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La chaire annuelle Avenir commun durable bénéficie du soutien de la

Fondation du Collège de France et de ses grands mécènes Covéa et


TotalEnergies.

© Librairie Arthème Fayard et Collège de France, 2022.


ISBN : 978-2-213-72386-0
Dépôt légal : juin 2022
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Leçon inaugurale prononcée au Collège de France le jeudi
9 décembre 2021 - Leçon inaugurale no 306
Économie du climat et politiques climatiques
Économie et éthique de nos responsabilités envers les générations
futures
Incertitudes et actualisation
Valeur du carbone
Les leçons inaugurales du Collège de France
Les leçons inaugurales publiées dans la collection Collège
de France / Fayard
Leçon inaugurale
prononcée au Collège de France
le jeudi 9 décembre 2021

LEÇON INAUGURALE No 306


Chers collègues, chers amis,

Mesdames, Messieurs,

Alors que, selon l’expression consacrée, la plupart des habitants de la Terre


continuent à affronter des incertitudes de fin de mois, des dangers immenses
nous obligent à nous confronter à la plausibilité de la fin du monde. Après
avoir créé au XXe siècle la bombe atomique et son hiver nucléaire, l’être
humain du XXIe siècle réalise qu’il pourrait finalement détruire son propre
écosystème en le réchauffant à des niveaux jamais vus depuis des millions
d’années, et ceci en quelques décennies seulement. Si le péril atomique a pu
être évité en demandant à quelques hommes de ne pas appuyer sur le bouton,
force est de constater que le péril climatique se matérialise sous nos propres
yeux sans que nous soyons capables de convaincre les milliards de Terriens
de réduire leur consommation à leur échelle – de moins appuyer sur le bouton
du moteur thermique de leur voiture, celui du thermostat de leur habitation,
ou celui de la chaudière de leur centrale au charbon. Notre responsabilité
envers les générations futures est engagée. Cependant, comme nous le
rappelle Groucho Marx : « Pourquoi devrais-je me préoccuper des
générations futures ? Qu’ont-elles fait pour moi ? » Et pourquoi ne pas suivre
la maxime attribuée à Madame de Pompadour : « après nous, le déluge » ?
Quoi qu’il en soit, en reprenant John Keynes, « sur le long terme, nous
sommes tous morts ». Le changement climatique a ceci de commun avec la
pandémie du Covid-19 qu’il illustre combien il est extrêmement difficile
d’aligner les comportements individuels sur l’intérêt général.

Les enjeux du climat et, plus globalement, ceux qui sont liés à la
soutenabilité de notre prospérité, nous obligent à rationaliser notre conception
de nos responsabilités envers les humains qui vivront sur cette Terre dans les
siècles à venir, ainsi qu’à traduire concrètement cela en outils d’évaluation de
nos actions et d’aide à la décision. Entre le court-termisme supposé des
marchés financiers et le jusqu’au-boutisme des tenants de la théorie de la
décroissance et de la frugalité, en passant par les préoccupations de pouvoir
d’achat des Gilets jaunes, existe-t-il des fondements scientifiques à une
théorie de l’individu ou de l’entreprise « environnementalement »
responsable dont on pourrait déduire une technique opérationnelle
d’évaluation permettant de juger chaque action à l’aune de son apport au bien
commun ? À l’occasion de cette leçon inaugurale, je vais chercher à vous
convaincre que tel est le cas. Dans notre monde gagné par un relativisme
intégral, où tous les arguments se valent, en particulier quand il s’agit de
réduction des émissions de CO2, et où tout ce qui est vert est a priori
désirable, il est urgent de remettre de la rationalité dans un débat où les
idéologies prennent le dessus au détriment de l’efficacité et de la crédibilité
des politiques engagées.

ÉCONOMIE DU CLIMAT ET POLITIQUES CLIMATIQUES


Aujourd’hui, plus de 90 % des Français pensent qu’un changement
climatique est en cours, tandis que 80 % d’entre eux le considèrent à tout le
moins comme extrêmement grave. Il n’y a donc plus d’enjeu en France quant
à la communication sur les connaissances climatiques. Hélas, cet
impressionnant consensus se brise dès l’instant que sont abordées les
questions du « qui ? », du « quoi ? », du « combien ? » et du « comment ? »
Les éoliennes, plus personne n’en veut à cause de leur impact sur nos
paysages et sur nos patrimoines. Le nucléaire reste une source d’énergie
essentiellement décarbonée, mal aimée pour les déchets à haute activité et à
vie longue qu’elle engendre. Les biocarburants sont critiqués pour favoriser
l’agrobusiness et pour concurrencer la production alimentaire. Le solaire et
l’éolien ne pourront massivement se développer tant que l’on n’aura pas levé
le verrou technologique du stockage de l’électricité, dans un contexte où les
consommateurs ne sont pas prêts à rendre plus flexible leur consommation
d’électricité. L’agrégation des oppositions ne peut conduire qu’à
l’immobilisme. De plus, l’intermittence de ces sources d’énergie
renouvelable rend celles-ci encore chères par rapport à leurs concurrents
fossiles, en l’absence de soutien public. La solution de stockage de
l’électricité utilisant l’hydrogène comme vecteur (power-to-gas-to-power en
anglais) conduit à la dissipation des trois quarts de l’énergie primaire utilisée.
Même en faisant abstraction de ce problème, alors que le kilowatt-heure
(kWh) nucléaire coûte environ 5 centimes, le tarif de rachat du kilowatt-heure
du parc éolien de la baie de Saint-Brieuc est de 15,5 centimes.
Encore pour longtemps, remplacer des énergies fossiles finalement peu
chères et très faciles à utiliser – c’est invraisemblable la quantité d’énergie
concentrée dans un litre d’essence –, et qui ont fait la prospérité de l’Occident
pendant deux siècles, par des énergies renouvelables intermittentes plus
chères à produire et plus complexes à manipuler, va nous obliger à obérer le
pouvoir d’achat et le bien-être de nos concitoyens. Il va être difficile de les
convaincre, notamment parce que l’essentiel des bénéfices sociaux et
environnementaux de ces sacrifices vont s’étaler sur un temps très long. Si
l’on en croit les modèles d’évaluation intégrant modules climatiques et
économiques, réduire nos émissions en 2021 va conduire à une réduction des
dommages climatiques sur plusieurs siècles, et en moyenne dans quatre-
vingts ans. De plus, ces bénéfices ne seront pas en faveur de la personne, de
l’entreprise ou du pays qui fait cet effort. Ils bénéficieront à l’ensemble de
l’humanité. Cette double tragédie des horizons, temporel et spatial, fait du
changement climatique le défi le plus pernicieux jamais affronté par l’être
humain. Parviendra-t-il à y faire face ? Le défi est rendu encore plus hardi par
ce que les économistes appellent les « fuites de carbone ». Quand un pays
décide de pénaliser les émetteurs de CO2 sur son sol, certains pourraient être
tentés d’aller exercer leurs activités dans un autre pays à l’ambition
climatique moins audacieuse. Le résultat, c’est une perte nette en emploi et en
prospérité pour le premier, et un bénéfice écologique global nul.
Depuis les travaux d’Arthur Pigou publiés il y a cent et un ans1, les
économistes parlent d’« externalité » lorsque l’action d’un agent a un impact
sur le bien-être d’un autre agent, sans que cet impact ne fasse l’objet d’une
compensation par un contrat ou par un prix. L’externalité climatique liée à
toute émission de CO2 est caractéristique. Elle implique que, sans
intervention, tout effort de réduction des émissions par un agent suppose pour
lui de supporter 100 % de son coût, mais de ne rien recevoir en retour, le
bénéfice étant disséminé sur l’humanité entière dans les siècles à venir. Dans
ce contexte d’externalité négative, les économistes anticipent un équilibre où
aucun effort ne sera produit, chacun espérant être le « passager clandestin »
des efforts des autres. Des motivations intrinsèques étudiées par Roland
Bénabou et Jean Tirole2, telles que la promotion d’une image positive de soi
ou le désir d’estime de soi, peuvent aider à s’écarter de cette prédiction
pessimiste d’un Homo economicus tout-puissant. Mais force est de constater
que la réalité des trente dernières années confirme cette prédiction. La
conférence de Rio date de 1992, ce qui correspond à une prise de conscience
du phénomène climatique. À l’époque, on émettait 22 Gt de CO2 par an.
Aujourd’hui, on en émet 36 Gt ! L’Europe est la seule région du monde ayant
réduit ses émissions depuis l’année de référence, 1990. Cette baisse est de
22 %, encore très loin de l’objectif de 55 % pour 2030, à atteindre en
seulement neuf années.
En 2010, les ménages qui ont installé des panneaux voltaïques sur leur toit
ont pu bénéficier d’un contrat de prix garanti jusqu’en 2030 à 60 centimes le
kilowatt-heure, alors que le coût de production de ce même kilowatt-heure
par le mix électrique européen n’est que d’environ 6 centimes. Cette
substitution coûte donc à la société 54 centimes, mais elle permet d’éviter
l’émission de 400 grammes de CO2 de ce mix. Par simple application de la
règle de trois, on obtient que chaque tonne de CO2 évitée en France par le
soutien public au solaire nous a coûté – et coûtera encore jusqu’en 2030 –
1350 euros. Ce surcoût se retrouve dans notre facture d’électricité, à travers la
Contribution au service public de l’électricité (CSPE). En 2021, elle était de
2,25 centimes le kilowatt-heure. En 2019, les Gilets jaunes ont manifesté
pour s’opposer à l’augmentation de la taxe carbone de 44 à 55 euros par
tonne de CO2 (tCO2). S’ils savaient qu’ils paient par ailleurs 1350 euros/tCO2
dans leur facture d’électricité ! Faut-il que le vrai coût de la transition
énergétique soit caché pour que celle-ci soit socialement acceptable ?
Il existe une myriade d’autres actions en faveur du climat qui méritent ce
type de comparaison des coûts et avantages. Un rapport récent de France
Stratégie3 suggère qu’il coûtera collectivement encore environ
300 euros/tCO2 de remplacer une voiture thermique par un véhicule
électrique en 2025. Dans le secteur résidentiel, il existe bien sûr des passoires
thermiques dont la meilleure isolation offre une panoplie d’actions vertes à
faible coût d’abattement, mais la plupart des politiques actuelles (éco-prêt à
taux zéro, crédit d’impôt pour la transition énergétique, certificats
d’économie d’énergie) ont hélas un coût par tonne de CO2 élevé, autour de
350 euros selon certaines études récentes. Plutôt que d’améliorer l’isolation,
une stratégie de décarbonation de la source d’énergie pour le chauffage est
plus porteuse. Par exemple, le remplacement d’une chaudière au fioul par une
pompe à chaleur ne coûte que 50 euros/tCO2. Finalement, un rapport de 2018
par le Conseil général de l’environnement et du développement durable4
(CGEDD) indique que, une fois pris en compte les vies gagnées et
l’allongement des temps de déplacement, le coût social de la réduction de la
vitesse sur nos routes de 90 à 80 km/h est inférieur à 50 euros/tCO2.
Comme l’objectif de zéro émission nette passera nécessairement par une
électrification de nos économies, il est crucial de décarboner le mix électrique
européen. Le charbon, énergie primaire extrêmement polluante, compte pour
80 % dans le mix polonais, et encore 45 % dans celui de l’Allemagne.
L’alternative au charbon est le gaz naturel, qui émet deux fois moins de CO2
par kilowatt-heure produit. En Europe, les moratoires permanents que nous
nous sommes imposés dans l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste,
ainsi que le pouvoir de marché que nous imposent les oligarques russes,
rendent le gaz naturel plus cher que le charbon, contrairement au cas des
États-Unis par exemple. Il en coûte donc de remplacer le charbon par le gaz
naturel dans le mix électrique européen. En comparant les prix du charbon et
de gaz naturel sur le continent pour la dernière décennie à la réduction des
émissions permises par la substitution d’une source par l’autre, on obtient que
ce coût par tonne de CO2 évitée est d’environ 40 euros. Pourtant, les Polonais
et les Allemands ne se sont engagés à sortir du charbon qu’en 2038.
D’autres études existent5, qui cherchent à mesurer le coût d’abattement de
biocarburants, de la reforestation, du végétarisme, de l’acier et du ciment
décarbonés, de la sobriété thermique, des standards d’émission automobile et
d’efficacité énergétique des bâtiments, de l’interdiction des vols intérieurs et
des chaufferettes sur les terrasses de café par exemple. Il s’agirait dès lors
d’établir un « ordre de mérite » de toutes les actions de décarbonation en les
ordonnant de l’action la moins coûteuse par tonne de CO2 évitée à la plus
coûteuse. Ce travail est évidemment extrêmement complexe. Il existe une
myriade d’actions vertes possibles, certaines beaucoup plus efficaces et
effectives que d’autres. Force est de constater qu’en Europe comme ailleurs,
on a mis en œuvre beaucoup d’actions vertes peu efficaces et peu effectives
(comme le solaire en 2010), alors qu’on a évité d’en réaliser d’autres très
efficaces et très effectives (comme la sortie du charbon). Ces erreurs,
massives, conduisent à augmenter inutilement la facture globale de la
transition énergétique. Si je le formule autrement, avec les mêmes moyens
depuis dix ans, on aurait pu atteindre un résultat écologique bien meilleur. La
faiblesse de l’évaluation socio-économique et environnementale,
particulièrement flagrante dans l’évaluation de la récente loi « Climat et
résilience », adoptée suite à la Convention citoyenne pour le climat, constitue
une des causes de cet échec relatif. Si nous voulons échapper à cette
malédiction dans un contexte d’accélération indispensable de la transition
écologique, il est urgent de renforcer en France et en Europe nos mécanismes
d’évaluation des politiques publiques, comme ceci est expliqué dans un
rapport de l’Institut Montaigne publié en septembre 20216. En écrivant ceci,
je pense à tous ceux qui ont œuvré dans cette direction, depuis Marcel
Boiteux jusqu’à Roger Guesnerie, en passant par Dominique Bureau, Alain et
Émile Quinet, et bien d’autres encore.
Il est clair que toute politique climatique efficace, c’est-à-dire qui minimise
son impact sur le pouvoir d’achat des ménages, se doit de donner la priorité
aux mesures qui ont le moindre coût par tonne de CO2 évitée. Ceci ne peut se
faire qu’en fixant un seuil critique de coût d’abattement qui soit tel que seules
les mesures qui ont un coût inférieur à ce seuil doivent être réalisées.
Appelons ce seuil la « valeur du carbone ». Dès lors que cette valeur du
carbone est fixée, il suffit pour les évaluateurs d’une mesure spécifique de
vérifier que le coût net d’abattement de cette mesure est bien inférieur à cette
valeur du carbone. Pour résumer, il est proposé d’attribuer une valeur aux
choses qui nous sont chères et de vérifier que ce que nous acceptons de
sacrifier pour les préserver est bien inférieur à cette valeur. Tout ce qui est
vert n’est pas socialement désirable ! Dans un parallèle peut-être légèrement
exagéré, on a vu durant la crise pandémique combien le refus d’associer une
valeur à la vie humaine a empêché tout débat rationnel sur l’intensité ou la
durée des confinements, ainsi que sur l’obligation vaccinale par exemple. On
ne peut prendre de décision collective sur une base rationnelle si l’on est
incapable de créer un consensus sur nos valeurs communes. J’y reviendrai.
Je vois de nombreuses entreprises industrielles s’engager dans cette
approche pour déterminer leur stratégie d’investissement
environnementalement responsable en utilisant un « prix interne du
carbone ». Je soutiens ces démarches. C’est la bonne façon de traduire une
ambition d’entreprise en critère opérationnel de décision. L’idéal serait
néanmoins de pouvoir rendre public ce prix interne du carbone, tout en
autorisant une certification avec audit externe. Le monde de la finance est,
lui, encore très loin d’adopter une telle approche. Les banques, les
compagnies d’assurance, les fonds de pension et les banques centrales dans le
monde entier utilisent des méthodes beaucoup plus frustres d’exclusion ou de
best-in-class souvent fort éloignées d’une évaluation rationnelle fondée sur
une valeur du carbone. Le drame qu’a provoqué le statut du gaz naturel et du
nucléaire dans le débat sur la taxonomie européenne illustre bien l’opacité de
ces méthodes alternatives. Le profit d’une entreprise carbonée ne mesure pas
la création de valeur sociétale d’une activité économique. Celle-ci doit
défalquer du profit la valeur de ses émissions de CO2 (scopes 1 et 2). Avec
les nouvelles obligations d’information des entreprises cotées en bourse, ce
calcul devient assez facile à réaliser. Je recommande que les institutions
financières qui se qualifient de « responsables » à l’égard de l’environnement
mesurent la création de valeur de chaque actif sur la base d’un prix interne du
carbone clairement annoncé. Ceci leur permettra de mesurer la rentabilité
sociale de chaque actif et de chaque portefeuille possible, afin de déterminer
le portefeuille optimal du point de vue du rapport rendement/risque, sous
cette nouvelle acception du terme rendement. Cette approche conduira à
réduire le coût du capital des entreprises les moins émettrices, et constituerait
donc un outil d’incitation à la décarbonation plus transparent que les
approches actuelles. Le problème, c’est que ces portefeuilles
environnementalement responsables ne sont pas ceux qui rapporteront le plus
aux épargnants et aux investisseurs, sauf si les États finissent par pénaliser
financièrement les entreprises les plus émettrices. C’est un fameux pari !
Le calcul du coût net d’abattement est souvent complexe compte tenu du
caractère multidimensionnel des impacts. Considérons deux exemples qui, je
crois, parleront à beaucoup d’entre nous. Nous assistons en France à une
importante fronde anti-éolienne, une technologie qui semble aujourd’hui
indispensable si nous voulons respecter nos engagements dans les années à
venir. Parmi les importants arguments soulevés se trouve le problème de leur
impact sur les paysages et les patrimoines. Pour mesurer le mérite de cette
technologie, nous devons prendre en considération cet impact sur le bien-être
des riverains de la même manière que nous le faisons pour les coûts
directement financiers de ces investissements. Mais comment le mesurer ?
Les économistes de l’environnement utilisent une méthode d’évaluation qui
consiste à identifier l’impact de la pollution – ici paysager – sur le prix des
logements. L’idée est que, toutes choses égales par ailleurs, les acquéreurs
potentiels dévaloriseront une habitation du montant de l’impact de cette
pollution sur leur bien-être. Une étude récente estime ce coût à 5 % de la
valeur immobilière dans un rayon d’un kilomètre d’une éolienne. Ce coût
doit être intégré au coût complet de l’électricité éolienne, potentiellement en
forçant les propriétaires d’éoliennes à indemniser les riverains à ce niveau.
Cela aurait pour avantages d’inciter les industriels à mieux choisir les
emplacements, mais aussi de contribuer à la résolution du « NIMBY » (not in
my backyard, « pas dans mon arrière-cour »).
Le sujet du nucléaire est particulièrement central dans notre pays, dont les
trois quarts de l’électricité proviennent de l’atome. C’est actuellement la
seule source effective d’électricité essentiellement décarbonée qui soit
pilotable. C’est aussi une source d’électricité très peu coûteuse, de l’ordre de
4 centimes/kWh, en tout cas tant que l’on parle du nucléaire de seconde
génération. Mais le nucléaire de deuxième et de troisième génération
engendre des déchets nucléaires qui pourraient avoir des impacts importants
sur les générations futures si l’on ne les gère pas convenablement. Le mérite
de l’électricité nucléaire doit donc intégrer cet impact économique et
environnemental. Avec Cigéo, la France est en voie d’éliminer cette charge
future, en construisant à Bure, dans les Ardennes, un site destiné à stocker
l’ensemble des déchets à hautes et moyennes activités sur l’ensemble de la
vie de nos centrales de seconde génération. Une fois son coût de 25 milliards
d’euros rapporté à la quantité d’électricité produite, il correspond à un surcoût
de 0,1 centime par kilowatt-heure nucléaire. Quoi qu’il en soit, face à une
incertitude technologique profonde sur la façon d’atteindre notre ambition
climatique, le nucléaire nous offre une voie bien maîtrisée de décarbonation
du mix électrique pour quelques décennies encore, le temps de vérifier que
nous sommes capables de lever les verrous technologiques qui pèsent sur le
plein développement des énergies renouvelables. Il existe une forte valeur
d’option à dissiper ces incertitudes avant de s’engager dans la voie
irréversible de la sortie du nucléaire. Cette valeur d’option doit aussi être
intégrée dans la mesure du mérite relatif du kilowatt-heure nucléaire.
Les actions vertes ont d’autres impacts socio-économiques et
environnementaux, comme le renforcement de l’indépendance énergétique,
qui nous fait encore tant défaut aujourd’hui dans les secteurs du transport et
du résidentiel. Les coûts implicites de la sobriété, comme l’inconfort d’une
température ambiante réduite, doivent aussi être monétisés si l’on veut mener
à bien un débat collectif rationnel sur ce sujet, en particulier sur la thématique
de la décroissance. Cependant, il existe un impact qui focalise l’opinion
publique française plus que partout ailleurs. Il s’agit de l’effet des politiques
publiques sur les inégalités sociales. En effet, l’« élasticité-revenu » de la
demande d’énergie en Europe est plus petite que un, les ménages les plus
modestes consacrant une part plus importante de leur revenu à leurs dépenses
énergétiques. Ainsi, toute hausse du prix de l’énergie augmente les inégalités
sociales. Par exemple, la subvention aux énergies solaire et éolienne par
l’offre de prix garantis largement au-dessus du prix de marché de l’électricité
augmente les coûts de production, augmentation qui se retrouve dans la taxe
CSPE qui apparaît dans nos factures d’électricité. Cela accroît les inégalités.
C’est d’autant plus vrai que cette manne financière dans le secteur solaire
bénéficie aux seuls propriétaires de toits où installer les panneaux
photovoltaïques, qui appartiennent plutôt aux ménages les plus aisés. De
même, les primes pour l’achat d’une voiture électrique bénéficient aux seules
personnes capables d’une telle acquisition. Au contraire, l’interdiction des
vols intérieurs coûtera surtout aux cadres et aux ménages aisés qui les
utilisent. Il est important d’intégrer cette dimension sociale dans l’évaluation
de nos politiques environnementales en accordant une valeur à la réduction
des inégalités.
Il est difficile d’imaginer une gestion centralisée de la transition
énergétique. Imaginez que nous soyons capables de réaliser toutes ces
évaluations, des plus « macro » comme la sortie du charbon, jusqu’aux plus
« micro », comme le remplacement de la voiture par le vélo ou les transports
en commun de monsieur X qui habite en banlieue et qui n’a pas d’horaire
fixe. Et voici un exemple cher à Jean Tirole : doit-il acheter au marché des
tomates qui ont été produites dans le sud de l’Espagne et transportées en
camion réfrigéré, ou celles qui ont été produites en serre chauffée au gaz
naturel à côté de chez lui ? Comment s’assurer que toutes les actions passant
le test d’un coût net par tonne de CO2 évitée inférieur à la valeur carbone
soient effectivement mises en œuvre ? On peut bien sûr imaginer quelques
politiques à large spectre évidentes, comme l’interdiction du charbon. Mais,
dans la politique de mobilité, comment par exemple différencier un
banlieusard qui dispose d’une option facile de transport public de celui pour
qui cette option est très coûteuse pour des raisons personnelles ou
géographiques ? Les économistes, dont on dit en général qu’ils ne sont
d’accord sur rien, sont assez unanimes pour recommander une approche
proposée par Arthur Pigou en 1920, qui consiste à imposer à toute personne
ou entreprise de payer la valeur du carbone pour toutes les tonnes de CO2
émises. C’est l’application du principe pollueur-payeur cher à nos
concitoyens, au moins tant qu’il ne s’applique pas à eux-mêmes. En nous
confrontant à l’obligation de débourser la valeur du carbone si nous refusons
de décarboner notre mode de vie, on nous force à pondérer le coût privé de
décarbonation avec le bénéfice climatique collectif, ce qui nous conduit à
choisir toutes les actions socialement désirables. Face à l’externalité
climatique, on annihile les passagers clandestins et on aligne la myriade
d’intérêts privés avec l’intérêt général. Une tarification du carbone permet
d’actionner tous les leviers de décarbonation disponibles pour tenir un budget
carbone donné, par ordre de mérite des coûts, sans mettre quiconque en
situation de blocage s’il ne dispose pas encore de solutions pour réduire
directement ses émissions. La guerre contre le changement climatique ne se
gagnera qu’en impliquant tout le monde, dans une transformation de nos
modes de vie et de production. Cette mobilisation générale passe par
l’établissement d’un prix du carbone identique pour tous, aligné au niveau de
notre ambition climatique collective.
Pour beaucoup de nos concitoyens, il ne se conçoit de politique climatique
qui ne soit obligation et coercition. Il s’agit de contrer le consumérisme
irresponsable des individus et la poursuite du profit des entreprises par des
mesures coercitives visant à réduire leurs émissions et, au-delà, toutes leurs
consommations. C’est cette volonté illibérale qui associe activisme
climatique et anticapitalisme. Mais si le changement climatique constitue
probablement la plus grande défaillance des marchés de tous les temps, sa
résolution par un prix du carbone identique pour tous permet de préserver une
économie de marché qui a démontré sa capacité à améliorer le bonheur des
peuples qui l’ont adoptée. Contrôler un prix, c’est agir sur le comportement
des individus et les décisions des entreprises, tout en préservant la liberté des
uns et des autres. L’approche par le prix du carbone pose un problème
d’acceptabilité sociale par manque de culture économique, notamment sur le
rôle des prix sur nos modes de vie. En réduisant massivement le prix du livre,
Gutenberg a fortement contribué à l’émergence de la Renaissance et de la
Réforme, en permettant aux individus d’accéder à la connaissance jusqu’alors
réservée aux clercs. En passant de la très chère bougie aux lampes à huile de
baleine, puis aux ampoules LED, on a réduit massivement le prix de la
lumière et ainsi transformé notre sombre Terre en un astre de lumière. Le
blocage des loyers en France a conduit à une grave crise du logement tout au
long du XXe siècle, comme en a témoigné l’abbé Pierre, et comme l’ont attesté
l’apparition de bidonvilles puis la construction de HLM dans nos banlieues.
En Europe, l’essence à la pompe est deux fois plus chère qu’aux États-Unis
depuis plusieurs décennies. En conséquence, nos voitures sont beaucoup
moins lourdes, énergivores et émettrices. En Grande-Bretagne, l’imposition
d’une surtaxe sur les émissions de CO2 dans le secteur électrique a permis de
faire passer la part du charbon dans le mix électrique de 40 % il y a 10 ans à
pratiquement rien aujourd’hui, contrairement à l’Allemagne. Alerter par le
biais d’un signal-prix, pour signifier à tous le vrai coût des choses du point de
vue de la société, cela fonctionne. En renchérissant les prix des biens qui
engendrent des dommages écologiques, on en réduit la consommation dans le
sens de l’intérêt général.
Cette approche du « signal-prix » est souvent critiquée pour la charge
qu’elle impose aux ménages modestes. Effectivement, pensons à ceux, mal
payés, qui habitent dans nos banlieues ou à la campagne, dans des habitations
mal isolées, et qui font de leur voiture leur outil de travail. Ceux-là prendront
de plein fouet la hausse du prix de l’essence, du fioul domestique ou du gaz
naturel induite par le prix du carbone, comme ce fut le cas pour les Gilets
jaunes à l’hiver 2019. Mais il est très injuste de critiquer la taxe-carbone sur
la base de son impact sur les inégalités. Je rappelle que la plupart des autres
politiques climatiques accroissent aussi les inégalités. La tarification du
carbone a, quant à elle, l’avantage d’engendrer un revenu fiscal dont
l’utilisation pourrait être orientée vers la compensation, voire la
surcompensation, des ménages les plus modestes. Anticipant ce problème
d’acceptabilité sociale de la taxe carbone, les économistes ont longtemps
suggéré de cibler ce revenu fiscal sur une baisse équivalente de la fiscalité,
qui pèse sur le travail peu qualifié, de manière à engendrer un « double
dividende », le premier provenant de la baisse des émissions, le second de la
réduction des inefficacités sur le marché du travail. Néanmoins, aujourd’hui,
dans un contexte de défiance de la population envers les politiques, nous
avons besoin d’une transparence totale dans la « tuyauterie » fiscale, ce qui
implique de rembourser le « dividende carbone » intégralement aux ménages
par un « chèque carbone » qui serait payé de manière anticipée au 1er janvier.
Associer la tarification carbone à une hausse déguisée de la pression fiscale
en France est la meilleure façon de faire dérailler cette solution efficace.
La tarification du carbone a le désavantage de mettre au jour le fait que la
transition énergétique va coûter cher. Dans un monde où prévaut l’utopie
d’une transition heureuse, créatrice de millions d’emplois bien payés et
réductrice de la facture d’électricité, il est effectivement difficile pour un
gouvernement de porter cette politique. Tout le monde préfère les
subventions et les subsides, en oubliant que les subsides des uns
correspondent aux impôts des autres. J’approuve les subventions pour mieux
isoler les passoires thermiques souvent occupées par des ménages modestes,
ce qui permet de réduire les émissions tout en réduisant les inégalités. Encore
faut-il que les travaux soient efficaces. Plusieurs études suggèrent que c’est
loin d’être systématiquement le cas. En France, les subventions sont payées à
l’aveugle sur présentation de la seule facture d’isolation, alors qu’en
Allemagne la subvention s’appuie sur la réalité de l’amélioration de la qualité
énergétique du bâtiment rénové.
Comme l’externalité climatique n’est pas seule à conduire à la défaillance
des marchés, la tarification du carbone n’est pas le seul instrument à utiliser.
En l’absence de progrès techniques, il va être très coûteux, et même
matériellement impossible, de respecter nos engagements climatiques. La
R&D (recherche & développement) est donc indispensable. L’anticipation
d’un prix élevé du carbone est un incitant fort pour que les entreprises
innovent dans le secteur vert. Cependant, comme le montrent très bien
Philippe Aghion et ses coauteurs7, cette incitation est insuffisante pour deux
raisons. Une bonne part de la création de la valeur sociétale d’une innovation
ne peut être captée par l’innovateur, ce qui réduit son incitation à investir
dans la R&D. De plus, dans le cadre de la théorie de la croissance endogène
schumpétérienne dont Philippe Aghion est l’éminent spécialiste mondial, il
apparaît difficile de réorienter les entreprises spécialisées dans les
innovations carbonées vers de la recherche dans le secteur vert. Pour ces deux
raisons, il est indispensable que le secteur public soutienne la R&D verte.
Cela tombe bien, les plans de relance post-covid font cela partout dans le
monde. En France, nous bénéficions en plus d’un plan « France 2030 » aligné
sur cet objectif.
La plupart des actions vertes à fort impact écologique sont des
investissements sur le long terme : voiture électrique (15 ans), panneaux
voltaïques et turbines éoliennes (20 ans), centrales électriques au gaz
(40 ans), centrales nucléaires (40-60 ans). Ce n’est donc pas le prix du
carbone aujourd’hui qui déclenchera ces investissements, mais la promesse
d’un prix élevé du carbone dans les années et décennies à venir. Depuis sa
création en 2005, le marché de permis d’émission EU-ETS ne s’est pas
distingué comme mécanisme crédible de tarification du carbone sur le long
terme, à cause de la volatilité élevée du prix d’équilibre et des nombreuses
interventions politiques opaques sur ce marché. De plus, si une tarification du
carbone fondée sur un marché de permis a l’avantage de garantir le résultat
en matière de CO2 émis, elle fait porter sur les acteurs de la transition des
incertitudes considérables sur la profitabilité de leurs investissements,
puisque le prix d’équilibre des permis est très difficile à prédire sur des
horizons même assez courts de quelques années. Cette incertitude n’est
évidemment pas propice à l’investissement. Il faudrait donc que les
gouvernements s’accordent sur un prix plancher du carbone sur ce marché,
croissant à un taux plancher de 3 ou 4 % (plus inflation) par an dans les
décennies à venir. Avec Jacques Delpla8, je propose une stratégie de
crédibilisation alternative fondée sur la création d’une Banque centrale du
carbone en Europe, indépendante et mandatée par le Parlement européen,
pour atteindre l’objectif de réduction des émissions et disposant du contrôle
des émissions des permis.

ÉCONOMIE ET ÉTHIQUE DE NOS RESPONSABILITÉS ENVERS


LES GÉNÉRATIONS FUTURES

Mais quel prix ou quelle valeur devons-nous accorder au carbone ? Si cette


valeur est trop faible, trop peu d’actions de mitigation seront entreprises et les
générations futures devront subir de graves dommages climatiques. Si le prix
est trop élevé, nous serons conduits à rapidement investir pour décarboner
nos modes de vie et de production, avec un impact considérable sur nos
pouvoirs d’achat, pour le plus grand bénéfice des générations futures. Mais
quel est donc le juste prix du carbone ? Si les économistes s’accordent sur la
nécessité d’un prix du carbone, il n’existe pas de consensus sur ce prix. Dans
la seconde partie de cette leçon inaugurale, je voudrais examiner avec vous
les déterminants d’un juste prix du carbone et la difficulté de le fixer.
Avant d’aborder cette question, permettez-moi une digression sur une
question a priori étrangère à celle du climat. Imaginez une société composée
de deux classes sociales, la classe aisée disposant de revenus deux fois
supérieurs à ceux de la classe modeste. Une politique sociale permet de
réduire les inégalités en transférant du pouvoir d’achat des uns vers les autres.
Hélas, de tels transferts sont coûteux, par exemple parce qu’ils se font à
travers la taxation du travail, qui réduit l’incitation au travail. Si un euro
extrait d’un ménage aisé ne permet d’accroître le pouvoir d’achat d’un
ménage modeste que de 50 centimes, considérez-vous ce transfert
acceptable ? Accroît-il le bien-être collectif ? Le rapport Stern de 20069 est
fondé sur l’idée qu’un tel transfert serait neutre d’un point de vue de l’intérêt
général, la réduction des inégalités qu’il permet compensant exactement la
perte de richesse collective qu’il engendre. Le Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en 1995, le rapport
Lebègue10 de France Stratégie qui a statué sur cette question en France
en 2005, ou les prix Nobel Kenneth Arrow11 et William Nordhaus, ont eu une
approche fondée sur une aversion aux inégalités plus élevée, puisque ceux-là
considèrent que le transfert minimum aux plus pauvres pour compenser la
perte d’un euro des aisés ne devrait être que de 25 centimes. Partha Dasgupta,
auteur d’un important rapport sur la biodiversité en Grande-Bretagne12, milite
quant à lui pour un transfert minimum réduit à 12,5 centimes. Une synthèse
de ces prises de position sur notre aversion collective aux inégalités et son
lien avec le transfert minimum est présentée dans le tableau ci-dessous.13 14 15

Tableau 1. Aversion aux inégalités. Le transfert minimum correspond au montant


minimum en euro qu’un ménage modeste devrait obtenir pour le sacrifice d’un euro
d’un ménage deux fois plus riche qui rende ce transfert socialement désirable. La
prime d’assurance maximale est la prime maximale (en pourcentage de la richesse)
qu’un individu serait prêt à payer pour s’assurer contre la perte de la moitié de sa
richesse avec une probabilité à 50 %.
Notre aversion aux inégalités constitue un paramètre clé de nos préférences
collectives. Certaines sociétés expriment une aversion aux inégalités plus
intense que d’autres, à travers des systèmes informels de solidarité familiale
ou communautaire, ou plus formels de sécurité sociale et d’imposition
progressive.
De nombreux philosophes, de John Locke à John Rawls en passant par
Jean-Jacques Rousseau et Emmanuel Kant, ainsi que quelques économistes
comme John Harsanyi et William Vickrey, ont contribué au développement
de la notion de « voile d’ignorance » comme principe de justice et
d’impartialité. Ils s’appuient sur une expérience de pensée consistant à se
placer dans une position originelle en ignorant son identité personnelle pour
décider de ce qui est juste. Dans une telle position, sans savoir qui sera riche
ou pauvre, le désir de réduire les inégalités se traduit en un problème
d’assurance et de réduction du risque. L’aversion aux inégalités s’identifie
donc à l’aversion au risque sous le voile de l’ignorance. Une préférence
sociale devient une caractéristique de préférence individuelle face au risque,
sujette à l’observation par préférence révélée, et donc à l’analyse des
économistes et des théoriciens de la décision. Par exemple, confronté au
risque de perdre la moitié de sa fortune avec une probabilité de 50 % un
individu désirant s’assurer contre ce risque serait prêt à payer une prime de
33 % de sa richesse si son aversion aux inégalités est égale à 2. Le tableau 1
(p. 41) donne la prime maximale pour d’autres niveaux d’aversion. C’est
aussi l’aversion au risque qui détermine la détention d’actifs risqués dans les
portefeuilles des ménages et des investisseurs. Même s’ils reconnaissent que
l’attitude face au risque est très hétérogène dans la population, les
économistes et les chercheurs en finance pensent qu’une aversion au risque
autour de 2 constitue une bonne représentation du degré d’aversion au risque
de nos concitoyens. Par la suite, je supposerai qu’il existe un consensus
collectif pour utiliser une aversion aux inégalités de 2 dans les évaluations
socio-économiques.
Il existe donc une bijection entre inégalité et risque, et entre aversion à
l’une et aversion à l’autre. Dans sa réfutation du paradoxe de Saint-
Pétersbourg en 1738, Daniel Bernoulli offre une justification intuitive de
l’aversion au risque. Elle est fondée sur l’observation que, plus on est riche,
plus l’accroissement d’utilité obtenu d’un euro de richesse supplémentaire est
faible. Si cet euro peut être une question de vie ou de mort pour les individus
au seuil de subsistance, cet euro de plus n’améliorera pratiquement pas le
bien-être des individus très fortunés. Dans le jargon des économistes, l’utilité
marginale de la richesse est décroissante. L’assurance est un moyen simple de
transférer de la richesse des états du monde où son utilité est faible vers ceux
où elle est élevée, c’est-à-dire en cas de sinistre. Plus généralement, sous la
loi de l’utilité marginale décroissante, réduire le risque permet d’accroître
l’espérance de l’utilité, dont Bernoulli pense qu’elle mesure le bien-être ex
ante. Cette théorie de l’espérance d’utilité a été renforcée au XXe siècle par les
théoriciens de la décision, dont Oskar Morgenstern et John von Neumann, qui
ont donné un fondement axiomatique à cette théorie, l’un des socles de la
science économique moderne. Au cœur de cette théorie se trouve l’axiome
d’indépendance. Il postule que, si je préfère une tasse de café à une tasse de
thé dans un contexte de certitude, je préfère aussi l’une à l’autre quand cette
possibilité de boire une tasse est incertaine, disons avec une probabilité de
10 %. Parce que cet axiome a un contenu intuitif très fort (même si certains
ne le respectent pas dans certaines situations, comme l’a montré Maurice
Allais, autre récipiendaire français du prix de la Banque de Suède en sciences
économiques créé en mémoire d’Alfred Nobel), la théorie de l’espérance
d’utilité combinée avec le principe du voile d’ignorance offre un fondement
normatif puissant pour analyser les questions de justice sociale et d’arbitrage
entre objectifs d’efficacité productive et de redistribution.
Revenons maintenant au problème du changement climatique et de la
valeur du carbone. Comme je l’ai expliqué précédemment, la valeur du
carbone détermine le niveau d’effort qui sera fait par les générations
présentes pour réduire le fardeau des dommages climatiques porté par les
générations futures. Réduire cette valeur conduit donc à un transfert de
richesse des générations présentes vers les générations futures, dont
l’évaluation se prête bien à l’approche que je viens de développer. Dans un
monde en croissance, nous demander des sacrifices pour le bénéfice des
générations futures, c’est demander aux plus pauvres de financer les
richesses. C’est accroître les inégalités intergénérationnelles. Selon
l’hypothèse d’aversion aux inégalités, à savoir l’utilité marginale
décroissante, cela réduit le bien-être intergénérationnel. Cela ne peut être
socialement désirable que si le bénéfice pour les générations futures est
suffisamment plus élevé que le sacrifice présent pour compenser l’impact
négatif de cette action sur le bien-être intergénérationnel.
Supposons par exemple que notre économie croisse de 2 % par an dans les
décennies à venir. Dans un tel contexte, les revenus auront doublé dans
trente-cinq ans. Que devrions-nous être prêts à sacrifier aujourd’hui pour
réduire d’un euro un dommage climatique certain dans trente-cinq ans ? En
reprenant l’hypothèse d’une aversion aux inégalités de 2 dans le tableau 1 (p.
41), il apparaît que la valeur présente d’un euro dans trente-cinq ans est de
25 centimes. Dans un monde en croissance de 2 % par an, la prospérité
s’accumule tellement vite que nous ne devrions pas être prêts à sacrifier plus
de 25 centimes aujourd’hui pour réduire un dommage d’un euro se
matérialisant dans trente-cinq ans. Sous le voile d’ignorance, sans savoir si
j’appartiens à la génération présente ou future, je voudrais que la génération
présente ne consacre pas plus de 25 centimes pour accroître la richesse de la
génération future d’un euro. Cela correspond à un taux d’actualisation de 4 %
(0,25 = 1,04−35). Dans une économie en croissance, le taux d’actualisation est
le taux de rendement socio-économique minimum d’un investissement qui
compense son impact sur les inégalités intergénérationnelles.
C’est Franck Ramsey qui, en 1928, traduira cette approche dans une
formule qui constitue encore aujourd’hui le pivot de la plupart des débats
d’experts sur le taux d’actualisation et la valeur carbone. Cette « formule de
Ramsey », qui stipule que le taux d’actualisation socialement désirable est
égal au produit du taux de croissance anticipé de l’économie par le degré
d’aversion aux inégalités. Avec un taux de croissance de 2 % et une aversion
de 2, on obtient bien un taux d’actualisation de 4 %. Cette formule nous
donne un fondement théorique utile pour définir le bon degré de court-
termisme dans sa traduction opérationnelle qu’est le taux d’actualisation pour
évaluer les projets d’investissement publics et privés. L’utilisation d’un taux
d’actualisation constant est particulièrement problématique pour l’évaluation
d’actions de long terme ou de soutenabilité compte tenu du caractère
exponentiel de l’actualisation, comme le montre le tableau 2. À 4 %, nous
devrions valoriser un bénéfice de 1 000 euros se matérialisant dans deux
cents ans à 39 centimes aujourd’hui. Mais après tout, ceci traduit le fait que
cette génération future disposera d’une richesse plus de cinquante fois
supérieure à la nôtre. Si un tel taux devait être utilisé pour déterminer notre
politique de gestion des déchets nucléaires, il ne faudrait certainement pas
faire Cigéo, comme le montre un rapport récent du Secrétariat général pour
l’investissement (SGPI). De même, comme la plus grande partie des
dommages liés à nos émissions actuelles de CO2 se matérialisera dans plus de
cinquante ans, l’actualisation écrase ces effets et réduit d’autant la valeur
carbone.
Tableau 2. Valeur présente de 1 000 euros se matérialisant dans t années, selon le
taux d’actualisation utilisé.
Au lieu de s’intéresser à la valeur monétaire présente d’un bénéfice
monétaire futur, on peut s’intéresser aussi à la valeur écologique présente
d’un bénéfice écologique futur. Quelle est par exemple la valeur relative de la
biodiversité future par rapport à la biodiversité présente ? Comment mesurer
la valeur d’un capital environnemental engendrant des services écologiques
dans le temps long ? Si l’on s’intéresse à des services dont on pense qu’ils se
détérioreront dans le temps, l’argument de l’aversion aux inégalités se
renverse, et nous devrions actualiser ces impacts à un taux négatif, un gain
écologique futur étant donc davantage valorisé qu’un gain écologique
présent. C’est Roger Guesnerie qui a exploré en premier ce concept de « taux
d’actualisation écologique », qui intègre en fait l’idée que ces services
environnementaux verront leur valeur sociétale croître parallèlement à leur
raréfaction16. J’ai cherché à étendre ce concept à des situations d’incertitude,
en particulier lorsque notre capacité à trouver des substituts possibles à ce
capital environnemental est aléatoire. On y trouve les brides d’une
rationalisation du principe de précaution. En effet, je montre que, sous
certaines conditions, le doute scientifique sur la possibilité de substituer une
ressource qui viendra à disparaître par une autre doit nous conduire à
renforcer massivement nos actions de préservation de cette ressource, « quoi
qu’il en coûte17 ».

INCERTITUDES ET ACTUALISATION
Nos responsabilités envers les générations futures sont donc naturellement
atténuées par la croissance économique, et un taux d’actualisation élevé
traduit cette idée en termes opérationnels. Néanmoins, tout ceci repose sur
l’hypothèse d’une poursuite de la croissance économique dans les décennies
et siècles à venir. Il est aisé de se revendiquer comme la génération pauvre
pour se défausser de nos responsabilités. C’est d’autant plus vrai que de
nombreux économistes, comme Lawrence Summers ou Robert Gordon,
proclament la « fin de l’histoire », c’est-à-dire la fin d’un cycle de deux
siècles de l’histoire de l’humanité, faits de découvertes scientifiques majeures
et d’une succession de révolutions industrielles. Depuis le milieu du siècle
dernier, chaque innovation majeure semble être associée à une révolution
économique de moindre ampleur, en écho à Robert Solow qui observait en
1987 que l’on voyait « des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de
productivité18 ». Cependant, d’autres voix s’élèvent pour annoncer un nouvel
âge de croissance grâce à une nouvelle vague d’innovations majeures (ARN
messager, intelligence artificielle, réalité virtuelle, conquête de l’espace,
énergies renouvelables quasi gratuites, etc.).
En réalité, notre représentation de l’avenir est par nature entachée
d’incertitudes profondes, en particulier pour les horizons temporels les plus
longs. L’utilisation de la formule de Ramsey comme référence éthique de nos
responsabilités intergénérationnelles est donc totalement inappropriée dès
lors que nous reconnaissons ces incertitudes profondes. Il est affligeant de
constater qu’elle reste la référence, que ce soit lors de l’intense débat
d’experts qui accompagna la publication du rapport Stern en 2006, ou à
l’occasion de la révision des taux d’actualisation publics en Grande-Bretagne,
aux États-Unis et dans l’Union européenne. Or, par introspection, il est
intuitif que ces incertitudes jouent un rôle clé dans notre propension à
sacrifier le présent à l’avenir. Depuis John Keynes, les macro-économistes
ont vérifié empiriquement que lorsqu’ils sont confrontés à une augmentation
de l’incertitude pesant sur leur prospérité future, les ménages augmentent leur
épargne « de précaution ». En d’autres termes, ils désirent transférer
davantage de leurs revenus vers l’avenir lorsque celui-ci devient plus
incertain. Avec Jacques Drèze et Franco Modigliani19, suivis depuis par Louis
Eeckhoudt et d’autres, j’ai montré au début de ma carrière qu’un tel
comportement de prudence est optimal lorsque l’utilité marginale de la
consommation est non seulement décroissante, mais aussi convexe. Si une
telle stratégie est désirable du point de vue d’un individu, elle doit l’être aussi
au niveau collectif. Pour accroître les investissements de précaution, il faut
réduire le taux d’actualisation qui pénalise le futur. L’incertitude affectant la
prospérité future de l’humanité accroît la valeur sociale de toute action
permettant de transférer du pouvoir d’achat de façon certaine vers l’avenir.
C’est dans le domaine de la théorie de la finance que s’est développée une
analyse de l’impact de l’incertitude sur la valeur des actifs et des
investissements. Robert Lucas20 et plusieurs autres l’ont construite il y a une
cinquantaine d’années sur la base de la théorie de l’espérance d’utilité, avec
pour objectif d’expliquer le prix des actifs observés sur les marchés
financiers. Au départ, ils ont émis l’hypothèse d’un mouvement brownien
géométrique pour décrire les anticipations de croissance économique. Cela a
conduit à un échec retentissant, malgré l’obtention du prix Nobel pour
certains de ces auteurs. En effet, dans une économie de marché, le taux
d’intérêt reflète le taux auquel les acteurs économiques devraient actualiser
leur projet d’investissement sans risque. Ce taux d’actualisation de marché ne
fut que de 1 % en moyenne aux États-Unis durant le siècle dernier, ce qui
signifie un degré de long-termisme beaucoup plus prononcé que ce que nous
recommande la formule de Ramsey. Et comme la volatilité historique autour
de la tendance observée de croissance de 2 % reste faible en pratique, le taux
d’actualisation du modèle de Lucas n’est guère éloigné de celui engendré par
l’application de la formule de Ramsey, autour de 3,5 %. Cette forte différence
entre le 1 % observé sur les marchés et les 3,5 % prédits par le modèle atteste
son échec.
Pour des horizons temporels se mesurant en siècles, il faut penser l’avenir
et les incertitudes qui pèsent sur lui de façon nouvelle. Ainsi, si les instituts
de prévision économique sont capables d’estimer avec une bonne précision la
tendance de croissance à six mois ou à un an, nous devons reconnaître que la
tendance de croissance sur la décennie ou le siècle à venir est pour le moins
ambiguë. Le modèle est aussi très sensible aux probabilités des événements
extrêmes. Comme l’a montré mon coauteur Martin Weitzman21, remplacer
l’hypothèse de la courbe en cloche gaussienne par celle d’une loi de Student,
dont les queues de distribution sont un peu plus épaisses, renverse le
paradoxe du taux sans risque. En effet, dans cette représentation de
l’incertitude, nous devrions utiliser un taux d’actualisation sans risque
beaucoup plus faible que celui observé sur les marchés. En fait, dans un tel
contexte, il faudrait accepter de mettre en œuvre tout investissement qui
permettrait de transférer des revenus sans risque vers l’avenir, quel que soit
leur rendement, et ceci bien que ceux qui en bénéficieront à l’avenir seront
plus prospères que nous, en tout cas en espérance. L’impact du risque sur la
décision socialement désirable l’emporte ici sur toute considération de
redistribution intergénérationnelle.
J’ai montré que la persistance des chocs macro-économiques à venir tend à
magnifier les incertitudes qui pèsent sur le long terme. Un changement de
régime de croissance, du type des révolutions industrielles que nous avons
connues depuis deux siècles, ou au contraire de périodes prolongées de
stagnation peut-être séculaire, illustre parfaitement cette notion de persistance
des chocs. Leur plausibilité accroît les incertitudes de long terme beaucoup
plus que ne le fait le mouvement brownien géométrique traditionnellement
utilisé en économie et en finance pour décrire la croissance anticipée. Cela
doit nous conduire à favoriser les projets sans risque dont les bénéfices se
matérialisent dans un temps plus long. Techniquement, il s’agit d’utiliser un
taux d’actualisation plus faible pour ces horizons plus longs. À titre illustratif,
imaginons une économie croissante à 2 % par an. Néanmoins, il est possible
qu’elle soit à la veille d’une crise majeure et durable, qui imposerait une
stagnation économique définitive. Dans ce cas, le taux d’actualisation qu’il
faudrait utiliser pour évaluer les politiques publiques et les investissements
privés sans risque serait de 4 % par application de la règle de Ramsey pour
des actions à impact immédiat. Mais j’ai montré qu’un taux d’actualisation
nul devrait être utilisé pour évaluer les impacts à très long terme. Plus
généralement, l’existence d’une incertitude pesant sur les paramètres du
processus stochastique gouvernant l’évolution des revenus nous oblige à
utiliser un taux d’actualisation plus faible pour des horizons plus longs. Plus
précisément, j’ai montré que, dans ce cas, il faut utiliser le taux
d’actualisation le plus faible parmi toutes les combinaisons possibles des
valeurs des paramètres pour les horizons temporels les plus éloignés.
En d’autres termes, mes travaux dans ce domaine démontrent que les
principes orthodoxes de la science économique sont compatibles avec la
notion de soutenabilité et la défense de l’environnement quand on reconnaît
la profondeur des incertitudes qui pèsent sur le destin de l’humanité sur cette
Terre.
Il reste néanmoins un problème à régler. Dans un monde incertain, nos
investissements ont en général des impacts différenciés selon l’évolution
macro-économique. Nous devrions dès lors valoriser davantage les projets
dont les bénéfices sociétaux sont plus importants dans les mauvais états du
monde, quand les revenus sont faibles. La plupart des projets ont hélas des
bénéfices qui sont positivement corrélés avec le PIB. Une infrastructure de
TGV ou une centrale nucléaire supplémentaire sera plus utile quand la
croissance est forte. Au contraire, l’augmentation de capacité de soins
intensifs sera particulièrement utile dans le cas d’une pandémie qui forcerait
un confinement récessif. De même, les bénéfices des investissements
antisismiques ou anti-ouragan en Haïti ne se matérialiseront qu’en cas de
tremblement de terre ou de cyclone, qui auront aussi pour conséquence de
réduire massivement les revenus des Haïtiens. Dans le même esprit, tous les
investissements d’adaptation au changement climatique partagent cette
caractéristique qu’ils offrent une assurance partielle aux risques portés par la
population. Ils réduisent les risques collectifs et accroissent donc le bien-être
ex ante sous l’hypothèse d’aversion au risque. À espérance d’impact
identique, il faut donc davantage valoriser les projets dont les impacts sont
négativement corrélés avec la croissance. Ceci se fait en ajustant le taux
d’actualisation au profil de risque des projets. Dans cet esprit, il peut être
souhaitable d’actualiser les bénéfices espérés d’une nouvelle ligne de TGV à
5 % au même moment où ceux d’un projet hospitalier ne seraient actualisés
qu’à 1 %.
Je voudrais analyser avec vous le cas de Cigéo, un projet d’enfouissement
pérenne des déchets nucléaires dans les Ardennes. Faut-il dépenser
25 milliards d’euros immédiatement pour enterrer ces déchets et les oublier,
ou garder ces déchets éternellement en surface en dépensant 100 millions
annuels de frais de maintenance ? Dans cette représentation outrancièrement
simplifiée, dès lors que le taux d’actualisation est supérieur à 0,4 %,
l’entreposage est la meilleure solution. Évidemment, cette seconde solution
reporte les coûts sur les générations futures, mais elle engendre aussi des
dommages potentiels sur l’environnement. Ceux-ci sont marginaux tant que
notre pays préserve ses compétences nucléaires et sa gouvernance efficace de
sûreté nucléaire. Imaginons cependant que notre pays entre dans une période
chaotique de son histoire, impliquant une perte de compétence et de contrôle,
associée à une chute importante de richesse. Par rapport à l’entreposage,
Cigéo empêche que des dommages sanitaires et environnementaux se
matérialisent dans ce scénario chaotique. Cigéo offre donc des bénéfices
d’autant plus importants que les revenus seront faibles. Cela justifie donc un
taux d’actualisation faible. Dans un rapport public récent22, j’ai montré qu’il
faut faire Cigéo parce que ce projet est un produit d’assurance dont la valeur
dépasse son coût.
Sous mon impulsion, avec le soutien de France Stratégie, la France est
actuellement le seul pays au monde à utiliser un système d’actualisation
intégrant le risque de façon rationnelle et opérationnelle en ajustant le taux
d’actualisation au profil de risque de chaque projet. Ce système vient d’être
révisé paramétriquement et supervisé par Roger Guesnerie. Pour les projets
sans risque à long terme, un taux d’actualisation de 1,2 % doit être appliqué.
En revanche, pour un projet dont les bénéfices sociétaux sont proportionnels
au PIB, un taux d’actualisation de 3,2 % doit être utilisé. Enfin, pour les
projets dont les bénéfices augmentent de 1 % chaque fois que le PIB baisse
de 1 %, un taux de − 0,8 % doit être utilisé.
Depuis cinquante ans, la théorie de la finance recommande d’ajuster les
taux d’actualisation au profil de risque des projets à évaluer. Malgré cela, nos
collègues Philipp Krüger, Augustin Landier et David Thesmar ont
brillamment montré que même les plus grandes entreprises mettent rarement
en œuvre cette méthodologie, pourtant fondée sur des principes moraux et
des préférences sociales bien établies23. Le maintien d’un taux d’actualisation
unique par les autorités publiques à travers le monde conduit à un
surinvestissement dans les projets les plus procycliques, comme les lignes
ferroviaires à grande vitesse et un sous-investissement dans les projets ayant
une dimension assurantielle, comme les hôpitaux et les normes antisismiques.
Cette mauvaise allocation du capital dans l’économie conduit à une perte de
création de valeur sociale, que j’évalue dans un article de recherche récent à
environ 25 %, ce qui est considérable. Pour les générations futures, cela se
traduit en une perte massive de richesse espérée et en une augmentation
importante des incertitudes que cette mauvaise allocation engendre.

VALEUR DU CARBONE
Après ce long mais utile détour sur la traduction opérationnelle de nos
responsabilités envers l’humanité, revenons maintenant sur le thème du
climat avant de conclure. Dans la première partie de cette leçon inaugurale,
j’ai cherché à vous convaincre qu’il est socialement désirable d’imposer un
prix universel du carbone pour aligner la multitude des intérêts privés avec
l’intérêt général. Mais quel devrait être son niveau ? Selon le principe
pigouvien de « pollueur-payeur », le prix d’une tonne de CO2 devrait être
égal à la valeur actualisée du flux de dommages que cette émission engendre.
Comme ce flux est très étalé dans le temps, le choix du taux d’actualisation
est crucial pour en fixer le niveau.
Les États-Unis utilisent un taux d’actualisation officiel unique de 7 %.
Devant l’absurdité des implications d’un tel choix, beaucoup d’évaluateurs
américains violent cette obligation légale, ce qui a permis à une commission
interagence sous l’administration Obama d’utiliser un taux d’actualisation de
3 %, et de recommander en conséquence une valeur carbone autour de
50 euros/tCO2. Cependant, l’administration Trump a réimposé le taux de 7 %
dès son arrivée à la Maison blanche, ce qui a conduit à une valeur actualisée
des flux beaucoup plus faible, de l’ordre d’un dollar par tCO2.
À quel taux faut-il actualiser les dommages climatiques futurs dont la
valeur présente constitue la valeur du carbone, arbitre de nos responsabilités
envers les générations futures ? Si l’origine humaine du changement
climatique fait consensus, son intensité reste encore inconnue, tant du côté
des sciences du climat que de celui des impacts environnementaux, sanitaires
et économiques. Dans le dernier rapport du GIEC, le paramètre de sensibilité
climatique – qui mesure la hausse de température moyenne de la Terre en cas
de doublement de la concentration de CO2 – est « très probablement »
compris entre 2 et 5 °C. Cela laisse donc une marge très large d’incertitude.
Contrairement à la littérature actuelle dominante sur ce sujet, il faut donc
ajuster le taux sans risque de 1 % pour l’incertitude affectant les bénéfices de
nos efforts de mitigation pour déterminer la valeur carbone. Ces efforts
réduisent-ils le risque porté par les générations futures ? Cela paraît
effectivement intuitif : en éliminant le changement climatique, on retire
l’incertitude des dommages climatiques futurs. De cette séquence logique, il
faudrait donc utiliser un taux d’actualisation plus faible que le taux d’intérêt,
et donc imposer une valeur carbone très élevée. Mais avec Louise Kessler et
Simon Dietz24, je montre que cette intuition est fausse. Si l’incertitude portée
par les générations futures provient d’autres sources, telles que le progrès
scientifique ou la productivité des facteurs de production, comme ce fut le cas
durant les deux derniers siècles, alors les efforts de mitigation engendrent des
bénéfices positivement corrélés avec la prospérité générale des générations
futures. En effet, une augmentation de la productivité des facteurs augmente
la production, et donc les émissions de CO2, toutes autres choses égales par
ailleurs. Cela conduira à des dommages climatiques supérieurs, et donc à des
bénéfices futurs plus élevés de la mitigation aujourd’hui. Ceci implique donc
une relation positive entre bénéfice de la mitigation et prospérité future. Il
faut dès lors actualiser ces bénéfices à un taux plus élevé que le taux
d’intérêt, ce qui réduit d’autant la valeur du carbone. À partir de cette
analyse, je recommande d’utiliser un taux d’actualisation de 4 %. En utilisant
le modèle DICE du prix Nobel William Nordhaus, cela conduit à une valeur
carbone située autour de 60 euros/tCO2 en 2021. Observons que, avec une
telle valeur du carbone, peu d’actions de mitigation au-delà de la suppression
du charbon apparaissent comme socialement désirables aujourd’hui. En fait,
comme le reconnaît Nordhaus lui-même, cette valeur du carbone nous mène
tout droit à une augmentation de 3 °C en fin de siècle. Selon ces hypothèses,
ceci suggère que l’accord de Paris est plus ambitieux qu’il n’est désirable du
point de vue de l’intérêt combiné des générations présentes et futures sous le
voile d’ignorance.
Néanmoins, le modèle DICE, comme tous les autres modèles intégrés
climat-économie, fait des hypothèses qui restent fragiles tant sur la sensibilité
climatique que sur les dommages environnementaux, sanitaires et
économiques. Qui peut prévoir ce qui se passera dans le cas d’une
augmentation de 2 °C, voire de 4 ou 5 °C, des scenarii qui ne sont pas
impossibles compte tenu des échecs successifs dans les négociations
internationales ? Et quid de la possibilité de points de rupture,
d’enclenchement de cercles vicieux dans la dynamique du climat ? Ces
questions ont le potentiel de remplir les agendas des économistes et des
théoriciens de la décision en incertitude pour quelques décennies encore.
Les processus démocratiques dans différents pays, dont ceux de l’Union
européenne, ont conduit à valider une ambition climatique d’une
augmentation de 2 °C, ce qui limite notre budget carbone mondial à
1100 GtCO2, selon le dernier rapport du GIEC. Ceci change la nature du
problème de tarification (pricing) du carbone. Nous devons aujourd’hui nous
poser la question de l’évolution du prix du carbone d’ici à la fin du siècle qui
serait compatible avec une telle ambition. Évidemment, répondre à une telle
question nous oblige à anticiper les progrès technologiques verts à venir, qui
nous permettront de décarboner nos économies pour un coût plus faible.
Pourrions-nous, comme le fait l’administration Biden, parier sur des progrès
majeurs qui nous permettraient de justifier de ne pas en faire trop aujourd’hui
avec un prix du carbone faible, dans l’attente de ces technologies vertes peu
coûteuses ? Ou, au contraire, faut-il appliquer le principe de précaution pour
se prémunir contre le risque que ces progrès ne se matérialisent pas, et
imposer une décarbonation rapide avec un prix du carbone élevé
immédiatement ?
En présence d’un budget carbone intertemporel, un effort de réduction
d’émission aujourd’hui est un investissement qui permet de réduire
symétriquement nos efforts de réduction à l’avenir. La rentabilité sociale de
ces efforts est donc égale au taux de croissance du prix du carbone. En
l’absence de risque, cet investissement doit avoir une rentabilité égale au taux
d’actualisation sans risque, disons 1 %. Comme je le montre dans une étude
récente25, l’ajustement pour le risque de ce taux d’actualisation implique
qu’un taux de croissance réel d’environ 4 % par an conduise à un bon
équilibre entre sacrifices présents et bénéfices futurs. Hélas, le cinquième
rapport du GIEC contient des modèles conduisant à des chroniques de prix
croissant à 8 % par an en moyenne, ce qui permet à leurs auteurs de
recommander un prix du carbone très faible aujourd’hui, tout en assurant de
respecter l’objectif d’une augmentation de 2 °C, avec la promesse de prix très
élevés à l’avenir. En France, le second rapport Quinet conduit aussi à un taux
de croissance du prix de 8 % par an, de 75 euros/tCO2 en 2021 à
775 euros/tCO2 en 2050. La division par deux du taux de croissance du prix
que je recommande conduit plutôt à soutenir une valeur du carbone de
150 euros aujourd’hui et de 500 euros en 2050, en espérance.
1. Arthur Pigou, The Economics of Welfare, Londres, Macmillan, 1920.
2. Roland Bénabou et Jean Tirole, « Intrinsic and extrinsic motivation », The Review of
Economic Studies, vol. 70, no 3, 2003, p. 489-520.
3. Patrick Criqui, Les Coûts d’abattement, Partie 2 : Transport, France Stratégie, Paris,
2021, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-
les_couts_dabattement-_partie_2_transports-juin.pdf.
4. CGEDD, Réduction des vitesses sur les routes. Analyse coûts bénéfices, ministère de
la Transition écologique et solidaire, 2018,
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Th%C3%A9ma%20-
%20R%C3%A9duction%20des%20vitesses%20sur%20les%20routes.pdf
5. Patrick Criqui, Les Coûts d’abattement, Partie 3 : Électricité, France Stratégie, Paris,
2022, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2022-
couts_dabattement-partie_3-electricite-janvier_0.pdf. Gaël Blaise, Matthieu Glachant et
Victor Kahn, « L’impact des travaux de rénovation énergétique des logements sur la
dépense énergétique et les émissions de CO2 ? Une évaluation ex-post sur données de
panel », MINES ParisTech, 2020.
6. Christian Gollier, Europe : agir ensemble pour la décarbonation, Institut Montaigne,
septembre 2021, https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/europe-
agir-ensemble-pour-la-decarbonation-rapport.pdf.
7. Philippe Aghion, Antoine Dechezleprêtre, David Hémous, Ralf Martin et John Van
Reenen, « Carbon taxes, path dependency, and directed technological change: evidence
from the auto industry », Journal of Political Economy, vol. 124, no 1, 2016,
https://doi.org/10.1086/684581.
8. Jacques Delpla et Christian Gollier, Pour une Banque centrale du carbone (analyse
no 1, 1er octobre 2019), Astérion, 2019, http://groupelavigne.free.fr/delpla1019.pdf.
9. Nicholas Stern, The Economics of Climate Change. The Stern Review, Cambridge,
Cambridge University Press, 2006.
10. Daniel Lebègue, Révision du taux d’actualisation des investissements publics, Paris,
Commissariat général du Plan, 2005.
11. Kenneth J. Arrow, « Effet de serre et actualisation », Revue de l’énergie, no 471,
1995.
12. Partha Dasgupta, The Economics of Biodiversity. The Dasgupta Review, HM
Treasury, 2021.
13. The Green Book. Central Government Guidance on Appraisal and Evaluation, HM
Treasury, 2020, rééd. 2022.
14. Martin L. Weitzman, « A review of The Stern Review on the Economics of Climate
Change », Journal of Economic Literature, no 45, 2007, p. 703-724.
15. Partha Dasgupta, Comments on the Stern Review’s Economics of Climate Change,
Université de Cambridge, 2008.
16. Roger Guesnerie, « Calcul économique et développement durable », Revue
économique, 2004/3, vol. 55, 2004, p. 363-382, https://www.cairn.info/revue-economique-
2004-3-page-363.htm.
17. Christian Gollier, « Valuation of natural capital under uncertain substitutability »,
Journal of Environmental Economics and Management, vol. 94, 2019, p. 54-66 (p. 66),
https://doi.org/10.1016/j.jeem.2019.01.003.
18. Robert Solow, « We’d better watch out », The New York Times Book Review,
12 juillet 1987, p. 36.
19. Jacques Drèze et Franco Modigliani, « Consumption decisions under uncertainty »,
Journal of Economic Theory, vol. 5, no 3, 1972, p. 308-335, https://doi.org/10.1016/0022-
0531(72)90044-0.
20. Robert Lucas, « Asset price in an exchange economy », Econometrica, vol. 46, no 6,
1978, p. 1429-1445, https://doi.org/10.2307/1913837.
21. Martin L. Weitzman, « Subjective expectations and asset-return puzzles », American
Economic Review, vol. 97, no 4, 2007, p. 1102-1130, https://doi.org/10.1257/aer.97.4.1102.
22. Jean-Paul Bouttes, Christian Gollier, Anne-Laure Mascle Allemand, Aude
Pommeret et Éric Preud’homme, Contre-Expertise de l’évaluation socio-économique du
projet de Cigéo, rapport au Secrétariat général pour l’investissement, 2021,
https://www.andra.fr/sites/default/files/2021-
03/Rapport%20Contre%20expertise%20independante%20CIGEO%20VF.pdf.
23. Philipp Krüger, Augustin Landier et David Thesmar, « The WACC fallacy: the real
effects of using a unique discount rate », The Journal of Finance, vol. 70, no 3, 2015,
p. 1253-1285, https://doi.org/10.1111/jofi.12250.
24. Simon Dietz, Christian Gollier et Louise Kessler, « The climate beta », Journal of
Environmental Economics and Management, vol. 87, 2018, p. 258-274,
https://doi.org/10.1016/j.jeem.2017.07.005.
25. Christian Gollier, « The cost-efficiency carbon pricing puzzle », TSE Working
Paper, no 18-952, 2022, https://www.tse-fr.eu/fr/publications/cost-efficiency-carbon-
pricing-puzzle.
Monsieur l’Administrateur,

Chers collègues, chers amis,

Mesdames, Messieurs,

Le temps de l’action est venu. Le changement climatique engendre une


défaillance autant des marchés que de nos démocraties, ce qui oblige les États
responsables à réaligner la myriade des intérêts privés avec l’intérêt général
en imposant un prix uniforme du carbone, sans exemption, et sans hausse de
la pression fiscale. Notre ambition climatique collective doit se traduire en
politiques simples et transparentes, dans l’efficacité et la justice. Elles doivent
permettre de lutter en même temps contre le changement climatique et contre
les inégalités sociales. Seule une tarification du carbone remplit ces
conditions, avec une redistribution intégrale du dividende carbone, en
particulier vers les ménages les plus modestes, et avec un ajustement carbone
aux frontières pour coordonner le reste du monde avec notre ambition
commune, en vue d’un « Avenir commun durable ». L’objectif d’une
augmentation de 2 °C est démocratiquement légitime. Le passage de la parole
aux actes oblige nos gouvernements, sinon nos entreprises, nos banques, nos
assureurs et tous nos concitoyens, à considérer une valeur du carbone de
150 euros/tCO2 au plus tôt, croissant en espérance à 500 euros en 2050. Il y
va de nos responsabilités envers les générations futures.
Les leçons inaugurales du Collège de France

Depuis sa fondation en 1530, le Collège de France a pour principale


mission d’enseigner, non des savoirs constitués, mais « le savoir en train de
se faire » : la recherche scientifique et intellectuelle elle-même. Les cours y
sont ouverts à tous, gratuitement, sans inscription ni délivrance de diplôme.

Conformément à sa devise (Docet omnia, « Il enseigne toutes choses »), le


Collège de France est organisé en cinquante-deux chaires couvrant un vaste
ensemble de disciplines. Les professeurs sont choisis librement par leurs
pairs, en fonction de l’évolution des sciences et des connaissances.
À l’arrivée de chaque nouveau professeur, une chaire nouvelle est créée qui
peut ou bien reprendre, au moins en partie, l’héritage d’une chaire antérieure,
ou bien instaurer un enseignement neuf.

Plusieurs chaires thématiques annuelles (Informatique et sciences


numériques, Innovation technologique, Mondes francophones, Santé
publique, Biodiversité et écosystèmes, L’invention de l’Europe par les
langues et les cultures, Avenir commun durable) et pluriannuelles permettent
également d’accueillir des professeurs invités.

Le premier cours d’un nouveau professeur est sa leçon inaugurale.

Solennellement prononcée en présence de ses collègues et d’un large


public, elle est pour lui l’occasion de situer ses travaux et son enseignement
par rapport à ceux de ses prédécesseurs et aux développements les plus
récents de la recherche.

Non seulement les leçons inaugurales dressent un tableau de l’état de nos


connaissances et contribuent ainsi à l’histoire de chaque discipline, mais elles
nous introduisent, en outre, dans l’atelier du savant et du chercheur.
Beaucoup d’entre elles ont constitué, dans leur domaine et en leur temps, des
événements marquants, voire retentissants.
Elles s’adressent à un large public éclairé, soucieux de mieux comprendre
les évolutions de la science et de la vie intellectuelle contemporaines.
Les leçons inaugurales publiées dans la collection
Collège de France / Fayard

Depuis 2003, les leçons inaugurales du Collège de France sont publiées


dans la collection Collège de France / Fayard. Quelques leçons antérieures y
ont été également republiées.

164. Serge HAROCHE


Physique quantique (2001)
165. Jacques LIVAGE
Chimie de la matière condensée (2002)
166. John SCHEID
Religions, institutions et société de la Rome antique (2002)
167. Roland RECHT
L’objet de l’histoire de l’art (2002)
169. Christine PETIT
Génétique et physiologie cellulaire (2002)
170. Édouard BARD
Évolution du climat et de l’océan (2003)
171. Stuart EDELSTEIN
Les mécanismes de la transduction du signal en biologie (2003)
172. Mireille DELMAS-MARTY
Études juridiques comparatives et internationales du droit
(2003)
173. Pierre-Louis LIONS
Équations aux dérivées partielles et applications (2003)
174. Jayant Vishnu NARLIKAR
Faits et spéculations en cosmologie (2003)
175. Michael EDWARDS
Étude de la création littéraire en langue anglaise (2003)
176. Theodor BERCHEM
Tradition et progrès. La mission de l’Université (2004)
177. Henry LAURENS
Histoire du monde arabe contemporain (2004)
178. Denis KNOEPFLER
Apports récents des inscriptions grecques à l’histoire de
l’Antiquité (2004)
179. Jean-Louis MANDEL
Gènes et maladies : les domaines de la génétique humaine
(2004)
180. Celâl ŞENGÖR
Une autre histoire de la tectonique (2004)
181. Sandro STRINGARI
L’aventure des gaz ultra-froids : condensation de Bose-Einstein
et superfluidité (2005)
182. Gabriele VENEZIANO
Gravitation, relativité, mécanique quantique : la grande synthèse
est-elle proche ? (2005)
183. Christian de PORTZAMPARC
Architecture : figures du monde, figures du temps (2006)
184. Maurice BLOCH
L’anthropologie cognitive à l’épreuve du terrain. L’exemple de
la théorie de l’esprit (2006)
185. Thomas PAVEL
Comment écouter la littérature ? (2006)
186. Stanislas DEHAENE
Vers une science de la vie mentale (2006)
187. Jon ELSTER
Raison et raisons (2006)
188. Antoine COMPAGNON
La littérature, pour quoi faire ? (2006)
189. Daniele VITALI
Les Celtes d’Italie (2006)
190. Jean-Paul CLOZEL
La biotechnologie : de la science au médicament (2007)
191. Pascal DUSAPIN
Composer. Musique, paradoxe, flux (2007)
192. Guy ORBAN
La vision, mission du cerveau. Les trois révolutions des
neurosciences cognitives (2007)
193. Michel DEVORET
De l’atome aux machines quantiques (2007)
194. Alain PROCHIANTZ
Géométries du vivant (2007)
195. Roger CHARTIER
Écouter les morts avec les yeux (2007)
197. Gérard BERRY
Pourquoi et comment le monde devient numérique (2008)
198. Pierre MAGISTRETTI
La neuroénergétique : de la synapse à l’image (2008)
199. Michel BRUNET
Origine et histoire des hominidés. Nouveaux paradigmes (2008)
200. Philippe SANSONETTI
Des microbes et des hommes. Guerre et paix aux surfaces
muqueuses (2008)
201. Anne CHENG
La Chine pense-t-elle ? (2008)
202. Esther DUFLO
Expérience, science et lutte contre la pauvreté (2009)
203. Pierre-Laurent AIMARD
Rôle et responsabilités de l’interprète aujourd’hui (2009)
204. Mathias FINK
Renversement du temps, ondes et innovation (2009)
205. Henri LERIDON
De la croissance zéro au développement durable (2009)
206. Thomas RÖMER
Les Cornes de Moïse. Faire entrer la Bible dans l’histoire (2009)
207. Marc FONTECAVE
Chimie des processus biologiques : une introduction (2009)
208. Gérard BERRY
Penser, modéliser et maîtriser le calcul informatique (2009)
209. Antoine GEORGES
De l’atome au matériau. Les phénomènes quantiques collectifs
(2009)
210. Peter PIOT
L’épidémie du sida. Mondialisation des risques, transformations
de la santé publique et développement (2010)
211. Patrick COUVREUR
Les nanotechnologies peuvent-elles contribuer à traiter des
maladies sévères ? (2010)
212. Nicholas STERN
Gérer les changements climatiques. Climat, croissance,
développement et équité (2010)
213. Jacques NICHET
Le théâtre n’existe pas (2010)
214. Ismail SERAGELDIN
Mobiliser le savoir pour éradiquer la faim (2010)
215. Anselm KIEFER
L’art survivra à ses ruines (2010)
216. Jean-Marie TARASCON
L’énergie : stockage électrochimique et développement durable
(2010)
217. Elias ZERHOUNI
Les grandes tendances de l’innovation biomédicale au XXIe siècle
(2011)
218. Clément SANCHEZ
Chimie des matériaux hybrides (2011)
219. Martin ABADI
La sécurité informatique (2011)
220. Claudine TIERCELIN
La connaissance métaphysique (2011)
221. Barbara ROMANOWICZ
Physique de l’intérieur de la Terre (2011)
222. Gilles CLÉMENT
Jardins, paysage et génie naturel (2011)
223. Paul COLONNA
Le carbone renouvelable dans les systèmes alimentaires,
énergétiques et chimiques (2011)
224. Jean-Paul LAUMOND
La robotique : une récidive d’Héphaïstos (2012)
225. Jean-Noël ROBERT
La hiéroglossie japonaise (2012)
226. Serge ABITEBOUL
Sciences des données : de la logique du premier ordre à la Toile
(2012)
227. Manuela CARNEIRO DA CUNHA
Savoirs autochtones : quelle nature, quels apports ? (2012)
228. Jean-Pierre BRUN
Techniques et économies de la Méditerranée antique (2012)
229. Bernard CHAZELLE
L’algorithmique et les sciences (2012)
230. Karol BEFFA
Comment parler de musique ? (2012)
231. Alain SUPIOT
Grandeur et misère de l’État social (2012)
232. Edith HEARD
Épigénétique et mémoire cellulaire (2012)
233. Yves BRÉCHET
La science des matériaux : du matériau de rencontre au
matériau sur mesure (2013)
234. Dominique KEROUEDAN
Géopolitique de la santé mondiale (2013)
235. Anny CAZENAVE
La Terre et l’environnement observés depuis l’espace (2013)
236. Gérard BERRY
L’informatique du temps et des événements (2013)
237. Jean DALIBARD
Atomes et rayonnement (2013)
238. Tony CRAGG
Sculpture et langage (2013)
239. Frantz GRENET
Recentrer l’Asie centrale (2013)
240. Sanjay SUBRAHMANYAM
Aux origines de l’histoire globale (2013)
241. Gilles BOEUF
La biodiversité, de l’océan à la cité (2013)
242. Pierre-Michel MENGER
La différence, la concurrence et la disproportion. Sociologie du
travail créateur (2014)
243. Jean-Marie TARASCON
Chimie du solide et énergie. Exemples et avenir d’une science
millénaire (2014)
244. Alain de LIBERA
Où va la philosophie médiévale ? (2014)
245. Philippe WALTER
Sur la palette de l’artiste. La physico-chimie dans la création
artistique (2014)
246. François BOURGUIGNON
Pauvreté et développement dans un monde globalisé (2014)
247. Nicolas AYACHE
Des images médicales au patient numérique (2014)
248. Alain FISCHER
Médecine expérimentale (2014)
249. Dominique CHARPIN
Comment peut-on être assyriologue ? (2014)
250. Bernard MEUNIER
Innovations thérapeutiques : tendances et évolution (2014)
251. Françoise COMBES
La matière noire dans l’Univers (2014)
252. Hugues de THÉ
L’oncologie : de l’empirisme à la biologie intégrée (2015)
253. Georges CALAS
Les ressources minérales, enjeu majeur du développement
durable (2015)
254. Marie-Paule CANI
Façonner l’imaginaire. De la création numérique 3D aux
mondes virtuels animés (2015)
255. François DÉROCHE
La voix et le calame. Les chemins de la canonisation du Coran
(2015)
256. Philippe AGHION
Repenser la croissance économique (2015)
257. Thomas STERNER
Les instruments de la politique environnementale (2015)
258. Bernard DERRIDA
Physique statistique. La flèche du temps et le hasard (2015)
259. Patrick BOUCHERON
Ce que peut l’histoire (2015)
260. Jean-Luc FOURNET
Ces lambeaux, gardiens de la mémoire des hommes. Papyrus et
culture de l’Antiquité tardive (2016)
261. José-Alain SAHEL
Rapprocher les regards. Autour de la restauration visuelle
(2016)
263. Alain MABANCKOU
Lettres noires : des ténèbres à la lumière (2016)
264. Claire VOISIN
Topologie des variétés algébriques complexes (2016)
265. Jean-Louis COHEN
Architecture, modernité, modernisation (2014)
266. Jean-Jacques HUBLIN
Biologie de la culture. Paléoanthropologie du genre Homo
(2014)
267. Philippe MANOURY
L’invention de la musique (2017)
268. Didier ROUX
Découvertes, inventions et innovations (2017)
269. Jean-Daniel BOISSONNAT
Géométrie algorithmique : des données géométriques à la
géométrie des données (2017)
270. Bénédicte SAVOY
Objets du désir, désir d’objets (2017)
271. Alain WIJFFELS
Le droit européen a-t-il une histoire ? En a-t-il besoin ? (2017)
272. Thomas LECUIT
Dynamiques du vivant (2017)
273. Claire MATHIEU
L’algorithmique (2017)
274. Vinciane PIRENNE-DELFORGE
Religion, histoire et société dans le monde grec antique (2017)
275. Edhem ELDEM
L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident (2017)
276. Stéphane MALLAT
Sciences des données et apprentissage en grande dimension
(2018)
277. Victor STOICHITA
Les Fileuses de Velàzquez. Textes, textures, images (2018)
278. Denis DUBOULE
Le génome et ses embryons (2018)
279. François HÉRAN
Migrations et sociétés (2018)
280. Thomas EBBESEN
L’alchimie du vide. Interactions lumière-matière en chimie
physique (2018)
281. Molly PRZEWORSKI
Origines évolutives des variations génétiques (2018)
282. Amos GITAÏ
La caméra est une sorte de fétiche. Filmer au Moyen-Orient
(2018)
283. Rachid GUERRAOUI
Algorithmique répartie. À la recherche de l’universalité perdue
(2018)
284. Xavier LEROY
Le logiciel, entre l’esprit et la matière (2018)
285. Lucrezia REICHLIN
La Banque centrale européenne et la crise de l’euro (2018)
286. Dario MANTOVANI
Droit, culture et société de la Rome antique (2019)
287. Jean-François JOANNY
Physique de la matière molle : une approche des systèmes
biologiques (2019)
288. Arnaud FONTANET
L’épidémiologie ou la science de l’estimation du risque en santé
publique (2019)
289. Yanick LAHENS
Littérature haïtienne : urgence(s) d’écrire, rêve(s) d’habiter
(2019)
290. François-Xavier FAUVELLE
Leçons de l’histoire de l’Afrique (2019)
291. Walter FONTANA
Du calcul au vivant : le défi d’une science de l’organisation
(2019)
292. François RECANATI
Langage, discours, pensée (2019)
293. Didier FASSIN
De l’inégalité des vies (2020)
294. William MARX
Vivre dans la bibliothèque du monde (2020)
295. Lluis QUINTANA-MURCI
Une histoire génétique : notre diversité, notre évolution, notre
adaptation (2020)
296. Marc HENNEAUX
Symétrie et gravitation (2020)
297. Luigi RIZZI
Complexité des structures linguistiques, simplicité des
mécanismes du langage (2020)
298. Samantha BESSON
Reconstruire l’ordre institutionnel international (2020)
299. Jean-Philippe BOUCHAUD
De la physique statistique aux sciences sociales (2020)
300. Timothy GOWERS
Combinatoire (2021)
301. Sonia GAREL
Système immunitaire et dynamique du cerveau (2021)
302. Chris BOWLER
La biodiversité et les écosystèmes à travers le temps et l’espace
(2021)
303. Frédéric MAGNIEZ
Algorithmes quantiques. Quand la physique quantique défie la
thèse de Church-Turing (2021)
304. Alberto MANGUEL
Europe : le mythe comme métaphore (2021)
305. Yadh BEN ACHOUR
La révolution, une espérance (2021)

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