MAGAZINE

LE NOUVEL ÂGE D’OR

DE CINECITTÀ idées Rendre le référendum
« démocratiquement correct »

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023 - 79E ANNÉE - NO 24557 - 5,20 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

L’Europe ouvre la voie à l’adhésion de l’Ukraine

▶ Les Vingt-Sept ont décidé
jeudi d’ouvrir les négocia-
▶ Le Conseil européen
envoie un signal politique
▶ M. Orban a en revanche
mis son veto à une nouvelle
▶ Vladimir Poutine a redit
jeudi sa confiance en une 1 ÉDITORIAL
tions avec Kiev ; seul fort, mais il devra être aide de 50 milliards d’euros victoire russe en Ukraine :
à s’y opposer, le Hongrois confirmé à l’unanimité promise à Kiev dans le « La solution sera négociée UNE BONNE NOUVELLE
Viktor Orban est sorti de quand l’Ukraine aura rem- cadre du budget commu- ou obtenue par la force » POUR KIEV ET L’UE
la salle au moment du vote pli une série de conditions nautaire d’ici à 2027 PAGE S 2 - 3 PAGE 3 0

LOI IMMIGRATION : BORNE EN MISSION DE SAUVETAGE Proche-Orient En mer Rouge,

le trafic maritime pris pour cible
tirs de missiles, attaques de
▶ Après la motion de drones : les houthistes, ces rebel- sion dans cette région stratégi-
rejet votée par les dépu- les qui contrôlent une grande que pour le commerce mondial,
partie du Yémen et font partie de au point de perturber le trafic
tés, une commission l’« axe de la résistance » soutenu maritime et de forcer les arma-
mixte paritaire se réu- par l’Iran contre Israël, multi- teurs à réfléchir à des alternati-
plient les actes hostiles contre ves. Certaines compagnies préfè-
nira lundi pour trouver des navires civils et militaires en rent désormais contourner l’Afri-
un texte de compromis mer Rouge. Ils font monter la ten- que pour rallier la Méditerranée.
PAGE 6
▶ La première ministre
est engagée dans d’in-
tenses tractations, face Gadi Eisenkot, Ces juifs
aux exigences opposées
de la droite et de l’aile vigie du cabinet ultraorthodoxes
gauche de sa majorité
PAGES 1 0 - 1 1
de guerre d’Israël qui rallient l’armée
Le général, stratège de la Des centaines de haredim
Elisabeth Borne, à l’Assemblée riposte disproportionnée, ont rejoint les forces
nationale, le 12 décembre.
JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
est l’un des rares à penser israéliennes, malgré leurs
à un après-guerre politique convictions religieuses
PAGE 5 PAGE 2 1

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A Roubaix, L’Insee prévoit une hausse
une rénovation du PIB de 0,2 % sur les
deux premiers trimestres
urbaine sous de 2024, sur fond de désin-
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PAGE 1 3 PAGE 1 5

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2|
INTERNATIONAL
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

Lors du
sommet
des chefs
d’Etat et de
gouvernement
européens,
à Bruxelles,
le 14 décembre,
auquel
assistaient
notamment
Emmanuel
Macron (de
dos, à gauche)
et le premier
ministre
hongrois,
Viktor Orban
(de face,
au centre).
YVES HERMAN/REUTERS

L’UE ouvre des négociations avec l’Ukraine

Orban, qui bloque une aide de 50 milliards d’euros à Kiev, menace de mettre son veto à une étape ultérieure

bruxelles - bureau européen la guerre sur le continent. « Ce que laborieuses. « Orban était ravi de dition de retarder et de compli- frais pour de nouvelles priorités,
et envoyé spécial nous décidons ou pas est un cette proposition, il a accepté tout
Le premier quer encore le processus. Mais comme l’immigration, les « fru-
message clair à Moscou, Kiev, de suite », confie un diplomate ministre hongrois « Olaf Scholz a jugé que cela alté- gaux », Allemagne en tête, refu-

L
e Portugais Antonio Washington et Pékin », avait pré- européen. Le dirigeant illibéral rerait le message, et a donc pro- saient de remettre au pot pour
Costa avait pris quatre venu, en arrivant au Conseil, peut ainsi rentrer à Budapest la
Viktor Orban posé à Viktor Orban de s’éclipser autre chose que pour l’Ukraine.
chemises et espérait que Petteri Orpo, le premier ministre tête haute et dire à ses conci- est sorti de la au moment de la décision », ra- Les vingt-six ont finalement
la réunion des chefs finlandais. La confrontation avec toyens, comme il l’a aussitôt dé- conte une source. trouvé un terrain d’entente – la
d’Etat et de gouvernement euro- la Russie a également incité les claré dans une vidéo postée sur X
salle au moment In fine, les Européens sont con- Suède doit encore consulter son
péens, qui a commencé jeudi Vingt-Sept à ouvrir les négo- jeudi soir, que « la Hongrie n’a pas de la décision venus d’une approche en deux Parlement –, mais ils se sont une
14 décembre, ne durerait pas au- ciations d’adhésion avec la Mol- participé à cette mauvaise déci- temps, comme le recommandait nouvelle fois heurtés à Viktor
delà de dimanche. L’Estonienne davie et la Bosnie-Herzégovine, sion ». L’ouverture des négocia- la Commission : un signal politi- Orban, qui n’a rien voulu enten-
Kaja Kallas était prête à discuter ainsi qu’à accorder le statut de tions, y explique-t-il, est « irra- menté » au sein du Conseil euro- que fort lors de ce Conseil, suivi dre. Le premier ministre hongrois
jusqu’à Noël. Quant au président candidat à la Géorgie. tionnelle » et « un non-sens ». péen, où il siège depuis treize ans d’une confirmation, à l’unani- a une nouvelle fois demandé le
français, Emmanuel Macron, il Dans le même temps, cette pi- maintenant. mité, quand Kiev aura rempli une déblocage d’une vingtaine de
avait un engagement vendredi Abstention constructive rouette a permis à Viktor Orban, On espérait aussi, dans la série de conditions (lutte contre la milliards d’euros de fonds euro-
soir à Paris mais pouvait s’en libé- Depuis des semaines, Viktor Or- seul contre vingt-six, de ne pas se sphère bruxelloise, que le dé- corruption, protection des mino- péens encore immobilisés en
rer. Finalement, contre toute at- ban menaçait de mettre son veto mettre à dos de manière durable blocage, mercredi 13 décembre, rités, loi sur le lobbying…). « Au raison de ses manquements à
tente, jeudi à 18 h 25, un tweet du à l’ouverture des pourparlers ses partenaires. « Il est très fort par la Commission de 10 milliards moins soixante-dix décisions de- l’Etat de droit. Les chefs d’Etat et
président du Conseil, Charles Mi- d’adhésion de l’Ukraine à l’Union pour parler, il a du cran, il n’a pas d’euros de fonds communautai- vront être prises à l’unanimité » de gouvernement européens se
chel, est tombé, annonçant que européenne (UE), arguant qu’elle peur, mais en même temps, il a res gelés en raison des manque- dans le processus d’adhésion de sont séparés un peu avant
les Européens avaient « décidé est « corrompue », « en guerre » et beaucoup d’intérêts sur tous les ments à l’Etat de droit de Buda- l’Ukraine à l’UE, a prévenu jeudi 2 h 30 sur un constat de désac-
d’ouvrir les négociations d’adhé- que son entrée déstabiliserait sujets européens » et il sait qu’un pest allégerait l’atmosphère. Tout soir Balazs Orban, le conseiller cord. Cette fois, le premier minis-
sion de l’Ukraine ». l’édifice communautaire. Au mo- veto sur une question aussi stra- a été fait pour ne pas irriter davan- politique du premier ministre tre hongrois n’a pas cédé.
Dans la foulée, Volodymyr Ze- ment de la décision, le premier tégique peut lui coûter cher, dé- tage Viktor Orban. D’ailleurs, hongrois. « La Hongrie ne chan- « L’Ukraine peut compter sur no-
lensky a immédiatement réagi : ministre hongrois est pourtant crypte une source. alors que certains évoquaient la gera pas sa position », a assuré tre soutien », a néanmoins affirmé
« C’est une victoire pour l’Ukraine. sorti de la salle et a laissé ses Dans ce contexte, de Paris à Ber- visite de Volodymyr Zelensky au Viktor Orban, laissant présager Charles Michel, qui a annoncé un
Une victoire pour toute l’Europe. vingt-six homologues aller de lin en passant par La Haye ou début du Conseil – le président des discussions houleuses et de Conseil extraordinaire en « début
Une victoire qui motive, inspire et l’avant sans lui. De mémoire de Rome, on s’interrogeait ces der- ukrainien était en Norvège mer- nouveaux marchandages. d’année prochaine » et évoqué des
renforce. » Alors que la contre-of- diplomate, cette forme d’absten- niers jours sur les intentions véri- credi –, plusieurs capitales ont plans alternatifs pour « tenir nos
fensive ukrainienne est dans l’im- tion constructive, « c’est du ja- tables d’un dirigeant coutumier jugé que son apparition serait vé- « Pas dans un bazar hongrois » promesses à l’Ukraine », si Viktor
passe, que les Etats-Unis se déchi- mais-vu ». Rien à voir, donc, avec du chantage, quitte à s’isoler, cue par le Hongrois comme une « Quand on prend part à une déci- Orban devait persister dans son
rent sur la poursuite de leur aide à la politique de la chaise vide pour obtenir un traitement déro- provocation. « Cela aurait ren- sion, on se tait », lui a répondu veto. Notamment une enveloppe
Kiev, sur fond de conflit meurtrier menée par la France de Charles de gatoire ou des contreparties en forcé l’image de vingt-six pays Alexander De Croo, le premier financée à vingt-six pour 2024.
entre Israël et le Hamas, le prési- Gaulle, au mitan des années espèces sonnantes et trébu- contre la Hongrie », expliquait-on. ministre belge, qui considère de Sur le soutien militaire à Kiev,
dent ukrainien redoutait un re- 1960, qui avait au contraire para- chantes. Certains redoutaient Jeudi matin, Viktor Orban a fait que l’abstention de Viktor Or- les Vingt-Sept ne sont pas non
vers supplémentaire à Bruxelles, lysé les institutions. que Viktor Orban, le seul parmi néanmoins vite compris la déter- ban vaut soutien, puisqu’il ne plus parvenus à s’entendre pour
dont Vladimir Poutine n’aurait Cette fois, c’est Olaf Scholz, le ses pairs à entretenir encore une mination de ses homologues. Il a s’agit pas d’un veto en bonne et financer ensemble, à hauteur de
pas manqué de tirer parti. chancelier allemand, qui, à la ta- relation avec Vladimir Poutine, d’abord vu Kaja Kallas, fidèle al- due forme. « L’Ukraine est un pays 20 milliards d’euros, des trans-
Quant aux dirigeants euro- ble des Vingt-Sept, a proposé cet ait décidé de jouer le jeu du liée de Kiev, avant de retrouver qui veut respecter les valeurs dé- ferts d’armes à l’Ukraine d’ici à
péens, ils voulaient préserver arrangement, alors que les dis- Kremlin. L’Europe ne peut pas l’Italienne Giorgia Meloni, qui, ré- mocratiques. C’est peut-être une 2027. La Hongrie, encore elle, s’y
l’unité de mise depuis le retour de cussions étaient pour le moins s’en remettre à « quelqu’un qui cemment, notamment sur les leçon pour Orban lui-même, a-t-il oppose. Mais aussi l’Allemagne,
met en danger son avenir », expli- questions de migration, a sou- poursuivi. Nous ne sommes pas qui souhaite désormais privilé-
quait la première ministre litua- vent joué les intermédiaires entre dans un bazar hongrois où nous gier l’aide bilatérale à Kiev.
Sit-in de fonctionnaires européens nienne, Evika Siliņa. le dirigeant nationaliste et ses pouvons échanger une chose En Allemagne, où il s’est rendu
Dans les chancelleries, on dé- partenaires européens. Il a en- contre une autre. » jeudi après la Norvège, Volody-
Quelque deux cents fonctionnaires européens se sont réunis cryptait avec la plus grande atten- suite petit-déjeuné avec Emma- La soirée était pourtant loin myr Zelensky a suivi cette folle
pour un sit-in devant le siège de la Commission, jeudi 14 décem- tion l’évolution des déclarations nuel Macron, Olaf Scholz, Charles d’être finie, Viktor Orban mena- journée du Conseil européen à
bre, afin de demander l’adoption d’un cessez-le-feu à Gaza. du dirigeant souverainiste à l’ap- Michel et la présidente de la Com- çant d’un autre veto sur l’aide fi- distance, heure par heure. Même
Cette manifestation non autorisée a eu lieu à moins de proche du sommet de Bruxelles, mission, Ursula von der Leyen. nancière de 50 milliards d’euros s’il n’a pas obtenu l’aide finan-
100 mètres du bâtiment du Conseil, où étaient réunis les chefs espérant y voir le signe d’un dé- « On a alors compris qu’Orban promise à l’Ukraine dans le cadre cière tant attendue, le président
d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, qui devaient but d’ouverture. « Orban ne choi- était prêt à négocier les modali- du budget communautaire d’ici à ukrainien ne rentrera pas les
aborder vendredi la situation au Proche-Orient. Une banderole sit jamais ses mots par hasard, il tés » de l’ouverture des pourpar- 2027. Sur ce sujet-là, le Hongrois mains vides. Après son récent
proclamait : « Staff européen pour un cessez-le-feu immédiat ». sait exactement ce qu’il dit et quel lers avec Kiev, « cela aurait été la- pouvait espérer avoir en face de voyage mouvementé aux Etats-
Certains des manifestants avaient signé le 20 octobre message il envoie », commente un borieux, mais il acceptait de jouer lui des partenaires moins soudés. Unis, il peut souffler. p
une lettre à l’attention d’Ursula von der Leyen, la présidente diplomate européen. Avant de sur ce terrain-là », confie un di- Alors que certains pays, comme philippe jacqué,
de la Commission, pour critiquer le manque d’équilibre poursuivre : « Orban est le diri- plomate européen. Le Hongrois l’Italie, voulaient profiter de l’oc- virginie malingre
de la position européenne sur la situation au Proche-Orient. geant européen le plus expéri- semblait prêt à transiger, à con- casion pour obtenir de l’argent et philippe ricard
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Poutine s’affiche confiant sur sa guerre en Ukraine
Lors de sa conférence annuelle, le chef du Kremlin a évoqué une issue « négociée ou obtenue par la force »
moscou - correspondant
L
a priorité est de préserver
la vie des gens et de per-
mettre l’arrivée de l’aide
humanitaire. (…) Nous
sommes prêts à ouvrir là-bas des
hôpitaux russes. » Vladimir Pou-
tine chercherait-il l’apaisement
en Ukraine ? Non : le « là-bas »
dont il est question concerne la
bande de Gaza, où la situation est
« catastrophique », selon le prési-
dent russe, qui va jusqu’à établir
une comparaison : « Regardez
l’opération militaire spéciale [en
Ukraine] et regardez ce qui se
passe à Gaza et voyez la différence.
Il n’y a rien de tel en Ukraine. »
Ce détour sur le terrain du Pro-
che-Orient, après moins d’une
heure d’un marathon télévisuel
qui en aura duré plus de quatre,
jeudi 14 décembre, envoie un
message clair : celui d’un pays qui
entend jouer les premiers rôles
sur la scène mondiale, « aller de
l’avant », comme l’a formulé M.
Poutine dès le début de son inter-
vention, et refuse de se voir em-
bourbé en Ukraine. D’ailleurs, la
situation sur le front est bonne,
selon le résumé qu’en a fait le chef
du Kremlin : « L’ennemi a annoncé
une grande contre-offensive. Rien
n’a marché. (…) Sur presque toute
la longueur du front, nos forces
améliorent leurs positions. »
Quant aux positions prises par les
Ukrainiens sur la rive gauche du
Dniepr, dans la région de Kher-
son, elles seront, a-t-il assuré,
« bientôt » liquidées.
« Marge de sécurité suffisante »
La simple tenue de ce traditionnel
grand show télévisé de fin d’an-
née, annulé en 2022, mêlant con-
férence de presse et échanges avec
les citoyens, constituait en soi un
signal. Vladimir Poutine se trouve
en meilleure situation qu’il y a un
an, et il considère que le temps
joue en sa faveur. Si son armée n’a
engrangé aucun gain stratégique
sur le terrain, elle a effectivement
tenu face à la contre-offensive
ukrainienne de l’été et, plus géné-
ralement, Moscou a encaissé les
chocs provoqués par la guerre.
La Russie dispose d’une « marge
de sécurité suffisante » du fait de la
« forte consolidation de la société
russe », de la « stabilité du système
financier et économique du pays »
et de l’« augmentation [de ses]
Une cyberattaque paralyse le premier opérateur mobile ukrainien
L’action, menée par des pirates liés au renseignement militaire russe, a privé des millions d’habitants du pays de téléphone et d’Internet
kiev - envoyés spéciaux
P lus de 25 millions d’Ukrai-
niens ne peuvent ni télé-
phoner ni se connecter à
l’Internet mobile depuis mardi
12 décembre. Une cyberattaque
d’une ampleur sans précédent a
bloqué le réseau de Kyïvstar, le
principal opérateur mobile
ukrainien, qui montre du doigt
un groupe de pirates informati-
ques lié au renseignement mili-
taire russe. La date n’est sans
doute pas un hasard : elle corres-
pond précisément à l’arrivée du
président Volodymyr Zelensky
aux Etats-Unis, venu plaider en
urgence la poursuite de l’aide
américaine à son pays.
Dès les premières heures de la
panne, dans toute l’Ukraine, de
longues files se sont formées
devant les boutiques des opéra-
teurs concurrents. Puis, très vite,
à Kiev, décrocher un abonne-
ment chez un autre opérateur
mobile était devenu impossible.
Depuis le début de l’invasion
russe, en février 2022, les
abonnés ont la possibilité de
basculer d’un opérateur à un
« Sur presque
toute la longueur
du front, nos
forces améliorent
leurs positions »
VLADIMIR POUTINE
capacités militaires », a insisté
M. Poutine, noyant d’entrée,
comme il aime à le faire, les télé-
spectateurs sous les statistiques
économiques flatteuses.
Fort de cette confiance affichée,
le dirigeant russe a réaffirmé que
ses objectifs restaient inchangés.
« Je vous rappelle ce dont nous
avons parlé : la dénazification et la
démilitarisation de l’Ukraine, son
statut de neutralité », a-t-il énu-
méré, ajoutant que la solution
« sera négociée ou obtenue par la
force ». Selon lui, 617 000 soldats
sont actuellement déployés en
Ukraine, dont 244 000 citoyens
enrôlés lors de la mobilisation
« partielle » de septembre 2022.
A la question de savoir si une
nouvelle mobilisation était à at-
tendre, M. Poutine est resté flou :
« A ce jour, une nouvelle vague de
mobilisation n’est pas nécessaire. »
Aucune question n’a, en revan-
che, été posée sur une éventuelle
rotation des troupes déployées au
front et un retour dans leurs
foyers des mobilisés, et ce, alors
que les présentateurs se sont
enorgueillis d’avoir reçu plus de
2 millions de questions de ci-
toyens et que le sujet constitue
l’un des thèmes politiques les
plus aigus du moment.
Vladimir Poutine est resté évasif
sur un autre sujet présent dans
l’actualité, le droit à l’avortement,
de plus en plus rogné par des lé-
gislations et restrictions intro-
duites au niveau régional. Tout en
souhaitant, au nom d’une démo-
graphie en berne, que « les fem-
mes décident, après avoir appris
qu’elles sont enceintes, de préser-
ver la vie de l’enfant », il a estimé
qu’il fallait « faire attention » avec
les interdictions.
Service minimum également
sur la campagne présidentielle à
venir, à laquelle Vladimir Poutine
a annoncé sa participation quel-
ques jours auparavant. A la seule
question sur ce point, le président
en exercice a expliqué que son
autre en cas de défaillance. Mais,
face à la menace d’une extension
de la cyberattaque, Kyïvstar a de
lui-même tout éteint afin de li-
miter les dégâts. Ce n’est qu’au
troisième jour que l’opérateur a
commencé à rétablir ses services
« progressivement, afin de respec-
ter les protocoles de sécurité ».
Jeudi soir, l’accès restait encore
très limité.
Faux nez du GRU
Le président de la société, Olek-
sandr Komarov, a affirmé, mer-
credi, que « l’ennemi a pu pénétrer
au cœur de l’infrastructure de
l’entreprise » en s’appuyant sur le
compte d’un employé, suggérant
ainsi que les accès informatiques
d’un salarié (identifiants VPN par
exemple) ont été volés par les
pirates pour accéder au réseau de
l’entreprise. Les données person-
nelles, a-t-il ajouté pour rassurer
ses abonnés, n’ont pas été déro-
bées par les pirates.
M. Komarov, qui s’est exprimé à
plusieurs reprises, a également
évoqué l’hypothèse d’un em-
ployé travaillant pour les servi-
ces russes en plus des comptes
Vladimir Poutine face à la presse, à Moscou, le 14 décembre. Photo fournie par l’agence d’Etat russe Sputnik. VLADIMIR GERDO/AFP
ambition était de sauvegarder
l’« existence » même de la Russie
et sa « souveraineté ». Cette rhéto-
rique rejoint sa récente définition
du conflit en Ukraine comme
« une guerre de libération natio-
nale » de la Russie, soit « une ba-
taille pour la souveraineté et la jus-
tice (…), la sécurité et le bien-être de
[son] peuple, le droit historique le
plus élevé à être la Russie ».
Préoccupations des Russes
M. Poutine a fait écho à ces pro-
pos, jeudi, en citant le chancelier
Otto von Bismarck (1815-1898)
pour placer la guerre dans le
temps long et sur le plan de la mo-
bilisation de la société : « Ce ne
sont pas les dirigeants qui gagnent
les guerres, mais les écoliers et les
prêtres. »
Sur le front diplomatique, alors
que le soutien à l’Ukraine s’effrite
des deux côtés de l’Atlantique, le
chef de l’Etat russe a cherché à en-
foncer un coin entre l’Europe et
les Etats-Unis, rendus responsa-
piratés : « Dans toute entreprise
peuvent se trouver des agents re-
crutés, tout comme il existe des
gens qui collaborent avec l’armée
russe et leur envoient les coordon-
nées de cibles »
Dès mardi, les services ukrai-
niens de sécurité avaient imputé
dans un communiqué la respon-
sabilité de l’attaque à un groupe
de pirates travaillant sous les or-
dres de la direction du renseigne-
ment militaire russe (GRU).
Nommé Solntsepiok (« Cuit par
le soleil », en russe, et référence à
une arme thermobarique de l’ar-
senal russe), un groupe a bien re-
vendiqué l’agression, mercredi.
« Nous avons attaqué Kyïvstar
parce que la société fournit ses
« L’ennemi
a pu pénétrer
au cœur de
l’infrastructure
de l’entreprise »
OLEKSANDR KOMAROV
président de Kyïvstar
bles de l’essentiel des tensions
avec la Russie et du déclenche-
ment de la guerre en Ukraine.
Dans le même temps, « beau-
coup de dirigeants européens se
comportent comme le maréchal
Pétain, en faisant le choix de la
collaboration [avec Washing-
ton] », a-t-il dénoncé, saluant tou-
tefois les premiers ministres slo-
vaque et hongrois, Robert Fico et
Viktor Orban. Ce dernier mena-
çait en effet, lors du Conseil euro-
péen qui s’est ouvert le même
jour, à Bruxelles, d’aggraver la si-
tuation de Kiev en faisant obsta-
cle à des décisions favorables à
l’Ukraine. A Moscou, d’ailleurs,
seule une poignée de médias occi-
dentaux, dont ne faisait pas par-
tie Le Monde, avaient été accrédi-
tés par le Kremlin.
Même soigneusement filtrées,
les questions posées par les Russes
reflètent au moins partiellement
leurs préoccupations, dressant un
tableau moins enthousiasmant
que celui dépeint par le président.
services aux forces armées ukrai-
niennes, ainsi qu’aux agences
gouvernementales et aux forces
de l’ordre de l’Ukraine », souligne
le message, accompagné de cap-
tures d’écran prouvant la péné-
tration du système informatique
de Kyïvstar.
Le site d’information sur les
technologies numériques dev.ua
signale que Solntsepiok a déjà
mené des cyberattaques visant
l’Ukraine, dont la divulgation
malveillante de données person-
nelles de militaires ukrainiens
(« doxxing », dans le jargon infor-
matique). Le groupe n’est pas
seulement accusé d’être un faux
nez du GRU mais de Sandworm,
qui est une unité distincte du
GRU bien connue.
Hormis Kyïvstar, l’une des
principales banques du pays a
aussi été simultanément la cible
d’une cyberattaque. « Monobank
a été ciblée parce que son appli-
cation permet d’acheter des cartes
SIM virtuelles d’autres opérateurs.
Les pirates ont fait en sorte que les
abonnés de Kyïvstar soient dans
l’incapacité d’acheter un
abonnement alternatif », avance
international | 3
« Des Européens
se comportent
comme Pétain,
en faisant
le choix de
la collaboration
[avec
Washington] »
VLADIMIR POUTINE
Il a été question à plusieurs repri-
ses des œufs, dont le prix a plus
que doublé en un an, de l’état des
routes, des retraites misérables, de
l’accès aux médicaments et de
l’état des infrastructures médica-
les, du prix des voitures, du raccor-
dement au gaz… Autant de sujets
qui reviennent sans fin depuis
cinq, dix ou vingt ans.
Face à ces adresses, Vladimir
Poutine aime à poser en bon tsar
l’expert en sécurité informatique
Pavlo Belousov.
« L’attaque contre Monobank
est de nature différente, relève
pour sa part Vitali Yakushev, PDG
de la société de cybersécurité
10guards.com. Il s’agit d’une
attaque DDoS [saturation des
serveurs informatiques] assez
primitive en comparaison de celle
qui a visé Kyïvstar. Cette dernière
est une Advanced Persistent
Threat », menace persistante
avancée ou « APT » dans le jargon
informatique, qui requiert une
longue mise en œuvre.
Réseau cloisonné
Les pirates disposent clairement
de moyens très importants, sug-
gérant l’implication de services
secrets, et donc d’un acteur
étatique. « Le degré d’élaboration
de l’attaque montre qu’une unité
de combat cybernétique y a pris
part. En outre, le ciblage très
précis de l’infrastructure de
Kyïvstar prouve que, parmi les
pirates, se trouvent des gens
connaissant très bien le secteur
des télécommunications », pour-
suit M. Yakushev, qui fut de 2005
comblant les manquements des
fonctionnaires. Après le message
d’écoliers criméens se plaignant
du délabrement de leur salle de
sport, les présentateurs annon-
cent deux heures plus tard que les
services municipaux sont en
route. Le directeur de la salle, lui, a
été convoqué par la police pour
un interrogatoire.
L’objectif de tels spectacles télévi-
sés est aussi de montrer le lien qui
unit le chef à son peuple, plus pro-
fond et vivace que dans les démo-
craties libérales. La démonstration
est poussée jusqu’à la caricature,
avec les traditionnels vœux de
santé prononcés par les journalis-
tes et les questions personnelles :
« Comment combattez-vous le
stress ? », « Contre qui jouez-vous
aux échecs ? », « Qui rêviez-vous de
devenir, enfant ? », puis : « Que re-
commandez-vous pour les fêtes ? »
Réponse livrée sous le regard at-
tendri des présentateurs : « Passez
du temps avec vos proches. » p
benoît vitkine
à 2011 l’un des responsables du
réseau de Kyïvstar. L’expert
rappelle qu’au début des années
2010 Kyïvstar était partenaire de
l’opérateur télécom russe Bee-
line et que les deux sociétés utili-
saient le même fournisseur
d’équipement (Ericsson). Ce qui
expliquerait pourquoi les pirates
sont parvenus à paralyser le ré-
seau télécom, alors que ce
dernier est cloisonné et distinct
du réseau informatique interne
de la société.
L’Ukraine a déjà fait l’objet de
plusieurs cyberattaques venant
de Russie. La plus massive
remonte à 2017, lorsque le virus
NotPetya avait paralysé pendant
plusieurs jours les serveurs de
nombreux services publics
ukrainiens (centrales nucléaires,
chemins de fer, poste, banques,
aéroports…) ainsi que des
sociétés privées. La justice et les
services de renseignement
américains, tout comme certains
de leurs plus proches alliés,
avaient alors attribué l’attaque
au GRU. p
emmanuel grynszpan
et thomas d’istria
4 | international 0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

Africa Corps,
le nouveau label
de la présence
russe au Sahel
Moscou tente de renouveler
son dispositif africain et de faire
oublier la « marque » Wagner

L
e nom de Wagner dispa-
raît mais la référence à l’Al-
lemagne nazie demeure.
La présence russe au Sahel
s’est choisi un nouveau label :
Africa Corps. Alors que le groupe
paramilitaire devait son nom à
l’admiration portée par son fonda-
teur, Dmitri Outkine, au composi-
teur allemand qui a influencé l’es-
thétique du IIIe Reich, cette nou-
velle appellation est directement
inspirée par l’Afrika Korps, les ba-
taillons allemands ayant com-
battu dans le nord de l’Afrique du-
rant la seconde guerre mondiale.
Au-delà des références commu-
nes, la refonte par l’Etat russe de la
société de sécurité d’Evgueni Pri-
gojine, entrée en disgrâce à Mos-
cou depuis la rébellion avortée de
son chef – disparu le 23 août –, se
poursuit. De la République centra-
fricaine à la Libye en passant par le
Soudan et le Mali, Wagner avait
bâti depuis 2018 un empire. Un
modèle qui a permis à la Russie
des percées stratégiques majeures
au détriment des Occidentaux, au
premier chef les Français, mais
dont l’autonomie était devenue
trop forte aux yeux de Moscou.
Le nom Africa Corps est apparu
pour la première fois le 20 novem-
bre sur Telegram dans un post du
blogueur militaire Deux Majors,
proche du ministère russe de la dé-
fense. Le message cite Igor Korot- Une banderole à l’effigie de Vladimir Poutine est installée aux abords d’une manifestation de soutien au capitaine Ibrahim
chenko, ancien colonel et rédac- Traoré, leader de la junte au pouvoir et président de transition du Burkina Faso, le 2o janvier, à Ouagadougou. OLYMPIA DE MAISMONT/AFP
teur en chef de la revue russe
Natsionalnaïa oborona (« défense
nationale »), par ailleurs invité fré- M. Evkourov, chargé par Vladi- d’une nouvelle sphère d’in- d’hommes, selon des sources sé-
quent de l’émission « 60 minutes » mir Poutine de reprendre en fluence qui reconfigure la géopo-
La reprise en curitaires et diplomatiques. Des
sur la chaîne publique Rossiya 1, main Wagner en liaison avec les litique africaine. main de Wagner témoins sollicités par Le Monde
annonçant qu’un Africa Corps est renseignements militaires (GRU), Si la Cyrénaïque d’Haftar et le confirment avoir vu ces derniers
« en cours de formation ». avait effectué deux visites à Mali étaient des partenaires bien
peut être mois des individus « blancs » en te-
Benghazi, la première du 22 au établis de Wagner depuis plu- entravée nue militaire dans la capitale. Ces
Nouvelle sphère d’influence 24 août – concomitamment au sieurs années, la percée du derniers seraient arrivés par plu-
L’apparition de cette nouvelle crash aérien fatal à Prigojine – et le Kremlin au Burkina Faso et au
par l’antériorité sieurs vagues, essentiellement de-
structure, précise M. Korotchenko, 17 septembre. Il y est retourné une Niger, deux Etats sahéliens ayant de sa présence puis le putsch de septembre 2022,
fait suite à la visite du vice-minis- troisième fois le 2 décembre dans connu des coups d’Etat en 2022 dans l’objectif initial de former les
tre russe de la défense Iounous- le cadre d’une tournée africaine, et 2023, comme le Mali avant eux,
sur un théâtre forces armées locales à l’utilisa-
bek Evkourov à Benghazi (Libye), qui l’a conduit également au Mali, est plus récente. La formation de d’opérations tion de leurs moyens aériens.
où il a rencontré le maréchal Kha- au Burkina Faso et au Niger. ce nouveau pôle russophile en Quant au Niger, Moscou s’y
lifa Haftar, l’« homme fort » de la L’itinéraire de M. Evkourov souli- Afrique est lourde de consé- glisse inexorablement, bien qu’à
Cyrénaïque (province orientale). gne sans ambiguïté les contours quences stratégiques, dans un de l’armée malienne et de Wagner ce stade sans grands éclats. L’in-
contexte où Moscou reprend avait été célébrée à Bamako, contournable vice-ministre de la
confiance sur le théâtre ukrai- comme la concrétisation de la res- défense russe Evkourov a effectué
nien et où le fossé entre l’Occi- tauration de la souveraineté natio- le 4 décembre une visite à Niamey,
dent et le « Sud global » s’accroît à nale tant promise par la junte. où il a rencontré le général Salifou
la faveur de la guerre à Gaza. « Wagner a éliminé les groupes ra- Mody, ministre de la défense nigé-
L’objectif d’Africa Corps est du dicaux de Kidal », s’était félicité rien, considéré comme le numéro
reste affiché en toute clarté. Africa Corps sur Telegram. deux de la junte arrivée au pou-

NUMÉRODOUBLE
« [Il] devra mener des opérations
militaires à grande échelle sur le
continent [africain] pour soutenir
les pays cherchant à se débarrasser
enfin de la dépendance néocolo-
niale, à nettoyer la présence occi-
dentale et à acquérir la pleine sou-
veraineté », écrit Igor Korotchenko
dans le post de Deux Majors. Deux
jours après la diffusion de ce mes-
Allemagne 7,20 €, Andorre 6,90 €,
Espagne 6,90 €, Grande-Bretagne
Le cas du Mali, où le groupe
paramilitaire est installé depuis
fin 2021 – avec des effectifs actuels
oscillant entre 1 500 et 2 500 hom-
mes selon les sources –, montre
bien que la reprise en main de
Wagner peut être entravée par
l’antériorité de sa présence sur un
théâtre d’opérations. Et par son
implication dans des combats en
voir en juillet. Un protocole d’ac-
cord sur le renforcement de la
coopération militaire bilatérale a
été signé, comme cela avait été
fait avec les juntes de Bamako et
de Ouagadougou.
Bloc régional sahélien
Si le contenu de ce document n’a
pas été officiellement dévoilé, des

Pays-Bas 6,90 €, Portugal cont.

6 £, Grèce 6,90 €, Italie 6,90 €,

Suisse 8,90 CHF, TOM 1150 XPF,

Canada 12 $CAN, DOM 7,30 €,

Tunisie 13 DT Afrique autres

Japon 1700 ¥, Maroc 55 DH,
6,90 €, Sénégal 3400 FCFA,

Cahier 1 du no 1728-1729-1730
du 14 décembre 2023
sage, soit le 22 novembre, une cours. « Les autorités maliennes sources concordantes affirment
4600 FCFA

au 3 janvier 2024
Ne peut être vendu séparément
courrierinternational.com
France : 5,90 € chaîne Telegram spécifiquement font confiance aux individus qui qu’il contient des « projets de vente
dénommée Africa Corps apparais- sont chargés des missions existan- d’équipement militaire et d’ar-
sait pour la première fois. La tes, observe la source américaine. mes ». Il est toutefois prématuré
nouvelle organisation se présente Elles sont en pleine offensive et ne d’en conclure que le Niger aurait
Partout dans le monde, citoyens
et architectes inventent des comme « une partie d’une struc- peuvent pas se permettre de chan- totalement basculé dans l’orbite
modes de vie plus collectifs et
plus durables. Récits dans ture spéciale du ministère de la dé- ger le dispositif. » Avant la prise de russe, les Américains maintenant
la presse étrangère.
fense », une précision visant vrai- Kidal, les hommes de Wagner une présence militaire dans le

HABITER semblablement à marquer la diffé-

rence avec Wagner, dont l’autono-
s’étaient installés dans les ancien-
nes bases du dispositif militaire
pays et conservant un dialogue
avec les nouvelles autorités.

LEMONDE misation progressive avait

conduit à la crise des 23 et 24 juin.
AUTREMENT Appels publics à recrutement
« Africa Corps est un rival de Wa-
gner qui a vocation à absorber ses
activités en Afrique et son person-
nel », relève une source gouverne-
français « Barkhane » – démantelé
en août 2022 –, notamment celles
de Gao, de Tombouctou, de
Ménaka et de Gossi.
A contrario, le Burkina Faso, où la
percée russe est la plus récente et
se manifeste surtout depuis le
coup d’Etat de septembre 2022, of-
L’émergence de ce bloc régional
sahélien, qui construit au fil des
mois sa cohérence politique et mi-
litaire à rebours de ses anciennes
attaches occidentales – surtout
françaises – facilite à l’évidence la
démarche de Moscou. L’Alliance
des Etats du Sahel (AES) avait été

CHEZ VOTRE
mentale américaine. L’opération fre un terrain vierge où le Kremlin créée en septembre par les trois
Avec Courrier
ados, votre numéro
de Courrier internationa
l
va prendre, à l’évidence, du temps. peut déployer plus aisément son juntes face aux menaces d’inter-
GAZA — DES DESTRUCTIONS

MARCHAND
AVEC CE Le fait qu’Africa Corps en soit ré- nouveau dispositif. Le chef des vention des autres Etats d’Afrique
Cahier
du 14 décembre 2 du n 1728-1729-1730
o
2023 au 3 janvier
Ne peut être vendu 2024
séparément
courrierinternational.com

AFRIQUE LE BÉRET
DE LA RÉBELLION
DANS LE SECRE
T DE
SANS PRÉCÉDENT CHINE — MA CHAMBR E

LA FIN DU CONTRAT SOCIAL?

PRIX OREO, ÇA
PASSE PAS CRÈME
Avec les réseaux
sociaux,
n’est plus un espace cette pièce
Mais les parents de solitude.
pas le droit d’y n’ont toujours
mettre le nez.
NUMÉRO duit à lancer sur Telegram des ap- putschistes, le capitaine Traoré, de l’Ouest pour déloger les put-
2023 : l’année ANTHROPOLOGIE — UNE AUTRE COURRIER

DE JOURNAUX
VOYAGE LIBRES

pels publics à recrutement – avec avait été l’invité d’honneur du schistes de Niamey.
COMME L’AIR

en cartoons
À TOKYO
YO

HISTOIRE DES CIVILISATIONS ADOS

mentions de salaires et primes –
donne la mesure de sa difficulté à
recycler en son sein des combat-
tants de Wagner. « La tentative du
ministère russe de la défense de re-
sommet Russie-Afrique tenu fin
juillet à Saint-Pétersbourg. Le lever
de rideau d’une coopération russe
à l’offensive au Burkina Faso. A la
mi-octobre, Rosatom – l’agence
« Lorsque l’AES sera opération-
nelle, elle sera le cadre institution-
nel et légal rêvé pour Moscou afin
de déployer des mercenaires ou
des instructeurs dans le contexte

AVEC
cruter des anciens personnels de russe de l’énergie atomique – an- d’éventuelles opérations conjoin-
Avec Courrier ados, votre numéro de Courrier international
Wagner pour ses opérations en nonçait la construction d’une cen- tes effectuées par les forces ar-
Cahier 2 du no 1728-1729-1730
du 14 décembre 2023 au 3 janvier 2024
Afrique a été largement infruc- trale nucléaire civile dans le pays. mées maliennes, burkinabées et
Ne peut être vendu séparément

tueuse », notait le cercle de ré- nigériennes », décrypte une

COURRIER
courrierinternational.com
Du 10 au 15 novembre, une
flexion américain Institute for the « équipe médicale militaire » russe source diplomatique occidentale
AFRIQUE LE BÉRET
DE LA RÉBELLION
DANS LE SECRET DE Study of War en commentant le a débarqué à Bobo-Dioulasso, au Sahel. Pièce par pièce, un nou-
MA CHAMBRE texte d’Igor Korotchenko diffusé dans l’ouest du pays, pour visiter veau puzzle – mêlant le sécuri-

ADOS
Avec les réseaux sociaux, cette pièce
n’est plus un espace de solitude. sur Telegram. « le laboratoire national de réfé- taire, l’économique, le médical et
Mais les parents n’ont toujours
PRIX OREO, ÇA
PASSE PAS CRÈME
pas le droit d’y mettre le nez. En attendant de prendre racine, rence des fièvres hémorragiques le culturel – se met en place. « La
Africa Corps semble ménager virales », selon le collectif interna- Russie semble rentrer dans une
Wagner dans sa communication. tional d’enquête All Eyes on Wa- deuxième phase d’influence sur le
Dans son premier message du gner dans une note publiée le 4 dé- continent africain après la mort
VOYAGE LIBRES 22 novembre, sa chaîne Telegram cembre. Et fin novembre, la chaîne de Prigojine », résume la note d’All
COMME L’AIR
OKYO
À TOKYO évoquait le drapeau de Wagner Telegram d’Africa Corps indiquait Eyes on Wagner. p
flottant – certes quelques heures qu’un centre culturel russe ouvri- frédéric bobin
24 pages à destination seulement – sur le fort de Kidal rait prochainement dans le pays. et morgane le cam
des plus jeunes dans la foulée de la prise, mi-no- Sur le plan militaire, un avion de
vembre, de cette cité du nord du l’armée de l’air russe a atterri le
Mali, fief de toutes les rébellions 10 novembre à Ouagadougou, et a
touareg. Cette victoire conjointe fait débarquer plusieurs dizaines Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
Israël : le jeu d’équilibre de Gadi Eisenkot
Père de la doctrine de la riposte « disproportionnée », le ministre est aussi partisan d’une solution politique
jérusalem - correspondant
L
e général Gadi Eisen-
kot a interrompu son
deuil, mercredi 13 dé-
cembre. Il a quitté
pour quelques heures
la shiva, la semaine du-
rant laquelle il pleurait son fils Gal,
tué à Gaza le 7 décembre. L’ancien
chef d’état-major des forces israé-
liennes a rejoint une réunion du
cabinet de guerre, ce cénacle de
cinq ministres qui dirige les opéra-
tions en cours dans l’enclave.
« Il fait partie d’un petit groupe
qui prend des décisions cruciales
dans la guerre, mais il était aussi le
père d’un soldat qui recevait leurs
ordres », relève un ami du général,
l’ancien ministre des sciences et
entrepreneur Izhar Shai. Dix jours
plus tôt, M. Eisenkot avait présenté
ses condoléances à ce compagnon
de route qui a lui aussi perdu un
fils, Yaron, militaire tué le 7 octobre
au kibboutz Kerem Shalom, du-
rant l’attaque du Hamas.
Mardi, l’armée avait passé le cap
des cent morts dans Gaza, qui
s’ajoutent aux 1 200 victimes d’oc-
tobre. Les intenses bombarde-
ments ont tué dans le même
temps au moins 18 000 Palesti-
niens, dont 70 % de femmes et
d’enfants selon le ministère de la
santé de l’enclave administrée par
le Hamas, et 7 000 militants selon
l’armée israélienne.
L’adjudant de réserve Gal Eisen-
kot avait été mobilisé à 25 ans dans
le bataillon 669, une unité de sau-
vetage. Il a été tué par l’explosion
d’une bombe à l’entrée d’un tun-
nel du Hamas à Jabaliya, un fau-
bourg de la ville de Gaza que l’ar-
mée conquiert depuis décembre.
Par un malheureux hasard, son
père, âgé de 63 ans, visitait ce
jour-là le quartier général de cam-
pagne de sa division.
« UNE AFFAIRE PERSONNELLE »
Au gouvernement, Gadi Eisenkot
avait entériné, le 22 novembre, une
trêve négociée avec le Hamas afin
de permettre la libération de plus
de cent otages israéliens. Cela avait
un prix : la milice islamiste a pu
réorganiser ses forces durant sept
jours, notamment à Jabaliya. Ta-
mir Hayman, un ancien chef du
renseignement militaire, a rap-
porté une confidence du général
Eisenkot, qui lui avait annoncé au
début du conflit son intention de
Le char Merkava, pivot des opérations urbaines de l’armée israélienne
L’utilisation de blindés lourds dans des zones densément peuplées est pourtant réputée risquée pour ce type d’engin
D epuis l’entrée des pre-
miers soldats israéliens
dans la bande de Gaza, les
26 et 27 octobre, le Merkava s’est
une nouvelle fois imposé comme
le fer de lance de l’opération terres-
tre décidée par l’Etat hébreu pour
détruire la structure militaire du
Hamas. « Il y a en Israël un culte
autour du char de combat, qui est
utilisé aussi bien pour mener des
opérations militaires que pour faire
du maintien de l’ordre. C’est l’outil
autour duquel les Israéliens organi-
sent leurs unités tactiques », expli-
que Marc Chassillan, ancien ingé-
nieur de l’armement et spécialiste
des matériels militaires terrestres.
Utiliser un char d’assaut pour
opérer en milieu urbain n’a pour-
tant rien d’une évidence. Toutes
les armées le savent, un blindé
lourd est vulnérable lorsqu’il évo-
lue dans des rues étroites ou au
milieu d’immeubles. « Plus l’habi-
tat est dense, plus c’est risqué pour
Le général Eisenkot rend hommage à son fils Gal, soldat tué à Gaza, au cimetière de Herzliya, en Israël, le 8 décembre. LEO CORREA/AP
« conduire la guerre comme si son
fils était sur la ligne de front et
comme si sa fille était otage ».
Pour obtenir cette trêve, M. Ei-
senkot avait ferraillé durant des
jours contre le premier ministre,
Benyamin Nétanyahou, indécis
comme toujours et soumis à la
pression de ses alliés d’extrême
droite, qui exigeaient que le Ha-
mas libère tous ses otages. « Sans
Eisenkot et Benny Gantz [son pré-
décesseur à l’état-major et parte-
naire au cabinet], nous aurions raté
cette opportunité. Gadi en faisait
une affaire personnelle et il en était
satisfait », veut croire Izhar Shai.
« Gantz et Eisenkot pensent en-
core aujourd’hui que la priorité est
de résoudre le problème des ota-
ges, de les ramener en Israël,
même s’il faut pour cela réduire les
activités militaires », abonde un
autre proche, l’ex-officier du Mos-
sad Aharon Scherf, qui fut un
temps posté à Paris.
M. Eisenkot est entré au gouver-
nement le 11 octobre, par sens du
lui », confirme un officier français.
A la différence des zones ouvertes,
où les chars peuvent voir la me-
nace arriver de loin grâce à leurs
optiques et à leurs caméras ther-
miques, les zones urbaines sont
propices aux embuscades menées
par des adversaires situés à proxi-
mité : du fait de sa masse et de l’ab-
sence d’ouvertures, le char est
quasi aveugle à cinq ou dix mètres.
Depuis leur entrée dans la bande
de Gaza, les Israéliens auraient
ainsi perdu entre vingt et trente
Merkava lors d’affrontements
avec des membres du Hamas.
L’armée israélienne n’a pourtant
jamais remis en question l’utilisa-
tion de ces monstres d’acier de
70 tonnes – parmi les plus lourds
des chars modernes – dans les
combats urbains. Au contraire,
elle en a fait le pion essentiel de ses
unités tactiques. « Les Israéliens
utilisent le char comme un mur
d’acier derrière lequel se protègent
devoir et miné par la culpabilité,
comme tous les hauts officiers
ayant contribué à « contenir » le
Hamas à Gaza depuis 2007 tout en
tolérant sa montée en puissance
militaire. Avec son allié Benny
Gantz, il a cependant imposé que
les décisions stratégiques soient
prises au sein d’un cabinet étroit,
au sein duquel les ministres de la
droite ultranationaliste n’ont
aucune place. « Ils mènent une
guerre pour sauvegarder l’Etat is-
raélien. Tous deux n’ont pas con-
L’ADMINISTRATION
AMÉRICAINE A TROUVÉ EN
LUI UN INTERLOCUTEUR
PRIVILÉGIÉ, L’UN
DES RARES À ENVISAGER
L’APRÈS-GUERRE EN
TERMES POLITIQUES
leurs fantassins pour progresser »,
résume M. Chassillan. Sur les ima-
ges des premières incursions de
Tsahal dans la bande de Gaza, les
Merkava étaient ainsi précédés de
Puma, des blindés de déminage
destinés à leur ouvrir la voie, et
suivis par des Namer, des blindés
de transports de troupes lourde-
ment protégés eux aussi. Un
« pion tactique » à l’efficacité large-
ment éprouvée par Israël depuis le
déclenchement de la première In-
tifada, à la fin des années 1980.
Menaces des missiles antichars
Consciente des risques induits par
un engagement en zone urbaine,
l’armée israélienne a renforcé ces
dernières années l’arsenal proté-
geant ses Merkava. Le dernier
modèle, le Mark 4, largement en-
gagé dans l’opération de riposte
aux attaques du 7 octobre, bapti-
sée « Sabre de fer », a ainsi été doté
d’un système de protection active
fiance en Nétanyahou. Ils considè-
rent qu’il est un danger pour l’Etat
et qu’il est de leur devoir de l’entou-
rer », estime M. Scherf.
En public, M. Eisenkot s’efface
derrière son aîné, épaulant
M. Gantz, qui s’impose comme
une figure unificatrice et rassu-
rante, en tête de tous les sondages.
Il a rejoint fin 2022 son Parti de
l’unité nationale, trois ans après sa
retraite. Dès lors, ce fils d’immigrés
marocains a occupé une place de
Cassandre au Parlement. Il a mis
ses confrères en garde dès l’hiver
2023 contre la fragilité de l’Etat,
alors que M. Nétanyahou et ses al-
liés fondamentalistes religieux
tentaient d’imposer une refonte
des institutions en muselant la
justice. La rue se soulevait comme
jamais dans l’histoire d’Israël et
M. Eisenkot dénonçait une fai-
blesse, que les ennemis du pays se-
raient tentés d’exploiter. Le Hamas
lui a donné raison le 7 octobre.
Dans l’armée, il a laissé le souve-
nir d’un chef terre à terre, sans
« Trophy », destiné à intercepter
les missiles antichars. Un arme-
ment dont ne disposent pas les
chars français Leclerc, par exem-
ple. De même, le blindage de tou-
relle, traditionnel maillon faible
des chars, a été renforcé et serait
capable de résister à un tir de ro-
quette. Des cages en acier, similai-
res à celles observées en Ukraine,
sont également apparues sur les
tourelles des Merkava, pour se
prémunir des attaques de drones.
Plus sophistiquée encore, la der-
nière évolution des Mark 4, appe-
lée Barak et entrée en service en
mai 2023, comprend un réseau de
caméras disposées tout autour du
char, dont les images sont retrans-
mises dans un casque de réalité
virtuelle équipant le chef de char.
Un moyen de contrôler l’envi-
ronnement direct du blindé et
d’anticiper d’éventuelles attaques.
Aucune indication n’a été donnée
sur l’engagement de modèles Ba-
international | 5
goût pour la gloriole, plus agressif
que Benny Gantz et rompu au jeu
politique. Il a fait l’essentiel de sa
carrière dans la brigade Golani, à
l’époque où celle-ci avait la réputa-
tion d’un corps rugueux, loin des
cols blancs de l’aviation et du ren-
seignement. Le New York Times a le
premier affirmé qu’il avait fait
rempart dans les premiers jours de
la guerre au ministre de la défense,
Yoav Gallant, qui militait pour
qu’Israël porte le conflit contre le
Hezbollah libanais, allié du Ha-
mas, au mépris des conseils de
prudence de Washington. Mais
M. Eisenkot n’est pas une co-
lombe : il assume la paternité de la
doctrine Dahiya, du nom d’un
quartier du sud de Beyrouth ra-
vagé par l’aviation israélienne du-
rant la guerre de 2006 contre le
Hezbollah libanais.
Cette doctrine postule que des
zones civiles où le mouvement
chiite est puissant doivent subir
une riposte disproportionnée en
cas de tirs de roquettes contre
rak dans l’opération à Gaza. Autre
détail intéressant : les Merkava
sont équipés d’une porte arrière
blindée permettant d’accéder di-
rectement à l’intérieur du char,
alors qu’il faut passer par le toit sur
les modèles concurrents. « En cas
d’avarie, cela permet d’évacuer
l’équipage très vite et de façon plus
sécurisée », apprécie M. Chassillan.
Pour faire pièce aux Merkava, les
miliciens du Hamas disposent
d’un arsenal relativement varié,
constitué principalement de ma-
tériels d’origine soviétique,
comme les lance-grenades porta-
tifs RPG-7 et RPG-29. Des images
diffusées sur les réseaux sociaux
ont également montré des drones
larguant des grenades antichars
RKG-3 directement sur le moteur
des Merkava, situé à l’avant du
blindé, pour immobiliser le véhi-
cule à défaut de percer son très
lourd blindage. Mais la menace la
plus dangereuse est celle consti-
▶▶▶
Israël. L’armée l’applique comme
jamais à Gaza, en rasant, depuis le
7 octobre, une agglomération de
plus d’un million d’habitants. De
2014 à 2019, M. Eisenkot a aussi été
l’architecte de la « campagne entre
les guerres », ces frappes menées
contre des intérêts iraniens en Sy-
rie et au Proche-Orient, censée re-
pousser la perspective d’une
guerre ouverte.
VIGIE DU GOUVERNEMENT
L’administration américaine a
trouvé en lui un interlocuteur pri-
vilégié, l’un des rares prêts à envi-
sager l’après-guerre en termes po-
litiques, alors que M. Nétanyahou
exclut tout retour du Fatah et de
l’Autorité palestinienne à Gaza,
dessinant une gestion unilatérale
sans fin des territoires palesti-
niens par Israël. « Il fait partie des
quelques braves qui sont encore
prêts à considérer une solution po-
litique au conflit, veut croire son
ami Izhar Shai. Il comprend la né-
cessité d’impliquer une force inter-
nationale à Gaza et d’engager une
discussion au-delà du militaire, qui
ait le soutien du Proche-Orient et
des Etats-Unis. » Le général se
garde pourtant d’évoquer une so-
lution à deux Etats, que Washing-
ton souhaite raviver.
Combien de temps pourra-t-il
tenir cet équilibre ? M. Eisenkot a
promis de quitter le gouverne-
ment à la fin de la guerre, mais les
objectifs ambitieux de cette cam-
pagne – la destruction du Hamas
et la libération de tous les otages –
autorisent le premier ministre à
promettre une opération étalée
sur des années. La menace du
Hezbollah libanais prolonge en-
core l’incertitude : des dizaines de
milliers d’Israéliens ont quitté
leur domicile à la frontière nord,
craignant des bombardements
quotidiens et une répétition du
raid mené par le Hamas au pour-
tour de Gaza.
« Eisenkot pourrait considérer
son travail achevé lorsque ces gens
auront assez confiance pour ren-
trer chez eux. Il sera difficile de dé-
clarer la guerre finie avant cela »,
estime M. Shai. Le départ d’Eisen-
kot pourrait donner le signal de lé-
gislatives, à moins qu’il ne choi-
sisse de demeurer une vigie au
sein du gouvernement jusqu’à la
chute annoncée, et sans cesse re-
poussée, de M. Nétanyahou. p
louis imbert
tuée par les copies iraniennes des
missiles antichars russes Kornet,
un très puissant projectile portatif.
Une arme « capable de percer un
mètre de blindage », assure
M. Chassillan. Le Hezbollah en
aurait notamment utilisé avec
succès contre des Merkava lors du
conflit israélo-libanais de 2006.
Selon les spécialistes, les forces
de défenses israéliennes dispose-
raient aujourd’hui de quelque
1 300 Merkava Mark 3 et Mark 4 en
dotation, auxquels il faut ajouter
un millier de vieux Merkava
Mark 1 et Mark 2 gardés en stock.
Un arsenal blindé parmi les plus
importants au monde : à titre de
comparaison, l’armée française
dispose de 220 chars Leclerc. De
conception entièrement israé-
lienne – seuls son moteur et sa
boîte de vitesses sont d’origine al-
lemande –, le Merkava n’a jamais
été cédé à un pays étranger. p
cédric pietralunga
6 | international
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
La mer Rouge
sous la pression
des houthistes
Les rebelles yéménites soutenus par
l’Iran multiplient les attaques contre
des navires civils et militaires
I
l n’est désormais plus un
jour, en mer Rouge, sans
que ne soit rapportée une
attaque contre un navire
occidental par les houthis-
tes, ces rebelles qui contrô-
lent une grande partie du Yémen
et font partie de l’« axe de la résis-
tance » soutenu par l’Iran contre
Israël. Depuis le 7 octobre et l’atta-
que meurtrière du Hamas en
territoire israélien, ils font mon-
ter la pression dans cette région
stratégique pour le commerce
mondial. Au point de sérieuse-
ment perturber le trafic maritime
et de forcer nombre d’armateurs
et de marines occidentales à réflé-
chir à des alternatives.
Le dernier incident concerne le
groupe de transport maritime
A.P. Moller-Maersk. Jeudi 14 dé-
cembre, l’un de ses porte-conte-
neurs, le Maersk Gibraltar, a été la
cible d’un missile alors qu’il se
rendait de Salalah, à Oman, à
Djedda, en Arabie saoudite.
L’équipage est sain et sauf et le
navire intact, a assuré l’entreprise,
dont six bâtiments ont été atta-
qués depuis novembre.
Il y a quelques jours, c’est une
frégate française qui a été prise
pour cible. Alors que la marine
nationale déploie en perma-
nence deux bâtiments entre la
mer Rouge et le golfe Persique
pour des missions de sécuri-
sation, l’un d’eux, la frégate mul-
timissions Languedoc, a dû abat-
tre des drones menaçants à deux
reprises entre le 9 et le 12 décem-
bre. Certains la visaient directe-
ment, d’autres ciblaient un pé-
trolier norvégien, le Strinda,
auquel elle a porté secours.
Alors qu’ils avaient déjà ren-
forcé de façon importante leur
présence navale dans la zone
au début du conflit entre Israël et
le Hamas, les Etats-Unis cher-
chent des partenaires pour limi-
Quatre membres présumés du Hamas arrêtés à Berlin et Rotterdam
Selon les autorités allemandes et néerlandaises, ces hommes planifiaient des attentats contre des institutions juives européennes
berlin et bruxelles -
correspondants
Q uatre membres présu-
més du Hamas, soup-
çonnés d’avoir planifié
des attentats contre des
institutions juives en Europe, ont
été arrêtés à Rotterdam (Pays-Bas)
et à Berlin, a annoncé le parquet
fédéral allemand, jeudi 14 décem-
bre, dans un communiqué.
Parmi les trois hommes arrêtés
à Berlin, deux sont nés au Liban,
Abdelhamid Al A. et Ibrahim
El-R. ; le troisième, Mohamed B.,
est de nationalité égyptienne.
Arrêté à Rotterdam dans le cadre
d’un mandat d’arrêt européen,
Nazih R., 57 ans, est quant à lui de
nationalité néerlandaise. Selon le
parquet allemand, tous quatre
sont « membres du Hamas depuis
plusieurs années » et étaient en
contact avec Khalil Hamid Kha-
raz, l’un des dirigeants des Briga-
des Ezzedine Al-Qassam, le bras
armé du mouvement islamiste
palestinien, tué fin novembre
ter les risques de dérapage. Le
4 décembre, le conseiller améri-
cain à la sécurité nationale, Jake
Sullivan, a indiqué que des dis-
cussions étaient en cours pour
constituer une nouvelle force
opérationnelle.
Cet appel n’a toutefois pas en-
core eu de traduction concrète.
Les Etats-Unis commandent déjà
plusieurs « task forces » destinées
à la lutte contre la piraterie, la pê-
che illégale ou le terrorisme dans
la région. Plus d’une trentaine de
pays y participent. « Cela va être
difficile de trouver des pays qui ont
les capacités pour renforcer en-
core ces task forces. Les Golfiens
ont des marines d’envergure limi-
tée, même chose pour les Euro-
péens », relève Jean-Loup Samaan,
chercheur associé à l’Institut du
Moyen-Orient de l’université na-
tionale de Singapour.
Des navires détournés
L’Australie fait partie des pays
approchés par Washington. Mais
le gouvernement australien ne
s’est pas précipité pour l’instant,
de crainte de contribuer à une
forme d’escalade. Même tonalité
à Paris. Le cabinet du ministre
des armées, Sébastien Lecornu,
explique ne pas avoir reçu de de-
mande expresse de la part de
Washington, même si des ré-
flexions sont sur la table.
Si les Etats-Unis formalisent
leur proposition, ils devront faire
face à des « problèmes extraordi-
naires », a menacé, jeudi, le
ministre iranien de la défense,
Mohammad Reza Ashtiani,
même si Téhéran, parrain des
houthistes, rejette officiellement
toute implication dans les
attaques de navires.
La multiplication des assauts
houthistes en mer Rouge affecte
d’ores et déjà fortement le com-
merce maritime d’Israël, dont les
dans le sud du Liban par un drone
israélien.
D’après les enquêteurs, Abdel-
hamid Al A. a été chargé par le Ha-
mas, au plus tard au printemps,
de localiser un dépôt d’armes
souterrain que l’organisation
avait cachées en Europe. Les ar-
mes devaient ensuite être transfé-
rées à Berlin et mises à disposi-
tion pour d’éventuels attentats
contre des institutions juives en
Europe. En octobre, Abdelhamid
Al A., Mohamed B. et Nazih R. se
seraient retrouvés à plusieurs re-
prises dans la capitale allemande
pour rassembler cet arsenal. Ils
ont pu compter pour cela sur
l’appui d’Ibrahim El-R.
Surveillance policière accrue
Aux Pays-Bas, le coordinateur de
la lutte contre le terrorisme avait
évoqué cette semaine un « risque
réel » de voir se dérouler un atten-
tat dans le pays. Mercredi, le ni-
veau d’alerte y a été porté de 3 à 4
sur une échelle de 5, passant ainsi
à « substantiel ». Plusieurs villes
Un hélicoptère militaire houthiste survole le cargo « Galaxy Leader » dans la mer Rouge, le 20 novembre. HOUTHI MILITARY MEDIA/VIA REUTERS
LE 9 DÉCEMBRE,
LA MILICE A PRÉVENU
QUE LES BÂTIMENTS
À DESTINATION D’ISRAËL
« DEVIENDR[AIE]NT UNE
CIBLE LÉGITIME POUR
[SES] FORCES ARMÉES »
bâtiments sont les premières
cibles revendiquées des rebelles.
Le 9 décembre, le groupe avait
déclaré dans un communiqué
qu’il « empêcherait le passage des
navires à destination de l’entité
sioniste » si la nourriture et les
médicaments ne pouvaient pas
entrer dans la bande de
Gaza. Quels que soient le pa-
villon des navires ou la natio-
nalité de leurs propriétaires, les
bâtiments à destination d’Israël
« deviendront une cible légitime
pour nos forces armées », préci-
sait la milice yéménite.
Certaines compagnies mariti-
mes ont donc décidé de détour-
ner leurs navires et préfèrent dé-
sormais contourner l’Afrique
pour rallier la Méditerranée,
ajoutant quelque 13 000 kilomè-
ont fortement accru la sur-
veillance policière, autour des
marchés de Noël notamment.
En Allemagne, Thomas Hal-
denwang, le président de l’Office
fédéral de protection de la Consti-
tution, le service du renseigne-
ment intérieur, avait également
alerté contre le risque d’attentats
islamistes. « Cela fait longtemps
que la menace n’a pas été aussi
importante », avait-il déclaré le
29 novembre.
Ce jour-là, il n’avait toutefois pas
cité le Hamas comme danger
principal, mais Al-Qaida et l’orga-
nisation Etat islamique. Il s’était
également inquiété de voir des
individus « se radicaliser » et per-
pétrer des attaques au couteau ou
au moyen de véhicules béliers
dans l’espace public ou contre des
cibles juives.
« Ces arrestations montrent que
nos services de sécurité sont parti-
culièrement vigilants », s’est quant
à elle félicitée la ministre de l’inté-
rieur allemande, Nancy Faeser,
assurant que la « protection des
tres à leur itinéraire et de dix à
quatorze jours de navigation. Près
d’une vingtaine de navires israé-
liens empruntent ainsi actuelle-
ment cette longue route, dont des
bâtiments de ZIM, le plus gros
armateur israélien. L’allemand
Hapag-Lloyd et le chinois Cosco
ont aussi dérouté des navires.
Mais pas le français CMA CGM,
numéro trois mondial des porte-
conteneurs, qui n’a pas renoncé
au passage par la mer Rouge et le
canal de Suez, même sans soutien
de navires militaires.
Envolée des coûts
Alors que la circulation des navi-
res civils internationaux fait l’ob-
jet d’ordinaire d’une relative
transparence, via des sites agré-
geant les données des transpon-
deurs AIS dont doivent être
équipés tous les bateaux pour
donner leur position en temps
réel, le conseil de sécurité natio-
nale israélien a donné instruction
aux gestionnaires de ses ports de
supprimer de leurs sites les infor-
mations relatives à l’arrivée et au
départ des navires. Ce conseil a
également été donné pour le pas-
sage du détroit de Bab-El-Mandeb
par le United Kingdom Maritime
Trade Operations, un service de la
marine britannique qui fait le lien
juifs » était pour son gouverne-
ment une « absolue priorité ».
Jeudi, un autre coup de filet
antiterroriste a été rendu public,
celui-là par la police danoise, qui a
annoncé l’arrestation de quatre
individus, trois au Danemark et
une aux Pays-Bas. Selon Copen-
hague, il n’y aurait cependant
« pas de lien direct » entre ces
quatre personnes et celles qui
sont citées dans le communiqué
du parquet allemand.
« Réseaux en Europe »
A propos de ces quatre individus,
le Danemark n’a pas non plus
évoqué de lien avec le Hamas, ce
qu’Israël n’a pourtant pas hésité
à affirmer après l’annonce de leur
arrestation. Selon le directeur des
opérations des services de ren-
seignement danois, Flemming
Drejer, ces personnes, qui pour-
raient avoir des « liens avec
l’étranger », seraient plutôt liées
au mouvement Loyal to Familia,
une organisation criminelle dis-
soute en 2021 par la justice da-
entre les forces militaires dé-
ployées dans la région et les navi-
res de commerce.
Cette montée des tensions pro-
voque aussi une envolée des
coûts. Les prix du fret sur les li-
gnes entre l’Asie et la Méditer-
ranée ont augmenté de 9 % en
novembre et les coûts entre les
ports chinois et Israël de 16 % à
36 %, selon le média israélien
Globes. L’Egypte, propriétaire et
gestionnaire du canal de Suez
(8,6 milliards d’euros de recettes
en 2022), a elle aussi décidé
d’augmenter ses droits de pas-
sage, en plus de la hausse qu’elle
applique chaque année. « On
constate un renchérissement »,
note un armateur.
Les attaques des houthistes,
principalement au moyen de
drones bon marché (entre
10 000 et 50 000 euros pièce)
mettent aussi au défi la soutena-
bilité des moyens engagés par les
marines militaires pour les con-
trer. Ces dernières semaines, l’US
Navy et la marine française ont
dû tirer des missiles d’une valeur
de plusieurs millions d’euros
pour protéger leurs bâtiments ou
des navires commerciaux.
« Quand on “tue” un Shahed [un
drone iranien low cost] avec un
Aster [le missile français notam-
noise mais apparemment tou-
jours active.
Directeur du Centre internatio-
nal de lutte contre le terrorisme à
La Haye, Thomas Renard con-
firme que plusieurs services de
renseignement sont en alerte
face au risque de répercussions,
en Europe, du conflit entre Israël
et le Hamas, à la suite de l’attaque
perpétrée par ce dernier le 7 octo-
bre. « Ils craignaient surtout un
phénomène de “ricochet” d’ac-
tions inspirées par cette guerre. On
notait en effet que des groupes
djihadistes, non alliés au Hamas,
utilisaient le conflit et ses images
LES ARRESTATIONS
POURRAIENT CONSTITUER
UN TOURNANT, CAR
LE HAMAS N’A JAMAIS
COMMIS D’ATTAQUE
SUR LE SOL EUROPÉEN
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
ment utilisé en mer Rouge], en
réalité c’est le Shahed qui a tué
l’Aster », a ainsi estimé le chef
d’état-major des armées françai-
ses, le général Thierry Burkhard,
lors d’un colloque le 7 décembre,
à l’Institut Montaigne, à Paris.
« Pour l’instant il n’y a pas eu de
situation où les capacités de dé-
fense antiaériennes militaires ont
été mises en échec. La situation
reste tenable. Il n’y a pas de pluie
de missiles. Mais les houthistes
ont les ressources pour faire pres-
sion sur la durée et cela pose un
vrai défi à la stratégie américaine
dans la région. L’administration
américaine est soucieuse de ne
pas se retrouver à relancer une
guerre avec le Yémen », résume
Jean-Loup Samaan, de l’univer-
sité nationale de Singapour.
« Cibler des navires civils, inten-
tionnellement ou imprudemment,
constitue un crime de guerre. Les
houthistes prétendent qu’ils atta-
quent des navires en soutien à
Gaza. Mais ils attaquent et met-
tent en danger des civils et des na-
vires qui n’ont aucun lien avec une
cible militaire israélienne con-
nue », a pour sa part dénoncé
l’ONG Human Rights Watch. p
jean-michel bezat,
élise vincent
et madjid zerrouky
pour nourrir leur propagande et
créer un contexte propice à la
radicalisation, au recrutement et,
potentiellement, à des actions
violentes. On aurait affaire à un
scénario différent si l’implication
directe du Hamas était confir-
mée », relève cet expert.
Si c’est bien le cas, les arresta-
tions annoncées jeudi par le par-
quet allemand constitueraient un
tournant. Le Hamas n’a en effet
jamais commis d’attaque sur le
sol européen, et le dernier atten-
tat revendiqué par un groupe pa-
lestinien sur le Vieux Continent
s’est déroulé à Chypre, en 1988.
Deux Britanniques recrutés par le
Hamas ont certes commis un at-
tentat en 2003, mais en Israël.
« On sait que le mouvement dis-
pose de réseaux en Europe, char-
gés de la collecte de fonds ou du re-
crutement, mais il n’y était pas ac-
tif. Si les choses ont changé, la vigi-
lance devra encore être accrue »,
juge Thomas Renard. p
jean-pierre stroobants
et thomas wieder
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Meloni et Sunak mettent en scène leur proximité
Le premier ministre britannique doit participer samedi à la fête de Fratelli d’Italia, le parti de son homologue
londres, rome - correspondants
L
a présidente du conseil
italien, Giorgia Meloni, et
le premier ministre bri-
tannique, Rishi Sunak,
s’entendent à merveille et ne
manquent pas une occasion de le
montrer. Samedi 16 décembre, à
Rome, leur idylle diplomatique
doit marquer une nouvelle étape.
Le premier ministre conservateur
doit y rencontrer son homologue
italienne avant de prendre la
parole à la fête annuelle de Fratelli
D’Italia, le parti politique de
Mme Meloni, dont l’entrepreneur
Elon Musk est l’autre invité de
marque.
Le rendez-vous romain des
deux chefs de gouvernement
vient conclure une année mar-
quée par le renforcement des re-
lations entre l’Italie et le Royau-
me-Uni, ponctuée de contacts
bilatéraux démonstratifs en
marge de sommets internatio-
naux et de chaleureuses mar-
ques de bonne entente.
En avril, Giorgia Meloni et Rishi
Sunak ont conclu à Londres un
protocole d’accord sur la coopé-
ration bilatérale présentée par la
présidente du conseil, parfaite-
ment anglophone, comme un
« nouveau départ » dans les rela-
tions entre les deux pays. Le texte
au spectre très large porte sur les
questions migratoires, le climat,
la coopération policière et judi-
ciaire, l’innovation ou encore la
sécurité internationale et le sec-
teur de la défense.
Sa signature est intervenue
alors que l’Italie était déjà deve-
nue, en février, le premier Etat de
l’Union européenne à conclure
depuis le Brexit un partenariat
sur les exportations et les inves-
tissements avec le Royaume-Uni.
Londres et Rome sont également
impliqués avec le Japon dans le
programme conjoint de dévelop-
pement, à horizon 2035, d’un
avion de combat supersonique de
nouvelle génération, encadré par
un traité signé jeudi à Tokyo.
Autre signe de rapprochement,
Mme Meloni était la seule diri-
geante d’un pays du G7 à s’être
rendue début novembre à
Bletchley Park, au nord-ouest de
Londres, pour le sommet sur les
risques associés à l’intelligence
artificielle, voulu par Rishi Sunak.
Le gouvernement japonais déstabilisé par un scandale financier
Quatre ministres ont démissionné, jeudi, après que le premier ministre a annoncé une enquête sur des affaires de fraudes au sein de son parti
tokyo - correspondance
C onfronté à un scandale à
l’ampleur croissante qui
affecte sa popularité déjà
dégradée, le premier ministre ja-
ponais, Fumio Kishida, remanie
son gouvernement et promet
d’« agir avec la célérité d’une boule
de feu et de [se] tenir en première
ligne pour restaurer la confiance
du peuple ».
Il a remplacé, jeudi 14 décembre,
quatre ministres impliqués dans
une affaire de caisse noire au sein
du Parti libéral-démocrate (PLD)
par des personnalités d’expé-
rience, voire qui lui sont proches.
Yoshimasa Hayashi, son ancien
chef de la diplomatie (2021-sep-
tembre 2023) et potentiel premier
ministre, a ainsi obtenu l’impor-
tant poste de secrétaire général
du gouvernement, à la place de
Hirokazu Matsuno.
M. Kishida va aussi purger la di-
rection du parti de cadres comme
Koichi Hagiuda, chargé des ques-
tions politiques, ou Hiroshige
Seko, chef des élus PLD au Sénat.
Le scandale, le pire depuis des
décennies pour le PLD, secoue le
Au cœur de la
nouvelle relation
entre Londres
et Rome se
trouve une
même approche
restrictive sur
l’immigration
Pour le dirigeant britannique, la
construction de rapports spé-
ciaux avec l’Italie correspond à
une stratégie de rapprochements
bilatéraux rendue nécessaire par
le Brexit. Cette logique est préfé-
rée à un rapprochement avec les
institutions européennes, qui
n’intéresse pas le dirigeant bri-
tannique, brexiter de la première
heure, malgré une normalisation
avec Bruxelles.
Partenariat stratégique
Au cœur de la nouvelle relation
entre le Royaume-Uni et l’Italie se
trouve, surtout, une même appro-
che restrictive sur les questions
migratoires, au sujet desquelles
leurs diplomaties préparent un fu-
tur partenariat stratégique, prévu
par le protocole d’accord d’avril.
Côté italien, Giorgia Meloni a pro-
mis à son électorat de mettre fin
aux arrivées de migrants sur la
route de la Méditerranée centrale,
qui ont enregistré une forte aug-
mentation en 2023. Arrivé au pou-
voir comme elle en octobre 2022,
le premier ministre britannique a
fait de même au sujet des traver-
sées de la Manche depuis les pla-
ges du Pas-de-Calais, qui ont aussi
atteint un niveau historique.
A défaut d’obtenir des résultats
concrets sur leurs littoraux res-
pectifs, les deux dirigeants
agissent de concert sur la scène
diplomatique. En octobre, à Gre-
nade, ils ont ainsi réussi à impo-
ser le sujet de la migration illé-
gale à l’ordre du jour du sommet
de la Communauté politique
européenne. Publiant à cette
occasion une tribune conjointe
dans le Times et le Corriere della
Sera, M. Sunak et Mme Meloni
promettaient une lutte com-
mune contre les « trafiquants
d’êtres humains », acteurs uni-
ques du phénomène migratoire
parti depuis l’annonce, fin no-
vembre, d’investigations lancées
par le bureau d’enquêtes spéciales
du parquet de Tokyo. La princi-
pale faction du PLD, la très conser-
vatrice Seiwakai, naguère dirigée
par le premier ministre Shinzo
Abe (2012-2020) et qui pèse sur
l’orientation des politiques gou-
vernementales, aurait illégale-
ment accumulé entre 2018 et
2022 un total de 500 millions de
yens (3,2 millions d’euros). Les mi-
nistres et cadres remplacés en
font tous partie. D’autres factions
auraient fait de même, mais dans
une moindre mesure.
Rejet d’une motion de censure
L’argent est issu de la part des
ventes de tickets pour les soirées
de collectes de dons, dépassant des
quotas fixés. Cet excédent n’aurait
pas été déclaré. Certains élus
auraient perçu jusqu’à 40 millions
de yens. L’opération est légale car
Mme Abe a succédé à son mari à la
tête d’associations politiques et
que les successions politiques en-
tre membres d’une même famille
sont exonérées, mais cela tombe
au mauvais moment pour le PLD.
Giorgia Meloni et Rishi Sunak, lors d’un sommet sur l’intelligence artificielle au Royaume-Uni, le 2 novembre. WPA POOL/GETTY IMAGES VIA AFP
selon la lecture qu’en fait le gou-
vernement italien.
Le partenariat d’expulsion des
demandeurs d’asiles arrivés au
Royaume-Uni vers le Rwanda,
que Rishi Sunak tente de mettre
en œuvre, a par ailleurs suscité le
vif intérêt de Giorgia Meloni, qui
en a loué le principe lors de son
passage à Londres en avril. Elle-
même a rencontré le président
rwandais, Paul Kagame, lors de
l’Assemblée générale de l’Organi-
sation des Nations unies, en sep-
tembre, dans le cadre de sa
grande politique africaine visant
à multiplier les partenariats avec
des Etats du continent pour fixer
au sud de la Méditerranée les mi-
grants potentiels.
L’action de Mme Meloni comme
celle de M. Sunak, pour l’instant
bloquée par la Cour suprême du
Royaume-Uni, obéissent à un
même objectif d’externalisation
des procédures d’asile que l’Italie
tente de réaliser de son côté avec
L’ampleur prise par le scandale
de caisse noire a incité M. Kishida
à demander aux cadres du PLD de
ne plus organiser de soirées de
collecte de fonds. Le chef du gou-
vernement a également choisi de
démissionner de la tête de sa pro-
pre faction. « Le premier ministre
ne devrait pas appartenir à une
faction pendant son mandat »,
s’est-il justifié.
L’opposition a déposé mercredi
une motion de censure contre le
gouvernement, qui a été rejetée,
faute de majorité. « Ce gouverne-
ment n’a plus aucune légitimité et
ne fonctionne plus », a toutefois
déploré Kenta Izumi, le patron du
Parti démocrate constitutionnel
(PDC), la principale formation
d’opposition.
Le scandale survient alors que
l’administration Kishida est déjà
affectée d’une cote de popularité
au plus bas, à 23 % le 11 décembre,
selon le dernier sondage réalisé
par la chaîne publique NHK.
Le déclin a commencé à l’été avec
les bugs – données égarées ou mal
attribuées, connexions erratiques,
informations erronées – de My
Number, ce système de carte élec-
l’Albanie. En novembre, un proto-
cole d’accord allant en ce sens a
été signé par Giorgia Meloni et le
premier ministre albanais, Edi
Rama, également attendu sa-
medi à Rome à la fête de Fratelli
d’Italia. Prévoyant la mise en
place de lieux de rétention extra-
territoriaux de droit italien, sa
ratification a été suspendue mer-
credi par la Cour constitution-
nelle albanaise.
Vœu de prestige international
C’est donc en dehors de l’Union
européenne que se trouvent les
meilleures amitiés diplomati-
ques de Giorgia Meloni. Ses rela-
tions démonstratives et décon-
tractées avec Rishi Sunak,
homme d’ordinaire plutôt ré-
servé, contrastent avec celles qui
la lient aux autres dirigeants
européens. Avec le président
français, Emmanuel Macron, les
rapports ont souvent pris une
dimension conflictuelle au fil
tronique permettant à chaque Ja-
ponais ou résident étranger d’ac-
céder à un nombre grandissant de
services, publics ou non. Sa géné-
ralisation doit permettre de réali-
ser la « société du numérique » vou-
lue par le gouvernement.
Le remaniement ministériel
opéré en septembre, avec l’entrée
au gouvernement de cinq fem-
mes, un record, n’a pas inversé la
tendance. Plusieurs vice-minis-
tres ont même démissionné.
Parmi eux, Kenji Kanda, chargé
des finances, a dû quitter son
poste pour ne pas avoir payé ses
impôts.
Et les politiques mises en place
ne convainquent plus. Le gouver-
La question
est de savoir si le
premier ministre,
Fumio Kishida,
pourra rester en
poste jusqu’en
septembre 2024
international | 7
d’une série de crises sur le dossier
migratoire. Avec le chancelier al-
lemand social-démocrate, Olaf
Scholz, ils sont plus sereins mais
froids, malgré la signature le
22 novembre d’un plan d’actions
bilatéral hérité du gouvernement
de Mario Draghi. Afficher une
entente parfaite avec M. Sunak
contribue donc à l’un des objec-
tifs cardinaux de Mme Meloni :
montrer aux électeurs qu’elle est
en mesure d’apporter à l’Italie le
prestige international dont son
instabilité politique chronique
l’aurait privée par le passé.
L’invitation faite au premier
ministre britannique à la fête de
Fratelli d’Italia, dont l’édition
2023 a été intitulée « Bon retour à
la fierté italienne », va en ce sens.
Rishi Sunak n’y sera pourtant pas
seulement accueilli en chef de
gouvernement d’un pays parte-
naire de l’Italie, mais aussi
comme le membre de poids
d’une famille politique conserva-
nement a approuvé le 10 novem-
bre un budget supplémentaire de
13 200 milliards de yens pour
l’exercice 2023, afin de financer
des mesures devant limiter l’im-
pact de l’inflation. La mesure
phare de ce budget est la restitu-
tion aux contribuables de 40 000
yens par personne en juin 2024.
Même ce « cadeau » ne convainc
pas l’opinion. M. Kishida est aussi
critiqué pour avoir nié une ren-
contre en 2019 avec Masayoshi
Kajikuri, ancien dirigeant de la
branche américaine de l’Eglise de
l’unification, mieux connue sous
le nom de secte Moon.
« Absence de favori »
La question est aussi de savoir jus-
qu’où iront les révélations du
scandale. Certains au sein de la
Seiwakai accusent M. Kishida de
« mener une purge » de la faction
souvent critique de son action. Le
premier ministre est impopulaire
et à la tête d’un parti fragilisé et
divisé. La question est dès lors de
savoir s’il pourra rester en poste
jusqu’en septembre 2024, la fin de
son mandat de président du PLD,
et donc de premier ministre.
trice dont la présidente du con-
seil entend être la figure de
proue. Les deux chefs de gouver-
nement affichent les mêmes con-
ceptions sur les sujets sociétaux
et une approche similaire des en-
jeux environnementaux, repous-
sant notamment la bascule vers
la voiture électrique et condam-
nant une « écologie idéologique ».
Historiquement, les tories bri-
tanniques de Rishi Sunak sont
d’ailleurs les fondateurs du parti
des Conservateurs et réformistes
européens, dont Giorgia Meloni
est la présidente. Bien que fragili-
sés, ils présentent sur le pro-
gramme des festivités l’avantage
d’être des partenaires au pouvoir
quand les alliés les plus proches
de Mme Meloni que sont les partis
d’extrême droite Vox en Espagne
et Droit et justice en Pologne en
ont été éloignés par leurs récen-
tes défaites électorales. p
cécile ducourtieux
et allan kaval
Aucune personnalité ne se dis-
tingue pour lui succéder. Dans
une enquête réalisée le 20 no-
vembre par le quotidien de cen-
tre gauche Asahi, 16 % des per-
sonnes interrogées citaient Shin-
jiro Koizumi, fils de l’ancien pre-
mier ministre Junichiro Koizumi
(2001-2006). Il devançait l’élu
Shigeru Ishiba à 15 % et l’actuel
ministre de la transition numéri-
que, Taro Kono, à 13 %. Or, M. Koi-
zumi a laissé un souvenir mitigé
de son passage au ministère de
l’environnement à la fin des an-
nées 2010 et les deux autres res-
tent isolés au sein du PLD. En
outre, 36 % des personnes inter-
rogées ont déclaré qu’aucun des
candidats potentiels n’était apte à
occuper le poste de premier mi-
nistre, « ce qui souligne l’absence
d’un favori clair de l’opinion publi-
que », note l’Asahi.
Dans le même temps, l’opposi-
tion reste affaiblie, les taux de
soutien du PDC, du Parti de l’in-
novation du Japon et de l’Ishin no
Kai ne dépassant pas 8 % dans les
mesures de popularité, contre
34 % au PLD. p
philippe mesmer
8 | planète
Climat : la France franchit la barre
des 100 milliards d’euros investis
L’institut I4CE livre son bilan 2022 des investissements publics et privés
C’
est un chiffre symbo-
lique qui témoigne
d’un réel élan en fa-
veur de la lutte con-
tre le réchauffement, tout en res-
tant encore largement insuffisant.
Le panorama annuel de l’Institut
de l’économie pour le climat (I4CE)
révèle, vendredi 15 décembre, que
les investissements publics et pri-
vés français destinés à mettre en
œuvre la transition énergétique et
climatique ont atteint pour la pre-
mière fois, en 2022, la barre des
100 milliards d’euros. Publié alors
que le gouvernement finalise sa
nouvelle stratégie bas carbone
(SNBC), la feuille de route du pays
pour faire baisser ses émissions de
gaz à effet de serre, ce rapport de
référence révise également à la
hausse les besoins en finance-
ments d’ici à 2030.
En 2022, les dépenses en faveur
du climat des ménages, des entre-
prises et des administrations pu-
bliques, dans les secteurs du bâti-
ment, des transports et de l’éner-
gie, ont augmenté de 9 %, pour
atteindre 100 milliards d’euros.
Achat de pompes à chaleur, de
panneaux photovoltaïques desti-
nés à l’autoconsommation, de
voitures électriques, construc-
tion de plusieurs parcs éoliens en
mer et du Grand Paris Express…
Comme en 2021, les énergies re-
nouvelables, le transport bas car-
bone mais aussi la rénovation
énergétique des logements ont
tiré les investissements vers le
haut. Les pouvoirs publics sont à
l’origine d’un tiers de ces dépen-
ses, notamment dans le domaine
des infrastructures ferroviaires.
Cette augmentation des inves-
tissements en 2022 confirme une
tendance à la hausse entamée
en 2016, et qui s’est accélérée il y a
trois ans. Les dépenses en faveur
de la transition ont été favorisées
La Nouvelle-Calédonie aux prises
avec de violents incendies
Près de 19 000 hectares ont été ravagés par le feu dans l’archipel depuis le début de l’année
nouméa - correspondante
D epuis un mois, les Calé-
doniens vivent au
rythme des routes cou-
pées par les incendies, du va-et-
vient des hélicoptères bombar-
diers d’eau, voire des évacuations.
Mercredi 13 décembre, le plan
Orsec a été déclenché et deux
cents personnes ont dû quitter
leur logement à Païta, en périphé-
rie de la capitale, Nouméa, face à la
menace d’un feu de forêt devenu
incontrôlable. Dans la chaîne cen-
trale et les communes très isolées,
les feux sont parfois laissés en
évolution libre, faute de moyens
humains. « J’ai des camions, mais
pas grand monde à mettre de-
dans », soupire le colonel Frédéric
Marchi-Leccia, le directeur de la
sécurité civile et de la gestion des
risques (DSCGR). Ces derniers
jours, j’ai pu mettre cent vingt
hommes sur le terrain. C’est 15 % à
20 % des effectifs qui auraient été
engagés sur une situation identi-
que en métropole », assure-t-il.
La Nouvelle-Calédonie compte
environ 650 pompiers, selon la
DSCGR, dont 180 professionnels,
pour un territoire grand comme
quatre départements français. A
Poum, dans l’extrême nord de
l’île, où plus de 1 300 hectares sont
partis en fumée ces derniers jours
de trois foyers différents, le centre
de secours de la commune de
par le plan de relance du gouver-
nement mis en place en 2020, par
l’adoption de certaines réglemen-
tations portant sur la vente de
véhicules ou la construction de
nouveaux bâtiments, ou encore
par la mise en chantier de grands
projets d’infrastructures décidés
des années auparavant.
A quelques semaines de la fin de
l’année, l’institut de recherche
I4CE prévoit aussi que les inves-
tissements continueront à croître
en 2023 pour atteindre 108,1 mil-
liards d’euros (+ 8 %). Un gros
nuage assombrit toutefois l’hori-
zon : le durcissement des condi-
tions d’accès au crédit. « Nous ne
sommes pas certains que l’aug-
mentation des investissements se
poursuivra en 2024, explique
Hadrien Hainaut, principal
auteur du rapport. Nous crai-
gnons que la hausse des taux d’in-
térêt rende plus coûteux les projets
d’investissements des ménages et
des entreprises. »
La nouvelle édition du pano-
rama évalue aussi combien il fau-
dra investir dans les secteurs du
bâtiment, des transports et de
l’énergie, pour respecter la trajec-
toire de la France : selon I4CE, ce
sont 58 milliards d’euros supplé-
mentaires par an en moyenne
Selon l’institut,
le pays devra
dépenser
58 milliards
d’euros
supplémentaires
par an
en moyenne
d’ici à 2030
1 500 habitants compte « un pom-
pier professionnel et trois volon-
taires, énumère la maire, Hen-
riette Tidjine-Hmae. On a eu un
renfort des pompiers de Koumac,
situé à 80 kilomètres de là, et d’un
hélicoptère. Mais, le temps qu’ils
arrivent, le feu a le temps de par-
courir des kilomètres ».
Influence d’El Niño
Les gendarmes sont donc mis à
contribution. Pour évacuer les po-
pulations, mais aussi pour aller
constater les départs de feux : « On
a trois appels par jour pour des feux
en ce moment, assure Joséphine
Chanteau, chargée de communi-
cation de la gendarmerie de Nou-
velle-Calédonie. Or, les pompiers
sont souvent déjà occupés à lutter
contre un incendie ailleurs. Dans
certaines toutes petites communes,
on a même envoyé nos gendarmes
titulaires du permis poids lourds
conduire les camions-citernes »
pour renforcer les maigres effec-
tifs de pompiers volontaires.
Si, pour l’instant, 2023 reste
« dans la norme », en matière de
surfaces brûlées, la saison des
feux, qui débute avec la saison sè-
che en septembre, restera excep-
tionnelle cette année en intensité.
« Septembre et octobre ont été très
calmes. Mais tout a changé en no-
vembre, avec une augmentation
du nombre de sinistres détectés et
des incendies d’une rare violence »,
qu’il faudra dépenser entre 2024
et 2030. Un montant considéra-
blement rehaussé par rapport à
l’estimation précédente : en 2022,
le centre de réflexion misait sur
13 milliards à 30 milliards d’euros
supplémentaires par an pour gar-
der le cap de la neutralité carbone.
Hausse de l’ambition
Cette réévaluation s’explique
d’abord par le fait que l’objectif de
baisse des émissions de gaz à effet
de serre de la France a lui-même
été revu à la hausse, passant de
40 % à environ 55 % de diminution
d’ici à 2030, par rapport à 2019. Les
efforts à fournir sont donc plus
importants et c’est cette trajec-
toire plus ambitieuse que doit tra-
cer la nouvelle SNBC. Si ce docu-
ment ne sera publié qu’en 2024,
I4CE a pu s’appuyer, pour réaliser
cette estimation, sur les données
chiffrées figurant dans le plan na-
tional énergie-climat transmis fin
novembre à Bruxelles, dans la
nouvelle programmation pluri-
annuelle de l’énergie, dans les élé-
ments rendus publics par le secré-
tariat général à la planification
écologique, et sur des échanges
avec le ministère.
Outre cette hausse de l’ambi-
tion, le retard persistant dans la
mise en œuvre de la transition
explique aussi cette révision à la
hausse des besoins. « Chaque an-
née, nous soulignons que les be-
soins en financements ne sont pas
couverts, souligne Hadrien Hai-
naut. Forcément, d’année en an-
née, la pente à gravir pour rattra-
per ce retard est plus raide. » Les
auteurs d’I4CE précisent que leur
estimation du montant total des
investissements supplémentai-
res en 2030 « converge » avec celle
des économistes Jean Pisani-
Ferry et Selma Mahfouz, à l’ori-
gine d’un rapport sur le sujet pu-
note Fabien Albouy, directeur de
l’Observatoire de l’environnement
en Nouvelle-Calédonie (OEIL).
Le Pacifique Sud est actuelle-
ment sous l’influence du phéno-
mène El Niño, dont les effets sur le
climat calédonien, sécheresse ex-
trême combinée à des vents sou-
tenus, sont délétères en matière
de risque incendie. Attendue plus
tôt dans la saison, son installation,
après trois ans de Niña, a mis du
temps à se faire sentir, d’où le dé-
marrage tardif de la saison des
feux. Un répit de courte durée, car
c’est tout le territoire qui est dé-
sormais hautement inflammable.
« Le déficit hydrique est de 90 %
pour le mois de novembre, avec
plusieurs communes, principale-
ment sur la côte ouest, qui n’ont
reçu aucune goutte d’eau depuis
deux mois et demi. S’ajoute à cela
un alizé persistant », souligne Tho-
mas Abinun, climatologue à Mé-
téo-France Nouvelle-Calédonie.
L’OEIL, qui effectue des relevés
par satellite, a détecté au 14 dé-
cembre 522 incendies depuis le
début de l’année pour une surface
brûlée d’environ 19 000 hectares.
A la même date en 2019, année
qui détenait jusqu’à présent le
triste record de surfaces incen-
diées, 660 feux avaient été dé-
nombrés pour 37 600 hectares ra-
vagés par les flammes. Les consé-
quences sur la biodiversité de la
Nouvelle-Calédonie, où 76 % des
blié en mai. Cette estimation des
besoins devrait être un élément-
clé des discussions des prochains
mois, alors que le gouvernement
doit présenter pour la première
fois, en 2024, une stratégie plu-
riannuelle des financements de la
transition écologique (SPFTE).
Ce document doit permettre
d’exposer sur cinq ans les crédits
prévus par l’Etat, mais aussi les
montants que devraient investir
les collectivités locales et le sec-
teur privé, secteur par secteur. Un
moyen de donner de la visibilité
aux différents acteurs économi-
ques pour qu’ils puissent plani-
fier leurs investissements en
s’inscrivant dans la durée. La
SPFTE doit être débattue au Parle-
ment. « Notre étude, qui réalise un
état des lieux des investissements
actuels et des besoins, est une base
solide pour entrer dans ce débat »,
souligne Hadrien Hainaut.
Le rapport met par ailleurs en
garde face au risque d’une possi-
ble reprise à la hausse des inves-
tissements dans les énergies
fossiles. En France, les investisse-
ments dans ce secteur sont liés,
en très grande majorité, aux
achats de véhicules diesel ou es-
sence. En baisse depuis 2019, ils
marquent un léger rebond
en 2023.
« Le marché automobile a connu
des années délicates depuis la pan-
démie de Covid-19, avec des diffi-
cultés sur les chaînes d’approvi-
sionnement, des composants
électroniques manquants, décrit
Hadrien Hainaut. Désormais les
véhicules thermiques sont davan-
tage disponibles, donc les achats
repartent à la hausse. Il faut que la
tendance s’inverse le plus vite pos-
sible. » Ces investissements doi-
vent être « rapidement ramenés à
zéro d’ici à 2040 », ajoute I4CE. p
perrine mouterde
espèces sont endémiques, sont
majeures : parmi les zones incen-
diées ces dernières semaines, cin-
quantre-six abritent des espèces
menacées, selon l’OEIL. Dix-sept
captages d’eau ont également été
endommagés et la ressource a dû
être rationnée par endroits.
La lutte contre les feux de forêt
devrait être un enjeu majeur dans
les années à venir pour le terri-
toire. Car le Groupe d’experts in-
tergouvernemental sur l’évolu-
tion du climat le confirme : le ré-
chauffement conduira, en Nouvel-
le-Calédonie, à une hausse des
phénomènes extrêmes, inonda-
tions en période La Niña, séche-
resse en Niño, donc à plus d’incen-
dies. Or, « les forêts tampons ont
disparu, ce qui fait que les feux
parcourent des distances de plus
en plus importantes », s’inquiète
M. Albouy, pour qui les feux
comme ceux qui ont ravagé Hawaï
en août ne sont pas à exclure.
Le directeur de l’OEIL dénonce
aussi la contribution de ces mê-
mes incendies au réchauffement
climatique : 10 % des émissions de
gaz à effet de serre de l’archipel
sont dues aux feux de forêt. Le res-
ponsable, lui, est tout trouvé : sur
ce grand espace peu peuplé qu’est
la Nouvelle-Calédonie, 87 % des
départs de feux se situent pour-
tant à moins de 500 mètres d’une
infrastructure humaine. p
charlotte mannevy
La Catalogne se prépare à
de fortes restrictions d’eau
en raison de la sécheresse
Les bassins de rétention d’eau de la région
se trouvent à un niveau extrêmement bas
madrid - correspondante
L
e succès de la patinoire ins-
tallée à Gérone, en Catalo-
gne, pour les fêtes de Noël
2022 avait battu tous les records,
avec plus de 18 000 visiteurs. A tel
point que le palais des expositions
de la ville envisageait cet hiver
d’augmenter la surface de glace,
déjà de 800 mètres carrés, de
100 mètres carrés. Mercredi 13 dé-
cembre, les autorités locales ont
finalement décidé de tout annuler
et de renoncer, pour la première
fois depuis 2006, à organiser une
activité trop gourmande en eau.
Un choix pris « par responsabi-
lité » et « pour donner l’exemple »,
face à la « grave situation climati-
que actuelle ».
Cela fait plus de trois ans – tren-
te-sept mois exactement –, que la
région du nord-est de l’Espagne
souffre d’un déficit de pluvio-
métrie. En trois ans, il a plu 25 %
(500 millimètres) de moins que ce
qui tombe normalement. Lors de
la précédente grande sécheresse,
entre 2005 et 2008, le déficit
n’avait pas dépassé les 350 milli-
mètres, et il avait alors fallu faire
venir de l’eau potable par bateau,
de Marseille, pour approvisionner
la ville de Barcelone.
« Il s’agit de la sécheresse la plus
dure, du fait de sa persistance et de
son intensité, jamais enregistrée
en Catalogne », a souligné, mi-no-
vembre, la directrice du service
météorologique de Catalogne,
Sarai Sarroca. « Le pire est que rien
n’indique un renversement de la si-
tuation », avait-elle alors ajouté.
Un mois plus tard, effective-
ment dépourvu de pluies signifi-
catives, le déficit en eau n’a fait
que s’aggraver. Les bassins de ré-
tention d’eau de la région sont à
17,7 % de leur capacité, un niveau
extrêmement bas, jamais atteint
auparavant. Or, près de 45 % de la
consommation d’eau potable en
dépend. Sans doute afin de ne pas
trop gâcher les fêtes de Noël ou
dans l’espoir d’un miracle, le gou-
vernement catalan a décidé d’at-
tendre qu’elles descendent sous la
barre des 16 % pour décréter la si-
tuation d’« urgence » pour séche-
resse. L’exécutif régional devra
alors prendre des mesures drasti-
ques pour assurer l’approvision-
nement en eau potable de la ré-
gion métropolitaine de Barcelone
et de ses 5,5 millions d’habitants.
Nouvelles usines de dessalement
« Si rien ne change – et les prévi-
sions ne sont pas bonnes –, l’ur-
gence sera déclarée en janvier », a
reconnu, le 12 décembre, le minis-
tre régional d’action climatique,
David Mascort. Les dotations en
eau pour l’agriculture – qui con-
somme plus de 70 % de l’eau dis-
ponible – seront réduites de 80 %,
contre 40 % actuellement, et de
50 % pour l’industrie. Partout la
pression dans le réseau de distri-
bution devra être baissée, afin de
réduire la consommation par ha-
bitant de 8 % à 10 %.
Des amendes ont déjà été infli-
gées aux municipalités n’ayant
pas respecté le niveau maximum
de consommation en eau auto-
risé, de 210 litres par jour et par
habitant. Celui-ci baissera à
200 litres en phase un, et jusqu’à
L’agriculture
et l’élevage
intensifs, destinés
principalement
à l’exportation,
sont montrés
du doigt, ainsi
que le tourisme
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
En Andalousie,
1,4 milliard d’euros
au parc de Doñana
En Andalousie, région qui souffre
aussi d’une sécheresse sévère, le
ministère espagnol de la transi-
tion écologique et le gouverne-
ment régional andalou ont signé
un accord, fin novembre, déblo-
quant 1,4 milliard d’euros pour
protéger le parc de Doñana. Cette
zone humide exceptionnelle est
menacée par la surexploitation
des nappes phréatiques pour la
culture de la fraise. Les agricul-
teurs de 14 municipalités autour
de Doñana se sont vus proposer
des aides de 100 000 euros par
hectare, prises en charge à 70 %
par l’Etat, s’ils s’engagent à ces-
ser de cultiver la terre durant
trente ans et procèdent à des tra-
vaux de renaturalisation ou de
reforestation des sols.
160 litres si la phase trois est en-
clenchée. L’arrosage des arbres
sera réservé à ceux qui souffrent
de stress hydrique.
Mesure très critiquée par les
écologistes, le débit minimum
biologique des rivières, le niveau
considéré comme nécessaire
pour maintenir la faune et la flore
ainsi qu’une qualité de l’eau
minimum, sera réduit de 50 %.
Aucune nouvelle activité écono-
mique ayant une consommation
intensive d’eau ne pourra être
lancée, ni aucun agrandissement
de fermes d’élevage. Et M. Mas-
cort a reconnu qu’il sera proba-
blement nécessaire de faire venir
de l’eau par bateau pour approvi-
sionner Barcelone au printemps,
comme en 2008, appelant par
avance à la « solidarité territo-
riale » des régions qui en dispo-
sent. Le temps de mettre en mar-
che des solutions locales.
La Catalogne a en effet com-
mencé la construction d’infras-
tructures coûteuses pour pallier
les conséquences de la séche-
resse, pour un montant de
2,4 milliards d’euros. Deux nou-
velles usines de dessalement per-
mettront de doubler la capacité
de traitement d’eau de mer des
140 hectomètres cubes (hm3) pro-
duit actuellement à 280 hm3 par
an. S’y ajouteront 60 hm3 prove-
nant d’une usine de récupération
de l’eau du fleuve Besos. De telle
sorte que l’approvisionnement
en eau potable pourrait ne dépen-
dre qu’à moins de 15 % de l’eau des
bassins de rétention. Seul bémol :
ces usines ne seront prêtes
qu’entre 2027 et 2030.
« Ce techno-optismisme donne
une fausse sensation de disponibi-
lité infinie en eau, ce qui n’est pas le
cas. Outre leur coût énergétique et
environnemental, elles incitent à
accorder toujours plus de dota-
tions en eau », estime Dante Mas-
chio, ingénieur et porte-parole de
la plate-forme catalane L’eau, c’est
la vie, qui regroupe des associa-
tions de riverains, des écologistes
et des syndicats critiques avec la
gestion des ressources en eau.
« Cela fait plus de trois ans qu’il
pleut moins que la moyenne, mais
cela n’est pas la seule raison du
manque d’eau, insiste M. Mas-
chio. Notre modèle économique a
consisté à donner de l’eau à toutes
les activités qui en ont demandé,
sans se poser la question des dis-
ponibilités existantes. »
Si l’agriculture et l’élevage in-
tensifs, destinés principalement à
l’exportation, sont montrés du
doigt, le tourisme aussi. Cet été,
malgré les restrictions fixées par
la région, les hôtels ont eu le droit
de remplir leurs piscines, au mo-
tif qu’ils en font un « usage com-
munautaire ». p
sandrine morel
10 |
FRANCE
P R OJ E T D E L O I « I M M I G R AT I O N »
La première ministre, Elisabeth Borne, à l’Elysée, le 12 décembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Immigration : Borne tente de déminer
La première ministre mène une négociation étroite entre LR et sa majorité, afin de sauver le projet de loi
I
ls ne se quittent plus. Jeudi 14 dé-
cembre, la première ministre, Elisa-
beth Borne, a encore reçu les chefs
de la droite. Comme la veille et
comme dimanche soir. Pour un ren-
dez-vous de la dernière chance peut-
être. Les discussions entre le camp prési-
dentiel et les dirigeants Les Républicains
(LR) battent leur plein depuis le rejet du
projet de loi sur l’immigration par l’Assem-
blée nationale, lundi 11 décembre. Le désa-
veu occasionné par l’adoption d’une mo-
tion de rejet a obligé le gouvernement à
convoquer en urgence une commission
mixte paritaire (CMP). Cette instance parle-
mentaire, composée de sept députés et de
sept sénateurs, se réunira lundi 18 décem-
bre à 17 heures. Sa mission s’annonce déli-
cate : trouver un texte de compromis entre
l’Assemblée nationale et le Sénat.
Alors que les tractations sont déjà entrées
dans le vif, Emmanuel Macron a indiqué sa
volonté d’abandonner le texte en cas
d’échec. « Avec sa décision, le chef de l’Etat
change les règles institutionnelles. Il met le
Sénat et l’Assemblée à égalité, alors que nos
institutions prévoient que l’Assemblée ait le
dernier mot. Et par là même, il met une pres-
sion supplémentaire sur les députés, et no-
tamment les siens, pour accepter un accord
en CMP », analyse Philippe Quéré, spécia-
liste de la vie parlementaire.
Au sein de la CMP – où siègent cinq élus du
camp présidentiel, quatre LR, deux socialis-
tes, un centriste, un Rassemblement natio-
nal et un La France insoumise –, le rapport
de force joue en la faveur de la droite et du
centre. C’est notamment pour cette raison
que les députés LR ont voté en faveur de la
motion de rejet. Le parti présidé par Eric
Ciotti a fait coup double : fragiliser le gou-
vernement et le pousser à la négociation sur
ses marqueurs, ceux du texte durci par le Sé-
nat, désormais base de négociation, faute de
texte issu de l’Assemblée.
Pour l’instant, la droite parle d’une seule
voix, d’Olivier Marleix (chef de file des dé-
putés LR) à Bruno Retailleau (son homolo-
gue au Sénat). L’objectif étant de « voir le
texte du Sénat adopté », a réaffirmé M. Ciotti
sur le réseau social X, jeudi, à la sortie d’une
deuxième rencontre avec Mme Borne. Les LR
continuent à vouloir imposer leurs vues au
gouvernement et préparent le terrain pour
lui rejeter la faute en cas d’un échec de la
CMP. « Elisabeth Borne est cheffe de la
majorité, c’est à elle de faire l’accord et de se
faire respecter par sa majorité », prévenait
M. Marleix, mercredi.
Sous pression, Mme Borne tente de faire
converger des positions presque irréconci-
liables entre la droite et son aile gauche en
vue de la CMP. Une tâche « extrêmement dif-
ficile », a reconnu, jeudi sur France 2, le prési-
dent de la commission des lois, Sacha Hou-
lié, qui dirigera la commission. La droite sé-
natoriale a déjà dit non à Matignon et à sa
proposition de loi « à la découpe », avec des
textes distincts censés être plus faciles à
faire adopter. Mais la droite s’est dite en re-
vanche prête à faire l’impasse sur la sup-
pression de l’aide médicale d’Etat (AME) en
échange d’un projet de loi inscrit à l’ordre
du jour en janvier 2024.
« LIGNES ROUGES »
Les amendements du Sénat sur le condi-
tionnement des prestations sociales pour
les étrangers réguliers, la remise en cause
du droit du sol ou l’instauration d’un délit
de séjour irrégulier restent des « points irri-
tants ». Tout comme la disposition sur la ré-
gularisation des travailleurs sans papiers
exerçant dans des métiers dits « en ten-
sion » (article 4 bis), que la majorité sénato-
riale cherche à conserver dans une formula-
tion restrictive avec un pouvoir discrétion-
naire octroyé aux préfets.
Et pour pousser leur avantage, Les Répu-
blicains ont envoyé un courrier jeudi à
M. Macron, dans lequel ils l’exhortent « so-
lennellement » à mener une révision consti-
tutionnelle sur la question migratoire. Face
à ce nouveau coup de menton, certains ma-
cronistes doutent de la sincérité des Répu-
blicains à vouloir aboutir à une CMP conclu-
sive. « Ils veulent se payer [le ministre de l’in-
térieur, Gérald] Darmanin, la majorité… C’est
le scénario des retraites en pire qui se déroule
sous nos yeux », s’inquiète la vice-présidente
du groupe Renaissance, Nadia Hai.
Mercredi soir, les députés Renaissance
ont débattu à l’Assemblée de l’opportunité
de telles concessions aux Républicains. Un
vote surprise a été organisé et une centaine
d’élus (sur 170) ont donné « mandat » aux
représentants macronistes pour négocier
en CMP sur la base de quelques « lignes rou-
« EST-CE QU’ON PERD ges » (le maintien de l’AME et des presta-
tions sociales pour les étrangers réguliers,
SUR LE TEXTE les régularisations pour les travailleurs
sans papiers dans les métiers en tension et
IMMIGRATION le maintien de l’interdiction des mineurs
OU EST-CE QU’ON en centre de rétention administrative).
Face au désarroi d’une partie de leurs
SE PERD SUR collègues, le rapporteur général du texte,
Florent Boudié (Gironde), comme M. Hou-
CE TEXTE ? VOILÀ lié ont rappelé jeudi soir que leur camp
TOUT L’ENJEU » n’est plus « en position de force ». Pour le
chef de file du groupe centriste au Sénat,
STELLA DUPONT Hervé Marseille, « un texte de CMP qui
députée Renaissance convienne à l’aile gauche de Renaissance,
du Maine-et-Loire au MoDem, à LIOT [Libertés, indépendants,
outre-mer et territoires], sans heurter
l’aile droite macroniste, sans oublier LR et le
sous-groupe de LR antimacroniste », relève
de l’impossible.
NERVOSITÉ AMBIANTE
Si le président de la République, Emmanuel
Macron, refuse d’entendre parler d’un re-
cours à l’article 49.3 de la Constitution pour
faire adopter le texte sans vote, les macro-
nistes craignent à nouveau de ne pas pou-
voir réunir les voix nécessaires pour faire
voter celui issu de la CMP, avec des défec-
tions potentielles dans leur camp ou même
à droite en cas d’accord.
Ce choix du compromis en CMP avec la
droite fait ressurgir un questionnement
plus profond chez les macronistes sur
l’orientation du second quinquennat de
M. Macron. « On court après la droite, qui
elle-même court après l’extrême droite, qui
elle-même cherche à courir après les thèses
les plus extrêmes », considère le député
MoDem des Bouches-du-Rhône Mohamed
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Laqhila, qui a refusé de prendre part au vote
de la motion de rejet lundi. Comme lui,
d’autres députés du MoDem et de Renais-
sance appellent au retrait du projet de loi
face au risque d’une trop grande droiti-
sation. « Est-ce qu’on perd sur le texte immi-
gration ou est-ce qu’on se perd sur ce texte ?
Voilà tout l’enjeu », avance l’élue Renais-
sance du Maine-et-Loire Stella Dupont, fi-
gure de l’aile gauche.
Jeudi soir, le président du MoDem, Fran-
çois Bayrou, a lui aussi fait part de son
malaise, en regrettant l’absence de débat à
l’Assemblée sur le projet de loi sur l’immi-
gration après l’adoption d’une motion de
rejet. « Pour moi, c’est un gâchis épouvan-
table parce que si on a un texte qui est
conclu par la commission mixte paritaire
(…) et s’il est voté, il sera voté sans avoir
jamais été examiné » au Palais-Bourbon, a-
t-il déclaré sur France 5.
Au sein de l’aile droite macroniste, les ap-
pels à un texte de « fermeté » formulés par
les ministres Gérald Darmanin (intérieur)
et Bruno Le Maire (économie) sont plébisci-
tés. Mais Elisabeth Borne, elle, n’est pas sur
cette ligne. Jeudi, lors d’une réunion avec
les responsables de la majorité, jugée « ten-
due », la première ministre a demandé à ses
ministres d’éviter les commentaires dans
les médias, afin de ne pas parasiter les né-
gociations en cours. Dans son viseur : les
propos de Bruno Le Maire, mercredi, dans
Le Figaro, appelant le camp présidentiel à
« reconnaître une défaite » et à « reprendre
la version du Sénat ».
Face à ce qui apparaît comme une tenta-
tive de recadrage, le ministre de l’économie,
lui, assume ses propos et continuera de plai-
der pour reprendre la version du Sénat en
implorant « la mansuétude » de la droite.
Des tensions qui mettent en lumière la ner-
vosité ambiante au sommet de l’Etat, tant le
sort du projet de loi sur l’immigration pa-
raît conditionner la capacité de l’exécutif à
réformer lors du second quinquennat
d’Emmanuel Macron. p
mariama darame
et alexandre pedro
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Incertitude autour du recours
à l’article 49.3 de la Constitution
Le Rassemblement national, qui espérait priver l’exécutif de cet outil
permettant de faire adopter un texte sans vote, a saisi le Conseil
constitutionnel, qui n’a pas tranché formellement
E n pleine crise politique
autour du projet de loi
« immigration », le Conseil
constitutionnel a placé le gouver-
nement dans une position déli-
cate, jeudi 14 décembre, faisant
planer un risque juridique si
l’exécutif décidait de recourir à
l’article 49.3 de la Constitution
pour faire adopter – sans vote – ce
texte controversé. Saisie par le
Rassemblement national (RN) le
16 novembre sur un autre texte
(la loi de programmation des fi-
nances publiques pour la période
2023-2027), l’institution présidée
par Laurent Fabius était invitée à
Calais, symbole des « impensés » du projet de loi
Les associations jugent très éloigné de la réalité le texte de M. Darmanin, qui devait se rendre sur place, vendredi
REPORTAGE
calais (pas-de-calais) -
envoyée spéciale
L
a boue et la pluie. C’est ce
que Mohamed Ismaël,
28 ans, et une poignée de
compatriotes soudanais
ont trouvé en s’extirpant de leur
cabane de fortune au petit matin,
à Calais (Pas-de-Calais). Alors ils
ont formé un tas de bois de pa-
lette et, pour que le feu prenne, ils
ont mis tout ce qui pouvait brû-
ler. Des sacs et un jerrican en plas-
tique. Ils ont aspergé les rares
braises avec du gel hydroalcooli-
que. Et, dans les émanations toxi-
ques, ils ont cherché un peu de
chaleur. A la nuit tombée, ils iront
tenter leur « chance » sur les par-
kings sécurisés des environs, où
stationnent les camions en par-
tance pour le Royaume-Uni. Dans
le froid, ils guetteront la sortie
d’un semi-remorque auquel s’ac-
crocher. D’autres escaladeront
des grilles pieds nus et se glisse-
ront sur l’essieu d’un poids lourd.
Selon les estimations, ils se-
raient à ce jour environ 1 500 à
Calais – originaires du Soudan,
d’Afghanistan, d’Erythrée… – à vi-
voter dans des camps pourtant dé-
mantelés toutes les quarante-huit
heures. C’est ici que le ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin, de-
vait se rendre, vendredi 15 décem-
bre. Un déplacement symbolique
dans cette ville frontière, alors que
le projet de loi sur l’immigration a
essuyé une motion de rejet à l’As-
semblée nationale quatre jours
plus tôt et qu’il doit être étudié en
commission mixte paritaire à
partir du 18 décembre. A Calais,
M. Darmanin devait rencontrer la
maire Les Républicains Natacha
Bouchart et décorer des policiers
et gendarmes « blessés durant des
missions de lutte contre l’immigra-
tion irrégulière ».
« Ça ne nous concerne pas »
Au ministre, Mme Bouchart veut
demander, en particulier, d’acter
le rétablissement du délit de sé-
jour irrégulier, supprimé en 2012.
« Cela permettrait d’éloigner les
gens du littoral », assure l’édile, qui
dit aussi attendre du ministre l’an-
nonce d’un nouveau commissa-
riat et la création de lieux d’accueil
humanitaire répartis en France et
en Europe, mais « loin des frontiè-
res ». Le délit de séjour irrégulier ?
« Ils ne vont pas arrêter 1 500 per-
sonnes, ce n’est pas une mesure or-
ganisable, estime cependant Amé-
lie Moyart, de l’association d’aide
décider si l’usage répété du
49.3 sur ce texte financier privait
le gouvernement de la possibilité
d’y recourir à nouveau sur un
autre projet de loi jusqu’à fin juin.
Ils n’ont finalement pas répondu
à cette question, considérant
qu’elle n’entrait pas dans le
champ de la requête.
La Constitution autorise le gou-
vernement à recourir à l’arti-
cle 49.3 une seule fois par session
parlementaire, sauf pour les tex-
tes budgétaires, comme les lois de
finances, pour lesquelles le re-
cours est illimité. Mais les lois de
programmation, qui fixent une
aux migrants Utopia 56. Et puis les
gens viennent de pays en guerre où
on ne peut pas les renvoyer. »
« Comme en période électorale,
Calais est un endroit de théâtre, un
piédestal pour draguer la droite et
faire passer son projet de loi », ac-
cuse Juliette Delaplace, chargée de
mission « personnes exilées » de-
puis plus de quatre ans à Calais
pour le Secours catholique.
Ils sont nombreux à penser que
la loi Darmanin ne répond pas à
leur problématique, parmi celles
et ceux qui côtoient les personnes
migrantes dans les campements
de fortune de la Côte d’Opale. « Le
texte parle beaucoup des étrangers
délinquants mais ça ne nous
concerne pas », considère Jeanne
Bonnet, 25 ans, qui participe à un
projet de maison d’hospitalité,
La Margelle, ouverte il y a un an à
Calais. Ce lieu peut accueillir, pen-
dant un mois et demi maximum,
neuf personnes « qui veulent réflé-
chir sur leur projet, se stabiliser en
France ou demander l’asile par
exemple ». Jeanne Bonnet est ori-
ginaire d’un village de Vendée,
Montaigu, qui, en 2016, lors du dé-
mantèlement de la « grande jun-
gle » de Calais, a vu débarquer des
Afghans. Ils ont depuis trouvé du
travail et vivent à La Roche-sur-
Yon. « Regardons déjà ce qui mar-
che avant de voter une loi », dit-elle.
Le démantèlement de 2016,
Claire Millot, 74 ans, s’en souvient
aussi. Elle était déjà investie
auprès de l’association de distri-
bution de repas Salam, dont elle
est aujourd’hui secrétaire géné-
rale. « C’est la seule chose qui a
marché parce que Bernard Caze-
neuve [ministre de l’intérieur de
l’époque] avait levé l’application
du règlement Dublin pour que les
gens demandent l’asile en France.
Pendant plus de deux mois, on n’a
plus vu personne sur les camps. »
Le règlement européen de Du-
blin prévoit qu’un demandeur
d’asile doit faire étudier sa situa-
tion dans le pays qui a enregistré
ses empreintes, le plus souvent
« CE N’EST PAS PARCE
QU’ON VOTE UNE LOI
D’EXPULSION QUE LES
MIGRANTS NE VONT PAS
TRAVERSER LA MER »
OLIVIER CARTON
maire (centre gauche)
de Dannes (Pas-de-Calais)
trajectoire de finances publiques
non contraignante, sont considé-
rées comme des lois ordinaires. Si
l’exécutif utilise l’article 49.3 pour
les faire adopter, il se prive de cet
outil pour le reste de la session.
C’est la raison pour laquelle
Bercy, anticipant un rejet du texte
par les oppositions, a choisi de
convoquer une session extraordi-
naire à cet effet le 25 septembre.
Mais le texte faisant la navette en-
tre l’Assemblée nationale et le Sé-
nat, la deuxième lecture s’est faite
en session ordinaire, le 13 novem-
bre, et a donc nécessité un re-
cours à l’article 49.3 hors du
Des migrants
originaires du
Soudan, dans
un campement
à Calais (Pas-
de-Calais),
le 13 décembre.
PALOMA LAUDET/HORS
FORMAT/ITEM POUR
« LE MONDE »
celui par lequel il est arrivé en
Europe. Parmi les candidats au
départ vers l’Angleterre, nom-
breux sont ceux qui fuient les
conséquences de ce règlement.
C’est le cas de Mohamada (qui n’a
pas souhaité donner son nom,
comme les personnes citées par
leur prénom), un Soudanais de
23 ans qui a ses empreintes en
Espagne, et qui ne peut donc pas
demander l’asile en France ou en
Allemagne. Cela fait deux semai-
nes qu’il s’abrite dans un hangar
désaffecté de Calais.
A l’accueil de jour du Secours
catholique de Calais, où 900 per-
sonnes viennent quotidienne-
ment s’abriter, on aimerait aussi
que les procédures de demande
d’asile soient facilitées, alors que
« cela prend plus d’un mois et demi
avant de pouvoir enregistrer sa
demande », déplore Juliette Dela-
place. Sans compter que, pour le
faire, les personnes doivent se ren-
dre à Lille depuis les camps. Plu-
sieurs recours en référé-liberté ont
été déposés devant le tribunal ad-
ministratif pour obliger la préfec-
ture à améliorer ses délais. Wehbe
Muhamad, 18 ans, est à l’origine de
l’un d’eux. Lui a renoncé à l’Angle-
terre, mais il désespère de quitter
la « jungle ». « Améliorer les condi-
tions d’accueil, l’enregistrement des
calendrier initial. Estimant que le
gouvernement avait grillé sa der-
nière cartouche, les élus RN espé-
raient que le juge constitutionnel
le priverait de la possibilité d’un
nouveau recours au 49.3 d’ici à la
fin de la session parlementaire.
Mais l’institution n’a pas tranché
ce point précis, se contentant de
valider la procédure utilisée par
l’exécutif sur la loi de program-
mation. « Le premier ministre peut
recourir à la procédure prévue par
le troisième alinéa de l’article 49 de
la Constitution pour des lectures
successives d’un même projet ou
proposition de loi au cours de ses-
sions différentes », indique le
Conseil dans sa décision.
Situation inconfortable
En clair, la loi de programmation a
été à ses yeux adoptée dans des
conditions régulières mais le
Conseil constitutionnel n’indique
pas si le gouvernement dispose
toujours de la possibilité de recou-
rir au 49.3 d’ici la fin de la session.
Il ne l’interdit pas, ni ne l’autorise
formellement, même si certains
juristes estimaient jeudi soir que
demandes d’asile, suspendre le
règlement de Dublin, ce sont des
impensés de la loi “immigration” »,
dénonce Juliette Delaplace.
« Situation catastrophique »
« Si je restais en France, je serais
toute ma vie sans-abri », redoute
Abdulhaman, un autre Soudanais
de 23 ans, à Calais depuis trois
mois déjà. Avant ça, il a été sous le
périphérique parisien pendant
trois semaines. « La situation est
catastrophique. Et la seule bonne
nouvelle du projet de loi, c’est l’in-
terdiction de placer en rétention
les mineurs », estime Juliette Witt,
27 ans, de l’association Project
Play, qui propose des séances de
jeu pour les enfants vivant dans
des camps. « Ils sont souvent ma-
lades, montrent des signes d’épui-
sement, et sont très anxieux à pro-
pos des violences policières et des
traversées », rapporte-t-elle.
Jeudi 14 décembre, ils étaient
nombreux à attendre devant les
arrêts de bus de Grande-Synthe
(Nord), pour gagner les plages
autour de Boulogne-sur-Mer (Pas-
de-Calais). La météo s’annonçait
propice aux traversées. Depuis le
début de l’année, environ
29 000 personnes ont rejoint le
Royaume-Uni à bord d’embarca-
tions pneumatiques, contre plus
L’EXÉCUTIF N’A PAS
LES COUDÉES FRANCHES
POUR UTILISER UNE
NOUVELLE FOIS
LE 49.3 D’ICI À L’ÉTÉ 2024,
PAR EXEMPLE POUR LA LOI
SUR L’IMMIGRATION
la rédaction de la décision du
Conseil, en reprenant en grande
partie l’argumentaire du gouver-
nement, tendait à le conforter.
« L’utilisation du 49.3 une seule fois
par session vise le débat sur la tota-
lité du texte et non chaque lecture,
interprète Jean-Pierre Camby,
professeur de droit associé à l’uni-
versité Paris-Saclay. Le gouverne-
ment n’a pas utilisé sa cartouche. »
La situation n’en reste pas moins
inconfortable pour l’exécutif, qui
n’a pas clairement les coudées
franches pour utiliser une nou-
velle fois le 49.3 d’ici à l’été 2024,
par exemple sur son projet de loi
de 45 000 en 2022. Dans la nuit de
jeudi à vendredi, une soixantaine
de personnes ont été secourues
alors que leur embarcation se dé-
gonflait et que certaines se trou-
vaient à l’eau. L’une d’elles est dé-
cédée tandis qu’une autre a été
transportée à l’hôpital de Calais,
en urgence absolue. Par ailleurs,
un Soudanais est mort d’un arrêt
cardiaque lors d’un autre nau-
frage, la même nuit.
Il est arrivé à plusieurs reprises à
Olivier Carton, le maire centre-
gauche de la commune de Dan-
nes, au sud de Boulogne-sur-Mer,
de prêter une salle aux naufragés.
Le temps d’une nuit, pour qu’ils
se changent, se sèchent, se nour-
rissent. Les 1 300 habitants de sa
commune ont voté à plus de 64 %
pour Marine Le Pen au second
tour de l’élection présidentielle,
mais, le maire en est persuadé,
« ce n’est pas parce qu’on vote une
loi d’expulsion que les migrants ne
vont pas traverser la mer ».
« Si déjà on gagnait une benne à
ordures et rien qu’un point d’eau,
ça changerait tout » : Claire Millot
a appris à avoir des attentes mo-
destes. Autour de 1 000 person-
nes se trouveraient sur le princi-
pal camp de migrants, installé de-
puis plus de deux ans à Loon-
Plage (Nord). Les gens utilisaient
france | 11
sur l’immigration, rejeté lundi à
l’Assemblée nationale, même s’il a
fait savoir qu’il souhaitait éviter le
recours à cet article sur ce texte.
Hasard de l’agenda, la première
ministre, Elisabeth Borne, a dû
utiliser une nouvelle fois le 49.3
jeudi 14 décembre en début
d’après-midi pour faire adopter la
première partie du projet de loi de
finances pour 2024, qui arri-
vait en nouvelle lecture à l’Assem-
blée nationale, dans un contexte
tendu. « Alors que les délais consti-
tutionnels nous pressent et
qu’aucun groupe d’opposition
n’est prêt à voter ce budget, (…)
nous ne pouvons pas priver nos
services publics de leurs moyens »,
a justifié la première ministre. Elle
recourait au 49.3 pour la 21e fois
depuis son arrivée à Matignon.
Par ailleurs, saisis par des dépu-
tés de gauche, le Conseil constitu-
tionnel a donné jeudi son feu vert
à l’essentiel du projet de loi « plein
emploi », mais a émis des réserves
et censuré des dispositions auto-
risant un partage d’informations
au sein du réseau France Travail. p
elsa conesa
les bornes à incendie pour se ser-
vir en eau, mais la dernière a été
coupée en novembre. C’est ce qui
a poussé Pierre Lascoux, un béné-
vole de Salam de 62 ans, à enta-
mer une grève de la faim, le 22 no-
vembre. Il a déjà perdu plus de
9 kilos. « Manquer d’eau en France,
vous imaginez ?, nous interpelle-
t-il. En août 2022, un jeune est mort
noyé en essayant de se laver dans
le canal de Bourbourg [à proxi-
mité du campement]. »
Le projet de loi « immigration » ?
« C’est drainer l’opinion des Fran-
çais, qui vivent de plus en plus
dans la peur », dit M. Lascoux, qui
s’est installé dans une chambre
de la maison Sésame, à Herzeele
(Nord), un lieu de vie citoyen, qui
permet d’offrir quelques jours de
répit aux personnes en transit
vers le Royaume-Uni. Il y a ce
jour-là dans la maison un grand
monsieur soudanais, qui porte
sur son dos son fils de 15 mois. « Je
vais traverser », nous dit-il en des-
cendant l’escalier de la maison,
engoncé dans son manteau. Il
part sous la pluie. Cela fait des
mois qu’il erre en France. Une
nuit de traversée, il a été séparé de
sa femme et de leurs autres en-
fants. Eux sont déjà en Angle-
terre. Lui entend les rejoindre. p
julia pascual
12 | france
A LFI, la « bataille perdue »
de la démocratie interne
Des militants et des élus déplorent le manque de débats au sein
du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, considéré comme « clanique »
C U
e sera leur troisième
« grand-messe » depuis
l’élection présidentielle
de 2022. Samedi 16 dé-
cembre, plus d’une centaine
d’« insoumis » venus de toute la
France tiendront une nouvelle
« assemblée représentative », à
l’Espace Charenton à Paris. Or-
chestrée par la direction de La
France insoumise (LFI), cette réu-
nion doit évoquer les actions mi-
litantes lors de l’année écoulée et
la stratégie électorale à venir, hors
de la Nouvelle Union populaire
écologique et sociale (Nupes),
dont l’acte de décès a été offi-
cialisé par Jean-Luc Mélenchon
début décembre.
« Depuis un an, les militantes et
les militants de La France insou-
mise ont été de tous les combats »,
a écrit le coordinateur du mouve-
ment, Manuel Bompard, aux mi-
litants. Le premier lieutenant de
Jean-Luc Mélenchon cite la ba-
taille des retraites, la marche con-
tre les violences policières ou la
lutte contre les mégabassines. « Il
reste sans aucun doute beaucoup
à faire », ajoute-t-il, alors que les
« insoumis » ont été invités à faire
remonter leurs doléances.
Le rendez-vous intervient un an
après une première édition très
controversée qui avait abouti à la
mise en place d’une nouvelle di-
rection autour de Manuel Bom-
pard, devenu coordinateur du
premier parti de gauche. Au pas-
sage, les vieux compagnons de
route de Jean-Luc Mélenchon, les
députés Alexis Corbière, Raquel
Garrido, François Ruffin, Clémen-
tine Autain et Danièle Simonnet,
avaient été mis à l’écart.
Un bilan devait être tiré de cette
nouvelle direction, uniquement
composée de députés proches de
Jean-Luc Mélenchon. « On devait
La chambre régionale des comptes épingle
les cumuls d’emplois des proches d’Eric Ciotti
Le conseil départemental des Alpes-Maritimes, fief du président du parti LR, est visé pour
des cas de « cumuls non déclarés ou non autorisés » de fonctions parmi ses employés
L e ton demeure policé, mais
le constat n’en est pas
moins sévère. Dans son rap-
port d’observations définitives,
présenté vendredi 15 décembre
aux élus du conseil départemen-
tal des Alpes-Maritimes, la cham-
bre régionale des comptes de Pro-
vence-Alpes-Côte d’Azur pointe
les « cumuls d’emplois non décla-
rés ou non autorisés » pratiqués au
sein de l’exécutif départemental.
« Quatre collaborateurs du cabi-
net et deux agents de la collecti-
vité », écrivent les rapporteurs, se
trouvaient dans l’illégalité au mo-
ment de leur enquête. Ces agents
cumulaient en effet leur emploi à
temps partiel avec un autre
temps partiel en tant que collabo-
rateurs parlementaires. Un cu-
mul qui n’est possible que dans
certaines configurations en ma-
tière de répartition des temps de
travail et avec une autorisation
expresse, que les collaborateurs
concernés n’ont pas toujours
fournie, « par méconnaissance (…)
de leurs obligations administrati-
ves », selon les justifications four-
nies par le département.
Le rapport ne le précise pas,
mais les personnes en question
travaillent au service du député
Eric Ciotti, également ancien
président du conseil départe-
mental de décembre 2008 à sep-
introduire plus de “parité sociale”.
J’attends qu’on me dise qui va dé-
missionner pour faire entrer quel
non-député », fait mine de s’inter-
roger la députée LFI de Seine-
Saint-Denis Raquel Garrido, qui
aurait bien « aimé assister » à la
réunion de samedi. N’étant pas
membre de la direction, elle n’y a
pas été conviée.
Défections et critiques
Le sort de celle qui a été sanction-
née par son propre parti – en
étant privée de quatre mois d’in-
tervention à l’Assemblée natio-
nale – pour avoir osé critiquer
M. Mélenchon a incarné les divi-
sions entre les partisans du triple
candidat à la présidentielle et les
« frondeurs », et alimenté de
nombreuses conversations chez
les militants. « Les camarades en
ont assez des divisions stériles »,
témoigne Camille, un nom d’em-
prunt, vingt ans de militantisme
en Seine-Saint-Denis à son actif.
« Quand on tracte dans la rue, on
nous demande : “Pourquoi Gar-
rido a été virée ?” », ajoute-t-il.
Camille fait partie des 450 mili-
tants (soit 10 % de ceux qui sont
actifs, selon leurs calculs) qui ont
signé l’appel à « une VIe République
à La France insoumise », exigeant
« Vous avez des
espaces pour
discuter, mais
pas pour décider
d’une ligne
concurrente »
MATHIEU AZCUÉ
adjoint au maire de Lyon,
qui a quitté LFI
tembre 2017. Comme l’avait relaté
Le Monde en mai, si M. Ciotti a dû
renoncer en 2017, pour cause de
non-cumul des mandats, à la pré-
sidence du département, il a
conservé la mainmise sur celui-ci.
Outre son mandat de conseiller
départemental de son canton de
Tourrette-Levens, il est aussi
président du groupe majoritaire
à l’Assemblée départementale,
mais également président de sa
commission des finances. Un ti-
tre qui lui donne un regard privi-
légié sur les choix d’investisse-
ment de son département. Dé-
partement qu’il représente dans
pas moins de onze syndicats mix-
tes et conseils d’administration
d’organismes locaux.
« Dans le respect du cadre légal »
Mais le contrôle exercé par
M. Ciotti passe également par sa
garde rapprochée, présente en
nombre au sein du cabinet du
président – en titre – du conseil
départemental, Charles-Ange
Ginésy. En mai, Le Monde avait
dénombré pas moins de qua-
tre cas de cumul parmi les
cinq collaborateurs parlementai-
res déclarés par M. Ciotti à la
Haute Autorité pour la transpa-
rence de la vie publique, dont
trois étaient employés au sein du
cabinet de M. Ginésy.
plus de démocratie interne. « Pour
l’instant, c’est une bataille perdue »,
déplore la députée de Seine-Saint-
Denis Clémentine Autain. Ca-
mille, lui, regrette que « Bompard
[les] ignore superbement ».
La question démocratique re-
vient en boucle sur le terrain. Si-
gne que la parole a du mal à se li-
bérer, les militants que nous
avons interrogés ont requis l’ano-
nymat, par crainte des repré-
sailles. D’autres annoncent qu’ils
claquent la porte. Comme à Lyon,
où quatre élus de la mairie du 8e
arrondissement ont officialisé, le
12 décembre, leur départ d’un
mouvement « clanique » au sein
duquel « il souffle un vent sectaire,
alors que le moment est de fédérer
largement à gauche ». « Vous avez
des espaces pour discuter, mais
pas pour décider d’une ligne
concurrente », regrette Mathieu
Azcué, adjoint au maire, très atta-
ché pourtant à « L’Avenir en com-
mun », le programme de LFI.
« On ne peut pas être les défen-
seurs de la VIe République et ne pas
l’expérimenter en interne », avance
le conseiller à la région Hauts-de-
France Julien Poix, qui a égale-
ment quitté LFI fin novembre. Ce
dernier regrette l’absence de « vie
interne » qui ne convient pas à un
« mouvement d’éducation popu-
laire », dont la vocation serait de
« conscientiser le peuple ».
Une autre voix critique s’est dis-
crètement fait entendre ces
derniers jours. Celle de Martine
Billard, coprésidente du Parti de
gauche aux côtés de Jean-Luc
Mélenchon entre 2010 et 2014.
Récemment, elle a diffusé sur
l’une des boucles internes du
mouvement un texte de sept pa-
ges, que Le Monde a pu consulter.
Face à un monde qui entre, selon
elle, dans « une phase réaction-
Une manière pour l’ancien
président de garder un œil sur les
décisions prises par son suc-
cesseur. Une façon aussi, en mu-
tualisant les coûts entre son
enveloppe parlementaire et le
conseil départemental, d’entre-
tenir une équipe importante de
cinq assistants, là où la plupart
des députés n’en salarient que
deux ou trois. Un rapport statis-
tique de l’Assemblée nationale
indique que, en 2022, 60 % des
contrats de collaborateurs cor-
respondaient à des temps pleins.
Selon le même document, seuls
23 % des députés employaient
cinq collaborateurs ou plus.
Dans ses réponses au Monde,
en mai, M. Ginésy s’était félicité de
la présence au sein de son cabinet
de ces collaborateurs également
assistants parlementaires, parlant
d’une « excellente passerelle pour
défendre les intérêts de la collecti-
vité départementale dans le débat
national ». M. Ciotti, pour sa part,
avait assuré que ces cumuls
étaient effectués « dans le strict
respect du cadre légal et réglemen-
taire ». La chambre régionale des
comptes ne semble pas du même
avis, et demande dans ses conclu-
sions de « régulariser la situation
des déclarations et autorisations
de cumul d’activités pour certains
collaborateurs de cabinet ».
naire à l’échelle planétaire », elle
invite à « bien mesurer nos pro-
pos », et à « être ferme sur le fond
mais calme sur la forme ». Une fa-
çon de remettre en question la
stratégie du « bruit et de la fu-
reur » de Jean-Luc Mélenchon.
Pour « reconstruire le rapport de
force », « traiter nos partenaires de
la Nupes de traîtres n’avance à
rien », « tout comme se taper des-
sus entre militants », ajoute-t-elle.
Elle prévient aussi le triple candi-
dat à la présidentielle qu’« aucune
aventure personnelle ne réglera »
le problème. Enfin, elle suggère la
mise en place de « lieux de débats
pour affiner notre stratégie ».
Quelle stratégie électorale ?
Les prochaines échéances électo-
rales occupent également les es-
prits. Au-delà des élections euro-
péennes de juin 2024, beaucoup
s’interrogent sur la stratégie pour
les municipales de 2026. Les mili-
tants locaux pourront-ils nouer
des alliances avec d’autres partis
de gauche, alors qu’avec la fin de
la Nupes c’est l’Union populaire
qui est mise en avant ? Compren-
dre : des alliances avec « la base »,
plutôt qu’avec les partis.
« Ce qui se dessine, c’est une stra-
tégie monolithique dérivée du na-
tional », s’inquiète une militante
du Morbihan, qui aimerait que LFI
puisse rejoindre une liste d’union.
A Coulommiers (Seine-et-Marne),
où l’opposition est 100 % Nupes,
une militante trouverait logique
que LFI se place derrière la com-
muniste Aude Canale. « On nous a
répondu qu’il fallait au moins mon-
ter une liste pour instaurer le rap-
port de force », relate-t-elle. Jusqu’à
2026, la route est encore longue, et
la direction de LFI assure que sa
porte reste ouverte. p
sandrine cassini
Elle évoque un autre point pro-
blématique, celui du cas de
deux personnes bénéficiant du
statut d’agents territoriaux au
conseil départemental, tout en
étant employées comme collabo-
rateurs parlementaires. Or, pré-
cise le rapport, « la réglementa-
tion ne leur permet pas d’exercer à
titre accessoire une telle activité ».
Il est donc demandé que la situa-
tion soit régularisée au plus vite.
Ce point pourrait cibler une
collaboratrice de M. Ciotti, là en-
core rémunérée à temps partiel
comme assistante parlementaire,
et présentée localement comme
sa secrétaire particulière.
Dans ses réponses au rapport de
l’instance de contrôle régionale, le
président du département, Char-
les-Ange Ginésy, assure que « les
quelques cumuls d’activité en vi-
gueur au sein de la collectivité ont
fait l’objet d’une régularisation et
sont pleinement conformes à la ré-
glementation en vigueur », et que
la situation est donc régularisée.
Dans le dernier décret portant
nomination des membres de son
cabinet, paru en octobre, on
constate cependant toujours la
présence, parmi son cabinet, de
deux personnes également
collaboratrices parlementaires
de M. Ciotti. p
samuel laurent
Fin de vie : le préprojet
de loi suscite la « colère »
de soignants
Une première mouture du texte
« ouvre la possibilité de bénéficier
de l’administration d’une substance létale »
n tir de barrage qui se
veut dissuasif. Alors que
l’exécutif prévoit de pré-
senter un projet de loi sur la fin de
vie « courant février », une version
provisoire du texte suscite la « co-
lère » de soignants hostiles à
l’aide active à mourir, dans un
communiqué de presse publié
jeudi 14 décembre.
Ils réagissent à une première
mouture gouvernementale inti-
tulée « Projet de loi relatif à l’ac-
compagnement des malades et de
la fin de vie » – que Le Monde a dé-
voilée le 14 novembre (édition da-
tée du 15 novembre). Ce document
non rendu public depuis lors est
parvenu sur le bureau de la
Société française d’accompagne-
ment et de soins palliatifs (SFAP),
mercredi 13 décembre. Il a été re-
pris le même jour dans Le Figaro.
Il s’agit d’« un texte indigent dont
le caractère approximatif témoi-
gne d’une grave méconnaissance
de l’existant », juge la SFAP dans
son communiqué de presse, cosi-
gné avec une douzaine d’autres
associations et organisations de
soignants (représentant des gé-
riatres, des réanimateurs, des in-
firmières et des professionnels de
l’hospitalisation à domicile), réu-
nies depuis plusieurs mois dans
un collectif opposé à la légalisa-
tion d’une aide à mourir.
« Je suis sous le choc »
Le préprojet de loi, daté du 6 octo-
bre, a été rédigé par Agnès Firmin
Le Bodo, ministre déléguée
chargée de l’organisation territo-
riale et des professions de santé.
Il a été remis à l’Elysée il y a plus
de deux mois, conformément au
souhait exprimé, le 3 avril, par le
chef de l’Etat, Emmanuel
Macron, de « bâtir un projet de loi
d’ici à la fin de l’été ».
Le texte de Mme Firmin Le Bodo
comprend un chapitre III consa-
cré à « l’accès à l’aide à mourir »
qui inclut huit articles. L’aide à
mourir, explique le document
dans la présentation du contenu
de ces articles « ouvre à la per-
sonne en fin de vie la possibilité de
bénéficier de l’administration
d’une substance létale ».
Le préprojet précise : « Cette ad-
ministration est par principe réali-
sée par la personne elle-même. » Il
indique toutefois que « si la per-
sonne est en incapacité physique
de s’auto-administrer la substance
létale, un tiers peut la lui admi-
nistrer. Ce tiers peut être un méde-
cin ou un infirmier. » Le texte pré-
voit « également la possibilité pour
un proche d’assurer ce rôle (par
exemple : amener le verre et faire
boire à la personne la substance lé-
tale, etc.) ». L’exposé des motifs des
articles indique que le texte de loi
« introduit une exception d’eutha-
nasie, sans la nommer » et souli-
gne : « L’expression “aide à mourir”
a été privilégiée aux termes “sui-
cide assisté” et “euthanasie”. »
EXÉCU T I F
Le conseiller de Macron
pour la communication
Frédéric Michel
quitte l’Elysée
Frédéric Michel, qui était de-
puis septembre 2022 respon-
sable de la communication
d’Emmanuel Macron, a an-
noncé jeudi 14 décembre qu’il
quittait ses fonctions pour
rejoindre MCH Group, un
groupe suisse de marketing
direct, opérateur de grands
salons d’art contemporain.
« Cela a été un vrai honneur
de travailler pour le président
Macron », a-t-il déclaré sur sa
page LinkedIn. – (AFP.)
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Le collectif
de soignants
dénonce
« un schéma
qui se rapproche
des modèles
étrangers les plus
permissifs »
Pour les signataires du commu-
niqué publié jeudi, « l’ensemble
[de ces] dispositions vont à re-
bours des demandes adressées par
les soignants ».
Le collectif dénonce « un schéma
qui se rapproche des modèles
étrangers les plus permissifs », et re-
proche au ministère sa « façon cy-
nique d’avancer masqué », en pré-
voyant l’euthanasie mais « sans la
nommer ». « Je suis sous le choc en
découvrant ce document, déclare
au Monde la docteure Claire Four-
cade, présidente de la SFAP. Il s’agit
ni plus ni moins que d’introduire
l’euthanasie dans la loi, à l’image
du modèle en vigueur en Belgi-
que », qui prévoit le suicide assisté
et l’euthanasie et auquel la SFAP
est vigoureusement opposée.
Ce préprojet de loi témoigne
d’un « mépris envers les soignants
de la part d’une ministre qui pré-
tend pourtant les avoir écoutés.
Mais qui ne les a manifestement
pas entendus », s’indigne la doc-
teure, invitée avec d’autres pro-
fessionnels de santé à participer
au groupe réuni depuis septem-
bre par Mme Firmin Le Bodo pour
préparer le projet de loi.
Au passage, évoquant la possibi-
lité ouverte dans le texte du mi-
nistère qu’« un proche » puisse
être impliqué dans l’administra-
tion du produit létal, le collectif
autour de la SFAP s’interroge :
« Qu’en sera-t-il des personnes vul-
nérables notamment âgées, qui
déjà si souvent craignent d’être un
poids pour leur entourage ? »
Le communiqué conclut : « Sur la
base de ce texte, le gouvernement
doit être conscient qu’il n’y aura
aucun accord avec les soignants. »
Ce préprojet de loi est sur le bu-
reau du président de la Républi-
que, mais aucun texte n’a encore
été transmis au Conseil d’Etat. Et
l’Elysée et Matignon continuent
de consulter les acteurs du sujet.
Dans les couloirs du ministère
de la santé, on laissait toutefois
entendre, ces derniers jours, que
l’exception d’euthanasie pourrait
bien demeurer in fine dans le
texte gouvernemental.
Si la seule version connue à ce
jour du texte en préparation sus-
cite une levée de boucliers parmi
les soignants, les partisans d’un
droit à une aide active à mourir
s’inquiètent, de leur côté, d’un
nouveau report du projet de loi. p
béatrice jérôme
ÉD U C AT I ON
Les atteintes à la laïcité
à l’école en baisse
en novembre
Les signalements d’atteintes
à la laïcité à l’école ont enre-
gistré une forte hausse en
septembre (1 034, + 40 % par
rapport à juin) et en octobre
(1 812), « marqués par des
circonstances particulières :
l’interdiction du port de
l’abaya et du qami en septem-
bre et l’attentat contre
Dominique Bernard en octo-
bre », avant de nettement re-
culer en novembre (460), a
indiqué jeudi le ministère de
l’éducation. – (AFP.)
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Rénovation sous tension à l’Alma-Gare, à Roubaix
Des mesures strictes ont été prises pour sécuriser les travaux du quartier. Des habitants s’opposent à ce projet
REPORTAGE
roubaix (nord) - envoyée spéciale
D’
abord, ils ont
aperçu deux dro-
nes patrouiller au-
dessus de leurs tê-
tes. Puis, ils ont regardé des
ouvriers ériger des murs de béton
hauts de 2,50 mètres autour de
plusieurs immeubles. Enfin, ils
ont vu débarquer des cars de CRS
à chaque coin de rue. Pour les
habitants du quartier populaire
de l’Alma-Gare, à Roubaix (Nord),
le chantier de rénovation urbaine
démarre sous très haute tension.
Ces mesures de sécurisation
drastiques ont été décidées mi-no-
vembre tantôt par le préfet de ré-
gion, tantôt par le maire, le bailleur
social et le maître d’œuvre, à la
suite d’insultes, de menaces et de
jets de galets émanant de jeunes
du quartier en direction des sala-
riés de l’entreprise qui réalisent les
travaux. Dans la nuit du 28 au
29 novembre, une pelleteuse a été
incendiée. Ces incidents intervien-
nent dans un climat dégradé de-
puis des mois. Manque d’informa-
tions, non-concertation, démoli-
tions… Certains habitants s’oppo-
sent à un projet qu’ils jugent
« désastreux » et « invraisembla-
ble » compte tenu de l’architecture
et de l’histoire de ce quartier, étu-
dié dans les écoles d’urbanisme et
symbole, dans les années 1970 et
1980, d’une participation ci-
toyenne inédite et exemplaire.
D’abord, ils ont vu une famille
partir, puis deux, puis trois. Puis,
ils ont observé un premier im-
meuble se vider, et un second. En-
fin, ils ont vu les camions de chan-
tier arriver. « On n’a rien compris,
on n’y croyait pas, la rénovation ur-
baine, on en parle depuis tellement
longtemps, mais personne ne nous
a véritablement dit que le projet
était validé et que les travaux al-
laient démarrer », raconte Florian
Vertriest qui dénonce un projet
« humainement indigne », car
conçu et décidé « sans ses habi-
tants », « sans aucune concerta-
tion ». A 29 ans, le coach sportif a
habité toute sa vie à l’Alma. En
août 2022, il a fondé le collectif
Non à la démolition dans le quar-
tier de l’Alma-Gare. « Mur de la
honte », « Non à la démolition, oui
Monique Olivier reste mutique sur la disparition d’Estelle Mouzin
Le calvaire de la fillette enlevée et tuée par son époux, Michel Fourniret, en 2003, a monopolisé les débats de la cour d’assises de Nanterre, jeudi
P our rater un interrogatoire
aux assises, il faut être
deux. Monique Olivier et
Didier Safar s’y sont employés,
jeudi 14 décembre, à Nanterre, et
l’on avait du mal à décider, après
cette pénible journée, qui de l’ac-
cusée ou du président de la
cour avait le plus contribué à dévi-
taliser l’audience, à saborder ce po-
tentiel moment de vérité.
Monique Olivier, ses réponses
marmonnées qui s’arrêtent à mi-
chemin, ses innombrables « je sais
plus » soupirés, ses contradictions
et ses silences suspects ? Ou bien
Didier Safar, président rigide ac-
croché aux procès-verbaux d’en-
quête, réfractaire à toute idée de
spontanéité à l’audience, agressif
envers une accusée dont l’histoire
a pourtant démontré qu’il fallait,
plus que d’autres, savoir la manier
délicatement pour la faire parler ?
Le sujet du jour aurait pourtant
mérité un effort de chacun : Moni-
que Olivier était interrogée au su-
jet de l’enlèvement et du meurtre
d’Estelle Mouzin par son défunt
mari, Michel Fourniret, en 2003.
C’était sans doute la dernière occa-
sion d’obtenir des précisions sur
l’un des faits divers les plus mar-
quants du XXIe siècle en France, et
à la rénovation », peut-on lire sur
les affiches jaunes collées sur les
palissades de béton.
Comme à l’Alma, un peu partout
en France – Tours, Grenoble, Tou-
louse, Plaisir (Yvelines), Saint-De-
nis (Seine-Saint-Denis)… –, des col-
lectifs d’habitants s’érigent contre
les projets de rénovation urbaine
dont ils estiment avoir été écartés.
Un thème au cœur du nouveau
long métrage du réalisateur Ladj
Ly, Bâtiment 5. « On déplace des po-
pulations vers des périphéries en es-
pérant faire venir d’autres popula-
tions moins précaires ; on leur dit
“on va rénover votre quartier, qui
en a bien besoin, mais ce sera sans
vous parce que vous allez partir”,
c’est absurde », dénonce François
Piquemal, député « insoumis » de
Haute-Garonne, auteur d’un rap-
port publié en juin, « Allô ANRU ».
« Chasser les plus pauvres »
A l’heure où l’Agence pour la
rénovation urbaine (ANRU), créée
en 2003 par le ministre de la ville
de Jacques Chirac, Jean-Louis Bor-
loo, s’apprête à fêter ses 20 ans,
elle se retrouve sous le feu des cri-
tiques. « A-t-elle répondu aux ob-
jectifs annoncés de mixité sociale,
de désenclavement, d’insertion,
d’accès à l’emploi et aux services
publics ? Non », tranche François
Piquemal, qui évoque des « politi-
ques absurdes et injustifiables ». Si
le député concède malgré tout
« quelques réussites », il partici-
pera à une mission d’information
portant sur le bilan de l’ANRU qui
devrait démarrer en avril 2024.
A l’Alma, « quartier emblémati-
que des problèmes liés à la façon
dont sont menés les projets de ré-
novation », selon M. Piquemal, le
plan actuel prévoit la démolition
de plus de 480 logements, 390 ré-
habilitations et « seulement »
90 constructions. Coût de l’opéra-
tion : entre 130 et 140 millions
d’euros. Objectif de la municipa-
lité, principale porteuse du projet :
« dédensifier » l’Alma en créant des
ouvertures afin « d’améliorer le
cadre de vie », explique le maire
(divers droite), Guillaume Delbar,
qui se défend de tout manque de
concertation et dit s’être « battu
avec l’ANRU » pour limiter le nom-
bre de démolitions. « Sur les 639 fa-
milles qui doivent être relogées,
pour les parents d’Estelle Mouzin,
d’en apprendre davantage sur les
dernières heures de leur fille.
Les aveux de Michel Fourniret,
en 2020, étaient alambiqués et im-
précis. Monique Olivier, elle, avait
reconnu sa participation aux faits
un an plus tard, « mais vous n’avez
pas tout dit du calvaire subi par
Estelle Mouzin », a commencé le
président Safar, bien conscient de
l’enjeu : « Que vous nous disiez le
plus précisément possible ce qui
s’est passé entre son enlèvement [le
9 janvier 2003 vers 18 heures] et
son décès [probablement le lende-
main soir]. Fourniret étant mort,
vous seule pouvez le dire, madame.
Je vous demande de ne pas refuser
cette vérité que vous devez aux
parents d’Estelle Mouzin. »
« C’est le dernier
moment où l’on
parle d’Estelle,
(...) dites-nous
où elle est ! »
DIDIER SEBAN
avocat du père
d’Estelle Mouzin
Florian Vertriest, un habitant du quartier de l’Alma contre la démolition, à Roubaix (Nord), le 5 décembre. ANOUK DESURY POUR « LE MONDE »
seulement 14 ont demandé à y re-
tourner », affirme l’élu, soulignant
les problèmes « d’insécurité et de
trafic de drogue ». « Quatorze fa-
milles ? Je n’y crois pas ! », tonne
Monique Servais, 85 ans, dont cin-
quante à l’Alma. Dans cette ville
composée à 80 % de quartiers
prioritaires de la politique de la
ville, « le maire veut chasser les plus
pauvres pour faire venir des étu-
diants et des classes moyennes,
c’est ça que l’on ressent », témoi-
gne-t-elle. Ex-présidente du centre
social du quartier, elle est à la tête
d’un autre collectif d’habitants, Vi-
vre à l’Alma, fondé en février, en ré-
ponse aux conditions de vie indi-
gnes des habitants, « sans chauf-
fage les trois quarts du temps », et
au projet de rénovation urbaine
conçu « avec une prétendue con-
certation », dénonce-t-elle aussi.
« Ces démolitions me font mal au
ventre », souffle-t-elle.
Où la petite fille a-t-elle été sé-
questrée ? A-t-elle été entravée ?
Droguée ? Frappée ? Violée ? A-t-
elle tenté de fuir ? Quand et com-
ment a-t-elle été tuée ? Quels ont
été le rôle et l’attitude de Monique
Olivier ? Ce qu’elle n’avait pas dit
clairement en 34 interrogatoires
sur le dossier Mouzin depuis
2019, l’accusée allait-elle le dire en
une journée à la cour d’assises ?
En se lançant dans son interroga-
toire comme un chien dans un jeu
de quilles, Didier Safar n’a pas mis
toutes les chances du côté de la
manifestation de la vérité, et, au
bout d’une demi-heure de ques-
tions fermées, posées de manière
brusque, sans jamais laisser à Mo-
nique Olivier le temps de répon-
dre, le président était interrompu
par les avocats des deux bords qui,
dans une intervention rare, lui
suggéraient de faire autrement.
« Toutes les questions que vous
posez sont légitimes, mais Mme Oli-
vier pourrait peut-être raconter ce
qu’elle reconnaît, avant que vous
puissiez la confronter à ses contra-
dictions ? », a proposé Richard Del-
genes, avocat historique de l’accu-
sée. « Il faut du temps à Monique
Olivier, donc laissons-la parler », a
appuyé Didier Seban, avocat du
Le 30 novembre 2022, Florian
Vertriest s’est rendu, avec plu-
sieurs membres de son collectif, à
l’Assemblée nationale, audi-
tionné dans le cadre d’un projet
de loi visant à inclure dans le pro-
cessus des habitants « trop sou-
vent peu, pas ou mal concertés »,
explique Charles Fournier, dé-
puté (écologiste) d’Indre-et-Loire,
qui espère porter le projet devant
l’Assemblée au printemps 2024.
« Freins à la coconstruction »
Ce projet a pour objectif d’imposer
par la loi ce que l’article 1.3 du rè-
glement général de l’ANRU pré-
voit : « Les habitants et usagers du
quartier, notamment les représen-
tants des associations de locataires
présentes sur le quartier, sont par-
ties prenantes du projet de renou-
vellement urbain. Ils sont associés à
toutes ses étapes, dans une dyna-
mique de coconstruction. » Dans
père d’Estelle Mouzin et de plu-
sieurs familles de victimes du
couple Fourniret-Olivier, qu’il
connaît par cœur.
Aidée par les mots rassurants de
son avocat et par les questions
ouvertes d’une assesseuse, Moni-
que Olivier s’est alors mise à parler,
un peu. Ses réponses, par nature
sujettes à caution car impossibles
à vérifier, n’ont permis qu’une es-
quisse de reconstitution des der-
nières heures d’Estelle Mouzin,
dans le grenier d’une maison insa-
lubre de Ville-sur-Lumes (Arden-
nes), héritage de la sœur de Michel
Fourniret, à quelques kilomètres
du domicile du couple, à Sart-Cus-
tinne (Belgique).
« Je sais pas »
Monique Olivier dit y avoir passé
quelques heures, pour « rempla-
cer » Michel Fourniret, parti tra-
vailler. « J’étais révoltée quand j’ai
vu cette petite fille. » Elle était
« triste », « en pleurs », « pas très re-
muante ». Elle se rappelle s’être
« assise près d’elle, mais pas long-
temps ». « Elle m’a dit qu’elle vou-
lait voir sa maman, j’ai dit qu’elle
allait bientôt la voir. Je l’ai amenée
aux toilettes, puis je l’ai remise
dans la chambre. »
« Personne ne nous
a véritablement
dit que le projet
était validé et que
les travaux allaient
démarrer »
FLORIAN VERTRIEST
fondateur du collectif
Non à la démolition dans le
quartier de l’Alma-Gare
les faits, l’ANRU n’a pas la main sur
la mise en place de la concertation.
Aucune sanction ni contrôle ne
sont par ailleurs prévus si les por-
teurs de projets locaux décident de
faire sans les résidents, ou de con-
sulter a minima. Consciente que
toutes les collectivités ne jouent
pas le jeu, l’agence a mandaté un
Monique Olivier dit avoir alors
fait le ménage en attendant le re-
tour de Michel Fourniret en fin
d’après-midi, puis être rentrée à
Sart-Custinne seule. Quelques
heures plus tard, Michel Fourniret
rentrait à son tour. « Il a simple-
ment dit : “C’est fini.” » A l’audience,
Monique Olivier dit qu’elle ne
« croit pas » qu’il l’ait violée. A la
juge d’instruction, elle avait dit
qu’il l’avait « violée », puis qu’il
avait « tenté de la violer » sans y ar-
river. Les questions des magistrats
et des avocats se brisent sur cette
accusée insondable. On n’y verra
sans doute jamais plus clair.
On ne saura sans doute jamais,
non plus, où Estelle Mouzin a été
enterrée. Monique Olivier dit ne
pas s’en souvenir précisément.
Elle avait indiqué aux enquêteurs
une zone où des fouilles ont été
menées, en vain. La question n’a
jamais cessé de tourmenter la fa-
mille Mouzin. Cinq, dix, quinze
fois, sur tous les tons, la question a
été posée à Monique Olivier jeudi.
A chaque fois, Monique Olivier a
répondu qu’elle l’ignorait. « C’est le
dernier moment où l’on parle d’Es-
telle, a insisté Me Seban, haussant
le ton. C’est une icône nationale,
c’est l’enfant que tout le monde
france | 13
doctorant pour une mission de
trois ans à compter du mois de jan-
vier 2024, chargé d’identifier tous
les « freins à la coconstruction » et
de mettre au point un guide des
bonnes pratiques.
Avec le projet de loi, l’idée est
d’aller plus loin en proposant no-
tamment la création d’un « fonds
pour une démocratie d’initiative
citoyenne » afin de financer
l’organisation collective des ci-
toyens et des possibilités de
contre-expertise indépendante
et l’organisation d’« assemblées
de comptes à rendre » durant tout
le processus de rénovation ur-
baine. « Les habitants ont l’im-
pression de subir des décisions qui
viennent d’en haut, plaide le dé-
puté Charles Fournier. Ils occu-
pent trop souvent une place mi-
neure dans une décision majeure
qui va transformer leur vie. » p
louise couvelaire
cherchait, dites-nous où elle est !
– Je sais pas !
– Je vous en supplie, dites-nous !
– Je sais pas ! »
Voilà plus de sept heures que
l’accusée est interrogée lorsque
vient le tour de son avocat. « On
vous pose beaucoup de questions,
mais à force, on n’arrive plus à sa-
voir, dit Me Delgenes. On ne sait
plus si vous ne voulez pas dire ou si
vous ne savez pas. » La salle l’a vu à
l’œuvre le matin, s’il y en a un qui
peut, marche après marche, me-
ner Monique Olivier vers des ré-
vélations, c’est lui. Mais voilà, au
bout de sept heures, l’accusée est
carbonisée. « J’ai la tête en bouillie,
marmonne-t-elle, y a des ques-
tions que je comprends plus. »
Me Delgenes, dépité, se rassoit.
« Je voulais participer avec tout le
monde à quelque chose. Manifeste-
ment, elle est pas en état. Ça sert à
rien. » Le président refuse que l’in-
terrogatoire se poursuive le lende-
main. C’est ainsi que le procès de
Monique Olivier va s’achever – les
plaidoiries débutent vendredi, le
verdict est attendu mardi. La fa-
mille d’Estelle Mouzin, qui attend
des réponses depuis vingt ans,
méritait mieux. p
henri seckel
14 | sports
John Textor :
« Je veux des joueurs
qui viennent
gagner des titres »
L’homme d’affaires américain revient
sur sa première année mouvementée
à la tête d’un Olympique lyonnais en crise
et dernier du championnat de Ligue 1
ENTRETIEN
L
e rachat de l’Olympique
lyonnais par l’homme
d’affaires américain John
Textor, 58 ans, a été con-
clu le 19 décembre 2022. Par le
biais de sa société Eagle Football, il
dispose des pleins pouvoirs au
sein d’OL Groupe, comme à Mo-
lenbeek (Belgique) et à Botafogo
(Brésil), deux clubs où il est le
principal actionnaire, alors qu’il
détient 45 % des parts de Crystal
Palace, en Angleterre. Pour Le
Monde, il revient sur ses débuts
mouvementés à la tête de l’OL et
précise sa stratégie de multipro-
priété, souvent décriée par des
supporteurs des clubs concernés.
A Lyon, les ultras du virage Nord
ont chanté : « T’es où, Textor ? » ou
exhibé une banderole : « La multi-
propriété, ça cartonne ou ça tue le
football ? » Avec le troisième bud-
get le plus élevé du championnat
de France, l’OL occupe la dernière
place du classement de Ligue 1
avant d’affronter Monaco, ven-
dredi 15 décembre.
Le 19 décembre marquera
le premier anniversaire de
votre arrivée à la tête de l’OL.
Avez-vous prévu de le fêter ?
En décembre, je fête Noël nor-
malement ! A l’OL, je retiens plu-
tôt la mi-mai comme début de
ma présidence [moment où il
avait définitivement écarté son
prédécesseur, Jean-Michel Aulas].
Avant cela, même si j’étais déjà
propriétaire du club, je n’avais
pas vraiment d’influence sur les
décisions.
Vous attendiez-vous
à des débuts si compliqués ?
A la fin de la saison dernière,
l’équipe était un mélange de très
jeunes joueurs et de joueurs en
fin de carrière. Elle ne ressemblait
pas à une équipe normale. Mais,
avec du recul, ma principale er-
reur est de n’avoir pas changé
d’encadrement dès cet été.
Avez-vous envisagé de rempla-
cer l’entraîneur, Laurent Blanc,
dès l’intersaison ?
J’ai été très perturbé par ce que
j’ai observé lors de notre dernier
match du championnat [de la sai-
son 2022-2023], à Nice. J’ai eu le
sentiment que l’encadrement et
les joueurs n’accordaient aucune
DIMANCHE17DÉCEMBRE
12H-13H
Laurent Fabius,
président du Conseil constitutionnel
valeur à cette rencontre. Laurent
Blanc est un homme formidable,
il a toujours été très agréable avec
moi, mais il m’a envoyé cet été des
signaux que j’aurais dû mieux
interpréter.
Quels étaient ces signaux
d’alerte ?
Les joueurs faisaient preuve de
manque d’ambition, de travail et
de préparation physique. En
juillet, je pensais qu’ils seraient
excités à l’idée de rencontrer
Manchester United à Edimbourg
Ecosse. Dès le coup d’envoi, j’ai
constaté leur manque d’intérêt.
Ensuite, contre Crystal Palace, on
a observé le même manque d’am-
bition. Puis notre défaite à Molen-
beek, qui venait de quitter la
deuxième division belge, a été la
démonstration de tous nos pro-
blèmes. Normalement, ce que
montre une équipe pendant la
présaison est très différent de ce
qu’elle montre quand le cham-
pionnat commence. Mais, au
bout de cinq ou six matchs, je
voyais une équipe qui ne voulait
simplement pas jouer, des
joueurs qui n’étaient pas en
forme, qui ne travaillaient ni à
l’entraînement ni en match. Je re-
garde 250 matchs par an, je vois
des joueurs, je vois des données,
je sais reconnaître l’ambition.
Qu’est-ce qui vous a incité
à investir à Lyon ?
Le centre de formation. L’Olym-
pique lyonnais et le Benfica Lis-
bonne [un club que John Textor a
également tenté d’absorber,
en 2021] possèdent les deux
meilleures académies au monde.
Et, vous savez, personne ne vend
un club quand tout va bien. Au
Brésil, Botafogo était en situation
de banqueroute. En Belgique, la
situation était à peine meilleure :
Molenbeek était en deuxième di-
« J’ai fait
des choses
formidables pour
le côté business
du club. Tout cela
ne compte pas,
car l’équipe ne
gagne pas »
John Textor,
à Décines-
Charpieu
(Rhône), le
18 septembre.
JEFF PACHOUD/AFP
vision. A Lyon, le club avait
amassé une dette colossale.
Et dans le cas de Crystal
Palace ?
Je suis minoritaire dans ce club.
Je possède 45 % du capital et seu-
lement 25 % des droits de vote,
Le club avait lancé un pro-
gramme de rénovation et d’ex-
tension du centre de formation,
et mon apport en capital, en 2021,
a permis de mener à bout ce pro-
jet de Steve Parish, le propriétaire
de Crystal Palace.
Des Etats sont propriétaires de
clubs, comme l’Arabie saoudite
à Newcastle, les Emirats arabes
unis à Manchester City ou le
Qatar à Paris. Cette évolution
vous inquiète-t-elle ?
Pas sur le plan politique, mais
sur le plan de la compétitivité. En
France, Nasser Al-Khelaïfi n’a pas
à s’excuser de la domination du
PSG, mais il aime la compétition
et sait que la Ligue 1 serait plus
saine avec davantage d’adversité.
Or il n’y a pas suffisamment
d’Etats pétroliers sur la Terre pour
alimenter toutes les équipes du
monde. La collaboration entre
différents clubs de différents pays
et de différentes villes ou com-
munautés est, à mon avis, la seule
solution pour concourir contre
l’argent illimité.
Les supporteurs ne compren-
nent pas toujours votre
stratégie de multipropriété…
OUESTIONS
POLITIOUES.
Il faut être prudent quand on
parle de supporteurs. Les groupes
d’ultras représentent un faible
pourcentage des supporteurs. A
Crystal Palace, ils ont sorti une
banderole qui disait « Textor, on
n’a pas confiance en toi » et qui dé-
nonçait de supposées spécula-
tions en Bourse. Moi non plus, je
n’aime pas Wall Street. J’y ai tra-
vaillé un an quand j’étais jeune, et
je suis parti ! Mais j’aime les socié-
tés cotées en Bourse. Le mode de
propriété le plus démocratique, le
plus transparent, c’est une société
cotée en Bourse.
Dans mes entreprises, j’ai tou-
jours travaillé pour les actionnai-
res. Dans une société cotée, j’agis
pour l’actionnaire anonyme, sans
visage. Dans un club de foot, je
travaille pour le supporteur de
base, qui représente tous les sup-
porteurs. Ce supporteur « mythi-
que », vous ne le rencontrez pas
dans la foule des ultras, mais au
McDo, dans les centres commer-
ciaux. A Lyon, je circule souvent
en trottinette et je croise des sup-
porteurs qui me disent : « Conti-
nuez ! » En France, je suis d’abord
perçu comme un capitaliste amé-
ricain, puis comme un Américain
et, enfin, comme une personne.
A Lyon aussi, il y a eu
des banderoles hostiles…
Ce qui me plaît chez les ultras à
Lyon, c’est qu’ils encouragent
l’équipe pendant les 90 minutes
du match, quel que soit leur ni-
veau de colère. Mais ils protestent
parce que l’équipe perd. J’ai ap-
porté du capital, j’ai restructuré la
dette d’OL Groupe, j’ai fait des cho-
ses formidables pour le côté busi-
ness du club. Tout cela ne compte
pas, car l’équipe ne gagne pas. Je
ne parle pas très bien le français,
mais je le lis bien. Sauf sur les ban-
deroles. Je ne les regarde pas, car je
sais que cela va être hostile.
Il vous est reproché une appro-
che distante. En novembre,
vous avez demandé à Tony
Parker de s’installer dans
votre fauteuil de président
au Groupama Stadium.
Dans quel but ?
J’ai l’impression que, en France,
on veut que les clubs aient une
sorte de patriarche à leur tête.
Mais, pour moi, le patriarche du
club, c’est l’entraîneur ! On me dit
que les supporteurs veulent un
patriarche qui fait face aux camé-
ras pour protéger les joueurs
après un mauvais résultat. C’est à
l’entraîneur ou aux joueurs de
parler ! Un joueur payé 3 millions
d’euros par an peut être célébré
quand il gagne, mais il peut aussi
aller répondre aux questions
quand il perd.
Je ne pense pas qu’un proprié-
taire ait sa place dans un vestiaire.
Je ne peux pas assister à tous les
matchs. Je suis un gars de Floride,
j’aime ma vie en Floride et ma
maison aux Bahamas.
Pourquoi n’avez-vous pas pris
davantage la parole après
CARINE
BÉCARD avec
Nathalie Saint-Cricq
et Françoise Fressoz
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
« Je regarde
250 matchs
par an, je vois
des joueurs, je
sais reconnaître
l’ambition »
les graves incidents de
Marseille, fin octobre, quand
votre entraîneur, Fabio Grosso
(licencié depuis), a été blessé
au visage par des jets de
projectiles des supporteurs
marseillais sur le car de Lyon ?
J’ai parlé le soir même. Ensuite,
il y a eu un autre incident, impli-
quant mon épouse et moi. Il est
faux de dire que tout s’est passé à
l’extérieur du Stade-Vélodrome.
Quand nous avons voulu quitter
les lieux, notre véhicule a été en-
touré de supporteurs alors que
nous étions encore dans le péri-
mètre du stade. Ils ont secoué no-
tre van, tapé sur les vitres… Ma
femme était allongée sur le sol du
véhicule, elle a eu peur pour sa
vie. Et cela s’est passé dans le péri-
mètre du stade ! Je ne m’attendais
pas à ce que Marseille soit puni
sur le plan sportif, mais j’aurais
aimé que la LFP [Ligue de football
professionnel] édicte de nouvel-
les règles de sécurité plus sévères.
Où en est le dossier de la vente
de la LDLC Arena, la salle mul-
tifonction construite par OL
Groupe à côté du stade de l’OL,
à Décines-Charpieu (Rhône) ?
Notre business model est assez
clair : nous voulons consacrer no-
tre argent au foot, pas au basket
ou à la musique. Le groupe a em-
prunté et déboursé 140 millions
d’euros pour construire cette
salle. Elle dégagera peut-être des
bénéfices d’environ 10 millions
d’euros par an. Un équipement
d’une valeur de 180 millions
d’euros – car nous pouvons le
vendre 180 millions d’euros – qui
réalise un retour sur investisse-
ment de 10 millions d’euros est
un mauvais investissement.
En revanche, si l’on investit
30 millions d’euros pour cons-
truire au Brésil un centre de for-
mation du niveau de celui de
Lyon, avec ses méthodes, cela
pourrait générer des recettes de
30 millions à 40 millions d’euros
par an avec la vente des jeunes
joueurs.
A Lyon, on avait l’habitude de
faire monter très tôt les joueurs
de l’académie. On les mettait en
valeur trop jeunes, pour pouvoir
les vendre. Résultat : aujour-
d’hui, certains se sentent autori-
sés à réclamer un transfert très
vite. Quand j’ai demandé à Cas-
tello Lukeba [un arrière âgé de
20 ans, transféré cet été à Leipzig
en Allemagne] pourquoi il vou-
lait partir, il m’a dit qu’il avait
suffisamment donné à son club
formateur. Il voyait l’OL seule-
ment comme un club formateur.
Bradley Barcola [transféré au PSG
le 31 août] aussi.
Ce n’est pas ce que je veux voir
dans un vestiaire. Je veux des
joueurs qui viennent gagner des
titres. Si les jeunes issus du cen-
tre de formation ne sont pas
dans cet état d’esprit, cela rejaillit
sur l’ensemble du vestiaire. p
propos recueillis par
éric collier
TV canal 27
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

L’économie française au creux de la vague

La France échapperait de peu à la récession en fin d’année, selon l’Insee. Début 2024, la croissance serait molle

H
ésitante » fin 2023,
« un peu plus allant »
début 2024… L’écono-
mie de la France,
comme celle de plusieurs de ses
voisins européens, affiche une pe-
tite mine en cette fin d’année.
Mais elle devrait échapper à la ré-
cession, selon les projections de
l’Insee publiées jeudi 14 décembre.
Avec une activité totalement
atone au quatrième trimestre
(0,0 %), la croissance clôturerait
2023 sur un modeste 0,8 %, après
un robuste 2,5 % en 2022. Le pre-
mier semestre 2024 devrait se tra-
duire par une légère améliora-
tion, avec une progression du PIB
de 0,2 % attendue sur les deux
premiers trimestres. Dans ce scé-
nario, l’acquis de croissance at-
teindrait 0,5 % à mi-année – à sa-
voir ce que serait la croissance sur
l’ensemble de 2024 dans l’hypo-
thèse où la progression du PIB se-
rait nulle au second semestre.
Un rythme « relativement mo-
deste », admet Julien Pouget, chef
du département de la conjonc-
ture à l’Insee. Et surtout bien plus
modeste que le 1,4 % de croissance
inscrit par Bercy dans ses prévi-
sions budgétaires pour 2024. « Il
faudrait pour atteindre cet objectif
que la croissance soit d’environ 1 %
sur les deux derniers trimestres de
l’année », indique M. Pouget, « ce
qui suppose une accélération très
forte de l’activité ».

Reflux des prix de l’énergie

A défaut de pouvoir atteindre
cette cible, l’exécutif – et surtout
les ménages, confrontés depuis
deux ans à une hausse du coût de
la vie inédite depuis trente ans –
pourra au moins se réjouir d’une
chose : l’épisode inflationniste
ouvert après la crise sanitaire est
bien en voie de se refermer. La
hausse annuelle des prix devrait
atteindre 3,7 % fin 2023 – le chiffre
définitif pour novembre étant at-
tendu vendredi 15 décembre. Une
nette décrue par rapport au pic at-
teint en février 2023 (+ 6,7 %).
Ce ralentissement s’explique
principalement par le reflux des
prix de l’énergie, et par le coup de
frein sensible sur les prix alimen-
taires intervenu depuis mi-2023.
Mais que l’on ne s’y trompe pas : si
ces deux postes, qui ont tiré l’in-
flation d’ensemble vers le haut ces
deux dernières années, perdent
en puissance, ils restent encore à
des niveaux élevés (+ 7,5 % sur
l’alimentation attendus décem-
bre). Surtout, les prix des services
vont rester soutenus. Ceux-ci sont
essentiellement fondés sur le
coût de la main-d’œuvre. Or, les
augmentations salariales interve-
nues ces deux dernières années
pour sinon rattraper, au moins
compenser un peu l’inflation ont
alourdi le coût du travail.
Conséquence : l’inflation de-
vrait encore atteindre 2,6 %, en
juin 2024, selon l’Insee. Un chiffre
bien supérieur au rythme enre-
gistré en moyenne entre 2010-
2020 (1,1 %). Du côté des salaires,
ils devraient augmenter plus vite
que l’inflation à partir du qua-
trième trimestre 2023.
Deux explications à cela : de
nombreux salariés toucheront
en cette fin d’année la prime de
partage de la valeur (ancienne-
ment prime Macron). Et, compte
tenu de l’inflation passée, le smic
devrait connaître une nouvelle
revalorisation, estimée à 1,1 %, au
1er janvier 2024. S’y ajoute la reva-
lorisation des prestations socia-
les, qui sont indexées elles aussi
sur l’inflation.
Tout cela va conduire à légère-
ment regonfler le pouvoir
d’achat des ménages. « On s’at-
tend à une hausse de 0,8 % du
pouvoir d’achat en 2024, soit le
même chiffre que celui de la crois-
sance », indique Julien Pouget.
Les mieux lotis seront les ména-
ges aisés : les revenus du patri-
moine, portés par la hausse des
taux d’intérêt, devraient être par-
ticulièrement dynamiques, avec
un bond de 9 % environ.
Cette légère reprise du pouvoir
d’achat va-t-elle inciter les ména-
ges, qui jouent les fourmis depuis
la crise du Covid-19, à relâcher un
peu de lest sur les dépenses ? Rien
n’est moins sûr. Malgré un léger
rebond au troisième trimestre, la
consommation s’annonce atone
en cette fin d’année et ne reparti-
rait que début 2024. Le taux
d’épargne des Français va donc
rester compris entre 17,5 % et
18 %, un niveau particulièrement
élevé que les économistes pei-
nent à expliquer.
Ralentissement des embauches
La dégradation attendue du mar-
ché du travail n’y est peut-être
pas pour rien. Confrontées à une
demande qui commence à fai-
blir, à des conditions de finance-
ment coûteuses, les entreprises
qui ont massivement embauché
depuis 2020 devraient se mon-
trer plus parcimonieuses dans
leurs recrutements.
Loin du plein-emploi espéré
par l’exécutif, le taux de chô-
mage, actuellement de 7,4 %, va
repartir à la hausse pour attein-
dre 7,6 % mi-2024. Parallèlement,
l’emploi en alternance, qui repré-
sente une création d’emploi sur
L’épisode
inflationniste est
bien en voie de
se refermer. La
hausse annuelle
des prix devrait
atteindre 3,7 %
fin 2023
trois entre 2019 et 2022
(400 000 emplois sur un total de
1,2 million), va se stabiliser.
Résolument « résilientes » de-
puis la crise sanitaire, dopées aux
aides versées lors de l’épidé-
mie de Covid-19 et aux prêts ga-
rantis par l’Etat, les entreprises
commencent à manifester quel-
ques signes de fatigue. Sur fond
de taux d’intérêt élevés, d’une
consommation morose et d’un
climat des affaires qui s’effrite,
l’« effet de ciseau » entre les chif-
fres d’affaires et les ressources fi-
nancières se fait sentir.
En dépit des besoins liés à la
transition énergétique, il n’y a
pas grand-chose à attendre du
côté de l’investissement des en-
treprises au premier semestre
(avec + 0,0 % au premier trimes-
tre et – 0,1 % au deuxième). La
crise avérée dans la construction
et l’immobilier assombrit encore
un peu plus le tableau : mercredi
13 décembre, la Fédération fran-
çaise du bâtiment a révisé à la
baisse (– 0,6 %) ses prévisions
d’activité pour l’année 2023, et
redoute de ce fait la disparition
de 150 000 emplois en deux ans.
Un scénario que personne n’a en-
vie de voir se propager à d’autres
secteurs. p
béatrice madeline

En Allemagne, les incertitudes politiques pèsent sur la reprise

Les grands instituts de conjoncture de la première économie européenne ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2024

berlin - correspondance Berlin, jeudi. Maigre consolation : une hausse de la taxe carbone, pour les années à venir se sont européenne ait laissé ses taux in- Germany », très dépendant des
la récession sera moindre que afin de pouvoir boucler la loi de fi- assombries en raison de la conso- changés jeudi 14 décembre, tout exportations. Ces dernières de-

T rimestre après trimestre,

aucun signe de reprise
économique ne se mani-
feste outre-Rhin. Et la nouvelle
crise politique que vient de tra-
verser le gouvernement d’Olaf
Scholz à propos du budget n’est
pas de nature à améliorer la situa-
tion. Les instituts de conjoncture,
qui ont rendu leurs projections
mercredi 13 et jeudi 14 décembre,
ont tous abaissé leurs prévisions
de croissance, ce qui devrait avoir
des conséquences pour l’ensem-
ble de l’Europe.
Ils tablent sur une hausse de
l’activité économique comprise
entre 0,6 % et 0,9 % pour 2024, un
niveau bien en deçà de celui qui
était attendu à l’été, lorsque les
experts anticipaient une progres-
sion de 1,2 % à 1,4 %. « L’économie
allemande a beaucoup de peine à
sortir de sa phase de ralentisse-
ment », résumait l’institut DIW de
prévu en 2023, avec une contrac-
tion de 0,3 %, au lieu de 0,5 %
prévu jusqu’ici.
L’économie allemande, qui était
déjà aux prises avec les consé-
quences de la crise énergétique
liées à la guerre en Ukraine, se
retrouve désormais grevée par
des incertitudes en matière de
politique économique, qui affec-
tent autant l’action gouverne-
mentale que la confiance des ac-
teurs économiques.
A la suite de l’arrêt rendu par la
Cour constitutionnelle de Karls-
ruhe le 15 novembre, qui a déclaré
illégal le transfert d’un reliquat
budgétaire de 60 milliards
d’euros dans un fonds d’investis-
sement « pour la transformation
et le climat », hors budget, le gou-
vernement a en effet annoncé un
large programme d’économies.
Celui-ci comprend notamment
des réductions de subventions et
nances 2024.
Ces mesures devraient avoir de
nets effets sur la conjoncture, an-
ticipent les experts. Non seule-
ment plusieurs milliards d’euros
de dépenses publiques prévues
pour 2024 ne seront pas injectés
dans l’économie, mais des zones
d’ombre demeurent sur l’am-
pleur exacte des réductions à ve-
nir les années suivantes.
Mesures d’austérité
« Ces incertitudes retardent la re-
prise, car elles augmentent la ten-
dance des consommateurs à
l’épargne. Et les entreprises et les
ménages repoussent leurs déci-
sions d’investissement », expli-
quait Timo Wollmershäuser, chef
du département conjoncture à
l’Ifo, jeudi matin à Berlin.
L’Institut de Kiel remarque aussi
que « les risques ont nettement
augmenté ». « Les perspectives
lidation budgétaire en cours. L’at-
tentisme en matière d’investisse-
ment se prolonge », souligne
l’économiste Stefan Kooths, pour
qui la croissance aurait été de
1,4 % sans l’arrêt de la Cour de
Karlsruhe.
Or, cette crise budgétaire, avec
les mesures d’austérité qui en dé-
coulent, intervient au moment
précis où la conjoncture aurait dû
reprendre des couleurs outre-
Rhin. Les salariés commencent à
ressentir les effets des hausses de
salaire accordées ces derniers
mois. Cela profite à toute l’écono-
mie, le taux d’activité restant à un
niveau élevé : 46,1 millions de per-
sonnes sont actuellement au tra-
vail, un nouveau record.
L’inflation, quant à elle, est en
train de refluer. Elle devrait tom-
ber autour de 2 % en 2024, ce qui
devrait stimuler la consomma-
tion. Bien que la Banque centrale
porte à croire qu’un changement
de tendance est proche, ce qui
pourrait soulager le secteur sinis-
tré de la construction, ainsi que
les investissements.
Il reste que le cœur industriel al-
lemand peine à sortir de l’or-
nière. Dans la chimie, la produc-
tion demeure faible, au niveau où
elle se trouvait fin 2022, quand la
crise énergétique l’a forcée à ré-
duire l’activité de ses installa-
tions. « Les suppressions d’em-
plois qu’on observe dans le sec-
teur, malgré la baisse des prix du
gaz et de l’électricité, montrent
qu’un changement structurel est
en cours, note M. Wollmershäu-
ser. Certaines spécialités des pro-
ductions intensives en énergie
sont en train d’être délocalisées
hors d’Allemagne. »
A cela s’ajoute le fait que la
conjoncture mondiale n’est pas
non plus favorable au « made in
vraient se contracter de 1,4 %
en 2023 et stagner en 2024, pré-
voit l’Ifo. L’évolution économique
de la Chine en particulier, premier
partenaire commercial de Berlin,
représente une source d’inquié-
tude. L’institut de Kiel anticipe,
pour le géant asiatique, une crois-
sance de 4,7 % seulement en 2024,
après 5,4 % en 2023.
« Après l’éclatement de la bulle
immobilière, la Chine est confron-
tée à une crise de croissance struc-
turelle, avec une population active
en baisse et un chômage en
hausse. Les tensions géopolitiques
gagnent en visibilité et constituent
un risque considérable pour la
conjoncture tout autour du globe,
redoute Moritz Schularick, prési-
dent de l’Ifo. La réélection d’un
président américain, Donald
Trump, en 2024, agirait comme un
accélérateur de feu. » p
cécile boutelet
16 | économie & entreprise
Christine Lagarde (à la tribune), lors de la conférence de presse de la BCE, à Francfort, jeudi 14 décembre. KAI PFAFFENBACH/REUTERS
La BCE entrevoit un
ralentissement sensible des prix
L’institut de Francfort a conservé, jeudi, ses taux directeurs inchangés
C’
est la fin d’une ère et lon les derniers chiffres d’Eurostat, « Nous ne
le début d’un nou- loin du record de 10,6 %, atteint en
veau chapitre sur le octobre 2022, lorsque l’invasion de devons
front monétaire. l’Ukraine par la Russie avait fait pas baisser
Jeudi 14 décembre, la Banque décoller les prix de l’énergie.
centrale européenne (BCE) a La BCE en a pris acte et a revu ses la garde »
maintenu ses taux directeurs in- prévisions à la baisse : de 5,4 % en CHRISTINE LAGARDE
changés pour la deuxième fois moyenne en 2023, l’indice des prix présidente de la Banque
d’affilée, prolongeant la pause devrait chuter à 2,7 % en 2024 dans centrale européenne
après les dix hausses d’affilée l’union monétaire (en septembre,
engagées depuis juillet 2022. Le l’instance européenne tablait en-
taux de dépôt, déterminant pour core sur 3,2 %), puis à 2,1 % en 2025.
le coût du crédit aux ménages et La croissance, elle, devrait s’établir phes liées au climat ne viennent
aux entreprises, reste ainsi à 4 %. à 0,6 % en 2023 et 0,8 % en 2024 pas faire dérailler ce scénario.
Motif : l’inflation ralentit enfin (contre 0,7 % et 1 % estimés en sep- Cette réunion était guettée de
dans la zone euro. Elle est en effet tembre). Cela, si les tensions géo- près par la planète finance, après
tombée à 2,4 % en novembre, se- politiques ou d’autres catastro- celle de la Réserve fédérale (Fed)
qui, mercredi 13 décembre, a main-
tenu ses taux inchangés et signalé
qu’elle les baisserait trois ou
quatre fois en 2024. Ce qui a réjoui
les marchés, qui ne s’attendaient
pas à ce que l’institution se mon-
tre aussi accommodante. « Son
président, Jerome Powell, a versé les
étrennes de Noël avant l’heure »,
commente Véronique Riches-Flo-
res, économiste indépendante.
« Pas de cadeau de Noël »
Ces derniers jours, plusieurs diri-
geants de la BCE avaient aussi
laissé entendre qu’une nouvelle
hausse des taux n’était plus à
l’ordre du jour en zone euro. Au
point d’alimenter les spécula-
tions : la BCE allait-elle suivre le
même chemin que la Fed, et pré-
parer le terrain à une importante
baisse des taux en 2024 ?
Ceux qui s’attendaient à un tel
scénario ont sans doute été déçus.
« La BCE cherche à ne pas précipiter
les choses, surtout après avoir sous-
estimé la persistance de l’inflation il
y a deux ans », résume Gilles Moec,
chef économiste du groupe Axa.
C’est l’exercice délicat auquel s’est
CRUCIVERBISTES, À VOS CRAYONS ! prêtée la présidente de la BCE,
Christine Lagarde, durant sa con-
Le Monde a sélectionné pour vous 100 grilles de Philippe Dupuis. férence de presse. « Le conseil des
Vous vous amuserez de ses définitions malicieuses et de ses gouverneurs n’a pas du tout discuté
astuces lexicales.
d’une baisse des taux », a indiqué la
Chez votre marchand de journaux Française, en sortie de Covid,
et sur lemonde.fr/boutique – 7,50 € − 124 pages d’une voix grippée. « Nous ne de-
vons pas baisser la garde », a-t-elle
martelé par deux fois.
« Christine Lagarde a douché les
attentes d’une baisse agressive des
taux », analyse Carsten Brzeski,
économiste chez ING, à Francfort.
Selon lui, ces derniers pourraient
rester à leur niveau actuel un long
moment encore – peut-être jus-
qu’en avril, voire en juin – avant
d’entamer une décrue. « La BCE,
elle, n’a pas fait de cadeau de Noël »,
commente Frederik Ducrozet,
responsable de la recherche éco-
nomique chez Pictet, dans une
note sur le sujet.
Une prudence qu’elle justifie
dans son communiqué : « le ralen-
tissement de l’inflation sous-
jacente [qui ne prend pas en
compte les prix de l’énergie et des
matières premières, très volatils]
s’est poursuivi » depuis octobre,
mais « les tensions sur les prix res-
tent soutenues, en raison princi-
palement d’une croissance dyna-
mique des coûts unitaires de
main-d’œuvre ».
L’institution va attendre de nou-
velles données sur le front des
salaires et du marché du travail,
début 2024, pour être certaine que
l’inflation domestique reflue pour
de bon. Ce qui semble probable :
même si le chômage reste histori-
quement bas, les créations d’em-
plois ralentissent en zone euro.
« Les entreprises allemandes ne
mentionnent plus les difficultés de
recrutement comme le principal
frein à la production, mais le tasse-
ment de la demande », analyse
Gilles Moec. Lui table sur une
croissance de 0,3 % seulement en
zone euro en 2024, avec un ralen-
tissement de la consommation.
De fait, même si elle touche à sa
fin, la hausse des taux continue de
produire ses effets : la demande de
nouveaux crédits a plongé, se rap-
prochant des niveaux de 2009,
nombre d’entreprises peinent à se
refinancer, et le niveau des faillites
remonte. « Les moteurs de la crois-
sance européenne sont au point
mort », disent les économistes
d’Oxford Economics, citant les fai-
blesses dans l’industrie.
L’institut de Francfort a en outre
annoncé son intention de réduire
davantage la taille de son porte-
feuille de dettes dès mi-2024, soit
six mois plus tôt que prévu.
Dès juillet, il ne rachètera qu’une
partie des titres arrivant à
échéance, ce qui réduira la taille de
son bilan de 7,5 milliards d’euros
par mois en moyenne.
Jeudi, la Banque d’Angleterre et la
Banque centrale suisse ont aussi
laissé leurs taux inchangés, mar-
quant elles aussi le changement de
cap des politiques monétaires. A
contre-courant, la Banque de Nor-
vège a en revanche relevé le sien de
0,25 point, à 4,5 %, jugeant l’infla-
tion du royaume, à 5,8 % en no-
vembre, encore trop élevée. p
marie charrel
Accord sur une réforme
du marché européen
de l’électricité
Le futur règlement introduit une logique de
long terme visant à sécuriser les producteurs
et à éviter une forte hausse des factures
A près une envolée des prix
sans précédent en 2022,
et plus de deux décen-
nies après la libéralisation de
l’énergie, l’Europe s’apprête à ré-
former son marché de l’électri-
cité. Le 17 octobre, les ministres de
l’énergie des vingt-sept Etats
membres de l’Union européenne
(UE) étaient déjà parvenus à une
position commune.
Voilà désormais que les députés
du Parlement européen ont
donné leur aval, dans la nuit du
mercredi 13 au jeudi 14 décembre,
au terme d’ultimes pourparlers.
L’accord a été trouvé aux alen-
tours de 4 heures, selon l’entou-
rage d’Agnès Pannier-Runacher, la
ministre de la transition énergéti-
que. Cette dernière a salué « une
excellente nouvelle », estimant que
« l’accord [offrait] la possibilité de
prix stables et représentatifs des
coûts [de production] ».
Satisfecit également du côté de
la ministre espagnole de la transi-
tion écologique, Teresa Ribera,
dont le pays occupe la présidence
tournante de l’UE. Selon la socia-
liste, la réforme à venir permettra
aussi d’« offrir une électricité plus
abordable » et de « renforcer la
compétitivité industrielle ». Il est
pourtant difficile d’anticiper dès à
présent l’impact du texte, qui né-
cessite encore une approbation
formelle, sur les factures des
entreprises et des ménages.
Le futur règlement introduira
une logique de long terme. Jus-
qu’à présent, les durées des con-
trats sont en général de trois ans
tout au plus sur le marché de gros,
où se rencontrent producteurs et
fournisseurs. Or, plus la durée est
courte, plus la forte volatilité des
prix se fait ressentir. « Tel qu’il est
aujourd’hui, le marché de gros est
très court-termiste. Il n’encourage
pas les investissements », souligne
Benoît Calatayud, référent éner-
gie pour le cabinet de conseil
Capgemini Invent et contributeur
pour la Fondation Jean Jaurès.
Pour inciter à des durées plus
longues, par exemple d’une di-
zaine d’années, l’accord prévoit
de développer deux types de con-
trats. Il entend en particulier favo-
riser la mise en place de « contrats
L’UE impose
un « devoir
de vigilance »
aux entreprises
Dommages environnementaux,
violations des droits humains :
l’Union européenne (UE) est par-
venue, jeudi 14 décembre, à un
accord pour imposer aux entrepri-
ses un « devoir de vigilance » cou-
vrant leur chaîne de production
mondiale, une législation jugée
« historique » malgré l’exemption
concédée au secteur financier.
Dix ans après l’effondrement de
l’usine de textile Rana Plaza au
Bangladesh, qui mettait en lu-
mière l’absence de contrôle sur les
conditions de travail dans les pays
tiers, l’UE entend forcer les gran-
des entreprises à identifier et à
corriger les manquements dont
elles sont responsables, y compris
par le biais de leurs filiales et sous-
traitants à l’étranger. Seules l’Alle-
magne et la France avaient jus-
que-là une législation comparable.
Les entreprises concernées – envi-
ron 23 000 – seront juridiquement
responsables des violations des
droits humains et sociaux (travail
des enfants, travail forcé, expro-
priations abusives, sécurité des
bâtiments…) comme des domma-
ges environnementaux (déforesta-
tion, émissions polluantes, gas-
pillage d’eau…).
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Jusqu’à présent,
les durées des
contrats sont
en général
de trois ans tout
au plus sur le
marché de gros
pour différence ». Les CFD (selon
l’acronyme anglais) sont censés
sécuriser les producteurs et éviter
la surchauffe des factures. En cas
de surprofits par rapport à un
prix déterminé, l’Etat s’engage à
reverser le surplus aux consom-
mateurs. A l’inverse, si les revenus
sont inférieurs à ceux escomptés,
c’est la puissance publique qui
soutiendra les producteurs afin
de combler le manque.
Seront éligibles à ces CFD les
énergies renouvelables (solaire et
éolien, par exemple), mais aussi le
nucléaire. Les gouvernements fa-
vorables à l’atome, au premier
rang desquels figure la France, ont
réussi à faire accepter le principe
d’une neutralité technologique.
N’en déplaise à l’Allemagne, dont
les trois derniers réacteurs nu-
cléaires ont fermé en avril. Pour
leur application, ces contrats de-
vront attendre trois ans avant la
future entrée en vigueur du règle-
ment. Ce délai vise à « préserver la
sécurité juridique des projets en
cours », précise le Conseil de l’UE.
« Un message politique »
Le règlement entend aussi favori-
ser l’instauration d’un autre type
de contrats de long terme, cette
fois directement entre un produc-
teur et un client (entreprises ou
collectivités). Ces accords d’achat
d’électricité (PPA, pour Power Pur-
chase Agreement) faisaient partie
des desiderata de l’électricien EDF,
dont l’Etat français est redevenu
l’actionnaire unique en juin.
Derrière ces options, l’idée est
surtout de pousser à investir dans
des moyens bas carbone, en vue
de réduire la part des énergies fos-
siles (pétrole, gaz, charbon) dans
la production électrique. Ces der-
nières ont le double inconvénient
de nuire au climat et de dépendre
de certains exportateurs – la
guerre en Ukraine l’ayant illustré,
avec les tensions sur le gaz russe.
Pour autant, le texte prévoit par
ailleurs une dérogation : les cen-
trales très polluantes (comme cel-
les de charbon, en Pologne) con-
serveront l’accès aux mécanismes
de capacité, en principe jus-
qu’en 2028. De tels dispositifs per-
mettent de rémunérer leurs capa-
cités inutilisées, pour les mainte-
nir opérationnelles au cas où.
En France, dont les électrons
sont largement décarbonés, l’Etat
a trouvé un compromis avec EDF
pour le futur prix de vente de
l’électricité nucléaire. Sous réserve
qu’il soit compatible avec le cadre
européen, ce scénario établirait le
mégawattheure à près de 70 euros
à partir de 2026 et sur quinze ans.
Au-delà de 78 à 80 euros, l’Etat re-
distribuerait une partie de la rente
aux consommateurs.
« Il s’agit d’une hypothèse de prix.
C’est d’abord un message poli-
tique », tempère Phuc-Vinh
Nguyen, chercheur sur les politi-
ques de l’énergie à l’Institut Jac-
ques Delors. Paradoxe : ce disposi-
tif n’est pas en soi un contrat pour
différence. Pourquoi alors avoir
bataillé ferme au niveau euro-
péen pour les CFD ? Pour ménager
« une porte de sortie » en cas de
problème, suppose M. Nguyen,
rappelant que « beaucoup d’incer-
titudes existent encore ». p
adrien pécout
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Macron donne le coup d’envoi de
la voiture électrique à 100 euros
Le dispositif de leasing social sera mis en place à compter
du 1er janvier 2024. Aucune voiture produite en Chine n’y sera éligible
P
romesse tenue. Incluse
dans le programme du
candidat Emmanuel
Macron lors de la cam-
pagne présidentielle de 2022, la
voiture électrique à 100 euros par
mois va devenir une réalité dès
janvier 2024. La gestation de ce
mécanisme de location longue
durée aura été longue, ce qui n’a
rien de surprenant car la problé-
matique est particulièrement
complexe. Elle implique en effet
l’engagement de plusieurs prota-
gonistes – l’Etat, les sociétés de
leasing, les constructeurs – et
soulève des problématiques déli-
cates telles que la valeur de re-
vente du véhicule à la fin du
contrat de trois ans ou les méca-
nismes à déployer en cas de dé-
faillance du bénéficiaire.
Le président de la République,
qui tient beaucoup à ce projet
dont il a annoncé la concrétisa-
tion au lendemain de la clôture de
la 28e Conférence des parties sur le
climat (COP28) de Dubaï (Emirats
arabes unis), peut faire valoir que
le leasing social n’a d’équivalent
nulle part. Il s’inscrit en phase
avec une longue tradition de
l’automobile nationale qui a, de-
puis les années 1950, privilégié les
modèles populaires quitte à re-
noncer à ce que la notion de luxe à
la française trouve une traduction
dans le domaine de la voiture.
Le mécanisme dévoilé jeudi
14 décembre sera ouvert aux mé-
nages dont le revenu fiscal de réfé-
rence est inférieur à 15 400 euros
par part. Ce seuil, qui doit permet-
tre de toucher la moitié des foyers
les moins favorisés, est identique
à celui qui avait présidé à l’attribu-
tion de la « remise carburant »
face à la flambée des prix à la
pompe en 2022.
Le leasing s’est imposé comme
un instrument incontournable.
Agriculture : Marc Fesneau présente un pacte
pour le renouvellement des générations
Le gouvernement veut inciter les jeunes à s’installer, mais ne fixe aucun objectif chiffré
C’ était une promesse de
campagne d’Emmanuel
Macron, réitérée, en
septembre 2022, devant les mem-
bres du syndicat Jeunes Agricul-
teurs, affilié à la FNSEA. En l’occur-
rence la présentation d’un pacte et
une loi d’orientation et d’avenir
agricoles (PLOAA) dont l’origine
était un constat sans appel : d’ici à
dix ans, un tiers des agriculteurs
seront partis à la retraite.
Finalement, les grandes lignes
du pacte d’orientation pour le re-
nouvellement des générations
en agriculture, selon sa nouvelle
dénomination, ont été présen-
tées par Marc Fesneau, lors d’un
déplacement en Normandie, ven-
dredi 15 décembre. Le ministre de
l’agriculture avait déjà dévoilé
quelques pistes en septembre à
l’occasion d’une visite lors des
Terres de Jim, fête agricole organi-
sée par les Jeunes Agriculteurs.
Il avait alors redit l’engagement
de l’Etat d’installer 150 000 nou-
veaux agriculteurs en l’espace de
dix ans. Un objectif ambitieux
quand on sait qu’entre 2010 et
2020, la France a perdu près de
100 000 fermes et en compte dé-
sormais moins de 389 000. Cette
ambition a disparu de la mou-
ture finale.
Sans engagement chiffré donc,
ce pacte comprend 35 mesures
Devenu le principal mode d’ac-
quisition d’un véhicule par les
particuliers, il apparaît comme la
conséquence d’une dérive – le dé-
crochage entre le prix des voitu-
res neuves et le pouvoir d’achat
de la plupart des consomma-
teurs – bien antérieure à la mon-
tée en régime de la voiture élec-
trique, qui pèse actuellement
20 % du marché.
Aujourd’hui, payer un loyer
dans le cadre d’une location de
longue durée plutôt que d’acqué-
rir un véhicule en bonne et due
forme n’est pas un choix. C’est
l’unique possibilité de rouler au-
dessus de ses moyens, surtout s’il
s’agit de tenir le volant d’une
« watture » (contraction de watt
et de voiture).
Le mécanisme annoncé par le
président de la République a le
mérite de s’inscrire à contre-cou-
rant de cette tendance générale
au renchérissement, mais il ris-
que d’avoir un impact d’ampleur
limitée. Il ne devrait concerner
en 2023 que 20 000 immatricula-
tions et sera réservé à ceux qui
roulent au moins 8 000 kilomè-
tres annuels et/ou résident à plus
de 15 kilomètres de leur lieu de
travail. En 2025, le gouvernement
espère doubler ce volume, ce qui
ne représenterait, au mieux,
qu’un peu plus de 10 % du marché
des voitures électriques.
La plupart des
constructeurs
ont abordé le
marché naissant
de l’électrique
par le haut
de gamme
dont une partie sera traduite sous
forme législative. Le projet de loi
devrait être présenté en conseil
des ministres le 17 janvier 2024 et
discuté par les députés et les séna-
teurs entre février et mars. La ges-
tation a été longue.
Une période d’intenses concer-
tations organisées à l’échelle
nationale comme régionale s’est
déroulée entre janvier et début
juin. Le grand public sollicité sur
ces questions a, pour sa part, en-
voyé 40 000 contributions. De-
puis, la présentation du pacte et
du texte de loi a plusieurs fois été
annoncée avant d’être à chaque
fois repoussée.
Quatre axes prioritaires
L’ambition affichée par le gouver-
nement est de fixer un cap à l’ho-
rizon 2030-2040 en vue d’accom-
pagner l’enjeu démographique,
au moment où les défis clim-
tiques, environnementaux, tech-
nologiques et économiques
conditionnent l’agriculture de
demain. Le ministère de l’agricul-
ture décline cette stratégie en
quatre axes prioritaires : renouer
le lien entre agriculture et société,
faire émerger une nouvelle géné-
ration d’agriculteurs, revoir le
système de production à l’échelle
de l’exploitation et reconvertir
également le système de produc-
Ce démarrage prudent s’expli-
que par le manque de modèles
bon marché susceptibles d’inté-
grer le cercle des véhicules à
100 euros mensuels. La plupart
des constructeurs, en effet, ont
abordé le marché naissant de la
voiture électrique par le haut de
gamme et multiplié les versions
les plus chères, sans se soucier des
enjeux de démocratisation. Selon
JATO Dynamics, le prix moyen
d’un véhicule électrique en Eu-
rope atteignait 65 000 euros au
premier semestre 2023.
Même les marques généralistes
ont préféré miser sur des modè-
les à plus de 30 000 euros, telles la
Renault Zoe ou la Peugeot e-208.
Les nouveautés plus accessibles
comme les prochaines Renault R5
(un peu plus de 25 000 euros) et
Twingo (20 000 euros) ou la Ci-
troën ë-C3 (23 000 euros) ne se-
ront pas disponibles avant mi ou
fin 2024, voire 2026 au mieux
pour la Twingo.
Au service du « made in Europe »
Autant dire que, dans ces condi-
tions, la clé de la voiture électri-
que pour tous sera davantage tri-
butaire de l’évolution de la
gamme des constructeurs – qui,
de Renault à Tesla en passant par
Volkswagen, promettent de pren-
dre rapidement le virage de l’élec-
trique à petit prix – que des méca-
nismes de subvention mis en
place par les pouvoirs publics.
Outre la volonté d’élargir la base
sociale du véhicule décarboné, la
voiture à 100 euros par mois veut
aussi se ranger au service du
« made in Europe ». « Le but, c’est
qu’on vous aide à acheter des véhi-
cules électriques plutôt produits
chez nous », a précisé le président
de la République dans une vidéo
diffusée jeudi 14 décembre.
Conçu pour favoriser le bascule-
tion à l’échelle d’une filière ou
d’un territoire.
Plus concrètement, le gouver-
nement veut inciter les jeunes à
s’orienter vers les métiers agrico-
les et agroalimentaires et refon-
der le lien entre le monde agri-
cole et les Français en repartant
de la jeunesse. Il se dit prêt à fi-
nancer une campagne de com-
munication nationale sur les
« métiers du vivant » et affirme sa
volonté de les faire découvrir aux
élèves de l’école élémentaire, du
collège et du lycée par le biais de
stages. Pour former une nouvelle
génération d’agriculteurs, l’idée
est de faire évoluer l’enseigne-
ment agricole en créant, en 2025,
un bachelor agro de niveau bac
+ 3 et en constituant un réseau
d’experts qui viendront en sou-
tien aux formateurs.
Le jeune qui souhaite s’installer
sera orienté vers un guichet uni-
que au sein d’un réseau baptisé
France services agriculture. Les
chambres d’agriculture devraient
en être la cheville ouvrière. Le pas-
sage par cette case sera obliga-
toire pour obtenir les aides à l’ins-
tallation. Le futur agriculteur de-
vra aussi passer un « stress test
climatique » pour savoir si son
projet est viable. Le déploiement
de France services agriculture est
prévu dès 2024. Dans la loi de fi-
économie & entreprise | 17
ment vers l’électrique, le bonus
écologique de 5 000 euros adop-
tera en 2024 une nouvelle appro-
che qui consistera à en réserver le
bénéfice aux modèles dont la pro-
duction présente le meilleur bi-
lan carbone.
Parmi la quarantaine de modè-
les qui satisfont à ces critères ne
figure aucune marque chinoise.
La faute aux énergies fossiles qui
dominent la production électri-
que de ce pays, mais également à
l’impact du transport maritime
des véhicules vers l’Europe.
Victime collatérale de cette ré-
forme, la très populaire Spring de
la marque Dacia (groupe Re-
nault), pénalisée par sa fabrica-
tion sur le sol chinois, sera privée
de bonus. Chez Tesla, le Mo-
del 3 produit à Shanghaï va perdre
ce même avantage mais pas le
Model Y, sorti de l’usine de Berlin.
Cette digue opposée à l’impor-
tation de véhicules venus d’une
économie qui produit 60 % des
voitures électriques dans le
monde (4,8 millions d’unités sur
les dix premiers mois de 2023,
soit 30 % de plus en un an) risque
de ne pas tenir très longtemps.
Privées du bonus de 5 000 euros,
des marques comme MG, Zeekr
(groupe Geely) ou encore BYD ne
vont perdre qu’une partie de leur
avantage compétitif et elles ont
les reins assez solides pour se lan-
cer dans une guerre des prix.
Du reste, ces marques n’ont pas
attendu pour anticiper les obsta-
cles qui pourraient leur être op-
posés. Ainsi, toutes ont prévu de
se doter à moyen terme d’im-
plantations industrielles en Eu-
rope. De quoi soigner leur bilan
carbone et bénéficier de nou-
veau des mêmes incitations à
l’achat que leurs concurrentes
européennes. p
jean-michel normand
nances 2024, un budget de
400 millions d’euros a été alloué.
Il servira de fonds de garantie de
l’Etat pour un montant d’offre de
prêt global estimé à 2 milliards
d’euros. Mais cette enveloppe est
destinée aussi bien à l’accompa-
gnement des nouvelles installa-
tions qu’au financement de pro-
jets d’investissement d’exploita-
tions existantes.
Le dernier chapitre du pacte
porte donc sur la reconversion
des systèmes de production à
l’échelle d’une filière ou d’un terri-
toire. Sont concernés les projets
de stockage d’eau comme d’éleva-
ges industriels. Des sujets sensi-
bles, qui suscitent des controver-
ses. L’enjeu, selon le gouverne-
ment, est d’accélérer les procédu-
res de contentieux et donc de
faciliter le déploiement de ces
projets. Ils bénéficieront, en outre,
d’un fonds de soutien de 180 mil-
lions d’euros dès 2024, porté en-
suite à 200 millions d’euros.
A l’inverse, la question du fon-
cier ne fait plus partie du pacte.
Pourtant « majeure pour facili-
ter l’installation de nouveaux agri-
culteurs », selon les députés de la
commission économique char-
gés du suivi d’un projet de loi
dont ils regrettent « le manque
d’ambition ». p
laurence girard
Emploi fictif au « Canard
enchaîné » : un procès
pour les dirigeants
historiques du journal
Quatre personnes seront jugées
en juillet 2024, notamment pour « abus
de biens sociaux »
I ls seront quatre sur le banc
des prévenus. Dans l’affaire
du supposé emploi fictif au
Canard enchaîné, le parquet de
Paris a décidé, jeudi 14 décembre,
de citer à comparaître quatre de
ses protagonistes : l’ancien prési-
dent des Editions Maréchal-Le Ca-
nard enchaîné Michel Gaillard,
79 ans, l’ancien directeur de la pu-
blication et actuel président (jus-
qu’à la fin de l’année) Nicolas
Brimo, 73 ans, l’ancien dessina-
teur (à partir de 1949) et adminis-
trateur (à partir de 1973) André Es-
caro, 95 ans, et sa compagne,
Edith Vanderdaele.
Le procès aura lieu du 1er au
3 juillet 2024 devant la 11e cham-
bre du tribunal correctionnel de
Paris. M. Gaillard et M. Brimo se-
ront jugés pour « abus des
biens ou du crédit d’une société
par actions par un dirigeant à des
fins personnelles » (délit fai-
sant encourir cinq ans d’empri-
sonnement et 375 000 euros
d’amende), « délivrance d’attes-
tation inexacte pour faire obte-
nir une carte d’identité profes-
sionnelle de journaliste », « dé-
claration fausse ou incomplète
pour obtenir d’un organisme de
protection sociale une allocation
ou prestation indue », « faux et
usage de faux en écriture ».
André Escaro comparaîtra pour
« abus de biens sociaux », et sa
compagne pour « recel de bien
provenant d’un abus des biens ou
du crédit d’une société par ac-
tions par un dirigeant à des fins
personnelles », « escroquerie faite
au préjudice d’une personne pu-
blique ou d’un organisme chargé
d’une mission de service public
pour l’obtention d’une allocation,
d’une prestation, d’un paiement
ou d’un avantage indu », « décla-
ration mensongère à un orga-
nisme public en vue d’obtenir un
avantage indu ».
Plus d’un an d’enquête
Après plus d’un an d’enquête me-
née par les policiers de la brigade
financière de Paris, le parquet a
décidé que le quatuor devrait
s’expliquer à la barre concernant
les soupçons entourant l’emploi
rémunéré, de 1996 à 2022, et sans
contrepartie présumée d’un tra-
vail effectif, d’Edith Vanderdaele.
C’est le journaliste du Canard
enchaîné Christophe Nobili qui
avait déposé plainte contre X, le
10 mai 2022, pour abus de biens
sociaux et recel d’abus de biens
sociaux, après avoir découvert les
faits, qu’il avait ensuite racontés
dans un livre, Cher Canard (JC Lat-
tès, 250 pages, 20 euros), paru en
mars. Il avait fait valoir son statut
de lanceur d’alerte en vertu de la
loi Sapin 2.
Au mois de juin suivant, le no-
nagénaire André Escaro avait
quitté le conseil d’administra-
tion, où il siégeait toujours. Selon
la défense des dirigeants du Ca-
nard, c’est lorsqu’il avait voulu
prendre sa retraite, en 1996, que la
compagne de l’auteur des cabo-
chons de la page 2 avait com-
mencé à être rémunérée pour
l’aide qu’elle lui apportait dans la
poursuite de sa collaboration
Le préjudice
se serait élevé,
charges
comprises, à près
de 3 millions
d’euros,
de 1996 à 2022
« Nous sommes
en présence
de véritables
patrons
fraudeurs »
PIErre-OLIvIEr LaMBert
et MarIA COrnaz BassOLI
avocats du journaliste
Christophe Nobili
avec le journal. Une rémunéra-
tion qui s’est poursuivie jusqu’à la
révélation des faits.
« Nous sommes en présence de
véritables patrons fraudeurs, un
petit cercle de dirigeants qui se
sont octroyé des droits et ont dé-
cidé de ne pas respecter les règles,
au préjudice du journal, de ses sa-
lariés, de ses actionnaires et de
l’Etat », cinglent Pierre-Olivier
Lambert et Maria Cornaz Bassoli,
les avocats de Christophe Nobili,
qui représentera son journal au
procès pour obtenir la réparation
du préjudice supposé.
« 80 000 euros annuels »
Dans un rapport de synthèse de
37 pages, révélé par Mediapart, la
brigade financière a estimé le pré-
judice pour le journal, charges
comprises, à près de 3 millions
d’euros, de 1996 à 2022, rééva-
luant cette somme à 1,45 million
d’euros en tenant compte de la
prescription.
Les policiers ont conclu que
l’« emploi » de la compagne de
M. Escaro « était fictif », son rôle
d’assistante du dessinateur étant
« sans objet », soulignant une « si-
tuation juridique et financière (…)
inconnue voire dissimulée à l’en-
semble des salariés du Canard en-
chaîné par la direction ». Sollicités
par Le Monde, les avocats des diri-
geants du Canard enchaîné n’ont
pas donné suite.
Depuis que Christophe Nobili a
lancé l’affaire, la direction du Ca-
nard est convaincue qu’il agit par
vengeance de n’avoir pas été
nommé à la rédaction en chef.
Elle a déjà tenté deux fois de se sé-
parer de son collaborateur, de-
venu délégué syndical (SNJ-CGT),
le lendemain de son dépôt de
plainte. Après le rejet par l’inspec-
tion du travail de la première pro-
cédure, le journaliste a lui-
même déposé plainte pour har-
cèlement. La deuxième fin de
non-recevoir a convaincu la direc-
tion de former un « recours hié-
rarchique » auprès du ministre du
travail, Olivier Dussopt, ainsi
qu’elle l’a annoncé en interne dé-
but octobre.
Depuis le début de ces remous,
la direction de l’hebdomadaire a
cependant commencé d’évoluer.
En juin, Michel Gaillard a cédé son
fauteuil de président de la SA Les
Editions Maréchal-Le Canard en-
chaîné à Nicolas Brimo, que Jean-
François Julliard remplace à la di-
rection de la publication.
Jean-Michel Thénard, lui, est de-
venu rédacteur en chef. Plus ré-
cemment, le 4 décembre, un con-
seil de gérance a pris acte d’un
nouveau passage de relais à la
présidence de la SA, ainsi que l’ont
appris les salariés le 14 décembre,
à la lecture de La Correspondance
de la presse : Nicolas Brimo quit-
tera ses fonctions le 31 décembre,
et Jean-François Julliard, 64 ans,
les endossera le lendemain. « C’est
de l’affichage, proteste Christophe
Nobili. Comme Gaillard et Brimo
restent administrateurs, ils res-
tent, de fait, aux commandes. » p
aude dassonville
et rémi dupré
18 | économie & entreprise 0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

L
es Georges Brassin
ont baissé le rideau en
avril. Au 47 de la rue
Lacroix, dans le 17e ar-
rondissement de Pa-
ris, l’enseigne de la
microbrasserie a disparu du pay-
sage et un store gris ne laisse rien
deviner de l’activité passée. Un ar-
rêt brutal qui met fin à une aven-
ture, somme toute éphémère.
« Nous nous sommes lancés
en 2020, au moment de la crise liée
au Covid-19, raconte Patrick Ligot,
l’un des fondateurs des Georges
Brassin. J’étais dans le conseil en
système d’information et, comme
beaucoup de trentenaires, je sou-
haitais entamer une reconversion.
J’ai quitté mon boulot deux semai-
nes avant le premier confine-
ment », poursuit-il.
Cinq associés, tous passionnés
par la bulle maltée, sont prêts à ac- Sur la chaîne de production des Brasseurs de Lorraine, à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), le 11 décembre. MATHIEU CUGNOT/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
compagner le projet de cette mi-
crobrasserie. Rupture conven-
tionnelle de contrat, formation de
brasseur, occasion de trouver un
local… Le Brassin sort en septem-
bre 2020. Le démarrage commer-
PLEIN CADRE
cial se fait sur des chapeaux de
roue. Et pour cause. Entre couvre-
feu et confinement, les bars sont
fermés et les clients du quartier
viennent s’approvisionner à la
source. Mais changement de dé-
Microbrasseries, les petits brasseurs parisiens, Gal-
lia a changé de camp. D’ailleurs,
lors de La Route de la bière, un évé-
nement annuel organisé en juin
cor au printemps 2021. Les Pari-
siens retrouvent leur liberté, pri-
vilégient les terrasses et renouent
avec la vie d’avant.
Pris à contre-pied, les Georges
la fin de la griserie pour faire découvrir une dizaine
de microbrasseries de la capitale,
un veto des participants s’est op-
posé à sa participation.
Dans ce contexte tendu, « il y
Brassin mettent du temps à pro-
poser leur breuvage en fût pour
L’époque où il s’ouvrait en France une brasserie artisanale aura d’autres consolidations »,
prévient M. Sialelli. En septembre,
les bars, et non plus uniquement
en bouteilles dans leur boutique.
par jour est révolue. L’inflation a fragilisé ces entreprises, M. Chiron a annoncé avoir cédé le
contrôle de la Brasserie du Mont-
Nouveau coup dur en 2022. « La
deuxième année, nous avons subi
dont certaines passent sous le contrôle des grands industriels Blanc au groupe familial belge
Duvel Moortgat. Lui aussi avait
la crise inflationniste, avec l’explo- réanimé une marque et fait de sa
sion du coût des bouteilles, des cé- bière blanche au genépi une réfé-
réales, de l’énergie. Nous nous rence des stations de ski savoyar-
sommes demandé si nous devions « craft beer » outre-Atlantique, qui comptait 2 500 fin 2022, dont 240 « Depuis que nous avons dé- des. « Sur les deux dernières an-
nous agrandir, mais, finalement, a essaimé en France sous le voca- créées cette année-là. marré, je ne me souviens pas d’une
« Nous risquons nées, nous avons encore investi
nous avons pris la décision d’arrê- ble de microbrasserie ou de bras- Les vents contraires qui souf- année qui n’était pas une année de de nous 10 millions d’euros pour être en
ter », conclut M. Ligot. La Vladimir serie artisanale. flent depuis la crise liée au Co- croissance. En tant que pionniers, mesure de doubler la capacité de
butine, leur bière brassée avec du Les précurseurs français ont vu vid-19 ont, depuis un an, forte- nous avons profité de l’explosion
faire éjecter production, qui est aujourd’hui de
miel de châtaignier, a quitté les le jour au tournant des années ment ralenti ce développement des années 2000-2010 et, là, nous des rayons des 120 000 hectolitres, pour un chiffre
rayons… Et les associés ont re- 1985, dans des régions à forte mené au triple galop. « Je ne sais vivons un moment où le marché se d’affaires de 28 millions d’euros »,
trouvé leur activité pré-Covid-19. identité. A l’exemple de la Coreff même pas s’il y a une création par tend. Les ventes de bières de spé-
supermarchés » précise M. Chiron. Dans ces futurs
en Bretagne ou de la Pietra en semaine en 2023. Certains projets cialité, dont font partie les “crafts”, JEAN-FRANÇOIS DROUIN volumes, il faudra compter sur
DÉFENDRE LEURS INTÉRÊTS Corse. Peu à peu, d’autres ont sont mis en stand-by. Avec la devraient baisser de 4 % à 5 % président du Syndicat une bière sans alcool, un projet
Cette histoire n’est pas singulière. creusé le sillon de la boisson mal- hausse des taux d’intérêt, les ban- en 2023 », constate Dominique national des brasseurs des nouveaux actionnaires…
Aux quatre coins de la France, elle tée. « Il y a vingt ans, il y avait une ques sont frileuses », reconnaît M. Sialelli. En imaginant une bière à indépendants
se répète depuis près d’un an. vingtaine de brasseries artisanales Drouin. Parmi les nouveaux ve- la farine de châtaigne, il a co- FAIRE LE DOS ROND
« Fermée définitivement. » Le pan- et régionales en France », se sou- nus, la brasserie parisienne Pato- fondé, en 1996, Pietra en Corse, Pour ceux qui souhaitent rester
neau virtuel s’affiche de plus en vient Jean-François Drouin, alors che, installée à Montmartre, dans devenue une brasserie régionale dans leurs filets les consomma- indépendants, « il faut se serrer les
plus souvent sur la page Web des créateur des Brasseurs de Lor- le 18e arrondissement. Ou la bras- qui produit 140 000 hectolitres teurs tentés par ces nouvelles coudes », lance M. Drouin. Dans
microbrasseries. Brasserie du raine. Puis le mouvement n’a serie Origine à Baraqueville, dans pour un chiffre d’affaires de aventures gustatives artisanales. cette optique, le SNBI a lancé, il y a
Mont-Fleuri à Charmes, dans les cessé de s’amplifier. Le cap des l’Aveyron. « Après deux années 35 millions d’euros. « Alors que le Ils multiplient innovations et dé- deux ans, une plate-forme
Vosges, de La Louve grise à Vayres, 700 est franchi en 2015. Au point passées au Québec, j’ai souhaité, secteur de la microbrasserie était marches marketing. d’achats groupés pour le verre, le
en Gironde, de La Roteuse à Bro- que ses nouveaux venus décident avec ma compagne, ouvrir une vu comme le nouvel eldorado, « Grâce à nous, la bière a re- malt ou les emballages. Une ma-
chon, en Côte-d’Or, du Lapin de créer, un an plus tard, le Syndi- microbrasserie dotée d’une salle nous assistons à une normalisa- trouvé ses lettres de noblesse. Nous nière de réduire les coûts quand la
blanc à Carpentras, dans le Vau- cat national des brasseurs indé- de dégustation ouvrant sur les cu- tion de ce marché. L’atterrissage représentons près de 10 % des volu- marge de manœuvre pour les
cluse… La liste des mises en liqui- pendants (SNBI) pour défendre ves dans une zone commerciale », est brutal en 2023 », ajoute-t-il. mes de bière consommés en hausses de tarifs est limitée.
dation ne cesse de s’allonger. Et si leurs intérêts face aux géants de raconte Thibaut Raynal, gérant Le coup de frein de la consom- France, cela les chatouille. Ils vien- « Nous risquons de nous faire éjec-
le nombre de cessations d’activité la bière. Une structure présidée de l’enseigne. mation déstabilise les plus fragi- nent sur notre terrain avec certai- ter des rayons des supermar-
n’atteignait pas la vingtaine par M. Drouin. Mais les comp- les. D’autant que la compétition nes gammes, faisant croire aux chés au profit des grands indus-
en 2022, il a déjà passé le cap de la teurs continuent à s’affoler. Fin COUP DE FREIN se fait plus intense. « Il y a pas mal consommateurs par leur marke- triels de la bière », prévient
soixantaine cette année. 2017, on en dénombre 1 274. Si les candidats brasseurs se font de concurrence dans l’Aveyron. Dès ting que ces produits sont faits M. Drouin, qui incite ceux qui ont
La fin de la griserie pour les mi- « En 2019, il y avait une création de plus rares, les défaillances, elles, que nous démarchons pour être dans des microbrasseries ou des besoin de sécuriser leurs finances
crobrasseries ? Signe d’un change- microbrasserie par jour », affirme augmentent. « Avec l’envolée du référencés dans les bars ou les ma- abbayes , estime M. Drouin. Les de demander un prêt garanti par
ment d’ère, en tout cas, le monde M. Drouin. Selon le dernier recen- prix du gaz, de l’électricité, du gasins, c’est compliqué, nous dé- bières dites « d’abbaye » des l’Etat « résilience ».
de la mousse artisanale a été se- sement effectué par l’annuaire verre, du transport, nous sommes couvrons qu’il y a déjà beaucoup grands groupes sont, le plus sou- Faire le dos rond, mais pour
coué par un événement à la forte « Le Rigal de la bière », on en la profession qui a le plus souf- de bières artisanales », reconnaît vent, brassées dans les mêmes combien de temps ? « Il faut atten-
portée symbolique. En juillet, fert », affirme Sylvain Chiron, fon- M. Raynal. Pour les derniers arri- usines que les autres, mais les dre un ou deux ans pour voir com-
L’Anchor Brewing, la plus vieille dateur de la Brasserie du Mont- vés, il faut batailler avec le campagnes publicitaires leur ment le consommateur va évo-
brasserie artisanale américaine, a Blanc. A ce contexte de pression maillage de microbrasseries déjà donnent un supplément d’âme. luer », pronostique M. Sialelli. En
fermé ses portes. Installée en Cali-
Pour les derniers inédite sur les coûts se sont ajou- installées. La barre est plus haute. Kronenbourg a également signé attendant, les actionnaires de la
fornie depuis 1896, elle n’a pas ré- arrivés, il faut tées les évolutions de comporte- « En période d’euphorie, il suffisait un accord de distribution avec Pie- Pietra qui s’étaient lancés dans
sisté à la crise liée au Covid-19 sui- ment des consommateurs. Avec d’être artisanal et d’avoir une éti- tra pour commercialiser la bière une expansion géographique en
vie du choc inflationniste et de la
batailler avec la poussée de l’inflation, l’heure quette rigolote. Cela ne suffit plus. corse sur le continent. Et Heine- prenant des parts dans la Brasse-
pression concurrentielle. Cet em- le maillage est aux arbitrages. Parfois para- Aujourd’hui, il faut que la bière soit ken a racheté la marque franci- rie du Pays basque, la Brasserie du
blème n’était pourtant plus indé- doxaux. Les mêmes qui n’hésite- bonne et à un bon prix », com- lienne Gallia. Tombée dans les Castellet, dans le Var, et la Brasse-
pendant puisqu’il était passé dans
de sociétés ront pas à s’offrir une pinte au mente M. Chiron. oubliettes dans les années 1960, rie Demory, en région parisienne,
le giron du groupe japonais Sap- déjà installées. prix fort en terrasse rechigneront Surtout, les géants de la bière, elle a été réanimée par deux entre- ont ralenti les feux. Aucune bras-
poro en 2017. Mais Anchor parfois à acheter une bière artisa- comme Heineken et Kronen- preneurs en 2009, qui ont fini par serie n’échappe à la pression de ce
Brewing endossait le rôle de pion-
La barre nale, moins chère, dans un rayon bourg (groupe Carlsberg) ou AB céder toutes leurs parts au groupe soudain trou d’air… p
nier d’un mouvement qualifié de est plus haute de supermarché. InBev, font tout pour reprendre néerlandais en 2021. Depuis, pour laurence girard
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Retraite : fin du bonus-malus Agirc-Arrco
La suppression du dispositif mis en place en 2019 est entrée en vigueur depuis le 1 décembre
D et le fils déshérité
epuis le 1 décembre,
er
l’âge légal de la re-
traite (l’âge à partir
duquel il est possible
de demander le versement de ses
pensions de retraite) est passé de
62 ans à 62 ans et 3 mois pour la
première génération d’assurés
concernés par la réforme des re-
traites adoptée en mars, c’est-à-
dire pour les assurés nés entre le
1er septembre et le 31 décem-
bre 1961. A compter de 2024, cet
âge passera à 62 ans et demi pour
ceux nés en 1962, puis à 62 ans et
9 mois pour ceux nés en 1963, et
ainsi de suite, à raison de 3 mois
supplémentaires par génération
pour atteindre 64 ans pour les
assurés nés en 1968 et après.
Les partenaires sociaux qui gè-
rent l’Agirc-Arrco, le régime de re-
traite complémentaire des sala-
riés, sont parvenus à la signature
d’un nouvel accord qui prend en
compte les conséquences de
cette réforme. La mesure phare
de cet accord est la suppression
du dispositif de bonus-malus en
vigueur depuis 2019. Ce dispositif
avait été mis en place pour inciter
les retraités à décaler leur départ
en retraite d’au moins un an. Il
consiste à appliquer un malus de
10 % pendant trois ans sur le
montant de leur retraite complé-
mentaire s’ils demandent à la
percevoir dès qu’ils remplissent
les conditions de durée d’assu-
rance pour obtenir le taux plein.
Ceux qui diffèrent leur départ
d’un an ne supportent ni malus
1,4159
C’est, en euro, la valeur de service du point Agirc-Arrco. Il suffit
de multiplier le nombre de points accumulés tout au long de sa
carrière par la valeur de service du point pour obtenir le montant
de sa retraite complémentaire. L’accord prévoit que pour les trois
prochaines années – 2024, 2025 et 2026 – la valeur du point
évoluera au même rythme que l’inflation, diminuée d’un facteur
de soutenabilité de 0,4 point.
ÉPARGNE
Faut-il ouvrir un plan d’épargne-logement en 2024 ?
F in du suspens : les plans
d’épargne-logement (PEL)
ouverts à partir du 1er jan-
vier 2024 seront rémunérés
2,25 % brut contre 2 % brut pour
ceux souscrits en 2023. Le marché
tablait sur une augmentation un
peu plus généreuse, dans la fou-
lée les taux d’intérêt à deux, à
cinq et à dix ans, eux-mêmes en
forte hausse ces derniers mois.
Faut-il profiter de cette hausse
pour ouvrir un PEL en 2024 ? La
question se pose aux particuliers
n’ayant pas de plan puisque l’on
ne peut en détenir qu’un seul par
personne. « Détenir un PEL est
toujours une bonne idée, c’est un
placement sans risque qui offre
une rémunération garantie et per-
met de préparer un projet immo-
bilier à moyen ou long terme »,
résume Amandine Guillabert, di-
rectrice du marketing du cabinet
de conseil en gestion de patri-
moine Equance.
Pourtant, même avec sa remon-
tée au 1er janvier, le PEL affiche un
rendement net de 1,57 % – il est
soumis au prélèvement forfaitaire
unique de 30 % –, très inférieur à
celui du Livret A (3 %), ce dernier
étant gelé jusqu’au 31 janvier 2025.
« Il est probable que le taux du Li-
vret A baisse à ce moment-là, car
les taux d’intérêt à court terme
auront entamé leur décrue », af-
firme Philippe Crevel, directeur du
Cercle de l’épargne. A l’inverse, le
taux du PEL s’applique pour toute
sa durée de vie (quinze ans). L’écart
de rémunération entre le PEL et le
Livret A pourrait se réduire dans
ni bonus. Quant à ceux qui déca-
lent leur départ de deux ans, ils
bénéficient d’un bonus de 10 %
pendant un an. Ce bonus est de
20 % s’ils décalent leur départ de
trois ans et de 30 % s’ils partent
au moins quatre ans après avoir
réuni les conditions pour bénéfi-
cier d’une retraite à taux plein.
L’accord signé par les partenai-
res sociaux supprime le malus
pour tous les assurés nés à comp-
ter du 1er septembre 1961 qui de-
mandent le versement de leur re-
traite depuis le 1er décembre. Pour
ceux qui sont déjà retraités et
dont la retraite complémentaire
a été amputée du malus, ce coef-
ficient de minoration est aussi
supprimé, mais seulement pour
les pensions versées à partir du
1er avril 2024.
Seconde pension
Quant au bonus, il disparaît pour
les assurés concernés par la ré-
forme des retraites, c’est-à-dire
ceux nés à partir du 1er septem-
bre 1961. En revanche, pour ne pas
pénaliser les plus âgés qui n’ont
pas encore demandé leur retraite
alors qu’ils avaient la possibilité
de le faire, le bonus est maintenu
pour eux. Autrement dit, les assu-
rés qui auraient pu partir plus tôt
en retraite, mais qui ont choisi de
différer la date de leur départ en
retraite d’au moins deux ans
pourront toujours profiter de ce
bonus temporaire.
Conséquence de la suppression
du malus : les estimations com-
Les conditions des PEL ouverts à partir du 1er janvier 2024
Rendement brut
Rendement net
Plafond 61 200 €
Versement minimum 540 €/an
Taux du crédit
épargne-logement
Infographie Le Monde
un peu plus d’un an à la faveur
d’un repli du taux du Livret A.
Attention, cependant, le PEL ne
constitue pas une véritable option
au Livret A puisqu’il n’est pas li-
quide : tout retrait entraîne sa clô-
ture, quel que soit l’âge du plan.
Autrement dit, il peut être utilisé
pour placer une épargne sans ris-
que, mais dont l’épargnant est cer-
tain de ne pas avoir besoin. Autre
contrainte, le PEL doit faire l’objet
de versements réguliers d’au
moins 540 euros par an, dans la li-
mite du plafond de 61 200 euros.
« Le volet “crédit” du PEL prend
désormais tout son sens. Il est judi-
cieux d’ouvrir un plan en 2024 pour
se donner la possibilité d’emprun-
ter pour acheter sa résidence prin-
cipale dans quatre ans », ajoute
Paul-Victor Duquaire, fondateur
CEUX QUI VOUDRAIENT
AVOIR UNE IDÉE
DE L’IMPACT SUR
LE MONTANT DE LEUR
COMPLÉMENTAIRE
AURONT TOUT INTÉRÊT À
REFAIRE DES SIMULATIONS
muniquées par les caisses de re-
traite aux assurés ainsi que les si-
mulations effectuées par ces der-
niers sur M@rel – le simulateur
accessible à partir de leur compte
personnel sur Info.retraite – ne
sont plus à jour. Ceux qui vou-
draient avoir une idée de l’impact
de la suppression du malus sur le
montant de leur retraite complé-
mentaire auront donc tout inté-
rêt à refaire des simulations. Le
groupement d’intérêt public
Union Retraite, qui gère M@rel,
nous a indiqué que le simulateur
tient compte de la suppression
du malus depuis le 7 décembre.
Une fois en retraite, les retraités
peuvent reprendre une activité ré-
munérée. Jusqu’à présent, cette
reprise ne leur permettait pas
d’acquérir de nouveaux droits,
alors même qu’ils continuaient à
cotiser comme avant pour leur re-
traite. Grâce à la réforme, ils peu-
vent désormais se constituer de
nouveaux droits qui donneront
lieu au versement d’une seconde
retraite de base, sous réserve
d’être salariés et de reprendre du
service chez leur ancien em-
ployeur en respectant un délai de
carence de six mois (ce délai ne
s’applique pas pour les indépen-
dants et professions libérales, qui
peuvent poursuivre leur activité
sans l’interrompre).
Mais attention, la possibilité de
se constituer une seconde pen-
sion ne joue que pour les retraités
qui remplissent les conditions du
« cumul intégral », à savoir ceux
2,25 %
1,57 %
3,45 %
Source : Le Monde
du cabinet Silveris et membre du
réseau Neofa. La génération 2024
permettra en effet de demander
un prêt d’épargne-logement au
taux de 3,45 %. Difficile néan-
moins de savoir si ce niveau sera
vraiment attractif dans quatre
ans, à partir de 2028. « A défaut,
l’épargne accumulée pourra servir
d’apport », rappelle Amandine
Guillabert.
Une bonne surprise
Faut-il pour autant clôturer son
vieux PEL pour en ouvrir un nou-
veau en 2024 ? Tout dépend de sa
rémunération. « Les épargnants
ayant ouvert un plan entre le
1er août 2016 et le 31 décembre 2022
ont intérêt à le fermer, puisqu’il ne
rapporte que 1 % brut, pour en
ouvrir un nouveau », détaille Phi-
er
Les cadeaux de Noël
qui ont l’âge minimum de la re-
traite et la durée d’assurance re-
quise pour le taux plein ou, à dé-
faut, ceux qui ont au moins
67 ans. Ceux qui ne remplissent
pas ces conditions entrent dans le
cadre du cumul limité et leurs co-
tisations restent, semble-t-il, ver-
sées à fonds perdu !
C’est notamment le cas pour
ceux qui partent en retraite avant
l’âge légal dans le cadre d’un dis-
positif de retraite anticipée. Der-
nière restriction : le montant de
cette seconde pension est pla-
fonné. Il ne peut pas dépasser 5 %
du plafond annuel de la Sécurité
sociale, soit 2 199,60 euros par an
en 2023. Côté retraite complémen-
taire, l’accord signé par les parte-
naires sociaux prévoit que les re-
traités en « cumul intégral » peu-
vent aussi continuer à obtenir des
points de retraite en contrepartie
de leurs cotisations, mais unique-
ment sur la part de leur salaire in-
PRÉSENT D’USAGE mille,
férieure au plafond de la Sécurité
sociale (43 992 euros par an
en 2023) dite « tranche 1 ».
Dans le régime Agirc-Arrco, les
cotisations versées chaque année
sont converties en points de re-
traite, en divisant leur montant
par le prix d’achat du point. Le
hic ? Alors que le prix d’achat du
point était resté au même niveau
en 2021 qu’en 2020, et n’avait
augmenté que de 0,20 % en 2022,
il progresse de 7,66 % en 2023 et
augmentera à nouveau de 4,61 %
en 2024 pour tenir compte de
l’évolution des salaires.
« A niveau de cotisations égal, les
assurés vont donc obtenir en 2023
et 2024 nettement moins de points
qu’en 2022, alors que parallèle-
ment la valeur du service du point
n’augmente que de 4,90 %. Dès lors
que la revalorisation de la valeur
de service du point est inférieure à
celle du prix d’achat du point, cela
se traduit automatiquement par
une baisse de rendement », cons-
tate Pascale Gauthier, associée
chez Novelvy Retraite. p
nathalie cheysson-kaplan
CLIGNOTANT
lippe Crevel. D’autant qu’une
bonne surprise les attend. « En cas
de fermeture avant le deuxième an-
niversaire, la rémunération est re-
calculée au taux du compte d’épar-
gne-logement en vigueur, précise
Philippe Crevel. Or, celui-ci rap-
porte aujourd’hui 2 %, soit plus que
le rendement du PEL clôturé. »
Le seul atout de la génération
2016-2022 est son crédit d’épar-
gne-logement, accordé au taux de
2,20 %. Un niveau très attractif
puisque les banques prêtent ac-
QUESTION À UN EXPERT
tuellement à 4,12 % toutes durées
confondues en octobre d’après
l’Observatoire crédit logement/
CSA. « Ce prêt PEL constitue un vrai
plus pour les acquéreurs dans les
conditions de marché actuel puis-
qu’il est deux fois moins cher, rap-
pelle Paul-Victor Duquaire. Il faut
donc conserver son plan, même
mal rémunéré, si l’on a un projet
immobilier à court terme. »
Les épargnants ayant ouvert un
PEL en 2023 à 2 % peuvent eux
aussi clôturer pour en ouvrir un
nouveau mieux rémunéré
en 2024, mais l’écart de rende-
ment est faible. Quant à ceux dé-
tenant encore aujourd’hui un très
vieux plan, dont le rendement est
compris entre 3 % et 6 % brut, ils
doivent le conserver précieuse-
ment. « Les banques incitent sou-
vent leurs clients à les clôturer, car
ces placements réglementés très
bien rémunérés leur coûtent cher.
Il ne faut pas céder : les conserver
est un droit », précise Amandine
Guillabert. p
agnès lambert
argent | 19
SOS CONSO
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
C
eux qui croient qu’il n’est pas possible, en France,
de déshériter certains de ses enfants se trompent :
les parents peuvent s’abstenir de les mentionner
sur la clause bénéficiaire de leurs assurances-vie. Ils
peuvent aussi éviter de leur donner des étrennes à Noël,
comme le montre l’affaire suivante.
En 2015, M. X, aîné d’une famille de huit enfants, découvre
que la succession de son père, qui vient de mourir, ne con-
tient que deux biens immobiliers, d’une valeur de
420 000 euros. Sa famille refusant de lui donner des explica-
tions, il s’adresse aux banques, et, moyennant le paiement
de quelque 2 000 euros, prend connaissance des mouve-
ments opérés sur le compte de son père depuis dix ans.
Il constate que, chaque année, celui-ci a distribué
22 500 euros d’étrennes à l’ensemble de ses frères et sœurs et
à son ex-épouse. Grâce à d’autres sources, il conclut que cela a
commencé en 1996, date à laquelle il a di-
vorcé en annonçant son homosexualité.
LA VALEUR DU Ce qui lui a valu d’être mis au ban de sa fa-
qui l’a prié de ne plus assister aux
mariages ni aux enterrements, et ne l’a,
NE DOIT PAS bien sûr, plus invité pour les fêtes de fin
d’année. Il demande que ces chèques faits
EXCÉDER 2,5 % à ses frères et sœurs, dont le total sur dix
DES REVENUS ans représente 427 500 euros, soient « rap-
portés » (réintégrés) à la succession, et que
sa famille n’ait pas le droit d’en bénéficier
lors du partage à venir, compte tenu du recel qu’elle a com-
mis, en les lui dissimulant.
Son avocat, Me Alexis Tombois, estime en effet que, bien
qu’offerts à l’occasion de Noël, ils ne peuvent être considérés
comme des « présents d’usage », non rapportables à la succes-
sion, au vu de leur importance : 26 % des revenus du défunt,
qui touchait une pension annuelle de 85 660 euros. Loin des
seuils prévus par la jurisprudence, qui s’élèvent à 2 % du patri-
moine et 2,5 % des revenus. La famille objecte que, bien que li-
bellés aux noms des parents, les chèques litigieux étaient
destinés aux petits-enfants, comme le prouvent les lettres de
remerciements de ceux-ci. Or, les petits-enfants ne sont pas
concernés par le principe du rapport à la succession.
Bien que l’un d’eux témoigne n’avoir jamais rien reçu, et
bien que M. X s’étonne que chaque branche familiale ait été
gratifiée de la même façon, quel que soit son nombre d’en-
fants, le tribunal judiciaire d’Angers puis la cour d’appel de
cette ville lui donnent tort. Le tribunal « saucissonne » les
sommes par branche, pour les déclarer proportionnées
(malgré une valeur de 3,5 %). Le 19 octobre, la cour d’appel a
jugé que, au regard de « la fortune des donataires », proprié-
taires « sans charge d’emprunt », les étrennes « doivent être
considérées comme des cadeaux d’usage dispensés de rapport
à la succession ». M. X hésite à se pourvoir en cassation. p
I MMOBI LI ER
Prix et transactions en baisse
Le nombre de transactions immobilières a fortement
chuté, selon les Notaires de France. A la fin septembre,
les transactions réalisées au cours des douze derniers
mois sont estimées à 928 000, soit une baisse de 18 %
en un an. Le volume de transactions est revenu au ni-
veau observé en 2017. Cette réduction des volumes de
ventes s’accompagne d’une baisse moyenne des prix
de 2 % pour les appartements anciens, dont 5,3 % pour
ceux situés en Ile-de-France. Le recul est de 1,6 % sur
un an pour les prix des maisons anciennes en France
métropolitaine (– 5,4 % en Ile-de-France).
Peut-on faire un prêt sans intérêt
à l’un de ses enfants ?
cécile dupain, notaire associée, KL Conseil
Si un prêt de plus de 1 500 euros est consenti entre particuliers, même
dans le cadre familial, il est obligatoire de le formaliser par un écrit.
Ce dernier peut prendre la forme d’un contrat de prêt signé par le prê-
teur et l’emprunteur, ou d’une reconnaissance de dette, signée par le
seul emprunteur. Il formalise la volonté et l’obligation de rembourser
de l’emprunteur, et fixe les détails du prêt – durée, taux, modalités de
remboursement. Ils sont librement définis entre les deux parties.
Il est donc parfaitement possible de consentir un prêt à titre gratuit,
sans intérêts. Mais les caractéristiques du prêt doivent montrer que
l’intention était bien de consentir un prêt, pas une donation. La durée
doit par exemple être réaliste et permettre un remboursement avant
le décès du prêteur. Si les modalités de remboursement s’éloignent
trop de celles d’un crédit classique, le prêt risque d’être requalifié en
donation familiale déguisée et des droits de donation pourraient être
dus. L’emprunteur doit mentionner les prêts supérieurs à 5 000 euros
dans sa déclaration annuelle d’impôt sur le revenu (formulaire
n° 2062). En outre, l’enregistrement du contrat de prêt (auprès du ser-
vice de l’enregistrement de l’administration fiscale du lieu de
résidence) est fortement recommandé. Il permet de prouver la date et
l’existence du contrat en cas de contestation. Coût : 125 euros. p
20 | carnet 0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

Lia Kiladis, Anne Guiraud, Sébastien Reboux, Il y a un an,

son épouse, sa femme, son ils,
Eli Commins et Lise George Marie, François (†), Emmanuelle Julien et Lyly, Sara HARRUS,
Evi Commins et Romaric Besançon, et Clara, son ils et sa belle-ille,
en vente Le Carnet ses enfants et leurs conjoints, ses enfants,
née ISRAËL,
Adèle, Colin, Ninon et Line,
actuellement Noémie, Lila, Anna, Theodore,
Marc Barès,
ses petits-enfants, s’en est allée.
son gendre,
ses petits-enfants
Samuel, Julia, Numa, Simon, Thomas
Vous pouvez nous faire Ainsi que toute la famille, ont la profonde tristesse d’annoncer
K En kiosque et Héloïse,
le décès de
En espérant que la terre lui fut
parvenir vos textes ses petits-enfants, légère, elle a retrouvé dans leur
ont la tristesse de faire part du décès Balthazar, Marin et Anatole,
soit par e-mail : de sanctuaire, son exceptionnelle mère,
HORS-SÉRIE
ses arrière-petits-enfants, Catherine REBOUX,
carnet@mpublicite.fr Jean-Pierre Guiraud, née COURCHINOUX,
Daniel COMMINS, son frère, Simy,
(en précisant impérativement
Christine et Reine-Marie,
L’HISTOIRE DU
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
acousticien,
fondateur ses belles-sœurs,
Edmond Pouly,
survenu le vendredi 8 décembre
2023, à Paris, dans sa soixante-dix- son irremplaçable mari,

PROCHE ORIENT10 000 ans de civilisation d’abonné ou de membre

de Head Start Foundation
(Tanzanie), son beau-frère
et leurs enfants,
septième année.
Elias
de la SDL) Une cérémonie à sa mémoire aura
survenu le 9 décembre 2023, lieu le lundi 18 décembre, à 10 h 30, et sa petite-ille adorée,
ont la grande tristesse de faire part
ÉDIT ION
20 23 soit sur le site : à l’âge de quatre-vingt-trois ans. au funérarium des Batignolles,
de la mort de
https://carnet.lemonde.fr
Comprendre le présent à la lumière du passé

21, boulevard du Bois-le-Prêtre, Frédérique.

Hors-série Les obsèques auront lieu le mardi Vincent GUIRO, Paris 17e.
L’équipe du Carnet reviendra 19 décembre, de 12 heures à 12 h 30, en artiste peintre et sculpteur,
vers vous dans les meilleurs salle Bigot-Formigé, du crématorium Que leurs mémoires soient bénies.
Ses proches
délais pour vous confirmer du cimetière du Père-Lachaise, 71 rue le jeudi 7 décembre 2023.
Et sa famille,
la parution. des Rondeaux, Paris 20e. Famille Harrus.
100 GRILLES La Galerie du Haut Pavé, Paris 5e,
s’associe à la famille. ont la tristesse de faire part de la
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 8 Annie,
mort le 8 décembre 2023, de
Commémoration
carnet@mpublicite.fr son épouse, Une messe a été célébrée le jeudi Commémoration de la déportation
https://carnet.lemonde.fr Philippe et Benjamin, Delphine et 14 décembre, en la cathédrale de Nîmes. Bruno SCHLAEFFLIN. des Juifs de France par l’association
Rose-May,
ses enfants et leurs épouses, La mise en terre aura lieu dans « Les Fils et Filles des Déportés Juifs
Une cérémonie aura lieu le lundi
AU CARNET DU «MONDE» Thomas, Clémentine, Marin, Nathaël l’intimité familiale. de France » et le Mémorial de la Shoah,
18 décembre, à 10 heures, en la salle
et Octave, avec le soutien de la Fondation pour
Mauméjean du cimetière du Père-
Décès ses petits-enfants, Pornic. Lachaise, Paris 20e. la Mémoire de la Shoah.
Anne-Marie,
Magazine n° 8
Lucienne Chatenoud-Bach, sa sœur, Michel,
son épouse, Alain et Françoise, son époux, Anniversaire de décès Cérémonie à la mémoire des
Olivier, Sophie, Christophe, Francis, son beau-frère et sa belle-sœur, Jean-Michel, Thierry et Denis, déportés du convoi n° 63 partis, il y
Laurent, ses enfants, Il y a dix ans, le 16 décembre 2013,
a 80 ans, du camp de Drancy pour
ses enfants, Hélène,
HORS-SÉRIE

Catherine, Annabelle, Corinne, Sarah, ont la tristesse de faire part du décès le camp d’extermination d’Auschwitz-
de sa belle-ille, Marie BOUTEFEU-BOYER
ses belles-illes, Victor et Félix, Birkenau.
Alexandre, Julien, Lucile, Maxime,
ses petits-enfants, nous quittait.
Eléa, Félix, Jules, Carmen, Gaétane, Jean-François DELJURIE, Jean-François,
Emile, Violette, Emmanuel, Irène, ancien élève Dimanche 17 décembre 2023,

40 ses petits-enfants, son frère, Que tous ceux qui l’ont connue,
de l’ENS de Saint-Cloud, Martine, à 12 heures.
Marianne Toublanc, Daniel Bach, appréciée et aimée, aient une
CARTES agrégé de lettres classiques, sa sœur
POUR COMPRENDRE ses sœur et frère afectueuse pensée pour elle.
UN MONDE FRACTURÉ et leurs conjoints, Jean-Edmond et professeur de classes préparatoires Ainsi que toute la famille, Lecture des noms des 1000 déportés,
Blandine, au lycée Henri-IV Paris, dont 100 enfants, du convoi n° 63.
ont la profonde tristesse de faire part Une personne chère ne nous
Hors-série ont la tristesse de faire part du décès du décès de quitte jamais. Elle vit au plus profond Seuls 41 déportés sont revenus.
survenu le samedi 9 décembre 2023,
de à son domicile. de notre cœur.
Mme Michèle JAMET, Mémorial de la Shoah,
Jean-François BACH, née GEORGE,
HORS-SÉRIE
professeur émérite de médecine, La cérémonie d’adieu se tiendra Mémoires 17, rue Geofroy-l’Asnier,
secrétaire perpétuel honoraire le mercredi 20 décembre, à 11 heures, 75004 Paris.
survenu le 11 décembre 2023,
de l’Académie des sciences, au crématorium de Saint-Fargeau-
L’ATLAS
DES
6 000 ANS
D’HISTOIRE
150 CARTES
& INFOGRAPHIES
survenu le 12 décembre 2023,
Ponthierry, 395, rue du Clos Bernard,
à Saint-Fargeau-Ponthierry (Seine-
à Saint-Nazaire,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Dominique BEAU-BENOIT,
21 novembre 1938 - 15 décembre 2018,
Renseignements :
à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Tél. : 01 53 01 17 99.
et-Marne). La cérémonie religieuse sera
célébrée le mardi 19 décembre, à cinq ans déjà. Email :
Une cérémonie se tiendra le
mercredi 20 décembre, à 10 h 30, Ni leurs ni couronnes. 15 heures, en l’église Saint-Illiers, à wendy.schando@memorialdelashoah.
au Temple de l’Étoile, 54, avenue Une pensée bienveillante. Bazemont, suivie d’un dernier Vivante en nos cœurs. org
de la Grande Armée, Paris 17e. hommage au cimetière de Bazemont.
Éveline,
Cet avis tient lieu de faire-part et Société éditrice du « Monde » SA
Hors-série Le président, son épouse,
de remerciements. Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
La vice-présidente, Ses enfants, Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Les secrétaires perpétuels Ses petits-enfants
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Et les membres Ferrières (Somme). Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis,
Et ses arrière-petits-enfants, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
HORS-SÉRIE
de l’Académie des sciences, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
M. Darius Bonazzi, Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
ont la tristesse de faire part de la ont la douleur de faire part du décès son beau-frère, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
disparition de leur confrère, du Mme Bernadette de Tourtier, Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
UN LONG CHEMIN sa belle-sœur, Direction artistique Emmanuel Laparra
docteur
VERS L'INFINI

Anne, Laurent, Hélène, Gilles et Infographie Delphine Papin

Jean-François BACH,
professeur émérite
à l’université Paris Cité,
secrétaire perpétuel honoraire
de l’Académie des sciences,
commandeur
de la Légion d’honneur,
Hors-série commandeur
de l’ordre national du Mérite,
Joseph ESCHBACH,
survenu le 4 décembre 2023.
Il repose à Ingersheim.
François, Florence, Vincent,
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Christophe Bonazzi,
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
ses nièces et neveux français, Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
leurs conjoint.e.s et leurs enfants
Et sa belle-famille de Tourtier,
ont le chagrin de faire part du décès
de
Vos

se . dédicaces
ses enfants, Eugene MC CREARY,
Musée d'Histoire de Nantes ancien élève
décédé le 12 décembre 2023, ont la douleur d’annoncer le décès
Exposition : 14.10.23 - 05.05.24
HORS-SÉRIE
de l’université de Yale,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans. de leur père, professeur d’histoire

819,!;J!!ges
Comment
les Mongols à l’université SUNY-Brockport,
ont changé Ils adressent à sa famille leurs plus
le monde sincères condoléances. Claude FAURE,
graphiste, artiste des mots, survenu le 22 novembre 2023,

GENGIS Mme Annie Bouanchaud,

conseiller à Falls Church (Virginie, États-Unis),
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
KHAN
à la Cité des Sciences,

du lfrRef du
son épouse,
M. Eric Büu-Hôi Bouanchaud, Une cérémonie aura lieu au
En partenariat
avec
son ils, survenu le 9 décembre 2023, printemps en France.

Monde
à Palaiseau,
ont la tristesse de faire part du décès à l’âge de quatre-vingt-onze ans,
Hors-série de La famille
Et les proches,
M. Daniel BOUANCHAUD, La cérémonie d’adieu a lieu ce
vendredi 15 décembre, à 16 h 45, au ont la tristesse de faire part du décès
UNE VIE, UNE ŒUVRE
survenu à Paris, le 11 décembre 2023. crématorium de Clamart, 104, rue de
ÉDITION
de la porte de Trivaux, Clamart
2023 Les obsèques auront lieu dans la (Hauts-de-Seine). Pierre-Alain MERCIER,
plus stricte intimité.
vincentfaure1@free.fr survenu le 9 décembre 2023,
Paris. Vaucresson. Villé. à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Léo
Ferré Dominique Franck,
L’indigné Francine Acher, La cérémonie aura lieu le mercredi
sa compagne, son épouse,
20 décembre, à 11 h 30, au crématorium
Avec Aragon, Bernard Lavilliers, Catherine Ribeiro, Marie-Christine Ferré…
Anne et Pierre Burrus, Olivier et Nicolas, du cimetière du Père-Lachaise,
Hors-série ses enfants, ses enfants, Paris 20e.
Gabrielle, Salomon, Adèle et Léopold,
ont la tristesse de faire part du décès ses petits-enfants, Pour joindre sa ille, Ada :
accidentel, survenu dans son Alsace Ses afectionnées, Marie-Margaux contact.pa.mercier@gmail.com
Nos services natale, le 9 décembre 2023, dans sa
soixante-sixième année, de et Gwénaële,
Les proches
M. Jean BURRUS, ont la tristesse de faire part du décès Et les amis
Lecteurs
LeRondc
ingénieur civil des Mines de Paris, de de
géologue
K Abonnements et docteur en hydrogéologie, Antoine FRANCK, Géralde NAKAM,
Sur abo.lemonde.fr pionnier professeur émérite
Par tél. au 03 28 25 71 71 dans la modélisation de bassin,
qui a pu dignement mettre un terme à La Sorbonne Nouvelle-Paris-III, Le Canet
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) ancien directeur de divisions écrivain, chercheur,
à l’Institut français du pétrole, à sa vie à Berne (Suisse), le 2 octobre
K Le Carnet du Monde ancien président-directeur général 2023.
de Beicip-Franlab. ont la tristesse de faire part de son Pour touteinformation :
carnet@mpublicite.fr décès, survenu le 9 décembre 2023,
L’inhumation et la cérémonie
L’inhumation aura lieu le mercredi à Paris. carnet@ftl(Hihlicite.fr
20 décembre, au cimetière du Prix à la ligne: 33C TTC.
religieuse auront lieu en l’église
Notre-Dame-de-l’Assomption de Villé Montparnasse, Paris 14e. L’inhumation a eu lieu le mercredi
(Bas-Rhin), le lundi 18 décembre, à 13 décembre, au cimetière parisien
14 heures. condoleancesAF@proton.me de Bagneux.
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Des haredim sous les drapeaux
Les attaques du Hamas
le 7 octobre en Israël
ont conduit des
centaines de juifs
ultraorthodoxes, mus
par le désir d’« aider »,
à rejoindre l’armée,
en dépit de leurs
convictions religieuses
jérusalem - envoyée spéciale
E
n Israël, on les appelle parfois les
« hommes en noir » Avec leur
costume noir, leur chemise blan-
che, leurs tsitsit (franges) sur les
hanches et leur chapeau à large
bord, les juifs ultraorthodoxes
arborent une tenue immuable, quelle que
soit la saison. Mais depuis les attaques me-
nées par le Hamas contre leur pays, le 7 octo-
bre, quelque chose a changé. En moins d’une
semaine, et contrairement à leur habitude,
plusieurs centaines de haredim (les « crai-
gnant-Dieu ») ont envisagé de troquer, provi-
soirement, leur « uniforme » noir et blanc
contre celui de l’armée.
Est-ce une révolution ? Une simple évolu-
tion ? Un phénomène passager ? Comme
souvent, les rabbins ne sont pas d’accord en-
tre eux, mais une chose est sûre : les volontai-
res en question transgressent les règles im-
plicites de leur communauté. Si le mouve-
ment reste limité à quelque 3 000 candidats,
dont seuls 350 sont aujourd’hui effective-
ment sous les drapeaux, cette mobilisation
fait parler d’elle dans une société où les ultra-
orthodoxes vivent, depuis longtemps, à
l’écart de la chose militaire.
L’un d’eux, Natan Rakow, a été affecté au
camp de Shivta, dans le désert du Néguev.
Agé de 36 ans, ce père de trois enfants précise
d’emblée qu’il n’a pas été incorporé dans une
unité combattante, mais dans une section
préposée au secours des civils. Pour cet habi-
tant de Beit Shemesh, à l’ouest de Jérusalem,
l’idée de « faire partie d’une communauté de
citoyens » l’a emporté sur les préventions reli-
gieuses, dans un moment difficile pour le
pays. En rejoignant la base, il savait qu’il ne
mangerait pas casher aussi strictement que
d’habitude et, même, qu’il risquait de croiser
des femmes. Voire, chose prohibée par sa pra-
tique religieuse, qu’il pourrait les entendre
chanter (l’hymne national, par exemple).
Mais rien de tout cela n’a suffi à émousser
son désir « d’aider ». Il a d’ailleurs poussé
l’audace jusqu’à rentrer chez lui en uniforme,
chose très rare dans un milieu où l’armée
n’est pas en odeur de sainteté. Il est arrivé,
dans le passé, que des haredim soient moles-
tés lorsqu’ils osaient paraître en tenue de sol-
dat dans des quartiers à majorité orthodoxe.
UN FOSSÉ INVISIBLE FRANCHI
Comme d’autres, Natan Rakow s’est porté vo-
lontaire au tout début du conflit. L’armée, qui
battait alors le rappel de ses quelque
350 000 réservistes, a décidé d’entraîner ra-
pidement ces hommes qui n’avaient pas fait
leur service militaire. « En quelques heures, ils
étaient déjà plus de 450 », raconte Ram Moshe
Ravad, rabbin dans l’armée de l’air, qui dit en
avoir personnellement sélectionné 1 560.
Tous ne seront pas incorporés, mais tous ont
franchi un fossé invisible en s’approchant vo-
lontairement de l’armée.
Pour bien mesurer le chemin parcouru, il
faut remonter aux sources d’une situation
singulière, surtout dans un Etat où l’armée
constitue le creuset de la Nation. Et d’abord,
définir le groupe dont il est question. Ces
haredim, qui représentent environ 12 % de la
population israélienne, se distinguent des
sionistes religieux, plus ouverts à la mo-
dernité mais, surtout, très nationalistes (ce
sont eux, par exemple, que l’on retrouve
dans les colonies). Les haredim, en revanche,
n’adhèrent pas à l’idéal sioniste : trop sécu-
lier, trop opposé à leur vision exclusivement
Le rabbin Bezalel Cohen, fondateur du lycée ultraorthodoxe Hachmey Lev, à Jérusalem, montre la photo
de son fils en uniforme, médecin militaire dans l’armée. A Jérusalem, le 15 novembre. L. BARIOULET POUR « LE MONDE »
religieuse du monde, centrée sur l’attente du
Messie. D’où une réticence à servir dans l’ar-
mée affichée avant même la naissance offi-
cielle du pays, en mai 1948.
Soucieux d’obtenir, non pas un soutien,
mais au moins une forme de neutralité, le
futur premier ministre David Ben Gourion
leur a consenti d’importantes concessions,
dès 1947. Dans le cadre d’un accord dit de
« statu quo », les haredim obtiennent ainsi la
reconnaissance du shabbat et des fêtes juives
comme jours fériés, la généralisation de la
casherout (code alimentaire juif) dans les ser-
vices publics, mais aussi le financement du
rabbinat et celui du système scolaire confes-
sionnel. Dès 1950, un nouveau privilège vient
compléter ce dispositif : les orthodoxes qui le
souhaitent sont exemptés de service mili-
taire, à condition d’étudier dans une yeshiva
(établissement supérieur consacré à l’ensei-
gnement des textes sacrés). Rappelons que la
conscription n’est pas une mince affaire en
Israël, où seuls les juifs sont concernés (les
Arabes israéliens sont exclus de l’armée, à
l’exception des Druzes) : les filles peuvent
être mobilisées pendant deux ans, et les gar-
çons presque trois.
« A l’époque, Ben Gourion pensait que la
culture haredim s’effondrerait sous le poids de
la modernité, explique Denis Charbit, profes-
seur de sciences politiques à l’université
ouverte d’Israël et auteur d’Israël et ses para-
doxes (Le Cavalier bleu, 2015). Il n’avait pas
prévu que les ultraorthodoxes s’épanouiraient
horizons | 21
grâce, justement, à cet Etat qu’ils n’aiment
CETTE guère. » Le résultat, c’est qu’avec un taux de
MOBILISATION fécondité de 6,6 enfants par femme, la popu-
lation haredim a augmenté nettement plus
FAIT PARLER vite que celle d’un pays où vivent, actuelle-
ment, plus de 9 millions d’habitants.
D’ELLE DANS UNE Mécaniquement, le nombre des jeunes en
SOCIÉTÉ OÙ LES âge de faire leur service a, lui aussi, explosé.
Aujourd’hui, 11 000 haredim de sexe mas-
ULTRAORTHODOXES culin atteignent chaque année leurs 18 ans,
contre un peu plus de 400 du temps de Ben
VIVENT, DEPUIS Gourion. Une toute petite proportion d’entre
eux finit par répondre à l’appel, dans des uni-
LONGTEMPS, tés spécialement aménagées, mais il s’agit
À L’ÉCART DE LA des « âmes perdues », comme on les sur-
nomme : ceux que la communauté préfère
CHOSE MILITAIRE expédier dans des casernes plutôt que de les
voir mal tourner, lorsqu’ils ne sont pas taillés
pour les études. Les filles orthodoxes, quant à
elles, ne sont pas concernées par la dispense,
et pour cause : il n’a jamais été question qu’el-
les approchent d’une base, un point c’est tout.
DÉBATS CONTINUS SUR LA CONSCRIPTION
Cette dispense fait polémique en Israël où,
de surcroît, la moitié des hommes haredim
n’ont pas d’emploi, soit parce qu’ils étudient
à plein temps le Talmud et la Torah (leur
idéal de vie), soit parce qu’ils sont complète-
ment inadaptés au monde du travail, faute
d’avoir suivi autre chose qu’un cursus
religieux dès les petites classes. Dans de très
nombreuses familles, ce sont les femmes
qui font bouillir la marmite, celles-ci ayant
reçu un enseignement plus proche de la
normale que leurs époux.
Eux, en revanche, sont couramment traités
de « parasites » par leurs compatriotes. Sur-
tout, leur cas fait l’objet d’une interminable
querelle. Depuis la fin des années 1990, et
surtout le début des années 2010, le pro-
blème du service militaire est constamment
remis sur le tapis par ceux qui s’opposent à
l’exemption, mais toujours ajourné faute
d’accord avec les orthodoxes. Les divergen-
ces portent, essentiellement, sur l’âge à par-
tir duquel les jeunes croyants ne peuvent
plus se prévaloir de leur statut d’étudiant
pour échapper à la conscription. Si la guerre
n’avait pas éclaté, un nouvel examen des dis-
positions en vigueur aurait eu lieu à la Knes-
set, le Parlement national, en novembre.
Longtemps, pourtant, l’armée n’a pas couru
après ces recrues pour lesquelles il faut créer
un environnement particulier. D’autant que
les haredim, peu portés sur le sport, jouissent
rarement d’une condition physique compati-
ble avec un service actif. De leur côté, les ultra-
orthodoxes rejettent ce qu’ils perçoivent
comme une menace mortelle pour leur iden-
tité. En réalité, ces rigoristes vivent en vase
clos, confinés dans une pratique austère et
très contraignante, où la télévision et le télé-
phone portable sont tenus pour des instru-
ments dangereusement ouverts sur la moder-
nité. Cette phobie du monde extérieur, perçu
comme un lieu de perdition, explique, en
grande partie, le rejet du service militaire,
comme l’explique Yehuda Eisikovitz.
DES HOMMES DÉJÀ INSTALLÉS
Si ce quadragénaire, fervent croyant, consent à
utiliser un téléphone portable, c’est unique-
ment pour exercer son activité de communi-
cant au sein de la communauté. Et encore : il
s’agit d’un appareil casher, autrement dit doté
d’un minimum de fonctions et d’une con-
nexion très limitée à Internet. A ses yeux, l’af-
faire ne fait aucun doute : « Au-delà de ses mis-
sions proprement militaires, l’armée israélienne
ambitionne d’être un melting-pot et d’éduquer
les recrues. Elle veut faire changer les jeunes.
Nous nous sommes rendu compte que les hare-
dim qui la rejoignent reviennent incroyants. »
Or, affirme-t-il, « quand mon fils étudie la
Torah, il est aussi utile au pays que s’il était dans
l’armée ». Une position confirmée par Yitzhak
Pindrus, député du parti ultraorthodoxe
Yahadout Hatorah à la Knesset. « On doit res-
pecter les gens, ne pas essayer de les transfor-
mer », soutient ce politique, pour qui le petit
élan des orthodoxes vers l’armée, après le 7 oc-
tobre, est un phénomène parfaitement négli-
geable. « Cela ne suscite aucun débat particulier
au sein de la communauté », jure-t-il.
Telle n’est pas l’opinion du rabbin David
Leybel, partisan convaincu d’une meilleure
intégration des jeunes orthodoxes dans le
monde du travail. Né à Lille en 1954, cet Israé-
lien d’origine française a fait fortune dans
l’industrie du diamant avant de créer un ré-
seau d’écoles supérieures combinant l’étude
du Talmud et celle du high-tech. Une branche
de ce groupe travaille même en lien avec les
services de renseignement, dans le domaine
de la cybersécurité. Cette petite révolution a
été complétée par des établissements du se-
condaire, ouverts, eux aussi, à un enseigne-
ment non religieux. A propos des 3 000 hare-
dim ayant manifesté leur désir de rejoindre
l’armée, David Leybel est formel : « C’est à la
fois peu et énorme, vu le contexte. On a vu des
volontaires être accueillis avec les honneurs
dans leurs synagogues. » Puis il ajoute : « A
mon avis, tout le monde devrait faire son ser-
vice militaire. A la rigueur, on pourrait envisa-
ger l’exemption d’un quota de jeunes, comme
on le fait pour les artistes et les sportifs. »
A condition, toutefois, que les jeunes
croyants puissent quitter l’armée sans avoir
perdu leur identité. Autrement dit, qu’ils sor-
tent de là aussi orthodoxes qu’ils y sont ren-
trés. Pour cela, affirme M. Leybel, il faut
mieux adapter les unités spéciales au sein
des bases militaires, mais également revoir la
formation des jeunes haredim. Sans quoi, la
confrontation avec l’extérieur, trop nouvelle,
trop déstabilisante, risque de les faire dériver
loin de leurs repères habituels. En attendant,
la plupart des ultraorthodoxes qui se sont
présentés, au lendemain du 7 octobre, sont
des hommes déjà installés, souvent pères de
famille. Au point, d’ailleurs, que beaucoup
ont été jugés trop âgés par les recruteurs.
Mais, au moins, leur religion était faite, si l’on
peut dire – en tout cas plus solide que celle
des jeunes conscrits, plus enclins à trouver
quelque charme au monde moderne. p
raphaëlle rérolle
22 |
CULTURE
« Péplum médiéval », avec l’atelier Catalyse, en octobre, à la MC2 de Grenoble. MARTIN ARGYROGLO CALLIAS BEY
Quand le handicap réinvente
la création sur scène
Les spectacles avec des interprètes trisomiques, autistes ou déficients
intellectuels, notamment, se multiplient depuis le mois de septembre
THÉÂTRE
T
rois acteurs en situation
de handicap, leurs ges-
tes malhabiles, leur dé-
marche incertaine, leurs
corps en déséquilibre. Trois co-
médiens qui, parce qu’ils ne
cachent rien de leurs problèmes
de mémoire ou de leur difficulté à
parler, racontent mieux qu’un
discours théorique ce que cela
veut dire d’être et d’agir, au ra-
lenti, dans un monde qui cavale
de manière effrénée. Qu’ils soient
FORMES
DE LA
RUINE
institutions
Joel Sternfeld, After a lash lood, Rancho Mirage, California July 1979 (détail). Musée national d’art moderne /
Centre Pompidou. Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost.
trisomiques, autistes ou défi-
cients intellectuels, que leur han-
dicap soit un peu, beaucoup,
excessivement invalidant, les
acteurs de la compagnie austra-
lienne Back to Back Theatre
donnent au public une leçon de
dignité. Actuellement présenté
au Théâtre de la Bastille, à Paris,
leur spectacle The Shadow Whose
Prey the Hunter Becomes vient
ajouter sa singularité à un corpus
de représentations jouées, depuis
septembre, par des interprètes
atteints de retard mental.
EXPOSITION
DU 1ER DÉC. 2023
AU 3 MARS 2024
mécène partenaire partenaires médias
Festival d’automne à Paris,
Festival du Théâtre national de
Bretagne à Rennes, mises en
scène françaises ou internatio-
nales : voilà quatre mois que des
interprètes qui ne cochent pas
les cases de la « normalité » oxy-
gènent les plateaux. Effets du
hasard, approche des Jeux para-
lympiques, volontarisme des
programmateurs ? Quels que
soient ses motifs, cette conver-
gence a su éveiller l’attention.
Récits, jeu, imaginaire, esthéti-
que : l’afflux d’acteurs en situa-
tion de handicap dessine des
lignes artistiques et des horizons
de sens enthousiasmants.
Loin de se réduire à une action
socioculturelle, l’enjeu est celui
d’une création renouvelée dans
ses formes et ses contenus. Un fait
qui n’échappe à personne, à
commencer par les deux troupes
historiques et, en l’espèce, vision-
naires : l’atelier Catalyse à Morlaix
(Finistère), fondé en 1984 par
Madeleine Louarn, et la Compa-
gnie de l’Oiseau-Mouche, créée
en 1978 à Roubaix (Nord), ont
ouvert la voie à une inclusion de-
venue, aujourd’hui, une préoccu-
pation nationale. Au point que la
ministre de la culture, Rima Abdul
Malak, s’est emparée du sujet.
Lundi 6 novembre, accompa-
gnée de Fadila Khattabi, ministre
déléguée chargée des personnes
handicapées, la locataire de la Rue
de Valois s’est rendue dans les
locaux de l’Oiseau-Mouche pour
y présider une commission natio-
nale culture et handicap. « L’an
dernier, à Bordeaux, se souvient-
elle, j’ai été interpellée par William
Theviot, un pianiste diagnostiqué
autiste. J’ai compris, en l’écoutant,
à quel point s’intégrer dans le
monde musical, y être repéré, s’y
bâtir un réseau était difficile pour
les personnes comme lui. » Du
« Nous sommes
coincés entre
une idéologie
de la diversité et
la réalité du culte
de la perfection »
MILO RAU
metteur en scène
« La Dernière Génération… », avec le Theater Stap, le 4 novembre, au Théâtre de Liège. DOMINIQUE HOUCMANT/GOLDO
déclic a découlé un impératif : en-
courager et accroître « la visibilité
de ces artistes sur les scènes, dans
les films ou les médias ».
Peu favorable à l’instauration de
quotas, Rima Abdul Malak leur
préfère des mesures incitatives
(par exemple des bonus de finan-
cement) et milite pour le recrute-
ment de salariés handicapés dans
les équipes ainsi que pour la
venue de référents handicap dans
les établissements publics : « Je
crois au choix de personnes qui,
parce qu’elles sont touchées de
près, sauront faire bouger la
machine », dit-elle.
Evolution des mentalités
Directeur général du Centre na-
tional pour la création adaptée
(missionné par l’Etat pour deve-
nir un pôle de ressources pour
tous), Thierry Seguin est aux pre-
mières loges de ce vaste chantier
qui a, dès 2005, bénéficié du vote
de la loi pour l’égalité des droits et
des chances. Parce qu’elle englo-
bait les handicaps moteur, senso-
riel, cognitif et psychique, « cette
loi a tout changé ! », s’exclame-t-il :
« Avant, il fallait négocier sa place
dans l’espace public. Depuis, l’ac-
cessibilité est la norme et son
non-respect, un délit. »
Du concret des aménagements
(ascenseurs, rampes, ou, dès le
mois de mars, à la Comédie-Fran-
çaise, lunettes avec surtitrage
pour les sourds et malenten-
dants) à l’évolution des mentali-
tés, il y a un gouffre qui serait,
selon Thierry Seguin, lentement
mais sûrement en train d’être
franchi : « Le regard évolue à me-
sure que les pratiques artistiques
se renforcent. Les metteurs en
scène Madeleine Louarn ou Pippo
Delbono ont banalisé la présence
d’acteurs en situation de handicap
sur les scènes. Ils se produisent
dans des lieux et des festivals où, il
y a vingt ans, on ne les voyait pas.
Leur différence semblait remettre
en cause l’équilibre social. On sait
désormais que la société est faite
de l’addition de ces différences. »
S’il existe des limites, elles
siègent avant tout dans la tête des
gens. Bruce Gladwin, metteur en
scène de la compagnie austra-
lienne Back to Back Theatre, ne dit
pas autre chose : « Ce qui est révélé
n’est pas sur scène, mais dans
l’esprit de chaque spectateur. » A la
tête de la troupe depuis 1999, il
raconte avoir vécu, en la décou-
vrant, « une expérience anarchi-
que et dionysiaque » inédite.
Depuis cet automne, le specta-
teur, lui aussi, traverse des sensa-
tions rarement éprouvées. Elles
sont le fait de comédiens qui
jouent leur handicap avant tout
autre rôle. Une chute des mas-
ques particulièrement notable
dans les projets étrangers. L’im-
pulsion a été donnée, en septem-
bre, au Théâtre des Abbesses, à Pa-
ris, par huit Chiliens porteurs du
syndrome de Down (trisomie 21).
Lancés à l’assaut de Hamlet, de
Shakespeare, ils ont d’emblée pré-
venu de leurs entraves et de leurs
défaillances. Des revendications
qui remettaient les pendules à
l’heure en dissipant les doutes :
l’acteur handicapé sait ce qu’il fait
sur des planches et pourquoi il y
est. Si, aux Abbesses, tous
chantaient fièrement « Je ne suis
pas comme les autres », en revan-
che, quelques semaines plus tard,
une actrice s’écriait avec rage : « Je
hais la trisomie ! »
Son hurlement a sidéré le public
venu assister, au Théâtre de Liège,
au spectacle du Suisse Milo Rau,
dont les prises de position peu-
vent être offensives. D’où sa criti-
que acérée : « Plus la visibilité des
handicapés monte dans le secteur
de l’art et des médias, plus ils dispa-
raissent physiquement de la so-
ciété à la suite d’avortements ou de
leurs placements dans les institu-
tions. » Face à ce paradoxe, l’ar-
tiste utilise la scène pour, dit-il,
« montrer en excès ce que nous ne
voulons pas regarder, ou voir, de la
réalité de nos sociétés ». Cette invi-
sibilisation dans l’espace public,
proche, selon lui, d’un désir
d’éradication, est la raison pour
laquelle il a intitulé son spectacle
créé par les acteurs handicapés de
la troupe belge Theater Stap La
Dernière Génération, ou les
120 journées de Sodome.
Un geste politique
Adaptée de Sade et de Pasolini,
sa représentation aborde les
questions de désir et de sexualité,
de soumission et de domination.
Au-delà du théâtre, il s’agit, pour
Milo Rau, de poser au cœur du
débat un geste politique : « Nous
sommes au centre d’une contra-
diction, coincés entre une idéolo-
gie de la diversité à laquelle je sous-
cris pleinement et la réalité du
culte de la perfection, de la norma-
lisation et de l’exclusion. » Il prend
donc le pli inverse. Il surexpose,
voire dénude, les corps fragilisés
de ses comédiens, les dirige dans
une scène d’amour d’une ten-
dresse folle, comme s’il lui fallait
mettre les points sur les « i » pour
en finir avec les préjugés.
Bonheur ou désespoir, colère ou
jubilation, les comédiens en si-
tuation de handicap ne sont pas
des marionnettes dépossédées de
leur conscience et livrées aux
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
« Notre
fonctionnement
est celui
de la Comédie-
Française, sans
le budget »
LÉONOR BAUDOUIN
directrice de l’Oiseau-Mouche
mains de démiurges manipu-
lateurs. Mieux encore : le théâtre
leur est redevable dès lors qu’il se
réinvente grâce à eux. Ce qui
explique pourquoi les artistes, de
Boris Charmatz à Noëmie Ksicova
et Lisa Guez, de Rachid Ouram-
dane à Jean-François Sivadier ou
Gwenaël Morin, répondent
présents aux sollicitations de
Léonor Baudouin, directrice de
l’Oiseau-Mouche.
A Roubaix, ils animent des
master class ou montent des spec-
tacles. Ils font leur choix parmi les
dix-neuf comédiens permanents
rémunérés par la compagnie.
« Notre fonctionnement est celui
de la Comédie-Française, sans en
avoir le budget », explique la direc-
trice. Conventionné par le minis-
tère de la culture, l’Oiseau-Mou-
che recrute, après les avoir audi-
tionnés, des postulants ayant déjà
une pratique amateur et qui, une
fois cooptés, acquièrent un statut
de professionnel.
En 2020, sur la cinquantaine de
candidatures, quatre ont été
retenues. C’est peu, mais toujours
mieux que des formations au jeu
pour l’heure inexistantes dans le
champ du handicap mental. Il
faut penser les choses en amont,
reconnaît-on au ministère de la
culture, très attentif aux expé-
riences de terrain. Celle vécue par
Olivier Martin-Salvan est une
source d’inspiration. Le metteur
en scène de Péplum médiéval, une
farce moyenâgeuse haute en
couleur déployée avec des
membres de l’atelier Catalyse, re-
grette l’absence de cours de voix,
de chant ou de diction. « Dès que
je leur fais travailler la technique,
ils s’améliorent », affirme-t-il. En-
core quelques efforts, et l’altérité
cessera d’être une exception,
pour devenir une évidence. p
joëlle gayot
The Shadow Whose Prey
the Hunter Becomes. Mise
en scène : Bruce Gladwin. Théâtre
de la Bastille, Paris 11e. Du 13 au
17 décembre. Festival d’automne.
Péplum médiéval. Mise
en scène : Olivier Martin-Salvan.
Maillon, Théâtre de Strasbourg-
Scène européenne, les 14
et 15 décembre. Puis en tournée.
La Dernière Génération,
ou les 120 journées de Sodome.
Mise en scène : Milo Rau. Théâtre
national Wallonie-Bruxelles.
Du 19 au 21 décembre.
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023 culture | 23

Mina Agossi séduit le légendaire Cannes 2024 : Greta

Gerwig présidera le jury
606 Club de Londres La 77e édition du festival, du 14 au 25 mai,
accueillera l’actrice, réalisatrice de « Barbie »
La chanteuse franco-béninoise a présenté « Lonely Whales », son nouvel
album, le 13 décembre, avec son bassiste Eric Jacot et le groupe AGE7

compagne iconique de leurs ban- chanter avec elle Clopin-Clopant,

C’ est une belle opération
que le Festival de
Cannes vient de réa-
liser, en conviant l’actrice et réali-
satrice à succès Greta Gerwig à di-
avec Joe Swanberg, Nights and
Weekends en 2008.
C’est au côté du réalisateur Noah
Baumbach qu’elle acquiert une vé-
ritable aura avec Greenberg (2010)
JAZZ des – dix ans avec Archie, Ahmad
Ce qui a retenu de Pierre Dudan (1947) – elle n’a riger son jury officiel lors de la puis Frances Ha (2012), qu’elle écrit
londres
Jamal écrivant pour elle Marseille, Archie Shepp ou vraiment peur de rien. Lonely 77e édition de la manifestation, qui avec ce dernier, devenu entre-

M
ina Agossi fait
n’importe quoi.
N’importe quoi,
mais jamais n’im-
porte comment. Joyeuse, canaille,
excessive, drolatique ; ou alors
grave, la Franco-Béninoise chante
comme elle joue, elle joue comme
elle vit, elle vit comme elle chante,
indifférente au qu’en-dira-t-on,
mais jamais au grand jamais, in-
différente aux musiciens : au 606
Club de Londres (« jazz since
1976 »), mercredi 13 décembre, Eric
Jacot, bassiste, son compagnon de
scène depuis dix-neuf ans, et le
groupe AGE7 incarné ce soir par
Marc Charrière (synthés et cla-
viers), en l’absence du guitariste,
Fabien Miedzianowski. Lequel est
bien présent sur l’album Lonely
Whales, dont la version vinyle est
un bijou.
Le 606 Club est un club comme
on les aime. Escalier casse-binette,
tables en bois espacées, une salle
où l’on voit et l’on écoute. Séparée
par trois marches et une porte
ouverte, une deuxième salle où
l’on entend sans nécessairement
voir. On peut papoter, bécoter ou
tricoter de la fourchette, tout le
monde est content. Si messieurs
Archie Shepp et Ahmad Jamal ont
fait de Mina Agossi, 51 ans, une
juste avant de mourir en avril – , il
doit y avoir quelques raisons. La
principale étant le talent, bien sûr,
l’évidence du talent. Mais enfin,
sans ironie, sans aptitude à tout
renverser, le talent n’est qu’une
bien maigrichonne manie.
A cappella et sans micro
Ce qui les a retenus chez Mina
Agossi, Archie Shepp, Ahmad Ja-
mal mais aussi Ted Curson et les
autres, c’est sa voix, ses voix, sa
présence insensée, ce qu’elle
transmet au public… Mais ce qu’ils
ont vu d’emblée, c’est ce qui ne
peut se voir que du point de vue
des musiciens. Mina n’est pas la
chanteuse de l’orchestre. Elle n’est
pas non plus (version pompon-
née), musicienne d’entre les musi-
ciens… Elle a cette force d’avoir mis
au point un rôle de femme dans ce
monde d’hommes, qui n’a plus de
questions à se poser. Elle choisit,
rencontre, fait circuler, ouvre l’in-
conscient, aime rire et penser, en-
tre en scène et dépense tout ce
qu’elle peut dépenser.
Quand elle ouvre le bec, elle n’est
pas encore sur la scène, elle vient
de la salle, a cappella et sans micro.
Autant dire, toute nue sous ses
manteau africain et robe à paillet-
tes. Elle chante After You’ve Gone,
Ahmad Jamal,
c’est sa voix,
ses voix même,
et sa présence
insensée
la chanson de Turner Layton (1918)
que tout le monde a reprise. Puis
Lonely Whales, le titre phare de
l’album, et All Music Is Jazz Music,
le deuxième morceau du disque
en style de manifeste signé par
toute la troupe. Vient ensuite
Aquellos Ojos Verdes du chanteur
cubain Antonio Machin (duo Ja-
cot/Mina de haute volée), suivent
I Am « La Voyageuse » (autre em-
prunt au répertoire de l’album), le
Red House qui n’est pas la pre-
mière reprise de Jimi Hendrix que
Mina se permet, enchaînons sur
Mark Murphy, puis une étonnante
version enfin potable du Caravan
de Juan Tizol, etc.
Les titres se mettent à parler à
haute voix : All Spontaneous, Tele-
pathy, avec au final un très déluré
Oh When The Saints (faut oser), et
pour la route, Mina Agossi invite
joyeusement les musiciens qu’elle
célèbre à l’envi pendant le show, à
Whales n’est pas une musique à
faire des disques. Une musique
propre à satisfaire les lois des
commissions qui décernent sub-
ventions et autorisations de jouer
(en festivals subventionnés, etc.)
Ce qu’on appelle un « projet ». Ce
qui, à tout prendre, est moins em-
barrassant que « concept », le bi-
dule ministériel précédent.
Lonely Whales est une machine
désirante à faire de la musique en-
tre musiciens, pour les autres. On
ne s’étonne pas qu’au réveil les ac-
teurs de ce phénoménal show
aient du mal à reconstituer la liste
de leur récital : ils improvisent sur
un fonds partagé, avec des outils
complexes : lui, Marc Charrière, le
centralien artiste de lutherie élec-
tronique ; Eric Jadot, le bassiste
impassible aux riffs cousus main,
et elle, Mina Agossi, artiste endia-
blée capable des blues les plus
lents, ou de tempo médium (le
tempo des dieux). Elle invente
l’art de s’imposer sans en faire
une affaire, celui de diriger sans
imposer, et de créer des circula-
tions sans exclure. Très fort, très
réjouissant, affaire à suivre… p
francis marmande
Lonely Whales
(Alchimie Records).
se tiendra du 14 au 25 mai 2024.
La future présidente en semble
elle-même assez heureuse, si l’on
en croit ce prélude aux tirades cé-
rémonielles que met en avant le
service de presse du Festival : « En
tant que cinéphile, Cannes a
toujours été pour moi l’acmé de ce
que le langage universel des films
peut représenter. Je suis boulever-
sée, enthousiaste et empreinte
d’humilité de devenir la présidente
du jury du Festival de Cannes. »
Née à Sacramento (Californie) il
y a quarante ans, cette cinéaste se
sera illustrée, chose assez rare,
voire exceptionnelle, dans toute
la gamme du septième art améri-
cain, passant du statut de scéna-
riste et d’actrice à celui de réalisa-
trice, tenant ferme ce cap pour-
tant incertain qui relie la confi-
dentialité de la scène indépen-
dante new-yorkaise à l’apogée du
film à fort potentiel commercial
hollywoodien.
Californienne installée à coup à trois bandes que réussit le
New York, où elle ambitionne
d’être danseuse puis dramaturge,
elle se fait une place, dès 2006, à la
fois derrière et sur l’écran, dans ce
courant esthétique très confi-
dentiel surnommé mumblecore
(« l’école du marmonnement »).
Elle écrit, réalise et interprète,
temps son compagnon. Ce trem-
plin lui permet de mettre un pied
dans l’industrie hollywoodienne
en tant qu’actrice, puis de s’y im-
poser comme réalisatrice, avec
Lady Bird, en 2017, et Les Filles du
docteur March, en 2019.
Coup à trois bandes
Autant d’étapes menées avec ins-
piration et talent, qui lui permet-
tent de se mettre au diapason
d’une vague féministe en plein
essor. Tant et si bien que la Warner
lui confie les clés du blockbuster
Barbie – coécrit avec Noah
Baumbach –, devenu en 2023 un
succès planétaire, rapportant
1,38 milliard d’euros de recettes.
Cette affirmation du girl power,
à partir de la célèbre poupée alié-
née qui a fait la fortune du groupe
Mattel, a divisé. Efficience subver-
sive ou acquiescement ironique
au fétichisme de la marchandise ?
En tout état de cause, c’est bien un
Festival de Cannes en confiant la
direction des délibérations à
Greta Gerwig : la représentation
féminine, la présence américaine,
et l’icône du cinéma réconciliées
(art et industrie) en sa personne
et son parcours. p
jacques mandelbaum

Avec Trisha Brown, la danse

comme jouissance d’être vivant
Sous la direction de Carolyn Lucas, la compagnie de la chorégraphe
américaine, décédée en 2017, perpétue son foisonnement gestuel

DANSE Les entrées et perdre le nord. Elle souligne aussi

le côté athlétique de la « rubber
lyon - envoyée spéciale
sorties répétées girl », comme on la surnommait,

D ire que le programme de

la Trisha Brown Dance
Company, actuellement
en tournée en France, fait un bien
fou, est très au dessous du coup de
fouet esthétique et émotionnel
ressenti. Vendredi 24 novembre, à
la Maison de la danse de Lyon, le
public a saisi les huit interprètes
de la troupe sous un feu roulant
d’applaudissements. Dans un con-
texte où l’écriture de la danse perd
du terrain, le foisonnement ges-
tuel de la chorégraphe américaine,
son intelligence de l’espace, piqués
par une fantaisie insolite, ont de
quoi emballer pour toujours.
Sous la direction de Carolyn Lu-
cas depuis la mort de Trisha
Brown en 2017, l’héritage de cette
artiste de premier plan, créatrice
de près de quatre-vingt-cinq piè-
ces, dont six opéras, se perpétue.
La soirée, soutenue par le Festival
d’automne, se compose de Wor-
king Title (1985), de For M.G. : The
Movie (1991) ainsi que d’une créa-
tion, In the Fall, conçue par Noé
Soulier, directeur du Centre na-
tional de danse d’Angers. Si
aucun des interprètes n’a tra-
vaillé avec l’artiste, ils propulsent
cette triplette d’œuvres, dont le
vocabulaire et les dynamiques se
répondent dans un jet organique.
Le plateau, lieu de passage pour
une chorégraphie d’essuie-glaces,
est typique de Trisha Brown. Dans
Working Title, les entrées et sorties
répétées des danseurs, leurs circu-
lations qui balaient l’espace génè-
rent un trafic intense d’une para-
doxale fluidité. Le travail de la
marge de la chorégraphe, qui
aimait broder au ras de coulisses
sur le plateau
génèrent un
trafic intense
d’une paradoxale
fluidité
comme on peint au bord du ta-
bleau, prend ici une force fasci-
nante. Apparitions à reculons, dis-
paritions dans un grand saut, re-
tours à quatre pattes font vibrer le
cadre de scène et exister ce que
l’on ne voit pas. Comme si le mou-
vement se poursuivait hors de la
vue du spectateur, qui doit se con-
tenter de ce qui se présente à dé-
couvert devant lui.
Versatilité euphorisante
Heureusement, il se passe telle-
ment de choses que le fantasme
sur l’invisible n’a pas le temps de
se déployer. La danse multipolaire
de Trisha Brown débobine un
écheveau de pas invraisemblable.
Lancer de genou, bascule en avant,
torsion à gauche, passage sur les
mains, chute dans la foulée, gali-
pette et roue… Le tout en dessinant
des cercles et des huit, et vite. Elle
est fondée sur « les chemins natu-
rels du corps avec un traitement
démocratique de ses parties », se-
lon la définition de Trisha Brown,
avec un sens extra du swing.
Cette versatilité euphorisante,
dans des costumes multicolores,
rappelle combien danser est
d’abord, pour Trisha Brown, la
jouissance d’être vivant, d’avoir
mille envies en même temps sans
tant elle était élastique. Elle a ce
point commun avec Noé Soulier,
dont le geste s’enracine dans des
verbes d’action, tels « frapper, évi-
ter, attraper, pousser… ». In the Fall
décline un catalogue de postures
très physiques qu’il étire. La ten-
sion musclée de la pose se libère
dans des chutes sous contrôle.
Une frise de lignes sculpturales ap-
paraît où Noé Soulier, sous in-
fluence de Trisha Brown, se dé-
marque subtilement de lui-même.
Plus calme, magnifiquement
étrange dans sa structure répéti-
tive, For M.G. : The Movie, dédié à
Michel Guy, fondateur et directeur
du Festival d’automne de 1972 à
1990 et soutien de la chorégraphe,
libère une gravité mélancolique.
Autour d’un couple immobile de
dos, un danseur court à petites
foulées, change de vitesse, tandis
que des trios ou des duos explo-
sent ici et là. Cette efferves-
cence autour de silhouettes figées
crée un flottement, une rupture de
rythme comme dans un rêve ou
un cauchemar. La vision des dos,
un motif récurrent chez Trisha
Brown, qui a dansé If You Couldn’t
See Me (1994) entièrement de dos
(une partie du corps peu valori-
sée), suspend le regard. La lumière
tourne telle la vie qui s’évanouit.
Continuer de bondir ou s’arrêter
et mourir ? Trisha Brown court
toujours dans nos mémoires. p
rosita boisseau
Trisha Brown Dance Company,
Festival d’automne.
Le 16 décembre à 18 heures.
Théâtre Jean-Arp, Clamart
(Hauts-de-Seine).
24 | télévision 0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023

Une histoire méconnue de l’Argentine NOTRE

SÉLECTION

Daniel Burman met en scène un espion dans la communauté juive de Buenos Aires
S AM ED I 16 D ÉCEM BR E

PRIME VIDEO France Culture

À LA DEMANDE Soirée William Butler Yeats
SÉRIE 20.00 Emission spéciale pour
redécouvrir le poète et dramaturge

D
issimulée dans les
branchages de l’arbo-
rescence du portail de
Prime Video, ignorée
de l’algorithme, vit une série d’es-
pionnage aussi vertigineuse
qu’un roman de John le Carré,
aussi sensible et inquiète qu’un
long-métrage du nouveau ci-
néma argentin. En deux saisons,
Yosi, l’espion repenti plonge dans
les eaux troubles de l’histoire
d’un grand pays, piste de danse
d’un tango mortifère dans lequel
la dictature embrasse la démocra-
tie, tout en donnant vie à un mi-
crocosme d’agents, simples ou
doubles, de marchands d’armes,
de policiers corrompus et de jus-
tes qui tentent de garder la tête
hors de ces eaux nauséabondes.
A l’origine, il y a le cas, avéré par
la publication d’un livre de souve-
nirs, d’un agent de la sécurité inté-
rieure argentine chargé en 1985
d’infiltrer la communauté juive
de Buenos Aires. Deux ans plus
tôt, le pays a élu le président Raul
Alfonsin, mettant officiellement
fin au régime militaire qui a assas-
siné des milliers d’opposants et
provoqué le désastre de la guerre
des Malouines. L’appareil sécuri-
taire reste nourri d’idéologie fas-
ciste et vit dans l’espoir de l’échec
de l’expérience démocratique,
échec auquel les services sont
prêts à donner un coup de pouce.
Va-et-vient dans le temps
Dans cette configuration grosse
de dangers émerge la figure de
José Perez (Gustavo Bassani),
brillant élève à l’école de police,
antisémite forcené depuis que sa
mère a quitté son père, joueur et
ivrogne impénitent, pour un mé-
decin juif. Remarqué par les diri-
geants de la police fédérale, il a
pour tâche de gagner la confiance
des dirigeants religieux et politi-
ques de la communauté juive de
la capitale.
Dès le premier épisode, on sait
que le récit qui guide la première
saison tourne autour d’un événe-
ment, l’attentat à la bombe contre
l’ambassade d’Israël à Buenos
Aires, qui fit vingt-neuf morts le
17 mars 1992. Le scénario va et
vient dans le temps, de 1985 à la
Extrait de « Yosi, l’espion repenti », une série créée par Daniel Burman. AMAZON PRIME VIDEO
première décennie de ce siècle,
montrant un José Perez devenu
Yosi Peres pour les besoins de la
cause antisémite, ballotté par les
convulsions politiques, tour-
menté par la naissance d’une
conscience morale et mystique.
C’est que Yosi, l’espion repenti est
un projet porté par Daniel
Burman, cinéaste argentin qui a
consacré une bonne part de son
œuvre à la chronique de la vie des
juifs de Buenos Aires, d’En atten-
dant le messie (2001) à El rey del
Once (2016). S’écartant de cette
veine intimiste, adoptant, avec ses
coréalisateurs, Sebastian Borensz-
tein et Martin Hodara, une ma-
nière plus tendue, plus tranchante,
Burman a néanmoins conservé,
pour retracer l’odyssée de son anti-
héros, son souci de mettre en
scène toutes les dimensions de la
psyché de ses personnages, indis-
sociable de sa volonté d’inscrire
celle-ci dans l’histoire d’un pays.
Pour qui n’est pas familier du
dédale argentin, Yosi est plein
d’enseignements. On découvrira,
dans les premiers épisodes, l’exis-
tence d’un mythe antisémite
propre au cône Sud, Chili et
Argentine. Ses supérieurs justi-
fient la mission du jeune policier
par la menace que fait peser sur le
pays la mise en œuvre du plan
« Andinia » par lequel les juifs, à
force d’acquisitions foncières,
s’apprêteraient à créer un second
Etat en Patagonie.
La réalité que découvre l’espion
est tout autre, faite d’œuvres cari-
tatives (dont l’Amia, institution
qui fut aussi victime d’un attentat
en 1994, avec un bilan de 85 morts,
le pire qu’ait jamais connu l’Ar-
gentine), mais aussi des person-
nages ambiguës comme le mar-
chand d’armes Saul Menajem
(formidable Alejandro Awada),
qui profite de la position du pays
sur l’échiquier géopolitique, ainsi
que de la perméabilité des arse-
naux argentins, pour commercer
avec le diable, l’Iran en l’occur-
rence. Pour se repérer dans le la-
byrinthe de ces intrigues d’une
complexité et d’une perversité af-
folantes, Burman a choisi de ra-
conter la naissance d’une cons-
en même temps que l’Argentine
La première se débat de scandales internatio-
saison naux (la complaisance du prési-
dent Menem à l’endroit de l’Iran)
tourne autour en affaires de corruption sordides.
d’un événement, Eclairage sur une histoire mé-
connue de ce côté-ci de l’Atlanti-
l’attentat contre que, portrait d’un homme ordi-
l’ambassade naire broyé par des forces qui lui
échappent, Yosi, l’espion repenti
d’Israël à Buenos serait une immense série si le ré-
Aires, en 1992, cit s’était arrêté à la fin de la pre-
mière saison, qui laisse juste as-
qui fit 29 morts sez de zones d’ombre pour nour-
rir les interrogations et préserver
la complexité des personnages.
cience. Martyr voué à une cause Les huit derniers épisodes, sans
indéfendable, à la recherche d’une rien perdre de leur efficacité, se
rédemption qui reste hors d’at- plient aux codes de la fiction d’es-
teinte, Yosi Peres est un person- pionnage ordinaire sans retrou-
nage riche de ses fautes comme de ver l’épaisseur entêtante du
ses exploits. Gustavo Bassani en brouillard qui enveloppait les pré-
fait une figure hiératique, presque cédents. p
médiévale. thomas sotinel
Tiraillé entre des allégeances in-
conciliables (le paternel Saul Yosi, l’espion repenti, série
Menajem, la séduction véné- créée par Daniel Burman. Avec
neuse de son officier traitant Gustavo Bassani, Natalia Oreiro,
Claudia, que joue Natalia Oreiro), Mercedes Moran (Arg., 2022-
il poursuit sa descente aux enfers 2023, deux saisons de 8 × 55 min).
né en 1865, premier Prix Nobel
de littérature de l’Irlande libre, et
resté le nom le plus célèbre attaché
au courant des auteurs de la jeune
Irlande et du renouveau celtique.
Ciné+ Premier
En corps
20.50 Cédric Klapisch témoigne de
sa passion pour le ballet dans un
long-métrage conçu autour de Marion
Barbeau, première danseuse à
l’Opéra de Paris. Au canevas du récit
d’apprentissage et de réparation
Klapisch adjoint une belle idée :
Filme-t-on de la même façon les
danses classique et contemporaine ?
Canal+
Marlowe
22.50 Le personnage inventé par
Raymond Chandler, détective privé
tout à la fois sentimental et
désabusé, fait ici un retour au cinéma
dans un film signé Neil Jordan,
inspiré d’un roman non pas de
l’auteur du Grand Sommeil, mais de
l’Irlandais John Banville, La Blonde
aux yeux noirs, qui avait repris le
personnage d’origine.
OCS Géants
Indiscrétions
22.50 Chaque nouvelle vision de ce
film de George Cukor permet d’en
savourer l’ambiguïté. De la comédie
américaine classique la mise en
scène glisse à la satire sociale et
psychologique de l’aristocratie de
Philadelphie. Avec Katharine
Hepburn et Cary Grant.
France.tv
Les Chansons d’amour
A la demande Un film musical
n’est pas forcément une comédie
musicale. Le film de Christophe
Honoré le prouve en faisant tourner
la bluette au gris..
Netflix
Chicken Run :
la Menace nuggets
A la demande Retour en fanfare
des poulets créés par le studio
Aardman (Wallace et Gromit)
dans une suite énergique qui voit
les enfants des héros du premier
opus reprendre le combat contre
une industrie qui veut les transformer
en nourriture de fast-food.

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0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Iris van Herpen
ou la haute
couture du futur
Fascinée par la science et les nouvelles
technologies, cette Néerlandaise de 39 ans
s’associe à des chercheurs pour créer
des collections fantasmagoriques,
où les robes en acier, organza ou verre
soufflé ont des airs de sculptures
MODE
L
orsqu’elle était adolescente, Iris
van Herpen adorait les mathé-
matiques et la biologie. La Néer-
landaise de 39 ans, à qui le Musée
des arts décoratifs de Paris consacre une
grande rétrospective jusqu’en avril, a su
en faire bon usage dans sa carrière de
créatrice de mode. Il faut dire que dès ses
premières collections, à la fin des années
2000, la jeune femme surprend tout le
monde. Dans ses créations spectaculai-
res et futuristes, parfois plus sculptures
que vêtements, il est en effet autant
question de calculs savants que de mode
traditionnelle ; les matières utilisées
sont inattendues, comme le silicone ou
l’acier inoxydable.
Ce qui a fait sa réputation, dès ses pre-
miers pas sur les podiums de la haute
couture parisienne en 2011 ? L’utilisation
d’une imprimante 3D et d’un laser, pour
mouler des robes en silicone sur le corps
de ses mannequins. Iris van Herpen ma-
nie en effet aussi bien l’artisanat tradi-
tionnel que les innovations techniques.
« Dès mon passage à l’Institut des arts
ArtEZ à Arnhem [Pays-Bas] et même dès
l’enfance, je me suis toujours plus intéres-
sée aux matériaux qu’aux dessins ou aux
drapés par exemple. Mes premières créa-
tions, adolescente, étaient des jupes fabri-
quées avec les peaux des djembés de mon
frère, que je découpais. Ma technique n’est
sans doute pas conventionnelle, mais je
commence chaque création par le choix
du matériau », explique-t-elle.
Dans la maison de son enfance au cœur
de la campagne néerlandaise, pas de télé-
vision ni d’ordinateur. Ni même de maga-
zines de mode. « Mes parents étaient hip-
pies. Ma mère a été professeure de danse.
Je pense que mon intérêt pour le mouve-
ment, comprendre comment le corps se
déploie et comment le vêtement l’habille,
vient de là. » Elle a elle-même longtemps
pratiqué la danse classique et le violon.
Un intérêt pour les arts qu’elle a nourri
lors de ses études. « Je suis allée à l’Institut
des arts sans trop savoir ce que je voulais y
étudier. Tout m’intéressait : la création de
mode, mais également la sculpture, le
dessin ou la peinture. »
Et déjà la science, qu’elle met très vite
au service de son imagination créative.
« J’ai toujours voulu me confronter à des
savoirs différents. Que ce soit la biologie,
la chimie ou la physique. Je discute régu-
lièrement avec des scientifiques, je vais
également souvent faire des recherches
au CERN [Organisation européenne
pour la recherche nucléaire], à Genève. Je
discute avec les chercheurs de différents
processus scientifiques, et cela nourrit
mon inspiration. »
La science et son champ des possibles
deviennent en effet son terrain d’inspira-
tion privilégié. Et cela se reflète dans ses
créations, qu’il s’agisse de robes courtes
façonnées dans du verre soufflé, créant
l’illusion de jets d’eau flottant autour du
corps, d’autres en silicone découpé au la-
ser, reproduisant un squelette plus vrai
que nature, ou encore de cette robe « ser-
pent », fabriquée à partir de fines lames
d’acrylique noires emboîtées les unes
dans les autres et qui s’enroulent autour
du corps du mannequin. Dans la collec-
tion printemps-été 2015, inspirée de ses
recherches sur le magnétisme au CERN,
on retrouve des robes courtes dans les-
quelles ont été insérés des éléments mé-
talliques et des aimants pour donner de
la rigidité à leur structure.
Egalement fascinée par le cerveau, la
créatrice s’est intéressée au fil des années
à l’hypnose ou à l’état de semi-cons-
cience. Elle a retranscrit cet état méditatif
dans la collection « Hypnosis », automne-
hiver 2019-2020. Développée en collabo-
ration avec le sculpteur expérimental
Philip Beesley, cette collection propose
des robes volumineuses façonnées de pe-
tits morceaux de satin duchesse créant,
une fois la robe en mouvement, des effets
visuels elliptiques.
Sa dernière collection, baptisée « Archi-
tectonics » et présentée lors de la
Semaine de la haute couture parisienne
en juillet, est quant à elle influencée par
les villes flottantes sur les mers et les
océans, et le futur de l’habitat côtier, me-
nacé par l’érosion du littoral. Iris van
Herpen s’est inspirée des travaux de l’ar-
chitecte océanographe français Jacques
Rougerie. Habitats sous-marins, labora-
toires flottants… une garde-robe à
l’image de cette utopie.
Une robe de scène pour Beyoncé
Pour cette collection, chaque silhouette a
été modélisée numériquement avant le
début du processus de drapage physique.
On retrouve des robes longues irisées en
tulle ultrafin, ponctuées de coquilles
d’ormeau incrustées à la main, d’autres
dont les contours sont découpés au laser
ou en organza qui apparaît presque li-
quide, rappelant le jeu des vagues une
fois en mouvement.
Une telle créativité ne se heurte-t-elle
pas au principe terre à terre de la réalité
Vue de
l’exposition
« Iris van
Herpen.
Sculpting
the Senses »
au MAD,
à Paris.
LES ARTS
DÉCORATIFS/
CHRISTOPHE
DELLIÈRE
Iris van Herpen, septembre 2022. ROBIN DE PUY
Sa dernière
collection est
influencée par les
villes flottantes
sur les mers
et les océans
commerciale ? « Je ne fais pas de prêt-à-
porter, ces modèles sont uniques et la
clientèle est là. Je ne peux pas définir une
cliente type, mais je peux dire que cela va
de l’adolescente à la femme mûre, du
Japon aux Etats-Unis. Beaucoup sont
d’ailleurs des collectionneuses d’art et ac-
quérir une de mes robes s’inscrit dans
cette démarche pour elles », explique Iris
van Herpen. Ses robes oscillent entre
30 000 et 100 000 euros.
Epaulée aujourd’hui par une équipe de
trente personnes dans son studio à Ams-
terdam, la créatrice a réussi à trouver son
équilibre, sans renoncer à son univers à
part et à sa vision d’une mode responsa-
styles | 25
ble et éthique. « Créer sur mesure des
pièces uniques me permet aussi de partici-
per à une vision moins polluante de l’in-
dustrie de la mode. »
En début d’année, c’est à un autre genre
de challenge que la créatrice s’est con-
frontée. Elle a en effet imaginé une robe
de scène pour Renaissance, la tournée
mondiale de Beyoncé. « Etre contactée
par sa styliste était déjà fantastique »,
s’étonne-t-elle encore aujourd’hui. La
robe Héliosphère, exposée au Musée des
arts décoratifs, a demandé à la créatrice et
son équipe plus de sept cents heures de
travail : 980 petites « vagues » construites
en 3D en coulant du silicone marbré dans
des formes, qui ont été ensuite décou-
pées au laser et cousues individuelle-
ment sur du tulle.
Elle n’a pour autant pas assisté au con-
cert de l’artiste. « Je l’ai vu après coup, en
vidéo. Si j’avais été dans la salle, j’aurais eu
trop peur que la robe ne tienne pas, et je
n’aurais jamais pu profiter du spectacle »,
confesse-t-elle. La robe a tenu bon, tout
comme Iris van Herpen tient son cap. p
maud gabrielson
Au MAD Paris,
un étonnant
cabinet
de curiosités
iris van herpen présente son tra-
vail au Musée des arts décoratifs de
Paris (MAD), jusqu’au 28 avril 2024, à
travers une grande exposition retra-
çant son univers singulier. La créa-
trice néerlandaise, qui convoque les
sciences et la technologie de pointe
depuis ses débuts en 2007, revient ici
sur plus de quinze ans de carrière,
dont douze au sein du calendrier offi-
ciel de la haute couture parisienne.
« Nous avons parcouru les archives et
essayé de raconter l’histoire de la mar-
que, pas uniquement les robes ou les
dessins, mais aussi les différentes colla-
borations et mon lien avec la danse,
l’architecture et la science. Il y a tant
d’histoires à raconter derrière chaque
silhouette. Nous voulions montrer le
processus et la signification profonde
de chaque chose », détaille-t-elle.
Le parcours, thématique (l’eau, le vi-
vant, le cosmos…), plonge dans l’esprit
de la créatrice, en mettant en perspec-
tive ses robes avec des œuvres d’art,
sélectionnées par les commissaires
de l’exposition. « C’est un dialogue
entre le corps, les robes, le monde du
vivant et des œuvres d’art contempo-
rain, issues des sciences naturelles
ainsi que des ouvrages de philosophie
ésotérique », commente Cloé Pitiot,
cocommissaire de l’exposition.
Les sciences du vivant sont en effet
partout. Dès les premières salles,
consacrées à l’eau, on retrouve les ro-
bes en verre soufflé créant l’illusion
de « splash » ou de bulles comme en
lévitation, d’autres prennent la
forme de coquillages ou de petits
animaux marins dans un silicone en
impression 3D, outil de prédilection
de la créatrice. Une monumentale
œuvre du collectif d’art japonais Mé,
représentant une vague géante, leur
répond habilement.
Comme des os qui s’entrechoquent
La faune et la flore constituent le ter-
rain privilégié de la créatrice pour
trouver l’inspiration. Elle confesse en
effet s’inspirer de la nature, des lois de
la physique, de l’architecture, des ar-
tistes, mais aussi des travaux scientifi-
ques sur ce qui vit ou a vécu. Elle dis-
cute avec des chercheurs, travaille sur
le magnétisme au CERN [Organisa-
tion européenne pour la recherche nu-
cléaire], à Genève, et collabore avec
l’université de technologies de Delft
(Pays-Bas), pour notamment dévelop-
per de nouvelles techniques d’im-
pression 3D – on retrouve une robe
bustier représentant un squelette, is-
sue de sa collection automne-hiver
2011-2012. Dans la bande-son de cette
salle, imaginée par son compagnon,
le designer sonore Salvador Breed, on
croit entendre des os qui s’entrecho-
quent. Déroutant.
L’exposition, qui convoque tous les
sens, se termine par une vue globale
des différents matériaux utilisés par
la créatrice : métal, silicone, papier,
plastique, mais aussi soie, tulle ou or-
ganza, ainsi que par une plongée en
apnée dans le cabinet de curiosités
d’Iris van Herpen. Cette salle, baignée
dans la pénombre, expose différents
objets, comme des chaussures sculp-
turales imprimées en 3D, des bijoux
ou des masques de visage.
Voyage immersif, l’exposition peut
aussi se découvrir en famille grâce à
des ateliers proposés aux enfants :
« Mini merveilles », fabrication d’une
sculpture en papier inspirée des thè-
mes de l’exposition, ou « Explorations
naturelles », fabrication d’une robe en
papier sur le thème de la nature. p
m. g.
Iris van Herpen. Sculpting
the Senses, jusqu’au 28 avril 2024
au Musée des arts décoratifs,
107, rue de Rivoli, Paris 1er.
26 |
IDÉES
Comment rendre
le référendum
« démocratiquement
correct »
C’
est l’un des plus anciens disposi-
tifs de la boîte à outils démocra-
tique, et aussi l’un des plus con-
troversés en philosophie politi-
que et constitutionnelle. De la
revendication d’un référendum
d’initiative citoyenne fédérant le mouve-
ment des « gilets jaunes » aux tentatives in-
fructueuses de référendum d’initiative par-
tagée (RIP) effectuées par les opposants à la
réforme des retraites, en passant par l’insis-
tante requête, à droite et à l’extrême droite,
d’un référendum sur l’immigration, les at-
tentes sont pour le moins contrastées. En
écho, le président Emmanuel Macron a ex-
primé sa volonté d’assouplir l’accès au RIP,
considéré jusqu’à présent comme inapplica-
ble, tout en renonçant, faute de majorité po-
litique, à son projet initial d’élargir le réfé-
rendum aux questions de société. Ce recul
témoigne du caractère hautement inflam-
mable du sujet. « Un référendum n’est pas
forcément un moment démocratique, pas
plus que des élections ou l’organisation de
conventions citoyennes, constate la politiste
Laurence Morel, autrice de La Question du
référendum (Presses de Sciences Po, 2019).
Tout dépend de la façon dont on s’en sert. »
Entre les scrutins qui, en Russie ou en Tur-
quie, ont renforcé les pouvoirs du chef de
l’Etat et fait le lit de l’illibéralisme, et les réfé-
rendums constitutionnels irlandais adossés
à une convention de citoyens tirés au sort, les
objectifs et les règles qui s’appliquent n’ont
pas beaucoup en commun. « En France, le ré-
férendum fait l’objet d’une profonde défiance,
qui conduit à privilégier une conception repré-
sentative de la manière de légiférer », souligne
Marthe Fatin-Rouge Stefanini, directrice de
recherche au CNRS et professeure de droit
constitutionnel comparé.
On lui reproche son caractère clivant, qui
polarise le débat autour d’une réflexion bi-
naire, quand les enjeux sont souvent com-
plexes et mériteraient de la nuance, et on
l’accuse de réduire les campagnes au champ
de l’émotion et de privilégier l’affrontement
au détriment de la délibération nécessaire
en démocratie pour parvenir au compromis.
DIFFICILEMENT RÉVERSIBLE
On critique aussi sa force d’inertie, tant il est
facile de fédérer autour d’un « non » des per-
sonnes qui ne partagent pas la même opi-
nion. On s’inquiète, enfin, du risque de fragi-
lisation du Parlement face à un exécutif
s’adressant directement au peuple pour
mieux contourner ses représentants.
Sans parler de son caractère difficilement
réversible. « Si l’on ajoute à cela la puissance
des réseaux sociaux et des campagnes de dé-
sinformation qui polluent le débat public, le
référendum est assurément un faux ami », af-
firme le professeur de droit constitutionnel
Dominique Rousseau, qui plaide plutôt pour
une « démocratie continue » au sein d’assem-
blées primaires de citoyens (Six thèses pour
la démocratie continue, Odile Jacob, 2022).
Ces craintes sont amplifiées par la montée
d’un populisme d’extrême droite qui a ins-
crit le référendum dans son programme dès
1988. La peur historique de la dérive plébisci-
taire reste gravée dans les mémoires depuis
que Napoléon Bonaparte, suivi de Napoléon
III, a utilisé le plébiscite – le nom du référen-
dum à l’époque – pour concentrer tous les
pouvoirs. Ces épisodes expliquent la fran-
che hostilité d’une large partie de la classe
politique à son égard. Si l’outil est inscrit en
bonne place dans la Constitution de 1958,
seul le général de Gaulle en a fait un usage
régulier, « souvent pour imposer ses choix au
Parlement », selon Marthe Fatin-Rouge Ste-
fanini. Depuis la victoire du non au projet de
Constitution européenne en 2005, suivie,
trois ans plus tard, de la ratification par le
Parlement d’un traité de Lisbonne « pas
substantiellement différent » du texte ini-
Critiqué pour son caractère clivant,
défendu pour sa dimension participative, cet instrument
de démocratie directe fait débat. Juristes et politistes
réfléchissent à la façon de le revitaliser
tial, selon la formule du constitutionnaliste
Didier Maus, aucun président ne s’est risqué
à y avoir recours au niveau national.
Cette histoire singulière tranche avec celle
d’autres démocraties au sein desquelles la
compétence des citoyens est régulièrement
sollicitée par le biais d’instruments de démo-
cratie directe. Depuis la fin des années 1970,
près de soixante Etats ont choisi de leur don-
ner une place dans leur Constitution. « Ce
mouvement s’est accéléré à partir des années
1990 avec la crise de la démocratie représen-
tative et l’augmentation de la demande des ci-
toyens de participer plus directement à la dé-
cision politique », indique Laurence Morel.
Jusqu’alors limitées aux grandes décisions
institutionnelles et de souveraineté, les
questions posées se sont élargies aux sujets ON CRITIQUE SON
sociétaux ou environnementaux.
Car, si le référendum est l’un des instru-
INERTIE, TANT IL EST
ments préférés des autoritarismes, « il est FACILE DE FÉDÉRER
aussi un facteur d’inclusion et de dynamisa-
tion de la vie politique lorsqu’il est bien or- AUTOUR D’UN
ganisé et encadré », assure le professeur de
droit suisse Vincent Martenet, doyen de la
« NON » CEUX QUI
faculté de droit de l’université de Lausanne, NE PARTAGENT PAS
qui défend ses « nombreuses vertus civiques
et pédagogiques » : il permet d’ouvrir une LA MÊME OPINION
voie dans une situation de blocage, de met-
tre à l’agenda une question passée sous les
radars politiques, de mobiliser et de res-
ponsabiliser les citoyens autour d’un
choix. « Il représente un contre-pouvoir et
peut renforcer la confiance dans le système
politique et contribuer à légitimer celui-ci, à
condition qu’il ne soit pas un instrument
alibi », insiste le juriste.
Depuis une quinzaine d’années, des juris-
tes et des politistes, en France et à l’étranger,
s’attachent à démonter la mécanique fine
des différents processus pour déterminer à
quelles conditions le référendum peut revi-
taliser la vie démocratique sans tomber dans
le piège populiste ou la dérive plébiscitaire.
Ils en analysent les rouages au regard des
« En Irlande, on en est à la sixième convention citoyenne »
marie-luce paris enseigne le droit constitution-
nel comparé à l’University College Dublin. Ses tra-
vaux de recherche portent notamment sur la dé-
mocratie participative.
Comment l’idée d’associer une convention
citoyenne au référendum en Irlande
est-elle née ?
L’organisation d’un référendum est obligatoire dès
qu’on touche à la Constitution irlandaise. Celle-ci da-
tant de 1937, elle a eu besoin, au fil des années, d’être
révisée, du fait de l’évolution de la société. En 2011, le
chercheur en science politique David Farrell a lancé
un projet universitaire de convention citoyenne
pour délibérer sur les modifications à y apporter.
Cette idée a intéressé le gouvernement, et une pre-
mière convention officielle a démarré en 2012. Pen-
dant un an, soixante-six citoyens tirés au sort pour
être représentatifs de la société et trente-trois parle-
mentaires se sont réunis au cours de dix week-ends
pour délibérer sur le mariage, la place des femmes,
l’âge du droit de vote… Il y avait là des agriculteurs et
des mères de famille, venus de toute l’Irlande, qui
n’avaient jamais eu l’occasion de se pencher d’aussi
près sur leur Constitution. Deux référendums ont fi-
nalement abouti, l’un sur la légalisation du mariage
pour tous [2015] et l’autre contre l’interdiction du
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
déclenche le référendum est loin d’être ano-
dine, car elle influe sur la suite du processus.
Le référendum d’initiative présidentielle que
l’on connaît en France présente des risques
de personnalisation dont s’inquiètent régu-
lièrement juristes et politistes. Il peut inciter
les électeurs à voter, non pas en fonction du
sujet, mais en fonction de la personne à l’ori-
gine du scrutin, voire à transformer le vote en
mécanisme révocatoire, surtout si l’initiateur
grands enjeux débattus tout au long de l’his- engage sa responsabilité, comme l’avait fait
toire de la démocratie : comment s’exprime le général de Gaulle.
la souveraineté populaire ? Peut-on la limi-
ter ? De quelles façons préserver un débat pu- « D’EN HAUT » ET « D’EN BAS »
blic de qualité ? Comment articuler la parole Ce déclenchement « d’en haut », selon la for-
du peuple avec celle de ses représentants ? mule du juriste Francis Hamon, est d’autant
Ces questions ne sont pas nouvelles et agi- plus problématique qu’aucune autorité
tent déjà les débats constitutionnels de la n’est officiellement chargée de vérifier que
période révolutionnaire. A l’époque, deux la proposition référendaire correspond aux
écoles s’affrontent sur la meilleure façon domaines définis dans la Constitution. « Le
d’organiser l’expression du peuple en démo- chef de l’Etat, s’il a le soutien du gouverne-
cratie. Selon la première, influencée par ment, peut interpréter largement l’article 11 et
Montesquieu (1689-1755), la souveraineté du proposer ce qu’il souhaite », argumente Mar-
peuple lui confère le droit d’élire ses repré- the Fatin-Rouge Stefanini, qui plaide pour
sentants, mais sans interférer ensuite dans introduire de nouveaux garde-fous, notam-
leur exercice. « Dans cette conception de la ment un contrôle constitutionnel préalable.
démocratie représentative, défendue par « Tant que l’on a des gouvernants raisonna-
l’abbé [Emmanuel-Joseph] Sieyès [1748- bles, cela se passe bien, dit-elle, mais, le jour
1836], il n’y a pas de place pour une représen-
tation autonome du peuple, puisque les re-
où un gouvernement populiste veut contes-
ter les institutions qui jouent le rôle de con-
présentants “sont” le peuple et disposent d’un tre-pouvoirs à l’exécutif, cela peut devenir
monopole de la fabrication des lois », expli- problématique. »
que Dominique Rousseau. Pour éviter que l’initiative soit à la main
La seconde école, inspirée par Jean-Jacques
Rousseau (1712-1778), défend l’idée que la re-
des seules institutions, d’autres organisa-
tions sont possibles. Au Danemark, en Ir-
présentation est nécessaire pour des raisons lande, en Suisse et dans les Etats américains,
géographiques et culturelles, mais qu’il con- le référendum est obligatoire en cas de révi-
vient de l’améliorer. « Cette vision se montre sion constitutionnelle et joue ainsi un rôle
plus ouverte à la législation directe, ainsi de contre-pouvoir. En août 2022, les habi-
qu’au mandat impératif ou à la révocation tants du Kansas ont ainsi rejeté la suppres-
populaire », selon Laurence Morel. sion du droit à l’interruption volontaire de
L’un des principaux défenseurs du recours grossesse, largement adoptée quelques se-
aux instruments de démocratie directe est le maines plus tôt par la Chambre des repré-
philosophe et mathématicien Nicolas de sentants et le Sénat, à majorités républicai-
Condorcet (1743-1794), partisan du suffrage nes, de cet Etat conservateur du Middle West.
universel, y compris pour les femmes. Sous « La population, et notamment les femmes,
son influence, un droit d’initiative populaire a désavoué le vote du Parlement, composé à
est intégré en 1793 dans la première Constitu- 70 % d’hommes et comptant neuf élus afro-
tion républicaine, qui ne sera jamais appli- américains, dont trois femmes seulement, sur
quée. Comme l’explique Laurence Morel, « si 165 représentants ou sénateurs, note Vincent
l’on excepte les référendums révolutionnaires, Martenet, or les femmes afro-américaines
inscrits dans le processus constituant, le réfé- sont généralement les plus touchées par une
rendum a pris la forme dans notre pays d’une interdiction de l’avortement dans un Etat. »
consultation très personnalisée, promue par le Le référendum « d’en bas » va plus loin, en
chef de l’exécutif ». La question de savoir qui accordant aux citoyens un droit d’initiative,
blasphème [2018]. Une deuxième convention, orga- Comment le dispositif s’articule-t-il
nisée de 2016 à 2018, et composée cette fois unique- avec les institutions ?
ment de citoyens, a conduit au référendum sur la lé- Le processus n’est pas sans filtre. Le gouvernement
galisation de l’avortement [2018]. Les autres recom- sélectionne les recommandations qu’il veut garder.
mandations n’ont pas suscité de réaction du gouver- Les changements proposés sont ensuite passés à la
nement, à part celle sur le changement climatique, moulinette de la commission référendaire puis ap-
qui a finalement abouti à l’adoption d’un projet de prouvés par le Parlement avant d’être soumis à réfé-
loi [la Climate Bill] en 2021. On en est désormais à la rendum. Un nombre important de recommanda-
sixième convention. tions n’ont pas de suite, même si certaines sont
néanmoins concrétisées par voie législative.
Ces dispositifs améliorent-ils, selon vous,
le processus démocratique qui conduit Un dispositif de ce type vous semble-t-il adapté
à la décision ? à la France ?
Pour les participants, les conventions sont de for- C’est un instrument démocratique intéressant,
midables leçons d’éducation civique. Ils discutent mais qu’il faudrait adapter au système français en
avec des experts, délibèrent, cherchent des compro- l’intégrant dans l’architecture institutionnelle. Les
mis avant de formuler leurs recommandations. Lors conventions citoyennes en France sont un peu
du référendum, la brochure distribuée dans les boî- hors-sol, le Parlement n’étant pas impliqué. On
tes aux lettres explique clairement les conséquen- peut craindre une lassitude des citoyens à ne pas les
ces du oui et du non. On y trouve aussi l’ancien et le voir mieux prises en compte. En Irlande, le régime
nouveau texte proposé de la Constitution. Tout cela est moins marqué par l’omniprésence du président.
contribue à une décision éclairée. Avec la multiplica- C’est un système parlementaire assez pur, où le
tion des conventions, on constate cependant un gouvernement ne peut pas organiser une conven-
certain désintérêt du public pour les débats. En ce tion délibérative s’il n’a pas reçu l’aval du Parle-
moment se tient une assemblée citoyenne sur ment. De fait, il y a eu autour de ce projet une
l’usage des drogues, et lorsque j’en ai parlé à mes alliance de la représentation démocratique. p
étudiants, aucun n’était au courant. propos recueillis par claire legros
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
comme en Uruguay ou en Suisse, où ils peu-
vent se prononcer sur les décisions du Parle-
ment fédéral et entreprendre des modifica-
tions constitutionnelles. « Entre le référen-
dum “d’en haut” et celui “d’en bas”, il existe
toute une palette de procédures plus ou
moins directes dans les Constitutions des dif-
férents Etats, découlant de leur culture, de
leur histoire, de leurs propres expériences »,
selon Marthe Fatin-Rouge Stefanini.
En Italie, c’est pour limiter le pouvoir des
majorités parlementaires après les années
noires du fascisme que les pères de la Cons-
titution ont introduit, en 1946, des disposi-
tifs d’initiative populaire, dont le référen-
dum abrogatif – pour abroger ou modifier
une loi – est, de loin, le plus utilisé. Il a con-
duit notamment au refus de construire des
centrales nucléaires en 1987 puis en 2011.
En Espagne, la procédure d’initiative popu-
laire d’agenda relève plutôt de la pétition et
laisse le dernier mot au Parlement. A partir
du moment où une proposition de loi a
réuni au moins 500 000 signatures, les dé-
putés sont obligés de s’en saisir, mais ils res-
tent libres de leur vote. C’est par ce dispositif
que les habitants de la région de Murcie ont
fait adopter par le Parlement la loi accordant
en 2022 une personnalité juridique à la Mar
Menor, la plus grande lagune d’eau salée
d’Europe, afin de la protéger de la pollution.
Outre l’origine du déclenchement, la ques-
tion des limites est également centrale
parmi les enjeux démocratiques d’un réfé-
rendum. Si toutes les démocraties ayant re-
cours à l’initiative citoyenne l’encadrent de
garde-fous, ces limites sont plus ou moins
contraignantes. La première concerne le
nombre de soutiens à partir desquels une
proposition est jugée recevable.
« Ce seuil, qui diffère d’un pays à l’autre, dé-
termine en partie l’efficacité du processus »,
constate Patrick Taillon, codirecteur du Cen-
tre d’études en droit administratif et consti-
tutionnel de la faculté de droit de l’univer-
sité Laval, au Canada. « S’il est trop bas, la
multiplicité des demandes conduit à une las-
situde et à l’abstention des électeurs. A l’in-
verse, des limites trop strictes peuvent empê-
cher tout scrutin et discréditer le processus,
comme c’est le cas en France avec le RIP. Ren-
dre cette procédure plus accessible, comme le
propose le président Macron, va donc dans le
bon sens », ajoute-t-il.
D’autres règles encadrent la validité du su-
jet, et, là encore, la recherche d’un équilibre
est primordiale. Si dans de nombreux Etats
il est admis que les propositions portant sur
les questions budgétaires et sur l’impôt sont
irrecevables, au motif qu’elles pourraient
mettre en péril l’économie du pays, « un en-
cadrement trop strict conduit à ce qu’aucun
référendum ne soit tenu », souligne Marthe
Fatin-Rouge Stefanini.
Selon les pays, les règles imposées à l’ini-
tiative citoyenne témoignent de la façon
dont la démocratie s’est construite. Ainsi, en
France, il n’est pas possible d’entamer un
processus de RIP pour remettre en cause des
lois promulguées depuis moins d’un an.
Emmanuel Macron a proposé, en 2019,
d’étendre cette limite à trois ans pour éviter
la « concurrence des légitimités » entre le
peuple et ses représentants qui ont le der-
nier mot. Cette position « est assez intenable,
juge Laurence Morel, car elle contredit le
texte de la Constitution où il est écrit qu’il n’y
a qu’un seul souverain, le peuple, et que sa
souveraineté s’exerce par le choix des gouver-
nants, mais aussi par le référendum ».
En Suisse, la possibilité d’organiser un réfé-
rendum contre une loi qui vient d’être votée
« donne le ton à la vie politique et contribue à
une démocratie dite “de concordance” », ex-
plique Vincent Martenet. Parce qu’ils savent
que leurs décisions peuvent être attaquées,
les politiques recherchent en amont un
compromis transpartisan pour éviter que la
CHRISTELLE ENAULT
loi soit remise en cause. Cette quête de con-
sensus a aussi son revers et contribue à atté-
nuer l’ampleur des réformes, y compris
quand elles sont nécessaires, comme sur les
questions climatiques. Elle « dépend aussi
largement de la culture démocratique du
pays, appuie Patrick Taillon. Aux Etats-Unis,
certains Etats ont le même mécanisme, et la
vie politique y reste très partisane ».
Plus délicate encore est la question des
normes supérieures que sont les conven-
tions internationales et les droits fonda-
mentaux. Avec la montée de l’extrême
droite, le risque est grand que les référen-
LE SYSTÈME SUISSE dums d’initiative citoyenne soient utilisés
PRÉVOIT EN EFFET pour remettre en cause des principes à va-
leur constitutionnelle, encadrés par des tex-
QU’AVANT OU APRÈS tes du droit européen et international,
comme la protection des minorités, l’aboli-
UNE VOTATION tion de la peine de mort, ou la libre
circulation des personnes.
LE PARLEMENT A La question suscite un débat parmi les ju-
LA POSSIBILITÉ DE ristes et les politistes. La plupart des cher-
cheurs favorables au référendum plaident
REPRENDRE LA MAIN pour de solides garde-fous et un contrôle
constitutionnel de tous les processus réfé-
rendaires, qu’ils soient d’en haut ou d’en
bas. « Le pouvoir du peuple est lui-même légi-
timé et encadré par la Constitution », assure
Vincent Martenet. De son côté, Patrick
Taillon s’interroge sur la portée de tels con-
trôles : « Il me semble dangereux que des ju-
ges puissent bloquer la volonté de tout un
peuple, explique-t-il. S’il est nécessaire que
les juridictions expriment un avis, il doit
rester consultatif. »
La question est sensible et renvoie à la no-
tion de souveraineté populaire, définie par
Jean-Jacques Rousseau comme l’exercice de
la volonté générale dont chaque citoyen dé-
tient une part, et qui « ne peut être aliénée »,
écrit-il dans Du contrat social. A l’inverse, le
philosophe libéral Benjamin Constant (1767-
1830) estime que le principe de souveraineté
idées | 27
est dangereux, quel qu’en soit son titulaire
(un roi, un dictateur, le peuple), lorsqu’il
risque de porter atteinte aux libertés de l’in-
dividu. « Selon Benjamin Constant, l’esprit de
la Constitution est supérieur à la souve-
raineté populaire, car son rôle est de réguler
les passions du peuple – c’est-à-dire le popu-
lisme – et celles des gouvernants – les abus de
pouvoir, déclare Dominique Rousseau. Il est
donc justifié qu’un contrôle de cons-
titutionnalité s’exerce. »
Dans la plupart des pays, le verrou consti-
tutionnel s’applique en amont des scrutins.
C’est aussi en partie le cas en Suisse, où « cet
encadrement, insuffisant, est toutefois l’un
des points faibles du système », note Vincent
Martenet. Cette faiblesse a valu à la Confédé-
ration de se retrouver dans des situations
délicates, en particulier sur les questions mi-
gratoires. En 2014, une proposition en fa-
veur de quotas de main-d’œuvre étrangère,
provenant du parti d’extrême droite Union
démocratique du centre (UDC), a été sou-
mise à votation et approuvée, alors qu’elle
contrevenait aux engagements de la Suisse
avec l’Union européenne.
LA QUALITÉ DE LA DÉLIBÉRATION
Le système suisse prévoit en effet que,
avant ou après la votation, le Parlement
peut reprendre la main, notamment si le
texte de l’initiative ne correspond pas aux
engagements du pays à l’échelle internatio-
nale. Les députés ont la possibilité de rédi-
ger un contre-projet.
Cette étape du contre-projet « ouvre une
phase de dialogue entre les députés et les ci-
toyens, et les parlementaires à l’origine de
l’initiative », souligne le juriste. « Ce système,
dit-il, a l’avantage de concilier les deux for-
mes de démocratie, directe et représentative,
en impliquant le Parlement de bout en bout
dans le processus, puisqu’il émet une recom-
mandation avant le vote, peut élaborer un
contre-projet et est chargé de la mise en
œuvre de l’initiative. »
Cette phase de dialogue est importante,
car la qualité de la délibération, à travers la
libre discussion entre citoyens égaux, assor-
tie de l’échange d’arguments informés,
fonde en philosophie politique la légitimité
démocratique de la décision. « Prévoir des
dispositifs délibératifs dans le cadre d’un réfé-
rendum est d’autant plus nécessaire qu’il po-
larise les débats autour d’arguments cli-
vants », estime Patrick Taillon.
Pour le juriste canadien, certaines modali-
tés d’organisation favorisent aussi ce dialo-
gue : « Mettre au moins trois scénarios sur la
table permet de sortir de la logique binaire
pour entrer dans la complexité et la nuance,
tout en associant le Parlement au processus,
dans la mesure où il doit interpréter les résul-
tats en cas de majorité relative. » Ce dispositif
a été utilisé au Canada et en Suède, notam-
ment lors de la consultation populaire sur
l’avenir du nucléaire, en 1980.
Pour améliorer la délibération, une autre
voie consiste à adosser au référendum une
assemblée de citoyens tirés au sort, dont le
rôle est de réfléchir aux conséquences de la
proposition avant le vote. Une brochure
synthétisant ces travaux est distribuée aux
citoyens, afin qu’ils puissent se déterminer
de façon éclairée.
Le dispositif – baptisé Citizens’ Initiative Re-
view dans l’Etat de l’Oregon – est expéri-
menté depuis une dizaine d’années au Ca-
nada, dans d’autres Etats américains et en Ir-
lande, où il a conduit à la révision pacifiée de
la Constitution irlandaise sur l’avortement et
le mariage homosexuel.
La France peut-elle s’inspirer de ces expé-
riences pour élargir le champ de la participa-
tion citoyenne et revitaliser la vie politique ?
En 2019, le cercle de réflexion Terra Nova a
élaboré le cadre d’un « référendum d’initia-
tive citoyenne délibératif », qui prévoyait,
outre des garanties de recevabilité et d’appli-
cation, qu’une assemblée de citoyens tirés
au sort délibère publiquement sur l’impact
et les conséquences de la décision soumise
au vote, et en informe les futurs électeurs.
L’idée reste d’actualité alors même que les
deux récentes conventions citoyennes sur le
climat et la fin de vie n’ont pas trouvé leur
place dans le paysage institutionnel.
« Il existe suffisamment d’expériences pour
concevoir un dispositif équilibré en France,
dont le déclenchement ne soit plus entière-
ment maîtrisé par les représentants, comme
c’est le cas aujourd’hui, et qui ne fasse pas le
jeu du populisme », affirme Marthe
Fatin-Rouge Stefanini. « Il est temps de sor-
tir d’une vision manichéenne de cet outil,
qui n’est ni une baguette magique ni un ins-
trument démoniaque », ajoute Laurence
Morel. Reste à savoir jusqu’où les responsa-
bles politiques accepteront d’accorder une
place à la légitimité populaire. Ce sera sans
aucun doute l’étape la plus complexe, et la
plus incertaine. p
claire legros
28 | idées
Cas Mudde
« En France, aux
Pays-Bas, comme
ail eurs en Europe,
le centre droit adopte
les thèmes de
l’extrême droite »
La droite européenne
mène une stratégie
qui lui a fait perdre
du terrain, tout en
renforçant l’extrême
droite, estime le
politiste américano-
néerlandais, après
la victoire du leader
populiste Geert
Wilders aux
législatives
du 22 novembre
aux Pays-Bas
ENTRETIEN
P
olitiste d’origine néerlandaise,
Cas Mudde est professeur d’af-
faires internationales à l’univer-
sité de Géorgie (Etats-Unis), et
enseigne également au Centre
de recherche sur l’extrémisme
(C-REX) de l’université d’Oslo (Norvège).
Spécialiste de l’extrême droite, il s’inté-
resse, entre autres, à la circulation des
idées en Europe et aux Etats-Unis. Il est
notamment l’auteur de The Far Right
Today (« l’extrême droite aujourd’hui »,
Polity, 2019, non traduit).
Geert Wilders et sa formation
d’extrême droite, le Parti pour
la liberté (PVV), ont remporté
les législatives du 22 novembre
aux Pays-Bas. Comment
interprétez-vous cette victoire ?
Geert Wilders a bénéficié de circonstan-
ces on ne peut plus favorables. Le premier
ministre démissionnaire, Mark Rutte, du
Parti populaire pour la liberté et la démo-
cratie [VVD, centre droit], a fait de l’immi-
gration le principal thème de la campa-
gne électorale. Ainsi, il est apparu dans le
débat public que les prochains dirigeants
du pays devaient faire de l’immigration
leur priorité, ce qui conférait un incroya-
ble avantage à M. Wilders.
En outre, Dilan Yesilgöz, qui a pris la
succession de M. Rutte, a ouvert la porte,
en août, à la formation d’une coalition
avec le candidat d’extrême droite, une
décision en complète rupture avec le
consensus qui prévalait jusque-là. Enfin,
alors que la campagne touchait à sa fin,
les médias ont commencé à présenter
M. Wilders comme un homme qui avait
adouci son discours. La victoire lui ten-
dait d’autant plus les bras que le choix
entre Dilan Yesilgöz, une femme née en
Turquie, et Geert Wilders, un homme
blanc, était facile à faire. A qui faites-vous
confiance pour s’assurer qu’un moins
grand nombre de migrants s’installent
dans votre pays ? A une femme dont l’his-
toire se rapproche de celle des nouveaux
arrivants, ou à un homme qui a toujours
tenu le même discours à ce sujet ?
Comment Geert Wilders
en est-il arrivé à jouer un tel rôle
dans la vie politique néerlandaise ?
Comme nombre d’élus de la droite
radicale, il a commencé sa carrière plus
proche du centre, en tant que membre
du VVD. Mais il a rompu avec ce parti il y
a près de vingt ans, citant un différend
sur l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne, un projet auquel il s’op-
pose. Puis M. Wilders est devenu un dur
critique de l’islam, comparant le Coran à
Mein Kampf, si bien qu’il vit sous pro-
tection policière depuis quinze ans. Il a
ainsi acquis l’image d’un homme cou-
rageux, et il est aujourd’hui invité à
prononcer des conférences à travers le
monde, en Allemagne, en Australie, mais
aussi aux Etats-Unis. Geert Wilders est
désormais une icône internationale du
mouvement islamophobe.
Il est, en outre, un homme qui croit en
la politique. Au Parlement, M. Wilders ne
se contente pas de faire bruit. Il est un
législateur habile, capable de travailler
avec presque tous les partis sur des textes
de loi précis. Les Néerlandais sensibles à
ses idées voient en lui un homme fidèle à
ses convictions et efficace.
Les autres députés du PVV
disposent-ils du même
savoir-faire politique que lui ?
Ils constituent plutôt un point faible
pour M. Wilders. Aucun d’entre eux n’a
l’expérience du pouvoir ni ne sait négo-
cier une coalition. Le parti est avant tout
un mouvement au service de son leader.
Les députés du PVV se divisent en deux
groupes. Il y a, d’une part, ceux qui ont
été réélus ; ce sont en général des légis-
lateurs qui siègent au Parlement depuis
longtemps, sans se démarquer. Les
autres, la majorité d’entre eux, sont des
néophytes en politique, ou d’anciens élus
locaux, qui n’ont jamais été en position
de gouverner, car même à cette échelle
un cordon sanitaire les empêchait d’accé-
der aux affaires. M. Wilders aura du mal à
trouver du personnel compétent.
Cela étant dit, Geert Wilders reste celui
qui est en meilleure position pour for-
mer un gouvernement. Les négociations
n’ont pas encore véritablement com-
mencé. La droite hésite maintenant sur
la marche à suivre : participer à la coali-
tion ou appuyer un gouvernement
minoritaire ? Mais après les fêtes le dis-
cours aura sans doute changé, et le VVD,
ainsi que Pieter Omtzigt et ses vingt
députés du parti centriste Nouveau
Contrat social, se montreront prêts à
rejoindre, sous certaines conditions, un
gouvernement formé par M. Wilders.
Vous le présentez comme
un responsable politique dont
le discours n’a pas changé. Pourtant,
il ne dénonce plus l’islam sur un ton
aussi virulent que par le passé…
Il n’est pas devenu plus modéré. Quand
on lui demande s’il a pris ses distances
avec les positions qu’il a pu avoir par le
passé, il déclare de manière très claire
qu’il continue de penser la même chose,
par exemple, à propos de l’islam. En
vérité, il n’a pas besoin d’en dire davan-
tage, puisque chacun aux Pays-Bas
connaît ses idées en la matière : interdire
le Coran et les mosquées, un projet hau-
tement antidémocratique.
En France, Marine Le Pen aurait,
elle aussi, lissé son discours, et
cette stratégie de « dédiabolisation »
expliquerait ses récents succès.
LA VÉRITÉ EST Cette analyse vous convainc-t-elle ?
Le Rassemblement national n’a pas
QUE, LORSQUE profondément changé sous Marine
L’ON S’INTÉRESSE Le Pen. Elle n’est pas plus modérée que
Jean-Marie Le Pen ; elle est plus mo-
AUX SONDAGES, derne, tout simplement. Par exemple,
elle n’a pas la même conception des
ON S’APERÇOIT QUE questions de genre et de sexualité que
L’OPINION N’A PAS son père. Et puis, le sexisme joue en sa
faveur. Elle peut apparaître plus modé-
BASCULÉ À DROITE, rée aux yeux des électeurs, puisque la
tolérance est un trait qui reste associé
IL N’Y A PAS aux femmes. Mais, pour ce qui est de
l’idéologie du parti, les choses en sont
UNE HOSTILITÉ toujours au même point. Rien n’a
CROISSANTE ENVERS changé en matière d’immigration ou en
ce qui concerne l’islam. Jean-Marie
L’IMMIGRATION Le Pen affirmait être le seul à aborder ces
sujets. Aujourd’hui, Marine Le Pen n’a,
quant à elle, pas besoin d’en faire autant :
elle peut laisser d’autres acteurs politi-
ques déclarer que l’islam est une menace
et le multiculturalisme, un échec.
Quelle est la responsabilité du centre
droit dans la diffusion de ces idées ?
En France, aux Pays-Bas, comme ailleurs
en Europe, le centre droit adopte les thè-
mes de l’extrême droite. Le Parti popu-
laire européen, qui rassemble au sein de
l’Union les partis de cette sensibilité,
copie le programme des formations les
plus radicales. Son manifeste de 2019
affirme que l’Europe doit « préserve[r] no-
tre mode de vie unique ». Le continent est
présenté comme faisant face à de multi-
ples « menaces », dont les « pressions
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
YANN LEGENDRE
démographiques en Afrique » et l’« instabi-
lité dans nos pays voisins, suscitant des flux
migratoires incontrôlés ».
En reprenant les thèmes de son concur-
rent direct, le centre droit l’a de fait ren-
forcé et n’a cessé de perdre du terrain. On
a pu le voir lors de différentes élections.
En France, Les Républicains ne pèsent pas
bien lourd face au Rassemblement natio-
nal. C’est aussi le cas en Suède, où la coali-
tion formée à l’issue des élections du
11 septembre 2022 a permis au parti d’ex-
trême droite Démocrates de Suède d’im-
poser ses idées. Toutefois, ce rapproche-
ment ne signifie pas que le centre droit et
l’extrême droite sont identiques.
Les législatives aux Pays-Bas donnent
l’impression que l’extrême droite
a le vent en poupe à l’approche
des élections européennes
du printemps 2024. La victoire
de Geert Wilders renforce-t-elle une
dynamique favorable aux populistes ?
Restons prudents : nous venons d’assis-
ter à une élection nationale. Le vote des
Néerlandais n’est pas un bon indicateur
de celui des autres peuples d’Europe.
Toutefois, la droite risque fort de conti-
nuer à s’adresser avant tout aux électeurs
de la droite radicale. Les élections aux
Pays-Bas serviront sans doute de prétexte
pour des responsables politiques et diffé-
rents médias qui diffuseront le récit
trompeur selon lequel l’immigration est
la principale préoccupation des électeurs.
La vérité est que, lorsque l’on s’intéresse
aux sondages, on s’aperçoit que l’opinion
n’a pas basculé à droite, il n’y a pas une
hostilité croissante envers l’immigration.
Le durcissement du discours public est
la seule réelle évolution. Les élections
néerlandaises en sont un bon exemple.
Trois questions ont dominé la campa-
gne : l’immigration, le niveau de vie et le
logement. Il s’agit de trois enjeux tout à
fait différents. Pourtant, les difficultés
économiques des Néerlandais et le pro-
blème du logement ont tous les deux été
traités comme une conséquence de l’im-
migration. Le débat a été racialisé pour
être ramené à une seule question : à qui
appartient ce pays ? Nos responsables
politiques ont entériné le cadre idéo-
logique de l’extrême droite, alors que
plusieurs des problèmes économiques
de notre époque résultent de politiques
de droite. Les Pays-Bas sont l’un des Etats
de l’Europe où les inégalités sont les plus
graves, une réalité qui n’a rien à voir avec
l’immigration. p
propos recueillis par
marc-olivier bherer
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
Gaza, occasion
diplomatique
pour Le Caire
ANALYSE
P « LIGNES ROUGES »
lus discret que Doha
dans la médiation entre
Israël et le Hamas,
Le Caire n’en est pas
moins incontournable. Avec la
guerre à Gaza, l’Egypte retrouve
une centralité qu’elle avait perdue
sur la scène internationale avec la
montée en puissance de ses par-
rains du golfe Persique.
Avec l’appui de son homologue
jordanien, Ayman Safadi, le minis-
tre des affaires étrangères égyp-
tien, Sameh Choukri, tient tête
aux desseins israéliens de dépla-
cer 2 millions de Gazaouis dans le
Sinaï. De pair avec les médiateurs
qataris, le général Abbas Kamel,
chef du service de renseigne-
ments généraux (GIS), a négocié la
trêve, qui a permis l’échange d’ota-
ges israéliens contre des prison-
niers palestiniens, et l’entrée
d’aide humanitaire à Gaza.
« Si le Qatar est un soutien diplo-
matique et financier très fort du
Hamas, il est perçu comme moins
important que l’Egypte, car il n’est
pas concerné géographiquement
par le conflit », considère Sarah
Daoud, docteure en science politi-
que au Centre de recherches inter-
nationales de Sciences Po. Après
avoir administré l’enclave jus-
qu’en 1967, l’Egypte y conserve
d’importants relais. Les officiers
du GIS, directement reliés à la pré-
sidence, « disposent d’un maillage
humain sur le terrain. Ils parlent
autant avec la branche militaire du
Hamas, son bureau politique et les
différentes factions palestinien-
nes », abonde Dima Alsajdeya,
chercheuse au Collège de France.
Le poste-frontière de Rafah a été
un thermomètre des relations en-
tre l’Egypte, Israël et le Hamas.
Complètement fermé à l’arrivée
au pouvoir en Egypte, en 2014, du
maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, en
lutte ouverte contre les Frères mu-
sulmans, il a rouvert quand Yahya
Sinouar a pris la tête du Hamas à
Gaza en 2017, disposé à sceller la
réconciliation palestinienne. La ri-
valité avec le Qatar, épinglé par
Le Caire et ses parrains du Golfe
comme un sponsor de l’isla-
misme politique, s’est elle aussi at-
ténuée avec la levée, en jan-
vier 2021, du blocus contre le Qa-
tar, laissant place à une comédia-
tion dans les guerres qui ont
depuis opposé Israël au Hamas.
L’implication du Caire dans le
dossier gazaoui lui permet de bé-
néficier d’une plus grande magna-
nimité des pétromonarchies du
Golfe, des Etats-Unis et de l’Union
européenne. « La question qui se
pose est comment l’Egypte va capi-
taliser sur l’après-guerre. Dans tous
les scénarios, elle sera au centre des
discussions autour d’une résolu-
tion du conflit, mais aussi sur la
thématique de la reconstruction.
Même si son financement se fera
probablement avec des fonds ve-
nus du Golfe, l’Egypte aura un rôle
à jouer », considère Amr Adly, pro-
fesseur de science politique à
l’Université américaine du Caire.
L‘Egypte devra composer avec
les poids lourds de la région, l’Ara-
bie saoudite en tête, qui enten-
dent prendre les rênes des négo-
ciations pour un règlement politi-
que. Jadis pays phare de la diplo-
matie arabe, l’Etat est, depuis la
révolution de 2011, dépendante de
JADIS PAYS PHARE
DE LA DIPLOMATIE
ARABE, L’ÉGYPTE
EST DEVENUE
DÉPENDANTE
DE RIYAD
ET D’ABOU DHABI
PLUSIEURS DES
FIXÉES PAR LE
MARÉCHAL AL-SISSI
ONT ÉTÉ
DÉPASSÉES
Riyad et d’Abou Dhabi. Après trois
ans d’effondrement économique
égyptien, les deux pétromonar-
chies ont injecté des milliards de
dollars pour consolider le pouvoir
du président Al-Sissi et leur
agenda contre-révolutionnaire
dans la région. Elles exigent des ré-
formes en contrepartie de la pour-
suite de ce soutien.
Echec patent
« Cette dépendance est une entrave
à la liberté de manœuvre géopoliti-
que de l’Egypte. Même si, sur cer-
tains dossiers, comme en Syrie ou
au Yémen, elle a su garder son indé-
pendance », estime le professeur
Mostafa Kamel Al-Sayed, de l’uni-
versité du Caire. Cette perte d’in-
fluence a été accentuée par la dété-
rioration des relations avec les
Etats-Unis. Face à la répression des
voix dissidentes par le président
Al-Sissi, l’argument des droits de
l’homme est régulièrement invo-
qué par Washington pour rogner
sur son aide. L’affaire de corrup-
tion au profit de l’Egypte du séna-
teur américain Robert Menendez
et les soupçons de transferts d’ar-
mes à la Russie, en guerre contre
l’Ukraine, ont encore creusé le
fossé avec l’allié américain.
Dans son environnement im-
médiat, l’Egypte a essuyé plu-
sieurs revers diplomatiques. Ils té-
moignent autant de la perte d’in-
fluence de sa diplomatie face aux
pays du Golfe, parfois concurrents
et même rivaux, que de l’échec
d’une approche de plus en plus sé-
curitaire. Sous le président Al-
Sissi, les officiers du GIS se sont vu
confier tous les dossiers sensibles
au motif qu’ils relèvent de la sécu-
rité nationale. Plusieurs des « li-
gnes rouges » fixées par le raïs ont
été dépassées.
Le Caire, qui avait exigé la signa-
ture d’un accord tripartite avec le
Soudan et l’Ethiopie sur la gestion
du grand barrage de la Renais-
sance éthiopien, a assisté, impuis-
sant, aux remplissages successifs
du réservoir. En Libye, le sou-
tien au maréchal Khalifa Haftar,
allié imprévisible, s’est soldé par
un échec qui a entériné une parti-
tion du pays et empêche Le Caire
de se poser en acteur neutre.
L’échec le plus patent est le Sou-
dan, jadis chasse gardée de
l’Egypte. Le Caire a œuvré à faire
échouer la transition démocrati-
que amorcée à la chute d’Omar Al-
Bachir, en 2019, pour assurer la
mainmise de l’armée sur le pou-
voir. La stratégie égyptienne a con-
tribué au déchirement de l’appa-
reil sécuritaire et à l’éclatement
d’une guerre incontrôlable entre
l’armée régulière du général Abdel
Fattah Al-Bourhane et les forces
paramilitaires du général Mo-
hammed Hamdan Daglo, soute-
nues, elles, par Abou Dhabi. Perçu
comme un allié traditionnel de
l’armée régulière, Le Caire a perdu
toute crédibilité dans ses tentati-
ves de proposer une médiation.
Ce rôle de médiateur de la crise
soudanaise lui a été ravi par l’Ara-
bie saoudite, qui entend imposer
son leadership dans toute la zone
arabo-musulmane. A Gaza,
l’Egypte est au défi de composer
avec ses faiblesses afin de peser
sur une solution pour l’après-
guerre et de conserver un rôle au
sein de la diplomatie régionale. p
eliott brachet
(le caire, correspondance)
et hélène sallon
(beyrouth, correspondante)
LA PENSÉE ÉCOLOGIQUE BIORÉGIONALISTE
LIVRE
D’
où vient l’énergie qui nous
chauffe et nous éclaire, l’eau
et la nourriture qui nous
font vivre ? Connaissons-
nous les sols que nous fou-
lons ? Où vont les déchets que nous jetons à la
poubelle ? Comme la plupart des habitants de
pays développés, nous sommes nombreux à
ne pas savoir répondre à ces questions, tant les
réseaux qui irriguent nos villes et nos villages
sont devenus complexes et invisibles, souvent
difficiles à tracer. L’urgence écologique et la
crise sanitaire liée au Covid-19 ont mis en lu-
mière la vulnérabilité de territoires dépen-
dants de flux mondialisés pour l’importation
de leurs denrées essentielles.
Dans cet ouvrage éclairant, Agnès Sinaï, jour-
naliste et docteure en aménagement de l’es-
pace et urbanisme, propose de remonter à la
source et d’explorer une autre échelle d’exis-
tence qui redessine les contours des villes et
des territoires, non plus en fonction des règles
administratives et politiques, mais en partant
de leurs ressources naturelles et de leur habita-
bilité. Elle mobilise, pour y parvenir, la notion
de biorégion, élaborée il y a cinquante ans dans
l’effervescence de la contre-culture califor-
nienne, et qui fait l’objet ces dernières années
d’un intérêt renouvelé dans les milieux édito-
riaux et activistes de l’écologie politique.
La biorégion est un espace géographique dé-
fini par ses caractéristiques naturelles – sa to-
pographie, les cours d’eau qui le traversent,
son microclimat, sa géographie animale et vé-
gétale –, et non par les lois humaines. Mais
c’est surtout un lieu de vie dont les limites sont
configurées pour réduire au maximum l’em-
preinte écologique des flux de ses habitants, et
leur impact à la fois sur leur milieu de vie et sur
d’autres territoires plus lointains. Cette échelle
peut varier en fonction des ressources du lieu
et de la communauté qui l’habite.
Trump s’entraîne | par serguei
AUX ORIGINES DES MARXISMES EST-ALLEMANDS
LA REVUE DES REVUES
L a pensée de Marx a enfanté des
marxismes. Cette pluralité, la revue
Actuel Marx l’a explorée toute cette
année. Alors que la livraison du premier se-
mestre portait sur les marxismes chinois,
le numéro du second s’attache aux mécon-
nus « marxismes est-allemands ». Si la Ré-
publique démocratique allemande (RDA,
1949-1990) a récemment fait l’objet de tra-
vaux offrant un « regard plus complexe », la
recherche marxologique demeure un « pa-
rent pauvre », remarquent Jean-Numa Du-
cange et Jean Quétier. Les deux coordina-
teurs du dossier, qui entendent mieux faire
connaître « cette page de l’histoire de la
théorie marxiste, sans angélisme ni diaboli-
sation », ont bâti l’ensemble autour d’une
hypothèse : « L’opposition rigide entre
loyauté et dissidence ne permet pas, la plu-
part du temps, de comprendre les dynami-
ques qui régissent la production théorique
marxiste en RDA. »
idées | 29
d’habiter la Terre, Wildproject, 2020). L’un des
chapitres de l’ouvrage reprend les grandes li-
RÉHABITER gnes d’une étude prospective que l’autrice, éga-
LE MONDE. POUR lement cofondatrice et directrice de l’Institut
UNE POLITIQUE Momentum, a réalisée avec Yves Cochet et
DES BIORÉGIONS Benoît Thévard afin d’imaginer une Ile-de-
d’Agnès Sinaï,
Seuil,
France biorégionaliste (Biorégion 2050. L’Ile-de-
France après l’effondrement, Wildproject,
« Anthropocène », 2020), fragmentée en huit biorégions dont le
320 pages, découpage est déterminé par l’unité des paysa-
22 euros ges et le réseau des cours d’eau.
De fait, le biorégionalisme est un défi, non
seulement cognitif mais politique. Agnès Sinaï
L’ouvrage retrace l’histoire de cette idée de-
puis sa naissance dans la démesure des métro-
décrit les liens entre cette pensée et d’autres
courants comme le municipalisme libertaire
poles californiennes, lorsque les pionniers Pe- de Murray Bookchin, qui propose un système
ter Berg et Judy Goldhaft imaginent un contre- politique ascendant et décentralisé, où chaque
modèle. Pour ces critiques de l’industrialisme communauté décide de ce qui la concerne. Elle
des sociétés modernes, les solutions aux crises pointe aussi les risques liés à une mauvaise in-
ne peuvent pas venir des institutions, respon- terprétation du concept de biorégion, qui s’en
sables du développement sans limites de l’utili- tiendrait à réduire les distances entre les lieux
sation des énergies fossiles. de production et de consommation. Le bioré-
Elles passent par un changement de posture, gionalisme n’a rien à voir avec le localisme des
par la prise de conscience que le lieu où l’on vit mouvements réactionnaires et identitaires, in-
est tissé de relations écologiques au sein des- siste-t-elle. La réhabitation n’est pas un repli
quelles il s’agit de s’insérer, afin de le « réhabi- sur soi réservé aux seuls natifs du lieu, mais
ter » plutôt que de s’en penser le propriétaire. une pratique réflexive et ouverte qui mêle les
C’est parce que le « réhabitant » se découvre co- régénérations écologique et sociale.
habitant, relié solidairement aux autres hu- On peut regretter que les critiques formulées
mains, aux plantes, aux sols, aux flux visibles à l’encontre du biorégionalisme et la question
et invisibles qui parcourent le territoire, que importante des interactions entre les différen-
son comportement social peut évoluer. tes échelles, globale et locale, ne soient abor-
dées qu’en fin d’ouvrage, et plutôt sous forme
Une pratique réflexive et ouverte de questions, alors même que « ces réseaux de
Cette prise de conscience conduit à se confron- relations qui se chevauchent créent ce qui peut
ter à la notion de dépassement (overshoot, en presque sembler une contradiction dans les ter-
anglais) décrite par le sociologue William Cat- mes », écrit l’autrice. Si sa portée politique est
ton (1926-2015) et à renoncer, pour subvenir à peu concrète, cette exploration de la pensée
ses propres besoins, à annexer d’autres territoi- biorégionaliste vient proposer une « rupture
res ou à hypothéquer l’avenir des générations dans les imaginaires », pour sortir du récit de la
suivantes. La réhabitation incite à un redimen- toute-puissance humaine et de la domination
sionnement nécessaire des besoins et à l’auto- de la nature, et ouvrir un nouveau chapitre de
nomie, « non pas tant à l’échelle de l’individu cohabitation avec les autres vivants. p
qu’à celle de la région » (Kirkpatrick Sale, L’Art claire legros
Ce prisme binaire est inopérant, car cette
production théorique est traversée par des
Une autre contribution s’attache à l’his-
toire et à la réception en RDA de l’édition in-
controverses – par exemple sur l’inter-
prétation de la pensée de Hegel ou de
Nietzsche – et s’analyse aussi à l’aune des
périodes d’ouverture et de fermeture. Un
premier article, esquissant la trajectoire
tégrale des œuvres de Marx et Engels, qui
« reflète la tension entre la tâche de légitima-
tion du mouvement socialiste et commu-
niste et la connaissance scientifique de
l’œuvre ». Enfin, deux courants sont explo-
des socialistes réformistes, permet de se fa- rés : la condition des femmes, examinée à
miliariser avec cet archipel intellectuel travers l’activité occultée du conseil scienti-
dont la morphologie évolue avec les fique sur « la femme dans la société socia-
époques et les événements, de la résistance liste » institué en 1964, ainsi que le rapport
contre le stalinisme au « printemps de entre écologie et marxisme. Dans une RDA
Prague » (1968) et au combat pour les droits longtemps aveugle à la question environ-
civiques à partir des années 1970. nementale, il faut attendre la fin des années
1970 pour que s’ébauche un éco-marxisme
Condition des femmes dissident. Il est ici étudié à travers trois uto-
Deux intellectuels en particulier font pies que sont Communisme sans crois-
l’objet d’un focus : l’historien de l’économie sance ? (1975), de Wolfgang Harich, L’Alterna-
Jürgen Kuczynski (1904-1997), qui illustre
le « rôle paradoxal des intellectuels marxis-
tive (1977), de Rudolf Bahro, et Demain
(1980), de Robert Havemann. p
tes-bourgeois », et l’historien Mario Kessler, youness bousenna
qui retrace dans un entretien sa carrière
académique commencée dans la RDA des Actuel Marx, « Marxismes est-allemands »,
années 1980. n° 74, PUF, 240 pages, 25 euros
30 | 0123
CULTURE | CHRONIQUE
p a r m iche l gue r r in
Pas assez de
soutien pour les MJC
O LEUR RÔLE EST
n parle souvent des
MJC quand elles vont
mal. C’est injuste mais
à l’image de leur mis-
sion : ingrate, loin des paillettes,
sur des terrains rudes, avec des
moyens modestes. Les quelque
mille maisons des jeunes et de la
culture, plantées partout en
France, sont au cœur de ce qu’on
appelle l’éducation populaire :
aider à construire des citoyens,
notamment par la création.
Il existe une MJC, doublée d’un
centre social, dans le difficile quar-
tier de la Monnaie, à Romans-sur-
Isère (Drôme). S’adressant pour
beaucoup à des collégiens français
issus de l’immigration, elle a pour
nom maison citoyenne Noël-Gui-
chard. Son rôle est de faire corps
avec le quartier. Alors, elle s’est re-
trouvée associée au drame de Ro-
mans, quand neuf jeunes en ma-
jorité originaires de cette cité ont
été mis en examen après une vio-
lente bagarre, le 18 novembre, au
cours de laquelle Thomas, 16 ans,
est mort poignardé. Dix jours plus
tard, en évoquant les violences à la
Monnaie, BFM-TV afficha des ima-
ges de la MJC.
Les responsables de cette mai-
son, que nous avons joints, sa-
vaient bien que ce n’était pas pour
parler d’un atelier musique ou cui-
sine. Mais pour savoir pourquoi ils
ont fermé leurs portes du 24 au
29 novembre, le personnel ayant
invoqué son « droit de retrait ».
Pourquoi un site socioculturel fer-
me-t-il au moment où le quartier
en a le plus besoin ?
Pour protéger le personnel. Sé-
curiser aussi une maison prise en
étau entre « quelques jeunes du
quartier ultraviolents » et des « na-
zillons à l’extérieur ». Les incidents
se sont en effet multipliés depuis
quelque temps : une salariée
agressée, une autre recevant une
pierre sur la tête, un départ d’in-
cendie devant la MJC, un caillas-
sage… Durant les émeutes en
France en juillet, la directrice de la
MJC a dû accourir en soirée afin de
protéger le bâtiment. En 2019,
trois salles avaient été détruites
par un incendie criminel – la bi-
bliothèque, le bureau de l’écrivain
public et une salle d’activités.
« Un manque de considération »
La directrice de la MJC, Nour El
Houda Boukhari, est une enfant
du quartier. Le 25 novembre, sur
BFM-TV, elle a maladroitement
donné l’impression de mettre sur
le même plan « un jeune qui est
parti » et « des jeunes du quartier
qui sont aussi victimes et stigmati-
sés ». Apparaître à l’écran avec un
keffieh autour du cou n’a pas aidé.
Surtout aujourd’hui. Elle a reçu
des menaces de mort.
Maire depuis 2014, Marie-Hé-
lène Thoraval (divers droite) dé-
nonce « l’ensauvagement » de la
Monnaie, crispant ses habitants,
mais sans égratigner la MJC. Du
reste, les relations entre les deux
parties sont plutôt correctes mais
sur le qui-vive. Peu après son élec-
tion, la maire a amputé la subven-
tion de 30 % à 40 %, ce qui est
énorme. Depuis, l’argent est le
même, ce qui correspond à une
baisse. La MJC déplore du reste un
manque de considération. La ville,
elle, reconnaît que cette MJC et sa
quinzaine de salariés font du bon
boulot, par exemple l’opération
« Aux arts citoyens », qui aura lieu
le 20 décembre et qui s’inscrit
LES MJC
TOUCHENT
4 MILLIONS DE
PERSONNES DONT
LA MOITIÉ A
MOINS DE 26 ANS
0123
SAMEDI 16 DÉCEMBRE 2023
UNE BONNE
NOUVELLE
POUR L’UKRAINE les se sont accumulées depuis le constat
d’échec, fait cet automne, de la contre-of-
pective d’élargissement inédite. Mais, par
son vote du 14 décembre, elle se montre à
ET L’EUROPE fensive de l’Ukraine dans les parties de son la hauteur des attentes.
territoire conquises et occupées par l’agres-
seur russe. Cette impuissance ukrainienne
a alimenté à Washington le poison du
Tout n’a pas été exemplaire pour parve-
nir à Bruxelles à cette bonne nouvelle pour
l’Ukraine. Une nouvelle fois, les Européens
doute et incité le parti républicain, tenaillé ont été pris en otage par un pays entré
par la tentation d’un isolationnisme étri- dans l’Union en 2004 et dont le modeste
qué, à bloquer une aide militaire cruciale poids démographique est inversement
pour Kiev. Contrairement à la Russie, les al- proportionnel à sa capacité de nuisance, la
DE FAIRE CORPS liés occidentaux de l’Ukraine n’ont tou- Hongrie. Pour faire fléchir le premier mi-
jours pas pris la mesure de ce qu’exige en nistre Viktor Orban, qui devrait choisir une
AVEC LE QUARTIER. termes d’économie de guerre ce premier fois pour toutes dans quel camp, entre l’UE
ALORS, CELLE DE conflit conventionnel de haute intensité li-
vré sur le sol européen depuis la fin de la se-
et la Russie, il se situe, la Commission euro-
péenne s’est résignée à débloquer 10 des
ROMANS-SUR-ISÈRE
S’EST RETROUVÉE
ASSOCIÉE AU DRAME
L’ Union européenne (UE) a envoyé
un message clair aux Ukrainiens
et à Vladimir Poutine, le 14 décem-
bre, en donnant son feu vert à l’ouverture
de négociations en vue de l’adhésion de
conde guerre mondiale.
En ouvrant la porte à des négociations
d’adhésion qui vont concerner aussi la
Moldavie et, sous conditions, la Bosnie-
Herzégovine, alors que la Géorgie, égale-
30 milliards d’euros alloués à Budapest
mais retenus du fait de manquements à
l’Etat de droit. Ce qu’un député européen
allemand a qualifié de « plus gros pot-de-
vin » de l’histoire de l’UE.
Kiev à l’ensemble continental. Aux pre- ment sous la pression de la Russie, s’est vu Le Hongrois, qui s’est absenté de la pièce
miers, elle a indiqué qu’ils avaient raison accorder le statut de candidat, l’Union au moment du vote sur l’adhésion, a réussi
dans un travail de fond sur la mé- de s’accrocher à l’espoir exprimé depuis européenne a répondu géopolitiquement en revanche à bloquer une aide de 50 mil-
moire de la cité. plus d’une décennie de rejoindre une Eu- à Vladimir Poutine. Ce dernier avait rabâ- liards d’euros à Kiev. Elle fera l’objet d’une
Marie-Hélène Thoraval, qui a elle rope libre, prospère et démocratique. Au ché le matin même, lors de son intermina- nouvelle discussion en janvier. Son obs-
aussi reçu des menaces de mort, maître du Kremlin, les Européens ont si- ble exercice annuel d’autocélébration, les tructionnisme contraindra certainement
laisse également entendre que les gnifié également qu’il faisait fausse route mêmes certitudes à propos d’une histoire les Européens à faire preuve d’inventivité
milliards d’euros injectés dans les en spéculant sur la discorde, la désunion qu’il ne conçoit que figée pour l’éternité, pour le contourner. Il témoigne de la néces-
banlieues depuis des décennies et finalement l’affaissement auxquels se- alors qu’elle ne cesse au contraire d’être en sité de réformer une règle de l’unanimité
n’ont pas servi à grand-chose. Elle rait vouée selon lui cette partie d’un Occi- mouvement. Certes, le chemin de l’adhé- prévue pour temps calme mais qui menace
n’est pas la seule, loin de là, à diffu- dent qu’il exècre. sion s’annonce long et tortueux pour Kiev. à chaque crise d’ampleur, et elles ne man-
ser cette petite musique. Ce qui in- Cette manifestation d’unité était d’autant L’Union devra tenir dans l’adversité et faire quent guère désormais, de mettre en
cite à assombrir un peu plus le plus impérative que les mauvaises nouvel- preuve de créativité à propos d’une pers- panne le projet européen. p
paysage de l’éducation populaire.
Voyons donc plus large.
Les MJC, urbaines ou rurales,
touchent 4 millions de personnes,
dont la moitié a moins de 26 ans.
Elles ont pour champ d’action le
sport, la culture, le loisir. Les jeu-
nes sont la cible prioritaire, qu’il
s’agit de faire grandir en les inci-
tant à être plus acteurs que specta-
teurs. A agir plutôt que subir.
Cette éducation culturelle, ébau-
chée sous le Front populaire, con-
crétisée après 1945, connaît une
fragilisation continue depuis qua-
rante ans, avec près de 400 struc-
tures disparues. Les responsables
de celle de la Monnaie notent de la
même façon qu’en 1980 les struc-
tures socioculturelles étaient bien
plus nombreuses dans le quartier
qu’aujourd’hui.
Une raison domine. Les MJC
sont de statut associatif, donc in-
dépendantes, portées par un
conseil d’administration. L’Etat
était le garant de cette autono-
mie. Avec les lois de décentralisa-
tion, l’Etat s’est « moralement »
retiré et les MJC se sont retrou-
vées seules face aux villes, leur
principal financeur, qui, en
prime, prête les locaux et paie le
plus souvent les fluides.
Nombre de maires, de droite
comme de gauche, goûtant peu
cette indépendance, peu friands
de « sociocu », se méfiant de toute
culture participative, la jugeant
trop « politique » voire « gau-
chiste », préférant mettre l’argent
dans une médiathèque ou une
salle de spectacle, ont coupé les
vivres aux MJC, afin, aussi, de fon-
dre leurs actions dans les services
municipaux.
Pour les MJC en activité, la ques-
tion des relations de confiance
avec la mairie est toujours d’actua-
lité – à laquelle il faut ajouter le dé-
sintérêt des départements et ré-
gions. Quand on voit comment les
fractures et intolérances se déve-
loppent en France, on attendrait
plutôt que ces MJC soient soute-
nues. Sans blanc-seing. Mais elles
ne le sont pas. Que les villes con-
trôlent leur efficacité est logique.
Du reste, le réseau MJC de France
vient de lancer de son côté un ob-
servatoire afin de cerner les en-
jeux pour l’avenir.
La maire de Romans-sur-Isère
ne remet pas en cause l’autono-
mie de la MJC de la Monnaie. Elle
incite néanmoins l’équipe à in-
tensifier son action en direction
des jeunes et surtout à les sensibi-
liser beaucoup plus aux « valeurs
de la République ». Est-ce le rôle
des MJC ? L’idée ne fait pas hurler
le réseau national. Le sujet serait
même sur la table. La question se-
rait plutôt de savoir s’il faut aller
jusqu’à mettre en place un « caté-
chisme républicain ». Ce qui ouvre
une autre question : jusqu’à
quand l’Etat, si préoccupé de frac-
tures culturelles, peut-il conti-
nuer de rester à l’écart d’un réseau
bataillant en première ligne ? p