de
mener des enquêtes téléguidées
par le pouvoir.
La Constitution actuelle date de
1991. Pour la modifier, une majo­
rité de 160 sièges est requise
afin de convoquer une assemblée
constituante. Une procédure lon­
gue et complexe. Pour cette rai­
son, la nouvelle Constitution « n’a
aucune chance d’être adoptée, es­
time M. Todorov. Tout ce proces­
sus sert uniquement à gagner du
temps avant les élections prévues
en mars 2021. Borissov veut éviter
à tout prix un gouvernement inté­
rimaire qui serait nommé par le
président en cas de démission an­
ticipée car il pourrait entamer des
procédures judiciaires contre lui. »
Les manifestants présents dans
les rues des grandes villes du pays
mercredi soir ont ainsi affirmé
leur intention de continuer à pro­
tester. « La question n’est plus s’il
va démissionner, mais quand et
comment. Il faut un peu plus de
patience mais je suis convaincu
que ça va arriver », a lancé l’un des
organisateurs à l’immense foule
réunie à Sofia. 
jean­baptiste chastand
international | 5
Covid­19 : l’UE craint le
« chaos » aux frontières
Après la fermeture des passages vers
la Hongrie, les Vingt­Sept tentent de réagir
bruxelles ­ bureau européen sures de restriction de la circulation
sont des violations unilatérales de
P our leurs retrouvailles,
mercredi 2 septembre, les
ambassadeurs des Vingt­
Sept auprès de l’Union euro­
péenne (UE) ont parlé frontières
Schengen. En temps normal, la
Commission les attaquerait. »
Pour l’heure, l’exécutif euro­
péen a rappelé à Budapest « l’im­
portance de [sauvegarder] l’inté­
et le sujet devrait les occuper en­ grité de l’espace Schengen et d’ap­
core quelque temps. Car cet été, pliquer des mesures aux frontières
alors que le nouveau coronavirus de façon non discriminatoire à
a continué de se propager, les res­ tous les citoyens et résidents de
trictions de voyage au sein de l’es­ l’UE », comme l’a tweeté, le 1er sep­
pace communautaire se sont tembre, le commissaire européen
multipliées. Et font craindre une chargé de la justice, Didier Reyn­
réédition de ce qui s’est passé à la ders. « Il nous faut éviter le chaos »,
mi­mars, quand, les unes après a déclaré, mercredi, David Sassoli,
les autres, les frontières intérieu­ le président du Parlement euro­
res avaient été fermées. Il s’agit péen, qui appelle les Vingt­Sept à
aussi bien d’« éviter des réponses plus de coordination. La Commis­
désordonnées que de préserver sion devrait faire des recomman­
l’intégrité de l’espace Schengen », dations en ce sens dès vendredi
ont résumé, dans une lettre à 4 septembre. Mais le sujet des
leurs partenaires pour préparer la frontières, hautement sensible,
réunion de mercredi, les Alle­ n’est pas une compétence com­
mands, qui assurent ce semestre munautaire et les Etats membres
la présidence du Conseil de l’UE. restent souverains en la matière.
Comme elle l’avait déjà fait entre
mars et mai, la Hongrie interdit, L’harmonisation ne va pas de soi
depuis mardi 1er septembre, l’en­ Sur le principe, les Vingt­Sept sem­
trée sur son territoire à tout étran­ blent d’accord pour constituer une
ger, à l’exception de ses voisins base de données commune qui
tchèques, slovaques et polonais. A permettrait d’établir une carto­
l’inverse, la Suède, où le port du graphie fine de la propagation du
masque n’est même pas recom­ virus au sein de l’UE. La suite
mandé, reste totalement ouverte. s’annonce plus compliquée, qu’il
Entre ces deux extrêmes, on
trouve le Danemark, qui a fermé
s’agisse de la définition de seuils
communs à partir desquels agir ou
ses frontières aux Français, mais des mesures à mettre en œuvre.
aussi la Belgique, qui demande à L’harmonisation entre les Vingt­
tout ressortissant d’une « zone Sept ne va pas non plus de soi. Se­
rouge » − comme Paris ou les Al­ lon les pays, les « zones rouges » ne
pes­Maritimes − de se mettre en recouvrent pas la même réalité. La
quatorzaine, ou encore l’Allema­ quarantaine imposée peut varier
gne, qui exige que les voyageurs de dix à quatorze jours. Les tests de
venant d’une zone à risque s’iso­ dépistage peuvent être exigés au
lent ou fournissent un test au Co­ départ ou à l’arrivée, avoir été ef­
vid­19 négatif. « On a l’impression fectués quarante­huit heures ou
que la deuxième vague du Covid­19 soixante­douze heures avant. Et il
trouvera l’Europe aussi démunie n’existe, à ce stade, pas de recon­
que la première », juge l’eurodé­ naissance mutuelle des tests prati­
puté français (LR) François­Xavier qués d’un pays à l’autre… 
Bellamy. Avant d’ajouter : « Ces me­ virginie malingre
COMMUNIQUÉ
01.49.04.01.85 - annonces@osp.fr
COMUNICATO
REFERENDUM COSTITUZIONALE DEL 20-21 SETTEMBRE 2020
VOTO ALL’ESTERO PER CORRISPONDENZA
Con Decreto del Presidente della Repubblica del 17 luglio 2020, è stata fissata al 20-
21 settembre 2020 la data del referendum popolare confermativo avente il seguente
quesito: «Approvate il testo della legge costituzionale concemente "Modifiche agli
articoli 56, 57 e 59 della Costituzione in materia di riduzione del numero dei parla-
mentari", approvato dal Parlamento e pubblicato nella Gazzetta Ufficiale della Repu-
bblica italiana n. 240 del 12 ottobre 2019?».
Gli elettori iscritti all’AIRE e quelli temporaneamente all’estero che ne hanno fatto
domanda al proprio Comune italiano di residenza entro il 19 agosto 2020, possono
votare per CORRISPONDENZA.
A ciascun elettore verrà inviato per posta al suo indirizzo in Francia, entro il 6 set-
tembre, il plico contenente il materiale elettorale e le istruzioni sulle modalità di voto.
Il plico contenente la scheda votata dovrà pervenire al Consolato tassativamente
entro le ore 16 locali di martedi 15 settembre 2020.
A partite dal 6 settembre 2020, gli elettori che non abbiano ricevuto il plico potranno
richiedeme un duplicato al Consolato secondo le modalità indicate sul sito
https://consparigi.esteri.it/Consolato _Parigi/it/
Si ricorda che il VOTO è un DIRITTO tutelato dalla Costituzione Italiana, che esso è
personale ed eguale, libero e segreto.
Chiunque violi le disposizioni in materia elettorale sarà punito a norma di legge.
COMMUNIQUÉ
RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL DES 20-21 SEPTEMBRE 2020
VOTE À L’ÉTRANGER PAR CORRESPONDANCE
Le Décret du Président de la République italienne du 17 juillet 2020 a
convoqué les 20-21 septembre 2020 le Référendum populaire constitution-
nel ayant pour question : « Approuvez-vous le texte de loi constitutionnelle vi-
sant à la "Modification des articles 56, 57 et 59 de la Constitution en matière de
réduction du nombre des parlementaires", approuvé par le Parlement et publié
au Journal Officiel de la République Italienne n° 240 du 12 octobre 2019 ? » (la
question figurera en langue italienne sur le bulletin de vote).
Peuvent voter par CORRESPONDANCE : les électeurs inscrits à l’AIRE et
ceux qui, se trouvant temporairement à l’étranger, en ont fait la demande à la
Commune italienne de résidence avant le 19 août 2020.
Chaque électeur recevra, par courrier, à son adresse en France, au plus tard le 6
septembre, un pli contenant le matériel électoral et les modalités de vote. Le pli
contenant le bulletin de vote devra impérativement être retourné à l’adresse
du Consulat avant le mardi 15 septembre 2020 -16h00 (heure locale).
L’électeur qui n’aura pas reçu le pli contenant le matériel électoral pourra
s’adresser à partir du 6 septembre 2020 au Consulat pour demander un
duplicata, selon les modalités indiquées sur le site https://consparigi.esteri.it/
Consolato_Parigi/it/
Il est rappelé que le VOTE est un DROIT garanti par la Constitution Italienne,
qu’il est personnel et égal, libre et secret.
Toute violation des dispositions de Loi en matière électorale sera punie.
6 | planète
Les nouvelles priorités pour sauver la biodiversité
Elles seront en partie débattues lors d’un congrès consacré à la protection des écosystèmes, en janvier, à Marseille
P
rotéger les récifs coral­
liens, combattre le com­
merce illégal de dents
ou de griffes de lions,
généraliser les pratiques alterna­
tives à l’utilisation des pesticides
de synthèse… La version finale
des 128 motions qui seront sou­
mises au vote à l’occasion du con­
grès de l’Union internationale
pour la conservation de la nature
(UICN) a été publiée, mardi
1er septembre.
A quatre mois de cet événe­
ment prévu début janvier à Mar­
seille, cette liste dresse un état
des lieux des priorités en matière
de conservation de la nature et
doit structurer la politique mon­
diale sur le sujet.
Les quelque 1 400 membres de
l’UICN ont eu quatre mois, de mai
à août 2019, pour soumettre leurs
propositions. Les motions jugées
recevables ont ensuite été ouver­
tes à une discussion en ligne, de
décembre 2019 à mars 2020.
« Nous avons reçu 221 proposi­
tions, ce qui est un record », se ré­
jouit Sonia Pena Moreno, qui gère
le processus des motions au sein
du secrétariat de l’UICN.
Un tremplin vers la COP15
Ces motions couvrent une
grande diversité de sujets : lutte
pour la protection d’espèces ou
de milieux particuliers (les
grands singes, les mangroves, les
cours d’eau péruviens des Andes
et de l’Amazonie…), réduction de
pressions particulières (pollu­
tion lumineuse et plastique, pro­
duits chimiques…), gouvernance
et politique de la conservation
(financement de la biodiversité,
coopération transfrontalière, re­
connaissance des crimes envi­
ronnementaux comme des
infractions graves…), relations
entre développement humain et
nature…
« Elles attirent l’attention sur
certains problèmes urgents en
proposant des solutions concrètes
et mettent sur la table des ques­
tions qui sont encore peu traitées
mais seront les enjeux de
demain », résume Sébastien
Moncorps, le directeur du comité
français de l’UICN. Une motion
sur la pandémie et ses impacts
sur la biodiversité sera égale­
ment ajoutée à ce corpus d’ici
au congrès.
Si l’essentiel de ces textes sera
soumis à un vote électronique,
dix­huit d’entre eux seront dé­
battus lors de l’assemblée géné­
rale des membres en janvier : il
Lafarge soupçonné de rejets sauvages dans la Seine à Paris
La ministre de la transition écologique a annoncé, mercredi, le contrôle de tous les sites franciliens du cimentier situés au bord du fleuve
L es cimentiers auraient­ils la
fâcheuse habitude de con­
fondre la Seine avec une
poubelle ? Après la condamnation
en mars d’une filiale de Vinci
Construction à une amende de
50 000 euros, c’est au tour de
Lafarge d’être pris en flagrant délit
de rejets sauvages dans le fleuve.
Sa centrale à béton, installée sur
les quais du port de Bercy, dans le
12e arrondissement de Paris, à
quelques mètres du ministère de
l’économie, est dans le collimateur
de la justice pour suspicion de pol­
lution, comme l’a révélé Europe 1.
Le parquet de Paris a ouvert une
enquête, mardi 1er septembre,
pour « déversement, jet ou aban­
don de substances nuisibles » et
« utilisation de produits phytosa­
nitaires sans respecter les condi­
tions d’utilisation ». Les investiga­
tions ont été confiées à l’Office
français de la biodiversité (OFB) et
à la brigade fluviale. L’alerte avait
été donnée par des pêcheurs. Lors
Les motions
« attirent
l’attention sur
des problèmes
urgents en
proposant des
solutions
concrètes »
SÉBASTIEN MONCORPS
comité français de l’UICN.
s’agit des propositions que
l’UICN considère « d’importance
significative », qui n’ont pas
abouti à un texte consensuel lors
de la discussion en ligne ou qui
sont particulièrement controver­
sées, et qui nécessitent donc des
discussions plus approfondies.
Parmi celles­ci, plusieurs con­
cernent l’océan, en appelant à
une meilleure planification de
l’utilisation des espaces mariti­
mes et à un renforcement de la
protection des mammifères ma­
rins. Des sujets conflictuels en
raison de la multiplicité des inté­
rêts en jeu : économiques avec la
pêche, commerciaux, géostraté­
giques… D’autres motions appel­
lent à mieux prendre en compte
les liens entre changement cli­
matique et crise de la biodiversité
ou à réduire les impacts de l’in­
dustrie minière – là encore un su­
jet à fort enjeu économique.
L’association France nature en­
vironnement (FNE) s’inquiète de
la présence, dans cette courte liste,
d’une motion sur la biologie de
synthèse, qui vise à en établir les
principes et à créer un cadre de ré­
férence. « Le comité d’experts qui
travaille sur le sujet est porteur d’in­
térêts qui ne sont pas neutres, es­
time son vice­président, Jean­Da­
vid Abel. Modifier une espèce pour
résister à tel champignon parasi­
taire, c’est bien, mais nous sommes
incapables de dire qu’il n’y aura pas
d’autres effets non voulus. Il faut
discuter de ce sujet mais avec les
garde­fous nécessaires. »
L’importance des peuples
autochtones et la nécessité de
mieux protéger les défenseurs de
l’environnement – au moins 212
d’entre eux ont été tués en 2019 –
comptent parmi les quatre sujets
considérés comme particulière­
ment stratégiques.
Les deux autres motions font ré­
férence à la 15e conférence des par­
ties (COP 15) de la Convention sur
d’une opération menée jeudi
27 août par l’OFB, la brigade flu­
viale et la Fédération interdépar­
tementale pour la pêche et la pro­
tection du milieu aquatique, les
enquêteurs ont été « consternés »
par leurs découvertes et « l’éten­
due des déversements directement
dans la Seine », selon le procès­
verbal d’infraction que Le Monde
a pu consulter.
Les agents ont pris des photos et
des vidéos. On y voit un employé
nettoyer à grande eau un camion
toupie encore plein de résidus de
ciment, déverser ce liquide blan­
châtre dans un bassin puis le
même liquide se répandre le long
du quai dans la Seine. Selon les
premiers constats, l’eau rejetée
dans le fleuve contenait des « rési­
dus de béton » et des « macrofibres
synthétiques » (plastique), utilisées
dans la fabrication du béton.
Les enquêteurs ont également
observé un « déversement mous­
seux » dans le fleuve d’où émanait
Des ibis rouges dans des marais à mangroves, à l’embouchure de la rivière Calçoene, au nord du Brésil, en avril 2017. R. MORAES/REUTERS
la diversité biologique (CDB). Elles
appellent à mettre en place un ca­
dre mondial de la biodiversité
pour l’après­2020 « transforma­
teur et efficace » et à fixer des ob­
jectifs de conservation de la na­
ture par zone géographique.
Une première ébauche de texte,
qui devrait être adoptée lors de la
prochaine COP Biodiversité, pré­
vue en Chine en 2021, prévoit de
protéger 30 % de la planète des
activités humaines d’ici à 2030.
« Le congrès de l’UICN doit permet­
tre de renforcer les négociations en
vue de la COP, affirme Yann Wehr­
ling, l’ambassadeur français
à l’environnement. Il va mettre en
lumière les sujets de discussions les
plus difficiles et sur lesquels il est
nécessaire d’accélérer. »
« Espace de dialogue utile »
Une fois adoptées à la majorité,
sous forme de résolutions ou de
recommandations, les motions
n’auront pas de caractère contrai­
gnant. Au­delà de leur rôle en vue
de la préparation de la COP, quelle
influence auront­elles ? Pour tous
une « forte odeur nauséabonde » et
l’utilisation de « produits chimi­
ques », dont des dissolvants, pour
nettoyer les camions.
Les écoulements d’eau chargée
en résidus de béton et de plastique
dans la Seine provenaient d’« un
trou réalisé volontairement dans
un des bassins de stockage de récu­
pération du béton, usagé et joux­
tant le bord de Seine et souillant le
quai sur plusieurs mètres en con­
tinu et sans interruption », précise
le procès­verbal d’infraction.
« Impunité »
Le groupe Lafarge plaide « l’acte de
malveillance » et déclare avoir dé­
posé plainte. Dans un communi­
qué diffusé le 1er septembre, le ci­
mentier, leader mondial des maté­
riaux de construction depuis sa fu­
sion avec le suisse Holcim, assure
que son site de Bercy a été « victime
d’une détérioration délibérée d’une
plaque d’étanchéité, positionnée
sur le dernier bassin de décantation
les acteurs, le travail d’élaboration
de ces propositions, qui requiert
de bâtir un consensus avec des
membres d’aires géographiques
variées, constitue déjà une phase
particulièrement importante.
« Ce processus de discussion dé­
mocratique est unique, insiste Jon
Paul Rodriguez, qui dirige le
groupe de travail sur les motions
de l’UICN. Il rassemble des Etats,
des agences gouvernementales,
des ONG, des peuples indigènes…
Il n’y a pas d’autre enceinte où
petits et grands travaillent côte à
côte en ayant quasiment le même
poids. Nos membres mettent tout
leur cœur dans l’élaboration de
ces motions. »
« C’est un espace de dialogue utile
et fondamental, confirme Pierre
Cannet, le directeur du plaidoyer
du WWF France. Au sein des instan­
ces onusiennes par exemple, les né­
gociateurs sont des Etats, alors qu’à
l’UICN, la société civile et des scien­
tifiques peuvent contribuer aux
motions jusqu’au congrès. »
Depuis la première assemblée
générale de l’UICN, à Fontaine­
des eaux », et que cette dernière
n’aurait entraîné qu’un « léger
écoulement temporaire d’eau recy­
clée dans la Seine ». « L’incident sur­
venu la semaine dernière est excep­
tionnel », ajoute l’industriel.
Des explications qui ne convain­
quent pas vraiment Jacques Le­
moine, responsable de la cellule
police de la Fédération interdépar­
tementale pour la pêche et la pro­
tection du milieu aquatique. C’est
lui qui a mené l’opération du
27 août. C’est également lui qui
avait débusqué les rejets de béton
dans la Seine de la filiale de Vinci
en 2019. Et il promet d’autres affai­
res de ce type à venir. « Une impu­
nité s’est installée chez certains ci­
mentiers, déplore M. Lemoine. Le
trou sur la cuve du site de Bercy ne
s’est pas fait tout seul dans la nuit. »
Pour M. Lemoine, les déverse­
ments dans la Seine ne seraient
pas « temporaires », contraire­
ment à ce que soutient Lafarge,
mais dureraient depuis « plu­
bleau, en 1948, les recommanda­
tions adoptées ont conduit à la
mise en place de plusieurs con­
ventions internationales, telles la
Convention de Ramsar sur les zo­
nes humides et la Convention sur
le commerce international des
espèces de faune et de flore sau­
vages menacées d’extinction (Ci­
tes). Elles ont aussi conduit à la
définition de certains principes,
tel celui des solutions fondées
sur la nature (SFN), adopté lors du
congrès d’Hawaï en 2016. A
Marseille, les forêts anciennes et
primaires devraient être à leur
tour définies, ce qui permettra de
les cartographier et de mettre en
place des actions en vue de leur
restauration.
« Les motions de l’UICN servent
de référence intellectuelle et
d’autorité pour le monde de la
conservation et permettront de
produire des textes juridiques et
techniques, explique Aleksandar
Rankovic, chercheur à l’Institut
du développement durable et des
relations internationales (Iddri).
Elles représentent, tous les quatre
sieurs années ». Les signalements
des pêcheurs remontent à plu­
sieurs mois. Surtout, les traces de
résidus séchés sur les quais lais­
sent penser aux enquêteurs que
les écoulements dans la Seine
n’étaient pas « exceptionnels ».
Selon Europe 1, un deuxième site
Lafarge, situé à Paris dans le 15e ar­
rondissement, serait également
concerné. « Nous avons reçu des
photos montrant des camions tou­
pies déversant directement de l’eau
dans la Seine sur d’autres sites de
Lafarge », confirme le premier ad­
joint de la maire de Paris, Emma­
nuel Grégoire. La ministre de la
transition écologique, Barbara
Pompili, a annoncé mercredi
2 septembre au soir que toutes les
installations du cimentier situées
en bord de Seine en Ile­de­France
seront contrôlées.
« C’est un véritable scandale éco­
logique, alors que nous travaillons
avec nos partenaires depuis de
nombreuses années pour amélio­
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
ans, un aggiornamento du logiciel
politique de la biodiversité. »
En marge du congrès auront
lieu plusieurs sommets dont un
« One Planet Summit », rassem­
blant des dirigeants politiques.
L’occasion, pour les Etats, de bâtir
des coalitions et d’annoncer des
engagements en faveur des su­
jets qu’ils auront défendus par
des motions.
La France, par exemple, porte
un texte sur la lutte contre la défo­
restation importée [déboisement
induit par les importations de ma­
tières premières]. Elle est le seul
pays, avec la Norvège, à avoir
adopté une stratégie nationale en
la matière. En août, alors que
l’Amazonie était de nouveau la
proie des flammes, une vingtaine
d’ONG dénonçaient toutefois
« l’inaction » de Paris. « Cette stra­
tégie bouscule des problématiques
lourdes mais d’ici au congrès, nous
aurons des choses à annoncer
pour montrer que des avancées
ont été réalisées », assure, au nom
de la France, Yann Wehrling. 
perrine mouterde
rer la qualité du fleuve », a réagi la
maire de Paris, Anne Hidalgo.
« Nous accordons le bénéfice du
doute à Lafarge le temps de l’en­
quête, mais il y a déjà eu au moins
dissimulation d’un incident indus­
triel, puisque le groupe en avait
connaissance depuis la semaine
dernière mais ne nous a informés
que lundi soir sous la pression de la
sortie d’un article de presse », fait
savoir M. Grégoire.
Contrairement à ce qu’elle avait
d’abord annoncé, la Mairie de
Paris ne portera pas plainte, le
procureur de la République ayant
ouvert une enquête. Elle promet
en revanche de la « nourrir ». Pour
autant, Emmanuel Grégoire se dit
toujours « favorable au maintien
de micro­unités de production de
béton à Paris qui permettent d’évi­
ter la multiplication des allers­re­
tours de camions ». A condition
que leur fonctionnement soit
« totalement vertueux ». 
stéphane mandard
 FRANCE
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 |7
PLAN  DE  RELANCE ▶▶▶

100 milliards pour relancer la France
L’exécutif présente son plan de relance, jeudi, qui mêle baisse d’impôts et investissements de long terme

A
près l’urgence, la
reprise et le temps
long. Préparé de­
puis la fin du prin­
temps, reporté
après la rentrée
scolaire, le plan de relance censé
remettre l’économie tricolore sur
les rails de la croissance après la
pandémie de Covid­19 devait être
annoncé, jeudi 3 septembre, en
conseil des ministres.
Baptisé « France Relance », il con­
sistera principalement à accélérer
l’investissement dans des secteurs
innovants et dans la transition
écologique, tout en entérinant un
nouveau coup de pouce fiscal pour Le premier
les entreprises. Ce faisant, il vise « à ministre,
la fois à relancer l’activité à court Jean Castex,
terme, et à préparer la France à l’ho­ et le ministre
rizon 2030 », explique­t­on à Mati­ de l’économie,
gnon. « Relancer l’économie et lut­ Bruno
ter contre le chômage, c’est l’objectif Le Maire,
prioritaire de ce plan », a précisé le à l’Elysée,
premier ministre, Jean Castex, le 26 août.
jeudi matin sur RTL. Un double ob­ LUDOVIC MARIN/AFP
jectif pour ce qui est présenté
comme un « grand plan d’investis­
sement », d’un montant total de
100 milliards d’euros sur deux ans
et demi, décliné en quelque
soixante­dix mesures.
Au­delà de l’ampleur des chiffres
et de la tâche – en l’état actuel des
prévisions, la crise sanitaire et ses
répercussions devraient faire chu­
ter la croissance de 11 % cette an­
née, la pire récession depuis 1945 –,
c’est aussi, en creux, une manière
pour Emmanuel Macron et son
gouvernement de dessiner les
contours de la politique économi­
que de la fin de mandat. keynésiennes, ça n’aurait pas été nancer le dispositif massif de chô­ gique auto…), mais aussi la rénova­ L’exécutif espère, avec ce plan,
cohérent avec son message politi­ mage partiel des salariés. Et on tion énergétique des bâtiments LE GOUVERNEMENT  créer 160 000 emplois supplé­
COMPÉTITIVITÉ que », décrypte un habitué des cou­ s’appuie sur le montant historique publics et des logements, l’indus­ mentaires en 2021, alors que
En l’occurrence, l’accélération loirs ministériels. Pas question, de l’épargne accumulée par des trie et l’agriculture.
ESPÈRE CRÉER  800 000 destructions de postes
d’une politique de l’offre, qui dès lors, d’accéder aux demandes Français inquiets – soit 100 mil­ Second grand axe, 34 milliards 160 000 EMPLOIS  sont attendues en 2020. « Nous dé­
consiste à privilégier l’investisse­ de « chèques relance » pour les liards d’euros désormais – pour re­ d’euros seront consacrés à la com­ passerons largement les 10 % de
ment de long terme et le soutien plus modestes, comme proposé pousser l’idée d’un soutien global pétitivité des entreprises, à travers SUPPLÉMENTAIRES  taux de chômage dans les mois qui
aux entreprises en espérant in fine par le patron de la CFDT, Laurent à la consommation. Le résultat ? la baisse de 10 milliards d’euros viennent. Nous voulons revenir en
créer de la croissance et des em­ Berger, dans un entretien Un paquet parfois hétéroclite de des impôts de production – cotisa­
EN 2021 dessous à début 2022 », a précisé
plois, est clairement assumée. Elle au Monde lundi. « Il aurait été plus mesures, dont certaines – prime tion sur la valeur ajoutée des en­ Bruno Le Maire.
permet d’inscrire l’action écono­ facile de faire un plan de soutien à de rentrée, plan jeunes, santé, pro­ treprises – et impôts fonciers, ces Reste à voir comment sera assu­
mique dans la continuité de la pre­ la demande, en baissant la TVA grammes d’investissements d’ave­ taxes prélevées sur le chiffre d’af­ et territoriale (36 milliards d’eu­ rée l’exécution de France Relance,
mière partie du quinquennat – no­ d’un point ou en augmentant les nir… – ont déjà été dévoilées. faires des sociétés. Un volet ren­ ros). Il s’agira essentiellement de prévu pour s’étaler sur à peine
tamment sur la compétitivité des prestations sociales. Mais ce n’est Dans le détail, les grands axes forcement des fonds propres des mesures pour l’emploi (chômage plus de deux ans. Bercy annonce
entreprises. pas comme ça qu’on prépare la évoqués avant l’été ont été conser­ entreprises est aussi prévu à tra­ partiel de longue durée, forma­ un objectif ambitieux d’un tiers
C’est aussi un moyen, pour le France aux défis du XXIe siècle et vés. Quelque 30 milliards d’euros vers un mécanisme de garantie de tion, plan jeunes… pour un total de des montants décaissés d’ici à fin
chef de l’Etat, de se projeter dans la qu’on renforce l’outil de production. devraient être consacrés à la tran­ prêts de long terme, ainsi que des 16 milliards d’euros), la cohésion 2021. Mais le risque est grand que
durée. « Le créneau politique de La demande, c’est l’emploi », assu­ sition écologique, « afin de couvrir subventions à l’investissement territoriale (dont construction de les projets ne soient pas identifiés,
Macron, c’est de dire : je change la re­t­on dans l’entourage du minis­ les domaines les plus émetteurs de pour des projets industriels et de logements sociaux, aides aux pe­ prennent du retard ou que les
France. Il n’est pas là pour gérer. Un tre de l’économie, Bruno Le Maire. gaz à effet de serre », justifie­t­on : relocalisation et une aide à la tran­ tits commerces, soutien aux col­ fonds soient utilisés pour finan­
plan de relance de court terme, A Bercy, on rappelle aussi les les transports (aide à SNCF Réseau, sition numérique des TPE et PME. lectivités, pour 9,5 milliards), et cer des besoins plus immédiats.
pour stabiliser, avec uniquement 28,5 milliards d’euros qu’a déjà dé­ fret ferroviaire, petites lignes de Enfin, « France Relance » com­ d’investissements sur la dépen­ Pour être le plus efficace possi­
des mesures macroéconomiques boursés l’Etat cette année pour fi­ train, soutien au vélo, bonus écolo­ prendra un volet cohésion sociale dance ainsi que ceux annoncés ble, Matignon promet un pilotage
dans le cadre du Ségur de la santé interministériel mensuel, et un
(6 milliards). recensement des projets au plus
Le financement des mesures va peser sur la dette publique PAS DE « SAUPOUDRAGE »
près du terrain, en lien étroit avec
les collectivités. Tout projet qui
En comparaison, le soutien aux prend trop de retard verra ses
sacré paradoxe pour un ministre des fi­ seule mesure pérenne la baisse des impôts Pas question, en revanche, d’augmenter personnes précaires (majoration fonds réalloués. En revanche,
nances, ancien ténor de la droite qui plus de production, c’est très vite que les dépen­ les impôts, jure­t­on. C’est par le retour à de 100 euros de l’allocation de ren­ aucune contrepartie directe n’est
est. « C’est le temps de la dépense publi­ ses du plan de relance vont peser sur le dé­ meilleure fortune économique que se fera trée, tickets restaurants universi­ exigée des entreprises, notam­
que ! », a lancé Bruno Le Maire, mercredi ficit public. le redressement des finances publiques. taires à 1 euro, et soutien aux asso­ ment à la baisse des impôts de
2 septembre, à la veille de la présentation « La crise va se traduire par une forte « L’équilibre que nous retrouverons à terme ciations) ne représentera que production.
en conseil des ministres du plan de relance hausse de la dette. Sur les 100 milliards ne se fera pas par une hausse des prélève­ 800 millions d’euros. « Cela demandera un suivi très
de 100 milliards d’euros. Une formule des­ d’euros du plan de relance, 80 milliards pè­ ments fiscaux et sociaux mais par un retour A Bercy, on se défend toutefois de fort de l’Etat. Il y aura aussi un arbi­
tinée à souligner à quel point la crise sani­ seront sur le déficit public, dont la moitié de la croissance, de l’activité et donc des ren­ tout « saupoudrage ». « Ce plan ne trage entre d’une part la qualité des
taire et ses conséquences ont bouleversé la sera prise en charge par l’Union européenne trées fiscales et sociales », explique­t­on à doit pas être un feu de paille, mais il projets, et la rapidité de leur mise en
doxa budgétaire. [dans le cadre de son plan de relance] », ex­ Matignon. A Bercy, on insiste aussi sur « la doit investir dans les secteurs qui fe­ chantier. Ce sera le cas des projets
« L’erreur à ne pas commettre, ce serait plique­t­on dans l’entourage du premier nécessité de poursuivre les réformes struc­ ront la croissance de demain. Il re­ d’investissement vert, qui ne peu­
d’appuyer en même temps sur le frein et l’ac­ ministre, Jean Castex. Et encore, cette moi­ turelles, comme celle d’action logement et présente quatre points de PIB sur vent pas avoir d’impact sur l’emploi
célérateur. Le rétablissement des finances tié ne sera probablement remboursée que des retraites ». deux ans, soit la perte de croissance très rapidement. Mais ce sont l’en­
publiques passe après la relance économi­ dans un an, en juin 2021. L’exécutif compte toutefois toujours can­ due à la crise », ajoute­t­on à Mati­ jeu et la difficulté à affronter pour
que », a poursuivi le locataire de Bercy. tonner la « dette Covid » dans une struc­ gnon. L’objectif est justement de un plan qui veut à la fois relancer
« Nous n’avons pas abandonné nos objectifs « Nécessité de poursuivre les réformes » ture ad hoc afin de la rembourser sur le retrouver, à fin 2022, le niveau d’ac­ sur le court terme et transformer
de rétablissement des finances publiques, Sur les 40 milliards d’euros restant à finan­ long terme, sur le modèle de la dette de la tivité qui était celui d’avant­crise. sur le long », estime Philippe
mais ils s’inscrivent dans le long terme. Je cer, de 30 % à 40 % devraient être comptabi­ Sécurité sociale, avec une recette : la contri­ « Il faut être extrêmement pru­ Martin, le patron du Conseil d’ana­
souhaite que la dette publique française lisés dès le projet de loi de finances 2021, qui bution au remboursement de la dette so­ dent sur l’impact du plan sur la lyse économique, un think tank
baisse à partir de 2025, mais jusque­là, nous sera présenté fin septembre. Soit un peu ciale, un prélèvement de 0,5 % s’appliquant croissance, cela dépendra de sa rattaché à Matignon.
aurons 120 % de dette publique », a prévenu plus de 0,5 point de produit intérieur brut à l’essentiel des revenus. Enfin, s’il estime mise en œuvre. Mais l’impact sur le Un défi d’autant plus complexe
le ministre, qui a rappelé qu’il n’y aurait (PIB), qui s’ajouterait aux 5,5 % de déficit pu­ avoir « bien calibré » son plan de relance, le PIB potentiel [celui qu’un pays que l’année 2022 sera marquée
toutefois « pas de recrutement supplémen­ blic prévu en 2021. Concernant les 20 mil­ gouvernement n’exclut pas, en cas de dé­ peut atteindre lorsque ses capaci­ par l’échéance présidentielle. Or,
taire dans la fonction publique d’Etat ». liards restants, il s’agira de financement par gradation de la situation économique ou tés de production et d’emploi tour­ on le sait, tempo politique et im­
A Matignon, on ne dit pas autre chose. Le la banque publique d’investissement Bpi­ sanitaire, de nouvelles mesures pour sou­ nent à plein régime] à horizon de pératifs économiques sont rare­
gouvernement a beau afficher un plan france et la Caisse des dépôts, ou d’apports tenir l’emploi et l’économie.  dix ans pourrait être d’un point ment alignés. 
d’investissement de long terme, avec pour en capital pour le secteur ferroviaire. a. t. (0,1 point par an) », précise Bercy. audrey tonnelier

8 | france
PLAN  DE  RELANCE
Trois grands axes et un impact important sur les finances publiques
Transition Cohésion sociale
écologique et territoriale
30 milliards 36 milliards
100
milliards
d’euros
Soutien aux personnes
Compétitivité
des entreprises
34
milliards
* Certaines mesures seront financées par le programme d'investissement d'avenir (PIA)
Ecologie Un « premier pas nécessaire »
Trente milliards d’euros seront dédiés notamment à la rénovation des bâtiments, aux transports et à l’énergie
U
n tiers environ du
plan de relance écono­
mique présenté jeudi
3 septembre sera con­
sacré à la transition écologique,
ou encore au « verdissement de
l’économie », selon les mots du
gouvernement, soit une trentaine
des 100 milliards d’euros annon­
cés sur la période 2020­2022. Ces
30 % consacrés à cette « accéléra­
tion sans précédent » de la trans­
formation écologique correspon­
dent, de fait, aux 30 % qui doivent
être attribués à la lutte contre le
réchauffement climatique, selon
les critères du plan de relance
européen présenté en juillet. La
volonté affichée est de « couvrir
tous les champs d’activité les plus
émetteurs de gaz à effet de serre »
et de rendre ce plan cohérent avec
les objectifs climatiques de l’ac­
cord de Paris de décembre 2015.
Sans surprise, les plus grosses
sommes seront investies dans les
transports (11 milliards d’euros),
l’énergie (8,2 milliards) et la réno­
vation énergétique des bâtiments
(6,7 milliards). A cela, il faut ajou­
ter les mesures dévolues à l’agri­
culture et à l’alimentation
Energie La France prête à relever le pari risqué de l’hydrogène
L’exécutif prévoit une enveloppe de 2 milliards d’euros pour des investissements dans ce domaine au cours des deux prochaines années
L a France va­t­elle se conver­
tir à l’hydrogène, à l’image
de l’Allemagne, qui a an­
noncé, au mois de juin, un plan
massif de 9 milliards d’euros sur
dix ans ? Dans le cadre du plan de
relance, présenté jeudi 3 septem­
bre par le premier ministre, Jean
Castex, le gouvernement prévoit
une enveloppe de 2 milliards
d’euros pour des investissements
liés à cette énergie au cours des
deux prochaines années.
Plusieurs centaines de millions
d’euros seront également consa­
crées à la recherche et au dévelop­
pement sur le sujet, à travers le
programme d’investissements
d’avenir. Plus encore, l’exécutif
devrait annoncer, dans les jours à
venir, un plan sur dix ans, qui
pourrait s’élever à 7 milliards
d’euros. « C’est l’une des briques les
plus importantes de la partie “ver­
dissement” du plan de relance », se
félicite­t­on à Matignon, où l’on
note qu’il s’agit d’« un montant
Cohésion sociale et territoriale
Cohésion
territoriale 9,5 milliards
Sauvegarde
de l'emploi
Jeunes
Ségur de la santé/
dépendance
Recherche
2,95
Formation
professionnelle 1,9
0,8
précaires
Handicap 0,1
Coopération sanitaire 0,05
« IL FAUT QUE  rénovation du réseau, etc.
CES MONTANTS SOIENT  Les « mobilités du quotidien »
PÉRENNISÉS : LE CLIMAT  dont une partie servira à accroî­
A BESOIN D’UN EFFORT  bles, plan entretien), le reste pro­
SUR LA DURÉE »
LOUISE KESSLER
directrice du programme
économie de l’Institut de
l’économie pour le climat
(1,2 milliard d’euros, notamment
pour la transition agroécologi­
que, le bien­être animal et le déve­
loppement des circuits courts),
ou encore 250 millions pour la
mer (verdissement des ports,
aquaculture, pêche…).
« Véhicules propres »
Si leur affectation n’est pas encore
très détaillée, les principales ci­
bles sont connues. Pour le volet
transports – intitulé « infrastruc­
tures et mobilités vertes » –, le
grand gagnant est le rail, avec
4,7 milliards d’euros qui iront au
fret ferroviaire, aux petites lignes,
global élevé et inédit ». A quoi ser­
vira cet hydrogène ? D’abord, à dé­
carboner l’industrie, très émet­
trice de gaz à effet de serre. En­
suite, à développer des applica­
tions dans le transport pour se
substituer au pétrole, notam­
ment pour les bus, les camions,
voire, dans un second temps, les
bateaux ou les avions.
Ces annonces illustrent un net
revirement de la position fran­
çaise. Il y a quelques mois encore,
le gouvernement se montrait peu
empressé à mettre en œuvre le
plan proposé par l’ex­ministre de
la transition écologique et soli­
daire, Nicolas Hulot ; plan qui
s’élevait difficilement à 100 mil­
lions d’euros, étalés sur trois ans.
« Les planètes se sont alignées ré­
cemment. On va vers une nouvelle
révolution industrielle ! », s’en­
thousiasme le député LRM de
Dordogne, Michel Delpon. Pen­
dant l’été, le président de la Répu­
blique avait évoqué l’hydrogène à
Compétitivité des entreprises
Baisse des impôts
de production
7,6
Souveraineté technologique
et industrielle
6,75
Financement
des entreprises
6 2,5
Mise à niveau numérique
de l'Etat, des territoires
et des entreprises
Culture*
Commandes
militaires
Plan de soutien
à l'export
** 10 milliards en 2021 et autant en 2022
aux trains de nuit, à l’aide pour la
emportent 1,2 milliard d’euros,
tre l’usage du vélo (pistes cycla­
fitant au développement des
transports en commun. La voi­
ture n’est pas oubliée, avec
1,9 milliard d’euros pour les aides
à la conversion vers des « véhicu­
les propres » et le système de
bonus­malus, sans oublier le parc
de l’Etat (180 millions).
Le plan de relance va consacrer
une somme importante à la réno­
vation énergétique, que ce soit
celle des bâtiments publics (gen­
darmerie et police, palais de jus­
tice, préfectures, écoles, universi­
tés…), avec 4 milliards d’euros, ou
celle des bâtiments privés (2 mil­
liards), avec l’extension du dispo­
sitif MaPrimeRénov à tous les
Français à partir du 1er janvier 2021,
notamment aux propriétaires
bailleurs et aux copropriétés, ce
que réclamaient les associations.
Sur l’énergie, 2 milliards d’euros
vont financer la filière hydrogène
(et 7 milliards annoncés jus­
trois reprises lors de son entre­
tien du 14­Juillet, y compris en
promettant que cette énergie se­
rait une source d’emplois « pour
les jeunes ». Dans le détail, le plan
va principalement soutenir la
production d’hydrogène décar­
boné. Aujourd’hui, l’hydrogène,
surtout utilisé dans l’industrie,
est produit en quasi­totalité en
utilisant des énergies fossiles.
Mais il peut aussi être obtenu à
partir d’électricité, grâce aux
parcs éoliens ou solaires. Il est
alors considéré comme vert.
Une promesse floue
« Permettre une production d’hy­
drogène décarboné le moins cher
possible, c’est le point de départ de
tout », souligne­t­on à Matignon.
Le plan comporte donc des aides
au financement des électroly­
seurs, ces machines qui permet­
tent de produire de l’hydrogène à
partir d’électricité, à la recherche
et au développement… A cela
20**
6,87
3 Produits climat de Bpifrance
1,89
1,6
0,83
0,25
qu’en 2030). Enfin, 1,2 milliard
d’euros ira à la décarbonation de
l’industrie et 500 millions seront
destinés à l’économie circulaire
(recyclage, déchets).
Ne pas investir dans le « brun »
L’annonce de ces 30 milliards
d’euros d’investissements fléchés
vers des objectifs écologiques et
climatiques ne déplaît pas, bien
sûr, aux organisations environne­
mentales. Même si, ainsi que le
fait remarquer Anne Bringault,
responsable transition énergéti­
que du Réseau Action Climat, « [le
ministre de l’économie] Bruno Le
Maire avait déclaré, le 27 juillet,
devant la commission des affaires
économiques de l’Assemblée natio­
nale, que le plan de relance dans
son ensemble serait un plan de re­
lance vert, ce qui n’est pas le cas ».
Ces 30 milliards ne suffiront pas
à eux seuls à assurer la transition
écologique de l’économie, esti­
ment les écologistes. « Ils ne sont
que le premier pas, nécessaire,
mais ils ne doivent pas être excep­
tionnels, il faudra investir cette
somme pendant dix ans. Surtout, il
faudra évaluer l’incidence sur la
s’ajoute un mécanisme de prix de
rachat garanti pour l’hydrogène
produit, selon un modèle proche
de ce qui existe déjà pour les éner­
gies renouvelables.
Ce soutien sera nécessaire, tant
la production d’hydrogène est
peu compétitive, en comparaison
du pétrole ou du gaz. Mais il ris­
que d’être coûteux, comme l’ont
montré les politiques destinées à
favoriser le développement de
l’éolien ou du solaire. D’après la fi­
lière, le montant total de ce coup
de pouce pourrait atteindre
3,6 milliards d’euros sur dix ans.
La France risque par ailleurs de
se heurter à une limite : actuelle­
ment, la trajectoire de développe­
ment des énergies renouvelables
n’intègre pas la production d’hy­
drogène. A terme, cela signifie
qu’il faudra construire encore da­
vantage de panneaux solaires et
d’éoliennes sur le territoire.
Néanmoins, l’hydrogène peut
aussi être généré à partir d’électri­
Transition écologique
Infrastructures
et mobilités vertes 8,58
Energies et
technologies vertes*
Rénovation
6,7
énergétique
Biodiversité, lutte
1,25
contre l'artificialisation*
Décarbonation
1,2
de l'industrie
Transition agricole* 1,2
Economie circulaire
et circuits courts 0,5
Pêche et ports 0,25
Infographie : Le Monde
baisse des émissions de gaz à effet
de serre », insiste le député de Mai­
ne­et­Loire (Ecologie Démocratie
Solidarité) Matthieu Orphelin.
« C’est un bon début, mais il faut
que ces montants soient pérenni­
sés : le climat a besoin d’un effort
sur la durée », rappelle aussi
Louise Kessler, directrice du
programme économie de l’Insti­
tut de l’économie pour le climat
(I4CE). Selon les chiffrages de ce
think tank, il faudrait 9 milliards
d’euros d’argent public supplé­
mentaires chaque année
jusqu’en 2023, puis 22 milliards en
plus par an entre 2024 et 2028,
pour respecter les objectifs de la
stratégie nationale bas carbone
dans trois secteurs, les transports,
le bâtiment et l’énergie.
Pour réellement favoriser cette
transition, l’enveloppe du plan de
relance doit en outre « être addi­
tionnelle, financer des investisse­
ments et non pas combler les défi­
cits liés à la crise, et permettre de
structurer des filières, notamment
dans la rénovation des bâti­
ments », ajoute Louise Kessler.
Surtout, investir dans le « vert »
n’a de sens que si l’on n’investit
cité produite par des réacteurs
nucléaires. Il n’est pas considéré
comme vert, mais est tout de
même décarboné, puisque les
centrales n’émettent pas de
dioxyde de carbone directement.
C’est la solution retenue par le
gouvernement dans un premier
temps. L’objectif est de produire
le plus d’hydrogène possible, sans
s’embarrasser de trop de détails.
« On peut produire de l’hydro­
gène à partir du nucléaire de ma­
nière temporaire, mais l’objectif fi­
nal, c’est de faire de l’hydrogène
vert à partir de solaire et d’éolien,
par exemple en investissant plus
sur l’offshore », tempère le député
M. Delpon. Les acteurs du secteur
plaident aussi pour de la produc­
tion d’hydrogène à partir d’éner­
gies fossiles, comme aujourd’hui,
mais en ajoutant une technologie
qui permet de capturer le carbone
et de le stocker. Un motif d’inquié­
tude pour les associations envi­
ronnementales, qui y voient une
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Des finances publiques
largement affectées
Prévisions 2020 et 2021
(avant plan de relance)
Croissance,
en % du PIB
2020 5
2021
8,2
– 11
Déficit public,
en % du PIB
2020 2021
– 5,5
– 11,4
Dette,
en % du PIB
121 117,5
2020 2021
Source : gouvernement
pas dans le « brun », comme l’a
rappelé le Haut Conseil pour le
climat dans son rapport annuel
de juillet. Or, depuis le début de la
crise sanitaire, la France a adopté
« 43 milliards d’euros d’aides pour
les grandes entreprises, dont les
industries polluantes comme l’aé­
rien et l’automobile », dans le
cadre des 2e et 3e projets de loi de
finances rectificative, « sans réel­
les contreparties environnementa­
les », dénonce Clément Sénéchal,
chargé de campagne climat de
Greenpeace France.
Les responsables associatifs
s’inquiètent par ailleurs de l’enve­
loppe de 20 milliards d’euros de
baisses d’impôts de production,
dont les principaux bénéficiaires
pourraient être le secteur finan­
cier et les grandes entreprises de
l’énergie, ainsi que le milliard
alloué à la relocalisation des en­
treprises, intégrés au plan de re­
lance sans annonce d’écocondi­
tionnalité des aides. Pour Clé­
ment Sénéchal, « le “en même
temps” ne fonctionne pas dans un
monde aux ressources finies ». 
rémi barroux
et audrey garric
promesse floue et sans modèle
économique. Ce sujet fait l’objet
d’un âpre débat à Bruxelles, où les
lobbys s’activent pour que l’hy­
drogène soit considéré comme
vert, même s’il n’est pas produit à
partir d’énergies renouvelables.
Autre point important : quelle
sera la durée des investissements
français en la matière ? Le plan al­
lemand esquisse une perspective
sur dix ans, et même vingt ans.
« Les premières réalisations de­
vront être assez rapides, mais il
faut se projeter sur 2030, voire
2050 », explique­t­on à Matignon.
« Il est très important d’assurer
une visibilité dans la durée », es­
time Philippe Boucly, président
de l’Association française pour
l’hydrogène et les piles à combus­
tible, qui représente les intérêts
des industriels du secteur. Il
plaide notamment pour un « plan
plus approfondi, dans la durée, en
lien avec l’Allemagne ». 
nabil wakim
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 france | 9

Entreprises L’Etat veut renforcer pres et leur trésorerie, était alors

de 14 %, soit 250 000 TPE sur le
Transports Vers un
rebond du ferroviaire
1,8 million de sociétés retenues
les fonds propres des sociétés par l’observatoire dans son ana­
lyse. Avec la crise liée au Covid­19,
la probabilité que ces chiffres se
Trois milliards d’euros vont être mobilisés pour consolider soient aggravés est forte. Près de 5 milliards d’euros seront attribués
Concrètement, comment l’Etat
le capital de PME et TPE fortement affaiblies par la crise va­t­il pouvoir aider les entrepri­ au secteur, pour offrir une alternative
ses à se reconstituer ces fameux « attractive et efficace » au transport routier
fonds propres, qui permettent
d’abord de « rassurer son ban­

D’
abord éviter aux
entreprises de som­
brer, grâce aux dis­
positifs de reports
de charges et surtout aux prêts ga­
rantis par l’Etat (PGE), les renflouer
durablement, ensuite, en renfor­
çant la charpente du navire. En
consacrant 3 milliards d’euros du
plan de relance au soutien des
fonds propres des entreprises, le
gouvernement poursuit la logique
adoptée dès le début de la crise liée
à l’épidémie de Covid­19, avec la
priorité donnée à la préservation
du tissu économique du pays.
Cette mesure de renforcement
des fonds propres – autrement
dit, du capital – des entreprises,
explique­t­on à Bercy, s’inscrit
dans une optique à la fois « défen­
sive » – éviter les faillites – et « of­
fensive » – permettre aux entre­
prises de se développer. En revan­
che, l’Etat n’entend pas s’inviter
directement au capital de milliers
de PME. Il ne fera que garantir de
nouveaux prêts participatifs por­
tés par des institutions financiè­
res, comme des assureurs ou des
investisseurs institutionnels.
Si les mesures du plan d’urgence
ont permis à des dizaines de mil­
liers d’entreprises de garder la tête
hors de l’eau, elles ont fortement
alourdi leur endettement. Plus de
152 milliards d’euros de prêts –
dont 120 milliards de prêts garan­
tis par l’Etat – sont venus aggraver
le bilan des sociétés françaises,
alors qu’elles étaient déjà forte­
ment endettées avant la crise. « La
plupart des entreprises pourront
DEPUIS LA CRISE 
SANITAIRE, PLUS 
DE 152 MILLIARDS 
D’EUROS DE PRÊTS SONT  économique, c’est également faire
VENUS AGGRAVER  tre “le mur de la dette” d’entreprises
L’ENDETTEMENT DES  dans l’incapacité de continuer à in­
SOCIÉTÉS FRANÇAISES
rembourser leur PGE, mais il reste
un besoin de fonds propres de l’or­
dre de 10 milliards à 20 milliards
d’euros pour les PME et entreprises
de taille intermédiaire [ETI] en par­
ticulier », souligne­t­on dans l’en­
tourage du ministre de l’écono­
mie. A noter également que le
taux d’endettement des sociétés
non financières en France repré­
sentait, en mars, 75,9 % du produit
intérieur brut (PIB), contre 42,6 %
en Allemagne ou 64,8 % en Italie.
Risque de défaillances
« C’est un enjeu pour les entrepri­
ses, car les ratios d’endettement
sont très regardés par les investis­
seurs, les prêteurs, les banques, ex­
plique un expert de la Banque de
France. Avec la crise, il est clair que
ces ratios vont se détériorer : les en­
treprises dont les résultats pour­
raient être moins bons qu’en 2019
pourront moins qu’avant alimen­
ter leurs fonds propres avec une
partie de leurs bénéfices – ce qui va
dégrader mécaniquement encore
plus leur ratio d’endettement. »
Or, une entreprise trop endettée
est une entreprise qui n’a quasi­
ment plus de marge de manœuvre
pour investir, et donc pour recru­
ter, innover ou même rembourser
ses crédits. « Redynamiser l’activité
en sorte qu’elle ne se brise pas con­
vestir tout en remboursant les
aides dont elles ont pu bénéficier »,
affirme la Confédération des peti­
tes et moyennes entreprises dans
son analyse du plan de relance.
Pour l’organisation, le sujet est
d’autant plus crucial que l’endet­
tement pèse avant tout sur les pe­
tites entreprises. « Pour beaucoup
de sociétés, le PGE contracté du­
rant l’été sera dépensé fin septem­
bre ou durant l’automne », con­
firme Denis Le Bossé, fondateur
du cabinet ARC, spécialisé dans le
recouvrement de créances.
« Si l’activité ne reprend pas, elles
devront alors contracter de nou­
veaux prêts ou faire entrer de nou­
veaux investisseurs au capital, à
défaut, elles risquent de devoir en­
trer dans des procédures collecti­
ves. » L’enjeu en termes de risque
de défaillances est important. Se­
lon l’Observatoire du finance­
ment des entreprises, à la fin
2019, donc avant la crise, une TPE
sur cinq présentait déjà des fonds
propres négatifs ou nuls, contre
7 % des PME.
La part de TPE considérées en
difficulté financière, c’est à dire
présentant une situation dégra­
dée à la fois dans leurs fonds pro­
quier », selon l’expression de Ga­
briel Artero, le président du syndi­
cat CFE­CGC de la métallurgie ? En
apportant sa garantie – à concur­
rence de 3 milliards d’euros –, l’Etat
espère déclencher de 10 milliards
à 15 milliards d’euros de prêts à
long terme. Et tout particulière­
ment des prêts dits « participa­
tifs », qui seront accordés par des
institutions financières : fonds
d’investissement, assureurs, in­
vestisseurs institutionnels, fonds
de capital­investissement.
L’Etat peut également intervenir
par le biais de la banque publique
d’investissement Bpifrance. « L’in­
térêt pour un créancier d’accorder
ce genre de prêts, c’est qu’il bénéfi­
cie d’un rendement plus élevé, en
contrepartie de la subordination,
ce qui signifie que ce sont les der­
niers à être remboursés, après les
autres créanciers, mais avant les
actionnaires », analyse Laurent
Quignon, responsable de l’écono­
mie bancaire chez BNP Paribas.
Le risque pris par le prêteur est
cependant mieux rémunéré.
Reste à savoir à quel taux seront
proposés ces prêts – le sujet est
toujours en discussion à Bercy – et
si les prêteurs accepteront de jouer
le jeu du « volontarisme » écono­
mique. En tout cas, pas question
d’accorder ces prêts tous azimuts,
a averti Bruno Le Maire, le minis­
tre de l’économie : il faut que « les
fonds garantis par l’Etat financent
des entreprises viables économi­
quement », a­t­il insisté. Et Reste à
trier le bon grain de l’ivraie. 
béatrice madeline
L e transport ferroviaire,
ébranlé par la crise sani­
taire qui a vidé les rames de
banlieue, les TER et les TGV, a été
bien moins aidé que le secteur aé­
rien, objet de toutes les attentions
avec un plan de soutien de 7 mil­
liards d’euros à Air France.
Dans le volet transport du plan
de relance, il bénéficiera finale­
ment de près de 5 milliards sur les
11 milliards attribués aux diffé­
rents types de mobilité, l’autre
moitié allant aux véhicules élec­
triques ou au déploiement des
bornes de recharge. « Nous irons
plus loin, plus fort pour développer
les transports plus propres : le
train, les véhicules électriques,
mais aussi les transports en com­
mun et le vélo », assure le chef de
l’Etat, Emmanuel Macron.
Selon le découpage du plan, les
transports figurent dans l’un de
ses trois principaux chapitres, la
transition écologique (37 mil­
liards), signe de la volonté de l’ins­
crire dans sa politique environne­
mentale. Il est prévu 1,2 milliard
d’euros au profit des transports
« du quotidien », y compris le dé­
ploiement des aides à l’usage du
vélo, lancées durant la crise sani­
taire. L’Etat aidera les villes à fi­
nancer pistes cyclables et places
de stationnement sécurisé.
Cette enveloppe doit aussi les
pousser à développer les trans­
ports en commun (trains ou
tramways, lignes de bus en site
propre…). Elle doit compléter les
crédits des collectivités pour per­
mettre un investissement total de
près de 5 milliards (avec un poten­
tiel de 55 000 créations d’em­
çon – semble anecdotique, celle
du fret est un projet plus ambi­
tieux et plus difficile. Le train
n’assure que 10 % du transport de
marchandises, bien moins qu’en
Allemagne ou en Autriche.
Il fera l’objet d’appels à manifes­
tation d’intérêt, qui devront être
économiquement viables. La « li­
gne des primeurs » reliant Perpi­
gnan à Rungis rouvrira « dans les
prochains mois », a annoncé
M. Castex au mois de juillet. Il
souhaite même qu’elle aille « sur
un axe plus large d’Anvers à Barce­
lone ». Et, plus généralement,
qu’on développe les « autoroutes
ferroviaires » transportant de
nombreux poids lourds.
Aujourd’hui, cinq autoroutes
sont déjà en service sur l’ensem­
ble du territoire.
Désenclavement
Autre point, politiquement sensi­
ble pour nombre d’élus : l’avenir
des 9 100 kilomètre de petites li­
gnes. En 2018, elles avaient été
condamnées à mort par le rap­
port Spinetta. L’ex­PDG d’Air
France jugeait « impensable de
consacrer près de 2 milliards
d’euros à seulement 2 % des voya­
geurs ». Le mouvement des « gi­
lets jaunes » a changé la donne :
l’heure est au désenclavement de
certaines parties du territoire.
En février 2020, le gouverne­
ment a indiqué que les 1 500 kilo­
mètres où le trafic est le plus
dense resteront à la charge exclu­
sive de SNCF Réseau. Les autres li­
gnes seront soit cogérées et cofi­
nancées par la SNCF et les régions,
soit transférées à ces collectivités,

Collectivités Les territoires en première plois), d’après le gouvernement,

qui veut, entre autres, améliorer
le RER en région parisienne, mais
qui pourront en confier la gestion
à des opérateurs privés.
Matignon précise que ces

ligne pour la mise en œuvre du plan

aussi les réseaux en province et
en outre­mer.
Accroître l’offre de trains
Une contractualisation accrue avec les régions et les départements est prévue Mais la plus grosse part de l’enve­
loppe (4,7 milliards) sera affectée
au soutien du secteur ferroviaire
annoncé par le premier ministre,
4,7 milliards du plan de relance
n’intègrent pas d’éventuelles
aides au secteur (recapitalisation,
reprise de dette…). Notamment à
la SNCF, qui a annoncé une perte
de plus de 4 milliards en raison de
la crise sanitaire, et qui sera aidée
à hauteur de plusieurs milliards.

U n maître mot revient

dans tous les discours
gouvernementaux con­
cernant la mise en œuvre du plan
de relance de 100 milliards
d’euros présenté jeudi 3 septem­
bre en conseil des ministres : la
territorialisation. « C’est un aspect
majeur de sa réussite et de la
consommation rapide des cré­
dits », défend­on dans les sphères
gouvernementales.
Cette territorialisation devrait
reposer sur deux principes : la
déconcentration d’une partie des
crédits affectés au plan de relance,
gérés par les préfets de région et de
département, et la contractualisa­
tion avec les collectivités territo­
riales concernées, en premier lieu
les régions. Celle­ci passera
notamment par la prochaine gé­
nération de contrats de plan Etat­
région (CPER) couvant la période
2021­2027. D’où l’importance de
l’accord de méthode signé le
30 juillet par le premier ministre,
Jean Castex, et le président de Ré­
gions de France, Renaud Muselier,
qui sera formalisé le 10 septembre
à Matignon en présence de l’en­
semble des présidents de région.
L’Etat devrait s’engager à hauteur
de 20 milliards d’euros, et un tra­
vail interministériel a été lancé
afin d’identifier les mesures du
plan de relance qui pourraient être
contractualisées dans les CPER.
Encore faut­il, au préalable, lever
une hypothèque. Un des volets les
plus immédiats, sonnants et tré­
buchants, du plan de relance
concerne la baisse de 10 milliards
d’euros par an, à partir de 2021,
des impôts de production, une fis­
calité que le premier ministre
avait jugée « punitive pour notre
industrie » lors de son discours à
l’université de rentrée du Medef,
le 26 août. Elle pèse pour 3,2 % du
produit intérieur brut en France
contre 1,6 % dans la zone euro,
rappelle le ministre de l’économie
et des finances, Bruno Le Maire.
Diminution des recettes
Cette baisse des impôts de pro­
duction devrait reposer sur une
réduction de moitié de la cotisa­
tion sur la valeur ajoutée des en­
treprises (CVAE), correspondant à
la part perçue par les régions, soit
6,8 milliards d’euros de recettes
qui seront compensés par une
fraction équivalente de la TVA
nationale. Elle passerait égale­
ment par une réforme de la valeur
locative des établissements in­
dustriels (TFPB), à hauteur de
1,75 milliard d’euros, et de la coti­
sation foncière des entreprises
(CFE), pour un montant de
1,54 milliard. Là, ce sont les com­
munes et les intercommunalités
qui verraient leurs recettes dimi­
nuer. Dans un courrier adressé fin
POUR L’HEURE, 
LA DÉCONCENTRATION 
DES CRÉDITS  peine 2 % du plan de relance. L’ob­
NE CONCERNE  loppe de l’ordre de 10 milliards
QU’ENVIRON 2 MILLIARDS  férents ministères concernés ac­
D’EUROS, SOIT À PEINE  ceptent de voir régionalisée et dé­
2 % DU PLAN DE RELANCE
août aux associations d’élus, M. Le
Maire assure que « les effets de
cette réforme sur les communes et
les EPCI devront être intégrale­
ment neutralisés », en préservant
l’« intéressement local à l’accueil
des industries ». Il propose un mé­
canisme consistant à « verser à
chaque collectivité le même mon­
tant de TFPB et de CFE que les éta­
blissements industriels du terri­
toire : pour 1 euro payé par l’entre­
prise, 1 euro payé par l’Etat », ce qui
garantirait une compensation
« certaine, dynamique et territoria­
lisée ». Une nouvelle réunion de
concertation doit avoir lieu dans
les prochains jours à Bercy. L’arbi­
trage définitif se fera probable­
ment à Matignon.
Outre cet aspect fiscal, plusieurs
questions demeurent. Tout
d’abord sur le montant des
crédits gérés de manière décon­
centrée. Pour l’heure, selon les
informations que nous avons pu
collecter, cela ne concerne qu’en­
viron 2 milliards d’euros, soit à
jectif serait d’arriver à une enve­
d’euros. Cela suppose que les dif­
concentrée au niveau des préfets
la gestion d’une partie des mesu­
res dont ils ont la charge. « Il faut
faire en sorte que tout ne soit pas
géré de Paris et que ça se gère avec
les collectivités », plaide un mem­
bre du gouvernement. Encore
faut­il que cet état d’esprit soit
partagé par tous ses collègues.
Enfin, afin de garantir une utili­
sation rapide des crédits, bon
nombre de mesures du plan de re­
lance passeront par des disposi­
tifs déjà existants, ce qui peut lais­
ser croire qu’il s’agit de crédits re­
cyclés. Le gouvernement s’en dé­
fend. « Nous ne sommes pas dans
la machine à laver. On ne recycle
pas, assure un haut responsable.
On utilise ce qui était déjà dans les
tuyaux en rajoutant des finance­
ments nouveaux, dans une logique
de boosteur. » Il conviendra ce­
pendant de veiller à ce que la
fongibilité des crédits préconisée
par l’exécutif ne devienne pas une
partie de bonneteau. 
patrick roger
Jean Castex, dans sa déclaration
de politique générale. Objectifs
du gouvernement : « offrir une al­
ternative attractive et efficace au
Il n’en demeure pas moins que
l’industrie ferroviaire nourrit de
vives inquiétudes pour ses com­
mandes. Dans un entretien au
transport routier », pour les passa­ Monde, le 2 septembre, le PDG
gers et les marchandises, et ré­ d’Alstom, Henri Poupart­Lafarge,
duire les émissions de dioxyde de invitait l’Etat à « soutenir les opé­
carbone ainsi que la pollution gé­ rateurs comme les régions », qui
nérées par les transports. remplissent ses carnets de com­
L’effort portera sur l’améliora­ mandes. Quant à Valérie Pécresse,
tion du réseau où la circulation présidente de la région Ile­de­
est intense, notamment les France, elle demande de compen­
nœuds ferroviaires autour des ser la perte de 2,6 milliards d’Ile­
métropoles, afin d’accroître l’of­ de­France Mobilités liée à la déci­
fre de trains. Si la relance des sion de confiner la population.
trains de nuit – un Paris­Nice et Une facture qui s’élève à 4 mil­
un Paris­Tarbes en 2022, en plus liards au niveau national. 
des Paris­Cerbère et Paris­Brian­ jean­michel bezat
6,5 milliards d’euros pour l’emploi
Le plan de relance contient des mesures en faveur de l’emploi
dont une large partie avait déjà été présentée en juin et en juillet.
Il s’agit, en particulier, d’aides financières aux entreprises qui re-
crutent des jeunes : primes à l’embauche d’une personne de
moins de 26 ans, subventions pour les contrats d’apprentissage
et de professionnalisation, extension du service civique, dévelop-
pement de « parcours d’accompagnement » (à travers, entre
autres, la « garantie jeune » et des contrats aidés), etc. Quelque
6,5 milliards d’euros avaient été annoncés à ce titre.
Parmi les nouveautés dévoilées jeudi 3 septembre, il y a un gros
programme de formation pour les salariés qui travaillent dans
des entreprises recourant au chômage partiel – de droit commun
ou de longue durée. Soit un effort supplémentaire d’un milliard
d’euros, selon une source gouvernementale. L’exécutif entend
aussi soutenir les actifs employés dans des secteurs en déclin
pour qu’ils se reconvertissent vers des « métiers d’avenir ».

10 | france
La police face aux difficultés du recrutement de masse
Les gardiens de la paix ne passent plus que huit mois à l’école, contre douze précédemment
C
omment garnir rapide­
ment les rangs de la po­
lice nationale tout en
garantissant un recrute­
ment et une formation de qualité
pour les nouveaux diplômés ?
C’est l’épineuse question à la­
quelle se trouve confrontée l’ins­
titution depuis quelques années,
et qui revient régulièrement sur
la table, à chaque affaire de vio­
lences policières.
Dans un entretien accordé au
Point, le 5 août, peu après sa no­
mination, l’actuel ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin,
s’est exprimé sur le sort des fonc­
tionnaires débutants. « Un point
majeur devra changer (…) : on ne
peut plus envoyer de jeunes poli­
ciers sortant de leur terroir à Paris
ou en proche banlieue dans des
conditions de violence bien plus
élevées que ce qu’ils ont connu (…).
Ce sont des policiers qui doivent
être davantage formés, mieux
équipés, et dont une partie de la
mission, désormais, même lors­
qu’ils font de la voie publique, con­
siste à faire du maintien de l’ordre.
(…) Le ministère doit s’adapter. »
Sollicité sur l’avancée de ce chan­
tier, le ministère n’a pas livré plus
de précisions.
C’est en 2016, dans la foulée des
attaques terroristes de 2015, que la
problématique du recrutement et
de la formation a changé de di­
mension. Le 2 juin 2016, face à la
236e promotion de gardiens de la
paix en passe d’être diplômée,
Bernard Cazeneuve, alors minis­
tre de l’intérieur, martèle les en­
gagements présidentiels de Fran­
çois Hollande : « Chaque année,
en 2016 et en 2017, plus de
4 600 gardiens de la paix sortiront
des écoles de police, alors qu’ils
n’étaient que 488 en 2012. C’est là
un effort sans précédent. » Au to­
tal, près de 9 000 postes de poli­
ciers et gendarmes seront créés
sur l’ensemble du quinquennat.
Epreuves modifiées
Lors de sa campagne pour la pré­
sidentielle de 2017, Emmanuel
Macron s’est inscrit dans la conti­
nuité en s’engageant à créer
7 500 postes de policiers, et 2 500
dans la gendarmerie. Pour
l’heure, 6 101 équivalents temps
plein ont été votés dans le cadre
des projets de loi de finances de­
puis le début du quinquennat. Cet
effort suit plusieurs années de di­
sette budgétaire et la suppression
de plus de 10 000 postes dans la
police et la gendarmerie sous le
mandat de Nicolas Sarkozy.
Sur le terrain, ces engagements
politiques doivent être visibles au
plus vite : il faut des arrivées rapi­
des dans les services. Quitte à
ouvrir largement les rangs et à for­
Les défaillances structurelles mises au jour par l’affaire Chouviat
L’enquête de l’IGPN souligne la jeunesse et le défaut d’encadrement des policiers qui ont mené l’interpellation mortelle du livreur de 42 ans
L e 5 janvier, Cédric Chouviat,
un livreur de 42 ans, mou­
rait à la suite d’une inter­
vention policière survenue deux
jours plus tôt, quai Branly, dans le
7e arrondissement de Paris.
L’autopsie pratiquée sur le corps
du défunt avait mis en avant « des
manifestations asphyxiques nettes
associées à une fracture hémorra­
gique des deux cornes du cartilage
thyroïde », sans établir de conclu­
sion définitive sur la ou les raisons
de la mort. En cause : l’utilisation,
par l’un des quatre policiers mobi­
lisés, de la technique dite de la « clé
d’étranglement ». Les vidéos pri­
ses au moment des faits montrent
Cédric Chouviat, au sol, face contre
terre, répéter « J’étouffe » à plu­
sieurs reprises.
Dans ce dossier, trois policiers
sont mis en examen pour homi­
Seuls les
concours
d’officiers et de
commissaires
ont conservé la
même sélectivité
mer plus rapidement des élèves
policiers, ensuite majoritaire­
ment affectés sur les zones les
plus difficiles : l’Ile­de­France et
les grandes villes. Depuis 2016,
plusieurs réformes ont été mises
en œuvre, surtout destinées à fa­
ciliter un recrutement massif. Dé­
but 2019, les épreuves des con­
cours d’entrée dans la police ont
ainsi été modifiées. Pour les gar­
diens de la paix, le niveau des
épreuves est jugé « équivalent »
par les spécialistes mais la propor­
tion d’admis, elle, s’est envolée.
« Le nombre de candidatures [en­
viron 20 000 par an], est stable.
Mais il y a plus de postes à pour­
voir et donc nécessairement plus
d’admis », expose le service com­
munication de la police natio­
nale. En 2010, 2 % des candidats
étaient admis au concours de gar­
diens de la paix. Ils étaient 18 % à
réussir ces épreuves en 2018,
d’après la police nationale.
En 2016 et 2017, « les moyennes
d’admission ont pu tomber en des­
sous de 10 % », admettent plu­
sieurs sources. Seuls les concours
d’officiers et de commissaires ont
conservé la même sélectivité.
En 2016, Bernard Cazeneuve avait
aussi annoncé une « grande ré­
forme de la formation ». Elle vient
juste d’entrer en vigueur, quatre
ans plus tard, en juin. Elle acte la
réorganisation de la formation
initiale des gardiens de la paix :
celle­ci s’étend toujours sur vingt­
quatre mois, mais le temps passé
en école est réduit de douze à huit
mois. Le but : avoir des policiers
plus rapidement sur le terrain.
Emmanuel Pasquier, responsa­
ble formation du syndicat Unité
SGP Police­FO, se félicite d’une
formation en école désormais
« resserrée sur des enseignements
pratiques et techniques, au cœur
du métier ». Sur le fond, de nou­
veaux modules ont été intégrés
aux apprentissages, comme la
sensibilisation au traitement des
violences conjugales. Mais pour
Sebastian Roché, directeur de re­
cherche au CNRS, la formation
reste « très refermée sur elle­
même ». « Ce sont essentiellement
des policiers qui forment d’autres
policiers. Cela peut créer des diffi­
cultés et couper la police de son en­
vironnement », explique­t­il. De
son côté, Jean­Michel Schlosser,
cide involontaire ; une quatrième
fonctionnaire est placée sous le
statut intermédiaire de témoin as­
sisté. Au­delà de la détermination
de responsabilités individuelles,
l’enquête de l’inspection générale
de la police nationale (IGPN), révé­
lée par Libération et Mediapart et
que Le Monde s’est aussi procurée,
porte sur des aspects plus structu­
rels. La « police des polices » s’in­
terroge : les fonctionnaires en
question étaient­ils assez bien for­
més ? Avaient­ils un chef de bord
suffisamment expérimenté pour
les encadrer ? Avaient­ils l’habi­
tude de travailler ensemble ?
Pour les quatre policiers impli­
qués dans l’interpellation de Cé­
dric Chouviat, le commissariat du
7e arrondissement était le premier
lieu d’affectation en tant que gar­
diens de la paix. Au moment des
Cours théorique sur le contrôle d’identité, à l’école de police de Sens (Yonne), en mai 2019. KAMIL ZIHNIOGLU POUR « LE MONDE »
ancien policier et docteur en so­
ciologie, regrette que « les sciences
humaines et sociales soient totale­
ment absentes des programmes ».
Il détaille : « La base de la forma­
tion est très juridique et formate
les policiers à avoir un raisonne­
ment binaire, autour du code pé­
nal, avec l’idée qu’il y a le bien et le
mal. Or la société, au niveau de la
violence, est beaucoup plus com­
plexe qu’avant : le policier a besoin
d’un bagage complémentaire
pour comprendre ses missions. »
Aux huit mois en école suivent
désormais seize mois dits de
« professionnalisation ». En prin­
cipe, dans leur service, les nou­
velles recrues se voient attribuer
un tuteur qui doit suivre leurs dé­
buts sur le terrain. Les syndicats
restent perplexes : « Les tuteurs
ne sont pas eux­mêmes formés à
encadrer et manquent de temps »,
rapporte Thierry Clair, de l’UNSA
Police. « On ne veut pas que les
jeunes soient des variables d’ajus­
tement, livrés à eux­mêmes dans
les services, pour exercer toutes
les missions qui incombent aux
collègues, notamment dans les
zones difficiles », ajoute Eric
Henry, responsable formation
chez Alliance.
Pour Christophe Korell, prési­
faits, deux d’entre eux ne sont pas
encore titulaires : Arnaud B.,
28 ans, est sorti de l’école de police
six mois plus tôt. Ludovic F.,
23 ans, est, quant à lui, arrivé au
commissariat trois semaines
avant les faits. Tous deux ont le
statut de « stagiaire ».
« Très peu expérimentés »
Face à Cédric Chouviat, ce ven­
dredi 3 janvier, au matin, Ludovic
F. se montre provocateur, ce qui ne
calme pas la situation déjà tendue
entre le livreur et les forces de l’or­
dre. Interrogé dans le cadre de sa
garde à vue, le 17 juin, sur des vi­
déos qui mettent en lumière son
attitude, le fonctionnaire com­
mente : « Ben déjà Laura J. [l’une de
ses collègues] est venue vers moi
pour me donner des conseils car je
ne connaissais pas bien le travail. »
dent de l’Agora des citoyens, de la
police et de la justice, il faudrait
que les gardiens débutants aient
le temps d’aller « dans des associa­
tions qui œuvrent dans les villes où
ils sont affectés, ou encore qu’ils
découvrent le milieu judiciaire en
faisant des stages dans un tribunal
ou en prison ».
Taux d’encadrement faible
Les craintes des syndicats sont
nourries par le fait qu’une large
majorité des nouvelles recrues
sont envoyées en Ile­de­France.
En 2018, 71,5 % des élèves gardiens
de la paix sortant d’école ont été
affectés à la Préfecture de police
de Paris – soit à Paris et dans les
départements de la petite cou­
ronne – contre 46,2 % en 2009,
date à laquelle un concours en­
traînant une affectation spécifi­
que en Ile­de­France a été créé
pour pallier les carences en effec­
tifs de la région.
Sur le terrain, les jeunes gar­
diens se retrouvent vite confron­
tés à des missions de maintien de
l’ordre. Pourtant, seuls les élèves
qui, à l’école, choisissent un mo­
dule de spécialisation spécifique
y sont formés durant un mois,
avant de rejoindre les compa­
gnies républicaines d’interven­
Il ajoute : « Je sais qu’essayer de plai­
santer avec ce monsieur n’a servi à
rien. Je ne connaissais pas bien les
collègues ni les méthodes d’inter­
vention en réel sur le terrain, si bien
que j’ai eu le sentiment de subir un
peu les événements. »
Le chef de bord, Michaël P.,
33 ans, titulaire depuis cinq ans
dans la police, indique ne pas
connaître le nom de famille de Lu­
dovic F. lorsqu’ils partent en pa­
trouille, le 3 janvier. Aux enquê­
teurs, le chef indique : « C’est vrai
que je n’ai pas beaucoup tourné
avec Arnaud B. et que je n’avais ja­
mais tourné avec Ludovic F. Je con­
nais juste un peu Laura J. » Inter­
rogé sur la question de savoir si les
rôles de chacun d’entre eux
étaient établis avant l’interven­
tion, il répond : « Non, ça se fait na­
turellement. C’est moi qui ai com­
tions (CRS). Ceux qui choisissent
une spécialisation en sécurité pu­
blique – ensuite affectés dans des
unités urbaines comme les com­
pagnies de sécurité et d’interven­
tion (CSI) – n’ont que quelques
jours de formation en maintien
de l’ordre une fois affectés dans
leur service.
La Préfecture de police de Paris
fait aussi face à un déficit d’enca­
drement. Un rapport de la Cour
des comptes paru en décem­
bre 2019 établit que, depuis
2009, le nombre de mutations
sortantes des cadres y a aug­
menté de 33,5 %.
« Une des spécificités de la Pré­
fecture de police est que les dé­
parts des policiers expérimentés
sont, dans leur très grande majo­
rité, compensés chaque année par
le recrutement de gardiens de la
paix sortant d’école de police »,
note le document. Dans certaines
directions, le taux d’encadre­
ment est faible : 17,1 % pour la di­
rection de la sécurité publique de
l’agglomération parisienne, soit
l’ensemble des commissariats
qui gèrent la petite et moyenne
délinquance ; 11 % pour les com­
pagnies d’intervention.
Pour y remédier, la Préfecture
de police de Paris a mis en place
mencé à gérer le contrôle. Après, il
n’y a rien qui est défini. Il est difficile
de créer des automatismes avec des
gens avec lesquels on ne travaille
pas régulièrement. »
Un autre élément interpelle les
enquêteurs de la police des poli­
ces : comment Michaël P. peut­il
être chef de bord alors qu’il n’est
encore que gardien de la paix, et
non brigadier ? Le fonctionnaire
rapporte « être chef depuis une va­
gue de départs d’anciens, il y a un
an ». En tant que gardien de la paix
titulaire depuis cinq ans, il est « le
second de la brigade en ancien­
neté, précise­t­il, le premier a dix
mois de plus que moi ».
« Les policiers en fonction
aujourd’hui à Paris ou en région
parisienne sont très peu expéri­
mentés, mal formés et très peu en­
cadrés. Il y a un fossé qui se creuse
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
des dispositifs d’avancement ac­
céléré : les gardiens peuvent accé­
der au grade de brigadier entre
quatre et six ans après leur titula­
risation, contre douze ans pour la
voie normale. « Il y a un risque à
donner trop de responsabilités à
des policiers qui ne sont pas si ex­
périmentés », rapporte Christo­
phe Korell.
Se pose également la question
des moyens. « En dix ans, les dé­
penses de personnel [qui com­
prennent à la fois le niveau im­
portant de recrutement et les
mesures indemnitaires] ont aug­
menté trois fois plus rapidement
que les dépenses de fonctionne­
ment et d’investissement », note
un rapport de la commission des
finances du Sénat de novem­
bre 2019.
Il n’est pas rare que des jeunes
sortis d’école arrivent dans des
services où le nombre de véhicu­
les n’est pas suffisant, où les ca­
méras piétons sont indisponi­
bles et en mauvais état… Le rap­
port tranche : « Ce niveau [de re­
crutement] paraît davantage
procéder d’une commande politi­
que que d’une réelle volonté
d’améliorer la capacité opération­
nelle des forces de l’ordre. » 
juliette bénézit
entre les policiers et la population,
avec un effondrement du rapport
à l’autorité : pour des jeunes qui
n’ont pas la carrure, pas l’expé­
rience, être confronté à des gens
pour qui l’uniforme ne représente
rien, c’est ingérable », plaide Lau­
rent­Franck Liénard, l’avocat de
deux des policiers.
Pour les conseils de la famille de
Cédric Chouviat, Mes William
Bourdon et Vincent Brengarth, « il
serait intellectuellement malhon­
nête d’éluder le contexte de graves
dysfonctionnements politiques et
institutionnels dans lequel les faits
s’inscrivent. Ce contexte ne saurait
cependant effacer la responsabilité
individuelle des fonctionnaires. Les
deux coexistent sans que le pre­
mier puisse neutraliser l’autre et
vice versa ». 
j. bé.
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 france | 11

« Charlie » : un procès sous contraintes sanitaires

La première journée a été perturbée par les masques, au cours de débats pas encore entrés dans le vif du sujet

B
ien sûr, il fallait s’y at­
tendre : tout « histori­
que », tout « exception­
nel » soit­il, le procès
des attentats de janvier 2015 est
d’abord soumis à la loi com­
mune des règles sanitaires. Dis­
tanciation, masques pour tous.
Au premier jour de ce procès,
mercredi 2 septembre, il y avait
quelque chose d’étrange à voir
cette menace du coronavirus
étendre son ombre écrasante sur
le temps judiciaire consacré aux
actes de terreur qui ont endeuillé
le pays du 7 au 9 janvier 2015. La
rédaction de Charlie Hebdo déci­
mée par les frères Saïd et Chérif
Kouachi. Des citoyens abattus
parce que juifs dans le magasin
Hyper Cacher de la porte de Vin­
cennes par Amedy Coulibaly.
Deux policiers tués. Des blessés
graves. Des otages traumatisés.
Un pays ébranlé.
Une fois franchi l’impression­
nant dispositif de sécurité, tant à
l’extérieur qu’à l’intérieur du tri­
bunal judiciaire des Batignolles
qui accueille la cour d’assises
spéciale de Paris, ces contraintes
sanitaires dressaient un autre
barrage. Une cour de magistrats
trés et grillagés sous la sur­
veillance de gardiens cagoulés,
assistés de leurs avocats mas­
qués, face à deux cents parties ci­
viles et leurs conseils masqués,
répartis dans trois salles d’au­
dience que l’on découvre par
écrans interposés.
C’est à ces mêmes règles sani­
taires que le président de la cour,
Régis de Jorna, consacre ses pre­
miers mots : « Je rappelle que le
port du masque est obligatoire
dans l’ensemble des salles
d’audience en toutes circonstan­
ces, y compris lors des prises de
parole. »
« On ne vous entend pas ! »
Me Isabelle Coutant­Peyre est la
première à la demander. Elle dé­
fend Ali Riza Polat, seul des onze
accusés présents à être poursuivi
pour complicité des crimes terro­
ristes et à encourir la réclusion
criminelle à perpétuité. L’avo­
cate commence à parler. « On ne
vous entend pas ! », proteste le
fond de la salle.
Elle retire son masque et ouvre
les hostilités. Evoque à deux re­
prises « les frères Chouaki » (sic).
Met en cause les services de sé­
« La cour va-t-elle
obliger les
avocats à plaider
masqués ?
Ce n’est pas
possible ! », dit
un défenseur
te la légalité d’un procès d’assises
qui se tient au tribunal judiciaire
et non pas au siège de la cour
d’appel sur l’île de la Cité, dé­
nonce les manques de l’instruc­
tion, demande un supplément
d’information et tonne contre la
presse qui, dit­elle, « désigne à
l’avance les boucs émissaires ou
les victimes expiatoires » au mé­
pris du respect de la présomp­
tion d’innocence des accusés.
Des avocats de parties civiles
tombent le masque à leur tour
pour venir s’indigner au micro.
« Indécent ! », « Odieux ! », « Dila­
toire ! », répliquent­ils.
« On va passer à la 2.03 », an­
nonce le président en ouvrant les
micros de la salle d’audience voi­
sine où d’autres avocats de par­
ties civiles demandent la parole.
Mêmes indignations. « La salle
2.04, vous nous entendez ? » On
l’entend. Indignée elle aussi.
171 tomes de l’instruction
Retour à la salle principale où ré­
sonne la voix ferme de Me Chris­
tian Saint­Palais, qui défend Amar
Ramdani : « Je ne m’associe pas
aux demandes de Me Coutant­
Peyre. Mais je n’admets pas que la
parole de la défense soit qualifiée
d’indécente. Nous allons montrer
que la République sait répondre à
la violence des actes que nous
avons connus. Et que notre atta­
chement à la loi est la meilleure ré­
ponse que nous pouvons lui ap­
porter. Elle passe par le respect de
la parole de la défense qui défen­
dra, sans limites, ceux qui sont
dans le box. » Ce fut dit calme­
ment et à visage découvert.
Passe la suspension d’audience,
reviennent les contraintes sani­
taires. Le président Régis de Jorna
les rappelle : « Le port du masque
est obligatoire, y compris à la
barre. Il ne faudrait pas que la
barre devienne un cluster. Per­
sonne ne peut prendre de risque. »
« Cluster », « risque » : même senti­
ment d’étrangeté, de gêne aussi,
face au déséquilibre des peurs
contemporaines et du carnage
passé. Et nouvelles interroga­
tions.
« Est­ce que vous comptez inter­
roger les accusés masqués ?, de­
mande une avocate de la défense.
– Je suis conscient de cette diffi­
culté. Mais les mêmes consignes
s’imposent à tous. Y déroger, c’est
exposer tout un chacun.
– Vous allez juger des hommes
dont vous ne voyez pas le visage.
Les règles sanitaires sont contrai­
res aux droits de la défense », inter­
vient un autre avocat.
Un troisième défenseur prend
la parole :
« La cour va­t­elle obliger les avo­
cats à plaider masqués ? Ce n’est
pas possible !
– Nous n’en sommes pas encore
là… », répond Régis de Jorna, qui
annonce toutefois une nouvelle
consultation entre le bâtonnier et
le premier président de la cour
d’appel sur le sujet.
Régis de Jorna boit un verre
d’eau pour s’éclaircir la voix.
Comme le veut la procédure, il va
livrer devant la cour une synthèse
des 171 tomes de l’instruction sur
les faits qui vont être jugés et les
charges retenues contre les accu­
sés. Le rapport doit durer trois
heures et sera conduit à deux
voix avec son assesseur Stéphane
Duchemin, annonce­t­il. Le prési­
dent commence sa lecture : « Le
mercredi 7 janvier vers 11 h 30, deux
hommes cagoulés, vêtus de som­
bre et armés de fusils d’assaut, pé­
nètrent… » Et tombe le silence. 
pascale robert­diard

20
professionnels entièrement mas­ curité qui « auraient pu empêcher
quée, jugeant des accusés mas­ cette souffrance irréparable s’ils

GRAND PRIX DE
qués, répartis dans deux box vi­ avaient fait leur travail », contes­

Première journée L’INNOVATION

BY PETITWEB DIGITALE

calme dans la
forteresse du tribunal GRAND PRIX DU PUBLIC MÉDIAS
Un dispositif de sécurité inédit est déployé, Angell Bike
Or
avec des centaines de gendarmes et policiers WhatRocks

CRÉATIVITÉ

A u pied de l’escalier me­

nant à la salle d’audience,
Richard Malka, avocat de
Charlie Hebdo, s’exprime face à
une forêt de micros juste avant
l’ouverture des débats. Un quin­
quagénaire hirsute en jogging se
faufile parmi les journalistes et
perturbe sa déclaration : « Saïd
Kouachi est vivant ! Je viens de pas­
ser dix­huit mois en prison avec lui,
regardez, j’ai le procès­verbal ! »
L’intrus est vite exfiltré en dou­
ceur par trois policiers en civil : fin
du seul incident d’une première
journée paisible, mercredi 2 sep­
tembre, au procès des attentats de
janvier 2015.
« Je pensais que ce serait beau­
coup plus bordélique », s’étonne un
magistrat du Parquet national an­
titerroriste croisé dans les couloirs
du tribunal. Ce procès est consi­
déré comme « un événement ex­
posé à un risque d’actes de terro­
risme » par la Préfecture de police
de Paris, et Charlie Hebdo a choisi
de marquer le coup d’envoi en re­
mettant à sa « une » les caricatures
de Mahomet publiées en 2006 qui
constituent, écrit l’hebdomadaire
dans son édito, « le mobile du mas­
sacre du 7 janvier ».
Mais aucun fait notable à signa­
ler mercredi, aucune manifesta­
tion, ni anti ni pro­Charlie, ni à l’in­
térieur ni aux abords d’un tribunal
transformé en forteresse par un
dispositif de sécurité dissuasif : se
rendre de la sortie du métro, où
sont postés les premiers hommes
armés, aux bancs de la salle
d’audience nécessite de franchir
cinq points de contrôle avec pré­
sentation de documents, fouille
de sac et détecteur de métaux.
Le jeune tribunal des Batignol­
les, inauguré en 2018, n’avait ja­
mais vu ça. Des centaines de gen­
darmes et de policiers quadrillent
les lieux ; le vaste parvis reste dé­
sert, encerclé de barrières Vauban
qui contraignent les passants à un
détour ; des fourgons garés en tra­
vers des rues alentour bloquent le
passage de tout véhicule non habi­
lité. Mêmes les airs sont sous sur­
veillance, sécurisés par un sys­
tème de détection des drones.
Or
Campagne d’Engagement Sociétal d’Orange
Volet Utilisation responsable des écrans,
Publicis Conseil
SOCIÉTÉ
Or
Donner la main à un enfant
Argent
Jusqu’à 500 personnes Argent
« Ça fait un an que nous réfléchis­ EthicAdvisor
WWF #NoBuildChallenge,
sons au dispositif », autrement We AreSocial Argent EX AEQUO
plus fourni que lors des récents Moonkeys
procès Merah [le frère de l’auteur
Bronze
des attaques de Toulouse et de
Montauban a été jugé en appel en Welcome Gare, Mediatransports
mars 2019], dit Jean­François Ri­ SERVICES
card, patron du Parquet national
antiterroriste, qui se félicite de l’at­ COMMERCE Or
mosphère « apaisée » des débats Predictice
auxquels il assiste de salle en salle.
Outre la « 2.02 » où ils se déroulent, Or
Argent
quatre salles retransmettent ces Kheeos Dis Joe ?!, BETC
débats, au rez­de­chaussée et au
2e étage, ce qui complique la Argent
donne sécuritaire, mais est néces­
Bronze
saire compte tenu de l’affluence Shop2Shop, Chronopost Skin Consult AI, L’Oréal France
– jusqu’à 500 personnes certains Bronze EX AEQUO
jours – et de la nécessité d’espacer Bronze SNCF Emploi site de recrutement,
les gens en raison du Covid­19. Label Emmaüs Lonsdale
Dans la 2.02 ont pris place plu­
sieurs figures de Charlie : Riss,
Coco, Laurent Léger, Sigolène Vin­
son, Patrick Pelloux, Simon Fies­ BTOB VILLE CONNECTÉE
chi, Marika Bret. Les agents char­
gés de leur protection sont là, dis­ Or Or
crets. Richard Malka ne peut pas Golem.ai Padam
sortir prendre l’air sans son garde
du corps. A l’issue de l’audience, Argent Argent
parties civiles et avocats s’éclip­ Geoservices, Upfactor
Dawex Technologie
sent par une sortie réservée qui
leur permet de ne croiser per­
sonne dans l’enceinte du tribunal. Bronze Bronze
Les accusés, eux, la quitteront Data Legal Drive Angell Bike
plus d’une heure après la fin des
débats dans une camionnette
de l’administration pénitentiaire Consultez les vidéos des gagnants sur petitweb.fr
précédée de quatre motos de gen­
darmes et de trois voitures. En
temps normal, certains sont incar­
cérés du côté de Nantes, de Lille ou
du Havre. Le temps du procès, les
dix accusés qui comparaissent dé­
tenus ont été regroupés dans les
prisons de la Santé, à Paris, et de
Fleury­Mérogis (Essonne). 
henri seckel

12 | france
Thèse plagiée :
l’université Panthéon­
Sorbonne saisit la justice
Cette affaire met en cause l’avocat Arash
Derambarsh, dont le diplôme a été annulé
A U
près la sanction discipli­
naire, le volet judiciaire.
Il y a un peu plus d’un
mois, le 21 juillet, la section disci­
plinaire de l’université Paris­I­
Panthéon­Sorbonne avait annulé
pour plagiat une thèse de droit et
retiré le diplôme de docteur à
son auteur, Arash Derambarsh.
Une décision extrêmement rare.
Mercredi 2 septembre, l’admi­
nistrateur provisoire de l’insti­
tution, Thomas Clay, a effectué
un signalement auprès du par­
quet de Paris.
Dans un courriel envoyé mer­
credi à l’ensemble de la commu­
nauté étudiante et enseignante
de l’établissement, M. Clay an­
nonce avoir « pris la décision de
donner toutes les suites que néces­
site le plagiat dont a été victime
notre université dans une thèse de
doctorat en droit, dont même la
presse s’est fait l’écho cet été ». Il
précise avoir saisi le procureur de
Paris, Rémy Heitz, « au titre de
l’article 40 du code de procédure
pénale », qui oblige les fonction­
naires à informer la justice de
tout crime ou délit dont ils
auraient eu connaissance dans le
cadre de leurs fonctions.
L’auteur de la thèse, devenu
avocat grâce à ce doctorat « passe­
relle » qui lui a donné accès à
l’école du barreau, s’est lui aussi
vu adresser une lettre « pour lui
faire défense de continuer à se pré­
valoir d’un titre dont il ne dispose
pas ». Personnalité médiatique
connue pour son engagement
contre le gaspillage alimentaire,
élu divers droite à Courbevoie
(Hauts­de­Seine), Arash Deram­
barsh conteste tout plagiat dans
ce travail universitaire soutenu le
11 décembre 2015 et intitulé « Fi­
chiers de police, un encadrement
légal et sociétal dans un environ­
nement controversé ». « A aucun
moment je ne récupère une idée de
quelqu’un d’autre, s’est­il défendu
dans Le Monde, fin juillet. Par
contre, c’est vrai, il y a un problème
de forme, les citations ne sont pas
mises au bon endroit. »
L’instance disciplinaire a
estimé, au contraire, que « depuis
son introduction (…) jusqu’à sa
conclusion (…), en passant par ses
notes, ses annexes, sa bibliogra­
phie, le manuscrit de thèse de
M. Derambarsh est quasi inté­
gralement composé d’un as­
semblage de textes, produits
dans un contexte académique ou
publiés par d’autres auteurs que
lui­même, et recopiés selon un ou
plusieurs des procédés plagiaires
visant à faire accroire au lecteur
Le grand entretien
sur l’actualité du monde
Ce samedi à 12 h 00
DIDIER PITTET
médecin-chef du service de prévention
et contrôle de l’infection
aux Hôpitaux universitaires de Genève
répond aux questions de Dominique Laresche
(TV5MONDE) et Simon Roger (Le Monde).
Diffusion sur TV5MONDE et sur Internationales.fr
que M. Derambarsh en est
l’auteur ». Si Arash Derambarsh a
annoncé qu’il faisait appel de la
décision devant le Conseil natio­
nal de l’enseignement supérieur
et de la recherche, cette démarche
n’est pas suspensive, indique­t­on
à l’université Paris­I.
« Remise aux normes »
En pleine rentrée universitaire,
l’initiative de Thomas Clay inter­
vient alors que ce professeur de
droit vient de prendre la suc­
cession, ce mercredi, de Georges
Haddad à la tête de l’établisse­
ment parisien, comme adminis­
trateur provisoire. L’ancien prési­
dent, qui a fêté ses 69 ans le
1er septembre, était atteint par la
limite d’âge, et son successeur n’a
pas pu être élu au printemps, en
raison du Covid­19. « J’ai voulu que
symboliquement, ce soit la pre­
mière mesure que je prenne,
comme le signe d’une remise aux
normes de cette université qui en
a besoin, explique M. Clay au
Monde. Il faut que cette affaire em­
blématique et inédite – la première
de ce niveau­là avec une thèse an­
nulée – soit soldée au plus vite. »
Dans cette perspective, outre
son signalement au parquet pour
des faits pouvant relever de
contrefaçon, faux, usage de faux
et subordination de témoin, Tho­
mas Clay a averti de sa démarche,
par courrier, le bâtonnier de l’or­
dre des avocats du barreau de Pa­
ris, Olivier Cousi, et la présidence
du Conseil national des barreaux.
Avec une idée en tête : que la pro­
fession tire les conséquences de
l’annulation de la thèse d’Arash
Derambarsh, en lui retirant sa
qualité d’avocat. Contacté par
Le Monde, Olivier Cousi n’a pas
répondu à nos sollicitations.
Si l’administrateur provisoire
de la Sorbonne considère l’uni­
versité comme une « victime »
dans cette affaire, il annonce éga­
lement l’ouverture d’une enquête
administrative interne « qui doit
permettre d’identifier les dysfonc­
tionnements administratifs et les
pistes d’amélioration que nous
mettrons ensuite en œuvre sans
délai ». Au cœur des interroga­
tions figurent la composition du
jury qui a validé la thèse, mais
aussi la confidentialité exception­
nelle qui lui a été accordée (pour
une durée de plus de trente ans),
ou encore l’absence de rapport
de soutenance, obligation régle­
mentaire pourtant indispensable
pour valider une thèse. 
yann bouchez
et camille stromboni
en partenariat avec
Guy Orsoni espère profiter d’une
erreur de procédure judiciaire
Les avocats de cette figure du milieu corse contestent la validité
de sa mise en examen dans une affaire criminelle de 2018
ne figure du crime or­
ganisé corse va­t­elle
bénéficier d’un nou­
veau miracle ? En
2015, l’acquittement de Guy Or­
soni, qui avait été jugé pour une
tentative d’assassinat et deux as­
sassinats, avait été validé par la
Cour de cassation à la suite d’une
erreur de procédure du parquet
général d’Aix­en­Provence (Bou­
ches­du­Rhône). Ce fils d’un chef
nationaliste historique et figure
du milieu insulaire pourrait à
nouveau se soustraire à des pour­
suites criminelles pour une ques­
tion de droit.
Lundi 7 septembre, la chambre
de l’instruction de la cour d’appel
d’Aix­en­Provence doit examiner
la requête en nullité déposée par
la défense de Guy Orsoni visant à
faire annuler sa mise en examen,
le 25 octobre 2018, pour une tenta­
tive d’assassinat en bande organi­
sée. Les avocats de son complice,
Anto Moretti, se sont joints à la
requête. Les conseils de ces deux
hommes estiment que la juge
d’instruction, Anaïs Trubuilt,
attachée à la juridiction interré­
gionale spécialisée en matière de
lutte contre le crime organisé, à
Marseille, a mis en examen leurs
clients sans en avoir le droit, faute
d’être alors autorisée à étendre
son enquête aux faits de « crime
en bande organisée ».
L’argument n’est pas de pure
forme. Il s’agira, d’ailleurs, de la
troisième audience sur ce dos­
sier depuis le 6 janvier devant la
Un an après, le bilan mitigé du Grenelle
contre les violences conjugales
Les associations déplorent des moyens insuffisants, notamment pour l’accompagnement
social des victimes. Elles demandent de nouvelles places d’hébergement temporaire
T out juste un an après le
lancement, en grande
pompe, du Grenelle con­
tre les violences conjugales, la
nouvelle ministre en charge de
l’égalité entre les femmes et les
hommes, Elisabeth Moreno, de­
vait consacrer sa journée du jeudi
3 septembre, à cette thématique.
Au menu : rencontres avec les re­
présentants des onze groupes de
travail mis en place lors du Gre­
nelle et avec plusieurs personna­
lités du monde associatif, réu­
nion de travail avec sa prédéces­
seure Marlène Schiappa et dépla­
cement sur le terrain.
La séquence est une manière de
montrer que la lutte contre les
violences conjugales, qui concer­
nent plus de 220 000 femmes
chaque année, demeure un sujet
de préoccupation du gouverne­
ment. Des réunions seront désor­
mais organisées toutes les six se­
maines avec les groupes de travail
pour « évaluer le déploiement des
mesures annoncées lors du Gre­
nelle mais aussi faire de nouvelles
propositions », indique le cabinet
du ministère.
En juillet 2019, c’est après plu­
sieurs mobilisations massives
contre les féminicides que le lan­
cement d’un Grenelle avait été
annoncé. La secrétaire d’Etat Mar­
lène Schiappa avait alors défendu
la mise en œuvre d’une « action
coordonnée » pour lutter contre le
fléau des violences conjugales.
A l’issue des trois mois de concer­
tation ayant réuni la plupart des
acteurs impliqués, une quaran­
taine de mesures avaient été pré­
Il s’agira de
la troisième
audience sur ce
dossier depuis le
6 janvier devant
la cour d’appel
d’Aix-en-Provence
chambre de l’instruction de la
cour d’appel d’Aix­en­Provence.
Celle­ci a rouvert le débat sur
le fond et, chose rarissime, a fait
recueillir les explications de la
juge d’instruction. L’institution
judiciaire craint désormais un
nouveau camouflet et un effet
déflagrateur au sein de la popu­
lation corse, qui attend beau­
coup du travail de la justice face
à la mainmise des voyous sur
son territoire.
« Riposte »
Tout a débuté en 2018. Les poli­
ciers traquent alors Guy Orsoni et
Anto Moretti dans une enquête
ouverte, en mai, pour trafic de
stupéfiants et extorsions de fonds
à l’encontre d’une entreprise du
Sartenais, dans le sud de l’île,
spécialisée dans le traitement des
déchets. Mais, mi­septembre, un
événement bouleverse à la fois
les investigations des policiers et
les activités de Guy Orsoni. Ce
dernier est victime d’une ten­
tative d’assassinat à bord de sa
sentées le 25 novembre par le pre­
mier ministre, Edouard Philippe.
Parmi elles, la mise en place d’une
grille d’évaluation du danger
commune à l’ensemble des pro­
fessionnels amenés à être au
contact des victimes, la recon­
naissance du phénomène d’em­
prise au cœur des violences
psychologiques, la création de
80 postes supplémentaires d’in­
tervenants sociaux dans les com­
missariats et les gendarmeries…
Bracelets antirapprochement
A l’époque, les associations, bras
armé des politiques publiques de
lutte contre les violences, avaient
réservé un accueil mitigé à ces an­
nonces, soulignant la faiblesse
des moyens engagés. Un rapport
sénatorial publié cet été relève
d’ailleurs le morcellement des
crédits alloués aux politiques de
lutte contre les violences faites
aux femmes, à la croisée de plu­
sieurs politiques publiques, et ap­
pelle à davantage de clarté.
« Il y a un décalage très fort entre
le consensus politique qui entoure
le sujet, son ampleur, la mobilisa­
tion citoyenne qu’il a suscité, et
les réponses apportées par le Gre­
nelle », critique Caroline De Haas,
du collectif féministe Nous tou­
tes, pour qui « en l’absence d’une
politique de prévention, véritable
angle mort du Grenelle, et sans la
puissance de l’Etat et sa capacité à
mettre en mouvement les admi­
nistrations, rien ne bougera ».
Un an plus tard, « 37 % des
46 mesures ont été réalisées, la
moitié sont bien avancées mais
voiture par deux hommes à moto,
au cœur d’Ajaccio.
Blessé, Guy Orsoni reste
plusieurs jours à l’hôpital. Mais, à
sa sortie, les policiers chargés de
l’enquête ouverte en mai cons­
tatent un net changement dans
son comportement. Ils sollicitent
même, le 11 octobre, auprès de
la juge d’instruction, la sonorisa­
tion de la voiture utilisée par les
deux suspects, car ils craignent,
disent­ils, « une riposte ».
Huit jours plus tard, le 19 octo­
bre, ils arrêtent Guy Orsoni et
Anto Moretti, fortement armés,
sur une moto, à Ajaccio, aux
abords du domicile d’un poids
lourd du banditisme insulaire,
Pascal Porri, pilier de la bande du
Petit Bar. Dans la foulée, le 25 oc­
tobre, ils sont mis en examen
pour « association de malfaiteurs
en vue de commettre un crime ».
Leurs avocats estiment que la
juge ne pouvait pas les mettre en
examen pour ce chef d’accusation
car elle ne disposait pas, à ce stade,
du réquisitoire supplétif délivré
par le parquet visant précisément
les faits de crime. Dans sa requête,
la défense indique que la magis­
trate « n’était pas valablement sai­
sie » puisqu’elle ne mentionne pas
l’existence du réquisitoire supplé­
tif dans les mises en examen de
Guy Orsoni et d’Anto Moretti.
La juge et le parquet assurent,
pour leur part, que ce document
existait mais qu’il n’avait pas
encore été versé au dossier pour
des raisons purement techniques.
« Il y a un
décalage entre
le consensus qui
entoure le sujet
et les réponses
apportées
par le Grenelle »
CAROLINE DE HAAS
collectif Nous toutes
pas encore en vigueur, et 13 % sont
en construction », défend le cabi­
net de Mme Moreno. Sur les dix
mesures prioritaires énoncées
par le chef du gouvernement, « six
ont été réalisées, quatre sont en
cours d’élaboration, pour certai­
nes imminentes », précise­t­on.
C’est notamment le cas du
déploiement progressif de
1 000 bracelets antirapproche­
ment, prévu courant septembre,
une fois rendu un avis du Conseil
d’Etat sur le décret prévoyant
leur mise en circulation. L’entrée
en vigueur de ce dispositif, des­
tiné à éloigner les conjoints et ex­
conjoints violents, figure dans
une proposition de loi défendue
par la droite. Adopté dans la fou­
lée du Grenelle, le texte inscrit
dans la loi plusieurs des ré­
flexions ayant émergé alors,
comme le renforcement des or­
donnances de protection et l’élar­
gissement des conditions d’accès
aux téléphones grave danger, at­
tribués à certaines victimes de
violences conjugales.
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Daté du 17 octobre, soit deux jours
avant les arrestations, le réquisi­
toire supplétif ne sera accessible
aux avocats que bien après le
25 octobre.
Les avocats ne disent pas qu’il
s’agit d’un faux. D’ailleurs, il
existe une autre pièce, rédigée par
les policiers, qui accusent récep­
tion d’une « saisie supplétive » par
la juge pour les faits de crime.
Mais le souci, rétorquent les
avocats dans leur requête, c’est
que, si les policiers sont régulière­
ment saisis par la juge d’instruc­
tion, cette dernière, au même
moment, ne l’était pas par le par­
quet. De quoi faire annuler l’inté­
gralité de l’enquête visant la tenta­
tive d’assassinat de Pascal Porri et
éviter des années de prison.
Si la chambre d’instruction
valide la procédure, les avocats
ont déjà promis de s’adresser à la
chambre criminelle de la Cour de
cassation. L’annulation des mises
en examen ne signifierait pas
pour autant la remise en li­
berté immédiate des deux hom­
mes. Guy Orsoni et Anto Moretti
restent incarcérés, depuis la fin
décembre 2019, pour, notam­
ment, « assassinat en bande orga­
nisée », après la mort, le
23 août 2018, de Jean Livrelli, un
retraité tué par erreur à la place
d’un autre homme. Contacté par
Le Monde, Martin Reynaud, l’un
des avocats de Guy Orsoni, à l’ori­
gine de la requête en nullité, s’est
refusé à tout commentaire. 
jacques follorou
Une autre proposition de loi, si­
gnée cette fois La République en
marche et adoptée au cours de
l’été, prévoit la possibilité de déro­
ger au secret médical en cas de
danger immédiat dans les situa­
tions de violences conjugales et
acte la reconnaissance du suicide
forcé comme circonstance aggra­
vante à l’infraction qui réprime le
harcèlement moral par conjoint.
« Les mesures législatives, qui sont
les moins coûteuses, ont été réali­
sées mais, en revanche, celles qui
nécessitent des moyens, comme
l’accompagnement social des vic­
times de violences, ou la création
de places d’hébergement, sont
toujours attendues », déplore An­
ne­Cécile Mailfert, présidente de
la Fondation des femmes.
Alors que 1 000 nouvelles places
d’hébergement et de logement
temporaires avaient été promises
en 2020, la Fédération nationale
solidarité femmes (FNSF), qui
avait demandé le financement
d’environ 500 nouvelles places,
n’a pu en ouvrir que 155 dans son
réseau cette année. « Je n’ai pas de
vision nationale mais pour nous
c’est insuffisant », admet Fran­
çoise Brié, directrice générale de la
FNSF. Selon le ministère, 370 pla­
ces d’hébergement d’urgence et
630 en allocation de logement
temporaire ont bien été financées
cette année. Un bilan détaillé et de
nouvelles annonces pourraient
avoir lieu le 25 novembre, à l’occa­
sion de la Journée internationale
pour l’élimination des violences
à l’égard des femmes. 
solène cordier
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 sports | 13

A Brive, comme ailleurs, le rugby Tour de France: un bidon

fatal pour Alaphilippe
attend le retour du public Le Français a perdu son maillot jaune,
mercredi, après avoir écopé d’une pénalité
Le championnat reprend vendredi, dans un contexte sanitaire strict
brive­la­gaillarde (corrèze) ­ ministre. Avec l’intention de solli­ teur à l’origine des Aféciouna, privas ­ envoyés spéciaux Lui­même ancien coureur de la
envoyé spécial
Le CA Brive citer l’aide de l’Etat pour traverser groupe de socios brivistes. formation belge, Pineau tente

D
ans le « monde d’a­
près », les enfants
continuent de ren­
voyer les ballons de
bloque pour
l’instant à 4 500
le nombre de ses
cette période difficile, notam­
ment par le biais d’une exonéra­
tion de cotisations sociales.
Contre le Racing, toutes les loges
de la tribune Europe se trouvaient
En fin de partie, autre nou­
veauté au bord du terrain : micros
tendus tant bien que mal, les inter­
views doivent en principe se faire à
trois mètres des joueurs, censés
U n bidon et tout (ou pres­
que) vous abandonne !
Leader de la 107e édition
du Tour de France, après son coup
de force dans le final de la
une explication : « Peut­être qu’on
a cru comprendre que ce serait plu­
tôt à 15 km aujourd’hui, ce qui ar­
rive parfois quand il fait très
chaud. L’erreur est humaine, et ça
rugby aux joueurs quand l’objet
abonnés, contre closes. Sauf une, d’ordinaire réser­ rester dans une bulle sanitaire. « Le deuxième étape, dimanche à peut arriver même aux meilleures
ovale s’échappe du terrain. Et les 7 500 en temps vée à une banque, et ouverte pour fait d’éviter la contamination reste Nice, le Français Julian Alaphi­ équipes, même si perdre le plus
buvettes vendent toujours bières les besoins de l’interview. Cas­ une petite victoire chaque semaine, lippe a perdu « son » maillot beau des maillots du monde
et sandwichs… mais à condition de
normal quette à la main, Simon Gillham ça nous permet de bien travailler jaune, mercredi 2 septembre. Non comme ça doit être rageant. »
se déplacer à une seule personne arrivait ce jour­là de Paris. Au mo­ collectivement », apprécie Thomas pas à la pédale, battu par plus fort Tom Steels, directeur sportif de
par groupe assis en tribune, puis ment de gravir les marches, il a Laranjeira, trois­quarts de Brive. que lui, mais par le truchement la Deceuninck­Quick Step, a re­
de suivre les flèches indiquant dé­ masser autour de la pelouse plusieurs fois marqué l’arrêt. Tan­ Le demi de mêlée du Racingn, d’un bidon, au terme de la cin­ connu « une erreur » : « On savait
sormais le sens de circulation. d’Amédée­Domenech. A l’entrée, tôt pour demander à un specta­ Teddy Iribaren, se déclare d’ores quième étape reliant Gap à Privas. qu’il y avait la règle des 20 km.
Vendredi 28 août, le Club athlé­ près de la stèle des « joueurs tom­ teur s’il avait bien un masque, et déjà « sceptique sur la saison » : Rien. Il ne s’était rien passé jus­ Mais les circonstances étaient par­
tique de Brive (CAB) retrouvait en­ bés pour la France », pas de gui­ tantôt pour en saluer un autre. « On se demande toujours si on qu’à la démonstration de force ticulières. C’est le seul endroit que
fin son Stadium post­confine­ chet, ni de tourniquet. Pour l’occa­ pourra jouer ou non, si on pourra au sprint de Wout Van Aert (Jum­ nous avons trouvé pour donner un
ment. Un match amical perdu sion, un agent de sécurité distri­ Consignes sanitaires en boucle s’entraîner, ça met nos nerfs à bo­Visma), au nez et au masque bidon. Nous avons raté la marque
contre l’armada francilienne du bue du gel hydroalcoolique. A la sono du stade, même prin­ rude épreuve ». Après match, re­ des spécialistes de l’exercice, gê­ des 20 kilomètres ».
Racing 92 devant moins de Pour l’heure, Simon Gillham se cipe de précaution. Des consignes tour fissa au bus : « Normale­ nés par une arrivée technique.
5 000 personnes, jauge maxi­ dit incapable de chiffrer avec répétées en boucle dès avant le ment, ce qui fait le charme, En 183 km, pas un coureur n’était « Tout le monde le sait »
male autorisée : 4 500 abonnés, exactitude le manque à gagner match : invitation à « user et abu­ c’est aussi de pouvoir s’arrêter un sorti du rang, faisant de cette « Si personne n’a prévenu les cou­
ainsi que 300 autres témoins (en­ d’un stade à jauge limitée. L’« en­ ser du gel hydroalcoolique », obli­ peu avec les supporteurs », étape de transition l’une des plus reurs qu’on pouvait ravi­
cadrement des deux clubs, per­ jeu économique » apparaît évi­ gation de porter le masque à par­ commence à regretter Yannick calmes et ennuyeuses de ces der­ tailler après les 20 derniers kilo­
sonnel de sécurité, journalistes…). dent pour le douzième budget tir de l’âge de 11 ans et distancia­ Nyanga, directeur sportif du Ra­ nières années. mètres alors, c’est que c’est inter­
Depuis, le CAB a déjà obtenu prévisionnel du Top 14 lors de la tion recommandée (bien que par­ cing et lui­même ancien joueur. Seules les minutes post­ligne dit. Tout le monde le sait. Mais vi­
une première victoire. Ou plutôt, saison précédente (16,8 millions fois difficile à respecter, dans la Mercredi 2 septembre, cinq d’arrivée ont provoqué stupeur et siblement quelqu’un chez nous ne
une première dérogation préfec­ d’euros). Tout comme pour le pratique). Sur le grand écran du jours après le déplacement à tremblements. Sur tapis vert, le le savait pas », a déclaré au jour­
torale. Dimanche 6 septembre, « département, les restaurateurs, stade, un message insistant : « On Brive, le Racing a annoncé avoir maillot jaune a changé d’épaules. nal Le Parisien Patrick Lefevere, le
contre Bayonne, le club pourra les hôtels », poursuit­il. compte sur vous », est­il écrit en­ décelé un cas de Covid parmi son Pour s’être emparé d’un bidon manageur de l’équipe (qui n’est
jouer son premier match de la sai­ Là où les clubs professionnels tre les étapes du « guide sanitaire » groupe professionnel. Sans dévoi­ tendu par un membre du staff de pas présent sur le Tour). En l’oc­
son en championnat de France de football dépendent en très à destination du public. ler l’identité de la personne con­ sa formation, l’équipe belge De­ currence, pour plusieurs sui­
devant 9 000 spectateurs. Du grande partie des droits de re­ A l’échelle du Covid­19, le dépar­ cernée. A moins de compter en­ ceuninck­Quick Step, dans les veurs, il s’agissait de… Franck
moins, si le match se joue. transmissions télévisuels, ceux tement se trouve pour l’instant core deux contaminations, les ra­ 20 derniers kilomètres de la Alaphilippe, le cousin et entraî­
de rugby demeurent tributaires en zone verte, parmi ceux où le vi­ cingmen pourront bien disputer course, Julian Alaphilippe, qui neur de Julian. Ce que l’équipe el­
Un enjeu économique des recettes engrangées les jours rus fait le moins de dégâts. Malgré leur match à Lyon, samedi. pensait avoir passé une journée le­même n’a pas confirmé.
« Il faut rester vigilant, tout peut de match (12 % du budget des l’augmentation provisoire de la A l’inverse, les Parisiens du tranquille, a récolté une pénalité Mercredi soir, le nouveau lea­
changer du jour au lendemain », clubs de Top 14 et de Pro D2, selon jauge maximale de spectateurs, le Stade français ont acquis le report de vingt secondes et d’un rappel der du classement général se
rappelle Simon Gillham, le prési­ le rapport de leur direction natio­ CAB préfère pour l’instant blo­ de leur rencontre contre l’Union au règlement : tout ravitaille­ nommait donc Yates, prénom
dent. Pour tous les clubs, c’est la nale d’aide et de contrôle de ges­ quer à 4 500 le nombre de ses Bordeaux­Bègles, qui aurait dû se ment, solide ou liquide, est inter­ Adam. Le Britannique de l’équipe
même expectative. La même né­ tion pour l’exercice 2018­2019) et abonnés – contre 7 500 en temps dérouler vendredi en ouverture dit à ce moment de la course. Mitchelton­Scott a profité de
cessité, au cas par cas, et toujours de leurs partenariats (49 % du normal – et vendre les places res­ du Top 14. En théorie, le Stade l’aubaine sans montrer un en­
sous réserve de la situation sani­ budget en moyenne). tantes à l’unité. Mesure de pré­ français se déplacera à Brive pour « Erreur » difficile à comprendre thousiasme débordant quant à la
taire : parvenir à convaincre sa pré­ Mardi 1er septembre, à Paris, des caution, en cas de passage à la le compte de la 23e journée du Incrédule, le coureur de l’équipe manière. Déjà douché, il s’apprê­
fecture d’accueillir plus de monde représentants du rugby profes­ zone rouge. « Soyons déjà heureux championnat, au mois de belge semblait désorienté et rési­ tait à rejoindre son hôtel lors­
au stade. En temps normal, plus sionnel français ont exposé leur d’être là », glissait avant le match, mai 2021. En théorie…  gné en attendant la confirmation qu’on l’a rapatrié illico vers la cé­
de 14 000 personnes peuvent se situation au cabinet du premier et avant la pluie, Loïc Rol, suppor­ adrien pécout de la mauvaise nouvelle. « Appa­ rémonie protocolaire. Le temps
remment, j’ai eu un ravitaillement de croiser le déchu du jour : « Ju­
dans une zone non autorisée, donc lian m’a dit qu’il avait pris un bi­
La fédération enregistre un nouveau déficit d’exploitation je prends vingt secondes, et c’est
[Adam] Yates le maillot jaune, a­
don. Ce n’est pas la façon dont on
a envie de s’emparer du maillot
t­il lâché au micro de France TV. jaune. Tu veux le faire toi­même, à
bataille de chiffres en perspective. La correspondent les pertes dues à la crise sa­ Outre l’augmentation de la masse sala­ Je n’ai pas eu conscience de faire l’aide de tes jambes. »
Fédération française de rugby (FFR) doit nitaire, que le trésorier estime à environ riale à la fédération, l’opposition reproche une faute. Si c’est comme ça, pas Justement sanctionné – il est
présenter en comité directeur, vendredi 2,5 millions d’euros ? Certes, le Covid­19 a surtout la gestion de divers contentieux. de souci, demain je vais me relever loin d’être le premier à faire les
4 septembre, son bilan financier pour la entraîné le report à octobre du match Fran­ Par exemple, ceux liés au projet inter­ et on n’en parle plus. » frais de ce règlement, et deux
saison écoulée. D’après le document que ce­Irlande, qui devait conclure le Tournoi rompu de « grand stade » en Essonne. Il y a On risque de lui en reparler, car autres coureurs ont été punis
Le Monde s’est procuré, la fédération enre­ des six nations en mars. Pour autant, la fé­ deux mois, Le Monde révélait la condam­ l’erreur de la Quick Step, une for­ mercredi –, Julian Alaphilippe
gistre de nouveau un déficit d’exploitation : dération a bénéficié d’un accompagnement nation de la FFR par le tribunal administra­ mation parmi les plus expéri­ quitte ses habits de lumière pour
3,46 millions d’euros au terme de l’exercice de l’Etat, à travers la mise au chômage par­ tif de Versailles à 3,3 millions d’euros pour mentées du peloton, interroge. retrouver sa tunique de chas­
2019­2020, sur un budget de fonctionne­ tiel, « près de 150 salariés », recense­t­elle. rupture unilatérale d’un accord conclu par Manageur général de l’équipe seur de victoires d’étape. Alors
ment de 98,6 millions. Il s’agit de la troi­ la précédente direction fédérale avec des B & B Hotels­Vital Concept, Jé­ qu’il a claironné à qui voulait
sième perte d’exploitation consécutive Une « fuite en avant vidant les caisses » collectivités locales. Un litige pour lequel rôme Pineau s’étonne : « C’est in­ l’entendre qu’il ne désirait pas
(6,8 millions il y a deux ans, 1,5 million il y a Dans un mois, date de la prochaine élec­ l’entourage de M. Laporte n’avait provi­ croyable qu’une équipe très bien jouer le classement général du
un an). Contactée, la FFR a laissé pour le mo­ tion fédérale, le président, Bernard La­ sionné que 2,5 millions… alors que, par organisée, ultraprofessionnelle, Tour cette année, le Français sera
ment nos questions en suspens. Comment, porte, tentera d’obtenir un nouveau man­ ailleurs, dans le cadre d’une audience à ve­ fasse ce genre d’erreur. On sait tous peut­être soulagé de ne plus
malgré ce déficit d’exploitation, parvient­ dat de quatre ans. Son concurrent, Florian nir, le groupement Ibelys, ex­constructeur que dans les 20 derniers kilomè­ porter ce « fardeau ». Un bidon
elle à afficher un résultat net positif de Grill, dirigeant de la Ligue Ile­de­France, choisi pour le projet, réclame toujours tres, tout ravitaillement est inter­ comme un acte manqué. 
410 749 euros au terme de cette même sai­ dénonce « un grand chelem déficitaire » et 16 millions d’euros de compensation.  dit. Et là, placer un homme à 17 km anthony hernandez
son 2019­2020 ? Et à quels éléments précis une « fuite en avant vidant les caisses ». a. pt de l’arrivée, c’est étrange… » et clément martel

10 - 13 sept. 2020 | Grand Palais

 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
Covid­19 : séisme économique dans les musées
Affectés par la crise sanitaire, 30 % des établissements américains ont dû réduire leurs effectifs
P
resque tous les musées
du monde ont désormais
rouvert après le confine­
ment, mais tous sont
confrontés à la difficulté de faire
revenir le public », affirme Alberto
Garlandini, président du conseil
international des musées (ICOM),
qui regroupe plus de 20 000 éta­
blissements dans 137 pays. « Avec
la distanciation sociale et la réor­
ganisation des parcours au sein
des collections ou des expositions,
les musées ne peuvent recevoir au
mieux que la moitié de la jauge ha­
bituelle de visiteurs, mais, le plus
souvent, ils n’en accueillent qu’un
tiers », précise­t­il. Faute de public,
le coût de réouverture des établis­
sements n’est donc plus couvert
par la fréquentation, ajoute­t­il.
Les réouvertures du Musée d’art
moderne (MoMA) de New York,
du Musée d’histoire naturelle de
Londres, du Louvre à Paris, et de la
Gallerie dell’Accademia de Venise
ont cependant remonté le moral
de leurs directeurs et de leurs con­
servateurs. Les premiers visiteurs
masqués étaient, eux, trop heu­
reux de pouvoir enfin déambuler
tranquillement parmi les collec­
tions, sans être gênés par les hor­
des de touristes. Les plus âgés ont
même eu l’impression de retour­
ner avec bonheur cinquante ans
en arrière, quand de rares esthè­
tes fréquentaient les musées. Et
quand ces institutions culturelles
n’étaient pas encore devenues
une case à cocher pour parfaire le
programme obligé des touristes.
Malgré ce timide retour du pu­
blic, la pandémie de Covid­19 – qui
a obligé les institutions à plusieurs
mois de fermeture – a provoqué
un véritable séisme économique
dans les musées. Les dégâts, en
termes d’emplois, devraient être
considérables. « Même si tous les
pays ne sont pas touchés de la
même manière », souligne M. Gar­
landini. Selon une étude de
l’ICOM, réalisée en mai auprès de
1 600 interlocuteurs, presque tous
les musées du monde (82,6 %) s’at­
tendaient à ralentir leurs activités
après le confinement. Près d’un
tiers (29,8 %) pensaient réduire
leur personnel et 12,8 % redou­
taient d’être contraints de mettre
la clé sous la porte.
« Les fermetures toucheront par­
ticulièrement les régions où les mu­
sées sont récents et peu nombreux,
et où les structures sont encore fra­
giles : dans les pays africains, asiati­
ques et arabes », affirmait l’étude.
Les auteurs assurent qu’aux Etats­
Unis, les réductions d’effectifs
sont les plus engagées : les vagues
de licenciements se succèdent et
des centaines de salariés sont re­
merciées chaque semaine.
Le long déclin d’ITV, première chaîne de télévision privée britannique
La grande rivale de BBC 1 sort de l’indice boursier FTSE 100, après que ses recettes publicitaires se sont évaporées du fait de la pandémie
londres ­ correspondance
D eux symboles boursiers
sont venus résumer le
lent affaiblissement d’ITV,
la première chaîne de télévision
privée du Royaume­Uni, mercredi
2 septembre. Premier symbole : la
valorisation boursière d’Apple
(2 300 milliards de dollars, soit en­
viron 1 700 milliards de livres ster­
ling ou 1 940 milliards d’euros) dé­
passe celle de l’intégralité du
FTSE 100 (1 500 milliards de li­
vres), l’indice­phare de la Bourse
de Londres. En clair, la seule entre­
prise américaine vaut plus que les
cent premières sociétés cotées
outre­Manche.
Deuxième symbole : FTSE Rus­
sell, qui gère la cote britannique, a
Au
Metropolitan
Museum
of Art de
New York,
le 29 août.
KENA BETANCUR/
AFP
Quelle que soit leur taille, ces
musées redoutent une diminu­
tion des fonds privés, leur seul
moyen de financement. Malgré
une spectaculaire rénovation et
l’agrandissement des bâtiments,
le patron du MoMA, Glenn Lowry,
a dû se résoudre à se séparer de
17 % de ses salariés. De la même
façon, le Metropolitan Museum
of Art (MET), la vénérable institu­
tion new­yorkaise de la Ve Ave­
nue, bien qu’adossée à un fonds
de dotation exceptionnel de
3,6 milliards de dollars (3 mil­
liards d’euros), a réduit, en deux
temps, sa masse salariale de 20 %.
La liste est longue : le Musée des
beaux­arts de Boston a remercié
près de la moitié de ses équipes,
sur un total de 750 salariés. Le
New Museum of Contemporary
Art de New York a congédié un
tiers de son personnel, tandis
que son alter ego du Massachu­
setts a arrêté les contrats de 72 %
de ses équipes… Les musées d’art
moderne de San Francisco, de
Cleveland (Ohio) ou de Pitts­
burgh (Pennsylvanie) n’ont pas
échappé à ces brutales coupes
dans les personnels.
annoncé qu’ITV allait sortir du
FTSE 100. Le groupe télévisuel a
perdu 60 % en Bourse en 2020 et
sa valorisation, à 2,4 milliards de
livres, n’est plus assez élevée pour
qu’il y demeure. Voilà qui résume
comment les nouvelles technolo­
gies ont taillé des croupières à la
télévision « à l’ancienne » pen­
dant le confinement. La pandé­
mie de Covid­19 aurait pu être
une bonne nouvelle pour les chaî­
nes de télévision. Les Britanni­
ques, en effet, ont passé beaucoup
de temps devant leurs écrans : de
cinq heures par jour avant le con­
finement à six heures et demie.
Cependant, l’essentiel de ce
temps supplémentaire s’est ré­
parti entre les informations, qui
sont dominées par la BBC, et les
« Plus de 30 % des musées améri­
cains ont dû tailler dans leurs effec­
tifs », déplore Alberto Garlandini.
Ce que confirment les perspecti­
ves sombres tracées par la prési­
dente de l’American Alliance of
Museums, Laura Lott. En mai, elle
estimait déjà la perte de chiffre
d’affaires de ses 35 000 membres à
33 millions de dollars par jour de
fermeture. Et redoutait la dispari­
tion d’un tiers des musées améri­
cains. Le Musée d’art contempo­
rain d’Indianapolis (Indiana) a été
le premier à tomber et a définiti­
vement tiré le rideau le 3 avril,
après dix­neuf ans d’activité.
L’Europe pas épargnée
Une poignée de musées améri­
cains, comme les new­yorkais
Brooklyn Museum et Queens
Museum of Art, ou le californien
San Francisco Museum of Mo­
dern Art ont pu bénéficier des
aides financières du Paycheck
Protection Program (PPP), tandis
que la loi Coronavirus Aid, Relief,
and Economic Security (CARES
Act) a débloqué, en juin, des aides
destinées spécifiquement aux or­
ganisations culturelles. Pas sûr
nouveaux concurrents Internet
(YouTube, Netflix, Amazon Pri­
me, Disney+…). ITV, une chaîne
populaire dont le succès vient de
ses émissions de télé­réalité et de
ses soap operas, n’a pratiquement
pas attiré de nouveaux téléspec­
tateurs. Au plus fort du confine­
ment, l’Audimat de sa principale
chaîne, ITV 1, était de 14,5 %, con­
tre 17 % en 2019.
Ses deux principales sources de
revenus ont quasiment disparu
du jour au lendemain. Les recet­
tes publicitaires, qui comptent
pour la moitié de son chiffre d’af­
faires, ont chuté de 42 % au
deuxième trimestre. Pas question
pour les grandes marques de se
lancer dans des campagnes pro­
motionnelles, alors que les Bri­
que cela suffise… Certains musées
américains – dont les œuvres ne
sont pas inaliénables – pourraient
être contraints de céder une par­
tie de leurs trésors.
Les établissements européens
ne sont pas épargnés. « La fragilité
des musées tient à leur mode de fi­
nancement et, paradoxalement,
ceux qui sont indépendants finan­
cièrement souffriront le plus, souli­
gne Alberto Garlandini. Au moins,
dans les musées financés par des
fonds publics, les salaires sont
payés, même si l’activité est très ré­
duite. » Et même si les déficits peu­
vent sembler abyssaux. Selon la
dernière étude Nemo, une asso­
ciation regroupant 30 000 mu­
sées européens, réalisée fin avril,
les grosses institutions comme le
Rijksmuseum Amsterdam, le Mu­
sée d’histoire de l’art de Vienne
ou le Stedelijk Museum Amster­
dam perdaient entre 100 000 et
600 000 euros par semaine de
confinement. La direction du Lou­
vre estime à 40 millions d’euros le
manque à gagner pendant la pé­
riode de confinement.
La chute de revenus peut attein­
dre aujourd’hui jusqu’à 75 % ou
tanniques étaient confinés chez
eux et ne pouvaient pas se rendre
dans les magasins. Sur l’ensemble
de 2020, les recettes publicitaires
devraient reculer de 15 % à 25 %,
selon les prévisions d’Enders
Analysis, une société de recher­
che en audiovisuel.
Concurrence d’Internet
L’autre source de revenus vient
des studios de tournage. Mais, là
encore, il a fallu les mettre au chô­
mage technique, pour cause de
confinement. Aujourd’hui en­
core, les impératifs de distancia­
tion sociale rendent tout travail
difficile. Dans le principal soap
opera d’ITV, Coronation Street,
lancé en 1960 et encore regardé
chaque jour par 6 millions à
« Les
établissements
indépendants
financièrement
souffriront
le plus »
ALBERTO GARLANDINI
président du conseil
international des musées
80 %, en raison de l’arrêt complet
du tourisme. Et les musées privés,
qui tirent la plupart de leurs reve­
nus de la billetterie, souffrent
tout particulièrement.
En Grande­Bretagne, la crise
due au Covid s’ajoute au Brexit.
Redoutant un effondrement de la
fréquentation, les musées Tate
(Tate Modern, Tate Britain, Tate St
Ives…) viennent d’annoncer la
suppression de 300 emplois dans
leurs magasins et leurs cafés, tan­
dis que les Palais royaux histori­
ques, qui gèrent notamment la
tour de Londres, ont lancé un
plan de départs volontaires qui
7 millions de téléspectateurs, les
personnages restent étrange­
ment éloignés les uns des autres,
tandis que les acteurs les plus
âgés sont restés chez eux.
Quant au report de l’Euro de
football, prévu à l’origine cet été et
que la chaîne devait retransmet­
tre, il a enfoncé un peu plus les re­
cettes du groupe. Au total, le chif­
fre d’affaires d’ITV au premier se­
mestre a plongé de 17 %, à 1,4 mil­
liard de livres.
Au­delà du soudain choc du Co­
vid­19, ITV connaît un déclin plus
lent, mais plus inquiétant. A
l’heure de la concurrence d’Inter­
net, le groupe peine à attirer avec
son service de visionnage en li­
gne. Sans s’effondrer, son Audi­
mat stagne depuis une décennie
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
n’épargnera pas les Beefeaters
aux uniformes rouges.
Ces suppressions de postes con­
cernent essentiellement des con­
trats à durée déterminée et des in­
térimaires. « C’est une catastro­
phe, s’il s’agit, par exemple, des ser­
vices liés à l’éducation et à la
découverte de l’art pour les en­
fants », regrette Alberto Garlan­
dini. La situation des sous­trai­
tants des musées semble parti­
culièrement alarmante, selon
l’étude de l’ICOM : dans le monde,
22,6 % d’entre eux n’ont pas vu
leur contrat renouvelé.
La crise liée à la pandémie affec­
tera directement le fonctionne­
ment des musées. « La bonne
chose, ce sera sans doute le déve­
loppement d’un réseau plus fort de
coopération scientifique entre les
musées du monde entier », espère
Alberto Garlandini. Faute de sub­
sides, les musées devront réduire
leurs ambitions quant au nombre
d’expositions à venir. « L’obliga­
tion de se recentrer sur ses propres
collections n’est pas un mal », assu­
re­t­il en prévoyant « moins de
blockbusters à l’avenir ». 
nicole vulser
et les jeunes générations regar­
dent moins la chaîne.
Contrairement à TF1 en France,
ITV (« Independent Television », à
sa création, en 1955) n’a jamais été
la première chaîne de télévision
du pays. BBC 1, sa grande rivale,
qui ne diffuse pas de publicité, a
presque toujours réussi à la de­
vancer. Ce n’est pas la première
fois que le groupe audiovisuel sort
du FTSE 100. L’épisode précédent
a eu lieu en 2008, lors de la crise fi­
nancière. La chute publicitaire, ac­
compagnée d’une série d’audien­
ces décevantes, avait fait plonger
la chaîne. Depuis, celle­ci s’était re­
dressée, mais la concurrence en li­
gne était moins virulente. Cette
fois­ci, le rebond sera difficile. 
éric albert
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Paris pourrait
soutenir un
projet gazier
dans l’Arctique
Arctic LNG, validé par le russe Novatek
et Total fin 2019, devrait coûter un peu
plus de 17 milliards d’euros
E
n pleine présentation de
son plan de relance, et
tandis qu’elle s’efforce de
« verdir » son économie,
la France va­t­elle apporter son
soutien à un projet gazier de
grande ampleur dans l’Arctique
russe ? Le gouvernement se fait
discret sur ce sujet épineux, et as­
sure que la décision formelle n’est
pas encore prise. Toutefois, les en­
jeux sont importants.
Arctic LNG est porté par le
groupe russe Novatek et le fran­
çais Total, qui participe au projet à
hauteur de 21 %. L’idée est de re­
produire ce que les deux partenai­
res ont déjà accompli dans le
Grand Nord russe, sur le site voi­
sin de Yamal : bâtir une immense
usine de liquéfaction qui per­
mette d’exporter du gaz naturel
vers l’Europe et l’Asie. Après ex­
traction, ce gaz est refroidi sur
place à – 163 °C et transporté par
bateau à travers la route du Nord.
Le projet, qui a été définitive­
ment validé par Novatek et Total
en décembre 2019, devrait coûter
un peu plus de 21 milliards de dol­
lars (environ 17,6 milliards d’eu­
ros). Une partie importante de ce
chantier colossal va être assurée
par le groupe franco­américain
PERTES & PROFITS | UNILEVER
pa r p h i l i p p e e s ca nde
Grand nettoyage
dans les lessives
Attention, en dépit des apparen­
ces, ceci n’est pas du « green­
washing ». On peut être l’un des
principaux fabricants de lessive
au monde et revendiquer son ap­
proche écologique. Le britannique
Unilever, le plus offensif dans ce
domaine, a promis d’être neutre
en carbone sur l’ensemble de son
activité d’ici à 2040. Alors, métho­
diquement, il nettoie son porte­
feuille. Mercredi 2 septembre, il a
annoncé qu’il allait, en dix ans,
supprimer tous les composants
pétroliers de ses produits d’entre­
tien, dont les célèbres marques
Skip, Omo, Cif ou Domestos. Pour
cela, il va investir 1 milliard
d’euros pour trouver des alterna­
tives. Actuellement, les produits
dérivés de la chimie du pétrole
(tensioactifs, carbonate de so­
dium) sont très utilisés pour amé­
liorer l’efficacité des lessives.
L’intérêt de la démarche de l’in­
dustriel réside dans le fait qu’il
s’adresse aussi à l’ensemble de ses
fournisseurs, responsables de
30 % des émissions de gaz à effet
de serre du produit. Cette initia­
tive peut faire sourire tous les
consommateurs habitués à voir
fleurir sur les rayons des super­
marchés des nettoyants tous plus
verts les uns que les autres.
Les plus motivés se sont même
depuis longtemps convertis aux
charmes du vinaigre blanc et du
savon noir. Unilever dispose de sa
filiale dans ce domaine, Seventh
Generation, qui vend des net­
toyants 100 % naturels. Mais plus
de 80 % du marché reste dominé
économie & entreprise | 15
MATIÈRES P REMI ÈRES
pris par la France. Bercy a jusqu’ici Dans une lettre adressée à Nouvelle-Calédonie :
obtenu des arbitrages favorables
L’idée : bâtir M. Macron, fin juillet, huit respon­ la Société le Nickel
de la part de Matignon sur des une usine sables d’ONG, dont la directrice risque la faillite
dossiers similaires. générale d’Oxfam France, Cécile La Société le Nickel (SLN),
Depuis 2009, Paris a délivré
de liquéfaction Duflot, et le directeur général de filiale du français Eramet en
pour 9,3 milliards d’euros de ga­ qui permette Greenpeace France, Jean­François Nouvelle­Calédonie, a engagé
ranties de ce type, selon les chif­ Julliard, écrivaient : le projet une procédure préventive de
fres de la direction du Trésor. Les
d’exporter du gaz « comporte des risques majeurs sur règlement amiable de ses dif­
associations écologistes y voient
une forme de subvention aux
énergies fossiles. Dans les faits,
sans ce mécanisme, nombre de
naturel vers
l’Europe et l’Asie
le plan environnemental et climati­
que, en totale contradiction avec
vos engagements internationaux
pour la protection de la biodiver­
ficultés, alors que le premier
employeur privé de l’île risque
la faillite. La SLN a demandé,
mercredi 2 septembre, la no­
projets ne seraient pas viables.
« Risques majeurs »
Le site de Yamal, qui a commencé
ties à l’export les projets de cen­
trales à charbon, tout comme le
gaz et le pétrole de schiste.
sité et le respect des objectifs de l’ac­
cord de Paris [de décembre 2015
sur le climat] ». Un courrier resté
pour l’heure sans réponse.
mination d’un mandataire ad
hoc au tribunal de commerce,
a indiqué la direction dans
une note adressée à ses
à fonctionner en 2017, a bénéficié
de 350 millions d’euros de garan­
Cependant, la loi ne dit rien de
l’Arctique, sur lequel l’usine pré­
Le sujet est d’autant plus com­
plexe que Novatek, comme la plu­
2 063 salariés. L’entreprise a
enregistré, en 2019, son hui­
ties, à l’époque avec le concours de
François Hollande. Emmanuel
vue par Novatek et Total aura un
lourd impact. Comme c’est déjà le
part des protagonistes russes du
secteur des hydrocarbures, est
tième exercice déficitaire
d’affilée, avec une perte de
Macron a, lui, durci le ton en 2019
contre le financement de ces
cas à Yamal, les bateaux métha­
niers emprunteront la route du
sous le coup de sanctions améri­
caines et devra se tourner vers des
80 millions euros. – (AFP.)
« nouvelles installations polluan­ Nord… rendue praticable une par­ banques chinoises pour le finan­ MÉD I AS
tes » : « Nous continuons encore tie de l’année, justement par le ré­ cement. Deux acteurs chinois de Le numéro deux
aujourd’hui à avoir du finance­ chauffement des températures. la filière ont d’ailleurs rejoint le de France Télévisions
TechnipFMC, spécialiste des ment export et des projets dans Emmanuel Macron avait lui­ projet en avril 2020. La produc­ annonce son départ
grands projets d’hydrocarbures. tant de pays, financés par des pays même mis en garde, à l’occasion tion de gaz en Arctique est straté­ Takis Candilis, numéro deux
Pour assurer la réussite de ce type développés. (…) C’est incohérent, du G7 de Biarritz (Pyrénées­Atlan­ gique pour Pékin dans le cadre de de France Télévisions depuis
d’opération, les pouvoirs publics c’est irresponsable. Soyons lucides tiques), en août 2019, quant au son initiative Belt and Road (Ini­ deux ans et demi, a annoncé,
disposent d’un outil très concret : avec nous­mêmes », avait lancé fait d’emprunter cet itinéraire. tiative route et ceinture), aupara­ mercredi 2 septembre, son
les garanties à l’export. Grâce à ce M. Macron à la tribune des Na­ « Beaucoup sont en train d’expli­ vant appelée « nouvelles routes départ du groupe public, afin
mécanisme, l’Etat se porte garant tions unies, en septembre 2019. quer que le réchauffement climati­ de la soie ». Elle permet à l’empire de permettre à la présidente
de prêts auprès des banques pour La loi de finances votée à que est une bonne nouvelle. La du Milieu de s’assurer un appro­ Delphine Ernotte, qui vient
les entreprises françaises, par le l’automne avait traduit en actes glace est en train de fondre, donc visionnement en gaz régulier sur d’entamer son deuxième
biais de la Banque publique d’in­ une partie de cette promesse pré­ on va passer par là. Utiliser cette une longue période.  mandat, de prendre un
vestissement (Bpifrance). sidentielle, en excluant des garan­ route nous tuerait. » nabil wakim « nouvel élan ». – (AFP.)
D’après plusieurs sources gou­
vernementales, le ministère de
l’économie soutient le projet, au
nom de la défense des exporta­
tions françaises. Le secteur para­
pétrolier hexagonal réalise en ef­
fet plus de 90 % de son chiffre
d’affaires à l’export. Bercy main­
tient aussi l’idée que le gaz naturel
est nécessaire à la transition éner­
gétique, même s’il s’agit d’une
énergie fossile, dont l’exploita­
tion contribue directement au ré­
chauffement climatique.
A l’inverse, l’administration du
ministère de la transition écologi­
que rappelle que le Parlement a
voté, en 2019, un objectif de neu­
tralité carbone pour 2050. L’appui
apporté à un tel projet gazier
pourrait être interprété comme
un manque de sérieux au niveau
des engagements climatiques
par les produits industriels tradi­
tionnels. Or, selon la société, les
ressources naturelles utilisées ne
sont pas en quantité suffisante
pour répondre aux besoins du
marché. Il faut inventer une « chi­
mie verte », mêlant plantes, al­
gues marines, plastiques recyclés
et captation de carbone.
Changement sociétal majeur
Pour Peter ter Kulve, le patron de
la branche produits d’entretien
d’Unilever, son industrie connaît
aujourd’hui son « moment die­
sel ». Comme dans l’automobile,
la prise de conscience par les con­
sommateurs de la nocivité envi­
ronnementale des produits les
pousse à modifier leurs compor­
tements d’achat. Il faut donc anti­
ciper ce basculement et embar­
quer l’ensemble de la chaîne de
production dans ce mouvement.
Au­delà, c’est l’image de l’entre­
prise qui se joue. Unilever, Da­
none, Nestlé, Henkel, Procter
& Gamble, tous les géants mon­
diaux des produits de grande con­
sommation sont confrontés à ce
changement sociétal majeur et au
risque de perdre rapidement des
parts de marché dans une activité
dont la majeure partie de la crois­
sance et de la valeur réside désor­
mais dans ces produits verts. Et
puis, il faut continuer d’attirer les
talents. Comme le souligne Peter
ter Kulve au Financial Times, « qui
voudrait travailler pour une entre­
prise sale ? », surtout dans un do­
maine où chacun prétend laver
plus blanc que blanc. 
16 | bonnes feuilles
Le journaliste Valentin Gendrot a passé six mois comme adjoint de sécurité
au sein du commissariat du 19e arrondissement de Paris. Ses collègues et sa
hiérarchie ignoraient tout de sa qualité de reporter. Son livre, dont nous
publions des extraits, est un témoignage rare sur certaines réalités policières
En théorie, les flics sont censés
lutter contre la violence. En pratique,
ils en sont souvent un avant-poste
T’
as fait quoi, là ? »
Toto [tous les noms et sur­
noms ont été modifés] attrape
le type et le plaque contre
l’Abribus. Il va l’éclater, c’est
sûr. Autour de nous, des
badauds s’attardent, certains
sortent leur téléphone et
filment la scène.
« Va là­bas !, me gueule
François. On fait un périmètre de sécurité ! »
C’est l’une de mes premières journées avec le
groupe, et ils en tiennent enfin un. Ils les
appellent « les bâtards ». Et quand ils sortent,
ils partent à la chasse aux « bâtards ». Celui­là,
Toto n’a pas trop galéré à le choper. Il s’agit
d’un mec chétif, un gringalet sans doute
mineur. Un « petit bâtard », quoi.
Je surveille les alentours. Personne ne doit
les déranger. J’ai la mâchoire contractée. Je
garde les mains posées sur les hanches, la gau­
che à quelques centimètres de mon flingue.
Face à moi, les potes du gringalet me fixent
d’un air hostile. Je transpire et frissonne.
L’adrénaline monte. Mon cœur tambourine.
« Faites le tour, ne passez pas par là », dis­je
fermement à des passants qui affluent dans
ma direction.
Je me retourne, le type est toujours collé à
l’Abribus. La scène me semble interminable.
« On bouge », lance François dans mon dos.
Nous remontons tous les six dans le fourgon
blanc, accompagnés du gamin. Toto appuie
sur la pédale d’accélérateur. A l’arrière, nous
valdinguons hors de nos sièges en skaï. Il faut
s’accrocher. Le jeune homme, terrifié, est assis
entre nous. Pas question pour les autres de le
toucher, cette histoire doit visiblement se
régler entre Toto et lui. Nous roulons à fond
dans les artères parisiennes jusqu’à sortir de
notre secteur, je ne reconnais plus le coin.
Nous arrivons à Pantin. Qu’est­ce que nous
foutons ici ? Nous sommes censés rester dans
le 19e arrondissement…
Toto se gare en pleine rue. Il descend, ouvre la
porte du fourgon et monte avec nous à l’arrière.
Il empoigne le type, lui tire les cheveux.
« T’as fait quoi tout à l’heure ? Hein ? »
Un de mes collègues me demande de sortir
pour faire le guet. Je descends, claque la porte
coulissante et patiente à l’extérieur. Le véhi­
cule remue, j’entends des cris. J’attends
quelques instants en gardant un œil sur les
allées et venues des passants. La porte s’ouvre
à nouveau, la voix du flic tonne :
« C’est bon, t’as compris maintenant ? Allez,
dégage ! »
Une immersion journalistique portée à ses limites
ce livre est d’utilité publique. A l’heure
où la police française traverse une crise pro­
fonde, alimentée par les dérives d’une mino­
rité de ses membres et par un mal­être dû no­
tamment au manque de moyens et de consi­
dération, le rôle du journaliste est d’aller au
plus près de la réalité. Constater et raconter, au
risque de déplaire, voire de choquer. C’est ce
qu’a fait Valentin Gendrot, 32 ans, en intégrant
durant six mois le commissariat d’un quartier
populaire de Paris en qualité d’adjoint de sécu­
rité (ADS).
Après avoir suivi une très (trop) brève forma­
tion en 2017 et travaillé un temps à l’infirmerie
psychiatrique de la préfecture de police, il s’est
Le type descend, le corps plié en deux. Il se
tient la tête entre les mains, semble désorienté,
puis marmonne : « C’est ça ? Police française ? »
Nous l’abandonnons là, seul, à quelques kilo­
mètres du lieu où nous l’avons attrapé. Ça fait
partie de la punition.
Je porte l’uniforme de flic contractuel depuis
deux semaines à peine et me voilà déjà com­
plice du tabassage d’un jeune migrant. Jusqu’où
va me mener cette histoire ? Je retourne m’as­
seoir à l’arrière du fourgon.
« Il m’a touché l’arcade avec son portable,
nous explique Toto. Il m’a touché quand je suis
descendu porte de la Villette, quand vous avez
contrôlé les deux migrants. Bon… je pense qu’il
n’a pas fait exprès.
– T’en fais pas, des mecs comme lui, ça mérite
que la mort », lâche Bison.
La routine grise
Les policiers ont l’obligation de rendre compte
de chaque intervention ou « mission ». Dans le
logiciel dit de la main courante informatisée
(MCI), ils retranscrivent leurs moindres faits et
gestes de la journée. Nous appelons ça des GE,
pour « gestion des événements ». La mission du
jour ne sera jamais consignée. D’abord parce
qu’il s’agit d’une mission « inopinée », une ini­
tiative de mes collègues. Ensuite parce que,
solidarité entre flics oblige, ce qui se passe dans
le fourgon reste dans le fourgon.
Enfin, pas tout à fait. Pas cette fois. (…)
Quatre mois d’infiltration, je suis tombé dans
une routine grise. Je sais que pendant mes
quatre jours de boulot – un « cycle » –, j’aurai
droit à une ou deux journées devant la porte,
une ou deux autres en « garde détenus » et une
seule dehors, en patrouille. Aujourd’hui, je suis
campé à la porte. J’y retrouve souvent les mê­
mes têtes, des ADS [adjoints de sécurité], des
flics stagiaires, comme Ludo ou Marvin. Avec
eux, le courant passe. On discute, on se marre.
J’ai fini par me faire accepter. (…)
Parce que, au fond, je sais que je ne suis pas si
loin d’eux. Ces flics me rappellent d’où je viens.
Souvent, ce sont des provinciaux, comme moi.
Souvent encore, ils viennent de milieux popu­
laires ou de la classe moyenne, comme moi. Je
ne dois pas creuser très profond pour adopter
leurs codes. Leur culture, c’est celle de mes
potes de l’école primaire et du collège, celle des
mecs de mon équipe de foot, ceux que je
fréquente depuis que je suis gamin.
Cette proximité vient chatouiller un point
sensible chez moi, un truc non résolu. La sensa­
tion de n’appartenir à aucun milieu. Je me sens
trop éduqué pour celui d’où je viens, et trop
plouc pour l’univers journalistique parisien.
Ma technique, dans tous les milieux, une
technique probablement instinctive, est tou­
jours la même : je n’ouvre pas trop la bouche.
Et dans le commissariat, je me tiens à distance
dans le jeu de lutte entre les clans. Celui de
Stan et des « chasseurs » d’un côté ; les anti­
Stan, avec Toto comme chef de file, de l’autre.
Mon mutisme et ma discrétion présentent un
avantage majeur : ils me permettent de conti­
nuer à échanger avec les uns et les autres. (…)
retrouvé, en mars 2019, à participer à des pa­
trouilles et à de petites interventions dans le
19e arrondissement de la capitale. Durant six
mois, l’arme à la ceinture, il a vécu le quotidien
de collègues qui ignoraient tout de sa qualité
de reporter. Ce journalisme d’immersion, qu’il
avait déjà pratiqué dans d’autres milieux pro­
fessionnels, l’a conduit aux limites de l’exer­
cice, à être témoin, voire complice, de prati­
ques illégales. Il en fait le récit détaillé dans ce
saisissant journal de bord.
La force du texte n’est pas uniquement dans
la dénonciation de ces faits, parfois très graves
(passages à tabac, racisme, procès­verbaux
mensongers pour couvrir un collègue ultravio­
Dans le commissariat, le super pote de Stan
s’appelle Charles, alias Charly. Les deux étaient
ensemble en école de police. Le casier de Charly
est situé près du mien, alors avant d’aller poin­
ter, nous discutons. Il est drôle, avenant, bara­
qué aussi. Avec son cou de taureau, ce gars a des
allures de troisième ligne de rugby.
« Ça fait sept ans que je fais ce boulot et je
continue de rencontrer la connerie humaine. Je
pensais que j’avais tout vu dans le 19e, eh ben
non. Quand je raconte des trucs à ma mère, elle
me dit : “T’exagères.” Mais non, même pas ! T’es à
quel poste aujourd’hui, gros ?, me demande­t­il.
– “Garde détenus”.
– On est ensemble alors ! »
Je suis prêt avant lui, alors je pars nous
chercher des cafés avant de prendre mon
service. On s’entend bien, Charly et moi.
J’arrive devant le bat­flanc le premier, il est
6 h 02. Je relève seul les collègues de la nuit, en
attendant Charly. (…)
Les cellules du commissariat ne sont rem­
plies qu’à moitié. Avec onze gardés à vue
[GAV], nous n’allons pas beaucoup bosser, une
bonne journée pour discuter. Charly s’installe,
remplit quelques feuilles puis répond aux
questions que je lui pose.
« J’ai été ADS pendant quatre ans et demi. J’ai
fait la circu au début et après, comme je me suis
blessé au genou, je taffais dans le 20e, comme
“garde détenus”. J’ai fait ça pendant huit ou neuf
mois, on en a cassé des bouches, mon gars ! »
Il se lance dans une longue recension de cas
où les mecs prenaient des pains dans la tron­
che au moindre écart. Il se souvient d’un type
en sang qu’un collègue venait d’avoiner, et,
derrière eux, Charly qui passait la serpillière
pour effacer les traces.
« Ma chef, quand elle ouvrait la porte, si elle
voyait un mec avec la gueule en vrac, elle disait
juste : “Ouh là, je repasserai plus tard !” »
Les anecdotes de Charly me glacent le sang,
je peine à feindre la légèreté. Je commence à
saturer de l’omniprésence de la violence dans
ce quotidien. Ce qui m’étonne, outre les profils
violents, c’est de constater à quel point ils se
sentent intouchables. Comme s’il n’y avait
aucun cadre, aucune surveillance de la hiérar­
chie. Comme si un policier pouvait choisir,
selon son libre arbitre et son humeur du
moment : être violent ou non.
« Une fois, on a compté 6 000 GAV dans l’année,
on en a cogné la moitié à peu près. Je me
demande s’il me raconte des craques. J’ai un
doute. Trois mille types déboîtés en un an, ça fait
beaucoup, une moyenne de sept ou huit par
jour.
J’ouvre machinalement l’appli Actu 17.
– Tiens, on a chopé les mecs qui ont blessé des
collègues en sortie de boîte, j’avertis Charly.
– Blessé ?
– Ouais, une cheville pétée et des jours d’ITT.
– Ah bah ! fallait pas les choper, ces mecs­là,
fallait les mettre dans un coffre de voiture »,
commente mon collègue.
Les autres nouvelles sur Actu 17 regroupent
tout un tas de faits divers anxiogènes. (…) De
quoi devenir parano.
lent…), qui conduiront sans doute les autorités
à réagir. Non, ce texte vaut aussi pour le
tableau, terrible mais équilibré, qu’il offre des
réalités policières, du moins à la « base » et
dans un tel commissariat : la vétusté des lo­
caux, l’hostilité d’une partie de la population,
le profil psychologique des fonctionnaires, le
suicide de l’un d’eux, le système quasi « clani­
que » qui finit par les unir face à la petite délin­
quance. Sans jamais céder à la caricature,
l’auteur livre un témoignage salutaire au mo­
ment où le ministère de l’intérieur s’interroge
sur la façon d’améliorer la déontologie des for­
ces de l’ordre. 
philippe broussard
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Charly me branche sur un bouquin.
« Je sais pas si tu connais. Ça s’appelle La peur
a changé de camp, d’un journaliste. Ploquant
ou Ploquin, je sais plus. Tu verras ce qu’il
raconte. C’est exactement ce qu’on vit, c’est
exactement ça ! »
Je vois très bien de quel livre parle mon collè­
gue, j’ai écouté une interview de l’auteur. Le
reporter Frédéric Ploquin cumule des témoigna­
ges de fonctionnaires de police pour raconter à
quel point ces derniers ont la sensation d’être
devenus des cibles et se sentent abandonnés. (…)
En fin de service, un groupe d’ados entre en
garde à vue. Je reconnais le visage d’un gamin
venu là une semaine plus tôt. Je vais le voir.
« Capron ?
– Quoi ? me répond la grande
tige vautrée sur son matelas. Il
arbore cette coupe de cheveux
à la mode, rasé sur les tempes,
longs et bouclés sur le dessus.
– T’es encore là, je lui souris.
Tu cherches les emmerdes,
grand.
Il se lève et m’explique en
trois phrases la raison de sa
présence ici. La semaine pré­
cédente, il a été déféré au
dépôt et s’en est sorti avec un
rappel à la loi. Il vient d’être FLIC, UN JOURNALISTE 
interpellé pour le vol en réu­ A INFILTRÉ LA POLICE
nion, à plusieurs donc, d’une de Valentin Gendrot
tablette et d’un MP3. Goutte d’Or,
– J’ai rien fait cette fois, se 296 pages, 18 euros
défend­il.
– T’as vraiment que ça à foutre
de ta vie. »
Quelques mois plus tôt, je n’aurais jamais
balancé une phrase pareille. Je ne me recon­
nais pas. Je ne distribue pas de mandales, mais
j’ai une étrange sensation. Je deviens un flic
comme les autres, insensible et désabusé. (…)
Conditions de travail dégradées
Imaginez un boulot où tout est décrépit
autour de vous : vos voitures de fonction, vos
locaux ou encore vos équipements. Histoire
d’ajouter un peu de sel, vous portez un
uniforme qui déclenche d’emblée l’hostilité
d’une partie des gens que vous croisez. Vous
êtes formé à la va­vite, plongé dans des situa­
tions chaotiques, avec, en plus, l’impératif
insidieux de suivre une « politique du chiffre »
souvent absurde.
Vous marchez alors sur une couche de glace
déjà bien fine, et voilà que la hiérarchie
dépose quelques poids supplémentaires sur
votre dos : vous devez faire bonne figure, être
exemplaire. Le fameux acronyme « Diiler »
enseigné à l’école de police : « Dignité, inté­
grité, impartialité, loyauté, exemplarité et
respect absolu des personnes ».
Est­il raisonnable de former des représen­
tants de la loi à la va­vite, de les placer dans des
conditions de travail dégradées et d’exiger
qu’ils soient des modèles de vertu ? Non, évi­
demment. Ce n’est ni raisonnable ni sensé.
Lors de mon immersion, un constat s’est
imposé à moi. En théorie, les flics sont censés
lutter contre la violence, le racisme et le
sexisme dans la société. En pratique, ils en
sont souvent un avant­poste. On peut débat­
tre des causes, mais les faits sont là. C’est
comme ça ; dans un commissariat, on est dans
une ambiance de vestiaire de foot. Une
ambiance virile où les personnes violentes
sont tolérées, et rarement recadrées. Parce
qu’il faut faire avec les effectifs disponibles.
Avec les moyens alloués.
Alors, lorsque des flics dérapent, tout le
monde se serre les coudes, et la hiérarchie
enterre souvent ce qu’elle préfère considérer
comme des « errements ». Dans la majorité des
cas, cette hiérarchie n’a pas le choix, à force de
demander l’impossible à ses hommes et ses
femmes de terrain, elle ne peut ensuite que les
couvrir. 
valentin gendrot
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Marguerite Harl
Helléniste
En 2000. MAURICE
ROUGEMONT/OPALE/LEEMAGE
H
elléniste d’exception
qui fit le lien entre les
auteurs chrétiens des
premiers siècles, le
judaïsme hellénistique et l’hellé­
nisme classique, Marguerite Harl
est morte à Paris, dimanche
30 août, à l’âge de 101 ans.
Née à Dax, le 3 avril 1919, dans
une famille ariégeoise, Margue­
rite Bayle grandit marquée par le
catholicisme libéral de sa mère et
l’agnosticisme de son père. Un
contraste sans tension, comme ce
fut le cas pour Henri­Irénée Mar­
rou (1904­1977), qui devait enca­
drer la thèse de Marguerite Harl.
Au collège d’Albi, l’adolescente est
de la première génération de filles
à laquelle on propose l’apprentis­
sage du grec. A Toulouse, en 1936,
elle entreprend des études de let­
tres classiques et, reçue à l’agréga­
tion en 1941, est nommée profes­
seure au lycée de Cahors. Mais la
guerre la mobilise et elle aide son
frère à s’évader et à rejoindre
l’Afrique du Nord.
Marguerite Bayle s’intéresse à
l’histoire du christianisme, à l’art
et la symbolique médiévale mais
aussi, plus ardu, aux Pères de
l’Eglise. Aussi, après deux années
au lycée Saint­Sernin à Toulouse,
elle prend une année de congés
pour choisir un sujet d’études per­
sonnel. Quelques rencontres
s’avèrent décisives (Henri­Irénée
Marrou en Sorbonne, Henri­Char­
les Puech [1902­1986] à l’Ecole
pratique des hautes études, Jean
Daniélou [1905­1974] à l’Institut
catholique de Paris) pour arrêter
son choix sur le père de l’exégèse
biblique, Origène d’Alexandrie.
Objectivité laïque
Nommée à Saint­Germain­en­
Laye en 1949, Marguerite Bayle
rencontre Jean­Marie Harl, un
brillant neuropsychiatre, qu’elle
épouse en 1951 et dont elle aura
trois enfants. Marguerite Harl
suit désormais assidûment le sé­
minaire en Sorbonne de Marrou
qui réunit historiens, philolo­
gues, archéologues et théolo­
giens. Ce foyer pluridisciplinaire
rare décide du regard de l’hellé­
niste, qui s’initie à la paléogra­
phie, à la morphologie de la lan­
gue grecque, la philosophie grec­
que de ce que Marrou appelle l’An­
tiquité tardive, l’histoire de la
gnose et du manichéisme. Ainsi
armée pour lire Origène, Margue­
rite Harl obtient un détachement
auprès du CNRS et soutient sa
thèse en juin 1957.
L’année suivante, elle est élue
en Sorbonne et ouvre son ensei­
gnement sans discrimination à
l’étude des textes du judaïsme
hellénistique, des philosophes et
3 AVRIL 1919 Naissance
à Dax
1958 Chaire de « Langue et
littérature post-classiques »
en Sorbonne
1986 Création de la collec-
tion « La Bible d’Alexandrie »
30 AOÛT 2020 Mort à Paris
des auteurs chrétiens des pre­
miers siècles. Le séminaire de
Marguerite Harl conjuguant rigu­
eur philologique et objectivité laï­
que devient l’adresse idéale pour
aborder dans leur contexte cultu­
rel et philosophique les œuvres
de Philon d’Alexandrie (Ier siècle),
Clément d’Alexandrie (IIe siècle),
Grégoire de Nysse (IVe siècle), en
établissant la continuité de l’hel­
lénisme comme l’innovation de
chacune de ces pensées.
Si la vie personnelle de Margue­
rite Harl est bouleversée dans les
années 1960 (elle et son époux
s’établissent à Chamonix, mais
Jean­Marie se tue en montagne
en 1965, trois ans avant que leur
fils aîné ne connaisse le même
sort tragique), l’helléniste est une
des rares titulaires en Sorbonne à
avoir de la sympathie pour le mou­
vement étudiant de mai 1968. Elle
travaille inlassablement, interroge
les formes textuelles de la Bible
chez Philon, et s’engage dans la
traduction de la Septante, cette
version grecque ancienne du Pen­
tateuque établie à Alexandrie au
IIIe siècle avant l’ère chrétienne.
Entourée d’hébraïsants, d’hellé­
nistes, de patrologues et de papy­
rologues, elle engage le chantier de
cette « Bible d’Alexandrie », co­
pieusement annotée dont elle si­
gne le premier tome, La Genèse,
en 1986 (Cerf). Vingt volumes pa­
rus à ce jour, autant à suivre…
A l’heure de la retraite (1986),
Marguerite Harl continue d’assu­
rer en Sorbonne son séminaire,
formant des générations de cher­
cheurs qui poursuivent son enga­
gement (Monique Alexandre,
avant Olivier Munnich). Femme
de caractère qui s’astreint à une
discipline de fer, elle se plaisait à
dire qu’elle avait commencé avec
la foi sans la Bible pour finir avec la
Bible sans la foi.
Marguerite Harl a su par un
mouvement vers l’origine relier
les Pères de l’Eglise à la matrice de
la Bible grecque comme à la source
hellénique de la pensée paléochré­
tienne. Un art que les spécialistes
étrangers du christianisme ancien
lui enviaient. De son origine ter­
rienne, elle disait conserver le sens
de l’essentiel. Avec une clarté qui
impressionne. 
philippe­jean catinchi
Le Carnet
Merci de nous adresser
vos demandes par mail
en précisant impérativement
votre numéro
de téléphone personnel,
votre nom et prénom,
adresse postale et votre
éventuelle référence
d’abonnement.
L’équipe du Carnet
reviendra vers vous
dans les meilleurs délais.
carnet@mpublicite.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Lucile NORMAND,
Félix LE GOATER
et Lancelot,
ont le plaisir d’annoncer la naissance
de
Hadrien,
le 20 juin 2020.
Sa puissance n’a d’égale que sa
douceur.
Décès
Ségolène, Yves, Véronique, Blandine,
Catherine, Séverine, Pascale, Pervenche,
ses nièces et neveu
et leurs conjoints,
Jonas, Hélène, David, Julia,
Pâquerette, Camille, Corentin, Agnès,
Claire, Marie, Wolfgang, Alex,
Marina, Vincent, Gabriel, Cerise,
Coline, Raphaëlle, Cécile et Marine,
ses petits-neveux et petites-nièces,
Elsa, Axel, Alice, Eva, Nora, Gabriel,
Alixe, Augustin, Alma et Baltasar,
ses arrière-petites-nièces et arrière-
petits-neveux,
Toute la famille,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
Geneviève DOLLFUS,
archéologue,
directrice de recherche émérite
au CNRS,
médaille d’argent du CNRS,
membre associée
de l’équipe ArScAn-VEPMO,
survenu chez elle, selon son désir,
à Lyons-la-Forêt, le 29 août 2020,
dans sa quatre-vingt-deuxième année.
La cérémonie aura lieu le lundi
7 septembre, à 15 heures, en l’église
de Lyons-la-Forêt, suivie de
l’inhumation dans le caveau familial.
La famille souhaite remercier
pour leur dévouement les personnes
qui se sont occupées d’elle au cours
de sa longue maladie.
Selon ses vœux, des dons peuvent
être faits à la Fondation pour la
recherche contre la maladie de
Parkinson et pour la formation aux
aidants des malades atteints de cette
maladie.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Martine Glibota,
son épouse,
Adeline, Joséphine et Marko,
ses enfants,
Iris,
sa petite-fille,
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Ante GLIBOTA,
historien d’art et d’architecture,
vice-président
de l’Académie européenne
des sciences, des arts et des lettres,
survenu, à Paris, le 28 août 2020,
à l’âge de soixante-quinze ans.
L’inhumation se fera dans la
stricte intimité familiale.
famille.glibota@gmail.com
M. Roman Kané,
son fils,
Mme Beatrice Lagarde,
sa compagne,
ont la douleur de faire part du décès
de
Pascal KANÉ,
survenu le 31 août 2020, à Paris,
Dû aux restrictions sanitaires
en vigueur, sa famille et ses amis
ne se réuniront qu’en cercle intime
au cimetière Montmartre, Paris 18e,
le 4 août.
Mme Marie-Jeanne Konigson-
Montain,
son épouse,
Marc-Emmanuel Konigson,
son fils
et Marie-Pierre Linet,
Léa Konigson,
sa petite-fille
Et toute la famille,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Elie KONIGSON,
directeur de recherche honoraire
au CNRS,
survenu le 27 août 2020,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Les obsèques ont eu lieu dans
l’intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Heimo Scheuch,
CEO Wienerberger AG,
Le groupe Wienerberger,
Wienerberger France,
Le comité de direction
Et l’ensemble des collaborateurs
et des collaboratrices Wienerberger
France et Pipelife France,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
M. Francis LAGIER,
leur estimé président
Wienerberger France.
Très émus par cette disparition,
nous garderons de lui le souvenir
d’un homme passionné, visionnaire
et engagé.
Nous souhaitons assurer à sa
famille et à ses proches notre
profonde sympathie et nos plus
sincères condoléances.
Pour les obsèques, prière de se
référer à l’avis de la famille.
Monique,
sa femme,
Noémi et Denis, Henri et Yaëlle,
ses enfants et leurs conjoints,
Benjamin, Samuel, Gabriel, Jérémy
et Daniel,
ses petits-enfants très aimés,
Hélène et Liliane,
ses sœurs,
Toute la famille,
Tous ses amis,
rappellent le nom de leur très cher
Charles LEBEN,
professeur émérite
de droit public de l’Université,
chevalier de la Légion d’honneur,
lecteur, admirateur
et commentateur
de Kelsen, Agnon et Maïmonide,
décédé le 5 août 2020.
Nous l’aimions et l’estimions.
Ses obsèques ont eu lieu le 6 août.
« Que son nom soit lié
au faisceau des vivants ».
Paris.
Sanary-sur-Mer.
Christiane NICOULLAUD,
née CHARMOT,
le 24 mai 1934,
nous a quittés ce mercredi 2 septembre
2020.
Psychologue, psychanalyste, elle
était l’épouse de
François NICOULLAUD,
diplomate.
Nous vous invitons à vous joindre
à nous pour une pensée.
Familles Carbonel, Deligny, Rostaing,
Bernaud,
Stéphane Rousseau
son fils
Et François Nicoullaud.
Pompes Funèbres Martial,
Agence Bandol.
Tél. : 04 94 29 98 15.
M. Fidel Pingaud et Adélaïde Bisch
Pingaud,
font part du décès de
Mme Joëlle PINGAUD,
née FLESSELLE,
survenu à Castelnau-le-Lez,
à l’âge de soixante-seize ans.
La cérémonie a eu lieu le mercredi
2 septembre, à 15 heures, à La
Blaquererie (Aveyron), sur la place
du village.
La famille
Et les amis, de
Nicole VAN DER ELST,
ont la tristesse de faire part de son
décès, survenu le 31 août 2020, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 4 septembre, à 14 h 30,
en l’église Saint-Germain-des-Près,
à Paris 6e.
matthieuguyot@free.fr
carnet | 17
Anne-Sophie,
sa petite-fille,
Jacqueline de Montaignac,
sa sœur,
Loïc et Philippe de Montaignac,
ses neveux
et leurs épouses,
Claire Primault,
son ex belle-fille,
Sa famille,
Ses frères et sœurs de Combats,
Isabel Fernandès, Jeanne et Jean
Jolly, Gérard Lamotte et Marie-
Françoise, Stéphane Mazer, Odette
et Jean-Jacques Mitterrand,
ses amis proches,
ont la tristesse de faire part du décès,
le samedi 22 août 2020, dans sa
quatre-vingt-onzième année, de
Jacques RAYNAUD,
journaliste parlementaire,
fidèle militant
dans la mouvance
de Rosa Luxembourg,
Victor Serge et Victor Fay,
sans oublier
un sentiment reconnaissant
pour le vieux maître
de sa jeunesse David Bronstein.
L’incinération a eu lieu dans
l’intimité au crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
le 29 août.
Seulement une pensée pour celles
et ceux qui, à travers la planète,
œuvrent au service des autres.
Le président
de l’École Pratique des Hautes
Études,
Le doyen
de la section des sciences historiques
et philologiques,
Les directeurs d’études et les
maîtres de conférences,
Les étudiants et auditeurs,
Le personnel administratif,
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu le 27 août 2020, de
Jean VEZIN,
ancien titulaire
de la direction d’études
« Paléographie et codicologie ».
Ils s’associent à la douleur de la
famille.
Michèle Worms,
son épouse,
Anne-Lise et Frédéric Worms,
Ada Fizir et Anne-Cécile Worms,
ses enfants,
Manon et Nicolas Worms,
ses petits-enfants,
François Worms,
son frère,
Philippe Worms,
son neveu
et sa fille, Laura-Lou,
Olivier Hecht,
son neveu,
Marie Huchet,
sa petite-nièce
Et toute la famille,
ont le profond chagrin de faire part
du décès, le 31 août 2020, de
Gérard WORMS,
né le 1er août 1936,
ancien élève
de l’École Polytechnique,
ingénieur en chef des Mines,
commandeur
de la Légion d’honneur,
ancien directeur général
d’Hachette,
directeur général de Rhône-Poulenc,
président de la Compagnie de Suez,
associé gérant
de Rothschild et Cie Banque,
président de la chambre
de commerce internationale,
président du Siècle.
Ses obsèques auront lieu le
vendredi 4 septembre, à 16 heures,
au cimetière parisien de Pantin.
On se réunira à l’entrée du
cimetière.
Pas de fleurs, des dons peuvent
être adressés à la Fondation Coup de
pouce, sous l’égide de la Fondation
de France.
Nous avons la tristesse d’annoncer
le décès de
Mme Colette ZÉRAH JANSEN,
pianiste
et professeur de piano émérite,
survenu le 31 août 2020,
dans sa quatre-vingt-quinzième année.
De la part de sa famille,
Lucien Slama,
son beau-frère,
Véronique, Frédéric, Fanny et Alice,
ses neveux et nièces.
De la part de tous ceux qui l’ont
accompagnée avec fidélité au
quotidien.
Et de la part de tous ses élèves
et amis de l’association « Piano con
moto ».
Anniversaires de décès
René-David DAHAN,
dix ans, tu es parti pour ton grand
voyage mais tu restes éternellement
dans nos cœurs.
Gianna Sistu,
sa compagne.
Guy WALLIER
nous quittait il y a cinq ans.
Sa femme,
Sa sœur
et son fils,
Ses quatre enfants, ses deux
beaux-enfants
et leurs conjoints
Ses quinze petits-enfants,
à qui il manque beaucoup marquent
cette date d’une pierre blanche
et proposent de partager une pensée
émue à sa mémoire.
Souvenirs
Pour mon fils
Frédèric BEIGE.
Je m’accroche à la vie pour clamer
ma colère contre ce chauffard qui t’a
tué le 4 septembre 2004.
Je m’accroche à la vie pour
continuer d’être celle qui pense
toujours à toi.
Je m’accroche à la vie pour
maintenir vivants les souvenirs
de ta courte vie.
Je m’accroche à la vie en ayant la
certitude que lorsque je passerai
dans l’au de là, tu m’accueilleras
et nous nous embrasserons enfin.
Je t’aime mon fils.
Marie-Thérèse,
ta maman.
Il y a trente ans
Lucky FORSSE,
née Lucienne EMO,
nous quittait.
Jean François, Véronique, Frédéric,
pensent à elle.
Elle nous manque tous les jours.
Communication diverse
Les conférences de l’Institut
de France reprennent à partir du
21 septembre 2020, le lundi,
avec trois cycles :
« De la tragédie grecque
au tragique d’aujourd’hui »
proposé par Pierre Brunel,
Académie des sciences morales
et politiques, de 12 heures à 13 h 15.
« Regards croisés sur l’animal »
proposé par Michel Pastoureau,
Académie des inscriptions
et belles-lettres,
de 14 h 15 à 15 h 30
et de 16 heures à 17 h 15.
« L’art au siècle de Poussin »
proposé par Pierre Rosenberg,
de l’Académie française,
de 17 h 45 à 19 heures.
Auditorium
André et Liliane Bettencourt,
3, rue Mazarine, Paris 6e.
Conférences gratuites ouvertes
à tous
sur inscription : institutdefrance.fr
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions
Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle
Chevallereau, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin,
Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot,
Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique
Hélène Bekmezian
Rédaction en chef quotidien
Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws,
Franck Nouchi (Débats et Idées)
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
Chef d’édition Sabine Ledoux
Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président,
Sébastien Carganico, vice-président
 CULTURE
0123
18 | VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020

La metteuse en
scène Caroline
Guiela Nguyen
fait répéter
les comédiens
Nino et
Jean Ruimi,
le 17 juillet,
à la maison
centrale
d’Arles.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ

A la prison d’Arles, l’évasion par la fiction
Caroline Guiela Nguyen tourne un film dans la maison centrale, joué par six hommes qui y sont détenus

REPORTAGE peints en couleurs pastel. Une

porte ouverte et refermée après
arles (bouches­du­rhône) ­
envoyée spéciale
l’autre, on arrive au gymnase de
la prison, où a été installé un vrai
Caroline Guiela Nguyen ont
mené à la création de plusieurs
spectacles, notamment un re­
marquable Marius, adapté par
surnommés Pascal Chazel, An­
thony Coste, Cédric Luste, Nino,
Jean Ruimi et Michel W., elle a
donc tissé une de ces « fictions
sible. « Un projet cinéma implique
des contraintes de sécurité beau­
« Pour les
coup plus lourdes, explique­t­elle. détenus, ce
Il faut faire entrer beaucoup plus
travail débouche

L
e bâtiment bas, ceint de petit studio de cinéma, et où se Pommerat de la pièce de Marcel nourries de réel » dont elle a le se­ de matériel et de personnes dans
murs de béton d’une cou­ déroule une expérience inédite : Pagnol, montré, pour quelques cret. Au fil des ateliers et des im­ la centrale, ce qui multiplie les ris­ sur une image
leur indéfinissable, s’étale, le tournage d’un film de fiction, représentations semi­publiques, provisations, elle s’est rendu ques. On ne se serait pas lancé un
presque invisible dans la dans lequel jouent six détenus à la prison de Baumettes, à Mar­ compte que la question du temps tel défi sans le vécu que nous avons
de soi très
campagne arlésienne. La prison de la centrale. seille, en octobre 2019. était au cœur de la condition des avec Joël Pommerat et Caroline revalorisée »
est une des six maisons centrales Caroline Guiela Nguyen devait prisonniers. « Le temps, pour eux, Guiela Nguyen. Nous nous som­
CORINNE PUGLIERINI
de France, destinées à accueillir Travail au long cours prendre le relais, ensuite, avec un passe de manière très particulière. mes apprivoisés les uns les autres,
directrice de la centrale
les détenus condamnés à de lon­ L’aventure, qui aurait été impen­ nouveau projet théâtral. Elle a fi­ Il est comme figé, gelé, tandis que, une relation de confiance récipro­
gues, voire très longues, peines et/ sable quelques années aupara­ nalement décidé de tourner un au­dehors, il se déroule sans eux. que s’est établie. »
ou considérés comme ayant peu vant encore, est l’aboutissement film, non pas documentaire, mais C’est cela qu’il fallait entendre
de chances de réinsertion sociale. du travail au long cours mené bien de pure fiction. Du ja­ avant tout. J’ai toujours en tête ce « Multiples effets bénéfiques » Dans le gymnase chauffé à blanc
Ce jour­là de juillet, pourtant, la par les metteurs en scène de mais­vu. « Tout mon travail est que dit l’ethnopsychiatre Tobie Na­ Comme sa prédécesseure, Chris­ par le soleil implacable de ce mois
centrale d’Arles (Bouches­du­ théâtre Joël Pommerat et Caro­ fondé sur la recherche du réel à tra­ than sur le fait qu’il faut mettre les tine Charbonnier, qui est à l’ori­ de juillet, la réalité de la prison, ra­
Rhône) accueille des visiteurs un line Guiela Nguyen, depuis 2013, vers l’imaginaire et la fiction, ra­ personnes qui ont subi un trauma­ gine du projet, Mme Puglierini pidement, disparaît, pour laisser
peu particuliers : une équipe de avec un groupe de détenus. Une conte­t­elle. J’ai toujours pensé que tisme à la place d’experts de ce trau­ croit dans les vertus de l’art en place à une fiction chargée de réel.
tournage, avec ses comédiens et troupe qui s’est fédérée sous c’est l’imaginaire qui est vraiment matisme, plutôt que de victimes. » prison, malgré les résistances L’un des six détenus participant
ses techniciens, sous la houlette l’égide de Jean Ruimi, un prison­ politique. Je travaille avec des per­ rencontrées au sein même de au projet, Cédric Luste, joue l’un
de la jeune metteuse en scène nier d’une cinquantaine d’an­ sonnes que l’on voit peu, au cinéma Conte fantastique l’administration pénitentiaire. des « revenus », qui retrouve la
Caroline Guiela Nguyen. nées, passionné de théâtre, à comme au théâtre, mais je ne veux Caroline Guiela Nguyen a donc « Avec le recul que nous avons dé­ femme qu’il a aimée, quarante
Une fois passé le contrôle à l’en­ l’initiative de toute l’aventure. pas le faire par le documentaire. » imaginé un conte fantastique, sormais, nous observons les mul­ ans auparavant. Il refait la prise
trée, on s’engage dans le labyrin­ Au fil des ans, les ateliers théâtre Et puis, elle, la metteuse en qui se déroule en 2060. Qua­ tiples effets bénéfiques de ce tra­ vingt, trente fois, avec un profes­
the de couloirs aux murs re­ conduits par Joël Pommerat et scène de théâtre, très en vue de­ rante ans auparavant, en 2021, vail théâtral au long cours. Le fait sionnalisme saisissant : ce jour­là,
puis le succès de sa pièce Saïgon une vague énorme a recouvert le de travailler en groupe, la disci­ c’est la comédienne profession­
(2017), qui a tourné dans le monde monde, faisant disparaître la pline que demande l’apprentis­ nelle lui donnant la réplique, sans
entier, a décidé de passer au ci­ moitié de l’humanité. En 2060, sage des textes, l’habitude prise doute troublée par le contexte,
néma. « J’ai ressenti un besoin ur­ les disparus reviennent, et ils ont de lire, de se cultiver, tout cela qui peine à jouer la scène.
gent de filmer ces hommes au plus le même âge que quand ils sont amène un apaisement, une L’intensité des émotions et du
près d’eux, au plus proche de leur partis, alors que les autres ont écoute, une meilleure gestion des vécu est impressionnante. « Le

CULTURESMONDE. souffle quand il est coupé par une

émotion nouvelle. J’ai besoin d’être
sur leur peau, leurs mains, de les
du lundi cueillir là où eux­mêmes ne s’at­
tendaient pas à se trouver, de les
au vendredi filmer là où les spectateurs ne s’at­
11H – 11h50 tendent pas à les trouver. Je vou­
© Radio France/Ch. Abramowitz
vieilli. Le film orchestre cette ren­
contre douloureuse, dans une so­
ciété du futur qui a engagé une ré­
flexion sur la réparation.
Produit par Sylvie Pialat, pilier
du cinéma d’auteur français, il
sera le premier volet d’un vaste
émotions. Pour les détenus, ce tra­
vail débouche sur une image de
soi très revalorisée, par rapport à
leur famille comme auprès du per­
sonnel. Et c’est très clairement une
aide pour la sortie qui, en centrale,
est toujours compliquée, puisque
confinement a été particulière­
ment dur pour nous, en prison,
confesse Cédric Luste. Avec ma
compagne, on ne s’est pas vus
pendant cinq mois. Je charge le
personnage que je joue de toutes
ces affres, de cette tristesse, de la

lais que l’on ne se dise surtout pas cycle théâtral européen intitulé les peines se comptent souvent en violence des sentiments qui
Florian que l’on est dans une prison. Je « Fraternités », que Caroline dizaines d’années. » m’animent. »
Delorme voulais que l’on oublie les murs. » Guiela Guyen créera entre le Festi­ Pour pouvoir tourner dans ce A la fin de la journée de tour­
Avec eux, six détenus d’âges et val d’Avignon, l’Odéon­Théâtre de contexte, Caroline Guiela Nguyen nage, Cédric Luste irradie, malgré
de parcours divers, nommés ou l’Europe, à Paris, la Schaubühne a limité son équipe afin de ne pas la fatigue, la chaleur, l’intermina­
de Berlin et le National Theatre de dépasser dix­huit personnes par ble répétition des prises. Les
Londres. Intitulé, provisoirement, journée de tournage, et a dû four­ murs de la prison semblent avoir
Fraternités­conte fantastique, le nir à la centrale une liste de maté­ été repoussés dans un ailleurs
Au fil des ateliers, film devrait être bouclé et monté riel de plus de trente pages, allant lointain, avant que le réel ne res­
la réalisatrice début 2021, pour pouvoir être pré­ jusqu’au moindre boulon ou au surgisse, mais pas de la même fa­
senté dans divers festivals. stylo le plus anodin. Sa scénogra­ çon pour tout le monde. Arrivés à
s’est rendu Pour le personnel de la prison, phe, Alice Duchange, a conçu un la croisée des chemins, au cœur
compte que c’était une tout autre gageure que décor le plus léger possible, mo­ de la centrale, les membres de
L’esprit le temps était d’autoriser le tournage d’un film
à l’intérieur de l’espace carcéral,
dulable, à base de panneaux de
mélaminé pouvant être recou­
l’équipe le regarderont, pensifs,
s’avancer seul dans le couloir qui
En partenariat d’ouver- au cœur de par rapport à l’artisanat du théâ­ verts de rideaux ou de fresques mène aux cellules, tandis qu’eux
avec
ture. la condition tre. Corinne Puglierini, la direc­ peintes. Augustin Barbaroux, le prendront celui qui mène à l’air
trice de la centrale, a pourtant dé­ chef opérateur, a réduit le maté­ libre et à la liberté. 
des prisonniers cidé de rendre cette aventure pos­ riel au strict nécessaire. fabienne darge
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020 culture | 19

Une rentrée des séries dans l’espace­temps

MUSI Q UE
La tournée de Patrick
Bruel repoussée à
mai 2021
Après l’annulation ou le re­
L’automne s’annonce riche avec le retour de héros familiers et de nouveaux venus port des tournées d’automne
dans des grandes salles de
­M­, Alain Souchon,
Christophe Maé (les dates du
TÉLÉVISION aux policiers inamovibles inter­
prétés par Caroline Proust et
La pandémie le portrait d’un jeune homme de
Cro­Magnon en dix fois une
programme spatial que Tom
Wolfe a tenue dans L’Etoffe des
mois de septembre pour ces
deux derniers), ou M Pokora,

E
n 2020, les séries ont été
à la consommation
culturelle ce que les légu­
mineuses ont été à la
pyramide alimentaire : un élé­
ment essentiel dont on commen­
çait à se lasser au sortir du confi­
nement. Maintenant qu’on a eu le
temps de rééquilibrer un tant soit
peu son régime, on peut exercer
plus de discernement. Il sera
d’autant plus nécessaire qu’avec
les premiers signes de l’automne
arrivent des dizaines d’heures de
fiction, qui pourraient retracer
l’histoire de l’humanité de la
préhistoire (Moah) à son efface­
ment face aux androïdes (Raised
by Wolves) en passant par La Ré­
volution (version Netflix) et la
conquête de l’espace (L’Etoffe des
héros, Away). Voici quelques indi­
cations pour s’orienter dans le
temps et dans l’espace de cette
galaxie d’épisodes.
Cette saison s’ouvre sur des
adieux. Quinze ans après leur
première apparition, Laure
Berthaud et ses hommes s’éclip­
sent au terme de la huitième
saison d’Engrenages (lundi 7 sep­
tembre sur Canal+). La longévité
de la série, sa perméabilité à l’air
du temps en font une exception
dans la fiction policière française.
Pour amener des personnages de­
venus familiers au bout de leur
chemin, la créatrice de ce finale,
Marine Francou, les fait passer par
la Goutte d’Or, où ils enquêtent sur
la mort d’un enfant marocain.
Comme le veut la loi du genre, face
Thierry Godard viennent s’aligner
de nouveaux suspects : Kool Shen
et Salim Kechiouche.
Faits divers
Plus près encore de la réalité, deux
faits divers ont donné naissance à
des miniséries : Un homme ordi­
naire (15 septembre, M6) reprend
la trame de l’affaire Dupont de
Ligonnès, avec Arnaud Ducret et
Emilie Dequenne. Laëtitia (21 sep­
tembre, France 2), coécrit et mis
en scène par Jean­Xavier de
Lestrade, est adapté de l’ouvrage –
Laëtitia ou la fin des hommes –
qu’Ivan Jablonka a consacré à la
jeune victime d’un féminicide
commis en 2011, près de Nantes.
Toujours « inspirées de faits
réels », deux séries réimaginent
l’histoire récente du Proche­
Orient. No Man’s Land (en ligne à
partir du 18 septembre, à l’antenne
fin novembre, Arte), coproduction
franco­israélienne, précipite une
fratrie parisienne (Félix Moati et
Mélanie Thierry) dans la campa­
gne qui opposa Daech aux forces
kurdes, aux confins de l’Irak et de
la Syrie. Production israélienne,
Téhéran (25 septembre, AppleTV)
évoque la cybercampagne que
mène le Mossad contre l’Iran.
Autre collaboration franco­israé­
lienne, Possessions (quatrième tri­
mestre, Canal+) semble naviguer
entre enquête policière et fantasti­
que, avec pour personnage central
une mariée (Nadia Tereszkiewicz)
accusée d’avoir poignardé son
époux au moment de découper le
a pour effet
le retard pris par
des séries comme
« Succession »,
« Stranger
Things »
ou « Mytho »
gâteau. Les six épisodes, réalisés
par Thomas Vincent (le film
Karnaval et la série Bodyguard),
réunissent Reda Kateb, Judith
Chemla, Dominique Valadié,
Ariane Ascaride et Tchéky Karyo.
Dans le registre du réalisme fan­
tastique, on attend aussi The Third
Day (15 septembre, OCS), minisé­
rie britannique et insulaire (en
l’occurrence une île miraculeuse­
ment préservée au large des côtes
anglaises) avec Jude Law, Naomie
Harris et Katherine Waterston
ainsi que Moloch (en ligne à partir
du 15 octobre, à l’antenne le 22 oc­
tobre, Arte), d’Arnaud Malherbe,
qui redonne vie au vieux mythe
de la combustion spontanée des
corps, sur laquelle enquêtera la
journaliste Marine Vacth (Jeune et
jolie, L’Amant double).
Il faut maintenant détailler les
étapes du voyage dans le temps
que propose l’avalanche de séries
historiques qui s’annonce. On
commencera donc par la préhis­
toire avec Moah (1er octobre, OCS),
série française comico­sérieuse,
sans dialogues, qui voudrait faire
demi­heure. Faute de nouveautés
antiques ou médiévales, on passe
directement à 1789, dont La Révo­
lution (octobre, Netflix) propose
une lecture fantastique. La
bande­annonce propose un filet
de sang bleu dégoulinant, peut­
être pour signaler la présence de
vampires daltoniens.
Sur un mode plus rigoureux, on
découvrira une lecture anglo­
phone de la colonisation du Qué­
bec par les déportés français dans
Barkskins (5 septembre, National
Geographic), avec David Thewlis et
Marcia Gay Harden. The Good Lord
Bird (quatrième trimestre, Canal+)
offre à Ethan Hawke le rôle de John
Brown, l’abolitionniste exécuté en
Virginie à la veille de la guerre de
Sécession dont le sort est vu à tra­
vers les yeux d’un esclave affran­
chi qui a rejoint ses troupes.
Ce n’est plus tout à fait de l’his­
toire, mais c’est toujours le passé.
S’appuyant sur le succès de Bates
Motel, Ratched (18 septembre,
Netflix) met en scène la jeunesse
d’une autre grande figure maléfi­
que du cinéma (et de la littérature),
l’infirmière à laquelle s’opposait
McMurphy (Jack Nicholson) dans
Vol au­dessus d’un nid de coucou
(1975). Sarah Paulson y reprend le
rôle créé par Louise Fletcher dans
le film de Milos Forman.
A peu près à la même époque, au
tournant des années Eisenhower
et Kennedy, des Américains s’en­
traînaient pour quitter la Terre.
Déjà adaptée par Philip Kaufman,
la chronique des premiers pas du
héros (octobre, Disney +) devient c’est au tour de celle de
une série peuplée de jeunes Patrick Bruel d’être reportée.
acteurs parmi lesquels Jake Prévue dans des salles de
McDorman (Limitless) en Alan type Zénith, arenas et palais
Shepard et Patrick J. Adams (Suits) des sports, du 16 septembre
en John Glenn. « Excelsior ! », au 15 octobre, elle est repous­
pour reprendre une expression sée à début mai 2021.
chère à Jules Verne, avec Away
(4 septembre, Netflix), qui – sur MUSÉES
un thème déjà travaillé par Alice En France, les musées de
Winocour dans Proxima (2019) – province moins atteints
envoie une mère de famille, en que les parisiens
l’occurrence Hilary Swank, à la Tandis que le Musée du
conquête de Mars. Plus loin en­ Louvre a enregistré en juillet
core, on découvrira une poignée une baisse de fréquentation
de survivants confiés à la garde de 75 % et en août de 60 % par
d’androïdes dans Raised by rapport à la même période de
Wolves (octobre, Warner TV) série 2019, que le Musée d’Orsay a
dans laquelle le créateur Ridley vu ses ventes de tickets chu­
Scott revient sur le thème qui tra­ ter de 70 %, les établisse­
verse toute la saga Alien : ce qui ments de province se sortent
fait (et défait) l’humanité. mieux des conséquences de
Peu de comédies à l’horizon : La l’épidémie de Covid­19. Ainsi,
Flamme (octobre, Canal+), satire la Villa Cavrois, de l’architecte
des émissions matrimoniales du Robert Mallet­Stevens, à Lille,
type Bachelor, et la deuxième ou l’abbaye du Thoronet, en
saison de Family Business (11 sep­ Provence, affichent des billet­
tembre, Netflix), toutes deux avec teries en hausse. Le MuCEM,
l’omniprésent Jonathan Cohen. La à Marseille, a pour sa part en­
pandémie n’est pas étrangère à registré un recul modéré de
cette relative pénurie. Elle a aussi 20 % de la fréquentation de
pour effet le retard pris par certai­ ses expositions en juillet­
nes séries très attendues, Succes­ août. Les monuments sur la
sion, Stranger Things ou, en façade atlantique, dans les
France, Mytho. C’est aussi le massifs montagneux, etc.,
Covid­19 qui a forcé la série la plus notamment les sites en plein
épidémique de tous les temps, The air, ont bénéficié d’une fré­
Walking Dead, à retarder la conclu­ quentation familiale de va­
sion de sa dixième saison. On en canciers restés en France,
découvrira l’ultime épisode, lundi note Philippe Bélaval, prési­
5 octobre, sur OCS.  dent du Centre des monu­
thomas sotinel ments nationaux. – (AFP.)

A San Francisco, une « résidence »

pour artistes français SAISON 2020
Première du genre aux Etats­Unis, l’institution entend stimuler
le dialogue autour d’enjeux culturels contemporains 2021
san francisco ­ correspondante çaise – et de son annexe, dévolue la contribution d’œuvres de JR et
aux lauréats – sur les hauteurs de Agnès Varda (morte en 2019). Il

S an Francisco a désormais sa
Villa Médicis. Une rési­
dence d’artistes qui vient
s’ajouter au réseau des « villas »
françaises à l’étranger, fer de lance
du rayonnement culturel interna­
tional voulu par la France. Inau­
gurée le 25 août, cette « villa » est
la quatrième dans la lignée, après
l’institution romaine, ouverte
en 1803 pour abriter l’Académie
de France à Rome, la Casa de
Velazquez, créée à Madrid
en 1920, et la Villa Kujoyama,
ouverte à Kyoto en 1992.
Curieusement, la France n’avait
pas encore investi dans une rési­
dence aux Etats­Unis. Villa San
Francisco répare cette lacune.
L’idée remonte à 2017, après l’ar­
rivée du consul de France
Emmanuel Lebrun­Damiens. Le
diplomate avait constaté que la
Silicon Valley, qui se targue d’in­
novations, était loin d’être à
l’avant­garde dans le domaine
San Francisco. Nommé « A Room
With a View » (la vue, à 180 degrés,
englobant le pont du Golden
Gate), le programme a accueilli le
romancier Martin Winckler,
l’écrivaine de science­fiction
Sylvie Denis, l’écrivain et traduc­
teur François Bon et le dessina­
teur Jérémie Royer. En 2019, le
service culturel a adapté la Nuit
des idées à l’espace géométrique
de la Bibliothèque de San
Francisco (quelque 10 000 parti­
cipants à la première édition),
puis lancé une série d’événe­
ments sur l’« After­tomorrow », le
monde d’après­demain, avec l’ob­
jectif de confronter l’imaginaire
artistique à la recherche scientifi­
que. Juliette Donadieu a aussi mis
en place un échange entre Saint­
Denis et Oakland (Californie),
deux villes de tradition ouvrière
aujourd’hui espaces de rébellion
et de création.
sera mis à disposition d’artistes
californiens pour des microrési­
dences allant d’une journée à
deux semaines, pour y créer ou
exposer.
La Villa San Francisco, qui en­
tend « nourrir le dialogue franco­
américain autour des enjeux con­
temporains », a vocation à pertur­
ber le fonctionnement classique
des résidences à l’étranger. Les ar­
tistes, écrivains, artistes du numé­
rique, photographes, invités pour
une durée de quatre à six semai­
nes et dotés d’une bourse de
2 000 dollars, seront envoyés hors
les murs et invités à rencontrer les
penseurs de la région : universi­
taires de Stanford et de Berkeley,
spécialistes de l’intelligence artifi­
cielle chez Google ou Facebook.
Chaque résident sera guidé par un
artiste local qui lui ouvrira les por­
tes de son univers.
Les premiers résidents ont été
sélectionnés pour leur engage­

culturel. Certes, San Francisco
peut se prévaloir d’un musée
d’art moderne (le SFMOMA), qui
s’est enrichi, en 2016, de l’excep­
tionnelle collection des fonda­
teurs des magasins Gap, Doris et
Donald Fisher, d’un musée de la
Beat generation, et même d’un
musée de la crème glacée. Mais la
région ne compte ni Cité des
sciences, ni institution consacrée
aux arts numériques.
Le consul et son attachée cultu­
relle, Juliette Donadieu, ancienne
directrice de production à la Gaî­
té­Lyrique, le centre parisien spé­
cialisé dans les cultures numéri­
ques, ont d’abord lancé, en 2017,
Inaugurée par visioconférence
La Villa San Francisco est l’abou­
tissement de ces réflexions. Au
printemps, la pandémie est ve­
nue bouleverser l’ordonnance­
ment prévu, mais les responsa­
bles français ont décidé de lancer
quand même le programme :
« On a plus que jamais besoin de
culture, a justifié l’ambassadeur
de France à Washington, Philippe
Etienne, en inaugurant la villa
par visioconférence. Et les institu­
tions culturelles ont plus que ja­
mais besoin de soutien. » Les pre­
miers artistes français n’arrive­
ront qu’en janvier 2021. En atten­
dant, l’appartement « avec vue » –
ABONNEZ-VOUS !
ment pluridisciplinaire ou la
place du numérique dans leur À
création. Il s’agit de l’auteur de TOUT
science­fiction Alain Damasio,
dont le dernier livre (Les Furtifs)
met en scène une société dystopi­ TANZTHEATER WUPPERTAL / PINA BAUSCH • IVO VAN HOVE
que contrôlée par les géants du
numérique, et du vidéaste
Mohamed Bourouissa, qui pro­
ANNE TERESA DE KEERSMAEKER • SIDI LARBI CHERKAOUI
jette d’analyser l’intelligence arti­
ficielle comme nouvelle forme de ANGELIN PRELJOCAJ • JULIEN GOSSELIN • DAVID BOBÉE
religion.
Le programme – une collabora­
tion du consulat de France à San
MOURAD MERZOUKI • HOFESH SHECHTER • LES 7 DOIGTS • • •
Francisco, de l’Institut français et
de la French American Cultural
Society – est appelé à faire des
01 40 03 75 75 • lavillette.com
émules. D’autres résidences d’ar­ Hofesh Shechter, Tanztheater Wuppertal / Pina Bausch avec le Théâtre de la Ville • Anne Teresa de Keersmaeker avec le Festival d’Automne à Paris

une bourse pour écrivains, en un deux­pièces cuisine et tistes sont d’ores et déjà prévues
profitant de la situation excep­ living­room – a été rénové par aux Etats­Unis. 
tionnelle de la résidence fran­ l’architecte Amir Mortazavi, avec corine lesnes
20 | télévision
Aretha Franklin, Detroit et l’esprit de la soul
Un riche documentaire revient sur la carrière et les combats militants de la chanteuse, morte en 2018
ARTE
4 SEPTEMBRE – 22 H 25
DOCUMENTAIRE
I
l y a bien sûr la bande­son, ir­
résistible, truffée de tubes
planétaires. Il y a aussi de ré­
jouissantes archives télévi­
sées américaines datant des an­
nées 1960 et 1970, où l’on décou­
vre Aretha Franklin seule au
piano, voix puissante et voile de
tristesse dans le regard. Ou en duo
et déchaînée avec Sammy Davis Jr.
Mais ce documentaire consacré
à la diva de la soul (1942­2018) ne se
contente pas de faire défiler une
carrière hors norme. Sa force est
aussi d’intégrer de bout en bout la
ville de Detroit (Michigan), élé­
ment visuellement puissant, poli­
tiquement parlant, musicalement
incontournable et, de fait, insépa­
rable de la vie d’Aretha Franklin.
Car en dépit de son succès pla­
nétaire, jamais la fille du révérend
C.L. Franklin n’a quitté la ville où
elle débarqua avec sa famille à
l’âge de 4 ans, en provenance de
Memphis. « Detroit, c’est chez moi.
J’y ai toute ma famille, mes amis. Je
suis ravie d’y vivre ! », lance­t­elle
au sommet de sa gloire alors que
Detroit, ville symbole de la musi­
que et de l’automobile, autrefois
si puissante et prospère, entamait
son déclin économique.
La vie mouvementée d’Aretha
Franklin est donc étroitement
Quand la tragédie familiale tourne au film d’horreur
Le premier long­métrage d’Ari Aster, « Hérédité » (2018), met en scène une famille rongée par un deuil maléfique
CINÉ+ PREMIER
VENDREDI 4 - 22 H 10
FILM
H érédité commence juste
après la mort de la mère
d’Annie (Toni Collette). Le
service funéraire donne l’occasion
à la nouvelle orpheline de régler
quelques comptes avec la défunte.
De toute la famille, seule Charlie
(Milly Shapiro), la fille, semble
vraiment porter le deuil. Or, cel­
le­ci n’encourage pas particulière­
ment l’empathie, avec son visage
d’oiseau de proie, son regard opa­
GRILLE N° 20 - 206
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I à Bornéo. Démonstratif. V. Arrangeait
II
III
IV
V 6
VI
VII
VIII
IX
X à London. Art oratoire et poétique.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 205
HORIZONTALEMENT I. Matrilignage. II. Aboule. Aubes. III. Roublardes.
IV. Curie. Aï. Eus. V. Otés. Rident. VI. Têt. Aident. VII. Tm. Rvse (vers).
Iéna. VIII. Aérai. Rat. Ai. IX. Gneiss. Cumin. X. Etalonnement.
VERTICALEMENT 1. Marcottage. 2. Aboutement. 3. Touret. Réa. 4. Rubis.
Rail. 5. Ille. Aviso. 6. Léa. Ris. SN. 7. Raider. 8. Gadidé. Ace. 9. Nue.
Enitum (mutine). 10. Absente. Me. 11. Gé. Ut. Nain. 12. Esus. Saint.
mêlée à l’histoire complexe de
Detroit. Les historiens, biogra­
phes, universitaires et musiciens
interrogés dans ce documentaire
apportent des éclairages bien­
venus sur le rapport d’Aretha
Franklin à la musique, mais aussi
sur ses engagements en faveur
des droits civiques et de la com­
munauté noire. De sa proximité
avec Martin Luther King, de son
combat pour soutenir Angela
Davis ou de ses prises de position
féministes.
« Manier les silences »
Les images des émeutes de
juillet 1967 à Detroit (quatre jours
d’affrontements, 43 morts, des
milliers de bâtiments détruits)
viennent ainsi rappeler le difficile
retour à la réalité d’une ville qui,
en pleine expansion au lende­
main de la seconde guerre mon­
diale, faisait figure de terre d’ac­
cueil pour les Noirs fuyant la sé­
grégation des Etats du Sud. Une
terre qui fournissait du travail
grâce aux usines automobiles, et
où se créait de la bonne musique.
Dans la jolie maison familiale
ouverte aux amis, aux musiciens
et à des personnalités comme
Martin Luther King, la musique
s’échappait de partout. C’est
auprès de son père, célèbre pas­
teur charismatique à la voix puis­
sante, que la petite Aretha com­
mença à chanter dans les églises.
que et ses tics. Entre l’incapacité
d’Annie à pleurer et les travers
inquiétants de Charlie, il n’est pas
besoin d’un diplôme de théra­
peute familial pour comprendre
que ce nœud de vipères­là ne peut
se dénouer que dans la tragédie.
Pendant un moment, Ari Aster
en trace les entrelacs en em­
ployant l’expression littérale (lors
d’une réunion de groupe de sou­
tien, Annie décline, en quelques
phrases, une généalogie de psy­
chopathes qui pourrait faire rire, si
son interprète n’exhibait pas les
plaies psychiques laissées par ses
7 8 9 10 11
Aretha
Franklin au
New Victoria
Theatre,
Angleterre,
en 1980.
ARTE/DAVID REDFERN
ancêtres) et une mise en scène
complexe. La mère de famille,
aussi artiste, s’emploie à remettre
en scène son existence dans des
tableaux en trois dimensions, ré­
pliques miniatures et immobiles
d’épisodes familiaux passés.
Le cinéaste passe sans accroc de
ces représentations à la réalité,
suspendant toute confiance dans
la rationalité des sens. Il filme en
temps réel des épisodes de la vie
quotidienne, injectant d’abord des
doses homéopathiques – puis des
remèdes de cheval – d’inconfort,
d’irrationalité.
HORIZONTALEMENT
I. S’élèvent harmonieusement dans
le chœur des églises. II. N’a jamais
réglé ses comptes. Cours du nord.
III. Mise de côté. Met le feu aux pavil-
12
lons. IV. Marque un moment de
doute. Chasseurs de têtes redoutés
comme un arc. Sommet des Alpes
suisses. VI. Faux dieux dans la Bible.
Enfant du réchauffement. Fin mars.
VII. Personnel. Secte de l’islam chiite.
VIII. Le titane. Ternes et sans éclat.
Renforce l’accord. IX. Met le feu
aux organes. Dans le bide. Petit et
déjà mal-aimé. X. Feraient perdre
toute souplesse aux lainages.
VERTICALEMENT
1. Très élevé mais surtout interdit.
2. Dominance entre la droite et
la gauche. 3. Fit de gros dégâts chez
les rouges. Piégé. 4. Laisse de glace
5. Sans effets, mais peut en faire. En
liasse. Se réveille pour manger. 6. En
prenant de la hauteur, elle se ridicu-
lise. 7. Du plus bel effet quand on la
sort au bon moment. 8. Expression
de surprise. Disposera harmonieuse-
ment. 9. Le septième a des salles à
remplir. Pris de la hauteur. 10. Plume
de la Botte. Renforce le montage.
11. Possessif. Du duvet sur le plume.
12. Surprend toujours.
Ce ne sont pas les signes du sur­
naturel (les runes ensorcelées, les
séances de spiritisme) qui don­
nent à Hérédité sa force toxique,
mais la remise en scène, selon les
règles du film d’horreur, des gran­
deurs et servitudes de la vie de fa­
mille. Les Graham ne descendent
pas aux enfers, ils se laissent en­
gloutir dans sa vase, sur un
rythme funèbre, d’où une durée
(plus de deux heures) exception­
nelle pour un film de ce genre.
Autour de Toni Collette, Gabriel
Byrne se fait le champion de la
résistance à l’évidence et du désar­
SUDOKU
N°20­206
8 7
1 7 5 3
7 Chaque chiffre ne doit
9 2 3 6
1 9
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Cahier numéro un de l’édition n° 2914 du 3 au 9 septembre 2020
DOSSIER L’ÉCOLE À L’ÉPREUVE DU COVID
JOSPIN
JUGE
MACRON
“SON LOGICIEL EST
ANACHRONIQUE”
P. 34
JEAN-FRANÇOIS ROBERT
Sa voix exceptionnelle lui permit
d’enregistrer son premier album à
14 ans. « Au sein de la chorale,
Aretha avait réussi à imiter la capa­
cité dramaturgique de son père
pendant les sermons. En l’écoutant,
elle a réussi à comprendre com­
ment manier la cadence, les silen­
ces. Elle était aussi une prêcheuse »,
résume Daphne Brooks, profes­
seur d’études afro­américaines à
l’université Yale (Connecticut).
Quatorze ans, c’est aussi l’âge
auquel Aretha Fanklin abandonne
le lycée et suit son père sur les rou­
tes, faisant la tournée des églises.
A 18 ans, la prodige signe son pre­
mier contrat chez Columbia Re­
cords. A 25 ans, elle rencontrera le
producteur Jerry Wexler (inven­
teur du terme « rythm’n’blues »),
qui fera d’elle une icône mondiale.
Artiste phénoménale, à la fois
militante et symbole de la bour­
geoisie noire américaine, Aretha
Franklin aura réussi jusqu’à ses
funérailles, étalées sur trois jours
et préparées avec soin : dans les
rues de Detroit où se pressaient
anonymes, artistes, responsables
politiques et hommes d’Eglise, un
cortège d’une centaine de
Cadillac roses défila au ralenti.
Respect. 
alain constant
Aretha Fanklin : Soul Sister,
de France Swimberge
(Fr., 2020, 60 min).
roi paternel, Alex Wolff (qui joue
Peter, l’aîné) trouve le passage du
Nord­Ouest entre l’atonie adoles­
cente et la déshumanisation d’un
zombie. L’apparition d’Ann Dowd,
qui tient le rôle de la spirite en
apparence consolatrice, scelle le
sort des Graham. De The Leftovers
en Servante écarlate, l’actrice a
toujours été une parfaite prophé­
tesse des malheurs à venir. 
thomas sotinel
Hérédité, d’Ari Aster. Avec Toni
Collette, Gabriel Byrne, Milly
Shapiro (EU, 2018, 127 min).
7 1 5 8 2 6
8 9 4 7 5 3
2 6 3 9 4 1
4 1 4 6 3 8 9 5
3 7 8 2 1 5
6 9 1 5 5 2 9 4 6 7
6 3 1 5 9 4
9 8 7 1 3 2
4 5 2 6 7 8
2 3 Difficile
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
4 2 par colonne et par
carré de neuf cases.
P. 24
EN VENTE
CHEZ VOTRE
MARCHAND
DE JOURNAUX
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
VENDREDI  4 SEPTEMBRE
TF1
21.05 Koh-Lanta
Jeu présenté par Denis Brogniart.
23.20 Vendredi, tout est
permis avec Arthur
Divertissement présenté par Arthur.
France 2
21.05 Candice Renoir
Série. Avec Cécile Bois,
Raphaël Lenglet, Gaya Verneuil,
Ali Marhyar (Fr., 2019 et 2018).
22.55 Candice Renoir
Série. Avec Cécile Bois,
Raphaël Lenglet, Delphine Rich,
Stéphane Blancafort (Fr., 2017).
France 3
21.05 Elle s’appelait Grace Kelly
Documentaire de Serge de Sampigny
(Fr., 2020, 120 min).
23.05 Léo Ferré, un homme libre
Documentaire de Natalie Frassoni
et Frédéric Bouvier (Fr., 2019, 65 min).
Canal+
20.45 Rugby
Stade français - Bordeaux-Bègles.
1re journée du Top 14. En direct.
0.20 Galveston
Film de Mélanie Laurent.
Avec Ben Foster, Jeffrey Grover,
Elle Fanning (EU, 2018, 90 min).
France 5
20.50 La Maison France 5
Barbizon.
Magazine présenté
par Stéphane Thebaut.
22.20 Silence, ça pousse !
Magazine présenté
par Stéphane Marie et Carole Tolila.
Arte
20.55 Tout contre elle
Téléfilm de Gabriel Le Bomin.
Avec Astrid Whettnall, Patrick Timsit,
Sophie Quinton, Lucy Ryan
(Fr., 2018, 90 min).
22.25 Aretha Franklin :
Soul Sister
Documentaire de France Swimberge
(Fr., 2020, 60 min).
M6
21.05 Bull
Série. Avec Michael Weatherly,
Freddy Rodriguez, Geneva Carr
(EU, 2019).
22.50 Bull
Série. Avec Michael Weatherly,
Freddy Rodriguez, Chris Jackson
(EU, 2018 et 2016).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
9 3 4
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
2 1 6 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
7 5 8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
2 7 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
4 6 9
abojournalpapier@lemonde.fr.
1 8 3
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
8 7 2
6 4 5 Courrier des lecteurs
3 9 1 Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Médiateur : mediateur@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Rolex
Submariner
Date 126610LV.
ROLEX
HORLOGERIE
genève
R
arement politique de créa­
tion horlogère aura été
autant fondée sur des objec­
tifs commerciaux. Après
trois trimestres 2020 oscillant entre
mauvais et catastrophique, les mar­
ques de montres de luxe se mettent en
ordre de bataille pour tenter de finir
l’année en beauté ou simplement de li­
miter la casse. Leurs fortunes sont
aussi diverses que leurs profils.
D’un côté, une poignée de géants
comme Audemars Piguet ou Patek
Philippe, incapables de satisfaire une
demande explosive depuis plusieurs
années, sont protégés par leur statut
d’incontournables et leurs carnets de
commande. De l’autre, des marques
qui peinent à sortir du marasme, coin­
cées entre demande faible et marchés
fermés. Entre les deux, des indépen­
dants de petite taille, remuants, qui
cherchent à contrer leur fragilité par
encore plus d’audace.
On ne s’y attendait pas, mais Rolex,
de loin leader du secteur, a finalement
présenté des nouveautés 2020 à Paris,
début septembre. En l’occurrence, une
refonte de sa collection Submariner, sa
montre de plongée, qui fait office de
référence du genre. Ce sont surtout les
versions à la lunette verte et a fortiori
bleue qui devraient déchaîner les fans,
eux qui se précipitent sur ce type de
modèle. A tel point qu’il existe encore
au catalogue de la marque près de dix
références pour lesquelles les listes
d’attente dépassent les cinq ans. Les
nouveautés ne feront certainement
pas exception.
Onyx et noir de geai
Choix stratégique inverse chez sa fi­
liale Tudor, qui se contentera en tout
et pour tout d’une seule nouveauté
pour la saison 2020­2021, la Black Bay
Fifty­Eight Navy Blue. Qui au passage
finit de consacrer le bleu comme cou­
leur star de l’horlogerie actuelle.
La grande série de lancements avait
déjà eu lieu du 26 au 29 août à Genève
lors des Geneva Watch Days, un salon
de taille intermédiaire et en présen­
tiel. C’est là que Bulgari a tapé aux
deux extrémités de son spectre avec
d’un côté une montre sportive, la Bul­
gari Aluminium, et de l’autre un nou­
vel exploit de finesse et de technicité.
La sophistication de l’Octo Finissimo
Tourbillon Chronographe Automati­
que est très visible, sans sacrifier la
portabilité grâce à une épaisseur de
7,4 mm, un record dont la marque a
fait son terrain de jeu favori.
A Genève, le salon a fait sa révolution
après plus de six mois sans pré­
sentation physique, quelques ac­
teurs de l’horlogerie ont voulu re­
trouver l’esprit « salon ». A l’initiative
de Bulgari, et avec le soutien de quel­
ques poids lourds dont les marques
appartenant à Kering, une douzaine
de maisons, et presque autant en
« off », ont présenté leurs nouveautés
du 26 au 29 août, à Genève. De vraies
montres, posées sur des tables, que
l’on pouvait prendre en main et es­
sayer. Le fait mérite d’être noté, à une
époque où la plupart des produits
sont présentés par écran interposé
– rien de plus artificiel pour cet objet
tridimensionnel, que l’on doit enfi­
ler pour le comprendre réellement.
Breguet Tradition Quantième Rétrograde 7597. BREGUET
A la faveur de l’automne
Pour compenser un début d’année difficile,
la rentrée horlogère annonce nouveautés et refontes.
De la collection Submariner nouvelle version
pour Rolex à la Laureato, best­seller chic
de Girard­Perregaux, l’heure est à la diversité
On espérait beaucoup des lance­
ments de Girard­Perregaux. Discrète
depuis deux ans à la suite de change­
ments de direction, la marque présen­
tait sa nouvelle vision pour les années
à venir. D’un côté, elle s’appuie tou­
jours sur son best­seller, une montre
sportive chic toute en acier, la Lau­
reato. Cette année, elle se fait plus chic
que sportive avec l’emploi de cadrans
en onyx. Lisses, lumineux et d’un noir
de geai, ils donnent un nouveau souf­
fle à la marque dans une optique plus
large, puisque plusieurs modèles
adoptent ces faces en pierre dure sous
Loin des grands salons tradition­
nels, raouts internationaux concen­
trés dans une seule enceinte fermée,
les Geneva Watch Days étaient au
contraire décentralisés. Les marques
exposaient dans des suites de grands
hôtels de la rade du Léman et dans
des points de vente horlogers­phares
de la ville. Une initiative qui montre
bien que le salon horloger, déjà remis
en cause avant la pandémie, est en
plein bouleversement.
Le partage du temps
Après de multiples péripéties, le lea­
der du secteur, Baselworld, a fini par
être entièrement vidé de sa subs­
tance. Déjà menacé par le départ de
Chez Tudor,
la Black Bay
Fifty-Eight Navy
Blue finit
de consacrer
le bleu comme
couleur star
de l’horlogerie
actuelle
clients majeurs, dont le leader mon­
dial de l’horlogerie, le Swatch Group,
en 2019, ce salon de référence a
perdu ses derniers mastodontes en
avril. Rolex, Patek Philippe et Cho­
pard ont emmené avec eux ce qu’il
restait d’attractivité à ce rendez­
vous. Ensemble, ils se sont tournés
vers Genève pour s’accoler à l’autre
grand salon horloger.
Autrefois nommé SIHH et rebap­
tisé Watches & Wonders, il réunit
dix marques du groupe Richemont
(Cartier, IWC, Montblanc, etc.), et le
double d’indépendants de réfé­
rence. Les deux entités semblent
s’être mises d’accord pour se parta­
ger un temps et un espace d’expo­
Tudor Black Bay Fifty­Eight Navy Blue. TUDOR
Girard­Perregaux
Laureato 42 mm
Infinity Edition.
GIRARD PERREGAUX
Bulgari Aluminium. BULGARI
l’appellation transversale Infinity. Il
en va de même pour la grande nou­
veauté de la marque, la Free Bridge, vo­
let moderne et à l’apparence très tech­
nique, de fort diamètre, qui devrait
plaire.
Mais pour appréhender la diversité
de ce secteur, il faut aussi regarder du
côté des petits acteurs. Leur statut
d’indépendant leur offre une plus
grande latitude. La liberté de design de
la Streamliner de H. Moser & Cie est
ainsi le trait caractéristique de cette
pièce inclassable, qui n’est d’aucune
époque et donc forcément de la nôtre.
sition. L’agenda, calé au prin­
temps 2021, reste flou, de même que
le périmètre exact de la manifesta­
tion. Et bien entendu, comme tout
rassemblement, il reste susceptible
d’être annulé. Déjà, les Geneva
Watch Days avaient dû faire sans les
journalistes et détaillants asiatiques
ou américains.
En tout cas, si, pour bien des ac­
teurs, la communication électroni­
que, globale et instantanée est dé­
sormais la règle, les Geneva Watch
Days ont eu au moins le mérite de
rappeler que l’émotion horlogère est
plus forte lorsque la montre est in­
carnée, et pas derrière un écran. 
d. ch.
styles | 21
Son étrangeté apparente en photo dis­
paraît au poignet tant elle est seyante.
De son côté, la petite échoppe Ferdi­
nand Berthoud présentait un modèle
dont la sophistication hyperbolique
ne se voit absolument pas. En hom­
mage à l’horloger de marine de
Louis XV entre autres, la marque lan­
çait son Chronomètre FB 2, qui multi­
plie les solutions avancées pour ren­
dre cette montre exceptionnellement
précise. Une débauche de moyens
techniques que ne révèle en rien son
mouvement à la beauté spectaculaire.
Berthoud était contemporain de
Breguet. La marque continue de sau­
poudrer ses lancements et ce tou­
jours en mode virtuel. C’est donc en
photo que l’on a découvert la Tradi­
tion Quantième Rétrograde 7597. Sur
la base des designs du début XIXe siè­
cle hérités de son fondateur épo­
nyme, Breguet propose une date ré­
trograde qui remet les Tradition au
premier plan. Elles ont tout pour sé­
duire à la fois une clientèle classique
attirée par l’aura de la marque et une
autre, plus pointue, qui recherche l’es­
thétique mécaniste rétro qui caracté­
rise cette ligne.
Mais il n’est pas forcément néces­
saire de s’envoler vers la stratosphère
des prix pour trouver une originalité
absolue. La preuve avec Le Régulateur
Louis Erard x Alain Silberstein. Cette
très petite marque a lancé un pro­
gramme de partenariats avec plu­
sieurs grands noms de l’horlogerie. La
première mouture est une pièce mul­
ticolore – une aiguille jaune, une autre
bleue, la troisième rouge et une qua­
trième blanche, aux formes plus
étranges les unes que les autres. Il faut
y lire un clin d’œil malicieux de l’hor­
loger franc­comtois Alain Silberstein,
figure pionnière de l’horlogerie créa­
tive derrière sa grande moustache, qui
a doté la France de nombreuses horlo­
ges et défriché plusieurs tendances.
Derrière l’esthétique bariolée se cache
un objet horloger abordable, facile à
porter et amusant comme tout. Fina­
lement, à quand remonte la dernière
fois qu’un objet vous a fait sourire ? 
david chokron
 IDÉES
0123
22 | VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020

Walter Lohman et Valérie Niquet

Le basculement du monde vers l’Asie,
avec la Chine au centre, n’aura pas lieu
La pandémie a révélé les limites internes
du régime chinois. Dans le combat pour
le leadership mondial, ce sera peut­être l’Europe
et les valeurs humanistes qui l’emporteront,
affirment les deux experts en géopolitique
des raisons liées à la nature même du système
a révélé les limites internes du régime, incom­
patibles avec son statut de deuxième puis­
sance mondiale.
La corruption, l’absence de transparence et
de système légal sont rendues plus délétères
encore par la place ultra­dominante que la
Chine a prise dans les échanges mondiaux.
Mais la pandémie a aussi révélé les faibles­
ses externes d’un système totalement foca­
plus fidèles soutiens. L’Union européenne,
pourtant traditionnellement prudente, a
multiplié les déclarations de méfiance à
l’égard d’un régime au comportement in­
compréhensible.
Dans ce contexte, les discours chinois sur le
« multilatéralisme » ont considérablement
perdu de leur crédibilité. Et il ne suffit plus à
Pékin de promettre des avancées sur le climat
pour satisfaire Paris. Le Japon lui­même, pour­
contestée par Pékin, qui l’emporte idéologi­
quement jusque dans le monde chinois. Hon­
gkong et Taïwan sont là pour en témoigner.
Au­delà de la Chine, le Japon a pris aussi le
risque d’écorner son image de puissance
douce, et de remettre en cause les efforts ac­
complis depuis 2012 pour placer l’Archipel au
cœur de la réflexion stratégique globale. Son
discours sur les valeurs communes et un es­
pace indo­Pacifique libre et ouvert s’est en ef­

L
a fin de l’Occident et de son modèle libé­
ral semblait une évidence dominant les
débats sur l’avenir du système plané­
taire. En dépit de son ralentissement, la
croissance chinoise demeurait forte, mas­
quant les lacunes du régime, dont des inégali­
tés abyssales entre les privilégiés, souvent
membres du Parti communiste au pouvoir, et
les laissés­pour­compte.
Le modèle chinois et ses « nouvelles routes
de la soie » semblaient devoir s’imposer iné­
luctablement, jouant de capacités d’investis­
sements en apparence illimitées. Idéologi­
quement, la stratégie « America first » de Do­
nald Trump, ses critiques contre les alliés les
plus proches des Etats­Unis, de l’Europe à
l’Asie, donnaient du crédit à ceux qui, plaçant
sur le même plan les ingérences américaines
et une menace chinoise en apparence très
lointaine, ne voyaient dans la guerre com­
merciale avec Pékin que la manifestation
d’une rivalité pour dominer le monde.
Place ultra-dominante
La crise due au Covid­19 impose toutefois de
remettre en cause cette analyse. Le bascule­
ment du monde vers l’Asie, avec la Chine au
centre, n’aura pas lieu. Cette pandémie appa­
rue en République populaire de Chine pour
lisé sur l’objectif étroit de maintien au pou­
voir du Parti communiste par n’importe quel
moyen, dont le repli idéologique et l’hyper­
nationalisme. Alors que la crise faisait rage,
on a vu Pékin se lancer dans une course aven­
turiste aux provocations les plus contre­pro­
ductives, de la frontière indienne à la mer de
Chine, de Hongkong au Xinjiang. Les « loups
combattants » de la diplomatie chinoise ont
multiplié les déclarations agressives, ruinant
l’image positive de la Chine auprès de ses
CETTE PANDÉMIE,
APPARUE
EN RÉPUBLIQUE
POPULAIRE
DE CHINE, A RÉVÉLÉ
LES LIMITES
INTERNES
DU RÉGIME
tant de meilleure volonté, est confronté à des
provocations renforcées dans ses eaux territo­
riales, les forces navales chinoises multipliant
les incursions pour des durées de plus en plus
longues. Même l’Afrique renâcle, dont, pour la
première fois, les ambassadeurs ont publié
une lettre ouverte demandant un meilleur
traitement de leurs ressortissants en Chine.
Rapport de force
Surtout, la Chine est aujourd’hui confrontée à
une crise économique et sociale majeure et
ses marges d’action financière sur la scène in­
ternationale – sa seule véritable source de
« soft power » – sont plus contraintes. A un
autre niveau, on découvre que la « superpuis­
sance de l’innovation » demeure – en dépit
d’investissements considérables – totalement
dépendante de technologies occidentales
dont la source se tarit sous la pression des
Etats­Unis, menaçant les plus beaux fleurons
de la high­tech chinoise.
Quels que soient ses défauts, Donald Trump
– ou ses conseilleurs – a compris qu’avec un
régime chinois essentiellement léniniste der­
rière les références culturalistes à l’harmonie
et aux valeurs confucianistes, seul le rapport
de force s’imposait. En Asie, c’est le modèle oc­
cidental, et les valeurs de la démocratie, dont
l’universalité est pourtant systématiquement
fet vu remis en cause par le choix surprenant
d’une fermeture totale en partie motivée par
les risques épidémiques, mais qui a fait du Ja­
pon une exception parmi ses partenaires du
G7. Les incertitudes qui pèsent sur les Jeux
olympiques semblent avoir freiné l’enthou­
siasme de ceux qui ambitionnaient de voir
Tokyo jouer un rôle mieux reconnu sur la
scène internationale.
La pandémie laissera des traces partout,
mais ce qu’elle a révélé, c’est que le bascu­
lement du monde vers une Asie dominée par
la Chine n’était pas une fatalité et encore
moins une option souhaitable, et s’il doit y
avoir un gagnant dans ce combat mondial, ce
sera peut­être l’Europe – qui a su s’emparer
d’enjeux stratégiques nouveaux à la faveur
de la crise – et les valeurs humanistes qui
l’emporteront. 
Walter Lohman est directeur du Centre
d’études asiatiques de la Heritage Founda-
tion, Washington DC
Valérie Niquet est responsable du pôle
Asie, Fondation pour la recherche
stratégique, Paris

Jaushieh Joseph Wu Il est temps d’accueillir enfin

Taïwan au sein du système des Nations unies
Sous la pression de Pékin, Taïwan, modèle européens. Nous collaborons
aussi avec d’autres démocraties
de démocratie, est toujours interdit d’accès pour mettre au point des tests
à l’ONU, s’indigne le ministre des affaires rapides, des traitements et des
vaccins. C’est seulement en tra­
étrangères de ce pays, dont il souligne vaillant ensemble pour le bien
la gestion exceptionnelle de la crise sanitaire commun que le monde viendra à
bout du Covid­19.
Dans la déclaration de la com­
mémoration du 75e anniversaire
l’Assemblée générale du 25 octo­
bre 1971 et en faire la base légale
de l’exclusion de Taïwan. En réa­
lité, cette résolution ne dit rien
sur la question de la représenta­
tion de Taïwan à l’ONU et ne pré­
cise pas non plus que Taïwan ap­
partiendrait à la RPC.
Bien entendu, Taïwan n’est pas,
et n’a jamais été, une partie de la
ner à la normale et appliquer
entièrement et à temps l’Agenda
2030 pour un développement
durable.
Fort de son travail remarquable
autour des objectifs du dévelop­
pement durable, Taïwan peut
aider les autres pays à mieux se
remettre de la pandémie. Nom­
bre de nos indicateurs des objec­
aide, et nous le ferions beaucoup
plus si nous avions l’occasion de
participer aux activités, réunions
et mécanismes de l’ONU.
Malheureusement, les 23,5 mil­
lions d’habitants de Taïwan n’ont
pas le droit de mettre un pied
dans les locaux des Nations
unies. On refuse même l’accrédi­
tation aux journalistes ou aux

E
n 2020, le monde a été tou­
ché par une crise sanitaire
sans précédent, et les effets
du Covid­19 se font ressen­
tir dans tous les aspects de la vie
des gens. Cette année marque
aussi le 75e anniversaire de la si­
gnature, le 26 juin 1945, de la
charte des Nations unies – un
texte précurseur de ce multilaté­
ralisme inclusif dont le monde a
tellement besoin en ce moment.
Maintenant plus que jamais, la
communauté internationale doit
s’efforcer de créer ensemble ce
futur meilleur et plus soutenable
appelé par l’ONU et ses Etats
membres. Taïwan est prêt, dési­
reux de se joindre à ces efforts et
en possède la capacité.
Avec moins de 500 cas confir­
més et seulement sept décès,
Taïwan a défié toutes les prévi­
sions et maîtrisé la propagation
du Covid­19 sans confinement
généralisé, et les écoles ont été
fermées seulement deux semai­
nes en février. Cela est dû princi­
palement à la réactivité du pays,
qui a pris très tôt des mesures
efficaces, comme la création d’un
centre de commandement cen­
tralisé face à l’épidémie, la mise
en place de contrôles stricts aux
frontières et de mesures de qua­
rantaine, sans oublier un partage
de l’information en toute trans­
parence. Nous avons aussi agi
rapidement pour assurer un
stock suffisant de fournitures
pour notre système de soins.
Développement durable
De plus, après nous être assurés
que nous avions suffisamment
de matériel pour notre propre
population, nous avons com­
mencé à en fournir à d’autres
pays qui en avaient besoin. Fin
juin, Taïwan avait donné à plus de
80 pays un total de 51 millions de
masques chirurgicaux, 1,16 mil­
lion de masques N95 [offrant le
meilleur niveau de protection],
600 000 blouses, 35 000 ther­
momètres frontaux et autres
fournitures médicales. Tout ce
matériel a été expédié, entre
autres, aux Etats­Unis, à nos alliés
diplomatiques et à des pays
des Nations unies, les gouver­
nements et les chefs d’Etat ont
reconnu la nécessité d’être soli­
daires pour mettre un terme à la
pandémie et s’attaquer à ses
conséquences. Ils ont fait le vœu
d’une ONU plus inclusive, qui ne
laisse personne de côté, alors que
le monde veut se relever de cette
pandémie. Nous sommes plus
que d’accord. Mais ces intentions
semblent vaines alors que Taïwan
– un modèle de démocratie dans
le monde, qui a parfaitement
réussi à contenir l’actuelle pandé­
mie – est toujours interdit d’accès
au système onusien, empêché d’y
prendre part et de pouvoir
échanger en son sein informa­
tions et expériences.
Alors même que la pandémie a
permis à la communauté inter­
nationale de prendre conscience
du caractère injuste et discrimi­
natoire de l’exclusion de Taïwan
de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) et du système onu­
sien, la République populaire de
Chine (RPC) continue à faire pres­
sion sur l’ONU pour interpréter à
tort la résolution 2758 (XXVI) de
République populaire de Chine.
Notre président et notre Parle­
ment sont élus directement par
le peuple de Taïwan. L’ONU doit
reconnaître que seul le gouverne­
ment de Taïwan démocratique­
ment élu représente ses 23,5 mil­
lions d’habitants. La RPC n’a
aucun droit pour parler au nom
de Taïwan.
L’absence de Taïwan à l’ONU est
une perte pour la communauté
internationale et nuit aux efforts
des Etats membres pour retour­
C’EST SEULEMENT
EN TRAVAILLANT
ENSEMBLE POUR
LE BIEN COMMUN
QUE LE MONDE
VIENDRA À BOUT
DU COVID-19
tifs du développement durable –
comme l’égalité des genres, la
croissance économique, la qua­
lité de l’eau et du système sani­
taire, la réduction des inégalités,
la santé et le bien­être social – ont
atteint des niveaux comparables
à ceux des pays de l’Organisation
de coopération et de développe­
ment économiques (OCDE).
Mesures discriminatoires
Nos efforts pour atteindre les ob­
jectifs du développement dura­
ble, couplés à notre réponse face à
la pandémie, nous placent dans
une bien meilleure position que
beaucoup d’autres pour aider la
communauté internationale à re­
lever les défis auxquels l’huma­
nité doit faire face.
En réalité, Taïwan aide depuis
longtemps ses partenaires en
Afrique, en Asie, dans les Caraïbes,
en Amérique latine et dans le Pa­
cifique pour leurs objectifs du dé­
veloppement dans des domaines
tels que l’énergie propre, la ges­
tion des déchets et la prévention
des sinistres. D’ores et déjà, nous
sommes capables de fournir une
médias taïwanais pour couvrir
les réunions de l’ONU. Ces mesu­
res discriminatoires sont dues à
des réclamations injustifiées et
aux pressions d’un Etat autori­
taire. Elles contredisent les prin­
cipes d’universalité et d’égalité
sur lesquels l’ONU a été fondée.
« Nous, peuples des Nations
unies, résolus (…) à proclamer à
nouveau notre foi dans les droits
fondamentaux de l’homme, (…)
dans l’égalité de droits des hom­
mes et des femmes, ainsi que des
nations, grandes et petites… », ainsi
commence la Charte de l’ONU. Les
idéaux de respect des droits hu­
mains et des libertés fondamenta­
les contenus dans ce texte ne doi­
vent pas rester plus longtemps let­
tre morte. Il est temps d’accueillir
enfin Taïwan au sein du système
des Nations unies. 
Jaushieh Joseph Wu
est ministre des affaires
étrangères de Taïwan
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
Notre système
de santé publique
a besoin d’un nouveau souffle
Quatre responsables de l’établissement
Santé publique France exposent, en vue
du nouveau Ségur annoncé par
le gouvernement, les pistes à suivre pour
améliorer le fonctionnement de cette branche
à part entière des politiques sanitaires
D
ans notre pays, les grandes ré­
formes du système de santé
sont souvent issues de crises
sanitaires majeures. L’épidé­
mie de sida et la crise de la
transfusion sanguine [l’affaire
du sang contaminé] ont contribué forte­
ment à l’essor de la sécurité et de la dé­
mocratie sanitaires. De même, un événe­
ment comme la crise de la vache folle –
déclenchée à partir de 1996 par l’épizoo­
tie d’encéphalopathie spongiforme bo­
vine (ESB) – a permis d’importantes
avancées en matière de sécurité alimen­
taire, tandis que la canicule de 2003 a
ouvert la voie, lors de chaque nouvelle
vague de chaleur, à un « plan national ca­
nicule » associant les acteurs de l’Etat et
des collectivités dans les territoires.
L’épidémie due au Covid­19 n’échappe
pas à cette règle. D’ores et déjà, de nom­
breuses mesures ont été annoncées par
un accord conclu le 13 juillet à l’issue du
Ségur de la santé. Le ministre des solida­
AUJOURD’HUI, rités et de la santé, Olivier Véran, dans
son discours de clôture, le 21 juillet, a
LA PLUPART souhaité la mise en place d’« une santé
DES MOYENS publique forte pour mieux se préparer et
mieux combattre les nouvelles crises qui
FINANCIERS ne manqueront pas de surgir et qui affec­
teront la santé des populations ». Une
DE NOTRE PAYS nouvelle grande concertation, dénom­
SONT ORIENTÉS mée cette fois « Ségur de la santé publi­
que », a été annoncée pour l’automne.
VERS LES SOINS C’est une occasion unique pour faire
progresser harmonieusement les deux pi­
liers de la santé publique que sont la pro­
tection contre les risques et l’amélioration
de la santé. La pandémie de Covid­19 l’a
très bien montré : même si l’ensemble de
la population est exposé, l’impact de l’épi­
démie est bien plus important chez les
plus âgés, chez ceux qui ont une moins
bonne santé, et ceux qui, socialement,
sont les plus vulnérables et démunis.
Il est aussi indispensable aujourd’hui
que la santé publique ne soit plus en
marge de notre système de santé en ter­
mes de ressources. La plupart des moyens
financiers de notre pays sont orientés vers
les soins, encore trop peu vers la santé pu­
blique, et en particulier vers la prévention,
l’expertise et la recherche en ce domaine.
HORS-SÉRIE
& CIVILI SATIO NS
S
& C IV IL IS AT IO N
SPARTE CONTRE ATHÈNES
Le conflit fatal à la Grèce
UN HORS-SÉRIE DE 148 PAGES - 9,90 €
SPARTE
CONTRE ATHÈNECES
À LA GRÈ
LE CONFLIT FATAL
Des pas majeurs ont été faits ces der­
nières années avec la création, à partir de
1998, du système d’agences sanitaires
[loi 1er juillet 1998 relative au renforce­
ment de la veille sanitaire et du contrôle
de la sécurité sanitaire des produits desti­
nés à l’homme] et la structuration de
Santé publique France en 2016. Des suc­
cès significatifs ont aussi été obtenus ré­
cemment en matière de lutte contre le
tabagisme, en s’appuyant sur un pro­
gramme national très structuré et grâce
à la création, en 2018, du Fonds de lutte
contre les addictions au sein de la Caisse
nationale de l’assurance­maladie.
Il reste toutefois beaucoup à faire pour
mettre la prévention et la promotion de
la santé tout en haut de nos priorités, et
s’attaquer de manière proportionnée
aux grands déterminants de la morbi­
dité et de la mortalité évitables.
Aujourd’hui, sur 100 euros dépensés
pour la santé, 6 seulement vont à la pré­
vention. Il nous faut atteindre les 10 %
pour rattraper les meilleurs standards
internationaux.
C’est un objectif réaliste et accessible
qui permettrait des progrès significatifs
dans des champs insuffisamment cou­
verts, comme la santé environnemen­
tale ou l’appui à la petite enfance. Le Sé­
gur de la santé publique peut porter à la
fois une vision stratégique de cette spé­
cialité et des moyens au regard des en­
jeux. Six grandes catégories de mesures
s’imposent pour renforcer la santé pu­
blique en France.
Pilotage stratégique
En tout premier lieu, il faut développer
une politique de prévention beaucoup
plus déterminée, en systématisant le vo­
let santé de chaque domaine d’action en
direction de nos concitoyens : l’éduca­
tion, le travail, la politique de la ville, du
logement, l’alimentation et l’agricul­
ture, les transports, l’activité physique,
les expositions environnementales et la
lutte contre la pollution ou encore le
changement climatique.
Pour ce faire, le cadre d’un pilotage stra­
tégique doit être posé, doté de ressources
dédiées et d’une compétence nationale
et régionale exercée avec des profession­
nels formés et compétents en santé pu­
blique. Il convient également, en matière
de prévention, de mobiliser et de respon­
sabiliser chacun individuellement et col­
lectivement, à l’image de ce qui a été fait
dans les récentes concertations citoyen­
nes sur le vaccin et sur le changement cli­
matique, en développant les espaces de
démocratie sanitaire et de débat autour
des enjeux de santé et de société.
Le système de santé publique doit être
compris, nourri et soutenu par la société
qui en est bénéficiaire. Deuxièmement,
il faut renforcer la protection de l’en­
fance et de l’adolescence, âges­clés pour
l’avenir de chacun et la réduction des
inégalités sociales de santé.
Aujourd’hui, les services de protection
maternelle et infantile, les réseaux de
périnatalité, la santé scolaire ou encore
la pédopsychiatrie doivent absolument
être étoffés. La prévention en santé des
adolescents est encore très balbutiante
et ne dispose pas des ressources pour ré­
pondre aux besoins croissants. Nous
proposons de créer un grand service
unifié de l’enfance.
Troisième priorité : il convient de struc­
turer le dispositif national d’épidémiolo­
gie. C’est un des enseignements majeurs
de l’épidémie de Covid­19 : il nous faut
renforcer la cohérence et la compétence
régionales pour structurer des outils effi­
caces d’alerte, de surveillance et d’éva­
luation. Le système de surveillance na­
tionale s’appuie sur des échelons d’épi­
démiologie régionale, dont
l’indépendance doit être préservée en les
distinguant des compétences de gestion.
Système cohérent
Leur intégration au niveau national et le
pilotage par l’agence référente doivent
être renforcés pour maintenir un sys­
tème cohérent sur l’ensemble du terri­
toire et au meilleur niveau internatio­
nal. Le numérique en santé doit être mo­
bilisé sans délai pour renforcer la
performance de nos systèmes de sur­
veillance en matière d’alerte, d’anticipa­
tion et de suivi réactif de la dynamique
des phénomènes de santé et de leur im­
pact épidémiologique, économique et
social sur la santé de la population.
Quatrième axe : il faut structurer les ex­
pertises, nationale et régionale, et la re­
cherche en santé publique. Nous sommes
loin de connaître et d’identifier les fac­
teurs à l’origine d’une distribution hété­
rogène des problèmes de santé, les en­
chaînements de causalité, les interven­
tions efficaces… Ces expertises
permettent d’alerter et d’évaluer les pro­
grammes de recherche en amont. La re­
cherche doit être anticipée, orientée et
fortement coordonnée, afin d’être en me­
sure de répondre aux besoins de connais­
sances dans les meilleurs délais, et de
soutenir l’émergence de jeunes cher­
cheurs et de nouvelles équipes.
Cinquièmement, il faut former à la
santé publique. Celle­ci est avant tout un
métier. Elle doit relever d’une formation
spécifique, et elle nécessite des compé­
tences et des référentiels. Les universités
doivent investir dans la formation des
acteurs de la prévention, à travers les fi­
lières de médecine, pharmacie, méde­
cine vétérinaire, agronomie, mais aussi
davantage à travers les filières de scien­
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
idées | 23
ces sociales et humaines : la santé publi­
que a besoin de politistes, de sociolo­
gues, d’économistes… Le système de for­
mation en santé publique doit être
attractif et permettre des passerelles en­
tre les différentes structures et discipli­
nes. Les cursus universitaires doivent
valoriser la prévention et ses dimen­
sions sociales et économiques (liens en­
tre inégalités sociales et état de santé, re­
tour sur investissement des program­
mes de prévention…), autant que
l’épidémiologie et la biostatistique.
Tissu associatif
Enfin, il faut appuyer l’organisation ré­
gionale de santé publique en complé­
ment de l’organisation régionale de l’of­
fre de soins, dans le sens d’une réduc­
tion des inégalités de santé. L’agence
nationale de santé publique doit pouvoir
coopérer avec des échelons régionaux
actifs et influents, à même de catalyser
l’ensemble des contributions des diffé­
rents acteurs : professionnels de santé,
acteurs du champ social, services de
santé au travail, associations, services
des collectivités territoriales…
Tous ces acteurs doivent pouvoir s’ap­
puyer sur des services de prévention
bien identifiés et complétés par un tissu
associatif au plus près des populations.
Une prévention organisée au sein des
territoires doit être en mesure d’agir
pour la réduction des inégalités sociales
et territoriales de santé en appliquant
plus systématiquement des principes de
l’universalisme proportionné : investir
davantage chez les moins influents so­
cialement et lutter contre la désertifica­
tion des territoires.
Notre système de santé publique a be­
soin d’un nouveau souffle pour progres­
ser dans la protection contre les risques,
la prévention des maladies, la lutte
contre la morbidité, les incapacités et la
mortalité prématurée, et pour ré­
duire les inégalités sociales et territoria­
les de santé. Puissent les quelques pis­
tes esquissées ici servir à la réflexion et à
la construction de solutions partagées
et pérennes pour le Ségur de la santé
publique. 
Au sein de Santé publique France,
Marie-Caroline Bonnet-Galzy est
présidente du conseil d’administration ;
François Bourdillon est ancien
directeur général ;
Geneviève Chêne est directrice
générale ;
Jean-Claude Desenclos est directeur
scientifique

24 | 0123
INTERNATIONAL | CHRONIQUE
par al ai n f r achon
L’Iran
sur la défensive
U À BEYROUTH,
ne explosion et une
évolution. Les deux
événements qui ont
marqué l’été au
Moyen­Orient – le 4 août, la tragé­
die libanaise ; le 13, l’accord entre
Israël et un puissant émirat du
Golfe – ont ceci en commun : ils
témoignent d’une tendance
lourde dans la région. Et celle­ci
n’est pas favorable à l’Iran.
Apparemment, rien ne rappro­
che l’explosion, sans doute acci­
dentelle, du dépôt de nitrate
d’ammonium qui a ravagé Bey­
routh de la normalisation des re­
lations entre Israël et les Emirats
arabes unis (EAU). Sinon que dans
un cas comme dans l’autre, la Ré­
publique islamique figure,
aujourd’hui plus que jamais, en
toile de fond de cette actualité.
Ce qui a poussé l’homme fort
d’Abou Dhabi, Mohammed Ben
Zayed, à officialiser les liens de
son pays avec Israël, c’est l’objectif
partagé de contenir l’expansion­
nisme de Téhéran. Les EAU n’ont
pas le poids démographique de
l’Arabie saoudite, mais, ils comp­
tent dans la région – économi­
quement, politiquement et mili­
tairement. Après l’Egypte et la Jor­
danie, ils sont le troisième pays
arabe à établir des relations diplo­
matiques avec l’Etat d’Israël.
Mohammed Ben Zayed met en
avant la cause palestinienne. En
échange de l’ouverture d’une
nouvelle ambassade arabe à Tel­
Aviv, Benyamin Nétanyahou, le
premier ministre israélien, re­
noncerait à annexer un tiers de la
Cisjordanie. L’annexion de ce ter­
ritoire palestinien, occupé depuis
1967, est le rêve de la droite israé­
lienne. Elle figure au programme
de la majorité au pouvoir à Jérusa­
lem et devait commencer en
juillet. L’annexion aurait planté
les derniers clous, s’il en man­
quait, sur le cercueil d’une paix is­
raélo­palestinienne fondée sur la
solution dite « des deux Etats » : la
création d’un Etat palestinien (en
Cisjordanie, notamment) aux cô­
tés de l’Etat hébreu.
Abou Dhabi en sauveur des Pa­
lestiniens ? On est en droit d’émet­
tre quelques réserves. D’abord,
parce que la version israélienne
de l’accord est que l’annexion
n’est que « reportée ». Mais sur­
tout parce que l’ambition pre­
mière de Mohammed Ben Zayed
est de conforter le front israélo­
arabe contre la République islami­
que. C’est l’Iran qui compte, pas
les Palestiniens. La priorité est
d’enrayer ce qui est perçu, sur la
rive ouest du Golfe, comme une
menace croissante : l’implanta­
tion durable de la République isla­
mique en terre arabe.
Un peu d’histoire. Seul contre
tout le monde, à l’exception de
son allié syrien, le jeune régime
révolutionnaire iranien a été
marqué pour toujours par la
guerre qu’il a dû mener, au début
des années 1980, contre l’agres­
sion de l’Irak – perpétrée avec
l’appui des Occidentaux et de
Moscou. L’Iran en ressort en déci­
dant de reprendre un programme
nucléaire actif et en développant
une conception extensive de ses
intérêts stratégiques. Cela con­
siste à installer sa première ligne
de défense chez les autres, en ex­
ploitant notamment le chaos
ABOU DHABI  LE LIVRET
EN SAUVEUR DES  quer au geste d’Abou Dhabi. Tout
PALESTINIENS ?  tions du Hezbollah ou de l’armée
C’EST L’IRAN QUI  avec le feu vert de la Russie. La li­
COMPTE, PAS LES  gne de défense de l’Iran, « milices
PALESTINIENS
Tirage du Monde daté jeudi 3 septembre : 132 097 exemplaires
0123
VENDREDI 4 SEPTEMBRE 2020
LA RELANCE 
À L’ÉPREUVE 
richesse atteint avant la pandémie, avec à la d’annuler une partie des effets de la re­
DE LA CONFIANCE
clé la création de 160 000 emplois. Au­delà
de cet objectif de court terme, le défi con­
siste à accélérer l’adaptation de l’économie
lance. Au contraire, il a choisi de les baisser,
en ciblant notamment les impôts dits « de
production », qui concernent les entrepri­
française aux enjeux environnementaux
et technologiques à l’horizon 2030. Un tiers
de la somme sera consacré à la transition
ses quel que soit leur niveau de rentabilité.
Cette mesure est de nature à redonner de
l’oxygène à la compétitivité des entreprises
écologique (rénovation des bâtiments, ré­ françaises et apparaît cohérente avec la vo­
duction des émissions de CO2 dans les lonté du gouvernement d’encourager les
 
transports, évolution vers une agriculture relocalisations.
plus durable), un tiers à l’amélioration de la Reste que, avec pas moins de soixante­dix
LE PARTI­MILICE  compétitivité et à l’innovation et, enfin, un programmes d’investissement et de sou­
tiers en faveur de l’emploi, de la formation tien à l’activité, la mise en œuvre de France
HEZBOLLAH  et de l’aménagement du territoire. Relance sera loin d’être évidente. Sa réus­
Ce plan a le mérite d’avoir tiré les leçons site tiendra dans la capacité du gouverne­
N’ÉCHAPPE PAS, BIEN 
AU CONTRAIRE, À LA 
RÉVOLTE POPULAIRE
A près l’urgence, la résilience. Si le
gouvernement a réussi tant bien
que mal à amortir le choc provo­
qué par la pandémie de Covid­19, il s’atta­
que désormais à une phase autrement plus
des échecs des relances tentées au cours
des cinq dernières décennies. D’abord, il
évite de se focaliser sur une stimulation de
la consommation, qui a surtout abouti
dans le passé à favoriser les importations
ment à se projeter dans le futur, sans se
faire rattraper par un présent instable, en­
tre une possible reprise de l’épidémie et
une probable dégradation du climat social
avec l’explosion du chômage. Il devra égale­
délicate. Il s’agit de faire repartir une éco­ au détriment du « made in France ». Si le ment faire en sorte que les dépenses soient
semé par les Etats­Unis en 2003. nomie qui a été plongée en hibernation plan porte une attention particulière aux engagées vite et bien, ce qui n’est pas gagné
Au service de cette politique, pendant deux mois, alors que le contexte publics les plus touchés par la crise, notam­ pour une administration qui a montré ses
l’Iran déploie deux armes : des sanitaire n’est pas encore stabilisé. Le pre­ ment les jeunes, la relance post­Covid ne lourdeurs lors de la crise sanitaire. Enfin, il
missiles, pour dissuader toute at­ mier ministre, Jean Castex, a présenté, doit pas se réduire à une question de pou­ faudra que la formation professionnelle,
taque sur ses installations nu­ jeudi 3 septembre, un plan baptisé « France voir d’achat. De fait, au premier trimestre, réformée au début du quinquennat, mon­
cléaires, et des milices au sein des Relance ». Sa mise en œuvre sera particuliè­ le revenu moyen des ménages français a à tre sa capacité à accompagner les salariés
communautés chiites arabes rement complexe. peine baissé (– 0,3 %, selon l’OCDE) et face à la transformation de notre écono­
alentour. Par milices interposées, A crise inédite, moyens inédits. Grâce à ce ceux­ci ont accumulé près de 100 milliards mie. C’est à ce prix que se gagnera la con­
l’Iran, majoritairement chiite, plan de 100 milliards d’euros, un montant d’euros d’épargne. fiance nécessaire pour que les entreprises,
joue un rôle déterminant en Irak, trois fois supérieur à celui décidé dans la Le gouvernement n’a pas non plus, les salariés, les collectivités locales et les
contrôle le Liban (avec le Hezbol­ foulée de la crise de 2008, la France est cen­ comme par le passé, cédé à la tentation ménages jouent le jeu d’une relance qui
lah) et, ayant sauvé militairement sée retrouver dès la fin de 2022 le niveau de d’augmenter les impôts en risquant ainsi doit profiter à tous. 
son allié syrien, est l’une des com­
posantes du pouvoir à Damas.
Avec deux conséquences : la for­
mation d’un front israélo­arabe
contre cet « impérialisme ira­
nien » et, même si elle a aussi
d’autres raisons, la marginalisa­
tion de la question palestinienne.
« L’ingérence iranienne »
Cité par le New York Times, dans
son édition du 18 août, Ali Mota­
hari, une personnalité publique
iranienne proche du régime,
constate : « Nous effrayons les Ara­
bes et nous les poussons dans les
L’œil était dans la tombe
Léon Bonnat ©RMN (Château de Versailles)/G.Blot
bras d’Israël » (pays dont la Répu­
blique islamique dit publique­
ment qu’il est appelé à disparaî­ et regardait Caïn
tre). Dans le même article, Mo­
hammed Ali Abtahi, ex­vice­pré­
sident iranien, proche du camp
« réformateur », observe : « Aux La Légende des Siècles
yeux de la rue arabe, l’Iran est de­
venu l’ennemi. » En Irak comme
au Liban, les grands mouvements
de protestation de 2019 et 2020
ont stigmatisé « l’ingérence ira­
nienne » – et nombre de chiites y
ont participé.
A Beyrouth, où les ruines du
port signent l’impotence sinon la
destruction de l’Etat dans le Liban
du président Michel Aoun, le par­
ti­milice Hezbollah n’échappe
pas, bien au contraire, à la révolte
populaire. Il est l’un des piliers
d’un système de « gouverne­
ment » fondé sur le clientélisme
et la corruption et que les Liba­
nais rendent responsable de l’ex­
plosion du 4 août. Couvert par
Aoun (un chrétien maronite), le
Hezbollah, sous­traitant local de L’œuvre immortelle et engagée
l’Iran, s’est toujours opposé à
toute réforme gouvernementale. du plus grand de nos écrivains
Défenseur des intérêts de Téhé­
ran, au moins autant que de ceux Une luxueuse collection des œuvres complètes
des chiites libanais, le Hezbollah, de l’édition Hetzel avec les gravures originales et
première force militaire locale,
accumule les missiles iraniens,
les ornementations au fer à dorer, accompagnée
cependant que les Etats­Unis de livrets inédits sur Victor Hugo.
équipent l’armée libanaise – une
des rares institutions du pays à
avoir le sens de l’intérêt général.
Par sa milice libanaise interposée,
l’Iran se retrouve pris dans le
coup de colère post­4 août. Et,
sauf à ce que le punch diplomati­
que macronien provoque un sur­
saut à Beyrouth, Aoun, de son
côté, restera dans l’Histoire
comme l’un des fossoyeurs de
l’Etat libanais.
Economiquement épuisé par
deux ans de sanctions américai­
nes illégales, l’Iran de la Républi­
que islamique ne va pas s’écrou­
Visuel non contractuel RCS aB 533 671 095
ler, lui. Mais il est sur la défensive.
Une collection LE VOLUME 5
Il a trop besoin du relais commer­
9 99
cial que sont les EAU pour répli­
l’été, Israël a bombardé des posi­
€
présentée par Érik Orsenna de l’Académie française
,
iranienne en Syrie, sans doute
SEULEMENT
ACTUELLEMENT EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
et missiles », serait­elle en passe Et dès maintenant sur www.collection-victorhugo.fr
de se retourner contre lui ? 
 2
… À LA « UNE »
v MUSSOLINI
Portrait d’Antonio
Scurati, auteur de
« M. L’enfant du siècle »

3
MOT DE PASSE
v Les généalogies de
Marie-Hélène Lafon

Antonio Scurati
4|5
Mussolini, la tyrannie du vide LITTÉRATURE
v Diane Meur, Lola
Lafon, Nazanine
Hozar, Dolores Reyes
Couronné par le prix Strega, le formidable et imposant « M. L’enfant du siècle » ouvre
une trilogie romanesque sur le « Duce », en se concentrant sur son ascension
6|7
v GRAND ENTRETIEN
AVEC COLSON
WHITEHEAD
v Portrait de l’auteur
et critique de « Nickel
nicolas weill Boys », qui lui vaut un
second prix Pulitzer

M
onumental ! Le mot
n’est pas trop fort
pour qualifier le pro­
jet d’Antonio Scurati.
L’écrivain italien, qui
a reçu le prix Strega
2019 – l’équivalent du Goncourt – pour
M. L’enfant du siècle, campe le portrait de
Mussolini en un triptyque romanesque
d’une ampleur inédite. La première par­
tie, qui paraît aujourd’hui en français,
traite de la période 1919­1924 et com­
prend déjà plus de 800 pages. Elle dresse,
pour des générations exposées à tous les
révisionnismes, le paysage de l’Italie au
sortir de la première guerre mondiale,
8
HISTOIRE D’UN
frustrée des fruits territoriaux d’une vic­ LIVRE
toire qui a coûté plus d’un million de v « Papa, qu’as-tu fait
morts civils et militaires, déchirée par en Algérie ? », de
des affrontements confinant à la guerre Raphaëlle Branche
civile entre les militants révolutionnai­
res et la poignée de fascistes lancés à
la conquête de Rome. Le défi était
immense. Il est magnifiquement relevé
et offre ce qu’il y a de meilleur dans le
genre du roman historique.
Le ton et le style sont ceux de la chroni­
que. Les événements se trouvent relatés
presque au jour le jour, dans une présen­
tation arrangée des faits, certes, mais où
toutes les figures sont réelles. Le discours
indirect et les subtils glissements d’un
point de vue à l’autre ouvrent au roman­
cier le cerveau et la psychologie des
acteurs. M. L’enfant du siècle fournit une
brillante illustration de la puissance pro­
9
ESSAIS
pre à la littérature, capable, comme le v Autobiographie de la
pensait le philosophe Paul Ricœur, d’arti­ philosophe hongroise
culer temps historique et temps humain. Agnes Heller
Organisé en saynètes qui portent à cha­ Portrait (1933) de Mussolini, par Gerardo Dottori. Ce peintre appartenait au mouvement futuriste, dont certains membres ont soutenu le fascisme. ELECTA/LEEMAGE
que fois un nom de protagoniste, une
date et un lieu, le livre raconte l’ascen­ la guerre, Mussolini avait échoué à maî­ parfois délirantes de l’ère fasciste, dont pure scandent la progression du texte.
sion du fascisme sur le mode d’un scéna­
rio de film ou de série dont la fin ne
serait jamais écrite d’avance. L’« effet de
triser ses troupes, qui ravageaient le nord
de l’Italie armées de gourdins, d’huile de
ricin mais aussi de revolvers et de fusils ?
celle de la célèbre maîtresse du « Duce »,
Margherita Sarfatti (Dux, 1926), on a pu,
après 1945, le considérer comme un fils
Saisissantes, insoutenables, parce qu’el­
les eurent bien lieu : « L’homme aux
lunettes de motard fait tournoyer sa mas­
10
CHRONIQUES
réel » est assuré, à la fin de chaque chapi­Et si, face au scandale provoqué par le simplement dévoyé du Risorgimento sue ferrée au­dessus de sa propre tête et v LE FEUILLETON
tre, par des documents du temps qui, en meurtre de l’opposant socialiste Gia­ (l’unité italienne), un rempart contre le l’abat sur le crâne du chef de la ligue [des « L’Enfant céleste »,
leur langage, attestent la réalité de l’ac­ como Matteotti (1885­1924), qu’Antonio déferlement du bolchevisme, un intel­ paysans socialistes]. Le visage couvert de de Maud Simonnot,
Scurati érige en contretype lectuel austère et moderniste passionné sang, ce dernier tente de rejoindre ses en lice pour le prix
L’ascension du fascisme positif de Mussolini, ce dernier de futurisme ou de Pirandello, entraîné filles, il marmonne des mots incompré­ littéraire du « Monde »
s’était laissé pousser à la démis­ malgré lui dans la guerre, élève du philo­ hensibles en rampant sur le ventre, entre
progresse sur le mode sion ? Et si la gauche, pourtant sophe socialiste français Georges Sorel, les jambes des squadristes qui le frappent
d’un scénario de film ou triomphante dans les urnes, théoricien de la grève générale et de de leurs bâtons. »
de série dont la fin ne serait
jamais écrite d’avance
n’avait pas été aussi divisée ?
Mussolini a profité de nom­
breux hasards et de beaucoup
l’action directe, etc.
Qu’il ne fut rien de tout cela est le
message du livre de Scurati. Ce dernier
Derrière les poses, la rhétorique ron­
flante et la mise en scène de soi en « star »
de cinéma, la véritable dimension de
12
RENCONTRE
de lâcheté, suggère l’auteur. Et montre un Mussolini opportuniste et Mussolini et du fascisme se dévoile à tra­ v Lise Charles,
ce portrait n’a rien d’un monu­ jouisseur. Surtout, il détaille la cruauté vers la chronique romancée de sa prise inquiétudes enfantines
tion qui vient d’être racontée. Le récit en ment à la gloire du personnage. Au sadique avec laquelle ses fascistes, aux de pouvoir : par­delà le mirage de la gran­
reçoit son rythme haletant et, surtout, contraire, il en propose une démythifi­ alentours de la plaine du Pô (la célèbre deur, le règne du gangstérisme, du chaos
l’histoire retrouve toute sa contingence. cation systématique, annoncée par un chemise noire faisait partie du costume et du sang. 
Et si le roi Victor­Emmanuel III avait titre qui, d’emblée, réduit le tyran à une du paysan de Romagne) ou en Polésine
signé le décret instaurant l’état d’urgence initiale. Scurati se livre à une destruc­ (au sud de la Vénétie), traitaient leurs m. l’enfant du siècle
lors de la « marche sur Rome » de 1922, au tion de la légende mussolinienne adversaires. Pour Antonio Scurati, le (M. Il figlio del secolo),
lieu de jeter le coup de pied de l’âne à d’autant plus nécessaire que, en compa­ fascisme et son leader sont avant tout d’Antonio Scurati,
l’Etat libéral et de désigner Mussolini raison avec son disciple Adolf Hitler, des « enfants d’un siècle » marqué au fer traduit de l’italien par Nathalie Bauer,
comme premier ministre ? Et si, en dépit Mussolini bénéficie d’une indulgence rouge par la « brutalisation » du premier Les Arènes, 868 p., 24,90 €,
de son goût soi­disant nietzschéen pour relative. Au­delà des hagiographies conflit mondial. Les scènes de violence numérique 19 €.

Cahier du « Monde » No 23531 daté Vendredi 4 septembre 2020 ­ Ne peut être vendu séparément
 2 | .. à la « une »
L’écrivain Antonio Scurati fait œuvre d’historien et revendique un statut d’intellectuel engagé.
Il a écrit « M. L’enfant du siècle » alors que le phénomène populiste s’affirmait en Italie
«Le fascisme, c’est la violence à l’ère des masses»
PORTRAIT
nicolas weill
A
près le succès popu­
laire qu’a connu en
Italie son roman sur
Mussolini, M. L’enfant
du siècle (300 000 exemplaires
vendus), Antonio Scurati recon­
naît volontiers la responsabilité
écrasante qui est devenue la
sienne : « Un de mes amis m’a
demandé si je me rendais compte
que les générations futures
connaîtront désormais le fascisme
à travers ce livre. Cela me fait plai­
sir et me trouble à la fois », dit­il au
« Monde des livres » depuis sa vil­
légiature sur la côte amalfitaine.
Cet écrivain faisant œuvre
d’historien, né à Naples en 1969,
auteur d’essais sur la littérature
comme de fictions, revendique
une identité d’intellectuel. Il a
jadis fréquenté en France l’Ecole
des hautes études en sciences
sociales pour y suivre le sémi­
naire du philosophe Jacques
Derrida. Professeur à l’Université
libre des langues et de la commu­
nication, à Milan, il y dispense
des cours de creative writing et
s’intéresse, en anthropologue, au
genre littéraire de la chronique,
simple enregistrement des évé­
nements.
ILAN DURAN
COHEN
pol
l
lee petit
le petit
polémiste
polémiste
polémiste
petit
le petit
polémiste
“Ilan Duran Cohen serait-il le Philip
Roth français ? Avec Le Petit Polémiste,
Ilan Duran Cohen a sans doute voulu
pondre un délire de science-fiction
sur 2030. Raté : c’est un grand roman
naturaliste sur la France de 2020.”
Frédéric Beigbeder,
Le Figaro Magazine
Celle­ci lui apparaît en effet
comme le mal et le remède de
« la maladie spirituelle de notre
temps ». Jadis, l’expérience de la
guerre, de la tyrannie ou de la
catastrophe était vécue dans la
chair. Mais dans nos sociétés glo­
balisées, elle est médiatisée par
les écrans. On peut observer l’ex­
plosion de Beyrouth sur son ca­
napé en temps réel, sans en subir
toutes les conséquences concrè­
tes et physiques. D’où l’apparition
d’une forme nouvelle de fiction,
la « littérature de l’inexpérience ».
« Nous sommes prisonniers de la
« Mussolini ne possédait
aucun autre talent
que la politique. (…) Il était
un homme vide prônant
la suprématie tactique
du vide »
chronique, affirme Scurati, nous
ne parvenons plus à sentir, à rai­
sonner en termes historiques plus
vastes. Il est donc très important
de se servir des langages de la
chronique, les plus répandus
aujourd’hui, pour reconquérir et
se réapproprier l’histoire. »
M. s’inscrit dans ce projet. C’est
pourquoi Scurati récuse les criti­
ques qui l’ont accusé de céder aux
pièges de l’esthétisation. Au
contraire, se défend­il, « j’ai utilisé
une langue simple, directe,
indemne des préciosités d’un
D’Annunzio », le poète et activiste
polémiste
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Antonio Scurati, en 2011. ULF ANDERSEN/AURIMAGES
nationaliste (1863­1938), modèle un instinct animal, guettant leurs
puis rival de Mussolini. « Ma réfé­ angoisses, leurs peurs, leurs frus­
rence dans l’art du récit, ce sont plu­ trations. » EXTRAIT
tôt les grandes séries télévisées pro­ La lecture du fascisme qui
duites par HBO », confie­t­il, un découle de M. peut pourtant « La figure de Giacomo Matteotti est élevée à la gloire
tantinet provocateur. L’intellec­ apparaître comme moins auda­ du saint. Son habitation, via Giuseppe Pisanelli, est
tuel qu’il est se plaint également cieuse que certaines interpréta­ déjà devenue une destination de pèlerinage, et sur les
de la surévaluation du rôle qu’on tions, venues de l’histoire des lieux du rapt s’accumulent des centaines de couron­
fait jouer à ses pairs dans le idées, par exemple, qui en font nes de fleurs en une sorte de mausolée à ciel ouvert.
fascisme. « Il est indéniable que la une contestation des Lumières La police intervient pour disperser la procession des
très grande majorité des intellec­ dont les racines plongeraient fidèles sur le quai du Tibre, les carabiniers montés
tuels ont fini par collaborer avec le bien avant 1914 et ne devraient balaient les fleurs et rompent le rassemblement. (…)
régime ou le subir passivement. rien à la brutalisation extrême Le Duce paraît abattu, abasourdi, paralysé par la
Mais je crois que, dans le phéno­
mène fasciste comme dans tous les
totalitarismes jusqu’à aujourd’hui,
résultant de la première guerre
mondiale. « L’essence du fascisme
se trouve dans une violence d’un
déception. Giovanni Marinelli vient d’avouer qu’il
possède encore, cinq jours après l’enlèvement, les
reçus dûment contresignés des paiements versés aux
les intellectuels comptent moins
qu’on ne le croit. Un chef nazi les
appelait “têtes d’œufs”, parce qu’ils
type particulier qu’on pourrait
qualifier d’“hyperviolence”. Une
violence qui a perdu tout visage
assassins avant et après le crime. (…) Hébété, Musso­
lini fixe un regard vitreux sur un fantôme à l’horizon :
il a toujours prôné la nécessité historique de la
se cassent facilement… » humain. C’est la violence à l’ère des violence chirurgicale, la férocité précise, exacte,
Ce romancier démystificateur, masses. A la réunion fondatrice du inexorable, et voilà qu’il a entre ses mains souillées
en quête de vérité, a surtout fascisme, place San Sepulcro, à d’excréments et de sang, un crime bestial. »
voulu en finir avec les légendes Milan, le 23 mars 1919, sur 100 per­
qui édulcorent le fascisme et sonnes présentes, 90 sont d’ex­en­ m. l’enfant du siècle, pages 787­788
poussent à l’indulgence envers gagés volontaires et 50 ont appar­
son fondateur : « Pour qui lit mon tenu aux Arditi, les troupes d’as­
roman, le mythe est à terre. L’uni­ saut de la première guerre Giuseppe Bottai [1895­1959]. Parce avec la conquête de l’Ethiopie et
que talent de Mussolini se limite à mondiale. Le point décisif est que que je pense que l’importance qui l’édification de l’empire. »
la politique. Il n’en possédait
aucun autre et en était conscient.
cette violence, qui naît d’une réac­
tion au socialisme, se transforme
a été accordée à son intellectuali­
sation constitue une erreur. »
Quant à la poignée d’erreurs fac­
tuelles remarquées par l’éditoria­
C’était un homme vide, qui prô­ en objet de désir politique de la Certaines césures temporelles liste de La Stampa Ernesto Galli
nait la suprématie tactique du part de la petite et moyenne bour­ qu’il imprime à cette histoire della Loggia, elles sont certes béni­
vide. En cela il représente l’arché­ geoisie, pour qui elle représente un sont, en revanche, moins gnes au regard de la taille de
type du populiste jusqu’à nos élément de simplification de la conventionnelles par rapport au l’ouvrage, mais la fonction de
jours. Il crée un nouveau type de réalité sociale. Voilà pourquoi, dé­ découpage des historiens. Ainsi transmission qui s’attache au récit
leadership qui ne guide pas les libérément, je me suis abstenu de le premier tome couvre­t­il la les rend problématiques. L’auteur
masses en les précédant mais en mettre en scène les intellectuels du séquence traditionnelle qui va de se contente de leur opposer, ma­
les suivant, en les reniflant avec fascisme, comme le poète futuriste 1919 au 3 janvier 1925, date du niant l’« auto­ironie », une ré­
discours par lequel Mussolini flexion de Stendhal sur La Char­
installe sa dictature « fascistis­ treuse de Parme, qui faisait de ses
« Dissiper les inepties qui sime » en assumant l’assassinat erreurs son legs à l’humanité…
du député socialiste Giacomo A­t­il pensé à la situation politi­
persistent sur le fascisme » Matteotti (1885­1924), l’autre que italienne actuelle, et faut­il
Y a­t­il de bons dictateurs ? Le titre français est aussi provoca­ « héros », au sens littéral, de M. considérer M. comme un avertis­
teur que l’original italien, « Mussolini a aussi fait de bonnes Mais le deuxième tome, qui pa­ seur d’incendie ? « Pas vraiment,
choses ». Avec ce livre conçu sur le modèle du fact checking, raît ce mois­ci en Italie, va de 1925 répond Scurati. Quand j’ai com­
qui a connu un grand succès dans la Péninsule en 2019, à octobre 1932. « J’ai décidé d’in­ mencé les recherches et la rédac­
le jeune historien Francesco Filippi voulait « dissiper terrompre le récit en octobre 1932, tion du livre, la configuration était
les inepties qui continuent à circuler sur le fascisme » face
à la tentation, notamment présente à l’extrême droite,
commente l’auteur, parce que le
régime organise alors une grande
différente. A l’époque, il y avait au
pouvoir à Rome un populiste de
de réhabiliter sa mémoire. Le scalpel de Filippi déchire ainsi exposition qui célèbre les dix ans gauche, Matteo Renzi [président
les mythes les uns après les autres. Et surtout celui d’un
totalitarisme peu sanguinaire par rapport au nazisme et au
du fascisme et à laquelle partici­
pent les grands artistes de l’épo­
du conseil de 2014 à 2016]. Mais
plus j’allais sur les pas de l’ascen­
stalinisme. Ce fut vrai en Italie, jusqu’à la guerre, mais les que, notamment le peintre futu­ sion du fascisme, plus j’ai ressenti
opérations coloniales en Ethiopie et en Libye occasionnè­
rent des répressions implacables contre les populations.
riste Mario Sironi [1885­1961].
Pour la première fois, le fascisme y
l’écho de la situation présente.
Quand Mussolini lance son “mou­
« A la différence des Allemands, les Italiens n’ont jamais fait met en scène sa propre histoire. vement”, il prétend fonder un anti­
leur examen de conscience, ni réglé réellement les comptes Dès la fin des années 1920, le con­ parti. Nous ne faisons pas de la
avec leur passé », rappelle l’auteur. C’était une bonne raison sensus qui entoure le fascisme est politique, affirme­t­il, mais de
d’écrire ce livre.  marc semo à son summum, contrairement à l’antipolitique. Or, ce sont toujours
 Y a­t­il de bons dictateurs ? Mussolini, une amnésie historique la thèse qui prévaut depuis Renzo les slogans des mouvements
(Mussolini ha fatto anche cose buone. Le idiozie che continuano de Felice [1929­1996, auteur d’une populistes, comme le Mouvement
a circolare sul fascismo), de Francesco Filippi, biographie de Mussolini en sept 5 étoiles et autres, et pas seule­
traduit de l’italien par Olivier Villepreux, volumes, Biografia di Mussolini, ment en Italie, puisqu’on les
Vuibert, 204 p., 14,90 €, numérique 10 €. Einaudi, 1965­1997], qui veut que retrouve tout aussi bien chez
En librairie le 9 septembre. ce consensus culmine en 1935, Trump que chez Bolsonaro. » 
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Mots de passe | 3

Les généalogies
de Marie-
Hélène Lafon
« Histoire du fils » s’inscrit de nouveau
dans son Cantal natal, centre névralgique d’une
carte que l’écrivaine déploie au fil de ses écrits.
L’occasion de passer en revue les points
cardinaux de son œuvre Marie­Hélène Lafon, en octobre 2018. HANNAH ASSOULINE/OPALE/LEEMAGE

Ecole histoire Flaubert grand bain. Je ne me suis pas noyée. » Ses

Paul, au lycée d’Aurillac, découvre le
pouvoir des mots en traduisant
Virgile. Un vers des Bucoliques le
ramène chez lui, à Chanterelle. Il
xavier houssin éprouve le sentiment que les racines
latines entrelacent les siennes, ses ori­
du fils, « Je ne peux pas écrire quand je lis Flaubert ; romans portent de discrètes touches
de Marie­ ou je ne peux pas lire Flaubert quand j’écris ; flaubertiennes. Le personnage de Joseph
Hélène ça ne peut pas se faire ensemble. » Marie­ (Buchet­Chastel, 2014) n’est pas éloigné de
Lafon, Hélène Lafon a lâché la phrase dans un la Félicité d’Un cœur simple. Dans le livre,
Buchet­ texte de Chantiers et l’a reprise dans la pré­ d’ailleurs, on trouve un oncle Gustave,
Chastel, face de Flaubert (Buchet­Chastel, 2018), « de Paris ». Il y a aussi une Emma à la fin

E
lle est repartie à Paris, Marie­Hé­
lène Lafon. Pour la rentrée des
classes, au collège où elle enseigne
le français et le latin. Cette année, à
cause de la grande mise entre parenthèses
du confinement, elle est restée chez elle.
Chez elle, c’est­à­dire dans le Cantal, une
maison de hameau entre Condat et Murat.
Elle y a passé tout le printemps. « Des
arbres encore nus au déferlement des
roses. » Narcisses blancs et anémones.
Gentianes bleues. Et là, elle s’est rendu
compte qu’elle n’avait gardé de la saison
qu’un souvenir furtif, heurté. Qu’elle ne
l’avait pas vue en entier après ses 18 ans.
Ces lieux avec lesquels elle fait corps de­
puis l’enfance sont la terre d’élection de
presque tous ses livres. Une quinzaine
déjà, où s’enracinent des familles, des
lignées paysannes, des vies âpres, des des­
tins contrariés. De la solitude sèche. De
l’amour aussi. Son dernier roman, Histoire
du fils, enchevêtre, autour de la naissance
d’un petit garçon au père inconnu, une
généalogie bouleversée, attachante. S’y ra­
content de lourdes absences, des silences,
d’infinies douceurs, des audaces, d’insup­
portables tragédies. Colin­maillard des
destinées. Cela traverse tout un siècle, à la
hauteur des âmes, à la hauteur des gens.
gines, sa terre. Ce qu’il comprend le 176 p., 15 €, petite anthologie personnelle de l’œuvre d’Histoire du fils. Dernière génération. On
fait incroyablement grandir. André, le numérique de l’écrivain. Pour elle, c’est « Flaubert for peut rêver à la suite. L’enseignante de 4e
fils qu’il ne (re) connaîtra jamais, mon­ 10 €. ever ». Elle est tombée dedans en 4e. n’avait­elle pas donné comme sujet de ré­
tre, lui, « de sérieuses dispositions ». L’enseignante de français avait fait lire daction : inventez un avenir pour Berthe,
Depuis le primaire, il a toujours été au Madame Bovary. « Elle m’a jetée dans le du nom de la fille des époux Bovary ? 
mieux avec « son maître, la gram­
maire, et les autres matières ». Les
fables de La Fontaine, qu’il se récite par
cœur, ont le pouvoir de calmer ses
angoisses, ces « ratons laveurs qui vous
mordent le cœur ».
Dans Les Pays (Buchet­Chastel, 2012),
roman largement autobiographique,
Marie­Hélène Lafon raconte les
premiers pas à Paris de Claire, venue
de son Auvergne étudier les lettres à la
Sorbonne. Comme elle, douée et
acharnée à l’étude. « Comme j’appre­
nais bien, on m’avait destinée à devenir
institutrice. » Elle sera professeure
agrégée. Un métier qu’elle a appris à
aimer. L’école, si présente dans ses
textes, est le creuset de sa vraie
vocation. Elle se souvient précisément
qu’au cours préparatoire sa maîtresse,
Mme Durif, lisait des histoires. Marie­
Hélène Lafon s’était promis, décidée
comme on peut l’être à cet âge : « Je ferai
ça. Je m’occuperai des histoires. » D’un
coup, l’avenir était apparu.

Pays
Marie­Hélène Lafon a grandi dans une ferme dans le nord du Cantal, perdue à 1 000 mètres d’alti­
tude, dans la vallée de la Santoire. « C’est le pays d’en haut, dit­elle. On y a la vue longue. Le regard
est porté comme au bord des mondes. » Elle a beau vivre à Paris, elle ne s’en est jamais éloignée. Le
© Géraldine Bruneel

pays bat en elle. Dans Album (Buchet­Chastel, 2012), petit abécédaire de cette appartenance, elle
écrit : « J’en suis. (…) Je n’en reviens pas de cette grâce insigne que c’est d’en être. Je n’en reviens pas et
je ne veux pas finir de ne pas en revenir. » D’un livre à l’autre, elle déploie toute une géographie ter­
rienne dont il reste toujours le centre. Ainsi, dans Histoire du fils, ce point se trouve à Chanterelle,

LE NOUVEAU
à la limite haute du département, vers le Puy­de­Dôme. Le village est le berceau des Lachalme,
dont Paul, un des rejetons, va être le père « ignoré » du petit garçon, André. De là, les lignes s’éti­
rent. Vers Aurillac où Paul, pensionnaire, fait la connaissance de Gabrielle, l’infirmière du lycée.
Puis à Paris, où partent les deux amants et où Paul fera carrière, abandonnant sa compagne sans
bien savoir qu’elle est enceinte. André sera élevé dans le Lot, à Figeac, par Hélène, la sœur de
Gabrielle, et son mari Léon. En trois, quatre générations, la carte va s’étendre bien au­delà. Les
distances ne sont plus les mêmes. Question d’époque. Mais Chanterelle, « pays d’en haut, pays
ROMAN DE
perché », restera, dans le récit, le lieu du commencement, de la fin. Et celui de la réconciliation, de
la reconnaissance.
YASMINA
Chantier
Marie­Hélène Lafon n’arrête jamais. « Je
suis toujours en chantier. » Sans cesse un
peut­servir­on­ne­sait­jamais. Du maté­
riau, quoi. Qui s’attache, se combine.
« Comme des tuiles sur une toiture. » De­
KHADRA
texte en train de s’écrire. Elle dirait plutôt puis son premier roman, Le Soir du chien
« en train de se faire ». De s’assembler, de se (Buchet­Chastel, 2001), ses livres s’accro­
charpenter, de se construire. Et en même chent les uns aux autres, tenus par d’invi­
temps. Car plus que se succéder, ça
s’ajoute. « A chaque fois, j’ouvre un nou­
sibles agrafes. Le personnage de Gabrielle
d’Histoire du fils est déjà esquissé dans
RENTRÉE
veau chantier. » Des longs, des brefs. Des
romans, des nouvelles, des préfaces, des
celui de Sylvianne, l’amoureuse brisée de
la courte nouvelle La Demie de six heures
LITTÉRAIRE
écrits de commande. Chantiers, au pluriel (La Guêpine, 2017), elle aussi infirmière,
donc. Comme le titre de ce petit livre de elle aussi « montée » à Paris. On retrouve
2015 (Chantiers, Editions des Busclats) où encore et encore, en rappel, la tenace, l’es­
elle avait mis en liasse des questions de sentielle présence des odeurs. Le rassu­
grammaire et des souvenirs d’enfance, rant couvert des arbres, les hêtres, les pla­
l’articulation des phrases et la mémoire tanes. André, « le fils », n’est vraiment pas
du corps. Des objets du quotidien, des pay­ le seul à se réfugier dans le silence. De
sages et des airs de musique. Des lectures. chantier en chantier, c’est toute une
Des drames. Du lourd et du rien, du qui­ œuvre qui se maçonne. Qui se bâtit.
4 | Littérature | Critiques 0123
Vendredi 4 septembre 2020

Dans « Sous le ciel des hommes », Poésie inflammable

C’est une coutume tzigane : à la
Diane Meur enchevêtre les récits mort d’un homme, brûler la cara­
vane où il a vécu et toutes ses pos­
d’une vingtaine de personnages. sessions, à l’éventuelle exception de
souvenirs sans valeur autre que
Avec érudition et fantaisie sentimentale. « On passe par un
grand désordre pour créer un peu
d’ordre, c’est une libération par allé­

Toutes les gement », explique Avril à Elias, le

garçon « bancal » qu’elle aime et
auquel elle propose de se sauver des
« trucs de l’enfance » en les écrivant

éventualités
« pour les mettre dans une caravane
imaginaire ». Ainsi s’enflamme le
récit qu’entame Elias de jeunes an­
nées passées auprès d’un père pré­
tendument médium, résolument

du grand­duché tyrannique. Trois ans après le très

remarqué Pourquoi les oiseaux meu­
rent (Finitude), Victor Pouchet signe
un roman d’un calme et d’une dou­
ceur qui contrastent avec ce qui est
relaté. Un roman
étrangement
poétique où ce
larges extraits sont ici enchâssés. qui n’est pas dit
Sans oublier ces ouvrages rêvés compte autant,
dont il est question lors d’un sinon plus, que
dîner intello : L’Atlas mondial de ce qui l’est.  r. l.
l’utopie, et La Grande Histoire de  Autoportrait en
macha séry l’anachronisme « qui retracerait, chevreuil, de Victor
de ces vaincus et de ces dépossé­ Pouchet, Finitude,

D
ans la vaste famille des dés, la longue ligne intermittente, 170 p., 16,50 €,
dictionnaires, un opus montrerait, non ce qui a été, mais numérique 12 €.
fait défaut : une ency­ ce qui aurait pu être et pourrait Diane Meur, en mai 2015. PHILIPPE MATSAS/OPALE/LEEMAGE
clopédie des œuvres être encore ».
fantômes. Tous ces livres que les Ce procédé spéculaire, matière à
écrivains ont imaginés à l’inté­ réflexion sur l’écriture entre Destins d’ailleurs
rieur de leurs propres romans, pannes sèches et accès soudains un « micro­Etat calfeutré dans ses ser, comme tous ses livres,
qu’il s’agisse d’une simple men­ d’inspiration, pourrait faire passer frontières, où rien ne se transforme en 2015), magistral récit, épou­ Guillaume Poix est un jeune écri­
tion ou d’un large développe­ ce sixième roman de Diane Meur qu’à contrecœur, où se lèguent sait trois cents ans de l’histoire vain brillant, féru de dispositifs et
ment sous forme de mise en pour cérébral. Il l’est, évidem­ religieusement de mère en filles allemande ; la saga familiale des plein d’idées : un homme à voix,
abyme. Sous le ciel des hommes ment, nourri de débats d’idées recettes de détachants et vieilles Vivants et les ombres (2007), pourrait­on dire, qui trouve au
de Diane Meur fournirait à lui (exil, société de consommation) cuillères en bois ». située en Pologne, se déployait théâtre son lieu d’élection, comme
seul plusieurs entrées. et d’introspections personnelles. sur près d’un siècle en Galicie, en témoigne le récent et très malin
En premier lieu, le récit oppor­ Il s’agit toutefois d’une fiction Ambition tentaculaire contée du point de vue d’une Soudain Romy Schneider (Théâtra­
tuniste qu’est censé rédiger un hautement romanesque, comme Dans ce roman mi­total, mi­lo­ maison à façade blanche et fron­ les, 2020). Il s’essaie de même au ro­
journaliste vedette qui héberge toujours chez Diane Meur, passée cal, les protagonistes de Diane ton néoclassique épiant ses habi­ man puisque, après Les Fils conduc­
un migrant afin de relater leur maîtresse dans l’alliance de Meur, autochtones ou sans­pa­ tants ; Les Villes de la plaine (2011) teurs (Verticales, prix Wepler 2017),
cohabitation ; récit commandé l’érudition et de la fantaisie. piers, ratent ou saisissent des recréait une civilisation abo­ il met son inspiration chorale au
par son éditeur, et qui conduira Sous le ciel des hommes tresse occasions. Ils travaillent dans lie, etc. « Pour écrire un ro­ service d’un (grand) sujet narratif :
l’auteur tétanisé à une crise exis­ d’une main sûre les trajectoires l’industrie du luxe ou font des man, j’ai besoin d’être sous le ciel l’émigration. Dans Là d’où je viens
tentielle révélatrice d’un trauma d’une vingtaine de personnages, ménages. Ils distribuent des quelque part : dans une des hommes, a disparu, Litzi, Sahra, Marta sont
d’enfance. Il y a aussi ce pamphlet dépeignant leurs situations de vie prospectus ou dispensent des ville antique, dans un de Diane Meur, donc des personnages – des voix –
politique en voie d’écriture – Re­ et leurs contradictions psycho­ cours. Ils s’inquiètent pour manoir de Galicie, un Sabine Wespieser, vivant à travers leur expérience ou
monter le courant, critique de la logiques. Ceux­ci évoluent au sein l’obtention de leur titre de séjour micro­duché du Saint­Em­ 340 p., 22 €, celle de leurs enfants les douleurs
déraison capitaliste – dont les du grand­duché d’Eponne, mixte ou du déclin de leur carrière pire germanique (…) », numérique 17 €. de l’exil, entre les Etats­Unis, le Sal­
chapitres sont conçus à tour de fictif de la Suisse et du Luxem­ professionnelle. Ils souffrent confessait la romancière vador, la Somalie… et la France, où
rôle par chacun des six membres bourg, « capitale européenne aux d’aimer sans retour ou se décou­ dans La Carte des Mendessolhn. peut s’exprimer aussi une certaine
d’un cénacle utopiste qui se réu­ allures de gros village » qui abrite vrent d’improbables affinités. Car l’histoire s’ancre dans une violence « identitaire ». Paroles et
nissent dans un café et dont de de nombreux sièges bancaires ; « Elle aimait sa façon de se mon­ géographie, fût­elle imaginaire, destins tissent alors une manière de
trer malicieux, sans la pointe un territoire où les sphères roman politique, particulièrement
ironique qu’elle­même ne réussis­ humaines s’interpénètrent et poignant, dont le propos est fort
EXTRAIT sait jamais à complètement entrent en collision. mais la construction parfois un peu
arrondir. Sa malice à lui, c’était Le souverain d’un royaume alambiquée,
« Dernière quinzaine de décembre en grand­duché d’Eponne : tout une caresse : ses yeux devenaient n’est pas celui qu’on croit. En qu’on lit en tout
plonge peu à peu dans une stase morose. Un froid humide s’installe, rieurs, et cherchaient les siens tout cas, nullement cette dynas­ cas en rêvant à sa
la longueur des nuits devient sensible à l’être le plus accaparé par son pour y voir naître aussi le rire. » tie d’opérette retranchée dans mise en scène. 
travail ou par sa vie, c’est l’entrée pour de bon dans le tunnel de l’hiver, C’est cruel et joyeux, d’une son palais ducal que Diane Meur fabrice gabriel
lequel ne compte aucune issue de secours, aucun puits de lumière. humanité débordante, entre dépeint avec cocasserie. Plutôt  Là d’où je viens
Qu’elles paraissent loin, la Fête de la dynastie et ses frasques orgiastiques ! routes et déroutes, errances et celle ou celui qui en organise la a disparu,
Les Eponnois partagent avec les Américains ce rythme syncopé où les errements, avec ce sens du détail géographie formée de barres de Guillaume Poix,
plus grandes festivités de l’année ont lieu avant la fin d’année elle­même, et cette précision langagière d’immeubles et de pavillons Verticales,
faisant de Noël et de la Saint­Sylvestre une affaire incertaine, qu’on ne forgée chez Diane Meur par la cossus, qui trace des lignes de 288 p., 19,50 €,
sait jamais trop de quelle façon prendre. Tels un premier et un second bis traduction littéraire. tramway et des sentiers de crête, numérique 14 €.
offerts par un virtuose, alors qu’une partie du public, fatiguée, a déjà Les fictions de Diane Meur sont donne voix et liberté à leurs
rejoint les vestiaires, voire les passages souterrains. » habitées d’une ambition tenta­ habitants pour qui « tout est
culaire : La Carte des Mendels­ ouvert, tout est possible, le pire
sous le ciel des hommes, page 191 sohn (paru chez Sabine Wespie­ comme le meilleur ».  Un être de désir
Quand il quitte sa province pour la

Les mauvaises victimes de Lola Lafon métropole, le personnage principal

Autour du consentement, des remords et du pardon, l’écrivaine livre « Chavirer »
le font chez Betty. Cléo et Betty ne peu­
vent pas dire ce qui leur est arrivé parce
qu’elles se torturent d’en avoir été, selon
elles, les complices. Parce qu’elles ont
été, en quelque sorte, de mauvaises victi­
raphaëlle leyris mes. Et nul ne veut essayer de deviner ce
qui aurait dû sauter aux yeux parce que
tement – jusqu’au repas où elle com­
prend ce que les hommes de ce jury
attendent d’elle. Pour se sauver, ne pas se
couper de l’enveloppante Cathy, la voilà
transformée en rabatteuse rémunérée,
poussant vers « Galatée » les filles « pro­
metteuses » de son collège. Parmi elles,
ner ». L’écrivaine parle superbement de
ce qui brille et éblouit, évoque avec beau­
coup de justesse la classe moyenne et
l’envie de s’en extirper.
Dans Chavirer, il est aussi question du
pardon que l’on s’accorde ou pas, de la
sortie de l’enfance, de la façon dont les
du roman du Québécois Antoine
Charbonneau­Demers n’a qu’une
idée en tête : « péter le cube ». C’est­à­
dire faire exploser les contours de
son identité, et devenir enfin qui il
est : un être de désir. Mais, pour le
jeune homme, c’est aussi la réalité
qui se met à s’effondrer. Tandis que
les passants qui se pressent sur les
trottoirs se meuvent en une foule
indistincte d’amants potentiels, la
chanteuse Rihanna et un étrange
chat blanc vont et viennent. S’ensuit

P
ersonne ne veut les écouter. Les
héroïnes de Lola Lafon ont ceci
en commun : leur parole est
inaudible, empêchée par leur
entourage comme par une société qui ne
veut pas les entendre – et ce, qu’elles
viennent du bas de l’échelle ou de son
sommet, comme l’héritière américaine
Patty Hearst (Mercy, Mary, Patty, Actes
Sud, 2017), qu’elles soient anonymes
(Une fièvre impossible à négocier, Nous
sommes les oiseaux de la tempête qui
s’annonce, Flammarion, 2003, 2011) ou
aussi célèbres que la gymnaste roumaine
Nadia Comaneci (La Petite Communiste
qui ne souriait jamais, Actes Sud, 2014).
Dans son nouveau livre, Chavirer, Cléo
a trop honte pour parler, mais ses symp­
tômes s’expriment à sa place, comme ils
tous se sont révélés, d’une manière ou
d’une autre, les alliés de bourreaux.
En ces années 1980 où les chambres
d’adolescentes sont tapissées de posters
figurant l’actrice Brooke Shields pas
encore nubile, mais déjà sexualisée par
des réalisateurs, Cléo, 13 ans, vit pour la
danse modern jazz. Dans sa MJC de ban­
lieue, elle est abordée par une élégante
Cathy qui lui promet l’aide de Galatée, la
nébuleuse fondation qui l’emploie, pour
l’aider à se réaliser et à partir étudier à
New York, moyennant des preuves de sa
« maturité », lors des mystérieux déjeu­
ners durant lesquels Cléo devra défendre
son dossier.
A chaque étape de cette « sélection »,
Cléo dit et répète son envie d’être choi­
sie, elle ne cesse de donner son consen­
Betty, ambitieuse danseuse de 12 ans. Au
premier chapitre exposant cette situa­
tion en succèdent dix, avançant dans le
temps et donnant, à tra­
chavirer, vers le regard d’autres
de Lola personnages, une idée de
Lafon, la manière dont Cléo et
Actes Sud, Betty se sont tant bien
352 p., que mal construites,
20,50 €, l’une renonçant à la
numérique danse, l’autre s’y vouant.
15 €.
Dissociation du corps
A cet art, qu’elle connaît si bien, Lola
Lafon consacre des pages magnifiques.
Elle y décrit la résistance à la douleur, la
dissociation du corps (« pieds poignards
et poignets rubans ») qu’elle enseigne, en
même temps qu’à « obéir sans question­
chansons accompagnent nos vies. Il y un récit souvent surréaliste, hallu­
est, à dire le vrai, question de beaucoup ciné même, qui séduit par son
d’autres choses, et sans doute ce « beau­ étrangeté. Car si ce second roman
coup » est­il le défaut de ce roman capa­ n’aurait pu être qu’un récit d’ap­
ble, par ailleurs, de tant de subtilité, et prentissage cru – voire un tantinet
pratiquant très intelligemment l’ellipse. graveleux –, il s’en garde précisé­
Avec le personnage de Yonasz, ami de ment par les licences que l’auteur
lycée de Cléo, Lola Lafon aborde l’anti­ prend avec le réel. Celles­ci lui impri­
sémitisme ; avec Betty, le racisme, quand ment de vibrants
Claude, habilleuse dans la « revue » où tableaux qui
Cléo a fait carrière, ouvre la question de disent à merveille
la violence en entreprise… Les sujets se ce qu’il y a de ter­
font certes écho, permettent de dissé­ rifiant à désirer. 
quer les rapports de pouvoir, mais cette zoé courtois
addition de causes à défendre, cette  Good Boy,
généreuse « intersectionnalité » du ro­ d’Antoine
man tend à étouffer ce qui fait son cœur. Charbonneau­Demers
A assourdir, de nouveau, les voix de Arthaud, 368 p., 20 €,
Betty et Cléo.  numérique 14 €.
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Critiques | Littérature | 5
A travers le destin d’une femme, Nazanine Hozar célèbre la beauté de Valdas Papievis, au bout de la route
Le déclencheur est banal : Marie l’a quitté, il doit partir, fuir
la culture persane et raconte trois décennies de l’histoire iranienne Paris, se perdre sur les routes pour oublier sa vie, qu’il croit
défaite. Il se retrouve en Provence, et quelque chose d’autre
advient. De l’inattendu ? Oui, puisque la découverte d’un

Douleur, amour et fureur à Téhéran auteur singulier, capable de créer de la magie avec une intri­
gue aussi ténue, est, à chaque fois, une réjouissante surprise.
Valdas Papievis, l’un des plus grands écrivains lituaniens
actuels, n’avait jamais été traduit en français jusqu’ici.
Il faut savoir gré à la petite maison d’édition Le Soupirail
de réparer cette étourderie. Papievis a le don du détail juste,
de la notation rapide, étrange, qui vous projettent d’un coup
dans un univers neuf. Il entraîne son personnage au plus
loin de lui­même, dans la vie des autres comme dans une
nature d’une beauté presque déchirante, « une beauté qui
touche à sa fin », et transforme peu à peu ce ré­
eglal errera cit d’un vagabondage en expérience des fron­
tières du monde, en approche du vide. « Il y a

M
ême marquée par la dicta­
ture ou la guerre, l’enfance
peut rester chère à ceux qui
l’ont vécue. Malgré la peur
et l’insécurité, les enfants perçoivent le
courage de leurs aînés dans l’épreuve. Ils
ressentent la puissante solidarité des
victimes et la protection qu’elle leur pro­
digue. Au point que certains s’y arri­
ment, en font un lieu de résistance au
malheur. Le creuset de leur inspiration.
C’est le cas de Nazanine Hozar, née à
Téhéran en 1978, quelques mois avant la
révolution iranienne et la naissance de
la République islamique, deux ans à
peine avant le déclenchement de la
guerre entre l’Iran et l’Irak (1980­1988).
Bien qu’elle ait dû porter le hidjab à
6 ans, qu’elle ait été témoin des humi­
liantes coercitions infligées aux fem­
mes de son entourage et qu’elle ait
connu les exactions de l’Etat policier des
mollahs, Nazanine Hozar a dédié son
premier roman à sa mère, et aussi à
l’Iran et à la culture persane dont elle
célèbre la beauté.
Aria couvre un quart de siècle d’his­
toire iranienne. De 1953, année du retour
au pouvoir du chah Mohammad Reza
Pahlavi (1919­1980) après la chute du
puissant premier ministre Mossadegh, à
1979, retour d’exil de l’ayatollah
Khomeyni (1902­1989) et avènement du
L’autrice a beau vivre aujourd’hui
au Canada, elle demeure nourrie
de poésie iranienne et habitée
par sa langue maternelle
régime islamique, le roman suit le destin
d’une enfant abandonnée à sa naissance
dans une rue de Téhéran, puis trouvée et
recueillie par Behrouz, un homme
simple, magnifique, d’une vertigineuse
bonté. « Je vais t’appeler Aria, à cause de
toutes les douleurs et de tous les amours
du monde. » Les arias, chuchote Behrouz
à l’oreille du nourrisson, sont de petits
contes, des cris dans la nuit qui font
entendre les douleurs et les amours de
celui qui les chante.
Trois femmes vont scander l’existence
de la fillette abandonnée. Aria connaîtra
le sort des enfants maltraités, la tran­
quillité d’une vie aisée et enfin un
A Téhéran, en 1958. INGE MORATH/MAGNUM PHOTOS
étrange attachement filial envers une
femme distante et mélancolique. Elle
nouera amitiés et amours avec des
musulmans, des chrétiens, des zoroas­
triens, des bahaïs, des juifs, sans exclu­
sive, dans un Téhéran au cosmo­
politisme agonisant, mais dont Naza­
nine Hozar rappelle magnifiquement la
grandeur.
Le roman d’Aria, la bien nommée,
parle de douleur, d’amour et de fureur.
Il s’attache aux petites gens, pris dans
les rets d’un destin qu’ils subissent
inexorablement. Une existence
d’autant plus accablante qu’elle se
déroule en ces décennies de despo­
tisme, des années où toute opposition,
toute velléité de liberté, se solde par la
ruine ou la mort. Nazanine Hozar entre­
lace ainsi le petit et le grand, retraçant
l’histoire d’un pays et d’une époque,
mais montrant surtout comment des
vies individuelles, avec leur lot d’espé­
rances et de désirs, sont soudain
balayées par les événements politiques.
Nazanine Hozar a beau vivre
aujourd’hui au Canada, elle demeure
nourrie de poésie iranienne et habitée
par sa langue maternelle – le farsi, nom
local du persan – qu’elle ne maîtrise plus
qu’imparfaitement mais admire sans
limites. « Le farsi, écrit­elle, c’est la langue
de la poésie. (…) On ne devrait la parler
que dans les rêves, nulle part ailleurs. »
Elle­même a rédigé ce premier roman en
anglais, mais aime dire qu’au cours de sa
longue élaboration, elle l’a pensé en farsi,
que ses personnages parlent en farsi et
qu’elle n’a fait, finalement, que les
traduire en anglais.
Est­ce lié à la présence subliminale de
cette langue ? Ses personnages sem­
blent familiers et toujours infiniment
aimables. Dieu sait pourtant s’ils sont
complexes, ambigus, travaillés par
mille contradictions. Mais c’est juste­
ment cet art subtil de l’ambivalence qui
fait leur sel. Un art qui ne s’applique
qu’à eux. Car pour ce qui est des régi­
mes politiques, de leurs crimes et de
leurs cruautés, celui des imams en
particulier, les pages de Nazanine Hozar
sont sans appel.
En cours de traduction dans une
dizaine de langues, Aria ne verra pas le
jour en Iran. Pour l’écrivaine, ce roman
ruine d’ailleurs tout espoir de réaliser
son souhait le plus cher : embrasser le
tarmac de l’aéroport de Téhéran, d’où
elle s’est envolée il y a trente­cinq ans
sous les bombes irakiennes. Pour les
lecteurs occidentaux, en revanche, ce
texte – que l’écrivaine Margaret Atwood
a d’emblée qualifié de « Docteur Jivago
iranien » – pose manifestement les
fondations d’une œuvre puissante et
évocatrice. 
aria,
de Nazanine Hozar,
traduit de l’anglais (Canada)
par Marc Amfreville,
Stock, « La cosmopolite »,
522 p., 24 €, numérique 12 €.
tant de lumière, et elle est si vive, que tu ne vois
plus rien », écrit­il vers la fin, quand son person­
nage atteint le bout de la route et s’apprête, qui
sait ?, à revenir parmi les vivants. 
florent georgesco
 Un morceau de ciel sur terre (Eiti),
de Valdas Papievis, traduit du lituanien
par Caroline Paliulis, Le Soupirail, 188 p., 21 €.
L’or et la quille
Un jour de 1900, une femme, Bertha Truitt, est découverte
inconsciente dans le petit cimetière de Salford (Massachu­
setts). Elle n’a pour bagage qu’un sac contenant une boule
de bowling, une quille et sept kilos d’or cachés dans un
double fond. Une fois remise, l’étrangère surprend les
habitants en décidant d’ouvrir un bowling sur place.
L’endroit deviendra vite un haut lieu de socialisation
pour les hommes, mais aussi pour les femmes, jusqu’à
ce que, à la mort de Bertha, dans des circonstances tragi­
ques, il ne suscite bien des convoitises. Dans ce troisième
roman, l’autrice du très remarqué Un amour improbable
(Calmann­Lévy, 1998) plonge à nouveau dans l’atmosphère
de la Nouvelle­Angleterre du siècle dernier. Elle campe une
galerie de personnages tous plus excentriques les uns que
les autres pour l’époque : femmes libérées,
médecin noir alcoolique, jeune homosexuel…
Si les intrigues secondaires nuisent parfois à la
cohérence du récit, ce roman choral aux multi­
ples rebondissements séduit par sa peinture
d’une bourgade où les rumeurs et les croyances
les plus folles électrisent et soudent toute une
population.  ariane singer
 Le Bowling du point du jour (Bowlaway),
d’Elizabeth McCracken,
traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Hélène Cohen,
NiL, 460 p., 22 €, numérique 16 €.
Maternité contrariée
Dans une clinique de Belgrade, une mère raconte le passage
de sa fille Eva à une identité et à un corps d’homme. Les der­
niers instants avant sa renaissance sont l’occasion de retra­
cer le cheminement qui conduit vers cette « aventure sans
retour » du changement de sexe. Pudique et profond, sincère
et sans détours, La Mère d’Eva pose de nombreuses ques­
tions en se situant précisément du côté de la mère : « Et moi,
que deviendrai­je ? Mère d’un garçon après avoir été pendant
dix­huit ans mère d’une fille ? Moi aussi, je devrai réapprendre,
changer et m’affubler d’une nouvelle maternité. Si tu renais,
alors je le ferai moi aussi. » Le lecteur découvre ce récit nourri
de doutes et d’amour ; un récit écrit à la deuxième personne,
mais un dialogue à une voix ; où ce qui
compte est d’accepter l’altérité sans la refou­
ler. Inédit dans le panorama littéraire italien,
ce livre poignant est le premier de l’écrivaine

Le flux de la terre argentine et journaliste milanaise Silvia Ferreri,

Sur un mode onirique, le premier roman de Dolores Reyes évoque les féminicides
Lorsque ce pouvoir se sait,
Mangeterre reçoit la visite de
plusieurs parents cherchant
leurs enfants, de jeunes femmes
pour la plupart. Le jardin de sa
ariane singer maison, où elle habite seule avec
son grand frère Walter, depuis
mélange de douleur, de colère, de
force et d’attente qui prend corps.
Quelque chose de brisé où vit
celui qui ne revient pas. »
Autant de remparts
Ecrit par une militante fémi­
couronné en version originale par le prix du
Festival du premier roman de Chambéry. 
florence courriol­seita
 La Mère d’Eva (La madre di Eva), de Silvia Ferreri,
traduit de l’italien par Chantal Moiroud,
Hervé Chopin éditions, 224 p., 19 €, numérique 13 €.
plongée dans l’adolescence des
quartiers peu favorisés. Livrés à
eux­mêmes, Mangeterre et son
frère passent leurs journées chez Un hommage aux femmes.
Un hymne à la vie. De l'espoir à semer !
eux, à jouer à la « Play » dans une
maison ouverte à des bandes de
copains, et à boire des bières,

Q
uand certains scrutent
le ciel pour y lire leur
avenir, d’autres son­
dent le sol pour en
déchiffrer les mystè­
res. C’est le cas de Mangeterre, la
protagoniste et narratrice du
premier roman du même nom
de Dolores Reyes, née à Buenos
Aires en 1978. Cette adolescente,
qui vit dans un quartier périphé­
rique de la capitale argentine,
s’est découvert un don, le jour de
la mort de sa mère : en mangeant
de la terre, celle qu’ont foulée des
personnes disparues, elle est
prise de visions lui permettant
de les localiser et de connaître
leur sort – d’où son surnom. C’est
elle qui découvre ainsi les
circonstances dans lesquelles sa
professeure bien­aimée, Ana, a
été assassinée.
que leur père et leur tante se
sont volatilisés, est bientôt
submergé de bouteilles remplies
de terre par des familles lui
demandant son aide, moyen­
nant rémunération.
La jeune fille, contrainte d’arrê­
ter l’école, accepte son nouveau
rôle à contrecœur, et choisit avec
parcimonie les cas dont elle va
s’occuper. D’abord parce que
l’état de transe dans laquelle elle
entre lui est douloureux, mais
aussi parce qu’elle se sait impuis­
sante à endiguer le flot des
disparitions, malgré l’appui de la
police. Elle supporte mal, enfin,
la souffrance de ceux qui la
consultent. « Je commençais à
me rendre compte que les gens à
la recherche d’une personne ont
un trait distinctif, une marque
près des yeux, de la bouche, un
niste, mère de sept enfants et
ancienne enseignante, ce premier
roman, best­seller surprise dans
son pays, aborde avec un regard
particulier la question des fémini­
cides, un phénomène omnipré­
sent en Argentine. En alliant le réa­
lisme magique et le genre policier,
Dolores Reyes imprime au roman
un mélange d’onirisme et de pré­
cision clinique, qui lui évite de ver­
ser dans le sordide pour redonner
figure humaine aux absents et à
leur entourage. Le récit de la quête
d’une femme qui s’est noyée dans
un fleuve, depuis les rivages d’une
île lointaine, est ainsi d’une puis­
sante beauté évocatrice.
Mais ce roman, qui s’inscrit
dans la lignée des Jeunes Mortes,
de Selva Almada (Métailié, 2015),
autre romancière argentine, s’im­
pose surtout comme une délicate
tandis que la jeune femme vit sa
première histoire d’amour avec
Ezequiel, un policier.
Epousant leur langage, leurs
errements et leurs pulsions, la
romancière rend merveilleuse­ Aurélie Drivet
ment compte de ce moment de
flou où la violence du monde dis­
suade d’entrer de plain­pied dans
l’âge adulte. Où le jeu, la fête,
l’amour sont autant de remparts
En librairie
contre les assauts d’une réalité 10 € • 128 pages
toujours plus âpre. Où l’enfance,
à son tour, se révolte en silence
Collection Plumes
contre sa propre disparition. 
mangeterre
(Cometierra),
de Dolores Reyes,
traduit de l’espagnol
(Argentine) par Isabelle Gugnon,
L’Observatoire,
208 p., 20 €, numérique 14 €.
6 | Grand entretien 0123
Vendredi 4 septembre 2020

Colson Whitehead
«Si une histoire revient
vous hanter, elle mérite
qu’on s’y intéresse»
tiquement étouffées par l’école comme
L’écrivain américain par les autorités de Floride.
Il faut attendre 2009 et 2010 pour que
revient sur le fait débutent des investigations indépendan­
tes, dont l’une menée par le département
divers qui lui a des droits civiques du ministère de la jus­
tice américain. Non seulement leurs con­
inspiré « Nickel clusions apportent bien la preuve des sé­
vices dénoncés, mais des missions d’ar­
Boys ». Ce roman chéologie médico­légales permettent par
ailleurs d’exhumer, sur le campus de
somptueux nous l’école, des restes de corps enterrés à la
plonge dans le Sud sauvette, sans nom ni sépulture : des di­
zaines de cadavres de jeunes gens morts
ségrégationniste de mauvais traitements, afro­américains
pour la plupart.
des années 1960. Il a Colson Whitehead explique qu’il s’est
librement inspiré de la Dozier School
valu à son auteur pour créer sa Nickel Academy, le lieu, tout
aussi macabre, qui sert de décor à son
le second Pulitzer dernier roman. Dans ce scandale bien
caché – l’école n’a définitivement fermé
de sa carrière ses portes qu’en 2011 –, l’écrivain voit une
illustration supplémentaire des violences
« immorales et inacceptables » dont conti­
nuent de souffrir les Noirs américains.
« Pas de temps en temps, mais tout le Colson
temps. » Une histoire qui, après la mort de Whitehead,
George Floyd et la marche contre le en mars 2014.
racisme du 28 août, à Washington, ROLF VENNENBERND/ encore, c’est un signe : elle mérite opposition, il est vrai, à la focale très
résonne de façon actuelle. PICTURE-ALLIANCE/ qu’on s’en occupe. Je ne suis ni journa­ large et à la vaste distribution des rôles
DPA/AP IMAGES liste ni historien, alors je l’ai traitée dans Underground Railroad. Nickel Boys
propos recueillis par Comment avez­vous appris comme une histoire. Une histoire de est un livre important pour moi car
florence noiville l’existence de la Dozier School mon cru, mais qui a pris son essor à écrire un roman linéaire, relativement
et qu’est­ce qui vous a donné envie partir de ces faits réels. court et concis, représentait un défi. Jus­

P
as étonnant que le magazine d’écrire sur ce sujet ? qu’à présent, j’avais écrit des livres post­
Time ait vu en lui le grand C’est en 2014 que j’ai entendu parler de Comment avez­vous travaillé avec modernes et indisciplinés. Sans m’impo­
« conteur de l’Amérique ». l’Arthur G. Dozier School for Boys pour la ces faits réels ? Avez­vous interrogé ser de règles. L’exact contraire de Nickel
Colson Whitehead sent première fois. Ce sont les journaux locaux des survivants ? Vous êtes­vous rendu Boys. J’ai dû m’interroger ici sur ce qu’il
comme nul autre battre le de Floride – en particulier un reportage sur place ? Dans une note à la fin du convient de faire dans un roman court.
pouls de son pays. Après très minutieux dans le Tampa Bay Times roman, vous mentionnez l’apport Qu’est­ce qu’on garde ? Qu’est­ce qu’on
avoir décrit de l’intérieur les rouages de – qui ont révélé les faits, tandis que les mé­ du cours d’archéologie médico­légale exclut ? Je voulais que la structure soit
l’esclavage au XIXe siècle (Underground dias nationaux, à l’époque, ne les ont cou­ de l’université de Floride du Sud. Vous parfaite. J’ai étudié pas mal de novellas et
Railroad, Albin Michel, 2017), le voilà qui verts que brièvement. Ce qui m’a choqué dites que la présentation de la vie quo­ de nouvelles. Denis Johnson, Mohsin
ausculte le Sud ségrégationniste des an­ quand j’ai fait cette découverte, c’est le tidienne à l’école faite par Elwood, l’un Hamid, Julie Otsuka ou Edith Wharton
nées 1960. Avec Nickel Boys, le romancier temps qu’avaient duré les exactions : des des deux personnages principaux, est ont été des influences éclairantes en ter­
a même décroché un second prix Pulitzer, générations et des générations de jeunes directement tirée d’un rapport dispo­ mes de ton, d’architecture et de rythme.
ce qui le propulse aujourd’hui dans le cer­ sacrifiés. Je me suis dit aussi que si un tel nible sur le site de l’université. Avez­
cle très fermé des écrivains distingués endroit existait, alors, forcément, il y en vous fondu des archives réelles dans Votre histoire se situe dans les années
deux fois. avait d’autres similaires ailleurs. L’année votre travail d’invention ? 1960, au plus fort du mouvement des
Interrogé par courriel sur ce septième 2014, c’est aussi celle où Michael Brown à Je me suis basé en effet sur les enquê­ droits civiques. A la Nickel Academy,
roman, Whitehead invite d’abord à faire Ferguson et Eric Garner à Staten Island tes des journaux, les examens médico­ Noirs et Blancs sont séparés. Votre
un détour par la Floride, pour mieux com­ ont succombé aux violences racistes de légaux menés sous l’égide de l’université jeune Elwood place beaucoup
prendre le matériau de base qui a été le policiers blancs. Ce fut une raison de plus de Floride du Sud, les mémoires et les té­ d’espoirs dans le message de Martin
sien. On plonge ainsi avec lui dans l’acca­ pour écrire cette histoire. moignages à la première personne. Mais Luther King, tandis que son ami
blante affaire de l’Arthur G. Dozier School la Nickel Academy est le fruit de mon Turner, lui, est plus sceptique. Cela
for Boys, créée à Marianna en 1900 et qui, L’histoire cauchemardesque de cette invention. Je n’ai rencontré aucun des renvoie­t­il à deux tendances qui,
dès le début, n’a d’école que le nom. C’est école et de ses survivants est en elle­ survivants [de la Dozier School for Boys] en votre for intérieur, s’opposent ?
une maison de correction dont la voca­ même un roman d’horreur. Pourquoi jusqu’à ce que j’aie terminé l’écriture du L’un est optimiste et croit au change­
tion est de remettre dans le droit chemin avoir choisi de la transformer en livre, car je voulais façonner moi­même ment social, l’autre est pessimiste et jette
les jeunes délinquants qu’on lui envoie. fiction ? mes propres personnages. Je visiterai un regard désabusé sur la condition
Au fil du temps, les témoignages se multi­ Au fur et à mesure que les mois peut­être un jour l’établissement réel, humaine. Chacun est inspiré, il est vrai,
plient qui font état de sévices sur les élè­ passaient, ce reportage que j’avais lu me celui de la « vraie vie », mais tant que de mes propres phases de pessimisme et
ves, de viols et même de disparitions dans collait à la peau. Impossible de m’en j’écrivais, cela m’était impossible. J’avais d’optimisme – même si, en l’occurrence,
des conditions mal élucidées. Pendant débarrasser. Si une histoire vous hante, trop de mépris pour y mettre les pieds. dans l’Amérique de Trump, je me
des décennies, ces plaintes sont systéma­ si elle revient vous obséder encore et demande ce qu’il m’est encore permis
Vous dites « mépris » plutôt que « co­ d’espérer pour l’avenir de mon pays.
lère » ou « émotion »… Page après page, et scène après scène,
EXTRAIT Si j’étais tous les jours en colère ou Elwood et Turner prennent chacun une
triste, je ne serais probablement pas direction qui leur est propre, cependant.
« Même morts, les garçons étaient un problème. capable de me concentrer pour écrire de Est­ce que je me sens fondamentalement
Le cimetière clandestin se trouvait dans la partie nord du campus de Nickel, sur bonnes phrases. plus proche de l’un ou de l’autre ? En fait,
un demi­hectare de mauvaises herbes entre l’ancienne grange et la déchetterie j’attribue un profil psychologique à mes
de l’école. (…) Les promoteurs de la zone d’activités avaient décidé de construire Du point de vue de la forme, vous personnages principaux ainsi qu’à ceux
sur ce champ une esplanade dédiée à la restauration, avec quatre pièces d’eau avez opté pour un texte plus resserré qui gravitent autour. Ensuite, à mesure
et un kiosque en béton pour des événements occasionnels. La découverte des qu’à l’habitude, un angle aigu de nar­ que je les fais avancer dans l’intrigue et
corps représentait une complication coûteuse pour la société immobilière qui ration. En cela, « Nickel Boys » diffère passer d’un épisode à un autre, j’essaie de
attendait la validation de l’étude environnementale, ainsi que pour le procu­ radicalement d’« Underground voir comment chacun réagit à chaque
reur de l’Etat, qui venait de clore une enquête sur les histoires de maltraitances. Railroad », cette vaste parabole de situation nouvelle.
Il allait falloir en lancer une nouvelle, établir l’identité des victimes et la cause la condition afro­américaine passée
de leur mort, et personne n’était capable de déterminer quand on pourrait et présente. Pourquoi un tel choix ? Les militants du mouvement Black
enfin raser, nettoyer et effacer ce lieu de mémoires, même si tout le monde Le livre est construit autour de deux Lives Matter déplorent le peu de pro­
s’accordait à dire qu’il était grand temps. » personnages, Elwood et Turner, et de grès accomplis en matière de justice
l’amitié qui les lie. C’est pourquoi il était et d’égalité depuis les années 1960.
nickel boys, pages 9­10 logique que je les suive au plus près, par Pensez­vous que l’élection présiden­
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Grand entretien | 7

Ecrivain
de la terreur et
de l’apocalypse
LORSQU’IL NAÎT À NEW YORK,
le 6 novembre 1969, Colson White­
head ne s’appelle pas encore Colson,
mais Arch. Ou plus exactement Arch
Colson Chipp Whitehead. L’enfant
sera d’abord le petit Arch, avant de
changer de prénom pour devenir
Chipp, puis, plus tard seulement, de
s’arrêter définitivement sur Colson
qui devient son prénom de plume.
Issu d’une famille aisée – ses
parents, entrepreneurs, dirigent
le cabinet de recrutement qu’ils
ont créé –, le jeune et brillant
Whitehead étudie à Harvard, dont
il sort diplômé en 1991. Après l’uni­
versité, il travaille pour The Village
Voice – célèbre journal culturel
cofondé par l’écrivain Edmund
White, qui a cessé de paraître
en 2018 –, tandis qu’en parallèle
il commence à écrire « pour lui ».
A 30 ans, Whitehead publie son
premier roman, L’Intuitionniste
(Gallimard, 2003), qui relate l’his­
toire d’une femme noire douée
d’une intuition telle que celle­ci
ne la trompe jamais. Ce coup d’essai
littéraire ne passe pas inaperçu. Elu
meilleur premier roman de l’an­
née 1999 par le magazine Esquire,
le livre est qualifié de « lumineux,
ambitieux et puissamment original »
par l’écrivain John Updike dans
le New Yorker. « Il faudra avoir l’œil
sur ce jeune Afro­Américain du nom
de Whitehead », déclare l’auteur des
Sorcières d’Eastwick (Gallimard,
1986). Il ne se trompe pas.

Savoir­faire romanesque
Martin Luther King, lors d’une manifestation antiségrégation, en Floride, dans les années 1960. Image tirée du documentaire « Dare Not Walk Alone » (2006), de Jeremy Dean. RUE DES ARCHIVES/BCA Après Ballades pour John Henry
(Gallimard, 2005), l’histoire d’un
ouvrier noir devenu mythique dans
tielle du 3 novembre, pour laquelle
Martin Luther King III, le fils du pas­
teur assassiné, a appelé à se rendre
A la Nickel Academy, l’apprentissage le secteur de la construction améri­
caine, puis Apex (Gallimard, 2008),
une satire savoureuse de l’univers
massivement aux urnes, pourra
changer la situation ?
Nous vivons dans un système politique
d’une violence enhéritage du marketing et des petites villes
des Etats­Unis, Whitehead publie
Zone 1 (Gallimard, 2014), un roman
bipartisan, ce qui veut dire, lorsque vous d’anticipation, entre terreur et
votez, qu’entre deux maux vous choisis­
Victime d’une erreur judiciaire, un jeune Noir est envoyé en enfer apocalypse, qui montre l’étendue
sez le moindre. Cette année ne fait pas de sa palette et de son savoir­faire
exception à la règle. romanesque.

A
mérique ségrégation­
Avec deux prix Pulitzer à votre actif, niste », « injustices racia­
vous vous inscrivez désormais dans les », « lois Jim Crow »…
le sillage prestigieux de William ces formules un peu
Faulkner ou de John Updike. Com­ usées, un peu abstraites, on les en­
ment avez­vous réagi à l’annonce tend si souvent qu’on ne les entend
de cette seconde récompense ? plus. Ce qu’elles recouvrent vrai­
J’ai été très surpris, bien sûr – cela sem­ ment, leur contenu sensible, la lit­
blait très improbable. Dans l’ambiance térature peut nous les rappeler
d’étrangeté qui entourait la pandémie avec sa puissance propre. Ainsi,
de Covid­19, j’ai tâché de me réjouir dans Nickel Boys, l’Américain
autant qu’il m’était possible, au milieu Colson Whitehead réussit­il à
de la mort et de la misère qui régnaient. nous faire éprouver, physique­
ment et psychiquement, ce que
Le magazine « Time », dont vous avez produit le racisme sur un jeune
fait la « une » pour la sortie du livre – garçon noir à la fois humaniste et
ce qui est rare pour un écrivain idéaliste, pétri par la foi de son
aux Etats­Unis –, vous a baptisé idole, Martin Luther King, et
« le conteur de l’Amérique ». résolu plus tard « à peser de tout
Qu’est­ce que cela vous inspire ? son poids sur le grand levier du
C’est un peu hyperbolique, mais je suis monde ».
content qu’ils aient apprécié le livre. Nous sommes dans les an­
nées 1960, après le boycottage des
Sur quel projet travaillez­vous bus de Montgomery (Alabama).
en ce moment ? Le jeune Elwood écoute en boucle
Au début de l’été, j’ai terminé un crime le seul disque qu’il possède, les
novel, un polar qui se situe à Harlem discours du révérend King.
dans les années 1960. En termes de ton Fasciné par la lutte pour les droits
et de tempo, cela m’a agréablement civiques, Elwood croit en l’avenir,
changé des deux derniers romans. en la dignité de son peuple, et
J’ai fait la fête en juillet et en août, et rêve pour lui­même d’études
maintenant je suis d’attaque pour un brillantes à l’université. Pourtant,
nouveau livre. au moment d’y entrer, tout
s’écroule. A la suite d’une erreur
Votre palette de sujets est large : judiciaire, le voilà qui atterrit
la question du racisme, l’histoire dans un lieu cauchemardesque,
américaine, mais aussi les villes, une école disciplinaire baptisée
la pop culture, la technologie… « Nickel Academy », « endroit
En tant qu’écrivain, comment vous maudit » où « une couche de
définissez­vous ? poisse vient s’ajouter à la mal­
Je ne me définis pas. Dans mon travail, chance » d’être né noir.
au jour le jour, j’essaie juste de ne pas sa­ Grâce à son futur ami Turner,
boter l’idée du livre que j’écris à mesure Elwood comprend vite les règles
que j’y ajoute des phrases et des paragra­ du lieu. Un faux pas et les garçons
phes. « Don’t fuck it up, Colson ! » (« ne se retrouvent « au fond », un lieu
foire pas tout ! ») : telle est ma devise.  hors de vue où ils sont attachés
les bras écartés, et roués de coups. appris à mettre un esclave au Mais c’est avec son sixième roman,
Il comprend aussi que, lorsqu’on pas. » Les chaînes, les « cages à Underground Railroad (Albin Michel,
n’a pas purgé sa peine, seules la sueur en acier », ils leur avaient 2017), qu’il perce vraiment de façon
fuite ou la mort peuvent vous « transmis cet héritage de bruta­ spectaculaire. Le livre, qui décrit la
faire sortir de Nickel – or les deux lité ». Après la guerre de Séces­ fuite, dans les années 1850, d’un
vont souvent de pair, les fuyards sion, « les fils blancs se sont remé­ jeune esclave noir de Géorgie
étant la plupart du temps rattra­ moré les traditions familiales ». Ils à travers les Etats du Sud, lui vaut,
pés et abattus à la chevrotine. ont creusé des fosses, façonné des en 2017, de nombreux prix, parmi
On ne dira pas qui, d’Elwood et/ barreaux. Même à Nickel, on avait lesquels les prestigieux National
ou de Turner, sortira de cet enfer. « converti des débarras en cellules Book Awards et Pulitzer pour la
On ne dévoilera rien du coup de d’isolement ». Or, et c’est sans fiction. Le réalisateur et scénariste
théâtre final. Mais on soulignera doute l’une des conclusions les américain Barry Jenkins, adaptateur,
l’habileté avec laquelle White­ plus sombres du livre, « ces cellu­ notamment, de James Baldwin, en
head utilise ses deux les sont toujours là, et elles atten­ acquiert les droits pour une série.
personnages – Elwood l’optimiste dent », note Colson Whitehead. Trois ans plus tard, à sa grande sur­
versus Turner le sceptique – pour « Elles continuent à attendre, tant prise, Colson Whitehead remporte
les faire débattre, à mi­mot et que les fils – et leurs fils après eux – une nouvelle fois le prix Pulitzer de
avec une grande économie de se souviennent. » la fiction pour son septième roman,
La foi et les doutes d’une Nickel Boys (Albin Michel, 2020).
On retrouve quelque part, la brutalité atavique Après Booth Tarkington, William
de l’autre. Tels sont les Faulkner et John Updike, l’homme
chose de la violence deux versants de ce qui le fit connaître il y a vingt ans,
inextirpable de « Nickel roman somptueux. On Colson Whitehead est à ce jour
retrouve quelque chose de le quatrième écrivain américain
Boys » dans la prose cette violence inextirpa­ à avoir obtenu deux fois cette
de Colson Whitehead, ble dans la prose de récompense.  fl. n.
dure, tranchante, avec Colson Whitehead, dure,
tranchante avec de nom­
de nombreuses ellipses breuses ellipses qui met­
tent les personnages
devant le fait accompli de
moyens, des chances de succès leurs vies – des existences entière­
de King, de la dignité et de la ment décidées par d’autres. L’écri­
résistance, de la solidarité avec les ture est précise, concrète, incarnée,
autres pensionnaires de Nickel, donnant parfois la chair de poule.
ou de la méfiance envers ceux qui Nickel Boys est un formidable récit
pourraient les trahir. carcéral, dont certaines scènes ne
Dans l’un des passages les plus vous quittent plus. 
intéressants du livre, l’auteur les fl. n.
fait réfléchir à l’origine de la
violence chez les Américains nickel boys,
blancs. Après tout, suggère­t­il, il de Colson Whitehead,
est souvent plus important de traduit de l’anglais (Etats­Unis)
comprendre les bourreaux que par Charles Recoursé,
leurs victimes. Des oppresseurs, il Albin Michel, « Terres d’Amérique »,
écrit : « Leurs pères leur avaient 272 p., 19,90 €, numérique 14 €.
8 | Histoire d’un livre 0123
Vendredi 4 septembre 2020

Algérie : retrouver la parole Garry Davis, l’espoir

Georges Perec a eu beau évoquer
dans Je me souviens ce « citoyen du
monde » qui « tapait à la machine
Pour étudier le silence familial qui entoure la guerre, l’historienne Raphaëlle sur la place du Trocadéro », Garry
Davis (1921­2013) est bien oublié
Branche a notamment sollicité d’anciens combattants ainsi que leurs proches aujourd’hui. Cette solide mono­
graphie permet pourtant de mesu­
rer le vaste espoir que fit naître cet
ancien pilote de l’armée américaine
lorsqu’il déclara, en 1948, renoncer à
sa nationalité et, du Trocadéro,
donc, créa le mouvement des
Citoyens du monde, qui visait le
dépassement des nations au nom
andré loez de la fraternité universelle. Il devint
rapidement une idole, occupant la

L
a fin de la guerre d’Algé­ « une » des journaux, suscitant des
rie, en 1962, n’a pas effacé, milliers de vocations d’apatrides
bien sûr, l’empreinte que volontaires. Cela, on le sait, ne dura
celle­ci a laissée chez près guère, même s’il a encore quelques
d’un million et demi de jeunes disciples. Mais étudier les illusions
appelés du contingent l’ayant défaites, les bifurcations qui n’ont
traversée. Mais les matériaux qui pas été prises n’est pas, pour les his­
auraient permis de raconter toriens, une tâche
cette histoire intime de l’après­ stérile. Michel
guerre restaient lacunaires, Auvray en offre ici
épars, avant que Raphaëlle Bran­ une preuve délec­
che ne réussisse à les rassembler table.  florent
dans le livre important qu’elle georgesco
publie aujourd’hui, « Papa,  Histoire des
qu’as­tu fait en Algérie ? ». citoyens du monde.
Cette présence sourde du Un idéal en action
conflit, souvent enfouie au sein de 1945 à nos jours,
des familles françaises, l’histo­ de Michel Auvray,
rienne, professeure à l’université Imago, 342 p., 24 €.
de Paris­Nanterre, l’a rencontrée
dès la fin des années 1990, lors­
qu’elle préparait sa thèse, qui fit
date (La Torture et l’armée pen­ Déconstruire
dant la guerre d’Algérie [1954­
1962], Gallimard, 2001). Dans ses Interrogatoire la mondialisation
conversations d’alors avec des d’un berger Le succès de la traduction du Cham­
anciens combattants et leurs arrêté au sud pignon de la fin du monde (Les Em­
proches, raconte­t­elle au de la Kabylie, pêcheurs de penser en rond, 2017)
« Monde des livres », « les récits en octobre 1960. permet enfin au lecteur français de
familiaux tournaient toujours MARC GARANGER/SAIF découvrir – avec tout de même
autour de la même chose : “Ils n’en IMAGES quinze ans de retard – ce livre
ont jamais parlé” ». d’Anna Lowenhaupt Tsing, résultat
Un sujet de recherche com­ ce que cela comporte d’incertitu­ femmes qui les avaient connus d’une longue enquête commencée
mençait à se dessiner, dans toute des en termes de sources et de après leur captivité et vivaient en 1994, à Bornéo. S’y dessinent les
sa complexité : faire l’histoire de méthodes. avec des hommes marqués », EXTRAIT prémices d’un mouvement des
ce qui fut raconté et de ce qui fut C’est pourquoi l’enquête a pris rapporte l’historienne. sciences humaines aujourd’hui en
caché, des accommodements du temps, plus de deux décennies Elle commence dès lors à scru­ « L’Algérie reste un monde étranger aux pleine lumière, fondé sur une criti­
après la découverte de ces ter ce qui a pu se jouer au sein des enfants, un nom dont le sens échappe que radicale de la globalisation.
enjeux : ce n’est pas dans les archi­ couples, mais aussi entre frères et (…). Il arrive (qu’ils) cherchent du sens, L’autrice décortique les relations
Ce que relate « Papa, ves habituelles que ce silence sœurs, et avec les enfants, qui comme l’ami de Bruno Boulzaguet qui ambiguës entre peuples auto­
qu’as­tu fait en Algérie ? » pouvait être approché. Des confi­ partagent à leur façon le fardeau lui demande un jour, sur le chemin de chtones, compagnies forestières et
relève moins du dences personnelles, plutôt que de ce passé – « Il était nécessaire l’école primaire : “Ton père, quand il te minières, politiciens, militaires,
des documents officiels, de­ de les inclure dans la recherche ». tabasse, il te hurle dessus en arabe ?” mafieux, ONG, mouvements éco­
mutisme complet vraient former la trame du livre. Ce sont près de trois cents ques­ Mais les questions ne sont pas posées logistes… le tout formant une nou­
que de complexes Mais comment les recueillir ? tionnaires remplis par d’anciens quand l’Algérie est identifiée à une zone velle réalité, dont l’ethnologue
La recherche s’est décantée au soldats et par leurs proches qui dangereuse (…). Comme dans un jeu de engagée fait le récit, d’une écriture
reconfigurations cours du travail pour Prisonniers forment la matière première du damier où il serait interdit de marcher limpide et passionnée. 
du dicible du FLN (Payot, 2014), un livre qui livre, auxquels s’ajoutent des cor­ sur les cases blanches, l’évitement de antoine reverchon
s’appuyait notamment sur des respondances, de rares carnets cette zone peut être coûteux : il mobilise  Friction. Délires et faux­semblants
entretiens avec d’anciens captifs. écrits sur le moment, ainsi que attention et énergie, comme pour ces de la globalité (Friction.
intimes avec les souvenirs de la Tous retraités désormais, ils se des sources médicales. enfants qui craignent des pères violents An Ethnography of
guerre, de leur transmission et confiaient en famille, leurs épou­ « J’avais été confrontée à la ques­ ou colériques. Surtout, cet évitement est Global Connection),
de leur réception. En somme, ses souvent à leurs côtés. « C’est tion pour ma thèse, se souvient aussi un trou dans la communication d’Anna Lowenhaupt
faire l’histoire d’un « silence ce qui m’a fait prendre conscience Raphaëlle Branche, mais à l’épo­ qui peut avoir des effets sur l’ensemble Tsing, traduit de l’anglais
familial », sous­titre du livre, avec de l’expérience spécifique de ces que il était impossible d’avoir de la relation du père aux enfants. » (Etats­Unis)
accès aux archives des hôpitaux par Philippe Pignare
psychiatriques. Pour ce livre, c’est « papa, qu’as­tu fait en algérie ? », et Isabelle Stengers,
une première. » Une très riche pages 394­395 Les Empêcheurs de
Un emboîtement de non­dits moisson documentaire, au total, penser en rond, 458 p.,
qui vient compliquer la lecture 24 €, numérique 17 €.
EN CHERCHANT des résistants ou des déportés, simpliste qu’on pourrait faire de
à comprendre qui semblaient rendre dérisoire cette histoire.
comment la par­ leur propre expérience. Car en réalité le silence ne fut de reconnaissance officielle : la loi
ticipation à la Un emboîtement de non­dits jamais absolu, s’agissant de la désignant comme telle la L’élan de l’exil
guerre d’Algérie qui a des raisons plus profon­ guerre d’Algérie, et même de ses « guerre » d’Algérie date de 1999.
avait été relatée, des : le caractère morcelé d’une aspects les plus douloureux. Ce Cette troisième période est En 2017, Ai Weiwei, installé en Alle­
transmise ou tue, expérience de guerre étalée dans que relate le livre relève donc celle qui a permis à Raphaëlle magne deux ans plus tôt, en pleine
Raphaëlle Bran­ le temps et l’espace, le « déni fon­ moins du mutisme complet que Branche de recueillir les témoi­ crise des réfugiés, leur consacrait un
che livre bien damental » de la situation de de complexes reconfigurations gnages, mais aussi d’affronter un beau film, Human Flow. Ce petit livre
davantage qu’une étude guerre par les autorités, la perte du dicible, suivant trois tempora­ paradoxe. « Le regard sur la en est le prolongement, ou le ver­
mémorielle n’effleurant que de sens des combats à l’indépen­ lités qui s’y déploient. période a fondamentalement sant militant : l’artiste chinois, qui a
la sphère des discours. Son tra­ dance de l’Algérie. Le temps de la guerre, d’abord, changé, explique­t­elle, et tout connu l’exil dès l’enfance, y resserre
vail montre quelles logiques Prêtant une attention particu­ pas désignée comme telle mais est interprété à travers l’idée que ses raisons de voir dans la question
profondes ont structuré la lière aux « adelphies », les grou­ comme « maintien de l’ordre », les soldats ont été traumatisés. migratoire un enjeu décisif pour
génération des jeunes hommes pes formés de frères et de sœurs, recouverte de l’apparente bana­ Mais ce n’est pas le cas de la majo­ l’avenir de l’Occident, qui met en
qui avaient 20 ans dans la se­ le livre excelle à restituer les in­ lité du service militaire, en partie rité d’entre eux. » cause non seulement sa dignité,
conde moitié des années 1950. certitudes d’hommes « désaxés, déguisée aux proches qu’on ne D’où ses efforts pour restituer mais sa place dans le monde.
On y comprend notamment perdus, flottants » après le conflit, veut pas inquiéter, le courrier des aspects plus banals de l’expé­ « Le sort des réfugiés pourrait être
qu’ils furent marqués, dès l’en­ à rapporter également aux bou­ servant autant à dissimuler qu’à rience des anciens combattants et un moteur de civilisation », écrit­il.
fance, par d’autres silences fa­ leversements des structures donner des nouvelles. Le temps de leurs familles, faite aussi A l’heure où, selon les Nations unies,
miliaux, ceux des anciens com­ familiales. Un apport majeur de du retour, ensuite, et d’une d’émerveillement devant les pay­ 70,8 millions de personnes par­
battants de 1914­1918, comme l’ouvrage consiste ainsi à inter­ volonté d’oubli partagée au sein sages algériens, d’objets « chapar­ courent la planète à la recherche
roger conjointement le retour de la société française. « J’ai dés » et rapportés en France, de ca­ d’un abri, leur fermer nos frontières
d’Algérie et l’éclatement presque essayé de parler, mais vous ne maraderie et d’ennui. reviendrait selon lui à renier l’un
simultané, au cours des années pouvez pas répondre à des ques­ Tout cela figure, finement des ressorts fondamentaux de l’his­
Les 1960, des modèles traditionnels tions qui ne sont pas posées », contextualisé, dans un livre pu­ toire humaine : l’élan irrépressible
de virilité, de paternité, de conju­ raconte un ancien appelé cité blié avec un sentiment d’urgence que suscite le rêve d’une vie
galité. Derrière la guerre, grâce dans l’ouvrage. par l’historienne, « pressée d’écrire meilleure.  fl. go
recherchent de à elle, c’est aussi une histoire des Il fallait alors trouver ou retrou­ avant que les témoins ne meu­  Dans la peau

nouveaux familles françaises du dernier de­

mi­siècle qui se déploie.  a. lo.
ver un travail, se marier, élever ses
enfants, laisser les souvenirs
rent », confie­t­elle. Avec l’espoir
qu’en restituant un si grand nom­
de l’étranger.

auteurs
En guise de manifeste
violents s’éloigner sans y parvenir bre de paroles, de citations, (Manifest ohne Grenzen),
« papa, qu’as­tu fait en tout à fait. Une indifférence appa­ d’émotions trop longtemps tues il d’Ai Weiwei,
Envoyez vos manuscrits : algérie ? ». enquête sur rente au passé guerrier qui vole en « permette aux gens, aux familles, traduit de l’anglais par
Éditions Amalthée
8-10 rue Louis Marin, 44200 Nantes un silence familial, éclats à partir des années 1990, de se parler ». Pour nous faire com­ Béatrice Commengé,
de Raphaëlle Branche, dans un contexte de remémora­ prendre l’épaisseur sociale qu’a Actes Sud, « Questions
Tél. 02 40 75 60 78
www.editions-amalthee.com La Découverte, 512 p., 25 €, tion de plus en plus intense de aujourd’hui encore ce passé, il est de société », 52 p., 8,90 €,
numérique 17 €. l’histoire coloniale, et d’un début désormais indispensable.  numérique 7 €.
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Critiques | Essais | 9
APARTÉ

nicolas weill
Franzen,
embourbé
S’
il est une intellectuelle qui a su
philosopher par gros temps,
c’est bien la Hongroise Agnes
Heller. A eux seuls, la date et le UN SÉJOUR SUR UNE ÎLE DÉSERTE,
lieu de sa naissance – elle est née en 1929 à passé à relire Robinson Crusoé et à
Budapest – ouvrent les abîmes d’un « siè­ méditer sur la mort tragique d’un
cle de fer », dont elle a tenté de penser, ami, qui se trouve être David Foster
tout au long de son existence, les tragé­ Wallace. Une enquête en Chine, pour
dies auxquelles elle a été mêlée, mais retrouver le fabricant d’une housse
aussi les rares promesses. Parce que la gé­ de golf en forme de macareux. Des
nération qu’elle incarne, qui a subi à la fois voyages à Chypre, en Egypte, en Ama­
le fascisme et le communisme, disparaît zonie, au Kenya, jumelles et carnet en
avec son expérience, La Valeur du hasard, main, pour observer des oiseaux et
autobiographie enrichie de nombreuses analyser les menaces infinies dont ils
photos qui paraît en français un peu plus sont l’objet. Ou encore une longue ré­
d’un an après sa mort, en juillet 2019, est flexion sur l’urgence climatique et le
d’autant plus précieuse. Elle est le fruit fait qu’il est sans doute trop tard
d’entretiens menés avec l’éditeur autri­ – mais alors, que reste­t­il à sauver ?
chien Georg Hauptfeld, qui s’est élégam­ Tout, dans Et si on arrêtait de faire
ment effacé dans le texte final. semblant ?, pourrait être passionnant.
En France, Agnes Heller est beaucoup Las, rien, ou presque, ne dépasse
Agnes Heller, à Rome, en 1981. ANGELO PALMA/A3/CONTRASTO/REA
moins connue et étudiée qu’une Han­ l’intention louable, égarée on ne sait
nah Arendt (1906­1975). Pourtant, la dans quoi : c’est trop long, trop stati­
route et le destin de ces deux philoso­ que, trop farci de clichés. La lecture de
phes du politique se ressemblent, entre Robinson en pleine robinsonade pro­
Europe et Amérique. Toutes deux abouti­
rent d’ailleurs à la fameuse New School
La philosophe hongroise, morte en 2019, raconte mettait d’être savoureuse, mais pour­
quoi quitter Manhattan si c’est pour
for Social Research, à New York, havre
d’accueil universitaire pour les philoso­
sa traversée du siècle dans une autobiographie caustique enfiler des généralités sur « notre île
existentielle à nous » (dont Wallace
phes et les sociologues européens de aurait tenté de « s’évader » par la litté­
gauche poussés à l’exil par les totalitaris­
mes. Avant cela, Agnes Heller fut, en tant
qu’assistante du philosophe hongrois
Gyorgy Lukacs (1885­1971) à l’université
Une leçon d’énergie rature) ? Pourquoi consacrer tant de
pages à avertir, avec force raisons, bien
entendu, contre la destruction des
oiseaux, mais ne jamais les regarder

critique d’Agnes Heller

de Budapest, une représentante typique
des ultimes tentatives pour un aggiorna­
mento du marxisme, le marxisme dit
« occidental », qui se voulait attentif aux
phénomènes culturels et récusait le
scientisme cultivé dans les instituts offi­
ciels des régimes communistes.
« Socialisme à visage humain »
Elle s’impliqua ainsi avec enthousiasme
dans l’aventure de la « nouvelle gauche »,
qui tenta, dans les années 1960, de renou­
veler le socialisme. Agnes Heller et le
groupe de l’« école de Budapest », dont
elle était alors le pivot – avant son départ
forcé pour l’Australie puis les Etats­Unis –,
ont été aussi l’un des terreaux de ce « so­
cialisme à visage humain » (titre d’une tri­
bune célèbre qu’elle envoya aux médias
occidentaux pour protester contre l’inva­
sion de la Tchécoslovaquie par les trou­
pes soviétiques en août 1968), dont l’idéal
semble avoir fait long feu et qui relève dé­
sormais de l’histoire des idées. Sa profes­
sion de foi, dans cette autobiographie, de­
meure en demi­teinte : « Je crois que la dé­
mocratie libérale est la chose la meilleure
que nous puissions atteindre. Et je ne crois
pas qu’il y aura une autre économie après
le capitalisme. »
Loin d’être désenchanté, l’ouvrage lè­
gue cependant une leçon d’énergie. Dans
un monde où la vie académique était
peu accueillante aux femmes, Agnes
Heller a su se hisser jusqu’à ce club infor­
mel des esprits progressistes et démocra­
tes, habitué des pages « opinions » des
grands journaux, des prix et des rencon­
tres internationales, au même titre que
Jürgen Habermas, Michel Foucault, Jac­
ques Derrida et tant d’autres, qui furent
ses amis. Elle attribue plutôt au « ha­
sard » sa survie dans des mondes meur­
triers ou hostiles.
vivre, bouger, s’individualiser, comme
si eux aussi étaient des généralités ?
Pétitions de principe
L’auteur des Corrections (L’Olivier,
2002) défend une écologie « francis­
caine », fondée sur l’amour du vivant.
Or cet amour tourne ici à la défense
non d’êtres mais d’idées, et d’idées
Ainsi, cette adolescente juive a manqué à la photographe et éditrice Inge passage d’une « société de classe » à une mal nourries. Bien des pages s’em­
de très peu de tomber sous les balles des Feltrinelli, dans les années 1970, où des « société de masse », le début d’un proces­ ploient ainsi à résoudre des problè­
fascistes hongrois, les Croix fléchées, laquais en livrée servent des gin­fizz au sus de « décivilisation » dominé par la mes cent fois traités par d’autres
dans le ghetto de Budapest, à la fin de la bord de la piscine, tandis que l’hôtesse mode, où l’inquiétant pouvoir de sur­ – comment concilier défense de la
guerre. Plus tard, frappée d’interdits pro­ expose ses projets de révolution mon­ veillance semble être passé de l’Etat poli­ biodiversité et du climat ? peut­on
fessionnels et censurée par le pouvoir diale à un fonctionnaire de l’Allemagne cier à la société (ce que montre à ses yeux échapper au désespoir tout en étant
communiste, elle n’utilise jamais ses de l’Est, se révèle particulièrement l’émergence du « politiquement correct », lucide sur la catastrophe à venir ? –,
épreuves comme matière d’un lamento savoureuse. qu’elle a observée aux Etats­Unis). De sans que ces savoirs soient sollicités,
victimaire. Au contraire, ces pages four­ même, face au populisme du premier sinon à la marge. D’où sans doute que
millent d’anecdotes cocasses illustrant Face au populisme de Viktor Orban ministre hongrois Viktor Orban, qu’elle a Franzen s’y embourbe, et que tout
le porte­à­faux entre « intellectuels de Le regard sur le monde d’après la chute combattu depuis son retour à Budapest cela ne débouche au bout du compte
gauche » occidentaux et dissidents ve­ du communisme est tout aussi causti­ dans les années 1990, elle estime que le que sur des pétitions de principe.
nus de l’« Est ». La description d’une que. Revenue de la ferveur qu’a suscitée triomphe de la démocratie en Europe n’a L’ennui, dès lors, l’emporte sur la
réception dans un château appartenant chez elle 1968, elle y voit maintenant le rien d’un acquis. « Le totalitarisme est curiosité. Rien de grave, certes. Com­
une découverte européenne, il ne vient bien de livres sont dans ce cas ? Sauf
pas d’Afrique ! », fait­elle observer aux dé­ que beaucoup voient en Jonathan
EXTRAIT vots des « valeurs démocratiques » prê­ Franzen l’un des écrivains majeurs
tées à la seule Europe. du XXIe siècle. Une situation enviable
« Je me suis rendue en 1971 aux Etats­Unis pour la première fois. On peut regretter que l’œuvre philoso­ pour qui, au­delà de la fiction, pense
(…) Je fis à cette occasion mes premières expériences de la culture phique ne soit ici qu’effleurée. Mais ainsi avoir des choses à dire : il sera en­
américaine (…). Lorsque je revins [à Budapest], en 1971, Lukacs campé par lui­même, le personnage tendu. Et, de fait, les positions de Fran­
était mourant. Je lui rendis visite et lui racontai quelle merveille donne l’envie de s’y plonger. Car Agnes zen, aussi faibles soient­elles, suscitent
étaient les peintures de Picasso que j’avais vues au Museum of Heller a beau suggérer que, comme son et susciteront un tombereau de com­
Modern Art [New York]. Il ne me crut pas, il disait que ces ta­ itinéraire, le futur est livré au hasard, le mentaires. Il ne se passe pas grand­
bleaux étaient décadents et que les femmes ne ressemblaient bilan de son existence montre que la chose dans ce livre. Il va s’en passer à
pas à cela. Je rétorquai que justement Picasso avait vu les fem­ contingence a du prix et n’empêche pas foison en dehors, qu’il rendra possible.
mes ainsi. Je lui racontai qu’aux Etats­Unis il y avait un cercle de une vie réussie.  Il est permis de préférer l’inverse. 
travail Lukács. Il ne put d’abord pas croire que l’on étudiait son florent georgesco
œuvre dans ce pays impérialiste, mais ensuite il s’en réjouit la valeur du hasard. ma vie
beaucoup. Lukacs mourut le 4 juin 1971. Peu de temps avant sa (Der Wert des Zufalls),
mort, je lui ai rendu visite à l’hôpital. Il disait : “Je n’ai pas encore d’Agnes Heller,  Et si on arrêtait de faire semblant ?
compris le plus important.” Il mourut d’un cancer qui s’était édité par Georg Hauptfeld, traduit (Farther Away ; The End of the End of the
étendu très vite, en trois mois. » de l’allemand par Guillaume Métayer, Earth), de Jonathan Franzen, traduit de
Rivages, « Bibliothèque », 288 p., 20 €, l’anglais (Etats­Unis) par Olivier Deparis,
la valeur du hasard, pages 166­167 numérique 15 €. L’Olivier, 352 p., 22,50 €, numérique 16 €.

Joseph Conrad sur les sentiers de la mondialisation

L’historienne Maya Jasanoff se coule dans les pas du romancier, et lit dans son œuvre l’intuition d’un monde globalisé

qui en épouse la trame en la dépla­
çant du Congo belge au Vietnam.
« Ce livre est devenu une pierre
de touche pour penser l’Afrique et
l’Europe, la civilisation et la sauva­
marc semo gerie, l’impérialisme, le génocide,
la folie, la nature humaine elle­
n’est pas une nouvelle biographie
de celui qui est désormais consi­
déré comme le plus grand roman­
cier britannique du début du
XXe siècle. Professeure d’histoire à
Harvard, Maya Jasanoff cherche
plutôt « à explorer [le] monde [de
l’intuition du monde globalisé
alors en gestation.
« J’ai vécu parmi les étrangers
mais non pas avec les étrangers ;
tout en vagabondant de par le
monde je n’ai jamais quitté le pays
des souvenirs », écrivait Conrad,
rédemption qu’est Lord Jim
(1900), la critique du regard des
Occidentaux, « si arrêtés à la sur­
face des choses, écrit Conrad, qu’ils
passent à côté de l’existence possi­
ble de races et de pays où plane le
mystère des temps pré­
de son œuvre. « Les romans de
Conrad sont des injonctions éthi­
ques. Ils méditent sur la façon de se
comporter dans un monde globa­
lisé où les anciennes règles sont de­
venues caduques sans que, pour
autant, personne en ait encore

A
dolescente, déjà, elle
était fascinée par la
puissance de la prose de
Joseph Conrad (1857­
1924). « La remontée de ce fleuve,
c’était comme une remontée aux
premiers commencements du
monde, au temps où la végétation
se déchaînait sur la terre », lisait­
elle, éblouie, dans Au cœur des té­
nèbres (1899), son roman préféré
de l’écrivain, qui est aussi le plus lu
et le plus populaire, surtout de­
puis Apocalypse Now (1979), film
même », s’enthousiasme Maya
Jasanoff, passionnée par le per­
sonnage comme par la vision du
monde de Jozef Teodor Konrad
Korzeniowski, fils de nobles polo­
nais des confins ukrainiens de
l’empire des tsars, devenu officier
de marine britannique puis
romancier écrivant en un anglais
somptueux, qu’il avait appris
adulte, en autodidacte, après le
polonais de son enfance puis le
français de sa jeunesse.
Le Monde selon Joseph Conrad
Conrad] avec la boussole de l’histo­
rien, la carte d’un biographe et le
sextant d’un lecteur de fiction ».
Fils errant
Elle se coule dans ses pas au
Congo, embarque en Inde sur un
porte­conteneurs. Ce récit d’écri­
vain­voyageur, qui peut paraître
anecdotique, se double heureuse­
ment d’une fine analyse littéraire.
Jasanoff montre que Conrad, fils
errant d’une Pologne rayée de la
carte, fut un visionnaire, qui eut
qui détestait être considéré
comme un romancier de la mer.
Outre Au cœur des ténèbres, l’his­
torienne se focalise sur trois ro­
mans, parmi les plus importants.
A propos de L’Agent secret (1907),
histoire d’un minable attentat
anarchiste manipulé dans la Lon­
dres de la fin du XIXe siècle, elle
souligne la lucidité de l’auteur sur
un monde où les choses ne sont
plus ce qu’elles paraissent être.
Elle met en avant, dans cette
parabole sur la lâcheté et la
historiques ». S’agissant de Nos­
tromo (1904), elle rend hommage
à la mise en scène magistrale de la
transformation du capitalisme et
de la montée en puissance de l’im­
périalisme. Mais, en creux, dans
ce long et puissant roman, Con­
rad, qui ne croyait pas aux lende­
mains qui chantent, montre aussi
l’inanité des révolutions. Un as­
pect que l’autrice n’évoque guère.
« La fiction est histoire, histoire
humaine, ou elle n’est rien », notait
l’écrivain. C’est ce qui fait la force
écrit de nouvelles », relève Maya
Jasanoff. Son bel essai montre que
la plume de l’écrivain est « comme
une baguette magique faisant ap­
paraître les esprits du futur ». 
le monde selon joseph conrad
(The Dawn Watch.
Joseph Conrad in a Global World),
de Maya Jasanoff,
traduit de l’anglais (Etats­Unis)
par Sylvie Taussig,
Albin Michel,
430 p., 22,90 €, numérique 16 €.
10 | Chroniques 0123
Vendredi 4 septembre 2020

LE FEUILLETON
CAMILLE LAURENS
Clair de lune
QUAND RIEN NE VA PLUS DANS L’EXIS­
TENCE QUE L’ON MÈNE, partir apparaît
souvent comme une promesse ou un sa­
lut. « Si tu peux rester, reste ; pars, s’il le
faut », écrit le Baudelaire du Voyage. C’est
l’impulsion qui saisit Mary, la narratrice
du premier roman de Maud Simonnot,
L’Enfant céleste, et même si la décision
est prise dans cette douceur où baigne
tout le livre, elle relève de la nécessité.
Mary a en effet deux bonnes raisons de
quitter la ville où elle vit, « ce royaume
des damnés ». D’abord, elle vient d’être
abandonnée par Pierre sans autre expli­
cation qu’un laconique : « Je ne peux pas
faire l’amour sans amour. » Ensuite, son
fils, Célian, enfant surdoué,
l’enfant céleste, s’ennuie terriblement à l’école,
de Maud Simonnot, où il subit des brimades. Hy­
L’Observatoire, persensible, capable d’éclater
166 p., 17 €, en sanglots inconsolables à la
numérique 12 €. mort d’une sauterelle, il appar­
tient à « ce peuple d’écorchés,
épris de justice », « qui ne peut pas ne pas
voir la fausseté du monde sans que ça lui
soit insupportable. Qui réinterroge sans
cesse le récit collectif, inepte, factice ».
Après un séjour dans le Morvan, où elle
reprend goût au plaisir de marcher dans
l’herbe, Mary se souvient que son père,
mort suicidé quand elle avait 7 ans, lui ra­
contait l’histoire du savant danois Tycho
Brahé (1546­1601), le premier à avoir
cartographié précisément le ciel au
FIGURES LIBRES
ROGER-POL
DROIT
ALINE BUREAU
XVIe siècle. Pour ne pas céder à « la dévo­
ration mélancolique », elle décide de par­
tir avec Célian sur l’île de Ven, au large du
Danemark, où Brahé a créé jadis « le plus
grand observatoire de l’Occident ».
Dès lors, le roman fait alterner son récit
et celui de son fils. Dans le premier sont
intégrés des éléments biographiques sur
l’astronome, et comme sa vie fut folle­
ment aventureuse (et sa mort pitoyable),
nous apercevons en filigrane le fantôme
d’un autre possible roman : Tycho Brahé,
qui portait une prothèse de nez en or,
avait en effet « un charme fou malgré son
visage fracassé ». Il vivait dans un châ­
teau avec de nombreux animaux, dont
un élan, avait pour meilleur ami le nain
Jeppe – c’est maintenant le nom du ba­
teau qui assure la traversée – et passait sa
vie à observer le ciel étoilé, y cherchant
« la matière invisible du temps ». Shakes­
peare s’en serait inspiré pour écrire
Hamlet. Les dernières années, son assis­
tant était le jeune Kepler, futur astro­
nome de génie : « Débrouille­toi pour que
je ne paraisse pas avoir vécu en vain », lui
demanda­t­il avant de mourir.
Ne pas vivre en vain, c’est aussi le désir
de tous les personnages. Dans sa vie
d’autrefois, Célian souffrait – « Je n’arrive
pas à ne plus m’ennuyer (…). Je me de­
mande pourquoi je suis là. Pourquoi nous
sommes tous là » –, il se sentait séparé
des autres. Sur l’île, il se fait Robinson,
l’amour. De longue date, elle s’est
intéressée à l’entrelacs des corps
et de la chair du monde, dans ses
essais – depuis L’Ecriture du désir
(Calmann­Lévy, 2000) jusqu’à Pe­
tit éloge du désir (Gallimard,
2013) – comme dans ses romans,
poursuit son rêve d’autonomie solitaire.
Si les chapitres dont l’enfant est le narra­ LES MAINS DANS
teur évitent toute mièvrerie, c’est grâce à LES POCHES
son don exceptionnel de sensibilité au
monde naturel, à la perception poétique VÉRONIQUE OVALDÉ
qu’il a des choses : « Je m’assieds sous
l’amandier tout mouillé./ Et je me dis/en­
tre l’herbe et la pluie/il n’y a rien. » Son re­ LES LETTRES ONT CECI DE COMMUN AVEC
gard se démarque de celui des adultes LE JOURNAL (l’intime, celui qu’on tient pour
qui l’entourent ; la nuit, ce qui le fascine soi et pour des lecteurs qu’on espère pos­
le plus, par exemple, « ce ne sont pas les thumes) d’entrelacer vie matérielle et diva­
étoiles scintillantes mais le noir entre gations métaphysiques – il s’agit toujours
les lumières ». du monologue entêtant, partisan, impudi­
L’évocation de la nature et des espaces que et bouleversant de notre « petite voix
cosmiques donne naissance aux plus dans la tête ». L’épistolaire et le diaristique
belles pages du roman. Tandis que Célian (oh mon Dieu, j’ai utilisé ce mot) esquissent
essaie d’attraper le reflet de la lune avec une recension fragmentaire et donc assez
une canne à pêche, la souffrance de sa juste de la vie des humains : on y fait des
mère se dissout dans les paysages de confitures, on parle de Dieu, on se demande
Ven, l’amitié de Solveig, sa logeuse, et les si on va réparer les gouttières cet été, on ex­
bras de Björn, amant tellurique et sen­ pose en passant quelques considérations
suel qui semble ne faire « qu’un avec la sur l’amour, on se morfond, on s’indigne,
forêt ». Ce qu’elle dit de l’amour, sans on avoue. Une vie en pointillé. Rejoins les
doute pourrait­on le dire de ce roman : points numérotés et la figure dans le tapis
« Je ne crois pas que l’amour tienne du apparaîtra. C’est une littérature des intersti­
translucide, du cristallin. Loin d’éclaircir le ces et des silences.
monde, il serait plutôt pour moi ce qui lui
donne ses fonds sablonneux, sa profon­ ANTONIA, DE GABRIELLA ZALAPI, EN EST
deur, sa moiteur. Une énigme. » UNE BELLE EXPRESSION – de mystérieuses
Plus exactement, L’Enfant céleste, photos jalonnent le livre, ajoutant à la poéti­
comme un ciel observé à des heures dif­ que du fragment. 1965, Palerme, grande
férentes, offre à nos yeux des clartés bourgeoisie : Antonia a épousé Franco,
multiples. Cristallin, il l’est indéniable­ « aveuglée par le désir
ment, car l’île, à la lisière du conte d’où d’être aimée », mais
elle semble émerger, ramène « le paradis Franco est « avide et
perdu » ; mystérieux il demeure pour­ tiède » à la fois, Antonia
tant, tissant un réseau de signes, de se­ est une mère évasive et
crets et de coïncidences que seul Shakes­ une épouse approxima­
peare sait expliquer d’une phrase, la der­ tive, le couple n’est au
nière du roman : « Nous sommes de mieux qu’une molle
l’étoffe dont sont faits les rêves » (La Tem­ guérilla domestique.
pête). Sous la lumière phosphorescente, Elle est la fille d’une
où songe et réalité deviennent poreux, la mère (sa famille est
conteuse sème de menus indices : ainsi, somptueusement cos­
quand elle s’émerveille qu’un poème de mopolite) qui l’a repous­
Tennyson ait pour titre Mary, son pré­ sée sur le bateau qui les emmenait vers une
nom, alors que le poème, dans la vraie nouvelle vie « avec de petits gestes secs, de
vie, s’appelle… Maud, comme la roman­ discrets petits coups de hache ». La liberté
cière. Le récit tout entier oscille entre la sera coûteuse. Mais il aura fallu que certai­
nes femmes décident de brûler la camisole
de la parfaite housewife pour en arriver là
Le récit de Maud où nous sommes.
Simonnot tout entier
LA RÉBELLION DEMEURE LONGTEMPS EN
oscille entre la solidité POSTE RESTANTE DANS OLGA, DE BERN­
minérale d’un mythe HARD SCHLINK. Ce sont les lettres qu’une
scandinave et la jeune institutrice allemande envoie à l’aube
du XXe siècle à son
découpe délicate bien­aimé, parti explo­
d’un conte oriental, rer le monde, au nom
de la Grande Allema­
l’intime et l’univers gne d’abord, puis au
s’y confondent nom de son propre in­
satiable appétit. Lettres
envoyées dans le grand
solidité minérale d’un mythe scandinave silence blanc de l’Arc­
et la découpe délicate d’un conte orien­ tique. « Mon Sibérien
tal, l’intime et l’univers s’y confondent. imaginaire, écrit­elle,
La narratrice a toujours des cailloux mon rêve et mon cau­
dans ses poches. « Les tourner et les re­ chemar d’amour, mon
tourner entre mes doigts me calme, leur mari fou, égaré, gelé, disparu, mauvais père
contact me raccroche à la réalité ou au de mon fils, mon espoir contre toute raison,
contraire permet de m’en dissocier. » C’est mon bien­aimé, je ne peux ni ne veux te lais­
un peu le sentiment que donne ce livre ser. » Olga luttera toute sa vie pour son
énigmatique et simple à la fois qui, à sa émancipation et sa liberté.
manière discrète, entre ciel et terre,
cherche et trouve une façon d’habiter CES FEMMES­LÀ SONT LES GRANDS­MÈRES
le monde, « une disposition à être dans DE CHLOÉ DELAUME, qui nous offre un
le temps ».  texte revigorant et désopilant avec Mes
bien chères sœurs. Dans
les années 1980, le co­
« polygamie lente », voyageant mique est troupier, la
d’unions en unions, tout au long femme est au foyer et
d’une existence dont, en outre, la les féministes finissent
durée ne cesse de s’accroître. vieilles filles. Delaume,
L’écriture est alerte, émaillée de après que son père a
multiples dialogues où l’on croise, tué sa mère et s’est sui­
comme autant de familiers, quan­ cidé dans la foulée

Amour et désir, dont le dernier en date, Nu inté­

rieur (L’Olivier, 2015), met en
scène permanence et mutations
tité d’œuvres et d’auteurs. Cer­
tains sont prévisibles, du Ban­
quet, de Platon, à La Nouvelle Hé­
(penser à ne plus jamais
parler de drame conju­
gal quand un type dé­

quoi de neuf ? des relations amoureuses.

QUI SE SOUVIENT ENCORE DE
PHILÉMON ET BAUCIS ? Ce cou­
ple antique passait pour modèle
de vertu. Sa fidélité exemplaire,
de la jeunesse au grand âge, fut
interrompue par la mort sans
Reste à cerner, avec précision, ce
qui a changé. Est­ce l’amour, le
couple, le désir, les représenta­
tions que nous nous en faisons ?
Les conceptions religieuses, les
comportements sexuels, les
Aujourd’hui, au fil d’une quête
enjouée et vagabonde, Belinda
Cannone montre que nous rê­
vons encore d’un couple stable
tout en sachant qu’amour ne
rime plus avec toujours. Parce que
la sexualité est devenue une di­
mension axiale de l’existence, et
que le désir s’émousse plus sou­
loïse, de Rousseau, en passant par
Tristan et Iseult et La Princesse de
Clèves, sans oublier des contem­
porains comme Pierre Bourdieu
zingue sa femme), se re­
trouve surplus dans un bout de sa famille.
Sa prose m’enchante. C’est drôle et féroce,
et puis surtout c’est rythmé : ratiboisage en
et François Jullien. D’autres ren­ alexandrins. Ça donne envie de chanter, de
contres sont plus singulières, scander « Au standard on me violait, du
comme La Garçonne. Ce roman temps où j’étais belle ». Elle écrit « de chez les
de Victor Margueritte – aujour­ hétéros féministes qui se maquillent » et va
d’hui oublié, mais qui fut à sa pa­ nous raconter tatie Chloé, la chute du vieux
rution, en 1922, un immense suc­ papatronat – et l’avènement du féminisme
PHOTOS PHILIPPE MATSAS, LAURENT SEKZIK, BRUNO LEVY

avoir été brisée. Tous deux,
croit­on, furent indéfectible­
ment simples, hospitaliers, cons­
tants et heureux. C’était au
temps lointain où le couple idéal
se devait d’être éternel. Depuis
que cette légende, souvent re­
prise, fut contée par Ovide dans
Les Métamorphoses, beaucoup
de vent a passé dans les alcôves.
Divorces à répétition, familles
recomposées, unions successi­
ves… nous aimons toujours, mais
différemment.
relations sociales ? Tout, évi­
le nouveau nom demment – mais de quelle
de l’amour, façon, dans quel ordre ? Où
de Belinda trouver les traces, témoigna­
Cannone, ges et archives de ces muta­
Stock, 232 p., tions colossales, mais si dif­
19,50 €, ficiles à cerner, au point
numérique 14 €. qu’elles pourraient paraître,
par moments, presque
insaisissables ?
Ces constats et interrogations
ont fourni à Belinda Cannone
l’impulsion de l’essai qui paraît
aujourd’hui, Le Nouveau Nom de
vent qu’il ne perdure. Mais aussi,
dit­elle, parce que les femmes dé­
sormais assument, affichent et
vivent leurs désirs, au lieu de su­
bir ceux des hommes. Dans ce jeu
instable entre ce qui demeure pé­
renne et ce qui change du tout au
tout, le nouveau nom de l’amour
devrait être amour­désir, fusion
de corps­esprits.
Cet amour, explique l’écrivaine,
inscrit dans la durée, pas dans
l’éternité. Il nous fait passer d’une
monogamie figée à une sorte de
cès – met en scène les premiers 2.0. Il s’agira de ne pas déboulonner conne­
pas d’une émancipation des fem­ ment mais surtout d’espérer. La virilité est
mes que l’on ne pouvait encore un piège pour tous et toutes, je ne vous
nommer… qu’en y voyant une l’apprends pas, alors faisons légion, il y a
masculinisation. encore un peu de boulot, soyons des « gué­
On pourra regretter que le ton, rillères ». 
entre essai et fiction, s’oblige ex­
cessivement, sans doute pour  Antonia. Journal 1965­1966, de Gabriella
« faire vivant », à user de tant de Zalapi, Livre de poche, 160 p., 7,20 €, numérique 8 €.
petits dialogues entre amies qui  Olga, de Bernhard Schlink,
semblent vite artificiels. Mais les traduit de l’allemand par Bernard Lortholary,
questions posées importent, et Folio, 320 p., 8 €, numérique 8 €.
n’ont évidemment pas fini de  Mes bien chères sœurs, de Chloé Delaume,
donner à penser.  Points, 144 p., 6,10 €, numérique 9, 50 €.
0123
Vendredi 4 septembre 2020
Dans «La Proie», l’auteur sud­africain assume comme jamais
la dimension politique de son œuvre
Deon Meyer au cœur de la corruption
Devant la cathédrale Saint­André de Bordeaux, en avril. SOPHIE GARCIA/HANS LUCAS
ESPIONNAGE
macha séry
I
l était apparu dans Le Pic du
Diable (2008), premier volet
de la série policière « Benny
Griessel ». Depuis, Thobela
Mpayipheli – nom de code « Um­
zingeli » lorsqu’il combattait au
sein de la branche militaire de
l’ANC (Congrès national africain)
– a changé de vie et d’identité. Il
s’appelle désormais Daniel Dar­
ret et coule des jours tranquilles
dans le sud­ouest de la France, en
qualité d’apprenti d’un restaura­
teur de meubles. Jusqu’au jour
où un ancien camarade de la
lutte antiapartheid, traqué par
des Russes en armes, reprend
contact avec lui et le supplie d’ac­
complir une ultime mission :
abattre le président de leur pays
d’origine.
UNE COLLECTION « LE MONDE »
« La Légende des siècles », tome I
Victor Hugo voulait offrir à
l’humanité une évocation pro­
gressiste de son histoire. Réflé­
chissant à son projet pendant
près de dix ans, il en détermine la
forme définitive durant son exil à
Guernesey. La Légende des siècles
tisse, en une multitude de « peti­
tes épopées », une vertigineuse
suite de poèmes dialoguant entre
eux, se renvoyant l’un à l’autre
pour dire de l’homme son génie,
ses merveilles, ses heures som­
bres, ses héros glorieux comme
ses gens de peu.
Au fil des vingt­cinq mille vers
qui nourrissent cette œuvre tita­
nesque, Hugo dévoile sa vision
philosophique et morale d’une
« histoire à l’écoute des légendes ».
A la manière d’un conteur, il
plonge aux mythes des Anciens,
aux sources des croyances et des
religions, pour rejoindre, dans
un flot poétique sans fin, l’élan
des grands récits épiques d’Ho­
mère, de Virgile et de Dante. En
penseur rationnel, animé d’une
vocation encyclopédique, Hugo
cherche l’essence du progrès hu­
main, puisant dans les recher­
ches d’historiens et de scientifi­
ques, tels Guillaume Pauthier,
qui a compilé Les Livres sacrés de
l’Orient (1840), l’exégète lorrain
Dom Calmet, auteur de l’Histoire
Parallèlement, en Afrique du
Sud, les capitaines Benny Gries­
sel et Vaughn Cupido sont char­
gés d’élucider le meurtre d’un ex­
policier, dont le cadavre a été
retrouvé près d’une voie ferrée.
Détenteur de secrets crapoteux,
l’homme a jadis travaillé pour le
ministre de la sécurité de l’Etat, à
l’unité de protection des VIP.
Problème : la kleptocratie qu’est
devenue l’Afrique du Sud rend
compliquée l’enquête en cours :
« Nous avons de très gros soucis,
observe la chef de la police
du Cap. Tout le département du
renseignement criminel de la
police nationale est corrompu et
compromis. Il ne fait pas de doute
que le procureur général est un
homme corrompu et compromis.
Que notre ministre de l’Intérieur
est un homme corrompu et com­
promis et qu’il en va de même
pour le président de la Répu­
blique. » Afin de poursuivre dis­
crètement leurs investigations,
Griessel et Cupido prétendront
Victor Hugo, l’édition Hetzel
universelle (1735­1747), ou encore
Louis Moréri, dont Hugo possède
une édition originale de 1683 du
Grand Dictionnaire historique.
L’humain et le divin
Aussi, par la force du verbe, à la
lumière de ses sentiments et par
son analyse érudite, incarne­t­il
une à une les figures du mythe et
de l’histoire, des titans aux rois,
des prophètes aux dieux, comme
on campe les personnages d’un
roman. Traversant les âges, de
l’Antiquité à la Révolution, Hugo
a patiemment construit, pen­
dant vingt ans, sa fresque monu­
Mélange des genres | 11
BANDE DESSINÉE
indiens, dessinent nettement le
portrait de l’ancien chef de l’Etat
Jacob Zuma. Issu des rangs de
l’ANC, il a démissionné cette
année­là, après un règne entaché
de scandales – agressions sexuel­
les et affaires de corruption. Ce
rappel n’est pas
la proie anodin, lui non
(Prooi), plus.
de Deon Meyer, Certes, les ro­
FUTUROPOLIS
traduit de mans policiers de
l’afrikaans Deon Meyer ont
par Georges Lory,
Gallimard,
toujours chroni­
qué, au fil des ans, Age d’or à la gomme
« Série noire », l’évolution de la
568 p., 18 €, « nation arc­en­ LONGTEMPS, À HOLLYWOOD, les rôles de Noirs et
numérique 13 €. ciel » : les difficul­ d’Indiens ont été joués par des comédiens blancs gri­
tés de la jeune més, pendant que les acteurs de couleur étaient can­
démocratie, les séquelles du tonnés à des personnages de domestiques ou de sau­
régime raciste, les ingérences vages plus ou moins assagis. « Pour créer la lumière, il
étrangères dans l’économie faut de l’ombre. Pour fabriquer l’Amérique, il faut un en­
nationale, les trafics du crime nemi », écrit la scénariste Loo Hui Phang au milieu de
organisé, la violence des inégali­ cette histoire du cinéma américain (1930­1960), revisi­
tés sociales, la cohabitation plu­ tée à travers le destin d’un comédien fictif aux ascen­
riethnique et plurilingue dont dances croisées (comanche, noire, chinoise), Maximus
témoigne l’écriture de ses livres Ohanzee Wildhorse, rebaptisé « Maximus Wyld ».
(interjections ou expressions Opposé à l’invisibilité à laquelle sont condamnées les
xhosa ou zoulou explicitées dans minorités à l’écran, ce dernier va néanmoins devenir,
un glossaire). Mais, cette fois, grâce à son talent et à sa belle gueule, une vedette à
La Proie assume explicitement la part entière de l’usine à rêves, à cela près que son nom
clore le dossier, accepter la thèse dimension politique. « La nation restera gommé des génériques. Tout le gratin de l’âge
officielle du suicide. traverse la période la plus sombre d’or hollywoodien défile ici à ses côtés, de Cary Grant
de l’histoire depuis l’apartheid », à Lana Turner, de John Ford à Billy Wilder, manière de
Séquelles fait dire Deon Meyer à l’un de ses faire croire à ce faux biopic relaté sur fond de ségréga­
Deon Meyer, auteur de douze personnages. Fourvoiement des tion raciale, richement documenté sur l’envers du
best­sellers traduits dans trente idéaux, captations des richesses, décor. Le trait tranchant et capiteux d’Hugues Micol,
langues, ne cesse de se réinventer. blanchiment d’argent, trahisons l’un des tout meilleurs dessinateurs du moment, ne
Après le roman d’anticipation des vétérans de la lutte éjectés au fait qu’accentuer l’illusion.  frédéric potet
L’Année du lion (Seuil, 2017), le profit de laquais… Amer est le  Black­out, de Loo Hui Phang (scénario) et Hugues Micol
voilà qui signe un thriller constat, et formidable le polar.  (dessin), Futuropolis, 200 p., 28 €, numérique 20 €.
d’espionnage de haute volée. Il y
conjugue une intrigue aux ramifi­
cations internationales – une
large partie se déroule à Bordeaux
puis à Paris, enfin à Amsterdam –
et un morceau de bravoure propre
au genre policier. Soit un meurtre Une collection
en chambre close à bord du Rovos,
le train le plus luxueux du monde, LE MONDE DE
MAIGRET
qui relie Le Cap à Pretoria.
La Proie est sorti en 2018 en
Afrique du Sud, où il a remporté
le Prix des libraires. La date est
importante. Il y est question d’un
président jamais nommé, mais
tous les traits que lui attribue
l’écrivain, notamment ses liens Georges Simenon
avec des hommes d’affaires
LE LIVRE N°7
8,99 €
seulement
mentale, dépassant la dimension
historienne de ses contempo­
rains Jules Michelet ou Augustin
Thierry. Car son dessein poétique
est d’explorer l’élévation de
l’âme, les conflits du bien et du Sous la plume de Georges Simenon, plongez
dans l’univers du commissaire Jules Maigret.
mal, pour composer une mosaï­
que où la notion de création
Chaque volume est accompagné d’un dossier
embrasse avec la même ferveur
complet qui éclaire les thèmes, les personnages
l’humain et le divin.
et le climat du roman.
Ainsi, à la manière d’une œuvre
symphonique au crescendo
constant, Victor Hugo consacre à Collection préfacée par John Simenon
l’histoire de l’humanité « une es­
pèce d’hymne religieux à mille www.lemondedemaigret.fr
strophes, ayant dans ses entrailles
une foi profonde et sur son som­
met une haute prière ». Tel un tes­
tament humaniste, le regard du
poète se porte avec autant d’ef­
froi que d’émerveillement sur ce
qui fonde les civilisations. La Lé­
gende des siècles en est le chant
d’amour, épique, sensible, lucide,
universel. Plus encore, elle clame
l’idéal d’un homme conscient
que « la liberté commence où
l’ignorance finit ». 
christophe averty
« la légende des siècles »,
tome i,
de Victor Hugo,
une collection « Le Monde »,
en vente chez les marchands
En vente chez votre marchand de journaux
de journaux, 9,99 €.
12 | Rencontre
Lise Charles
Inquiétudes
enfantines
Pour son troisième roman, l’écrivaine puise dans la matière
de sa propre histoire et interroge les ressorts de la création
ainsi que les pouvoirs de la littérature
florence bouchy
S
ix mois qu’elle n’avait
pas vu Paris, entre le
confinement et la
période estivale pas­
sés à la campagne.
Tout juste rentrée,
Lise Charles retrouve à la fois
avec joie et inquiétude la ville où
elle a toujours vécu, lorsqu’on la
rencontre en terrasse, fin août,
pas loin du Quartier latin. Dans
ces rues qu’elle connaît bien,
pour y avoir grandi avec ses
parents universitaires et y avoir
poursuivi ses études de lettres.
Elle s’en est rarement éloignée et
s’y dit très heureuse, bien qu’on
lui fasse souvent remarquer que
« ce n’est pas le quartier le plus
cool de Paris ».
Mais la romancière cultive
davantage son image de jeune
femme raisonnable que celle
d’une Parisienne dans le vent. « Je
ne rêve pas d’un énorme succès,
dit­elle, parce que cela peut être
difficile à vivre, surtout quand on
est jeune » (Lise Charles est née
en 1987). D’ailleurs, après ce troi­
sième roman et les deux livres
pour la jeunesse qu’elle a écrits
depuis 2013, elle ne sait pas si elle
publiera d’autres textes. Ce
qu’elle aime, dans l’écriture,
« c’est plutôt y penser, pas
publier ». Elle ne voit même, dans
Ce que Lise
Charles aime,
dans l’écriture,
« c’est plutôt
y penser, pas
publier ». Elle
n’y voit « aucune
nécessité »
la publication d’un livre tous les
trois ans, « aucune nécessité ».
On devine néanmoins cette
spécialiste de grammaire et
d’analyse stylistique, elle­même
enseignante­chercheuse à l’uni­
versité de Nantes, un peu
tiraillée, dans sa pratique de
l’écriture, entre les valeurs de
modération et de rigueur en
vigueur dans son univers profes­
sionnel et le désir d’être recon­
nue autrement que comme une
« forte en thème », ainsi que le lui
avait fait craindre une ensei­
gnante. La Demoiselle à cœur
ouvert se veut surtout un hom­
mage à la sensibilité, aux pen­
sées et aux émotions enfantines.
Elle est allée jusqu’à puiser dans
son propre journal pour écrire
de la manière la plus juste celui
de la jeune Louise. Et s’est plu à
retourner passer du temps dans
une classe de primaire pour
retrouver le mode de relation au
monde que l’on peut avoir à cet
âge­là.
Si l’action du roman se déroule à
la Villa Médicis, où elle a été pen­
sionnaire en 2017­2018, et s’il est
tentant de le lire comme une sa­
tire de la vie qu’y mènent les écri­
vains en résidence, Lise Charles se
0123
Vendredi 4 septembre 2020
défend d’avoir voulu écrire un
livre « sur l’Académie de France à
Rome ». Elle l’a situé là, explique­t­
elle, parce que la forme du roman
épistolaire qu’elle avait choisie est la demoiselle à cœur ouvert,
une forme d’« écriture du quoti­ de Lise Charles,
dien », où les détails de la vie de P.O.L, 352 p., 21 €, numérique 15 €. Lise Charles, en 2015. HÉLÈNE BAMBERGER/OPALE
tous les jours, dans leur précision
et leur insignifiance, peuvent être
évoqués. La Villa lui était suffi­
samment familière pour qu’elle
puisse en décrire les moindres
DIANE MAZLOUM
recoins et les incongruités sans
risquer de se tromper.
« Le projet de ce livre, son intri­
gue, je l’ai depuis bien plus long­
temps que cela, insiste­t­elle.
Depuis mes 17 ou 18 ans, et la
lecture, en cours d’allemand, de
Mademoiselle Else [1924], une
Un huis clos magnétique
nouvelle d’Arthur Schnitzler qui
m’avait fait une très vive impres­
sion. Elle avait suscité chez moi un
au cœur des montagnes libanaises
fort sentiment d’identification. »
Elle ajoute : « Je n’ai pas vérifié
mais je me rappelle avoir lu que
Schnitzler s’était inspiré de l’his­
toire de sa nièce, et que celle­ci
s’était suicidée après la publica­
tion. J’ai donc eu l’idée d’un écri­
vain qui volerait le journal intime
Fausta quitte Beyrouth pour la maison de son oncle, dans
un village entouré de montagnes, à la frontière de trois
d’une petite fille ou d’une ado­
lescente, pour m’interroger sur les
pouvoirs – parfois les effets rava­
geurs – que peut avoir la littéra­
ture sur la vie. » La Demoiselle à pays en guerre. Paradoxalement, pour Fausta, c’est le
lieu doux des étés de son enfance, le seul endroit capable
cœur ouvert est ainsi, résume­t­
elle, « un livre sur la façon dont la
vie influence la littérature, et dont
la littérature agit sur la vie ».
Une autofiction ? Plutôt « un livre
sur l’autofiction », précise Lise
de l’apaiser. C’est là qu’elle a fait construire unee piscine
p
Charles, qui s’interroge d’abord
sur les ressorts de la création : parfaite mais sur un terrain qui ne leur appartient ient pas.
p
Fausta a juste envie de s’y plonger. Avant une dernière nière
avec quelle matière travaille­t­on
quand on écrit ? Y a­t­il un prix à
payer pour cela ? Comment ne pas
trahir son entourage, mais aussi
l’enfant qu’on a pu être, lorsqu’on
écrit ? « J’ai repris plein d’éléments
injection qui lui permettra peut-être d’avoir un enfant.
de ma propre vie, dit­elle. Pour cha­
que pièce du puzzle, je peux dire où Leo Bendos perturbe son séjour. Il arrive du Canada
pour régler cette affaire de piscine : vendre le terrain de
je l’ai trouvée. Et en même temps,
tous ces détails rassemblés for­
ment une histoire qui n’a rien à voir
avec la mienne. » Pour preuve, elle
mentionne l’article universitaire sa famille et repartir. L’oncle l’accueille, Fausta l’observe.
reproduit dans le livre : « C’est qua­
siment, reconnaît­elle, un article
que j’ai écrit. Mais dans le contexte
Ils se découvrent. Tous deux sont fascinés par ce village
qui semble
s contenir le monde, le danger qui peut surgir
du roman, il paraît assez ridicule ! »
Très construit, organisant de
judicieux systèmes d’échos et de
contraste, le roman évite l’écueil
de l’exercice de style. La Demoi­ à tout
tou moment. Ces trois jours vont changer leur vie.
selle à cœur ouvert se lit bien
comme une satire du petit
monde de la Villa et comme un
pastiche des Liaisons dangereuses
(on pense inévitablement au
roman épistolaire de Choderlos
Un roman
r magnétique, envoûtant, sur nos identités, la
de Laclos). Mais Lise Charles
oppose à la vanité des écrivains, terre qui
q nous façonne, l’histoire de deux personnages
happ par la puissance d’une nature et d’un lieu
happés
qui pensent tirer les ficelles, la
sincérité de la jeune fille dont on
lit le journal. La romancière reste
cependant tiraillée : publier ce
journal inspiré de ses propres
secrets d’enfant, n’est­ce pas tra­
imm
immuables.
hir un peu, au même titre que le
personnage du roman, la petite
fille qu’elle a été ? C’est sans doute
dans ces tiraillements qu’apparaît
l’espace de jeu propice à la créa­
tion romanesque de cette écri­
vaine inquiète et talentueuse. 