JEUDI 15 FÉVRIER 2024
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LE MONDE CAMPUS – SUPPLÉMENT
Transports : la grande inquiétude olympique
▶ A moins de six mois
des JO de Paris (26 juillet-
11 août), la question du
transport de centaines de
milliers de visiteurs suscite
de vives préoccupations
À BARCELONE, LA MENACE
D’UNE SÉVÈRE PÉNURIE D’EAU
▶ Confrontées depuis trois ans
à une sécheresse historique,
la ville et les autorités catalanes
peinent à s’adapter aux
évolutions climatiques
Vue sur la ville et sur le Club de polo royal de Barcelone, le 6 février. HANNAH CAUHÉPÉ POUR « LE MONDE »
RDC
La crainte
d’une extension
régionale du conflit
au Nord-Kivu
PAGE 4
VU PAR DILEM (ALGÉRIE)
CES FORMATIONS UNIVERSITAIRES QUI PRÉPARENT AUX GRANDES ÉCOLES
▶ Le décalage est flagrant
entre les promesses figu-
▶ « Le Monde » revient sur
la façon dont divers projets
▶ Alors que les infrastruc-
tures franciliennes sont 1 ÉDITORIAL
rant dans le dossier de très ambitieux, dont la gra- déjà sous tension depuis UN DÉFI MAJEUR,
candidature présenté par tuité totale et la construc- des années, la RATP et la
la Ville en 2015 et la situa- tion de nouvelles lignes, SNCF cherchent à rassurer BIEN AU-DELÀ DES JEUX
tion actuelle des réseaux ont été abandonnés PAGE S 1 4 - 1 5 PAGE 2 7
Télévision Le Conseil d’Etat exige
le respect du pluralisme
l’autorité de régulation de la sera tenue de rééquilibrer le
communication audiovisuelle et choix des participants à ses pla-
numérique (Arcom) va devoir se teaux, où les nombreux débats
montrer plus intransigeante en- sont nettement orientés à droite,
vers les chaînes de télévision, y voire à l’extrême droite. Au-delà
compris CNews. Dans une déci- du cas de CNews, cette décision
▶ S’il ne pleut pas d’ici à juin, sion rendue publique mardi 13 fé- ouvre la voie à l’établissement de
de l’eau potable devra être achemi- vrier, le Conseil d’Etat demande à nouveaux modes de contrôle
l’Arcom de réexaminer le respect pour faire respecter le pluralisme
née chaque jour par cargo depuis par la chaîne propriété de Vin- des courants de pensée et l’indé-
la région de Valence, plus au sud cent Bolloré de ses obligations en pendance au sein des chaînes.
matière de pluralisme. CNews PAGE 1 3
PAGE 7
Israël-Hamas Médias
Le patrimoine Dans le Groupe
de Gaza dévasté M6, la fin de l’ère
par les bombes Tavernost
Selon un récent rapport Présent dans l’état-major
de l’ONG Icomos, plus de la chaîne depuis 1987,
de 200 sites sur 350 ont Nicolas de Tavernost
été partiellement ou tota- cédera sa place en avril
lement détruits depuis à David Larramendy,
le début de la guerre, actuellement chargé des
en octobre 2023 activités commerciales
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Russie
Le courageux
Hôpitaux Idées Gallimard
Enquête sur
L’avenir de
présente
combat les incidents
d’une « femme graves signalés l’OTAN, un enjeu
de mobilisé » aux urgences
pour l’Europe
VIOLAINE HUISMAN
LES MONUMENTS
PAGE 6 PAGE 1 0 DE PARIS
rom a n
L’eurodéputée Nathalie
Loiseau et le politiste
CARTOONING FOR PEACE
©Laura Brunellière
Thierry Tardy réagissent
aux récents propos de Do-
nald Trump sur l’insuffi- GALLIMARD
sance de financements de
l’OTAN par les Européens
PAGE 2 4 E T C HR ONIQU E P. 2 7
VIOLAINE
Horizons
Le sort kafkaïen
HUISMAN
Les monuments de Paris
d’un homme «Une passionnante enquête familiale. TTT»
Fabienne Pascaud, Télérama
assigné à résidence
Englué dans un dossier ju- « La magie de la littérature lorsqu’elle sait
diciaire d’une complexité si bien réveiller les fantômes. »
rare, Garbis Dilge, un Ar- Fabrice Gabriel, Le Monde des Livres
ménien de Turquie âgé de
67 ans, vit dans la Creuse
depuis un quart de siècle
PAGE 1 8
Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 3,90 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 4 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT
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INTERNATIONAL
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024

La mémoire de Gaza ensevelie sous les bombes

Plus de 200 sites culturels et historiques de l’enclave ont été détruits par les avions de chasse israéliens

jérusalem - correspondance

D
e la mosquée Al-
Omari, la toute pre-
mière de Gaza, cons-
truite au VIIe siècle, il
ne reste plus guère que certains
pans de murs et le minaret. Le bâti-
ment, édifié sur les fondations
d’un temple philistin, puis d’une
église byzantine, a été largement
détruit par un bombardement is-
raélien le 8 décembre 2023. Sa bi-
bliothèque, bâtie tout contre, et où
étaient gardés de rares manuscrits
dont les plus anciens datent du
XIVe siècle, a subi le même sort.
Idem pour le palais du Pacha,
devenu musée en 2010, construit à
Gaza sur ordre du sultan mame-
louk Baïbars au XIIIe siècle, et où
Napoléon aurait séjourné : il a été
en partie ravagé par les bombes is-
raéliennes. Dans le quartier chic
d’Al-Rimal, dans la ville de Gaza,
le centre culturel Rashad-Shawa,
rare exemple de l’architecture bru-
taliste en Palestine, qui date des
années 1980, a lui été pulvérisé.
Cimetières grecs, vestiges égyp-
tiens, marchés ottomans ou im-
meubles Bauhaus, « le patrimoine
de Gaza est vraiment très impor-
tant et, malheureusement, il n’a pas
reçu l’attention qu’il méritait par le
passé », remarque Raymond Bon-
din, expert maltais sur le patri-
moine mondial, qui s’occupe no-
tamment du plan de conservation
et de gestion du site gazaoui du
monastère de Saint-Hilarion.
Dans l’enclave, ces vestiges et
lieux de vie historiques consti-
tuaient les témoins de la riche his- Le 8 décembre 2023, la mosquée Al-Omari, la plus ancienne de la bande de Gaza, a été partiellement détruite par les bombardements israéliens. Ici, le 5 janvier. AFP
toire de ce territoire, jadis carre-
four entre deux continents et im-
portant port méditerranéen. Ils certaines étaient vraiment très bel- de la responsabilité de l’Etat hé- en exemple la vieille ville de Gaza, Or, ces pratiques étaient déjà
ont été durablement dévastés de- les, et qui ont été détruites », re-
« Israël anéantit breu dans la protection des vesti- qui, comme une bonne partie du modifiées avec le blocus israélien
puis le début de l’offensive israé- grette l’expert. Il juge que, contrai- l’identité ges archéologiques à Gaza. nord de l’enclave, n’est plus qu’un instauré en 2007. La plupart des
lienne, lancée après le 7 octobre rement à la Libye, à Gaza les des- Le musée de l’établissement vaste champ de ruines. « Ce n’était habitants n’avaient pas le droit de
2023, qui a tué plus de 27 000 Pa- tructions touchent aussi des sites
de Gaza, que abritait quelque « trois mille rares pas juste un site, c’était aussi le voyager – le fin territoire côtier vi-
lestiniens. Selon un rapport d’Ico- historiques majeurs. son objectif artefacts qui remontaient aux ères cœur de la cité actuelle. Le ham- vait un certain « enfermement »
mos, une ONG qui œuvre à la con- Faute d’accès à la bande de Gaza, préislamique, romaine et islami- mam, le palais du Pacha étaient empêchant le développement de
servation de sites et de monu- maintenue sous siège quasi total
soit d’écraser le que », a fait savoir la direction de des endroits extrêmement fré- la création, explique Najla Nakhlé-
ments historiques dans le monde, depuis plus de quatre mois par Is- Hamas ou non » l’université dans un communi- quentés. Le musée servait aussi de Cerruti, chargée de recherche au
sur 350 lieux répertoriés à Gaza, raël, l’étendue de ces dommages qué sur Facebook. « On ne sait pas lieu d’enseignement pour les sco- CNRS et spécialiste du théâtre en
SHIREEN ALLAN
plus de 200 ont été partiellement reste impossible à déterminer. si les Israéliens ont pillé ce qu’ils laires », décrit Benoît Tadié. arabe. « Il y a un vrai vide en scien-
présidente de l’ONG
ou complètement détruits. L’an- L’Unesco a instauré une sur- y ont trouvé ou s’ils l’ont tout sim- ces sociales et humaines sur Gaza,
Icomos Palestine
cien port grec d’Anthédon, au nord veillance par satellite, extrême- plement détruit, s’émeut Anwar « Un vide en sciences humaines » car les chercheurs n’y ont pas accès.
de la ville de Gaza, et qui figurait ment coûteuse. L’institution a pu Abu Eisheh, ancien ministre de Fin décembre, dans sa requête en- Cela contribue à l’effacement à tous
sur une liste indicative en vue d’un confirmer que vingt-deux sites la culture de l’Autorité palesti- voyée à la Cour internationale de les niveaux, notamment du point
futur classement au Patrimoine majeurs sont endommagés. « Il y a tructions massives dans la bande nienne [2013-2014]. C’est une justice accusant Israël de se livrer de vue de la science, qui pourrait
mondial de l’humanité à l’Unesco, beaucoup d’autres sites en instance de Gaza et le patrimoine n’est pas guerre israélienne contre les Pales- à des « actes de génocide » à Gaza, contribuer à fixer des mémoires et
a ainsi « été presque complètement de vérification, et beaucoup de cho- épargné », poursuit cet expert. tiniens dans tous les domaines. l’Afrique du Sud dénonçait ces des connaissances », ajoute-t-elle.
détruit », déplore M. Bondin. ses ne se voient pas par satellite, ex- Selon l’OCHA, l’agence des Na- Pour prouver qu’il n’y a pas de peu- bombardements visant les sites René Elter, archéologue français
plique un expert de l’organisation. tions unies chargée de la coordi- ple palestinien et qu’il n’y a même historiques, mais aussi les lieux qui travaille depuis vingt-cinq ans
Surveillance par satellite Dès octobre 2023, l’Unesco a rap- nation humanitaire, plus de la pas de patrimoine palestinien. » de culture et les archives de la ville à Gaza, avait tenté de désenclaver
A cela s’ajoutent tous les vestiges pelé à l’ensemble des acteurs con- moitié des bâtiments de Gaza ont Que les Israéliens agissent in- de Gaza, comme participant à la l’archéologie sur place. Avec l’ONG
archéologiques enfouis sous le cernés qu’il était interdit de cibler été détruits depuis le 7 octobre, tentionnellement ou non, « le ré- « destruction de la vie palesti- Première Urgence internationale,
dense tissu urbain gazaoui. « Le un site historique et culturel ou de privant quelque 650 000 person- sultat est l’effacement d’un patri- nienne » dans l’enclave. « Israël sur des fonds français – de l’Agence
ministère palestinien du tourisme l’utiliser à des fins militaires. » nes de leur foyer. Bien qu’Israël ne moine et d’une histoire. Symboli- anéantit l’identité de Gaza, que française de développement – et
et des antiquités avait calculé qu’il Le 18 décembre, l’institution a soit plus membre de l’Unesco de- quement, c’est important, parce son objectif soit d’écraser le Hamas britanniques, il avait lancé un pro-
y avait une centaine de sites impor- placé le monastère Saint-Hilarion, puis 2018, cette source assure que que c’est notamment par ce biais ou non. Le patrimoine, c’est plus gramme de développement éco-
tants [encore à découvrir]. Ils sont dans le centre de la bande de Gaza, le dialogue reste ouvert. Les Israé- que les gens sont attachés à leur que de la culture. Ce sont des prati- nomique et social autour de la for-
probablement plus nombreux. l’un des plus anciens de la région, liens répondent ne pas cibler les territoire », s’alarme Benoît Tadié, ques sociales, économiques… Tout mation, de la protection et de la
Sans compter les nombreuses mai- sur la Liste internationale des sites historiques. Le dynamitage ancien conseiller culturel du cela est en train d’être perdu », promotion du patrimoine cultu-
sons de la période islamique et ot- biens culturels sous protection de l’université Al-Israa, mi-jan- consulat général de France à Jéru- abonde Shireen Allan, présidente rel et des sites archéologiques de la
tomane dans la ville de Gaza, dont renforcée. « On est face à des des- vier, soulève pourtant la question salem entre 2009 et 2013. Il prend d’Icomos Palestine. bande de Gaza. L’équipe comptait
quarante personnes avant la
guerre. « Nous avons été les pre-
Inquiétude sur le sort d’une réserve de l’Ecole biblique française de Jérusalem miers à mettre en place une forma-
tion pratique », explique Jehad
Abou Hassan, responsable de l’or-
quand le directeur de l’Autorité des tional, aux Palestiniens et dont l’institu- « Nous allons relayer fortement auprès culturels en cas de conflit armé, signée ganisation à Gaza, aujourd’hui en
antiquités d’Israël a posté une vidéo, le tion française a la garde. des autorités israéliennes la demande de par Israël, engage les Etats parties à « res- France. « Le plus important, c’est
21 janvier, sur Instagram, montrant des Bien que les étages supérieurs aient été l’Ecole biblique : protéger le dépôt in situ pecter les biens culturels situés tant sur que personne [de l’équipe] n’ait été
soldats israéliens dans un entrepôt rem- visés par des bombardements pendant afin que rien ne disparaisse ou ne soit dé- leur propre territoire que sur celui des tué, insiste René Elter. Si demain
pli de vestiges archéologiques, Jean-Bap- la guerre, le rez-de-chaussée était resté truit », affirme de son côté Nicolas Kas- autres Hautes Parties contractantes en la guerre s’arrête, ils seront prêts à
tiste Humbert a tout de suite reconnu intact, au moins jusqu’à la visite des sol- sianides, le consul général de France à s’interdisant l’utilisation de ces biens (…) retourner sur les sites. » Pour envi-
les lieux. Ce pensionnaire historique de dats, affirme René Elter, autre figure de Jérusalem. C’était a priori l’intention de à des fins qui pourraient exposer ces biens sager un après, il faudra en passer
l’Ecole biblique et archéologique fran- l’archéologie à Gaza, chercheur associé à l’Autorité des antiquités d’Israël. Dans à une destruction ou à une détérioration par la reconstruction de ce patri-
çaise de Jérusalem a loué cette réserve à l’Ecole biblique et archéologique fran- une réponse à l’ONG Emek Shaveh, qui en cas de conflit armé, et en s’abstenant moine dont une partie avait été
un Palestinien, en plein centre-ville de çaise de Jérusalem et coordinateur scien- travaille sur les enjeux archéologiques de tout acte d’hostilité à leur égard ». Il y a endommagée lors de précédentes
Gaza, à partir de 2005. tifique de Première Urgence internatio- du conflit, l’institution affirme avoir été une obligation en général de sauvegarde guerres, pense Samir Abdulac, an-
Ce dominicain fouillait les vestiges nale, une ONG qui a commencé à tra- chargée par l’armée d’examiner l’entre- et de conservation des biens culturels, cien membre d’Icomos.
dans l’enclave depuis qu’il y avait été ap- vailler dans l’enclave en 1999. L’un de ses pôt et avoir demandé aux militaires y compris en cas d’occupation. « Nos collègues palestiniens assi-
pelé en 1995 par le tout nouveau service collègues gazaouis avait visité les lieux de protéger les objets sur place. Ce transfert à Jérusalem n’était qu’une milent ces destructions à un géno-
des antiquités de l’Autorité palesti- début janvier. « Le lieu avait été visité, des idée « devenue hors de propos après une cide parce que le patrimoine est
nienne. « Dans l’entrepôt se trouve le pro- choses prises, essentiellement des plan- « Aider à déplacer les objets » brève inspection », affirme Yoli Schwartz, l’expression de l’identité d’un
duit de vingt-huit ans de recherches ar- ches, des bâches, du matériel de cuisine : Mais, selon un document révélé le jour porte-parole de l’Autorité des antiquités. groupe humain. Le rebâtir est une
chéologiques », affirme Jean-Baptiste c’était pour la survie. Mais la collection ar- même de la diffusion de la vidéo sur Ins- L’organisme soutient ne pas avoir reçu manière de se reconstruire psycho-
Humbert : des amphores en provenance chéologique semblait globalement épar- tagram, l’Autorité des antiquités d’Israël de demande formelle des autorités logiquement. Si c’est impossible, on
de toute la Méditerranée, diverses pote- gnée. Et cette vidéo a circulé. Depuis, je ne suggère d’« aider à déplacer et à garder françaises, contredisant le consulat. rejette ce groupe humain dans le
ries, les enduits d’une maison hellé- dors plus », dit René Elter. Les images dif- les objets dans l’enceinte Rockefeller » – un Aujourd’hui, ni les antiquités israélien- passé, sans lui donner la possibilité
nistique, etc. Des pièces issues des sites fusées par l’Autorité des antiquités d’Is- musée archéologique à… Jérusalem. Or, nes ni l’armée ne sont en mesure de dire de se reconstituer », juge l’expert. p
fouillés par l’Ecole biblique, dont la raël suggèrent que les soldats israéliens la convention internationale de La Haye si le dépôt est sous bonne surveillance. p clothilde mraffko (à paris)
propriété revient, selon le droit interna- ont fouillé le dépôt en profondeur. de 1954 pour la protection des biens s. for. et samuel forey
4 | international
Inquiétante internationalisation du conflit en RDC
Rwanda, Burundi et Afrique du Sud s’impliquent dans la guerre entre l’armée congolaise et les rebelles du M23
T
rois semaines après sa
prestation de serment
pour un second mandat
présidentiel en Républi-
que démocratique du Congo
(RDC), Félix Tshisekedi est brutale-
ment rattrapé par l’une de ses pro-
messes électorales : rétablir la paix
dans l’est du pays. Il en est encore
loin. Les rebelles du Mouvement
du 23 Mars – plus communément
appelé M23 – sont repartis à l’atta-
que, depuis le 7 février, dans le
Nord-Kivu. Ils enserrent chaque
jour davantage leur emprise sur
Goma, la capitale de cette province
orientale de la RDC, frontalière de
l’Ouganda et du Rwanda. Les rebel-
les viennent de s’emparer de la pe-
tite localité de Shasha, située sur
les rives du lac Kivu, au sud de
Sake, ville carrefour considérée
comme un verrou stratégique.
Les accès à Goma sont désor-
mais coupés ou en passe de l’être
dans trois directions (sud, ouest et
nord). « Il n’y a pas encore de pénu-
rie sur les marchés, mais les prix ali-
mentaires s’envolent », confie un
résident étranger à Goma. Selon
lui, « le M23 pourrait probablement
étouffer la ville, soit en coupant les
routes, soit, au contraire, en lan-
çant des offensives sur plusieurs
axes, qui submergeraient Goma
sous l’afflux de personnes des envi-
rons déplacées par les combats ».
Plusieurs milliers d’habitants de
Sake et des alentours ont de nou-
veau afflué, ces derniers jours,
dans les camps improvisés aux
portes de Goma, et ils sont déjà
surpeuplés. « L’augmentation des
pertes civiles et l’utilisation d’armes
lourdes dans les zones peuplées, y
compris dans les camps de person-
nes déplacées, sont alarmantes »,
alertait le 8 février le Forum des
ONG internationales en RDC. Se-
lon l’ONU, plus de 1 million de per-
sonnes ont dû quitter leurs foyers
Offensive du M23
depuis le 7 février
RÉPUBLIQUE
DÉMOCRATIQUE RDC
DU CONGO
Shasha Sake
Goma
NORD-KIVU
RWANDA
Lac Kivu
SUD-KIVU
25 km
Le président argentin, Javier Milei, est mis en échec par le Congrès
L’ultralibéral renonce à trouver un compromis avec l’opposition majoritaire sur ses réformes économiques et fustige les « traîtres »
buenos aires - correspondance
C’ est un échec majeur
pour le président ultra-
libéral argentin Javier
Milei, arrivé au pouvoir le 10 dé-
cembre 2023. Faute d’accord avec
le Congrès, le projet de loi destiné
à mette en oeuvre son vaste pro-
gramme de réformes économi-
ques ultralibérales, a finalement
été abandonné.
Après des semaines de négocia-
tions au Congrès, où le parti du
président, La Libertad Avanza (« la
liberté avance »), ne dispose pas
d’une majorité, le texte qui, à l’ori-
gine, comportait 664 articles,
avait déjà été notablement réduit.
Néanmoins, des modifications
avaient permis l’approbation du
principe général de la loi et de cer-
tains articles-clés, dont la possibi-
lité, pour l’exécutif, de pouvoir lé-
giférer par décret pendant un an,
et ce afin de répondre à l’« ur-
gence » que traverse le pays. Alors
que les débats se poursuivaient
Des Congolais affluent vers Goma (RDC), fuyant les affrontements entre l’armée et les rebelles du M23, le 7 février. MOSES SAWASAWA/AP
depuis la reprise des combats, à
l’automne 2021.
Signe de la gravité de la situa-
tion, le Conseil de sécurité des Na-
tions unies s’est réuni en urgence,
lundi 12 février, à huis clos. Ses
membres ont à l’unanimité « con-
damné l’offensive du M23 (…) et ré-
pété leur condamnation de tous les
groupes armés opérant dans le
pays », a précisé l’ambassadrice du
Guyana, Carolyn Rodrigues-Bir-
kett, qui assure la présidence tour-
nante du Conseil. Celui-ci a par
ailleurs réaffirmé son « soutien to-
tal à la souveraineté, à l’unité et à
l’intégrité territoriale de la RDC ».
Sans autre précision, cette re-
marque vise clairement le Rwanda
voisin, dont l’armée – les Forces
rwandaises de défense (FRD) – est
accusée d’intervenir directement
sur le sol congolais en soutien au
M23 depuis sa résurgence, en no-
vembre 2021. Dans leur dernier
rapport adressé le 30 décembre au
Conseil de sécurité, les experts de
l’ONU affirmaient avoir obtenu
des preuves – dont des images aé-
riennes et des photos – d’interven-
tions directes et de renforts de
pour voter un par un les dizaines
d’articles, le président argentin a
finalement décidé, le 6 février, de
retirer son projet. L’opposition a
célébré la défaite de Javier Milei
dans sa première épreuve politi-
que face au Congrès, qu’elle attri-
bue à l’amateurisme et à l’obstina-
tion de l’exécutif et de ses députés.
Remaniement attendu
Intransigeant sur son plan de dé-
régulation de l’économie et de
privatisations, Javier Milei repro-
che aux députés centristes, qui
s’étaient pourtant montrés dis-
posés à accompagner le texte,
moyennant certaines modifica-
tions, et aux gouverneurs du
même parti d’avoir voulu
« maintenir leurs privilèges de
caste » et « leurs affaires » au fil
des négociations.
Loin de reconnaître le retrait du
texte comme un échec, Javier Mi-
lei s’est réjoui, dans un entretien à
Radio Mitre, le 10 février, d’avoir
exposé au grand jour ceux qui se
troupes des FRD. Ces soldats ap-
partenant à cinq bataillons sont
déployés dans les territoires de
Masisi, Rutshuru et Nyiragongo,
dans le Nord-Kivu.
Avertissement du Rwanda
Depuis le lancement de la der-
nière offensive rebelle, l’ONU dit
avoir collecté de nouveaux élé-
ments impliquant Kigali. Un de
ses drones d’observation a ainsi
été visé – sans être atteint –, le 7 fé-
vrier, par un « missile sol-air pré-
sumé des FRD » tiré depuis une
zone sous contrôle du M23, indi-
que un document interne con-
sulté par l’AFP. « Des renseigne-
ments externes provenant de
France confirment que le véhicule
blindé de type WZ551, équipé d’un
système de missile sol-air, est rwan-
dais », ajoute ce document de
l’ONU. Les autorités rwandaises
n’ont pas réagi à ces accusations.
Depuis le début de la crise en oc-
tobre 2023, le Rwanda affirme que
« le M23 est un problème congo-
lais » et que « le Rwanda ne soutient
pas le M23 et n’a pas de troupes en
RDC ». Mais le pays a averti qu’il
mettent en travers de son chemin
et s’emploie désormais à leur faire
porter la responsabilité des con-
séquences sur la population de
l’échec de la loi omnibus. « [Javier]
Milei n’est pas un négociateur. Il a
une personnalité plutôt intransi-
geante, ce n’est pas un politique
comme les autres, il n’analyse pas
ses résultats avec les mêmes para-
mètres », explique le politologue
Julio Burdman.
Particulièrement prolifique sur
les réseaux sociaux, reproduisant
à l’envi les publications qui dési-
gnent les « traîtres » en donnant
des noms, usant d’un ton souvent
agressif, Javier Milei a une straté-
gie, consistant à mettre les élus
locaux en porte-à-faux, qui in-
quiète certains. « Le président in-
cite à un niveau de violence inso-
lite », a averti le centriste Martin
Lousteau, président du parti UCR.
Sur Radio Mitre, le chef de l’Etat
s’en est défendu : « On assimile le
fait que je sois passionné à de la co-
lère, j’avoue que je ne comprends
« répliquera significativement si sa
sécurité est menacée ». Cet avertis-
sement répond aux rodomonta-
des de Kinshasa. Alors candidat à
un second mandat à l’élection pré-
sidentielle du 20 décembre, Félix
Tshisekedi, réélu entre-temps,
avait accusé son homologue rwan-
dais de vouloir « se comporter
comme Adolf Hitler », lui promet-
tant de « finir comme Adolf Hitler ».
Lors de sa dernière visite en RDC,
début février, Jean-Pierre Lacroix,
le secrétaire général adjoint des
Nations unies chargé des opéra-
tions de paix, s’est inquiété de
cette surenchère verbale entre les
deux voisins, évoquant un risque
de « déflagration régionale ». Car le
Rwanda n’est pas la seule puis-
sance étrangère partie prenante
au conflit dans le Nord-Kivu.
Le groupe d’experts de l’ONU dé-
crit en effet dans son rapport
comment les Forces armées de la
RDC (FARDC) sont « soutenues (…)
par la Force de défense nationale
du Burundi [FDNB] », en plus des
groupes armés locaux et des so-
ciétés de sécurité privées étrangè-
res (Agemira, entreprise enregis-
pas. Est-ce que tout le monde a le
même ton ? Je suis un type pas-
sionné et je parle avec passion. »
Frustré dans son initiative,
Javier Milei maintient toutefois
le cap du « déficit zéro », avec ou
sans loi. Il s’est engagé dans une
épreuve de force avec les gouver-
neurs des vingt-quatre provinces,
dont le rôle est d’autant plus
important qu’ils contrôlent le
Congrès au travers de leurs dépu-
tés et sénateurs.
Dans les jours qui ont suivi le
retrait de la loi omnibus, le prési-
dent argentin a d’abord de-
mandé, de Rome – où il a été reçu,
lundi 12 février, pendant une
heure, par le pape François –, la
démission de Flavia Royon, se-
crétaire d’Etat aux mines, et d’Os-
valdo Giordano, récemment
nommé à la tête de l’Agence na-
tionale de la sécurité sociale, tous
deux proches de gouverneurs
ayant « trahi », selon le président.
Un remaniement plus profond
était attendu à son retour du Vati-
trée en Bulgarie et dirigée par le
Français Olivier Bazin, et Congo
Protection, composée de Rou-
mains ayant fait leurs armes au
sein de la Légion étrangère fran-
çaise). Selon les experts,
« 1 070 soldats de la FDNB portant
l’uniforme des FARDC ont été se-
crètement déployés depuis début
octobre 2023 pour sécuriser le terri-
toire de Masisi (…) en dehors du ca-
dre de la Force régionale de la Com-
munauté de l’Afrique de l’Est
(EAC) ». Kinshasa a dénoncé l’ac-
cord conclu avec l’EAC dont le con-
tingent kényan s’est retiré. Le Bu-
rundi, quant à lui, a maintenu ses
troupes à la demande de la RDC.
Timides initiatives américaines
Outre les Burundais, « entre
800 et 1 000 soldats sud-afri-
cains », selon les estimations d’un
observateur local, sont arrivés à
Goma depuis fin décembre. Ils ne
sont que les précurseurs d’un
contingent plus important, dé-
ployé conformément à un accord
conclu en mai 2023 avec la Com-
munauté de développement de
l’Afrique australe. Lundi, la prési-
can, mardi 13 février. Il a aussi et
surtout annoncé la suspension
du versement de fonds fédéraux
aux provinces, qui permettent
entre autres de subventionner
les transports publics, provo-
quant l’ire des gouverneurs. Le
secrétaire général du gouverne-
ment de la province de Santa Fe,
première province génératrice
de devises du pays, grâce à l’ex-
portation de soja et de grain, a ré-
pliqué sur X, sur un ton mena-
çant : « Ne venez pas vous en pren-
dre à Santa Fe. Sans nos ports,
vous n’aurez même pas de quoi
payer [vos] trolls. »
Cure d’austérité
« Javier Milei s’est lassé des négo-
ciations et a lancé un conflit avec
les gouverneurs dont on ignore
encore la portée, estime M. Burd-
man. Il considère qu’il va gagner
une guerre contre eux. Et les gou-
verneurs pensent qu’ils vont l’em-
porter, car c’est ce qui s’est tou-
jours passé en Argentine, où la re-
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Réuni en
urgence,
le Conseil de
sécurité de l’ONU
condamne
« tous les groupes
armés opérant
dans le pays »
dence sud-africaine a annoncé
qu’elle enverrait 2 900 soldats
comme contribution à cette mis-
sion, la SAMIRDC. Celle-ci, com-
mandée par un général de divi-
sion sud-africain, est prévue pour
durer jusqu’au 15 décembre.
La SAMIRDC se déploie au titre
du « scénario six » de l’Union
africaine, le degré le plus robuste
dans la classification de ses opéra-
tions de maintien de la paix.
Celui-ci autorise théoriquement
les soldats de la SAMIRDC à user
de la force contre le M23 et, le cas
échéant, les Forces rwandaises.
Rien ne dit pour autant, malgré ce
que soutient Kinshasa, que les
soldats sud-africains, ainsi que
ceux originaires du Malawi et de
Tanzanie attendus prochaine-
ment, adopteront une attitude of-
fensive. La même question s’était
posée avec les contingents de
l’EAC, auxquels il fut finalement
reproché leur passivité, jusqu’à
exiger leur retrait.
Les Congolais, qui sont les prin-
cipaux concernés par cette crise,
participent également à la milita-
risation de la région. Trois jours
après la visite éclair à Goma du
ministre congolais de la défense,
les forces armées ont annoncé
l’envoi d’un renfort important en
hommes et en matériels.
Face à la montée inquiétante de
la militarisation de la région, les
initiatives diplomatiques, améri-
caines notamment, paraissent
bien timides. Le cessez-le-feu ar-
raché par Washington avant la
présidentielle n’a guère tenu. Les
blocages persistent. Le président
Félix Tshisekedi exige toujours le
retrait de tous les soldats rwan-
dais avant de s’asseoir à la même
table que Paul Kagame. Lequel
continue de nier leur présence sur
le sol congolais. p
christophe châtelot
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
lation entre l’Etat fédéral et les
provinces est historiquement
tendue. »
Mais Javier Milei, dont le parti
n’a pas d’ancrage territorial, sem-
ble disposé à « modifier la relation
entre le président et les gouver-
neurs », assure le politologue. « Il
considère que les 56 % d’électeurs
qui ont voté pour lui sont la base
de sa popularité, et il est prêt à
utiliser ce pouvoir populaire pour
gouverner. » Une popularité que
la cure d’austérité drastique à la-
quelle sont soumis les Argentins
pourrait égratigner rapidement.
Selon une étude du cabinet CB
Consultora réalisée début février,
avant les dernières mesures de Ja-
vier Milei contre les provinces, le
président, qui conserve néan-
moins un haut niveau d’approba-
tion, a vu son image se dégrader
dans toutes les provinces du
pays : jusqu’à 6 points en moins à
Cordoba, qui avait massivement
voté pour lui (de 72 % à 66 % d’opi-
nions positives). – (Intérim) p
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Au Pakistan, Nawaz
Sharif laisse à son frère
la charge de gouverner
Battu par le parti d’Imran Khan, le clan Sharif
devrait rester au pouvoir grâce à des alliances
new delhi - correspondante
L a démocratie au Pakistan
a ses propres lois : les per-
dants sont les vainqueurs.
Battus par les candidats d’Imran
Khan dans les urnes le 8 février,
les clans Sharif et Bhutto s’apprê-
tent à revenir au pouvoir. Ils ont
conclu, mardi 13 février, un ac-
cord, ainsi qu’avec cinq partis, qui
devrait leur assurer une majorité.
Cette alliance comporte une
énorme surprise : le futur chef du
gouvernement ne sera pas Nawaz
Sharif, contrairement au scénario
élaboré par les militaires. Déjà
trois fois aux commandes, l’an-
cien premier ministre, de retour
au pays après cinq années d’exil à
Londres, et qui a mené la campa-
gne de son parti, la Ligue musul-
mane du Pakistan (Pakistan
Muslim League (Nawaz), PML-N),
a préféré laisser son frère,
Shehbaz, assumer cette tâche.
Surnommé le « Lion du Pendjab »,
Nawaz Sharif a perdu de sa pugna-
cité. Il sort affaibli de la campa-
gne, arrivé deuxième, derrière
Imran Khan, malgré la dispropor-
tion des moyens en sa faveur.
Sans doute aussi a-t-il mesuré le
risque de prendre les rênes d’un
pays au bord du gouffre. Il gouver-
nera dans l’ombre.
Son cadet, 72 ans, pâle doublure,
a déjà été premier ministre
d’avril 2022 à août 2023, après
avoir éjecté Imran Khan du pou-
voir. Durant un an et demi, il s’est
rendu régulièrement à Londres
pour consulter son grand frère et
suivre ses conseils, n’évitant pas
une dégradation de l’économie,
marquée par une très forte pous-
sée de l’inflation. Il a démissionné
trois jours avant la fin de la man-
dature, laissant un gouvernement
intérimaire gérer les affaires cou-
rantes pendant plus de six mois,
jusqu’aux élections du 8 février.
Trois fois chef du gouverne-
ment du Pendjab, le fief des Sharif,
il a fait fortune dans les affaires,
prenant la suite du père, Muham-
mad Sharif, issu d’une famille
pendjabie-cachemirie, fondateur
du groupe Ittefaq, un conglomé-
rat industriel ayant des intérêts
dans le sucre, l’acier et le textile.
Forts soupçons de truquage
Les Pakistanais, qui ont massive-
ment voté pour le changement
en plaçant en tête les candidats
d’Imran Khan, pourtant con-
traints à se présenter comme indé-
pendants, se retrouvent donc avec
les mêmes protagonistes qu’avant
le scrutin, ceux-là mêmes qui
s’étaient unis pour chasser leur hé-
ros du pouvoir en 2022, en lui op-
posant un vote de défiance au Par-
lement. Le parti d’Imran Khan, le
Pakistan Tehrik-e-Insaf (PTI), vain-
queur dans les urnes en ayant em-
porté 93 des sièges en jeu sur 266,
a refusé leurs offres, fidèle à la ba-
taille qu’il a engagée en entrant en
politique, contre ces deux dynas-
ties qui se partagent le pouvoir de-
puis des décennies.
Shehbaz Sharif, chargé des né-
gociations, s’était dit prêt à inclure
le PTI dans le gouvernement.
« Oubliez et pardonnez, pardonnez
et oubliez. Venez, unissons-nous
ÉTATS- U N I S
Le Congrès bloque
une aide à l’Ukraine
Le chef républicain de la
Chambre des représentants,
Mike Johnson, a refusé,
mardi 13 février, tout vote sur
le dernier projet de loi d’aide
à l’Ukraine, ignorant ainsi
l’appel plus tôt du président
américain, Joe Biden, qui
avait exhorté ses opposants
Shehbaz Sharif
a déjà été premier
ministre, après
avoir éjecté Imran
Khan du pouvoir
pour le bien du pays, a-t-il dit. Sa-
crifiez vos intérêts personnels, met-
tez de côté la question de l’ego. »
Le PTI n’est pas tombé dans le
piège. « Nous ne siégerons ni avec
le PML-N ni avec le PPP [Parti
populaire pakistanais (social-dé-
mocrate)] », a assuré Imran Khan
à quelques journalistes lors
d’une audience de procédure
dans la prison d’Adiala, au sud
d’Islamabad, où il est incarcéré,
depuis le 5 août 2023. Imran
Khan entend contester le résultat
du scrutin devant la Cour su-
prême. De forts soupçons de tru-
quage pèsent en effet sur les ré-
sultats, annoncés avec un retard
considérable, et après que la télé-
phonie mobile a été coupée du-
rant plusieurs heures. Le PTI
estime que plus d’une trentaine
de sièges lui ont été soustraits.
Sur son compte X, l’ancien
champion de cricket réaffirme que
« le PTI ne fera jamais de compro-
mis sur la volonté du peuple ». « J’ai
catégoriquement demandé à mon
parti de ne pas s’engager avec les
partis politiques qui auraient volé
le mandat du peuple », affirme-t-il.
L’armée a atteint son but princi-
pal : écarter l’homme le plus popu-
laire du pays, qui menaçait la tou-
te-puissance des militaires. Mais le
scénario n’est pas tout à fait celui
imaginé par les hauts gradés qui
avaient fait de Nawaz Sharif leur
favori. Le chef de l’armée a exhorté
les partis politiques à former un
« gouvernement unifié » pour aider
le pays à sortir de la politique
« d’anarchie et de polarisation ».
Rien n’est moins sûr. Le gouver-
nement qui devra s’atteler aux
lourdes réformes réclamées par le
Fonds monétaire international ar-
rive, dépourvu de légitimité popu-
laire, plombé par un sentiment de
déjà-vu, alors que la jeunesse, ma-
joritaire, aspire à un profond chan-
gement. L’alliance de circonstance
des clans Sharif et Bhutto ne peut
pas faire oublier la rivalité entre
ces deux dynasties qui se sont dis-
puté le pouvoir depuis 1947, en al-
ternance avec les militaires, s’ac-
cusant mutuellement de corrup-
tion, et se rendant coup pour coup.
La politique au Pakistan reste
une histoire de famille et les Sharif
ont bien l’intention de pousser la
nouvelle génération. Plusieurs des
enfants sont déjà en piste, dont la
fille de Nawaz Sharif, Maryam. Elle
devrait devenir cheffe du gouver-
nement du Pendjab, la province la
plus peuplée du Pakistan. Un pos-
te-clé pour cette femme de 50 ans,
programmée pour succéder à
Nawaz Sharif, mais dont l’ascen-
sion a été ralentie par sa mise en
cause pour délit financier dans le
scandale des « Panama Papers ».
Le PTI espère encore déjouer les
pronostics de ses adversaires lors
du vote à l’Assemblée nationale. p
sophie landrin
à « choisir l’Amérique » face
à la Russie de Vladimir Pou-
tine. Le Sénat, à majorité dé-
mocrate, avait validé, mardi,
cette enveloppe de 95 mil-
liards de dollars (88,8 mil-
liards d’euros) pour
l’Ukraine, Israël et Taïwan,
mais son adoption finale
dépend des partisans de
l’ancien président républi-
cain à la Chambre. – (AFP.)
Paris adopte des sanctions contre
28 colons israéliens extrémistes
La France a agi seule au sein de l’UE, car la République tchèque et la
Hongrie s’opposent à des mesures qui seraient prises au niveau européen
bruxelles - bureau européen
A
près les Etats-Unis et
le Royaume-Uni, la
France a annoncé,
mardi 13 février, son
intention de fermer ses frontiè-
res à vingt-huit colons extrémis-
tes israéliens coupables de « vio-
lences contre des civils palesti-
niens en Cisjordanie ». La mesure
prend la forme d’une « interdic-
tion administrative de territoire »
susceptible d’empêcher ces res-
sortissants étrangers d’entrer en
France « lorsque [leur] présence
constitue un danger grave », en
raison de leurs prises de position
ou de leurs actes.
La liste des individus visés par
cette décision n’a pas été rendue
publique. Elle compterait, d’après
nos informations, des personnes
déjà condamnées par la justice
israélienne ainsi que d’autres,
connues pour avoir commis des
violences sans avoir été condam-
nées, ou avoir prononcé des dis-
cours de haine.
Avant Paris, Washington avait
sanctionné quatre personnes le
2 février, suivi par Londres, lundi.
« Les colons extrémistes, en pre-
nant pour cible et en attaquant
des civils palestiniens, compro-
mettent la sécurité et la stabilité
tant pour les Israéliens que pour
les Palestiniens », a commenté le
ministre des affaires étrangères
britannique, David Cameron,
incitant la diplomatie française à
accélérer la manœuvre.
A la différence des Etats-Unis et
du Royaume-Uni, la France
s’abstient à ce jour de geler les
éventuels avoirs sur son terri-
toire des personnes visées – une
En Hongrie, les répercussions d’un scandale
fragilisent le pouvoir de Viktor Orban
La grâce accordée au complice d’un pédocriminel et les accusations d’un ancien haut
fonctionnaire jettent le discrédit sur le premier ministre et ses proches
vienne - correspondant régional
U ne grenade dégoupillée.
Après avoir déjà déclen-
ché la démission, samedi
10 février, de la présidente de la
République hongroise, Katalin No-
vak, une proche de Viktor Orban, le
scandale de l’amnistie accordée en
avril 2023 à un homme condamné
dans une affaire de pédocrimina-
lité ne cesse de s’étendre dans le
pays. Ses répercussions font
même trembler comme jamais
depuis quatorze ans le pouvoir du
premier ministre nationaliste, qui
aime vanter partout ses valeurs
familiales « traditionnelles ».
Tout est parti de la décision con-
testée de Mme Novak d’accorder, en
avril 2023, une grâce présidentielle
au vice-directeur d’un foyer pour
enfants, condamné en 2022 à plus
de trois ans de prison pour avoir
couvert les agissements pédophi-
les de son supérieur. Révélée dé-
but février par le site 444.hu, cette
grâce, jusqu’ici gardée secrète,
aurait été accordée à la demande
du chef de l’Eglise calviniste de ce
pays d’Europe centrale, un pasteur
qui fut, dans le passé, ministre de
M. Orban. Cette révélation a telle-
ment choqué les Hongrois que la
présidente, élue en 2022 en van-
tant ses valeurs familiales conser-
vatrices, a dû renoncer à son poste
sans véritable pouvoir, après avoir
tenté de se justifier pendant quel-
telle approche impliquant le mi-
nistère des finances aurait de-
mandé de nouveaux délais, alors
que ces individus n’ont pas la
nationalité française et ont donc
peu de chance de disposer de
comptes en France.
« L’idée est avant tout d’envoyer
un message, cette décision est la
conséquence logique de ce que l’on
dit sur la colonisation et les colons
extrémistes », observe un diplo-
mate. « La France réaffirme sa
condamnation ferme de ces vio-
lences inadmissibles. Comme
nous l’avons affirmé à de nom-
breuses reprises, il est de la respon-
sabilité des autorités israéliennes
d’y mettre fin et de poursuivre
leurs auteurs », ont indiqué les
autorités françaises dans un com-
muniqué conjoint des ministères
des affaires étrangères et de l’inté-
rieur : « La colonisation est illégale
en droit international et doit ces-
ser. Sa poursuite est incompatible
avec la création d’un Etat pales-
tinien viable, qui est la seule
solution pour qu’Israéliens et Pa-
lestiniens puissent vivre, côte à
côte, en paix et en sécurité. »
« Des violences inadmissibles »
Si ce genre de sanction avait été
envisagé bien avant la guerre
dans la bande de Gaza, il a fallu at-
tendre le risque d’une escalade in-
contrôlée dans les territoires oc-
cupés pour inciter Paris à joindre
les actes à la parole. Selon l’Auto-
rité palestinienne, plus de 380 Pa-
lestiniens auraient été tués en
Cisjordanie depuis le début des
hostilités par l’armée israélienne
mais aussi par des colons.
La France s’est décidée à agir
seule au sein de l’Union euro-
ques jours. Sa démission a été sui-
vie du retrait de la vie politique de
l’ex-ministre de la justice, Judit
Varga, qui avait, elle aussi, apposé
sa signature sur l’acte d’amnistie.
Principale figure de M. Orban sur
la scène européenne, Mme Varga
devait en théorie mener la liste de
son parti, le Fidesz, aux élections
européennes de juin.
Mais plus encore que le retrait
des deux seules figures féminines
politiques du très masculin pou-
voir hongrois, ce sont les confes-
sions de l’ex-mari de Mme Varga qui
tiennent désormais les 10 millions
de Hongrois en haleine. Depuis di-
manche 11 février, cet homme qui
a jusqu’ici fait toute sa carrière à la
tête d’institutions proches du pou-
voir, multiplie les règlements de
comptes, sur Facebook et dans
une interview donnée à une très
populaire webtélé de l’opposition
hongroise, déjà vu plus de
800 000 fois mardi soir.
Longue confession
« Je ne veux pas une minute de plus
faire partie de ce système », a af-
firmé Peter Magyar, en prenant la
défense de son ex-femme. S’ensuit
une longue confession confir-
mant toutes les dérives kleptocra-
tes et népotiques observées en
Hongrie ces dernières années.
M. Magyar a notamment détaillé
les appels d’offres biaisés qu’il de-
vait lancer pour favoriser les pro-
international | 5
Avant Paris,
Washington
avait sanctionné
quatre
personnes,
suivi par Londres
péenne, car les discussions à
Bruxelles n’ont pas encore
abouti. Si les Vingt-Sept se sont
entendus le 19 janvier pour met-
tre en place un régime de sanc-
tions contre le Hamas et le Jihad
islamique, ils ne parviennent pas
à conclure au sujet des colons
extrémistes et violents
Après deux mois de discus-
sions, « il n’y a presque plus
aucune opposition, salue un di-
plomate mais cela reste un choix à
l’unanimité. » Tant que les Vingt-
Sept ne se mettent pas d’accord,
rien ne peut être acté. La perspec-
tive d’un accord à Bruxelles avant
le 19 février, date du prochain
conseil des ministres des affaires
étrangères, paraît éloignée
Longtemps, l’attitude de l’Alle-
magne a dérouté les pays, à l’ins-
tar de la France, de l’Espagne et de
l’Irlande, favorables à des sanc-
tions, comme l’interdiction des
visas et le gel des avoirs. Alors que
la ministre des affaires étrangères
allemande, Annalena Baerbock,
issue des Verts, a publiquement
soutenu début décembre 2023
une telle démarche, le chancelier
social-démocrate Olaf Scholz
(SPD) a d’abord refusé de donner
son blanc-seing. « Entre-temps,
les Etats-Unis et le Royaume-Uni
ont pris des mesures contre les
ches de M. Orban, les pressions
contre lui lors de son divorce et le
contrôle étroit de toute l’informa-
tion produite par les médias pu-
blics par le puissant chef de cabi-
net du premier ministre.
« Comment pouvons-nous vivre
dans un pays détenu pour moitié
par quelques familles ? », a même
ajouté l’ancien haut fonction-
naire devant les caméras, s’en pre-
nant ainsi directement à l’enri-
chissement spectaculaire et dou-
teux du gendre de M. Orban. « La
situation peut changer très rapide-
ment, juste au moment où elle
semble la plus désespérée. N’ayez
pas peur ! », a-t-il même lancé,
cherchant visiblement à se muer
en véritable lanceur d’alerte.
Si ce réveil d’un homme, jus-
qu’ici parfaitement discret et
loyal, semble bien tardif et con-
traint par les événements, il a dé-
clenché une nouvelle vague de
critiques de l’opposition, qui est
déjà persuadée que M. Orban était
en réalité derrière l’amnistie con-
testée. Cette confession « d’un
membre du système sur la nature
du régime est une surprise », salue
ainsi Sandor Lederer, de l’ONG
anticorruption K-Monitor, qui es-
time qu’« elle confirme tout ce que
dit la société civile, les médias indé-
pendants et la Commission euro-
péenne depuis des années ».
Viktor Orban a certes déjà dû se
séparer de fidèles ces dernières an-
colons violents, l’Allemagne a donc
fini par revenir à bord et à soutenir
la mesure », confie une source à
Bruxelles.
Désormais, la République tchè-
que et la Hongrie, deux fidèles
soutiens d’Israël, ralentissent la
décision. Prague ne s’oppose pas
à des sanctions contre les colons
israéliens, mais « refuse de lier ces
sanctions à celles prises à l’en-
contre des terroristes du Hamas,
confie une diplomate tchèque.
Un acte de terrorisme ne doit pas
être mis sur le même plan que les
actes des colons ».
Côté hongrois, la levée du blo-
cage de Budapest est plus hypo-
thétique. « La question est de sa-
voir si la Hongrie poursuivra seule
son opposition ou si elle abandon-
nera, juge une source bruxelloise.
En tout cas, cela prendra certaine-
ment plus de temps. »
Dans ce contexte, des civils pa-
lestiniens ont demandé lundi à
l’Union européenne de sanction-
ner le premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou, et quatre
autres ministres pour crimes et
violations des droits de l’homme
en Cisjordanie occupée. Cette
requête a été adressée au chef de
la diplomatie européenne Josep
Borrell par Sarah Sameur, avocate
au cabinet Demain, qui repré-
sente vingt et un Palestiniens
vivant en Cisjordanie.
Parmi les témoins, anonymes
pour des raisons de sécurité,
figure notamment une femme
dont deux fils ont été tués lors
d’un raid israélien dans un camp
de réfugiés en Cisjordanie début
février. p
philippe jacqué
et philippe ricard (à paris)
nées, souvent d’ailleurs en raison
de scandales sexuels qui contre-
viennent à son message politique.
Mais c’est la première fois qu’un
tel déballage survient sur la place
publique. Plusieurs figures de la
scène culturelle et numérique
hongroise ont annoncé une
manifestation pour vendredi, une
manière de contourner le discré-
dit dont souffre l’opposition hon-
groise, toujours divisée et sonnée
par son échec aux élections légis-
latives de 2022. « La pression
semble si grande que des groupes
qui d’habitude ne font pas de politi-
que partisane estiment désormais
qu’il faut faire quelque chose », juge
M. Lederer.
Face au scandale, le premier mi-
nistre garde, jusqu’ici, le silence
après avoir promis de modifier la
Constitution pour interdire les
grâces dans les dossiers de pédo-
philie. « Le gouvernement ne com-
mente pas les tentatives désespé-
rées de personnes désespérées », a
seulement répondu l’un de ses
porte-parole au sujet de Peter Ma-
gyar. Les médias à la botte du pou-
voir essayent, eux, de circonscrire
toute la responsabilité de l’amnis-
tie contestée à la présidente dé-
missionnaire, en saluant son
geste. Mais le poison du doute per-
siste, d’autant plus qu’aucune rai-
son claire n’a jusqu’ici été avancée
pour expliquer ce geste. p
jean-baptiste chastand
6 | international
Maria Andreïeva veut que son mari rentre en Russie
La mère de famille est la figure de proue d’un mouvement réclamant le retour des mobilisés envoyés en Ukraine
moscou - correspondant
D
ans la forêt d’unifor-
mes bleus, on ne voit
qu’elle : écharpe blan-
che sur la tête en signe
de ralliement, silhouette minus-
cule face au gabarit imposant des
policiers. Ce samedi 3 février, les
forces de l’ordre viennent d’arrê-
ter plusieurs journalistes et des
participants à l’action hebdoma-
daire des « femmes de mobilisés »,
ces collectifs qui réclament le re-
tour du front ukrainien de leurs
maris, de leurs fils, de leurs frères.
Du haut de son 1,55 mètre, Maria
Andreïeva se place, seule, devant
le fourgon de police, interdisant
au véhicule de bouger. Elle plaide
pour les manifestants, essaie de
les arracher aux griffes des agents.
En vain : tous seront gardés plu-
sieurs heures et obligés de signer
un engagement à ne plus partici-
per à des « actions illégales ».
Ainsi va la guerre en Ukraine,
qui révèle les caractères, même
à l’arrière. Pédiatre de formation,
la Moscovite âgée de 34 ans
n’avait jamais milité, jamais ma-
nifesté, encore moins pris la tête
d’une quelconque contestation.
Et la voilà soudain transformée
en figure de proue d’un mouve-
ment qui, aussi fragile soit-il,
contrarie les autorités russes.
« Si, par malheur, il arrivait quel-
que chose à mon mari, je m’en
voudrais de n’avoir pas fait le
maximum pour le sortir de là, dit-
elle pour résumer son engage-
ment. Et puis, la petite a une
grand-mère… » Comprendre : si
Maria Andreïeva devait aller en
prison, la fillette de 2 ans et demi,
privée de son père et de sa mère,
ne serait pas laissée à l’abandon.
Rester dans la légalité
Les « filles », comme elles s’appel-
lent entre elles, n’en sont pas
moins prudentes. Pendant des
mois, elles se sont contentées
d’écrire aux députés, aux ministè-
res, de signer des pétitions… « J’ai
toute une collection d’accusés de
réception », ironise Maria An-
dreïeva pour évoquer l’embarras
des autorités face à ces initiatives.
C’est surtout sur Telegram qu’el-
les s’organisent, dans des groupes
baptisés « Le chemin du retour ».
Elles prennent bien soin, aussi,
de rester dans la légalité, de don-
ner des gages de loyauté. Ce n’est
pas la fin de « l’opération militaire
spéciale » qu’elles réclament,
mais que celle-ci soit conduite
par des volontaires, et non par
les 300 000 civils mobilisés à
l’automne 2022. Dès le mois de
décembre de cette même année,
d’ailleurs, le ministre de la dé-
fense, Sergueï Choïgou, s’y était
engagé, évoquant une « priorité ».
La première ministre d’Estonie recherchée par la police russe
Kaja Kallas apparaît sur une liste de plus de 700 étrangers, majoritairement des Ukrainiens, accusés par Moscou d’avoir « insulté l’histoire »
moscou - correspondant
K allas Kaja, née le
17.06.1977 à Tallinn, Répu-
blique socialiste soviéti-
que d’Estonie. » L’avis de recher-
che est sommaire : aucun détail
quant à l’article du code pénal en
vertu duquel la police russe s’in-
téresse à la fugitive, et rien quant
à sa profession. Kaja Kallas, pre-
mière ministre estonienne, est
pourtant le premier chef de gou-
vernement étranger jamais re-
cherché par la police russe.
Son nom apparaît dans une
compilation, réalisée et publiée
lundi 13 février par le média russe
en exil Mediazona, de différentes
bases de données du ministère
de l’intérieur russe. En tout,
96 752 personnes, dont plus de
700 étrangers non ressortissants
« S’il arrivait
quelque chose
à mon mari, je
m’en voudrais
de n’avoir pas fait
le maximum »
MARIA ANDREÏEVA
femme de mobilisé
Mais les autorités ont beau se
vanter d’un nombre de recrute-
ments exceptionnellement élevé
(385 000 pour l’année 2023, offi-
ciellement), il n’est pas question
d’un retour des mobilisés.
Lassées d’être ignorées, ces fem-
mes ont décidé de se montrer,
quand bien même l’autorisation
d’organiser des manifestations
leur a été systématiquement
refusée. Depuis le mois de dé-
cembre 2023, elles se retrouvent
tous les samedis au pied du
Kremlin, foulard blanc sur la tête
(« pour ne jamais avoir à porter de
noir ») et œillets rouges à la main,
qu’elles viennent déposer en si-
lence sur la tombe du soldat in-
connu de la seconde guerre mon-
diale. L’idée en revient à Maria et
à une autre femme – ou comment
transformer l’acte le plus consen-
suel qui puisse exister dans la
Russie de Vladimir Poutine en ac-
tion subversive…
Combien sont-elles ? Quelques
dizaines, les bonnes semaines ;
encore moins dans les villes de
province où des rassemblements
ont lieu. Sur Internet, les groupes
sont plus fournis. Le canal Tele-
gram national compte plus de
70 000 participants (parfois de
simples curieux ou soutiens),
auxquels il faut ajouter les grou-
pes locaux, régulièrement piratés
ou fermés. Malgré leur nombre li-
mité, malgré leur prudence, ces
citoyennes russes ont tout de
suite été traitées en ennemies par
les relais du pouvoir – au pire de
« traîtres » à la solde de l’étranger,
au mieux d’écervelées manipu-
lées par des services secrets étran-
gers, qui ne comprennent pas la
menace existentielle à laquelle
est confronté le pays. « Si les nazis
gagnent, ni vous ni moi ne serons
plus en vie pour discuter de cela »,
leur a répondu le dirigeant com-
muniste Guennadi Ziouganov,
quand elles se sont adressées à
lui. « Je vous suggère de fermer vos
charmantes bouches », a suren-
chéri un gouverneur.
Les plus actives sont aussi les ci-
bles de campagnes de dénigre-
ment destinées à les décourager.
Maria Andreïeva est l’une des ra-
res à vouloir s’exprimer à visage
découvert, même si les autorités
de pays de la Communauté des
Etats indépendants (CEI). En plus
de Mme Kallas, on y trouve des mi-
nistres estoniens et lituaniens,
les deux tiers du Parlement let-
ton, des maires ou conseillers
municipaux de villes polonaises
et ukrainiennes…
Les fonctions de ces personna-
lités et leur apparition quasi si-
multanée sur ces listes, fin 2022,
laissent penser que l’initiative
russe a un lien avec le démontage
de statues et de mémoriaux so-
viétiques effectués ces dernières
années en Europe centrale et
orientale, et avec la création, côté
russe, d’un département chargé
de la « dénazification » au sein du
Comité d’enquête de la Fédéra-
tion de Russie.
Le chef de cette puissante insti-
tution, Alexandre Bastrykine,
Maria Andreïeva, animatrice de l’organisation Le chemin du retour, à Moscou, le 11 février. MARIA TURCHENKOVA POUR « LE MONDE »
connaissent les noms de chaque
participante. Beaucoup craignent
que parler à des étrangers accré-
dite l’accusation de déloyauté.
Une chaîne Telegram a été jusqu’à
exhumer une vieille photo de la
jeune femme, posant avec un
squelette à la fac de médecine :
la voilà baptisée « adoratrice de la
mort ». Une autre lui a inventé un
amant, utilisant pour cela des ima-
ges de vidéosurveillance (en réa-
lité de simples rendez-vous avec
un journaliste), en théorie consul-
tables par la police seulement.
Maria Andreïeva préfère en rire,
mais elle a aussi la sensation de
découvrir un pays nouveau, qui
est pourtant le sien. « Je n’ai jamais
soutenu Poutine, mais quand on
m’expliquait, avant, que nous vi-
vions dans un pays totalitaire, je
haussais les épaules… » Quand
bien même la question des mobi-
lisés a totalement disparu de l’es-
pace public, le statut des épouses
leur évite pour l’instant la répli-
que la plus brutale, celle réservée à
tous ceux qui élèvent la voix
contre « l’opération spéciale ».
Alors le pouvoir se contente pour
l’heure de les intimider et cherche
à les isoler en écartant journalis-
tes et soutiens de la cause. Depuis
quelques jours, certaines font état
de filatures, de voitures station-
nées sous leurs fenêtres…
La pression passe aussi par les
hommes sur le front : plusieurs
avait publiquement demandé à
ses services, fin 2022, d’enquêter
sur le démontage, dans la ville
estonienne de Narva, d’un
char T-34 érigé en mémorial à
l’époque soviétique. Cette sup-
position a été corroborée par le
porte-parole du Kremlin, Dmitri
Peskov, interrogé lundi. « Ces
gens sont responsables de déci-
sions qui sont de facto une insulte
à l’histoire, ce sont des gens qui
mènent des actions hostiles con-
tre la mémoire historique, contre
notre pays », a-t-il déclaré.
Parmi les étrangers recherchés
par Moscou, les Ukrainiens for-
ment le contingent le plus im-
portant (176 personnes), princi-
palement des militaires engagés
depuis 2014 dans des opérations
militaires contre les forces rus-
ses et leurs alliés dans le Don-
d’entre eux ont reçu le message
que si leur épouse ne se taisait pas,
ils seraient envoyés dans les grou-
pes d’assaut, là où l’espérance de
vie est minimale. Le mari de Maria
Andreïeva, Ivan, a échappé à ces
pressions. Masseur dans le civil,
il a été enrôlé comme infirmier,
en octobre 2022. Il est parti sans se
poser de questions – il avait même
hésité à s’engager comme volon-
taire. Depuis, il a pu constater
l’état de décrépitude de l’armée,
qui l’oblige à financer de sa poche
certains produits nécessaires aux
soins. Son épouse s’en veut de ne
« pas avoir su le retenir » ; elle se
rassure en se disant que dans sa
fonction, il n’a pas à tuer.
La « peur d’avoir un garçon »
Maria choisit ses mots avec soin
pour dire les sentiments que lui
inspire ce conflit, qu’elle qualifie
« d’extermination du peuple ukrai-
nien comme du peuple russe ».
Mais c’est à leurs hommes que les
« femmes de mobilisés » pensent
en premier lieu. Ce 3 février, l’appel
à se retrouver devant la flamme du
soldat inconnu mentionnait
« 500 jours d’enfer », depuis le dé-
but de cette mobilisation sans fin
programmée – et non depuis le dé-
but de la guerre. « On est obligées
de louvoyer, il y a assez d’exemples
parlants autour de nous », expli-
que Maria Andreïeva, citant celui
d’Alexandra Skotchilenko, con-
bass. Parmi eux figure Valeri Za-
loujny, ex-commandant en chef
de l’armée ukrainienne. On
trouve aussi des journalistes, des
responsables politiques, ou des
profils plus inattendus,
comme le fermier ukrainien
Alexandre Porovozniok, auteur
d’une vidéo adressée au prési-
dent Zelensky, lui enjoignant de
« niquer » les Russes.
Sources ouvertes douteuses
Trois cent quatre-vingt-seize
étrangers non ukrainiens sont
recherchés en tant que membres
des forces armées de Kiev
(cent Géorgiens, 93 Britanni-
ques, cinq Français…), mais les
données utilisées pour établir
ces listes semblent provenir de
sources ouvertes douteuses.
Autres profils visés, l’Américain
« Je vous suggère
de fermer vos
charmantes
bouches »,
a rétorqué
un gouverneur
aux épouses
de mobilisés
damnée à sept ans de prison pour
avoir remplacé des étiquettes de
prix dans un supermarché par des
messages contre l’invasion de
l’Ukraine. La mère de famille pré-
cise toutefois que certaines fem-
mes, tout en réclamant le retour
des mobilisés, approuvent totale-
ment « l’opération spéciale ». Elle
s’étonne seulement : « Ils n’arri-
vent pas à ramener nos hommes
mais recrutent pour l’Afrique… »
La peur – ou le soutien au dis-
cours des autorités – n’explique
pas à elle seule la mobilisation re-
lativement faible, selon Maria An-
dreïeva. Il y a les soldes des com-
battants, bien au-dessus des salai-
res des hommes dans le civil, sur-
tout en province ; et une
résignation devant l’Etat tout-
puissant face à l’individu. « Beau-
coup préfèrent attendre un miracle
plutôt que d’être responsables de
leur propre vie, ou de se battre pour
Andy Stone, porte-parole de Fa-
cebook accusé de soutien au ter-
rorisme, ou le Polonais Piotr
Hofmanski, juge à la Cour pénale
internationale de La Haye, qui a
émis un mandat d’arrêt contre
Vladimir Poutine pour sa res-
ponsabilité présumée dans la
déportation en Russie d’enfants
ukrainiens.
Cette apparition récente d’un
grand nombre d’étrangers dans
les listes de personnes recher-
chées par Moscou fait écho à la
forte tendance qu’ont les autori-
tés russes à judiciariser le moin-
dre événement – fait divers ou
événement historique passé. En
avril 2020, sur fond de dégrada-
tion des relations avec Helsinki,
le Comité d’enquête avait par
exemple ouvert soudainement
une enquête pour un « géno-
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
leurs droits », constate la médecin.
Elle-même, à force d’être consul-
tée par d’autres femmes, et de re-
cevoir des messages d’encourage-
ment en provenance du front, dit
ressentir cette responsabilité
« pour toutes les autres ». Certains
des soldats qui lui écrivent ont
reçu, au moment d’être incorpo-
rés, la promesse qu’ils ne seraient
pas absents plus de six mois et ne
participeraient pas aux combats.
Les seuls moments où elle se per-
met d’oublier quelques instants
son combat à elle, ce sont les per-
missions d’Ivan – quatorze jours
tous les six mois. Après des débuts
chaotiques, le commandement
s’attache à garantir ce rythme :
c’est même le seul point sur lequel
le pouvoir peut tenter de satisfaire
les revendications des femmes de
mobilisés. « C’est dur pour ma fille,
dit Maria. A chaque fois, elle com-
mence à peine à se réhabituer à la
présence de son papa, à redevenir
joyeuse, et il disparaît à nouveau.
Elle a presque cessé de parler. »
La jeune femme si vivante, qui
décrit un mari exemplaire, a une
phrase terrible sur l’avenir : « J’ai
peur d’avoir d’autres enfants, et
surtout un garçon. Tant que mon
pays fait la guerre, c’est même une
position de principe. Je ne veux pas
porter un enfant pour que finale-
ment on me l’arrache et qu’on
l’envoie mourir à la guerre. » p
benoît vitkine
cide » supposément commis par
la Finlande pendant la seconde
guerre mondiale. Cette annonce,
qui avait été jusqu’à évoquer
l’utilisation de chambres à gaz,
n’a eu aucune suite.
Pour Kaja Kallas, cette initiative
russe « prouve que le soutien de
l’Union européenne à l’Ukraine
fonctionne et fait mal à la Russie ».
Dans sa réponse, publiée sur le
réseau social X, elle rappelle sur-
tout un précédent familial, la dé-
portation en Sibérie, en 1940,
d’une partie de sa famille. « La
Russie a toujours masqué ses poli-
tiques répressives derrière une
apparence de légalité, écrit-elle.
Quand ma mère [âgée alors de
6 mois] et ma grand-mère ont été
emmenées, le KGB avait aussi
émis un ordre d’arrestation. » p
b. vi.
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Sécheresse à Barcelone : un réveil brutal
La Catalogne, qui a longtemps voulu épargner les secteurs économiques, se prépare maintenant au pire
REPORTAGE
barcelone - envoyée spéciale
D
e loin, l’illusion fonc-
tionne bien et fait l’ef-
fet d’une pelouse as-
sez dense. De près, les
traces de peinture verte aux pieds
des palmiers et des oliviers ne
trompent pas. A Barcelone, l’hôtel
cinq étoiles Torre Melina Gran
Melia a trouvé la parade à l’inter-
diction d’arroser le gazon dictée
par le gouvernement catalan
pour affronter la sécheresse, qui
sévit depuis trois ans dans la ré-
gion : peindre en vert les touffes
d’herbe sèche, jaunies par le so-
leil, qui ont recouvert ses jardins.
« Auparavant, il y avait des asper-
seurs d’eau en continu, explique
Ramon Vidal, directeur de cet éta-
blissement de luxe de 391 cham-
bres, qui vient d’ouvrir ses portes
après quatre ans de travaux de ré-
novation. La peinture, biodégra-
dable et durable trois mois, est une
idée du jardinier. »
Si elle peut sembler surprenante,
l’idée n’a pas grand-chose à envier
à celle qu’ont annoncée conjointe-
ment, lundi 5 février, la ministre
espagnole de la transition écologi-
que, Teresa Ribera, et le ministre
régional catalan de l’environne-
ment et de l’agriculture, David
Mascort. S’il ne pleut pas d’ici au
mois de juin, deux cargos feront
des allers-retours quotidiens entre
l’usine de dessalement d’eau de
mer du port de Sagonte, dans la ré-
gion de Valence, sous-utilisée, et le
port de Barcelone, aménagé en
prévision. De quoi fournir
40 000 mètres cubes d’eau pota-
ble par jour, l’équivalent de 14 % de
la consommation moyenne de la
capitale catalane et de 3 % de l’ag-
glomération barcelonaise.
« Ce n’est pas en soi une solution à
la sécheresse, mais une réponse
ponctuelle pour des équipements
stratégiques qui pourraient se trou-
ver en situation d’urgence », a pré-
cisé M. Mascort, faisant notam-
ment référence aux centres hospi-
taliers. Loin de rassurer les Barce-
lonais, ces mesures les ont plutôt
inquiétés. Jusqu’alors, la possibi-
lité que l’eau puisse réellement ve-
nir à manquer dans la ville restait
de l’ordre de l’impensable.
Etat d’urgence
Assise sur la plage où, comme de
nombreux touristes et habitants
ravis, elle profite des effets de l’an-
ticyclone persistant qui a apporté
depuis janvier des températures
record, Jenny est tombée des nues
lorsque l’état d’urgence pour sé-
cheresse a été annoncé, le 1er fé-
vrier, accompagné de restrictions
à la consommation d’eau. « Je ne
pensais pas que c’était si grave »,
reconnaît cette Italienne de
48 ans, employée dans une
start-up et installée depuis vingt-
quatre ans à Barcelone.
Cela fait plus de trois ans qu’il ne
pleut pas ou trop peu en Catalo-
gne. Depuis l’automne 2020, le
déficit de pluie accumulé a dé-
passé les 500 millimètres, soit
l’équivalent d’une année de préci-
pitations sur Barcelone. « La si-
tuation est catastrophique, ré-
sume Sarai Sarroca, directrice du
Service météorologique de Cata-
logne. Jamais auparavant nous
n’avions connu une sécheresse
aussi longue et étendue sur le terri-
toire. Mais le plus inquiétant est
l’augmentation des températures.
Sans parler du manque de neige
dans les Pyrénées, d’ordinaire une
L’eau rationnée à Malaga, en Andalousie
Vendredi 9 février, le gouvernement andalou a soumis Malaga, la
Costa del Sol occidentale et la région agricole de l’Axarquia à des
restrictions globales de consommation d’eau plus sévères encore
que la Catalogne (160 litres par personne et par jour) qui vont se
traduire par une baisse de pression dans les canalisations.
La région souffre depuis cinq ans d’une sévère sécheresse qui
s’est aggravée après un automne très sec. Le gouvernement local
prévoit de faire venir des bateaux-citernes de Murcie cet été, en
attendant la construction de nouvelles usines de dessalement.
Deux cargos
pourraient
amener de l’eau
quotidiennement
depuis le port de
Sagunto, dans la
région de Valence
réserve pour les mois chauds. » Les
prévisions pour le printemps
n’incitent guère à l’optimisme :
« Je suis très inquiète, reconnaît la
météorologue. Et plus encore que
par le changement climatique en
soi, par le fait que nous manquons
de mécanismes d’adaptation :
nous devons mieux pronostiquer,
réagir et alerter la population. »
Sur le papier, la région a com-
mencé à limiter l’eau il y a deux
ans, progressivement. Dans les
faits, les agriculteurs ont conti-
nué de pomper dans leurs puits
jusqu’à ce qu’ils soient à sec. Les
hôtels ont encore pu remplir
leurs piscines en 2023 pour les
quelque 16 millions de touristes
accueillis dans la région (plus du
double de la population locale).
Seule une trentaine de commu-
nes rurales, soumises à des cou-
pures d’eau nocturnes ou appro-
visionnées par camions-citernes,
ont jusqu’alors subi les consé-
quences de la sécheresse.
A Barcelone, certes, les pelouses
sont sèches depuis que la mairie a
interdit il y a un an l’arrosage des
jardins, à l’exception du mini-
mum nécessaire à la survie des ar-
bres. L’eau des grandes fontaines
ornementales a été coupée et les
douches de la plage sont fermées
depuis l’été 2023. Cependant, la
sécheresse y a été moins visible
que dans les campagnes.
« On s’inquiétera quand il n’y
aura plus d’eau », lance Gael
Herman, danseur et acrobate de
42 ans, dans le gymnase en plein
air de la plage de la Barceloneta.
« J’ai des problèmes plus graves,
comme le fait que mon loyer repré-
sente 60 % de mon salaire », recon-
naît Victor Rufart, architecte de
26 ans. Jenny, elle, essaie de faire
des efforts : passer moins de
temps sous la douche, réduire le
nombre de machines à laver…
Mais elle relativise. « De toute fa-
çon, je ne bois que de l’eau en
bouteille », dit-elle. Dans l’agglo-
mération, l’eau du robinet, prove-
nant notamment des usines de
dessalement, est réputée pour
son mauvais goût. Près de 60 % de
l’eau bue est embouteillée.
Pour ménager l’économie, la
Généralité de Catalogne (gouver-
nement régional) a tout fait pour
éviter un rationnement strict, au
risque de minimiser le problème.
Le 2 février, elle s’est finalement
résolue à activer la phase d’« ur-
gence sécheresse » dans 202 mu-
nicipalités regroupant près de six
millions d’habitants. Le détona-
teur ? Sur le bassin-versant du
Ter-Llobregat, dont dépendent
l’agglomération de Barcelone et
une partie de celle de Gérone, les
réserves d’eau sont descendues
sous la barre des 100 millions de
mètres cubes (16 % de leur capa-
cité). Un niveau critique.
L’agriculture, qui représente
35 % des dépenses en eau, doit à
présent réduire sa consomma-
tion hydrique de 80 %, et l’indus-
trie (20 %) de 25 %. Tout comme
les activités récréatives. Plus gé-
néralement, les communes sont
sommées de limiter les dépenses
en eau à une moyenne de 200 li-
tres par habitant et par jour.
Les amendes en cas d’infraction
peuvent aller jusqu’à 3 000 euros.
Dans les clubs de sport et les gym-
nases, l’utilisation des douches
est restreinte. « Etant donné l’ac-
tuelle situation d’urgence (…), les
douches ne pourront pas être utili-
sées après les entraînements. Elles
pourront l’être après les matchs de
la fédération (avec une réduction
de 25 % par vestiaire) », a prévenu,
le 1er février, l’entreprise de ges-
tion du terrain de football muni-
cipal La Satalia, dans le quartier de
Poble Sec. En échange, sa pelouse
peut être arrosée.
Au bord du fleuve Llobregat,
maigre et marron, deux golfeurs
s’entraînent quant à eux sur une
terre pelée. « C’est un terrain rusti-
que, ironise Manuel Gil, retraité de
62 ans. Il y a cinq ans, ici, c’était
complètement inondé, mais il ne
pleut plus. C’est devenu un désert. »
Malgré les protestations des éco-
logistes, le débit minimum biolo-
gique des rivières, le niveau consi-
déré officiellement comme néces-
saire pour maintenir la faune et la
flore ainsi qu’une qualité de l’eau
minimale, a été réduit de près de
90 % ces trois dernières années.
Non loin, le canal d’irrigation de
la Dreta était auparavant nourri
par un affluent du Llobregat. Il
transporte depuis décembre 2022
l’eau de la station d’épuration et
de régénération des eaux usées
du Prat de Llobregat dans les
champs du parc agraire du Baix
Llobregat, qui produit des fruits et
légumes de proximité. « C’est une
eau plus saline, et certaines cultu-
res en souffrent, comme les toma-
tes ou les abricotiers », souligne
Helena Perxacs, gérante du parc.
Or cette eau sera à présent réser-
vée à la consommation humaine.
La mairie de Barcelone a, quant à
elle, décidé de consacrer 14 mil-
lions d’euros à des travaux pour
augmenter le captage des eaux
souterraines, non potables, utili-
sées pour le nettoyage des rues et
l’arrosage des arbres.
Tout est bon pour gagner du
temps, pour essayer de tenir jus-
qu’à ce que deux nouvelles usines
de dessalement, d’une capacité
totale de 80 millions de mètres
cubes annuels et d’un coût de plus
de 450 millions d’euros, entrent
en fonctionnement. Associées à
celles existantes, elles doivent
permettre de réduire la dépen-
dance à l’eau de pluie. Problème :
leur mise en fonctionnement
n’est pas prévue avant 2028.
« La planification stratégique a
failli, mais le gouvernement
régional rend les communes res-
ponsables, accuse Eduard Rivas,
planète | 7
Sur la plage de la Barceloneta, les douches ont été coupées.
Dans le golf qui longe le delta du Llobregat, l’herbe est
en piteux état. Helena Perxacs gère, elle, le parc agraire
du Baix Llobregat. HANNAH CAUHÉPÉ POUR « LE MONDE »
président de la Fédération des
municipalités de Catalogne. Cela
fait seize ans, depuis la dernière
sécheresse, que la Généralité n’a
pas investi dans le réseau. A Du-
baï, en Israël, il y a bien de l’eau… »
Maire de la ville de 23 000 habi-
tants d’Esparreguera, au nord de
Barcelone, c’est à lui qu’il revient
d’appliquer les restrictions dans
sa commune. Il a réduit la pres-
sion dans les canalisations de ses
administrés durant la nuit. Mais
il ne cache pas ses craintes pour
l’été, quand « la population
doublera », rappelant que les
piscines municipales sont d’in-
dispensables « refuges clima-
tiques ». Si la consommation
dépasse le seuil fixé par la
Généralité, d’importantes amen-
des sont prévues.
Millions de litres d’eau gaspillés
Depuis l’automne, une centaine
de communes ont déjà été sanc-
tionnées par l’Agence catalane de
l’eau, comme à Begur, où la
consommation avoisine les
500 litres par habitant et par jour,
du fait de la consommation de ré-
sidents fortunés, arrosant en per-
manence jardins et bassins. A
Badalona ou à Cabrera d’Anoia,
des fuites dans les canalisations
ont causé le gaspillage de millions
de litres. « Avec 76 % du réseau
privatisé, les villes n’ont souvent
pas exercé de contrôle sérieux des
entreprises de distribution de l’eau
pour qu’elles réparent les fuites »,
souligne Dante Maschio, porte-
parole de la plate-forme L’eau c’est
la vie et membre d’Ingénieurs
sans frontières.
Dans la rue, la colère monte
contre l’administration régio-
nale. D’autant qu’en 2008, la Cata-
logne a déjà été confrontée à une
grave sécheresse, qui l’avait con-
trainte à faire venir un bateau-ci-
terne depuis Marseille et à mettre
en fonctionnement des usines de
dessalement. A présent, le gou-
vernement catalan se voit repro-
ché par certains secteurs écono-
miques de ne pas avoir construit
davantage d’infrastructures, et
par les écologistes de ne pas avoir
freiné la croissance du tourisme
ou de l’agro-industrie. « La Géné-
ralité a donné de l’eau à tous ceux
qui en ont demandé sans s’enqué-
rir de combien [de ressource en
eau] elle disposait, dénonce
M. Maschio. Nous demandons un
Les piscines
municipales sont
d’indispensables
« refuges
climatiques »,
insiste Eduard
Rivas, maire
d’Esparreguera
débat, public, serein et participatif
sur le modèle économique que
nous voulons. »
Déjà prompts à critiquer le tou-
risme de masse, de nombreux
Barcelonais digèrent mal l’ab-
sence de restrictions spécifiques
au secteur, à l’exception de l’inter-
diction pour les bateaux de croi-
sière de remplir leurs cuves d’eau
sur le port, sauf cas exceptionnel.
Les touristes ignorent d’ailleurs
souvent la situation. Les campa-
gnes de sensibilisation sont diffu-
sées sur Internet, essentiellement
par des médias locaux. Dans la
ville, les hôtels ou le métro, elles
sont rares. Et sur la plage, le stic-
ker collé sur les douches alertant
d’un « épisode de sécheresse »
n’est rédigé qu’en catalan.
« Nous sommes inquiets du ris-
que que se propagent des messa-
ges alarmistes et que les touristes
pensent qu’ils ne pourront ni se
baigner, ni se doucher », affirme
M. Vidal, qui entend bien remplir
les deux piscines de son hôtel.
Pour contourner les limitations,
le secteur cherche des parades in-
ventives. La Fédération des cam-
pings de Catalogne a ainsi pro-
posé de remplir les piscines d’eau
de mer. « Barcelone aura de l’eau.
C’est un moteur économique du
sud de l’Europe, une capitale tou-
ristique. Le contraire est incon-
cevable », tranche Mateu Hernan-
dez, directeur du consortium
Tourisme de Barcelone, qui re-
groupe la mairie et la chambre de
commerce et d’industrie. En août,
la capitale catalane accueillera la
Coupe de l’America, une compéti-
tion nautique internationale très
attendue. Elle ne veut pas gâcher
la fête. Lundi 12 février, le maire de
Barcelone, Jaume Collboni, de vi-
site au monastère de Pedralbes, a
demandé aux religieuses qu’elles
prient pour qu’il pleuve… p
sandrine morel
8|
FRANCE
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024

A l’Assemblée, Borne retrouve un camp divisé

L’ex-première ministre retrouve son siège de députée dans une période compliquée pour la majorité

Q
uand Elisabeth Borne
pénètre dans l’en-
ceinte de l’Hémicy-
cle, mardi 13 février,
la séance de ques-
tions au gouvernement est sur le
point de débuter par une minute
de silence en hommage à l’ancien
garde des sceaux Robert Badinter,
qui s’est éteint cinq jours plus tôt.
L’ancienne première ministre se
fraye un chemin au milieu des
rangées de fauteuils pourpres de
l’Assemblée nationale. Les oppo-
sitions relèvent à peine la pré-
sence de celle qui a eu recours,
lors de ses dix-neuf mois passés à
Matignon, plus d’une vingtaine
de fois à l’article 49.3 de la Consti-
tution pour faire adopter des tex-
tes sans vote. Mais certains ne
passent pas l’éponge. « En tant que
parlementaire, elle va enfin décou-
vrir ce que c’est que d’être méprisé
et martyrisé par un gouvernement
qui ne sait gouverner qu’à coups de
49.3 », cingle son voisin de cir-
conscription, le député socialiste
du Calvados Arthur Delaporte.
Fini donc le banc des ministres.
Avec sa nouvelle place dans l’Hé-
micycle – siège numéro 255 –, Elisa-
beth Borne tourne la page sur son
passé de cheffe du gouvernement
du second quinquennat d’Emma-
nuel Macron. Désormais, l’an-
cienne locataire de Matignon oc-
cupe la fonction de députée dans
la 6e circonscription du Calvados.
Quelques sièges plus loin, Olivier
Dussopt a, lui aussi, pris place dans
l’enceinte après avoir multiplié les
accolades avec les députés et les
ministres du gouvernement de L’ancienne première ministre Elisabeth Borne, désormais députée du Calvados, à l’Assemblée nationale, le 13 février. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Gabriel Attal. Au bout d’une heure,
l’ancien ministre du travail lâche à
Elisabeth Borne : « C’est aussi été ovationnée par la petite cen- ont été remplacées par des profils comme à la direction du groupe exécutif vis-à-vis du RN, le pre-
chiant deux rangs au-dessus que taine d’élus présents. Ces derniè- issus de la droite. Renaissance. Ce vote symbolise la
Sylvain Maillard, mier ministre a invoqué le « res-
deux rangs en dessous. » Pour res semaines, le président du Fait révélateur du malaise am- fracture idéologique et territoriale chef des députés pect dû aux membres du Parle-
tromper l’ennui, l’ancien porte-pa- groupe Renaissance, Sylvain biant : les députés Renaissance ont qui traverse désormais la majorité. ment » avant d’accuser la gauche
role du gouvernement Olivier Vé- Maillard, s’épanchait sur le retour élu, lundi, deux personnalités aux Devant ses collègues, Sylvain
Renaissance, d’être elle-même le « marche-
ran, lui, se balade de siège en siège de ces anciennes « vedettes » du sensibilités diamétralement op- Maillard s’est inquiété de la résur- s’inquiète de pied » de l’extrême droite, sous les
et multiplie les discussions avec gouvernement, craignant une posées à la présidence de la com- gence du clivage gauche-droite au acclamations de son camp.
ses collègues députés. gestion encore plus difficile de mission des affaires économiques sein de son groupe et de l’affaisse-
la résurgence du Depuis sa nouvelle place dans
Une dizaine d’anciens ministres son groupe, polarisé après l’adop- – Stéphane Travert, ancien minis- ment de la logique de « dépasse- clivage gauche- l’Hémicycle, Mme Borne a attenti-
ont fait officiellement leur retour tion de la loi « immigration ». tre de l’agriculture, venu du Parti ment ». Chez Renaissance, une vement écouté son successeur,
mardi sur les bancs du groupe Re- socialiste – et à la questure – Bri- partie des élus continuent de reje-
droite au sein sans jamais l’applaudir. Sa doc-
naissance. L’ex-ministre délégué Fracture idéologique gitte Klinkert, ex-élue du parti Les ter ces deux étiquettes, estimant de son groupe trine, celle de l’« arc républicain »,
aux transports Clément Beaune Faut-il rappeler que 37 de ses dépu- Républicains et ancienne ministre défendre « les valeurs de la campa- excluait en principe le RN et La
(Paris), l’ex-ministre délégué tés ont voté contre ou se sont abs- de l’insertion professionnelle –, gne de 2017 » contre le risque d’un France insoumise de tout accord
chargé du commerce extérieur tenus sur le projet de loi amendé deux postes stratégiques laissés déséquilibre vers la droite et de présidente du groupe Renais- parlementaire. Certains députés
Olivier Becht (Haut-Rhin) ou en- par la droite et, in fine, voté avec les vacants après la nomination au victoire idéologique de l’extrême sance, Nadia Hai. nourrissent l’espoir que
core l’ex-ministre chargée de voix de l’extrême droite ? gouvernement des députés droite. « Ce débat dépasse l’entre- Les récentes déclarations de Ga- Mme Borne et ses anciens collègues
l’égalité entre les femmes et les L’épreuve a laissé des séquelles en- Guillaume Kasbarian et Marie soi parlementaire. Dans nos cir- briel Attal, assumant d’accepter ministres parviennent à incarner
hommes Bérangère Couillard (Gi- tre l’aile gauche du groupe ulcérée Guévenoux, au logement et à conscriptions, on nous interpelle : les voix du Rassemblement na- un courant progressiste en perte
ronde)… Voilà plusieurs jours que de devoir voter un texte droitisé et l’outre-mer. Lors de ce scrutin, “Qu’est-ce que vous êtes en train de tional (RN) pour faire adopter des de vitesse au sein du camp prési-
la direction du groupe Renais- l’aile droite déterminée à faire tous les candidats franciliens ont faire ? Attention, vous déviez.” Et ce textes, ont décontenancé les élus dentiel. Mais pour l’instant, aucun
sance orchestre le retour de ces adopter un texte ferme. Le rema- été écartés par une large partie de sont des gens de la société civile qui du camp présidentiel. Interpellé d’entre eux ne souhaite endosser
anciennes figures de l’exécutif.. niement n’a fait qu’amplifier ces leurs collègues, ces derniers esti- nous le disent : “vous êtes en train mardi par la présidente du groupe la responsabilité d’une balkanisa-
Mardi matin, en réunion de antagonismes alors que des per- mant qu’ils étaient surreprésentés de filer les clés de la Ve République écologiste, Cyrielle Chatelain, sur tion de la majorité relative. p
groupe Renaissance, Mme Borne a sonnalités étiquetées de gauche au sein du gouvernement Attal à Marine Le Pen” », tranche la vice- la volte-face opérée par le couple mariama darame

Malaise dans la majorité sur l’abrogation du droit du sol à Mayotte

Les premières voix s’élèvent pour indiquer qu’elles refuseront de voter le texte au cas où le travail parlementaire irait à son terme

I ls étaient 49 députés de la
majorité à voter contre ou à
s’abstenir lors du vote de la loi
sur l’immigration du 19 décem-
bre 2023. Combien seront-ils à
s’opposer à l’abrogation du droit
du sol à Mayotte, si le gouverne-
ment arrivait à mener à bien son
projet ? Dimanche 11 février, en
marge d’un voyage dans l’archi-
pel, le ministre de l’intérieur, Gé-
rald Darmanin, annonçait « l’ins-
cription de la fin du droit du sol »
dans le département d’outre-mer
« avant la fin de l’été » par la voie
d’une révision de la Constitution.
Déjà, les premières voix s’élèvent
au sein de la majorité pour indi-
quer qu’elles refuseront de voter le
texte au cas où le travail parlemen-
taire irait à son terme. « Nous de-
vons rester très fermes sur la ques-
tion du droit du sol et ne pas rajou-
ter une exception pour Mayotte,
qui en compte déjà beaucoup », ex-
plique ainsi la députée du Maine-
et-Loire Stella Dupont, apparentée
Renaissance, pour qui la loi Col-
lomb de 2018 est « déjà suffisam-
ment contraignante et adaptée à la
situation de l’île ». Celle-ci stipule
qu’un enfant né dans l’archipel de-
vra justifier au moment de sa de-
mande de nationalité – c’est-à-dire
à sa majorité ou à partir de ses
13 ans par déclaration anticipée –
qu’un de ses parents était en situa-
tion régulière depuis au moins
trois mois avant sa naissance.
La prise de position de Mme Du-
pont n’est pas une surprise, celle-ci
ayant été l’une des animatrices de
la contestation en interne de la loi
sur l’immigration, avec sa forma-
tion En commun !, qui compte
trois autres députées et revendi-
que un positionnement « de gau-
che » au sein de la majorité. Mais le
socle de récalcitrants pourrait être
plus large qu’en décembre 2023.
« Je me questionne », répond le pré-
sident du groupe Horizons, Lau-
rent Marcangeli, interrogé sur son
éventuel vote d’une abrogation du
droit du sol à Mayotte.
En décembre, ce relais
d’Edouard Philippe à l’Assemblée
nationale avait pourtant voté le
texte issu de la commission mixte
paritaire introduisant une « préfé-
rence nationale » pour certaines
prestations sociales. Cette fois, le
député de Corse-du-Sud craint
« un effet de contagion ». « On voit
très bien où veut en venir la droite
dure et l’extrême droite en deman-
dant la généralisation de la me-
sure sur l’ensemble du territoire,
explique-t-il. Une loi constitution-
nelle, c’est le cœur du réacteur,
vous pourrez vous en servir à l’ave-
nir pour créer de nouveaux articles.
Il faut avoir conscience des consé-
quences que cela peut avoir. »
Une inquiétude renforcée par le
chemin législatif que prendrait
une révision constitutionnelle.
D’abord, le vote à l’Assemblée et
au Sénat d’un texte identique à la
virgule près, puis son approbation
aux trois cinquièmes par les parle-
mentaires réunis en congrès. En
situation de majorité relative, les
macronistes seront obligés de
chercher des alliés à leur droite.
« Le flirt est engagé »
« La crainte, c’est la surenchère
pour trouver une majorité, car on
sait très bien que cela se finira chez
Les Républicains ou au Rassemble-
ment national », résume Aude
Luquet, députée MoDem de
Seine-et-Marne. Si son président,
François Bayrou, a jugé dimanche
soir sur LCI que l’abrogation du
droit du sol à Mayotte – qu’il
proposait déjà pendant la prési-
dentielle de 2007 sous les cou-
leurs de l’Union pour la démocra-
tie française – était « inéluctable »,
le groupe parlementaire centriste
n’a toujours pas arrêté sa position,
laissant entrevoir le spectre des
dissensions, déjà apparues lors du
débat sur la loi « immigration ».
La méthode employée vient
alourdir le malaise : les députés de
la majorité les plus sceptiques
ayant une nouvelle fois le senti-
ment d’être mis devant le fait ac-
compli. Quant à la stratégie visant
à concurrencer Marine Le Pen sur
ces thèmes, elle suscite l’irritation
de macronistes historiques. « Ce
n’est pas encore le mariage avec la
droite que certains souhaiteraient,
y compris dans nos rangs, déplore
le député Renaissance de Paris et
ancien président du groupe Gilles
Le Gendre. Mais le flirt est engagé. »
« Tactiquement, cela n’est pas
simple au sein de la majorité, où il
y a une fracture, concède le
député Renaissance du Val-d’Oise
Guillaume Vuilletet. Mais la situa-
tion à Mayotte n’attend pas. Sur
place, personne ne s’oppose à ce
projet de mettre fin au droit du sol.
L’intérêt général doit primer. »
Avançant un souci d’équilibre,
M. Vuilletet, également président
de la commission des lois,
rappelle que cette abrogation sera
accompagnée de la fin des visas
territorialisés, afin de faciliter le
départ vers la métropole des
étrangers disposant d’un titre de
séjour valide – l’attribution de ce-
lui-ci sera réduite de 90 %. Un pro-
jet de loi sur le développement du
département devrait voir le jour.
Les oppositions, elles, s’engouf-
frent dans la brèche. S’adressant
au premier ministre, Gabriel
Attal, mardi 13 février, lors des
questions au gouvernement, la
présidente du groupe écologiste,
Cyrielle Chatelain, s’est offusquée
de « lois qui reprennent le
programme de “Jean-Marine” Le
Pen ». Marine Le Pen s’est, elle,
« félicitée » de la fin du droit du sol
à Mayotte et a aussitôt réclamé de
« l’étendre à la France entière ». p
robin d’angelo
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Avec le RIP, LR ne veut pas en finir
avec le sujet de l’immigration
Malgré un résultat final plus qu’incertain, la droite engage
un référendum d’initiative partagée sur son thème de prédilection
L
e compteur indique
moins de 27 000 signatu-
res et ne tourne plus vrai-
ment. « Vous en avez assez
de l’immigration incontrôlée ? »,
interroge le parti Les Républicains
(LR) sur son site Internet, depuis
le 31 octobre 2023. La réponse (po-
sitive) des Français ne faisait
aucun doute pour Eric Ciotti, mais
l’initiative est passée sous les ra-
dars. Trois mois plus tard, le prési-
dent de LR propose un référen-
dum d’initiative partagée (RIP)
pour reprendre une partie des
mesures censurées par le Conseil
constitutionnel, le 25 janvier, sur
la loi relative à l’immigration.
En privé, certains élus s’étran-
glent. Comment obtenir les
4,8 millions de signatures néces-
saires (10 % du corps électoral)
quand à peine un tiers des adhé-
rents a signé la pétition ? Un ra-
pide calcul montre l’audace de la
démarche. Plusieurs députés re-
grettent d’avoir pris connaissance
de l’initiative par un « urgent » du
Figaro, tombé dans la soirée du
12 février, en même temps que
l’e-mail groupé avec le texte de
13 pages intitulé « Proposition de
loi réformant l’accès aux presta-
tions sociales des étrangers ».
Si Les Républicains souhaitent
faire de ce RIP une séquence poli-
tique, il s’agit pour eux d’une pre-
mière étape. Eric Ciotti ne cesse
de le répéter : une révision consti-
tutionnelle reste « indispensable
(…) pour permettre à la France de
retrouver la maîtrise de son des-
tin ». Cette obstination sur ce su-
jet donne l’impression d’un parti
qui tourne en boucle sur l’immi-
gration, au moment même où la
droite cherche aussi à exister sur
Taux de chômage : la promesse du
plein-emploi s’éloigne, sauf pour les seniors
L’objectif de Macron d’arriver à un taux de chômage à 5 % en 2027 disparaît des discours
L a promesse du plein-em-
ploi devient de plus en plus
hypothétique, sauf – peut-
être – pour une tranche d’âge : les
seniors. Au dernier trimestre
2023, le nombre de chômeurs, au
sens du Bureau international du
travail, a augmenté de 29 000 par
rapport aux trois mois précé-
dents, se situant à 2,33 millions,
selon une note diffusée, mardi
13 février, par l’Insee. Sur l’ensem-
ble du territoire (outre-mer
compris, sauf Mayotte), le taux de
chômage s’établit désormais à
7,5 % de la population active, soit
0,4 point de plus comparé à la fin
2022. Cette dégradation est
cependant assortie d’une bonne
nouvelle : la part des personnes
exerçant une activité – notam-
ment celles qui sont en fin de
carrière – se redresse un peu
(+ 0,1 point, à 58,8 % chez les sala-
riés de 55 à 64 ans).
Les données rendues publiques
mardi sont en phase avec une con-
joncture économique qui s’en-
gourdit petit à petit. Au quatrième
trimestre 2023, la croissance a été
complètement atone, si bien que
la machine à créer des emplois a
patiné. Le nombre de postes dans
le secteur privé s’est même très
légèrement effrité durant cette
période : − 8 300 entre fin septem-
bre et fin décembre 2023, d’après
une estimation provisoire de
l’Insee. Sur un an, la tendance
reste cependant positive, avec des
effectifs qui s’accroissent de près
des thèmes comme le travail, le
logement ou l’agriculture.
Le résultat semble couru
d’avance : aucun RIP n’a abouti à
un référendum depuis son
inscription dans la Constitution,
en 2008. Dans un premier temps,
le projet doit réunir la signature de
185 parlementaires, a priori une
formalité pour la formation, qui
compte 133 sénateurs et 62 dépu-
tés. La haie suivante est plus
haute : passer le filtre du Conseil
constitutionnel. Dans l’entourage
du président de LR, on dit avoir
bon espoir de franchir cet obstacle
si les juges constitutionnels se
prononcent « en droit et pas en po-
litique », et de vanter un texte « très
solide juridiquement », écrit à qua-
tre mains par Emmanuelle Mi-
gnon (chargée du projet au sein du
parti et ancienne directrice de ca-
binet de Nicolas Sarkozy à l’Elysée)
et par l’ex-député LR de l’Yonne
Guillaume Larrivé, devenu
conseiller influent d’Eric Ciotti.
La démarche interroge
Les Républicains sont persuadés
que leur proposition de loi (com-
posée de cinq articles) entre bien
dans le domaine référendaire, et
relève, selon eux, « de la politique
sociale de la nation au sens du pre-
mier alinéa de l’article 11 de la Cons-
titution ». Raison pour laquelle, ils
n’ont introduit dans leur texte ni
la déchéance de nationalité ni la
remise en cause du droit du sol,
car incompatibles avec les
champs de l’article 11. « C’est une
offensive à la fois juridique, politi-
que et démocratique, déclare au
Figaro Eric Ciotti. Pour la première
fois, les Français pourront être
consultés sur l’immigration. »
de 114 000, mais la progression est
trois fois moins dynamique
qu’en 2022 (+ 347 000).
Dans ce contexte, il n’est pas
étonnant de constater que le mot
d’ordre d’Emmanuel Macron sur
le plein-emploi, avec un taux de
chômage autour de 5 % en 2027,
soit de moins en moins clamé
dans les éléments de langage
gouvernementaux. Symbole de
ce quasi-renoncement inavoué :
la notion de plein-emploi, qui
évoque le dynamisme des
« trente glorieuses » – de la Libéra-
tion jusqu’au premier choc pétro-
lier de 1973-1974 –, a disparu de
l’intitulé des fonctions occupées
par la ministre du travail, Cathe-
rine Vautrin, alors qu’elle figurait
en toutes lettres dans celui de son
prédécesseur, Olivier Dussopt.
Ce changement d’affichage ne
signifie pas pour autant que l’exé-
cutif a abandonné toute ambi-
tion. Dans le cadre du « nouveau
pacte de la vie au travail » annoncé
par M. Macron à la mi-avril 2023,
La proportion
d’individus âgés
de 60 à 64 ans
et titulaires
d’un poste devra
s’élever à 65 % « à
l’horizon 2030 »
« Cela ne me
paraît pas
impossible
d’obtenir
4,8 millions
de signatures sur
des questions
aussi cruciales »
OLIVIER MARLEIX
chef de file des députés LR
Reste que la démarche interroge
en interne. Sous le couvert de
l’anonymat, des élus estiment que
leur parti n’a ni l’organisation, ni la
puissance de force militante pour
convaincre les Français d’apposer
en masse leur paraphe numéri-
que. En 2020, le seul RIP autorisé
par le Conseil constitutionnel,
contre la privatisation d’Aéroports
de Paris, avait retenu 1,1 million de
signatures au cours des neuf mois
de collecte. A l’époque, Olivier
Marleix avait soutenu cette
démarche. Aujourd’hui, le chef des
députés LR estime que l’immigra-
tion est un sujet plus mobilisateur.
« Cela ne me paraît pas impossible
d’obtenir 4,8 millions de signatures
sur des questions aussi cruciales
pour les Français que le contrôle
des flux migratoires ou la soutena-
bilité financière de l’ouverture des
droits sociaux pour les étrangers »,
a avancé l’élu d’Eure-et-Loir, mardi
13 février, à l’occasion de sa confé-
rence de presse hebdomadaire.
A ses côtés, Pierre-Henri
Dumont n’en perd pas un mot. Au
début de mai, le député du Pas-de-
le pouvoir en place veut parvenir
« au plein-emploi des seniors ». Un
objectif chiffré a même été
évoqué : la proportion d’individus
âgés de 60 à 64 ans et titulaires
d’un poste devra s’élever à 65 % « à
l’horizon 2030 », alors qu’elle
n’était que de 36,2 % en 2022.
« Très ambitieux »
Le projet paraît très osé, car il
implique d’accomplir un saut
quantitatif de près de 30 points en
moins d’une décennie. Pour
mémoire, le gain n’avait été que
de 13,3 points entre 2012 et 2022.
Mais plusieurs économistes
considèrent que les intentions de
l’exécutif n’ont rien de saugrenu.
« Ça ne me paraît pas irréaliste »,
commente Yannick L’Horty,
professeur à l’université Gustave-
Eiffel. L’évolution en cours est
déjà orientée à la hausse, expli-
que-t-il. S’y ajouteront deux
autres « effets » : celui des « dur-
cissements » des règles d’assu-
rance-chômage, décidés en 2019
et en 2022, et celui imputable à la
réforme des retraites, qui, en
décalant l’âge légal de départ de
62 à 64 ans, va conduire des mil-
lions de travailleurs à rester en
activité jusqu’à cette borne d’âge.
Gilbert Cette, professeur à
Neoma Business School, partage
l’avis de son collègue : un ratio de
65 % à l’horizon 2030 est, dit-il,
« très ambitieux, mais atteigna-
ble ». « La réforme des retraites y
aidera », avance-t-il, lui aussi. De
Calais et son ami et homologue du
Lot, Aurélien Pradié, proposaient
déjà un RIP sur la question de
l’immigration. L’idée est alors fraî-
chement accueillie. Le duo sent le
soufre depuis sa fronde lors de la
réforme des retraites. « A l’époque,
on n’a pas déposé de PPL [proposi-
tion de loi] vu l’accueil assez frais
réservé à notre proposition, ra-
conte M. Dumont. Mais on avance
sur le sujet, et c’est tant mieux. »
Aurélien Pradié le prend comme
une victoire morale, mais voit
dans cette initiative l’influence de
Guillaume Larrivé, avec lequel il
entretient des relations conflic-
tuelles. « Je ne conteste pas l’idée du
RIP, dit-il. Je pense que cela a du
sens, mais le timing aurait été
meilleur au moment où nous le pro-
posions en amont du vote de la loi
“immigration”. » L’ancien numéro
deux du parti déplore les attaques
d’Eric Ciotti ou du président de la
région Auvergne-Rhône-Alpes
Laurent Wauquiez contre le Con-
seil constitutionnel. Le premier a
dénoncé, le 26 janvier, un « hold-up
démocratique » à propos de la cen-
sure d’une partie de la loi relative à
l’immigration, quand le candidat
possible de LR à l’Elysée en 2027 a
évoqué un « coup d’Etat de droit »,
dans un entretien au Parisien.
Mais c’est bien à cette institution
remise en cause que la droite doit
demander de valider son
initiative. Et, une fois le feu vert
obtenu, ses chefs sont persuadés
que cette démarche aidera Fran-
çois-Xavier Bellamy dans sa
campagne pour les européennes
du 9 juin. A croire que LR veut
rejouer le match contre le gouver-
nement sur l’immigration. p
alexandre pedro
façon plus globale, il fait valoir
que « l’objectif d’une augmenta-
tion du taux d’emploi, en particu-
lier des seniors, est une nécessité si
l’on souhaite accroître le PIB et les
recettes fiscales, de façon à faire
face aux défis qui sont devant
nous » : financement de la transi-
tion climatique, désendettement
public, réponse aux attentes en
matière de pouvoir d’achat, etc.
Pour Eric Heyer, de l’Observa-
toire français des conjonctures
économiques (OFCE), le but du
« nouveau pacte de la vie au
travail » est « un peu optimiste »,
mais « il est sûr », enchaîne-t-il,
que la part des 60-64 ans en
emploi va progresser, avec le
report de l’âge d’ouverture des
droits à la retraite. « Le gouverne-
ment prend un risque limité en
mettant en avant ce ratio de 65 %,
analyse-t-il. Même s’il ne l’atteint
pas, il sait qu’il s’en rapprochera et
que l’évolution sera favorable. »
Ce n’est pas le cas, en revanche,
s’agissant de l’objectif de plein-
emploi, avec un taux de chômage
autour de 5 % en 2027. « Il est pres-
que certain qu’un tel résultat est
hors de portée, désormais, compte
tenu du ralentissement plus
marqué et plus durable que prévu
de la croissance, juge Eric Heyer.
Le pouvoir en place en a cons-
cience et il adapte son discours à
cette perspective, en se fixant un
nouveau cap, qui semble moins
inaccessible. » p
bertrand bissuel
Banni du gouvernement,
Beaune n’entend pas
diviser la majorité
Le ministre, limogé pour s’être opposé à la loi
sur l’immigration, est de retour à l’Assemblée
C e vendredi 9 février, au
ministère des transports,
l’aventure ministérielle
s’achève pour Clément Beaune,
au bord des larmes. « Partir en
ayant défendu ses convictions n’est
jamais un échec, ni un déshon-
neur. Au contraire… », articule-t-il,
la voix étranglée par l’émotion.
La passation des pouvoirs avec
Patrice Vergriete, qui était jus-
qu’ici ministre délégué au loge-
ment, se déroule à huis clos, sans
caméras ni journalistes, afin de
« conserver le symbole du gouver-
nement resserré », expliquera-t-on
plus tard à l’Elysée. Le sortant
connaît bien son successeur : il l’a
nommé à la tête de l’Agence de
financement des infrastructures
de transport, en janvier 2023.
Dans ce ministère ingrat où l’on
inaugure les chantiers lancés par
son prédécesseur et où l’on doit
souvent laisser son successeur
récolter les fruits de sa propre
action, Clément Beaune se décrit
comme un ministre « parfois
remuant » durant ces dix-huit
mois, mais « fier » du plan à
100 milliards d’euros pour le
ferroviaire, du lancement des
« RER métropolitains » « dès cette
année », du « renouveau des trains
de nuit ». Mais aussi du leasing
social, du plan vélo et de la taxa-
tion des jets privés. La présidente
Les Républicains de la région Ile-
de-France, Valérie Pécresse, lui a
envoyé un message amical.
Plusieurs syndicats aussi.
« Ni amer ni malheureux »
« Ce qui m’aurait blessé, confie-t-il
au Monde, c’est de devoir partir
parce que j’aurais échoué dans
mon activité de ministre. » Mais
dans ce double quinquennat, la
loyauté envers le chef de l’Etat
compte davantage que le travail
accompli. L’ancien conseiller
d’Emmanuel Macron au minis-
tère de l’économie et à l’Elysée est
banni pour avoir manifesté sa
désapprobation lors du vote, avec
les voix du Rassemblement natio-
nal, de la loi sur l’immigration. Le
19 décembre 2023 en fin de jour-
née, alors que le président de la
République réunissait les cadres
de la majorité à l’Elysée, Clément
Beaune, très remonté contre le
texte sorti du Sénat, conviait quel-
ques ministres issus de l’aile gau-
che à dîner à l’hôtel de Roquelaure.
Un crime de lèse-majesté. « Il son-
nait l’olifant pour que les troupes
de gauche se révoltent », s’indigne
un proche du chef de l’Etat.
Rétrogradé au rang de simple
député, le quadragénaire accepte
la sentence. « La politique sans ris-
france | 9
ques, ça n’existe pas », dit-il, et ces
risques, il les connaissait, car « il
n’y a pas de rente » dans le macro-
nisme. Il dépeint un « lien extrê-
mement puissant » avec le chef de
l’Etat, pour être « dans son équipe
depuis dix ans ». Emmanuel
Macron l’a d’ailleurs gratifié d’un
appel téléphonique jeudi 8 février
dans l’après-midi, quelques heu-
res avant l’annonce du gouverne-
ment au complet, pour lui dire
qu’il n’en ferait pas partie. Tous les
recalés n’ont pas eu cet honneur.
« Ni amer ni malheureux »,
Clément Beaune affirme n’avoir
« aucun regret sur le fond ». Le su-
jet était « trop grave et important
pour rester en retrait », disait-il dé-
but janvier dans Le Parisien. Mais
ce qu’il a « dit ou fait sur la loi “im-
migration” a été amplifié ou dé-
formé », déplore-t-il aujourd’hui.
A l’Assemblée nationale, il em-
porte avec lui ses « convictions »,
car il n’a « pas fait tout ça pour ces-
ser d’entretenir cette sensibilité so-
ciale-démocrate et européenne ».
Mais la structuration de l’aile
gauche n’est pas dans ses projets.
« Je ne suis pas là pour chapelliser,
pour diviser la majorité dans le
contexte actuel », assure-t-il.
Quand une partie du groupe
Renaissance se plaint d’une dé-
rive droitière de l’exécutif depuis
le discours de politique générale
de Gabriel Attal et la conférence
de presse du chef de l’Etat,
l’ancien ministre ne veut pas être
« dans une sorte de complainte »,
ni un « commentateur ». « Quand
on est dans une majorité, on fait
des propositions, on agit », estime-
t-il, décidé à n’abandonner « ni le
combat ni le navire ».
Près de deux ans avant les élec-
tions municipales, le député de
Paris n’abandonne pas non plus
le « terrain de jeu » parisien, car
« bien malin celui qui peut dire ce
qui va se passer d’ici à 2026 ». En
attendant, il siégera à la commis-
sion des lois, présidée par le
député Renaissance Sacha Hou-
lié, qui s’est, lui aussi, opposé à la
loi sur l’immigration. Ainsi qu’à la
commission des affaires euro-
péennes, car l’Europe restera,
dit-il, son « combat premier ».
Durant ce long mois de janvier,
durant lequel son sort était
suspendu, l’ancien ministre délé-
gué à l’Europe s’est rendu à
Londres, où il a rencontré Tony
Blair. L’ancien premier ministre
britannique l’a rassuré en lui
citant cette phrase de Margaret
Thatcher : « A week is a long time
in politics [Une semaine, c’est
long en politique]. » p
nathalie segaunes
10 | france
Urgences : les soignants face aux incidents graves
Faute de remontées systématiques, les défauts de prise en charge à l’hôpital sont difficilement quantifiables
C
es derniers mois, plu-
sieurs décès aux urgen-
ces ont nourri les pages
des journaux et la chro-
nique des défaillances suppo-
sées des hôpitaux. Ces drames
auraient-ils pu être évités ? C’est
l’histoire de Lucas, 25 ans, mort
aux urgences d’Hyères (Var),
après plusieurs heures passées
sur un brancard, fin septem-
bre 2023, et dont les parents
portent aujourd’hui l’affaire en
justice. Celle d’une patiente âgée,
à Nantes, décédée le 2 janvier
après quatre heures dans la « file
d’attente », alors que d’autres
histoires similaires sont remon-
tées de Strasbourg, de Grenoble,
de Bordeaux… Dans cette der-
nière ville, durant l’été 2023,
l’émotion a été vive après le
parcours chaotique d’une
femme enceinte, ballottée de
service en service, dont le bébé
est mort à l’hôpital.
Ces incidents donnent l’impres-
sion de se multiplier, même si
rien ne permet de l’affirmer caté-
goriquement – ni de l’infirmer.
Dans le jargon de la santé, on
parle d’« événement indésirable
grave associé aux soins » pour
qualifier un événement inat-
tendu au regard de l’état de santé
et de la pathologie du patient,
et dont les conséquences sont
soit le décès, soit la mise en jeu du
pronostic vital, ou encore la
survenue probable d’un déficit
fonctionnel permanent.
« Course contre la montre »
Année après année, les données
publiées par la Haute Autorité de
santé (HAS) sur le sujet sont certes
à la hausse – soit 2 385 incidents
en 2022 contre 1 874 événements
en 2021 –, mais la HAS le reconnaît
elle-même : l’évolution est à
mettre au crédit d’une « culture »
de la déclaration qui progresse
dans les établissements de santé,
où ces événements sont loin de
remonter systématiquement. Ils
sont au contraire largement sous-
déclarés, souligne la HAS. Ces
chiffres recoupent des situations
diverses, allant du défaut ou du
retard de prise en charge à l’erreur
de diagnostic ou médicamen-
teuse, de la prescription ina-
daptée jusqu’aux complications
d’un acte thérapeutique.
« Il n’y a aucun instrument
de mesure solide, confirme Marc
Noizet, le patron de SAMU-Ur-
gences de France. Ce qui est
certain, c’est que rien ne permet
aujourd’hui à ces incidents de
diminuer, alors que le nombre
de services asphyxiés ne cesse
de progresser. » Sans surprise,
les urgences, porte d’entrée de
l’hôpital, sont bien souvent
pointées. « Les urgences sont par
essence un milieu à risque,
rappelle Mathias Wargon, chef
L’effet sur la mortalité des plus âgés après une nuit sur un brancard
Une étude démontre une hausse de 40 % des risques pour les patients de plus de 75 ans lors d’une mauvaise prise en charge aux urgences
C’ est un chiffre que tous
les urgentistes – ou
presque – invoquent,
quand on les questionne sur la
saturation des services hospita-
liers : une nuit passée sur un
brancard augmente de près
de 40 % le risque de mortalité
pour un patient âgé. Publiée il y a
trois mois, le 6 novembre 2023,
dans la revue JAMA Internal
Medicine par des équipes de
l’Assistance publique-Hôpitaux
de Paris (AP-HP), de l’Institut na-
tional de la santé et de la recher-
che médicale et de Sorbonne
Université, l’étude dont ce ratio
est tiré, intitulée No Bed Night, a
marqué les esprits.
Menée dans 97 services, du
12 au 14 décembre 2022, alors
« Rien ne permet
aujourd’hui
à ces incidents
de diminuer »
MARc Noizet
patron de SAMU-Urgences
de France
des urgences à l’hôpital Dela-
fontaine de Saint-Denis (Seine-
Saint-Denis). « Parce que les pa-
tients, dont on ne connaît pas
toujours l’historique, y arrivent
très nombreux, que les équipes
tournent beaucoup, que les inter-
ruptions de tâches sont fréquen-
tes, que chaque soignant peut
avoir à suivre dix, douze,
quinze patients en même temps.
Et, dans cette course contre la
montre engagée pour trouver le
bon diagnostic, c’est parfois la
maladie qui l’emporte. »
D’autres médecins le rappel-
lent : les urgences constituent
aussi un lieu de « rupture », voire
de « brutalité », car les familles ou
les proches ne sont souvent pas
admis à l’intérieur de ces servi-
ces, contrairement à d’autres éta-
ges de l’hôpital.
Certains de ces décès sont
désormais dénoncés, et pas seu-
lement par les familles des pa-
tients, comme un « symptôme »
de la crise de l’hôpital et une
conséquence d’un défaut de
qu’une « triple épidémie » mêlant
Covid-19, grippe et virus respira-
toires mettait l’hôpital sous forte
tension, elle a inclus et suivi
1 598 patients âgés de plus de
75 ans hospitalisés après un pas-
sage aux urgences. Pour en arri-
ver à des statistiques alarmantes :
une nuit sur un brancard aux ur-
gences augmente le risque de
mortalité hospitalière pour une
personne de plus de 75 ans, qui
passe ainsi de 11,1 % à 15,7 %.
Pas de signe d’amélioration
Pour la frange de patients déjà
dépendants – pas ou peu autono-
mes –, ce risque est pratique-
ment multiplié par deux. L’étude
montre aussi un risque plus im-
portant de complications : chu-
moyens. Le constat sur le terrain
fait l’unanimité : les urgences,
que le président de la Républi-
que, Emmanuel Macron, s’est en-
gagé à « désengorger », d’ici à la
fin de l’année, sont saturées
faute de trouver des « lits d’aval »
pour hospitaliser leurs patients.
Pour alerter sur la situation, il
y a déjà plus d’un an, SAMU-Ur-
gences de France s’était lancé
dans le recensement des « morts
inattendues », c’est-à-dire ces
décès intervenant dans des
conditions jugées indignes, sur
un brancard, dans un couloir… Le
syndicat a finalement cessé de
les dénombrer face à l’émotion
suscitée jusqu’aux cercles de
soignants. Il était arrivé au chif-
fre de 43, entre décembre 2022 et
janvier 2023, en estimant que ces
décès pourraient être trois fois
plus nombreux.
Ces affaires, quand elles sont
médiatisées, sont toujours
complexes à décrypter. Entre des
proches qui, souvent, prennent la
parole, des hôpitaux tenus au
silence par l’enquête, interne ou
judiciaire, ou le secret médical,
des syndicats de soignants qui
alertent sur des services au bord
de l’explosion, et un temps de la
procédure administrative et
judiciaire nécessairement plus
long, il est rarement possible de
reconstituer le fil exact de ces
drames.
A Hyères, les derniers SMS que
Lucas a écrits à ses parents, et qui
tes, infections nosocomiales, es-
carres, saignements…
L’investigation s’est basée sur
une cohorte prenant en compte
les comorbidités, l’âge et l’état de
gravité initial des patients, expli-
que le professeur Yonathan
Freund, médecin de la Pitié-Sal-
pêtrière à Paris, qui a coordonné
ces travaux avec la docteure
Mélanie Roussel (université de
Rouen-Normandie). Parmi les
facteurs explicatifs, il cite « le fait
de ne pas dormir, de ne pas avoir
la surveillance suffisante, de ne
pas toujours avoir le traitement
à temps, l’inconfort prolongé,
le manque de repas »…
Mélanie Roussel, urgentiste au
CHU de Rouen, évoque égale-
ment l’« état de confusion » créé
ont été diffusés dans la presse,
sont glaçants. « Je me plains à
tout le monde que j’ai du mal à
respirer, mais personne ne fait
rien. » Quatre minutes plus tard :
« Je sais plus quoi faire, j’ai telle-
ment mal. » Venu pour une dou-
leur à l’abdomen, le jeune
homme est mort d’une septicé-
mie après huit heures d’attente
sur un brancard dans un couloir,
selon Le Parisien.
En face, la direction de l’établis-
sement ne s’exprime pas sur le
fond, invoquant la procédure ju-
diciaire ouverte et le secret médi-
cal. Elle fait savoir au Monde que,
conformément à la procédure
des événements indésirables
graves, elle a procédé à une décla-
ration et à une « analyse collec-
tive, rétrospective et systémique »
de ce qu’il s’est joué cette nuit-là.
Système de régulation
Interpellée à la radio sur la mort
du jeune homme, la ministre du
travail, de la santé et des solidari-
tés, Catherine Vautrin, a avancé
une réponse technique, jugée
par de nombreux médecins « à
côté du sujet ». Après avoir assuré
qu’une enquête de l’inspection
générale des affaires sociales
était ouverte, elle a affirmé
qu’« au-delà de ce drame, le ser-
vice d’accès aux soins est
aujourd’hui une [de ses] priori-
tés ». Cette référence au dispositif
de coordination entre le SAMU et
la médecine de ville, visant à
chez des patients âgés lorsque la
lumière, de jour comme de nuit,
reste allumée « parce qu’elle est
nécessaire aux soins ». Ou la diffi-
culté, pour un « personnel sous-
dimensionné » à délivrer les soins
et médicaments habituels.
« Mettre des chiffres sur ce que
nous pouvons vivre au quotidien,
alors que nous avons bien
conscience d’être délétères lors-
que nous laissons des patients
âgés et vulnérables sur des bran-
cards, est quelque chose de néces-
saire,fait valoir cette médecin.
Mais c’est aussi un constat diffi-
cile : entre collègues, on en parle
beaucoup, sans avoir de solu-
tion. » Et sans véritable signe
d’amélioration : « En plein mois
de février, la situation dans nos
mieux répondre aux demandes
de soins non programmés,
a semblé déconnectée de l’his-
toire de Lucas, qui, lui, avait bien
été admis aux urgences.
« Ces dysfonctionnements ne
sont pas nouveaux. Je dirais
même qu’ils sont probablement
récurrents, mais ils gagnent en vi-
sibilité à chaque période de crise,
explique la sociologue Déborah
Ridel, qui a soutenu une thèse
sur les violences aux urgences.
Dans la presse, sur les réseaux so-
ciaux, ce sont souvent les patients
que l’on entend s’exprimer, mais,
très souvent, derrière ces histoires
qui “sortent”, on trouve aussi des
soignants mobilisés. »
En décembre 2018, quelques
mois avant l’agression de soi-
gnants à l’hôpital parisien Saint-
Antoine – l’un des points de dé-
part d’une mobilisation des hos-
pitaliers de près d’un an –, le sort
d’une patiente retrouvée morte,
à l’hôpital Lariboisière, situé
aussi à Paris, après douze heures
sur un brancard, avait provoqué
une forte émotion. Un événe-
ment qui peut apparaître
comme un « signal avant-cou-
reur », selon la chercheuse, de la
contestation inédite qui a suivi.
« Aux urgences, l’objectif profes-
sionnel partagé, c’est de sauver les
patients en les adressant vers le
service adéquat. Ne pas pouvoir le
faire parce que le patient décède
avant est toujours vécu comme
un échec collectif. »
services n’est pas plus simple qu’il
y a un an, assure Mélanie Rous-
sel. On est toujours en sursatu-
ration, avec des patients plein les
couloirs… »
« Objectif de santé publique »
Des « études préliminaires rétros-
pectives » avaient suggéré un sur-
risque de mortalité chez des pa-
tients âgés, a rappelé l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris dans
un communiqué diffusé, lui
aussi, en novembre. « Pour la pre-
mière fois, la preuve scientifique
est apportée », écrivait-elle alors.
Si tous les patients de l’étude
avaient pu être admis avant la
nuit dans une chambre d’hospi-
talisation, 3 % des décès auraient
pu être évités, soulignait l’AP-HP.
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Certains
de ces décès
sont dénoncés
comme un
« symptôme »
de la crise
de l’hôpital
Avec le recul de quelques mois,
à Bordeaux, la conclusion de l’en-
quête interne vient finalement
écarter la question de la prise en
charge, à propos de cette jeune
femme enceinte de sept mois,
dont le bébé est décédé, alors
qu’un système de régulation à l’en-
trée des urgences venait d’être mis
en place pour tenir au cœur de
l’été. « Il ne semble pas que le retard
soit responsable de ces suites tragi-
ques. L’organisation estivale n’a
pas eu d’impact sur l’évolution de
la patiente. Son parcours erratique
a complexifié les choses. Il est pro-
blématique, mais, au final, elle
était au bon endroit au moment de
sa prise en charge », rapporte
Renaud Jacquemin, chef des
urgences de Pellegrin, au CHU
de Bordeaux.
La tension demeure
Saturé et en sous-effectif, le ser-
vice bordelais a été l’un des pre-
miers à « fermer » ses portes en
passant à une régulation généra-
lisée à l’entrée, dès l’été 2022, ren-
voyant au 15 pour accéder au ser-
vice. Un fonctionnement main-
tenu à l’été 2023, et qui est, depuis
quelques semaines, appliqué
seulement la nuit et le week-end.
Au-delà de cette sensible ques-
tion de la régulation, la tension
demeure, et les événements in-
désirables graves ne « diminuent
pas », reprend le docteur Jacque-
min. En une semaine, fin janvier,
il a dû déclarer deux décès inter-
venus après de longues heures
dans son service. « Il y a des pa-
tients impossibles à sauver, mais
là, ce sont des décès qui interro-
gent », résume-t-il. Il évoque le
cas d’une patiente restée plus de
vingt-quatre heures aux urgen-
ces, faute de place pour l’hospita-
liser, et surtout celui d’un décès
intervenu après un délai d’at-
tente pour voir le médecin de
quatre heures. Ce dernier patient
avait pourtant été « trié » à son
arrivée comme de « niveau 2 »,
c’est-à-dire devant être vu dans
les vingt minutes. « On peut se
demander, s’il avait été vu plus
vite, si cela aurait permis de le
sauver », explique le médecin,
qui rappelle que ces délais ne
sont malheureusement pas du
tout exceptionnels. p
mattea battaglia
et camille stromboni
L’Assistance publique appelle à
ce que l’objectif de « zéro lit bran-
card » aux urgences, notamment
pour les personnes âgées, soit
considéré comme un « objectif
de santé publique ».
Le chef de l’Etat, Emmanuel
Macron, a promis, il y a bientôt
un an, de « désengorger » ces
services hospitaliers en pre-
mière ligne d’ici à la fin de l’an-
née 2024. Un engagement qu’il a
réitéré lors de sa conférence de
presse du 16 janvier. Reste à
connaître, alors que l’échéance
se rapproche, la marge de
manœuvre dont disposera Fré-
déric Valletoux, tout juste
nommé ministre délégué à la
santé, pour relever ce défi. p
mattea battaglia
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024 france | 11

Arrêt inédit de la CEDH sur l’abattage rituel

La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé l’interdiction dans deux régions belges
bruxelles - correspondance
tion des animaux ». Surtout, elle
estime que les autorités « ont pris
T RAN S PORTS
Grève SNCF : seul un TGV
sur deux devrait circuler
ce week-end
Une grève des contrôleurs
SNCF à l’appel de la CGT et
de SUD-Rail va fortement
perturber la circulation des
TGV entre vendredi 16 et di-
cle 9. » Ce qui ne veut pas pour France par exemple, un pouvoir manche 18 février, week-end
autant dire que les Etats sont obli-
La décision hostile aux musulmans et aux de vacances scolaires pour les

L
a décision était attendue
avec anxiété par de nom-
breuses autorités juives
et musulmanes dans
toute l’Europe. Mardi 13 février, la
Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH) a statué sur l’in-
terdiction par deux régions bel-
ges, la Flandre et la Wallonie, de
l’abattage rituel sans étourdisse-
ment préalable en estimant qu’il
ne s’agit pas d’une violation des
libertés religieuses.
L’institution répondait à une re-
quête introduite par des citoyens
et des membres des autorités cul-
tuelles belges musulmans, aux-
quels s’étaient joints des citoyens
de confession juive. Ils tentaient
de lutter contre des décrets adop-
tés, en 2017 et 2018, par les deux
régions interdisant l’abattage ri-
tuel sans étourdissement préala-
ble. Pour les deux cultes, les ani-
maux doivent être saignés encore
conscients pour que leur viande
puisse être consommée confor-
mément aux principes religieux.
Cette interdiction, jugeaient-ils,
allait à l’encontre de l’article 9 de
la Convention européenne des
droits de l’homme sur « la liberté
de pensée, de conscience et de reli-
gions » qui garantit à chacun la
possibilité de pratiquer et d’ac-
complir les rites. Mais la CEDH en
a jugé autrement. Pour elle, « les
décrets litigieux ont été adoptés
à la suite d’une vaste consultation
de représentants de différents
groupes religieux, de vétérinaires
ainsi que d’associations de protec-
une mesure qui est justifiée dans
son principe et qui peut passer
pour proportionnée au but pour-
suivi, à savoir la protection du
bien-être animal en tant qu’élé-
ment de la morale publique ».
La « morale publique »
En cela, elle introduit un point
inédit qui, dans cette affaire, se ré-
vèle crucial. Celui du respect du
bien-être animal comme restric-
tion à la liberté religieuse. Selon le
paragraphe 2 de l’article 9 de la
Convention européenne des
droits de l’homme, « la liberté de
manifester sa religion ou ses
convictions ne peut faire l’objet
d’autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des
mesures nécessaires ». Ces « mesu-
res nécessaires » sont précisément
listées et le bien-être animal n’en
fait pas partie. Mais la Cour consi-
dère que ce dernier, compte tenu
de l’évolution de la société, relève
de la question de la « morale publi-
que » qui, elle, fait bien partie des
raisons justifiant une éventuelle
restriction de l’article 9.
« L’avancée a consisté dans le fait
de rattacher le bien-être des ani-
maux à un des motifs légitimes de
restriction des libertés religieuses,
en l’occurrence la morale publique,
précise Jean-Pierre Marguenaud,
professeur émérite de droit, spé-
cialiste de la CEDH. Les Etats qui,
comme une partie de la Belgique,
veulent interdire l’abattage rituel
sans étourdissement préalable
pourront le faire sans violer l’arti-
gés de le faire et encore moins
qu’ils le feront nécessairement,
dit-il, rappelant en outre que la
décision n’est pas définitive.
Me Patrice Spinosi, qui a dé-
fendu certains des requérants,
précise d’ailleurs dans une décla-
ration transmise aux médias :
« Nous allons analyser attentive-
ment, avec l’ensemble des organes
représentatifs de la communauté
juive [en Belgique], la motivation
de cette décision, dont il faut rap-
peler (…) qu’elle n’est pas définitive
à ce stade. » L’avocat précise qu’ils
auront « à cœur » « d’apprécier les
chances de succès d’un renvoi de
cette affaire en grande chambre
[de la CEDH], afin, poursuit-il,
« que cette formation (…) ait l’occa-
sion de se prononcer sur une ques-
tion aussi importante qu’inédite ».
Si l’arrêt est confirmé en grande
chambre, soit la dernière juridic-
tion de la CEDH, il ouvre, selon les
juristes, des portes nouvelles.
Ainsi pourrait se poser la ques-
tion de la chasse et de la pêche
récréatives, contre lesquelles on
pourrait opposer le droit des ani-
maux. « Je vis l’un des plus beaux
jours depuis que je milite pour les
animaux, commente Michel Van-
denbosch, président de l’associa-
tion belge du Groupe d’action
dans l’intérêt des animaux. Cette
décision confirme que le combat
en faveur d’un meilleur respect des
animaux est légitime. »
En face, certains religieux s’in-
terrogent. Mendel Samama, rab-
bin de Strasbourg, très au fait des
introduit un point
crucial : celui
du respect
du bien-être
animal comme
restriction à la
liberté religieuse
questions européennes, estime
qu’il s’agit là d’une situation iné-
dite où « les juges acceptent que les
droits des animaux fassent ba-
lance avec le droit des hommes ».
« C’est très grave, juge-t-il, c’est tel-
lement grave que ça ne peut pas
rester comme ça. Il y a une audace
dans cette décision sans précédent
qui mérite un vrai débat. »
Des dérogations en France
Pour autant, M. Samama ne se
montre pas inquiet. Il rappelle
qu’il est toujours permis d’impor-
ter la viande d’animaux abattus
selon les rites des religions musul-
mane et juive et qu’il n’y a
aujourd’hui qu’une poignée de
pays qui interdisent cet abattage
sans étourdissement comme
l’Autriche ou la Suisse. En France,
il existe des dérogations pour les
cultes, qui l’autorisent dans un
cadre légal strict.
Le grand rabbin de France, Haïm
Korsia, lui, estime que cette déci-
sion « fait fi des droits religieux ».
Il s’inquiète un peu plus que
d’autres. Qu’en sera-t-il si en
juifs se retrouve au pouvoir ? Il
serait alors fondé, au regard de la
Convention des droits de
l’homme, à interdire l’abattage
rituel. Haïm Korsia rappelle que le
président du Rassemblement na-
tional, Jordan Bardella, s’est dit
contre l’abattage religieux. L’ob-
session de certains pour cette
question rejoint d’ailleurs leur
« obsession contre les musulmans,
les juifs étant des dommages colla-
téraux », lâche-t-il.
Dans la région de Bruxelles, où
l’abattage rituel est toujours auto-
risé, au-delà des aspects religieux,
scientifiques, philosophiques et
économiques qui ont émaillé les
débats en 2022, c’est une question
politique, centrée sur le « phéno-
mène communautaire », qui a agité
le Parlement. Le Parti socialiste,
qui dirige la région, s’est divisé en-
tre partisans de la laïcité et ceux fa-
vorables à des « accommode-
ments » avec l’islam. L’affaire a re-
lancé les débats sur la relation en-
tre l’Etat et les religions.
« L’arrêt de la CEDH est fonda-
mental, à un moment où, sur tous
les plans, les revendications reli-
gieuses se font de plus en plus
agressives », analyse Marc Uytten-
daele, professeur de droit constitu-
tionnel à l’Université libre de
Bruxelles et avocat. A Bruxelles,
ces questions autour de la laïcité et
de la place des cultes dans l’espace
public devraient être au cœur du
scrutin régional, en juin. p
sarah belouezzane (à paris)
et jean-pierre stroobants
zones C (Ile-de-France, Mont-
pellier, Toulouse) et A (Bor-
deaux, Lyon, Grenoble…). Seul
un TGV sur deux circulera,
selon Christophe Fanichet,
patron de SNCF Voyageurs,
avec « autant de Ouigo que
d’Inoui » et une priorité pour
« les départs et les retours de
la neige ». Les clients, qui sont
informés par SMS et courriel,
sont encouragés à décaler
leur voyage. – (AFP.)
ASS EMBLÉE N AT I ON ALE
Dérives sectaires :
les députés rejettent
la création
d’un nouveau délit
L’Assemblée nationale a
commencé, mardi 13 février,
l’examen d’un projet de loi
pour renforcer la lutte contre
les dérives sectaires, notam-
ment sur Internet. Mais elle
a mis en échec le gouverne-
ment en s’opposant, comme
le Sénat auparavant, à la créa-
tion d’un nouveau délit de
« provocation à l’abandon de
soins », exposant à un risque
« grave » pour la santé. Une
coalition des oppositions
a ainsi rejeté l’article par
116 voix contre 108. La me-
sure n’est pas enterrée pour
autant, en attendant la suite
de la navette parlementaire.
Il restait une trentaine
d’amendements à examiner,
mercredi 14 février, en pre-
mière lecture. – (AFP.)

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restauration et visites commentées. PROPRIÉTÉ maison de maître, parc,
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potager, coteau boisé, source, prairie, dépendances sur 2.5 HA.

FORMATION ASSURÉE.
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12 | france
Procès de Trèbes : la petite amie
du terroriste ou l’emprise du vide
Marine Pequignot avait 14 ans quand elle a rencontré Radouane Lakdim.
Entendue mardi à la barre, elle se dit aujourd’hui déradicalisée
P
endant les trois ans et
demi qu’a duré leur
relation, elle l’appelait
« mon cœur » ou « Ra-
douane ». A la barre, elle ne pro-
nonce plus que son patronyme :
« Lakdim ». L’intimité qu’elle a par-
tagée avec le terroriste qui a tué
quatre personnes à Trèbes (Aude)
et Carcassonne avant d’être
abattu, le 23 mars 2018, semble
trop pénible à porter pour cette
femme de 24 ans. La fièvre djiha-
diste qui a pimenté leur couple
l’écœure : « Aujourd’hui, j’ai pas
honte de dire que la religion musul-
mane, c’est un dégoût pour moi. »
Quelques heures après les at-
tentats perpétrés par son petit
ami, Marine Pequignot avait
pourtant accueilli les policiers ve-
nus l’interpeller chez elle en hur-
lant trois fois « Allah Akbar ! » Six
ans plus tard, sa déradicalisation
affichée devant la cour d’assises
spéciale de Paris qui l’interro-
geait, mardi 13 février, a la bruta-
lité sans retour d’une rupture
amoureuse. Et pour cause, l’accu-
sée la plus intrigante de ce procès,
jugée pour « association de mal-
faiteurs terroriste », dit s’être radi-
calisée par amour.
Après deux ans et demi de
détention, la jeune femme, qui
travaille aujourd’hui comme
téléconseillère, a intégré en 2020
le dispositif Pairs (programme
d’accueil individualisé et de réaf-
filiation sociale), un suivi pluri-
disciplinaire en milieu ouvert qui
vise au désengagement de l’idéo-
logie violente. Une des éducatri-
ces qui l’accompagne a prudem-
ment évoqué à la barre ce phéno-
mène rare : « Il semblerait qu’elle
Jules-Ferry, Rosa-Parks… Les noms d’écoles,
une affaire de valeurs et d’histoire
Une étude du conseil d’évaluation de l’école analyse l’appellation des bâtiments et son origine
A vez-vous grandi dans un
quartier populaire, au
centre d’une grande ville,
dans une collectivité plutôt mar-
quée à gauche ou bien à droite ?
Les noms des établissements sco-
laires, évocateurs de souvenirs
plus ou moins heureux pour cha-
cun, nous parlent également de
l’histoire de l’école républicaine –
et de l’identité de chaque terri-
toire. C’est le constat qui s’impose
à la lecture d’une étude réalisée
par le conseil d’évaluation de
l’école, intitulée « De quoi les
établissements scolaires sont-ils
le nom ? », diffusée lundi 12 février.
En analysant les données des
quelque 51 000 établissements
publics, et avec l’aide de ChatGPT
pour trier les personnalités, leur
sexe, l’époque où elles ont vécu
et leur nationalité, cette étude
démontre quels noms ont les
faveurs de l’école et, partant, quel-
les valeurs sont les plus mises en
avant par la toponymie scolaire.
Si certaines écoles n’ont pas de
nom – c’est particulièrement vrai
dans les territoires ruraux, quand
l’école est la seule entité scolaire
du village –, beaucoup d’entre elles
sont baptisées d’après une
personnalité. Une des exceptions,
qui semble parfois incongrue aux
non-Parisiens, est celle de la capi-
tale, où les écoles portent les noms
des rues – un cas qui peut aussi
exister, plus ponctuellement,
dans d’autres villes. Les noms
choisis sont représentatifs de
l’imaginaire républicain et ren-
ne soit plus dans aucune forme de
radicalisation. » La radicalisation
de Marine Pequignot est l’histoire
d’une emprise. Elle avait 14 ans,
elle était une enfant, quand un
donneur de mort s’est engouffré
dans son vide affectif, comblant
sa misère intellectuelle et spiri-
tuelle par sa misère à lui.
Leur rencontre à Ozanam, une
petite cité de Carcassonne, dit tout
de l’inquiétante médiocrité qui
sous-tendra leur relation. « J’ai
rencontré Lakdim en octobre 2014,
j’allais faire 15 ans… J’étais sortie sur
l’aire de jeu pour enfants pour
acheter du cannabis. Il a crié “beuh
ou shit” ? J’ai dit “shit”, c’est comme
ça qu’on s’est rencontrés. On est
sorti ensemble le soir même… »
« C’était banal pour moi »
Radouane Lakdim, petit dealeur
sans envergure, a alors 22 ans.
« C’était la première personne
masculine que je rencontrais, ça
m’avait impressionnée, il avait ce
côté protecteur », dit-elle, expli-
quant avoir toujours souffert
d’un « manque affectif » de la part
de ses parents et d’une absence
de cadre au sein de la famille. Il ne
travaille pas ; elle ne va pas tarder
à arrêter l’école.
Mais surtout, l’adolescente
cherche, à cette époque, un élan
spirituel pour combler tous les
vides qui l’habitent. Elevée par
des parents athées, elle avait com-
mencé à s’intéresser aux Témoins
de Jéhovah quand elle a rencontré
le djihadiste : « L’idée de Dieu me
réconfortait », raconte-t-elle. Sous
l’influence de son premier
amour, elle opte finalement pour
l’islam et prononce la profession
dent hommage, dans 90 % des cas,
à un Français et, plus rarement,
une Française. « Les personnalités
honorées sont très majoritaire-
ment des hommes, de nationalité
française, ayant vécu à l’époque de
la IIIe République ou de la période
qui lui succède », note le conseil
d’évaluation de l’école.
Le gagnant incontesté est
évidemment Jules Ferry, fonda-
teur de l’école laïque, gratuite et
obligatoire, et signataire des lois
éponymes de 1881 et de 1882. Près
de 100 000 écoliers sont scolari-
sés dans des lieux portant son
nom et il compte 523 écoles à
lui tout seul. Viennent ensuite
Jacques Prévert (375 écoles) et
Jean Jaurès (341).
Un effort d’ouverture
Les noms des collèges et des
lycées, souvent bâtis plus tard,
sont plus variés : il n’y a que 72 col-
lèges Jean-Moulin ; le résistant
devient premier du classement
des collèges, alors qu’il n’était que
cinquième des écoles. On compte
aussi 45 collèges Albert-Camus,
alors que l’écrivain n’entrait pas
dans le top 10 des écoles. Les
lycées, multipliés à la faveur de la
massification scolaire des années
1970 et 1980, font entrer Pierre
Mendès France, ministre, puis
député jusqu’en 1968, à la
septième place. Pour les lycées,
une deuxième femme a rejoint
l’inoxydable scientifique Marie
Curie ; il s’agit de la sculptrice
Camille Claudel, dernière du clas-
La jeune femme
avait commencé
à s’intéresser
aux Témoins de
Jéhovah quand
elle a rencontré
le djihadiste
de foi seule dans sa chambre, sans
avoir jamais mis les pieds dans
une mosquée.
Après deux premières années
d’une relation sans accroc, leur
idylle asymétrique s’appauvrit à
mesure qu’ils se raidissent idéo-
logiquement : « En 2016, il devient
plus dur dans son discours, et plus
distant vis-à-vis de moi. » A cha-
que fois qu’il lui envoie un mes-
sage pour la voir, l’adolescente
ressent une « boule au ventre »,
quand elle ne vomit pas de stress.
« On avait uniquement des rap-
ports sexuels et ensuite, je rentrais
chez moi. Je m’adaptais. Je me po-
sais pas plus de questions que ça. Il
parlait de religion tout le temps… »
Radouane Lakdim lui parlait
de religion quand ça l’arrangeait,
mais pas seulement. Il proclamait
aussi sa haine des « mécréants » et
se vantait de posséder un arsenal
(des armes blanches et des fusils)
dans sa chambre. En 2017, à l’âge
de 17 ans, Marine Pequignot est
convoquée par la direction géné-
rale de la sécurité intérieure
(DGSI) et « fichée S » pour des
propos radicaux tenus sur les
réseaux sociaux et des velléités
de départ en Syrie. Elle consulte à
sement des 10 noms les plus
donnés, avec 14 lycées. Les établis-
sements baptisés plus tardive-
ment marquent un effort
d’ouverture aux personnalités fé-
minines avec 45 % établissements
ouverts entre 2017 et 2023 qui
portent des noms de femmes.
Grâce aux indices de position
sociale (IPS), qui renseignent sur
la composition sociale moyenne
des établissements du second
degré, il est également possible
d’évaluer la variation des noms
selon les profils sociaux des
établissements.
Le conseil d’évaluation de l’école
s’est livré à l’exercice pour les col-
lèges. Les noms de la militante
américaine pour les droits civi-
ques Rosa Parks, de la romancière
et résistante française Elsa Triolet
ou de la chanteuse et résistante
française d’origine américaine Jo-
séphine Baker sont bien repré-
sentés parmi les collèges défavo-
risés. « Le nom de Rosa Parks est
notamment surreprésenté au sein
des collèges relevant de l’éduca-
tion prioritaire », relève le conseil
d’évaluation de l’école. Les collè-
ges favorisés, eux, ont plus de
chances de porter le nom de la pé-
diatre Françoise Dolto, de la reine
Aliénor d’Aquitaine ou de la résis-
tante Germaine Tillion.
Pour les noms d’hommes, Nel-
son Mandela, ancien président
sud-africain et figure de la lutte
contre l’apartheid, est bien repré-
senté parmi les collèges plutôt dé-
favorisés, de même que les artis-
cette époque des vidéos de déca-
pitation et approuve devant ses
amies les attentats perpétrés en
France : « C’était banal pour moi.
Tout le monde disait sur Internet
que si je voulais être une bonne
musulmane, il fallait être contre
les mécréants. Et Lakdim adhérait
à ça aussi… »
Mais l’engagement islamiste des
amants toxiques est incohérent,
sans réelle substance. Le vide a
laissé place à l’informe. Elle conti-
nue de se maquiller, de porter des
jupes et fume jusqu’à dix joints
par jour. Lui boit beaucoup : « Il
était tout le temps avec son flash
d’alcool. » Il déteste les homo-
sexuels ? Elle lui cachera pendant
toute leur relation l’existence de
ses deux meilleurs amis gay. Il lui
interdit de fumer ? Elle se parfume
pour masquer l’odeur : « Je voulais
lui plaire, ne pas le décevoir… »
Comment n’a-t-elle pas deviné
qu’il pourrait commettre un
attentat ?, lui demande le prési-
dent. « Un jour, il m’a raconté com-
ment faire une bombe, admet-elle.
Mais cinq minutes après, il pouvait
me dire qu’il pensait que j’étais
des renseignements généraux. Il
était dans un délire, il pensait que
tout le monde le surveillait, même
moi… J’ai pas fait le lien.
– C’est difficilement compréhen-
sible, intervient le magistrat. On
n’est pas dans le virtuel, il y a eu
des attentats qui ont fait des
morts à Paris, à Nice, vous savez
que Radouane Lakdim est radica-
lisé, il a des armes, on est dans une
réalité très crue. C’est vrai que vous
étiez jeune, mais quand même…
– J’étais amoureuse de lui… » p
soren seelow
tes engagés Pablo Neruda, Jean
Vilar ou Paul Eluard. Les collèges
favorisés ont plus de chance de
porter les noms des présidents
François Mitterrand et Georges
Pompidou ou de l’écrivain Char-
les Péguy.
Outre le phénomène bien
connu des anciennes « banlieues
rouges », des collectivités qui
avaient tendance à attribuer plus
volontiers les noms de héros du
communisme et du socialisme
aux rues, aux places et aux bâti-
ments publics, cette étude souli-
gne une sensibilité politique plus
générale dans les choix opérés.
Une récente affaire en est par
ailleurs devenu le symbole :
en 2023, la région Ile-de-France
a refusé d’entériner le nom d’An-
gela Davis, militante américaine
des droits civiques, choisi par la
communauté éducative d’un
lycée du quartier de la Plaine, à
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis),
pour le rebaptiser Rosa-Parks. Le
ministre de l’époque et spécialiste
de l’histoire afro-américaine, Pap
Ndiaye, avait répondu à la prési-
dente de région, Valérie Pécresse
(Les Républicains), qu’il refusait
de valider ce changement, même
si la décision revenait en défini-
tive à la collectivité francilienne.
« Beaucoup de noms d’établisse-
ments scolaires puisent, et depuis
longtemps, dans un vaste éventail
de références qui ne font pas néces-
sairement consensus », avait jugé
le ministre et historien. p
violaine morin
Congé menstruel :
une proposition de loi
examinée par le Sénat
Les socialistes devaient défendre jeudi la mise
en place d’un arrêt de travail sans carence
E n 2020, Aurélie, qui n’a pas
souhaité communiquer
son nom, se réveille aveu-
gle d’une nuit d’été. Cela lui arrive
de temps en temps, quand elle a
ses règles. Elle perd la vue
pendant quelques heures, puis
finit par la retrouver. C’est l’un des
symptômes de sa « dysménorrhée
invalidante », ou syndrome des
règles douloureuses. A cette
époque, Aurélie est vacataire et
travaille à l’accueil d’un musée, en
pleine période estivale. De peur
d’être renvoyée, elle n’ose pas
s’absenter et demande à son mari
de l’accompagner jusqu’à son lieu
de travail. « J’avais peur de me faire
écraser par une voiture en
chemin », confie-t-elle. Vomisse-
ments, maux de ventre, diar-
rhées… Les symptômes liés à la
dysménorrhée sont très variés.
« L’égalité des chances ne peut
exister à moins qu’on ne mette en
place des aménagements particu-
liers pour les femmes souffrant de
dysménorrhée », affirme Hélène
Conway-Mouret. En avril 2023, la
sénatrice socialiste représentant
les Français établis hors de France
a déposé une proposition de loi
visant à « améliorer et garantir la
santé et le bien-être au travail ».
Examiné en séance plénière jeudi
15 février au Sénat, à l’occasion de
la niche parlementaire du groupe
Socialiste, écologiste et républi-
cain, le texte prévoit des modalités
d’organisation en télétravail pour
les femmes souffrant de « dysmé-
norrhée, dont l’endométriose » et la
création d’un arrêt de travail
spécifique, d’une durée ne pou-
vant excéder deux jours par mois
et valable un an. Il s’appliquerait
sans jour de carence et pourrait
être mobilisé par toute personne
bénéficiant d’une « prescription
d’arrêt de travail » délivrée par un
médecin ou une sage-femme.
« Faire confiance aux femmes »
« C’est un grand pas dans la recon-
naissance de la souffrance de
certaines femmes pendant leurs
règles, salue Maud Leblon, de l’as-
sociation Règles élémentaires.
Surtout pour celles, les plus défa-
vorisées socialement, qui ne
peuvent pas se permettre de pren-
dre des arrêts avec jours de
carence. » Pour les concepteurs du
texte, la mise en place de ce dispo-
sitif est aussi une manière d’en-
courager les salariées du public
comme du privé à commencer un
suivi médical.
« Souvent, les femmes ont
renoncé aux soins depuis long-
temps », assure Isabelle Derren-
dinger, présidente du Conseil
national de l’ordre des sages-
femmes. A toutes celles qui se
sont vu répondre « c’est normal,
ce sont tes règles », alors qu’elles
se plaignaient d’avoir mal au
ventre, Isabelle Derrendinger le
rappelle : « Non, ce n’est pas
normal. Les femmes ne doivent
pas vivre leurs douleurs comme
une implacable fatalité. »
Certaines entreprises, comme
Goodays ou Louis Design, ont déjà
adopté le congé menstruel de leur
propre initiative. Depuis le début
de l’année 2023, plusieurs munici-
palités, classées plutôt à gauche,
ont pris l’initiative de le mettre en
place pour leurs agentes. Greno-
Le texte prévoit
la création d’un
arrêt de travail
spécifique,
d’une durée
ne pouvant
excéder deux
jours par mois
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Depuis 2023,
plusieurs
municipalités ont
pris l’initiative
de mettre en
place ce congé
pour les agentes
ble, Strasbourg, Lyon, Arras… A
Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis),
ville pionnière, 15 % des 212 agen-
tes souffrant de règles douloureu-
ses en ont déjà fait usage depuis le
27 mars 2023. « Je me sens enfin
considérée », raconte une membre
de l’équipe de communication de
la ville. A l’annonce de la mise en
place du dispositif, celle qui souf-
fre d’endométriose a ressenti un
soulagement à l’idée de ne plus
avoir à se justifier lorsqu’elle se
sent mal. « Je ne me sens plus stig-
matisée et, surtout, je ne me sens
plus seule », confie-t-elle.
Réunie le 7 février, la commis-
sion des affaires sociales du Sénat,
chargée d’examiner et d’amender
la proposition de loi avant son
passage en session plénière, n’a
pas adopté le texte. Ceux qui ont
souhaité prendre la parole contre,
issus des Républicains et de
l’Union centriste, lui ont opposé
un risque de « désorganisation du
travail », d’« abus », d’« atteinte au
secret médical », ou encore de
« discrimination à l’embauche »,
alors que « certains employeurs
pourraient être tentés de privilé-
gier les candidatures masculines
afin d’éviter la gestion de ces diffi-
cultés récurrentes ». Laurence Ros-
signol, sénatrice socialiste du Val-
de-Marne et rapporteuse du texte,
a appelé à « faire confiance aux
femmes » et a souhaité rappeler
que le premier facteur de désorga-
nisation du travail n’était pas l’ar-
rêt menstruel, « mais la douleur
menstruelle » en elle-même.
Aline Boeuf, sociologue et
autrice de Briser le tabou des
règles (Editions 41, 2023), déplore
un manque d’exhaustivité du
texte, appelant à ajouter des me-
sures d’accompagnement, telles
que la sensibilisation, la forma-
tion des personnels d’entreprise
et des médecins. « Le congé est
une mesure utile mais sera en réa-
lité très peu utilisé par les femmes,
qui auront peur d’être discrimi-
nées », estime-t-elle. La sénatrice
Hélène Conway-Mouret rétorque
que « rien n’empêchera de rajouter
des éléments par voie réglemen-
taire, plus tard ». Seulement, pour
laisser au texte un maximum de
chances d’être voté, « il a fallu se
concentrer sur l’essentiel, à savoir
la création d’un arrêt maladie ».
A l’approche de l’examen du
texte, une dizaine de maires et
présidents de région, parmi les-
quels le maire socialiste de Saint-
Ouen, Karim Bouamrane, ainsi
que sa consœur Anne Hidalgo à
Paris et l’écologiste Eric Piolle à
Grenoble, ont appelé, dans une
tribune publiée le 6 février dans
Libération, à la création d’un « ca-
dre législatif protecteur » qui enté-
rine la « généralisation de cette
avancée concrète pour le droit des
femmes dans notre pays ».
En mai 2023, deux propositions
de loi du même type ont été dépo-
sées à l’Assemblée nationale. S’ils
n’ont pas encore été examinés, les
textes des socialistes, d’une part,
et des écologistes, d’autre part,
prévoient la création d’un congé
aux modalités légèrement diffé-
rentes, mais permettant égale-
ment aux femmes souffrant de
règles douloureuses de disposer
d’un arrêt de travail sans que cela
entraîne une perte de salaire. p
zoé moreau
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 13
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024

L’Arcom sommée de mieux contrôler CNews

Le Conseil d’Etat exige du gendarme de l’audiovisuel une meilleure régulation du pluralisme à la télévision

L’
Autorité de régulation
de la communication
audiovisuelle et numé-
rique (Arcom) va devoir
être plus intransigeante envers
les chaînes de télévision à l’avenir,
y compris CNews. Dans une déci-
sion rendue publique mardi 13 fé-
vrier, et inédite en ce qui
concerne une autorité indépen-
dante, le Conseil d’Etat demande
à l’Arcom de réexaminer le res-
pect par la chaîne propriété de
Vincent Bolloré de ses obligations
en matière de pluralisme. Il
donne six mois au « gendarme »
de l’audiovisuel pour apporter
une réponse à Reporters sans
frontières (RSF), qui l’avait saisie.
« C’est une décision historique
pour la régulation de l’audiovisuel,
pour la démocratie et le journa-
lisme », exulte Christophe Deloire,
le secrétaire général de RSF, qui se
réjouit que « le Conseil d’Etat
annule le refus de l’Arcom d’agir
contre CNews ».
En novembre 2021, RSF avait de-
mandé à l’autorité − qui s’appelait
alors le Conseil supérieur de
l’audiovisuel − de mettre en de-
meure CNews afin que celle-ci
respecte ses obligations légales
relatives à l’honnêteté, à l’indé-
pendance et au pluralisme de l’in-
formation. L’ONG jugeait que l’an-
tenne du Goupe Canal+ n’était
plus une chaîne d’information et
qu’elle s’était muée en une chaîne
d’opinion largement ouverte aux
droites extrêmes. Après des
échanges infructueux en
avril 2022, RSF avait saisi le Le patron de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), Roch-Olivier Maistre, à Paris, le 7 septembre 2021. VINCENT ISORE/IP3
Conseil d’Etat d’un recours « pour
contester le refus de l’Arcom d’agir
contre les manquements de à l’Arcom, tout en se tenant à sa Il s’agit d’un autre changement en était capable. Le droit était suf- tion n’est pas remise en cause par
CNews à ses obligations ». disposition. « On doit rentrer dans majeur de l’interprétation de la loi fisant », tance-t-il, espérant que
En 2022, l’ONG le Conseil d’Etat, qui estime que
L’autorité dirigée par Roch-Oli- un décompte qui soit beaucoup de 1986, qui régit l’audiovisuel cette décision marquante « provo- Reporters sans l’Arcom a fait son possible en la
vier Maistre est donc sommée par plus qualitatif que quantitatif », français. L’Arcom devra s’enquérir que un électrochoc dans ce mo- matière en adressant de multi-
la plus haute juridiction adminis- rebondit le sémiologue François de ce qui se passe au sein des chaî- ment crucial de montée de la dé-
frontières avait ples « mises en garde à la chaîne ».
trative d’imaginer une manière de Jost, qui a servi de conseiller nes et agir en cas de problème sinformation ». La direction de la saisi la plus haute Cette décision ouvre donc la
« prendre en compte la diversité des scientifique à RSF dans sa démar- d’indépendance comme une ingé- chaîne n’a pas réagi officielle- voie à l’établissement, par l’Ar-
courants de pensée et d’opinions che juridique. Toutefois, le dé- rence de l’actionnaire de la chaîne ment à la décision du Conseil
juridiction com, de nouveaux modes de
représentés par l’ensemble des compte classique des temps de pour en influencer les contenus. d’Etat, mais ses visages phares administrative contrôle pour faire respecter le
participants aux programmes dif- parole ne devrait pas être remis Canal+ avait certes mis en place un (Pascal Praud, Christine Kelly, pluralisme des courants de pen-
fusés, y compris les chroniqueurs, en cause. comité d’éthique et s’était doté Laurence Ferrari) ont dénoncé ce
d’un recours sée et l’indépendance au sein de
animateurs et invités, et pas uni- d’une charte éthique en 2017, mais qu’ils jugent être une attaque chaque chaîne. A l’approche des
quement le temps d’intervention « Un électrochoc » « la mise en place et le contenu sont contre la liberté d’expression. élections européennes de juin, le
des personnalités politiques ». Le délibéré du Conseil d’Etat ne bien éloignés de l’esprit de la loi », Ce recadrage de la justice à tion qui lie la chaîne à l’Arcom – et défi est délicat.
L’Arcom va devoir apprécier le s’arrête pas là. La haute autorité déplore M. Deloire. l’égard de l’Arcom est vu comme ce, même si les émissions de dé- Les nouvelles règles mises en
pluralisme des courants de pen- administrative demande égale- Ce changement de lecture de la une bonne nouvelle au sein de bat saturent sa programmation. place ne manqueront pas d’être
sée de manière globale. Concrète- ment à l’Arcom de « s’assurer de loi concerne toutes les chaînes de l’autorité de régulation, car il crée Le recours de RSF s’appuyait sur scrutées, alors que l’autorité de
ment, cela signifie que CNews l’indépendance de l’information télévision, même si CNews est une jurisprudence sur laquelle une étude de François Jost qui régulation doit aussi lancer, fin
sera tenu de rééquilibrer le choix au sein de la chaîne en tenant spécifiquement nommé par le celle-ci pourra s’appuyer. Pour avait calculé qu’en février 2022 février, les appels à candidatures
des participants à ses plateaux compte de l’ensemble de ses condi- Conseil d’Etat dans sa décision. autant, RSF n’a pas gagné sur tous « l’information stricto sensu, pour le renouvellement des
qui penchent nettement à droite tions de fonctionnement et des « Cela montre que ce n’est pas une les terrains. Le Conseil d’Etat comme énonciation de faits », autorisations de quinze fréquen-
aujourd’hui. « Il faut trouver un caractéristiques de sa program- décision de nature politique, mais n’émet pas de critique sur le res- n’occupait que 13 % du temps ces de la télévision numérique
dispositif qui ne soit pas une usine mation ». Et « pas seulement à par- bien démocratique », affirme pect du format télévisé de CNews dans les émissions « Midi News » terrestre en 2025, dont celles de
à gaz », espère M. Deloire, qui ren- tir de la séquence d’un extrait d’un M. Deloire. « On regrette que l’Ar- – censé être un « service consacré et « Soir info ». De plus, la ques- Canal+, C8 et CNews. p
voie la charge de la méthodologie programme particulier ». com n’ait pas agi plus tôt, car elle à l’information », selon la conven- tion de l’honnêteté de l’informa- brice laemle

Nicolas de Tavernost, dirigeant historique de M6, sur le départ

A 73 ans, le patron de la chaîne privée sera remplacé, le 23 avril, par David Larramendy, aujourd’hui chargé des activités commerciales

U n pouce qui appuie sur le

bouton off d’une télé-
commande. Nicolas de
Tavernost s’est passé de mots,
mardi 13 février, pour révéler, sur
le réseau social X, que sa carrière à
la tête du Groupe M6 touchait à sa
fin. Trente-sept ans après avoir co-
fondé la chaîne à l’origine du
groupe dont il préside le directoire
depuis l’an 2000, le plus ancien
dirigeant de l’audiovisuel français
passera la main le 23 avril, quand, à
l’issue de l’assemblée générale de
M6, le conseil de surveillance
enregistrera sa démission. L’ac-
tuel directeur chargé des activités
commerciales, David Larramendy,
49 ans, entré à M6 en 2008 et
membre du directoire depuis
2015, prendra alors sa succession.
Avec cette annonce surprise,
Nicolas de Tavernost anticipe une
sortie qui aurait pu n’intervenir
que le 22 août 2025, date de son
75e anniversaire. « C’est quand
même plus agréable de choisir la
date de son départ qui a plutôt été
retardée qu’autre chose », déclare
au Monde le dirigeant, qui avait
bénéficié de deux reports de l’âge
limite pour présider le directoire
de M6. Sa difficulté à préparer son
remplacement était proverbiale.
Après l’ancien directeur général
de M6 Publicité, Robin Leproux,
puis l’ex-patron de RTL, Christo-
pher Baldelli, l’actuel directeur gé-
néral des activités radio (RTL,
RTL2, Fun Radio), Régis Ravanas, a
vu le poste lui échapper en 2021,
lorsque le projet de fusion de M6
avec TF1 s’est formé.
Après avoir échoué, en 2022, à
mener à bien cette opération de
consolidation qu’il appelait de ses
vœux, puis à aboutir à la cession
de M6, Nicolas de Tavernost a
défendu avec succès, en 2023, la
candidature de l’ancienne « petite
chaîne qui monte » à l’obtention
d’une nouvelle autorisation
d’émettre de dix ans. « Les objectifs
stratégiques étant désormais clari-
fiés », indique-t-il, il a jugé « préfé-
rable de confier la présidence du
groupe à une nouvelle génération
qui devra mener à bien sa transfor-
mation ». Un temps examinée, la
candidature de Cécile Frot-Coutaz,
directrice générale de Sky Studios
et ex-directrice générale du
groupe de production Freemantle,
a été écartée au profit du patron de
la publicité, plus à même de
« maintenir la culture du groupe ».
Pour la dernière fois de sa car-
rière, Nicolas de Tavernost a pré-
senté, mardi soir, les résultats fi-
nanciers du groupe avec lequel
son nom avait fini par se confon-
dre. Il s’est félicité d’un résultat net
en hausse de 45 % sur un an (à
234 millions d’euros, grâce à des
cessions d’actifs), une marge opé-
rationnelle de 22,9 %, mais un ré-
sultat opérationnel en retrait de
10,6 %, à cause d’un chiffre d’affai-
res en baisse (– 3 %, dont 1,5 % occa-
sionné par le recul de la publicité)
pour la deuxième année de suite.
Attractivité érodée
Dans un contexte de baisse
d’audience de la télévision, Nico-
las de Tavernost refuse de consi-
dérer celle de M6 en danger.
Pourtant, la chaîne a connu son
année la plus décevante depuis
1992 avec 8,1 % de part de marché
en 2023 (et même moins de 8 %
ces deux derniers mois), soit
1 point de moins qu’en 2021…
Le renouvellement de la grille
des programmes, où brillent peu
de concepts récents et des for-
mats, certes iconiques (« L’amour
est dans le pré », « Scènes de mé-
nage », « Pékin Express », etc.),
mais à l’attractivité érodée par les
années et les multidiffusions,
constituera l’un des objectifs de
son successeur. Les récentes accu-
sations de violences psycholo-
giques et physiques qu’aurait in-
fligées à trois femmes Stéphane
Plaza, révélées par Mediapart, ont
en outre mis en lumière la dange-
reuse dépendance de la chaîne à
son animateur vedette (« Recher-
che appartement ou maison »,
« Chasseurs d’appart’ »…).
« Les chaînes du Groupe M6 sont
celles qui réalisent la meilleure
audience sur la population de
moins de 50 ans », réplique Nico-
las de Tavernost, ajoutant que « le
replay ne s’est jamais aussi bien
porté ». Le 6 mars, c’est lui qui dé-
taillera la stratégie à venir sur le
numérique, qui verra notam-
ment la plate-forme M6+ se subs-
tituer à l’actuelle 6Play.
Il laisse, en revanche, à David
Larramendy et au directeur des
programmes, Guillaume Charles,
le soin de faire aboutir un projet
de feuilleton quotidien d’un
budget de 30 millions d’euros an-
nuels, attendu « au premier se-
mestre 2025 ». Quant à RTL, dont
l’audience ne cesse plus de bais-
ser et à laquelle il a appliqué, de-
puis son acquisition en 2017, des
règles de gestion draconiennes, il
ne nourrit pas davantage de re-
gret. « Partout où nous sommes
diffusés, nous sommes devant
France Inter », balaie-t-il.
Au moment de boucler un par-
cours sans équivalent dans le
paysage audiovisuel français, Ni-
colas de Tavernost ne concède
ainsi qu’un échec (collectif) : celui
de la fusion de M6 avec TF1, qu’il
associe à la « frustration » de
n’avoir pas pesé sur « cette foutue
réglementation, qui ne bouge
pas » – son combat de toujours. p
aude dassonville
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024 économie & entreprise | 15

H
Les lignes les plus sollicitées pendant les JO 2024...

B
Parc des expositions

R
D

RE
R
RE
H
Principales lignes desservant les sites olympiques VAL-D’O ISE
Ligne de métro T11

J
Centre aquatique olympique
RER Saint-Denis Village et centre des médias
Stade Le RER B fera partie des lignes particulièrement
Transilien Saint-Denis Le Bourget renforcées pendant la période olympique,
Tram Yves-du-Manoir Le Stade Stade comme les lignes de métro 8, 10, 12, 13 et 14,
RER B
RE H de France et la 9 qui voit ses fréquences augmentées
Gares desservant les sites R
A Village olympique Le Bourget
de 50 % par rapport à l’été (+ 30 % par rapport à l’hiver).
Nouvelle gare dont la mise en service J Saint-Denis-Pleyel La Plaine-Stade de France
T2
est prévue avant juillet 2024 Stade de France-Saint-Denis
La Défense- 12 T4 Clichy-sous-Bois
Grande Arche 14 13
L Arena - La Chapelle
Leur régularité observée en 2023 Paris RER E

RER D
RE EO
Métro, RER et Transilien RA LE
3
Plus de 100 % RE Gare du Nord T3b
1 RA Vaires-Torcy P
Gare de l’Est S EI N E-S AI N T-
De 95 % à 100 %
Saint-Lazare D EN I S P
De 90 % à 95 % U Chelles-Gournay
Pont Alexandre-III 3
H
HAUTS-
AUTS-
De 85 % à 90 % Hôtel de ville
DE-SEINE Champ-de-Mars 9
De 85 % à 75 % Roland-Garros Invalides Base nautique
Saint-Michel 1 de Vaires-sur-Marne
10 Gare de Lyon
8 RER A
Sites olympiques et paralympiques 12 Montparnasse
L 9 13 Accor Arena
Autres lignes du réseau ferré 6
14 Bussy-Saint-Georges
Arena T3a RE
Château N RE
Versailles Rive Droite
P
8
Colline RER A

RE
d'Elancourt

RC
Très sollicité, le RER C verra son offre Ligne 14

RER D
augmentée de 50 % par rapport à l’hiver. Prolongement
Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines Sur le tronçon central entre Pont entre Olympiades SEINE-
Garigliano et la BNF, ce sera même plus et Orly dont ET-MARNE
Saint-Quentin-
YVELINES 65 % par rapport à un été normal. la mise en service
en-Yvelines
U La ligne sera au maximum de sa capacité. est prévue avant
N VAL-
l’été
D E-M ARN E
RE
Golf national RC 5 km
de Saint-Quentin-
Sources : Comité JO 2024 ;
en-Yvelines Ile-de-France Mobilité ; RATP
Orl

R
yva Infographie Le Monde
Massy-Palaiseau l Orly

T12
... connaissent actuellement des fragilités RATP : face à des effectifs en baisse,
Des trains annulés par manque d’effectifs Une régularité en 2023 très dégradée des embauches record de conducteurs
En nombre de missions (cumulé août-déc. 2023) Régularité cumulée en 2023
et en % par rapport au nombre de missions prévues Embauches Effectifs 2020
RER* et Transilien Métro Evolution depuis 2022 3 300
2022
RER A 0 * Tronçons SNCF et RATP
Conduite Conduite
RER B 0 (bus et métro)
RER C 8 052 (10,6 %)
20 616
RER D 3 034 (4,3 %) 19 188
1 725
RER E 526 (0,9 %)
Ligne H 3 259 (5,3 %) Les lignes 1
et 14 sont 1 470 Maintenance
Ligne J 1 197 (1,8 %) B CD P J A NE L H U automatisées
Ligne L 2 240 (3 %) Maintenance 5 224 4 887
13 6 3 12 8 10 9 1 14 400
Ligne N 1 452 (4,8 %) 264
Ligne P 154 (0,4 %) 350
Ligne U 180 (1,9 %) 80 % 85 % 90 % 95 % 100 % 2017 2023 2024

C’est du côté des bus que tout a commencé
à se dérégler, avant que l’onde ne se propage
à l’ensemble du réseau. Pendant la crise sani-
taire, la RATP et la SNCF ont suspendu recru-
tements et formation. Au même moment,
IDFM anticipait une baisse de la demande de
transport liée au télétravail, et donc de ses re-
cettes. Diminuer l’offre est finalement un
bon moyen de ne pas trop dépenser ni de
trop recruter. Toutefois, en septembre 2022,
au moment où la patronne de la RATP, Cathe-
rine Guillouard, quitte le navire « pour rai-
sons personnelles », en même temps que part
à la retraite son numéro deux, Philippe
Martin, rien ne va plus. Les temps d’attente
explosent dans Paris et l’ouverture à la con-
currence des bus en grande couronne crée
des conflits sociaux.
Sur les comptes rendus d’IDFM, des chif-
fres inédits apparaissent : un bus sur quatre
manque à l’appel au deuxième semestre de
l’année. Du côté des métros, 10 % à 20 % de
l’offre, pourtant déjà revue à la baisse, ne
sont pas assurés. A la SNCF, où l’on a toujours
regardé la RATP avec envie pour la régularité
de son service (l’offre tombait rarement sous
95 %) et son faible taux d’absentéisme, la sur-
prise est grande. Mais l’entreprise ferroviaire
est rattrapée par le même phénomène.
L’alerte commence loin de Paris, dans les
Hauts-de-France, où les passagers des TER
paient cher, là aussi, la pause des embauches
pendant la pandémie. Les Franciliens, eux,
sont habitués à serrer les dents sur les Tran-
siliens ou RER en retard ou annulés, même si
les travaux effectués sur certaines lignes et le
renouvellement du matériel roulant com-
mencent à changer la donne. L’âge moyen
du réseau de rails en Ile-de-France (24 ans) a
rajeuni de trois ans en huit ans. Il n’empê-
che : « En cette année consacrée aux JO 2024 à
Paris, alors que le RER C dessert six sites olym-
piques, la SNCF semble en route vers le record
olympique de retards et de suppressions de
trains », dénonce La Vignette du respect, une
association de défense des usagers.
En décembre 2023, la ponctualité du RER C
est tombée à 84 %. Sur l’ensemble de l’année,
plus de 9 % des trains ont été annulés par
manque d’effectifs. Les tout aussi essentiel-
les lignes de métro 9 et 10, qui achemineront
les spectateurs vers Roland-Garros et le Parc
des Princes, n’étaient pas non plus à 100 %.
Cinq lignes de métro (13, 6, 3, 12 et 8) étaient
par ailleurs sous le seuil de 90 % de régularité
fin 2023. Dans le lot figure la 13, stratégique
pour desservir les épreuves au nord de Paris.
Pour ce qui est des bus, il manquait toujours
10 % de l’offre en décembre 2023, de l’aveu
même de Jean Castex, le PDG de la RATP. Au
bout du compte, la situation pourrait être
non seulement dommageable pour les visi-
teurs des Jeux, mais aussi pour tous les usa-
gers au-delà des semaines olympiques. L’état
de l’offre à partir de mi-septembre, quand les
équipes mobilisées prendront leurs congés,
inquiète, même si SNCF et RATP garantissent
que le service promis sera assuré.
Le défi du recrutement Dès 2022, la RATP et
la SNCF ont lancé des plans de recrutement
XXL pour combler leur retard. Le 6 février,
Transilien, la branche francilienne de SNCF
Voyageurs, accueillait 1 300 candidats au
Stade de France. La mobilisation générale
porte ses fruits. En 2023, 4 900 nouveaux
cheminots ont été embauchés, dont 1 300 en
Ile-de-France. C’est moitié plus qu’en 2022 et
trois fois plus qu’en 2021. L’objectif est le
même pour 2024, année au cours de laquelle
1 300 conducteurs doivent être formés.
En 2023, 6 600 personnes ont été engagées,
contre 3 500 à 4 000 par an, avant le Covid-19.
Pour 2024, la RATP vise 5 300 embauches,
dont 1 350 conducteurs et 3 700 CDI. L’accent
est mis sur les conducteurs de bus – qui,
après cinq ans d’expérience environ, passent
au métro, puis, huit à dix ans plus tard, au
RER –, mais d’autres postes sont à pourvoir :
accueil dans les stations, sûreté et mainte-
nance, le nerf de la guerre.
« A force de rationaliser, il manquait une
présence humaine dans les stations. On est
sans doute allés un peu trop loin », a reconnu
M. Castex. L’entreprise reste « attractive », se
félicite-t-il. SNCF Voyageurs aussi, assure son
patron, Christophe Fanichet, qui a promis de
recruter 200 contrôleurs pour désamorcer
un mouvement de grève annoncé du ven-
dredi 16 au dimanche 18 février.
Derrière ce satisfecit, le climat social reste
tendu. Des grèves se sont multipliées début
2024 à la SNCF, notamment dans les centres
de maintenance, où le fait d’être en sous-ef-
fectif décourage. A la RATP, l’absentéisme a
crû de 80 % par rapport à l’avant-Covid.
Les négociations sur les compensations fi-
nancières pour les salariés, qui devront re-
noncer ou décaler leurs vacances d’été pour
cause de JO, se poursuivent. Les entreprises
ont déjà revu leur copie sur les enveloppes
de 2024. Jean Castex a annoncé 100 euros par
mois d’augmentation générale et Jean-
Pierre Farandou, président de la SNCF, une
prime exceptionnelle de 400 euros, hors JO.
Crash du tout-gratuit et problèmes de pro-
duction L’autre grande promesse faite par
Paris 2024, à savoir la gratuité des transports,
a, elle, été balayée par l’inflation. Le comité
d’organisation et Valérie Pécresse, prési-
dente de la région Ile-de-France et d’IDFM,
doivent se rendre à l’évidence en 2022 : le
tout-gratuit n’est pas tenable. Les organisa-
teurs y renonceront en décembre de la
même année. Les touristes olympiques paie-
ront le prix fort. Il n’est « pas question que les
Franciliens financent les Jeux » et les 200 mil-
C’EST DU CÔTÉ lions d’euros que coûte le dispositif JO, a fait
DES BUS QUE TOUT savoir Mme Pécresse.
Le prix du passe Navigo ne bougera pas, ce-
A COMMENCÉ À SE lui des tickets de métro ou de bus achetés à
l’avance, non plus. En revanche, le billet
DÉRÉGLER. PENDANT vendu pendant l’événement passe de
LA CRISE SANITAIRE, 2,10 euros à 4 euros, le carnet de dix double
aussi, et le prix pour aller à Orly grimpe de 11
LA RATP ET LA SNCF à 16 euros. Un passe dégressif selon le nom-
bre de jours (de 16 euros le premier jour à
ONT SUSPENDU 70 euros la semaine) sera proposé aux visi-
teurs. « C’est moins cher que le passe quoti-
RECRUTEMENTS dien du métro de Londres [23 euros] », plaide
ET FORMATION IDFM. Seule Anne Hidalgo, la maire socia-
liste de Paris, conteste cette envolée. Du côté
de l’Etat et des opérateurs, on se concentre
sur la hausse de l’offre.
Là encore, le défi est de taille. La SNCF doit
déployer 4 500 trains supplémentaires, avec,
par exemple, des navettes spéciales depuis la
gare Saint-Lazare vers le stade Yves-du-Ma-
noir (hockey et rugby à VII), à Colombes
(Hauts-de-Seine), qui avait déjà accueilli les
JO de 1924. La SNCF et la RATP promettent
une offre de 15 % de métros supplémentaire
par rapport à un été classique, et de 30 % sur
les lignes les plus sollicitées.
Des discours rassurants Malgré ce carac-
tère hors norme, la RATP, la SNCF et IDFM
sont particulièrement sereines. Le manque
de trains Alstom-Bombardier, qui empê-
chera de mettre en route à bonne fréquence
le RER E prolongé jusqu’à Nanterre-La Folie,
par exemple, ne les affole pas. Seuls quatre
trains par heure circuleront, mais « l’effet
“waouh !” sera au rendez-vous », assurent
Alain Ribat, le directeur général de Transi-
lien, et Delphine Comolet, chargée de mis-
sion sur l’organisation des Jeux. « La gare de
la porte Maillot, sous une verrière, au pied de
l’hôtel des membres du CIO, est magnifique. »
Cette extension, c’est une « cerise sur le gâ-
teau » : l’Arena de la Défense, où se tiendront
les épreuves de natation, est déjà desservie
par le RER A, la ligne 1 et les trains L et U.
Même cette journée du 30 juillet, où des
épreuves auront lieu simultanément au Parc
des Princes, à Roland-Garros et à Versailles,
desservis par les lignes de l’ouest, leur paraît
gérable. Ils misent sur les recrutements.
« Nous avons fait de la dentelle et tout ajusté
heure par heure », remarque Mme Comolet.
« Au plus fort des JO, nous serons toujours en
dessous d’une période de pointe ordinaire en
semaine, hors vacances scolaires », rappelle
l’ancien ministre délégué aux transports
Clément Beaune. Les travaux seront suspen-
dus dans toute la région.
Même le défi de vider et de remplir certains
jours trois fois le Stade de France (ce qui
revient à déplacer 180 000 personnes)
semble sous contrôle. « Nous avons étu-
dié tous les flux, fait des exercices. La circu-
lation, l’information voyageurs et la signaléti-
que seront considérablement améliorées »,
insiste Delphine Comolet. Cela fera partie de
l’héritage des Jeux. Tout comme le prolon-
gement de la 14, le démarrage d’Eole, le ren-
forcement de la cybersécurité souligné par
Jean Castex, et les kilomètres de pistes cycla-
bles supplémentaires.
Pour permettre aux Franciliens de bien
préparer cette période, le gouvernement a
mis en ligne un site Internet : Anticiperles-
jeux.gouv.fr. En fonction des jours et des
heures, il montre les stations à éviter et cel-
les à privilégier, et, pour les automobilistes,
les rues condamnées. Les athlètes et les VIP,
eux, ne sont pas concernés : ils auront leur
propre réseau de transport, en voitures par-
ticulières ou en bus, avec des voies réservées,
notamment sur le périphérique. p
émeline cazi et sophie fay
16 | économie & entreprise
Les start-up françaises du spatial
à la recherche de financement
En janvier, trois jeunes sociétés, Latitude (microfusées), Greenerwave
(antennes) et Aldoria (télescopes), ont annoncé des levées de fonds
S
ignal encourageant pour
les start-up françaises du
« new space », cet écosys-
tème qui se développe
dans le spatial depuis une dizaine
d’années, porté par une multipli-
cation d’initiatives privées. En jan-
vier, trois d’entre elles, Latitude et
sa microfusée Zéphyr, Greener-
wave et ses antennes intelligen-
tes, et Aldoria qui déploie des sta-
tions de télescopes pour surveiller
l’espace, ont annoncé des levées
de fonds s’élevant respectivement
à 27, à 15 et à 10 millions d’euros.
Ces opérations interviennent
après une année marquée par un
assèchement du marché, en rai-
son de la hausse des taux d’inté-
rêt, banquiers et investisseurs dé-
laissant en priorité des activités
jugées trop compliquées et trop
risquées telles celles des jeunes
entreprises du spatial. Ainsi, selon
Euroconsult, les investissements
privés dans le monde ont été qua-
siment divisés par deux entre
2021 et 2023, passant de 12,6 mil-
liards de dollars (11,7 milliards
d’euros) à 6,5 milliards de dollars.
Ce fut une année « compliquée »
qui n’a pas été sans rappeler 2020,
début de la pandémie de Co-
vid-19, reconnaît le fondateur de
Latitude, Stanislas Maximin, éga-
lement responsable de l’Al-
liance NewSpace France, une as-
sociation qu’il a fondée et rassem-
blant une quarantaine de jeunes
entreprises. Cela les a souvent
obligées à « repenser leurs straté-
gies pour ne pas trop souffrir »,
poursuit ce dirigeant de 25 ans.
L’activité dans le secteur a pu être
maintenue grâce au soutien des
pouvoirs publics sous diverses
formes, par le plan d’investisse-
ment France 2030 et Bpifrance,
ou en convainquant un maxi-
mum d’intervenants d’investir
quand ils le pouvaient et, aussi, en
apportant un soutien technique.
La FNSEA maintient le gouvernement sous
pression avant le Salon de l’agriculture
Le premier syndicat agricole tient à s’assurer de l’avancée des mesures d’urgence promises
P lus que quelques jours
avant l’ouverture du Salon
de l’agriculture, à Paris.
Le compte à rebours s’accélère et
la Fédération nationale des syndi-
cats d’exploitants agricoles
(FNSEA) a décidé de remettre la
pression sur le gouvernement.
Un ultimatum entendu par le pre-
mier ministre, Gabriel Attal, qui a
accepté de recevoir une nouvelle
fois Arnaud Rousseau et Arnaud
Gaillot, respectivement prési-
dents de la FNSEA et des Jeunes
Agriculteurs (JA), mardi 13 février.
Le 1er février, les deux syndicats
agricoles avaient annoncé la sus-
pension du mouvement de
contestation après une réunion à
Matignon, où le gouvernement
s’était engagé à présenter un nou-
Loi EGalim : la Cour des comptes
critique l’absence de sanctions
Dans un audit flash publié mercredi 14 février, la Cour des comp-
tes a mis en évidence la faible application de la loi EGalim, cen-
sée rééquilibrer, au profit de l’agriculture, la valeur dans la filière
agroalimentaire, l’une des revendications-clés des agriculteurs
lors de la récente crise. Dans son analyse portant sur 64 contrats
signés avec la filière bovine et ayant été contrôlés, l’institution
constate que la répression des fraudes n’a trouvé qu’une mino-
rité d’accords conformes à la loi (7 sur 35 dans la viande, 9 sur
29 pour le lait) et qu’elle n’a pourtant sanctionné aucun des
grands acheteurs, se contentant de rappels à la réglementation.
« Je suis le premier à critiquer
l’Etat quand il ne fait pas son job,
mais là, je le reconnais, s’il n’avait
pas joué son rôle, il y aurait eu
énormément de casse dans les
start-up, souligne Stanislas Maxi-
min. J’espère que cette année 2024
sera celle de la rédemption, où les
acteurs vont pouvoir reprendre
leurs investissements. Car le risque
est de ne pas aller assez vite, et les
concurrents ne vont pas attendre. »
Mais, prévient-il, « je reste prudent
malgré tout. On a compensé quand
il le fallait, mais on n’a pas réglé le
problème de fond du financement
du spatial. C’est un domaine com-
plexe où les fonds d’investissement
classique ne veulent pas entrer ».
Cinquantaine de fusées en 2028
Les 27 millions d’euros collectés
par Latitude permettent à cette
entreprise fondée en 2019 et qui
emploie 140 personnes de mettre
en production les éléments de sa
première microfusée puis de pro-
céder à son assemblage. Le lance-
ment est prévu en 2025, avec pour
objectif d’en réaliser une cinquan-
taine par an à partir de 2028. Le
marché visé est celui des nanosa-
tellites, de la taille d’une boîte à
chaussures et pouvant peser de
quelques dizaines de grammes
jusqu’à 40 kilogrammes.
Zéphyr, dans sa première ver-
sion, pourra emporter jusqu’à
100 kilogrammes de charge, une
capacité qui doublera dans quatre
ans. A l’horizon 2028, les estima-
tions portent sur plus de mille na-
nosatellites par an à mettre en or-
bite dans le monde. Latitude vise
15 % du marché et entend être le
leader européen dans un secteur
aujourd’hui dominé par les Amé-
ricains, avec les lanceurs Falcon de
SpaceX et les minifusées de Roc-
ket Lab, mais où les projets sont
nombreux. Rien qu’en France, six
sont en développement.
veau train de mesures à l’occasion
du Salon de l’agriculture (24 fé-
vrier-3 mars). A mi-parcours, la
FNSEA a exprimé son impatience.
« Il nous semblait que le rythme
n’était pas le bon », a déclaré
M. Rousseau. « Après le coup de se-
monce du week-end, nous avons
pu passer toutes les mesures en re-
vue », s’est réjoui M. Gaillot.
L’éventail des sujets abordé a été
large, avec le plan Ecophyto, censé
réduire l’usage des pesticides,
mais combattu par la FNSEA – la-
quelle répète « Pas d’interdiction
sans solution » –, le zonage qui
doit fixer les espaces de non-trai-
tement aux pesticides, le loup, le
plan de soutien à l’élevage et
la non-surtransposition des nor-
mes en France. Figuraient égale-
Ces opérations
interviennent
après une année
marquée par un
assèchement
du marché
« Grâce à notre levée de fonds,
nous passons d’une start-up qui se
développait par autofinancement
grâce à des contrats de recherche et
développement à une vraie entre-
prise », explique Geoffroy Lerosey,
le PDG de Greenerwave, une so-
ciété fondée en 2015, issue de l’ins-
titut de recherche Langevin (une
unité mixte de recherche du Cen-
tre national de la recherche scien-
tifique et de l’Ecole supérieure de
physique et de chimie industriel-
les de la Ville de Paris) spécialisé
dans la physique des ondes.
Cet apport financier va permet-
tre de fabriquer un terminal de
45 centimètres de côté muni d’une
antenne intelligente capable de se
diriger dans toutes les directions
pour assurer une connexion haut
débit et stable entre les satellites et
leurs utilisateurs. La technologie
utilisée est cinq fois moins coû-
teuse et moins consommatrice
que les antennes classiques, car
elle intègre moins de semi-con-
ducteurs. Ces nouvelles antennes
de plusieurs milliers d’euros inté-
ressent les secteurs de la défense,
de l’espace, de l’automobile et des
télécommunications.
Trois industriels ont participé au
tour de table, le motoriste Safran,
l’opérateur de satellites Intelsat et
l’équipementier Plastic Omnium.
« Nous arrivons sur un marché qui
existe déjà, mais qui est en train de
s’ouvrir », affirme M. Lerosey, con-
fiant face à des grands concurrents
américains, israéliens ou coréens.
ment à l’ordre du jour la loi sur les
retraites agricoles, celle concer-
nant les troubles de voisinage,
la concrétisation des mesures
d’urgence présentées le 26 janvier
par M. Attal ou encore la modifi-
cation de la loi EGalim.
« Besoin d’une autre enveloppe »
A ce menu copieux s’ajoutait le
projet de loi sur le renouvelle-
ment des générations en agricul-
ture, qui avait été décalé et qui
doit maintenant être prêt d’ici
juin. « Il y aura sûrement besoin
d’une autre enveloppe pour les
transmissions d’exploitation.
Nous ne pouvons pas la chiffrer
aujourd’hui. Nous allons discuter
avec Bercy », précise M. Gaillot.
Le ministère de l’économie avait
estimé à 400 millions d’euros les
mesures d’urgence. La FNSEA
souhaite en sus l’inscription dans
la loi de la souveraineté alimen-
taire, déclinée en « produire pour
nourrir », selon les termes de
M. Rousseau, et en un « volet com-
pétitivité de la Ferme France ».
Comme il le fait traditionnelle-
ment avant le Salon de l’agricul-
ture, le président de la République,
Emmanuel Macron, devait rece-
voir les syndicats agricoles – la
Confédération paysanne et la
Coordination rurale, mercredi
Sa société, qui est passée en 2023
de 40 à 85 salariés, va en recruter
plusieurs dizaines en 2024 pour
s’ajouter de nouvelles compéten-
ces dans le marketing, la stratégie
et la communication, signe de son
changement d’échelle.
« Nous scannons le ciel, un peu
comme un radar de veille », ra-
conte Romain Lucken, fondateur
d’Aldoria, en présentant les six
stations de douze télescopes ins-
tallées en Australie, en Amérique
du Nord et du Sud, et en Europe.
L’objectif, surveiller l’espace et an-
ticiper les menaces de collision
dues à la prolifération des débris
spatiaux et des satellites. En 2023,
la start-up a généré 230 000 me-
sures sur 5 000 objets et a anticipé
30 millions de rapprochements
entre objets spatiaux. La société a
des contrats avec le Centre natio-
nal d’études spatiales, l’Agence
spatiale européenne, Airbus, mais
aussi Astroscale, société japonaise
développant des satellites pour al-
ler récupérer des débris spatiaux,
et Isar Aerospace, entreprise alle-
mande fabriquant une minifusée.
Avec l’apport de 10 millions
d’euros, Aldoria entend doubler
son réseau de stations d’ici à la fin
2025. Ce développement va s’ac-
compagner de recrutements pour
cette société basée à Paris, à Tou-
louse et à Austin (Texas), les effec-
tifs passant de trente-deux à une
cinquantaine d’ici à la fin de l’an-
née. Simultanément, elle a
changé de nom, abandonnant ce-
lui d’origine, Share My Space,
choisi lorsque M. Lucken avait
créé l’entreprise en 2017, à l’âge de
24 ans et sortant de Polytechni-
que. « Certains pensaient que nous
louions des espaces de coworking
et d’autres nous reprochaient la
consonance anglaise, s’amuse-
t-il. Aldoria évoque la nébuleuse
des Pléiades, c’est plus adapté. » p
dominique gallois
14 février, et la FNSEA et les JA, la se-
maine du 19 février. « Nous allons
[l’]interroger sur le volet européen,
pour connaître l’évolution du Pacte
vert après sa rencontre avec Ursula
von der Leyen [la présidente de la
Commission européenne] et évo-
quer la directive sur les émissions
industrielles », relève M. Rousseau.
Ce dernier se dit satisfait de la
décision prise par Bruxelles, et of-
ficialisée mardi 13 février, d’auto-
riser, en 2024, les agriculteurs
européens à déroger à l’obligation
de 4 % de jachère, mesure agroen-
vironnementale qui conditionne
l’attribution des aides de la politi-
que agricole commune. M. Rous-
seau attend du chef de l’Etat qu’il
donne « sa vision » pour l’agricul-
ture. « Il lui reste trois ans de man-
dat et son discours de Rungis [d’oc-
tobre 2017] a vécu », ajoute-t-il.
La prise de parole de M. Macron
lors du Salon de l’agriculture sera
donc très suivie. Pour la FNSEA et
les JA, il ne s’agit que d’une étape.
Les deux présidents se sont félici-
tés d’avoir obtenu du premier mi-
nistre la promesse d’un calendrier
de rencontres régulier – une fois
par mois, pour suivre l’état d’avan-
cement des divers chantiers.
En particulier sur le sujet de la
simplification administrative. p
laurence girard
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
PERTES & PROFITS | PÉTROLE
p a r p h il ip p e e s c a nde
La fin des « chats
sauvages » de l’or noir
On les appelle les wildcatters, les
« chats sauvages ». Leurs bottes
liards de dollars de montant
d’acquisitions qui ont été enre-
sont crottées et leurs manteaux gistrés depuis janvier 2023.
poussiéreux. Ils ont démarré de La région du bassin sédimen-
pas grand-chose, en forant un taire permien qui s’étend de
trou dans l’ouest du Texas. Puis le l’ouest du Texas au sud-est du
pétrole en est sorti, et ils ont pros- Nouveau-Mexique est le plus
péré en multipliant les forages. grand gisement de gaz et de pé-
Et en restant leur propre boss. trole de schiste au monde. C’est
Autry Stephens est de cette race grâce à lui que les Etats-Unis sont
féline. Son puits d’origine s’ap- redevenus le premier producteur
pelle Big Dog. Il l’a foré tout près mondial de pétrole, loin devant
de sa ville de Midland, au Texas, l’Arabie saoudite ou la Russie.
en 1979. Il a bâti un empire, En- Son mode de production avec
deavor, qui a fait de lui un multi- des forages de courte durée gérés
milliardaire depuis l’essor des gaz par des petits producteurs très
et pétrole de schiste. Il le sera flexibles en a fait la variable
beaucoup plus encore après la d’ajustement des prix mondiaux
vente, annoncée lundi 12 février, de l’or noir face au cartel de l’Or-
de sa société à son concurrent ganisation des pays exportateurs
Diamondback pour 26 milliards de pétrole. Les grandes majors
de dollars (24,3 milliards d’euros). estiment qu’il est temps de
rationaliser tout cela en faisant
Rationalisation jouer les effets d’échelle.
Une page se tourne dans l’his- Cette rationalisation d’un uni-
toire pétrolière américaine. Les vers peu régulé, premier émet-
indépendants au mauvais carac- teur mondial de CO₂ du fait des
tère cèdent la place à des mana- innombrables torchères et fuites
geurs policés salariés de grandes de méthane, était inéluctable.
compagnies cotées en Bourse. Elle porte la marque d’une nou-
Depuis un an, les confrères velle attitude des grands pétro-
d’Autry Stephens sont rachetés liers, confrontés à la perspective
les uns après les autres. du déclin à moyen terme de leur
L’opération la plus spectacu- production et à la nécessité d’in-
laire a été l’acquisition par le nu- vestir dans des sources de cash à
méro un mondial ExxonMobil rendement rapide pour pallier le
de Pioneer pour près de 60 mil- désintérêt de la Bourse pour leur
liards de dollars, en octo- activité. Les « chats sauvages »
bre 2023. Selon le Financial Ti- devront se trouver un nouveau
mes, ce sont près de 180 mil- terrain de jeu. p
A Paris, les bouquinistes des quais
pourront rester pendant les Jeux
E mmanuel Macron a tranché, et c’est lui-même qui se
porte au secours des bouquinistes des bords de Seine, à
Paris. Le chef de l’Etat a demandé, mardi 13 février, au mi-
nistre de l’intérieur et au préfet de police de Paris qu’aucun de ces
libraires à ciel ouvert ne soit contraint de déplacer les fameuses
boîtes vert wagon lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux
olympiques (JO) organisés cet été. Depuis sept mois, la Préfec-
ture de police et la Mairie de Paris réclamaient, pour des raisons
de sécurité, le déménagement des bouquinistes pendant cette
période. Les bouquinistes redoutaient que leurs célèbres caisses
en bois ne s’abîment lors du démontage, du transport et du re-
montage. Sans compter que la Mairie de Paris n’avait pas prévu
le moindre centime pour les indemniser. « Constatant qu’aucune
solution consensuelle et rassurante n’a pu être identifiée avec ces
acteurs, [le président] leur manifeste son attention, considérant
qu’il s’agit d’un patrimoine vivant de la capitale », a déclaré une
source à l’Elysée, ajoutant qu’Emmanuel Macron a demandé que
le dispositif de sécurité soit « adapté en conséquence ».
Jérôme Callais, président de l’Associa-
tion des bouquinistes de Paris, souffle
« NOUS REMERCIONS enfin : « C’est magnifique ! Nous remer-
EMMANUEL MACRON
DU FOND DU CŒUR.
cions Emmanuel Macron du fond du
cœur, il met fin à sept mois de cauche-
mar et d’incertitude. » Chaque année en
janvier, M. Callais envoie ses vœux au
IL MET FIN À SEPT chef de l’Etat. « Là, il m’a répondu tout
récemment : “Comptez sur moi, très cor-
MOIS DE CAUCHEMAR dialement.” » D’après le représentant
ET D’INCERTITUDE » des bouquinistes, M. Macron et son
épouse venaient – surtout avant d’être
JÉRÔME CALLAIS à l’Elysée – acheter des ouvrages et par-
président de l’Association ler avec ses confrères. Cette décision
des bouquinistes de Paris élyséenne arrive au moment exact où
les choses allaient s’envenimer. L’Asso-
ciation des bouquinistes de Paris mettait la dernière main au re-
cours qui allait être déposé au tribunal administratif de Paris
pour éviter que les boîtes ne soient enlevées.
La ministre de la culture, Rachida Dati, également élue d’op-
position municipale à Paris, s’est fait un plaisir de se féliciter de
la décision sur X : « Je remercie le président de la République
d’avoir entendu les arguments des bouquinistes et leurs deman-
des en vue des Jeux olympiques de Paris 2024, soutenues depuis
l’origine par l’ensemble des élus du groupe Changer Paris. »
Selon une source proche du dossier citée par Reuters, l’« arbi-
trage » sur la jauge de spectateurs présents en bord de Seine
pour la cérémonie, que la décision présidentielle implique, a
déjà été pris en compte par le ministre de l’intérieur, Gérald Dar-
manin. Ce dernier a annoncé, le 31 janvier, la baisse du nombre
de spectateurs qui pourront assister au défilé fluvial : la jauge a
été ramenée de 600 000 à « à peu près 300 000 » personnes, a
déclaré M. Darmanin. « L’idée, c’est qu’il y a 100 000 personnes
dans les quais bas », avec des billets payants, et « plus de
220 000 personnes sur les quais hauts », avec des billets gratuits.
Le ministre de l’intérieur devrait donner fin mars des détails sur
l’ensemble du dispositif de sécurité. p
nicole vulser
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
B Corp, Afnor, Great Place to Work…
la fabrique des labels d’entreprise
Les employeurs recourent à ces certifications pour soigner leur image et leur attractivité
B
Corp, Happy Index at
Work, Top Em-
ployers… Depuis les
années 1990, les la-
bels employeurs sont devenus un
véritable marché. Fondées sur le
volontariat, et sans valeur juridi-
que particulière, ces certifications
répondent à des objectifs variés
du côté des entreprises. Le pre-
mier d’entre eux est de renforcer
leur marque employeur, pour
garder leurs salariés et en attirer
de nouveaux.
Pierre André, cofondateur de la
start-up Wecasa, une plate-
forme pour trouver des profes-
sionnels du ménage ou du bien-
être à domicile, imagine déjà sa
fierté à arborer « B Corp » (pour
« benefit corporation ») pendant
trois ans, si son dossier est va-
lidé : « On est en cours d’audit, et
c’est assez fastidieux ! Mais
B Corp représente une reconnais-
sance de ce qu’on fait, avec des
conséquences pour l’image publi-
que de la boîte et les salariés. »
Label de responsabilité socié-
tale et environnementale (RSE)
né aux Etats-Unis en 2006 et géré
par une ONG, B Corp est un réfé-
rentiel identique partout dans le
monde. Les entreprises commen-
LES CHIFFRES
21 500
euros, c’est le prix à payer pour
participer au processus de label-
lisation du Top Employers Insti-
tute, en 2023.
1 MILLION
C’est, selon l’Afnor, le nombre
d’agents et de salariés des orga-
nismes titulaires des labels Diver-
sité et/ou Egalité professionnelle,
en France. Ces organismes sont
à 70 % des entreprises privées de
plus de cinquante salariés, et à
30 % des collectivités publiques.
Sur la santé des femmes, de la prévention mais pas de différenciation
Les rencontres RH du 6 février ont abordé les pathologies propres aux salariées, comme l’endométriose, la ménopause et le cancer du sein
L es entreprises doivent-elles
considérer la santé des
femmes comme un sujet
en soi, pour mieux s’adapter aux
difficultés qu’elles rencontrent ?
C’est l’avis de Florence Chappert,
responsable de la mission égalité
intégrée à l’Agence nationale
pour l’amélioration des condi-
tions de travail (Anact) : « Une ap-
proche genrée de la question des
conditions de travail permet de
comprendre que les femmes ne
sont pas mieux protégées que les
hommes. Si les femmes ont quatre
ou cinq jours d’absentéisme par an
de plus que les hommes, cela ne
s’explique pas seulement par les
enfants, mais aussi par des
contraintes spécifiques, qui les ex-
posent à des conséquences finan-
cières, la perte d’un emploi ou l’iso-
lement du collectif. »
C’est par ce constat que cette spé-
cialiste de la santé a ouvert les ren-
contres RH du 6 février − le rendez-
vous mensuel de l’actualité RH or-
ganisé par Le Monde en partena-
riat avec ManpowerGroup Talent
Solutions et Malakoff Humanis,
qui ont réuni une dizaine de DRH
à Paris et à distance. Cet état des
cent par s’autoévaluer gratuite-
ment, puis peuvent demander à
être certifiées par des auditeurs
pour rejoindre officiellement le
mouvement.
En se lançant dans cette « aven-
ture », Wecasa a souhaité valori-
ser ce qu’elle considère comme
de bonnes conditions de travail
dans son entreprise, ou encore
son bon bilan carbone.
Le niveau de sérieux de la mé-
thodologie varie très fortement
d’un label à l’autre, mais tous
sont fondés sur un cahier des
charges. Les plus « officiels » sont
ceux du groupe Afnor, expert de
la normalisation des entreprises.
Les labels Egalité professionnelle
(créé en 2004) et Diversité (2008)
sont des labels d’Etat qui cher-
chent à coller à la loi, et à attester
de l’engagement sur ces deux
thématiques. Celui de la diversité
s’appuie sur les vingt-six critères
de discrimination définis par le
Défenseur des droits.
Plusieurs niveaux de contrôle
Pour structurer sa démarche, cha-
que entreprise est invitée à passer
par sept étapes : réaliser un état
des lieux relatifs aux dispositifs
existants en référence aux critè-
res de discrimination, définir un
plan d’action avec les partenaires
sociaux, communiquer en in-
terne, faire un bilan… Puis elle
passe devant une commission
composée de représentants des
partenaires sociaux. Chacun des
deux labels est accordé pour qua-
tre ans. Les labels les plus com-
plets font intervenir des auditeurs
externes pour contrôler ce que les
directions des ressources humai-
nes (RH) avancent : on parle alors
plutôt de certification. C’est ce que
défend le Top Employers Institute,
qui propose depuis 1992 un
« audit objectif des pratiques RH »
aux entreprises du monde entier.
En 2024, il a certifié 110 entrepri-
ses en France.
Pendant six à huit semaines, les
directions renseignent leurs prati-
ques sur près de 350 sujets, clas-
sées dans six domaines : stratégie
lieux est le fruit de recherches ré-
centes, qui ont permis de visibili-
ser des risques professionnels,
longtemps sous-estimés par les
politiques publiques et les entre-
prises, que subissent spécifique-
ment les femmes dans le cadre de
leur travail. Entre 2001 et 2019, le
nombre d’accidents du travail a
grimpé de 41,6 % pour les femmes,
tandis qu’il chutait de 27,2 % chez
les hommes.
Lorsqu’il s’agit de visibiliser les
problématiques de santé au travail
propres aux femmes, les DRH évo-
quent spontanément l’endomé-
triose, une maladie chronique
sans remède qui touche exclusive-
ment celles en âge de procréer, et
en concerne près de 10 %. Lors des
crises que peuvent subir certaines
salariées, il s’agit pour les mana-
geurs de davantage tolérer des
absences de courte durée sur le
temps de travail.
Sur les maladies chroniques, la
Caisse nationale d’assurance-
vieillesse (CNAV) dit utiliser le télé-
travail comme un levier pour per-
mettre à des salariées de souffler,
et plus généralement la flexibilité
du temps de travail. De son côté,
Malakoff Humanis octroie depuis
peu cinq jours supplémentaires de
télétravail occasionnel aux fem-
mes atteintes d’endométriose
(portant le plafond à vingt jours)
ou de cinq jours d’absence rému-
Lorsqu’une
entreprise paie
pour un label
RH ou RSE, elle
paie aussi pour
entrer dans un
réseau
RH, organisation du travail, recru-
tement, formation, engagement
des collaborateurs, diversité et in-
clusion. Chaque année, 5 % à 10 %
des questions changent pour sui-
vre l’évolution du management.
« C’est un référentiel exigeant, qui
nécessite d’avoir déjà formalisé ses
pratiques. On demande des docu-
ments pour illustrer chaque ac-
tion », explique Vincent Binétruy,
directeur France de Top Em-
ployers Institute. Si le score
moyen de l’entreprise atteint
60 %, l’entreprise est certifiée.
La quasi-totalité de ces procédu-
res ont un coût : fixe chez Top Em-
ployers Institute (21 500 euros),
variable chez les autres
(9 000 euros en moyenne chez
Great Place to Work).
Dans leur méthode, certains la-
bels ne consultent absolument
pas les salariés. Great Place to
Work, au contraire, n’interroge
qu’eux, en quinze minutes de
manière anonyme. « On vient
diagnostiquer le niveau de con-
fiance vécu par les collaborateurs,
explique le directeur général, Jul-
lien Brezun. La certification est
obtenue si deux tiers des salariés
répondent positivement. » Sur
500 candidats par an, la moitié
est validée, et un top 100 valorise
les meilleurs.
Pour l’Afnor, il faut allier parole
managériale et vérification
auprès des salariés. Son label En-
gagé RSE, qui compte 600 labelli-
sés, compare le niveau de matu-
rité de l’entreprise à la norme in-
ternationale ISO 26 000. Il est
fondé sur les allers-retours entre
les engagements de l’entreprise
nérée autorisés par an, pour celles
qui ne peuvent télétravailler.
Sur ce sujet, la direction générale
du travail et l’Anact vont prochai-
nement publier un guide à desti-
nation des manageurs et des RH.
L’enjeu reste avant tout de sensibi-
liser sur les pathologies existan-
tes, pour mieux les rendre visi-
bles dans l’entreprise. « C’est sur la
santé que l’on voit les véritables va-
leurs d’une entreprise : comment
elle gère la prévention, est-ce qu’elle
prévoit des compléments de salaire
pour compenser les jours de ca-
rence lors d’un arrêt maladie par
exemple », considère Laurence
Breton-Kueny, DRH du groupe
Afnor et vice-présidente de l’asso-
ciation nationale des DRH.
Les participants à la table ronde
disent également avoir progressé
sur le retour de congé maternité,
la capacité à parler de la méno-
pause et ses conséquences, ou en-
core du cancer. « Le cancer du sein
arrive à 60 ans en moyenne, tandis
que celui de la prostate arrive à
68 ans. Le premier concerne donc
davantage des femmes en em-
ploi », précise Mme Chappert.
Sur un sujet aussi fondamental
que la maternité, elle constate
néanmoins la persistance d’un
déficit d’information des femmes
sur les risques du travail quand
on est enceinte, sur le port de
charges ou la station debout no-
et le terrain. Pour Alain Jounot,
responsable RSE, le seul point de
vue de la direction ne peut suf-
fire : « Pour assurer la crédibilité
d’un label ou d’une certification, il
faut des évaluations récurrentes
sur site, questionner les salariés.
La RSE dans une entreprise, ça se
respire. »
Lorsqu’une entreprise paie pour
un label RH ou RSE, elle paie aussi
pour entrer dans un réseau, où
elle pourra se comparer à ses con-
currents sur nombre d’indica-
teurs. « Ce qui compte, c’est la tra-
jectoire par rapport aux autres. On
vend un bilan collaborateur,
comme on vendrait un bilan car-
bone », formule Jullien Brezun.
L’Afnor propose aussi un club des
labellisés, où ils échangent sur
leurs pratiques.
Bénéfique
Etre labellisé est-il gage de suc-
cès ? Cela est bénéfique en ma-
tière de finances, de réputation,
mais aussi de fierté et de mixité,
indique l’Afnor. « Quel que soit le
type d’entreprise, le label social
renforce l’attractivité de l’entre-
prise. On le voit avec davantage de
candidatures, et des candidatures
de meilleure qualité », confirme
Chloé Guillot-Soulez, autrice
d’une étude comparative sur les
labels au Québec.
Toutefois, les salariés ou les
clients d’une entreprise labellisée
B Corp peuvent contester la certi-
fication, en cas de manquement
grave. A la suite de la révélation
de dysfonctionnements managé-
riaux, la marque de bières britan-
nique Brewdog a ainsi perdu son
label en 2022. « Il y a un risque de
“greatwashing”, de décalage entre
l’image externe et interne, a pu ob-
server Chloé Guillot-Soulez. On
affiche le label, cela suscite des at-
tentes chez les candidats, mais si
l’on arrive dans l’entreprise et qu’il
y a un sentiment de rupture du
contrat psychologique, ça peut fa-
voriser le turnover et l’absen-
téisme. Un label augmente les at-
tentes des salariés. » p
jules thomas
tamment. « Déclarer sa grossesse
reste aussi un tabou en 2024. L’ac-
cueil n’est pas toujours favorable,
encore pire si elles viennent d’être
embauchées. »
Sensibiliser et accompagner
Pour certains, renforcer cet axe
passe par une prise de conscience
plus générale des discriminations
subies par les femmes. « La lutte
contre les violences sexistes et
sexuelles est une bonne porte d’en-
trée, témoigne Coralie Delfosse,
directrice développement et
transformation RH de la CNAV.
Certaines remarques, sous le cou-
vert de l’humour, peuvent avoir
trait au cycle féminin, comme “elle
a ses règles ou quoi ?”. »
Sur la santé de ses 82 % de sala-
riées de genre féminin, Mathilde
Tabary, directrice des relations so-
ciales du groupe de médico-social
Clariane (ex-Korian), évoque spon-
tanément non pas les pénibilités
physiques, mais la santé mentale :
« On développe des formations sur
l’accompagnement social et psy-
chologique, pour permettre la libé-
ration de la parole sur des sujets
comme les violences conjugales. »
D’autres participants citent la
charge mentale pour les proches
aidants, très souvent des femmes.
Outre la sensibilisation et l’ac-
compagnement, les employeurs
semblent assez frileux à proposer
management | 17
CARNET DE BUREAU
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER
Les cadres moins
mobiles et plus inquiets
P
lus de deux cadres sur trois s’inquiètent pour
leur pouvoir d’achat. Moins sensibles à l’infla-
tion que les petits salaires, ils avaient, ces derniè-
res années, trouvé la parade pour améliorer
leurs revenus, en changeant d’employeur. La tentation
était facile. Sur un marché du travail au beau fixe, plus de
30 % d’entre eux ont ainsi répondu à une offre d’emploi
dans l’année. Et un sur dix a rejoint une autre entreprise
en 2022 puis tout autant en 2023.
« A leurs yeux, la mobilité externe a représenté l’oppor-
tunité de gagner plus », indique l’Association pour l’emploi
des cadres (APEC). Pour réaliser son baromètre trimestriel
des intentions de recrutement et de mobilité des cadres,
publié jeudi 8 février, l’APEC a interrogé quelque 2 000 sa-
lariés du 4 au 15 décembre 2023. L’intuition des cadres
était bonne : 51 % des entreprises consultées avaient dû
revoir la rémunération de leur offre
d’emploi à la hausse pour trouver un
À LA FIN DE L’ANNÉE candidat et 66 % de ceux qui ont bougé
2023, UN CADRE enMais, 2023 ont été augmentés.
en 2024, le contexte n’est plus le
SUR DEUX ESTIMAIT même. La Banque de France n’a toujours
pas sonné la fin de l’inflation, tandis que
QU’EN CAS le marché de l’emploi se porte moins
DE MOBILITÉ, bien. La part des entreprises qui embau-
chent des cadres a commencé à fléchir
RETROUVER UN dès la fin de 2023 et cette tendance s’est
confirmée au début de l’année. Les inten-
POSTE ÉQUIVALENT tions de recrutement sont nettement à la
SERAIT DIFFICILE baisse pour le premier trimestre.
L’heure n’est plus au déploiement mais
à la prudence. « Les entreprises sont
moins optimistes, concernant leur carnet de commandes,
qu’elles ne l’étaient il y a un an à la même période »,
commente l’APEC. A peine plus d’une grande entreprise
sur deux (54 %) envisage d’embaucher au moins un
cadre au cours du premier trimestre, contre près des
deux tiers un an auparavant (64 %). Idem dans les plus
petites structures : seules une PME sur dix et une TPE sur
vingt prévoient d’embaucher un cadre avant le
printemps. Les TPE sont particulièrement préoccupées
par leur trésorerie.
Le champ des opportunités des cadres s’est ainsi
considérablement assombri. A la fin de l’année 2023, un
sur deux estimait qu’en cas de mobilité, retrouver un
poste équivalent serait difficile. Ils sont donc moins
tentés d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs et abor-
dent 2024 de manière plus attentiste.
« Moins nombreux à se déclarer en recherche active
d’un nouvel emploi qu’il y a un an », ils sont « plus
nombreux à se déclarer “en veille” sur le marché de l’em-
ploi », souligne l’APEC. Envolé l’espoir d’améliorer leurs
revenus malgré l’inflation ? Pas tout à fait, mais les
perspectives d’amélioration du pouvoir d’achat se sont
sérieusement réduites. p
des protections supplémentaires dans un collectif : l’enjeu est aussi
concrètes pour les femmes. C’est de manager les collègues de la per-
le cas sur la mise en place d’un sonne qui souffre d’une quelcon-
congé menstruel pour les femmes que affection. « Il n’y a rien de plus
souffrant de règles douloureuses. dur que d’avoir l’impression qu’une
« Il ne s’agit pas d’avoir plus de me- personne est favorisée, et de ne pas
sures de prévention pour les fem-
mes que pour les hommes, tem-
père Séverine Rolquin-Bluet, di-
rectrice cohésion et développe-
ment de Malakoff Humanis. Il faut
être reconnu alors qu’on a repris
une partie de la charge de travail
d’une personne absente », estime
Laurence Breton-Kueny.
« Différencier n’est pas discrimi-
parler ménopause mais aussi an- ner, conclut Florence Chappert. Il
dropause. » Des participants dé- est important d’assouplir l’organi-
fendent l’idée qu’il ne faut pas iso- sation du travail, d’offrir des mar-
ler les salariées en les différen- ges de manœuvre. L’amélioration
ciant, au risque de faire croire des conditions de travail pour un
qu’elles bénéficieraient d’une dis- groupe améliore les conditions de
crimination positive. La santé travail pour tout le monde. » p
reste une question individuelle j. th
¶
Ont participé aux Rencontres RH du 6 février : Véronique Bacques,
directrice égalité professionnelle d’Orange Business Services ; Laurence
Breton-Kueny, DRH du groupe Afnor et vice-présidente de l’Association
nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH) ; Isabelle Brochu,
directrice innovation chez ManpowerGroup Talent Solutions ; Florence
Chappert, responsable de la mission égalité intégrée à l’Agence nationale
pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) ; Coralie Delfosse,
directrice développement et transformation RH de la Caisse nationale
d’assurance-vieillesse (CNAV) ; Elise Marant, doctorante en droit social chez
Orange ; Régis Mulot, vice-président exécutif et DRH d’Ipsen ; Frédéric Rey,
sociologue du travail, maître de conférences au Conservatoire national des
arts et métiers (CNAM) ; Séverine Rolquin-Bluet, directrice de la cohésion
et du développement social chez Malakoff Humanis ; Mathilde Tabary,
directrice des relations sociales et de l’engagement Europe de Clariane ;
Jules Thomas, journaliste au « Monde » ; Gilles van Kote, directeur
délégué du « Monde » ; Laetitia Vilpellet, consultante RH chez LR-Associates.
18 | horizons
auzances (creuse) - envoyé spécial
S
oit un cercle d’un rayon de 35 kilo-
mètres, quelle est sa superficie et
combien de fois faut-il en faire le
tour avant de devenir fou ? Telle
est l’équation qui régit la vie de
Garbis Dilge, assigné à résidence
dans la Creuse, depuis un quart de siècle, dans
une zone de 220 kilomètres carrés. Une gigan-
tesque et belle prison, mais une prison. De
1999 à 2003, le rayon de son périmètre auto-
risé ne dépassait pas 3 kilomètres autour
d’Aubusson, 3 500 habitants, capitale de la ta-
pisserie et de la patience. Il y a douze ans, il a
déménagé pour Auzances, 1 200 âmes, à 32 ki-
lomètres d’Aubusson, 67 de Clermont-
Ferrand, 120 de Limoges et au centre de la
« diagonale du vide ». La vie de Garbis Dilge,
67 ans, ressemble à celle du héros du Château,
de Kafka, sauf que lui, à l’inverse, est enfermé
et ne parvient pas à trouver la sortie. Son châ-
teau est un enchevêtrement de condamna-
tions pénales, d’arrêtés préfectoraux, de dé-
crets administratifs, qui se sont accumulés au
fil des ans et ont fait de lui, probablement, le
doyen des assignés à résidence de France.
« Un jour, j’ai lu un article dans un journal
comme quoi Kamel Daoudi [condamné pour
terrorisme et assigné à résidence depuis la
fin de sa peine, en 2008, dans le Cantal] était
le plus ancien assigné à résidence de France,
raconte Garbis Dilge. Ce n’est pas vrai, j’ai
même écrit une lettre à l’auteur. » « Mais moi,
je ne suis pas un terroriste », ajoute-t-il.
Garbis Dilge accueille le visiteur d’un sar-
castique : « Bienvenue au paradis. Au paradis
d’Absurdistan ! » Son petit trois-pièces hu-
mide, avenue Georges-Clemenceau, est rem-
pli de dossiers débordant de ses échanges
avec l’administration et la justice. A chaque
fois qu’il veut sortir du périmètre qui lui est
assigné, comme pour aller à l’hôpital de Gué-
ret, par exemple, il lui faut une autorisation.
Parfois, on lui accorde une autorisation de
trois heures pour un rendez-vous médical à
plus d’une heure de route, alors qu’il n’a pas
de voiture. Des dossiers débordant de cour-
riers qui témoignent de sa guérilla adminis-
trative avec la préfecture de la Creuse encom-
brent sa chambre, son armoire, tout l’appar-
tement. Toute une vie qu’il étale sur la toile
cirée bleue de sa seule table.
Garbis Dilge est petit, sec, le teint mat et la
mine levantine. Cet Arménien de Turquie, né
à Istanbul, en 1956, fait penser à un mélange
de Charles Aznavour et de Ben Gazzara, l’ac-
teur fétiche de John Cassavetes. Il s’exprime
dans une langue d’un autre temps, à la ma-
nière d’un « tonton flingueur » égaré au pays
des limousines – les vaches, pas les voitures.
Mais il n’a jamais pu se faire à la Creuse. « Ce
n’est pas chez moi, ici », dit ce rat des villes
perdu à la campagne.
Comment est-il arrivé là ? Il faut plusieurs
heures pour remonter le fil d’une existence
qui s’est transformée en nœud gordien. Lui
connaît son dossier par cœur ; il en parle sans
préambule, comme si on était déjà familier
de tous les recoins du château. Les temporali-
tés se mélangent, les noms des préfets défi-
lent, les avocats se désistent les uns après les
autres, mais son affaire n’avance pas, enche-
vêtrée comme une pelote inextricable. Sa vie
est régie par l’absurde de l’administration,
qui lui enjoint d’être « patient », lui donne un
titre de séjour lui interdisant de chercher du
travail, alors que, deux lignes plus bas, il y est
précisé qu’il a le droit de travailler.
PISTOLET, GRENADES ET COCAÏNE
Il est bon de le rappeler en ces temps troublés :
Garbis Dilge n’est pas un terroriste. C’est un
délinquant de droit commun, condamné à
plusieurs peines de prison dans les années
1980-1990, dont deux assorties d’une inter-
diction du territoire français. Comme il est
aussi réfugié protégé par l’Ofpra depuis 1986,
il n’est pas expulsable en Turquie. C’est pour-
quoi l’administration l’a assigné à résidence,
« dans l’attente » qu’il trouve une « nouvelle
destination ». Il n’a pas trouvé, pas cherché.
Né dans une famille arménienne d’Istanbul,
Garbis Dilge est le quatrième enfant d’une fra-
trie de trois garçons et quatre filles. Son père
tenait une entreprise de confection. Il a grandi
dans la méfiance des Turcs et la crainte de
nouveaux pogroms. A 20 ans, le 1er avril 1976,
il s’envole pour l’Allemagne où vivent une
sœur et un frère. Après trois mois passés à Co-
blence, il prend le train pour Paris, qu’il ne
connaissait que sur carte postale. Là, il trouve
rapidement un travail dans la confection.
Puis est venu le temps des « mauvaises fré-
quentations ». Il fricote avec le milieu, ren-
contre la fille de Jacques Mesrine, l’homme à
tout faire d’André Santini, maire (Union des
démocrates et indépendants) d’Issy-les-Mou-
lineaux, proche de Charles Pasqua et soutien
Garbis Dilge dans son appartement à Auzances, le 25 janvier. VALÉRIE TEPPE/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
L’assigné
à perpétuité
Garbis Dilge, 67 ans, délinquant de droit commun,
est assigné à résidence dans la Creuse depuis
un quart de siècle, dans une zone de 220 kilomètres
carrés. Son dossier, d’une complexité rare,
est entre les mains d’un nouvel avocat
affiché de la communauté arménienne, etc.
« Je ne fréquentais pas des mafieux, juste des
petites frappes, mais, à Paris, les gens sont ca-
pables de tout pour gagner de l’argent. »
Il est mis en cause dans un braquage. « J’ai
tout fait pour que mon ami s’en sorte, lui a tout
fait pour me faire plonger. » Y a-t-il participé ?
« Personne ne m’a vu », répond-il. Cela lui vaut
une première condamnation. Trois années et
demie en prison à Fresnes (Val-de-Marne), où
il assiste à une mutinerie, rencontre de vrais
truands. Il sort en 1986, en liberté condition-
nelle. Il fait alors déjà l’objet d’une obligation
de quitter le territoire français (OQTF), annu-
lée par un tribunal administratif.
De retour à Paris, il travaille dans un restau-
rant de la rue Saint-Denis. On lui propose de
revendre un demi-kilo d’héroïne : « J’ai fait une
connerie. Mais il y avait 100 000 francs
[15 000 euros] à gagner en un claquement de
doigts. C’était trop tentant. » Ses premiers
acheteurs sont des policiers en civil. Hop, me-
nottes, procès, prison. Il est condamné à sept
années de détention, assorties de deux an-
nées supplémentaires de contrainte par corps, CET ARMÉNIEN
faute d’avoir pu payer l’amende. A sa sortie,
en 1994, il est de nouveau visé par une OQTF,
DE TURQUIE, NÉ
mais, ayant obtenu entre-temps le statut de À ISTANBUL EN 1956,
réfugié, il est assigné à résidence, déjà dans la
Creuse. « Au bout d’un mois, je me suis sauvé. » FAIT PENSER
On le retrouve à Ménilmontant, où il loge et
travaille à l’Hôtel Sans-Souci. Identifié à partir
À UN MÉLANGE DE
du carnet d’adresses d’un trafiquant interna- CHARLES AZNAVOUR
tional de drogue, il est fait l’objet d’une perqui-
sition. Les policiers trouvent dans sa chambre ET DE BEN GAZZARA,
un pistolet, deux grenades désarmées et un
gramme de cocaïne. Il est condamné à huit L’ACTEUR FÉTICHE
ans en première instance, peine ramenée à six DE JOHN
ans en appel. Il passe quatre nouvelles années
en prison, à Bois-d’Arcy (Yvelines), puis à Châ- CASSAVETES
teaudun (Eure-et-Loir). Son compagnon de
cellule est un haut cadre de chez Bouygues im-
pliqué dans l’affaire Didier Schuller, relative
au financement du RPR. Quelques années
plus tard, ce dernier a aidé Garbis Dilge quand
il s’est trouvé complètement démuni. « C’était
surtout le cas entre 1999 et 2003. Je n’avais
aucun droit, pas de papiers, pas même le RMI
[revenu minimum d’insertion]. »
Deux jours après sa sortie de prison, en 1999,
il est convoqué à la préfecture de la Creuse, à
Guéret. Sa condamnation est assortie d’une
nouvelle interdiction définitive du territoire
français. Le ministère de l’intérieur veut le dé-
choir de son statut de réfugié, mais à deux re-
prises, l’Ofpra confirme celui-ci. Le préfet de
l’Eure, département de son dernier lieu de dé-
tention, émet un arrêté d’expulsion, inappli-
cable tant qu’il bénéficie de ce statut. Garbis
Dilge est de nouveau assigné à résidence par le
ministère de l’intérieur. C’est comme ça qu’il
est devenu l’« assigné d’Aubusson ».
« Au début, je me disais : “Tout ça va durer
deux, trois mois, et puis ce sera fini.” » Quand il
comprend que rien ne bouge, il s’énerve, de-
vient paranoïaque, agressif. Il doit pointer ré-
gulièrement au commissariat. Avec les poli-
ciers, ça se passe bien, mais, quand le commis-
sariat ferme, les gendarmes lui serrent la vis.
« Jusqu’en 2003, c’était l’enfer. Je n’avais pas le
droit de faire plus de 3 kilomètres hors d’Aubus-
son. » Le maire de la ville, qui l’a pris en pitié,
lui trouve un logement, le laisse utiliser fax et
photocopieuse à volonté. L’ancien député
UMP des Yvelines et ancien maire de Ver-
sailles Etienne Pinte, à la fibre sociale affirmée,
intervient auprès du ministre de l’intérieur de
l’époque, Nicolas Sarkozy, en 2003. Garbis
Dilge obtient alors un élargissement de son
périmètre à 35 kilomètres et un titre provi-
soire de séjour qui lui donne accès au RMI.
Il a eu une compagne pendant quelques an-
nées, a travaillé dans un restaurant, une bou-
langerie, un bar-tabac, le plus souvent au noir.
A ses heures perdues, il griffonne ses pensées
obsessionnelles, lit des biographies d’avocats
et des livres de Nietzsche, son auteur préféré.
Il a aussi effectué des travaux pour une
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
grande famille belge, qui possède un magnifi-
que moulin dans la région : son « bienfaiteur »,
comme il l’appelle, est mort récemment, mais
les enfants de ce dernier lui ont assuré qu’ils
ne le laisseraient pas tomber.
« J’ai des amis dans la Creuse, mais jamais à
100 %. Quand on n’est pas d’ici, c’est difficile de
s’intégrer », regrette Garbis Dilge. On le re-
garde de travers. Il ne met plus les pieds à l’In-
termarché depuis un petit différend qui a dé-
généré. Il ne fréquente plus non plus le salon
de toilettage pour chiens, persuadé que la
shampouineuse a « massacré » son bichon
frisé blanc, avant un concours canin dont il
espérait tirer un bon bénéfice. Il n’est pas
d’un caractère facile, se dispute avec son as-
sistante sociale, s’exaspère de l’esprit de vil-
lage. Il n’a cependant pas que des ennemis :
des habitants d’Auzances ont signé une péti-
tion pour lui, sans effet. Le maire lui a produit
une attestation de « bon voisinage ».
TRAVAIL DE FOURMI
S’il a tenu toutes ses années, c’est grâce à ses
chiens. Tcharlie 1, un doberman, est mort dans
un incendie. Tcharlie 2, le bichon, a été son
grand amour, son « âme sœur ». Il n’a plus re-
pris de chien depuis la mort de celui-ci, il y a
quatre ans. « Je le garde là, près de moi », fait-il
en montrant un meuble qui ressemble à un
petit congélateur. Y est-il empaillé, congelé, in-
cinéré ? Mystère. Son vœu le plus cher est de
l’enterrer dans le cimetière des Chiens d’Asniè-
res-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Malgré l’an-
nonce récente d’une grave maladie, Garbis
Dilge y croit dur comme fer : il va recouvrer sa
liberté et sa dignité, retourner vivre à Paris. Il y
croit d’autant plus qu’un avocat, Me Vincent
Brengarth, du cabinet Bourdon, ému et stupé-
fait par son récit, a décidé de prendre en
charge gratuitement les procédures pour ob-
tenir la levée de son assignation à résidence.
Plusieurs confrères se sont penchés sur le
problème avant lui, puis ont laissé tomber
face à la complexité du cas, à l’insistance par-
fois pesante de Garbis Dilge et à son impossi-
bilité de les payer. « Pour lever l’assignation à
résidence de M. Dilge, il faut obtenir au préala-
ble l’annulation de son arrêté d’expulsion, lui-
même conditionné par le relèvement des in-
terdictions définitives du territoire français
prononcées par les tribunaux pénaux », expli-
que Me Brengarth.
C’est un travail de fourmi qui commence
par l’obtention de son casier judiciaire com-
plet, que Garbis Dilge a dû aller recopier à la
main au tribunal de Guéret, puis implique
des démarches tant auprès du tribunal admi-
nistratif que devant la justice pénale, devant
le procureur de la République de la cour d’ap-
pel de sa dernière peine prononcée.
Garbis Dilge y croit tellement qu’il a re-
noué avec sa famille, dispersée de par le
monde, y compris de lointains cousins ins-
tallés en banlieue parisienne, qu’il avait
cessé de solliciter, honteux de quémander
de l’argent. Depuis peu, cela va mieux de ce
côté, il touche le minimum vieillesse. Mais
le temps presse, la maladie progresse. Me
Brengarth a saisi la Défenseure des droits de
cette affaire sans équivalent. p
christophe ayad
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JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Le Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Message
Baret. Figuière. Sainte-Tulle.
Paul, Gilbert, Christine, Michelle,
Gisèle.
Grâce à vous, « Olivette » porte
ièrement son A.
Merci !
Décès
Fanny et Olivier,
ses enfants,
la comtesse Georges de Peyronnet,
née Bernadette de l’Escaille,
sa mère,
Sophie de Peyronnet,
Sophie-Amélie et Guillaume Pénon-
Vaudoyer,
ses belle-sœur, sœur et beau-frère,
Ses neveux et nièces,
ont la douleur de faire part du décès
de
Caroline AUDIBERT,
née de PEYRONNET,
survenu le 7 février 2024.
La cérémonie religieuse est célébrée
en l’église Saint-Médard, Paris 5e, ce
mercredi 14 février, à 14 h 30.
L’inhumation se fera le jeudi
15 février, à 10 h 30, au cimetière
du Père-Lachaise, Paris 20e.
Elle a rejoint dans la Lumière du
seigneur, son mari,
Louis AUDIBERT,
son père,
Georges de PEYRONNET,
ses frère et sœur,
Emmanuel et Geneviève.
L’École Pratique des Hautes Études
a la tristesse de faire part du décès de
M. Jean-Pierre BABELON,
chargé de conférences
de la section sciences historiques
et philologiques en histoire
de l’architecture classique.
L’École s’associe à la douleur de
la famille.
(Le Monde du 13 février.)
La Cinémathèque du documentaire,
sa présidente, Julie Bertuccelli
et son conseil d’administration,
ont la grande tristesse de faire part
du décès de
M. Philippe BACHMAN,
directeur,
survenu le vendredi 2 février 2024.
Philippe Bachman a apporté
sa sensibilité artistique et son
engagement à promouvoir la culture
sous toutes ses formes au service du
cinéma documentaire. Nous rendons
hommage à tout ce qu’il a apporté
à l’institution ; sa détermination à
défendre la difusion du documentaire,
sa vision stratégique et inancière,
tous les projets et les actions qu’il a
menés, dont sa belle idée de l’Année
du documentaire.
Nous partageons la peine de sa
famille et de ses proches et nous leur
adressons tout notre soutien et nos
sincères condoléances.
Isabelle Saporta
Et les Éditions Fayard,
ont appris dans la douleur le décès
de
Robert BADINTER,
infatigable combattant
de l’égalité des droits
et de l’abolition de la peine
de mort.
Notre maison, qui aura publié une
quinzaine des livres de l’ancien garde
des Sceaux et président du Conseil
constitutionnel, sait ce qu’elle doit à
l’homme d’exception dont l’œuvre
honore son catalogue.
Nos pensées les plus émues vont
aujourd’hui à Élisabeth Badinter et
à ses enfants, à toute sa famille ainsi
qu’à ses proches.
(Le Monde du 12 février.)
M Naissa Benbelaïd,
me
Radhia, Mehdi, Sabrina, Christophe,
Julia, Romane et Maxence,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Amar BENBELAÏD,
survenu le 31 janvier 2024, à Paris,
dans sa quatre-vingt-sixième année.
Lindsay BENOIST,
née STOPFORTH,
s’est éteinte le 27 décembre 2023, à
Hardricourt.
Son époux,
Ses enfants
Et ses petits-enfants,
Sa famille à Toronto, Calgary,
Dorchester et Oxford,
sont unis dans son souvenir.
Des dons sont recueillis pour S.O.S
Méditerranée et le Bel Espoir.
Paris. Besançon.
Philippe Cassard,
son compagnon,
a la grande douleur de faire part du
décès de
Arnaud BILLEBAUD,
survenu le 9 février 2024,
à l’âge de quarante-sept ans.
Une cérémonie religieuse sera
célébrée le 16 février, à 14 h 30,
en l’église Saint-Martin-des-Chaprais,
à Besançon.
Metz (Moselle).
Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part de la
mort de
Benoît GOETZ,
professeur de philosophie
à l’université de Lorraine,
le 11 février 2024, à l’âge de soixante-
huit ans.
Didier, Daniele et Pascale Gonod,
ses enfants
leurs conjoints,
Ses petits-enfants
Et arrière-petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Simone GONOD,
née CHAPTARD,
survenu le 11 février 2024,
dans sa cent troisième année.
Elle sera inhumée auprès de son
époux,
Paul GONOD
(1921-2007),
ce jeudi 15 février, à Saint-Jean-sur-
Veyle (Ain),
Paris. Kairon-Bourg.
Michel Herrou,
son mari,
Sylvaine, Adeline et Aurélie,
ses illes,
Guillaume, Hammou et Grégory,
ses gendres,
Ysé, Quentin, Louise, Swann, Gaspard,
Zéphyr et Pépi,
ses petits-enfants,
Bruno et Hiroko Gilles,
son frère et sa belle-sœur,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Chantal HERROU,
née GILLES,
psychologue,
survenu le 11 février 2024, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le 16 février, à 10 h 30, en
l’église Sainte-Marie des Batignolles,
Paris 17e.
L’inhumation aura lieu au cimetière
de Kairon-Bourg (Manche).
Michel Herrou,
36, boulevard des Batignolles,
75017 Paris.
Gilles,
son époux,
Jeanne et François,
ses enfants
et leurs familles,
ont la grande douleur de faire part
du décès de
Gisèle MANCHEVELLE,
née MELLON,
intervenu le mardi 6 février 2024.
Un moment de recueillement
aura lieu au crématorium de Saint-
Ouen-L’Aumône (Val-d’Oise), ce jeudi
15 février, à 12 h 45, au 35, avenue
de Verdun.
La famille tient à remercier les
médecins et l’ensemble du personnel
de l’EHPAD MGEN donation Brières
à Fontenay-en-Parisis pour son
dévouement constant et son humanité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
« L’absence n’est-elle pas,
pour qui aime,
la plus certaine, la plus eicace,
la plus vivace,
la plus indestructible,
la plus idèle des présences ? »
Marcel Proust.
Marie-Claude Casanova,
sa sœur,
Thierry, Laurence, Fabienne et
Sophie Casanova,
Sylvie, Christophe et Antoine
Charpentier,
Pauline Mercadier,
Marlène, Christian et Arnaud
Mercadier,
ses neveux et nièces,
Sophie Mercadier,
sa belle-sœur
Et tous ses petits-neveux et
petites-nièces
Ainsi que ses amis, proches dont le
docteur Luc Faucher, Pierre-Antoine
Fabre et Annie Dore,
ont la douleur de faire part du décès
du
docteur
Daniel MERCADIER,
psychiatre - psychanalyste,
ancien médecin chef
de l’Inirmerie psychiatrique de la
préfecture de police de Paris (IPPP),
survenu le 2 février 2024,
à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
Une cérémonie sera célébrée le
lundi 19 février, à 14 heures, au
crématorium du cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e, suivie de
la crémation.
Paris.
Les médecins de l’Infirmerie
psychiatrique de la préfecture de
police (IPPP),
Ses collègues et amis,
ont la tristesse de faire part du décès
du
docteur
Daniel MERCADIER,
psychiatre et psychanalyste,
ancien médecin chef
de l’Inirmerie psychiatrique
de la préfecture de police de Paris.
Une cérémonie aura lieu le lundi
19 février 2024, à 14 heures, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
Danièle Meyer,
sa ille,
Sa famille, ses proches
Et amis,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès, survenu le 31 janvier 2024,
dans sa cent unième année, de
Yves MEYER,
déporté résistant,
commandeur
de la Légion d’honneur,
croix de guerre 1939-1945,
médaille de la Résistance,
médaille des évadés,
membre des réseaux
Pierre Julitte, S.O.E. Buckmaster
Acolyte et du mouvement Combat,
PDG de l’imprimerie Yves Meyer.
La cérémonie aura lieu le 19 février,
à l’Institution nationale des Invalides,
Paris 7e, à 10 h 30.
Ni leurs ni couronnes.
21, quai André-Citroën,
75015 Paris.
Paris 17e.
Jean-François et Anne Ozanam,
Christine et Jean-Pierre Evrard,
Brigitte et Michel (†) Comps,
Marie-Noëlle et Philippe Cieren,
Nicolas et Marie-Odile Ozanam,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrières-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Didier OZANAM,
survenu le 10 février 2024,
à son domicile,
à l’âge de cent un ans.
Les obsèques auront lieu le
vendredi 16 février, à 14 h 30, en
l’église Saint-Ferdinand-des-Ternes,
Paris 17e.
carnet | 19
Juliette Leblond, Marianne et Alice Francis et Frédéric Verdier,
Lévy-Leblond, ses ils
Prix
Simon et Jean-Paul Marmorat,
Isidore, Christophe et Anatole Parre, et leurs épouses, Isabelle et Véronique, Prix de la Découverte poétique
Ses petits-enfants,
Anna Malézieux, Simone de Carfort
Luce Carnoy-Lévy, Joseph Carnoy, Ses arrière-petits-enfants, Fondation
Emma, Géraud et Madeleine du
Frédéric et Simone de Carfort
Quesne, Bruno Bompar,
ont la tristesse de faire part du décès
sous l’égide
ont la tristesse de faire part du décès du
de la Fondation de France.
de leur mère, grand-mère, arrière-
grand-mère et belle-mère, Ce prix adossé
contre-amiral
à la Maison de Poésie
Elisabeth SIROTA, Claude VERDIER,
a pour objet de découvrir
oicier de la Légion d’honneur,
survenu le 9 février 2024. un poète d’expression française
oicier
inconnu ou méconnu.
Y associent de l’ordre national du Mérite,
Il est doté de 5 000 €.
Louis MARMORAT, Règlement complet sur
survenu le 3 février 2024,
à l’âge de cent ans. https://www.lamaisondepoesie.
son petit-ils parti trop tôt.
fr/2297-2/
Et remercient toutes les personnes Un dernier hommage lui sera
qui l’ont entourée de leur amitié et rendu lors d’une cérémonie civile Communication diverse
de leurs soins ces derniers mois.
célébrée le mardi 20 février, à
Les obsèques ont eu lieu au 17 heures, au crématorium du
cimetière du Montparnasse, Paris 14e, Mont-Valérien, 104, rue du Calvaire,
ce mercredi 14 février, à 12 h 30.
à Nanterre (Hauts-de-Seine).
Dijon. Paris.
Pas de leurs.
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Minh,
son ils, Francis et Frédéric Verdier,
Noël et Léa,
103, rue Brancas, Les bénévoles de SOS Amitié
ses petits-enfants,
Sa famille, 92310 Sèvres. écoutent
Ses amis, par téléphone et/ou par internet
Ses collègues,
La famille Wattier ceux qui soufrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
ont la tristesse de faire part du décès
de a la tristesse de vous informer du des pensées suicidaires.
décès, à l’âge de quatre-vingt-dix-
Claude SPIELMANN, huit ans, de
psychanalyste, Nous recherchons des écoutants
bénévoles
survenu le 8 février 2024, Jean WATTIER,
sur toute la France.
à l’âge de quatre-vingt-six ans. membre fondateur
L’écoute peut sauver des vies
de la Société des lecteurs
L’inhumation aura lieu le 16 février, et enrichir la vôtre !
à 15 heures, au cimetière parisien de du Monde,
Choix des heures d’écoute,
Bagneux.
formation assurée.
survenu le 11 février 2024, à Plozévet
Cet avis tient lieu de faire-part.
(Finistère).
En IdF RDV sur
Minh Spielmann,
1, rue Boyer-Barret, 3, rue des Primevères, www.sosamitieidf.asso.fr
75014 Paris. En région RDV sur
29710 Plozévet.
spielmannminh@me.com
www.sos-amitie.com
Stéphane, Eric et Anne, Isabelle et Anniversaire de décès
Christophe,
Il y a cinq ans, le 15 février 2019,
ses enfants et leurs conjoints, Société éditrice du « Monde » SA
Ses petits-enfants, disparaissait Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
Ses arrière-petits-enfants, Directeur du « Monde », directeur délégué de la
Les familles proches et alliées, publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Joseph AKOUISSONNE Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
ont la tristesse d’annoncer la (1943-2019).
disparition de
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Il reste présent dans le cœur et les Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
Mme Maryse Gabrielle SUSS, Harold Thibault
née BONNAURE, pensées de ceux qui l’ont connu. Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services
abonnés Françoise Tovo
chevalier de l’ordre « Sa mort nous a séparés. Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote
des Palmes académiques,
La mienne ne nous réunira pas. Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
agrégée de l’Université, Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
C’est ainsi. Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
décédée en terre d’asile le 7 février 2024, Il est déjà beau que nos vies aient pu (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans. Direction artistique Emmanuel Laparra
si longtemps s’accorder. » Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
anne.blachier@yahoo.com Simone de Beauvoir. Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
Gérard Théry, h.reghi@wanadoo.fr présidente, Gilles Paris, vice-président
son époux,
Alexandre et Clotilde Théry,
ses enfants,
Victor, Arnaud et Aurèle Théry,
ses petits-ils,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Marie-Odile THÉRY,
née KAUFFEISEN,
ancienne gérante
de la société Inter-Livres,
survenu à son domicile, le dimanche
11 février 2024, dans sa quatre-vingt-
huitième année.
Un dernier hommage lui sera rendu
ce jeudi 15 février, à 14 h 30, au cimetière
du Montparnasse, 3, boulevard Edgar-
Quinet, Paris 14e.
Elle a rejoint sa ille,
Flore THÉRY.
M. Jean-Robert Faure,
M. et Mme Ariel Faure,
leurs enfants et petits-enfants,
M. et Mme Denis Faure,
et leurs enfants,
Ses neveux,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Alain TRAPENARD,
conseiller maître honoraire
à la Cour des comptes,
président honoraire
de chambre des comptes,
ancien président
de l’orchestre de Paris,
chevalier
de la Légion d’honneur,
oicier
de l’ordre national du Mérite,
oicier de l’ordre
des Arts et des Lettres,
Pour toute information :
survenu le 20 janvier 2024, en sa
quatre-vingt-treizième année.
carnet@mpublicite.fr
Prix à la ligne : 33,60 ¤ TTC.
Les obsèques ont eu lieu à Champs
(Cantal) dans la plus stricte intimité.
20 |
CULTURE
Mohamed
Bourouissa,
créateur d’espaces
L’artiste touche-à-tout, récemment passé
à la mise en scène, est à l’honneur au Palais
de Tokyo avec l’exposition « Signal »
PORTRAIT
J’
ai écouté quelqu’un ra-
conter son monde, sa fa-
mille pied-noir… J’étais
bien… et je me suis en-
dormi. Je suis très terre à
terre : si tu mets des lits, je fais une
sieste ! » C’est ainsi que Mohamed
Bourouissa raconte sa visite de
l’exposition qui a précédé la
sienne au Palais de Tokyo, à Paris :
celle de Lili Reynaud Dewar, parse-
mée de confessions et de cham-
bres d’hôtel. Les expositions où
l’expérience n’est pas unique-
ment liée à l’intellect, mais égale-
ment à la disponibilité du visiteur,
c’est aussi le credo de Mohamed
Bourouissa, qui a su multiplier ses
domaines d’expérimentation, de-
puis une vingtaine d’années.
Né en Algérie en 1978, le plasti-
cien est arrivé en France à 5 ans,
avec sa mère. Il ne parle pas fran-
çais, et l’intégration est difficile. Le
dessin sera sa bouée de sauve-
tage : « Je dessinais les personnages
qu’on voyait à la télé, ça a été pour
moi un moyen de communiquer. »
Et, malgré des débuts chaotiques,
l’école publique va devenir « une
sacrée soupape » : « J’y suis resté
très longtemps au final, jusqu’à 28
ou 29 ans ! », précise-t-il.
« Pétri de doutes »
Adolescent de banlieue, il
s’oriente d’abord vers un lycée
technique du centre de Paris, dans
la filière dessinateur maquettiste,
où il noue des amitiés fortes et
s’initie au graffiti. Puis intègre la
fac, en arts plastiques, tout en se
formant à la photo, notamment
en fixant son objectif sur la jeu-
nesse qui fréquente le quartier de
Châtelet-Les Halles. Il est accepté
aux Arts déco, grande école dont il
sortira major. Toujours, il déjoue
les attentes : de la photo il ira vers
la vidéo en rejoignant Le Fresnoy,
Studio national des arts contem-
porains, à Tourcoing (Nord). C’est
là qu’il élabore Temps mort, en co-
création avec un détenu, avec qui
il échange textos et images grâce à
un téléphone portable introduit
en prison. Une vidéo sidérante,
qui a intégré les plus grandes ins-
L’art de la récupération de Pier Paolo Calzolari
La Villa Paloma, à Monaco, présente, jusqu’au 7 avril, des œuvres de l’Italien, figure de l’arte povera, dont deux pièces monumentales
ARTS
C e qu’il y a de surprenant
dans l’art de Pier Paolo
Calzolari, né à Bologne en
1943, figure de l’arte povera – mou-
vement théorisé en 1967 par le
critique Germano Celant (1940-
2020) –, c’est le contraste entre la
complexité des textes qui lui sont
consacrés depuis des décennies et
la simplicité avec laquelle l’artiste
décrit son travail.
On en veut pour preuve la vidéo
qui accompagne l’exposition
« Pier Paolo Calzolari. Casa
ideale », organisée par la Villa
Paloma, à Monaco : interviewé
par l’historien d’art Didier Semin,
Calzolari explique l’origine de
titutions et collections françaises
et américaines.
« C’est quelqu’un d’extrêmement
sincère, qui a fait de ses fêlures une
force. C’est un touche-à-tout qui a
des fulgurances et sait transcrire
les états d’âme d’une génération »,
souligne son galeriste, Kamel
Mennour. Son récent rebond du
côté des planches a pour origine
une remarque de son complice de
Temps mort, pour qui, contraire-
ment à ce que montre le film, la
prison est aussi un lieu où l’on rit.
A donc germé chez Mohamed
Bourouissa l’idée de créer un
spectacle de stand-up. « C’était un
peu une blague, et puis j’ai été per-
cuté par la puissance évocatrice du
théâtre. Ça rassemble beaucoup de
choses qui m’intéressent, la durée,
l’expérience, le rythme, la respira-
tion, le corps dans l’espace », résu-
me-t-il. Il s’est plongé dans la mise
en scène à partir d’ateliers menés
dans un centre pénitentiaire pour
femmes de Lille avec Zazon Cas-
tro, autrice de Quartier de femmes,
qui sera joué au Palais de Tokyo
pendant l’exposition, avant de
partir en tournée.
« Le fait d’avoir fait cette pièce m’a
beaucoup déplacé et changé. Si j’ai
envie de faire de la musique ou des
aquarelles abstraites, j’y vais, je tra-
vaille, comme je l’ai toujours fait,
mais je n’ai plus vraiment peur de
rater les choses. Je suis des fils, à la
recherche d’une forme d’harmo-
nie », analyse-t-il. L’hyperactif a en-
vie de poursuivre l’aventure théâ-
trale. Et lui que la lecture a long-
temps rebuté cite aussi bien les
rappeurs Disiz la Peste ou Kaaris
que les philosophes Michel Fou-
cault ou Emanuele Coccia, le théo-
ricien de l’anticolonialisme Frantz
Fanon, un livre sur la psychologie
des formes ou l’afroféministe
américaine bell hooks.
Longtemps, l’artiste n’aimait
pas non plus faire des exposi-
tions. Il les voyait comme « des
sortes de comptes rendus d’un bon
élève », montées d’angoisse à la
clé. Depuis son exposition « Libre-
échange », dans l’espace atypique
du Monoprix, aux Rencontres
photographiques d’Arles, en 2019,
il aborde les lieux d’exposition
certaines de ses œuvres. Celles
qui utilisent des moteurs de ré-
frigérateur pour produire du gi-
vre sur des tableaux ou des sculp-
tures, par exemple : à ses débuts
comme peintre, et malgré une
formation des plus classiques, il
constata que, quelles que soient
les techniques employées, huile
ou acrylique, le rendu pictural de
la lumière frappant la pierre, la
pietra del Carso, particulièrement
blanche, de la Riva degli Schia-
voni, à Venise, où il a grandi, était
insatisfaisant. « Je voulais l’idée du
blanc absolu (…) et je l’ai trouvé
dans le givre du frigo. » Puisqu’on
ne peut pas le reproduire, pour-
quoi ne pas le produire, tout sim-
plement ?
Mohamed
Bourouissa,
dans son
atelier, à
Gennevilliers
(Hauts-de-
Seine),
le 8 novembre
2023.
TERENCE BIKOUMOU
POUR « LE MONDE »
comme des contraintes à s’appro-
prier, « un peu comme une plante
qui va trouver le chemin vers un es-
pace où elle peut se développer ».
Une approche résiliente qui est au
cœur de sa méthode de travail.
« Un concept album »
Alors que chacune de ses œuvres
s’ancre dans le réel et ses marges,
l’artiste ne s’arrête jamais à l’as-
pect sociologique : « Ce qui m’inté-
resse, c’est comment, dans une
forme de tragédie humaine qui est
latente, d’un coup tu échappes à
une condition sociale, parce que tu
la révèles par un protocole.
Comme tous les artistes, je cherche
une forme de poésie, qui est par-
fois violente, c’est sûr. »
Si l’artiste retravaille souvent
ses œuvres passées, il pousse
cette logique plus loin au Palais de
Tokyo, avec une exposition con-
çue « comme un concept album ».
Même franchise désarmante
pour cette installation, un petit
cochon mécanique rose qui se
trémousse, coincé dans une
porte entrouverte : il l’a acheté
dans une station-service qui,
outre de l’essence, proposait des
jouets pour les enfants, et, de re-
tour chez lui, l’a offert à son
épouse. Le couple, pourtant plus
qu’adulte, s’est amusé un mo-
ment avec l’objet puis est allé se
coucher en oubliant de l’éteindre,
le laissant gambader dans la
pièce. Le lendemain, ils ont
trouvé la petite peluche rose qui
essayait frénétiquement de pas-
ser une porte entrebâillée. « Une
histoire tragique ! », dit-il. N’im-
porte qui se serait contenté de la
L’accrochage
oscille entre états
d’alerte
et apaisement,
irritations et soin,
traumas
et santé mentale
Les écrans n’y montrent pas cha-
cun un film, mais une sélection
qui défile à la façon d’une playlist,
avec une bande-son, pendant
plus d’une heure. L’accrochage os-
cille entre états d’alerte et apaise-
ment, irritations et soin, traumas
et santé mentale. Un nouveau
film, Généalogie de la violence, y
explore la sensation de déposses-
sion des corps pendant un con-
trôle policier, et ouvre vers des
désactiver en pestant contre
l’usure prématurée des batteries ;
lui, charmé par la chose, a préféré
la reproduire.
« Géographe magnifique »
C’est là une des caractéristiques de
l’arte povera : tout peut être utilisé,
récupéré, recombiné pour créer
des objets étranges ou surpre-
nants. Chez Calzolari, on trouve
des feuilles de tabac séchées, du
plomb, des bois calcinés, des
néons ou des bougies allumées,
des pétales de fleurs (d’arbres de
Judée) sont combinés à du cuivre
et à du bronze doré… Deux pièces
monumentales, Tolomeo [Ptolé-
mée], de 1989, et Senza titolo
[Luna], réalisée dix ans plus tôt,
paysages intérieurs, quand un jar-
din de plus de 300 plantes en écho
à l’histoire coloniale de la France
accueille des œuvres physiques,
sonores, et des invitations.
« Le fait que Mohamed Bou-
rouissa soit passé d’un médium à
l’autre paraît disparate, mais tout
est lié, affirme le commissaire de
l’exposition, Hugo Vitrani. C’est
un artiste important parce qu’il a
su apporter d’autres regards, nar-
rations et références dans le
champ de l’histoire de l’art. Et, à
travers ses projets collectifs, il a
ouvert des portes à énormément
de jeunes artistes. »
« C’est un artiste très français,
dont le travail est encore plus va-
lidé à l’étranger qu’en France, ce
qui est rare. Il montre qu’on peut
percevoir autrement la société,
d’une façon qui élève, et non pas
engoncée dans l’angoisse », ren-
chérit Kamel Mennour.
réunies dans une même salle par
un accrochage inspiré, conjuguent
ainsi des éléments fort disparates.
La première est une installation
horizontale, posée à la manière
d’une table, qui mêle du cuivre,
du fer, du plomb, et ce fameux
givre, caractéristique de son tra-
vail. Lui fait face la seconde, ins-
tallée verticalement au mur, qui
se compose de deux types de tem-
pera (un procédé de peinture
émulsionnée), l’une à l’œuf,
l’autre à l’eau cireuse. L’une et
l’autre, mais aussi la combinaison
des deux, provoquent un effet de
fascination inexplicable, de celle
que pourrait ressentir un ap-
prenti pénétrant pour la première
fois dans l’antre d’un alchimiste.
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Une œuvre de l’exposition a été
rattrapée par l’actualité. Elle a été
imaginée par le collectif Hawaf,
dont Mohamed Bourouissa est
membre fondateur avec trois ar-
tistes gazaouis, dans le cadre du
projet Sahab (« nuage », en arabe),
un musée virtuel conçu pour
donner de la visibilité à la scène
artistique de Gaza.
Comment en parler sans entrer
dans la polémique ? « C’est très dif-
ficile, dans le contexte actuel,
parce que tu as l’impression que
tout ce que tu pourras dire va être
mal perçu ou compris. Je me situe
d’un strict point de vue artistique :
il y a cette humanité qui crée de la
richesse, qu’il s’agit de révéler. C’est
important de garder un droit à rê-
ver, malgré la situation. » p
emmanuelle jardonnet
Signal, au Palais de Tokyo,
Paris 16e. Du 16 février au 30 juin.
C’est sans doute ce goût pour
cette pseudoscience du passé qui
définit le mieux l’art de Calzolari.
Interrogé par Didier Semin sur
son allusion à Ptolémée, « géogra-
phe magnifique » mais des plus
imprécis, il relève que c’est préci-
sément son côté créateur de fa-
bles qui le passionne – « une affa-
bulation superbe », dit-il. Scienti-
fiquement dépassé, « mais très
important pour le rêve, pour la
pensée et aussi pour le développe-
ment des idées de l’époque ». Alors,
rêvons avec Calzolari ! p
harry bellet
Pier Paolo Calzolari. Casa ideale,
Villa Paloma, Monaco,
jusqu’au 7 avril.
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
La « Beatrice di Tenda »
bien trop convenue
de Peter Sellars
L’opéra de Vincenzo Bellini fait une entrée
mitigée au répertoire de l’Opéra de Paris
OPÉRA
U ne entrée au répertoire
de l’Opéra de Paris est
toujours une reconnais-
sance, même si Beatrice di Tenda,
avant-dernier opéra de Vincenzo
Bellini (1801-1835), créé en 1833 à
La Fenice de Venise, risque bien de
se cantonner au domaine sinon
de l’anecdotique, du moins de
l’événementiel. Le synopsis, qui
enchevêtre amours, complots et
trahison sur fond d’antagonis-
mes politiques, relate le destin
tragique de Béatrice Lascaris (1372-
1418), comtesse de Tende, veuve
remariée à son beau-frère, Filippo
Visconti, duc de Milan, à qui elle
apporte en dot richesse et pou-
voir. Mais celui-ci, épris de la belle
Agnese del Maino, va se convain-
cre de l’infidélité de son épouse,
qu’il fera condamner, torturer et
exécuter en compagnie de son
amant présumé, Orombello.
L’ouvrage n’a pas eu le succès es-
compté en son temps. La faute,
dit-on, à un livret mal ficelé, dont
l’intrigue ne possède pas l’effica-
cité dramaturgique d’Anna Bo-
lena, de Donizetti, dont elle s’ins-
pire. Peut-être aussi, corrélative-
ment, à une partition qui souffre
de différentiels d’inspiration : airs
et ensembles de haut vol au fil de
longs tunnels dramaturgiques.
Difficile de comprendre, dans ces
conditions, pourquoi le metteur
en scène Peter Sellars souhaitait
depuis vingt-cinq ans se confron-
ter à Beatrice.
D’une grande platitude et bien
convenue apparaît en effet la di-
rection d’acteurs de l’Américain
(flux et reflux des chœurs en te-
nues de similicuir noir symboli-
sant l’oppression, la garde rappro-
chée en armes), qui semble se dis-
perser dans l’élégant labyrinthe
de verdure conçu par George Tsy-
pin, décor de jardin à la française
façon fer forgé, avec haies taillées
et topiaires, qui a envahi le pla-
teau du sol au plafond. Quelques
mouvements incongrus – Bea-
trice consultant son portable, les
jardiniers avec cisailles... – finis-
sent de semer le doute.
Fidèle malgré
ses accusations
sous la torture,
l’Orombello
de Pene Pati
déploie son chant
solaire et élégant
Le chant féministe de Widad Mjama, pionnière du rap marocain
La chanteuse présente avec le musicien tunisien Khalil Epi leur création commune, « Aïta mon amour », au festival Les Suds, en hiver
MUSIQUE
C’ est un projet que je mû-
rissais secrètement de-
puis longtemps. Le titre
qu’il porte, Aïta, mon amour,
résume ma passion pour l’art rural
marocain qui m’a littéralement
happée ». Jointe au téléphone
chez elle à Montpellier, la
chanteuse Widad Mjama, instal-
lée en France depuis une ving-
taine d’années, raconte ce qui
sous-tend sa dernière création,
qui donnera lieu à un album en
septembre.
Conçue avec le musicien tuni-
sien Khalil Epi (machines, man-
dole et loutar, un instrument à
cordes), Aïta mon amour a
été créé en 2022 à Alès (Gard), puis
Les costumes de Camille Assaf
sont, au mieux, anodins. Com-
ment imaginer que sous la peu
seyante robe de mousseline verdâ-
tre de Beatrice se cachent un cœur
noble et une âme pure ? Heureuse-
ment, il y a les lumières de James
F. Ingalls, dont le terrible rougeoie-
ment embrasera la prison végé-
tale au moment des scènes de tor-
ture. C’est couverts de coups et de
blessures, sanguinolents et les
yeux crevés que les amants victi-
maires seront livrés à la rage
meurtrière de l’époux tyrannique.
Tamara Wilson émouvante
La partition belcantiste réclame
quant à elle des chanteurs perfor-
mants et aguerris, telle la prodi-
gieuse Joan Sutherland (1926-
2010), qui réhabilita Beatrice di
Tenda en 1961 à la Scala de Milan
(après plus d’un siècle passé aux
oubliettes) avant de graver la pre-
mière intégrale de l’œuvre en stu-
dio. C’est également le cas du
grand soprano de Tamara Wilson,
qui campe une Beatrice émou-
vante, capable de suraigus filés,
d’un phrasé délié et d’une su-
perbe ligne de chant sur le souffle
(magnifique spianato), même si
les vocalises manquent parfois de
mordant et de précision.
Fidèle malgré ses accusations
sous la torture, l’Orombello de
Pene Pati déploie son chant so-
laire et élégant, incarnant avec ly-
risme et tendresse l’amoureux au
tendre cœur broyé par le destin. Si
Theresa Kronthaler peine à s’im-
poser de prime abord dans le rôle
d’Agnese, son timbre corsé et vo-
luptueux s’épanouira dans une
scène finale singulièrement tou-
chante, tandis qu’elle implorera le
pardon de Béatrice.
Timbre séduisant, puissance de
la projection et véracité drama-
turgique caractérisent Quinn Kel-
sey. Mais le baryton verdien sem-
ble parfois gêné aux entournures
belcantistes. A son service, le Riz-
zardo de Taesung Lee et plus en-
core l’Anichino d’Amitai Pati sont
tous deux impeccablement dessi-
nés. Abondamment sollicités par
la partition, les Chœurs de l’Opéra
de Paris, excellemment préparés
par Ching-Lien Wu, sont des pro-
tagonistes à part entière. Dom-
mage que la direction sans relief
et passe-partout de Mark Wig-
glesworth donne parfois l’im-
pression que l’Orchestre de
l’Opéra de Paris tire à la ligne. p
marie-aude roux
Beatrice di Tenda, de Vincenzo
Bellini. Opéra Bastille, Paris 12e.
Jusqu’au 7 mars. Operadeparis.fr
présenté sur plusieurs scènes. Le
spectacle, qui sera repris, le 16 fé-
vrier au festival Les Suds, en hiver,
à Arles (Bouches-du-Rhône), est
une relecture audacieuse de l’aïta,
« la forme de chant populaire la
plus écoutée et la plus présente au
Maroc », selon Brahim El Mazned,
créateur au Maroc du Festival
timitar, à Agadir, et du marché
professionnel et festival Visa for
Music, à Rabat, à l’origine d’une
anthologie Chikhates et Chioukhs
de l’aïta (coffret de 10 CD, 2018,
Atlas Azawan).
« L’aïta – cri, complainte en da-
rija, l’arabe dialectal marocain –,
c’est une tradition vocale d’origine
rurale, dont la genèse remonte
aux XIIe et XIIIe siècles et qui s’est
développée à la fin du XIXe siècle.
« Les Raisins de la colère »
revu en conte musical et social
Le metteur en scène Xavier Simonin adapte le roman de John Steinbeck
avec la complicité de l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau
SPECTACLE
I
l y a eu le roman de John
Steinbeck, publié en 1939,
monument de la littérature
américaine ayant créé le
scandale, et aussitôt porté à
l’écran par John Ford, qui en fit un
classique du 7e art. Mais, curieuse-
ment, les adaptations des Raisins
de la colère, exode biblique de mé-
tayers de l’Oklahoma ruinés pen-
dant la Grande Dépression, dans
les années 1930, ont été rarissi-
mes, en raison d’ayants droit
sourcilleux. Celle qui est présen-
tée actuellement au Théâtre
Michel, dans le 8e arrondisse-
ment parisien, après avoir été
programmée au Festival « off »
d’Avignon en juillet 2021, est le
fruit d’âpres négociations me-
nées par le metteur en scène et co-
médien Xavier Simonin.
Pour la peine, celui-ci a renou-
velé son partenariat avec le plus
célèbre harmoniciste français,
Jean-Jacques Milteau, titi tombé
dans la marmite du blues, après
leur collaboration en 2011 pour
L’Or, de Blaise Cendrars. Ces
deux-là ont de la suite dans les
idées, puisqu’ils s’emparent de
nouveau d’une histoire de
migration sur fond de ruée en Ca-
lifornie. L’association de la narra-
tion, du chant et de l’instrumental
– Milteau, cette fois, ne joue pas du
ruine-babines mais assure la di-
Les chikhates [chanteuses et dan-
seuses populaires] ont joué un
rôle déterminant dans sa trans-
mission orale, explique Widad
Mjama, la voix frémissante
d’enthousiasme.
Scène alternative
Née à Casablanca le 28 juin 1983,
elle a été la première fille sur la
scène rap naissante marocaine à
la fin des années 1990, ouvrant la
voie à celles qui feront parler d’el-
les ensuite dans ce registre (Ti-
gresse Flow, Krtas Nssa, Frizzy, Mi-
nerva, Tendresse, Khtek…). Son
groupe s’appelle alors Thug Gang,
il se produit au Tremplin des jeu-
nes musiciens, organisé à Casa-
blanca par le bouillonnant tan-
dem Mohamed Merhari
rection musicale – est un vecteur
idéal pour évoquer les conséquen-
ces des Dust Bowls, ces tempêtes
de poussière qui jetèrent sur la
Route 66 les fermiers des Grandes
Plaines. Outre le roman de Stein-
beck, ce drame humain docu-
menté par les photographies de
Dorothea Lange a été chroniqué
en effet par les Dust Bowl Ballads
enregistrées en 1940 par Woody
Guthrie, le père du folk moderne.
Répertoire folk et country
Des bottes de paille, des cageots,
une lampe à pétrole et deux anti-
ques micros sur pied, comme
ceux qui captaient jadis les musi-
ciens de hillbilly. La scénogra-
phie est réduite à peu de chose,
pour mieux traduire le dénue-
ment des protagonistes. Xavier
Simonin a revêtu la casquette
que portait Henry Fonda pour
camper le héros principal, Tom
Joad – chanté par Woody Guthrie
puis par Bruce Springsteen,
en 1995, dans The Ghost of Tom
Joad –, qui vient de bénéficier
d’une libération conditionnelle
et rejoint les siens en Oklahoma.
L’acteur impressionne en multi-
pliant expressions et gestuelles
afin d’incarner la quinzaine
d’autres personnages, qui vont de
Jim Casy, un ancien pasteur ayant
perdu la foi, à la tribu Joad au com-
plet, dont les grands-parents et
cette « Grandma » qui, tel Moïse
« Momo » et Hicham Bahou, créé
en 1999, rebaptisé ensuite « le
Boulevard des jeunes musiciens »,
un événement qui va provoquer
et accompagner au Maroc l’émer-
gence d’une scène alternative.
« Nous avons remporté le prix de
la catégorie rap – hip-hop, c’était la
première fois que je prenais un mi-
cro sur scène pour dire mes tex-
tes », se souvient-elle. Amoureuse
du verbe, elle continuera à rapper
ensuite en France en créant
en 2014 avec le chanteur et sla-
meur Walid Ben Selim, l’un des
garçons de Thug Gang, le groupe
N3rdistan. Quand Khalil Hentati
(Epi) rejoint ce nouveau collectif,
Widad Mjama ne tarde pas à lui
parler du projet qu’elle a en tête.
Aïta mon amour est en marche.
Xavier Simonin
a revêtu
la casquette
que portait
Henry Fonda
pour camper
Tom Joad
avant d’atteindre la Terre pro-
mise, meurt dans le désert
Mojave. Par le seul pouvoir de la
parole, Simonin redonne vie à ces
camps de migrants amèrement
baptisés « Hooverville » en l’hon-
neur du président américain, ou à
une scène de quadrille dans un
bal populaire.
Autour de lui, trois musiciens
rompus au répertoire folk et
country participent à ce conte
musical. Avec un instrumenta-
rium idoine : banjo et mandoline,
guitares sèche et à résonateur,
contrebasse et violon. Le trio har-
monise ses voix à la manière de la
Carter Family, fait entendre chan-
sons traditionnelles (The Wayfa-
ring Stranger, Old Dan Tucker ou
Goodnight, Irene) et intermèdes
originaux. Un contrepoint réussi,
car naturel, à la puissance du
verbe de Steinbeck, dans la tra-
duction de Marcel Duhamel et
Maurice-Edgar Coindreau.
« Lorsque j’étais au Maroc, en-
core adolescente, les chikhates me
fascinaient, poursuit Widad
Mjama. Elles étaient en rupture fa-
miliale, rejetées, mais continuaient
à faire ce qu’elles voulaient. Elles
incarnaient la liberté pour moi,
chantaient dans les cérémonies, les
fêtes, passaient à la radio, à la télé-
vision. » L’aïta n’est pas un art ex-
clusivement féminin, « mais ce
qui est intéressant, souligne la
chanteuse, c’est que, même chan-
tés par des voix masculines, les tex-
tes sont pensés majoritairement
d’un point de vue féminin ».
L’aïta aurait-elle une fibre fémi-
niste ? « Peut-être sans le vouloir. Il
parle d’une femme forte qui ne se
soumet pas, ni à un homme ni à
quoi que ce soit. » Et aborde de
culture | 21
Xavier Simonin
(à gauche), lors
de la générale
au Théâtre
Michel, à Paris,
le 31 janvier.
LAURENCINE LOT
L’intemporalité du sujet ne
laisse pas d’intriguer : un dérègle-
ment climatique provoqué par la
mécanisation ; la machine chas-
sant l’activité humaine ; l’expro-
priation par ce « monstre invisi-
ble » qu’est la Banque ; les lois
d’airain du Capital (« Les salaires
baissaient et les cours se mainte-
naient ») et l’exploitation (« Plus ils
crèvent de faim, moins on est
obligé de les payer ») ; la stigmati-
sation en Californie des « Okies »,
damnés de la Terre désormais
étrangers dans leur propre pays ;
la répression policière…
Steinbeck, qui avait lu son Marx,
n’avait rien à envier aux gangsta
rappeurs les plus virulents : « Il ar-
rive un moment où la seule façon
pour un homme de garder sa di-
gnité, c’est de casser la gueule à un
flic », fait-il dire à Tom Joad. Ce qui
ne l’empêcha nullement d’être
prix Nobel de littérature, en 1962,
et lu dans les classes. p
bruno lesprit
Les Raisins de la colère, de John
Steinbeck, adaptation et mise en
scène de Xavier Simonin, direction
musicale de Jean-Jacques Milteau.
Avec Xavier Simonin et, en
alternance, Manu Bertrand ou
Glenn Arzel, Stephen Harrison ou
Sylvain Dubrez, Claire Nivard ou
Roxane Arnal. Théâtre Michel,
Paris 8e. Du jeudi au samedi à 19 h
et le dimanche à 18 h.
nombreux sujets, « des histoires
d’amour mais aussi des choses
très banales ou philosophiques ».
Widad Mjama en a-t-elle définiti-
vement fini avec le rap ? « C’est
mon premier moyen d’expression.
Je resterai toujours une rappeuse
au fond de moi », affirme la
chanteuse. p
patrick labesse
Aïta mon amour (Widad Mjama,
avec Khalil Epi) en concert,
le 16 février, au Cargo de Nuit
à Arles (Bouches-du-Rhône)
dans le cadre du festival Les Suds,
en hiver. Puis le 29 mars à
La Bobine, à Grenoble, le 5 avril
au festival Variations, au Lieu
unique, à Nantes, et le 16 juin
au festival Rio Loco !, à Toulouse.
22 | télévision
Cinq garçons et un enterrement
Une bande d’interprètes venus du stand-up porte une comédie souvent brillante mais qui pèche par sa brièveté
CANAL+
À LA DEMANDE
MINISÉRIE
Q
uatre épisodes de
vingt minutes, c’est à
peine de quoi faire
un long-métrage. Ce
reproche est aussi un
compliment. Enterrement de vie
de garçon est comme une es-
quisse qui donne envie de passer
beaucoup plus de temps avec ce
Club des cinq exclusivement mas-
culin, qui, en une nuit, essaie
d’appréhender la catastrophe qui
a frappé le groupe.
En quatre étapes – une boîte de
nuit où des femmes viennent
danser sur les genoux des clients ;
un hôpital où la maternité est à
deux pas des urgences ; une
maison de famille perdue dans la
forêt ; et, logiquement, un cime-
tière –, le quintette endeuillé se
contorsionne au seuil de l’âge
adulte (et celui des interprètes
permet de constater que cette
étape est de plus en plus tardive
pour le mâle de l’espèce).
Contre-chant funèbre
La brièveté du format évite de se
poser trop de questions sur la ma-
nière dont s’est constituée cette
petite bande. Elle réunit un Qué-
bécois atteint de logorrhée (Adib
Alkhalidey) ; un joli garçon qui en-
tretient sa part de mystère (Pa-
A Villeurbanne, des habitants en lutte contre la fatalité du trafic de drogue
Les caméras d’« Envoyé spécial » ont suivi les actions de riverains du quartier du Tonkin, Sylvie et Tristan en tête, pour éloigner les délinquants
FRANCE 2
JEUDI 15 - 21 H 10
REPORTAGE
V ous savez qu’ici le point de
deal a été fermé. » Accom-
pagné de Sylvie, profes-
seure de français au collège,
Tristan, charpentier de 66 ans,
aborde un jeune dealeur qui s’ap-
prête à s’installer. « Ce n’est pas
possible de dealer ici vous compre-
nez : on a nos femmes et nos
enfants. » Après quelques échan-
ges verbaux, le jeune s’éloigne.
Cette fois-ci, le dialogue aura suffi.
GRILLE N° 24 - 039
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V IX. Fait chanter le roi d’Ys à l’opéra.
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 038
HORIZONTALEMENT I. Impraticable. II. Néroli. Inéat. III. Suit. Luttera.
IV. Treuillée. En. V. Iter. Event. VI. Nr. Emue. Noah. VII. CIA. Il. Liure.
VIII. Tenue. Pestai. IX. Iran. Ma. To. X. Ferrailleuse.
VERTICALEMENT 1. Instinctif. 2. Meurtrière. 3. Priée. Anar. 4. Roture.
UNR. 5. Al. Mie. 6. Tilleul. Mi. 7. Ulve. Pal. 8. Citée. Le. 9. Antenniste.
10. Bée. Toutou. 11. Lare. Ara. 12. Etanchéité.
Jason Brokerss, Fary, Panayotis Pascot, Adib Alkhalidey et Guillermo Guiz. CALT STORY/CANAL+
nayotis Pascot) ; un beau parleur Pendant quelques minutes, on
dont la certitude d’avoir toujours pourrait presque croire qu’ils
raison est sans cesse ébranlée disent adieu au célibat de l’un des
(Fary) ; un type sérieux qui essaie leurs. Mais, dès le premier épi-
de toutes ses forces d’être bien sode, on comprend qu’ils font
sous tous rapports (Jason Bro- l’apprentissage du deuil, et que le
kerss). Ces quatre-là traînent un terme d’« enterrement » est à
boulet, un mec incontrôlable qui prendre au pied de la lettre. Ce
leur sert de bouffon et de défou- contre-chant funèbre donne de la
loir (Guillermo Guiz qui, si l’on file texture à un récit qui emprunte
un moment la métaphore du Club beaucoup au stand-up, dont sont
des cinq, serait Dagobert, le chien). issus les interprètes.
Tristan et Sylvie habitent depuis manifestations, etc. Face à eux, des
longtemps le quartier du Tonkin, à guetteurs, des dealeurs, enrôlés
Villeurbanne (Grand Lyon). D’où par des réseaux de trafiquants, qui
leur refus de l’abandonner, même se disputent notamment trois
s’il est devenu en trois décennies
un supermarché de la drogue à ciel
ouvert, « ouvert sept jours sur sept,
de midi à minuit », ironise la voix
off. Face à l’inefficacité des actions
points de deal très lucratifs, idéale-
ment situés dans cette commune
limitrophe de Lyon.
Pression du collectif
publiques, ils ont adhéré au collec- Parfois, le contact est rugueux,
tif créé en 2020 pour faire partir les comme le montrent les images à
dealeurs. Entre novembre 2023 et découvrir dans ce reportage
janvier, le journaliste Romain exemplaire. Voire menaçant :
Boutilly s’est rendu à cinq reprises « Vous êtes des gens âgés, c’est
sur place et les a suivis, caméra en dommage de prendre des ris-
main, dans leurs actions − rondes, ques », prévient le « gérant » d’un
HORIZONTALEMENT
I. Permettaient d’entrer dans la cor-
jeux.lemonde.fr
poration. II. A rompu de nombreuses
unions. Pour retrouver Goron der-
rière ses grilles. Prépare rapidement
à l’emploi. III. Faiseur d’axiomes et
7 8 9 10 11 12
de postulats. Dépasse la bienséance.
IV. Parti à la dérive. Voient de près
que les vessies ne sont pas des
lanternes. V. Chaufés pour conserva-
tion. VI. Valent souvent le détour.
Dégage au sommet. VII. Bonne prise.
En réalité. Mammifère marin.
VIII. Sinistrement entendus la nuit.
Supprimèrent. X. Extraite de la fève
de Calabar. Ouverture sur le violon.
VERTICALEMENT
1. Naissance d’un jour, déclin d’une
vie. 2. Réprimandas et bousculas.
3. Raccourci pour faire moins long.
Ramassée après la moisson. 4. Tracée
sans casser. Petit bout de la lorgnette.
5. Joliment colorée comme une
laque d’huile. 6. Chassés par les
hommes et les animaux, ils ont dis-
paru des îles. Importante divinité en
Egypte. 7. Signalent une anomalie sur
le manuscrit. Quart de tour. 8. D’un
auxiliaire. Son chant était consulté
par les Romains. 9. Sorties de la loge.
Abri sauvage. 10. Entrés dans
le champ. 11. Déplacement de masse.
Saint en région. Points opposés.
12. Saisons chaudes. Mis de coté.
Les personnages sont dessinés
dès leurs premières répliques, et
celles-ci s’enchaînent au long de
dialogues qui tricotent le comi-
que d’observation et le burlesque.
Il n’empêche, chaque acteur sait
imposer sa présence à l’écran, face
aux partenaires qui se succèdent
sur un épisode. La tâche de
ceux-ci n’est pas aisée. Faustine
Koziel s’en tire en danseuse de
boîte sordide, mais, lorsque arrive
point de deal. Début novem-
bre 2023, le Tonkin a même été le
théâtre de trois fusillades et fait la
« une » des JT. On y voit des
parents, devant des banderoles,
déclarer avoir peur pour leurs en-
fants. Et Sylvie, qui interpelle
Gérald Darmanin : « Mon-
sieur le ministre, si l’on se prend des
balles, vous serez responsables. »
« On n’a pas peur », ajoute-t-elle
aujourd’hui. Le nombre fait la
force. « Il y a 20 000 habitants au
Tonkin, développe Tristan, et une
dizaine de dealeurs : si les habi-
tants se mettent tous ensemble, les
SUDOKU
N°24-039
8 5
5 6
7 4 3 6
9 4 3 Complétez
2 3
4 3 9 7
7 1 5 9 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
le moment le plus périlleux de
l’irruption des amis dans la
demeure des parents de celui qui
leur manque, les maîtres des
lieux – Thibault de Montalembert
et Pascale Arbillot – peinent,
malgré leur métier et leur talent, à
trouver leur place dans la danse
macabre des jeunes gens.
On revient alors à la question
de la durée. La division de
l’histoire en stations bien identi-
fiées se prête à merveille à la
forme sérielle. Mais celle-ci est si
contrainte par le minutage
qu’elle n’offre pas l’espace
nécessaire à l’éclosion des per-
sonnalités, au déploiement des
rêves et des regrets que porte
chaque personnage.
Certes, Enterrement de vie de
garçon respecte l’unité de temps
– une nuit, c’est court, surtout en
été. Mais le découpage en épiso-
des peut aussi servir à déplier le
temps, à le dilater. Sans cesse on
est partagé entre le plaisir d’une
écriture ambitieuse et la frustra-
tion que suscitent ces échappées
à peine entamées, ces interac-
tions à peine suggérées. p
thomas sotinel
Enterrement de vie de garçon,
par Adib Alkhalidey et Panayotis
Pascot (Fr., 2024, 4 × 23 min).
Avec Jason Brokerss, Fary,
Guillermo Guiz, Pascale Arbillot,
Thibault de Montalembert.
dealeurs ne restent pas
longtemps. » En théorie.
En pratique, alors que le com-
missaire de police a accepté d’em-
mener le journaliste lors d’une
opération d’envergure, la réalité
se fait plus abrupte. Arrêtés, les
dealeurs sont vite… relâchés. Le
pire est à venir lorsque, sous la
pression du collectif, une réunion
est organisée à la mairie : 400 ha-
bitants sont venus pour écouter
le préfet, le recteur, la police, le
maire. Les caméras filment les
échanges et le discours désabusé
du maire socialiste, Cédric Van
7 9 8 1 2 6
5 4 1 7 8 3
2 3 6 9 5 4
3 8 9 6 2 8 7 1
1 8 4 3 6 5
2 3 7 5 4 9 2 6
4 5 9 2 1 7
1 7 5 3 8 2
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0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
NOTRE
SÉLECTION
JEU D I 15 F ÉV R IER
France 2
La Russie malade de sa guerre
21.10 Une plongée au cœur
du pays, à la rencontre de Russes
qui reviennent du front et de leurs
familles. « Envoyé spécial » a aussi
enquêté sur les criminels amnistiés
en échange de six mois dans les
rangs de la milice Wagner, rentrés
libres sur les lieux de leurs crimes.
M6
The King’s Man :
première mission
A la demande Dans ce troisième
volet (2021) de la saga Kingsman,
Matthew Vaughn reconduit
la piquante formule mise au point
à la fin des années 1990. Avec
Ralph Fiennes parfait en aristocrate
espion pendant la Grande Guerre.
Disney+
Il était une fois les Imagineers,
les visionnaires de Disney
A la demande Derrière la magie
des parcs Disney se cachent
beaucoup de sueur et d’imagination,
comme le montre cette série
documentaire de la réalisatrice
nommée aux Oscars Leslie Iwerks.
France Inter
Espions, une histoire vraie
A la demande Stéphanie Duncan
poursuit sa galerie de portraits
d’hommes et de femmes, de la
seconde guerre mondiale à nos jours.
Styvendael, surpris que des gens
« croient un peu, encore, dans les
politiques et les institutions ».
Sylvie et Tristan estiment, eux,
remporter des succès, à leur
échelle. Tel Sisyphe, peut-être,
mais avec la satisfaction d’avoir
unifié une collectivité, devenue
solidaire et plus festive, et qui n’a
plus envie de déménager. p
catherine pacary
Pas de dealeurs en bas de chez
moi !, de Romain Boutilly, Elouën
Martin, Sarah Lerch et Adrien
Bellay (Fr., 2024, 36 min).
est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
4 5 3
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
9 6 2
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
1 8 7
Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
3 4 5
Par courrier électronique :
7 2 9 abojournalpapier@lemonde.fr.
1 8 Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
8 3 6
Courrier des lecteurs
9 4
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : UK, France.
Taux de fibres recyclées : 100 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0,0083 kg/tonne de papier
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Louis Vuitton. LOUIS VUITTON
Bulgari. BULGARI
Le diamant au cœur
d’accords bicolores
Emeraudes colombiennes chez Graff, saphirs du Cachemire
chez Vuitton ou cristal de roche chez Boucheron : cette saison,
les brillants se parent de teintes subtiles ou éclatantes
JOAILLERIE
T
andis que les maisons de
haute joaillerie aiment bluffer
leurs clients avec des voyages
féeriques aux beaux jours, les
gâtant comme des princes pour mieux
espérer leur vendre des bijoux très oné-
reux, elles ont misé, en janvier, sur une
piqûre de rappel à Paris. Les présenta-
tions de nouveautés se sont déroulées
dans leurs locaux cossus de la place Ven-
dôme ou dans les salons dorés du Ritz.
Cette saison, du 22 au 26 janvier, le dia-
mant a brillé en maître. Il donne pour-
tant du grain à moudre aux maisons du
secteur… Depuis le 1er janvier, l’Union
européenne et le G7 ont banni l’achat de
diamants russes et surtout imposé qu’à
compter de septembre 2023 un système
de suivi soit mis en œuvre, alors que la
traçabilité des diamants a toujours été
le point faible de l’industrie joaillière,
dont les pierres sont souvent retaillées,
repolies ou revendues dans un dédale
de provenances.
Partout, le diamant se voit associé à
une seconde pierre translucide ou colo-
rée (cristal de roche, émeraude, saphir,
En diadème ou en barrette, les bijoux n’en font qu’à leur tête
chez les joailliers de la place Ven-
dôme, l’importance du chiffre d’affai-
res tient beaucoup aux ventes de ba-
gues et de boucles d’oreilles. Mais ce
sont les pièces spectaculaires avec
« une plus large surface d’action » (c’est-
à-dire avec plus de matière pour mon-
trer l’étendue de son savoir-faire),
comme jargonnent les responsables
marketing, qui prennent davantage
la lumière. Tandis que les colliers font
toujours sensation et que les broches
vont crescendo, voici que les bijoux
« de tête », gloires des XIXe et XXe siè-
cles, (re)gagnent en visibilité, comme
l’ont montré les collections présentées
du 22 au 26 janvier à Paris.
Maître du diadème, Chaumet en dé-
fend la spécificité, quand bien même
les impératrices ne courent plus les
rues de nos jours. Au travers d’une col-
lection ramassée et gracieuse, inspirée
par les envols d’oiseaux, la maison
déploie des plumes en or piquées de
Même Bulgari
donne dans
la bichromie.
Une manière
de séduire la
clientèle asiatique,
qui goûte peu
un trop vaste
mélange de tons
rubis, tourmaline, onyx, etc.), dessinant
des pièces monochromes ou bicolores.
Une tendance qui peut aboutir, selon
l’interprétation des designers, à des op-
tions sobres ou plus tapageuses.
Chez Repossi comme chez Armani, le
bicolore accompagne une approche mi-
nimaliste. Ne résistant pas à cette ma-
nie marketing de fêter le moindre anni-
versaire, le premier souffle la dixième
bougie de sa ligne Serti sur vide en l’en-
richissant de dix-sept nouveautés. Sur
des colliers cravates tout en élongation
diamants, ou en or ciselé ou guilloché.
Au-delà du diadème surgissent une
barrette pour les cheveux façon nuées
d’hirondelles ou des bijoux à poser à
l’arrière de l’oreille et d’où s’étire un
plumage d’oiseau de feu quasiment
jusqu’au sommet du crâne.
Des panthères en pierres précieuses
L’ensemble emprunte aux codes classi-
ques des archives de la griffe : une bro-
che à diamants briolettes de 1846 ou
une autre, relevée de rubis framboise,
en forme de chimères en plein vol de
1901. Mais le studio de création par-
vient à ne pas se laisser plomber par
le poids exalté de ce patrimoine : les
plumes fuselées offrent une vraie im-
pression de mouvement, et le choix li-
mité à l’or et aux diamants permet une
pureté bienvenue.
En vingt-cinq ans de carrière chez
Dior, Victoire de Castellane n’a jamais
cédé à la mièvrerie. Si son univers oni-
ou des bagues graphiques, on reconnaît
la signature de cette gamme, des mon-
tures si discrètes que, sur les doigts, les
diamants et émeraudes taillés en poire
paraissent flotter comme par magie. A
sa recette, Gaia Repossi ajoute, pour la
première fois, des petites pierres en
taille brillant et serti clos qui viennent
ponctuer l’or blanc.
Egalement adepte du dépouillement,
Giorgio Armani s’essaie à une collec-
tion aux sertis invisibles, laissant les
pierres agglutinées les unes aux autres
dans un effet de mosaïque. Cela donne
des bagues bombées ; des boucles et
bracelets nets et sans fioritures,
comme un trait. Les diamants y sont
mêlés avec un seul ton : le rouge du
rubis, le vert de la tsavorite, le bleu du
saphir. Une démarche bichroma-
tique pour ce que la marque re-
vendique comme « un luxe dis-
cret et réservé ».
Chez Louis Vuitton, Francesca
Amfitheatrof s’en tient au duo
diamant et pierre de couleur.
Mais, dans son style anguleux et
tonitruant, le résultat se fait net-
tement plus tape-à-l’œil. Parmi
rique se peuple de fleurs naïves et de
tendresse, une ironie piquante et une
façon espiègle de désacraliser le pré-
cieux viennent toujours offrir un con-
trepoids. On n’attendait pas d’elle un
diadème, cet archétype romantique ?
Elle y cède deux fois plutôt qu’une.
Le premier est dominé par des arches
sophistiquées mais parcourues, en
contraste, par des diamants baguette
(rectangulaires). Il côtoie, dans cette
collection en soixante-dix-neuf nou-
veautés sur le thème de la délicatesse,
les colliers en or et diamants à rangs
de fleurs, de fleurons ou de chaînes,
qui imitent les galons ou les broderies
des ateliers de couture, ou une bague
quasi cubiste sur laquelle se chevau-
chent des diamants jaunes.
Le second diadème est plus subtil à
repérer, puisqu’il s’agit en réalité d’un
collier plastron à double rang, frappé
d’un diamant taille kite (en forme de
cerf-volant). Une fois fixé à une struc-
styles | 23
Cartier. CARTIER
Rouvenat. ROUVENAT
Repossi. REPOSSI
Chaumet. CHAUMET
Giorgio Armani.
GIORGIO ARMANI
ture métallique comme un serre-tête,
celui-ci mute et se hisse au-dessus de
la chevelure.
Un caprice deux-en-un pour néo-
duchesse au portefeuille bien doté
dont Cartier use aussi sur un collier an-
guleux de diamants et saphirs. L’effet
est bluffant : par un système de cons-
truction ingénieux et dissimulé, il se
révèle aussi souple sur le décolleté que
rigide une fois retourné et porté sur la
tête, un saphir de Ceylan de 29 carats
au centre, en majesté, pour couronner
le tout. Pour le reste, dans des colliers
tels des entrelacs sensuels ou nets
comme des lignes brisées, Cartier dé-
ploie sa maîtrise d’exécution et ses
signatures : des panthères en pierres
précieuses, des cabochons de corail ou
d’émeraude, de la turquoise en billes
ou des traits d’onyx pour accompa-
gner les diamants, comme du khôl
soulignerait un regard étincelant. p
v. pé.
les cinquante nouveaux bijoux qui
complètent sa collection inspirée par
les éléments et phénomènes naturels,
surgissent des graines imitées par des
perles de Tahiti, des fossiles suggérés
sur des colliers alvéolés et lestés de sa-
phirs, des feuilles figurées sur des ba-
gues ou des pendentifs et accompa-
gnées de rubis… On pourrait croire que
l’apothéose est ce ras-de-cou sensuel
dont les diamants et saphirs Umba
(orangé) sont positionnés en damier,
une des signatures de la maroquinerie
maison. Mais Vuitton en profite pour
révéler la commande la plus chère ja-
mais réalisée pour un particulier (une
cliente qui tient à rester anonyme) : un
collier massif alternant des diamants
taillés en fleur de Monogram et 23 sa-
phirs du Cachemire. Pour appairer ces
gemmes rares d’un bleu royal totali-
sant plus de 125 carats, les négociants
auraient mis deux décennies.
Graff, aussi, doit sa renommée à des
pierres volumineuses et si acidulées
que l’on croirait des bonbons. Avec ses
27 nouveautés, le joaillier londonien
poursuit sa démonstration de force, à
faire frétiller les collectionneurs : les
diamants sont rehaussés d’émeraudes
colombiennes en losange, de rubis du
Mozambique corpulents, de poires de
diamants jaunes à vous brûler la rétine,
ou d’un saphir de la taille d’un galet de
118 carats à lui tout seul !
Colliers aux motifs byzantins
Même Bulgari, qui aime d’ordinaire
mener la dolce vita en multicolore
(une création agglomère générale-
ment de trois à six teintes), donne dans
la bichromie cette saison. Manière,
pour la filiale de LVMH, de séduire une
clientèle asiatique qui goûte peu un
trop vaste mélange de tons. Cela donne
des colliers aux motifs byzantins ou
inspirés de balcons vénitiens en éme-
raudes, reprenant des guirlandes de
mythologies antiques en saphirs ou
imitant un serpent s’enroulant autour
du cou, en or rose et nacre.
Chez Boucheron, Claire Choisne
épure encore davantage en n’associant
les diamants qu’à du cristal de roche
(quelquefois dépoli), sa pierre fétiche.
Cette fois, cet assemblage mono-
chrome sert à faire naître divers bijoux
d’apparat traditionnels qu’elle réinter-
prète en 24 pièces avec son approche in-
novante, toujours stimulante. « Frédé-
ric Boucheron était fils de drapier :
nœuds, pompons et passementeries ont
nourri son univers », rappelle la di-
rectrice des créations, qui donne
corps à un collier cravate
comme à un nœud gros-grain
qui dévale du décolleté, à de su-
blimes boutons précieux qui
s’accrochent à la veste, à des mé-
dailles à épingler au revers, à
une aiguillette en or blanc
tressé ou à une paire de brace-
lets à motifs rosaces qui peuvent
aussi devenir des épaulettes… « Ces
symboles d’apparat étant traditionnel-
lement masculins, l’enjeu a été de leur
apporter de la féminité », explique
Claire Choisne, qui réussit son coup.
Dans ce paysage de la place Vendôme
dominé par les propriétés de Riche-
mont, LVMH et Kering, Rouvenat fait
figure d’outsider. La maison, lancée fin
2022 par d’anciens cadres de Cartier
avec l’ambition de redonner vie au
patrimoine de Léon Rouvenat, un
joaillier oublié du XIXe siècle, propose
des bagues sur lesquelles une pierre de
centre (spinelle, grenat, tanzanite…)
est encadrée de diamants. Ailleurs, sur
des pendentifs carrés en argent noirci,
parcourus de ferronneries luxueuses,
triomphe une intaille antique (pierre
gravée originellement utilisée comme
un sceau) englobée dans un gros cabo-
chon de cristal de roche mordoré ou
un beau grenat d’un rouge profond.
Des gemmes étonnantes à l’allure vin-
tage, que l’on ne voit pas forcément
ailleurs, et pour cause : ici, chaque
pierre est de seconde main. p
valentin pérez
24 |
IDÉES
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024

Thierry Tardy
L’orage trumpien confronte les Européens
à un défi jamais connu depuis 1945
Par ses déclarations, l’ancien président américain et candidat à la Maison Blanche remet en cause l’existence même de
l’Alliance atlantique, souligne le politiste, à moins que les Etats européens se décident à tracer un chemin commun de défense

P
our combien de temps les Améri-
cains vont-ils continuer à honorer
les garanties de sécurité contrac-
tées auprès des Européens dans le
cadre de l’Alliance atlantique créée
en 1949, il y a tout juste soixante-quinze
ans ? L’hypothèse d’un retour de Donald
Trump à la Maison Blanche en 2025 peut
légitimement faire craindre que la pro-
tection américaine ne soit pas éternelle.
« Non, je ne vous protégerai pas ! », aurait
répondu le candidat Trump à un leader
occidental lui demandant s’il défendrait
un Etat européen attaqué par la Russie,
mais dont le budget de défense serait
au-dessous des standards de l’OTAN.
Déjà pendant son premier mandat, le
président Trump tançait les Européens
aux faibles dépenses militaires et mon-
trait son irritation à devoir, comme le
prévoit le traité fondateur de l’OTAN, leur
assurer protection contre toute agres-
sion extérieure. Dans le contexte de la
crise ukrainienne de 2014, les membres
de l’OTAN avaient pris l’engagement de
consacrer 2 % de leur produit intérieur
brut (PIB) à leur budget de défense à l’ho-
rizon 2024. Dix années plus tard, seul un
tiers des 31 alliés a atteint le seuil des 2 %.
Pour Donald Trump, les autres sont des
« délinquants » et doivent « payer leurs
dettes », suggérant au passage que sont
confondus les budgets de dépense et
d’éventuels arriérés de paiement au bud-
get de fonctionnement de l’OTAN.
Mais ce qui se joue ici dépasse les ques-
tions financières. Ce sont la crédibilité,
voire l’existence de l’Alliance atlantique
qui sont susceptibles d’être remises en
cause. Trump ne comprend ni la néces-
sité de conserver un lien de sécurité fort
avec les Européens ni même l’utilité,
politique et industrielle, de les maintenir
dans une forme de dépendance. Il a
indubitablement la culture politique de
celui qui peut unilatéralement décider
de la fin de l’Alliance sans conscience des
nombreuses ramifications que l’insta-
bilité européenne ainsi créée pourrait
avoir sur la sécurité des Américains.
La crainte d’une sortie de l’OTAN est
même sérieusement considérée au sein
du Congrès américain, qui a adopté en
décembre 2023 une loi visant à empê-
cher une décision unilatérale du pouvoir
exécutif. Vladimir Poutine, quant à lui,
doit espérer voir revenir un interlocu-
teur avec lequel il pourrait non seule-
ment discuter, et le cas échéant décider
du sort de l’Ukraine dans le dos des
Ukrainiens et, bien sûr, dans celui des
Européens, mais aussi soigneusement
défaire la crédibilité de l’Alliance.
Pour les Européens, la question se pose,
dès alors, de ce qu’ils doivent faire pour se
prémunir d’une éventuelle défaillance
américaine. Trois scénarios sont envisa-
geables. Une première option est celle de
la répétition d’une forme de passivité
observée lors du premier mandat de
Donald Trump. Un effort financier fut
certes consenti, bien que davantage en
réponse à la Russie qu’aux pressions amé-
ricaines, mais les Européens avaient sur-
tout l’espoir que l’orage trumpien ne dure
que quatre années sans qu’il conduise par
ailleurs à une destruction politique de
l’Alliance. Et les plus vertueux en matière
de dépenses de défense peuvent espérer
maintenir le lien privilégié avec les Améri-
cains, au moins sur un mode bilatéral. Un
tel scénario pourrait bien être reproduit,
même s’il ignore qu’un éventuel second
mandat de Trump pourrait être encore
plus confrontationnel que le premier.
Il y a, en deuxième lieu, l’option de tout
faire pour que les Américains, qu’ils
soient d’ailleurs républicains ou démo-
crates, se rangent à l’idée que les Euro-
péens font suffisamment d’efforts pour
mériter la protection américaine. Cela
doit passer par une accentuation de l’ef-
fort budgétaire et sans doute par un ali-
gnement sur les positions américaines, y
DONALD TRUMP
NE COMPREND PAS
LA NÉCESSITÉ
DE CONSERVER
UN LIEN DE SÉCURITÉ
FORT AVEC LE VIEUX
CONTINENT
compris sur l’Ukraine. Donald Trump
serait-il plus conciliant si les cinq plus
grandes puissances économiques d’Eu-
rope (Allemagne, Royaume-Uni, France,
Italie et Espagne) atteignaient le seuil des
2 % de leur PIB pour leur défense,
sachant que les cinq pays du flanc est
(Pologne, les trois Etats baltes et la Rou-
manie) sont déjà au seuil des 2 % ?
Menace suffisamment forte
Un tel scénario suppose que la question
financière est seule déterminante dans la
construction du lien transatlantique, ce
qui n’est qu’en partie le cas. La posture
américaine à l’égard de la Russie sera tout
aussi importante, et peu susceptible
d’être façonnée par le niveau de dépenses
des Européens. Et la solidité du lien
transatlantique sera aussi en partie déter-
minée par l’agenda américain dans la
zone Indo-Pacifique, également de nature
à éloigner les Américains de l’Europe.
Dans la troisième voie, la menace de
l’abandon américain est suffisamment
forte pour que les Européens acceptent
l’idée d’un chemin principalement
européen, par lequel sont définies des
politiques et développées des capacités
qui conduisent à l’émergence d’une
communauté européenne de sécurité et
de défense qui ne se résume pas au lien
transatlantique. Telle a été l’essence des
efforts faits au sein de l’Union euro-
péenne au cours des vingt-cinq derniè-
res années, autour d’une politique de
sécurité et de défense commune et, plus
récemment, par le développement capa-
citaire, lequel est en partie financé par la
Commission européenne. Les avancées
sont ici réelles, même si elles restent
d’une portée limitée, tant la dépen-
dance aux Etats-Unis est incontour-
nable. Et la guerre des deux dernières
années en Ukraine n’a-t-elle pas tout
simplement démontré le caractère in-
dispensable du lien transatlantique face
à la Russie néo-impériale ?
Les Européens sont donc confrontés à
un défi jamais connu depuis 1945 :
pouvoir assurer le maintien d’un lien
transatlantique potentiellement affaibli
mais qui reste central à leur défense,
tout en développant une voie euro-
péenne alternative dont ils ne peuvent
plus faire l’économie. Que ceci s’appelle
« autonomie stratégique européenne »,
« pilier européen de l’Alliance atlanti-
que » ou « souveraineté européenne »
importe assez peu. Avec les Etats-Unis de
Trump, et avec la Russie de Poutine, ce
serait à la fois le principal allié de l’Eu-
rope et son principal ennemi, qui l’ap-
pelleraient au sursaut. p
Thierry Tardy, politiste spécialisé
dans les questions de sécurité
internationale, est chercheur associé
à l’Institut Jacques-Delors et professeur
invité au Collège d’Europe

Nathalie Loiseau On aurait tort de prendre

core à livrer des missiles Taurus ; On pourrait en débattre longue-
Budapest bloque la prochaine ment, mais il n’y a pas de temps à
tranche de la facilité européenne perdre. La solution réside dans
pour la paix destinée à l’Ukraine. l’émission d’un emprunt euro-

les discours de Donald Trump à la légère

De discussions en arguties, toutes
les annonces européennes, à l’ex-
ception de la formation de trou-
pes ukrainiennes, ont pris du re-
tard, et les garanties de sécurité
Les critiques de l’ex-président américain sur l’insuffisance de financement que nous avons promises à Kiev
se font attendre.
de l’OTAN par les Européens devraient servir à bâtir sans tarder une autonomie Il en va de même des projets qui
stratégique de défense, plaide l’eurodéputée (Horizons, groupe Renew Europe) visent à renforcer la défense
européenne elle-même. Certes,
des premiers pas significatifs ont
été faits. Mais depuis combien de
péen de défense, dans un change-
ment du mandat de la Banque
européenne d’investissement et
dans une exception stratégique
qui ramène les financeurs privés
vers un secteur de la défense trop
spécifique pour répondre aux cri-
tères des différentes taxonomies.
La situation exige en outre une
préférence européenne claire en
matière d’équipements militai-
res. Ces orientations sont con-

E
t si Donald Trump avait
– en partie – raison ? Une
fois de plus, il pointe l’in-
suffisance, réelle, de l’ef-
fort consenti par les Européens
pour leur défense. Il le fait à sa
manière, transactionnelle, provo-
catrice et dangereuse : que les al-
liés paient davantage, sinon ils ne
pourront plus compter sur l’aide
américaine en cas d’agression. Il
n’y a pas pire façon de s’y pren-
dre, puisque Donald Trump met
en doute le fondement même de
S’IL PARVIENT À ÊTRE l’OTAN, la clause d’assistance mu-
tuelle entre alliés, et joue avec
RÉÉLU, LE CANDIDAT l’idée d’« encourager » un agres-
RÉPUBLICAIN seur, la Russie, avec laquelle il en-
tretient un rapport ambigu.
N’AURA PLUS Les arrière-pensées du candidat
républicain ne doivent, en outre,
D’« ADULTES tromper personne : ce n’est pas
seulement à dépenser plus qu’il
DANS LA PIÈCE » veut forcer les Européens, c’est
POUR LIMITER bien à acheter plus d’armes amé-
ricaines, à s’enfoncer toujours
SES EMBARDÉES plus dans la dépendance vis-à-vis
de son bon vouloir, lui dont on
connaît les foucades.
On aurait tort de prendre les dis-
cours de Trump à la légère et de
n’y voir rien de nouveau sous le
soleil. S’il parvient à être réélu, le
candidat républicain n’aura plus
d’« adultes dans la pièce » pour li-
miter ses embardées. Il purge peu
à peu le Grand Old Party de ceux
qui lui résistent. Dès à présent, on
mesure sa capacité de nuisance
au retard délétère qu’il réussit à
imposer, par la soumission de ses
partisans au Congrès, au vote
d’une aide américaine indispen-
sable à l’Ukraine. Si vous avez eu
peur de Trump I, les prémices de
Trump II devraient nous réveiller,
sans attendre sa possible victoire
en novembre.
Malheureusement, Donald
Trump a raison sur un point : col-
lectivement, l’Europe n’a pas pris
la mesure des menaces qui pèsent
sur elle ni celle de la nécessité de
renforcer suffisamment sa dé-
fense. Bien sûr, il faut saluer la loi
de programmation militaire, qui
conduit la France à atteindre pro-
chainement le seuil de 2 % du PIB
consacrés à ses dépenses militai-
res. Bien sûr, il faut mesurer la ré-
volution culturelle que traverse
l’Allemagne, qui s’attelle à rattra-
per un retard abyssal en matière
de défense. Bien sûr, il faut mesu-
rer la puissance militaire que de-
vient la Pologne. A cet égard, la
réactivation du triangle de Wei-
mar entre Paris, Berlin et Varsovie
est une excellente initiative.
Le compte n’y est pas
Malgré tout, le compte n’y est pas.
Alors que l’avenir de l’Europe est
intimement lié à celui de
l’Ukraine, l’aide européenne,
pourtant sans précédent ni équi-
valent, ne suffit pas. Le plan euro-
péen pour les munitions tarde à
produire ses effets ; les avions de
chasse promis ne sont toujours
pas en place ; Berlin se refuse en-
mois nous promet-on une straté-
gie européenne d’investissement
de défense et un programme qui
en serait la déclinaison concrète ?
La communication est mainte-
nant attendue pour la fin février.
Soit. Mais que trouvera-t-on der-
rière l’effet d’annonce ? Quels tex-
tes législatifs, à quelques semai-
nes de la fin du mandat de la
Commission comme du Parle-
ment européen, et de la prési-
dence hongroise du Conseil ?
Quels moyens financiers à la hau-
teur du défi qui se présente à
nous, et de son urgence ?
Comme toujours, l’argent cons-
titue le nerf de la guerre. Les en-
treprises du secteur de la défense
le répètent sur tous les tons : elles
augmentent leur rythme et leurs
capacités de production en vertu
des commandes qu’elles reçoi-
vent, rien d’autre. Les ministres
du budget des Vingt-Sept insis-
tent sur le fait qu’ils ne peuvent
faire plus en matière de défense.
nues, mais les décisions tardent.
Pourtant, alors que nous ne
sommes pas en guerre avec Mos-
cou, la Russie nous mène une
guerre, insidieuse mais bien
réelle, en redoublant ses ingéren-
ces au cœur même de nos démo-
craties et en nous chassant du Sa-
hel. Pourtant, les Etats-Unis pour-
raient devenir un allié moins
fiable qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Rien de tout cela n’est nouveau, et
c’est depuis 2017 qu’Emmanuel
Macron insiste sur la nécessité
d’une autonomie stratégique
européenne. Critiquée hier, l’idée
montre aujourd’hui toute sa perti-
nence. Il est temps que l’Europe
prenne son destin en main. p
Nathalie Loiseau est
députée européenne (Horizons,
groupe Renew Europe)
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024
Reed Brody D’abord
symptôme de la crise
qui frappe l’Amérique,
Donald Trump en est
devenu un moteur
Le danger d’un retour à la Maison Blanche de l’ancien président,
malgré les poursuites judiciaires engagées contre lui, est bien réel,
s’alarme l’avocat américain, qui dépeint l’offensive contre l’Etat
de droit que pourrait entreprendre un homme pétri de rancune
A
près sa victoire aux pri-
maires dans le New
Hampshire, Donald Trump
est quasiment certain d’être
le candidat républicain à la prési-
dence des Etats-Unis, et les sonda-
ges le placent au coude-à-coude
avec Joe Biden. Son retour à la
Maison Blanche sonnerait-il le
glas de la démocratie américaine ?
Au pouvoir entre 2017 et 2021,
M. Trump en aura assurément
testé les limites. D’abord symp-
tôme de la crise qui frappe notre
société, il en est devenu un mo-
teur. Il a approfondi les divisions
existantes entre les Américains,
accélérant la dangereuse polarisa-
tion du pays ; il a rabaissé le ni-
veau du débat public avec ses
mensonges et ses insultes ; il s’est
assis sur les règles fondamentales
de la démocratie, à commencer
par le respect des contre-pouvoirs.
Et surtout, après avoir perdu la
dernière élection présidentielle, il
a tenté par tous les moyens d’em-
pêcher le transfert pacifique du
pouvoir, jusqu’à l’insurrection de
ses partisans au Capitole, à
Washington, le 6 janvier 2021.
Si notre démocratie a malgré
tout résisté au premier mandat de
M. Trump, c’est en partie parce
qu’il est arrivé à la Maison Blan-
che sans préparation, surpris –
comme nous tous – par sa propre
élection. Il a confié des postes-clés
à des hommes et des femmes is-
sus de l’establishment conserva-
teur, qui ont servi de garde-fous,
réussissant pendant des années à
tempérer ses instincts les plus ra-
dicaux. Ce n’est qu’à la toute fin de
son mandat, après sa défaite élec-
torale, qu’il s’est entouré de lèche-
bottes prêts à tout détruire pour le
maintenir au pouvoir. Et si nous
avons échappé à ce dernier assaut,
c’est grâce à des institutions ro-
bustes, mais surtout à des respon-
sables républicains qui se sont
avérés suffisamment forts pour
lui résister, comme les élus qui
n’ont pas voulu lui « trouver
12 000 votes » en Géorgie, ou son
jusqu’alors fidèle vice-président
Mike Pence, qui a refusé d’invali-
der les résultats.
Cette fois, si M. Trump est élu,
les choses seront bien différentes.
Il a passé trois ans à ruminer sa
rancune et à préparer sa « revan-
che ». Au sein d’un réseau de grou-
pes bien financés, comme la puis-
sante Heritage Foundation, ses
partisans ont affûté leur pro-
gramme et dressé des listes de
milliers de recrues potentielles
pour remplacer autant de fonc-
tionnaires de carrière : M. Trump
pourra commencer à mettre en
œuvre, dès le premier jour, une
politique extrémiste et une
offensive tous azimuts contre les
institutions démocratiques qui
avaient entravé son pouvoir.
M. Trump ne cache pas son
intention de brandir le pouvoir
de l’Etat contre ses « ennemis »,
comme il l’a revendiqué devant
la Conservative Political Action
Conference : « Je suis votre guer-
rier. Je suis votre justice. Et pour
ceux qui ont été lésés et trahis : je
suis votre vengeance. » Cela com-
mencera par la mise au pas du
ministère de la justice, qui dirige
les 93 procureurs des Etats-Unis,
renversant ainsi une norme éthi-
que instituée en 1974 au lende-
main du Watergate.
M. Trump, qui décrit ses quatre
procès en cours au pénal – pour
tentative de subversion de la dé-
mocratie, mise en danger de se-
crets liés à la sécurité nationale et
falsification de documents sur
un versement à une actrice por-
nographique – comme la preuve
d’une vendetta politique, n’hési-
tera pas à se servir du ministère
pour lancer des enquêtes contre
ses adversaires. « C’est un truc de
pays du tiers-monde : “Jetez votre
adversaire en prison”, a dénoncé
M. Trump. Et cela signifie que je
peux le faire aussi. » Il a notam-
ment déclaré qu’il nommerait
« un véritable procureur spécial
pour s’en prendre » à l’actuel pré-
sident et à « toute la mafia Bi-
den ». En revanche, nul doute
qu’il amnistierait les insurgés du
6 janvier 2021 et qu’il abuserait
de ses fonctions pour bloquer les
poursuites pénales qui le visent.
La sonnette d’alarme
Quand bien même il est illégal
d’utiliser l’armée à des fins de
maintien de l’ordre sur le sol amé-
ricain, M. Trump aurait l’inten-
tion d’invoquer la « loi sur l’insur-
rection » de 1792 pour transformer
l’armée en une force de police per-
sonnelle, pour mater ceux qui
pourraient protester et pour pren-
dre en main la lutte contre la cri-
minalité. Il a annoncé son inten-
tion de créer des camps de déten-
tion pour les immigrés sans
papiers. Car, il l’a dit, les migrants
« empoisonnent le sang de notre
pays ». Tout cela a conduit des
Américains à tirer la sonnette
d’alarme. Les Etats-Unis avancent
« en somnambule vers la dicta-
ture », assène ainsi Liz Cheney,
porte-voix des républicains mo-
dérés. M. Biden, lui aussi, concen-
tre de plus en plus ses discours sur
la menace que M. Trump fait pe-
ser sur la démocratie.
Le danger de son élection est en
effet bien réel. Bien que le bilan de
M. Biden soit plutôt bon, les
Américains, y compris la plupart
des démocrates, le considèrent
comme trop âgé pour effectuer
un nouveau mandat, surtout de-
puis qu’un procureur spécial a dit
qu’il se présentait « comme un
homme âgé, sympathique et bien-
veillant, avec une mauvaise mé-
moire ». Dans un pays où le taux
de participation tourne autour de
55 % à 60 %, la mobilisation sera
LES ÉTATS-UNIS
AVANCENT « EN
SOMNAMBULES
VERS LA
DICTATURE »,
ASSÈNE
LIZ CHENEY,
PORTE-VOIX
DES RÉPUBLICAINS
MODÉRÉS
essentielle le jour du vote. Or
M. Biden ne suscite pas l’enthou-
siasme, et sa complicité avec Is-
raël lui coûtera beaucoup de votes
parmi les noirs et les jeunes, ainsi
qu’au sein des communautés
arabe et musulmane, détermi-
nantes pour sa victoire en 2020
dans plusieurs Etats-clés. Un dé-
sistement de M. Biden, ouverte-
ment évoqué depuis le rapport du
procureur, serait compliqué à gé-
rer, mais il pourrait permettre
aux démocrates de designer un
candidat plus attrayant.
Mais la route est encore longue
d’ici à novembre. Les quatre affai-
res pénales dont M. Trump fait
l’objet entament sa cote de popu-
larité auprès des électeurs indé-
pendants et indécis, mais il est
possible qu’aucune ne soit jugée
avant les élections, et quoi qu’il
en soit, une éventuelle condam-
nation ne le disqualifierait pas.
En théorie, M. Trump pourrait
être disqualifié en vertu du
14e amendement de la Constitu-
tion, qui interdit aux anciens
fonctionnaires « impliqués dans
une insurrection » d’exercer des
fonctions officielles. La Cour su-
prême doit se prononcer à ce su-
jet. Mais bien que le texte et l’his-
toire de l’amendement ne laissent
guère de doute sur le fait qu’il
s’applique précisément au rôle de
M. Trump dans les émeutes du
6 janvier 2021, la Cour [à majorité
conservatrice] répugnera certai-
nement à intervenir et à se substi-
tuer à l’électorat américain. C’est
donc au peuple américain qu’il
appartiendra de sauver notre dé-
mocratie. Espérons qu’il aura la
sagesse de le faire. p
Reed Brody est avocat
spécialisé dans la défense
des droits humains et
ancien substitut du procureur
de l’Etat de New York
Christophe Soulard
Pourquoi Badinter a tant
compté pour les juges
Le haut magistrat rappelle que l’ancien garde des sceaux
a toujours souligné la place essentielle qu’occupe la justice
dans le fonctionnement de la démocratie et dénoncé ceux
qui en sapent les fondements par des propos inconsidérés
L
es hommages ne manquent pas,
qui célèbrent Robert Badinter. Ils
vont se poursuivre encore long-
temps. Ils salueront le professeur
que la passion de transmettre n’a ja-
mais quitté, l’avocat qui, parallèlement
à une réussite éclatante dans les domai-
nes des droits d’auteur et du droit des
affaires, a livré des combats mémora-
bles devant les cours d’assises, le garde
des sceaux qui a porté tant de réformes
fondamentales, le président du Conseil
constitutionnel qui aurait aimé insti-
tuer ce qui devait être plus tard la ques-
tion prioritaire de constitutionnalité, le
sénateur dont les prises de parole ne fu-
rent jamais banales.
Ceux qui ont eu le privilège de tra-
vailler à ses côtés parleront de son intel-
ligence exceptionnelle, dont il faisait bé-
néficier chacun ; ses amis évoqueront
ou se retiendront par pudeur d’évoquer
les blessures nées de la tragédie qu’a
connue sa famille et des attaques odieu-
ses dont lui-même a fait l’objet. Je
n’avais pas eu la chance de le rencontrer
avant qu’il ne me convie de temps à
autre, au cours des quelques années qui
viennent de s’écouler, à m’entretenir
avec lui de la justice en général et de la
Cour de cassation en particulier. Mais
aussi des évolutions de notre société.
Esprit européen
Cependant il a accompagné toute ma vie
de magistrat, comme il a accompagné
celle de nombreux collègues qui ne l’ont
pas connu personnellement. Convaincu
que d’autres éprouvent le même senti-
ment que moi, je souhaite expliquer en
quelques mots pourquoi Robert Badinter
a tant compté pour nous. Il a aimé l’insti-
tution judiciaire, qu’il a toujours défen-
due avec passion. Cela le singularisait.
Sans chercher à dissimuler les dys-
fonctionnements qu’elle peut connaî-
tre, il a saisi et tenté de faire compren-
dre les difficultés inhérentes à la mis-
sion du juge. Il n’a eu de cesse de
rappeler que la France bénéficie d’une
magistrature intègre, bien formée, qui,
malgré un sous-effectif reconnu, as-
sume ses tâches avec un dévouement
exceptionnel. Il a rappelé la place essen-
tielle qu’occupe la justice dans le fonc-
tionnement de la démocratie et dé-
noncé ceux qui, dans une démarche
mortifère pour l’ensemble des institu-
tions, en sapent les fondements par des
propos inconsidérés.
A contre-courant du populisme pénal
qui propose des réponses simplistes à
l’émotion que suscite légitimement la
délinquance, il a rappelé à de multiples
reprises que la justice n’est ni la ven-
geance ni une instance de thérapie et
qu’elle doit respecter un équilibre entre
les droits des victimes et ceux des per-
sonnes poursuivies ; que la non-ré-
troactivité des lois pénales et l’indivi-
dualisation des peines sont des princi-
pes essentiels.
À CONTRE-COURANT
DU POPULISME PÉNAL,
IL A RAPPELÉ QUE LA
JUSTICE N’EST
NI LA VENGEANCE,
NI UNE INSTANCE
DE THÉRAPIE
idées | 25
Christophe Soulard est premier
président de la Cour de cassation
Pour défendre le statut particulier des
mineurs délinquants, il faisait valoir, par
l’une de ces belles formules dont il avait
le secret, que ces derniers ne sont pas des
majeurs en réduction mais des êtres en
devenir. On connaît l’intérêt profond, in-
quiet et constant que Robert Badinter a
porté aux conditions de vie des détenus,
conscient, là encore, d’être en décalage
avec l’opinion publique.
Il faut néanmoins assumer ce décalage
et rappeler sans cesse qu’une société qui
n’offre pas aux détenus des conditions
de vie dignes non seulement perd ses re-
pères moraux, mais emprunte la voie la
plus sûre qui conduira à une augmenta-
tion de la récidive. La Cour européenne
des droits de l’homme, le Conseil consti-
tutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de
cassation ont rendu des décisions im-
portantes et convergentes sur cette
question. Elles n’ont pas suffi et il est à
craindre que l’injonction humaniste de
Robert Badinter résonne encore long-
temps à nos oreilles.
La protection des droits de l’homme,
notamment dans sa dimension euro-
péenne, fut, de manière générale, l’une
des lignes directrices de Robert Badinter.
Il était garde des sceaux lorsque la
France a ratifié le protocole permettant à
chaque individu de saisir directement la
Cour européenne des droits de
l’homme. On ne soulignera jamais assez
ce que notre pays tire de ce regard exté-
rieur et mesuré que porte une cour in-
ternationale sur le fonctionnement de
notre justice.
Exigences d’excellence
On doit aux décisions de la Cour de
Strasbourg le renforcement de nombre
de nos libertés publiques. Elles nous ont
également amenés à nous interroger sur
l’adéquation entre notre droit et certai-
nes évolutions majeures de notre so-
ciété, notamment dans le domaine des
mœurs et des relations familiales. Il n’y
a pas si longtemps, ce qui nous apparaît
aujourd’hui peu discutable, par exemple
la condamnation des discriminations
envers les homosexuels ou à l’égard des
enfants nés hors mariage, faisait l’objet
d’âpres débats. Robert Badinter y a pris
sa part, dans le sens que chacun connaît.
Au-delà de ses prises de position rela-
tivement à tel ou tel sujet, il a su rappe-
ler combien il est important de respec-
ter les décisions de justice, y compris
lorsqu’elles émanent de juridictions in-
ternationales. On aimerait que cet ap-
pel soit entendu. Robert Badinter nous
a quittés quelques heures avant que les
élèves magistrats de la grande promo-
tion 2024 ne prêtent serment en pré-
sence du président de la République.
Pour ceux-là, que j’ai pu rencontrer, il
ne représentait pas le passé mais était
porteur d’exigences présentes. Exigen-
ces d’excellence dans le savoir et la rigu-
eur de pensée, de probité morale, de dé-
vouement à l’intérêt général. Puissent
ces exigences habiter toujours nos fu-
turs collègues ! Au-delà de leur métier,
ils pourront, comme nous, puiser une
leçon de vie dans celle de ce grand hu-
maniste qui, jusqu’à son dernier souf-
fle, a cherché à comprendre et à agir, à
travailler, à écrire, à confronter sa pen-
sée à celle des autres, sans jamais rien
céder sur les grands principes dont dé-
pend notre capacité à vivre ensemble. p
26 | idées 0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024

RÉARMEMENT
moral incarne la frange conservatrice de la
troisième voie qui vise à définir une philoso-
phie entre capitalisme et communisme », re-
late Audrey Bonvin, une historienne dont la
thèse de doctorat portait sur ce mouvement.
Emmanuel Macron ne se revendique pas
de ce mouvement. Mais cet emprunt en rap-
pelle un autre : le processus de décivilisation,
un concept élaboré par le sociologue Norbert
En associant un vocabulaire militaire à des sujets divers, la rhétorique Elias (1897-1990) et employé par le président
présidentielle tente d’insuffler une impression de force de la République en mai 2023. A chaque fois,
un glissement de sens est opéré.
Marcel (1889-1973), le maître à penser de Paul
HISTOIRE D’UNE NOTION Ricœur, dont se revendique M. Macron.
Restaurer la nation
Le réarmement quitte le domaine spirituel et
Fabrice Cahen entend également un loin-
tain écho de cette époque dans les propos du
président. Pour autant, cet historien des poli-
tiques de reproduction et de population es-
time que « les politiques annoncées ne relè-
vent pas nécessairement d’un natalisme à
l’ancienne ». Un nouveau congé parental de
six mois devrait être créé et un vaste plan
pour lutter contre l’infertilité a été annoncé.
Le terme de réarmement installe les sujets
abordés dans un récit bien précis, souligne
l’historien et le linguiste Damon Mayaffre.
« Le préfixe “re” et le radical “armement” vont
dans le même sens. Ils laissent entendre que le
pays souffre d’une forme d’affaiblissement. »

D
ans son discours de politique gé-
nérale du 30 janvier, le premier
ministre, Gabriel Attal, reprend
un terme déjà installé par Emma-
nuel Macron : le « réarmement ». Le prési-
dent l’avait abondamment employé lors de
sa conférence de presse du 16 janvier,
comme lors de ses vœux, le 31 décembre. Le
président a fixé le cap pour le nouveau gou-
vernement : reconstituer un arsenal « civi-
que », « agricole », « académique », « scientifi-
que », « industriel » ou « démographique ».
Ce projet de régénérescence n’est pas sans
évoquer le « réarmement moral », un mouve-
ment politico-religieux qui a pris forme dans
les années 1920 aux Etats-Unis et qui a joui
d’une grande influence dans l’après-guerre.
Robert Schuman, l’un des pères fondateurs de
l’Europe, semble en avoir été proche : en 1958,
il est présent à Caux (Suisse) au siège du mou-
vement, lorsque Henri Fesquet, envoyé spé-
cial du Monde, se rend sur place en reportage.
Mais, en France, la figure la plus étroitement
associée au réarmement moral est Gabriel
Le pasteur américain Frank Buchman
(1878-1961) fonde, dans les années 1920, ce
mouvement qui se définit par son œcumé-
nisme et son libéral conservatisme. Ce n’est
qu’au cours de la décennie suivante qu’il
prend le nom de réarmement moral, dans un
climat de tensions internationales et d’af-
frontement idéologique. La formule s’ins-
pire de l’appel à un « renouveau spirituel »
lancé en 1937 par Pie XI dans son encyclique
sur le communisme. L’année suivante, Buch-
man déclare dans un discours prononcé à
Londres : « La crise est essentiellement mo-
rale. Il faut que les nations se réarment mora-
lement. (…) Une vague de désintéressement
absolu envahissant les nations mettrait fin à
toute guerre. »
Pour y arriver, le mouvement incite ses
adeptes à adopter une ligne de conduite
stricte, fondée sur quatre valeurs : la pureté,
l’honnêteté, le désintéressement et l’amour.
La foi en Dieu renforcée devait permettre aux
hommes d’échapper à l’égoïsme et de mettre
le marché au service de tous. « Le réarmement
prend une dimension uniquement politi-
que. Mais, dans un pays en paix, utiliser un
tel terme surprend. D’autant qu’Emmanuel
« LE PRÉFIXE “RE” Macron l’emploie pour parler notamment
ET LE RADICAL d’un sujet aussi étranger à la guerre que la
maternité. Face au recul de la natalité, il a dit
“ARMEMENT” souhaiter un « réarmement démographi-
que ». Sylvie Chaperon, spécialiste de l’his-
VONT DANS LE MÊME toire des femmes, souligne que le général de
SENS. ILS LAISSENT Gaulle s’était exprimé sur un autre ton en
mars 1945 au moment de présenter des me-
ENTENDRE QUE sures en faveur de la famille et d’appeler à la
naissance des « douze millions de beaux bé-
LE PAYS SOUFFRE bés qu’il faut à la France en dix ans ».
Pour Sylvie Chaperon, le langage de M. Ma-
D’UNE FORME cron pourrait être rapproché de celui de l’Al-
D’AFFAIBLIS- liance nationale pour l’accroissement de la
population française, une association formée
SEMENT » en 1896 pour relancer la natalité dans un con-
texte de rivalité avec l’Allemagne. « Comme les
DAMON MAYAFFRE
hommes envoyés au front, les femmes étaient
historien et linguiste
incitées à payer l’“impôt du sang”. Elles devai-
ent verser ce tribut dans les souffrances de l’ac-
couchement », précise l’historienne.
Face au risque de décadence, il faudrait restau-
rer la nation. Auteur de Macron ou le mystère
du verbe (L’Aube, 2021), M. Mayaffre a passé
l’ensemble des discours d’Emmanuel Macron
au crible d’un algorithme. Il remarque que le
réarmement rappelle l’affection du chef de
l’Etat pour les mots débutant par le préfixe
« re ». Son parti s’appelle Renaissance, il lance
en 2022 le Conseil national de la refondation
et déclare, en juillet 2023, vouloir « remettre de
l’autorité à l’école ». Avec réarmement, le « re »
présidentiel prend des accents martiaux et
hausse d’un cran une rhétorique qui s’use
avec le temps.
Ce serait donc avant tout au discours prési-
dentiel que ce vocable apporte du renfort, ce
que constate Bénédicte Chéron, maîtresse de
conférences à l’Institut catholique de Paris,
spécialiste d’histoire militaire. « Pour des diri-
geants politiques qui ressentent un certain dé-
sarroi face à la multiplication des crises, em-
ployer un lexique militaire constitue un moyen
très visuel de manifester l’autorité de l’Etat. » p
marc-olivier bherer

CHRONIQUE | PAR PIERRE-CYRILLE HAUTCŒUR

L’URGENTE NÉCESSITÉ DE LA SOBRIÉTÉ
Les agriculteurs, un LIVRE paraison n’est pas raison, car cet
ouvrage a du souffle et du pana-
au sein du club des plus privilégiés
de la planète. Dans sa diatribe, il a

siècle et demi de divisions L e romancier et cinéaste

Marc Dugain entend trans-
former sa colère en moteur
de changement. Face à l’évolution
du monde qui l’alarme, il ne peut
che. Il est d’ailleurs dicté par une
conviction : l’urgence de la crise
climatique rend nécessaire de se
poser la question de l’état de la
planète dans laquelle nous vivons
aussi des fulgurances, notant par
exemple que les grands patrons à
la tête des entreprises géantes du
numérique ont tous des « compor-
tements autistiques », d’Elon Musk

L es manifestations d’agri-
culteurs de ces dernières se-
maines ont rendu plus visibles
les divisions du monde agricole, que
beaucoup tentent pourtant de pré-
après la loi Waldeck-Rousseau de 1884
sur les syndicats. Elle se mobilise for-
tement en faveur du protection-
nisme, thème rassembleur mais dont
la mise en œuvre importe bien plus
plus se taire. Cela donne une lon-
gue conversation, découpée en six
chapitres, dont le premier s’inti-
tule L’Orgie capitaliste, retenu
comme titre de l’ouvrage (Allary,
et que nous allons transmettre à
la génération suivante.

senter comme unanime derrière les
politiques qui auraient leur préfé-
rence. Ces divisions reflètent des dif-
férences de stratégie entre l’agrobusi-
ness des grandes exploitations céréa-
lières ou d’élevage intensif et des pra-
tiques plus traditionnelles, ou, au
contraire, orientées vers l’environne-
ment et l’agriculture raisonnée. Elles
traduisent, plus encore, des différen-
ces sociales, entre une vision hiérar-
chique voulant piloter l’agriculture
par le haut et des espoirs d’émancipa-
tion et d’autonomie paysanne.
Deux moments historiques mon-
trent l’ancienneté de cette division.
En 1867 est créée, avec la bénédiction
de l’empereur Napoléon III, la Société
des agriculteurs de France (SAF) par un
petit nombre de très gros exploitants
ou propriétaires. Contrôlée par la plus
haute noblesse et par des industriels,
la SAF espère tirer parti des traités de
libre-échange pour conquérir les mar-
chés européens. Elle tourne casaque
dans un sens plus protectionniste
quand l’invasion du grain américain
et russe affecte le marché européen
dans le dernier quart du siècle.
Mais, auparavant, elle s’oppose
autant que possible aux projets des
républicains qui, après la chute du
Second Empire, en 1870, tentent de
faire adhérer les paysans au nouveau
régime. Ces efforts se traduisent
par la création de la Société nationale
d’encouragement à l’agriculture,
en 1880, par Léon Gambetta, qui, pré-
sident du conseil l’année suivante,
crée pour la première fois un minis-
tère de l’agriculture de plein exer-
cice. Celui-ci encourage le syndica-
lisme agricole et les mouvements
coopératifs et mutualistes.
Menacée dans son monopole de la
représentation de l’agriculture, la SAF
parvient à circonvenir le risque en
devenant une organisation de masse
L’AGRICULTURE EST
LE LIEU PAR EXCELLENCE
DE LA MISE EN PLACE PAR
LE RÉGIME DE VICHY D’UN
CORPORATISME AUTORITAIRE
« Potentielle disparition »
« Pour la première fois, nous som-
à Mark Zuckerberg, en incluant
Bill Gates ou Larry Page.
Marc Dugain ne refuse pas la
modernité. Ecrivain à succès, il
utilise, comme ses semblables,
que le principe. Méline affirme que sa « L’ORGIE 224 pages, 20,90 euros). Il a pour mes menacés par notre être collec- smartphones et réseaux sociaux.
célèbre loi de 1892 bénéficie à tous les CAPITALISTE » interlocuteur Adrien Rivierre, fon- tif », explique Marc Dugain. « Les Mais c’est aussi un père de famille
agriculteurs, mais ses bénéficiaires de Marc Dugain, dateur de Résonances, un média jeunes intègrent parfaitement la inquiet des discours sans nuances
principaux sont les céréaliers quand entretiens avec en ligne, et rédacteur en chef de la menace de notre potentielle dispa- sur les bienfaits de la « start-up na-
les importations s’effondrent. Adrien Rivierre, revue Portfolio, qui traite de la rition en tant qu’espèce. Qu’im- tion » ou de la panacée du techno-
Allary Editions, création contemporaine. Leur porte que cette dernière soit une solutionnisme.
Une organisation résistante 224 p., 20,90 €. conversation résonne comme une disparition pure et simple, provo- Sa réflexion part d’un monde
Le deuxième moment important est version moderne du dialogue phi- quée par la destruction de notre en- qui a été radicalement transformé
la seconde guerre mondiale. L’agri- losophique que Diderot a cons- vironnement, ou une disparition grâce aux découvertes faites par
culture est le lieu par excellence de la truit entre Jacques et son maître. causée par l’émergence d’une nou- Robert Oppenheimer et Alan Tu-
mise en place par le régime de Vichy Mais là où Jacques est fataliste, velle espèce augmentée, mécani- ring au XXe siècle. Il décrit les déri-
d’un corporatisme autoritaire, large- Marc Dugain adopte, lui, un ton sée, robotisée, hybridée au numéri- ves à venir, qui pourraient ressem-
ment organisé par des dirigeants de résolument combatif. Il ferraille que », poursuit-il. bler à la fête filmée par Paolo Sor-
l’Union syndicale des syndicats agri- contre le capitalisme néolibéral, la Le romancier se transforme en rentino dans La Grande Bellezza
coles (UNSA, reconfiguration issue de dictature consumériste et la sur- procureur des années 1980-2020, (2013). Aller vers plus de sobriété
la SAF dans les années 1930). Vichy veillance numérique, au risque de quarante années qui ont accouché est nécessaire. « Pour renverser la
rêve de restaurer l’autorité des nota- ressembler à Don Quichotte qui, d’une dérive libertarienne, avec table, il faut embrasser le récit stric-
bles et de l’Eglise, sans se soucier du ni- accompagné de son fidèle Sancho toujours plus d’excès, de déme- tement opposé à celui de la crois-
veau de vie (souvent misérable) de la Pança, part à l’assaut des moulins sure et d’égoïsme. D’individuel, sance infinie », dit-il. p
masse des paysans. Face à la collabora- de la sulfureuse modernité. Com- l’égoïsme a prospéré en vase clos, alain beuve-méry
tion active de la Corporation pay-
sanne, une organisation résistante et
populaire émerge, la Confédération
générale de l’agriculture (CGA), dont la
personnalité dominante est François
Tanguy-Prigent (1909-1970). Ce jeune
Les Népalais, l’arme secrète de Poutine | par sergueï
maire socialiste fonde dès 1935 une
Coopérative agricole de défense pay-
sanne. Député breton, il refuse les
pleins pouvoirs à Pétain.
Désigné ministre de l’agriculture à la
Libération, il soutient l’émancipa-
tion des paysans par les coopératives,
les syndicats et l’éducation popu-
laire. Il fait adopter le statut du fer-
mage et du métayage qui les protège
encore aujourd’hui. La CGA est pour-
tant rapidement marginalisée par le
retour des anciens de la Corpora-
tion paysanne qui jouent un rôle im-
portant dans la création de la Fédéra-
tion nationale des syndicats d’exploi-
tants agricoles. Celle-ci se pose depuis
comme l’incarnation de l’unité du
monde agricole. Elle a longtemps do-
miné la politique agricole commune,
jusqu’à la révolte d’Etats membres
plus soucieux des agriculteurs que de
la puissance exportatrice de quelques
producteurs. Certes, la défense de l’en-
vironnement peut servir de levier aux
agriculteurs qui veulent plus de démo-
cratie et de régulations plus égalitai-
res. Mais leur vote pèse trop peu pour
faire dévier le gouvernement. p
Pierre-Cyrille Hautcœur est
directeur d’études à l’EHESS
(Ecole d’économie de Paris)
0123
JEUDI 15 FÉVRIER 2024 0123 | 27

GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE AU-DELÀ DES JO,

LE DÉFI DES
par sylvie kauffmann
à la gare de l’Est, ou les lignes 16 et 17. Nul déjà le quotidien des Franciliens. Aux dé-

TRANSPORTS doute que les ambitions de départ étaient cennies de sous-investissement se sont

Le doute chemine FRANCILIENS

disproportionnées par rapport au calen-
drier imparti. Vouloir intégrer dans le pro-
ajoutées les conséquences de la pandémie
de Covid-19, qui a profondément désorga-

entre Etats-Unis et Europe

jet olympique l’ensemble des infrastructu-
res prévues dans le contrat de plan Etat-ré-
gion et dans la loi du Grand Paris tenait de
la mission impossible.
Aucune métropole occidentale n’a mené
des travaux souterrains d’une telle am-
nisé le secteur. Pendant les périodes de
confinement, les pertes de recettes ont in-
cité à réduire l’offre et à stopper les recrute-
ments. La forte reprise des déplacements a
été très mal anticipée, prenant ainsi les
transporteurs à contre-pied.

F LES EUROPÉENS
ace à l’entreprise de sabo-
tage législatif de l’aide
américaine à l’Ukraine
menée par le Parti répu-
blicain trumpiste, c’est un diri-
geant polonais qui, finalement, a
dit tout haut ce que beaucoup en
Europe pensaient tout bas, le 8 fé-
vrier, après un nouveau blocage
au Congrès du volet d’aide mili-
taire de 60 milliards de dollars
(environ 56 milliards d’euros),
crucial pour Kiev. « Chers séna-
teurs républicains d’Amérique, a
écrit le premier ministre, Donald
Tusk, sur son compte X. Ronald
Reagan, qui a aidé des millions
d’entre nous à regagner notre li-
berté et notre indépendance, doit
se retourner dans sa tombe
aujourd’hui. Honte à vous. »
Il faut savoir ce que cela coûte à
un homme politique polonais de
dénoncer des turpitudes des
Etats-Unis, allié unanimement ré-
véré à Varsovie. Mais les Polonais
ont ce sens de l’histoire qui man-
que, sans doute, à Donald Trump
et à ses troupes. Bill Burns, le di-
recteur de la CIA, l’a, lui, davan-
tage, en fin connaisseur de l’Eu-
rope de l’Est, où il a vécu : pour les
Etats-Unis, dit-il, abandonner
l’Ukraine serait une erreur « aux
proportions historiques ».
Ronald Reagan, président de
1980 à 1988, a dû faire un bond de
plus dans sa tombe lorsque, le
10 février, son lointain successeur
à la Maison Blanche, Donald
Trump, en campagne pour y re-
tourner, a rompu l’engagement
des Etats-Unis à protéger leurs al-
liés européens si ceux-ci n’aug-
mentaient pas leurs budgets de
défense. Pis : dans une de ces for-
mules démagogiques qui font
carton plein dans les meetings
électoraux, il a invité la Russie à
« s’en prendre à eux autant qu’elle
le voudrait ». La Russie, Etat agres-
pleur simultanément. Les atermoiements, De plus, cette sortie de Covid chaotique
au gré des alternances politiques, depuis coïncide avec la perspective de l’ouverture
SE PRENNENT dix ans, face à des coûts qui n’ont cessé de à la concurrence du secteur. Les salariés
déraper et l’allongement des délais de li- sont sollicités pour travailler plus, avec une
À SE DEMANDER vraison du matériel roulant ont fini d’em- plus grande amplitude horaire, dans un
SI L’OTAN pêcher que puisse se produire un miracle. contexte exacerbé de sous-effectif et d’ab-
SURVIVRAIT SANS
LES ÉTATS-UNIS
O utre l’organisation même des
épreuves sportives, les transports
seront, avec la sécurité, le domaine
qui déterminera en partie la réussite des
Jeux olympiques de Paris 2024. La capitale
Si les aléas étaient inévitables, la perspec-
tive des JO a permis malgré tout d’accélérer
et d’achever une partie des infrastructures
indispensables au déroulement de l’événe-
ment. C’est le cas de la ligne 14, reliant Saint-
sentéisme, le tout avec une inflation qui ro-
gne le pouvoir d’achat. Enfin, l’entrée en vi-
gueur de la fin du statut à l’embauche rend
les carrières moins attractives.
A la RATP comme à la SNCF, les directions
s’apprête à accueillir quotidiennement, du Denis à Orly. Sans l’échéance des Jeux, cette tentent de surmonter cette crise sociale la-
compatriotes, journalistes améri- 26 juillet au 11 août, près de un million de prouesse technologique n’aurait sans doute tente en distribuant des primes et en accélé-
cains, sont emprisonnés en Rus- visiteurs supplémentaires, qui sont invités pas pu voir le jour dans les délais. Dans la rant les embauches, afin d’enjamber sans
sie sans autre motif que d’avoir à prendre le bus, le métro et le train pour ré- dernière ligne droite, l’enjeu de sa mise en encombre l’échéance des JO. Qu’en sera-t-il
fait leur travail. Cet entretien de duire au minimum l’empreinte carbone de service complète est vital. Mais, à cinq mois après ? Certains syndicats parlent déjà de
deux heures a été diffusé sur le ré- cet événement. Mais entre les promesses de la cérémonie d’ouverture, l’achèvement « troisième mi-temps » sociale. A l’automne,
seau social X, propriété du mil- du dossier de candidature, déposé en 2015, de l’essentiel de la modernisation du réseau les travaux sur un réseau vieillissant vont
liardaire Elon Musk, naturalisé et la réalisation des infrastructures, neuf francilien est à portée de main. reprendre, les agents vont poser en masse
américain, qui est convaincu que ans plus tard, l’écart est significatif. En revanche, il y a peut-être davantage les congés qu’ils ont accepté de décaler et les
Vladimir Poutine « n’a aucune Il serait tentant de voir le verre à moitié d’inquiétude à avoir sur l’activité même du sous-effectifs ne seront pas totalement ré-
chance » de perdre la guerre en vide en pointant du doigt ce qui ne sera pas réseau, tant à la RATP qu’à la SNCF. Les dys- sorbés. Finalement, la période des JO pour-
Ukraine. achevé, comme le Charles-de-Gaulle-Ex- fonctionnements à répétition et la régula- rait ne pas être la période la plus difficile à
L’interview est en soi une in- press, qui devait relier l’aéroport de Roissy rité aléatoire des services empoisonnent surmonter. p
sulte au journalisme dans un
pays où de grands journaux ont
fait tomber un président, Richard
Nixon. M. Poutine, qui se trouve
aussi avoir le sens de l’histoire,
tout au moins de l’histoire telle
qu’il la réécrit, y met à profit la
première demi-heure pour noyer
son interlocuteur dans un flot de
détails historiques réinventés sur
une prétendue genèse de l’Eu-
rope contemporaine, sans jamais
que l’Américain, assommé, soit
capable de le contredire.
L’épisode a valu à Tucker Carl- HORS-SÉRIE
son le qualificatif d’« idiot utile »
de la part de Hillary Clinton, in-
quiète de voir qu’« il y a des gens
aujourd’hui dans notre pays prêts
à servir de cinquième colonne à
Vladimir Poutine ». Un ancien élu
républicain passé à l’opposition,
Adam Kinzinger, a traité Carlson
de « traître ». Ce n’est d’ailleurs
pas par hasard si, parmi les vingt-
deux sénateurs républicains qui
ont fini par défier Donald Trump

seur qui mène une guerre à
l’Ukraine comme l’Europe n’en a
pas connu depuis 1945 simple-
ment parce que le Kremlin consi-
dère que l’Ukraine lui appartient.
« Aucun autre président dans no-
tre histoire ne s’est incliné devant
un dictateur russe, s’est indigné,
mardi, Joe Biden. Bon Dieu, c’est
stupide, c’est honteux, c’est dan-
gereux. C’est non-américain. »
« Idiot utile »
Quel retournement, en effet ! Ni
Reagan, acteur de films de série B,
ni Trump, roi de l’immobilier,
n’étaient destinés à devenir prési-
dents des Etats-Unis. Mais là s’ar-
rêtent leurs points communs. Le
Parti républicain de Trump n’a
plus rien à voir avec celui de Rea-
gan : à la fin de la guerre froide, ce
parti, résolument internationa-
liste, soutenait les mouvements
d’opposition dans le bloc soviéti-
que et ne cessait de demander la
libération des dissidents empri-
sonnés. Qui a entendu Donald
Trump réclamer la libération de
l’opposant russe Alexeï Navalny,
qui purge sa peine de dix-neuf
ans de prison dans un camp péni-
tentiaire de l’Arctique ?
Au contraire. Tucker Carlson,
ex-star de la chaîne conservatrice
Fox News et thuriféraire de Do-
nald Trump, est allé à Moscou
réaliser un entretien télévisé avec
Vladimir Poutine que, d’après lui,
« pas un seul journaliste occiden-
tal ne s’est inquiété d’interviewer »
– omettant au passage que deux
TOURNANT LE DOS
À L’HISTOIRE DE
SON PROPRE PAYS,
TRUMP FAIT LA
COURTE ÉCHELLE
À POUTINE
RÉSISTANTS
et se prononcer en faveur du dé-
blocage de l’aide à l’Ukraine, on
trouve plusieurs anciens combat-
tants et des experts des affaires
de défense.
La guerre, ils connaissent. Pour MISSAK MANOUCHIAN
eux, permettre à la Russie de rem-
ET SA COMPAGNE MÉLINÉE
porter celle-ci irait à l’encontre de
la doxa de sécurité internationale ENTRENT AU PANTHÉON
à laquelle ils ont adhéré depuis la
guerre froide. L’Alliance atlan- HISTORIENS ET DESCENDANTS
tique, a rappelé, mardi devant la RACONTENT L’ENGAGEMENT
presse, l’ambassadrice des Etats-
Unis à l’OTAN, Julianne Smith, est DES COMBATTANTS ÉTRANGERS
« la pierre angulaire de la politique
étrangère américaine » mise en
œuvre « depuis plus de sept
décennies par des administrations
démocrates et républicaines ».
« Ce n’est pas une œuvre de charité
– elle sert nos intérêts. »
Mais le doute chemine, avec le
lien transatlantique au cœur des
interrogations. Avant même la
dernière saillie de Trump, cinq
experts européens de renom ont
publié dans la revue Foreign Af-
fairs un long article intitulé « Met-
tre l’Europe à l’abri de Trump :
comment le continent peut se
préparer à l’abandon américain ».
Il y a un élément nouveau dans le
défi Trump, notent-ils : « Il a été le
premier président américain qui Entre ici,Manouchian !Avec Missak Manouchian,ce sont tous les condamnés
ne traite pas l’Europe comme fai-
sant partie de la famille. Il s’est à mort du procès, des « 23 » de l’Affiche rouge et tous les résistants étrangers
montré plus à l’aise avec des qui entrent au Panthéon. Qu’ils soient arméniens, italiens, hongrois,
autocrates comme Poutine et le espagnols, polonais, et pour beaucoup juifs, ils se sont tous battus, ont
président chinois Xi Jinping
qu’avec des dirigeants européens été torturés, déportés ou assassinés pour libérer la France de l’occupant
démocratiquement élus. » nazi et du régime de Pétain. Entretiens, infographies, reportages, portraits,
On en est là. En grande diffi-
culté, l’Ukraine attaquée se débat, témoignages.
à court de munitions. Vladimir
Poutine plastronne et fait croire
qu’il est prêt à négocier. Tournant
RÉSISTANTS
le dos à l’histoire de son propre
pays, Donald Trump lui fait la
courte échelle. Et les Européens se
prennent à se demander si l’OTAN Un hors-série du « Monde »
survivrait sans les Etats-Unis. La 100 pages - 11,50 €
question a beau ne pas avoir été Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
posée dans ces termes, il n’est pas
interdit d’y réfléchir. p
 CAHIER DU « MONDE » N O 24609 DATÉ JEUDI 15 FÉVRIER 2024
C A H I E R D U « M O N D E » NNE
° 2 PEUT
4 6 0 9 ÊTRE
D A T É VENDU
J E U D I 1SÉPARÉMENT
5 FÉVRIER 2024
NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT

QUAND
L’UNIVERSITÉ
JOUE DANS
LA COUR DES
GRANDES ÉCOLES
En maths ou en droit, certaines
formations universitaires,
toujours plus sélectives et exigeantes,
attirent les meilleurs étudiants
et sont de véritables tremplins
vers des cursus d’excellence
P AGES 2 ET 3

A la bibliothèque
universitaire
de droit,
à Paris-Saclay,
le 25 janvier.
NICOLAS KRIEF
POUR « LE MONDE »
2 | à la une
Le 25 janvier,
à la faculté de droit
Jean-Monnet,
de l’université
Paris-Saclay,
à Sceaux (Hauts-
de-Seine), des
étudiants (en bas
à gauche) assistent
à un cours
de la Grande Ecole
du droit, un cursus
d’excellence.
A droite, la biblio-
thèque spécialisée
où révisent
les futurs juristes
NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »
À ORSAY, LA DOUBLE LICENCE
COMME ALTERNATIVE À LA PRÉPA
Ce cursus d’excellence en trois ans connaît un succès grandissant, gage
d’intégrer une grande école d’ingénieurs ou d’être admis dans un master sélectif
A
quoi ça sert, les intégrales à
paramètre dans la vie de tous les
jours ? », lance à la cantonade
Cyril Letrouit, perché sur son
estrade, dans une salle du labo-
ratoire de mathématiques sur le campus
d’Orsay (Essonne). Devant le silence de son
auditoire, le chargé de recherche au CNRS
enchaîne avec un rapide exposé. « Imaginez
que vous passiez une échographie du ventre.
A partir de la densité de tissus mesurée des
deux côtés de l’abdomen, le médecin va être
capable d’en déduire ce qu’il y a au milieu.
C’est magique, non ? Et ça, c’est un théorème
mathématique, la transformée de Radon, qui
lui permet de le faire, pas la médecine. »
Sourire complice des trente étudiants ins-
tallés face à lui. Tous sont inscrits en troi-
sième année de licence double diplôme
mathématiques, physique et sciences pour
l’ingénieur à l’université Paris-Saclay. Un
cursus d’excellence en trois ans conçu
en 2005 pour préparer les concours d’ingé-
nieur, avant d’être transformé, en 2017, en
double licence de trois ans.
« Pendant très longtemps, le niveau en
maths à l’université était tellement modeste
que les étudiants qui voulaient pousser leurs
connaissances dans cette discipline étaient
obligés d’intégrer une classe prépa, explique
l’enseignant-chercheur Nicolas Burq, res-
ponsable du cursus. Notre ambition était de
leur offrir une alternative. »
A la rentrée 2023-2024, 3 701 candidats
avaient postulé à cette double licence pour
cinquante places, contre 2 039 en 2020 et
996 en 2017. Le classement de Shanghaï,
qui a sacré Saclay première université mon-
diale en mathématiques et troisième en
physique en août 2023, n’est évidemment
pas pour rien dans cet engouement.
Nicolas Burq voit, lui, une autre explica-
tion. « Avec le développement de l’intelligence
artificielle, de la data science et de la crypto-
monnaie, les maths offrent aujourd’hui de
très nombreux débouchés », analyse-t-il.
Outre des cours de mathématiques et de
physique renforcés, la formation com-
prend de l’informatique, des méthodes nu-
mériques, des langues, des projets et, en
troisième année, des stages en laboratoire.
A l’issue des trois ans, elle délivre deux sé-
sames : une licence et un diplôme de l’uni-
versité Paris-Saclay pour 240 ECTS (huit se-
mestres reconnus au niveau européen). Un
atout non négligeable pour Jean-Nicolas
Quenot, 20 ans. Sorti tout droit du lycée
Carnot de Dijon, fort de sa mention « très
bien » au bac maths-physique, il était admis
dans plusieurs prépas, mais a finalement
choisi Saclay. « En faisant ce double diplôme,
je garde la possibilité d’être facilement ac-
cepté dans un bon master tout en ayant un
accès plus simple aux écoles d’ingénieurs,
notamment CentraleSupélec que je pourrai
16,2 DE MOYENNE
intégrer sur dossier. »
SÉLECTION RUDE
Mais n’entre pas en licence double diplôme
qui veut. La sélection est quasiment aussi
rude qu’en prépa. « Pour faire remonter les
EN MATHS AU BAC
meilleurs élèves, j’indique dans l’algorithme
de Parcoursup les notes de chaque candidat, en
appliquant des coefficients », explique Nicolas
Burq. Les notes de terminale comptent trois
fois plus que celles de 1re, et la moyenne de
maths et de physique a également trois fois
plus de poids que les autres.
L’enseignant-chercheur dit cependant
n’avoir jamais senti les effets de la réforme
Blanquer, en 2019, qui avait fait disparaître
les mathématiques du tronc commun de 1re
et terminale avant qu’un nouvel arrêté im-
pose le retour d’un enseignement obliga-
toire des mathématiques à la rentrée 2023
pour tous les lycéens de la filière générale,
dès la classe de 1re. « Tout simplement parce
que les élèves qui ont arrêté les maths, on ne
les voit pas, constate-t-il. Quasiment tous les
admis en première année ont suivi la spécia-
lité maths ou physique en terminale avec
l’option maths expertes. » Avec des résultats
à faire pâlir bien des lycéens : au moins 16,2
de moyenne générale et 19,2 de moyenne
LE MONDE CAMPUS JEUDI 15 FÉVRIER 2024
en maths au bac. Si, logiquement, les matiè- ne sont regardées que dans 20 % des cas,
res scientifiques pèsent le plus lourd dans la notamment chez les étudiants en réorienta-
sélection, une attention est aussi portée aux tion ou ceux qui ont des notes un peu justes.
résultats en philosophie, langues et français, « L’idée que l’on puisse classer tous les élèves
qui « témoignent de la capacité d’investisse- de France à l’issue de la terminale est illu-
ment de l’étudiant », estime-t-on à Saclay. soire, martèle Nicolas Burq. On est forcément
Une qualité évidemment essentielle dans amené à se tromper, à écarter des élèves qui
une formation aussi exigeante. auraient mérité d’être retenus. »
Le lycée d’origine, en revanche, n’entre pas
en ligne de compte. « Je trouve beaucoup « NE PAS SE TIRER DANS LES PATTES »
plus pertinent de comparer les moyennes des D’où le choix de limiter à cinquante le nom-
LES LYCÉENS notes de contrôle continu, attribuées par les bre de places ouvertes sur Parcoursup. Cela
ADMIS À ORSAY lycées eux-mêmes, et les moyennes des notes permet de garder un contingent de dix
des spécialités, qui font, elles, l’objet d’un exa- places pour, à la fin du premier semestre, re-
ONT OBTENU men national, explique Nicolas Burq. Cela pêcher des étudiants en licence simple qui
AU MOINS permet de détecter les lycées qui ont ten- n’avaient pas le bon dossier en terminale et
dance à mettre des bonnes notes et ceux qui, se sont réveillés en première année d’uni-
à l’inverse, se montrent beaucoup plus sévè- versité ou qui n’avaient pas eu connaissance
GÉNÉRALE res au contrôle continu. » Ainsi, quand il des cursus sélectifs. « Je trouve ça chouette
identifie un étudiant qui a une note de spé- que ce type de cursus s’ouvre à des élèves de
ET 19,2 cialité très inférieure à la note de contrôle différents horizons et leur donne la possibi-
DE MOYENNE continu, il sait plus facilement en déduire si lité de faire leurs preuves », dit en souriant
c’est un accident ou le fruit de la politique de Arthur Muhulet, 21 ans, qui a passé un an à
notation de l’établissement. Centrale Pékin, en Chine, avant de rejoindre
Mais impossible de réaliser un tel travail la double licence.
manuellement sur l’ensemble des dossiers. Les filles y ont également toute leur place.
De même pour les lettres de motivation, qui « En terminale, nous n’étions que deux sur
LE SUCCÈS FOU DES DOUBLES CURSUS
C’est une formation très demandée… A son ouverture, en 2022, la double licence intelligence
artificielle et sciences des organisations de Paris Dauphine-PSL avait déjà attiré pas moins
de 1 600 candidats pour trente places. A la rentrée 2023, le chiffre a grimpé à 2 600 pour le même
nombre d’élus. Et le succès des doubles licences ne se limite pas à Dauphine. Dans la plupart
des facultés, ces cursus font un carton. A l’université Clermont-Auvergne, par exemple, la double
licence mathématiques-physique a fait l’objet de 767 candidatures sur Parcoursup en 2023, contre
315 à son ouverture, en 2020. Même tendance à l’université de La Rochelle : 526 étudiants ont postulé
en 2023 à la double licence histoire-géographie et aménagement inaugurée il y a six ans. A titre
de comparaison, ils n’étaient « que » 448 en 2022 et 417 en 2021. De quoi pousser l’établissement
à enrichir son offre. Après l’ouverture, à la rentrée 2022, d’un autre double cursus en droit-LEA
(anglais-chinois, anglais-coréen, anglais-espagnol-portugais), un troisième en droit-histoire va voir
le jour dès septembre 2024. L’université Gustave-Eiffel (Paris-Est) est dans la même dynamique.
La double licence mathématiques et physique-chimie, ouverte à la rentrée 2020, sera complétée,
à la rentrée prochaine, par une autre double formation en mathématiques-informatique.
Quant à l’université Clermont-Auvergne, elle proposera, dès le mois de septembre, une nouvelle
double licence philosophie-sociologie.
LE MONDE CAMPUS JEUDI 15 FÉVRIER 2024
à la une | 3

La Grande Ecole du droit,

esprit de corps et choix d’excellence
L’université de Paris-Saclay propose une spécialisation en droit des affaires
dès la première année postbac et envoie des promotions entières à l’étranger

D e petites promotions, des soi-

rées, une solidarité forte en-
tre enseignants et étudiants,
et du réseautage à volonté. La Grande
Ecole du droit – GED pour les intimes –
porte bien son nom. La faculté de
droit de Paris-Saclay, à Sceaux (Hauts-
de-Seine), marie l’excellence académi-
que de l’université avec les fondamen-
taux des établissements privés les
plus prisés : esprit de corps, sélection
stricte, ouverture à l’international.
Daphné Zeyer, 19 ans, a préféré la
GED à une licence de droit à la Sor-
bonne ou à Assas, où elle était accep-
tée : « La GED, c’est le cursus parfait. En
quatre ans, on a une formation en droit
français et anglo-américain. La qua-
trième année est aménagée pour que
nous puissions suivre en parallèle un
LLM à l’étranger [Master of Laws, un di-
plôme de droit équivalent à un mas-
ter 2 dispensé dans les universités
anglo-saxonnes] qui nous assure l’accès
aux très prisés masters en droit des af-
faires, précise-t-elle. Le tout en gagnant
du temps puisque, en quatrième année,
on valide également notre master 1. »
L’étudiante de deuxième année,
représentante de sa promotion, af-
firme apprécier tout particulièrement
l’esprit grande école de la formation :
« Cette année, on a quatre visites de ca-
binet d’avocats prévues. On organise
énormément d’événements interpro-
motions : soirées d’Halloween et de
Noël, et prochainement un laser game.
On a un système de filleuls. Chaque étu-
diant prend sous son aile un camarade
de l’année suivante. » Elle salue l’inves-
tissement des alumni, qui viennent
présenter leur parcours, faire des in-
terventions, et ouvrent leur carnet
d’adresses : « La GED, c’est comme une
grande famille. C’est pour toujours. »
« CHEZ NOUS, IL N’Y A SOLIDE RÉPUTATION
PAS LA PRESSION En quinze ans d’existence, la GED s’est
taillé une belle place dans l’offre foison-
DES CONCOURS nante des formations en droit, qui figu-
ET L’ON NE MASSACRE rent parmi les licences les plus deman-
négocier ses rémunérations, et d’ac-
céder aux meilleurs cabinets », assure
Firas Aidi, passé par un LLM à l’uni-
versité d’Amsterdam.
Le LLM peut cependant faire peur à
quelques familles en raison du prix,
parfois exorbitant, confie Véronique
Magnier : « En France, l’université est
quasi gratuite. Envoyer les étudiants
dans une faculté où ils devront s’ac-
quitter de frais de scolarité qui peuvent
frôler les 90 000 euros dans certains
établissements aux Etats-Unis, c’est
anticulturel. Or on n’est pas diplômé de
la GED sans LLM. On a beaucoup tra-
vaillé sur le coût des études. » La direc-
trice de la GED insiste sur la possibi-
lité d’obtenir une bourse, de choisir
des LLM dans des universités moins
onéreuses en Europe et met en avant
le retour sur investissement : « En
trois ou quatre ans, nos étudiants ont
souvent remboursé leur prêt contracté
pour partir à l’étranger. Finalement,
un LLM est moins cher qu’une scolarité
en école de commerce. »
« JE VISE TOKYO »
Iris Cohen, 20 ans, originaire de Nou-
velle-Calédonie, a opté pour la GED
car elle voulait « être sûre de partir en
LLM. Je vise Tokyo, c’est 20 000 euros,
mais il y a des bourses et c’est un inves-
tissement pour l’avenir. » Pour réussir
la faculté de droit de Paris-Saclay, l’in-
vestissement n’est pas uniquement
financier. Daphné Zeyer raconte tra-
vailler souvent « jusqu’à 1 heure du
matin, alors que les cours commencent
BACHELOR ET MBA  INITIAL OU ALTERNANCE
PARCOURSUP AVANT LE 14 MARS
« LA GED,
C’EST COMME
UNE GRANDE
FAMILLE. C’EST
POUR TOUJOURS »
DAPHNÉ ZEYER
19 ans, en 2e année
à 9 heures. » Le rythme et l’aspect pro-
fessionnalisant font fuir quelques
étudiants, confie leur camarade Julie
Robert, 19 ans : « On était trente-trois
l’année dernière, on n’est plus que
vingt-quatre. Moi, je suis ravie de mon
choix. Quitte à faire une licence de
droit, autant que ça sorte du commun,
on est nombreux dans la filière, il faut
se démarquer. »
Ces trois étudiantes de deuxième
année s’expriment à la sortie d’une
intervention de Mathilde Lacaze-
Masmonteil, une ancienne élève de la
GED. Le sujet ? Le devoir de vigilance,
une obligation faite aux entreprises
multinationales d’être vigilantes dans
toutes leurs activités, notamment au
sujet des droits humains et environ-
nementaux.
« Le droit des affaires, ce n’est pas que
du business. Les entreprises ont aussi
des obligations extrafinancières, c’est
important de sensibiliser les jeunes à
ces sujets », souligne l’avocate, spéciali-
sée dans le droit de l’environnement.
Une matière découverte en M1, se sou-
vient-elle : « Le sujet m’a passionnée,
au point que j’ai décidé de faire mon
LLM en droit de l’environnement. Un
pari plutôt risqué mais réussi. Accom-
pagner les entreprises pour se mettre
aux normes, c’est rémunérateur. Et on
a un vrai impact en sensibilisant les
boîtes sur ces questions. »
L’avocate de 26 ans se sert de son
parcours pour rassurer ceux qui pour-
raient être déboussolés par le carac-
tère professionnalisant de la GED :
« S’orienter vers le droit des affaires à
18 ans, sans jamais avoir fait de droit
avant, ça peut être perturbant. Il faut
relativiser. Aujourd’hui, j’aide des par-
ticuliers à lutter contre la pollution at-
mosphérique. J’ai un ancien camarade
qui est devenu codeur à Bangkok. La
GED mène à tout. »
Les bifurcations sont courantes,
confirme Véronique Magnier : « Le
droit des affaires, le droit fiscal, la fusion
et l’acquisition sont au cœur de notre
formation. Mais de plus en plus de
branches ont leur place dans le monde
de l’entreprise, comme le droit de l’IA
ou encore environnemental. » Un quart
des effectifs de la GED ne fait pas de
droit à la sortie de ses études, poursuit
Pierre Delassis, son propre exemple à
l’appui : « J’ai enchaîné avec un master
en fiscalité à Dauphine et je travaille
aujourd’hui comme consultant pour
Accenture. Parmi les anciens de la GED,
on trouve un peu de tout : conseillers
parlementaires, entrepreneurs, DRH. »
Faire partie d’une grande famille, c’est
aussi savoir s’en affranchir. j
margherita nasi

Clément,
dées sur Parcoursup. Elle reçoit chaque
PAS NOS ÉTUDIANTS » année plus de 700 demandes, qui sont
PATRICE HELLO triées sur le volet : seuls trente candi-
coresponsable du site d’Orsay

pour la physique
vingt à suivre l’option maths expertes, raconte
Marine Vieillard, 20 ans, originaire d’Orsay.
Ici, on est à peu près cinquante-cinquante. »
Cette année, les filles sont même plus nom-
breuses que les garçons en L1. « Beaucoup
fuient l’univers des classes préparatoires aux
grandes écoles scientifiques [en 2021, elles ne
représentaient que 33 % des admis en classes
préparatoires aux grandes écoles], constate
Patrice Hello, professeur des universités,
coresponsable du site d’Orsay pour la phy-
sique. D’abord parce qu’elles ont peur de se
retrouver isolées dans un univers très mascu-
lin. Aussi sans doute parce qu’elles craignent
de se faire écraser ! Chez nous, il n’y a pas la
pression des concours et on ne massacre pas
nos étudiants. »
C’est en partie ce qui a séduit Marine. « La
licence double diplôme a beau être sélective
et très bien cotée, l’ambiance n’est pas du tout
la même qu’en prépa, témoigne-t-elle. Vu
qu’il n’y a pas de concours, nous pouvons
tous valider notre année, sans avoir besoin de
nous tirer dans les pattes. »
La charge de travail, en revanche, est plus
importante qu’elle ne l’avait imaginée. Le vo-
lume horaire atteint environ huit cents heu-
res chaque année, contre six cents pour une
licence simple. Sans compter tout le travail
personnel. C’est ce qui explique que 15 % des
étudiants se réorientent – sans redoubler –
en filière simple durant le cursus. « Les deux
premières années, nos cours de physique
étaient mutualisés avec ceux de la licence de
physique fondamentale, explique Marie
Dauxais, 21 ans, originaire du lycée Sainte-
Marie-du-Port aux Sables-d’Olonne (Vendée).
Comme on faisait des maths, on était plutôt
leaders. Cette année, on est mélangés avec des
élèves de l’ENS [Ecole normale supérieure] et
on se retrouve en queue de peloton. » Mais
Marie s’accroche. Son objectif ? Intégrer une
école d’ingénieurs à la sortie de ces trois ans
et pourquoi pas poursuivre en thèse. « Si on
entre dans un cursus élitiste, conclut-elle, c’est
pour aller le plus loin possible, non ? » j
élodie chermann
aventurier
dats sont retenus. Une fois diplômés, ils
sont aussi bien convoités par les grands
cabinets en droit des affaires que par
les sociétés de conseil ou encore les
Gafam, affirme le codirecteur de la A 17 ans,
GED, Pierre Delassis : « L’école a forgé sa
réputation par sa capacité à envoyer
Clément a soif
des promotions entières à l’étranger en de liberté.
LLM. Des entreprises comme Google,
des sociétés de conseil comme EY, des ca-
Attiré par le
binets comme FreshFields ou Linklaters vaste monde,
viennent frapper à notre porte. » il se laissera
Les métiers du droit, et notamment
du droit des affaires, se diversifient et vite tenter
s’internationalisent, complète Véroni- par une
que Magnier, directrice de la Grande
Ecole du droit, à l’origine de ce projet : expérience
« En droit des affaires aujourd’hui, les à l’international,
contrats sont rédigés en anglais.
Quand on va sur du contentieux, on dans l’un
travaille rapidement avec des clients à des 33 pays
l’étranger et on atteint les limites du
droit français. Les futurs juristes doi-
où Vatel
vent acquérir des compétences au-delà est présent.
de la technique pure. Ils doivent savoir
adapter leur savoir-faire dans un envi-
Et pourquoi pas
ronnement économique et juridique de l’autre côté
en constante évolution. » du globe ?
Courant janvier, la GED organisait
à la mairie de Sceaux un forum LLM.
Neuf alumni affichant les trois lettres
convoitées sur leur CV sont venus pré-
senter leur parcours devant trois pro-
motions de l’école – une centaine de
personnes en tout. « Le LLM, c’est le
but de la Grande Ecole du droit. Sur-
tout, ce sera la meilleure année de vo-
tre vie », résume Clémence Decarsin,
partie en LLM à Singapour en 2022.
Son camarade Guillaume Bouland
évoque la beauté de Montréal, où il a
effectué un LLM en 2021 : « A chaque
saison, la ville change complètement.
L’été, à 35 degrés, on s’asperge d’eau.
L’hiver, on fait des festivals dans la
neige à – 30 degrés. A l’automne, les VOUS AVEZ DES QUALITÉS
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professionnel, qui permet de « mieux
4 | classes préparatoires LE MONDE CAMPUS JEUDI 15 FÉVRIER 2024

S
e lever, aller en cours. Déjeuner
en quarante-cinq minutes, puis tra-
vailler pendant une heure. Retour-
ner en cours l’après-midi. Rentrer,
prendre vingt minutes de pause
avant d’aller réviser. Dîner dès l’ouverture de
la cantine, puis rentrer réviser à l’internat
jusqu’à 22 heures, voire minuit. C’est le quo-
tidien de Benjamin (tous les prénoms ont été
modifiés), qui cube (redoubler la deuxième
année) sa classe préparatoire physique et
sciences de l’ingénieur (PSI), dans un lycée
du Grand-Est dont il n’a pas souhaité com-
muniquer le nom. Un rythme surchargé
dont tous les préparationnaires ont cons-
cience avant de s’engager, et qui s’impose
comme une constante en classe prépara-
toire. « Parfois, on n’en peut plus. T’es en retard
tout le temps, tu vois la montagne de choses à
faire, et ça te désespère pour te mettre au tra-
vail, poursuit Benjamin, qui pouvait se lever
à 4 h 30 certains matins pour travailler avant
d’aller en cours. C’est beaucoup à encaisser.
Toute notre vie, c’est la prépa. »
Dans cette formation connue pour son
exigence, les préparationnaires sont invi-
tés à s’immerger dans le travail. Ancien
élève de la filière ECS (économique et com-
merciale, voie scientifique) au lycée Sainte- PAUL BOUTEILLER
Geneviève (Versailles), Leith Pic évoque sa

LA PRÉPA ET RIEN
culpabilité à faire autre chose qu’étudier :
« Je ne pouvais quasiment plus jouer à un jeu
vidéo sans mettre un podcast de géopoliti-
que en fond. » Il souligne le caractère pres-
que vicieux de cette charge de travail, qui
« prend tout le reste de notre vie, nos hob-
bies. On peut avoir le sentiment d’être défini
par notre travail, et être affecté de manière
disproportionnée quand on échoue ».

BANALISATION DU STRESS
Pour certains, cette pression constante peut
se traduire en symptômes physiques.
« J’avais de l’eczéma tellement j’étais stressé.
Comme je dormais mal, j’étais très fatigué en
cours et je devais récupérer après, confie Jules,
21 ans, ancien étudiant en mathématiques-
physique (MP) au lycée Henri-IV, à Paris. Il
n’y a pas eu un DS [devoir surveillé] où je
n’étais pas angoissé. C’était terrible. »
D’autant plus que Jules, qui a été admis à
l’Ecole des mines-PSL, n’était pas dernier de
sa classe. Avec de 12 à 14 de moyenne en fin
de première année, il a pu intégrer une
classe étoile l’année suivante, qui prépare
aux concours les plus sélectifs.
La « colle », exercice d’interrogation orale
lors duquel l’élève se retrouve seul face à
l’enseignant, constitue aussi un moment
délicat pour les moins à l’aise. Chacun en
passe deux ou trois par semaine. Pour Jules,
D’AUTRE
Rythme intense, compétition, pression des concours,
les deux années de classe préparatoire exigent un investissement
sans faille. Entre émulation intellectuelle et angoisse,
des élèves racontent cette période particulière
l’exercice était douloureux : « Ne pas com-
AUJOURD’HUI, LES ÉQUIPES prendre quelque chose à l’oral, avoir des
PÉDAGOGIQUES NE blancs… c’est humiliant », lui qui avait la
boule au ventre avant chaque colle.
SONT PLUS INDIFFÉRENTES Tous ne vivent pas leur prépa aussi dou-
AUX QUESTIONS SUR LE loureusement, mais tous reconnaissent que
cette pression vient surtout d’eux-mêmes.
BIEN-ÊTRE DES ÉTUDIANTS Dans un système fondé sur un classement
entre étudiants pourrait-il en être autre-
ment ? « Bien sûr que ce sont les étudiants
qui se mettent la pression, mais l’institution
est aussi pensée pour les mettre en compéti-
tion, appuie Annabelle Allouch, sociologue
spécialiste des politiques éducatives et
maîtresse de conférences à l’université de
Picardie-Jules-Verne. La caractéristique de
la prépa, c’est que le classement est présent
partout, et qu’il est explicité. Il y a une forme
de banalisation du stress comme faisant
partie des conditions de travail naturelles. »
D’autant plus que les classes préparatoires
aux grandes écoles (CPGE), elles-mêmes
parties d’un vaste système de concurrence,
ont tout intérêt à faire entrer leurs élèves
les écoles d’ingénieurs aussi, la tension
ne concerne pas tant l’accès à une école que
la possibilité d’intégrer la meilleure.
Aujourd’hui, la prépa n’est plus indifférente
aux questions relatives au bien-être des étu-
diants : « Il y a une attente d’accompagnement
de la part des élèves et des familles qui est deve-
nue une norme et qui concerne tout l’enseigne-
ment supérieur, souligne Annabelle Allouch.
Cela n’empêche pas une forme de sévérité,
mais dans la bienveillance. » A Sainte-Gene-
viève, où Leith Pic était interne, l’extinction
des feux à 23 heures en première année
comme les cours de sport obligatoires doi-
vent permettre d’éviter aux élèves de se sur-
mener. Tous dans le même bateau, chacun
garde aussi un œil sur ses camarades : « Les
amis jouent un rôle important. A l’internat de
“Ginette”, il était absolument interdit sociale-
ment de travailler le samedi soir, se souvient
Leith. Si on te voyait le faire, on t’arrachait à
ton bureau et l’on t’emmenait au bar. »
Clarisse Chauvin, conseillère principale
d’éducation (CPE) au lycée Voltaire d’Orléans,

Avec 18 doubles licences à

dans les meilleures écoles, car cela a un a pris l’initiative de rester un soir par
impact sur leur réputation. semaine à l’internat jusqu’à 22 h 30, afin
d’échanger avec les préparationnaires. Le but

Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
« CLASSER, MAIS PAS ÉLIMINER » était de les aider à organiser leur travail pour
Dans des établissements où ils se côtoient éviter qu’ils ne s’engagent dans un rythme
des heures durant, plusieurs fois dans la

étudiez dans la grande

semaine et sur plusieurs années, les rela- « LE VRAI ENSEIGNEMENT,
tions entre professeurs et élèves sont parti-
culièrement importantes en classe prépa- CE NE SONT PAS TANT

université française
ratoire. Les enseignants peuvent devenir LES CONNAISSANCES,
des interlocuteurs privilégiés. « Ils préfèrent
que l’on vise trois écoles plus bas dans les C’EST LE TRAVAIL SUR SOI »

de sciences humaines
classements, mais que l’on s’en sorte bien, BENJAMIN
plutôt que l’on s’épuise et que l’on finisse redoublant en 2e année de prépa physique
douze écoles plus bas », observe Leith Pic, et sciences de l’ingénieur

et sociales.
aujourd’hui à HEC Paris.
Dans les filières commerciales, « la pre-
mière chose que nous leur expliquons, c’est
que les concours classent, mais n’éliminent
pas, rapporte Christine Pires, professeure
d’espagnol au lycée Voltaire, à Orléans, et
vice-présidente de l’Association des profes-
seurs des classes préparatoires économiques
et commerciales (Aphec). Quoi qu’il arrive, ils
auront une école puisqu’il y a plus de places
aux concours que de candidats ». En effet,
onze des vingt-quatre écoles de commerce
postpréparatoires présentaient des places
vacantes à l’issue des concours en 2023. Pour
« qui n’a pas de sens ». « Il est hors de question
qu’ils travaillent jusqu’à 3 heures du matin.
Nous souhaitons qu’ils soient équilibrés dans
leur vie », affirme la CPE.
Pour autant, le choix ambitieux de la
prépa n’est regretté par aucun des étudiants
rencontrés. Malgré une deuxième année
qui a mis sa santé mentale à rude épreuve,
Benjamin a choisi de « cuber » pour obtenir
l’école qu’il vise, l’une des écoles des Mines,
ou Centrale Méditerranée. Il considère la
prépa comme un « accélérateur de prise
de conscience ». « On rame parce que l’on
LE MONDE CAMPUS JEUDI 15 FÉVRIER 2024
classes préparatoires | 5

« A dossier égal, lors de la sélection,

88 % DES ÉTUDIANTS
REFERAIENT LE CHOIX
DE LA PRÉPA
Les étudiants en CPGE déclarent
à 64 % ressentir du stress de manière
importante ou très importante, et 40 %
ont déjà pensé à abandonner la prépa,
par peur de l’échec ou de la gestion
du stress. Ce sont les premiers résultats
d’une enquête menée par l’Association
des proviseurs de lycées à classes
préparatoires aux grandes écoles,
auprès de 4 500 élèves en deuxième
année de filières littéraires, scientifi-
ques et économiques.
Si la moitié d’entre eux trouvent les exi-
gences de la formation « trop élevées »,
88,1 % affirment cependant qu’ils
referaient le choix de la classe prépa.
Parmi les raisons invoquées, la
rigueur, l’acquisition des méthodes,
la stimulation intellectuelle ou encore
l’engagement des professeurs. Quand
bien même ils sont 57 % à estimer
que leurs préjugés sur la charge
de travail, le stress et la pression étaient
fondés, contrairement à ceux qui
concernaient l’ambiance de compétition
et la dureté des professeurs.
se confronte à toutes nos difficultés, notam-
ment mentales. Soit tu les règles, soit tu
n’avances pas, détaille-t-il. Le vrai enseigne-
ment de la prépa, ce ne sont pas tant les
connaissances, c’est le travail sur soi. C’est ce
que je recherche avant tout. »
La stimulation intellectuelle que permet
cette formation, qui réunit d’excellents élè-
ves, fait aussi partie de ce que les anciens re-
tiennent. « Sur ce plan, la prépa a été la
meilleure période de ma vie, raconte Mila,
22 ans, sortie d’une filière littéraire du lycée
Notre-Dame-de-la-Paix, à Lille. Je n’ai jamais
autant évolué, mûri dans ce à quoi je voulais
me destiner, et sur la manière dont je voyais
l’actualité ou la politique, qu’en prépa. »
L’étudiante évoque avec émotion les liens
très forts qu’elle a pu créer à l’internat. « J’y
ai trouvé des choses qui allaient au-delà de
l’académique, des gens qui me ressemblaient
dans leurs passions, la façon dont ils avaient
envie de travailler. »
on peut favoriser une fille »
Entretien Le proviseur de Louis-le-Grand, Joël Bianco, dévoile ses méthodes
pour tenter de corriger la sous-représentation féminine en prépas scientifiques
Q uand il s’agit de départager
deux candidats de même
niveau qui souhaitent en-
trer en prépa scientifique,
une fille peut être favorisée, assume
Joël Bianco, proviseur du lycée pari-
sien Louis-le-Grand et directeur de
l’Association des proviseurs de ly-
cées à classes préparatoires aux
grandes écoles. Alors qu’aujourd’hui
les filles représentent moins d’un
tiers des étudiants en prépas scienti-
fiques, la filière prend la problémati-
que de la parité au sérieux, et ce dès
la sélection des dossiers sur Parcour-
sup, explique le proviseur, en s’ap-
puyant sur l’exemple de son lycée.
En 2023, les classes préparatoires
scientifiques MPSI figuraient parmi
les cinq formations les plus deman-
dées sur Parcoursup, (près de
200 000 pour la filière mathémati-
ques et 160 000 pour la filière physi-
que-chimie à titre d’exemple).
Les effectifs des prépas scientifi-
ques, et notamment mathémati-
ques, sont toujours très masculins
et ont tendance à le rester. La pro-
portion de filles en classes prépara-
toires aux grandes écoles (CPGE)
scientifiques (30,9 % des effectifs à la
rentrée 2022) reste inchangée sur les
trente dernières années. Au point
que le Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes a for-
mulé cette recommandation dans
un rapport du 7 novembre 2023 : un
taux d’admission imposé de 30 %
de femmes au minimum dans les
filières scientifiques, et notamment
dans les CPGE. En mai 2023, la mi-
nistre de l’enseignement supérieur
et de la recherche, Sylvie Retailleau,
évoquait déjà la possibilité de quo-
tas de jeunes femmes en classes
préparatoires. Pour Joël Bianco,
l’enjeu doit être pris au sérieux, du
secondaire aux grandes écoles.
Où en est la parité dans les
classes prépas à Louis-le-Grand ?
Nous faisons le constat de vérita-
masculines. Et en amont, il faut qu’il
y ait un travail d’accompagnement
au lycée. Les professeurs doivent en-
courager les filles à accepter les pro-
positions qui leur sont faites, à ne
pas s’autocensurer et à travailler sur
leur dossier autant qu’un garçon.
Au moment de départager des
candidats de très bon niveau en
commission d’examen des vœux,
le genre peut-il jouer un rôle ?
Tout à fait. On fait souvent le paral-
lèle avec les boursiers : on est face à
des publics qui, pour des raisons di-
verses, se trouvent défavorisés. Donc
quand on peut rééquilibrer, on le fait,
évidemment. A égalité des dossiers,
quand on réalise le classement, on
peut favoriser une fille. Il n’y a pas de
quotas comme il en existe pour les
boursiers, mais une attention parti-
culière est accordée à leurs dossiers.
Donc rien d’officiel…
Non. Mais comme le recrute-
ment est un travail qui est fait à la
main – contrairement à ce que les
gens pensent –, on peut œuvrer à
sensibiliser les professeurs qui tra-
vaillent à la sélection. Une première
sélection est réalisée par Parcoursup
à partir de critères pédagogiques,
puis nous trions à la main. La com-
mission veille ainsi à ce qu’il n’y ait
pas une proportion moindre de
filles sélectionnées que de filles qui
candidatent. En PCSI, on a choisi
4 % de filles en plus, relativement à
la proportion qui a candidaté, par
exemple. Et on arrive à parité, au
bout du compte. On fait attention à
cela, parce qu’on sait qu’après, elles
sont moins nombreuses que les
garçons à accepter notre proposi-
tion sur Parcoursup. C’est à peu
près le même phénomène que pour
les boursiers : on leur fait des pro-
positions, mais rien ne nous dit que
l’élève sera effectivement présente
chez nous en septembre.
Que pensez-vous de l’instauration
de quotas d’admission de filles ?
Parfois, on voit que les mesures
volontaristes sont celles qui fonc-
tionnent. On l’a vu avec Affelnet [la
procédure d’affectation des élèves du
public en 2de] : grâce aux quotas, le
nombre de boursiers a été multiplié
par deux dans les grands lycées pari-
siens. Pour l’instant, les quotas gen-
rés sont interdits sur Parcoursup.
Mais pourquoi pas ?
Il y a deux ans, une lettre
ouverte dénonçait le sexisme
en prépa à Louis-le-Grand,
comment y avez-vous réagi ?
Des étudiantes et étudiants, sous
le couvert de l’anonymat, ont dé-
noncé le sexisme qu’ils obser-
vaient. Ils ont demandé que des
actions soient menées, et à en être
acteurs. Ils ont écrit une lettre
ouverte, distribué des tracts.
Ça nous avait un peu secoués à
l’époque. Il y a une approche mili-
tante chez certaines, et je pense que
c’est bien. Même à Louis-le-Grand,
où nous sommes vigilants, il y a des
choses qui peuvent nous échapper.
Et c’est toute la chaîne qui doit être
vigilante : les lycées en amont, les
écoles en aval, et puis, au sein des
prépas, les professeurs, les camara-
des garçons… Si l’on n’y prend pas
garde, il y a des pensées implicites,
des postures, des propos qui peu-
vent pénaliser les jeunes filles. Par
des commentaires, on peut facile-
ment décourager les filles d’aller au
tableau ou de s’exprimer en classe.
Ce qui pendant longtemps ne po-
sait pas de problème fait aujourd’hui
réagir, et c’est plutôt bien. Pour que
ça avance, il faut que chacun consi-
dère qu’il est concerné. Je tiens ce
discours aux professeurs, puis en
accueillant les élèves en début d’an-
née. Tout cela a été salutaire et nous
a permis d’avancer.
La jeune génération, y compris
chez les professeurs, est consciente
des enjeux. Après, tout ne repose
pas sur la période de formation. Il y
a ce qui suit, l’image des métiers, la
place dans l’entreprise… Les femmes
doivent pouvoir se projeter. j
propos recueillis par
diane merveilleux

GRANDE ÉCOLE
bles disparités de genre et d’une re-
SIMPLIFIER LE SYSTÈME lative stagnation. Comme à l’échelle

Outre l’accès à une grande école, la classe pré-
paratoire peut constituer une fin en soi. Une
épreuve à laquelle certains souhaitent se
confronter. « J’avais envie et besoin d’aller dans
quelque chose d’élitiste, de très différent, dont
on parlait beaucoup », reconnaît Mila. Pour
Leith, qui a choisi de s’accorder une année de
césure à HEC pour réaliser des stages, la prépa
rend les jeunes désirables sur le marché des
écoles puis de l’emploi : « Certains préfèrent
recruter quelqu’un issu de prépa, parce que l’on
sait qu’il est capable de se donner à fond dans
un sujet, de travailler sous pression. »
Si cette pression en prépa est inhérente au
principe des concours, des réflexions émer-
gent entre CPGE et grandes écoles quant à
leur forme. « Il y a beaucoup d’épreuves, leur
durée a été réduite, mais les écrits durent
quand même une grosse semaine [en filières
commerciales] », regrette Alain Joyeux, pré-
sident de l’Aphec. Dans les filières scientifi-
ques, les épreuves écrites peuvent s’étaler
sur quatre semaines, et ne sont souvent pas
faisables dans le temps imparti. Il ne s’agi-
rait pas de baisser le niveau, mais d’aller vers
« un système un peu plus simple, qui allége-
rait sans doute la pression ». Pour Annabelle
Allouch, « les prépas sont organisées en fonc-
tion des épreuves du concours. Qu’elles soient
sur trois heures ou sur cinq jours, ça ne
change pas. Tout le travail sera de s’y prépa-
rer, et cela va induire une pression dans la
préparation tout de même ».
Une fois ces concours passés, et même
pour les heureux admis dans l’école de leurs
rêves, il peut être difficile de s’éloigner de la
prépa. « Une fois que tu réussis, tu te sens un
peu vide, analyse Leith, plus de deux ans
après être sorti de Sainte-Geneviève. Tu te
dis : “C’est bon, j’ai révisé mes maths et mon
histoire, mais maintenant je suis qui ?” Et tu
as un peu oublié, parce que ça faisait deux
ans que tu ne faisais que des maths et de l’his-
toire. » Un sentiment tout de même vite
oublié après son entrée à HEC et la décou-
verte d’un nouveau rythme de vie, moins
tourné vers le travail scolaire. j
lisa delagneau
DE MANAGEMENT
« LES PROFESSEURS Alternance possible dès la 1 année e
DOIVENT ENCOURAGER d'études post bac et tout au long du cursus
LES FILLES À NE PAS
S’AUTOCENSURER »
nationale, ça ne bouge pas beau- BACHELOR EN MANAGEMENT
coup. C’est préoccupant ! Bien sûr, Bac+3 - Diplôme visé
cela dépend des filières, et même
quand on se concentre sur les scien-
tifiques, c’est très contrasté. Si je Développement commercial / Management
prends les chiffres de cette année à International business / Data / IA
Louis-le-Grand, on atteint la parité Marketing / Communication digitale
en physique chimie sciences de l’in- Finance / Gestion / Négociation / Entrepreneuriat
génieur (PCSI). Mais en mathémati-
ques physique sciences de l’ingé-
nieur (MPSI), on est à 21 % de filles,
et 19 % en mathématiques physique
informatique ingénierie (MP2I). Ces PROGRAMME GRANDE ÉCOLE
Bac+5 - Diplôme visé - Grade de Master
fortes disparités tiennent notam-
ment aux représentations, au choix
des spécialités en terminale et à Communication / Événementiel
l’autocensure. Industries culturelles & créatives
Management / Supply chain
Pour votre lycée, quelles sont
Entrepreneuriat / Business développement
les proportions de vœux
Hospitality / Business intelligence
sur Parcoursup émanant
de filles et de garçons ? Management de la santé / Luxury &
Ce qui est certain, c’est qu’à Louis- craftsmanship / Digital / Data & e-commerce
le-Grand, on recrute plus de filles en
MPSI qu’il n’y en a qui nous rejoi-
gnent effectivement. Cette année, Jusqu’à 3 semestres d’études à l’étranger
nous avions 30 % de candidatures fé-
minines ; les professeurs en ont sé-
lectionné la même proportion, 30 %. Journées portes ouvertes :
Puis Parcoursup, qui envoie des pro- samedi 2 mars
positions d’admission aux candi-
samedi 16 mars
dats en se basant sur notre classe-
samedi 30 mars
ment, en a appelé 24 %, et 21 % sont
arrivées sur nos bancs à la rentrée.
C’est là qu’on voit que c’est aussi en
amont et en aval que les choses doi- info@istec.fr - 01 40 40 20 29
vent se faire. Les jeunes femmes
peuvent ne pas avoir envie de rejoin-
dre des écoles aux cohortes trop